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ŒUVRES
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ŒUVRES
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JEAN LEMAIRE DE BELGES
imbHéef par
J. STECHER
Membre de l'Académie royale de Belgique
TOME DEUKIEMB
LES ILLUSTRATIONS DE GAULE ET SINGULARITEZ
DE TROYE
DEUXIÈME ET TROISIÈME LIVRE
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LOUVAIN
IMPRIMERIE DE J. LEFEVER
30 — an »N okPMLiiit — 30
1882
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PROLOGUE DU SECOND LIURE
DES ILLUSTRATIONS DE GAVLE,
ET SINGVLARITEZ DE TROYE.
Oaidius libro zt. TrantformatioDum.
Nunc humilis veteres tantummodo Troia ruinas.
Et pro diuitiis, tumulos ostendit atiorum.
Ores Troye humble et basse, en ses trésors terrestres
Ne monstre que ruïne, et tombeaux des ancestres.
A la flevr de toute tresclere, et tresdouce ieunesse virgi-
nale et féminine de France, Mercure iadis réputé Dieu
deloquence, dengin, et de bonne inuention, Salut. Comme
ainsi soit, que par tiltre de héraut, et interprète des Dieux
supérieurs, iaye pieça de mon plein gré promis de fournir
à vous Princesses, dames, et damoiselles, de la tresnoble
langue et nation Gallicane et Françoise, trois présents au
II. 1
2 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
nom des trois Déesses, lesquelles eurent iadis différent de
leurs beautez et prééminences : si en feirent iuge Paris
Alexandre, filz du Roy Priam de Troye. Lequel par iuge-
ment abusif, préféra Venus, cestadire beauté corporelle et
Tolupté sensuelle, aux deux autres Déesses, luno et Pallas,
qui signifient science spirituelle ou vertu intellectiue, et
richesses de domination temporelle. Pour lesquelles mien-
nes promesses accomplir, lannee passée ie macquitay de
la première, et feis imprimer, tant à Lyon comme à Paris
le premier liure des Illustrations de Gaule et Singularitez
de Troye, desia publié et diuulgué par tout ce Royaume,
et ailleurs. Par la teneur duquel on voit clerement, que tant
et si longuement, comme Paris meit son estude à contem-
pler la beauté de Pallas, il fut vertueux et bien moriginé :
mais depuis quil arresta du tout son regard sur la corpu-
lence de Venus, cestadire, de la belle Heleine, laquelle
il rauit et détint iniustement, en brisant et corrompant le
sien mariage, et dautruy : il desprisa aussi tout ensemble,
le merueilleux pouuoir de la grand Déesse luno, qui domine
sur iustes quereles, prouesses, puissances, et conquestes
cheualereuses, et loyaux mariages. Parquoy il encourut
tout à vue fois lindignation des deux plus vertueuses Dées-
ses : dont icelles ainsi mesprisees, luy furent abonne cause
contraires et ennemies : et bien luy rendirent vengeance
méritée, qui fut la ruine et destruction totale de luy et de
son parentage, comme vous verrez en ce second volume.
Et congnoitrez, tresbenigne flouriture Françoise, quelle
différence il y ha entre Venus dame de mollesse et de la-
scheté tresdamnable, et lautre Venus Déesse damours et de
beauté pure et nette, qui sentend de vraye amour coniugale
et licite. Et ce vous apperra clerement, par la diuersité des
mœurs, et des conditions des deux femmes de Paris de
SINGYLARITËZ DR TROYE. LIVBE II. 9
Troye : desquelles la première estoit sa compaigne iuste et
légitime par loyal mariage : cestasauoir la treslouable
Nymphe Pegasis Oenone : laquelle combien quelle fust
répudiée à grand tort, par son mary, vescut neantmoins
vertueuse, et perseuera en sa foy et loyauté, iusques à
lextremité de sa mort, trespiteuse et treshonnorable. Et
lautre, cestasauoir Heleine tresdesloyalle et tresuitupe-
rable de toutes parts, si elle vescut en grand honte, enco-
res fina elle en plus grand malheur et misère. Lequel
exemple doit estre de grand efficace enuers toutes nobles
dames. Vous donques, ô treselegante et tresdelicate no-
blesse Royale et Ducale, qui représentez en ce grand
Royaume vne autre Venus terrienne, vne clere estoille ves-
pertine et matutine : et qui décorez ces mondaines régions,
autant comme la clere planette Vénérienne embellit le ciel,
prenez en gré le présent que ie vous enuoye de par la
Déesse Venus, laquelle vient à toutes choses qui ont estre
et nature (1) : non pas celle Venus qui fut mariée à Vulcan
le feure des Dieux, qui forge les foudres et tonnoirres de
lupiter, et laquelle fut iadis tant amoureuse de Mars le
grand Dieu des batailles : car celle Déesse est trop gaye,
et trop mignote et lasciue : et pour ceste cause suspecte à
toute honnesteté matronale. Si disent les poètes, quelle est
mère de Cupido le Dieu damours, lequel ha mauuais bruit
de traire aux ieuues gens ses flesches empoisonnées de son
arc mortifère, et faire beaucoup de maux parmy le monde :
car elle nest pas tousiours ceinte et liée de sa riche ceinture
appellee Ceston, cestadire, chasteté nuptiale, qui la garde
destre vagabonde et dissolue. Mais lautre bonne Déesse,
(1) L'intitula du prologue dans l'éd. 1512, porte : « dédié à très
clere princesse, madame Claude, première fille de France. »
4 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
tresuenerable, laquelle ne préside sinon aux saints mariages
légitimes, est sans tache et sans macule, comme celle que
les Rommains iadis honnorerent de temples et de sacrifices
publiques, (1) et lappellerent Venus verticorde : Cestadire,
tournant les cœurs des nobles matrones, et mères de famille,
à toute inclination de bien et dhonneur : et icelles retirant
de folles pensées. Tellement que par le bon motif de ladite
Déesse, toutes dames ont puissance de conuertir et refréner
par leurs douces persuasions et nobles contenemens les
coeurs des hommes aucunesfois enclins à follojer. Et par
leur bon exemplaire induire toute la séquelle de leurs
pucelles et filles et familières, à bonnes mœurs et à la
reuerence et obseruation de pudicité et fidélité matrimo-
niale, quand elles sont en ce train. Et par conséquent, à la
fécondité et procréation, et belle nourriture de noble lignée,
par laquelle la chose publique est gardée et preseruee de
décadence, le seruice diuin continué, et plusieurs glorieuses
âmes en volent au ciel, pour remplir les sièges de Paradis. (2)
Lisez donc par aggreable passetemps, nobles Princesses et
vostre belle suyte, les ruines de Troye bien vérifiées, par
claritude certaine plus que onquesmais ne furent, en atten-
dant que la tresgrande et tresriche Déesse luno vous en-
uoye le tiers liure, par lequel sera congnue la ressourse et
restauration de Ihonneur de Troye, faite par les Princes
Francus, Bru tus, et Bauo, voz principaux ancestres et
parens, qui depuis la désolation de leur pais vindrent habi-
ter en Gaule : et dont les rayz des vertus se réfléchissent
et reuerberent en leur postérité, cestadire en la refulgence
{\) fublieqw» {éd. 1512).
(2) Mdme ponctuation bizarre de cette longue période, dans le ma-
nosorit de Genève et dans les plus anciennes éditions.
SINGVLARITBZ DE TROYE. UVRB 11. 5
de vous et des vostres, qui resplendissez au monde, comme
fait la belle estoille iournale dite Venus, autrement Hespe-
rus, ou Lucifer, cestadire portant lumière precurseresse du
Soleil et de laube du iour : laquelle est le droit souhait des
Pèlerins, lespoir des nauigans, le désir des laboureurs, et
soûlas de tout le genre humain. A tant tresbenigne audience
de noblesse féminine Gallicane et Françoise, le premier
Moteur des choses vous doint toute félicité. Escrit aux
champs Elysiens, là oti sont Priam, Hector, Francus, Si-
caraber, Brutus, et Bauo voz progeniteurs, iadis yssus de
Troye, auec leurs trescheres compaignes, sœurs, nièces, et
filles, le premier iour de May, Lan de grâce, Mille cinq cens
et douze. (1)
(1) Dans l'édition de 1512, ce prologue est précédé du privilège
accordé par Louis XII à Jean le Maire et daté de Blois, l" mai 1512.
A la suite de cette teneur du privilège ottroyé, on lit : « Lacteur de ce
présent livre a communiqué son privilège royal en toute ample manière
comme il a obtenu du roy à Geufroy de Marnef Libraire juré deluni-
versité de Paris, etc. w Le manuscrit de la Bibliothèque de Genève
débute, sans prologue, par ces mots du 1" chapitre du second livre :
« Çiuand le cler soleil Jih de Hiperion »
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
LES NOMS DES ACTEVRS ALLEGVEZ EN CE
SECOND LIVRE. (1)
Virgile, en ses Eneïdes.
Dares de Phrygie, en Ihistoire de Troye.
Homère, en son Iliade, translaté en prose par Laurens Valle.
Dictys de Crète, en Ihistoire de Troye.
Guide, en lepistre de Paris à Heleine, et en sa Métamorphose.
Bocace, en la Généalogie des Dieux.
lean Baptiste Plus, sur lexposition de Fulgentius Placiades.
Euripides, en la tragédie d'Iphigenia, translatée par Erasme de
Roterodam.
Christofle Landin, commentateur de Virgile en ses Eneïdes.
Diodorus Siculus, en ses Antiquitez.
Antoine Volsc, commentateur d'Ouide, sur lepistre d*Oenone à
Paris.
Herodotus Halicarnasseus, prince des historiens Grecz.
Seneque, en sa première Tragédie.
Nicolas Perot, en sa Cornucopie.
Plutarque.
Donatus, expositeur de Virgile.
Thucydides, historien Grec.
Lactance.
(1) L'ëdition de 1512 ajoute : « Sensuivent les noms des bons
acteurs alléguez en ce second livre des illustrations de Gaule et sin-
gularitez de Troye : par les escriptures desquelz toute la substance
de c« livre a esté cueillie. »
SINGVLARITBZ DE TROTS. LITRE II. 7
laques de Bergome, au Supplément des chroniques.
Higinius, en son liure d'Astrologie poétique.
Bernard de Bridembach, en son Voyage de Hierusalem.
Strabo, en sa Géographie.
Pline, en Ihistoire Naturelle.
Vhertin, sur lepistre d'Heleine à Paris.
Philostratus, en la vie d'Apollonius Thyaneus.
Martianus Capella, au liure qui se intitule des noces de Mer-
cure et Philologie,
Isidore, eu ses Etymologies.
Platina, en la vie des Papes.
Seruius, commentateur des Eneïdes de Virgile.
Dion de Pruse, en son liure qui est intitulé de Troye non prinse.
Eusebius, en son liure des Temps,
lulles César, en ses Commentaires.
Isoerates, orateur Grec allégué par laques de Bergome.
Marsille Ficin, en ses Epistres.
François Philelphe, translateur de Dion de Pruse.
Persius, es Satyres.
Néron, en ses Troyques. (1)
(\) L'édit. 1512 ajoute : «xxxvii acteurs autenticquea. »
« De peu assez. »
LE SECOND LIVRE
DES ILLUSTRATIONS DE GAVLE
ET SINGVLARITEZ DE TROYE :
Composé à llionneur et intention des nobles dames de la nation
Gallicane et Françoise, par lean le Maire de Belges, trea-
humble Secrétaire et Indiciaire, ou Historiographe, de très-
haute, tresexcellente, et treschrestienne Princesse madame
Anne, par la grâce de Dieu deux fois Rojne de France,
Duchesse héréditaire de Bretaigne, etc. Lequel liure ledit
Acteur ha intitulé et dédié expressément au nom tresexcel-
lent et tresgracieux, de tresclere Princesse, madame Claude
première fille de France, et le luy ha présenté au chasteau
Royal de Blois, le premier iour de May, lan mille cinq cens
et douze.
CHAPITRE I.
Narration du retour du Prince Antenor de Grèce, auec recitation de
lexploit de son ambassade. Du conseil donné par Paris Alexandre
sur ce, et de lappareil fait pour aller en Grèce, par le consente-
ment du peuple de Troye, et au contredit du Prince Pauthus, Hele-
nus et autres. Du partement de Paris, Deïphobus, et leurs com-
paignons. Et du congé prins par Paris de sa compaigne la Nym-
phe Pegasis Oenone. Auecques vue exclamation contre laueuglee
emprise du Roy Priam.
Qvand le cler Soleil filz d'Hyperion, et neueu de Titan,
faisant son cours parmy le Zodiaque, eut tant seiourné es
parties méridionales, quil attaingnit la queue des Poissons,
10 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et commençoit desia à retourner les frains de ses nobles
cheuaux vers nostre climat et hemispere , exterminant
toute froidure brumale, et que Neptune souffroit le nauiger
parmy ses vndes sallees : nouuelles vindrent en la grand
cité de Troje, que le Prince Antenor, et les enfans de
Priam, et autres gentilzhommes, qui estoient allez auec
luy, tant pour conuoyer les Princes de deçà la mer, comme
pour fournir son ambassade en Grèce, ainsi que dit est
dessus en la fin du précèdent liure, estoient de retour au
port de Sigee. Alors le tresualereux Prince Hector, auec la
plus part de ses frères, et aussi le gentil Iphidanas, Glau-
cus, Archelaus et les autres enfans d'Antenor montèrent à
cheual, et allèrent au deuant dudit Prince Antenor, iusques
au port dessusdit : là ou ilz le festoyèrent (1) et bienuien-
gnerent, et lamenerent en la cité, iusques dedens son hos-
tel : auquel il demoura pour ce soir, sans monter au palais :
et se refreschit auec sa femme, madame Theano, sœur de
la Royne Hecuba.
Le lendemain matin le Roy Priam feit conuoquer tout
son conseil, pour estre présent à la relation que feroit An-
tenor sur le fait de sa légation. Chacun obtempéra au com-
mandement du Roy, et se trouuerent au palais, mesmement
le Prince Hector, et tous les autres enfans légitimes, et
pareillement les bastards. Le baron Antenor partit de son
bostel, accompaigné de ses enfans, et de deux autres grans
seigneurs de Troye : cestasauoir le vieillard Anchises père
d'Eneas, iasoit ce quil fust aueugle, et le sage Panthus
père de Polydamas. Ainsi monta Antenor au palais, si
trouua le Roy assis en son throne Royal, auquel il feit la
reuerence : et après ce que le Roy luy eut dit bienuien-
(1) /estierent (mscr. de Genève et éd. 1512).
SINGVLARITKZ DE TROTE. LIVRE U. If
gnant, et commandé de sasseoir, grand silence fut faite. (1)
£t lors en pleine audience, il commença à conter et relater
bien au long lexploit de son ambassade, et les responses,
tant du Roy Telamon de lisle de Salamis, comme des autres
Princes de Grèce, ses parens et alliez : et les recita par
grand éloquence, vne pour vne. Lesquelles en somme toute
estoient pleines de refus, opprobres et menasses. Et après
les auoir ouyes et entendues, le Roy fut parfondement in-
digné. Si demanda aux Princes de son sang, et autres de
son priué conseil, quelle chose il leur sembloit sur ce estre
à faire (2) : Et consequemraent interroga ses enfans, sur ceste
matière. Car bien en voulut auoir aussi leur opinion. Et
premièrement sadressa à son aisné filz Hector, et puis aux
autres. Les vns dirent dun, les autres dun autre, selon
diuers sens, aages et affections. Et allega vnchacun ses
raisons, desquelles escrire ie me déporte : car assez dautres
en ont fait ample mention. Mais quand Paris deut parler à
son tour, il dit en ceste manière :
« Mon tresredouté seigneur et père, limbecilité de mon
foible entendement, répugne à pouuoir discuter si haute
chose. Sur laquelle messeigneurs, qui icy sont, ont desia si
magnifiquement opiné. Toutesuoyes, souz la bénigne sup-
portation de ton trescremu commandement, et correction
des mieux sauans et des plus expérimentez, ien diray deux
mots : Cest quil me semble, que liniure à toy inférée ius-
ques à ores par les Grecz, en détenant madame Hesionne
ma tante, doit estre réputée de grand importance : mais
non pas encores en degré suppellatif, attendu que point
nauoies encores requis les détenteurs de la rendre. Mais
(1) /aict {éd. \5\2),/aicte (niscr. de Genève).
(2) affaire (mscr. de Oendve ei éd. 1512).
If ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
maintenant que par ton ambassade et légat solennel, Hz ont
esté semons et sommez de ce faire, et à ce ont esté non
seulement contredisans, ainçois de nouuel irritans ta hau-
tesse, par paroles ignominieuses et pleines diniurieuses
reproches, il appert clerement, que l'ire de ta maiesté prouo-
quee par redoublé vitupère, de tant moins doit tolérer si
grieue infliction dopprobre, comme ton sceptre est plus haut
et plus eminent, que de nul autre Prince d'Asie ne d'Europe.
Et à ce te doiuent animer la populosité de tes Royaumes, la
forteresse de tes citez, lopulence de tes richesses : et prin-
cipalement le nombre et magnanimité de tes enfans, dont
le suis le moindre : et aussi la prouesse du demeurant de
tes cheualiers et barons. Lesquelz comme ie croy, ne veulent,
ny doiuent vouloir, que la haute dignité de ta couronne soit
ainsi deffoulee, et que lorgueil et arrogance Grecque demeure
impunie, ains tous dun vouloir deuons appeter que la vieille
inimitié, et ancienne hayne, soit esteinte par nouuelle ven-
geance. Et pour ce faire, de tous les moyens quon peult
imaginer à la guerre, ie ny en voy point de plus propre en
ce cas, que de leuer marque sur eux. (1) Laquelle chose se
peult faire aisément, en prenant aucune des plus nobles
femmes de Grèce, pour prisonnière. Car alors ce quilz te
refusent obstinément, monseigneur, ilz requerront de plein
gré que tu prennes pacifiquement, par manière de commu-
tation. Et de ces choses ây ie maintenant seure coniecture,
et espoir infallible. Quand ie réduis à souuenance, que
autresfois en vne vallée des montaignes Idées, où iay prins
ma nourriture, par vision ou autrement, la Déesse Venus
me feit promesse de chose seruant à mesme propos. Cesta-
sauoir, que la fleur des femmes de Grèce, tomberoit vne
(1) mareare, prendre par droit de marque ou de reprôsaille».
8INGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 13
fois entre mes mains. A laquelle emprise, sil te plaist
entendre, mon tresredouté seigneur et père, ie moffre de
grand cœur dicy et desia daccompaigner celuy ou ceux de
messieurs mes frères, ou autres ausquelz il te plaira en
donner la charge. Tant pour le désir que iay de voiretcon-
gnoitre du monde, comme pour le grand zèle qui me fait
appeter la réduction de madame Hesionne : et aussi pour
lesperance que iay de mayder à conduire la besongne à bon
eflfect : et de voir le bout à layde des Dieux, à la louenge
de ta haute seigneurie, mon tresredouté seigneur et père,
et à la confusion des Gréez, noz anciens ennemis. »
Le parler du ieune adolescent Paris Alexandre fut re-
cueilli en saueur et beniuolence, et fort exaucé par la plus
part des assistans : et encore mieux soustenu par son frère
Deïphobus. (1) Tellement que à ce iuuenile conseil sarresta le
plus grand nombre des Princes : ou pource que les desti-
nées le vouloient ainsi, ou pource que prospérité désire
tousiours choses nouvelles. Si louèrent la grand prudence,
et belle faconde de Paris, et son hardy entreprendre : mes-
mement le Roy Priam, par dessus les autres, lautorisa :
meu de voulante aueuglee : affection vindicatiue, inflation
dorgueil : et impatience de prospère oisiueté. Pource que
à sa clere félicité autre chose ne luy sembloit porter obom-
bration, sinon la rigueur que les Grecz luy tenoient, quant
à la détention de sa sœur Hesionne. Si parla haut et cler,
et dit : que louuerture faite par son filz Paris Alexandre,
luy sembloit tresbonne : et que son opinion estoit, de la
mettre à exécution. Plusieurs se y assentirent, voyans
linclination de la voulante du Roy. Mais aussi en y eut
aucuns qui repuguoient au contraire. Entre lesquelz, Hele-
(1) Deiphebus (mscr. de Genève et ëd. 1512).
i4 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nus le tresprudent vaticinateur estoit le principal et le plus
constant. Car par son grand sens et clergie, il preuojoit les
destinées futures : et par sa science entendoit le chant des
oyseaux et la signification de leur vol, comme met Virgile,
au m. des Eneides, disant :
Troiugena interpres diuûm, qui numina Phœbi,
Qui tripodas, Clarii lauros, qui sidéra sentis.
Et Tolucinim lingaas, et prsepetis omina penn».
Parquoy il prophetisoit, que si Paris amenoit femme de
Grèce, que les Grecz la viendroient recouurer à main
armée, et demoliroient la noble cité d'Ilion : et que tous
leurs parens et leurs frères, mourroient par main ennemie.
Mais dautre part, lenfant Troïlus le plus ieune de tous
soustenoit fort le conseil de Paris ; et autorisoit sa sentence
à toute puissance : comme met Dares de Phrygie au com-
mencement de son histoire.
Or recite iceluy Dares, sur ce raesme passage : que le
Roy Priam, pour mieux coulourer son emprise, feit conuo-
quer la plus part du peuple de Troye, deuant son palais :
et illec leur feit une longue harengue sur ceste matière :
et leur remonstra toute la somme de son intention. Et pour
les plus encourager, leur fait encores reciter par Antenor,
les iniures quil auoit receûes par les Grecz, en faisant son
ambassade. Lesquelles choses ouyes, le populaire tout à
vue voix tumultueuse sescria, quon en prinst vengeance,
et que point ne tiendroit à eux, que le Roy ne fust seruy
en celle guerre. Toutesuoyes le sage vieillard Panthus, qui
estoit lun des grans seigneurs de Troye, répugna fort, en
remonstrant et allegant publiquement au Roy Priam, et à
son conseil, ce quil auoit ouy dire iadis à son père Euphor-
bus, tressage vaticinateur, et tresprudent homme, cestasa-
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 15
uoir que si Paris Alexandre amenoit femme de Grèce, que
ce seroit la totale destruction des Troyens : en disant, que
trop mieux valoit viure en paix, que par affection désor-
donnée se mettre en hazard de perdre sa liberté. Mais ce
nonobstant le Peuple ne donna point daudience à lautorité
de Panthus, ains persista en sa première conclamation .
Alors le Roy Priam les loua de leur bon vouloir, et leur en
rendit grâces : si les renuoya chacun en son hostel. Ce
fait, le conseil et la tourbe populaire se desempafa : et
tantost après (1) fut donné charge à Phereodus (2) le bon
charpentier, filz du feure Harmonides, et amy de la Déesse
Minerue : comme met Homère, au cinquième liure de
l'Iliade, de fair venir grand maisrein (3) de la forest Ida,
pour rabiller les nauires qui estoient es ports de Phrygie :
et en faire de neuues si mestier estoit iusques au nombre de
vingt. Lesquelles nauires ainsi quelles furent malheureuses
à tous les Troyens, communément aussi y participa en
malheur ledit ouurier Phereodus : car il fut tué pendant le
siège de Troye.
0 Roy Priam, autrement bon Prince, et le meilleur des
meilleurs, ne vois tu point que Fortune trop blandissante,
laquelle ha esleué ton throne iusques aux cieux, ne t'ha
ramené ton filz Paris des montaignes Idées, où il gardoit
les bestes, pour autres fins, sinon à ce que son ieune con-
seil peu pesé en la balance de raison, preparast à ta pros-
périté le lacs de trebuchement merueilleux ? 0 hauteur de
courage trop magnanime, enflé de gloire prospérante, qui
te fait appeter tardiue vindication de torsfaits (4) inueterez.
(1) après supprimé dans le mscr. de Genève.
(2) Pherecleus (mscr. de Genève et éd. 1512).
(3) maisrien (éd. 1512) — Materia^ bois de charpente.
(4) forfaiU (macr. de Genève).
16 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Tu commandes appareiller les instrumens de ta désertion :
tu fais adouber nauires, qui tamenront la désolation de ta
bienheureté : Ne te souuient il du songe de ta femme ? Na-
contes (1) tu à loracle de Delphos, ny aux vaticinations de
Calchas ? Mesprises tu les prophéties de Tymetes et Hele-
nus tes sages enfans, et de Euphorbus iadis ton bon cy-
toien ? As tu oublié la prémonition des Dieux tes amis et
bienuueillans, lesquelz par tous deuoirs se sont efforcez des-
taindre le brandon de flambe viue, lequel embrasera ta cité,
et ta personne propre ? Et tu mesmes le viuifîes, tu mes-
mes luy prestes aliment, et matière de nourriture. Certes
ton heur trop resplendissant t'ha aueuglé, le voile de non
suffisance t'ha bendé les yeux. Et Fortune peruerse et mua-
ble, pour donner exemple perpétuelle à tous Princes tes
successeurs, se veult iouer de toy.
Et ce preuoyant la noble pucelle Cassandra, pleine des-
prit de prophétie, à manière dune Sibylle, fort deuote au
Dieu Apollo et à la Déesse Minerue, et constituée la sou-
ueraine aux sacrifices de leurs temples, comme tesmoigne
Dictys de Crète en son quatrième liure (2) de Ihistoire Troy-
enne : Des quelle sceut larrest de lemprise, menoit vn
dueil non appaisable, et cryoit assez alencontre, disant
comme les autres : Cestasauoir que Paris seroit frappé dun
dard venant du ciel, comme tesmoigne Guide en lepistre
de Paris à Heleine, en la personne de Paris :
Hoc mihi (nam recolo) fore vt à céleste sagitta
Figar, erat verax vaticinata soror.
(1) naeomptes {macr. de Genève).
(2) ni» (mscr. de Genève et éd. 1512).
SINGULARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 17
Et disoit oultreplus, que si Paris alloit quérir femme en
Grèce, Troye en seroit vne fois destruite. Mais cestoit en
vain, car son parler nauoit point daudience, ainçois comme
recite Dares Phrygien, fut ordonné par le Roy Priam, que
Hector sen iroit en la haute Phrygie pour cueillir des gens-
darmes, et Paris Alexandre, auec Deïphobus passeroient la
mer Propontide, et iroient iusques en Peonie, pour pareil-
lement assembler souldoiers et gens de guerre. Laquelle
chose fut faite en toute diligence. Et ce pendant Eneas fut
occupé, par le commandement du Roy à faire fourniture de
viures nécessaires au voyage, et de grand quantité dinstru-
mens de guerre : tellement quen petit de temps tout le
nauigage fut armé et equippé en perfection, au moyen de la
bonne diligence que les ouuriers y feirent. Et furent les ga-
lees accomplies du nombre de gens propices à la rame. Si ne
restoit que les capitaines et gens de guerre, lesquelz arri-
uerent à chef de pièce, dont Hector en amena vne partie de
la haute Phrygie : et Paris et Deïphobus lautre du Royaume
de Peonie, lequel depuis fut appelle Pannonie, et mainte-
nant se nomme Hongrie, selon lopinion daucuns, comme
plus à plein sera touché au dernier liure.
Quand donques le Prince Hector fut retourné de la haute
Phrygie, à tout ses gensdarmes, et Paris et Deïphobus de
Peonie ou Hongrie, à tout les leurs, comme dessus est dit,
et que le beau printemps propice à nauiger fut refloury, le
Roy Priam, manda quérir les capitaines et centurions de son
armée, et leur bailla pour son lieutenant gênerai, son filz
Paris Alexandre, et pour laccompaigner y enuoya aussi son
frère Deïphobus, Eneas filz d'Anchises, et Polydamas filz
de Panthus comme met Homère, au xv. liure de l'Iliade
(nonobstant que communément par erreur on tienne ledit
Polydamas âlz d'Antenor), auecques le patron de la galee,
n. J
18 V ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
qui auoit mené Antenor en Grèce, comme met Dares Phry-
gien. Dictys de Crète en son m. liure, dit, que aussi alla
auec les dessusdits, Glaucus filz d' Antenor, oultre le gré de
son père, auquel il ne plaisoit point, craingnant parauenture
la rudesse des Grecz : tellement que au retour dudit Glau-
cus, son père ne le voulut plus ne voir ne ouyr, pource quil
auoit transgressé son commandement. Dares de Phrygie,
met que ledit Roy Priam commanda à Paris que première-
ment il se transportasten la cité de Sparte, ouLacedemone,
enuers messieurs Castor et Pollux, enfans du Roy Tynda-
rus de Oebalie, et frères germains de la belle Heleine, les-
quelz auoient esté à la prinse de madame Hesionne, et que
iceux il sommast de la faire rendre. Et en cas de refuz que
incontinent Paris enuoyast vn message à Troye, pour len
aduertir, à un de renforcer plus grosse armée, pour luy
enuoyer secours. (1) Toutes lesquelles choses faites et tenues
les plus secrètes que possible fut, sans diuulguer le princi-
pal de leur emprise, vn beau matin, que le vent fut bon et
propice, chacun print congé de ses parens et amis, Eneas
de son père, Anchises, de sa femme Creusa, Polydamas de
son père Panthus, Glaucus de ses amours et de ses frères :
Car son père ne luy voulut donner congé : Deïphobus
aussi et Paris, du Roy et de la Royne, de leurs frères et
sœurs. Et quand ce vint à dire adieu à la noble Nymphe
Pegasis Oenone, qui du secret de lemprise, touchant le
rauissement daucune femme de Grèce, estoit ignorante, les
grosses larmes ou par vraye amour, ou par feintise, tombè-
rent des yeux à Paris : et aussi la gracieuse Nymphe plou-
roit inconsolablement, du dueil futur que son cœur luy
(1) Depuis Toutes... jusqu'à laccoUer (p. 19, 1. 7), lacune dans le
nuor. de Genève.
SINGVLARITBZ DE TROYB. LIVRE II. 19
apportoit couuertement. Assez sentreaccollerent, et assez
sentrebaiserent les deux amans : et ne les pouuoit on sépa-
rer lun de lautre. Les gens de Paris disoient souuent à
leur seigneur, que les patrons auoient vent à gré, et que
les mariniers le pryoient de se haster. Son frère Deïpho-
bus, Eneas, et les autres aussi, ladmonnestoient de partir.
Et Paris disoit au contraire : quil congnoissoit bien que le
vent nestoit pas encore prospère. Dont ilz se prenoient à
rire de bon cœur, voyans que lamour de la Nymphe le
detenoit, vne fois la laissoit, puis retournoit, pour laccoller.
Finablement quand il ny eut remède de plus tarder, il luy
dit bassettement vn piteux adieu, qui à peines luy peult
sortir de la bouche, pour les souspirs qui laggressoient : et
elle pareillement, comme si ce fust vn présage et signifiance
de perpétuel diuorse et séparation, dune voix simple et
casse, interrompue de sangloux en grand fréquence et mul-
titude, ne luy peult dire autre chose sinon : « Mon cher
seigneur et mon amy, les Dieux soient auecques toy : et te
vueillent bien conduire. » Lors se partirent Paris, Deïpho-
bus, Eneas, Glaucus, et Polydamas, de la cité de Troye.
Et furent conuoyez par le Prince Hector et ses autres frè-
res. Si sadresserent vers le port de Sigee à grand triomphe
et pompe. Quand ilz furent près des nauires pour sembar-
quer auec leurs patrons et capitaines, trompettes, clairons,
busines, tabours et bedons sonnèrent mélodieusement. Si
entrèrent en leurs galees : et commandèrent aux Dieux
ceux qui demouroient. Alors les mariniers tous dun vouloir
louèrent leurs ancres, et tirèrent les vaisseaux hors du
port à force de barquettes et rames : guinderent leurs trefz
et voiles à grans criz et exclamations coustumieres. Single-
rent de vent propice, qui leur donna en pouppe : et dres-
sèrent la prore de leurs nauires, pour tirer de la mer Hel-
Z9 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
lesponte en la mer Egée, quon dit maintenant Larchipel.
Ainsi sen vont les souldars de Venus auecques leurs com-
plices : Cestasauoir lun son vassal, et lautre son filz : pour
faire leur emplaite vénérienne, souz la conduite de ladite
Déesse. Et ce pendant la tresamoureuse Nymphe Pegasis
Oenone monte sur le plus haut dongeon du palais d'Ilion,
auec plusieurs dames, conuoyoit les voiles de son seigneur
et mary, tant et si longuement que ses clers yeux mouillez
de larmes, les peurent choisir de veiie. Faisant vœuz et
prières aux Nymphes de mer, quon dit Nereïdes, qu'elles
eussent son amy en garde : et aux Dieux de la marine,
quilz le luy ramenassent en brief à sauueté. Mais ses
prières ne luy tournèrent sinon à dommage et à perpétuel
desconfort. Car le retour de Paris, ne luy apportera nulle
ioye. Or laisserons nous vn peu le conte délie et de Paris
Alexandre : et dresserons nostre narration à expliquer
la généalogie de la belle Heleine, Royne de Lacedemone.
SmGTLARITEZ DE TROTE. LITRE U.
CHAPITRE II.
Explication clere et ample de la généalogie de la belle Heleine : et
de son premier rauissement fait en ieunesse par Tbeseus Roj d'A-
thènes : et comment elle fut reaouuree par ses frères Castor et
PoIIqz, sa virginité sanne : selon la commune opinion.
Selon ce que mect (1) messire lean Bocace de Certal, Flo-
rentin, au cinquième liure de la généalogie des Dieux, Tynda-
rus Roy de Laconique ou Oebalie, qui est en Achaie, quon
dit maintenant la Moree, comme plus à plein sera touché au
dernier liure, fut filz de Oebalus, qui fut d'Argulus (2) : qui
fut d'Amyclas : qui fut de Lacedemon, lequel fonda Lace-
demone : qui fut de lupiter deuxième de ce nom, Roy
d'Arcadie, et de Taygeta fille d'Agenor, Roy des Phenicea.
Et fut ledit Roy Tyndarus assez noble et puissant entre les
Princes de Grèce : comme met Euripides en la tragédie
d'Iphigenia. Or eut à femme ledit Tyndarus la belle Leda,
dame de Therapne, fille de Thespius Roy de Tholie : comme
met lean Baptiste Plus sur lexposition de Fulgentius Pla-
ciades. Et eut nom la mère de Leda Androdice, fille de
Glaucus filz de Sisyphus Roy de Corinthe. Dicelle Leda
lupiter troisième de ce nom, Roy de Crète fut amoureux. Et
selon les fables antiques, se transforma en vn cygne, cest-
,(1) Ces quatre premiers ont été omis dans le mscr. de Genève.
(2) Argalus (mscr. de Genève).
22 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
adiré il se feit beau et plaisant comme vn cygne, et chanta
si doux par ses belles paroles, quelle le coucha en son giron,
par tel moyen quil lengrossa : et luy feit pondre deux en-
fans (1) à diuerses fois : Cestadire luy feit faire quatre enfans
à deux portées : dont de lune nasquirent Castor et Pollux
frères iumeaux : et de lautre Heleine et Clytemnestre
sœurs iumelles selon lopinion de Bocace : mais Fulgentius
Placiades dit, que dun seul enfantement nasquirent Castor,
Pollux et Heleine, enfans de lupiter : mais Clytemnestre
fut fille du bon Roy Tyndarus. Euripides poëte Grec en
vne tragédie nommée Iphigenia, translatée en Latin par
Erasme de Roterodam,(2)met que Leda eut trois filles, dont
oultre les deux dessusdites, la tierce fut nommée Phebë. Et
voicy les propres mots dudit Euripides :
Lsedse obtigerunt Thestiadi très filise :
Phœbe, Clytemnesti'aque quam mihi duxi ego, Heleneque.
Comment quil en soit, Tyndarus en fut le père putatif
au vray : et les nourrit bien et doucement en son hostel :
cuidant quilz fussent tous siens. Et aussi aucuns tiennent
que Clytemnestre fut sa fille légitime, et les trois autres de
lupiter.
Icelle Clytemnestre fut premièrement mariée à vn Prince
nommé Tantalus. Et eut de luy vn enfant. Mais depuis,
Agamemnon Roy de Mycenes en fut enuieux. Si occit le
père et lenfant : et rauit la dame par force. A cause de
quoy Castor et Pollux luy menèrent la guerre, et leussent
destruit, se neust esté le bon Roy Tyndarus qui les meit
(1) ev,ft (mscr. de Genève). — Clitemnestre ou Clykennestre (pas-
sim, ibid.).
(2) Roterdan (éd. 1512).
SINGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE H. 0
daccord : en confermant le mariage : comme ces choses
met Euripides, en la tragédie d'Iphigenia, disant en la
personne de Cljtemnestre à Agamemnon :
Me non volentem, vique raptam coniugem
Duxti : necato Taatalo cui nupseram
Prius, ac puello sortis ex vsa ta89
Itidem perempto.
Or eut ladite Clytemnestre dudit Agamemnon plusieurs
enfans. Cestasauoir Orestes et ses sœurs, Iphigenie, Elec-
tra, Chrjsoteray, (1) Laodice, et autres. Mais en la fin elle
traita mal son mary au retour de Troye, comme sera dit
en son lieu. Touchant Phebé sa sœur, ie nen treuue rien (2).
Si faut venir à Haleine.
Heleine sœur germaine, ou a tout lemoins vterine dicelle
Clytemnestre, des sa naissance creut en beauté superna-
turelle : tellement, que quand elle deuint grandette, fat
renommée pour la plus belle créature que iamais on eust
veiie sur terre. Et cest la principale raison, pourquoy elle
fut dite et estimée fille du Dieu lupiter. Si fut instruite en
tout artifice de lesguille, de tistre, et de broder, ainsi que
filles de Princes sont communément. Et oultre ce, fut
introduite au ieu de la palestre : Cestadire, de la luitte.
Car par les loix de Lycurgus Roy des Lacedemoniens, les
nobles pucelles du pais de Lacedemone, estoient subiettes
à aprendre toutes choses viriles : Si comme à chasser les
bestes saunages, à tirer de lare, à ietter le dard, et prin-
cipalement à luitter. Et ce tesmoigne Christofle Landin au\
comment du premier liure des Eneïdes : et sur ce passage :
(1) Crisotomi (mscr. de Genève).
(2) trouve riens (mscr. de Genève).
1^ ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
Uirginis os hahitumque gerens, et virginis arma Spar-
tana, etc. Et aussi aucuns acteurs tiennent, que le ieu de
la palestre fut premièrement trouué par iceux Lacedemo-
niens, pourquoy il leur estoit plus familier. Et à ce propos
dit Thucydides au commencement de son liure : Laceda-
monii primi corpora certaturi nudauerunt, oleoque vnxe-
runt.
En ce temps là, selon les historiens, estoient en bruit et
en vigueur deux ieunes Princes de grand vertu : cestasa-
uoir Theseus Roy d'Athènes, et Pirithous, filz d'Ixion
Roy des Lapithes. Lesquelz durant leurs vies furent tous-
iours vrays amis , frères et compaignons darmes. Et
auoient donné la foy lun à lautre : par tel si, que iamais
ne feroient aucune emprinse lun sans lautre : ainçois sen-
tredonroient secours mutuel iusques à la mort : comme il
-apparut aux noces dudit Pirithous et de la belle Hippoda-
mie : esquelles les Centaures moitié cheuaux et moitié
hommes tous yures vouloient faire force à lespousee, si
Theseus ne leust secourue, comme descrit bien amplement
le poète Ouide, au xii. liure de sa Métamorphose. Apres
donques que iceux deux Princes furent vefues, et que The-
seus eut perdu sa femme Phedra, fille de Minos Roy de
Crète : et Pirithous ladite Hippodamie, comme raconte
Diodorus Siculus au cinquième liure des Gestes antiques :
et Bocace, au xxxiii. chapitre du ix. liure de la Généalo-
gie des Dieux, Pirithous vint à Athènes voir son amy The-
seus : et feit tant par son exhortation, quilz conuindrent
ensemble, et promeirent lun à lautre, par serment (attendu
quilz estoient tous deux de grand noblesse, et descenduz de
Ja^ligaee des Dieux : et aussi quilz cherchoient voulentiers
hautes et difficiles auentures, ensemble, comme preux che-
ualiers errans) quilz nauroient iamais femme espousee, si
SINGVLARITEZ DE TROYB. LTVmB II. 96
elle nestoît extraite sans aucun moyen (1) du grand Dieu
lupiter, et silz ne lauoient conquise par force et par vail-
lance : promettans de ayder lun à lautre en ceste querelle
iusques à la mort. Si en feirent ilz tous deux lun à lautre
vœu solennel et serment irreuocable. Or ne sauoit on plus
en ce temps là des filles de lupiter viuans sur terre, fors
vne : Cestasauoir la belle pucelle Heleine, laquelle estoit au
Royaume de Oebalie ou Laconique. Si se meirent à chemin
auec certain nombre de gens pour la conquester. La pucelle
Heleine pouuoit auoir enuiron dix ans, comme met Diodo-
rus Siculus au cinquième liure des Gestes antiques. Mais
de son aage elle estoit desia formée en beauté céleste, et
merueilleuse. Son père putatif, le bon Roy Tyndarus, dauen-
ture quelque iour (2) tenoit vne grand feste solennelle :
et par manière de passetemps faisoit esbatre et exerciter
ses enfans masles et femelles ensemble, sus Iherbe ver-
doyant, auec les autres nobles enfans de ses Barons, au
ieu dessusdit de la palestre, hors de la cité principale de la
seigneurie dudit Roy Tyndarus, appellee Amycla, et assez
près dun temple de Diane, comme met Antoine Volsc sur
lepistre de Oenone à Paris. Ainsi sesbastoit à la palestre
ou luitte la pucelle Heleine toute nue, oincte sans plus
dhuile doliue, auecques les autres de son aage, à la manière
dadonques. Et ce tesmoigne Ouide en lepistre de Paris à
Heleine, disant :
More tuse gentis nitida dum anda palsestra
Ludis, et es nudis fœmina mixta viris.
Aussi tesmoigne Hérodote père des historiens, en son
(1) c.-à d. ea droite ligne.
(2) c.-à-d. certain jour.
9B ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
sixième liure, que ledit ieu de la palestre se faisoit par
enfans nuds, disant ainsi : Cùm DemaratTius Aristonis
Mius, eiectus regno Lacedamonîomm gereret magistra-
tutn : adessetque spectaculo gymnopœdiarum,, idest, nudo-
rum puerorum palastrce.
Le Roy Theseus donques, et le Prince Pirithous, les-
quelz par espies secrètes auoient couuertement pourietté
tout leur cas, se trouuerent à ladite feste en habit dissi-
mulé : là où Theseus nota le grand et merueilleux com-
mencement de beauté qui estoit en la pucelle Heleine. Si
en fut esprins damour extrême, plus que deuant. Parquoy
eux deux sen retournèrent promptement à leur embûche,
qui estoit mussee en aucuns bois et taillis prochains : con-
tèrent à leurs gens lopportunité de leur affaire. Si montè-
rent sur leurs cheuaux légers tous bien armez, et vindrent
soudainement donner sur le Roy Tyndarus, et sur lassem-
blee, en grand bruit et tumulte. Ledit Roy Tyndarus et ses
gens prins en desarroy, sans armures ne deffense, comme
ceux qui de nulz ennemis ne se doutoient, ne tascherent
fors de sauuer eux et leurs enfans dedens ledit temple de
Diane, qui estoit là près. Mais ce nonobstant, Theseus et
Pirithous obstinez en leurs affection, rompirent les portes
du temple, en commettant sacrilège, et entrèrent dedens
par force : et sans toutesuoyes faire mal à personne, prin-
drent et esleuerent seulement la pucelle Heleine : laquelle
en plourant et criant, se deffendoit au mieux quelle pou-
uoit. Et quand le Roy Theseus leut assise sur le col de son
cheual, et leust enueloppee de son manteau, pource quelle
estoit toute nue, il donna de lesperon luy et ses gens, qui
tous estoient bien montez à lauantage, tellement que à
force des grandes traites quilz feirent, en peu de temps ilz
furent en son Royaume et cité d'Athènes. Et incontinent
SmGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. ff
quilz y furent, luy et son compaignon Pirithous, ietterent
sort auquel d'eux deux Heleine seroit espousee. Si escheut
le sort au Roy Theseus, et luy demoura la pucelle, par
telle condition quil promist et iura daller ayder à Pirithous
en conquérir une autre.
Le Roy Tyndarus, et sa femme la Royne Leda, furent
bien désolez et bien marris de liniure que faite leur auoit
esté. Et seurent tantost que Theseus Roy d'Athènes leur
auoit fait cest oultrage. Mais pource que iceluy Tyndarus
no se- sentoit pas si puissant pour lors, quil peust recou-
urer sa fille par moyen de guerre hors des mains de The-
seus, il ne sceut que faire, sinon quil enuoya ambassadeurs
exprès aux seigneurs et citoyens d'Athènes, leur requérir,
que ayans regard à Ihonneur et dignité de Royale noblesse,
et au droit de gens et de voisinage, ilz ne souffrissent point
que leur Roy detinst sa fille par violence, ainçois feissent
tani quelle luy fus! rendue, autrement il en demanderoit
vengeance aux Dieux et aux hommes. Les Athéniens sages
et prudens, et ausquelz la chose ne plaisoit point, comme
met Antoine Volsc, sur le comment de lepistre de Oenone
à Paris, remonstrerent à leur Roy Theseus laggrauation de
liniure faite aux voisins : à fin que de luy mesmes il la
reparast. Mais voyant quil estoit obstiné à retenir la
pucelle Heleine par force voluntaire, ilz se déclarèrent
pleinement, que point ne soustiendroient ladite Heleine en
leur cité : prians à leurdit Roy, quil la transportast ail-
leurs, la où seroit son plaisir. Adonc Theseus congnoissant
leur délibération arrestee, fut content denuoyer Heleine
autre part : ce quil feit secrètement, et la bailla à sa mère
nommée Ethra, treshonnorablement accompaignee, pour la
mener en la ville d'Aphidue,(l) non pas loingtaine d'Athènes,
(1) pour Aphidna. De même dans le mscr. et en 1528.
28 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et illec la nourrir et garder. En escriuant à son amy Aphi-
duus seigneur dicelle ville, quil en feist bonne garde, ius-
ques à son retour. Lequel Aphiduus receut magnifiquement
la pucelle Heleine et la mère de Theseus, et les traita le
plus humainement quil peut. Et pource quil restoit à Piri-
thous filz d'Ixion, Roy des Lapithes, aussi vne femme des
filles de lupiter, selon leurs sermons et conuenances, et
que nulles nen auoit plus en terre, si ne pouuoient monter
au ciel, ilz ouyrent dire que Pluton Roy des basses régions,
cestasauoir de Molosse, qui est en Epyre, maintenant nommée
Albanie, comme sera dit au dernier liure, dont la princi-
pale cité sappelloit Dis, auoit puis nagueres rauy en Sicile,
la belle Proserpine fille de lupiter, et de Ceres. Si se mei-
rent prestement à chemin, pour laller conquester et tollir
à Pirithous. Combien que ce ne fust point du bon gré de
Theseus, sil ny eust esté astraintpar promesse. Et aussi ce
fut à leur maie santé, comme raconte à plein Seneque, en
sa première tragédie : Car Pirithous y fut estranglé par le
grand chien Cerberus à trois testes, portier denfer : et
Theseus y fut détenu prisonnier, iusques à ce que Hercules
reuenant d'Espaigne le deliura. Tyndarus ce sachant,
après aucuns temps que Castor et Pollux ses enfans furent
assez puissans, pour porter armes, il leur bailla vne assez
bonne armée, équipée au mieux quil peut, à layde de ses
amis : et les enuoya recouurer leur sœur Heleine, laquelle
estoit en ladite ville d'Aphidue. Et iceux deux ieunes
frères, courageux et de grand vertu, exploitèrent tant par
mer et par terre, quilz vindrent au Royaume d'Athènes :
et commencèrent denuahir le plat païs, par tous exploits
de guerre : chassoient les habitans hors de leurs maisons,
et pilloient leurs biens, combien que du tout ilz nen pous-
sent mais : car ilz ne sauoient aucunement en quel lieu le
SmCYLARITEZ DE TROTE. LITRE H. W
Roy Theseus auoit retiré la pucelle Heleine : iusques à ce
que fînablement vn nommé Deceleus seigneur de la ville
de Decelee, comme met Hérodote en son ix. liure, voyant
fouler le païs et Royaume d'Athènes, et craingnant que la
puissance de Castor et Pollux ne meist tout le demeurant
à néant, print hardiesse dexposer ausdits deux frères toute
la chose ainsi quelle estoit allée, et les mena deuant ladite
ville d'Aphidue. Là ou après, le siège planté deuant icelle,
combien quelle fust désensable et bien murée, neantmoins
ilz la prindrent par force : comme met Nicolas Perot au
VI. liure de sa Cornucopie. Et selon Diodorus Siculus, la
desmolirent du tout : combien que Herodode audit ix. liure,
dit quelle leur fut liuree par vn de ceux de la ville, nommé
Pittacus : au moyen dudit Deceleus qui le procura. Et pour
ceste raison, dit il que ceux de Lacedemone et de Decelee,
furent depuis tousiours amis ensemble.
Ainsi recouurerent lesdits frères Castor et Pollux leur
sœur Heleine, sans ce que Theseus leust iamais touchée,
autrement que pour la baiser. Car elle estoit trop ieunette :
si comme de laage de dix ans, quand elle fut prinse, comme
dessus est dit. Et Bocace en lonzieme liure de la Généa-
logie des Dieux sy concorde. Aussi Ouide en lepistre
d'Heleine à Paris, tesmoigne quelle fut recouuree pucelle :
en tant quil touchoit Theseus, disant ainsi :
Oscula lactando taatummodo pauca proteruus
Abstulit, ylterius nil habet ilie mei.
Et ainsi le tesmoignent Diodore et Plutarque. Toutes-
uoyes Oenone en son epistre, quelle escrit à Paris, ne croit
point que le rauissement d'Heleine eust peu estre fait, sa
virginité sauue : mesmement que le Prince qui la rauit
estoit ieune et luxurieux, disant ainsi :
38 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
 iuueae et cupido credatur reddita virgo ?
le men rapporte à ce qui en fut. Toutesuoyes lesdits
deux frères emmenèrent aussi auecques leurdite sœur
Heleine, la mère de Theseus pour prisonnière : car son filz
qui estoit détenu en région loingtaine, nauoit garde de la
secourir.
sraGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE H. 8f
CHAPITRE III.
Du grand nombre des Princes qui demandèrent en mariage la
pucelle Haleine, après son recouurement, pour la singulière beauté
délie. Et qui fut celuy qui eut la première despouille de son pucel-
lage auant la marier. Auec narration du chois, que son père le Roy
Tyndarus, luy bailla de plusieurs Princes. Et comme elle eslut le
Roy Menelaus de Lacedemone, à seigneur et mary.
Qvand donques la pucelle Heleine fut retournée en la
maison paternelle au moyen du secours et vaillance de ses
deux frères Castor et Pollux, tous les Princes de Grèce,
d'Achaie, et des isles circonuoisines, vindrent voir le Roy
Tyndarus, père putatif d'Heleine par manière de coniouys-
sement. Et célébrèrent grosses festes, pour la victoire et
bienuenue desdits Castor, Pollux, et Heleine. Or estoit
elle parcrue en beauté, surpassant toute chose humaine. Si
fut tantost conuoitee et requise en mariage, par vn grand
nombre diceux hauts Princes, qui tous desiroient de lauoir,
et importunoient le Roy Tyndarus par toutes manières :
voire iusques aux menasses, comme met Ouide en lepistre
d'Heleine à Paris, disant :
Ciiw, mea virginitas, mille petita proeis.
Et Euripides en la Tragédie d'Iphigenia ;
Heleneque at huius uuptias multi proci
Petiere, iuuenes GrsBcisa opulentissimi.
Ueram huic minse truces coortse, etc.
52 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Or la demandoient ilz non pas tant pour espérance du
grand douaire , comme pour sa tressinguliere beauté.
Laquelle estoit si esmerueillable, que le prince des poètes
Homère, eut assez de peine de la bien exprimer. Et Dona-
tus expositeur de Virgile, met quelle fut de si extrême
formosité, que plusieurs peintres tresexpers labourans
ensemble à la peindre au vif, et ayans plusieurs belles
femmes nues deuant eux, ny sceurent onques parataindre.
Toutesuoyes le noble ouurier Zeuxis Heracleotes, la tira
en perfection après le patron de cinq pucelles eslues par
toute Grèce. Le Roy Tyndarus et sa femme la Royne Leda,
différèrent long temps daccorder leur fille à nul des Princes
dessusdits : pource quilz craingnoient quen lottroyant à
lun, les autres nen fussent malcontens, et leur feissent
guerre par despit de leur reboutement. Et à ceste occasion,
ne cessassent iusques à ce quilz les eussent déshéritez. Et
ce fut la cause qui leur feit tenir Heleine assez plus que
trop longuement sans marier. Tellement que la belle ne
pouuoit plus tolérer le grand désir damours, qui solicitoit
sa fleurissante ieunesse. Dont vn acteur nommé Antoine
Volsc au comment de lepistre Oenone à Paris : dit quelle
senamoura secrètement, dun des ieunes gentilzhommes de
la maison de son père : lequel auoit nom Enophorus filz de
Hicophon, tant que ledit Enophorus obtint la première
despouille de sa virginité. Toutesuoyes ie ne lay trouué
ailleurs : et ne scay ou il Iha prins. Et sil fut vray, si nen
fut il pas grand bruit.
Finablement le père et la mère de la belle Heleine,
voyans que ce nestoit pas chose seure de la tenir si lon-
guement sans mary : et que de tous costez elle estoit
requise : et ny auoit plus remède de différer, ne lieu dex-
cuses enuers les Princes qui la demandoient : craingnans
SINGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE II. 35
aussi quon ne la leur ostast par force, comme on auoit fait
Cljtemnestre, ilz saduiserent dun bon expédient, pour la
loger hautement et sans danger. Car comme met ledit
Antoine Volsc sur le comment de lepistre d'Heleine à
Paris, en allegant Thucydides Grec son autheur, ledit Roy
Tyndarus et sa femme, assignèrent à tous ceux qui lauoient
requise en mariage certaine iournee de se trouuer en leur
cité d'Amycla, pour mettre fin à leurs requestes : lesquelz
ny faillirent point. Et à ce se concorde Dion, duquel nous
auons parlé au prologue de ce second liure. (1) Entre les
autres Princes y furent Agamemnon Roy de Mycenes, desia
gendre dudit Tyndarus, comme dessus est dit, frère de Mene-
laus Roy de Lacedemone. Apres donques les auoir festoyé
en vn grand et somptueux conuiue, le Roy Tyndarus leur
dist en ceste manière : « Treshauts et tresexcellens Princes,
il ha pieu despieça à chacun de vous me faire cest honneur
que de me demander par loy de mariage ma treschere fille
Heleine. Si ay tousiours différé iusques à présent, den
faire promesse à nul dentre vous mes frères et seigneurs,
craingnant que dauenture en complaisant à lun ie noffen-
sasse lautre, et encourusse voz indignations particulières :
qui estes tous Princes et Roys de haut affaire, contre les-
quelz ma seigneurie auroit bien petite durée. Or voyant
que plus ne puis reculer, ie vous fais icy libéralement vne
ouuerture : Cestasauoir si vous serez contens par commun
consentement, de bailler loption et le choix de voz tresno-
bles personnes à elle seule : Cestadire que celuy quelle
nommera de son plein gré, pour son seigneur et mary, ce
soit, sans contradiction quelconque. Protestant toutesuoyes
sur la foy que ie dois aux Dieux immortelz, que de lun ne
(1) parlerons en le fin de ce second livre (mscr. de Genève).
II. 3
3é ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
de lautre ie ne lay embouchée, ains luy en laisse et per-
mets totalement son franc arbitre. »
A loffre et aux paroles du Roy Tyndarus trestous les-
dits ieunes Princes dune voix unanime respondirent, quilz
en estoient contens. Se confians chacun en sa beauté, ou
en sa richesse, et grand parentage : et cuidant vnchacun
estre le mieux aymé : car elle les auoit entretenuz égale-
ment. « Or ça, messieurs donc, dit le Roy Tyndarus, puis
que vostre bon plaisir se condescent à ce, vous ferez icy,
sil vous plaist, serment solennel sur les images de noz
Dieux, lesquelz ie feray apporter en présence, que tous et
vnschacuns, ratifierez par commun accord le mariage den^
tre celuy qui sera eslu par le chois libéral de ma fille
Heleine seule. Et luy porterez et ferez porter par vous et
par les vostres parens, amis, et alliez quelz quilz soient,
ayde, faueur, confort et garand enuers tous et contre tous,
sans iamais venir au contraire. » Et ilz respondirent tous
en commun, quilz le vouloient ainsi. Adonques les statues
et simulacres des Dieux et Déesses anciennes furent appor-
tées : et entre les autres Hymeneus, luno, et Venus, qui
presidoient aux mariages. Si feirent tous lesdits Princes le
serment en la forme dessus escrite, en mettant la main sur
les idoles : et auec ce, burent solennellement les vns auec
les autres : et selon les cerimonies ou plustost superstition
de ce temps là, feirent priué sacrifice aux Dieux dessus-
dits : par effusion de vin pur en terre pour plus grand
approbation desdites conuenances. Laquelle chose fut la
cause motiue et principale pourquoy ilz se benderent depuis
tous dun vouloir contre les Troyens : comme ces choses
met Thucydides Grec au commencement de son histoire,
disant ces mots : Helenœ procos iureiurando Tyndari
adactos. atque itemm illud venit in mentem, viro r>t
SWOTLARITEZ DE TROTB. LITRB H. 8K
coirent iureiurando proci^ atque inter ipsos iungerent
dextras rei. (1)
Quand le Roy Tyndarus tresioyeux eut mené tous les-
dits Princes iusques là pour sa seureté, il adressa sa parole
à la belle Heleine, et luy dit en ceste manière : « 0 ma
fille, tu dois bien regracier les Dieux qui te donnent le
chois de nobles Princes, riches, puissans et beaux, qui sont
icy, comme la fleur et leslitte de tout le monde : laq uelle
chose naduint iamais à autre fille de Roy. Or puis que leur
triomphale bénignité sest daigné humilier iusques là, choi-
sis en lun à ton plaisir. Et veuUent les Dieux souuerains
que ce puist estre en bonne heure et prospère. » A ces mots
la tresgracieuse damoiselle rougit doucement, par honneste
vergongne. Et sespandit (2) parmy sa clere face, vne sembla-
ble couleur que noble pourpre, sur yuoire blanc. Dont elle se
monstra plus belle aux assistans : si sexcusa de ce faire
par plusieurs moyens. Neantmoins après ce quelle eut esté
beaucoup oppressée de tous communément, et mesmement
de sa mère la Royne Leda, et de Castor et Pollux ses
frères, declairer sans aucune crainte ou timidité, celuy
quelle eslisoit diceux Princes pour son seigneur et mary :
Elle songea vn petit, et ce pendant les ieunes Princes qui
branloient en espoir meslé de crainte estoient attendans
par grande cupidité, la détermination de son courage :
ainsi comme les litigans en court souueraine, après longues
procédures, escoutent larrest et la sentence diflBnitiue de
leur iuge.
Apres ce que la Déesse des femmes, la fleur fleurissante
en beauté féminine, eut assez pensé, iettant son plaisant
(1) Dei (éd. 1516). Thucyd. I. 9.
(2) sespardit (mscr. de Genève). Cf. espartir, répandre.
50 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
regard en terre, elle ouurit sa bouche petite et vermeil-
lette semblable aux nues rubicundes, quand le Soleil ses-
conse : et dune voix doucette, mieux organisée que la lyre
d'Amphion, prononça les mots qui sensuiuent : « Il ne se
faut esbahir si ie redoute et diffère le trescremu comman-
dement, duquel tu mon trescher seigneur et père, et toy
madame ma mère, me imposez nécessité présente. Cest en
nommer lun de ces treshauts Princes qui icy sont, pour
mon seigneur et mary futur : car maintes nobles Prin-
cesses plus accomplies en beauté corporelle, sans compa-
raison que ie ne suis, desireroient bien tel aduenir pour
elles sans y estre contraintes, attendu quun chacun d'eux
est suffisant assez pour obtenir en mariage, mesmes vne
haute Déesse. Et dautre part, ceste inionction passe les
limites de virginale simplesse, et excède toute féminine
audace. Toutesuoyes, congnoissant que le contrester ne my
seruiroit de rien, et que ie ne me puis excuser de filiale
obédience, et aussi que le bon plaisir de tous messeigneurs
presens est tel, sans ce toutesuoyes que ie choisisse (car en
choses égales ne gist point de chois), attendu mesmement
quilz sont indifferens en beauté, bonté, noblesse, honneur,
richesse, valeur, et prouesse, quant à moy : et souz vostre
bénigne correction et supportation, ayez aduis si à vous et
à monseigneur Menelaus Roy de Lacedemone, il plaira que
ie soye son humble espouse, et compaigne. » Ceste élection
faite ainsi par Heleine de son mary Menelaus tesmoigne
Euripides, disant ainsi :
Gnatse facit lus, vti procis ex omnibui
Deligeret vnum quemlibet sibi virum,
Quocunque grata ferret aura Cypridis,
Menelaon illa deligit, etc.
SIKGVLARITEZ DE TROYE, LITRE II. 5f
A ceste response, tant courtoise et tant gracieuse, tous
les Princes dune voix se consentirent : car le Roy Mene-
laus estoit bien voulu de tous, et estoit beau Prince, ayant
la perruque blonde, tesmoing Euripides en sa Tragédie
d'Iphigenia, qui dit :
Clarum Agamemaonem et flauicomum Menelaon.
Peult estre aussi, quelle le choisit plus voulentiers pour
lamour que sa sœur Clytemnestre estoit desia mariée au
Roy Agamemnon son frère. Et dautre part, ilz estoient pres-
que tous ensemble, parens, voisins, et alliez. Dont si au-
cuns en furent marris pour leur interest particulier, si dis-
simulèrent ilz, et postposerent (1) leur dueil pour leur hon-
neur. Adonc Agamemnon Roy de Mycenes, frère aisné de
Menelaus, les en mercia debonnairement, et fut bien ioyeux
de ce que son alliance estoit renforcée. Si furent faites les
noces de madame Heleine et de Menelaus : presens iceux
Princes en grand liesse et somptuosité. La feste acheuee,
chacun se retira en sa chacune. Et fut conuoyee la nouuelle
mariée par ses deux tresnobles frères Castor et Pollux,
iusques en la cité de Sparte autrement dite Lacedemone.
Si luy bailla Menelaus nouuel estât, et principalement pour
ses compaignes et damoiselles dhonneur, deux de ses paren-
tes : dont lune estoit nommée Clymena, et la seconde Ethra,
auecques vne femme de chambre assez aagee appellee Gréa
et autres dont ie ne scay les noms. Mais pour plus ample
congnoissance de Ihistoire, ie vueil icy descrire en brief,
la généalogie desdits frères Agamemnon et Menelaus.
(l) c.-à-d. prëfërèrent l'honneur. — proposèrent {éd. 1516).
ILLVSTRÀTIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE IIII.
Démonstration de la généalogie du Roy Menelaus. Et comment il eut
de sa femme Heleine vne fille nommée Hermione. Et des auentu-
res de ladite Hermione. Et aussi de celles de Castor et PoUux, frè-
res germains de ladite Heleine.
Le sovvent allégué, messire lean Bocace de Certal, Flo-
rentin, en son xii. Hure de la Généalogie des Dieux,
demonstre que Tantalus Roy de la haute Phrygie, et selon
Diodorus Siculus en son cinquième liure, aussi de Paphla-
gonie, fut fîlz de lupiter troisième de ce nom, Roy de Crète
quon dit maintenant Candie, et dune Nymphe appellee
Plote. Et eut de Taygeta sa femme, ou selon Lactance, de
Pénélope, vn filz nommé Pelops, qui eut vne espaule
dyuoire, selon les poètes : et si en eut aussi vne fille appel-
lee Niobé, qui fut femme à Amphion Roy de Thebes en
Beotie. Iceluy Tantalus fut homme riche et puissant, mais
trescruel, iniuste et auaricieux. Et fut celuy qui rauit le
beau Ganymedes filz du Roy Tros, qui premier fonda Troye,
pour le donner à lupiter Roy de Crète, dont il eut grand
somme dor. Et pour sa peruersité détestable les Dieux
le condamnèrent aux enfers, où il est perpétuellement
tourmenté de faim et de soif : mais de son viuant mesmes
il deuint poure, et fut 'chassé de son royaume par Ilus
Roy de Troye, comme met Diodorus. Ledit Pelops son filz,
vaillant homme et bon guerroyeur, parauenture pour la
8INGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE II. 30
honte de son père laissa le païs d'Asie la mineur, quon dit
maintenant Natolie ou Turquie, pour venir habiter en
Europe, enuiron lan deuant lincarnation nostre Seigneur,
mille trois cens quatre vingts et six, selon laques de Ber-
gome, en son Supplément des chroniques, et apporta grand
trésor. Si se vint marier à la belle Hippodamie, fille de
Pritus Roy d'Arges, qui est en Grèce et en la région
d'Achaie. Et nomma icelle contrée Peloponnesus, de son
nom, au temps présent on lappelle la Moree, et la possè-
dent auiourdhuy les Turcz, comme nous auons declairé
amplement en nostre œuure intitulée de Grèce et de Tur-
quie. Si eut iceluy Pelops, de sa femme Hippodamie, trois
enfans masles, cestasauoir Atreus, Thyestes et Plisthenes.
Plisthenes engendra en Europasa femme, fille du Roy Atreus
de lisle de Crète descendu de la lignée de Minos, comme
met Dictys de Crète au commencement de son premier liure,
deux enfans masles, cestasauoir les dessusnommez Agamem-
non et Menelaus, et vne fille nommée Anaxibea. Et pource
que ledit Plisthenes mourut ieune homme, il laissa iceox
trois enfans pupilles et moindres daage en la garde et tutele
de son frère Atreus, Roy de Lacedemone, lesquelles nourrit
et esleua royalement, comme sil eust esté leur propre père,
et maria ladite Anaxibea leur sœur à Nestor Roy de Pylon.
Puis par faute dautre hoir de son corps, adopta de «on
plein viuant en filz et héritier légitime, sondit neueu Mene-
laus filz de son frère. Et luy bailla le tiltre et la saisine
dudit Royaume de Lacedemone. Et Agamemnon laisné,
succéda à son oncle Thyestes du Royaume de My cènes, qui
estoit fort riche et plantureux. De ces deux frères Atreus et
Thyestes, enfans de Pelops, les poètes et historiens racon-
tent des choses merueilleuses, inhumaines etpresques incre-
dibles, desquelles le me déporte, pource quelles ne font
40 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
rien à la matière subiette. Si faut continuer nostre propos
de Menelaus et d'Heleine et ses frères.
Menelaus eut de sa femme Heleine, peu de temps après
leur mariage, vne belle fille, qui fut nommée Hermione,
laquelle creut en beauté presques semblable à sa mère. Et
quand il fallut depuis que Menelaus partist de Lacedemone,
pour aller en la guerre de Troye, il laissa icelle Hermione
fort ieunette, en garde au Roy Tyndarus son beau père.
Lequel tantost après la fiança au Prince Orestes, (1) fîlz du
Roy Agamemnon et cousin germain de ladite Hermione. Si
lespousa depuis : mais elle luy fut rauie par Pyrrhus, filz
d'Achilles. Puis la recouura, comme sera dit cy après.
Castor et PoUux frères germains de la belle Heleine,
comme tesmoigne toute lantiquité des escritures, furent
deux tresnobles iouuenceaux, et tresuaillans : et quirent les
hautes auentures, en leur temps auec les autres Princes de
Grèce, mesmement en la compaignie de lason et Hercules, et
les autres Argonautes, à la conqueste de la toison dor. Castor
fut bon cheualier, et Pollux tresbon combatant, et tant ayme-
rent lun lautre, quon ne treuue nulle part par escrit, que
deux frères se soient tant entreaymez, comme ceux qui neu-
rent iamais ne noise ne dissension pour leurs seigneuries,
et qui iamais ne feirent aucune chose, sans la communiquer
lun à lautre. Toutesuoyes ilz moururent deuant la guerre
Troyenne. Aucuns disent, et mesmement Dares de Phrygie,
quen allant à la poursuite de leur sœur Heleine, quand
Paris leust rauie, ilz se perdirent en mer par force de
tourmente, auprès de lisle de Lesbos, quon dit maintenant
Methelin. Et sur ce feingnent les poètes, quilz furent trans-
latez au ciel, et font lun des douze signes du Zodiaque
(î) Horrestes (mscr. de Genève).
SINGYLARITEZ DE TROYE. LIVRE II. if
nommé Gemini. Et du temps des Payens idolâtres, il2
estoient reclamez en mer, comme est auiourdhuy saint Nico-
las. Car les fables disent, quilz auoient obtenu de Neptunus
Dieu de la mer, toute puissance pour garder les gens de
péril et naufrage, comme met Higinius en son Hure d'Astro-
logie poétique. Mais Ouide en son liure des Fastes, dit
autrement de la mort diceux frères : affermant, que Castor
et Pollux, qui se vouloient marier par force et vaillance,
comme cestoit la manière des cheualiers du temps dadon-
ques, rauirent les deux filles dun Prince nommé Leucippus.
Dont lune auoit nom Phebé, et lautre Elaira : lesquelles
iceluy Leucippus auoit desia colloquees par tiltre de ma-
riage à deux nobles damoiseaux, lun nommé Lynceus, et
lautre Ida, ou Hydas selon Diodorus Siculus, frères ger-
mains, enfans d'Aphareus. Mais ce nonobstant, lesdits
Castor et Pollux, prindrent et emmenèrent violentement
lesdites deux pucelles Phebé et Elaira, contre leur gré, et
au contredit de leurs parens. Toutesuoyes gueres ne ioui-
rent délies, ne gueres ne demourerent impunis du cas. Car
lesdits Lynceus et Hydas leurs espoux tresualereux adoles-
cens secoururent vaillamment leurs amyes et espouses, et
liurerent telle guerre ausdits Castor et Pollux, quilz les
tuèrent finablement douant la cité de Sparte, et recouure-
rent leurs femmes. Homère en son troisième liure de l'Iliade,
se concorde à ce, et met, que lesdits deux frères Castor et
Pollux, furent ensepulturez en ladite cité de Sparte, autre-
ment dite Lacedemone. Ainsi appert la différence des opi-
nions de diuers acteurs.
Heleine donques yssue de telle génération ainsi subiette
à tant de rauissemens, mesraement au temps auquel Dieu
toutpuissant nestoit point craint entre les gens, ne la loy
de iustice publiée, ne fut point exempte de semblables
42 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
fortunes et rapines. La première elle le souffrit enuis,
comme dessus est dit : et la seconde, voluntairement et de
son bon gré, comme sera dit cy après. Or estoit elle alors
flourissante en ieunesse, donnant gloire à son noble paren-
tage, reflamboyante au mylieu de ses gens, et de sa nation,
comme la clere Lune au firmament : fluctuante en honneur,
affluante en biens, abondante en richesses : toute enuiron-
nee de pompe et de délices royales, accomblee de tous les
souhaits que femme de prince sauroit demander en ce
monde. Et qui plus est, resplendissoit en renommée de
chasteté louable, en Ihostel de son mary le Roy Menelaus,
allié de tous les Princes de Grèce. Et à brief dire, cestoit
celle en qui pour lors tout le monde auoit lœil tant pour sa
beauté nompareille, comme pour lincredible multipliance
de ses autres vertus. Mais de tout ce, Paris Alexandre
suruenant, la priua depuis, par' ambition de promesse
Tenerienne. Auquel Paris et à ses compaignons il nous
faut retourner nostre plume.
SIMGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE II. M6
CHAPITRE V.
ProsequutioD du nauigage de Paris , Deïphobus , et leurs compai-
gnoDB : et de la délibération par eux prinse sur le rauissement
d'Heleine. De leur premier aborder en lisle de Cytheree. Et com-
ment ilz furent receuz en Lacedemone, par le Roy Menelaus, soaz
tiltre dambassadeurs. De la proposition faite par Paris, et des dons
ofiTers à, Menelaus.
Pour revenir donques à parler du beau Paris Alexandre,
dont nous auons fait assez grande disgression, pour mani-
fester le lignage de la belle Heleine, et de son mary Mene-
laus, et ses gestes et fortunes, auant son dernier rauisse-
ment, laquelle chose estoit bien nécessaire à lelucidation de
nostre œuure. Iceluy Paris chef de larmee Troyenne, après
son partement de Sigee qui estoit le port de Troye, naui-
gant par la mer Hellesponte print conseil auec son frère
Deïphobus, son beau frère et cousin Eneas, Glaucus, Poly-
damas, et le principal de ses capitaines de laôaire quilz
auoient à démener. Si trouua en conclusion, que la Royne
Heleine, femme de Menelaus, Roy de Lacedemone, estoit
renommée pour la plus belle dame de toute Grèce : comme
celle qui estoit fille du haut Dieu lupiter. Et dabondant,
estoit la mieux alliée de toutes, tant du costé de ses frères
Castor et Pollux et de ses autres parens, et mesmement de
la part du parentage de son mary le Roy Menelaus. Par-
quoy il sensuiuoit que si on la pouuoit auoir en saisine,
madame Hesionne leur t?nte seroit facilement restituée
44 ILLVSTRATIOWS DE GAYLE, ET
selon lintention du Roy Priam. Si estoit mestier pour le
plus seur, et à moins de danger, de vser en ceste partie de
simulation et de couuerture, sans monstrer signe de port
darmes, mais feindre destre ambassadeurs, pour auoir
entrée plus facile dedens le païs d'Achaie, et au Royaume
de Sparte ou Lacedemone, auquel ladite Royne Heleine se
tenoit. Et si dauenture par ce moyen on ne pouuoit parue-
nir à son attainte, lautre remède estoit, dauoir recours aux
armes : et de la conquester par viue force, lenseigne des-
ployee, la guerre ouuerte : car ilz estoient forts assez pour
ce faire, et tous bons gensdarmes, ieunes et délibérez. A ce
conseil, comme au meilleur, et mieux consonant à la vou-
lenté désordonnée de Paris, il sarresta du tout : imaginant
que Venus la Déesse le luy auoit inspiré pour la fourniture
de sa promesse. Laquelle Déesse estoit sa guide et conduc-
teresse, comme tesmoigne Ouide en lepistre de Paris à
Heleine, disant :
Hac duce Sigeo dubias à littore feci
Longa Phereclea per fréta puppe vias.
Si passèrent les galees Troyennes en ce propos, par
deuant lisle de Methelin, là où le Roy Forgarite seigneur
dicelle, et vassal du grand Roy Priam, les salua, et leur
bailla refreschisseraent tel quilz voulurent. Et après auoir
laissé les destroits de la mer Hellesponte, ilz entrèrent en
la mer Egée, quon dit maintenant Larchipel, enuironnerent
plusieurs isles Cyclades, laissèrent Nigrepont à dextre, et
Candie à senestre : et tant exploitèrent par leurs iournees,
quilz veirent le grand promontoire ou montaigne appellee
la Malee, ennemie des nauigans : laquelle montaigne est en
Achaie, quon dit maintenant la Moree. Et sadresserent vers
8IN6VLARITEZ DB TROTE. LIVRE II. 49
les ports (le lisle de Cytheree, (1) laquelle nest que à cinq
mille pas dudit cap de la Malee, comme met Pline au xn.
chapitre du iiii. liure de Ihistoire Naturelle. Aucuns appel-
lent maintenant ledit promontoire de la Malee, le cap saint
Ange, ou lisle de saint Michel, comme met messire Ber-
nard de Briderabach doyen de Magonce, en son voyage de
Hierusalem. Ladite isle de Cytheree, sappelle maintenant
Cytri, comme iay ouy dire à ceux qui ont nauigué deuant :
et pour lors estoit aux Lacedemoniens. Strabo au vm.
liure de sa Géographie, met quelle estoit iadis propice aux
nauigans, à cause des bons ports qui y estoient, disant
ainsi : Cythera, commodis instructa portubus, et einsdem
nominis wie. Maintenant ny ha nulz bons ports, comme
sera dit au dernier liure.
Herodotus Halicarnasseus au vir. liure de son histoire,
met que ladite isle de Cytheree est opposite directement à la
cité de Lacedemone. Et pource souhaitoient anciennement
les sages Lacedemoniens, quelle fust abymee en mer : à
cause de ce quelle estoit trop conuenable aux ennemis, pour
dommager ladite cité de Sparte, ou Lacedemone. En icelle
isle y auoit pour lors deux villes : lune appellee Cytheree
du nom de lisle, en laquelle la Déesse Venus auoit vn
temple de grand somptuosité et antiquité : car on dit que
Venus sapparut premièrement en ladite isle. Et lautre sap-
pelloitCranaé, comme met Homère. Maintenant ny ha sinon
vne meschante villette toute poure et toute déserte : en
laquelle messire Philippes Conte de Rauestain fut mal traité
après son nauffrage : comme on peult voir plus à plein au
liure de Grèce et de Turquie. (2) Quand ceux desdites villes
(1) Citharee (mscr. de Genève et ëd. 1512).
(2) « far nons composé » (mscr. de Genève).
46 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
deCytheree et Cranaé, veirent tant de voiles sur mer
sadresser vers leurs ports, ilz tendirent leurs chaines, et
fermèrent lentree : et enuoyerent chacun vn brigantin,
pour sauoir quelz gens cestoient. Lesquelz retournèrent en
brief, et rapportèrent pour response, que cestoient amis et
ambassadeurs de Phrygie et du Royaume de Troye. Adonc
ceux de Cytheree et de Cranaé, qui depuis fut appellee
Helenium, ouurirent leurs ports : et laissèrent ancrer pai-
siblement les Troyens à leur malesanté : car ilz en furent
desftruis depuis, Toutesuoyes ilz ne les laissèrent point
encore descendre en terre, iusques à ce que leur Roy qui
estoit à Lacedemone en fust aduerty : et quil leur en man-
dast son bon plaisir. Et à ceste cause Paris enuoya promp-
tement à Lacedemone, qui nestoit que à cinq ou six miliai-
res de là, vn sien héraut, en vn botequin (1) : et ceux de
Cytheree et de Cranaé, aussi chacun vn de leurs gens.
Lesquelz feirent armer aussi chacun vn petit nauire : et
sen allèrent en la cité de Sparte ou Lacedemone, signifier
au Roy Menelaus la venue des ambassadeurs de Troye :
laquelle, comme ilz disoient, nestoit sinon que pour bien de
paix. Ces «choses exposées au Roy Menelaus, il fut tres-
ioyeux. Et combien quil y eust loy, statut, et ordonnance
ancienne en ladite cité de Sparte ou Lacedemone, de non y
receuoir aucun estranger : comme dit Vbertin sur lepistre
d'Heleine à Paris, et Philostratus le conferme en la vie
d'Apollonius Thyaneus au vi. liure, disant ces mots : P&re-
grinos omnes ex wbe sua depellehant Lacedœmonii. (2)
Neantmoins le Roy Menelaus délibéra de les receuoir pour
(1) hoquetin (éd. 1512). (En rouchi, hot, botequin = petit bateau.)
(2) Cette ponctuation bizarre se retrouve dans toutes les anciennes
éditions.
8IKGVLARITBZ DE TROTB. LIVRE II. 47
ceste fois : dont il fut fol et mal aduisé. Si enuoya vn bon
nombre de gentilzhommes, au deuant des Princes Paris et
Deïphobus, et leurs compaignons pour les amener à Lace-
demone. Lesquelz venus , Paris et Deïphobus , Eneas,
Glaucus, et Polydamas à tout deux galees seulement, et la
fleur de leurs gens, cestadire les plus apparans et mieux
en point, sen allèrent en la cité de Sparte, làissans les
patrons, capitaines et gens asseurez, en leurs nauires.
Au port de Lacedemone les ambassadeurs dissimulez
furent receuz en grand triomphe et mélodie : et logez
magnifiquement par fourrier en vn quartier assez près du
palais du Roy. Si ne bougèrent de leur logis pour ce iour :
car il estoit assez tard quand Hz y arriuerent. Le lende-
main audience leur fut assignée après disner. Si se meirent
en point, pour aller au palais du Roy Menelaus. Chacun
print en sa main vn rameau doliue en signe de paix. Car
cestoit la manière des ambassadeurs du temps dadonques.
Mais ceux ne portoient point paix : mais plustost guerre
et trahison couuerte et malicieuse : laquelle leur retour-
nera à perte et à confusion. Or ne sesmerueillent point
les lisans, si ie narre toutes ces choses, mesmement le
rauissement d'Heleine dautre sorte quilz ne lont en leurs
liures communs et vulgaires. Car ie ne vueil ensuiure
sinon la pure vérité antique, et lordre historial de Dictys
de Crète, et de plusieurs autres acteurs tressuffisans, les-
quelz seront mes guides et mes garans en ceste œuure, sil
plait à Dieu que ie la puisse mener à chef. (1)
Donques les cinq legatz et ambassadeurs feintifs, sou-
uent nommez, en pompe merueilleuse, selon la mode Phry-
gienne, tous reluisans dor, de pourpre et de riche pier-
(1) Ci-itique naïve.
49 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
rerie auec leur suite de mesme, iusques au nombre de
cent gentilzhommes, après auoir esté faire sacrifice et
oblation aux Dieux en lun des temples de la cité : et auoir
disné de bonne heure, partirent de leurs logis en bel or-
dre, pour tirer vers le palais. Si furent par grand admi-
ration regardez et honnorez du peuple de la cité. Et trou-
uerent plusieurs barons et gentilzhommes, qui leur ve-
noient au deuant pour les accompaigner. Là sentrefeirent
ilz honneur et feste. Puis montèrent ensemble au palais.
Et trouuerent le Roj en vne grand salle richement tapis-
sée à raerueilles, et dont les sommiers estoient enrichiz de
fin or et dazur. Quand le Roy veit approcher les Princes
Troyens, il se leua, et après les reuerences faites deiie-
ment, et les saluts donnez et renduz dun costé et dautre,
le Roy feit asseoir les ieunes enfans Royaux Paris et
Deïphobus à sa dextre : et le Prince Eneas, Glaucus, et
Poly damas à la senestre. Les autres Princes de son sang
et de son conseil, sassirent es autres sièges plus bas, puis
le Roy Menelaus dit en ceste manière : « Or ça, seigneurs,
puis quil ha pieu au Roy Priam nostre bon frère vous
enuoyer vers nous, qui estes tous si hauts et si nobles per-
sonnages de sa maison, nous espérons que ce nest pas pour
chose de petite importance, vueillez la donques déclarer
présentement. Et si nostre puissance y peult auoir lieu ne
efficace, certes nous ne nous feindrons (1) point de ly em-
ployer. » Lors Paris Alexandre chef de la légation, se vou-
lut leuer pour parler : mais le Roy ne souffrit point quil se
bougeast. Adonc tout assis il proposa sa harengue en ceste
manière :
« Treshaut et tresexcellent Prince Roy Menelaus , la
(1) c.-à-d. n'hésiterons point.
8INGVLARITEZ DE TROTS. LITRE II. 40
renommée de ta vertu et merueilleuse prudence, ha incité
monseigneur le Roy Priam nostre père à nous enuoyer
vers ta maiesté Royale, à fin de te remonstrer aucunes de
ses doléances : pour par ta hautesse et sapience y estre
pourueu, de remède conuenable, ainsi quil ha espoir que
bien le sauras, pourras, et voudras faire. Or est il vray
(Prince tresillustre) que feu de céleste mémoire, ton bel
oncle Hercules retournant du voyage de Colchos, auecques
son neueu lason, et tes beaux frères Castor et Pollux, le
ne scay de quel (1) affection meu, fors pource quil luy pleut
ainsi le faire, enuahist hostilement la terre de Phrygie, et
la cité d'Ilion, alors de petite deffense, et peu peuplée, et
la desmolit et desempara. Le Roy nostre père pour lors
estant absent de Troye, et menant guerre en la haute
Phrygie : et qui plus nous touche au cœur, il occit nostre
ayeul de bonne mémoire le Roy Laomedon, que les Dieux
absoullent : et non content de ce, emmena en seruage
madame Hesionne nostre tante (2) lors ieunette et pucelle :
et la bailla par autre tiltre que honneste, à Telamon Roy
des isles d'Egine et de Salamis, lequel est ton parent et
cousin. Car nous nignorons pas que Tantalus Roy de la
haute Phrygie, ton ayeul paternel, et Eacus père dadit
Telamon furent frères germains, et enfans de lupiter
troisième de ce nom, Roy de Crète. Or la détient iceluy
Telamon tousiours depuis, en vile seruitude, sans loy de
mariage : et dalle ha eu vn beau filz, nommé Theucer,
lequel à peine veult aduouer pour son bastard. Et combien
que par nostre cousin le Prince Antenor , lequel puis
aagueres luy en ha porté paroles, au nom de monseigneur,
(i) ^eUâ {éd. 1512).
(9) antf (maer. de Gâoève),
II. A
60 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
il ayt esté requis de la rendre, neantmoins il en ha esté
■non seulement refusant, mais oultreplus menassant. Et
non pas luy seul mais semblablement son frère Peleus Roy
de Thessale, père d'Achilles, et ses oncles Castor et Pol-
lux tes beaux frères, qui furent presens à iceluy rauisse-
ment comme iay desia dit. Et aussi son cousin le Roy
Nestor de Pylon, mary de ta sœur madame Anaxibea. Les-
quels Princes, tous dune voix contre le droit coustumier
de toutes gens, ont iniurié monseigneur, en la personne
de son ambassadeur. Laquelle chose comme tu peux pen-
ser, luy ha esté difficile à supporter. Et neantmoins auant
quil y procède plus auant, il en ha bien voulu aduertir les
autres Princes, parens, et alliez dudit Roy Telamon, et
principalement ta maiesté tresresplendis santé, et celle du
treshaut Prince le Roy Agamemnon de Mycenes ton frère ,
et derechef messeigneurs Castor et Pollux tes beaux
frères. Et à ce ha esté plus enclin, sachant que ton ayeul
paternel le Roy Pelops, qui partit vne fois de nostre pro-
uince Phrygienne et, dautre part, noz ancestres sont des-
cenduz de lupiter deuxième de ce nom, Roy d'Arcadie, qui
est vostre héritage patrimonial. Ainsi par réciproque ori-
gine, y pourroit encores entre les deux nations estre gar-
dée quelque scintille de primitiue alliance. Toutesuoyes, ce
ne luy ha point tant persuadé nostre enuoy, que les re-
cords des hauts dons de Dieu et de Nature : lesquelz repo-
sent et sont accumulez en ta personne, par grand prodiga-
lité : et lespoir quil ha en ton noble courage, lequel labeure
incessamment à œuures vertueuses et pacifiques. Lesquelles
choses considérées, trescler Prince, et la conséquence
dicelles bien pourpensee. Monseigneur le Roy Priam nostre
tresredouté seigneur et père, te prie de par nous, que attendu
son bon droit et sa iuste querele, pour abolir toute hayne
SIKQVLARITEZ DE TROTE. LITRE II. 51
inueteree, et pour le grand désir quil ha dentretenir la
bien de paix, vnion, accord et bonne intelligence future,
entre les Princes de Grèce, parmy lesquelz tu reluis comme
le dyamant entre les perles : et les Princes d'Asie, dont il
est le chef, il te plaise vouloir faire remonstrance audit
Roy Telamon ton beau cousin, de rendre et restituer en
noz mains madame Hesionne nostre tante. Et combien
que monseigneur ayt assez matière de quereler restitution
dautres torsfaits, réparation de villes depopulees, et satis-
faction de liniure qui plus luy touche au cœur, cest de la
mort de feu monseigneur nostre ayeul : neantmoins toutes
ces choses postposees, car mercy aux Dieux, sa cité est
cent fois plus florissante que iamais, et son règne plus
riche et plus ample, et pour son père perdu, les Dieux
immortelz luy ont redoublé génération denfans en grand
nombre : parquoy il leur en laisse la vengeance, et per-
siste sans plus à demander sa treschere sœur germaine,
madame Hesionne nostre tante. Laquelle ha esté long
temps détenue serue en autruy territoire, contre Ihonneur
de Royale noblesse, et dont il luy poise trop. Et au cas
que ton cousin le Roy Telamon continue en son obstination
coustumiere, en nous escondissant de nostre demande tant
iuste, tant raisonnable, et tant humaine quil est impossible
à gens, silz ne sont trop barbares, estranges ou inhumains,
dy vser de refuz ou tergiuersation, il tenhorte et te prie,
le cas aduenant, que tu vueilles prendre la chose en main,
comme ton affaire propre, et en aduertir les autres Prin-
ces tes parens, amis, alliez, et confederez. Et faire en
manière que ce à quoy ledit Roy Telamon ne pourra estre
induit par remonstrance de raison, il y soit iustement con-
traint par le commun décret dentre vous. Autrement mon-
seigneur veult quil se tienne pour aduerty quil sera desor-
«8 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, KT
mais contraint et forcé de poursuiure sa querele droitu-
riere par armes. Attendu que mondit seigneur sest mis
et met tousiours en ses deuoirs plus que raisonnables en-
uers luy. Et à fin que tu congnoisses de quel zèle monsei-
gneur quiert et désire ton amitié et bonne alliance, il ten-
uoye ces dons bien asseans (1) à ta hautesse, priant que les
prennes en gré, correspondant à son vouloir. » Et en ce
disant, trois gentilzhommes sauancerent et descouurirent
les riches loyaux quilz portoient : cestasauoir vne grand
couppe pesant dix marcz dor, toute esmaillee et bordée de
sapphirs et de perles de prys et par dessus vn dyamant in-
estimable, de laquelle couppe le Roy Laomedon vsoit en son
viuant, aux sacrifices des Dieux. Et vn riche manteau tout
dor traict, (2) brodé de riche ouurage, et semé de diuerses
pierres précieuses, tissu de la main de la Royne Hecuba,
auecques vn sceptre Royal, de grand estime et value.
(1) affeaulx (éd. 1516).
(2) aurum tractitiun^ Uxtile (Docange).
SntGVLARlTEZ DB TROYB. UVBB II. 55
CHAPITRE VI.
Du premier regard qae la Royne Heleine ietta sur le beau Paria
Alexandre. Et de la gracieuse response que le Roy Menelaus feit
aux ambassadeurs feintifz. Des dons que Paris donna à Heleine :
et de la bonne chère que fut faite à luy et à ses compaignons. Et
auasi narration légère des premières accointances et semblani
couuers de Paris à Heleine : et comme Menelaus à son départe-
ment, pour aller en Crète, recommanda ses choses à sa femme
Heleine.
Pendant que le tresbeau Prince Paris Alexandre faisoit sa
harengue et oraison, et que sa douce éloquence et voix har-
monique raisonnoit (1) parmy le palais, la fleur des dames
la Roy ne Heleine, ainsi que femmes sont curieuses de voir
et ouyr choses nouuelles, lescoustoit secrètement par vn
treilliz, qui se iettoit sur la salle, et le regardoit ententi-
uement, sans estre apperceiie. Si sesmerueilla de sa faconde
et beauté nompareille, de son riche accoastrement, et de
son port hautain. Et comme toute estonnee, dit à ses filles
dhonneur, Ethra et Clymena parentes de Menelaus. o Dieux
immortelz, quelz gens sont ces Troyens ! ie ne croy point
que ce soient hommes terrestres, mais plustost de la
semence des cieux. » Ainsi disoit Heleine. Et desalors con-
ceut elle vne scintille de lardant feu damours : quelle
enfanta depuis au grand destruisement délie et de tout son
(1) resonnoit (éd. 1528).
54 ILLVSTRÀTIONS DE GÂVLE, ET
lignage. Mais retournons à nostre propos. Quand donques
le Roy Menelaus eut receu les presens de messeigneurs les
Troyens, et iceux loué hautement, auecques grans mercie-
mens il parla en ceste manière :
« Tresclers et tresnobles barons de Phrygie, ces riches
dons, qui représentent la grand magnificence de nostre
beau frère le Roy Priam, combien quilz soient destimation
infinie, neantmoins ilz ne nous sont point tant agréables
pour leur grandeur : quilz sont pour lamour du lieu dont
ilz sont venuz. Et en tant quil touche la matière princi-
pale dont tu nostre beau cousin Paris Alexandre, as pré-
sentement fait mention, nous nous sommes aucunesfois
trouuez entre plusieurs de nostre parentage, plus aagez de
nous, entre lesquelz ceste matière se debatoit amplement :
car les aucuns auoient esté presens à tout laffaire. Si
disoient que nostre cousin le Roy Telamon, de lisle de Sala-
mis, par droit darmes obtint iadis madame Hesionne, quand
Troye fut depopulee par le Prince Hercules. Parquoy, sei-
gneurs de Phrygie, nous nous esbahissons dun poinct que
nostre beau cousin le Prince Paris ha touché : disant que
le Roy Priam estoit absent de Troye au temps dicelle des-
molition, là où nous sommes informez certainement du
contraire. Et quil soit ainsi : tenez pour chose certaine
que nostre oncle Hercules retournant de lemprise de Col-
chos, rapassa pardeuant Troye : et enuoya certains ambas-
sadeurs au Roy Laomedon, lors régnant, pour et à fin que
ledit Roy tinst sa promesse à Hercules, de sa fille Hesionne,
laquelle en allant à ladite conqueste de Colchos il luy auoit
promise en mariage, à cause de ce quil lauoit deliuree de
la monstrueuse balaine qui la deuoit engloutir , sans
remède. Ensemble les six coursiers de prys, qui pour sem-
blable raison luy appartenoient. De laquelle chose, comme
8IMGTLARITEZ DE TROT£. LITRE U. Pi
le Roy Laomedon fust refusant, contre sa promesse, et en
violant le droit commun, detinst en prison, et deliberast
faire mourir iceux ambassadeurs, par le consentement de
tous ses enfans, excepté de Priam. Iceluy vostre bon et
iuste Prince Priam, pour lors estant ieune, osa bien publi-
quement contredire à tel maléfice : et soustint efibrcément
quon deuoit tenir foy et promesse aux estrangers, et bailler
sa sœur Hesionne en mariage au preux Hercules, selon son
mérite, auecques les nobles cheuaux. Et combien que le
salubre conseil de Priam ne peust obtenir audience, neant-
moins il feit sauner secrètement les personnages de lam-
bassade, et les renuoya à leur maistre. Et lors Hercules
ayant iuste indignation contre Laomedon, print Troye das-
saut. Si cheut Laomedon en la meslee mortifère, et paya
le tribut de son periurement. Son filz Tithonus senfuyt es
Indes. Mais le Prince Priam fut reserué en vie, et luy fut
le Royaume de Phrygie laissé paisiblement au regard à (1)
la preudhommie dont il auoit vsé. Et nostre oncle Hercules
pour rémunérer la vertu de nostre cousin le Roy Telamon,
qui premier monta sur les créneaux de Troye, luy resigna
son droit de la pucelle Hesionne, et la luy donna en pur
don. Ainsi se porta la besogne. Seigneurs de Phrygie,
quelque chose quon die à lopposite. Mais si ainsi est que
vous vous douliez de ce que Telamon ne maintienne vostre
tante Hesionne en estât de Roy ne, et selon la dignité du
lieu dont elle est yssue, certes en ce peult il bien estre dit
auoir mespris grandement. Car tous Princes doiuent hon-
norer le sang Royal, combien quil ayt esté conquis en que-
rele bellique. Si vous promettons en foy de Roy, que nous
et les nostres mettrons toute diligence possible à le faire
(1) au regard de (éd. 1516).
5^ ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
renger à raison, combien quil soit vn peu dur et diflScile.
Tellement que nostre bon frère le Roy Priam, et vous tous
Seigneurs, congnoitrez que nauons pas oublié que noz an-
cestres ont prins origine en vostre territoire de Phrygie.
Si sommes bien aises de ce que vostre venue nha point esté
plus tardiue, pource que point ne nous eussiez trouué en
Lacedemone : car monseigneur nostre frère Agamemnon,
Roy de Mycenes, et nostre sœur madame Anaxibea femme
du Roy Nestor de Pylon, nous deuons en brief rendre en
lisle de Crète, pour départir la succession, trésors et
richesses quant aux meubles délaissez par nostre ayeul
maternel le Roy Atreus de Crète : auecques noz beaux
cousins les neueux du feu Roy Minos. Cestasauoir Idome-
neus et Merion qui sont entre eux cousins germains, et
enfans de Deucalion et Molus qui fut de Minos, qui fut
de lupiter. Et nostre beau cousin Palamedes (1) de lisle
d'Euboce, (2) filz du Roy Nauplius et de la Royne Clymena.
Lequel Nauplius comme sauez, est filz de nostre grand
oncle, le Dieu Neptune, ensemble autres plusieurs. Mais
tout ce ne vient que bien à poinct, pour vostre matière.
Car pendant que vous vous refreschirez céans, pour vous
desennuyer de vostre long nauigage, nostre frère le Roy
Agamemnon et nous, mettrons la chose en termes enuers
plusieurs autres noz parens , si comme Vlysses filz de
Laërtes Roy d'Itaque, et Tlepolemus Roy de Rhodes, et
généralement tous ceux de nostre parentage, dont nous
nous saurons aduiser. Et aussi endemen tiers noz beaux
frères Castor et PoUux, qui pour le présent ne sont point
en ceste contrée, ains ont mené nostre fille Hermione, vers
(1) Palamides (éd. 1516).
(2) Euboie (éd. 1528).
8IN6VLARITEZ DE TROTE. LITRE II. i||
sa tante la Royne Clytemnestre, nostre belle sœur, à la
grand feste et solennité de la Déesse luno, qui se fait à pré-
sent en la cité d'Arges, (1) seront reuenuz de leur voyage.
Et à nostre retour espérons vous en rapporter quelques
bonnes nouuelles. Si vous prions ne vous soucier que de
faire bonne chère. Et sur ce poinct allons voir les dames. »
A ces paroles le Roy Menelaus se leua de son siège
Royal, prenant le. Prince Paris, et son frère Deïphobus
par les mains, et les autres les suiuirent. Si entrèrent en
vne autre belle salle, ou ilz trouuerent la fleur et loutre-
passe de beauté mondaine la Royne Heleine, auecques plu-
sieurs dames et damoiselles tresrichement parées. Alors dit
le Roy Menelaus à sa femme : « Mamie, voicy noz beaux
cousins le Prince Paris Alexandre, et son frère Deïphobus
filz du Roy Priam de Troye, lesquelz nous sont venuz voir,
le te prie festoyé les auec leurs compaignons et parens,
messieurs Eneas, Glaucus, et Polydamas. » A ces mots le
tresbeau Prince Paris sauança pour faire la reuerence à la
Royne, et elle le baisa, dont il se tint plus content que si
cent marcz dor luy eussent esté présentez. Et puis conse-
quemment baisa Deïphobus et festoya trescourtoisement les
autres trois, et leur dit quilz fussent les tresbien venuz. Pa-
ris pour son honneur alla controuuer (2) mille recommanda-
tions et saluts des Princesses et dames de Troye, lesquelles
onques ny auoient pensé : car point nauoient sceu, quil
deust venir celle part. Puis appella lun de ses escuyers, et
luy dit quil apportast ce quil sauoit. Cestoit vne robe de
pourpre, toute estofFee à or et riche pierrerie, laquelle il
donna à Heleine, comme escrit vn acteur nommé Martia-
(1) iporxT A rffos.
(2) c.à-d. inventa, poar s*en faire honneur.
58 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nus (1) : et vn précieux camail pour sa fille Hermione. La
Royne Heleine receut les dons merueilleusement en gré :
Car ilz estoient beaux et magnifiques, et en remercia Paris
hautement. Puis après se tira sur la fenestre dun plaisant
verger, et entretint long temps Paris et Deïphobus en deui-
ses. Ce pendant que le Roy deuisoit auec Eneas, Ethra et
Clymena, deux nobles damoiselles parentes du Roy Mené-
laus, entretenoient dautre part messire .Glaucus et messire
Polydamas. Et les autres dames, damoiselles et gentilz-
hommes de Ihostel du Roy Menelaus, dautre part tenoient en
plaisantes paroles les autres gentilzhommes deTroye. Quand
le souper fut prest (2) on laua, le Roy Menelaus print (3)
le Prince Paris, et son frère Deïphobus, et se meit à table
au mylieu d'eux deux. La Royne Heleine sassit après, et
Eneas, Glaucus, et Polydamas ensuiuant. Les seigneurs et
gentilzhommes de leans retindrent la plus part des gentilz-
hommes Troyens qui voulurent demourer. Les autres sen
allèrent souper en leurs logis. Apres souper que plusieurs
dances et esbatemens furents faits, le Prince Paris et Deï-
phobus, et ses compaignons prindrent congé du Roy et de
la Royne, et puis se retirèrent en leurs logis. Et autres
iours ensuiuans à la requeste et commandement du Roy,
iceux ambassadeurs feintifz et par exprès (4) Paris, Deïpho-
bus, et Eneas, continuèrent souuent daller boire et menger
en la table du Roy et de la Royne. De laquelle chose, entre
(1) Martianus Capella.
(2) gtiand il fut prest, c.-à-d. quand ce fut prêt (msci'. de Genève
et éd. 1516 et 1528).
(3) priant {éd. 1516 et 1528).
(4) par exprès pour exprès, est un archaïsme encore populaire.
V. Littré.
SIIfCTLARITEZ DE TROTE. LIYBE II. 9
les autres, Paris estoit le plus content : car assez luy plai-
soit le ieu.
le me tais icy tout à essient dexposer comment le ieune
Prince Paris fut atteint dune amour ardant et incredible,
des quil eut veu la Royne Heleine, pour si tressinguliero
et oultrepassant beauté. le me déporte de dire comment le
désir nouuelet, de là Royne de Lacederaone, extirpa faci-
lement du léger et volage cœur de Paris la loyalle amour
pieça enracinée, de sa femme légitime la Nymphe Pegasis
Oenone. le passe souz silence, que le Roy Menelaus com-
mença à desplaire à sa femme la Royne Heleine, et luy
deuint laid et malgracieux pour la suruenue dun ieune
adultère estranger. Car tout cecy les enfans mesmes le
sauent raconter. le laisse aussi descrire comment eux deux
sentreacointerent par plusieurs semblans amoureux : par
doux attraits et fins regards, tirez du coing de lœil, et plu-
sieurs autres moyens, signes, mines, marchemens de pied,
chants, regrets, souspirs, deuises et racontemens de fables,
dont Paris vsa couuertement mesmes en la présence de
Menelaus : Car toutes ces choses sont bien à plein et bien
élégamment couchées es autres œuures escrites en François :
et mesmement es epistres d'Ouide, nouuellement translatées
et mises en impression. (1) Et aussi pour vue autre raison,
cest à cause de brieueté : et à fin que ie continue à déduire
mon intention principale. Laquelle est de mettre en auant,
ce que les autres ont obmis, et de rassembler tout en vn
corps, le plus curieusement et véritablement que ie pour-
ray, ce que les anciens acteurs autentiques ont couché des
gestes de Paris, Heleine, et Oenone, en escrits diuers, et
,Yul oh
(1) par Octaviea de Saint-Gelaia, évéque d'Ângoalème. PaUgrat»,
quand il cite ces vera, dit the fytshoppe...
60 ILLVSTRÀTIONS DE GAVLS, ET
menues particularitez, pour en forger vne histoire totale.
Laquelle chose nha esté encores attentée de nul autre, que
ie sache, ny en François ny en Latin.
Le Roy Menelaus donques en festoyant les ambassadeurs
Troyens, faisoit neantmoins son aprest pour partir et sen
aller en Crète. Car le iour approchoit quil sy deuoit trou-
uer, auec le Roy Agamemnon son frère, et ses autres
parens, pour distribuer les trésors délaissez par feu son
oncle maternel Atreus, comme dessus est dit. Quand tout
son cas fut dressé pour partir, il feit faire vn grand et somp-
tueux banquet et conuiue : et y feit semondre générale-
ment tous ceux de lambassade de Troye, estans en la cité
de Lacedemone. Et après les auoir festoyez et fait la meil-
leure chère du monde, il dit à la Royne Heleine sa femme :
« Mamie, ie men vois en lisle de Crète, souz la conduite des
Dieux, car il est impossible que ie diffère plus : mais cest
pour retourner bien brief. Si te prie quen mon absence tu
fasses aussi bonne chère à noz beaux cousins de Troye que
voicy, et aussi priuément, que si tousiours y estoye en per-
sonne : car ainsi me plaist il estre fait. le les te laisse
pour hostes, et les te recommande. » A ces mots peu sen
faillit que la Royne Heleine, ne se print bien fort à rire :
voyant la totale bonté de son mary et la grand fiance
quil auoit en elle : toutesuoyes elle se contint sagement, et
dit : « Monseigneur, si ferây ie, puis que tu le commandes. »
Sur ce poinct le Roy Menelaus vint et la baisa, en la
recommandant à la garde des Dieux. Et de ce pas cy,
pource que le vent estoit bon, se tira vers le port. Les
Princes, Paris, Deïphobus et ses compaignons, lallerent
accompaigner iusques là. Et quand il se fut embarqué,
et eut prins congé d'eux iusques au reuoir, et eux de luy,
Paris, Deïphobus, et les autres sen retournèrent en le^irs
SINGVLARITEZ DE TEOTK. UVRE II. M
logis. Sur ce passage icy ie nignore point la contrariété de
noz acteurs. Car Dictys et Ouide mettent ce que dessus est
narré : cestasauoir que Menelaus alla en Crète. Et Dares
de Phrygie dit, quil alla au Royaume de Pylon vers son
beau frère Nestor. Et ne met point, que ledit Menelaus
receust Paris en son hostel : mais sentrerencontrerent sur
mer, sans se congnoitre, et sans parler les vns aux autres.
Mais comme iay desia dit autresfois, ie vueil principalement
ensuiuir lopinion de Dictys de Crète : car elle est plus
vray semblable.
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE VII.
Recitation da conseil prins par Paris Alexandre, aaec son frère Deî-
phobus et ses compaignons, et le capitaine de ses nauires, touchant
la conduite du rauissement de la Royne Heleine. Et les preparati-
ues sur ce. Et comment il trouua manière de gaigner deux de ses
damoiselles : lesquelles portèrent secrètement lettres missiues dun
costé et dautre. Âaec narration brieue et sommaire du contenu des-
dites lettres.
Paris donqves retourné en son logis, tout pensif et ima-
ginant, enuoya incontinent quérir le principal capitaine des
gens de guerre de ses nauires. Lequel arriué, il appella
Deïphobus son frère, et son beau frère Eneas : ensemble
ses cousins Glaucus et Poly damas en secret conseil. Et
quand eux six furent enclos en vne chambre, Paris parla
en ceste manière : a Mon trescher frère, et tous messieurs
noz parens et amis, ie croy que les Dieux par vne singu-
lière solicitude veullent adresser noz besongnes mieux
que à souhait. Et mesmement la Déesse Venus, laquelle sur
toutes les autres nous guide, et en est la plus curieuse,
pour acquiter sa promesse enuers moy. Quelle opportunité
voudriez vous plus grande que ceste cy ? ne quel meilleur
loisir ? La plus belle dame non seulement de Grèce, mais
de tout le monde, est entre noz mains. Et qui plus est, ie
cuide desia auoir donné si bon fondement à mon cas, quelle
ha quelque goust de désir amoureux. Du surplus laissez
men conuenir : car si ie ne suis grandement deceu, iespere
SIN6VLARITEZ DE TROTB. LIVBB II. 65
quelle mesmes sera contente de son plein gré, se venir ren-
dre souz nostre estandart. Laquelle chose donnera grand
couleur à nostre exploit, et moindre difficulté à nostre
emprise. Ne valons nous pas bien Theseus d'Athènes,
lequel comme vous auez sceu, rauit ceste mesme dame à
viue force en son enfance : et la mena en sa terre, tms
contredit ? Et puis il nen fut autre chose. Et toutesuoyes
il ny auoit nulle vieille querele, ne hayne précédente, entre
leurs parentages, pourquoy il deust ce faire, sinon son sin-
gulier plaisir : là où nous auons iuste occasion de domina-
ger ces Grecz icy, pour les oultrages passez, et pour venir
aux fins de recouurer madame Hesionne nostre tante :
selon la charge à nous commise. Et après que cecy sera
fait, qui sera le Prince si osé ne si hardi, qui vienne atten-
ter contre la puissance du Roy nostre père et des siens ?
Dabondant, vous voyez pour nostre opportunité, que le
bon Roy mary de la belle, comme sil voulsist faire lieu à
noz désirs, et de peur de nous destourber sest absenté de
la cité : et qui plus est, à son partement nous ha recom-
mandé bien expressément à la dame. Or me semble il, quil
nest pas saison de dormir à ceste heure. Quen dites vous,
messieurs ? le vous prie queien sache voz bonnes opinions. »
Alors ainsi quilz faisoient honneur les vus aux autres pour
parler le premier, Eneas par le commandement de Paris et
Deïphobus, comme le plus aisné de tous, opina. Et dit en
ceste manière : « Monseigneur mon frère, le loisir est si
beau, et le temps si à gré» quil nest possible de mieux dési-
rer, ie le concède. Si ne reste fors de voir si ce seroit bien
fait de mettre à fin lemprise ainsi que lauions proposée :
car il pourroit sembler que ce fust œuure trop estrange, et
trop barbare, et contre tous les droits diuins et humains :
mesmement contre le droit dhospitalité, duquel lupiter est
64 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
deffenseur : et dauôir prins tiltre dambassadeurs, lequel
tiltre comme il est saint et inuiolable, aussi ne doit il estre
violateur : et souz ceste couleur estre bien traitez, et auoir
eu response gracieuse, et neantmoins mouuoir guerre furtiue,
sans deflSance (1) preallable. Car combien quon ayt iuste
querele et droituriere cause dindignation contre son enne-
my, si doit on auoir regard particulier à son honneur, et à
sa conscience propre. Car qui le fait autrement, le dommage
et vitupère propre qui sen ensuit, infalliblement redonde
par redoublée mesure sur celuy qui le fait. Et en tant quil
touche le rauissement de madame Heleine autresfois fait
par Theseus Roy d'Athènes, il faut entendre que loutrage
nestoit point lors réputé si grand de la rauir pucelle, pour
la prendre après en mariage, que maintenant quand elle est
mariée, pour la honnir et vergogner. Et aussi le danger et
lesclandre ny sont point si apparens alors pour Theseus,
comme ilz seroient ores pour nous. Car il sauoit bien, quil
nauoit à faire sinon au bon homme Tyndarus, trop plus
foible et moins puissant que luy. Et ce nonobstant Heleine
fat depuis recouuree par armes. Or voyez vous bien que
Menelaus est Prince de bien autre estoffe, et mieux empa-
renté. Et dautre part, vous nignorez point que Castor et
PoUux, frères d'Heleine, sont Barons de haute prouesse, et
de grand emprise, sans les autres de leur alliance. Toutes-
uoyes, pource que ces Grecz icy sont de tous temps noz
anciens ennemis, et que Menelaus est parent et allié de
Telamon qui détient madame Hesionne : et encores pource
que Pelops iadis ayeul diceluy Menelaus, fat tousiours en
son temps ennemy de feu de noble mémoire le Roy Ilion,
nostre ancestre, ie ne scay quen dire, sinon que tu en vses
(1) c.-à-d. défi. Cf. l'anglaia deJUnce.
SmCYLABITEZ DE TROTB. LITKE n. 65
par le meilleur moyen que faire se pourra. Et si atant vient
que la chose se doiue exécuter, aumoins quon donne bon
ordre à tout. Car ceste cité est fort puissante et bien peu-
plée de gens courageux et hautains, combien quil ny ayt
tour ny murailles. Car ilz sont si fiers et si duits aux
armes, que onques ne daignèrent faire autre boleuert.
pont leuis, créneau, marchecoulis, (1) ou auant mur, que
de leurs propres corps. Et parauenture ne se fient ilz pas
tant en nous quilz ne soient sur leur garde. Dautre part
que scait on si Menelaus auroit fait ceste feinte de aBB
aller pour nous surprendre et enueloper icy ? Neantmoins
ce que ien dis, nest pas pour crainte ou timidité que iaye,
mais pource quen matières douteuses et suspectes, comme
iay tousiours ouy dire, on y doit procéder par grande et
meure délibération. »
Apres que le Prince Eneas eut opiné, le tresprudent
cheualier Polydamas, filz du sage baron Panthus, parla.
Et la somme de son opinion fut, quon ne deuoit en aucune
manière attenter sur ceste matière, ne vser de voye de
fait en labsence de Menelaus : attendu les bons termes quil
leur auoit tenus, et le bon recueil de sa maison : et aussi
la promesse de leur expédition désirée. Et que si autrement
se faisoit, il doutoit que le Roy Priam, qui est iuste
Prince et droiturier, nen fust pas content. Ce fut la teneur
du parler de messire Polydamas. Consequerament le ieune
escuier Glaucus declaira ce quil en sentoit, condescendant
assez au rauissement d'Heleine, pour le mauuais traitement
que les Grecz auoient fait à son père Antenor durant son
ambassade, ou pource que parauenture il sestoit énamouré
daucune des damoiselles de la Royne Heleine. En après
(1) c.-à-d. mâchicoulis.
11. tt
66 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
Deïphobus feit déclaration de ce quil en auoit en lentende-
ment, meu pour la grand beauté d'Heleine. De laquelle il
nestoit pas moins amoureux, que son frère Paris, ainsi
que met Diclys de Crète, en son premier liure, et parla en
ceste manière :
« Mon frère, (1) si les preux et vaillans hommes du temps
iadis qui nous ont laissé la gloire de leurs cheualeureux
tiltres, pour embellissement perpétuel, eussent tant ru-
miné, et precogité tous les bazars qui pouuoient suruenir
en leurs nobles emprises, ilz neussent iamais fait aucune
chose digne de mémoire, ny enrichi leurs successeurs du
bruit de leurs triomphes. lay tousiours ouy dire, que For-
tune ayde voulentiers (2) aux hardis et bons entrepreneurs.
Voudrois tu, ie te prie, estre frustré à iamais du fruit de
ton iugement, et de la gloire immortelle, que la haute
Déesse Venus toffre présentement, pour recompense de ton
bien iuger ? Il me semble, sauue la paix dun chacun, que
tu ne le dois vouloir. Car si dauenture par faute de con-
seil, ou de courage, tu te monstres nice et couard en ceste
partie, que pourra on dire, sinon que point nés digne
dauoir belle amie ? Et ta' grand lascheté conceura (3) hayne
si implacable de ladite Déesse contre toy, quelle te persécu-
tera par plus griefz accidens, quelle ne feit iadis la lignée
de Phebus. Quelle autre auenture donques voudrois tu
aller chercher plus preste, plus propre, ou plus naïue, (4)
pour parfournir ta conqueste que ceste cy ? laquelle est
desia toute dressée et demy faite. Ne faut il pas que ce fol
(1) mon amy le plus aymé gui soit au monde (éd. 1516 et 1528).
(2) tous jours (éd. 1516 et 1528).
(3) c.-à-d. engendrera.
(4) c.-à*d. natarelle.
SINGVLARITEZ DE TROTg. LIVBE U. 67
Roy abesty soit moqué par tous les humains, de sa stoli-
dité plus que brutale ? Est il mémoire en aucune histoire
escrite, quil fust iamais homme au monde si sot quil se
fiast de tout son vaillant, et de sa propre femme, en ses
aduersaires capitaux ? le suis dopinion que non, sil nha
esté du tout hors du sens. Les Dieux veullent que ces
Grecz icy soient punis de leur orgueil inueteré, et des oui-
trages quilz ont faits au temps passé. Combien ont perpé-
tré de détestables rapines ces Gregois icy, et tousiours en
sont demeurez impunis ? Ceux du Royaume de Molosse en
Ëpire, nallerent ilz point iadis rauir Proserpine, ûlle de
madame Ceres en Sicile ? Et puis dautre part, ceux de
Crète, nemmenerent ilz point par fraude et par déception, la
fille du bon Roy Agenor de Sidone, qui est en nostre quar-
tier d'Asie ? Oultreplus , de récente mémoire , ceux de
Thessale, et de Thebes en Beotie, et aussi de ce païs cy,
mesmement les parens et alliez de ceste Royne, et de son
mary, nont il pas esleué la belle Medee, fille du Roy Eeta,
nostre voisin, de Colchos, et pillé ses trésors ? Puis tous
enflez dorgueil et de vaine gloire, tous pleins de reproches
et de menasses, ilz repassèrent par deuant nostre cité. Et
derechef sans autre occasion, comme vous sauez, retournè-
rent à nostre grand dommage et honte , bruslerent noz mai-
sons, tuèrent noz parens, et emmenèrent nostre tante fille et
sœur de Roy, en seruitude et concubinage. Quest ce à dire
cecy ? Leur est il ainsi licite destre larrons et destrous-
seurs publiques, et quilz puissent rober et oultrager tout
le monde vniuersellement, sans quon leur ose rendre ieu
pareil? le ne me puis assez esbahir(l) de nostre pusilanimité.
Et si dauenture il est ainsi, que Heleine ayt deux frères si
(1) ne douloir {éd. 1510 et 1528).
68 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
vaillans quon dit pour la poursuiure, ie croy que parauen-
ture on trouuera bien madame Hesionne auoir enuiron
vne trentaine de neueux assez passables, pour ayder à ven-
ger son opprobre et iniure, dont des légitimes ie suis le
moindre. Donques en tant quil touche le langage friuole,
duquel ce fol Roy icy nous ha cuidé paistre, nous auons
assez entendu quil est forgé au coing des autres. Et pen-
sons nous que iamais il procure rien à nostre auantage ? Ne
sommes nous encores informez de larrogance et loquacité
Gregoise, et de leur beau promettre sans rien tenir ? Croyez
moy, messieurs, ce nest que pour se moquer de nous, et pour
nous abuser en vaine espérance. Ou parauenture à fin de
nous circonuenir et accabler icy, quand il sera renforcé de
ses alliez, il se .dit aller faire le partage dune grand succes-
sion en Crète. le croy que toutes ces choses sont paraboles
et abusions. le vous prie, considérons vn petit le grand
orgueil rigoureux, dont ces Grecz noz anciens ennemis, ont
vsé puis nagueres, enuers nostre bel oncle le baron Ante-
nor, en sa dernière légation. Et dautre part, ramenons
deuant noz yeux la cruelle occision de noz feuz parens,
dont le sang crie vengeance. Reffreschissons nostre mé-
moire, de la dépopulation du tenement de noz ancestres,
du rauissement et violation des dames et pucelles de Phry-
gie, faite par eux. Et tout ce mis en comparaison, aduisons
sil est possible de leur sauoir inférer aucune iniure si
grieue, si dommageable, ne si laidengeuse, qnilz ne laient
encores méritée cent fois plus grande. Quant à moy, ie dis
que non. Et soustiens que plustot paistront loups et bre-
bis, aigles et moutons ensemble, que ne seront en paix et
en amour commune les Troyens et les Grecz. Parquoy me
semble, que toutes vacillations, craintes ou simulations
postposees et mises arrière, ta mon frère Paris Alexandre,
SWCVLAHlTIfZ DE TROIÇK, MVftB II. iQB
dois procéder ausurplus, et ieuer marque sur noz eunemûi
seloa la charge qui test eniointe. Sans penser autre chose,
fors que le Roy nostre seigneur et père sera trescontent de
ceste vengeance, et tresioyeux du vitupère de ses ennemis,
quoy quou puist alléguer au contraire. »
^^ Aux paroles véhémentes du ieune Prince Deïphobus, le
capitaine des gens de guerre et uauires de Paris, donna
grand fultiment (1) et adiutoire. Induit à. ce par affection de
pillage et auarice, qui est le commun vice de tous gens-
darmes. Et va dire ainsi, adressant ses paroles au Prince
Paris Alexandre : « Monseigneur , ie croy que tous les
hommes du monde ne sauroient plus sommierement ne plus
au vif attaindre le fonds de ceste matière, que ha fait
monseigneur Deïphobus ton frère. ,Crois le, ensuis son
opinion, car elle est bonne : et quoy quon die, ce nest que
honneur et louenge à vn Prince, quand par moyens subtilz
il peult trouuer façon de circonuenir son ennemy, et luy
faire honte et dommage. Tu as donné de grans et merueil-
leux presens à ce Roy cy, qui point ne luy appartenoient.
Il les faut recouurer, et de lautre auec ; et si ainsi nest fait,
il se moquera de vous tous, messeigneurs, et du Roy aussi ;
et dira par vantise et par insolence, que luy estes venu
faire hommage. Dautre part, on vous pourroit reprocher
estre inhumains et peu débonnaires successeurs, si vous ne
vengez les meurtres de voz ancestres, et la défloration de
voz parentes. Et en tant quil touche de mettre la chose
délibérée à effect, la difficulté y est bien petite. Car quel-
que fors ou vaillans que soient les vilains de ceste ville, et
fussent ilz tous diables de fer et dacier, si en verrons nous
bien le bout. Laissez moy seulement manier laâaire quant
{\)fuîement (nucr. de Genève). Lacurne donne/uicir pour soutenir.
"W ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
à cest endroit. Et tu, monseigneur Paris Alexandre, acheue
de longue main tes emprises et conuenances enuers la
Royne Heleine, par amours si faire se peult, autrement
nous laurons par force. Et ce temps pendant, sans faire
semblant de rien, ie feray de petit à petit approcher la
meilleure partie des nauires, qui sont es ports de lisle de
Cytheree, souz vmbre de les rabiller (1) et rauitailler : à fin
de me saisir du port et haure de ceste cité. Puis après ie
mettray dedens tout coyement et sans efFroy, (2) aucunes des
meilleurs bendes de gens de guerre que nous auons : les-
quelz seront armez à couuert, souz leurs robes, et si con-
uerseront parmy ceste ville, prenans couleur de se refres-
chir. Et quand tu madaertiras quil sera heure de beson-
gner, tiens toy seur que la force nous en demourera, et ne
ten soucie autrement. » A la resolution dessusdite sarresta
totalement le iouuenceau Paris Alexandre. Si se dépar-
tirent de leur conseil sans faire semblant quelconque. Et le
capitaine sen retourne aux nauires estans es portz de lisle
Cytheree, pour mettre secrètement à exécution icelle tres-
mauuaise et tresdesloyale trahison. Et quand il y fut, il la
communiqua à aucuns des autres principaux capitaines
chefz de guerre et centurions subalternes, en leur baillant
grand espoir et courage, à cause de la pillerie et abandon-
neraent des femmes et filles. Auec ce que d'eux mesmes ilz
estoient assez enclins et enracinez en lancienne hayne des
Grecz, Le ieune Prince Paris, dautre costé ne cessoit dima-
giner tous les moyens par lesquelz il en viendroit plus faci-
lement à chef. Or ne pouuoit il plus pour labsence du Roy
Menelaus, tenir deuises si longues ne si familières, auec-
(1) c.-à-d. raccommoder.
(2) c.-à-d. sans bruit.
SIMGVLAIIITBZ DB TROYB. LIVBB H. 71
ques la Royne qui! souloit, tant pour Ihoimetir délie,
comme pour euiter le murmure et suspicion du peuple. Si
feit tant pour trait de temps, quil trouua manière à force
de grans dons et prodigalité abandonnée, sans rien espar-
gner, dabatre et tirer à sa cordelle, deux des damoisalles
principales dentour la Royne et qui iamais ne labandon-
noient, ains estoient comme gardiennes de son corps, à ce
députées de par le Roy Menelaus, duquel elles estoient
parentes. Mais il nest rien en ce monde, qui ne soit cor-
rompu par auarice. Lune dicelles sappelloit Clymena et
lautre Ethra. (1) Et quand il les eut gaignees, et leur eut
bien amplement et affectueusement conté la grand amour
quil auoit à la Royne Heleine leur maistresse, elles moy-
ennerent tout son affaire enuers leur dame, et portèrent
lettres dun costé et dautre, tellement que lintention dun-
chacun d'eux deux, estoit assez communiquée à sa partie.
Paris par son escrit extolloit la merueilleuse speciosité
délie, vilipendoit la personne de son mary : qui nestoit
point correspondant à elle, mesprisoit sa lignée, sa puis-
sance, et la petitesse de son tenement : Et au contraire,
magnifioit la noblesse de son pare Priam, et en vantant la
richesse de Troye, disoit quelle estoit mieux deiie et plus
propice à elle . Recommandoit sa propre personne, en
beauté et vaillance, et celles de ses frères. Demonstroit
lardante affection damours, qui luy auoit fait passer la mer,
souz la ûance de la promesse à luy faite par la Déesse
Venus. Et oultreplus, blasmoit la folie et niceté de Theseus
qui lauoit rendue pucelle. Et en effect, par toute ingénio-
sité et artifice descrire, son epistre tendoit aux fins, quelle
le voulsist prendre à mary, comme trop plus consonant à
(1) Cf. Iliad. III, 144.
72 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
sa singulière beauté, laisser Menelaus et sen aller à
Troye, auec multiplication de grands promesses, dont les
amans ne sont iamais despourueux. (1)
La response de la Royne Heleine estoit au commence-
ment vn peu dure et aigrette : puis après tout doucette-
ment elle se condescendoit à approuuer la beauté de
Paris, et disoit que à peine auoit elle peu croire que les
trois hautes Déesses eussent souzmis leurs formositez souz
son arbitrage : mais puis que ainsi estoit, elle prenoit sin-
gulière volupté en deux choses : lune de ce quelle auoit
estoit louée par la Déesse Venus, et lautre de ce que
Paris pour son guerdon lauoit préférée aux richesses de
dame luno, et aux vertus de la Déesse Pallas. Plus auant,
icelle epistre responsiue estoit semée de doutes et de menuz
reproches : car une fois, elle disoit craindre le songe de la
Royne Hecuba : puis elle mettoit en auant estre aduertie ,
que Paris nestoit point constant en amours, comme celuy
qui desia auoit mis en oubly sa dame la Nymphe Oenone,
que de long temps il auoit aymee, et que nonobstant toutes
ces vantises, si à tant venoit que guerre sourdist à locca-
sion délie, il porto it mieux la chère (2) de faire la guerre
aux dames, en vne chambre, que aux champs, auec les
cheualiers. Dautre part disoit, que les dames de Troye tien-
droient peu destime délie, quand elles la verroient auoir
laissé son mary pour vn Prince estranger. En après elle
louoit la modération de Theseus, lequel ne lauoit point mal
traitée. Et tout ce nonobstant et conclusion finale, elle bail-
loit assez à congnoitre à Paris, que ce quil luy vouloit per-
suader par amours, elle aymoit mieux y estre contrainte
(1) cf. 15« et 16« Hëroïdes d'Ovide.
(2) c.-à-d. avait la mine de....
SIMGVLARITEZ DK TROTE. LIVBB H. 7^
par force : car communément toutes femmes ont ceste
nature appropriée, que lenforcement leur est plus agreft-
ble, que nest de se bailler de plein gré à leur partie :
iouxte ce que dit Ouide au premier de lart d'Aymer :
Qaod iuuat, inuitsa fsepe dediue Tolunt.
A fin quen temps et en lieu elles en fassent leur proufit,
et puissent alléguer la force et la contrainte.
74 ILLVSTRATIONS DE GAYLB, ET
CHAPITRE VIII.
De la dépopulation et robement de la cité de Lacedemone, et des tré-
sors du Roy Menelaus, et rauissement voluntaire de la Royne He-
leine : auoc désignation du premier lieu, auquel Paris et elle se
ioingnirent ensemble : et des larmes dicelle, dont fut procréée
Iherbe appellee Helenium, qui sert à la beauté des dames. Du pil-
lage fait en lisle de Cytheree. Et comment ilz partirent dillec : et
furent poursuiuis par Castor et Pollux et errèrent en mer, sans
sauoir tenir le chemin de Troye. Auec vne inuectiue contre Paris
et Heleine.
Apres donqves que ces lettres, lesquelles sont plus am-
blement couchées es epistres d'Ouide, furent baillées au très-
beau Paris par vne desdites damoiselles, et quil les eut veûes
et leiies, il faut penser que iamais homme ne receut ioye si
accomplie, quil feit. Si tira incontinent son frère et ses com-
paignons à part, et les leur monstra. Et leur feit bien noter
ceste clause expresse : par laquelle elle signifioit en la fin
de son epistre, quelle ne queroit autre chose, fors estre
contrainte et rauie par force. Adonques ilz dirent, tous dun
accord, quil estoit saison de besongner ce soir mesmes,
sans plus longue dilation : car il faut battre le fer tandis
quil est chaud. Le capitaine des gens de guerre auoit fait
toutes ses approches et diligences tresindustrieusement,
selon la délibération précédente. Si laduertit Paris, que ce
soir mesmes, il falloit mettre ses gens en œuure, dont il fut
tresioyeux. Par ainsi quand la nuict obscure, laqi^lle
SINGTLABITEZ DE TROTB. LIVRE II. 75
semont toute chose viuante à repos, fut venue, les citoyens
de Lacedemone, ignorans de toute la trahison, se couchè-
rent chacun en son priué. Mais les Troyens qui point ne
dormoient, leur causèrent vn piteux resueil.
Car à certain son de trompettes, qui leur estoit baillé pour
signe, tous lesTroyens, Phrygiens, Dardaniens.etPeoniens
estans desia armez et bien empoint, sesmurent soudain. Et
premièrement et auant toute œuure, se saisirent de leurs
hostes, es maisons desquelz ilz estoient logez : et se feirent
maistres de leurs personnes, de leurs logis et armures.
Eneas et Glaucus auec ledit capitaine, et grosses bendes et
cohortes des plus asseurez gendarmes, auoient aussi desia
occupé le marché de la cité, et certaines des principales
rues, pour garder que ceux de la ville ne vuidassent des
maisons, et se ralliassent : tellement que à force de trait et
de pierres iettees à la fonde, il ny auoit si hardy Lacede-
monien, qui sosast monstrer à huys ne à fenestre. Et dau-
tre costé, les patrons et capitaines des galees, auec leurs
gtens, et raathelotz en armes, se tenoient prestz en deffense,
antour du port pour attendre et recueillir larraee et la
proye, et garder que les ennemis ne boutassent le feu en
leurs nauires. Et ce pendant, Paris, Deïphobus et Polyda-
mas, auec la fleur des gentilzhommes et bons gensdarmes,
estoient entrez au palais, sans trouuer gueres de resistence.
Et se saisirent tout premièrement de la Royne Heleine,
laquelle ne feit pas grand contradiction. Et prindrent aussi
ses deux damoiselles, Ethra et Clymena, parentes de Mene-
làus, ensemble vne sienne femme de chambre, nommée
Gréa, et autres des plus nobles et des plus belles, dont on
ignore les noms. Troussèrent aussi toutes leurs bagues et
ioyaux. Et en oultre pillèrent les trésors, richesses, vais-
selle dor et dargent, pierrerie et tapisserie : et générale-
76 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
ment tous les bons meubles du Roy Menelaus quilz trouue-
rent au palais. Et à tout ce, se transportèrent en leurs
nauires. Quand Paris, Deïphobus et Polydamas auec leurs
gentilzhommes, et la Royne Heleine, et ses femmes, ensem-
ble tous lesdits meubles et trésors, furent à seureté dedens
lesdites galees, alors à vn son de trompette, tout le demou-
rant de la cité fut abandonnée à pillage. Leffroy fut grand,
la noise fut horrible. Les poures Lacedemoniens trahis et
circonuenus souz ombre de bonne foy, ne sauoient à quel
courir ; et ne pouuoient donner ordre à ce quilz se rallias-
sent, pour faire vne pointe de deffense. Là y eut mainte
noble femme honnie, et mainte belle pucelle violée. Maint
vaillant homme qui cuida résister à leur damnable emprise
pour le salut de son païs, fut meurtry et affolé. Maint huys
y fut rompu, et maint coffre effondré, et le dedens exposé
à pillage et rapine. Les temples des Dieux mesmes par
sacrilège y furent brisez et prophanez, et les statues et
simulacres dor et dargent emportez. Et brief, tout le desroy
inhumain et criminelle abomination, que licence militaire
et fureur bellique ont accoustumé de commettre en tel cas,
y fut exploitée. Et croy que encores ne sabstindrent ilz
point, de bouter les feuz en diuers lieux. Si estoit pitié et
horreur douyr les cris féminins, les pleurs des enfans, les
souspirs des vieillards, les chapplis (1) des frappans, le char-
pentement (2) des vainqueurs, le bruit des harnois, les re-
gretz des fuyans, les plaints et lurlement des mourans : et le
tumultueux gémissement de toute la cité confuse.
De tel douaire fut doué ce monstre féminin, la malheu-
reuse Heleine, quand dame Venus la liura premièrement au
iouuenceau Paris, pour acquiter sa promesse. Tellement
(1) o.-à-d. les coups. — (2) Populairement, charpenter = frapper sur.
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIYBB H. 77
qne sans auoir douleur ne compassion du grief de son peu-
ple destruit et desconflt, de la désolation de sa noble cité
déserte, et de la ruine et dépopulation de Iheritage de son
mary, elle seoit au giron de son adultère, et repaissoit
ses yeux de la flambe ardante et bruslante le patrimoine
domestique de sa seule fille Hermione. De laquelle elle
estant la trescruelle marastre, et non pas mère, nauoit
mémoire ne recordation aucune. Et auoit le cœur si en-
durcy, quelle auoit bien la patience de voir à yeux secz
et non mouillez de larmes, les souldars de Troye, les enne-
mis de son territoire, rentrer en leurs vaisseaux et naui-
res, tous souillez du sang Lacedemonien, tous puans en-
cores de la récente luxure commise es corps des nobles
matrones et virgines pudiques de Sparte, tous chargez de
la despouille, acquest et espargne de ses bons citoyens, et
des choses consacrées et dédiées aux temples des Dieux :
menans auec eux liez et enferrez plusieurs beaux et nobles
adolescens, pour prisonniers, et maintes pucelles gentiles,
en seruitude comme esclaues. 0 cœur félon, dur et marbrin,
ô courage estrangé dhonneur, (1) aliéné de raison, loing-
tain de pitié féminine, transformé en cruauté barbarique,
ô visage angelique et vénérien, ayant queiie draconique et
serpentine : que tant te coustera cher le crime que tu com-
metz à présent, que tant en seront de femmes vefues, et
denfans orphenins, ains que le meffait que tu encommences
soit purgé. Et toy chetif Paris, garny de vaine et inutile
beauté, tu tesiouis à ceste heure, en receuant le transitoire
guerdon de ton fol iugement, et ne voudrois auoir eslu les
hautaines richesses de dame luno, ne la rémunération éter-
nelle de la sapience et vertu de dame Pallas. Mais assez
(1) o.-à-d. perdu d'honneur.
78 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
auras encores loisir de ten douloir, et maudire ta malheu-
reuse stolidité. Dame Venus ton accointe, (1) tha fait faire
ceste nuict vn beau chef dœuure pour les prémices et fruit
primerain de tes vaillances, mais tard sera que tu ten
repentes.
Ainsi fut la cité de Sparte ou Lacedemone pillée par les
Troyens. Laquelle chose fut légère à faire, attendu quelle
nestoit point murée, ne garnie de portes ou boleuers. Ainsi
que demonstre Ouide au dixième liure de sa Métamorphose,
disant :
Dam Deu8 Eurotan immunitamque fréquentât
Sparten ;
Et Philostratus en la uie d'Apollonius, au premier liure,
dit ainsi, en la personne dudit Apollonius parlant au Roy
des Ethiopes : Lacedœmonum namque ciuitas, ô recc, ahsque
mwris habitatur. loint à ce que ceux de dedens ne se dou-
tassent iamais de telle trahison. Apres lequel cas perpétré,
les ancres furent leuees du port de Lacedemone, sans con-
trarietez. Si labourèrent les patrons à se ioindre au rema-
nant de larmee, qui gardoit les ports de lisle de Cytheree,
et des villes de Cranaé et de Cytheree en ladite isle. louxte
ce que dit Homère en son Iliade :
Nec cum te rapiens, primum è Lacedsemone pulchra,
Pontiuagis ratibus Craaao me la littore iunxi. (2)
Lesquelz vers Strabo allègue au ix. liure de sa Géogra-
phie. Eux arriuez ensemble, enuiron laube du iour, il y eut
grande exclamation et festoiement, entre les compaignons
et mariniers, qui se vantoient et glorifîoient de leurs beaux
(1) c.-à-d. complice. — (2) poni magis (éd. 1516). Ce qui u'offi-e
aucnn seoa. Cf. Iliad. III, 444.
SIIfGTLARlTEZ DE TROTB. LITRK O. 19
faits victorieux. Les habitans desdites villes de Cranaé et
Cytheree, voyans linsolence et la crierie non accoustumee
des Troyens, et aussi pource quilz pouuoient auoir veu les
feuz de Lacedemone, nestoient point fort à leur aise, ain-
Qois veilloient à leurs créneaux en grand crainte et doute :
et non sans cause.
Incontinent que les galees Troyennes furent ancrées en
ladite isle de Cytheree aux ports desdites villes, Paris se
feit mettre en terre, et la Royne Heleine aussi. Et com-
manda promptement quon tendist vn pauillon au myliea
dune belle prairie, estant au dessouz de la ville de Cranaé
non pas loing du bort de la mer. Et dedens iceluy pauillon
feit aussi dresser son lict de camp riche et somptueux à
merueilles. Lesquelles choses faites et ordonnées, il feit met-
tre à lencontre dudit pauillon grand nombre de gensdarmes
pour sa garde et seureté. Si se coucha auec la Royne
Heleine, nud à nud. Laquelle chose il feit tant pour pren-
dre possession du don et guerdon duquel la Déesse Venus
le remuneroit, et luy en rendre grâces, comme aussi pour
euiter le reproche, duquel Theseus Roy d'Athènes auoit esté
noté, quand elle fut recouuree de luy, sans y auoir touché,
comme dessus est dit. Or ne furent point presens audit
assemblement et conionction de Paris auec Heleine, Hyme-
neus le gracieux Dieu des noces, ne la bonne Déesse luno,
qui préside aux mariages légitimes : car elle estoit ennemie
de Paris, et totalement son aduersaire. Mais en leur lieu y
abordèrent les trois diaboliques et horribles Déesses, que
les poëtes appellent Furies. Cestadire Rages, Harpyies,
Chiennes ou Eumenides, filles dun fieuue infernal nommé
Acheron qui signifie perdition de ioye, et de la nuict téné-
breuse et obscure. La première sappelle Alecto, cestadire
non reposant. La seconde Thisiphone : qui vaut autant.
80 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
comme voix furieuse. Et la tierce est nommée Megera : qui
se peult interpréter noise ou discord. Ces trois vénérables
mignonnes, ces trois chiennes enragées, ministres denfer
et députées au seruice de Pluton à tout leurs cheueux
colubrins furent celles qui tindrent les flambeaux preiudi-
diciables et les malheureuses torches autour du lict des
deux adultères, Paris et Heleine : et assistèrent à leur
damnable embrassement. Et en lieu de doux rossignolz
amoureux et autres oyselets, les chatshuans et les cormo-
rans, qui sont oyseaux funèbres de mortelle signification et
de malencontre, y vlulerent hideusement en lieu de chanter
matines.
Aucuns acteurs, et mesmement Strabo au ix. liure de
sa Géographie, mettent que icelle ville de Cranaé, auprès
de laquelle fut faite ladite conuention de Paris auec
Heleine, changea son nom primitif, et de là en auant fut
appellee Helenium, en souuenance et commémoration du
notable ouurage qui auprès délie auoit esté perpétré. Et sur
ce passage ie ne suis point ignorant que, selon lopinion de
Pline et de Strabo, en ladite isle de Cytheree, qui parauant
sappelloit Porphyris, ny auoit quune ville du nom de lisle.
Et donne à entendre ledit Strabo que Cranaé est vne autre
petite isle du nombre de celles qui sappellent Sporades, et
est située à lendroit de la région d'Athènes. Et se concorde
à ce, quelle fut appellee Helenium, pource que Paris y cou-
cha premièrement auec Heleine. laques de Bergome, au
quatrième Hure du Supplément des chroniques, dit ainsi :
Hélène septima maris A egœi insula : solum nota Eelçna
Menelai régis vxoris stupris. Dares Phrygien en son his-
toire Troyenne met expressément que Heleine fut rauie au
dessouz de la ville appellee Helenium, en lisle de Cytheree.
Et ledit Strabo et Pline, disent quen ladite isle de Cythe-
SUfGULARITBZ DR TROYE. LIVRE II. M
ree, y auoit vne ville portant le nom de lisle mesmes, comme
desia est dit. Ainsi sensuiuroit, que pour lors y auoit deux
villes. Et cest la raison qui mha meu à le mettre ainsi.
Comment que soit, la difficulté est de petite estime.
Bocace aussi en allegantplusieurs raisons, dit que Heleina
au temps de son rauissemment voluntaire, pouuoit auoir
enuiron trente ans : auquel aage les nobles femmes et de bon
esprit rendent leur beauté plus spécieuse, en y adioustant
par art ce que la longueur du temps pourroit auoir diminué
de leur formosité naturelle. Et quant à ce on pourroit dire
ainsi, que les gens de ce temps là viuoient plus longue espace
quilz ne font à présent, et aussi que leurs corpulences
estoient plus grandes et plus vigoreuses que ne sont celles de
maintenant, comme nous auons dit plus amplement au pre-
mier Hure. Et par ainsi, les femmes nestoient point para-
uenture si tost ne si tempre (1) meures, quelles sont ores :
et duroit plus longuement la fleur de leur speciosité. Et
pour auoir aucune coniecture que dame Heleine fust de plus
grande stature que les femmes de maintenant, il me souuient
auoir ouy dire à Blanchart le noble, natif de Chalon sur
Saône, homme de grand mémoire et expérience : (car il auoit
seruy le grand Turc Mahumeth Othuman, de maistre fon-
deur dartillerie, et depuis les Vénitiens, et maintenant est
orfeure de la tresclere Princesse à laquelle ceste œuure est
intitulée) mais il me contoit, quen vne des isles de l'Archi-
pel, nommée Lediles, (2) il auoit veu autresfois vn colosse ou
simulacre de ladite Heleine, comme disoient ceux du pais :
et estoit icelle statue de marbre blanc, taillé par grand
artifice après le vif, plantée en terre iusques au nombril.
(1) c.-à-d. de boane heure. Cf. le liègeoia tenprou = précoce.
(2) Délos, auj. JHH, Sedili.
II. 6
82 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Et selon son estimation, pouuoit bien auoir la hauteur de
cinq femmes modernes. Mais elle estoit sans teste : car vn
Geneuois la luy auoit ostee, pour la donner au seigneur Vir-
gile Oursin Romain, trescurieux de telles antiquitez. Dit
oultreplus vn grand homme appelle Nicolas Perot, (1) iadis
euesque de Siponte, au sixième liure de son volume appelle
Cornucopie : Que après que les deux amans se furent leuez
de leur esbat vénérien, la belle Heleine se meit à plourer
amèrement, tellement que les ruisseaux de ses larmes tora-
boient en grande abondance aual sa clere face, et arrosoient
la terre alenuiron. La cause de son pleur venoit ou pour
iuste douleur et remors de conscience de son crime détes-
table de sa chasteté brisée, et dissolution de son mariage
légitime, ou peult estre par feintise féminine : ou autre-
ment pour la signification que le cœur luy apportoit des
grans maux qui à ceste cause estoient à aduenir. Or, de
quelque cause ou mouuement que ce fust quelle plouroit,
sans nulle faute elle auoit assez matière de ce faire. Et
afferme iceluy acteur mesmes que de sesdites larmes, qui
tombèrent en terre, nasquit illec vne herbe bassette, quigi-
neas, qui ne seslieue de terre, (2) et ha les fueilles semblables
à polieul ou serpolet, icelle herbe est appellee Helenium,
pource quelle fut procréée des larmes de la belle Heleine.
Et ha telle vertu et propriété, quelle peult esclarcir le teint
du visage des femmes, et conseruer en beauté le cuir (3) de
leur face, et de tout le demeurant de leur corps, sans pus-
tules, sans macules et sans rides. Et ha aussi la puissance
de prouoquer le courage des hommes à amour, et de ren-
(1) N. Perotti (1430 — 1480). Cornucopia, sive commentaria Un-
gua latinee (Venise, 1489 in fol.).
(2) qui guieres ne seslieve (mscr. de Genève).
(3) c.-à-d. la peau.
SIWr.TLARITEZ DE TROTB. LIVRK H. 85
dre la personne ioyeuse, et agréable, quand elle est beùe
auec du vin. Aucuns lappellent omnimorbia, pource quelle
est propice à plusieurs maladies. le suis dopinion que
Ihomme seroit bienheureux au temps présent qui sauroit
congnoitre ceste herbe pleine de si grands vertoz : et en
feroit grandement son prouflt enuers les dames.
Apres donques ces choses faites, selon ce que ie puis
cueillir et coniecturer par les dits des bons acteurs, les deux
villes estans en ladite isle de Cytheree, cestasauoir Cytheree
et Cranaé, autrement dite Helenium, furent pillées par les
Troyens, Et aussi despouillé par sacrilège le temple de
Venus pour le guerdon du bien quelle auoit fait à Paris,
en luy donnant Heleine. Et pareillement le temple de Diane
et d'Apollo estant illec sur le riuage de la mer, près de la
cité d'Helenium. Et plusieurs prisonniers emmenez, comme
met expressément Dares Phrygien, nonobstant que ceux de
ladite isle feissent la meilleure defifense quilz peurent. Mais
contre le grand nombre des gens de Paris, impossible leur
fut de résister. Icy ha diuersité entre noz acteurs : Car
Dictys de Crète, Ouide, et plusieurs autres mettent le
rauissement d'Heleine, auoir esté perpétré en la cité de
Lacederaone, ainsi et par la manière que cy dessus lauons
descrit. Mais Dares de Phrygie tout seul ne fait point men-
tion de Lacedemone, ains dit quelle fust prinse audit tem-
ple de Diane et d'Apollo en ladite isle de Cytheree, auquel
temple elle estoit venue pour voir Paris, souz ombre de
faire sacrifice en iceluy. Quoy que soit, tout renient à vne
conclusion. Mais tousiours ie marreste à la plus saine
partie.
Tous lesquelz beâUX vaisselagôs ôt magniâques emprises
menées à chef, le beau Paris commanda leuer les ancres, et
faire voile légèrement, combien que le vent ne fust gueres
84 ILLVSTnATIONS DE GAVLE, ET
propice. Mais ce nestoit pas chose seure de se tenir plus
longuement en terre ennemie, laquelle ilz auoient si énor-
mément dommagee. Adonques les mariniers deuenuz tous
riches de mauuais acquest, se ietterent diligemment hors
des ports, guinderent leurs trefz, singlerent du vent à la
bolingue (1) à grand ioye et triomphe, et exclamations nau-
tiques, et dressèrent les timons de leurs nauires, pour tirer
en Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie ou Nato-
lie, emmenans auec eux la malheureuse proye qui si cher
leur coustera. Les poures Lacedemoniens, et ceux de lisle
de Cytheree, qui les voyoient desloger, conuoyoient leurs
voiles non pas auec bonnes prières, mais auec malédictions
exécrables, pour le grand dommage quilz auoient souffert.
Plusieurs des plus dolens, mesmement les seruiteurs de la
Royne Heleine, armèrent aucuns petis nauires et brigantins
légers, et se meirent en mer de 1 autre costé, pour aller en
lisle de Crète, faire sauoir le meschef et grand mesauenture
à leur Roy Menelaus qui y estoit. Aussi Dares de Phrygie
met que Castor et Pollux, frères d'Heleine, après ce quilz
furent aduertis du rauissement de leur sœur, se meirent à
la poursuite en grand haste, pour la recouurer : mais leurs
nauires effondrèrent et furent foudroyées, auprès de lisle de
Lesbos, quon dit maintenant Methelin, par force de tempeste
et tourmente : et eux y furent tous péris et noyez. Combien
quil y ayt autres opinions de leur mort, comme nous auons
touché cy deuant. Et dautre part les Troyens, au moyen
de la contrariété des vents, furent transportez en la Costa
d'Afrique et de Barbarie, tout au rebours de leur inten-
tion. Mais nous les laisserons errer par la marine vue
espace de temps, et retournerons vn petit à Troye. Car
assez à temps les viendrons nous retrouuer là où ilz seront.
(t) c.à-d. aller à la bouline, avec uu vent de biais.
SmCVLARlTEZ DE TROYit. LIVRK II.
CHAPITRE IX.
•
Narration d« la mort fortuite des deux baatards de Priam, et de U
Nymphe Esperie, et du dueil de Priam et des siens, mesmement da
la Nymphe Oenone, tant à ceste cause, comme pour le long seioor
de Paris. Et des deuisen et vaticinations de Cassandra. Ensemble
recitation daucunes fables. Et aussi de loccupation vertueuse da
ladite Nymphe Oenone, et de la beniuolence que Priam et les siena
auoientà elle.
Endementiers que le beau Paris Alexandre vaquoit à
son emprise vénérienne, le gentil Esacus lun de ses frères
bastards, et des plus ieunes, lequel le Roy Priam auoit
engendré en la Nymphe Alixothoë fille de Dymas, comme
est dit au premier liure, alla mourir au grand desplaisir
du Roy Priam et de tous ceux de Troye. Et la cause de sa
mort fut telle : ledit Esacus frequentoit voulentiers la
contrée de Cebrine, dont son frère le trespreux Hector
estoit seigneur. Et se trouuoit souuent autour de la valee
de Mesaulon et les montaignes Idées, pource quil aymoit
souuerainement les champs et la chasse, et nauoit cure de
la cité. Or alla il tant et vint en ce quartier, quil fut
espris de lamour dune belle Nymphe dicelle région de
Cebrine, laquelle auoit nom Esperie, (1) et fut iadis des com-
paignes et familières de la Nymphe Pegasis Oenone. Par
trait de temps le noble enfant Esacus, luy requit tresin-
(1) Bptrie (msor. de Genève et ëd. 1516 et 1528).
86 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
stamment auoir la iouyssance de son amour. Mais elle qui
estoit sage et prudente pucelle, et aymoit sa virginité, sen
excusa du tout, et ny voulut aucunement entendre. Et ce
voyant Esacus, à qui le désir amoureux estoit redoublé au
moyen du dit refuz, espia la belle maint iour et mainte
nuytee : et tant trauailla par curieuse diligence, que fîna-
blement il la surprint vn iour quelle seichoit ses beaux
cheueux aureins au Soleil, auprès dune clere fontaine et
loing de gens, dont il fut tresioyeux, que plus ne pouuoit,
cuidant estre venu à chef de son emprise. Mais trop sen
faillit : car des que la noble Nymphe lapperceut, elle fut si
troublée de la grand peur quelle eut, quelle print incontinent
sa course, au long dune belle prairie, sans autrement adou-
ber ses belles tresses qui flottoient autour de ses espaules. Et
tout ainsi comme laloëtte ramage (1) estant emmy la cham- .
paigne loing des buissons, ha dauenture entreueu ou cuidé
entreuoir, lombre de lespreuier son mortel ennemy, volant
en lair : ainsi fuyoit la gente pucelle toute esperdue et des-
cheuelee, et le gentil Esacus après. Mais crainte virginale
augmentoit puissance de courir à la Nymphe. Et dautre
part lappetit de lamoureuse proye administrât vélocité au
ieune amant. Or aduint il de grand malheur, que la belle
en courant, marcha de son pied nud et tendre sur la queiie
dun aspic venimeux et mortel, musse entremy Iherbe :
lequel la piqua dune dent, au bout de larteil du pied, tel-
lement quil y laissa le venin mortifère dont la pudique vir-
gine alla promptement mourir sur le champ par loutra-
geuse violence du venin. Alors veissiez le plus dolent des
amoureux, tant troublé, tant desconfit, et tant aggressé du
dueil, que difficile chose seroit à le raconter. Si commença
(1) c.-à d. sauvage.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRB n. 87
à detraire ses beaux cheueux, tordre ses poings, et batre
sa poitrine, comme vn homme désespéré, voyant quil estoit
cause du mortel inconuenient de sa dame. Et après plu-
sieurs pitoyables regretz et lamentations indicibles il sen
alla comme forcenant au plus haut sommet dun rocher pen>
dant sur la mer Hellesponte, et dillec se précipita es vndes
marines, et se noya. Ouide en son xi. liure de Métamor-
phose, recitant ceste histoire, dit que Tethys la grand
Déesse de la mer, de pitié quelle eut de lenfant Royal, le
receut entre ses bras, et le mua en vn plongeon. Laquelle
fiction ne tend à autre signifiance, sinon que ceux qui se
noyent, ressemblent aux plongeons : car auant quilz soient
du tout esteints, on les voit remonter deux ou trois fois sur
leaue.
Quand ceste douloureuse auenture paruint à la notice du
Roy Priam, il en mena un merueilleux dueil, pource que
sur tous les bastards, celuy estoit son plus cher tenu : et
comme tesmoigne Ouide audit xi. liure de Métamorphose :
Il auoit apparence destre vaillant, comme vn second Hec-
tor, sil eust peu viure son cours naturel. Mesmes iceluy
noble Prince Hector, pour les mérites des vertus quil auoit
congnues au defunct le regrettoit beaucoup : si faisoient
ses autres frères tant légitimes que bastards, et ses sœurs
bastardes. La Royne Hecuba et ses filles aussi le plouroient
parfondement. Mais entre les autres, la Nymphe Pegasis
Oenone, et le bastard Cebrion de Cebrine en demenoient le
plus aspre dueil, tant pour lamour du feu noble Esacus,
leur frère, qui en son viuant leur auoit fait maint seruice,
comme pour lamour de la Nymphe Esperie, en son temps
compaigne et amie cordiale de ladite Oenone, et aussi sa
prochaine voisine. Or après longue deploration, la pompe
funerale fut faite, tant de lun comme de lautre. Si honnora
88 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
le bon Roy Priam iceux deux corps par ensemble, de sé-
pulture magnifique, attendu que lun auoit causé deffinement
à lautre. Mais après que tous eurent cessé leur dueil, le
bon Roy Priam ne se sauoit appaiser : car point nauoit
encores accoustumé fors toutes choses prospères et agréa-
bles.
Et pource quun malheur ne vient iamais seul, il ne
tarda gueres que après la mort du bastard Esacus, que
plusieurs varletz et païsans apportèrent à Troye en vne
bière le corps dun autre sien filz bastard, nommé Teucer,
lequel il auoit eu de la Nymphe Anthiodone. (1) Et auoit esté
occis en la forest de Bebryce, par vn grand et merueilleux
ours, comme met Bocace, au vi. liure de la Généalogie
des Dieux. Si renouuella le dueil du Roy Priam, plus
aspre que deuant, car cestoit certain présage de ses infor-
tunes aduenir. Et après quil eut fait faire ses obsèques
funerales, il entra dautre part en grand doute de ses deux
enfans légitimes Paris et Déiphobus, et de larmee quil
auoit enuoyee en Grèce, pource que point nen auoit de
nouuelles. Et pour ces raisons sa noble chère estoit toute
obnubilée de contristation occulte, et à bon droit : car
naturel instinct lenhortoit à ce faire, pour le grand mal
qui luy estoit prochain, à loccasion duquel, son dueil sera
souuent renouuellé, par morts quotidiennes, et occisions
fréquentes de ses nobles enfans.
Aussi la gracieuse Nymphe Pegasis Oenone estoit toute
pensiue et melencolieuse, pour la si longue absence de son
mary, qui plus ne luy est rien, mais encore ne le scait elle
point. Et souuent faisoit enquérir par ses gens, des mar-
chans ou estrangers, venans deçà la mer, silz en sauoient
(l) Ântidone {éd. 1516 et lbZ8).
SIKGVLARITBZ DE TROTK. LIVHE U. W
aucunes nouuelles, mais nulle nen ponuoit apprendre. Si
montoit aux hautes tours et dongeons du palais, et y menoit
ses belles sœurs Cassandre et Polyxene, et les antres, pour
voir si dauenture elles verroient blanchir nulles voiles sur
la marine. Et quand aucunesfois ses yeux deceuz par grand
affection voyoient ou cuidoyent voir aucunes nauires na-
geans au vent, alors elle muoit couleur et tressailloit toute
de ioye, et sesiouyssoit en vaine espérance. Et puis quand
elle se trouuoit deceiie de son cuider, elle palissoit tout
acoup, et arrosoit sa clere face de larmes : car elle qui
auoit assemblé et vny toutes les affections de son cœur en
lamour et bienueillance de son seigneur et mary Paris
Alexandre, ne songeoit autre chose fors son retour et sa
santé prospère, tellement quen ses gestes, en sa contenance,
en son parler et en sa chère, on pouuoit aisément lire la
haute sublimité damours qui tenoit siège et habitacle au
clos de son noble cœur.
Lesquelles choses voyant et congnoissant la noble pucelle
Cassandra, il luy en prenoit grand pitié. Car elle sauoit
par esprit de prophétie, le rauissement d'Heleine, laliena-
tion du courage de Paris, et le prochain diuorse et sépa-
ration de luy et de ladite Nymphe. Si luy disoit, ainsi
comme rauie en ecstase par mois couuers et pleins dambi-
guité : « Ha ! noble Nymphe Oenone ma chère sœur, que fais
tu lasse ! mamie, que fais tu, tu laboures en vain, tu te tra-
uailles pour néant de fonder ta si grand amour sur mon
frère Paris. Il vient vne génisse Grecque, vue mauuaise
beste cornue, qui mengera ton fruit et ta pasture, et
mènera à perdition ce Royaume et ceste maison. 0 Dieux
tous puissans, gardez que si grand esclandre naduienne,
preseruez nous de tel inconuenient. » Quand la sage Cassan-
dra pronongoit ces paroles obscures et prophétiques, la
00 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Nymphe Oenone trembloit toute de peur, et luy dressoient
les cheueux en la teste, ignoramment toutesuoyes : car elle
nentendoit point leur signifiance, neantmoins le cœur ne
luy en apportoit nulle bonne interprétation. Adonques Cas-
sandra luy disoit derechef : « Ma sœur, mamie Oenone, tu
nadioustes point de foy à mes paroles, non plus que les
autres ne font, ie le scay bien : car mon malheur est tel.
Si te vueil bien conter la raison pourquoy il maduint, que
à mes vaticinations et deuinemens, nully ne veult croire. Il
est vray, mamie, que iadis le Dieu Phebus Apollo, lequel te
donna puissance sur toutes herbes et racines, édifia les
murs de ceste cité, auecques le Dieu Neptune : et pour ce
faire, se meirent tous deux en semblance humaine. Et tant
y seiournerent, que le Dieu Apollo senamoura de moy, ou
aumoins il en feit le semblant. Si me requist damours fort
ieunette que iestoye : mais quelque ieune que ie fusse, si
nestois ie point simple ne nice. Ains estant informée de sa
grand puissance, ie luy dis, par cautele, que ie my consen-
toye, moyennant que premièrement et auant toute œuure,
il mottroyast vn don, tel que ie luy demanderois : de laquelle
chose il fut de léger content. Si len feis auant iurer sur Styx
la grand palu d'Enfer, laquelle les Dieux supérieurs nosent
aucunement pariurer. Pource que sa fille Victoire, obtint
d'eux ce perpétuel priuilege, quand elle les ayda alencontre
des merueilleux Geans, qui iadis vouloient escheller le
ciel, et ietter les Dieux hors de leurs propres maisons. Que
te ferois ie long conte ? le Dieu Apollo iura voulentiers. Et
quand ie veis quil eut fait le serment irreuocable, ie fus
lors acertenee de mon cas. Si luy demanday promptement
quil me donnast la science de vaticiner, cestadire de deui-
ner, sauoir et prophétiser toutes choses passées, présentes
et aduenir. Laquelle chose il me conferma facilement,
SniGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE n. 91
pource quil est Dieu de vaticination aussi bien quil est de
médecine, parquoy ie fus incontinent sage deuineresse. Ce
fait, il me demanda aussi le guerdon damours que promis
luy auoye, comme il disoit. Mais ie luy deniay et refusay
pleinement, comme faire deuoye : car il ne queroit que la
despouille de mon pucelage et vii^nité, que iamais neofse
enfrainte pour chose quil meust sceu faire ne donner. De ce
refus, fut si troublé et marry le Dieu Apollo, et le print si
mal en gré, que plus ne pouuoit. Et voyant quil nauoit
puissance de me toUir ce quune fois mauoit ottroyé par
serment, il me dit dune chère despiteuse et iree, en ceste
manière : « 0 pucelle trop fine et trop subtile à deceuoir les
Dieux : tu auras bien peu fait de conquest en lottroy non
desserui. Car à fin que les autres apprennent à non se mo-
quer des supérieurs, ie détermine dicy et desia, que iamais
nul iour de ta vie tes deuinemens et prophéties ne pourront
obtenir lieu ne credence enuers les hommes mortelz, ains
seront tousiours par iceux estimées vaines et friuoles. Et
après auoir ce dit, il se départit. Mais sa destinée, (l) ma
douce sœur et amie, ha tousiours depuis ensuiuy son effect,
et encores fait iournellement, au grand preiudice et dom-
mage de Troye. Par ainsi tu as ouy loccasion de ce mal-
heur. »
La belle Nymphe Pegasis Oenone, si perplexe et si dou-
teuse, que plus ne pouuoit, nentendoit encores rien au lan-
gage obscur de sa belle sœur la sage Cassandra. Et celle
aussi ne luy en vouloit rien declairer plus auant, mais
changeoit autre propos, et tournoit tout à ieu et à bourde.
Si se prenoient toutes ces nobles Princesses ensemble à se
déduire et sou lasser en aucun passetemps. Et toute Ihuma-
(1) c.>à-d. son arrôt.
92 ILLVSTRATIONS BE GAVLE, ET
nité et coniouyssement dont on se pourroit aduiser elles et
leurs frères les nobles enfans de Priam, faisoient à ladite
Nymphe, en labsence de son seigneur et mary Paris Alex-
andre, esmuz à ce pour la douceur, sens et beauté quilz trou-
uoient en elle. Et elle aussi leur rendoit mutuel obseque, (1)
et causoit tant à eux, comme aussi au Roy et à la Royne,
beaucoup de plaisir et de volupté, par les effectz de sa
noble science medecinale, et congnoissance intrinsèque de
toutes herbes, plantes, racines, fruits, semences, fleurs,
pierres précieuses, gemmes, et espèces de mines métalli-
ques, et de leurs efficaces et vertus. Au moyen dequoy,
elle composoit plusieurs précieux vnguens de merueilleuse
odeur : Nobles baumes artificielz de grand véhémence et
opération : Conserues de toutes manières de choses aroma-
tiques : Antidotes de louable efficace, contre tous venins
et poisons : Nobles antraits (2) de grand remède et value :
Pouldres cordiales bien mixtionnees : Eaues distillées en
lalembic de souefue senteur et grand vertu : Quintes essen-
ces de grand artifice, et mille autres gentillesses et choses
salutaires, esquelles elle soccupoit en passant son ennuy,
et en faisoit grand seruice à ses amis, dont elle estoit prisée
et cher tenue dunchacun. Mais délie nous laisserons le
conte, pour le présent, et retournerons en Crète, où le Roy
Menelaus est. En quoy faisant, ensuiuray pour la plus part,
mon acteur Dictys de Crète en son premier liure.
(1) obséquieux, excessif en complaisance. V. plus haut ohscqy,e
funeralle = service funèbre.
(2) c.-à-dire astringents. Cf. intractus, et flam. intrekken, resser-
rer. Ce mot signifie aussi onguents. Le manuscrit de Genève porte :
entraitt.
SINGVLARITEZ DE TROYE. UVBB U. 98
CHAPITRE X.
Explication da partage fait par le Roy M«nelaas aaec ses coasios tes
Roys de lisle de Candie, et autres, toochant les trésors et sacces-
sioDS de son oncle maternel Atreus descendu de Minos. Et com-
ment luj estant illec, nouuellea luy vindrent du l'auissement de m
femme Heleine. De soa retour en Lacedemone ; et de lambasaad*
enuoyee à Troye.
Or met iceluy tresancien acteur Dictys de Crète, que le
Roy Menelaus de Lacedemone, qui fut filz de Plisthenes
et d'Europa fille d' Atreus, qui fut de Minos, qui fut de lupi-
ter, troisième de ce nom Roy de Crète (comme desia est
dit icy deuant) fut le bien venu en ladite isle de Crète, quon
appelle maintenant Candie : Car ses beaux cousins Roys
de ladite isle, cestasauoir Idomeneus filz de Deucalion, et
Merion filz de Molus, tous deux neueux du Roy Minos, le
receurent en grand gloire et triomphe. Aussi sy trouua le
noble Palamedes filz du Roy Nauplius de lisle de Nigre-
pont, et de la Royne Clymena. Laquelle Clymena comme
ie puis coniecturer, estoit sœur dudit Atreus de Crète, et
sœur d'Europa mère de Menelaus. Autres aussi dudit
lignage sy trouuerent qui ne sont point à propos. Mais le
Roy Agamemnon de Mycenes, frère aisné de Menelaus, et
leur sœur Anaxibea femme du Roy Nestor de Pylon ne sy
trouuerent point : pource quilz furent occupez en autres
leurs afiaires, ains mandèrent à leur frère Menelaus quilz
se ôoyent du tout en luy du partage de la succession à eux
94 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
laissée par feu ledit Roy Atreus de Crète, leur ayeul mater-
nel : et que ce quil en feroit haut et bas, seroit ratifié par
eux. Ainsi procéda ledit Menelaus auec les autres à la diui-
sion et partage que dessus. Et en ensuiuant lordonnance
testamentaire dudit feu Roy Atreus, le Royaume de Crète,
citez, terres, . yiHes, chasteaux, et seigneuries dependans
diceluy, demeurèrent à ceux qui estoient descenduz de leur
grand ayeul le Roy Minos en lignée masculine : cestasa-
uoir lesdits Idomeneus et Merion, qui depuis vindrent au
siège de Troye. Et les meubles, cestasauoir or et argent en
œuure et en masse, et bestial, dont il y auoit grand multi-
tude (car cestoit la plus grand richesse des Princes anciens)
furent distribuez également aux enfans des filles dudit
Atreus filz de Minos : car il y eut vn autre Atreus filz de
Pelops, et oncle dudit Menelaus, comme dessus est dit. Di-
celuy partage et distribution chacun se tint pour content et
bien apenné : (1) cestasauoir le Roy Menelaus, tant au nom
de son frère Agamemnon, et de sa sœur Anaxibea, comme
pour luy mesmes : Palamedes aussi de son costé, et les
autres du leur. Et ce fait, ilz se adonnèrent à faire toute
bonne chère, car les barons et seigneurs de ladite isle sef-
forcerent de faire grans banquets et autres esbatemens, ius-
ques à ce que les nouuelles de la désolation de Lacedemone
et de Cytheree et du rauissement d'Heleine vindrent à la
notice du Roy Menelaus.
Quand donques ce tresdolent bruit fut espars parmy
ladite isle, et que tous les iours suruenoient gens de Lace-
demone et de Cytheree, qui faisoient foy et rapport plus
que certain du grand maléfice perpétré par Paris de Troye,
(1) c.-â-d. biôû partagé, pourvu. Cf. Ducange apaMre, et souste-
nance (apanamentum).
SINGTLARITEZ DE TROTE. UVRB II. W
la feste et bonne chère cessèrent soudainement, entre let-
dits Princes estans en Crète, et fut vnchacun troublé oul-
tremesure. Mais dessus tous les autres le Roy Menelaus en
menoit le plus grand dueil : car il luy touchoit de plus près.
Et combien que la perte de ses trésors et richesses innome»
râbles, et le rauissement de sa femme Heleine lay fust bien
grieue chose à supporter, toutesuoyes estoit il encore plus
desplaisant, de liniure faite aux deux damoiselles, Ëthra et
Clymena ses parentes : comme met expressément nostre
acteur Dictys de Crète, lequel estoit natif de ladite isie
mesmes, et pouuoit estre présent à toutes ces choses. Mais
iceluy Menelaus ignoroit quelles eussent esté messagères
secrètes, ou pour mieux dire, maquerelles de leur dame.
Alors quand le noble Prince Palamedes, de Nigrepont,
apperceut son cousin le Roy Menelaus à force de grand ire
et indignation qui le surmontoit, estre tout esbahi et par-
fondement estonné, sans sauoir donner ordre à son propre
affaire, il aduisa promptement de faire equipper les nauires
siennes et celles dudit Roy Menelaus. Puis Palamedes vint
audit Roy son cousin, et le consola en peu de paroles, au
mieux quil peut : en allegant tout ce qui fait à alléguer
en tel cas : et le feit monter en vne de ses galees. Et quand
ilz furent tous montez et embarquez, il se meirent en
mer, et eurent temps à souhait, si arriuerent en peu de
temps en la cité de Lacedemone, fort désolée et endom-
magée par les Troyens. Là où le Roy Agamemnon et le
Roy Nestor, et la plus part dautres Princes qui estoient
descenduz de la génération de Pelops, furent desia arriuez
incontinent quilz sceurent les nouuelles de la destrousse
que Paris y auoit commise.
Quand donques lesdits Princes sceurent la venue du Roy
Menelaus, ilz conuindrent très tous ensemble en son palais,
96 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pour prendre délibération sur laffaire, qui tant leur tou-
choit au cœur. Et combien que lenormitè du fait les inci-
tast de prime face par grand fureur et concitation, de com-
mettre plusieurs choses estranges sur matière de guerre, à
lencontre des Troyens leurs ennemis mortelz, neantmoins
par arrest meur et bien pondéré, en ladite commune assem-
blée ilz conclurent, que au nom gênerai dentre eux tous
parens, amis, alliez, et confederez ensemble, fust enuoyé
premièrement et auant toute œuure, vne ambassade au Roy
Priam, pour luy exposer les griefz, iniures et torsfaits à
eux inferez par son filz Paris, et le sommer de rendre la
Royne Heleine, Ethra et Clymena, parentes des Roys Aga-
memnon et Menelaus. En semblable traité ce qui auoit esté
rauy et emporté iniustement auec elles : et auec ce deman-
der haute satisfaction de liniure. Et pour ce faire et em-
prendre furent esluz trois grans personnages : cestasauoir
le dessusnommé Palamedes, Vlysses filz de Laërtes Roy des
isles d'Itaque et de Chanthelonie, (1) et pour le troisième
Menelaus. Lesquelz se meirent sur mer en grand diligence :
et prindrent le chemin pour tirer à Troye : et tant feirent
par leurs iournees, quen peu de temps ilz y paruindrent.
Eux arriuez à Troye, le Prince Palamedes de Nigrepont,
lequel estoit pour le temps dadonques beaucoup estimé tant
aux armes comme au conseil, se tira incontinent deuers le
Roy Priam : et en plein consistoire feit premièrement son
plaintif et querimonie de loutrage perpétré en Lacedemone
et en Cytheree par Paris Alexandre. Exposant comment il
auoit subuerty le droit coustumier de toutes gens, en com-
mettant opprobre si énorme et si exécrables es personnes
propres de la femme du Roy Menelaus son hoste, et de ses
(I) Chan/elonie (mscr. de Oenôve).
SINGVLARITEZ DE TROTE. UVM II. 97
parentes : et aussi en pillant ses villes et citez, et en occisant
ses subietz sans sommation de guerre preallable. Puis luj
spécifia quelles et quantes haynes et semences de guerre se
pourroient esmouuoir entre deux si grans règnes (1) et na-
tions, comme estoient les Grecz et les Troyens, pour loccasioflP
dudit forfait, en réduisant aussi à mémoire (2) les anciennes
discordes de leurs ancestres Ilion et Pelops, desquelz les
Royaumes et seigneuries firent tous destruits pour sembla-'
ble cause. Au dernier, il mettoit en auant dun costé ler*
diffîcultez de la guerre : et de lautre part, les biens et les
proufits que paix nourrit et ameine : disant que le Roy
Priam nauoit pas à ignorer, combien de mespris et indigna-
tion vn si grief oultrage pourroit esmouuoir entre tous ceux
du monde. Parquoy il sensuîuroit que ceux qui lauoient
perpétré seroient relenquiz et abandonnez dunchacun, et
en parfîn souffiriroient grieue punition de leur malice. Et
ainsi que Palamedes vouloit encore déduire plusieurs autres
choses, le Roy Priam luy entrerompit sa parole, et luy dit
en ceste manière :
« le te prie, Palamedes, que tu te passes vn peu plus légè-
rement (3) de produire ces langages si odieux, et que tu ten
déportes (4)aumoins iusques à la venue de mes enfans. Car il
me semble que cenest pas chose droituriere daccuser aucun
en son absence, attendu mesmement quil est possible que
les cas et crimes dont on charge celuy qui est absent puis-
sent estre aboliz, ou deflfenduz, par présence. Ces choses et
autres allega le Roy Priam, et commanda quon difierast la
discussion de ces quereles iusques au retour de son filz
(1) Cf. l'italien regno = royaume.
(2) c.-à-d. ramener, rappeler.
(3) c.-à-d. facilement.
(4) c.-A-d. tu fen abstiennes.
II. 7
96 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
Paris et des autres. Et la cause fut, pource quil voyoit bien
et congnoissoit que tous ceux de son conseil meuz par lorai-
son de Palamedes, tacitement et à chère baissée sembloient
sencliner de son costé, et estre malcontens de lœuure per-
pétrée par Paris, Car ledit Palamedes en exposant toutes
ces choses, par la faconde de son beau langage Grec, leur
auoit causé pitié et commisération du cas. Ainsi le conseil
fut délaissé pour ce iour. Et le Prince Antenor, homme de
grand magnificence, et selon lopinion de Dictjs de Crète
plus humain et mieux entendant raison que nul des autres,
présenta libéralement son hostel ausdits ambassadeurs, et
les y mena de leur grand vouloir.
Sur ce passage icj vient (1) à coniecturer comme la poure
Nymphe Pegasis Oenone après auoir ouy les tresdures et
tresdolentes nouuelles que les ambassadeurs de Grèce
auoient apportées pour elle, commença aprimes à clerement
entendre les obscures vaticinations et prophéties de sa belle
sœur Cassandra la prudente pucelle. Et aussi fait à présup-
poser que ladite Nymphe fut percée dun dard rigoureux
de dueil empoisonné de ialousie, et quelle feit mainte
piteuse lamentation, et ietta maint souspir véhément pour
ceste cause. Mais telles choses se peuuent mieux imaginer
que escrire. Pourquoy ie men déporte à présent, et men
vois chercher Paris et les nauires Troyennes, que nous
auons laissé sur mer, au partir de Cytheree, comme auez
dessus ouy, pour icelles ramener à Troye.
(1) c.-à-d. on peut supposer que...
8INGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE II.
CHAPITRE XI.
Des errears (1) de Paris, faits en mer depuis son partement de Cjthe*
ree : et comment par force de tempeste il an-iua en lisle de Cypre,
et dillec fat transporté en Syrie, laquelle est amplement desciite :
et pilla la cité de Sidone, et tua trajtreusemeQt le Roy dicelle son
hoste : et de la vengeance qui depuis en fat faite par ceux de
Rhodes.
Le sovvent allégué Dictys de Crète acteur tresautentique
nous recite, que le beau Paris Alexandre et ses complices,
emmenans leur malheureuse proye de Lacedemone et de
Cytheree, après ce quilz eurent fait voile de vent non pro-
pice comme dessus est dit, pource quilz nosoient plus demou-
rer en terre de leurs ennemis, et quilz se furent escartez en
mer, à force de tourmente et orage, ilz furent transportez
malgré leurs dents à dextre là où ilz vouloient aller à senes-
tre : car ilz tendoient de la mer de Larchipel entrer en la
mer Hellesponte : et ilz furent iettez sur la coste d'Afrique,
quon dit maintenant Barbarie de myiour. Et laissèrent à
gauche lisle de Candie, et lisle de Rhodes. Pline au xxxiii.
liure de Ihistoire Naturelle, met quen vne isle des Rhodiens,
nommée Lyndos, et au temple de Minerue, Heleine en pas-
sant donna et consacra vu calice ou hanap, dun métal
nommé en Latin electrum, lequel se fait des cinq pars dor,
et lune dargent. Et estoit ledit hanap de la grandeur de sa
(1) voyagei.
fOO ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mamelle. Dillec comme ie croy à force de tempeste, et pource
que leurs nauires estoient trop chargées de la despouille des
Lacedemoniens et de ceux de Cytheree, ilz perdirent beau-
coup de leurs appareilz, et furent les galees fort desbiffees (1).
Finablement la fortune des vents les transporta dedens la
mer de Carpathie et en la mer Pamphylienne, là où est le
gouffre de Sathalie près du riuage de Turquie. Tant quen
la parfin ilz se trouuerent à lendroit de lisle de Cypre : en
laquelle après que la mer fut appaisee, ilz prindrent port et
ancrèrent. Si estoit Roy de ladite isle pour lors, vn nommé
Cuneus, lequel depuis vint à layde des Grecz contre Priam.
Mais pour lors il laissa ancrer les Troyens paisiblement :
car il estoit ignorant des maux par eux perpétrez en Lacede-
mone et Cytheree. Et auec ce, souffrit quilz radoubassent
leurs nauires, et quilz en prinssent ou feissent faire dau-
tres, pour alléger les leurs. Lesquelles choses faites, iceux
Troyens se remirent en mer. Et derechef ou par fortune, ou
par la faute et ignorance de leurs pilots et mariniers, ou
parauenture tout à leur essient, ilz furent transportez en
la mer Syrienne droit deuant la cité de Sidone, (2) qui est
en Syrie. De laquelle, selon nostre manière accoustumee, il
faut vn peu descrire la situation particulière, combien que
généralement il en sera encores touché au dernier luire.
Selon ce quon peult cueillir par les dits de Strabo, au
XVI. liure de sa Géographie, Pline au cinquième liure delhis-
toire Naturelle, et Isidore (3) auxxiii. de ses Etymologies,
Syrie est lune des plus grands régions d'Asie la maieur, et
est conformée ainsi quil sensuit : deuers Orient, elle ha le
(1) Dans Jean Marot, on trouve « esgriiTées, usées et desbiffées ».
(2) Sydone (mscr. de Genève). C'est Sidon.
(3) Ysodore (mscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DE TEOYE. LIVBB II. f9i
grand fleuue Euphrates : deuers Occident, Egypte et la
mer Mediterrane : du costé de Mydi, la mer Arabique,
et de Septentrion, Arménie et Cappadoce. Elle se diuise
en quatre parties principales. La première sappelle Syrie
de Mésopotamie, située entre les fleuues Tigris et Euphra-
tes. Et là est la grand et ancienne cité nommée Ëdissa, (1)
autrement Rhages Medorum. La seconde est Celosyrie, en
laquelle est Antioche tresnoble cité : en laquelle saint
Pierre fut premier euesque. La tierce sappelle Syrie de
Phenice. Et la quarte Syrie de Damas, en laquelle est la
cité de Damas, tresrenommee pour la conuersion de saint
Paul. Et est assise au pied du mont Libanus, duquel ist le
tressacré fleuue Jourdain. Mais la première, deuxième et
quatrième, ne sont rien à nostre propos, fors seulement la
tierce. Cestasauoir la prouince de Phenice, laquelle est
ainsi nommée, de par Phénix filz du Roy Agenor, et frère
de Cadmus qui fonda Thebes en Beotie, (2) et de la belle
Europa. Lequel Phénix venant des grands Thebes d'Egypte,
constitua illec son habitation. Et fut premier inuenteur des
characteres et formes de lettres, lesquelles il escriuit de
couleur phénicienne ou vermeille. Iceluy Phénix fut père
de Belus deuxième de ce nom. Lequel engendra Dido
Roy ne de Carthage. Bocace met au second liure de la
Généalogie des Dieux, que les Phéniciens iadis prostitu-
oient et abandonnoient leurs filles, auant les marier, et du
gaing quelles auoient fait à ladite prostitution de leurs
corps on leur en faisoit leur douaire. Et en ce ensuiuoient
ilz ceux de lisle de Cypre : qui semblablement le faisoient :
car la Déesse Venus leur auoit estably eeste belle loy.
Toutes les citez principales de la prouince de Phenice
(1) Edyssa (mscr. de Genève). C'est Edesse.
(2) Boetie (macr. de Genève).
i02 ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
sont maritaines, (1) assises sur le riuage de la mer Mediter-
rane. Entre lesquelles sont Biblus tresancienne, et Baruth,
laquelle est fréquentée par les marchans Occidentaux ,
Vénitiens et autres qui y vont au temps présent charger
plusieurs marchandises venans d'Arabie. Aussi y est la cité
d'Acre, anciennement appellee Ptolemais, laquelle souloit
estre aux Chrestiens, et y habitoient marchans Vénitiens,
Geneuois, et Pisans : comme met Platina historien. Mais
au moyen des dissensions menées entre lesdits Vénitiens et
Geneuois, finablement elle ha esté tollue à la Chrestienté
par les Sarrasins de Syrie, dont cest grand dommage : car
elle estoit bien propice au recouurement de la terre sainte.
Et non pas loing d'Acre est la sainte et belle montaigne
appellee Carmelus, en laquelle habita iadis le bon prophète
Elisée ; et dicelle montaigne ha prins son nom lordre des
frères Carmélites : lesquelz le Roy saint Loys amena pre-
mièrement en France. Aussi y est le port de loppe, quon
appelle maintenant lafFa : là où on descend les pèlerins qui
veullent aller en Hierusalem. Et audit port de loppe Per-
seus filz de lupiter et de la belle Danae deliura la noble
Andromeda fille du Roy Cepheus d'Ethiope. Laquelle estoit
exposée à vne grande baleine et monstre marin qui la
deuoit deuorer : et y voit on encore lune des costes dudit
monstre, laquelle ha bien quarante piedz de longueur. Il y
ha aussi en ladite prouince autres citez, si comme Cesaree,
Capharnaum, et autres, dont la sainte escriture fait men-
tion, lesquelles ie passe souz silence : car elles ne sont
point au propos. Mais ce qui sert à nostre cas, est la région
de Tripolis, en ladite prouince de Phenice, laquelle est
toute assise sur la marine. Et est appellee Tripolis pource
quelle contient trois citez principales : cestasauoir Aradus,
(1) sont maintenant (éd. 1516).
SmOVLARITEZ DE THOTB. LITRE II. 108
Sidon, et Tyrus, comme met expressément Strabo en sa
Géographie. Et est ladite région Tripolitaine, située entre
la cité de Baruth, et la cité d'Acre dessus mentionnées.
Ladite cité de Tyrus fut de grande ancienneté, et en font
souuent mention les poètes et les historiens, pour la bonne
pourpre qui sy fait. Mesmes la sainte escriture en parle
souuent. Et la fonda le Roy Agenor, père de la belle
Europa, laquelle lupiter troisième de ce nom, Roy de
Crète, rauit sur le riuage de Tyrus où elle se iouoit auec
ses pucelles. Et pour ce faire se transforma en guise dun
taureau, selon les fables. Et engendra en elle Minos, Rha-
damanthus et Sarpedon. Et pour laraour dicelle, feit nom-
mer la tierce partie du monde de son nom, cest Europe, en
laquelle nous habitons. Et en ladite cité de Tyrus, et aussi
de Sidone régna iadis le dessusnommô Belus deuxième de
ce nom, père de la Royne Dido, autrement nommée Elisa.
Laquelle fonda la grand cité de Carthage en Afrique, où
elle receut Eneas Troyen, errant par la mer après la déso-
lation de Troye, comme met Virgile en ses Eneïdes. Et
souloit estre ladite cité de Tyrus en la puissance des Chres-
tiens, mais elle ha esté perdue par la dissension des Gene-
uois et Vénitiens, comme dessus est dit de la cité d'Acre. Et
au parauant y fut enterré lempereur Federic Barberousse,
comme nous dirons plus à plein au dernier liure.
Sidone, voisine de Tyrus, est située en beau plein (1) pais,
et en lieu fertile à merueilles, et souloit auoir deux bons
ports et haures. Si estoient les Sidoniens de tous temps
puissans gens à cause du nauigage, duquel ilz furent fort
dextres et expers. Et comme met Strabo, dune manière de
terre qui croit illec, ilz auoient grand industrie de sauoir
{\)plain (mscr. de Gânôve) , c.-&-d. en plaine.
404 ILLTSTRATIONS DE GAVJLE, ET
faire fort bel ouurage de voyrres crystallins, comme on fait
maintenant à Venise. Alexandre le grand en son temps
conquit Sidone par force. Aussi les Chrestiens la tollurent
aux Sarrasins de Syrie, du temps du Roy saint Loys de
France, comme met Piatina en la vie des Papes. Et cest ce
que ie saurois dire en brief de la description et situation
de la cité de Sidone : sinon que maintenant elle est des-
truite et déserte totalement, comme met Bernard de Bri-
dembach, doyen de Maience, en son voyage de Hierusalem.
Ainsi peult on congnoitre, quil ny ha rien de perpétuel
souz le ciel.
Pour reuenir donques à nostre propos principal : ladite
cité de Sidone flourissoit en grand triomphe et richesses du
temps de Troye. Et regnoit en icelle vn Roy duquel nostre
acteur Dictys de Crète ne met point le nom : lequel estoit
riche et puissant à merueilles. Et quand Paris Alexandre,
et Deïphobus et leurs compaignons furent amenez par for-
tune de vent ou autrement, comme dessus est dit, deuant
ladite cité de Sidone, ilz enuoyerent audit Roy de Sidone
aucuns personnages graues et honnestes par semblance, en
vne barquette, pour luy remonstrer, comment par force de
tempeste et lerreur de leurs mariniers, ilz auoient esté
transportez illec : et requérir quil luy pleust leur ottroyer
port et saufconduit en sa cité aucune brieue espace de
temps, à fin deux refreschir et rauitailler. Lesquelz person-
nages venuz en la cité de Sidone, et que ledit Roy eust
entendu par eux que cestoient deux des enfans et le gen-
dre du grand Roy Priara de Troye, il fut tresioyeux et
tresdesirant de leur faire honneur et plaisir, pour acquérir
leur accointance et beniuolence, ignorant lenorme cas per-
pétré par eux à Lacedemone et en lisle de Cytheree. (1) Si
(1) Citharée (mscr. de Genève).
SIIIGVLARITEZ DE TROTE. LIVBE II. (M6
commanda promptement ouurir le port de Sidone, et luy
mesmes les vint receuoir à grand feste et mélodie, dont il
sen repentira.
Quand les Troyens eurent ancré et furent descenduz en
terre, le bon Roy de Sidone print Paris, Deïphobus et
Ëneas, et les principaux des autres. Si les mena en son
palais, et leur feit aucuns iours la plus grand chère du
monde pendant quon rabilloit les nauires : et leur monstra
sa gloire et son triomphe, et desploya tous ses trésors. Des-
quelz Paris insatiablement conuoiteux, en adioustant crime
sur crime, conspira auec ses compaignons de les rauir et
emporter. Ce quil feit par effect, et tua de nuict par aguet
et trahison ledit Roy son hoste, lequel lauoit si humaine-
ment traité, et ne se donnoit garde aucunement de lexe-
crable peruersité diceux Troyens. Si conuertit le tresui-
cieux iouuenceau Paris tout le Palais du Roy des Sidoniens
en occision, tumulte et lamentation, comme il auoit desia
fiait en la cité de Lacedemone. Ainsi tout ce qui auoit esté
mis en auant, pour ostentation de la magnificence Royale,
fut iniquement pillé et rauy par mauuaistié desloyalle : et
commanda Paris, quon portast tout aux nauires. Mais
quand ceux de la cité de Sidone entendirent les plaints (1) et
les clameurs misérables des gens et seruiteurs de leur Roy,
qui dauenture estoient eschappez du palais, et auoient euadé
la mort, si crioient au meurtre, et plouroient misérable-
ment la mort de leur seigneur et Roy. Le peuple sesmut
alors tumultueusement, courant aux armes : et tous à vne
flotte (2) sencoururent vers le palais Royal. Mais Paris Alex-
andre, après auoir prins la meilleur proye quil eust peu
{l) plaintz {mncr. de Genève). Cî. planctui.
(2) c.-à-d. en foule.
4W ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
esleuer, sestoit desia retiré en ses nauires, et se hastoit de
faire voile pour partir. De laquelle chose aduertis les
citoyens de Sidone, laissèrent le palais, et furent prompts
de sadresser au port pour les en garder. (1) Si commença
entre les deux parties, dure et aigre escarmouche, et en mou-
rut beaucoup dun costé et dautre. Car les Sidoniens assail-
loient vertueusement leurs ennemis, pour venger la mort
iniuste et traytreuse de leur Roy. Et les Troyens se deffen-
doient obstinément, pour sauner eux mesmes, et de peur de
perdre le butin. Toutesuoyes deux de leurs nauires furent
bruslees, et les gens mors et noyez : mais le demouramt
ilz preseruerent par grand vaillance. Et finablement
eschapperent de Sidone i et se rebouterent en mer, après
que les Sidoniens qui nauoient point de chef, furent fort
lassez de la bataille.
le nignore pas sur ceste matière, ce que le père des his-
toriens Herodotus Halicarnasseus met au deuxième liure
de son histoire, touchant les erreurs de Paris, disant que
après le rauissement d'Haleine il vaucra (2) beaucoup par la
marine : et arriua à lune des bouques du fleuue du Nil :
là où regnoit pour lors vn sage Roy, nommé Proteus. Mais
pource que de ce poinct ha esté touché (3) au prologue de
ce liure, ie men déporte : et reuiens à mon acteur Dictys.
Lequel en son quatrième liure met que ledit robement et
déprédation de Sidone, et loccision du Roy, ne demeu-
rèrent pas impunis, mais sen ensuiuit vengeance sur telz
qui nen pouuoient mais, et neantmoins ilz le comparèrent (4)
comme il adulent souuent : et la manière fut telle.
(1) c.-à-d. empêcher.
(2) c.-àd. erra. Dans Froissant tvaticrer (angl. to walk).
(3) sera touché en la fin de ce livre (mscr. de Genève).
(4) c.-à-d. payèrent, expièrent.
SINGTLARITEZ DE TROTE. LITBE II. 107
Certain temps après pendant lemotion de la guerre
Troyenne, vn Duc de Syrie nommé Phala, par amour affi-
nitiue (1) ou alliance quil auoit auec le Prince Memnon âiz
de Tithonus et neueu de Priam, duquel nous parlerons
plus amplement au dernier liure, ou parauenture comme
souldoier et subiet de Tenthanes Roy des Assyriens, lequel
enuoya ledit Memnon au secours de Troye, menant grosse
armée d'Indiens et Persans par terre : et ledit Phala venoit
par mer. Si aborda par son malheur en lisle de Rhodes,
laquelle estoit du parti contraire : cestasauoir fauorisant
aux Grecz contre les Troyens : car leur Roy nommé Tle-
polemus estoit deuant Troye. Laquelle chose quand le Duc
Phala entendit, il fut bien honteux et bien desplaisant,
craingnant que si lesdits Rhodiens sauoient quil allast au
secours de Priam, quilz bruslassent ses nauires et le pil-
lassent. Et eust voulentiers fait voile pour sen aller promp-
tement hors de la terre ennemie : mais pource quil ne fai-
soit pas temps de nauiguer, il fut contraint de demourer
illec vne espace. Et à fin deuiter tous dangers, il deffendit
à ses gens quilz se gardassent estroitement de declairer aux
Rhodiens quilz alloient à Troye, ainçois dissimulassent
quelque autre chose quil leur meit en bouche. Mais pource
que cest chose difficile, de cohiber et introduire (2) vne si
grande multitude de gens, après que les Syriens se furent
iettez hors de leurs nauires, et espartis parmy deux villes
de lisle de Rhodes, pour auoir aucuns viures et autres
besongnes à eux nécessaires, les Rhodiens qui en auoient
suspicion véhémente , senquirent cauteleusement de la
vérité, tant quilz en furent à plein informez. Laquelle
(1) afflnite (mscr. de Genève).
^2) c.-à-d. retenir et engager. Cf. Introducere dans Ducange.
HfHè ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
sceue, iceux Rhodiens se tirèrent vers le Duc Phala, et en
la présence de tous ses gensdarmes, luy dirent et remons-
trerent comment ilz le trouueroient bien lasche et de nature
estrange et barbare, luy qui estoit grand seigneur entre les
nobles de Syrie, quand il alloit au secours de Priam. Veu
que nagueres Paris Alexandre, filz dudit Priam, auoit tué
le Roy de Sidone en Phenice, son voisin, et pillé tous les
trésors de son palais : pour laquelle chose il sembloit que
ledit Duc Phala voulsist porter (1) et deffendre vn si vilain
fait, contre ceux de son pais propre. Et allegoient en oultre
lesdits Rhodiens, beaucoup dautres raisons qui faisoient
pour eux, et pour esmouuoir le populaire contre ledit Duc.
Laquelle chose ne se passa point sans sortir son effect : Car
les Phéniciens et Sidoniens, dont il auoit plusieurs soul-
doiers et vassaux en larmee du Duc Phala, esmuz tant par
la querimonie des Rhodiens comme par couuoitise du pil-
lage, se mutinèrent ensemble, et tournèrent à leur bende
la plus part de larmee. Si coururent sur le demeurant de
larmee des Syriens, mesmes à leur Duc Phala et lassom-
merent de coups de pierre. Puis pillèrent tout lor et lar-
gent de leurs souldees, mesmes les richesses de leur Duc,
armures, vtensiles, et viures estans es nauires quilz auoient
amenez, et vendirent les vaisseaux aux Rhodiens : puis
distribuèrent le tout entre eux, par manière de butin, tant
quilz en furent tous riches : et se diuiserent en bendes par
les villes de lisle de Rhodes. Esquelles depuis ilz habi-
tèrent, par la licence des Rhodiens. Car ilz ne sen fussent
osez retourner en leur pais de Syrie. Et voila comment fut
vengé loutrage fait à Sidone de ce costé. Or faut il retour-
ner à nostre propos principal de Paris et de ses compai-
gnons.
(1) c.-à-d. par là il semblait vouloir sontenir (portaré).
8INGTLAU1TEZ DE TROYE. LIVRE II. 109
CHAPITRE XII.
Da retour de Paria ai Troye, auec Heleine : de la vaticiBation de
Catnandra, du dneil de la Nymphe Oeoone, et comment elle laîsra
Troye, et sen alla demeurer à Cebrine : de la réception d' Heleine :
et du mariage délie auec Paris. Et comment le peuple sesmut et
laboura à ce que Heleine fust restituée à son mary, et aux ambaa-»
aadeurs de Grèce. Et par quel moyen il y fut obuië, tant par Paris
et DelphoboB, comme par Hecuba et Heleine. Aoec recitation dn
danger duquel les ambassadeurs furent presernez par Antenor. Et
du partement diceux.
Apres la direption de Sidone, les Troyens nerrerent
plus par la marine, selon nostre acteur Dictys de Crète,
ains tindrent leur chemin tout droit vers Troye la grand,
sans plus diuertir (1) ne ça ne là : et tant exploitèrent, quilz
arriuerent en lisle de Tenedos, comme met Dares de Phry-
gie. Laquelle est vis à vis du port de Sigee, et à xnii. mille
pas de Troye, comme sera touché plus à plein au dernier
Hure. Et illec Paris consola la belle Heleine, laquelle estoit
triste et ennuyée du long nauigage, et feit sauoir sa venue
au Roy Priam son père, comme met le dessusdit Dares : de
laquelle le Roy fut tresioyeux, et feit faire grand appareil,
pour laller receuoir au port de Sigee. Si y vindrent la plus
part des enfans de Priam : qui amenèrent les dames pour
receuoir la belle Heleine, entre lesquelles la triste Nymphe
Oenone ne fut pas la dernière qui y alla. Non pour sem-
blable cause, ains sans plus, pour voir si le comble de sa
(1) c.-à-d. s'écarter.
tg^ ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
misère estoit correspondant à la renommée. Car assez nen
pouuoit estre acertenee, si elle mesmes ne lesprouuoit par
son regard. Et se meit sur vn haut tertre pour choisir (1)
de plus loing.
Gueres neurent illec seiourné ceux qui estoient venuz de
Troye, quand on commença de voir apparoir de loing les
voiles et la flotte de nauires de larmee de Paris. Si com-
mencèrent les vns de les monstrer aux autres. Adonc la
sage pucelle Cassandra, demy furieuse esmue par lesprit
de prophétie, se print à crier hautement que tous le peu-
rent ouyr :
Dam licet, obscœnam ponto demergite pappim.
Heu ! quantum Phrygii sanguinis illa vehit !
Cestadire : « 0 Troyens, tandis quil vous est loisible, bou-
tez au fonds de la mer la malheureuse (2) nef qui ameine tant
de sang et doccision Troyenne. » Mais des paroles et gestes
de Cassandra furent indignez aucuns de ses parens, et la fei-
rent remener à Troye par ses pucelles. Lors la douloureuse
Nymphe Oenone toute de sang meslee, (3) teinte de palleur
et descoulouree, ne sauoit sa contenance, ains tint ses yeux
immobilement fichez vers les nauires qui fort approchoient
ayant vent en pouppe. Et quand elles furent si près, que
lœil pouuoit choisir et discerner les personnages estans
dedens, la poure Nymphe Pegasis Oenone veit son seigneur
et mary de iadis Paris Alexandre séant au chasteau de
prore dedens sa riche galee. Et en son giron vne forme
féminine toute reflamboyant, tant de beauté naturelle
(1) c.-à-d. voir.
(2) c.-à-d. fatale.
(3) toute sang meslée (mscr. de Genève), c.-à-d. bouleversée.
SINGVLABITEZ DE TROTE. LIVRS II. lit
comme daccoustremens dor, de pourpre et de pierrerie
lesquelz luy auoient esté autresfois donnez par la Royne
Leda sa mère. Et estoient si précieux, que depuis Troye
destruite, Eneas qui les eust sauuez du feu, en feit un pré-
sent de grand speciosité à la Royne Dido de Carthage.
Comme met Virgile au premier des Ëneïdes, disant :
Munera prœterea IliacLs erepta ruinis ^
Ferre iubet, pallam signis auroque rigeutem,
Et circuntextum croceo velamen acantho,
Ornatus Argiuss Helense : quos illa Mycenis
Pergama cùm peteret, inconcessosque Hjmenseos,
Eztulerat : matris Ledœ mirabile donum.
Adonques la tresdesperee Nymphe frappée du dard
rigoureux de iuste douleur, nauree cruellement de la pointe
de chaste ialousie, et consternée par limpetuosité véhémente
damour coniugale, défaillant la vigueur de son noble cœur,
passionné dextreme angoisse, enclina le chef en terre,
comme fait vne belle violette sa couleur purpurine, quand
elle est abatue du fort vent Boreas : et se fust laissé cheoir
de sa hauteur si ses pucelles ne leussent retenue. Ainsi
demeura elle pamee et comme morte, sans monstrer signe
desprit vital. Et les nobles Princesses ses belles sœurs et
autres accoururent au dueil que ses damoiselles menoient.
Dont il leur print grand pitié, et sefforcerent assez de la
reuigorer et consoler : mais elles ne peurent par nulz
moyens. Alors commandèrent auxescuyers et gens de ladite
Nymphe, quilz la missent en vne littiere, et la remenassent
à Troye. Laquelle chose ilz feirent légèrement et remeirent
à chemin. Mais quand elle fut reuenue de pâmoison, elle
demanda à ses gens qui plouroient autour délie où elle
estoit, et que cestoit quilz faisoient. Et ilz luy respondi-
llftr ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
rent, que pource quelle sestoit trouuée mal disposée, quilz
la remenoient à Troye. « Non, dit elle, non mes amis,
gardez vous en bien, si vous ne voulez que ie meure. Mais
tournez les brides des cbeuaux, et adressez vostre chemin
tout droit en la cité de Cebrine, vers mes parens et amis :
car tant que ie viue, qui sera peu sil plaist aux Dieux, ie
nentreray dedens Troye, pourueu que (1) la nouuelle adul-
tère de monseigneur y soit. » Ainsi au commandement de
leur maistresse, les gentilz escuyers tous surfondus (2) de
dueil et damertune tournèrent le chemin vers la marche
Cebrinoise : et les pucelles en grand pleur suiuoient leur
maistresse. Laquelle commença à tordre ses belles mains par
grand destresse, tirer ses cheueux aureins, rompre les lacts
de deuant sa blanche poitrine, entamer regrets, redoubler
pleurs, plaindre inconsolablement, consumant sa voix en
piteuses exclamations, et disant vn piteux adieu à la noble
cité de Troye quelle laissoit à costiere. (3) Mais de celle nous
laisserons vn petit le conte, pour retourner au port de Sigee.
Grand fut le bruit de clairons et de cris à laborder au
port. Le gentil Troïlus et ses frères légitimes, Chaon, Poly-
tes et Antiphus auec plusieurs bastards bienuiengnerent
hautement leurs frères Paris et Deiphobus. La belle Creusa
fille légitime de Priam, baisa et embrassa son mary Eneas.
Archelaus et Iphidanas enfans d'Antenor, recueillirent leur
frère Glaucus : et Lycastes la gracieuse bastarde de Priam
festoya son mary Poly damas filz de Panthus. Mais la véné-
rable dame Theano, sœur de la Royne Hecuba, et femme
(1) c.-à-d. en cas que.
(2) c.-à-d. confondus, abattus. Rien de la signification technique
actuelle {surfusion).
(3) c.-à-d. laisser de cûté, abandonner.
SINGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE il. 113
d'Antenor, accompaignee de la belle pucelle Polyxene, et
de Medincasta bastarde, et autres nobles daraoiselles, se tira
vers la Royne Heieine, et luy feit grand honneur. Apres
les saluts donnez et rendus dun costé et dautre, et plusieurs
deuises entamées, les varletz furent prestz qui présentèrent
les riches montures aux seigneurs et aux dames. Et vn
escuier descuierie offrit vn beau pallefroy tout housse dor
et de pourpre à madame Heieine : et le Prince Troïlus luy
ayda à monter. Et consequemment Ethra et Clymena, et
autres ses daraoiselles furent seruies par les gentilzhommes
de Troye. Et quand tout fut à cheual, Princes, Princesses,
dames et damoiselles, nobles et non nobles iusques aux pri-
sonniers que Paris auoit amené de Lacedemone et Cytheree,
ilz se meirent à chemin vers la cité en grand triomphe et mé-
lodie. Et là furent receuz en toute plantureuse opulence par
le Roy Priam et les Princes et Barons Anchises, Antenor,
Panthus, Antimachus, Hector, et Helenus : pareillement
la Royne Hecuba et les dames. Cestasauoir Sicambria sœur
du Roy, Andromacha femme du Prince Hector, et plusieurs
autres recueillirent madame Heieine. Et après toutes bonnes
chères faites, qui seroit longue chose à raconter, Paris
conta au Roy son père tout son exploit : et luy feit osten-
sion des richesses innumerables quil auoit conquises : dont
Priam fut bien ioyeux, espérant que par ce moyen il recou-
vreroit sa sœur Hesionne et tous les interestz et dommages
que les Grecz auoient iadis faits à Troye, du temps du Roy
Laomedonson père. Si consola et feit toute bonne chère ice-
luy Roy Priam à la belle Heieine : et de fait, la donna
solennellement en mariage à son filz Paris, comme met
Dares de Phrygie.
Or tesmoigne nostre principal acteur Dictys de Crète,
que ces choses, pource quelles estoient de mauuais exemple
II. 8
114 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et de pire conséquence, ne plaisoient point aux citoyens et
populaire de la cité de Troye, ainçois en murmuroient bien
fort entre eux, disans les vns que ceste ckose ne tournoit
point à bonne signification : et les autres que loutrage fait
à Menelaus estoit grief et de tresdiuerse (1) apparence. Fina-
blement de main en main, comme tous communément le
reprouuassent, il sesmut tumulte et mutinement parmy le
peuple. Desquelles choses le Roy Priam perplex et douteux
conuoqua ses enfans, et leur demanda quelle chose il leur
sembloit estre à faire en ceste matière. Lesquelz tous dune
voix respondirent à leur seigneur et père, que Heleine ne
deuoit point estre rendue. Et la cause qui les esmouuoit à
ce dire estoit auarice : pource quilz voioyent quelles et quan-
tes richesses auoient esté ameneees auec elle, lesquelles ilz
eussent toutes perdues si Heleine eust esté rendue. Et oul-
tre plus, aucuns en y auoit qui furent esmuz et embrasez de
la beauté des femmes qui estoient venues auec Heleine.
Neantmoins Priam iceux délaissez assembla le grand conseil
des anciens Princes de Troye, ausquelz il manifesta lopinion
de ses enfans : et sur ce leur demanda la leur. Mais auant
que chacun eust peu opiner et dire sa raison à la manière
accoustumee, les enfans de Priam entrèrent soudainement
au conseil, et par paroles hautes et arrogantes menasse-
rent lesdits Princes anciens, de leur faire desplaisir silz
decretoient rien en arrest oultre (2) ce qui leur sembloit bon.
Et endementiers le peuple de Troye portant impatiem-
ment loutrage fait aux Grecz, maudissoit execrablement
ceux qui en auoient esté cause, et repugnoit de toute sa
puissance à la détention d'Heleine. Pour lesquelles causes,
Paris Alexandre esmu de chaleur et hastiueté iuuenile, et
(1) c.-à-d. cruelle. — (2) c.-à-d. contre.
SINGVLARITEZ DE TROTS. LIVRE II. filP
par vne grande ardeur de courage vénérien, de peur de
perdre sa détestable proye, et craingnant que sur ceste
matière le peuple ne machinast aucune chose à son détri-
ment, se tira celle part enuironné de plusieurs de ses fref*
res , armez et embastonnez : effondra impétueusement
dedens la multitude du populaire, et en tua beaucoup, et
eust fait encore plus, si le demourant neust esté sauué par
la suruenue du baron Antenor, et des autres nobles du
conseil qui se meirent entredeux. Ainsi le peuple moque,
batu, et tenu en vile estime, à son tresgrand preiudice sen
retourna chacun en sa chacune.
Le lendemain le Roy Priam, par lenhort de la Royne
Hecuba, se tira vers la belle Heleine : et la salua beni-
gnement, et lenhorta dauoir bon courage, et ne se soucier
de rien : luy demandant de son lignage et extraction.
Et elle luy conta toute sa généalogie des le commencement
iusques à la fin, qui seroit longue à raconter. Concluant,
que à cause de lupiter, dont Priam et elle prenoient ori-
gine, elle se trouuoit plus prochaine du sang du Roy Priam,
et aussi de la Royne Hecuba, que de Plisthenes père de
Menelaus. Or cestoit la manière dadonques, que ceux dun
lignage sentreallioient plus voulentiers par mariage que
dautre génération, comme il appert par aucunes histoires de
lancien Testament. Si prioit la belle Heleine au Roy Pmm
en plourant tendrement, que puis quelle auoit esté receue
vne fois en sa foy et en sa sauuegarde, quil ne la voulsist
point trahir ne liurer aux Grecz. Affermant que de la mai-
son de Menelaus, elle nauoit rien apporté, ainçois estoient
siens proprement iceux loyaux et bagues quelle auoit. Tou-
tesuoyes, il est incertain comme met lacteur, si ces choses
elle disoit pour la grand amour quelle auoit à Paris Alex-
andre, ou pour la crainte de souffrir quelque peine et
imSi ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mauuais traitement, si elle estoit rendue à son mary Mene-
laus, à cause de la faute quelle luy auoit faite.
Ces choses nonobstant, le populaire laboura tant enuers
le Roy Priam et tous ses enfans, excepté Deïphobus, que la
délibération estoit prinse et arrestee de rendre Heleine à
son mary Menelaus Roy de Lacedemone, et despescher les
autres ambassadeurs de Grèce, sans plus délayer oultre (1) le
gré dudit peuple. Et met nostredit acteur Dictys de Crète,
que Deïphobus seul resistoit à ladite conclusion, en la
faueur de Paris : pource quil nestoit pas moins esprins de
lamour d'Heleine, que ledit Paris mesmes. Voyant donques
la Royne Hecuba que la reddition d'Heleine se concluoit du
tout resoluement : et sachant que la voulenté de ladite
Heleine estoit au contraire, elle labouroit à toute force que
la chose nallast point ainsi, mesmement pource quil y auoit
aucune affinité entre elle et ladite Heleine, comme dessus
est dit- Et sans aucune intermission, se iettoit ores aux
genoux de Priam, et tantost embrassoit les enfans lun
après lautre, et ne les laissoit iusques à ce quelle eust
irapetré d'eux ce quelle pretendoit : cestoit la rétention
d'Heleine. Et par ainsi les amena tous à sa voulenté, et feit
tant finablement, que le bien publique fut postposé et cor-
rompu par vne désordonnée affection de mère. A fin que
le songe quelle auoit autresfois songé, estant enceinte de
Paris, sortist son effect selon les Destinées : et que le flam-
beau de feu ardant quelle auoit enfanté, bruslast la grand
cité de Troye.
Le iour ensuiuant donques le Roy Priam tint consistoire
publique : et sassit en son grand palais d'Ilion, au mylieu
de tous ses Princes, et de tous ses enfans : présent à ce le
(1) c.-à-d. contre.
SIMGVLARITEZ DB TROTK. LlYRE II.
m
populaire de Troye. Et aussi sy trouuerent les trois Princes
ambassadeurs de Grèce dessus mentionnez, ausquelz auoit
assigné ceste iournee responsiue. Alors le Roy Menelaus
tant en son priué nom, comme au nom gênerai de toute
Grèce, feit sa proposition iteratiue : demandant que sa
femme Heleine, ses deux parentes Ethra et Clymena, ensem-
ble tout ce qui auoit esté prins et apporté auec elles luy
fust restitué sans plus de delay. Adonc le Roy Priam com-
manda silence, et feit venir en la présence de tous et
vnschacuns la belle Heleine, à laquelle il offrit à haute
voix, pleine et franche liberté, si bon luy sembloit de sen
retourner en Grèce, auec les siens. Et lors elle respondit
clerement et sans feintise, quelle nauoit point nauigué
iusques à Troye maugré elle : et que Menelaus allast à
Dieu : et quelle nauoit que faire de son mariage. 0 mer-
ueilleuse inconstance et terrible audace féminine ! Certes
aussi publiquement quelle auoit eslu Menelaus pour son
mary, en la présence de tous les Princes de Grèce : aussi
hardiment losa elle à front eshonté, répudier deuant tous
les Barons de Troye. Si deuoit bien ceste iniure redoublée,
peser beaucoup à Menelaus. Quand donques elle eut ce
dit : comme si vn arrest de parlement eust esté prononcé
entre les parties plaidoyantes, Paris à qui la possession
estoit adiugee, et ses autres frères, de sa ligue et confédé-
ration ioyeux et esbaudis, par insolence, prindrent la belle
Heleine en totale saisine, et lemmenerent hors du consis-
toire.
Et quand les ambassadeurs de Grèce, veirent vn si grand
vitupère, et congnurent quilz estoient totalement frustrez
de leur entente, ilz furent bien honteux et bien confus.
Neantmoins Vlysses le plus éloquent de tous, plus par
manière de protestation que pour y cuider proufiter en
ifl8 ILLVSTRATIOWS DE GAVLE, ET
aucune manière, commença par ordre à ramenteuoir tous
les grans excès et outrages perpétrez iniquement en Grèce,
par Paris et ses compai gnons : pour lesquelles iniures trop
ignominieuses, il les advertissoit, que brieue vengeance en
seroit faite. Consequemment aussi Menelaus atteint dun mer-
ueilleux courroux, d'un visage cruel et horrible, menassa
Je Roy Priam et tous les siens, auecques le peuple de Troye,
de' les mener à destruction finale. Et sur ce poinct, laissa
lassemblee, et se retira en son logis. Lesquelles choses par-
uenues à la notice des enfans de Priam, cestasauoir Paris
et ses complices, ilz conspirèrent secrètement entre eux,
denconuenir (1) lesdits ambassadeurs de Grèce, et les tuer.
Car il leur sembloit bien, et non sans cause, que silz retour-
noient en Grèce sans rien faire, que la chose ne se passeroit
point que grosse guerre ne sen esmust dun costé et dautre.
Laquelle conspiration sceiie et congnue par le Prince Ante-
nor, il se tira incontinent deuers le Roy Priam, et luy
notifia lemprise de ses enfans : en luy remonstrant que les
aguetz et effors que lesdits enfans appareilloient contre
iceux ambassadeurs, ne redondoient point tant au preiudice
des Grecz, comme ilz faisoient au deshonneur de luy
mesmes : et que point ne le souffriroit de sa part. Puis
après il declaira toute la chose ausdits ambassadeurs : et
après auoir donné bon ordre à leur garde et saufconduit,
le plustost quil peut trouuer opportunité, il les feit con-
uoyer iusques au port de Sigee, sans mal et sans danger.
Et iusque icy sont les propres paroles de Dictys de Crète,
au premier liure de son histoire Troyenne.
(1) circonvenir (éd. 1528).
SINGTLARITBZ DE TROYK. L1VR£ II. 119
CHAPITRE XIII.
Description du dueil extrême de la noble Nymphe Pegaais Oenona,
et des piteux regrets quelle feit. Et aussi des lettres quelle enuoya
à son seigneur et marj Paris Alexandre, sans en obtenir response.
Du diuorse quil feit auec ladite Nymphe. Et de labolition des ver-
tus primitiues dudit Paris. Ensemble de la maison somptueuse quil
feit faire.
Endementiers que ces choses se faisoient à Troye, la
noble Nymphe Pegasis Oenone, estoit arriuee à Cebrine,
auec ses parens et amis, là où elle menoit vn dueil inesti-
mable, et impossible à reciter. Et combien quunchacun de
ses amis sefForçast à toute puissance de la rapaiser, mes-
mement entre les autres y mettoit grand peine et entente
le bon pasteur Royal et sa femme, auec lesquelz elle auoit
long temps demeuré, du commencement quelle fut mariée à
Paris, comme est dit au premier liure, lesquelz mettoient
toute peine, à ce quelle portast patiemment son meschef,
tout ce nonobstant se plongeoit au parfond abyme de dou-
leur, et es ténébreuses cauernes de désolation. Car la
lumière du iour luy estoit ennuyeuse, la clarté du Soleil
luy offusquoit la veùe, et ne queroit que lieux solitaires, et
séparez de fréquentation humaine, comme font gens con-
trits inconsolablement. Et quand elle se veoit esseulée, lors
souspirs laggressoient, regrets lassailloient de toutes pars,
en plourant geraissoit, et en gémissant plouroit. Et quand
130 ILLVSTRÀTIO^S DE GAVLB, ET
sa douce voix pouuoit auoir yssue de son dolent estomach,
elle faisoit retentir les nobles montaignes Idées de son
trenchant cry femenin, et prononçoit diuerses sentences
piteuses, souuent interrompues par ses plaintiues excla-
mations entremeslees de plusieurs sangloux, disant en ceste
manière :
« 0 le repos iadis de mon cœur, le seiour de toutes mes
pensées, Paris le nompareil du monde, quel obstacle sest
mis entre toy et moy ? quel meschef mest aduenu ? Pour-
quoy blesses tu si rudement mon cœur, quil faut que ie me
plaingne de toy, comme de celuy qui nest plus mien ?
Lesquelz des Dieux sont ce qui contrarient au comble de
mes désirs ? Quel crime me saurois tu reprocher, obstant
lequel ne doiue demeurer tienne à perpétuité ? Si la coulpe
est de mon costé, certes ie porteray le grief en bonne
patience : mais si ie seufFre à tort, cest bien raison que ie
men dueille. Est il possible de discuter dont vient ceste si
soudaine mutation ? Las, tu nestois point encores si gi'and
ne si haut esleué, quand premièrement ie te daignay pren-
dre à mary. Ton plus haut tiltre nestoit que dun simple
bergeret, seruant autruy au lieu dun esclaue, comme
orphenin et desaduoué de parentage : et ie tresnoble et
tresclere Nymphe, au pais de Phrygie, fille du grand
fleuue Xanthus, fus toutesuoyes contente de tespouser. Et
taymay damour si franche et si loyalle, que ie prenois bien
patience de reposer auec toy entremy les troupeaux et les
parcs de tes bestes, là où Iherbe et les fueillettes nous ad-
ministroient couche, les bayes nous estoient en lieu de
sponde, (1) le tronc des arbres nous seruoit de cheuet, et
les branches de courtines. Quelle noble femme, extraite de
(1) pour esponde = châlit, bois de lit.
SIMGVLAHITEZ DE TROTB. UVRE U. 1^
haut lignage fut iamais contente de laisser paternelz et
maternelz délices, se gésir sur vn petit de feurre es bordes
champestres mal résistantes à la neige et froidure, pour
lamour de son amy, sinon moy ? ne quelle dame ou damoi-
selle se trouua iamais si franche et si hardie, quen post-
posant toute tendresse et imbecilité féminine, de suiure son
espoux à la chasse parmy les hauts rochers, luy monstrer
les repaires des bestes sauuages, tendre les filez, mener les
chiens en queste : et faire toutes choses laborieuses, et
viriles, par grand affection, si non moy lasse dolente ?
Mais ceste grande amour de courage, helas, me procedoit
alors (ie le confesse) à cause de ta singulière debonnaireté :
et pource que tu me rendois amour mutuel et réciproque. A
loccasion aussi de tes douces blandisses et gracieux entre-
teneraens, qui estoient adonc chastes et pudiques. Alors tu
me tenois toute tienne. Tous les arbres de la grand forest
Ida, estoient marquez et entaillez de mon nom. Le grand
peuplier du riuage de mon père le noble fleuue Xanthus
fut alors enrichi de ma deuise : là ou tu escriuis vne
fois ces vers :
Quand Paris délaisser Oënone pourra
XaatbuB le fleuue cler, eusus retournera. (1)
« Retourne donques, mon doux géniteur, mon tresredouté
père Xanthus : et te deliure de réduire (2) tes nobles vndes
contremont, au propre lieu de ta sourse : car Paris ha
délaissé ta fille Pegasis. Paris Alexandre ha enuoyé la
belle diuorce et répudiation à la Nymphe Oenone, iadis sa
treschere espouse. 0 la dolente et malheureuse iournee
(1) Cf. Ovide Heroid. V, 30.
(2) c.-à-d. mets-toi à ramener.
122 1LLV8TRAT10NS DE GAVLE, ET
quand onques les trois hautes Déesses subirent ton iuge-
ment ! Bien me disoient les sages bergers de Cebrine, que
ce nestoit que futur dueil pour moj. Bien masseuroient les
anciennes preudefemmes de ceste contrée, que toutes ces
choses ne tourneroient point à bon diflBnement. Aussi
appert il, que lelection de ton iugement, ha sorty son
effect. Tu mesprises dame luno, qui est Déesse de richesses,
et préside aux mariages : cestasauoir en laissant ta suffi-
sance et plénitude de grans biens, de Ihostel de ton père,
et allant pilier et rober les Royaumes estranges, et aussi
en me répudiant qui suis ta femme légitime. Tu nas aussi
eu cure de Pallas, qui est maistresse de science, et pru-
dente conducteresse des armes, et aussi Déesse de chasteté
virginale : car en vsant follement de ton sens naturel, as
donné commencement de grand imprudence à vne guerre
de mauuaise termination, et as violé la pudicité de ton
mariage. Lesquelles choses faites, tu as deliuré la pomme
dor : cestadire, ton noble chef aurein qui est composé de
rondeur spherique et légèrement tournant, à dame Venus,
ouuriere dimpudicité, controuueresse dinceste, et forge-
resse dadulteres. Et pour ton guerdon promis, elle tha
rendu dame Heleine, confite en semblable delicts. Helas,
quand tu partis de moy pour acheuer ceste noble conqueste,
tu pleuras, ie ne scay si cestoit par feintise : tu larmoyas,
et ne le saurois nier : et veis aussi mes yeux larmoyans
non feintement. Si meslames noz pleurs ensemble, et nous
entreliasmes si fort par doux embrassemens, que les gra-
cieuses vignettes ne sont point si fort entortillées aux
ormes, comme mes bras furent liez autour de ton col. Com-
bien de fois te plaingnis tu de ton partement trop hastif ?
Combien de fois retournas tu pour me baiser ? Quantes
prières ây ie fait aux Nymphes de mer, à fin que ton retour
SIMGVLARITBZ DE TROYB. LITRE II. 125
fast brief ? Helas, tu es retourné par mes prières, mais non
pour mon soûlas. lay esté humble et deuote enuers les
Dieux pour celle qui occupe mon lieu. Et quand ie vais
blanchir tes voiles à ta dolente retournée, iestoye si aueu-
glee, que peu sen faillit que ne me meisse en mer, pour
aller au douant de toy : mais lasse, dolente, ie congnus tan-
tost mon meschef prédestiné. lapperceus incontinent la
matière de mon dueil perpétuel : et commençay deslors à
remplir les airs de mes iustes querimonies. Plaise aux
Dieux que ainsi puist Haleine se douloir, comme ie fais :
et quelle se puist finablement voir destituée de celuy quelle
tient pour son mary, ainsi que présentement ien suis dé-
laissée, à fin que le mal quelle ha premièrement inféré à
autruy, redonde doublement sur elle. Cest maintenant que
les femmes estrangeres viennent après toy : et quelles
délaissent leurs maris légitimes, et trauersent les hautes
mers pour te suiure, à cause que ta félicité présente est
réputée grande, depuis la réduction (1) de ta personne en la
maison paternelle. Mais quand tu estois poure berger, et
que tu menois paistre les brebis aux champs, nulle autre
ne se vouloit dire femme du pasteur Paris, fors la Nymphe
Oenone. Les autres vont après la splendeur de ta fortune,
et ie madheroye seulement aux bonnes mœurs de ton per-
sonnage. Toutesuoyes ie ne forge point ceste complainte
pour chose que ie admire tes richesses, ne ton palais Royal
ne me meult en rien : ne aussi ne me desplait il si ie ne suis
plus contée entre les belles filles du Roy Priam. Non pas
pourtant quil refuse estre beaupere dune Nymphe gentile,
ou que la Royne Hecuba ayt en desdaing Pegasis Oenone
fille du noble Xanthus, ains me tiennent digne assez pour
(1) c.-à-d. retour.
12é ILLVSTRATIONS DE GÂVLE, ET
estre femme dun haut Prince et auoir mains propices à
porter sceptre Royal. Mais ie voy que tu seulmemes-
prises, pource que familièrement ie souloye gésir auec toy
parmy les forestz, là où iestoye plus digne de coucher en
licts de pourpre. Ne vois tu pas que mon amour est plus
seure que celle d'Heleine, et que nulles guerres ne sesmeu-
uent pour moy ? Que mon mariage ne tameine nulles na-
uires equippees souz tiltre de vengeance ? Ne congnois tu
point que la fille putatiue de Tyndarus, fugitiue de son
mary, est redemandée par armes : et que la tresorguilleuse
ne tapporte autre chose pour son douaire, sinon sang et
occision ? Demande à ton frère le tresnoble Prince Hector,
au prudent Antenor, à ton père le Roy Priam, si elle doit
point estre rendue. Enquiers toy des autres sages et aagez
Princes de sa court, si elle doit point estre restituée. Cest
vn tresmauuais signe et exemple, de préférer vne femme
rauie en estrange contrée à celle de son païs propre, car
ta cause est vergongneuse et pleine de honte. Le mary ha
iuste occasion de tourner ses armes sur toy. Si tu as espé-
rance quune femme si légèrement contournée en tes embras-
semens, te soit fealle, et que ainsi le desires, tu es grande-
ment deceu. Car tout ainsi que Menelaus se deult de son
lict maculé et contaminé par amour estrangere, semblable-
ment te plaindras tu de pareil défaut. Car quand la chasteté
dune femme est vne fois entamée, voluntairement elle est
tousiours après enclinee à semblable delict. Et si tu dis
quelle est ardamment astrainte pour Iheure présente de ton
amour, ie respons que ainsi ha elle esté autresfois de son
mary Menelaus. Et toutesuoyes il se git maintenant vefue
en son lict.
« 0 que tu es constituée en grand félicité, ma belle sœur
Andromacha ! quand tu fus assignée à vn mary constant
SINCVLARITEZ DB TROTE. LIVRE II. if5
et permanent : et à lexemple de son frere aisné, se deuoit
renger Paris : mais il est plus léger que les seiches fueil-
lettes destituées dhumeur, lesquelles sont esparpillees au
vent. Et y ha moins darrest et de pois en luy, quil ny ha
es chaumes, ou festuz légers tous consumez de lardeur du
Soleil. Lasse, moy dolente, bien le me prognostiquoit iadis
la prudente Cassandra ta sœur germaine, et trop mha elle
esté vraye prophète et deuineresse. La génisse Grecque est
venue qui possède mon pasturage. La beste cornue estran-
gere est entrée en mon clos. Mais combien quelle soit sin-
gulière de visage, toutesuoyes est elle adultère prouuee,
comme celle qui ha laissé ses Dieux familiers, sa propre
fille, et son bien domestique, pour accourir après vn estran-
ger. Et comme celle oultreplus, laquelle par ie ne scay quel
Theseus (si bien du nom ie me recorde) ha encores autres-
fois esté rauie. Et combien que depuis elle fut recouuree,
toutesuoyes si nest il pas vraysemblable, quelle en retour-
nast sa virginité sauue, mesraement des mains dun ieune
Prince tout embrasé damoureux désir. Et si tu me de-
mandes, comment ie puis si bien estre informée de ces
choses, saches mon cher seigneur Paris, que amour men ha
fait enquérir. Et si dauenture aucun la vouloit excuser de
coulpe, disant quelle nen peust mais, et que force luy ha
esté faite : ie réplique sur ce, qui! est impossible que par
tant de fois ha esté rauie, nayt baillé opportunité, occasion
et consentement à son rauissage. Mais au contraire, la
dolente Nymphe Oenone, demeure chaste et entière à son
seigneur et mary : nonobstant que de luy soit abandonnée,
et quon luy baille exemple et necesité compétente, de faire
autrement. Mais auant ne la laissent les Dieux tant viure,
quelle le daignast penser. Lasse, moy poure malheureuse,
qui ay puissance sur toutss herbes naissans au monde.
498 ILLTSTRÀTIONS DE GAVLE, ET
laquelle me fut iadis ottroyee par le Dieu Apollo, et ie ne
men scay, ne puis donner remède ! Car amour nest point
medecinable par herbes. Par ainsi suis ie destituée, et
demeurant sans ayde de ma propre science. Et nest herbe,
racine, ne semence procréée en terre, tant soit fertile, ne
Dieu aucun habitant au ciel, qui me puist donner secours,
fors mon cher seigneur et amy Paris Alexandre. Celuy seul
le peult faire, et bien lay desseruy. Ayes donc pitié, ô le
désir de mon cœur, de celle qui en est digne. le ne tapporte
point armes sanguinolentes comme font les Grecz, mais ie
suis tienne, et ay tousiours esté de ieunesse. Si ne requiers
autre chose, fors estre tienne le demourant de mon aage. »
Ces grieues lamentations piteuses formoit loutrepasse des
Nymphes, la gracieuse Oenone. Et souuent les reïteroit,
sans ce que nul de ses parens et amis, damoiselles ou ser-
uiteurs luy peussent donner ioye ne récréation, ainçois meit
ius habits de pourpre et de soye, loyaux dor, riches bagues
et pierres précieuses, et print habits de dueil et vefuage.
Si neut plus cure de mettre à point son beau chef. Laissa
ternir sa clere face, et ne luy chalut plus de sa personne,
ne de chants ne de ris, ne dautres esbatemens quelconques.
Mais se conformoit à la chaste tourterelle, laquelle après
auoir perdu son pareil, ne fait que gémir continuellement :
et ne repose plus sur branche verde. Le noble Roy Priam,
et la Roy ne Hecuba qui furent informez de sa désolation,
en furent fort desplaisans, comme ceux qui laymoient sin-
gulièrement : et y enuoyerent le preux Hector, et le bas-
tard Cebrion, et aucunes des nobles dames de leur maison,
pour la réduire à liesse et à bonne chère : mais combien
quilz y labourassent beaucoup, et que la présence de ces
personnages luy fut fort agréable, si nen changea elle rien
de son propos : car celuy qui seul auoit la puissance de
SINGVLARITBZ DE TROTB. LIVRE U. 1S7
lesiouyr, ny estoit point. Toutesuoyes son estât luy fut
ordonné à Cebrine bel et ample, comme dame douagere :
et luy fut fait tousiours par lordonnance du Roy, meilleur
appointement, quelle ne vouloit. Mesmement le preux Hec-
tor et le bastard Cebrion, et autres de la maison de Priam
lallerent souuent visiter. Si feit Creusa femme d'Eneas, et
Cassandra sa sœur : desquelles elle estoit merueilleuse-
ment pleinte, et trop leur estoit grieue son absence et son
infortune. Ainsi persista la noble Nymphe à faire résidence
en la cité de Cebrine : dont elle ne bougea iusques à la
mort, comme nous dirons par temps. Et passoit son temps
à composer médecines et autres œuures toutes chastes,
honnestes, et vertueuses.
Le noble poëte Guide en ses epistres, met que la Nymphe
Pegasis Oenone, pour cuider fleschir le courage de son
seigneur Paris Alexandre, et le tourner à son amour, elle
estant en ladite cité de Cebrine, comme met son commen-
tateur Antoine Volsc luy escriuit vnes lettres, dont la
teneur est presques semblable aux regrets dessus mention-
nez, mais elle nen obtint aucune response, aumoins dont il
soit mention : car Paris Alexandre occupé en nouuelles
amours, auoit desia fait diuorce, et répudiation totale auec
ladite Nymphe. Duquel diuorce fait mention Suétone Tran-
quille en la vie de lempereur Domitian, recitant lune des
cruautez dudit tyrant, lequel feit occire vn iongleur nommé
Eluidius, pource quil auoit ioué par personnages le diuorce
de Paris et Oenone. Au moyen dequoy il reprenoit couuer-
tement ledit Empereur, qui semblablement auoit répudié
sa femme légitime, pour en prendre vne autre. Et sur ce
passage est à coniecturer, que (peult estre) ladite Heleine
enchanta Paris : car elle estoit fine ouuriere de sauoir
composer certaines potions et bruuages, desquelz quand on
Wê ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
vsoit, on oublioit les choses passées et toute douleur pré-
cédente, comme met expressément Diodorus Siculus au deu-
xième liure des Gestes antiques, disant ainsi : Potio ab
Eelena in prœteritorum ohliuionem TelemacJio data. Nam
potionem ad aholendum luctum, quampoëta Helenam com-
jposuisse scribit, etc. (1) En quelque manière que ce fust, Pa-
ris meit en oubly total lamour de la Nymphe sa première
femme, iusques aux approches de sa mort, quil en eut
recordation : mais ce fut bien tard, et se feit porter vers
elle, comme sera dit cy après.
Paris donques saddonna deslors en auant à toute volup-
tueuse vie : lasciuité et mignotise efféminée : et passa le
temps au ieu de la harpe, à mettre sus chansons et dittiers,
dances, conuiues, et autres esbatemens, pour complaire à
sa nouuelle dame, et lentretenir en plaisance. Si laissa ses
vertus palladiennes, quil auoit eu en ieunesse, et ne luy
chalut du haut emprendre de luno. Il se desaccoustuma de
la chasse et du noble trauail dont il auoit esté parauant en
recommandation louable eneruant toute la force de sa puis-
sance corporelle, et animosité hautaine, en oisiueté véné-
rienne, en réduisant tout son sens et son entente, sans plus,
à complaire à celle, qui sera cause de destruire luy et les
siens. Et pour ce mieux faire, il feit bastir au chasteau
d'Ilion, auprès du palais du Roy et celuy d'Hector, vn
logis de plaisance, magnifique et hautain à merueilles : dont
les sommiers estoient tous reluisans de fin or : tellement
que tous les plus grans ouuriers du Royaume de Phrygie,
furent embesongnez à cest édifice, comme tesmoigne le
prince des poètes Homère au vi. liure de son Iliade. Et eut
deux enfans de la belle Heleine, par trait de temps, des-
(1) Odyssée IV, 221. Il s'agit du fameux Nëpenthès.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LITBB II. 129
quelz lun fut nommé Corinthus et lautre Ideus : et diceux
sera parlé cy après. Maintenant il faut tourner nostre nar-
ration ailleurs.
ti.
S^ ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
CHAPITRE XIIII.
Récitation faite par les ambassadeurs de Grèce, retournez à Lacede-
moue, de leur exploit. Et de la détermination que les Grecz prin-
drent à se venger. De la forme du grand serment, que le prestre
Calchas leur feit faire ensemble, et de leurs preparatiues. Et com-
ment ilz nauiguerent premièrement iusques à Mysie près de Troje :
et puis.sen retournèrent en Grèce. Et puis derechef nauiguerent à
Troye, et prindrent le port de Sigee, et autres choses : mesme-
ment, par quel moyen ilz eurent en leurs mains lenfant Polydorus
filz légitime de Priam et feirent plusieurs conquestes.
Apres qve les trois Princes Grecz ambassadeurs dessus
mentionnez, cestasauoir Menelaus, Palamedes, et Vlysses
furent partis de Phrygie ainsi que dessus est recité, ilz
exploitèrent tant par mer, quilz arriuerent en la cité de
Sparte ou Lacedemone : là où les autres Princes de Grèce,
et d'Achaie quon dit maintenant la Moree, descendus de la
lignée de Pelops, les attendoient de pied coy, et moult leur
auoit tardé leur tant longue demeure. Et après que lesdits
legatz eurent recité en plein consistoire la somme de leur
exploit : cestasauoir le refus de leurs demandes, lobstination
des Troyens, et le danger des espies quilz auoient eschappé
au moyen d'Antenor, la grande indignation de tous lesdits
Princes se redoubla oultre mesure : lofifense contumelieuse
les aguillonna par aspresse redoublée : et la vergongne
inférée, se représenta cent fois plus grande, voyans si ou-
trageuse iniure estre faite à la nation Grecque, et la vili-
SINGULARITEZ DE TROYE. LIVRE II. 151
pendence de toute la noblesse d'Europe. Si leur fut oultre-
plus ramentu par les Roys Agamemnon et Menelaus frères,
et mis au deuant le serment solennel quilz auoient fait
ensemble, aux espousailles de la Royne Heleine, comme
dessus lia esté dit. Parquoy lesdits deux Roys frères les
appelloient tous de leur foy. A laquelle chose ilz ne furent
aucunement contredisans : mais dun commun accord, et
par iteratiue ratification, se vouèrent trestous ensemble, de
sarmer pour la querele de Menelaus, et pour la recouurance
de sa femme Heleine. Selon ce que dit Ouide, au premier
liure de lart d'Aymer :
lurabant omnes in laesi verba mariti :
Nam dolor vnius publica causa fuit.
Et à ce concorde Thucydides au commencement de son
liure. Si fut décrété en commune assemblée, que pour se
déterminer de tous poincts à future vengeance, on se deli-
berast de mettre sus vn merueilleux appareil bellique : et
que chacun mandast son ban et arriereban en sa terre.
Quon assemblast souldoiers par tout où on pourroit : et
quon contribuast aux communs frais de la guerre. Et par
accord vniforme, fut eslu vn lieu opportun, là où lesdits
Princes se trouueroient, pour prendre plus ample conclusion
sur le fait dicelle emprise. Lequel lieu selon Dares Phry-
gien fut en la cité d'Athènes : et selon nostre acteur Dictys
de Crète, fut en la cité d'Argos, au Royaume d'Etholie,
appartenant à Diomedes. Et est à noter, quil y ha plusieurs
Argos : cestasauoir, Argos en Achaie, Argos en Amphi-
loce, et Argos en Pelasge. Ainsi quand ilz eurent opportu-
nité, chacun desdits Princes se trouua en ladite cité d'Ar-
gos en Etolie. Desquelz Princes, Barons et Roys, remémo-
rer et designer les noms vn pour vn, et spécifier leurs
139 ILLVSTRAT10^S DE GAVLE, ET
Royaumes et seigneuries, ie me déporte maintenant, pource
que mention en sera faite en plusieurs endroits de ce liure
là où le cas escherra. Et encore plus amplement au dernier
liure. Et quand ilz furent en ladite cité d'Argos, selon nos-
tre acteur Dictys de Crète, Diomedes Roy d'Etolie les
receut en grand triomphe. Aussi Agamemnon auoit apporté
de son Royaume de Mycenes grands sommes dor en masse.
Lequel or il départit libéralement ausdits Princes, à fin que
chacun d'eux fust plus prompt et plus courageux à la guerre.
Vlysses fut eslu pour aller quérir Achilles estant en lisle
de Scyros chez le Roy Lycomedes, ainsi que plus à plein
est dit au premier liure. Aussi ledit Vlysses amena Philoc-
tetes auec les saiettes d'Hercules, lesquelles estoient fatales,
et faisoient mestier (1) à la conqueste de Troye, comme sera
dit cy après.
Quand le ieune Prince Achilles fut arriué en la cité d'Ar-
gos en Etolie, tantost après il fut enuoyé en Delphos pour
consulter loracle du Dieu ApoUo en son temple tresrenom-
mé, et sauoir quelle fin prendrait ceste guerre, et quelles
choses leur estoient nécessaires à la démener. Si luy fut
baillé pour collegat et compaignon Patroclus de Myrmidone.
Et de fait y allèrent, et y trouuerent le prestre Calchas
Troyen, filz de Tester, lequel aussi y estoit venu de la part
du Roy Priam, comme met Dares de Phrygie, à fin dauoir
aduisement de la conduite de son aflfaire. Car en ce temps
là les Princes neantmoins (2) nulles guerres ne faisoient
ne aucunes emprises, sans premièrement auoir le conseil et
response de leur Dieu diabolique Apollo : lequel les trom-
poit et abusoit bien souuent. Et de ce temple de Delphos
nous auons fait bien ample mention au premier liure. Or
(1) c.-à-d. besoin. — (2) c.-à-d. aucunement.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 133
par le respons et commandement d'Apollo, le prestre Cal-
chas ne retourna plus à Troye, mais sen alla auec Achilles :
et se tint tousiours depuis du party des Grecz. Et quand
ledit Calchas fut en la cité d'Argos, il feit ûiire vn mer-
ueilleux et exécrable serment à tous les Princes de Grèce,
selon les anciennes cerimonies, pource quil estoit grand deui-
natif (1) et augure. Cestasauoir quil commanda apporter au
mylieu du marché de la cité d'Argos vn porc masle, et le
sacrifia, et coupa en deux pars. Puis meit lune des pars en
ladite place, du costé d'Orient, et lautre du costé d'Occi-
dent. Et commanda à tous lesdits Princes, quilz passassent
entredeux, ayans leurs espees nues, et quilz ensanglantas-
sent les pointes de leursdites espees, au sang diceluy porc.
Et leur feit faire plusieurs autres superstitions à ce néces-
saires. Lesquelles accomplies, ilz iurerent derechef par leur
loy, et feirent vœu publique destre ennemis perpétuels du
Roy Priam de Troye, et que iamais ne romproient ou
desampareroient leur armée, iusques à ce quilz eussent mis
à destruction le Royaume de Phrygie et la cité d'Ilion,
et que chacun d'eux eust couché auec aucune des nobles
femmes de Troye. Lesquelles choses parfaites purement et
deuotement, selon leur manière, ilz feirent solennelz sacri-
fices au Dieu Mars et à la Déesse Concorde. Toutesuoyes
Virgile tient que ledit grand serment fut fait au port d'Au-
lis en Beotie, quand il dit :
Non ego cum Danais Troiaoam exscindere gentem
Âalide iuraui, clasaem ve ad Pergama mUi, etc. (2)
Oultreplus lesdits Princes establirent au temple de luno
(1) divinateur (mscr. de Genite).
(2) Eoéid. IV, 425.
♦84 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
de ladite cité d'Argos, le RoyAgamemnon, chef et empereur
de toute leur armée, tant pour les grands richesses dont il
abondoit, selon vn acteur Grec nommé Thucydides, comme
pource que la guerre se mouuoit pour son frère Menelaus.
Puis après chacun sen retourna en son Royaume, pour faire
marcher les armées par mer et par terre, au port d'Aulis
qui est en Beotie. Duquel nous ferons plus ample mention
au dernier liure.
Lors fut toute Grèce esmue, toute Achaie troublée, et
les isles circoniacentes en grand ardeur de vengeance appe-
ler. Car les peuples tumultuans en émotion bellique, se pré-
sentèrent horriblement affectionnez à venger lopprobre de
leurs seigneurs, et se monstrerent prompts et appareillez
à si iuste guerre. Et pendant lespace de deux ans continuelz
(comme met nostre acteur Dictys de Crète) se feit prépara-
tion de cheuaux,de bardes, de harnois, de chariotz, de lan-
ces, de nauires, et de toutes autres choses nécessaires à
ladite guerre. Et au bout desdits deux ans, toutes lesdites
preparatiues de nauigage, et autres choses, furent en uoyees
deuant audit port d'Aulis en Beotie, ausquelles chacun des-
dits Princes de Grèce auoit fourni selon sa puissance. Les-
quelles auitaillees et equippees bien et deûement, selon le
commandement du Roy Agamemnon, qui à toutes ces choses
donnoit ordre, comme chef de larmee, iceux Roy s et Prin-
ces, à iour nommé, se trouuerent à tout leurs gensdarmes,
audit port d'Aulis, le cinquième an du rauissement d'He-
leine. Auquel port ilz demourerent par long temps, à cause
que le Roy Agamemnon auoit coursé la Déesse Diane,
comme nous dirons au dernier liure. Finablement après
ladite Déesse Diane appaisee, et que Palamedes eust esté
créé chef de larmee, en déposant Agamemnon, et depuis
derechef iceluy Agamemnon restably, iasoit ce que Dares
SINGTLARITEZ DB TROYE. LIVRB II. 135
de Phrygie mette ladite déposition et restauration d'Aga-
raemnon auoir esté long temps après : cestasauoir pendant
le siège do Troye, et quil fut bon temps pour nauiguer, les
filles du Roy Anius de lisle de Delos, lesquelles estoient
Fées, comme met Dictys de Crète, remplirent les nauires
des Grecz de tous biens en abondance. Et ilz feirent voile
hors dudit port d'Aulis, ayans pour guide Philoctetes, iadis
escuyer d'Hercules, lequel auoit esté autresfois auec son
maistre et les Argonautes deuant Troye, comme met Dares
de Phrygie, tellement que lesdits Grecz abordèrent au
Royaume de Mysie, qui est voisin de la basse Phrygie. Et
de prime face enuahirent iceluy Royaume : et tuèrent le Roy
Teuthras, (1) seigneur diceluy : naurerent aussi Telephus
gendre de Priara. Et puis feirent appointement auec ledit
Telephus au moyen du Roy Tlepolemus de Rhodes, et autres
ses parens yssuz de la lignée d'Hercules : comme ces
choses seront plus à plein mentionnées au dernier liure. Et
ce fait, pource que Ihiuer approchoit, iceux Princes de
Grèce furent conseillez de sen retourner en leur pais sans
faire autre exploit pour ceste année là : mais délibérèrent
de retourner prochainement sur le territoire de Troye.
En ce temps là le bruit fut parmy Troye la grand, au
moyen des marchans qui vindrent de diuerses régions de
deuers les marches et frontières de Grèce, que tous lesdits
Princes Gregois ayans fait ligue et confédération ensem-
ble, deuoient retourner sans nulle faute, incontinent après
Ihyuer passé, à plus grand puissance que iamais. Alors
commencèrent ceux de Troye à rauoir plus grand peur que
deuant. Et ceux à qui le fait de Paris auoit despieu des le
commencement, ne se tenoient point de dire, quon auoit
(1) Tenthras (mscr. de GenèvA).
136 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
tort des Grecz, et que cestoit mal fait de mettre en danger
vne telle multitude de peuple, pour le péché daucuns. Tout
ce nonobstant, Paris et les autres participans de son mau-
uais conseil, enuoyerent endementiers plusieurs capitaines
et commissaires , pour cueillir souldoiers et demander
secours de toutes pars, et de toutes les régions circonuoisi-
nes : et leur feit faire commandement de retourner le plus
légèrement quilz pourroient. Laquelle chose se hastoit ainsi,
parles enfans de Priam, à fin quilz preuenissent les Grecz,
et que tout le faix de la guerre fust transporté en Grèce,
auant que les Grecz sen donnassent garde. Mais Diomedes
Roy d'Etolie, qui fut informé du tout par ses espies, préoc-
cupa (1) lintention des Troyens, et notifia hastiuement leur
emprise par toute Grèce : en les enhortant quilz se des-
peschassent de commencer à passer en Asie, auant quilz
fussent surprins en leurs maisons mesmes, par leurs enne-
mis. A quoy les autres Princes furent prompts et ententifz.
Et se trouuerent trestous diligemment derechef au port
d'Aulis, au commencement du beau printemps, qui estoit le
VIII. an depuis le rauissement d'Heleine, comme met nostre
acteur Dictys de Crète, en son histoire : et le commence-
ment du IX. Et sur ce poinct leur suruint Telephus Roy de
Mysie, et gendre de Priam, dont nous auons dessus parlé.
Lequel par loracle d'Apollo fut contraint se venir faire gué-
rir de la playe que luy auoit faite Achilles au voyage pré-
cèdent. Lequel après estre guery, pour recongnoissance du
bien fait, sofirit estre leur guide et conducteur, iusques à
la région de Troye.
Par ainsi nauiga toute larmee de Grèce en vne flotte, en
Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie ou Natolie,
(1) c.-à-d. devança.
SINGVLARITEZ DE TROYK. LIVRI II. i37
ayant ensemble le nombre donze cens quarante nauires :
comme met Dares de Phrygie. De prinsaut ilz gaignerent
lisle de Tenedos, et consequemment le port de Sigee. Si
vint en ces entrefaites au secours de Troye, Sarpedon Roy
de Lycie combien quil eust esté beaucoup sollicité par Psa-
lis Roy des Sidoniens de tenir le party des Grecz : comme
met Dictys de Crète. Protesilaus Roy de Phylace, fut le
premier de tous les Gregois qui print terre audit port de
Sigee : et aussi fut ce le premier qui y receut mort prédes-
tinée, par les mains du preux Hector, selon Dares Phrygien,
combien que nostre acteur Dictys met, que ce fut par
Eneas. Et fut ceste bataille la première entre les Grecz
et les Troyens. Aussi y furent tuez deux des enfans de
Priam. Consequemment Telephus Roy de Mysie, gendre de
Priara, print illec congé des Grecz, et sen retourna en son
Royaume. Et Cygnus filz de Neptune, vassal de Priam,
lequel estoit inuulnerable, fut suffoqué et esteint par la
force d'Achilles. Aussi la cité de Metore, appartenant audit
Cygnus, fut prinse, et ses enfans amenez en lost des Grecz,
comme sera plus à plein touché au dernier liure. Encores
furent prinses autres citez, du territoire de Troye. Si fut
exhibé sacrifice de cent bœufz à ApoUo de Sminthe, par le
Prince Palaraedes de Nigrepont. Lequel sacrifice Paris
cuida empescher, et suruint à tout grand quantité de gens-
darmes : mais il fut rebouté par Aiax Telamonius et Aiax
Oïleus et plusieurs des gens de Paris tuez. Et en faisant
ledit sacrifice, Philoctetes fut mors au pied par vn serpent,
et adonc il fut enuoyé en lisle de Lemnos, pour estre guery
par les prostrés de Vulcan.
En après Palamedes de lisle d'Eubee, quon dit mainte-
nant Nigrepont, fut meurtry traytreusement, et ietté de-
dens vn puits par Diomedes et Vlysses, ayans enuie de la
138 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
grâce et autorité quil auoit en lost, iasoit ce que Dares de
Phrygie, contre lopinion de tous, mette (1) quil fut tué dune
saiette par Paris Alexandre, et encores long temps après.
Mais iay entreprins de suiure lordre dudit Dictys. Aussi
lisle de Lesbos, quon dit maintenant Methelin, fut prinse
par Achilles, et le Roy dicelle nommé Forgarite vassal de
Priam, lequel auoit fait beaucoup dennuy aux Grecz, y fut
tué. Et sa fille la belle Diomedee emmenée en seruage : et
plusieurs autres citez depopulees dont sera faite mention au
dernier liure. Consequemment vn Roy de Scythie, ou Tar-
tarie, nommé Ceneus vint à Iay de des Grecz. Achilles
depopula la prouince de Cilice : print la principale cité
dicelle nommée Thebes : et tua Eetion père d'Andromacha,
et ses sept enfans : desmolit aussi la cité de Lyrnesse, et
occit le Roy dicelle, nommé Faction : et emmena sa femme
appellee Astynome, fille à Chryses archiprestre du temple
d'Apollo de Sminthe, Puis conquist la cité de Pedase, dont
le Roy nommé Brises se pendit de dueil : et Achilles em-
mena la fille dudit Brises, laquelle auoit nom Hippodamie,
comme ces choses seront plus à plein désignées au dernier
liure. Et tant exploita iceluy Achilles, quil print sur le Roy
Priam et sur ses alliez douze citez par mer, et onze par
terre, comme tesmoigne Homère au ix. liure de son Iliade.
En ce temps mesmes, Aiax Telamonius cousin germain
dudit Achilles, infestoit par armes, couroit et pilloit tout le
Cherronese de Thrace : cestadire le riuage de Grèce, oppo-
site à Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie. Auquel
riuage estoit situé le Royaume de Polymnestor, lequel
auoit espousé madame Ilione, fille de Priam, comme plus à
plein est dit au premier liure. Mais quand ledit Roy
(1) mect (mscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE 11. 139
Polymnestor congnut la puissance des Grecz, il commença
à auoir peur, et ne tint gueres contre eux, ains feit appoin-
tement. Or luy auoit enuoyé le Roy Priam le plus ieune
de ses filz nommé Polydorus, à fin que secrètement et seu-
rement il le nourrist. Mais ledit Roy Polymnestor, en fai-
sant sa paix le deliura audit Aiax Telamonius, et oultre
ce, luy donna grand quantité dor et dargent, et richesses,
et remplit toutes les nauires dudit Aiax de blez et de vins,
assez pour vn an, et par sermens exécrables renonça à
lamitié et alliance de Priam, son beaupere, et fut receu au
party des autres Prince de Grèce.
Ces choses faites, Aiax Telamonius emmenant auec luy
lenfant Polydorus, repassa la mer, et print son]chemin vers
la haute Phrygie, et depopula toute la région mettant tout
à feu et à sang : tua le Roy Teuthrancius qui osa comba-
tre à luy corps à corps : brusla sa cité, et emmena sa fille
nommée Tegmessa. Et quand lesdits deux Princes, Achilles
et Aiax Telamonius, furent retournez chacun de son quar-
tier, ilz amenèrent grand proye en lost des Grecz, et furent
receuz à grand gloire et triomphe, et couronnez de cha-
peaux de laurier, comme preux et victorieux. Nestor Roy
de Pylon, le sage vieillard, et Idomeneus Roy de Crète,
furent ordonnez commissaires à départir tout le butin.
Astynome, fille de larchiprestre Chryses, fut adiugee au
Roy Agamemnon, pour serue et pour esclaue : Hippodamie
tille du Roy Brises de Pedase, lequel sestoit pendu de
despit, comme dessus est dit, et auec Diomedee fille du
Roy Forgarite de Methelin, furent distribuées à Achilles.
Et Tegmessa fille du Roy Teuthrancius, en la haute Phry-
gie, à Aiax Telamonius, comme plus à plein sera dit
au dernier liure. Ce fait, ledit Aiax Telamonius recita
publiquement les pacts et conuentions quil auoit fait auec
iiO ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Polymnestor Roy de Thrace, et leur deliura Polydorus
le petit filz de Priam. Lesquelles choses ententiueraent
considérées, Vlysses et Diomedes, furent ordonnez pour
aller en ambassade au Roy Priam, et luy deliurer son filz
Polydorus pour recouurer Heleine.
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE II. 141
CHAPITRE XV.
De kmbassade enuoyee par les Grecz à Troye, pour offrir d« rendre
Poljdorus, en reconurant Heleine. Et comment 11 y fut contredit par
Antimacbus corrompu à force dargent par Paris. Auec recitation
du bon conseil du sage Pantbus : de la response d'Hector et
d'Eneas. Lopinion de deux acteurs touchant ladite ambassade : du
retour dicelle en larmee : et de la mort de lenfant Poljdorus. Et
aussi du débat meu entre Achilles et Agamemnon, à cause de la
belle Briseis ; et de la seconde bataille, dont Hector eut le prys.
Ainsi qve lesdits deux orateurs et légats Vlysses et Dio-
medes se preparoient pour aller à Troye, Menelaus Roy de
Lacedemone, pour lamour duquel toute la guerre se deme-
noit, se ioingnit de son propre gré et mouuement auec
eux. Et quand ilz furent entrez par saufconduit dedens
Troye, et que le populaire sceut que trois grans Princes de
Grèce estoient arriuez pour traiter quelque bon appointe-
ment, ilz conuoquerent en conseil les principaux seigneurs
et citoyens de Troye. Et sans souffrir (1 ) que le Roy Priam
ne ses enfans saillissent du palas, tindrent illec vn consis-
toire. Tellement que lesdits seigneurs et populaire estans
illec ententifz, le Roy Menelaus commença vne harengue
brieue, faisant à son propos : et consequemment le treselo-
quent Vlysses en feit vne autre plus grande : tendant aux
fins de remonstrer aux seigneurs, citoyens et peuple de
(1) c.-à-d. attendre.
142 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Troye le grand forfait commis en Grèce par Paris Alex-
andre. Et concluant en la fin, que tout ce nonobstant, si
la Royne Heleine estoit rendue auec tout ce que auoit esté
prins auec elle, ilz rendroient lenfant Polydorus, lequel
estoit en leurs mains.
Apres donques que Vlysses Roy d'Itaque eut fait fin à
son oraison, Panthus lun des grans seigneurs de Troye,
père de Polydamas, print la parole, et dit à Vlysses : Que
certainement entre eux auoient bien la voulenté de remé-
dier à ceste besongne, mais non la puissance. Pareillement
le Prince Antenor disoit, quil ne tenoit point à eux ny à
leur conseil, que toutes les choses nallassent bien : mais
ceux qui auoient administration de la souueraineté des
choses, conduisoient tout plus par voulenté que par rai-
son. Apres lesquelles choses dites, ledit Antenor feit entrer
au conseil les Princes estrangers qui estoient venuz par
amitié (1) au secours de Priam, et aussi les autres Princes
souldoiers. En la présence desquelz, Vlysses reïtera son
oraison plus ague et plus véhémente que parauant, en
appellant les Troyens tous mauuais hommes, exorbitans de
raison semblables à Paris Alexandre, duquel ilz souste-
noient la querele si ruineuse et si peruerse. Et amenoit
son parler par si grand artifice, que tout le peuple Troyen
se condescendoit à sa voulenté. Et auoient horreur tacite-
ment en leurs courages, de loutrage fait aux Grecz. Puis
selon la manière accoustumee, les plus anciens dirent cha-
cun leur opinion par ordre. Et confessèrent tous ensemble
par commune voix, que le Roy Menelaus auoit esté iniu-
rieusement traité, attendu quil auoit receu amiablement en
son hostel Paris et Deïphobus. Et que Paris auoit brisé les
(1) amistre (mscr. de Genève).
SIMGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 143
loix de toute humanité, en rauissant la femme de son hoste.
Et ainsi disoient ilz tous, excepté lun diceux citoyens,
nommé Antimachus, qui fut dopinion contraire. Car selon
ce que met Homère en lonzieme liure de l'Iliade, ledit An-
timachus auoit esté corrompu par Paris Alexandre, à force
de dons et dargent, pour tenir sa bende.
Voyans donques ces choses le Prince Antenor, le sage
Panthus, et les autres seigneurs, et citoyens de Troye, ilz
enuoyerent au palais vers le Roy Priam deux hommes esluz
à ce, pour laduertir du tout : mesmement de son filz le
petit Polydorus, lequel estoit détenu prisonnier en la main
des Grecz. Et quand le Roy Priam entendit ceste nouuelle,
de la grand douleur quil eut, il cheut pasmé à terre, en la
présence de tous. Et quand il fut remis sus, et voulut aller
au conseil, ses enfans lengarderent, et luy prièrent quil ne
bougeast : mais eux mesmes sen vindrent ruer impétueuse-
ment au mylieu de lassemblee, là où ilz trouuerent le des-
susdit Antimachus, estriuant contre les Grecz, et souste-
nans la querele de Paris : lequel outrageoit fort les ambas-
sadeurs de Grèce, disant quil ne souffriroit iamais que
Menelaus partist de Troye, iusques à ce que lenfant Poly-
dorus fust restitué sain et sauf, et aussi quon deuoit gar-
der les deux autres : cestasauoir Vlysses et Ûiomedes, ius-
ques à tant que ainsi fust fait. Et comme tout chacun se
teust, Antenor commença à résister au contraire, et def-
fendre à toute puissance, que telle chose ne fust décrétée au
preiudice desdits ambassadeurs, et au deshonneur du Roy
Priam. Mais après longues altercations, les paroles mon-
tèrent tant dun costé et dautre, quon procéda iusques à
coups donner. Toutesuoyes en la parfin Antimachus, qui
esmouuoit tout le débat, fut ietté hors de lassemblee, par
tous les assistans, et deClaJré mutin et sedicieux.- Et les
144 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
ieunes enfans de Priam laissèrent aussi ladite congrégation,
excepté le Prince Hector,
Alors le sage vieillard Panthus dressa son parler à la
fleur des nobles hommes du monde : cestasauoir Hector,
lequel comme met nostre acteur Dictys de Crète, estoit le
plus sage, et le meilleur de tous les enfans de Priam. Et
luy commença à supplier humblement, que maintenant il
voulsist tenir la main à ce, que madame Heleine fust ren-
due, mesmement, puis que les Princes de Grèce estoient
venuz amiableraent la requérir : disant que si Paris auoit
autresfois esté ardant en lamour délie, quil y auoit desia
passé du temps assez pour en estre saoulé, et que chacun
voyoit clerement à lœil, la grand puissance des Princes de
Grèce et leur gloire et hautes emprises, et quilz auoient
desia prins et depopulé beaucoup des citez du Royaume de
Phrygie, et du païs circonuoisin : pour laquelle chose le
Roy Polymnestor esmu de grand crainte, leur auoit deli-
uré lenfant Polydorus : et faisoit à présupposer, que les
autres citez du tenement de Priam, pourroient bien ensui-
ure semblable manière de faire. Et plusieurs autres choses
allegoit Panthus, lesquelles laisse pour cause de brieueté.
Et quand le noble Prince Hector leut escouté tout en paix,
il fut vn peu triste : et les grosses larmes luy tomboient des
yeux, quand il luy souuint de son petit frère Polydorus.
Toutesuoyes, il disoit que ce nonobstant on ne deuoit point
trahir la personne d'Heleine, puis quon luy auoit vne fois
la foy promise : mais bien pourroit on rendre tout ce qui
auroit esté prins auec elle : et au lieu délie, bailler au Roy
Menelaus aucune de ses sœurs, si comme la pucelle Cas-
sandra, ou la belle Polyxene, auecques grand douaire, et
grans dons.
Quand Menelaus Roy de Lacedemone eut entendu ceste
SIN6VLARITKZ DB TROYB. LITKB II. 145
response d'Hector il la print en grand et raerueilleux des-
daing : et dit ainsi par grand felonnie(l) : « Ainsi mayd Jupi-
ter le Roy des hommes et des Dieux, ie seroye donques bien-
heureux, sil falloit que après estre violentement despouillé
de ma propre femme, ie fusse contraint de permuer mes
amours et mon mariage, à lappetit de mes ennemis mor-
telz. )) Alors le (2) baron Eneas répliqua en ceste manière :
« Roy Menelaus, de ce ne faut ia que tu te soucies tant ; car
quand tout le monde lauroit iuré, si te garderây ie bien de
si grand honneur, et moy, et tous ceux de ma bende, qui
aymons ihonneur et le proufit de Paris Alexandre : il en
est encores assez, ne te chaille, et sera, de ceux qui deffen-
dront à main armée la maison et le Royaume de Priam
contre voz iniures. Et quand il aura perdu lenfant Poly-
dorus, si ne sera il pas pourtant destitué denfans. Vous
semble il donques à vous autres Grecz quil nest loisible à
nul autre fors à vous, duser de telles manières de rapines ?
Ceux de lisle de Crète, qui sont des vostres, ne rauirent ilz
iadis la belle Europa, fille du Roy Agenor de Sidone ? Et
le beau Prince Ganymedes filz du Roy Tros nostre ances-
tre, ne fut il aussi esleué par eux en ceste contrée mesmes ?
Que dirây ie de Medee fille au Roy Eetha ? ignorons nous,
que ceux de vostre party de fresche mémoire, lallerent
rauir en Colchos ? lusques icy on ha procédé par paroles,
mais si vous et vostre armée ne partez soudain de ceste
région, vous expérimenterez à coup (3) la grand vertu
Troyenne, à vostre merueilleux preiudice : car nous auons
tout premièrement de nostre part, la forte main et bon
adiutoire des Dieux immortelz, et en oultre, auons grand
(1) c.-à-d. irritation. — (2) Le mscr. de Genève ajoute le beau.
(3) c.-à-d. soudain.
II. iO
ilQ ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nombre et abondance de ieunes hommes instruits noble-
ment aux armes, et de iour en iour nous suruient assez de
nouueau secours. » Quand Eneas eut fine ses paroles, Vlysses
respondit doucement en ceste manière : « Par noz Dieux, il
nest ia plus mestier donques, de différer noz inimitiez dun
costé et dautre. Donnez signe de bataille quand vous vou-
drez, et ainsi comme vous auez esté les premiers en infé-
rant liniure, soyez aussi les premiers à donner les horions :
et nous vous suiurons après que nous aurez prouoquez . » Et
cest iusques icy la narration de nostre principal acteur Dic-
tys de Crète.
, Mais Dares de Phrygie met ladite ambassade auoir esté
faite auant la mort de Protesilaus Roy de Phylace, et ne
fait nulle mention du petit Polydorus. Dit en oultre ledit
Dares, que le Roy Priam presidoit en son conseil, quand
ladite ambassade vint. Et après auoir ouy leur demande
fondée sur la restitution de la belle Heleine, et de la proye
emmenée auec elle, luy mesmes leur remeit au deuant les
iniures des Argonautes, cestadire de ceux qui nauiguerent
en Colchos : leur reprocha la mort de son père le Roy
Laomedon, la destruction de Troye faite par Hercules et
Telamon, et la seruitude de madame Hesionne sa sœur :
et aussi les opprobres et mauuais traitemens faits au baron
Antenor son ambassadeur. Parquoi ledit Roy Priam refusa
tout appointement de paix auec lesdits Grecz : et leur signi-
fia la guerre ouuerte. En commandant que promptement
iceux ambassadeurs eussent à vuider hors de sa cité et de
son Royaume. Et cest lescrit dudit Dares. Si fait à noter
quen plusieurs passages il y ha discordance entre lesdits
deux acteurs Dares et Dictys : iasoit ce quilz fussent tous
deux presens à la guerre Troyenne, mais ilz estoient de
deux partis lun Troyen et lautre Grec. Toutesuoyes des difi'e-
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. i47
rents qui sont en leur narration originelle ie me passeray
(le léger, en ensuiuant principalement lordre de mon acteur
Dictys, pource que sa compilation est plus ample et plus
disfuse, et aussi plus vraysemblable et mieux ordonnée. (1)
loint à ce, que les nobles œuures du Prince des poètes
Homère, et de Virgile, et aussi d'Ouide sont presques vni-
formes à icelle. Par ainsi lesdits ambassadeurs de Grèce
ayans response de refus total, se retirèrent en leur ost,
non pas sans le grand desplaisir du peuple de Troye ;
lequel estoit dolent en merueilles des paroles arrogantes
proférées par Ëneas. Et quand lesdits trois personnages
furent de retour, en la présence des autres Princes de
Grèce, ilz récitèrent à plein tous les dits et les faits des
Troyens alencontre d'eux, dont ilz furent généralement fort
indignez et encores plus irritez à vengeance. Si fut décrété
incontinent, que le petit Polydorus seroit occis en la pré-
sence de tous ceux qui le voudroient voir au plus près des
murs de Troye. Et sur ce cas ne fut pas faite grand dila-
tion : ains fut prins ledit noble enfant Royal, et mené sur
vn haut tertre, en lieu eminent près de la cité, et illec
occis, et lapidé, par la multitude des Grecz, à force de
coups de pierre, voyans plusieurs des Troyens qui estoient
aux créneaux. Ainsi le ieune innocent porta la peine du
mefifait commis par son mauuais frère Paris. Ce fait, lun
des herautz des Grecz alla noncer iusques aux portes de
Troye la mort dudit Polydorus, à fin quilz vinssent prendre
le corps pour le sepulturer. Et pour ce faire fut enuoyé lun
des herautz de Troye, nommé Ideus, auec aucuns gentilz-
hommes de la maison du Roy qui lemporterent tout gasté,
(1) Les Occidentaux préféraient cependant Darès. (Cf. Moland et
d'HérioaiUt, Nouvelles françaises eo prose du XIY* siècle. Introd.)
i48 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
meurtry et despecé à la Royne Hecuba sa mère, laquelle
en mena grand et merueilleux dueil, comme il est vraysera-
blable. Toutesuoyes, Virgile au*troisieme Hure des Eneïdes
recite autrement la mort dudit Polydorus, et en autre
temps : et aussi fait Ouide au xiii. de sa Métamorphose :
disant que la Royne Hecuba fut emmenée en seruage, en
passant par le Royaume de Polymnestor, son gendre qui
auoit occis le petit Polydorus, pour vsurper les trésors qui
luy auoient esté baillez en garde auec lenfant : dont Hecuba
conuertie en rage désespérée, trouua manière de creuer les
yeux audit Roy Polymnestor. Parquoy finablement elle fut
mise à mort par les Grecz.
Endementiers que ces choses se faisoient, à fin que rien
ne demourast entier aux alliez de Priam, Aiax Telamonius
assailloit hostilement plusieurs citez appartenantes à Eneas,
Antenor, et autres de la maison de Priam, et les demolis-
soit et depopuloit, si comme Cella, Gargarus, Marisba,
Sepsis, et autres situées es montaignes Idées, qui seront
plus à plein spécifiées au dernier liure. Et feit courses et
gastemens : et bouta les feuz par toutes lesdites montai-
gnes : puis ramena en lost grand nombre de bestial et autre
butin. Et en ce temps mesmes Chryses larchiprestre du
temple d'ApoUo de Sminthe, vint en larmee des Grecz,
humblement suppliant de rauoir sa fille Astynome, iadis
femme au Roy Faction de Lyrnesse, laquelle en diuisant le
butin auoit esté deliuree au Roy Agamemnon, comme des-
sus est dit. Et pource que ledit archiprestre ne fut point
ouy, grand pestilence se meit en lost des Grecz : dont le
prestre Calchas prononça la cause à lasseurance d'Achilles,
disant, que tel meschef ne venoit sinon pour la détention
de la fille de Chryses archiprestre du Dieu Apollo : car ice-
luy Dieu en estoit malcontent. Et les Troyens voyons les
SIMGVLAKITEZ DE TROYE. LITRE II. 149
feuz contiûuelz qui se faisoient en larmee des Grecz pour
brusler les corps des morts, saillirent hors de Troye et fat
faite la seconde bataille, en laquelle emporta le prys du
costé des Troyens le Prince Hector, auee le Roy Sarpedon
de Lycie : et du costé des Grecz les Koys Diomedes et
Menelaus, dont la nuict suruenant feit faire cesse.
Ces choses faites, les Grecz voulurent establir Achilles
chef de toute larmee : pource que Agaraemnon ne vouloit
rendre la belle Astynome, autrement appellee Chryseis, à
son père Chryses. A loccasion dequoy la mortalité de plus
en plus senforçoit parmy eux, et mouroient misérablement
grand nombre de gens et de bestes. Toutesuoyes finable-
ment Agamemnon fut content de restituer ladite Chryseis :
pourueu quen son lieu fust baillée la belle Hippodamie,
autrement dite Briseis, fille du Roy Brises de Pedase, dont
sera faite plus ample mention au dernier liure. Chacun
saccorda à ce pour le salut commun de toute larmee, ex-
cepté Achilles, auquel il competoit le plus : car il la tenoit
pour samie et chère concubine. Mais ce nonobstant, Aga-
memnon vsant de sa puissance Royale, comme chef de toute
larmee, enuoya quérir par deux herau tz ladite Hippodamie,
ou Briseis es tentes du Duc Achilles, et la feit mener es
siennes. Et ce faisoit il, par despit de ce que le prestre Cal-
chas, par ladueu et asseurance dudit Achilles, auoit declairé
que la peste ne cesseroit iusques à ce que Agamemnon eust
rendue ladite Chryseis à son père.
Ainsi fut renuoyee la belle à son père honnestement
accompaignee des deux grans personnages : cestasauoir
Diomedes et Vlysses. Lesquelz dabondant offrirent grans
dons au temple d'Apollo de Sminthe, pour appaiser Tire
diceluy Dieu. Et par ce moyen cessa la pestilence en lar-
mee des Grecz. Si fut aussi enuoyee en lisle de Lemnos cer-
iSO ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
taine portion de la proye et butin conquis sur les ennemis,
àPhiloctetes seigneur de Methon et de Melibee, lequel estoit
demouré malade en ladite isle, à cause de la morsure dun
serpent, comme dessus est dit. Mais Achilles tenant à grand
iniure labstraction de sa concubine Briseis, ou Hippodamie,
en conceut en son courage vne terrible indignation contre
les Grecz, mesmement contre le Roy Agamemnon : et se
tint àe là en auant en son pauillon, auec son amy Patro-
clus, et son gouuerneur Phénix, et son aurigateur Autome-
don, et ses autres Myrmidons. Et sur ce propres fonde et
commence toute sa noble matière du volume de Tlliade, le
prince des poètes Homère.
En ces entrefaites, le tresnoble Prince Hector, chef et
conducteur de toute larmee Troyenne, feit saillir hors des
portes de la cité, toute la belle cheualerie d'Asie la mineur,
quon dit maintenant Turquie ou Natolie : ensemble les
Princes tant de la maison du Roy Priam, comme ses vas-
saux, amis, alliez, et souldoiers : desquelz les noms et sei-
gneuries sont spécifiées assez competentement au premier
liure, et seront encores plus au dernier. Les Grecz aussi
meirent leur armée en front, et ordonnèrent leurs esles et
leurs batailles. Mais Achilles se tint à lescart auec ses
Myrmidons, et ne se voulut point renger en ordonnance
des autres, à cause de la hayne et dissension quil auoit
auec le Roy Agamemnon, pour lamour de sa concubine
Hippodamie quil luy auoit tollue. Quand donques les armées
tant des Grecz que des Troyens furent rengees bien à point,
ne lune partie ne lautre ne feit semblant de se bouger ne
dentamer la bataille, mais se tindrent tous coys sans rien
faire, pour ce iour. Et quand ce vint sur le tard, chacun
sonna la retraite de son costé. Dont Achilles ce voyant,
pensa de se venger du Roy Agamemnon, et cuida surpren-
SIMGVLARITEZ DE TROTE. LITBB H. 15t
dre son armée en desarroy et donner sur luy, à tous ses
Myrraidons : mais Vlysses sen donna bien garde. Parqaoy
Achilles sans rien faire, mais tout transmué de courroux,
sen retourna en ses tentes, et les Troyens à Troye. Et ceste
nuict furent ordonnez par les Grecz Aiax et Diomedes
explorateurs pour la nuict. Et Dolon Troyen fut aussi esta-
bli par Hector, à aller guetter lost des Grecz : mais il fut
surprins par lesdits Aiax et Diomedes, et après auoir sceu
le secret des Troyens, ilz tuèrent ledit Dolon.
152 ILLVSTRATIONS DE G^VLE, ET
CHAPITRE XVI.
Narration dane iournee assignée pour batailler, entre les Grecz et
les Troyens. Et de la couardise de Paiis encontre Menelans : de
laigre reprehension que Hector luy feit à ceste cause. Et comment
Paris soffrit à combatre Menelaus corps à corps. De la forme des
conuenances sur ce prinsea. Et comment à Haleine retourna le
désir de son premier m&vj. Et des deuises du .Roy Priam auec
ladite Heleine.
Certains iours passez sans rien faire, iournee fut assignée
dune part et dautre, en la belle campaigne qui est entre la
cité de Troye, et le port de Sigee : et fut fait de tous costez
grand appareil de bataille. Toutesuoyes Achilles ne sy
trouua point : car il ne se vouloit plus armer, par despit
du Roy Agamemnon. Et pource quen ceste iournee il y
eut vne bataille singulière, cestadire corps à corps entre le
Roy Menelaus et le beau Paris, laquelle est diffusément
narrée par le prince des poètes Homère au troisième liure
de son Hiade, et bien coulouree de fleurs poétiques : et aussi
est récitée en brief et plus succintement par Dictys de Crète
en son deuxième liure, ie vueil icy marrester vn petit à
descrire ledit combat, pource quil est beau et délectable, et
sent bien son antiquité. Et pour ce faire, ie translateray
presques mot à mot ledit Homère sur ce passage. Et nonob-
stantant ie ne relenquiray point de trop loing la vérité his-
toriale de nostre acteur Dictys de Crète.
Or dit iceluy noble prince de poètes Grecz mis en Latin
par Laurens Valle : Que quand les armées Troyennes
SUIGTLARITEZ DE TROTE. LITBE 11. 155
furent ordonnées chacune souz son chef et conducteur,
et furent diuisees en esles et en esquadres, elles marchèrent
audeuant desGreczqui desia approchoient. Là eut grand oy
et grand huée faite du costé diceux Troyens, ne plus ne
moins que les grues ontaccoustuméde faire au temps matutin
quand elles partent des régions Septentrionales, et volent par
lair en grands compaignies, vers la grand mer Oceane, pour
faire cruelle guerre et mortifère aux petis Pygmiens. Et au
contraire, les Grecz sans noise et sans clameur, mais sans
plus fremissans par grand ire, tacitement en eux mesmes
hastoient leurs pas, reuoluans en leurs courages par quel
moyen ilz pourroient vaincre leurs ennemis, et deffendre
eux et les leurs. A la venue donques des Troyens, ou pour
mieux dire à la course, si grand pouldrerie sesleua en la
campaigne, mesmement à layde du vent qui souffloit, que
ce sembloit vne de ces bruines espesses qui sont ennuyeuses
aux bons bergers des champs, et agréables aux larrons
nocturnes. Laquelle nieble bruineuse est aucunesfois ame-
née par le vent Auster sur la cruppe des hautes montai-
gnes, tellement que la pouldrerie (1) offusquoit la veiie des
deux armées et ne pouuoit on choisir de lœil, plus loing
dun iet de pierre.
Et quand lesdits deux exercites furent si prochains lun
de lautre, que desia on sapprestoit pour batailler, Paris
Alexandre homme de singulière beauté, marchoit fîerement,
et à grans pas, douant toutes les armées de Troye, prouo-
quant et deffiant par hautes paroles, à bataille singulière
tous les plus forts des Grecz. Or portoit il pour sa cotte
darmes, vne riche peau de leopart toute estoffee dor et de
pierrerie. Son arc et son carquois, et deux dards resplen-
(I) pouldriere (mscr. de Qenèvo).
154 ILLVSTRATIOISS DE GAVLE, ET
dissans en sa main. Et quand le fort batailleur Menelaus
leut veu et entendu, il se resiouit en telle manière que fait
vn lyon familieux, quand il rencontre vu grand cerf cornu,
ou vn chamois lequel est poursuiuy des chiens et des ve-
neurs. Ainsi par grand ardeur et espérance de venger son
iniure, il descendit promptement de son chariot et se meit
à pied comme il estoit aorné. Si se présenta deuant Paris,
marchant hastivement alencontre de luy. Alors Paris
Alexandre des quil veit son mortel ennemy Menelaus, luy
venant alencontre, il fut frappé dune peur soudaine : et
arresta tout court son allure. Puis se commença à retirer
vers ses gens : tout ainsi que fait vn pèlerin passant par la
montaigne : lequel quand il apperçoit en sursaut quelque
horrible dragon en son chemin, se trouble et estonne de
primeface, puis après pallit et tremble, et presques en se
laissant choir recule arrière.
A ce spectacle, la fleur de cheualeri^ Hector, tout en-
flambé d'ire et de mal talent, commença à vitupérer son
frère par paroles ignominieuses : et luy dit en ceste ma-
nière : « Dysparis (1) et non Paris de beauté nompareille,
mais tout perdu en lamour des femmes, hardy de paroles et
lasche à leffect, combien eust il mieux valu que tu ne fusses
iamais né ? Et pleust ores aux Dieux que ainsi eust esté,
ou que tu fusses mort en ieunesse, auant que commettre vn
tel deshonneur, mesmement deuant les yeux de tout le
monde. Ne vois tu combien de liesse ces Grecz perruquez
et calamistrez en ont receu, et à bon droit, comme ceux qui
cuidoient que ainsi comme tu es le plus beau de tous, aussi
tu fusses le plus cheualereux ? là où maintenant ilz enten-
dent bien, quil y ha en toy trop plus de beauté que de vail-
(1) c.>à*d. funeste.
SIKG?LARITEZ DE TROYB. LITRX II. «186
lance. Assez as tu de formosité et bonne taille de corps et
de membres, mais le courage test défaillant. Et neant-
moins, comme tu soyes tel, tu as osé auec vne bende de
gens esluz, et vne armée bien equippee, aller en région
estrange suborner la femme dautruy. Et comme tu fusses
esprins de la merueilleuse beauté délie, combien quelle
eust vn mary bon à la guerre, tu las prinse en la région
d'Achaie : et las amenée par deçà, (1) à la totale destruction
de monseigneur nostre père, du Royaume aussi , et de
tout le nom Troyen, et à lesiouissement de noz ennemis,
et perpétuelle infamie de toy mesmes. 0 quel deshonneur,
qui nas osé attendre Menelaus ! Dont vient cela ? Certes
pource que tu congnois quel homme il est à la guerre :
et combien celuy fait à redouter, à qui tu as osté sa
femme. Certainement entre ces tourbillons de guerre ,
harpes ne lues dont tu te scais ayder, ne seruent rien à la
victoire : ny aussi le beau chanter ou danser, ne lelegance
de forme, ne les cheueux blonds et bien peignez, qui sont
dons veneriques, ne toutes telles semblables choses. Et à
fin que tu saches, voicy tous les Troyens, lesquelz pour
defiendre ton crime et ton forfait ont comprins les armes,
maintenant sont tous estonnez de ta crainte et faute de
cœur, et nont plus courage aucun de combatre. » Lors Paris
respondit ainsi à son frère aisné :
« Selon le droit de ta nature, monseigneur mon frère Hec-
tor, tu nas pas trop oultrageusement reproché ma lascheté :
Car ton corps et ton courage ne sont non plus fatiguez de
labeur quotidien, ne plus ne se meuuent pour aucun ren-
contre, que fait vne dure coignee, laquelle le charpentier
ou bocquillon exerce continuellement à couper bois. Et par
ce moyen, le trenchant dicelle, dur, acéré, et bien trempé,
(1) Aucune cédille (ëd. 1516 et 1528).
156 ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
saffine iournellement, par la perseuerance de lœuure. Mais
ie te prie, ne me vueilles point mettre au deuant, par
manière de reproche et vitupération, les dons de la Déesse
Venus. Car les biens faits, que les Dieux nous contribuent (1)
ne se doiuent point reprocher, pource quilz ne sont point
donnez selon la voulenté des hommes, mais selon le plaisir
de Dieu mesmes. Et si tu veux ores que ie combatte corps
à corps encontre Menelaus, commande que tous les Troyens,
ensemble les Grecz cessent et se tiennent coys, en regar-
dant le combat que nous ferons nous deux, duquel ilz
seront iuges et tesmoings : Et quiconques demourera vain-
queur, cestuy là ayt Heleine à femme, sans nul contredit,
pour laquelle ceste guerre sest esmue : ensemble toute la
richesse, qui fut apportée de Lacedemone : et tous les
autres, fassent foy et serment de sen retourner en leurs
contrées, les Troyens à Troye, et les Grecz en Grèce. »
Quand le noble Prince Hector eust ouy les paroles de
son frère Paris, il fut merueilleusement ioyeux : et se
transporta incontinent au mylieu des deux armées. Et tant
de sa forte voix, comme de sa lance quil tenoit par le
mylieu, faisoit arrester les compaignies de ses gensdarmes,
et les Troyens obéirent incontinent. Mais les Grecz de leur
costé, en marchant tousiours, tiroient flesches, dards, et
pierres de fonde. Laquelle chose voyant le Roy Agamem-
non, il dit à ses gens : « Déportez vous vn petit, enfans. Si
contenez voz mains, et retirez voz corps : Car comme iap-
perçois, Hector veult traiter quelque chose auecques nous. »
A laquelle voix les Grecz se désistèrent incontinent. Et
après le bruit appaisé, se tindrent tous coys et paisibles,
autant que faire se pouuoit, et demourerent ententifz pour
(1) c.-à-d. accordent.
SIMGVLARITEZ DE TEOYE. LITRE II. 157
escouter. Adonc Hector estant au mylieu des deux osts dit
ainsi : « Oyez moy, vous Troyens, ensemble vous autres
Grecz : et entendez par moy ce que dit mon frère Paris
Alexandre, à loccasion duquel toute ceste guerre sest meue
entre nous. Il veult et désire que Troyens et Grecz, tant
dun costé que dautre en mettant ius leurs armures ne fas-
sent que regarder. Et quon les laisse faire eux deux seule-
ment : cestadire, que luy et Menelaus au mylieu de ces
deux exercites, debatent leur querele par force, et par
armes. Et quiconques d'eux deux vaincra, que Heleine soit
sa femme, sans contradiction : et ayt aussi toute la richesse
amenée de Lacedemone. Et les autres fassent serment, de
sen retourner chacun en sa maison : cestasauoir les
Troyens à Troye, et les Grecz en Grèce. » Ainsi parla le
preux Hector. Alors vnchacun tenant silence, le Roy Mene-
laus feit sa harengue à tous les deux osts, et dit en ceste
manière :
« Prestez moy escout, vous Grecz et consequemment vous
Troyens : car ma iuste douleur mimpute nécessité de res-
pondre, principalement entre tous les. autres. Donques il
me plait tresbien, et si me consens de grand courage, que
quiconques de nous deux mourra en ceste bataille, soit
mort pour luy seulement : et que tous les autres sen retour-
nent incontinent chacun en sa maison, sans plus guerroyer :
à fin quun chacun soit doresenauant quite et deliure des
grands peines et labeurs, lesquelles vous Grecz auez sous-
tenu pour deffendre mon droit, et vous Troyens pour la
cause d'Alexandre. Et que par ceste transaction, vous en
soyez affranchis. Apportez donques icy en présence deux
aigneaux lun masle, et lautre femelle : et que le masle soit
sacrifié au Soleil, et la femelle à la Terre. Et nous fourni-
rons du tiers pour offrir au souuerain Dieu lupiter. Mais
158 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
premièrement et auant toutes choses, amenez cy le Roy
Priam qui establisse ces conuenances luy mesmes, à fin que
aucun de ses enfans, ainsi quilz sont lasches et desloyaux,
ne fassent ces choses irrites et de nulle valeur, par fraude
et par malengin. Car tousiours les esprits de ieunes gens
sont muables et sans grand fiance. Mais ores si le bon vieil-
lard est présent à cest appointement, et quil préside à
iceluy, certainement en considérant les choses passées, et
les présentes et futures, il se donra garde que ces pactions
icy soient fermes et stables, et que paix finale se fasse in-
continent entre les deux armées, ainsi quil est de mestier. »
Des que le Roy Menelaus eut fine sa parole, tant les Grecz
comme les Troyens sesiouirent dune grand liesse, esperans
que désormais ilz se reposeroient dune tant périlleuse et
mortelle guerre. Eux donques séparez lun de lautre par
petit dinterualle , descendirent des chariotz : boutèrent
leurs chariotz tous de reng : et meirent ius leurs lances et
leurs dards. Puis Hector enuoya deux heraux en la cité,
pour aller quérir le Roy Priam, à fin quil fust présent à
faire icelles conuenances, et pour apporter des aigneaux.
Et le Roy Agameranon commanda aussi à son héraut
nommé Talthybius, quil allast aux nauires pour apporter
le troisième aigneau. Et pendant que lesdits heraux se has-
terent de faire chacun ce que leur estoit enchargé. Iris la
messagère de la Déesse luno, descendit de lair, et print la
forme de lune des filles du Roy Priam nommée Laodice
femme du Prince Elycaon pour annoncer à Heleine le com-
bat et le camp mortel qui se deuoit faire entre Menelaus et
Paris. Et la trouua quelle tisoit vn noble ouurage de fine
pourpre, pour faire vn manteau grand et ample, auquel
elle auoit desia peint à lesguille plusieurs des faits de la
guerre Troyenne. Adonc Iris sapprocha, et luy dit en ceste
manière :
SraGVLABITEZ DE TROTB. UVRI II. 159
« Or vien maintenant, la tresbelle espouse de mon frère
Paris, vien voir vne chose meruei lieuse qui se fera ores
entre les Troyens et les Grecz : car aux champs où ilz se
deuoient rencontrer par grand affection pour deffaire lun
lautre, ilz ont présentement laissé la bataille, et sont au
mesmes lieu près lun de lautre, tous coys faisans silence
appuyez sur leurs escuz. Et sont leurs lances plantées
auprès deux : car Alexandre doit tantost combatre auec
Menelaus, pour voir auquel tu demoureras pour femme. Si
es constituée pour le guerdon de la victoire entre les deux
parties. » Ainsi que la Déesse Iris disoit ces choses, il entra
en la douce poitrine de la belle Heleine, vn grand désir de
son premier mary, de ses parens, et de son pais. Si saccous-
tra hastiuement dun fin rochet de lin, et partit de sa cham-
bre : mais au long de sa belle face luy decouroit vn grand
ruisseau de larmes. Et la suiuoient deux de ses damoiselles,
lune nommée Ethra fille de Pytheus, et lautre Clymena. Et
comme elle fut venue légèrement (1) à la porte Scee, elle
monta les degrez pour aller en la haute tour dicelle porte.
En ladite tour estoit le bon Roy Priam, auecques les
plus anciens des Princes et seigneurs de Troye : cestasauoir
Panthus, Antenor, et autres qui plus nestoient duisans à
porter armes, à cause de leur vieillesse, mais bien estoient
ilz propices au conseil. Si se seoient autour du Roy Priam :
et deuisoient de plusieurs choses entre eux, et ressem-
bloient les crinsons ou cigales lesquelles au temps desté
mussees entremy lombrage des branches fueillues ont
accoustumé de chanter doucement. Mais quand iceux
Princes apperceurent Heleine marcher parmy la grand tour
large et spacieuse, ilz disoient lun à lautre tout bassement :
(1) c.-à-d. rapidement.
Ifll ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
« Certes ce nest point chose estrange, si les Troyens et les
Grecz soustiennent tant de maux , et par si longue espace,
pour vn tel visage, qui ne semble point estre de femme
humaine, ainçois plustost dune Déesse immortelle. Mais
toutesuoyes posé quelle soit dune beauté si diuine, si seroit
ce chose plus seure de la renuoyer en son hostel, que de la
retenir à force, à fin quelle ne soit cause de perpétuelle
misère à nous et aux nostres. » Ces paroles disoient iceux
anciens Princes ensemble : Mais, le Roy Priam en appellant
Heleine dit ainsi : n Viença, ma tresdouce fille, et tassied
icy près de moy, à fin que tu voyes ton premier mary, et tes
autres parens et amis. Et ne cuide point que ie te vueille
improperer, ne donner reproche de ceste guerre, qui cause
tant de larmes : car ie ne men plaings sinon aux Dieux
ausquelz il ha pieu me molester par tant de malheurs. Sied
toy icy, ma fille, et me dis qui sont ces personnages que ie
Toy là surpasser les autres, tant en hauteur de stature,
comme en resplendeur daornemens. » Et lors Heleine, la
Déesse des femmes, luy dit ainsi : « Mon tresredouté sei-
gneur et beaupere, ta parole et ton regard, me sont tous-
iours à crainte et à vergongne. Que pleust ores aux Dieux,
que ie fusse morte de mort obscure, quand premièrement
ie suiuis ton filz, en laissant mon mary, mes compaignes,
et ma fille vnique Hermione : car tant de maux ne sen fus-
sent ensuiuis. Et ne me fusse point ainsi tourmentée de
pleurs et de larmes, comme ie fais. Mais ie suis contente
dobeïr à ton commandement, et toy informer de ce que
desires sauoir. » Ainsi luy commença Heleine à designer tous
les Princes de Grèce. Lesquelz Homère descrit audit pas-
sage. Mais à cause de brieueté ie men déporte à présent :
car assez seront spécifiez au dernier liure.
SIlfGTLARITEZ DE TROTS. LIVRB il. 161
CHAPITRE XVII.
Reoit&tioD de la saraenue du Roy Priam au camp : dei cerimoniei
faites touchant le pact dentre les deux armées. Et du combat corpt
à corps fait par Paris contre Menelaus. Comment la Déesse Venu*
sauua Paris, et des reproches que Heleine luy «n feit. Auec excla-
mation sur les fictions du poëte Homère, et dei autres faits da
Paris pendant la guerre.
Ainsi qve le noble Roy Priara tenoit deuises auec la belle
Heleine, les deux herautz dessus mentionnez, enuoyez par
le Prince Hector, estoient arriuez en la cité de Troye, et
auoient desia prins les choses nécessaires à faire les conue-
nances, selon ce quon leur auoit commandé : cestasauoir
deux aigneaux, et du vin quilz portoient en vne peau de
bouc. Et lun diceux, nommé Ideus, portant vn flascon dor,
et deux hanapz de mesmes, sen alla faire son message au
Roy Priam, et dit en ceste manière : « Sire, plaise toy leuer
dicy, et ten venir hastiuement au camp, là où les Princes
Troyens, et Grecz tattendent, et mont commandé te venir
quérir, à fin que appointeraent se fasse entre eux au moyen
de ta présence, car ilz sont sur ces termes, que ton filz
monseigneur Paris et le Roy Menelaus doiuent esprouuer
au mylieu des deux armées à la pointe de leurs espees,
auquel des deux comme au vainqueur demeurera madame
Heleine, et tous les trésors amenez de Lacedemone. A fin
que tous les autres soient ensemble pacifiez, et que nous
demourons à Troye, et les Grecz sen aillent en Grèce. » Ces
u. H
162 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
choses ouyes, le bon Prince Priam fut tout troublé en son
courage : neantmoins il commanda à ses escuiers quon luy
amenast sa littiere, pour aller là où on lattendoit. La lit-
tiere fut tantost preste et accoustree de royaux aornemens :
si se meit dedens. Aussi le Prince Antenor monta sur son
chariot, pour luy tenir compaignie : et passèrent eux et
leurs gens, par la porte Scee, et vindrent en la campaigne,
là où les deux armées estoient. Si descendirent à terre, et
marchèrent par le mylieu.
Quand le Roy Agamemnon et Vlysses, veirent venir ces
deux anciens Princes, cestasauoir le Roy Priam et Antenor,
ilz se tirèrent en auant. Et les herautz à tout leurs cottes
darmes à la manière accoustumee, apportans les choses
nécessaires à faire les conuenances, se trouuerent là. Tout
premièrement ilz versèrent du vin es couppes dor, et puis
baillèrent leaue à lauer, à tous les Roys et Princes dun
parti et dautre. Lors le Roy Agamemnon, du fourreau de
son espee, tira vn couteau bien trenchant, et coupa du poil
de dessus la teste dun chacun des aigneaux. I^equel poil
ou laine, fut distribuée par les mains des herautz, aux
principaux et aux plus grans Princes de tous les Grecz et
les Troyens. Et lors le Roy Agamemnon dressant les mains
iointes au ciel, en laudience de tous, prononça les depre-
cations et paroles des conuenances en ceste manière :
« Pare céleste lupiter, qui présides à ce lieu cy, à cause
des hautes montaignes Idées, qui as la principauté plus
grande que tous les autres Dieux : et toy Sol qui vois et
congaois toutes choses, vous Fleuues, toy Terre, et vous
autres Dieux inférieurs qui tourmentez après la mort les
hommes desloyaux, et brisans leur foy, ie vous inuoque
pour tesmoings de ces pactz et conuenances, et vous sup-
plie que vueillez quelles soient saintes et inuiolables. Si
SINGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 165
Paris auiourd'huy en ceste bataille priue mon frère Mene-
laus de sa vie, que Heleine et tous les trésors soient à luy :
et nous nous en retournerons à tout noz nauires deuers noz
Dieux domestiques. Et si mon frère Menelaus occit Alex-
andre, que les Troyens rendent Heleine, auec toute la ri-
chesse : et que les Grecz oultreplus soient rémunérez deguer-
dons honorifiques, telz qui! semblera quil se doiue faire :
lesquelz guerdons aussi soient transferez à noz successeurs.
Et si le Roy Priara ou ses enfans refusent de nous donner
iceux prys et guerdons après la mort de Paris, iappelle
derechef les Dieux à tesmoings, que pour me venger des
conuenances rompues, ie perseuereray en ceste guerre : et
ny aura iamais autre fin mise, fors que lune ou lautre par-
tie soit du tout vaincue et suppeditee. » Ces choses dites, il
coupa la gorge ausdits deux aigneaux, lun masle lautre
femelle : et ainsi morts et sanglans quilz estoient, les meit
à terre. Les autres prindrent du vin es hanapz, et en bu-
rent vn peu par manière de sacrifice, puis respandirent le
demeurant en terre, en faisant prières et oraisons aux Dieux
supérieurs. Dont il en y eut de telz, qui disoient en ceste
manière : « lupiter, Roy des Dieux et le plus puissant de tous,
et vous autres esprits célestes, vueillez que ceux ausquelz
il tiendra que ces promesses et conuenances ne soient fer-
mes et permanentes, que tout ainsi que ce vin flue et coule
en terre, ainsi puissent couler et périr leurs enfans et leurs
femmes. » Mais pour lors le Dieu lupiter auoit ses oreilles
sourdes et estouppees, et non propices à exaucer leurs
prières.
Apres ces choses faites, le bon Roy Priam parla à toute
lassemblee, et dit en ceste manière : « Escoutez moy, vous
Troyens, et vous aussi Grecz. Certainement mes yeux ne
pourroient soustenir de voir mon trescher filz Alexandre
164 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
combatant auec Menelaus. Et à ceste cause, à fin que ie ny
soye présent, ie men retourne en la cité. Le haut Dieu
lupiter et les autres Dieux, ont desia en leur congnoissance
et détermination, lequel des deux est prédestiné à la mort. »
Quand il eut ce dit, il monta en sa littiere, et print les
deux aigneaux sacrifiez, si les feit emporter auec luy. Et
pendant quil sen retournoit en la cité, le Prince Hector et
le Roy Vlysses assignèrent vn lieu propice à la bataille.
Puis ilz ietterent sort en vne salade, auquel des deuz le
premier coup seroit deu. Et les deux armées qui estoient
alentour en doute et solicitude des choses aduenir, leuans
les mains au ciel, faisoient plusieurs vœuz et prières. Dont
les aucuns formoient leur oraison en ceste manière : « Père
lupiter qui domines sur les montaignes Idées, qui as plus
grand puissance que nul des autres Dieux, vueilles faire
auiourd'huy que celuy qui est cause de tant de misères et
calamitez, entre ces deux peuples et nations, puisse perdre
la vie, et soit précipité aux enfers : et que nous autres
puissions garder les conuenances inuiolablement. » Ainsi
disoient la pluspart des gensdarmes. Et le preux Hector ce
temps pendant ayant le visage destourné, hochoit la salade
en laquelle ilz auoient ietté le sort. Si apparut tantost, que
le tour de Paris estoit de ruer le premier coup. Adonques
tous se rongèrent en leur lieu par ordre, iouxte leurs che-
uaux et leurs armes. Et Alexandre pour estre armé plus
seurement et plus pompeusement, print vn harnois de iam-
bes, tout estofFé de fin argent, et vne cuirasse de mesmes
qui estoit à son frère Lycaon, mais elle luy estoit faite et
appropriée à sa poitrine, comme de cire. Puis meit en es-
charpe vne riche espee pendant à vne chaine dor. Et adapta
et accoustra à son espaule sa grande et pesante targe : et
meit en son chef, son harmet tout aomé par dessus de
81NGYLARITBZ DB TRÛYE. LIV&E 11. 10
crestes, plumas et tjrabres, horribles à regarder. Et au
dernier il print vn dard esmoulu, grand et fort à merueil-
les, mais tel, quil sen sauoit bien ayder. Menelaus aussi
de lautre part se faisoit armer de ses plus nobles armes. Et
quand ilz furent tous deux armez et bien empoint : ilz se
présentèrent au lieu du camp assigné, les Troyens et les
Grecz estans tout alentour. Et commencèrent à marcher
fièrement lun vers lautre, ayans le courage félon, et la
Youlentë mal entallentee, tellement que tous ceux qui les
regarde ient, en auoient grand frayeur. Et quand ilz furent
assez prochains lun de lautre, ainsi que au mylieu de la
place, ilz brandirent leurs dards, et tindrent leurs bras en
lair à fin dauoir plus grand coup et plus seur.
Paris Alexandre, lequel deuoit ferir le premier, branla
son iauelot par grand maistrise contre Menelaus, et le tou-
cha rudement en lescu, mais la pointe se rebouta auant
quelle peust passer lacier, dont la targe estoit couuerte.
Alors Menelaus se dressa sur les pointes de ses piedz à tout
son dard, etfeit vne brieue oraison en ceste manière :
« Ottroye moy, ie te prie, ô Roy lupiter, que cestuy cy qui
mha accomblé de tant de maux, soit puny selon ses démé-
rites, à fin que ceux qui sont maintenant en vie, et toute
leur postérité quand ilz en orront parler, ayent crainte de
maculer les nobles maisons esquelles ilz auront esté receuz
par amitié. » Et en ce disant, il contrepesa aucune espace
sa lance, puis lenuoya rudement contre Alexandre. Laquelle
en tresperçant le mylieu, ne passa pas seulement oultre
lacier, le cuir boully, et le bois dont il estoit composé, mais
aussi effondra en la cuirasse, et attaingnit Paris iusques à
la chemise. Et de fait, eust entamé sa poitrine, se neust
esté quil guenchit au coup, et se humilia soupplement à
costé. Ce fait, Menelaus tira de sa gueine argentine sa clere
106 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
espee, et en la haussant contremont, donna vn coup sur le
heaume de Paris si grand et si véhément, que lallemelle (1)
vola en pièces, et le manche luy saillit hors du poing.
Laquelle chose voyant Menelaus, il souspira parfondement,
et en dressant les yeux aux ciel dit ainsi : « 0 père lupiter,
certainement de tous les Dieux qui sont au ciel et en la
terre, il nen est nul pire que toy. Nagueres quand le te fai-
soye ma prière, iauoye conceu espérance que Paris rece-
uroit par mes mains le guerdon de la criminelle iniure quil
mha inférée : mais maintenant mon espee du premier coup
sest rompue, et ma lance ha esté iettee en vain, sans auoir
entamé les membres de mon ennemy. » Par telles et sembla-
bles paroles, le Roy Menelaus blasphemoit son Dieu lupi-
ter. Et neantmoins il se print courageusement à enuahir et
à aherdre (2) à la salade de Paris, si empoigna les crestes et
plumas estans sur icelle. Lesquelz (3) auoir appréhendé, il
sefforçoit de le traîner du costé de ses gens : et leust fait vic-
torieusement et à sa grand gloire, de tant plus facilement,
que quand il le tiroit par sa salade, le mol gosier de Paris
sestrangloit, au moyen de la chainette dorée, qui fermoit
à vne boucle sur le menton. Mais soudainement la Déesse
Venus fille de lupiter, quand elle congnut le meschef de
Paris, vint à la rescousse, et rompit le lyen : à fin que
Menelaus vainqueur, ne iouist que de la salade vuide, en
lieu de Ihomme. Laquelle chose aduint par efFect : car ainsi
comme Menelaus se fut tourné vers ses gens, pour leur ietter
la despouille de son ennemy, et ceux leussent receùe à grand
haste, et à grand joie, et que iceluy Menelaus eut prins sa
(1) c.-à-d. la lame.
(2) c.-à-d. s'attacher à
(3) suppléez : ajprè*.
SINGVLARITEZ OE TROYB. LIVRE II. 167
hasche.pour retourner incontinent sur Paris Alexandre, Dame
Venus ainsi comme celle qui est haute Déesse, toute aui-
ronnee dune nuée aureine, tira inuisiblement son seruiteur
Paris hors de la bataille, et le transporta soudainement
dedens la cité de Troye, où elle le colloqua en vne cham-
bre, riche et bien odorante, dedens son palais, là où son lict
génial (1) et voluptueux estoit somptueusement tapissé. Et
quand la Déesse Venus eut illec mis le beau Paris Alexan-
dre, elle se transforma, et print la figure dune des femmes
de chambre de la belle Heleine, nommée Gréa, laquelle
estoit venue auec elle de Lacedemone, et sen alla vers ladite
Heleine. Si la tira tout bellement par la robe, et luy dit
ainsi : « Madame, retourne sil te plait à Ihostel, là où ton
mary Alexandre tattend, et mha commandé tappeller, car
il est sur vne riche couche, plus beau et plus resplendissant
que nulle autre chose du monde. Et ne semble point quil
ayt combatu auec Menelaus, mais plustost quil vienne de la
dance. » Laquelle chose oyant la belle Heleine, de primeface
ne voulut acquiescer daller vers Paris. Et dit par efFect,
que iamais en la compaignie dun homme si lasche et si
couard ne se daigneroit trouuer. Mais après ce quelle se
^ut apperceùe que cestoit la Déesse Venus qui ainsi la
semonnoit, elle y alla. Et quand elle fut en la chambre où
estoit Paris, elle sassit sur vne scabelle, tournant les yeux
arrière du visage d'Alexandre, et luy dit en ceste manière :
« Nés tu pas retourné de la bataille là où tu sauois que
receurois mort sans remède, si ne leusses gaigné à fuyr,
comme celuy qui estoit desia surmonté et prins par ton
fort et robuste ennemy iadis mon mary, le Roy Menelaus ?
Or tu te soulois si bien vanter de le surpasser tant en force
(1) Uctus genialis, lit nuptial.
lOS ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
de corps, comme en science descarmoucher. Or va mainte-
nant et le deflfie à combattre corps à corps : mais non feras
(auraoins si tu men crois) ainçois doresenauant te garderas
bien de le prouoquer ainsi follement comme tu as fait ores :
voire et aussi de te trouuer deuant luy en la meslee, de
peur que si dauenture il te rencontre, il ne t^ tresperce de
son dard, ou de son glaiue. » Et alors Paris luy respondit
en ceste manière : « le te prie, mamie, ne me vueilles point
molester par telles reproches : certainement ie confesse que
le nay point vaincu Menelaus, mais ce ha esté au moyen de
layde quil auoit de la Déesse Pallas : et neantmoins vne
autresfois ie le surmonteray à mon tour. Car aussi bien ây
ie des Dieux et des Déesses en mon ayde comme il ha. Or
en tant quil touche le demeurant, ie te prie, faisons bonne
chère, et passons le temps en liesse coniugale. Car onques
mais depuis que ie couchay premièrement auec toy en lisle
de Cytheree, si grand ardeur damours ne me tint quil fait
présentement. » Et quand il eut ce dit, il entra en vne autre
riche chambre de son palais, et Heleine le suiuit.
A bon droit feint (1) le poëte Homère que le beau Paris
fut soustrait de la bataille par la Déesse Venus : cestadire
par sa mollesse, lascheté et peuvaloir. Attendu que luy qui
souloit estre égal en force et en vertu à son frère Hector,
le plus rude cheualier du monde, est deuenu si tresefFeminé
et si appaillardy, quil nha plus vigueur ne courage. Lequel
exemple fait bien à noter pour tous gentilzhommes moder-
nes. Or met oultreplus le poëte Homère en plusieurs passa-
ges de son volume de l'Iliade, que ladite Déesse Venus estoit
pour les Troyens, à cause du iugement fait par Paris en
faueur délie : en dénotant que lesdits Troyens estoient plus
(1) faict (mscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 169
adonnez à délices et à mignotises luxurieuses que nestoient
les Grecz. Et met aussi que luno et Pallas estoient du costé
des Grecz : pource quilz estoient bons gensdarmes. Et
auoient richesses, qui est désignée par luno : et prudence
de guerroyer, qui est signifiée par Pallas. Aussi y peult
auoir cause historiale pourquoy ledit poëte feint que Paris
fut soustrait de la bataille par Venus. Peult estre pource
que, comme recite Dares Phrygien, Eneas qui es toit estimé
filz de Venus couurit ledit Paris de son escu, et le tira
hors de la bataille : et le ramena sain et sauf en la cité,
lasoit ce que Dictys de Crète met que Paris fut nauré en
la cuisse du dard de Menelaus.
Aussi à cause de Venus le Dieu Mars estoit du party des
Troyens. Car Hector qui estoit comparé à Mars en fureur de
bataille, soustenoit la querele vénérienne de son frère Paris.
Neptune pareillement estoit du costé des Grecz : pource que
lesdits Grecz auoient la mer à commandement : et plusieurs
autres nobles fantasias dudit poëte peult on voir en son
œuure de l'Iliade, touchant lesdits Dieux et Déesses tenans
diuerses bendes, à cause du iugement de Paris. Cestasauoir
comment Venus pour lamour de son filz Eneas y fut nauree
en la main par Diomedes, et Mars semblablement : et com-
ment lesdits Dieux et Déesses aussi sentrebatirent, comme
met ledit poëte en son xx. liure. Mais mon intention, ne
mon pouuoir aussi nest mie dexpliquer toutes lesdites fic-
tions, pourquoy ie men déporte. Toutesfois en tant quil
touche Paris, iay recueilli dudit volume de l'Iliade, que
depuis ledit combat auec Menelaus, Paris Alexandre feit
les vaillances qui sensuiuent en la guerre Troyenne : cesta-
sauoir qui! tua Menesthius filz d'Arithous (1) et de Philome-
(1) Dariothus (mscr. de Oenève).
170 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
duse. Puis naura dun dard le cheual de Nestor Roy de Pylon :
et blessa aussi dune saiette Diomedes Roy d'Etolie en la
main dextre : et vn autre nommé Eurypylus en la cuisse.
Puis entra auec les autres dedens la fortification des Grecz,
quand Hector cuida brusler leurs uauires. Mais ce ne fut
point sans ce que Hector lappellast souuent couard et tar-
dif. Oultreplus il tua vn Grec appelle Dyochus. Et autre
chose nay trouué de ses faits audit liure. Dares de Phrygie
met que ledit Paris tua Palamedes dune saiette. Mais tous
les autres acteurs sont dopinion quil mourut par la machi-
nation faite contre luy par Vlysses et Diomedes comme des-
sus est dit. Maintenant faut retourner à nostre propos prin-
cipal.
SniGVLARlTEZ DE TROTE. LITRE II. 171
CHAPITRE XVIII.
Des conuenances rompaes entre lus deux ostz, et de la bataille renou*
iiellee par Pandarus de Ljcie : des grands prouesses d'Hector :
des treues prinseï pntre les armées, et de la reconciliation d'A-
chilles auec Agamemnon. Comment ledit Achilles senamoura de
Polyxene : recitation de la mort du Roy Sarpedon de Lycie : et
aussi de celle de Patroclus de Myrmidone, qui fut tué par Hector^
et antres choses.
Tandis donques que le beau Paris Alexandre auoit esté
soustrait du combat mortel, et quil vaquoit à choses véné-
riennes, comme dessus est dit, le Roy Menelaus, semblable
à vn ours enragé, couroit ça et là, pour voir sil trouueroit
Paris nulle part. Et ny auoit nul des Troyens ne des Grecz,
qui peust ne sceust dire, quil estoit deuenu : car ilz ne
leussent osé dissimuler, à cause des serments faits, et des
conuenances establies. Et aussi quilz aymoient mieux que
Paris mourust tout seul, que de continuer si dangereuse
guerre. Alors le Roy Agamemnon parla haut et cler, et dit
ainsi : « Escoutez, vous Troyens, Phrygiens, Dardaniens,
Lyciens, Paphlagoniens, et généralement tous ceux qui sont
venuz au secours de Priam : vous voyez que la victoire de
ceste bataille est deuers mon frère Menelaus : et pourtant
cest à vous à faire maintenant de rendre Heleine, et toute
la richesse qui ha esté apportée auec elle de Lacedemone.
Et en oultre, nous rémunérer de guerdons honorifiques, telz
178 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
quil sera iugé estre conueuable (1), lesquelz soient trans-
ferez à nous, et à noz successeurs. » Quand Agamemnon eut
dit ces paroles, tous les Grecz extollerent son oraison par
grand admiration. Mais les Troyens honteux et confuz de
leur propre vergongne, ne tardèrent gueres à briser les
conuenances. Car Pandarus de Lycie, lun des plus iustes
archers du monde, à linstigation de Laodicus filz d'Ante-
nor, tira occultement vne saiette au Roy Menelaus, et le
naura en la cuisse, tellement quil le falut porter hors de
la bataille. Combien que Dares de Phrygie mette que ce
fut par Paris, que ledit Menelaus fut nauré. Et iusques icy
iay suiuy la narration du poète Homère. Maintenant ie
vueil retourner à mon acteur Dictys de Crète.
Iceluy Dictys en son deuxième liure, met que Pandarus
de Lycie, pour renouueler la meslee, et briser les conuenan-
ces, ne se tint point à ce coup, ainçois tira dune venue
plusieurs flesches, et blessa beaucoup des Grecz. Mais fina-
blement Diomedes en deliura la place et le tua. Lors recom-
mença lestour (2) merueilleux et mortel dun costé et dautre.
Et y furent naurez des Princes Troyens, Eneas, Sarpedon,
Glaucus, Helenus, Euphorbius, et Polydamas. Et des Grecz
oultre ledit Menelaus, Vlysses, Merion et Eumelus. En la
fin sans sauoir iuger qui eut du pire ou du meilleur, la
nuict suruint, qui les départit. Homère sur ce passage,
descrit vne belle bataille faite corps à corps, entre Aiax
Telamonius et le Prince Hector. Et aussi fait Dares de
Phrygie : combien que nostre acteur nen disse mot. Et ne
fut vainqueur ne lun ne lautre diceux deux champions :
mais se départirent après auoir donné grans dons lun à
(1) convenables (éd. 1528).
(2) c.-À-d. le choc, la mêlée.
S1NGVLARITEZ DE TROYB. LITRE II. 175
lautre. Et ce fait, les Troyens se parquèrent entre le port
et la cité. Et se tindrent aux champs aucun temps : cesta-
sauoir, iusques à ce que Ihyuer suruenant et les pluyes, les
feirent rentrer à Troye. Et endementiers, Aiax Telamonius
auec son armée, et aucuns des gens d'Achilles allèrent cou-
rir parmy le pais de Phrygie. Si en gasterent beaucoup, et
prindrent aucunes citez, et ramenèrent grand nombre de
butin.
En ce temps mesmes dhyuer, le trespreux Hector saillit
de Troye à tout son armée pour combatre les Grecz : et les
Grecz aussi sortirent contre luy : et se trouuerent en la
campagne accoustumee. Mais Hector par sa prouesse et
vertu les contraingnit de fuyr, et de quérir sauueté en leurs
nauires, là où il y eut plusieurs merueilleux faits darmes
exploitez, tant dun costé que dautre : car Hector les pres-
soit iusques à bouter le feu dedens leurs fortifications, et
dedens leurs nauires mesmes. Et peu sen faillit quilz ne
fussent alors du tout desconfits. Car Achilles ne se voubit
point armer, pour la hayne quil auoit au Roy Agamem-
non : mais Aiax Telamonius, cousin germain dudit Achilles
et second en vaillance après luy, feit si bonne résistance,
quil naura Hector dun grand coup de pierre. Et lors désis-
tèrent les Troyens de combatre aux nauires, et se retirè-
rent à Troye. Neantmoins aucuns des ^nfans de Priam
furent tuez en icelle iournee. Et tantost après Rhésus Roy
de Thrace venant au secours de Priam, fut occis cauteleu-
seraent par Diomedes et Vlysses. Et ses chenaux merueil-
leux et Feez (1) furent amenez en lost des Grecz, auant quilz
poussent boire au fleuue Xanthus : car si vne fois ilz y eus-
sent peu estre abruuez, leur destinée estoit telle, que iamais
(l)/<HCff (éd. I5l6);/w»(ëd. 1528).
174 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Troye neust esté prinse. Et de cecy nous parlerons encores
plus à plein au dernier liure. Les Thraciens qui estoient
audit Roy Rhésus se cuiderent mettre en deffense : mais
ilz furent tous desconfits. Et tantost après les Troyens vin-
drent demander aux Gregois treues et abstinence de guerre,
laquelle chose ilz obtindrent.
Durant les treues, larchiprestre d'Apollo de Sminthe,
dont dessus est parlé, vint en lexercite des Grecz remer-
cier les Princes de sa fille Chryseis ou Astynome qui luy
auoit esté rendue. Aussi Philoctetes seigneur de Methon
et de Melibee, retourna de lisle de Lemnos auecques ceux
qui lestoient allé quérir, et apporta les saiettes d'Hercules,
iasoit ce quil ne fust pas encores assez fermement guery de
la morsure que le serpent luy auoit fait au pied, comme
dessus est touché. Lors tindrent conseil les Princes de
Grèce : pour faire appointement entre le Duc Achilles et
le Roy Agamemnon. Et à ceste cause furent enuoyez vers
le Duc Achilles deux grans personnages : cestasauoir
Vlysses et Aiax Telamonius, lesquelz en exécutant leur
charge, offrirent à Achilles lune des filles du Roy Aga-
memnon en mariage, auec la dixième partie de son Roy-
aume pour le douaire dicelle : et cinquante talents dor :
dont chacun talent, pour le moins, valoit quarante liures
dor à douze onces pour liure. Et tant exploitèrent iceux
moyenneurs, que finablement après longues difficultez, à
linstance de Phénix gouuerneur d'Achilles et de Patroclus
son mignon, iceluy Duc Achilles reprint samie et concu-
bine Hippodamie ou Briseis , laquelle Agamemnon iura
solennellement nauoir iamais touchée. Et fut faite la paix
entre lesdits Achilles et Agamemnon. Pendant aussi le
temps hyuernal et les treues, les Grecz se trouuerent sou-
uentesfois auec les Troyens au temple d'Apollo Tymbree,
SIMGTLARITEZ DE TROYB. LIVftB II. i75
hors des murs de Troye. Et les Grecz pour euiter oysiueté
sexerçoient tousiours aux armes, mais non les Troyens.
Et en oultre plusieurs citez d'Asie se soustraioyent de
lamitié de Priam, voyans quil auoit du pire.
Vn iour donques entre les autres que la Royne Hecuba
faisoit sacrifice au Dieu Apollo, le Duc Achilles désirant
voir les cerimonies et les coustumes Troyennes, alla en son
simple estât auec peu de compaignie au temple dessusdit :
auquel il veit entre les autres filles de Priam, la tresbelle
pucelle Polyxene, sur laquelle il ietta les yeux par si
ardante concupiscence, quil fut esprins de son amour oul-
tremesure : et saugmenta ce désir en luy iournellement de
plus fort en plus fort. Tellement que certains iours après il
enuoya secrètement son aurigateur nommé Automedon
deuers le Prince Hector, pour traiter mariage entre luy et
ladite Polyxene. Icy y ha contrariété apperte entre ces
deux tresanciens acteurs, Dares Phrygien, et Dictys de
Crète : car ledit Dares met, que Hector estoit desia mort,
et que le iour que Achilles senamoura premièrement de
Polyxene on faisoit lanniuersaire d'Hector. Quoy que soit,
ie nay pas entrepris de les mettre daccord : ainçois me
suffit de suiure lordre principal de mon acteur Dictys de
Crète.
Hector donques, selon la recitation dudit Dictys, feit
response à Automedon messager d'Achilles, qui si son sei-
gneur vouloit auoir Polyxene, il estoit nécessité quil feist
de deux choses lune, ou quil liurast toute larmee des Grecz
es mains dudit Hector : ou à tout le moins quil luy baillast
quatre des principaux personnages : cestasauoir le Roy
Agamemnon et son frère Menelaus, leur cousin Aiax Tela-
monius et Aiax Oïleus. Dont quand Achilles entendit ces
choses, il fut fort indigné, et iura tous ses Dieux par grand
i76 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, KT
fureur, que au premier estour quil rencontreroit Hector,
il le tueroit. Et ce nonobstant si estoit il tousiours si espris
et si frappé de lamour de ladite Polyxene, que souuentesfois
il couchoit hors de sa tente, comme vn homme forcené. Tant
que Automedon son aurigateur fut contraint den aduertir
les autres Princes de Grèce : à fin quilz se donnassent garde,
que son seigneur Achilles ne feist quelque mauuais pact ou
conuention auec les Troyens, à leur grand preiudice. Et
endementiers plusieurs citez du Royaume de Troye, en
délaissant le parti de Priam, venoient offrir secours aux
Grecz. Si commença dapprocher le beau printemps.
Les froidures hyuernales passées, et le ioyeux temps
vernal flourissant, la guerre commença aspre et cruelle,
entre les deux nations. Et se feit la quatrième bataille. Les
Troyens se trouuerent aux champs dun costé, et les Grecz
de lautre. Illec fut tué Pyrechmus Roy de Peonie, quon dit
maintenant Hongrie, lequel tenoit le parti de Priam : et
mourut par les mains de Diomedes Roy d'Etolie. Et Aga-
mas Roy de Thrace, par les mains d'Idomeneus Roy de
Crète, quon dit maintenant Candie. Le preux Hector y feit
merueilles darmes, et y occit plusieurs Princes. Et aussi
sy esuertua grandement Achilles meu de grande indigna-
tion, pour le refus quon luy auoit fait de Polyxene : mais
il naccomplit pas sou serment quil auoit fait, cestasauoir
de tuer Hector au premier estour quil le rencontreroit.
Toutesfois il occit le noble Philimenis, Roy de Paphla-
gonie, et le gentil Cebrion bastard de Priam : duquel est
beaucoup parlé au premier liure. Iceluy Cebrion estoit
aurigateur, cestadire conducteur du chariot d'Hector. Mais
le prudent Helenus filz de Priam, en la meslee naura
Achilles dune saiette en la main, et le contraingnit à
pisser la bataille. Aussi plusieurs des enfans de Priam
SINOVLARITRZ DE TROTE. LIVRE II. i77
furent occis alors. Et y eut à vn des coings de larmee^
bataille corps ft corps entre Patroclus de Myrmidone, et le
Roy Sarpedon de Lycie, filz de Jupiter : lequel Sarpedon y
mourut par les mains dudit Patroclus. Et à ce concorde-
Homère en son Iliade, iasoit ce que Dares de Phrygie mette
quil fut tué par Palamedes. En oultre, Deïphobus fut nauré
par Patroclus, et son frère bastard Corgaton y receut mort,
tant feit darmes ce iour ledit Patroclus. Et après innume-
rable occision tant dun costé que dautre, sans estre vain-
cuz ne vainqueurs, à cause du vespre suruenant, la retraite
fut sonnée. Lors les Troyens et Lyciens emportèrent le
corps du Roy Sarpedon de Lycie, de Corgaton, (1) et de
Cebrion, bastards de Priam, et menèrent grand pleur et
grand dueil : si les enseuelirent auec pompe somptueuse.
Et quand la noble Nymphe Pegasis Oenone, estant en la
cité de Cebrine, sceut la mort dudit Cebrion de Cebrine son
singulier amy et bienuueillant, elle en mena aussi vn dueil
extrême. Dautre part les Grecz vindrent visiter le grand
batailleur Achilles, lequel auoit esté nauré par Helenus, et
louèrent hautement les grands vertus et vaillances de
Patroclus. Et le lendemain au fin matin, ilz bruslerent les
corps des morts et les enterrèrent.
Apres aucuns iours passez que les naurez furent guéris,
les Troyens feirent vne saillie hors de Troye : laquelle fut
de si grande impétuosité, (2) et tellement surprindrent les
Grecz, que de prinsaut ilz en tuèrent beaucoup. Entre les-
quelz furent occis Archesilaus Roy de Beotie, et Schedius
Roy de Phocide, qui est en la région d'Athènes. Et y furent
naurez Mengel et Agapenor d'Arcadie : Patroclus de Myr-
(î) Qorgatron (mscr. de Genève),
(â) de grand ingenuotiié (mscr. de Qeuàve).
H. I*
178 ILLVSTRATIONS DE OAVLE, ET
midone, vint au secours de ceux de son parti par grand
effort, mais sa fortune ne fut pas telle quelle auoit esté en
la bataille précédente : car il fut premièrement nauré par
Euphorbius filz du Baron Panthus, et consequemment tué
par le preux Hector. Et y eut fiere et obstinée bataille,
pour le corps de Patroclus : car les Troyens le vouloient
auoir pour le deshonter, et mutiler vilainement : et les
Grecz le defFendoient, pour lenseuelir honnorablement. En
après iceluy Euphorbius qui auoit premièrement nauré
Patroclus, fut circonuenu par Aiax et Menelaus, et occis
par eux. Mais finablement les Grecz furent vaincuz en
grand deshonneur, et y perdirent beaucoup de leurs gens.
La nuict sauua le demeurant. Et sen retournèrent en leur
fort et en leurs nauires, portans le corps de Patroclus, pour
la mort duquel, Achilles (qui nestoit pas encores guery de
sa playe faite par Helenus) mena vn merueilleux dueil et
lamente, comme celuy qui tousiours auoit esté son mignon
et son singulier amy. Geste nuict là, les Grecz feirent son-
gneusement le guet, pour la grand crainte quilz auoient
des Troyens : et le lendemain bien matin enuoyerent qué-
rir force bois es forestz de la montaigne Idée, pour brusler
solennellement le corps de Patroclus. Si furent faites ses
funérailles en grand honneur et triomphe, selon la super-
stition dadonques.
Peu de iours après que les Grecz furent refectionnez du
labeur de leurs grands veilles, ilz tirèrent leurs armées aux
champs par vn beau matin, et se tindrent là tout le iour :
attendans les Troyens pour voir silz sortiroient. Mais les
Troyens ne se bougèrent pour lors : et ne faisoient que
regarder larmee des Grecz par leurs tours et créneaux. Et
ce voyans iceux Grecz sur le soleil couchant se retirèrent
en leur fort et en leurs nauires. Mais le lendemain à la
SINGVLARITBZ DB TROYB. LIVRE II. 479
fine aube du iour, les Troyens les vindrent resueiller, et
les Guidèrent surprendre en desarroy comme en la bataille
précédente : toutesfois ilz furent vertueusement reculiez
par les Grecz, et ne peurent longuement durer quilz ne
tournassent en fuite. Si en y eut beaucoup de morts et de
naurez à ceste fois. Entre ceux qui y furent occis du costë
des Troyens, fut le plus apparent Asius Hirtacides, (1) sei-
gneur de Sestos et d'Abydos, grand amy d'Hector. Diome-
des Roy d'Etolie y print douze prisonniers : et Aiax Tela-
monius quarante. Entre lesquelz furent Pysus et Euander
bastards de Priam. De la part des Grecz aussi y fut occis
Ceneus Roy de Scythie, quon dit maintenant Tartarie : et
Idomeneus Roy de lisle de Crète, ou Candie, y fut nauré.
Apres donques que les Troyens se furent retirez, les Grecz
ausquelz le camp demeura, gaignerent grands despouilles
des morts. Et ietterent au fleuue Xanthus ou Scamander
tous les corps des Troyens, à fin que iamais neussent sépul-
ture. Et ce feirent ilz par despit de loutrage, que les
Troyens auoient voulu faire au corps de Patroclus. Puis
après ilz présentèrent leurs prisonniers au félon Achilles,
lequel les fait incontinent tous occire, au tombeau de Patro-
clus : mesmement lesdits deux bastards de Priam, Pysus
et Euander : et puis commanda les ietter aux chiens et
aux oiseaux. Et deslors il feit vœu exprès, que iamais ne
coucheroit en lict, iusques à ce quil auroit vengé la mort
de son amy Patroclus.
(1) ffitaréUs (mscr. de Genève).
480 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
CHAPITRE XIX.
Declaratioa de la mort d'Hector, et des diuerses opinions dicelle. De
la cruauté dont Achilles vsa enuers le corps dudit Hector. Com-
ment Priam le vint racheter pour lenseuelir. De la suruenue de
Penthesilee, et de Memnon neuea de Priam. Et de la mort de tous
deux. De linutilité de Paris, quant à la conduite de la guerre. Et
de la mort de Troïlas.
Nostre actevr Dictys de Crète met en son troisième
liure : Que peu de iours après que le Duc Achilles eust
renforcé son vœu, de iamais ne coucher autre part que sur
la terre nue, iusques à ce quil eust prins vengeance de
celuy qui luy causoit tant de dueil : comme nouuelles fus-
lent venues soudainement en larmee des Grecz, que le
Prince Hector estoit allé au deuant de Penthesilee Royne
des Amazones , laquelle venoit au secours de Priam :
Achilles à tout vne partie de ses plus féaux Myrmidons
secrètement et en grand haste, alla anticiper le passage
par où Hector deuoit passer et se meit illec en embûche. Et
ainsi que le preux Hector qui de tel aguet ne se donnoit
garde, passoit vn fleuue à gué, Achilles qui lespioit de pied
coy, se rua sur luy par grande impétuosité, sans lescrier
aucunement, et le feit auironner et circonuenir de toutes
pars. Si le meurtrit illec traytreusement et de vilain fait
sans nul remède : et occit aussi tous ceux qui laccompai-
gnoient, excepté lun des bastards de Priam, auquel il
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 181
coupa seulement les deux poings. Et ainsi atourné le ren-
uoya en la cité, pour faire foy à son père de ces tristes
nouuelles. Toutesfois Dares de Phrygie met autrement la
mort dudit Hector : disant, que Achilles le tua ainsi qui!
vouloit despouiller de ses armes vn Duc nommé Polybetes,
par luy occis. Le poëte Homère aussi en son Iliade recite
encore autrement la mort dudit Hector, et plus & Ihonneur
d'Achilles, mais ie madhere plus à mon acteur Dictys :
lequel mesmes estoit de la nation Grecque. Et neantmoins
la vérité du fait Iha contraint de reciter la mort d'Hector,
au grand deshonneur d'Achilles.
Quand donques le tresdesloyal Achilles eut occis tray-
treusement la fleur des nobles hommes de tout le monde,
pour plus designer sa rage effrénée, il le despouilla de ses
armes, puis le lia par les piedz : et commanda à son auri-
gateur Automedon, de lattacher derrière son chariot. Ce
fait, il se meit dedens, et Automedon gouuerna les freins
des cheuaux , les esguillonnant par grande impétuosité,
parmy vne large campaigne, à la veiie et regard des
citoyens de Troye, qui pouuoient aisément voir et choisir
leur iadis tresuaillant deffenseur, ainsi estre trainé vilaine-
ment. Et pouuoient congnoitre ses armes, dont les Grecz
leur faisoient la monstre, par grand huée et dérision. Et
aussi la suruenue du bastard du Roy Priam , auquel
Achilles auoit les mains coupées, comme dessus est dit, en
feit assez ample tesmoignage. Alors vn merueilleux dueil
sesleua parmy la grand cité de Troye : tellement que des
terribles cris et huées qui se faisoient par le populaire, les
oiseaux mesmes en tomboient du ciel, comme recite nostre
acteur. Toutes les portes furent fermées : et y eut vne
piteuse mutation en la cité. Et ne pensoient les Troyens
autre chose, sinon que les Grecz viendroient de nuict assail-
182 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
lir leurs murailles, et les prendroient incontinent : attendu
la mort de leur chef et de leur totale deffense. Et en oul-
tre, fut le bruit esleué par aucuns, disans que Achilles
auoit contraint larmee de la Royne Penthesilee, de se ren-
dre de son costé. Ainsi estoit Troye en grand doute et
perplexité.
Et endementiers Achilles entraina vilainement le corps
du noble Hector iusques au tombeau de Patroclus. Et illec-
ques le coUoqua sur la terre, par manière de vantise et
glorifiance, à la veiie de tous les Grecz, ausquelz il plaisoit
beaucoup de le voir ainsi, comme celuy qui souloit estre le
plus redouté de leurs ennemis : et comme ceux qui peu
prisoient le demeurant. Et pource que le fait de la guerre
estoit désormais ainsi comme en seureté, ilz saddonnerent
à toute liesse. Et le lendemain Achilles pour faire honneur
à feu son amy Patroclus, meit sus vn grand tournoy, et
célébra les ieux funèbres de toutes manières desbatemens
au tombeau dudit Patroclus, en distribuant par grand lar-
gesse, diuerses manières de prys à ceux qui mieux le
feroient. Et quand lesdits ieux furent flnez, chacun sen
retourna en sa tente.
Le lendemain matin, le triste Roy Priam vestu de robe
de dueil, sans auoir regard à sa dignité Royale, partit de
la cité de Troye, et sen vint en la tente d' Achilles. Iceluy
bon Prince ancien sappuyoit sur lespaule senestre de sa fille
la belle Polyxene. Et auec luy estoit la noble Andromacha,
femme du feu Prince Hector et ses deux ieunes enfans,
Laodamas et Astyanax. Et après luy venoit vn chariot
chargé dor, dargent et de précieux draps. Ce spectacle
estoit piteux et misérable à merueilles : car le noble vieil-
lard à tout sa barbe chenue se ietta aux genoux du ieune
Duc Achilles, et luy tendit ses mains iointes pleurant par
SmOTLARITEZ DE TROTE. LIVRE n. 185
grand véhémence, à fin de lesmouuoir à miséricorde : luy
suppliant quil voulsist prendre les dons et richesses quil
luy auoit amenées, et luy rendre le corps de son bien aym^
filz Hector. Laquelle chose Achilles luy accorda finablement,
et len laissa aller luy et tous ceux et celles qui estoient
venuz auec luy sains et saufz. Toutesuoyes Homère au der-
nier Hure de l'Iliade met, quil ny alla que Priam tout seul
auec Ideus le héraut, souz la conduite du Dieu Mercure.
Et encores y allèrent ilz de nuict, de peur destre apperceuz
des autres Grecz. Et quand ilz furent de retour à Troye, les
Troyens sesmerueillerent de la debonnaireté des Gregois :
et recommencèrent vn dueil inénarrable sur la mort d'Hec-
tor. Puis le sepulturerent en grand pompe, auprès de la
sépulture du Roy Ilion son ancestre. Et endementiers il y
eut treues lespace de dix iours : pendant lesquelles les
Troyens ne finerent de lamenter la mort de leur bon Prince
Hector. Et fait à présupposer aussi que la Nymphe Pega-
sis Oenone, laquelle estoit à Cebrine, eut sa part de la
douleur de sa mort : comme celle qui laymoit de grand
cœur, auec les Cebriniens lesquelz estoient de sa seigneurie.
Enuiron ces iours arriua à Troye la Royne Penthesilee :
de laquelle est faite ample mention en nostre œuure de
Grèce et de Turquie, et du Royaume des Amazones. Elle
amena vne belle armée de dames et dautres peuples ses
voisins. Mais quand elle sceut que le trespreux Hector
estoit mort, elle ne voulut point seiourner à Troye : ainçois
délibéra de sen retourner en sa terre, comme celle qui
pour le haut bruit des vertuz d'Hector y estoit venue comme
aucuns estiment. Toutesuoyes Paris Alexandre feit tant
enuers elle, quil la retint à force dor et dargent quil luy
donna. Et peu de iours après, elle délibéra de sortir aux
champs : et ordonner son armée séparément arrière des
îWÊ ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
Troyens, comme celle qui se fioit beaucoup en la prouesse
de ses damoiselles. Mais ce nonobstant, quand elle fut en la
raeslee, elle fut légèrement (1) abatue et nauree à mort par
le Duc Achilles, et les Trojens rechassez dedens leur cité.
Toutesfois on ne toucha aux autres Amazones, pour la sup-
portation du sexe femenin, ainçois se contournèrent tous
les Grecz à regarder par grand admiration la Royne Pen-
thesilee qui labouroit aux extremitez de la mort. Achilles
la voulut faire enseuelir honnorablement : mais Diomedes
Roy d'Etolie plus cruel quun ours, y contredit, etluy mes-
mes la traina par les piedz dedens le fleuue Xanthus : là
où elle acheua de mourir. Et cest la recitation de nostre
acteur Dictys de Crète. Combien que Dares de Phrygie
recite autrement la mort de ladite Royne et en autre temps,
disant, quelle fut tuée par Pyrrhus filz d'Achilles : et que
au parauant elle auoit fait plusieurs merueilleux faits
darmes.
Le iour ensuiuant le Prince Memnon filz iadis de Titho-
nus frère de Priam, qui sen estoit allé es Indes, quand Her-
cules le Grec démolit Troye, suruint en grand triomphe et
gloire pour secourir son oncle. Et amena vne belle et grosse
armée de Persans, Indiens et Ethiopiens. Et tant de gens
et de cheuaux et si bien armez et bardez, que cestoit vne
grand beauté de les voir venir par terre. Mais son autre
exercite venant par mer, de laquelle estoit conducteur vn
Duc de Syrie, nommé Phala, fut deffaite en lisle de Rhodes :
comme nous auons dit plus à plein cy deuant. Or estoit
icelle armée par terre si grande, quelle ne peut toute
loger dedens la cité. Et gueres ne seiourna Memnon dedens
icelle, quil noffrit tantost la bataille aux Grecz. Si tira tous
(1) c.-à-d. rapidement.
SINGULARITBZ DE TROTE. LITEB II. 185
ses gensdarraes hors des murs : et les autres Princes et
enfans de Priam les leurs. Si ostoit yne chose merueil»
leuse, de voir tant de gens armez et accoustrez de si diuer-
ses sortes : tant denseignes estranges ventilantes au vent :
et douyr tant de langages non ressemblans lun lautre. A
laborder les Grecz ne peurent supporter le faix des Persans
et Troyens. Le Prince Memnon y feit beaucoup darmes,
tua beaucoup de nobles de Grèce, et tourna toute leur puis-
sance en fuite, iusques aux nauires : tellement quesilz neus-
sent esté preseruez par le bénéfice de la nuict, il estoit fait
d'eux à iamais. Tant estoit le Prince Memnon redoutable
et bon guerroyeur. Dont si les Grecz furent estonnez à ce
coup, ce ne fut pas de merueilles. Et eurent conseil ensem-
ble, lequel dentre eux trestous combatroit corps à corps
contre Memnon. Si escheut le sort à Aiax Telamonius. Ce
fait, ilz sallerent reposer pour la nuict.
Quand le Soleil matutin eut rendu le iour cler, les Grecz
ordonnèrent leurs batailles dune part : et aussi feirent le
trescheualereux Memnon et les Troyens de lautre. Et quand
lestour fut commencé de toutes pars aspre et horrible, assez
y en eut de morts, et dautres si naurez, quil leur conuint
quiter la place. Entre lesquelz Antilochus filz de Nestor
Roy de Pylon, cheut par vn coup de lespee du Prince
Memnon. Mais Aiax Telamonius des quil peult voir son
opportunité, sadressa à Memnon, et le deffia, en luy pré-
sentant combat singulier, cestadire corps à corps. Et quand
le preux Memnon se veit ainsi prouoqué, il neust garde de
faire refuz, ainçois descendit prompteraent de dessus son
chariot à terre, pour combatre à pied. Alors se séparèrent
les deux armées, pour faire place aux deux champions : et
regardoient le combat, à grand peur et attention. Memnon
chancela dun coup que Aiax luy donna en lescu. Et pour
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
le garder de tomber, aucuns de ses gens accoururent autour
de luy. Laquelle chose voyant Achilles, il saillit au mylieu,
et dun coup de sa pesante hache, quilentesa (1) sur Meranon,
il lestendit mort à terre. Dares de Phrygie le conte dautre
sorte : et dit que Achilles fut premièrement nauré par
Memnon , à la rescousse du corps de Troïlus. Ainsi les
Troyens, Indiens, Persans et Ethiopiens, voyans leur Duc
et capitaine occis, oultre leur espérance, perdirent tout le
courage et ne pensèrent fors de se sauner à la fuite. Tou-
tesfois le gentil cheualier I^olydamas fîlz du baron Panthus,
cuida ralier les Troyens et iceux encourager, mais il fut
tué par Aiax, et Glaucus filz d'Antenor par Diomedes.
Atreus et Echion bastard de Priam, furent occis par Achil-
les, auec Asteropeus Roy en Peonie, ou Hongrie, et plu-
sieurs autres. Tellement que toute la terre estoit arrosée
de sang humain et la campaigne ionchee de corps morts.
Apres ce que les Grecz furent lassez et saoulez de loc-
cision des Troyens, ilz sen retournèrent en leurs tentes. Et
les Troyens tristes et dolens, leur enuoyerent vn héraut,
pour auoir treues densepulturer leurs morts. Laquelle
chose leur fut accordée : et grand honneur et dueil fait aux
obsèques du Prince Memnon, neueu de Priam. Pareille-
ment les Grecz meirent en sépulture honnorable Antilo-
chus filz de Nestor : et ce fait, iceux Grecz comme triom-
phans et victorieux, sadonnerent à faire toute bonne chère :
en extollant les grands louenges et prouesses d'Aiax et
d'Achilles. Là où au contraire les Troyens plouroient leur
meschef continuel. Et commençoient à se soucier et repen-
tir de plus en plus, voyans leur affoiblissement euident, et
loccision quotidienne de leurs Ducz et capitaines.
(1) entra (mscr. de Genève), Un*<k (éd. 1528), enteser = intendere
s= lever sur.
SIKGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 187
Peu de tours après les Grecz sarmerent, et sen allèrent
deuant Troye, pour irriter ceux de dedens à bataille. Sur
lesquelz Paris Alexandre feit vne saillie : mais ainçois quil
y eust coups ruez ne dun costé ne dautre, les Troyens
accouardiz pour linutilité de ceux qui les conduisoient,
rompirent leurs ordres, abandonnèrent leurs places, et
tournèrent le dos. Si en y eut (1) de morts sans nombre, et
plusieurs noyez dedens le fleuue Xanthus, et aussi beau-
coup de prisonniers : entre lesquelz furent deux nobles
enfans de Priam, cestasauoir Lycaon et Troïlus : lesquelz
Achilles feit venir deuant sa présence : et commanda
incontinent quon leur coupast les gorges. Et ce feit il par
grande indignation : pource que le Roy Priam ne luy auoit
point encores rendu de response sur le mariage de Poly-
xene. Toutesfois Dares de Phrygie recite autrement la
mort dudit Troïlus, disant quil fut tué en bataille par le
Duc Achilles, après quil auoit par plusieurs fois desconfit
et mis en fuite les Myrmidons, et fait merueilles darmes,
mesmement nauré ledit Achilles. Comment quil soit, il
mourut par les mains dudit Achilles, ou par son comman-
dement. Et à ce se concorde Virgile au premier des Eneï-
des qui dit :
Parte alla fugiens amissis Troilas armis
lofelix puer, atqae impar congresaus Achilli.
Si fut plaint iceluy noble enfant Troïlus à Troye, par
lamentation piteuse et misérable, pource quil estoit mort
en la fleur de son adolescence : estant fort aymé du popu-
laire, et chéri des Princes : comme met nostre acteur Die-
(\) en eut (macr. de Genève).
f8B ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
tys de Crète. Si perdirent adonques les Troyens presques
tout leur espoir : pource que, comme met Seruius sur les
Eneïdes de Virgile, Troïlus auoit ceste destinée , que
durant sa yie, Troye nepouuoit iamais estre prinse.
SIMGVLARITEZ DE TROIE. LlVAl H. i^
CHAPITRE XX.
Explanation de la mort d'Achilles, selon diaeraes opinions. De la
suraenue de Pyrrhus en lost des Greoz. Et d'Earypjlus de Mjsie
en lost des Troyens. Comment Helenus fut prias prisonnier. Auec
recitation des six Destinées, quant à Ipa rinse ou garde de Troye.
Certains iours passez, la feste et solennité d'ApoUo
Tymbree approcha. Et furent données treues et abstinence
de guerre dun costé et dautre, pour vaquer à icelle. Et
ainsi que les deux exercites estoient occupez aux sacrifices,
le Roy Priam voyant le temps opportun, enuoya Ideus le
héraut deuers Achilles, en luy mandant quil estoit prest
dentendi'e au mariage de Polyxene. Toutesuoyes Dares dds
Phrygie met que ce fut la Roy ne Hecuba, au nom de
Priam. Et ainsi que le Duc Achilles parlamentoit secrète-
ment de ceste matière auec ledit héraut Ideus en vn bosc-
quet, qui estoit autour du temple d'Apollo, ceux de lost
des Grecz le sceurent. Et y eut tantost grand suspeclion (1)
et murmure entre larmee : car la plus part des seigneurs
et des gensdarmes disoient que bien congnoissoient la
pensée d'Achilles auoir despieça esté estrangee d'eux.
Laquelle chose leur tournoit à grand indignation et sus-
pection : car desia il auoit esté bruit, quil deuoit trahir
larmee et la liurer au Roy Priam. Toutesfois à fin que les-
(l) souspecoit (mscr. de Qen&va).
i9ù ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
dits gens de guerre ne se mutinassent soudainement, et
pour iceux appaiser, Aiax Telamonius ensemble Diomedes
et Vljsses, sen allèrent vers ledit temple d'ApoUo : auquel
Achilles estoit desia entré, tout seul, et sans baston ny
armures : comme celuy qui ne se doutoit de nul mauuais
tour, à cause du lieu qui estoit saint, selon lopinion dadon-
ques : ou autrement pource que ses destinées le menoient à
la mort procbaine.
Or se tindrent illec au dehors du temple iceux trois
Princes dessus mentionnez Aiax, Diomedes, et Vljsses, se
pourmenans par dessouz les arbres : et espioient quand
Achilles sortiroit, à fin de laduertir du bruit qui estoit en
larmee : et ladmonnester amiablement à ces fins, que désor-
mais il se deportast de tenir parlement secret auec les
ennemis de toute Grèce. Et endementiers Paris Alexandre
qui de longue main auoit pourietté toute son emprise,'
auec son frère Deïphobus, se vint adresser au iouuenceau
Achilles estant tout seul audit temple, en luy faisant grand
accueil et bien venue. Et à fin quil ne se doutast de rien,
Paris le mena deuant le grand autel du Dieu Apollo,
comme par manière de vouloir confermer et ratifier, par
serment solennel, le traité du mariage dentre luy et Poly-
xene : et le tint illecques aucune espace de temps en de-
uises. Et quand il sembla temps dacheuer leur emprise,
Deïphobus vsant de faux semblant et flaterie par grand
trahison, vint embrasser et baiser Achilles, ainsi comme
par manière de le festoier, et remercier des choses esquelles
il àuoit consenty, par les conuenances et articles dudit
mariage : si le tenoit estroit et ferme sans le lascher. Adon-
ques Paris desgayna couuertement vne courte dague quil
auoit souz sa robe, et en bailla à Achilles parmy les costes
plusieurs coups mortelz. Et quand luy et Deïphobus le vei-
SINGYLARITBZ DE TROYB. UVRK. II. IMl
rent cheoir et voultrer (1) en son sang qui bouillonnoit horàf
des playes en grand affluence, ilz se ietterent à grand bastei
hors du temple, par vne faulse poterne, et sen allèrent à
Troye. Ainsi fut trompé par faulse et vilaine trahison,
celuy qui autresfois en auoit vsé enuers le tresnoble Hec-
tor, duquel la mort fut lors vengée. Et ne se donnèrent
nulle conscience iceux deux frères de prophaner le temple
de leur Dieu Apollo, mais quilz poussent circonuenir leur
ennemy. Toutesfois Dares de Plirygie recite autrement la
mort d'Achilles : disant quil fut tué auec Antilochus filz
de Nestor, et que Paris et ses compaignons estoient armez
et bien embastonnez. Et que Achilles et Antilochus se def-
fendirent fort de leurs espees, en se couurant de leurs
manteaux. Mais Dictys de Crète ha desiamis cy deuant la
mort dudit Antilochus occis par le Prince Memnon, ainsi
il pouuoit mourir deux fois. Les poètes aussi la descriuent
dautre manière : et mesmement Ouide en la fin du dixième
liure de sa Métamorphose : disant que Paris le tua en
bataille rengee, dun coup de flesche, à layde du Dieu
Apollo, lequel adressa le trait en lieu mortifère, au pour-
chas et instigation du Dieu Neptune, pource que Achilles
auoit autresfois occis le beau Cygnus filz diceluy Neptune.
Oultreplus, Bocace en la Généalogie des Dieux la recite
encores dune sorte : disant que Achilles tout desarmé alla
de nuict audit temple d' Apollo pour traiter du mariage de
Polyxene. Or estoit il inuulnerable par tout le corps,
excepté la plante du pied : car comme nous auons recité
assez amplement au premier liure, sa mère la ieune Thetis
qui estoit Fee et Magicienne, luy auoit plongé tout le corps
es vndes de Styx, le fleuue infernal, excepté ladite plante du
(I) de voltulare, rouler.
i93 : ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
pied, par laquelle elle le tenoit, si ne fut point mouillée de
ladite eaue. Parquoy Paris tresiuste (1) archer, ce sachant,
et estant musse dedens ledit temple, et voyant Achilles à
genoux, adressa vne flesche dedens icelle plante, laquelle
estoit passible à receuoir playe et naurure, et par ainsi le
tua.
Touchant ce poinct, il y ha quelque peu de fiction poéti-
que, laquelle le preallegué Bocace declaire en ceste ma-
nière : Thetis mère d' Achilles, plongea son enfant es vndes
de Styx, la palu infernalle. Or Styx est interprété tristesse
et labeur. Et par ainsi elle le rendit impossible à naurer.
Cestadire, quelle le feit nourrir en tous exercices laborieux,
et appartenans à la guerre. Et fut tout mouillé desdites
vndes, et eut tout le corps endarcy comme fer, excepté la
plante du pied : car s^on les physiciens, en icelle plante,
y ha aucunes veines qui respondent aux reins, et aux par-
ties veneriques, et incitent à amours, comme il appert quand
on cateille (2) vne personne, en ceste partie. Ainsi Achilles
estoit inuulnerable, cestadire difficile à naurer, par tout
autre moyen : mais par le moyen damours, il estoit mol et
de léger à blesser. Aussi finablemenl il en mourut. Par-
quoy appert que toutes lesdites recitations diuerses de sa
mort retournent à vne mesme chose.
Or met nostre acteur souuent nommé, Dictys de Crète :
que quand Vlysses Roy d'Itaque et de Paphlagonie (3) veit
Paris et Deïphobus, lesquelz estoient saillis hors du temple,
tous esmuz et tous effrayez comme dessus est dit, il dit à
ses compaignons, cestasauoir Aiax Telamonius et Diomedes,
(1) c.-à-d. adroit.
(2) Cf. catillare, fl. kitteUn^ chatouiller.
(3) Chanfelonie (mscr. de Genève), chau/eloHÙ (éd. 1516 et 1528).
SINOYLABITEZ DE TROYE. UVRK II. 195
lesquelz attendoient quand Achilles viendroit hors du tem- i
pie, que ladite saillie ainsi hastiue de Paris et Deïphobus,
nestoit point sans cause. Si entrèrent soudainement dedens
le temple, et trouuerent le Duc Âcbilles gisant estenda sur
le pauement, lequel au moyen des parfondes playes quil
auoit receiies, auoit desia perdu tout son sang, et labouroit
aux extremitez de la mort. Âdonques Aiax Telamonius
sescria en disant : « Ha, Achilles, mon beau cousin, certai-
nement maintenant se treuue vray ce quon ha maintesfois
dit : cestasauoir quil nestoit homme viuant sur terre, tant
preux et tant puissant, qui teust iamais sceu surmonter
par viue force et droite prouesse, sans vser de trahison.
Mais on congnoit ores que ta folle témérité tha destruit,
veu que tu tes fié entes ennemis capitaux. » Adonc Achilles
tirant le dernier souspir, dit ces mots seulement : a Deïpho-
bus et Alexandre mont circonuenu par fraude et par aguet,
pour lamour de Polyxene. » Alors il rendit lesprit : et les
trois Princes dessusdits lembrasserent et le baisèrent en
grands pleurs et lamentations. Et luy dirent vn piteux
adieu, ainsi quil sangloutoit hautement en mourant par
grand destresse. Puis au dernier, Aiax Telamonius son cou-
sin germain, qui estoit le plus fort et le plus robuste de
tous les Grec2, print le corps mort sur ses espaules, et lem-
porta hors du temple. Mais les Troyens saillirent inconti-
nent hors de leurs portes, tous armez en faisant grand
bruit, pour auoir le corps d' Achilles, à fin den faire comme
il auoit fait en son viuant de celuy du Prince Hector.
Les Grecz dautre part, qui desia sauoient le tout, se
meirent en armes, et vindrent au deuant des Troyens. Là
y eut vn fier rencontre des deux armées : Aiax bailla le
corps d' Achilles, à ceux qui estoient prochains de luy, puis
se fourra eu la meslee : et du premier coup occit le Prince
u. 13
194 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Asius, frère de la Royne Hecuba, et plusieurs autres. Aussi
Aiax Oïleus Duc de L ocres, et Menelaus Roy de Lacede-
mone, entrèrent en la presse, et feirent grans abbatiz de
leurs ennemis, iusques à les mettre en fuite, et faire retour-
ner en la cité. Ainsi le corps d'Achilles fut emporté aux
nauires, et fut fort plaint et lamenté des Princes, qui pres-
ques tous estoient ses parens. Mais la pluspart des gens-
darmes nen menèrent point trop grand dueil, pource que
le bruit auoit couru souuentesfois, quil auoit voulu trahir
larmee et la liurer aux Troyens. Toutesfois aucuns le re-
grettoient beaucoup, et disoient que la fleur de cheualerie
du monde estoit perie. Si luy furent faits grands obsèques
et somptueux, et fut bruslé solennellement le corps, et mis
en cendres, et icelles posées en vn vaisseau dor, et sepul-
turees au port de Sigee, auprès de celles de son amy Patro-
clus. Aiax Telamonius long temps après les autres, en
mena vn dueil merueilleux, pource quil estoit son cousin
germain.
Mais au contraire, les Troyens en feirent grand ioye et
grand feste, et mettoient iusques aux cieux lindustrie et
bonne emprise de Paris, lequel auoit plus fait dexploit sans
estre armé, que tous les autres nauoient peu faire à tout
leurs armures en bataille. Et pour augmenter la liesse du
Roy Priam et des siens, suruint à Troye le Prince Eury-
pylus filz de Telephus Roy de Mysie, et de madame Astio-
che fille de Priam : auquel iceluy Priam son ayeul auoit
promis en mariage sa fille Cassandra, et auoit enuoyé à sa
mère vne vigne toute dor. Si fut receu ledit Eurypylus par
les Troyens en grand honneur et triomphe, car ilz auoient
singulier espoir en sa prouesse, et en ses vertus. Aussi en
ce mesme temps, arriua en lost des Grecz Pyrrhus filz
d'Achilles, et de Deïdamie fille au Roy Lycomedes de lisle
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE n. i9S
de Scyros. Lequel Pyrrhus trouua encores les ouuriers qui
besongnoient à la sépulture magnifique de son père. Et fut
informé de la manière de sa mort. Si conforta sur icelle les
Myrmidons, et autres gensdarmes qui estoient à sondit feu
père, et les recueillit en son seruice. Les Princes de Grèce
festoierent le ieune damoiseau Pyrrhus : et luy racontèrent
les vaillances, prouesses et faits darmes de son progeni-
teur : en lenhortant à semblables choses. Et il leurrespon-
dit courtoisement, qui! se donneroit peine, de non estre
trouué dégénérant à la noblesse paternelle. Et pource quil
estoit ardant et eschauâe de combatre des le lendemain, ilz
luy conseillèrent dattendre iusques à ce que ses gens et ses
chenaux fussent délassez et refreschis.
A chef de deux iours, Pyrrhus surnommé Neoptolemus,
cestasauoir nouueau cheualier, se tira aux champs auec ses
Myrmidons, ayant auprès de luy Aiax Telamonius son
oncle. Les Troyens ne sosoientplus auenturer de combatre,
pource quilz perdoient tous les iours beaucoup de leurs
gens, et craingnans Pyrrhus filz d'Achilles nouuellement
suruenu. Toutesfois par lenhort et persuasion du Prince
Eurypylus de Mysie, neueu de Priam, ilz sarmerent souz
la conduite de Paris, Deïphobus, Helenus, et les autres
enfans. Toutesuoyes Eneas ne sy voulut onques trouuer,
pource quil auoit dissension auec Paris : et le hayoit, à
cause de ce quil auoit violé et prophané le temple d'Apollo
Tymbree, en y commettant le meurtre d'Achilles, par les
vertuz duquel Dieu Apollo les Troyens auoient tousiours
esté preseruez et deffenduz. Donques quand les deux
armées furent prochaines, et les trompettes eurent donné
signe de bataille, les deux osts sentrehurterent par grand
noise et contention. Toutesfois lacteur ne met point, qui
eut du meilleur ou du pire, mais auant que la meslee se
196 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
departist, Helenus filz de Priam se tourna du costé des
Grecz : et se rendit à Chryses archiprestre d'Apollo de
Sminthe, duquel dessus est parlé. Combien que Ouide au
XIII. de sa Métamorphose, dit quil fut prins prisonnier par
yiysses. Et durant la bataille, larchiprestre Chryses inter-
roga Helenus le sage vaticinateur, de toutes les destinées
de Troye, et Helenus luy respondit à tout. Alors quand les
Grecz furent de retour en leurs tentes, larchiprestre Chry-
ses feit faire silence, et leur diuulga hault et cler tout ce
quil auoit aprins d'Helenus, cestasauoir dedens quel temps
Troye seroit destruite : laquelle chose se deuoit faire par
le moyen d'Eneas et d'Antenor. Si trouuerent que toutes
ces choses saccordoient à ce que le prestre Calchas leur
auoit souuentesfois prognostiqué. Seruius commentateur
des Eneïdes de Virgile sur ce passage :
Fracti bello, fatisque repalsi
Ductores Danaùm... (1)
dit que les Grecz auoient trois Destinées de leur costé, tou-
chant la prinse de Troye. Et les Troyens en auoient aussi
trois de leur part quant à la conseruation dicelle. La pre-
mière destinée des Grecz estoit, quil failloit quilz conques-
tassent les cheuaux Feez du Roy Rhésus de Thrace, auant
quilz eussent esté abruuez au fleuue Xanthus , ainsi que
dessus est dit. La seconde, quilz eussent aucun personnage
de la génération de Cacus, filz de lupiter et d'Egina. Et
pource enuoyerent ilz quérir premièrement Achilles en lisle
de Scyros : et puis consequemment son filz Pyrrhus. Et la
tierce estoit, quil leur estoit mestier dauoir en leur armée
(1) EnéicU II, 14.
81NGVLÀRITEZ DE TROTE. LIVRE II. i97
les saiettes (1) d'Hercules, sans lesquelles ilz eussent labouré
en vain. Et à ceste cause feirent ilz venir Philoctetes, comme
ia est dit. Les trois Destinées du costé des Troyens estoient :
Que durant la vie de Troïlus Troye ne seroit iamais prinse,
comme cy deuant ha esté touché : ny aussi tant quilz gar-
deroient bien limage de Pallas, appellee Palladium : et
tant que le sépulcre de Laomedon, qui estoit sur la porte
Scee, demourroit en son entier. Desquelles choses ie croy
que Helenus informa les Grecz. Or auoient iceux Grecz
tout ce que leur faisoit mestier à la prinse de Troye, quant
ausdites destinées : cestasauoir les chenaux du Roy Rhésus,
Pyrrhus de la lignée de Cacus, et les saiettes d'Hercules.
Et les Troyens de leur costé auoient desia perdu lune de
leursdites destinées, qui leur faisoit mestier à la garde de
Troye, cestasauoir la vie de Troïlus. Or venons à voir
comme les saiettes d'Hercules exploitèrent en ladite guerre.
(1) Le mscr. de Genèye ajoixie faialles.
198 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
CHAPITRE XXI.
Répétition de Ihistoire de Philoctetes, et des saiettes d'Hercules. Du
combat corps à corps, fait entre Paris et ledit Philoctetes : et de
la mort de Paris : auec recitation de diuerses opinions sur icelle.
Comment son corps fut porté à Cebrine. Du grand dueil que sa
femme la Nymphe Oenone en mena : et comment elle mourut sur
ledit corps : et furent ensepulturez ensemble.
Il me semble, quil est mestier de repeter icy en brief, la
narration de Philoctetes, combien que desia en soit touché
en diuers lieux de ce volume. Et ce ferons nous, en ensui-
uant lautorité de Seruius en son comment du m. des Eneï-
des, et autres acteurs. Philoctetes donques fut filz de Pean,
et compaignon iadis du preux Hercules en toutes ses empri-
ses. Et quand iceluy Hercules se brusla en la montaigne
Eta, qui est entre Thessale et Thrace, pour limpatience
du venin de la chemise, que sa femme Deianira luy auoit
enuoyee, auant sa mort il feit iurer audit Philoctetes son
escuyer, que iamais nenseigneroit à homme viuant les reli-
ques ou remanant de son corps, ainçois le tiendroit à tous-
ioursmais secret et celé. Et pource luy donna il pour vn
don spécial, ses saiettes Faees qui estoient empoisonnées
du fiel de Ihorrible serpent Hydra, ayant sept testes, le-
quel iceluy Hercules occit es marestz de Lernee. Et quand
au commencement de la guerre Troyenne les Grecz eurent
eu response du Dieu Apollo en son temple de Delphos, quil
estoit mestier dauoir les saiettes d'Hercules, pour subiuguer
SINGVLARITEZ D£ TROYE. UTRB II. 199
Troye, Vlysses Roy de lisle d'Itaque fut commis à les aller
chercher. Et feit tant quil trouua Philoctetes seigneur de
Methon et de Melibee en Thessale auquel il demanda nou-
uelles de son seigneur Hercules. A quoy Philoctetes res-
pondit quil nen sauoit nulles. Toutesfois quand Vlysses
leust fort pressé et contraint de le luy enseigner : il con-
fessa quil estoit mort, et luy monstra le lieu de sa sépul-
ture, non par parole, mais par signe, en luy enseignant du
pied de peur de se pariurer. Et sur ce poinct il fut mené
par Vlysses en larmee des Grecz qui lattendoient au port
d'Aulis en Beotie, et y apporta lesdites saiettes : et y
amena sept nauires, comme sera dit au dernier liure. Si fut
fait et estably guide et conducteur de larmee, pource que
autresfois il auoit esté à Troye auec Hercules. Mais en al-
lant, lune desdites saiettes luy tomba sur le pied, dont il
auoit monstre la sépulture d'Hercules, pour le péché de son
pariurement. Et luy feit vne playe horrible, et de si grand
puanteur et si intolérable, à cause du venin du serpent
Hydra, dont le fer estoit empoisonné, que les Grecz furent
contraints de laisser ledit Philoctetes en lisle de Lemnos,
quon dit maintenant Stalamine. Toutesuoyes nostre acteur
Dictys de Crète qui suit la vérité historiale, met que Phi-
loctetes fut mors par vn serpent au port de Sigee, quand
Palamedes faisoit son sacrifice de cent bœufz au Dieu Apollo
de Sminthe. Et que ledit Philoctetes fut renuoyé en icelle
isle de Lemnos pour estre médecine par les prestres de Vul-
can : et luy fut enuoyé en ladite isle sa part du butin ainsi
comme sil eust esté présent à la guerre. Et quand il fut
presques guery, Vlysses fut derechef commis à laller qué-
rir, et le ramenast en larmee des Grecz, comme tout ce ha
cy dessus esté dit. Or voyons maintenant lexploit quil y
feit à tout son arc et ses flesches : en ensuiuant nostre
liîèè ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
acteur au troisième liure de son histoire, lequel estoit pré-
sent à la guerre Troyenne.
Le lendemain que le sage Helenus fut prins, comme est
dit au chapitre précèdent, les Princes dune part et dautre
produisirent leurs armées aux champs, et commença vn
estour grief et horrible, tellement que au premier poindre,
il y mourut beaucoup de Troyens et aussi de Mysiens, des-
quelz estoit conducteur le Prince Eurypylus, neueu de
Priato. Et comme les chefz souuerains des deux armées
désirassent de toutes leurs puissances mettre fin à la guerre,
ilz sadresserent les vns vers les autres par grand animo-
sité : cestasauoir Duc contre Duc, Roy contre Roy, et
Baron contre Baron, ainsi quilz se trouuerent : et conuer-
tirent tout le faix de la bataille sur leurs propres personnes.
Alors Philoctetes seigneur de Methon et de Melibee vint à
Paris Alexandre : et le deffia à combatre de lare et des
saiettes, auquel vsage ilz estoient tous deux singulièrement
recommandez. Et Paris ne refusa point ce combat : par-
quoy du consentement des deux armées Vlysses et Deïpho-
bus assignèrent vne place deliure (1) au milieu de deux osts,
en laquelle lesdits deux champions combatroient seul à seul.
Icy appert euidemment la grand dissension de diuers
acteurs, qui recitent en diuerses sortes la mort de Paris :
car Dares de Phrygie met expressément quil mourut par
la main d'Aiax Oïleus Duc de Locres, après que Paris eust
premièrement nauré à mort ledit Aiax dune flesche au
costé. Laquelle narration répugne totalement à lautorité de
Dictys de Crète, et de Virgile au commencement des Eneï-
des, lesquelz disent tous deux par accord, que ledit Aiax
Oïleus retournant en son pais fut foudroyé es rochers de
(1) o.-à-d. Hbre.
SINGYLARITEK DE TROTE. UVRB II. WK
lisle de Nigrepont» comme nous dirons plus à plein au der-
nier Hure. Dautre part Bocace en sa Généalogie des Dieux,
met encores autre opinion de la mort de Paris, disant quil
fut tué par Pyrrhus filz d'Achilles. Mais ie ignore sur quel
acteur il se fonde touchant ce poinct. Si madhere ie plus à
lautorité de nostre acteur Dictys de Crète, car sa narration
me semble plus vraysemblable, et autrement les saiettes
d'Hercules neussent de rien seruy douant Troye. Et mesmes
le philosophe Dion qui ha escrit de Troye non prise, (1) dit
que Paris fut tué par Philoctetes.
Or met donques nostredit acteur Dictys de Crète : que
quand les armées Gregoise et Troyenne furent séparées,
et se tindrent coyes dune part et dautre, pour voir le com-
bat seul à seul, qui se deuoit faire à tirer de lare, entre
Paris et Philoctetes : les cors, les busines, les trompettes
et les clairons, bondissans mélodieusement : les pennons et
les banieres ventilans au vent, la resplendeur des hamois
dorez reflamboyans contre le soleil : Paris Alexandre riche-
ment armé, mais prochain de sa mort, benda son fort arc,
tira vne flesche de sa trousse, et la meit en corde. Si des-
cocha magistrallement, mais il faillit à attaindre son ad-
uersaire : car les destinées qui vouloient abréger sa vie, ne
souffrirent point que son coup eust aucun effect. Et ce
voyant Philoctetes meit soudainement en coche lune des
saiettes de son feu seigneur Hercules, teinte au fiel du
tresuenimeux serpent Hydra : et la desbenda dune puis-
sance incredible, tellement quelle feit autre exploit que
nauoit fait celle de Paris : car elle luy perça la main senes-
tre, doultre en oultre. Et ainsi comme Paris crioit et voci-
feroit horriblement pour la grand douleur quil sentoit à
(I) Dloa Chrjsostome, Tpoiùedc ùitip roD "Utov /tji AIAmci.
20t ILLTSTRATIONS DE GAVLB, ET
cause du yenin, Philoctetes se hasta den traire vne autre,
laquelle sadressa iustement dedens lœil dextre de Paris :
et consequemment de la tierce il luy cousit les deux iambes
ensemble : et le meit en tel poinct, quil ne valoit pas mieux
que mort. Car le venin estoit si véhément que iamais ny
auoit remède de guerison. Et quand les Troyens veirent
Paris ainsi mal atourné, ilz saduancerent tous à vne flote,
pour recouurer (1) le corps de la main des Grecz, à viueforce,
à fin quilz ne luy feissent outrage. Là y eut vn terrible
meurtre dun costé et dautre. Toutesfois les Troyens labou-
rèrent tant, quilz recouurerent Paris presques mort et oul-
tré (2) : et lemporterent vers la cité, fuyans tant quilz pou-
uoient. Aiax Telamonius et ses gens les chassèrent iusques
aux portes. Car lun empeschoit lautre, et y mourut vn
merueilleux nombre de gens. Ceux qui peurent entrer les
premiers montoient incontinent aux créneaux et iettoient
pierres et dards sur Aiax et les autres Grecz : mais Phi-
loctetes les guerroyoit fort de son arc. Les autres Grecz
aussi auoient enuironné la cité de toutes pars, et y liurerent
vn fort assaut, tellement que combien quelle fust vertueu-
sement deffendue par ceux de dedens, si eust elle esté
prinse sans nulle faute, si la nuict suruenant neust fait
retirer les Grecz. Lesquelz sen retournèrent en leur fort et
en leurs nauires : et attribuèrent grand gloire et hautes
louenges à Philoctetes, occiseur de Paris. Mais il faut
penser que Menelaus fut celuy qui luy en sceut le meilleur
gré de tous.
Il est assez facile à croire, quun dueil merueilleux et
inestimable sesleua en la grand cité de Troye, touchant la
mort de Paris : mesmement par le bon Roy Priam et la
(1) rescourre (mscr. de Genève). — (2) c.-à-d. ti'épassë.
SMGVLARITEZ DE TKOTE. LIYRE U. S03
Royne Hecuba, voyans et considerans iournellement le
comble de leur malheur estre aggraué. Et aussi la belle
Heleine en feit grans pleurs et lamentations, comme met
Dares de Phrygie. Lequel recite que le Roy Priam feit
faire le lendemain les obsèques et pompe funèbre, magni-
fique et hautaine pour son ûlz Paris : et Heleine suiuoit le
corps faisant grans cris et vlulations. Et oultre ce, nostre
acteur Dictys de Crète, met que les frères, parens et amis,
et seruiteurs de Paris Alexandre, menèrent et conduisirent
son corps tout embaumé despices aromatiques à la manière
des Princes, hors de la cité de Troye vers la Nymphe
Oenone sa première femme, laquelle se tenoit à Cebrine,
comme dessus est dit, pour illec estre ensepulturé. Lacteur
ne met point pour quelle raison Paris y fut ainsi porté.
Toutesfois, il est à coniecturer, que à Iheure de sa mort,
il ordonna ainsi le faire, ayant regard parauenture de
lauoir abandonnée contre droit et raison : et sachant quelle
seule estoit sa femme légitime et non mie Heleine.
Quand donques le triste présent (que les nobles enfans
de Priam, et autres parens et amis du feu Prince Paris
Alexandre, lesquelz nostre acteur ne nomme point, ensem-
ble ses seruiteurs tresdesolez apportoient à Cebrine) appro-
cha dicelle : et que le chariot et la pompe funeralle (telle
quil appartient à filz de Roy) fut sur les limites de ladite
cité enuiron à demy lieiie, le populaire qui le sceut par les
Pasteurs venans des champs, fut soudainement esmu, et
commença à faire grans cris et grands lamentations, à
cause de ce que Paris estoit congnu et aymé de ieunesse en
ladite contrée, comme celuy qui y auoit prins nourriture,
ainsi que nous auons dit au premier liure. Et la noble
Nymphe Pegasis Oenene, toute surprinse et espouuentee de
ce dueil et tumulte soudain que faisoit le peuple, se meit
904 ILLVSTRATIOKS DE GAVLE» ET
aux fenestres de son hostel, et entendit quilz se desconfor-
toient ainsi, pour la mort de son feu seigneur et mary
Paris Alexandre : et à ceste mesme heure suruint vu mes-
sager exprès enuoyé par les enfans de Priam. Lequel en
plourant amèrement dit à ladite Nymphe : « Madame, il me
desplait de tannoncer ces tristes nouuelles. Ton feu sei-
gneur le Prince Alexandre est mort, et tameine on le
coi^s : pource quil ha eslu sa sépulture près de toy. — Près
de moy ? dit la Nymphe, à qui le cœur cuida fendre de
dueil. Et certainement près de moy sera il enseuely, et
moy auprès de luy, sil plaist aux Dieux, hien brief. » Alors
commença elle à faire vn cry merueilleux, et vne lamen-
tation pitoyable. Ses damoiselles et ses seruiteurs et amis,
mesmement le bon pasteur Royal et sa femme, lesquelz
auoient nourry Paris, y accoururent auec leurs enfans, et
menoient presques tel dueil comme elle. Si descendit tan-
tost la Nymphe de son hostel, et se meit à chemin vers la
porte, pour aller au douant du corps de son feu mary. Et
tous ses parons, seruiteurs et amis la suiuoient, ensemble
les citoyens et citoyennes de Cebrine menans grand dueil.
Au douant du corps de son feu mary alla la tresdolente
Nymphe Pegasis Oenone : non pas comme femme assai-
sonnée de son bon sens, mais comme furieuse, forcenée et
aliénée totalement de raison, par la force et violence de
lamour chaste et pudique quelle auoit tousiours portée
enuers luy. Son beau sein descouuert, comme celle qui
auoit ia desrompu tous ses vestements : sa clere face toute
sanglante et violée de ses ongles : ses beaux cheueux au-
reins rompus, esparpillez et volans par monceaux autour
délie. Et faisoit si grans cris, par les rues et par les che-
mins, et iettoit de son triste estomach vociférations si très-
hautes et si piteuses vlulations féminines, quelles pane-
SnfGTLARITBZ DB TftOTE. LIYBS U. M
troîent les oreilles des escoutans iusques au cœur. En for-
mant ses piteux regretz misérables en ceste manière :
« Helas, mon cher seigneur Paris, helas, mon doux amy
Alexandre : bien tha honny la mauuaise adhérence de la
Greque estrangere : et bien te rendit guerdon mal courtois
la Déesse Venus, quand elle tempescha délie. Helas, mon
doux amy, assez te deuoit suffire la franche amour chaste
et pudique dont ie taymoie lasse, dolente. Assez te deuoiflB^
admonnester les oracles des Dieux et les vaticinations des
prudens. Trop par trop est maudite, et de maie heure née
la femme par qui tant de hautz hommes meurent. Et trop
mha elle causé de dueil par lespace de dix ans. Auquel
temps rien ne me detenoit en ce monde, fors la vie de toy,
mon cher espoux, combien que meusses répudiée. Mais
ores est venu le temps, que ma douloureuse ame lassée des-
tre en ce triste corps, sen ira prendre repos aux champs
Elysees, ains (1) que la tienne me puist redarguer de tardi-
ueté. Vien donques mort, ma tresdesiree et ma bien vou-
lue, Tien tost à moy. Tu mas fait trop grief outrage, en
osant toucher la personne de mon trescher espoux. Et dun
mesmes coup de ton dard, as commencé dabreger ma vie
auec la sienne : mais ie te le pardonne, et taduoue de tout,
pourueu que tu poursuiues diligemment ta pointe, sans que
ie languisse plus. le le tiendray à vn singulier bienfait :
moyennant que tu acheues en haste le demeurant de mon
doul(Kireux viure. 0 mort tresdouce et tresamiable, il mest
aduis que ie sens voleter cy entour lesprit de mon amy qui
mappelle. Certainement ie te suiuray en brief, mon tres-
amoureux cœur. le te prie mattendre : car meilleur com-
paignie ne saurois ie trouuer. le désire et quiers de tout
(1) c.>à>d. avant que.
206 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mon pouuoir le chemin à la mort. Adieu, noble Roy Priam,
mon tresredouté seigneur et beaupere : adieu, madame
Hecuba et toutes mes belles sœurs : car de mes beaux frères
nen reste plus gueres. Saluez moy, mes amis, mes priuees
compaignes. le vous voys précéder : car ie suis certaine que
après moy ne tarderez vous gueres, tant est enflambé le
feu de vostre malheureuse destinée, au moyen de la Grec-
que estrangere. »
Telz et semblables plaints espandoit (1) parmy lair, en che-
minant, la tresdesesperee Nymphe. Ses femmes et pucelles,
voisines et amies, la cuidoient conforter en vain. Et neant-
moins eux mesmes auoient bon mestier de confort. Et
quand le chariot de dueil trainé à chenaux noirs, houssez
de mesmes, et auironné de grand luminaire, sur lequel
estoit le corps gisant en vn riche lict de parement, couuert
de drap dor, et fourré dhermines, commença à approcher,
et les frères et amis de Paris alentour : et que dautre part
la Nymphe marchoit auec ses gens, lors veissiez vous vn
piteux rencontre. Lors se prindrent toutes les deux bendes
dune part et dautre, à crier et braire pitoyablement. Mais
quand la Nymphe fut si près du corps de son mary, quelle
le peut choisir à plein : le chariot sarresta, et elle monta
dessus. Si veit son seigneur ainsi deffait et piteusement
atourné, comme celuy qui estoit tout enflé du venin des
saiettes mortifères. Lors cessa son crier : car la voix luy
deffaillit ensemble le cœur. Si voulut embrasser le corps,
mais ses bras neurent ne force ne puissance : ainçois ses-
tendit dessus pasmee de grand angoisse. Certainement ces-
toit vn piteux* regard de voir icelle tresloyale Nymphe ainsi
perturbée, gisant sur le corps de son desloyal mary. Et
(1) espar doit (mscr. de Genève).
8IHGVLAMTEZ DE TROTB. LITRE II. 207
bien monstroit elle la grand noblesse et franchise de son
courage : et la vraye amour coniugale, pleine de chasteté,
dont elle auoit tousiours esté garnie, nonobstant que sa
partie luy eust fait toute rudesse. Tous les autres parens et
amis, tant délie comme de Paris, estoient tous transportez
de douleur. Et ny auoit nul qui se sceust contenir de grand
pitié.
A chef de pièce quelle fut reuenue de pasmoison toute
pasle et descoulouree, elle ietta piteusement en circonfé-
rence ses yeux desia ternis et obscurcis de ténèbres de
mort, dont elle estoit prochaine : et fait vnchacun des
assistans plourant et larmoyant autour délie. Si feit aucuns
parfonds souspirs et sangloux difficiles : puis regarda le
corps de son seigneur et mary, ainsi misérablement ap-
pointé qui parauant estoit si beau. Et derechef tourna son
regard vers ses parens, amis et seruiteurs, comme celle
qui monstroit à son semblant manière de plaindre et lamen-
ter la piteuse façon de la mort de son seigneur et mary :
car desia la parole luy estoit forcluse à force de douleurs
mortelles qui laggressoient. Les assistans grans et petis
fondoient tous en larmes tacitement : et nen y auoit pas vn
qui eust sceu ouurir sa bouche pour sefforcer de donner
confort à la Nymphe. Finablement quand lextreme des-
tresse de sa douleur la pressa si fort quelle ne la pouuoit
plus porter, elle tourna sa face sur le visage de son amy
et mary Paris, et tantost après embrassa tout le corps
estroitement : et en iettant le dernier souspir mortel, le
cœur luy serra et fendit en son amoureux estomach, et
lors rendit elle lesprit en se debatant aucune espace. Et
demoura ainsi sur le lit de parement.
La pluspart des assistans cuidoient quelle fust derechef
tombée en pasmoison : mais aucunes des plus sages matro-
ILLTSTRÂTIONS DE GAVLE, ET
nés de Cebrine qui là estoient, et mesmement la bonne
nourrisse de Paris, et autres, congnurent bien que cestoit
le dernier souspir quelle auoit fait, si coururent vers elle,
et sentirent tantost quelle ne tiroit plus ne poux ny halaine.
Assez lappellerent par son nom, et assez la tirèrent en
plourant : mais cestoit pour néant, car son esprit vital sen
estoit volé. Lors renouuella le cry plus hautain, et le à\i&X
plus aspre que iamais. Lors veissiez vous la bonne nour-
risse de Paris et les pucelles de la Nymphe, destordre
leurs poings, battre leurs poitrines, rompre leurs cheueux,
et dessirer leurs atours, pour le trespas de leur maistresse.
Le bon pasteur Royal brayoit et lamentoit sans mesure.
Les frères et amis de Paris, et les seruiteurs domestiques
recommencèrent leurs plaints, et fut la huée plus aigre que
deuant. Les citoyens et citoyennes de Cebrine la plain-
gnoient comme leur bien aymee dame : et ny auoit si dur
cœur qui ne creuast de pitié, et qui ne noyast en multitude
de larmes. Ainsi conduisirent ilz le triste chariot dedans la
cité, chargé de deux corps pour vn. Et feirent illec les
obsèques et faits funéraux à la manière de ce temps là, en
grand honneur et Royale magnificence : et en grand pleur
et lamentation. Puis sepulturerent ensemble les deux
amans, en vn riche tombeau et de grand somptuosité, ainsi
que met nostre acteur Dictys de Crète : et Strabo le con-
ferme au xm. de sa Géographie, comme desia auons dit et
allégué au premier liure. Les mots diceluy Dictys sont telz
en la fin du quatrième liure de son histoire : iSed fertur,
Oenonen (1) mso AUxandri cadauere^ adeà commotam, (2)
vH amissa mente ohstupeÂeret : ac paulatim j>er mœrorem
(1) Oenone (mscr. de Qenàvâ).
i^ commuiata (ibid.).
SINGVLARITBZ DE TROYK. LIVRB II. 309
déficiente animo concideret. Atque ita tno eodemque funere
cum Alexandro contegitur. Et quand ces choses furent
sceûes à Troye, le Roy Priam et la Royne, et tous ceux de
sa maison en furent tant esbahis et tant estonnez, que plus
ne pouuoient, de la grand merueille. Et plaingnirent beau-
coup la noble Nymphe.
u. u
210 ILLVSTRATIOMS D£ GAVLE, ET
CHAPITRE XXII.
De lesmotion des seigneurs de Troye contre Priam. Comment Deï-
phobus espousa Heleiae, de peur quelle ne fust rendue aux Grecz.
De la trahison menée par Antenor et Eneas. Et comment Heleina
feit moyenner son appointement. De la paix fourrée faite par les
Grecz. Du grand cheual offert à la Déesse Minerue. De la prinse
de Troye : et de la cruelle mort de Deïphobus procurée par Heleine :
auec lexclamation contre icelle. Et aussi de la mort des deux enfans
de Paris et Heleine.
Apres la mort de Paris et de sa femme la Nymphe
Oenone : comme les Grecz assaillissent la cité de Troye
sans nulle intermission, et fussent plus aspres de iour en
iour : et ny eùst plus aucun espoir de résistance dedens la
cité de Troye, veu que ses forces affoiblissoient à veiie
d'oeil, tous les grans seigneurs de la cité sesleuerent en-
contre le Roy Priam, et encontre le demeurant de ses
enfans. Si enuoyerent quérir Eneas filz d'Anchises, et les
enfans d'Antenor : et décrétèrent ensemble que Heleine, et
tout ce qui auoit esté prins auec elle, fust rendu à Mene-
laus. Or lauoit tousiours aymee Deïphobus, comme nous
auons dit par cy deuant, presques autant, comme faisoit
Paris. Parquoy quand il sceut lintention desdits seigneurs
de Troye, il se délibéra dy obuier totalement. Et pour ce
faire, feit incontinent amener ladite Heleine en sa maison,
et la print en mariage : car alors il nestoit point prohibé
par les loix, que le frère nespousast la femme de son frère
après sa mort. Laquelle chose quand lesdits seigneurs de
8INGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 2M
Troye sceurent, ilz ftirent fort indignez. Et se tirèrent
deuers le Roy Priam, en vsant enuers luy de hautes et
oultrageuses paroles. Et entre les autres, Eneas le roux (1)
parla le plus âerement. Et ânablement feirent tant quilz
amenèrent Priam à force dimportunité iusques là, quil fut
conclu en plein conseil, que An ténor iroit comme ambassa-
deur, en lost des Grecz, pour trouuer quelque appointement
de paix auecques eux. Ainsi partit Antenor pour y aller,
mais ce nestoit point pour traiter de la paix : mais plustost
pour brasser la détestable trahison, au preiudice de son
souuerain et naturel seigneur le Roy Priam et des siens.
De laquelle iceluy Antenor feit secrète ouuerture auec
aucuns des principaux Princes de Grèce, moyennant ce que
le Royaume de Troye deuoit demourer à luy et aux siens :
et que si Eneas vouloit estre féal, il partiroit au butin, et
sa maison demoureroit en son entier. Geste conclusion
prinse auec iceux les principaux de larmee Gregoise, Ante-
nor sen retourna à Troye : et luy fut baillé le héraut Tal-
thybius pour plus grand couleur et approbation de la matière
de paix, mise sur le bureau.
Et quand le Prince Antenor et le héraut Talthybius furent
entrez à Troye, le poure populaire et les gensdarmes qui
estoient venuz au secours de Priam, leur vindrent au de-
uant, desirans sauoir quel appointement il auroit auec les
Grecz. Mais le traytre Antenor ne leur voulut rien dire de
la paix faite, pour mieux dissimuler, ains les remeit au
lendemain. Et quand il fut au soupper, en sa maison, il
prescha à ses enfans en la présence de Talthybius, héraut
des Grecz, et leur remonstra combien il valoit mieux de
suiure le party etlamitië des Grecz, que celle de Priam, en
les admonnestant dainsi le faire. Et sur ce poinct, on sen
(l) (»i9<>t,Jlavus, blond, de race noble.
21â ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
alla coucher. Et le lendemain bien matin, comme tous ceux
de Troye se fussent transportez au consistoire publique,
pour oujr et sauoir si aucune fin se trouueroit à leur infor-
tune, Antenor et le héraut Talthybius y allèrent. Et tantost
après Eneas sy trouua, et consequemment le Roy Priam
et ses enfans. Alors Antenor commença à reciter, non pas
la trahison quil auoit trafiquée auec les Grecz, mais con-
trouua vne autre forme dappointement : disant que les Grecz
ne queroient autre chose, fors sen aller, poui'uen quon leur
rendist Heleine, auec certaine somme dor, pour défrayer
larmee. Et que oultreplus ilz auoient délibéré doffrir vn
grand don à la Déesse Minerue auant leur partement. Si
commença à faire vne grand harengue, recitant les maux
quilz auoient soustenuz à cause de ces te si longue guerre,
et que luy mesmes y auoit perdu son filz Glaucus : mais il
ne luy chaloit point tant de sa mort, comme il estoit des-
plaisant de ce quil alla auec Paris pour rauir Heleine mau-
gré luy : en ramenteuant les grands iniures quon auoit
fait aux Grecz, et le grand tort quon tenoit d'eux, et tout
pour vne femme, de laquelle iceux Grecz mesmes ne fai-
soient point grandement conte de la recouurer. Et ne leur
en chaloit gueres, sinon autant que lobstination de Priam
et de ses enfans les auoit ainsi irritez à demeurer au siège.
Mais que ce nonobstant, en faisant finance de certaine
quantité dor, et leur deliurant icelle Heleine, ilz seroient
contens de leuer leurs sièges, et retourner en leurs con-
trées. Concluant ledit Antenor que iceux Troyens deuoient
bien prester loreille à cest appointement, puis quil nestoit
question que de fournir or ou argent. Mesmement les riches
maisons se deuoient ayder chacune en son endroit, et se
tailler parensemble, pour contribuer et fournir la somme
qui seroit nécessaire, à fin dacheter paix. Et que si Priam
8INGTLARITBZ DB TROTS. LITBB H. tl9
ny vouloit entendre de sa part, quon le laissast ester auec«
ques ses richesses, et auec celles que son âlz Paris auoit
amenées de Lacederaone quand il rauit Heleine. Et en ce
disant, de plus en plus il chargeoit apertement sur le Roy
Priara et sur les siens, pour capter la beniuolence du
peuple, et tascher de mettre ledit Roy en hayne de ses
citoyens. Et oultreplus, le traytre feignoit de pleurer.
Alors le populaire se print à crier et braire piteusement
tout à vne voix, et tendre les mains au ciel : supplians,
que pour lamour des Dieux, il trouuast moyen ainsi ou
autrement, de mettre fin à leurs misères, et quil nespar-
gnast eux ne leurs trésors, pour racheter leurs personnes,
leur pais et leurs biens hors de la seruitude apparente des
Grecz. Et adonc se print le triste Roy Priam à pleurer
misérablement, et à traire et arracher sa barbe meslee et
ses cheueux chanuz. Voyant que ores il nestoit pas seule-
ment haï de ses ennemis, mais aussi estoit tombé en la
maluueillance de ses subietz propres. Si dit à Antenor et
à tous les assistans, quil leur laissoit la charge totale de
lappointement, et liberté de faire la finance pour la ré-
demption du Royaume de Troye. Et que pource quil leur
estoit ainsi deuenu hayneux, (1) il se tiendroit désormais
solitaire en son palais. Et neantmoins, il approuuoit tout ce
que par eux seroit fait et traité en ceste matière. Ainsi se
partit lancien Roy du consistoire, et après son partement il
fiit décrété par toute lassemblee, que Antenor ioint auec
Eneas, sen iroient derechef vers les Grecz pour sauoir leur
voulenté certaine. Et ainsi se départit le conseil.
Or sen vint Heleine secrètement enuiron la mynuict en
Ihostel du traytre Antenor, comme celle qui se doutoit
bien que si lappointement auoit lieu, elle seroit rendue à
(1) o.-h^. haï.
214 ' ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Menelaus. Et à ceste cause craingnoit lire et la fureur de
son marj, pour la grand faute quelle auoit commise enuers
luy. Si pria tresinstamment audit Antenor quil la voulsist
auoir pour recommandée enuers sondit seigneur et mary,
et enuers tous les autres Princes de Grèce, et quil sem-
ployast à faire sa paix, disant comme ledit Antenor pour-
roit bien tesmoigner, que de pieça elle auoit désiré de
retourner aux siens. Et aussi on sestoit bien apperceu,
que depuis la mort de Paris, toutes choses luy estoient
ennuyeuses, et prenoit le temps mal en gré à Troye. Par
ainsi Antenor promit de labourer à faire son appointement.
Et elle sen retourna au palais de son mary Deïphobus.
A la fine aube du iour, Antenor et Eneas commissaires
députez à estre loups en guise de bergers, partirent de la
cité pour aller vers les nauires des Grecz. Et quand ilz y
furent, ilz récitèrent en pleine audience le vouloir des
Troyens. Puis tindrent conseil apart auec aucuns des prin-
cipaux à ce députez : et après auoir parlé de plusieurs
choses conccrnans leur affaire et leur trahison, ilz feirent
mention de la voulenté d'Heleine, et prièrent tresinstam-
ment pour elle. Et en après finablement confermerent
entre eux le pact de la trahison. Et quand il leur sembla
opportun, sen retournèrent à Troye auec Vlysses et Dio-
medes, pour feindre de faire vn accord publique. Aiax
Telamonius y voulut aller auec eux, mais Eneas len garda,
de peur que les enfans de Priam ne luy feissent quelque
outrage. Et quand ilz furent entrez dedens Troye, les mal-
heureux citoyens sen resiouirent, et cuidoient voir la fin de
la guerre et des discords. Si fut incontinent le conseil
assemblé, auquel premièrement et auant toute œuure, il
fut décrété que Antimachus qui tousiours auoit soustenu la
bende de Paris contre les Grecz seroit exillé et banny per-
SmOTLARITBZ DE TROTE. LIYRB II.
m
petuellement du Royaume de Phrygie. Et en ooltre ilz
commencèrent à entrer en matière des conditions et arti-
cles de la paix.
Or aduint il, que tandis que lesdits deux Princes de
Grèce, Vlysses et Diomedes estoient en conseil auec les
Troyens traitans de ladite paix fourrée, ilz ouyrent vn
merueilleux bruit et tumulte, qui se faisoit au palais, là où
estoit le Roy Priam, auec cris et exclamations merueil-
leuses. Alors tous ceux qui estoient audit conseil cuiderent
bien estre pris, et senfuyrent soudainement dehors, comme
ceux qui pensoient asseurement que aucun aguet ou émotion
sesleuast contre eux par les enfans de Priam, selon ce que
autresfois en semblable cas lauoient fait. Parquoy ilz furent
bien espouuentez, et se ruèrent en franchise (1) dedens
le temple de là Déesse Minerue, pour estre à sauueté. Mais
ne tarda gueres que aucuns qui descendoient du palais,
rapportèrent que le bruit quon auoit ouy, estoit à cause que
le plancher de la chambre où estoient les enfans du feu
Prince Paris Alexandre, estoit effondré par infortune, et
auoit esteint et estouffé lesdits enfans, qui estoient deux en
nombre, dont lun auoit nom Corinthus et lautre Ideus, et
les auoit euz Paris de la belle Heleine, comme nous auons
dit cy deuant. Par ainsi lesdits Princes de Grèce, auec
Antenor et les autres, furent rasseurez de leur peur. Et
mena iceluy Antenor loger en son hostel Vlysses et Diome-
des, et illec les informa de la vertu et propriété du Palla-
dium, qui estoit vne image de bois, iadis tombée du ciel,
quand le Roy Ilus qui fonda Ilion faisoit ediâer le temple
de Minerue. Lequel Palladium tant quil seroit audit tem-
ple, iamais Troye ne pourroit estre prinse. Et promit ledit
Antenor de sefforcer à ce quilz lauroient en leurs mains.
(1) c.-à-d. cherchèrent un asile.
2i6 ILLT8TRÂTI0NS DE GAVLB, ET
Et sur ce propos ilz sendormirent. Et le lendemain au
matin furent faites les funérailles des deux enfans d'Ale-
xandre, lesquelz moururent ainsi misérablement, comme
vous auez ouy, peult estre (1) permission diuine, à fin que
de si mauuaise semence ne demourast aucun fruit sur terre.
Consequemment ce iour mesmes, et certains iours ensui-
pans, fut traité en la présence du Roy Priam et de tous
les Princes de Troye, et aussi desdits Diomedes et Vlysses,
commissaires de la partie des Grecz, de la manière de la
paix, et appointement final entre lesdites parties. Et ende-
mentiers aucuns signes estranges et prodiges merueilleux
apparurent à Troye : si comme des sacrifices qui ne pou-
uoient brusler sur lautel du Dieu ApoUo, et de laigle qui
vint rauir les entrailles des bestes sacrifiées et les porta
aux nauires des Grecz, et autres choses qui denotoient la
trahison qui se brassoit et la prochaine ruïne de Troye.
Aussi en ces entrefaites , Antenor trouua subtilement
manière de traire la sainte image de Palladium hors du
temple de Pallas : et la deliura à Vlysses, lequel lenuoya
secrètement en larmee de Grecz. Finablement les Troyens
appointèrent auec lesdits Grecz, quilz auroient mille ta-
lents dor et mille talents dargent. Chacun talent vallant
quarante liures de douze onces la liure pour le moins. Le
sage Helenus estant prisonnier en lost des Grecz, qui toutes
ces choses sauoit par sa science, plouroit et lamentoit fort,
congnoissant la prochaine destruction de ses parens et de
son pais. Et tantost après allèrent à Troye dix des Princes
de Grèce, pour arrester et conclure du tout les articles
dicelle paix feinte et coulouree, et les iurer solennellement.
Si recommanda debonnairement le Roy Priam à iceux
(1) $ar (éd. 1528).
SINGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE H. 217
Princes, son fllz Helenus. Et fut feite et iuree ladite paix.
Lors prindrent congé du Roy tous les Princes estrangere
qui estoient venuz à son secours tant par amitié comme
pour auoir souldoiers, et sen retournèrent en leurs con-
trées. Et ce pendant fut fabriqué le grand chenal de bois
pour offrir à la Déesse Minerue. Desquelles choses ie me
déporte légèrement, pource quelles sont assez communes.
Toutesfois Dares de Phrygie ne met rien dudit grand che-
ual de bois : mais bien dit il, que à la porte Scee, par où
Grecz prindrent Troye, y auoit la figure dun cheual taillé
en pierre, combien que Dictys de Crète et Virgile concor-
dent en lopinion dudit grand cheual de bois. Et aussi fait
mesmes Dion en son liure de Troia non capta. Disant
encores que linscription dudit cheual estoit telle : Kwofhpf»,
id est sacrum Achiui MinerucB Iliadi. (1)
Ainsi fut mené à Troye ledit grand cheual consacré à la
Déesse Minerue, comme feingnoient les Grecz : mais il
estoit plein de gens armez. Et pour la grandeur fallut
rompre les murailles de Troye et la porte Scee, pour le
mettre dedens. Et y fut receu à si grand ardeur et liesse
des Troyens mesmes, que iusques à femmes et petis enfans
trestous meirent la main aux cordes et aux cables, pour
ayder à traîner en la cité ceste grand statue de cheual à
leur malheureuse destinée. Ce fait les Grecz feirent sem-
blant de trousser tous leurs bagages, et mettre tout en
leurs nauires, partir du port de Sigee et rentrer en mer.
Mais de nuict le cauteleux Sinon, afFaité de par les Grecz,
et ayant ceste charge, ouurit le ventre du grand cheual,
dont il saillit Pyrrhus filz d'Achilles, et vne grand cohorte
de gensdarmes. Puis feit signe de feu quand il veit son
(1) IllasterIon (mscr. de Oecôve).
"Wf^ ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
heure, à fin que les autres Grecz marchassent. Ainsi
furent surprins en leurs licts les poures Troyens endormis ,
tant par ceux qui estoient saillis de dedens le cheual,
comme par les autres qui vindrent du port de Sigee, et
entrèrent par la bresche de la muraille. Lors fut faite yne
horrible boucherie des Troyens : sans auoir mercy des
femmes ne des petis enfans, et dura la tuerie toute la nuict.
Sur la pointe du iour, les Grecz sadresserent tous à vne
flotte vers le palais de Deïphobus, lequel auoit espousé
dame Heleine après la mort de Paris, comme dessus est
dit. Et illec Menelaus tout furieux et plein de rage, pour
se venger dudit Deïphobus le print et luy coupa tout pre-
mièrement les oreilles, puis après luy trencha les deux
bras, et consequemment luy osta le nez, et le deshacha en
tant de pièces, que cest horreur de le reciter : parquoy il
le feit mourir à grand tourment et misère, comme met
nostre acteur Dictys de Crète. Et à ce concorde Virgile au
VI. des Eneïdes, disant :
Atque hic Priamidem laaiatum coi-pore toto
Deiphobum videt et lacerum crudeliter ora,
Ora manusque ambas, populataqiie tempora raptis
Auribus, et truncas inbonesto yulnere nares. (1)
Mais auant sa mort, il se deffendit vaillamment, et tua
beaucoup de Grecz, comme met ledit Virgile. Laquelle
cruelle vengeance, comme on peult supposer, fut prinse
par Menelaus, pource que Deïphobus auoit esté cause prin-
cipale du rauissement d'Heleine, et nen auoit point esté
moins amoureux que son frère Paris, comme dessus est dit.
lasoit ce que Dares de Phrygie tienne opinion contraire
(1) VI, 494-98.
SINGVLARITEZ DB TROYB. LITRB' H. 2i9
touchant la mort de Deïphobus : disant quil fut occis par
Palamedes de Nigrepont, long temps deuant la prinse de
Troye. Toutesuoyes ie marreste plustost ausdits deux ac-
teurs tressuflBsans Dictys et Virgile, lesqueh ioints ensem-
ble sont à préférer à vn tout seul.
Dit oultreplus ledit noble poëte Virgile audit passage,
que celle tresperuerse Heleine participant au conseil de
la trahison de Troye, auec Antenor et les autres, fut celle
qui bailla le signe de feu aux Gregois de dessus les murail-
les de Troye, souz ombre de célébrer les sacrifices de Bac-
chus auecques les dames de Troye. Puis osta tous les har-
nois, armures et bastons hors de la chambre et palais de
son mary Deïphobus qui dormoit parfondement, et de rien
ne se doutoit. Mesmement desroba elle lespee de dessouz
son cheuet. Et elle mesmes appella Menelaus, et le guida
en la chambre dudit Deïphobus, à fin de rappaiser, par
ceste manière de faire, sondit mary Menelaus, et dabolir ses
anciens forfaits par ce nouueau seruice.
0 chienne tresdetestable, lisse enragée et vipère tresdan-
gereuse ! Combien y ha il de différence de toy à la noble
Nymphe Pegasis Oenone? Certes, autant quil y ha de chois
dune chieure infâme à vne brebis noble, dune femme
chaste à vne paillarde : et autant quil y ha de distance
entre vn doux courage féminin plein damour pudique, et
vne affection de louue eschauffee, qui nappete que lexecu-
tion de son ardeur libidineuse et effrénée. Comment oses tu
tant demeurer en vie ? Ne vois tu point que ta ribaudise
ha honny et contaminé toute ceste noble maison, et que ta
luxure puante ha mis à néant la hautesse dun si triom-
phant lignage ? 0 visage de Seraine à queiie de couleuure,
orde vile meretrice, toute pourrie et vermolue diniquité,
tu rends bien vn guerdon serpentin de Ihonneur quon te
220 ILLYSTRATIONS DB GAVLE, ET
fait. Tu te deuois plustost précipiter du haut des nobles
murailles qui sont démolies à ton occasion : tu te deuois
plustost lancer dedens le feu qui est esprins par ton péché.
Mais à fin que ta chaleur inextinguible ne defFaille à hom-
me, tu vses maintenant de sanglantes blandices et de fla-
teries abominables, enuers ton fol mary Menelaus, tout
rassoté et tout abesty, lequel tu soulois vitupérer et mo-
quer. Et maintenant il accolle et embrasse couuoiteusement
ton corps tout corrompu par amour vénérienne et estran-
ger. (1) Et baise ta bouche, encores sentant Ihalaine de tes
adultères, sans oser faire aucune mention reprochable de
tes vilains forfaits : ainçois te recueille, comme tout aise et
tout familleux (2) de ta vaine beauté après si longue absen-
ce : là où au contraire il deuroit luy mesmes sacrifier aux
Dieux infernaux ton ame laide et impudique, toute pollue
dinfameté, et lenuoyer de sa propre main auec les ombres
damnées. Et à ce propos Eneas Troyen parlant à Dido de
Carthage, au second liure des Eneïdes, et recitant la ruïne
de Troye, se vante, que pendant la force du feu nocturne,
il trouua Heleine toute seule mussee au temple de Vesta.
Et luy esmu de grand maltalent, eut voulenté de la tuer,
pour estre vindicateur de tant de maux qui par elles estoient
aduenuz. Mais la Déesse Venus mère dudit Eneas, sapparut
à luy visiblement, et luy defifendit de commettre vne si
grande lascheté. Et certes elle nestoit point assez bonne,
de mourir de la main dun homme, ainçois estoit reseruee à
plus vile mort, comme sera dit cy après.
(1) estrmgiere (éd. 1528).
(2) ç.-à-d. affamé.
81NCVLARITEZ DE TROTE. LITU II. 221
CHAPITRE XXni.
De la mort mûerable du Roj Priam : et seruitade de la Rojn« H«-
caba, Cassandra et Ândromacha. Comme Aiax Telamoniua fut dopi*
Dion qaoD feiet mourir Haleine, maii elle fut rendue k Menelaas.
De la mort do PolTxene et de sa mère Hecuba. Dea gestes d«
Menelaas et de ladite Heleine» après leur partement de Troye. De
la nouuelle Troye fondée sur le fleuue du Nil. Répétition de Tlepo-
lemus Roj de Rhodes : et des opinions de la mort dicelle Heleine.
Les songes auerez, les vaticinations des prudens adue-
nues, les respons du Dieu ApoUo mis à effect, selon les
destinées, le noble Roy Priam et la Royne Hecuba veirent
leur grand cité de Troye ainsi prinse et emflambee, et mise
en désolation, par la nourriture quilz auoient faite de leur
enfant Paris, contre ladmonition des Dieux dont ilz auoient
trop tardiue repentance. Et oultreplus, iceluy iadis tres-
puissant Roy, contraint en sa vieillesse desia impotente, de
fuyr au temple de lupiter, cuidant y obtenir franchise et
immunité, mais en vain, veit premièrement occire son fllz
Polytes, entre ses bras, par le meurtrier Pyrrhus filz d'A-
chilles. Et consequemment sentit loutrageuse espee dudit
Pyrrhus dedens ses entrailles. Et vomit son sang et son ame
ensemble, auec plusieurs regretz et querimonies. Et la noble
pucelle Cassandra se veit abstraire par force et violence,
hors du temple de Minerue, où elle estoit courue à refuge,
pour preseruer sa virginité. Et expérimenta la cruauté des
Grecz, que souuent elle auoit prédit par sa sapience et
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
linhumanité d'Aiax Oïleus, son tyranniseur et violateur
sacrilège.
Quand donques toute la pourprise (1) de Troye eut esté
exposée et abandonnée au feu et à lespee, à pillage et à
dissolution, ainsi que guerre et hostilité ont de coustume,
excepté les maisons des traytres, qui furent reseruees auec-
ques leurs biens et familles : et que les nobles femmes
furent prinses prisonnières, la Royne Hecuba iadis si haute
Princesse se veit vefue, et tombée en la misérable seruitude
de ses ennemiz. Lors Aiax Telamonius qui veit Heleine
entre les autres, comme met nostre acteur Dictys de Crète,
commanda prestement et fut dopinion quelle fust occise, et
à bon droit, comme celle par qui tant de maux et tant de
labeurs estoient aduenus aux Grecz par lespace de dix ans.
Et comme il y eust plusieurs Princes concordans à lopi-
nion d'Aiax, et que Heleine estoit en balance destre liuree
à mort par commune sentence et décret, adonques le Roy
Menelaus retenant encores la primitiue amour de son ma-
riage, se mit en peine deuers lesdits Princes de Grèce, et
tant les pria lun après lautre, à layde d'Vlysses et de son
éloquence, quen la parfin il obtint quelle auroit la vie sau-
ne, et luy seroit rendue et restituée sans contredit et sans
sort : car toutes les autres dames et Princesses prisonnières
furent distribuées par sort, excepté la noble pucelle Poly-
xene, qui fut baillée au cruel bourreau Pyrrhus, filz du
traitre Achilles, pour sacrifier son sang virginal au tom-
beau de son père. Cassandra vint es mains du Roy Aga-
memnon : Ethra et Clymena, demoiselles d'Heleine, furent
baillées à Demophoon, filz de Theseus, et à vn autre Prince
noji^é Achamas. Andromacha, iadis femme d'Hector, par
^XU.^c.ràrCl, .l'enoeinte.
8INGVLABITEZ DE TROTE. UYBl; U. 223
sort tomba en la puissance de Pyrrhus : et lancienne
Rojne Hecuba deuint serue et esclaue à Vlysses. Mais son
grand courage ne peut gueres durer en telle seruitude,
ainçois donna tant doccasion aux Grecz dabreger ses iours
et tant les oultragea et maudit, quilz la lapidèrent et ense-
uelirent auprès de la ville d'Abydos. Ainsi rentrèrent les-*
dits Princes en mer, pour tirer chacun en sa contrée, com-
bien que auant leur partement aduint (1) plusieurs choses,
si comme le débat à cause du Palladium, ou à cause des
armes d'Achilles, dont sensuiuit la mort d'Aiax Telamo-
nius : et autres choses dont ie me déporte : car ce nest
pas mon propos principal, et aussi elles sont assez com-
munes, loiht à ce, que ma narration déterminée ne sar-
reste singulièrement fors sijr Heleine.
Or treuue ie peu dacteurs qui ayent escrit des gestes et
auentures de ladite Heleine et de son mary Mençlaus,
après les faits de Troye. Et ce peu qui en est escrit, si nây
ie encores veu nul historien qui les ayt rédigez en langue
Gallicane. Si messaieray de recueillir icy ce que ien ay
peu amasser. Premièrement messire Bocace en son xi. et
XII. liure de la Généalogie des Dieux : allegant pour son
acteur Eusebius au liure des Temps, met que après la des-
truction de Troye, Menelaus se meit en mer auec ses gens
et sa femme Heleine, pour tirer à son Royaume de Lace-
demone. Mais la mer se leua haute, et les vents et la tem- '
peste les transportèrent en Egypte : là où regnoit pour lors
vn Roy nommé Tuoris, (2) autrement dit Polybius, selon
Homère : lequel receut ledit Menelaus et sa femme en son
hostel, et leur feit bonne chère. Et illec perdit Menelaus le
(1) o.-à-d. il advint.
(2) Turris (mscr. de Genève).
224 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
gouuerneur de son nauire, nommé Canopius : lequel mou-
rut au riuage par la morsure dun serpent, et fut enseuely
auprès de lane des boucques ou entrées du fleuue Nilus,
laquelle entrée depuis à ceste cause fut appellee Canopique.
Et illec se conseilla ledit Menelaus de tous ses affaires à
Protens le sage deuin. Diodorus Siculus au premier liure
des Gestes antiques, met que certain nombre de Troyens
lesquelz Menelaus auoit emmené prisonniers auec luy ,
quand ilz furent sur ledit fleuue du Nil en Egypte, se bou-
dèrent ensemble : et en prenant cœur bataillèrent aucune-
ment contre luy, tant quilz le contraingnirent finablement
à leur bailler liberté de construire vne cité sur ledit fleuue,
ce quilz feirent, et lappellerent la nouuelle Troye. Et puis
Menelaus en prenant congé dudit Roy d'Egypte, radressa
son chemin pour retourner en son Royaume de Lacede-
mone : mais auant il print terre en lisle de Crète, quon
dit maintenant Candie : et illec visita son cousin Idome-
neus Roy de ladite isle, comme met nostre acteur Dictys.
Et quand les habitans de ladite isle sceurent la venue de
dame Heleine, ilz vindrent de toutes pars par grans trou-
peaux et compaignies pour voir ladite Heleine, et congnoi-
tre celle qui tant auoit fait parler délie : et par laquelle
presques tout le monde auoit esté en émotion de guerre.
Au partir de lisle de Crète, qui estoit le huitième an de
la destruction de Troye, tant auoient ilz erré par mer,
comme met Bocace au xii. liure, iceluy Menelaus et sa
femme Heleine, nauiguerent iusques en leur païs de Pélo-
ponnèse, quon dit maintenant la Moree : et abordèrent pre-
mièrement en la cité de Mycenes selon la narration de nos-
tre acteur Dictys de Crète en son dernier liure. En laquelle
cité de Mycenes, estoit leur neueu Orestes filz iadis du Roy
Agamemnon. Or auoit nagueres iceluy Orestes tué sa mère
sniGVLAIlITEZ DB TROTB. UTKB II. W
Glytemnestre, et son ribaud Egisthus, ù cause que eux tous
deux conspirans ensemble, auoient meurtry son père Âga-
memnon après son retour de Troye. Et à ceste cause Me-
nelaus indigné de la mort de ladite Glytemnestre, sœur
germaine de sa femme Heleine, tascha et meit peine de
faire dommage et desplaisir à son neueu Orestes : mais il
en fut destourbé par le populaire. Toutesfois il procura
que ledit Orestes fust adiourné personnellement en la cité
d'Athènes par douant le grand conseil des Prostrés et Phi-
losophes nommez Areopagites, lesquelz estoient iuges sou-
uerains et comme les seigneurs de parlement de toute
Grèce, ainsi que les Druydes souloient estre en Gaule,
comme tesmoigne Iulius César en ses Commentaires. Si fut
force à Orestes dy aller pour respondre du cas par luy per-
pétré touchant la mort criminelle de sa mère Glytemnestre.
Mais après la cause bien ventilée, il fut declairé quitte,
deliure et absoulz de ladite mort de sa mère par arrest et
iugement final desdits seigneurs Areopagites. Et dabon-
dant fut réintégré et restably en la possession pacifique du
Royaume de Mycenes, comme vray héritier de son feu père
le Roy Agamemnon. De la secte desdits Areopagites Phi-
losophes de grande estime, fut depuis S. Denys Apostre de
France quand il fut conuerty par S. Paul en ladite cité
d'Athènes. Or donc endementiers que ce iugement se fai-
soit, Menelaus et sa femme Heleine retournèrent en leur
Royaume de Sparte ou Lacedemone , auquel ilz furent
receuz de leurs subietz paisiblement.
Orestes Roy de Mycenes fut fort courroucé et malenta-
lenté contre son oncle le Roy Menelaus à cause du dom-
mage quil luy auoit pourchassé et du destourbier quil luy
auoit prétendu faire. Toutesuoyes au moyen du Roy Ido-
meneus de Crète, son parent^ lappointement fut fait entre
II. 48
226 ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
ledit Orestes et Menelaus. Si sen alla Orestes à Lacedemone
vers son oncle Menelaus : lequel le festoya et luy bailla en
mariage sa fille Hermione, comme met Dictys de Crète :
mais selon lopinion des autres, il ne feit que confermer
ledit mariage. Car comme nous auons desia dit au commen-
cement de ce liure, le Roy Menelaus au parauant ; cesta-
sauoir pendant le siège de Troye, auoit promis sadite fille
Hermione à Pyrrhus, filz d'Achilles. Et dautre costé, le
Roy Tyndarus, père d'Heleine et ayeul dicelle Hermione,
lauoit desia fiancée audit Orestes, ignorant de la promesse
faite à Pyrrhus par Menelaus, comme met Antoine Volsc au
commencement des epistres d'Ouide. Si aduint, que Pyrrhus
après son retour de Troye, souz tiltre et couleur de la pro-
messe que luy auoit fait Menelaus, voulut auoir ladite Her-
mione. Et de fait, la tollut et rauit par force et hauteur (1)
à son espoux Orestes : et lemmena en son païs. Mais de-
puis iceluy Orestes laboura tant, quil trouua subtilement
manière de faire tuer ledit Pyrrhus, son aduersaire et com-
pétiteur, au temple d'Apollo en Delphos. Et par ainsi re-
couura sans nul contredit sa femme Hermione : et peult
estre que Menelaus loua et ratifia le mariage audit Orestes,
selon lopinion de Dictys dessus mentionnée. Et des faits
dudit Pyrrhus, et comment il emmena en son païs Andro-
macha, vefue d'Hector, et depuis la donna en mariage à
Helenus, filz de Priam, nous en parlerons plus à plein au
dernier liure.
Hermione fille d'Heleine, combien quelle fust douée de
grand beauté, ne fut point si lubrique, ne si inconstante
que sa mère. Car combien quelle fust rauie malgré elle
(1) c.-à-d. arrogance. (Cf. aîtitudo du Ducange = haussage, haul-
tainneté.)
SINGYLARITEZ DB TROTE. LIVRE II. 227
par Pyrrhus, à qui son propre père lauoit fiancée en son
absence, neantmoins elle adhéra tousiours en courage, (1) à
son premier espoux et cousin Orestes. Et quand elle fut
retournée auec luy, ne labandonna onques en nulles de ses
aduersitez : mais luy tint bonne et loyale compaignie. E t
eut de luy vn filz, aussi nommé Orestes, qui succéda à so n
père, et fut vaillant homme et grand conquereur. laques
de Bergome, en son troisième Hure du Supplément des
chroniques, allegant son acteur Isocrates, recite que quand
Heleine commença à deuenir vieille et ridée, et elle se
regardoit en vn miroir, elle se prenoit à rire tant quelle
pouuoit, en se moquant de la folie de ceux qui par si grand
ardeur et obstination auoient poursuiuy vne si aspre guerre
pour vne chose si caduque et de si petite durée. Et vraye-
ment elle auoit raison de sen truffer. (2) Et autre chose ne
treuue ie de ses faits auant sa mort. Et touchant la mort
délie, ie nay peu trouuer que deux acteurs qui en parlent.
Dont lun est Dion, duquel nous auons parlé au prologue
de ce second liure. Lequel met que icelle Heleine fut tuée
traîtreusement dedens Troye, par son neueu Orestes, filz
du Roy Agamemnon. Et vn autre dit, quelle mourut en
lisle de Rhodes. Mais pour mieux clarifier Ihistoire, il est
nécessité de reciter preallablement la narration de Tlepo-
lemus, Roy de Rhodes, à cause duquel elle mourut.
Tlepolemus (3) donques, comme met Bocace au xiii. liure
de la Généalogie, fut filz d'Hercules, et de la Nymphe As-
tyoche, descendue de la lignée de Mars, laquelle il auoit
rauie en vne cité de Laconique, nommée Epire, qui est en
(1) e.-à'd. en son cosur.
(2) truffier (mscr. de Genève).
(3) Tlepolenius (ëd. 1516).
228 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
la contrée de Péloponnèse, quon dit maintenant la Moree,
dont estoit Heleine. Celuy Tlepolemus filz d'Hercules auoit
vn ancien oncle, frère de sa mère nommé Licemmon, le-
quel il tua ou de coup de mesauenture, ou peult estre à son
essient. Parquoy il fallut quil abandonnast ledit païs, quon
dit maintenant la Moree. Si feit faire des nauires, et passa
en lisle de Rhodes, auecques grand nombre de gens, et
auec sa femme nommée Polypo, laquelle auoit en sa ieu-
nesse esté compaigne et familière de la belle Heleine, pource
que les seigneuries de leurs parens estoient voisines. Aussi
habitèrent ledit Tlepolemus et sa femme Polypo en la noble
isle de Rhodes, en y acquérant la domination et tiltre de
Royaume. Et quand ce vint que le bruit de la guerre
Troyenne sesleua parmy Grèce et les isles marines, pour le
rauissement d'Heleine, ledit Tlepolemus, Roy de Rhodes, y
alla auec les autres Princes, ses aflfins et prochains. Et
mesmement auec Phidippus et Antiphus, ses neueux, des-
cenduz de la lignée d'Hercules, comme sera dit au troi-
sième liure. Et y mena neuf nauires, comme met Homère
au deuxième de l'Iliade : mais finablement il y fut occis
par les mains de Sarpedon, Roy de Lycie. Dont sa femme
la Royne Polypo (1) mena grand dueil : car il estoit fort
beau, comme met Ouide au xii. de sa Métamorphose, en
parlant dudit Tlepolemus, et disant ainsi :
Herculis, ôRhodi» ductor pulcherrime classia.
Par lequel vers, comme met le commentateur, on peult
coniecturer quil estoit tresbeau ettresgrand.
Pour reuenir donques à nostre propos, Antoine Volsc,
commentateur des epistres d'Ouide, allegant vn acteur
(I) Poliwo (toscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DB THOYl. UVRE U.
Grec, met sur lepistre d'Hermione à Orestes, que après la
mort du Roy Menelaus, qui fut naturelle comme ie imagine,
deux des citoyens de Sparte ou Lacedemone, dont lun auoit
nom Nicostratus et lautre Megapenthus, ietterent la Royne
Heleine hors de la cité et de tout le Royaume de Lacede-
mone, sans luy assigner, ne lieu pour habiter, ne douaire
pour viure. La cause pourquoy ilz lexillerent en cest estât,
iceluy acteur ne la met point : mais il est à présupposer,
que ce fut pource quelle estoit haye de tout le monde, à
cause des grans maux qui auoient esté perpétrez poor
lamour délie. Quand donques elle se veit ainsi expulsée du
Royaume de son feu mary, elle ne sceut à qui se retirer,
comme celle qui estoit vefue, vieille et odieuse à vn chacun,
et qui nauoit plus nulz parens en vie. Si saduisa de sen
aller à Rhodes, vers son ancienne compaigne et amie la
Royne Polypo, qui aussi estoit vefue de son mary le Roy
Tlepolemus, comme dessus est dit : et de fait y alla. Et
quand elle fut en Rhodes, ladite Royne Polypo luy feit
assez bon recueil de prime face : et seiourna Heleine
aucune espace leans faisant bonne chère. Or les damoiselles
et femmes de chambre de ladite Royne Polypo hayoient
mortellement Heleine, pource que leur seigneur le Roy
Tlepolemus auoit prins mort à cause délie. Si conspirèrent
vn iour parensemble de la faire mourir, et de fait la me-
nèrent à vn beau verger par manière desbatement : mais
quand elle y fut, elles luy mirent vue corde au col, et la
pendirent et estranglerent à vn arbre.
230 ILLVSTHATIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE XXIIII.
Comment Heleine après sa mort fut réputée Déesse de beauté par la
folle erreur des Payena idolâtres. Et des temples qui furent esle-
uez à Ihonnear délie : auec l'e citation daucuns fabuleux miracles
faita par elle et ses frères Castor et Pollux, qui sont par les
Poëtes mis au cercle du zodiaque faisans le signe de Gemini : et
autres choses.
Ainsi fina misérablement ses vieux iours Heleine limpu-
dique, pour laquelle tant de hauts hommes et nobles auoient
esté deflaits. Et de tant fut elle plus malheureuse, quelle
ne fut plainte ne plouree de personne. Et à peine scây ie
si elle fut digne dauoir sépulture : si me semble quun si
vilain defînement luy estoit deu et à bon droit : et ne fust
ce que pour la grand trahison et inhumanité dont elle vsa
enuers Deïphobus. Mais après la mort dicelle, laage aueu-
glee et erronée du temps dadonques, qui estoit prodigue de
forger nouueaux Dieux et Déesses par idolâtrie, meit et
rengea ladite Heleine au nombre et catalogue des Déesses
immortelles : car autrement il eust semblé quon luy eust
fait tort et iniure. Attendu que desia ses deux frères Cas-
tor et Pollux estoient stellifiez et translatez au ciel, faisans
le signe de Gemini, cestadire les iumeaux qui régnent au
mois de May. Et aussi considerans quelle nés toit pas de
moindre condition que sa voisine lo, fille d'Inachus, Roy
d'Arges, iadis rauie par lupiter, et transformée en vache :
SUfGTLARITEZ DE TROTB. UVBE II. 231
laquelle estoit adorée en Egypte souz le nom d'Isis. Ne
aussi que Ëuropa, fille du Roy Agenor de Sidone, iadis rauie
par lupiter, laquelle estoit déifiée en Crète, comme met
Dictys au commencement de son liure. Et pareillement
aduisoient les hommes prudents et discretz dudit temps
passé, que Heleine meritoit aussi bien destre faite DeesM
comme Iphigenia, sa cousine germaine, fille du Roy Aga-
memnon et de sa sœur Clytemnestre : laquelle Iphigenia
estoit desia déifiée au pais d'Achaie, et luy sacrifioit on dun
cruel sacrifice : cestasauoir dhosties humaines, comme met
Hérodote en son quatrième liure. Pareillement nestoit
point Heleine de pire estime que Medee la forte enchan-
teresse, iadis fille du Roy Eeta, de Colchos, et femme de
lason. Laquelle Medee fut aussi après sa mort réputée
haute Déesse, selon que tesmoigne Bocace au quatrième
liure de la Généalogie des Dieux. Pour lesquelles considé-
rations et causes peremptoires, le peuple dadonques fort
superstitieux et enclin à idolâtrie, édifia par grand deuotion
ou plustost damnation, à ladite Déesse Heleine, vn temple
somptueux au territoire de Therapne dont elle estoit natiue.
Et, comme iecroy, fut appellee Déesse de beauté. Et feit
aucuns miracles fabuleux dont ien reciteray icy vn, car il
est bien digne de mémoire.
Le Prince des historiens (1) Hérodote au sixième liure
de son histoire, recite que Ariston, iadis Roy de Sparte ou
Lacedemone, eut trois femmes lune après lautre, dont la
dernière fut remplie de souueraine beauté par accident
miraculeux ainsi que vous orrez, car en son enfance elle
auoit esté la plus laide créature du monde : mais elle fut
faite belle par les mérites et vertuz de la Déesse Heleine,
(1) des histoires (mscr. de Genève).
i23S ILLVSTRATIOMS DE GATLE, ET
en ceste manière : cestasauoir, comme ladite dernière
femme du Roy Ariston fust ainsi laide et difforme en son
enfance, et il tournast à grand "desplaisir des parents délie,
lesquelz estoient riches gens et puissans, ilz auoient si
grand dueil de ladite difformité, quilz deffendirent expres-
sément à sa mère nourrisse quelle ne la monstrast à per-
sonne viuant, comme ceux qui mieux leussent aymee morte
que viue. Laquelle chose voyant ladite mère nourrisse,
elle se pourpensa de telle chose. Tous les matins elle la
portoit au temple de la Déesse Heleine qui estoit au lieu
appelle Therapne, en la prouince de Laconique assez près
du temple de Phebus. Et presentoit ladite fille deuant
lidole ou simulacre de ladite Déesse, en faisant son oraison
bien deuotement à icelle, et priant, qui luy pleust deliurer
la fille quelle nourrissoit, de sa grand laideur. Si aduint
après quelle eust long temps continué ladite prière et orai-
son, vn iour quelle partoit dudit temple sapparut à elle la
Déesse Heleine en forme dune femme, et luy demanda que
cestoit quelle portoit entre ses bras. Et comme ladite nour-
risse eust respondu que cestoit vne fille : la Déesse luy
commanda de la luy monstrer, mais la nourrisse refusa de
ce faire, disant que les parens de lenfant le luy auoient
deffendu : toutesuoyes la Déesse Heleine luy feit comman-
dement derechef, quelle luy fust monstree, et que lenfant
en vaudroit beaucoup de mieux, si elle lauoit veu. Ainsi
fut contente la mère nourrisse de la descouurir. Et la
Déesse Heleine la print, et luy applania le chef aucune
espace, puis la rendit à la nourrisse, disant que ceste fille
deuiendroit la plus belle fille de Lacedemone. Et sur ce
poinct se disparut. Et aduint depuis ainsi, car elle fut si
tresbelle, que ledit Roy Ariston de Lacedemone trouua
manière subtilement de loster à vn autre Prince de Lace-
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRl II. 233
demone, à qui elle estoit desia mariée, et lespoQsa pour sa
grand beauté, et eust délie vn ûh nommé Demaratbus qui
depuis fut Roy de Lacedemone. Ledit acteur Hérodote,
aussi en son second liure, met quen Egypte il y auoit vn
temple dédié à Heleine, souz le tiltre de Venus estrangere :
car aucuns estiment, que après le rauissement d'Heleine,
Paris et elle furent transportez celle part.
Encores feirent vn autre miracle euident pour lamour de
leur sœur la Déesse Heleine Castor et Pollux, ses frères
translatez au ciel par la fabulosité des poètes, et faisans
vn signe du Zodiaque appelle Gemini. Lequel miracle ou
plustost fable ie narreray souz brieueté. Il fut iadis vn
poète Lyrique, nommé Stesichorus, natif de lisle de Lesbos
quon dit maintenant Methelin, duquel raconte Pline en son
histoire Naturelle, que luy estant enfant au berseau, vn
rossignol vint chanter sur sa bouche, en signifîance quil
seroit vne fois tresdoux et tressingulier poète. Iceluy Ste-
sichorus donques entre autres choses quil feit, composa
vn dittier, plein diniures, contumelie et diffamation encon-
tre Heleine, pource quelle auoit causé par son adultère la
destruction de Troye. De ce libelle diffamatoire furent fort
indignez les Demydieux Castor et Pollux, estans au cercle
du Zodiaque. Et de fait, pour venger liniure faite à leur
sœur, par leur puissance deïfique tollurent la veiie audit
poète Stesichorus, tellement que le poure homme ny veit plus
goutte, dont il fut fort estonné et scandalisé. (1) Toutes-
fois à chef de pièce, il luy vint vne aduision en son dor-
mant, qui fut telle : cestasauoir, quon ladmonnestoit de
ditter vne palinodie : cestadire faire vn chant contraire
à celuy de parauant, et se desdire de ce quil auoit dit con-
(I) e.>-à*d. troublé et déshonoré.
254 ILLVSTRATIONS DE GA.VLE, ET
tre Ihonneur d'Heleine. Adonc le poëte ioyeux, quand il
sceut quil ne tenoit que à cela, commença à composer vn
beau lay à la louenge de la Déesse Heleine : et insera
toutes vertuz et belles choses dont il se sceut aduiser, en
requérant mercy à dame Heleine, Déesse de beauté. Et
chanta ledit lay mélodieusement sur sa harpe, parquoy il
recouura prestement lusage de ses yeux. Ces choses sont
prises au troisième liure de lart d'Aymer, auquel le noble
poëte Ouide dit ainsi :
Probra Terapnese qui dixerat antè marit»,
Mox cecinit laudes prosperiore lyra.
Et Horace aussi en ses Odes dit en ceste manière :
Infamis Helense Castor offeusus vice
Fraterque magni Castoris, victi prece
Âdempta vati reddidere lamina.
Marsille Ficin, en ses epistres, met que le Prince des
poètes Homère, pour auoir trop vitupéré la belle Heleine,
fut tousiours depuis aueugle, ne iamais ne recouura sa
veiie, pource que onques ne se voulut repentir ne recon-
gnoitre quil auoit mal fait. Mais vn grand orateur de Grèce,
nommé Isocrates, ne feit pas ainsi, sachant que cest trop
dangereuse chose de mesdire des dames, ainçois escriuit
plusieurs louenges de ladite Heleine.
Si la deïté de la Déesse Heleine auoit aussi grand vertu
maintenant comme au temps passé, ie deuroye auoir belle
peur dauoir encouru son ire et indignation, attendu que
iay tant publié ses vices et diuulgué ses vitupères. Pline
au deuxième liure de Ihistoire Naturelle, met que ces
flambôttes de feu, quon voit aucunesfois par les voiles noc-
SINGYLARITEZ DE TROTB. LITRE O. 235
turnes au bout des lances des gensdarmes, ou sur les an-
tennes des nauires, et font certain bruit comme oyseaux et
se transportent de lieu en autre, quand il y en ha deux
ensemble, elles sont salutaires, et signifient bon heur et
nauigage prospère. Si disoit on anciennement que cestoient
Castor et Pollux, lesquelz on inuoquoit comme Dieux en
la mer : mais sil nen y ha quune toute seule, elle est mal-
heureuse et de mauuais présage. Si la nommoit on iadis
Heleine, ou selon lexpositeur de Fulgentius Placiades,
Vrania. En ce temps cy on lappelle vne Furolle, (1) et dit
on quelle meine noyer les gens. Et plus ne sauroie rien pro-
duire, faisant au propos en ce second liure, sinon que
comme met Higinius en son liure intitulé d'Astronomie
poétique, lune des sept estoilles, nommées Pléiades, ne se
peult voir à plein depuis la destruction de Troye. Car
ladite estoille est Electra, fille du grand géant Atlas et
mère de Dardanius, duquel yssirent les Troyens. Laquelle
print si grand desplaisance de la ruine diceux, que onques
puis ne voulut monstrer sa claritude pleniere.
(1) e.-à-d. fumerolle ou feu-follet.
2S0 ILLVSTRÀTIOIfS DE GAVLE, ET
CHAPITRE XXV.
Conclusion et confirmation véritable de ce second liure, par la con-
futation et explanation du liure de Dion de Pruse, qui se intitule
de Troye non prinse : auecques ample probation comment Lac-
teur ha auiuy en ceste histoire les vrajs acteurs autentiques.
PovTce que plusieurs nobles hommes, et autres gens
modernes, ont entre leurs mains vn petit traité autresfois
translaté de Grec en Latin, par François Philelphe, et
diceluy font grosse estime par nouuelle curiosité, pource
que Lacteur diceluy veult donner à entendre, par vn tas
de diuers syllogismes, contre lopinion de tout le monde,
que Troye ne fut onques prinse par les Grecz. A ceste
cause au préambule du prologue de ce second liure, iay
mis deux vers d'Ouide, certifians le contraire. Et si iceux
ne suffisent pour ramener ceux qui sont abusez à saine
intelligence, ie ramenteuray icy encores vn demy mètre de
Virgile qui le confermera, cestasauoir cestuy cy :
-Rult alto à culmine Troîa.
Laquelle allégation des deux acteurs, si tresrenommez
doit bien suffire encontre la seule assertion, cestadire affir-
mation douteuse, dun homme peu autorisé. Et si dauenture
on refuse le tesmoignage des poètes, aumoins deura on
adiouster foy à Diodorus Siculus, historien tresapprouué,
lequel ha recueilli toutes les antiquitez du monde. Et dit
SmCULARITEZ DE TROTE. LITU H. 237
en la fin de son sixième et dernier liure, ces propres mots :
Qua omnia anie hélium Troianum acta sunt. Déserta (1)
Troia, Gares opibus aucH, etc. Mais encores la pertinacité(2)
de ceux qui se fondent en ceste fantasie estoit si obstinée,
que nulle apparence de veritë autorisée ne peult obtenir
lieu daudience enuers eux. Toutesnoyes ânablement seront
ilz contraints de se laisser vaincre par démonstrations rai-
sonnables. Pour laquelle chose faire, il faut entendre que
celuy qui soustient par ses escrits Troye non auoir esté
destruite par les Grecz, estoit vn Philosophe nommé Dion,
natif de la cité de Pruse, en la prouince de Bithynie, pro-
chaine de la région de Troye, en Asie la mineur, quon dit
maintenant Natolie ou Turquie. Or y ha il eu de tous
temps hayne mortelle et inueteree entre ceux d'Asie la
moindre, et ceux de Grèce, qui ne sont séparez lun de lau-
tre, sinon par linterpos du destroit de la mer Hellesponte,
comme on pourroit dire France et Angleterre. Et pource
que iceluy Dion estoit Asiatique, et quil luy sembloit tour-
ner à grand honte, à ceux de son parti, de ce que leurs
ancestres se laissèrent ainsi suppediter par la nation Gre-
goise, à ceste occasion il sessaya de recouurer leur honneur,
en cuidant persuader et faire acroire aux Iliens, cestadire
aux Troyens, quil nen auoit rien esté. Laquelle chose
estoit bien aisée à faire ausdits liions qui de son temps
habitoient le lieu, où fut iadis Troye, autrement dite Ilion.
Dautre part, pour vne gloire et ostentation de sa science
philosophale, il sefforça de monstrer que le bon poëte
Homère en plusieurs passages de son Iliade, auoit contre-
dit à soy mesmes. Et pour ce faire, il ameine seulement en
(1) Deleta (mscr. de Genève).
(2) fartidnacité {éà. 1516).
ILLVSTRATIONS DE GA.VLE, ET
ieu vn tas dargumentations friuoles de peu de verisimi-
litude et de moindre efficace. Dont en blasmant et vitupé-
rant lexcellence du prince des poètes Homère, comme feit
iadis vn autre philosophastre nommé Zoïlus, lequel tour-
menté du mauuais esprit denuie, se feit nommer par vn til-
tre abominable Homeromastix, cestadire leflayau d'Homère.
Et après auoir composé vn liure tout plein de diffamation
detractoire, tendant à anichiler la gloire du poète Homère :
ledit Homeromastix et son liure furent par Ptolomee, Roy
d'Egypte, recueillis et traitez selon leur desserte. Cestasa-
uoir comme vn iuste Prince doit traiter mesdisans, flateurs
et détracteurs. Comme ces choses escrit Nicolas Perot,
euesque de Siponte en sa Cornucopie.
Mais encores souffrons vn petit que la poésie d'Homère
Boit forcluse daudience , et pour impugner la dicacité,
cestadire ienglerie de nostre aduersaire, par vn moyen
extrauagant : faisons semblant de nous ioindre auec le
père des historiens Herodotus Halicarnasseus : lequel trop
plus antique que Dion, met au deuxième liure de son his-
toire, que après le rauissement d'Heleine, Paris ayant vent
contraire, erra par la marine, et alla aborder à lune des
bouques du fleuue appelle de Nil, en Egypte, qui est main-
tenant en la possession du Souldan. Et pour lors regnoit
en Egypte vn sage et iuste Roy nommé Proteus, lequel
congnoissant et sachant la rapine et violence perpétrée par
la folie de Paris Alexandre, filz du Roy Priam, commanda
de donner larrest à la belle Heleine, en son païs d'Egypte,
et depuis la rendit à son mary Menelaus. Parquoy on pour-
roit coniecturer que la guerre neust point esté deuant
Troye, pour recouurer Heleine : et par conséquent que
Troye nayt point esté prinse par les Grecz. Et ce qui meult
le bon historien Hérodote descrire ce que dessus, cest
SWGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE U. 930
pource quil se dit auoir esté amplement informé par les
Prestres et Philosophes d'Egypte de toute Ihistoire d'He-
leine. Or si ledit Dion se fust armé de lautorité dudit Héro-
dote, il eust beaucoup fortifié son cas, et eussions eu plus à
faire de les confuter et conuaincre tous deux ensemble. Mais
ainçois iceluy Dion reboute lautorité du prince des histo-
riens Hérodote comme de nulle apparence. Mais quelle
autre approbation plus clere et plus ample voulons nous
pour fortifier nostre cas, sinon de Stesichorus poëte Lyri-
que : lequel auoit autrefois esté de lopinon dessusdite ? Mais
finablement il fut contraint de se desdire, et de chanter vn
chant contraire, lequel sappelle Palinodie en Grec, comme
met Marsille Ficin de Florence, en ses epistres. Et escriuit
ledit Stesichorus en ceste manière, adressant ses yers à
Heleine : Non veriis sermo ille fuit, Neque nauibus altis
Existi fugiens : Neque adisti pergama Troia.
Puis donques que le philosophe Dion, ne baille aucune
faueur au propos dessus narré d'Hérodote, Prince des histo-
riens, faisons luy aussi ce plaisir, que de refuser et reietter
du tout ledit Hérodote, mesmement quant à ce quon pour-
roit inférer et conclurre que la cité de Troye nayt point
esté mise en ruine par les Grecz, et venons à reciter par
manière dabreger toute la narration dudit philosophe Dion,
à fin quil ne puist sembler que ne layons assez curieusement
leiie.
Tout premièrement iceluy Dion, qui ne tend à autres fins,
fors demonstrer les œuures du souuerain poëte Homère,
pleines de mensonges et ineptitudes, cestadire choses mal
à propos et de petite valeur, dit auoir esté amplement cer-
tifié de toute la vérité de, Ihistoire Troyenne, par les Pres-
tres du pais d'Egypte, ainsi comme ia est dit du dessus^
nommé Hérodote, historien Grec. Mais pour les deux pre-
M9 ILLVSTBATIONS DE GÀVLE, ET
Biiers poincts principaux, ledit philosophe Dion nye que
Heleine fust iamais mariée au Roy Menelaus, ne rauie vio-
lentement par Paris Alexandre, filz du Roy Priam de
Troye. Et dit iceluy Dion comme il sensuit :
« Que comme plusieurs grans seigneurs de diuerses con-
trées du monde esmuz et incitez à cause de la grand renom-
mée de la beauté d'Heleine, fille du Roy Tyndarus, se fus-
sent tirez en la cité de Lacedemone, pour icelle Heleine de-
mander solennellement en mariage au Roy Tyndarus son
père, Paris, filz du Roy Priam de Troye, partant des mar-
ches d'Asie la moindre quon dit maintenant Turquie, se
trouua auecques les autres Princes en merueilleuse pompe
et somptueux arroy. Et combien que le Roy Agamemnon,
lequel auoit desia espousé Clytemnestre, sœur de la belle
Heleine, cuidast bien pratiquer que son frère Menelaus eust
en mariage ladite Heleine, à fin de mieux corroborer et for-
tifier son alliance, neantmoins Paris Alexandre, filz du Roy
Priam, fut préféré et tenu en plus grand estime que ledit
Menelaus et tous autres compétiteurs. Et ce, à cause de la
grandeur et richesse de son parentage, et de la présentation
de sa personne. Si espousa Paris la belle Heleine, légitime-
ment, par lautorité du Roy Tyndarus père délie, en grand
ioye et triomphe, sans répugnance ne contradiction quel-
conque. De laquelle chose après quelle fut faite, le Roy
Menelaus fort ialoux et desplaisant, attendu quil auoit esté
frustré et deceu de son espérance, feit vne grand plainte
et querimonie, tant au Roy Agamemnon son frère, comme
aux autres Princes de Grèce : en leur remonstrant que
cestoit trop grand honte à eux tous, dauoir souffert que la
fleur et lexcellence du monde fut ainsi emmenée arrière
deux par vn Prince estranger. Et que à tousiours mais,
cecy leur seroit imputé à reproche et à lâcheté de courage.
SINGVLARITBZ DK TROYK. LIVRR U. %ki
Car il pourroit sembler aux postérieurs, que nul deutre
eux neust esté digne, ne bon assez, dauoir en mariage vne
si belle dame. Alors, comme raconte iceluy Dion, la noblesse
Gregoise emflambee de despit et indignation, à ceste cause
délibéra daller recouurer Heleine par force darmes. Et fut
la guerre criée par tout, et Troye assiégée long temps. £t
entre les autres choses qui sy feirent, Achilles y fut tué
par les mains d'Hector, et Paris occis par Philoctetes. Puis
ânablement pource que les deux parties sennuyoient de
leurs pertes quotidiennes, lappointement fut moyenne par
Vlysses. (1) Et furent les Grecz condamnez à ce que, pour la-
mende honnorable des torsfaits (2) commis par eux contre les
Troyens, sans ce quilz eussent droit, ou iuste querele, ilz
oflfriroient vn grand Cheual à la Déesse Minerue, cestadire
Pallas, laquelle chose faite ilz sen retournèrent en leurs
régions, sans ramener Heleine : car Hector la donna en
mariage à son frère Deïphobus. Et depuis ladite Heleine
fut tuée traytreusement par son propre neueu nommé Ores-
tes, filz du Roy Agamemnon.
Et dautre part, Menelaus nosa retourner en son païs,
mais sen alla en Egypte, et espousa la fille du Roy dicelle
contrée. Finablement iceluy acteur Dion met que le Roy
Priam trespassa plein de gloire et de félicité humaine, et
le preux Hector succéda en son règne tresflourissant. Le-
quel enuoya Eneas et Antenor faire conquestes en Italie :
et son frère Helenus en Grèce, et luy mesmes, cestasauoir
Hector, subiuga par armes vue grand partie d'Asie, puis
mourut en extrême vieillesse, laissant son héritage paisible
à son filz Scamandrius. (3) Et cest le sommaire du liure de
(1) Uîiaes (ëd. 1516).
(2) forfaidz (éd. 1528).
(3) Scamndrus (âd. 1516 et 1528).
II. 16
242 ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
Dion de Pruse, qui se fait nommer Chrysostome, cestadire
bouche dor : concluant Troye non auoir esté mise en ruine
et désolation par les Grecz.
Or voyons orendroit, comment il pouuoit ces choses si
bien deuiner par inspiration fantastique et prophétie ré-
trograde : ne par quel moyen vraysemblable il peult ainsi
contrarier la commune opinion du feu de Troye, cestadire
de la ruine extrême dicelle. Laquelle est deriuee et persua-
dée iusques à nous, par les escrits autentiques de ceux mes-
mes qui viuoient en ce temps là, ou qui furent du siècle
prochain. Si faut sauoir tout premier, que nostre contredi-
seur Dion de Pruse ne vint au monde, sinon régnant lem-
pereur Traian, cestasauoir mille et trois cens ans après la
captiuité Troyenne, là où le poète Homère flourissoit seule-
ment enuiron cent ans après icelle guerre. Mais Dictys de
Crète et Dares de Phrygie ont rédigé en mémoire tout ce
quilz veirent et entendirent faire dun costé et dautre, pen-
dant le siège de Troye. Le liure diceluy Dares, lequel estoit
de la nation Troyenne, fut trouué escrit de sa main propre
en luniuersité d'Athènes, au temps de Iulius César, par vn
grand orateur nommé Cornélius Nepos, natif de Vérone
en Italie, et par luy mesmes translaté de Grec en Latin,
puis enuoyé à Romme au tresnoble historien Crispe Sal-
luste.
Et lœuure de Dictys de Crète, quon dit maintenant lisle
de Candie subie tte aux Vénitiens, et de la nation de Grèce,
vint aucun temps après en lumière, cestasauoir du temps
de lempereur Néron. Iceluy Dictys souuent allégué en ce
second liure, fut cheualier stipendiare du Roy Idomeneus de
Crète, et fut présent à toutes les batailles contre les Troy-
ens. Si fut trouué son liure par cas dauenture en la ma-
nière qui sensuit :
SINGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE II. 243
Aucuns pasteurs gardans les bestes et troupeaux auprès
de la cité de Gnosus, en lisle de Crète ou Candie de laquelle
fut natif iceluy Dictys, trouuerent entremy aucunes vieilles
murailles ruineuses vn sépulcre, lequel comme depuis fut
sceu, estoit dudit acteur Dictys de Crète. Et dedens ledit
sépulcre ilz prindrent vn vaisseau destain bien clos et bien
souldé de toutes pars. Âdonc eux peosans que là dedens
fut enclos quelque bon gros trésor, ilz ouurirent ledit vais-
seau bien en haste, mais il ny auoit pour toute proye ou
butin, sinon des liures. Dont quand ilz se veirent frustrez
et deceuz de leur espérance, ilz portèrent les liures au sei-
gneur de ladite cité de Gnosus en lisle de Candie, lequel
seigneur se nommoit Praxis. Et fut bien aise ledit seigneur
du présent et de la treuue. Si saduisa de les faire transcrire
en lettres Athéniennes, pource que les liures estoient en
characteres de lettre Punique fort ancienne et mal lisable,
iasoit ce que le langage fust Grec. Et cela fait, ledit Praxis
vint à Romme vers le Prince Néron, pource quil le sauoit
estre fort curieux de Ihistoire Troyenne, comme celuy qui
estoit singulier en poésie et homme de treseslu engin, sil
eust esté si heureux quil eust plustost fleschi et incliné à
bonté que à malice, mais non.
Or fut Néron, non content seulement dauoir fait compo-
ser vne seconde Iliade, par vn poëte nommé Accius, ainsi
que met Perse en sa première Satyre, mais aussi sessaya
ledit empereur Néron, de compiler vn liure des faits de
Troye : lequel il intitula Troica Neronis, cestadire les
auentures de Troye composées par Néron. Lequel liure est
allégué par Seruius, commentateur de Virgile, comme iay
dit en la fin du premier liure. Or présenta ledit Praxis à
lerapereur Néron le volume de Dictys de Crète, contenant
dix liures des faits de Troye. Si fut le tresbien venu et
244 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
guerdonné hautement. Et depuis iceux liures furent con-
uertis en langue Latine, par vn orateur Romain, nommé
Septimius. Et de dix que ledit acteur Dictys auoit compo-
sez, iceluy translateur Septimius les ha réduit à six : les-
quelz nous auons maintenant bien corrects, et dont ie me
suis aydé pour le plus en ce second liure.
Ces choses veûes iestime auoir fait assez ample preuue
que la narration du philosophe Dion (non mie quant à son
parler, qui est tout pur oratoire, mais quant à ce quil im-
pugne la vérité historiale) doit estre réputée vaine, plate,
ridicule et adulatoire, et nullement corroborée par acteurs
suffisans. Et que par ce second liure, tous lecteurs et audi-
teurs se peuuent bien tenir pour contons et bien informez
de la vérité de toute Ihistoire, à fin quen peintures et tapis-
series on ne fasse plus nulz abus, sinon (1) que lerreur inue-
teree de Guy de la Colonne et de ceux qui lont ensuiuy, tant
en rime comme en prose, lesquelz ie ne vueil pas nommer,
vallent (2) mieux que ceste mienne œuure laborieuse et bien
digérée. Apres laquelle mise en lumière, sil y ha aucune
chose transpassee par oubly ou par négligence, le troisième
liure en fera la raison : par lequel ie monstreray la vraye
origine des François, des Bretons, des Turcz : et de tout
ce qui est possible dalleguer en ceste matière. Laquelle à
proprement dire, nest sinon vne elucidation et clarification
de plusieurs acteurs renommez : dont de ceux qui sont
alléguez en ce second liure les noms sont cy douant mis et
les œuures. A tant ie fais fin à ce second liure des Illustra-
tions de Gaule, et Singularitez de Troye : priant aux lec-
(1) c.-à-d. à moins que.
(2) vaillent {éd. 1516).
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE H. i45
teurs et auditeurs, quilz ne prennent les choses sinon en
bonne part, et excusent les fautes par beniuolence, auec-
ques le bon poète Virgile qui dit :
Non omaia poMumaB omnes.
De peu assez.
PROLOGVE DV TROISIEME LIVRE
DES ILLVSTRATIONS ET SINGVLARITEZ
DE FRANCE ORIENTALE ET OCCIDENTALE,
CESTADIRE DE GAVLE ET DE TROYE.
Dédié à treshaute, treschretienne et sacrée Princesse, madame
Anne, par la grâce de Dieu, deux fois Roy ne de France,
Duchesse de Bretaigne Armorique : Mbrcyrb iadis réputé
Dieu d'Eloquence, et de bonne inuention, Salut et félicité
tousiours prospérante en la vie présente et future. (1)
Virgilias lil>. m. Aeoeldos :
Unam/aciamus vtranque
Troiam animis : maneat nostros ea cura nepotM.
De ryne et Taatre Troye, vne mesme faisons :
Et à ce noz neueaz dun courage induisons.
Les rvines de Troye la grand, comme vne treslamen-
table et trespiteuse Tragédie assez esclarcies, nettoyées et
purgeees de tout erreur fabuleux, par le second liure pre-
(1) Dans rédition Qeofiroj ds Marnef, 1513, on troure le titre
248 ILLVSTRATIOWS DE GAVLE, ET
cèdent de noz Illustrations , Roy ne tresohrestienne , et
Princesse tresmagnanime, et ledit liure dédié, et présenté
par ton treshumble Secrétaire, et Indiciaire lean le Maire
de Belges, à la tresbenigne virginale excellence de la
tienne tresaymee, et première fille de France, resplendis-
sante au ciel des vertus humaines, comme la clere estoille
matutine nommée Venus, laquelle précède le Soleil, et est
par les Mariniers appellee Diane, et par les Laboureurs et
Pèlerins, lestoille lournalle, vraye et certaine prenonciate-
resse du iour, et le seul espoir et soûlas de ceux qui
bayent les ténèbres obscures de la nuict ennuyeuse. Restoit
encores, Royne tresdebonnaire, ce troisième liure à par-
faire, lequel estoit par moy reseruê de long temps, au nom
tresauguste de ta hautesse Royale : comme à la Princesse
qui dignement représentes au monde, la grand Déesse om-
BuiTant, donné plus loin par Tédition 1549 (J. de Toarnes) : « Le
tiers livre des Illustrationg de Gaule et Singularitez de Troje, inti-
tule nouvellement de France Orientale et Occidentale, ouquel princi-
palement ast (est) comprinse au vray la généalogie historiale du
tressainct, tresdigne et treschrestien Empereur Charles le grand :
Père de Loys le débonnaire, premier de ce nom.
« Laquelle généalogie tant en ligne féminine comme masculine est
deduicte de père en filz depuis Francus filz légitime Dhector de Troye
jusques a Pépin le brief premier roy des Francoys en ceste généa-
logie. Et ny a riens en ce livre qui soit commun es autres histoires
de France et qui ne soit prouve par raisons et allégations autenticques.
Et le tout correspond au premier et au second livre des Illustrations. »
Et au dessous de la vignette, on lit encore : « Lecteurs et audi-
teurs benivolentz, prenez le bien en gre et le gardez dinjure et doul-
traige comme vous avez fait les autres precedentz de vostre bonne
grâce. Et lactenr vous en prie : affin quil congnoisse que la nation
francoise ne soit point ingrate de ses petiz labeurs. Pour lesqaelz
mettre au net, il a beaucop veille et traveille. »
SINf.TLARITeZ DÉ TROtB. LITBE III. 249
nipotente et céleste ivno qui se peult interpréter iwans
OMNEs : oestadire, aydant à vnchacun. Laquelle paissanee
et vertu priuilegiee, est vne chose presques diuine. Or est
ladite Déesse luno, & laquelle tu es comparable, dame des
trésors et richesses mondaines, dominateresse des Roy-
aumes et seigneuries, maistresse et patrone des saintes
alliances des loyaux mariages non corrompuz ne yiole2. A
icelle toutes nobles et belles Nymphes et chastes pucelles
sont semantes et humbles pedisseques. Et dicelle les Paons,
aux plumes dorées et versicolores, meinent le chariot enri-
chy de perles et de précieuses gemmes, par toute la région
aërine, dont elle ha la domination. Elle seule peult fleschir
la tresredoutable seuerité de lupiter Altitonant, le Roy
des Dieux : cestadire, seigneur des Princes. Et si est mère
de la Demydeesse Hebe, Princesse de ieunesse, espouse du
trespreux Hercules, desia stellifié au ciel, par augure ou
apparence deraonstratiue, de fortitude et bonne destinée.
Tu donques, sacrée maiestë Reginale (en laquelle toutes ces
démonstrations deïflques conuiennent, par comparation
telle que Ion peult faire des choses terrestres aux célestes)
mérites icy à bon droit, obtenir le lieu de la Déesse luno :
quant à la consécration de ce troisième liure des Illustra-
tions : comme celle qui es couronnée et diademee du grand
trésor dhonneur et de bonne fortune, compaigne de vertu,
sur toutes les Déesses : cestadire Princesses du monde.
Laquelle chose soit dite sans liniure des autres. Car à
nulle autre naduint onques de porter deux fois légitime-
ment sur son chef, la couronne reginale de France. Or
soit assez de ce propos, quant à la cause rendue de la
dedication de ce labeur, fait et adressé au nom de ta sou-
ueraine excellence : lequel ie te prie vouloir prendre en
gré, selon ta clémence accoustumee, comme le principal
250 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
présent que iay encores fait aux dames : car les deux
autres precedens, ne sont que les bourgeons et les fleurs :
mais voicy le fruit paruenu en maturité. Là est lescaille,
et icy le noyau : droit là est la peinture, et cy dedens le
vif : illecques sont sans plus les deux prémices du syllo-
gisme, mais voicy la conclusion. Venons ores aux deux
vers, qui sont couchez en la teste de ce prologue : lesquelz
sont proferez par le poëte Virgile, au troisième liure de
ses Eneïdes, en la personne du Prince Helenus, frère d'Hec-
tor. Et est la substance desdits vers, que Helenus veult
persuader à Eneas, que les deux Troyes on conioingne
ensemble : cestadire, que les deux Peuples et nations sor-
ties dun mesme tronc, on fasse vne commune perpétuelle
alliance. Or auoit Helenus auecques sa femme Andromacha,
vefue d'Hector et de Pyrrhus filz d'Achilles, desia édifiée
et construite sa petite cité de Troye en Albanie : dont en
festoyant son beau frère Eneas, qui dauenture aborda illec
par mer, cherchant daller en Italie, congnoissant par les-
prit de sa science de diuination, de laquelle il estoit le
maistre et comme Prophète, que des successeurs dudit
Eneas procederoient les Princes de lempire Romain, et les
Royaumes des deux Bretaignes : cestasauoir, la grande et
la petite, dont de la seconde tu es Royale dame et Duchesse.
A ceste cause Helenus adraonnestoit son beau frère Eneas,
que de leurs deux maisons ilz en feissent vne. Car aussi
sauoit il bien, que de luy et de sa femme Andromacha, et
de son neueu Francus, filz d'Hector, descendroient les plus
grans Princes du monde : lesquelz regneroient de ligne en
ligne, par tout Orient et Occident. Et qui mouuoit Helenus,
frère d'Hector, denhorter à ce ledit Eneas ? sinon la diuine
inspiration, et lesprit de prophétie, dont il estoit doué,
comme dessus est dit. Et quil congnoissoit par icelle, com-
SINCTLARITEZ DE TROTK. LIYRB III. 351
bien que Troye la grand en son édifice et structure fust
démolie, neantmoins son nom ne seroit iamais aboly de
la mémoire des hommes : ainçois tant plus deuiendroit le
siècle vieil, tant plus raioueniroit, et reflouriroit le refres-
chissement de la mémoire de Troye : car depuis la ruine
dicelle, elle fut restaurée en Asie, sur le lieu mesmes de sa
première construction par les neueux d'Hector. Et au para-
uant, elle estoit desia refondee en Egypte, sur le fleuue du
Nil, par les exilez de Troye, qui se rebellèrent contre
Menelaus et sa femme Heleine. Et en ce mesme temps, en
vne partie de Macedone, qui se dit maintenant Albanie :
Et depuis en plusieurs autres prouinces d'Europe : si
comme en Italie, Hongrie, Allemaigne, Bretaigne : et les
Gaules Belgique, Celtique, et la tienne Armorique, Royne
tresillustre : comme il sera veu par ce liure. Voyla la rai-
son qui mouuoit Helenus, frère d'Hector, de dire à Eneas
la substance des vers dessus mentionnez : Faisons que noz
deux maisons ne soient quune mesme chose. Ce qui aduint
depuis : cestasauoir, du temps de l'Empereur Charles le
grand, qui fut Roy des François Orientaux et Occidentaux :
lesquelz sont du vray sang Troyen et Herculien, lesparens
du Roy treschrestien, duquel tu es compaigne : et les ances-
tres et progeniteurs de ta propre maison mesmes. Par ainsi
le dis et présuppose, que attendu quil nest rien souz le ciel
qui autresfois ayt esté, qui ne puist estre derechef : iespere
encores voir que ces deux maisons et nations de France
Orientale et Occidentale, lesquelles vous nommez auiour-
d'huy Hongres, Allemans, Lansquenets, dune part : Fran-
çois et Bretons de lautre part, seront si vnies ensemble
par bonne et prospère alliance, quelles iront par communs
accords et vœuz refonder en Asie, cestadire Turquie, la
grand cité de Troye : de laquelle se disent estre yssus les
252 ILLVSTRATIONS DE GATLB, ET
Turcz : et les autres disent que non. Mais iasoit ce que de
tout ce le sache la pure vérité, comme celuy qui estoit pré-
sent au iugement des trois Déesses et à toutes les batailles
de Troye, neantmoins ien laisseray la disputation à lean le
Maire de Belges, si le cas eschet que quelque fois par le
commandement de la magnanimité de ton cœur, il acheue
son quatrième labeur des Illustrations de Grèce, et de Tur-
quie. A tant treschrestienne et tresheureuse sacrée Prin-
cesse, qui peux estre moderateresse et moyenneresse du
bien de la Paix vniuerselle, entre ces fortes et belliqueuses
nations Troyennes et Herculiennes, et les autres alliées
délies. Dieu te doint accomplir le theume (1) et lintention
de mon prologue.
(1) lajln (éd. 1528).
FIN DU PROLOGUE.
SIMGVLARJTEZ DE TROIS. LIVRE III. 255
LES NOMS DES ACTEVRS QVI SONS NOMMEZ, ET
ALLEGVEZ EN CE LIVRE.
Virgile, es Eneïdes.
Titus Liuius, en ses Décades.
Manethon d'Egypte, en sa Chronique.
Frère Vincent de Beauuais, en son Miroir historial.
Strabo, en sa Cosmographie.
Vibius Sequester, en la chronique Romaine,
Bocace, en la Généalogie des Dieux.
Dictys de Crète, en Ihistoire de Troye.
Homère, en son Iliade.
Antoine Sabellicus, en sa clironique nommée Enneades.
Maistre laques de Guise, en la chronique de Belges.
Berosus de Chaldee, en ses Déflorations.
Hieremie, en ses Prophéties.
Ouide.
Messire Michel Riz, en sa chronique des Roys de Naples.
Vn acteur ancien, dont on ne scait le nom.
Lncan, en sa Pharsalique.
Sidonius Apolinaris, euesque des Auuergnois.
Messire lean Rheuclin, en son liure intitulé de Verbo mirifico.
Seruius, commentateur de Virgile.
Claudianus le poôte, en ses œuures.
Saint Hierome.
Saint Remy.
Martialis, en ses Epigrammes, ,
254 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
luuenalis, en ses Satyres.
Flauius Vopiscus, en ses histoires et vies des Empereurs
Romains.
Raphaël de Volaterre, en ses Commentaires Vrbains.
Suetonius Tranquillus, en Ihistoire des douze Césars.
Papa Pius, en la description d'Asie, quon dit maintenant Tur-
quie.
Dares de Phrygie, en Ihistoire de Troye .
César, en ses Commentaires de la guerre de Gaule.
Orosius, en ses Chroniques.
Lucius Plorus, en labregé des histoires Romaines.
Cornélius Tacitus Romain, en Ihistoire Germanique.
Plinius, en Ihistoire Naturelle.
Cassiodorus le Sénateur, en Ihistoire Tripertite.
Celius Calanus, en la vie du Roy Attila.
laques de Bergome, au Supplément des chroniques.
Messire Robert Gaguin, en la Chronique de France.
Blondus Flauius, au liure de linclination de l'Empire.
Vn acteur nommé Ligurinus, es gestes de l'Empereur Federic,
surnommé Barberousse.
Sigebertus, en sa Chronique. (1) Et nota que la meilleur part
de ceste généalogie du saint Empereur et Roy Charles le
grand, est extraite dudit liure.
Assez dautres allégations y ha qui sont tirées des anciens Liures,
Marbres, Inscriptions de vieux Epitaphes, dont Lacteur ne
scait pas les noms de ceux qui les ont composez.
Appian Alexandrin, en la guerre Celtique, où il dit : Que cinq
cens chenaux des Sicambriens, en repoulserent bien cinq
. mille de César. (2)
(1) L'éd. 1513 ajoute : « laquelle a nouvellement fait imprimer
vénérable et révérende personne, monseigneur le confesseur du roy. »
Il s'agit de l'in-quarto de Paris, 1513, imprimé par H. Estienne.
(2) L'édition 1513 porte : Âppianus Alexandrinus Sophista, libro
qui intitulatur Celticus. « Sicambri quingentis equitibus quinque
mille Cesaris équités subito illis incumbentes averterunt. »
SlMOVLARiTEZ Dli TROTB. LITRE III. 255
A Vénérable et singulier Orateur, monseigneur maistra Gril-
larme Crétin, trésorier du bois de Vincennes, Cbapellain
ordinaire du Roy treschrestien Loys douzième, lean le Maire
de Belges, treshumble Indiciaire et Historiographe de la
Royne, Salut et reuerence.
Nvl vice en ce monde (à mon adius), ô mon Treshonnoré
précepteur, nest plus énorme et détestable enuers Dieu et
les hommes, que le péché dingratitude : comme celuy qui
me semble estre le pied, le tronc et la racine de tous les
autres. Car si le genre humain neust esté ingrat enuers la
clémence diuine, dont il ha receu tant de hauts bénéfices,
iamais il ne fust tombé en la ruine pécheresse, dont sont
maculez tous les filz d'Adam : ne iamais on ne feroit iniure
à soy mesmes, comme font gens désespérez, qui souillent
leurs mains en leur propre sang. Ne aussi on ne mefferoit
à autruy, ains vseroit chacun de la vertu de gratitude :
cestadire de rendre grâces des biensfaits quon ha receu de
Dieu premièrement, de ses parens, de ses maistres, de ses
voisins et prochains. A ceste cause, mon Vénérable précep-
teur et maistre en Rhétorique Françoise, à fin que ie ne
soye noté du vice dessusdit, ie te fais présent de la lecture
du troisième liure des Illustrations de France Orientale et
Occidentale : comme à celuy, qui es et peux estre deffen-
seur et protecteur ^e ce mien labeur. Et comme à celuy
derechef, qui as esté la cause première, que ie me suis
enhardy et entremeslé de mettre la main à escrire en ceste
nostre langue Françoise et Gallicane. Car (si bien il en
souuient à ta debonnaireté) passant par ville Franche en
(SS6 ILLVSTKATIOMS DE GAVLE, ET
Beauieulois, tu me donnas encouragement de mettre la
main à la plume, et de clerc de finances, que iestoye pour
lors, en laage de vingt et cinq ans au seruice du Roy, et
de monseigneur le bon Duc, Pierre de Bourbon, ie deuins
soudain enclin à lart oratoire, au moyen de la tienne per-
suasion (ce que ie creuz de léger) à cause de lestimation
que iauoye de ta doctrine et vertu, et de la réputation que
ien euz presentialement, et parauant ouy faire reallement,
et de propre audience, à feu de bonne mémoire Monsieur
maistre lean Molinet, mon prédécesseur et parent : comme
celuy qui ne faisoit autre estime delà tienne industrie,
sinon telle que du prince et principal maistre des Orateurs
et Poëtes de la langue Françoise, et cela soit dit sans iniure
des autres, et sans flaterie. Car le personnage (dont ta
beniuolence ha ayraé lindustrie en son viuant, et tu la
sienne) tenoit vn grand conte des tiennes escritures. Or
donques, Trescler précepteur, ie prie à ta courtoisie natu-
relle et Françoise, que veu et entendu que tout tel que ie
suis en nostre langue moderne, ta bonté me deffende con-
tre les détracteurs (si aucuns en y ha, ce que ie ne croy
pas), car ie ne fus iamais maliuolent à homme de France,
posé ores que ie nen soye natif : et mes œuures précédentes
declairent assez laffection que iay eiie tousiours au bien
publique de la nation Françoise : si comme les deux liures
précédents des Illustrations : La légende des Vénitiens, que
ie feis, pour monstrer la bonne querele que le Roy auoit con-
tre ladite popularité tyrannique : pareillement la différence
des Schismes et Conciles, à cause de donner à entendre, que
le Pape auoit tort de faire la guerre. (1) Toutes lesquelles
(1) Ici s'arrête le texte de la lettre dans Fëdition Regnaalt 1528.
— L'édition 1513 a le text« complet.
8INGVLARITEZ DE TROTS. LIVRE III. 257
œuures sont eschappees des boutiques des imprimeurs, tant
à Lyon, comme à Paris, assez mal corrigées. Car k peine
sauroit on garder les compositeurs de leurs incorrections
(quelque diligence quon y fasse) mais les fautes soient im-
putées à eux. Et pensent les lecteurs et auditeurs que ce ne
Tient point du vice de Lacteur qui leur donne bons et
vrays exemplaires. Toutesuoyes il me semble que ce pré-
sent troisième liure est imprimé assez feablement par
Maistre Raoul Cousturier, et digne assez destre veu et leu
et prisé, comme la façon de lun des disciples de ta déno-
mination. Et quand il plaira à ta bénignité faire ouuerture
des tiennes nobles œuures, et icelles publier par impres-
sion, on congnoitra facilement que tout ce peu que iay de
grâce et de félicité en ce langage, vient de ta discipline : à
laquelle ie suis tenu, toute ma vie. Et comme à tel, cesta-
sauoir, à mon iuge, et à mon arbitre, iadresse ce présent
Prologue, et la veiie et récognition de toute lœuure, ten-
dant aux fins de persuader aux treshauts Princes de
Chrestienté, quilz sont afBns et alliez ensemble de toute
ancienne origine, de la noblesse de Troye. Et à ceste cause
idoines et capables de recouurer par leur inestimable puis-
sance et vertu, leur ancien héritage, des règnes de Priam,
sur la nation Turque, qui lusurpe sans droit. Ce que les-
dits seigneurs extraits dun mesme sang pourroient bien
faire : pourueu quilz fussent vnis par concordance finale,
comme autresfois ilz ont esté. Ce que Dieu nous doint
grâce de voir en brief : et à eux Ihonneur et le triomphe,
dune si tresglorieuse victoire.
De peu assez.
II. 17
(«^
LE TROISIEME LIVRE
DES ILLUSTRATIONS DE GAVLE
ET SINGVLARITEZ DE TROYE,
DÎTITVLÉ NOVVBLLEMENT, DE FRAJ^CE ORIENTALE
ET OCCIDENTALE :
Auquel principalement est comprinse au vray la Généalogie
historiale du tressaint, tresdigne, et treschretien Empereur
Charles le grand, père de Loys le débonnaire, premier de ce
nom. Laquelle Généalogie tant en ligne féminine comme
masculine est déduite de père en ûlz : depuis Francus, ûlz légi-
time d'Hector de Troye, iusques à Pépin le Brief, premier
Roy des François en ceste Généalogie. (1)
Diaision de ce liure en trois parties.
Ce présent troisième liure des Illustrations de France
Orientale et Occidentale se diuisera en trois parties, ou
traitez. Au premier sera veu, comment lancienne noblesse
des Troyens, après la destruction de Troye, vint habiter
en Europe : dont furent procréez les peuples des François
(I) L'édition 1613 n*a ici que la dédicace « à Ihonneur immortel
de très haalte, trss chrestienne et sacrée princesse Madame Anne
par la grâce de Dieu deux fois royne de France et Duchease hérédi-
taire de Bretaigne. »
260 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Orientaux et Occidentaux, Sicambriens et Germains, Cim-
bres, Teutoniques, Ambrons, Austrasiens : et autres na-
tions, descendues de Francus, filz d'Hector : et de leurs
gestes, iusques au Duc Austrasius, qui premièrement donna
le nom au Royaume d'Austrasie, ou d'Austriche la basse.
Au second traité sera déduite la Généalogie des alliances
du sang de France, de Bourgongne, et d'Austriche la basse :
et comment elles furent premièrement conduites et meslees,
iusques au mariage de sainte Blitilde, fille du Roy Glo-
taire, auecques Anselbert, le Sénateur de Romme : de la-
quelle sainte lignée descendirent les Pépins, proayeul,
ayeul, et père du tresdigne Empereur Charles le grand. Au
troisième traité est continuée la Généalogie historiale, lal-
liance et vnion des maisons dessusdites : iusques à l'Empe-
reur Charles le grand : qui fut monarque d'Europe, et de
toutes lesdites nations Occidentales.
Or commencerons nous à la grande et merueilleuse an-
tiquité du nom des Pépins, extraits du sang Herculien :
qui régnèrent en Asie la mineur, quon dit maintenant Tur-
quie, auant les faits de Troye, et durant iceux en Italie, et
depuis en lune et en lautre contrée : et principalement par
toute nostre Europe» qui est la moindre, mais la plus noble
partie du monde, mesmement quant au fait des armes et à
la fidélité de leglise Romaine : et de nostre sainte créance
en lEsvs CHRIST, et sa tresglorieuse Mère : ausquelz ie prie
que mon labeur puisse estre agréable, et consequemment à
tous nobles lecteurs et auditeurs de ce liure.
8INGTLARITEZ DE TROYB. LIVRE lU. 261
Comment le nom des Pépins est le pins antique de tons eenx da sang
du grand Hercnles de Libye : lesquelz après ledit Hercalea ont
regnë en Gaule, ou en France.
De tovs les noms des Princes qui sont paruenuz à la cou-
ronne de France, yssuz et procréez de la lignée Hercu-
lienne et Troyenne, Pépin après ledit Hercules est le pre-
mier et le plus antique. Car iasoit ce que Pharamond fust
le premier Roy des François qui vindrent conquérir Gaule
sur les Romains, et quil fust yssu du mesme sang Troyen,
François, Sicambrien, et pour mieux dire, Herculien, si ne
treuue on point par escrit autentique, que aucun de ces
ancestres eust nom Pharamond. Et pour ce que, es généa-
logies des Princes, les noms sont de grand efficace et con-
tinuation, iestime que le nom des Pépins seruira beaucoup
à la clarification de ce troisième liure. Et ce que ie diz, ie
le vueil prouuer par la déduction des généalogies de Bero-
sus de Chaldee : auquel il faut adiouster foy, et y auoir
recours en ce cas : auecques rememoration nécessaire du
sang du grand Hercules de Libye, dixième Roy de Gaule :
dont est faite ample mention au premier liure de ces Illus-
trations.
Bien sommes nous records, que le grand Hercules de
Libye eut de sa femme Galatee la belle geande vn filz nom-
mé Galatas : qui donna son nom à la nation Gallicane. Eît
dune autre dame nommée Araxa, la ieune Roy ne de Scy thie
quon dit ores Tartarie, il eut vn autre fllz nommé Tuscus :
duquel porte encores le nom la prouince et la langue Tos-
cane en Italie : dont Florence est la principale. Or dit
maintenant à nostre propos ledit acteur Berosus, que dune
autre dame nommée Omphale, le grand Hercules eut vn
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
tiers fîlz nommé Atho lancien, lequel régna en Asie la
mineur quon dit maintenant Turquie : et mesmes en la
contrée où depuis fut fondée Troye par Dardanus, extrait
du sang de Tuscus, filz d'Hercules et d'Araxa. Par ainsi
voyons nous que dun mesme temps regnoient les hoirs
d'Hercules en Gaule, quon dit maintenant France, en Asie
la moindre, quon dit ores Turquie, et oultreplus en Italie.
Et dudit Atho descendit vn Prince nommé Pépin Prisque :
cestadire le premier et lancien, à la différence du ieune,
second de ce nom, qui régna depuis en Italie.
De Pépin Prisque, premier de ce nom, en ceste Généalogie : et de
son filz Atho le ieune, lequel donna ou eschanga à DardanoB le
territoii'e où depuis il édifia la grand cité de Troye.
Pépin Prisque descendant de la tresnoble lignée du grand
Hercules de Libye, et non pas du petit Hercules Grec com-
me il est dit au premier liure de ces Illustrations, eut vn
filz nommé Atho le ieune, à la différence du premier. Et
du mesme temps que lasius lanigena regnoit en Gaule et
en Italie, aussi regnoit Atho le ieune, son parent, en vne
prouince d'Asie la mineur, nommée Meonie. Si aduint lors
que Dardanus, frère de lasius, eut différent auecques sondit
frère : à cause du partage des seigneuries de leur père,
Jupiter Camboblascon. Et tant y fut procédé, que Dardanus
tua son frère aisné le Roy lasius, estant aux baingz de
Viterbe. Lequel forfait perpétré il senfuyt par mer en
Grèce, craignant la fureur du peuple : et se sauua en lisle
de Samos : iouxte ce que dit Virgile au septième des Eneï-
des : en la personne du Roy Euander parlant à Eneas :
SIMGVLARITEZ DE TROYK. UVRE 111. 963
Atque equidem memiai (fama est obscurior annit)
Auruncos ita ferre senes : hii ortas vt agris
DardanuB, Idieaa Pbrjgi» penetrauit ad vrbei :
Threïciamque Samon, quss nanc Samothracia fertar.
Quand Dardanus eut deraouré aucun temps en lisle de
Samos, laquelle il trouua déserte, comme elle est de pré-
sent, souz les mains du Turc : et quil eust icelle cultiuee
et rendue habitable auecques ses gens par manière de pas-
setemps, et en attente et espoir tousiours de faire son ap-
pointement auecques ses parents et les subietz de son frère
quil auoit tué, et retourner en Italie et en Gaule, pour
régner en icelles, comme auoit fait son frère lasius : il ne
peut onques impetrer ceste grâce, tant estoit lors le monde
iuste et auoit horreur de leflfusion du sang humain, mesme-
ment pour lenormité du cas quil auoit perpétré en la per-
sonne de son frère. Alors voyant quil ny auoit remède de
faire sa paix, il chercha autre party, et tira en la terre
ferme d'Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie. Si
trouua manière de changer le droit quil auoit au Royaume
d'Italie, à vne portion de terre estant du tenement de sondit
parent Atho, à loccasion et en la manière qui sensuit (ce
que nous répéterons légèrement pource quil est plus ample-
ment (1) au premier liure).
Ledit Atho le ieune, filz de Pépin Prisque, régnant en
la prouince de Meonie, auoit deux enfans masles, lun nom-
mé Lydus, et lautre Turrhenus. Et pource quil estoit
chargé du (2) peuple, et y auoit pour lors stérilité et famine
en sa terre, Dardanus son parent et voisin ce sachant, se
tira vers luy, et feit tant que ledit Atho ietta sort sur ses
(1) L*4d. 1528 ajoute déclairé.
(2) ({« (éd. 1513).
264 '^itkWrtlATIONS DEGiVLÉ, ET
deux enfans, lequel des deux demoureroit héritier de son
pais, à fin que lautre allast chercher nouuelles terres pour
y habiter. Le sort ietté, Iheritage du père, qui lors se nom-
moit la prouince de Meonie, demeura à Lydus, qui depuis
ia nomma Lydie de son nom. Et lors Dardanus feit pact
auecques son cousin Atho, quil remettroit tout le droit quil
auoit au Royaume de Toscane et d'Italie, à Turrhenus,
lequel par lauenture du sort estoit contraint et condamné
daller chercher nouuelles terres : pourueu, et moyennant
ce que ledit Atho donnast à Dardanus vne portion de sa
terre, en laquelle luy et son peuple peussent viure et habi-
ter, et illec édifier villes, chasteaux et citez, pour leur seu-
reté. Ces conuenances accordées, Dardanus laissa lisle de
Samos, qui est lune des Cyclades, en la mer de l'Archipel,
et alla demourer en Asie la mineur, quon dit maintenant
Turquie, et en la contrée qui luy fut limitée par Atho, la-
quelle depuis il nomma de son nom Dardanie, et depuis
par ses successeurs fut appellee Ilion et Troye : la situa-
tion de laquelle est amplement descrite au premier liure
de ces Illustrations.
Adonc Turrhenus (1) print vn grand nombre de peuple,
que son père luy donna, de lun et de lautre sexe, et vint
habiter en Italie, là où il fut receu en Roy de Toscane : plus
pource quil estoit du sang du grand Hercules de Libye, et
que luy et ses prédécesseurs auoient tousiours vescu inno-
centement, cestadire sans efiusion de sang et sans oultrage,
que (2) souz le tiltre de la résignation à luy faite par Dar-
danus. Toutesuoyes, lune et lautre cause luy seruirent de
couleur et de faueur. Si régna Turrhenus en Italie, par
(1) Thurrenus de lautre (éd. 1513).
(2) c.-à-d. rien que.
SIXGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 266
grand félicité. Et de luy print sa dénomination la mer
Tyrrhene, en laquelle sont situées les isles de Corse et de
Sardaigne, Maiorique et Minorique, quon disoit ancienne-
ment Baléares. (l)Et de ceste mer dit Virgile, en la personne
de la Déesse luno, parlant à Neptune Dieu de la mer :
Gens inimica mihi Tjrrbenum nauigat seqnor.
De Pépin, Roy de Toscane, second da ce nom, en ceste Généalogie,
lequel regnoit en Italie, du mesme temps que Francna, filz d'Hec>
toi'j vint habiter en Gaule.
Tjrrhenvs régnant en Italie, et Dardanus en la terre de
Dardanie, qui depuis fut apellee Troye, par commutation
de prouinces et sans immutation de sang : Allobrox de la
mesme lignée regnoit en Gaule : duquel Allobrox furent
iadis dénommez les peuples quon dit maintenant Daulphi-
nois, Piemontois, Sauoyens : auec vne partie de Bour-
gongne, comme plus à plein est dit au premier liure. Et
dudit Tyrrhenus, filz d'Atho le ieune, qui fut filz de Pépin
Prisque, descendit par succession de temps. Pépin le ieune,
second de ce nom, lequel fut filz de Bianor : qui fonda vne
cité nommée de son nom au pied des Alpes de Boulongne :
maintenant ce nest quune petite ville nommée vulgairement
Pianore, sur le grand chemin de Romme. Si régna ledit
Pépin le ieune en Toscane par lespace de cinquante deux
ans : et fut le siège de son Royaume à Viterbe. Et de ce
nom fut nommée vne partie de Toscane Pepinienne (2) :
dont Titus Liuius fait mention es histoires Romaines.
(1) Belaires (éd. 1513).
(2) PypittieHius (éd. 1513).
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Par ainsi appert que ledit nom des Pépins est de mer-
ueilleuse antiquité, ce qui le rend plus noble et plus res-
plendissant. Et tout ainsi comme les pépins produisent les
vignes, les vignes les raisins, et les raisins le vin, de la-
quelle précieuse liqueur la maiesté diuine est seruie, par
sacrifices quotidiens : aussi pareillement les Pépins ont
produit les Roys et empereurs Charles et Loys : desquelz
les biens faits sont innumerables, tant enuers Dieu com-
me enuers le monde. Donques si les Pépins anciennement
sont yssuz du grand Hercules de Libye : et dudit grand
Hercules les Gaulois, Troyens, François, Sicambriens, Ger-
mains, Italiens et Romains : consequemment diceux Troyens
sont extraits les plus récents Pépins, auecques leur lignée.
Laquelle ha esté regnateresse et moderateresse de toutes
lesdites nations : comme sera déduit amplement en ce troi-
sième liure.
Le temps que ledit Pépin commença à régner en celle
partie d'Italie quon dit maintenant Toscane, comme il est
cler par les escrits de Manethon d'Egypte, historien tresan-
cien, fut après la destruction de Troye Lxxn. ans. Et après
que Francus filz d'Hector auoit desia commencé à régner
sur les Celtes, cestadire sur la nation Gallicane, Françoise
et Germaine lxii. ans. Car ledit Francus commença à ré-
gner en Gaule lan huitième après la destruction de Troye,
cestasauoir lannee prochaine après que Ascanius son parent,
filz d'Eneas et de Creusa, fille du Roy Priam, commença à
dominer sur les Latins en Italie. Mais à fin que les curieux
lecteurs soient mieux contens de ceste partie, iay mis icy
les propres mots de nostredit acteur Manethon d'Egypte :
lequel poursuiuit Ihistoire de Berosus de Chaldee :
Anno Pynaflti» Diapolitaooram primo, Troia eaersa fuit : et anao
SIKGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE III. 967
tertio Aéneai venit ad Italiam, ad Latinam, «t Eaandinn), et Tor»
rhenoi, etc.
Anno septimo, Âscanias Latinis imperat,
Anno Ter6 sequente Teateus Assjriis.
Et pôst Prancus Celtis ex Hectoria filiii, etc.
Anno quadragesimo qainto Dynaiti», regnauit Latinia Aeneas S7I-
ius, etc.
Tuscia imperat Pipiaus, anais quinquaginta daobus.
De Francus, fllz d'Hector de Troye. Lequel Prancus fat Roj de U
Oaule Celtique. Et quelz princes de son sang regnoient en Europe,
quand il 7 arriua : mesmement du R07 Rhemus qui fonda la cite
de Rheims en Cbampaigne : et de Bauo, cousin germain de Priam,
lequel dominoit deslors sur vne partie de Oaale Belgique.
PovT mieux clarifier ceste matière, il nous faut auoir en
recordation la substance des liures precedens. Cestasauoir
que au mesmes temps que Priam regnoit à Troye, aussi
regnoit en Gaule, quon dit maintenant France, vn Prince
nommé Rhemus extrait de la mesme lignée du grand Her-
cules de Libye. Lequel Rhemus fonda la cité de Rheims,
en Champaigne, en laquelle les treschrestiens Roy s de
France prennent leurs couronnes en haute et solennelle
cerimonie, et y sont oincts et consacrez par grâce céleste
et diuine.
Or fut ledit Rhemus, filz de Namnes, qui fonda Nantes
en Bretaigne, du temps de Laomedon, et du petit Hercules
Grec, qui desroba Troye, et emmena Hesionne, sœur de
Priam, en seruage, dont sensuiuit la finale ruine et des-
truction de Troye, faite à cause du rauissement d'Heleine,
comme bien amplement est déduit au second liure de ces
Illustrations. Ainsi appert clerement, que par vn merueil-
léux cas fatal, Nantes en Bretaigne fut fondée du temps de
3B^ ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
é.
la ruine de Troye, faite par le petit Hercules Grec : et
Rheims en Champaigne, qui est vne prouince de France :
enuiron le temps, que toute la force de Grèce sassembla,
pour destruire la grand cité de Troje. Si semble que par
la tresmerueilleuse prouidence diuine, il fut déterminé et
décrété que le tresnoble sang Troyen, ou pour mieux dire
Herculien, laissast les terres doultremer, pour se venir
conioindre auecques ses affins et parents, du sang du grand
Hercules de Libye, qui pour lors pacifiquement regnoient
et flourissoient en ceste nostre Europe.
Au temps de la finale destruction de Troye, le Roy
Rhemus, fondateur de Rheims en Champaigne, pouuoit
auoir régné sur la nation de Gaule, enuiron trente ans,
comme il est facile à cueillir, par la calculation de Ihis-
toire de nostre acteur Manethon d'Egypte. Et huit ans
après, comme dessus est dit, Francus filz d'Hector, com-
mença à régner sur les Gaules Celtiques. Si fait à coniec-
turer que ce ne fut pas sans le consentement du Roy Rhe-
mus, son affin. Et pour confermer ceste opinion vraysem-
blable, il nous faut confronter et appliquer icy lautorité
de frère Vincent de Beauuais, historien tresautentique.
Lequel dit expressément en son Miroir historial, que Fran-
cus ou Francien filz d'Hector, à cause de la grandeur de
courage et vertu qui estoit en luy, fut tant aymé du Roy des
Celtes, quil luy donna sa fille en mariage. Et ce recite le
commentateur de Manethon d'Egypte, homme de grand
literature, et auquel la nation Françoise est beaucoup
tenue, à cause de ses labeurs et diligences, quil nous ha com-
muniquées, de laquelle communication faisant à la chose
publique pour mieux honnorer les Princes, ie mose bien
vanter sans arrogance auoir esté le premier inuenteur, quand
ieuz recouuré les œuures dudit commentateur à Romme.
SUiavUJUTEZ DE TROTE. LIVRE III. 8|P
loj dit reipoadu à plusieurs arguments et obiecliona qui se pour-
roient faire contre la vérité de ceate histoire, et sont toutes les
Bolutions prouuees par acteurs autentiques.
Il povrroit sembler à aucuns, quil y eust répugnance Qt
contradiction en nostre histoire : car nous disons oresi,
que Francus fut Roy des Celtes, et le vingt et deuxième
en nombre, après Samothes, le premier Roy, et fonda la
grand cité de Sicambre, sur le fleuue d'Vnoe, qui st dit
ores Bude en Hongrie. Or auons nous au premier Uure
limité la Gaule Celtique si estroitement, quelle ne passe
point oultre le Rin. Si est toutesuoyes chose certaine, que
la cité de Sicambre fut fondée bien auant oultre le Rin :
et que Francus filz d'Hector, y establit son siège Royal,
Comment donc pouuoit il régner sur la Gaule Celtique ? A
ce respond vn noble acteur, Strabo, au premier liure de sa
Géographie, que selon lopinion des anciens Grecz, toutes
les plus nobles nations Septentrionales qui leur estoient
encores incongnues, ilz les nommoient Scythes, que nous
disons maintenant Tartares, gent estrange et barbare. Mais
depuis quilz les eurent aucunement congnuz, ils les nom-
mei-ent Celtes, cestadire nobles, à cause de leur haute géné-
rosité, et grandesse de cœur. Depuis encores, après les
auoir mieux congnues, ilz les distinguèrent de différences
de noms, et nommèrent ceux de deuers Tartarie et les
hautes Allemaignes Celtoscythes : et ceux du costé d'Occi-
dent et des Ëspaignes, Celtiberes, qui sont les deux ex-
trêmes. Mais à ceux qui sont entre deux, comme aux plus
nobles, est demeuré simplement le nom des Celtes, qui de-
puis se nommèrent Gaulois, et maintenant François. Et
Yoicy les mots dudit acteur, qui ne sont pas de petite
270 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, BT
estime, disant ainsi, en son quatrième liure : Uniuersos
Qallos à Qrœcis, Geltas appellatos opinofy ob eorum cla-
ritatem. Et quant est au nom des Scythes, il est demouré
à ceux de Tartarie, dont sont procédez les Turcz, desquelz
sera nostre propos principal en quelque autre liure, sil plait
aux Princes. Car lesdits Turcz se vantent estre yssuz des
Troyens. Et frère Vincent de Beauuais, tresnoble historien,
dit quilz sont yssuz de Turcus, ôlz de Troïlus, en laquelle
disputation ha tresample matière.
Mais pour reuenir à nostre propos des Gaules, iadis
appeliez Celtes et Germains : vn acteur fort antique que
iay recouuré à Romme, nommé Vibius Sequester, en son
liure des fleuues, des montaignes, et des nations iadis
subiettes à lempire Romain, il met la nation Gallicane,
contenue en seize prouinces, entre lesquelles il conte la
Germanie haute et basse, en lordre qui sensuit : VienneU"
sis, Narbonensis prima, Narhonensis secunda : Aquita-
nia prima, Aquitania secunda : Nouempopulana, Alpes
maritime, Belgica prima, in qua est Treueris : BelgiccL
secunda, in qua est transitus ad Britanniam : Germania
prima, supra Rhenum : Germania secunda, vitra Rhe-
num : Lugdunensis prima, Lugdunensis secunda, super
Oceanum : Lugdunensis tertia, supra Senoniam : Maxima
Sequanorum, Alpes graca.
Ainsi appert, que les anciens Grecz et Romains, com-
prenoient souz le nom des Celtes et des Gaules, toutes les
Allemaignes. Et que le nom de Germanie, qui ores les
sépare et fait la diflference entre Allemaigne et France,
nest point fort antique, ains vint du temps des Romains, et
de Iulius César, comme met le commentateur de Berosus
de Chaldee : allegant Cornélius Tacitus, qui fut du temps
des premiers Césars. Et Strabo le conferme au sixième
8W0TLABITBZ DE TROTE. LIVEE Ul. 271
liure de sa Géographie, disant que les Romains, donnèrent
le nom aux Germains, pource quilz sembloient estre frères
des Gaulois, et auoient presques vne mesme sorte de viure.
Et les mots dudit acteur Strabo sont telz : Statim igitur
regionem trans Rhenum ad ortum ver g eut em. Germant
colunty Tiationem Gallicam paulisper imitantes : et ferita-
tis aèundantia, et proceritate corporum, et colore Jtauo^
cum reliquis in rébus et forma, et moribus, et viuendi
ritibus pares existant, quales Oallos diximm. Ideo Ro^
mani hoc illis notnen iure indidisse mihi videntur : pe-
rinde ac eos/ratres legitimos Gallis eîoqui Doluerint. Zegi-
timi namgue fratres, Romano sermone. Germant intelli-
guntur.
Par toutes ces choses il est cler, que la nation des Celtes
et des Gaulois, qui depuis ont esté appeliez François,
Orientaux et Occidentaux, estoit vne mesme chose, mesme-
ment du temps de Charles le Grand, et Roy de toutes les
deux Frances. Donques pour reuenir au propos de Francus,
filz d'Hector de Troye et chef de toutes ces nations, les
choses dessudites entendues et présupposées, on ne peult
nier que ledit Francus ne regnast sur les Celtes, si celuy
qui lit ou qui escoute nest bien ignorant Car qui ignore
les termes, il est nécessaire quil ne sache à quoy tendent
les conclusions qui sont telles : cestasauoir, que Francus
filz d'Hector, domina sur les Celtes qui depuis ont esté
dits Gaulois, par les Grecz nommez Galates, et depuis
François et Germains. Et de la postérité dudit Francus,
sont yssues les plusnobles nations du monde. Desquelles
sera déduite la généalogie et les gestes en brief, par la pro-
gression de ce présent liure. Mesmement sera veu comment
lesdites deux nations d'Allemaigne et de Gaule, ont pour le
plus du temps esté coniointes et alliées ensemble, comme
9T9 ILLVSTRATIOKS DE GAVLE, ET
sœurs gennaines : et par ce moyen, ont dompté et suppe-
dité toutes les autres, sans grand difficulté. Mais q^uand
elles ont esté séparées, et (jue chacune sest tenue à, part,
ou souspeçonneuse lune de lautre, elles ne sont point venues,
à leurs intentions si facilement. Car elles deux ensemble,
cest U plus gr£g:\d force 4u monde.
Derechef, est icj respoadu à aucunes contradictions de ceste histoire.
Encores pourra dire aucun Italien, ou dautre nation, trop
enuieux, scrupuleux et fâcheux, comme il en est assez, qui
cuident estre maistres des histoires, et abusent eux et les
autres par quelque affection contraire et impertinente : et
qui par malice veullent obombrer la noblesse de nostre
nation : que (comme dira ledit contradicteur) il ne se treuue
point par les œuures d'Homère, le prince des poètes, lequel
descriuit si amplement les faitz de Troye, que le Prince
Hector eust autre filz légitime de sa femme Andromacha,
fors Astyanax, autrement nommé Scamandrius, du nom du
fleuue Scamander, qui passoit parmy Troye. Lequel enfant
après les ruines de Troye fut par les Grecz ietté dune haute
tour en bas, à fin quil ne demourast aucun hoir masle de
la semence d'Hector, et de la mort dudit Astyanax, Seneque
ha composé Tne piteable (1) Tragédie. Pareillement disent
les desYsnommez aduersaires, entre lesquelz ie vueil res^
pondre, à lœuure de messire Michel Riz Neapolitaiu, quil
ha intitulé, Labregé de l'histoire des Roys qui ont possédé
Naples, iasoit ce que autrement il fust homme de bonne
langue et literature : que combien que Anaxicrates, qui
(1) c.-à-d. pathétique.
SmGVLARITEZ DE TROTE. LIVIIB III. 273
escriuit les Argoliques, et Euripides, compositeur de Tra-
gédies, tous deux poëtes Grecz, attribuent plusieurs bas-
tards à Hector, quil engendra en diuerses concubines,
comme estoit lusage des Princes dadonques : toutesuoyes
nen nomment ilz aucun du nom de Francus, dont nous fai-
sons si ample mention. Comme si par ce il vouloit inférer
et conclure tacitement, que sans aucun fondement de vérité,
et par ambition de vaine gloire, la nation Françoise se
attribuast ceste prééminence, que destre procréée du sang
du trespreux Hector, extrait du grand Hercules de Libye,
et de ses successeurs, les meilleurs preudhommes qui
onques furent, comme est bien amplement prouué, au pre-
mier liure. A quoy ie respons ainsi en peu de paroles.
Premièrement aux obiections dernières des deux poëtes
Grecz Euripides et Anaxicrates , ie dis quilz ne furent
point du temps de Troye. Mais puis que ores ilz confessent
que Hector eut des enfans dautres femmes que de mariage
légitime, si ne fait pas pourtant à mespriser tel lignage,
ains est grand gloire. Car Salomon, filz de Dauid, iasoit ce
quil fut conceu en adultère, qui pis vaut que concubinage,
nest pas à reietter de la Généalogie de iesus christ. Dautre
part si le poëte Homère ne nomme aucun filz légitime
d'Hector et d'Andromacha, fors Astyanax, autrement dit
Scamandrius, lequel receut mort par le commandement des
Grecz, si ne faut il pas conclure pourtant par ceste auto-
rité, quil ny eust autre filz légitime : car il est suspect en
ce cas, comme trop fauorable aux Grecz. Si faut auoir
recours à la vraye histoire, qui confondra toutes les oppo-
sitions et argumentations friuoles et maliuoles des contredi-
sans. Et fust ce ores de Pape Pie, lequel en la description
de son Asie, semble estre malcontent de ce que les Fran-
çois et Bretons se renomment estre yssuz des Troyens :
II. iè
274 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et dit, que nulles gens nen ont certaineté, sinon les Ro-
mains.
De Laodamas, filz légitime d'Hector, lequel comme il est vraysem-
blable eut deux noms : car il fut aussi appelle Francus.
Dictys de Crète, tresnoble historien qui tenoit le party
des Grecz, et fut présent à la guerre de Troye, duquel iay
suiuy lopinion pour la plusgrand part, au premier liure de
ces Illustrations, fait en plusieurs passages de son histoire,
mention de deux enfans légitimes d'Hector, mais il ne les
nomme tous deux ensemble que vne fois : cestasauoir, au
troisième liure là où il dit, que quand le Roy Priam accom-
paigné de sa fille Polyxene et de sa belle fille Andromacha,
vefue d'Hector, alla personnellement supplier à Achilles quil
luy donnast le corps d'Hector pour mettre en sépulture, en
luy présentant grans et riches dons dor et dargent et dau-
tres loyaux, pour le fleschir à miséricorde et compassion,
il mena aussi auec luy ses deux petis neueux Astyanax,
autrement dit Scamandrius, et Laodamas : desquelz la sim-
ple ieunesse et la lamentable commisération, auecques les
grans presens dessudits, seruit de beaucoup à recouurer le
corps de Hector, pour le mettre en sépulture.
Oultreplus, met ledit acteur en son cinquième liure : que
depuis linflammation de Troye, Pyrrhus, autrement dit
Neoptolemus filz d' Achilles, après que la proye et le butin
dor, dargent, et de riches meubles fut distribuée, (1) et quil
en eut eu sa portion, il eut aussi sa part des nobles prison-
niers par sort ietté. Si luy aduindrent par ledit sort Andro-
(l) dittribue (éd. 1513 et 1528).
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE HI. 275
mâcha, vefue d'Hector, et ses enfans : lesquelz depuis ledit
Pyrrhus donna à Helenus, leur oncle, en contemplation de
plusieurs grans seniices quil luy auoit fait par le moyen
de sa science de deuination. Or ne dit pas ledit acteur
ouuerteraent que Astyanax, filz d'Hector, fust commandé
estre occis par lexercite des Grecz, mais il le declaire assez
couuertement au sixième et dernier liure de son histoire.
Et dit ainsi, que Hermione, fille de Menelaus et d'Heleine,
après que le mariage dudit Pyrrhus et délie fut confermé et
asseuré, et que Pyrrhus sen fut allé au temple d'Apollo en
Delphos, i^endre grâces de la vengeance quil auoit prinse
de la mort de son père Achilles, occis par Paris Alexandre,
deuant Troye, ladite Hermione fut enuieuse et ialouse
dicelle Andromacha, vefue d'Hector, tenue parauant en
loyal mariage par son mary Pyrrhus. louxte ce que dit
Virgile, en )a personne d'Eneas, parlant à Andromacha :
Hectoris Andromache Pyrrhin' connubia seruas î
A cause dequoy Hermione esprinse de rage de ialousie,
pourchassa de tout son pouuoir enuers Menelaus, son père,
que Laodamas, qui estoit seul et le dernier légitime demouré
des enfans d'Hector, fut mis à mort. De laquelle chose
aduertie, Andromacha sauua son filz : moyennant la force
du populaire qui luy fut fauorable : et luy donna secours
contre la tyrannie dudit Menelaus, lequel à peines peult
eschaper le danger de sa vie. Par ainsi appert que des
enfans légitimes d'Hector, demeura en vie ledit Laodamas.
Or nest il pas répugnant ne trop hors de coustume, que
ledit enfant eust deux noms aussi bien que son frère Astya-
nax, surnommé Scamandrius. Si croy fermement que Lao-
damas et Francus furent vn mesme personnage : ainsi
STB ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
comme lacob et Israël, donc quand on parle du peuple des
luifz, on ne dit pas les enfans de lacob : mais les enfàns
d'Israël : car le second nom est plus noble que le premier,
lun fut imposé à lacob par ses parens, lautre luy fut donné
de la bouche de Dieu. Pareillement ie croy que Laodamas
fut le nom primitif de son enfance : mais Francus luy fut
donné pour la franchise, (1) noblesse et férocité (2) de son cou-
rage. Et puis quil fut sauué, nourry et esleué souz la tutele
de son oncle Helenus : qui estoit le plus sage homme du
monde : et qui mieux auoit sceu preuoir, prédire et escheuer
les infortunes de Troye. Il faut bien dire que Laodamas ou
Francus son neueu ne fut pas exempt de sa doctrine et
rertu.
Comment Helenus frère d'Hector et ses successeurs régnèrent en
vne partie de Grèce, quon dit maintenant Albanie et Esclaaonie :
de laquelle lignée yssirent depuis aucuns Empereurs de Romme,
mesmement Coostantin le grand.
Helenvs, frère d'Hector, lequel par sa parfonde science
et expérience de congnoitre les choses aduenir, auoit tous-
iours prognostiqué et prophétisé toutes les infelicitez de
Troye, et desconseillé la guerre de tout son pouuoir, fut
preserué de mort par les Grecz, et donné à Pyrrhus, filz
d'Achilles, en la part de son butin, ensemble Andromacha,
vefue d'Hector. Or vint ledit Pyrrhus depuis habiter en
Epire : qui est vne partie de Grèce et de Macedone, quon
dit maintenant Albanie : et de là viennent ces cheuaux
(1) c.-à-d. hardiesse.
(2) c-à-d. fierté.
SINGYLARITEZ OE TROYE. LIVRE lli. 277
légers, quon dit Albanois. Dont pour la preudhommie que
ledit Pyrrhus auoit trouué au sage Helenus, mesmement
pource quil lauoit aduerti de non soy mettre sur mer en
certain temps quil sauoit estre dangereux, il luy feit par-
tage dune portion de sa terre, pour y habiter, et illec édi-
fier vne cité. Et oultreplus luy donna à femme Androma-
cha, sa belle sœur. Et mit en sa sauuegarde et tutele Lao-
damas, seul fllz légitime d'Hector et d'Andromacha : de
laquelle ledit Helenus eut vn filz, nommé Cestrinus, qui
régna après luy. Mais parauant ladite Andromacha auoit
eu vn autre fîlz de Pyrrhus, filz d'AchiUes : lequel eut nom
Molossus : qui régna en vne contrée dudit pais, laquelle
de son nom il appella Molosse, et en ce quartier naissent
les bons chiens de chasse, quon dit Allans : et en Latin
molossi : qui sont comme dogues d'Angleterre.
Ainsi régna Helenus, filz de Priam, en ladite prouince
d'Epire, quon dit maintenant Albanie : dont vne partie di-
celle il nomma de son nom Helenie : et y fonda vne petite
cité quil appella Troye : maintenant elle se nomme Croye :
par langage corrompu, comme le Croisic en Bretaigne se
deuroit dire le Troisic : car il fut fondé par Brutus, prone-
ueu d'Eneas, souz le nom de Troye. Maintenant ladite cité
de Croye en Albanie est subie tte au Turc : qui se dit estre
descendu de Troïlus, filz de Priam : et du temps que Hele-
nus fondoit sa cité, Eneas exillé de Troye, et tirant en Ita-
lie pour y habiter, vint voir ses parens Helenus et Andro-
macha, lesquelz le receurent en grand amour : et le fes-
toyèrent honnorablement selon leur pouuoir : comme descrit
bien noblemement le Prince des poètes Virgile au troisième
liure des Eneïdes. Si pria ledit Eneas à son parent Helenus
quil luy voulust declairer ses fortunes aduenir : car il es-
toit archiprestre du Dieu Phebus : qui est le Dieu de deui-
278 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
nation : et sauoit interpréter la voulenté de tous les Dieux,
et le cours des estoilles par Astrologie : et aussi entendoit
léchant et le vol des oyseaux : comme il appert par ces vers :
Troiugena interpres Dioûm, qui namina Phœbi,
Qai Tripodas, Clarii laaros, qui sidéra sentis,
Et volucrum linguas, et prsepetis omina peanse :
Far 6, âge, etc.
Lors Helenus tresdebonnairement luy voulut complaire :
et feit sacrifice solennel. Apres lequel il reuela à son cousin
Eneas tous les cas de fortune quil auoit à passer : et luy
bailla aduertance de tous les remèdes et consaux pour par-
uenir au Royaume d'Italie. Ce fait, il rafreschit ses nauires
de viures, de gens et de nouuel équipage : puis luy feit plu-
sieurs grans et riches présents dor, dargent et de précieuse
vesture et entre autres choses luy donna le merueilleux har-
nois de guerre de Pyrrhus, surnommé Neoptolemus, fîlz
d'Achilles. Dautre part la noble dame Andromacha donna
à son neueu lenfant Ascanius. filz d'Eneas et de Creusa, fille
de Priam, plusieurs nobles accoustremens tissuz et ouurez
de ses propres mains. Alors les deux parties feirent que
celuy Helenus ainsi régnant en sa petite Troye, vn iour al-
lant à la chasse tua par coup de mesauenture son frère
puisné nommé Chaon : lequel il auoit sauué de Troye, dont
il eut grand dueil, et pour soûlas, honneur et remembrance
de luy il nomma vue partie de sa prouince Chaonie, comme
met Bocace au sixième liure de la Généalogie des Dieux.
Ainsi passoient leur poure fortune ensemble Helenus et la
noble Andromacha, fille iadis du Roy Eetion de Thebes^
lequel fut destruit par Achilles, auec sept de ses enfans mas-
les, sa cité désolée, et sa femme, mère de ladite Androma-
cha. Laquelle tresdesconfortee Princesse en toutes ses an-
SINGVLARITEZ DB TROYB. LIVRE Ili. 279
goisses nauoit autre reconfort, sinon en son fil2 Laodamas,
qui luy representoit la figure de son père Hector, le chef
de toute prouesse et cheualerie du monde, duquel ensuiure
les hauts faits mémorables, elle lenhortoit souuent, comme
il est vraysemblable quune telle mère sauoit bien faire,
pour encourager le sien si tresnoble enfant vnique.
Dautre part, son oncle Helenus, lequel ne se monstra
point en la guerre de Troye, sans plus (1) homme de science
et de conseil : mais dauantage prompt de la main et preux aux
armes, monstroit exemple par efiect destre preudhomme (2)
à son neueu Laodamas : lequel nous estimons certainement
estre tout vn comme Francus, et linstruisoit et endoctrinoit,
tant en science, literature et bonnes mœurs, comme aux
armes, à la chasse et autres exercices, telz que à vn
ieune Prince poure et exilé de son pais est conuenable et
licite de faire pour attraire la beniuolence des siens et la-
mour des estrangers, sur lesquelz il puist dominer et
recouurer terre, par amour, par alliance, ou par force si
mestier est : car il nappartient point à enfans dune si haute
maison, de viure sans règne et sans domination. Et quand
le cas de leur décadence et infortune aduient, alors faut il
que Vertu, mère de Noblesse, estriue contre Fortune à toute
rigueur, et que finablement Vertu demeure la vainque-
resse, et remette sur bout la sienne tresclere fille Noblesse,
comme on Iha veu souuentesfois aduenir.
lay cy dessus touché et dit que Helenus, filz de Priam, fut
aussi prompt aux armes, comme prudent en conseil, et par-
fond en secrètes sciences. Oultre lesquelles trois choses on
ne sauroit rien demander en Tn Prince mortel, sinon la
(1) c.-à-d. uniquement.
(2) c.-à'd. sage et preux.
280 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
diuinité, laquelle est aux humains non capable et non com-
préhensible. Touchant conseil et science, il est assez diuul-
gué par les histoires de Troye communes, que Helenus en
estoit abondant plus que nul autre des enfans de Priam.
Mais quant aux armes, les corrompues histoires nen font
mention qui vaille : pour garder Ihonneur dun si noble et
vertueux Prince, je les vueil icy reciter en brief, et prou-
uer par acteurs autentiques. Principalement celles qui tou-
chent conseil et confort darmes, où il estoit présent en per-
sonne. Et aussi armes et prouesses faites de sa main, sans
fuite, reproche, ou lascheté quelconque, mais ainsi quun
vray Prince et cheualier preudhomme sen doit acquiter.
Dictys de Crète, au troisième liure de son histoire Troy-
enne, met que vn iour entre les autres que les deux armées
sestoyent assemblées en bataille : Achilles estoit si forcenné,
et si auant en sa fureur et sa force, que rien ne pouuoit ar-
rester (1) deuant luy : et ia auoit fait tant darmes belliqueux,
que cestoit horreur de le voir. Car entre autres choses, il
auoit mis à mort Philemon, Roy de Paphlagonie, et occis
laurigateur d'Hector, cestadire celuy qui gouuernoit les
frains de ses chenaux : comme cestoit lors la manière des
Princes de combatre sur chariots, ainsi que bien à plein
auons declairé au premier liure de ces Illustrations. Au
moyen desquelles choses, larmee Troyenne estoit toute
esbranlee et preste à tourner le dos. Et ce voyant Helenus,
singulier archer entre les autres, choisit son coup, et des-
cocha sa flesche par droite visée iustement en la main dex-
tre d'Achilles, tellement quelle luy perça gantelet et main
tout oultre. Et lors laigre douleur sensitiue de la playe
retarda la rage d'Achilles : car il fut contraint de se reti-
(1) c.-à-d. tenir.
SIMGVLARITEZ DE TROTI. LITRE HI. 281
rer. A cause dequoy les Troyens furent garanti» pour ce
iour de grand péril et deshonneur.
Vne autre fois, comme recite le prince des poètes Ho-
mère au sixième jiure de son Iliade, si ce neust esté Hele>
nus qui encouragea son frère Hector et son cousin Ëneas,
et les enhorta de grand cœur à recommencer la bataille, et
luy auec eux, les Troyens desia mis enfuyte, eussent recen
grand perte et deshonneur irréparable. Derechef ledit prince
des poètes met en son septième liure : que le Prince Hector
par la persuasion et conseil de son frère Helenus, prouo-
qua, cestadire appella et deffla les Princes de Grèce, vn
pour vn, à batailler corps à corps. Si luy fut par les Grecz
baillé en barbe (1) Aiax Telamonius. Le combat fut entre eux
deux grand, impétueux et horrible : mais nul d'eux deux
ne fut vainqueur ne vaincu : ains demeura chacun en son
entier, par laduis des Princes et consentement des parties :
dont à prendre congé lun de lautre, chacun des champions
par courtoisie cheualereuse honora son compaignon dun
noble présent : Hector desboucla sa grand espee à la gaine
argentine, qui luy pendoit de lespaule en escharpe, et la
tendit à Aiax : et Aiax quant et quant deceingnit son riche
baudrier militaire : nommé, selon la langue Latine, Baltee :
et le donna à Hector. Ainsi par le conseil d'Helenus Hector
receut pour ce iour vn grand honneur et réputation de
prouesse, vertu, courtoisie et hautesse de cœur : voire de
ses ennemis mesmes.
Au treizième liure de l'Iliade, Homère nous monstre
encores mieux, comment Helenus nespargna onques son
corps en la guerre de Troye. Et à luy ne tint quelle ne fust
terminée par armes : car en lune des plusgrands batailles
(1) c.-à*d. mis en face.
282 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
qui furent faites en la campaigne de Troye, luy estant au
plusfort de la presse, pourfendit iusques aux dens dune
grande espee esclauonne vn Prince de Grèce nommé Deïpy-
rus, amy et parent du Roy Menelaus. Laquelle chose voyant
iceluy Menelaus en eut grand dueil : et le voulut venger.
Si se tirèrent vn petit au large : Helenus entesa son arc et
desbenda par grand force : mais la flesche ne peut mordre
sur la forte cuirasse de Menelaus, ains fut reboutee. Alors
Menelaus se hasta de ietter son dard par grand force et
roideur : tellement quil trauersa la main d' Helenus de part
en autre. Et atout iceluy Helenus se retira vers ses gens
pour se faire habiller. Par lesquelz exemples, il appert cle-
rement que Laodamas ou Francus, filz vnique demeuré
d'Hector et de Andromacha, nourry à telz escholes, comme
de son oncle et de sa mère, expérimentez de lune et de lau-
tre fortune, deuoit bien estre vn grand chef d'œuure en
nature. Si ne mesbahis pas si depuis, luy et sa postérité ont
régné sur toute nostre Europe : et ont esté renommez la
fleur dhonneur, de noblesse et de cheualerie autant ou plus
que quelque autre nation du monde, et qui iusques auiour-
dhuy ont régné et régnent en telle estime et réputation.
Mais retournons à nostre propos d'Albanie.
Auprès de ladite contrée d'Albanie où regnoit pour lors
Helenus filz de Priam, siet vue autre prouince nommée
Illyricus, maintenant dite Esclauonnie, subiette aux Véni-
tiens, en laquelle vindrent iadis habiter aucuns peuples de
Troye, qui se nommèrent Dardaniens : comme met Antoine
Sabellic, au sixième liure de sa septième Enneade. (1) Et
diceux yssit depuis vn Empereur de Romme nommé Flauius
Claudius, second de ce nom. Lequel se glorifioit en ses til-
tres estre yssu de Troye. Par quoy il fault coniecturer, que
(1) Rapsodia historiarum enncades (Venet. 1498 et 1504).
SIKGVLARITEZ DE TEOTE. LIVRB III. 283
ce fut de la postérité du sang dudit Helenus, et de Cestri-
nus son filz, et ses successeurs en droite ligne, qui régnè-
rent depuis esdites deux contrées voisines. Et de la lignée
de Crispus frère dudit empereur Claude, second de ce nom,
descendit depuis Constans César, mary de sainte Heleine,
fille de Coel, Roy de la grand Bretaigne : lesquelz engen-
drèrent lempereur Constantin le grand, qui depuis voulut
reedifier Troye. Or voyons nous desia le commencement de
la ressourse (1) de Troye en Europe. Helenus filz de Priam
règne desia sur vne partie de Grèce, et luy vaincu donne
loix aux vainqueurs. Eneas dautrepart et son filz Ascanius,
neueu d'Hector, sen vont en Italie pour fonder le grand
empire Romain, du mesme temps que Bauo, cousin germain
de Priam, commençoit à régner en Gaule Belgique, comme
sera veu au chapitre ensuiuant.
Du Roy Bauo, cousin germain de Priam, qui régna en Gaule Belgique,
incontinent après la destruction de Troye et fonda la grand cité de
Belges, selon les chroniques de Haynau. Et de la primitlue et très-
ancienne fondation de la cité de Treue» en Gaule Belgique : là où
fut adore le premier Idole.
Si le Prince Helenus, frère d'Hector, par sa merueilleuse
science et prudence presques diuine, auoit sceu preuoir les
malheureuses destinées de Troye, et euiter en partie les
infortunes dicelle, aumoins quant à sa personne et celle de
la noble dame Andromacha, vefue d'Hector, et de leur
commun filz Laodamas, que nous disons Francus : par
cas semblable aussi vn autre Prince nommé Bauo, iadis
Roy en la haute Phrygie, cousin germain de Priam, expert
(1) c.-à-d. rétablissement.
284 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
en tout art dastronomie et de magique, le sceut bien faire :
tellement que par les respons et oracles de Dieux, il vint
habiter et régner en Gaule Belgique. Duquel Bauo et de
ses gestes ie feray icy la narration historiale brieue et suc-
cinte, en ensuiuant maistre laques de Guise, docteur en théo-
logie de lordre des frères mineurs, homme de grand litera-
ture et diligence, comme il appert par ses œuures : lesquel-
les il composa à la requeste du conte Guillaume de Hay-
nau, en deux beaux et grans volumes en Latin. Lesquelz
sont au conuent de saint François, en la bonne ville de Va-
lenciennes, où ledit maistre Guillaume (1) est honorable-
ment sépulture. Et dit ledit acteur ainsi :
Au temps que Labdon estoit luge sur les enfans d'Israël,
vn Prince nommé Bauo, Roy en la haute Phrygie, cousin
germain de Priam du costé maternel, car leurs deux mères
estoient sœurs, iasoit ce que de son pouuoir il eust donné
secours, conseil, confort et ayde à son cousin, le Roy
Priam, et que tout ce nauoit de rien seruy : congnoissant
aussi par art dastronomie et dautres sciences secrètes,
dont il estoit bien garny, que la noble lignée des Troyens
seroit extirpée d'Asie, pour estre plantée en Europe : et
que cestoit pour néant de regimber contre lesguillon, et de
soy cuider reuenger contre la voulenté des Dieux et desti-
nées fatales des hommes, il luy sembla quil valoit mieux
ployer que rompre, et fleschir par obéissance, que estre
desraciné par obstination. A ceste cause il eut consultation
solennelle auec ses Dieux : et leur response et commande-
ment entenduz, il délibéra de quérir autres terres et man-
sions. Si le feit par effect, laissant et abandonnant son
(1) Les éditions 1513 et 1528 portent également Chiillavme &\x lieu
de Jaques.
SIMGTLARITBZ DE TROYE. LIVRB III. 285
Royaume de la haute Phrygie desia tout gasté et depopulé
par Achilles et Aiax Telaraonius.
Or print le Roy Bauo tout ce quil peut recueillir de son
peuple et de sa famille, de ses nobles et de ses adherens :
entre lesquelz il y auoit quatre Ducz qui se ioingnirent
auecques leur Roy. Et fut ceste bende equippee de deux
cens nauires, à tout lesquelles le Roy Bauo entra en la mer
Hellesponte, nauiga toute la mer Mediterrane : passa les
destroits de Maroch : enuironna les Espaignes et les riuages
de Gaule, quon dit maintenant Bretaigne, Normandie et
Picardie. Et print terre, quand il veit son poinct, sur les
sablons en vne contrée qui nest pas fort loing du pais, qui
ores se nomme Haynnau, Conté Impériale et Palatine du
dommaine de l'Archiduc. Et illec sarresta par oracle fatal,
et par la guide dun loup blanc, qui le guida selon la res-
ponse des Dieux. Qui seroit chose trop longue à raconter,
pourquoy ie men passe de léger et remets les nobles lec-
teurs ausdites chroniques de Belges, qui sont belles et
autentiques.
En ladite région fonda le Roy Bauo vne grand cité,
laquelle il nomma Belges, en Ihonneur comme ie croy du
Roy Belgius, qui régna pour le treizième Roy au Royaume
de Gaule, comme il est dit plus amplement au premier
liure de ces Illustrations. Toutesuoyes lesdites chroniques
de Belges disent que ce fut au nom du Dieu Belus, père de
Ninus Roy des Babyloniens ou Assyriens, lequel fonda la
grand cité de Niniue, et fut le premier inuenteur d'Idolâ-
trie : car il consacra limage ou idole de son père Belus et
la feit adorer par ses subietz, et luy porter honneurs
diuins : laquelle pestilence fut depuis esparse et esuentee
par tout le monde, iusques à laduenement de nostre ré-
dempteur.
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Or est il asauoir, que des le temps du patriarche Abra-
ham, lequel nasquit lan deux cens nonantedeux après le
déluge : cestasauoir, lan quarantetroisieme du règne de
Ninus lancien, troisième Roy de Babylone, ladite erreur
damnable d'Idolâtrie vint empoisonner les Gaules, par
inconuenient (1) : ainsi quil sensuit. Vous sauez selon les
histoires de la sainte escriture et de Berosus de Chaldee, qui
saccorde à elle, comme il est assez clarifié par le premier
liure de ces Illustrations, que Nembroth le géant, fîlz de
Cam, fut par son ayeul le grand Patriarche Noë, establi et
constitué premier Roy et Saturne des Assyriens ou Baby-
loniens. Et lors commença le fondement de la première
monarchie du monde : cestasauoir, lan après le déluge,
cent trente et vn. Et par ledit Nembroth fut commencée
la tour de Babel, pour escheller le ciel : mais non parfaite,
à cause de la confusion des langues. Finablement ledit
Nembroth, lan cinquantesixieme de son règne, fut inuisible-
ment transporté hors du monde et ne comparut plus entre
les humains. Et lan treizième de son règne Samothes sur-
nommé Dis, par le commandement de son grand père Noë,
fonda le Royaume de Gaule : et en fut le premier Roy et
Saturne. Puis lan vingtcinquieme du règne dudit Nem-
broth, Tuyscon le géant, filz de Noë, engendré après le
déluge, commença à régner sur les Germains.
Apres Nembroth, ûlz de Cam, régna Belus son filz, qui
fut surnommé lupiter et deïfié par son filz, dont tout labus
des Idolâtres print origine : car selon la diuersité des lan-
gues, il fut diuersement nommé. Cestasauoir Baal, Beel,
Beelphegor, Baalim, Beelzebub, et autrement dont la
sainte escriture fait souuent mention. Iceluy Belus toutes-
(1) c.-à-d. par malheur.
SIMGVLARITEZ DE TROTB. UTRK III. 287
uoyes fut homme tresprudent et trespacifîque : si assit et
ietta les premiers fondemens de la grand Babylone. Et cest
ce qui meut son filz Ninus à laymer tant et honnorer après
sa mort : laquelle fut lan soixantedeuxieme de son règne.
Ninus, filz de lupiter Belus, troisième Roy des Babylo-
niens ou Assyriens, comme met Berosus de Chaldee au
cinquième liure de ses Déflorations, régna après son père
lupiter Belus, par lespace de cinquantedeux ans. Ce fut le
premier qui viola laage doré par armes : car par grand
couuoitise de dominer, si feit la guerre à tous ses voisins,
sans espargner homme viuant. Et fut le premier des Roy s
de Babylone qui eslargit son empire. Et le premier de tous
les hommes, qui institua temples et autelz pour sacrifier à
son père lupiter Belus et à luno sa mère, et qui premier
leur dédia statues et simulacres, et les esleua au mylieu de
la cité de Babylone, qui fut le commencement de toute
Idolâtrie comme dessus est dit.
Lan cinquante unième du règne de Ninus qui espousa
Semiramis, la merueilleuse femme, Magus le deuxième Roy
de Gaule, filz de Samothes surnommé Dis, et Saturne,
commença à régner sur les Gaulois. Et fut le premier qui
fonda villes et citez, comme ces choses sont plus ample-
ment descrites au premier liure de ces Illustrations. Apres
lequel régna Semiramis Ascalonite, femme dudit Ninus et
mère de Ninus second de ce nom, laquelle régna sur les
Babyloniens ou Assyriens, par lespace de quarantedeux
ans, de laquelle Berosus de Chaldee au liure preallegué dit
ces mots dignes de mémoire, principalement pource quelle
fut fondateresse de la grand Babylone : Hœc antecessit
militia, triumphis, diuitiù, victoriis, et imperio omîtes
mortales. Ipsa hanc vrhem maximam ex oppido fecit : tt
magis dici possit illam adi/icasse, quàm ampliasse. Nemo
288 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
tnguàm Tiuic fœmina comparandus est virorum. Tanta in
eius mta dicvniur et scribuntur, cum ad mtuperationem,
tum maxime ad coUaudationem magniûca.
Semiramis portoit en ses armes vne colombe, de laquelle
dit Hieremie le Prophète, prophétisant la future persécution
des luifz par les Assyriens : Fugite à fade gladii, columbœ.
Au temps de laquelle regnoit en Gaule, pour le troisième
Roy, Sarron, filz de Magus : lequel pour refreindre la féro-
cité des hommes, institua premièrement les estudes, col-
lèges et vniuersitez publiques. Et en AUemaigne régnèrent
successiuement du temps de ladite Semiramis, Mannus filz
de Tuyscon le géant, pour le deuxième Roy, et Inghaueon
pour le troisième, lesquelz fondèrent deux peuples de leur
noms : comme sera dit plus auant en ce liure. Icelle Semi-
ramis commença à régner lan cccii. après le déluge : et
régna xlii. ans. Cestasauoir, iusque à ce quelle fut occise
par les propres mains de son filz Ninus, second de ce nom,
lequel régna sur les Babyloniens après elle : et du temps
de son règne trespassa de ce siècle le bon patriarche Noë.
Or auoit eu Ninus filz de lupiter Belus, vn filz dune
autre femme, nommé Trabeta, qui par droit deuoit succé-
der au Royaume de Babylone : mais la Royne Semiramis
len garda bien, car elle en print le gouuernement et les
armes pour son filz Ninus le ieune : et régna comme dessus
est dit. Alors Trabeta, craingnant et non sans cause, la
puissance et fureur de sa marrastre, la plus terrible femme
du monde, senfuyt de Babylone pour chercher autres terres
à habiter : dont après auoir long temps erré, vagabondant
parmy le monde, il sarresta finablement en nostre Gaule
Belgique, non pas trop lôing de la riuiere du Rhin, et illec-
ques fonda vne cité quil nomma Treues de son nom. La-
quelle est encores en estre, mais non pas en si grand ma-
SIHOTLAEITBZ DB TROYE. LIVRE III.
gniâcence quelle estoit du temps des Romains : et auant
iceux. Toutesuoyes larcheuesque de Treues est lun des prin-
cipaux Electeurs de Lempire : et se intitule Arcbichancel-
lier de Gaule. Geste cité de Treues estoit le principal seiour
du Roy Pépin, père de lempereur Charles le grand : comme
en la cité capitale pour lors de France Orientale. On voit
encores en icelle auiourdhuy, plusieurs grans ruines et
merueilleuses antiquitez , qui monstrent bien combien
grande, noble et puissante elle fut iadis. Et de nostre temps
y ha esté trouuee vne grand pierre, en laquelle estoient
grauez de lettre antique, les vers qui sensaiuent de sa fon-
dation :
Nini Semiramis, quse tanto coniugfe felix
Plurima possedit, sed plara prioribus addit,
NoQ contenta suis nec totis finibus orbis, i
Expulit é patrio priuignum Trabeta regno
Insignem, profugus nostram qui condidit Trbem.
lay voulentiers fait cest incident pour deux raisons :
lune, à fin quon sache en quel temps la Gaule Belgique fut
premièrement empoisonnée de cest erreur diabolique dido*
latrie, cestasauoir, mille neuf cens quarantesept ans auant
lincarnation nostre Seigneur, que ledit Trabeta fondateur
de Treues feit premièrement adorer en sa cité l'Idole et
statue ou simulacre de son grand père lupiter Belus, filz
de Nembroth le géant, premier Saturne des Babyloniens.
Lautre raison est, à fin quon voye comment de toute an-
cienneté la fleur de la noblesse d'Asie sest venue rendre en
Europe, mesmement en Gaule : dont elle nha depuis bougé :
ainçois sy est tousiours multipliée de plus en plus, comme
il appert. Or reuenons maintenant à nostre propos du Roy
II. 49
290 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Bauo, cousin germain de Priam : lequel Bauo fonda la grand
cité de Belges.
Comment le Roy Bauo, fondateur de la grand cite de Belges, meit en
ruine la cité de Treues : pource que la seigneurie de Treues
luy demandoit tribut dauoir fondé et prins habitation en leur ter-
ritoire. Et des quatre Ducz du dit Roy Bauo, desquelz chacun fonda
vne cité en la Gaule Belgique.
Av premier liure de ces Illustrations, il est dit que Bel-
gius, treizième Roy de Gaule, fonda vne cité de son nom :
laquelle fut dite Belges. Or à fin quil ny ayt répugnance
ne reprehension en nostre histoire, et quelle soit clere et
nette à mon possible, ie treuue par acteurs autentiques,
quen Gaule Belgique furent iadis trois citez principales
nommées Belges : dont lune est Beauuais en Picardie, qui
se dit en Latin Beluacum : ou selon Iulius César Belloua-
cum, cité episcopale, et dont leuesque est lun des douze
pers de France. Lautre est celle, dont au chapitre précè-
dent est touché, Treues, en basse Allemaigne, ou plustost
France Orientale. La tierce est Bauais en Haynnau :
laquelle à présent nest quune petite ville déserte et désem-
parée : mais les ruines dicelle monstrent bien que au temps
passé elle ha esté de merueilleuse es tendue. Et ceste cy
fut fondée par les Troyens : celle quon dit Treues en Alle-
maigne, par les Assyriens ou Babyloniens : et Beauuais en
Picardie, fut celle que fonda Belgius, treizième Roy de
Gaule : à ce que ie puis coniecturer.
Comme donques le Roy Bauo auecques ses Troyens eut
fonde sa cité de Belges, au païs des Neruiens : qui depuis
ont esté nommez Ha^nuiers, Namurois, Cambrisiens et
SINGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 29i
Tournisieus, ceux de Treues qui disoient à eux appartenir
fout le territoire de celle contrée, comme les premiers
venuz enuoyerent signifier au Roy Bauo, que luy et tout son
peuple eussent à vuider hors de leur païs : ou quilz payas-
sent et rendissent de tribut à la seigneurie de Treues, (1)
comme souueraine, mille sengliers et mille cerfz, et quinze
cens bestes à corne, ou autrement dedens peu de iours ilz
seroient tous mis à mort par ceux de Treues.
Icelles orguilleuses menasses entendues par le Roy Bauo :
il respondit, que les Troyens ne furent iamais tributaires,
mais franez par tout le monde : comme ceux mesmes qui
auoient aprins dexiger et receuoir tribut des autres. Et à
ceste cause ne denioit il pas seulement de payer tribut à
ceux de Treues : mais leur commandoit que doresenauant
ilz fussent tributaires au Royaume de Belges. Lesquelles
paroles esmues entre lesdites nations, la guerre y fust tan-
tost enflambee, tellement que les Troyens prindrent de
fait et de force la trespuissante cité de Treues, et la pil-
lèrent, brusleront et démolirent de fonds en comble. Si
apportèrent en la nouuelle cité de Belges vn trésor infiny
de richesses, de proye et de butin. Et comme victorieux
amenèrent pour prisonniers les Idoles de Treues, auecques
riches vaisseaux, meubles et ornemens, seruans à leurs
autelz et sacrifices. Par ainsi fut lerreur d'Idolâtrie encores
plus autorisée que deuant en nostre Gaule Belgique : car
oultre les Idoles de Treues, le Roy Bauo auoit amené les
siennes de Troye : dont des despouilles par luy conquises,
il feit faire sept merueilleux temples en sa cité : en laquelle
(1) L'id. 1528 n*a qU6 : payassent dg tribut. — Rendre signifie
payer une rente. On dit encore à Liège : « Maison à vendre ou à
rendi"e. »
293 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
il y auoit sept portes selon les sept planettes, et mille toars,
chacune de cent coudées de haut : et de dixhuit despesseur.
Puis édifia son palais par amplitude et magnificence in-
croyable : comme on peult voir par ladite chronique de
Belges.
Ainsi creut soudainement en merueilleuse hautesse la
grand cité de Belges, par la ruine de Treues : car comme
dit le Philosophe, la corruption daucune chose est la géné-
ration dune autre. Si fut le Roy Bauo craint et redouté de
ses voisins, et estendit sa seigneurie iusques sur le fleuue
du Rhin. Et pour mieux fortifier ses alliances, il bailla aux
quatre Ducz de la haute Phrygie qui lauoient accompaigné,
à chacun vne de ses filles. Et leur donna franchise et liberté
de pouuoir édifier chacun vne cité, sur les confins et extre-
mitez de la Gaule Belgique. Par ainsi le premier diceux
Ducz, nommé Turguncius auec sa femme et son peuple,
alla fonder la cité de Tongres, sur le riuage de la mer
Oceane. Et qui est vne chose merueilleuse et digne destre
racontée, entre les miracles et prodiges de ce monde. Il est
certain que du temps de saint Seruais, qui fut euesque de
T^ues, et parent de nostre Seigneur iesvs christ, la mer
se recula de Tongres, enujron trente grands lieiies d'Alle-
maigne, comme il appert par sa légende. Et vescut ledit
saint Semais (si la chronique est vraye) iusques au temps
de saint Ambroise et de saint Hierome , lequel espace
peult bien contenir trois cens quatre vingts ans. Et ne sen
faut pas esbahir : car lean des Temps, escuyer de l'Empe-
reur Charles le grand, qui nestoit pas parent de Dieu :
vescut trois cens ans, comme tesmoignent toutes les his-
toires de France et d'AUemaigne et d'Italie auec. (1) Toutes-
(1) Wallonisme.
SINGVLARITEZ DR TROTB. LIVBE III. 393
uoyes Ihistoire de Tongres ne dit pas que leur cité fut fon-
dée par Turguncius, mais par vn autre nommé Torgotus,
qui fut long temps après yssu de Sicambre et la nomma du
nom de son filz, comme sera dit cy après en la généalogie
de l'Empereur Charles le grand.
Des autres trois Ducz du Roy Bauo, Ion nommé Mosella-
nus (1) passa la forest d'Ardenne et fonda la cité de Metz
en Lorraine, sur la riuiere de Moselle. Le tiers qui eut nom
Morineus, édifia la cité quon dit en Latin Morinum, et
maintenant elle sapelle Terouane en Picardie : cestadire,
Terre vaine et inutile, et gastee par les Huns, quon dit
maintenant Hongres, de laquelle le poëte dit :
Eztremique hominum Morini.-
Comme silz fussent au bout du monde. Le quart Duc, nom-
mé Carineus ou Clarineus, en lieux palustres et sur gros-
ses riuieres et marescages, bastit et fonda vne cité, la quelle
il nomma Carinee ou Clarinee. Aucuns tiennent que cest la
grand ville de Gand en Flandres, assise sur trois grosses
riuieres portans bateau : là où depuis Iulius César feit faire
vn chasteau. Les autres disent, que ladite Carinee ou Clari-
nee est la ville de Clermont en Beauuoisis, assise en très-
beau pais à quatorze lieues de Paris, sur le grand chemin
d'Amiens.
Le Roy Bauo quand il eut donné ordre à toutes les cho-
ses dessudites, se nomma et intitula oultre et pardessus le
tiltre de maiesté Royale Archidruyde, qui vaut autant à
dire, comme prince des Prostrés et des Philosophes, ou tel
quon pourroit dire à présent vn Pape : car il estoit chef
des sacrifices : et mourut honorablement du temps que
(1) Afosselanus {éd. 1513).
294 ILLVSTRÂTIONS DE GAVLE, ET
Sanson estoit iuge sur les enfans d'Israël. Si semble que le
poëte Ouide en fasse mention, et vueille entendre de cestuy
cy quand il dit :
Ingeniique sui dictus cognomine Largus
Gallica qui Phrygium duxit in arua senem.
I, lasoit ce que Michel Riz, en son viuant dit aduocat de
Naples, et conseiller du Roy, au prologue de son œuure,
quil ha intitulé des Roy s de Naples, cuide que par les vers
dessudits le poëte Ouide vueille signifier et designer Fran-
cus filz d'Hector : lequel vint régner en Gaule Celtique. Ce
qui ne peult auoir lieu : car il lappelle vieil. Et si nous
considérons bien toutes les circonstances de ceste histoire,
Francus ne pouuoit auoir plus de vingt ans quand il com-
mença à régner sur les Celtes. Vn autre acteur du temps
passé, iasoit ce que son Latin ne soit pas trop élégant ou
cliquant, (1) porte neantmoins tesmoignage assez ample
dudit Roy Bauo, fondateur de Belges : car il dit ainsi :
Rex fuit iramensus quondam qui nomine dictus
Bauo : de génère régis Priami fuit ille.
Troise post miseros luctus, ignesque secundos,
Pei' mare cura sociis Asise transuectus ab oris,
Uenit in extreraas vbi sol se mergit in vndas,
Urbem tune magnam rex Bauo condidit vnam,
Qiise nimis immensa Belgis fuit illa vocata.
(1) En ronchi cliquant = clinquant.
8INGVLAR1TEZ DE TROTB. LIVRE III. 295
De Baao Belgineas, fllz et succeuear dudit Roy Bauo premier de ce
nom, au temps duquel, Brutua vint en la Oaule Armorique : et
fonda les Bretons et la cité de Tours. Et comment autres Princes
Trojens vindrent en diuerses parties de Oaule et de Germanie, et
constituèrent plusieurs nobles maisons, peuples et citez : mesme-
ment de lantique noblesse de ceux d'Auuergne et de Chartres, prou-
uee par acteurs autentiques : et comment il y anoit anciennement
en France vne cité nommée Bretaigne.
Apres la mort du Roy Bauo, Archidruyde et Patriarche
de Gaule Belgique, succéda son filz nommé Bauo Belgineus.
Au temps duquel dominoit sur les Latins en Italie lulus
Ascanius, fîlz d'Eneas et de Creusa, fille de Priam : de la-
quelle lignée descendit depuis Iulius César, premier monar-
que dçs Romains. Ledit Bauo Belgineus régna quarantequa-
tre ans en la cité de Belges : et feit vne loy, que tout son
peuple mengeast en publique, en ensuiuant la coustume des
Lacedemoniens : à fin que chacun fust égal : et que lun neust
point denuie sur lautre. Et est asauoir, quen ce temps lii
les Princes et les Peuples viuoient pour la plus part de
venaison. Si estoient presques tous veneurs plus que labou-
reurs : car il y auoit grand foison de bestes es foretz inha-
bitées, et mesmement en ce quartier là de Belges, quon dit'
maintenant Haynnau : là où est la forest de Niormault, (1)
fille, cestadire vn membre de celle d'Ardenne. Là où enco-
res dure et perseuere le tresnoble vsage et exercice de vé-
nerie ou braconnerie, et chasse tant de chenaux saunages,
comme de bestes rousses et noires, doiseaux de proye, de
gibier et de poissons, autant Royale et franche, quen quel-
(1) Morma%lt (éd. 1513), auj. forêt de Mormal.
296 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
que autre païs quon sache. Et pource les Roys de France
y enuoient vne fois lan leurs veneurs.
Au temps dudit Bauo Belgineus, vn Prince nommé Bru-
tus, filz de Syluius Posthumus, troisième Roy des Latins,
et de Lauinia, seconde femme d'Eneas, querant nouuelles
contrées à habiter, comme il auoit de commandement par
loracle des Dieux : vint par mer en la Gaule Armorique,
quon dit maintenant la Royale Duché de Bretaigne. Et y
entra par la bouche du fleuue de Loire, fonda le Croisic
ou Troisic du nom de Troye, et Guerrande, passa par Nan-
tes qui desia parauant estoit fondée : comme il est dit au
premier liure des Illustrations, et monta contremont la
riuiere, iusques au lieu où maintenant est assise la cité de
Tours, de laquelle il fut fondateur. Et depuis rentra en
mer et alla conquérir sur les Geans lisle d'Albion : et la
nomma Bretaigne : maintenant elle est dite Angleterre. En
laquelle il fonda vne cité principalle : et la nomma la nou-
uelle Troye, qui ores se dit Londres, sur le fleuue de Tha-
myse. Desquelles choses ie me déporte pour le présent, car
ce désire vne œuure apart.
Il faut retourner aux successeurs du Roy Bauo : lesquelz
à brief dire, estendirent leur seigneurie par force et prou-
esse darmes sur toutes les Gaules et Germanies, aussi
auant quelles sestendent, mesmement le sixième de ceste
lignée nommé Brunehaut, qui fut contemporain au Roy
Dauid de ludee. Iceluy Brunehaut, Prince magnifique et
de grand cœur, feit faire les chaussées, dont on voit iusques
auiourdhuy les trasses en beaucoup de lieux de la basse
AUemaigne et de France : mesmement du costé d'Amiens
en Picardie. Et dura ceste lignée des Roys Belgiens, ius-
ques au temps de luUes César, lequel occupa toutes les
Gaules : après auoir occis en bataille Andromadas, le der-
» 8INGTLARITBZ DE TBOTE. LIVBB III. â97
nier des Roy s Belgiens, sur le fleuue de Saœbre, et sur le
mesme lieu, dont Lacteur de ce liure est né.
Aussi se treuuent autres peuples, nations et maisons,
tant en France comme en Alleraaigne, estre yssuz des
Troyens, mesmeraent la nation d'Auuergne, entant quil
touche les parties de pardeça, iouxte lautorité de Lucao,
qui dit en sa Pharsalie :
Âruerni Latios ausi sd fingere fratres,
Sanguine ab Iliaco.
Et Sidonius Apollinaris, euesque des Auuergnois, la répète
au septième liure de ses epistres : en se complaingnant de
linfelicité de son temps et de la seruitude en laquelle ilz
estoient tombez par Theodoric, Roy des Vesegothz, de
la nation d'Allemaigne : lequel pour lors occupoit toute
Aquitaine. Les paroles dudit euesque Sidonius sont telles :
AriternoTum proTi dolor seruitus, qui si prisca replicaren-
tur, (1) audebant se qtiondam fratres Latios (2) dicere :
et sanguine ah Iliaco populos computare. Maintenant ilz
nont que faire de sen plaindre : car ilz sont pacifiquement
traitez souz les maisons Troyennes et Herculiennes des
Princes de France et de Bourbon.
Auecques lancienne noblesse et estimation des peuples
d'Auuergne, Strabo au quatrième liure de sa géographie,
adiouste et adioint celle du peuple de Chartres : pource
que vnchacun desdits deux peuples est habitant sur le
fleuue de Loire, et nomme lesdites nations tresillustres,
cestadire tresnobles : comme il appert par ses paroles icy
après mises : Inter Ligerim et Sequanam fluui%m trans
(1) replicentvr (éd. 1513).
(2) latio{éd. 1513).
298
ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
Rhodanum atque Ararim, gentes ad iSeptentrionem adia-
cent, Allolrogihus et Lugduni incoUsmcini. fforumillus-
trissimi Aruerni et Carnuti. Per vtrosque delatus Liger
amnis, in Oceanum ejluit. Et pource que ledit acteur
nombre entre les plusnobles peuples habitans en Gaule, sur
la riuiere de Loire, ceux de Chartres, il est tout notoire
quil parle de toute la prouince de Touraine, laquelle sestend
iusques à la mer de Bretaigne Armorique : car par leurs
limites et non par autres, la riuiere de Loire entre en la
mer Oceane. Pourquoy il est vray semblable, que du temps
dudit acteur Strabo, qui fut durant le règne de l'Empereur
Octauien Auguste, ceux de Chartres auoient grand prero-
gatiue sur les citez Armoriques.
Touchant la cité de Tours, il est certain quelle fut fon-
dée en Ihonneur et au nom de Turnus, neueu de Brutus,
lequel fonda en Aquitaine vne autre cité nommée Britan-
nia, tresnoble et tresgrande. Laquelle fondation toutesuoyes
ie nafferme pas icy témérairement, mais ie le prouueray
bien en autre temps et lieu. Quant aux autres fondations
faites par les Trojens en Gaule, auant quelle fut nommée
France, tous les historiens concordent en ce, que vn Prince
Troyen nommé Tolosus fonda la cité de Tolouse en Aqui-
taine. Parquoy ie treuue vraysemblable, quil fut de la
compaignie du Roy Brutus. Encores iay entendu par com-
mune renommée, quil y ha deux nobles maisons particu-
lières pardeça, qui se disent estre yssuz des Troyens, dont
lune est la maison de Tournon, sur le fleuue du Rhône, du
costé des montaignes de Viueretz (1) et d'Auuergne. En ce
quartier fut trouué du temps du Roy Loys vnzieme, enco-
res estant Dauphin, la sépulture et les os dun Géant, ayant
de hauteur vingtdeux piedz, selon ce que monstre sa pou-
(1) auj. le Vivarais.
8W6TLARITBZ DE TROTS. LIVRE 111. 299
traiture, estant im Tâcobins de Vâlëiiôe fen Daiiphîné. Et
aucuns de ses os nous donnent foy et coniecture de la pro-
portion de sa corpulence : car desdits os il y ha partie à la
sainte chapelle de Bourges, dediee par le Roy René, duc
d'Aniou et conte de Prouence. Et ce fust tesmoigné au
Roy treschrestien et tresvictorieux, Loys douzième, luy
seiournant en sa cité de Valence sur le Rhône. Iceluy
Géant (comme iay ouy dire, estre contenu es chroniques
du Dauphiné) estoit seigneur du pais. Et comme il est vray-
semblable, estoit yssu ou allié de la noblesse Troyenne.
Ladite maison de Tournon porte en ses armes vn Lyon
rampant, en champ mesparty : qui sont les armes de Troye.
Lautre costé semé de fleurs de lyz, qui sont les armes de
France.
Pareillement se glorifie estre dextraction Troyenne, la
maison de Neufchatel, en la franche conté de Bourgongne,
lesquelz peuples se disoient anciennement Sequanois. Et de
leur quartier procède la riuiere Sequana dite en François
Seine, assez congnue par tout le monde, à cause de la
Royale cité et vniuersité (1) de Paris, quelle mespart en
deux, et fait la diuision de la Gaule Belgique, auecques la
Celtique. Icelle maison d'Orenge et de Neufchatel, qui se dit
Troyenne, ha esté voulentiers alliée auec celles de Bretaigne
et Bourbon, qui sont de mesmes. Et vêla comment les li-
gnages sentretiennent de toute antiquité, comme il appert
par leurs généalogies, le plus communément.
Dautrepart, oultre et plusauant que ledit pais de Bour-
gongne, cestasauoir pardela le fleuue du Rhiii en Alle-
maigne, au païs de Soaue, et en vne contrée diceluy, la-
quelle se nomme Franconie, ou France orientale, il y ha
vne bonne ville nommée Phorcen, qui nest pas loing de la
(1) c.-à-d. communauté. '
300 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
cité de Vlme, là où on fait les bonnes fustennes, et autres
villes circonuoisines, dont les peuples se disent estre pro-
créez daucune bende de Troyens, dont deux Princes, lun
nomme Phorcys et lautre Ascanius, estoient chefz et con-
ducteurs, tous deux vassaux de Priam, et qui le secouru-
rent en sa guerre, iouxte ce que met le poëte Homère en
son Iliade :
Phorcys et Ascanius Phrjgias daxere cateraas,
Longe ex Âscania.
Et ce recite et afferme vn acteur tresrenomme, Messire
lean Rheuclin (1) natif de ladite ville de Phorcen en France
Orientale, au commencement dun liure tresmerueilleux,
quil ha de nostre temps composé et intitulé, de verbo miri-
Fico. (2) Pareillement la cité de Mayence, en AUemaigne,
qui est des appendences de France Orientale, sur le Rhin,
fut fondée par vn Troyen nommé Maguntius. Ces choses
veiies, il nous faut retourner à nostre propos principal de
Francus filz d'Hector, et de Sicamber son filz.
De la grand antiqaitë, force et renommée des Sicambriens et Fran-
çois, prouuee par autoi;itez publiques, trop plus que les chroniques
de France nen font mention : et comment il y auoit deux nations
Sicambriennes, et des fondations des citez faites par eux. Puis est
prouué suflSsamment, que les anciens acteurs ne nommèrent iamais
les François sans les Sicambriens, auec autres nations leurs voisi-
nes et alliées.
Novs commençons desia bien à entendre, comment la
noblesse des Troyens exilée de son propre païs doultre mer,
(1) Reuchlin, le célèbre humaniste, né à Pforzheim.
(2) Spire, 1494, in fol., sur les noms sacrés employés dans lei
mystères grecs, juifs et chrétiens.
SmGVLAWTEZ DE TROYK. LITEE III.
m
coramençoit à reflourir, et saugraenter par toute Europe,
enuiron le temps que la grand cité de Sicambre fut fondée
par Francus filz d'Hector. Laquelle cité il nomma Sicam-
bre, du nom de sa tante Sicambria, sœur du Roy Priam,
et dicelle cité fait grand conte et mention la chronique de
Bucalus, comme on peult voir par icelle. Or régna en
icelle, le tresnoble Francus filz d'Hector, iusques au temps
quil rendit le tribut de nature. Et à luy succéda son filz
Sicamber, régnant par lespace de soixantedeux ans, selon
les chroniques de Tongres. Lequel ensuiuant les trasses de
son père Francus et de son ayeul Hector, ainsi comme il
fut terrible et redoutable aux ennemis, aussi fut il doux et
traitable à ses subietz et débonnaire Prince à ceux qui!
auoit vaincuz et subiuguez par grand prouesse darmes. Et
se fit tant aymer des siens, que eux mesmes qui parauant
du nom de son père sapelloient François, aymerent mieux
deslors en auant estre dits et reclamez Sicambriens : jasoit
ce que lun et lautre nom leur demoura tousiours, comme
synonimes et indifférons. Tout ainsi que les enfans d'Israël
se nommoient aussi luifz, de- par le père et le filz, cestasa-
uoir, lacob et ludas. Car il est asauoir, que au temps passé
les Princes portoient tant dhonneur et reuerence à leurs
ancestres ou supérieurs, que par dessus leurs noms et sur-
noms, ilz portoient encore voulentiers ceux de leurs pré-
décesseurs et prochains : ainsi comme il appert de lulus
Ascanius, filz d'Eneas, lequel pour le record de ses nobles
ancestres et soulagement des siens, portoit aussi les noms
de Dardanus et Laodamas. Et ce met expressément Ser-
uius, sur le quatrième des Eneïdes de Virgile.
Long temps après, cestasauoir enuiron deux cens quatre
vingts ans, depuis la destruction de Troye, et auant la
fondation de Romme, deux cens ans ou enuiron, vne bende
302 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
diceux Sicambriens souz leurs Ducz, Troiades et Torgotus,
descendirent sur le Rhin et fondèrent la ville de Bonne,
auprès de Coulongne sur le Rhin, et consequemment la
ville de Zanthes, en la Duché de Cleues, laquelle iusques
auiourdhuy , sappelle ainsi de par le fleuue Xanthus qui
passoit parmy Troye. Autrement es anciennes chroniques,
elle est dite, Troia Francorum, comme iay trouué par la
légende de saint Victor, de la légion de Thebes, dont il y
ha vn beau monastère en ladite ville de Zanthes, iadis
fondé par sainte Heleine, mère de lempereur Constantin le
grand : et est vne tresbelle petite ville et assise en beau
lieu, et là où on fait grand quantité de ces fines toillettes
quon nomme communément de Holande, pource quilz sont
prochains des Holandois.
Selon lesdites chroniques de Tongres, iceux Sicambriens
yssuz de la haute Sicambre, occupèrent par succession de
temps, tous les païs quon dit maintenant Cleues, Gheldres
et luliers. Et se nommèrent tousiours Sicambriens lesdites
nations, comme il appert, par les Commentaires de Iules
César. Pourquoy il est notoire, quil y auoit deux nations
Sicambriennes, cestasauoir la haute et la basse. Et diceux
Sicambriens yssirent les Cimbres, merueilleuses et redou-
tables nations.
Pour lesquelles choses prouuer, il appert par les histo-
riens, poëtes et orateurs Romains, quilz ne nommèrent
iadis gueres lune nation sans lautre, cestasauoir, comme
alliées et inséparables, lune de lautre, François, Gaulois,
Soaues, Sicambriens, Cimbres, Germains et autres telles
nations circonuoisines, précédées de leurs anciens estocz le
grand Hercules de Libye et le preux Hector de Troye :
comme sera veu par le decours de ce liure. Et à ce propos
ie puis alléguer plusieurs acteurs faisans foy de ce que ie
S1N6VLARITEZ DE TROTB. LIVRB lU. 303
dis : entre lesquelz est le poëte Claudian bien renommé,
lequel estoit en bruit du temps de lempereur Honorius, à
la louenge duquel et pour exalter le quatrième Consulat
dudit empereur Honorius, il met ces beaux yers :
Ante ducem nostrum flauam sparsere Sicambri
Csssariem, pauidoque orantes murmure Fraoci
Procubuere solo. luratur Honorius absens,
Imploratque tunm supplex Alemannia Domen.
Basterav venere truces, venit accola sylasa
Bi'UcteruB Herciniae, latisque paludibas exit
Cimbrus : et ingeates Albim liquere Cherosci.
Plus ledit Claudian au premier Panegjric des louenges
de Stilicon, lieutenant dudit empereur Honorius, dit ce
qui sensuit : parquoy on peult congnoitre que de son
temps les François estoient habitans de la montaigne Noire
en Soaue, oultre le Rhin, là où il y ha grand force de
venaison :
-Rbenumque minacem
Corûibas infractis ade6 mitescere cogis,
Ut Sueuus iam rura colat, flexosque Sicambri
In falcem curuent gladios, gemiuasque viator
Cum videat ripas, quse sit Romana requirat.
Ut iam trans fluuium non indignante Cayco
Pascat Belga pecus : mediumque ingressa per Albim
Gallica Francorum montes armenta pererrent :
Ut procul bercini» per vasta silentia syluœ
Yenari tut6 liceat, etc.
Et à ce mesmes propos Sidonius ApoUinaris, euesque
d'Auuergne, qui flourissoit au temps de Theodoric, Roy des
Ostrogothz, lequel tenoit le pais d'Aquitaine, en flatant
ledit Théorie dit ainsi : Francorum et peniiissimas palU'
304 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
des intrares tenerantihus Sicamhris. Et S. Hierome lequel
Tiuoit au temps que Pharamond fut couronné premier Roy
des François, dit ce qui sensuit, à la grand louenge de la
nation Françoise : Jnter Saxones quippe et Alemannes
gens non tam lata quàm valida, apud historicos Ger-
mania, nunc verô Francia mcatur.
Par lesquelles choses il appert facilement quil y auoit
deux contrées qui se nommoient Sicambre : esquelles habi-
toient les François, après la destruction de Troye, cesta-
sauoir Sicambre haute et basse. Les hauts Sicambriens
estoient comme dessus est dit, en Pannonie, quon dit
maintenant Hongrie : et les autres en la basse Allemaigne,
es païs de luillers, Gheldres et Cleues. Desquelz hauts
Sicambriens François estoit le Roy Clouis premier Chres-
tien. Auquel Roy Clouis, iasoit ce que S. Remy nignorast
point quil fust Roy des François, dit en le baptisant :
Mitis depone colla Sicamber : Adora quod incendisti :
Incende quod adorasti. Et ce met expressément Grégoire,
archeuesque de Tours, en sa chronique.
le mesbahis comment plusieurs historiens de France
nont fait autre mention de la plus grand antiquité de lori-
gine des François et des Sicambriens. Et ne donnent autre
prerogatiue à ceste nation, sinon comme si le nom de
France fust tout nouuel et moderne, et quil neust esté
illustre, noble, ou congnu, sinon du temps que lempereur
Valentinian leur donna franchise et relaxation de tribut
pour dix ans : à fin de guerroyer et dompter les Alains,
comme silz ne fussent nommez Francz ou François pour
autre chose, ce qui nest pas vraysemblable : attendu que
Cicero, prince deloquence qui fut du temps de Iulius César,
fait mention expresse du nom des François, en vne epistre
quil escrit à son amy Atticus. Et quant au nom des Sicam-
SINGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE III. 305
briens, il est certain que es histoires Romaines en est faite
ample mention : cestasauoir, dun Duc des Sicambriens
nommé Molon, lequel combatit contre Dru sus, attenant de
prochain lignage, à lempereur Octauien Auguste : mais
ledit Duc Molon fut vaincu et mené en triomphe à Romme.
Pour laquelle victoire ledit Drusus acquit le surnom de
Germanicus, comme le plus noble des autres, et mourut à
Mayence, sur le Rhin, qui est en France Orientale, là où on
voit encores vn grand édifice antique fait en mémoire de luj.
Geste victoire depuis cousta cher aux Romains, car les
Sicambriens et Soaues, cestadire François, souz la con-
duite dun autre Duc nommé Ariminius, mirent à mort
cruelle et sans mercy ne raison, trois légions Romaines,
des garnisons mises par ledit Drusus Germanicus sur les
frontières du Rhin, desquelles légions estoit chef, Quin-
tilius Varus : et auec eux furent defiaits six autres légions
de souldoyers estrangers, quilz nommoyent pour lors auxi-
liaires. Laquelle perte est par les historiens contée entre
les infelicitez d'Auguste : car autrement cestoit le plus
heureux Prince qui onques fut : et de cest inconuenient (1)
il cuida mourir de dueil. Et fust faite ceste grand descon-
fiture à Nuremberg, qui est vne grosse ville d'Allemaigne,
située en France orientale, et aux autres lieux et fors tant
deçà comme delà le Rhin, où les garnisons Romaines se
tenoyent.
Par ainsi voyons nous, que de toute antiquité les armes
belliqueuses des Sicambriens, François et Germains, ont
esté redoutables à Lempire de Romme, auquel finablement
ilz ont tollu la monarchie du monde, et ont succédé en
leur lieu. Donques pour monstrer encores mieux que la
(1) c.-à-d. malheur.
II. SO
506 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nation des Sicambriens et François nest pas de si récente
mémoire, ne de si tardiue renommée que les communes
histoires disent, nous auons le poëte Martial en ses Epi-
grammes, et luuenal en ses Satyres, qui font mention des
Sicambriens, et désignent et pourtrayent leurs façons et
habitudes, presques comme si on veoit à lœil, de quel*
forme et sorte ilz estoyent adonc, tellement que vn peintre
bien entendu les pourroit bien contrefaire après les deux
vers qui sensuiuent. Dont lun monstre, quilz auoyent les
cheueux crespelez, recorcelez (1) et retortillez, tout ainsi
comme les hauts Allemans les portent iusques auiourdhuy.
Lautre dit quilz auoyent la face et le regard terrible,
effroyeuse et redoutable. Et cest quant aux Sicambriens.
Martialis :
Grinibos in nodum tortis Tenere Sicambri.
luuenalis :
Tanquam de getis aliqaid toruisque Sicambris.
Entant quil touche de prouuer que la nation Françoise
estoit en grand estime et vigueur long temps parauant le
règne de l'Empereur Valentinian, et que les armes Fran-
çoises , pour conseruer leur liberté Troyenne et Hercu-
lienne, contre la tyrannie des Romains, ne faillirent onques
à se defFendre ou assaillir : cecy nous tesmoigne vn grand
historien, nommé Flauius Vopiscus, en la vie de l'Empe-
reur Valerius Aurelianus, duquel porte le nom la cité
d'Orléans, et aussi le souloit porter la cité de Geneue en
Sauoye, car il en fut fondateur. Or y eut il entre ledit
Aurelian et Valentinian, huit Empereurs. Et dit ledit
(l) c.-à-d. retroussés. Cf. recourcer.
SINGYLARITEZ DE TROTB. LIVRE III. 307
acteur Vopiscus, que comme les François courussent et
gastassent toute la prouince de Gaule, ilz furent par ledit
empereur Aurelian vaincuz en bataille rude et difficile à
Mayence sur le Rhin, qui est en France orientale, et les
plusnobles d'eux menez en triomphe à Romme. Et voicy
les propres motz dudit acteur : Idem {Aurelianus) apud
Magontiacum Tribunus legionis sexta Gaîlicanœ, Fran-
cos irruentes cum vagarentur per totam Galliam, sic
adflixit, vt trecentos ex his captos, septingentis interemp-
tis suh corona vendiderit. Unde iterum de eo facta est
cantUena :
Mille Francos, mille Sarmatas semei occidimus.
Mille, mille, mille, mille, mille Persas quserimus.
Laquelle chanson se chanta au triomphe dudit Empe-
reur, quand il ût son entrée triomphale à Romme, Par-
quoy il appert comment les Romains, vainqueurs de plusieurs
nations, estimoient à grand honneur et gloire dauoir def-
fait vn petit nombre de François. Et si voit on par ceste
preuue, que de tout temps ilz estoient renommez en lexer-
cice des armes, voire plus de six vingts ans auant quilz
constituassent Pharamond Roy sur eux. Lequel Pharamond
commença régner, lan cccc.xx. selon Gaguin. Et Aurelian
fut fait Empereur, lan après lincarnation deux cens quatre
vingts et dixneuf selon laques de Bergome.
Apres ledit empereur Aurelian, ses successeurs consé-
quents, cestasauoir, Florianus, Aurelius Probus, Proculus
le tirant : et depuis Constantin le grand et iuste monarque,
yssu du sang de Troye, eurent affaire auz François : comme
il appert par leurs histoires et panégyriques : cestadire,
décantations de louenges, dont vn acteur nommé Raphaël
de Volaterre, en son vingt et troisième liure des Commen-
508 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
taires vrbains, met que ledit empereur Aurelius Probus,
natif de Pannonie, triompha des François, des Goths, des
Parthes et des Sarmates. Aussi pour vne gloire singulière,
il voulut porter en ses tiltres, les surnoms desdites nations
par luy vaincues, et les fit grauer en sa sépulture à perpé-
tuelle mémoire, desquelz tiltres celuy de France estoit le
premier. Et la teneur estoit telle : C<Bsar Aurelius Probus :
Imperator : Francicus : Gothicus : Parthicus : Sarmati-
cus. lestime quil porta voulentiers ledit surnom de Fran-
cicus, pource quil se sentoit estre yssu des François, les-
quelz premièrement habitèrent en Pannonie, en laquelle
contrée fut iadis fondée la grand cité de Sicambre par les
Sicambriens ou François. Mais pour mieux entendre ceste
histoire, il faut congnoitre la situation de Sicambre en
Pannonie, et pourquoy elle ha changé son nom. Et sappelle
ores Bude en Hongrie.
Sensait la situation de la grand cité de Sicambre, iadia fondée par
Francus filz d'Hector, en Pannonie, sur le grand fleuue Dunoe. Et
comment depuis vn Prince nommé Buda, frère de Attila, Roy des
Huns, changea son nom à ladite cité de Sicambre, et la nomma
Bade en Hongrie.
La terre de Pannonie, qui du temps de Troye sappelloit
Peonie, comme au chapitre ensuiuant sera bien amplement
declairé, se diuise en deux : cestasauoir, la haute et la
basse. La haute Pannonie est auiourdhuy Larchiduché
d'Autriche : et la basse Pannonie est le Royaume de Hon-
grie. Et parmy toutes ces deux contrées passe le noble
fleuue Danubius, qui se dit en langue vulgaire le Dunoe,
lequel est le plus grand de toute Europe, et seul par dessus
8IM6TLAR1TES DE TROTE. UVRK III. 309
tous les antres ayant ce priuilege, quil dresse son cours
iustement contre Orient. Sa sourse primitiue est en la
montaigne Noire, qui se dit en Latin Sylua Eercinid :
estimée par les historiens et cosmographes pour lune des
plus grandes et des plusnobles du monde, au païs de Soaue
en Âllemaigne, oultre le Rhin, qui se disoit anciennement
et encores se dit France Orientale. La sourse et la première
fontaine dudit fleuue Dunoe fut monstree pour vne singu-
larité à madame Marguerite d'Austriche et de Bourgongne,
par vn Cheualier du païs, nommé Vlric, conte de Fustem-
berghe, qui guidoit et conduisoit ladite Princesse, ayant
charge de ce faire, de par lempereur Maximilian, père de
ladite dame. Cestasauoir au temps quelle alla voir sondit
seigneur et père, en habit de dueil, auquel elle estoit pour
lors, et tout son train de trois cens chenaux ou plus, a
cause du trespas de son frère vnique le Roy Phelippes de
Cas tille. Si se feit donner ladite Princesse Marguerite, de
leaue de la fontaine du grand fleuue Dunoe, en vne coupe
dor. Et quand elle en eust tasté, elle dit lors en souzriant,
selon sa manière douce et humaine, comme font toutes
Princesses : Que la grâce à Dieu et à Fortune, elle auoit
fait en sa vie, ce que pieça quelque autre femme de noble
maison nauoit fait. Et quand aucuns des seigneurs plus
priuez et plus apparens luy demandèrent gracieusement,
la raison pourquoy : elle respondit : Pource quelle auoit
veu tous les plus grans fleuues de Chrestienté, tant en
France, Espaigne, Sauoye, Italie et ades (1) en Allemaigne,
ce qui nestoit aduenu de long temps à Princesse quelcon-
ques. Laquelle parole (considéré ses infortunes esmut aux
principaux des assistans grand pitié, iusques aux larmes.
(1) c.-à-d. maintenant. Cf. Titalien adesso.
310 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Mais pour la consoler, ilz tournèrent à ieu, et tirèrent
oultre.
En ce mesmes tenant, (1) il nous fut dit pour vn cas mer-
ueilleux, en la Noire montaigne, laquelle pour lors blan-
chissoit toute de neige et verdoyoit de hauts sapins bien
reuestuz et bien branchuz : que de ladite montaigne sour-
dent les trois plus grans et plus nobles fleuues d'Europe,
cestasauoir, le Dunoe, le Rhône et le Rhin. Le Rhône
impétueux sen va rendre en la mer Mediterrane de Lan-
guedoc, en Prouuence, deuers le Soleil de mydi. Le Rhin
tresfertile et tresriche, entre en la mer Oceane, de la basse
AUemaigne, et de Flandres, deuers bise, à Soleil couchant.
Et le Dunoe dresse son cours plus de cinq cens lieiies loing,
et va cheoir en la mer Maiour, cestasauoir au Ponte Euxine
plus bas que Constantinoble, deuers Tartarie, et se lance
si tresimpetueusement dedens icelle mer, par sept portes
ou entrées, que plus de quarante mille pas en auant, de-
dens la marine, on treuue leaue douce : car dedens ladite
riuiere Dunoe descendent autres grans fleuues, iusquesau
nombre de soixante, auant quelle aborde en ladite mer de
Ponte. Et passe par plusieurs et diuerses nations estranges,
d' AUemaigne, de Hongrie, d'Esclauonie et de Grèce. Dont
les vues sont Chrestiennes, les autres errent en la foy, et
les autres sont du tout hors de lobeïssance de leglise Ro-
maine, cestasauoir de la secte Macommetiste, et subiettes
au Turc et au Tartre.
Or donques sur ledit merueilleux fleuue Dunoe, fut édi-
fiée par les Troyens la grand cité de Sicambre, en beau pais
fertile et fort à merueilles, de laquelle fait grand mention
la chronique de Bucalus estant en la tresriche et tresbelle
(1) c.-à-d. au même moment, en 1506.
SmGTLARITBZ DE TROTE. LIVRE lU. 311
librairie du Roy treschrestien Loys douzième en son chas-
teau de Blois. Et en icelle cite de Sicambre, dominèrent
les François et Sicambriens, iusqnes au temps des Ro-
mains : mesmement de lempereur Octauien Auguste :
lequel ne les dompta pas, mais ilz se donnèrent franche-
ment à luy pour lamour de sa grand renommée et bonté, et
que de son temps toutes guerres estoient cessées et paix
vniuerselle regnoit au monde, et ce mesme honneur portè-
rent audit empereur les autres nations plus lointaines, cest-
asauoir, les Iules, (1) les Parthes et les Scythes, quon dit
ores les Tartres. A laquelle occasion, lempereur Octauien
Auguste, pour certaines raisons à ce le mouuans, remua la
nation des Sicambres et leur feit changer pais, parauen-
ture pource quilz estoient trop grand peuple ensemble, ou
pource quil doutoit leur force estre trop prochaine d'Italie,
comme est Hongrie, et les feit descendre ou partie diceux,
en Gaule Belgique, sur le fleuue du Rhin. Ce que nous tes-
moigne Suétone, en la vie d'Auguste : Germanosque vitra
Âlhimjluuium summouit, ex quihus Sueuos et Sicamhros
dedentes se traduxit in Oallia, atque in proximis Rlieno
agris collocauit. Parquoy il est certain, que du temps de
lempereur Auguste, auquel nostre seigneur iesvs christ
nasquit, les François et Sicambriens obtenoient (2) la plus
grand et la meilleur partie d'Allemaigne et de Gaule Bel-
gique, es pais quon dit présentement, Cleues, Gheldres et
luillers.
Puis que nous congnoissons assez que les François Si-
cambriens eurent en possession la terre de Pannonie, quon
dit ores Hongrie, laquelle est si bonne et si riche de toutes
(1) Julles (ëd. 1513). Peut-être les Jurxs d'Hérodote IV, 22.
(2) c.-à-d. occupaient, obtinehant.
312 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
choses, mesmement de minières dor, pourquoy ne la gar-
dèrent ilz ? A ce ie respons, que nonobstant, que par les
choses dessus narrées soit assez satisfait à ceste question,
cestasauoir, que la voulenté de lempereur, pour lors souue-
rain Prince du monde, fust telle, que de les transporter
plus bas, neantmoins ie dis dauantage, quil semble que la
destinée des François Sicambriens les menast à telle fortune,
à fin que tousiours ilz fussent plus illustres, et mieux exer-
citez aux armes : car mutation de païs fait les hommes
plus dextres et plus robustes, comme on le voit communé-
ment.
Ladite cité de Sicambre, fondée par les François, fut
depuis en la subiection des Romains. Et quant vint le de-
clin de lempire, les Gothz et les Lombardz, tous deux peu-
ples de la nation d'AUeraaigne, la tindrent et depuis sur-
uindrent les Huns de Tartarie, dont le premier Roy nommé
Attyla, lequel auoit communément cinq cens mille hommes
en armes, non content dauoir occupé toute Grèce, Mace-
done, Esclauonnie, Albanie, Istrie et Dalmace, sarresta
en la cité de Sicambre à cause de la force et beauté du lieu.
Et là se tint lespace de cinq ans : ce pendant quil faisoit
espier les prouinces de Gaule, d'Espaigne et d'Italie, pour
y descendre et se ruer en icelles. Laquelle chose il mit -à
exécution. Car quand il vit son poinct, il courut toute Alle-
maigne et Gaule, là où desia estoient les Goths, les Bour-
guignons et les François, et y auoient prins et arresté
leurs sièges en reculant et forcloant les Romains, pour la
plusgrand partie. Tellement que après le siège d'Orléans,
lequel il fust contraint dabandonner, il fut combatu en la
plaine de Chaalons en Champaigne par les Romains, Fran-
çois, Bretons, Bourguignons et Goths. Et fut celle bataille
merueilleuse et mémorable, car il y moururent Meroveus,
8INGVLARITEZ DE TftOTE. LIVRE III. 313
Roy des François, Gundengus, Roy des Bourguignons, et
Theodoric, (1) Roy des Goths. Et fut ledit Attyla presques
desconôt, iasoit ce quil eust cinq cens mille hommes en
armes, comme il sera dit plusauant en ce liure. Il portoit
en ses armes vn Esperuier couronné. Et en ses tiltrea et
manderaens parents il disoit ainsi : Attyla filius Bender-
cum, nepos magni Nembroth^ nutritus in Engadi : dei
gratia Rex Hunnorum, Medorum, Gothorum, Dacorum :
Metus orhis, et Flagellum Dei. Il estoit extrait de la mesme
rasse et païs des Turcs, qui se disent auoir prins origine de
Turcus, filz de Troïlus. Et encores voit on que les Hongres
ayment et fréquentent les arcz Turquois, et sont forts et
hardiz comme Turcs, mais il sont leurs trop fiers ennemiz,
à cause de la foy Chrestienne. Et bien en ont monstre les
exemples de la fresche mémoire de noz pères. Car le Roy
Albert de Hongrie, gendre de l'Empereur Sigismond, qui
tendant à ces fins, assembla les conciles de Constance et
de Basle, mourut ieune allant en son emprise contre les
Turcs. Lancelot, (2) successeur dudit Albert, Roy de Hongrie
et de Polone, combatant vaillamment contre le grand Amo-
rat, tyrant de Turquie, cheut en la bataille, auec le Cardi-
nal Cesarin, Légat du saint siège apostolique, qui fut vue
ti'op piteuse iournee pour la Chrestienté. Et de nostre
temps, le Roy Mathias, Prince de merueilleuse prouesse et
affection à la deffense de nostre foy, tout le temps de son
règne ha esté heureux et bien fortuné, par plusieurs vic-
toires mémorables contre les Turcs. A laquelle besongne
tressalutaire, il sest monstre plus affectionné par effect que
nul autre Prince de son temps, ne desplaise aux autres.
(1) Théodore {éà. 1513).
(2) Vladislas VI, mort à la bataille de Varna, en 1444.
314 ILLYSTRATIONS DE GATLË, ET
Par quoy il ha mérité quil soit de luy mémoire éternelle en
toute histoire et chronique.
Pareillement, son successeur moderne, le Roy Lancelot
de Hongrie et de Bohême, allié de la maison de France et
de Bretaigne, sest honnestement exercité en tel affaire con-
tre la nation infidèle, et en ha raporté victorieuse renom-
mée. Par quoy il appert, que iasoit ce que les Turcs et les
Hongres soient dune mesme extraction quant à lorigine de
Tartarie, neantmoins le changement du pais et des mœurs,
et la diuersité de croire en Dieu, les ha faits ennemis si
tresmortelz que riens plus : ioint à ce que le voisinage de
leurs contrées augmente la hayne et les rend plus aspres :
car lun entreprend tousiours sur lautre.
Or pleust à Dieu, que tous noz treshauts Princes de
Chrestienté fussent ensemble si bons amys, que iamais il
ny eust que redire ne que radouber en leurs quereles mu-
tuelles et controuerses réciproques, ains alassent vnanime-
ment ayder aux Hongres, aux Bohèmes et aux Polaques,
qui sont sur les frontières des Tartres et des Turcs. Alors
ce seroit vn beau passetemps, à la tresnoble et tresillustre
nation Françoise et Britannique, procréez du vray sang
légitime de Troye, daller voir en passant par le païs de
Hongrie, Esclauonie et Albanie, les sièges de leurs pre-
miers Princes et parents. Et dilec tirer en Grèce, pour
contempler la ruine dune nation si audacieuse, qui eut iadis
Ihonneur de deffaire et ruiner la grand cité de Troye. Et
dillec passer à Constantinoble, la mer Hellesponte, cestadire
le bras saint George. Et puis planter leurs enseignes triom-
phantes en la terre ferme d'Asie la Mineur, quon dit main-
tenant Natolie ou Turquie. Et recouurer par iustes armes
le propre héritage, et les douze Royaumes que tenoit iadis le
bon Roy Priam, ayeul de Francus filz du trespreux Hector.
SUfGVLARITBZ DE TROYB. LIVRS lU. 315
Tout lequel chemin, tant par mer que par terre, pro-
uince pour prouince, cité pour cité, isle pour isle, iay
entreprins et pieça commencé de monstrer par escrit, à
ceux qui entreprendront vn si digne voyage, et lacheueray
quelque fois au plaisir de Dieu, mais ce ne sera point auant
que nous voyons tous noz Princes Chrestiens auoir du tout
délaissé leurs guerres ciuiles, pour embrasser dun magna-
nime courage ceste tressainte emprise, par perpétuelle con-
corde et vnion fraternelle. Laquelle chose seroit trop plus
que nécessaire. Mesmement en ce temps de trouble et misé-
rable diuersité, auquel le Turc seiforce et menasse destain-
dre et abolir de tous poinctz en Orient la tresclere et tres-
cheualereuse religion de Rhodes, pour tousiours affoiblir et
diminuer la chose publique de la Chrestienté. Mais reno-
uons au propos du premier Roy des Hongres.
Or auoit Attyla, premier Roy des Hongres, laissé son
frère Buda, en la cité de Sicambre en Pannonie, pour la
garde et gouuernement du païs : et luy auoit donné charge
de la reedifier et augmenter : comme celuy qui, après ses
conquestes, entendoit y faire sa résidence. Et vouloit en
perpétuelle mémoire, que de son nom elle fust nommée
Attelbourg, cestadire, la cité de Attyle : et que Pannonie
fust nommée Hongrie, comme elle est de présent, à cause
des Huns qui lauoient conquise et occupée. Mais sondit
frère Buda, ou par ambition de propre gloire, ou pource
quil se vouloit faire Roy du païs, tandis que son fi-ere estoit
occupé en autres guerres, fit nommer ladite cité de Sicam-
bre en Pannonie, Bude en Hongrie. Aucuns historiens tien-
nent, quil ne le feit pas par malice, mais ce fut la beniuo-
lence de ses subietz ausquelz il estoit trop plus humain que
son frère Attyla. Comment quil soit, Attyla comme tres-
cruel homme, en print tel despit et vengeance, que après
316 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
son retour de la bataille des champz Catalauniques, il tua
de sa propre main son frère Buda : et puis feit ietter son
corps en la riuiere de Dunoe. Si commanda deslors en auant
estroitement par toute Allemaigne et Hongrie, que la cité
de Sicambre fust nommée de son nom Attelbourg. Lequel
commandement les AUemans obseruerent par crainte, mais
les Hongres non : car ilz estoient plus affectionnez à la
mémoire de son frère Bude. Et vêla la raison pourquoy on
nomme la cité de Sicambre, Bude en Hongrie, en laquelle
est le siège Royal, et vn tresfort auantmur pour la Chres-
tienté contre les Turcz. Laquelle fust ainsi restaurée par
Attyla, enuiron lan de grâce quatre cens et vn : quil com-
mença à régner sur les Hongres. Mais de la fondation pri-
mitiue dicelle, faite par les François tantost après la fonda-
tion de Troye, iay trouué les fragments dun Poète antique,
en leglise collégiale de saint lust de Lyon, par la teneur
duquel il peult apparoir tout ce que dessus est touché.
Oucta per lUyricum vexit ratis alta leones,
Migrât ia Hungariam, quse fertilis obtulit omen :
Terra satis placuit, gaudia multa mouent.
Arte parant vrbem, fiimulantem mœnia Troise,
Quae malà vicinos, p6st ad seruilia cogît
Sic, nisi eos reges terra subacta roget.
Urbs ornata viris noua dicta Sicambria est.
Multa per * Troiana potentia sseuit,
Percutit et Isedit, ssepe crueuta redit.
Lesquelz vers combien quilz ne soient pas des plus fins du
monde, et que le liure estoit si vieil et si corrompu, que ie
ne pouuoie bonnement tout lire, neantmoins pource quilz
font aucune foy de lantiquité de Sicambre , ie les ay
voulu mettre icy. Apres iceux, il y auoit autres vers, dont
SINGULARITtZ DE TROTE. LIYEB III. 317
la substance est, que la terre de Germanie, tant sur le
fleuue Dunoe, comme sur le Rhin, estoit iadis nommée
France. Parquoy il appert que les François occupèrent pre-
mièrement toutes les Allemaignes, et depuis les Gaules.
Rhenas ibi fluuias Danubiusque aalit.
Francia pôst dicta Qermaaia noscitur ipsa,
Ex qaa Francoram regnum natura patriat.
Encores audit liure il y auoit vn abrégé de la chronique
des Sicambriens, faisant mention, que du temps de Sal-
manasar, Roy des Assyriens, et deSennacherib, sonfilz, les-
quelz persécutèrent beaucoup les enfans d'Israël, mesme-
ment le prophète Tobie, les Sicambriens obtindrent le païs
de Bauiere en Allemaigne et la grosse cité de Ratisbonne,
assise sur le grand fleuue Dunoe : laquelle fut depuis fort
augmentée par l'Empereur Charles le grand. Lesquelles
choses iay voulentiers récitées, à fin dentendre tousiours de
plus en plus, que les François se firent seigneurs de toute
Allemaigne et Hongrie.
Raison vraysemblable, parquoy les Troyens soaz lâor Roy Franeus,
surnommé Laodamas, et son filz Sicamber sarresterent plustot en
Pannonie, quon dit maintenant Hongrie, que en quelque autre
contrée. Et des Princes dudit païs, qui furent presens au rauisse-
ment d'Heleine, et vindrent depuis au secours du Roy Priam à
Troye. Et comment les Gaulois de nostre nation de pardeça cuide-
rent aller secourir Troye, mais ilz la troauerent desia destruite.
Qvant à ce que les Troyens, François et Sicambriens
sarresterent premièrement en Pannonie, quon dit mainte-
nant Hongrie, il est assez -vraysemblable : car comme des-
518 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
SUS est monstre, le sage Helenus, frère d'Hector, nourrit et
esleua son neueu Francus. Et pource quil regnoit en Alba-
nie et Esclauonie, qui ne sont pas lointaines de Hongrie, il
fait assez à présupposer, quil voulut bien auoir son neueu
pour son voisin, et luy bailla lindustrie de ce faire. Dautre
part, il est certain, que les enfans d'Hector auoient quelque
aflSnité en Pannonie, laquelle du temps de Troye se nom-
moit Peonie : comme met Raphaël de Volaterre, au hui-
tième liure de sa Géographie. Et quilz y eussent congnois-
sance, alliance et aflSnité : il appert assez par les escrits
de Dictys de Crète et d'Homère, lesquelz recitent, que les
Roys et Princes de Thrace, de Mysie et de Peonie, donnè-
rent secours à Troye. Thrace est vne contrée en Grèce,
dont la cité capitale est Constantinoble, assise deçà la
mer Hellesponte. Mysie est située entre le grand fleuue
Dunoe et les montaignes de Macedone. Et sappellent ores
ces contrées, Bosne, Rasce (1) et Seruie, toutes conquises
par le Turc sur la Chrestienté, et sont frontières dun costé
au Royaume d'Hongrie. Peonie comme dessus est dit, ha
depuis esté nommée Pannonie, et se diuise en deux :
cestasauoir, en haute et en basse. La haute Pannonie, est
ores Larchiduché d'Austriche. Et la basse Pannonie, est
le Royaume de Hongrie, dont la cité principale est Bude,
qui iadis se disoit Sicambre. Ainsi appert que les Princes
de deçà la mer, ne furent pas exempts de la guerre de
Troye, non plus que les Orientaux. Et à ce propos met
expressément le Pape Pie, en la description de son Asie,
que les Gaulois de nostre nation de pardeça passèrent
d'Europe en Asie, pour aller deflfendre Troye. Mais quand
ilz la trouuerent sans murailles, ilz la laissèrent, iasoit ce
(1) Bescc (éd. 1528). Âtg. la Rascie, partie occid. de la Servie.
8INGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE III. 319
quelle fut réparée depuis par les enfans d'Hector. Et les
mots dudit Pape Pie son telz : Agesianarus scrihit^ Oaîlos
ex Europa transgressas tulela gratia in tyrbem {sciîicet
Troiam) ascendisse : sedeam sine mœnibus repertam illico
dimisisse.
Pour reuenir à nostre propos de Peonie, ou Pannonie,
quon dit maintenant Hongrie, Paris et son frère Deïpho-
bus furent enuoyez celle part par leur père Priam, auant
le rauissement d'Heleine, à fin dauoir gensdarmes et soul-
doyers de ladite nation , ce quilz impetrerent. Si ame-
nèrent grand cheualerie, comme met Dares de Phrygie.
Lesquelz furent présents et complices à la destrousse de
Lacedemone, quand Heleine fut rauie, et à toutes les
autres bonnes actes que Paris feit en son premier voyage,
comme bien amplement est descrit au second liure de ces
Illustrations. Et quant à la guerre du siège de Troye,
ledit acteur Dares nomme entre les Princes qui secouru-
rent Priam, Alcamus de Peonie. Dictys de Crète, vn autre
noble acteur, en son deuxième liure de Ihistoire Troyenne,
met que Pyrechmus, (1) Roy de Peonie, fut occis en ladite
guerre par Diomedes, Roy d'Etolie. Homère en son troi-
sième liure de l'Iliade, translaté en prose par Laurens
Valle, fait mention dun autre Prince nommé Pyrechmes
de Peonie, lequel alla au secours de Troye, et mena ses
gens tous bons archers. Encores voit on auiourdhuy, que
les Hongres sont forts et expers à tirer de lare Turquois.
Et fut iceluy Prince de Peonie, nommé Pyrechmes, (2) tué
par les mains de Patroclus de Myrmidonne, comme met
ledit poëte au zvi. liure de son Iliade. Et au xxi. il met
(1) Pyregamus {éd. 1513 et 1528).
(2) Pyrechines (éd. 1513 et 1528).
320 ILL VST RATIONS DE GAVLE, ET
que Asteropeus, filz de Pelegon de Peonie, mourut par les
mains d'Achilles. Ainsi voit on que les Princes de Peonie,
ouPannonie, quon dit maintenant Hongrie, et des prouinces
circonuoisines de deçà la mer, se meirent en grand peine
pour secourir Troye, et tous ny proufiterent gueres : car
les destinées et la prouidence diuine estoient au contraire.
Ces choses veûes, et toutes doutes qui eussent peu obom-
brer ceste histoire esclarcies, il nous faut retourner à
Francus, premier Roy des François et Sicambriens, et de-
clairer sommairement la progression de sa tresnoble pos-
térité, et des peuples belliqueux et fortes nations qui de
luy sont yssues, et de leurs gestes victorieux, iusques au
tresglorieux empereur Charles le grand, Roy des François
Orientaux et Occidentaux. Laquelle généalogie nous dédui-
rons, si Dieu plait, heureusement, selon lordre qui sensuit.
Francus fut filz d^Hector de Troye, père de ceste Généalogie.
Dudit Francus, portent iusques auiourdhuy le nom, le
pais de Franconie, quon dit en allemant Francland, oultre
le Rhin, de Francfort en Allemaigne. Et la nation des
François en Gaule, quon dit maintenant le Royaume de
France.
Sicamber fut filz de Francus.
Dudit Sicamber fut iadis dénommée la grand cité de
Sicambria en Pannonie , quon dit maintenant Bude en
Hongrie. Et les premiers Sicambriens, qui furent tous vns
auec les Francs Germains ou hauts Allemans : oultreplus
les bas Sicambriens, quon dit auiourdhuy les Gheldrois, et
les ducz de Cleues et luliers.
Priam second de ce nom fut filz dudit Sicamber.
Hector second de ce- nom fut filz dudit Priam deuxième.
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 3^
Ledit Hector second de ce nom eut trois fllz : cestasa-
uoir, Troïus, Polydamas et Brabon. Dudit Brabon yssit,
en la vingtième ligne, vn autre Brabon qui donna le nom
aux Brabansons et à la duché de Brabant.
TroïuB fut filz dadit Hector deuxième, comme deMOs est dit.
TorgotuB fut filz dudit Trolus. Tungris fut filz dudit TorgotuB.
' ï)iceluy Tungris porte auiourdhuy le nom la cité de
Tongres auprès du Liège, et iadis fut vn grand peuple
nommé Tongrois.
Teuto fut filz dudit Tungris.
Dudit Teuto portent le nom iusques auiourdhuy les Teu-
toniques, que les Italiens appellent Tudesques : les Vual-
lons les nomment Thyois : et les François les disent Alle-
mans. Ce furent proprement iadis ceux qui habitoient deçà
et delà le grand fleuue Dunoe, en Soaue, Austriche et
Bauiere. Et diceux Teutoniques les histoires Rommaines
font ample mention, maintenant on les appelle Lansque-
neta : cestadire, enfans du pais d'Allemaigne.
Agrippa fut filz dudit Teuto.
Dudit Agrippa, porte le nom la cité Agrippine, quon dit
Cologne sur le Rhin : laquelle nest contée sinon pour lune
des quatre villes rustiques (1) de Lempire.
(I) En allemand landstadt, ou ce que Frisch, Teutsch-Lateinisches
W8rterbuch (Berlin, 1741) appelle urbs municipaïis et distingue
d'une reichstadt ou d'une amtstadt. Conring, De urbibus germanicis
(Francf. 1693, p. 149), cite Cologne, Bâle, Strasbourg et Spire,
comme ayant obtenu le rang de ville libre, /rei-ttadt, et les oppose
aux urhes regni vel impériales. Le môme auteur {Definib%s imperii
II. SI
522 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Âmbro fut filz dudit Agi'ippa.
Dudit Ambro, porta iadis le nom le peuple des Ambrons,
habitans sur le Rhin , desquelz lesdites histoires rom-
maines font aussi mention.
Thuringus fut filz dudit Ambro.
Dudit Thuringus porte iusques auiourdhuy le nom, vue
prouince d'AUemaigne, nommée Thuringe.
Cimber fut filz dudit Thuringus.
De cestuy Cimber est procedee la domination du grand
et merueilleux peuple des Cimbres, qui tant fatiga les Ro-
mains. Et fut la domination dudit Cimber, depuis la
riuiere de Meuse iusques à Lescault, et depuis la forest
Charbonnière, quon dit maintenant le pais de Flandres,
iusques à la mer de Frise, de Dannemarch et de Noruueghe.
Camber fut filz dudit Cimber.
Du dessus nommé Camber, portent auiourdhuy le nom,
la cité de Cambray et la terre de Cambresis, et Cambron
en Haynnau. Il fut Roy des Cimbres, des Tongrois et des
Belgiens.
Les successeurs dudit Camber furent ses deux filz Mel-
brand et Seruius, et leurs hoirs, lesquelz ie me déporte de
nommer : car ilz ne seruent de rien au propos : et les
remetz à Ihistoire de Belges ou de Tongres : iusques à
celuy qui sensuit.
germanici, p. 415) ne fait remonter Tautonomie de Cologne qu'au
XI1« siècle.
SIIfGTLARITEZ DB TROYE. LIVRE III. 323
De Meaapius, Roy des Cimbres, Belgiens et Toagroif , qai fut père de
Qodefroj : surnommé Karle.
Menapivs, Roy des Cimbres, Belgiens et Tongrois, fut
filz du Roy Magius, lequel fonda le chasteau de Megie(l)
entre les riuieres de Rhin et de Meuse : descendu de ladite
tresancienne et tresnoble lignée du Roy Cimber. Et donna
ledit Menapius le nom aux Menapiens, qui estoit iadis vn
peuple puissant en Gaule Belgique, voisin des Eburons,
quon dit maintenant les Liégeois, et de la forest d'Ardenne ,
lesquelz Menapiens sont maintenant ceux qui habitent en la
Duché de luliers et vne partie de Gheldres. César au cin-
quième et sixième liure de ses Commentaires fait mention
d'eux : et dit quilz estoient alliez de ceux de Terouenne :
et amys d'Ambiorix, Roy des Eburons. Et furent les der-
niers de ceux qui daignèrent demander paix et appointe-
raent audit César. Parquoy il est vraysemblable que ces-
toit vn fort et puissant peuple.
Ledit Menapius regnoit assez long temps auant la mo-
narchie des Romains : cestasauoir du temps de Ptolomeus
Euergetes, Roy d'Egypte. Lequel Ptolomeus commença à
régner, lan deuant lincarnation nostre Seigneur, sept vingts
(1) Il faut chercher cette localité entre le Rhin et la Meuse Infé-
rieurs, dans l'espèce de presqu'île qui se termine en aval de Nimôgue.
On trouve dans ces parages la petite ville de Megen, Meghen ou
Meghem ; mais elle est sur la rive gauche de la Meuse, dans le Maas-
land. Elle était le chef-lieu d'un petit comté qui était fief du duché
de Brabant, et dont la seigneurie, dit Tauteur des Délices des Pays-
Bas, a' ètend&it sur plusieurs villages audeça et audelà de la Meuse.
— Guichardin cite le Mega Comitatvs.
324 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et deux : enuiron lequel temps, les Romains et le peuple
de Treues feirent vne forte confédération ensemble. Et fut
nommée Treues, la seconde Romme : vsant des loix Ro-
maines. Et pource que le Roy Menapius, voisin desdits de
Treues, refusa lalliance desdits Romains, Lucius Cassius
fut enuoyé contre luy, auec plusieurs légions de gens-
darmes : et persécuta lesdits Tongrois et Menapiens : ius-
ques à la grand mer Oceane : comme met Orose : mais en
la fin il fut circonuenu, attrappé et tué par eux, auecques
Lucius Piso, homme de dignité Consulaire et légat ou lieu-
tenant dudit Cassius Consul.
Laquelle chose voyant, Lucius Cassius, vn autre Consul
auquel le demourant de larmee Romaine sestoit retirée
après ladite desconfiture : à fin quil les peust garder, fut
contraint de faire vn appointement deshonnorable auec
ledit Roy Menapius, en telle manière que les Romains des
lors en auant ne deuroient entamer sur luy ne sur ses
alliez. Et pour ses dommages et interestz, ledit Consul luy
deliura toute son artillerie et instrumens de guerre : auec-
ques la iuste moytié de toutes les bagues, harnois et autres
biens desdits gensdarmes Romains. Lesquelles despouilles
furent distribuées entre les Cimbres, Tongrois et Belgiens :
et dicelles vne bonne partie oôerte en sacrifice au temple
de Mars, Dieu des batailles, à Louuain : dont il fut fort
enrichy. Et oultre ce, pour plus grand seureté dudit ap-
pointement , furent es mains dudit Roy Menapius cent
nobles hommes Romains pour ostagiers.
De cest appointement tresuituperable, non contens le
Sénat et le peuple Romain, quand ledit Lucius Cassius fut
retourné à Romme, il fut cité à certain iour par deuant
Celius, tribun du peuple. Mais luy craingnant plus grieue
sentence nosa comparoir, ains senfuyt en exil : dont le Roy
8IM0VLAR1TBZ DE TROTB. LITRE III. 315
Menapias fut tant indigné contre lesdits Romains, quun
peu de temps auant sa mort, il assembla au temple de
Mars à Louuain ses quatre filz, Léon, Godefroy, Teutonius
et Cloadic, et plusieurs autres de ses Princes, barons et
vassaux, et illec leur feit iurer et vouer solennellement, à
la statue dudit Dieu Mars, quilz feroient leur pouuoir de
mettre à totale destruction lesdits Romains : comme auoient
fait leurs prédécesseurs Brennus et Belgius, tresuaillans
Princes, qui prindrent et destruisirent Romme, excepté le
Capitule. Par ainsi au commandement du Roy Menapius,
ses quatre enfans dessusnommez et les autres seigneurs
promirent et vouèrent daccomplir son intention. Et cer-
tain temps après, ledit Roy Menapius mourut, après auoir
régné lespace de treize ans. Si dirons maintenant de ses
enfans.
Déclaration des Princes et nations qui conspirèrent contre lesdits
Romains auec les enfans dudit Roy Menapius.
Le âlz aisné dudit Roy Menapius, nommé Léon le quart,
régna sur les Cimbres, Tongrois et Belgiens : et le pre-
mier an de son règne, pour accomplir le vœu et promesse
que luy et ses trois frères auoient fait au temple du grand
Dieu Mars à Louuain, par le commandement de leur père,
ilz feirent ensemble alliance à tous les peuples et Princes
voisins, yssuz de la tresnoble et tresancienne génération
de Sicamber, neueu d'Hector de Troye, et de Bauo, cousin
germain de Priam : iadis premier Roy de Belges, quon dit
maintenant Haynnau : et mesmement ilz se confedererent
à la nation Teutonique, cestadire les hauts Allemans. Sur
lesquelz regnoient pour lors plusieurs Princes, si comme le
326 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Roy Bolus ou BelÏBUs : le Roy Lucius, le Roy Boiorix, le
Roy Claudius, le Roy Cesorix et autres dont on ne scait
les noms.
Pareillement fut de leur ligue et confédération vn Roy
Géant et de merueilleuse stature, nommé Teutobochus, qui
dominoit sur les Ambrons et sur les Tigurins. Desdits Am-
brons nous auons fait mention cy dessus, et habitoient sur
le Rhin. Touchant les Tigurins, aucuns disent que cest
vne partie de Souycere : (1) les autres les prennent pour la
Conté de Gymer.
A tous ceux là, ledit Léon, le quart Roy des Cimbres,
Tongrois et Belgiens, associa et bailla pour conforts et
frères darmes ses deux frères plus ieunes : cestasauoir,
Teutonius et Cloadic, auecques vne merueilleuse multitude
de Cimbres : quon dit maintenant Frisons, Ostrelins et
Dains, (2) auec ses Menapiens, qui sont ceux de la Duché de
luliers, Belgiens, qui sont Haynnuiers, et Namurois, Ebu-
rons, quon dit maintenant Liégeois, et Tongrois qui sont
auiourdhuy Brabansons. Toutes lesquelles nations sont
comprinses par les histoires Romaines souz la dénomination
des Cimbres, pource quilz estoient en plus grand nombre.
Désignation dune autre raison ou opinion, pourquoy lesdits peuples
partirent de leurs marches et enuahirent les Romains , et des
premières victoires quilz eurent contre eux.
LvcivsFlorus, tresuoble historien Romain, met expressé-
ment vne autre cause, pour laquelle lesdites nations furent
contraintes de partir de leurs païs, laquelle toutesuoyes se
(1) c.-à-d. Suisse.
(2j Danois.
SINGYLARITRZ DB TROYE. LIVIB III. 397
penlt accorder à la dessusdite. Et penlt lune et lautre estro
vraye selon diuers regards. Si met ledit acteur, que lesdits
peuples furent contraints daller chercher autres territoires,
pource que la grand mer Oceane auoit couuert et gaigné
toutes leurs terres. Pour laquelle cause ilz entrèrent pre-
mièrement en Gaule, et dillec en Ëspaigne : dont ilz furent
reboutez : et comme ilz voulsissent passer en Italie, ilz
enuoyerent leurs ambassadeurs à Syllanus Consul, lequel
auoit vn grand exercite pour leur contredire le passage. Et
dillec au sénat de Romme, en suppliant benignement que
le peuple Martial, cestadire le peuple Romain leur donnast
aucun quartier de pais pour habiter, comme par manière
de soulde. Et en ce faisant ilz seruiroient ledit peuple
Romain, tant au labourage de la terre, comme au fait de
la guerre : ce qui leur fut refusé. Et adonques ilz délibé-
rèrent dauoir par force darmes ce quilz nauoient peu im-
petrer pas prières. Tellement que ledit Syllanus Consul ne
peut porter de primeface leur horrible impétuosité : ne
secondement Manlius, ne Cepion, pour la tierce fois : ains
furent tous desconfis et chassez, et perdirent le camp. Et
cela est selon la récitation dudit Lucius Florus.
Tite Liue, acteur de grand estime, met que Cneus Aure-
lius Scaurus, Légat consulaire, perdit vne bataille contre les
Cimbres : et fut prins prisonnier. Et comme les Princes
Cimbriens qui leurent vaincu leussent appelle en leur con-
seil, et demandé son opinion, asauoirmon silz deuoient pas-
ser en Italie ou non : ledit Aurelius Scaurus leur prison-
nier, leur dit, quilz ny deuoient point passer : affermant
que les Romains ne pouuoient estre vaincuz. A ce mot vn
ieune Roy nommé Bolus, plein de grand férocité, le tua de
sa main, en la présence des autres. Et depuis lesdits Cim-
bres desconfirent en bataille Cneus Manlius, Quintus Ser-
3^ ILLVSTRATIOWS DE GAVLE, ET
uilus et Cepion Proconsulz, et perdirent deux fois le camp.
Si y moururent quatre vingts mille hommes Romains, et
en y eut quarante mille prisonniers. Ledit proconsul Ce-
pion, pource quil auoit donné la bataille trop auentureuse-
ment, fut demis de sa dignité, enuoyé en exil : et ses biens
confisquez. Les Cimbres quand ilz eurent gasté tout le païs
alenuiron du Rhône, passèrent les monts Pyrénées et en-
trèrent en Espaigne, là où ilz feirent beaucoup de maux.
Mais ilz furent finablement reboutez par les Celtiberes, et sen
retournèrent en Gaule, là où ilz se ioingnirent aux Teutoni-
ques : cestadire aux hauts AUemans, qui est vne nation fort
belliqueuse. Cela est prins de Titus Liuius.
Orose met sur ce propos, que lan de la fondation de
Romme, six cens quarante deux, qui fut selon le Supplé-
ment des chroniques, douant lincarnation nostre Seigneur,
quatre vingts et neuf ans, Caius Manlius et Quintus Cepio,
furent créez Proconsulz, par le Sénat et peuple de Romme,
et enuoyez alencontre des Cimbres et Teu toniques, Tigurins
et Ambrons : qui sont gens de Gaule. Lesquelz alors auoient
conspiré ensemble destaindre et abolir du tout lempire
Romain. Quand lesdits Proconsulz furent sur le fleuue du
Rhône, ilz départirent leurs prouinces, en sorte que lun
tenoit le quartier de deçà le Rhône et lautre de delà. Et
comme entre eux, ilz se debatissent par merueilleuse enuie
et dissension, ilz furent vaincuz par les Cimbres, à la grand
honte et danger de tout lempire Romain. Car en icelle
bataille Marcus Emilius, homme de dignité Consulaire, fut
prins et tué auec deux de ses filz. Si furent occis sur le
champ quatre vingts mille nobles hommes, tant Romains
que de leurs alliez, et soixante mille varlets prins : telle-
ment que de tout ledit exercite, il nen eschappa que dix
hommes, qui portèrent les nouuelles misérables à Romme.
8INGTLARITBZ DE TROYE. UVRE III. 329
Les Cimbres gaignerent les deux camps des deux Procon-
sulz, auec vn merueilleux butin : mais par vue execrableté
non accoustumee, ibz gasterent et meirent à perdition tout
ce quilz auoient prins. Mesmes, ilz débâchèrent les babil-
lemens et despouilles des Romains, et ietterent les pièces ça
et là : lor et largent ilz le ruèrent dedens le fleuue. Les
haubers et autres armures des hommes, ilz les froissèrent
et desrompirent, les freins et chanfreins des chenaux furent
dispersez et gastez : et les cheuaux noyez dedens les gouf-
fres du fleuue, et les hommes penduz aux arbres. Telle-
ment que les vainqueurs ne iouyrent daucun fruit de leur
proye, ne les vaincuz de quelque miséricorde. Alors y eut
vn merueilleux dueil à Romme, auecques crainte extrême
que tout incontinent les Cimbres ne passassent les monts
et destruisissent Italie. Et certes comme met Lucius Flo-
rus, cestoit fait à iamais des Romains : si neust esté que
Marias le vaillant capitaine estoit de ce temps là.
De la d«ffaite du Roy Teutobochus I« Oeant, aaecques tes Ambrons et
Tigurins, qui demeurèrent auprès d*Âiz en Prouence.
Les romains estonnez dauoir desia perdu trois grands
batailles contre lesdites nations Galliques et Germaniques,
firent Consul pour la quatrième fois, ledit Marins qui na-
gueres auoit vaincu lugurtha, Roy de Numidie, en Afrique,
et iceluy amené prisonnier à Romme en son triomphe.
Quand donques ledit Marins fut venu en Prouence, il nosa
de prime face assaillir noz gens : mais entretint ses gendar-
mes en son camp, bien fortifié : attendant que la terrible
impétuosité de ceux de pardeça fut vn peu rassise. Orose
met que lassiete du camp dudit Marius estoit auprès du
I
330 ILLVSTRATIONS DE 6ÀVLE, ET
lieu où le fleuue de Liseré entre dedens le Rhône : cesta-
sauoir, auprès de Valence en Dauphiné. Les Teutoniques,
Cimbres, Tigurins et Ambrons assaillirent par trois iours
continuelz le fort des Romains, pour cuyder les auoir, ou
attraire aux champs, et donner la bataille : mais quand
lesdits Cimbres et autres virent quilz ne profitoient riens
à lassault, ilz laissèrent en paix lesdits Romains, en les
menassant, et demandant silz vouloient riens mander à
leurs femmes : tant se monstroient ilz asseurez daller pren-
dre Romme. Si se diuiserent en trois bendes délibérez de
ce faire.
Teutobochus, vn Roy Géant, estoit chef de lune des ben-
des, cestasauoir, des Ambrons et des Tigurins, lesquelz cy
dessus ont esté spécifiez. Icelle armée estoit de trois cens
mil hommes ou enuiron : si prindrent leur chemin deuers
Prouence. Mais après leur partement, le consul Marins en
grand diligence, sauança de leur couper chemin, pour leur
défendre le passage des montaignes. Si les vint trouuer en
vne vallée, assez près d'Aix en Prouence : là où lesdits
Ambrons et Tigurins sestoient parquez tout du long dune
riuiere. Si planta Marins son camp sur vn tertre vis à vis
d'eux. Et comme son ost fut en grand nécessité deau et les
gendarmes se plaingnissent à luy, disans, quil laissoit mou-
rir de soif eux et leurs chenaux : il leur respondit : Vêla
la riuiere que les ennemis tiennent : si vous estes hommes,
il la faut gaigner au fer esmoulu, et au trenchant des espees.
Ce mot ne fut pas si tost hors de la bouche du Consul
Marius, que ses gens firent de nécessité vertu. Tout pre-
mièrement les coustilliers (1) et gros varletz à grans cris et
huées, entamèrent la bataille. Puis après les hommes dar-
(1) armëa de la coustille ou coutelas.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE lU. 33f
mes donnèrent dedans en bon ordre. Et fut combatu par
vne merueilleuse ardeur et aspresse : tellement que les Am-
brons et Tigurins furent reboutez et vaincuz pour la pre-
mière fois. Et les Romains gaignerent la iournee, et la
riuiere, là où ilz se refreschirent pour estancher leur grand
soif. Et dit Lucius Florus, que loccision fut si grande, que
les Romains altérez de soif et de chault, buuoient autant
de sang humain comme deaue. Aucuns historiens tiennent
que ledit Marius laissa ses gens auoir soif tout à essient : à
fin que pour recouurer eaue, ilz combatissent plus ar-
damment.
Le quatrième iour après que chacune desdites deux ar-
mées eust reprins son alaine : elles se mirent de rechef en
bataille, lune contre lautre. Et fust combatu depuis le ma-
tin, iusques à mydi presques également, sans sauoir lequel
auoit du meilleur ou du pire. Mais après que le soleil com-
mença à seschauffer, comme met Orose, les corps des Alle-
mans et des Gaulois commencèrent à fondre comme neige.
Et fut faite d'eux vne horrible boucherie, iusques à la
nuict. Et y moururent deux cens mille hommes de ladite
nation des Ambrons et Tigurins, et furent prins quatre
vingts mille. Si en eschappa enuiron trois mille.
Teutobochus leur Roy, lequel comme met Lucius Florus,
auant la bataille estoit si puissant et si dextre, quil souloit
saillir oultre et pardessus quatre ou six cheuaux tout à vne
fois, estoit si aflfoybli des playes quil auoit receiies, que à
peine peult il monter sur vn coursier pour cuider se sauner
à la suitte : mais il fut poursuiuy et ratteint en vn prochain
tertre : et estoit chose merueilleuse de voir sa grandesse.
Car après que son cheual fut tué souz luy, et il se tint
encores debout, en soy deffendant vaillamment, la hauteur
de sa corpulence surpassoit les colomnes qui illec estoient
332 ILLVSTRATIONS DE GAVLK, ET
plantées pour trophées et enseignes de victoire. Parquoy
il faut dire quil estoit de stature de Géant. Finablement il
fut tué par les Romains.
Telle fut la desconfiture des Tigurins et des Ambrons.
Mais de leurs femmes, Orose et saint Hierome racontent
vne chose mémorable : cestasauoir, que après la bataille,
quand elles eurent entendu quelles seroient liurees en ser-
uitude et concubinage aux Romains vainqueurs : trois
cens des plus nobles et apparentes dentre elles vindrent se
présenter deuant le consul Marins : et luy firent requeste,
que sil les vouloit auoir en vie, quil leur fut loisible garder
leur chasteté. Et pour ce faire, que on leur assignast lieu
au seruice des Vierges et-Nonnains sacrées, en aucun tem-
ples de Ceres et de Venus. Laquelle chose comme elles ne
peurent impetrer, ains furent reboutees par les sergens
dudit Consul, la nuict suruenant elles tuèrent leurs petis
enfans : et le lendemain furent tout trouuees mortes et
entretuees, la pluspart tenans lune lautre embrassée.
Comment la bende des deux frères Teatonius et Cloadic, Roy des
Cimbres, entrèrent en Italie à force et maugré les Romains.
/i
La seconde et la tierce bende des Cimbres et Teutons,
Belgiens, Tongrois et Menapiens, après quilz se furent par-
tis, comme dessus est dit, dautour du fleuue du Rhône en
Gaule, ilz ne peurent passer les montaignes quon dit main-
tenant de Sauoye : à cause de ce que le Consul Marins,
après sa victoire des Ambrons et des Tigurins, les auoit
desia occupées. Si furent contraints de faire vn grand tour
et denuironner vn grand païs, en passant par les Helue-
tiens, quon dit maintenant Souyceres, et tirant de là, ius-
SINGVLARITEZ DB TROYE, LIVRE III. 333
ques en Soaue et aux montaignes de Trente, qni séparent
Italie d'Âlleroaigne. Si passa lesdites montaignes la première
desdites deux bendes, par grand force et vertu, nonobstant
Ihyuer et les neiges, et en despit de Quintus Catulus, Pro-
consul des Romains, commis à garder le passage et les
destroits. Et lautre bende demoura pour arrieregarde,
secours et renfort en Allemaigne : cestasauoir, es montai-
gnes de Soaue et de Bauiere. I>
De ladite bende qui entra en Italie, en nombre de denx
cens mille hommes de fait, sans leurs femmes et leurs en-
fans, estoient conducteurs les dessusnommez deux frères
Roy s Teutonius et Cloadic, enfans de Menapius, lesquels
auoient aussi auec eux plusieurs autres Roys et Princes,
tant alliez, comme subietz, dont dessus est faite mention.
Si comme les Roys Bolus, Lucius, Claudius, Boiorix et
Cesorix, et autres assez, dont nous nauons point les noms.
Lesquelz tous ensemble auoient iuré leurs Dieux, de non
sarrester iamais en lieu déterminé iusques à ce quilz eus-
sent destruit Romme : ce quilz ne feirent pas, comme vous
orez, et dont mal leur en print.
Comme donques ilz eussent passé les Alpes à viue force,
et eussent desia rué ius le dessusdit Quintus Catulus Pro-
consul Romain, et abatu vn fort chasteau sur le fleuue
Athesis, (1) qui passe parmy Trente et Vérone : lequel ledit
Catulus nauoit peu garder, ains sonfuyoit deuant eux :
finablement sans autre résistance, ilz passèrent la riuiere
non pas à gué, ce quilz cuiderent faire, mais ilz ne peu-
rent : ny aussi à force de ponts de bateaux, lesquelz ilz ne
sceurent ou ne daignèrent faire, mais à force de gros trônez
darbres, quilz coupèrent et ietterent dedens, tant quilz les
feirent surmonter leau, et ainsi passèrent.
(1) L'Adige.
554 ILLVSTRÂTIONS DE GATLE, ET
Apres auoir passé ladite riuiere d'Athesis, ilz sestendirent
par la plaine de Lombardie et de la terre Veronoise, Pa-
duanne et Vénitienne, dont les Romains eurent merueilleuse
crainte et estonnement autant quilz eurent iadis d'Annibal .
Et si nosdits Cimbres fussent tirez oultre tout dune marche,
comme ilz auoient premièrement délibéré, ilz eussent mis
en grand hazard toute la puissance de Romme : mais pource
quilz trouuerent ledit territoire gras et plein, doux et fer-
tile, et quilz commencèrent à menger du pain et de la chair
cuite et des figues, et autres doux fruitages, dont la région
abonde : et boire du vin à planté ; et aussi saccoustume-
rent destuues et de baings, ce quilz nauoient encores
accoustumé, comme met Lucius Florus : leur force et leur
dureté robuste, et parauant si terrible et si redoutable, se
commença à amollir et anichiler. (1) Et en ce temps pendant
le Consul Marins fut derechef créé Consul alencontre d'eux,
et luy fut baillé pour collatéral Quintus Catulus, lequel
parauant sen estoit fuy deuant lesdits Cimbres, comme
nous auons dit.
De la merueilleuse bataille entre les Romains et les Cimbres : et de
la defifaite desdits Cimbres par la subtilité des Romains : et de la
forte bataille quilz eurent contre les femmes.
Le consvl Caius Marivs, auecques son collatéral Quintus
Catulus, feit marcher son armée iusques auprès de celle des
Teutons et des Cimbres, laquelle chose voyans les Roys
dessusnommez feirent demander par vn héraut audit Con-
(1) L'édition 1512 fait de ce paragraphe une vingtaine de petites
phrases découpées par des points.
SINGTLÂRITEZ DB TROTE. LIVRE UI. 335
sul Marius iour et lieu assigné pour combatre : ce qui leur
fut accordé à certain iour prochain, et en vne grande et
large campaigne, nommée Gandin.
Le iour de la bataille assigné venu, les deux Consulz
Marius et Catulus furent diligents et meirent leurs gens
en ordonnance subtilement de grand heure, pour surpren-
dre les Cimbres, tellement que larmee des Romains fut
plustost approchée à combatre main à main quilz neussent
peu penser quelle eust esté preste. Par ainsi comme gens
de cheual des Cimbres eussent soustenu le premier fais,
ce pendant que les autres se mettoient en ordre, ilz furent
de léger (1) reculez par la foule des Romains et contraints
à rentrer dedens les leurs, lesquelz ilz entretroubloient
et mettoient en desordonnance. Si vserent oultreplus les
Romains dune cautelle et artifice de guerre semblable à
celle dont Annibal vsa vers eux à la bataille de Cannes.
Cestasauoir, de leur sauoir donner la pouldre et le Soleil
au visage : au moyen desquelles choses, vne si terrible mul-
titude de Cimbres fut vaincue et desconfite, sans grand
perte des Romains.
En ceste iournee mourut nostre Roy Teutonius, filz de
Menapius, lun des principaux chefz de larmee des Cimbres,
et le Roy Belus ou Beleus, et le Roy Lucius, et le Roy
Boiorix, tous vaillans Princes : et auec eux le nombre de
sept vingts mille hommes. Il y eut deux autres vertueux
Princes dont on ne scait les noms, comme met Orose : les-
quelz quand ilz veirent la perte de la bataille, coururent
sus lun à lautre et sentretuerent. Le Roy Cloadic, firere
dudit Teutonius, fut prins prisonnier : auec deux autres
Roy s Claudius et Cesorix : et quarante mille de leurs gens.
(1) c.-à-d. rapidement, facilemont.
336 ILLVSTRATIONS DK GAVLE, ET
Le Consul Catolus, combien quil eust premièrement esté
rebouté par lesdits Cimbres à lentree d'Italie, combatit
neantmoins plus heureusement que Marius : car il eut en
sa part trente et vne enseignes des Cimbres et des Teuto-
niques, là où. Marius nen eut que deux. Et fut ceste des-
confiture, lan deuant lincarnation nostre Seigneur quatre
vingts quatorze.
De la cruelle et noble mort des femmes des Cimbres : et de la tierce
bende dont depuis yssirent les Goths, qui bien se vengèrent des
Romains : et diceux Goths extraits des Cimbres, descendirent les
anciens Roys de Bourgongne et d'Espaigne.
Apres la desconfiture des hommes, les Romains, eurent
presques autant à faire à vaincre les femmes : car pour
deffendre leur honneur et chasteté, elles sestoient fortifiées
entre leurs chariots et bagages : comme dedens fortes tours
ou chasteaux, et dillec combatoient de lances, de dards et
despees, par vne merueilleuse hardiesse et obstination de
courage, tellement que par longue espace on ne pouuoit
entamer sur elles : mais quand il aduenoit que aucunes
desdites femmes en combatant tomboient es mains diceux
Romains, ilz les faisoient mourir de plajes cruelles et des-
honnestes, en la présence des autres, pour leur donner
crainte et frayeur : mesmemènt ilz leur coupoient le test (1)
de la teste, auec les cheueux : de laquelle nouuelle et exé-
crable manière de mort, lesdites femmes espouuentees ,
enuoyerent premièrement au Consul Marius, vne ambas-
sade comme auoient fait les autres dessusdites, pour impe-
(I) c.-à-d. le haut du crâne. Cf. testa «s vertex ap. Ducange.
SmCYLARlTEZ DE TRÔTE. tIVBE III. ^57
trer liberté, et quelles poussent seruir les Dieux et les
Déesses en aucuns temples comme religieuses. Laquelle
chose comme elles ne peurent impetrer, elles estranglerent
premièrement et ietterent contre terre leurs enfans, et puis
tournèrent contre elles mesmes les armes quelles auoient
prinses contre les Romains : tellement que les aucunes
sentretuoient de coups de lances, de haches' ou despees :
les autres prenoient lune lautre par la gorge, et sestran-
gloient par merueilleuse fureur et desesperation. Et telles
en y eut qui nouèrent des cordes par lun des bouts aux
iambes derrière de leurs cheuaux, et de lautre bout à leurs
mesmes gorges : puis en aguillonnant leurs cheuaux, se
faisoient trainer par iceux iusques au mourir. Les autres
se pendirent aux arbres prochains, aux timons de leurs
chariotz, voire à tout leurs cheueux mesmes par faute de
cordes. Si en fut trouué vne pendant à vn arbre, ayant à
chacun de ses piedz vn de ses enfans penduz.
La tierce bende, laquelle comme nous auons dit cy do-
uant, estoit demouree sur les frontières de Soaue et de
Bauiere, pour donner secours à ceux cy : quand ilz enten-
dirent la desconfiture de leurs compaignons, neurent garde
dentrer en Italie, voyans la fortune contre eux, ains sen
allèrent par Allemaigne et Hongrie chercher autre habi-
tation : iusques aux paluz Meotides, deuers Tartarie : ïâ
oîi ilz sarresterent, et y demourerent long temps. Si déuin-
drent vn grand peuple : et disent aucunes Histoires, mes-
mement Raphaël de Volaterre en son premier liure des
Commentaires vrbains (1) : Que de ceux mesmes yssirent les
(1) Raphaël Maffei, surnomme Volaterranus, né à Yolterra en
1452, mort en 1522. Le plus connu de tous ses ouvrages est intitulé :
Cotnmentariirerum «rbanarutn libri XXXVI II, espèce d'encyclopédie.
II. 23
338 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Goths, Vesegoths et Ostrogoths : qui depuis se vengèrent
^es Romains à grand oultrance : et se respandirent par
toutes les Italies, Gaules et Espaignes. Et de ceux sont
yssuz les Rojs de Bourgongne et d'Espaigne, comme nous
dirons cy après en son lieu.
Le consul Caius Marius auec son collatéral Quintus
Lucanus Catulus, après leur victoire, eurent leur entrée
triomphale à Romme et menèrent auec eux les Roys Cloa-
dic, Claudius et Cesorix, prisonniers. Et pour la mémoire
de ladite victoire, et à fin de remercier les Dieux, le Sénat
fit faire vn temple dœuure merueilleuse, lequel iusques
auiourdhuy sappelle le temple Cimbrique : et est situé
auprès de sainte Marie maiour. Ainsi demoura Cloadie
prisonnier à Romme.
Comment après la deffaite de Teutonius et Cloadie, Roys des Cimbres,
Léon le quart, leur frère fut occis par les Saxons. Et son frère, et
successeur Godefroy surnommé Karle, chassa daupres de luy son
filz nommé Charles Ynach.
La desconfitvre des Cimbres en Italie, comme il est assez
vray semblable, causa en noz païs de par deçà vn grand trou-
ble. Et fut ce quartier bien estonné, (1) dauoir perdu vne
si grand force de gens : attendu que tous les ieunes et forts
hommes y estoient allez. A cause de quoy, Léon le quart,
Roy des Belgiens, des Cimbres et des Tongrois, auec son
frère Godefroy, furent bien esbahis, et menèrent grand
dueil de la mort de leur frère Teutonius : et de la captiuité
de leur autre frère Cloadie, détenu à Romme, et sur ces
(1) c.-à-d. consterné.
SIMGTLAHITBZ DB TROTE. LIVRB III. 339
entrefaites, comme il aduient coastumierement que dune
mauaaise fortune sensuiuent plusieurs autres, Âusonarix,
Roy de Saxone, ayant quelque ancienne querele alencontre
des Belgiens et Tongrois, descendit d'AUemaigne auec un
grand exercite de Saxons, Vuandelz, Huns, Istriens et
Austrichois, et combatit en la campaigne contre le Roy
Léon le quart, et Godefroy son frère. Si fut ledit Roy Léon
tué en la bataille, et Godefroy se sauua à la fuite. Par-
quoy ledit Ausonarix Roy de Saxone demeura vainqueur.
Dont après tant dinfortunes, ledit Godefroy, seul et der-
nier des quatre frères, fut Roy de Tongres, mais trop
affoibly. Si se retira en son chasteau de Megue (1) sur la
riuiere de Meuse, et vescut illec assez tristement et soli-
tairement. Et pource quil se tenoit ainsi estrange et me-
lencolique, sans communiquer auecques les gens, il fut sur-
nommé Karle, qui signifie en langage Teutonique ou Thiois,
rude, robuste ou rustique : toutesfois il paya la rançon
de son frère Cloadic, estant prisonnier à Romme : lequel
Cloadic neantmoins ne fut pas deliuré à plein, mais de-
meura comme ostager et pour seureté à Romme.
Iceluy Godefroy surnommé Karle, eut vn filz nommé
Charles Ynach, lequel son père chassa et bannit de sa pré-
sence et de son Royaume, pource quil auoit vsé de force
enuers vne fille : tellement que ledit Charles Ynach, con-
traint de partir des païs de pardeça, se retira vers son
oncle Cloadic, ostager à Romme, duquel il fut honnorable-
ment receu. Si le logea et colloqua auec vn noble Sénateur
nommé Gneus Octauius, pour voir et aprendre du bien et
de Ihonneur Romain. En ce mesme temps, cestasauoir
(1) Metgue (éd. 1528), peut-être Megen, près de Njmègue, ou plu-
tôt Nymôgue même (▼. plus bas).
340 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
enuiron septantedeux ans deuant lincarnation de nostre
Seigneur, Mithridates, Roy de Ponte, faisoit la guerre aux
Romains, es parties d'Orient et de Grèce, laquelle dura
bien quarante ans, selon les histoires, et fut souuent renou-
uellee.
Pour lors, cestasauoir enuiron aucun temps de ladite
guerre, estoit en la prouince de Péloponnèse, qui est vne
partie de Grèce, quon dit maintenant la Moree, contenant
les païs d'Arcadie et d'Achaie, estably pour Duc, Proconsul
et Président, vn Prince Romain, nommé Lucius Iulius, qui
fut père de Caius Iulius César, Dictateur perpétuel, et qui
premier instaura la monarchie de Lempire, et dont tous
les autres ses successeurs depuis ont esté nommez Empe-
reurs et Césars. Ledit Lucius Iulius, donques selon le de-
uoir de sa charge, feit tantost assauoir au Sénat et peuple
de Romme, les nouuelles entreprises dudit Roy Mithri-
dates, à fin dy pouruoir.
Comment Charles Ynach milita pour les Romains, en la guerre du
Roy Mithridates, et amena pardeça vne des sœurs de Iulius César :
et de limposition du nom de Yalenciennes.
Povr fournir donc à la guerre dessusdite, furent mis sus
nouueaux gensdarmes à Romme, auec lesquelz alla Charles
Ynach exillé et banny des païs de pardeça par son père
Godefroy Karle, comme dessus est dit. Et milita en icelle
guerre, souz lenseigne de Lucius Iulius dessusnommé, pro-
consul d'Arcadie et d'Achaie. Et en ces entrefaites mesmes,
et pour loccasion de ladite guerre du Roy Mithridates,
sourdit à Romme la grand discorde ciuile entre SyUa et
Marius : dont Sylla, qui demeura vainqueur, feit vne mer-
SMGVLARITEZ DE TftOYB. LitEE 111. 341
tiëilleuse occision et prôscrij^tion de ceux qui auoient tenk
le party de Marius, son ennemy. A cause dequoy plusieurs
citoyens Romains abandonnoient leurs biens et leurs mai-
sons et senfuy oient, pour fuyr la cruauté énorme de Sylla.
Entre ceux qui laissèrent Romme, pour euiter ladite
tyrannie, fut le dessusnommé Octauius Sénateur, en la
maison duquel Charles Ynach auoit premièrement esté logé
et à luy recommandé par son oncle Cloadic, comme nous
auons dit cy dessus. Lequel Octauius se retira en Arcadie,
vers ledit Lucius Iulius Proconsul, là où il trouua Charles
Ynach, son hoste. Si se tint illeçques auec luy, iusques à la
mort de Sylla, et ce pendant mourut le Roy Cloadic, estant
ostager à Romme.
Or auoit ledit Lucius Iulius, proconsul d' Arcadie, deux
filles, lune nommée Iulia et lautre Germaine. Iulia estoit
de la mesme mère dudit Iulius César : lautre il lauoit eiie
dune noble dame dudit païs d' Arcadie. Quand donques
après la mort dudit tyrant Sylla, iceluy Octauius voulut
retourner à Romme, il désira prendre alliance et affinité
auec ledit Lucius Iulius. Laquelle chose luy fut de léger
ottroyee, pource quil estoit fort noble et preudhomme. Si
furent faites les noces solennelles, et puis Octauius monta
sur mer et partit d' Arcadie auec sa femme. Et Iulius César,
son beau frère, pour lors ieune adolescent, fut député
pour les accompaigner.
Lautre fille dudit Lucius Iulius proconsul, nommée Ger-
maine, tresbelle damoiselle, demoura auecques sa mère en
Arcadie. De laquelle deuint amoureux Charles Ynach ,
estant cheualier de son père. Et pour la priuauté quil
auoit leans, feit tant secrètement quil la pria damours et
la rendit enceinte. Mais craingnant que la chose vint à
lumière, et que tous deux en eussent à soufirir, après quil
542 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
luy eust conté comment il estoit filz de Roy, mais exillé de
son pais par le maltalent de son père, et que neantmoins
esperoit de retourner en sa grâce, ilz sentrepromeirent
mariage : et elle fut contente dabandonner ses parens et
son pais, et sen venir auec son amy Charles Ynach, es
pais de pardeça. Si troussèrent les meilleurs de leurs
bagues, auec ce quilz peurent de trésor, et sembarquerent
celeement par vne belle nuict, et sen vindrent en Italie, du
costé de Venise là où ilz prindrent terrre.
En après délibérant comme dessus est dit, Charles Ynach
de retourner pardeça, et de trouuer quelque moyen de
rentrer en la grâce de son père : ilz montèrent à cheual,
luy, sa femme et son train, le plus desguisément et cou-
uertement quilz peurent, de peur destre congnuz. Si dres-
sèrent leur chemin, premièrement à Milan, et dillec par les
AUobroges quon dit maintenant Sauoyens et Bourguignons,
et par le pais de Gaule, qui maintenant sappelle France,
et firent tant par leurs iournees, quilz arriuerent à Cam-
bray.
De Cambray ilz tirèrent oultre, et vindrent iusques à
vne place, qui pour lors se nommoit le chasteau de Sesnes,
là où ilz se refreschirent et reposèrent en la belle vallée,
sur vne plaisante riuiere, en laquelle nageoient plusieurs
cygnes. Alors lun des varletz, lequel estoit archer, benda
son arc, et tira vne flesche après lun desdits cygnes. Mais
loisel euita le coup, et en volant tout effroyé, se vint ren-
dre au gyron de la belle Germaine, dont elle fut ioyeuse,
pour la nouueauté du cas, et en prenant bonne signifi-
cation diceluy, pource que au temps passé le cygne estoit
dédié à la déesse Venus de laquelle elle estoit descendue de
par Eneas, filz d'Anchises de Troye. Si demanda à Charles
Ynach, son mary, comment tel oisel auoitnom au langage
SIMGVLARITBZ OB TROTE. LIVRE lU. 343
de son païs : et il respondit, quon le nommoit Sauane, en
langue Thioise. Lors dit elle quelle vouloit désormais estre
ainsi appellee, et non plus Germaine, de peur quelle ne
fust quelque fois recongnue à cause dudit nom. Si fut
obtempéré à son plaisir et à cause de la multitude des
cygnes, ledit lieu fut deslors appelle Val des Cygnes, et est
maintenant le lieu où est située la ville de Vallenciennes,
sur la riuiere Descault, et elle feit emporter auec elle ledit
Cygne, et le nourrit et garda songneusement.
Comment Charles premier de ce nom en ceste généalogie, surnommé
Ynach, régna à Tongres après la mort de son père Godefroy Karle,
et fut occis en bataille par Iulius César, son beau frère. Et est
aussi désigné le tenement de Ambiorix, Roy des Ebarons.
Dvdit lieu, quon dit maintenant Vallenciennes, Charles
Ynach et sa femme Suuane , qui plus ne voulut estre
appellee Germaine, tirèrent iusques au chasteau de Froid-
mont, quon dit Cauberghe, (1) en langage Thiois, près de
Bruxelles. Là endroit fut aduerti Charles Ynach, de la
mort de son père Godefroy Karle, Roy de Tongres. Si tira
oultre auec sa femme et son train, et alla au grand temple
de Mars et de Pluton, estant à Louuain, là où il rendit
grâces aux Dieux, de sa pérégrination et exil acheuez, et
leur feit sacrifice solennel. Et dillec alla prendre possession
de sa cité de Tongres, en laquelle il fut receu à grand ioye
et triomphe par ses subiets, comme leur Prince et vray
héritier de son père. Si régna illec paisiblement aucun
temps, et eut de sa femme Suuane, deux enfans, cestasa-
(1) C'est le quartier de Bruxelles appelé CautUnberff ,
544 ILLVSTRATIONS DiE GÀVLE, ET
^r,; vn filz ]pommé Octauius, et vne fille appellee Suuane.
Aucun temps après Ariouistus, Roy des Allemans Saxons,
eut aspre et mortelle guerre contre Iulius César et les
Romains, à cause de celle partie de Gaule, quon disoit
alors le pais des Sequanois, cest maintenant la franche
Conté de Bourgongne. Et pource que Charles Ynach crain-
gnoit que ledit lulles César ne marchast plus auant en
Gaule, il se ioingnit et feit alliance, comme plusieurs
autres, auec ledit Ariouistus Roy des Saxons, et alla à
toute sa puissance en personne, contre les Romains. Mais
en vne grosse bataille quilz eurent auprès de Bezenson, du
costé de la conté de Ferrete, Ariouistus fut vaincu et
Charles Ynach tué. Si demeura la poure Royne Suuane sa
femme vefue, esperdue et bien désolée, auec ses deux
ieunes enfans, atout lesquelz elle sen alla musser au chas-
teau de Megue, sur la riuiere de Meuse, craingnant que
son frère Iulius César, lequel entroit tous les iours plus
auant en païs, nouyst quelque nouuelle délie. Par ainsi
elle laissa le gouuernement de la terre de Tongres à
Ambiorix, Roy des Eburons, son allié. Si feit emporter auec
elle son cygne, dessus mentioné, et le mit es fossez du
chasteau de Megue, et passoit son temps à le nourrir et
paistre de sa propre main, en souuenance de son feu mary
le Roy Charles Ynach, et aussi de la haute extraction de
la déesse Venus, et du sang de Troye dont elle estoit yssue,
comme dessus est dit à cause de la maison de lulles.
Ambiorix, Roy des Eburons, est souuentesfois mentionné
es Commentaires de lulles César. Et par ce que ientens des
bons acteurs, ledit Ambiorix, tant comme Roy des Ebu-
rons, comme régent de Tongres, dominoit sur tout ce que
contient maintenant leuesché du Liège et le païs qui siet
entre Rhin et Meuse. Pour toutes lesquelles terres on peult
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE Ul. 345
entendre par coniecture , que leurs limites sestendoient
autant que contiennent maintenant lesDuchez de Lembourg,
de Lothric et de luliers, auec la eité et les appartenances
d'Aix la chapelle et quelque portion de la conté de Namur.
Si feit ledit Ambiorix grand diligence de nuire aux Ro-
mains : et de fait les deffit au fort de Vatucca, que aucuns
disent estre Bosleduc et les autres luliers. Et combien
quil fust parauant tributaire des Aduatiques, lesquelz es-
toient de la lignée des Cimbres, qui furent desconfltz en
Italie, comme dessus est dit, et lesquelz Aduatiques on dit
maintenant estre les Brabansons, neantmoins il fut depuis
leur chef. Si ioingnit auec luy les Belgiens et Neruiens, qui
sont maintenant les Haynnuiers et Tournisiens, desquelz
leur Roy nommé Andromadas estoit mort en bataille. Et
auoit ledit Ambiorix le nombre de soixante mille hommes.
Si feit beaucoup darmes, et assiégea Quintus Cicero, lieute-
nant de Iulius César, en sa garnison estant au pais des
Neruiens. Et fut beaucoup assisté des Menapiens, lesquelz
iay dit icy dessus estre ceux de la duché de luliers. Mais
en fin, la fortune et la force demeura à luUes César et aux
Romains, comme il est cler par les histoires.
De la tresnoble et tresantique généalogie des Brabons, et de lear bla-
son qui fut tel, que le porte auiourdhuj la maison d'Austricbe et
de Lothric.
Ivlivs César, ainsi prospérant en Gaule Belgique, auoit
entre ses gensdarmes, vn cheualier et principal porteur
denseigne, nommé Saluius Brabon, extrait de lancienne
lignée de Francus, filz d'Hector de Troye. Et pour mieux
entendre ceste généalogie, il faut vn petit repeter ce que
546 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
au Commencement de ceste œuure en est mis. Cestasauoir,
que Sicamber, filz d'Hector de Troye, duquel porta iadis le
nom la cité de Sicambre, qui maintenant sappelle Bude en
Hongrie, eut vn filz nommé Priam deuxième de ce nom,
qui régna après luy. Ledit Priam engendra Hector second
de ce nom. leeluy Hector eut trois en fans, cestasauoir,
Troïus, Polydamas et Brabon lancien. Brabon lancien eut
deux enfans, dont laisné fut nommé Priam, qui régna après
luy, et lautre fut dit Brabon du nom paternel : lequel
print à femme, vne dame d'Arcadie, prouince de Grèce, cy
dessus spécifiée. Iceluy Brabon le ieune, pour iamour de sa
femme, fut content dabandonner son pais de Pannonie et
aller habiter en Arcadie, là où ses successeurs se tindrent
iusques à la vingtième génération, de laquelle fut Saluius
Brabon, cheualier de lulles César, dont nostre propos est
mis en termes. Lequel Saluius Brabon, ayant première-
ment seruy en guerre le père de lulles César, contre le Roy
Mithridates de Ponte, sestoit depuis retiré souz lenseigne
de lulles César, suiuant le noble mestier des armes, esquel-
les il estoit fort exercité vaillant homme et féal, portant en
son escu, vne faste (1) dargent en champ de gueuUes. Lequel
blason portent de toute ancienneté, les Roy s d'Austrasie,
ou d'Austriche la basse, quon dit mantenant la Duché de
Lothric. Et tel le porte auiourdhuy la maison d'Austriche.
(1) pour/eue^, terme de blason.
SIMGVLARITEZ D£ TROTE. LIVRE 111. 347
Comment laRoyne Germaine, aurnomm^e Suuane, vefue du Rojr Char-
les loach, fut recongnne par luUus César son frère, an moyen dudit
Cheualier Saluius Brabon : et de la vraye histoire do Cjgne de
Cleuea.
Lhistoire dit, que ainsi comme vn iour entre les autres,
lulles César, à peu de train et priuee maisnie se fust retiré
au chasteau de Cleues, pour illec se reposer et refreschir vn
petit de ses grans trauaux de la guerre, ledit cheualier Sal-
uius Brabon, estant lun de ceux de sa compaignie, passoit le
temps autour dudit chasteau, à tout vn arc et vne trousse
de flesches, pensant en soy mesmes à* vn songe quil auoit
eu de nuict, par manière de vision. Et en recordant beau-
coup de ses fortunes passées, prioit de bon cœur à ses Dieux,
que quelquefois (1) ilz luy donnassent repos de la guerre, en
laquelle il auoit esté nourry toute sa vie, en quelque re-
compense et félicité honneste de ses trauaux passez.
'' En cepensement, tournoyant ledit Saluius Brabon, il ne
se donna garde, quil se trouua sur la riue du Rhin, qui
nest pas loing dudit chasteau de Cleues, là où il veit vn
Cygne blanc comme neige, qui se iouoit et mordoit de son
bec vne petite naisselle estant sur le bort du riuage, de
laquelle chose Saluius Brabon print grand plaisir et mer-
ueilles tout ensemble. Si se ailla aduiser de son songe et
pensa, quen cecy pouuoit auoir quelque bonne signifiance
de nouuelUe auenture : car le Cygne est vn oyseau de noble
nature et bien aymé des Dieux. Parquoy il entra dedens
le petit vaisseau, et le Cygne seslongna vn petit en auant
tout priuément sans soy assauuagir, comme par semblant
(1) c.-à-d. qu'un jour.
348 ILLTSTRATIOMS DE GAYLE, ET
de luy vouloir monstrer le chemin. Et le cheualier délibéra
de le suiure, en se recommandant aux Dieux.
Par ainsi, quand il se fut empaint (1) dedens le Rhin, il
suiuoit le Cygne son conducteur, lequel le menoit tout paci-
fiquement par le cours du fleuue. Et le cheualier regardant
tousiours et de toutes pars, sil verroit ou trouueroit quelque
chose faisant à son propos, erra tant et si longuement, que
le Cygne recongnut le chasteau de Megue, auquel estoit sa
maistresse, la Royne Germaine surnomme Suuane, iadis
femme du Roy Charles Ynach, laquelle viuoit illec assez
petitement et solitairement, en nourrissant ses ieunes en-
fans, comme vne poure vefue estrangere. Quand donques
le Cygne veit son repaire accoustumé, il commença à batre
les esles et sesleuer hors de leaue, et sen vola celle part,
iusques aux fossez du chasteau, là où il auoit accoustumé
prendre sa nourriture, de la main de sa dame. (2)
Quand Saluius Brabon se veit abandonné de son Cygne,
il cuida bien estre moqué et frustré de son aduision, attendu
quil nauoit encores trouué auenture digne de mémoire. Si
fut despit et dolent à merueilles, et mit sa nasselle à bort
et saillit en terre, ayant son arc bendé et délibérant de
tuer le Cygne sil le pouuoit aucunement ratteindre, dont
en le poursuiuant à veiie de païs, quand il leut apperceu
dedens lesdits fossez du chasteau de Megue, il mit sa flesche
en coche et commença à effonser lare pour tirer, alors la
dame suruenant à la fenestre pour festoyer son Cygne,
(1) c.-à-d. boute, poussé, cf. impingere et empeindre.
(2) C'est la légende ou plutôt le mythe solaire du Chevalier au
Cygne, Schmànnritter, qui a été rattaché au Cycle des Croisades.
{Germania, I, art. W. Miiller.) — Michel de Castelnau (Mémoires
t. II, p. 511) attribue à J. Le Maire un roman du Chevalier de (sic)
Cygne., « composé en faveur de la maison de Clèves. »
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 549
quand elle veit ceste homme incongna, prest à desbender
sur son oyseau, elle sescria à haute voix féminine et par
grand frayeur, en langage Grec qui luy vint premier en la
bouche par naturel instinct : « Cheualier, quel que tu soyes,
par tous les Dieux ie tadiure que ne vueilles tuer mon
Cygne. »
A ces mots Saluius Brabon quand il se ouyt ainsi arrai-
sonner en son langage Grec naturel, mesmement par vne
femme et en si estrange et loingtain pais, fut plus esbahi
que iamais : et ne sauoit penser si cestoit fantôme ou resuerie.
Neantmoins il abaissa sa main et osta la flesche de la corde.
Puis demanda à la dame en Grec, qui elle estoit et quelle
faisoit en ce pais si diuers (1) et saunage. Et lors elle dautre
part se voyant estre arraisonnée en son langage maternel,
fut plus estonnee que luy, et luy pria quil entrast en son
chasteau, et ilz deuiseroient plus à plein, ce quil feit vou-
lentiers, pensant que parauenture il auroit trouué leffect
de son songe nocturne.
Quand il fut dedens, elle larraisonna de plusieurs cho-
ses, et sceut par luy comment luUes César estoit au chas-
teau de Cleues. Alors entendant que le Cheualier estoit
natif de son pais d'Arcadie, elle fut bien réconfortée. Et
print serment et fiance de luy quil layderoit en son affaire,
comme vray cheualier et noble homme doit faire aux vefues
et aux orphenins. Ce quil luy promit et asseura sur son
honneur. Alors elle commença à luy declairer tout au long
comment elle estoit sœur germaine de son seigneur Iulius
César. Et en grand pleur et pitié femenine luy conta toutes
ses fortunes, et la mort de son mary, le Roy Charles
Ynach, et luy monstra les deux beaux enfans, filz et fille,
(1) c.-à-d. dur.
350 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
quelle auoit eu (1) de luy : en luy priant doucement quil se
voulsist employer à faire la paix de son offense enuers son-
dit seigneur. Et à fin quil la recongnust par certaines en-
seignes, luy bailla à porter audit Iulius César, son frère,
vne image ou simulacre de lupiter, faite de fin or massif
et garnie de riches pierres précieuses : laquelle image son-
dit frère luy auoit autresfois baillée en garde. Par ainsi le
cheualier après auoir esté bien festoyé de telz biens que
auoit la Dame, sen partit ioyeux, et se tint pour bienheu-
reux, dauoir trouué si tresbonne fortune et telles nouuel-
les, dont son seigneur luy sauroit bon gré. Et promit à la
Dame que bien tost auroit nouuelles de son retour.
Par ainsi le noble cheualier Saluius Braboii (2) estre
retourné au chasteau de Cleues, vers son seigneur, le salua
treshumblement de par sa poure sœur germaine : et luy
feit présent de la riche image dor : laquelle César recongnut
de primeface. Si demanda à Saluius où il lauoit recouuree,
car il sen esbahissoit bien fort. Alors le cheualier luy conta
toute la vie et les fortunes de sa sœur germaine, et luy
requist pardon pour elle. Si print à Tulles César grand
pitié de sa sœur, car il estoit de sa nature clément et dé-
bonnaire : et ne luy pardonna pas seulement, mais dauan-
tage fut bien desplaisant de la mort de son beau frère le
Roy Charles Ynach, combien quil eust esté son ennemy. Si
coniouist (3) assez le cheualier et luy promit pour ses bonnes
nouuelles, ce quil luy sauroit (4) demander. Et par désir da-
mour fraternelle, voulut incontinent aller voir sa sœur et
ses neueux, au chasteau de Megue. Auquel lieu Saluius
Brabon le guida par grand liesse.
(1) eut (éd. 1513).
(2) Cette suppression de après se rencontre encore dans Rabelais.
(3) c.-â-d. fit fête. — (4) c.-à-d. pourrait.
SINGVLARITEZ DE TROTB. UTRB III. 351
De la première institutioa de 1a duché de Brabant donnée en douaire
par lulles César, à sa nièce, fille de Charles Yaach : et du Royaume
de Coulongae donné à Octauien Germain, duquel la nation Germa-
nique porte le nom : auec epilogation de la hante noblesse dadit
sang en ceste généalogie.
Avx premières entreveiies du frère et de la sœnr, de
loncle et des neueu et nièce, mesmement de si haute no-
blesse et fortune si estrange et si nouuelle, il est facile à
coniecturer quelle ioye et quelle pitié , quel amour et
quelle reuerence il y eut dune part et dautre. Dont pour
faire le conte sommaire Saluius Brabon, selon lottroy du
don que César luy auoit promis, luy demanda en mariage
sa nièce Suuane la ieune Damoiselle, ce quil obtint sans
diflficulté. Et furent célébrées les noces en grand pompe et
solennité au temple des Dieux Mars et Pluton à Louuain,
selon lancienne coustume, en la présence de César, lequel
offrit plusieurs grans dons audit temple : et donna à sa
nièce pour douaire en tiltre de Duché toute la terre, de-
puis la mer Ruthenique, cestadire de Noruueghe, iusques
aux dernières limites des Neruiens, qui sont maintenant les
Haynnuiers et Tornisiens, (1) en comprenant les bois de
Soigne et la riuiere Descault, iusques au ruisseau qui se
nomme lacea, (2) dont les Barons feirent hommage audit
Saluius Brabon, leur premier Duc, comme à leur Prince. Et
deslors ladite contrée fut appellee Brabant.
Et oultre ce, César donna à son neueu Octauien, filz de
sa propre sœur Suuane Germaine et de Charles Yuach, la
(1) Tmmisùiu {éd. 1513).
(2) La Gette.
352 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Royaume d'Agrippine quon dit maintenant Coulongne sur
le Rhin. Souz le tiltre duquel estoit contenue toute la terre
depuis Velue, (1) iusques à Eyffle (2) et Moselle, et iusques
aux limites de Treues et à la riuiere de Meuse, et aux confins
où la Sambre entre dedens Meuse, auec toute la terre, qui
git entre Meuse et lace : laquelle il voulut estre des appar-
tenances de Tongres, et que désormais elle fust appellee
Germanie, du nom de sa sœur, quil auoit retrouuee. Aussi
ordonna que son neueu Octauien fust surnommé Germain :
et de là procède le nom des Germains AUemans. Si furent
faites ces choses, lan deuant la natiuité nostre Seigneur
cinquante et vn.
Il appert icy clerement par les choses dessus narrées,
combien grande noblesse de sang fut meslee et redoublée
pour lors en ceste généalogie. Premièrement de Charles
Ynach, yssu des Belgiens et des Cimbres, auec sa femme,
nommée Germaine, sœur de lulles César, premier Empe-
reur des Romains. Et en après de Saluius Brabon, extrait
de Sicamber, filz de Francus, auec Suuane, la ieune fille
desdits Charles Ynach et Germaine. Parquoy les Princes
descendus de ladite propagation, se peuuent bien vanter
destre les plus nobles du monde. Et encores apperra il
mieux par la déduction finale de ce premier liure. (3)
-" (1) c.-à-d. la Velwvt, plaine aride qui s'étend d'Amhem jusqu'au
Zuiderzée.
(2) L'Eifel.
(3) ou plutôt traité.
SINGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE UI.
Daucunes fondations de villea faites par deçà par !ciliua César, du
Géant d'Anuers, et du Dieu Priapus qui y estoit adoré : de la dona-
tion de la marche Romaine, et de la mort de Saluiua, premier Duc
de Br^baut.
Il II m ■('. (
Apres ces choses faites, César ediâa à Louuain vn temple
aux Dieux Mars et Pluton, plus ample et plus magnifique
que iaraais nauoit esté, et aussi feit faire vn fort chasteaa
sur la montaigne, de lautre part de la riuiere de Dile. (1) Et
en ce mesmes temps regnoit vn merueilleux Géant nommé
Druon, de la hauteur de quinze coudées, plein d'horrible
et cruelle tyrannie, lequel se tenoit sur le riuage de Les-
cault, en vn fort chasteau, situé en vn marestz. Et con-
traingnoit ledit Géant tous les passans, sur ladite riuiere,
de laisser la iuste moytié de tous leurs biens et marchan-
dises quilz menoient par ladite riuiere. Et sil y auoit aucune
faute, le tout estoit confisqué et auoit le marchant ou le
voiturier vne main coupée : et pource sappelloit ce lieu
Hantuuerp, (2) cestadire, laisse main, maintenant nous le
nommons Anuers .
Ce Géant criminel, fut corabatu et rué ius par vn des
cheualiers de César, nommé Grauius. Ceux de la ville
d'Anuers monstrent encores iusques auiourdhuy en la mai-
son de leur ville, aucuns os dudit Géant, qui sont de mer-
ueilleuse grosseur et grandeur comme iay veu, et encores
(1) C'est le prétendu Château-César de Louvain, bâti, dit-on, par
l'empereur Arnould en 894.
(2) La véritable étyraologie, c'est aan H foerp = à la jetée. Cf.
Mertens et Torfs, Geschiedenis van Antnerpen{y&n Dieren 1845, I,
1). Le moyen-âge prenait les calembours au sérieux.
II. i3
354 ''ILIVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pour attestation de lancienneté de ladite ville d'Anuers, ilz
disent que le Pieu Priapus estoit iadis adoré en icelle, et
monstrent sa représentation en vne vieille porte près du
marché au poisson. Et de là vient par ancienne coustume,
que les femmes dudit païs, en toutes acclamations soudaines
appellent Tyers, cestadire Priapus en langue Thioise. Mais
pour reuenir à nostre propos, le cheualier Grauius, qui tua
ledit Géant d'Anuers, se maria à la fille dun noble Duc dudit
païs : de laquelle il eut vn filz aussi nommé Grauius, le-
quel fonda depuis la ville de Graue, sur la riuiere de
Meuse. Et dautrepart, Caius Iulius César fonda sur le mont
Blandin vne ville nommée Gaia de son nom, laquelle se dit
maintenant Gand, et édifia à Torhout vne forte tour : et
donna ledit César à vn sien cheualier nommé Caius Fabius,
ladite ville de Gand et Anuers et tous autres chasteaux
situez sur le fleuue Descault, tant dune part que dautre.
Lesquelles ledit Fabius promit feablement tenir, pour la
marche des Romains.
César ayant subiugué toute Gaule, délibéra de sen
retourner à Romme, à main forte, contre Pompée, son
ennemy, et ceux de sa bende. Et pour ce faire, print auec
luy des Princes de Gaule, les plus vertueux et les plus
féaux. Si laccompaignerent en cest affaire, Octauien Ger-
main, Roy des Agrippins, son neueu, et Saluius Brabon, son
beau neueu, Duc de Tongres et de Brabant, lequel demoura
tant à Romme, quil y fut tué traytreusement par Brutus
et Cassius, qui aussi tuèrent ledit César. Et mourut ledit
Saluius lan sixième, depuis quil fut fait Duc : qui fut
deuant lincarnation nostre Seigneur, xlvi. Si laissa vn
filz nommé Charles Brabon, dont nous parlerons tantost.
SraGTLARITEZ DE TROTS. LITRE III. 355
Du règne et des gestes d*Octauien Germain, Roy des Agrippins on de
Coulongne, filz de Charles Ynach.
Octavien, Roy d'Agrippiae, quon dit maintenant Cou-
longne, après auoir demouré aucun temps auec son oncle
César et obtenu plusieurs priuileges , cestasauoir toute
iurisdiction sur les fleuues du Rhin, de Meuse et de Les-
cault : et aussi lautorité de pouuoir forger monnoye dor
et dargent, ensemble de porter le blason de Lempire, cest-
asauoir, laigle à vne teste seulement, il sen retourna en
son pais et repara la cité de Tongres, et la nomma de
son nom Octauia, aussi remit il sus la cité de Treues : et
establit, que les Belgiens receussent et gardassent deslors
en auant, les loix, coustumes et cerimonies des Romains
et vsassent du langage Romain, par spécial aux iugemens
publiques : et que nul ne fust si hardy, sur peine de la
teste, de parler lun à lautre en langue Belgienne, aumoins
des matières qui touchoient les affaires de la chose publique.
Ledit Roy Octauien, surnommé Germain, régna long
temps, cestasauoir iusques au vingtseptieme an de Lempire
de son cousin germain lempereur Octauien Auguste, au-
quel an il mourut. Et celle mesme année, la glorieuse
vierge Marie nasquit, cestasauoir, quinze ans auant la
natiuité de nostre Seigneur iesvs christ. Apres la mort
duquel Roy Octauien Germain, la puissance des Belgiens
et de Treues rebella aux Romains : et aussi feirent les
citez de Metz et de Toul. Et en ce mesme temps yn noble
homme nommé Hoys, fonda la cité de Huy sur Meuse, près
de Dynant. Apres luy par faute dhoirs de son corps, suc-
céda Charles Brabon son neueu.
3o6 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Charles second de ce nom, en ceste généalogie, surnommé Bra-
bon, Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe, et Roy de Cou-
longne, et daucuns autres ses successeurs, iusques à Charles le
Bal. Et de la fondation de plusieurs villes et citez en ce quartier.
Charles Brabon, Duc de Tongres et de Brabant, tint
les terres de son père Saluius, après le trespas de son
oncle : et espousa la fille dun Duc de Thuringe, nommé
Espirogus, (1) après la mort duquel il succéda à ladite
Duché, à cause de sa femme, vraye héritière dicelle. Iceluy
Charles Brabon fut tousiours féal aux Romains, et quand
après la mort de son oncle Octauianus Germanus, Roy des
Agrippins, ceux de Belges et de Treues se furent esmuz
contre Lempire Romain, il signifia le tout à lempereur
Octauien Auguste, son oncle. Parquoy il mérita dobtenir
ledit Royaume des Agrippins en la sorte et manière que
sondit oncle Octauien Germain lauoit tenu. En son temps
fut faite la description générale de tout le monde, par lem-
pereur Octauien Auguste, à la glorieuse naissance de nos-
tre Seigneur iesvs christ. Ledit Charles Brabon eut deux
filz. Lun fut nommé Iulius et lautre Titus. Titus pour ce
quil oppressa dedens le temple de Mars une noble nonnain ,
fut banny hors du Royaume de Gaule, mais du costé de sa
mère il succéda à la Duché de Thuringe.
lalias, fondateur de {uliers .
Iulius, aisné filzdudit Charles, quand son père fut deuenu
fort sur aage, il fut député comme lieutenant de son père ,
au gouuernement des terres qui sont entre le Rhin et la
(1) Epirogui (éd. 1513).
8INGTLARITBZ DE TROTB. LITRB III. 357
Meuse. Et après la mort de son père, tous les pais qui
siéent entre le Rhin et Lescault furent en son obéissance :
mais il frequentoit et aymoit plus les premières terres quil
auoit régentées en ieunesse. Et à ceste cause, il y fonda vne
ville, laquelle il nomma de son nom luliers, le dixneu-
uieme an de son règne, qui fut pnemier de lempereur
NeroB. Tournay, qui premier sappelloit Hostilia et depuis
Neruia, selon aucuns, fut restablie et restaurée par vn Duc
nommé Tornus, lequel luy donna son nom. Et enuiron ce
temps mesmes vn Sénateur Romain, nommé Antoine, de
dignité tribunitienne, fuyant la tyrannie dudit Néron, vint
au refuge, audit Iulius, et impetra autorité et territoire,
pour fonder places. Granus, auec ses compaignons, alla sur
les extremitez de la grand forest Dardenne, en vn lieu fort
secret et solitaire : là où il trouua aucunes fontaines deaue
chaude et sulphuree, et illec fonda vn grand palais où il se
tint : lequel lieu sappelle iusques auiourdhuy en Latin
Aquisgranum, cestadire les eaues de Granus. Et fut auprès
diceluy palais, fondée par Charlemagne, vne cité qui main-
tenant se nomme Aix la chappelle, et y prend Lempereur
sa première couronne. Antoine, son compaignon, tira dun
autre costé, cestasauoir, au pais qui sappelle maintenant
Hollande, sur le fleuue du Rhin : et là fonda vne forte
place, quil nomma Antonia, qui depuis fut dit Vuiltem-
bourg, maintenant on lappelle Vtreth. Ledit Iulius régna
soixanteneuf ans et laissa vn filz nommé Octauius.
Octauius.
Octauius succéda à son père Iulius, tant en la seigneurie,
comme en lalliance des Romains, lan après la natiuité
nostre Seigneur, quatre vingts, au temps de lempereur
058 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Vespasian. Gaule eut beaucoup à souffrir en son temps, à
cause des discordes ciuiles. Il feit alliance auec lerapereur
Traian : il ietta les Saxons hors de Vallenciennes et y
mit les Romains : et fut estably par lempereur Traian
gouuerneur de toute la Gaule Belgique. En son temps
saint Materne conu§rtit à la foy Coulongne et Tongres.
Et régna ledit Octauius quarantesix ans.
Godard.
Cestuy Godard eut la seigneurie après son père Octauius,
et fut du temps de lempereur Antonius Plus. Il édifia à
Huy sur la roche de Meuse, vn chasteau haut et fort, et
fut gouuerneur de Gaule Belgique, pour les Romains,
comme son père auoit esté : et régna quarantesept ans.
Godefroy.
Apres Godard régna Godefroy, son filz, lequel ayda et
assista lempereur Marcus Antonius Verus, faisant guerre
aux Germains. Mais pource que lempereur Commodus son
successeur, cruel homme et mauuais tyrant, feit décapiter
aucuns enfans des Princes de Gaule, estans ostagers à
Romme, entre lesquelz estoit vn neueu dudit Godefroy, filz
de sa sœur, il rompit lalliance auec les Romains et se ioin-
gnit aux Germains, ses voisins. Si ietta lesdits Romains
arrière des fleuues du Rhin, Meuse, Sambre et Lescault,
depuis le païs d'Alsate, iusques à Tournay, à kyde de Vue-
ric, Duc de Treues, et Soric, Duc des Germains. Iceux Ro-
mains ainsi pressez, se retirèrent à Tournay, laquelle fut
assiégée et prinse par force. Numerianus, maistre de la
cheualerie dudit empereur Commodus, assiégea Mayence
SINGVLARITEZ DB TROTB. LIVRE 111. 5S9
auec plusieurs légions, mais ledit Godefroy, Duc de Tongres
et de Brabant, et Vueric^, Duc de Treues, deffirent lesdits
Romains. Si fut toute la Gaule Belgique, souz la domi-
nation d'eux deux par lespace de douze ans entiers franche
de tout tribut et subside. Parquoy ledit Godefroy pour se
fortifier contre lesdits Romains, print affinité auec ledit
Vueric et espousa sa fille, dont il eut vn filz nommé Vueric,
son héritier et successeur : et régna ledit Godefroy quaran-
tecinq ans.
Vueric.
Soixante dix ans gouuerna Vueric la Duché de Tongres
et de Brabant, après la mort de son père Godefroy : et
vescut cent ans. Mais assez bonne espace auant sa mort, il
laissa le gouuernement à son filz, Artsard, pource quil
estoit vieux.
Artsard.
Àrtsard, filz dudit Vueric, entra au gouuernement de ses
païs, du temps de lempereur Maximian. Et pource quun
nommé Carausius, vicaire et lieutenant de Lempereur, ne
gouuernoit pas bien sa prouince, le Duc Artsard fut mis en
son lieu. Par ainsi il ne fut pas seulement paisible posses-
seur de son territoire, dont les limites estoient la mer Bri-
tannique, les fleiiues du Rhin et Lescault, et la Sambre,
mais aussi gouuerna en paix, tout le riuage de delà Les-
cault, iusques à Ja mer Oceane. Laquelle prouince ledit
lieutenant Impérial Carausius, auoit mal administrée.
Aussi comme Constantius, filz de Constantin le grand empe-
reur, fut fort oppressé des Allemans autour de Langres, le
Duc Artsard bailla tel secours audit Constantius, quil de-
meura vainqueur. Apres lesquelles choses ledit empereur
360 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
Constantin, à fin quil reprimast plus facilement les efforts
des Allemans, enuoya quérir sa femme Heleine et son fllz
Constantin, encores ieune enfant, lesquelz estoient en la
grand Bretaigne, quon dit maintenant Angleterre, et esta-
blit son siège Impérial en la cité de Treues. A cause
dequoy le Duc Artsard continua plus facilement sa grand
familiarité auec ledit Empereur et en eut grand auance-
ment. Si régna quarantehuit ans.
Marteiand. <^
Son fllz Martsiandus luj succéda esdites Duchez de
Tongres et de Brabant, et aussi au gouuernement de la
prouince marine, pour les empereurs Romains, et acheua
beaucoup de grands choses pour eux, mesmement du viuant
de son père, pour Constantin le grand, alencontre de
Mayence et Licinius, tyrans et vsurpateurs de Lempire.
A cause dequoy le Duc Martsiand par priuilege Impérial
estendit les limites de son gouuernement par tous les païs,
quon dit maintenant Haynnau, Artois et Picardie. Et régna
quarantedeux ans,
Taxander, le premier Prince Chrestieu en ceste généalogie, du temps
duqnel la mer se recula de Tongre«.
Taxander fut nourry de ieunesse en la court de Gratian
lempereur. Mais il y eut beaucoup à souffrir par lenuie et
detraction de deux personnages , lun nommé Eugenius
Grammaticus, et lautre Arbogastes. Finablement il feit
vœu destre Chrestien, parquoy il fut mis à deliure, au
temps de saint Martin, archeuesque de Tours. Apres les-
quelles choses par despit de lempereur Gratian qui lauoit
SraGVLARITEZ DE TROTB. LITRE Uf. UN
mal traité, il fauorisa le party de Maximin, son grand
ennemy, natif de la grand Bretaigne. Duquel Maximin,
régnant en Lempire Occidental, combien que par droit
dusurpation ledit Duc Taxaoder obtint beaucoup de priui-
leges, et en son temps flourissoit saint Semais, euesque de
Tongres, lequel ses citoyens ietterent hors de sa cité :
pource que par esprit de prophétie, il predisoit la future
persécution des Huns : et deslors la mer qui batoit iusques
aux murailles de Tongres, se recula de bien loing. Apres
la mort dudit empereur Gratian, le Duc Taxander eut
grand faneur auec lempereur Theodose lancien. Et puis
mourut lan xxxi. de son règne.
Ânsjgisus.
Ansygisus, filz de Taxander, régna trente ans et obtint
de lempereur Honorius la confirmation de tous ses priui-
leges. Il fut tresbon Prince Chrestien et rua ius en plein
champ de bataille, cruelle et sanglante, Groscus, Roy des
Vuandelz, idolâtre et mauuais tyrant. Et fut ladite des-
confiture auprès d'Arles en Prouence.
De Charles troisième de ce nom en ceste généalogie, surnomma le
Bel, et de la grand bataille qui fut donnée contre Attjla, Roy des
Huns, en laquelle mourut Gundengus, premier Roy des Boar-
guiguons.
Charles le Bel fut filz du dessusdit Duc Ansygisus, et
espousa la sœur de lempereur Valentinian. Si fut maistre
de la cheualerie dudit Empereur. Mais quand il sceut la
mort de son père le Duc Ansygisus, il retourna pardeça
36S ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pour gouuerner ses païs : et commença à régner lan après
lincarnation nostre Seigneur quatre cens trentehuit, qui
fut le deuxième an du règne de lempereur Martian. Et
succéda ledit Charles le Bel à son père, tant en la Duché
de Tongres et de Brabant, comme au gouuernement de la
Gaule Belgique, laquelle il gouuerna pacifiquement, pour
les Romains, par lespace de quinze ans. Mais en ce temps
là suruindrent les grandes et merueilleuses persécutions du
terrible Attyla, Roy des Huns, qui se nommoit le flayau de
Dieu, et de Vualamir, Roy des Ostrogoths, et Ardaric, Roy
des Gepides : lesquelz coururent et destruirent toute ceste
Conté de Gaule Belgique : car ilz prindrent et démolirent
les citez de Treues, Metz, Coulongne, Tongres et Bru-
xelles. Apres lesquelles choses, iceux Huns plantèrent leur
ost (1) et passèrent Ihyuer auprès d'Astha, en vne grand
champaigne, qui sappelle encores auiourdhuy le champ des
Huns. Cest le païs de Champaigne, (2) entour Bosleduc.
Finablement par le moyen du Duc Charles le Bel, Etius (3)
Patricius, vn grand Duc et vaillant capitaine, fut enuoyé
par les Romains, contre ledit Attyla, Roy des Huns, quon
dit maintenant Hongres. Lequel Etius Patricius à layde,
accompaigné de plusieurs Princes, si comme de Theodoric,
Roy des Ostrogoths, Gundengus, ou Gundiochus, Roy des
Bourguignons, Meroveus, Roy des François, et dudit Char-
les le Bel au pourchas duquel tout se faisoit, donna la
bataille audit Attyla, en vne grand plaine, appellee les
champs Catalauniques, auprès de Toulouse, par laquelle
ledit Attyla fut vaincu. Neantmoins Theodoric, Roy des
(1) c.-à-d. leur camp.
(2) Campigne {éd. 1513).
(3) Aetius.
SIMGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 365
Ostrogoths, et Gundengus, Roy des Bourguignons, y de-
mourerent, comme sera dit plus à plein quand nous parle-
rons des Roy s de Bourgongne. Mais le Duc Charles le Bel
y acquit grand honneur et abatit de son chenal Ardaric,
Roy des Gepides, et feit assez dautres prouesses et vaillan-
ces. Si régna lespace de vingt et deux ans, et eut vn filz
nommé Lande.
Du Duc Lando, qui premier laissa les Romaiaa et sallia aox
François, comme jssu de leur sang.
Apres le Duc Charles le Bel, succéda en la Duché de
Tongres et de Brabant, son filz Lando, lan de nostre Sei-
gneur ccccLX., qui fut le deuxième an du règne de Childe-
ric, quatrième Roy de France. Iceluy Duc Lando voyant
prospérer les François et croitre leur puissance de plus en
plus en Gaule, et au contraire lautorité des Romains des-
croitre de iour en iour, il se délibéra de donner lieu et
obtempérer à fortune. Si laissa le party des Romains et se
tira vers ledit Childeric, Roy de France, et ses Barons : et
leur monstra par sa généalogie, comment il estoit descendu
dun mesme estoc comme eux, cestasauoir de Sicamber, filz
de Francus, qui fut filz d'Hector de Troye. A cause dequoy
ledit Roy Childeric le print en grâce et feit alliance auec
luy contre les Allemans. Et par ainsi commença deslors la
Gaule à perdre son nom, et la print (1) on dappeller France.
Iceluy Duc Lando fonda la ville de Landen, auprès de Bos-
leduc, et eut vn filz nommé Austrasius, auquel il laissa sa
seigneurie, après auoir régné dixhuit ans.
(1) o.-à-d. on se mit à.
364 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
Do Duc Âustrasîas, lequel fut cause de faire baptiser Clouis, Roy des
François, ce que nauoit encores peu faire sa femme la Royne CIo-
tilde de Bourgongne.
Avstrasivs fut Duc de Tongres et de Brabant, après son
père Lando, et fut aymé tendrement du Roy Childeric de
France. Car le Duc Lando de son plein viuant lauoit enuoyé
en la court de France, en le recommandant au Roy tresaf-
fectueusement. Par ainsi estoit ledit Austrasius des plus
auancez et honnorez en France. Puis quand le Roy Childe-
ric fut mort, son filz Clouis régnant après luy ne tint pas
moins de conte dudit Duc Austrasius que auoit fait son père.
Or estoit ledit Roy Clouis payen, et pource se tenoit il
plus voulentiers en la Gaule Celtique, quon dit mainte-
nant France, laquelle estoit encores en partie idolâtre. Si
donna audit Duc Austrasius, lequel estoit bon Chrestien et
vray catholique, le gouuernement de la Gaule Belgique, et
il la régit à la mode Chrestienne. Dont pour sa singulière
prudence et vertu, ladite prouince commença à sappeller
Austrasie, du nom de son gouuerneur. Oultreplus, ledit
Roy Clouis par le moyen et ayde dudit Duc Austrasius
print la foy Chrestienne, et eut vne merueilleuse victoire
contre les Allemans. Et loccasion fut telle.
Comme en leffort de la bataille la bende des François
commençast à décliner et estre foullee de la puissance et
multitude des Allemans : le Duc Austrasius commença à
sescrier hautement : « Ha, Roy Clouis, appelle en ton ayde
le trespuissant Dieu des Chrestiens, cest celuy qui ne peult
estre vaincu de nul : et celuy seul, auquel la Royne Clo-
tide,ta compaigne, croit. » Alors le Roy Clouis contraint par
nécessité, voua de se faire baptiser, ce quil nauoit encores
SlNGVLAaiTBZ DE TaOYB. UVRK III. S65
voulu faire à la requeste de sa femme. Par ainsi il recouura
honneur et gaigna la bataille. Et ceste histoire fut récitée
douant le Pape luUes à présent séant et tout le consistoire
des Cardinaux, par messire lean de Chastillon, archidiacre
de Campigne en leglise du Liège, en faisant son oraison de
lobedience filiale des pais de pardeça, comme Orateur à ce
enuoyé de par Lempereur et Larchiduc, auec monsieur
Ladmiral, messire Phelippes de Bourgongne, (1) lan mille
cinq cens et huit.
Des limites du Royaume d'Âustraiie, ou d'Austriche la basse, voisine
du Royaume de Bourgongne.
Povrce que souuent en ceste histoire sera faite mention
des limites du Royaume d'Austrasie, ou d'Austriche la
basse, duquel plusieurs gens ignorent lestendue, pource que
les seigneuries sont changées par longueur de temps, il est
bien séant den mettre icy ce que ien ay peu trouuer : mes-
meraent par la chronique de France, composée par messire
Robert Gaguin, natif de Douay, lequel met que ledit Roy-
aume d'Austrasie ha eu par interualle de temps deux citez
capitales, cestadire là où se tenoit le siège Royal, cestasa-
uoir, Metz et Aix la chapelle. Et commençoit depuis les
extremitez de la haute Bourgongne, de deuers les montai-
gnes de Lorraine, en descendant iusques à la mer de Frise,
entre les deux fleuues du Rhin et de Lescault, et compre-
noit Vtrecht, Coulongne, Treues, Mayence, les païs de
Brabant, Gheldres, Cleues, Hollande, Zelande, Haynnau,
Hasbain, Liège, Lembourg, Alsate et toutes les terres que
(1) fils naturel de Philippe-le-Bon.
ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
le Conte Palatin tient maintenant alentour du Rhin. Et
oultre ce, tout le païs d'Ardenne et de Barrois, qui depuis
ha esté esleué en Duché, auec le quartier du païs qui main-
tenant sappelle Lorraine. Voilà les limites du Royaume
d'Austriche la basse, lesquelz certes estoient de grand
estendue, et contenoient la plus grand partie de Gaule Bel-
gique. Et disent aucuns, que depuis toute ceste contrée
•appella France Orientale.
CONCLVSION DV PREMIER TRAICTE.
Il me semble que iay monstre assez clerement et succin-
tement, la généalogie du noble sang des Cimbres, yssuz de
Sicamber, filz de Francus de Troye : et suis venu au tresglo-
rieux nom de Charles : et du Duc Austrasius, fondateur et
dénominateur du Royaume d'Austriche la basse. Mainte-
nant ie uiendray à approcher le sang de Bourgongne et de
France, pour le conioindre auec celuy d'Austriche, laquelle
chose ne se fera iusques au troisième traicté.
8INGTLARITEZ DE TROYB. LIVRE III. 367
LE SECOND TRAICTE DU LIURE INTITULÉ LA
GENEALOGIE HISTORIALE DE LEMPEREVR
CHARLES LE GRAND.
Pvis qve (Dieu mercy) iay monstre la généalogie du Duc
Austrasius qui donna le nom au Royaume d'Austriche la
basse, il faut vn petit laisser ladite généalogie en attente,
iusques à ce que iaye bien clerement spécifié lorigine et
descente des Roys de Bourgogne : ce que iay eu grand
peine de recueillir on diuers lieux. Car ie ne Iay nulle part
trouué, tout en vn corps, comme il sera icy réduit. La fin
de ce second traicté est de monstrer comment le sang de
Bourgongne fut ioint auec celuy de France, es personnes
du Roy Clouis de France et de la Royne Clotilde de Bour-
gongne, sa femme. Mais premièrement à fin que nous ne
procédons point par termes incongnuz, il nous faut sauoir
les limites anciens du Royaume de Bourgongne, dont iay
veu plusieurs gens de bien estre en doute, différence et dif-
ficulté : et moy auec eux. Mais ie men suis mis hors de
soucy,pource que après auoir trassé (1) beaucoup, iay trouué
certains Acteurs anciens qui men ont donné laduerteur, (2)
ainsi que cy après est escrit.
(1) c.-à-d. cherché avec soin, suivi à la trace.
(2) c.-à-d. renseignement.
368 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De lancienne estendue du Royaume de Bourgongne, et de ses limites
prouuez par Acteurs autentiques.
Icy verra on combien estoient iadis voisins et limitrophes
le Royaume de Bourgongne et le Royaume d'Austrasie,
ou d'Austriche la basse : dont iay cy douant descrit les
limites. Or estoit lestendue dudit Royaume de Bourgongne,
selon ce que iay peu cueillir par les escrits daucuns Ac-
teurs anciens et autentiques, telle quil sensuit. Geruasius,
iadis mareschal du Royaume de Bourgongne, (1) du temps de
lempereur Othon le quart, qui fut Roy de Bourgongne, en
son liure intitulé du passetemps Impérial, met que selon le
contenu des anciens registres de Lempire, le Royaume de
Bourgongne estoit comprins par les limites qui sensuiuent.
La première prouince du lloyaume de Bourgongne.
La cité d'Arles métropolitaine, qui estoit le siège du
Royaume de Bourgongne : auec toute la prouince dudit
Arles le Blanc, en Prouence, lequel auoit souz luy les dio-
cèses et citez cathédrales ou episcopales cy après nommées,
de lordre de saint Augustin, cestasauoir : la cité d'Auignon
et son diocèse, qui depuis ha esté esleuë en archeuesché,
du temps du Pape Sixte, Marseille, en Prouence, Toulon,
Cauaillon, Carpentras, Vaison, Orenge, Tricastel.
(1) Gervais de Tilbury (près de Londres) passa sa vie à la cour
d'Othon IV, fut maréchal du royaume d'Arles et mourut vers 1218.
On a de lui Otia imperialia libri III, sive de mirabilibus orbis ; De
origine Burgundionum, etc.
SINGVLÀRITEZ DE TROTS. UVE£ III. 300
La seconde proaince.
La cité métropolitaine de Vienne, en laquelle estoit assise
la chancellerie du Royaume de Bourgongne, auec toute la
prouince de larcheuesché de Vienne : lequel ha souz luy
les diocèses qui sensuiuent : Grenoble, de lordre de saint
Augustin, Valence, et Die, lesquelz sont ynis : Morienne,
Geneue.
La tierce Prouince du Royaume de Bourgongne.
La cité et archeuesché de Lyon sur le Rhône et toute
sa Prouince : laquelle contient quatre Diocèses, cestasa-
uoir : Authun, Mascon, Ghalon, Langres.
La quatrième Prouince.
La cité et archeuesché de Bezenson et toute sa Pro-
uince : laquelle contient trois Diocèses, cestasauoir ; Basle
en Souycere, Lausanne, Bellay en Sauoye.
La cinquième Prouince.
La cité et archeuesché de Moustier en Tarentaise et
toute sa Prouince, qui contient deux Diocèses de lordre de
saint Augustin, cestasauoir : Seon, Aouste. (1)
La sixième Prouince.
La cité et archeuesché d'Embrun et toute sa Prouince,
qui contient six Diocèses : Digne, de lordre de saint Augu-
stin, Nisse, Grasse, Seuere, de lordre de saint Augustin,
Claudat, Vienne.
(1) Sion, Ao^te.
II. 24
570 ILLVSTRATIÛNS DE GAVLE, ET
La septième Prouince.
La cité et archeuesché d'Aix en Prouence et toute sa
Prouince, qui contient cinq Diocèses, cestasauoir : Apt,
Foriul, Rege, Gap, Sisteron.
Desquelles sept Prouinces ledit Acteur met que le Royaume de Bour-
gongne estoit enclos comme de sept retz ou filez.
Vn autre acteur, nommé Ligurinus, qui fut du temps de
lempereur Federic Barberousse et escriuit les gestes dudit
Empereur : lequel fut allié à vne fille de Bourgongne, met
et conclut lesdites limites du Royaume de Bourgongne en
six vers Latins, cy après escrits, qui sont presques dune
mesme substance que le dessus narré.
Has tibi Métropoles, et primi nominis vrbes
Chrysopolim placidam, Lugdunum, siue Viennam,
Quseque tuos spumante mari Prouincia fines
Claudit, Ârelatum validis obnoxia ventis.
Chrysopolim Dubius, reliquas perlabitur amnis
Maximus ÂUobrogam, Rhodanus dominator aquarum.
Et si nous voulons limiter autrement ledit Royaume :
nous le pouuons faire par distinction de fleuues, de mer
et de montaignes, dont auoit il du costé de Mydi la mer de
Prouence et de Nisse : deuers Orient, le fleuue -du Rhin
et les merueilleuses montaignes qui séparent la Gaule dauec
l'Italie : cestasauoir le Mont lou et de Columnaiou, quon
dit maintenant le grand et le petit saint Bernard, auec le
mont Senis et le mont Geneure : deuers Septentrion, le mont
Vosegus, duquel partent les fleuues de Meuse et de Saône :
et deuers Occident, les riueres de Loire et de Seine.
Et au cœur dudit Royaume estoient comprins, oultre le
SIM6VLAR1TEZ DB TROYB. LIVRE III.
m
dessus narré, autres nobles fleuues et montaignes : si comme
le mont lura, quon dit la montaigne saint Claude, le mont
des Faucilles, le mont Daiguebelette et plusieurs autres,
que ie laisse à cause de brieueté. Et des fleuues, le Rhône,
Liseré, le Doux et la Durance : auec autres infinies riuie-
res et ruisseaux. Et le grand lac de Lausanne : et assez
dautres moindres.
Dont il appert que ledit Royaume participoit de tontes
les trois Gaules, cestasauoir, Belgique, Celtique et Aqui-
^anique : car il coraprenoit presques tous les fleuues qui
font séparation desdites Gaules entre elles : si comme la
riuiere de Seine, qui diuise dun costé la Gaule Belgique,
dauec la Celtique : et aussi font les riuieres de Saône et
de Liseré chacune en son quartier, et le grand fleuue de
Loire, qui sépare la Celtique dauec l'Aquitanique.
Aussi sestendoit la domination dudit Royaume sur trois
langues principales et différentes lune de lautre, cestasa-
uoir : Germanique, Romande ou Vuallonne, et Italienne.
Et comme on peult coniecturer, ledit Royaume comprenoit
les pais qui sensuiuent : et se nomment maintenant ainsi,
cestasauoir : les Duchez de Bourgongne, de Sauoye, de
Chablais et d'Aouste , les principautez de Piedmont et
d'Orenge, la Landgrauie d'Alsate, la Conté Palatine de
Bourgongne, les Contez de Habsbourg, de Ferrettes, de
Mont Beliard, de Charrolois, de Nyuernois, de Forestz, de
Valentinois, de Prouence, de Geneuois et de Venisse, (1)
cestadire Auignon et ses appartenances, les seigneuries
de Bresse, de Salins et de Noyers, les pais de Viueretz,
d'Auxerrois, de Vuaud, de Foucigny, et toutes les mon-
taignes et ligues des Souyceres.
(1) Le Cointat-VenaissiQ.
3711 ILLYSTRATIOWS DE GAVLE, El
Par ainsi auons nous assez demonstré comment le
Royaume de Bourgongne estoit voisin et limitrophe au
Royaume d'Austriche la basse, ou d'Austrasie, cestasauoir
du costé des montaignes septentrionales qui maintenant
séparent la Conté de Ferrettes, dauec la Duché de Lorraine.
Or donques puis que nous sauons quelle fut lamplitude
dudit Royaume, il nous faut voir la vraye sourse et antique
origine de ladite tresnoble nation. Pour laquelle chose faire,
il est nécessaire monstrer premièrement lantiquité des Roys
de Germanie, desquelz sont yssuz les Roys de Bourgongne.
De la merueilleuse antiquité des Rojs de Germanie, desquelz furent
iadis extraits les Roys de Bourgongne.
Il nest rien plus certain, que tout ainsi comme la grand
mer Oceane est la vraye mère et sourse de tous les fleuues,
fontaines et ruisseaux du monde : aussi est la terre de
Germanie , la vraye germinateresse et produiteresse de
toute la noblesse de nostre Europe. Nest il pas tout cer-
tain, que les premiers François habitèrent plus de quinze
cens ans en Germanie, auant que descendre en Gaule ? Les
Roys d'Angleterre et d'Escosse ne sont ilz pas de vraye
Germanique origine, comme partiz des Saxons et des estocz
Germains ? Les Roys d'Espaigne ne se vantent ilz pas ius-
ques auiourdhuy destre yssuz des Gothz, qui furent Ger-
mains ? Certes si font pour leur plus beau tiltre. Pareille-
lement aussi les Roys de Bourgongne se gloriâoyent iadis
destre yssuz de Vandalus, Roy de Germanie : qui donna
nom à la nation des Vuandelz, tresforte, tresillustre et
tresbelliqueuse : comme il appert par toutes les histoires.
Or pour entendre qui fut ledit Vandalus : il est nécessité
SINGYLARITBZ DE TROYB. LIVRE III. 375
de prendre le fondement à Tuyscon le Géant, premier fcojy
de Germanie. - m
De Taysoon le Oeant, premier Roy de Germanie et ûlz de No9, et
des autres Princes de sa maison.
Berosvs de Chaldee, tresdigne et tresexcellent historien,
lequel iay souuent allégué au premier Hure des Illustra-
tions de Gaule et singularitez de Troye, met que le tresbon
et tressaint Patriarche Noë, Prince et père de famille de
tout le monde après le déluge, engendra en sa femme
Tytea la grande , plusieurs enfans : entre lesquelz fut
Tuyscon le Géant par luy constitué Roy de lun des quatre
principaux Royaumes d'Europe, cestasauoir, de toute Ger-
manie et Sarmatie. Lesquelles terres comprennent depuis
le fleuue du Rhin, qui fait la séparation de Gaule, auecques
la Germanie : iusques au fleuue Tanaïs, qui est en Tar-
tarie, et fait les termes d'Europe alencontre d'Asie de ce
costé là.
La vraye Germanie est comprise depuis le dessnsdit
fleuue du Rhin, iusques au fleuue Vistula, quon dit main-
tenant Viscla : lequel passe parmy Craco, qui est la cité
capitale du Royaume de Polone : et la Sarmatie sestend
par toute la reste dudit Royaume de Polone, Gothie, Rous-
sie, Prusse et Dannemarch.
Si se ioingnirent auec ledit Tuyscon le géant, tous les
enfans de Mesa et Ister : qui furent parens et de la pos-
térité de Sem, frère aisné dudit Tuyscon le géant.
Mesa fut filz d'Arameus et neneu de Sem. Il fonda les
peuples de Mysie haute et basse : qui se nomment auionr-
dhuy les deux Valaquies, subiettes au Turc. Et en la basse
374 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Yalaquie est le Royaume deBossigne. (1 ) Ledit Mesa fut frère
d'Alan, qui fonda les Alains en Allemaigne : et engendra
ledit Mesa cinq Princes qui fondèrent diuerses nations.
Getus fonda la nation des Goths : Dacus, le peuple de
Dannemarch : Bannon, les deux Pannonies, cestasauoir,
Pannonie la haute : quon dit maintenant Austriche, et
Pannonie la basse, qui se nomme Hongrie. Brigus fut père
des Frisons, qui depuis repassèrent en Asie et donnèrent
le nom au pais de Phrjgie, où depuis Troye fut fondée :
auec Thynnus, frère dudit Brigus, qui peupla le pais de
Bithynie, lequel est situé à lopposite de Constantinoble,
comme met Pline au cinquième liure de Ihistoire Naturelle.
Ister, de ladite postérité de Sem, fut filz de Heber : dont
procédèrent les Hebrieux, et est ledit Ister appelle Ictan
en la sainte escriture. Il donna le nom au pais d'Istrie et
au grand fleuue Ister, autrement appelle le Dunoe, qui
passe par iceluy. Et eut vn filz nommé Dalmadan, qui
nomma de son nom le Royaume de Dalmace. Dalmadan
engendra Sarmates, qui occupa toute la terre de Sarmatie
dessus spécifiée. Et furent autres Princes consequemment
de sa maison, qui donnèrent les noms à assez dautres pro-
uinces : dont ie me passe à cause de brieueté. Et qui en
voudra sauoir plus à plein, aye recours au liure des Généa-
logies dudit acteur Berosus.
Il appert donques que Tuyscon le géant, filz de Noë,
nestoit pas mal accompaigné de Princes en sa maison,
quand il vint prendre la première possession de son
Royaume de Germanie et Sarmatie, qui fut le vingtcin-
quieme an du règne de Nembroth, son neueu, surnommé
Saturnus, premier Roy de Babylone : cestasauoir, lan sept
(l) Bossine (éd. 1513). C'est la Bosnie.
8INGVLAR1TEZ DE TROTE. LIVRE III. 375
vingts et seize après le déluge. Et régna quatre vingts
dixsept ans premièrement : en laissant croitre son peuple
et viure selon la loy de Nature. Mais quand ce vint audit
an quatre vingts dixseptieme : voyant parauenture la
nature de ses gens décliner à mal et à corruption, il leur
establit loix restrictiues, auec certaine manière de viure,
par reigle et par raison. Et régna, en tout, lespace de
sept vingts onze ans. Parquoy on peult coniecturer, quil
vesquit bien trois cens ans ou enuiron : car il nasquit tan-
tost après le déluge. Et est à noter, que toute sa postérité
fut adoptée en la maison du Patriarche Noë : car ilz sont
tous mis en larbre de la postérité dudit Noë, par ledit
acteur Berosus. Et du nom dudit Tuyscon, les Germains
sappellent iusques auiourdhuy en leur langage Tutschen,
ce que nous autres Vualons et Romans disons Thiois, et
les Italiens les appellent Tudesques. Et fut le Roy Tuyscon
après sa mort, réputé Dieu par les siens.
De Mannua, second Roj de Germanie, qui fat filz de Tuyscon le Géant.
Cornélius Tacitus, ancien historien Romain, se concorde
auec ledit acteur Berosus, disant que Mannus, second Roy
des Germains, fut filz de Tuyscon le géant : lequel Mannus,
selon lexpositeur de Berosus, donna le nom au fleuue,
nommé premièrement Allemannus, cestadire : la sourse de
Mannus, (1) qui depuis ha esté appelle le fleuue du Rhin : et
selon ce, les Allemans auroient prins leur nom dudit fleuue.
Le temps de son règne nest point spécifié. Mais il eut vn
filz, qui régna après luy nommé Inghaueon.
(1) Étymologie grotesque qui s'explique par le latin alere, ali-
menter.
376 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
Bë' Ing^ièlon, troisfeMé ^f dià^erMUas.
n'ilnghaueon ou Ingheuon, succéda à son père Mannus, et
de luy furent nommez les Ingheuons, lesquelz Pline, au
quinzième chapitre du quatrième liure de Ihistoire Natu-
relle, nomme pour la seconde nation de Germanie : et dit
quune partie diceux estoient les Cimbres et les Teutons,
desquelz nous auons parlé bien amplement au premier
traicté de ce liure. Et est interprété ledit terme Inghaueon,
habitateur incertain, (1) pource que de son temps, les Ger-
mains nauoient encores nulles citez : ains estoient vaga-
bonds par cy par là, comme sont auiourdhuy les Tartres et
les Arabes.
De Isteuon, quatrième Roy de Germanie.
Isteuon régna après son père Inghaueon : et de luy
furent nommez vn peuple de Germanie, Isteuons, habitant
près du Rhin, desquelz vue partie sont les Cimbres medi-
terrans, cestadire, habitans loing du riuage de la mer,
comme met Pline, qui les nomme en la seconde nation des
Germains.
De Hermion, cinquième Roy des Germains.
Apres Isteuon, régna Hermion son filz, homme fort belli-
queux et de grand férocité : lequel enseigna à ses subietz
lexercice des armes : et fonda vn peuple de son nom,
lequel Pline, au quatrième liure de Ihistoire Naturelle,
met pour la quatrième génération de Germanie : et dit
quune partie diceux sont les Soaues. Et desdits Hermions
Cornélius fait mention en son histoire.
(1) Peut-être à cause de in supposé privatif.
8INGVLARITEZ DE TRÔYB. LITRE III. wlT
De Marsas, sixième Koy de Oermanb.
Marsus fut filz du Roy Hermion, qui pareillement donna
iadis son nom à vn peuple de Germanie : duquel Pline et
Cornélius Tacitus font mention. Et est Marsus, interprété
Prince de conseil : car il introduisit premièrement aux
Germains, la manière de tenir conseils et parlements.
De Gambrinius, septième Roy de Germanie.
Apres Marsus, régna son filz Gambrinius, (1) homme de
grand cœur et flereté, lequel fut le premier entre les Roys
Germains, qui porta couronne et sceptre Royal publique-
ment et du consentement de tous ses subietz : et donna
son nom à vn peuple de Germanie : dont Pline et Corné-
lius Tacitus font mention. Et de son temps Osiris, Roy
d'Egypte, surnommé lupiter le iuste, empereur pacifique
de tout le monde, vint en AUemaigne : et monstra la ma-
nière de semer le froument et planter les vignes, enter
arbres et aussi brasser la ceruoise. (2)
De Sueaus, huitième Roy de Germanie, qai donna le nom aux Soaoes.
Sueuus, filz de Marsus, fut plus heureux que beaucoup
dautres ses prédécesseurs : pour autant que iusques à pré-
sent, lune des principales prouinces d'Allemaigne garde
son nom : cestasauoir, le grand et noble pais de Soaue,
dont sera faite mention souuentesfois en ce volume.
-M-l.! ■
(1) Gambrinus, aujoord'huil» dieu de la bière, autrefois Téponyme
des Gambriniens ou Gambriviens.
(2) Le vin d'orge, dont parlent Eschyle et Hérodote à propos des
Egyptiens.
S78 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Vandaliis, neuuieme Roy de Germanie, duquel sont yssus les
Bourguignons, et du temps de son règne.
Vandalus, filz de Sueuus, duquel est nostre propos prin-
cipal, régna sur les Germains du temps d'Altades, douzième
Roy de Babylone, et du temps du grand Hercules de
Libye, Roy d'Italie : et de son filz Galates, dixième de
Gaule, duquel iay parlé bien amplement en mon premier
liure des Illustrations de Gaule, et singularitez de Troye.
Et comme il est illec mentionné, ledit Galateus commença
à régner lan depuis le déluge six cens vingtcinq : deuant
la fondation de Troye par Dardanus neuf vingts et vn et
deuant lincarnation nostre Seigneur, seize cens soixante-
huit.
Or auons nous pour certain, que dudit Vandalus descen-
dirent et furent nommez les Vuandelz, tant congnus par
les histoires : lesquelz Vuandelz Pline au xiiii. chapitre
du quatrième liure de Ihistoire Naturelle, met pour la pre-
mière des cinq nations de Germanie, et pour partie dicelle
les Bourguignons, disant expressément ainsi : Gênera Ger-
manorum quinque : Uindelici, quorum pars Burgundio-
nés, Uarrini, Garini, Guttones. (1)
De Teutanes, dixième Roy de Germanie, duquel sont nommez les
Teutoniques.
Teutanes régna après son père Vandalus, et fut sur-
nommé le Mercure des Germains : et adoré comme Dieu,
après sa mort. Auquel on sacrifioit de cruel sacrifice, cest-
asauoir, de sang humain, comme tesmoigne Lucan, au pre-
mier liure de sa Pharsalique, disant ainsi :
(1) Vandali quorum paries sunt Burgundiones^ Varini, Carini,
etc. (ëd. 1513 et 1528).
SINGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE 111. 379
s,n rlT Et qaibo* imœitis placatur tangaioe diro
Teotanei, borrensqae feris altaribus Heeui.
Aucuns estiment que dudit Teutanes, les AUemans sont
nommez Teutoniques.
De Hercules Alemannus, onzième Roj de Germanie et père de
Hannas, daqael sont descenduz les Hongres.
Hercules Alemannus succéda à son père Teutanes : au
temps duquel la Déesse Isis, (1) Royne d'Egypte, vint en
AUemaigne : et monstra au rude peuple lusage de mouldre
la farine et faire du pain. Ledit Hercules fut le plus preux
et plus vaillant de tous ses prédécesseurs. Et pource fut il
ainsi nommé : car les Princes de haute emprise dudit
temps estoient surnommez Hercules, dont, comme tes-
moigne Cornélius Tacitus, (2) les Germains pour mémoire
perpétuelle de luy, quand ilz marchoient en bataille, chan-
toient en leur langage aucunes chansons et dictiers terri-
bles et merueilleux de luy : et de ce prenoient courage et
férocité contre leurs ennemis. H fut après mort conté au
nombre des Dieux. Et encores tient on pour chose certaine,
quil y ha vn vieil temple en vue isle du Rhin, nommée
Augia la grande : lequel est nommé Alman, du nom dice-
luy Dieu. Et diceluy mesmes nom, les Soaues et Lansque-
netz ont esté nommez Allemans. l\ régna du temps de
Mancaleus, quatorzième Roy de Babylone, et du temps de
Lugdus, Roy de Gaule : qui fonda Lyon sur le Rhône, et
(1) La Demeter des Egyptiens, selon Hérodote.
(2) Germ. II. — D"" Hugo Meyer (Program. Bremen 1868) fait de
Roland ou Chrodoland une espèce d'Hercule, patron des libertés
municipales.
580 ILtVSTRATlONS DÉ GkVtX, ET
eut vn filz nommé Hunnus, duquel procédèrent les Huns,
quon dit maintenant les Hongres.
Epilogation du temps de la duration du règne desdits Roys de
Germanie en gênerai.
lusques icy, et non plus auant, ledit ancien acteur Bero-
sus détermine (1) des Roys de Germanie, desquelz iay vou-
lentiers mis la généalogie : à cause de Vandalus, père des
Bourguignons. Et nen puis plus auant dire : pource que
Manethon d'Egypte, successeur dudit Berosus, nen dit
rien. Mais selon ce que ie puis cueillir par les dits dudit
acteur, tout le temps du règne desdits Roys peult estre
estimé à cinq cens soixante et vn an ou enuiron. Lequel
terme, si nous prenons les cas (comme il est vraysemblable)
que ce fut la dernière année du règne dudit Hercules Ale-
mannus, ce seroit lan après le déluge, sept cens et dixsept :
deuant la première fondation de Troye par Dardanus, six
vingts et quinze. Auant la destruction dicelle par les Grecz,
à loccasion d'Heleine, quatre cens trentedeux ans. Et auant
lincarnation nostre Seigneur, seize cens ans. Et pource que
nous nauons nulle histoire autentique, qui nous declaire
les gestes desdits Vuandelz et Bourguignons durant lespace
de seize cens ans, nous passerons tout oultre, et ferons vn
sault, iusques au règne de Lempereur Octauien Auguste,
du temps duquel nostre Seigneur iesvs christ voulut nais-
tre de la Vierge Marie.
(1) c.-à-d. termine, finit.
SIKGVLARITEZ DJS TRUYg. UVEB 111. i8l
Du pals d'Vuandftlie en Âll«maigne : et dea g^stei des Vuandelz,
commençant eauiron le temps de lincamation de noatre Seigmaor.
Et la cause pourquoj voe )>artie diceax furent premièrement appel-
iez Bourguignons.
Selon la recitation des acteurs autentiques, Vuandalie
est vne région septentrionale du Royaume de Polone et
des appartenances de Germanie : ainsi dite, de par le Roy
Vandalus dessus mentionné : et de par vn âeuue qui porte
le mesme nom, arrosant ladite terre, dont le peuple des
Vuandelz estoit ainsi nommé. Et aucimefois on les treuae
es histoires nommez Vindiles et Vindeliciens. (1) Ces toit au
temps iadis vne merueilleuse nation, fau-ouche, outrageuse
et inhumaine : tellement que au temps de lempereur Octa-
uien Auguste, vne partie diceux sesmut et se mirent en
armes au nombre de quatre vingts mille hommes. Si laissè-
rent leur territoire pour conquester meilleur païs : et sen
vindrent iusques sur le Rhin, cestasauoir au païs de Soaue.
Contre lesquelz furent enuoyez par ledit Empereur Drusus
et Tiberius, ses neueux : qui les contraingnirent à grand
force de retourner en leurs contrées : et les diuiserent par
bendes, de peur quilz ne se ralliassent ensemble. Et les
contraingnirent de non habiter villes, chasteaux, ne citez
fermées : mais bien leur estoit permis de se tenir souz ten-
tes et pauillons, ou édifier maisons, tugurions (2) et bordes,
sans forteresse : sinon de hayes ou paliz, pour se garder
des loups, comme sont les villages de pardeça. Lesquelles
(1) Confusion du pajs des Wendes Slaves avec la Vindélicie au
aud-ouest de la Germanie.
(2) du latin tugurium., huttb, cabane.
582 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
manières dhabitacles ilz appelloient Bourgs, en leur lan-
gage : de laquelle dénomination, il y ha auiourdhuy plu-
sieurs grands citez, depuis édifiées en Allemaigne : si
comme Ausbourg, Madebourg, Salsembourg, Strasbourg,
Rotembourg, Fribourg, Vuissembourg et plusieurs autres.
Et à ceste cause on les commença peu à peu à nommer
Bourguignons. Et perdit ladite bende le nom des Vuandelz,
mais non les autres qui estoient demeurez au païs, comme
nous verrons cy après.
Les Bourguignons dessusdits par traict de temps se mul-
tiplièrent si fort, que pas ne leur sufiisoit la terre ferme
où ilz habitoient : mais occupèrent aussi vne grande et
merueilleuse isle nommée Scandauia, en la mer Germani-
que, du costé deuers Dannemarch. Et illec se tindrent sans
se mouuoir autrement iusques au temps de lempereur Va-
lentinian : cestasauoir, lan de grâce trois cens septantesix,
comme met saint Hierome, en la fin de sa chronique, que
lors ilz sesmurent derechef, enuiron le nombre de quatre
vingts mille hommes en armes et sen vindrent iusques sur
le riuage du Rhin : comme leurs prédécesseurs auoient fait
autresfois, en laissant les régions froides et Septentriona-
les, pour conquester meilleur païs sur Lempire Romain. Si
plantèrent leur siège sur ledit fleuue du Rhin, enuiron le
païs d'Alsate, qui est lune des meilleures et fertiles con-
trées quon sache.
Des gestes des aulies Vuandelz et de Stilco, Prince de leur nation, qui
secrètement incita les Bourguignons, Vuandelz et autres nations
à enuabir les Gaules.
Lavtre partie des Vuandelz, qui demoura en son païs, là
où habitent présentement les Poulaques, comme dessus est
SINGULARITEZ DE TROYE. LIVRB 111. 383
dit, se tint illec, iusques au règne de lempereur Constantin
le grand. Auquel temps Geberith, Roy des Goths, les enua-
hit puissamment par aspre guerre, et vainquit en bataille
eux et leur Roy nommé Vismar : tellement quilz furent
contraints laisser leur propre territoire. Et impetrerent
dudit Empereur Constantin, quilz poussent habiter en Pan-
nonie, quon dit maintenant Hongrie : ce qui leur fut ot-
troyé, et y demourerent enuiron lespace de quarante ans,
tousiours souz le tribut et manutenance des Romains. Mais
pource que lesdits Goths leurs anciens ennemis et voisins
ne les y souffroient viure en paix, il leur fut force derechef
abandonner le païs de Pannonie, et sen allèrent à leurs
auentures, sur la mer Balthee : là où ilz vescurent aucun
temps de proye et de pillage, comme font coursaires. Mais
finablement ilz furent chassez par vn autre peuple nommé
les Gepides, et sen retournèrent en leur premier païs
d'Vuandelie : là où ilz se contindrent iusques au temps
quun Prince de leur nation, nommé Stilco, fut moyen (1) de
les tirer dehors, pour les faire entrer en Gaule, au desa-
uantage de Lempire Romain.
Il est asauoir, quen la court de lempereur Théodore (2)
lancien fut en ce temps nourry et esleué vn Prince nommé
Stilco, yssu de lancienne noblesse des Vuandelz, dessus
mentionnée : et y obtint si grand crédit, que comme ledit
empereur natif d'Espaigne, veit approcher la fin de ses
iours, et quil laissoit ses deux enfans Honorius et Arca-
dius, ses héritiers futurs, encores ieunes et non capables à
gouuerner Lempire, il leur ordonna pour tuteurs, gouuer-
(1) Cf. médius, médiateur, entremetteur.
(2) Les édit. 1513 et 1628 portent également Théodore au lieu de
Théodose.
384 ILLVSTRATIONS DE GÀTLE, £T
neurs et mambourgs, trois de ses principaux Barons, es-
quelz il auoit sa totale fiance, cestasauoir, Ruffin, qui eut
la charge de tout Orient : Stilco, qui fut régent de tout
Occident : et Gildo, qui fut constitué au gouuernement de
toute Afrique, qui sont les trois principales parties du monde.
Et pource que opportunité et loisibleté, communément
font les gens hardis à emprendre quelque grand chose, les
trois Princes et gouuerneurs dessusdits , voyans quilz
auoient et pouuoir et loisir, chacun en son endroit, de se
faire grans, tandis que leurs seigneurs estoient petis et
moindres daage chacun d'eux trois par grand ardeur, con-
uoitise et ambition de régner, délibéra dusurper pour luy
et pour les siens, la seigneurie et partie de Lempire, en
laquelle il auoit puissance et autorité. Et de ce eurent ilz
secrète intelligence et consentement ensemble, sans faire
semblant lun de lautre.
Or fut le premier et le plus hardi à commencer son
emprinse Gildo, régent d'Afrique, quon dit maintenant
Barbarie : car apertement et sans dissimulation quelconque ,
il tascha dusurper ladite contrée pour luy, en la soustrayant
de lobeïssance de Lempire Romain. Mais pource que son
propre frère nommé Mescelger, (1) redoutoit fort sa cruauté,
il luy résista puissamment et le chassa hors d'Afrique : dont
ledit Gildo mourut de despit selon aucuns acteurs, ou de
poison selon les autres. Et tantost après comme ledit Mes-
celger fust monté en orgueil et en cruauté intolérable, il fut
tué par ses propres gensdarmes. Ruffin, qui dautre part
sessayoit doccuper toute la domination d'Orient, fut rué ius
par lempereur Arcadius, combien que ledit empereur fust
encores bien ieune.
(1) de mâme que dans l'éd. 1513 pour le nom maure Mascezel.
8IKGVLARITEZ DE nOTS. UYEE III. 385
Lesquelles choses voyant Stilco, Prince des Vnandelz et
régent de Lempire Occidental : il dissimula son courage
par grand prudence et cautele, et sentretint (1) de ses sei-
gneurs les empereurs Arcadius et Honorius, en telle sorte
que non seulement il2 ne se doutoient de luj, mais dauan-
tage Honorius luy bailla lune de ses filles à femme. Laquelle
morte auant la consommation du mariage, ledit Stilco es-
pousa vne autre fille dudit empereur Honorius. Par ainsi
lesdits empereurs, ses seigneurs, ne le tenoient pour suspect
en manière quelconque.
Estant donques Stilco constitué en telle autorité, sans
souspeçon quelconque, pensant en luy mesmes, comment
ses consorts dessusdits Ruffin et Gildo sestoient tresmal
conduits, et auoient esté infortunez en leurs emprises, il ne
perdit pas courage pourtant : ains délibéra totalement de
faire son filz nommé Eukerius, empereur de toute la mo-
narchie Romaine. Lequel treshaut entreprendre, il ne pou-
uoit mentr à chef, sinon que premièrement et auant toute
œuure, il eust enuelopé ses seigneurs, les empereurs Arca-
dius et Honorius, de merueilleux troubles et guerres diflB-
ciles, espérant que par ce moyen il se feroit tousiours plus
grand et auroit encores plus grand charge et entremise,
quil nauoit au parauant.
Souz cest arrest et conclusion faite en lay mesmes, le
Duc Stilco feit solliciter par secrètes ambassades, plusieurs
nations de Germanie, cestasauoir les Soaues, les Bourgui-
gnons, les Alains et les Vuandelz, desquelz le Roy se nom»^
moit Corsico. Enuers toutes lesquelles nations, ledit Stilcd "
auoit crédit et autorité : comme Prince de leur sang et
extraction. Si les esmut à venir enuahir et conquester les
(1) e.-à-d. se soutint auprès d*euz.
11. as
38G ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Gaules, pour eux et pour les leurs, lesquelles estoit en la
puissance des Romains. Et oultre ce, par vne merueilleuse
astuce, procura enuers les Empereurs, que la soulde et pen-
sion, qui se souloit donner aux Vesegoths ne leur fust plus
payée, espérant que par ce moyen, ilz se mutineroient et se
parforceroient dentrer en Italie, et il seroit créé et estably
Duc et Consul alencontre d'eux. Et auroit si grand puissance
et autorité au fait de la guerre et gendarmerie de Lempire,
que facilement il pourroit paruenir à son intention.
Toutes les pratiques et intelligences du Prince Stilco
ainsi dressées et mises à effect : cestasauoir, que première-
ment les Vesegoths sesmurent et rebellèrent contre Lempi-
re, à cause de leur pension et soulde non payée, ilz establi-
rent sur eux vn Roy, nommé Alaric, auec lesquelz ilz en-
trèrent en Pannonie, quon dit maintenant Hongrie. Et ce
temps pendant, Stilco, auec vn autre Prince, nommé Aure-
lianus, furent créez Ducz et Consulz, par les empereurs,
pour résister ausdits Vesegoths, lan de lincarnation nostre
Seigneur, quatre cens et sept. Et enuiron ce temps, les
Soaues : qui sont hauts Allemans, quon dit maintenant
Lansquenets, entrèrent les premiers en Gaule, cestasauoir,
iusques à la cité d'Authun, au pourchas dudit Stilco. Et
consequemment Corsico, Roy des Vuandelz, et les Alains
et les Bourguignons, qui desia, comme dessus est dit, auoient
occupé le pais enuiron du Rhin. Lesquelles quatre nations
se fortifièrent et ioingnirent ensemble par alliance. Et fu-
rent estimez au nombre de trois cens mille hommes portans
armes.
81NGVLARITEZ DB TROTE. LITRB 111. 3S7
Comment lei François, vne autre nation d'Âllemaigne, fnrent reboutez
oultre le Rhin par les Vuandelz, Bourgaignons et Alains. Et les-
dits Bourguignons eslurent leur demeure au pals qui maintenant
porte leur nom : «t les autres passèrent ouHre, dont le« Vuandelz
donnèrent le nom au pals d'Vuandalousie en Espaigne : et les Oothf
et les Âlains au pals de Catbelongne.
Environ ce mesmes temps, vne autre nation de Germanie
nommez François, de la prouince de Franconie, oultre le
Rhin, autresfois domptée et suppeditee par lempereur Con-
stantius Flauius, filz de Constantin le grand, voulut entrer
en Gaule, tant pour changer meilleur territoire, comme par
enuie des nations dessusdites, lesquelles auoient grand bruit
de faire merueilles en Gaule. Et de fait, lesdits François
occupèrent les citez de Treues, de Metz, de Toul et de
Verdun, et le pais circonuoisin. Mais à listingation des
Soaues, anciens ennemis desdits François, les Vuandelz,
Bourguignons et Alains contraingnirent lesdits François
par force darmes à repasser le Rhin et retourner en Fran-
conie, dont ilz estoient partis.
Apres que les François furent ainsi rudement repoulsez,
les bendes victorieuses des Bourguignons, Vuandelz, Alains
et Soaues, alliées ensemble, mespartirent toutes les Gaules.
Par lequel partage, les Bourguignons, à leur choix et élec-
tion, obtindrent les païs et citez desia conquestees, cestasa-
uoir : Bezenson, Langres, Chalon, Mascon et leurs appar-
tenances. Et les Vuandelz, Alains et Soaues tirèrent oul-
tre, pour aller conquérir nouuelles terres et seigneuries : et
entrèrent premièrement en Aquitaine. Si gaignerent toute
la terre qui sied entre la riuiere de Loire : et les montai-
gnes Pyrénées deuers Espaigne, et sessayerent dentrer en
388 ILLVâTRATlONS DE GAVLE, ET
Espaigne : mais ilz en furent reboutez pour ceste fois :
neantmoins depuis ilz la conquirent toute : et encores Afri-
que, quon dit maintenant Barbarie, oultre le destroit de
Gybalthar. Tellement que desdits Vuandelz porte iusques
auiourdhuy le nom, le païs de Vuandalousie : quon dit
Landalousie, lun des plus fertiles quartiers de toute Es-
paigne. Et des Alains qui depuis se meslerent auec les
Goths, est nommé le païs de Gothalania, quon dit en lan-
gage vulgaire, Cathelongne. (1) Et ce peult on mieux voir
par les histoires d'Espaigne, desquelles ie me déporte pour
maintenant : à fin de retourner à noz Bourguignons.
Comment leg Bourguignons encores Gentilz et Payons receurent la
i;.!foy catholique : et la cause pourquoy : et de la victoire quilz eurent
■ /par ce moyen, alencontre des Huns, quon dit maintenant Hongres.
Cassiodore le Sénateur, acteur tresautentique, au qua-
trième chapitre du douzième Hure de Ihistoire Tripertite :
et après luy Celius Calanus de Dalmace, en la vie du Roy
Attyla, recitent, quun Prince nommé Subthar, obtint le
Royaume des Huns, tout seul, après la mort de Madhlu-
cus, son frère aisné : cestasauoir, Attyla et Bleda, que les
autres nomment Buda. Et comme il se veit desia sur aage
et sans enfans, il adopta pour ses filz légitimes, à la maniera
des Princes Romains, ses deux neueux, filz de son frère
Madhlucus defunct, et les establit ses héritiers futurs, et
participateurs de sa domination.
Apres lesquelles choses, le Roy Subthar, auec ses deux
neueux et vn ost innumerable des Huns, qui depuis ont
(1) Cette étyraologie de Gotks 4. Alain* est encore assez répandue.
SINGVLARITE£ DB TRUYE. L1VR8 III. 818
esté appeliez Hongres, entrèrent par force en Germanie de
tous costez, et mirent à feu et à sang plusieurs villes et
citez : et entre les autres la cité d'Argentine, quon dit
maintenant Strasbourg. Et de là entrèrent sur la terre des
Bourguignons : cestasauoir, en la Conté de Ferrette et au
païs des Souyceres. Et coururent iusques à Bezenson, Lan»-
grès, Auxonne, Chaalon et Lyon : et y feirent des maux
incroyables. Et ne peurent pour ceste heure là les Bour-
guignons résister à la puissance, fureur et multitude des
Huns, combien quilz y eussent mis toute leur force et leur
valeur : ains furent foulez et outragez sans remède. Les-
quelles choses acheuees à son souhait, le Roy Subthar et
ses neueux se retirèrent en Hongrie.
Or estoient les Bourguignons encores Gentilz, cestadire»
Payons et idolâtres : et telz que leurs ancestres auoient
esté de tous temps en leurs païs : dont quand ilz se veirent
auoir souffert vne si grieue playe et persécution, et con-
gnurent que nulle puissance humaine ne pouuoit supporter
le faix de leurs ennemis, ilz furent conseillez par leurs voi-
sins, desquelz ilz estoient aymez et bien vouluz, pource
quilz viuoient auec eux assez simplement et de leur propre
labeur, sans outrage, sans hausagerie (1) et sans tyrannie
(car pour la plus part estoient feures et charpentiers) quilz
deuoient auoir recours à layde diuin. Or estoit deslors nos-
tre foy catholique en bruit et en estime presques en toutes
les contrées de Gaule : sur lesquelles les Romains domi-
noient. Parquoy les Bourguignons furent conseillez de
prendre le saint sacrement de Baptesme et la créance des
Chrestiens. Et ny eut gueres à faire À les induire à ce, tant
pource que cestoit vn simple peuple, comme pource que la
(1) c.-à-d. aiTOgance.
590 ILLYSTRATIONS DE GATLE, ET
nécessité les y contraingnoit, mesmement en temps dafflio-
ticm et tribulation.
Par ainsi le peuple des Bourguignons, tout dun accord
et commun consentement, selon le conseil de leurs voisins
et amis, se tirèrent vers vne cité de Gaule, de laquelle
Ihistoire nexprime point le nom, supplians humblement au
prélat dicelle cité : quilz poussent receuoir Baptesme, et
alors leuesque les receut en toute bénignité : et leur
enioingnit quilz ieunassent par lespace de sept iours, et
fissent aumosne, pour lamour de iesvs christ, et en remis-
sion de leurs péchez : ce quilz feirent voulentiers. Et ce
pendant il leur prescha les articles de la foy et la créance
du saint Euangile : et au huitième iour les baptisa, et
leur donna licence de retourner en leurs mansions.
Eux retournez chacun en son domicile, ilz prindrent
conseil, courage et fiance en Dieu de pouuoir résister vail-
lamment contre leurs ennemis, quand ilz retourneroient
les assaillir. Et ne furent point frustrez de leur espérance :
car comme ledit Subthar, Roy des Huns, lan reuolu, auec-
ques vne armée innumerable de ses Huns, fut retourné au
pais des Bourguignons, pour destruire le reste par vne
merueilleuse horreur et rage forcenée : il fut défiait par
vne petite bende de Bourguignons : cestasauoir, trois mille
hommes sans plus, mais cestoient des plus nobles et des
plus vaillans dentre eux. Lesquelles espierent vn soir que
le Roy Subthar estoit couché en son pauillon, tout yure
et tout aggraué de vins et de viandes, parquoy ses gens et
son guet estoient en desordre. Si ruèrent les Bourguignons
sur eux par vne soudaine escarmouche et mirent les Huns
en desarroy, tellement quil y eut merueilleuse desconfiture
desdits Huns : cestasauoir, dix mille hommes morts sur la
place et trois mille prisonniers, le reste se sauua à la fuite,
8IN0VLARITEZ DE TROTB. LITRB III. 391
au moyen de la nuict obscure. Et le lendemain le Roy
Subthar fut trouué entre les morts, occis de trois playes.
Apres laquelle desconfiture, Buda et Attyla, successeurs
dudit Subthar leur oncle, au Royaume des Huns, furent
contraints faire paix et appointementauec les Bourguignons.
Par lannee du commencement du règne dudit Roy Attyla,
est assez congnu le temps de ladite victoire des Bourgui-
gnons. Et aussi le temps que iceux Bourguignons furent
premièrement Chrestiennez, qui fut la mesme année, ou
à tout le moins lannee précédente. Or est il certain par les
histoires que ledit Attyla commença à régner sur les Huns,
lan de lincarnation nostre Seigneur quatre cens et vn.
Mesmement selon vn historien nommé Michel Riz de Na-
ples : cestasauoir, du temps de lempereur Theodose le ieune,
filz d'Arcadius, séant au siège apostolique le Pape Boniface
premier de ce nom, enuiron lequel temps flourissoit saint
Hierome. Et les Saxons Allemans ietterentles anciens Bre-
tons hors de la grand Bretaigne et la nommèrent Angle-
terre, dé par leur Roy Anglus. Et régna ledit trescruel
Attyla, quarantequatre ans. Si tua son frère Bloda, (1) ou
Buda, lequel donna le nom à la cité de Bude en Hongrie.
Car parauant elle sappelloit Sicambre, du nom de Sicamber,
filz de Francus, qui fut filz d'Hector, comme iay monstre
plus à plein au principe de ce liure des Illustrations de
Gaule et Singularitez de Troye. Mais retournons au pro-
pos prétendu.
(1) Bloday également dans les éd. 1512 et 1528.
392 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Confutation de lerrenr de ceux qui cuîdent que du temps de la Mag-
deleine il y eust aucun Prince qui se nommast Roy de Bourgongne.
Et de la vérité de Ihistoire du Roy Gundengus qui premier fut
institué par les Bourguignons : et de ses gestes. Lequel Gundengus
estoit de lancienne noblesse des Goths, dont les Roys d'Espaigne
se disent auiourdhuy estre yssuz.
Povrce que cest chose difficile dextirper les erreurs inue-
terees, et que plusieurs sarrestent et sahurtent quant à
lopinion des anciens Roys de Bourgongne, à ie ne scay
quel abrégé vulgaire, qui se intitule, les Chroniques des
Roys, Ducz et Contes de Bourgongne, depuis lan quatorze
après la résurrection nostre Seigneur, etc. , où il met que
ledit an Trophinius, Roy de Bourgongne, fut conuerty à
Marseille en Prouence, par la prédication de la Magdeleine,
et fut le premier Chrestien. Et le second eut nom Estienne,
etc. A fin que les Lecteurs congnoissent que cela est faux
et apocryphe, regardent bien (1) la diligence que iay mis à
inuestiguer la vérité. Tout premièrement, si la Magde-
leine conuertit à Marseille aucun Prince ou seigneur
nommé Trophinius, ou autrement, ie ne le vueil nier ny
afiermer, car il est bien possible : et ie men raporte à ce
qui en est : mais quil se nommast Roy de Bourgongne, ny
de Prouence, ie le nie tout plat, et preuue le contraire en
ceste manière : Puis que, comme il est apparu cy deuant par
acteurs autentiques, les Bourguignons ne partirent d'AlIe-
maigne pour entrer en Gaule, sinon trois cens septantesix
ans après lincarnation nostre Seigneur, comment y eust
il eu Roy de Bourgongne habitant en Prouence du temps
(1) c.-à-d. qu'ils regardent bien.
SIIfGVLÂRITBZ DE TROTE. LIVRE III.
de la Magdeleine, cest argument est inuincible. Dautre
part, il est tout certain que celle partie de Gaule qui
depuis fut nommée Bourgongne, nestoit pas ainsi nom-
mée du temps que la Magdeleine vint en Prouence, ains
auoit autres diuers noms. Car ceux quon dit ores de la
franche Conté, se disoient lors Sequanois, ceux de la Duché
se noramoient Heduois, les Sauoyens et Dauphinois estoient
nommez AUobroges, et autres diuers noms particuliers
auoit la terre qui depuis fut nommée le Royaume de Bour-
gongne, par la conqueste des Bourguignons, qui dicelle
chassèrent les Romains. Et qui plus est, quant au païs de
Prouence, où la Magdeleine vint, qui eust ce esté qui en
iceluy eust osé porter couronne ou se nommer Roy, mesme-
ment du temps de lempereur Tibère, ou Claudius, ou Caius
Caligula ? Attendu que ledit païs de Prouence estoit rédigé
en propre prouince de Lempire Romain. Certes il ne peult
estre ne vray, ne vraysemblable. Parquoy ceste histoire se
monstrera plus véritable et plus clarifiée.
Le peuple des Bourguignons donques, depuis quil fut
descendu de la haute et parfonde Allemaigne, cestasauoir
deuers la mer de Danneraarch, comme dessus est dit, et
eurent passé le Rhin ladite année trois cens septantesix,
ilz conduiront leur police en estât de communauté et popu-
larité sans auoir Roy sur eux, par lespace de trentehuit
ans ou enuiron, cestasauoir, iusques à lan de nostre Sei-
gneur, quatre cens et quatorze. Laquelle année ilz eslurent
et establirent vn Roy sur eux, nommé Gundengus, aucun
temps auant que Pharamond fust constitué Roy des Fran-
çois, qui encores habitoient en Allemaigne : cestasauoir,
enuiron treize ans après que lesdits Bourguignons furent
faits Chrestiens. Toutesuoyes laques de Bergome en son
Supplément des chroniquejs met, que ledit premier Roy des
ILLVSTRATIONS DE GAVLË, ET
Bourguignons, lequel il nomme Gundiochus, nestoit pas
vray catholique, mais Arrien. Pource que quand le peuple
des Goths se voulurent conuertir à la foy, lempereur Valens,
lequel estoit hérétique, leur enuoya des Euesques pour les
baptiser et des docteurs pour les introduire en. ladite
hérésie Arrienne. Mais il est vraysemblable, que iasoit ce
que ledit Gundengus eust esté nourry en ladite secte, auec-
ques ses Goths, que quand il vint à régner sur les Bour-
guignons, il print la foy catholique, à fin de se mieux con-
former à son peuple.
Iceluy Gundengus ou Gundiochus estoit de lancienne
noblesse et lignée d'Athanaric et Alaric, Roys des Goths et
Vuisegoths, qui furent yssus des Cimbres, comme nous
auons veu au premier traicté de ce liure. Et fut ledit Ala-
ric, celuy qui premier abaissa Lempire Romain en Italie
et print Romme par force. Et tindrent longuement luy et
ses successeurs vne grand partie d'Italie et de Gaule en
leur subiection. Et depuis conquirent les Espaignes, telle-
ment que du sang diceux Roys des Goths, les Princes d'Es-
paigne sont descenduz de ligne en ligne : cestasauoir quant
au costé maternel. Parquoy il appert que tousiours de plus
en plus se redouble la noblesse et illustrité de ceste généa-
logie historiale.
Par ainsi Gundengus, premier Roy de Bourgongne ,
homme de grand noblesse et vertu, se mit en deuoir dam-
plier les limites de son Royaume. Et de fait, conquit la cité
de Lyon et tout le pais de Lyonnois, le Dauphiné, Mar-
seille et Prouence, iusques à Nisse sur la mer. Mais il eut
contre luy Etius Patricius, consul Romain, tresuaillant
capitaine, lieutenant gênerai et maistre de la cheualerie
des empereurs Honorius et Arcadius, et de Theodose le
ieune, successiuement tant en Gaule, comme en la grand
SINGTLABITBZ DE TROYE. LIVRB III. 395
Bretaigne. Si furent faites de merueilleuses batailles dun
costé et dautre : par lesquelles les Bourguignons eurent
finablement du pire. Mais pource quen ce mesme temps les
François premièrement reboutez oultre le Rhin par les
Bourguignons, et secondement par ledit Etius Patricius
Romain, estoient pour la tierce fois entrez en Gaule, du
costé de Tournay et Cambray, et paruenus iusques aux
riuieres de Somme, Seine et Loire, souz la conduite de
leur deuxième Roy, nommé Clodio le cheuelu, et de Mero-
neus, son fîlz : et que dautre part les Goths tenoient Aqui-
taine et les Huns menassoient de redescendre en Alle-
maigne : a fin que ledit Etius, Consul et lieutenant des em-
pereurs Romains, neust tout à vn coup affaire à tant de
nations, il feit paix et appointement final auec les Bour-
guignons.
Ainsi régna ledit Gundengus premier Roy de Bourgongne
paisiblement vne bonne espace de temps : cestasauoir, ius-
ques à ce que le dessusnommé Attyla, Roy des Huns, quon
dit maintenant Hongres, lequel se nommoit par ses tiltres
le Flayau de Dieu, descendit de Pannonie, quon dit ores
Hongrie, et d'Allemaigne, à tout cinq cens raille hommes,
tant de ses propres subietz, comme de ses alliez : lesquelz
furent Vualaud, Roy des Ostrogoths, et Ardaric, Roy des
Gepides, auec autres Princes et peuples merueilleux. A
tout laquelle armée, ledit Attyla entra comme foudre et
tempeste, dedens les Prouinces de Gaule, là où il gasta
tant en allant, comme en venant, vn grand nombre de
citez et grosses villes : entre lesquelles furent Mayence,
Tongres, Metz, Treues, Tournay, Cambray, Arras, Ter-
ouanne, cestadire terre vaine : car parauant, elle sappelloit
Morinum : Amiens, Beauuais, Chaalons en Champaigne,
Rheims. En laquelle il martyrisa S. Nicaise et sa sœur
396 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, KT
sainte Eutrope. Si print aussi Troyes en Champaigne,
laquelle il ne démolit point, par les prières de saint Loup,
Euesque dudit lieu, qui luy ouurit la cité. Aussi furent
destruites Lyon et Narbone, et la cité d'Orléans assiégée.
Mais Attyla ne la print point, pour crainte du Duc Etius
et de ses alliez, qui se renforçoient de iour en iour.
Le Duc Etius, pour lors lieutenant gênerai en Gaule pour
Lempereur Theodose le ieune, voyant le treshorrible gast
et dépopulation que faisoient les Huns en sa Prouince, déli-
béra de résister à leur cruauté. Si feit alliance auecques
Gundengus, Roy des Bourguignons, Meroveus, Roy des
François, Theodoric, Roy des Goths, et Charles le Bel, Duc
de Tongres et de Brabant. loingnit aussi auec luy les AUe-
mans, Saxons et Ambrons. Toutes lesquelles nations hay-
oient, craingnoient et redoutoient extrêmement la tresde-
testable inhumanité des Huns. Iceux donques confederez
ensemble, vindrent trouuer le Roy Attyla, es champs Cata-
launiques, lequel auoit abandonné son siège deuant Orléans,
pour doute d'eux, ou plustost pour les venir combatre,
comme ie croy. Aucuns disent, que lesdits champs Cata-
launiques sont auprès de Chaalons en Champaigne : les
autres tiennent quilz sont auprès de Tolouse.
Les armées abordées près lune de lautre, la bataille fut
donnée entre les deux parties, combien que le Roy Attyla
leust voulentiers refusée, ou dilayee, pource que les deuins
ne luy promettoient pas bonne fortune. lasoit ce quil eust
cinq cens mille hommes en armes, comme dessus est dit,
finablement il y fut combatu par si grand estrif et merueil-
leuse contention, quil y mourut que dune part que dautre,
cent quatre vingts mille hommes de fait. Entre lesquelz y
demeurèrent deux Princes de nom, cestasauoir, Gundengus,
premier Roy de Bourgongne, et Theodoric, Roy des Vuise-
SINCTLABITEZ DE TROYB. LIVRE III. 397
goths. Mais Charles le Bel, Duc de Tongres et de Brabant,
y acquit grand honneur, car il abbatit Ardaric, Roy des
Oepides, comme de ce ha esté touché au premier traicté en
parlant dudit Charles le Bel.
Ceste merueilleuse bataille et dosconfiture, par laquelle
Attyla receut grand perte et diminution de sa puissance,
fut cause de le faire sortir hors de Gaule et se retirer en
Hongrie, comme demy vaincu. Mais en se retirant il feit
des maux innumerables. Et aucun temps après il entra par
force en Italie où il feit le semblable. Et mourut lan qua-
tre cens cinquantequatre selon la chronique de saint Hie-
rome. Aucuns tiennent que Meroveus, Roy des François,
mourut aussi à ladite iournee qui fut faite lan de nostre
Seigneur quatre cens cinquante, selon ledit saint Hierome.
Theodoric, Roy des Vuisegoths, fut enseuely royalement à
Tolouse par son filz Thorismund. Mais de Gundengus, pr^
mier Roy des Bourguignons, ie nay point encores trouaé
où il fut enterré : mais tant y ha, quil mourut vertueuse-
ment et en bonne querele, contre les Payens idolâtres,
après auoir régné trente ans. Et laissa après luy quatre
enfans masles, desquelz nous parlerons maintenant.
Des quatre filz de GnndeDgun, premier Rojde Bonrgongne : cestasa-
aoir Gundebaud, Gundesigil , Chilperic et Oothmar : lesquelz
régnèrent par ensemble en Bourgogne après leur père. Et de la
guerre que les deux frères eurent contre les deux autres à cause de
la succession.
Apres la mort du Roy Gundengus, ses quatre filz, Gun-
debaud, Gundegisil, Chilperic et Gothmar, partirent Ihe-
ritage du Royaume en quatre parties, dont chacun obtint
sa portion et son quartier. Mais pource quil est bien diflS-
398 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
cile que quatre frères se puissent longuement entretenir (1)
pacifiques en matière de régner, il sourdit guerre et dissen-
sion entre eux. le ne scay pour quelle occasion, sinon peult
estre pour les limites de leurs seigneuries. Et tellement y
fut procédé, que Gundebaud et Gundegisil furent dune
bende, Chilperic et Gothmar, dune autre. Mais Chilperic
et Gothmar furent vaincuz et occis en pleine bataille, par
Gundebaud et Gundegisil, leurs frères aisnez. Et la femme
dudit Chilperic iettee dedens le fleuue du Rhône à tout vne
pierre au col, près de Marseille en Prouence. Et les enfans
raasles desdits Chilperic et Gothmar tuez. Les deux filles
dudit Roy Chilperic tenues en estroite garde, dont laisnee
nommée Sedelinde selon aucuns acteurs, ou Chrona selon
les autres, se rendit religieuse en vn Monastère. La plus
ieune nommée Clotilde fut nourrie et entretenue en Ihostel
dudit Roy Gundebaud, son oncle.
Da règne de Gundebaud et de Gundegisil son frère : et daucuns
de leurs gestes.
Qvand Gundebaud fut paruenu à la monarchie, cestadire
à estre seul dominateur du Royaume de Bourgongne, au
moyen de la victoire obtenue contre ses frères Chilperic et
Gothmar, il permit à son frère Gundegisil, iouyr et vser
dune portion du Royaume de Bourgongne. Et puis pour
soy fortifier par alliances, espousa la fille de Theodoric, Roy
des Ostrogoths, qui pour lors dominoit en Italie. Et cela
fait, le Roy Gundebaud passa les monts à tout vne grosse
et puissante armée : print et conquesta la cité d'Iaorie, (2)
(1) c.-à-d. se maintenir.
(2) Divoire {éd. 1528) pour Jvrea.
SiNGVLARIT£Z DE TROYE, LIVRE 111. 399
en la val d'Oste, et Turin en Piedmont, Corne et Nouare en
Lombardie, et assez dautres villes, chasteaux et citez. Si
se feit renommer et redouter par tout. Et à fin de renforcer
tousiours lalliance entre les Princes dessus mentionnez, les-
quelz occupoient Lempire Romain, Theodoric, Roy des Os-
trogoths, dominant en Italie, comme dessus est dit, donna
vne autre de ses filles à Sigisraond, filz dudit Gundebaud
Roy de Bourgogne : sa nièce nomme Almaberge, il la collo-
qua à Hermofrum, (1) Roy de Thuringe. Sa sœur à Thrasi-
mund, Roy des Vuandelz. Et après la mort de sa première
femme, ledit Theodoric, Roy des Ostrogoths, demanda en
mariage la fille du Roy Clouis de France, et leut, et tint le
siège de son Royaume à Rauenne, qui est vne grosse cite
et port de mer, sur la mer Adriatique en Italie.
Comment Clotilde de Bourgongae appetant la vengeance de la mort
de son père et de sa mère, consentit secrètement destre raaie par
Clouis, Roy de France.
Ce temps pendant que Gundebaud, Roy de Bourgongne,
estoit embesogné en ses conquestes de delà les monts, Clo-
tilde, sa nièce, deuint grande et belle en perfection. Et si les
Bourguignons faisoient merueilles de conquérir sur Lem-
pire Romain en Italie, aussi croissoient de lautre part les
François en Gaule, et prosperoient de mieux en mieux,
ainsi que par manière denuie de mieux faire. Et flourissoit
alors en son règne, en sa force et en sa ieunesse le Roy
Clouis de France, filz de Childeric. Lequel ayant certaines
affaires auec Gundebaud, Roy de Bourgongne, comme ont
(1) Hermo/ron (éd. 1528).
400 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
coustumierement Princes les vns auec les autres, enuoya
vue ambassade vers ledit Roy Gundebaud. Lesquelz ambas-
sadeurs retournez, contèrent à leur maistre, la grâce et la
beauté de Clotilde de Bourgongne ; et luy donnèrent grand
espoir de pouuoir iouyr du mariage délie et aussi du Royau-
me de Bourgongne, auquel elle auoit droit et action. Les-
quelles nouuelles donnèrent facilement impression damours
et dambition, en vn ieune cœur Royal.
Par ce motif, le Roy Clouis enuoya derechef vne autre
ambassade deuers le Roy Gundebaud de Bourgongne, de la-
quelle es toit chef vn baron nommé Aurelian, ayant charge
de demander au Roy Gundebaud sa nièce Clotilde en ma-
riage pour son Roy. Lequel Aurelian, homme de grand
prudence et discrétion, venu iusques bien près de la court
du Roy de Bourgongne, auant quil entamast la matière de
son ambassade vers le Roy Gundebaud, voulut première-
ment taster si le courage de la pucelle Clotilde se consenti-
roit à ce : laquelle difficulté luy sembloit grande, pource
quelle estoit Chrestienne et son maistre (1) Payen.
Aurelian donques lambassadeur, pour essayer le courage
de Clotilde, laissa ses gens et son train en vn bois prochain
de la court par vn iour de Dimenche. Et estant informé
que ledit iour elle auoit de coustume de donner laumosne
aux poures, il despouilla ses riches habillemens et vestit
par dessus son pourpoint vn habit de pèlerin, et salla met-
tre deuant le portail de leglise au reng des poures. Quand
la messe fut finee, Clotilde selon sa coustume, donna à cha-
cun poure vne pièce dor. Laquelle receiie par ledit Aurelian"
ambassadeur, il feit la reuerence à Clotilde et en luy bai-
sant la main la luy rendit. Et en ouurant son manteau de
(1) «»arîf(éd. 1513).
SIMOTLAHITEZ DE TROYE. LIVRE 111. 401
pèlerin, monstra et descouurit son riche accoustrement,
qui estoit pardessouz iceluy. Parquoy Ciotilde entendit fa-
cilement quil nestoit point poure, et que non sans cause il
auoit fait ce tour. Si fut curieuse de sauoir qui il estoit. Et
commanda à aucun de ses gens quil fust suiny et qxton ne
le perdist point de veiie.
Lambassadeur Aurelian après auoir fait cest acte, sachant
que voirement il seroit suiuy, se alla loger en vne bonne
hostelerie en la cité, en lieu apparent. Et Ciotilde après
estre informée de son logis, enuoya deuers luy vne sienne
femme de chambre, laquelle luy dit, quil eust de venir par->
1er à sa dame, ce quil feit diligemment. Et quand il fut en
sa présence, il la salua de par le Roy Clouis de France : et
luy dit la charge de sa légation. Si luy présenta laneau du
Roy son maistre, auec autres riches bagues et loyaux, en
signe d'arres (1) de mariage.
Ciotilde de primeface feit difficulté de prendre lesdites
bagues, pour arres de mariage, en sexcusant et disant, quil
nestoit point licite à vne fille Chrestienne, despouser vn
mary Payen. Neantmoins finablement elle se consentit de
prendre ledit aneau. Et donna charge à lambassadeur, quil
dist secrètement au Roy son maistre, quelle feroit tout ce
quil luy plairoit : et que deslors et desia elle le tenoit pour
son seigneur et mary : posé que encores nen fust autres
nouuelles, sinon entre eux trois, pour doute du Roy Gun-
debaud, son oncle. Et que ce pendant le Roy Clouis deust
faire ses diligences de la demander en mariage à sondit on-
cle, par solennelles ambassades. Ainsi fut il conclu entre eux
deux. Et après le partement dudit Aurelius, Ciotilde mit
laUeau du Roy Clouis au trésor du Roy Gundebaud, son
oncle.
(1) derres (éd. 1512).
11. »
402 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, fiX
Il sembla bien à lambassadeur Aurelian quil auoit assez
exploité dauoir obtenu si bonne response de la principale
partie. Si délibéra- , pour ceste fois non tirer plus outre en-
uersle Roy Gundebaud, ains retourner premièrement deuers
son maistre et laduertir de son exploit, comme il feit. Et
ce fait, certain temps après, comme sur chose asseuree, il
fut derechef enuoyé en ambassade bien magnifiquement,
deuers le Roy Gundebaud de Bourgongne, auquel il exposa
tout à plein la matière de son enuoy, selon ses instruc-
tions : et disoit que le Roy son maistre ne demandoit que
la personne de la fille simplement, sans douaire quelconque.
Le Roy Gundebaud, sentant et entendant bien comme il
aduint depuis, que lastuce des François luy demandoit non
seulement sa nièce, mais aussi son Royaume, fut bien do-
lent et courroucé. Si monta tantost en sa fureur et respon-
dit par grand fiereté audit ambassadeur, que iamais il ne
bailleroit sa nièce à vn tyrant Payen. A quoy lambassa-
deur répliqua, quil se preparast donques à la guerre : car
il auoit charge expresse, en cas de refus, de le deffier de
par le Roy Clouis son maistre : et de le sommer à luy assi-
gner iournee, et camp de bataille, pour vuider ceste querele.
Quand les Princes et Barons, conseilliers du Roy de
Bourgongne, entendirent le deffy et sommation du Roy
Clouis de France, craingnans la fureur et puissance des
François, qui tous les iours de plus en plus alloient pros-
pérant, ilz dirent à leur Roy Gundebaud, que attendu la
grand poursuite du Roy des François, il se donnast garde
que Clotilde sa nièce neust receu secrètement aucuns pre-
sens dudit Roy, parquoy elle luy eust peu faire quelque
promesse de, mariage. Souz lombre de laquelle, si ladite
Clotilde luy estoit refusée, il auroit occasion de présenter
la bataille.
SIKGVLARITBZ DE TROTS. LIVRE UI. 405
Selon les choses mises en termes, les trésors du Roy
Gundebaud et de ladite Clotilde furent cherchez et visitez.
Si trouua on au trésor du Roy Gundebaud, le signet (1) du
Roy Clouis de France, marqué de son nom et de sa pour-
traiture. Lequel signet icelle Clotilde y auoit mis comme
dessus est dit. Dont quand il fut recongnu, lesdits Barons
et conseilliers louèrent au Roy Gundebaud, quil enuoyast sa
nièce au Roy Clouis, à fin dauoir paix et deuiter guerre :
ce quil feit assez enuis et par grand desdain. Aucuns his-
toriens tiennent quelle fut rauie, de son bon gré et consen-
tement, pendant que le Roy son oncle estoit delà les monts :
et fut menée à Soissons, où les noces furent célébrées
solennellement.
Des deux requestes que Clotilde de Bourgongne, Royne de France,
feit premièrement au Roy Clouis, son mary : et de leffect dicelle
quant à la guerre, contre son oncle Gundebaud. Et de la mort de
Gundegisil, son autre oncle, qui tint le party des François.
Venu le iour de solenniser les noces, après toutes bon-
nes chères, Clotilde pleine de prudence et dastuce, ains que
son mary la touchast, luy feit deux requestes expresses :
lune quen délaissant la culture des idoles et des faux
Dieux, pleins de vanité, il creust au Dieu seul qui créa le
ciel et la terre, le père, le filz, et le saint esprit. La seconde
requeste fut, que ledit Roy vengeast la mort de son père
Chilperic, et de sa mère, et de son oncle Gothmar, et de
ses petis frères et neueux occis iniustement et outrageuse-
(1) c.-à-d. Tanneau qui, au moyen-âge comme chez les Romains,
servait à sceller les affaires courantes. Cf. Ducaoge, v. Signetum.
404 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
ment, par son oncle le Roj Gundebaud de Bourgogne. Et
que ledit Roy Clouis recouurast le Royaume de Bourgongne
qui par droit dheritage appartenoit à elle. Desquelles deux
requestes le Roy Clouis luy ottroya la seconde, mais non
pas la première.
Certain temps après, au pourchas dicelle Royne Clotilde,
le Roy Clouis enuoya deuers le Roy Gundebaud le dessus-
nommé Aurelian ambassadeur, pour demander les trésors
et biens meubles, bagues et loyaux appartenans à la Royne
Clotilde, à cause de son feu père le Roy Chilperic et de sa
mère aussi. Dont le Roy Gundebaud, enflambé d'ire et de
maltalent oultre mesure, commença à vser de grands me-
nasses enuers ledit ambassadeur : mais par le conseil de ses
Barons, lesquelz esleuoient iusques aux cieux le merueilleux
courage des François, ledit Roy Gundebaud vaincu de leurs
paroles, deliura audit Aurelian ambassadeur, vne bonne par-
tie desdits trésors pour porter au Roy Clouis et à sa femme.
Et par ainsi il demoura aucun temps en paix.
La Royne Clotilde, enuieuse et dolente de ce que son on-
cle demouroit si long temps paisible Roy de Bourgongne,
pressa tant et sollicita son mary dentamer la guerre ouuerte
à son bel oncle, et tant luy rameutent sa promesse et lap-
pella de sa foy, que Clouis fut contraint dy aller à grand
puissance. Laquelle chose voyant, Gundebaud rallia auec
luy son frère Gundegisil : et donnèrent ensemble la bataille,
auprès de Diion, qui nestoit lors quun chasteau, sur la
riuiere nommée Ostara, (1) là où les Bourguignons eurent
du pire et ne peurent supporter le fiEiix des François, ains
perdirent la iouruee et se sauuerent à peine iceux deux
Roys à la fiiite.
(l) L'Ouchtl
SINGVLARITEZ DE TROYR. LIVRK 111. 405
Gundebaud se retira dedens sa cité d'Anignon sur !e
Rhône, auquel lieu Clouis lalla assiéger et le tint illec en
merueilleuse angoisse et nécessité, iusques à ce quun Baron
treslojal dudit Roy Gondebaud salla rendre par feintise au
Roy Clouis. Et eut tant de crédit et dautorité autour de
luy, quil trouua finablement manière de faire lappointement,
en telle sorte, que le Royaume de Bourgongne deuroit estre
deslors en auant, subiet et tributaire perpétuellement aux
François. Et que la plus grand partie des trésors du Roy
Gundebaud seroit deliuree au Roy Clouis. Lesquelles choses
accordées, chacun sen retourna en sa chacune. Puis ledit
Gundebaud mourut, après auoir régné ans (1) : et laissa
deux filz, cestasauoir, Sigismund et Gondemar, lesquelz
succédèrent au Royaume de Bourgongne, après leur père
Gundebaud et Gundegisil, leur oncle, qui mourut sans hoirs
de son corps.
Cela est couché selon vne vieille chronique que iay trouuee
en la librairie de saint Hierome à Dole. Mais Gaguin met
vne autre opinion de ladite guerre de Clouis et de Gunde-
baud : et dit, que Gundegisil fut contre son frère et tint
le party des François : et que après ce que le Roy Gunde-
baud sen fut fuy de la bataille et assiégé par Clouis, il fut
prins : mais il fut racheté en payant grand rençon, car il
estoit trespuissant en trésors. Laquelle chose pourchassa
et moyenna vn tresriche citoyen d'Arles, nommé Aredes :
lequel feit au Roy Clouis plusieurs grans presens pour
rauoir son Prince. Par ainsi lappointement fut fait entre
les deux Roy s, moyennant ce que le Roy Gundebaud pro-
(1) même lacune en éd. 1513, 1528 et 1533. Il s*agitda roi Gom-
baad, auteur de la loi Gomhetta, et mort à Genéye en 516. J. Lemaire
s'explique plus bas au sujet de cette lacune.
406 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mit au Roy Clouis certain tribut par an. Apres lequel ac-
cord le Roy Clouis sen retourna en France : mais laissa en
Bourgongne cinq -mille hommes de guerre, souz la charge
et conduite de Gundegisil, frère du Roy Gundebaud, lequel
se tenoit à Vienne.
Tantost après que le Roy Clouis fut party de Bourgongne,
Gundebaud, bien dolent de sa perte et désirant la recou-
urer, mit sus vne grosse puissance et vint assiéger son
frère Gundegisil et les François qui estoient en sa cité de
Vienne. Durant lequel siège, Gundegisil ietta tous les
poures mesnagers dehors, de peur destre affamé : laquelle
chose fut cause de sa destruction. Car vn maistre masson
qui autresfois auoit eu la charge des conduits des eaues
venans par artifice à Vienne, indigné et marry de ce quil
auoit esté chassé comme les autres, se tira deuers le Roy
Gundebaud et luy monstra le secret dentrer en la cité par
vn conduit desdites eaues, dont il fut le tresbien venu. Et
au moyen de ce Vienne fut prinse par les Bourguignons. Et
iasoit ce quil y eust grand resistence de par Gundegisil et
les François, et grand tuerie dun costé et dautre, finable-
ment la victoire demeura au Roy Gundebaud, et fut Gun-
degisil occis en la foule. Les gensdarmes François qui de-
meurèrent en vie, furent enuoyez à Tolouse, au Roy Alaric
des Goths, ennemy de Clouis, Roy de France. Mais pource
que le règne desdits quatre frères, Chilperic, Gothmar,
Gundebaud et Gundegisil, fut confuz et indistinct, et que
le temps du règne dunchacun diceux nest point limité, (1)
nous ne les conterons que pour vn en ceste généalogie his-
toriale et viendrons à leurs successeurs.
(1) V. la note précédente.
SINGVLABITEZ DE TftOTB. LIVBB III. 407
f>h xiT9t5*f'>'T 107 '.rrr.Vi r-h rn-/
De saint Sigismuad, trouieme Roy de Bourgong^e : et de Oondemar,
ou Qondeual, ion frère. Et comment la Rojme Clotilde fut cause de
leur deffaite : et de Clodomir, Roj d'Orléans, qui feit mourir crueU
lement ledit Sigismund, Roy de Bourgongne.
Sigismvnd et Gondemar, enfans du Roy Gundebaud,
régnèrent après leurdit père et leur oncle Gundegisil, et
vescurent paisiblement ensemble. Or auons nous dit cy des-
sus comment Sigismund, auant quil fust Roy : cestasauoir,
du viuant de Gundebaud, son père, espousa premièrement
la fille du Roy Theodoric, des Ostrogoths, qui dominoit en
Italie et tenoit son siège et sa court Royale à Rauenne.
De laquelle fille du Roy Theodoric, il eut vn filz nommé
Sigeric : et puis sa femme mourut. Parquoy le Roy Sigis-
mund de Bourgongne se remaria de nouueau à vne autre
dame, dont ie ne scay le nom, ne de quelle maison elle
estoit. Laquelle, comme marastres bayent naturellement
les enfans des premières femmes de leurs marys, pourchassa
tant enuers le Roy Sigismund, quil print en hayne son fîl«
Sigeric et le feit mourir.
Apres que le Roy Sigismund de Bourgongne eut perpé-
tré cest homicide en la personne de son propre filz, il en
print yne merueilleuse desplaisance : et en feit pénitence
extrême et incroyable. Et à fin que Dieu luy pardonnast
son péché, il print sa totale deuotion aux saints Maurice,
Exuperius, Candidus et Victor, et aux autres martyrs, quon
dit la légion de Thebes, qui recourent mort et passion par
le commandement de lempereur Maximian, au lieu quon
dit Agaunum, maintenant Chablais en Sauoye, au pied
du mont Columnaiou, quon dit maintenant saint Bernard.
Si leur feit faire vne église somptueuse : et la renta et
lOS ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
doua de grans biens, et feit desseruir par religieux de
sainte vie et bonne conuersation : tellement que par ce
moyen, il obtint remission de son péché, ainsi que tesmoi-
gnent les grans miracles, que Dieu luy ha donné grâce de
faire après sa mort : si comme guérir de fièvres et autre-
ment. Messire Robert Gaguin qui ha escrit les histoires de
France, dit que ce ne fut pas Sigismund, qui feit faire ledit
monastère, mais son frère Simon. Il se trompe luy mesmes :
comme il est aucunesfois négligent en son histoire. Et cuide
qpe Sigismund et Simon soient deux noms diuers. Tout
fiinsi qui diroit, que Goderaar, Gondemar et Gondeual,
fussent trois noms differens, et ce nest quun prononcé
diuersement : car il ne se treuue point que le Roy Gunde-
baud eust autres enfans que ces deux cy Sigismund et Gon-
demar.
Endementiers que le Roy Sigismund mettoit son estude
à fonder ladite église de saint Maurice en Chablais, et
autres dont on dit quil édifia grand nombre, Clotilde, sa
pousine, Roy de France, ne peut longuement souffrir sa
prospérité. Ains après la mort du Roy Clouis, son mary,
elle estant à Tours, sen vint à Paris, là où elle assembla
ses quatre enfans, cestasauoir, Theodoric, Roy de Metz et
fi'Austriche la basse : Clodomir, Roy d'Orléans : Clotaire,
Roy de Soiffons : et Childebert, Roy de Paris. Ausquelz
elle feit vne grand plein te : et leur remonstra comment
vne bonne partie du Royaume de Bourgongne leur appar-
tenoit par droit dheritage , et comment Sigismund et
gondemar, enfans de Gundebaud, la leur retenoient par
vsurpation. Car ledit Gundebaud, son oncle, auoit fait mou-
rir mauuaisement et tyranniquement le père délie, Chil-
peric, leur ayeul maternel, et sa mère, leur ayeule, et ses
frères, leurs oncles : et vsurpé la despouille et Iheritage
SINGVLARITEK DE TROTE. LITRE III. 409
dicenx. Lequel elle prioit à toute instanoe à sesdits enfans
vouloir recouurer, comme à eux appartenant : et prendre
vengeance de ce grand outrage, sur lesdits Sigismund et
Gondemar de Boargongne.
Ces paroles et instigations maternelles enflamberent ias
cœurs de ces quatre ieunes Princes, Theodoric, Clodomir,
Olotaire et Ohildebert, de telle sorte, quilz ne penserait
iamais assez à temps auoir satisfait à la voulenté de leur
mère : ains après luy auoir fait promesse certaine de ce,
mirent sus toutes leurs forces et puissances de guerre, à
tout lesquelles ilz entrèrent au Royaume de Bourgongne :
et alencontre d'eux vindrent en bataille rengee, le Roy
Sigismund et Gondemar, son frère. Lestrif fut grand dun
costé et dautre, et la bataille sanglante : mais en parfin,
les Bourguignons déclinèrent. Gondemar, qui estoit nauré,
se retira premier, auecques ses gens. Sigismund senfuyt
en leglise de saint Maurice en Chablais : laquelle il auoit
fondée comme dessus est dit. Et là fut il prins par Clodo-
mir, Roy d'Orléans, son cousin : auec sa femme et ses
enfans, et mené prisonnier en la cité d'Orléans.
Puis (l)que Clodomir, Roy d'Orléans, eut mené prisonnier
le Roy Sigismund de Bourgongne, sa femme et ses enfens à
Orléans, il les tint assez estroitement, et aucunesfois déli-
béra de les faire mourir. A quoy vn saint Abbé d'Orléans
nommé Auitus, qui lors flourissoit en bruit de sainteté,
cuida bien contrester : priant et enhortant le Roy Clodo-
mir, quil ne le feist pas, et disant, que sil comraettoit ce
criminel outrage, mal luy en prendroit auant long temps.
Mais au pourchas de la Royne Clotilde, mère dudit Clodo-
mir,. qui desiroit la totale destruction de son sang, le bon
(1) c.-à-4. après que.
410 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
saint Abbé ne fut point ouy : ains furent tuez et meurtris
piteusement ledit Roy Sigismund, la Royne, sa femme, et
leurs enfans, et iettez dedens vn puits, au lieu qui se dit
Coulonnanic : dont il aduint que lannee ensuiuant, selon ce
que le bon Abbé saint Auit auoit prophétisé, ledit Clodo-
mir, Roy d'Orléans, et ses enfans, moururent mescham-
ment : comme sera dit cy après. Certain temps après leur
mort, leurs corps furent portez d'Orléans à saint Maurice
en Chablais, par ledit saint Abbé, nommé Auitus, et ense-
uelis honnorablement. Là où iusques auiourdhuy ledit Roy
Sigismund est réputé saint, pour les miracles que Dieu
monstre à son intercession.
De Gondemar, quatrième Roy de Bourgongne et dernier de la lignée
des Goths, et comment au poorchas de la Rojne Clotilde, sa cou-
sine, il fut totalement destruit : et le Royaume de Bourgongne
■vint en la main des François. Et de la mort du Roy Clodomir d'Or-
léans.
Encores ne suflSt il pas à la Royne Clotilde, appetant
vengeance oultremesure : ne elle ne fut saoule du meschef
pitoyable du Roy Sigismund, de sa femme et de ses enfans,
si elle ne voyoit parfaire la totale destruction de son sang.
Si instiga derechef son filz Clodomir, Roy d'Orléans, da-
cheuer la reste contre Gondomar, Roy de Bourgongne, qui
maintenoit ladite Royne, après son frère Sigismund. Par
ainsi Clodomir à linstance de sa mère, assembla la plus
grosse armée quil peut, et à tout icelle entra au Royaume
de Bourgongne. Si luy vint au deuant le Roy Gondemar,
auec si grand puissance, quil peut finir de ses vassaux : et
sassemblerent au territoire de Viennois, en vn lieu qui est
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRB tll. 411
appelle Visoront. La bataille fut aspre et cruelle. Mais
quand les Bourguignons ne peurent soustenir le faix des
François, ilz tournèrent en fuite auec leur Roy Gondemar.
Lequel fut suiuy par Clodomir, Roy d'Orléans, par si grand
roideur et aspresse, quil seslongna assez de ses gens : et
pressa si fort Gondemar, Roy de Bourgongne, quil le ratain-
gnit à la fuite, en le menassant par derrière de grosses
paroles, et le pbursuiuant par grand orgueil et vantise.
Alors le Roy Gondemar de Bourgongne retournant sur luy
par grand fureur et indignation, coucha sa lance et abbatit
ledit Clodomir ius de son cheual , tellement quil demeura
là : et Gondemar retournant à sa course, se retira dedens
sa cité d'Authun.
Les nouuelles esparses de la mort de Clodomir, Roy d'Or-
léans, Clotilde ne dormit pas : ains resueilla ses deux filz
Clotaire, Roy de Soissons, et Childebert, Roy de Paris, à
venger la mort de leur frère Clodomir, Roy d'Orléans, Les-
quelz obteraperans à la voulenté de leur mère, vindrent
assiéger la cité d'Authun, en laquelle sestoit fortifié Gon-
demar, Roy de Bourgongne. Si la prindrent par force et
tuèrent ledit Roy Gondemar : toutesuoyes Gaguin es chro-
niques de France, met quil eschappa, et les François emme-
nèrent sa femme prisonnière.
Par ainsi faillit en cestuy Gondemar la lignée masculine
du sang des Goths, dont Gundengus, premier Roy des Bour-
guignons, estoit yssu. Et ne demoura dudit lignage, sinon
Clotilde, Royne de France, fille de Chilperic, Roy de Bour-
gongne : a la poursuite de laquelle femme trop vindicatiue,
tout le dessus narré aduint. Mais de tant fut heureux le
trespreux Roy Gondemar, que auant sa mort il se vengea
de son ennemy mortel et raauuais cousin le Roy Clodomir
d'Orléans, interfecteur et meurtrier de saint Sigismund, son
412 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
frère. Et ne iouyt pas iceluy Clodomir de sa conqueste
vsurpatiue du Royaume de Bourgongne, ne nul de ses
enfans après luy, comme Ihistoire dira tantost.
Comment Theodoric, Clotaire et Childebert, enfans dn Roy Clouis
de France et de Clotilde de Bourgongne, tindrent ensemble le
Royaume de Bourgongne : et de la mort des enfans de Clodomir,
Roy d'Orléans : et aussi dudit Childebert, Roy de Paris.
Apres la mort de Clodomir, Roy d'Orléans, et de Gonde-
mar, Roy de Bourgongne, Clotaire, Roy de Soissons, et
Childebert, Roy de Paris, diuiserent entre eux le Royaume
de Bourgongne : mais ce ne fut pas sans Theodoric, leur
frère aisné, Roy de Metz et d'Austriche la basse : lequel
tant à cause de sa primogeniture, comme pource quil auoit
esté chef à la première victoire contre Sigismund et Gon-
demar, eut la meilleur part dudit Royaume de Bourgongne.
Or auoit la Royne Clotilde retiré les trois enfans de son
filz, le Roy Clodomir d'Orléans, et les nourrissoit en son
hostel, dont Childebert et Clodomir, mal contens, crain-
gnans quelle ne les gardast pour les auancer au Royaume
de Bourgongne et d'Orléans, les feirent venir vers eux,
souz couleur de beniuolence. Et quand ilz les eurent, Clo-
taire en tua deux de sa main : cestasauoir, Gunthier et
Theodoald. Le tiers nommé Clodoal eschappa et senfuyt
en franchise, là où il deuint moyne, de toutes lesquelles
choses la Royne Clotilde eut grand regret. Mais elle en
auoit donné les principes et fondemens.
Ainsi feirent partage ledit Childebert et Clotaire par
ensemble, des despouilles et de Iheritage de leur frère Clo-
domir. Mais en parfin (comme cest de coustume entre gens
SINGVLARITEZ DE TROTS. LIVRE III. 413
de mauuais affaire) sourdirent plusieurs guerres et dissen-
sions entre eux : parquoy Cranus, lun des ûh de Clotaire,
rebella contre son père : et tint le party de son oncle Chil-
debert. et luy feirent ensemble forte guerre. Pareillement
Theodebert, son neueu, Roy de Metz, fut contraire à son
oncle Clotaire, pour la querele de Childebert, son autre
oncle. Apres toutes lesquelles choses ledit Childebert, Roy de
Paris et personnier (1) au Royaume de Bourgongne et d'Or-
léans, mourut lan quaranteneuuiemo de son règne : qui fut
lan de nostre Seigneur cinq cens cinquante neuf. Et pource
quil ne laissa nulz hoirs de son corps, le Royaume de Paris
et ses autres seigneuries paruindrent à Clotaire, Roy de
Soissons (selon ce que met Gaguin), dont il print grand
accroissement. Toutesuoyes iay trouué ailleurs, quil adopta
en filz son neueu Theodebert. Mais comment quil en soit,
tout reuint après audit Clotaire, comme sera dit cy après,
le treuue que ledit Childebert alla faire la guerre au
Royaume d'Aragon, et à son retour, fonda vne abbaye à
Paris au nom de saint Vincent : en laquelle il fut ense-
uely. Par ainsi ne demourerent que deux regnans en la
Bourgongne, combien quilz fussent vsurpateurs dicelle :
cestasauoir, Theodoric, Roy de Metz et d'Austriche la
basse : et Clotaire, Roy de Soissons, d'Orléans et de Paris :
mais pource que Theodoric estoit le chef et laisné, nous
continuerons la généalogie desdits Roy de Bourgongne, par
iceluy Theodoric et les siens.
(1) parsonnier (éd. 1513), c.-à-d. ayant f&ri, parctnnariMS.
414 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Tbeodoric, cinquième Roy de Bourgongne et aussi d'Austriche la
basse et de Thuringe, et de ses gestes.
Theodoric premier de ce nom, filz aisné du Roy Clouis
de France et de la Royne Clotilde de Bourgongne, régna
en chef et eut le tiltre du Royaume de Bourgongne, comme
il appert clerement par les gestes que luy et son deuxième
successeur feirent en Italie : ce quilz neussent peu faire,
sans auoir le Royaume de Bourgongne. Iceluy Theodoric
fut Prince fort guerroyeur : et vainquit auec ses frères en
bataille rengee, ses deux cousins Sigismund et Gondemar,
Roys de Bourgongne, à la première conqueste, comme des-
sus est dit. Toutesuoyes, ie ne treuue point quil fust à la
seconde, occupé parauenture en autres affaires : car il feit
la guerre au Roy de Thuringe, en Allemaigne, et le vain-
quit : si subiuga son Royaume. Dautre part, il entra en
Italie', à tout quatre vingts mille hommes, et rompit du
premier coup les Romains : desquelz estoit Duc Bellisarius,
pour lempereur lustinian. Si conquit toute la région de
deçà la riuiere du Po. Puis sen retourna par faute de
viures. Neantmoins il y laissa deux capitaines, lun nommé
Buccellin (1) et lautre Amyng : lesquelz depuis furent vain-
cuz et surmontez par Narses, Consul et chef de larmee
Romaine : comme sera dit cy après, quand nous parlerons
du règne de Theobald, son neueu. Puis encores derechef
ledit Theodoric, Roy de Metz et de Bourgongne, enuoya dix
mille Bourguignons en Italie, à layde de son beaufrere
Theodoric, Roy des Ostrogoths, lequel menoit la guerre en
Italie. Aussi ledit Theodoric, Roy de Bourgongne et d'Aus-
(l) Bucelliniéd. 1513).
81NGVLAR1TKZ DE TROTS. LITRE Ul. 415
triche la basse, eut aucunes guerres et différents contre son
frère Clotaire, Roy de Soissons, dont les histoires de France
font ample mention, pourquoy ie men déporte. Finablement
il fut tué, ie ne scay comment, après auoir régné vingttrois
ans : et laissa vn Qlz nommé Theodebert.
D« Theodebert, sixième Roy de Bourgoagae et d'Auatriche U basse,
qui aacunesfois ha esté nommée France Orientale.
Theodebert, filz de Theodoric, Roy de Bourgongne, d'Aus-
triche la basse et de Thuringe, fut Prince de grand prou-
esse en armes : car luy ioint auec Childebert et Clotaire,
ses oncles, eslargirent leurs dominations iusques en Ba-
uiere et Austriche la haute : et feirent parensemble la
guerre aux Lombars et aux Gepides, Depuis ledit Theode-
bert se benda auec son oncle Childebert, Roy de Paris,
contre son autre oncle Clotaire, Roy de Soissons. Et fut la
bataille preste à donner, au lieu de Combre, au territoire
d'Orléans : mais il sesleua miraculeusement vne si horrible
tempeste de fouldre, de tonnoire et de pluye, quilz furent
contraints de non batailler. Et y fut moyenne certain ap-
pointement. Toutesuoyes au commencement du règne dudit
Theodebert, ses oncles Childebert et Clotaire eurent enuie
sur luy et le cuiderent circonuenir et faire aucun mauuais
tour : mais il les sceut bien gaigner, par prudence et cour-
toisie, et par le moyen et seruice de Charles Hasbain, Duc
de Tongres et de Brabant : comme sera dit au traicté subsé-
quent. Joint à ce, quilz craingnoient sa puissance, parquoy
il demoura en son entier : et régna pacifiquement seul en
Austriche la basse et en Thuringe, et auecques eux en
Bourgongne, dont il estoit chef. Mais non pas longuement,
à ce que puis comprendre . car il mourut, enuiron le temps
416 ILLTSTRATIONS DE GAYLE, ET
que la Royne Clotilde, sa grand mère, trespassa à Tours.
II laissa vn filz son héritier nommé Theobald. Et ne treuuô
point quil feist aucun passage en Itsdie, comme feirent son-
dit père Theodoric et son filz Theobald. Parquoy il fait à
présupposer, quil ne régna gueres de temps, ou fut empes-
ché ailleurs.
De Theobald, septième Roy de Bourgongne, et de ses gestes en Italie.
Apres le roy Theodebert, régna son filz Theobald : cesta-
sauoir en Austriche la basse, seul et pour le tout : et en Bour-
gongne comme chef, auec Childebert et Clotaire, ses grans
oncles. Blondus Flauius, (1) tresnoble historien, met en son
cinquième liure de linclination de Lempire Romain, que
ledit Theobald, lequel il appelle Roy de Metz, enuoya en
Italie vn nombre de gens de guerre Bourguignons et Fran-
çois, souz la conduite de trois capitaines, dont le premier
se nommoit Buccellin, lautre Amyng, desia cy dessus men-
tionnez, et que son ayeul Theodoric y auoit enuoyez, et le
tiers auoit nom Lohier : voire et ledit Roy Theobald y alla
en personne, et passa son armée par le mont Xenin, (2)
qui est auprès du mont saint Bernard : et descendit en la
val d'Oste, iusques en la plaine de Plaisance.
En ce temps là, Theyas, (3) Roy des Goths, faisoit la
guerre aux Romains et eux à luy. Si cuyda bien que lesdits
Bourguignons et François fussent venuz à son secours, mais
il fut deceu : car quand ce vint à donner la bataille entre les
(1) Biondo (1388 f 1463), auteur de Roma instaurata, Roma triuW'
phans, et Italia illustrata.
(2) c.-à-d. le Mont Cenis.
(3) Yraias (4d. 1513). C'est Teia, roi des Ostrogoths, mort en
553. Plus bas, l'éd. 1513 porte Thtias.
SnfGYLABITEZ DR TROTE. LITRE in. 447
deux parties : cestasauoir, les Goths et les Romains, iceux
Bourguignons et François qui estoient neutres, ne tindrent
ne pour lan ne pour lautre : mais se rongèrent contre toutes
les deux armées et defiSrent lune et lautre. Laquelle vic-
toire obtenue, Theobald, Roy de Boufgongne et d'Austriche
la basse : qui autresfois sest nommée France Orientale, sen
reuint deçà les monts. Neantmoins il laissa pour ses lieute-
nans en Italie, cestasauoir au quartier des montaignes de
Gennes, les trois capitaines dessus mentionnez : Buccellin,
Amyng et Lohier, auec lesquelz Theyas, Roy des Goths, feit
alliance contre les Romains. Parquoy lesdits Bourguignons
et François descendirent en la plaine de Parme, pour secou-
rir ledit Roy Theyas.
Lesquelles choses entendant Narses le Chastré, chef de
larmee de Lempereur lustinian, eust esté en grand soucy et
desespoir, si ne fust que Sisulad, (1) Roy des Erules, com-
paignons des Lombards, feit alliance auecques ledit Narses
et vint courir tout le pais de Turin et d'Iuorie estant des
appendences du Royaume de Bourgongne : dont les habi-
tans, qui de ce ne se doutoient, furent surprins et circon-
uenuz : mais contre Jedit Roy Sisulad fut enuoyee vue
bende de François et de Bourguignons. Ce nonobstant le
Roy Sisulad print luorie et assiégea Turin : iasoit ce quil
nelapeust prendre. Les François et Bourguignons ne feirent
autre chose que piller : tant sur amis, comme sur ennemis.
Et feirent appointement auecques ledit Roy Sisulad et bu-
tinèrent entre eux toute la région oultre la riuiere du Po.
Et se ioingnirent aussi auecques les Goths, qui depuis fu-
rent defiaits par les Romains enuiron Lucque : et y mou-
rut Theyas, Roy des Goths, et bien cent mille hommes auec
luy.
(I) SysulaU (éd. 1513).
II. ffl
418 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Lohier et Amyng, capitaines des François et des Bour-
guignons pour le Roy Theobald, se saunèrent à la fuite
et sen vindrent retirer à Plaisance : mais la reste de larmee
desdits Bourguignons et François, lesquelz auoient esté
vaincuz, establirent sur eux vn autre chef et Duc, nommé
Hunnides, de la nation des Ostrogoths : auec lequel ilz se
cuiderent retirer dedens Vérone, mais ilz en furent forclus
par vn autre Ostrogoth, nommé Hercus, qui auoit ladite
ville en garde. Par ainsi Hunnides pensant se retirer à
Plaisance, fut prins en chemin : et enuoyé à Narses le
Chastré, chef de larmee de lempereur lustinian : Amyng,
lun des capitaines des François et Bourguignons, fut tué :
lautre capitaine nommé Lohier, attaint dune fleure, mourut
à Trente.
A cause desquelles choses, la guerre des Romains contre
les Goths fut du tout finee et anichilee. Et consequemment
Theobald, Roy dfe Bourgongne, perdit tout ce quil auoit en
Italie, et mourut puis après dune fleure, le septième an de
son règne, sans hoir de son corps. Toutesuoyes Blondus
Flauius dit quil fut tué en bataille contre Chilperic, son
oncle : ce qui ne renient pas en taille. Et pource que ledit
Theobald ne laissa nulz hoirs de son corps, son grand oncle
Clotaire hérita de tous ses Royaumes, seigneuries et trésors.
Auquel Clotaire il nous faut maintenant tourner nostre
plume.
De Clotaire premier de ce nom, huitième Roy de Bourgongne, de
France et d'Austriche la basse : lequel espousa la femme de son
frère Clodomir, Roy d'Orléans.
Clotaire, filz du roy Clouis de France et de la royne
Clotilde de Bourgongne, lequel nestoit premièrement que
SDfGVLARITBZ DB TROTB. LIVRB III. 419
roy de Soîssons, suruescut tous ses frères et neueux, et
eut toutes leurs successions. Nonobstant quil eust eu main-
tes guerres contre eux, comme dessus est dit, dont il fut
merueilleusement augmenté en tenement de seigneuries.
Toutesuoyes il fut cruel homme et luxurieux : comme celuy
qui tua ses deux petis neueux Gunthier et Theodoald de sa
propre main, et espousa leur mère nommée Gundenga,
femme de son frère Clodomir : mais ce nestoit pas de mer-
ueilles, (1) car il sentoit encores sa Payennie et estoit Chres-
tien de trop fresche mémoire. Il pourpensa aussi dattribuer
à luy la tierce partie de tout le reuenu des églises : mais
il en fut gardé par larcheuesque de Tours, qui luy remon-
stra franchement, quil ne le deuoit pas faire. Il feit bouter
le feu dedens vne chapelle de S. Martin, en laquelle sestoit
retiré en franchise Conobaldus, roy d'Aquitaine, auquel
ledit Clotaire faisoit la guerre, pource quil auoit donné
faueur à son filz Crannus rebellant contre luy : et fut bruslé
ledit roy Conobald dedens ladite chapelle de S. Martin, la-
quelle le roy Clotaire feit depuis reedifier. Sondit filz Cran-
nus aydé et fauorisé de Senabutus, Conte de Bretaigne, osa
bien donner la bataille à son père le roy Clotaire : mais il
y fut vaincu et prins auec sa femme et ses deux enfans,
lesquelz Clotaire commanda estre liez à vn banc, par le
bourreau, et bruslez tous vifz en sa présence. Il eut autres
six enfans masles et sept femelles, de trois femmes ; cesta-
sauoir, Aragunde, lugunde et Consone : dont les deux
premières estoient sœurs. Radegunde, fille de Berenger, (2)
Roy de Thuringe, laquelle estoit prisonnière, fut la qua-
trième. Mais il la laissa vierge à sa requeste : et elle entra
(1) c.-à-d. pas étonaaot.
(2) Barangûr{éd. 1513).
420 ILLYSTHATIONS DE GAVLE, ET
en religion et y vescut de telle sorte, quelle est réputée
sainte en Paradis. Ledit roy Clotaire affranchit la seigneu-
rie dluetot, (1) en Normandie, tellement que le seigneur
dicelle se nomme Roy iusques auiourdhuy. Et la cause fut
pour la réparation de la mort dun seigneur d'Iuetot, lequel
le roy Clotaire auoit tué de sa main, vn iour du grand
vendredy. Dont le Pape Agapetus, pour lors séant à Rom-
me, menassa ledit Roy de lexcommunier, sil nen faisoit
pénitence et satisfaction. Ce quil feit : et fut fait ledit acte,
lan cinq cens trentesix. Ledit roy Clotaire commença la
fondation de leglise de S. Medard de Soissons, en laquelle
il fut enseuely par ses enfans, après auoir régné cinquante
et vn an. Il laissa quatre filz ses héritiers : cestasauoir,
Chilperic, Haribert, Guntran et Sigibert, lesquelz parti-
rent entre eux Iheritagede leur père. Haribert, pource quil
estoit laisné, fut roy de Paris : Sigibert, roy de Metz et
d'Austriche la basse : Chilperic, roy de Soissons : et Gun-
tran, roy de Bourgongne et d'Orléans : duquel est descen-
due la tresnoble et tresillustre maison des Contes de Has-
bourg : depuis alliée à celle d'Austriche la basse et la
haute. De laquelle est auiourdhuy chef et souuerain, la
tressacree maiesté Impériale, de Maximilian Cesarauguste,
roy de Germanie. Des sept filles dudit roy Clotaire, ie ne
treuue point par histoire, à quelz Princes elles furent
alliées par mariage : sinon de deux tant seulement. Dont
lune, de laquelle le nom nest point exprimé, fiit mariée à
Egilbert, roy d'Angleterre, et luy donna premièrement la
congnoissance de nostre sainte Foy catholique : selon les
chroniques d'Angleterre. Lautre, et la plus ieune de toutes,
(1) D'après la légende racontée par Oaguin {Compendium supra
Francorum gesta).
8IN6VLAB1TEZ DE TROYB. LIVR£ III. 4lii
fut mariée à vn noble Prince de la court de lempereur lua-
tinian, nommé Anselbert, Sénateur de Romme et Marquis
du saint Empire sur Lescault : de laquelle Blitilde descen-
dit la tresnoble génération des Pépins et des Charles, des-
quelz prend son illustration principale ceste présente généa-
logie historiale, comme il sera dit bien clerement au traicté
subséquent. Et pource feray pause à cestuy cy.
CONCLVSION DE CE SECOND TRAICTE.
Par la déduction de ce deuxième Traicté ha esté veu,
comment le tresnoble sang des premiers Roys de Bourgon-
gne fut conioint auec celuy de France, es personnes de
Clouis et de Clotilde : et sommes venus iusques à Blitilde
participant desdits deux lignages. Si reste de monstrer au
Traicté ensuiuant, comment le sang Romain et la généalo-
gie d'Austriche la basse furent meslez auec celles de France
et de Bourgongne.
422 ILLVSTRATIONS DE GàVLE, ET
LE TROISIEME TRAICTÉ DU LIURE INTITULÉ LA
GENEALOGIE HISTORIALE DE LEMPEREUR
CHARLES LE GRAND.
Or avons nons tant proufité la Dieu grâce, que assez
ample congnoissance nous est apparue de lancienne ampli-
tude des Royaumes de Bourgongne et d'Austriche la basse,
quon disoit iadis France orientale, et de leurs estendues et
limites : et aussi de la France Occidentale, qui est Gaule,
et des Princes qui y régnèrent iusques au temps du Roy Clo-
taire, premier de ce nom. Auec la tresantique origine et les
gestes desdits Princes, tous yssuz du sang Germanique. Par-
quoy maintenant nous entrerons en plus clere intelligence
de la Généalogie historiale de Lempereur Charles le grand :
spécialement du tresnoble et tresgracieux nom des Charles.
Toute lintention de ce troisième Traicté nest que de
monstrer, comment la tresparfonde illustrité de tous les
nobles lignages dessusdits, du sang des francs Orientaux et
Occidentaux, des Bourguignons et des Austrasiens, ou Aus-
trichois, eurent tous ensemble concurrence en la généalogie
du treschrestien Empereur César auguste (1) Charles, le
grand monarque, Roy de France, d'Austriche la basse et de
(1) sans majuscule comme dans Téd. 1513.
SUfGTLARITBZ DE TROTB. LITBB III. Â'XS
Bourgongne, et de luy est deriuee et précédée ladite no-
blesse, comme dune grand sourse et fontaine à sa postérité.
Maintenant nous faut il reuenir à la généalogie des Cim-
bres, laquelle en la fin du premier Traicté fut terminée au
Duc Austrasius : lequel donna le nom au Royaume d'Aus-
triche la basse : combien quil nen fust pas seigneur du tout,
mais en partie : et de la reste gouuemeur pour les Roys
Childeric et Clouis. Parquoy appert, que tant estoit il
preudhomme, que ladite prouince ne print point le nom
daucun de ses propres Roys, mais dun Prince vassal et
subalterne, ayant administration de son gouuernement,
laquelle louenge nest pas petite ne taisable : car pourquoy
ne se pouuoit elle aussi bien dire Childerique, ou Clodouee,
comme Austrasie, ou Austriche la basse, à la différence
d'Austriche la haute, qui est voisine de Pannonie : quon
dit maintenant Hongrie ?
De Charles quatrième de ce nom en ceste généalogie, surnommé
Nasouy Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe, et filz da Duc
Austrasius, qui donna le nom au Royaume d'Aastriche la basse :
comme dessus est dit.
Charles Nason succéda en la Duché de Tongres et de
Brabant, après son père le Duc Austrasius. Et comme il
fust de lancienne extraction des Roys de Thuringe, ainsi
quil est assez expliqué au premier traicté, il renouuella
laliiance auec ladite maison, en ceste manière. Trois frères
regnoient pour lors en Thuringe, qui est prouince d'Alle-
maigne, oultre le Rhin : lun nommé Berkaire , lautre
Baderic et le tiers Hermofroy : dont Berkaire laisné, non
ayant enfant masle, mais seulement deux filles, donna en
424 ILLYSTRATIOKS DE GATLE, ET
mariage la première nommée Vualberge, audit Duc Charles
Nason, et la feit héritière de la Duché de Thuringe. Et
dicelle Vualberge ledit Duc Charles Nason eut deux filz :
cestasauoir, Charles et Berkaire, et vne fille nommée
Veraje. Berkaire le maisné eut pour son partage et appen-
nage, la Duché de Thuringe : et Veraye, la fille, fut mariée
à vn noble et puissant homme du païs d'Ardenne, nommé
Hajmon, de laquelle il eut quatre filz : cestasauoir, Ré-
gnant de Montauban et ses trois frères, que Ion nomme
communément les quatre filz Haymon : des gestes desquelz
et de leur chenal roux (1) Bayard, les Romans vulgaires
racontent beaucoup de fables. Et autre chose ne treuue des
gestes dudit Charles Nason.
De Charles cinquième de ce nom en ceste généalogie, sarnommé Has-
bain. Et comment il fut enuojé ambassadeur deuers lempereur
lustinian : et perdit la Marche de dessus Lescault, pour faire aer-
uice au Roy Theodebert, d'Austriche la basse et de Bourgongne.
Charles Hasbain, filz aisné du Duc Charles Nason, suc-
céda à son père es Duchez de Tongres et de Brabant. Et
donna le nom au païs de Hasbain : pource quil y frequen-
toit plus voulentiers quen nulle autre contrée de sa domi-
nation. Luy donques ensuiuant le train de son père et de
son ayeul, qui tousiours auoient esté amis des Roy s de
France, se maintint constamment et vertueusement en
lamytié de Theodoric, Roy de France Orientale : cestadire
d' Austriche la basse, et aussi de Bourgongne : duquel Theo-
doric, filz de Clouis, iay parlé asse? amplement au traicté
(1) d'un roag« brun = badius, baius, hayhardns.
8IMGVLARITEZ DK TROTK. UVEK lU. 4K
précèdent. Bt aussi fut ledit Duc Charles Hssbain bien en
grâce du Ro)' Theodebert, filz dudit Theodoric : car ilz
estoient dun mesmes aag« : et tenoit ledit Theodoric, Roy
de Bourgongne et d'Austriche la basse, le siège capital de
son Royaume en la cité de Metz, comme auoit fait son
père. Parquoy Charles Hasbain, Duc de Brabant, estoit de
plus près son voisin.
Or aduint, que quand après la mort du Roy Theodorie,
son fîlz Theodebert commença à régner, ses deux oncles
Childebert et Clotaire, comme desia est touché au traicté
précèdent, muz denuie, dambition et de couuoitise contre
leur neueu, machinèrent à toute leur puissance de le dés-
hériter : tant du Royaume d'Austriche la basse, comme de
sa portion du Royaume de Bourgongne, dont il estoit chef.
Voyant donques le Roy Theodebert le danger eminent oti
il estoit, après meure délibération de son conseil, pria au
Due Charles Hasbain, quil voulsist prendre la charge daller
en ambassade deuers lempereur lustinian en Constanti-
noble, pour luy demander secours contre la tyrannie de ses
oncles : auec amples instructions et pleine puissance de
souzmettre le R,oyaume d'Austriche la basse, quon disoitlors
France Orientale, à Lempire Romain, et en faire la foy et
Ihommage audit Empereur.
Le Duc Charles Hasbain, tout bénin et tout courtois,
emprint de bon cœur cest affaire et se transporta en Grèce,
deuers lempereur lustinian : auquel il exposa la somme de
sa légation. Mais quand Lempereur leut ouy, il ne luy feit
aucune response touchant ce quil auoit proposé de la part
du Roy Theodebert, son maistre : ainçois laccueillit dautre
sorte. Car il le commença à redarguer sur ce quil tenoit
et approprioit à luy, de deçà la mer Oceane, la Marche de
dessus Lescault en Gaule Belgique : cestasauoir, le pais là
426 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
OÙ sont ores situées les villes d'Anuers, Gand, Tenremonde,
Tournay, Mortaigne, Conde, Vallenciennes, et les chas-
teaux circonuoisins, tant dun costé de ladite riuiere, comme
de lautre. Et ce, contre le droit et iurisdiction de Lempire,
comme disoit ledit empereur : car les procureurs fiscaux
dudit Empire Romain auoient accoustumé de tenir ladite
Marche en leurs mains et en leuer les reuenues, au nom
de Lempereur et à son proufit.
A ceste obiection, qui neantmoins estoit assez estrange
au Duc Charles Hasbain : car il ne pensoit point estre venu
là pour cest affaire, il respondit modestement et courtoise-
ment, que vray estoit quil tenoit ladite Marche du saint
Empire sur Lescault : mais non pas quil en fiist vsurpa-
teur ne torçonnier détenteur : car le Duc Artsard, son
grand ayeul, duquel est faite mention au premier traicté,
lauoit obtenue en don et guerdon, et en perpétuel héritage,
pour luy et pour les siens, de par lempereur Constant,
père de Constantin le grand, qui dicelle lauoit inuesty : à
cause des bons et grans seruices quil luy auoit faits : tant
en la bataille de Langres, comme autrement. Et mesme-
ment en deiettant Carausius le tyrant, qui traitoit mal
ladite prouince et marche de dessus Lescault.
A ceste response du Duc Charles Hasbain, lempereur
lustinian répliqua, que combien que le Duc Artsard eut
bien seruy Lempire pour ceste fois, si nauoit il pas pour-
tant obtenu ladite Marche de dessus Lescault, en perpétuel
héritage, par donation irreuocable : car Lempereur ne
doit ne ne peult rien aliéner du domaine impérial au desa-
uantage de ses successeurs : mais sans plus auoit esté
baillé lusufruit de ladite Marche au Duc Artsard , par
manière de recompense : et en tiltre doffice, et non pas de
seigneurie, si comme vicaire ou procureur de Lempereur à
SINOTLARITEZ DB TROTB. LITRB lU. 487
sa vie : ou pour aucun temps, (1) et non autrement. Lequel
office cessant, la marche venoit à vaquer à la disposition
de Lempereur.
Estant ledit Charles Hasbain, en ceste doute et perple-
xité, cestasauoir tant de perdre ladite seigneurie, comme
de non faire les besongnes du Roy Theodebert, il sappensa,
que pour acquérir la grâce de Lempereur et sauuer laf-
faire du Roy son maistre, il valoit mieux quil quittast
ladite seigneurie et Marche du saint Empire sur Lescault.
Si la resigna purement et libéralement es mains de Lempe-
reur lustinian : auec tout le droit quil y pouuoit prétendre.
Laquelle seigneurie ledit Empereur donna incontinent à vn
tresnoble Prince de sa court, estant présent, nommé Ansel-
bert le Sénateur. Cestasauoir, heritablement pour luy et
pour les siens, reseruee la souueraineté.
Comment le Duc Charles Hasbain, comme procureur et ambassadeur
du Roy Tkeodebert, feit hommage du Royaume d'Austriche la
basse, ou de France Orientale, à lempereur lustinian, et de la
reste de lexploit de son ambassade.
Qvand le Duc Charles Hasbain, pour bien seruir son
maistre le Roy Theodebert, se fut despouillé de ladite tres-
noble seigneurie de la Marche du saint Empire sur Les-
coult, Lempereur lustinian voulut bien alors entendre aux
affaires du Roy Theodebert. Et lors le Duc Charles luy
monstra le plein pouuoir et autorité quil auoit du Roy son
maistre, de souzmettre et asubiettir, (2) en tiltre de fief, le
Royaume d'Âustriche la basse, à la souueraineté de Lem-
(1) c.-à-d. temporairement.
{'2) abstigectir {éi\. 1513).
4S8 II4LVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pereur et de Lempire. Duquel Theodebert les autres pré-
décesseurs Roys nauoient encores voulu recongnoitre les
Empereurs pour leurs souuerains seigneurs. Lequel pou-
uoir et instructions veùes par lempereur lustinian et les
Barons de son grand conseil, il accorda tout ce que le Roy
Theodebert demandoit. Et receut ledit Duc Charles Has-
bain comme procureur et ambassadeur dudit Roy, à foy et
à hommage du Royaume d'Austrasie, reserué toutesuoyes
quil fust franc et exempt de tailles et exactions. Et ce
moyennant, Lempereur luy promit garantir ledit Royaume
enuers tous et contre tous ceux qui le voudroient troubler
en la possession diceluy : et aussi dautre part, le Roy
d'Austriche promettoit seruir Lempereur, euuers tous et
contre tous, comme son féodal et homme lige. Ainsi furent
passées les choses : et lettres patentes sur ce données et
seellees dun costé et dautre. Et à cause de caste subiection
dudit Royaume d'Austriche, ou France Orientale, lempe-
reur lustinian au commencement des Institutes sappelîe
entre ses autres tiltres, Francus.
Par la vertu de cette paction et appointement, lempereur
lustinian enuoya pour ambassade en France, le dessus-
nommé Anselbert le Sénateur, Marquis du saint Empire
sur Lescault, auec le Duc Charles Hasbain, deuers les deux
Roys frères, Childebert et Clotaire, en leur mandant bien
adcertes, quilz ne présumassent de troubler en aucune
manière le Royaume d'Austriche la basse, ou de France
Orientale, appartenant au Roy Theodebert, leur neueu : car
il estoit de la subiection de luy et de Lempire : et à ceste
cause, en sa protection et sauuegarde. Et que silz venoient
au contraire, il les dcclairoit deslors en auant pour ses
ennemis. Lesquelles choses accomplies et menées à chef,
par la preudhommie et diligence du bon Duc Charles Has-
SINGYLARITBZ DE TROYB. LIVRB III. 429
bain, le Roy Theodebert fut asseuré en son Royaume. Et
le crédit et autorité dudit Charles en augmenta beaucoup
deuers luy et à bon droit.
De la postérité du Duc Charles Haabain.
Comme ie puis entendre par les histoires, Charles Has-
bain eut vn filz, nommé Karloman.
Karloman, filz de Charles Hasbain, engendra Pépin,
premier de ce nom.
Pépin lancien, et le premier de ce nom surnommé de
Landen, lequel par les Chroniques de Brabant, est réputé
saint, fut Duc d'Austriche la basse et de Brabant, Prince
du palais de France : et eut de sa femme, nommée Icte, (1)
vn filz nommé Grimoald, aussi Prince du palais, qui mourut
sans hoirs de son corps, et deux filles, lune nommée Begga
et lautre Ghertrude.
Begga, première fille du Duc Pépin de Landen, fut Du-
chesse de Brabant après la mort de son père et de son
frère Grimoald : et eut pour mary Anchises, (2) Marquis du
saint Empire sur Lescault : neueu, (3) cestasauoir, filz du
filz dudit Anselbert le Sénateur, comme nous dirons çy
après.
Ghertrude seconde fille du Duc Pépin de Landen, fut
Abbesse de Nyuelle, au Rommanbrabant. Laquelle vescut
saintement en la religion fondée par sa mère sainte Icte.
Lancien epitaphe dudit Duc Pépin de Landen est tel :
Iste BrabantinuB dux tertius Austrasiorum.
Primus erat, maiorque domus regni gladiator.
(1) Ide ou Ideberge.
(2) c.-à*d. ÂDségise.
(3) en latia nepot.
430 ILLVSTRATIONS DB GAYLE, ET
Comment Anselbert le Sénateur espousa Blitilde, fille du Roy CIo-
taire, et vint prendre la possession de la Marche du saint Empire
inr Lescault.
La paix ainsi ânablement conduite comme dessus est
dit, entre les Roys, oncles et neueux, par la prudence du
Duc Charles Hasbain et par lautorité d' Anselbert le Séna-
teur, ambassadeur impérial, Childebert, Roy de Paris,
pource quil nauoit nulz enfans, print en amour le Roy
Theodebert, son neueu : et de fait, ladopta en filz et luy
donna tant de biens de son plein viuant, que chacun ses-
merueilloit comment il auoit si tost changé hayne en dilec-
tion. Laquelle chose voyant, Clotaire, Roy de Soissons, et
considérant quune si forte alliance entre loncle et le neueu,
mesmement par trois fois redoublée, si comme de lignage,
dadoption et de confédération, luy pourroit bien porter
quelque preiudice enuers lempereur lustinian, par le moyen
de Charles Hasbain, Duc de Brabant, il sappensa pour
euiter ce choq, quil donroit la plus ieune de ses filles,
nommée Blitilde, à Anselbert le Sénateur, homme de grand
port (1) et autorité. Et ainsi fut fait. Donques après les
noces faites, Anselbert le Sénateur print congé du Roy, son
beaupere, et emmena sa femme en sa Marche de dessus
Lescault, laquelle Lempereur luy auoit donnée : et print
possession dicelle.
(l) portée, crédit, portus (Ducanga).
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRR III. 481
Dd la tresDoble et tressainte génération qui deicendit d*Antelbert le
Sénateur, premier Marquis beritable de la Marche du saint Empire
sur Lescault, et de sa femme Blitilde, fille du Roy Clotaire.
Ânselbert Sénateur de Romme, noble et puissant Prince
en richesses et en autorité, fut le premier Marquis berita-
ble du saint Empire sur Lescault, dont noz souuerains
Princes portent iusques auiourdhuy le tiitre et tiennent la
possession. Il eut de sa femme Blitilde, qui selon les Chro-
niques de Brabant, est réputée sainte, trois enfans masles
et vne femelle. Le premier eut nom Arnould, le second
Feriol, et le tiers Moderic : la fille fut nommée Tharsitia.
Feriol fut Euesque d'Vtrect, et là receut martyre. Parquoy
il est conté entre les saints de paradis, et par son inter-
cession se font illec plusieurs miracles. Moderic, son frère,
fut ordonné Euesque en la cité d'Arisid, (1) et là repose
en paix. Tharsitia, vierge et bien perseuerant en sa virgi-
nité, est à Rhesnes en Bretaigne tenue pour sainte. Et dit
lescriture, que après sa mort, par ses mérites fut ressus-
cité vn autre mort. Arnould, laisné, succéda à son père au
Marquisat de Lempire.
Arnould, filz d' Anselbert le Sénateur et de sainte Blitilde.
Cestuy Arnould, second Marquis heritable du saint Em-
pire sur Lescault, eut vn filz nommé Amulphus.
De saint Arnulphe, filz dudit Arnould, et de ses enfans.
Arnnlphe, troisième Marquis heritable du saint Empire
sur Lescault, espousa vne sainte Dame, nommée Dode, de
(1) de Ari8si(éd. 1528).
432 ILLTSTRATIOIIS DE GàYLB, ET
laquelle il eut trois fîlz : cestasauoir, Ansigisus, ou An-
chises, qui depuis fut Marquis du saint Empire sur Les-
cault : lautre fut Flondulphus : et le tiers, Vualchisus.
Flondulphus engendra Martin, lequel fut occis traytreuse-
ment par Ebroyn le tyrant, Prince du palais de France.
Vualchisus engendra Vuandrechisil, saint homme et con-
fesseur de lESVs CHRIST. Ledit Arnulphe, après auoir eu
ceste belle lignée, renonça au monde, et se mit au seruice
de Dieu, du consentement de sa femme sainte Dode, en
quelque religion ou hermitage dun costé et elle de lautre.
Lequel Arnulphe, pour sa sainteté, fut depuis eslu Euesque
de Metz, et après sa mort, tenu pour saint.
Du Marquis Anchises, filz de saint Arnulphe, Euesque de Metz.
Anchises, quatrième Marquis du saint Empire sur Les-
cault, succéda à ladite seigneurie du viuant de son père,
quand il renonça le monde, pour mener vie religieuse et
solitaire, comme dessus est dit. Ledit Anchises, autrement
dit Ansigisus, espousa vne noble et vertueuse dame, nom-
mée Begga, fille du Duc Pépin de Landen, première de ce
nom, et de sainte Icte : et sœur de Grimoald, Prince du
Palais de France, et de sainte Ghertrude, Abbesse de Ny-
uelle. Et succéda ladite dame Begga à la Duché de Brabant,
après la mort de son père Pépin et de son frère Grimoald,
qui mourut sans hoirs de son corps, comme cy dessus est
touché. Lesdits Anchises et sa femme Begga eurent par
ensemble vn filz nommé Pépin deuxième de ce nom, sur-
nommé Heristel. Iceluy Anchises, tresbon Prince, fut tué
mauuâisement et en trahison par vn garnement lequel il
auoit nourrj de ieunesse en sa court, et mesmeraent lauoit
SINGTLARITBZ DE TROYE. LIVRE III. 455
leué des fons. laj trouué lepitaphe de ladite Duchesse
Begga tel quil sensuit :
Begga ducissa fuit, genitrix qaoqoe germioii huiua :
Qu» fuit Anaigiso felici foedere iuocta.
Du Duc Pépin Heristel, filz du Marquis Anchiaes et de sainte Begga,
et de ses gestes .
Pépin Heristel, ainsi surnommé à cause dune seigneurie
quil auoit au pais de Liège, en laquelle parauenture (1) il
nasquit, fut Duc de Brabant, Marquis du saint Empire sur
Lescault, et paruint encores à la principauté du palais de
France et d'Austriche la basse, ainsi quil sensuit. En ce
temps là ledit Royaume d'Austriche ne se gouuernoit plus
par Roys, mais par Princes, depuis Childeric, filz du Roy.
Lequel Childeric estoit innutile et tyrant, et pource fut
il tué estant à la chasse, auec sa femme nommée Blitilde,
par Bodilo, son vassal, auquel il auoit fait oultrage. Et gue-
res ne sen faillit, que Vuolfald, son gouuerneur et Prince
du Palais, ne fust aussi tué par ledit Bodilo. Mais il se
sauua à la fuite, et se retira en Austriche la basse, dont il
estoit gouuerneur, et tint icelle contrée tout seul tant quil
vescut : car desia la vertu des Roys de France estoit aui-
lee, amollie et abaslardie, si quilz ne faisoient rien d'eux
mesmes, mais se laissoient du tout gouuerner par les Prin-
ces du Palais. Parquoy après la mort dudit Vuolfald,
ledit Pépin Heristel, obtenant la principauté du Palais, ob-
tint aussi la principauté du Royaume d'Austriche la basse,
(1) c.-à-d. peut-être. En anglais peradvenhtre. Palsgrave p. 146
trad. par : may happen.
11. 38
434 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et en fut gouuerneur et dominateur, auec vn sien parent
nommé Martin, filz de Flondulphus, qui fut filz de saint
Arnulphe, Euesque de Metz, comme dessus est dit. Le Duc
Pépin espousa vne dame, nommée Plectrude, de laquelle il
eut deux enfans : cestasauoir Druon, lequel il feit Duc de
Champaigne, et Grimoald, qui fut Prince du Palais de
France, après son père. Et dune concubine, nommée Al-
paide, il eut Charles Martel, tresuaillant et tresrenommé
Prince.
Des guerres que Pépin Heristel, peie de Charles Martel, eut contre
Ebroyn le tyrant, Prince du Palais de France, et contre Gislemar,
aussi Prince du Palais.
Alors viuoit vn mauuais et exécrable tjrant, qui fut
Prince du Palais du temps du Roy Clotaire deuxième de
ce nom, lequel ne régna que quatre ans : et du Roy Theo-
doric, son frère et successeur. Lequel tyrant Ebroyn feit
des maux innumerables au Royaume de France. Entre les-
quelz il feit forer à tout vne tarière les yeux à saint Legier,
Euesque d'Authun, et enuoya en exil saint Lambert du
Liège. Et tant perpétra de cruautez, souz lombre dudit Roy
Theodoric, à qui il en donnoit toute la charge, que les Ba-
rons de France furent contraints y remédier, et donner or-
dre et de fait mirent la main à leur Roy Theodoric et le
feirent moyne. Et pareillement Ebroyn : lequel ilz encloui-
rent en labbaye de Lisieux. (1) Puis allèrent quérir Childe-
ric, qui estoit en Austriche, et le constituèrent Roy sur eux,
et Vuolfald Prince au Palais.
(1) c'est Luxenil.
SINGVLARITEZ DE TROTF. LIVRE III. 455
Ne tarda gueres après, que le Roy Childeric se gonaerna
si mal enuers ses subietz, que comme desia est touché cy
dessus, il fut tué par la main dun noble homme, nommé
Bodilo, lequel à tort et sans cause, il auoit fait lier à vn
pal tout nud : et le batre de verges cruellement. Adonques
les Princes de France allèrent tirer leur Roy Theodoric
hors de labbaye, où ilz lauoient enclos, et le restablirent
en son Royaume, et feirent Prince du Palais, Lendesil
Bourguignon, natif d'Âuthun.
Lesquelles choses entendues par Ebroyn le tyrant que
les François auoient fait moyne à Lisieux, il trouua ma-
nière de saillir hors du monastère et ietta le froc aux orties.
Puis assembla vn grand tas de brigans, larrons et gens
perduz, à tout lesquels, il osa bien venir assaillir le Roy
Theodoric, son seigneur, et Lendesil, Prince du Palais. Et
par effect leur feit telle guerre, qui les chassa iusques à Bac-
cauille : là où il pilla tous les trésors Royaux, et le Roy se
retira à Crecy. Et illec fut contraint de faire appointement
auec le tyrant Ebroyn et le restituer en son gouuernement
et Principauté du Palais. Et tantost après Lendesil d'Au-
thun, qui auoit esté Prince du Palais, venant audit Ebroyn
à seureté et souz sa foy, fut occis par luy, et recommença à
faire plus doutrages et de tyrannies que parauant : mesme-
ment sur Prélats et sur gens deglise. Et le Roy Theodoric
soufFroit tout : et ne se soucioit sinon de se donner du bon
temps.
Martin, filz de Flondulphe, et Pépin Heristel, son parent,
tous deux Princes d'Austriche la basse, tresuertueux et de
noble cœur, estans aduertis des maux intollerables que
ledit Ebroyn faisoit en France, délibérèrent de non plus
le souffrir, mais y obuier et mettre remède. Et pour ce
faire, mirent sus vne bonne armée, au deuant desquelz vin-
43B ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
drent à grand puissance, le Roy Theodoric et Ebroyn le
tjrant : et fut la bataille donnée au lieu nommé Bicofal,
laquelle fut forte et aspre, et mourut beaucoup de gens dun
costé et dautre, mais le camp demeura au Roy Theodoric
et à Ebroyn. Le Duc Pépin Heristel se retira en Austriche
la basse, quon dit maintenant Lothric : et Martin senfuyt
en la cité de Laon, auquel tantost après treues furent don-
nées : et souz ombre dicelles, il fut enuoyé quérir par
Ebroyn. Et quand il fut en sa présence, il le tua. Mais
aussi comme ledit criminel tyrant ne cessast de perpétrer
tant de meurtres et occisions, et tous les maux dont il se
sauoit aduiser, finablement selon le iuste iugement de Dieu,
il fut tué en aguet par vn nommé Hermofroy : lequel après
le coup fait, se sauua et senfuyt au Duc Pépin, en Austriche,
La détestable tyrannie d'Ebroyn estainte par sa mort
trop tardiue, les François establirent vn noble homme
nommé Vuaracon, Prince du Palais, lequel enuoya incon-
tinent ambassadeurs au Duc Pépin Heristel en Austriche,
qui traitèrent alliance et amytié auec luy. Depuis Gislemar,
filz dudit Vuaracon, ietta son père hors du gouuernement
et Principauté du Palais. Mais le Duc Pépin print la que-
rele pour le père, et vint alencontre de Gislemar à main
armée, lequel ne le refusa point à bataille : et sassem-
blerent les deux osts auprès du chasteau de Namur. Le
rencontre y fut horrible et merueilleux, et y eut beaucoup
de sang respandu. Et à ce que ientens, le Duc Pépin gai-
gna la iournee, Gislemar persécutant son père, mourut
tantost après de maie mort subite : et Vuaracon refut en
son premier estât, mais il trespassa la mesme année.
SOfOULARITIZ DE TROTE. UTRK III.
ni
Comment le Duc Pépin Heristel deaconât en bataille le Roy Theo-
doric de France et Berkaire Prince da Palaia : et fut Pépia eala
à ladite Principauté.
Apres la mort de Vuaracon, Prince du Palais, les Barons
de France furent en quelque estrif et différent de créer vn
nouueau Prince du Palais. Mais fînablement ilz saccorde-
rent sur vn nommé Berkaire, homme de peu destime et
valeur, combien quil fust gendre dudit Vuaracon. Dont
quand ilz eurent congnu son poure gouuernement et insuf-
fisance, ilz se repentirent beaucoup, et désirèrent dauoir
sur eux le Duc Pépin de Brabant, Prince d'Austriche la
basse. Et à ces fins luy enuoyerent certains messagers,
priant quil mist sus vne bonne armée et vinst à leur se-
cours contre Berkaire, Prince du Palais, qui leur estoit
inutile et intollerable. Et ilz constitueroient ledit Pépin au
gouuernement du Palais de France.
Le Duc Pépin obtempéra à leur requeste et sen vint à
bonne et grosse puissance contre ledit Berkaire. Le Roy
Theodoric estoit auec Berkaire : comme celuy parauenture
qui ne sen fust osé excuser : tant estoient alors les Roys de
France subietz aux Princes du Palais, qui depuis ont esté
nommez Connestables. Si se rencontrèrent les deux armées
en vn lieu nommé Textric, (1) là où lestour commença grand
et merueilleux, et dura tant que Berkaire y fut occis et le
Roy Theodoric prins, iasoit ce que Gaguin dise autre-
ment. Neantmoins le Duc Pépin Heristel mit tantost à de-
liure le Roy Theodoric : et fut la paix faite entre eux. Et
selon les conuentions des Princes de France, le Duc Pépin
(l) Bat. deTestry, 687.
458 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
fut eslu et esleué à la dignité de Prince du Palais, par les-
dits seigneurs de France et du consentement de Theodoric,
leur Roy. Et deslors en auant, les affaires de la couronne
commencèrent à se remettre en meilleur forme et estât :
et allèrent tousiours prospérant de plus en plus.
Des autres gestes du Duc Pépin Heristel et de ses enfans.
Toutes les choses ainsi réduites et appaisees en France,
le Duc Pépin Heristel ayant affaire en son païs d'Austriche
la basse, après auoir donné ordre à tout, laissa vn lieute-
nant en la Principauté du Palais de France, nommé Nor-
debert, homme de qui il se fioit. Et tantost après mourut
le Roy Theodoric, lan de son règne dixneuuieme. Si succé-
dèrent après luy ses deux enfans, Clouis second de ce nom,
qui ne régna que trois ans : et après luy Childebert, son
frère, qui ne feit onques rien digne de mémoire. Endemen-
tiers, Nordebert, lieutenant du Duc Pépin Heristel, Prince
du Palais, alla mourir. Laquelle chose entendue par ledit
Duc Pépin, il vint en France et amena son filz Grimoald :
lequel il feit Prince du Palais dudit Roy Childebert. Iceluy
Grimoald eut à femme Theudesinde, fille de Radbod, Roy
de Frise.
Grimoald, filz du Duc Pépin Heristel, Prince du Palais
du Roy Childebert de France, ie ne scay pour quelle cause
fut tué traytreusement, estant en deuotion deuant lautel de
saint Lambert du Liège, par vn garnement nommé Raui-
gar, Payen et idolâtre, estant des gens de Radbod, Roy de
Frise, père de la femme dudit Grimoald. Aussi mourut
enuiron ce temps Druon, Duc de Champaigne, frère dudit
Grimoald, et ne laissa quun filz nommé Theodoald, qui suc-
8INGVLAH1TKZ DE TROYK. LIVRE III. 439
céda à son père, en la Duché de Cbampaigne, et à son oncle
Grimoald, en la Principauté du Palais de France, par le
moyen du Duc Pépin Heristel, son grand père, lequel y tint
la main, à fin que la Principauté du Palais de France de-
mourast tousiours en sa maison. Lesquelles choses faites,
le Duc Pépin en sa vieillesse attaint dune fieure ague mou-
rut. Mais il laissa par testament à Charles surnommé Mar-
tel, lequel il auoit eu dune concubine nommée Alpaide, la
Principauté d'Austriche la basse, quon dit maintenant Loth-
ric : dont sa femme légitime, appellee Plectrude, ne fut
pas contente.
Saint Lambert, Euesque du Liège, qui flourissoit en ce
temps, receut martyre, à cause de la ialousie que ladite
Plectrude, femme légitime diceluy Duc Pépin Heristel, auoit
enuers Alpaide, sa concubine. Car comme saint Lambert
blasmast au Duc Pépin le vice de concubinage, lequel il
exerçoit auec icelle Alpaide, mère de Charles Martel, disant
que ces toit contre Dieu et contre raison, et contre les sain-
tes loix de mariage, vn nommé Dodon, frère de ladite Al-
paide, de son propre mouuement, ou par lenhort de sa sœur»
tua ledit saint Euesque dedens la cité du Liège, et fut ense-
ueluy à Vtrect. lay trouué Lepithaphe du Duc Pépin Heris-
tel tel :
Iste Pipinus erat dux tertius ÂostraBioram.
Austria dicta fuit tune, regntim Lothariense.
440 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Charle» cinquième de ce nom en ceste généalogie, surnommé
Martel, pare du Roy Pépin le Brief et ayeul de lempereur Charles
le grand.
Charles Martel, autrement surnommé Tictides, (1) filz de
Pépin, seigneur d'Heristel en Liège, et d'Alpaide, sa concu-
bine, fut comme dessus est dit, par le testament de son
père, ordonné héritier de la Principauté du Royaume d'Aus-
triche la basse. Laquelle chose sa marastre nommée Plec-
trude, vefue dudit Pépin, ne prenoit point à gré, ains fauo-
risoit à son neueu Theodoald, filz de son filz Druon, Duc
de Champaigne. Si persécuta tant icelle Plectrude, ledit
Charles Martel, quelle trouua manière de le faire prendre
à Coulongne sur le Rhin, et illec le feit détenir en seure
garde. Et ce pendant se saisit du Royaume d'Austriche la
basse, quon dit maintenant Lothric, et en mit en posses-
sion son neueu Theodoald, Prince du Palais de France. Et
eux deux ensemble tindrent en tutele le Roy Dagobert se-
cond de ce nom.
Ne tarda gueres après que les François furent ennuyez
dudit Theodoald, Duc de Champaigne et Prince du Palais,
et ne peurent plus endurer son gouuernement. Si sesleue-
rent contre luy en armes et le vainquirent en vne bataille
fort dommageuse, auprès de Compiegne, tellement quil sen-
fuit. Et ilz constituèrent sur eux vn autre Prince du Palais,
nommé Raginfroy. Si allièrent auec eux Radbod, Roy de
Frise, dont dessus est faite mention. Et après la mort du
Roy Dagobert, ilz constituèrent Roy sur eux, vn prestre
lequel sappelloit Daniel : mais ilz luy changèrent son nom :
(1) Tytidesiéd. 1528).
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 441
et le nommèrent Chilperic. Et en ces entrefaites, Charles
Martel eschappa de la prison, en laquelle il estoit détenu à
Coulongne, par sa marastre Plectmde.
Comment le Dac Charles Martel, après quil fut eschappa des priMM
de sa Marastre, recounra la Principauté du Royaume d'Austriebe
la basse et aussi du Palais de France.
Le dvc Charles Martel se voyant hors de la garde pri-
sonnière de sa marastre et aussi du danger de la mort,
dont il nestoit pas loing, tascha incontinent de recouurer
sa Principauté du Royaume d'Austriche la basse, occupé
comme dessus est dit par ladite Plectrude et son neueu
Theodoald, à layde de Radbod, Roy de Frise. Chilperic,
parauant nommé Daniel prestre, et Roy de France, comme
ia dit est, auec Raginfroy, Prince du Palais : et ledit Rad-
bod, Roy de Frise, vindrent alencontre du Duc Charles Mar-
tel : et fut la bataille donnée sur la riuiere de Meuse. Les
tour y fut grief, mais Charles Martel ny gaigna pas : ains
se trouua le plus foible, si se sauua à la fuite.
Icelle victoire obtenue par Chilperic et Raginfroy, ilz
entrèrent par le pais d'Ardenne, au Royaume d'Austriche
la basse, lequel ilz coururent et gasterent de toutes pars
iusques à Coulongne : mais Plectrude, la vefue dessusdite,
voyant que le païs de son douaire se perdoit à son grand
desauantage, leur donna tant des trésors de son feu mary
le Duc Pépin Heristel, quelle les feit retourner en France.
Ce nonobstant le Duc Charles Martel, qui ne dormoit pas,
vint ruer sur la queile et leur feit vn merueilleux dommage.
Par despit de laquelle perte, ne tarda gueres après que
le Roy Chilperic et Raginfroy, Prince du Palais, auec autre
442 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
plus grosse armée retournèrent sur les terres du Duc
Charles Martel : mettant tout à feu et à sang. Mais il se
deflfendit fort, et fut la guerre menée assez longuement
douteuse dun costé et dautre : et finablement le Roy Chil-
peric et Raginfroy furent vaincuz au lieu d'Ablaue. (1) Ce
nonobstant, aprez leur fuite, ilz rassemblèrent vne autre
grosse armée auec layde d'Eudo, Duc d'Aquitaine et de
Gascongne, leur allié, et vindrent pour la tierce fois contre
ledit Charles Martel. La iournee fut assignée au païs de
Cambresis : près dun Bourg appelle Vincy. Et là furent
derechef vaincuz le Roy Chilperic et Eudo, Prince de Gas-
congne, auec Raginfroy. Chilperic et Eudo senfuyrent à
Orléans, là où ilz chargèrent les trésors Royaux : à tout
lesquelz ilz se sauuerent en Gascongne, et ne les peut
Charles Martel aconsuiure. Mais il passa la riuiere de Seine
et print Orléans. Puis alla assiéger Raginfroy, qui sestoit
retiré dedens Angiers : et le print auec la cité. Et ce non-
obstant, en vsant dune merueilleuse clémence et courtoisie,
il le remit en liberté : et oultre ce, luy donna la cité d'An-
giers pour son estât : et par ainsi Charles Martel comme
victorieux fut pacifique Prince du Palais. Et en lieu de
Chilperic fugitif, ordonna pour Roy vn nommé Clotaire, ou
Lothaire.
Gomment le Dac Charles Martel creoit les Roys de France à son appé-
tit : et comment il se vengea de sa marastre Plectrude, et con-
queata le Royaume de Bulgarie, oultre la Dunoe, et la plus grand
partie d'AUemaigne, cestasauoir Soaue, Saxone (2) et Bauiere.
Estant ainsi possesseur pacifique le Duc Charles Martel
(1) Château d'Amblôve piès d'Aywaille ?
(2) Saxoiffne (éà. 1513).
SINGVLARITEZ DE THOYK. LIVRE III. 445
des Principautez d'Austriche la basse et de France, après
auoir chassé Chilperic et constitué en son lieu ledit Roy
Lothaire : lannee ensuiuant, il enuoya vne ambassade
deuers Eudon, Duc d'Aquitaine et de Gascongne : à fin
dauoir en ses mains ledit Chilperic, parauant appelle Daniel
prestre. Laquelle chose il obtint. Et par ce moyen ledit
Eudon eut paix. Ce pendant que ces choses se traitoient, le
Roy Clotaire alla mourir : et le Duc Charles Martel vsant
de grand bénignité enuers son ennemy, restablit iceluy
Chilperic, son prisonnier, en la dignité du Royaume de
France. Ainsi appert que les Princes du Palais faisoient ou
defFaisoient les Roys de France à leur appétit.
Chilperic après ce quil fut fait Roy derechef, ne vescut
gueres. Si fut par lautorité du Duc Charles Martel, créé
nouueau Roy Theodoric, filz de Dagobert, derrain de ce
nom. Lequel Theodoric auoit esté nourry au monastère
des nonnains de Cale. Donques après ces choses ainsi or-
données en France, le Duc Charles Martel désirant soy
venger de sa marastre Pelctrude, qui tant de maux luy
auoit fait, assembla vne puissante armée et se tira deuers
Coulongne sur le Rhin. En laquelle cité ladite Plectrude,
femme de grand cœur, sestoit fortifiée à merueilles. Et
auoit entre ses mains, les trésors du feu Duc Pépin Heris-
tel, son mary : mais Charles Martel print par force ladite
cité de Coulongne, ensemble les trésors de son père, auec-
ques sa marastre. Toutesuoyes depuis elle eschappa subti-
lement et senfuyt au Royaume de Bulgarie, qui est oultre
la grand riuiere de Dunoe, en Allemaigne, par delà Hon-
grie.
le ne scay si pour ceste raison ou autre, le Duc Charles
Martel fut meu de tirer son armée celle part : mais ie
treuue bien, quil alla conquerre ledit Royaume de Bulga-
444 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
rie, et en passant et rapassant subiuga la plus grand par-
tie d'Allemaigne : cestasauoirlesSoaues, Saxone et Bauiere :
puis retourna en France, victorieux, auecques grand proye
et merueilleuses despouilles.
Retourné en France le Duc Charles Martel, il fut ad-
uerty, que le Duc d'Aquitaine Eudon, dessus mentionné,
machinoit derechef quelque mauuaistié contre luy. Si tira
celle part auecques bonne armée : mais Eudon ne lattendit
point, ains se cacha en lieux déserts et inaccessibles, du
costé de Gascongne : dont quand le Duc Charles Martel
veit quil ne le pourroit trouuer, il sen retourna en France
et donna congé à ses gendarmes : mais peu de temps après,
luy fut mestier les rassembler : car nouuelles vindrent,
que les hauts Allemans et les Soaues, autresfois par luy
vaincuz et surmontez, se vouloient rebeller par le motif de
leur Duc nommé Leuffroy, dont il fut contraint de retirer
celle part, ce quil feit : et vainquit ledit Duc Leuffroy. Si
remit par ceste victoire, les hauts Allemans et Soaues en
sa subiection et obéissance.
De la merueilleuse victoire que le Duc Charles Martel eut contre les
Sarrasins : lesquelz Eudon, Duc d'Aquitaine et de Gascongne, auoit
amenez en France. Et comment il donna les dismes des églises aux
geptilz hommes.
Pendant ce que le trespuissant Duc Charles Martel pour-
suiuoit ses victoires en la haute Allemaigne, Eudon, Duc
d'Aquitaine et Prince de Gascongne , mauuais homme ,
vindicatif et tousiours rebellant, lequel se douloit dauoir esté
ainsi rebouté, chassé et quis par Charles Martel, comme
dessus est touché : sestoit tiré en Espaigne, vers vn Roy
SINGVLARITEZ DE TROTS. UVES III. 44S
infidèle et Mahommetiste, nommé Abidiram. Auec lequel
il auoit tant fait et pratiqué, quil luy auoit donné non
seulement passage par ses païs de Gascongne et d'Aqui-
taine, pour entrer en France, mais aussi certain espoir et
moyen* dy pouuoir obtenir règne et demeure perpétuelle,
auec ses Mores et Sarrasins. Lesquelz souz ceste folle
confiance suiuirent leur Roy en vne merueilleuse multitude :
menans auec eux leurs femmes, leurs enfans et tous leurs
bagages, en délibération de non retourner en Espaigne,
comme ilz ne feirent : mais ce fut au rebours de leur inten-
tion.
Abidiram, Roy des Sarrasins, moyennant la conduite du
Prince Eudon de Gascongne, assiégea premièrement la cité
de Bourdeaux et la print : brusla les églises et feit tous
les maux quil peut. Autant en feit il à Poitiers et vint ius-
ques à Tours : mais en cest endroit, le Duc Charles Martel
luy vint alencontre, auec sa puissance d'Austrichois, AUe-
mans et François : si luy donna la bataille et vainquit,
tellement que par le tesmoignage de tous les historiens, il y
demoura de Sarrasins, trois cens quatre vingts cinq mille.
Et des gens du Duc Charles Martel seulement quinze cens :
qui semble chose bien miraculeuse. Et pource que les
Barons et gentilzhommes de France lauoient bien seruy en
ceste guerre, comme il y parut, et despendu tout le leur,
vendu et engagé leurs terres, pour contrester aux mes-
creans et soustenir la foy de Dieu et nostre créance de
sainte Chrestienté, le Duc Charles Martel, du consentement
des Prélats, donna pour recompense ausdits seigneurs,
barons et cheualiers,en lieu de soulde et pour leur defiroy (1)
et recouurement de leurs terres engagées, aucune partie
(1) c.-à-d. pour les défrayer.
446 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
des dismes de Leglise. Promettant les (l)leur rendre au dou-
ble si Dieu luy eust prolongé sa vie. Laquelle donation ou
plustot permission faite du consentement de leglise Galli-
cane, en péril eminent, les gens ecclésiastiques de France
ont depuis blasmee, et ont accusé le Duc Charles Martel
destre damné à ceste cause. Ce que ie ne croy pas : car
lequel eust il mieux valu pour la chose publique de Chres-
tienté, ou que les Sarrasins d'Afrique se fussent habituez en
France, par lespace de huit cens ans, comme ilz ont fait en
Espaigne, iusques à la dernière conqueste de Grenade, ou
que le patrimoine de Leglise ayt donné secours et subside
aux gens militaires et à la noblesse de France, pour obuier
par armes et de fait à vn tel inconuenient, ce que les gens
deglise ne pouuoient faire par leurs prières et oraisons.
Mais de ce disputer, ie me déporte : car ce nest pas de
présente spéculation. Si reuiens au propos principal de Ihis-
toire qui dit : Que après la desconfiture des Sarrasins des-
susdite, Eudon, Duc d'Aquitaine, nonobstant que de tous ces
maux il eust esté cause, trouua manière de faire son appoin-
tement auec le Duc Charles Martel. Et deflSt la reste des
Sarrasins, selon ce que met Gaguin, en Ihistoire de France.
Comment le Duc Charles Martel conquesta le Rovaame de Bour-
gongne, la Duché d'Aquitaine «t de Gsscongne , et depuis le
Royaume de Frise : et vainqiiit les Allemans sur le Rhin, et les
Goths et Sarrasins en Prouence, et en Aquitaine : et de ses autres
gestes.
Geste tresglorieuse victoire des Sarrasins acheuee par le
Duc Charles Martel, autre nouuelle guerre suruint du costé
(1) c.-à-d. les gen$ ecclésiastiques dont Le Maire parle plus bas.
8INGVLARITBZ DB TROYR..IJVBB III. 447
de Bourgongne. Et selon ce que ie puis comprendre : ce
fut par le moyen du dessus nommé Ëudon, Duc d'Aquitaine
et de Gascongne, tousiours maluueillant du Duc Charles
Martel. Lequel Prince tresnobleettresinuaincu, (l)alla icelle
part : et print la cité de Lyon sur le Rhône, qui pour lors
estoit la tierce prouince du Royaume de Bourgongne : dil-
lec il tira en Arles en Prouence, qui de toute ancienneté
estoit la cité capitale du Royaumo de Bourgongne, comme
est ores Paris en France. En oultre il conquit Marseille et
le pais denuiron, en lostant aux Vesegoths, vne nation
d'Allemaigne, qui auoient occupé ladite contrée. Et brief,
il mit en son obéissance tout le Royaume de Bourgongne.
Si tua finablement le Duc Eudon, son ancien ennemy,
comme ie treuue en vne vieille chronique. Print et subiuga
toutes ses seigneuries en Aquitaine et Gascongne, mais
pour la singulière modération dont il estoit plein, il nap-
pella point les Bourguignons quil auoit conquestez, ses sub-
ietz : mais ses alliez et confederez, par plus douce et plus
agréable appellation.
Puis après, à fin quil se gardast destre oiseux, il mena
son armée en Allemaigne oultre le Rhin, contre le Roy de
Frise, nommé Radbod, de secte Payenne et idolâtre : lequel
ie treuue ailleurs estre nommé Popon : si le vainquit sur le .
fleuue Burdon et gaigna son Royaume, lan de nostre salut
sept cens trentecinq. Et en ce temps là les Vuandelz, vne
autre nation d'Allemaigne, entrèrent en France iusques à la
cité de Sens : lesquelz Obbo, archeuesque de Sens, deffit. Et
tantost après les Bourguignons se rebellèrent, contre les-
quelz le Duc Charles Martel après son retour de Frise,
marcha derechef, et entra dedens Lyon sur le Rhône : où
(1) Se trouve auasi dans la Couronne Margaritiqne.
448 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
il punit aucuns citoyens estans chefz et motifz de la rébel-
lion. Et dillec tira en Arles, cité capitale dudit Royaume
de Bourgongne, et autres villes et fortes places, là où il
mit bonne garnison.
Ne tarda gueres après, quil luy fut mestier de retourner
en AUemaigne, pource que ses subietz de dessus la riuiere
du Rhin séstoient esleuez de nouueau : lesquelz il dompta
derechef. Cela fait, autre tumulte suruint du costé de Pro-
uence, car Marancus Bourguignon, (1) qui se disoit Duc de
Prouence, autresfois subiugué par le Duc Charles Martel,
auoit fait secrète alliance auec les Vesegoths, vne nation
d' AUemaigne, habitans pour lors en Aquitaine : lesquelz
nestoient point contens de ce que leur Duc Odo auoit esté
défiait par le Duc Charles Martel. Et oultreplus, ledit
Marancus de Prouence estoit allé quérir secours en Esr
paigne. Et de fait, auoit pratiqué deux Roys Sarrasins.
Dont lun estoit nommé Athimus et lautre Amorreus. Par
ainsi ledit Marancus, qui se disoit Duc de Prouence, entra
le premier en Aquitaine, auec le Roy Athimus Sarrasin. Si
prindrent de primeface Bourdeaux et Narbone : et vindrent
passer le Rhône et prindrent les citez d'Auignon et Arles
en Prouence. Et se respandirent lesdits Vesegoths et Sar-
rasins parmy toute Aquitaine et les citez capitales du
Royaume de Bourgongne, du costé de Prouence. Si se for-
tifia ledit Marancus dedens Auignon, et le Roy Athimus
à Narbone.
Le Duc Charles Martel aduerti de ces nouu elles, donna
bon ordre en son pais du Rhin et vint diligemment en la
haute Bourgongne où il mit sus la plus grand armée quil
(1) Le comte Mauruntus, aidé par Yousouf-Ibn, gouverneur arabe
de Narbonne.
SIMGTLARITCZ DE THOYE. LIVRE III. 449
peut. Si alla promptement assiéger Auignon, et la print par
force. Aucuns disent, que ce fut fait par son frère nommé
Chiidebert, son lieutenant en ceste partie. Et de là tira à
Nârbone, où le Roy Athimns Sarrasin estoit, et y mit le
siège. Au secours duquel vint par raer lautre Roy Sarrasin,
nommé Amorreus, dont dessus est faite mention, auec multi-
tude infinie de Sarrasins. Parquoy fut mestierau Duc Charles
Martel de demander secours au Roy de Lombardie, nommé
Luitprand : lequel estoit son compère. (1) Et vn peu de temps
parauant luy auoit monstre signe de grand amytié : car à
la seule et simple requeste du Duc Charles Martel, il auoit
laissé le siège quil tenoit deuant Romme, contre le Pape
Grégoire troisième de ce nom.
Luitprand, Roy des Lombards, venu au secours de son
compère, le Duc Charles Martel , iointes ensemble les
armées des Allemans, François, Bourguignons et Lom-
bards, ilz liurerent la bataille aux Sarrasins et aux Vese-
goths, en vne belle plaine, en la vallée de Corbar, (2) qui nest
pas loing de Narbone. Lestrif y fut grand et merueilleux.
Mais après que lun des Roys Sarrasins, nommé Amorreus,
y fut occis, toute la reste se laissa desconfire. Lautre Roy,
nommé Athimus, se sauua en vn petit nauire et senfuit en
Espaigne. Par ainsi le Duc Charles Martel demoura victo-
rieux, moyennant layde de Luitprand, Roy des Lombards.
Oultreplus, tous les Vesegoths, vne cruelle nation, qui la
par lespace de trois cens ans auoient troublé le monde tant
en Prouence comme en Aquitaine et Espaigne, furent def-
(1) Eq735, Charles Martel avait envoyë son fiU à Luitprand afin
que celui-ci devint son père d'adoption en lui coupant les cheveux
selon Tusage germanique.
(2) La vallée des Corbières.
II. »
y
450 ILLVSTRATIOKS DE GAVLE, ET
faits, exceptez aucuns qui se retirèrent à Barcelone, Ne
les Sarrasins noserent onques puis entrer en France. Don-
ques toutes autres nations estrangeres, iettees dehors, la
Gaule demoura subiette aux François, moyennant la grand
prouesse et vertu du Duc Charles Martel.
Enuiron ce temps là mourut le Roy de France, nommé
Theodoric, deuxième de ce nom : filz de Dagobert, au lieu
duquel le Duc Charles Martel, comme Prince du Palais,
constitua Childeric, frère germain dudit Theodoric. Lequel
Childeric fut depuis honteusement déposé, souz ombre de
lautorité du Pape Zacharie, comme sera dit cy après : quand
nous parlerons de Pépin, filz du Duc Charles Martel. Ainsi
appert que par le Duc Charles Martel furent créez quatre
Roys en France : cestasauoir, Lothaire, Chilperic, Theo-
doric et Childeric. Et fut si preudhomme, quil ne voulut
point vsurper la couronne de France : ne se nommer Roy,
ce quil eust bien peu faire. Mais Pépin le Brief, son filz,
ne le feit pas ainsi.
Tant de hautes choses acheuees, par la force, prudence
et vertu de ce tresglorieux et magnanime Prince, Charles
Martel, le Royaume de France et toutes les prouinces par
luy conquises pacifiées : après tant de trauaux, approchant
le terme de ses iours, il cheut en maladie, en vn bourg,
nommé Vermene, près du fleuue d'Isère. (1) Or auoit il trois
enfans, comme ie croy de deux femmes : cestasauoir : Kar-
loman, Pépin et Griffon. De la première femme ie ne scay
le nom (2) : mais la mère de Griffon, le maisné, auoit nom
Simahilde (3) : nièce du Duc Odon de Bauiere. Si distribua
(1) Charles Martel est mort à Quîersy-sur-Oise, en 741.
(2) C'est Rothrude, mère de Carloraan et de Pépin le bref.
(3) Sonnichilde.
8IMGTLARITBZ DE TROTE. LIVRE III. 4M-
Charles Martel son héritage aux deux premiers tant seule-
ment. Karloman eut pour sa part, Âustriche la basse : quon
dit maintenant les pais de Lothric et Brabant, Soaue, AJ-
lemaigne et Tburinge. Lappennage de Pépin le Brief, fut
France, Bourgongne et Aquitaine. Griffon, le plus ieune,
neut point de terre en sa part : mais fut passé souz silence
au testament de son pare, dont sa mère Simahilde ne fut
pas contente.
Tantost après, ce tresuertueux Prince trespassa : lan de
sa Principauté vingtcinq, selon les Chroniques de France :
mais les Chroniques d'Allemaigne luy en donnent dix da-
uantage. Et fut solennellement enseuely à saint Denis en
France, en vn sépulcre dalbastre, qui encores est en estre.
Mais iasoit ce quil ne soit pas conté au nombre des Roys
de France, neantmoins, sa statue ou représentation estant
dessus son tumbel, en ladite église de saint Denis en France,
porte sceptre et couronne. Ce que iay diligemment regardé,
et noté. Si ay trouué en vn ancien Hure, au païs de Brtdi
bant, son epitaphe en quatre vers, tel qui sensuit : "■
Ecce, Brabantinus dux quartas ia orbe triumphat
Malleus, in luundo specialis Cbristirolarum.
Dnx, dominusque ducum, llegum quoque, liez fore spi*euit :
Non vult regnare, sed Regibus imperat ipse.
De Karloman, Duc d* Austriche la basse, quod dit maintenant Lothric,
et Brabant, Soaue, Allemaigne et Thuringe : lequel après plu-
sieurs victoires se rendit moyne.
Karloman filz aisné du Duc Charles Martel, à qui le père
par son testament auoit laissé les païs d' Austriche, Brabant,
Soaue, Allemaigne et Thuriuge, vescut pacifiquement auec
4oâ ILLVSTRATIO^S DE GATLE, ET
son frère Pépin le Brief. Ce qui aduient peu souuent, entre
frères charnelz : mesmement quand ilz sont grans seigneurs.
Et Juy assista en tous ses affaires. Car comme Simahilde,
vefue du Duc Charles Martel, fust mal contente comme
dessus est dit, de ce que son filz Griffon nauoit point esté
nommé héritier en aucune partie, au testament de son père :
estant femme de cœur, incita sondit filz à demander la part
de la succession à ses frères : attendu quil nestoit point
bastard ' ce quil feit tantost et voulentiers : et print en sa
saisine la cité de Laon. Si entama la guerre contre lesdits
frères, lesquelz lassiegerent et le prindrent. Et à fin quil
ne troublast plus les affaires du Royaume, Karloman len-
uoya en seure garde à Chasteauneuf, vne forte place, en la
forest d'Ardenne. (1)
Cela fait, les deux frères ensemble allèrent alencontre de
Hunauld, Duc d'Aquitaine, qui se rebelloit contre le Roy-
aume de France. Et après quilz eurent vaincu ledit Hu-
nauld et remis icelle prouince en deuoir dobeïssance : eux
deux par ensemble domptèrent les Allemans à eux rebelles
et Odilon, Duc de Bauiere : puis Karloman tout seul alla
contre les Saxons : desquelz il obtint victoire. Dont après
tant de prosperitez il fut ennuyé du monde. Si délibéra
dy renoncer, et dentrer en religion : ce quil feit, à peu de
compaignie : du sceu et consentement de son frère Pépin.
Et se tira ledit Karloman à Romme vers le Pape Zacha-
rie : de la main duquel il print Ihabit de saint Benoit, et
alla viure religieusement au monastère de Montcassin en
Italie : lequel au parauant il auoit fait édifier à ses des-
pens, délibérant dy vser sa vie en faisant pénitence, ce qui
(I) Juxta Arduennam, dit Eginhard. C'est le château d'AmblèTe,
près d'Aywaille, appelé aussi Nev/château.
siNfivtAarrex ue truyk. livrb m. 455
naduint pas : car Aistulphe, Roy des Lombards, homme
oault et malicieux, trouua moyen de le tirer hors de son
monastère, pour ienuoyer en France comme ambassadeur,
deuers le Duc Pépin, son frère, lequel se preparoit de faire
ia guerre contre ledit Aistulphe, pour la querele et à la
requeste du saint siège apostolique : qui par la tyrannie
dudit Aistulphe estoit troublé et molesté en la possession
du patrimoine de Leglise. Si pensoit iceluy Aistulphe, que
ledit Karloman moyne, par sa persuasion trouueroit ma-
nière de retarder son frère le Duc Pépin, du passage oultre
les monts : laquelle ambassade le Duc Pépin print si très-
mal engré, que non eu regard à lamour et charité frater-
nelle, ny aux bons seruices que parauant il luy auoit faits,
,feit mettre sondit frère Karloman en perpétuel exil, dedens
vn monastère, en la cité de Vienne en Dauphiné, là où tan-
tost après il mourut de regret.
Du Duc Pépin sui-noranié le Brief : troisième de ce nom en cegte
généalogie, Duc de Bourgongae et d'Aquitaine, Prince du Palais
de France : et des autres successions qui lujr accreurent 4t cause
de son frère aisné Karloman deuenu moyne. Et aussi des guerres
quil eut contre son frère maisné Griffon.
., Pépin le Brief, cestadire le court, ainsi surnommé, pource
rquil estoit de petite corpulence, viuant encores son père le
Duc Charles Martel : incontinent quil se sentit par le testa-
ment paternel estre declairé et institué héritier du pais de
Bourgongne, comme dessus est dit : vsaiît de grand pru-
dence, il se tira celle part, à toute diligence : et en print la
possession, craingnant que suruenant le trespas de sondit
père, il ny eust aucun trouble ou destourbier, sil en estoit
452 ILLVSTRATIOHS DE GATLE, ET
son frère Pépin le Brief. Ce qui aduient peu souuent, entre
frères charnelz : mesraement quand ilz sont grans seigneurs.
Et ]uy assista en tous ses affaires. Car comme Simahilde,
vefue du Duc Charles Martel, fust mal contente comme
dessus est dit, de ce que son filz Griffon nauoit point esté
nommé héritier en aucune partie, au testament de son père :
estant femme de cœur, incita sondit filz à demander la part
de la succession à ses frères : attendu quil nestoit point
bastard ' ce quil feit tantost et voulentiers : et print en sa
saisine la cité de Laon. Si entama la guerre contre lesdits
frères, lesquelz lassiegerent et le prindrent. Et à fin quil
ne troublast plus les affaires du Royaume, Karloman len-
uoya en seure garde à Chasteauneuf, vne forte place, en la
forest d'Ardenne. (1)
Cela fait, les deux frères ensemble allèrent alencontre de
Hunauld, Duc d'Aquitaine, qui se rebelloit contre le Roy-
aume de France. Et après quilz eurent vaincu ledit Hu-
nauld et remis icelle prouince en deuoir dobeïssance : eux
deux par ensemble domptèrent les Allemans à eux rebelles
et Odilon, Duc de Bauiere : puis Karloman tout seul alla
contre les Saxons : desquelz il obtint victoire. Dont après
tant de prosperitez il fut ennuyé du monde. Si délibéra
dy renoncer, et dentrer en religion : ce quil feit, à peu de
compaignie : du sceu et consentement de son frère Pépin.
Et se tira ledit Karloman à Romme vers le Pape Zacha-
rie : de la main duquel il print Ihabit de saint Benoit, et
alla viure religieusement au monastère de Montcassin en
Italie : lequel au parauant il auoit fait édifier à ses des-
pens, délibérant dy vser sa vie en faisant pénitence, ce qui
(1) Juxta Arduennam, dit Eginhard, C'est le château d'AmblèTe,
près d'Aywaille, appelé aussi Nev/chÂteau.
SitUiVLABITKX UK TRUYK. LIVKB ill 4fi5
naduint pas : car Aistulphe, Roy des Lombards, homme
cault et malicieux, trouua moyen de le tirer hors de son
monastère, pour ienuoyer en France comme ambassadeur,
deuers le Duc Pépin, son frère, lequel se preparoit de faire
la guerre contre ledit Aistulphe, pour la querele et à la
requeste du saint siège apostolique : qui par la tyrannie
dudit Aistulphe estoit troublé et molesté en la possession
du patrimoine de Leglise. Si pensoit iceluy Aistulphe, que
ledit Karloman moyne, par sa persuasion trouueroit ma-
nière de retarder son frère le Duc Pépin, du passage oultre
les monts : laquelle ambassade le Duc Pépin print si très-
mal engré, que non eu regard à lamour et charité frater-
nelle, ny aux bons seruices que parauant il luy auoit faits,
,feit mettre sondit frère Karloman en perpétuel exil, dedens
vn monastère, en la cité de Vienne en Dauphiné, là où tan-
tost après il mourut de regret.
Du Duc Pépin surnommé le Brief : troisième de ce nom en ceste
généalogie, Duc de Bourgongne et d'Aquitaine, Prince du Palais
de France : et des «utres successions qui lujr accreurent ^ cause
de son frère aisné Karloman deuenu moyne. Et aussi des guerres
quil eut contre son frère maisné Griffon.
.«Pépin le Brief, cestadire le court, ainsi surnommé, pource
quil estoit de petite corpulence, viuant encores son père le
Duc Charles Martel : incontinent quil se sentit par le testa-
ment paternel estre declairé et institué héritier du pais de
Bourgongne, comme dessus est dit : vsapt de grand pru-
dence, il se tira celle part, à toute diligence : et en print la
possession, craingnant que suruenant le trespas de sondit
père, il ny eust aucun trouble ou destourbier, sil en estoit
456 ILLVSTRATIOAS DE GAVLE, ET
realle, et maintenoit la seigneurie sans contradiction quel-
conque. Pour donques venir à ces fins, Pépin enuoya à
Romme, deuers le Pape Zacharie, vne secrète ambassade,
ayans leurs instructions forgées selon son intention. Et fu-
rent deux hommes deglise, qui la mirent à exécution :
cestasauoir, Burkard, archeuesque de Vuirtsbourg, dite en
Latin Herbipolis, qui est cité capitale du païs de Francone,
quon dit France Orientale oultre le Rhin, et Vokard, (1) archi-
chapelain domestique du Duc Pépin. Lesquelz demandèrent
au Pape par cauteleuse simplesse, quil luy pleut leur déter-
miner ceste question : asauoir mon lequel des deux estoit
plus digne destre Roy, ou celuy qui se tenoit tousiours en
lombre de son Palais sans faire chose qui seruit au bien
commun et sans se soucier des affaires du Royaume : ou
celuy qui par sa propre vertu, industrie et sollicitude, et
par mettre en danger, aduenturer souuentesfois sa personne
en armes contre les ennemis, donnoit ordre à tous les affai-
res publiques et à la deffense et accroissement du Royaume.
A laquelle demande et proposition le Pape Zacharie in-
struit assez de la response quil deuoit faire, et que les
demandans vouloient quil feist : respondit, que voirement
celuy estoit plus digne dauoir tiltre de Roy et la totale auto-
rité du Royaume, qui par sa prudence, diligence et solicitude
adressoit, administroit et moderoit les affaires de la chose
publique. Souz lombre et couleur de laquelle response du
Pape, remonstree aux Barons de France par lesdits ambas-
sadeurs, à leur retour de Romme, et moyennant lautorisation
dicelle : ilz eslurent le Duc Pépin, Prince du Palais, pour
leur Roy. Et fut sacré à Soissons par saint Boniface, Eues-
que dudit lieu : lan de nostre Seigneur sept cens cinquante.
(I) Volkard ou Folcard.
SlNGVLARlTeZ DE TBOYK. LIVRE III. 457
Et Gbilderie, homme de petite value, fut honteuBaoïent
dégradé et mis lus de la dignité Royale. Si fut t(nda
inoyne, et reclus en vn monastère : ou il fina ses iours en
pénitence et en angoissé.
La raesme année que le Roy Pépin la Brîef reoent 1» note
dignité de la couronne de France, le peuple des SaxoM luy
feit la guerre. Et il les vainquit derechef snr le fleune
nommé Vuisara. (1) Et comme de ladite victoire il estoit de
retour en France, il luy fut nonce, que Griâbn son £rere,
lequel sestoit retiré vers Gayffier, Duc d'Aquitaine, comme
dessus est dit, estoit mort. La vieille Chronique dit : quil
fut tuié en Saxone : il estoit homme rapineux et vioant de
proye : si ne pouuoit durer. Et pource fut il nommé Grif-
fon : comme met Platina. Tantoat après le Pape Estienne,
deuxième de ce nom, vint en France demander secours
contre Aistulphe, Roy des Lombards, qui molestoit les ter-
res de Leglise : lequel Pape, le Roy Pépin receut en grand
honneur. Et il oingnit et consacra derechef Pépin en Roy
de France : et bénit ses deux enfans, Karloman et Charles
le grand, et toute leur postérité. Si maudit, dautre part,
tous ceux qui leur feroient grief ou tort.
Par ainsi en la faueur dudit saint Père, quand ce vint
sur le printemps, le Roy Pépin passa les monts et marcha
contre Aistulphe, Roy des Lombards, pour la première fois.
Et depuis pour la seconde, tant quil contraingnit ledit Roy
Aistulphe, de rendre ce quil auoit Ysurpé en Italie, de
Lexarcat de Rauenne, lequel appartenoit à Lempire. Et
presques toutes les conquestes que le Roy Pépin feit en Ita-
lie, il les donna à leglise Romaine, comme sera spécifié
tantost en la fin de ce liure.
(1) Le Weser.
458 ILLVSTKATIONS DE GAVLK, ET
Iceluy Roy Pépin mena aussi la guerre par lespace de
huit ans contre Gayffier, Duc d'Aquitaine, en faueur de Le-
glise, laquelle iceluy Duc oppressoit. Maispource quil deue-
noit desia pesant et sur aage de vieillesse, il en bailla toute
la charge à son filz maisné Charles le grand, encores ado-
lescent et à qui la barbe ne faisoit que poindre. Lequel
print tantost Bourbon et Clermont, et autres places en Au-
uergne, qui fut le premier commencement de ses hautes et
heureuses prouesses, lesquelles il acreut depuis ainsi que
chacun scait. Finablement iceluy Gayffier, Duc d'Aquitaine,
fut tué par ses gens mesmes, et la guerre finee. Taxiilo, Duc
de Bauiere, vint en France à grand compaignie et triomphe :
et feit hommage au Roy Pépin de la Duché de Bauiere. Et
derechef, les Saxons furent par luy vaincuz et asubiettiz,
à ce que tous les ans par manière de tribut, ilz ameneroient
au Roy trois cens coursiers de prys, au temps que le parle-
ment se tiendroit à Paris. Lequel parlement fut première-
ment institué par ledit Roy Pépin.
De sa femme Berthe il eut les deux filz dessusnommez :
cestasauoir Karloman et Charles le grand, lesquelz il laissa
héritiers parensemble sans partage, et vne fille nommée
Berthe, qui fut mariée à Milon, Conte du Mans, et fut mère
de Roland. Ladite Berthe, mère de Charlemaigne, est ense-
lie en vne ancienne abbaye dite la Nouuellaise, au pied du
mont Senis, pardelà pour tirer le chemin de Suse et de
Piedmont, comme autresfois mont affermé les moynes dudit
lieu : mais le Roy Pépin son mary est enterré à saint Denis
en France. Et mourut à Paris lan de grâce sept cens soi-
xantehuit, et de son règne le vingtseptieme. Lepitaphe
dudit Roy Pépin est tel, selon les anciens liures que iay
trouué en Brabant :
Iste Biabnntinus, dux quintus Austrasiorum,
Ex dace fit tandem Rex primus generis huius.
SINGVLAKITEZ Ob TROYB. LIVRE III. 460
Narration comment les successions des Princds se maent et changent
par la prouidence diuine. Et comment le sang de Lemporear
Charles le grand fut depuis reûnjr et réintégré, on réitéré, eb la
famille de« Roj8 trescbrestiens, iasqaes auiourdhnj , par ligue
féminine.
Ainsi termina son règne sur les François la ligné de
Meroueus yssu des Troyens et hauts Sicambriens. Laquelle
auoit esleué ledit Royaume et temporisé en iceluy, par
lespace de trois cens trente ans : car Pharamond, le premier
Roy, fut couronné lan quatre cens et vingt, et Pépin, le
premier de sa lignée, lan sept cens cinquante, comme des-
sus est dit. Et fut Pépin le vingtdeuxieme Roy de France,
comme il me semble, iasoit ce que Gaguin en son histoire
ne le mette que pour vingtunieme, dont ie raesmerueille. Et
mesmement de ce quil ne conte Meroueus et son filz Ghil-
peric, sinon pour vn Roy. Si pourroit sembler que Mero-
ueus, qui fut père de famille et chef de toute ceste lignée,
mérite bien dauoir son lieu à part. •^*
La génération de Pépin le Brief et de Charles le grand
régna en Lempire, enuiron cent dix ans, et non plus. Mais
elle posséda la couronne de France, par lespace de deux
cent quarante ans, iusques à ce que la lignée de ceux
d'Angers (laquelle aucuns historiens disent estre yssuz des
Saxons, cestasauoir, Hue Capet, filz de Hue le grand.
Conte de Paris) vsurpa le Royaume sur les successeurs de
Pépin et de Charles le grand. Laquelle vsurpation fut
faite, lan de nostre Seigneur neuf cens quatre vingts et dix.
Et tout ainsi que Childeric, filz de Theodoric, fut le dernier
Roy de la lignée de Meroueus, yssu des Troyens de la haute
Sicambre, aussi Charles, filz de Loys sixième de ce nom.
4(1)0 llXVSTRATiO^S D£ GAVLE, £T
Lequel Charles qui mourut prisonnier en la cité d'Orléans,
fut le dernier de sa génération, yssu des Troyens de la
basse Sicambre, qui posséda le Royaume de France.
Lesquelles mutations, si bien nous y aduisons, furent
faites premièrement par la prouidence diuine : et seconde-
ment par lart, ministère et traflSque des prostrés. Car si
souz ombre de religion et de sainteté Burkard, premier
euesque de Herbipolis en Francone, et Vokard, chapelain
domestique de Pépin le Brief, impetrerent du Pape Zacha-
rie la response seruant à leur propos, dont la mutation de
la succession légitime au Royaume se feit, comme dessus
est touché : aussi Hue Capet suborna leuesque de Laon
nommé Anselme, à ce quil luy mist entre les mains le Roy
Charles, dernier de la lignée de lempereur Charles le grand.
Lequel fut enuoyé tenir prison à Orléans là où il mourut.
Et ce feit ledit Hue Capet, Roy de France, tant par force,
comme souz ombre de ce quil faisoit courir la voix par
ledit Euesque et autres gens deglise, que saint Vualeric et
saint Richer lauoient de ce faire admonnesté par vision et
luy promis la couronne de France, pource quil auoit porté
grand honneur et reuerence à leurs corps et à leurs reli-
ques. Et ce recite Gaguin et autres historiens. Toutesuoyes
Gaguin est par ceux qui sont studieux des histoires, sou-
uentesfois reprins et noté de négligence en plusieurs pas-
sages : mesmement en ce dont dessus est touché, cestasa-
uoir quil dit, que Burkard qui fut enuoyé pour ambassa-
deur vers le Pape Zacharie, par le Duc Pépin, estoit arche-
uesque de Bourges en Berry : ce quil nestoit pas, ains fut
le premier Euesque de Vuirtsbourg en France Orieatale,
coinme dessus est dit, et est illecques réputé saint.
Toutesuoyes de reuenir au propos, Hue Capet auoit autre
couleur et moyen dont il se aydoit : cestasauoir que son
êmSfLÂUntr. de tkotb. livrk m. 461
ayeul nommé Eudon, ou Odon, poiar ses mérites et pou*
auoir bien seruy la couronne fut intitulé Roy par le* Pré-
lats de France, mesmes du viuant du Roy Charles le Sim-
ple, dont il fut tuteur par leepace de neuf ans. Et paii
comme yray preudhomme et bon régent, luy rendit ladmi-
nistration du Royaume, Mais le frère dudit Odon, nommé
Robert, ne voulut pas faire ainsi, ains essaya dapproprier
à luy le tiltre du Royaume, comme successeur de son freray
Et de fait, se feit Duc d'Aquitaine : et constitua Prelalè
audit pais, qui lé nommèrent Roy de France. Mais il fut
occis en bataille, par le Roy Charles le Simple, auprès de
Soissons. Si laissa vn filz nommé Hue le grand. Conte de
Paris, et qui se porta vaillant Prince contre les Normans.
Lequel eut à femme vne Dame nommée Aygunde, fllle de
lempereur Othon de Saxone, premier de ce nom : en la-
quelle il engendra ledit Hue Capet, premier Roy de France
en sa lignée et le trentecinquieme en lordre des Roys,
selon Gaguin, dont la tresnoble postérité dure iusques an-
iourdhuy. Ainsi appert comme les historiens disent, que la
maison de Saxone ha esté producteresse de la tierce lignée
des Roys de France. Et comme la maison des Pépins et
des Charles ha régné au Royaume et en Lempire, aussi ha
celle des Othons : laquelle est lune des plus nobles d'Alle-
maigne.
Icy dessus est dit, que les mutations des lignées , quant
au gouuernement des Royaumes et prouinces, se font par
la prouidence diuine. Et de ce ne faut faire aucune doute :
car lexperience en est maistresse, et le nous declaire apper-
tement par exemples familiers : cestasauoir, que tout ainsi
que les arbres et les animaux par longueur de temps en-
uieillissent, tarissent et défaillent en leur vertu : aussi
fait le genre humain en gênerai, et encores plustot les
462 rjTlLLVSTRATIOHS DE GAVLE, ET
lignages des hommes en particulier. Tellement que si noz
ancestres estoient forts, vertueux, corpulents et robustes,
sucessiuement noz grans pères auoient vn peu moins de
telles bonnes habitudes et dispositions, et après eux noz
pères : et par conséquent nous mesmes allons tousiours en
décadence et si feront encores plus noz postérieurs. Voyant
donques icelle diuine prouidence, la succession de Mero-
ueus et de Clouis abastardie et toute anichilee en vertu,
diligence et prouesse : elle suscita comme bien estoit lors
grand besoing et nécessité vrgente à toute la chose publique
de Chrestienté, ou plustot elle resueilla et feit esclarcir au
monde le tresnoble sang des Pépins et des Charles, comme
iadis en la maison du pasteur Isai, fut esleué par la main
de Dieu, le Roy Dauid, et donné successeur à Saul, pre-
mier Roy des luifz : pource que ledit Saul sestoit desia
forfait et amoindri de sa vertu première. Et tout le mys-
tère de ce changement fut fait et conduit par les mains du
prophète Samuel, grand prestre de la loy des luifz.
Par ainsi tout dun tenant, et dautre part voyant le hau-
tain Spéculateur des actes humains, quen la postérité de
Constantin le grand, fondateur de Constantinoble, presques
toute noblesse et vertu estoient amorties et annullees par
la tyrannie scismatique et hérétique des Empereurs Orien-
taux, qui souilloient leurs mains en leur propre sang par
guerres ciuiles et domestiques, et ne tenoient plus conte du
bien public vniuersel, ne de Romme iadis chef de toute
leur Monarchie, dont par leur tel défaut, leglise Romaine
estoit foulée, la foy catholique persécutée et amoindrie de
tous les quartiers du monde, par Ihorrible insultation de la
gent Sarrasine et Turque, non seulement sur les parties
d'Orient et de Grèce, là où lesdits Empereurs tenoient leur,
malheureuse résidence, mais iusques dedens les entrailles
SINpVLARITBZ pB TROTif UVRR III. 463
de nostre Europe; voire iusques à noz propres maisons et
fouyers. (1) Lors le tresbon et ti'esbenin facteur et Père de
tout le Monde, resueilla en Occident vue maison et famille
illustre, comme, celle des Macabees, qui eut le pouuoir et
hardement de garder son peuple destre bonni et contaminé
de la loy des mescreans. Ce fut la tresnoble ligne» des
Pépins et des Charles, vertueuse et forte de toute antiquité,
comme assez est monstre par ce liure : mais encores plus
ennoblie par les tiltres et dignitez de la treschrestienne
couronne de France et du saint Empire Romain, qui sont
les deux plus beaux decoremens de ce monde temporel.
Moyennant lesquelles prerogatiues, ilz domptèrent et sup-
pediterent (2) plusieurs nations estranges, cruelles et bar-
bares, anciennes ennemies de nostre foy et de leglise catho-
lique : cestasauoir. Saxons, Normanset Huns, quon dit main-
tenant Hongres, tous Payons et idolâtres. Sarrasins, Infi-
dèles et Mahomraetistes, Goths et Vesegoths, hérétiques. Et
finableraent, Lombards, tyrans et vsurpateurs d'Italie et
du patrimoine de saint Pierre. Et feirent tant les treshauta
Princes de ladite maison, que nostre sainte créance esbran-
lee de toutes pars et comme en danger de totale ruine,
reloua le chef et se. tint debout. Si planta sa marche ferme
et immobile en nostre Europe plus clarifiée et autorisée que
onques mais.
le treuue aucunes vieilles histoires qui tiennent, pour
Guider plus autoriser la généalogie de lempereur Charles le
grand, que sa mère femme du Roy Pépin nommée Berthe,
fut fille de lempereur Heracle, ou de son filz Heraclion.
Lequel Heracle recouura la sainte Croix de nostre redemp-
(1) Toutes les anciennes éditions coupent ici la période par un point.
(2) suppeditare, en bas-latin, mettre sous les pieds.
464 ILLVSTRATIONS HE GAVLE, ET
tion, par la victoire quil eut contre Cosdroe, (1) Roy des
Persans. Et du temps duquel Empereur Heracle, la loy de
Mahommeth commença de leuer ses cornes en Orient. Et
par ce moyen lesdits anciens historiens veullent donner à
entendre, que le sang des Empereurs d'Orient eut concur-
rence en la génération de Charles le grand, qui fut Empe-
reur d'Occident. Mais de renforcer sa noblesse et générosité
par ce moyen, nest ia besoing. Et dauantage, iestime quil
nest point vraysemblable, ainçois y ha erreur manifeste :
car depuis le règne dudit Heracle, iusques à Charles le
grand, il y eut vn grand interualle de temps, auquel ré-
gnèrent successiuement seize ou dixhuit Empereurs. Mais
parauenture pourroit il bien estre vray, que ladite Berthe
fust descendue de la génération dudit Empereur Heracle.
Et par ce moyen se sauueroit ladite conionction de sang
entre Lempire Oriental et Occidental. Car ce nest pas
chose estrange et nouuelle, que la noblesse des hauts ligna-
ges antiques se continue et recœuure aucunefois par le
costé féminin.
Car par cas semblable, après linclination de fortune et
reboutement ou debilitation du noble sang de Charles le
grand : et quand la couronne de France, par la voulenté
secrète de Dieu fust paruenue es mains des Roys treschres-
tiens, successeurs de Hue Cap et, la ligne de lempereur
Charles le grand rentra et eut nouuelle alliance en la
maison de France, par le moyen dune dame, ainsi quil sen-
suit. Charles qui fut dernier Roy des François, de la lignée
de lempereur Charles le grand, et lequel dernier Roy dudit
sang mourut prisonnier à Orléans, eut vne fille nommée
Emengarde (2) : qui fut mariée au Conte de Namur, de
(1) sic en éd. 1513 et 1528, pour Cosroëa.
(2) sic «Q éd. 1513 et 1528, pour Ermengarde.
SniGVLAEITBZ DR TBOTI. LITEE III. 46K
laquelle descendit par succession de temps Baudouin, sur-
nommé illustre Conte Palatin, de Haynnau et d'Artois. Le-
quel eut vne fîlle nommée Isabel, femme du Roy Phelippes
Auguste. Laquelle Isabel auec ses bonnes mœurs et ancienne
noblesse, apporta à son mary pour douaire, la Conté d'Ar-
tois. Et en icelle dame ledit Roy Phelippes engendra le
Roy Loys, pare de saint Loys, tuteur et conseruateur
céleste de ceste famille. Et par ce peuit on oongnoitre, quil
ne tarda gueres, pour mieux fortifier et sanctifier icelle, que
le sang illustre du saint Empereur Charles le grand , ne se
rassemblast auec celuy de France : cestasauoir en la qua-
trième generatioD, et y perseuere iusques à ores. Dont il
est facile à conclure, que ceste treschrestienne maison, à
lexemple de ses prédécesseurs, ha esté et est tousiours
esleuee et conseruee en si grand degré, par choisissement
de la prouidence céleste, à fin quelle soit gardienne et
deffenderesse de nostre foy catholique et de la sainte église
Romaine. (1) Et quelle refibrme les abuz du monde et de
leglise, reprime les tyrans, annichile les hérétiques : et
finablement en sa forte main et bras exeelse, reboute ses
anciens ennemis et tienne tousiours en crainte douteuse la
détestable nation des Turcz et autres de la secte Mahom-
metiste. Laquelle nation Turque commença à saillir hors
de ses anciennes tanières et paluz de Tartarie, enuiron le
temps que Pépin commença à régner sur les François.
(1) Toutes les anciennes éditions ont un point an lieu de la Tirgale.
II. 30
466 ILLVSTBATIONS DE GAVLE, ET
De» terres que le Roj Pépin et ses successeurs Empereurs et Roys
de France, Charles le grand et Loys le débonnaire premiers de
ces noms, donnèrent et confermerent à leglise Romaine. Pour les-
quelz mérites et autres, eux et leurs successeurs sont nommez
Treschres tiens.
Maintenant clorrons nous ceste -histoire, en reuenant au
Roy Pépin et à ses gestes. Lequel pour desseruir le nom de
Treschrestien oultre et par dessus les autres bienfaits que
luy et ses prédécesseurs auoient fait à chrestienté : et pour
aucune recompense et rémunération des prééminences et
prerogatiues, tant spirituelles, comme temporelles, quil
auoit obtenues du saint siège apostolique, donna et deliura
à leglise Romaine la cité de Romme, auec toute sa iuris-
diction et ses appendences, ensemble toutes les terres,
ports ethauresdela plage Romaine, Ciuitaueche, Viterbe,
Perouse, la Duché de Spolete, et autres villes et places de
leur appartenance : et du costé de la mer Adriatique, Lex-
arcat, cestadire la Principauté Impériale de Rauenne toute
entière. Cestasauoir, la cité de Rauenne, Forlif, (1) Fayence,
Imole, Boulongne, Ferrare, Comacle, (2) Ceruie, Pesquiere,
Arimine, Fane, Senogalle, Ancone, Vrbin et toute la con-
trée qui se dit auiourdhuy Romaignole. Et dautre part en
la campaigne Neapolitane, la Duché de Naples , qui main-
tenant est Royaume : Capua, Boniuent, Salerne et Cala-
bre, haute et basse. Encores oultre ce, les Isles situées en
la mer Thyrrene, Sicile, Corsegue et Sardaigne. Toutes
lesquelles terres, après que Pépin les eut recouurees des
(1) pour Forli.
(2) Cîomacchio, Cervia, Pesaro, Fano, Sinigaglia.
SlIfOVLARITEZ DB TKOTB. LIVBB III. 467
mains des Tyrans qui les occupoient, iasoit ce quelles fus-
sent du tenement de Lempire Romain : et que le Protos-
pataire, qui vaut autant à dire, comme le Connestable de
Lempire, se opposast à ceste donnation au nom de son
maistre, et y reclamast tant comme il luy estoit possible,
tout ce nonobstant le Pape et leglise Romaine acceptèrent
ce don. Et le feirent depuis confermer par lempereur
Charles le grand et par son filz Loys le débonnaire : et
consequemment par les autres Empereurs : Othons, Hen-
rys et leurs successeurs. Si en ont eu depuis les Papes
plusieurs différents quant à la possession : et en ont esta
beaucoup de Princes tant de France, comme d'AUemaigne,
empeschez, et par merueilleuse et exécrable ambition de
toutes pars, en sont suruenuz des maux» des guerres et
des dissensions infinies, comme il appert iusques à présent.
Et voila comment lintention des tresbons et treschrestiens
Princes, vrays champions et protecteurs de leglise, ha esté
maintesfois frustrée et deprauee. Mais de ce suflBse à tant.
468 ÏLLVSTRAtlOKS DR GAtLÉ, ET
^ERORATION DE LA.CTEVR AVX NOBLES LECTEURS
ET AUDITEURS DE CE LIURE.
Seignevrs prudents et dames vertueuses de noblesse Gal-
licane et Françoise : sil vous semble que iaye satisfait, en
tout ou en partie, à ce que iay promis au commencement
de ce volume, ie vous prie, rendez en grâces à la Royne
treschrestienne nostre souueraine dame, Duchesse de Bre-
taigne. A laquelle par la grand excellence de sa noblesse
et bonté, ceste présente œuure est dediee et intitulée : et
de laquelle Princesse le bénin traitement et gracieux com-
mandement, mha donné hardiesse de mettre ce labeur en
lumière, deuant voz yeux bénins et courtoise audience. Et
sil y ha quelque chose qui ne vous plaise, ains gise en re-
prehension, excusez lirabecillité de lentendement humain,
lequel ne fournit pas tousiours et ne peult attaindre bon-
nement à ce quil voudroit.
Quoy que soit, iay cuidé fealement recueillir tout ce que
les communs historiens de France et dailleurs, auoient laissé
derrière au plus grand honneur de la nation Françoise. Et
mha semblé que ie faisoye comme font ceux qui amassent les
menuz espics de blé, après les moissonneurs : ou ceux qui
gardent de perdre les raisins que les vendengeurs ont lais-
sez derrière : laquelle chose est permise à chacun par droit
diuin et humain. Si ay en ce cas pensé satisfaire à ceux qui
désirent congnoitre, que non seulement par opinion vul-
SINGTLARITBZ DB TROYI. LITRB III. 460
galre et commune renommée, mais par viues raisons et
vrayes autoritez, ia nation Gallicane et FrançoiBe, taat
Orientale comme Occidentale, est de extraction toute pure
Herculienne et Troyenne : et que les vertuz et prouesses
du grand Hercules de Libye et du trespreux Hector furent
représentées en la personne de lempereur Charles le grand.
Laquelle chose aucunes autres nations impugnent par enuie
et maliuolence : et nous attribuent cest honneur et préémi-
nence, à vantise et à vaine gloire. Et pource, seigneurs, li
les dames, qui dauenture liront, ou orront lire ce liure,
estoient quelque fois ennuyées et fâchées de trouuer tant
de Latin entremeslé parmy le François : le pourray par
vostre bon moyen, trouuer lieu dexcuse, mesmement en ce,
que aussi bien mest il licite de ce faire en ma vocation,
comme il est aux prescheurs en la leur, lesquelz allèguent
souuent beaucoup de Latin, en leurs sermons, aux femme-
lettes de village, pour corroborer et persuader ce quilz
veullent donner à entendre au peuple. Mais sachez, nobles
hommes et experts en literature, que ie ne le fais point
pour monstre et ostentation de la science historiale, mais
pour vous releuer de peine et non estre douteux, ou scru-
puleux, {1) au contenu de ceste histoire.
-o Et si aucuns trop curieux, ou contredisenrs (ie ne vneil
dire ignorans) comme il sen treuue assez, sesmerueillent de
ce que ie nomme Allemaigne, France Orientale : et la
terre de Gaule, France Occidentale : desquelles deux Fran-
ces, lempereur Charles le grand estoit souuerain domina-
teur : lisent les gestes de lempereur Federic premier de ce
nom, surnommé Barberousse, de la nation de Soaue. Le-
quel par sa généalogie se monstroit yssu des Roys de
(1) plein d'obscurités, de difficultés.
470 1LLVSTRATI0^S DE GAVLE, ET
France Clouis et Charles le grand. Et fut Prince de mer-
ueilleux cœur et grand prouesse, lequel subiuga les Itales
et destruisit Milan et Gennes à cause de leurs rebellions.
Et créa quatre Papes à son appétit. Finablement il mou-
rut es conquestes de Turquie, qui fut vn merueilleux dom-
mage pour la Chrestienté. Or escriuit ses hauts faits en
Italie, vn poète nommé Ligurin, lequel pour monstrer que
lempeur Charles le grand estoit Roy des deux Frances, dit
ainsi en son premier liure, parlant de la cité d'Aix la cha-
pelle, dite en Latin Aquisgranum : là où le saint Empereur
Charles le grand est sépulture : et y prennent les Empe-
reurs et les Roys des Romains leur première couronne :
Hoc vbi prima loco veluti cunabula regni
A Carolus esse volens, magno cum Francis régi
Utraque seruiret, primam gesfare coronam
lassit, et in saci'a reges ibi sede locari.
Ât simul à nostro secessit Gallia regno,
Nos priscum regni morem seruamus : at illa
lare suo gaudet, nostrae iam nescia legis.
Or fut [empereur Charles le grand natif de France Orien-
tale, cestadire du territoire de Mayence sur le fleuue du
Rhin : laquelle cité estant deçà le Rhin, on deuroit plustot
dire estre située en Gaule Belgique, iasoit ce quilz parlent
Allemant. Et que ladite cité Impériale de Mayence, iadis
fondée par les Troyens, soit de France Orientale, appert par
autres vers de lacteur dessusnommé, qui dit en parlant
dicelle :
Nanqae premens Rhenura (si credimus omnia famse)
Nomen ab infuso recipit Moguntia Mogo.
Hsec vrbs Francorum mediis in finibus : agris,
Uitibus, arbustis, populo generosa frequenti.
SINGVLARITBZ OK TROYE. LIVRE lU. 471
Uinc atattone tua RheDam contiogit, at iode
Eztendit rapidam fines procul Taqa« MoMllam.
Oultre le Rhin, et vis à vis du tenritoire de ladite cité de
Mayence, est le pais quon dit en Latin Franconia : seu
Orientalis Francia. En la langue d'Allemaigne cest Frano-
land, qui signifie en nostre langue païs des francz. Dont la
cité capitale est nommée en Latin Herbipolis et en Allemaat
Vuirtzburg, de laquelle cité leuesque est seigneur temporel
et se intitule, Duc de Franconie : et quand il célèbre messe,
il ha lespee nue sur lautel. Aussi est audit pais la bonne
ville de Francford, tresriche et bien marchande, en laquelle
il se fait tousiours lelection des Empereurs et des Roys des
Romains : laquelle cité de Francford fut fondée et construite
par lempereur Charles le grand, comme on peult coniectu-
rer par les vers qui sensuiuent du poète dessusnommé :
Conueniunt proceres, totius viscera régnai,
Sede satis nota : rapido quse proxima Mogo
Clara situ, popaloque frequens, murisque d«coi-a est :
Sed rude nomen habet. Nam TeutoDus iacola dixit
Franconefurt, nobis liceat sermone Latino
Francorum dixisse vadnm : quia Carolus illic
Saxonas indomita nimium feritate rebelles
Oppugnans, rapidi latissima flumina Mogi
Ignoto fregisse vado, mediumque per amnem
Transmisisse suas neglecto ponte cohortes
Creditur : inde locis mansurum nomen inbasit. (1)
En ce mesme païs de France Orientale, oultre le Rhin.
y ha plusieurs autres grosses citez, si comme Bamberghe,
là où est enterré Beranger, vsurpateur du Royaume d'Italie,
(1) adhasil (éd. 1513 et 1528).
472 IIXVSTRATIONS DE GAVLB, ET
prins et vaincu par lempereur Othon, premier de ce nom :
ainsi comme Didier, dernier Roy des Lombards, fut prins
par lempereur Charles le grand, et Ludouic Sphorse, Duc
de Milan, par le Roy Loys douzième. Oultreplus est en
ladite France Orientale, la grosse et forte cité impériale de
Nurembergh, limitrophe de Bauiere, auquel lieu et aux
enuirons furent deffaites les légions Romaines du temps de
lempereur Octauien Auguste, dont il eut si grand dueil,
quil en cuida mourir : comme est dit au commencement de
ce liure. Et en icelle cité de Nurembergh, on garde solen-
nellement la palle, (1) lespee, le sceptre, la pomme dor et
la couronne impériale de Charles le grand. Lesquelz nobles
loyaux ne sont iamais bougez de là, sinon à la première
coronnation dun nouuel empereur, ou Roy des Romains.
En oultre, sont en ladite France Orientale, plusieurs autres
bonnes villes, fondées par les Troyens, comme il est touché
au commencement de ce liure.
Et deçà le Rhin, aussi bien que delà, habitèrent les pre-
miers Roys de France, comme il appert par les anciennes
histoires et fondations. Clouis, premier Roy des François,
fonda la cité d'Argentine, quon dit ores Strasbourg, pro-
chaine du Rhin, au pais d'Alsate, la cité cathédrale, ou
episcopale, de saint Pierre : et vne autre collégiale, comme
disent et escriuent ceux du païs mesmes. Et iusques au-
iourdhuy, les bourgeois de Strasbourg marquent leur mon-
noye dargent dune fleur de lis. Dagobert, filz de Clotaire
second de ce nom, qui voulentiers se tenoit en ce mesme
quartier, fonda la riche abbaye de saint Pierre, de Vuis-
sembourg : laquelle ville est à huit lieiies d'Allemaigne, de
ladite cité de Strasbourg, en tirant aual le Rhin. Et au
(1) de paîlium, manteau.
SUMÎTUAIUZ »K TJMYfi. UTIS 10. 47S
portai dudit; fMMitaiw MQt eoerito «air» aotvM «doKn 1m
vers qui seDflliBeBt, doBt iâ prins la copie, quand ie y
estoye. Si sont grauez en pierre et parlent en la personne
du Roy Dagobert, dont la représentation est illec etleueo,
disant ainsi :
Rorase Francorum Dagobertnt rex domiDorum,
Pollicitus Totum Cbrisfo quod compleo totum,
Accipis hoc donum, Petre, faciamqae patronum :
Vuisaembourg donc tibi, sanote Petre, patrono.
De venia certus ego rex bîlarm Dagobertu».
Anno donini vi. c. xxiii. dominus Dagobertas Rex FraBOorom foodA-
uit monaotcrium Yuisaemburgenae.
le pourroye alléguer assez dautres semblables preuues,
lesquelles iay veijes et extraites en Allemaigne, tant deçà
comme delà le Rhin : et en nostre Gaule Belgique : mais
à fin que trop grand prolixité sur vn propos nengendre
ennuy, il vaut mieux icy clorre le pas. En disant (à fin de
faire correspondre les dernières choses aux premières) que
lintention des deux premiers liures des Illustrations de
Gaule et Singularités de Troye, nha esté produite pour
autre chose, sinon pour illustrer les deux Frances : cesta-
sauoir, Orientale et Occidentale. Et pour monstrer quil ny
ha nation au monde, qui ayt perseueré en sa noblesse, de
toute antiquité, iusques à ores, que les François Orientaux
et Occidentaux : ce que nous auons veu par ce liure.
Or vueille Dieu, que de nostre temps les armes de ces
deux tresnobles et trespuissantes nations se puissent ioin-
dre pacifiquement ensemble, pour recouurer leur héritage
de Troye, lequel possèdent les Turcz. Et Dieu mercy, nous
en voyons desia quelconque coniecture et apparence : car
les Allemans, que nous disons Lansquenets, qui sont les
474 ILLVSTRATIOHS DE GAVLE, ET
vrays François Orientaux, militent auiourdhuy, et sont
souldoyers en bonne estime de hardiesse et de loyauté, souz
le Roy treschrestien, Loys douzième. Et se commencent
ces deux nations à sentreaymer, et sentreaccointer, par
société bellique : comme ilz faisoient du temps de lempe-
reur Charles le grand. Lequel seigneur Roy Loys douzième
est en plusieurs choses comparable audit empereur. Et
mesmement en ce quil ha restitué par force darmes à
leglise Romaine la plus part du patrimoine que ses prédé-
cesseurs auoient donné au saint siège apostolique.
Touchant la généalogie des Turcz et de leurs gestes ius-
ques à nostre temps, et la géographie, cestadire description
de la terre de Turquie et de Grèce et des isles circonuoi-
sines, laquelle chose par mes deux autres liures, iauoye
promis monstrer bien clerement, en ce troisième, ie seray
excusé de non lauoir fait : à cause de ce que iay trouué
matière assez ample pour remplir ce volume. Mais iasoit ce
que telle œuure et entreprinse que iay promise et non
acheuee, soit diflBcile et de grand labeur et inuestigation,
neantmoins quand il plaira à noz souuerains Prince et
Princesse men donner le commandement et loisir, iaccom-
pliray ma promesse et macquiteray du vœu solennel que
ien ay fait, sur le grand autel de S. Pierre de Romme pour
le bien publique de toute la Chrestienté : et pour lensei-
gnement, guide et soûlas de tons nobles hommes, qui se
voudroient armer pour aller en Grèce et en Turquie, quand
le cas escherra (si Dieu plait quelque iour) que par lunion
des Princes et lautorité du saint siège apostolique, le grand
passage et croisée vniuerselle sera ouuerte et publiée.
Laquelle chose, Dieu nous doint voir de nostre temps, et
en donner la grâce et le vouloir à noz Princes : car ilz en
ont bien le pouuoir, ausquelz et à leur tresnoble lignée et
SIMGVLARITEZ Dl TKOTE, LIVRE Hl. 475
alliance Dieu vueille tousiours donner prospérité, bonne
valitude et félicité par tous les siècles presens et aduenir.
Et à vous tous, nobles lecteurs et auditeurs, plaisir et pas-
setemps de ce liure, sil vous agrée. Accompli en la cité de
Nantes en Bretaigne, au mois de Décembre : lan de grâce,
mille cinq cens et douze. Duquel liure la closture sera dun
des vers de Virgile, qui dit en la personne de Helenus, filz
de Priam, parlant à Eneas :
Vade agè, et ingentem fatù fer ad athera Troiam.
Va mon liure, et fais tant, que de Troye finee,
La grandeur monte aux cieux, pau* bonne destinée.
FIN DV TROISIEME ET DERNIER LIVRE DES ILLVSTRATIONS DE
GAVLE, ET SINGVLARITKZ DE TROYE.
De peu assez.
mt'
TABLE DES CHAPITRES.
LIVRE II.
Prologue du second Hure ^ l
Lea noms des actevrs allegyez en ce second Hrre '6
Chapitre I. — Narration do retour da Prince Antenor de
• Grèce, auec recitation de lexploit de son ambassade. Du con-
seil donné par Paris Alexandre sur ce, et de lappareil fiât
pour aller en Grèce, par le consentement du peuple de Troje,
et au contredit du Prince Panthus, Helenus et antres. Du
partement de Paris, Deïphobus, et leurs compaignons. Et da
congé prina par Paris dé sa compftigne la Nymphe Pefasia
Oenone. Aaecques vné «xcUmation contre laaeaglfte emprise A
du Roy Priam '9
Chapitre II. — Explication clere et ample de la généalogie de
la belle Heleine : et de son premier rauissement fait en
ieunesse par Theseus Roy d'Athènes : et comment elle fat
recouuree par ses frères Castor et PoUux, sa virginité sauoe :
selon la commune opinion SI
Chapitre III. — Du grand nombre des Princes qui demanderont
en mariage la pncelle Heleine, après son reeoonremrat, pour
la singulière beauté délie. Et qni fut cftluy qui eut la pre-
mière despouille de son puceliage auant la marier. Auec nar*
ration du chois, que son père le Roy Tyndarus, lui bailla de
plusieurs Princes. Et comme elle eslut le Roy Menelaus de
Lacedemone, à seigneur et mary . : . 81
478 TABU
Chapitre IIII. — Démonstration de la généalogie du Roy Mene-
laus. Et comment il eut de sa femme Heleine vne fille nommée
Hermiooe. Et des auentures de ladite Hermione. Et aussi de
celles de Castor et PoUux, frères germains de ladite Heleine. 38
Chapitre V. — Prosequution du nauigage de Paris, Deïphobus,
et leurs compaignons : et de la délibération par eux prinse
sur le rauissement d'Heleine. De leur premier aborder en
lisle de Cytheree. Et comment ilz furent receuz en Lacede-
mone, par le Roy Menelaus, souz tiltre dambassadeurs. De la
proposition faite par Paris, et des dons offers à Menelaus . 43
Chapitre VI. — Du premier regard que la Royne Heleine ietta
sur le beau Paris Alexandre. Et de la gracieuse response que
le Roy Menelaus feit aux ambassadeurs feintifz. Des dons
que Paris donna à Heleine : et de la bonne chère que fut
faite à luy et à ses compaignons. Et aussi narration légère
des premières accointances et semblans couuers de Paris à
Heleine : et comme Menelaus à son département, pour aller
en Crète, recommanda ses choses à sa femme Heleine . . 53
Chapitre VII. — Recitation du conseil prins par Paris Alexan-
dre, auec son frère Deïphobus et ses compaignons, et le capi-
taine de ses nauires, touchant la conduite du rauissement de
la Royne Heleine. Et les preparatiues sur ce. Et comment il
trouua manière de gaigner deux de ses damoiselles : lesquelles
portèrent secrètement lettres missiues dun costé et d'autre.
Auec narration biiene et sommaire du contenu deedites let-
tres 62
Chapitre VIII. — De la dépopulation et robement de la cite de
Lacedemone, et des trésors du Roy Menelaus, et rauissement
voluntaire de la Royne Heleine ; auec désignation du pre-
mier lieu, auquel Paris et elle se ioingnirent ensemble : et
des larmes dicelle, dont fut procréée Iherbe appellee Hele-
nium, qui sert à la beauté des dames. Du pillage fait en lisle
de Cytheree. Et comment ilz partirent dillec : et furent pour-
suiuis par Castor et PoUux et errèrent en mer, sans sauoir
tenir le chemin de Troye. Auec vne inuectiue contre Paris et
Heleine 74
Chapitre IX. — Narration de la mort fortuite des deux bas-
DES CHAPITRES. 479
tards de Priam, et de la Nymphe Eipeiie, et da daeil de
Priam et des siens, mesmement de la Nymphe Oenone, tant
à ceste cause, comme pour le long seiour de Paris. Et des
deuises et Taticinations de Cassandi-a. Ensemble recitation
daucunes fables. Et aussi de loccupation vertueuse de ladite
Nymphe Oenone, et de la beniuolence que Priam et les lieqs
auoient à elle 85
Chapitre X. — Explication du partage fait par le Roy Men^
laus auec ses cousins les Roys de lisle de Candie, et autres,
touchant les trésors et successions de son oncle maternel
Atreus descendu de Minos. Et commuent luy estant illec, non-
uelles luy vindreut du rauissement de sa femme Heleine. De
son retour en Lacedemone : et de lambassade enuoyee à Troyç. 93
Chapitre XL — Des erreurs de Paris, faits en mer depuis
son partement de Cytheree : et comment par force de tem-
peste il arriua en lisle de Cypre, et dillec fut transporté en
Syrie, laquelle est amplement descrite : et pilla la cité de
Sidone, et tua traytreusement le Roy dicelle son hoste : et de
la vengeance qui depuis en fut faite par ceux de Rhodes . . 99
Chapitre XII. — Du retour de Paris à Troye, auec Heleine :
de la vaticination de Cassandra, du dueil de la Nymphe
Oenone, et comment elle laissa Troye, et sen alla demour«r
à Cebrine : de la réception d'Heleine : et du mariage délie
auec Paris. Et comment le peuple sesmut et laboura à ce que
Heleine fust restituée à son mary, et aux ambassadeurs de
Grèce. Et par quel moyen il y fut obuié, tant par Paris et
Doïphobus, comme par Hecuba et Heleine. Âuec récitation
du danger duquel les ambassadeurs furent preseruez par
Antenor. Et du partement diceux 109
Chapitre XIII. — Description du deuil extrême de la noble
Nymphe Pegasis Oenone, et des piteux regrets quelle feit. Et
aussi des lettres quelle enuoya à son seigneur et mary Paria
Alexandre, sans en obtenir response. Du diuorse quil feit aueo
ladite Nymphe. Et de labolition des vertus primitiues dudit
Paris. Ensemble de la maison somptueuse qu'il feit faire. . 119
Chapitre XIIII. — Récitatiou faite par les ambassadeurs de
Grèce, retournez à Lacedemone, de leur exploit. Et de la de-
m
"TABLE
tennination que les Grecz prindrent à se venger. De la forme
do grand serment, que le prestre Calchas leur feit faire
ensemble, et de leurs preparatiues. Et comment Hz nauigue-
rent premièrement iusques à Mysie près de Troye : et puis »
sen retournèrent en Orece. Et puis derechef nauiguerent à
Troye/, et prindrent le port de Sigee, et antres choses : mes-
mement, par quel moyen ilz eurent en leurs mains lenfant
Polydorus fils légitime de Priam et feirent plusieurs con-
questes 130
Chahitkk XV. — De lambassade enuoyee par les Grecz à Troye,
pour offrir de rendre Polydorus, en recouurant Heleine. Et
comment il y fut contredit par Antimachus corrompu â force
dargent par Paris. Auec recitation du bon conseil du sage
Panthus : de la response d'Hector et d'Eneas. Lopinion de
deux acteurs touchant ladite ambassade : du retour dicelle
en larinee : et de la mort de l'enfant Polydorus. Et aussi du
débat meu entre Achilles et Agamemnon, à cause de la belle
Briseis : et de la seconde bataille, dont Hector eut le prys . 141
Chapitre XVI. — Narration d'une iournee assignée pour ba-
tailler, entre les Grecz et les Troyens. Et de la couardise de
Paris encontre Menelaus : de laigre reprehension que Hector
luy feit à ceste cause. Et comment Paris soffrit à combatre
Menelaus corps à corps. De la forme des conuenances sur ce
prinses. Et comment à Heleine retourna le désir de son pre-
mier mary. Et des deuises du Roy Priam auec ladite Heleine. 152
Chapitre XVII. — Recitation de la suruenue du Roy Priam au
camp : des cerimonies faites touchant le pact dentre les deux
armées. Et du combat corps à corps fait par Paris contre
Menelaus. Comment la Déesse Venus sauua Paris, et des
reprodes que Heleine luy en feit. Auec exclamation sur les
fictions du poSte Homère, et des autres faits de Paris pendant
la guerre 161
Chapitre XVIII. — Des conuenances rompues entre les deux
ostz, et de la bataille renouuellee par Pandarus de Lycie :
des grands prouesses d'Hector ; des treues prinses entre les
armées, et de la reconciliation d' Achilles auec Agamemnon.
Comment ledit Achilles senamoura de Polyxene : recitation
DBS CHAPITRES.
481
de la mort du Roy Sarpedon de Ljcie : et aiuai de celle de
Patroclus de Mynnidoae, qui fat to^ par Hector, et aotras
choses 171
Chapitre XIX. — Déclaration de la mort d'Hector, et des
diuerses opinions d'icelle. De la cruauté dont Acbilles rsa
enuers le corps dudit Hector. Comment Priam le vint rache-
ter pour lenseuelir. De la suruenue de Peothesilee, et de
Memnon neueu de Priam. Et de la mort de tous deaz. De
linutilitë de Paris, quant & la conduite de la gaerre. Et de
la mort de Troïlus 180
Chapitre XX. — Explanation de la mort d'Achillet, eelon
diuerses opinions. De la suruenue de Pyrrhus en lost des
Grecz. Et d'Eurypylus de Mysie en lost des Troyens. Com>
ment Helenus fut prins prisonnier. Auec recitation de* six
Destinées, quant à la prinse ou garde de Troye. * . . . 180
Chapitre XXI. — Répétition de Ihistoire de Philoctetes, et des
aaiettes d'Hercules. Du combat corps à corps, fait entre Paris
et ledit Philoctetes : et de la mort de Paris : auec recitation
de diuerses opinions sur icelle. Comment son corps fut port^
à Cebrine. Du grand dueil que sa femme la Nymphe Oenone
en mena : et comment elle mourut sur ledit corps : et furent
ensepulturez ensemble IhS
Chapitre XXII. — De lesmotion des seigneurs de Troye contre
Priam. Comment Deïphobus espousa Heleine, de peur quelle
ne fust rendue aux Grecz. De la trahison menée par Antenor
et Eneas. Et comment Heleine feit moyenner son appointe-
ment. De la paix fourrée faite par les Grecz. Du grand chenal
offert à la Déesse Miaerue. De la prinse de Troye : et de la
cruelle mort de Deïphobus procurée par Heleine : auec lex-
clamation contre icelle. Et aussi de la mort des deux enfans
de Paris et Heleine 210
Chapitre XXIII. — De la mort misérable du Roy Priam : et
seruitude de la Royne Hecuba, Cassandra et Andromacha.
Comme Âiax Telamonius fut dopinion quon feist mourir He-
leine, mais elle fut rendue à Menelaus. De la mort de Polyxene
et de sa mère Hecuba. Des gestes de Menelaus et de ladite
Heleine, après leur parlement de Troye. De la nouuelle Troye
II. Si
IS2 TABLE
fondée sur le fleuue du Nil. Répétition de Tlepolemus Roy
de Rhodes : et des opinions de la mort d'icelle Heleine . . 221
Chapitre XXIIII. — Comment Heleine après sa mort fut reputea
Déesse de beauté par la folle erreur des Payens idolâtres. Et
des temples qui furent esleuez à Ibonneur délie : auec recita-
tion daucuns fabuleux miracles faits par elle et ses frères Cas-
tor et Pollux, qui sont par les Poètes mis au cercle du zediaqae
faisans le signe de Gemini : et autres choses 230
Chapitre XXV. — Conclusion et confirmation véritable de ce
( second liure, parla confutation et explanation du liure de Dion
de Pruse, qui se intitule de Troye non prinse : auecqHes ample
probation comment Lacteur ha suiuy en ceste histoire les
vrays acteurs autentiques 236
LIVRE III.
Prologve du troisième livre 247
Les noms des acterrs qvi sont nommez, et allegvez en ce livre. 253
Division de ce liure en trois parties 259
Comment le nom des Pépins est le plus antique de tous cenx du
sang da grand Hercules de Libye : lesquels après ledit Her-
cules ont régné en Gaule, ou en France 261
De Pépin Prisque, premier de ce nom, en ceste Généalogie : et
de son filz Âtho le ieune, lequel donna ou eschanga à Dardanns
le territoire où depuis il edeâa la grand cité de Troye. . . 262
De Pépin, Roy de Toscane, second de ce nom, en ceste Généa-
logie, lequel regnort en Italie, du mesme temps que Francus,
filz d'Hector, vint habiter en Gaule 265
De Francus, filz d'Hector de Troye. Lequel Francus fut Roy de
la Gaule Celtique. Et quelz princes de son sang regnoient en
Europe, quand il y arriua : mesmemeut du Roy Rhemus qui
fonda la cite de Rheims en Champaigne : et de Bauo, cousin
germain de Priam, lequel dominoit deslors sur vne partie de
Gaule Belgique . 267
Icy est respondu à plusieurs arguments et obiections qui se pour-
roient faire contre la vérité de ceste histoire, et sont toutes
les solutions prouoees par acteurs autentiques 269
DBS CUAflTIlBIt. MP
Derechef, eat icj respondu à aucunes contradiction! da oeata
histoire 272
De Laodamas, filz le^time d'Hector, lequel coouae il eat vrajr-
eemblable eut deux noms : car il fut aaasi appelle Franeas . 274
Comment Helenus frère d'Hector et sea succeaseura régnèrent en
vne partie de Qrece, quon dit maintenant Albanie et RotIbot
nie : de laquelle lignée yssirent depuis aucuns Emparaon dé
Romme, mesmement Constantin le grand 270
Du Roy Bauo, cousin germain de Priam, qui régna «n Gaule
Belgique, incontinent après la destruction de Troje et fonda
la grand cité de Belges, selon les chroniqoes de Hajnao. Et
de la primitiue et très-ancienne fondation de la cité de Treaes
en Gaule Belgique : là où fut adoré le premier Idole . . . 283
Comment le Roy Bauo, fondateur de la grand cité de Belgea,
meit en ruine la cité de Treues : pource que la seigneurie de
Treues luy demandoit tribut dauoir fonde et prins habitation
en leur territoire. Et des quatre Ducz dudit Roy Bauo, dea*
quelz chacun fonda vne cite eu la Gaule Belgique .... 290
De Bauo Belgiueus, filz et successeur dudit Roy Bauo premier
de ce nom, au temps duquel, Brutus vint en la Gaule Armo-
rique : et fonda les Bretons et la cité de Tours. Et comment
autres Princes Troyens vindrent en diuerses parties de Gaule
et de Germanie, et constituèrent plusieurs nobles maisons,
peuples et citez : mesmement de lantique noblesae de ceux
d'Auuergne et de Chartres, prouuee par acteurs autentiques :
et comment il y auoit anciennement en France Tse cité nom*
mee Bretaigne 295
De la grand antiquité, force et renommée des Sicambriens ut
François, prouuee par autoritez publiques, trop ploa que les
chroniques de France nen font mention : et comment il y
auoit deux nations Sicambriennes, et des fondations des cites
faites par eux. Puis est prouué suffisamment, que les anciens
auteurs ne nommèrent iamais les François sans les Sicam'-
briens, auec autres nations leurs voisines et alliées . . . 300
Sensuit la situation de la grand cité de Sicambre, iadis fondée
par Francus filz d'Hector, en Pannonie, sur le grand fleuna
Dunoe. Et comment depuis vn Prince nommé Buda, frera de
484 TABLE
Attila, Roy des Huns, changea son nom à ladite cité de Sicam-
bre, et la nomma Bude en Hongrie 308
Raison vraysemblable, parquoy les Troyens souz leur Roy Fran-
cus, surnommé Laodamas, et son filz Sicamber sarresterent
plustot en Pannonie, quon dit maintenant Hongrie, que en
quelque autre contrée. Et des Princes dudit païs, qui furent
presens au rauissement d'Heleine, et rindrent depuis au se-
cours du Roy Priam à Troye. Et comment les Gaulois de
nostre nation de pardeça cuiderent aller secourir Troye, mais
ilz la trouuerent desia destruite 317
De Menapius, Roy des Cimbres, Belgiens et Tongrois, qui fut
père de Godefroy : surnommé Karle 323
Déclaration des Princes et nations qui conspirèrent contre les-
ditz Romains auec les enfants dudit Roy Menapius. . . . 325
Désignation dune autre raison ou opinion, pourquoy lesdits peu-
ples partirent de leurs marches et enuahirent les Romains,
et des premières victoires quilz eurent contre eux .... 326
De la deffaite du Roy Teutobochus le Géant, auecques ses Am-
brons et Tigurins, qui demourerent auprès d'Aix en Pro-
uence 329
Comment la bende des deux frères Teutonîus et Claodic, Roy
des Cimbres, entrèrent en Italie à force et maugré les Ro-
mains 332
De la merueilleuse bataille entre les Romains et les Cimbres :
et de la deffaite desdits Cimbres par la subtilité des Romains :
et de la forte bataille quilz eurent contre les femmes . . . 334
De la cruelle et noble mort des femmes des Cimbres : et de la
tierce bende dont depuis yssirent les Goths, qui bien se ven-
gèrent des Romains : et diceux Goths extraits des Cimbres,
descendirent les anciens Roys de Bourgongae et d'Espaigne. 336
Comment après la deffaite de Teutonius et Cloadic, Roys des
Cimbres, Léon le quart, leur frère, fut occis par les Saxons.
Et son frère et successeur Godefroy surnommé Karle, chassa
dauprès de luy son filz nommé Charles Ynach 338
Comment Chai-les Ynach milita pour les Romains, en la guerre
du Roy Mithridates, et amena pardeça vne des sœurs de Iulius
César : et de limposition du nom de Valenciennes .... 340
DES CRinTRlS.
m
Comment Charles premier de ce nom en ce«te généalogie, ttifi'' ^'^^
'■ nomm4 Ynach, régna à Toogrea apree la mort de «on père
Godefroy Karle, et fut occia en bataille par lalias Cessr, ton
beaa frère. Et est aassi désigné le teoement de Ambiorix,
"■ Roy des Eburons .'. . . . '\ . . ' 343
De la tresnoble et tresantique généalogie des Brabons, et de leur
blason qui fut tel, que le porte auiourdhay la maison d'Ans-
triche et de Lothric _ 343
Comment la Royne Germaine surnommée Suuane, vefiie du Roy
Charles Inach, fut recongnue par Iulius César son frère, an
moyen dudit Cheualier Saluius Brabon : et de la rraye histoire
du Cygne de Cleues .347
De la première institution de la duché de Brabant donnée en
douaire par lulles César, à sa nièce, fille de Charles Ynach :
et du Royaume de Coulongne donné à Octanien Germain, du-
quel la nation Germanique porte le nom : auec epilogation
de la haute noblesse dudit sang en ceste généalogie . . 351
Daucuues fondations de villes faites par deçà par lolins César,
du Géant d'Anuers, et du Dieu Priapus qui y estoit adoré :
de la donation de la marche Romaine, et de la mort de Sal-
uius, premier Duc de Brabant 353
Du règne et des gestes d'Octauien Germain, Roj des Agrippins
ou de Coulongne, û\z de Charles Ynach 355
De Charles second de ce nom en ceste généalogie, somommé
Brabon, Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe. et Roy
de Coulongne, et daucuns autres ses aaccesseurs, iaaqnes à
Charles le Bel. Et de la fondation de plusieurs Tilles et citaz
en ce quartier • 356
De Charles troisième de ce nom en ceste généalogie, snmommé
le Bel, et de la grand bataille qui fut donnée contre Attyla,
Roy des Huns, en laquelle mourut Gundengus, premier Roy
des Bourguignons 361
Du Duc Lando, qui premier laissa les Romains et sallia anx
François, comme yssu de leur sang 363
Du Duc Austrasius, lequel fut canse de faire baptiser Clouis,
Roy des François, ce que naaoit encores peu faire aa fernm*
1» Royne Clotilde de Bourgongna 364
48t> ., TAILB
Dm limitas du Royaume d'Âustrasie, ou d'Austriche la basse,
voisine du Royaume de Bourgongaa 365
CoDcluaion du premier traicté 366
Le second traicté du liure intitulé la généalogie historiale de
lempereur Charles le Grand 367
De lancienne estendue du Royaume de Bourgongoe, et de ses
limites prouuez par Acteurs autentiques . : 368
De la merueilleuse antiquité des Roys de Germanie, desquelz
furent iadis extraits les Roys de Bourgongne 372
De Tuyscon le Géant, premier Roy de Germanie et filz de Noë,
et des autres Princes de sa maison 373
Du païs d'Vuandalie en AUemaigne : et des gestes des Vuan-
delz, commençant enuiron le temps de lincarnation de nostre
Seigneur. Et la cause pourquoy yne paiiie diceux furent pre-
mièrement appeliez Bourguignons 381
Des gestes des autres Yuandelz et de Stilco, Prince de leur
nation, qui secrètement incita les Boui'guignons, Yuandelz et
autres nations & enuabir les Gaules 382
Comment les François, vne autre nation d' AUemaigne, furent
reboutez oultre le Rhin par les Yuandelz, Bourguignons et
Alains. Et lesdits Bourguignons eslurent leur demeure au
païs qui maintenant porte leur nom : et les autres passèrent
oultre, dont les Yuandelz donnèrent le nom au païs d'Yuan-
dalousie en Espaigue : et les Goths et les Alains au païs de
Cathelongae 387
Comment les Bourguignons encores Gentilz et Payens receurent
la foy catholique : et la cause pourquoy : et de la victoire
quilz eurent par ce moyen, alencontre des Huns, quon dit
maintenant Hongres . . : 388
Confutation de lerreur de ceux qui cuident que du temps de la
Magdeleine il y eust aucun Prince qui se nommast Roy de
Bourgongne. Et de la vérité de Ihistoire du Roy Gundengus
qui premier fut institué par les Bourguignons : et de ses
gestes. Lequel Gundenfrus estoit de lancienne noblesse des
Goths, dont les Roys d'Espaigne se disent auiourdhuy estre
yssuz 392
Des quatre filz de Gundengus, premier Roy de Bourgongne :
DES CRAflTRBS. 487
cestaaauoir Oandeband, QandMlgil, Ch{Ip«H« «t Ootbraar :
lesquelz régnèrent par ensemble en Boorgongne aprea leur
père. Et de la guerre qtie lea deux frerea eurent contre 1m
deux autres à cause de la auoceasion . . . . . . . * 807
Du règne de Oandebaud et de Oandegbil ion frère :«t étMcotm'-^ *^
de leurs geste» 398
Comment Clotilde d« Bourgongne appetant la vengeance de la
mort de son père et de sa mère, consentit soeretement deitre
rauie par Clouis, Roy de France 399
Des deux requestes que Clotilde de Bourgongne, Royne de France, '
feit premièrement an Roy CkMiia, son mary : et d« leffect
dicelle quant à la guerre, contre son oncle Gundebaad. Et de
la mort de Gundegisil, son autre oncle, qui tint le party des
François 403
De saint Sigismund, troisième Roy de Bourgongne : et de Oon-
demar, ou Gondeual, son frère. Et comment la Royne Clotilde
fut cause de leur deffaite : et de Clodomir, Roy d'Orleana,
qui feit mourir cruellement ledit Sigiamond, Roy de Bour-
gongne 407
De Gondemar, quatrième Roy de Bourgongne et dernier de la
lignée des Goths, et comment au pourchas de la Rojne Clo-
tilde, sa cousine, il fut totalement destmit : et le Royaume
de Bourgongne vint en la main des François. Et de la mort ''
du Roy Clodomir d'Orléans -410
Comment Theodoric, Clotaire et Childebert, enfans da Roy Clo-
ais de France et de Clotilde de Bourgongne, tindrent ensem-
ble le Royaume de Bourgongne : et de la mort des enfans de
Clodomir, Roy d'Orléans : et aussi dudit Childebert, Roy de
Paris 412
De Theodoric, cinquième Roy de Bourgogne et aussi d'Aastriche
la basse et de Tburinge, et de ses gestes 414
De Theodebert, sixième Roy de Bourgongne et d'Austriche la
basse, qui aucuneefois ha este nommée France Orientale . . 415
De Theobald, septième Roy de Bourgongne, et de ses gestes en
Italie 416
Le Clotaire premier de ce nom, huitième Roy de Bourgogne,
de France et d'Austriche la basse : lequel espoasa la femme
488 TABLE
de son frère Clodomir, Roy d'Orlean» 418
Conclusion de ce second traicté . • 421
Le troisième traicté du liure intitulé la généalogie historiale de
lempereur Charles le grand 422
De Charles quati'ieme de ce nom en ceste généalogie, surnommé < I
Nason, Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe, et filz
du Duc Austrasius, qui donna le nom au Royaume d'Austriche
la basse : comme dessus est dit. . . ' 423
De Charles cinquième de ce nom en ceste généalogie, surnommé
Hasbain. Et comment il fut enuoyé ambassadeur deuers lem-
pereur lustinian : et perdit la Marche de dessus Lescault,
pour faire seruice au Roy Theodebert, d'Austriche la basse
et de Bourgongne 424
Comment le Duc Charles Hasbain, comme procureur et ambas-
sadeur du Roy Theodebert, feit hommage du Royaume d'Aus-
triche la basse, on de France Orientale, à lempereur lusti-
nian, et de la reste de l'exploit de son ambassade .... 427
De la postérité du Duc Charles Hasbain 429
Comment Anselbert le Sénateur espousa Blitilde, fille du Roy
Clotaire, et vint prendre la possession de la Marche du saint
Empire sur Lescault 430
De la tresnoble et tressainte génération qui descendit d' Ansel-
bert le Sénateur, premier Marquis héritable de la Marche
du saint Empire sur Lescault, et de sa femme Blitilde, fille
du Roy Clotaire 431
Arnould, filz d' Anselbert le Sénateur et de sainte Blitilde . . 431
De saint Arnulphe, filz dudit Arnould, et de ses enfans . . . 431
Du Marquis Anchises, filz de saint Arnulphe, 'Euesque de Metz. 432
Du Duc Pépin Heristel, fil? du Marquis Anchises et de sainte
Begga, et de ses gestes i 433
Des guerres que Pépin Heristel, père de Charles Martel, eut
contre Ebroyn le tyrant, Prince du Palais de France, et
contre Gislemar, aussi Prince du Palais 434
Comment le Djic Pépin Heristel desconfit en bataille le Roy
Theodoric de France et Berkaire Prince du Palais : et fut
Pépin eslu à ladite Principauté 437
Des autres gestes du Duc Pépin Heristel et de ses enfans . . 438
DES CHAI*1TBK8. 499
De Charles cinquième de ce nom ea ceste généalogie, ■arnommé
Martel, pare du Roj Pépin le Brief et ajeul de lemperear
Charles le grand 440
Comment le Duo Charles Martel, après quil fat eachappé des
prisons de sa Marastre, recouura la Principauté du Royaome
d'Austriche la basse et aussi du Palais de France .... 441
Comment le Duc Charles Martel creoit les Roys de France à son
appétit : et comment il se vengea de sa marastre Plectrode, et
conquesta le Royaume de Bulgarie, oultre la Dunoe, et la plus
grand partie d'Allemaigne, cestasauoir Saxone et Bauiere . 442
De la merveilleuse victoire que le Duc Charles Martel eut contre
les Sarrasins : lesquelz Eudon, Duc d'Aquitaine et de Gas-
congne, auoit amenez en France. Et comment il donna les
dismes des églises aus gentilz hommes 444
Comment le Duc Charles Martel conquesta le Royaume de
Bourgongne, la Duché d'Aquitaine et de Gascogne, et depuis
le Royaume de Frise : et vainquit les AUemans sur le Rhin,
et les Goths et Sarrasins en Prouence, et en Aquitaine : et de
ses autres gestes 446
De Karloman, Duc d'Austriche la basse, quon dit maintenant
Lothric, et Brabant, Soaue, Allemaigne et Thuringe : lequel
après plusieurs victoires se rendit moyne 451
Du Duc Pépin surnommé le Brief, troisième de ce nom en ceste
généalogie, Duc de Bourgongne et d'Aquitaine, Pi'ince du
Palais de France : et des autres successions qui luy accreu-
rent à cause de son frère aisnë Karloman deuenu moyne. Et
aussi des guerres quil eut contre son frère maisné Griffon . 453
Comment le Duc Pépin le Brief fut institué Roy de France, par
le consentement des Barons du Royaume, et par lautorité du
Pape Zacharie au desauantage de lancienne lignée de Mero-
uens : et des terres que le Roy Pépin donna à leglise Ro-
maine : et autres de ses gestes 455
Narration comment les successions des Princes se muent et
changent par la prouidence diuine. Et comment le sang de
Lempereur Charles le grand fut depuis reQny et réintégré,
ou réitéré, en la famille des Roys treschrestiens, iusques
auioardhuy, par ligne féminine 459
490 TABLE DES CHAPITaES.
Des terres que le Roy Pépin et ses successeurs Empereurs et
Roys de France, Charles le grand et Loys la débonnaire pre-
miers de ces noms, donnèrent et confermerent à leglise Ro-
maine, pour lesquelz mérites et autres, eux et leurs succes-
seura sont nommez Treschrestiens ......... 466
Peroration de lacteur aux nobles lecteuns et auditeura de ce liure. 468
0
ff
nmiàB^. JUL6 1964
PQ Lemaire de Belges, Jean
1628 Oeuvres de Jean Lemaire
L5 de Belges
1882
t. 2
PLEASE DO NOT REMOVE
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