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Full text of "Oeuvres de Jean Lemaire de Belges, publiées par J. Stecher"

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ŒUVRES 


DE 


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ŒUVRES 


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JEAN  LEMAIRE  DE  BELGES 

imbHéef  par 

J.   STECHER 

Membre  de  l'Académie  royale  de  Belgique 


TOME    DEUKIEMB 


LES  ILLUSTRATIONS  DE  GAULE  ET  SINGULARITEZ 
DE  TROYE 

DEUXIÈME  ET  TROISIÈME  LIVRE 


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LOUVAIN 

IMPRIMERIE     DE     J.     LEFEVER 

30  —  an  »N  okPMLiiit  —  30 

1882 


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PROLOGUE  DU  SECOND  LIURE 

DES    ILLUSTRATIONS    DE    GAVLE, 
ET  SINGVLARITEZ  DE  TROYE. 


Oaidius  libro  zt.  TrantformatioDum. 

Nunc  humilis  veteres  tantummodo  Troia  ruinas. 
Et  pro  diuitiis,  tumulos  ostendit  atiorum. 

Ores  Troye  humble  et  basse,  en  ses  trésors  terrestres 
Ne  monstre  que  ruïne,  et  tombeaux  des  ancestres. 

A  la  flevr  de  toute  tresclere,  et  tresdouce  ieunesse  virgi- 
nale et  féminine  de  France,  Mercure  iadis  réputé  Dieu 
deloquence,  dengin,  et  de  bonne  inuention,  Salut.  Comme 
ainsi  soit,  que  par  tiltre  de  héraut,  et  interprète  des  Dieux 
supérieurs,  iaye  pieça  de  mon  plein  gré  promis  de  fournir 
à  vous  Princesses,  dames,  et  damoiselles,  de  la  tresnoble 
langue  et  nation  Gallicane  et  Françoise,  trois  présents  au 

II.  1 


2  ILLYSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

nom  des  trois  Déesses,  lesquelles  eurent  iadis  différent  de 
leurs  beautez  et  prééminences  :  si  en  feirent  iuge  Paris 
Alexandre,  filz  du  Roy  Priam  de  Troye.  Lequel  par  iuge- 
ment  abusif,  préféra  Venus,  cestadire  beauté  corporelle  et 
Tolupté  sensuelle,  aux  deux  autres  Déesses,  luno  et  Pallas, 
qui  signifient  science  spirituelle  ou  vertu  intellectiue,  et 
richesses  de  domination  temporelle.  Pour  lesquelles  mien- 
nes promesses  accomplir,  lannee  passée  ie  macquitay  de 
la  première,  et  feis  imprimer,  tant  à  Lyon  comme  à  Paris 
le  premier  liure  des  Illustrations  de  Gaule  et  Singularitez 
de  Troye,  desia  publié  et  diuulgué  par  tout  ce  Royaume, 
et  ailleurs.  Par  la  teneur  duquel  on  voit  clerement,  que  tant 
et  si  longuement,  comme  Paris  meit  son  estude  à  contem- 
pler la  beauté  de  Pallas,  il  fut  vertueux  et  bien  moriginé  : 
mais  depuis  quil  arresta  du  tout  son  regard  sur  la  corpu- 
lence de  Venus,  cestadire,  de  la  belle  Heleine,  laquelle 
il  rauit  et  détint  iniustement,  en  brisant  et  corrompant  le 
sien  mariage,  et  dautruy  :  il  desprisa  aussi  tout  ensemble, 
le  merueilleux  pouuoir  de  la  grand  Déesse  luno,  qui  domine 
sur  iustes  quereles,  prouesses,  puissances,  et  conquestes 
cheualereuses,  et  loyaux  mariages.  Parquoy  il  encourut 
tout  à  vue  fois  lindignation  des  deux  plus  vertueuses  Dées- 
ses :  dont  icelles  ainsi  mesprisees,  luy  furent  abonne  cause 
contraires  et  ennemies  :  et  bien  luy  rendirent  vengeance 
méritée,  qui  fut  la  ruine  et  destruction  totale  de  luy  et  de 
son  parentage,  comme  vous  verrez  en  ce  second  volume. 
Et  congnoitrez,  tresbenigne  flouriture  Françoise,  quelle 
différence  il  y  ha  entre  Venus  dame  de  mollesse  et  de  la- 
scheté  tresdamnable,  et  lautre  Venus  Déesse  damours  et  de 
beauté  pure  et  nette,  qui  sentend  de  vraye  amour  coniugale 
et  licite.  Et  ce  vous  apperra  clerement,  par  la  diuersité  des 
mœurs,  et  des  conditions  des  deux  femmes  de  Paris  de 


SINGYLARITËZ   DR    TROYE.    LIVBE   II.  9 

Troye  :  desquelles  la  première  estoit  sa  compaigne  iuste  et 
légitime  par  loyal  mariage  :  cestasauoir  la  treslouable 
Nymphe  Pegasis  Oenone  :  laquelle  combien  quelle  fust 
répudiée  à  grand  tort,  par  son  mary,  vescut  neantmoins 
vertueuse,  et  perseuera  en  sa  foy  et  loyauté,  iusques  à 
lextremité  de  sa  mort,  trespiteuse  et  treshonnorable.  Et 
lautre,  cestasauoir  Heleine  tresdesloyalle  et  tresuitupe- 
rable  de  toutes  parts,  si  elle  vescut  en  grand  honte,  enco- 
res  fina  elle  en  plus  grand  malheur  et  misère.  Lequel 
exemple  doit  estre  de  grand  efficace  enuers  toutes  nobles 
dames.  Vous  donques,  ô  treselegante  et  tresdelicate  no- 
blesse Royale  et  Ducale,  qui  représentez  en  ce  grand 
Royaume  vne  autre  Venus  terrienne,  vne  clere  estoille  ves- 
pertine  et  matutine  :  et  qui  décorez  ces  mondaines  régions, 
autant  comme  la  clere  planette  Vénérienne  embellit  le  ciel, 
prenez  en  gré  le  présent  que  ie  vous  enuoye  de  par  la 
Déesse  Venus,  laquelle  vient  à  toutes  choses  qui  ont  estre 
et  nature  (1)  :  non  pas  celle  Venus  qui  fut  mariée  à  Vulcan 
le  feure  des  Dieux,  qui  forge  les  foudres  et  tonnoirres  de 
lupiter,  et  laquelle  fut  iadis  tant  amoureuse  de  Mars  le 
grand  Dieu  des  batailles  :  car  celle  Déesse  est  trop  gaye, 
et  trop  mignote  et  lasciue  :  et  pour  ceste  cause  suspecte  à 
toute  honnesteté  matronale.  Si  disent  les  poètes,  quelle  est 
mère  de  Cupido  le  Dieu  damours,  lequel  ha  mauuais  bruit 
de  traire  aux  ieuues  gens  ses  flesches  empoisonnées  de  son 
arc  mortifère,  et  faire  beaucoup  de  maux  parmy  le  monde  : 
car  elle  nest  pas  tousiours  ceinte  et  liée  de  sa  riche  ceinture 
appellee  Ceston,  cestadire,  chasteté  nuptiale,  qui  la  garde 
destre  vagabonde  et  dissolue.  Mais  lautre  bonne  Déesse, 

(1)  L'intitula  du  prologue  dans  l'éd.  1512,  porte  :  «  dédié   à  très 
clere  princesse,  madame  Claude,  première  fille  de  France.  » 


4  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

tresuenerable,  laquelle  ne  préside  sinon  aux  saints  mariages 
légitimes,  est  sans  tache  et  sans  macule,  comme  celle  que 
les  Rommains  iadis  honnorerent  de  temples  et  de  sacrifices 
publiques,  (1)  et  lappellerent  Venus  verticorde  :  Cestadire, 
tournant  les  cœurs  des  nobles  matrones,  et  mères  de  famille, 
à  toute  inclination  de  bien  et  dhonneur  :  et  icelles  retirant 
de  folles  pensées.  Tellement  que  par  le  bon  motif  de  ladite 
Déesse,  toutes  dames  ont  puissance  de  conuertir  et  refréner 
par  leurs  douces  persuasions  et  nobles  contenemens  les 
coeurs  des  hommes  aucunesfois  enclins  à  follojer.  Et  par 
leur  bon  exemplaire  induire  toute  la  séquelle  de  leurs 
pucelles  et  filles  et  familières,  à  bonnes  mœurs  et  à  la 
reuerence  et  obseruation  de  pudicité  et  fidélité  matrimo- 
niale, quand  elles  sont  en  ce  train.  Et  par  conséquent,  à  la 
fécondité  et  procréation,  et  belle  nourriture  de  noble  lignée, 
par  laquelle  la  chose  publique  est  gardée  et  preseruee  de 
décadence,  le  seruice  diuin  continué,  et  plusieurs  glorieuses 
âmes  en  volent  au  ciel,  pour  remplir  les  sièges  de  Paradis.  (2) 
Lisez  donc  par  aggreable  passetemps,  nobles  Princesses  et 
vostre  belle  suyte,  les  ruines  de  Troye  bien  vérifiées,  par 
claritude  certaine  plus  que  onquesmais  ne  furent,  en  atten- 
dant que  la  tresgrande  et  tresriche  Déesse  luno  vous  en- 
uoye  le  tiers  liure,  par  lequel  sera  congnue  la  ressourse  et 
restauration  de  Ihonneur  de  Troye,  faite  par  les  Princes 
Francus,  Bru  tus,    et  Bauo,  voz  principaux  ancestres   et 
parens,  qui  depuis  la  désolation  de  leur  pais  vindrent  habi- 
ter en  Gaule  :  et  dont  les  rayz  des  vertus  se  réfléchissent 
et  reuerberent  en  leur  postérité,  cestadire  en  la  refulgence 

{\)  fublieqw»  {éd.  1512). 

(2)  Mdme  ponctuation  bizarre  de  cette  longue  période,  dans  le  ma- 
nosorit  de  Genève  et  dans  les  plus  anciennes  éditions. 


SINGVLARITBZ   DE   TROYE.    UVRB   11.  5 

de  vous  et  des  vostres,  qui  resplendissez  au  monde,  comme 
fait  la  belle  estoille  iournale  dite  Venus,  autrement  Hespe- 
rus,  ou  Lucifer,  cestadire  portant  lumière  precurseresse  du 
Soleil  et  de  laube  du  iour  :  laquelle  est  le  droit  souhait  des 
Pèlerins,  lespoir  des  nauigans,  le  désir  des  laboureurs,  et 
soûlas  de  tout  le  genre  humain.  A  tant  tresbenigne  audience 
de  noblesse  féminine  Gallicane  et  Françoise,  le  premier 
Moteur  des  choses  vous  doint  toute  félicité.  Escrit  aux 
champs  Elysiens,  là  oti  sont  Priam,  Hector,  Francus,  Si- 
caraber,  Brutus,  et  Bauo  voz  progeniteurs,  iadis  yssus  de 
Troye,  auec  leurs  trescheres  compaignes,  sœurs,  nièces,  et 
filles,  le  premier  iour  de  May,  Lan  de  grâce,  Mille  cinq  cens 
et  douze.  (1) 

(1)  Dans  l'édition  de  1512,  ce  prologue  est  précédé  du  privilège 
accordé  par  Louis  XII  à  Jean  le  Maire  et  daté  de  Blois,  l"  mai  1512. 
A  la  suite  de  cette  teneur  du  privilège  ottroyé,  on  lit  :  «  Lacteur  de  ce 
présent  livre  a  communiqué  son  privilège  royal  en  toute  ample  manière 
comme  il  a  obtenu  du  roy  à  Geufroy  de  Marnef  Libraire  juré  deluni- 
versité  de  Paris,  etc.  w  Le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  Genève 
débute,  sans  prologue,  par  ces  mots  du  1"  chapitre  du  second  livre  : 
«  Çiuand  le  cler  soleil  Jih  de  Hiperion » 


ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,  ET 


LES  NOMS  DES  ACTEVRS  ALLEGVEZ  EN  CE 
SECOND  LIVRE.  (1) 


Virgile,  en  ses  Eneïdes. 

Dares  de  Phrygie,  en  Ihistoire  de  Troye. 

Homère,  en  son  Iliade,  translaté  en  prose  par  Laurens  Valle. 

Dictys  de  Crète,  en  Ihistoire  de  Troye. 

Guide,  en  lepistre  de  Paris  à  Heleine,  et  en  sa  Métamorphose. 

Bocace,  en  la  Généalogie  des  Dieux. 

lean  Baptiste  Plus,  sur  lexposition  de  Fulgentius  Placiades. 

Euripides,  en  la  tragédie  d'Iphigenia,  translatée  par  Erasme  de 

Roterodam. 
Christofle  Landin,  commentateur  de  Virgile  en  ses  Eneïdes. 
Diodorus  Siculus,  en  ses  Antiquitez. 
Antoine  Volsc,  commentateur  d'Ouide,  sur  lepistre  d*Oenone  à 

Paris. 
Herodotus  Halicarnasseus,  prince  des  historiens  Grecz. 
Seneque,  en  sa  première  Tragédie. 
Nicolas  Perot,  en  sa  Cornucopie. 
Plutarque. 

Donatus,  expositeur  de  Virgile. 
Thucydides,  historien  Grec. 
Lactance. 

(1)  L'ëdition  de  1512  ajoute  :  «  Sensuivent  les  noms  des  bons 
acteurs  alléguez  en  ce  second  livre  des  illustrations  de  Gaule  et  sin- 
gularitez  de  Troye  :  par  les  escriptures  desquelz  toute  la  substance 
de  c«  livre  a  esté  cueillie.  » 


SINGVLARITBZ   DE   TROTS.    LITRE   II.  7 

laques  de  Bergome,  au  Supplément  des  chroniques. 
Higinius,  en  son  liure  d'Astrologie  poétique. 
Bernard  de  Bridembach,  en  son  Voyage  de  Hierusalem. 
Strabo,  en  sa  Géographie. 
Pline,  en  Ihistoire  Naturelle. 
Vhertin,  sur  lepistre  d'Heleine  à  Paris. 
Philostratus,  en  la  vie  d'Apollonius  Thyaneus. 
Martianus  Capella,  au  liure  qui  se  intitule  des  noces  de   Mer- 
cure et  Philologie, 
Isidore,  eu  ses  Etymologies. 
Platina,  en  la  vie  des  Papes. 
Seruius,  commentateur  des  Eneïdes  de  Virgile. 
Dion  de  Pruse,  en  son  liure  qui  est  intitulé  de  Troye  non  prinse. 
Eusebius,  en  son  liure  des  Temps, 
lulles  César,  en  ses  Commentaires. 
Isoerates,  orateur  Grec  allégué  par  laques  de  Bergome. 
Marsille  Ficin,  en  ses  Epistres. 
François  Philelphe,  translateur  de  Dion  de  Pruse. 
Persius,  es  Satyres. 
Néron,  en  ses  Troyques.  (1) 

(\)  L'édit.  1512  ajoute  :  «xxxvii  acteurs  autenticquea.  » 
«  De  peu  assez.  » 


LE  SECOND  LIVRE 

DES    ILLUSTRATIONS    DE    GAVLE 
ET  SINGVLARITEZ  DE  TROYE  : 

Composé  à  llionneur  et  intention  des  nobles  dames  de  la  nation 
Gallicane  et  Françoise,  par  lean  le  Maire  de  Belges,  trea- 
humble  Secrétaire  et  Indiciaire,  ou  Historiographe,  de  très- 
haute,  tresexcellente,  et  treschrestienne  Princesse  madame 
Anne,  par  la  grâce  de  Dieu  deux  fois  Rojne  de  France, 
Duchesse  héréditaire  de  Bretaigne,  etc.  Lequel  liure  ledit 
Acteur  ha  intitulé  et  dédié  expressément  au  nom  tresexcel- 
lent  et  tresgracieux,  de  tresclere  Princesse,  madame  Claude 
première  fille  de  France,  et  le  luy  ha  présenté  au  chasteau 
Royal  de  Blois,  le  premier  iour  de  May,  lan  mille  cinq  cens 
et  douze. 


CHAPITRE  I. 


Narration  du  retour  du  Prince  Antenor  de  Grèce,  auec  recitation  de 
lexploit  de  son  ambassade.  Du  conseil  donné  par  Paris  Alexandre 
sur  ce,  et  de  lappareil  fait  pour  aller  en  Grèce,  par  le  consente- 
ment du  peuple  de  Troye,  et  au  contredit  du  Prince  Pauthus,  Hele- 
nus  et  autres.  Du  partement  de  Paris,  Deïphobus,  et  leurs  com- 
paignons.  Et  du  congé  prins  par  Paris  de  sa  compaigne  la  Nym- 
phe Pegasis  Oenone.  Auecques  vue  exclamation  contre  laueuglee 
emprise  du  Roy  Priam. 

Qvand  le  cler  Soleil  filz  d'Hyperion,  et  neueu  de  Titan, 
faisant  son  cours  parmy  le  Zodiaque,  eut  tant  seiourné  es 
parties  méridionales,  quil  attaingnit  la  queue  des  Poissons, 


10  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

et  commençoit  desia  à  retourner  les  frains  de  ses  nobles 
cheuaux  vers  nostre  climat  et  hemispere ,  exterminant 
toute  froidure  brumale,  et  que  Neptune  souffroit  le  nauiger 
parmy  ses  vndes  sallees  :  nouuelles  vindrent  en  la  grand 
cité  de  Troje,  que  le  Prince  Antenor,  et  les  enfans  de 
Priam,  et  autres  gentilzhommes,  qui  estoient  allez  auec 
luy,  tant  pour  conuoyer  les  Princes  de  deçà  la  mer,  comme 
pour  fournir  son  ambassade  en  Grèce,  ainsi  que  dit  est 
dessus  en  la  fin  du  précèdent  liure,  estoient  de  retour  au 
port  de  Sigee.  Alors  le  tresualereux  Prince  Hector,  auec  la 
plus  part  de  ses  frères,  et  aussi  le  gentil  Iphidanas,  Glau- 
cus,  Archelaus  et  les  autres  enfans  d'Antenor  montèrent  à 
cheual,  et  allèrent  au  deuant  dudit  Prince  Antenor,  iusques 
au  port  dessusdit  :  là  ou  ilz  le  festoyèrent  (1)  et  bienuien- 
gnerent,  et  lamenerent  en  la  cité,  iusques  dedens  son  hos- 
tel  :  auquel  il  demoura  pour  ce  soir,  sans  monter  au  palais  : 
et  se  refreschit  auec  sa  femme,  madame  Theano,  sœur  de 
la  Royne  Hecuba. 

Le  lendemain  matin  le  Roy  Priam  feit  conuoquer  tout 
son  conseil,  pour  estre  présent  à  la  relation  que  feroit  An- 
tenor sur  le  fait  de  sa  légation.  Chacun  obtempéra  au  com- 
mandement du  Roy,  et  se  trouuerent  au  palais,  mesmement 
le  Prince  Hector,  et  tous  les  autres  enfans  légitimes,  et 
pareillement  les  bastards.  Le  baron  Antenor  partit  de  son 
bostel,  accompaigné  de  ses  enfans,  et  de  deux  autres  grans 
seigneurs  de  Troye  :  cestasauoir  le  vieillard  Anchises  père 
d'Eneas,  iasoit  ce  quil  fust  aueugle,  et  le  sage  Panthus 
père  de  Polydamas.  Ainsi  monta  Antenor  au  palais,  si 
trouua  le  Roy  assis  en  son  throne  Royal,  auquel  il  feit  la 
reuerence  :  et  après  ce  que  le  Roy  luy  eut  dit  bienuien- 

(1)  /estierent  (mscr.  de  Genève  et  éd.  1512). 


SINGVLARITKZ   DE   TROTE.    LIVRE   U.  If 

gnant,  et  commandé  de  sasseoir,  grand  silence  fut  faite.  (1) 
£t  lors  en  pleine  audience,  il  commença  à  conter  et  relater 
bien  au  long  lexploit  de  son  ambassade,  et  les  responses, 
tant  du  Roy  Telamon  de  lisle  de  Salamis,  comme  des  autres 
Princes  de  Grèce,  ses  parens  et  alliez  :  et  les  recita  par 
grand  éloquence,  vne  pour  vne.  Lesquelles  en  somme  toute 
estoient  pleines  de  refus,  opprobres  et  menasses.  Et  après 
les  auoir  ouyes  et  entendues,  le  Roy  fut  parfondement  in- 
digné. Si  demanda  aux  Princes  de  son  sang,  et  autres  de 
son  priué  conseil,  quelle  chose  il  leur  sembloit  sur  ce  estre 
à  faire  (2)  :  Et  consequemraent  interroga  ses  enfans,  sur  ceste 
matière.  Car  bien  en  voulut  auoir  aussi  leur  opinion.  Et 
premièrement  sadressa  à  son  aisné  filz  Hector,  et  puis  aux 
autres.  Les  vns  dirent  dun,  les  autres  dun  autre,  selon 
diuers  sens,  aages  et  affections.  Et  allega  vnchacun  ses 
raisons,  desquelles  escrire  ie  me  déporte  :  car  assez  dautres 
en  ont  fait  ample  mention.  Mais  quand  Paris  deut  parler  à 
son  tour,  il  dit  en  ceste  manière  : 

«  Mon  tresredouté  seigneur  et  père,  limbecilité  de  mon 
foible  entendement,  répugne  à  pouuoir  discuter  si  haute 
chose.  Sur  laquelle  messeigneurs,  qui  icy  sont,  ont  desia  si 
magnifiquement  opiné.  Toutesuoyes,  souz  la  bénigne  sup- 
portation  de  ton  trescremu  commandement,  et  correction 
des  mieux  sauans  et  des  plus  expérimentez,  ien  diray  deux 
mots  :  Cest  quil  me  semble,  que  liniure  à  toy  inférée  ius- 
ques  à  ores  par  les  Grecz,  en  détenant  madame  Hesionne 
ma  tante,  doit  estre  réputée  de  grand  importance  :  mais 
non  pas  encores  en  degré  suppellatif,  attendu  que  point 
nauoies  encores  requis  les  détenteurs  de  la  rendre.  Mais 


(1)  /aict  {éd.  \5\2),/aicte  (niscr.  de  Genève). 

(2)  affaire  (mscr.  de  Oendve  ei  éd.  1512). 


If  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

maintenant  que  par  ton  ambassade  et  légat  solennel,  Hz  ont 
esté  semons  et  sommez  de  ce  faire,  et  à  ce  ont  esté  non 
seulement  contredisans,  ainçois  de  nouuel  irritans  ta  hau- 
tesse,  par  paroles  ignominieuses  et  pleines  diniurieuses 
reproches,  il  appert  clerement,  que  l'ire  de  ta  maiesté  prouo- 
quee  par  redoublé  vitupère,  de  tant  moins  doit  tolérer  si 
grieue  infliction  dopprobre,  comme  ton  sceptre  est  plus  haut 
et  plus  eminent,  que  de  nul  autre  Prince  d'Asie  ne  d'Europe. 
Et  à  ce  te  doiuent  animer  la  populosité  de  tes  Royaumes,  la 
forteresse  de  tes  citez,  lopulence  de  tes  richesses  :  et  prin- 
cipalement le  nombre  et  magnanimité  de  tes  enfans,  dont 
le  suis  le  moindre  :  et  aussi  la  prouesse  du  demeurant  de 
tes  cheualiers  et  barons.  Lesquelz  comme  ie  croy,  ne  veulent, 
ny  doiuent  vouloir,  que  la  haute  dignité  de  ta  couronne  soit 
ainsi  deffoulee,  et  que  lorgueil  et  arrogance  Grecque  demeure 
impunie,  ains  tous  dun  vouloir  deuons  appeter  que  la  vieille 
inimitié,  et  ancienne  hayne,  soit  esteinte  par  nouuelle  ven- 
geance. Et  pour  ce  faire,  de  tous  les  moyens  quon  peult 
imaginer  à  la  guerre,  ie  ny  en  voy  point  de  plus  propre  en 
ce  cas,  que  de  leuer  marque  sur  eux.  (1)  Laquelle  chose  se 
peult  faire  aisément,  en  prenant  aucune  des  plus  nobles 
femmes  de  Grèce,  pour  prisonnière.  Car  alors  ce  quilz  te 
refusent  obstinément,  monseigneur,  ilz  requerront  de  plein 
gré  que  tu  prennes  pacifiquement,  par  manière  de  commu- 
tation. Et  de  ces  choses  ây  ie  maintenant  seure  coniecture, 
et  espoir  infallible.  Quand  ie  réduis  à  souuenance,  que 
autresfois  en  vne  vallée  des  montaignes  Idées,  où  iay  prins 
ma  nourriture,  par  vision  ou  autrement,  la  Déesse  Venus 
me  feit  promesse  de  chose  seruant  à  mesme  propos.  Cesta- 
sauoir,  que  la  fleur  des  femmes  de  Grèce,  tomberoit  vne 

(1)  mareare,  prendre  par  droit  de  marque  ou  de  reprôsaille». 


8INGVLARITEZ   DE  TROTE.    LIVRE  II.  13 

fois  entre  mes  mains.  A  laquelle  emprise,  sil  te  plaist 
entendre,  mon  tresredouté  seigneur  et  père,  ie  moffre  de 
grand  cœur  dicy  et  desia  daccompaigner  celuy  ou  ceux  de 
messieurs  mes  frères,  ou  autres  ausquelz  il  te  plaira  en 
donner  la  charge.  Tant  pour  le  désir  que  iay  de  voiretcon- 
gnoitre  du  monde,  comme  pour  le  grand  zèle  qui  me  fait 
appeter  la  réduction  de  madame  Hesionne  :  et  aussi  pour 
lesperance  que  iay  de  mayder  à  conduire  la  besongne  à  bon 
eflfect  :  et  de  voir  le  bout  à  layde  des  Dieux,  à  la  louenge 
de  ta  haute  seigneurie,  mon  tresredouté  seigneur  et  père, 
et  à  la  confusion  des  Gréez,  noz  anciens  ennemis.  » 

Le  parler  du  ieune  adolescent  Paris  Alexandre  fut  re- 
cueilli en  saueur  et  beniuolence,  et  fort  exaucé  par  la  plus 
part  des  assistans  :  et  encore  mieux  soustenu  par  son  frère 
Deïphobus.  (1)  Tellement  que  à  ce  iuuenile  conseil  sarresta  le 
plus  grand  nombre  des  Princes  :  ou  pource  que  les  desti- 
nées le  vouloient  ainsi,  ou  pource  que  prospérité  désire 
tousiours  choses  nouvelles.  Si  louèrent  la  grand  prudence, 
et  belle  faconde  de  Paris,  et  son  hardy  entreprendre  :  mes- 
mement  le  Roy  Priam,  par  dessus  les  autres,  lautorisa  : 
meu  de  voulante  aueuglee  :  affection  vindicatiue,  inflation 
dorgueil  :  et  impatience  de  prospère  oisiueté.  Pource  que 
à  sa  clere  félicité  autre  chose  ne  luy  sembloit  porter  obom- 
bration,  sinon  la  rigueur  que  les  Grecz  luy  tenoient,  quant 
à  la  détention  de  sa  sœur  Hesionne.  Si  parla  haut  et  cler, 
et  dit  :  que  louuerture  faite  par  son  filz  Paris  Alexandre, 
luy  sembloit  tresbonne  :  et  que  son  opinion  estoit,  de  la 
mettre  à  exécution.  Plusieurs  se  y  assentirent,  voyans 
linclination  de  la  voulante  du  Roy.  Mais  aussi  en  y  eut 
aucuns  qui  repuguoient  au  contraire.  Entre  lesquelz,  Hele- 

(1)  Deiphebus  (mscr.  de  Genève  et  ëd.  1512). 


i4  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

nus  le  tresprudent  vaticinateur  estoit  le  principal  et  le  plus 
constant.  Car  par  son  grand  sens  et  clergie,  il  preuojoit  les 
destinées  futures  :  et  par  sa  science  entendoit  le  chant  des 
oyseaux  et  la  signification  de  leur  vol,  comme  met  Virgile, 
au  m.  des  Eneides,  disant  : 

Troiugena  interpres  diuûm,  qui  numina  Phœbi, 
Qui  tripodas,  Clarii  lauros,  qui  sidéra  sentis. 
Et  Tolucinim  lingaas,  et  prsepetis  omina  penn». 

Parquoy  il  prophetisoit,  que  si  Paris  amenoit  femme  de 
Grèce,  que  les  Grecz  la  viendroient  recouurer  à  main 
armée,  et  demoliroient  la  noble  cité  d'Ilion  :  et  que  tous 
leurs  parens  et  leurs  frères,  mourroient  par  main  ennemie. 
Mais  dautre  part,  lenfant  Troïlus  le  plus  ieune  de  tous 
soustenoit  fort  le  conseil  de  Paris  ;  et  autorisoit  sa  sentence 
à  toute  puissance  :  comme  met  Dares  de  Phrygie  au  com- 
mencement de  son  histoire. 

Or  recite  iceluy  Dares,  sur  ce  raesme  passage  :  que  le 
Roy  Priam,  pour  mieux  coulourer  son  emprise,  feit  conuo- 
quer  la  plus  part  du  peuple  de  Troye,  deuant  son  palais  : 
et  illec  leur  feit  une  longue  harengue  sur  ceste  matière  : 
et  leur  remonstra  toute  la  somme  de  son  intention.  Et  pour 
les  plus  encourager,  leur  fait  encores  reciter  par  Antenor, 
les  iniures  quil  auoit  receûes  par  les  Grecz,  en  faisant  son 
ambassade.  Lesquelles  choses  ouyes,  le  populaire  tout  à 
vue  voix  tumultueuse  sescria,  quon  en  prinst  vengeance, 
et  que  point  ne  tiendroit  à  eux,  que  le  Roy  ne  fust  seruy 
en  celle  guerre.  Toutesuoyes  le  sage  vieillard  Panthus,  qui 
estoit  lun  des  grans  seigneurs  de  Troye,  répugna  fort,  en 
remonstrant  et  allegant  publiquement  au  Roy  Priam,  et  à 
son  conseil,  ce  quil  auoit  ouy  dire  iadis  à  son  père  Euphor- 
bus,  tressage  vaticinateur,  et  tresprudent  homme,  cestasa- 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE   II.  15 

uoir  que  si  Paris  Alexandre  amenoit  femme  de  Grèce,  que 
ce  seroit  la  totale  destruction  des  Troyens  :  en  disant,  que 
trop  mieux  valoit  viure  en  paix,  que  par  affection  désor- 
donnée se  mettre  en  hazard  de  perdre  sa  liberté.  Mais  ce 
nonobstant  le  Peuple  ne  donna  point  daudience  à  lautorité 
de  Panthus,  ains  persista  en  sa  première  conclamation . 
Alors  le  Roy  Priam  les  loua  de  leur  bon  vouloir,  et  leur  en 
rendit  grâces  :  si  les  renuoya  chacun  en  son  hostel.  Ce 
fait,  le  conseil  et  la  tourbe  populaire  se  desempafa  :  et 
tantost  après  (1)  fut  donné  charge  à  Phereodus  (2)  le  bon 
charpentier,  filz  du  feure  Harmonides,  et  amy  de  la  Déesse 
Minerue  :  comme  met  Homère,  au  cinquième  liure  de 
l'Iliade,  de  fair  venir  grand  maisrein  (3)  de  la  forest  Ida, 
pour  rabiller  les  nauires  qui  estoient  es  ports  de  Phrygie  : 
et  en  faire  de  neuues  si  mestier  estoit  iusques  au  nombre  de 
vingt.  Lesquelles  nauires  ainsi  quelles  furent  malheureuses 
à  tous  les  Troyens,  communément  aussi  y  participa  en 
malheur  ledit  ouurier  Phereodus  :  car  il  fut  tué  pendant  le 
siège  de  Troye. 

0  Roy  Priam,  autrement  bon  Prince,  et  le  meilleur  des 
meilleurs,  ne  vois  tu  point  que  Fortune  trop  blandissante, 
laquelle  ha  esleué  ton  throne  iusques  aux  cieux,  ne  t'ha 
ramené  ton  filz  Paris  des  montaignes  Idées,  où  il  gardoit 
les  bestes,  pour  autres  fins,  sinon  à  ce  que  son  ieune  con- 
seil peu  pesé  en  la  balance  de  raison,  preparast  à  ta  pros- 
périté le  lacs  de  trebuchement  merueilleux  ?  0  hauteur  de 
courage  trop  magnanime,  enflé  de  gloire  prospérante,  qui 
te  fait  appeter  tardiue  vindication  de  torsfaits  (4)  inueterez. 

(1)  après  supprimé  dans  le  mscr.  de  Genève. 

(2)  Pherecleus  (mscr.  de  Genève  et  éd.  1512). 

(3)  maisrien  (éd.  1512)  —  Materia^  bois  de  charpente. 

(4)  forfaiU  (macr.  de  Genève). 


16  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Tu  commandes  appareiller  les  instrumens  de  ta  désertion  : 
tu  fais  adouber  nauires,  qui  tamenront  la  désolation  de  ta 
bienheureté  :  Ne  te  souuient  il  du  songe  de  ta  femme  ?  Na- 
contes  (1)  tu  à  loracle  de  Delphos,  ny  aux  vaticinations  de 
Calchas  ?  Mesprises  tu  les  prophéties  de  Tymetes  et  Hele- 
nus  tes  sages  enfans,  et  de  Euphorbus  iadis  ton  bon  cy- 
toien  ?  As  tu  oublié  la  prémonition  des  Dieux  tes  amis  et 
bienuueillans,  lesquelz  par  tous  deuoirs  se  sont  efforcez  des- 
taindre  le  brandon  de  flambe  viue,  lequel  embrasera  ta  cité, 
et  ta  personne  propre  ?  Et  tu  mesmes  le  viuifîes,  tu  mes- 
mes  luy  prestes  aliment,  et  matière  de  nourriture.  Certes 
ton  heur  trop  resplendissant  t'ha  aueuglé,  le  voile  de  non 
suffisance  t'ha  bendé  les  yeux.  Et  Fortune  peruerse  et  mua- 
ble,  pour  donner  exemple  perpétuelle  à  tous  Princes  tes 
successeurs,  se  veult  iouer  de  toy. 

Et  ce  preuoyant  la  noble  pucelle  Cassandra,  pleine  des- 
prit de  prophétie,  à  manière  dune  Sibylle,  fort  deuote  au 
Dieu  Apollo  et  à  la  Déesse  Minerue,  et  constituée  la  sou- 
ueraine  aux  sacrifices  de  leurs  temples,  comme  tesmoigne 
Dictys  de  Crète  en  son  quatrième  liure  (2)  de  Ihistoire  Troy- 
enne  :  Des  quelle  sceut  larrest  de  lemprise,  menoit  vn 
dueil  non  appaisable,  et  cryoit  assez  alencontre,  disant 
comme  les  autres  :  Cestasauoir  que  Paris  seroit  frappé  dun 
dard  venant  du  ciel,  comme  tesmoigne  Guide  en  lepistre 
de  Paris  à  Heleine,  en  la  personne  de  Paris  : 

Hoc  mihi  (nam  recolo)  fore  vt  à  céleste  sagitta 
Figar,  erat  verax  vaticinata  soror. 


(1)  naeomptes  {macr.  de  Genève). 

(2)  ni»  (mscr.  de  Genève  et  éd.  1512). 


SINGULARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE    II.  17 

Et  disoit  oultreplus,  que  si  Paris  alloit  quérir  femme  en 
Grèce,  Troye  en  seroit  vne  fois  destruite.  Mais  cestoit  en 
vain,  car  son  parler  nauoit  point  daudience,  ainçois  comme 
recite  Dares  Phrygien,  fut  ordonné  par  le  Roy  Priam,  que 
Hector  sen  iroit  en  la  haute  Phrygie  pour  cueillir  des  gens- 
darmes,  et  Paris  Alexandre,  auec  Deïphobus  passeroient  la 
mer  Propontide,  et  iroient  iusques  en  Peonie,  pour  pareil- 
lement assembler  souldoiers  et  gens  de  guerre.  Laquelle 
chose  fut  faite  en  toute  diligence.  Et  ce  pendant  Eneas  fut 
occupé,  par  le  commandement  du  Roy  à  faire  fourniture  de 
viures  nécessaires  au  voyage,  et  de  grand  quantité  dinstru- 
mens  de  guerre  :  tellement  quen  petit  de  temps  tout  le 
nauigage  fut  armé  et  equippé  en  perfection,  au  moyen  de  la 
bonne  diligence  que  les  ouuriers  y  feirent.  Et  furent  les  ga- 
lees  accomplies  du  nombre  de  gens  propices  à  la  rame.  Si  ne 
restoit  que  les  capitaines  et  gens  de  guerre,  lesquelz  arri- 
uerent  à  chef  de  pièce,  dont  Hector  en  amena  vne  partie  de 
la  haute  Phrygie  :  et  Paris  et  Deïphobus  lautre  du  Royaume 
de  Peonie,  lequel  depuis  fut  appelle  Pannonie,  et  mainte- 
nant se  nomme  Hongrie,  selon  lopinion  daucuns,  comme 
plus  à  plein  sera  touché  au  dernier  liure. 

Quand  donques  le  Prince  Hector  fut  retourné  de  la  haute 
Phrygie,  à  tout  ses  gensdarmes,  et  Paris  et  Deïphobus  de 
Peonie  ou  Hongrie,  à  tout  les  leurs,  comme  dessus  est  dit, 
et  que  le  beau  printemps  propice  à  nauiger  fut  refloury,  le 
Roy  Priam,  manda  quérir  les  capitaines  et  centurions  de  son 
armée,  et  leur  bailla  pour  son  lieutenant  gênerai,  son  filz 
Paris  Alexandre,  et  pour  laccompaigner  y  enuoya  aussi  son 
frère  Deïphobus,  Eneas  filz  d'Anchises,  et  Polydamas  filz 
de  Panthus  comme  met  Homère,  au  xv.  liure  de  l'Iliade 
(nonobstant  que  communément  par  erreur  on  tienne  ledit 
Polydamas  âlz  d'Antenor),  auecques  le  patron  de  la  galee, 
n.  J 


18     V  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

qui  auoit  mené  Antenor  en  Grèce,  comme  met  Dares  Phry- 
gien. Dictys  de  Crète  en  son  m.  liure,  dit,  que  aussi  alla 
auec  les  dessusdits,  Glaucus  filz  d' Antenor,  oultre  le  gré  de 
son  père,  auquel  il  ne  plaisoit  point,  craingnant  parauenture 
la  rudesse  des  Grecz  :  tellement  que  au  retour  dudit  Glau- 
cus, son  père  ne  le  voulut  plus  ne  voir  ne  ouyr,  pource  quil 
auoit  transgressé  son  commandement.  Dares  de  Phrygie, 
met  que  ledit  Roy  Priam  commanda  à  Paris  que  première- 
ment il  se  transportasten  la  cité  de  Sparte,  ouLacedemone, 
enuers  messieurs  Castor  et  Pollux,  enfans  du  Roy  Tynda- 
rus  de  Oebalie,  et  frères  germains  de  la  belle  Heleine,  les- 
quelz  auoient  esté  à  la  prinse  de  madame  Hesionne,  et  que 
iceux  il  sommast  de  la  faire  rendre.  Et  en  cas  de  refuz  que 
incontinent  Paris  enuoyast  vn  message  à  Troye,  pour  len 
aduertir,  à  un  de  renforcer  plus  grosse  armée,  pour  luy 
enuoyer  secours.  (1)  Toutes  lesquelles  choses  faites  et  tenues 
les  plus  secrètes  que  possible  fut,  sans  diuulguer  le  princi- 
pal de  leur  emprise,  vn  beau  matin,  que  le  vent  fut  bon  et 
propice,  chacun  print  congé  de  ses  parens  et  amis,  Eneas 
de  son  père,  Anchises,  de  sa  femme  Creusa,  Polydamas  de 
son  père  Panthus,  Glaucus  de  ses  amours  et  de  ses  frères  : 
Car  son  père  ne  luy  voulut  donner  congé  :  Deïphobus 
aussi  et  Paris,  du  Roy  et  de  la  Royne,  de  leurs  frères  et 
sœurs.  Et  quand  ce  vint  à  dire  adieu  à  la  noble  Nymphe 
Pegasis  Oenone,  qui  du  secret  de  lemprise,  touchant  le 
rauissement  daucune  femme  de  Grèce,  estoit  ignorante,  les 
grosses  larmes  ou  par  vraye  amour,  ou  par  feintise,  tombè- 
rent des  yeux  à  Paris  :  et  aussi  la  gracieuse  Nymphe  plou- 
roit  inconsolablement,  du  dueil  futur  que  son  cœur  luy 


(1)  Depuis  Toutes...  jusqu'à  laccoUer  (p.  19,  1.  7),  lacune  dans  le 
nuor.  de  Genève. 


SINGVLARITBZ    DE   TROYB.    LIVRE    II.  19 

apportoit  couuertement.  Assez  sentreaccollerent,  et  assez 
sentrebaiserent  les  deux  amans  :  et  ne  les  pouuoit  on  sépa- 
rer lun  de  lautre.  Les  gens  de  Paris  disoient  souuent  à 
leur  seigneur,  que  les  patrons  auoient  vent  à  gré,  et  que 
les  mariniers  le  pryoient  de  se  haster.  Son  frère  Deïpho- 
bus,  Eneas,  et  les  autres  aussi,  ladmonnestoient  de  partir. 
Et  Paris  disoit  au  contraire  :  quil  congnoissoit  bien  que  le 
vent  nestoit  pas  encore  prospère.  Dont  ilz  se  prenoient  à 
rire  de  bon  cœur,  voyans  que  lamour  de  la  Nymphe  le 
detenoit,  vne  fois  la  laissoit,  puis  retournoit,  pour  laccoller. 
Finablement  quand  il  ny  eut  remède  de  plus  tarder,  il  luy 
dit  bassettement  vn  piteux  adieu,  qui  à  peines  luy  peult 
sortir  de  la  bouche,  pour  les  souspirs  qui  laggressoient  :  et 
elle  pareillement,  comme  si  ce  fust  vn  présage  et  signifiance 
de  perpétuel  diuorse  et  séparation,  dune  voix  simple  et 
casse,  interrompue  de  sangloux  en  grand  fréquence  et  mul- 
titude, ne  luy  peult  dire  autre  chose  sinon  :  «  Mon  cher 
seigneur  et  mon  amy,  les  Dieux  soient  auecques  toy  :  et  te 
vueillent  bien  conduire.  »  Lors  se  partirent  Paris,  Deïpho- 
bus,  Eneas,  Glaucus,  et  Polydamas,  de  la  cité  de  Troye. 
Et  furent  conuoyez  par  le  Prince  Hector  et  ses  autres  frè- 
res. Si  sadresserent  vers  le  port  de  Sigee  à  grand  triomphe 
et  pompe.  Quand  ilz  furent  près  des  nauires  pour  sembar- 
quer  auec  leurs  patrons  et  capitaines,  trompettes,  clairons, 
busines,  tabours  et  bedons  sonnèrent  mélodieusement.  Si 
entrèrent  en  leurs  galees  :  et  commandèrent  aux  Dieux 
ceux  qui  demouroient.  Alors  les  mariniers  tous  dun  vouloir 
louèrent  leurs  ancres,  et  tirèrent  les  vaisseaux  hors  du 
port  à  force  de  barquettes  et  rames  :  guinderent  leurs  trefz 
et  voiles  à  grans  criz  et  exclamations  coustumieres.  Single- 
rent  de  vent  propice,  qui  leur  donna  en  pouppe  :  et  dres- 
sèrent la  prore  de  leurs  nauires,  pour  tirer  de  la  mer  Hel- 


Z9  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

lesponte  en  la  mer  Egée,  quon  dit  maintenant  Larchipel. 
Ainsi  sen  vont  les  souldars  de  Venus  auecques  leurs  com- 
plices :  Cestasauoir  lun  son  vassal,  et  lautre  son  filz  :  pour 
faire  leur  emplaite  vénérienne,  souz  la  conduite  de  ladite 
Déesse.  Et  ce  pendant  la  tresamoureuse  Nymphe  Pegasis 
Oenone  monte  sur  le  plus  haut  dongeon  du  palais  d'Ilion, 
auec  plusieurs  dames,  conuoyoit  les  voiles  de  son  seigneur 
et  mary,  tant  et  si  longuement  que  ses  clers  yeux  mouillez 
de  larmes,  les  peurent  choisir  de  veiie.  Faisant  vœuz  et 
prières  aux  Nymphes  de  mer,  quon  dit  Nereïdes,  qu'elles 
eussent  son  amy  en  garde  :  et  aux  Dieux  de  la  marine, 
quilz  le  luy  ramenassent  en  brief  à  sauueté.  Mais  ses 
prières  ne  luy  tournèrent  sinon  à  dommage  et  à  perpétuel 
desconfort.  Car  le  retour  de  Paris,  ne  luy  apportera  nulle 
ioye.  Or  laisserons  nous  vn  peu  le  conte  délie  et  de  Paris 
Alexandre  :  et  dresserons  nostre  narration  à  expliquer 
la  généalogie  de  la  belle  Heleine,  Royne  de  Lacedemone. 


SmGTLARITEZ   DE   TROTE.    LITRE  U. 


CHAPITRE  II. 

Explication  clere  et  ample  de  la  généalogie  de  la  belle  Heleine  :  et 
de  son  premier  rauissement  fait  en  ieunesse  par  Tbeseus  Roj  d'A- 
thènes :  et  comment  elle  fut  reaouuree  par  ses  frères  Castor  et 
PoIIqz,  sa  virginité  sanne  :  selon  la  commune  opinion. 


Selon  ce  que  mect  (1)  messire  lean  Bocace  de  Certal,  Flo- 
rentin, au  cinquième  liure  de  la  généalogie  des  Dieux,  Tynda- 
rus  Roy  de  Laconique  ou  Oebalie,  qui  est  en  Achaie,  quon 
dit  maintenant  la  Moree,  comme  plus  à  plein  sera  touché  au 
dernier  liure,  fut  filz  de  Oebalus,  qui  fut  d'Argulus  (2)  :  qui 
fut  d'Amyclas  :  qui  fut  de  Lacedemon,  lequel  fonda  Lace- 
demone  :  qui  fut  de  lupiter  deuxième  de  ce  nom,  Roy 
d'Arcadie,  et  de  Taygeta  fille  d'Agenor,  Roy  des  Phenicea. 
Et  fut  ledit  Roy  Tyndarus  assez  noble  et  puissant  entre  les 
Princes  de  Grèce  :  comme  met  Euripides  en  la  tragédie 
d'Iphigenia.  Or  eut  à  femme  ledit  Tyndarus  la  belle  Leda, 
dame  de  Therapne,  fille  de  Thespius  Roy  de  Tholie  :  comme 
met  lean  Baptiste  Plus  sur  lexposition  de  Fulgentius  Pla- 
ciades.  Et  eut  nom  la  mère  de  Leda  Androdice,  fille  de 
Glaucus  filz  de  Sisyphus  Roy  de  Corinthe.  Dicelle  Leda 
lupiter  troisième  de  ce  nom,  Roy  de  Crète  fut  amoureux.  Et 
selon  les  fables  antiques,  se  transforma  en  vn  cygne,  cest- 

,(1)  Ces  quatre  premiers  ont  été  omis  dans  le  mscr.  de  Genève. 
(2)  Argalus  (mscr.  de  Genève). 


22  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

adiré  il  se  feit  beau  et  plaisant  comme  vn  cygne,  et  chanta 
si  doux  par  ses  belles  paroles,  quelle  le  coucha  en  son  giron, 
par  tel  moyen  quil  lengrossa  :  et  luy  feit  pondre  deux  en- 
fans  (1)  à  diuerses  fois  :  Cestadire  luy  feit  faire  quatre  enfans 
à  deux  portées  :  dont  de  lune  nasquirent  Castor  et  Pollux 
frères  iumeaux  :  et  de  lautre  Heleine  et  Clytemnestre 
sœurs  iumelles  selon  lopinion  de  Bocace  :  mais  Fulgentius 
Placiades  dit,  que  dun  seul  enfantement  nasquirent  Castor, 
Pollux  et  Heleine,  enfans  de  lupiter  :  mais  Clytemnestre 
fut  fille  du  bon  Roy  Tyndarus.  Euripides  poëte  Grec  en 
vne  tragédie  nommée  Iphigenia,  translatée  en  Latin  par 
Erasme  de  Roterodam,(2)met  que  Leda  eut  trois  filles,  dont 
oultre  les  deux  dessusdites,  la  tierce  fut  nommée  Phebë.  Et 
voicy  les  propres  mots  dudit  Euripides  : 

Lsedse  obtigerunt  Thestiadi  très  filise  : 

Phœbe,  Clytemnesti'aque  quam  mihi  duxi  ego,        Heleneque. 

Comment  quil  en  soit,  Tyndarus  en  fut  le  père  putatif 
au  vray  :  et  les  nourrit  bien  et  doucement  en  son  hostel  : 
cuidant  quilz  fussent  tous  siens.  Et  aussi  aucuns  tiennent 
que  Clytemnestre  fut  sa  fille  légitime,  et  les  trois  autres  de 
lupiter. 

Icelle  Clytemnestre  fut  premièrement  mariée  à  vn  Prince 
nommé  Tantalus.  Et  eut  de  luy  vn  enfant.  Mais  depuis, 
Agamemnon  Roy  de  Mycenes  en  fut  enuieux.  Si  occit  le 
père  et  lenfant  :  et  rauit  la  dame  par  force.  A  cause  de 
quoy  Castor  et  Pollux  luy  menèrent  la  guerre,  et  leussent 
destruit,  se  neust  esté  le  bon  Roy  Tyndarus  qui  les  meit 

(1)  ev,ft  (mscr.  de  Genève).  —  Clitemnestre  ou  Clykennestre  (pas- 
sim,  ibid.). 

(2)  Roterdan  (éd.  1512). 


SINGTLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE    H.  0 

daccord  :  en  confermant  le  mariage  :  comme  ces  choses 
met  Euripides,  en  la  tragédie  d'Iphigenia,  disant  en  la 
personne  de  Cljtemnestre  à  Agamemnon  : 

Me  non  volentem,  vique  raptam  coniugem 
Duxti  :  necato  Taatalo  cui  nupseram 
Prius,  ac  puello  sortis  ex  vsa  ta89 
Itidem  perempto. 

Or  eut  ladite  Clytemnestre  dudit  Agamemnon  plusieurs 
enfans.  Cestasauoir  Orestes  et  ses  sœurs,  Iphigenie,  Elec- 
tra,  Chrjsoteray,  (1)  Laodice,  et  autres.  Mais  en  la  fin  elle 
traita  mal  son  mary  au  retour  de  Troye,  comme  sera  dit 
en  son  lieu.  Touchant  Phebé  sa  sœur,  ie  nen  treuue  rien  (2). 
Si  faut  venir  à  Haleine. 

Heleine  sœur  germaine,  ou  a  tout  lemoins  vterine  dicelle 
Clytemnestre,  des  sa  naissance  creut  en  beauté  superna- 
turelle :  tellement,  que  quand  elle  deuint  grandette,  fat 
renommée  pour  la  plus  belle  créature  que  iamais  on  eust 
veiie  sur  terre.  Et  cest  la  principale  raison,  pourquoy  elle 
fut  dite  et  estimée  fille  du  Dieu  lupiter.  Si  fut  instruite  en 
tout  artifice  de  lesguille,  de  tistre,  et  de  broder,  ainsi  que 
filles  de  Princes  sont  communément.  Et  oultre  ce,  fut 
introduite  au  ieu  de  la  palestre  :  Cestadire,  de  la  luitte. 
Car  par  les  loix  de  Lycurgus  Roy  des  Lacedemoniens,  les 
nobles  pucelles  du  pais  de  Lacedemone,  estoient  subiettes 
à  aprendre  toutes  choses  viriles  :  Si  comme  à  chasser  les 
bestes  saunages,  à  tirer  de  lare,  à  ietter  le  dard,  et  prin- 
cipalement à  luitter.  Et  ce  tesmoigne  Christofle  Landin  au\ 
comment  du  premier  liure  des  Eneïdes  :  et  sur  ce  passage  : 

(1)  Crisotomi  (mscr.  de  Genève). 

(2)  trouve  riens  (mscr.  de  Genève). 


1^  ILLVSTRATIONS   DE  GAYLE,  ET 

Uirginis  os  hahitumque  gerens,  et  virginis  arma  Spar- 
tana,  etc.  Et  aussi  aucuns  acteurs  tiennent,  que  le  ieu  de 
la  palestre  fut  premièrement  trouué  par  iceux  Lacedemo- 
niens,  pourquoy  il  leur  estoit  plus  familier.  Et  à  ce  propos 
dit  Thucydides  au  commencement  de  son  liure  :  Laceda- 
monii  primi  corpora  certaturi  nudauerunt,  oleoque  vnxe- 
runt. 

En  ce  temps  là,  selon  les  historiens,  estoient  en  bruit  et 
en  vigueur  deux  ieunes  Princes  de  grand  vertu  :  cestasa- 
uoir  Theseus  Roy  d'Athènes,  et  Pirithous,  filz  d'Ixion 
Roy  des  Lapithes.  Lesquelz  durant  leurs  vies  furent  tous- 
iours  vrays  amis ,  frères  et  compaignons  darmes.  Et 
auoient  donné  la  foy  lun  à  lautre  :  par  tel  si,  que  iamais 
ne  feroient  aucune  emprinse  lun  sans  lautre  :  ainçois  sen- 
tredonroient  secours  mutuel  iusques  à  la  mort  :  comme  il 
-apparut  aux  noces  dudit  Pirithous  et  de  la  belle  Hippoda- 
mie  :  esquelles  les  Centaures  moitié  cheuaux  et  moitié 
hommes  tous  yures  vouloient  faire  force  à  lespousee,  si 
Theseus  ne  leust  secourue,  comme  descrit  bien  amplement 
le  poète  Ouide,  au  xii.  liure  de  sa  Métamorphose.  Apres 
donques  que  iceux  deux  Princes  furent  vefues,  et  que  The- 
seus eut  perdu  sa  femme  Phedra,  fille  de  Minos  Roy  de 
Crète  :  et  Pirithous  ladite  Hippodamie,  comme  raconte 
Diodorus  Siculus  au  cinquième  liure  des  Gestes  antiques  : 
et  Bocace,  au  xxxiii.  chapitre  du  ix.  liure  de  la  Généalo- 
gie des  Dieux,  Pirithous  vint  à  Athènes  voir  son  amy  The- 
seus :  et  feit  tant  par  son  exhortation,  quilz  conuindrent 
ensemble,  et  promeirent  lun  à  lautre,  par  serment  (attendu 
quilz  estoient  tous  deux  de  grand  noblesse,  et  descenduz  de 
Ja^ligaee  des  Dieux  :  et  aussi  quilz  cherchoient  voulentiers 
hautes  et  difficiles  auentures,  ensemble,  comme  preux  che- 
ualiers  errans)  quilz  nauroient  iamais  femme  espousee,  si 


SINGVLARITEZ  DE  TROYB.    LTVmB  II.  96 

elle  nestoît  extraite  sans  aucun  moyen  (1)  du  grand  Dieu 
lupiter,  et  silz  ne  lauoient  conquise  par  force  et  par  vail- 
lance :  promettans  de  ayder  lun  à  lautre  en  ceste  querelle 
iusques  à  la  mort.  Si  en  feirent  ilz  tous  deux  lun  à  lautre 
vœu  solennel  et  serment  irreuocable.  Or  ne  sauoit  on  plus 
en  ce  temps  là  des  filles  de  lupiter  viuans  sur  terre,  fors 
vne  :  Cestasauoir  la  belle  pucelle  Heleine,  laquelle  estoit  au 
Royaume  de  Oebalie  ou  Laconique.  Si  se  meirent  à  chemin 
auec  certain  nombre  de  gens  pour  la  conquester.  La  pucelle 
Heleine  pouuoit  auoir  enuiron  dix  ans,  comme  met  Diodo- 
rus  Siculus  au  cinquième  liure  des  Gestes  antiques.  Mais 
de  son  aage  elle  estoit  desia  formée  en  beauté  céleste,  et 
merueilleuse.  Son  père  putatif,  le  bon  Roy  Tyndarus,  dauen- 
ture  quelque  iour  (2)  tenoit  vne  grand  feste  solennelle  : 
et  par  manière  de  passetemps  faisoit  esbatre  et  exerciter 
ses  enfans  masles  et  femelles  ensemble,  sus  Iherbe  ver- 
doyant, auec  les  autres  nobles  enfans  de  ses  Barons,  au 
ieu  dessusdit  de  la  palestre,  hors  de  la  cité  principale  de  la 
seigneurie  dudit  Roy  Tyndarus,  appellee  Amycla,  et  assez 
près  dun  temple  de  Diane,  comme  met  Antoine  Volsc  sur 
lepistre  de  Oenone  à  Paris.  Ainsi  sesbastoit  à  la  palestre 
ou  luitte  la  pucelle  Heleine  toute  nue,  oincte  sans  plus 
dhuile  doliue,  auecques  les  autres  de  son  aage,  à  la  manière 
dadonques.  Et  ce  tesmoigne  Ouide  en  lepistre  de  Paris  à 
Heleine,  disant  : 

More  tuse  gentis  nitida  dum  anda  palsestra 
Ludis,  et  es  nudis  fœmina  mixta  viris. 

Aussi  tesmoigne  Hérodote  père  des  historiens,  en  son 

(1)  c.-à  d.  ea  droite  ligne. 

(2)  c.-à-d.  certain  jour. 


9B  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

sixième  liure,  que  ledit  ieu  de  la  palestre  se  faisoit  par 
enfans  nuds,  disant  ainsi  :  Cùm  DemaratTius  Aristonis 
Mius,  eiectus  regno  Lacedamonîomm  gereret  magistra- 
tutn  :  adessetque  spectaculo  gymnopœdiarum,,  idest,  nudo- 
rum  puerorum  palastrce. 

Le  Roy  Theseus  donques,  et  le  Prince  Pirithous,  les- 
quelz  par  espies  secrètes  auoient  couuertement  pourietté 
tout  leur  cas,  se  trouuerent  à  ladite  feste  en  habit  dissi- 
mulé :  là  où  Theseus  nota  le  grand  et  merueilleux  com- 
mencement de  beauté  qui  estoit  en  la  pucelle  Heleine.  Si 
en  fut  esprins  damour  extrême,  plus  que  deuant.  Parquoy 
eux  deux  sen  retournèrent  promptement  à  leur  embûche, 
qui  estoit  mussee  en  aucuns  bois  et  taillis  prochains  :  con- 
tèrent à  leurs  gens  lopportunité  de  leur  affaire.  Si  montè- 
rent sur  leurs  cheuaux  légers  tous  bien  armez,  et  vindrent 
soudainement  donner  sur  le  Roy  Tyndarus,  et  sur  lassem- 
blee,  en  grand  bruit  et  tumulte.  Ledit  Roy  Tyndarus  et  ses 
gens  prins  en  desarroy,  sans  armures  ne  deffense,  comme 
ceux  qui  de  nulz  ennemis  ne  se  doutoient,  ne  tascherent 
fors  de  sauuer  eux  et  leurs  enfans  dedens  ledit  temple  de 
Diane,  qui  estoit  là  près.  Mais  ce  nonobstant,  Theseus  et 
Pirithous  obstinez  en  leurs  affection,  rompirent  les  portes 
du  temple,  en  commettant  sacrilège,  et  entrèrent  dedens 
par  force  :  et  sans  toutesuoyes  faire  mal  à  personne,  prin- 
drent  et  esleuerent  seulement  la  pucelle  Heleine  :  laquelle 
en  plourant  et  criant,  se  deffendoit  au  mieux  quelle  pou- 
uoit.  Et  quand  le  Roy  Theseus  leut  assise  sur  le  col  de  son 
cheual,  et  leust  enueloppee  de  son  manteau,  pource  quelle 
estoit  toute  nue,  il  donna  de  lesperon  luy  et  ses  gens,  qui 
tous  estoient  bien  montez  à  lauantage,  tellement  que  à 
force  des  grandes  traites  quilz  feirent,  en  peu  de  temps  ilz 
furent  en  son  Royaume  et  cité  d'Athènes.  Et  incontinent 


SmGVLARITEZ  DE  TROTE.  LIVRE  II.  ff 

quilz  y  furent,  luy  et  son  compaignon  Pirithous,  ietterent 
sort  auquel  d'eux  deux  Heleine  seroit  espousee.  Si  escheut 
le  sort  au  Roy  Theseus,  et  luy  demoura  la  pucelle,  par 
telle  condition  quil  promist  et  iura  daller  ayder  à  Pirithous 
en  conquérir  une  autre. 

Le  Roy  Tyndarus,  et  sa  femme  la  Royne  Leda,  furent 
bien  désolez  et  bien  marris  de  liniure  que  faite  leur  auoit 
esté.  Et  seurent  tantost  que  Theseus  Roy  d'Athènes  leur 
auoit  fait  cest  oultrage.  Mais  pource  que  iceluy  Tyndarus 
no  se-  sentoit  pas  si  puissant  pour  lors,  quil  peust  recou- 
urer  sa  fille  par  moyen  de  guerre  hors  des  mains  de  The- 
seus, il  ne  sceut  que  faire,  sinon  quil  enuoya  ambassadeurs 
exprès  aux  seigneurs  et  citoyens  d'Athènes,  leur  requérir, 
que  ayans  regard  à  Ihonneur  et  dignité  de  Royale  noblesse, 
et  au  droit  de  gens  et  de  voisinage,  ilz  ne  souffrissent  point 
que  leur  Roy  detinst  sa  fille  par  violence,  ainçois  feissent 
tani  quelle  luy  fus!  rendue,  autrement  il  en  demanderoit 
vengeance  aux  Dieux  et  aux  hommes.  Les  Athéniens  sages 
et  prudens,  et  ausquelz  la  chose  ne  plaisoit  point,  comme 
met  Antoine  Volsc,  sur  le  comment  de  lepistre  de  Oenone 
à  Paris,  remonstrerent  à  leur  Roy  Theseus  laggrauation  de 
liniure  faite  aux  voisins  :  à  fin  que  de  luy  mesmes  il  la 
reparast.  Mais  voyant  quil  estoit  obstiné  à  retenir  la 
pucelle  Heleine  par  force  voluntaire,  ilz  se  déclarèrent 
pleinement,  que  point  ne  soustiendroient  ladite  Heleine  en 
leur  cité  :  prians  à  leurdit  Roy,  quil  la  transportast  ail- 
leurs, la  où  seroit  son  plaisir.  Adonc  Theseus  congnoissant 
leur  délibération  arrestee,  fut  content  denuoyer  Heleine 
autre  part  :  ce  quil  feit  secrètement,  et  la  bailla  à  sa  mère 
nommée  Ethra,  treshonnorablement  accompaignee,  pour  la 
mener  en  la  ville  d'Aphidue,(l)  non  pas  loingtaine  d'Athènes, 

(1)  pour  Aphidna.  De  même  dans  le  mscr.  et  en  1528. 


28  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

et  illec  la  nourrir  et  garder.  En  escriuant  à  son  amy  Aphi- 
duus  seigneur  dicelle  ville,  quil  en  feist  bonne  garde,  ius- 
ques  à  son  retour.  Lequel  Aphiduus  receut  magnifiquement 
la  pucelle  Heleine  et  la  mère  de  Theseus,  et  les  traita  le 
plus  humainement  quil  peut.  Et  pource  quil  restoit  à  Piri- 
thous  filz  d'Ixion,  Roy  des  Lapithes,  aussi  vne  femme  des 
filles  de  lupiter,  selon  leurs  sermons  et  conuenances,  et 
que  nulles  nen  auoit  plus  en  terre,  si  ne  pouuoient  monter 
au  ciel,  ilz  ouyrent  dire  que  Pluton  Roy  des  basses  régions, 
cestasauoir  de  Molosse,  qui  est  en  Epyre,  maintenant  nommée 
Albanie,  comme  sera  dit  au  dernier  liure,  dont  la  princi- 
pale cité  sappelloit  Dis,  auoit  puis  nagueres  rauy  en  Sicile, 
la  belle  Proserpine  fille  de  lupiter,  et  de  Ceres.  Si  se  mei- 
rent  prestement  à  chemin,  pour  laller  conquester  et  tollir 
à  Pirithous.  Combien  que  ce  ne  fust  point  du  bon  gré  de 
Theseus,  sil  ny  eust  esté  astraintpar  promesse.  Et  aussi  ce 
fut  à  leur  maie  santé,  comme  raconte  à  plein  Seneque,  en 
sa  première  tragédie  :  Car  Pirithous  y  fut  estranglé  par  le 
grand  chien  Cerberus  à  trois  testes,  portier  denfer  :  et 
Theseus  y  fut  détenu  prisonnier,  iusques  à  ce  que  Hercules 
reuenant  d'Espaigne  le  deliura.  Tyndarus  ce  sachant, 
après  aucuns  temps  que  Castor  et  Pollux  ses  enfans  furent 
assez  puissans,  pour  porter  armes,  il  leur  bailla  vne  assez 
bonne  armée,  équipée  au  mieux  quil  peut,  à  layde  de  ses 
amis  :  et  les  enuoya  recouurer  leur  sœur  Heleine,  laquelle 
estoit  en  ladite  ville  d'Aphidue.  Et  iceux  deux  ieunes 
frères,  courageux  et  de  grand  vertu,  exploitèrent  tant  par 
mer  et  par  terre,  quilz  vindrent  au  Royaume  d'Athènes  : 
et  commencèrent  denuahir  le  plat  païs,  par  tous  exploits 
de  guerre  :  chassoient  les  habitans  hors  de  leurs  maisons, 
et  pilloient  leurs  biens,  combien  que  du  tout  ilz  nen  pous- 
sent mais  :  car  ilz  ne  sauoient  aucunement  en  quel  lieu  le 


SmCYLARITEZ  DE  TROTE.    LITRE  H.  W 

Roy  Theseus  auoit  retiré  la  pucelle  Heleine  :  iusques  à  ce 
que  fînablement  vn  nommé  Deceleus  seigneur  de  la  ville 
de  Decelee,  comme  met  Hérodote  en  son  ix.  liure,  voyant 
fouler  le  païs  et  Royaume  d'Athènes,  et  craingnant  que  la 
puissance  de  Castor  et  Pollux  ne  meist  tout  le  demeurant 
à  néant,  print  hardiesse  dexposer  ausdits  deux  frères  toute 
la  chose  ainsi  quelle  estoit  allée,  et  les  mena  deuant  ladite 
ville  d'Aphidue.  Là  ou  après,  le  siège  planté  deuant  icelle, 
combien  quelle  fust  désensable  et  bien  murée,  neantmoins 
ilz  la  prindrent  par  force  :  comme  met  Nicolas  Perot  au 
VI.  liure  de  sa  Cornucopie.  Et  selon  Diodorus  Siculus,  la 
desmolirent  du  tout  :  combien  que  Herodode  audit  ix.  liure, 
dit  quelle  leur  fut  liuree  par  vn  de  ceux  de  la  ville,  nommé 
Pittacus  :  au  moyen  dudit  Deceleus  qui  le  procura.  Et  pour 
ceste  raison,  dit  il  que  ceux  de  Lacedemone  et  de  Decelee, 
furent  depuis  tousiours  amis  ensemble. 

Ainsi  recouurerent  lesdits  frères  Castor  et  Pollux  leur 
sœur  Heleine,  sans  ce  que  Theseus  leust  iamais  touchée, 
autrement  que  pour  la  baiser.  Car  elle  estoit  trop  ieunette  : 
si  comme  de  laage  de  dix  ans,  quand  elle  fut  prinse,  comme 
dessus  est  dit.  Et  Bocace  en  lonzieme  liure  de  la  Généa- 
logie des  Dieux  sy  concorde.  Aussi  Ouide  en  lepistre 
d'Heleine  à  Paris,  tesmoigne  quelle  fut  recouuree  pucelle  : 
en  tant  quil  touchoit  Theseus,  disant  ainsi  : 

Oscula  lactando  taatummodo  pauca  proteruus 
Abstulit,  ylterius  nil  habet  ilie  mei. 

Et  ainsi  le  tesmoignent  Diodore  et  Plutarque.  Toutes- 
uoyes  Oenone  en  son  epistre,  quelle  escrit  à  Paris,  ne  croit 
point  que  le  rauissement  d'Heleine  eust  peu  estre  fait,  sa 
virginité  sauue  :  mesmement  que  le  Prince  qui  la  rauit 
estoit  ieune  et  luxurieux,  disant  ainsi  : 


38  ILLVSTRATIONS    DE   GAYLE,    ET 

  iuueae  et  cupido  credatur  reddita  virgo  ? 

le  men  rapporte  à  ce  qui  en  fut.  Toutesuoyes  lesdits 
deux  frères  emmenèrent  aussi  auecques  leurdite  sœur 
Heleine,  la  mère  de  Theseus  pour  prisonnière  :  car  son  filz 
qui  estoit  détenu  en  région  loingtaine,  nauoit  garde  de  la 
secourir. 


sraGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE  H.  8f 


CHAPITRE  III. 

Du  grand  nombre  des  Princes  qui  demandèrent  en  mariage  la 
pucelle  Haleine,  après  son  recouurement,  pour  la  singulière  beauté 
délie.  Et  qui  fut  celuy  qui  eut  la  première  despouille  de  son  pucel- 
lage  auant  la  marier.  Auec  narration  du  chois,  que  son  père  le  Roy 
Tyndarus,  luy  bailla  de  plusieurs  Princes.  Et  comme  elle  eslut  le 
Roy  Menelaus  de  Lacedemone,  à  seigneur  et  mary. 


Qvand  donques  la  pucelle  Heleine  fut  retournée  en  la 
maison  paternelle  au  moyen  du  secours  et  vaillance  de  ses 
deux  frères  Castor  et  Pollux,  tous  les  Princes  de  Grèce, 
d'Achaie,  et  des  isles  circonuoisines,  vindrent  voir  le  Roy 
Tyndarus,  père  putatif  d'Heleine  par  manière  de  coniouys- 
sement.  Et  célébrèrent  grosses  festes,  pour  la  victoire  et 
bienuenue  desdits  Castor,  Pollux,  et  Heleine.  Or  estoit 
elle  parcrue  en  beauté,  surpassant  toute  chose  humaine.  Si 
fut  tantost  conuoitee  et  requise  en  mariage,  par  vn  grand 
nombre  diceux  hauts  Princes,  qui  tous  desiroient  de  lauoir, 
et  importunoient  le  Roy  Tyndarus  par  toutes  manières  : 
voire  iusques  aux  menasses,  comme  met  Ouide  en  lepistre 
d'Heleine  à  Paris,  disant  : 

Ciiw,  mea  virginitas,  mille  petita  proeis. 

Et  Euripides  en  la  Tragédie  d'Iphigenia  ; 

Heleneque  at  huius  uuptias  multi  proci 
Petiere,  iuuenes  GrsBcisa  opulentissimi. 
Ueram  huic  minse  truces  coortse,  etc. 


52  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

Or  la  demandoient  ilz  non  pas  tant  pour  espérance  du 
grand  douaire ,  comme  pour  sa  tressinguliere  beauté. 
Laquelle  estoit  si  esmerueillable,  que  le  prince  des  poètes 
Homère,  eut  assez  de  peine  de  la  bien  exprimer.  Et  Dona- 
tus  expositeur  de  Virgile,  met  quelle  fut  de  si  extrême 
formosité,  que  plusieurs  peintres  tresexpers  labourans 
ensemble  à  la  peindre  au  vif,  et  ayans  plusieurs  belles 
femmes  nues  deuant  eux,  ny  sceurent  onques  parataindre. 
Toutesuoyes  le  noble  ouurier  Zeuxis  Heracleotes,  la  tira 
en  perfection  après  le  patron  de  cinq  pucelles  eslues  par 
toute  Grèce.  Le  Roy  Tyndarus  et  sa  femme  la  Royne  Leda, 
différèrent  long  temps  daccorder  leur  fille  à  nul  des  Princes 
dessusdits  :  pource  quilz  craingnoient  quen  lottroyant  à 
lun,  les  autres  nen  fussent  malcontens,  et  leur  feissent 
guerre  par  despit  de  leur  reboutement.  Et  à  ceste  occasion, 
ne  cessassent  iusques  à  ce  quilz  les  eussent  déshéritez.  Et 
ce  fut  la  cause  qui  leur  feit  tenir  Heleine  assez  plus  que 
trop  longuement  sans  marier.  Tellement  que  la  belle  ne 
pouuoit  plus  tolérer  le  grand  désir  damours,  qui  solicitoit 
sa  fleurissante  ieunesse.  Dont  vn  acteur  nommé  Antoine 
Volsc  au  comment  de  lepistre  Oenone  à  Paris  :  dit  quelle 
senamoura  secrètement,  dun  des  ieunes  gentilzhommes  de 
la  maison  de  son  père  :  lequel  auoit  nom  Enophorus  filz  de 
Hicophon,  tant  que  ledit  Enophorus  obtint  la  première 
despouille  de  sa  virginité.  Toutesuoyes  ie  ne  lay  trouué 
ailleurs  :  et  ne  scay  ou  il  Iha  prins.  Et  sil  fut  vray,  si  nen 
fut  il  pas  grand  bruit. 

Finablement  le  père  et  la  mère  de  la  belle  Heleine, 
voyans  que  ce  nestoit  pas  chose  seure  de  la  tenir  si  lon- 
guement sans  mary  :  et  que  de  tous  costez  elle  estoit 
requise  :  et  ny  auoit  plus  remède  de  différer,  ne  lieu  dex- 
cuses  enuers  les  Princes  qui  la  demandoient  :  craingnans 


SINGVLARITEZ  DE   TROYE.    LIVRE   II.  35 

aussi  quon  ne  la  leur  ostast  par  force,  comme  on  auoit  fait 
Cljtemnestre,  ilz  saduiserent  dun  bon  expédient,  pour  la 
loger  hautement  et  sans  danger.  Car  comme  met  ledit 
Antoine  Volsc  sur  le  comment  de  lepistre  d'Heleine  à 
Paris,  en  allegant  Thucydides  Grec  son  autheur,  ledit  Roy 
Tyndarus  et  sa  femme,  assignèrent  à  tous  ceux  qui  lauoient 
requise  en  mariage  certaine  iournee  de  se  trouuer  en  leur 
cité  d'Amycla,  pour  mettre  fin  à  leurs  requestes  :  lesquelz 
ny  faillirent  point.  Et  à  ce  se  concorde  Dion,  duquel  nous 
auons  parlé  au  prologue  de  ce  second  liure.  (1)  Entre  les 
autres  Princes  y  furent  Agamemnon  Roy  de  Mycenes,  desia 
gendre  dudit  Tyndarus,  comme  dessus  est  dit,  frère  de  Mene- 
laus  Roy  de  Lacedemone.  Apres  donques  les  auoir  festoyé 
en  vn  grand  et  somptueux  conuiue,  le  Roy  Tyndarus  leur 
dist  en  ceste  manière  :  «  Treshauts  et  tresexcellens  Princes, 
il  ha  pieu  despieça  à  chacun  de  vous  me  faire  cest  honneur 
que  de  me  demander  par  loy  de  mariage  ma  treschere  fille 
Heleine.  Si  ay  tousiours  différé  iusques  à  présent,  den 
faire  promesse  à  nul  dentre  vous  mes  frères  et  seigneurs, 
craingnant  que  dauenture  en  complaisant  à  lun  ie  noffen- 
sasse  lautre,  et  encourusse  voz  indignations  particulières  : 
qui  estes  tous  Princes  et  Roys  de  haut  affaire,  contre  les- 
quelz ma  seigneurie  auroit  bien  petite  durée.  Or  voyant 
que  plus  ne  puis  reculer,  ie  vous  fais  icy  libéralement  vne 
ouuerture  :  Cestasauoir  si  vous  serez  contens  par  commun 
consentement,  de  bailler  loption  et  le  choix  de  voz  tresno- 
bles  personnes  à  elle  seule  :  Cestadire  que  celuy  quelle 
nommera  de  son  plein  gré,  pour  son  seigneur  et  mary,  ce 
soit,  sans  contradiction  quelconque.  Protestant  toutesuoyes 
sur  la  foy  que  ie  dois  aux  Dieux  immortelz,  que  de  lun  ne 

(1)  parlerons  en  le  fin  de  ce  second  livre  (mscr.  de  Genève). 
II.  3 


3é  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

de  lautre  ie  ne  lay  embouchée,  ains  luy  en  laisse  et  per- 
mets totalement  son  franc  arbitre.  » 

A  loffre  et  aux  paroles  du  Roy  Tyndarus  trestous  les- 
dits  ieunes  Princes  dune  voix  unanime  respondirent,  quilz 
en  estoient  contens.  Se  confians  chacun  en  sa  beauté,  ou 
en  sa  richesse,  et  grand  parentage  :  et  cuidant  vnchacun 
estre  le  mieux  aymé  :  car  elle  les  auoit  entretenuz  égale- 
ment. «  Or  ça,  messieurs  donc,  dit  le  Roy  Tyndarus,  puis 
que  vostre  bon  plaisir  se  condescent  à  ce,  vous  ferez  icy, 
sil  vous  plaist,  serment  solennel  sur  les  images  de  noz 
Dieux,  lesquelz  ie  feray  apporter  en  présence,  que  tous  et 
vnschacuns,  ratifierez  par  commun  accord  le  mariage  den^ 
tre  celuy  qui  sera  eslu  par  le  chois  libéral  de  ma  fille 
Heleine  seule.  Et  luy  porterez  et  ferez  porter  par  vous  et 
par  les  vostres  parens,  amis,  et  alliez  quelz  quilz  soient, 
ayde,  faueur,  confort  et  garand  enuers  tous  et  contre  tous, 
sans  iamais  venir  au  contraire.  »  Et  ilz  respondirent  tous 
en  commun,  quilz  le  vouloient  ainsi.  Adonques  les  statues 
et  simulacres  des  Dieux  et  Déesses  anciennes  furent  appor- 
tées :  et  entre  les  autres  Hymeneus,  luno,  et  Venus,  qui 
presidoient  aux  mariages.  Si  feirent  tous  lesdits  Princes  le 
serment  en  la  forme  dessus  escrite,  en  mettant  la  main  sur 
les  idoles  :  et  auec  ce,  burent  solennellement  les  vns  auec 
les  autres  :  et  selon  les  cerimonies  ou  plustost  superstition 
de  ce  temps  là,  feirent  priué  sacrifice  aux  Dieux  dessus- 
dits :  par  effusion  de  vin  pur  en  terre  pour  plus  grand 
approbation  desdites  conuenances.  Laquelle  chose  fut  la 
cause  motiue  et  principale  pourquoy  ilz  se  benderent  depuis 
tous  dun  vouloir  contre  les  Troyens  :  comme  ces  choses 
met  Thucydides  Grec  au  commencement  de  son  histoire, 
disant  ces  mots  :  Helenœ  procos  iureiurando  Tyndari 
adactos.  atque  itemm  illud   venit   in  mentem,  viro  r>t 


SWOTLARITEZ  DE   TROTB.    LITRB  H.  8K 

coirent  iureiurando  proci^  atque  inter  ipsos  iungerent 
dextras  rei.  (1) 

Quand  le  Roy  Tyndarus  tresioyeux  eut  mené  tous  les- 
dits  Princes  iusques  là  pour  sa  seureté,  il  adressa  sa  parole 
à  la  belle  Heleine,  et  luy  dit  en  ceste  manière  :  «  0  ma 
fille,  tu  dois  bien  regracier  les  Dieux  qui  te  donnent  le 
chois  de  nobles  Princes,  riches,  puissans  et  beaux,  qui  sont 
icy,  comme  la  fleur  et  leslitte  de  tout  le  monde  :  laq  uelle 
chose  naduint  iamais  à  autre  fille  de  Roy.  Or  puis  que  leur 
triomphale  bénignité  sest  daigné  humilier  iusques  là,  choi- 
sis en  lun  à  ton  plaisir.  Et  veuUent  les  Dieux  souuerains 
que  ce  puist  estre  en  bonne  heure  et  prospère.  »  A  ces  mots 
la  tresgracieuse  damoiselle  rougit  doucement,  par  honneste 
vergongne.  Et  sespandit  (2)  parmy  sa  clere  face,  vne  sembla- 
ble couleur  que  noble  pourpre,  sur  yuoire  blanc.  Dont  elle  se 
monstra  plus  belle  aux  assistans  :  si  sexcusa  de  ce  faire 
par  plusieurs  moyens.  Neantmoins  après  ce  quelle  eut  esté 
beaucoup  oppressée  de  tous  communément,  et  mesmement 
de  sa  mère  la  Royne  Leda,  et  de  Castor  et  Pollux  ses 
frères,  declairer  sans  aucune  crainte  ou  timidité,  celuy 
quelle  eslisoit  diceux  Princes  pour  son  seigneur  et  mary  : 
Elle  songea  vn  petit,  et  ce  pendant  les  ieunes  Princes  qui 
branloient  en  espoir  meslé  de  crainte  estoient  attendans 
par  grande  cupidité,  la  détermination  de  son  courage  : 
ainsi  comme  les  litigans  en  court  souueraine,  après  longues 
procédures,  escoutent  larrest  et  la  sentence  diflBnitiue  de 
leur  iuge. 

Apres  ce  que  la  Déesse  des  femmes,  la  fleur  fleurissante 
en  beauté  féminine,  eut  assez  pensé,  iettant  son  plaisant 


(1)  Dei  (éd.  1516).  Thucyd.  I.  9. 

(2)  sespardit  (mscr.  de  Genève).  Cf.  espartir,  répandre. 


50  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

regard  en  terre,  elle  ouurit  sa  bouche  petite  et  vermeil- 
lette  semblable  aux  nues  rubicundes,  quand  le  Soleil  ses- 
conse  :  et  dune  voix  doucette,  mieux  organisée  que  la  lyre 
d'Amphion,  prononça  les  mots  qui  sensuiuent  :  «  Il  ne  se 
faut  esbahir  si  ie  redoute  et  diffère  le  trescremu  comman- 
dement, duquel  tu  mon  trescher  seigneur  et  père,  et  toy 
madame  ma  mère,  me  imposez  nécessité  présente.  Cest  en 
nommer  lun  de  ces  treshauts  Princes  qui  icy  sont,  pour 
mon  seigneur  et  mary  futur  :  car  maintes  nobles  Prin- 
cesses plus  accomplies  en  beauté  corporelle,  sans  compa- 
raison que  ie  ne  suis,  desireroient  bien  tel  aduenir  pour 
elles  sans  y  estre  contraintes,  attendu  quun  chacun  d'eux 
est  suffisant  assez  pour  obtenir  en  mariage,  mesmes  vne 
haute  Déesse.  Et  dautre  part,  ceste  inionction  passe  les 
limites  de  virginale  simplesse,  et  excède  toute  féminine 
audace.  Toutesuoyes,  congnoissant  que  le  contrester  ne  my 
seruiroit  de  rien,  et  que  ie  ne  me  puis  excuser  de  filiale 
obédience,  et  aussi  que  le  bon  plaisir  de  tous  messeigneurs 
presens  est  tel,  sans  ce  toutesuoyes  que  ie  choisisse  (car  en 
choses  égales  ne  gist  point  de  chois),  attendu  mesmement 
quilz  sont  indifferens  en  beauté,  bonté,  noblesse,  honneur, 
richesse,  valeur,  et  prouesse,  quant  à  moy  :  et  souz  vostre 
bénigne  correction  et  supportation,  ayez  aduis  si  à  vous  et 
à  monseigneur  Menelaus  Roy  de  Lacedemone,  il  plaira  que 
ie  soye  son  humble  espouse,  et  compaigne.  »  Ceste  élection 
faite  ainsi  par  Heleine  de  son  mary  Menelaus  tesmoigne 
Euripides,  disant  ainsi  : 

Gnatse  facit  lus,  vti  procis  ex  omnibui 
Deligeret  vnum  quemlibet  sibi  virum, 
Quocunque  grata  ferret  aura  Cypridis, 
Menelaon  illa  deligit,  etc. 


SIKGVLARITEZ   DE   TROYE,   LITRE   II.  5f 

A  ceste  response,  tant  courtoise  et  tant  gracieuse,  tous 
les  Princes  dune  voix  se  consentirent  :  car  le  Roy  Mene- 
laus  estoit  bien  voulu  de  tous,  et  estoit  beau  Prince,  ayant 
la  perruque  blonde,  tesmoing  Euripides  en  sa  Tragédie 
d'Iphigenia,  qui  dit  : 

Clarum  Agamemaonem  et  flauicomum  Menelaon. 

Peult  estre  aussi,  quelle  le  choisit  plus  voulentiers  pour 
lamour  que  sa  sœur  Clytemnestre  estoit  desia  mariée  au 
Roy  Agamemnon  son  frère.  Et  dautre  part,  ilz  estoient  pres- 
que tous  ensemble,  parens,  voisins,  et  alliez.  Dont  si  au- 
cuns en  furent  marris  pour  leur  interest  particulier,  si  dis- 
simulèrent ilz,  et  postposerent  (1)  leur  dueil  pour  leur  hon- 
neur. Adonc  Agamemnon  Roy  de  Mycenes,  frère  aisné  de 
Menelaus,  les  en  mercia  debonnairement,  et  fut  bien  ioyeux 
de  ce  que  son  alliance  estoit  renforcée.  Si  furent  faites  les 
noces  de  madame  Heleine  et  de  Menelaus  :  presens  iceux 
Princes  en  grand  liesse  et  somptuosité.  La  feste  acheuee, 
chacun  se  retira  en  sa  chacune.  Et  fut  conuoyee  la  nouuelle 
mariée  par  ses  deux  tresnobles  frères  Castor  et  Pollux, 
iusques  en  la  cité  de  Sparte  autrement  dite  Lacedemone. 
Si  luy  bailla  Menelaus  nouuel  estât,  et  principalement  pour 
ses  compaignes  et  damoiselles  dhonneur,  deux  de  ses  paren- 
tes :  dont  lune  estoit  nommée  Clymena,  et  la  seconde  Ethra, 
auecques  vne  femme  de  chambre  assez  aagee  appellee  Gréa 
et  autres  dont  ie  ne  scay  les  noms.  Mais  pour  plus  ample 
congnoissance  de  Ihistoire,  ie  vueil  icy  descrire  en  brief, 
la  généalogie  desdits  frères  Agamemnon  et  Menelaus. 

(l)  c.-à-d.  prëfërèrent  l'honneur.  — proposèrent  {éd.  1516). 


ILLVSTRÀTIONS  DE  GAVLE,   ET 


CHAPITRE  IIII. 

Démonstration  de  la  généalogie  du  Roy  Menelaus.  Et  comment  il  eut 
de  sa  femme  Heleine  vne  fille  nommée  Hermione.  Et  des  auentu- 
res  de  ladite  Hermione.  Et  aussi  de  celles  de  Castor  et  PoUux,  frè- 
res germains  de  ladite  Heleine. 

Le  sovvent  allégué,  messire  lean  Bocace  de  Certal,  Flo- 
rentin, en  son  xii.  Hure  de  la  Généalogie  des  Dieux, 
demonstre  que  Tantalus  Roy  de  la  haute  Phrygie,  et  selon 
Diodorus  Siculus  en  son  cinquième  liure,  aussi  de  Paphla- 
gonie,  fut  fîlz  de  lupiter  troisième  de  ce  nom,  Roy  de  Crète 
quon  dit  maintenant  Candie,  et  dune  Nymphe  appellee 
Plote.  Et  eut  de  Taygeta  sa  femme,  ou  selon  Lactance,  de 
Pénélope,  vn  filz  nommé  Pelops,  qui  eut  vne  espaule 
dyuoire,  selon  les  poètes  :  et  si  en  eut  aussi  vne  fille  appel- 
lee Niobé,  qui  fut  femme  à  Amphion  Roy  de  Thebes  en 
Beotie.  Iceluy  Tantalus  fut  homme  riche  et  puissant,  mais 
trescruel,  iniuste  et  auaricieux.  Et  fut  celuy  qui  rauit  le 
beau  Ganymedes  filz  du  Roy  Tros,  qui  premier  fonda  Troye, 
pour  le  donner  à  lupiter  Roy  de  Crète,  dont  il  eut  grand 
somme  dor.  Et  pour  sa  peruersité  détestable  les  Dieux 
le  condamnèrent  aux  enfers,  où  il  est  perpétuellement 
tourmenté  de  faim  et  de  soif  :  mais  de  son  viuant  mesmes 
il  deuint  poure,  et  fut  'chassé  de  son  royaume  par  Ilus 
Roy  de  Troye,  comme  met  Diodorus.  Ledit  Pelops  son  filz, 
vaillant  homme  et  bon  guerroyeur,  parauenture  pour  la 


8INGVLARITEZ   DE   TROYE.    LIVRE  II.  30 

honte  de  son  père  laissa  le  païs  d'Asie  la  mineur,  quon  dit 
maintenant  Natolie  ou  Turquie,  pour  venir  habiter  en 
Europe,  enuiron  lan  deuant  lincarnation  nostre  Seigneur, 
mille  trois  cens  quatre  vingts  et  six,  selon  laques  de  Ber- 
gome,  en  son  Supplément  des  chroniques,  et  apporta  grand 
trésor.  Si  se  vint  marier  à  la  belle  Hippodamie,  fille  de 
Pritus  Roy  d'Arges,  qui  est  en  Grèce  et  en  la  région 
d'Achaie.  Et  nomma  icelle  contrée  Peloponnesus,  de  son 
nom,  au  temps  présent  on  lappelle  la  Moree,  et  la  possè- 
dent auiourdhuy  les  Turcz,  comme  nous  auons  declairé 
amplement  en  nostre  œuure  intitulée  de  Grèce  et  de  Tur- 
quie. Si  eut  iceluy  Pelops,  de  sa  femme  Hippodamie,  trois 
enfans  masles,  cestasauoir  Atreus,  Thyestes  et  Plisthenes. 
Plisthenes  engendra  en  Europasa  femme,  fille  du  Roy  Atreus 
de  lisle  de  Crète  descendu  de  la  lignée  de  Minos,  comme 
met  Dictys  de  Crète  au  commencement  de  son  premier  liure, 
deux  enfans  masles,  cestasauoir  les  dessusnommez  Agamem- 
non  et  Menelaus,  et  vne  fille  nommée  Anaxibea.  Et  pource 
que  ledit  Plisthenes  mourut  ieune  homme,  il  laissa  iceox 
trois  enfans  pupilles  et  moindres  daage  en  la  garde  et  tutele 
de  son  frère  Atreus,  Roy  de  Lacedemone,  lesquelles  nourrit 
et  esleua  royalement,  comme  sil  eust  esté  leur  propre  père, 
et  maria  ladite  Anaxibea  leur  sœur  à  Nestor  Roy  de  Pylon. 
Puis  par  faute  dautre  hoir  de  son  corps,  adopta  de  «on 
plein  viuant  en  filz  et  héritier  légitime,  sondit  neueu  Mene- 
laus filz  de  son  frère.  Et  luy  bailla  le  tiltre  et  la  saisine 
dudit  Royaume  de  Lacedemone.  Et  Agamemnon  laisné, 
succéda  à  son  oncle  Thyestes  du  Royaume  de  My cènes,  qui 
estoit  fort  riche  et  plantureux.  De  ces  deux  frères  Atreus  et 
Thyestes,  enfans  de  Pelops,  les  poètes  et  historiens  racon- 
tent des  choses  merueilleuses,  inhumaines  etpresques  incre- 
dibles,  desquelles  le  me  déporte,  pource  quelles  ne  font 


40  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

rien  à  la  matière  subiette.  Si  faut  continuer  nostre  propos 
de  Menelaus  et  d'Heleine  et  ses  frères. 

Menelaus  eut  de  sa  femme  Heleine,  peu  de  temps  après 
leur  mariage,  vne  belle  fille,  qui  fut  nommée  Hermione, 
laquelle  creut  en  beauté  presques  semblable  à  sa  mère.  Et 
quand  il  fallut  depuis  que  Menelaus  partist  de  Lacedemone, 
pour  aller  en  la  guerre  de  Troye,  il  laissa  icelle  Hermione 
fort  ieunette,  en  garde  au  Roy  Tyndarus  son  beau  père. 
Lequel  tantost  après  la  fiança  au  Prince  Orestes,  (1)  fîlz  du 
Roy  Agamemnon  et  cousin  germain  de  ladite  Hermione.  Si 
lespousa  depuis  :  mais  elle  luy  fut  rauie  par  Pyrrhus,  filz 
d'Achilles.  Puis  la  recouura,  comme  sera  dit  cy  après. 

Castor  et  PoUux  frères  germains  de  la  belle  Heleine, 
comme  tesmoigne  toute  lantiquité  des  escritures,  furent 
deux  tresnobles  iouuenceaux,  et  tresuaillans  :  et  quirent  les 
hautes  auentures,  en  leur  temps  auec  les  autres  Princes  de 
Grèce,  mesmement  en  la  compaignie  de  lason  et  Hercules,  et 
les  autres  Argonautes,  à  la  conqueste  de  la  toison  dor.  Castor 
fut  bon  cheualier,  et  Pollux  tresbon  combatant,  et  tant  ayme- 
rent  lun  lautre,  quon  ne  treuue  nulle  part  par  escrit,  que 
deux  frères  se  soient  tant  entreaymez,  comme  ceux  qui  neu- 
rent  iamais  ne  noise  ne  dissension  pour  leurs  seigneuries, 
et  qui  iamais  ne  feirent  aucune  chose,  sans  la  communiquer 
lun  à  lautre.  Toutesuoyes  ilz  moururent  deuant  la  guerre 
Troyenne.  Aucuns  disent,  et  mesmement  Dares  de  Phrygie, 
quen  allant  à  la  poursuite  de  leur  sœur  Heleine,  quand 
Paris  leust  rauie,  ilz  se  perdirent  en  mer  par  force  de 
tourmente,  auprès  de  lisle  de  Lesbos,  quon  dit  maintenant 
Methelin.  Et  sur  ce  feingnent  les  poètes,  quilz  furent  trans- 
latez au  ciel,  et  font  lun  des  douze  signes  du  Zodiaque 

(î)  Horrestes  (mscr.  de  Genève). 


SINGYLARITEZ   DE   TROYE.    LIVRE   II.  if 

nommé  Gemini.  Et  du  temps  des  Payens  idolâtres,  il2 
estoient  reclamez  en  mer,  comme  est  auiourdhuy  saint  Nico- 
las. Car  les  fables  disent,  quilz  auoient  obtenu  de  Neptunus 
Dieu  de  la  mer,  toute  puissance  pour  garder  les  gens  de 
péril  et  naufrage,  comme  met  Higinius  en  son  Hure  d'Astro- 
logie poétique.  Mais  Ouide  en  son  liure  des  Fastes,  dit 
autrement  de  la  mort  diceux  frères  :  affermant,  que  Castor 
et  Pollux,  qui  se  vouloient  marier  par  force  et  vaillance, 
comme  cestoit  la  manière  des  cheualiers  du  temps  dadon- 
ques,  rauirent  les  deux  filles  dun  Prince  nommé  Leucippus. 
Dont  lune  auoit  nom  Phebé,  et  lautre  Elaira  :  lesquelles 
iceluy  Leucippus  auoit  desia  colloquees  par  tiltre  de  ma- 
riage à  deux  nobles  damoiseaux,  lun  nommé  Lynceus,  et 
lautre  Ida,  ou  Hydas  selon  Diodorus  Siculus,  frères  ger- 
mains, enfans  d'Aphareus.  Mais  ce  nonobstant,  lesdits 
Castor  et  Pollux,  prindrent  et  emmenèrent  violentement 
lesdites  deux  pucelles  Phebé  et  Elaira,  contre  leur  gré,  et 
au  contredit  de  leurs  parens.  Toutesuoyes  gueres  ne  ioui- 
rent  délies,  ne  gueres  ne  demourerent  impunis  du  cas.  Car 
lesdits  Lynceus  et  Hydas  leurs  espoux  tresualereux  adoles- 
cens  secoururent  vaillamment  leurs  amyes  et  espouses,  et 
liurerent  telle  guerre  ausdits  Castor  et  Pollux,  quilz  les 
tuèrent  finablement  douant  la  cité  de  Sparte,  et  recouure- 
rent leurs  femmes.  Homère  en  son  troisième  liure  de  l'Iliade, 
se  concorde  à  ce,  et  met,  que  lesdits  deux  frères  Castor  et 
Pollux,  furent  ensepulturez  en  ladite  cité  de  Sparte,  autre- 
ment dite  Lacedemone.  Ainsi  appert  la  différence  des  opi- 
nions de  diuers  acteurs. 

Heleine  donques  yssue  de  telle  génération  ainsi  subiette 
à  tant  de  rauissemens,  mesraement  au  temps  auquel  Dieu 
toutpuissant  nestoit  point  craint  entre  les  gens,  ne  la  loy 
de  iustice  publiée,  ne  fut  point  exempte   de  semblables 


42  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,    ET 

fortunes  et  rapines.  La  première  elle  le  souffrit  enuis, 
comme  dessus  est  dit  :  et  la  seconde,  voluntairement  et  de 
son  bon  gré,  comme  sera  dit  cy  après.  Or  estoit  elle  alors 
flourissante  en  ieunesse,  donnant  gloire  à  son  noble  paren- 
tage,  reflamboyante  au  mylieu  de  ses  gens,  et  de  sa  nation, 
comme  la  clere  Lune  au  firmament  :  fluctuante  en  honneur, 
affluante  en  biens,  abondante  en  richesses  :  toute  enuiron- 
nee  de  pompe  et  de  délices  royales,  accomblee  de  tous  les 
souhaits  que  femme  de  prince  sauroit  demander  en  ce 
monde.  Et  qui  plus  est,  resplendissoit  en  renommée  de 
chasteté  louable,  en  Ihostel  de  son  mary  le  Roy  Menelaus, 
allié  de  tous  les  Princes  de  Grèce.  Et  à  brief  dire,  cestoit 
celle  en  qui  pour  lors  tout  le  monde  auoit  lœil  tant  pour  sa 
beauté  nompareille,  comme  pour  lincredible  multipliance 
de  ses  autres  vertus.  Mais  de  tout  ce,  Paris  Alexandre 
suruenant,  la  priua  depuis,  par'  ambition  de  promesse 
Tenerienne.  Auquel  Paris  et  à  ses  compaignons  il  nous 
faut  retourner  nostre  plume. 


SIMGVLARITEZ   DE   TROYB.    LIVRE   II.  M6 


CHAPITRE  V. 

ProsequutioD  du  nauigage  de  Paris ,  Deïphobus  ,  et  leurs  compai- 
gnoDB  :  et  de  la  délibération  par  eux  prinse  sur  le  rauissement 
d'Heleine.  De  leur  premier  aborder  en  lisle  de  Cytheree.  Et  com- 
ment ilz  furent  receuz  en  Lacedemone,  par  le  Roy  Menelaus,  soaz 
tiltre  dambassadeurs.  De  la  proposition  faite  par  Paris,  et  des  dons 
ofiTers  à,  Menelaus. 


Pour  revenir  donques  à  parler  du  beau  Paris  Alexandre, 
dont  nous  auons  fait  assez  grande  disgression,  pour  mani- 
fester le  lignage  de  la  belle  Heleine,  et  de  son  mary  Mene- 
laus, et  ses  gestes  et  fortunes,  auant  son  dernier  rauisse- 
ment, laquelle  chose  estoit  bien  nécessaire  à  lelucidation  de 
nostre  œuure.  Iceluy  Paris  chef  de  larmee  Troyenne,  après 
son  partement  de  Sigee  qui  estoit  le  port  de  Troye,  naui- 
gant  par  la  mer  Hellesponte  print  conseil  auec  son  frère 
Deïphobus,  son  beau  frère  et  cousin  Eneas,  Glaucus,  Poly- 
damas,  et  le  principal  de  ses  capitaines  de  laôaire  quilz 
auoient  à  démener.  Si  trouua  en  conclusion,  que  la  Royne 
Heleine,  femme  de  Menelaus,  Roy  de  Lacedemone,  estoit 
renommée  pour  la  plus  belle  dame  de  toute  Grèce  :  comme 
celle  qui  estoit  fille  du  haut  Dieu  lupiter.  Et  dabondant, 
estoit  la  mieux  alliée  de  toutes,  tant  du  costé  de  ses  frères 
Castor  et  Pollux  et  de  ses  autres  parens,  et  mesmement  de 
la  part  du  parentage  de  son  mary  le  Roy  Menelaus.  Par- 
quoy  il  sensuiuoit  que  si  on  la  pouuoit  auoir  en  saisine, 
madame  Hesionne  leur  t?nte  seroit  facilement  restituée 


44  ILLVSTRATIOWS   DE   GAYLE,    ET 

selon  lintention  du  Roy  Priam.  Si  estoit  mestier  pour  le 
plus  seur,  et  à  moins  de  danger,  de  vser  en  ceste  partie  de 
simulation  et  de  couuerture,  sans  monstrer  signe  de  port 
darmes,  mais  feindre  destre  ambassadeurs,  pour  auoir 
entrée  plus  facile  dedens  le  païs  d'Achaie,  et  au  Royaume 
de  Sparte  ou  Lacedemone,  auquel  ladite  Royne  Heleine  se 
tenoit.  Et  si  dauenture  par  ce  moyen  on  ne  pouuoit  parue- 
nir  à  son  attainte,  lautre  remède  estoit,  dauoir  recours  aux 
armes  :  et  de  la  conquester  par  viue  force,  lenseigne  des- 
ployee,  la  guerre  ouuerte  :  car  ilz  estoient  forts  assez  pour 
ce  faire,  et  tous  bons  gensdarmes,  ieunes  et  délibérez.  A  ce 
conseil,  comme  au  meilleur,  et  mieux  consonant  à  la  vou- 
lenté  désordonnée  de  Paris,  il  sarresta  du  tout  :  imaginant 
que  Venus  la  Déesse  le  luy  auoit  inspiré  pour  la  fourniture 
de  sa  promesse.  Laquelle  Déesse  estoit  sa  guide  et  conduc- 
teresse,  comme  tesmoigne  Ouide  en  lepistre  de  Paris  à 
Heleine,  disant  : 

Hac  duce  Sigeo  dubias  à  littore  feci 

Longa  Phereclea  per  fréta  puppe  vias. 

Si  passèrent  les  galees  Troyennes  en  ce  propos,  par 
deuant  lisle  de  Methelin,  là  où  le  Roy  Forgarite  seigneur 
dicelle,  et  vassal  du  grand  Roy  Priam,  les  salua,  et  leur 
bailla  refreschisseraent  tel  quilz  voulurent.  Et  après  auoir 
laissé  les  destroits  de  la  mer  Hellesponte,  ilz  entrèrent  en 
la  mer  Egée,  quon  dit  maintenant  Larchipel,  enuironnerent 
plusieurs  isles  Cyclades,  laissèrent  Nigrepont  à  dextre,  et 
Candie  à  senestre  :  et  tant  exploitèrent  par  leurs  iournees, 
quilz  veirent  le  grand  promontoire  ou  montaigne  appellee 
la  Malee,  ennemie  des  nauigans  :  laquelle  montaigne  est  en 
Achaie,  quon  dit  maintenant  la  Moree.  Et  sadresserent  vers 


8IN6VLARITEZ   DB  TROTE.    LIVRE   II.  49 

les  ports  (le  lisle  de  Cytheree,  (1)  laquelle  nest  que  à  cinq 
mille  pas  dudit  cap  de  la  Malee,  comme  met  Pline  au  xn. 
chapitre  du  iiii.  liure  de  Ihistoire  Naturelle.  Aucuns  appel- 
lent maintenant  ledit  promontoire  de  la  Malee,  le  cap  saint 
Ange,  ou  lisle  de  saint  Michel,  comme  met  messire  Ber- 
nard de  Briderabach  doyen  de  Magonce,  en  son  voyage  de 
Hierusalem.  Ladite  isle  de  Cytheree,  sappelle  maintenant 
Cytri,  comme  iay  ouy  dire  à  ceux  qui  ont  nauigué  deuant  : 
et  pour  lors  estoit  aux  Lacedemoniens.  Strabo  au  vm. 
liure  de  sa  Géographie,  met  quelle  estoit  iadis  propice  aux 
nauigans,  à  cause  des  bons  ports  qui  y  estoient,  disant 
ainsi  :  Cythera,  commodis  instructa  portubus,  et  einsdem 
nominis  wie.  Maintenant  ny  ha  nulz  bons  ports,  comme 
sera  dit  au  dernier  liure. 

Herodotus  Halicarnasseus  au  vir.  liure  de  son  histoire, 
met  que  ladite  isle  de  Cytheree  est  opposite  directement  à  la 
cité  de  Lacedemone.  Et  pource  souhaitoient  anciennement 
les  sages  Lacedemoniens,  quelle  fust  abymee  en  mer  :  à 
cause  de  ce  quelle  estoit  trop  conuenable  aux  ennemis,  pour 
dommager  ladite  cité  de  Sparte,  ou  Lacedemone.  En  icelle 
isle  y  auoit  pour  lors  deux  villes  :  lune  appellee  Cytheree 
du  nom  de  lisle,  en  laquelle  la  Déesse  Venus  auoit  vn 
temple  de  grand  somptuosité  et  antiquité  :  car  on  dit  que 
Venus  sapparut  premièrement  en  ladite  isle.  Et  lautre  sap- 
pelloitCranaé,  comme  met  Homère.  Maintenant  ny  ha  sinon 
vne  meschante  villette  toute  poure  et  toute  déserte  :  en 
laquelle  messire  Philippes  Conte  de  Rauestain  fut  mal  traité 
après  son  nauffrage  :  comme  on  peult  voir  plus  à  plein  au 
liure  de  Grèce  et  de  Turquie.  (2)  Quand  ceux  desdites  villes 

(1)  Citharee  (mscr.  de  Genève  et  ëd.  1512). 

(2)  «  far  nons  composé  »  (mscr.  de  Genève). 


46  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

deCytheree  et  Cranaé,  veirent  tant  de  voiles  sur  mer 
sadresser  vers  leurs  ports,  ilz  tendirent  leurs  chaines,  et 
fermèrent  lentree  :  et  enuoyerent  chacun  vn  brigantin, 
pour  sauoir  quelz  gens  cestoient.  Lesquelz  retournèrent  en 
brief,  et  rapportèrent  pour  response,  que  cestoient  amis  et 
ambassadeurs  de  Phrygie  et  du  Royaume  de  Troye.  Adonc 
ceux  de  Cytheree  et  de  Cranaé,  qui  depuis  fut  appellee 
Helenium,  ouurirent  leurs  ports  :  et  laissèrent  ancrer  pai- 
siblement les  Troyens  à  leur  malesanté  :  car  ilz  en  furent 
desftruis  depuis,  Toutesuoyes  ilz  ne  les  laissèrent  point 
encore  descendre  en  terre,  iusques  à  ce  que  leur  Roy  qui 
estoit  à  Lacedemone  en  fust  aduerty  :  et  quil  leur  en  man- 
dast  son  bon  plaisir.  Et  à  ceste  cause  Paris  enuoya  promp- 
tement  à  Lacedemone,  qui  nestoit  que  à  cinq  ou  six  miliai- 
res  de  là,  vn  sien  héraut,  en  vn  botequin  (1)  :  et  ceux  de 
Cytheree  et  de  Cranaé,  aussi  chacun  vn  de  leurs  gens. 
Lesquelz  feirent  armer  aussi  chacun  vn  petit  nauire  :  et 
sen  allèrent  en  la  cité  de  Sparte  ou  Lacedemone,  signifier 
au  Roy  Menelaus  la  venue  des  ambassadeurs  de  Troye  : 
laquelle,  comme  ilz  disoient,  nestoit  sinon  que  pour  bien  de 
paix.  Ces  «choses  exposées  au  Roy  Menelaus,  il  fut  tres- 
ioyeux.  Et  combien  quil  y  eust  loy,  statut,  et  ordonnance 
ancienne  en  ladite  cité  de  Sparte  ou  Lacedemone,  de  non  y 
receuoir  aucun  estranger  :  comme  dit  Vbertin  sur  lepistre 
d'Heleine  à  Paris,  et  Philostratus  le  conferme  en  la  vie 
d'Apollonius  Thyaneus  au  vi.  liure,  disant  ces  mots  :  P&re- 
grinos  omnes  ex  wbe  sua  depellehant  Lacedœmonii.  (2) 
Neantmoins  le  Roy  Menelaus  délibéra  de  les  receuoir  pour 


(1)  hoquetin  (éd.  1512).  (En  rouchi,  hot,  botequin  =  petit  bateau.) 

(2)  Cette  ponctuation  bizarre  se  retrouve  dans  toutes  les  anciennes 
éditions. 


8IKGVLARITBZ   DE  TROTB.    LIVRE   II.  47 

ceste  fois  :  dont  il  fut  fol  et  mal  aduisé.  Si  enuoya  vn  bon 
nombre  de  gentilzhommes,  au  deuant  des  Princes  Paris  et 
Deïphobus,  et  leurs  compaignons  pour  les  amener  à  Lace- 
demone.  Lesquelz  venus  ,  Paris  et  Deïphobus  ,  Eneas, 
Glaucus,  et  Polydamas  à  tout  deux  galees  seulement,  et  la 
fleur  de  leurs  gens,  cestadire  les  plus  apparans  et  mieux 
en  point,  sen  allèrent  en  la  cité  de  Sparte,  làissans  les 
patrons,  capitaines  et  gens  asseurez,  en  leurs  nauires. 

Au  port  de  Lacedemone  les  ambassadeurs  dissimulez 
furent  receuz  en  grand  triomphe  et  mélodie  :  et  logez 
magnifiquement  par  fourrier  en  vn  quartier  assez  près  du 
palais  du  Roy.  Si  ne  bougèrent  de  leur  logis  pour  ce  iour  : 
car  il  estoit  assez  tard  quand  Hz  y  arriuerent.  Le  lende- 
main audience  leur  fut  assignée  après  disner.  Si  se  meirent 
en  point,  pour  aller  au  palais  du  Roy  Menelaus.  Chacun 
print  en  sa  main  vn  rameau  doliue  en  signe  de  paix.  Car 
cestoit  la  manière  des  ambassadeurs  du  temps  dadonques. 
Mais  ceux  ne  portoient  point  paix  :  mais  plustost  guerre 
et  trahison  couuerte  et  malicieuse  :  laquelle  leur  retour- 
nera à  perte  et  à  confusion.  Or  ne  sesmerueillent  point 
les  lisans,  si  ie  narre  toutes  ces  choses,  mesmement  le 
rauissement  d'Heleine  dautre  sorte  quilz  ne  lont  en  leurs 
liures  communs  et  vulgaires.  Car  ie  ne  vueil  ensuiure 
sinon  la  pure  vérité  antique,  et  lordre  historial  de  Dictys 
de  Crète,  et  de  plusieurs  autres  acteurs  tressuffisans,  les- 
quelz seront  mes  guides  et  mes  garans  en  ceste  œuure,  sil 
plait  à  Dieu  que  ie  la  puisse  mener  à  chef.  (1) 

Donques  les  cinq  legatz  et  ambassadeurs  feintifs,  sou- 
uent  nommez,  en  pompe  merueilleuse,  selon  la  mode  Phry- 
gienne, tous  reluisans  dor,  de  pourpre  et  de  riche  pier- 

(1)  Ci-itique  naïve. 


49  ILLVSTRATIONS    DE   GAYLE,    ET 

rerie  auec  leur  suite  de  mesme,  iusques  au  nombre  de 
cent  gentilzhommes,  après  auoir  esté  faire  sacrifice  et 
oblation  aux  Dieux  en  lun  des  temples  de  la  cité  :  et  auoir 
disné  de  bonne  heure,  partirent  de  leurs  logis  en  bel  or- 
dre, pour  tirer  vers  le  palais.  Si  furent  par  grand  admi- 
ration regardez  et  honnorez  du  peuple  de  la  cité.  Et  trou- 
uerent  plusieurs  barons  et  gentilzhommes,  qui  leur  ve- 
noient  au  deuant  pour  les  accompaigner.  Là  sentrefeirent 
ilz  honneur  et  feste.  Puis  montèrent  ensemble  au  palais. 
Et  trouuerent  le  Roj  en  vne  grand  salle  richement  tapis- 
sée à  raerueilles,  et  dont  les  sommiers  estoient  enrichiz  de 
fin  or  et  dazur.  Quand  le  Roy  veit  approcher  les  Princes 
Troyens,  il  se  leua,  et  après  les  reuerences  faites  deiie- 
ment,  et  les  saluts  donnez  et  renduz  dun  costé  et  dautre, 
le  Roy  feit  asseoir  les  ieunes  enfans  Royaux  Paris  et 
Deïphobus  à  sa  dextre  :  et  le  Prince  Eneas,  Glaucus,  et 
Poly damas  à  la  senestre.  Les  autres  Princes  de  son  sang 
et  de  son  conseil,  sassirent  es  autres  sièges  plus  bas,  puis 
le  Roy  Menelaus  dit  en  ceste  manière  :  «  Or  ça,  seigneurs, 
puis  quil  ha  pieu  au  Roy  Priam  nostre  bon  frère  vous 
enuoyer  vers  nous,  qui  estes  tous  si  hauts  et  si  nobles  per- 
sonnages de  sa  maison,  nous  espérons  que  ce  nest  pas  pour 
chose  de  petite  importance,  vueillez  la  donques  déclarer 
présentement.  Et  si  nostre  puissance  y  peult  auoir  lieu  ne 
efficace,  certes  nous  ne  nous  feindrons  (1)  point  de  ly  em- 
ployer. »  Lors  Paris  Alexandre  chef  de  la  légation,  se  vou- 
lut leuer  pour  parler  :  mais  le  Roy  ne  souffrit  point  quil  se 
bougeast.  Adonc  tout  assis  il  proposa  sa  harengue  en  ceste 
manière  : 

«  Treshaut  et  tresexcellent  Prince  Roy  Menelaus ,  la 

(1)  c.-à-d.  n'hésiterons  point. 


8INGVLARITEZ  DE  TROTS.    LITRE   II.  40 

renommée  de  ta  vertu  et  merueilleuse  prudence,  ha  incité 
monseigneur  le  Roy  Priam  nostre  père  à  nous  enuoyer 
vers  ta  maiesté  Royale,  à  fin  de  te  remonstrer  aucunes  de 
ses  doléances  :  pour  par  ta  hautesse  et  sapience  y  estre 
pourueu,  de  remède  conuenable,  ainsi  quil  ha  espoir  que 
bien  le  sauras,  pourras,  et  voudras  faire.  Or  est  il  vray 
(Prince  tresillustre)  que  feu  de  céleste  mémoire,  ton  bel 
oncle  Hercules  retournant  du  voyage  de  Colchos,  auecques 
son  neueu  lason,  et  tes  beaux  frères  Castor  et  Pollux,  le 
ne  scay  de  quel  (1)  affection  meu,  fors  pource  quil  luy  pleut 
ainsi  le  faire,  enuahist  hostilement  la  terre  de  Phrygie,  et 
la  cité  d'Ilion,  alors  de  petite  deffense,  et  peu  peuplée,  et 
la  desmolit  et  desempara.  Le  Roy  nostre  père  pour  lors 
estant  absent  de  Troye,  et  menant  guerre  en  la  haute 
Phrygie  :  et  qui  plus  nous  touche  au  cœur,  il  occit  nostre 
ayeul  de  bonne  mémoire  le  Roy  Laomedon,  que  les  Dieux 
absoullent  :  et  non  content  de  ce,  emmena  en  seruage 
madame  Hesionne  nostre  tante  (2)  lors  ieunette  et  pucelle  : 
et  la  bailla  par  autre  tiltre  que  honneste,  à  Telamon  Roy 
des  isles  d'Egine  et  de  Salamis,  lequel  est  ton  parent  et 
cousin.  Car  nous  nignorons  pas  que  Tantalus  Roy  de  la 
haute  Phrygie,  ton  ayeul  paternel,  et  Eacus  père  dadit 
Telamon  furent  frères  germains,  et  enfans  de  lupiter 
troisième  de  ce  nom,  Roy  de  Crète.  Or  la  détient  iceluy 
Telamon  tousiours  depuis,  en  vile  seruitude,  sans  loy  de 
mariage  :  et  dalle  ha  eu  vn  beau  filz,  nommé  Theucer, 
lequel  à  peine  veult  aduouer  pour  son  bastard.  Et  combien 
que  par  nostre  cousin  le  Prince  Antenor ,  lequel  puis 
aagueres  luy  en  ha  porté  paroles,  au  nom  de  monseigneur, 

(i)  ^eUâ  {éd.  1512). 
(9)  antf  (maer.  de  Gâoève), 
II.  A 


60  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,  ET 

il  ayt  esté  requis  de  la  rendre,  neantmoins  il  en  ha  esté 
■non  seulement  refusant,  mais  oultreplus  menassant.  Et 
non  pas  luy  seul  mais  semblablement  son  frère  Peleus  Roy 
de  Thessale,  père  d'Achilles,  et  ses  oncles  Castor  et  Pol- 
lux  tes  beaux  frères,  qui  furent  presens  à  iceluy  rauisse- 
ment  comme  iay  desia  dit.  Et  aussi  son  cousin  le  Roy 
Nestor  de  Pylon,  mary  de  ta  sœur  madame  Anaxibea.  Les- 
quels Princes,  tous  dune  voix  contre  le  droit  coustumier 
de  toutes  gens,  ont  iniurié  monseigneur,  en  la  personne 
de  son  ambassadeur.  Laquelle  chose  comme  tu  peux  pen- 
ser, luy  ha  esté  difficile  à  supporter.  Et  neantmoins  auant 
quil  y  procède  plus  auant,  il  en  ha  bien  voulu  aduertir  les 
autres  Princes,  parens,  et  alliez  dudit  Roy  Telamon,  et 
principalement  ta  maiesté  tresresplendis santé,  et  celle  du 
treshaut  Prince  le  Roy  Agamemnon  de  Mycenes  ton  frère , 
et  derechef    messeigneurs   Castor  et  Pollux   tes    beaux 
frères.  Et  à  ce  ha  esté  plus  enclin,  sachant  que  ton  ayeul 
paternel  le  Roy  Pelops,  qui  partit  vne  fois  de  nostre  pro- 
uince  Phrygienne  et,  dautre  part,  noz  ancestres  sont  des- 
cenduz  de  lupiter  deuxième  de  ce  nom,  Roy  d'Arcadie,  qui 
est  vostre  héritage  patrimonial.  Ainsi  par  réciproque  ori- 
gine, y  pourroit  encores  entre  les  deux  nations  estre  gar- 
dée quelque  scintille  de  primitiue  alliance.  Toutesuoyes,  ce 
ne  luy  ha  point  tant  persuadé  nostre  enuoy,  que  les  re- 
cords des  hauts  dons  de  Dieu  et  de  Nature  :  lesquelz  repo- 
sent et  sont  accumulez  en  ta  personne,  par  grand  prodiga- 
lité :  et  lespoir  quil  ha  en  ton  noble  courage,  lequel  labeure 
incessamment  à  œuures  vertueuses  et  pacifiques.  Lesquelles 
choses   considérées,   trescler  Prince,   et  la  conséquence 
dicelles  bien  pourpensee.  Monseigneur  le  Roy  Priam  nostre 
tresredouté  seigneur  et  père,  te  prie  de  par  nous,  que  attendu 
son  bon  droit  et  sa  iuste  querele,  pour  abolir  toute  hayne 


SIKQVLARITEZ   DE   TROTE.    LITRE    II.  51 

inueteree,  et  pour  le  grand  désir  quil  ha  dentretenir  la 
bien  de  paix,   vnion,  accord  et  bonne  intelligence  future, 
entre  les  Princes  de  Grèce,  parmy  lesquelz  tu  reluis  comme 
le  dyamant  entre  les  perles  :  et  les  Princes  d'Asie,  dont  il 
est  le  chef,  il  te  plaise  vouloir  faire  remonstrance  audit 
Roy  Telamon  ton  beau  cousin,  de  rendre  et  restituer  en 
noz  mains  madame  Hesionne  nostre  tante.  Et  combien 
que  monseigneur  ayt  assez  matière  de  quereler  restitution 
dautres  torsfaits,  réparation  de  villes  depopulees,  et  satis- 
faction de  liniure  qui  plus  luy  touche  au  cœur,  cest  de  la 
mort  de  feu  monseigneur  nostre  ayeul  :  neantmoins  toutes 
ces  choses  postposees,   car  mercy  aux  Dieux,  sa  cité  est 
cent  fois  plus  florissante  que  iamais,  et  son  règne  plus 
riche  et  plus  ample,  et  pour  son  père  perdu,   les  Dieux 
immortelz  luy  ont  redoublé  génération  denfans  en  grand 
nombre  :  parquoy  il  leur  en  laisse  la  vengeance,  et  per- 
siste sans  plus  à  demander  sa  treschere  sœur  germaine, 
madame  Hesionne  nostre   tante.    Laquelle  ha  esté  long 
temps  détenue  serue  en  autruy  territoire,  contre  Ihonneur 
de  Royale  noblesse,  et  dont  il  luy  poise  trop.  Et  au  cas 
que  ton  cousin  le  Roy  Telamon  continue  en  son  obstination 
coustumiere,  en  nous  escondissant  de  nostre  demande  tant 
iuste,  tant  raisonnable,  et  tant  humaine  quil  est  impossible 
à  gens,  silz  ne  sont  trop  barbares,  estranges  ou  inhumains, 
dy  vser  de  refuz  ou  tergiuersation,  il  tenhorte  et  te  prie, 
le  cas  aduenant,  que  tu  vueilles  prendre  la  chose  en  main, 
comme  ton  affaire  propre,  et  en  aduertir  les  autres  Prin- 
ces tes  parens,  amis,   alliez,  et  confederez.  Et  faire  en 
manière  que  ce  à  quoy  ledit  Roy  Telamon  ne  pourra  estre 
induit  par  remonstrance  de  raison,  il  y  soit  iustement  con- 
traint par  le  commun  décret  dentre  vous.  Autrement  mon- 
seigneur veult  quil  se  tienne  pour  aduerty  quil  sera  desor- 


«8  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    KT 

mais  contraint  et  forcé  de  poursuiure  sa  querele  droitu- 
riere  par  armes.  Attendu  que  mondit  seigneur  sest  mis 
et  met  tousiours  en  ses  deuoirs  plus  que  raisonnables  en- 
uers  luy.  Et  à  fin  que  tu  congnoisses  de  quel  zèle  monsei- 
gneur quiert  et  désire  ton  amitié  et  bonne  alliance,  il  ten- 
uoye  ces  dons  bien  asseans  (1)  à  ta  hautesse,  priant  que  les 
prennes  en  gré,  correspondant  à  son  vouloir.  »  Et  en  ce 
disant,  trois  gentilzhommes  sauancerent  et  descouurirent 
les  riches  loyaux  quilz  portoient  :  cestasauoir  vne  grand 
couppe  pesant  dix  marcz  dor,  toute  esmaillee  et  bordée  de 
sapphirs  et  de  perles  de  prys  et  par  dessus  vn  dyamant  in- 
estimable, de  laquelle  couppe  le  Roy  Laomedon  vsoit  en  son 
viuant,  aux  sacrifices  des  Dieux.  Et  vn  riche  manteau  tout 
dor  traict,  (2)  brodé  de  riche  ouurage,  et  semé  de  diuerses 
pierres  précieuses,  tissu  de  la  main  de  la  Royne  Hecuba, 
auecques  vn  sceptre  Royal,  de  grand  estime  et  value. 

(1)  affeaulx  (éd.  1516). 

(2)  aurum  tractitiun^  Uxtile  (Docange). 


SntGVLARlTEZ  DB   TROYB.   UVBB   II.  55 


CHAPITRE  VI. 

Du  premier  regard  qae  la  Royne  Heleine  ietta  sur  le  beau  Paria 
Alexandre.  Et  de  la  gracieuse  response  que  le  Roy  Menelaus  feit 
aux  ambassadeurs  feintifz.  Des  dons  que  Paris  donna  à  Heleine  : 
et  de  la  bonne  chère  que  fut  faite  à  luy  et  à  ses  compaignons.  Et 
auasi  narration  légère  des  premières  accointances  et  semblani 
couuers  de  Paris  à  Heleine  :  et  comme  Menelaus  à  son  départe- 
ment, pour  aller  en  Crète,  recommanda  ses  choses  à  sa  femme 
Heleine. 


Pendant  que  le  tresbeau  Prince  Paris  Alexandre  faisoit  sa 
harengue  et  oraison,  et  que  sa  douce  éloquence  et  voix  har- 
monique raisonnoit  (1)  parmy  le  palais,  la  fleur  des  dames 
la  Roy  ne  Heleine,  ainsi  que  femmes  sont  curieuses  de  voir 
et  ouyr  choses  nouuelles,  lescoustoit  secrètement  par  vn 
treilliz,  qui  se  iettoit  sur  la  salle,  et  le  regardoit  ententi- 
uement,  sans  estre  apperceiie.  Si  sesmerueilla  de  sa  faconde 
et  beauté  nompareille,  de  son  riche  accoastrement,  et  de 
son  port  hautain.  Et  comme  toute  estonnee,  dit  à  ses  filles 
dhonneur,  Ethra  et  Clymena  parentes  de  Menelaus.  o  Dieux 
immortelz,  quelz  gens  sont  ces  Troyens  !  ie  ne  croy  point 
que  ce  soient  hommes  terrestres,  mais  plustost  de  la 
semence  des  cieux.  »  Ainsi  disoit  Heleine.  Et  desalors  con- 
ceut  elle  vne  scintille  de  lardant  feu  damours  :  quelle 
enfanta  depuis  au  grand  destruisement  délie  et  de  tout  son 

(1)  resonnoit  (éd.  1528). 


54  ILLVSTRÀTIONS  DE   GÂVLE,   ET 

lignage.  Mais  retournons  à  nostre  propos.  Quand  donques 
le  Roy  Menelaus  eut  receu  les  presens  de  messeigneurs  les 
Troyens,  et  iceux  loué  hautement,  auecques  grans  mercie- 
mens  il  parla  en  ceste  manière  : 

«  Tresclers  et  tresnobles  barons  de  Phrygie,  ces  riches 
dons,  qui  représentent  la  grand  magnificence  de  nostre 
beau  frère  le  Roy  Priam,  combien  quilz  soient  destimation 
infinie,  neantmoins  ilz  ne  nous  sont  point  tant  agréables 
pour  leur  grandeur  :  quilz  sont  pour  lamour  du  lieu  dont 
ilz  sont  venuz.  Et  en  tant  quil  touche  la  matière  princi- 
pale dont  tu  nostre  beau  cousin  Paris  Alexandre,  as  pré- 
sentement fait  mention,  nous  nous  sommes  aucunesfois 
trouuez  entre  plusieurs  de  nostre  parentage,  plus  aagez  de 
nous,  entre  lesquelz  ceste  matière  se  debatoit  amplement  : 
car  les  aucuns  auoient  esté  presens  à  tout  laffaire.  Si 
disoient  que  nostre  cousin  le  Roy  Telamon,  de  lisle  de  Sala- 
mis, par  droit  darmes  obtint  iadis  madame  Hesionne,  quand 
Troye  fut  depopulee  par  le  Prince  Hercules.  Parquoy,  sei- 
gneurs de  Phrygie,  nous  nous  esbahissons  dun  poinct  que 
nostre  beau  cousin  le  Prince  Paris  ha  touché  :  disant  que 
le  Roy  Priam  estoit  absent  de  Troye  au  temps  dicelle  des- 
molition,  là  où  nous  sommes  informez  certainement  du 
contraire.  Et  quil  soit  ainsi  :  tenez  pour  chose  certaine 
que  nostre  oncle  Hercules  retournant  de  lemprise  de  Col- 
chos,  rapassa  pardeuant  Troye  :  et  enuoya  certains  ambas- 
sadeurs au  Roy  Laomedon,  lors  régnant,  pour  et  à  fin  que 
ledit  Roy  tinst  sa  promesse  à  Hercules,  de  sa  fille  Hesionne, 
laquelle  en  allant  à  ladite  conqueste  de  Colchos  il  luy  auoit 
promise  en  mariage,  à  cause  de  ce  quil  lauoit  deliuree  de 
la  monstrueuse  balaine  qui  la  deuoit  engloutir  ,  sans 
remède.  Ensemble  les  six  coursiers  de  prys,  qui  pour  sem- 
blable raison  luy  appartenoient.  De  laquelle  chose,  comme 


8IMGTLARITEZ  DE   TROT£.    LITRE  U.  Pi 

le  Roy  Laomedon  fust  refusant,  contre  sa  promesse,  et  en 
violant  le  droit  commun,  detinst  en  prison,  et  deliberast 
faire  mourir  iceux  ambassadeurs,  par  le  consentement  de 
tous  ses  enfans,  excepté  de  Priam.  Iceluy  vostre  bon  et 
iuste  Prince  Priam,  pour  lors  estant  ieune,  osa  bien  publi- 
quement contredire  à  tel  maléfice  :  et  soustint  efibrcément 
quon  deuoit  tenir  foy  et  promesse  aux  estrangers,  et  bailler 
sa  sœur  Hesionne  en  mariage  au  preux  Hercules,  selon  son 
mérite,  auecques  les  nobles  cheuaux.  Et  combien  que  le 
salubre  conseil  de  Priam  ne  peust  obtenir  audience,  neant- 
moins  il  feit  sauner  secrètement  les  personnages  de  lam- 
bassade,  et  les  renuoya  à  leur  maistre.  Et  lors  Hercules 
ayant  iuste  indignation  contre  Laomedon,  print  Troye  das- 
saut.  Si  cheut  Laomedon  en  la  meslee  mortifère,  et  paya 
le  tribut  de  son  periurement.  Son  filz  Tithonus  senfuyt  es 
Indes.  Mais  le  Prince  Priam  fut  reserué  en  vie,  et  luy  fut 
le  Royaume  de  Phrygie  laissé  paisiblement  au  regard  à  (1) 
la  preudhommie  dont  il  auoit  vsé.  Et  nostre  oncle  Hercules 
pour  rémunérer  la  vertu  de  nostre  cousin  le  Roy  Telamon, 
qui  premier  monta  sur  les  créneaux  de  Troye,  luy  resigna 
son  droit  de  la  pucelle  Hesionne,  et  la  luy  donna  en  pur 
don.  Ainsi  se  porta  la  besogne.  Seigneurs  de  Phrygie, 
quelque  chose  quon  die  à  lopposite.  Mais  si  ainsi  est  que 
vous  vous  douliez  de  ce  que  Telamon  ne  maintienne  vostre 
tante  Hesionne  en  estât  de  Roy  ne,  et  selon  la  dignité  du 
lieu  dont  elle  est  yssue,  certes  en  ce  peult  il  bien  estre  dit 
auoir  mespris  grandement.  Car  tous  Princes  doiuent  hon- 
norer  le  sang  Royal,  combien  quil  ayt  esté  conquis  en  que- 
rele  bellique.  Si  vous  promettons  en  foy  de  Roy,  que  nous 
et  les  nostres  mettrons  toute  diligence  possible  à  le  faire 

(1)  au  regard  de  (éd.  1516). 


5^  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLB,    ET 

renger  à  raison,  combien  quil  soit  vn  peu  dur  et  diflScile. 
Tellement  que  nostre  bon  frère  le  Roy  Priam,  et  vous  tous 
Seigneurs,  congnoitrez  que  nauons  pas  oublié  que  noz  an- 
cestres  ont  prins  origine  en  vostre  territoire  de  Phrygie. 
Si  sommes  bien  aises  de  ce  que  vostre  venue  nha  point  esté 
plus  tardiue,  pource  que  point  ne  nous  eussiez  trouué  en 
Lacedemone  :  car  monseigneur  nostre  frère  Agamemnon, 
Roy  de  Mycenes,  et  nostre  sœur  madame  Anaxibea  femme 
du  Roy  Nestor  de  Pylon,  nous  deuons  en  brief  rendre  en 
lisle  de  Crète,  pour  départir  la  succession,  trésors  et 
richesses  quant  aux  meubles  délaissez  par  nostre  ayeul 
maternel  le  Roy  Atreus  de  Crète  :  auecques  noz  beaux 
cousins  les  neueux  du  feu  Roy  Minos.  Cestasauoir  Idome- 
neus  et  Merion  qui  sont  entre  eux  cousins  germains,  et 
enfans  de  Deucalion  et  Molus  qui  fut  de  Minos,  qui  fut 
de  lupiter.  Et  nostre  beau  cousin  Palamedes  (1)  de  lisle 
d'Euboce,  (2)  filz  du  Roy  Nauplius  et  de  la  Royne  Clymena. 
Lequel  Nauplius  comme  sauez,  est  filz  de  nostre  grand 
oncle,  le  Dieu  Neptune,  ensemble  autres  plusieurs.  Mais 
tout  ce  ne  vient  que  bien  à  poinct,  pour  vostre  matière. 
Car  pendant  que  vous  vous  refreschirez  céans,  pour  vous 
desennuyer  de  vostre  long  nauigage,  nostre  frère  le  Roy 
Agamemnon  et  nous,  mettrons  la  chose  en  termes  enuers 
plusieurs  autres  noz  parens  ,  si  comme  Vlysses  filz  de 
Laërtes  Roy  d'Itaque,  et  Tlepolemus  Roy  de  Rhodes,  et 
généralement  tous  ceux  de  nostre  parentage,  dont  nous 
nous  saurons  aduiser.  Et  aussi  endemen tiers  noz  beaux 
frères  Castor  et  PoUux,  qui  pour  le  présent  ne  sont  point 
en  ceste  contrée,  ains  ont  mené  nostre  fille  Hermione,  vers 

(1)  Palamides  (éd.  1516). 

(2)  Euboie  (éd.  1528). 


8IN6VLARITEZ   DE   TROTE.    LITRE  II.  i|| 

sa  tante  la  Royne  Clytemnestre,  nostre  belle  sœur,  à  la 
grand  feste  et  solennité  de  la  Déesse  luno,  qui  se  fait  à  pré- 
sent en  la  cité  d'Arges,  (1)  seront  reuenuz  de  leur  voyage. 
Et  à  nostre  retour  espérons  vous  en  rapporter  quelques 
bonnes  nouuelles.  Si  vous  prions  ne  vous  soucier  que  de 
faire  bonne  chère.  Et  sur  ce  poinct  allons  voir  les  dames.  » 
A  ces  paroles  le  Roy  Menelaus  se  leua  de  son  siège 
Royal,  prenant  le.  Prince  Paris,  et  son  frère  Deïphobus 
par  les  mains,  et  les  autres  les  suiuirent.  Si  entrèrent  en 
vne  autre  belle  salle,  ou  ilz  trouuerent  la  fleur  et  loutre- 
passe  de  beauté  mondaine  la  Royne  Heleine,  auecques  plu- 
sieurs dames  et  damoiselles  tresrichement  parées.  Alors  dit 
le  Roy  Menelaus  à  sa  femme  :  «  Mamie,  voicy  noz  beaux 
cousins  le  Prince  Paris  Alexandre,  et  son  frère  Deïphobus 
filz  du  Roy  Priam  de  Troye,  lesquelz  nous  sont  venuz  voir, 
le  te  prie  festoyé  les  auec  leurs  compaignons  et  parens, 
messieurs  Eneas,  Glaucus,  et  Polydamas.  »  A  ces  mots  le 
tresbeau  Prince  Paris  sauança  pour  faire  la  reuerence  à  la 
Royne,  et  elle  le  baisa,  dont  il  se  tint  plus  content  que  si 
cent  marcz  dor  luy  eussent  esté  présentez.  Et  puis  conse- 
quemment  baisa  Deïphobus  et  festoya  trescourtoisement  les 
autres  trois,  et  leur  dit  quilz  fussent  les  tresbien  venuz.  Pa- 
ris pour  son  honneur  alla  controuuer  (2)  mille  recommanda- 
tions et  saluts  des  Princesses  et  dames  de  Troye,  lesquelles 
onques  ny  auoient  pensé  :  car  point  nauoient  sceu,  quil 
deust  venir  celle  part.  Puis  appella  lun  de  ses  escuyers,  et 
luy  dit  quil  apportast  ce  quil  sauoit.  Cestoit  vne  robe  de 
pourpre,  toute  estofFee  à  or  et  riche  pierrerie,  laquelle  il 
donna  à  Heleine,  comme  escrit  vn  acteur  nommé  Martia- 

(1)  iporxT  A rffos. 

(2)  c.à-d.  inventa,  poar  s*en  faire  honneur. 


58  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,   ET 

nus  (1)  :  et  vn  précieux  camail  pour  sa  fille  Hermione.  La 
Royne  Heleine  receut  les  dons  merueilleusement  en  gré  : 
Car  ilz  estoient  beaux  et  magnifiques,  et  en  remercia  Paris 
hautement.  Puis  après  se  tira  sur  la  fenestre  dun  plaisant 
verger,  et  entretint  long  temps  Paris  et  Deïphobus  en  deui- 
ses.  Ce  pendant  que  le  Roy  deuisoit  auec  Eneas,  Ethra  et 
Clymena,  deux  nobles  damoiselles  parentes  du  Roy  Mené- 
laus,  entretenoient  dautre  part  messire  .Glaucus  et  messire 
Polydamas.  Et  les  autres  dames,  damoiselles  et  gentilz- 
hommes  de  Ihostel  du  Roy  Menelaus,  dautre  part  tenoient  en 
plaisantes  paroles  les  autres  gentilzhommes  deTroye.  Quand 
le  souper  fut  prest  (2)  on  laua,  le  Roy  Menelaus  print  (3) 
le  Prince  Paris,  et  son  frère  Deïphobus,  et  se  meit  à  table 
au  mylieu  d'eux  deux.  La  Royne  Heleine  sassit  après,  et 
Eneas,  Glaucus,  et  Polydamas  ensuiuant.  Les  seigneurs  et 
gentilzhommes  de  leans  retindrent  la  plus  part  des  gentilz- 
hommes Troyens  qui  voulurent  demourer.  Les  autres  sen 
allèrent  souper  en  leurs  logis.  Apres  souper  que  plusieurs 
dances  et  esbatemens  furents  faits,  le  Prince  Paris  et  Deï- 
phobus, et  ses  compaignons  prindrent  congé  du  Roy  et  de 
la  Royne,  et  puis  se  retirèrent  en  leurs  logis.  Et  autres 
iours  ensuiuans  à  la  requeste  et  commandement  du  Roy, 
iceux  ambassadeurs  feintifz  et  par  exprès  (4)  Paris,  Deïpho- 
bus, et  Eneas,  continuèrent  souuent  daller  boire  et  menger 
en  la  table  du  Roy  et  de  la  Royne.  De  laquelle  chose,  entre 


(1)  Martianus  Capella. 

(2)  gtiand  il  fut  prest,  c.-à-d.  quand  ce  fut  prêt  (msci'.  de  Genève 
et  éd.  1516  et  1528). 

(3)  priant  {éd.  1516  et  1528). 

(4)  par  exprès  pour  exprès,  est  un  archaïsme   encore  populaire. 
V.  Littré. 


SIIfCTLARITEZ  DE   TROTE.    LIYBE  II.  9 

les  autres,  Paris  estoit  le  plus  content  :  car  assez  luy  plai- 
soit  le  ieu. 

le  me  tais  icy  tout  à  essient  dexposer  comment  le  ieune 
Prince  Paris  fut  atteint  dune  amour  ardant  et  incredible, 
des  quil  eut  veu  la  Royne  Heleine,  pour  si  tressinguliero 
et  oultrepassant  beauté.  le  me  déporte  de  dire  comment  le 
désir  nouuelet,  de  là  Royne  de  Lacederaone,  extirpa  faci- 
lement du  léger  et  volage  cœur  de  Paris  la  loyalle  amour 
pieça  enracinée,  de  sa  femme  légitime  la  Nymphe  Pegasis 
Oenone.  le  passe  souz  silence,  que  le  Roy  Menelaus  com- 
mença à  desplaire  à  sa  femme  la  Royne  Heleine,  et  luy 
deuint  laid  et  malgracieux  pour  la  suruenue  dun  ieune 
adultère  estranger.  Car  tout  cecy  les  enfans  mesmes  le 
sauent  raconter.  le  laisse  aussi  descrire  comment  eux  deux 
sentreacointerent  par  plusieurs  semblans  amoureux  :  par 
doux  attraits  et  fins  regards,  tirez  du  coing  de  lœil,  et  plu- 
sieurs autres  moyens,  signes,  mines,  marchemens  de  pied, 
chants,  regrets,  souspirs,  deuises  et  racontemens  de  fables, 
dont  Paris  vsa  couuertement  mesmes  en  la  présence  de 
Menelaus  :  Car  toutes  ces  choses  sont  bien  à  plein  et  bien 
élégamment  couchées  es  autres  œuures  escrites  en  François  : 
et  mesmement  es  epistres  d'Ouide,  nouuellement  translatées 
et  mises  en  impression.  (1)  Et  aussi  pour  vue  autre  raison, 
cest  à  cause  de  brieueté  :  et  à  fin  que  ie  continue  à  déduire 
mon  intention  principale.  Laquelle  est  de  mettre  en  auant, 
ce  que  les  autres  ont  obmis,  et  de  rassembler  tout  en  vn 
corps,  le  plus  curieusement  et  véritablement  que  ie  pour- 
ray,  ce  que  les  anciens  acteurs  autentiques  ont  couché  des 
gestes  de  Paris,  Heleine,  et  Oenone,  en  escrits  diuers,  et 

,Yul  oh 
(1)  par  Octaviea  de  Saint-Gelaia,  évéque  d'Ângoalème.  PaUgrat», 

quand  il  cite  ces  vera,  dit  the  fytshoppe... 


60  ILLVSTRÀTIONS  DE  GAVLS,  ET 

menues  particularitez,  pour  en  forger  vne  histoire  totale. 
Laquelle  chose  nha  esté  encores  attentée  de  nul  autre,  que 
ie  sache,  ny  en  François  ny  en  Latin. 

Le  Roy  Menelaus  donques  en  festoyant  les  ambassadeurs 
Troyens,  faisoit  neantmoins  son  aprest  pour  partir  et  sen 
aller  en  Crète.  Car  le  iour  approchoit  quil  sy  deuoit  trou- 
uer,  auec  le  Roy  Agamemnon  son  frère,  et  ses  autres 
parens,  pour  distribuer  les  trésors  délaissez  par  feu  son 
oncle  maternel  Atreus,  comme  dessus  est  dit.  Quand  tout 
son  cas  fut  dressé  pour  partir,  il  feit  faire  vn  grand  et  somp- 
tueux banquet  et  conuiue  :  et  y  feit  semondre  générale- 
ment tous  ceux  de  lambassade  de  Troye,  estans  en  la  cité 
de  Lacedemone.  Et  après  les  auoir  festoyez  et  fait  la  meil- 
leure chère  du  monde,  il  dit  à  la  Royne  Heleine  sa  femme  : 
«  Mamie,  ie  men  vois  en  lisle  de  Crète,  souz  la  conduite  des 
Dieux,  car  il  est  impossible  que  ie  diffère  plus  :  mais  cest 
pour  retourner  bien  brief.  Si  te  prie  quen  mon  absence  tu 
fasses  aussi  bonne  chère  à  noz  beaux  cousins  de  Troye  que 
voicy,  et  aussi  priuément,  que  si  tousiours  y  estoye  en  per- 
sonne :  car  ainsi  me  plaist  il  estre  fait.  le  les  te  laisse 
pour  hostes,  et  les  te  recommande.  »  A  ces  mots  peu  sen 
faillit  que  la  Royne  Heleine,  ne  se  print  bien  fort  à  rire  : 
voyant  la  totale  bonté  de  son  mary  et  la  grand  fiance 
quil  auoit  en  elle  :  toutesuoyes  elle  se  contint  sagement,  et 
dit  :  «  Monseigneur,  si  ferây  ie,  puis  que  tu  le  commandes.  » 
Sur  ce  poinct  le  Roy  Menelaus  vint  et  la  baisa,  en  la 
recommandant  à  la  garde  des  Dieux.  Et  de  ce  pas  cy, 
pource  que  le  vent  estoit  bon,  se  tira  vers  le  port.  Les 
Princes,  Paris,  Deïphobus  et  ses  compaignons,  lallerent 
accompaigner  iusques  là.  Et  quand  il  se  fut  embarqué, 
et  eut  prins  congé  d'eux  iusques  au  reuoir,  et  eux  de  luy, 
Paris,  Deïphobus,  et  les  autres  sen  retournèrent  en  le^irs 


SINGVLARITEZ  DE  TEOTK.   UVRE  II.  M 

logis.  Sur  ce  passage  icy  ie  nignore  point  la  contrariété  de 
noz  acteurs.  Car  Dictys  et  Ouide  mettent  ce  que  dessus  est 
narré  :  cestasauoir  que  Menelaus  alla  en  Crète.  Et  Dares 
de  Phrygie  dit,  quil  alla  au  Royaume  de  Pylon  vers  son 
beau  frère  Nestor.  Et  ne  met  point,  que  ledit  Menelaus 
receust  Paris  en  son  hostel  :  mais  sentrerencontrerent  sur 
mer,  sans  se  congnoitre,  et  sans  parler  les  vns  aux  autres. 
Mais  comme  iay  desia  dit  autresfois,  ie  vueil  principalement 
ensuiuir  lopinion  de  Dictys  de  Crète  :  car  elle  est  plus 
vray  semblable. 


ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,   ET 


CHAPITRE  VII. 

Recitation  da  conseil  prins  par  Paris  Alexandre,  aaec  son  frère  Deî- 
phobus  et  ses  compaignons,  et  le  capitaine  de  ses  nauires,  touchant 
la  conduite  du  rauissement  de  la  Royne  Heleine.  Et  les  preparati- 
ues  sur  ce.  Et  comment  il  trouua  manière  de  gaigner  deux  de  ses 
damoiselles  :  lesquelles  portèrent  secrètement  lettres  missiues  dun 
costé  et  dautre.  Âaec  narration  brieue  et  sommaire  du  contenu  des- 
dites lettres. 


Paris  donqves  retourné  en  son  logis,  tout  pensif  et  ima- 
ginant, enuoya  incontinent  quérir  le  principal  capitaine  des 
gens  de  guerre  de  ses  nauires.  Lequel  arriué,  il  appella 
Deïphobus  son  frère,  et  son  beau  frère  Eneas  :  ensemble 
ses  cousins  Glaucus  et  Poly damas  en  secret  conseil.  Et 
quand  eux  six  furent  enclos  en  vne  chambre,  Paris  parla 
en  ceste  manière  :  a  Mon  trescher  frère,  et  tous  messieurs 
noz  parens  et  amis,  ie  croy  que  les  Dieux  par  vne  singu- 
lière solicitude  veullent  adresser  noz  besongnes  mieux 
que  à  souhait.  Et  mesmement  la  Déesse  Venus,  laquelle  sur 
toutes  les  autres  nous  guide,  et  en  est  la  plus  curieuse, 
pour  acquiter  sa  promesse  enuers  moy.  Quelle  opportunité 
voudriez  vous  plus  grande  que  ceste  cy  ?  ne  quel  meilleur 
loisir  ?  La  plus  belle  dame  non  seulement  de  Grèce,  mais 
de  tout  le  monde,  est  entre  noz  mains.  Et  qui  plus  est,  ie 
cuide  desia  auoir  donné  si  bon  fondement  à  mon  cas,  quelle 
ha  quelque  goust  de  désir  amoureux.  Du  surplus  laissez 
men  conuenir  :  car  si  ie  ne  suis  grandement  deceu,  iespere 


SIN6VLARITEZ   DE  TROTB.    LIVBB  II.  65 

quelle  mesmes  sera  contente  de  son  plein  gré,  se  venir  ren- 
dre souz  nostre  estandart.  Laquelle  chose  donnera  grand 
couleur  à  nostre  exploit,  et  moindre  difficulté  à  nostre 
emprise.  Ne  valons  nous  pas  bien  Theseus  d'Athènes, 
lequel  comme  vous  auez  sceu,  rauit  ceste  mesme  dame  à 
viue  force  en  son  enfance  :  et  la  mena  en  sa  terre,  tms 
contredit  ?  Et  puis  il  nen  fut  autre  chose.  Et  toutesuoyes 
il  ny  auoit  nulle  vieille  querele,  ne  hayne  précédente,  entre 
leurs  parentages,  pourquoy  il  deust  ce  faire,  sinon  son  sin- 
gulier plaisir  :  là  où  nous  auons  iuste  occasion  de  domina- 
ger  ces  Grecz  icy,  pour  les  oultrages  passez,  et  pour  venir 
aux  fins  de  recouurer  madame  Hesionne  nostre  tante  : 
selon  la  charge  à  nous  commise.  Et  après  que  cecy  sera 
fait,  qui  sera  le  Prince  si  osé  ne  si  hardi,  qui  vienne  atten- 
ter contre  la  puissance  du  Roy  nostre  père  et  des  siens  ? 
Dabondant,  vous  voyez  pour  nostre  opportunité,  que  le 
bon  Roy  mary  de  la  belle,  comme  sil  voulsist  faire  lieu  à 
noz  désirs,  et  de  peur  de  nous  destourber  sest  absenté  de 
la  cité  :  et  qui  plus  est,  à  son  partement  nous  ha  recom- 
mandé bien  expressément  à  la  dame.  Or  me  semble  il,  quil 
nest  pas  saison  de  dormir  à  ceste  heure.  Quen  dites  vous, 
messieurs  ?  le  vous  prie  queien  sache  voz  bonnes  opinions.  » 
Alors  ainsi  quilz  faisoient  honneur  les  vus  aux  autres  pour 
parler  le  premier,  Eneas  par  le  commandement  de  Paris  et 
Deïphobus,  comme  le  plus  aisné  de  tous,  opina.  Et  dit  en 
ceste  manière  :  «  Monseigneur  mon  frère,  le  loisir  est  si 
beau,  et  le  temps  si  à  gré»  quil  nest  possible  de  mieux  dési- 
rer, ie  le  concède.  Si  ne  reste  fors  de  voir  si  ce  seroit  bien 
fait  de  mettre  à  fin  lemprise  ainsi  que  lauions  proposée  : 
car  il  pourroit  sembler  que  ce  fust  œuure  trop  estrange,  et 
trop  barbare,  et  contre  tous  les  droits  diuins  et  humains  : 
mesmement  contre  le  droit  dhospitalité,  duquel  lupiter  est 


64  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

deffenseur  :  et  dauôir  prins  tiltre  dambassadeurs,  lequel 
tiltre  comme  il  est  saint  et  inuiolable,  aussi  ne  doit  il  estre 
violateur  :  et  souz  ceste  couleur  estre  bien  traitez,  et  auoir 
eu  response  gracieuse,  et  neantmoins  mouuoir  guerre  furtiue, 
sans  deflSance  (1)  preallable.  Car  combien  quon  ayt  iuste 
querele  et  droituriere  cause  dindignation  contre  son  enne- 
my,  si  doit  on  auoir  regard  particulier  à  son  honneur,  et  à 
sa  conscience  propre.  Car  qui  le  fait  autrement,  le  dommage 
et  vitupère  propre  qui  sen  ensuit,  infalliblement  redonde 
par  redoublée  mesure  sur  celuy  qui  le  fait.  Et  en  tant  quil 
touche  le  rauissement  de  madame  Heleine  autresfois  fait 
par  Theseus  Roy  d'Athènes,  il  faut  entendre  que  loutrage 
nestoit  point  lors  réputé  si  grand  de  la  rauir  pucelle,  pour 
la  prendre  après  en  mariage,  que  maintenant  quand  elle  est 
mariée,  pour  la  honnir  et  vergogner.  Et  aussi  le  danger  et 
lesclandre  ny  sont  point  si  apparens  alors  pour  Theseus, 
comme  ilz  seroient  ores  pour  nous.  Car  il  sauoit  bien,  quil 
nauoit  à  faire  sinon  au  bon  homme  Tyndarus,  trop  plus 
foible  et  moins  puissant  que  luy.  Et  ce  nonobstant  Heleine 
fat  depuis  recouuree  par  armes.  Or  voyez  vous  bien  que 
Menelaus  est  Prince  de  bien  autre  estoffe,  et  mieux  empa- 
renté.  Et  dautre  part,  vous  nignorez  point  que  Castor  et 
PoUux,  frères  d'Heleine,  sont  Barons  de  haute  prouesse,  et 
de  grand  emprise,  sans  les  autres  de  leur  alliance.  Toutes- 
uoyes,  pource  que  ces  Grecz  icy  sont  de  tous  temps  noz 
anciens  ennemis,  et  que  Menelaus  est  parent  et  allié  de 
Telamon  qui  détient  madame  Hesionne  :  et  encores  pource 
que  Pelops  iadis  ayeul  diceluy  Menelaus,  fat  tousiours  en 
son  temps  ennemy  de  feu  de  noble  mémoire  le  Roy  Ilion, 
nostre  ancestre,  ie  ne  scay  quen  dire,  sinon  que  tu  en  vses 

(1)  c.-à-d.  défi.  Cf.  l'anglaia  deJUnce. 


SmCYLABITEZ   DE  TROTB.    LITKE  n.  65 

par  le  meilleur  moyen  que  faire  se  pourra.  Et  si  atant  vient 
que  la  chose  se  doiue  exécuter,  aumoins  quon  donne  bon 
ordre  à  tout.  Car  ceste  cité  est  fort  puissante  et  bien  peu- 
plée de  gens  courageux  et  hautains,  combien  quil  ny  ayt 
tour  ny  murailles.  Car  ilz  sont  si  fiers  et  si  duits  aux 
armes,  que  onques  ne  daignèrent  faire  autre  boleuert. 
pont  leuis,  créneau,  marchecoulis,  (1)  ou  auant  mur,  que 
de  leurs  propres  corps.  Et  parauenture  ne  se  fient  ilz  pas 
tant  en  nous  quilz  ne  soient  sur  leur  garde.  Dautre  part 
que  scait  on  si  Menelaus  auroit  fait  ceste  feinte  de  aBB 
aller  pour  nous  surprendre  et  enueloper  icy  ?  Neantmoins 
ce  que  ien  dis,  nest  pas  pour  crainte  ou  timidité  que  iaye, 
mais  pource  quen  matières  douteuses  et  suspectes,  comme 
iay  tousiours  ouy  dire,  on  y  doit  procéder  par  grande  et 
meure  délibération.  » 

Apres  que  le  Prince  Eneas  eut  opiné,  le  tresprudent 
cheualier  Polydamas,  filz  du  sage  baron  Panthus,  parla. 
Et  la  somme  de  son  opinion  fut,  quon  ne  deuoit  en  aucune 
manière  attenter  sur  ceste  matière,  ne  vser  de  voye  de 
fait  en  labsence  de  Menelaus  :  attendu  les  bons  termes  quil 
leur  auoit  tenus,  et  le  bon  recueil  de  sa  maison  :  et  aussi 
la  promesse  de  leur  expédition  désirée.  Et  que  si  autrement 
se  faisoit,  il  doutoit  que  le  Roy  Priam,  qui  est  iuste 
Prince  et  droiturier,  nen  fust  pas  content.  Ce  fut  la  teneur 
du  parler  de  messire  Polydamas.  Consequerament  le  ieune 
escuier  Glaucus  declaira  ce  quil  en  sentoit,  condescendant 
assez  au  rauissement  d'Heleine,  pour  le  mauuais  traitement 
que  les  Grecz  auoient  fait  à  son  père  Antenor  durant  son 
ambassade,  ou  pource  que  parauenture  il  sestoit  énamouré 
daucune  des  damoiselles  de  la  Royne  Heleine.  En  après 

(1)  c.-à-d.  mâchicoulis. 
11.  tt 


66  ILLVSTRATIONS   DE   GAYLE,    ET 

Deïphobus  feit  déclaration  de  ce  quil  en  auoit  en  lentende- 
ment,  meu  pour  la  grand  beauté  d'Heleine.  De  laquelle  il 
nestoit  pas  moins  amoureux,  que  son  frère  Paris,  ainsi 
que  met  Diclys  de  Crète,  en  son  premier  liure,  et  parla  en 
ceste  manière  : 

«  Mon  frère,  (1)  si  les  preux  et  vaillans  hommes  du  temps 
iadis  qui  nous  ont  laissé  la  gloire  de  leurs  cheualeureux 
tiltres,  pour  embellissement  perpétuel,  eussent  tant  ru- 
miné, et  precogité  tous  les  bazars  qui  pouuoient  suruenir 
en  leurs  nobles  emprises,  ilz  neussent  iamais  fait  aucune 
chose  digne  de  mémoire,  ny  enrichi  leurs  successeurs  du 
bruit  de  leurs  triomphes.  lay  tousiours  ouy  dire,  que  For- 
tune ayde  voulentiers  (2)  aux  hardis  et  bons  entrepreneurs. 
Voudrois  tu,  ie  te  prie,  estre  frustré  à  iamais  du  fruit  de 
ton  iugement,  et  de  la  gloire  immortelle,  que  la  haute 
Déesse  Venus  toffre  présentement,  pour  recompense  de  ton 
bien  iuger  ?  Il  me  semble,  sauue  la  paix  dun  chacun,  que 
tu  ne  le  dois  vouloir.  Car  si  dauenture  par  faute  de  con- 
seil, ou  de  courage,  tu  te  monstres  nice  et  couard  en  ceste 
partie,  que  pourra  on  dire,  sinon  que  point  nés  digne 
dauoir  belle  amie  ?  Et  ta'  grand  lascheté  conceura  (3)  hayne 
si  implacable  de  ladite  Déesse  contre  toy,  quelle  te  persécu- 
tera par  plus  griefz  accidens,  quelle  ne  feit  iadis  la  lignée 
de  Phebus.  Quelle  autre  auenture  donques  voudrois  tu 
aller  chercher  plus  preste,  plus  propre,  ou  plus  naïue,  (4) 
pour  parfournir  ta  conqueste  que  ceste  cy  ?  laquelle  est 
desia  toute  dressée  et  demy  faite.  Ne  faut  il  pas  que  ce  fol 

(1)  mon  amy  le  plus  aymé  gui  soit  au  monde  (éd.  1516  et  1528). 

(2)  tous  jours  (éd.  1516  et  1528). 

(3)  c.-à-d.  engendrera. 

(4)  c.-à*d.  natarelle. 


SINGVLARITEZ  DE  TROTg.    LIVBE  U.  67 

Roy  abesty  soit  moqué  par  tous  les  humains,  de  sa  stoli- 
dité  plus  que  brutale  ?  Est  il  mémoire  en  aucune  histoire 
escrite,  quil  fust  iamais  homme  au  monde  si  sot  quil  se 
fiast  de  tout  son  vaillant,  et  de  sa  propre  femme,  en  ses 
aduersaires  capitaux  ?  le  suis  dopinion  que  non,  sil  nha 
esté  du  tout  hors  du  sens.  Les  Dieux  veullent  que  ces 
Grecz  icy  soient  punis  de  leur  orgueil  inueteré,  et  des  oui- 
trages  quilz  ont  faits  au  temps  passé.  Combien  ont  perpé- 
tré de  détestables  rapines  ces  Gregois  icy,  et  tousiours  en 
sont  demeurez  impunis  ?  Ceux  du  Royaume  de  Molosse  en 
Ëpire,  nallerent  ilz  point  iadis  rauir  Proserpine,  ûlle  de 
madame  Ceres  en  Sicile  ?  Et  puis  dautre  part,  ceux  de 
Crète,  nemmenerent  ilz  point  par  fraude  et  par  déception,  la 
fille  du  bon  Roy  Agenor  de  Sidone,  qui  est  en  nostre  quar- 
tier d'Asie  ?  Oultreplus  ,  de  récente  mémoire ,  ceux  de 
Thessale,  et  de  Thebes  en  Beotie,  et  aussi  de  ce  païs  cy, 
mesmement  les  parens  et  alliez  de  ceste  Royne,  et  de  son 
mary,  nont  il  pas  esleué  la  belle  Medee,  fille  du  Roy  Eeta, 
nostre  voisin,  de  Colchos,  et  pillé  ses  trésors  ?  Puis  tous 
enflez  dorgueil  et  de  vaine  gloire,  tous  pleins  de  reproches 
et  de  menasses,  ilz  repassèrent  par  deuant  nostre  cité.  Et 
derechef  sans  autre  occasion,  comme  vous  sauez,  retournè- 
rent à  nostre  grand  dommage  et  honte ,  bruslerent  noz  mai- 
sons, tuèrent  noz  parens,  et  emmenèrent  nostre  tante  fille  et 
sœur  de  Roy,  en  seruitude  et  concubinage.  Quest  ce  à  dire 
cecy  ?  Leur  est  il  ainsi  licite  destre  larrons  et  destrous- 
seurs  publiques,  et  quilz  puissent  rober  et  oultrager  tout 
le  monde  vniuersellement,  sans  quon  leur  ose  rendre  ieu 
pareil?  le  ne  me  puis  assez  esbahir(l)  de  nostre  pusilanimité. 
Et  si  dauenture  il  est  ainsi,  que  Heleine  ayt  deux  frères  si 

(1)  ne  douloir  {éd.  1510  et  1528). 


68  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

vaillans  quon  dit  pour  la  poursuiure,  ie  croy  que  parauen- 
ture  on  trouuera  bien  madame  Hesionne  auoir  enuiron 
vne  trentaine  de  neueux  assez  passables,  pour  ayder  à  ven- 
ger son  opprobre  et  iniure,  dont  des  légitimes  ie  suis  le 
moindre.  Donques  en  tant  quil  touche  le  langage  friuole, 
duquel  ce  fol  Roy  icy  nous  ha  cuidé  paistre,  nous  auons 
assez  entendu  quil  est  forgé  au  coing  des  autres.  Et  pen- 
sons nous  que  iamais  il  procure  rien  à  nostre  auantage  ?  Ne 
sommes  nous  encores  informez  de  larrogance  et  loquacité 
Gregoise,  et  de  leur  beau  promettre  sans  rien  tenir  ?  Croyez 
moy,  messieurs,  ce  nest  que  pour  se  moquer  de  nous,  et  pour 
nous  abuser  en  vaine  espérance.  Ou  parauenture  à  fin  de 
nous  circonuenir  et  accabler  icy,  quand  il  sera  renforcé  de 
ses  alliez,  il  se  .dit  aller  faire  le  partage  dune  grand  succes- 
sion en  Crète.  le  croy  que  toutes  ces  choses  sont  paraboles 
et  abusions.  le  vous  prie,  considérons  vn  petit  le  grand 
orgueil  rigoureux,  dont  ces  Grecz  noz  anciens  ennemis,  ont 
vsé  puis  nagueres,  enuers  nostre  bel  oncle  le  baron  Ante- 
nor,  en  sa  dernière  légation.  Et  dautre  part,  ramenons 
deuant  noz  yeux  la  cruelle  occision  de  noz  feuz  parens, 
dont  le  sang  crie  vengeance.  Reffreschissons  nostre  mé- 
moire, de  la  dépopulation  du  tenement  de  noz  ancestres, 
du  rauissement  et  violation  des  dames  et  pucelles  de  Phry- 
gie,  faite  par  eux.  Et  tout  ce  mis  en  comparaison,  aduisons 
sil  est  possible  de  leur  sauoir  inférer  aucune  iniure  si 
grieue,  si  dommageable,  ne  si  laidengeuse,  qnilz  ne  laient 
encores  méritée  cent  fois  plus  grande.  Quant  à  moy,  ie  dis 
que  non.  Et  soustiens  que  plustot  paistront  loups  et  bre- 
bis, aigles  et  moutons  ensemble,  que  ne  seront  en  paix  et 
en  amour  commune  les  Troyens  et  les  Grecz.  Parquoy  me 
semble,  que  toutes  vacillations,  craintes  ou  simulations 
postposees  et  mises  arrière,  ta  mon  frère  Paris  Alexandre, 


SWCVLAHlTIfZ  DE  TROIÇK,    MVftB  II.  iQB 

dois  procéder  ausurplus,  et  ieuer  marque  sur  noz  eunemûi 
seloa  la  charge  qui  test  eniointe.  Sans  penser  autre  chose, 
fors  que  le  Roy  nostre  seigneur  et  père  sera  trescontent  de 
ceste  vengeance,  et  tresioyeux  du  vitupère  de  ses  ennemis, 
quoy  quou  puist  alléguer  au  contraire.  » 
^^  Aux  paroles  véhémentes  du  ieune  Prince  Deïphobus,  le 
capitaine  des  gens  de  guerre  et  uauires  de  Paris,  donna 
grand  fultiment  (1)  et  adiutoire.  Induit  à.  ce  par  affection  de 
pillage  et  auarice,  qui  est  le  commun  vice  de  tous  gens- 
darmes.  Et  va  dire  ainsi,  adressant  ses  paroles  au  Prince 
Paris  Alexandre  :  «  Monseigneur  ,  ie  croy  que  tous  les 
hommes  du  monde  ne  sauroient  plus  sommierement  ne  plus 
au  vif  attaindre  le  fonds  de  ceste  matière,  que  ha  fait 
monseigneur  Deïphobus  ton  frère.  ,Crois  le,  ensuis  son 
opinion,  car  elle  est  bonne  :  et  quoy  quon  die,  ce  nest  que 
honneur  et  louenge  à  vn  Prince,  quand  par  moyens  subtilz 
il  peult  trouuer  façon  de  circonuenir  son  ennemy,  et  luy 
faire  honte  et  dommage.  Tu  as  donné  de  grans  et  merueil- 
leux  presens  à  ce  Roy  cy,  qui  point  ne  luy  appartenoient. 
Il  les  faut  recouurer,  et  de  lautre  auec  ;  et  si  ainsi  nest  fait, 
il  se  moquera  de  vous  tous,  messeigneurs,  et  du  Roy  aussi  ; 
et  dira  par  vantise  et  par  insolence,  que  luy  estes  venu 
faire  hommage.  Dautre  part,  on  vous  pourroit  reprocher 
estre  inhumains  et  peu  débonnaires  successeurs,  si  vous  ne 
vengez  les  meurtres  de  voz  ancestres,  et  la  défloration  de 
voz  parentes.  Et  en  tant  quil  touche  de  mettre  la  chose 
délibérée  à  effect,  la  difficulté  y  est  bien  petite.  Car  quel- 
que fors  ou  vaillans  que  soient  les  vilains  de  ceste  ville,  et 
fussent  ilz  tous  diables  de  fer  et  dacier,  si  en  verrons  nous 
bien  le  bout.  Laissez  moy  seulement  manier  laâaire  quant 

{\)fuîement  (nucr.  de  Genève).  Lacurne  donne/uicir  pour  soutenir. 


"W  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,   ET 

à  cest  endroit.  Et  tu,  monseigneur  Paris  Alexandre,  acheue 
de  longue  main  tes  emprises  et  conuenances  enuers  la 
Royne  Heleine,  par  amours  si  faire  se  peult,  autrement 
nous  laurons  par  force.  Et  ce  temps  pendant,  sans  faire 
semblant  de  rien,  ie  feray  de  petit  à  petit  approcher  la 
meilleure  partie  des  nauires,  qui  sont  es  ports  de  lisle  de 
Cytheree,  souz  vmbre  de  les  rabiller  (1)  et  rauitailler  :  à  fin 
de  me  saisir  du  port  et  haure  de  ceste  cité.  Puis  après  ie 
mettray  dedens  tout  coyement  et  sans  efFroy,  (2)  aucunes  des 
meilleurs  bendes  de  gens  de  guerre  que  nous  auons  :  les- 
quelz  seront  armez  à  couuert,  souz  leurs  robes,  et  si  con- 
uerseront  parmy  ceste  ville,  prenans  couleur  de  se  refres- 
chir.  Et  quand  tu  madaertiras  quil  sera  heure  de  beson- 
gner,  tiens  toy  seur  que  la  force  nous  en  demourera,  et  ne 
ten  soucie  autrement.  »  A  la  resolution  dessusdite  sarresta 
totalement  le  iouuenceau  Paris  Alexandre.  Si  se  dépar- 
tirent de  leur  conseil  sans  faire  semblant  quelconque.  Et  le 
capitaine  sen  retourne  aux  nauires  estans  es  portz  de  lisle 
Cytheree,  pour  mettre  secrètement  à  exécution  icelle  tres- 
mauuaise  et  tresdesloyale  trahison.  Et  quand  il  y  fut,  il  la 
communiqua  à  aucuns  des  autres  principaux  capitaines 
chefz  de  guerre  et  centurions  subalternes,  en  leur  baillant 
grand  espoir  et  courage,  à  cause  de  la  pillerie  et  abandon- 
neraent  des  femmes  et  filles.  Auec  ce  que  d'eux  mesmes  ilz 
estoient  assez  enclins  et  enracinez  en  lancienne  hayne  des 
Grecz,  Le  ieune  Prince  Paris,  dautre  costé  ne  cessoit  dima- 
giner  tous  les  moyens  par  lesquelz  il  en  viendroit  plus  faci- 
lement à  chef.  Or  ne  pouuoit  il  plus  pour  labsence  du  Roy 
Menelaus,  tenir  deuises  si  longues  ne  si  familières,  auec- 

(1)  c.-à-d.  raccommoder. 

(2)  c.-à-d.  sans  bruit. 


SIMGVLAIIITBZ  DB  TROYB.    LIVBB  H.  71 

ques  la  Royne  qui!  souloit,  tant  pour  Ihoimetir  délie, 
comme  pour  euiter  le  murmure  et  suspicion  du  peuple.  Si 
feit  tant  pour  trait  de  temps,  quil  trouua  manière  à  force 
de  grans  dons  et  prodigalité  abandonnée,  sans  rien  espar- 
gner,  dabatre  et  tirer  à  sa  cordelle,  deux  des  damoisalles 
principales  dentour  la  Royne  et  qui  iamais  ne  labandon- 
noient,  ains  estoient  comme  gardiennes  de  son  corps,  à  ce 
députées  de  par  le  Roy  Menelaus,  duquel  elles  estoient 
parentes.  Mais  il  nest  rien  en  ce  monde,  qui  ne  soit  cor- 
rompu par  auarice.  Lune  dicelles  sappelloit  Clymena  et 
lautre  Ethra.  (1)  Et  quand  il  les  eut  gaignees,  et  leur  eut 
bien  amplement  et  affectueusement  conté  la  grand  amour 
quil  auoit  à  la  Royne  Heleine  leur  maistresse,  elles  moy- 
ennerent  tout  son  affaire  enuers  leur  dame,  et  portèrent 
lettres  dun  costé  et  dautre,  tellement  que  lintention  dun- 
chacun  d'eux  deux,  estoit  assez  communiquée  à  sa  partie. 
Paris  par  son  escrit  extolloit  la  merueilleuse  speciosité 
délie,  vilipendoit  la  personne  de  son  mary  :  qui  nestoit 
point  correspondant  à  elle,  mesprisoit  sa  lignée,  sa  puis- 
sance, et  la  petitesse  de  son  tenement  :  Et  au  contraire, 
magnifioit  la  noblesse  de  son  pare  Priam,  et  en  vantant  la 
richesse  de  Troye,  disoit  quelle  estoit  mieux  deiie  et  plus 
propice  à  elle  .  Recommandoit  sa  propre  personne,  en 
beauté  et  vaillance,  et  celles  de  ses  frères.  Demonstroit 
lardante  affection  damours,  qui  luy  auoit  fait  passer  la  mer, 
souz  la  ûance  de  la  promesse  à  luy  faite  par  la  Déesse 
Venus.  Et  oultreplus,  blasmoit  la  folie  et  niceté  de  Theseus 
qui  lauoit  rendue  pucelle.  Et  en  effect,  par  toute  ingénio- 
sité et  artifice  descrire,  son  epistre  tendoit  aux  fins,  quelle 
le  voulsist  prendre  à  mary,  comme  trop  plus  consonant  à 

(1)  Cf.  Iliad.  III,  144. 


72  ILLVSTRATIONS    DE   GAVLE,    ET 

sa  singulière  beauté,  laisser  Menelaus  et  sen  aller  à 
Troye,  auec  multiplication  de  grands  promesses,  dont  les 
amans  ne  sont  iamais  despourueux.  (1) 

La  response  de  la  Royne  Heleine  estoit  au  commence- 
ment vn  peu  dure  et  aigrette  :  puis  après  tout  doucette- 
ment elle  se  condescendoit  à  approuuer  la  beauté  de 
Paris,  et  disoit  que  à  peine  auoit  elle  peu  croire  que  les 
trois  hautes  Déesses  eussent  souzmis  leurs  formositez  souz 
son  arbitrage  :  mais  puis  que  ainsi  estoit,  elle  prenoit  sin- 
gulière volupté  en  deux  choses  :  lune  de  ce  quelle  auoit 
estoit  louée  par  la  Déesse  Venus,  et  lautre  de  ce  que 
Paris  pour  son  guerdon  lauoit  préférée  aux  richesses  de 
dame  luno,  et  aux  vertus  de  la  Déesse  Pallas.  Plus  auant, 
icelle  epistre  responsiue  estoit  semée  de  doutes  et  de  menuz 
reproches  :  car  une  fois,  elle  disoit  craindre  le  songe  de  la 
Royne  Hecuba  :  puis  elle  mettoit  en  auant  estre  aduertie , 
que  Paris  nestoit  point  constant  en  amours,  comme  celuy 
qui  desia  auoit  mis  en  oubly  sa  dame  la  Nymphe  Oenone, 
que  de  long  temps  il  auoit  aymee,  et  que  nonobstant  toutes 
ces  vantises,  si  à  tant  venoit  que  guerre  sourdist  à  locca- 
sion  délie,  il  porto it  mieux  la  chère  (2)  de  faire  la  guerre 
aux  dames,  en  vne  chambre,  que  aux  champs,  auec  les 
cheualiers.  Dautre  part  disoit,  que  les  dames  de  Troye  tien- 
droient  peu  destime  délie,  quand  elles  la  verroient  auoir 
laissé  son  mary  pour  vn  Prince  estranger.  En  après  elle 
louoit  la  modération  de  Theseus,  lequel  ne  lauoit  point  mal 
traitée.  Et  tout  ce  nonobstant  et  conclusion  finale,  elle  bail- 
loit  assez  à  congnoitre  à  Paris,  que  ce  quil  luy  vouloit  per- 
suader par  amours,  elle  aymoit  mieux  y  estre  contrainte 

(1)  cf.  15«  et  16«  Hëroïdes  d'Ovide. 

(2)  c.-à-d.  avait  la  mine  de.... 


SIMGVLARITEZ  DK   TROTE.    LIVBB  H.  7^ 

par  force  :  car  communément  toutes  femmes  ont  ceste 
nature  appropriée,  que  lenforcement  leur  est  plus  agreft- 
ble,  que  nest  de  se  bailler  de  plein  gré  à  leur  partie  : 
iouxte  ce  que  dit  Ouide  au  premier  de  lart  d'Aymer  : 

Qaod  iuuat,  inuitsa  fsepe  dediue  Tolunt. 

A  fin  quen  temps  et  en  lieu  elles  en  fassent  leur  proufit, 
et  puissent  alléguer  la  force  et  la  contrainte. 


74  ILLVSTRATIONS   DE  GAYLB,  ET 


CHAPITRE  VIII. 

De  la  dépopulation  et  robement  de  la  cité  de  Lacedemone,  et  des  tré- 
sors du  Roy  Menelaus,  et  rauissement  voluntaire  de  la  Royne  He- 
leine  :  auoc  désignation  du  premier  lieu,  auquel  Paris  et  elle  se 
ioingnirent  ensemble  :  et  des  larmes  dicelle,  dont  fut  procréée 
Iherbe  appellee  Helenium,  qui  sert  à  la  beauté  des  dames.  Du  pil- 
lage fait  en  lisle  de  Cytheree.  Et  comment  ilz  partirent  dillec  :  et 
furent  poursuiuis  par  Castor  et  Pollux  et  errèrent  en  mer,  sans 
sauoir  tenir  le  chemin  de  Troye.  Auec  vne  inuectiue  contre  Paris 
et  Heleine. 


Apres  donqves  que  ces  lettres,  lesquelles  sont  plus  am- 
blement  couchées  es  epistres  d'Ouide,  furent  baillées  au  très- 
beau  Paris  par  vne  desdites  damoiselles,  et  quil  les  eut  veûes 
et  leiies,  il  faut  penser  que  iamais  homme  ne  receut  ioye  si 
accomplie,  quil  feit.  Si  tira  incontinent  son  frère  et  ses  com- 
paignons  à  part,  et  les  leur  monstra.  Et  leur  feit  bien  noter 
ceste  clause  expresse  :  par  laquelle  elle  signifioit  en  la  fin 
de  son  epistre,  quelle  ne  queroit  autre  chose,  fors  estre 
contrainte  et  rauie  par  force.  Adonques  ilz  dirent,  tous  dun 
accord,  quil  estoit  saison  de  besongner  ce  soir  mesmes, 
sans  plus  longue  dilation  :  car  il  faut  battre  le  fer  tandis 
quil  est  chaud.  Le  capitaine  des  gens  de  guerre  auoit  fait 
toutes  ses  approches  et  diligences  tresindustrieusement, 
selon  la  délibération  précédente.  Si  laduertit  Paris,  que  ce 
soir  mesmes,  il  falloit  mettre  ses  gens  en  œuure,  dont  il  fut 
tresioyeux.  Par   ainsi  quand    la  nuict  obscure,  laqi^lle 


SINGTLABITEZ   DE  TROTB.    LIVRE  II.  75 

semont  toute  chose  viuante  à  repos,  fut  venue,  les  citoyens 
de  Lacedemone,  ignorans  de  toute  la  trahison,  se  couchè- 
rent chacun  en  son  priué.  Mais  les  Troyens  qui  point  ne 
dormoient,  leur  causèrent  vn  piteux  resueil. 

Car  à  certain  son  de  trompettes,  qui  leur  estoit  baillé  pour 
signe,  tous  lesTroyens,  Phrygiens,  Dardaniens.etPeoniens 
estans  desia  armez  et  bien  empoint,  sesmurent  soudain.  Et 
premièrement  et  auant  toute  œuure,  se  saisirent  de  leurs 
hostes,  es  maisons  desquelz  ilz  estoient  logez  :  et  se  feirent 
maistres  de  leurs  personnes,  de  leurs  logis  et  armures. 
Eneas  et  Glaucus  auec  ledit  capitaine,  et  grosses  bendes  et 
cohortes  des  plus  asseurez  gendarmes,  auoient  aussi  desia 
occupé  le  marché  de  la  cité,  et  certaines  des  principales 
rues,  pour  garder  que  ceux  de  la  ville  ne  vuidassent  des 
maisons,  et  se  ralliassent  :  tellement  que  à  force  de  trait  et 
de  pierres  iettees  à  la  fonde,  il  ny  auoit  si  hardy  Lacede- 
monien,  qui  sosast  monstrer  à  huys  ne  à  fenestre.  Et  dau- 
tre  costé,  les  patrons  et  capitaines  des  galees,  auec  leurs 
gtens,  et  raathelotz  en  armes,  se  tenoient  prestz  en  deffense, 
antour  du  port  pour  attendre  et  recueillir  larraee  et  la 
proye,  et  garder  que  les  ennemis  ne  boutassent  le  feu  en 
leurs  nauires.  Et  ce  pendant,  Paris,  Deïphobus  et  Polyda- 
mas,  auec  la  fleur  des  gentilzhommes  et  bons  gensdarmes, 
estoient  entrez  au  palais,  sans  trouuer  gueres  de  resistence. 
Et  se  saisirent  tout  premièrement  de  la  Royne  Heleine, 
laquelle  ne  feit  pas  grand  contradiction.  Et  prindrent  aussi 
ses  deux  damoiselles,  Ethra  et  Clymena,  parentes  de  Mene- 
làus,  ensemble  vne  sienne  femme  de  chambre,  nommée 
Gréa,  et  autres  des  plus  nobles  et  des  plus  belles,  dont  on 
ignore  les  noms.  Troussèrent  aussi  toutes  leurs  bagues  et 
ioyaux.  Et  en  oultre  pillèrent  les  trésors,  richesses,  vais- 
selle dor  et  dargent,  pierrerie  et  tapisserie  :  et  générale- 


76  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

ment  tous  les  bons  meubles  du  Roy  Menelaus  quilz  trouue- 
rent  au  palais.  Et  à  tout  ce,  se  transportèrent  en  leurs 
nauires.  Quand  Paris,  Deïphobus  et  Polydamas  auec  leurs 
gentilzhommes,  et  la  Royne  Heleine,  et  ses  femmes,  ensem- 
ble tous  lesdits  meubles  et  trésors,  furent  à  seureté  dedens 
lesdites  galees,  alors  à  vn  son  de  trompette,  tout  le  demou- 
rant  de  la  cité  fut  abandonnée  à  pillage.  Leffroy  fut  grand, 
la  noise  fut  horrible.  Les  poures  Lacedemoniens  trahis  et 
circonuenus  souz  ombre  de  bonne  foy,  ne  sauoient  à  quel 
courir  ;  et  ne  pouuoient  donner  ordre  à  ce  quilz  se  rallias- 
sent, pour  faire  vne  pointe  de  deffense.  Là  y  eut  mainte 
noble  femme  honnie,  et  mainte  belle  pucelle  violée.  Maint 
vaillant  homme  qui  cuida  résister  à  leur  damnable  emprise 
pour  le  salut  de  son  païs,  fut  meurtry  et  affolé.  Maint  huys 
y  fut  rompu,  et  maint  coffre  effondré,  et  le  dedens  exposé 
à  pillage  et  rapine.  Les  temples  des  Dieux  mesmes  par 
sacrilège  y  furent  brisez  et  prophanez,  et  les  statues  et 
simulacres  dor  et  dargent  emportez.  Et  brief,  tout  le  desroy 
inhumain  et  criminelle  abomination,  que  licence  militaire 
et  fureur  bellique  ont  accoustumé  de  commettre  en  tel  cas, 
y  fut  exploitée.  Et  croy  que  encores  ne  sabstindrent  ilz 
point,  de  bouter  les  feuz  en  diuers  lieux.  Si  estoit  pitié  et 
horreur  douyr  les  cris  féminins,  les  pleurs  des  enfans,  les 
souspirs  des  vieillards,  les  chapplis  (1)  des  frappans,  le  char- 
pentement  (2)  des  vainqueurs,  le  bruit  des  harnois,  les  re- 
gretz  des  fuyans,  les  plaints  et  lurlement  des  mourans  :  et  le 
tumultueux  gémissement  de  toute  la  cité  confuse. 

De  tel  douaire  fut  doué  ce  monstre  féminin,  la  malheu- 
reuse Heleine,  quand  dame  Venus  la  liura  premièrement  au 
iouuenceau  Paris,  pour  acquiter  sa  promesse.  Tellement 

(1)  o.-à-d.  les  coups. — (2)  Populairement,  charpenter  =  frapper  sur. 


SINGVLARITEZ  DE  TROTE.   LIYBB  H.  77 

qne  sans  auoir  douleur  ne  compassion  du  grief  de  son  peu- 
ple destruit  et  desconflt,  de  la  désolation  de  sa  noble  cité 
déserte,  et  de  la  ruine  et  dépopulation  de  Iheritage  de  son 
mary,  elle  seoit  au  giron  de  son  adultère,  et  repaissoit 
ses  yeux  de  la  flambe  ardante  et  bruslante  le  patrimoine 
domestique  de  sa  seule  fille  Hermione.  De  laquelle  elle 
estant  la  trescruelle  marastre,  et  non  pas  mère,  nauoit 
mémoire  ne  recordation  aucune.  Et  auoit  le  cœur  si  en- 
durcy,  quelle  auoit  bien  la  patience  de  voir  à  yeux  secz 
et  non  mouillez  de  larmes,  les  souldars  de  Troye,  les  enne- 
mis de  son  territoire,  rentrer  en  leurs  vaisseaux  et  naui- 
res,  tous  souillez  du  sang  Lacedemonien,  tous  puans  en- 
cores  de  la  récente  luxure  commise  es  corps  des  nobles 
matrones  et  virgines  pudiques  de  Sparte,  tous  chargez  de 
la  despouille,  acquest  et  espargne  de  ses  bons  citoyens,  et 
des  choses  consacrées  et  dédiées  aux  temples  des  Dieux  : 
menans  auec  eux  liez  et  enferrez  plusieurs  beaux  et  nobles 
adolescens,  pour  prisonniers,  et  maintes  pucelles  gentiles, 
en  seruitude  comme  esclaues.  0  cœur  félon,  dur  et  marbrin, 
ô  courage  estrangé  dhonneur,  (1)  aliéné  de  raison,  loing- 
tain  de  pitié  féminine,  transformé  en  cruauté  barbarique, 
ô  visage  angelique  et  vénérien,  ayant  queiie  draconique  et 
serpentine  :  que  tant  te  coustera  cher  le  crime  que  tu  com- 
metz  à  présent,  que  tant  en  seront  de  femmes  vefues,  et 
denfans  orphenins,  ains  que  le  meffait  que  tu  encommences 
soit  purgé.  Et  toy  chetif  Paris,  garny  de  vaine  et  inutile 
beauté,  tu  tesiouis  à  ceste  heure,  en  receuant  le  transitoire 
guerdon  de  ton  fol  iugement,  et  ne  voudrois  auoir  eslu  les 
hautaines  richesses  de  dame  luno,  ne  la  rémunération  éter- 
nelle de  la  sapience  et  vertu  de  dame  Pallas.  Mais  assez 

(1)  o.-à-d.  perdu  d'honneur. 


78  ILLVSTRATIONS  DE   GAYLE,    ET 

auras  encores  loisir  de  ten  douloir,  et  maudire  ta  malheu- 
reuse stolidité.  Dame  Venus  ton  accointe,  (1)  tha  fait  faire 
ceste  nuict  vn  beau  chef  dœuure  pour  les  prémices  et  fruit 
primerain  de  tes  vaillances,  mais  tard  sera  que  tu  ten 
repentes. 

Ainsi  fut  la  cité  de  Sparte  ou  Lacedemone  pillée  par  les 
Troyens.  Laquelle  chose  fut  légère  à  faire,  attendu  quelle 
nestoit  point  murée,  ne  garnie  de  portes  ou  boleuers.  Ainsi 
que  demonstre  Ouide  au  dixième  liure  de  sa  Métamorphose, 
disant  : 

Dam  Deu8  Eurotan  immunitamque  fréquentât 
Sparten  ; 

Et  Philostratus  en  la  uie  d'Apollonius,  au  premier  liure, 
dit  ainsi,  en  la  personne  dudit  Apollonius  parlant  au  Roy 
des  Ethiopes  :  Lacedœmonum  namque  ciuitas,  ô  recc,  ahsque 
mwris  habitatur.  loint  à  ce  que  ceux  de  dedens  ne  se  dou- 
tassent iamais  de  telle  trahison.  Apres  lequel  cas  perpétré, 
les  ancres  furent  leuees  du  port  de  Lacedemone,  sans  con- 
trarietez.  Si  labourèrent  les  patrons  à  se  ioindre  au  rema- 
nant de  larmee,  qui  gardoit  les  ports  de  lisle  de  Cytheree, 
et  des  villes  de  Cranaé  et  de  Cytheree  en  ladite  isle.  louxte 
ce  que  dit  Homère  en  son  Iliade  : 

Nec  cum  te  rapiens,  primum  è  Lacedsemone  pulchra, 
Pontiuagis  ratibus  Craaao  me  la  littore  iunxi.  (2) 

Lesquelz  vers  Strabo  allègue  au  ix.  liure  de  sa  Géogra- 
phie. Eux  arriuez  ensemble,  enuiron  laube  du  iour,  il  y  eut 
grande  exclamation  et  festoiement,  entre  les  compaignons 
et  mariniers,  qui  se  vantoient  et  glorifîoient  de  leurs  beaux 

(1)  c.-à-d.  complice.  —  (2)  poni  magis  (éd.  1516).  Ce  qui  u'offi-e 
aucnn  seoa.  Cf.  Iliad.  III,  444. 


SIIfGTLARlTEZ   DE  TROTB.    LITRK  O.  19 

faits  victorieux.  Les  habitans  desdites  villes  de  Cranaé  et 
Cytheree,  voyans  linsolence  et  la  crierie  non  accoustumee 
des  Troyens,  et  aussi  pource  quilz  pouuoient  auoir  veu  les 
feuz  de  Lacedemone,  nestoient  point  fort  à  leur  aise,  ain- 
Qois  veilloient  à  leurs  créneaux  en  grand  crainte  et  doute  : 
et  non  sans  cause. 

Incontinent  que  les  galees  Troyennes  furent  ancrées  en 
ladite  isle  de  Cytheree  aux  ports  desdites  villes,  Paris  se 
feit  mettre  en  terre,  et  la  Royne  Heleine  aussi.  Et  com- 
manda promptement  quon  tendist  vn  pauillon  au  myliea 
dune  belle  prairie,  estant  au  dessouz  de  la  ville  de  Cranaé 
non  pas  loing  du  bort  de  la  mer.  Et  dedens  iceluy  pauillon 
feit  aussi  dresser  son  lict  de  camp  riche  et  somptueux  à 
merueilles.  Lesquelles  choses  faites  et  ordonnées,  il  feit  met- 
tre à  lencontre  dudit  pauillon  grand  nombre  de  gensdarmes 
pour  sa  garde  et  seureté.   Si  se  coucha  auec  la  Royne 
Heleine,  nud  à  nud.  Laquelle  chose  il  feit  tant  pour  pren- 
dre possession  du  don  et  guerdon  duquel  la  Déesse  Venus 
le  remuneroit,  et  luy  en  rendre  grâces,  comme  aussi  pour 
euiter  le  reproche,  duquel  Theseus  Roy  d'Athènes  auoit  esté 
noté,  quand  elle  fut  recouuree  de  luy,  sans  y  auoir  touché, 
comme  dessus  est  dit.  Or  ne  furent  point  presens  audit 
assemblement  et  conionction  de  Paris  auec  Heleine,  Hyme- 
neus  le  gracieux  Dieu  des  noces,  ne  la  bonne  Déesse  luno, 
qui  préside  aux  mariages  légitimes  :  car  elle  estoit  ennemie 
de  Paris,  et  totalement  son  aduersaire.  Mais  en  leur  lieu  y 
abordèrent  les  trois  diaboliques  et  horribles  Déesses,  que 
les  poëtes  appellent  Furies.  Cestadire  Rages,  Harpyies, 
Chiennes  ou  Eumenides,  filles  dun  fieuue  infernal  nommé 
Acheron  qui  signifie  perdition  de  ioye,  et  de  la  nuict  téné- 
breuse et  obscure.  La  première  sappelle  Alecto,  cestadire 
non  reposant.  La  seconde  Thisiphone  :  qui  vaut  autant. 


80  ILLVSTRATIONS  DE  GAYLE,   ET 

comme  voix  furieuse.  Et  la  tierce  est  nommée  Megera  :  qui 
se  peult  interpréter  noise  ou  discord.  Ces  trois  vénérables 
mignonnes,  ces  trois  chiennes  enragées,  ministres  denfer 
et  députées  au  seruice  de  Pluton  à  tout  leurs  cheueux 
colubrins  furent  celles  qui  tindrent  les  flambeaux  preiudi- 
diciables  et  les  malheureuses  torches  autour  du  lict  des 
deux  adultères,  Paris  et  Heleine  :  et  assistèrent  à  leur 
damnable  embrassement.  Et  en  lieu  de  doux  rossignolz 
amoureux  et  autres  oyselets,  les  chatshuans  et  les  cormo- 
rans, qui  sont  oyseaux  funèbres  de  mortelle  signification  et 
de  malencontre,  y  vlulerent  hideusement  en  lieu  de  chanter 
matines. 

Aucuns  acteurs,  et  mesmement  Strabo  au  ix.  liure  de 
sa  Géographie,  mettent  que  icelle  ville  de  Cranaé,  auprès 
de  laquelle  fut  faite  ladite  conuention  de  Paris  auec 
Heleine,  changea  son  nom  primitif,  et  de  là  en  auant  fut 
appellee  Helenium,  en  souuenance  et  commémoration  du 
notable  ouurage  qui  auprès  délie  auoit  esté  perpétré.  Et  sur 
ce  passage  ie  ne  suis  point  ignorant  que,  selon  lopinion  de 
Pline  et  de  Strabo,  en  ladite  isle  de  Cytheree,  qui  parauant 
sappelloit  Porphyris,  ny  auoit  quune  ville  du  nom  de  lisle. 
Et  donne  à  entendre  ledit  Strabo  que  Cranaé  est  vne  autre 
petite  isle  du  nombre  de  celles  qui  sappellent  Sporades,  et 
est  située  à  lendroit  de  la  région  d'Athènes.  Et  se  concorde 
à  ce,  quelle  fut  appellee  Helenium,  pource  que  Paris  y  cou- 
cha premièrement  auec  Heleine.  laques  de  Bergome,  au 
quatrième  Hure  du  Supplément  des  chroniques,  dit  ainsi  : 
Hélène  septima  maris  A  egœi  insula  :  solum  nota  Eelçna 
Menelai  régis  vxoris  stupris.  Dares  Phrygien  en  son  his- 
toire Troyenne  met  expressément  que  Heleine  fut  rauie  au 
dessouz  de  la  ville  appellee  Helenium,  en  lisle  de  Cytheree. 
Et  ledit  Strabo  et  Pline,  disent  quen  ladite  isle  de  Cythe- 


SUfGULARITBZ   DR   TROYE.    LIVRE   II.  M 

ree,  y  auoit  vne  ville  portant  le  nom  de  lisle  mesmes,  comme 
desia  est  dit.  Ainsi  sensuiuroit,  que  pour  lors  y  auoit  deux 
villes.  Et  cest  la  raison  qui  mha  meu  à  le  mettre  ainsi. 
Comment  que  soit,  la  difficulté  est  de  petite  estime. 

Bocace  aussi  en  allegantplusieurs  raisons,  dit  que  Heleina 
au  temps  de  son  rauissemment  voluntaire,  pouuoit  auoir 
enuiron  trente  ans  :  auquel  aage  les  nobles  femmes  et  de  bon 
esprit  rendent  leur  beauté  plus  spécieuse,  en  y  adioustant 
par  art  ce  que  la  longueur  du  temps  pourroit  auoir  diminué 
de  leur  formosité  naturelle.  Et  quant  à  ce  on  pourroit  dire 
ainsi,  que  les  gens  de  ce  temps  là  viuoient  plus  longue  espace 
quilz  ne  font  à  présent,  et  aussi  que  leurs  corpulences 
estoient  plus  grandes  et  plus  vigoreuses  que  ne  sont  celles  de 
maintenant,  comme  nous  auons  dit  plus  amplement  au  pre- 
mier Hure.  Et  par  ainsi,  les  femmes  nestoient  point  para- 
uenture  si  tost  ne  si  tempre  (1)  meures,  quelles  sont  ores  : 
et  duroit  plus  longuement  la  fleur  de  leur  speciosité.  Et 
pour  auoir  aucune  coniecture  que  dame  Heleine  fust  de  plus 
grande  stature  que  les  femmes  de  maintenant,  il  me  souuient 
auoir  ouy  dire  à  Blanchart  le  noble,  natif  de  Chalon  sur 
Saône,  homme  de  grand  mémoire  et  expérience  :  (car  il  auoit 
seruy  le  grand  Turc  Mahumeth  Othuman,  de  maistre  fon- 
deur dartillerie,  et  depuis  les  Vénitiens,  et  maintenant  est 
orfeure  de  la  tresclere  Princesse  à  laquelle  ceste  œuure  est 
intitulée)  mais  il  me  contoit,  quen  vne  des  isles  de  l'Archi- 
pel, nommée  Lediles,  (2)  il  auoit  veu  autresfois  vn  colosse  ou 
simulacre  de  ladite  Heleine,  comme  disoient  ceux  du  pais  : 
et  estoit  icelle  statue  de  marbre  blanc,  taillé  par  grand 
artifice  après  le  vif,  plantée  en  terre  iusques  au  nombril. 

(1)  c.-à-d.  de  boane  heure.  Cf.  le  liègeoia  tenprou  =  précoce. 

(2)  Délos,  auj.  JHH,  Sedili. 

II.  6 


82  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Et  selon  son  estimation,  pouuoit  bien  auoir  la  hauteur  de 
cinq  femmes  modernes.  Mais  elle  estoit  sans  teste  :  car  vn 
Geneuois  la  luy  auoit  ostee,  pour  la  donner  au  seigneur  Vir- 
gile Oursin  Romain,  trescurieux  de  telles  antiquitez.  Dit 
oultreplus  vn  grand  homme  appelle  Nicolas  Perot,  (1)  iadis 
euesque  de  Siponte,  au  sixième  liure  de  son  volume  appelle 
Cornucopie  :  Que  après  que  les  deux  amans  se  furent  leuez 
de  leur  esbat  vénérien,  la  belle  Heleine  se  meit  à  plourer 
amèrement,  tellement  que  les  ruisseaux  de  ses  larmes  tora- 
boient  en  grande  abondance  aual  sa  clere  face,  et  arrosoient 
la  terre  alenuiron.  La  cause  de  son  pleur  venoit  ou  pour 
iuste  douleur  et  remors  de  conscience  de  son  crime  détes- 
table de  sa  chasteté  brisée,  et  dissolution  de  son  mariage 
légitime,  ou  peult  estre  par  feintise  féminine  :  ou  autre- 
ment pour  la  signification  que  le  cœur  luy  apportoit  des 
grans  maux  qui  à  ceste  cause  estoient  à  aduenir.  Or,  de 
quelque  cause  ou  mouuement  que  ce  fust  quelle  plouroit, 
sans  nulle  faute  elle  auoit  assez  matière  de  ce  faire.  Et 
afferme  iceluy  acteur  mesmes  que  de  sesdites  larmes,  qui 
tombèrent  en  terre,  nasquit  illec  vne  herbe  bassette,  quigi- 
neas,  qui  ne  seslieue  de  terre,  (2)  et  ha  les  fueilles  semblables 
à  polieul  ou  serpolet,  icelle  herbe  est  appellee  Helenium, 
pource  quelle  fut  procréée  des  larmes  de  la  belle  Heleine. 
Et  ha  telle  vertu  et  propriété,  quelle  peult  esclarcir  le  teint 
du  visage  des  femmes,  et  conseruer  en  beauté  le  cuir  (3)  de 
leur  face,  et  de  tout  le  demeurant  de  leur  corps,  sans  pus- 
tules, sans  macules  et  sans  rides.  Et  ha  aussi  la  puissance 
de  prouoquer  le  courage  des  hommes  à  amour,  et  de  ren- 

(1)  N.  Perotti  (1430  —  1480).  Cornucopia,  sive  commentaria  Un- 
gua  latinee  (Venise,  1489  in  fol.). 

(2)  qui  guieres  ne  seslieve  (mscr.  de  Genève). 

(3)  c.-à-d.  la  peau. 


SIWr.TLARITEZ  DE   TROTB.    LIVRK   H.  85 

dre  la  personne  ioyeuse,  et  agréable,  quand  elle  est  beùe 
auec  du  vin.  Aucuns  lappellent  omnimorbia,  pource  quelle 
est  propice  à  plusieurs  maladies.  le  suis  dopinion  que 
Ihomme  seroit  bienheureux  au  temps  présent  qui  sauroit 
congnoitre  ceste  herbe  pleine  de  si  grands  vertoz  :  et  en 
feroit  grandement  son  prouflt  enuers  les  dames. 

Apres  donques  ces  choses  faites,  selon  ce  que  ie  puis 
cueillir  et  coniecturer  par  les  dits  des  bons  acteurs,  les  deux 
villes  estans  en  ladite  isle  de  Cytheree,  cestasauoir  Cytheree 
et  Cranaé,  autrement  dite  Helenium,  furent  pillées  par  les 
Troyens,  Et  aussi  despouillé  par  sacrilège  le  temple  de 
Venus  pour  le  guerdon  du  bien  quelle  auoit  fait  à  Paris, 
en  luy  donnant  Heleine.  Et  pareillement  le  temple  de  Diane 
et  d'Apollo  estant  illec  sur  le  riuage  de  la  mer,  près  de  la 
cité  d'Helenium.  Et  plusieurs  prisonniers  emmenez,  comme 
met  expressément  Dares  Phrygien,  nonobstant  que  ceux  de 
ladite  isle  feissent  la  meilleure  defifense  quilz  peurent.  Mais 
contre  le  grand  nombre  des  gens  de  Paris,  impossible  leur 
fut  de  résister.  Icy  ha  diuersité  entre  noz  acteurs  :  Car 
Dictys  de  Crète,  Ouide,  et  plusieurs  autres  mettent  le 
rauissement  d'Heleine,  auoir  esté  perpétré  en  la  cité  de 
Lacederaone,  ainsi  et  par  la  manière  que  cy  dessus  lauons 
descrit.  Mais  Dares  de  Phrygie  tout  seul  ne  fait  point  men- 
tion de  Lacedemone,  ains  dit  quelle  fust  prinse  audit  tem- 
ple de  Diane  et  d'Apollo  en  ladite  isle  de  Cytheree,  auquel 
temple  elle  estoit  venue  pour  voir  Paris,  souz  ombre  de 
faire  sacrifice  en  iceluy.  Quoy  que  soit,  tout  renient  à  vne 
conclusion.  Mais  tousiours  ie  marreste  à  la  plus  saine 
partie. 

Tous  lesquelz  beâUX  vaisselagôs  ôt  magniâques  emprises 
menées  à  chef,  le  beau  Paris  commanda  leuer  les  ancres,  et 
faire  voile  légèrement,  combien  que  le  vent  ne  fust  gueres 


84  ILLVSTnATIONS   DE   GAVLE,    ET 

propice.  Mais  ce  nestoit  pas  chose  seure  de  se  tenir  plus 
longuement  en  terre  ennemie,  laquelle  ilz  auoient  si  énor- 
mément dommagee.  Adonques  les  mariniers  deuenuz  tous 
riches  de  mauuais  acquest,  se  ietterent  diligemment  hors 
des  ports,  guinderent  leurs  trefz,  singlerent  du  vent  à  la 
bolingue  (1)  à  grand  ioye  et  triomphe,  et  exclamations  nau- 
tiques, et  dressèrent  les  timons  de  leurs  nauires,  pour  tirer 
en  Asie  la  mineur,  quon  dit  maintenant  Turquie  ou  Nato- 
lie,  emmenans  auec  eux  la  malheureuse  proye  qui  si  cher 
leur  coustera.  Les  poures  Lacedemoniens,  et  ceux  de  lisle 
de  Cytheree,  qui  les  voyoient  desloger,  conuoyoient  leurs 
voiles  non  pas  auec  bonnes  prières,  mais  auec  malédictions 
exécrables,  pour  le  grand  dommage  quilz  auoient  souffert. 
Plusieurs  des  plus  dolens,  mesmement  les  seruiteurs  de  la 
Royne  Heleine,  armèrent  aucuns  petis  nauires  et  brigantins 
légers,  et  se  meirent  en  mer  de  1  autre  costé,  pour  aller  en 
lisle  de  Crète,  faire  sauoir  le  meschef  et  grand  mesauenture 
à  leur  Roy  Menelaus  qui  y  estoit.  Aussi  Dares  de  Phrygie 
met  que  Castor  et  Pollux,  frères  d'Heleine,  après  ce  quilz 
furent  aduertis  du  rauissement  de  leur  sœur,  se  meirent  à 
la  poursuite  en  grand  haste,  pour  la  recouurer  :  mais  leurs 
nauires  effondrèrent  et  furent  foudroyées,  auprès  de  lisle  de 
Lesbos,  quon  dit  maintenant  Methelin,  par  force  de  tempeste 
et  tourmente  :  et  eux  y  furent  tous  péris  et  noyez.  Combien 
quil  y  ayt  autres  opinions  de  leur  mort,  comme  nous  auons 
touché  cy  deuant.  Et  dautre  part  les  Troyens,  au  moyen 
de  la  contrariété  des  vents,  furent  transportez  en  la  Costa 
d'Afrique  et  de  Barbarie,  tout  au  rebours  de  leur  inten- 
tion. Mais  nous  les  laisserons  errer  par  la  marine  vue 
espace  de  temps,  et  retournerons  vn  petit  à  Troye.  Car 
assez  à  temps  les  viendrons  nous  retrouuer  là  où  ilz  seront. 

(t)  c.à-d.  aller  à  la  bouline,  avec  uu  vent  de  biais. 


SmCVLARlTEZ   DE   TROYit.    LIVRK  II. 


CHAPITRE  IX. 

• 

Narration  d«  la  mort  fortuite  des  deux  baatards  de  Priam,  et  de  U 
Nymphe  Esperie,  et  du  dueil  de  Priam  et  des  siens,  mesmement  da 
la  Nymphe  Oenone,  tant  à  ceste  cause,  comme  pour  le  long  seioor 
de  Paris.  Et  des  deuisen  et  vaticinations  de  Cassandra.  Ensemble 
recitation  daucunes  fables.  Et  aussi  de  loccupation  vertueuse  da 
ladite  Nymphe  Oenone,  et  de  la  beniuolence  que  Priam  et  les  siena 
auoientà  elle. 


Endementiers  que  le  beau  Paris  Alexandre  vaquoit  à 
son  emprise  vénérienne,  le  gentil  Esacus  lun  de  ses  frères 
bastards,  et  des  plus  ieunes,  lequel  le  Roy  Priam  auoit 
engendré  en  la  Nymphe  Alixothoë  fille  de  Dymas,  comme 
est  dit  au  premier  liure,  alla  mourir  au  grand  desplaisir 
du  Roy  Priam  et  de  tous  ceux  de  Troye.  Et  la  cause  de  sa 
mort  fut  telle  :  ledit  Esacus  frequentoit  voulentiers  la 
contrée  de  Cebrine,  dont  son  frère  le  trespreux  Hector 
estoit  seigneur.  Et  se  trouuoit  souuent  autour  de  la  valee 
de  Mesaulon  et  les  montaignes  Idées,  pource  quil  aymoit 
souuerainement  les  champs  et  la  chasse,  et  nauoit  cure  de 
la  cité.  Or  alla  il  tant  et  vint  en  ce  quartier,  quil  fut 
espris  de  lamour  dune  belle  Nymphe  dicelle  région  de 
Cebrine,  laquelle  auoit  nom  Esperie,  (1)  et  fut  iadis  des  com- 
paignes  et  familières  de  la  Nymphe  Pegasis  Oenone.  Par 
trait  de  temps  le  noble  enfant  Esacus,  luy  requit  tresin- 

(1)  Bptrie  (msor.  de  Genève  et  ëd.  1516  et  1528). 


86  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

stamment  auoir  la  iouyssance  de  son  amour.  Mais  elle  qui 
estoit  sage  et  prudente  pucelle,  et  aymoit  sa  virginité,  sen 
excusa  du  tout,  et  ny  voulut  aucunement  entendre.  Et  ce 
voyant  Esacus,  à  qui  le  désir  amoureux  estoit  redoublé  au 
moyen  du  dit  refuz,  espia  la  belle  maint  iour  et  mainte 
nuytee  :  et  tant  trauailla  par  curieuse  diligence,  que  fîna- 
blement  il  la  surprint  vn  iour  quelle  seichoit  ses  beaux 
cheueux  aureins  au  Soleil,  auprès  dune  clere  fontaine  et 
loing  de  gens,  dont  il  fut  tresioyeux,  que  plus  ne  pouuoit, 
cuidant  estre  venu  à  chef  de  son  emprise.  Mais  trop  sen 
faillit  :  car  des  que  la  noble  Nymphe  lapperceut,  elle  fut  si 
troublée  de  la  grand  peur  quelle  eut,  quelle  print  incontinent 
sa  course,  au  long  dune  belle  prairie,  sans  autrement  adou- 
ber ses  belles  tresses  qui  flottoient  autour  de  ses  espaules.  Et 
tout  ainsi  comme  laloëtte  ramage  (1)  estant  emmy  la  cham- . 
paigne  loing  des  buissons,  ha  dauenture  entreueu  ou  cuidé 
entreuoir,  lombre  de  lespreuier  son  mortel  ennemy,  volant 
en  lair  :  ainsi  fuyoit  la  gente  pucelle  toute  esperdue  et  des- 
cheuelee,  et  le  gentil  Esacus  après.  Mais  crainte  virginale 
augmentoit  puissance  de  courir  à  la  Nymphe.  Et  dautre 
part  lappetit  de  lamoureuse  proye  administrât  vélocité  au 
ieune  amant.  Or  aduint  il  de  grand  malheur,  que  la  belle 
en  courant,  marcha  de  son  pied  nud  et  tendre  sur  la  queiie 
dun  aspic  venimeux  et  mortel,  musse  entremy  Iherbe  : 
lequel  la  piqua  dune  dent,  au  bout  de  larteil  du  pied,  tel- 
lement quil  y  laissa  le  venin  mortifère  dont  la  pudique  vir- 
gine  alla  promptement  mourir  sur  le  champ  par  loutra- 
geuse  violence  du  venin.  Alors  veissiez  le  plus  dolent  des 
amoureux,  tant  troublé,  tant  desconfit,  et  tant  aggressé  du 
dueil,  que  difficile  chose  seroit  à  le  raconter.  Si  commença 

(1)  c.-à  d.  sauvage. 


SINGVLARITEZ   DE   TROTB.    LIVRB  n.  87 

à  detraire  ses  beaux  cheueux,  tordre  ses  poings,  et  batre 
sa  poitrine,  comme  vn  homme  désespéré,  voyant  quil  estoit 
cause  du  mortel  inconuenient  de  sa  dame.  Et  après  plu- 
sieurs pitoyables  regretz  et  lamentations  indicibles  il  sen 
alla  comme  forcenant  au  plus  haut  sommet  dun  rocher  pen> 
dant  sur  la  mer  Hellesponte,  et  dillec  se  précipita  es  vndes 
marines,  et  se  noya.  Ouide  en  son  xi.  liure  de  Métamor- 
phose, recitant  ceste  histoire,  dit  que  Tethys  la  grand 
Déesse  de  la  mer,  de  pitié  quelle  eut  de  lenfant  Royal,  le 
receut  entre  ses  bras,  et  le  mua  en  vn  plongeon.  Laquelle 
fiction  ne  tend  à  autre  signifiance,  sinon  que  ceux  qui  se 
noyent,  ressemblent  aux  plongeons  :  car  auant  quilz  soient 
du  tout  esteints,  on  les  voit  remonter  deux  ou  trois  fois  sur 
leaue. 

Quand  ceste  douloureuse  auenture  paruint  à  la  notice  du 
Roy  Priam,  il  en  mena  un  merueilleux  dueil,  pource  que 
sur  tous  les  bastards,  celuy  estoit  son  plus  cher  tenu  :  et 
comme  tesmoigne  Ouide  audit  xi.  liure  de  Métamorphose  : 
Il  auoit  apparence  destre  vaillant,  comme  vn  second  Hec- 
tor, sil  eust  peu  viure  son  cours  naturel.  Mesmes  iceluy 
noble  Prince  Hector,  pour  les  mérites  des  vertus  quil  auoit 
congnues  au  defunct  le  regrettoit  beaucoup  :  si  faisoient 
ses  autres  frères  tant  légitimes  que  bastards,  et  ses  sœurs 
bastardes.  La  Royne  Hecuba  et  ses  filles  aussi  le  plouroient 
parfondement.  Mais  entre  les  autres,  la  Nymphe  Pegasis 
Oenone,  et  le  bastard  Cebrion  de  Cebrine  en  demenoient  le 
plus  aspre  dueil,  tant  pour  lamour  du  feu  noble  Esacus, 
leur  frère,  qui  en  son  viuant  leur  auoit  fait  maint  seruice, 
comme  pour  lamour  de  la  Nymphe  Esperie,  en  son  temps 
compaigne  et  amie  cordiale  de  ladite  Oenone,  et  aussi  sa 
prochaine  voisine.  Or  après  longue  deploration,  la  pompe 
funerale  fut  faite,  tant  de  lun  comme  de  lautre.  Si  honnora 


88  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,    ET 

le  bon  Roy  Priam  iceux  deux  corps  par  ensemble,  de  sé- 
pulture magnifique,  attendu  que  lun  auoit  causé  deffinement 
à  lautre.  Mais  après  que  tous  eurent  cessé  leur  dueil,  le 
bon  Roy  Priam  ne  se  sauoit  appaiser  :  car  point  nauoit 
encores  accoustumé  fors  toutes  choses  prospères  et  agréa- 
bles. 

Et  pource  quun  malheur  ne  vient  iamais  seul,  il  ne 
tarda  gueres  que  après  la  mort  du  bastard  Esacus,  que 
plusieurs  varletz  et  païsans  apportèrent  à  Troye  en  vne 
bière  le  corps  dun  autre  sien  filz  bastard,  nommé  Teucer, 
lequel  il  auoit  eu  de  la  Nymphe  Anthiodone.  (1)  Et  auoit  esté 
occis  en  la  forest  de  Bebryce,  par  vn  grand  et  merueilleux 
ours,  comme  met  Bocace,  au  vi.  liure  de  la  Généalogie 
des  Dieux.  Si  renouuella  le  dueil  du  Roy  Priam,  plus 
aspre  que  deuant,  car  cestoit  certain  présage  de  ses  infor- 
tunes aduenir.  Et  après  quil  eut  fait  faire  ses  obsèques 
funerales,  il  entra  dautre  part  en  grand  doute  de  ses  deux 
enfans  légitimes  Paris  et  Déiphobus,  et  de  larmee  quil 
auoit  enuoyee  en  Grèce,  pource  que  point  nen  auoit  de 
nouuelles.  Et  pour  ces  raisons  sa  noble  chère  estoit  toute 
obnubilée  de  contristation  occulte,  et  à  bon  droit  :  car 
naturel  instinct  lenhortoit  à  ce  faire,  pour  le  grand  mal 
qui  luy  estoit  prochain,  à  loccasion  duquel,  son  dueil  sera 
souuent  renouuellé,  par  morts  quotidiennes,  et  occisions 
fréquentes  de  ses  nobles  enfans. 

Aussi  la  gracieuse  Nymphe  Pegasis  Oenone  estoit  toute 
pensiue  et  melencolieuse,  pour  la  si  longue  absence  de  son 
mary,  qui  plus  ne  luy  est  rien,  mais  encore  ne  le  scait  elle 
point.  Et  souuent  faisoit  enquérir  par  ses  gens,  des  mar- 
chans  ou  estrangers,  venans  deçà  la  mer,  silz  en  sauoient 

(l)  Ântidone  {éd.  1516  et  lbZ8). 


SIKGVLARITBZ   DE  TROTK.    LIVHE   U.  W 

aucunes  nouuelles,  mais  nulle  nen  ponuoit  apprendre.  Si 
montoit  aux  hautes  tours  et  dongeons  du  palais,  et  y  menoit 
ses  belles  sœurs  Cassandre  et  Polyxene,  et  les  antres,  pour 
voir  si  dauenture  elles  verroient  blanchir  nulles  voiles  sur 
la  marine.  Et  quand  aucunesfois  ses  yeux  deceuz  par  grand 
affection  voyoient  ou  cuidoyent  voir  aucunes  nauires  na- 
geans  au  vent,  alors  elle  muoit  couleur  et  tressailloit  toute 
de  ioye,  et  sesiouyssoit  en  vaine  espérance.  Et  puis  quand 
elle  se  trouuoit  deceiie  de  son  cuider,  elle  palissoit  tout 
acoup,  et  arrosoit  sa  clere  face  de  larmes  :  car  elle  qui 
auoit  assemblé  et  vny  toutes  les  affections  de  son  cœur  en 
lamour  et  bienueillance  de  son  seigneur  et  mary  Paris 
Alexandre,  ne  songeoit  autre  chose  fors  son  retour  et  sa 
santé  prospère,  tellement  quen  ses  gestes,  en  sa  contenance, 
en  son  parler  et  en  sa  chère,  on  pouuoit  aisément  lire  la 
haute  sublimité  damours  qui  tenoit  siège  et  habitacle  au 
clos  de  son  noble  cœur. 

Lesquelles  choses  voyant  et  congnoissant  la  noble  pucelle 
Cassandra,  il  luy  en  prenoit  grand  pitié.  Car  elle  sauoit 
par  esprit  de  prophétie,  le  rauissement  d'Heleine,  laliena- 
tion  du  courage  de  Paris,  et  le  prochain  diuorse  et  sépa- 
ration de  luy  et  de  ladite  Nymphe.  Si  luy  disoit,  ainsi 
comme  rauie  en  ecstase  par  mois  couuers  et  pleins  dambi- 
guité  :  «  Ha  !  noble  Nymphe  Oenone  ma  chère  sœur,  que  fais 
tu  lasse  !  mamie,  que  fais  tu,  tu  laboures  en  vain,  tu  te  tra- 
uailles  pour  néant  de  fonder  ta  si  grand  amour  sur  mon 
frère  Paris.  Il  vient  vne  génisse  Grecque,  vue  mauuaise 
beste  cornue,  qui  mengera  ton  fruit  et  ta  pasture,  et 
mènera  à  perdition  ce  Royaume  et  ceste  maison.  0  Dieux 
tous  puissans,  gardez  que  si  grand  esclandre  naduienne, 
preseruez  nous  de  tel  inconuenient.  »  Quand  la  sage  Cassan- 
dra pronongoit  ces  paroles  obscures  et  prophétiques,  la 


00  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Nymphe  Oenone  trembloit  toute  de  peur,  et  luy  dressoient 
les  cheueux  en  la  teste,  ignoramment  toutesuoyes  :  car  elle 
nentendoit  point  leur  signifiance,  neantmoins  le  cœur  ne 
luy  en  apportoit  nulle  bonne  interprétation.  Adonques  Cas- 
sandra  luy  disoit  derechef  :  «  Ma  sœur,  mamie  Oenone,  tu 
nadioustes  point  de  foy  à  mes  paroles,  non  plus  que  les 
autres  ne  font,  ie  le  scay  bien  :  car  mon  malheur  est  tel. 
Si  te  vueil  bien  conter  la  raison  pourquoy  il  maduint,  que 
à  mes  vaticinations  et  deuinemens,  nully  ne  veult  croire.  Il 
est  vray,  mamie,  que  iadis  le  Dieu  Phebus  Apollo,  lequel  te 
donna  puissance  sur  toutes  herbes  et  racines,  édifia  les 
murs  de  ceste  cité,  auecques  le  Dieu  Neptune  :  et  pour  ce 
faire,  se  meirent  tous  deux  en  semblance  humaine.  Et  tant 
y  seiournerent,  que  le  Dieu  Apollo  senamoura  de  moy,  ou 
aumoins  il  en  feit  le  semblant.  Si  me  requist  damours  fort 
ieunette  que  iestoye  :  mais  quelque  ieune  que  ie  fusse,  si 
nestois  ie  point  simple  ne  nice.  Ains  estant  informée  de  sa 
grand  puissance,  ie  luy  dis,  par  cautele,  que  ie  my  consen- 
toye,  moyennant  que  premièrement  et  auant  toute  œuure, 
il  mottroyast  vn  don,  tel  que  ie  luy  demanderois  :  de  laquelle 
chose  il  fut  de  léger  content.  Si  len  feis  auant  iurer  sur  Styx 
la  grand  palu  d'Enfer,  laquelle  les  Dieux  supérieurs  nosent 
aucunement  pariurer.  Pource  que  sa  fille  Victoire,  obtint 
d'eux  ce  perpétuel  priuilege,  quand  elle  les  ayda  alencontre 
des  merueilleux  Geans,  qui  iadis  vouloient  escheller  le 
ciel,  et  ietter  les  Dieux  hors  de  leurs  propres  maisons.  Que 
te  ferois  ie  long  conte  ?  le  Dieu  Apollo  iura  voulentiers.  Et 
quand  ie  veis  quil  eut  fait  le  serment  irreuocable,  ie  fus 
lors  acertenee  de  mon  cas.  Si  luy  demanday  promptement 
quil  me  donnast  la  science  de  vaticiner,  cestadire  de  deui- 
ner,  sauoir  et  prophétiser  toutes  choses  passées,  présentes 
et  aduenir.   Laquelle  chose  il  me  conferma  facilement, 


SniGTLARITEZ   DE  TROTE.    LIVRE  n.  91 

pource  quil  est  Dieu  de  vaticination  aussi  bien  quil  est  de 
médecine,  parquoy  ie  fus  incontinent  sage  deuineresse.  Ce 
fait,  il  me  demanda  aussi  le  guerdon  damours  que  promis 
luy  auoye,  comme  il  disoit.  Mais  ie  luy  deniay  et  refusay 
pleinement,  comme  faire  deuoye  :  car  il  ne  queroit  que  la 
despouille  de  mon  pucelage  et  vii^nité,  que  iamais  neofse 
enfrainte  pour  chose  quil  meust  sceu  faire  ne  donner.  De  ce 
refus,  fut  si  troublé  et  marry  le  Dieu  Apollo,  et  le  print  si 
mal  en  gré,  que  plus  ne  pouuoit.  Et  voyant  quil  nauoit 
puissance  de  me  toUir  ce  quune  fois  mauoit  ottroyé  par 
serment,  il  me  dit  dune  chère  despiteuse  et  iree,  en  ceste 
manière  :  «  0  pucelle  trop  fine  et  trop  subtile  à  deceuoir  les 
Dieux  :  tu  auras  bien  peu  fait  de  conquest  en  lottroy  non 
desserui.  Car  à  fin  que  les  autres  apprennent  à  non  se  mo- 
quer des  supérieurs,  ie  détermine  dicy  et  desia,  que  iamais 
nul  iour  de  ta  vie  tes  deuinemens  et  prophéties  ne  pourront 
obtenir  lieu  ne  credence  enuers  les  hommes  mortelz,  ains 
seront  tousiours  par  iceux  estimées  vaines  et  friuoles.  Et 
après  auoir  ce  dit,  il  se  départit.  Mais  sa  destinée,  (l)  ma 
douce  sœur  et  amie,  ha  tousiours  depuis  ensuiuy  son  effect, 
et  encores  fait  iournellement,  au  grand  preiudice  et  dom- 
mage de  Troye.  Par  ainsi  tu  as  ouy  loccasion  de  ce  mal- 
heur. » 

La  belle  Nymphe  Pegasis  Oenone,  si  perplexe  et  si  dou- 
teuse, que  plus  ne  pouuoit,  nentendoit  encores  rien  au  lan- 
gage obscur  de  sa  belle  sœur  la  sage  Cassandra.  Et  celle 
aussi  ne  luy  en  vouloit  rien  declairer  plus  auant,  mais 
changeoit  autre  propos,  et  tournoit  tout  à  ieu  et  à  bourde. 
Si  se  prenoient  toutes  ces  nobles  Princesses  ensemble  à  se 
déduire  et  sou  lasser  en  aucun  passetemps.  Et  toute  Ihuma- 

(1)  c.>à-d.  son  arrôt. 


92  ILLVSTRATIONS  BE  GAVLE,    ET 

nité  et  coniouyssement  dont  on  se  pourroit  aduiser  elles  et 
leurs  frères  les  nobles  enfans  de  Priam,  faisoient  à  ladite 
Nymphe,  en  labsence  de  son  seigneur  et  mary  Paris  Alex- 
andre, esmuz  à  ce  pour  la  douceur,  sens  et  beauté  quilz  trou- 
uoient  en  elle.  Et  elle  aussi  leur  rendoit  mutuel  obseque,  (1) 
et  causoit  tant  à  eux,  comme  aussi  au  Roy  et  à  la  Royne, 
beaucoup  de  plaisir  et  de  volupté,  par  les  effectz  de  sa 
noble  science  medecinale,  et  congnoissance  intrinsèque  de 
toutes  herbes,  plantes,  racines,  fruits,  semences,  fleurs, 
pierres  précieuses,  gemmes,  et  espèces  de  mines  métalli- 
ques, et  de  leurs  efficaces  et  vertus.  Au  moyen  dequoy, 
elle  composoit  plusieurs  précieux  vnguens  de  merueilleuse 
odeur  :  Nobles  baumes  artificielz  de  grand  véhémence  et 
opération  :  Conserues  de  toutes  manières  de  choses  aroma- 
tiques :  Antidotes  de  louable  efficace,  contre  tous  venins 
et  poisons  :  Nobles  antraits  (2)  de  grand  remède  et  value  : 
Pouldres  cordiales  bien  mixtionnees  :  Eaues  distillées  en 
lalembic  de  souefue  senteur  et  grand  vertu  :  Quintes  essen- 
ces de  grand  artifice,  et  mille  autres  gentillesses  et  choses 
salutaires,  esquelles  elle  soccupoit  en  passant  son  ennuy, 
et  en  faisoit  grand  seruice  à  ses  amis,  dont  elle  estoit  prisée 
et  cher  tenue  dunchacun.  Mais  délie  nous  laisserons  le 
conte,  pour  le  présent,  et  retournerons  en  Crète,  où  le  Roy 
Menelaus  est.  En  quoy  faisant,  ensuiuray  pour  la  plus  part, 
mon  acteur  Dictys  de  Crète  en  son  premier  liure. 

(1)  obséquieux,  excessif  en  complaisance.  V.  plus  haut  ohscqy,e 
funeralle  =  service  funèbre. 

(2)  c.-à-dire  astringents.  Cf.  intractus,  et  flam.  intrekken,  resser- 
rer. Ce  mot  signifie  aussi  onguents.  Le  manuscrit  de  Genève  porte  : 
entraitt. 


SINGVLARITEZ   DE   TROYE.    UVBB  U.  98 


CHAPITRE  X. 

Explication  da  partage  fait  par  le  Roy  M«nelaas  aaec  ses  coasios  tes 
Roys  de  lisle  de  Candie,  et  autres,  toochant  les  trésors  et  sacces- 
sioDS  de  son  oncle  maternel  Atreus  descendu  de  Minos.  Et  com- 
ment luj  estant  illec,  nouuellea  luy  vindrent  du  l'auissement  de  m 
femme  Heleine.  De  soa  retour  en  Lacedemone  ;  et  de  lambasaad* 
enuoyee  à  Troye. 

Or  met  iceluy  tresancien  acteur  Dictys  de  Crète,  que  le 
Roy  Menelaus  de  Lacedemone,  qui  fut  filz  de  Plisthenes 
et  d'Europa  fille  d' Atreus,  qui  fut  de  Minos,  qui  fut  de  lupi- 
ter,  troisième  de  ce  nom  Roy  de  Crète  (comme  desia  est 
dit  icy  deuant)  fut  le  bien  venu  en  ladite  isle  de  Crète,  quon 
appelle  maintenant  Candie  :  Car  ses  beaux  cousins  Roys 
de  ladite  isle,  cestasauoir  Idomeneus  filz  de  Deucalion,  et 
Merion  filz  de  Molus,  tous  deux  neueux  du  Roy  Minos,  le 
receurent  en  grand  gloire  et  triomphe.  Aussi  sy  trouua  le 
noble  Palamedes  filz  du  Roy  Nauplius  de  lisle  de  Nigre- 
pont,  et  de  la  Royne  Clymena.  Laquelle  Clymena  comme 
ie  puis  coniecturer,  estoit  sœur  dudit  Atreus  de  Crète,  et 
sœur  d'Europa  mère  de  Menelaus.  Autres  aussi  dudit 
lignage  sy  trouuerent  qui  ne  sont  point  à  propos.  Mais  le 
Roy  Agamemnon  de  Mycenes,  frère  aisné  de  Menelaus,  et 
leur  sœur  Anaxibea  femme  du  Roy  Nestor  de  Pylon  ne  sy 
trouuerent  point  :  pource  quilz  furent  occupez  en  autres 
leurs  afiaires,  ains  mandèrent  à  leur  frère  Menelaus  quilz 
se  ôoyent  du  tout  en  luy  du  partage  de  la  succession  à  eux 


94  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

laissée  par  feu  ledit  Roy  Atreus  de  Crète,  leur  ayeul  mater- 
nel :  et  que  ce  quil  en  feroit  haut  et  bas,  seroit  ratifié  par 
eux.  Ainsi  procéda  ledit  Menelaus  auec  les  autres  à  la  diui- 
sion  et  partage  que  dessus.  Et  en  ensuiuant  lordonnance 
testamentaire  dudit  feu  Roy  Atreus,  le  Royaume  de  Crète, 
citez,  terres, .  yiHes,  chasteaux,  et  seigneuries  dependans 
diceluy,  demeurèrent  à  ceux  qui  estoient  descenduz  de  leur 
grand  ayeul  le  Roy  Minos  en  lignée  masculine  :  cestasa- 
uoir  lesdits  Idomeneus  et  Merion,  qui  depuis  vindrent  au 
siège  de  Troye.  Et  les  meubles,  cestasauoir  or  et  argent  en 
œuure  et  en  masse,  et  bestial,  dont  il  y  auoit  grand  multi- 
tude (car  cestoit  la  plus  grand  richesse  des  Princes  anciens) 
furent  distribuez  également  aux  enfans  des  filles  dudit 
Atreus  filz  de  Minos  :  car  il  y  eut  vn  autre  Atreus  filz  de 
Pelops,  et  oncle  dudit  Menelaus,  comme  dessus  est  dit.  Di- 
celuy partage  et  distribution  chacun  se  tint  pour  content  et 
bien  apenné  :  (1)  cestasauoir  le  Roy  Menelaus,  tant  au  nom 
de  son  frère  Agamemnon,  et  de  sa  sœur  Anaxibea,  comme 
pour  luy  mesmes  :  Palamedes  aussi  de  son  costé,  et  les 
autres  du  leur.  Et  ce  fait,  ilz  se  adonnèrent  à  faire  toute 
bonne  chère,  car  les  barons  et  seigneurs  de  ladite  isle  sef- 
forcerent  de  faire  grans  banquets  et  autres  esbatemens,  ius- 
ques  à  ce  que  les  nouuelles  de  la  désolation  de  Lacedemone 
et  de  Cytheree  et  du  rauissement  d'Heleine  vindrent  à  la 
notice  du  Roy  Menelaus. 

Quand  donques  ce  tresdolent  bruit  fut  espars  parmy 
ladite  isle,  et  que  tous  les  iours  suruenoient  gens  de  Lace- 
demone et  de  Cytheree,  qui  faisoient  foy  et  rapport  plus 
que  certain  du  grand  maléfice  perpétré  par  Paris  de  Troye, 

(1)  c.-â-d.  biôû  partagé,  pourvu.  Cf.  Ducange  apaMre,  et  souste- 
nance  (apanamentum). 


SINGTLARITEZ   DE   TROTE.    UVRB  II.  W 

la  feste  et  bonne  chère  cessèrent  soudainement,  entre  let- 
dits  Princes  estans  en  Crète,  et  fut  vnchacun  troublé  oul- 
tremesure.  Mais  dessus  tous  les  autres  le  Roy  Menelaus  en 
menoit  le  plus  grand  dueil  :  car  il  luy  touchoit  de  plus  près. 
Et  combien  que  la  perte  de  ses  trésors  et  richesses  innome» 
râbles,  et  le  rauissement  de  sa  femme  Heleine  lay  fust  bien 
grieue  chose  à  supporter,  toutesuoyes  estoit  il  encore  plus 
desplaisant,  de  liniure  faite  aux  deux  damoiselles,  Ëthra  et 
Clymena  ses  parentes  :  comme  met  expressément  nostre 
acteur  Dictys  de  Crète,  lequel  estoit  natif  de  ladite  isie 
mesmes,  et  pouuoit  estre  présent  à  toutes  ces  choses.  Mais 
iceluy  Menelaus  ignoroit  quelles  eussent  esté  messagères 
secrètes,  ou  pour  mieux  dire,  maquerelles  de  leur  dame. 
Alors  quand  le  noble  Prince  Palamedes,  de  Nigrepont, 
apperceut  son  cousin  le  Roy  Menelaus  à  force  de  grand  ire 
et  indignation  qui  le  surmontoit,  estre  tout  esbahi  et  par- 
fondement  estonné,  sans  sauoir  donner  ordre  à  son  propre 
affaire,  il  aduisa  promptement  de  faire  equipper  les  nauires 
siennes  et  celles  dudit  Roy  Menelaus.  Puis  Palamedes  vint 
audit  Roy  son  cousin,  et  le  consola  en  peu  de  paroles,  au 
mieux  quil  peut  :  en  allegant  tout  ce  qui  fait  à  alléguer 
en  tel  cas  :  et  le  feit  monter  en  vne  de  ses  galees.  Et  quand 
ilz  furent  tous  montez  et  embarquez,  il  se  meirent  en 
mer,  et  eurent  temps  à  souhait,  si  arriuerent  en  peu  de 
temps  en  la  cité  de  Lacedemone,  fort  désolée  et  endom- 
magée par  les  Troyens.  Là  où  le  Roy  Agamemnon  et  le 
Roy  Nestor,  et  la  plus  part  dautres  Princes  qui  estoient 
descenduz  de  la  génération  de  Pelops,  furent  desia  arriuez 
incontinent  quilz  sceurent  les  nouuelles  de  la  destrousse 
que  Paris  y  auoit  commise. 

Quand  donques  lesdits  Princes  sceurent  la  venue  du  Roy 
Menelaus,  ilz  conuindrent  très  tous  ensemble  en  son  palais, 


96  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

pour  prendre  délibération  sur  laffaire,  qui  tant  leur  tou- 
choit  au  cœur.  Et  combien  que  lenormitè  du  fait  les  inci- 
tast  de  prime  face  par  grand  fureur  et  concitation,  de  com- 
mettre plusieurs  choses  estranges  sur  matière  de  guerre,  à 
lencontre  des  Troyens  leurs  ennemis  mortelz,  neantmoins 
par  arrest  meur  et  bien  pondéré,  en  ladite  commune  assem- 
blée ilz  conclurent,  que  au  nom  gênerai  dentre  eux  tous 
parens,  amis,  alliez,  et  confederez  ensemble,  fust  enuoyé 
premièrement  et  auant  toute  œuure,  vne  ambassade  au  Roy 
Priam,  pour  luy  exposer  les  griefz,  iniures  et  torsfaits  à 
eux  inferez  par  son  filz  Paris,  et  le  sommer  de  rendre  la 
Royne  Heleine,  Ethra  et  Clymena,  parentes  des  Roys  Aga- 
memnon  et  Menelaus.  En  semblable  traité  ce  qui  auoit  esté 
rauy  et  emporté  iniustement  auec  elles  :  et  auec  ce  deman- 
der haute  satisfaction  de  liniure.  Et  pour  ce  faire  et  em- 
prendre  furent  esluz  trois  grans  personnages  :  cestasauoir 
le  dessusnommé  Palamedes,  Vlysses  filz  de  Laërtes  Roy  des 
isles  d'Itaque  et  de  Chanthelonie,  (1)  et  pour  le  troisième 
Menelaus.  Lesquelz  se  meirent  sur  mer  en  grand  diligence  : 
et  prindrent  le  chemin  pour  tirer  à  Troye  :  et  tant  feirent 
par  leurs  iournees,  quen  peu  de  temps  ilz  y  paruindrent. 

Eux  arriuez  à  Troye,  le  Prince  Palamedes  de  Nigrepont, 
lequel  estoit  pour  le  temps  dadonques  beaucoup  estimé  tant 
aux  armes  comme  au  conseil,  se  tira  incontinent  deuers  le 
Roy  Priam  :  et  en  plein  consistoire  feit  premièrement  son 
plaintif  et  querimonie  de  loutrage  perpétré  en  Lacedemone 
et  en  Cytheree  par  Paris  Alexandre.  Exposant  comment  il 
auoit  subuerty  le  droit  coustumier  de  toutes  gens,  en  com- 
mettant opprobre  si  énorme  et  si  exécrables  es  personnes 
propres  de  la  femme  du  Roy  Menelaus  son  hoste,  et  de  ses 

(I)  Chan/elonie  (mscr.  de  Oenôve). 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.   UVM   II.  97 

parentes  :  et  aussi  en  pillant  ses  villes  et  citez,  et  en  occisant 
ses  subietz  sans  sommation  de  guerre  preallable.  Puis  luj 
spécifia  quelles  et  quantes  haynes  et  semences  de  guerre  se 
pourroient  esmouuoir  entre  deux  si  grans  règnes  (1)  et  na- 
tions, comme  estoient  les  Grecz  et  les  Troyens,  pour  loccasioflP 
dudit  forfait,  en  réduisant  aussi  à  mémoire  (2)  les  anciennes 
discordes  de  leurs  ancestres  Ilion  et  Pelops,  desquelz  les 
Royaumes  et  seigneuries  firent  tous  destruits  pour  sembla-' 
ble  cause.  Au  dernier,  il  mettoit  en  auant  dun  costé  ler* 
diffîcultez  de  la  guerre  :  et  de  lautre  part,  les  biens  et  les 
proufits  que  paix  nourrit  et  ameine  :  disant  que  le  Roy 
Priam  nauoit  pas  à  ignorer,  combien  de  mespris  et  indigna- 
tion vn  si  grief  oultrage  pourroit  esmouuoir  entre  tous  ceux 
du  monde.  Parquoy  il  sensuîuroit  que  ceux  qui  lauoient 
perpétré  seroient  relenquiz  et  abandonnez  dunchacun,  et 
en  parfîn  souffiriroient  grieue  punition  de  leur  malice.  Et 
ainsi  que  Palamedes  vouloit  encore  déduire  plusieurs  autres 
choses,  le  Roy  Priam  luy  entrerompit  sa  parole,  et  luy  dit 
en  ceste  manière  : 

«  le  te  prie,  Palamedes,  que  tu  te  passes  vn  peu  plus  légè- 
rement (3)  de  produire  ces  langages  si  odieux,  et  que  tu  ten 
déportes  (4)aumoins  iusques  à  la  venue  de  mes  enfans.  Car  il 
me  semble  que  cenest  pas  chose  droituriere  daccuser  aucun 
en  son  absence,  attendu  mesmement  quil  est  possible  que 
les  cas  et  crimes  dont  on  charge  celuy  qui  est  absent  puis- 
sent estre  aboliz,  ou  deflfenduz,  par  présence.  Ces  choses  et 
autres  allega  le  Roy  Priam,  et  commanda  quon  difierast  la 
discussion  de  ces  quereles  iusques  au  retour  de  son  filz 

(1)  Cf.  l'italien  regno  =  royaume. 

(2)  c.-à-d.  ramener,  rappeler. 

(3)  c.-à-d.  facilement. 

(4)  c.-A-d.  tu  fen  abstiennes. 

II.  7 


96  ILLYSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

Paris  et  des  autres.  Et  la  cause  fut,  pource  quil  voyoit  bien 
et  congnoissoit  que  tous  ceux  de  son  conseil  meuz  par  lorai- 
son  de  Palamedes,  tacitement  et  à  chère  baissée  sembloient 
sencliner  de  son  costé,  et  estre  malcontens  de  lœuure  per- 
pétrée par  Paris,  Car  ledit  Palamedes  en  exposant  toutes 
ces  choses,  par  la  faconde  de  son  beau  langage  Grec,  leur 
auoit  causé  pitié  et  commisération  du  cas.  Ainsi  le  conseil 
fut  délaissé  pour  ce  iour.  Et  le  Prince  Antenor,  homme  de 
grand  magnificence,  et  selon  lopinion  de  Dictjs  de  Crète 
plus  humain  et  mieux  entendant  raison  que  nul  des  autres, 
présenta  libéralement  son  hostel  ausdits  ambassadeurs,  et 
les  y  mena  de  leur  grand  vouloir. 

Sur  ce  passage  icj  vient  (1)  à  coniecturer  comme  la  poure 
Nymphe  Pegasis  Oenone  après  auoir  ouy  les  tresdures  et 
tresdolentes  nouuelles  que  les  ambassadeurs  de  Grèce 
auoient  apportées  pour  elle,  commença  aprimes  à  clerement 
entendre  les  obscures  vaticinations  et  prophéties  de  sa  belle 
sœur  Cassandra  la  prudente  pucelle.  Et  aussi  fait  à  présup- 
poser que  ladite  Nymphe  fut  percée  dun  dard  rigoureux 
de  dueil  empoisonné  de  ialousie,  et  quelle  feit  mainte 
piteuse  lamentation,  et  ietta  maint  souspir  véhément  pour 
ceste  cause.  Mais  telles  choses  se  peuuent  mieux  imaginer 
que  escrire.  Pourquoy  ie  men  déporte  à  présent,  et  men 
vois  chercher  Paris  et  les  nauires  Troyennes,  que  nous 
auons  laissé  sur  mer,  au  partir  de  Cytheree,  comme  auez 
dessus  ouy,  pour  icelles  ramener  à  Troye. 

(1)  c.-à-d.  on  peut  supposer  que... 


8INGVLARITEZ   DE   TROYE.    LIVRE   II. 


CHAPITRE  XI. 

Des  errears  (1)  de  Paris,  faits  en  mer  depuis  son  partement  de  Cjthe* 
ree  :  et  comment  par  force  de  tempeste  il  an-iua  en  lisle  de  Cypre, 
et  dillec  fat  transporté  en  Syrie,  laquelle  est  amplement  desciite  : 
et  pilla  la  cité  de  Sidone,  et  tua  trajtreusemeQt  le  Roy  dicelle  son 
hoste  :  et  de  la  vengeance  qui  depuis  en  fat  faite  par  ceux  de 
Rhodes. 

Le  sovvent  allégué  Dictys  de  Crète  acteur  tresautentique 
nous  recite,  que  le  beau  Paris  Alexandre  et  ses  complices, 
emmenans  leur  malheureuse  proye  de  Lacedemone  et  de 
Cytheree,  après  ce  quilz  eurent  fait  voile  de  vent  non  pro- 
pice comme  dessus  est  dit,  pource  quilz  nosoient  plus  demou- 
rer  en  terre  de  leurs  ennemis,  et  quilz  se  furent  escartez  en 
mer,  à  force  de  tourmente  et  orage,  ilz  furent  transportez 
malgré  leurs  dents  à  dextre  là  où  ilz  vouloient  aller  à  senes- 
tre  :  car  ilz  tendoient  de  la  mer  de  Larchipel  entrer  en  la 
mer  Hellesponte  :  et  ilz  furent  iettez  sur  la  coste  d'Afrique, 
quon  dit  maintenant  Barbarie  de  myiour.  Et  laissèrent  à 
gauche  lisle  de  Candie,  et  lisle  de  Rhodes.  Pline  au  xxxiii. 
liure  de  Ihistoire  Naturelle,  met  quen  vne  isle  des  Rhodiens, 
nommée  Lyndos,  et  au  temple  de  Minerue,  Heleine  en  pas- 
sant donna  et  consacra  vu  calice  ou  hanap,  dun  métal 
nommé  en  Latin  electrum,  lequel  se  fait  des  cinq  pars  dor, 
et  lune  dargent.  Et  estoit  ledit  hanap  de  la  grandeur  de  sa 

(1)  voyagei. 


fOO  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

mamelle.  Dillec  comme  ie  croy  à  force  de  tempeste,  et  pource 
que  leurs  nauires  estoient  trop  chargées  de  la  despouille  des 
Lacedemoniens  et  de  ceux  de  Cytheree,  ilz  perdirent  beau- 
coup de  leurs  appareilz,  et  furent  les  galees  fort  desbiffees  (1). 
Finablement  la  fortune  des  vents  les  transporta  dedens  la 
mer  de  Carpathie  et  en  la  mer  Pamphylienne,  là  où  est  le 
gouffre  de  Sathalie  près  du  riuage  de  Turquie.  Tant  quen 
la  parfin  ilz  se  trouuerent  à  lendroit  de  lisle  de  Cypre  :  en 
laquelle  après  que  la  mer  fut  appaisee,  ilz  prindrent  port  et 
ancrèrent.  Si  estoit  Roy  de  ladite  isle  pour  lors,  vn  nommé 
Cuneus,  lequel  depuis  vint  à  layde  des  Grecz  contre  Priam. 
Mais  pour  lors  il  laissa  ancrer  les  Troyens  paisiblement  : 
car  il  estoit  ignorant  des  maux  par  eux  perpétrez  en  Lacede- 
mone  et  Cytheree.  Et  auec  ce,  souffrit  quilz  radoubassent 
leurs  nauires,  et  quilz  en  prinssent  ou  feissent  faire  dau- 
tres,  pour  alléger  les  leurs.  Lesquelles  choses  faites,  iceux 
Troyens  se  remirent  en  mer.  Et  derechef  ou  par  fortune,  ou 
par  la  faute  et  ignorance  de  leurs  pilots  et  mariniers,  ou 
parauenture  tout  à  leur  essient,  ilz  furent  transportez  en 
la  mer  Syrienne  droit  deuant  la  cité  de  Sidone,  (2)  qui  est 
en  Syrie.  De  laquelle,  selon  nostre  manière  accoustumee,  il 
faut  vn  peu  descrire  la  situation  particulière,  combien  que 
généralement  il  en  sera  encores  touché  au  dernier  luire. 

Selon  ce  quon  peult  cueillir  par  les  dits  de  Strabo,  au 
XVI.  liure  de  sa  Géographie,  Pline  au  cinquième  liure  delhis- 
toire  Naturelle,  et  Isidore  (3)  auxxiii.  de  ses  Etymologies, 
Syrie  est  lune  des  plus  grands  régions  d'Asie  la  maieur,  et 
est  conformée  ainsi  quil  sensuit  :  deuers  Orient,  elle  ha  le 


(1)  Dans  Jean  Marot,  on  trouve  «  esgriiTées,  usées  et  desbiffées  ». 

(2)  Sydone  (mscr.  de  Genève).  C'est  Sidon. 

(3)  Ysodore  (mscr.  de  Genève). 


SINGVLARITEZ   DE   TEOYE.    LIVBB  II.  f9i 

grand  fleuue  Euphrates  :  deuers  Occident,  Egypte  et  la 
mer  Mediterrane  :  du  costé  de  Mydi,  la  mer  Arabique, 
et  de  Septentrion,  Arménie  et  Cappadoce.  Elle  se  diuise 
en  quatre  parties  principales.  La  première  sappelle  Syrie 
de  Mésopotamie,  située  entre  les  fleuues  Tigris  et  Euphra- 
tes. Et  là  est  la  grand  et  ancienne  cité  nommée  Ëdissa,  (1) 
autrement  Rhages  Medorum.  La  seconde  est  Celosyrie,  en 
laquelle  est  Antioche  tresnoble  cité  :  en  laquelle  saint 
Pierre  fut  premier  euesque.  La  tierce  sappelle  Syrie  de 
Phenice.  Et  la  quarte  Syrie  de  Damas,  en  laquelle  est  la 
cité  de  Damas,  tresrenommee  pour  la  conuersion  de  saint 
Paul.  Et  est  assise  au  pied  du  mont  Libanus,  duquel  ist  le 
tressacré  fleuue  Jourdain.  Mais  la  première,  deuxième  et 
quatrième,  ne  sont  rien  à  nostre  propos,  fors  seulement  la 
tierce.  Cestasauoir  la  prouince  de  Phenice,  laquelle  est 
ainsi  nommée,  de  par  Phénix  filz  du  Roy  Agenor,  et  frère 
de  Cadmus  qui  fonda  Thebes  en  Beotie,  (2)  et  de  la  belle 
Europa.  Lequel  Phénix  venant  des  grands  Thebes  d'Egypte, 
constitua  illec  son  habitation.  Et  fut  premier  inuenteur  des 
characteres  et  formes  de  lettres,  lesquelles  il  escriuit  de 
couleur  phénicienne  ou  vermeille.  Iceluy  Phénix  fut  père 
de  Belus  deuxième  de  ce  nom.  Lequel  engendra  Dido 
Roy  ne  de  Carthage.  Bocace  met  au  second  liure  de  la 
Généalogie  des  Dieux,  que  les  Phéniciens  iadis  prostitu- 
oient  et  abandonnoient  leurs  filles,  auant  les  marier,  et  du 
gaing  quelles  auoient  fait  à  ladite  prostitution  de  leurs 
corps  on  leur  en  faisoit  leur  douaire.  Et  en  ce  ensuiuoient 
ilz  ceux  de  lisle  de  Cypre  :  qui  semblablement  le  faisoient  : 
car  la  Déesse  Venus  leur  auoit  estably  eeste  belle  loy. 
Toutes  les  citez  principales  de  la  prouince  de  Phenice 

(1)  Edyssa  (mscr.  de  Genève).  C'est  Edesse. 

(2)  Boetie  (macr.  de  Genève). 


i02  ILLTSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

sont  maritaines,  (1)  assises  sur  le  riuage  de  la  mer  Mediter- 
rane.  Entre  lesquelles  sont  Biblus  tresancienne,  et  Baruth, 
laquelle  est  fréquentée  par  les  marchans  Occidentaux  , 
Vénitiens  et  autres  qui  y  vont  au  temps  présent  charger 
plusieurs  marchandises  venans  d'Arabie.  Aussi  y  est  la  cité 
d'Acre,  anciennement  appellee  Ptolemais,  laquelle  souloit 
estre  aux  Chrestiens,  et  y  habitoient  marchans  Vénitiens, 
Geneuois,  et  Pisans  :  comme  met  Platina  historien.  Mais 
au  moyen  des  dissensions  menées  entre  lesdits  Vénitiens  et 
Geneuois,  finablement  elle  ha  esté  tollue  à  la  Chrestienté 
par  les  Sarrasins  de  Syrie,  dont  cest  grand  dommage  :  car 
elle  estoit  bien  propice  au  recouurement  de  la  terre  sainte. 
Et  non  pas  loing  d'Acre  est  la  sainte  et  belle  montaigne 
appellee  Carmelus,  en  laquelle  habita  iadis  le  bon  prophète 
Elisée  ;  et  dicelle  montaigne  ha  prins  son  nom  lordre  des 
frères  Carmélites  :  lesquelz  le  Roy  saint  Loys  amena  pre- 
mièrement en  France.  Aussi  y  est  le  port  de  loppe,  quon 
appelle  maintenant  lafFa  :  là  où  on  descend  les  pèlerins  qui 
veullent  aller  en  Hierusalem.  Et  audit  port  de  loppe  Per- 
seus  filz  de  lupiter  et  de  la  belle  Danae  deliura  la  noble 
Andromeda  fille  du  Roy  Cepheus  d'Ethiope.  Laquelle  estoit 
exposée  à  vne  grande  baleine  et  monstre  marin  qui  la 
deuoit  deuorer  :  et  y  voit  on  encore  lune  des  costes  dudit 
monstre,  laquelle  ha  bien  quarante  piedz  de  longueur.  Il  y 
ha  aussi  en  ladite  prouince  autres  citez,  si  comme  Cesaree, 
Capharnaum,  et  autres,  dont  la  sainte  escriture  fait  men- 
tion, lesquelles  ie  passe  souz  silence  :  car  elles  ne  sont 
point  au  propos.  Mais  ce  qui  sert  à  nostre  cas,  est  la  région 
de  Tripolis,  en  ladite  prouince  de  Phenice,  laquelle  est 
toute  assise  sur  la  marine.  Et  est  appellee  Tripolis  pource 
quelle  contient  trois  citez  principales  :  cestasauoir  Aradus, 

(1)  sont  maintenant  (éd.  1516). 


SmOVLARITEZ   DE   THOTB.    LITRE  II.  108 

Sidon,  et  Tyrus,  comme  met  expressément  Strabo  en  sa 
Géographie.  Et  est  ladite  région  Tripolitaine,  située  entre 
la  cité  de  Baruth,  et  la  cité  d'Acre  dessus  mentionnées. 
Ladite  cité  de  Tyrus  fut  de  grande  ancienneté,  et  en  font 
souuent  mention  les  poètes  et  les  historiens,  pour  la  bonne 
pourpre  qui  sy  fait.  Mesmes  la  sainte  escriture  en  parle 
souuent.  Et  la  fonda  le  Roy  Agenor,  père  de  la  belle 
Europa,  laquelle  lupiter  troisième  de  ce  nom,  Roy  de 
Crète,  rauit  sur  le  riuage  de  Tyrus  où  elle  se  iouoit  auec 
ses  pucelles.  Et  pour  ce  faire  se  transforma  en  guise  dun 
taureau,  selon  les  fables.  Et  engendra  en  elle  Minos,  Rha- 
damanthus  et  Sarpedon.  Et  pour  laraour  dicelle,  feit  nom- 
mer la  tierce  partie  du  monde  de  son  nom,  cest  Europe,  en 
laquelle  nous  habitons.  Et  en  ladite  cité  de  Tyrus,  et  aussi 
de  Sidone  régna  iadis  le  dessusnommô  Belus  deuxième  de 
ce  nom,  père  de  la  Royne  Dido,  autrement  nommée  Elisa. 
Laquelle  fonda  la  grand  cité  de  Carthage  en  Afrique,  où 
elle  receut  Eneas  Troyen,  errant  par  la  mer  après  la  déso- 
lation de  Troye,  comme  met  Virgile  en  ses  Eneïdes.  Et 
souloit  estre  ladite  cité  de  Tyrus  en  la  puissance  des  Chres- 
tiens,  mais  elle  ha  esté  perdue  par  la  dissension  des  Gene- 
uois  et  Vénitiens,  comme  dessus  est  dit  de  la  cité  d'Acre.  Et 
au  parauant  y  fut  enterré  lempereur  Federic  Barberousse, 
comme  nous  dirons  plus  à  plein  au  dernier  liure. 

Sidone,  voisine  de  Tyrus,  est  située  en  beau  plein  (1)  pais, 
et  en  lieu  fertile  à  merueilles,  et  souloit  auoir  deux  bons 
ports  et  haures.  Si  estoient  les  Sidoniens  de  tous  temps 
puissans  gens  à  cause  du  nauigage,  duquel  ilz  furent  fort 
dextres  et  expers.  Et  comme  met  Strabo,  dune  manière  de 
terre  qui  croit  illec,  ilz  auoient  grand  industrie  de  sauoir 

{\)plain  (mscr.  de  Gânôve) ,  c.-&-d.  en  plaine. 


404  ILLTSTRATIONS   DE   GAVJLE,   ET 

faire  fort  bel  ouurage  de  voyrres  crystallins,  comme  on  fait 
maintenant  à  Venise.  Alexandre  le  grand  en  son  temps 
conquit  Sidone  par  force.  Aussi  les  Chrestiens  la  tollurent 
aux  Sarrasins  de  Syrie,  du  temps  du  Roy  saint  Loys  de 
France,  comme  met  Piatina  en  la  vie  des  Papes.  Et  cest  ce 
que  ie  saurois  dire  en  brief  de  la  description  et  situation 
de  la  cité  de  Sidone  :  sinon  que  maintenant  elle  est  des- 
truite et  déserte  totalement,  comme  met  Bernard  de  Bri- 
dembach,  doyen  de  Maience,  en  son  voyage  de  Hierusalem. 
Ainsi  peult  on  congnoitre,  quil  ny  ha  rien  de  perpétuel 
souz  le  ciel. 

Pour  reuenir  donques  à  nostre  propos  principal  :  ladite 
cité  de  Sidone  flourissoit  en  grand  triomphe  et  richesses  du 
temps  de  Troye.  Et  regnoit  en  icelle  vn  Roy  duquel  nostre 
acteur  Dictys  de  Crète  ne  met  point  le  nom  :  lequel  estoit 
riche  et  puissant  à  merueilles.  Et  quand  Paris  Alexandre, 
et  Deïphobus  et  leurs  compaignons  furent  amenez  par  for- 
tune de  vent  ou  autrement,  comme  dessus  est  dit,  deuant 
ladite  cité  de  Sidone,  ilz  enuoyerent  audit  Roy  de  Sidone 
aucuns  personnages  graues  et  honnestes  par  semblance,  en 
vne  barquette,  pour  luy  remonstrer,  comment  par  force  de 
tempeste  et  lerreur  de  leurs  mariniers,  ilz  auoient  esté 
transportez  illec  :  et  requérir  quil  luy  pleust  leur  ottroyer 
port  et  saufconduit  en  sa  cité  aucune  brieue  espace  de 
temps,  à  fin  deux  refreschir  et  rauitailler.  Lesquelz  person- 
nages venuz  en  la  cité  de  Sidone,  et  que  ledit  Roy  eust 
entendu  par  eux  que  cestoient  deux  des  enfans  et  le  gen- 
dre du  grand  Roy  Priara  de  Troye,  il  fut  tresioyeux  et 
tresdesirant  de  leur  faire  honneur  et  plaisir,  pour  acquérir 
leur  accointance  et  beniuolence,  ignorant  lenorme  cas  per- 
pétré par  eux  à  Lacedemone  et  en  lisle  de  Cytheree.  (1)  Si 

(1)  Citharée  (mscr.  de  Genève). 


SIIIGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVBE   II.  (M6 

commanda  promptement  ouurir  le  port  de  Sidone,  et  luy 
mesmes  les  vint  receuoir  à  grand  feste  et  mélodie,  dont  il 
sen  repentira. 

Quand  les  Troyens  eurent  ancré  et  furent  descenduz  en 
terre,  le  bon  Roy  de  Sidone  print  Paris,  Deïphobus  et 
Ëneas,  et  les  principaux  des  autres.  Si  les  mena  en  son 
palais,  et  leur  feit  aucuns  iours  la  plus  grand  chère  du 
monde  pendant  quon  rabilloit  les  nauires  :  et  leur  monstra 
sa  gloire  et  son  triomphe,  et  desploya  tous  ses  trésors.  Des- 
quelz  Paris  insatiablement  conuoiteux,  en  adioustant  crime 
sur  crime,  conspira  auec  ses  compaignons  de  les  rauir  et 
emporter.  Ce  quil  feit  par  effect,  et  tua  de  nuict  par  aguet 
et  trahison  ledit  Roy  son  hoste,  lequel  lauoit  si  humaine- 
ment traité,  et  ne  se  donnoit  garde  aucunement  de  lexe- 
crable  peruersité  diceux  Troyens.  Si  conuertit  le  tresui- 
cieux  iouuenceau  Paris  tout  le  Palais  du  Roy  des  Sidoniens 
en  occision,  tumulte  et  lamentation,  comme  il  auoit  desia 
fiait  en  la  cité  de  Lacedemone.  Ainsi  tout  ce  qui  auoit  esté 
mis  en  auant,  pour  ostentation  de  la  magnificence  Royale, 
fut  iniquement  pillé  et  rauy  par  mauuaistié  desloyalle  :  et 
commanda  Paris,  quon  portast  tout  aux  nauires.  Mais 
quand  ceux  de  la  cité  de  Sidone  entendirent  les  plaints  (1)  et 
les  clameurs  misérables  des  gens  et  seruiteurs  de  leur  Roy, 
qui  dauenture  estoient  eschappez  du  palais,  et  auoient  euadé 
la  mort,  si  crioient  au  meurtre,  et  plouroient  misérable- 
ment la  mort  de  leur  seigneur  et  Roy.  Le  peuple  sesmut 
alors  tumultueusement,  courant  aux  armes  :  et  tous  à  vne 
flotte  (2)  sencoururent  vers  le  palais  Royal.  Mais  Paris  Alex- 
andre, après  auoir  prins  la  meilleur  proye  quil  eust  peu 

{l) plaintz  {mncr.  de  Genève).  Cî.  planctui. 
(2)  c.-à-d.  en  foule. 


4W  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

esleuer,  sestoit  desia  retiré  en  ses  nauires,  et  se  hastoit  de 
faire  voile  pour  partir.  De  laquelle  chose  aduertis  les 
citoyens  de  Sidone,  laissèrent  le  palais,  et  furent  prompts 
de  sadresser  au  port  pour  les  en  garder.  (1)  Si  commença 
entre  les  deux  parties,  dure  et  aigre  escarmouche,  et  en  mou- 
rut beaucoup  dun  costé  et  dautre.  Car  les  Sidoniens  assail- 
loient  vertueusement  leurs  ennemis,  pour  venger  la  mort 
iniuste  et  traytreuse  de  leur  Roy.  Et  les  Troyens  se  deffen- 
doient  obstinément,  pour  sauner  eux  mesmes,  et  de  peur  de 
perdre  le  butin.  Toutesuoyes  deux  de  leurs  nauires  furent 
bruslees,  et  les  gens  mors  et  noyez  :  mais  le  demouramt 
ilz  preseruerent  par  grand  vaillance.  Et  finablement 
eschapperent  de  Sidone i  et  se  rebouterent  en  mer,  après 
que  les  Sidoniens  qui  nauoient  point  de  chef,  furent  fort 
lassez  de  la  bataille. 

le  nignore  pas  sur  ceste  matière,  ce  que  le  père  des  his- 
toriens Herodotus  Halicarnasseus  met  au  deuxième  liure 
de  son  histoire,  touchant  les  erreurs  de  Paris,  disant  que 
après  le  rauissement  d'Haleine  il  vaucra  (2)  beaucoup  par  la 
marine  :  et  arriua  à  lune  des  bouques  du  fleuue  du  Nil  : 
là  où  regnoit  pour  lors  vn  sage  Roy,  nommé  Proteus.  Mais 
pource  que  de  ce  poinct  ha  esté  touché  (3)  au  prologue  de 
ce  liure,  ie  men  déporte  :  et  reuiens  à  mon  acteur  Dictys. 
Lequel  en  son  quatrième  liure  met  que  ledit  robement  et 
déprédation  de  Sidone,  et  loccision  du  Roy,  ne  demeu- 
rèrent pas  impunis,  mais  sen  ensuiuit  vengeance  sur  telz 
qui  nen  pouuoient  mais,  et  neantmoins  ilz  le  comparèrent  (4) 
comme  il  adulent  souuent  :  et  la  manière  fut  telle. 

(1)  c.-à-d.  empêcher. 

(2)  c.-àd.  erra.  Dans  Froissant  tvaticrer  (angl.  to  walk). 

(3)  sera  touché  en  la  fin  de  ce  livre  (mscr.  de  Genève). 

(4)  c.-à-d.  payèrent,  expièrent. 


SINGTLARITEZ  DE   TROTE.    LITBE   II.  107 

Certain  temps  après  pendant  lemotion  de  la  guerre 
Troyenne,  vn  Duc  de  Syrie  nommé  Phala,  par  amour  affi- 
nitiue  (1)  ou  alliance  quil  auoit  auec  le  Prince  Memnon  âiz 
de  Tithonus  et  neueu  de  Priam,  duquel  nous  parlerons 
plus  amplement  au  dernier  liure,  ou  parauenture  comme 
souldoier  et  subiet  de  Tenthanes  Roy  des  Assyriens,  lequel 
enuoya  ledit  Memnon  au  secours  de  Troye,  menant  grosse 
armée  d'Indiens  et  Persans  par  terre  :  et  ledit  Phala  venoit 
par  mer.  Si  aborda  par  son  malheur  en  lisle  de  Rhodes, 
laquelle  estoit  du  parti  contraire  :  cestasauoir  fauorisant 
aux  Grecz  contre  les  Troyens  :  car  leur  Roy  nommé  Tle- 
polemus  estoit  deuant  Troye.  Laquelle  chose  quand  le  Duc 
Phala  entendit,  il  fut  bien  honteux  et  bien  desplaisant, 
craingnant  que  si  lesdits  Rhodiens  sauoient  quil  allast  au 
secours  de  Priam,  quilz  bruslassent  ses  nauires  et  le  pil- 
lassent. Et  eust  voulentiers  fait  voile  pour  sen  aller  promp- 
tement  hors  de  la  terre  ennemie  :  mais  pource  quil  ne  fai- 
soit  pas  temps  de  nauiguer,  il  fut  contraint  de  demourer 
illec  vne  espace.  Et  à  fin  deuiter  tous  dangers,  il  deffendit 
à  ses  gens  quilz  se  gardassent  estroitement  de  declairer  aux 
Rhodiens  quilz  alloient  à  Troye,  ainçois  dissimulassent 
quelque  autre  chose  quil  leur  meit  en  bouche.  Mais  pource 
que  cest  chose  difficile,  de  cohiber  et  introduire  (2)  vne  si 
grande  multitude  de  gens,  après  que  les  Syriens  se  furent 
iettez  hors  de  leurs  nauires,  et  espartis  parmy  deux  villes 
de  lisle  de  Rhodes,  pour  auoir  aucuns  viures  et  autres 
besongnes  à  eux  nécessaires,  les  Rhodiens  qui  en  auoient 
suspicion  véhémente ,  senquirent  cauteleusement  de  la 
vérité,   tant  quilz  en  furent  à  plein  informez.  Laquelle 

(1)  afflnite  (mscr.  de  Genève). 

^2)  c.-à-d.  retenir  et  engager.  Cf.  Introducere  dans  Ducange. 


HfHè  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,    ET 

sceue,  iceux  Rhodiens  se  tirèrent  vers  le  Duc  Phala,  et  en 
la  présence  de  tous  ses  gensdarmes,  luy  dirent  et  remons- 
trerent  comment  ilz  le  trouueroient  bien  lasche  et  de  nature 
estrange  et  barbare,  luy  qui  estoit  grand  seigneur  entre  les 
nobles  de  Syrie,  quand  il  alloit  au  secours  de  Priam.  Veu 
que  nagueres  Paris  Alexandre,  filz  dudit  Priam,  auoit  tué 
le  Roy  de  Sidone  en  Phenice,  son  voisin,  et  pillé  tous  les 
trésors  de  son  palais  :  pour  laquelle  chose  il  sembloit  que 
ledit  Duc  Phala  voulsist  porter  (1)  et  deffendre  vn  si  vilain 
fait,  contre  ceux  de  son  pais  propre.  Et  allegoient  en  oultre 
lesdits  Rhodiens,  beaucoup  dautres  raisons  qui  faisoient 
pour  eux,  et  pour  esmouuoir  le  populaire  contre  ledit  Duc. 
Laquelle  chose  ne  se  passa  point  sans  sortir  son  effect  :  Car 
les  Phéniciens  et  Sidoniens,  dont  il  auoit  plusieurs  soul- 
doiers  et  vassaux  en  larmee  du  Duc  Phala,  esmuz  tant  par 
la  querimonie  des  Rhodiens  comme  par  couuoitise  du  pil- 
lage, se  mutinèrent  ensemble,  et  tournèrent  à  leur  bende 
la  plus  part  de  larmee.  Si  coururent  sur  le  demeurant  de 
larmee  des  Syriens,  mesmes  à  leur  Duc  Phala  et  lassom- 
merent  de  coups  de  pierre.  Puis  pillèrent  tout  lor  et  lar- 
gent  de  leurs  souldees,  mesmes  les  richesses  de  leur  Duc, 
armures,  vtensiles,  et  viures  estans  es  nauires  quilz  auoient 
amenez,  et  vendirent  les  vaisseaux  aux  Rhodiens  :  puis 
distribuèrent  le  tout  entre  eux,  par  manière  de  butin,  tant 
quilz  en  furent  tous  riches  :  et  se  diuiserent  en  bendes  par 
les  villes  de  lisle  de  Rhodes.  Esquelles  depuis  ilz  habi- 
tèrent, par  la  licence  des  Rhodiens.  Car  ilz  ne  sen  fussent 
osez  retourner  en  leur  pais  de  Syrie.  Et  voila  comment  fut 
vengé  loutrage  fait  à  Sidone  de  ce  costé.  Or  faut  il  retour- 
ner à  nostre  propos  principal  de  Paris  et  de  ses  compai- 
gnons. 

(1)  c.-à-d.  par  là  il  semblait  vouloir  sontenir  (portaré). 


8INGTLAU1TEZ  DE   TROYE.    LIVRE  II.  109 


CHAPITRE  XII. 

Da  retour  de  Paria  ai  Troye,  auec  Heleine  :  de  la  vaticiBation  de 
Catnandra,  du  dneil  de  la  Nymphe  Oeoone,  et  comment  elle  laîsra 
Troye,  et  sen  alla  demeurer  à  Cebrine  :  de  la  réception  d' Heleine  : 
et  du  mariage  délie  auec  Paris.  Et  comment  le  peuple  sesmut  et 
laboura  à  ce  que  Heleine  fust  restituée  à  son  mary,  et  aux  ambaa-» 
aadeurs  de  Grèce.  Et  par  quel  moyen  il  y  fut  obuië,  tant  par  Paris 
et  DelphoboB,  comme  par  Hecuba  et  Heleine.  Aoec  recitation  dn 
danger  duquel  les  ambassadeurs  furent  presernez  par  Antenor.  Et 
du  partement  diceux. 

Apres  la  direption  de  Sidone,  les  Troyens  nerrerent 
plus  par  la  marine,  selon  nostre  acteur  Dictys  de  Crète, 
ains  tindrent  leur  chemin  tout  droit  vers  Troye  la  grand, 
sans  plus  diuertir  (1)  ne  ça  ne  là  :  et  tant  exploitèrent,  quilz 
arriuerent  en  lisle  de  Tenedos,  comme  met  Dares  de  Phry- 
gie.  Laquelle  est  vis  à  vis  du  port  de  Sigee,  et  à  xnii.  mille 
pas  de  Troye,  comme  sera  touché  plus  à  plein  au  dernier 
Hure.  Et  illec  Paris  consola  la  belle  Heleine,  laquelle  estoit 
triste  et  ennuyée  du  long  nauigage,  et  feit  sauoir  sa  venue 
au  Roy  Priam  son  père,  comme  met  le  dessusdit  Dares  :  de 
laquelle  le  Roy  fut  tresioyeux,  et  feit  faire  grand  appareil, 
pour  laller  receuoir  au  port  de  Sigee.  Si  y  vindrent  la  plus 
part  des  enfans  de  Priam  :  qui  amenèrent  les  dames  pour 
receuoir  la  belle  Heleine,  entre  lesquelles  la  triste  Nymphe 
Oenone  ne  fut  pas  la  dernière  qui  y  alla.  Non  pour  sem- 
blable cause,  ains  sans  plus,  pour  voir  si  le  comble  de  sa 

(1)  c.-à-d.  s'écarter. 


tg^  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,   ET 

misère  estoit  correspondant  à  la  renommée.  Car  assez  nen 
pouuoit  estre  acertenee,  si  elle  mesmes  ne  lesprouuoit  par 
son  regard.  Et  se  meit  sur  vn  haut  tertre  pour  choisir  (1) 
de  plus  loing. 

Gueres  neurent  illec  seiourné  ceux  qui  estoient  venuz  de 
Troye,  quand  on  commença  de  voir  apparoir  de  loing  les 
voiles  et  la  flotte  de  nauires  de  larmee  de  Paris.  Si  com- 
mencèrent les  vns  de  les  monstrer  aux  autres.  Adonc  la 
sage  pucelle  Cassandra,  demy  furieuse  esmue  par  lesprit 
de  prophétie,  se  print  à  crier  hautement  que  tous  le  peu- 
rent  ouyr  : 

Dam  licet,  obscœnam  ponto  demergite  pappim. 
Heu  !  quantum  Phrygii  sanguinis  illa  vehit  ! 

Cestadire  :  «  0  Troyens,  tandis  quil  vous  est  loisible,  bou- 
tez au  fonds  de  la  mer  la  malheureuse  (2)  nef  qui  ameine  tant 
de  sang  et  doccision  Troyenne.  »  Mais  des  paroles  et  gestes 
de  Cassandra  furent  indignez  aucuns  de  ses  parens,  et  la  fei- 
rent  remener  à  Troye  par  ses  pucelles.  Lors  la  douloureuse 
Nymphe  Oenone  toute  de  sang  meslee,  (3)  teinte  de  palleur 
et  descoulouree,  ne  sauoit  sa  contenance,  ains  tint  ses  yeux 
immobilement  fichez  vers  les  nauires  qui  fort  approchoient 
ayant  vent  en  pouppe.  Et  quand  elles  furent  si  près,  que 
lœil  pouuoit  choisir  et  discerner  les  personnages  estans 
dedens,  la  poure  Nymphe  Pegasis  Oenone  veit  son  seigneur 
et  mary  de  iadis  Paris  Alexandre  séant  au  chasteau  de 
prore  dedens  sa  riche  galee.  Et  en  son  giron  vne  forme 
féminine   toute  reflamboyant,  tant   de  beauté  naturelle 

(1)  c.-à-d.  voir. 

(2)  c.-à-d.  fatale. 

(3)  toute  sang  meslée  (mscr.  de  Genève),  c.-à-d.  bouleversée. 


SINGVLABITEZ   DE  TROTE.    LIVRS   II.  lit 

comme  daccoustremens  dor,  de  pourpre  et  de  pierrerie 
lesquelz  luy  auoient  esté  autresfois  donnez  par  la  Royne 
Leda  sa  mère.  Et  estoient  si  précieux,  que  depuis  Troye 
destruite,  Eneas  qui  les  eust  sauuez  du  feu,  en  feit  un  pré- 
sent de  grand  speciosité  à  la  Royne  Dido  de  Carthage. 
Comme  met  Virgile  au  premier  des  Ëneïdes,  disant  : 

Munera  prœterea  IliacLs  erepta  ruinis  ^ 

Ferre  iubet,  pallam  signis  auroque  rigeutem, 
Et  circuntextum  croceo  velamen  acantho, 
Ornatus  Argiuss  Helense  :  quos  illa  Mycenis 
Pergama  cùm  peteret,  inconcessosque  Hjmenseos, 
Eztulerat  :  matris  Ledœ  mirabile  donum. 

Adonques  la  tresdesperee  Nymphe  frappée  du  dard 
rigoureux  de  iuste  douleur,  nauree  cruellement  de  la  pointe 
de  chaste  ialousie,  et  consternée  par  limpetuosité  véhémente 
damour  coniugale,  défaillant  la  vigueur  de  son  noble  cœur, 
passionné  dextreme  angoisse,  enclina  le  chef  en  terre, 
comme  fait  vne  belle  violette  sa  couleur  purpurine,  quand 
elle  est  abatue  du  fort  vent  Boreas  :  et  se  fust  laissé  cheoir 
de  sa  hauteur  si  ses  pucelles  ne  leussent  retenue.  Ainsi 
demeura  elle  pamee  et  comme  morte,  sans  monstrer  signe 
desprit  vital.  Et  les  nobles  Princesses  ses  belles  sœurs  et 
autres  accoururent  au  dueil  que  ses  damoiselles  menoient. 
Dont  il  leur  print  grand  pitié,  et  sefforcerent  assez  de  la 
reuigorer  et  consoler  :  mais  elles  ne  peurent  par  nulz 
moyens.  Alors  commandèrent  auxescuyers  et  gens  de  ladite 
Nymphe,  quilz  la  missent  en  vne  littiere,  et  la  remenassent 
à  Troye.  Laquelle  chose  ilz  feirent  légèrement  et  remeirent 
à  chemin.  Mais  quand  elle  fut  reuenue  de  pâmoison,  elle 
demanda  à  ses  gens  qui  plouroient  autour  délie  où  elle 
estoit,  et  que  cestoit  quilz  faisoient.  Et  ilz  luy  respondi- 


llftr  ILLVSTRATIOMS   DE   GAVLE,    ET 

rent,  que  pource  quelle  sestoit  trouuée  mal  disposée,  quilz 
la  remenoient  à  Troye.  «  Non,  dit  elle,  non  mes  amis, 
gardez  vous  en  bien,  si  vous  ne  voulez  que  ie  meure.  Mais 
tournez  les  brides  des  cbeuaux,  et  adressez  vostre  chemin 
tout  droit  en  la  cité  de  Cebrine,  vers  mes  parens  et  amis  : 
car  tant  que  ie  viue,  qui  sera  peu  sil  plaist  aux  Dieux,  ie 
nentreray  dedens  Troye,  pourueu  que  (1)  la  nouuelle  adul- 
tère de  monseigneur  y  soit.  »  Ainsi  au  commandement  de 
leur  maistresse,  les  gentilz  escuyers  tous  surfondus  (2)  de 
dueil  et  damertune  tournèrent  le  chemin  vers  la  marche 
Cebrinoise  :  et  les  pucelles  en  grand  pleur  suiuoient  leur 
maistresse.  Laquelle  commença  à  tordre  ses  belles  mains  par 
grand  destresse,  tirer  ses  cheueux  aureins,  rompre  les  lacts 
de  deuant  sa  blanche  poitrine,  entamer  regrets,  redoubler 
pleurs,  plaindre  inconsolablement,  consumant  sa  voix  en 
piteuses  exclamations,  et  disant  vn  piteux  adieu  à  la  noble 
cité  de  Troye  quelle  laissoit  à  costiere.  (3)  Mais  de  celle  nous 
laisserons  vn  petit  le  conte,  pour  retourner  au  port  de  Sigee. 
Grand  fut  le  bruit  de  clairons  et  de  cris  à  laborder  au 
port.  Le  gentil  Troïlus  et  ses  frères  légitimes,  Chaon,  Poly- 
tes  et  Antiphus  auec  plusieurs  bastards  bienuiengnerent 
hautement  leurs  frères  Paris  et  Deiphobus.  La  belle  Creusa 
fille  légitime  de  Priam,  baisa  et  embrassa  son  mary  Eneas. 
Archelaus  et  Iphidanas  enfans  d'Antenor,  recueillirent  leur 
frère  Glaucus  :  et  Lycastes  la  gracieuse  bastarde  de  Priam 
festoya  son  mary  Poly damas  filz  de  Panthus.  Mais  la  véné- 
rable dame  Theano,  sœur  de  la  Royne  Hecuba,  et  femme 


(1)  c.-à-d.  en  cas  que. 

(2)  c.-à-d.  confondus,  abattus.  Rien  de  la  signification  technique 
actuelle  {surfusion). 

(3)  c.-à-d.  laisser  de  cûté,  abandonner. 


SINGYLARITEZ  DE  TROTE.    LIVRE   il.  113 

d'Antenor,  accompaignee  de  la  belle  pucelle  Polyxene,  et 
de  Medincasta  bastarde,  et  autres  nobles  daraoiselles,  se  tira 
vers  la  Royne  Heieine,  et  luy  feit  grand  honneur.  Apres 
les  saluts  donnez  et  rendus  dun  costé  et  dautre,  et  plusieurs 
deuises  entamées,  les  varletz  furent  prestz  qui  présentèrent 
les  riches  montures  aux  seigneurs  et  aux  dames.  Et  vn 
escuier  descuierie  offrit  vn  beau  pallefroy  tout  housse  dor 
et  de  pourpre  à  madame  Heieine  :  et  le  Prince  Troïlus  luy 
ayda  à  monter.  Et  consequemment  Ethra  et  Clymena,  et 
autres  ses  daraoiselles  furent  seruies  par  les  gentilzhommes 
de  Troye.  Et  quand  tout  fut  à  cheual,  Princes,  Princesses, 
dames  et  damoiselles,  nobles  et  non  nobles  iusques  aux  pri- 
sonniers que  Paris  auoit  amené  de  Lacedemone  et  Cytheree, 
ilz  se  meirent  à  chemin  vers  la  cité  en  grand  triomphe  et  mé- 
lodie. Et  là  furent  receuz  en  toute  plantureuse  opulence  par 
le  Roy  Priam  et  les  Princes  et  Barons  Anchises,  Antenor, 
Panthus,  Antimachus,  Hector,  et  Helenus  :  pareillement 
la  Royne  Hecuba  et  les  dames.  Cestasauoir  Sicambria  sœur 
du  Roy,  Andromacha  femme  du  Prince  Hector,  et  plusieurs 
autres  recueillirent  madame  Heieine.  Et  après  toutes  bonnes 
chères  faites,  qui  seroit  longue  chose  à  raconter,  Paris 
conta  au  Roy  son  père  tout  son  exploit  :  et  luy  feit  osten- 
sion  des  richesses  innumerables  quil  auoit  conquises  :  dont 
Priam  fut  bien  ioyeux,  espérant  que  par  ce  moyen  il  recou- 
vreroit  sa  sœur  Hesionne  et  tous  les  interestz  et  dommages 
que  les  Grecz  auoient  iadis  faits  à  Troye,  du  temps  du  Roy 
Laomedonson  père.  Si  consola  et  feit  toute  bonne  chère  ice- 
luy  Roy  Priam  à  la  belle  Heieine  :  et  de  fait,  la  donna 
solennellement  en  mariage  à  son  filz  Paris,  comme  met 
Dares  de  Phrygie. 

Or  tesmoigne  nostre  principal  acteur  Dictys  de  Crète, 
que  ces  choses,  pource  quelles  estoient  de  mauuais  exemple 

II.  8 


114  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

et  de  pire  conséquence,  ne  plaisoient  point  aux  citoyens  et 
populaire  de  la  cité  de  Troye,  ainçois  en  murmuroient  bien 
fort  entre  eux,  disans  les  vns  que  ceste  ckose  ne  tournoit 
point  à  bonne  signification  :  et  les  autres  que  loutrage  fait 
à  Menelaus  estoit  grief  et  de  tresdiuerse  (1)  apparence.  Fina- 
blement  de  main  en  main,  comme  tous  communément  le 
reprouuassent,  il  sesmut  tumulte  et  mutinement  parmy  le 
peuple.  Desquelles  choses  le  Roy  Priam  perplex  et  douteux 
conuoqua  ses  enfans,  et  leur  demanda  quelle  chose  il  leur 
sembloit  estre  à  faire  en  ceste  matière.  Lesquelz  tous  dune 
voix  respondirent  à  leur  seigneur  et  père,  que  Heleine  ne 
deuoit  point  estre  rendue.  Et  la  cause  qui  les  esmouuoit  à 
ce  dire  estoit  auarice  :  pource  quilz  voioyent  quelles  et  quan- 
tes  richesses  auoient  esté  ameneees  auec  elle,  lesquelles  ilz 
eussent  toutes  perdues  si  Heleine  eust  esté  rendue.  Et  oul- 
tre  plus,  aucuns  en  y  auoit  qui  furent  esmuz  et  embrasez  de 
la  beauté  des  femmes  qui  estoient  venues  auec  Heleine. 
Neantmoins  Priam  iceux  délaissez  assembla  le  grand  conseil 
des  anciens  Princes  de  Troye,  ausquelz  il  manifesta  lopinion 
de  ses  enfans  :  et  sur  ce  leur  demanda  la  leur.  Mais  auant 
que  chacun  eust  peu  opiner  et  dire  sa  raison  à  la  manière 
accoustumee,  les  enfans  de  Priam  entrèrent  soudainement 
au  conseil,  et  par  paroles  hautes  et  arrogantes  menasse- 
rent  lesdits  Princes  anciens,  de  leur  faire  desplaisir  silz 
decretoient  rien  en  arrest  oultre  (2)  ce  qui  leur  sembloit  bon. 
Et  endementiers  le  peuple  de  Troye  portant  impatiem- 
ment loutrage  fait  aux  Grecz,  maudissoit  execrablement 
ceux  qui  en  auoient  esté  cause,  et  repugnoit  de  toute  sa 
puissance  à  la  détention  d'Heleine.  Pour  lesquelles  causes, 
Paris  Alexandre  esmu  de  chaleur  et  hastiueté  iuuenile,  et 

(1)  c.-à-d.  cruelle.  —  (2)  c.-à-d.  contre. 


SINGVLARITEZ   DE  TROTS.    LIVRE   II.  filP 

par  vne  grande  ardeur  de  courage  vénérien,  de  peur  de 
perdre  sa  détestable  proye,  et  craingnant  que  sur  ceste 
matière  le  peuple  ne  machinast  aucune  chose  à  son  détri- 
ment, se  tira  celle  part  enuironné  de  plusieurs  de  ses  fref* 
res ,  armez  et  embastonnez  :  effondra  impétueusement 
dedens  la  multitude  du  populaire,  et  en  tua  beaucoup,  et 
eust  fait  encore  plus,  si  le  demourant  neust  esté  sauué  par 
la  suruenue  du  baron  Antenor,  et  des  autres  nobles  du 
conseil  qui  se  meirent  entredeux.  Ainsi  le  peuple  moque, 
batu,  et  tenu  en  vile  estime,  à  son  tresgrand  preiudice  sen 
retourna  chacun  en  sa  chacune. 

Le  lendemain  le  Roy  Priam,  par  lenhort  de  la  Royne 
Hecuba,  se  tira  vers  la  belle  Heleine  :  et  la  salua  beni- 
gnement,  et  lenhorta  dauoir  bon  courage,  et  ne  se  soucier 
de  rien  :  luy  demandant  de  son  lignage  et  extraction. 
Et  elle  luy  conta  toute  sa  généalogie  des  le  commencement 
iusques  à  la  fin,  qui  seroit  longue  à  raconter.  Concluant, 
que  à  cause  de  lupiter,  dont  Priam  et  elle  prenoient  ori- 
gine, elle  se  trouuoit  plus  prochaine  du  sang  du  Roy  Priam, 
et  aussi  de  la  Royne  Hecuba,  que  de  Plisthenes  père  de 
Menelaus.  Or  cestoit  la  manière  dadonques,  que  ceux  dun 
lignage  sentreallioient  plus  voulentiers  par  mariage  que 
dautre  génération,  comme  il  appert  par  aucunes  histoires  de 
lancien  Testament.  Si  prioit  la  belle  Heleine  au  Roy  Pmm 
en  plourant  tendrement,  que  puis  quelle  auoit  esté  receue 
vne  fois  en  sa  foy  et  en  sa  sauuegarde,  quil  ne  la  voulsist 
point  trahir  ne  liurer  aux  Grecz.  Affermant  que  de  la  mai- 
son de  Menelaus,  elle  nauoit  rien  apporté,  ainçois  estoient 
siens  proprement  iceux  loyaux  et  bagues  quelle  auoit.  Tou- 
tesuoyes,  il  est  incertain  comme  met  lacteur,  si  ces  choses 
elle  disoit  pour  la  grand  amour  quelle  auoit  à  Paris  Alex- 
andre, ou  pour  la  crainte  de  souffrir  quelque  peine  et 


imSi  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,  ET 

mauuais  traitement,  si  elle  estoit  rendue  à  son  mary  Mene- 
laus,  à  cause  de  la  faute  quelle  luy  auoit  faite. 

Ces  choses  nonobstant,  le  populaire  laboura  tant  enuers 
le  Roy  Priam  et  tous  ses  enfans,  excepté  Deïphobus,  que  la 
délibération  estoit  prinse  et  arrestee  de  rendre  Heleine  à 
son  mary  Menelaus  Roy  de  Lacedemone,  et  despescher  les 
autres  ambassadeurs  de  Grèce,  sans  plus  délayer  oultre  (1)  le 
gré  dudit  peuple.  Et  met  nostredit  acteur  Dictys  de  Crète, 
que  Deïphobus  seul  resistoit  à  ladite  conclusion,  en  la 
faueur  de  Paris  :  pource  quil  nestoit  pas  moins  esprins  de 
lamour  d'Heleine,  que  ledit  Paris  mesmes.  Voyant  donques 
la  Royne  Hecuba  que  la  reddition  d'Heleine  se  concluoit  du 
tout  resoluement  :  et  sachant  que  la  voulenté  de  ladite 
Heleine  estoit  au  contraire,  elle  labouroit  à  toute  force  que 
la  chose  nallast  point  ainsi,  mesmement  pource  quil  y  auoit 
aucune  affinité  entre  elle  et  ladite  Heleine,  comme  dessus 
est  dit-  Et  sans  aucune  intermission,  se  iettoit  ores  aux 
genoux  de  Priam,  et  tantost  embrassoit  les  enfans  lun 
après  lautre,  et  ne  les  laissoit  iusques  à  ce  quelle  eust 
irapetré  d'eux  ce  quelle  pretendoit  :  cestoit  la  rétention 
d'Heleine.  Et  par  ainsi  les  amena  tous  à  sa  voulenté,  et  feit 
tant  finablement,  que  le  bien  publique  fut  postposé  et  cor- 
rompu par  vne  désordonnée  affection  de  mère.  A  fin  que 
le  songe  quelle  auoit  autresfois  songé,  estant  enceinte  de 
Paris,  sortist  son  effect  selon  les  Destinées  :  et  que  le  flam- 
beau de  feu  ardant  quelle  auoit  enfanté,  bruslast  la  grand 
cité  de  Troye. 

Le  iour  ensuiuant  donques  le  Roy  Priam  tint  consistoire 
publique  :  et  sassit  en  son  grand  palais  d'Ilion,  au  mylieu 
de  tous  ses  Princes,  et  de  tous  ses  enfans  :  présent  à  ce  le 

(1)  c.-à-d.  contre. 


SIMGVLARITEZ    DB   TROTK.    LlYRE   II. 


m 


populaire  de  Troye.  Et  aussi  sy  trouuerent  les  trois  Princes 
ambassadeurs  de  Grèce  dessus  mentionnez,  ausquelz  auoit 
assigné  ceste  iournee  responsiue.  Alors  le  Roy  Menelaus 
tant  en  son  priué  nom,  comme  au  nom  gênerai  de  toute 
Grèce,  feit  sa  proposition  iteratiue  :  demandant  que  sa 
femme  Heleine,  ses  deux  parentes  Ethra  et  Clymena,  ensem- 
ble tout  ce  qui  auoit  esté  prins  et  apporté  auec  elles  luy 
fust  restitué  sans  plus  de  delay.  Adonc  le  Roy  Priam  com- 
manda silence,  et  feit  venir  en  la  présence  de  tous  et 
vnschacuns  la  belle  Heleine,  à  laquelle  il  offrit  à  haute 
voix,  pleine  et  franche  liberté,  si  bon  luy  sembloit  de  sen 
retourner  en  Grèce,  auec  les  siens.  Et  lors  elle  respondit 
clerement  et  sans  feintise,  quelle  nauoit  point  nauigué 
iusques  à  Troye  maugré  elle  :  et  que  Menelaus  allast  à 
Dieu  :  et  quelle  nauoit  que  faire  de  son  mariage.  0  mer- 
ueilleuse  inconstance  et  terrible  audace  féminine  !  Certes 
aussi  publiquement  quelle  auoit  eslu  Menelaus  pour  son 
mary,  en  la  présence  de  tous  les  Princes  de  Grèce  :  aussi 
hardiment  losa  elle  à  front  eshonté,  répudier  deuant  tous 
les  Barons  de  Troye.  Si  deuoit  bien  ceste  iniure  redoublée, 
peser  beaucoup  à  Menelaus.  Quand  donques  elle  eut  ce 
dit  :  comme  si  vn  arrest  de  parlement  eust  esté  prononcé 
entre  les  parties  plaidoyantes,  Paris  à  qui  la  possession 
estoit  adiugee,  et  ses  autres  frères,  de  sa  ligue  et  confédé- 
ration ioyeux  et  esbaudis,  par  insolence,  prindrent  la  belle 
Heleine  en  totale  saisine,  et  lemmenerent  hors  du  consis- 
toire. 

Et  quand  les  ambassadeurs  de  Grèce,  veirent  vn  si  grand 
vitupère,  et  congnurent  quilz  estoient  totalement  frustrez 
de  leur  entente,  ilz  furent  bien  honteux  et  bien  confus. 
Neantmoins  Vlysses  le  plus  éloquent  de  tous,  plus  par 
manière  de  protestation  que  pour  y  cuider  proufiter  en 


ifl8  ILLVSTRATIOWS   DE   GAVLE,    ET 

aucune  manière,  commença  par  ordre  à  ramenteuoir  tous 
les  grans  excès  et  outrages  perpétrez  iniquement  en  Grèce, 
par  Paris  et  ses  compai gnons  :  pour  lesquelles  iniures  trop 
ignominieuses,  il  les  advertissoit,  que  brieue  vengeance  en 
seroit  faite.  Consequemment  aussi  Menelaus  atteint  dun  mer- 
ueilleux  courroux,  d'un  visage  cruel  et  horrible,  menassa 
Je  Roy  Priam  et  tous  les  siens,  auecques  le  peuple  de  Troye, 
de' les  mener  à  destruction  finale.  Et  sur  ce  poinct,  laissa 
lassemblee,  et  se  retira  en  son  logis.  Lesquelles  choses  par- 
uenues  à  la  notice  des  enfans  de  Priam,  cestasauoir  Paris 
et  ses  complices,  ilz  conspirèrent  secrètement  entre  eux, 
denconuenir  (1)  lesdits  ambassadeurs  de  Grèce,  et  les  tuer. 
Car  il  leur  sembloit  bien,  et  non  sans  cause,  que  silz  retour- 
noient en  Grèce  sans  rien  faire,  que  la  chose  ne  se  passeroit 
point  que  grosse  guerre  ne  sen  esmust  dun  costé  et  dautre. 
Laquelle  conspiration  sceiie  et  congnue  par  le  Prince  Ante- 
nor,  il  se  tira  incontinent  deuers  le  Roy  Priam,  et  luy 
notifia  lemprise  de  ses  enfans  :  en  luy  remonstrant  que  les 
aguetz  et  effors  que  lesdits  enfans  appareilloient  contre 
iceux  ambassadeurs,  ne  redondoient  point  tant  au  preiudice 
des  Grecz,  comme  ilz  faisoient  au  deshonneur  de  luy 
mesmes  :  et  que  point  ne  le  souffriroit  de  sa  part.  Puis 
après  il  declaira  toute  la  chose  ausdits  ambassadeurs  :  et 
après  auoir  donné  bon  ordre  à  leur  garde  et  saufconduit, 
le  plustost  quil  peut  trouuer  opportunité,  il  les  feit  con- 
uoyer  iusques  au  port  de  Sigee,  sans  mal  et  sans  danger. 
Et  iusque  icy  sont  les  propres  paroles  de  Dictys  de  Crète, 
au  premier  liure  de  son  histoire  Troyenne. 

(1)  circonvenir  (éd.  1528). 


SINGTLARITBZ   DE  TROYK.    L1VR£   II.  119 


CHAPITRE  XIII. 


Description  du  dueil  extrême  de  la  noble  Nymphe  Pegaais  Oenona, 
et  des  piteux  regrets  quelle  feit.  Et  aussi  des  lettres  quelle  enuoya 
à  son  seigneur  et  marj  Paris  Alexandre,  sans  en  obtenir  response. 
Du  diuorse  quil  feit  auec  ladite  Nymphe.  Et  de  labolition  des  ver- 
tus primitiues  dudit  Paris.  Ensemble  de  la  maison  somptueuse  quil 
feit  faire. 


Endementiers  que  ces  choses  se  faisoient  à  Troye,  la 
noble  Nymphe  Pegasis  Oenone,  estoit  arriuee  à  Cebrine, 
auec  ses  parens  et  amis,  là  où  elle  menoit  vn  dueil  inesti- 
mable, et  impossible  à  reciter.  Et  combien  quunchacun  de 
ses  amis  sefForçast  à  toute  puissance  de  la  rapaiser,  mes- 
mement  entre  les  autres  y  mettoit  grand  peine  et  entente 
le  bon  pasteur  Royal  et  sa  femme,  auec  lesquelz  elle  auoit 
long  temps  demeuré,  du  commencement  quelle  fut  mariée  à 
Paris,  comme  est  dit  au  premier  liure,  lesquelz  mettoient 
toute  peine,  à  ce  quelle  portast  patiemment  son  meschef, 
tout  ce  nonobstant  se  plongeoit  au  parfond  abyme  de  dou- 
leur, et  es  ténébreuses  cauernes  de  désolation.  Car  la 
lumière  du  iour  luy  estoit  ennuyeuse,  la  clarté  du  Soleil 
luy  offusquoit  la  veùe,  et  ne  queroit  que  lieux  solitaires,  et 
séparez  de  fréquentation  humaine,  comme  font  gens  con- 
trits inconsolablement.  Et  quand  elle  se  veoit  esseulée,  lors 
souspirs  laggressoient,  regrets  lassailloient  de  toutes  pars, 
en  plourant  geraissoit,  et  en  gémissant  plouroit.  Et  quand 


130  ILLVSTRÀTIO^S   DE   GAVLB,   ET 

sa  douce  voix  pouuoit  auoir  yssue  de  son  dolent  estomach, 
elle  faisoit  retentir  les  nobles  montaignes  Idées  de  son 
trenchant  cry  femenin,  et  prononçoit  diuerses  sentences 
piteuses,  souuent  interrompues  par  ses  plaintiues  excla- 
mations entremeslees  de  plusieurs  sangloux,  disant  en  ceste 
manière  : 

«  0  le  repos  iadis  de  mon  cœur,  le  seiour  de  toutes  mes 
pensées,  Paris  le  nompareil  du  monde,  quel  obstacle  sest 
mis  entre  toy  et  moy  ?  quel  meschef  mest  aduenu  ?  Pour- 
quoy  blesses  tu  si  rudement  mon  cœur,  quil  faut  que  ie  me 
plaingne  de  toy,  comme  de  celuy  qui  nest  plus  mien  ? 
Lesquelz  des  Dieux  sont  ce  qui  contrarient  au  comble  de 
mes  désirs  ?  Quel  crime  me  saurois  tu  reprocher,  obstant 
lequel  ne  doiue  demeurer  tienne  à  perpétuité  ?  Si  la  coulpe 
est  de  mon  costé,  certes  ie  porteray  le  grief  en  bonne 
patience  :  mais  si  ie  seufFre  à  tort,  cest  bien  raison  que  ie 
men  dueille.  Est  il  possible  de  discuter  dont  vient  ceste  si 
soudaine  mutation  ?  Las,  tu  nestois  point  encores  si  gi'and 
ne  si  haut  esleué,  quand  premièrement  ie  te  daignay  pren- 
dre à  mary.  Ton  plus  haut  tiltre  nestoit  que  dun  simple 
bergeret,  seruant  autruy  au  lieu  dun  esclaue,  comme 
orphenin  et  desaduoué  de  parentage  :  et  ie  tresnoble  et 
tresclere  Nymphe,  au  pais  de  Phrygie,  fille  du  grand 
fleuue  Xanthus,  fus  toutesuoyes  contente  de  tespouser.  Et 
taymay  damour  si  franche  et  si  loyalle,  que  ie  prenois  bien 
patience  de  reposer  auec  toy  entremy  les  troupeaux  et  les 
parcs  de  tes  bestes,  là  où  Iherbe  et  les  fueillettes  nous  ad- 
ministroient  couche,  les  bayes  nous  estoient  en  lieu  de 
sponde,  (1)  le  tronc  des  arbres  nous  seruoit  de  cheuet,  et 
les  branches  de  courtines.  Quelle  noble  femme,  extraite  de 

(1)  pour  esponde  =  châlit,  bois  de  lit. 


SIMGVLAHITEZ   DE  TROTB.    UVRE  U.  1^ 

haut  lignage  fut  iamais  contente  de  laisser  paternelz  et 
maternelz  délices,  se  gésir  sur  vn  petit  de  feurre  es  bordes 
champestres  mal  résistantes  à  la  neige  et  froidure,  pour 
lamour  de  son  amy,  sinon  moy  ?  ne  quelle  dame  ou  damoi- 
selle  se  trouua  iamais  si  franche  et  si  hardie,  quen  post- 
posant toute  tendresse  et  imbecilité  féminine,  de  suiure  son 
espoux  à  la  chasse  parmy  les  hauts  rochers,  luy  monstrer 
les  repaires  des  bestes  sauuages,  tendre  les  filez,  mener  les 
chiens  en  queste  :  et  faire  toutes  choses  laborieuses,  et 
viriles,  par  grand  affection,  si  non  moy  lasse  dolente  ? 
Mais  ceste  grande  amour  de  courage,  helas,  me  procedoit 
alors  (ie  le  confesse)  à  cause  de  ta  singulière  debonnaireté  : 
et  pource  que  tu  me  rendois  amour  mutuel  et  réciproque.  A 
loccasion  aussi  de  tes  douces  blandisses  et  gracieux  entre- 
teneraens,  qui  estoient  adonc  chastes  et  pudiques.  Alors  tu 
me  tenois  toute  tienne.  Tous  les  arbres  de  la  grand  forest 
Ida,  estoient  marquez  et  entaillez  de  mon  nom.  Le  grand 
peuplier  du  riuage  de  mon  père  le  noble  fleuue  Xanthus 
fut  alors  enrichi  de  ma  deuise  :  là  ou  tu  escriuis  vne 
fois  ces  vers  : 

Quand  Paris  délaisser  Oënone  pourra 
XaatbuB  le  fleuue  cler,  eusus  retournera.  (1) 

«  Retourne  donques,  mon  doux  géniteur,  mon  tresredouté 
père  Xanthus  :  et  te  deliure  de  réduire  (2)  tes  nobles  vndes 
contremont,  au  propre  lieu  de  ta  sourse  :  car  Paris  ha 
délaissé  ta  fille  Pegasis.  Paris  Alexandre  ha  enuoyé  la 
belle  diuorce  et  répudiation  à  la  Nymphe  Oenone,  iadis  sa 
treschere  espouse.  0  la  dolente  et  malheureuse  iournee 

(1)  Cf.  Ovide  Heroid.  V,  30. 

(2)  c.-à-d.  mets-toi  à  ramener. 


122  1LLV8TRAT10NS   DE   GAVLE,    ET 

quand  onques  les  trois  hautes  Déesses  subirent  ton  iuge- 
ment  !  Bien  me  disoient  les  sages  bergers  de  Cebrine,  que 
ce  nestoit  que  futur  dueil  pour  moj.  Bien  masseuroient  les 
anciennes  preudefemmes  de  ceste  contrée,  que  toutes  ces 
choses  ne  tourneroient  point  à  bon  diflBnement.  Aussi 
appert  il,  que  lelection  de  ton  iugement,  ha  sorty  son 
effect.  Tu  mesprises  dame  luno,  qui  est  Déesse  de  richesses, 
et  préside  aux  mariages  :  cestasauoir  en  laissant  ta  suffi- 
sance et  plénitude  de  grans  biens,  de  Ihostel  de  ton  père, 
et  allant  pilier  et  rober  les  Royaumes  estranges,  et  aussi 
en  me  répudiant  qui  suis  ta  femme  légitime.  Tu  nas  aussi 
eu  cure  de  Pallas,  qui  est  maistresse  de  science,  et  pru- 
dente conducteresse  des  armes,  et  aussi  Déesse  de  chasteté 
virginale  :  car  en  vsant  follement  de  ton  sens  naturel,  as 
donné  commencement  de  grand  imprudence  à  vne  guerre 
de  mauuaise  termination,  et  as  violé  la  pudicité  de  ton 
mariage.  Lesquelles  choses  faites,  tu  as  deliuré  la  pomme 
dor  :  cestadire,  ton  noble  chef  aurein  qui  est  composé  de 
rondeur  spherique  et  légèrement  tournant,  à  dame  Venus, 
ouuriere  dimpudicité,  controuueresse  dinceste,  et  forge- 
resse  dadulteres.  Et  pour  ton  guerdon  promis,  elle  tha 
rendu  dame  Heleine,  confite  en  semblable  delicts.  Helas, 
quand  tu  partis  de  moy  pour  acheuer  ceste  noble  conqueste, 
tu  pleuras,  ie  ne  scay  si  cestoit  par  feintise  :  tu  larmoyas, 
et  ne  le  saurois  nier  :  et  veis  aussi  mes  yeux  larmoyans 
non  feintement.  Si  meslames  noz  pleurs  ensemble,  et  nous 
entreliasmes  si  fort  par  doux  embrassemens,  que  les  gra- 
cieuses vignettes  ne  sont  point  si  fort  entortillées  aux 
ormes,  comme  mes  bras  furent  liez  autour  de  ton  col.  Com- 
bien de  fois  te  plaingnis  tu  de  ton  partement  trop  hastif  ? 
Combien  de  fois  retournas  tu  pour  me  baiser  ?  Quantes 
prières  ây  ie  fait  aux  Nymphes  de  mer,  à  fin  que  ton  retour 


SIMGVLARITBZ   DE  TROYB.    LITRE  II.  125 

fast  brief  ?  Helas,  tu  es  retourné  par  mes  prières,  mais  non 
pour  mon  soûlas.  lay  esté  humble  et  deuote  enuers  les 
Dieux  pour  celle  qui  occupe  mon  lieu.  Et  quand  ie  vais 
blanchir  tes  voiles  à  ta  dolente  retournée,  iestoye  si  aueu- 
glee,  que  peu  sen  faillit  que  ne  me  meisse  en  mer,  pour 
aller  au  douant  de  toy  :  mais  lasse,  dolente,  ie  congnus  tan- 
tost  mon  meschef  prédestiné.  lapperceus  incontinent  la 
matière  de  mon  dueil  perpétuel  :  et  commençay  deslors  à 
remplir  les  airs  de  mes  iustes  querimonies.  Plaise  aux 
Dieux  que  ainsi  puist  Haleine  se  douloir,  comme  ie  fais  : 
et  quelle  se  puist  finablement  voir  destituée  de  celuy  quelle 
tient  pour  son  mary,  ainsi  que  présentement  ien  suis  dé- 
laissée, à  fin  que  le  mal  quelle  ha  premièrement  inféré  à 
autruy,  redonde  doublement  sur  elle.  Cest  maintenant  que 
les  femmes  estrangeres  viennent  après  toy  :  et  quelles 
délaissent  leurs  maris  légitimes,  et  trauersent  les  hautes 
mers  pour  te  suiure,  à  cause  que  ta  félicité  présente  est 
réputée  grande,  depuis  la  réduction  (1)  de  ta  personne  en  la 
maison  paternelle.  Mais  quand  tu  estois  poure  berger,  et 
que  tu  menois  paistre  les  brebis  aux  champs,  nulle  autre 
ne  se  vouloit  dire  femme  du  pasteur  Paris,  fors  la  Nymphe 
Oenone.  Les  autres  vont  après  la  splendeur  de  ta  fortune, 
et  ie  madheroye  seulement  aux  bonnes  mœurs  de  ton  per- 
sonnage. Toutesuoyes  ie  ne  forge  point  ceste  complainte 
pour  chose  que  ie  admire  tes  richesses,  ne  ton  palais  Royal 
ne  me  meult  en  rien  :  ne  aussi  ne  me  desplait  il  si  ie  ne  suis 
plus  contée  entre  les  belles  filles  du  Roy  Priam.  Non  pas 
pourtant  quil  refuse  estre  beaupere  dune  Nymphe  gentile, 
ou  que  la  Royne  Hecuba  ayt  en  desdaing  Pegasis  Oenone 
fille  du  noble  Xanthus,  ains  me  tiennent  digne  assez  pour 

(1)  c.-à-d.  retour. 


12é  ILLVSTRATIONS   DE   GÂVLE,    ET 

estre  femme  dun  haut  Prince  et  auoir  mains  propices  à 
porter  sceptre  Royal.  Mais  ie  voy  que  tu  seulmemes- 
prises,  pource  que  familièrement  ie  souloye  gésir  auec  toy 
parmy  les  forestz,  là  où  iestoye  plus  digne  de  coucher  en 
licts  de  pourpre.  Ne  vois  tu  pas  que  mon  amour  est  plus 
seure  que  celle  d'Heleine,  et  que  nulles  guerres  ne  sesmeu- 
uent  pour  moy  ?  Que  mon  mariage  ne  tameine  nulles  na- 
uires  equippees  souz  tiltre  de  vengeance  ?  Ne  congnois  tu 
point  que  la  fille  putatiue  de  Tyndarus,  fugitiue  de  son 
mary,  est  redemandée  par  armes  :  et  que  la  tresorguilleuse 
ne  tapporte  autre  chose  pour  son  douaire,  sinon  sang  et 
occision  ?  Demande  à  ton  frère  le  tresnoble  Prince  Hector, 
au  prudent  Antenor,  à  ton  père  le  Roy  Priam,  si  elle  doit 
point  estre  rendue.  Enquiers  toy  des  autres  sages  et  aagez 
Princes  de  sa  court,  si  elle  doit  point  estre  restituée.  Cest 
vn  tresmauuais  signe  et  exemple,  de  préférer  vne  femme 
rauie  en  estrange  contrée  à  celle  de  son  païs  propre,  car 
ta  cause  est  vergongneuse  et  pleine  de  honte.  Le  mary  ha 
iuste  occasion  de  tourner  ses  armes  sur  toy.  Si  tu  as  espé- 
rance quune  femme  si  légèrement  contournée  en  tes  embras- 
semens,  te  soit  fealle,  et  que  ainsi  le  desires,  tu  es  grande- 
ment deceu.  Car  tout  ainsi  que  Menelaus  se  deult  de  son 
lict  maculé  et  contaminé  par  amour  estrangere,  semblable- 
ment  te  plaindras  tu  de  pareil  défaut.  Car  quand  la  chasteté 
dune  femme  est  vne  fois  entamée,  voluntairement  elle  est 
tousiours  après  enclinee  à  semblable  delict.  Et  si  tu  dis 
quelle  est  ardamment  astrainte  pour  Iheure  présente  de  ton 
amour,  ie  respons  que  ainsi  ha  elle  esté  autresfois  de  son 
mary  Menelaus.  Et  toutesuoyes  il  se  git  maintenant  vefue 
en  son  lict. 

«  0  que  tu  es  constituée  en  grand  félicité,  ma  belle  sœur 
Andromacha  !  quand  tu  fus  assignée  à  vn  mary  constant 


SINCVLARITEZ   DB   TROTE.    LIVRE   II.  if5 

et  permanent  :  et  à  lexemple  de  son  frere  aisné,  se  deuoit 
renger  Paris  :  mais  il  est  plus  léger  que  les  seiches  fueil- 
lettes  destituées  dhumeur,  lesquelles  sont  esparpillees  au 
vent.  Et  y  ha  moins  darrest  et  de  pois  en  luy,  quil  ny  ha 
es  chaumes,  ou  festuz  légers  tous  consumez  de  lardeur  du 
Soleil.  Lasse,  moy  dolente,  bien  le  me  prognostiquoit  iadis 
la  prudente  Cassandra  ta  sœur  germaine,  et  trop  mha  elle 
esté  vraye  prophète  et  deuineresse.  La  génisse  Grecque  est 
venue  qui  possède  mon  pasturage.  La  beste  cornue  estran- 
gere  est  entrée  en  mon  clos.  Mais  combien  quelle  soit  sin- 
gulière de  visage,  toutesuoyes  est  elle  adultère  prouuee, 
comme  celle  qui  ha  laissé  ses  Dieux  familiers,  sa  propre 
fille,  et  son  bien  domestique,  pour  accourir  après  vn  estran- 
ger.  Et  comme  celle  oultreplus,  laquelle  par  ie  ne  scay  quel 
Theseus  (si  bien  du  nom  ie  me  recorde)  ha  encores  autres- 
fois  esté  rauie.  Et  combien  que  depuis  elle  fut  recouuree, 
toutesuoyes  si  nest  il  pas  vraysemblable,  quelle  en  retour- 
nast  sa  virginité  sauue,  mesraement  des  mains  dun  ieune 
Prince  tout  embrasé  damoureux  désir.  Et  si  tu  me  de- 
mandes, comment  ie  puis  si  bien  estre  informée  de  ces 
choses,  saches  mon  cher  seigneur  Paris,  que  amour  men  ha 
fait  enquérir.  Et  si  dauenture  aucun  la  vouloit  excuser  de 
coulpe,  disant  quelle  nen  peust  mais,  et  que  force  luy  ha 
esté  faite  :  ie  réplique  sur  ce,  qui!  est  impossible  que  par 
tant  de  fois  ha  esté  rauie,  nayt  baillé  opportunité,  occasion 
et  consentement  à  son  rauissage.  Mais  au  contraire,  la 
dolente  Nymphe  Oenone,  demeure  chaste  et  entière  à  son 
seigneur  et  mary  :  nonobstant  que  de  luy  soit  abandonnée, 
et  quon  luy  baille  exemple  et  necesité  compétente,  de  faire 
autrement.  Mais  auant  ne  la  laissent  les  Dieux  tant  viure, 
quelle  le  daignast  penser.  Lasse,  moy  poure  malheureuse, 
qui  ay  puissance  sur  toutss  herbes  naissans  au  monde. 


498  ILLTSTRÀTIONS   DE   GAVLE,    ET 

laquelle  me  fut  iadis  ottroyee  par  le  Dieu  Apollo,  et  ie  ne 
men  scay,  ne  puis  donner  remède  !  Car  amour  nest  point 
medecinable  par  herbes.  Par  ainsi  suis  ie  destituée,  et 
demeurant  sans  ayde  de  ma  propre  science.  Et  nest  herbe, 
racine,  ne  semence  procréée  en  terre,  tant  soit  fertile,  ne 
Dieu  aucun  habitant  au  ciel,  qui  me  puist  donner  secours, 
fors  mon  cher  seigneur  et  amy  Paris  Alexandre.  Celuy  seul 
le  peult  faire,  et  bien  lay  desseruy.  Ayes  donc  pitié,  ô  le 
désir  de  mon  cœur,  de  celle  qui  en  est  digne.  le  ne  tapporte 
point  armes  sanguinolentes  comme  font  les  Grecz,  mais  ie 
suis  tienne,  et  ay  tousiours  esté  de  ieunesse.  Si  ne  requiers 
autre  chose,  fors  estre  tienne  le  demourant  de  mon  aage.  » 
Ces  grieues  lamentations  piteuses  formoit  loutrepasse  des 
Nymphes,  la  gracieuse  Oenone.  Et  souuent  les  reïteroit, 
sans  ce  que  nul  de  ses  parens  et  amis,  damoiselles  ou  ser- 
uiteurs  luy  peussent  donner  ioye  ne  récréation,  ainçois  meit 
ius  habits  de  pourpre  et  de  soye,  loyaux  dor,  riches  bagues 
et  pierres  précieuses,  et  print  habits  de  dueil  et  vefuage. 
Si  neut  plus  cure  de  mettre  à  point  son  beau  chef.  Laissa 
ternir  sa  clere  face,  et  ne  luy  chalut  plus  de  sa  personne, 
ne  de  chants  ne  de  ris,  ne  dautres  esbatemens  quelconques. 
Mais  se  conformoit  à  la  chaste  tourterelle,  laquelle  après 
auoir  perdu  son  pareil,  ne  fait  que  gémir  continuellement  : 
et  ne  repose  plus  sur  branche  verde.  Le  noble  Roy  Priam, 
et  la  Roy  ne  Hecuba  qui  furent  informez  de  sa  désolation, 
en  furent  fort  desplaisans,  comme  ceux  qui  laymoient  sin- 
gulièrement :  et  y  enuoyerent  le  preux  Hector,  et  le  bas- 
tard  Cebrion,  et  aucunes  des  nobles  dames  de  leur  maison, 
pour  la  réduire  à  liesse  et  à  bonne  chère  :  mais  combien 
quilz  y  labourassent  beaucoup,  et  que  la  présence  de  ces 
personnages  luy  fut  fort  agréable,  si  nen  changea  elle  rien 
de  son  propos  :  car  celuy  qui  seul  auoit  la  puissance  de 


SINGVLARITBZ   DE   TROTB.    LIVRE  U.  1S7 

lesiouyr,  ny  estoit  point.  Toutesuoyes  son  estât  luy  fut 
ordonné  à  Cebrine  bel  et  ample,  comme  dame  douagere  : 
et  luy  fut  fait  tousiours  par  lordonnance  du  Roy,  meilleur 
appointement,  quelle  ne  vouloit.  Mesmement  le  preux  Hec- 
tor et  le  bastard  Cebrion,  et  autres  de  la  maison  de  Priam 
lallerent  souuent  visiter.  Si  feit  Creusa  femme  d'Eneas,  et 
Cassandra  sa  sœur  :  desquelles  elle  estoit  merueilleuse- 
ment  pleinte,  et  trop  leur  estoit  grieue  son  absence  et  son 
infortune.  Ainsi  persista  la  noble  Nymphe  à  faire  résidence 
en  la  cité  de  Cebrine  :  dont  elle  ne  bougea  iusques  à  la 
mort,  comme  nous  dirons  par  temps.  Et  passoit  son  temps 
à  composer  médecines  et  autres  œuures  toutes  chastes, 
honnestes,  et  vertueuses. 

Le  noble  poëte  Guide  en  ses  epistres,  met  que  la  Nymphe 
Pegasis  Oenone,  pour  cuider  fleschir  le  courage  de  son 
seigneur  Paris  Alexandre,  et  le  tourner  à  son  amour,  elle 
estant  en  ladite  cité  de  Cebrine,  comme  met  son  commen- 
tateur Antoine  Volsc  luy  escriuit  vnes  lettres,  dont  la 
teneur  est  presques  semblable  aux  regrets  dessus  mention- 
nez, mais  elle  nen  obtint  aucune  response,  aumoins  dont  il 
soit  mention  :  car  Paris  Alexandre  occupé  en  nouuelles 
amours,  auoit  desia  fait  diuorce,  et  répudiation  totale  auec 
ladite  Nymphe.  Duquel  diuorce  fait  mention  Suétone  Tran- 
quille en  la  vie  de  lempereur  Domitian,  recitant  lune  des 
cruautez  dudit  tyrant,  lequel  feit  occire  vn  iongleur  nommé 
Eluidius,  pource  quil  auoit  ioué  par  personnages  le  diuorce 
de  Paris  et  Oenone.  Au  moyen  dequoy  il  reprenoit  couuer- 
tement  ledit  Empereur,  qui  semblablement  auoit  répudié 
sa  femme  légitime,  pour  en  prendre  vne  autre.  Et  sur  ce 
passage  est  à  coniecturer,  que  (peult  estre)  ladite  Heleine 
enchanta  Paris  :  car  elle  estoit  fine  ouuriere  de  sauoir 
composer  certaines  potions  et  bruuages,  desquelz  quand  on 


Wê  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

vsoit,  on  oublioit  les  choses  passées  et  toute  douleur  pré- 
cédente, comme  met  expressément  Diodorus  Siculus  au  deu- 
xième liure  des  Gestes  antiques,  disant  ainsi  :  Potio  ab 
Eelena  in  prœteritorum  ohliuionem  TelemacJio  data.  Nam 
potionem  ad  aholendum  luctum,  quampoëta  Helenam  com- 
jposuisse  scribit,  etc.  (1)  En  quelque  manière  que  ce  fust,  Pa- 
ris meit  en  oubly  total  lamour  de  la  Nymphe  sa  première 
femme,  iusques  aux  approches  de  sa  mort,  quil  en  eut 
recordation  :  mais  ce  fut  bien  tard,  et  se  feit  porter  vers 
elle,  comme  sera  dit  cy  après. 

Paris  donques  saddonna  deslors  en  auant  à  toute  volup- 
tueuse vie  :  lasciuité  et  mignotise  efféminée  :  et  passa  le 
temps  au  ieu  de  la  harpe,  à  mettre  sus  chansons  et  dittiers, 
dances,  conuiues,  et  autres  esbatemens,  pour  complaire  à 
sa  nouuelle  dame,  et  lentretenir  en  plaisance.  Si  laissa  ses 
vertus  palladiennes,  quil  auoit  eu  en  ieunesse,  et  ne  luy 
chalut  du  haut  emprendre  de  luno.  Il  se  desaccoustuma  de 
la  chasse  et  du  noble  trauail  dont  il  auoit  esté  parauant  en 
recommandation  louable  eneruant  toute  la  force  de  sa  puis- 
sance corporelle,  et  animosité  hautaine,  en  oisiueté  véné- 
rienne, en  réduisant  tout  son  sens  et  son  entente,  sans  plus, 
à  complaire  à  celle,  qui  sera  cause  de  destruire  luy  et  les 
siens.  Et  pour  ce  mieux  faire,  il  feit  bastir  au  chasteau 
d'Ilion,  auprès  du  palais  du  Roy  et  celuy  d'Hector,  vn 
logis  de  plaisance,  magnifique  et  hautain  à  merueilles  :  dont 
les  sommiers  estoient  tous  reluisans  de  fin  or  :  tellement 
que  tous  les  plus  grans  ouuriers  du  Royaume  de  Phrygie, 
furent  embesongnez  à  cest  édifice,  comme  tesmoigne  le 
prince  des  poètes  Homère  au  vi.  liure  de  son  Iliade.  Et  eut 
deux  enfans  de  la  belle  Heleine,  par  trait  de  temps,  des- 

(1)  Odyssée  IV,  221.  Il  s'agit  du  fameux  Nëpenthès. 


SINGVLARITEZ   DE   TROTB.    LITBB  II.  129 

quelz  lun  fut  nommé  Corinthus  et  lautre  Ideus  :  et  diceux 
sera  parlé  cy  après.  Maintenant  il  faut  tourner  nostre  nar- 
ration ailleurs. 


ti. 


S^  ILLVSTRATIONS    DE   GAYLE,    ET 


CHAPITRE  XIIII. 

Récitation  faite  par  les  ambassadeurs  de  Grèce,  retournez  à  Lacede- 
moue,  de  leur  exploit.  Et  de  la  détermination  que  les  Grecz  prin- 
drent  à  se  venger.  De  la  forme  du  grand  serment,  que  le  prestre 
Calchas  leur  feit  faire  ensemble,  et  de  leurs  preparatiues.  Et  com- 
ment ilz  nauiguerent  premièrement  iusques  à  Mysie  près  de  Troje  : 
et  puis.sen  retournèrent  en  Grèce.  Et  puis  derechef  nauiguerent  à 
Troye,  et  prindrent  le  port  de  Sigee,  et  autres  choses  :  mesme- 
ment,  par  quel  moyen  ilz  eurent  en  leurs  mains  lenfant  Polydorus 
filz  légitime  de  Priam  et  feirent  plusieurs  conquestes. 


Apres  qve  les  trois  Princes  Grecz  ambassadeurs  dessus 
mentionnez,  cestasauoir  Menelaus,  Palamedes,  et  Vlysses 
furent  partis  de  Phrygie  ainsi  que  dessus  est  recité,  ilz 
exploitèrent  tant  par  mer,  quilz  arriuerent  en  la  cité  de 
Sparte  ou  Lacedemone  :  là  où  les  autres  Princes  de  Grèce, 
et  d'Achaie  quon  dit  maintenant  la  Moree,  descendus  de  la 
lignée  de  Pelops,  les  attendoient  de  pied  coy,  et  moult  leur 
auoit  tardé  leur  tant  longue  demeure.  Et  après  que  lesdits 
legatz  eurent  recité  en  plein  consistoire  la  somme  de  leur 
exploit  :  cestasauoir  le  refus  de  leurs  demandes,  lobstination 
des  Troyens,  et  le  danger  des  espies  quilz  auoient  eschappé 
au  moyen  d'Antenor,  la  grande  indignation  de  tous  lesdits 
Princes  se  redoubla  oultre  mesure  :  lofifense  contumelieuse 
les  aguillonna  par  aspresse  redoublée  :  et  la  vergongne 
inférée,  se  représenta  cent  fois  plus  grande,  voyans  si  ou- 
trageuse  iniure  estre  faite  à  la  nation  Grecque,  et  la  vili- 


SINGULARITEZ   DE   TROYE.    LIVRE   II.  151 

pendence  de  toute  la  noblesse  d'Europe.  Si  leur  fut  oultre- 
plus  ramentu  par  les  Roys  Agamemnon  et  Menelaus  frères, 
et  mis  au  deuant  le  serment  solennel  quilz  auoient  fait 
ensemble,  aux  espousailles  de  la  Royne  Heleine,  comme 
dessus  lia  esté  dit.  Parquoy  lesdits  deux  Roys  frères  les 
appelloient  tous  de  leur  foy.  A  laquelle  chose  ilz  ne  furent 
aucunement  contredisans  :  mais  dun  commun  accord,  et 
par  iteratiue  ratification,  se  vouèrent  trestous  ensemble,  de 
sarmer  pour  la  querele  de  Menelaus,  et  pour  la  recouurance 
de  sa  femme  Heleine.  Selon  ce  que  dit  Ouide,  au  premier 
liure  de  lart  d'Aymer  : 

lurabant  omnes  in  laesi  verba  mariti  : 
Nam  dolor  vnius  publica  causa  fuit. 

Et  à  ce  concorde  Thucydides  au  commencement  de  son 
liure.  Si  fut  décrété  en  commune  assemblée,  que  pour  se 
déterminer  de  tous  poincts  à  future  vengeance,  on  se  deli- 
berast  de  mettre  sus  vn  merueilleux  appareil  bellique  :  et 
que  chacun  mandast  son  ban  et  arriereban  en  sa  terre. 
Quon  assemblast  souldoiers  par  tout  où  on  pourroit  :  et 
quon  contribuast  aux  communs  frais  de  la  guerre.  Et  par 
accord  vniforme,  fut  eslu  vn  lieu  opportun,  là  où  lesdits 
Princes  se  trouueroient,  pour  prendre  plus  ample  conclusion 
sur  le  fait  dicelle  emprise.  Lequel  lieu  selon  Dares  Phry- 
gien fut  en  la  cité  d'Athènes  :  et  selon  nostre  acteur  Dictys 
de  Crète,  fut  en  la  cité  d'Argos,  au  Royaume  d'Etholie, 
appartenant  à  Diomedes.  Et  est  à  noter,  quil  y  ha  plusieurs 
Argos  :  cestasauoir,  Argos  en  Achaie,  Argos  en  Amphi- 
loce,  et  Argos  en  Pelasge.  Ainsi  quand  ilz  eurent  opportu- 
nité, chacun  desdits  Princes  se  trouua  en  ladite  cité  d'Ar- 
gos en  Etolie.  Desquelz  Princes,  Barons  et  Roys,  remémo- 
rer et  designer  les  noms  vn  pour  vn,  et  spécifier  leurs 


139  ILLVSTRAT10^S   DE  GAVLE,    ET 

Royaumes  et  seigneuries,  ie  me  déporte  maintenant,  pource 
que  mention  en  sera  faite  en  plusieurs  endroits  de  ce  liure 
là  où  le  cas  escherra.  Et  encore  plus  amplement  au  dernier 
liure.  Et  quand  ilz  furent  en  ladite  cité  d'Argos,  selon  nos- 
tre  acteur  Dictys  de  Crète,  Diomedes   Roy  d'Etolie  les 
receut  en  grand  triomphe.  Aussi  Agamemnon  auoit  apporté 
de  son  Royaume  de  Mycenes  grands  sommes  dor  en  masse. 
Lequel  or  il  départit  libéralement  ausdits  Princes,  à  fin  que 
chacun  d'eux  fust  plus  prompt  et  plus  courageux  à  la  guerre. 
Vlysses  fut  eslu  pour  aller  quérir  Achilles  estant  en  lisle 
de  Scyros  chez  le  Roy  Lycomedes,  ainsi  que  plus  à  plein 
est  dit  au  premier  liure.  Aussi  ledit  Vlysses  amena  Philoc- 
tetes  auec  les  saiettes  d'Hercules,  lesquelles  estoient  fatales, 
et  faisoient  mestier  (1)  à  la  conqueste  de  Troye,  comme  sera 
dit  cy  après. 

Quand  le  ieune  Prince  Achilles  fut  arriué  en  la  cité  d'Ar- 
gos en  Etolie,  tantost  après  il  fut  enuoyé  en  Delphos  pour 
consulter  loracle  du  Dieu  ApoUo  en  son  temple  tresrenom- 
mé,  et  sauoir  quelle  fin  prendrait  ceste  guerre,  et  quelles 
choses  leur  estoient  nécessaires  à  la  démener.  Si  luy  fut 
baillé  pour  collegat  et  compaignon  Patroclus  de  Myrmidone. 
Et  de  fait  y  allèrent,  et  y  trouuerent  le  prestre  Calchas 
Troyen,  filz  de  Tester,  lequel  aussi  y  estoit  venu  de  la  part 
du  Roy  Priam,  comme  met  Dares  de  Phrygie,  à  fin  dauoir 
aduisement  de  la  conduite  de  son  aflfaire.  Car  en  ce  temps 
là  les  Princes  neantmoins  (2)  nulles  guerres  ne  faisoient 
ne  aucunes  emprises,  sans  premièrement  auoir  le  conseil  et 
response  de  leur  Dieu  diabolique  Apollo  :  lequel  les  trom- 
poit  et  abusoit  bien  souuent.  Et  de  ce  temple  de  Delphos 
nous  auons  fait  bien  ample  mention  au  premier  liure.  Or 

(1)  c.-à-d.  besoin.  —  (2)  c.-à-d.  aucunement. 


SINGVLARITEZ   DE   TROTB.    LIVRE   II.  133 

par  le  respons  et  commandement  d'Apollo,  le  prestre  Cal- 
chas  ne  retourna  plus  à  Troye,  mais  sen  alla  auec  Achilles  : 
et  se  tint  tousiours  depuis  du  party  des  Grecz.  Et  quand 
ledit  Calchas  fut  en  la  cité  d'Argos,  il  feit  ûiire  vn  mer- 
ueilleux  et  exécrable  serment  à  tous  les  Princes  de  Grèce, 
selon  les  anciennes  cerimonies,  pource  quil  estoit  grand  deui- 
natif  (1)  et  augure.  Cestasauoir  quil  commanda  apporter  au 
mylieu  du  marché  de  la  cité  d'Argos  vn  porc  masle,  et  le 
sacrifia,  et  coupa  en  deux  pars.  Puis  meit  lune  des  pars  en 
ladite  place,  du  costé  d'Orient,  et  lautre  du  costé  d'Occi- 
dent. Et  commanda  à  tous  lesdits  Princes,  quilz  passassent 
entredeux,  ayans  leurs  espees  nues,  et  quilz  ensanglantas- 
sent les  pointes  de  leursdites  espees,  au  sang  diceluy  porc. 
Et  leur  feit  faire  plusieurs  autres  superstitions  à  ce  néces- 
saires. Lesquelles  accomplies,  ilz  iurerent  derechef  par  leur 
loy,  et  feirent  vœu  publique  destre  ennemis  perpétuels  du 
Roy  Priam  de  Troye,  et  que  iamais  ne  romproient  ou 
desampareroient  leur  armée,  iusques  à  ce  quilz  eussent  mis 
à  destruction  le  Royaume  de  Phrygie  et  la  cité  d'Ilion, 
et  que  chacun  d'eux  eust  couché  auec  aucune  des  nobles 
femmes  de  Troye.  Lesquelles  choses  parfaites  purement  et 
deuotement,  selon  leur  manière,  ilz  feirent  solennelz  sacri- 
fices au  Dieu  Mars  et  à  la  Déesse  Concorde.  Toutesuoyes 
Virgile  tient  que  ledit  grand  serment  fut  fait  au  port  d'Au- 
lis  en  Beotie,  quand  il  dit  : 

Non  ego  cum  Danais  Troiaoam  exscindere  gentem 
Âalide  iuraui,  clasaem  ve  ad  Pergama  mUi,  etc.  (2) 

Oultreplus  lesdits  Princes  establirent  au  temple  de  luno 

(1)  divinateur  (mscr.  de  Genite). 

(2)  Eoéid.  IV,  425. 


♦84  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

de  ladite  cité  d'Argos,  le  RoyAgamemnon,  chef  et  empereur 
de  toute  leur  armée,  tant  pour  les  grands  richesses  dont  il 
abondoit,  selon  vn  acteur  Grec  nommé  Thucydides,  comme 
pource  que  la  guerre  se  mouuoit  pour  son  frère  Menelaus. 
Puis  après  chacun  sen  retourna  en  son  Royaume,  pour  faire 
marcher  les  armées  par  mer  et  par  terre,  au  port  d'Aulis 
qui  est  en  Beotie.  Duquel  nous  ferons  plus  ample  mention 
au  dernier  liure. 

Lors  fut  toute  Grèce  esmue,  toute  Achaie  troublée,  et 
les  isles  circoniacentes  en  grand  ardeur  de  vengeance  appe- 
ler. Car  les  peuples  tumultuans  en  émotion  bellique,  se  pré- 
sentèrent horriblement  affectionnez  à  venger  lopprobre  de 
leurs  seigneurs,  et  se  monstrerent  prompts  et  appareillez 
à  si  iuste  guerre.  Et  pendant  lespace  de  deux  ans  continuelz 
(comme  met  nostre  acteur  Dictys  de  Crète)  se  feit  prépara- 
tion de  cheuaux,de  bardes,  de  harnois,  de  chariotz,  de  lan- 
ces, de  nauires,  et  de  toutes  autres  choses  nécessaires  à 
ladite  guerre.  Et  au  bout  desdits  deux  ans,  toutes  lesdites 
preparatiues  de  nauigage,  et  autres  choses,  furent  en uoyees 
deuant  audit  port  d'Aulis  en  Beotie,  ausquelles  chacun  des- 
dits Princes  de  Grèce  auoit  fourni  selon  sa  puissance.  Les- 
quelles auitaillees  et  equippees  bien  et  deûement,  selon  le 
commandement  du  Roy  Agamemnon,  qui  à  toutes  ces  choses 
donnoit  ordre,  comme  chef  de  larmee,  iceux  Roy  s  et  Prin- 
ces, à  iour  nommé,  se  trouuerent  à  tout  leurs  gensdarmes, 
audit  port  d'Aulis,  le  cinquième  an  du  rauissement  d'He- 
leine.  Auquel  port  ilz  demourerent  par  long  temps,  à  cause 
que  le  Roy  Agamemnon  auoit  coursé  la  Déesse  Diane, 
comme  nous  dirons  au  dernier  liure.  Finablement  après 
ladite  Déesse  Diane  appaisee,  et  que  Palamedes  eust  esté 
créé  chef  de  larmee,  en  déposant  Agamemnon,  et  depuis 
derechef  iceluy  Agamemnon  restably,  iasoit  ce  que  Dares 


SINGTLARITEZ   DB   TROYE.    LIVRB   II.  135 

de  Phrygie  mette  ladite  déposition  et  restauration  d'Aga- 
raemnon  auoir  esté  long  temps  après  :  cestasauoir  pendant 
le  siège  do  Troye,  et  quil  fut  bon  temps  pour  nauiguer,  les 
filles  du  Roy  Anius  de  lisle  de  Delos,  lesquelles  estoient 
Fées,  comme  met  Dictys  de  Crète,  remplirent  les  nauires 
des  Grecz  de  tous  biens  en  abondance.  Et  ilz  feirent  voile 
hors  dudit  port  d'Aulis,  ayans  pour  guide  Philoctetes,  iadis 
escuyer  d'Hercules,  lequel  auoit  esté  autresfois  auec  son 
maistre  et  les  Argonautes  deuant  Troye,  comme  met  Dares 
de  Phrygie,  tellement  que  lesdits  Grecz  abordèrent  au 
Royaume  de  Mysie,  qui  est  voisin  de  la  basse  Phrygie.  Et 
de  prime  face  enuahirent  iceluy  Royaume  :  et  tuèrent  le  Roy 
Teuthras,  (1)  seigneur  diceluy  :  naurerent  aussi  Telephus 
gendre  de  Priara.  Et  puis  feirent  appointement  auec  ledit 
Telephus  au  moyen  du  Roy  Tlepolemus  de  Rhodes,  et  autres 
ses  parens  yssuz  de  la  lignée  d'Hercules  :  comme  ces 
choses  seront  plus  à  plein  mentionnées  au  dernier  liure.  Et 
ce  fait,  pource  que  Ihiuer  approchoit,  iceux  Princes  de 
Grèce  furent  conseillez  de  sen  retourner  en  leur  pais  sans 
faire  autre  exploit  pour  ceste  année  là  :  mais  délibérèrent 
de  retourner  prochainement  sur  le  territoire  de  Troye. 

En  ce  temps  là  le  bruit  fut  parmy  Troye  la  grand,  au 
moyen  des  marchans  qui  vindrent  de  diuerses  régions  de 
deuers  les  marches  et  frontières  de  Grèce,  que  tous  lesdits 
Princes  Gregois  ayans  fait  ligue  et  confédération  ensem- 
ble, deuoient  retourner  sans  nulle  faute,  incontinent  après 
Ihyuer  passé,  à  plus  grand  puissance  que  iamais.  Alors 
commencèrent  ceux  de  Troye  à  rauoir  plus  grand  peur  que 
deuant.  Et  ceux  à  qui  le  fait  de  Paris  auoit  despieu  des  le 
commencement,  ne  se  tenoient  point  de  dire,  quon  auoit 

(1)  Tenthras  (mscr.  de  GenèvA). 


136  ILLYSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

tort  des  Grecz,  et  que  cestoit  mal  fait  de  mettre  en  danger 
vne  telle  multitude  de  peuple,  pour  le  péché  daucuns.  Tout 
ce  nonobstant,  Paris  et  les  autres  participans  de  son  mau- 
uais  conseil,  enuoyerent  endementiers  plusieurs  capitaines 
et  commissaires ,  pour  cueillir  souldoiers  et  demander 
secours  de  toutes  pars,  et  de  toutes  les  régions  circonuoisi- 
nes  :  et  leur  feit  faire  commandement  de  retourner  le  plus 
légèrement  quilz  pourroient.  Laquelle  chose  se  hastoit  ainsi, 
parles  enfans  de  Priam,  à  fin  quilz  preuenissent  les  Grecz, 
et  que  tout  le  faix  de  la  guerre  fust  transporté  en  Grèce, 
auant  que  les  Grecz  sen  donnassent  garde.  Mais  Diomedes 
Roy  d'Etolie,  qui  fut  informé  du  tout  par  ses  espies,  préoc- 
cupa (1)  lintention  des  Troyens,  et  notifia  hastiuement  leur 
emprise  par  toute  Grèce  :  en  les  enhortant  quilz  se  des- 
peschassent  de  commencer  à  passer  en  Asie,  auant  quilz 
fussent  surprins  en  leurs  maisons  mesmes,  par  leurs  enne- 
mis. A  quoy  les  autres  Princes  furent  prompts  et  ententifz. 
Et  se  trouuerent  trestous  diligemment  derechef  au  port 
d'Aulis,  au  commencement  du  beau  printemps,  qui  estoit  le 
VIII.  an  depuis  le  rauissement  d'Heleine,  comme  met  nostre 
acteur  Dictys  de  Crète,  en  son  histoire  :  et  le  commence- 
ment du  IX.  Et  sur  ce  poinct  leur  suruint  Telephus  Roy  de 
Mysie,  et  gendre  de  Priam,  dont  nous  auons  dessus  parlé. 
Lequel  par  loracle  d'Apollo  fut  contraint  se  venir  faire  gué- 
rir de  la  playe  que  luy  auoit  faite  Achilles  au  voyage  pré- 
cèdent. Lequel  après  estre  guery,  pour  recongnoissance  du 
bien  fait,  sofirit  estre  leur  guide  et  conducteur,  iusques  à 
la  région  de  Troye. 

Par  ainsi  nauiga  toute  larmee  de  Grèce  en  vne  flotte,  en 
Asie  la  mineur,  quon  dit  maintenant  Turquie  ou  Natolie, 

(1)  c.-à-d.  devança. 


SINGVLARITEZ  DE   TROYK.    LIVRI  II.  i37 

ayant  ensemble  le  nombre  donze  cens  quarante  nauires  : 
comme  met  Dares  de  Phrygie.  De  prinsaut  ilz  gaignerent 
lisle  de  Tenedos,  et  consequemment  le  port  de  Sigee.  Si 
vint  en  ces  entrefaites  au  secours  de  Troye,  Sarpedon  Roy 
de  Lycie  combien  quil  eust  esté  beaucoup  sollicité  par  Psa- 
lis  Roy  des  Sidoniens  de  tenir  le  party  des  Grecz  :  comme 
met  Dictys  de  Crète.  Protesilaus  Roy  de  Phylace,  fut  le 
premier  de  tous  les  Gregois  qui  print  terre  audit  port  de 
Sigee  :  et  aussi  fut  ce  le  premier  qui  y  receut  mort  prédes- 
tinée, par  les  mains  du  preux  Hector,  selon  Dares  Phrygien, 
combien  que  nostre  acteur  Dictys  met,  que  ce  fut  par 
Eneas.  Et  fut  ceste  bataille  la  première  entre  les  Grecz 
et  les  Troyens.  Aussi  y  furent  tuez  deux  des  enfans  de 
Priam.  Consequemment  Telephus  Roy  de  Mysie,  gendre  de 
Priara,  print  illec  congé  des  Grecz,  et  sen  retourna  en  son 
Royaume.  Et  Cygnus  filz  de  Neptune,  vassal  de  Priam, 
lequel  estoit  inuulnerable,  fut  suffoqué  et  esteint  par  la 
force  d'Achilles.  Aussi  la  cité  de  Metore,  appartenant  audit 
Cygnus,  fut  prinse,  et  ses  enfans  amenez  en  lost  des  Grecz, 
comme  sera  plus  à  plein  touché  au  dernier  liure.  Encores 
furent  prinses  autres  citez,  du  territoire  de  Troye.  Si  fut 
exhibé  sacrifice  de  cent  bœufz  à  ApoUo  de  Sminthe,  par  le 
Prince  Palaraedes  de  Nigrepont.  Lequel  sacrifice  Paris 
cuida  empescher,  et  suruint  à  tout  grand  quantité  de  gens- 
darmes  :  mais  il  fut  rebouté  par  Aiax  Telamonius  et  Aiax 
Oïleus  et  plusieurs  des  gens  de  Paris  tuez.  Et  en  faisant 
ledit  sacrifice,  Philoctetes  fut  mors  au  pied  par  vn  serpent, 
et  adonc  il  fut  enuoyé  en  lisle  de  Lemnos,  pour  estre  guery 
par  les  prostrés  de  Vulcan. 

En  après  Palamedes  de  lisle  d'Eubee,  quon  dit  mainte- 
nant Nigrepont,  fut  meurtry  traytreusement,  et  ietté  de- 
dens  vn  puits  par  Diomedes  et  Vlysses,  ayans  enuie  de  la 


138  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

grâce  et  autorité  quil  auoit  en  lost,  iasoit  ce  que  Dares  de 
Phrygie,  contre  lopinion  de  tous,  mette  (1)  quil  fut  tué  dune 
saiette  par  Paris  Alexandre,  et  encores  long  temps  après. 
Mais  iay  entreprins  de  suiure  lordre  dudit  Dictys.  Aussi 
lisle  de  Lesbos,  quon  dit  maintenant  Methelin,  fut  prinse 
par  Achilles,  et  le  Roy  dicelle  nommé  Forgarite  vassal  de 
Priam,  lequel  auoit  fait  beaucoup  dennuy  aux  Grecz,  y  fut 
tué.  Et  sa  fille  la  belle  Diomedee  emmenée  en  seruage  :  et 
plusieurs  autres  citez  depopulees  dont  sera  faite  mention  au 
dernier  liure.  Consequemment  vn  Roy  de  Scythie,  ou  Tar- 
tarie,  nommé  Ceneus  vint  à  Iay  de  des  Grecz.  Achilles 
depopula  la  prouince  de  Cilice  :  print  la  principale  cité 
dicelle  nommée  Thebes  :  et  tua  Eetion  père  d'Andromacha, 
et  ses  sept  enfans  :  desmolit  aussi  la  cité  de  Lyrnesse,  et 
occit  le  Roy  dicelle,  nommé  Faction  :  et  emmena  sa  femme 
appellee  Astynome,  fille  à  Chryses  archiprestre  du  temple 
d'Apollo  de  Sminthe,  Puis  conquist  la  cité  de  Pedase,  dont 
le  Roy  nommé  Brises  se  pendit  de  dueil  :  et  Achilles  em- 
mena la  fille  dudit  Brises,  laquelle  auoit  nom  Hippodamie, 
comme  ces  choses  seront  plus  à  plein  désignées  au  dernier 
liure.  Et  tant  exploita  iceluy  Achilles,  quil  print  sur  le  Roy 
Priam  et  sur  ses  alliez  douze  citez  par  mer,  et  onze  par 
terre,  comme  tesmoigne  Homère  au  ix.  liure  de  son  Iliade. 
En  ce  temps  mesmes,  Aiax  Telamonius  cousin  germain 
dudit  Achilles,  infestoit  par  armes,  couroit  et  pilloit  tout  le 
Cherronese  de  Thrace  :  cestadire  le  riuage  de  Grèce,  oppo- 
site à  Asie  la  mineur,  quon  dit  maintenant  Turquie.  Auquel 
riuage  estoit  situé  le  Royaume  de  Polymnestor,  lequel 
auoit  espousé  madame  Ilione,  fille  de  Priam,  comme  plus  à 
plein  est  dit  au  premier  liure.   Mais   quand  ledit  Roy 

(1)  mect  (mscr.  de  Genève). 


SINGVLARITEZ   DE   TROYB.    LIVRE    11.  139 

Polymnestor  congnut  la  puissance  des  Grecz,  il  commença 
à  auoir  peur,  et  ne  tint  gueres  contre  eux,  ains  feit  appoin- 
tement.  Or  luy  auoit  enuoyé  le  Roy  Priam  le  plus  ieune 
de  ses  filz  nommé  Polydorus,  à  fin  que  secrètement  et  seu- 
rement  il  le  nourrist.  Mais  ledit  Roy  Polymnestor,  en  fai- 
sant sa  paix  le  deliura  audit  Aiax  Telamonius,  et  oultre 
ce,  luy  donna  grand  quantité  dor  et  dargent,  et  richesses, 
et  remplit  toutes  les  nauires  dudit  Aiax  de  blez  et  de  vins, 
assez  pour  vn  an,  et  par  sermens  exécrables  renonça  à 
lamitié  et  alliance  de  Priam,  son  beaupere,  et  fut  receu  au 
party  des  autres  Prince  de  Grèce. 

Ces  choses  faites,  Aiax  Telamonius  emmenant  auec  luy 
lenfant  Polydorus,  repassa  la  mer,  et  print  son]chemin  vers 
la  haute  Phrygie,  et  depopula  toute  la  région  mettant  tout 
à  feu  et  à  sang  :  tua  le  Roy  Teuthrancius  qui  osa  comba- 
tre  à  luy  corps  à  corps  :  brusla  sa  cité,  et  emmena  sa  fille 
nommée  Tegmessa.  Et  quand  lesdits  deux  Princes,  Achilles 
et  Aiax  Telamonius,  furent  retournez  chacun  de  son  quar- 
tier, ilz  amenèrent  grand  proye  en  lost  des  Grecz,  et  furent 
receuz  à  grand  gloire  et  triomphe,  et  couronnez  de  cha- 
peaux de  laurier,  comme  preux  et  victorieux.  Nestor  Roy 
de  Pylon,  le  sage  vieillard,  et  Idomeneus  Roy  de  Crète, 
furent  ordonnez  commissaires  à  départir  tout  le  butin. 
Astynome,  fille  de  larchiprestre  Chryses,  fut  adiugee  au 
Roy  Agamemnon,  pour  serue  et  pour  esclaue  :  Hippodamie 
tille  du  Roy  Brises  de  Pedase,  lequel  sestoit  pendu  de 
despit,  comme  dessus  est  dit,  et  auec  Diomedee  fille  du 
Roy  Forgarite  de  Methelin,  furent  distribuées  à  Achilles. 
Et  Tegmessa  fille  du  Roy  Teuthrancius,  en  la  haute  Phry- 
gie, à  Aiax  Telamonius,  comme  plus  à  plein  sera  dit 
au  dernier  liure.  Ce  fait,  ledit  Aiax  Telamonius  recita 
publiquement  les  pacts  et  conuentions  quil  auoit  fait  auec 


iiO  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Polymnestor  Roy  de  Thrace,  et  leur  deliura  Polydorus 
le  petit  filz  de  Priam.  Lesquelles  choses  ententiueraent 
considérées,  Vlysses  et  Diomedes,  furent  ordonnez  pour 
aller  en  ambassade  au  Roy  Priam,  et  luy  deliurer  son  filz 
Polydorus  pour  recouurer  Heleine. 


SINGVLARITEZ   DE  TROTE.    LITRE   II.  141 


CHAPITRE  XV. 

De  kmbassade  enuoyee  par  les  Grecz  à  Troye,  pour  offrir  d«  rendre 
Poljdorus,  en  reconurant  Heleine.  Et  comment  11  y  fut  contredit  par 
Antimacbus  corrompu  à  force  dargent  par  Paris.  Auec  recitation 
du  bon  conseil  du  sage  Pantbus  :  de  la  response  d'Hector  et 
d'Eneas.  Lopinion  de  deux  acteurs  touchant  ladite  ambassade  :  du 
retour  dicelle  en  larmee  :  et  de  la  mort  de  lenfant  Poljdorus.  Et 
aussi  du  débat  meu  entre  Achilles  et  Agamemnon,  à  cause  de  la 
belle  Briseis  ;  et  de  la  seconde  bataille,  dont  Hector  eut  le  prys. 


Ainsi  qve  lesdits  deux  orateurs  et  légats  Vlysses  et  Dio- 
medes  se  preparoient  pour  aller  à  Troye,  Menelaus  Roy  de 
Lacedemone,  pour  lamour  duquel  toute  la  guerre  se  deme- 
noit,  se  ioingnit  de  son  propre  gré  et  mouuement  auec 
eux.  Et  quand  ilz  furent  entrez  par  saufconduit  dedens 
Troye,  et  que  le  populaire  sceut  que  trois  grans  Princes  de 
Grèce  estoient  arriuez  pour  traiter  quelque  bon  appointe- 
ment,  ilz  conuoquerent  en  conseil  les  principaux  seigneurs 
et  citoyens  de  Troye.  Et  sans  souffrir  (1  )  que  le  Roy  Priam 
ne  ses  enfans  saillissent  du  palas,  tindrent  illec  vn  consis- 
toire. Tellement  que  lesdits  seigneurs  et  populaire  estans 
illec  ententifz,  le  Roy  Menelaus  commença  vne  harengue 
brieue,  faisant  à  son  propos  :  et  consequemment  le  treselo- 
quent  Vlysses  en  feit  vne  autre  plus  grande  :  tendant  aux 
fins  de  remonstrer  aux  seigneurs,  citoyens  et  peuple  de 

(1)  c.-à-d.  attendre. 


142  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Troye  le  grand  forfait  commis  en  Grèce  par  Paris  Alex- 
andre. Et  concluant  en  la  fin,  que  tout  ce  nonobstant,  si 
la  Royne  Heleine  estoit  rendue  auec  tout  ce  que  auoit  esté 
prins  auec  elle,  ilz  rendroient  lenfant  Polydorus,  lequel 
estoit  en  leurs  mains. 

Apres  donques  que  Vlysses  Roy  d'Itaque  eut  fait  fin  à 
son  oraison,  Panthus  lun  des  grans  seigneurs  de  Troye, 
père  de  Polydamas,  print  la  parole,  et  dit  à  Vlysses  :  Que 
certainement  entre  eux  auoient  bien  la  voulenté  de  remé- 
dier à  ceste  besongne,  mais  non  la  puissance.  Pareillement 
le  Prince  Antenor  disoit,  quil  ne  tenoit  point  à  eux  ny  à 
leur  conseil,  que  toutes  les  choses  nallassent  bien  :  mais 
ceux  qui  auoient  administration  de  la  souueraineté  des 
choses,  conduisoient  tout  plus  par  voulenté  que  par  rai- 
son. Apres  lesquelles  choses  dites,  ledit  Antenor  feit  entrer 
au  conseil  les  Princes  estrangers  qui  estoient  venuz  par 
amitié  (1)  au  secours  de  Priam,  et  aussi  les  autres  Princes 
souldoiers.  En  la  présence  desquelz,  Vlysses  reïtera  son 
oraison  plus  ague  et  plus  véhémente  que  parauant,  en 
appellant  les  Troyens  tous  mauuais  hommes,  exorbitans  de 
raison  semblables  à  Paris  Alexandre,  duquel  ilz  souste- 
noient  la  querele  si  ruineuse  et  si  peruerse.  Et  amenoit 
son  parler  par  si  grand  artifice,  que  tout  le  peuple  Troyen 
se  condescendoit  à  sa  voulenté.  Et  auoient  horreur  tacite- 
ment en  leurs  courages,  de  loutrage  fait  aux  Grecz.  Puis 
selon  la  manière  accoustumee,  les  plus  anciens  dirent  cha- 
cun leur  opinion  par  ordre.  Et  confessèrent  tous  ensemble 
par  commune  voix,  que  le  Roy  Menelaus  auoit  esté  iniu- 
rieusement  traité,  attendu  quil  auoit  receu  amiablement  en 
son  hostel  Paris  et  Deïphobus.  Et  que  Paris  auoit  brisé  les 

(1)  amistre  (mscr.  de  Genève). 


SIMGVLARITEZ   DE   TROTB.    LIVRE  II.  143 

loix  de  toute  humanité,  en  rauissant  la  femme  de  son  hoste. 
Et  ainsi  disoient  ilz  tous,  excepté  lun  diceux  citoyens, 
nommé  Antimachus,  qui  fut  dopinion  contraire.  Car  selon 
ce  que  met  Homère  en  lonzieme  liure  de  l'Iliade,  ledit  An- 
timachus auoit  esté  corrompu  par  Paris  Alexandre,  à  force 
de  dons  et  dargent,  pour  tenir  sa  bende. 

Voyans  donques  ces  choses  le  Prince  Antenor,  le  sage 
Panthus,  et  les  autres  seigneurs,  et  citoyens  de  Troye,  ilz 
enuoyerent  au  palais  vers  le  Roy  Priam  deux  hommes  esluz 
à  ce,  pour  laduertir  du  tout  :  mesmement  de  son  filz  le 
petit  Polydorus,  lequel  estoit  détenu  prisonnier  en  la  main 
des  Grecz.  Et  quand  le  Roy  Priam  entendit  ceste  nouuelle, 
de  la  grand  douleur  quil  eut,  il  cheut  pasmé  à  terre,  en  la 
présence  de  tous.  Et  quand  il  fut  remis  sus,  et  voulut  aller 
au  conseil,  ses  enfans  lengarderent,  et  luy  prièrent  quil  ne 
bougeast  :  mais  eux  mesmes  sen  vindrent  ruer  impétueuse- 
ment au  mylieu  de  lassemblee,  là  où  ilz  trouuerent  le  des- 
susdit Antimachus,  estriuant  contre  les  Grecz,  et  souste- 
nans  la  querele  de  Paris  :  lequel  outrageoit  fort  les  ambas- 
sadeurs de  Grèce,  disant  quil  ne  souffriroit  iamais  que 
Menelaus  partist  de  Troye,  iusques  à  ce  que  lenfant  Poly- 
dorus fust  restitué  sain  et  sauf,  et  aussi  quon  deuoit  gar- 
der les  deux  autres  :  cestasauoir  Vlysses  et  Ûiomedes,  ius- 
ques à  tant  que  ainsi  fust  fait.  Et  comme  tout  chacun  se 
teust,  Antenor  commença  à  résister  au  contraire,  et  def- 
fendre  à  toute  puissance,  que  telle  chose  ne  fust  décrétée  au 
preiudice  desdits  ambassadeurs,  et  au  deshonneur  du  Roy 
Priam.  Mais  après  longues  altercations,  les  paroles  mon- 
tèrent tant  dun  costé  et  dautre,  quon  procéda  iusques  à 
coups  donner.  Toutesuoyes  en  la  parfin  Antimachus,  qui 
esmouuoit  tout  le  débat,  fut  ietté  hors  de  lassemblee,  par 
tous  les  assistans,  et  deClaJré  mutin   et  sedicieux.-  Et  les 


144  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

ieunes  enfans  de  Priam  laissèrent  aussi  ladite  congrégation, 
excepté  le  Prince  Hector, 

Alors  le  sage  vieillard  Panthus  dressa  son  parler  à  la 
fleur  des  nobles  hommes  du  monde  :  cestasauoir  Hector, 
lequel  comme  met  nostre  acteur  Dictys  de  Crète,  estoit  le 
plus  sage,  et  le  meilleur  de  tous  les  enfans  de  Priam.  Et 
luy  commença  à  supplier  humblement,  que  maintenant  il 
voulsist  tenir  la  main  à  ce,  que  madame  Heleine  fust  ren- 
due, mesmement,  puis  que  les  Princes  de  Grèce  estoient 
venuz  amiableraent  la  requérir  :  disant  que  si  Paris  auoit 
autresfois  esté  ardant  en  lamour  délie,  quil  y  auoit  desia 
passé  du  temps  assez  pour  en  estre  saoulé,  et  que  chacun 
voyoit  clerement  à  lœil,  la  grand  puissance  des  Princes  de 
Grèce  et  leur  gloire  et  hautes  emprises,  et  quilz  auoient 
desia  prins  et  depopulé  beaucoup  des  citez  du  Royaume  de 
Phrygie,  et  du  païs  circonuoisin  :  pour  laquelle  chose  le 
Roy  Polymnestor  esmu  de  grand  crainte,  leur  auoit  deli- 
uré  lenfant  Polydorus  :  et  faisoit  à  présupposer,  que  les 
autres  citez  du  tenement  de  Priam,  pourroient  bien  ensui- 
ure  semblable  manière  de  faire.  Et  plusieurs  autres  choses 
allegoit  Panthus,  lesquelles  laisse  pour  cause  de  brieueté. 
Et  quand  le  noble  Prince  Hector  leut  escouté  tout  en  paix, 
il  fut  vn  peu  triste  :  et  les  grosses  larmes  luy  tomboient  des 
yeux,  quand  il  luy  souuint  de  son  petit  frère  Polydorus. 
Toutesuoyes,  il  disoit  que  ce  nonobstant  on  ne  deuoit  point 
trahir  la  personne  d'Heleine,  puis  quon  luy  auoit  vne  fois 
la  foy  promise  :  mais  bien  pourroit  on  rendre  tout  ce  qui 
auroit  esté  prins  auec  elle  :  et  au  lieu  délie,  bailler  au  Roy 
Menelaus  aucune  de  ses  sœurs,  si  comme  la  pucelle  Cas- 
sandra,  ou  la  belle  Polyxene,  auecques  grand  douaire,  et 
grans  dons. 

Quand  Menelaus  Roy  de  Lacedemone  eut  entendu  ceste 


SIN6VLARITKZ   DB   TROYB.    LITKB  II.  145 

response  d'Hector  il  la  print  en  grand  et  raerueilleux  des- 
daing  :  et  dit  ainsi  par  grand  felonnie(l)  :  «  Ainsi  mayd  Jupi- 
ter le  Roy  des  hommes  et  des  Dieux,  ie  seroye  donques  bien- 
heureux, sil  falloit  que  après  estre  violentement  despouillé 
de  ma  propre  femme,  ie  fusse  contraint  de  permuer  mes 
amours  et  mon  mariage,  à  lappetit  de  mes  ennemis  mor- 
telz.  ))  Alors  le  (2)  baron  Eneas  répliqua  en  ceste  manière  : 
«  Roy  Menelaus,  de  ce  ne  faut  ia  que  tu  te  soucies  tant  ;  car 
quand  tout  le  monde  lauroit  iuré,  si  te  garderây  ie  bien  de 
si  grand  honneur,  et  moy,  et  tous  ceux  de  ma  bende,  qui 
aymons  ihonneur  et  le  proufit  de  Paris  Alexandre  :  il  en 
est  encores  assez,  ne  te  chaille,  et  sera,  de  ceux  qui  deffen- 
dront  à  main  armée  la  maison  et  le  Royaume  de  Priam 
contre  voz  iniures.  Et  quand  il  aura  perdu  lenfant  Poly- 
dorus,  si  ne  sera  il  pas  pourtant  destitué  denfans.  Vous 
semble  il  donques  à  vous  autres  Grecz  quil  nest  loisible  à 
nul  autre  fors  à  vous,  duser  de  telles  manières  de  rapines  ? 
Ceux  de  lisle  de  Crète,  qui  sont  des  vostres,  ne  rauirent  ilz 
iadis  la  belle  Europa,  fille  du  Roy  Agenor  de  Sidone  ?  Et 
le  beau  Prince  Ganymedes  filz  du  Roy  Tros  nostre  ances- 
tre,  ne  fut  il  aussi  esleué  par  eux  en  ceste  contrée  mesmes  ? 
Que  dirây  ie  de  Medee  fille  au  Roy  Eetha  ?  ignorons  nous, 
que  ceux  de  vostre  party  de  fresche  mémoire,  lallerent 
rauir  en  Colchos  ?  lusques  icy  on  ha  procédé  par  paroles, 
mais  si  vous  et  vostre  armée  ne  partez  soudain  de  ceste 
région,  vous  expérimenterez  à  coup  (3)  la  grand  vertu 
Troyenne,  à  vostre  merueilleux  preiudice  :  car  nous  auons 
tout  premièrement  de  nostre  part,  la  forte  main  et  bon 
adiutoire  des  Dieux  immortelz,  et  en  oultre,  auons  grand 

(1)  c.-à-d.  irritation.  —  (2)  Le  mscr.  de  Genève  ajoute  le  beau. 
(3)  c.-à-d.  soudain. 

II.  iO 


ilQ  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

nombre  et  abondance  de  ieunes  hommes  instruits  noble- 
ment aux  armes,  et  de  iour  en  iour  nous  suruient  assez  de 
nouueau  secours.  »  Quand  Eneas  eut  fine  ses  paroles,  Vlysses 
respondit  doucement  en  ceste  manière  :  «  Par  noz  Dieux,  il 
nest  ia  plus  mestier  donques,  de  différer  noz  inimitiez  dun 
costé  et  dautre.  Donnez  signe  de  bataille  quand  vous  vou- 
drez, et  ainsi  comme  vous  auez  esté  les  premiers  en  infé- 
rant liniure,  soyez  aussi  les  premiers  à  donner  les  horions  : 
et  nous  vous  suiurons  après  que  nous  aurez  prouoquez .  »  Et 
cest  iusques  icy  la  narration  de  nostre  principal  acteur  Dic- 
tys  de  Crète. 

,  Mais  Dares  de  Phrygie  met  ladite  ambassade  auoir  esté 
faite  auant  la  mort  de  Protesilaus  Roy  de  Phylace,  et  ne 
fait  nulle  mention  du  petit  Polydorus.  Dit  en  oultre  ledit 
Dares,  que  le  Roy  Priam  presidoit  en  son  conseil,  quand 
ladite  ambassade  vint.  Et  après  auoir  ouy  leur  demande 
fondée  sur  la  restitution  de  la  belle  Heleine,  et  de  la  proye 
emmenée  auec  elle,  luy  mesmes  leur  remeit  au  deuant  les 
iniures  des  Argonautes,  cestadire  de  ceux  qui  nauiguerent 
en  Colchos  :  leur  reprocha  la  mort  de  son  père  le  Roy 
Laomedon,  la  destruction  de  Troye  faite  par  Hercules  et 
Telamon,  et  la  seruitude  de  madame  Hesionne  sa  sœur  : 
et  aussi  les  opprobres  et  mauuais  traitemens  faits  au  baron 
Antenor  son  ambassadeur.  Parquoi  ledit  Roy  Priam  refusa 
tout  appointement  de  paix  auec  lesdits  Grecz  :  et  leur  signi- 
fia la  guerre  ouuerte.  En  commandant  que  promptement 
iceux  ambassadeurs  eussent  à  vuider  hors  de  sa  cité  et  de 
son  Royaume.  Et  cest  lescrit  dudit  Dares.  Si  fait  à  noter 
quen  plusieurs  passages  il  y  ha  discordance  entre  lesdits 
deux  acteurs  Dares  et  Dictys  :  iasoit  ce  quilz  fussent  tous 
deux  presens  à  la  guerre  Troyenne,  mais  ilz  estoient  de 
deux  partis  lun  Troyen  et  lautre  Grec.  Toutesuoyes  des  difi'e- 


SINGVLARITEZ   DE   TROTB.    LIVRE   II.  i47 

rents  qui  sont  en  leur  narration  originelle  ie  me  passeray 
(le  léger,  en  ensuiuant  principalement  lordre  de  mon  acteur 
Dictys,  pource  que  sa  compilation  est  plus  ample  et  plus 
disfuse,  et  aussi  plus  vraysemblable  et  mieux  ordonnée.  (1) 
loint  à  ce,  que  les  nobles  œuures  du  Prince  des  poètes 
Homère,  et  de  Virgile,  et  aussi  d'Ouide  sont  presques  vni- 
formes  à  icelle.  Par  ainsi  lesdits  ambassadeurs  de  Grèce 
ayans  response  de  refus  total,  se  retirèrent  en  leur  ost, 
non  pas  sans  le  grand  desplaisir  du  peuple  de  Troye  ; 
lequel  estoit  dolent  en  merueilles  des  paroles  arrogantes 
proférées  par  Ëneas.  Et  quand  lesdits  trois  personnages 
furent  de  retour,  en  la  présence  des  autres  Princes  de 
Grèce,  ilz  récitèrent  à  plein  tous  les  dits  et  les  faits  des 
Troyens  alencontre  d'eux,  dont  ilz  furent  généralement  fort 
indignez  et  encores  plus  irritez  à  vengeance.  Si  fut  décrété 
incontinent,  que  le  petit  Polydorus  seroit  occis  en  la  pré- 
sence de  tous  ceux  qui  le  voudroient  voir  au  plus  près  des 
murs  de  Troye.  Et  sur  ce  cas  ne  fut  pas  faite  grand  dila- 
tion  :  ains  fut  prins  ledit  noble  enfant  Royal,  et  mené  sur 
vn  haut  tertre,  en  lieu  eminent  près  de  la  cité,  et  illec 
occis,  et  lapidé,  par  la  multitude  des  Grecz,  à  force  de 
coups  de  pierre,  voyans  plusieurs  des  Troyens  qui  estoient 
aux  créneaux.  Ainsi  le  ieune  innocent  porta  la  peine  du 
mefifait  commis  par  son  mauuais  frère  Paris.  Ce  fait,  lun 
des  herautz  des  Grecz  alla  noncer  iusques  aux  portes  de 
Troye  la  mort  dudit  Polydorus,  à  fin  quilz  vinssent  prendre 
le  corps  pour  le  sepulturer.  Et  pour  ce  faire  fut  enuoyé  lun 
des  herautz  de  Troye,  nommé  Ideus,  auec  aucuns  gentilz- 
hommes  de  la  maison  du  Roy  qui  lemporterent  tout  gasté, 

(1)  Les  Occidentaux   préféraient  cependant  Darès.  (Cf.  Moland  et 
d'HérioaiUt,  Nouvelles  françaises  eo  prose  du  XIY*  siècle.  Introd.) 


i48  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

meurtry  et  despecé  à  la  Royne  Hecuba  sa  mère,  laquelle 
en  mena  grand  et  merueilleux  dueil,  comme  il  est  vraysera- 
blable.  Toutesuoyes,  Virgile  au*troisieme  Hure  des  Eneïdes 
recite  autrement  la  mort  dudit  Polydorus,  et  en  autre 
temps  :  et  aussi  fait  Ouide  au  xiii.  de  sa  Métamorphose  : 
disant  que  la  Royne  Hecuba  fut  emmenée  en  seruage,  en 
passant  par  le  Royaume  de  Polymnestor,  son  gendre  qui 
auoit  occis  le  petit  Polydorus,  pour  vsurper  les  trésors  qui 
luy  auoient  esté  baillez  en  garde  auec  lenfant  :  dont  Hecuba 
conuertie  en  rage  désespérée,  trouua  manière  de  creuer  les 
yeux  audit  Roy  Polymnestor.  Parquoy  finablement  elle  fut 
mise  à  mort  par  les  Grecz. 

Endementiers  que  ces  choses  se  faisoient,  à  fin  que  rien 
ne  demourast  entier  aux  alliez  de  Priam,  Aiax  Telamonius 
assailloit  hostilement  plusieurs  citez  appartenantes  à  Eneas, 
Antenor,  et  autres  de  la  maison  de  Priam,  et  les  demolis- 
soit  et  depopuloit,  si  comme  Cella,  Gargarus,  Marisba, 
Sepsis,  et  autres  situées  es  montaignes  Idées,  qui  seront 
plus  à  plein  spécifiées  au  dernier  liure.  Et  feit  courses  et 
gastemens  :  et  bouta  les  feuz  par  toutes  lesdites  montai- 
gnes :  puis  ramena  en  lost  grand  nombre  de  bestial  et  autre 
butin.  Et  en  ce  temps  mesmes  Chryses  larchiprestre  du 
temple  d'ApoUo  de  Sminthe,  vint  en  larmee  des  Grecz, 
humblement  suppliant  de  rauoir  sa  fille  Astynome,  iadis 
femme  au  Roy  Faction  de  Lyrnesse,  laquelle  en  diuisant  le 
butin  auoit  esté  deliuree  au  Roy  Agamemnon,  comme  des- 
sus est  dit.  Et  pource  que  ledit  archiprestre  ne  fut  point 
ouy,  grand  pestilence  se  meit  en  lost  des  Grecz  :  dont  le 
prestre  Calchas  prononça  la  cause  à  lasseurance  d'Achilles, 
disant,  que  tel  meschef  ne  venoit  sinon  pour  la  détention 
de  la  fille  de  Chryses  archiprestre  du  Dieu  Apollo  :  car  ice- 
luy  Dieu  en  estoit  malcontent.  Et  les  Troyens  voyons  les 


SIMGVLAKITEZ  DE    TROYE.    LITRE    II.  149 

feuz  contiûuelz  qui  se  faisoient  en  larmee  des  Grecz  pour 
brusler  les  corps  des  morts,  saillirent  hors  de  Troye  et  fat 
faite  la  seconde  bataille,  en  laquelle  emporta  le  prys  du 
costé  des  Troyens  le  Prince  Hector,  auee  le  Roy  Sarpedon 
de  Lycie  :  et  du  costé  des  Grecz  les  Koys  Diomedes  et 
Menelaus,  dont  la  nuict  suruenant  feit  faire  cesse. 

Ces  choses  faites,  les  Grecz  voulurent  establir  Achilles 
chef  de  toute  larmee  :  pource  que  Agaraemnon  ne  vouloit 
rendre  la  belle  Astynome,  autrement  appellee  Chryseis,  à 
son  père  Chryses.  A  loccasion  dequoy  la  mortalité  de  plus 
en  plus  senforçoit  parmy  eux,  et  mouroient  misérablement 
grand  nombre  de  gens  et  de  bestes.  Toutesuoyes  finable- 
ment  Agamemnon  fut  content  de  restituer  ladite  Chryseis  : 
pourueu  quen  son  lieu  fust  baillée  la  belle  Hippodamie, 
autrement  dite  Briseis,  fille  du  Roy  Brises  de  Pedase,  dont 
sera  faite  plus  ample  mention  au  dernier  liure.  Chacun 
saccorda  à  ce  pour  le  salut  commun  de  toute  larmee,  ex- 
cepté Achilles,  auquel  il  competoit  le  plus  :  car  il  la  tenoit 
pour  samie  et  chère  concubine.  Mais  ce  nonobstant,  Aga- 
memnon vsant  de  sa  puissance  Royale,  comme  chef  de  toute 
larmee,  enuoya  quérir  par  deux  herau tz  ladite  Hippodamie, 
ou  Briseis  es  tentes  du  Duc  Achilles,  et  la  feit  mener  es 
siennes.  Et  ce  faisoit  il,  par  despit  de  ce  que  le  prestre  Cal- 
chas,  par  ladueu  et  asseurance  dudit  Achilles,  auoit  declairé 
que  la  peste  ne  cesseroit  iusques  à  ce  que  Agamemnon  eust 
rendue  ladite  Chryseis  à  son  père. 

Ainsi  fut  renuoyee  la  belle  à  son  père  honnestement 
accompaignee  des  deux  grans  personnages  :  cestasauoir 
Diomedes  et  Vlysses.  Lesquelz  dabondant  offrirent  grans 
dons  au  temple  d'Apollo  de  Sminthe,  pour  appaiser  Tire 
diceluy  Dieu.  Et  par  ce  moyen  cessa  la  pestilence  en  lar- 
mee des  Grecz.  Si  fut  aussi  enuoyee  en  lisle  de  Lemnos  cer- 


iSO  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

taine  portion  de  la  proye  et  butin  conquis  sur  les  ennemis, 
àPhiloctetes  seigneur  de  Methon  et  de  Melibee,  lequel  estoit 
demouré  malade  en  ladite  isle,  à  cause  de  la  morsure  dun 
serpent,  comme  dessus  est  dit.  Mais  Achilles  tenant  à  grand 
iniure  labstraction  de  sa  concubine  Briseis,  ou  Hippodamie, 
en  conceut  en  son  courage  vne  terrible  indignation  contre 
les  Grecz,  mesmement  contre  le  Roy  Agamemnon  :  et  se 
tint  àe  là  en  auant  en  son  pauillon,  auec  son  amy  Patro- 
clus,  et  son  gouuerneur  Phénix,  et  son  aurigateur  Autome- 
don,  et  ses  autres  Myrmidons.  Et  sur  ce  propres  fonde  et 
commence  toute  sa  noble  matière  du  volume  de  Tlliade,  le 
prince  des  poètes  Homère. 

En  ces  entrefaites,  le  tresnoble  Prince  Hector,  chef  et 
conducteur  de  toute  larmee  Troyenne,  feit  saillir  hors  des 
portes  de  la  cité,  toute  la  belle  cheualerie  d'Asie  la  mineur, 
quon  dit  maintenant  Turquie  ou  Natolie  :  ensemble  les 
Princes  tant  de  la  maison  du  Roy  Priam,  comme  ses  vas- 
saux, amis,  alliez,  et  souldoiers  :  desquelz  les  noms  et  sei- 
gneuries sont  spécifiées  assez  competentement  au  premier 
liure,  et  seront  encores  plus  au  dernier.  Les  Grecz  aussi 
meirent  leur  armée  en  front,  et  ordonnèrent  leurs  esles  et 
leurs  batailles.  Mais  Achilles  se  tint  à  lescart  auec  ses 
Myrmidons,  et  ne  se  voulut  point  renger  en  ordonnance 
des  autres,  à  cause  de  la  hayne  et  dissension  quil  auoit 
auec  le  Roy  Agamemnon,  pour  lamour  de  sa  concubine 
Hippodamie  quil  luy  auoit  tollue.  Quand  donques  les  armées 
tant  des  Grecz  que  des  Troyens  furent  rengees  bien  à  point, 
ne  lune  partie  ne  lautre  ne  feit  semblant  de  se  bouger  ne 
dentamer  la  bataille,  mais  se  tindrent  tous  coys  sans  rien 
faire,  pour  ce  iour.  Et  quand  ce  vint  sur  le  tard,  chacun 
sonna  la  retraite  de  son  costé.  Dont  Achilles  ce  voyant, 
pensa  de  se  venger  du  Roy  Agamemnon,  et  cuida  surpren- 


SIMGVLARITEZ    DE   TROTE.    LITBB   H.  15t 

dre  son  armée  en  desarroy  et  donner  sur  luy,  à  tous  ses 
Myrraidons  :  mais  Vlysses  sen  donna  bien  garde.  Parqaoy 
Achilles  sans  rien  faire,  mais  tout  transmué  de  courroux, 
sen  retourna  en  ses  tentes,  et  les  Troyens  à  Troye.  Et  ceste 
nuict  furent  ordonnez  par  les  Grecz  Aiax  et  Diomedes 
explorateurs  pour  la  nuict.  Et  Dolon  Troyen  fut  aussi  esta- 
bli  par  Hector,  à  aller  guetter  lost  des  Grecz  :  mais  il  fut 
surprins  par  lesdits  Aiax  et  Diomedes,  et  après  auoir  sceu 
le  secret  des  Troyens,  ilz  tuèrent  ledit  Dolon. 


152  ILLVSTRATIONS   DE   G^VLE,  ET 


CHAPITRE  XVI. 

Narration  dane  iournee  assignée  pour  batailler,  entre  les  Grecz  et 
les  Troyens.  Et  de  la  couardise  de  Paiis  encontre  Menelans  :  de 
laigre  reprehension  que  Hector  luy  feit  à  ceste  cause.  Et  comment 
Paris  soffrit  à  combatre  Menelaus  corps  à  corps.  De  la  forme  des 
conuenances  sur  ce  prinsea.  Et  comment  à  Haleine  retourna  le 
désir  de  son  premier  m&vj.  Et  des  deuises  du  .Roy  Priam  auec 
ladite  Heleine. 


Certains  iours  passez  sans  rien  faire,  iournee  fut  assignée 
dune  part  et  dautre,  en  la  belle  campaigne  qui  est  entre  la 
cité  de  Troye,  et  le  port  de  Sigee  :  et  fut  fait  de  tous  costez 
grand  appareil  de  bataille.  Toutesuoyes  Achilles  ne  sy 
trouua  point  :  car  il  ne  se  vouloit  plus  armer,  par  despit 
du  Roy  Agamemnon.  Et  pource  quen  ceste  iournee  il  y 
eut  vne  bataille  singulière,  cestadire  corps  à  corps  entre  le 
Roy  Menelaus  et  le  beau  Paris,  laquelle  est  diffusément 
narrée  par  le  prince  des  poètes  Homère  au  troisième  liure 
de  son  Hiade,  et  bien  coulouree  de  fleurs  poétiques  :  et  aussi 
est  récitée  en  brief  et  plus  succintement  par  Dictys  de  Crète 
en  son  deuxième  liure,  ie  vueil  icy  marrester  vn  petit  à 
descrire  ledit  combat,  pource  quil  est  beau  et  délectable,  et 
sent  bien  son  antiquité.  Et  pour  ce  faire,  ie  translateray 
presques  mot  à  mot  ledit  Homère  sur  ce  passage.  Et  nonob- 
stantant  ie  ne  relenquiray  point  de  trop  loing  la  vérité  his- 
toriale  de  nostre  acteur  Dictys  de  Crète. 

Or  dit  iceluy  noble  prince  de  poètes  Grecz  mis  en  Latin 
par   Laurens  Valle  :  Que    quand  les  armées  Troyennes 


SUIGTLARITEZ   DE    TROTE.    LITBE   11.  155 

furent  ordonnées  chacune  souz  son  chef  et  conducteur, 
et  furent  diuisees  en  esles  et  en  esquadres,  elles  marchèrent 
audeuant  desGreczqui  desia  approchoient.  Là  eut  grand  oy 
et  grand  huée  faite  du  costé  diceux  Troyens,  ne  plus  ne 
moins  que  les  grues  ontaccoustuméde  faire  au  temps  matutin 
quand  elles  partent  des  régions  Septentrionales,  et  volent  par 
lair  en  grands  compaignies,  vers  la  grand  mer  Oceane,  pour 
faire  cruelle  guerre  et  mortifère  aux  petis  Pygmiens.  Et  au 
contraire,  les  Grecz  sans  noise  et  sans  clameur,  mais  sans 
plus  fremissans  par  grand  ire,  tacitement  en  eux  mesmes 
hastoient  leurs  pas,  reuoluans  en  leurs  courages  par  quel 
moyen  ilz  pourroient  vaincre  leurs  ennemis,  et  deffendre 
eux  et  les  leurs.  A  la  venue  donques  des  Troyens,  ou  pour 
mieux  dire  à  la  course,  si  grand  pouldrerie  sesleua  en  la 
campaigne,  mesmement  à  layde  du  vent  qui  souffloit,  que 
ce  sembloit  vne  de  ces  bruines  espesses  qui  sont  ennuyeuses 
aux  bons  bergers  des  champs,  et  agréables  aux  larrons 
nocturnes.  Laquelle  nieble  bruineuse  est  aucunesfois  ame- 
née par  le  vent  Auster  sur  la  cruppe  des  hautes  montai- 
gnes,  tellement  que  la  pouldrerie  (1)  offusquoit  la  veiie  des 
deux  armées  et  ne  pouuoit  on  choisir  de  lœil,  plus  loing 
dun  iet  de  pierre. 

Et  quand  lesdits  deux  exercites  furent  si  prochains  lun 
de  lautre,  que  desia  on  sapprestoit  pour  batailler,  Paris 
Alexandre  homme  de  singulière  beauté,  marchoit  fîerement, 
et  à  grans  pas,  douant  toutes  les  armées  de  Troye,  prouo- 
quant  et  deffiant  par  hautes  paroles,  à  bataille  singulière 
tous  les  plus  forts  des  Grecz.  Or  portoit  il  pour  sa  cotte 
darmes,  vne  riche  peau  de  leopart  toute  estoffee  dor  et  de 
pierrerie.  Son  arc  et  son  carquois,  et  deux  dards  resplen- 

(I)  pouldriere  (mscr.  de  Qenèvo). 


154  ILLVSTRATIOISS   DE    GAVLE,    ET 

dissans  en  sa  main.  Et  quand  le  fort  batailleur  Menelaus 
leut  veu  et  entendu,  il  se  resiouit  en  telle  manière  que  fait 
vn  lyon  familieux,  quand  il  rencontre  vu  grand  cerf  cornu, 
ou  vn  chamois  lequel  est  poursuiuy  des  chiens  et  des  ve- 
neurs. Ainsi  par  grand  ardeur  et  espérance  de  venger  son 
iniure,  il  descendit  promptement  de  son  chariot  et  se  meit 
à  pied  comme  il  estoit  aorné.  Si  se  présenta  deuant  Paris, 
marchant  hastivement  alencontre  de  luy.  Alors  Paris 
Alexandre  des  quil  veit  son  mortel  ennemy  Menelaus,  luy 
venant  alencontre,  il  fut  frappé  dune  peur  soudaine  :  et 
arresta  tout  court  son  allure.  Puis  se  commença  à  retirer 
vers  ses  gens  :  tout  ainsi  que  fait  vn  pèlerin  passant  par  la 
montaigne  :  lequel  quand  il  apperçoit  en  sursaut  quelque 
horrible  dragon  en  son  chemin,  se  trouble  et  estonne  de 
primeface,  puis  après  pallit  et  tremble,  et  presques  en  se 
laissant  choir  recule  arrière. 

A  ce  spectacle,  la  fleur  de  cheualeri^  Hector,  tout  en- 
flambé  d'ire  et  de  mal  talent,  commença  à  vitupérer  son 
frère  par  paroles  ignominieuses  :  et  luy  dit  en  ceste  ma- 
nière :  «  Dysparis  (1)  et  non  Paris  de  beauté  nompareille, 
mais  tout  perdu  en  lamour  des  femmes,  hardy  de  paroles  et 
lasche  à  leffect,  combien  eust  il  mieux  valu  que  tu  ne  fusses 
iamais  né  ?  Et  pleust  ores  aux  Dieux  que  ainsi  eust  esté, 
ou  que  tu  fusses  mort  en  ieunesse,  auant  que  commettre  vn 
tel  deshonneur,  mesmement  deuant  les  yeux  de  tout  le 
monde.  Ne  vois  tu  combien  de  liesse  ces  Grecz  perruquez 
et  calamistrez  en  ont  receu,  et  à  bon  droit,  comme  ceux  qui 
cuidoient  que  ainsi  comme  tu  es  le  plus  beau  de  tous,  aussi 
tu  fusses  le  plus  cheualereux  ?  là  où  maintenant  ilz  enten- 
dent bien,  quil  y  ha  en  toy  trop  plus  de  beauté  que  de  vail- 

(1)  c.>à*d.  funeste. 


SIKG?LARITEZ   DE   TROYB.    LITRX   II.  «186 

lance.  Assez  as  tu  de  formosité  et  bonne  taille  de  corps  et 
de  membres,  mais  le  courage  test  défaillant.  Et  neant- 
moins,  comme  tu  soyes  tel,  tu  as  osé  auec  vne  bende  de 
gens  esluz,  et  vne  armée  bien  equippee,  aller  en  région 
estrange  suborner  la  femme  dautruy.  Et  comme  tu  fusses 
esprins  de  la  merueilleuse  beauté  délie,  combien  quelle 
eust  vn  mary  bon  à  la  guerre,  tu  las  prinse  en  la  région 
d'Achaie  :  et  las  amenée  par  deçà,  (1)  à  la  totale  destruction 
de  monseigneur  nostre  père,  du  Royaume  aussi ,  et  de 
tout  le  nom  Troyen,  et  à  lesiouissement  de  noz  ennemis, 
et  perpétuelle  infamie  de  toy  mesmes.  0  quel  deshonneur, 
qui  nas  osé  attendre  Menelaus  !  Dont  vient  cela  ?  Certes 
pource  que  tu  congnois  quel  homme  il  est  à  la  guerre  : 
et  combien  celuy  fait  à  redouter,  à  qui  tu  as  osté  sa 
femme.  Certainement  entre  ces  tourbillons  de  guerre , 
harpes  ne  lues  dont  tu  te  scais  ayder,  ne  seruent  rien  à  la 
victoire  :  ny  aussi  le  beau  chanter  ou  danser,  ne  lelegance 
de  forme,  ne  les  cheueux  blonds  et  bien  peignez,  qui  sont 
dons  veneriques,  ne  toutes  telles  semblables  choses.  Et  à 
fin  que  tu  saches,  voicy  tous  les  Troyens,  lesquelz  pour 
defiendre  ton  crime  et  ton  forfait  ont  comprins  les  armes, 
maintenant  sont  tous  estonnez  de  ta  crainte  et  faute  de 
cœur,  et  nont  plus  courage  aucun  de  combatre.  »  Lors  Paris 
respondit  ainsi  à  son  frère  aisné  : 

«  Selon  le  droit  de  ta  nature,  monseigneur  mon  frère  Hec- 
tor, tu  nas  pas  trop  oultrageusement  reproché  ma  lascheté  : 
Car  ton  corps  et  ton  courage  ne  sont  non  plus  fatiguez  de 
labeur  quotidien,  ne  plus  ne  se  meuuent  pour  aucun  ren- 
contre, que  fait  vne  dure  coignee,  laquelle  le  charpentier 
ou  bocquillon  exerce  continuellement  à  couper  bois.  Et  par 
ce  moyen,  le  trenchant  dicelle,  dur,  acéré,  et  bien  trempé, 

(1)  Aucune  cédille  (ëd.  1516  et  1528). 


156  ILLTSTRATIONS  DE   GAVLE,  ET 

saffine  iournellement,  par  la  perseuerance  de  lœuure.  Mais 
ie  te  prie,  ne  me  vueilles  point  mettre  au  deuant,  par 
manière  de  reproche  et  vitupération,  les  dons  de  la  Déesse 
Venus.  Car  les  biens  faits,  que  les  Dieux  nous  contribuent  (1) 
ne  se  doiuent  point  reprocher,  pource  quilz  ne  sont  point 
donnez  selon  la  voulenté  des  hommes,  mais  selon  le  plaisir 
de  Dieu  mesmes.  Et  si  tu  veux  ores  que  ie  combatte  corps 
à  corps  encontre  Menelaus,  commande  que  tous  les  Troyens, 
ensemble  les  Grecz  cessent  et  se  tiennent  coys,  en  regar- 
dant le  combat  que  nous  ferons  nous  deux,  duquel  ilz 
seront  iuges  et  tesmoings  :  Et  quiconques  demourera  vain- 
queur, cestuy  là  ayt  Heleine  à  femme,  sans  nul  contredit, 
pour  laquelle  ceste  guerre  sest  esmue  :  ensemble  toute  la 
richesse,  qui  fut  apportée  de  Lacedemone  :  et  tous  les 
autres,  fassent  foy  et  serment  de  sen  retourner  en  leurs 
contrées,  les  Troyens  à  Troye,  et  les  Grecz  en  Grèce.  » 

Quand  le  noble  Prince  Hector  eust  ouy  les  paroles  de 
son  frère  Paris,  il  fut  merueilleusement  ioyeux  :  et  se 
transporta  incontinent  au  mylieu  des  deux  armées.  Et  tant 
de  sa  forte  voix,  comme  de  sa  lance  quil  tenoit  par  le 
mylieu,  faisoit  arrester  les  compaignies  de  ses  gensdarmes, 
et  les  Troyens  obéirent  incontinent.  Mais  les  Grecz  de  leur 
costé,  en  marchant  tousiours,  tiroient  flesches,  dards,  et 
pierres  de  fonde.  Laquelle  chose  voyant  le  Roy  Agamem- 
non,  il  dit  à  ses  gens  :  «  Déportez  vous  vn  petit,  enfans.  Si 
contenez  voz  mains,  et  retirez  voz  corps  :  Car  comme  iap- 
perçois,  Hector  veult  traiter  quelque  chose  auecques  nous.  » 
A  laquelle  voix  les  Grecz  se  désistèrent  incontinent.  Et 
après  le  bruit  appaisé,  se  tindrent  tous  coys  et  paisibles, 
autant  que  faire  se  pouuoit,  et  demourerent  ententifz  pour 

(1)  c.-à-d.  accordent. 


SIMGVLARITEZ   DE   TEOYE.    LITRE   II.  157 

escouter.  Adonc  Hector  estant  au  mylieu  des  deux  osts  dit 
ainsi  :  «  Oyez  moy,  vous  Troyens,  ensemble  vous  autres 
Grecz  :  et  entendez  par  moy  ce  que  dit  mon  frère  Paris 
Alexandre,  à  loccasion  duquel  toute  ceste  guerre  sest  meue 
entre  nous.  Il  veult  et  désire  que  Troyens  et  Grecz,  tant 
dun  costé  que  dautre  en  mettant  ius  leurs  armures  ne  fas- 
sent que  regarder.  Et  quon  les  laisse  faire  eux  deux  seule- 
ment :  cestadire,  que  luy  et  Menelaus  au  mylieu  de  ces 
deux  exercites,  debatent  leur  querele  par  force,  et  par 
armes.  Et  quiconques  d'eux  deux  vaincra,  que  Heleine  soit 
sa  femme,  sans  contradiction  :  et  ayt  aussi  toute  la  richesse 
amenée  de  Lacedemone.  Et  les  autres  fassent  serment,  de 
sen  retourner  chacun  en  sa  maison  :  cestasauoir  les 
Troyens  à  Troye,  et  les  Grecz  en  Grèce.  »  Ainsi  parla  le 
preux  Hector.  Alors  vnchacun  tenant  silence,  le  Roy  Mene- 
laus feit  sa  harengue  à  tous  les  deux  osts,  et  dit  en  ceste 
manière  : 

«  Prestez  moy  escout,  vous  Grecz  et  consequemment  vous 
Troyens  :  car  ma  iuste  douleur  mimpute  nécessité  de  res- 
pondre,  principalement  entre  tous  les.  autres.  Donques  il 
me  plait  tresbien,  et  si  me  consens  de  grand  courage,  que 
quiconques  de  nous  deux  mourra  en  ceste  bataille,  soit 
mort  pour  luy  seulement  :  et  que  tous  les  autres  sen  retour- 
nent incontinent  chacun  en  sa  maison,  sans  plus  guerroyer  : 
à  fin  quun  chacun  soit  doresenauant  quite  et  deliure  des 
grands  peines  et  labeurs,  lesquelles  vous  Grecz  auez  sous- 
tenu  pour  deffendre  mon  droit,  et  vous  Troyens  pour  la 
cause  d'Alexandre.  Et  que  par  ceste  transaction,  vous  en 
soyez  affranchis.  Apportez  donques  icy  en  présence  deux 
aigneaux  lun  masle,  et  lautre  femelle  :  et  que  le  masle  soit 
sacrifié  au  Soleil,  et  la  femelle  à  la  Terre.  Et  nous  fourni- 
rons du  tiers  pour  offrir  au  souuerain  Dieu  lupiter.  Mais 


158  ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

premièrement  et  auant  toutes  choses,  amenez  cy  le  Roy 
Priam  qui  establisse  ces  conuenances  luy  mesmes,  à  fin  que 
aucun  de  ses  enfans,  ainsi  quilz  sont  lasches  et  desloyaux, 
ne  fassent  ces  choses  irrites  et  de  nulle  valeur,  par  fraude 
et  par  malengin.  Car  tousiours  les  esprits  de  ieunes  gens 
sont  muables  et  sans  grand  fiance.  Mais  ores  si  le  bon  vieil- 
lard est  présent  à  cest  appointement,  et  quil  préside  à 
iceluy,  certainement  en  considérant  les  choses  passées,  et 
les  présentes  et  futures,  il  se  donra  garde  que  ces  pactions 
icy  soient  fermes  et  stables,  et  que  paix  finale  se  fasse  in- 
continent entre  les  deux  armées,  ainsi  quil  est  de  mestier.  » 
Des  que  le  Roy  Menelaus  eut  fine  sa  parole,  tant  les  Grecz 
comme  les  Troyens  sesiouirent  dune  grand  liesse,  esperans 
que  désormais  ilz  se  reposeroient  dune  tant  périlleuse  et 
mortelle  guerre.  Eux  donques  séparez  lun  de  lautre  par 
petit  dinterualle  ,  descendirent  des  chariotz  :  boutèrent 
leurs  chariotz  tous  de  reng  :  et  meirent  ius  leurs  lances  et 
leurs  dards.  Puis  Hector  enuoya  deux  heraux  en  la  cité, 
pour  aller  quérir  le  Roy  Priam,  à  fin  quil  fust  présent  à 
faire  icelles  conuenances,  et  pour  apporter  des  aigneaux. 
Et  le  Roy  Agameranon  commanda  aussi  à  son  héraut 
nommé  Talthybius,  quil  allast  aux  nauires  pour  apporter 
le  troisième  aigneau.  Et  pendant  que  lesdits  heraux  se  has- 
terent  de  faire  chacun  ce  que  leur  estoit  enchargé.  Iris  la 
messagère  de  la  Déesse  luno,  descendit  de  lair,  et  print  la 
forme  de  lune  des  filles  du  Roy  Priam  nommée  Laodice 
femme  du  Prince  Elycaon  pour  annoncer  à  Heleine  le  com- 
bat et  le  camp  mortel  qui  se  deuoit  faire  entre  Menelaus  et 
Paris.  Et  la  trouua  quelle  tisoit  vn  noble  ouurage  de  fine 
pourpre,  pour  faire  vn  manteau  grand  et  ample,  auquel 
elle  auoit  desia  peint  à  lesguille  plusieurs  des  faits  de  la 
guerre  Troyenne.  Adonc  Iris  sapprocha,  et  luy  dit  en  ceste 
manière  : 


SraGVLABITEZ  DE  TROTB.    UVRI  II.  159 

«  Or  vien  maintenant,  la  tresbelle  espouse  de  mon  frère 
Paris,  vien  voir  vne  chose  meruei lieuse  qui  se  fera  ores 
entre  les  Troyens  et  les  Grecz  :  car  aux  champs  où  ilz  se 
deuoient  rencontrer  par  grand  affection  pour  deffaire  lun 
lautre,  ilz  ont  présentement  laissé  la  bataille,  et  sont  au 
mesmes  lieu  près  lun  de  lautre,  tous  coys  faisans  silence 
appuyez  sur  leurs  escuz.  Et  sont  leurs  lances  plantées 
auprès  deux  :  car  Alexandre  doit  tantost  combatre  auec 
Menelaus,  pour  voir  auquel  tu  demoureras  pour  femme.  Si 
es  constituée  pour  le  guerdon  de  la  victoire  entre  les  deux 
parties.  »  Ainsi  que  la  Déesse  Iris  disoit  ces  choses,  il  entra 
en  la  douce  poitrine  de  la  belle  Heleine,  vn  grand  désir  de 
son  premier  mary,  de  ses  parens,  et  de  son  pais.  Si  saccous- 
tra  hastiuement  dun  fin  rochet  de  lin,  et  partit  de  sa  cham- 
bre :  mais  au  long  de  sa  belle  face  luy  decouroit  vn  grand 
ruisseau  de  larmes.  Et  la  suiuoient  deux  de  ses  damoiselles, 
lune  nommée  Ethra  fille  de  Pytheus,  et  lautre  Clymena.  Et 
comme  elle  fut  venue  légèrement  (1)  à  la  porte  Scee,  elle 
monta  les  degrez  pour  aller  en  la  haute  tour  dicelle  porte. 

En  ladite  tour  estoit  le  bon  Roy  Priam,  auecques  les 
plus  anciens  des  Princes  et  seigneurs  de  Troye  :  cestasauoir 
Panthus,  Antenor,  et  autres  qui  plus  nestoient  duisans  à 
porter  armes,  à  cause  de  leur  vieillesse,  mais  bien  estoient 
ilz  propices  au  conseil.  Si  se  seoient  autour  du  Roy  Priam  : 
et  deuisoient  de  plusieurs  choses  entre  eux,  et  ressem- 
bloient  les  crinsons  ou  cigales  lesquelles  au  temps  desté 
mussees  entremy  lombrage  des  branches  fueillues  ont 
accoustumé  de  chanter  doucement.  Mais  quand  iceux 
Princes  apperceurent  Heleine  marcher  parmy  la  grand  tour 
large  et  spacieuse,  ilz  disoient  lun  à  lautre  tout  bassement  : 

(1)  c.-à-d.  rapidement. 


Ifll  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,    ET 

«  Certes  ce  nest  point  chose  estrange,  si  les  Troyens  et  les 
Grecz  soustiennent  tant  de  maux ,  et  par  si  longue  espace, 
pour  vn  tel  visage,  qui  ne  semble  point  estre  de  femme 
humaine,  ainçois  plustost  dune  Déesse  immortelle.  Mais 
toutesuoyes  posé  quelle  soit  dune  beauté  si  diuine,  si  seroit 
ce  chose  plus  seure  de  la  renuoyer  en  son  hostel,  que  de  la 
retenir  à  force,  à  fin  quelle  ne  soit  cause  de  perpétuelle 
misère  à  nous  et  aux  nostres.  »  Ces  paroles  disoient  iceux 
anciens  Princes  ensemble  :  Mais,  le  Roy  Priam  en  appellant 
Heleine  dit  ainsi  :  n  Viença,  ma  tresdouce  fille,  et  tassied 
icy  près  de  moy,  à  fin  que  tu  voyes  ton  premier  mary,  et  tes 
autres  parens  et  amis.  Et  ne  cuide  point  que  ie  te  vueille 
improperer,  ne  donner  reproche  de  ceste  guerre,  qui  cause 
tant  de  larmes  :  car  ie  ne  men  plaings  sinon  aux  Dieux 
ausquelz  il  ha  pieu  me  molester  par  tant  de  malheurs.  Sied 
toy  icy,  ma  fille,  et  me  dis  qui  sont  ces  personnages  que  ie 
Toy  là  surpasser  les  autres,  tant  en  hauteur  de  stature, 
comme  en  resplendeur  daornemens.  »  Et  lors  Heleine,  la 
Déesse  des  femmes,  luy  dit  ainsi  :  «  Mon  tresredouté  sei- 
gneur et  beaupere,  ta  parole  et  ton  regard,  me  sont  tous- 
iours  à  crainte  et  à  vergongne.  Que  pleust  ores  aux  Dieux, 
que  ie  fusse  morte  de  mort  obscure,  quand  premièrement 
ie  suiuis  ton  filz,  en  laissant  mon  mary,  mes  compaignes, 
et  ma  fille  vnique  Hermione  :  car  tant  de  maux  ne  sen  fus- 
sent ensuiuis.  Et  ne  me  fusse  point  ainsi  tourmentée  de 
pleurs  et  de  larmes,  comme  ie  fais.  Mais  ie  suis  contente 
dobeïr  à  ton  commandement,  et  toy  informer  de  ce  que 
desires  sauoir.  »  Ainsi  luy  commença  Heleine  à  designer  tous 
les  Princes  de  Grèce.  Lesquelz  Homère  descrit  audit  pas- 
sage. Mais  à  cause  de  brieueté  ie  men  déporte  à  présent  : 
car  assez  seront  spécifiez  au  dernier  liure. 


SIlfGTLARITEZ  DE  TROTS.    LIVRB  il.  161 


CHAPITRE  XVII. 

Reoit&tioD  de  la  saraenue  du  Roy  Priam  au  camp  :  dei  cerimoniei 
faites  touchant  le  pact  dentre  les  deux  armées.  Et  du  combat  corpt 
à  corps  fait  par  Paris  contre  Menelaus.  Comment  la  Déesse  Venu* 
sauua  Paris,  et  des  reproches  que  Heleine  luy  «n  feit.  Auec  excla- 
mation sur  les  fictions  du  poëte  Homère,  et  dei  autres  faits  da 
Paris  pendant  la  guerre. 

Ainsi  qve  le  noble  Roy  Priara  tenoit  deuises  auec  la  belle 
Heleine,  les  deux  herautz  dessus  mentionnez,  enuoyez  par 
le  Prince  Hector,  estoient  arriuez  en  la  cité  de  Troye,  et 
auoient  desia  prins  les  choses  nécessaires  à  faire  les  conue- 
nances,  selon  ce  quon  leur  auoit  commandé  :  cestasauoir 
deux  aigneaux,  et  du  vin  quilz  portoient  en  vne  peau  de 
bouc.  Et  lun  diceux,  nommé  Ideus,  portant  vn  flascon  dor, 
et  deux  hanapz  de  mesmes,  sen  alla  faire  son  message  au 
Roy  Priam,  et  dit  en  ceste  manière  :  «  Sire,  plaise  toy  leuer 
dicy,  et  ten  venir  hastiuement  au  camp,  là  où  les  Princes 
Troyens,  et  Grecz  tattendent,  et  mont  commandé  te  venir 
quérir,  à  fin  que  appointeraent  se  fasse  entre  eux  au  moyen 
de  ta  présence,  car  ilz  sont  sur  ces  termes,  que  ton  filz 
monseigneur  Paris  et  le  Roy  Menelaus  doiuent  esprouuer 
au  mylieu  des  deux  armées  à  la  pointe  de  leurs  espees, 
auquel  des  deux  comme  au  vainqueur  demeurera  madame 
Heleine,  et  tous  les  trésors  amenez  de  Lacedemone.  A  fin 
que  tous  les  autres  soient  ensemble  pacifiez,  et  que  nous 
demourons  à  Troye,  et  les  Grecz  sen  aillent  en  Grèce.  »  Ces 
u.  H 


162  ILLVSTRATIONS    DE   GAVLE,    ET 

choses  ouyes,  le  bon  Prince  Priam  fut  tout  troublé  en  son 
courage  :  neantmoins  il  commanda  à  ses  escuiers  quon  luy 
amenast  sa  littiere,  pour  aller  là  où  on  lattendoit.  La  lit- 
tiere  fut  tantost  preste  et  accoustree  de  royaux  aornemens  : 
si  se  meit  dedens.  Aussi  le  Prince  Antenor  monta  sur  son 
chariot,  pour  luy  tenir  compaignie  :  et  passèrent  eux  et 
leurs  gens,  par  la  porte  Scee,  et  vindrent  en  la  campaigne, 
là  où  les  deux  armées  estoient.  Si  descendirent  à  terre,  et 
marchèrent  par  le  mylieu. 

Quand  le  Roy  Agamemnon  et  Vlysses,  veirent  venir  ces 
deux  anciens  Princes,  cestasauoir  le  Roy  Priam  et  Antenor, 
ilz  se  tirèrent  en  auant.  Et  les  herautz  à  tout  leurs  cottes 
darmes  à  la  manière  accoustumee,  apportans  les  choses 
nécessaires  à  faire  les  conuenances,  se  trouuerent  là.  Tout 
premièrement  ilz  versèrent  du  vin  es  couppes  dor,  et  puis 
baillèrent  leaue  à  lauer,  à  tous  les  Roys  et  Princes  dun 
parti  et  dautre.  Lors  le  Roy  Agamemnon,  du  fourreau  de 
son  espee,  tira  vn  couteau  bien  trenchant,  et  coupa  du  poil 
de  dessus  la  teste  dun  chacun  des  aigneaux.  I^equel  poil 
ou  laine,  fut  distribuée  par  les  mains  des  herautz,  aux 
principaux  et  aux  plus  grans  Princes  de  tous  les  Grecz  et 
les  Troyens.  Et  lors  le  Roy  Agamemnon  dressant  les  mains 
iointes  au  ciel,  en  laudience  de  tous,  prononça  les  depre- 
cations  et  paroles  des  conuenances  en  ceste  manière  : 

«  Pare  céleste  lupiter,  qui  présides  à  ce  lieu  cy,  à  cause 
des  hautes  montaignes  Idées,  qui  as  la  principauté  plus 
grande  que  tous  les  autres  Dieux  :  et  toy  Sol  qui  vois  et 
congaois  toutes  choses,  vous  Fleuues,  toy  Terre,  et  vous 
autres  Dieux  inférieurs  qui  tourmentez  après  la  mort  les 
hommes  desloyaux,  et  brisans  leur  foy,  ie  vous  inuoque 
pour  tesmoings  de  ces  pactz  et  conuenances,  et  vous  sup- 
plie que  vueillez  quelles  soient  saintes  et  inuiolables.  Si 


SINGYLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE   II.  165 

Paris  auiourd'huy  en  ceste  bataille  priue  mon  frère  Mene- 
laus  de  sa  vie,  que  Heleine  et  tous  les  trésors  soient  à  luy  : 
et  nous  nous  en  retournerons  à  tout  noz  nauires  deuers  noz 
Dieux  domestiques.  Et  si  mon  frère  Menelaus  occit  Alex- 
andre, que  les  Troyens  rendent  Heleine,  auec  toute  la  ri- 
chesse :  et  que  les  Grecz  oultreplus  soient  rémunérez  deguer- 
dons  honorifiques,  telz  qui!  semblera  quil  se  doiue  faire  : 
lesquelz  guerdons  aussi  soient  transferez  à  noz  successeurs. 
Et  si  le  Roy  Priara  ou  ses  enfans  refusent  de  nous  donner 
iceux  prys  et  guerdons  après  la  mort  de  Paris,  iappelle 
derechef  les  Dieux  à  tesmoings,  que  pour  me  venger  des 
conuenances  rompues,  ie  perseuereray  en  ceste  guerre  :  et 
ny  aura  iamais  autre  fin  mise,  fors  que  lune  ou  lautre  par- 
tie soit  du  tout  vaincue  et  suppeditee.  »  Ces  choses  dites,  il 
coupa  la  gorge  ausdits  deux  aigneaux,  lun  masle  lautre 
femelle  :  et  ainsi  morts  et  sanglans  quilz  estoient,  les  meit 
à  terre.  Les  autres  prindrent  du  vin  es  hanapz,  et  en  bu- 
rent vn  peu  par  manière  de  sacrifice,  puis  respandirent  le 
demeurant  en  terre,  en  faisant  prières  et  oraisons  aux  Dieux 
supérieurs.  Dont  il  en  y  eut  de  telz,  qui  disoient  en  ceste 
manière  :  «  lupiter,  Roy  des  Dieux  et  le  plus  puissant  de  tous, 
et  vous  autres  esprits  célestes,  vueillez  que  ceux  ausquelz 
il  tiendra  que  ces  promesses  et  conuenances  ne  soient  fer- 
mes et  permanentes,  que  tout  ainsi  que  ce  vin  flue  et  coule 
en  terre,  ainsi  puissent  couler  et  périr  leurs  enfans  et  leurs 
femmes.  »  Mais  pour  lors  le  Dieu  lupiter  auoit  ses  oreilles 
sourdes  et  estouppees,  et  non  propices  à  exaucer  leurs 
prières. 

Apres  ces  choses  faites,  le  bon  Roy  Priam  parla  à  toute 
lassemblee,  et  dit  en  ceste  manière  :  «  Escoutez  moy,  vous 
Troyens,  et  vous  aussi  Grecz.  Certainement  mes  yeux  ne 
pourroient  soustenir  de  voir  mon  trescher  filz  Alexandre 


164  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,    ET 

combatant  auec  Menelaus.  Et  à  ceste  cause,  à  fin  que  ie  ny 
soye  présent,  ie  men  retourne  en  la  cité.  Le  haut  Dieu 
lupiter  et  les  autres  Dieux,  ont  desia  en  leur  congnoissance 
et  détermination,  lequel  des  deux  est  prédestiné  à  la  mort.  » 
Quand  il  eut  ce  dit,  il  monta  en  sa  littiere,  et  print  les 
deux  aigneaux  sacrifiez,  si  les  feit  emporter  auec  luy.  Et 
pendant  quil  sen  retournoit  en  la  cité,  le  Prince  Hector  et 
le  Roy  Vlysses  assignèrent  vn  lieu  propice  à  la  bataille. 
Puis  ilz  ietterent  sort  en  vne  salade,  auquel  des  deuz  le 
premier  coup  seroit  deu.  Et  les  deux  armées  qui  estoient 
alentour  en  doute  et  solicitude  des  choses  aduenir,  leuans 
les  mains  au  ciel,  faisoient  plusieurs  vœuz  et  prières.  Dont 
les  aucuns  formoient  leur  oraison  en  ceste  manière  :  «  Père 
lupiter  qui  domines  sur  les  montaignes  Idées,  qui  as  plus 
grand  puissance  que  nul  des  autres  Dieux,  vueilles  faire 
auiourd'huy  que  celuy  qui  est  cause  de  tant  de  misères  et 
calamitez,  entre  ces  deux  peuples  et  nations,  puisse  perdre 
la  vie,  et  soit  précipité  aux  enfers  :  et  que  nous  autres 
puissions  garder  les  conuenances  inuiolablement.  »  Ainsi 
disoient  la  pluspart  des  gensdarmes.  Et  le  preux  Hector  ce 
temps  pendant  ayant  le  visage  destourné,  hochoit  la  salade 
en  laquelle  ilz  auoient  ietté  le  sort.  Si  apparut  tantost,  que 
le  tour  de  Paris  estoit  de  ruer  le  premier  coup.  Adonques 
tous  se  rongèrent  en  leur  lieu  par  ordre,  iouxte  leurs  che- 
uaux  et  leurs  armes.  Et  Alexandre  pour  estre  armé  plus 
seurement  et  plus  pompeusement,  print  vn  harnois  de  iam- 
bes,  tout  estofFé  de  fin  argent,  et  vne  cuirasse  de  mesmes 
qui  estoit  à  son  frère  Lycaon,  mais  elle  luy  estoit  faite  et 
appropriée  à  sa  poitrine,  comme  de  cire.  Puis  meit  en  es- 
charpe  vne  riche  espee  pendant  à  vne  chaine  dor.  Et  adapta 
et  accoustra  à  son  espaule  sa  grande  et  pesante  targe  :  et 
meit  en  son  chef,  son  harmet  tout  aomé  par  dessus  de 


81NGYLARITBZ   DB   TRÛYE.    LIV&E   11.  10 

crestes,  plumas  et  tjrabres,  horribles  à  regarder.  Et  au 
dernier  il  print  vn  dard  esmoulu,  grand  et  fort  à  merueil- 
les,  mais  tel,  quil  sen  sauoit  bien  ayder.  Menelaus  aussi 
de  lautre  part  se  faisoit  armer  de  ses  plus  nobles  armes.  Et 
quand  ilz  furent  tous  deux  armez  et  bien  empoint  :  ilz  se 
présentèrent  au  lieu  du  camp  assigné,  les  Troyens  et  les 
Grecz  estans  tout  alentour.  Et  commencèrent  à  marcher 
fièrement  lun  vers  lautre,  ayans  le  courage  félon,  et  la 
Youlentë  mal  entallentee,  tellement  que  tous  ceux  qui  les 
regarde ient,  en  auoient  grand  frayeur.  Et  quand  ilz  furent 
assez  prochains  lun  de  lautre,  ainsi  que  au  mylieu  de  la 
place,  ilz  brandirent  leurs  dards,  et  tindrent  leurs  bras  en 
lair  à  fin  dauoir  plus  grand  coup  et  plus  seur. 

Paris  Alexandre,  lequel  deuoit  ferir  le  premier,  branla 
son  iauelot  par  grand  maistrise  contre  Menelaus,  et  le  tou- 
cha rudement  en  lescu,  mais  la  pointe  se  rebouta  auant 
quelle  peust  passer  lacier,  dont  la  targe  estoit  couuerte. 
Alors  Menelaus  se  dressa  sur  les  pointes  de  ses  piedz  à  tout 
son  dard,  etfeit  vne  brieue  oraison  en  ceste  manière  : 
«  Ottroye  moy,  ie  te  prie,  ô  Roy  lupiter,  que  cestuy  cy  qui 
mha  accomblé  de  tant  de  maux,  soit  puny  selon  ses  démé- 
rites, à  fin  que  ceux  qui  sont  maintenant  en  vie,  et  toute 
leur  postérité  quand  ilz  en  orront  parler,  ayent  crainte  de 
maculer  les  nobles  maisons  esquelles  ilz  auront  esté  receuz 
par  amitié.  »  Et  en  ce  disant,  il  contrepesa  aucune  espace 
sa  lance,  puis  lenuoya  rudement  contre  Alexandre.  Laquelle 
en  tresperçant  le  mylieu,  ne  passa  pas  seulement  oultre 
lacier,  le  cuir  boully,  et  le  bois  dont  il  estoit  composé,  mais 
aussi  effondra  en  la  cuirasse,  et  attaingnit  Paris  iusques  à 
la  chemise.  Et  de  fait,  eust  entamé  sa  poitrine,  se  neust 
esté  quil  guenchit  au  coup,  et  se  humilia  soupplement  à 
costé.  Ce  fait,  Menelaus  tira  de  sa  gueine  argentine  sa  clere 


106  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

espee,  et  en  la  haussant  contremont,  donna  vn  coup  sur  le 
heaume  de  Paris  si  grand  et  si  véhément,  que  lallemelle  (1) 
vola  en  pièces,  et  le  manche  luy  saillit  hors  du  poing. 
Laquelle  chose  voyant  Menelaus,  il  souspira  parfondement, 
et  en  dressant  les  yeux  aux  ciel  dit  ainsi  :  «  0  père  lupiter, 
certainement  de  tous  les  Dieux  qui  sont  au  ciel  et  en  la 
terre,  il  nen  est  nul  pire  que  toy.  Nagueres  quand  le  te  fai- 
soye  ma  prière,  iauoye  conceu  espérance  que  Paris  rece- 
uroit  par  mes  mains  le  guerdon  de  la  criminelle  iniure  quil 
mha  inférée  :  mais  maintenant  mon  espee  du  premier  coup 
sest  rompue,  et  ma  lance  ha  esté  iettee  en  vain,  sans  auoir 
entamé  les  membres  de  mon  ennemy.  »  Par  telles  et  sembla- 
bles paroles,  le  Roy  Menelaus  blasphemoit  son  Dieu  lupi- 
ter. Et  neantmoins  il  se  print  courageusement  à  enuahir  et 
à  aherdre  (2)  à  la  salade  de  Paris,  si  empoigna  les  crestes  et 
plumas  estans  sur  icelle.  Lesquelz  (3)  auoir  appréhendé,  il 
sefforçoit  de  le  traîner  du  costé  de  ses  gens  :  et  leust  fait  vic- 
torieusement et  à  sa  grand  gloire,  de  tant  plus  facilement, 
que  quand  il  le  tiroit  par  sa  salade,  le  mol  gosier  de  Paris 
sestrangloit,  au  moyen  de  la  chainette  dorée,  qui  fermoit 
à  vne  boucle  sur  le  menton.  Mais  soudainement  la  Déesse 
Venus  fille  de  lupiter,  quand  elle  congnut  le  meschef  de 
Paris,  vint  à  la  rescousse,  et  rompit  le  lyen  :  à  fin  que 
Menelaus  vainqueur,  ne  iouist  que  de  la  salade  vuide,  en 
lieu  de  Ihomme.  Laquelle  chose  aduint  par  efFect  :  car  ainsi 
comme  Menelaus  se  fut  tourné  vers  ses  gens,  pour  leur  ietter 
la  despouille  de  son  ennemy,  et  ceux  leussent  receùe  à  grand 
haste,  et  à  grand  joie,  et  que  iceluy  Menelaus  eut  prins  sa 

(1)  c.-à-d.  la  lame. 

(2)  c.-à-d.  s'attacher  à 

(3)  suppléez  :  ajprè*. 


SINGVLARITEZ    OE  TROYB.    LIVRE  II.  167 

hasche.pour  retourner  incontinent  sur  Paris  Alexandre, Dame 
Venus  ainsi  comme  celle  qui  est  haute  Déesse,  toute  aui- 
ronnee  dune  nuée  aureine,  tira  inuisiblement  son  seruiteur 
Paris  hors  de  la  bataille,  et  le  transporta  soudainement 
dedens  la  cité  de  Troye,  où  elle  le  colloqua  en  vne  cham- 
bre, riche  et  bien  odorante,  dedens  son  palais,  là  où  son  lict 
génial  (1)  et  voluptueux  estoit  somptueusement  tapissé.  Et 
quand  la  Déesse  Venus  eut  illec  mis  le  beau  Paris  Alexan- 
dre, elle  se  transforma,  et  print  la  figure  dune  des  femmes 
de  chambre  de  la  belle  Heleine,  nommée  Gréa,  laquelle 
estoit  venue  auec  elle  de  Lacedemone,  et  sen  alla  vers  ladite 
Heleine.  Si  la  tira  tout  bellement  par  la  robe,  et  luy  dit 
ainsi  :  «  Madame,  retourne  sil  te  plait  à  Ihostel,  là  où  ton 
mary  Alexandre  tattend,  et  mha  commandé  tappeller,  car 
il  est  sur  vne  riche  couche,  plus  beau  et  plus  resplendissant 
que  nulle  autre  chose  du  monde.  Et  ne  semble  point  quil 
ayt  combatu  auec  Menelaus,  mais  plustost  quil  vienne  de  la 
dance.  »  Laquelle  chose  oyant  la  belle  Heleine,  de  primeface 
ne  voulut  acquiescer  daller  vers  Paris.  Et  dit  par  efFect, 
que  iamais  en  la  compaignie  dun  homme  si  lasche  et  si 
couard  ne  se  daigneroit  trouuer.  Mais  après  ce  quelle  se 
^ut  apperceùe  que  cestoit  la  Déesse  Venus  qui  ainsi  la 
semonnoit,  elle  y  alla.  Et  quand  elle  fut  en  la  chambre  où 
estoit  Paris,  elle  sassit  sur  vne  scabelle,  tournant  les  yeux 
arrière  du  visage  d'Alexandre,  et  luy  dit  en  ceste  manière  : 
«  Nés  tu  pas  retourné  de  la  bataille  là  où  tu  sauois  que 
receurois  mort  sans  remède,  si  ne  leusses  gaigné  à  fuyr, 
comme  celuy  qui  estoit  desia  surmonté  et  prins  par  ton 
fort  et  robuste  ennemy  iadis  mon  mary,  le  Roy  Menelaus  ? 
Or  tu  te  soulois  si  bien  vanter  de  le  surpasser  tant  en  force 

(1)  Uctus  genialis,  lit  nuptial. 


lOS  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,   ET 

de  corps,  comme  en  science  descarmoucher.  Or  va  mainte- 
nant et  le  deflfie  à  combattre  corps  à  corps  :  mais  non  feras 
(auraoins  si  tu  men  crois)  ainçois  doresenauant  te  garderas 
bien  de  le  prouoquer  ainsi  follement  comme  tu  as  fait  ores  : 
voire  et  aussi  de  te  trouuer  deuant  luy  en  la  meslee,  de 
peur  que  si  dauenture  il  te  rencontre,  il  ne  t^  tresperce  de 
son  dard,  ou  de  son  glaiue.  »  Et  alors  Paris  luy  respondit 
en  ceste  manière  :  «  le  te  prie,  mamie,  ne  me  vueilles  point 
molester  par  telles  reproches  :  certainement  ie  confesse  que 
le  nay  point  vaincu  Menelaus,  mais  ce  ha  esté  au  moyen  de 
layde  quil  auoit  de  la  Déesse  Pallas  :  et  neantmoins  vne 
autresfois  ie  le  surmonteray  à  mon  tour.  Car  aussi  bien  ây 
ie  des  Dieux  et  des  Déesses  en  mon  ayde  comme  il  ha.  Or 
en  tant  quil  touche  le  demeurant,  ie  te  prie,  faisons  bonne 
chère,  et  passons  le  temps  en  liesse  coniugale.  Car  onques 
mais  depuis  que  ie  couchay  premièrement  auec  toy  en  lisle 
de  Cytheree,  si  grand  ardeur  damours  ne  me  tint  quil  fait 
présentement.  »  Et  quand  il  eut  ce  dit,  il  entra  en  vne  autre 
riche  chambre  de  son  palais,  et  Heleine  le  suiuit. 

A  bon  droit  feint  (1)  le  poëte  Homère  que  le  beau  Paris 
fut  soustrait  de  la  bataille  par  la  Déesse  Venus  :  cestadire 
par  sa  mollesse,  lascheté  et  peuvaloir.  Attendu  que  luy  qui 
souloit  estre  égal  en  force  et  en  vertu  à  son  frère  Hector, 
le  plus  rude  cheualier  du  monde,  est  deuenu  si  tresefFeminé 
et  si  appaillardy,  quil  nha  plus  vigueur  ne  courage.  Lequel 
exemple  fait  bien  à  noter  pour  tous  gentilzhommes  moder- 
nes. Or  met  oultreplus  le  poëte  Homère  en  plusieurs  passa- 
ges de  son  volume  de  l'Iliade,  que  ladite  Déesse  Venus  estoit 
pour  les  Troyens,  à  cause  du  iugement  fait  par  Paris  en 
faueur  délie  :  en  dénotant  que  lesdits  Troyens  estoient  plus 

(1)  faict  (mscr.  de  Genève). 


SINGVLARITEZ   DE  TROTB.    LIVRE   II.  169 

adonnez  à  délices  et  à  mignotises  luxurieuses  que  nestoient 
les  Grecz.  Et  met  aussi  que  luno  et  Pallas  estoient  du  costé 
des  Grecz  :  pource  quilz  estoient  bons  gensdarmes.  Et 
auoient  richesses,  qui  est  désignée  par  luno  :  et  prudence 
de  guerroyer,  qui  est  signifiée  par  Pallas.  Aussi  y  peult 
auoir  cause  historiale  pourquoy  ledit  poëte  feint  que  Paris 
fut  soustrait  de  la  bataille  par  Venus.  Peult  estre  pource 
que,  comme  recite  Dares  Phrygien,  Eneas  qui  es  toit  estimé 
filz  de  Venus  couurit  ledit  Paris  de  son  escu,  et  le  tira 
hors  de  la  bataille  :  et  le  ramena  sain  et  sauf  en  la  cité, 
lasoit  ce  que  Dictys  de  Crète  met  que  Paris  fut  nauré  en 
la  cuisse  du  dard  de  Menelaus. 

Aussi  à  cause  de  Venus  le  Dieu  Mars  estoit  du  party  des 
Troyens.  Car  Hector  qui  estoit  comparé  à  Mars  en  fureur  de 
bataille,  soustenoit  la  querele  vénérienne  de  son  frère  Paris. 
Neptune  pareillement  estoit  du  costé  des  Grecz  :  pource  que 
lesdits  Grecz  auoient  la  mer  à  commandement  :  et  plusieurs 
autres  nobles  fantasias  dudit  poëte  peult  on  voir  en  son 
œuure  de  l'Iliade,  touchant  lesdits  Dieux  et  Déesses  tenans 
diuerses  bendes,  à  cause  du  iugement  de  Paris.  Cestasauoir 
comment  Venus  pour  lamour  de  son  filz  Eneas  y  fut  nauree 
en  la  main  par  Diomedes,  et  Mars  semblablement  :  et  com- 
ment lesdits  Dieux  et  Déesses  aussi  sentrebatirent,  comme 
met  ledit  poëte  en  son  xx.  liure.  Mais  mon  intention,  ne 
mon  pouuoir  aussi  nest  mie  dexpliquer  toutes  lesdites  fic- 
tions, pourquoy  ie  men  déporte.  Toutesfois  en  tant  quil 
touche  Paris,  iay  recueilli  dudit  volume  de  l'Iliade,  que 
depuis  ledit  combat  auec  Menelaus,  Paris  Alexandre  feit 
les  vaillances  qui  sensuiuent  en  la  guerre  Troyenne  :  cesta- 
sauoir qui!  tua  Menesthius  filz  d'Arithous  (1)  et  de  Philome- 

(1)  Dariothus  (mscr.  de  Oenève). 


170  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

duse.  Puis  naura  dun  dard  le  cheual  de  Nestor  Roy  de  Pylon  : 
et  blessa  aussi  dune  saiette  Diomedes  Roy  d'Etolie  en  la 
main  dextre  :  et  vn  autre  nommé  Eurypylus  en  la  cuisse. 
Puis  entra  auec  les  autres  dedens  la  fortification  des  Grecz, 
quand  Hector  cuida  brusler  leurs  uauires.  Mais  ce  ne  fut 
point  sans  ce  que  Hector  lappellast  souuent  couard  et  tar- 
dif. Oultreplus  il  tua  vn  Grec  appelle  Dyochus.  Et  autre 
chose  nay  trouué  de  ses  faits  audit  liure.  Dares  de  Phrygie 
met  que  ledit  Paris  tua  Palamedes  dune  saiette.  Mais  tous 
les  autres  acteurs  sont  dopinion  quil  mourut  par  la  machi- 
nation faite  contre  luy  par  Vlysses  et  Diomedes  comme  des- 
sus est  dit.  Maintenant  faut  retourner  à  nostre  propos  prin- 
cipal. 


SniGVLARlTEZ   DE  TROTE.    LITRE  II.  171 


CHAPITRE  XVIII. 


Des  conuenances  rompaes  entre  lus  deux  ostz,  et  de  la  bataille  renou* 
iiellee  par  Pandarus  de  Ljcie  :  des  grands  prouesses  d'Hector  : 
des  treues  prinseï  pntre  les  armées,  et  de  la  reconciliation  d'A- 
chilles  auec  Agamemnon.  Comment  ledit  Achilles  senamoura  de 
Polyxene  :  recitation  de  la  mort  du  Roy  Sarpedon  de  Lycie  :  et 
aussi  de  celle  de  Patroclus  de  Myrmidone,  qui  fut  tué  par  Hector^ 
et  antres  choses. 


Tandis  donques  que  le  beau  Paris  Alexandre  auoit  esté 
soustrait  du  combat  mortel,  et  quil  vaquoit  à  choses  véné- 
riennes, comme  dessus  est  dit,  le  Roy  Menelaus,  semblable 
à  vn  ours  enragé,  couroit  ça  et  là,  pour  voir  sil  trouueroit 
Paris  nulle  part.  Et  ny  auoit  nul  des  Troyens  ne  des  Grecz, 
qui  peust  ne  sceust  dire,  quil  estoit  deuenu  :  car  ilz  ne 
leussent  osé  dissimuler,  à  cause  des  serments  faits,  et  des 
conuenances  establies.  Et  aussi  quilz  aymoient  mieux  que 
Paris  mourust  tout  seul,  que  de  continuer  si  dangereuse 
guerre.  Alors  le  Roy  Agamemnon  parla  haut  et  cler,  et  dit 
ainsi  :  «  Escoutez,  vous  Troyens,  Phrygiens,  Dardaniens, 
Lyciens,  Paphlagoniens,  et  généralement  tous  ceux  qui  sont 
venuz  au  secours  de  Priam  :  vous  voyez  que  la  victoire  de 
ceste  bataille  est  deuers  mon  frère  Menelaus  :  et  pourtant 
cest  à  vous  à  faire  maintenant  de  rendre  Heleine,  et  toute 
la  richesse  qui  ha  esté  apportée  auec  elle  de  Lacedemone. 
Et  en  oultre,  nous  rémunérer  de  guerdons  honorifiques,  telz 


178  ILLVSTRATIONS   DE  GÀVLE,   ET 

quil  sera  iugé  estre  conueuable  (1),  lesquelz  soient  trans- 
ferez à  nous,  et  à  noz  successeurs.  »  Quand  Agamemnon  eut 
dit  ces  paroles,  tous  les  Grecz  extollerent  son  oraison  par 
grand  admiration.  Mais  les  Troyens  honteux  et  confuz  de 
leur  propre  vergongne,  ne  tardèrent  gueres  à  briser  les 
conuenances.  Car  Pandarus  de  Lycie,  lun  des  plus  iustes 
archers  du  monde,  à  linstigation  de  Laodicus  filz  d'Ante- 
nor,  tira  occultement  vne  saiette  au  Roy  Menelaus,  et  le 
naura  en  la  cuisse,  tellement  quil  le  falut  porter  hors  de 
la  bataille.  Combien  que  Dares  de  Phrygie  mette  que  ce 
fut  par  Paris,  que  ledit  Menelaus  fut  nauré.  Et  iusques  icy 
iay  suiuy  la  narration  du  poète  Homère.  Maintenant  ie 
vueil  retourner  à  mon  acteur  Dictys  de  Crète. 

Iceluy  Dictys  en  son  deuxième  liure,  met  que  Pandarus 
de  Lycie,  pour  renouueler  la  meslee,  et  briser  les  conuenan- 
ces, ne  se  tint  point  à  ce  coup,  ainçois  tira  dune  venue 
plusieurs  flesches,  et  blessa  beaucoup  des  Grecz.  Mais  fina- 
blement  Diomedes  en  deliura  la  place  et  le  tua.  Lors  recom- 
mença lestour  (2)  merueilleux  et  mortel  dun  costé  et  dautre. 
Et  y  furent  naurez  des  Princes  Troyens,  Eneas,  Sarpedon, 
Glaucus,  Helenus,  Euphorbius,  et  Polydamas.  Et  des  Grecz 
oultre  ledit  Menelaus,  Vlysses,  Merion  et  Eumelus.  En  la 
fin  sans  sauoir  iuger  qui  eut  du  pire  ou  du  meilleur,  la 
nuict  suruint,  qui  les  départit.  Homère  sur  ce  passage, 
descrit  vne  belle  bataille  faite  corps  à  corps,  entre  Aiax 
Telamonius  et  le  Prince  Hector.  Et  aussi  fait  Dares  de 
Phrygie  :  combien  que  nostre  acteur  nen  disse  mot.  Et  ne 
fut  vainqueur  ne  lun  ne  lautre  diceux  deux  champions  : 
mais  se  départirent  après  auoir  donné  grans  dons  lun  à 

(1)  convenables  (éd.  1528). 

(2)  c.-À-d.  le  choc,  la  mêlée. 


S1NGVLARITEZ  DE  TROYB.   LITRE   II.  175 

lautre.  Et  ce  fait,  les  Troyens  se  parquèrent  entre  le  port 
et  la  cité.  Et  se  tindrent  aux  champs  aucun  temps  :  cesta- 
sauoir,  iusques  à  ce  que  Ihyuer  suruenant  et  les  pluyes,  les 
feirent  rentrer  à  Troye.  Et  endementiers,  Aiax  Telamonius 
auec  son  armée,  et  aucuns  des  gens  d'Achilles  allèrent  cou- 
rir parmy  le  pais  de  Phrygie.  Si  en  gasterent  beaucoup,  et 
prindrent  aucunes  citez,  et  ramenèrent  grand  nombre  de 
butin. 

En  ce  temps  mesmes  dhyuer,  le  trespreux  Hector  saillit 
de  Troye  à  tout  son  armée  pour  combatre  les  Grecz  :  et  les 
Grecz  aussi  sortirent  contre  luy  :  et  se  trouuerent  en  la 
campagne  accoustumee.  Mais  Hector  par  sa  prouesse  et 
vertu  les  contraingnit  de  fuyr,  et  de  quérir  sauueté  en  leurs 
nauires,  là  où  il  y  eut  plusieurs  merueilleux  faits  darmes 
exploitez,  tant  dun  costé  que  dautre  :  car  Hector  les  pres- 
soit  iusques  à  bouter  le  feu  dedens  leurs  fortifications,  et 
dedens  leurs  nauires  mesmes.  Et  peu  sen  faillit  quilz  ne 
fussent  alors  du  tout  desconfits.  Car  Achilles  ne  se  voubit 
point  armer,  pour  la  hayne  quil  auoit  au  Roy  Agamem- 
non  :  mais  Aiax  Telamonius,  cousin  germain  dudit  Achilles 
et  second  en  vaillance  après  luy,  feit  si  bonne  résistance, 
quil  naura  Hector  dun  grand  coup  de  pierre.  Et  lors  désis- 
tèrent les  Troyens  de  combatre  aux  nauires,  et  se  retirè- 
rent à  Troye.  Neantmoins  aucuns  des  ^nfans  de  Priam 
furent  tuez  en  icelle  iournee.  Et  tantost  après  Rhésus  Roy 
de  Thrace  venant  au  secours  de  Priam,  fut  occis  cauteleu- 
seraent  par  Diomedes  et  Vlysses.  Et  ses  chenaux  merueil- 
leux et  Feez  (1)  furent  amenez  en  lost  des  Grecz,  auant  quilz 
poussent  boire  au  fleuue  Xanthus  :  car  si  vne  fois  ilz  y  eus- 
sent peu  estre  abruuez,  leur  destinée  estoit  telle,  que  iamais 

(l)/<HCff  (éd.  I5l6);/w»(ëd.  1528). 


174  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Troye  neust  esté  prinse.  Et  de  cecy  nous  parlerons  encores 
plus  à  plein  au  dernier  liure.  Les  Thraciens  qui  estoient 
audit  Roy  Rhésus  se  cuiderent  mettre  en  deffense  :  mais 
ilz  furent  tous  desconfits.  Et  tantost  après  les  Troyens  vin- 
drent  demander  aux  Gregois  treues  et  abstinence  de  guerre, 
laquelle  chose  ilz  obtindrent. 

Durant  les  treues,  larchiprestre  d'Apollo  de  Sminthe, 
dont  dessus  est  parlé,  vint  en  lexercite  des  Grecz  remer- 
cier les  Princes  de  sa  fille  Chryseis  ou  Astynome  qui  luy 
auoit  esté  rendue.  Aussi  Philoctetes  seigneur  de  Methon 
et  de  Melibee,  retourna  de  lisle  de  Lemnos  auecques  ceux 
qui  lestoient  allé  quérir,  et  apporta  les  saiettes  d'Hercules, 
iasoit  ce  quil  ne  fust  pas  encores  assez  fermement  guery  de 
la  morsure  que  le  serpent  luy  auoit  fait  au  pied,  comme 
dessus  est  touché.  Lors  tindrent  conseil  les  Princes  de 
Grèce  :  pour  faire  appointement  entre  le  Duc  Achilles  et 
le  Roy  Agamemnon.  Et  à  ceste  cause  furent  enuoyez  vers 
le  Duc  Achilles  deux  grans  personnages  :  cestasauoir 
Vlysses  et  Aiax  Telamonius,  lesquelz  en  exécutant  leur 
charge,  offrirent  à  Achilles  lune  des  filles  du  Roy  Aga- 
memnon en  mariage,  auec  la  dixième  partie  de  son  Roy- 
aume pour  le  douaire  dicelle  :  et  cinquante  talents  dor  : 
dont  chacun  talent,  pour  le  moins,  valoit  quarante  liures 
dor  à  douze  onces  pour  liure.  Et  tant  exploitèrent  iceux 
moyenneurs,  que  finablement  après  longues  difficultez,  à 
linstance  de  Phénix  gouuerneur  d'Achilles  et  de  Patroclus 
son  mignon,  iceluy  Duc  Achilles  reprint  samie  et  concu- 
bine Hippodamie  ou  Briseis  ,  laquelle  Agamemnon  iura 
solennellement  nauoir  iamais  touchée.  Et  fut  faite  la  paix 
entre  lesdits  Achilles  et  Agamemnon.  Pendant  aussi  le 
temps  hyuernal  et  les  treues,  les  Grecz  se  trouuerent  sou- 
uentesfois  auec  les  Troyens  au  temple  d'Apollo  Tymbree, 


SIMGTLARITEZ   DE  TROYB.    LIVftB  II.  i75 

hors  des  murs  de  Troye.  Et  les  Grecz  pour  euiter  oysiueté 
sexerçoient  tousiours  aux  armes,  mais  non  les  Troyens. 
Et  en  oultre  plusieurs  citez  d'Asie  se  soustraioyent  de 
lamitié  de  Priam,  voyans  quil  auoit  du  pire. 

Vn  iour  donques  entre  les  autres  que  la  Royne  Hecuba 
faisoit  sacrifice  au  Dieu  Apollo,  le  Duc  Achilles  désirant 
voir  les  cerimonies  et  les  coustumes  Troyennes,  alla  en  son 
simple  estât  auec  peu  de  compaignie  au  temple  dessusdit  : 
auquel  il  veit  entre  les  autres  filles  de  Priam,  la  tresbelle 
pucelle   Polyxene,   sur  laquelle  il   ietta  les  yeux  par  si 
ardante  concupiscence,  quil  fut  esprins  de  son  amour  oul- 
tremesure  :  et  saugmenta  ce  désir  en  luy  iournellement  de 
plus  fort  en  plus  fort.  Tellement  que  certains  iours  après  il 
enuoya  secrètement    son  aurigateur  nommé    Automedon 
deuers  le  Prince  Hector,  pour  traiter  mariage  entre  luy  et 
ladite  Polyxene.   Icy  y  ha  contrariété  apperte  entre  ces 
deux  tresanciens  acteurs,  Dares  Phrygien,  et  Dictys  de 
Crète  :  car  ledit  Dares  met,  que  Hector  estoit  desia  mort, 
et  que  le  iour  que  Achilles  senamoura  premièrement  de 
Polyxene  on  faisoit  lanniuersaire  d'Hector.  Quoy  que  soit, 
ie  nay  pas  entrepris  de  les  mettre  daccord  :  ainçois  me 
suffit  de  suiure  lordre  principal  de  mon  acteur  Dictys  de 
Crète. 

Hector  donques,  selon  la  recitation  dudit  Dictys,  feit 
response  à  Automedon  messager  d'Achilles,  qui  si  son  sei- 
gneur vouloit  auoir  Polyxene,  il  estoit  nécessité  quil  feist 
de  deux  choses  lune,  ou  quil  liurast  toute  larmee  des  Grecz 
es  mains  dudit  Hector  :  ou  à  tout  le  moins  quil  luy  baillast 
quatre  des  principaux  personnages  :  cestasauoir  le  Roy 
Agamemnon  et  son  frère  Menelaus,  leur  cousin  Aiax  Tela- 
monius  et  Aiax  Oïleus.  Dont  quand  Achilles  entendit  ces 
choses,  il  fut  fort  indigné,  et  iura  tous  ses  Dieux  par  grand 


i76  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,    KT 

fureur,  que  au  premier  estour  quil  rencontreroit  Hector, 
il  le  tueroit.  Et  ce  nonobstant  si  estoit  il  tousiours  si  espris 
et  si  frappé  de  lamour  de  ladite  Polyxene,  que  souuentesfois 
il  couchoit  hors  de  sa  tente,  comme  vn  homme  forcené.  Tant 
que  Automedon  son  aurigateur  fut  contraint  den  aduertir 
les  autres  Princes  de  Grèce  :  à  fin  quilz  se  donnassent  garde, 
que  son  seigneur  Achilles  ne  feist  quelque  mauuais  pact  ou 
conuention  auec  les  Troyens,  à  leur  grand  preiudice.  Et 
endementiers  plusieurs  citez  du  Royaume  de  Troye,  en 
délaissant  le  parti  de  Priam,  venoient  offrir  secours  aux 
Grecz.  Si  commença  dapprocher  le  beau  printemps. 

Les  froidures  hyuernales  passées,  et  le  ioyeux  temps 
vernal  flourissant,  la  guerre  commença  aspre  et  cruelle, 
entre  les  deux  nations.  Et  se  feit  la  quatrième  bataille.  Les 
Troyens  se  trouuerent  aux  champs  dun  costé,  et  les  Grecz 
de  lautre.  Illec  fut  tué  Pyrechmus  Roy  de  Peonie,  quon  dit 
maintenant  Hongrie,  lequel  tenoit  le  parti  de  Priam  :  et 
mourut  par  les  mains  de  Diomedes  Roy  d'Etolie.  Et  Aga- 
mas  Roy  de  Thrace,  par  les  mains  d'Idomeneus  Roy  de 
Crète,  quon  dit  maintenant  Candie.  Le  preux  Hector  y  feit 
merueilles  darmes,  et  y  occit  plusieurs  Princes.  Et  aussi 
sy  esuertua  grandement  Achilles  meu  de  grande  indigna- 
tion, pour  le  refus  quon  luy  auoit  fait  de  Polyxene  :  mais 
il  naccomplit  pas  sou  serment  quil  auoit  fait,  cestasauoir 
de  tuer  Hector  au  premier  estour  quil  le  rencontreroit. 
Toutesfois  il  occit  le  noble  Philimenis,  Roy  de  Paphla- 
gonie,  et  le  gentil  Cebrion  bastard  de  Priam  :  duquel  est 
beaucoup  parlé  au  premier  liure.   Iceluy  Cebrion  estoit 
aurigateur,  cestadire  conducteur  du  chariot  d'Hector.  Mais 
le  prudent  Helenus  filz  de  Priam,  en  la  meslee  naura 
Achilles  dune    saiette  en  la  main,  et  le  contraingnit  à 
pisser  la  bataille.  Aussi  plusieurs  des  enfans  de  Priam 


SINOVLARITRZ   DE   TROTE.    LIVRE  II.  i77 

furent  occis  alors.  Et  y  eut  à  vn  des  coings  de  larmee^ 
bataille  corps  ft  corps  entre  Patroclus  de  Myrmidone,  et  le 
Roy  Sarpedon  de  Lycie,  filz  de  Jupiter  :  lequel  Sarpedon  y 
mourut  par  les  mains  dudit  Patroclus.  Et  à  ce  concorde- 
Homère  en  son  Iliade,  iasoit  ce  que  Dares  de  Phrygie  mette 
quil  fut  tué  par  Palamedes.  En  oultre,  Deïphobus  fut  nauré 
par  Patroclus,  et  son  frère  bastard  Corgaton  y  receut  mort, 
tant  feit  darmes  ce  iour  ledit  Patroclus.  Et  après  innume- 
rable  occision  tant  dun  costé  que  dautre,  sans  estre  vain- 
cuz  ne  vainqueurs,  à  cause  du  vespre  suruenant,  la  retraite 
fut  sonnée.  Lors  les  Troyens  et  Lyciens  emportèrent  le 
corps  du  Roy  Sarpedon  de  Lycie,  de  Corgaton,  (1)  et  de 
Cebrion,  bastards  de  Priam,  et  menèrent  grand  pleur  et 
grand  dueil  :  si  les  enseuelirent  auec  pompe  somptueuse. 
Et  quand  la  noble  Nymphe  Pegasis  Oenone,  estant  en  la 
cité  de  Cebrine,  sceut  la  mort  dudit  Cebrion  de  Cebrine  son 
singulier  amy  et  bienuueillant,  elle  en  mena  aussi  vn  dueil 
extrême.  Dautre  part  les  Grecz  vindrent  visiter  le  grand 
batailleur  Achilles,  lequel  auoit  esté  nauré  par  Helenus,  et 
louèrent  hautement  les  grands  vertus  et  vaillances  de 
Patroclus.  Et  le  lendemain  au  fin  matin,  ilz  bruslerent  les 
corps  des  morts  et  les  enterrèrent. 

Apres  aucuns  iours  passez  que  les  naurez  furent  guéris, 
les  Troyens  feirent  vne  saillie  hors  de  Troye  :  laquelle  fut 
de  si  grande  impétuosité,  (2)  et  tellement  surprindrent  les 
Grecz,  que  de  prinsaut  ilz  en  tuèrent  beaucoup.  Entre  les- 
quelz  furent  occis  Archesilaus  Roy  de  Beotie,  et  Schedius 
Roy  de  Phocide,  qui  est  en  la  région  d'Athènes.  Et  y  furent 
naurez  Mengel  et  Agapenor  d'Arcadie  :  Patroclus  de  Myr- 

(î)  Qorgatron  (mscr.  de  Genève), 

(â)  de  grand  ingenuotiié  (mscr.  de  Qeuàve). 

H.  I* 


178  ILLVSTRATIONS   DE   OAVLE,   ET 

midone,  vint  au  secours  de  ceux  de  son  parti  par  grand 
effort,  mais  sa  fortune  ne  fut  pas  telle  quelle  auoit  esté  en 
la  bataille  précédente  :  car  il  fut  premièrement  nauré  par 
Euphorbius  filz  du  Baron  Panthus,  et  consequemment  tué 
par  le  preux  Hector.  Et  y  eut  fiere  et  obstinée  bataille, 
pour  le  corps  de  Patroclus  :  car  les  Troyens  le  vouloient 
auoir  pour  le  deshonter,  et  mutiler  vilainement  :  et  les 
Grecz  le  defFendoient,  pour  lenseuelir  honnorablement.  En 
après  iceluy  Euphorbius  qui  auoit  premièrement  nauré 
Patroclus,  fut  circonuenu  par  Aiax  et  Menelaus,  et  occis 
par  eux.  Mais  finablement  les  Grecz  furent  vaincuz  en 
grand  deshonneur,  et  y  perdirent  beaucoup  de  leurs  gens. 
La  nuict  sauua  le  demeurant.  Et  sen  retournèrent  en  leur 
fort  et  en  leurs  nauires,  portans  le  corps  de  Patroclus,  pour 
la  mort  duquel,  Achilles  (qui  nestoit  pas  encores  guery  de 
sa  playe  faite  par  Helenus)  mena  vn  merueilleux  dueil  et 
lamente,  comme  celuy  qui  tousiours  auoit  esté  son  mignon 
et  son  singulier  amy.  Geste  nuict  là,  les  Grecz  feirent  son- 
gneusement  le  guet,  pour  la  grand  crainte  quilz  auoient 
des  Troyens  :  et  le  lendemain  bien  matin  enuoyerent  qué- 
rir force  bois  es  forestz  de  la  montaigne  Idée,  pour  brusler 
solennellement  le  corps  de  Patroclus.  Si  furent  faites  ses 
funérailles  en  grand  honneur  et  triomphe,  selon  la  super- 
stition dadonques. 

Peu  de  iours  après  que  les  Grecz  furent  refectionnez  du 
labeur  de  leurs  grands  veilles,  ilz  tirèrent  leurs  armées  aux 
champs  par  vn  beau  matin,  et  se  tindrent  là  tout  le  iour  : 
attendans  les  Troyens  pour  voir  silz  sortiroient.  Mais  les 
Troyens  ne  se  bougèrent  pour  lors  :  et  ne  faisoient  que 
regarder  larmee  des  Grecz  par  leurs  tours  et  créneaux.  Et 
ce  voyans  iceux  Grecz  sur  le  soleil  couchant  se  retirèrent 
en  leur  fort  et  en  leurs  nauires.  Mais  le  lendemain  à  la 


SINGVLARITBZ   DB   TROYB.    LIVRE    II.  479 

fine  aube  du  iour,  les  Troyens  les  vindrent  resueiller,  et 
les  Guidèrent  surprendre  en  desarroy  comme  en  la  bataille 
précédente  :  toutesfois  ilz  furent  vertueusement  reculiez 
par  les  Grecz,  et  ne  peurent  longuement  durer  quilz  ne 
tournassent  en  fuite.  Si  en  y  eut  beaucoup  de  morts  et  de 
naurez  à  ceste  fois.  Entre  ceux  qui  y  furent  occis  du  costë 
des  Troyens,  fut  le  plus  apparent  Asius  Hirtacides,  (1)  sei- 
gneur de  Sestos  et  d'Abydos,  grand  amy  d'Hector.  Diome- 
des  Roy  d'Etolie  y  print  douze  prisonniers  :  et  Aiax  Tela- 
monius  quarante.  Entre  lesquelz  furent  Pysus  et  Euander 
bastards  de  Priam.  De  la  part  des  Grecz  aussi  y  fut  occis 
Ceneus  Roy  de  Scythie,  quon  dit  maintenant  Tartarie  :  et 
Idomeneus  Roy  de  lisle  de  Crète,  ou  Candie,  y  fut  nauré. 
Apres  donques  que  les  Troyens  se  furent  retirez,  les  Grecz 
ausquelz  le  camp  demeura,  gaignerent  grands  despouilles 
des  morts.  Et  ietterent  au  fleuue  Xanthus  ou  Scamander 
tous  les  corps  des  Troyens,  à  fin  que  iamais  neussent  sépul- 
ture. Et  ce  feirent  ilz  par  despit  de  loutrage,  que  les 
Troyens  auoient  voulu  faire  au  corps  de  Patroclus.  Puis 
après  ilz  présentèrent  leurs  prisonniers  au  félon  Achilles, 
lequel  les  fait  incontinent  tous  occire,  au  tombeau  de  Patro- 
clus :  mesmement  lesdits  deux  bastards  de  Priam,  Pysus 
et  Euander  :  et  puis  commanda  les  ietter  aux  chiens  et 
aux  oiseaux.  Et  deslors  il  feit  vœu  exprès,  que  iamais  ne 
coucheroit  en  lict,  iusques  à  ce  quil  auroit  vengé  la  mort 
de  son  amy  Patroclus. 

(1)  ffitaréUs  (mscr.  de  Genève). 


480  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLB,   ET 


CHAPITRE  XIX. 


Declaratioa  de  la  mort  d'Hector,  et  des  diuerses  opinions  dicelle.  De 
la  cruauté  dont  Achilles  vsa  enuers  le  corps  dudit  Hector.  Com- 
ment Priam  le  vint  racheter  pour  lenseuelir.  De  la  suruenue  de 
Penthesilee,  et  de  Memnon  neuea  de  Priam.  Et  de  la  mort  de  tous 
deux.  De  linutilité  de  Paris,  quant  à  la  conduite  de  la  guerre.  Et 
de  la  mort  de  Troïlas. 


Nostre  actevr  Dictys  de  Crète  met  en  son  troisième 
liure  :  Que  peu  de  iours  après  que  le  Duc  Achilles  eust 
renforcé  son  vœu,  de  iamais  ne  coucher  autre  part  que  sur 
la  terre  nue,  iusques  à  ce  quil  eust  prins  vengeance  de 
celuy  qui  luy  causoit  tant  de  dueil  :  comme  nouuelles  fus- 
lent  venues  soudainement  en  larmee  des  Grecz,  que  le 
Prince  Hector  estoit  allé  au  deuant  de  Penthesilee  Royne 
des  Amazones ,  laquelle  venoit  au  secours  de  Priam  : 
Achilles  à  tout  vne  partie  de  ses  plus  féaux  Myrmidons 
secrètement  et  en  grand  haste,  alla  anticiper  le  passage 
par  où  Hector  deuoit  passer  et  se  meit  illec  en  embûche.  Et 
ainsi  que  le  preux  Hector  qui  de  tel  aguet  ne  se  donnoit 
garde,  passoit  vn  fleuue  à  gué,  Achilles  qui  lespioit  de  pied 
coy,  se  rua  sur  luy  par  grande  impétuosité,  sans  lescrier 
aucunement,  et  le  feit  auironner  et  circonuenir  de  toutes 
pars.  Si  le  meurtrit  illec  traytreusement  et  de  vilain  fait 
sans  nul  remède  :  et  occit  aussi  tous  ceux  qui  laccompai- 
gnoient,  excepté  lun  des  bastards  de  Priam,  auquel  il 


SINGVLARITEZ  DE   TROTE.    LIVRE  II.  181 

coupa  seulement  les  deux  poings.  Et  ainsi  atourné  le  ren- 
uoya  en  la  cité,  pour  faire  foy  à  son  père  de  ces  tristes 
nouuelles.  Toutesfois  Dares  de  Phrygie  met  autrement  la 
mort  dudit  Hector  :  disant,  que  Achilles  le  tua  ainsi  qui! 
vouloit  despouiller  de  ses  armes  vn  Duc  nommé  Polybetes, 
par  luy  occis.  Le  poëte  Homère  aussi  en  son  Iliade  recite 
encore  autrement  la  mort  dudit  Hector,  et  plus  &  Ihonneur 
d'Achilles,  mais  ie  madhere  plus  à  mon  acteur  Dictys  : 
lequel  mesmes  estoit  de  la  nation  Grecque.  Et  neantmoins 
la  vérité  du  fait  Iha  contraint  de  reciter  la  mort  d'Hector, 
au  grand  deshonneur  d'Achilles. 

Quand  donques  le  tresdesloyal  Achilles  eut  occis  tray- 
treusement  la  fleur  des  nobles  hommes  de  tout  le  monde, 
pour  plus  designer  sa  rage  effrénée,  il  le  despouilla  de  ses 
armes,  puis  le  lia  par  les  piedz  :  et  commanda  à  son  auri- 
gateur  Automedon,  de  lattacher  derrière  son  chariot.  Ce 
fait,  il  se  meit  dedens,  et  Automedon  gouuerna  les  freins 
des  cheuaux ,  les  esguillonnant  par  grande  impétuosité, 
parmy  vne  large  campaigne,  à  la  veiie  et  regard  des 
citoyens  de  Troye,  qui  pouuoient  aisément  voir  et  choisir 
leur  iadis  tresuaillant  deffenseur,  ainsi  estre  trainé  vilaine- 
ment. Et  pouuoient  congnoitre  ses  armes,  dont  les  Grecz 
leur  faisoient  la  monstre,  par  grand  huée  et  dérision.  Et 
aussi  la  suruenue  du  bastard  du  Roy  Priam  ,  auquel 
Achilles  auoit  les  mains  coupées,  comme  dessus  est  dit,  en 
feit  assez  ample  tesmoignage.  Alors  vn  merueilleux  dueil 
sesleua  parmy  la  grand  cité  de  Troye  :  tellement  que  des 
terribles  cris  et  huées  qui  se  faisoient  par  le  populaire,  les 
oiseaux  mesmes  en  tomboient  du  ciel,  comme  recite  nostre 
acteur.  Toutes  les  portes  furent  fermées  :  et  y  eut  vne 
piteuse  mutation  en  la  cité.  Et  ne  pensoient  les  Troyens 
autre  chose,  sinon  que  les  Grecz  viendroient  de  nuict  assail- 


182  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

lir  leurs  murailles,  et  les  prendroient  incontinent  :  attendu 
la  mort  de  leur  chef  et  de  leur  totale  deffense.  Et  en  oul- 
tre,  fut  le  bruit  esleué  par  aucuns,  disans  que  Achilles 
auoit  contraint  larmee  de  la  Royne  Penthesilee,  de  se  ren- 
dre de  son  costé.  Ainsi  estoit  Troye  en  grand  doute  et 
perplexité. 

Et  endementiers  Achilles  entraina  vilainement  le  corps 
du  noble  Hector  iusques  au  tombeau  de  Patroclus.  Et  illec- 
ques  le  coUoqua  sur  la  terre,  par  manière  de  vantise  et 
glorifiance,  à  la  veiie  de  tous  les  Grecz,  ausquelz  il  plaisoit 
beaucoup  de  le  voir  ainsi,  comme  celuy  qui  souloit  estre  le 
plus  redouté  de  leurs  ennemis  :  et  comme  ceux  qui  peu 
prisoient  le  demeurant.  Et  pource  que  le  fait  de  la  guerre 
estoit  désormais  ainsi  comme  en  seureté,  ilz  saddonnerent 
à  toute  liesse.  Et  le  lendemain  Achilles  pour  faire  honneur 
à  feu  son  amy  Patroclus,  meit  sus  vn  grand  tournoy,  et 
célébra  les  ieux  funèbres  de  toutes  manières  desbatemens 
au  tombeau  dudit  Patroclus,  en  distribuant  par  grand  lar- 
gesse, diuerses  manières  de  prys  à  ceux  qui  mieux  le 
feroient.  Et  quand  lesdits  ieux  furent  flnez,  chacun  sen 
retourna  en  sa  tente. 

Le  lendemain  matin,  le  triste  Roy  Priam  vestu  de  robe 
de  dueil,  sans  auoir  regard  à  sa  dignité  Royale,  partit  de 
la  cité  de  Troye,  et  sen  vint  en  la  tente  d' Achilles.  Iceluy 
bon  Prince  ancien  sappuyoit  sur  lespaule  senestre  de  sa  fille 
la  belle  Polyxene.  Et  auec  luy  estoit  la  noble  Andromacha, 
femme  du  feu  Prince  Hector  et  ses  deux  ieunes  enfans, 
Laodamas  et  Astyanax.  Et  après  luy  venoit  vn  chariot 
chargé  dor,  dargent  et  de  précieux  draps.  Ce  spectacle 
estoit  piteux  et  misérable  à  merueilles  :  car  le  noble  vieil- 
lard à  tout  sa  barbe  chenue  se  ietta  aux  genoux  du  ieune 
Duc  Achilles,  et  luy  tendit  ses  mains  iointes  pleurant  par 


SmOTLARITEZ  DE   TROTE.    LIVRE  n.  185 

grand  véhémence,  à  fin  de  lesmouuoir  à  miséricorde  :  luy 
suppliant  quil  voulsist  prendre  les  dons  et  richesses  quil 
luy  auoit  amenées,  et  luy  rendre  le  corps  de  son  bien  aym^ 
filz  Hector.  Laquelle  chose  Achilles  luy  accorda  finablement, 
et  len  laissa  aller  luy  et  tous  ceux  et  celles  qui  estoient 
venuz  auec  luy  sains  et  saufz.  Toutesuoyes  Homère  au  der- 
nier Hure  de  l'Iliade  met,  quil  ny  alla  que  Priam  tout  seul 
auec  Ideus  le  héraut,  souz  la  conduite  du  Dieu  Mercure. 
Et  encores  y  allèrent  ilz  de  nuict,  de  peur  destre  apperceuz 
des  autres  Grecz.  Et  quand  ilz  furent  de  retour  à  Troye,  les 
Troyens  sesmerueillerent  de  la  debonnaireté  des  Gregois  : 
et  recommencèrent  vn  dueil  inénarrable  sur  la  mort  d'Hec- 
tor. Puis  le  sepulturerent  en  grand  pompe,  auprès  de  la 
sépulture  du  Roy  Ilion  son  ancestre.  Et  endementiers  il  y 
eut  treues  lespace  de  dix  iours  :  pendant  lesquelles  les 
Troyens  ne  finerent  de  lamenter  la  mort  de  leur  bon  Prince 
Hector.  Et  fait  à  présupposer  aussi  que  la  Nymphe  Pega- 
sis  Oenone,  laquelle  estoit  à  Cebrine,  eut  sa  part  de  la 
douleur  de  sa  mort  :  comme  celle  qui  laymoit  de  grand 
cœur,  auec  les  Cebriniens  lesquelz  estoient  de  sa  seigneurie. 
Enuiron  ces  iours  arriua  à  Troye  la  Royne  Penthesilee  : 
de  laquelle  est  faite  ample  mention  en  nostre  œuure  de 
Grèce  et  de  Turquie,  et  du  Royaume  des  Amazones.  Elle 
amena  vne  belle  armée  de  dames  et  dautres  peuples  ses 
voisins.  Mais  quand  elle  sceut  que  le  trespreux  Hector 
estoit  mort,  elle  ne  voulut  point  seiourner  à  Troye  :  ainçois 
délibéra  de  sen  retourner  en  sa  terre,  comme  celle  qui 
pour  le  haut  bruit  des  vertuz  d'Hector  y  estoit  venue  comme 
aucuns  estiment.  Toutesuoyes  Paris  Alexandre  feit  tant 
enuers  elle,  quil  la  retint  à  force  dor  et  dargent  quil  luy 
donna.  Et  peu  de  iours  après,  elle  délibéra  de  sortir  aux 
champs  :  et  ordonner  son  armée  séparément  arrière  des 


îWÊ  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,   ET 

Troyens,  comme  celle  qui  se  fioit  beaucoup  en  la  prouesse 
de  ses  damoiselles.  Mais  ce  nonobstant,  quand  elle  fut  en  la 
raeslee,  elle  fut  légèrement  (1)  abatue  et  nauree  à  mort  par 
le  Duc  Achilles,  et  les  Trojens  rechassez  dedens  leur  cité. 
Toutesfois  on  ne  toucha  aux  autres  Amazones,  pour  la  sup- 
portation  du  sexe  femenin,  ainçois  se  contournèrent  tous 
les  Grecz  à  regarder  par  grand  admiration  la  Royne  Pen- 
thesilee  qui  labouroit  aux  extremitez  de  la  mort.  Achilles 
la  voulut  faire  enseuelir  honnorablement  :  mais  Diomedes 
Roy  d'Etolie  plus  cruel  quun  ours,  y  contredit,  etluy  mes- 
mes  la  traina  par  les  piedz  dedens  le  fleuue  Xanthus  :  là 
où  elle  acheua  de  mourir.  Et  cest  la  recitation  de  nostre 
acteur  Dictys  de  Crète.  Combien  que  Dares  de  Phrygie 
recite  autrement  la  mort  de  ladite  Royne  et  en  autre  temps, 
disant,  quelle  fut  tuée  par  Pyrrhus  filz  d'Achilles  :  et  que 
au  parauant  elle  auoit  fait  plusieurs  merueilleux  faits 
darmes. 

Le  iour  ensuiuant  le  Prince  Memnon  filz  iadis  de  Titho- 
nus  frère  de  Priam,  qui  sen  estoit  allé  es  Indes,  quand  Her- 
cules le  Grec  démolit  Troye,  suruint  en  grand  triomphe  et 
gloire  pour  secourir  son  oncle.  Et  amena  vne  belle  et  grosse 
armée  de  Persans,  Indiens  et  Ethiopiens.  Et  tant  de  gens 
et  de  cheuaux  et  si  bien  armez  et  bardez,  que  cestoit  vne 
grand  beauté  de  les  voir  venir  par  terre.  Mais  son  autre 
exercite  venant  par  mer,  de  laquelle  estoit  conducteur  vn 
Duc  de  Syrie,  nommé  Phala,  fut  deffaite  en  lisle  de  Rhodes  : 
comme  nous  auons  dit  plus  à  plein  cy  deuant.  Or  estoit 
icelle  armée  par  terre  si  grande,  quelle  ne  peut  toute 
loger  dedens  la  cité.  Et  gueres  ne  seiourna  Memnon  dedens 
icelle,  quil  noffrit  tantost  la  bataille  aux  Grecz.  Si  tira  tous 

(1)  c.-à-d.  rapidement. 


SINGULARITBZ   DE   TROTE.    LITEB    II.  185 

ses  gensdarraes  hors  des  murs  :  et  les  autres  Princes  et 
enfans  de  Priam  les  leurs.  Si  ostoit  yne  chose  merueil» 
leuse,  de  voir  tant  de  gens  armez  et  accoustrez  de  si  diuer- 
ses  sortes  :  tant  denseignes  estranges  ventilantes  au  vent  : 
et  douyr  tant  de  langages  non  ressemblans  lun  lautre.  A 
laborder  les  Grecz  ne  peurent  supporter  le  faix  des  Persans 
et  Troyens.  Le  Prince  Memnon  y  feit  beaucoup  darmes, 
tua  beaucoup  de  nobles  de  Grèce,  et  tourna  toute  leur  puis- 
sance en  fuite,  iusques  aux  nauires  :  tellement  quesilz  neus- 
sent  esté  preseruez  par  le  bénéfice  de  la  nuict,  il  estoit  fait 
d'eux  à  iamais.  Tant  estoit  le  Prince  Memnon  redoutable 
et  bon  guerroyeur.  Dont  si  les  Grecz  furent  estonnez  à  ce 
coup,  ce  ne  fut  pas  de  merueilles.  Et  eurent  conseil  ensem- 
ble, lequel  dentre  eux  trestous  combatroit  corps  à  corps 
contre  Memnon.  Si  escheut  le  sort  à  Aiax  Telamonius.  Ce 
fait,  ilz  sallerent  reposer  pour  la  nuict. 

Quand  le  Soleil  matutin  eut  rendu  le  iour  cler,  les  Grecz 
ordonnèrent  leurs  batailles  dune  part  :  et  aussi  feirent  le 
trescheualereux  Memnon  et  les  Troyens  de  lautre.  Et  quand 
lestour  fut  commencé  de  toutes  pars  aspre  et  horrible,  assez 
y  en  eut  de  morts,  et  dautres  si  naurez,  quil  leur  conuint 
quiter  la  place.  Entre  lesquelz  Antilochus  filz  de  Nestor 
Roy  de  Pylon,  cheut  par  vn  coup  de  lespee  du  Prince 
Memnon.  Mais  Aiax  Telamonius  des  quil  peult  voir  son 
opportunité,  sadressa  à  Memnon,  et  le  deffia,  en  luy  pré- 
sentant combat  singulier,  cestadire  corps  à  corps.  Et  quand 
le  preux  Memnon  se  veit  ainsi  prouoqué,  il  neust  garde  de 
faire  refuz,  ainçois  descendit  prompteraent  de  dessus  son 
chariot  à  terre,  pour  combatre  à  pied.  Alors  se  séparèrent 
les  deux  armées,  pour  faire  place  aux  deux  champions  :  et 
regardoient  le  combat,  à  grand  peur  et  attention.  Memnon 
chancela  dun  coup  que  Aiax  luy  donna  en  lescu.  Et  pour 


ILLVSTRATIONS   DE    GAVLE,    ET 

le  garder  de  tomber,  aucuns  de  ses  gens  accoururent  autour 
de  luy.  Laquelle  chose  voyant  Achilles,  il  saillit  au  mylieu, 
et  dun  coup  de  sa  pesante  hache,  quilentesa  (1)  sur  Meranon, 
il  lestendit  mort  à  terre.  Dares  de  Phrygie  le  conte  dautre 
sorte  :  et  dit  que  Achilles  fut  premièrement  nauré  par 
Memnon  ,  à  la  rescousse  du  corps  de  Troïlus.  Ainsi  les 
Troyens,  Indiens,  Persans  et  Ethiopiens,  voyans  leur  Duc 
et  capitaine  occis,  oultre  leur  espérance,  perdirent  tout  le 
courage  et  ne  pensèrent  fors  de  se  sauner  à  la  fuite.  Tou- 
tesfois  le  gentil  cheualier  I^olydamas  fîlz  du  baron  Panthus, 
cuida  ralier  les  Troyens  et  iceux  encourager,  mais  il  fut 
tué  par  Aiax,  et  Glaucus  filz  d'Antenor  par  Diomedes. 
Atreus  et  Echion  bastard  de  Priam,  furent  occis  par  Achil- 
les, auec  Asteropeus  Roy  en  Peonie,  ou  Hongrie,  et  plu- 
sieurs autres.  Tellement  que  toute  la  terre  estoit  arrosée 
de  sang  humain  et  la  campaigne  ionchee  de  corps  morts. 
Apres  ce  que  les  Grecz  furent  lassez  et  saoulez  de  loc- 
cision  des  Troyens,  ilz  sen  retournèrent  en  leurs  tentes.  Et 
les  Troyens  tristes  et  dolens,  leur  enuoyerent  vn  héraut, 
pour  auoir  treues  densepulturer  leurs  morts.  Laquelle 
chose  leur  fut  accordée  :  et  grand  honneur  et  dueil  fait  aux 
obsèques  du  Prince  Memnon,  neueu  de  Priam.  Pareille- 
ment les  Grecz  meirent  en  sépulture  honnorable  Antilo- 
chus  filz  de  Nestor  :  et  ce  fait,  iceux  Grecz  comme  triom- 
phans  et  victorieux,  sadonnerent  à  faire  toute  bonne  chère  : 
en  extollant  les  grands  louenges  et  prouesses  d'Aiax  et 
d'Achilles.  Là  où  au  contraire  les  Troyens  plouroient  leur 
meschef  continuel.  Et  commençoient  à  se  soucier  et  repen- 
tir de  plus  en  plus,  voyans  leur  affoiblissement  euident,  et 
loccision  quotidienne  de  leurs  Ducz  et  capitaines. 

(1)  entra  (mscr.  de  Genève),  Un*<k  (éd.  1528),  enteser  =  intendere 
s=  lever  sur. 


SIKGVLARITEZ  DE   TROTB.    LIVRE   II.  187 

Peu  de  tours  après  les  Grecz  sarmerent,  et  sen  allèrent 
deuant  Troye,  pour  irriter  ceux  de  dedens  à  bataille.  Sur 
lesquelz  Paris  Alexandre  feit  vne  saillie  :  mais  ainçois  quil 
y  eust  coups  ruez  ne  dun  costé  ne  dautre,  les  Troyens 
accouardiz  pour  linutilité  de  ceux  qui  les  conduisoient, 
rompirent  leurs  ordres,  abandonnèrent  leurs  places,  et 
tournèrent  le  dos.  Si  en  y  eut  (1)  de  morts  sans  nombre,  et 
plusieurs  noyez  dedens  le  fleuue  Xanthus,  et  aussi  beau- 
coup de  prisonniers  :  entre  lesquelz  furent  deux  nobles 
enfans  de  Priam,  cestasauoir  Lycaon  et  Troïlus  :  lesquelz 
Achilles  feit  venir  deuant  sa  présence  :  et  commanda 
incontinent  quon  leur  coupast  les  gorges.  Et  ce  feit  il  par 
grande  indignation  :  pource  que  le  Roy  Priam  ne  luy  auoit 
point  encores  rendu  de  response  sur  le  mariage  de  Poly- 
xene.  Toutesfois  Dares  de  Phrygie  recite  autrement  la 
mort  dudit  Troïlus,  disant  quil  fut  tué  en  bataille  par  le 
Duc  Achilles,  après  quil  auoit  par  plusieurs  fois  desconfit 
et  mis  en  fuite  les  Myrmidons,  et  fait  merueilles  darmes, 
mesmement  nauré  ledit  Achilles.  Comment  quil  soit,  il 
mourut  par  les  mains  dudit  Achilles,  ou  par  son  comman- 
dement. Et  à  ce  se  concorde  Virgile  au  premier  des  Eneï- 
des  qui  dit  : 

Parte  alla  fugiens  amissis  Troilas  armis 
lofelix  puer,  atqae  impar  congresaus  Achilli. 

Si  fut  plaint  iceluy  noble  enfant  Troïlus  à  Troye,  par 
lamentation  piteuse  et  misérable,  pource  quil  estoit  mort 
en  la  fleur  de  son  adolescence  :  estant  fort  aymé  du  popu- 
laire, et  chéri  des  Princes  :  comme  met  nostre  acteur  Die- 

(\)  en  eut  (macr.  de  Genève). 


f8B  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

tys  de  Crète.  Si  perdirent  adonques  les  Troyens  presques 
tout  leur  espoir  :  pource  que,  comme  met  Seruius  sur  les 
Eneïdes  de  Virgile,  Troïlus  auoit  ceste  destinée  ,  que 
durant  sa  yie,  Troye  nepouuoit  iamais  estre  prinse. 


SIMGVLARITEZ   DE  TROIE.    LlVAl H.  i^ 


CHAPITRE  XX. 

Explanation  de  la  mort  d'Achilles,  selon  diaeraes  opinions.  De  la 
suraenue  de  Pyrrhus  en  lost  des  Greoz.  Et  d'Earypjlus  de  Mjsie 
en  lost  des  Troyens.  Comment  Helenus  fut  prias  prisonnier.  Auec 
recitation  des  six  Destinées,  quant  à  Ipa  rinse  ou  garde  de  Troye. 


Certains  iours  passez,  la  feste  et  solennité  d'ApoUo 
Tymbree  approcha.  Et  furent  données  treues  et  abstinence 
de  guerre  dun  costé  et  dautre,  pour  vaquer  à  icelle.  Et 
ainsi  que  les  deux  exercites  estoient  occupez  aux  sacrifices, 
le  Roy  Priam  voyant  le  temps  opportun,  enuoya  Ideus  le 
héraut  deuers  Achilles,  en  luy  mandant  quil  estoit  prest 
dentendi'e  au  mariage  de  Polyxene.  Toutesuoyes  Dares  dds 
Phrygie  met  que  ce  fut  la  Roy  ne  Hecuba,  au  nom  de 
Priam.  Et  ainsi  que  le  Duc  Achilles  parlamentoit  secrète- 
ment de  ceste  matière  auec  ledit  héraut  Ideus  en  vn  bosc- 
quet,  qui  estoit  autour  du  temple  d'Apollo,  ceux  de  lost 
des  Grecz  le  sceurent.  Et  y  eut  tantost  grand  suspeclion  (1) 
et  murmure  entre  larmee  :  car  la  plus  part  des  seigneurs 
et  des  gensdarmes  disoient  que  bien  congnoissoient  la 
pensée  d'Achilles  auoir  despieça  esté  estrangee  d'eux. 
Laquelle  chose  leur  tournoit  à  grand  indignation  et  sus- 
pection  :  car  desia  il  auoit  esté  bruit,  quil  deuoit  trahir 
larmee  et  la  liurer  au  Roy  Priam.  Toutesfois  à  fin  que  les- 

(l)  souspecoit  (mscr.  de  Qen&va). 


i9ù  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

dits  gens  de  guerre  ne  se  mutinassent  soudainement,  et 
pour  iceux  appaiser,  Aiax  Telamonius  ensemble  Diomedes 
et  Vljsses,  sen  allèrent  vers  ledit  temple  d'ApoUo  :  auquel 
Achilles  estoit  desia  entré,  tout  seul,  et  sans  baston  ny 
armures  :  comme  celuy  qui  ne  se  doutoit  de  nul  mauuais 
tour,  à  cause  du  lieu  qui  estoit  saint,  selon  lopinion  dadon- 
ques  :  ou  autrement  pource  que  ses  destinées  le  menoient  à 
la  mort  procbaine. 

Or  se  tindrent  illec  au  dehors  du  temple  iceux  trois 
Princes  dessus  mentionnez  Aiax,  Diomedes,  et  Vljsses,  se 
pourmenans  par  dessouz  les  arbres  :  et  espioient  quand 
Achilles  sortiroit,  à  fin  de  laduertir  du  bruit  qui  estoit  en 
larmee  :  et  ladmonnester  amiablement  à  ces  fins,  que  désor- 
mais il  se  deportast  de  tenir  parlement  secret  auec  les 
ennemis  de  toute  Grèce.  Et  endementiers  Paris  Alexandre 
qui  de  longue  main  auoit  pourietté  toute  son  emprise,' 
auec  son  frère  Deïphobus,  se  vint  adresser  au  iouuenceau 
Achilles  estant  tout  seul  audit  temple,  en  luy  faisant  grand 
accueil  et  bien  venue.  Et  à  fin  quil  ne  se  doutast  de  rien, 
Paris  le  mena  deuant  le  grand  autel  du  Dieu  Apollo, 
comme  par  manière  de  vouloir  confermer  et  ratifier,  par 
serment  solennel,  le  traité  du  mariage  dentre  luy  et  Poly- 
xene  :  et  le  tint  illecques  aucune  espace  de  temps  en  de- 
uises.  Et  quand  il  sembla  temps  dacheuer  leur  emprise, 
Deïphobus  vsant  de  faux  semblant  et  flaterie  par  grand 
trahison,  vint  embrasser  et  baiser  Achilles,  ainsi  comme 
par  manière  de  le  festoier,  et  remercier  des  choses  esquelles 
il  àuoit  consenty,  par  les  conuenances  et  articles  dudit 
mariage  :  si  le  tenoit  estroit  et  ferme  sans  le  lascher.  Adon- 
ques  Paris  desgayna  couuertement  vne  courte  dague  quil 
auoit  souz  sa  robe,  et  en  bailla  à  Achilles  parmy  les  costes 
plusieurs  coups  mortelz.  Et  quand  luy  et  Deïphobus  le  vei- 


SINGYLARITBZ   DE  TROYB.    UVRK.  II.  IMl 

rent  cheoir  et  voultrer  (1)  en  son  sang  qui  bouillonnoit  horàf 
des  playes  en  grand  affluence,  ilz  se  ietterent  à  grand  bastei 
hors  du  temple,  par  vne  faulse  poterne,  et  sen  allèrent  à 
Troye.  Ainsi  fut  trompé  par  faulse  et  vilaine  trahison, 
celuy  qui  autresfois  en  auoit  vsé  enuers  le  tresnoble  Hec- 
tor, duquel  la  mort  fut  lors  vengée.  Et  ne  se  donnèrent 
nulle  conscience  iceux  deux  frères  de  prophaner  le  temple 
de  leur  Dieu  Apollo,  mais  quilz  poussent  circonuenir  leur 
ennemy.  Toutesfois  Dares  de  Plirygie  recite  autrement  la 
mort  d'Achilles  :  disant  quil  fut  tué  auec  Antilochus  filz 
de  Nestor,  et  que  Paris  et  ses  compaignons  estoient  armez 
et  bien  embastonnez.  Et  que  Achilles  et  Antilochus  se  def- 
fendirent  fort  de  leurs  espees,  en  se  couurant  de  leurs 
manteaux.  Mais  Dictys  de  Crète  ha  desiamis  cy  deuant  la 
mort  dudit  Antilochus  occis  par  le  Prince  Memnon,  ainsi 
il  pouuoit  mourir  deux  fois.  Les  poètes  aussi  la  descriuent 
dautre  manière  :  et  mesmement  Ouide  en  la  fin  du  dixième 
liure  de  sa  Métamorphose  :  disant  que  Paris  le  tua  en 
bataille  rengee,  dun  coup  de  flesche,  à  layde  du  Dieu 
Apollo,  lequel  adressa  le  trait  en  lieu  mortifère,  au  pour- 
chas  et  instigation  du  Dieu  Neptune,  pource  que  Achilles 
auoit  autresfois  occis  le  beau  Cygnus  filz  diceluy  Neptune. 
Oultreplus,  Bocace  en  la  Généalogie  des  Dieux  la  recite 
encores  dune  sorte  :  disant  que  Achilles  tout  desarmé  alla 
de  nuict  audit  temple  d' Apollo  pour  traiter  du  mariage  de 
Polyxene.  Or  estoit  il  inuulnerable  par  tout  le  corps, 
excepté  la  plante  du  pied  :  car  comme  nous  auons  recité 
assez  amplement  au  premier  liure,  sa  mère  la  ieune  Thetis 
qui  estoit  Fee  et  Magicienne,  luy  auoit  plongé  tout  le  corps 
es  vndes  de  Styx,  le  fleuue  infernal,  excepté  ladite  plante  du 

(I)  de  voltulare,  rouler. 


i93  :  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLB,    ET 

pied,  par  laquelle  elle  le  tenoit,  si  ne  fut  point  mouillée  de 
ladite  eaue.  Parquoy  Paris  tresiuste  (1)  archer,  ce  sachant, 
et  estant  musse  dedens  ledit  temple,  et  voyant  Achilles  à 
genoux,  adressa  vne  flesche  dedens  icelle  plante,  laquelle 
estoit  passible  à  receuoir  playe  et  naurure,  et  par  ainsi  le 
tua. 

Touchant  ce  poinct,  il  y  ha  quelque  peu  de  fiction  poéti- 
que, laquelle  le  preallegué  Bocace  declaire  en  ceste  ma- 
nière :  Thetis  mère  d' Achilles,  plongea  son  enfant  es  vndes 
de  Styx,  la  palu  infernalle.  Or  Styx  est  interprété  tristesse 
et  labeur.  Et  par  ainsi  elle  le  rendit  impossible  à  naurer. 
Cestadire,  quelle  le  feit  nourrir  en  tous  exercices  laborieux, 
et  appartenans  à  la  guerre.  Et  fut  tout  mouillé  desdites 
vndes,  et  eut  tout  le  corps  endarcy  comme  fer,  excepté  la 
plante  du  pied  :  car  s^on  les  physiciens,  en  icelle  plante, 
y  ha  aucunes  veines  qui  respondent  aux  reins,  et  aux  par- 
ties veneriques,  et  incitent  à  amours,  comme  il  appert  quand 
on  cateille  (2)  vne  personne,  en  ceste  partie.  Ainsi  Achilles 
estoit  inuulnerable,  cestadire  difficile  à  naurer,  par  tout 
autre  moyen  :  mais  par  le  moyen  damours,  il  estoit  mol  et 
de  léger  à  blesser.  Aussi  finablemenl  il  en  mourut.  Par- 
quoy appert  que  toutes  lesdites  recitations  diuerses  de  sa 
mort  retournent  à  vne  mesme  chose. 

Or  met  nostre  acteur  souuent  nommé,  Dictys  de  Crète  : 
que  quand  Vlysses  Roy  d'Itaque  et  de  Paphlagonie  (3)  veit 
Paris  et  Deïphobus,  lesquelz  estoient  saillis  hors  du  temple, 
tous  esmuz  et  tous  effrayez  comme  dessus  est  dit,  il  dit  à 
ses  compaignons,  cestasauoir  Aiax  Telamonius  et  Diomedes, 

(1)  c.-à-d.  adroit. 

(2)  Cf.  catillare,  fl.  kitteUn^  chatouiller. 

(3)  Chanfelonie  (mscr.  de  Genève),  chau/eloHÙ  (éd.  1516  et  1528). 


SINOYLABITEZ   DE  TROYE.    UVRK  II.  195 

lesquelz  attendoient  quand  Achilles  viendroit  hors  du  tem-  i 
pie,  que  ladite  saillie  ainsi  hastiue  de  Paris  et  Deïphobus, 
nestoit  point  sans  cause.  Si  entrèrent  soudainement  dedens 
le  temple,  et  trouuerent  le  Duc  Âcbilles  gisant  estenda  sur 
le  pauement,  lequel  au  moyen  des  parfondes  playes  quil 
auoit  receiies,  auoit  desia  perdu  tout  son  sang,  et  labouroit 
aux  extremitez  de  la  mort.  Âdonques  Aiax  Telamonius 
sescria  en  disant  :  «  Ha,  Achilles,  mon  beau  cousin,  certai- 
nement maintenant  se  treuue  vray  ce  quon  ha  maintesfois 
dit  :  cestasauoir  quil  nestoit  homme  viuant  sur  terre,  tant 
preux  et  tant  puissant,  qui  teust  iamais  sceu  surmonter 
par  viue  force  et  droite  prouesse,  sans  vser  de  trahison. 
Mais  on  congnoit  ores  que  ta  folle  témérité  tha  destruit, 
veu  que  tu  tes  fié  entes  ennemis  capitaux.  »  Adonc  Achilles 
tirant  le  dernier  souspir,  dit  ces  mots  seulement  :  a  Deïpho- 
bus  et  Alexandre  mont  circonuenu  par  fraude  et  par  aguet, 
pour  lamour  de  Polyxene.  »  Alors  il  rendit  lesprit  :  et  les 
trois  Princes  dessusdits  lembrasserent  et  le  baisèrent  en 
grands  pleurs  et  lamentations.  Et  luy  dirent  vn  piteux 
adieu,  ainsi  quil  sangloutoit  hautement  en  mourant  par 
grand  destresse.  Puis  au  dernier,  Aiax  Telamonius  son  cou- 
sin germain,  qui  estoit  le  plus  fort  et  le  plus  robuste  de 
tous  les  Grec2,  print  le  corps  mort  sur  ses  espaules,  et  lem- 
porta  hors  du  temple.  Mais  les  Troyens  saillirent  inconti- 
nent hors  de  leurs  portes,  tous  armez  en  faisant  grand 
bruit,  pour  auoir  le  corps  d' Achilles,  à  fin  den  faire  comme 
il  auoit  fait  en  son  viuant  de  celuy  du  Prince  Hector. 

Les  Grecz  dautre  part,  qui  desia  sauoient  le  tout,  se 
meirent  en  armes,  et  vindrent  au  deuant  des  Troyens.  Là 
y  eut  vn  fier  rencontre  des  deux  armées  :  Aiax  bailla  le 
corps  d' Achilles,  à  ceux  qui  estoient  prochains  de  luy,  puis 
se  fourra  eu  la  meslee  :  et  du  premier  coup  occit  le  Prince 
u.  13 


194  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,   ET 

Asius,  frère  de  la  Royne  Hecuba,  et  plusieurs  autres.  Aussi 
Aiax  Oïleus  Duc  de  L ocres,  et  Menelaus  Roy  de  Lacede- 
mone,  entrèrent  en  la  presse,  et  feirent  grans  abbatiz  de 
leurs  ennemis,  iusques  à  les  mettre  en  fuite,  et  faire  retour- 
ner en  la  cité.  Ainsi  le  corps  d'Achilles  fut  emporté  aux 
nauires,  et  fut  fort  plaint  et  lamenté  des  Princes,  qui  pres- 
ques  tous  estoient  ses  parens.  Mais  la  pluspart  des  gens- 
darmes  nen  menèrent  point  trop  grand  dueil,  pource  que 
le  bruit  auoit  couru  souuentesfois,  quil  auoit  voulu  trahir 
larmee  et  la  liurer  aux  Troyens.  Toutesfois  aucuns  le  re- 
grettoient  beaucoup,  et  disoient  que  la  fleur  de  cheualerie 
du  monde  estoit  perie.  Si  luy  furent  faits  grands  obsèques 
et  somptueux,  et  fut  bruslé  solennellement  le  corps,  et  mis 
en  cendres,  et  icelles  posées  en  vn  vaisseau  dor,  et  sepul- 
turees  au  port  de  Sigee,  auprès  de  celles  de  son  amy  Patro- 
clus.  Aiax  Telamonius  long  temps  après  les  autres,  en 
mena  vn  dueil  merueilleux,  pource  quil  estoit  son  cousin 
germain. 

Mais  au  contraire,  les  Troyens  en  feirent  grand  ioye  et 
grand  feste,  et  mettoient  iusques  aux  cieux  lindustrie  et 
bonne  emprise  de  Paris,  lequel  auoit  plus  fait  dexploit  sans 
estre  armé,  que  tous  les  autres  nauoient  peu  faire  à  tout 
leurs  armures  en  bataille.  Et  pour  augmenter  la  liesse  du 
Roy  Priam  et  des  siens,  suruint  à  Troye  le  Prince  Eury- 
pylus  filz  de  Telephus  Roy  de  Mysie,  et  de  madame  Astio- 
che  fille  de  Priam  :  auquel  iceluy  Priam  son  ayeul  auoit 
promis  en  mariage  sa  fille  Cassandra,  et  auoit  enuoyé  à  sa 
mère  vne  vigne  toute  dor.  Si  fut  receu  ledit  Eurypylus  par 
les  Troyens  en  grand  honneur  et  triomphe,  car  ilz  auoient 
singulier  espoir  en  sa  prouesse,  et  en  ses  vertus.  Aussi  en 
ce  mesme  temps,  arriua  en  lost  des  Grecz  Pyrrhus  filz 
d'Achilles,  et  de  Deïdamie  fille  au  Roy  Lycomedes  de  lisle 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE  n.  i9S 

de  Scyros.  Lequel  Pyrrhus  trouua  encores  les  ouuriers  qui 
besongnoient  à  la  sépulture  magnifique  de  son  père.  Et  fut 
informé  de  la  manière  de  sa  mort.  Si  conforta  sur  icelle  les 
Myrmidons,  et  autres  gensdarmes  qui  estoient  à  sondit  feu 
père,  et  les  recueillit  en  son  seruice.  Les  Princes  de  Grèce 
festoierent  le  ieune  damoiseau  Pyrrhus  :  et  luy  racontèrent 
les  vaillances,  prouesses  et  faits  darmes  de  son  progeni- 
teur  :  en  lenhortant  à  semblables  choses.  Et  il  leurrespon- 
dit  courtoisement,  qui!  se  donneroit  peine,  de  non  estre 
trouué  dégénérant  à  la  noblesse  paternelle.  Et  pource  quil 
estoit  ardant  et  eschauâe  de  combatre  des  le  lendemain,  ilz 
luy  conseillèrent  dattendre  iusques  à  ce  que  ses  gens  et  ses 
chenaux  fussent  délassez  et  refreschis. 

A  chef  de  deux  iours,  Pyrrhus  surnommé  Neoptolemus, 
cestasauoir  nouueau  cheualier,  se  tira  aux  champs  auec  ses 
Myrmidons,  ayant  auprès  de  luy  Aiax  Telamonius  son 
oncle.  Les  Troyens  ne  sosoientplus  auenturer  de  combatre, 
pource  quilz  perdoient  tous  les  iours  beaucoup  de  leurs 
gens,  et  craingnans  Pyrrhus  filz  d'Achilles  nouuellement 
suruenu.  Toutesfois  par  lenhort  et  persuasion  du  Prince 
Eurypylus  de  Mysie,  neueu  de  Priam,  ilz  sarmerent  souz 
la  conduite  de  Paris,  Deïphobus,  Helenus,  et  les  autres 
enfans.  Toutesuoyes  Eneas  ne  sy  voulut  onques  trouuer, 
pource  quil  auoit  dissension  auec  Paris  :  et  le  hayoit,  à 
cause  de  ce  quil  auoit  violé  et  prophané  le  temple  d'Apollo 
Tymbree,  en  y  commettant  le  meurtre  d'Achilles,  par  les 
vertuz  duquel  Dieu  Apollo  les  Troyens  auoient  tousiours 
esté  preseruez  et  deffenduz.  Donques  quand  les  deux 
armées  furent  prochaines,  et  les  trompettes  eurent  donné 
signe  de  bataille,  les  deux  osts  sentrehurterent  par  grand 
noise  et  contention.  Toutesfois  lacteur  ne  met  point,  qui 
eut  du  meilleur  ou  du  pire,  mais  auant  que  la  meslee  se 


196  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLB,   ET 

departist,  Helenus  filz  de  Priam  se  tourna  du  costé  des 
Grecz  :  et  se  rendit  à  Chryses  archiprestre  d'Apollo  de 
Sminthe,  duquel  dessus  est  parlé.  Combien  que  Ouide  au 
XIII.  de  sa  Métamorphose,  dit  quil  fut  prins  prisonnier  par 
yiysses.  Et  durant  la  bataille,  larchiprestre  Chryses  inter- 
roga  Helenus  le  sage  vaticinateur,  de  toutes  les  destinées 
de  Troye,  et  Helenus  luy  respondit  à  tout.  Alors  quand  les 
Grecz  furent  de  retour  en  leurs  tentes,  larchiprestre  Chry- 
ses feit  faire  silence,  et  leur  diuulga  hault  et  cler  tout  ce 
quil  auoit  aprins  d'Helenus,  cestasauoir  dedens  quel  temps 
Troye  seroit  destruite  :  laquelle  chose  se  deuoit  faire  par 
le  moyen  d'Eneas  et  d'Antenor.  Si  trouuerent  que  toutes 
ces  choses  saccordoient  à  ce  que  le  prestre  Calchas  leur 
auoit  souuentesfois  prognostiqué.  Seruius  commentateur 
des  Eneïdes  de  Virgile  sur  ce  passage  : 

Fracti  bello,  fatisque  repalsi 

Ductores  Danaùm...  (1) 

dit  que  les  Grecz  auoient  trois  Destinées  de  leur  costé,  tou- 
chant la  prinse  de  Troye.  Et  les  Troyens  en  auoient  aussi 
trois  de  leur  part  quant  à  la  conseruation  dicelle.  La  pre- 
mière destinée  des  Grecz  estoit,  quil  failloit  quilz  conques- 
tassent  les  cheuaux  Feez  du  Roy  Rhésus  de  Thrace,  auant 
quilz  eussent  esté  abruuez  au  fleuue  Xanthus ,  ainsi  que 
dessus  est  dit.  La  seconde,  quilz  eussent  aucun  personnage 
de  la  génération  de  Cacus,  filz  de  lupiter  et  d'Egina.  Et 
pource  enuoyerent  ilz  quérir  premièrement  Achilles  en  lisle 
de  Scyros  :  et  puis  consequemment  son  filz  Pyrrhus.  Et  la 
tierce  estoit,  quil  leur  estoit  mestier  dauoir  en  leur  armée 

(1)  EnéicU  II,  14. 


81NGVLÀRITEZ  DE   TROTE.    LIVRE   II.  i97 

les  saiettes  (1)  d'Hercules,  sans  lesquelles  ilz  eussent  labouré 
en  vain.  Et  à  ceste  cause  feirent  ilz  venir  Philoctetes,  comme 
ia  est  dit.  Les  trois  Destinées  du  costé  des  Troyens  estoient  : 
Que  durant  la  vie  de  Troïlus  Troye  ne  seroit  iamais  prinse, 
comme  cy  deuant  ha  esté  touché  :  ny  aussi  tant  quilz  gar- 
deroient  bien  limage  de  Pallas,  appellee  Palladium  :  et 
tant  que  le  sépulcre  de  Laomedon,  qui  estoit  sur  la  porte 
Scee,  demourroit  en  son  entier.  Desquelles  choses  ie  croy 
que  Helenus  informa  les  Grecz.  Or  auoient  iceux  Grecz 
tout  ce  que  leur  faisoit  mestier  à  la  prinse  de  Troye,  quant 
ausdites  destinées  :  cestasauoir  les  chenaux  du  Roy  Rhésus, 
Pyrrhus  de  la  lignée  de  Cacus,  et  les  saiettes  d'Hercules. 
Et  les  Troyens  de  leur  costé  auoient  desia  perdu  lune  de 
leursdites  destinées,  qui  leur  faisoit  mestier  à  la  garde  de 
Troye,  cestasauoir  la  vie  de  Troïlus.  Or  venons  à  voir 
comme  les  saiettes  d'Hercules  exploitèrent  en  ladite  guerre. 

(1)  Le  mscr.  de  Genèye  ajoixie  faialles. 


198  ILLVSTRATIONS  DE   GAYLE,  ET 


CHAPITRE  XXI. 

Répétition  de  Ihistoire  de  Philoctetes,  et  des  saiettes  d'Hercules.  Du 
combat  corps  à  corps,  fait  entre  Paris  et  ledit  Philoctetes  :  et  de 
la  mort  de  Paris  :  auec  recitation  de  diuerses  opinions  sur  icelle. 
Comment  son  corps  fut  porté  à  Cebrine.  Du  grand  dueil  que  sa 
femme  la  Nymphe  Oenone  en  mena  :  et  comment  elle  mourut  sur 
ledit  corps  :  et  furent  ensepulturez  ensemble. 


Il  me  semble,  quil  est  mestier  de  repeter  icy  en  brief,  la 
narration  de  Philoctetes,  combien  que  desia  en  soit  touché 
en  diuers  lieux  de  ce  volume.  Et  ce  ferons  nous,  en  ensui- 
uant  lautorité  de  Seruius  en  son  comment  du  m.  des  Eneï- 
des,  et  autres  acteurs.  Philoctetes  donques  fut  filz  de  Pean, 
et  compaignon  iadis  du  preux  Hercules  en  toutes  ses  empri- 
ses. Et  quand  iceluy  Hercules  se  brusla  en  la  montaigne 
Eta,  qui  est  entre  Thessale  et  Thrace,  pour  limpatience 
du  venin  de  la  chemise,  que  sa  femme  Deianira  luy  auoit 
enuoyee,  auant  sa  mort  il  feit  iurer  audit  Philoctetes  son 
escuyer,  que  iamais  nenseigneroit  à  homme  viuant  les  reli- 
ques ou  remanant  de  son  corps,  ainçois  le  tiendroit  à  tous- 
ioursmais  secret  et  celé.  Et  pource  luy  donna  il  pour  vn 
don  spécial,  ses  saiettes  Faees  qui  estoient  empoisonnées 
du  fiel  de  Ihorrible  serpent  Hydra,  ayant  sept  testes,  le- 
quel iceluy  Hercules  occit  es  marestz  de  Lernee.  Et  quand 
au  commencement  de  la  guerre  Troyenne  les  Grecz  eurent 
eu  response  du  Dieu  Apollo  en  son  temple  de  Delphos,  quil 
estoit  mestier  dauoir  les  saiettes  d'Hercules,  pour  subiuguer 


SINGVLARITEZ   D£  TROYE.    UTRB   II.  199 

Troye,  Vlysses  Roy  de  lisle  d'Itaque  fut  commis  à  les  aller 
chercher.  Et  feit  tant  quil  trouua  Philoctetes  seigneur  de 
Methon  et  de  Melibee  en  Thessale  auquel  il  demanda  nou- 
uelles  de  son  seigneur  Hercules.  A  quoy  Philoctetes  res- 
pondit  quil  nen  sauoit  nulles.  Toutesfois  quand  Vlysses 
leust  fort  pressé  et  contraint  de  le  luy  enseigner  :  il  con- 
fessa quil  estoit  mort,  et  luy  monstra  le  lieu  de  sa  sépul- 
ture, non  par  parole,  mais  par  signe,  en  luy  enseignant  du 
pied  de  peur  de  se  pariurer.  Et  sur  ce  poinct  il  fut  mené 
par  Vlysses  en  larmee  des  Grecz  qui  lattendoient  au  port 
d'Aulis  en  Beotie,  et  y  apporta  lesdites  saiettes  :  et  y 
amena  sept  nauires,  comme  sera  dit  au  dernier  liure.  Si  fut 
fait  et  estably  guide  et  conducteur  de  larmee,  pource  que 
autresfois  il  auoit  esté  à  Troye  auec  Hercules.  Mais  en  al- 
lant, lune  desdites  saiettes  luy  tomba  sur  le  pied,  dont  il 
auoit  monstre  la  sépulture  d'Hercules,  pour  le  péché  de  son 
pariurement.  Et  luy  feit  vne  playe  horrible,  et  de  si  grand 
puanteur  et  si  intolérable,  à  cause  du  venin  du  serpent 
Hydra,  dont  le  fer  estoit  empoisonné,  que  les  Grecz  furent 
contraints  de  laisser  ledit  Philoctetes  en  lisle  de  Lemnos, 
quon  dit  maintenant  Stalamine.  Toutesuoyes  nostre  acteur 
Dictys  de  Crète  qui  suit  la  vérité  historiale,  met  que  Phi- 
loctetes fut  mors  par  vn  serpent  au  port  de  Sigee,  quand 
Palamedes  faisoit  son  sacrifice  de  cent  bœufz  au  Dieu  Apollo 
de  Sminthe.  Et  que  ledit  Philoctetes  fut  renuoyé  en  icelle 
isle  de  Lemnos  pour  estre  médecine  par  les  prestres  de  Vul- 
can  :  et  luy  fut  enuoyé  en  ladite  isle  sa  part  du  butin  ainsi 
comme  sil  eust  esté  présent  à  la  guerre.  Et  quand  il  fut 
presques  guery,  Vlysses  fut  derechef  commis  à  laller  qué- 
rir, et  le  ramenast  en  larmee  des  Grecz,  comme  tout  ce  ha 
cy  dessus  esté  dit.  Or  voyons  maintenant  lexploit  quil  y 
feit  à  tout  son  arc  et  ses  flesches  :  en  ensuiuant  nostre 


liîèè  ILLTSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

acteur  au  troisième  liure  de  son  histoire,  lequel  estoit  pré- 
sent à  la  guerre  Troyenne. 

Le  lendemain  que  le  sage  Helenus  fut  prins,  comme  est 
dit  au  chapitre  précèdent,  les  Princes  dune  part  et  dautre 
produisirent  leurs  armées  aux  champs,  et  commença  vn 
estour  grief  et  horrible,  tellement  que  au  premier  poindre, 
il  y  mourut  beaucoup  de  Troyens  et  aussi  de  Mysiens,  des- 
quelz  estoit  conducteur  le  Prince  Eurypylus,  neueu  de 
Priato.  Et  comme  les  chefz  souuerains  des  deux  armées 
désirassent  de  toutes  leurs  puissances  mettre  fin  à  la  guerre, 
ilz  sadresserent  les  vns  vers  les  autres  par  grand  animo- 
sité  :  cestasauoir  Duc  contre  Duc,  Roy  contre  Roy,  et 
Baron  contre  Baron,  ainsi  quilz  se  trouuerent  :  et  conuer- 
tirent  tout  le  faix  de  la  bataille  sur  leurs  propres  personnes. 
Alors  Philoctetes  seigneur  de  Methon  et  de  Melibee  vint  à 
Paris  Alexandre  :  et  le  deffia  à  combatre  de  lare  et  des 
saiettes,  auquel  vsage  ilz  estoient  tous  deux  singulièrement 
recommandez.  Et  Paris  ne  refusa  point  ce  combat  :  par- 
quoy  du  consentement  des  deux  armées  Vlysses  et  Deïpho- 
bus  assignèrent  vne  place  deliure  (1)  au  milieu  de  deux  osts, 
en  laquelle  lesdits  deux  champions  combatroient  seul  à  seul. 

Icy  appert  euidemment  la  grand  dissension  de  diuers 
acteurs,  qui  recitent  en  diuerses  sortes  la  mort  de  Paris  : 
car  Dares  de  Phrygie  met  expressément  quil  mourut  par 
la  main  d'Aiax  Oïleus  Duc  de  Locres,  après  que  Paris  eust 
premièrement  nauré  à  mort  ledit  Aiax  dune  flesche  au 
costé.  Laquelle  narration  répugne  totalement  à  lautorité  de 
Dictys  de  Crète,  et  de  Virgile  au  commencement  des  Eneï- 
des,  lesquelz  disent  tous  deux  par  accord,  que  ledit  Aiax 
Oïleus  retournant  en  son  pais  fut  foudroyé  es  rochers  de 

(1)  o.-à-d.  Hbre. 


SINGYLARITEK  DE   TROTE.    UVRB  II.  WK 

lisle  de  Nigrepont»  comme  nous  dirons  plus  à  plein  au  der- 
nier Hure.  Dautre  part  Bocace  en  sa  Généalogie  des  Dieux, 
met  encores  autre  opinion  de  la  mort  de  Paris,  disant  quil 
fut  tué  par  Pyrrhus  filz  d'Achilles.  Mais  ie  ignore  sur  quel 
acteur  il  se  fonde  touchant  ce  poinct.  Si  madhere  ie  plus  à 
lautorité  de  nostre  acteur  Dictys  de  Crète,  car  sa  narration 
me  semble  plus  vraysemblable,  et  autrement  les  saiettes 
d'Hercules  neussent  de  rien  seruy  douant  Troye.  Et  mesmes 
le  philosophe  Dion  qui  ha  escrit  de  Troye  non  prise,  (1)  dit 
que  Paris  fut  tué  par  Philoctetes. 

Or  met  donques  nostredit  acteur  Dictys  de  Crète  :  que 
quand  les  armées  Gregoise  et  Troyenne  furent  séparées, 
et  se  tindrent  coyes  dune  part  et  dautre,  pour  voir  le  com- 
bat seul  à  seul,  qui  se  deuoit  faire  à  tirer  de  lare,  entre 
Paris  et  Philoctetes  :  les  cors,  les  busines,  les  trompettes 
et  les  clairons,  bondissans  mélodieusement  :  les  pennons  et 
les  banieres  ventilans  au  vent,  la  resplendeur  des  hamois 
dorez  reflamboyans  contre  le  soleil  :  Paris  Alexandre  riche- 
ment armé,  mais  prochain  de  sa  mort,  benda  son  fort  arc, 
tira  vne  flesche  de  sa  trousse,  et  la  meit  en  corde.  Si  des- 
cocha magistrallement,  mais  il  faillit  à  attaindre  son  ad- 
uersaire  :  car  les  destinées  qui  vouloient  abréger  sa  vie,  ne 
souffrirent  point  que  son  coup  eust  aucun  effect.  Et  ce 
voyant  Philoctetes  meit  soudainement  en  coche  lune  des 
saiettes  de  son  feu  seigneur  Hercules,  teinte  au  fiel  du 
tresuenimeux  serpent  Hydra  :  et  la  desbenda  dune  puis- 
sance incredible,  tellement  quelle  feit  autre  exploit  que 
nauoit  fait  celle  de  Paris  :  car  elle  luy  perça  la  main  senes- 
tre,  doultre  en  oultre.  Et  ainsi  comme  Paris  crioit  et  voci- 
feroit  horriblement  pour  la  grand  douleur  quil  sentoit  à 

(I)  Dloa  Chrjsostome,  Tpoiùedc  ùitip  roD  "Utov  /tji  AIAmci. 


20t  ILLTSTRATIONS  DE  GAVLB,  ET 

cause  du  yenin,  Philoctetes  se  hasta  den  traire  vne  autre, 
laquelle  sadressa  iustement  dedens  lœil  dextre  de  Paris  : 
et  consequemment  de  la  tierce  il  luy  cousit  les  deux  iambes 
ensemble  :  et  le  meit  en  tel  poinct,  quil  ne  valoit  pas  mieux 
que  mort.  Car  le  venin  estoit  si  véhément  que  iamais  ny 
auoit  remède  de  guerison.  Et  quand  les  Troyens  veirent 
Paris  ainsi  mal  atourné,  ilz  saduancerent  tous  à  vne  flote, 
pour  recouurer  (1)  le  corps  de  la  main  des  Grecz,  à  viueforce, 
à  fin  quilz  ne  luy  feissent  outrage.  Là  y  eut  vn  terrible 
meurtre  dun  costé  et  dautre.  Toutesfois  les  Troyens  labou- 
rèrent tant,  quilz  recouurerent  Paris  presques  mort  et  oul- 
tré  (2)  :  et  lemporterent  vers  la  cité,  fuyans  tant  quilz  pou- 
uoient.  Aiax  Telamonius  et  ses  gens  les  chassèrent  iusques 
aux  portes.  Car  lun  empeschoit  lautre,  et  y  mourut  vn 
merueilleux  nombre  de  gens.  Ceux  qui  peurent  entrer  les 
premiers  montoient  incontinent  aux  créneaux  et  iettoient 
pierres  et  dards  sur  Aiax  et  les  autres  Grecz  :  mais  Phi- 
loctetes les  guerroyoit  fort  de  son  arc.  Les  autres  Grecz 
aussi  auoient  enuironné  la  cité  de  toutes  pars,  et  y  liurerent 
vn  fort  assaut,  tellement  que  combien  quelle  fust  vertueu- 
sement deffendue  par  ceux  de  dedens,  si  eust  elle  esté 
prinse  sans  nulle  faute,  si  la  nuict  suruenant  neust  fait 
retirer  les  Grecz.  Lesquelz  sen  retournèrent  en  leur  fort  et 
en  leurs  nauires  :  et  attribuèrent  grand  gloire  et  hautes 
louenges  à  Philoctetes,  occiseur  de  Paris.  Mais  il  faut 
penser  que  Menelaus  fut  celuy  qui  luy  en  sceut  le  meilleur 
gré  de  tous. 

Il  est  assez  facile  à  croire,  quun  dueil  merueilleux  et 
inestimable  sesleua  en  la  grand  cité  de  Troye,  touchant  la 
mort  de  Paris  :  mesmement  par  le  bon  Roy  Priam  et  la 

(1)  rescourre  (mscr.  de  Genève). —  (2)  c.-à-d.  ti'épassë. 


SMGVLARITEZ   DE   TKOTE.    LIYRE  U.  S03 

Royne  Hecuba,  voyans  et  considerans  iournellement  le 
comble  de  leur  malheur  estre  aggraué.  Et  aussi  la  belle 
Heleine  en  feit  grans  pleurs  et  lamentations,  comme  met 
Dares  de  Phrygie.  Lequel  recite  que  le  Roy  Priam  feit 
faire  le  lendemain  les  obsèques  et  pompe  funèbre,  magni- 
fique et  hautaine  pour  son  ûlz  Paris  :  et  Heleine  suiuoit  le 
corps  faisant  grans  cris  et  vlulations.  Et  oultre  ce,  nostre 
acteur  Dictys  de  Crète,  met  que  les  frères,  parens  et  amis, 
et  seruiteurs  de  Paris  Alexandre,  menèrent  et  conduisirent 
son  corps  tout  embaumé  despices  aromatiques  à  la  manière 
des  Princes,  hors  de  la  cité  de  Troye  vers  la  Nymphe 
Oenone  sa  première  femme,  laquelle  se  tenoit  à  Cebrine, 
comme  dessus  est  dit,  pour  illec  estre  ensepulturé.  Lacteur 
ne  met  point  pour  quelle  raison  Paris  y  fut  ainsi  porté. 
Toutesfois,  il  est  à  coniecturer,  que  à  Iheure  de  sa  mort, 
il  ordonna  ainsi  le  faire,  ayant  regard  parauenture  de 
lauoir  abandonnée  contre  droit  et  raison  :  et  sachant  quelle 
seule  estoit  sa  femme  légitime  et  non  mie  Heleine. 

Quand  donques  le  triste  présent  (que  les  nobles  enfans 
de  Priam,  et  autres  parens  et  amis  du  feu  Prince  Paris 
Alexandre,  lesquelz  nostre  acteur  ne  nomme  point,  ensem- 
ble ses  seruiteurs  tresdesolez  apportoient  à  Cebrine)  appro- 
cha dicelle  :  et  que  le  chariot  et  la  pompe  funeralle  (telle 
quil  appartient  à  filz  de  Roy)  fut  sur  les  limites  de  ladite 
cité  enuiron  à  demy  lieiie,  le  populaire  qui  le  sceut  par  les 
Pasteurs  venans  des  champs,  fut  soudainement  esmu,  et 
commença  à  faire  grans  cris  et  grands  lamentations,  à 
cause  de  ce  que  Paris  estoit  congnu  et  aymé  de  ieunesse  en 
ladite  contrée,  comme  celuy  qui  y  auoit  prins  nourriture, 
ainsi  que  nous  auons  dit  au  premier  liure.  Et  la  noble 
Nymphe  Pegasis  Oenene,  toute  surprinse  et  espouuentee  de 
ce  dueil  et  tumulte  soudain  que  faisoit  le  peuple,  se  meit 


904  ILLVSTRATIOKS  DE  GAVLE»   ET 

aux  fenestres  de  son  hostel,  et  entendit  quilz  se  desconfor- 
toient  ainsi,  pour  la  mort  de  son  feu  seigneur  et  mary 
Paris  Alexandre  :  et  à  ceste  mesme  heure  suruint  vu  mes- 
sager exprès  enuoyé  par  les  enfans  de  Priam.  Lequel  en 
plourant  amèrement  dit  à  ladite  Nymphe  :  «  Madame,  il  me 
desplait  de  tannoncer  ces  tristes  nouuelles.  Ton  feu  sei- 
gneur le  Prince  Alexandre  est  mort,  et  tameine  on  le 
coi^s  :  pource  quil  ha  eslu  sa  sépulture  près  de  toy.  —  Près 
de  moy  ?  dit  la  Nymphe,  à  qui  le  cœur  cuida  fendre  de 
dueil.  Et  certainement  près  de  moy  sera  il  enseuely,  et 
moy  auprès  de  luy,  sil  plaist  aux  Dieux,  hien  brief.  »  Alors 
commença  elle  à  faire  vn  cry  merueilleux,  et  vne  lamen- 
tation pitoyable.  Ses  damoiselles  et  ses  seruiteurs  et  amis, 
mesmement  le  bon  pasteur  Royal  et  sa  femme,  lesquelz 
auoient  nourry  Paris,  y  accoururent  auec  leurs  enfans,  et 
menoient  presques  tel  dueil  comme  elle.  Si  descendit  tan- 
tost  la  Nymphe  de  son  hostel,  et  se  meit  à  chemin  vers  la 
porte,  pour  aller  au  douant  du  corps  de  son  feu  mary.  Et 
tous  ses  parons,  seruiteurs  et  amis  la  suiuoient,  ensemble 
les  citoyens  et  citoyennes  de  Cebrine  menans  grand  dueil. 
Au  douant  du  corps  de  son  feu  mary  alla  la  tresdolente 
Nymphe  Pegasis  Oenone  :  non  pas  comme  femme  assai- 
sonnée de  son  bon  sens,  mais  comme  furieuse,  forcenée  et 
aliénée  totalement  de  raison,  par  la  force  et  violence  de 
lamour  chaste  et  pudique  quelle  auoit  tousiours  portée 
enuers  luy.  Son  beau  sein  descouuert,  comme  celle  qui 
auoit  ia  desrompu  tous  ses  vestements  :  sa  clere  face  toute 
sanglante  et  violée  de  ses  ongles  :  ses  beaux  cheueux  au- 
reins  rompus,  esparpillez  et  volans  par  monceaux  autour 
délie.  Et  faisoit  si  grans  cris,  par  les  rues  et  par  les  che- 
mins, et  iettoit  de  son  triste  estomach  vociférations  si  très- 
hautes  et  si  piteuses  vlulations  féminines,  quelles  pane- 


SnfGTLARITBZ   DB   TftOTE.    LIYBS  U.  M 

troîent  les  oreilles  des  escoutans  iusques  au  cœur.  En  for- 
mant ses  piteux  regretz  misérables  en  ceste  manière  : 

«  Helas,  mon  cher  seigneur  Paris,  helas,  mon  doux  amy 
Alexandre  :  bien  tha  honny  la  mauuaise  adhérence  de  la 
Greque  estrangere  :  et  bien  te  rendit  guerdon  mal  courtois 
la  Déesse  Venus,  quand  elle  tempescha  délie.  Helas,  mon 
doux  amy,  assez  te  deuoit  suffire  la  franche  amour  chaste 
et  pudique  dont  ie  taymoie  lasse,  dolente.  Assez  te  deuoiflB^ 
admonnester  les  oracles  des  Dieux  et  les  vaticinations  des 
prudens.  Trop  par  trop  est  maudite,  et  de  maie  heure  née 
la  femme  par  qui  tant  de  hautz  hommes  meurent.  Et  trop 
mha  elle  causé  de  dueil  par  lespace  de  dix  ans.  Auquel 
temps  rien  ne  me  detenoit  en  ce  monde,  fors  la  vie  de  toy, 
mon  cher  espoux,  combien  que  meusses  répudiée.  Mais 
ores  est  venu  le  temps,  que  ma  douloureuse  ame  lassée  des- 
tre  en  ce  triste  corps,  sen  ira  prendre  repos  aux  champs 
Elysees,  ains  (1)  que  la  tienne  me  puist  redarguer  de  tardi- 
ueté.  Vien  donques  mort,  ma  tresdesiree  et  ma  bien  vou- 
lue, Tien  tost  à  moy.  Tu  mas  fait  trop  grief  outrage,  en 
osant  toucher  la  personne  de  mon  trescher  espoux.  Et  dun 
mesmes  coup  de  ton  dard,  as  commencé  dabreger  ma  vie 
auec  la  sienne  :  mais  ie  te  le  pardonne,  et  taduoue  de  tout, 
pourueu  que  tu  poursuiues  diligemment  ta  pointe,  sans  que 
ie  languisse  plus.  le  le  tiendray  à  vn  singulier  bienfait  : 
moyennant  que  tu  acheues  en  haste  le  demeurant  de  mon 
doul(Kireux  viure.  0  mort  tresdouce  et  tresamiable,  il  mest 
aduis  que  ie  sens  voleter  cy  entour  lesprit  de  mon  amy  qui 
mappelle.  Certainement  ie  te  suiuray  en  brief,  mon  tres- 
amoureux  cœur.  le  te  prie  mattendre  :  car  meilleur  com- 
paignie  ne  saurois  ie  trouuer.  le  désire  et  quiers  de  tout 

(1)  c.>à>d.  avant  que. 


206  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

mon  pouuoir  le  chemin  à  la  mort.  Adieu,  noble  Roy  Priam, 
mon  tresredouté  seigneur  et  beaupere  :  adieu,  madame 
Hecuba  et  toutes  mes  belles  sœurs  :  car  de  mes  beaux  frères 
nen  reste  plus  gueres.  Saluez  moy,  mes  amis,  mes  priuees 
compaignes.  le  vous  voys  précéder  :  car  ie  suis  certaine  que 
après  moy  ne  tarderez  vous  gueres,  tant  est  enflambé  le 
feu  de  vostre  malheureuse  destinée,  au  moyen  de  la  Grec- 
que estrangere.  » 

Telz  et  semblables  plaints  espandoit  (1)  parmy  lair,  en  che- 
minant, la  tresdesesperee  Nymphe.  Ses  femmes  et  pucelles, 
voisines  et  amies,  la  cuidoient  conforter  en  vain.  Et  neant- 
moins  eux  mesmes  auoient  bon  mestier  de  confort.  Et 
quand  le  chariot  de  dueil  trainé  à  chenaux  noirs,  houssez 
de  mesmes,  et  auironné  de  grand  luminaire,  sur  lequel 
estoit  le  corps  gisant  en  vn  riche  lict  de  parement,  couuert 
de  drap  dor,  et  fourré  dhermines,  commença  à  approcher, 
et  les  frères  et  amis  de  Paris  alentour  :  et  que  dautre  part 
la  Nymphe  marchoit  auec  ses  gens,  lors  veissiez  vous  vn 
piteux  rencontre.  Lors  se  prindrent  toutes  les  deux  bendes 
dune  part  et  dautre,  à  crier  et  braire  pitoyablement.  Mais 
quand  la  Nymphe  fut  si  près  du  corps  de  son  mary,  quelle 
le  peut  choisir  à  plein  :  le  chariot  sarresta,  et  elle  monta 
dessus.  Si  veit  son  seigneur  ainsi  deffait  et  piteusement 
atourné,  comme  celuy  qui  estoit  tout  enflé  du  venin  des 
saiettes  mortifères.  Lors  cessa  son  crier  :  car  la  voix  luy 
deffaillit  ensemble  le  cœur.  Si  voulut  embrasser  le  corps, 
mais  ses  bras  neurent  ne  force  ne  puissance  :  ainçois  ses- 
tendit  dessus  pasmee  de  grand  angoisse.  Certainement  ces- 
toit  vn  piteux* regard  de  voir  icelle  tresloyale  Nymphe  ainsi 
perturbée,  gisant  sur  le  corps  de  son  desloyal  mary.  Et 

(1)  espar  doit  (mscr.  de  Genève). 


8IHGVLAMTEZ  DE   TROTB.    LITRE   II.  207 

bien  monstroit  elle  la  grand  noblesse  et  franchise  de  son 
courage  :  et  la  vraye  amour  coniugale,  pleine  de  chasteté, 
dont  elle  auoit  tousiours  esté  garnie,  nonobstant  que  sa 
partie  luy  eust  fait  toute  rudesse.  Tous  les  autres  parens  et 
amis,  tant  délie  comme  de  Paris,  estoient  tous  transportez 
de  douleur.  Et  ny  auoit  nul  qui  se  sceust  contenir  de  grand 
pitié. 

A  chef  de  pièce  quelle  fut  reuenue  de  pasmoison  toute 
pasle  et  descoulouree,  elle  ietta  piteusement  en  circonfé- 
rence ses  yeux  desia  ternis  et  obscurcis  de  ténèbres  de 
mort,  dont  elle  estoit  prochaine  :  et  fait  vnchacun  des 
assistans  plourant  et  larmoyant  autour  délie.  Si  feit  aucuns 
parfonds  souspirs  et  sangloux  difficiles  :  puis  regarda  le 
corps  de  son  seigneur  et  mary,  ainsi  misérablement  ap- 
pointé qui  parauant  estoit  si  beau.  Et  derechef  tourna  son 
regard  vers  ses  parens,  amis  et  seruiteurs,  comme  celle 
qui  monstroit  à  son  semblant  manière  de  plaindre  et  lamen- 
ter la  piteuse  façon  de  la  mort  de  son  seigneur  et  mary  : 
car  desia  la  parole  luy  estoit  forcluse  à  force  de  douleurs 
mortelles  qui  laggressoient.  Les  assistans  grans  et  petis 
fondoient  tous  en  larmes  tacitement  :  et  nen  y  auoit  pas  vn 
qui  eust  sceu  ouurir  sa  bouche  pour  sefforcer  de  donner 
confort  à  la  Nymphe.  Finablement  quand  lextreme  des- 
tresse de  sa  douleur  la  pressa  si  fort  quelle  ne  la  pouuoit 
plus  porter,  elle  tourna  sa  face  sur  le  visage  de  son  amy 
et  mary  Paris,  et  tantost  après  embrassa  tout  le  corps 
estroitement  :  et  en  iettant  le  dernier  souspir  mortel,  le 
cœur  luy  serra  et  fendit  en  son  amoureux  estomach,  et 
lors  rendit  elle  lesprit  en  se  debatant  aucune  espace.  Et 
demoura  ainsi  sur  le  lit  de  parement. 

La  pluspart  des  assistans  cuidoient  quelle  fust  derechef 
tombée  en  pasmoison  :  mais  aucunes  des  plus  sages  matro- 


ILLTSTRÂTIONS  DE  GAVLE,  ET 

nés  de  Cebrine  qui  là  estoient,  et  mesmement  la  bonne 
nourrisse  de  Paris,  et  autres,  congnurent  bien  que  cestoit 
le  dernier  souspir  quelle  auoit  fait,  si  coururent  vers  elle, 
et  sentirent  tantost  quelle  ne  tiroit  plus  ne  poux  ny  halaine. 
Assez  lappellerent  par  son  nom,  et  assez  la  tirèrent  en 
plourant  :  mais  cestoit  pour  néant,  car  son  esprit  vital  sen 
estoit  volé.  Lors  renouuella  le  cry  plus  hautain,  et  le  à\i&X 
plus  aspre  que  iamais.  Lors  veissiez  vous  la  bonne  nour- 
risse de  Paris  et  les  pucelles  de  la  Nymphe,  destordre 
leurs  poings,  battre  leurs  poitrines,  rompre  leurs  cheueux, 
et  dessirer  leurs  atours,  pour  le  trespas  de  leur  maistresse. 
Le  bon  pasteur  Royal  brayoit  et  lamentoit  sans  mesure. 
Les  frères  et  amis  de  Paris,  et  les  seruiteurs  domestiques 
recommencèrent  leurs  plaints,  et  fut  la  huée  plus  aigre  que 
deuant.  Les  citoyens  et  citoyennes  de  Cebrine  la  plain- 
gnoient  comme  leur  bien  aymee  dame  :  et  ny  auoit  si  dur 
cœur  qui  ne  creuast  de  pitié,  et  qui  ne  noyast  en  multitude 
de  larmes.  Ainsi  conduisirent  ilz  le  triste  chariot  dedans  la 
cité,  chargé  de  deux  corps  pour  vn.  Et  feirent  illec  les 
obsèques  et  faits  funéraux  à  la  manière  de  ce  temps  là,  en 
grand  honneur  et  Royale  magnificence  :  et  en  grand  pleur 
et  lamentation.  Puis  sepulturerent  ensemble  les  deux 
amans,  en  vn  riche  tombeau  et  de  grand  somptuosité,  ainsi 
que  met  nostre  acteur  Dictys  de  Crète  :  et  Strabo  le  con- 
ferme  au  xm.  de  sa  Géographie,  comme  desia  auons  dit  et 
allégué  au  premier  liure.  Les  mots  diceluy  Dictys  sont  telz 
en  la  fin  du  quatrième  liure  de  son  histoire  :  iSed  fertur, 
Oenonen  (1)  mso  AUxandri  cadauere^  adeà  commotam,  (2) 
vH  amissa  mente  ohstupeÂeret  :  ac  paulatim  j>er  mœrorem 

(1)  Oenone  (mscr.  de  Qenàvâ). 
i^  commuiata  (ibid.). 


SINGVLARITBZ  DE  TROYK.    LIVRB  II.  309 

déficiente  animo  concideret.  Atque  ita  tno  eodemque  funere 
cum  Alexandro  contegitur.  Et  quand  ces  choses  furent 
sceûes  à  Troye,  le  Roy  Priam  et  la  Royne,  et  tous  ceux  de 
sa  maison  en  furent  tant  esbahis  et  tant  estonnez,  que  plus 
ne  pouuoient,  de  la  grand  merueille.  Et  plaingnirent  beau- 
coup la  noble  Nymphe. 


u.  u 


210  ILLVSTRATIOMS  D£  GAVLE,   ET 


CHAPITRE  XXII. 

De  lesmotion  des  seigneurs  de  Troye  contre  Priam.  Comment  Deï- 
phobus  espousa  Heleiae,  de  peur  quelle  ne  fust  rendue  aux  Grecz. 
De  la  trahison  menée  par  Antenor  et  Eneas.  Et  comment  Heleina 
feit  moyenner  son  appointement.  De  la  paix  fourrée  faite  par  les 
Grecz.  Du  grand  cheual  offert  à  la  Déesse  Minerue.  De  la  prinse 
de  Troye  :  et  de  la  cruelle  mort  de  Deïphobus  procurée  par  Heleine  : 
auec  lexclamation  contre  icelle.  Et  aussi  de  la  mort  des  deux  enfans 
de  Paris  et  Heleine. 


Apres  la  mort  de  Paris  et  de  sa  femme  la  Nymphe 
Oenone  :  comme  les  Grecz  assaillissent  la  cité  de  Troye 
sans  nulle  intermission,  et  fussent  plus  aspres  de  iour  en 
iour  :  et  ny  eùst  plus  aucun  espoir  de  résistance  dedens  la 
cité  de  Troye,  veu  que  ses  forces  affoiblissoient  à  veiie 
d'oeil,  tous  les  grans  seigneurs  de  la  cité  sesleuerent  en- 
contre le  Roy  Priam,  et  encontre  le  demeurant  de  ses 
enfans.  Si  enuoyerent  quérir  Eneas  filz  d'Anchises,  et  les 
enfans  d'Antenor  :  et  décrétèrent  ensemble  que  Heleine,  et 
tout  ce  qui  auoit  esté  prins  auec  elle,  fust  rendu  à  Mene- 
laus.  Or  lauoit  tousiours  aymee  Deïphobus,  comme  nous 
auons  dit  par  cy  deuant,  presques  autant,  comme  faisoit 
Paris.  Parquoy  quand  il  sceut  lintention  desdits  seigneurs 
de  Troye,  il  se  délibéra  dy  obuier  totalement.  Et  pour  ce 
faire,  feit  incontinent  amener  ladite  Heleine  en  sa  maison, 
et  la  print  en  mariage  :  car  alors  il  nestoit  point  prohibé 
par  les  loix,  que  le  frère  nespousast  la  femme  de  son  frère 
après  sa  mort.  Laquelle  chose  quand  lesdits  seigneurs  de 


8INGVLARITEZ    DE   TROTE.    LIVRE   II.  2M 

Troye  sceurent,  ilz  ftirent  fort  indignez.  Et  se  tirèrent 
deuers  le  Roy  Priam,  en  vsant  enuers  luy  de  hautes  et 
oultrageuses  paroles.  Et  entre  les  autres,  Eneas  le  roux  (1) 
parla  le  plus  âerement.  Et  ânablement  feirent  tant  quilz 
amenèrent  Priam  à  force  dimportunité  iusques  là,  quil  fut 
conclu  en  plein  conseil,  que  An  ténor  iroit  comme  ambassa- 
deur, en  lost  des  Grecz,  pour  trouuer  quelque  appointement 
de  paix  auecques  eux.  Ainsi  partit  Antenor  pour  y  aller, 
mais  ce  nestoit  point  pour  traiter  de  la  paix  :  mais  plustost 
pour  brasser  la  détestable  trahison,  au  preiudice  de  son 
souuerain  et  naturel  seigneur  le  Roy  Priam  et  des  siens. 
De  laquelle  iceluy  Antenor  feit  secrète  ouuerture  auec 
aucuns  des  principaux  Princes  de  Grèce,  moyennant  ce  que 
le  Royaume  de  Troye  deuoit  demourer  à  luy  et  aux  siens  : 
et  que  si  Eneas  vouloit  estre  féal,  il  partiroit  au  butin,  et 
sa  maison  demoureroit  en  son  entier.  Geste  conclusion 
prinse  auec  iceux  les  principaux  de  larmee  Gregoise,  Ante- 
nor sen  retourna  à  Troye  :  et  luy  fut  baillé  le  héraut  Tal- 
thybius  pour  plus  grand  couleur  et  approbation  de  la  matière 
de  paix,  mise  sur  le  bureau. 

Et  quand  le  Prince  Antenor  et  le  héraut  Talthybius  furent 
entrez  à  Troye,  le  poure  populaire  et  les  gensdarmes  qui 
estoient  venuz  au  secours  de  Priam,  leur  vindrent  au  de- 
uant,  desirans  sauoir  quel  appointement  il  auroit  auec  les 
Grecz.  Mais  le  traytre  Antenor  ne  leur  voulut  rien  dire  de 
la  paix  faite,  pour  mieux  dissimuler,  ains  les  remeit  au 
lendemain.  Et  quand  il  fut  au  soupper,  en  sa  maison,  il 
prescha  à  ses  enfans  en  la  présence  de  Talthybius,  héraut 
des  Grecz,  et  leur  remonstra  combien  il  valoit  mieux  de 
suiure  le  party  etlamitië  des  Grecz,  que  celle  de  Priam,  en 
les  admonnestant  dainsi  le  faire.  Et  sur  ce  poinct,  on  sen 

(l)  (»i9<>t,Jlavus,  blond,  de  race  noble. 


21â  ILLVSTRATIOMS   DE   GAVLE,   ET 

alla  coucher.  Et  le  lendemain  bien  matin,  comme  tous  ceux 
de  Troye  se  fussent  transportez  au  consistoire  publique, 
pour  oujr  et  sauoir  si  aucune  fin  se  trouueroit  à  leur  infor- 
tune, Antenor  et  le  héraut  Talthybius  y  allèrent.  Et  tantost 
après  Eneas  sy  trouua,  et  consequemment  le  Roy  Priam 
et  ses  enfans.  Alors  Antenor  commença  à  reciter,  non  pas 
la  trahison  quil  auoit  trafiquée  auec  les  Grecz,  mais  con- 
trouua  vne  autre  forme  dappointement  :  disant  que  les  Grecz 
ne  queroient  autre  chose,  fors  sen  aller,  poui'uen  quon  leur 
rendist  Heleine,  auec  certaine  somme  dor,  pour  défrayer 
larmee.  Et  que  oultreplus  ilz  auoient  délibéré  doffrir  vn 
grand  don  à  la  Déesse  Minerue  auant  leur  partement.  Si 
commença  à  faire  vne  grand  harengue,  recitant  les  maux 
quilz  auoient  soustenuz  à  cause  de  ces  te  si  longue  guerre, 
et  que  luy  mesmes  y  auoit  perdu  son  filz  Glaucus  :  mais  il 
ne  luy  chaloit  point  tant  de  sa  mort,  comme  il  estoit  des- 
plaisant de  ce  quil  alla  auec  Paris  pour  rauir  Heleine  mau- 
gré  luy  :  en  ramenteuant  les  grands  iniures  quon  auoit 
fait  aux  Grecz,  et  le  grand  tort  quon  tenoit  d'eux,  et  tout 
pour  vne  femme,  de  laquelle  iceux  Grecz  mesmes  ne  fai- 
soient  point  grandement  conte  de  la  recouurer.  Et  ne  leur 
en  chaloit  gueres,  sinon  autant  que  lobstination  de  Priam 
et  de  ses  enfans  les  auoit  ainsi  irritez  à  demeurer  au  siège. 
Mais  que  ce  nonobstant,  en  faisant  finance  de  certaine 
quantité  dor,  et  leur  deliurant  icelle  Heleine,  ilz  seroient 
contens  de  leuer  leurs  sièges,  et  retourner  en  leurs  con- 
trées. Concluant  ledit  Antenor  que  iceux  Troyens  deuoient 
bien  prester  loreille  à  cest  appointement,  puis  quil  nestoit 
question  que  de  fournir  or  ou  argent.  Mesmement  les  riches 
maisons  se  deuoient  ayder  chacune  en  son  endroit,  et  se 
tailler  parensemble,  pour  contribuer  et  fournir  la  somme 
qui  seroit  nécessaire,  à  fin  dacheter  paix.  Et  que  si  Priam 


8INGTLARITBZ  DB  TROTS.   LITBB  H.  tl9 

ny  vouloit  entendre  de  sa  part,  quon  le  laissast  ester  auec« 
ques  ses  richesses,  et  auec  celles  que  son  âlz  Paris  auoit 
amenées  de  Lacederaone  quand  il  rauit  Heleine.  Et  en  ce 
disant,  de  plus  en  plus  il  chargeoit  apertement  sur  le  Roy 
Priara  et  sur  les  siens,  pour  capter  la  beniuolence  du 
peuple,  et  tascher  de  mettre  ledit  Roy  en  hayne  de  ses 
citoyens.  Et  oultreplus,  le  traytre  feignoit  de  pleurer. 
Alors  le  populaire  se  print  à  crier  et  braire  piteusement 
tout  à  vne  voix,  et  tendre  les  mains  au  ciel  :  supplians, 
que  pour  lamour  des  Dieux,  il  trouuast  moyen  ainsi  ou 
autrement,  de  mettre  fin  à  leurs  misères,  et  quil  nespar- 
gnast  eux  ne  leurs  trésors,  pour  racheter  leurs  personnes, 
leur  pais  et  leurs  biens  hors  de  la  seruitude  apparente  des 
Grecz.  Et  adonc  se  print  le  triste  Roy  Priam  à  pleurer 
misérablement,  et  à  traire  et  arracher  sa  barbe  meslee  et 
ses  cheueux  chanuz.  Voyant  que  ores  il  nestoit  pas  seule- 
ment haï  de  ses  ennemis,  mais  aussi  estoit  tombé  en  la 
maluueillance  de  ses  subietz  propres.  Si  dit  à  Antenor  et 
à  tous  les  assistans,  quil  leur  laissoit  la  charge  totale  de 
lappointement,  et  liberté  de  faire  la  finance  pour  la  ré- 
demption du  Royaume  de  Troye.  Et  que  pource  quil  leur 
estoit  ainsi  deuenu  hayneux,  (1)  il  se  tiendroit  désormais 
solitaire  en  son  palais.  Et  neantmoins,  il  approuuoit  tout  ce 
que  par  eux  seroit  fait  et  traité  en  ceste  matière.  Ainsi  se 
partit  lancien  Roy  du  consistoire,  et  après  son  partement  il 
fiit  décrété  par  toute  lassemblee,  que  Antenor  ioint  auec 
Eneas,  sen  iroient  derechef  vers  les  Grecz  pour  sauoir  leur 
voulenté  certaine.  Et  ainsi  se  départit  le  conseil. 

Or  sen  vint  Heleine  secrètement  enuiron  la  mynuict  en 
Ihostel  du  traytre  Antenor,  comme  celle  qui  se  doutoit 
bien  que  si  lappointement  auoit  lieu,  elle  seroit  rendue  à 

(1)  o.-h^.  haï. 


214  '      ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,   ET 

Menelaus.  Et  à  ceste  cause  craingnoit  lire  et  la  fureur  de 
son  marj,  pour  la  grand  faute  quelle  auoit  commise  enuers 
luy.  Si  pria  tresinstamment  audit  Antenor  quil  la  voulsist 
auoir  pour  recommandée  enuers  sondit  seigneur  et  mary, 
et  enuers  tous  les  autres  Princes  de  Grèce,  et  quil  sem- 
ployast  à  faire  sa  paix,  disant  comme  ledit  Antenor  pour- 
roit  bien  tesmoigner,  que  de  pieça  elle  auoit  désiré  de 
retourner  aux  siens.  Et  aussi  on  sestoit  bien  apperceu, 
que  depuis  la  mort  de  Paris,  toutes  choses  luy  estoient 
ennuyeuses,  et  prenoit  le  temps  mal  en  gré  à  Troye.  Par 
ainsi  Antenor  promit  de  labourer  à  faire  son  appointement. 
Et  elle  sen  retourna  au  palais  de  son  mary  Deïphobus. 

A  la  fine  aube  du  iour,  Antenor  et  Eneas  commissaires 
députez  à  estre  loups  en  guise  de  bergers,  partirent  de  la 
cité  pour  aller  vers  les  nauires  des  Grecz.  Et  quand  ilz  y 
furent,  ilz  récitèrent  en  pleine  audience  le  vouloir  des 
Troyens.  Puis  tindrent  conseil  apart  auec  aucuns  des  prin- 
cipaux à  ce  députez  :  et  après  auoir  parlé  de  plusieurs 
choses  conccrnans  leur  affaire  et  leur  trahison,  ilz  feirent 
mention  de  la  voulenté  d'Heleine,  et  prièrent  tresinstam- 
ment pour  elle.  Et  en  après  finablement  confermerent 
entre  eux  le  pact  de  la  trahison.  Et  quand  il  leur  sembla 
opportun,  sen  retournèrent  à  Troye  auec  Vlysses  et  Dio- 
medes,  pour  feindre  de  faire  vn  accord  publique.  Aiax 
Telamonius  y  voulut  aller  auec  eux,  mais  Eneas  len  garda, 
de  peur  que  les  enfans  de  Priam  ne  luy  feissent  quelque 
outrage.  Et  quand  ilz  furent  entrez  dedens  Troye,  les  mal- 
heureux citoyens  sen  resiouirent,  et  cuidoient  voir  la  fin  de 
la  guerre  et  des  discords.  Si  fut  incontinent  le  conseil 
assemblé,  auquel  premièrement  et  auant  toute  œuure,  il 
fut  décrété  que  Antimachus  qui  tousiours  auoit  soustenu  la 
bende  de  Paris  contre  les  Grecz  seroit  exillé  et  banny  per- 


SmOTLARITBZ  DE  TROTE.   LIYRB  II. 


m 


petuellement  du  Royaume  de  Phrygie.  Et  en  ooltre  ilz 
commencèrent  à  entrer  en  matière  des  conditions  et  arti- 
cles de  la  paix. 

Or  aduint  il,  que  tandis  que  lesdits  deux  Princes  de 
Grèce,  Vlysses  et  Diomedes  estoient  en  conseil  auec  les 
Troyens  traitans  de  ladite  paix  fourrée,  ilz  ouyrent  vn 
merueilleux  bruit  et  tumulte,  qui  se  faisoit  au  palais,  là  où 
estoit  le  Roy  Priam,  auec  cris  et  exclamations  merueil- 
leuses.  Alors  tous  ceux  qui  estoient  audit  conseil  cuiderent 
bien  estre  pris,  et  senfuyrent  soudainement  dehors,  comme 
ceux  qui  pensoient  asseurement  que  aucun  aguet  ou  émotion 
sesleuast  contre  eux  par  les  enfans  de  Priam,  selon  ce  que 
autresfois  en  semblable  cas  lauoient  fait.  Parquoy  ilz  furent 
bien  espouuentez,  et  se  ruèrent  en  franchise  (1)  dedens 
le  temple  de  là  Déesse  Minerue,  pour  estre  à  sauueté.  Mais 
ne  tarda  gueres  que  aucuns  qui  descendoient  du  palais, 
rapportèrent  que  le  bruit  quon  auoit  ouy,  estoit  à  cause  que 
le  plancher  de  la  chambre  où  estoient  les  enfans  du  feu 
Prince  Paris  Alexandre,  estoit  effondré  par  infortune,  et 
auoit  esteint  et  estouffé  lesdits  enfans,  qui  estoient  deux  en 
nombre,  dont  lun  auoit  nom  Corinthus  et  lautre  Ideus,  et 
les  auoit  euz  Paris  de  la  belle  Heleine,  comme  nous  auons 
dit  cy  deuant.  Par  ainsi  lesdits  Princes  de  Grèce,  auec 
Antenor  et  les  autres,  furent  rasseurez  de  leur  peur.  Et 
mena  iceluy  Antenor  loger  en  son  hostel  Vlysses  et  Diome- 
des, et  illec  les  informa  de  la  vertu  et  propriété  du  Palla- 
dium, qui  estoit  vne  image  de  bois,  iadis  tombée  du  ciel, 
quand  le  Roy  Ilus  qui  fonda  Ilion  faisoit  ediâer  le  temple 
de  Minerue.  Lequel  Palladium  tant  quil  seroit  audit  tem- 
ple, iamais  Troye  ne  pourroit  estre  prinse.  Et  promit  ledit 
Antenor  de  sefforcer  à  ce  quilz  lauroient  en  leurs  mains. 

(1)  c.-à-d.  cherchèrent  un  asile. 


2i6  ILLT8TRÂTI0NS   DE  GAVLB,  ET 

Et  sur  ce  propos  ilz  sendormirent.  Et  le  lendemain  au 
matin  furent  faites  les  funérailles  des  deux  enfans  d'Ale- 
xandre, lesquelz  moururent  ainsi  misérablement,  comme 
vous  auez  ouy,  peult  estre  (1)  permission  diuine,  à  fin  que 
de  si  mauuaise  semence  ne  demourast  aucun  fruit  sur  terre. 
Consequemment  ce  iour  mesmes,  et  certains  iours  ensui- 
pans,  fut  traité  en  la  présence  du  Roy  Priam  et  de  tous 
les  Princes  de  Troye,  et  aussi  desdits  Diomedes  et  Vlysses, 
commissaires  de  la  partie  des  Grecz,  de  la  manière  de  la 
paix,  et  appointement  final  entre  lesdites  parties.  Et  ende- 
mentiers  aucuns  signes  estranges  et  prodiges  merueilleux 
apparurent  à  Troye  :  si  comme  des  sacrifices  qui  ne  pou- 
uoient  brusler  sur  lautel  du  Dieu  ApoUo,  et  de  laigle  qui 
vint  rauir  les  entrailles  des  bestes  sacrifiées  et  les  porta 
aux  nauires  des  Grecz,  et  autres  choses  qui  denotoient  la 
trahison  qui  se  brassoit  et  la  prochaine  ruïne  de  Troye. 
Aussi  en  ces  entrefaites  ,  Antenor  trouua  subtilement 
manière  de  traire  la  sainte  image  de  Palladium  hors  du 
temple  de  Pallas  :  et  la  deliura  à  Vlysses,  lequel  lenuoya 
secrètement  en  larmee  de  Grecz.  Finablement  les  Troyens 
appointèrent  auec  lesdits  Grecz,  quilz  auroient  mille  ta- 
lents dor  et  mille  talents  dargent.  Chacun  talent  vallant 
quarante  liures  de  douze  onces  la  liure  pour  le  moins.  Le 
sage  Helenus  estant  prisonnier  en  lost  des  Grecz,  qui  toutes 
ces  choses  sauoit  par  sa  science,  plouroit  et  lamentoit  fort, 
congnoissant  la  prochaine  destruction  de  ses  parens  et  de 
son  pais.  Et  tantost  après  allèrent  à  Troye  dix  des  Princes 
de  Grèce,  pour  arrester  et  conclure  du  tout  les  articles 
dicelle  paix  feinte  et  coulouree,  et  les  iurer  solennellement. 
Si  recommanda  debonnairement  le  Roy  Priam  à     iceux 

(1)  $ar  (éd.  1528). 


SINGYLARITEZ  DE  TROTE.    LIVRE  H.  217 

Princes,  son  fllz  Helenus.  Et  fut  feite  et  iuree  ladite  paix. 
Lors  prindrent  congé  du  Roy  tous  les  Princes  estrangere 
qui  estoient  venuz  à  son  secours  tant  par  amitié  comme 
pour  auoir  souldoiers,  et  sen  retournèrent  en  leurs  con- 
trées. Et  ce  pendant  fut  fabriqué  le  grand  chenal  de  bois 
pour  offrir  à  la  Déesse  Minerue.  Desquelles  choses  ie  me 
déporte  légèrement,  pource  quelles  sont  assez  communes. 
Toutesfois  Dares  de  Phrygie  ne  met  rien  dudit  grand  che- 
ual  de  bois  :  mais  bien  dit  il,  que  à  la  porte  Scee,  par  où 
Grecz  prindrent  Troye,  y  auoit  la  figure  dun  cheual  taillé 
en  pierre,  combien  que  Dictys  de  Crète  et  Virgile  concor- 
dent en  lopinion  dudit  grand  cheual  de  bois.  Et  aussi  fait 
mesmes  Dion  en  son  liure  de  Troia  non  capta.  Disant 
encores  que  linscription  dudit  cheual  estoit  telle  :  Kwofhpf», 
id  est  sacrum  Achiui  MinerucB  Iliadi.  (1) 

Ainsi  fut  mené  à  Troye  ledit  grand  cheual  consacré  à  la 
Déesse  Minerue,  comme  feingnoient  les  Grecz  :  mais  il 
estoit  plein  de  gens  armez.  Et  pour  la  grandeur  fallut 
rompre  les  murailles  de  Troye  et  la  porte  Scee,  pour  le 
mettre  dedens.  Et  y  fut  receu  à  si  grand  ardeur  et  liesse 
des  Troyens  mesmes,  que  iusques  à  femmes  et  petis  enfans 
trestous  meirent  la  main  aux  cordes  et  aux  cables,  pour 
ayder  à  traîner  en  la  cité  ceste  grand  statue  de  cheual  à 
leur  malheureuse  destinée.  Ce  fait  les  Grecz  feirent  sem- 
blant de  trousser  tous  leurs  bagages,  et  mettre  tout  en 
leurs  nauires,  partir  du  port  de  Sigee  et  rentrer  en  mer. 
Mais  de  nuict  le  cauteleux  Sinon,  afFaité  de  par  les  Grecz, 
et  ayant  ceste  charge,  ouurit  le  ventre  du  grand  cheual, 
dont  il  saillit  Pyrrhus  filz  d'Achilles,  et  vne  grand  cohorte 
de  gensdarmes.  Puis  feit  signe  de  feu  quand  il  veit  son 

(1)  IllasterIon  (mscr.  de  Oecôve). 


"Wf^  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,   ET 

heure,  à  fin  que  les  autres  Grecz  marchassent.  Ainsi 
furent  surprins  en  leurs  licts  les  poures  Troyens  endormis , 
tant  par  ceux  qui  estoient  saillis  de  dedens  le  cheual, 
comme  par  les  autres  qui  vindrent  du  port  de  Sigee,  et 
entrèrent  par  la  bresche  de  la  muraille.  Lors  fut  faite  yne 
horrible  boucherie  des  Troyens  :  sans  auoir  mercy  des 
femmes  ne  des  petis  enfans,  et  dura  la  tuerie  toute  la  nuict. 
Sur  la  pointe  du  iour,  les  Grecz  sadresserent  tous  à  vne 
flotte  vers  le  palais  de  Deïphobus,  lequel  auoit  espousé 
dame  Heleine  après  la  mort  de  Paris,  comme  dessus  est 
dit.  Et  illec  Menelaus  tout  furieux  et  plein  de  rage,  pour 
se  venger  dudit  Deïphobus  le  print  et  luy  coupa  tout  pre- 
mièrement les  oreilles,  puis  après  luy  trencha  les  deux 
bras,  et  consequemment  luy  osta  le  nez,  et  le  deshacha  en 
tant  de  pièces,  que  cest  horreur  de  le  reciter  :  parquoy  il 
le  feit  mourir  à  grand  tourment  et  misère,  comme  met 
nostre  acteur  Dictys  de  Crète.  Et  à  ce  concorde  Virgile  au 
VI.  des  Eneïdes,  disant  : 

Atque  hic  Priamidem  laaiatum  coi-pore  toto 
Deiphobum  videt  et  lacerum  crudeliter  ora, 
Ora  manusque  ambas,  populataqiie  tempora  raptis 
Auribus,  et  truncas  inbonesto  yulnere  nares.  (1) 

Mais  auant  sa  mort,  il  se  deffendit  vaillamment,  et  tua 
beaucoup  de  Grecz,  comme  met  ledit  Virgile.  Laquelle 
cruelle  vengeance,  comme  on  peult  supposer,  fut  prinse 
par  Menelaus,  pource  que  Deïphobus  auoit  esté  cause  prin- 
cipale du  rauissement  d'Heleine,  et  nen  auoit  point  esté 
moins  amoureux  que  son  frère  Paris,  comme  dessus  est  dit. 
lasoit  ce  que  Dares  de  Phrygie  tienne  opinion  contraire 

(1)  VI,  494-98. 


SINGVLARITEZ   DB  TROYB.    LITRB' H.  2i9 

touchant  la  mort  de  Deïphobus  :  disant  quil  fut  occis  par 
Palamedes  de  Nigrepont,  long  temps  deuant  la  prinse  de 
Troye.  Toutesuoyes  ie  marreste  plustost  ausdits  deux  ac- 
teurs tressuflBsans  Dictys  et  Virgile,  lesqueh  ioints  ensem- 
ble sont  à  préférer  à  vn  tout  seul. 

Dit  oultreplus  ledit  noble  poëte  Virgile  audit  passage, 
que  celle  tresperuerse  Heleine  participant  au  conseil  de 
la  trahison  de  Troye,  auec  Antenor  et  les  autres,  fut  celle 
qui  bailla  le  signe  de  feu  aux  Gregois  de  dessus  les  murail- 
les de  Troye,  souz  ombre  de  célébrer  les  sacrifices  de  Bac- 
chus  auecques  les  dames  de  Troye.  Puis  osta  tous  les  har- 
nois,  armures  et  bastons  hors  de  la  chambre  et  palais  de 
son  mary  Deïphobus  qui  dormoit  parfondement,  et  de  rien 
ne  se  doutoit.  Mesmement  desroba  elle  lespee  de  dessouz 
son  cheuet.  Et  elle  mesmes  appella  Menelaus,  et  le  guida 
en  la  chambre  dudit  Deïphobus,  à  fin  de  rappaiser,  par 
ceste  manière  de  faire,  sondit  mary  Menelaus,  et  dabolir  ses 
anciens  forfaits  par  ce  nouueau  seruice. 

0  chienne  tresdetestable,  lisse  enragée  et  vipère  tresdan- 
gereuse  !  Combien  y  ha  il  de  différence  de  toy  à  la  noble 
Nymphe  Pegasis  Oenone?  Certes,  autant  quil  y  ha  de  chois 
dune  chieure  infâme  à  vne  brebis  noble,  dune  femme 
chaste  à  vne  paillarde  :  et  autant  quil  y  ha  de  distance 
entre  vn  doux  courage  féminin  plein  damour  pudique,  et 
vne  affection  de  louue  eschauffee,  qui  nappete  que  lexecu- 
tion  de  son  ardeur  libidineuse  et  effrénée.  Comment  oses  tu 
tant  demeurer  en  vie  ?  Ne  vois  tu  point  que  ta  ribaudise 
ha  honny  et  contaminé  toute  ceste  noble  maison,  et  que  ta 
luxure  puante  ha  mis  à  néant  la  hautesse  dun  si  triom- 
phant lignage  ?  0  visage  de  Seraine  à  queiie  de  couleuure, 
orde  vile  meretrice,  toute  pourrie  et  vermolue  diniquité, 
tu  rends  bien  vn  guerdon  serpentin  de  Ihonneur  quon  te 


220  ILLYSTRATIONS  DB  GAVLE,   ET 

fait.  Tu  te  deuois  plustost  précipiter  du  haut  des  nobles 
murailles  qui  sont  démolies  à  ton  occasion  :  tu  te  deuois 
plustost  lancer  dedens  le  feu  qui  est  esprins  par  ton  péché. 
Mais  à  fin  que  ta  chaleur  inextinguible  ne  defFaille  à  hom- 
me, tu  vses  maintenant  de  sanglantes  blandices  et  de  fla- 
teries  abominables,  enuers  ton  fol  mary  Menelaus,  tout 
rassoté  et  tout  abesty,  lequel  tu  soulois  vitupérer  et  mo- 
quer. Et  maintenant  il  accolle  et  embrasse  couuoiteusement 
ton  corps  tout  corrompu  par  amour  vénérienne  et  estran- 
ger.  (1)  Et  baise  ta  bouche,  encores  sentant  Ihalaine  de  tes 
adultères,  sans  oser  faire  aucune  mention  reprochable  de 
tes  vilains  forfaits  :  ainçois  te  recueille,  comme  tout  aise  et 
tout  familleux  (2)  de  ta  vaine  beauté  après  si  longue  absen- 
ce :  là  où  au  contraire  il  deuroit  luy  mesmes  sacrifier  aux 
Dieux  infernaux  ton  ame  laide  et  impudique,  toute  pollue 
dinfameté,  et  lenuoyer  de  sa  propre  main  auec  les  ombres 
damnées.  Et  à  ce  propos  Eneas  Troyen  parlant  à  Dido  de 
Carthage,  au  second  liure  des  Eneïdes,  et  recitant  la  ruïne 
de  Troye,  se  vante,  que  pendant  la  force  du  feu  nocturne, 
il  trouua  Heleine  toute  seule  mussee  au  temple  de  Vesta. 
Et  luy  esmu  de  grand  maltalent,  eut  voulenté  de  la  tuer, 
pour  estre  vindicateur  de  tant  de  maux  qui  par  elles  estoient 
aduenuz.  Mais  la  Déesse  Venus  mère  dudit  Eneas,  sapparut 
à  luy  visiblement,  et  luy  defifendit  de  commettre  vne  si 
grande  lascheté.  Et  certes  elle  nestoit  point  assez  bonne, 
de  mourir  de  la  main  dun  homme,  ainçois  estoit  reseruee  à 
plus  vile  mort,  comme  sera  dit  cy  après. 

(1)  estrmgiere  (éd.  1528). 

(2)  ç.-à-d.  affamé. 


81NCVLARITEZ   DE   TROTE.   LITU  II.  221 


CHAPITRE  XXni. 

De  la  mort  mûerable  du  Roj  Priam  :  et  seruitade  de  la  Rojn«  H«- 
caba,  Cassandra  et  Ândromacha.  Comme  Aiax  Telamoniua  fut  dopi* 
Dion  qaoD  feiet  mourir  Haleine,  maii  elle  fut  rendue  k  Menelaas. 
De  la  mort  do  PolTxene  et  de  sa  mère  Hecuba.  Dea  gestes  d« 
Menelaas  et  de  ladite  Heleine»  après  leur  partement  de  Troye.  De 
la  nouuelle  Troye  fondée  sur  le  fleuue  du  Nil.  Répétition  de  Tlepo- 
lemus  Roj  de  Rhodes  :  et  des  opinions  de  la  mort  dicelle  Heleine. 


Les  songes  auerez,  les  vaticinations  des  prudens  adue- 
nues,  les  respons  du  Dieu  ApoUo  mis  à  effect,  selon  les 
destinées,  le  noble  Roy  Priam  et  la  Royne  Hecuba  veirent 
leur  grand  cité  de  Troye  ainsi  prinse  et  emflambee,  et  mise 
en  désolation,  par  la  nourriture  quilz  auoient  faite  de  leur 
enfant  Paris,  contre  ladmonition  des  Dieux  dont  ilz  auoient 
trop  tardiue  repentance.  Et  oultreplus,  iceluy  iadis  tres- 
puissant  Roy,  contraint  en  sa  vieillesse  desia  impotente,  de 
fuyr  au  temple  de  lupiter,  cuidant  y  obtenir  franchise  et 
immunité,  mais  en  vain,  veit  premièrement  occire  son  fllz 
Polytes,  entre  ses  bras,  par  le  meurtrier  Pyrrhus  filz  d'A- 
chilles.  Et  consequemment  sentit  loutrageuse  espee  dudit 
Pyrrhus  dedens  ses  entrailles.  Et  vomit  son  sang  et  son  ame 
ensemble,  auec  plusieurs  regretz  et  querimonies.  Et  la  noble 
pucelle  Cassandra  se  veit  abstraire  par  force  et  violence, 
hors  du  temple  de  Minerue,  où  elle  estoit  courue  à  refuge, 
pour  preseruer  sa  virginité.  Et  expérimenta  la  cruauté  des 
Grecz,  que  souuent  elle  auoit  prédit  par  sa  sapience  et 


ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

linhumanité  d'Aiax  Oïleus,  son  tyranniseur  et  violateur 
sacrilège. 

Quand  donques  toute  la  pourprise  (1)  de  Troye  eut  esté 
exposée  et  abandonnée  au  feu  et  à  lespee,  à  pillage  et  à 
dissolution,  ainsi  que  guerre  et  hostilité  ont  de  coustume, 
excepté  les  maisons  des  traytres,  qui  furent  reseruees  auec- 
ques  leurs  biens  et  familles  :  et  que  les  nobles  femmes 
furent  prinses  prisonnières,  la  Royne  Hecuba  iadis  si  haute 
Princesse  se  veit  vefue,  et  tombée  en  la  misérable  seruitude 
de  ses  ennemiz.  Lors  Aiax  Telamonius  qui  veit  Heleine 
entre  les  autres,  comme  met  nostre  acteur  Dictys  de  Crète, 
commanda  prestement  et  fut  dopinion  quelle  fust  occise,  et 
à  bon  droit,  comme  celle  par  qui  tant  de  maux  et  tant  de 
labeurs  estoient  aduenus  aux  Grecz  par  lespace  de  dix  ans. 
Et  comme  il  y  eust  plusieurs  Princes  concordans  à  lopi- 
nion  d'Aiax,  et  que  Heleine  estoit  en  balance  destre  liuree 
à  mort  par  commune  sentence  et  décret,  adonques  le  Roy 
Menelaus  retenant  encores  la  primitiue  amour  de  son  ma- 
riage, se  mit  en  peine  deuers  lesdits  Princes  de  Grèce,  et 
tant  les  pria  lun  après  lautre,  à  layde  d'Vlysses  et  de  son 
éloquence,  quen  la  parfin  il  obtint  quelle  auroit  la  vie  sau- 
ne, et  luy  seroit  rendue  et  restituée  sans  contredit  et  sans 
sort  :  car  toutes  les  autres  dames  et  Princesses  prisonnières 
furent  distribuées  par  sort,  excepté  la  noble  pucelle  Poly- 
xene,  qui  fut  baillée  au  cruel  bourreau  Pyrrhus,  filz  du 
traitre  Achilles,  pour  sacrifier  son  sang  virginal  au  tom- 
beau de  son  père.  Cassandra  vint  es  mains  du  Roy  Aga- 
memnon  :  Ethra  et  Clymena,  demoiselles  d'Heleine,  furent 
baillées  à  Demophoon,  filz  de  Theseus,  et  à  vn  autre  Prince 
noji^é  Achamas.  Andromacha,  iadis  femme  d'Hector,  par 

^XU.^c.ràrCl,  .l'enoeinte. 


8INGVLABITEZ   DE  TROTE.    UYBl;  U.  223 

sort  tomba  en  la  puissance  de  Pyrrhus  :  et  lancienne 
Rojne  Hecuba  deuint  serue  et  esclaue  à  Vlysses.  Mais  son 
grand  courage  ne  peut  gueres  durer  en  telle  seruitude, 
ainçois  donna  tant  doccasion  aux  Grecz  dabreger  ses  iours 
et  tant  les  oultragea  et  maudit,  quilz  la  lapidèrent  et  ense- 
uelirent  auprès  de  la  ville  d'Abydos.  Ainsi  rentrèrent  les-* 
dits  Princes  en  mer,  pour  tirer  chacun  en  sa  contrée,  com- 
bien que  auant  leur  partement  aduint  (1)  plusieurs  choses, 
si  comme  le  débat  à  cause  du  Palladium,  ou  à  cause  des 
armes  d'Achilles,  dont  sensuiuit  la  mort  d'Aiax  Telamo- 
nius  :  et  autres  choses  dont  ie  me  déporte  :  car  ce  nest 
pas  mon  propos  principal,  et  aussi  elles  sont  assez  com- 
munes, loiht  à  ce,  que  ma  narration  déterminée  ne  sar- 
reste  singulièrement  fors  sijr  Heleine. 

Or  treuue  ie  peu  dacteurs  qui  ayent  escrit  des  gestes  et 
auentures  de  ladite  Heleine  et  de  son  mary  Mençlaus, 
après  les  faits  de  Troye.  Et  ce  peu  qui  en  est  escrit,  si  nây 
ie  encores  veu  nul  historien  qui  les  ayt  rédigez  en  langue 
Gallicane.  Si  messaieray  de  recueillir  icy  ce  que  ien  ay 
peu  amasser.  Premièrement  messire  Bocace  en  son  xi.  et 
XII.  liure  de  la  Généalogie  des  Dieux  :  allegant  pour  son 
acteur  Eusebius  au  liure  des  Temps,  met  que  après  la  des- 
truction de  Troye,  Menelaus  se  meit  en  mer  auec  ses  gens 
et  sa  femme  Heleine,  pour  tirer  à  son  Royaume  de  Lace- 
demone.  Mais  la  mer  se  leua  haute,  et  les  vents  et  la  tem-  ' 
peste  les  transportèrent  en  Egypte  :  là  où  regnoit  pour  lors 
vn  Roy  nommé  Tuoris,  (2)  autrement  dit  Polybius,  selon 
Homère  :  lequel  receut  ledit  Menelaus  et  sa  femme  en  son 
hostel,  et  leur  feit  bonne  chère.  Et  illec  perdit  Menelaus  le 

(1)  o.-à-d.  il  advint. 

(2)  Turris  (mscr.  de  Genève). 


224  ILLVSTRATIONS  DE   GATLE,   ET 

gouuerneur  de  son  nauire,  nommé  Canopius  :  lequel  mou- 
rut au  riuage  par  la  morsure  dun  serpent,  et  fut  enseuely 
auprès  de  lane  des  boucques  ou  entrées  du  fleuue  Nilus, 
laquelle  entrée  depuis  à  ceste  cause  fut  appellee  Canopique. 
Et  illec  se  conseilla  ledit  Menelaus  de  tous  ses  affaires  à 
Protens  le  sage  deuin.  Diodorus  Siculus  au  premier  liure 
des  Gestes  antiques,  met  que  certain  nombre  de  Troyens 
lesquelz  Menelaus  auoit  emmené  prisonniers  auec  luy  , 
quand  ilz  furent  sur  ledit  fleuue  du  Nil  en  Egypte,  se  bou- 
dèrent ensemble  :  et  en  prenant  cœur  bataillèrent  aucune- 
ment contre  luy,  tant  quilz  le  contraingnirent  finablement 
à  leur  bailler  liberté  de  construire  vne  cité  sur  ledit  fleuue, 
ce  quilz  feirent,  et  lappellerent  la  nouuelle  Troye.  Et  puis 
Menelaus  en  prenant  congé  dudit  Roy  d'Egypte,  radressa 
son  chemin  pour  retourner  en  son  Royaume  de  Lacede- 
mone  :  mais  auant  il  print  terre  en  lisle  de  Crète,  quon 
dit  maintenant  Candie  :  et  illec  visita  son  cousin  Idome- 
neus  Roy  de  ladite  isle,  comme  met  nostre  acteur  Dictys. 
Et  quand  les  habitans  de  ladite  isle  sceurent  la  venue  de 
dame  Heleine,  ilz  vindrent  de  toutes  pars  par  grans  trou- 
peaux et  compaignies  pour  voir  ladite  Heleine,  et  congnoi- 
tre  celle  qui  tant  auoit  fait  parler  délie  :  et  par  laquelle 
presques  tout  le  monde  auoit  esté  en  émotion  de  guerre. 

Au  partir  de  lisle  de  Crète,  qui  estoit  le  huitième  an  de 
la  destruction  de  Troye,  tant  auoient  ilz  erré  par  mer, 
comme  met  Bocace  au  xii.  liure,  iceluy  Menelaus  et  sa 
femme  Heleine,  nauiguerent  iusques  en  leur  païs  de  Pélo- 
ponnèse, quon  dit  maintenant  la  Moree  :  et  abordèrent  pre- 
mièrement en  la  cité  de  Mycenes  selon  la  narration  de  nos- 
tre acteur  Dictys  de  Crète  en  son  dernier  liure.  En  laquelle 
cité  de  Mycenes,  estoit  leur  neueu  Orestes  filz  iadis  du  Roy 
Agamemnon.  Or  auoit  nagueres  iceluy  Orestes  tué  sa  mère 


sniGVLAIlITEZ   DB  TROTB.    UTKB  II.  W 

Glytemnestre,  et  son  ribaud  Egisthus,  ù  cause  que  eux  tous 
deux  conspirans  ensemble,  auoient  meurtry  son  père  Âga- 
memnon  après  son  retour  de  Troye.  Et  à  ceste  cause  Me- 
nelaus  indigné  de  la  mort  de  ladite  Glytemnestre,  sœur 
germaine  de  sa  femme  Heleine,  tascha  et  meit  peine  de 
faire  dommage  et  desplaisir  à  son  neueu  Orestes  :  mais  il 
en  fut  destourbé  par  le  populaire.  Toutesfois  il  procura 
que  ledit  Orestes  fust  adiourné  personnellement  en  la  cité 
d'Athènes  par  douant  le  grand  conseil  des  Prostrés  et  Phi- 
losophes nommez  Areopagites,  lesquelz  estoient  iuges  sou- 
uerains  et  comme  les  seigneurs  de  parlement  de  toute 
Grèce,  ainsi  que  les  Druydes  souloient  estre  en  Gaule, 
comme  tesmoigne  Iulius  César  en  ses  Commentaires.  Si  fut 
force  à  Orestes  dy  aller  pour  respondre  du  cas  par  luy  per- 
pétré touchant  la  mort  criminelle  de  sa  mère  Glytemnestre. 
Mais  après  la  cause  bien  ventilée,  il  fut  declairé  quitte, 
deliure  et  absoulz  de  ladite  mort  de  sa  mère  par  arrest  et 
iugement  final  desdits  seigneurs  Areopagites.  Et  dabon- 
dant  fut  réintégré  et  restably  en  la  possession  pacifique  du 
Royaume  de  Mycenes,  comme  vray  héritier  de  son  feu  père 
le  Roy  Agamemnon.  De  la  secte  desdits  Areopagites  Phi- 
losophes de  grande  estime,  fut  depuis  S.  Denys  Apostre  de 
France  quand  il  fut  conuerty  par  S.  Paul  en  ladite  cité 
d'Athènes.  Or  donc  endementiers  que  ce  iugement  se  fai- 
soit,  Menelaus  et  sa  femme  Heleine  retournèrent  en  leur 
Royaume  de  Sparte  ou  Lacedemone ,  auquel  ilz  furent 
receuz  de  leurs  subietz  paisiblement. 

Orestes  Roy  de  Mycenes  fut  fort  courroucé  et  malenta- 
lenté  contre  son  oncle  le  Roy  Menelaus  à  cause  du  dom- 
mage quil  luy  auoit  pourchassé  et  du  destourbier  quil  luy 
auoit  prétendu  faire.  Toutesuoyes  au  moyen  du  Roy  Ido- 
meneus  de  Crète,  son  parent^  lappointement  fut  fait  entre 
II.  48 


226  ILLVSTRATIOMS  DE   GAVLE,   ET 

ledit  Orestes  et  Menelaus.  Si  sen  alla  Orestes  à  Lacedemone 
vers  son  oncle  Menelaus  :  lequel  le  festoya  et  luy  bailla  en 
mariage  sa  fille  Hermione,  comme  met  Dictys  de  Crète  : 
mais  selon  lopinion  des  autres,  il  ne  feit  que  confermer 
ledit  mariage.  Car  comme  nous  auons  desia  dit  au  commen- 
cement de  ce  liure,  le  Roy  Menelaus  au  parauant  ;  cesta- 
sauoir  pendant  le  siège  de  Troye,  auoit  promis  sadite  fille 
Hermione  à  Pyrrhus,  filz  d'Achilles.  Et  dautre  costé,  le 
Roy  Tyndarus,  père  d'Heleine  et  ayeul  dicelle  Hermione, 
lauoit  desia  fiancée  audit  Orestes,  ignorant  de  la  promesse 
faite  à  Pyrrhus  par  Menelaus,  comme  met  Antoine  Volsc  au 
commencement  des  epistres  d'Ouide.  Si  aduint,  que  Pyrrhus 
après  son  retour  de  Troye,  souz  tiltre  et  couleur  de  la  pro- 
messe que  luy  auoit  fait  Menelaus,  voulut  auoir  ladite  Her- 
mione. Et  de  fait,  la  tollut  et  rauit  par  force  et  hauteur  (1) 
à  son  espoux  Orestes  :  et  lemmena  en  son  païs.  Mais  de- 
puis iceluy  Orestes  laboura  tant,  quil  trouua  subtilement 
manière  de  faire  tuer  ledit  Pyrrhus,  son  aduersaire  et  com- 
pétiteur, au  temple  d'Apollo  en  Delphos.  Et  par  ainsi  re- 
couura  sans  nul  contredit  sa  femme  Hermione  :  et  peult 
estre  que  Menelaus  loua  et  ratifia  le  mariage  audit  Orestes, 
selon  lopinion  de  Dictys  dessus  mentionnée.  Et  des  faits 
dudit  Pyrrhus,  et  comment  il  emmena  en  son  païs  Andro- 
macha,  vefue  d'Hector,  et  depuis  la  donna  en  mariage  à 
Helenus,  filz  de  Priam,  nous  en  parlerons  plus  à  plein  au 
dernier  liure. 

Hermione  fille  d'Heleine,  combien  quelle  fust  douée  de 
grand  beauté,  ne  fut  point  si  lubrique,  ne  si  inconstante 
que  sa  mère.  Car  combien  quelle  fust  rauie  malgré  elle 

(1)  c.-à-d.  arrogance.  (Cf.  aîtitudo  du  Ducange  =  haussage,  haul- 
tainneté.) 


SINGYLARITEZ    DB   TROTE.    LIVRE    II.  227 

par  Pyrrhus,  à  qui  son  propre  père  lauoit  fiancée  en  son 
absence,  neantmoins  elle  adhéra  tousiours  en  courage,  (1)  à 
son  premier  espoux  et  cousin  Orestes.  Et  quand  elle  fut 
retournée  auec  luy,  ne  labandonna  onques  en  nulles  de  ses 
aduersitez  :  mais  luy  tint  bonne  et  loyale  compaignie.  E  t 
eut  de  luy  vn  filz,  aussi  nommé  Orestes,  qui  succéda  à  so  n 
père,  et  fut  vaillant  homme  et  grand  conquereur.  laques 
de  Bergome,  en  son  troisième  Hure  du  Supplément  des 
chroniques,  allegant  son  acteur  Isocrates,  recite  que  quand 
Heleine  commença  à  deuenir  vieille  et  ridée,  et  elle  se 
regardoit  en  vn  miroir,  elle  se  prenoit  à  rire  tant  quelle 
pouuoit,  en  se  moquant  de  la  folie  de  ceux  qui  par  si  grand 
ardeur  et  obstination  auoient  poursuiuy  vne  si  aspre  guerre 
pour  vne  chose  si  caduque  et  de  si  petite  durée.  Et  vraye- 
ment  elle  auoit  raison  de  sen  truffer.  (2)  Et  autre  chose  ne 
treuue  ie  de  ses  faits  auant  sa  mort.  Et  touchant  la  mort 
délie,  ie  nay  peu  trouuer  que  deux  acteurs  qui  en  parlent. 
Dont  lun  est  Dion,  duquel  nous  auons  parlé  au  prologue 
de  ce  second  liure.  Lequel  met  que  icelle  Heleine  fut  tuée 
traîtreusement  dedens  Troye,  par  son  neueu  Orestes,  filz 
du  Roy  Agamemnon.  Et  vn  autre  dit,  quelle  mourut  en 
lisle  de  Rhodes.  Mais  pour  mieux  clarifier  Ihistoire,  il  est 
nécessité  de  reciter  preallablement  la  narration  de  Tlepo- 
lemus,  Roy  de  Rhodes,  à  cause  duquel  elle  mourut. 

Tlepolemus  (3)  donques,  comme  met  Bocace  au  xiii.  liure 
de  la  Généalogie,  fut  filz  d'Hercules,  et  de  la  Nymphe  As- 
tyoche,  descendue  de  la  lignée  de  Mars,  laquelle  il  auoit 
rauie  en  vne  cité  de  Laconique,  nommée  Epire,  qui  est  en 


(1)  e.-à'd.  en  son  cosur. 

(2)  truffier  (mscr.  de  Genève). 

(3)  Tlepolenius  (ëd.  1516). 


228  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

la  contrée  de  Péloponnèse,  quon  dit  maintenant  la  Moree, 
dont  estoit  Heleine.  Celuy  Tlepolemus  filz  d'Hercules  auoit 
vn  ancien  oncle,  frère  de  sa  mère  nommé  Licemmon,  le- 
quel il  tua  ou  de  coup  de  mesauenture,  ou  peult  estre  à  son 
essient.  Parquoy  il  fallut  quil  abandonnast  ledit  païs,  quon 
dit  maintenant  la  Moree.  Si  feit  faire  des  nauires,  et  passa 
en  lisle  de  Rhodes,  auecques  grand  nombre  de  gens,  et 
auec  sa  femme  nommée  Polypo,  laquelle  auoit  en  sa  ieu- 
nesse  esté  compaigne  et  familière  de  la  belle  Heleine,  pource 
que  les  seigneuries  de  leurs  parens  estoient  voisines.  Aussi 
habitèrent  ledit  Tlepolemus  et  sa  femme  Polypo  en  la  noble 
isle  de  Rhodes,  en  y  acquérant  la  domination  et  tiltre  de 
Royaume.  Et  quand  ce  vint  que  le  bruit  de  la  guerre 
Troyenne  sesleua  parmy  Grèce  et  les  isles  marines,  pour  le 
rauissement  d'Heleine,  ledit  Tlepolemus,  Roy  de  Rhodes,  y 
alla  auec  les  autres  Princes,  ses  aflfins  et  prochains.  Et 
mesmement  auec  Phidippus  et  Antiphus,  ses  neueux,  des- 
cenduz  de  la  lignée  d'Hercules,  comme  sera  dit  au  troi- 
sième liure.  Et  y  mena  neuf  nauires,  comme  met  Homère 
au  deuxième  de  l'Iliade  :  mais  finablement  il  y  fut  occis 
par  les  mains  de  Sarpedon,  Roy  de  Lycie.  Dont  sa  femme 
la  Royne  Polypo  (1)  mena  grand  dueil  :  car  il  estoit  fort 
beau,  comme  met  Ouide  au  xii.  de  sa  Métamorphose,  en 
parlant  dudit  Tlepolemus,  et  disant  ainsi  : 

Herculis,  ôRhodi»  ductor  pulcherrime  classia. 

Par  lequel  vers,  comme  met  le  commentateur,  on  peult 
coniecturer  quil  estoit  tresbeau  ettresgrand. 

Pour  reuenir  donques  à  nostre  propos,  Antoine  Volsc, 
commentateur  des  epistres   d'Ouide,  allegant  vn  acteur 

(I)  Poliwo  (toscr.  de  Genève). 


SINGVLARITEZ  DB  THOYl.    UVRE   U. 

Grec,  met  sur  lepistre  d'Hermione  à  Orestes,  que  après  la 
mort  du  Roy  Menelaus,  qui  fut  naturelle  comme  ie  imagine, 
deux  des  citoyens  de  Sparte  ou  Lacedemone,  dont  lun  auoit 
nom  Nicostratus  et  lautre  Megapenthus,  ietterent  la  Royne 
Heleine  hors  de  la  cité  et  de  tout  le  Royaume  de  Lacede- 
mone, sans  luy  assigner,  ne  lieu  pour  habiter,  ne  douaire 
pour  viure.  La  cause  pourquoy  ilz  lexillerent  en  cest  estât, 
iceluy  acteur  ne  la  met  point  :  mais  il  est  à  présupposer, 
que  ce  fut  pource  quelle  estoit  haye  de  tout  le  monde,  à 
cause  des  grans  maux  qui  auoient  esté  perpétrez  poor 
lamour  délie.  Quand  donques  elle  se  veit  ainsi  expulsée  du 
Royaume  de  son  feu  mary,  elle  ne  sceut  à  qui  se  retirer, 
comme  celle  qui  estoit  vefue,  vieille  et  odieuse  à  vn  chacun, 
et  qui  nauoit  plus  nulz  parens  en  vie.  Si  saduisa  de  sen 
aller  à  Rhodes,  vers  son  ancienne  compaigne  et  amie  la 
Royne  Polypo,  qui  aussi  estoit  vefue  de  son  mary  le  Roy 
Tlepolemus,  comme  dessus  est  dit  :  et  de  fait  y  alla.  Et 
quand  elle  fut  en  Rhodes,  ladite  Royne  Polypo  luy  feit 
assez  bon  recueil  de  prime  face  :  et  seiourna  Heleine 
aucune  espace  leans  faisant  bonne  chère.  Or  les  damoiselles 
et  femmes  de  chambre  de  ladite  Royne  Polypo  hayoient 
mortellement  Heleine,  pource  que  leur  seigneur  le  Roy 
Tlepolemus  auoit  prins  mort  à  cause  délie.  Si  conspirèrent 
vn  iour  parensemble  de  la  faire  mourir,  et  de  fait  la  me- 
nèrent à  vn  beau  verger  par  manière  desbatement  :  mais 
quand  elle  y  fut,  elles  luy  mirent  vue  corde  au  col,  et  la 
pendirent  et  estranglerent  à  vn  arbre. 


230  ILLVSTHATIONS  DE  GAVLE,   ET 


CHAPITRE  XXIIII. 


Comment  Heleine  après  sa  mort  fut  réputée  Déesse  de  beauté  par  la 
folle  erreur  des  Payena  idolâtres.  Et  des  temples  qui  furent  esle- 
uez  à  Ihonnear  délie  :  auec  l'e  citation  daucuns  fabuleux  miracles 
faita  par  elle  et  ses  frères  Castor  et  Pollux,  qui  sont  par  les 
Poëtes  mis  au  cercle  du  zodiaque  faisans  le  signe  de  Gemini  :  et 
autres  choses. 


Ainsi  fina  misérablement  ses  vieux  iours  Heleine  limpu- 
dique,  pour  laquelle  tant  de  hauts  hommes  et  nobles  auoient 
esté  deflaits.  Et  de  tant  fut  elle  plus  malheureuse,  quelle 
ne  fut  plainte  ne  plouree  de  personne.  Et  à  peine  scây  ie 
si  elle  fut  digne  dauoir  sépulture  :  si  me  semble  quun  si 
vilain  defînement  luy  estoit  deu  et  à  bon  droit  :  et  ne  fust 
ce  que  pour  la  grand  trahison  et  inhumanité  dont  elle  vsa 
enuers  Deïphobus.  Mais  après  la  mort  dicelle,  laage  aueu- 
glee  et  erronée  du  temps  dadonques,  qui  estoit  prodigue  de 
forger  nouueaux  Dieux  et  Déesses  par  idolâtrie,  meit  et 
rengea  ladite  Heleine  au  nombre  et  catalogue  des  Déesses 
immortelles  :  car  autrement  il  eust  semblé  quon  luy  eust 
fait  tort  et  iniure.  Attendu  que  desia  ses  deux  frères  Cas- 
tor et  Pollux  estoient  stellifiez  et  translatez  au  ciel,  faisans 
le  signe  de  Gemini,  cestadire  les  iumeaux  qui  régnent  au 
mois  de  May.  Et  aussi  considerans  quelle  nés  toit  pas  de 
moindre  condition  que  sa  voisine  lo,  fille  d'Inachus,  Roy 
d'Arges,  iadis  rauie  par  lupiter,  et  transformée  en  vache  : 


SUfGTLARITEZ  DE  TROTB.    UVBE  II.  231 

laquelle  estoit  adorée  en  Egypte  souz  le  nom  d'Isis.  Ne 
aussi  que  Ëuropa,  fille  du  Roy  Agenor  de  Sidone,  iadis  rauie 
par  lupiter,  laquelle  estoit  déifiée  en  Crète,  comme  met 
Dictys  au  commencement  de  son  liure.  Et  pareillement 
aduisoient  les  hommes  prudents  et  discretz  dudit  temps 
passé,  que  Heleine  meritoit  aussi  bien  destre  faite  DeesM 
comme  Iphigenia,  sa  cousine  germaine,  fille  du  Roy  Aga- 
memnon  et  de  sa  sœur  Clytemnestre  :  laquelle  Iphigenia 
estoit  desia  déifiée  au  pais  d'Achaie,  et  luy  sacrifioit  on  dun 
cruel  sacrifice  :  cestasauoir  dhosties  humaines,  comme  met 
Hérodote  en  son  quatrième  liure.  Pareillement  nestoit 
point  Heleine  de  pire  estime  que  Medee  la  forte  enchan- 
teresse, iadis  fille  du  Roy  Eeta,  de  Colchos,  et  femme  de 
lason.  Laquelle  Medee  fut  aussi  après  sa  mort  réputée 
haute  Déesse,  selon  que  tesmoigne  Bocace  au  quatrième 
liure  de  la  Généalogie  des  Dieux.  Pour  lesquelles  considé- 
rations et  causes  peremptoires,  le  peuple  dadonques  fort 
superstitieux  et  enclin  à  idolâtrie,  édifia  par  grand  deuotion 
ou  plustost  damnation,  à  ladite  Déesse  Heleine,  vn  temple 
somptueux  au  territoire  de  Therapne  dont  elle  estoit  natiue. 
Et,  comme  iecroy,  fut  appellee  Déesse  de  beauté.  Et  feit 
aucuns  miracles  fabuleux  dont  ien  reciteray  icy  vn,  car  il 
est  bien  digne  de  mémoire. 

Le  Prince  des  historiens  (1)  Hérodote  au  sixième  liure 
de  son  histoire,  recite  que  Ariston,  iadis  Roy  de  Sparte  ou 
Lacedemone,  eut  trois  femmes  lune  après  lautre,  dont  la 
dernière  fut  remplie  de  souueraine  beauté  par  accident 
miraculeux  ainsi  que  vous  orrez,  car  en  son  enfance  elle 
auoit  esté  la  plus  laide  créature  du  monde  :  mais  elle  fut 
faite  belle  par  les  mérites  et  vertuz  de  la  Déesse  Heleine, 

(1)  des  histoires  (mscr.  de  Genève). 


i23S  ILLVSTRATIOMS   DE   GATLE,    ET 

en  ceste  manière  :  cestasauoir,  comme  ladite  dernière 
femme  du  Roy  Ariston  fust  ainsi  laide  et  difforme  en  son 
enfance,  et  il  tournast  à  grand  "desplaisir  des  parents  délie, 
lesquelz  estoient  riches  gens  et  puissans,  ilz  auoient  si 
grand  dueil  de  ladite  difformité,  quilz  deffendirent  expres- 
sément à  sa  mère  nourrisse  quelle  ne  la  monstrast  à  per- 
sonne viuant,  comme  ceux  qui  mieux  leussent  aymee  morte 
que  viue.  Laquelle  chose  voyant  ladite  mère  nourrisse, 
elle  se  pourpensa  de  telle  chose.  Tous  les  matins  elle  la 
portoit  au  temple  de  la  Déesse  Heleine  qui  estoit  au  lieu 
appelle  Therapne,  en  la  prouince  de  Laconique  assez  près 
du  temple  de  Phebus.  Et  presentoit  ladite  fille  deuant 
lidole  ou  simulacre  de  ladite  Déesse,  en  faisant  son  oraison 
bien  deuotement  à  icelle,  et  priant,  qui  luy  pleust  deliurer 
la  fille  quelle  nourrissoit,  de  sa  grand  laideur.  Si  aduint 
après  quelle  eust  long  temps  continué  ladite  prière  et  orai- 
son, vn  iour  quelle  partoit  dudit  temple  sapparut  à  elle  la 
Déesse  Heleine  en  forme  dune  femme,  et  luy  demanda  que 
cestoit  quelle  portoit  entre  ses  bras.  Et  comme  ladite  nour- 
risse eust  respondu  que  cestoit  vne  fille  :  la  Déesse  luy 
commanda  de  la  luy  monstrer,  mais  la  nourrisse  refusa  de 
ce  faire,  disant  que  les  parens  de  lenfant  le  luy  auoient 
deffendu  :  toutesuoyes  la  Déesse  Heleine  luy  feit  comman- 
dement derechef,  quelle  luy  fust  monstree,  et  que  lenfant 
en  vaudroit  beaucoup  de  mieux,  si  elle  lauoit  veu.  Ainsi 
fut  contente  la  mère  nourrisse  de  la  descouurir.  Et  la 
Déesse  Heleine  la  print,  et  luy  applania  le  chef  aucune 
espace,  puis  la  rendit  à  la  nourrisse,  disant  que  ceste  fille 
deuiendroit  la  plus  belle  fille  de  Lacedemone.  Et  sur  ce 
poinct  se  disparut.  Et  aduint  depuis  ainsi,  car  elle  fut  si 
tresbelle,  que  ledit  Roy  Ariston  de  Lacedemone  trouua 
manière  subtilement  de  loster  à  vn  autre  Prince  de  Lace- 


SINGVLARITEZ  DE  TROTB.   LIVRl  II.  233 

demone,  à  qui  elle  estoit  desia  mariée,  et  lespoQsa  pour  sa 
grand  beauté,  et  eust  délie  vn  ûh  nommé  Demaratbus  qui 
depuis  fut  Roy  de  Lacedemone.  Ledit  acteur  Hérodote, 
aussi  en  son  second  liure,  met  quen  Egypte  il  y  auoit  vn 
temple  dédié  à  Heleine,  souz  le  tiltre  de  Venus  estrangere  : 
car  aucuns  estiment,  que  après  le  rauissement  d'Heleine, 
Paris  et  elle  furent  transportez  celle  part. 

Encores  feirent  vn  autre  miracle  euident  pour  lamour  de 
leur  sœur  la  Déesse  Heleine  Castor  et  Pollux,  ses  frères 
translatez  au  ciel  par  la  fabulosité  des  poètes,  et  faisans 
vn  signe  du  Zodiaque  appelle  Gemini.  Lequel  miracle  ou 
plustost  fable  ie  narreray  souz  brieueté.  Il  fut  iadis  vn 
poète  Lyrique,  nommé  Stesichorus,  natif  de  lisle  de  Lesbos 
quon  dit  maintenant  Methelin,  duquel  raconte  Pline  en  son 
histoire  Naturelle,  que  luy  estant  enfant  au  berseau,  vn 
rossignol  vint  chanter  sur  sa  bouche,  en  signifîance  quil 
seroit  vne  fois  tresdoux  et  tressingulier  poète.  Iceluy  Ste- 
sichorus donques  entre  autres  choses  quil  feit,  composa 
vn  dittier,  plein  diniures,  contumelie  et  diffamation  encon- 
tre Heleine,  pource  quelle  auoit  causé  par  son  adultère  la 
destruction  de  Troye.  De  ce  libelle  diffamatoire  furent  fort 
indignez  les  Demydieux  Castor  et  Pollux,  estans  au  cercle 
du  Zodiaque.  Et  de  fait,  pour  venger  liniure  faite  à  leur 
sœur,  par  leur  puissance  deïfique  tollurent  la  veiie  audit 
poète  Stesichorus,  tellement  que  le  poure  homme  ny  veit  plus 
goutte,  dont  il  fut  fort  estonné  et  scandalisé.  (1)  Toutes- 
fois  à  chef  de  pièce,  il  luy  vint  vne  aduision  en  son  dor- 
mant, qui  fut  telle  :  cestasauoir,  quon  ladmonnestoit  de 
ditter  vne  palinodie  :  cestadire  faire  vn  chant  contraire 
à  celuy  de  parauant,  et  se  desdire  de  ce  quil  auoit  dit  con- 

(I)  e.>-à*d.  troublé  et  déshonoré. 


254  ILLVSTRATIONS  DE  GA.VLE,   ET 

tre  Ihonneur  d'Heleine.  Adonc  le  poëte  ioyeux,  quand  il 
sceut  quil  ne  tenoit  que  à  cela,  commença  à  composer  vn 
beau  lay  à  la  louenge  de  la  Déesse  Heleine  :  et  insera 
toutes  vertuz  et  belles  choses  dont  il  se  sceut  aduiser,  en 
requérant  mercy  à  dame  Heleine,  Déesse  de  beauté.  Et 
chanta  ledit  lay  mélodieusement  sur  sa  harpe,  parquoy  il 
recouura  prestement  lusage  de  ses  yeux.  Ces  choses  sont 
prises  au  troisième  liure  de  lart  d'Aymer,  auquel  le  noble 
poëte  Ouide  dit  ainsi  : 

Probra  Terapnese  qui  dixerat  antè  marit», 
Mox  cecinit  laudes  prosperiore  lyra. 

Et  Horace  aussi  en  ses  Odes  dit  en  ceste  manière  : 

Infamis  Helense  Castor  offeusus  vice 
Fraterque  magni  Castoris,  victi  prece 
Âdempta  vati  reddidere  lamina. 

Marsille  Ficin,  en  ses  epistres,  met  que  le  Prince  des 
poètes  Homère,  pour  auoir  trop  vitupéré  la  belle  Heleine, 
fut  tousiours  depuis  aueugle,  ne  iamais  ne  recouura  sa 
veiie,  pource  que  onques  ne  se  voulut  repentir  ne  recon- 
gnoitre  quil  auoit  mal  fait.  Mais  vn  grand  orateur  de  Grèce, 
nommé  Isocrates,  ne  feit  pas  ainsi,  sachant  que  cest  trop 
dangereuse  chose  de  mesdire  des  dames,  ainçois  escriuit 
plusieurs  louenges  de  ladite  Heleine. 

Si  la  deïté  de  la  Déesse  Heleine  auoit  aussi  grand  vertu 
maintenant  comme  au  temps  passé,  ie  deuroye  auoir  belle 
peur  dauoir  encouru  son  ire  et  indignation,  attendu  que 
iay  tant  publié  ses  vices  et  diuulgué  ses  vitupères.  Pline 
au  deuxième  liure  de  Ihistoire  Naturelle,  met  que  ces 
flambôttes  de  feu,  quon  voit  aucunesfois  par  les  voiles  noc- 


SINGYLARITEZ  DE   TROTB.    LITRE  O.  235 

turnes  au  bout  des  lances  des  gensdarmes,  ou  sur  les  an- 
tennes des  nauires,  et  font  certain  bruit  comme  oyseaux  et 
se  transportent  de  lieu  en  autre,  quand  il  y  en  ha  deux 
ensemble,  elles  sont  salutaires,  et  signifient  bon  heur  et 
nauigage  prospère.  Si  disoit  on  anciennement  que  cestoient 
Castor  et  Pollux,  lesquelz  on  inuoquoit  comme  Dieux  en 
la  mer  :  mais  sil  nen  y  ha  quune  toute  seule,  elle  est  mal- 
heureuse et  de  mauuais  présage.  Si  la  nommoit  on  iadis 
Heleine,  ou  selon  lexpositeur  de  Fulgentius  Placiades, 
Vrania.  En  ce  temps  cy  on  lappelle  vne  Furolle,  (1)  et  dit 
on  quelle  meine  noyer  les  gens.  Et  plus  ne  sauroie  rien  pro- 
duire, faisant  au  propos  en  ce  second  liure,  sinon  que 
comme  met  Higinius  en  son  liure  intitulé  d'Astronomie 
poétique,  lune  des  sept  estoilles,  nommées  Pléiades,  ne  se 
peult  voir  à  plein  depuis  la  destruction  de  Troye.  Car 
ladite  estoille  est  Electra,  fille  du  grand  géant  Atlas  et 
mère  de  Dardanius,  duquel  yssirent  les  Troyens.  Laquelle 
print  si  grand  desplaisance  de  la  ruine  diceux,  que  onques 
puis  ne  voulut  monstrer  sa  claritude  pleniere. 

(1)  e.-à-d.  fumerolle  ou  feu-follet. 


2S0  ILLVSTRÀTIOIfS   DE   GAVLE,   ET 


CHAPITRE  XXV. 

Conclusion  et  confirmation  véritable  de  ce  second  liure,  par  la  con- 
futation  et  explanation  du  liure  de  Dion  de  Pruse,  qui  se  intitule 
de  Troye  non  prinse  :  auecques  ample  probation  comment  Lac- 
teur  ha  auiuy  en  ceste  histoire  les  vrajs  acteurs  autentiques. 

PovTce  que  plusieurs  nobles  hommes,  et  autres  gens 
modernes,  ont  entre  leurs  mains  vn  petit  traité  autresfois 
translaté  de  Grec  en  Latin,  par  François  Philelphe,  et 
diceluy  font  grosse  estime  par  nouuelle  curiosité,  pource 
que  Lacteur  diceluy  veult  donner  à  entendre,  par  vn  tas 
de  diuers  syllogismes,  contre  lopinion  de  tout  le  monde, 
que  Troye  ne  fut  onques  prinse  par  les  Grecz.  A  ceste 
cause  au  préambule  du  prologue  de  ce  second  liure,  iay 
mis  deux  vers  d'Ouide,  certifians  le  contraire.  Et  si  iceux 
ne  suffisent  pour  ramener  ceux  qui  sont  abusez  à  saine 
intelligence,  ie  ramenteuray  icy  encores  vn  demy  mètre  de 
Virgile  qui  le  confermera,  cestasauoir  cestuy  cy  : 

-Rult  alto  à  culmine  Troîa. 

Laquelle  allégation  des  deux  acteurs,  si  tresrenommez 
doit  bien  suffire  encontre  la  seule  assertion,  cestadire  affir- 
mation douteuse,  dun  homme  peu  autorisé.  Et  si  dauenture 
on  refuse  le  tesmoignage  des  poètes,  aumoins  deura  on 
adiouster  foy  à  Diodorus  Siculus,  historien  tresapprouué, 
lequel  ha  recueilli  toutes  les  antiquitez  du  monde.  Et  dit 


SmCULARITEZ  DE  TROTE.    LITU  H.  237 

en  la  fin  de  son  sixième  et  dernier  liure,  ces  propres  mots  : 
Qua  omnia  anie  hélium  Troianum  acta  sunt.  Déserta  (1) 
Troia,  Gares  opibus  aucH,  etc.  Mais  encores  la  pertinacité(2) 
de  ceux  qui  se  fondent  en  ceste  fantasie  estoit  si  obstinée, 
que  nulle  apparence  de  veritë  autorisée  ne  peult  obtenir 
lieu  daudience  enuers  eux.  Toutesnoyes  ânablement  seront 
ilz  contraints  de  se  laisser  vaincre  par  démonstrations  rai- 
sonnables. Pour  laquelle  chose  faire,  il  faut  entendre  que 
celuy  qui  soustient  par  ses  escrits  Troye  non  auoir  esté 
destruite  par  les  Grecz,  estoit  vn  Philosophe  nommé  Dion, 
natif  de  la  cité  de  Pruse,  en  la  prouince  de  Bithynie,  pro- 
chaine de  la  région  de  Troye,  en  Asie  la  mineur,  quon  dit 
maintenant  Natolie  ou  Turquie.  Or  y  ha  il  eu  de  tous 
temps  hayne  mortelle  et  inueteree  entre  ceux  d'Asie  la 
moindre,  et  ceux  de  Grèce,  qui  ne  sont  séparez  lun  de  lau- 
tre,  sinon  par  linterpos  du  destroit  de  la  mer  Hellesponte, 
comme  on  pourroit  dire  France  et  Angleterre.  Et  pource 
que  iceluy  Dion  estoit  Asiatique,  et  quil  luy  sembloit  tour- 
ner à  grand  honte,  à  ceux  de  son  parti,  de  ce  que  leurs 
ancestres  se  laissèrent  ainsi  suppediter  par  la  nation  Gre- 
goise,  à  ceste  occasion  il  sessaya  de  recouurer  leur  honneur, 
en  cuidant  persuader  et  faire  acroire  aux  Iliens,  cestadire 
aux  Troyens,  quil  nen  auoit  rien  esté.  Laquelle  chose 
estoit  bien  aisée  à  faire  ausdits  liions  qui  de  son  temps 
habitoient  le  lieu,  où  fut  iadis  Troye,  autrement  dite  Ilion. 
Dautre  part,  pour  vne  gloire  et  ostentation  de  sa  science 
philosophale,  il  sefforça  de  monstrer  que  le  bon  poëte 
Homère  en  plusieurs  passages  de  son  Iliade,  auoit  contre- 
dit à  soy  mesmes.  Et  pour  ce  faire,  il  ameine  seulement  en 

(1)  Deleta  (mscr.  de  Genève). 

(2)  fartidnacité  {éà.  1516). 


ILLVSTRATIONS  DE   GA.VLE,   ET 

ieu  vn  tas  dargumentations  friuoles  de  peu  de  verisimi- 
litude  et  de  moindre  efficace.  Dont  en  blasmant  et  vitupé- 
rant lexcellence  du  prince  des  poètes  Homère,  comme  feit 
iadis  vn  autre  philosophastre  nommé  Zoïlus,  lequel  tour- 
menté du  mauuais  esprit  denuie,  se  feit  nommer  par  vn  til- 
tre  abominable  Homeromastix,  cestadire  leflayau  d'Homère. 

Et  après  auoir  composé  vn  liure  tout  plein  de  diffamation 
detractoire,  tendant  à  anichiler  la  gloire  du  poète  Homère  : 
ledit  Homeromastix  et  son  liure  furent  par  Ptolomee,  Roy 
d'Egypte,  recueillis  et  traitez  selon  leur  desserte.  Cestasa- 
uoir  comme  vn  iuste  Prince  doit  traiter  mesdisans,  flateurs 
et  détracteurs.  Comme  ces  choses  escrit  Nicolas  Perot, 
euesque  de  Siponte  en  sa  Cornucopie. 

Mais  encores  souffrons  vn  petit  que  la  poésie  d'Homère 
Boit  forcluse  daudience ,  et  pour  impugner  la  dicacité, 
cestadire  ienglerie  de  nostre  aduersaire,  par  vn  moyen 
extrauagant  :  faisons  semblant  de  nous  ioindre  auec  le 
père  des  historiens  Herodotus  Halicarnasseus  :  lequel  trop 
plus  antique  que  Dion,  met  au  deuxième  liure  de  son  his- 
toire, que  après  le  rauissement  d'Heleine,  Paris  ayant  vent 
contraire,  erra  par  la  marine,  et  alla  aborder  à  lune  des 
bouques  du  fleuue  appelle  de  Nil,  en  Egypte,  qui  est  main- 
tenant en  la  possession  du  Souldan.  Et  pour  lors  regnoit 
en  Egypte  vn  sage  et  iuste  Roy  nommé  Proteus,  lequel 
congnoissant  et  sachant  la  rapine  et  violence  perpétrée  par 
la  folie  de  Paris  Alexandre,  filz  du  Roy  Priam,  commanda 
de  donner  larrest  à  la  belle  Heleine,  en  son  païs  d'Egypte, 
et  depuis  la  rendit  à  son  mary  Menelaus.  Parquoy  on  pour- 
roit  coniecturer  que  la  guerre  neust  point  esté  deuant 
Troye,  pour  recouurer  Heleine  :  et  par  conséquent  que 
Troye  nayt  point  esté  prinse  par  les  Grecz.  Et  ce  qui  meult 
le  bon  historien   Hérodote  descrire  ce  que  dessus,  cest 


SWGYLARITEZ  DE  TROTE.   LIVRE  U.  930 

pource  quil  se  dit  auoir  esté  amplement  informé  par  les 
Prestres  et  Philosophes  d'Egypte  de  toute  Ihistoire  d'He- 
leine.  Or  si  ledit  Dion  se  fust  armé  de  lautorité  dudit  Héro- 
dote, il  eust  beaucoup  fortifié  son  cas,  et  eussions  eu  plus  à 
faire  de  les  confuter  et  conuaincre  tous  deux  ensemble.  Mais 
ainçois  iceluy  Dion  reboute  lautorité  du  prince  des  histo- 
riens Hérodote  comme  de  nulle  apparence.  Mais  quelle 
autre  approbation  plus  clere  et  plus  ample  voulons  nous 
pour  fortifier  nostre  cas,  sinon  de  Stesichorus  poëte  Lyri- 
que :  lequel  auoit  autrefois  esté  de  lopinon  dessusdite  ?  Mais 
finablement  il  fut  contraint  de  se  desdire,  et  de  chanter  vn 
chant  contraire,  lequel  sappelle  Palinodie  en  Grec,  comme 
met  Marsille  Ficin  de  Florence,  en  ses  epistres.  Et  escriuit 
ledit  Stesichorus  en  ceste  manière,  adressant  ses  yers  à 
Heleine  :  Non  veriis  sermo  ille  fuit,  Neque  nauibus  altis 
Existi  fugiens  :  Neque  adisti  pergama  Troia. 

Puis  donques  que  le  philosophe  Dion,  ne  baille  aucune 
faueur  au  propos  dessus  narré  d'Hérodote,  Prince  des  histo- 
riens, faisons  luy  aussi  ce  plaisir,  que  de  refuser  et  reietter 
du  tout  ledit  Hérodote,  mesmement  quant  à  ce  quon  pour- 
roit  inférer  et  conclurre  que  la  cité  de  Troye  nayt  point 
esté  mise  en  ruine  par  les  Grecz,  et  venons  à  reciter  par 
manière  dabreger  toute  la  narration  dudit  philosophe  Dion, 
à  fin  quil  ne  puist  sembler  que  ne  layons  assez  curieusement 
leiie. 

Tout  premièrement  iceluy  Dion,  qui  ne  tend  à  autres  fins, 
fors  demonstrer  les  œuures  du  souuerain  poëte  Homère, 
pleines  de  mensonges  et  ineptitudes,  cestadire  choses  mal 
à  propos  et  de  petite  valeur,  dit  auoir  esté  amplement  cer- 
tifié de  toute  la  vérité  de,  Ihistoire  Troyenne,  par  les  Pres- 
tres du  pais  d'Egypte,  ainsi  comme  ia  est  dit  du  dessus^ 
nommé  Hérodote,  historien  Grec.  Mais  pour  les  deux  pre- 


M9  ILLVSTBATIONS  DE   GÀVLE,   ET 

Biiers  poincts  principaux,  ledit  philosophe  Dion  nye  que 
Heleine  fust  iamais  mariée  au  Roy  Menelaus,  ne  rauie  vio- 
lentement  par  Paris  Alexandre,  filz  du  Roy  Priam  de 
Troye.  Et  dit  iceluy  Dion  comme  il  sensuit  : 

«  Que  comme  plusieurs  grans  seigneurs  de  diuerses  con- 
trées du  monde  esmuz  et  incitez  à  cause  de  la  grand  renom- 
mée de  la  beauté  d'Heleine,  fille  du  Roy  Tyndarus,  se  fus- 
sent tirez  en  la  cité  de  Lacedemone,  pour  icelle  Heleine  de- 
mander solennellement  en  mariage  au  Roy  Tyndarus  son 
père,  Paris,  filz  du  Roy  Priam  de  Troye,  partant  des  mar- 
ches d'Asie  la  moindre  quon  dit  maintenant  Turquie,  se 
trouua  auecques  les  autres  Princes  en  merueilleuse  pompe 
et  somptueux  arroy.  Et  combien  que  le  Roy  Agamemnon, 
lequel  auoit  desia  espousé  Clytemnestre,  sœur  de  la  belle 
Heleine,  cuidast  bien  pratiquer  que  son  frère  Menelaus  eust 
en  mariage  ladite  Heleine,  à  fin  de  mieux  corroborer  et  for- 
tifier son  alliance,  neantmoins  Paris  Alexandre,  filz  du  Roy 
Priam,  fut  préféré  et  tenu  en  plus  grand  estime  que  ledit 
Menelaus  et  tous  autres  compétiteurs.  Et  ce,  à  cause  de  la 
grandeur  et  richesse  de  son  parentage,  et  de  la  présentation 
de  sa  personne.  Si  espousa  Paris  la  belle  Heleine,  légitime- 
ment, par  lautorité  du  Roy  Tyndarus  père  délie,  en  grand 
ioye  et  triomphe,  sans  répugnance  ne  contradiction  quel- 
conque. De  laquelle  chose  après  quelle  fut  faite,  le  Roy 
Menelaus  fort  ialoux  et  desplaisant,  attendu  quil  auoit  esté 
frustré  et  deceu  de  son  espérance,  feit  vne  grand  plainte 
et  querimonie,  tant  au  Roy  Agamemnon  son  frère,  comme 
aux  autres  Princes  de  Grèce  :  en  leur  remonstrant  que 
cestoit  trop  grand  honte  à  eux  tous,  dauoir  souffert  que  la 
fleur  et  lexcellence  du  monde  fut  ainsi  emmenée  arrière 
deux  par  vn  Prince  estranger.  Et  que  à  tousiours  mais, 
cecy  leur  seroit  imputé  à  reproche  et  à  lâcheté  de  courage. 


SINGVLARITBZ   DK  TROYK.    LIVRR  U.  %ki 

Car  il  pourroit  sembler  aux  postérieurs,  que  nul  deutre 
eux  neust  esté  digne,  ne  bon  assez,  dauoir  en  mariage  vne 
si  belle  dame.  Alors,  comme  raconte  iceluy  Dion,  la  noblesse 
Gregoise  emflambee  de  despit  et  indignation,  à  ceste  cause 
délibéra  daller  recouurer  Heleine  par  force  darmes.  Et  fut 
la  guerre  criée  par  tout,  et  Troye  assiégée  long  temps.  £t 
entre  les  autres  choses  qui  sy  feirent,  Achilles  y  fut  tué 
par  les  mains  d'Hector,  et  Paris  occis  par  Philoctetes.  Puis 
ânablement  pource  que  les  deux  parties  sennuyoient  de 
leurs  pertes  quotidiennes,  lappointement  fut  moyenne  par 
Vlysses.  (1)  Et  furent  les  Grecz  condamnez  à  ce  que,  pour  la- 
mende  honnorable  des  torsfaits  (2)  commis  par  eux  contre  les 
Troyens,  sans  ce  quilz  eussent  droit,  ou  iuste  querele,  ilz 
oflfriroient  vn  grand  Cheual  à  la  Déesse  Minerue,  cestadire 
Pallas,  laquelle  chose  faite  ilz  sen  retournèrent  en  leurs 
régions,  sans  ramener  Heleine  :  car  Hector  la  donna  en 
mariage  à  son  frère  Deïphobus.  Et  depuis  ladite  Heleine 
fut  tuée  traytreusement  par  son  propre  neueu  nommé  Ores- 
tes,  filz  du  Roy  Agamemnon. 

Et  dautre  part,  Menelaus  nosa  retourner  en  son  païs, 
mais  sen  alla  en  Egypte,  et  espousa  la  fille  du  Roy  dicelle 
contrée.  Finablement  iceluy  acteur  Dion  met  que  le  Roy 
Priam  trespassa  plein  de  gloire  et  de  félicité  humaine,  et 
le  preux  Hector  succéda  en  son  règne  tresflourissant.  Le- 
quel enuoya  Eneas  et  Antenor  faire  conquestes  en  Italie  : 
et  son  frère  Helenus  en  Grèce,  et  luy  mesmes,  cestasauoir 
Hector,  subiuga  par  armes  vue  grand  partie  d'Asie,  puis 
mourut  en  extrême  vieillesse,  laissant  son  héritage  paisible 
à  son  filz  Scamandrius.  (3)  Et  cest  le  sommaire  du  liure  de 

(1)  Uîiaes  (ëd.  1516). 

(2)  forfaidz  (éd.  1528). 

(3)  Scamndrus  (âd.  1516  et  1528). 

II.  16 


242  ILLTSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

Dion  de  Pruse,  qui  se  fait  nommer  Chrysostome,  cestadire 
bouche  dor  :  concluant  Troye  non  auoir  esté  mise  en  ruine 
et  désolation  par  les  Grecz. 

Or  voyons  orendroit,  comment  il  pouuoit  ces  choses  si 
bien  deuiner  par  inspiration  fantastique  et  prophétie  ré- 
trograde :  ne  par  quel  moyen  vraysemblable  il  peult  ainsi 
contrarier  la  commune  opinion  du  feu  de  Troye,  cestadire 
de  la  ruine  extrême  dicelle.  Laquelle  est  deriuee  et  persua- 
dée iusques  à  nous,  par  les  escrits  autentiques  de  ceux  mes- 
mes  qui  viuoient  en  ce  temps  là,  ou  qui  furent  du  siècle 
prochain.  Si  faut  sauoir  tout  premier,  que  nostre  contredi- 
seur  Dion  de  Pruse  ne  vint  au  monde,  sinon  régnant  lem- 
pereur  Traian,  cestasauoir  mille  et  trois  cens  ans  après  la 
captiuité  Troyenne,  là  où  le  poète  Homère  flourissoit  seule- 
ment enuiron  cent  ans  après  icelle  guerre.  Mais  Dictys  de 
Crète  et  Dares  de  Phrygie  ont  rédigé  en  mémoire  tout  ce 
quilz  veirent  et  entendirent  faire  dun  costé  et  dautre,  pen- 
dant le  siège  de  Troye.  Le  liure  diceluy  Dares,  lequel  estoit 
de  la  nation  Troyenne,  fut  trouué  escrit  de  sa  main  propre 
en  luniuersité  d'Athènes,  au  temps  de  Iulius  César,  par  vn 
grand  orateur  nommé  Cornélius  Nepos,  natif  de  Vérone 
en  Italie,  et  par  luy  mesmes  translaté  de  Grec  en  Latin, 
puis  enuoyé  à  Romme  au  tresnoble  historien  Crispe  Sal- 
luste. 

Et  lœuure  de  Dictys  de  Crète,  quon  dit  maintenant  lisle 
de  Candie  subie tte  aux  Vénitiens,  et  de  la  nation  de  Grèce, 
vint  aucun  temps  après  en  lumière,  cestasauoir  du  temps 
de  lempereur  Néron.  Iceluy  Dictys  souuent  allégué  en  ce 
second  liure,  fut  cheualier  stipendiare  du  Roy  Idomeneus  de 
Crète,  et  fut  présent  à  toutes  les  batailles  contre  les  Troy- 
ens.  Si  fut  trouué  son  liure  par  cas  dauenture  en  la  ma- 
nière qui  sensuit  : 


SINGVLARITEZ   DE    TROYB.    LIVRE  II.  243 

Aucuns  pasteurs  gardans  les  bestes  et  troupeaux  auprès 
de  la  cité  de  Gnosus,  en  lisle  de  Crète  ou  Candie  de  laquelle 
fut  natif  iceluy  Dictys,  trouuerent  entremy  aucunes  vieilles 
murailles  ruineuses  vn  sépulcre,  lequel  comme  depuis  fut 
sceu,  estoit  dudit  acteur  Dictys  de  Crète.  Et  dedens  ledit 
sépulcre  ilz  prindrent  vn  vaisseau  destain  bien  clos  et  bien 
souldé  de  toutes  pars.  Âdonc  eux  peosans  que  là  dedens 
fut  enclos  quelque  bon  gros  trésor,  ilz  ouurirent  ledit  vais- 
seau bien  en  haste,  mais  il  ny  auoit  pour  toute  proye  ou 
butin,  sinon  des  liures.  Dont  quand  ilz  se  veirent  frustrez 
et  deceuz  de  leur  espérance,  ilz  portèrent  les  liures  au  sei- 
gneur de  ladite  cité  de  Gnosus  en  lisle  de  Candie,  lequel 
seigneur  se  nommoit  Praxis.  Et  fut  bien  aise  ledit  seigneur 
du  présent  et  de  la  treuue.  Si  saduisa  de  les  faire  transcrire 
en  lettres  Athéniennes,  pource  que  les  liures  estoient  en 
characteres  de  lettre  Punique  fort  ancienne  et  mal  lisable, 
iasoit  ce  que  le  langage  fust  Grec.  Et  cela  fait,  ledit  Praxis 
vint  à  Romme  vers  le  Prince  Néron,  pource  quil  le  sauoit 
estre  fort  curieux  de  Ihistoire  Troyenne,  comme  celuy  qui 
estoit  singulier  en  poésie  et  homme  de  treseslu  engin,  sil 
eust  esté  si  heureux  quil  eust  plustost  fleschi  et  incliné  à 
bonté  que  à  malice,  mais  non. 

Or  fut  Néron,  non  content  seulement  dauoir  fait  compo- 
ser vne  seconde  Iliade,  par  vn  poëte  nommé  Accius,  ainsi 
que  met  Perse  en  sa  première  Satyre,  mais  aussi  sessaya 
ledit  empereur  Néron,  de  compiler  vn  liure  des  faits  de 
Troye  :  lequel  il  intitula  Troica  Neronis,  cestadire  les 
auentures  de  Troye  composées  par  Néron.  Lequel  liure  est 
allégué  par  Seruius,  commentateur  de  Virgile,  comme  iay 
dit  en  la  fin  du  premier  liure.  Or  présenta  ledit  Praxis  à 
lerapereur  Néron  le  volume  de  Dictys  de  Crète,  contenant 
dix  liures  des  faits  de  Troye.  Si  fut  le  tresbien  venu  et 


244  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

guerdonné  hautement.  Et  depuis  iceux  liures  furent  con- 
uertis  en  langue  Latine,  par  vn  orateur  Romain,  nommé 
Septimius.  Et  de  dix  que  ledit  acteur  Dictys  auoit  compo- 
sez, iceluy  translateur  Septimius  les  ha  réduit  à  six  :  les- 
quelz  nous  auons  maintenant  bien  corrects,  et  dont  ie  me 
suis  aydé  pour  le  plus  en  ce  second  liure. 

Ces  choses  veûes  iestime  auoir  fait  assez  ample  preuue 
que  la  narration  du  philosophe  Dion  (non  mie  quant  à  son 
parler,  qui  est  tout  pur  oratoire,  mais  quant  à  ce  quil  im- 
pugne  la  vérité  historiale)  doit  estre  réputée  vaine,  plate, 
ridicule  et  adulatoire,  et  nullement  corroborée  par  acteurs 
suffisans.  Et  que  par  ce  second  liure,  tous  lecteurs  et  audi- 
teurs se  peuuent  bien  tenir  pour  contons  et  bien  informez 
de  la  vérité  de  toute  Ihistoire,  à  fin  quen  peintures  et  tapis- 
series on  ne  fasse  plus  nulz  abus,  sinon  (1)  que  lerreur  inue- 
teree  de  Guy  de  la  Colonne  et  de  ceux  qui  lont  ensuiuy,  tant 
en  rime  comme  en  prose,  lesquelz  ie  ne  vueil  pas  nommer, 
vallent  (2)  mieux  que  ceste  mienne  œuure  laborieuse  et  bien 
digérée.  Apres  laquelle  mise  en  lumière,  sil  y  ha  aucune 
chose  transpassee  par  oubly  ou  par  négligence,  le  troisième 
liure  en  fera  la  raison  :  par  lequel  ie  monstreray  la  vraye 
origine  des  François,  des  Bretons,  des  Turcz  :  et  de  tout 
ce  qui  est  possible  dalleguer  en  ceste  matière.  Laquelle  à 
proprement  dire,  nest  sinon  vne  elucidation  et  clarification 
de  plusieurs  acteurs  renommez  :  dont  de  ceux  qui  sont 
alléguez  en  ce  second  liure  les  noms  sont  cy  douant  mis  et 
les  œuures.  A  tant  ie  fais  fin  à  ce  second  liure  des  Illustra- 
tions de  Gaule,  et  Singularitez  de  Troye  :  priant  aux  lec- 


(1)  c.-à-d.  à  moins  que. 

(2)  vaillent  {éd.  1516). 


SINGVLARITEZ   DE  TROTB.    LIVRE  H.  i45 

teurs  et  auditeurs,  quilz  ne  prennent  les  choses  sinon  en 
bonne  part,  et  excusent  les  fautes  par  beniuolence,  auec- 
ques  le  bon  poète  Virgile  qui  dit  : 

Non  omaia  poMumaB  omnes. 


De  peu  assez. 


PROLOGVE  DV  TROISIEME  LIVRE 

DES    ILLVSTRATIONS    ET  SINGVLARITEZ 

DE  FRANCE  ORIENTALE  ET  OCCIDENTALE, 

CESTADIRE  DE  GAVLE  ET  DE  TROYE. 


Dédié  à  treshaute,  treschretienne  et  sacrée  Princesse,  madame 
Anne,  par  la  grâce  de  Dieu,  deux  fois  Roy  ne  de  France, 
Duchesse  de  Bretaigne  Armorique  :  Mbrcyrb  iadis  réputé 
Dieu  d'Eloquence,  et  de  bonne  inuention,  Salut  et  félicité 
tousiours  prospérante  en  la  vie  présente  et  future.  (1) 


Virgilias  lil>.  m.  Aeoeldos  : 

Unam/aciamus  vtranque 

Troiam  animis  :  maneat  nostros  ea  cura  nepotM. 

De  ryne  et  Taatre  Troye,  vne  mesme  faisons  : 
Et  à  ce  noz  neueaz  dun  courage  induisons. 

Les  rvines  de  Troye  la  grand,  comme  vne  treslamen- 
table  et  trespiteuse  Tragédie  assez  esclarcies,  nettoyées  et 
purgeees  de  tout  erreur  fabuleux,  par  le  second  liure  pre- 

(1)  Dans  rédition  Qeofiroj  ds  Marnef,  1513,  on  troure  le  titre 


248  ILLVSTRATIOWS   DE   GAVLE,    ET 

cèdent  de  noz  Illustrations ,  Roy  ne  tresohrestienne  ,  et 
Princesse  tresmagnanime,  et  ledit  liure  dédié,  et  présenté 
par  ton  treshumble  Secrétaire,  et  Indiciaire  lean  le  Maire 
de  Belges,  à  la  tresbenigne  virginale  excellence  de  la 
tienne  tresaymee,  et  première  fille  de  France,  resplendis- 
sante au  ciel  des  vertus  humaines,  comme  la  clere  estoille 
matutine  nommée  Venus,  laquelle  précède  le  Soleil,  et  est 
par  les  Mariniers  appellee  Diane,  et  par  les  Laboureurs  et 
Pèlerins,  lestoille  lournalle,  vraye  et  certaine  prenonciate- 
resse  du  iour,  et  le  seul  espoir  et  soûlas  de  ceux  qui 
bayent  les  ténèbres  obscures  de  la  nuict  ennuyeuse.  Restoit 
encores,  Royne  tresdebonnaire,  ce  troisième  liure  à  par- 
faire, lequel  estoit  par  moy  reseruê  de  long  temps,  au  nom 
tresauguste  de  ta  hautesse  Royale  :  comme  à  la  Princesse 
qui  dignement  représentes  au  monde,  la  grand  Déesse  om- 

BuiTant,  donné  plus  loin  par  Tédition  1549  (J.  de  Toarnes)  :  «  Le 
tiers  livre  des  Illustrationg  de  Gaule  et  Singularitez  de  Troje,  inti- 
tule nouvellement  de  France  Orientale  et  Occidentale,  ouquel  princi- 
palement ast  (est)  comprinse  au  vray  la  généalogie  historiale  du 
tressainct,  tresdigne  et  treschrestien  Empereur  Charles  le  grand  : 
Père  de  Loys  le  débonnaire,  premier  de  ce  nom. 

«  Laquelle  généalogie  tant  en  ligne  féminine  comme  masculine  est 
deduicte  de  père  en  filz  depuis  Francus  filz  légitime  Dhector  de  Troye 
jusques  a  Pépin  le  brief  premier  roy  des  Francoys  en  ceste  généa- 
logie. Et  ny  a  riens  en  ce  livre  qui  soit  commun  es  autres  histoires 
de  France  et  qui  ne  soit  prouve  par  raisons  et  allégations  autenticques. 
Et  le  tout  correspond  au  premier  et  au  second  livre  des  Illustrations.  » 

Et  au  dessous  de  la  vignette,  on  lit  encore  :  «  Lecteurs  et  audi- 
teurs benivolentz,  prenez  le  bien  en  gre  et  le  gardez  dinjure  et  doul- 
traige  comme  vous  avez  fait  les  autres  precedentz  de  vostre  bonne 
grâce.  Et  lactenr  vous  en  prie  :  affin  quil  congnoisse  que  la  nation 
francoise  ne  soit  point  ingrate  de  ses  petiz  labeurs.  Pour  lesqaelz 
mettre  au  net,  il  a  beaucop  veille  et  traveille.  » 


SINf.TLARITeZ  DÉ   TROtB.    LITBE  III.  249 

nipotente  et  céleste  ivno  qui  se  peult  interpréter  iwans 
OMNEs  :  oestadire,  aydant  à  vnchacun.  Laquelle  paissanee 
et  vertu  priuilegiee,  est  vne  chose  presques  diuine.  Or  est 
ladite  Déesse  luno,  &  laquelle  tu  es  comparable,  dame  des 
trésors  et  richesses  mondaines,  dominateresse  des  Roy- 
aumes et  seigneuries,  maistresse  et  patrone  des  saintes 
alliances  des  loyaux  mariages  non  corrompuz  ne  yiole2.  A 
icelle  toutes  nobles  et  belles  Nymphes  et  chastes  pucelles 
sont  semantes  et  humbles  pedisseques.  Et  dicelle  les  Paons, 
aux  plumes  dorées  et  versicolores,  meinent  le  chariot  enri- 
chy  de  perles  et  de  précieuses  gemmes,  par  toute  la  région 
aërine,  dont  elle  ha  la  domination.  Elle  seule  peult  fleschir 
la  tresredoutable  seuerité  de  lupiter  Altitonant,  le  Roy 
des  Dieux  :  cestadire,  seigneur  des  Princes.  Et  si  est  mère 
de  la  Demydeesse  Hebe,  Princesse  de  ieunesse,  espouse  du 
trespreux  Hercules,  desia  stellifié  au  ciel,  par  augure  ou 
apparence  deraonstratiue,  de  fortitude  et  bonne  destinée. 
Tu  donques,  sacrée  maiestë  Reginale  (en  laquelle  toutes  ces 
démonstrations  deïflques  conuiennent,  par  comparation 
telle  que  Ion  peult  faire  des  choses  terrestres  aux  célestes) 
mérites  icy  à  bon  droit,  obtenir  le  lieu  de  la  Déesse  luno  : 
quant  à  la  consécration  de  ce  troisième  liure  des  Illustra- 
tions :  comme  celle  qui  es  couronnée  et  diademee  du  grand 
trésor  dhonneur  et  de  bonne  fortune,  compaigne  de  vertu, 
sur  toutes  les  Déesses  :  cestadire  Princesses  du  monde. 
Laquelle  chose  soit  dite  sans  liniure  des  autres.  Car  à 
nulle  autre  naduint  onques  de  porter  deux  fois  légitime- 
ment sur  son  chef,  la  couronne  reginale  de  France.  Or 
soit  assez  de  ce  propos,  quant  à  la  cause  rendue  de  la 
dedication  de  ce  labeur,  fait  et  adressé  au  nom  de  ta  sou- 
ueraine  excellence  :  lequel  ie  te  prie  vouloir  prendre  en 
gré,  selon  ta  clémence  accoustumee,  comme  le  principal 


250  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,  ET 

présent  que  iay  encores  fait  aux  dames  :  car  les  deux 
autres  precedens,  ne  sont  que  les  bourgeons  et  les  fleurs  : 
mais  voicy  le  fruit  paruenu  en  maturité.  Là  est  lescaille, 
et  icy  le  noyau  :  droit  là  est  la  peinture,  et  cy  dedens  le 
vif  :  illecques  sont  sans  plus  les  deux  prémices  du  syllo- 
gisme, mais  voicy  la  conclusion.  Venons  ores  aux  deux 
vers,  qui  sont  couchez  en  la  teste  de  ce  prologue  :  lesquelz 
sont  proferez  par  le  poëte  Virgile,  au  troisième  liure  de 
ses  Eneïdes,  en  la  personne  du  Prince  Helenus,  frère  d'Hec- 
tor. Et  est  la  substance  desdits  vers,  que  Helenus  veult 
persuader  à  Eneas,  que  les  deux  Troyes  on  conioingne 
ensemble  :  cestadire,  que  les  deux  Peuples  et  nations  sor- 
ties dun  mesme  tronc,  on  fasse  vne  commune  perpétuelle 
alliance.  Or  auoit  Helenus  auecques  sa  femme  Andromacha, 
vefue  d'Hector  et  de  Pyrrhus  filz  d'Achilles,  desia  édifiée 
et  construite  sa  petite  cité  de  Troye  en  Albanie  :  dont  en 
festoyant  son  beau  frère  Eneas,  qui  dauenture  aborda  illec 
par  mer,  cherchant  daller  en  Italie,  congnoissant  par  les- 
prit  de  sa  science  de  diuination,  de  laquelle  il  estoit  le 
maistre  et  comme  Prophète,  que  des  successeurs  dudit 
Eneas  procederoient  les  Princes  de  lempire  Romain,  et  les 
Royaumes  des  deux  Bretaignes  :  cestasauoir,  la  grande  et 
la  petite,  dont  de  la  seconde  tu  es  Royale  dame  et  Duchesse. 
A  ceste  cause  Helenus  adraonnestoit  son  beau  frère  Eneas, 
que  de  leurs  deux  maisons  ilz  en  feissent  vne.  Car  aussi 
sauoit  il  bien,  que  de  luy  et  de  sa  femme  Andromacha,  et 
de  son  neueu  Francus,  filz  d'Hector,  descendroient  les  plus 
grans  Princes  du  monde  :  lesquelz  regneroient  de  ligne  en 
ligne,  par  tout  Orient  et  Occident.  Et  qui  mouuoit  Helenus, 
frère  d'Hector,  denhorter  à  ce  ledit  Eneas  ?  sinon  la  diuine 
inspiration,  et  lesprit  de  prophétie,  dont  il  estoit  doué, 
comme  dessus  est  dit.  Et  quil  congnoissoit  par  icelle,  com- 


SINCTLARITEZ   DE  TROTK.    LIYRB   III.  351 

bien  que  Troye  la  grand  en  son  édifice  et  structure  fust 
démolie,  neantmoins  son  nom  ne  seroit  iamais  aboly  de 
la  mémoire  des  hommes  :  ainçois  tant  plus  deuiendroit  le 
siècle  vieil,  tant  plus  raioueniroit,  et  reflouriroit  le  refres- 
chissement  de  la  mémoire  de  Troye  :  car  depuis  la  ruine 
dicelle,  elle  fut  restaurée  en  Asie,  sur  le  lieu  mesmes  de  sa 
première  construction  par  les  neueux  d'Hector.  Et  au  para- 
uant,  elle  estoit  desia  refondee  en  Egypte,  sur  le  fleuue  du 
Nil,  par  les  exilez  de  Troye,  qui  se  rebellèrent  contre 
Menelaus  et  sa  femme  Heleine.  Et  en  ce  mesme  temps,  en 
vne  partie  de  Macedone,  qui  se  dit  maintenant  Albanie  : 
Et  depuis  en  plusieurs  autres  prouinces  d'Europe  :  si 
comme  en  Italie,  Hongrie,  Allemaigne,  Bretaigne  :  et  les 
Gaules  Belgique,  Celtique,  et  la  tienne  Armorique,  Royne 
tresillustre  :  comme  il  sera  veu  par  ce  liure.  Voyla  la  rai- 
son qui  mouuoit  Helenus,  frère  d'Hector,  de  dire  à  Eneas 
la  substance  des  vers  dessus  mentionnez  :  Faisons  que  noz 
deux  maisons  ne  soient  quune  mesme  chose.  Ce  qui  aduint 
depuis  :  cestasauoir,  du  temps  de  l'Empereur  Charles  le 
grand,  qui  fut  Roy  des  François  Orientaux  et  Occidentaux  : 
lesquelz  sont  du  vray  sang  Troyen  et  Herculien,  lesparens 
du  Roy  treschrestien,  duquel  tu  es  compaigne  :  et  les  ances- 
tres  et  progeniteurs  de  ta  propre  maison  mesmes.  Par  ainsi 
le  dis  et  présuppose,  que  attendu  quil  nest  rien  souz  le  ciel 
qui  autresfois  ayt  esté,  qui  ne  puist  estre  derechef  :  iespere 
encores  voir  que  ces  deux  maisons  et  nations  de  France 
Orientale  et  Occidentale,  lesquelles  vous  nommez  auiour- 
d'huy  Hongres,  Allemans,  Lansquenets,  dune  part  :  Fran- 
çois et  Bretons  de  lautre  part,  seront  si  vnies  ensemble 
par  bonne  et  prospère  alliance,  quelles  iront  par  communs 
accords  et  vœuz  refonder  en  Asie,  cestadire  Turquie,  la 
grand  cité  de  Troye  :  de  laquelle  se  disent  estre  yssus  les 


252  ILLVSTRATIONS   DE  GATLB,  ET 

Turcz  :  et  les  autres  disent  que  non.  Mais  iasoit  ce  que  de 
tout  ce  le  sache  la  pure  vérité,  comme  celuy  qui  estoit  pré- 
sent au  iugement  des  trois  Déesses  et  à  toutes  les  batailles 
de  Troye,  neantmoins  ien  laisseray  la  disputation  à  lean  le 
Maire  de  Belges,  si  le  cas  eschet  que  quelque  fois  par  le 
commandement  de  la  magnanimité  de  ton  cœur,  il  acheue 
son  quatrième  labeur  des  Illustrations  de  Grèce,  et  de  Tur- 
quie. A  tant  treschrestienne  et  tresheureuse  sacrée  Prin- 
cesse, qui  peux  estre  moderateresse  et  moyenneresse  du 
bien  de  la  Paix  vniuerselle,  entre  ces  fortes  et  belliqueuses 
nations  Troyennes  et  Herculiennes,  et  les  autres  alliées 
délies.  Dieu  te  doint  accomplir  le  theume  (1)  et  lintention 
de  mon  prologue. 

(1)  lajln  (éd.  1528). 


FIN  DU  PROLOGUE. 


SIMGVLARJTEZ   DE   TROIS.   LIVRE  III.  255 


LES  NOMS  DES  ACTEVRS  QVI  SONS  NOMMEZ,  ET 
ALLEGVEZ  EN  CE  LIVRE. 


Virgile,  es  Eneïdes. 

Titus  Liuius,  en  ses  Décades. 

Manethon  d'Egypte,  en  sa  Chronique. 

Frère  Vincent  de  Beauuais,  en  son  Miroir  historial. 

Strabo,  en  sa  Cosmographie. 

Vibius  Sequester,  en  la  chronique  Romaine, 

Bocace,  en  la  Généalogie  des  Dieux. 

Dictys  de  Crète,  en  Ihistoire  de  Troye. 

Homère,  en  son  Iliade. 

Antoine  Sabellicus,  en  sa  clironique  nommée  Enneades. 

Maistre  laques  de  Guise,  en  la  chronique  de  Belges. 

Berosus  de  Chaldee,  en  ses  Déflorations. 

Hieremie,  en  ses  Prophéties. 

Ouide. 

Messire  Michel  Riz,  en  sa  chronique  des  Roys  de  Naples. 

Vn  acteur  ancien,  dont  on  ne  scait  le  nom. 

Lncan,  en  sa  Pharsalique. 

Sidonius  Apolinaris,  euesque  des  Auuergnois. 

Messire  lean  Rheuclin,  en  son  liure  intitulé  de  Verbo  mirifico. 

Seruius,  commentateur  de  Virgile. 

Claudianus  le  poôte,  en  ses  œuures. 

Saint  Hierome. 

Saint  Remy. 

Martialis,  en  ses  Epigrammes,  , 


254  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

luuenalis,  en  ses  Satyres. 

Flauius  Vopiscus,  en  ses  histoires  et  vies  des  Empereurs 
Romains. 

Raphaël  de  Volaterre,  en  ses  Commentaires  Vrbains. 

Suetonius  Tranquillus,  en  Ihistoire  des  douze  Césars. 

Papa  Pius,  en  la  description  d'Asie,  quon  dit  maintenant  Tur- 
quie. 

Dares  de  Phrygie,  en  Ihistoire  de  Troye  . 

César,  en  ses  Commentaires  de  la  guerre  de  Gaule. 

Orosius,  en  ses  Chroniques. 

Lucius  Plorus,  en  labregé  des  histoires  Romaines. 

Cornélius  Tacitus  Romain,  en  Ihistoire  Germanique. 

Plinius,  en  Ihistoire  Naturelle. 

Cassiodorus  le  Sénateur,  en  Ihistoire  Tripertite. 

Celius  Calanus,  en  la  vie  du  Roy  Attila. 

laques  de  Bergome,  au  Supplément  des  chroniques. 

Messire  Robert  Gaguin,  en  la  Chronique  de  France. 

Blondus  Flauius,  au  liure  de  linclination  de  l'Empire. 

Vn  acteur  nommé  Ligurinus,  es  gestes  de  l'Empereur  Federic, 
surnommé  Barberousse. 

Sigebertus,  en  sa  Chronique.  (1)  Et  nota  que  la  meilleur  part 
de  ceste  généalogie  du  saint  Empereur  et  Roy  Charles  le 
grand,  est  extraite  dudit  liure. 

Assez  dautres  allégations  y  ha  qui  sont  tirées  des  anciens  Liures, 
Marbres,  Inscriptions  de  vieux  Epitaphes,  dont  Lacteur  ne 
scait  pas  les  noms  de  ceux  qui  les  ont  composez. 

Appian  Alexandrin,  en  la  guerre  Celtique,  où  il  dit  :  Que  cinq 
cens  chenaux  des  Sicambriens,  en  repoulserent  bien  cinq 
.  mille  de  César.  (2) 

(1)  L'éd.  1513  ajoute  :  «  laquelle  a  nouvellement  fait  imprimer 
vénérable  et  révérende  personne,  monseigneur  le  confesseur  du  roy.  » 
Il  s'agit  de  l'in-quarto  de  Paris,  1513,  imprimé  par  H.  Estienne. 

(2)  L'édition  1513  porte  :  Âppianus  Alexandrinus  Sophista,  libro 
qui  intitulatur  Celticus.  «  Sicambri  quingentis  equitibus  quinque 
mille  Cesaris  équités  subito  illis  incumbentes  averterunt.  » 


SlMOVLARiTEZ  Dli  TROTB.    LITRE   III.  255 


A  Vénérable  et  singulier  Orateur,  monseigneur  maistra  Gril- 
larme  Crétin,  trésorier  du  bois  de  Vincennes,  Cbapellain 
ordinaire  du  Roy  treschrestien  Loys  douzième,  lean  le  Maire 
de  Belges,  treshumble  Indiciaire  et  Historiographe  de  la 
Royne,  Salut  et  reuerence. 


Nvl  vice  en  ce  monde  (à  mon  adius),  ô  mon  Treshonnoré 
précepteur,  nest  plus  énorme  et  détestable  enuers  Dieu  et 
les  hommes,  que  le  péché  dingratitude  :  comme  celuy  qui 
me  semble  estre  le  pied,  le  tronc  et  la  racine  de  tous  les 
autres.  Car  si  le  genre  humain  neust  esté  ingrat  enuers  la 
clémence  diuine,  dont  il  ha  receu  tant  de  hauts  bénéfices, 
iamais  il  ne  fust  tombé  en  la  ruine  pécheresse,  dont  sont 
maculez  tous  les  filz  d'Adam  :  ne  iamais  on  ne  feroit  iniure 
à  soy  mesmes,  comme  font  gens  désespérez,  qui  souillent 
leurs  mains  en  leur  propre  sang.  Ne  aussi  on  ne  mefferoit 
à  autruy,  ains  vseroit  chacun  de  la  vertu  de  gratitude  : 
cestadire  de  rendre  grâces  des  biensfaits  quon  ha  receu  de 
Dieu  premièrement,  de  ses  parens,  de  ses  maistres,  de  ses 
voisins  et  prochains.  A  ceste  cause,  mon  Vénérable  précep- 
teur et  maistre  en  Rhétorique  Françoise,  à  fin  que  ie  ne 
soye  noté  du  vice  dessusdit,  ie  te  fais  présent  de  la  lecture 
du  troisième  liure  des  Illustrations  de  France  Orientale  et 
Occidentale  :  comme  à  celuy,  qui  es  et  peux  estre  deffen- 
seur  et  protecteur  ^e  ce  mien  labeur.  Et  comme  à  celuy 
derechef,  qui  as  esté  la  cause  première,  que  ie  me  suis 
enhardy  et  entremeslé  de  mettre  la  main  à  escrire  en  ceste 
nostre  langue  Françoise  et  Gallicane.  Car  (si  bien  il  en 
souuient  à  ta  debonnaireté)  passant  par  ville  Franche  en 


(SS6  ILLVSTKATIOMS   DE    GAVLE,    ET 

Beauieulois,  tu  me  donnas  encouragement  de  mettre  la 
main  à  la  plume,  et  de  clerc  de  finances,  que  iestoye  pour 
lors,  en  laage  de  vingt  et  cinq  ans  au  seruice  du  Roy,  et 
de  monseigneur  le  bon  Duc,  Pierre  de  Bourbon,  ie  deuins 
soudain  enclin  à  lart  oratoire,  au  moyen  de  la  tienne  per- 
suasion (ce  que  ie  creuz  de  léger)  à  cause  de  lestimation 
que  iauoye  de  ta  doctrine  et  vertu,  et  de  la  réputation  que 
ien  euz  presentialement,  et  parauant  ouy  faire  reallement, 
et  de  propre  audience,  à  feu  de  bonne  mémoire  Monsieur 
maistre  lean  Molinet,  mon  prédécesseur  et  parent  :  comme 
celuy  qui  ne  faisoit  autre  estime  delà  tienne  industrie, 
sinon  telle  que  du  prince  et  principal  maistre  des  Orateurs 
et  Poëtes  de  la  langue  Françoise,  et  cela  soit  dit  sans  iniure 
des  autres,  et  sans  flaterie.  Car  le  personnage  (dont  ta 
beniuolence  ha  ayraé  lindustrie  en  son  viuant,  et  tu  la 
sienne)  tenoit  vn  grand  conte  des  tiennes  escritures.  Or 
donques,  Trescler  précepteur,  ie  prie  à  ta  courtoisie  natu- 
relle et  Françoise,  que  veu  et  entendu  que  tout  tel  que  ie 
suis  en  nostre  langue  moderne,  ta  bonté  me  deffende  con- 
tre les  détracteurs  (si  aucuns  en  y  ha,  ce  que  ie  ne  croy 
pas),  car  ie  ne  fus  iamais  maliuolent  à  homme  de  France, 
posé  ores  que  ie  nen  soye  natif  :  et  mes  œuures  précédentes 
declairent  assez  laffection  que  iay  eiie  tousiours  au  bien 
publique  de  la  nation  Françoise  :  si  comme  les  deux  liures 
précédents  des  Illustrations  :  La  légende  des  Vénitiens,  que 
ie  feis,  pour  monstrer  la  bonne  querele  que  le  Roy  auoit  con- 
tre ladite  popularité  tyrannique  :  pareillement  la  différence 
des  Schismes  et  Conciles,  à  cause  de  donner  à  entendre,  que 
le  Pape  auoit  tort  de  faire  la  guerre.  (1)  Toutes  lesquelles 

(1)  Ici  s'arrête  le  texte  de  la   lettre  dans  Fëdition  Regnaalt  1528. 
—  L'édition  1513  a  le  text«  complet. 


8INGVLARITEZ  DE   TROTS.    LIVRE  III.  257 

œuures  sont  eschappees  des  boutiques  des  imprimeurs,  tant 
à  Lyon,  comme  à  Paris,  assez  mal  corrigées.  Car  k  peine 
sauroit  on  garder  les  compositeurs  de  leurs  incorrections 
(quelque  diligence  quon  y  fasse)  mais  les  fautes  soient  im- 
putées à  eux.  Et  pensent  les  lecteurs  et  auditeurs  que  ce  ne 
Tient  point  du  vice  de  Lacteur  qui  leur  donne  bons  et 
vrays  exemplaires.  Toutesuoyes  il  me  semble  que  ce  pré- 
sent troisième  liure  est  imprimé  assez  feablement  par 
Maistre  Raoul  Cousturier,  et  digne  assez  destre  veu  et  leu 
et  prisé,  comme  la  façon  de  lun  des  disciples  de  ta  déno- 
mination. Et  quand  il  plaira  à  ta  bénignité  faire  ouuerture 
des  tiennes  nobles  œuures,  et  icelles  publier  par  impres- 
sion, on  congnoitra  facilement  que  tout  ce  peu  que  iay  de 
grâce  et  de  félicité  en  ce  langage,  vient  de  ta  discipline  :  à 
laquelle  ie  suis  tenu,  toute  ma  vie.  Et  comme  à  tel,  cesta- 
sauoir,  à  mon  iuge,  et  à  mon  arbitre,  iadresse  ce  présent 
Prologue,  et  la  veiie  et  récognition  de  toute  lœuure,  ten- 
dant aux  fins  de  persuader  aux  treshauts  Princes  de 
Chrestienté,  quilz  sont  afBns  et  alliez  ensemble  de  toute 
ancienne  origine,  de  la  noblesse  de  Troye.  Et  à  ceste  cause 
idoines  et  capables  de  recouurer  par  leur  inestimable  puis- 
sance et  vertu,  leur  ancien  héritage,  des  règnes  de  Priam, 
sur  la  nation  Turque,  qui  lusurpe  sans  droit.  Ce  que  les- 
dits  seigneurs  extraits  dun  mesme  sang  pourroient  bien 
faire  :  pourueu  quilz  fussent  vnis  par  concordance  finale, 
comme  autresfois  ilz  ont  esté.  Ce  que  Dieu  nous  doint 
grâce  de  voir  en  brief  :  et  à  eux  Ihonneur  et  le  triomphe, 
dune  si  tresglorieuse  victoire. 


De  peu  assez. 


II.  17 


(«^ 


LE  TROISIEME  LIVRE 

DES    ILLUSTRATIONS    DE    GAVLE 
ET  SINGVLARITEZ  DE  TROYE, 

DÎTITVLÉ   NOVVBLLEMENT,    DE   FRAJ^CE    ORIENTALE 
ET  OCCIDENTALE  : 

Auquel  principalement  est  comprinse  au  vray  la  Généalogie 
historiale  du  tressaint,  tresdigne,  et  treschretien  Empereur 
Charles  le  grand,  père  de  Loys  le  débonnaire,  premier  de  ce 
nom.  Laquelle  Généalogie  tant  en  ligne  féminine  comme 
masculine  est  déduite  de  père  en  ûlz  :  depuis  Francus,  ûlz  légi- 
time d'Hector  de  Troye,  iusques  à  Pépin  le  Brief,  premier 
Roy  des  François  en  ceste  Généalogie.  (1) 


Diaision  de  ce  liure  en  trois  parties. 

Ce  présent  troisième  liure  des  Illustrations  de  France 
Orientale  et  Occidentale  se  diuisera  en  trois  parties,  ou 
traitez.  Au  premier  sera  veu,  comment  lancienne  noblesse 
des  Troyens,  après  la  destruction  de  Troye,  vint  habiter 
en  Europe  :  dont  furent  procréez  les  peuples  des  François 

(I)  L'édition  1613  n*a  ici  que  la  dédicace  «  à  Ihonneur  immortel 
de  très  haalte,  trss  chrestienne  et  sacrée  princesse  Madame  Anne 
par  la  grâce  de  Dieu  deux  fois  royne  de  France  et  Duchease  hérédi- 
taire de  Bretaigne.  » 


260  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

Orientaux  et  Occidentaux,  Sicambriens  et  Germains,  Cim- 
bres,  Teutoniques,  Ambrons,  Austrasiens  :  et  autres  na- 
tions, descendues  de  Francus,  filz  d'Hector  :  et  de  leurs 
gestes,  iusques  au  Duc  Austrasius,  qui  premièrement  donna 
le  nom  au  Royaume  d'Austrasie,  ou  d'Austriche  la  basse. 
Au  second  traité  sera  déduite  la  Généalogie  des  alliances 
du  sang  de  France,  de  Bourgongne,  et  d'Austriche  la  basse  : 
et  comment  elles  furent  premièrement  conduites  et  meslees, 
iusques  au  mariage  de  sainte  Blitilde,  fille  du  Roy  Glo- 
taire,  auecques  Anselbert,  le  Sénateur  de  Romme  :  de  la- 
quelle sainte  lignée  descendirent  les  Pépins,  proayeul, 
ayeul,  et  père  du  tresdigne  Empereur  Charles  le  grand.  Au 
troisième  traité  est  continuée  la  Généalogie  historiale,  lal- 
liance  et  vnion  des  maisons  dessusdites  :  iusques  à  l'Empe- 
reur Charles  le  grand  :  qui  fut  monarque  d'Europe,  et  de 
toutes  lesdites  nations  Occidentales. 

Or  commencerons  nous  à  la  grande  et  merueilleuse  an- 
tiquité du  nom  des  Pépins,  extraits  du  sang  Herculien  : 
qui  régnèrent  en  Asie  la  mineur,  quon  dit  maintenant  Tur- 
quie, auant  les  faits  de  Troye,  et  durant  iceux  en  Italie,  et 
depuis  en  lune  et  en  lautre  contrée  :  et  principalement  par 
toute  nostre  Europe»  qui  est  la  moindre,  mais  la  plus  noble 
partie  du  monde,  mesmement  quant  au  fait  des  armes  et  à 
la  fidélité  de  leglise  Romaine  :  et  de  nostre  sainte  créance 
en  lEsvs  CHRIST,  et  sa  tresglorieuse  Mère  :  ausquelz  ie  prie 
que  mon  labeur  puisse  estre  agréable,  et  consequemment  à 
tous  nobles  lecteurs  et  auditeurs  de  ce  liure. 


8INGTLARITEZ  DE  TROYB.   LIVRE   lU.  261 


Comment  le  nom  des  Pépins  est  le  pins  antique  de  tons  eenx  da  sang 
du  grand  Hercnles  de  Libye  :  lesquelz  après  ledit  Hercalea  ont 
regnë  en  Gaule,  ou  en  France. 

De  tovs  les  noms  des  Princes  qui  sont  paruenuz  à  la  cou- 
ronne de  France,  yssuz  et  procréez  de  la  lignée  Hercu- 
lienne  et  Troyenne,  Pépin  après  ledit  Hercules  est  le  pre- 
mier et  le  plus  antique.  Car  iasoit  ce  que  Pharamond  fust 
le  premier  Roy  des  François  qui  vindrent  conquérir  Gaule 
sur  les  Romains,  et  quil  fust  yssu  du  mesme  sang  Troyen, 
François,  Sicambrien,  et  pour  mieux  dire,  Herculien,  si  ne 
treuue  on  point  par  escrit  autentique,  que  aucun  de  ces 
ancestres  eust  nom  Pharamond.  Et  pour  ce  que,  es  généa- 
logies des  Princes,  les  noms  sont  de  grand  efficace  et  con- 
tinuation, iestime  que  le  nom  des  Pépins  seruira  beaucoup 
à  la  clarification  de  ce  troisième  liure.  Et  ce  que  ie  diz,  ie 
le  vueil  prouuer  par  la  déduction  des  généalogies  de  Bero- 
sus  de  Chaldee  :  auquel  il  faut  adiouster  foy,  et  y  auoir 
recours  en  ce  cas  :  auecques  rememoration  nécessaire  du 
sang  du  grand  Hercules  de  Libye,  dixième  Roy  de  Gaule  : 
dont  est  faite  ample  mention  au  premier  liure  de  ces  Illus- 
trations. 

Bien  sommes  nous  records,  que  le  grand  Hercules  de 
Libye  eut  de  sa  femme  Galatee  la  belle  geande  vn  filz  nom- 
mé Galatas  :  qui  donna  son  nom  à  la  nation  Gallicane.  Eît 
dune  autre  dame  nommée  Araxa,  la  ieune  Roy  ne  de  Scy  thie 
quon  dit  ores  Tartarie,  il  eut  vn  autre  fllz  nommé  Tuscus  : 
duquel  porte  encores  le  nom  la  prouince  et  la  langue  Tos- 
cane en  Italie  :  dont  Florence  est  la  principale.  Or  dit 
maintenant  à  nostre  propos  ledit  acteur  Berosus,  que  dune 
autre  dame  nommée  Omphale,  le  grand  Hercules  eut  vn 


ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

tiers  fîlz  nommé  Atho  lancien,  lequel  régna  en  Asie  la 
mineur  quon  dit  maintenant  Turquie  :  et  mesmes  en  la 
contrée  où  depuis  fut  fondée  Troye  par  Dardanus,  extrait 
du  sang  de  Tuscus,  filz  d'Hercules  et  d'Araxa.  Par  ainsi 
voyons  nous  que  dun  mesme  temps  regnoient  les  hoirs 
d'Hercules  en  Gaule,  quon  dit  maintenant  France,  en  Asie 
la  moindre,  quon  dit  ores  Turquie,  et  oultreplus  en  Italie. 
Et  dudit  Atho  descendit  vn  Prince  nommé  Pépin  Prisque  : 
cestadire  le  premier  et  lancien,  à  la  différence  du  ieune, 
second  de  ce  nom,  qui  régna  depuis  en  Italie. 


De  Pépin  Prisque,  premier  de  ce  nom,  en  ceste  Généalogie  :  et  de 
son  filz  Atho  le  ieune,  lequel  donna  ou  eschanga  à  DardanoB  le 
territoii'e  où  depuis  il  édifia  la  grand  cité  de  Troye. 

Pépin  Prisque  descendant  de  la  tresnoble  lignée  du  grand 
Hercules  de  Libye,  et  non  pas  du  petit  Hercules  Grec  com- 
me il  est  dit  au  premier  liure  de  ces  Illustrations,  eut  vn 
filz  nommé  Atho  le  ieune,  à  la  différence  du  premier.  Et 
du  mesme  temps  que  lasius  lanigena  regnoit  en  Gaule  et 
en  Italie,  aussi  regnoit  Atho  le  ieune,  son  parent,  en  vne 
prouince  d'Asie  la  mineur,  nommée  Meonie.  Si  aduint  lors 
que  Dardanus,  frère  de  lasius,  eut  différent  auecques  sondit 
frère  :  à  cause  du  partage  des  seigneuries  de  leur  père, 
Jupiter  Camboblascon.  Et  tant  y  fut  procédé,  que  Dardanus 
tua  son  frère  aisné  le  Roy  lasius,  estant  aux  baingz  de 
Viterbe.  Lequel  forfait  perpétré  il  senfuyt  par  mer  en 
Grèce,  craignant  la  fureur  du  peuple  :  et  se  sauua  en  lisle 
de  Samos  :  iouxte  ce  que  dit  Virgile  au  septième  des  Eneï- 
des  :  en  la  personne  du  Roy  Euander  parlant  à  Eneas  : 


SIMGVLARITEZ   DE   TROYK.    UVRE    111.  963 

Atque  equidem  memiai  (fama  est  obscurior  annit) 
Auruncos  ita  ferre  senes  :  hii  ortas  vt  agris 
DardanuB,  Idieaa  Pbrjgi»  penetrauit  ad  vrbei  : 
Threïciamque  Samon,  quss  nanc  Samothracia  fertar. 

Quand  Dardanus  eut  deraouré  aucun  temps  en  lisle  de 
Samos,  laquelle  il  trouua  déserte,  comme  elle  est  de  pré- 
sent, souz  les  mains  du  Turc  :  et  quil  eust  icelle  cultiuee 
et  rendue  habitable  auecques  ses  gens  par  manière  de  pas- 
setemps,  et  en  attente  et  espoir  tousiours  de  faire  son  ap- 
pointement  auecques  ses  parents  et  les  subietz  de  son  frère 
quil  auoit  tué,  et  retourner  en  Italie  et  en  Gaule,  pour 
régner  en  icelles,  comme  auoit  fait  son  frère  lasius  :  il  ne 
peut  onques  impetrer  ceste  grâce,  tant  estoit  lors  le  monde 
iuste  et  auoit  horreur  de  leflfusion  du  sang  humain,  mesme- 
ment  pour  lenormité  du  cas  quil  auoit  perpétré  en  la  per- 
sonne de  son  frère.  Alors  voyant  quil  ny  auoit  remède  de 
faire  sa  paix,  il  chercha  autre  party,  et  tira  en  la  terre 
ferme  d'Asie  la  mineur,  quon  dit  maintenant  Turquie.  Si 
trouua  manière  de  changer  le  droit  quil  auoit  au  Royaume 
d'Italie,  à  vne  portion  de  terre  estant  du  tenement  de  sondit 
parent  Atho,  à  loccasion  et  en  la  manière  qui  sensuit  (ce 
que  nous  répéterons  légèrement  pource  quil  est  plus  ample- 
ment (1)  au  premier  liure). 

Ledit  Atho  le  ieune,  filz  de  Pépin  Prisque,  régnant  en 
la  prouince  de  Meonie,  auoit  deux  enfans  masles,  lun  nom- 
mé Lydus,  et  lautre  Turrhenus.  Et  pource  quil  estoit 
chargé  du  (2)  peuple,  et  y  auoit  pour  lors  stérilité  et  famine 
en  sa  terre,  Dardanus  son  parent  et  voisin  ce  sachant,  se 

tira  vers  luy,  et  feit  tant  que  ledit  Atho  ietta  sort  sur  ses 

(1)  L*4d.  1528  ajoute  déclairé. 

(2)  ({«  (éd.  1513). 


264  '^itkWrtlATIONS   DEGiVLÉ,    ET 

deux  enfans,  lequel  des  deux  demoureroit  héritier  de  son 
pais,  à  fin  que  lautre  allast  chercher  nouuelles  terres  pour 
y  habiter.  Le  sort  ietté,  Iheritage  du  père,  qui  lors  se  nom- 
moit  la  prouince  de  Meonie,  demeura  à  Lydus,  qui  depuis 
ia  nomma  Lydie  de  son  nom.  Et  lors  Dardanus  feit  pact 
auecques  son  cousin  Atho,  quil  remettroit  tout  le  droit  quil 
auoit  au  Royaume  de  Toscane  et  d'Italie,  à  Turrhenus, 
lequel  par  lauenture  du  sort  estoit  contraint  et  condamné 
daller  chercher  nouuelles  terres  :  pourueu,  et  moyennant 
ce  que  ledit  Atho  donnast  à  Dardanus  vne  portion  de  sa 
terre,  en  laquelle  luy  et  son  peuple  peussent  viure  et  habi- 
ter, et  illec  édifier  villes,  chasteaux  et  citez,  pour  leur  seu- 
reté.  Ces  conuenances  accordées,  Dardanus  laissa  lisle  de 
Samos,  qui  est  lune  des  Cyclades,  en  la  mer  de  l'Archipel, 
et  alla  demourer  en  Asie  la  mineur,  quon  dit  maintenant 
Turquie,  et  en  la  contrée  qui  luy  fut  limitée  par  Atho,  la- 
quelle depuis  il  nomma  de  son  nom  Dardanie,  et  depuis 
par  ses  successeurs  fut  appellee  Ilion  et  Troye  :  la  situa- 
tion de  laquelle  est  amplement  descrite  au  premier  liure 
de  ces  Illustrations. 

Adonc  Turrhenus  (1)  print  vn  grand  nombre  de  peuple, 
que  son  père  luy  donna,  de  lun  et  de  lautre  sexe,  et  vint 
habiter  en  Italie,  là  où  il  fut  receu  en  Roy  de  Toscane  :  plus 
pource  quil  estoit  du  sang  du  grand  Hercules  de  Libye,  et 
que  luy  et  ses  prédécesseurs  auoient  tousiours  vescu  inno- 
centement,  cestadire  sans  efiusion  de  sang  et  sans  oultrage, 
que  (2)  souz  le  tiltre  de  la  résignation  à  luy  faite  par  Dar- 
danus. Toutesuoyes,  lune  et  lautre  cause  luy  seruirent  de 
couleur  et  de  faueur.  Si  régna  Turrhenus  en  Italie,  par 

(1)  Thurrenus  de  lautre  (éd.  1513). 

(2)  c.-à-d.  rien  que. 


SIXGVLARITEZ  DE  TROTE.    LIVRE    III.  266 

grand  félicité.  Et  de  luy  print  sa  dénomination  la  mer 
Tyrrhene,  en  laquelle  sont  situées  les  isles  de  Corse  et  de 
Sardaigne,  Maiorique  et  Minorique,  quon  disoit  ancienne- 
ment Baléares.  (l)Et  de  ceste  mer  dit  Virgile,  en  la  personne 
de  la  Déesse  luno,  parlant  à  Neptune  Dieu  de  la  mer  : 

Gens  inimica  mihi  Tjrrbenum  nauigat  seqnor. 


De  Pépin,  Roy  de  Toscane,  second  da  ce  nom,  en  ceste  Généalogie, 
lequel  regnoit  en  Italie,  du  mesme  temps  que  Francna,  filz  d'Hec> 
toi'j  vint  habiter  en  Gaule. 

Tjrrhenvs  régnant  en  Italie,  et  Dardanus  en  la  terre  de 
Dardanie,  qui  depuis  fut  apellee  Troye,  par  commutation 
de  prouinces  et  sans  immutation  de  sang  :  Allobrox  de  la 
mesme  lignée  regnoit  en  Gaule  :  duquel  Allobrox  furent 
iadis  dénommez  les  peuples  quon  dit  maintenant  Daulphi- 
nois,  Piemontois,  Sauoyens  :  auec  vne  partie  de  Bour- 
gongne,  comme  plus  à  plein  est  dit  au  premier  liure.  Et 
dudit  Tyrrhenus,  filz  d'Atho  le  ieune,  qui  fut  filz  de  Pépin 
Prisque,  descendit  par  succession  de  temps.  Pépin  le  ieune, 
second  de  ce  nom,  lequel  fut  filz  de  Bianor  :  qui  fonda  vne 
cité  nommée  de  son  nom  au  pied  des  Alpes  de  Boulongne  : 
maintenant  ce  nest  quune  petite  ville  nommée  vulgairement 
Pianore,  sur  le  grand  chemin  de  Romme.  Si  régna  ledit 
Pépin  le  ieune  en  Toscane  par  lespace  de  cinquante  deux 
ans  :  et  fut  le  siège  de  son  Royaume  à  Viterbe.  Et  de  ce 
nom  fut  nommée  vne  partie  de  Toscane  Pepinienne  (2)  : 
dont  Titus  Liuius  fait  mention  es  histoires  Romaines. 

(1)  Belaires  (éd.  1513). 

(2)  PypittieHius  (éd.  1513). 


ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

Par  ainsi  appert  que  ledit  nom  des  Pépins  est  de  mer- 
ueilleuse  antiquité,  ce  qui  le  rend  plus  noble  et  plus  res- 
plendissant. Et  tout  ainsi  comme  les  pépins  produisent  les 
vignes,  les  vignes  les  raisins,  et  les  raisins  le  vin,  de  la- 
quelle précieuse  liqueur  la  maiesté  diuine  est  seruie,  par 
sacrifices  quotidiens  :  aussi  pareillement  les  Pépins  ont 
produit  les  Roys  et  empereurs  Charles  et  Loys  :  desquelz 
les  biens  faits  sont  innumerables,  tant  enuers  Dieu  com- 
me enuers  le  monde.  Donques  si  les  Pépins  anciennement 
sont  yssuz  du  grand  Hercules  de  Libye  :  et  dudit  grand 
Hercules  les  Gaulois,  Troyens,  François,  Sicambriens,  Ger- 
mains, Italiens  et  Romains  :  consequemment  diceux  Troyens 
sont  extraits  les  plus  récents  Pépins,  auecques  leur  lignée. 
Laquelle  ha  esté  regnateresse  et  moderateresse  de  toutes 
lesdites  nations  :  comme  sera  déduit  amplement  en  ce  troi- 
sième liure. 

Le  temps  que  ledit  Pépin  commença  à  régner  en  celle 
partie  d'Italie  quon  dit  maintenant  Toscane,  comme  il  est 
cler  par  les  escrits  de  Manethon  d'Egypte,  historien  tresan- 
cien,  fut  après  la  destruction  de  Troye  Lxxn.  ans.  Et  après 
que  Francus  filz  d'Hector  auoit  desia  commencé  à  régner 
sur  les  Celtes,  cestadire  sur  la  nation  Gallicane,  Françoise 
et  Germaine  lxii.  ans.  Car  ledit  Francus  commença  à  ré- 
gner en  Gaule  lan  huitième  après  la  destruction  de  Troye, 
cestasauoir  lannee  prochaine  après  que  Ascanius  son  parent, 
filz  d'Eneas  et  de  Creusa,  fille  du  Roy  Priam,  commença  à 
dominer  sur  les  Latins  en  Italie.  Mais  à  fin  que  les  curieux 
lecteurs  soient  mieux  contens  de  ceste  partie,  iay  mis  icy 
les  propres  mots  de  nostredit  acteur  Manethon  d'Egypte  : 
lequel  poursuiuit  Ihistoire  de  Berosus  de  Chaldee  : 

Anno  Pynaflti»  Diapolitaooram  primo,  Troia  eaersa  fuit  :  et  anao 


SIKGVLARITEZ  DE   TROTB.    LIVRE  III.  967 

tertio  Aéneai  venit  ad  Italiam,  ad  Latinam,  «t  Eaandinn),  et  Tor» 

rhenoi,  etc. 
Anno  septimo,  Âscanias  Latinis  imperat, 
Anno  Ter6  sequente  Teateus  Assjriis. 
Et  pôst  Prancus  Celtis  ex  Hectoria  filiii,  etc. 
Anno  quadragesimo  qainto  Dynaiti»,  regnauit  Latinia  Aeneas  S7I- 

ius,  etc. 
Tuscia  imperat  Pipiaus,  anais  quinquaginta  daobus. 


De  Francus,  fllz  d'Hector  de  Troye.  Lequel  Prancus  fat  Roj  de  U 
Oaule  Celtique.  Et  quelz  princes  de  son  sang  regnoient  en  Europe, 
quand  il  7  arriua  :  mesmement  du  R07  Rhemus  qui  fonda  la  cite 
de  Rheims  en  Cbampaigne  :  et  de  Bauo,  cousin  germain  de  Priam, 
lequel  dominoit  deslors  sur  vne  partie  de  Oaale  Belgique. 

PovT  mieux  clarifier  ceste  matière,  il  nous  faut  auoir  en 
recordation  la  substance  des  liures  precedens.  Cestasauoir 
que  au  mesmes  temps  que  Priam  regnoit  à  Troye,  aussi 
regnoit  en  Gaule,  quon  dit  maintenant  France,  vn  Prince 
nommé  Rhemus  extrait  de  la  mesme  lignée  du  grand  Her- 
cules de  Libye.  Lequel  Rhemus  fonda  la  cité  de  Rheims, 
en  Champaigne,  en  laquelle  les  treschrestiens  Roy  s  de 
France  prennent  leurs  couronnes  en  haute  et  solennelle 
cerimonie,  et  y  sont  oincts  et  consacrez  par  grâce  céleste 
et  diuine. 

Or  fut  ledit  Rhemus,  filz  de  Namnes,  qui  fonda  Nantes 
en  Bretaigne,  du  temps  de  Laomedon,  et  du  petit  Hercules 
Grec,  qui  desroba  Troye,  et  emmena  Hesionne,  sœur  de 
Priam,  en  seruage,  dont  sensuiuit  la  finale  ruine  et  des- 
truction de  Troye,  faite  à  cause  du  rauissement  d'Heleine, 
comme  bien  amplement  est  déduit  au  second  liure  de  ces 
Illustrations.  Ainsi  appert  clerement,  que  par  vn  merueil- 
léux  cas  fatal,  Nantes  en  Bretaigne  fut  fondée  du  temps  de 


3B^  ILLVSTRATIONS   DE   GATLE,    ET 

é. 

la  ruine  de  Troye,  faite  par  le  petit  Hercules  Grec  :  et 
Rheims  en  Champaigne,  qui  est  vne  prouince  de  France  : 
enuiron  le  temps,  que  toute  la  force  de  Grèce  sassembla, 
pour  destruire  la  grand  cité  de  Troje.  Si  semble  que  par 
la  tresmerueilleuse  prouidence  diuine,  il  fut  déterminé  et 
décrété  que  le  tresnoble  sang  Troyen,  ou  pour  mieux  dire 
Herculien,  laissast  les  terres  doultremer,  pour  se  venir 
conioindre  auecques  ses  affins  et  parents,  du  sang  du  grand 
Hercules  de  Libye,  qui  pour  lors  pacifiquement  regnoient 
et  flourissoient  en  ceste  nostre  Europe. 

Au  temps  de  la  finale  destruction  de  Troye,  le  Roy 
Rhemus,  fondateur  de  Rheims  en  Champaigne,  pouuoit 
auoir  régné  sur  la  nation  de  Gaule,  enuiron  trente  ans, 
comme  il  est  facile  à  cueillir,  par  la  calculation  de  Ihis- 
toire  de  nostre  acteur  Manethon  d'Egypte.  Et  huit  ans 
après,  comme  dessus  est  dit,  Francus  filz  d'Hector,  com- 
mença à  régner  sur  les  Gaules  Celtiques.  Si  fait  à  coniec- 
turer  que  ce  ne  fut  pas  sans  le  consentement  du  Roy  Rhe- 
mus, son  affin.  Et  pour  confermer  ceste  opinion  vraysem- 
blable,  il  nous  faut  confronter  et  appliquer  icy  lautorité 
de  frère  Vincent  de  Beauuais,  historien  tresautentique. 
Lequel  dit  expressément  en  son  Miroir  historial,  que  Fran- 
cus ou  Francien  filz  d'Hector,  à  cause  de  la  grandeur  de 
courage  et  vertu  qui  estoit  en  luy,  fut  tant  aymé  du  Roy  des 
Celtes,  quil  luy  donna  sa  fille  en  mariage.  Et  ce  recite  le 
commentateur  de  Manethon  d'Egypte,  homme  de  grand 
literature,  et  auquel  la  nation  Françoise  est  beaucoup 
tenue,  à  cause  de  ses  labeurs  et  diligences,  quil  nous  ha  com- 
muniquées, de  laquelle  communication  faisant  à  la  chose 
publique  pour  mieux  honnorer  les  Princes,  ie  mose  bien 
vanter  sans  arrogance  auoir  esté  le  premier  inuenteur,  quand 
ieuz  recouuré  les  œuures  dudit  commentateur  à  Romme. 


SUiavUJUTEZ  DE  TROTE.  LIVRE  III.  8|P 

loj  dit  reipoadu  à  plusieurs  arguments  et  obiecliona  qui  se  pour- 
roient  faire  contre  la  vérité  de  ceate  histoire,  et  sont  toutes  les 
Bolutions  prouuees  par  acteurs  autentiques. 

Il  povrroit  sembler  à  aucuns,  quil  y  eust  répugnance  Qt 
contradiction  en  nostre  histoire  :  car  nous  disons  oresi, 
que  Francus  fut  Roy  des  Celtes,  et  le  vingt  et  deuxième 
en  nombre,  après  Samothes,  le  premier  Roy,  et  fonda  la 
grand  cité  de  Sicambre,  sur  le  fleuue  d'Vnoe,  qui  st  dit 
ores  Bude  en  Hongrie.  Or  auons  nous  au  premier  Uure 
limité  la  Gaule  Celtique  si  estroitement,  quelle  ne  passe 
point  oultre  le  Rin.  Si  est  toutesuoyes  chose  certaine,  que 
la  cité  de  Sicambre  fut  fondée  bien  auant  oultre  le  Rin  : 
et  que  Francus  filz  d'Hector,  y  establit  son  siège  Royal, 
Comment  donc  pouuoit  il  régner  sur  la  Gaule  Celtique  ?  A 
ce  respond  vn  noble  acteur,  Strabo,  au  premier  liure  de  sa 
Géographie,  que  selon  lopinion  des  anciens  Grecz,  toutes 
les  plus  nobles  nations  Septentrionales  qui  leur  estoient 
encores  incongnues,  ilz  les  nommoient  Scythes,  que  nous 
disons  maintenant  Tartares,  gent  estrange  et  barbare.  Mais 
depuis  quilz  les  eurent  aucunement  congnuz,  ils  les  nom- 
mei-ent  Celtes,  cestadire  nobles,  à  cause  de  leur  haute  géné- 
rosité, et  grandesse  de  cœur.  Depuis  encores,  après  les 
auoir  mieux  congnues,  ilz  les  distinguèrent  de  différences 
de  noms,  et  nommèrent  ceux  de  deuers  Tartarie  et  les 
hautes  Allemaignes  Celtoscythes  :  et  ceux  du  costé  d'Occi- 
dent et  des  Ëspaignes,  Celtiberes,  qui  sont  les  deux  ex- 
trêmes. Mais  à  ceux  qui  sont  entre  deux,  comme  aux  plus 
nobles,  est  demeuré  simplement  le  nom  des  Celtes,  qui  de- 
puis se  nommèrent  Gaulois,  et  maintenant  François.  Et 
Yoicy  les  mots  dudit  acteur,  qui  ne  sont  pas  de  petite 


270  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    BT 

estime,  disant  ainsi,  en  son  quatrième  liure  :  Uniuersos 
Qallos  à  Qrœcis,  Geltas  appellatos  opinofy  ob  eorum  cla- 
ritatem.  Et  quant  est  au  nom  des  Scythes,  il  est  demouré 
à  ceux  de  Tartarie,  dont  sont  procédez  les  Turcz,  desquelz 
sera  nostre  propos  principal  en  quelque  autre  liure,  sil  plait 
aux  Princes.  Car  lesdits  Turcz  se  vantent  estre  yssuz  des 
Troyens.  Et  frère  Vincent  de  Beauuais,  tresnoble  historien, 
dit  quilz  sont  yssuz  de  Turcus,  ôlz  de  Troïlus,  en  laquelle 
disputation  ha  tresample  matière. 

Mais  pour  reuenir  à  nostre  propos  des  Gaules,  iadis 
appeliez  Celtes  et  Germains  :  vn  acteur  fort  antique  que 
iay  recouuré  à  Romme,  nommé  Vibius  Sequester,  en  son 
liure  des  fleuues,  des  montaignes,  et  des  nations  iadis 
subiettes  à  lempire  Romain,  il  met  la  nation  Gallicane, 
contenue  en  seize  prouinces,  entre  lesquelles  il  conte  la 
Germanie  haute  et  basse,  en  lordre  qui  sensuit  :  VienneU" 
sis,  Narbonensis  prima,  Narhonensis  secunda  :  Aquita- 
nia  prima,  Aquitania  secunda  :  Nouempopulana,  Alpes 
maritime,  Belgica  prima,  in  qua  est  Treueris  :  BelgiccL 
secunda,  in  qua  est  transitus  ad  Britanniam  :  Germania 
prima,  supra  Rhenum  :  Germania  secunda,  vitra  Rhe- 
num  :  Lugdunensis  prima,  Lugdunensis  secunda,  super 
Oceanum  :  Lugdunensis  tertia,  supra  Senoniam  :  Maxima 
Sequanorum,  Alpes  graca. 

Ainsi  appert,  que  les  anciens  Grecz  et  Romains,  com- 
prenoient  souz  le  nom  des  Celtes  et  des  Gaules,  toutes  les 
Allemaignes.  Et  que  le  nom  de  Germanie,  qui  ores  les 
sépare  et  fait  la  diflference  entre  Allemaigne  et  France, 
nest  point  fort  antique,  ains  vint  du  temps  des  Romains,  et 
de  Iulius  César,  comme  met  le  commentateur  de  Berosus 
de  Chaldee  :  allegant  Cornélius  Tacitus,  qui  fut  du  temps 
des  premiers  Césars.  Et  Strabo  le  conferme  au  sixième 


8W0TLABITBZ  DE  TROTE.   LIVEE   Ul.  271 

liure  de  sa  Géographie,  disant  que  les  Romains,  donnèrent 
le  nom  aux  Germains,  pource  quilz  sembloient  estre  frères 
des  Gaulois,  et  auoient  presques  vne  mesme  sorte  de  viure. 
Et  les  mots  dudit  acteur  Strabo  sont  telz  :  Statim  igitur 
regionem  trans  Rhenum  ad  ortum  ver  g  eut  em.  Germant 
colunty  Tiationem  Gallicam  paulisper  imitantes  :  et  ferita- 
tis  aèundantia,  et  proceritate  corporum,  et  colore  Jtauo^ 
cum  reliquis  in  rébus  et  forma,  et  moribus,  et  viuendi 
ritibus  pares  existant,  quales  Oallos  diximm.  Ideo  Ro^ 
mani  hoc  illis  notnen  iure  indidisse  mihi  videntur  :  pe- 
rinde  ac  eos/ratres  legitimos  Gallis  eîoqui  Doluerint.  Zegi- 
timi  namgue  fratres,  Romano  sermone.  Germant  intelli- 
guntur. 

Par  toutes  ces  choses  il  est  cler,  que  la  nation  des  Celtes 
et  des  Gaulois,  qui  depuis  ont  esté  appeliez  François, 
Orientaux  et  Occidentaux,  estoit  vne  mesme  chose,  mesme- 
ment  du  temps  de  Charles  le  Grand,  et  Roy  de  toutes  les 
deux  Frances.  Donques  pour  reuenir  au  propos  de  Francus, 
filz  d'Hector  de  Troye  et  chef  de  toutes  ces  nations,  les 
choses  dessudites  entendues  et  présupposées,  on  ne  peult 
nier  que  ledit  Francus  ne  regnast  sur  les  Celtes,  si  celuy 
qui  lit  ou  qui  escoute  nest  bien  ignorant  Car  qui  ignore 
les  termes,  il  est  nécessaire  quil  ne  sache  à  quoy  tendent 
les  conclusions  qui  sont  telles  :  cestasauoir,  que  Francus 
filz  d'Hector,  domina  sur  les  Celtes  qui  depuis  ont  esté 
dits  Gaulois,  par  les  Grecz  nommez  Galates,  et  depuis 
François  et  Germains.  Et  de  la  postérité  dudit  Francus, 
sont  yssues  les  plusnobles  nations  du  monde.  Desquelles 
sera  déduite  la  généalogie  et  les  gestes  en  brief,  par  la  pro- 
gression de  ce  présent  liure.  Mesmement  sera  veu  comment 
lesdites  deux  nations  d'Allemaigne  et  de  Gaule,  ont  pour  le 
plus  du  temps  esté  coniointes  et  alliées  ensemble,  comme 


9T9  ILLVSTRATIOKS  DE  GAVLE,    ET 

sœurs  gennaines  :  et  par  ce  moyen,  ont  dompté  et  suppe- 
dité  toutes  les  autres,  sans  grand  difficulté.  Mais  q^uand 
elles  ont  esté  séparées,  et  (jue  chacune  sest  tenue  à,  part, 
ou  souspeçonneuse  lune  de  lautre,  elles  ne  sont  point  venues, 
à  leurs  intentions  si  facilement.  Car  elles  deux  ensemble, 
cest  U  plus  gr£g:\d  force  4u  monde. 


Derechef,  est  icj  respoadu  à  aucunes  contradictions  de  ceste  histoire. 

Encores  pourra  dire  aucun  Italien,  ou  dautre  nation,  trop 
enuieux,  scrupuleux  et  fâcheux,  comme  il  en  est  assez,  qui 
cuident  estre  maistres  des  histoires,  et  abusent  eux  et  les 
autres  par  quelque  affection  contraire  et  impertinente  :  et 
qui  par  malice  veullent  obombrer  la  noblesse  de  nostre 
nation  :  que  (comme  dira  ledit  contradicteur)  il  ne  se  treuue 
point  par  les  œuures  d'Homère,  le  prince  des  poètes,  lequel 
descriuit  si  amplement  les  faitz  de  Troye,  que  le  Prince 
Hector  eust  autre  filz  légitime  de  sa  femme  Andromacha, 
fors  Astyanax,  autrement  nommé  Scamandrius,  du  nom  du 
fleuue  Scamander,  qui  passoit  parmy  Troye.  Lequel  enfant 
après  les  ruines  de  Troye  fut  par  les  Grecz  ietté  dune  haute 
tour  en  bas,  à  fin  quil  ne  demourast  aucun  hoir  masle  de 
la  semence  d'Hector,  et  de  la  mort  dudit  Astyanax,  Seneque 
ha  composé  Tne  piteable  (1)  Tragédie.  Pareillement  disent 
les  desYsnommez  aduersaires,  entre  lesquelz  ie  vueil  res^ 
pondre,  à  lœuure  de  messire  Michel  Riz  Neapolitaiu,  quil 
ha  intitulé,  Labregé  de  l'histoire  des  Roys  qui  ont  possédé 
Naples,  iasoit  ce  que  autrement  il  fust  homme  de  bonne 
langue  et  literature  :  que  combien  que  Anaxicrates,  qui 

(1)  c.-à-d.  pathétique. 


SmGVLARITEZ   DE  TROTE.    LIVIIB  III.  273 

escriuit  les  Argoliques,  et  Euripides,  compositeur  de  Tra- 
gédies, tous  deux  poëtes  Grecz,  attribuent  plusieurs  bas- 
tards  à  Hector,  quil  engendra  en  diuerses  concubines, 
comme  estoit  lusage  des  Princes  dadonques  :  toutesuoyes 
nen  nomment  ilz  aucun  du  nom  de  Francus,  dont  nous  fai- 
sons si  ample  mention.  Comme  si  par  ce  il  vouloit  inférer 
et  conclure  tacitement,  que  sans  aucun  fondement  de  vérité, 
et  par  ambition  de  vaine  gloire,  la  nation  Françoise  se 
attribuast  ceste  prééminence,  que  destre  procréée  du  sang 
du  trespreux  Hector,  extrait  du  grand  Hercules  de  Libye, 
et  de  ses  successeurs,  les  meilleurs  preudhommes  qui 
onques  furent,  comme  est  bien  amplement  prouué,  au  pre- 
mier liure.  A  quoy  ie  respons  ainsi  en  peu  de  paroles. 

Premièrement  aux  obiections  dernières  des  deux  poëtes 
Grecz  Euripides  et  Anaxicrates  ,  ie  dis  quilz  ne  furent 
point  du  temps  de  Troye.  Mais  puis  que  ores  ilz  confessent 
que  Hector  eut  des  enfans  dautres  femmes  que  de  mariage 
légitime,  si  ne  fait  pas  pourtant  à  mespriser  tel  lignage, 
ains  est  grand  gloire.  Car  Salomon,  filz  de  Dauid,  iasoit  ce 
quil  fut  conceu  en  adultère,  qui  pis  vaut  que  concubinage, 
nest  pas  à  reietter  de  la  Généalogie  de  iesus  christ.  Dautre 
part  si  le  poëte  Homère  ne  nomme  aucun  filz  légitime 
d'Hector  et  d'Andromacha,  fors  Astyanax,  autrement  dit 
Scamandrius,  lequel  receut  mort  par  le  commandement  des 
Grecz,  si  ne  faut  il  pas  conclure  pourtant  par  ceste  auto- 
rité, quil  ny  eust  autre  filz  légitime  :  car  il  est  suspect  en 
ce  cas,  comme  trop  fauorable  aux  Grecz.  Si  faut  auoir 
recours  à  la  vraye  histoire,  qui  confondra  toutes  les  oppo- 
sitions et  argumentations  friuoles  et  maliuoles  des  contredi- 
sans.  Et  fust  ce  ores  de  Pape  Pie,  lequel  en  la  description 
de  son  Asie,  semble  estre  malcontent  de  ce  que  les  Fran- 
çois et  Bretons  se  renomment  estre  yssuz  des  Troyens  : 
II.  iè 


274  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

et  dit,  que  nulles  gens  nen  ont  certaineté,  sinon  les  Ro- 
mains. 


De  Laodamas,  filz  légitime  d'Hector,  lequel  comme  il  est  vraysem- 
blable  eut  deux  noms  :  car  il  fut  aussi  appelle  Francus. 

Dictys  de  Crète,  tresnoble  historien  qui  tenoit  le  party 
des  Grecz,  et  fut  présent  à  la  guerre  de  Troye,  duquel  iay 
suiuy  lopinion  pour  la  plusgrand  part,  au  premier  liure  de 
ces  Illustrations,  fait  en  plusieurs  passages  de  son  histoire, 
mention  de  deux  enfans  légitimes  d'Hector,  mais  il  ne  les 
nomme  tous  deux  ensemble  que  vne  fois  :  cestasauoir,  au 
troisième  liure  là  où  il  dit,  que  quand  le  Roy  Priam  accom- 
paigné  de  sa  fille  Polyxene  et  de  sa  belle  fille  Andromacha, 
vefue  d'Hector,  alla  personnellement  supplier  à  Achilles  quil 
luy  donnast  le  corps  d'Hector  pour  mettre  en  sépulture,  en 
luy  présentant  grans  et  riches  dons  dor  et  dargent  et  dau- 
tres  loyaux,  pour  le  fleschir  à  miséricorde  et  compassion, 
il  mena  aussi  auec  luy  ses  deux  petis  neueux  Astyanax, 
autrement  dit  Scamandrius,  et  Laodamas  :  desquelz  la  sim- 
ple ieunesse  et  la  lamentable  commisération,  auecques  les 
grans  presens  dessudits,  seruit  de  beaucoup  à  recouurer  le 
corps  de  Hector,  pour  le  mettre  en  sépulture. 

Oultreplus,  met  ledit  acteur  en  son  cinquième  liure  :  que 
depuis  linflammation  de  Troye,  Pyrrhus,  autrement  dit 
Neoptolemus  filz  d' Achilles,  après  que  la  proye  et  le  butin 
dor,  dargent,  et  de  riches  meubles  fut  distribuée,  (1)  et  quil 
en  eut  eu  sa  portion,  il  eut  aussi  sa  part  des  nobles  prison- 
niers par  sort  ietté.  Si  luy  aduindrent  par  ledit  sort  Andro- 

(l)  dittribue  (éd.  1513  et  1528). 


SINGVLARITEZ  DE  TROTE.   LITRE  HI.  275 

mâcha,  vefue  d'Hector,  et  ses  enfans  :  lesquelz  depuis  ledit 
Pyrrhus  donna  à  Helenus,  leur  oncle,  en  contemplation  de 
plusieurs  grans  seniices  quil  luy  auoit  fait  par  le  moyen 
de  sa  science  de  deuination.  Or  ne  dit  pas  ledit  acteur 
ouuerteraent  que  Astyanax,  filz  d'Hector,  fust  commandé 
estre  occis  par  lexercite  des  Grecz,  mais  il  le  declaire  assez 
couuertement  au  sixième  et  dernier  liure  de  son  histoire. 
Et  dit  ainsi,  que  Hermione,  fille  de  Menelaus  et  d'Heleine, 
après  que  le  mariage  dudit  Pyrrhus  et  délie  fut  confermé  et 
asseuré,  et  que  Pyrrhus  sen  fut  allé  au  temple  d'Apollo  en 
Delphos,  i^endre  grâces  de  la  vengeance  quil  auoit  prinse 
de  la  mort  de  son  père  Achilles,  occis  par  Paris  Alexandre, 
deuant  Troye,  ladite  Hermione  fut  enuieuse  et  ialouse 
dicelle  Andromacha,  vefue  d'Hector,  tenue  parauant  en 
loyal  mariage  par  son  mary  Pyrrhus.  louxte  ce  que  dit 
Virgile,  en  )a  personne  d'Eneas,  parlant  à  Andromacha  : 

Hectoris  Andromache  Pyrrhin'  connubia  seruas  î 

A  cause  dequoy  Hermione  esprinse  de  rage  de  ialousie, 
pourchassa  de  tout  son  pouuoir  enuers  Menelaus,  son  père, 
que  Laodamas,  qui  estoit  seul  et  le  dernier  légitime  demouré 
des  enfans  d'Hector,  fut  mis  à  mort.  De  laquelle  chose 
aduertie,  Andromacha  sauua  son  filz  :  moyennant  la  force 
du  populaire  qui  luy  fut  fauorable  :  et  luy  donna  secours 
contre  la  tyrannie  dudit  Menelaus,  lequel  à  peines  peult 
eschaper  le  danger  de  sa  vie.  Par  ainsi  appert  que  des 
enfans  légitimes  d'Hector,  demeura  en  vie  ledit  Laodamas. 

Or  nest  il  pas  répugnant  ne  trop  hors  de  coustume,  que 
ledit  enfant  eust  deux  noms  aussi  bien  que  son  frère  Astya- 
nax, surnommé  Scamandrius.  Si  croy  fermement  que  Lao- 
damas et  Francus  furent  vn  mesme  personnage  :  ainsi 


STB  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

comme  lacob  et  Israël,  donc  quand  on  parle  du  peuple  des 
luifz,  on  ne  dit  pas  les  enfans  de  lacob  :  mais  les  enfàns 
d'Israël  :  car  le  second  nom  est  plus  noble  que  le  premier, 
lun  fut  imposé  à  lacob  par  ses  parens,  lautre  luy  fut  donné 
de  la  bouche  de  Dieu.  Pareillement  ie  croy  que  Laodamas 
fut  le  nom  primitif  de  son  enfance  :  mais  Francus  luy  fut 
donné  pour  la  franchise,  (1)  noblesse  et  férocité  (2)  de  son  cou- 
rage. Et  puis  quil  fut  sauué,  nourry  et  esleué  souz  la  tutele 
de  son  oncle  Helenus  :  qui  estoit  le  plus  sage  homme  du 
monde  :  et  qui  mieux  auoit  sceu  preuoir,  prédire  et  escheuer 
les  infortunes  de  Troye.  Il  faut  bien  dire  que  Laodamas  ou 
Francus  son  neueu  ne  fut  pas  exempt  de  sa  doctrine  et 
rertu. 


Comment  Helenus  frère  d'Hector  et  ses  successeurs  régnèrent  en 
vne  partie  de  Grèce,  quon  dit  maintenant  Albanie  et  Esclaaonie  : 
de  laquelle  lignée  yssirent  depuis  aucuns  Empereurs  de  Romme, 
mesmement  Coostantin  le  grand. 

Helenvs,  frère  d'Hector,  lequel  par  sa  parfonde  science 
et  expérience  de  congnoitre  les  choses  aduenir,  auoit  tous- 
iours  prognostiqué  et  prophétisé  toutes  les  infelicitez  de 
Troye,  et  desconseillé  la  guerre  de  tout  son  pouuoir,  fut 
preserué  de  mort  par  les  Grecz,  et  donné  à  Pyrrhus,  filz 
d'Achilles,  en  la  part  de  son  butin,  ensemble  Andromacha, 
vefue  d'Hector.  Or  vint  ledit  Pyrrhus  depuis  habiter  en 
Epire  :  qui  est  vne  partie  de  Grèce  et  de  Macedone,  quon 
dit  maintenant  Albanie  :  et  de  là  viennent  ces  cheuaux 


(1)  c.-à-d.  hardiesse. 

(2)  c-à-d.  fierté. 


SINGYLARITEZ   OE  TROYE.    LIVRE  lli.  277 

légers,  quon  dit  Albanois.  Dont  pour  la  preudhommie  que 
ledit  Pyrrhus  auoit  trouué  au  sage  Helenus,  mesmement 
pource  quil  lauoit  aduerti  de  non  soy  mettre  sur  mer  en 
certain  temps  quil  sauoit  estre  dangereux,  il  luy  feit  par- 
tage dune  portion  de  sa  terre,  pour  y  habiter,  et  illec  édi- 
fier vne  cité.  Et  oultreplus  luy  donna  à  femme  Androma- 
cha,  sa  belle  sœur.  Et  mit  en  sa  sauuegarde  et  tutele  Lao- 
damas,  seul  fllz  légitime  d'Hector  et  d'Andromacha  :  de 
laquelle  ledit  Helenus  eut  vn  filz,  nommé  Cestrinus,  qui 
régna  après  luy.  Mais  parauant  ladite  Andromacha  auoit 
eu  vn  autre  fîlz  de  Pyrrhus,  filz  d'AchiUes  :  lequel  eut  nom 
Molossus  :  qui  régna  en  vne  contrée  dudit  pais,  laquelle 
de  son  nom  il  appella  Molosse,  et  en  ce  quartier  naissent 
les  bons  chiens  de  chasse,  quon  dit  Allans  :  et  en  Latin 
molossi  :  qui  sont  comme  dogues  d'Angleterre. 

Ainsi  régna  Helenus,  filz  de  Priam,  en  ladite  prouince 
d'Epire,  quon  dit  maintenant  Albanie  :  dont  vne  partie  di- 
celle  il  nomma  de  son  nom  Helenie  :  et  y  fonda  vne  petite 
cité  quil  appella  Troye  :  maintenant  elle  se  nomme  Croye  : 
par  langage  corrompu,  comme  le  Croisic  en  Bretaigne  se 
deuroit  dire  le  Troisic  :  car  il  fut  fondé  par  Brutus,  prone- 
ueu  d'Eneas,  souz  le  nom  de  Troye.  Maintenant  ladite  cité 
de  Croye  en  Albanie  est  subie tte  au  Turc  :  qui  se  dit  estre 
descendu  de  Troïlus,  filz  de  Priam  :  et  du  temps  que  Hele- 
nus fondoit  sa  cité,  Eneas  exillé  de  Troye,  et  tirant  en  Ita- 
lie pour  y  habiter,  vint  voir  ses  parens  Helenus  et  Andro- 
macha, lesquelz  le  receurent  en  grand  amour  :  et  le  fes- 
toyèrent honnorablement  selon  leur  pouuoir  :  comme  descrit 
bien  noblemement  le  Prince  des  poètes  Virgile  au  troisième 
liure  des  Eneïdes.  Si  pria  ledit  Eneas  à  son  parent  Helenus 
quil  luy  voulust  declairer  ses  fortunes  aduenir  :  car  il  es- 
toit  archiprestre  du  Dieu  Phebus  :  qui  est  le  Dieu  de  deui- 


278  ILLVSTRATIONS   DE    GAYLE,   ET 

nation  :  et  sauoit  interpréter  la  voulenté  de  tous  les  Dieux, 
et  le  cours  des  estoilles  par  Astrologie  :  et  aussi  entendoit 
léchant  et  le  vol  des  oyseaux  :  comme  il  appert  par  ces  vers  : 

Troiugena  interpres  Dioûm,  qui  namina  Phœbi, 
Qai  Tripodas,  Clarii  laaros,  qui  sidéra  sentis, 
Et  volucrum  linguas,  et  prsepetis  omina  peanse  : 
Far 6,  âge,  etc. 

Lors  Helenus  tresdebonnairement  luy  voulut  complaire  : 
et  feit  sacrifice  solennel.  Apres  lequel  il  reuela  à  son  cousin 
Eneas  tous  les  cas  de  fortune  quil  auoit  à  passer  :  et  luy 
bailla  aduertance  de  tous  les  remèdes  et  consaux  pour  par- 
uenir  au  Royaume  d'Italie.  Ce  fait,  il  rafreschit  ses  nauires 
de  viures,  de  gens  et  de  nouuel  équipage  :  puis  luy  feit  plu- 
sieurs grans  et  riches  présents  dor,  dargent  et  de  précieuse 
vesture  et  entre  autres  choses  luy  donna  le  merueilleux  har- 
nois  de  guerre  de  Pyrrhus,  surnommé  Neoptolemus,  fîlz 
d'Achilles.  Dautre  part  la  noble  dame  Andromacha  donna 
à  son  neueu  lenfant  Ascanius.  filz  d'Eneas  et  de  Creusa,  fille 
de  Priam,  plusieurs  nobles  accoustremens  tissuz  et  ouurez 
de  ses  propres  mains.  Alors  les  deux  parties  feirent  que 
celuy  Helenus  ainsi  régnant  en  sa  petite  Troye,  vn  iour  al- 
lant à  la  chasse  tua  par  coup  de  mesauenture  son  frère 
puisné  nommé  Chaon  :  lequel  il  auoit  sauué  de  Troye,  dont 
il  eut  grand  dueil,  et  pour  soûlas,  honneur  et  remembrance 
de  luy  il  nomma  vue  partie  de  sa  prouince  Chaonie,  comme 
met  Bocace  au  sixième  liure  de  la  Généalogie  des  Dieux. 
Ainsi  passoient  leur  poure  fortune  ensemble  Helenus  et  la 
noble  Andromacha,  fille  iadis  du  Roy  Eetion  de  Thebes^ 
lequel  fut  destruit  par  Achilles,  auec  sept  de  ses  enfans  mas- 
les,  sa  cité  désolée,  et  sa  femme,  mère  de  ladite  Androma- 
cha. Laquelle  tresdesconfortee  Princesse  en  toutes  ses  an- 


SINGVLARITEZ    DB   TROYB.    LIVRE   Ili.  279 

goisses  nauoit  autre  reconfort,  sinon  en  son  fil2  Laodamas, 
qui  luy  representoit  la  figure  de  son  père  Hector,  le  chef 
de  toute  prouesse  et  cheualerie  du  monde,  duquel  ensuiure 
les  hauts  faits  mémorables,  elle  lenhortoit  souuent,  comme 
il  est  vraysemblable  quune  telle  mère  sauoit  bien  faire, 
pour  encourager  le  sien  si  tresnoble  enfant  vnique. 

Dautre  part,  son  oncle  Helenus,  lequel  ne  se  monstra 
point  en  la  guerre  de  Troye,  sans  plus  (1)  homme  de  science 
et  de  conseil  :  mais  dauantage  prompt  de  la  main  et  preux  aux 
armes,  monstroit  exemple  par  efiect  destre  preudhomme  (2) 
à  son  neueu  Laodamas  :  lequel  nous  estimons  certainement 
estre  tout  vn  comme  Francus,  et  linstruisoit  et  endoctrinoit, 
tant  en  science,  literature  et  bonnes  mœurs,  comme  aux 
armes,  à  la  chasse  et  autres  exercices,  telz  que  à  vn 
ieune  Prince  poure  et  exilé  de  son  pais  est  conuenable  et 
licite  de  faire  pour  attraire  la  beniuolence  des  siens  et  la- 
mour  des  estrangers,  sur  lesquelz  il  puist  dominer  et 
recouurer  terre,  par  amour,  par  alliance,  ou  par  force  si 
mestier  est  :  car  il  nappartient  point  à  enfans  dune  si  haute 
maison,  de  viure  sans  règne  et  sans  domination.  Et  quand 
le  cas  de  leur  décadence  et  infortune  aduient,  alors  faut  il 
que  Vertu,  mère  de  Noblesse,  estriue  contre  Fortune  à  toute 
rigueur,  et  que  finablement  Vertu  demeure  la  vainque- 
resse,  et  remette  sur  bout  la  sienne  tresclere  fille  Noblesse, 
comme  on  Iha  veu  souuentesfois  aduenir. 

lay  cy  dessus  touché  et  dit  que  Helenus,  filz  de  Priam,  fut 
aussi  prompt  aux  armes,  comme  prudent  en  conseil,  et  par- 
fond  en  secrètes  sciences.  Oultre  lesquelles  trois  choses  on 
ne  sauroit  rien   demander  en  Tn  Prince  mortel,  sinon  la 


(1)  c.-à-d.  uniquement. 

(2)  c.-à'd.  sage  et  preux. 


280  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

diuinité,  laquelle  est  aux  humains  non  capable  et  non  com- 
préhensible. Touchant  conseil  et  science,  il  est  assez  diuul- 
gué  par  les  histoires  de  Troye  communes,  que  Helenus  en 
estoit  abondant  plus  que  nul  autre  des  enfans  de  Priam. 
Mais  quant  aux  armes,  les  corrompues  histoires  nen  font 
mention  qui  vaille  :  pour  garder  Ihonneur  dun  si  noble  et 
vertueux  Prince,  je  les  vueil  icy  reciter  en  brief,  et  prou- 
uer  par  acteurs  autentiques.  Principalement  celles  qui  tou- 
chent conseil  et  confort  darmes,  où  il  estoit  présent  en  per- 
sonne. Et  aussi  armes  et  prouesses  faites  de  sa  main,  sans 
fuite,  reproche,  ou  lascheté  quelconque,  mais  ainsi  quun 
vray  Prince  et  cheualier  preudhomme  sen  doit  acquiter. 

Dictys  de  Crète,  au  troisième  liure  de  son  histoire  Troy- 
enne,  met  que  vn  iour  entre  les  autres  que  les  deux  armées 
sestoyent  assemblées  en  bataille  :  Achilles  estoit  si  forcenné, 
et  si  auant  en  sa  fureur  et  sa  force,  que  rien  ne  pouuoit  ar- 
rester  (1)  deuant  luy  :  et  ia  auoit  fait  tant  darmes  belliqueux, 
que  cestoit  horreur  de  le  voir.  Car  entre  autres  choses,  il 
auoit  mis  à  mort  Philemon,  Roy  de  Paphlagonie,  et  occis 
laurigateur  d'Hector,  cestadire  celuy  qui  gouuernoit  les 
frains  de  ses  chenaux  :  comme  cestoit  lors  la  manière  des 
Princes  de  combatre  sur  chariots,  ainsi  que  bien  à  plein 
auons  declairé  au  premier  liure  de  ces  Illustrations.  Au 
moyen  desquelles  choses,  larmee  Troyenne  estoit  toute 
esbranlee  et  preste  à  tourner  le  dos.  Et  ce  voyant  Helenus, 
singulier  archer  entre  les  autres,  choisit  son  coup,  et  des- 
cocha sa  flesche  par  droite  visée  iustement  en  la  main  dex- 
tre  d'Achilles,  tellement  quelle  luy  perça  gantelet  et  main 
tout  oultre.  Et  lors  laigre  douleur  sensitiue  de  la  playe 
retarda  la  rage  d'Achilles  :  car  il  fut  contraint  de  se  reti- 

(1)  c.-à-d.  tenir. 


SIMGVLARITEZ   DE  TROTI.    LITRE  HI.  281 

rer.  A  cause  dequoy  les  Troyens  furent  garanti»  pour  ce 
iour  de  grand  péril  et  deshonneur. 

Vne  autre  fois,  comme  recite  le  prince  des  poètes  Ho- 
mère au  sixième  jiure  de  son  Iliade,  si  ce  neust  esté  Hele> 
nus  qui  encouragea  son  frère  Hector  et  son  cousin  Ëneas, 
et  les  enhorta  de  grand  cœur  à  recommencer  la  bataille,  et 
luy  auec  eux,  les  Troyens  desia  mis  enfuyte,  eussent  recen 
grand  perte  et  deshonneur  irréparable.  Derechef  ledit  prince 
des  poètes  met  en  son  septième  liure  :  que  le  Prince  Hector 
par  la  persuasion  et  conseil  de  son  frère  Helenus,  prouo- 
qua,  cestadire  appella  et  deffla  les  Princes  de  Grèce,  vn 
pour  vn,  à  batailler  corps  à  corps.  Si  luy  fut  par  les  Grecz 
baillé  en  barbe  (1)  Aiax  Telamonius.  Le  combat  fut  entre  eux 
deux  grand,  impétueux  et  horrible  :  mais  nul  d'eux  deux 
ne  fut  vainqueur  ne  vaincu  :  ains  demeura  chacun  en  son 
entier,  par  laduis  des  Princes  et  consentement  des  parties  : 
dont  à  prendre  congé  lun  de  lautre,  chacun  des  champions 
par  courtoisie  cheualereuse  honora  son  compaignon  dun 
noble  présent  :  Hector  desboucla  sa  grand  espee  à  la  gaine 
argentine,  qui  luy  pendoit  de  lespaule  en  escharpe,  et  la 
tendit  à  Aiax  :  et  Aiax  quant  et  quant  deceingnit  son  riche 
baudrier  militaire  :  nommé,  selon  la  langue  Latine,  Baltee  : 
et  le  donna  à  Hector.  Ainsi  par  le  conseil  d'Helenus  Hector 
receut  pour  ce  iour  vn  grand  honneur  et  réputation  de 
prouesse,  vertu,  courtoisie  et  hautesse  de  cœur  :  voire  de 
ses  ennemis  mesmes. 

Au  treizième  liure  de  l'Iliade,  Homère  nous  monstre 
encores  mieux,  comment  Helenus  nespargna  onques  son 
corps  en  la  guerre  de  Troye.  Et  à  luy  ne  tint  quelle  ne  fust 
terminée  par  armes  :  car  en  lune  des  plusgrands  batailles 

(1)  c.-à*d.  mis  en  face. 


282  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

qui  furent  faites  en  la  campaigne  de  Troye,  luy  estant  au 
plusfort  de  la  presse,  pourfendit  iusques  aux  dens  dune 
grande  espee  esclauonne  vn  Prince  de  Grèce  nommé  Deïpy- 
rus,  amy  et  parent  du  Roy  Menelaus.  Laquelle  chose  voyant 
iceluy  Menelaus  en  eut  grand  dueil  :  et  le  voulut  venger. 
Si  se  tirèrent  vn  petit  au  large  :  Helenus  entesa  son  arc  et 
desbenda  par  grand  force  :  mais  la  flesche  ne  peut  mordre 
sur  la  forte  cuirasse  de  Menelaus,  ains  fut  reboutee.  Alors 
Menelaus  se  hasta  de  ietter  son  dard  par  grand  force  et 
roideur  :  tellement  quil  trauersa  la  main  d' Helenus  de  part 
en  autre.  Et  atout  iceluy  Helenus  se  retira  vers  ses  gens 
pour  se  faire  habiller.  Par  lesquelz  exemples,  il  appert  cle- 
rement  que  Laodamas  ou  Francus,  filz  vnique  demeuré 
d'Hector  et  de  Andromacha,  nourry  à  telz  escholes,  comme 
de  son  oncle  et  de  sa  mère,  expérimentez  de  lune  et  de  lau- 
tre  fortune,  deuoit  bien  estre  vn  grand  chef  d'œuure  en 
nature.  Si  ne  mesbahis  pas  si  depuis,  luy  et  sa  postérité  ont 
régné  sur  toute  nostre  Europe  :  et  ont  esté  renommez  la 
fleur  dhonneur,  de  noblesse  et  de  cheualerie  autant  ou  plus 
que  quelque  autre  nation  du  monde,  et  qui  iusques  auiour- 
dhuy  ont  régné  et  régnent  en  telle  estime  et  réputation. 
Mais  retournons  à  nostre  propos  d'Albanie. 

Auprès  de  ladite  contrée  d'Albanie  où  regnoit  pour  lors 
Helenus  filz  de  Priam,  siet  vue  autre  prouince  nommée 
Illyricus,  maintenant  dite  Esclauonnie,  subiette  aux  Véni- 
tiens, en  laquelle  vindrent  iadis  habiter  aucuns  peuples  de 
Troye,  qui  se  nommèrent  Dardaniens  :  comme  met  Antoine 
Sabellic,  au  sixième  liure  de  sa  septième  Enneade.  (1)  Et 
diceux  yssit  depuis  vn  Empereur  de  Romme  nommé  Flauius 
Claudius,  second  de  ce  nom.  Lequel  se  glorifioit  en  ses  til- 
tres  estre  yssu  de  Troye.  Par  quoy  il  fault  coniecturer,  que 

(1)  Rapsodia  historiarum  enncades  (Venet.  1498  et  1504). 


SIKGVLARITEZ   DE  TEOTE.    LIVRB  III.  283 

ce  fut  de  la  postérité  du  sang  dudit  Helenus,  et  de  Cestri- 
nus  son  filz,  et  ses  successeurs  en  droite  ligne,  qui  régnè- 
rent depuis  esdites  deux  contrées  voisines.  Et  de  la  lignée 
de  Crispus  frère  dudit  empereur  Claude,  second  de  ce  nom, 
descendit  depuis  Constans  César,  mary  de  sainte  Heleine, 
fille  de  Coel,  Roy  de  la  grand  Bretaigne  :  lesquelz  engen- 
drèrent lempereur  Constantin  le  grand,  qui  depuis  voulut 
reedifier  Troye.  Or  voyons  nous  desia  le  commencement  de 
la  ressourse  (1)  de  Troye  en  Europe.  Helenus  filz  de  Priam 
règne  desia  sur  vne  partie  de  Grèce,  et  luy  vaincu  donne 
loix  aux  vainqueurs.  Eneas  dautrepart  et  son  filz  Ascanius, 
neueu  d'Hector,  sen  vont  en  Italie  pour  fonder  le  grand 
empire  Romain,  du  mesme  temps  que  Bauo,  cousin  germain 
de  Priam,  commençoit  à  régner  en  Gaule  Belgique,  comme 
sera  veu  au  chapitre  ensuiuant. 


Du  Roy  Bauo,  cousin  germain  de  Priam,  qui  régna  en  Gaule  Belgique, 
incontinent  après  la  destruction  de  Troye  et  fonda  la  grand  cité  de 
Belges,  selon  les  chroniques  de  Haynau.  Et  de  la  primitlue  et  très- 
ancienne  fondation  de  la  cité  de  Treue»  en  Gaule  Belgique  :  là  où 
fut  adore  le  premier  Idole. 

Si  le  Prince  Helenus,  frère  d'Hector,  par  sa  merueilleuse 
science  et  prudence  presques  diuine,  auoit  sceu  preuoir  les 
malheureuses  destinées  de  Troye,  et  euiter  en  partie  les 
infortunes  dicelle,  aumoins  quant  à  sa  personne  et  celle  de 
la  noble  dame  Andromacha,  vefue  d'Hector,  et  de  leur 
commun  filz  Laodamas,  que  nous  disons  Francus  :  par 
cas  semblable  aussi  vn  autre  Prince  nommé  Bauo,  iadis 
Roy  en  la  haute  Phrygie,  cousin  germain  de  Priam,  expert 

(1)  c.-à-d.  rétablissement. 


284  ILLVSTRATIONS  DE   GAYLE,    ET 

en  tout  art  dastronomie  et  de  magique,  le  sceut  bien  faire  : 
tellement  que  par  les  respons  et  oracles  de  Dieux,  il  vint 
habiter  et  régner  en  Gaule  Belgique.  Duquel  Bauo  et  de 
ses  gestes  ie  feray  icy  la  narration  historiale  brieue  et  suc- 
cinte,  en  ensuiuant  maistre  laques  de  Guise,  docteur  en  théo- 
logie de  lordre  des  frères  mineurs,  homme  de  grand  litera- 
ture  et  diligence,  comme  il  appert  par  ses  œuures  :  lesquel- 
les il  composa  à  la  requeste  du  conte  Guillaume  de  Hay- 
nau,  en  deux  beaux  et  grans  volumes  en  Latin.  Lesquelz 
sont  au  conuent  de  saint  François,  en  la  bonne  ville  de  Va- 
lenciennes,  où  ledit  maistre  Guillaume  (1)  est  honorable- 
ment sépulture.  Et  dit  ledit  acteur  ainsi  : 

Au  temps  que  Labdon  estoit  luge  sur  les  enfans  d'Israël, 
vn  Prince  nommé  Bauo,  Roy  en  la  haute  Phrygie,  cousin 
germain  de  Priam  du  costé  maternel,  car  leurs  deux  mères 
estoient  sœurs,  iasoit  ce  que  de  son  pouuoir  il  eust  donné 
secours,  conseil,  confort  et  ayde  à  son  cousin,  le  Roy 
Priam,  et  que  tout  ce  nauoit  de  rien  seruy  :  congnoissant 
aussi  par  art  dastronomie  et  dautres  sciences  secrètes, 
dont  il  estoit  bien  garny,  que  la  noble  lignée  des  Troyens 
seroit  extirpée  d'Asie,  pour  estre  plantée  en  Europe  :  et 
que  cestoit  pour  néant  de  regimber  contre  lesguillon,  et  de 
soy  cuider  reuenger  contre  la  voulenté  des  Dieux  et  desti- 
nées fatales  des  hommes,  il  luy  sembla  quil  valoit  mieux 
ployer  que  rompre,  et  fleschir  par  obéissance,  que  estre 
desraciné  par  obstination.  A  ceste  cause  il  eut  consultation 
solennelle  auec  ses  Dieux  :  et  leur  response  et  commande- 
ment entenduz,  il  délibéra  de  quérir  autres  terres  et  man- 
sions.  Si  le  feit  par  effect,  laissant  et  abandonnant  son 

(1)  Les  éditions  1513  et  1528  portent  également  Chiillavme  &\x  lieu 
de  Jaques. 


SIMGTLARITBZ  DE  TROYE.    LIVRB   III.  285 

Royaume  de  la  haute  Phrygie  desia  tout  gasté  et  depopulé 
par  Achilles  et  Aiax  Telaraonius. 

Or  print  le  Roy  Bauo  tout  ce  quil  peut  recueillir  de  son 
peuple  et  de  sa  famille,  de  ses  nobles  et  de  ses  adherens  : 
entre  lesquelz  il  y  auoit  quatre  Ducz  qui  se  ioingnirent 
auecques  leur  Roy.  Et  fut  ceste  bende  equippee  de  deux 
cens  nauires,  à  tout  lesquelles  le  Roy  Bauo  entra  en  la  mer 
Hellesponte,  nauiga  toute  la  mer  Mediterrane  :  passa  les 
destroits  de  Maroch  :  enuironna  les  Espaignes  et  les  riuages 
de  Gaule,  quon  dit  maintenant  Bretaigne,  Normandie  et 
Picardie.  Et  print  terre,  quand  il  veit  son  poinct,  sur  les 
sablons  en  vne  contrée  qui  nest  pas  fort  loing  du  pais,  qui 
ores  se  nomme  Haynnau,  Conté  Impériale  et  Palatine  du 
dommaine  de  l'Archiduc.  Et  illec  sarresta  par  oracle  fatal, 
et  par  la  guide  dun  loup  blanc,  qui  le  guida  selon  la  res- 
ponse  des  Dieux.  Qui  seroit  chose  trop  longue  à  raconter, 
pourquoy  ie  men  passe  de  léger  et  remets  les  nobles  lec- 
teurs ausdites  chroniques  de  Belges,  qui  sont  belles  et 
autentiques. 

En  ladite  région  fonda  le  Roy  Bauo  vne  grand  cité, 
laquelle  il  nomma  Belges,  en  Ihonneur  comme  ie  croy  du 
Roy  Belgius,  qui  régna  pour  le  treizième  Roy  au  Royaume 
de  Gaule,  comme  il  est  dit  plus  amplement  au  premier 
liure  de  ces  Illustrations.  Toutesuoyes  lesdites  chroniques 
de  Belges  disent  que  ce  fut  au  nom  du  Dieu  Belus,  père  de 
Ninus  Roy  des  Babyloniens  ou  Assyriens,  lequel  fonda  la 
grand  cité  de  Niniue,  et  fut  le  premier  inuenteur  d'Idolâ- 
trie :  car  il  consacra  limage  ou  idole  de  son  père  Belus  et 
la  feit  adorer  par  ses  subietz,  et  luy  porter  honneurs 
diuins  :  laquelle  pestilence  fut  depuis  esparse  et  esuentee 
par  tout  le  monde,  iusques  à  laduenement  de  nostre  ré- 
dempteur. 


ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

Or  est  il  asauoir,  que  des  le  temps  du  patriarche  Abra- 
ham, lequel  nasquit  lan  deux  cens  nonantedeux  après  le 
déluge  :  cestasauoir,  lan  quarantetroisieme  du  règne  de 
Ninus  lancien,  troisième  Roy  de  Babylone,  ladite  erreur 
damnable  d'Idolâtrie  vint   empoisonner  les    Gaules,  par 
inconuenient  (1)  :  ainsi  quil  sensuit.  Vous  sauez  selon  les 
histoires  de  la  sainte  escriture  et  de  Berosus  de  Chaldee,  qui 
saccorde  à  elle,  comme  il  est  assez  clarifié  par  le  premier 
liure  de  ces  Illustrations,  que  Nembroth  le  géant,  fîlz  de 
Cam,  fut  par  son  ayeul  le  grand  Patriarche  Noë,  establi  et 
constitué  premier  Roy  et  Saturne  des  Assyriens  ou  Baby- 
loniens. Et  lors  commença  le  fondement  de  la  première 
monarchie  du  monde  :  cestasauoir,   lan  après  le  déluge, 
cent  trente  et  vn.  Et  par  ledit  Nembroth  fut  commencée 
la  tour  de  Babel,  pour  escheller  le  ciel  :  mais  non  parfaite, 
à  cause  de  la  confusion  des  langues.  Finablement  ledit 
Nembroth,  lan  cinquantesixieme  de  son  règne,  fut  inuisible- 
ment  transporté  hors  du  monde  et  ne  comparut  plus  entre 
les  humains.  Et  lan  treizième  de  son  règne  Samothes  sur- 
nommé Dis,  par  le  commandement  de  son  grand  père  Noë, 
fonda  le  Royaume  de  Gaule  :  et  en  fut  le  premier  Roy  et 
Saturne.  Puis  lan  vingtcinquieme  du  règne  dudit  Nem- 
broth, Tuyscon  le  géant,  filz  de  Noë,  engendré  après  le 
déluge,  commença  à  régner  sur  les  Germains. 

Apres  Nembroth,  ûlz  de  Cam,  régna  Belus  son  filz,  qui 
fut  surnommé  lupiter  et  deïfié  par  son  filz,  dont  tout  labus 
des  Idolâtres  print  origine  :  car  selon  la  diuersité  des  lan- 
gues, il  fut  diuersement  nommé.  Cestasauoir  Baal,  Beel, 
Beelphegor,  Baalim,  Beelzebub,  et  autrement  dont  la 
sainte  escriture  fait  souuent  mention.  Iceluy  Belus  toutes- 

(1)  c.-à-d.  par  malheur. 


SIMGVLARITEZ   DE   TROTB.    UTRK  III.  287 

uoyes  fut  homme  tresprudent  et  trespacifîque  :  si  assit  et 
ietta  les  premiers  fondemens  de  la  grand  Babylone.  Et  cest 
ce  qui  meut  son  filz  Ninus  à  laymer  tant  et  honnorer  après 
sa  mort  :  laquelle  fut  lan  soixantedeuxieme  de  son  règne. 

Ninus,  filz  de  lupiter  Belus,  troisième  Roy  des  Babylo- 
niens ou  Assyriens,  comme  met  Berosus  de  Chaldee  au 
cinquième  liure  de  ses  Déflorations,  régna  après  son  père 
lupiter  Belus,  par  lespace  de  cinquantedeux  ans.  Ce  fut  le 
premier  qui  viola  laage  doré  par  armes  :  car  par  grand 
couuoitise  de  dominer,  si  feit  la  guerre  à  tous  ses  voisins, 
sans  espargner  homme  viuant.  Et  fut  le  premier  des  Roy  s 
de  Babylone  qui  eslargit  son  empire.  Et  le  premier  de  tous 
les  hommes,  qui  institua  temples  et  autelz  pour  sacrifier  à 
son  père  lupiter  Belus  et  à  luno  sa  mère,  et  qui  premier 
leur  dédia  statues  et  simulacres,  et  les  esleua  au  mylieu  de 
la  cité  de  Babylone,  qui  fut  le  commencement  de  toute 
Idolâtrie  comme  dessus  est  dit. 

Lan  cinquante  unième  du  règne  de  Ninus  qui  espousa 
Semiramis,  la  merueilleuse  femme,  Magus  le  deuxième  Roy 
de  Gaule,  filz  de  Samothes  surnommé  Dis,  et  Saturne, 
commença  à  régner  sur  les  Gaulois.  Et  fut  le  premier  qui 
fonda  villes  et  citez,  comme  ces  choses  sont  plus  ample- 
ment descrites  au  premier  liure  de  ces  Illustrations.  Apres 
lequel  régna  Semiramis  Ascalonite,  femme  dudit  Ninus  et 
mère  de  Ninus  second  de  ce  nom,  laquelle  régna  sur  les 
Babyloniens  ou  Assyriens,  par  lespace  de  quarantedeux 
ans,  de  laquelle  Berosus  de  Chaldee  au  liure  preallegué  dit 
ces  mots  dignes  de  mémoire,  principalement  pource  quelle 
fut  fondateresse  de  la  grand  Babylone  :  Hœc  antecessit 
militia,  triumphis,  diuitiù,  victoriis,  et  imperio  omîtes 
mortales.  Ipsa  hanc  vrhem  maximam  ex  oppido  fecit  :  tt 
magis  dici  possit  illam  adi/icasse,  quàm  ampliasse.  Nemo 


288  ILLVSTRATIONS   DE   GÀVLE,   ET 

tnguàm  Tiuic  fœmina  comparandus  est  virorum.  Tanta  in 
eius  mta  dicvniur  et  scribuntur,  cum  ad  mtuperationem, 
tum  maxime  ad  coUaudationem  magniûca. 

Semiramis  portoit  en  ses  armes  vne  colombe,  de  laquelle 
dit  Hieremie  le  Prophète,  prophétisant  la  future  persécution 
des  luifz  par  les  Assyriens  :  Fugite  à  fade  gladii,  columbœ. 
Au  temps  de  laquelle  regnoit  en  Gaule,  pour  le  troisième 
Roy,  Sarron,  filz  de  Magus  :  lequel  pour  refreindre  la  féro- 
cité des  hommes,  institua  premièrement  les  estudes,  col- 
lèges et  vniuersitez  publiques.  Et  en  AUemaigne  régnèrent 
successiuement  du  temps  de  ladite  Semiramis,  Mannus  filz 
de  Tuyscon  le  géant,  pour  le  deuxième  Roy,  et  Inghaueon 
pour  le  troisième,  lesquelz  fondèrent  deux  peuples  de  leur 
noms  :  comme  sera  dit  plus  auant  en  ce  liure.  Icelle  Semi- 
ramis commença  à  régner  lan  cccii.  après  le  déluge  :  et 
régna  xlii.  ans.  Cestasauoir,  iusque  à  ce  quelle  fut  occise 
par  les  propres  mains  de  son  filz  Ninus,  second  de  ce  nom, 
lequel  régna  sur  les  Babyloniens  après  elle  :  et  du  temps 
de  son  règne  trespassa  de  ce  siècle  le  bon  patriarche  Noë. 

Or  auoit  eu  Ninus  filz  de  lupiter  Belus,  vn  filz  dune 
autre  femme,  nommé  Trabeta,  qui  par  droit  deuoit  succé- 
der au  Royaume  de  Babylone  :  mais  la  Royne  Semiramis 
len  garda  bien,  car  elle  en  print  le  gouuernement  et  les 
armes  pour  son  filz  Ninus  le  ieune  :  et  régna  comme  dessus 
est  dit.  Alors  Trabeta,  craingnant  et  non  sans  cause,  la 
puissance  et  fureur  de  sa  marrastre,  la  plus  terrible  femme 
du  monde,  senfuyt  de  Babylone  pour  chercher  autres  terres 
à  habiter  :  dont  après  auoir  long  temps  erré,  vagabondant 
parmy  le  monde,  il  sarresta  finablement  en  nostre  Gaule 
Belgique,  non  pas  trop  lôing  de  la  riuiere  du  Rhin,  et  illec- 
ques  fonda  vne  cité  quil  nomma  Treues  de  son  nom.  La- 
quelle est  encores  en  estre,  mais  non  pas  en  si  grand  ma- 


SIHOTLAEITBZ   DB  TROYE.    LIVRE   III. 

gniâcence  quelle  estoit  du  temps  des  Romains  :  et  auant 
iceux.  Toutesuoyes  larcheuesque  de  Treues  est  lun  des  prin- 
cipaux Electeurs  de  Lempire  :  et  se  intitule  Arcbichancel- 
lier  de  Gaule.  Geste  cité  de  Treues  estoit  le  principal  seiour 
du  Roy  Pépin,  père  de  lempereur  Charles  le  grand  :  comme 
en  la  cité  capitale  pour  lors  de  France  Orientale.  On  voit 
encores  en  icelle  auiourdhuy,  plusieurs  grans  ruines  et 
merueilleuses  antiquitez ,  qui  monstrent  bien  combien 
grande,  noble  et  puissante  elle  fut  iadis.  Et  de  nostre  temps 
y  ha  esté  trouuee  vne  grand  pierre,  en  laquelle  estoient 
grauez  de  lettre  antique,  les  vers  qui  sensaiuent  de  sa  fon- 
dation : 

Nini  Semiramis,  quse  tanto  coniugfe  felix 

Plurima  possedit,  sed  plara  prioribus  addit, 

NoQ  contenta  suis  nec  totis  finibus  orbis,  i 

Expulit  é  patrio  priuignum  Trabeta  regno 

Insignem,  profugus  nostram  qui  condidit  Trbem. 

lay  voulentiers  fait  cest  incident  pour  deux  raisons  : 
lune,  à  fin  quon  sache  en  quel  temps  la  Gaule  Belgique  fut 
premièrement  empoisonnée  de  cest  erreur  diabolique  dido* 
latrie,  cestasauoir,  mille  neuf  cens  quarantesept  ans  auant 
lincarnation  nostre  Seigneur,  que  ledit  Trabeta  fondateur 
de  Treues  feit  premièrement  adorer  en  sa  cité  l'Idole  et 
statue  ou  simulacre  de  son  grand  père  lupiter  Belus,  filz 
de  Nembroth  le  géant,  premier  Saturne  des  Babyloniens. 
Lautre  raison  est,  à  fin  quon  voye  comment  de  toute  an- 
cienneté la  fleur  de  la  noblesse  d'Asie  sest  venue  rendre  en 
Europe,  mesmement  en  Gaule  :  dont  elle  nha  depuis  bougé  : 
ainçois  sy  est  tousiours  multipliée  de  plus  en  plus,  comme 
il  appert.  Or  reuenons  maintenant  à  nostre  propos  du  Roy 
II.  49 


290  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

Bauo,  cousin  germain  de  Priam  :  lequel  Bauo  fonda  la  grand 
cité  de  Belges. 


Comment  le  Roy  Bauo,  fondateur  de  la  grand  cite  de  Belges,  meit  en 
ruine  la  cité  de  Treues  :  pource  que  la  seigneurie  de  Treues 
luy  demandoit  tribut  dauoir  fondé  et  prins  habitation  en  leur  ter- 
ritoire. Et  des  quatre  Ducz  du  dit  Roy  Bauo,  desquelz  chacun  fonda 
vne  cité  en  la  Gaule  Belgique. 


Av  premier  liure  de  ces  Illustrations,  il  est  dit  que  Bel- 
gius,  treizième  Roy  de  Gaule,  fonda  vne  cité  de  son  nom  : 
laquelle  fut  dite  Belges.  Or  à  fin  quil  ny  ayt  répugnance 
ne  reprehension  en  nostre  histoire,  et  quelle  soit  clere  et 
nette  à  mon  possible,  ie  treuue  par  acteurs  autentiques, 
quen  Gaule  Belgique  furent  iadis  trois  citez  principales 
nommées  Belges  :  dont  lune  est  Beauuais  en  Picardie,  qui 
se  dit  en  Latin  Beluacum  :  ou  selon  Iulius  César  Belloua- 
cum,  cité  episcopale,  et  dont  leuesque  est  lun  des  douze 
pers  de  France.  Lautre  est  celle,  dont  au  chapitre  précè- 
dent est  touché,  Treues,  en  basse  Allemaigne,  ou  plustost 
France  Orientale.  La  tierce  est  Bauais  en  Haynnau  : 
laquelle  à  présent  nest  quune  petite  ville  déserte  et  désem- 
parée :  mais  les  ruines  dicelle  monstrent  bien  que  au  temps 
passé  elle  ha  esté  de  merueilleuse  es  tendue.  Et  ceste  cy 
fut  fondée  par  les  Troyens  :  celle  quon  dit  Treues  en  Alle- 
maigne, par  les  Assyriens  ou  Babyloniens  :  et  Beauuais  en 
Picardie,  fut  celle  que  fonda  Belgius,  treizième  Roy  de 
Gaule  :  à  ce  que  ie  puis  coniecturer. 

Comme  donques  le  Roy  Bauo  auecques  ses  Troyens  eut 
fonde  sa  cité  de  Belges,  au  païs  des  Neruiens  :  qui  depuis 
ont  esté  nommez  Ha^nuiers,  Namurois,  Cambrisiens  et 


SINGTLARITEZ  DE  TROTE.   LIVRE  III.  29i 

Tournisieus,  ceux  de  Treues  qui  disoient  à  eux  appartenir 
fout  le  territoire  de  celle  contrée,  comme  les  premiers 
venuz  enuoyerent  signifier  au  Roy  Bauo,  que  luy  et  tout  son 
peuple  eussent  à  vuider  hors  de  leur  païs  :  ou  quilz  payas- 
sent et  rendissent  de  tribut  à  la  seigneurie  de  Treues,  (1) 
comme  souueraine,  mille  sengliers  et  mille  cerfz,  et  quinze 
cens  bestes  à  corne,  ou  autrement  dedens  peu  de  iours  ilz 
seroient  tous  mis  à  mort  par  ceux  de  Treues. 

Icelles  orguilleuses  menasses  entendues  par  le  Roy  Bauo  : 
il  respondit,  que  les  Troyens  ne  furent  iamais  tributaires, 
mais  franez  par  tout  le  monde  :  comme  ceux  mesmes  qui 
auoient  aprins  dexiger  et  receuoir  tribut  des  autres.  Et  à 
ceste  cause  ne  denioit  il  pas  seulement  de  payer  tribut  à 
ceux  de  Treues  :  mais  leur  commandoit  que  doresenauant 
ilz  fussent  tributaires  au  Royaume  de  Belges.  Lesquelles 
paroles  esmues  entre  lesdites  nations,  la  guerre  y  fust  tan- 
tost  enflambee,  tellement  que  les  Troyens  prindrent  de 
fait  et  de  force  la  trespuissante  cité  de  Treues,  et  la  pil- 
lèrent, brusleront  et  démolirent  de  fonds  en  comble.  Si 
apportèrent  en  la  nouuelle  cité  de  Belges  vn  trésor  infiny 
de  richesses,  de  proye  et  de  butin.  Et  comme  victorieux 
amenèrent  pour  prisonniers  les  Idoles  de  Treues,  auecques 
riches  vaisseaux,  meubles  et  ornemens,  seruans  à  leurs 
autelz  et  sacrifices.  Par  ainsi  fut  lerreur  d'Idolâtrie  encores 
plus  autorisée  que  deuant  en  nostre  Gaule  Belgique  :  car 
oultre  les  Idoles  de  Treues,  le  Roy  Bauo  auoit  amené  les 
siennes  de  Troye  :  dont  des  despouilles  par  luy  conquises, 
il  feit  faire  sept  merueilleux  temples  en  sa  cité  :  en  laquelle 


(1)  L'id.  1528  n*a  qU6  :  payassent  dg  tribut.  —  Rendre  signifie 
payer  une  rente.  On  dit  encore  à  Liège  :  «  Maison  à  vendre  ou  à 
rendi"e.  » 


293  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

il  y  auoit  sept  portes  selon  les  sept  planettes,  et  mille  toars, 
chacune  de  cent  coudées  de  haut  :  et  de  dixhuit  despesseur. 
Puis  édifia  son  palais  par  amplitude  et  magnificence  in- 
croyable :  comme  on  peult  voir  par  ladite  chronique  de 
Belges. 

Ainsi  creut  soudainement  en  merueilleuse  hautesse  la 
grand  cité  de  Belges,  par  la  ruine  de  Treues  :  car  comme 
dit  le  Philosophe,  la  corruption  daucune  chose  est  la  géné- 
ration dune  autre.  Si  fut  le  Roy  Bauo  craint  et  redouté  de 
ses  voisins,  et  estendit  sa  seigneurie  iusques  sur  le  fleuue 
du  Rhin.  Et  pour  mieux  fortifier  ses  alliances,  il  bailla  aux 
quatre  Ducz  de  la  haute  Phrygie  qui  lauoient  accompaigné, 
à  chacun  vne  de  ses  filles.  Et  leur  donna  franchise  et  liberté 
de  pouuoir  édifier  chacun  vne  cité,  sur  les  confins  et  extre- 
mitez  de  la  Gaule  Belgique.  Par  ainsi  le  premier  diceux 
Ducz,  nommé  Turguncius  auec  sa  femme  et  son  peuple, 
alla  fonder  la  cité  de  Tongres,  sur  le  riuage  de  la  mer 
Oceane.  Et  qui  est  vne  chose  merueilleuse  et  digne  destre 
racontée,  entre  les  miracles  et  prodiges  de  ce  monde.  Il  est 
certain  que  du  temps  de  saint  Seruais,  qui  fut  euesque  de 
T^ues,  et  parent  de  nostre  Seigneur  iesvs  christ,  la  mer 
se  recula  de  Tongres,  enujron  trente  grands  lieiies  d'Alle- 
maigne,  comme  il  appert  par  sa  légende.  Et  vescut  ledit 
saint  Semais  (si  la  chronique  est  vraye)  iusques  au  temps 
de  saint  Ambroise  et  de  saint  Hierome ,  lequel  espace 
peult  bien  contenir  trois  cens  quatre  vingts  ans.  Et  ne  sen 
faut  pas  esbahir  :  car  lean  des  Temps,  escuyer  de  l'Empe- 
reur Charles  le  grand,  qui  nestoit  pas  parent  de  Dieu  : 
vescut  trois  cens  ans,  comme  tesmoignent  toutes  les  his- 
toires de  France  et  d'AUemaigne  et  d'Italie  auec.  (1)  Toutes- 

(1)  Wallonisme. 


SINGVLARITEZ   DR   TROTB.    LIVBE   III.  393 

uoyes  Ihistoire  de  Tongres  ne  dit  pas  que  leur  cité  fut  fon- 
dée par  Turguncius,  mais  par  vn  autre  nommé  Torgotus, 
qui  fut  long  temps  après  yssu  de  Sicambre  et  la  nomma  du 
nom  de  son  filz,  comme  sera  dit  cy  après  en  la  généalogie 
de  l'Empereur  Charles  le  grand. 

Des  autres  trois  Ducz  du  Roy  Bauo,  Ion  nommé  Mosella- 
nus  (1)  passa  la  forest  d'Ardenne  et  fonda  la  cité  de  Metz 
en  Lorraine,  sur  la  riuiere  de  Moselle.  Le  tiers  qui  eut  nom 
Morineus,  édifia  la  cité  quon  dit  en  Latin  Morinum,  et 
maintenant  elle  sapelle  Terouane  en  Picardie  :  cestadire, 
Terre  vaine  et  inutile,  et  gastee  par  les  Huns,  quon  dit 
maintenant  Hongres,  de  laquelle  le  poëte  dit  : 

Eztremique  hominum  Morini.- 

Comme  silz  fussent  au  bout  du  monde.  Le  quart  Duc,  nom- 
mé Carineus  ou  Clarineus,  en  lieux  palustres  et  sur  gros- 
ses riuieres  et  marescages,  bastit  et  fonda  vne  cité,  la  quelle 
il  nomma  Carinee  ou  Clarinee.  Aucuns  tiennent  que  cest  la 
grand  ville  de  Gand  en  Flandres,  assise  sur  trois  grosses 
riuieres  portans  bateau  :  là  où  depuis  Iulius  César  feit  faire 
vn  chasteau.  Les  autres  disent,  que  ladite  Carinee  ou  Clari- 
nee est  la  ville  de  Clermont  en  Beauuoisis,  assise  en  très- 
beau  pais  à  quatorze  lieues  de  Paris,  sur  le  grand  chemin 
d'Amiens. 

Le  Roy  Bauo  quand  il  eut  donné  ordre  à  toutes  les  cho- 
ses dessudites,  se  nomma  et  intitula  oultre  et  pardessus  le 
tiltre  de  maiesté  Royale  Archidruyde,  qui  vaut  autant  à 
dire,  comme  prince  des  Prostrés  et  des  Philosophes,  ou  tel 
quon  pourroit  dire  à  présent  vn  Pape  :  car  il  estoit  chef 
des  sacrifices  :  et  mourut  honorablement  du  temps  que 

(1)  Afosselanus  {éd.  1513). 


294  ILLVSTRÂTIONS  DE   GAVLE,    ET 

Sanson  estoit  iuge  sur  les  enfans  d'Israël.  Si  semble  que  le 
poëte  Ouide  en  fasse  mention,  et  vueille  entendre  de  cestuy 
cy  quand  il  dit  : 

Ingeniique  sui  dictus  cognomine  Largus 
Gallica  qui  Phrygium  duxit  in  arua  senem. 

I,  lasoit  ce  que  Michel  Riz,  en  son  viuant  dit  aduocat  de 
Naples,  et  conseiller  du  Roy,  au  prologue  de  son  œuure, 
quil  ha  intitulé  des  Roy  s  de  Naples,  cuide  que  par  les  vers 
dessudits  le  poëte  Ouide  vueille  signifier  et  designer  Fran- 
cus  filz  d'Hector  :  lequel  vint  régner  en  Gaule  Celtique.  Ce 
qui  ne  peult  auoir  lieu  :  car  il  lappelle  vieil.  Et  si  nous 
considérons  bien  toutes  les  circonstances  de  ceste  histoire, 
Francus  ne  pouuoit  auoir  plus  de  vingt  ans  quand  il  com- 
mença à  régner  sur  les  Celtes.  Vn  autre  acteur  du  temps 
passé,  iasoit  ce  que  son  Latin  ne  soit  pas  trop  élégant  ou 
cliquant,  (1)  porte  neantmoins  tesmoignage  assez  ample 
dudit  Roy  Bauo,  fondateur  de  Belges  :  car  il  dit  ainsi  : 

Rex  fuit  iramensus  quondam  qui  nomine  dictus 
Bauo  :  de  génère  régis  Priami  fuit  ille. 
Troise  post  miseros  luctus,  ignesque  secundos, 
Pei'  mare  cura  sociis  Asise  transuectus  ab  oris, 
Uenit  in  extreraas  vbi  sol  se  mergit  in  vndas, 
Urbem  tune  magnam  rex  Bauo  condidit  vnam, 
Qiise  nimis  immensa  Belgis  fuit  illa  vocata. 


(1)  En  ronchi  cliquant  =  clinquant. 


8INGVLAR1TEZ   DE   TROTB.    LIVRE    III.  295 


De  Baao  Belgineas,  fllz  et  succeuear  dudit  Roy  Bauo  premier  de  ce 
nom,  au  temps  duquel,  Brutua  vint  en  la  Oaule  Armorique  :  et 
fonda  les  Bretons  et  la  cité  de  Tours.  Et  comment  autres  Princes 
Trojens  vindrent  en  diuerses  parties  de  Oaule  et  de  Germanie,  et 
constituèrent  plusieurs  nobles  maisons,  peuples  et  citez  :  mesme- 
ment  de  lantique  noblesse  de  ceux  d'Auuergne  et  de  Chartres,  prou- 
uee  par  acteurs  autentiques  :  et  comment  il  y  anoit  anciennement 
en  France  vne  cité  nommée  Bretaigne. 

Apres  la  mort  du  Roy  Bauo,  Archidruyde  et  Patriarche 
de  Gaule  Belgique,  succéda  son  filz  nommé  Bauo  Belgineus. 
Au  temps  duquel  dominoit  sur  les  Latins  en  Italie  lulus 
Ascanius,  fîlz  d'Eneas  et  de  Creusa,  fille  de  Priam  :  de  la- 
quelle lignée  descendit  depuis  Iulius  César,  premier  monar- 
que dçs  Romains.  Ledit  Bauo  Belgineus  régna  quarantequa- 
tre  ans  en  la  cité  de  Belges  :  et  feit  vne  loy,  que  tout  son 
peuple  mengeast  en  publique,  en  ensuiuant  la  coustume  des 
Lacedemoniens  :  à  fin  que  chacun  fust  égal  :  et  que  lun  neust 
point  denuie  sur  lautre.  Et  est  asauoir,  quen  ce  temps  lii 
les  Princes  et  les  Peuples  viuoient  pour  la  plus  part  de 
venaison.  Si  estoient  presques  tous  veneurs  plus  que  labou- 
reurs :  car  il  y  auoit  grand  foison  de  bestes  es  foretz  inha- 
bitées, et  mesmement  en  ce  quartier  là  de  Belges,  quon  dit' 
maintenant  Haynnau  :  là  où  est  la  forest  de  Niormault,  (1) 
fille,  cestadire  vn  membre  de  celle  d'Ardenne.  Là  où  enco- 
res  dure  et  perseuere  le  tresnoble  vsage  et  exercice  de  vé- 
nerie ou  braconnerie,  et  chasse  tant  de  chenaux  saunages, 
comme  de  bestes  rousses  et  noires,  doiseaux  de  proye,  de 
gibier  et  de  poissons,  autant  Royale  et  franche,  quen  quel- 

(1)  Morma%lt  (éd.  1513),  auj.  forêt  de  Mormal. 


296  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,  ET 

que  autre  païs  quon  sache.  Et  pource  les  Roys  de  France 
y  enuoient  vne  fois  lan  leurs  veneurs. 

Au  temps  dudit  Bauo  Belgineus,  vn  Prince  nommé  Bru- 
tus,  filz  de  Syluius  Posthumus,  troisième  Roy  des  Latins, 
et  de  Lauinia,  seconde  femme  d'Eneas,  querant  nouuelles 
contrées  à  habiter,  comme  il  auoit  de  commandement  par 
loracle  des  Dieux  :  vint  par  mer  en  la  Gaule  Armorique, 
quon  dit  maintenant  la  Royale  Duché  de  Bretaigne.  Et  y 
entra  par  la  bouche  du  fleuue  de  Loire,  fonda  le  Croisic 
ou  Troisic  du  nom  de  Troye,  et  Guerrande,  passa  par  Nan- 
tes qui  desia  parauant  estoit  fondée  :  comme  il  est  dit  au 
premier  liure  des  Illustrations,  et  monta  contremont  la 
riuiere,  iusques  au  lieu  où  maintenant  est  assise  la  cité  de 
Tours,  de  laquelle  il  fut  fondateur.  Et  depuis  rentra  en 
mer  et  alla  conquérir  sur  les  Geans  lisle  d'Albion  :  et  la 
nomma  Bretaigne  :  maintenant  elle  est  dite  Angleterre.  En 
laquelle  il  fonda  vne  cité  principalle  :  et  la  nomma  la  nou- 
uelle  Troye,  qui  ores  se  dit  Londres,  sur  le  fleuue  de  Tha- 
myse.  Desquelles  choses  ie  me  déporte  pour  le  présent,  car 
ce  désire  vne  œuure  apart. 

Il  faut  retourner  aux  successeurs  du  Roy  Bauo  :  lesquelz 
à  brief  dire,  estendirent  leur  seigneurie  par  force  et  prou- 
esse darmes  sur  toutes  les  Gaules  et  Germanies,  aussi 
auant  quelles  sestendent,  mesmement  le  sixième  de  ceste 
lignée  nommé  Brunehaut,  qui  fut  contemporain  au  Roy 
Dauid  de  ludee.  Iceluy  Brunehaut,  Prince  magnifique  et 
de  grand  cœur,  feit  faire  les  chaussées,  dont  on  voit  iusques 
auiourdhuy  les  trasses  en  beaucoup  de  lieux  de  la  basse 
AUemaigne  et  de  France  :  mesmement  du  costé  d'Amiens 
en  Picardie.  Et  dura  ceste  lignée  des  Roys  Belgiens,  ius- 
ques au  temps  de  luUes  César,  lequel  occupa  toutes  les 
Gaules  :  après  auoir  occis  en  bataille  Andromadas,  le  der- 


»  8INGTLARITBZ   DE   TBOTE.    LIVBB  III.  â97 

nier  des  Roy  s  Belgiens,  sur  le  fleuue  de  Saœbre,  et  sur  le 
mesme  lieu,  dont  Lacteur  de  ce  liure  est  né. 

Aussi  se  treuuent  autres  peuples,  nations  et  maisons, 
tant  en  France  comme  en  Alleraaigne,  estre  yssuz  des 
Troyens,  mesmeraent  la  nation  d'Auuergne,  entant  quil 
touche  les  parties  de  pardeça,  iouxte  lautorité  de  Lucao, 
qui  dit  en  sa  Pharsalie  : 

Âruerni  Latios  ausi  sd  fingere  fratres, 
Sanguine  ab  Iliaco. 

Et  Sidonius  Apollinaris,  euesque  des  Auuergnois,  la  répète 
au  septième  liure  de  ses  epistres  :  en  se  complaingnant  de 
linfelicité  de  son  temps  et  de  la  seruitude  en  laquelle  ilz 
estoient  tombez  par  Theodoric,  Roy  des  Vesegothz,  de 
la  nation  d'Allemaigne  :  lequel  pour  lors  occupoit  toute 
Aquitaine.  Les  paroles  dudit  euesque  Sidonius  sont  telles  : 
AriternoTum  proTi  dolor  seruitus, qui  si  prisca  replicaren- 
tur,  (1)  audebant  se  qtiondam  fratres  Latios  (2)  dicere  : 
et  sanguine  ah  Iliaco  populos  computare.  Maintenant  ilz 
nont  que  faire  de  sen  plaindre  :  car  ilz  sont  pacifiquement 
traitez  souz  les  maisons  Troyennes  et  Herculiennes  des 
Princes  de  France  et  de  Bourbon. 

Auecques  lancienne  noblesse  et  estimation  des  peuples 
d'Auuergne,  Strabo  au  quatrième  liure  de  sa  géographie, 
adiouste  et  adioint  celle  du  peuple  de  Chartres  :  pource 
que  vnchacun  desdits  deux  peuples  est  habitant  sur  le 
fleuue  de  Loire,  et  nomme  lesdites  nations  tresillustres, 
cestadire  tresnobles  :  comme  il  appert  par  ses  paroles  icy 
après  mises  :  Inter  Ligerim  et  Sequanam  fluui%m  trans 

(1)  replicentvr  (éd.  1513). 

(2)  latio{éd.  1513). 


298 


ILLTSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 


Rhodanum  atque  Ararim,  gentes  ad  iSeptentrionem  adia- 
cent,  Allolrogihus  et  Lugduni  incoUsmcini.  fforumillus- 
trissimi  Aruerni  et  Carnuti.  Per  vtrosque  delatus  Liger 
amnis,  in  Oceanum  ejluit.  Et  pource  que  ledit  acteur 
nombre  entre  les  plusnobles  peuples  habitans  en  Gaule,  sur 
la  riuiere  de  Loire,  ceux  de  Chartres,  il  est  tout  notoire 
quil  parle  de  toute  la  prouince  de  Touraine,  laquelle  sestend 
iusques  à  la  mer  de  Bretaigne  Armorique  :  car  par  leurs 
limites  et  non  par  autres,  la  riuiere  de  Loire  entre  en  la 
mer  Oceane.  Pourquoy  il  est  vray semblable,  que  du  temps 
dudit  acteur  Strabo,  qui  fut  durant  le  règne  de  l'Empereur 
Octauien  Auguste,  ceux  de  Chartres  auoient  grand  prero- 
gatiue  sur  les  citez  Armoriques. 

Touchant  la  cité  de  Tours,  il  est  certain  quelle  fut  fon- 
dée en  Ihonneur  et  au  nom  de  Turnus,  neueu  de  Brutus, 
lequel  fonda  en  Aquitaine  vne  autre  cité  nommée  Britan- 
nia,  tresnoble  et  tresgrande.  Laquelle  fondation  toutesuoyes 
ie  nafferme  pas  icy  témérairement,  mais  ie  le  prouueray 
bien  en  autre  temps  et  lieu.  Quant  aux  autres  fondations 
faites  par  les  Trojens  en  Gaule,  auant  quelle  fut  nommée 
France,  tous  les  historiens  concordent  en  ce,  que  vn  Prince 
Troyen  nommé  Tolosus  fonda  la  cité  de  Tolouse  en  Aqui- 
taine. Parquoy  ie  treuue  vraysemblable,  quil  fut  de  la 
compaignie  du  Roy  Brutus.  Encores  iay  entendu  par  com- 
mune renommée,  quil  y  ha  deux  nobles  maisons  particu- 
lières pardeça,  qui  se  disent  estre  yssuz  des  Troyens,  dont 
lune  est  la  maison  de  Tournon,  sur  le  fleuue  du  Rhône,  du 
costé  des  montaignes  de  Viueretz  (1)  et  d'Auuergne.  En  ce 
quartier  fut  trouué  du  temps  du  Roy  Loys  vnzieme,  enco- 
res estant  Dauphin,  la  sépulture  et  les  os  dun  Géant,  ayant 
de  hauteur  vingtdeux  piedz,  selon  ce  que  monstre  sa  pou- 


(1)  auj.  le  Vivarais. 


8W6TLARITBZ   DE   TROTS.    LIVRE  111.  299 

traiture,  estant  im  Tâcobins  de  Vâlëiiôe  fen  Daiiphîné.  Et 
aucuns  de  ses  os  nous  donnent  foy  et  coniecture  de  la  pro- 
portion de  sa  corpulence  :  car  desdits  os  il  y  ha  partie  à  la 
sainte  chapelle  de  Bourges,  dediee  par  le  Roy  René,  duc 
d'Aniou  et  conte  de  Prouence.  Et  ce  fust  tesmoigné  au 
Roy  treschrestien  et  tresvictorieux,  Loys  douzième,  luy 
seiournant  en  sa  cité  de  Valence  sur  le  Rhône.  Iceluy 
Géant  (comme  iay  ouy  dire,  estre  contenu  es  chroniques 
du  Dauphiné)  estoit  seigneur  du  pais.  Et  comme  il  est  vray- 
semblable,  estoit  yssu  ou  allié  de  la  noblesse  Troyenne. 
Ladite  maison  de  Tournon  porte  en  ses  armes  vn  Lyon 
rampant,  en  champ  mesparty  :  qui  sont  les  armes  de  Troye. 
Lautre  costé  semé  de  fleurs  de  lyz,  qui  sont  les  armes  de 
France. 

Pareillement  se  glorifie  estre  dextraction  Troyenne,  la 
maison  de  Neufchatel,  en  la  franche  conté  de  Bourgongne, 
lesquelz  peuples  se  disoient  anciennement  Sequanois.  Et  de 
leur  quartier  procède  la  riuiere  Sequana  dite  en  François 
Seine,  assez  congnue  par  tout  le  monde,  à  cause  de  la 
Royale  cité  et  vniuersité  (1)  de  Paris,  quelle  mespart  en 
deux,  et  fait  la  diuision  de  la  Gaule  Belgique,  auecques  la 
Celtique.  Icelle  maison  d'Orenge  et  de  Neufchatel,  qui  se  dit 
Troyenne,  ha  esté  voulentiers  alliée  auec  celles  de  Bretaigne 
et  Bourbon,  qui  sont  de  mesmes.  Et  vêla  comment  les  li- 
gnages sentretiennent  de  toute  antiquité,  comme  il  appert 
par  leurs  généalogies,  le  plus  communément. 

Dautrepart,  oultre  et  plusauant  que  ledit  pais  de  Bour- 
gongne, cestasauoir  pardela  le  fleuue  du  Rhiii  en  Alle- 
maigne,  au  païs  de  Soaue,  et  en  vne  contrée  diceluy,  la- 
quelle se  nomme  Franconie,  ou  France  orientale,  il  y  ha 
vne  bonne  ville  nommée  Phorcen,  qui  nest  pas  loing  de  la 

(1)  c.-à-d.  communauté.  ' 


300  ILLVSTRATIONS   DE   GÀVLE,    ET 

cité  de  Vlme,  là  où  on  fait  les  bonnes  fustennes,  et  autres 
villes  circonuoisines,  dont  les  peuples  se  disent  estre  pro- 
créez daucune  bende  de  Troyens,  dont  deux  Princes,  lun 
nomme  Phorcys  et  lautre  Ascanius,  estoient  chefz  et  con- 
ducteurs, tous  deux  vassaux  de  Priam,  et  qui  le  secouru- 
rent en  sa  guerre,  iouxte  ce  que  met  le  poëte  Homère  en 
son  Iliade  : 

Phorcys  et  Ascanius  Phrjgias  daxere  cateraas, 
Longe  ex  Âscania. 

Et  ce  recite  et  afferme  vn  acteur  tresrenomme,  Messire 
lean  Rheuclin  (1)  natif  de  ladite  ville  de  Phorcen  en  France 
Orientale,  au  commencement  dun  liure  tresmerueilleux, 
quil  ha  de  nostre  temps  composé  et  intitulé,  de  verbo  miri- 
Fico.  (2)  Pareillement  la  cité  de  Mayence,  en  AUemaigne, 
qui  est  des  appendences  de  France  Orientale,  sur  le  Rhin, 
fut  fondée  par  vn  Troyen  nommé  Maguntius.  Ces  choses 
veiies,  il  nous  faut  retourner  à  nostre  propos  principal  de 
Francus  filz  d'Hector,  et  de  Sicamber  son  filz. 


De  la  grand  antiqaitë,  force  et  renommée  des  Sicambriens  et  Fran- 
çois, prouuee  par  autoi;itez  publiques,  trop  plus  que  les  chroniques 
de  France  nen  font  mention  :  et  comment  il  y  auoit  deux  nations 
Sicambriennes,  et  des  fondations  des  citez  faites  par  eux.  Puis  est 
prouué  suflSsamment,  que  les  anciens  acteurs  ne  nommèrent  iamais 
les  François  sans  les  Sicambriens,  auec  autres  nations  leurs  voisi- 
nes et  alliées. 

Novs  commençons  desia  bien  à  entendre,  comment  la 
noblesse  des  Troyens  exilée  de  son  propre  païs  doultre  mer, 

(1)  Reuchlin,  le  célèbre  humaniste,  né  à  Pforzheim. 

(2)  Spire,  1494,  in  fol.,  sur  les  noms  sacrés  employés  dans  lei 
mystères  grecs,  juifs  et  chrétiens. 


SmGVLAWTEZ  DE  TROYK.    LITEE    III. 


m 


coramençoit  à  reflourir,  et  saugraenter  par  toute  Europe, 
enuiron  le  temps  que  la  grand  cité  de  Sicambre  fut  fondée 
par  Francus  filz  d'Hector.  Laquelle  cité  il  nomma  Sicam- 
bre, du  nom  de  sa  tante  Sicambria,  sœur  du  Roy  Priam, 
et  dicelle  cité  fait  grand  conte  et  mention  la  chronique  de 
Bucalus,  comme  on  peult  voir  par  icelle.  Or  régna  en 
icelle,  le  tresnoble  Francus  filz  d'Hector,  iusques  au  temps 
quil  rendit  le  tribut  de  nature.  Et  à  luy  succéda  son  filz 
Sicamber,  régnant  par  lespace  de  soixantedeux  ans,  selon 
les  chroniques  de  Tongres.  Lequel  ensuiuant  les  trasses  de 
son  père  Francus  et  de  son  ayeul  Hector,  ainsi  comme  il 
fut  terrible  et  redoutable  aux  ennemis,  aussi  fut  il  doux  et 
traitable  à  ses  subietz  et  débonnaire  Prince  à  ceux  qui! 
auoit  vaincuz  et  subiuguez  par  grand  prouesse  darmes.  Et 
se  fit  tant  aymer  des  siens,  que  eux  mesmes  qui  parauant 
du  nom  de  son  père  sapelloient  François,  aymerent  mieux 
deslors  en  auant  estre  dits  et  reclamez  Sicambriens  :  jasoit 
ce  que  lun  et  lautre  nom  leur  demoura  tousiours,  comme 
synonimes  et  indifférons.  Tout  ainsi  que  les  enfans  d'Israël 
se  nommoient  aussi  luifz,  de- par  le  père  et  le  filz,  cestasa- 
uoir,  lacob  et  ludas.  Car  il  est  asauoir,  que  au  temps  passé 
les  Princes  portoient  tant  dhonneur  et  reuerence  à  leurs 
ancestres  ou  supérieurs,  que  par  dessus  leurs  noms  et  sur- 
noms, ilz  portoient  encore  voulentiers  ceux  de  leurs  pré- 
décesseurs et  prochains  :  ainsi  comme  il  appert  de  lulus 
Ascanius,  filz  d'Eneas,  lequel  pour  le  record  de  ses  nobles 
ancestres  et  soulagement  des  siens,  portoit  aussi  les  noms 
de  Dardanus  et  Laodamas.  Et  ce  met  expressément  Ser- 
uius,  sur  le  quatrième  des  Eneïdes  de  Virgile. 

Long  temps  après,  cestasauoir  enuiron  deux  cens  quatre 
vingts  ans,  depuis  la  destruction  de  Troye,  et  auant  la 
fondation  de  Romme,  deux  cens  ans  ou  enuiron,  vne  bende 


302  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

diceux  Sicambriens  souz  leurs  Ducz,  Troiades  et  Torgotus, 
descendirent  sur  le  Rhin  et  fondèrent  la  ville  de  Bonne, 
auprès  de  Coulongne  sur  le  Rhin,  et  consequemment  la 
ville  de  Zanthes,  en  la  Duché  de  Cleues,  laquelle  iusques 
auiourdhuy ,  sappelle  ainsi  de  par  le  fleuue  Xanthus  qui 
passoit  parmy  Troye.  Autrement  es  anciennes  chroniques, 
elle  est  dite,  Troia  Francorum,  comme  iay  trouué  par  la 
légende  de  saint  Victor,  de  la  légion  de  Thebes,  dont  il  y 
ha  vn  beau  monastère  en  ladite  ville  de  Zanthes,  iadis 
fondé  par  sainte  Heleine,  mère  de  lempereur  Constantin  le 
grand  :  et  est  vne  tresbelle  petite  ville  et  assise  en  beau 
lieu,  et  là  où  on  fait  grand  quantité  de  ces  fines  toillettes 
quon  nomme  communément  de  Holande,  pource  quilz  sont 
prochains  des  Holandois. 

Selon  lesdites  chroniques  de  Tongres,  iceux  Sicambriens 
yssuz  de  la  haute  Sicambre,  occupèrent  par  succession  de 
temps,  tous  les  païs  quon  dit  maintenant  Cleues,  Gheldres 
et  luliers.  Et  se  nommèrent  tousiours  Sicambriens  lesdites 
nations,  comme  il  appert,  par  les  Commentaires  de  Iules 
César.  Pourquoy  il  est  notoire,  quil  y  auoit  deux  nations 
Sicambriennes,  cestasauoir  la  haute  et  la  basse.  Et  diceux 
Sicambriens  yssirent  les  Cimbres,  merueilleuses  et  redou- 
tables nations. 

Pour  lesquelles  choses  prouuer,  il  appert  par  les  histo- 
riens, poëtes  et  orateurs  Romains,  quilz  ne  nommèrent 
iadis  gueres  lune  nation  sans  lautre,  cestasauoir,  comme 
alliées  et  inséparables,  lune  de  lautre,  François,  Gaulois, 
Soaues,  Sicambriens,  Cimbres,  Germains  et  autres  telles 
nations  circonuoisines,  précédées  de  leurs  anciens  estocz  le 
grand  Hercules  de  Libye  et  le  preux  Hector  de  Troye  : 
comme  sera  veu  par  le  decours  de  ce  liure.  Et  à  ce  propos 
ie  puis  alléguer  plusieurs  acteurs  faisans  foy  de  ce  que  ie 


S1N6VLARITEZ  DE  TROTB.    LIVRB  lU.  303 

dis  :  entre  lesquelz  est  le  poëte  Claudian  bien  renommé, 
lequel  estoit  en  bruit  du  temps  de  lempereur  Honorius,  à 
la  louenge  duquel  et  pour  exalter  le  quatrième  Consulat 
dudit  empereur  Honorius,  il  met  ces  beaux  yers  : 

Ante  ducem  nostrum  flauam  sparsere  Sicambri 
Csssariem,  pauidoque  orantes  murmure  Fraoci 
Procubuere  solo.  luratur  Honorius  absens, 
Imploratque  tunm  supplex  Alemannia  Domen. 
Basterav  venere  truces,  venit  accola  sylasa 
Bi'UcteruB  Herciniae,  latisque  paludibas  exit 
Cimbrus  :  et  ingeates  Albim  liquere  Cherosci. 

Plus  ledit  Claudian  au  premier  Panegjric  des  louenges 
de  Stilicon,  lieutenant  dudit  empereur  Honorius,  dit  ce 
qui  sensuit  :  parquoy  on  peult  congnoitre  que  de  son 
temps  les  François  estoient  habitans  de  la  montaigne  Noire 
en  Soaue,  oultre  le  Rhin,  là  où  il  y  ha  grand  force  de 
venaison  : 

-Rbenumque  minacem 

Corûibas  infractis  ade6  mitescere  cogis, 

Ut  Sueuus  iam  rura  colat,  flexosque  Sicambri 

In  falcem  curuent  gladios,  gemiuasque  viator 

Cum  videat  ripas,  quse  sit  Romana  requirat. 

Ut  iam  trans  fluuium  non  indignante  Cayco 

Pascat  Belga  pecus  :  mediumque  ingressa  per  Albim 

Gallica  Francorum  montes  armenta  pererrent  : 

Ut  procul  bercini»  per  vasta  silentia  syluœ 

Yenari  tut6  liceat,  etc. 

Et  à  ce  mesmes  propos  Sidonius  ApoUinaris,  euesque 
d'Auuergne,  qui  flourissoit  au  temps  de  Theodoric,  Roy  des 
Ostrogothz,  lequel  tenoit  le  pais  d'Aquitaine,  en  flatant 
ledit  Théorie  dit  ainsi  :  Francorum  et  peniiissimas  palU' 


304  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

des  intrares  tenerantihus  Sicamhris.  Et  S.  Hierome  lequel 
Tiuoit  au  temps  que  Pharamond  fut  couronné  premier  Roy 
des  François,  dit  ce  qui  sensuit,  à  la  grand  louenge  de  la 
nation  Françoise  :  Jnter  Saxones  quippe  et  Alemannes 
gens  non  tam  lata  quàm  valida,  apud  historicos  Ger- 
mania,  nunc  verô  Francia  mcatur. 

Par  lesquelles  choses  il  appert  facilement  quil  y  auoit 
deux  contrées  qui  se  nommoient  Sicambre  :  esquelles  habi- 
toient  les  François,  après  la  destruction  de  Troye,  cesta- 
sauoir  Sicambre  haute  et  basse.  Les  hauts  Sicambriens 
estoient  comme  dessus  est  dit,  en  Pannonie,  quon  dit 
maintenant  Hongrie  :  et  les  autres  en  la  basse  Allemaigne, 
es  païs  de  luillers,  Gheldres  et  Cleues.  Desquelz  hauts 
Sicambriens  François  estoit  le  Roy  Clouis  premier  Chres- 
tien.  Auquel  Roy  Clouis,  iasoit  ce  que  S.  Remy  nignorast 
point  quil  fust  Roy  des  François,  dit  en  le  baptisant  : 
Mitis  depone  colla  Sicamber  :  Adora  quod  incendisti  : 
Incende  quod  adorasti.  Et  ce  met  expressément  Grégoire, 
archeuesque  de  Tours,  en  sa  chronique. 

le  mesbahis  comment  plusieurs  historiens  de  France 
nont  fait  autre  mention  de  la  plus  grand  antiquité  de  lori- 
gine  des  François  et  des  Sicambriens.  Et  ne  donnent  autre 
prerogatiue  à  ceste  nation,  sinon  comme  si  le  nom  de 
France  fust  tout  nouuel  et  moderne,  et  quil  neust  esté 
illustre,  noble,  ou  congnu,  sinon  du  temps  que  lempereur 
Valentinian  leur  donna  franchise  et  relaxation  de  tribut 
pour  dix  ans  :  à  fin  de  guerroyer  et  dompter  les  Alains, 
comme  silz  ne  fussent  nommez  Francz  ou  François  pour 
autre  chose,  ce  qui  nest  pas  vraysemblable  :  attendu  que 
Cicero,  prince  deloquence  qui  fut  du  temps  de  Iulius  César, 
fait  mention  expresse  du  nom  des  François,  en  vne  epistre 
quil  escrit  à  son  amy  Atticus.  Et  quant  au  nom  des  Sicam- 


SINGVLARITEZ   DE   TROYE.    LIVRE    III.  305 

briens,  il  est  certain  que  es  histoires  Romaines  en  est  faite 
ample  mention  :  cestasauoir,  dun  Duc  des  Sicambriens 
nommé  Molon,  lequel  combatit  contre  Dru  sus,  attenant  de 
prochain  lignage,  à  lempereur  Octauien  Auguste  :  mais 
ledit  Duc  Molon  fut  vaincu  et  mené  en  triomphe  à  Romme. 
Pour  laquelle  victoire  ledit  Drusus  acquit  le  surnom  de 
Germanicus,  comme  le  plus  noble  des  autres,  et  mourut  à 
Mayence,  sur  le  Rhin,  qui  est  en  France  Orientale,  là  où  on 
voit  encores  vn  grand  édifice  antique  fait  en  mémoire  de  luj. 

Geste  victoire  depuis  cousta  cher  aux  Romains,  car  les 
Sicambriens  et  Soaues,  cestadire  François,  souz  la  con- 
duite dun  autre  Duc  nommé  Ariminius,  mirent  à  mort 
cruelle  et  sans  mercy  ne  raison,  trois  légions  Romaines, 
des  garnisons  mises  par  ledit  Drusus  Germanicus  sur  les 
frontières  du  Rhin,  desquelles  légions  estoit  chef,  Quin- 
tilius  Varus  :  et  auec  eux  furent  defiaits  six  autres  légions 
de  souldoyers  estrangers,  quilz  nommoyent  pour  lors  auxi- 
liaires. Laquelle  perte  est  par  les  historiens  contée  entre 
les  infelicitez  d'Auguste  :  car  autrement  cestoit  le  plus 
heureux  Prince  qui  onques  fut  :  et  de  cest  inconuenient  (1) 
il  cuida  mourir  de  dueil.  Et  fust  faite  ceste  grand  descon- 
fiture à  Nuremberg,  qui  est  vne  grosse  ville  d'Allemaigne, 
située  en  France  orientale,  et  aux  autres  lieux  et  fors  tant 
deçà  comme  delà  le  Rhin,  où  les  garnisons  Romaines  se 
tenoyent. 

Par  ainsi  voyons  nous,  que  de  toute  antiquité  les  armes 
belliqueuses  des  Sicambriens,  François  et  Germains,  ont 
esté  redoutables  à  Lempire  de  Romme,  auquel  finablement 
ilz  ont  tollu  la  monarchie  du  monde,  et  ont  succédé  en 
leur  lieu.  Donques  pour  monstrer  encores  mieux  que  la 

(1)  c.-à-d.  malheur. 
II.  SO 


506  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

nation  des  Sicambriens  et  François  nest  pas  de  si  récente 
mémoire,  ne  de  si  tardiue  renommée  que  les  communes 
histoires  disent,  nous  auons  le  poëte  Martial  en  ses  Epi- 
grammes,  et  luuenal  en  ses  Satyres,  qui  font  mention  des 
Sicambriens,  et  désignent  et  pourtrayent  leurs  façons  et 
habitudes,  presques  comme  si  on  veoit  à  lœil,  de  quel* 
forme  et  sorte  ilz  estoyent  adonc,  tellement  que  vn  peintre 
bien  entendu  les  pourroit  bien  contrefaire  après  les  deux 
vers  qui  sensuiuent.  Dont  lun  monstre,  quilz  auoyent  les 
cheueux  crespelez,  recorcelez  (1)  et  retortillez,  tout  ainsi 
comme  les  hauts  Allemans  les  portent  iusques  auiourdhuy. 
Lautre  dit  quilz  auoyent  la  face  et  le  regard  terrible, 
effroyeuse  et  redoutable.  Et  cest  quant  aux  Sicambriens. 

Martialis  : 
Grinibos  in  nodum  tortis  Tenere  Sicambri. 

luuenalis  : 
Tanquam  de  getis  aliqaid  toruisque  Sicambris. 

Entant  quil  touche  de  prouuer  que  la  nation  Françoise 
estoit  en  grand  estime  et  vigueur  long  temps  parauant  le 
règne  de  l'Empereur  Valentinian,  et  que  les  armes  Fran- 
çoises  ,  pour  conseruer  leur  liberté  Troyenne  et  Hercu- 
lienne,  contre  la  tyrannie  des  Romains,  ne  faillirent  onques 
à  se  defFendre  ou  assaillir  :  cecy  nous  tesmoigne  vn  grand 
historien,  nommé  Flauius  Vopiscus,  en  la  vie  de  l'Empe- 
reur Valerius  Aurelianus,  duquel  porte  le  nom  la  cité 
d'Orléans,  et  aussi  le  souloit  porter  la  cité  de  Geneue  en 
Sauoye,  car  il  en  fut  fondateur.  Or  y  eut  il  entre  ledit 
Aurelian  et  Valentinian,   huit  Empereurs.   Et  dit  ledit 

(l)  c.-à-d.  retroussés.  Cf.  recourcer. 


SINGYLARITEZ  DE  TROTB.    LIVRE  III.  307 

acteur  Vopiscus,  que  comme  les  François  courussent  et 
gastassent  toute  la  prouince  de  Gaule,  ilz  furent  par  ledit 
empereur  Aurelian  vaincuz  en  bataille  rude  et  difficile  à 
Mayence  sur  le  Rhin,  qui  est  en  France  orientale,  et  les 
plusnobles  d'eux  menez  en  triomphe  à  Romme.  Et  voicy 
les  propres  motz  dudit  acteur  :  Idem  {Aurelianus)  apud 
Magontiacum  Tribunus  legionis  sexta  Gaîlicanœ,  Fran- 
cos  irruentes  cum  vagarentur  per  totam  Galliam,  sic 
adflixit,  vt  trecentos  ex  his  captos,  septingentis  interemp- 
tis  suh  corona  vendiderit.  Unde  iterum  de  eo  facta  est 
cantUena  : 

Mille  Francos,  mille  Sarmatas  semei  occidimus. 
Mille,  mille,  mille,  mille,  mille  Persas  quserimus. 

Laquelle  chanson  se  chanta  au  triomphe  dudit  Empe- 
reur, quand  il  ût  son  entrée  triomphale  à  Romme,  Par- 
quoy  il  appert  comment  les  Romains,  vainqueurs  de  plusieurs 
nations,  estimoient  à  grand  honneur  et  gloire  dauoir  def- 
fait  vn  petit  nombre  de  François.  Et  si  voit  on  par  ceste 
preuue,  que  de  tout  temps  ilz  estoient  renommez  en  lexer- 
cice  des  armes,  voire  plus  de  six  vingts  ans  auant  quilz 
constituassent  Pharamond  Roy  sur  eux.  Lequel  Pharamond 
commença  régner,  lan  cccc.xx.  selon  Gaguin.  Et  Aurelian 
fut  fait  Empereur,  lan  après  lincarnation  deux  cens  quatre 
vingts  et  dixneuf  selon  laques  de  Bergome. 

Apres  ledit  empereur  Aurelian,  ses  successeurs  consé- 
quents, cestasauoir,  Florianus,  Aurelius  Probus,  Proculus 
le  tirant  :  et  depuis  Constantin  le  grand  et  iuste  monarque, 
yssu  du  sang  de  Troye,  eurent  affaire  auz  François  :  comme 
il  appert  par  leurs  histoires  et  panégyriques  :  cestadire, 
décantations  de  louenges,  dont  vn  acteur  nommé  Raphaël 
de  Volaterre,  en  son  vingt  et  troisième  liure  des  Commen- 


508  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

taires  vrbains,  met  que  ledit  empereur  Aurelius  Probus, 
natif  de  Pannonie,  triompha  des  François,  des  Goths,  des 
Parthes  et  des  Sarmates.  Aussi  pour  vne  gloire  singulière, 
il  voulut  porter  en  ses  tiltres,  les  surnoms  desdites  nations 
par  luy  vaincues,  et  les  fit  grauer  en  sa  sépulture  à  perpé- 
tuelle mémoire,  desquelz  tiltres  celuy  de  France  estoit  le 
premier.  Et  la  teneur  estoit  telle  :  C<Bsar  Aurelius  Probus  : 
Imperator  :  Francicus  :  Gothicus  :  Parthicus  :  Sarmati- 
cus.  lestime  quil  porta  voulentiers  ledit  surnom  de  Fran- 
cicus, pource  quil  se  sentoit  estre  yssu  des  François,  les- 
quelz  premièrement  habitèrent  en  Pannonie,  en  laquelle 
contrée  fut  iadis  fondée  la  grand  cité  de  Sicambre  par  les 
Sicambriens  ou  François.  Mais  pour  mieux  entendre  ceste 
histoire,  il  faut  congnoitre  la  situation  de  Sicambre  en 
Pannonie,  et  pourquoy  elle  ha  changé  son  nom.  Et  sappelle 
ores  Bude  en  Hongrie. 


Sensait  la  situation  de  la  grand  cité  de  Sicambre,  iadia  fondée  par 
Francus  filz  d'Hector,  en  Pannonie,  sur  le  grand  fleuue  Dunoe.  Et 
comment  depuis  vn  Prince  nommé  Buda,  frère  de  Attila,  Roy  des 
Huns,  changea  son  nom  à  ladite  cité  de  Sicambre,  et  la  nomma 
Bade  en  Hongrie. 


La  terre  de  Pannonie,  qui  du  temps  de  Troye  sappelloit 
Peonie,  comme  au  chapitre  ensuiuant  sera  bien  amplement 
declairé,  se  diuise  en  deux  :  cestasauoir,  la  haute  et  la 
basse.  La  haute  Pannonie  est  auiourdhuy  Larchiduché 
d'Autriche  :  et  la  basse  Pannonie  est  le  Royaume  de  Hon- 
grie. Et  parmy  toutes  ces  deux  contrées  passe  le  noble 
fleuue  Danubius,  qui  se  dit  en  langue  vulgaire  le  Dunoe, 
lequel  est  le  plus  grand  de  toute  Europe,  et  seul  par  dessus 


8IM6TLAR1TES   DE  TROTE.    UVRK   III.  309 

tous  les  antres  ayant  ce  priuilege,  quil  dresse  son  cours 
iustement  contre  Orient.  Sa  sourse  primitiue  est  en  la 
montaigne  Noire,  qui  se  dit  en  Latin  Sylua  Eercinid  : 
estimée  par  les  historiens  et  cosmographes  pour  lune  des 
plus  grandes  et  des  plusnobles  du  monde,  au  païs  de  Soaue 
en  Âllemaigne,  oultre  le  Rhin,  qui  se  disoit  anciennement 
et  encores  se  dit  France  Orientale.  La  sourse  et  la  première 
fontaine  dudit  fleuue  Dunoe  fut  monstree  pour  vne  singu- 
larité à  madame  Marguerite  d'Austriche  et  de  Bourgongne, 
par  vn  Cheualier  du  païs,  nommé  Vlric,  conte  de  Fustem- 
berghe,  qui  guidoit  et  conduisoit  ladite  Princesse,  ayant 
charge  de  ce  faire,  de  par  lempereur  Maximilian,  père  de 
ladite  dame.  Cestasauoir  au  temps  quelle  alla  voir  sondit 
seigneur  et  père,  en  habit  de  dueil,  auquel  elle  estoit  pour 
lors,  et  tout  son  train  de  trois  cens  chenaux  ou  plus,  a 
cause  du  trespas  de  son  frère  vnique  le  Roy  Phelippes  de 
Cas  tille.  Si  se  feit  donner  ladite  Princesse  Marguerite,  de 
leaue  de  la  fontaine  du  grand  fleuue  Dunoe,  en  vne  coupe 
dor.  Et  quand  elle  en  eust  tasté,  elle  dit  lors  en  souzriant, 
selon  sa  manière  douce  et  humaine,  comme  font  toutes 
Princesses  :  Que  la  grâce  à  Dieu  et  à  Fortune,  elle  auoit 
fait  en  sa  vie,  ce  que  pieça  quelque  autre  femme  de  noble 
maison  nauoit  fait.  Et  quand  aucuns  des  seigneurs  plus 
priuez  et  plus  apparens  luy  demandèrent  gracieusement, 
la  raison  pourquoy  :  elle  respondit  :  Pource  quelle  auoit 
veu  tous  les  plus  grans  fleuues  de  Chrestienté,  tant  en 
France,  Espaigne,  Sauoye,  Italie  et  ades  (1)  en  Allemaigne, 
ce  qui  nestoit  aduenu  de  long  temps  à  Princesse  quelcon- 
ques. Laquelle  parole  (considéré  ses  infortunes  esmut  aux 
principaux  des  assistans  grand  pitié,  iusques  aux  larmes. 

(1)  c.-à-d.  maintenant.  Cf.  Titalien  adesso. 


310  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

Mais  pour  la  consoler,  ilz  tournèrent  à  ieu,  et  tirèrent 
oultre. 

En  ce  mesmes  tenant,  (1)  il  nous  fut  dit  pour  vn  cas  mer- 
ueilleux,  en  la  Noire  montaigne,  laquelle  pour  lors  blan- 
chissoit  toute  de  neige  et  verdoyoit  de  hauts  sapins  bien 
reuestuz  et  bien  branchuz  :  que  de  ladite  montaigne  sour- 
dent  les  trois  plus  grans  et  plus  nobles  fleuues  d'Europe, 
cestasauoir,  le  Dunoe,  le  Rhône  et  le  Rhin.  Le  Rhône 
impétueux  sen  va  rendre  en  la  mer  Mediterrane  de  Lan- 
guedoc, en  Prouuence,  deuers  le  Soleil  de  mydi.  Le  Rhin 
tresfertile  et  tresriche,  entre  en  la  mer  Oceane,  de  la  basse 
AUemaigne,  et  de  Flandres,  deuers  bise,  à  Soleil  couchant. 
Et  le  Dunoe  dresse  son  cours  plus  de  cinq  cens  lieiies  loing, 
et  va  cheoir  en  la  mer  Maiour,  cestasauoir  au  Ponte  Euxine 
plus  bas  que  Constantinoble,  deuers  Tartarie,  et  se  lance 
si  tresimpetueusement  dedens  icelle  mer,  par  sept  portes 
ou  entrées,  que  plus  de  quarante  mille  pas  en  auant,  de- 
dens la  marine,  on  treuue  leaue  douce  :  car  dedens  ladite 
riuiere  Dunoe  descendent  autres  grans  fleuues,  iusquesau 
nombre  de  soixante,  auant  quelle  aborde  en  ladite  mer  de 
Ponte.  Et  passe  par  plusieurs  et  diuerses  nations  estranges, 
d' AUemaigne,  de  Hongrie,  d'Esclauonie  et  de  Grèce.  Dont 
les  vues  sont  Chrestiennes,  les  autres  errent  en  la  foy,  et 
les  autres  sont  du  tout  hors  de  lobeïssance  de  leglise  Ro- 
maine, cestasauoir  de  la  secte  Macommetiste,  et  subiettes 
au  Turc  et  au  Tartre. 

Or  donques  sur  ledit  merueilleux  fleuue  Dunoe,  fut  édi- 
fiée par  les  Troyens  la  grand  cité  de  Sicambre,  en  beau  pais 
fertile  et  fort  à  merueilles,  de  laquelle  fait  grand  mention 
la  chronique  de  Bucalus  estant  en  la  tresriche  et  tresbelle 

(1)  c.-à-d.  au  même  moment,  en  1506. 


SmGTLARITBZ   DE   TROTE.    LIVRE  lU.  311 

librairie  du  Roy  treschrestien  Loys  douzième  en  son  chas- 
teau  de  Blois.  Et  en  icelle  cite  de  Sicambre,  dominèrent 
les  François  et  Sicambriens,  iusqnes  au  temps  des  Ro- 
mains :   mesmement  de  lempereur   Octauien   Auguste  : 
lequel  ne  les  dompta  pas,  mais  ilz  se  donnèrent  franche- 
ment à  luy  pour  lamour  de  sa  grand  renommée  et  bonté,  et 
que  de  son  temps  toutes  guerres  estoient  cessées  et  paix 
vniuerselle  regnoit  au  monde,  et  ce  mesme  honneur  portè- 
rent audit  empereur  les  autres  nations  plus  lointaines,  cest- 
asauoir,  les  Iules,  (1)  les  Parthes  et  les  Scythes,  quon  dit 
ores  les  Tartres.  A  laquelle  occasion,  lempereur  Octauien 
Auguste,  pour  certaines  raisons  à  ce  le  mouuans,  remua  la 
nation  des  Sicambres  et  leur  feit  changer  pais,  parauen- 
ture  pource  quilz  estoient  trop  grand  peuple  ensemble,  ou 
pource  quil  doutoit  leur  force  estre  trop  prochaine  d'Italie, 
comme  est  Hongrie,  et  les  feit  descendre  ou  partie  diceux, 
en  Gaule  Belgique,  sur  le  fleuue  du  Rhin.  Ce  que  nous  tes- 
moigne  Suétone,  en  la  vie  d'Auguste  :  Germanosque  vitra 
Âlhimjluuium  summouit,  ex  quihus  Sueuos  et  Sicamhros 
dedentes  se  traduxit  in  Oallia,  atque  in  proximis  Rlieno 
agris  collocauit.  Parquoy  il  est  certain,  que  du  temps  de 
lempereur  Auguste,  auquel  nostre  seigneur  iesvs  christ 
nasquit,  les  François  et  Sicambriens  obtenoient  (2)  la  plus 
grand  et  la  meilleur  partie  d'Allemaigne  et  de  Gaule  Bel- 
gique, es  pais  quon  dit  présentement,  Cleues,  Gheldres  et 
luillers. 

Puis  que  nous  congnoissons  assez  que  les  François  Si- 
cambriens eurent  en  possession  la  terre  de  Pannonie,  quon 
dit  ores  Hongrie,  laquelle  est  si  bonne  et  si  riche  de  toutes 

(1)  Julles  (ëd.  1513).  Peut-être  les  Jurxs  d'Hérodote  IV,  22. 

(2)  c.-à-d.  occupaient,  obtinehant. 


312  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

choses,  mesmement  de  minières  dor,  pourquoy  ne  la  gar- 
dèrent ilz  ?  A  ce  ie  respons,  que  nonobstant,  que  par  les 
choses  dessus  narrées  soit  assez  satisfait  à  ceste  question, 
cestasauoir,  que  la  voulenté  de  lempereur,  pour  lors  souue- 
rain  Prince  du  monde,  fust  telle,  que  de  les  transporter 
plus  bas,  neantmoins  ie  dis  dauantage,  quil  semble  que  la 
destinée  des  François  Sicambriens  les  menast  à  telle  fortune, 
à  fin  que  tousiours  ilz  fussent  plus  illustres,  et  mieux  exer- 
citez  aux  armes  :  car  mutation  de  païs  fait  les  hommes 
plus  dextres  et  plus  robustes,  comme  on  le  voit  communé- 
ment. 

Ladite  cité  de  Sicambre,  fondée  par  les  François,  fut 
depuis  en  la  subiection  des  Romains.  Et  quant  vint  le  de- 
clin  de  lempire,  les  Gothz  et  les  Lombardz,  tous  deux  peu- 
ples de  la  nation  d'AUeraaigne,  la  tindrent  et  depuis  sur- 
uindrent  les  Huns  de  Tartarie,  dont  le  premier  Roy  nommé 
Attyla,  lequel  auoit  communément  cinq  cens  mille  hommes 
en  armes,  non  content  dauoir  occupé  toute  Grèce,  Mace- 
done,  Esclauonnie,  Albanie,  Istrie  et  Dalmace,  sarresta 
en  la  cité  de  Sicambre  à  cause  de  la  force  et  beauté  du  lieu. 
Et  là  se  tint  lespace  de  cinq  ans  :  ce  pendant  quil  faisoit 
espier  les  prouinces  de  Gaule,  d'Espaigne  et  d'Italie,  pour 
y  descendre  et  se  ruer  en  icelles.  Laquelle  chose  il  mit -à 
exécution.  Car  quand  il  vit  son  poinct,  il  courut  toute  Alle- 
maigne  et  Gaule,  là  où  desia  estoient  les  Goths,  les  Bour- 
guignons et  les  François,  et  y  auoient  prins  et  arresté 
leurs  sièges  en  reculant  et  forcloant  les  Romains,  pour  la 
plusgrand  partie.  Tellement  que  après  le  siège  d'Orléans, 
lequel  il  fust  contraint  dabandonner,  il  fut  combatu  en  la 
plaine  de  Chaalons  en  Champaigne  par  les  Romains,  Fran- 
çois, Bretons,  Bourguignons  et  Goths.  Et  fut  celle  bataille 
merueilleuse  et  mémorable,  car  il  y  moururent  Meroveus, 


8INGVLARITEZ   DE   TftOTE.   LIVRE   III.  313 

Roy  des  François,  Gundengus,  Roy  des  Bourguignons,  et 
Theodoric,  (1)  Roy  des  Goths.  Et  fut  ledit  Attyla  presques 
desconôt,  iasoit  ce  quil  eust  cinq  cens  mille  hommes  en 
armes,  comme  il  sera  dit  plusauant  en  ce  liure.  Il  portoit 
en  ses  armes  vn  Esperuier  couronné.  Et  en  ses  tiltrea  et 
manderaens  parents  il  disoit  ainsi  :  Attyla  filius  Bender- 
cum,  nepos  magni  Nembroth^  nutritus  in  Engadi  :  dei 
gratia  Rex  Hunnorum,  Medorum,  Gothorum,  Dacorum  : 
Metus  orhis,  et  Flagellum  Dei.  Il  estoit  extrait  de  la  mesme 
rasse  et  païs  des  Turcs,  qui  se  disent  auoir  prins  origine  de 
Turcus,  filz  de  Troïlus.  Et  encores  voit  on  que  les  Hongres 
ayment  et  fréquentent  les  arcz  Turquois,  et  sont  forts  et 
hardiz  comme  Turcs,  mais  il  sont  leurs  trop  fiers  ennemiz, 
à  cause  de  la  foy  Chrestienne.  Et  bien  en  ont  monstre  les 
exemples  de  la  fresche  mémoire  de  noz  pères.  Car  le  Roy 
Albert  de  Hongrie,  gendre  de  l'Empereur  Sigismond,  qui 
tendant  à  ces  fins,  assembla  les  conciles  de  Constance  et 
de  Basle,  mourut  ieune  allant  en  son  emprise  contre  les 
Turcs.  Lancelot,  (2) successeur  dudit  Albert,  Roy  de  Hongrie 
et  de  Polone,  combatant  vaillamment  contre  le  grand  Amo- 
rat,  tyrant  de  Turquie,  cheut  en  la  bataille,  auec  le  Cardi- 
nal Cesarin,  Légat  du  saint  siège  apostolique,  qui  fut  vue 
ti'op  piteuse  iournee  pour  la  Chrestienté.  Et  de  nostre 
temps,  le  Roy  Mathias,  Prince  de  merueilleuse  prouesse  et 
affection  à  la  deffense  de  nostre  foy,  tout  le  temps  de  son 
règne  ha  esté  heureux  et  bien  fortuné,  par  plusieurs  vic- 
toires mémorables  contre  les  Turcs.  A  laquelle  besongne 
tressalutaire,  il  sest  monstre  plus  affectionné  par  effect  que 
nul  autre  Prince  de  son  temps,  ne  desplaise  aux  autres. 

(1)  Théodore  {éà.  1513). 

(2)  Vladislas  VI,  mort  à  la  bataille  de  Varna,  en  1444. 


314  ILLYSTRATIONS  DE  GATLË,    ET 

Par  quoy  il  ha  mérité  quil  soit  de  luy  mémoire  éternelle  en 
toute  histoire  et  chronique. 

Pareillement,  son  successeur  moderne,  le  Roy  Lancelot 
de  Hongrie  et  de  Bohême,  allié  de  la  maison  de  France  et 
de  Bretaigne,  sest  honnestement  exercité  en  tel  affaire  con- 
tre la  nation  infidèle,  et  en  ha  raporté  victorieuse  renom- 
mée. Par  quoy  il  appert,  que  iasoit  ce  que  les  Turcs  et  les 
Hongres  soient  dune  mesme  extraction  quant  à  lorigine  de 
Tartarie,  neantmoins  le  changement  du  pais  et  des  mœurs, 
et  la  diuersité  de  croire  en  Dieu,  les  ha  faits  ennemis  si 
tresmortelz  que  riens  plus  :  ioint  à  ce  que  le  voisinage  de 
leurs  contrées  augmente  la  hayne  et  les  rend  plus  aspres  : 
car  lun  entreprend  tousiours  sur  lautre. 

Or  pleust  à  Dieu,  que  tous  noz  treshauts  Princes  de 
Chrestienté  fussent  ensemble  si  bons  amys,  que  iamais  il 
ny  eust  que  redire  ne  que  radouber  en  leurs  quereles  mu- 
tuelles et  controuerses  réciproques,  ains  alassent  vnanime- 
ment  ayder  aux  Hongres,  aux  Bohèmes  et  aux  Polaques, 
qui  sont  sur  les  frontières  des  Tartres  et  des  Turcs.  Alors 
ce  seroit  vn  beau  passetemps,  à  la  tresnoble  et  tresillustre 
nation  Françoise  et  Britannique,  procréez  du  vray  sang 
légitime  de  Troye,  daller  voir  en  passant  par  le  païs  de 
Hongrie,  Esclauonie  et  Albanie,  les  sièges  de  leurs  pre- 
miers Princes  et  parents.  Et  dilec  tirer  en  Grèce,  pour 
contempler  la  ruine  dune  nation  si  audacieuse,  qui  eut  iadis 
Ihonneur  de  deffaire  et  ruiner  la  grand  cité  de  Troye.  Et 
dillec  passer  à  Constantinoble,  la  mer  Hellesponte,  cestadire 
le  bras  saint  George.  Et  puis  planter  leurs  enseignes  triom- 
phantes en  la  terre  ferme  d'Asie  la  Mineur,  quon  dit  main- 
tenant Natolie  ou  Turquie.  Et  recouurer  par  iustes  armes 
le  propre  héritage,  et  les  douze  Royaumes  que  tenoit  iadis  le 
bon  Roy  Priam,  ayeul  de  Francus  filz  du  trespreux  Hector. 


SUfGVLARITBZ   DE  TROYB.    LIVRS   lU.  315 

Tout  lequel  chemin,  tant  par  mer  que  par  terre,  pro- 
uince  pour  prouince,  cité  pour  cité,  isle  pour  isle,  iay 
entreprins  et  pieça  commencé  de  monstrer  par  escrit,  à 
ceux  qui  entreprendront  vn  si  digne  voyage,  et  lacheueray 
quelque  fois  au  plaisir  de  Dieu,  mais  ce  ne  sera  point  auant 
que  nous  voyons  tous  noz  Princes  Chrestiens  auoir  du  tout 
délaissé  leurs  guerres  ciuiles,  pour  embrasser  dun  magna- 
nime courage  ceste  tressainte  emprise,  par  perpétuelle  con- 
corde et  vnion  fraternelle.  Laquelle  chose  seroit  trop  plus 
que  nécessaire.  Mesmement  en  ce  temps  de  trouble  et  misé- 
rable diuersité,  auquel  le  Turc  seiforce  et  menasse  destain- 
dre  et  abolir  de  tous  poinctz  en  Orient  la  tresclere  et  tres- 
cheualereuse  religion  de  Rhodes,  pour  tousiours  affoiblir  et 
diminuer  la  chose  publique  de  la  Chrestienté.  Mais  reno- 
uons au  propos  du  premier  Roy  des  Hongres. 

Or  auoit  Attyla,  premier  Roy  des  Hongres,  laissé  son 
frère  Buda,  en  la  cité  de  Sicambre  en  Pannonie,  pour  la 
garde  et  gouuernement  du  païs  :  et  luy  auoit  donné  charge 
de  la  reedifier  et  augmenter  :  comme  celuy  qui,  après  ses 
conquestes,  entendoit  y  faire  sa  résidence.  Et  vouloit  en 
perpétuelle  mémoire,  que  de  son  nom  elle  fust  nommée 
Attelbourg,  cestadire,  la  cité  de  Attyle  :  et  que  Pannonie 
fust  nommée  Hongrie,  comme  elle  est  de  présent,  à  cause 
des  Huns  qui  lauoient  conquise  et  occupée.  Mais  sondit 
frère  Buda,  ou  par  ambition  de  propre  gloire,  ou  pource 
quil  se  vouloit  faire  Roy  du  païs,  tandis  que  son  fi-ere  estoit 
occupé  en  autres  guerres,  fit  nommer  ladite  cité  de  Sicam- 
bre en  Pannonie,  Bude  en  Hongrie.  Aucuns  historiens  tien- 
nent, quil  ne  le  feit  pas  par  malice,  mais  ce  fut  la  beniuo- 
lence  de  ses  subietz  ausquelz  il  estoit  trop  plus  humain  que 
son  frère  Attyla.  Comment  quil  soit,  Attyla  comme  tres- 
cruel  homme,  en  print  tel  despit  et  vengeance,  que  après 


316  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

son  retour  de  la  bataille  des  champz  Catalauniques,  il  tua 
de  sa  propre  main  son  frère  Buda  :  et  puis  feit  ietter  son 
corps  en  la  riuiere  de  Dunoe.  Si  commanda  deslors  en  auant 
estroitement  par  toute  Allemaigne  et  Hongrie,  que  la  cité 
de  Sicambre  fust  nommée  de  son  nom  Attelbourg.  Lequel 
commandement  les  AUemans  obseruerent  par  crainte,  mais 
les  Hongres  non  :  car  ilz  estoient  plus  affectionnez  à  la 
mémoire  de  son  frère  Bude.  Et  vêla  la  raison  pourquoy  on 
nomme  la  cité  de  Sicambre,  Bude  en  Hongrie,  en  laquelle 
est  le  siège  Royal,  et  vn  tresfort  auantmur  pour  la  Chres- 
tienté  contre  les  Turcz.  Laquelle  fust  ainsi  restaurée  par 
Attyla,  enuiron  lan  de  grâce  quatre  cens  et  vn  :  quil  com- 
mença à  régner  sur  les  Hongres.  Mais  de  la  fondation  pri- 
mitiue  dicelle,  faite  par  les  François  tantost  après  la  fonda- 
tion de  Troye,  iay  trouué  les  fragments  dun  Poète  antique, 
en  leglise  collégiale  de  saint  lust  de  Lyon,  par  la  teneur 
duquel  il  peult  apparoir  tout  ce  que  dessus  est  touché. 

Oucta  per  lUyricum  vexit  ratis  alta  leones, 
Migrât  ia  Hungariam,  quse  fertilis  obtulit  omen  : 

Terra  satis  placuit,  gaudia  multa  mouent. 
Arte  parant  vrbem,  fiimulantem  mœnia  Troise, 
Quae  malà  vicinos,  p6st  ad  seruilia  cogît 

Sic,  nisi  eos  reges  terra  subacta  roget. 
Urbs  ornata  viris  noua  dicta  Sicambria  est. 
Multa  per     *     Troiana  potentia  sseuit, 

Percutit  et  Isedit,  ssepe  crueuta  redit. 

Lesquelz  vers  combien  quilz  ne  soient  pas  des  plus  fins  du 
monde,  et  que  le  liure  estoit  si  vieil  et  si  corrompu,  que  ie 
ne  pouuoie  bonnement  tout  lire,  neantmoins  pource  quilz 
font  aucune  foy  de  lantiquité  de  Sicambre  ,  ie  les  ay 
voulu  mettre  icy.  Apres  iceux,  il  y  auoit  autres  vers,  dont 


SINGULARITtZ  DE   TROTE.    LIYEB  III.  317 

la  substance  est,  que  la  terre  de  Germanie,  tant  sur  le 
fleuue  Dunoe,  comme  sur  le  Rhin,  estoit  iadis  nommée 
France.  Parquoy  il  appert  que  les  François  occupèrent  pre- 
mièrement toutes  les  Allemaignes,  et  depuis  les  Gaules. 

Rhenas  ibi  fluuias  Danubiusque  aalit. 
Francia  pôst  dicta  Qermaaia  noscitur  ipsa, 
Ex  qaa  Francoram  regnum  natura  patriat. 

Encores  audit  liure  il  y  auoit  vn  abrégé  de  la  chronique 
des  Sicambriens,  faisant  mention,  que  du  temps  de  Sal- 
manasar,  Roy  des  Assyriens,  et  deSennacherib,  sonfilz,  les- 
quelz  persécutèrent  beaucoup  les  enfans  d'Israël,  mesme- 
ment  le  prophète  Tobie,  les  Sicambriens  obtindrent  le  païs 
de  Bauiere  en  Allemaigne  et  la  grosse  cité  de  Ratisbonne, 
assise  sur  le  grand  fleuue  Dunoe  :  laquelle  fut  depuis  fort 
augmentée  par  l'Empereur  Charles  le  grand.  Lesquelles 
choses  iay  voulentiers  récitées,  à  fin  dentendre  tousiours  de 
plus  en  plus,  que  les  François  se  firent  seigneurs  de  toute 
Allemaigne  et  Hongrie. 


Raison  vraysemblable,  parquoy  les  Troyens  soaz  lâor  Roy  Franeus, 
surnommé  Laodamas,  et  son  filz  Sicamber  sarresterent  plustot  en 
Pannonie,  quon  dit  maintenant  Hongrie,  que  en  quelque  autre 
contrée.  Et  des  Princes  dudit  païs,  qui  furent  presens  au  rauisse- 
ment  d'Heleine,  et  vindrent  depuis  au  secours  du  Roy  Priam  à 
Troye.  Et  comment  les  Gaulois  de  nostre  nation  de  pardeça  cuide- 
rent  aller  secourir  Troye,  mais  ilz  la  troauerent  desia  destruite. 

Qvant  à  ce  que  les  Troyens,  François  et  Sicambriens 
sarresterent  premièrement  en  Pannonie,  quon  dit  mainte- 
nant Hongrie,  il  est  assez  -vraysemblable  :  car  comme  des- 


518  ILLVSTRATIONS  DE   GATLE,    ET 

SUS  est  monstre,  le  sage  Helenus,  frère  d'Hector,  nourrit  et 
esleua  son  neueu  Francus.  Et  pource  quil  regnoit  en  Alba- 
nie et  Esclauonie,  qui  ne  sont  pas  lointaines  de  Hongrie,  il 
fait  assez  à  présupposer,  quil  voulut  bien  auoir  son  neueu 
pour  son  voisin,  et  luy  bailla  lindustrie  de  ce  faire.  Dautre 
part,  il  est  certain,  que  les  enfans  d'Hector  auoient  quelque 
aflSnité  en  Pannonie,  laquelle  du  temps  de  Troye  se  nom- 
moit  Peonie  :  comme  met  Raphaël  de  Volaterre,  au  hui- 
tième liure  de  sa  Géographie.  Et  quilz  y  eussent  congnois- 
sance,  alliance  et  aflSnité  :  il  appert  assez  par  les  escrits 
de  Dictys  de  Crète  et  d'Homère,  lesquelz  recitent,  que  les 
Roys  et  Princes  de  Thrace,  de  Mysie  et  de  Peonie,  donnè- 
rent secours  à  Troye.  Thrace  est  vne  contrée  en  Grèce, 
dont  la  cité  capitale  est  Constantinoble,  assise  deçà  la 
mer  Hellesponte.  Mysie  est  située  entre  le  grand  fleuue 
Dunoe  et  les  montaignes  de  Macedone.  Et  sappellent  ores 
ces  contrées,  Bosne,  Rasce  (1)  et  Seruie,  toutes  conquises 
par  le  Turc  sur  la  Chrestienté,  et  sont  frontières  dun  costé 
au  Royaume  d'Hongrie.  Peonie  comme  dessus  est  dit,  ha 
depuis  esté  nommée  Pannonie,  et  se  diuise  en  deux  : 
cestasauoir,  en  haute  et  en  basse.  La  haute  Pannonie,  est 
ores  Larchiduché  d'Austriche.  Et  la  basse  Pannonie,  est 
le  Royaume  de  Hongrie,  dont  la  cité  principale  est  Bude, 
qui  iadis  se  disoit  Sicambre.  Ainsi  appert  que  les  Princes 
de  deçà  la  mer,  ne  furent  pas  exempts  de  la  guerre  de 
Troye,  non  plus  que  les  Orientaux.  Et  à  ce  propos  met 
expressément  le  Pape  Pie,  en  la  description  de  son  Asie, 
que  les  Gaulois  de  nostre  nation  de  pardeça  passèrent 
d'Europe  en  Asie,  pour  aller  deflfendre  Troye.  Mais  quand 
ilz  la  trouuerent  sans  murailles,  ilz  la  laissèrent,  iasoit  ce 

(1)  Bescc  (éd.  1528).  Âtg.  la  Rascie,  partie  occid.  de  la  Servie. 


8INGVLARITEZ  DE  TROTB.   LIVRE   III.  319 

quelle  fut  réparée  depuis  par  les  enfans  d'Hector.  Et  les 
mots  dudit  Pape  Pie  son  telz  :  Agesianarus  scrihit^  Oaîlos 
ex  Europa  transgressas  tulela  gratia  in  tyrbem  {sciîicet 
Troiam)  ascendisse  :  sedeam  sine  mœnibus  repertam  illico 
dimisisse. 

Pour  reuenir  à  nostre  propos  de  Peonie,  ou  Pannonie, 
quon  dit  maintenant  Hongrie,  Paris  et  son  frère  Deïpho- 
bus  furent  enuoyez  celle  part  par  leur  père  Priam,  auant 
le  rauissement  d'Heleine,  à  fin  dauoir  gensdarmes  et  soul- 
doyers  de  ladite  nation  ,  ce  quilz  impetrerent.  Si  ame- 
nèrent grand  cheualerie,  comme  met  Dares  de  Phrygie. 
Lesquelz  furent  présents  et  complices  à  la  destrousse  de 
Lacedemone,  quand  Heleine  fut  rauie,  et  à  toutes  les 
autres  bonnes  actes  que  Paris  feit  en  son  premier  voyage, 
comme  bien  amplement  est  descrit  au  second  liure  de  ces 
Illustrations.  Et  quant  à  la  guerre  du  siège  de  Troye, 
ledit  acteur  Dares  nomme  entre  les  Princes  qui  secouru- 
rent Priam,  Alcamus  de  Peonie.  Dictys  de  Crète,  vn  autre 
noble  acteur,  en  son  deuxième  liure  de  Ihistoire  Troyenne, 
met  que  Pyrechmus,  (1)  Roy  de  Peonie,  fut  occis  en  ladite 
guerre  par  Diomedes,  Roy  d'Etolie.  Homère  en  son  troi- 
sième liure  de  l'Iliade,  translaté  en  prose  par  Laurens 
Valle,  fait  mention  dun  autre  Prince  nommé  Pyrechmes 
de  Peonie,  lequel  alla  au  secours  de  Troye,  et  mena  ses 
gens  tous  bons  archers.  Encores  voit  on  auiourdhuy,  que 
les  Hongres  sont  forts  et  expers  à  tirer  de  lare  Turquois. 
Et  fut  iceluy  Prince  de  Peonie,  nommé  Pyrechmes,  (2)  tué 
par  les  mains  de  Patroclus  de  Myrmidonne,  comme  met 
ledit  poëte  au  zvi.  liure  de  son  Iliade.  Et  au  xxi.  il  met 

(1)  Pyregamus  {éd.  1513  et  1528). 

(2)  Pyrechines  (éd.  1513  et  1528). 


320  ILL  VST  RATIONS   DE   GAVLE,    ET 

que  Asteropeus,  filz  de  Pelegon  de  Peonie,  mourut  par  les 
mains  d'Achilles.  Ainsi  voit  on  que  les  Princes  de  Peonie, 
ouPannonie,  quon  dit  maintenant  Hongrie,  et  des  prouinces 
circonuoisines  de  deçà  la  mer,  se  meirent  en  grand  peine 
pour  secourir  Troye,  et  tous  ny  proufiterent  gueres  :  car 
les  destinées  et  la  prouidence  diuine  estoient  au  contraire. 
Ces  choses  veûes,  et  toutes  doutes  qui  eussent  peu  obom- 
brer  ceste  histoire  esclarcies,  il  nous  faut  retourner  à 
Francus,  premier  Roy  des  François  et  Sicambriens,  et  de- 
clairer  sommairement  la  progression  de  sa  tresnoble  pos- 
térité, et  des  peuples  belliqueux  et  fortes  nations  qui  de 
luy  sont  yssues,  et  de  leurs  gestes  victorieux,  iusques  au 
tresglorieux  empereur  Charles  le  grand,  Roy  des  François 
Orientaux  et  Occidentaux.  Laquelle  généalogie  nous  dédui- 
rons, si  Dieu  plait,  heureusement,  selon  lordre  qui  sensuit. 

Francus  fut  filz  d^Hector  de  Troye,  père  de  ceste  Généalogie. 

Dudit  Francus,  portent  iusques  auiourdhuy  le  nom,  le 
pais  de  Franconie,  quon  dit  en  allemant  Francland,  oultre 
le  Rhin,  de  Francfort  en  Allemaigne.  Et  la  nation  des 
François  en  Gaule,  quon  dit  maintenant  le  Royaume  de 
France. 

Sicamber  fut  filz  de  Francus. 

Dudit  Sicamber  fut  iadis  dénommée  la  grand  cité  de 
Sicambria  en  Pannonie  ,  quon  dit  maintenant  Bude  en 
Hongrie.  Et  les  premiers  Sicambriens,  qui  furent  tous  vns 
auec  les  Francs  Germains  ou  hauts  Allemans  :  oultreplus 
les  bas  Sicambriens,  quon  dit  auiourdhuy  les  Gheldrois,  et 
les  ducz  de  Cleues  et  luliers. 

Priam  second  de  ce  nom  fut  filz  dudit  Sicamber. 
Hector  second  de  ce-  nom  fut  filz  dudit  Priam  deuxième. 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE   III.  3^ 

Ledit  Hector  second  de  ce  nom  eut  trois  fllz  :  cestasa- 
uoir,  Troïus,  Polydamas  et  Brabon.  Dudit  Brabon  yssit, 
en  la  vingtième  ligne,  vn  autre  Brabon  qui  donna  le  nom 
aux  Brabansons  et  à  la  duché  de  Brabant. 

TroïuB  fut  filz  dadit  Hector  deuxième,  comme  deMOs  est  dit. 
TorgotuB  fut  filz  dudit  Trolus.  Tungris  fut  filz  dudit  TorgotuB. 

'  ï)iceluy  Tungris  porte  auiourdhuy  le  nom  la  cité  de 
Tongres  auprès  du  Liège,  et  iadis  fut  vn  grand  peuple 
nommé  Tongrois. 

Teuto  fut  filz  dudit  Tungris. 

Dudit  Teuto  portent  le  nom  iusques  auiourdhuy  les  Teu- 
toniques,  que  les  Italiens  appellent  Tudesques  :  les  Vual- 
lons  les  nomment  Thyois  :  et  les  François  les  disent  Alle- 
mans.  Ce  furent  proprement  iadis  ceux  qui  habitoient  deçà 
et  delà  le  grand  fleuue  Dunoe,  en  Soaue,  Austriche  et 
Bauiere.  Et  diceux  Teutoniques  les  histoires  Rommaines 
font  ample  mention,  maintenant  on  les  appelle  Lansque- 
neta  :  cestadire,  enfans  du  pais  d'Allemaigne. 

Agrippa  fut  filz  dudit  Teuto. 

Dudit  Agrippa,  porte  le  nom  la  cité  Agrippine,  quon  dit 
Cologne  sur  le  Rhin  :  laquelle  nest  contée  sinon  pour  lune 
des  quatre  villes  rustiques  (1)  de  Lempire. 

(I)  En  allemand  landstadt,  ou  ce  que  Frisch,  Teutsch-Lateinisches 
W8rterbuch  (Berlin,  1741)  appelle  urbs  municipaïis  et  distingue 
d'une  reichstadt  ou  d'une  amtstadt.  Conring,  De  urbibus  germanicis 
(Francf.  1693,  p.  149),  cite  Cologne,  Bâle,  Strasbourg  et  Spire, 
comme  ayant  obtenu  le  rang  de  ville  libre,  /rei-ttadt,  et  les  oppose 
aux  urhes  regni  vel  impériales.  Le  môme  auteur  {Definib%s  imperii 
II.  SI 


522  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

Âmbro  fut  filz  dudit  Agi'ippa. 

Dudit  Ambro,  porta  iadis  le  nom  le  peuple  des  Ambrons, 
habitans  sur  le  Rhin ,  desquelz  lesdites  histoires  rom- 
maines  font  aussi  mention. 

Thuringus  fut  filz  dudit  Ambro. 

Dudit  Thuringus  porte  iusques  auiourdhuy  le  nom,  vue 
prouince  d'AUemaigne,  nommée  Thuringe. 

Cimber  fut  filz  dudit  Thuringus. 

De  cestuy  Cimber  est  procedee  la  domination  du  grand 
et  merueilleux  peuple  des  Cimbres,  qui  tant  fatiga  les  Ro- 
mains. Et  fut  la  domination  dudit  Cimber,  depuis  la 
riuiere  de  Meuse  iusques  à  Lescault,  et  depuis  la  forest 
Charbonnière,  quon  dit  maintenant  le  pais  de  Flandres, 
iusques  à  la  mer  de  Frise,  de  Dannemarch  et  de  Noruueghe. 

Camber  fut  filz  dudit  Cimber. 

Du  dessus  nommé  Camber,  portent  auiourdhuy  le  nom, 
la  cité  de  Cambray  et  la  terre  de  Cambresis,  et  Cambron 
en  Haynnau.  Il  fut  Roy  des  Cimbres,  des  Tongrois  et  des 
Belgiens. 

Les  successeurs  dudit  Camber  furent  ses  deux  filz  Mel- 
brand  et  Seruius,  et  leurs  hoirs,  lesquelz  ie  me  déporte  de 
nommer  :  car  ilz  ne  seruent  de  rien  au  propos  :  et  les 
remetz  à  Ihistoire  de  Belges  ou  de  Tongres  :  iusques  à 
celuy  qui  sensuit. 


germanici,  p.  415)  ne  fait  remonter  Tautonomie   de  Cologne  qu'au 
XI1«  siècle. 


SIIfGTLARITEZ  DB  TROYE.    LIVRE   III.  323 


De  Meaapius,  Roy  des  Cimbres,  Belgiens  et  Toagroif ,  qai  fut  père  de 
Qodefroj  :  surnommé  Karle. 


Menapivs,  Roy  des  Cimbres,  Belgiens  et  Tongrois,  fut 
filz  du  Roy  Magius,  lequel  fonda  le  chasteau  de  Megie(l) 
entre  les  riuieres  de  Rhin  et  de  Meuse  :  descendu  de  ladite 
tresancienne  et  tresnoble  lignée  du  Roy  Cimber.  Et  donna 
ledit  Menapius  le  nom  aux  Menapiens,  qui  estoit  iadis  vn 
peuple  puissant  en  Gaule  Belgique,  voisin  des  Eburons, 
quon  dit  maintenant  les  Liégeois,  et  de  la  forest  d'Ardenne , 
lesquelz  Menapiens  sont  maintenant  ceux  qui  habitent  en  la 
Duché  de  luliers  et  vne  partie  de  Gheldres.  César  au  cin- 
quième et  sixième  liure  de  ses  Commentaires  fait  mention 
d'eux  :  et  dit  quilz  estoient  alliez  de  ceux  de  Terouenne  : 
et  amys  d'Ambiorix,  Roy  des  Eburons.  Et  furent  les  der- 
niers de  ceux  qui  daignèrent  demander  paix  et  appointe- 
raent  audit  César.  Parquoy  il  est  vraysemblable  que  ces- 
toit  vn  fort  et  puissant  peuple. 

Ledit  Menapius  regnoit  assez  long  temps  auant  la  mo- 
narchie des  Romains  :  cestasauoir  du  temps  de  Ptolomeus 
Euergetes,  Roy  d'Egypte.  Lequel  Ptolomeus  commença  à 
régner,  lan  deuant  lincarnation  nostre  Seigneur,  sept  vingts 

(1)  Il  faut  chercher  cette  localité  entre  le  Rhin  et  la  Meuse  Infé- 
rieurs, dans  l'espèce  de  presqu'île  qui  se  termine  en  aval  de  Nimôgue. 
On  trouve  dans  ces  parages  la  petite  ville  de  Megen,  Meghen  ou 
Meghem  ;  mais  elle  est  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  dans  le  Maas- 
land.  Elle  était  le  chef-lieu  d'un  petit  comté  qui  était  fief  du  duché 
de  Brabant,  et  dont  la  seigneurie,  dit  Tauteur  des  Délices  des  Pays- 
Bas,  a' ètend&it  sur  plusieurs  villages  audeça  et  audelà  de  la  Meuse. 
—  Guichardin  cite  le  Mega  Comitatvs. 


324  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

et  deux  :  enuiron  lequel  temps,  les  Romains  et  le  peuple 
de  Treues  feirent  vne  forte  confédération  ensemble.  Et  fut 
nommée  Treues,  la  seconde  Romme  :  vsant  des  loix  Ro- 
maines. Et  pource  que  le  Roy  Menapius,  voisin  desdits  de 
Treues,  refusa  lalliance  desdits  Romains,  Lucius  Cassius 
fut  enuoyé  contre  luy,  auec  plusieurs  légions  de  gens- 
darmes  :  et  persécuta  lesdits  Tongrois  et  Menapiens  :  ius- 
ques  à  la  grand  mer  Oceane  :  comme  met  Orose  :  mais  en 
la  fin  il  fut  circonuenu,  attrappé  et  tué  par  eux,  auecques 
Lucius  Piso,  homme  de  dignité  Consulaire  et  légat  ou  lieu- 
tenant dudit  Cassius  Consul. 

Laquelle  chose  voyant,  Lucius  Cassius,  vn  autre  Consul 
auquel  le  demourant  de  larmee  Romaine  sestoit  retirée 
après  ladite  desconfiture  :  à  fin  quil  les  peust  garder,  fut 
contraint  de  faire  vn  appointement  deshonnorable  auec 
ledit  Roy  Menapius,  en  telle  manière  que  les  Romains  des 
lors  en  auant  ne  deuroient  entamer  sur  luy  ne  sur  ses 
alliez.  Et  pour  ses  dommages  et  interestz,  ledit  Consul  luy 
deliura  toute  son  artillerie  et  instrumens  de  guerre  :  auec- 
ques la  iuste  moytié  de  toutes  les  bagues,  harnois  et  autres 
biens  desdits  gensdarmes  Romains.  Lesquelles  despouilles 
furent  distribuées  entre  les  Cimbres,  Tongrois  et  Belgiens  : 
et  dicelles  vne  bonne  partie  oôerte  en  sacrifice  au  temple 
de  Mars,  Dieu  des  batailles,  à  Louuain  :  dont  il  fut  fort 
enrichy.  Et  oultre  ce,  pour  plus  grand  seureté  dudit  ap- 
pointement ,  furent  es  mains  dudit  Roy  Menapius  cent 
nobles  hommes  Romains  pour  ostagiers. 

De  cest  appointement  tresuituperable,  non  contens  le 
Sénat  et  le  peuple  Romain,  quand  ledit  Lucius  Cassius  fut 
retourné  à  Romme,  il  fut  cité  à  certain  iour  par  deuant 
Celius,  tribun  du  peuple.  Mais  luy  craingnant  plus  grieue 
sentence  nosa  comparoir,  ains  senfuyt  en  exil  :  dont  le  Roy 


8IM0VLAR1TBZ  DE   TROTB.    LITRE   III.  315 

Menapias  fut  tant  indigné  contre  lesdits  Romains,  quun 
peu  de  temps  auant  sa  mort,  il  assembla  au  temple  de 
Mars  à  Louuain  ses  quatre  filz,  Léon,  Godefroy,  Teutonius 
et  Cloadic,  et  plusieurs  autres  de  ses  Princes,  barons  et 
vassaux,  et  illec  leur  feit  iurer  et  vouer  solennellement,  à 
la  statue  dudit  Dieu  Mars,  quilz  feroient  leur  pouuoir  de 
mettre  à  totale  destruction  lesdits  Romains  :  comme  auoient 
fait  leurs  prédécesseurs  Brennus  et  Belgius,  tresuaillans 
Princes,  qui  prindrent  et  destruisirent  Romme,  excepté  le 
Capitule.  Par  ainsi  au  commandement  du  Roy  Menapius, 
ses  quatre  enfans  dessusnommez  et  les  autres  seigneurs 
promirent  et  vouèrent  daccomplir  son  intention.  Et  cer- 
tain temps  après,  ledit  Roy  Menapius  mourut,  après  auoir 
régné  lespace  de  treize  ans.  Si  dirons  maintenant  de  ses 
enfans. 


Déclaration  des  Princes  et  nations  qui  conspirèrent  contre  lesdits 
Romains  auec  les  enfans  dudit  Roy  Menapius. 

Le  âlz  aisné  dudit  Roy  Menapius,  nommé  Léon  le  quart, 
régna  sur  les  Cimbres,  Tongrois  et  Belgiens  :  et  le  pre- 
mier an  de  son  règne,  pour  accomplir  le  vœu  et  promesse 
que  luy  et  ses  trois  frères  auoient  fait  au  temple  du  grand 
Dieu  Mars  à  Louuain,  par  le  commandement  de  leur  père, 
ilz  feirent  ensemble  alliance  à  tous  les  peuples  et  Princes 
voisins,  yssuz  de  la  tresnoble  et  tresancienne  génération 
de  Sicamber,  neueu  d'Hector  de  Troye,  et  de  Bauo,  cousin 
germain  de  Priam  :  iadis  premier  Roy  de  Belges,  quon  dit 
maintenant  Haynnau  :  et  mesmement  ilz  se  confedererent 
à  la  nation  Teutonique,  cestadire  les  hauts  Allemans.  Sur 
lesquelz  regnoient  pour  lors  plusieurs  Princes,  si  comme  le 


326  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,    ET 

Roy  Bolus  ou  BelÏBUs  :  le  Roy  Lucius,  le  Roy  Boiorix,  le 
Roy  Claudius,  le  Roy  Cesorix  et  autres  dont  on  ne  scait 
les  noms. 

Pareillement  fut  de  leur  ligue  et  confédération  vn  Roy 
Géant  et  de  merueilleuse  stature,  nommé  Teutobochus,  qui 
dominoit  sur  les  Ambrons  et  sur  les  Tigurins.  Desdits  Am- 
brons nous  auons  fait  mention  cy  dessus,  et  habitoient  sur 
le  Rhin.  Touchant  les  Tigurins,  aucuns  disent  que  cest 
vne  partie  de  Souycere  :  (1)  les  autres  les  prennent  pour  la 
Conté  de  Gymer. 

A  tous  ceux  là,  ledit  Léon,  le  quart  Roy  des  Cimbres, 
Tongrois  et  Belgiens,  associa  et  bailla  pour  conforts  et 
frères  darmes  ses  deux  frères  plus  ieunes  :  cestasauoir, 
Teutonius  et  Cloadic,  auecques  vne  merueilleuse  multitude 
de  Cimbres  :  quon  dit  maintenant  Frisons,  Ostrelins  et 
Dains,  (2)  auec  ses  Menapiens,  qui  sont  ceux  de  la  Duché  de 
luliers,  Belgiens,  qui  sont  Haynnuiers,  et  Namurois,  Ebu- 
rons,  quon  dit  maintenant  Liégeois,  et  Tongrois  qui  sont 
auiourdhuy  Brabansons.  Toutes  lesquelles  nations  sont 
comprinses  par  les  histoires  Romaines  souz  la  dénomination 
des  Cimbres,  pource  quilz  estoient  en  plus  grand  nombre. 


Désignation  dune  autre  raison  ou  opinion,  pourquoy  lesdits  peuples 
partirent  de  leurs  marches  et  enuahirent  les  Romains  ,  et  des 
premières  victoires  quilz  eurent  contre  eux. 

LvcivsFlorus,  tresuoble  historien  Romain,  met  expressé- 
ment vne  autre  cause,  pour  laquelle  lesdites  nations  furent 
contraintes  de  partir  de  leurs  païs,  laquelle  toutesuoyes  se 

(1)  c.-à-d.  Suisse. 
(2j  Danois. 


SINGYLARITRZ    DB   TROYE.    LIVIB   III.  397 

penlt  accorder  à  la  dessusdite.  Et  penlt  lune  et  lautre  estro 
vraye  selon  diuers  regards.  Si  met  ledit  acteur,  que  lesdits 
peuples  furent  contraints  daller  chercher  autres  territoires, 
pource  que  la  grand  mer  Oceane  auoit  couuert  et  gaigné 
toutes  leurs  terres.  Pour  laquelle  cause  ilz  entrèrent  pre- 
mièrement en  Gaule,  et  dillec  en  Ëspaigne  :  dont  ilz  furent 
reboutez  :  et  comme  ilz  voulsissent  passer  en  Italie,  ilz 
enuoyerent  leurs  ambassadeurs  à  Syllanus  Consul,  lequel 
auoit  vn  grand  exercite  pour  leur  contredire  le  passage.  Et 
dillec  au  sénat  de  Romme,  en  suppliant  benignement  que 
le  peuple  Martial,  cestadire  le  peuple  Romain  leur  donnast 
aucun  quartier  de  pais  pour  habiter,  comme  par  manière 
de  soulde.  Et  en  ce  faisant  ilz  seruiroient  ledit  peuple 
Romain,  tant  au  labourage  de  la  terre,  comme  au  fait  de 
la  guerre  :  ce  qui  leur  fut  refusé.  Et  adonques  ilz  délibé- 
rèrent dauoir  par  force  darmes  ce  quilz  nauoient  peu  im- 
petrer  pas  prières.  Tellement  que  ledit  Syllanus  Consul  ne 
peut  porter  de  primeface  leur  horrible  impétuosité  :  ne 
secondement  Manlius,  ne  Cepion,  pour  la  tierce  fois  :  ains 
furent  tous  desconfis  et  chassez,  et  perdirent  le  camp.  Et 
cela  est  selon  la  récitation  dudit  Lucius  Florus. 

Tite  Liue,  acteur  de  grand  estime,  met  que  Cneus  Aure- 
lius  Scaurus,  Légat  consulaire,  perdit  vne  bataille  contre  les 
Cimbres  :  et  fut  prins  prisonnier.  Et  comme  les  Princes 
Cimbriens  qui  leurent  vaincu  leussent  appelle  en  leur  con- 
seil, et  demandé  son  opinion,  asauoirmon  silz  deuoient  pas- 
ser en  Italie  ou  non  :  ledit  Aurelius  Scaurus  leur  prison- 
nier, leur  dit,  quilz  ny  deuoient  point  passer  :  affermant 
que  les  Romains  ne  pouuoient  estre  vaincuz.  A  ce  mot  vn 
ieune  Roy  nommé  Bolus,  plein  de  grand  férocité,  le  tua  de 
sa  main,  en  la  présence  des  autres.  Et  depuis  lesdits  Cim- 
bres desconfirent  en  bataille  Cneus  Manlius,  Quintus  Ser- 


3^  ILLVSTRATIOWS   DE   GAVLE,    ET 

uilus  et  Cepion  Proconsulz,  et  perdirent  deux  fois  le  camp. 
Si  y  moururent  quatre  vingts  mille  hommes  Romains,  et 
en  y  eut  quarante  mille  prisonniers.  Ledit  proconsul  Ce- 
pion,  pource  quil  auoit  donné  la  bataille  trop  auentureuse- 
ment,  fut  demis  de  sa  dignité,  enuoyé  en  exil  :  et  ses  biens 
confisquez.  Les  Cimbres  quand  ilz  eurent  gasté  tout  le  païs 
alenuiron  du  Rhône,  passèrent  les  monts  Pyrénées  et  en- 
trèrent en  Espaigne,  là  où  ilz  feirent  beaucoup  de  maux. 
Mais  ilz  furent  finablement  reboutez  par  les  Celtiberes,  et  sen 
retournèrent  en  Gaule,  là  où  ilz  se  ioingnirent  aux  Teutoni- 
ques  :  cestadire  aux  hauts  AUemans,  qui  est  vne  nation  fort 
belliqueuse.  Cela  est  prins  de  Titus  Liuius. 

Orose  met  sur  ce  propos,  que  lan  de  la  fondation  de 
Romme,  six  cens  quarante  deux,  qui  fut  selon  le  Supplé- 
ment des  chroniques,  douant  lincarnation  nostre  Seigneur, 
quatre  vingts  et  neuf  ans,  Caius  Manlius  et  Quintus  Cepio, 
furent  créez  Proconsulz,  par  le  Sénat  et  peuple  de  Romme, 
et  enuoyez  alencontre  des  Cimbres  et  Teu toniques,  Tigurins 
et  Ambrons  :  qui  sont  gens  de  Gaule.  Lesquelz  alors  auoient 
conspiré  ensemble  destaindre  et  abolir  du  tout  lempire 
Romain.  Quand  lesdits  Proconsulz  furent  sur  le  fleuue  du 
Rhône,  ilz  départirent  leurs  prouinces,  en  sorte  que  lun 
tenoit  le  quartier  de  deçà  le  Rhône  et  lautre  de  delà.  Et 
comme  entre  eux,  ilz  se  debatissent  par  merueilleuse  enuie 
et  dissension,  ilz  furent  vaincuz  par  les  Cimbres,  à  la  grand 
honte  et  danger  de  tout  lempire  Romain.  Car  en  icelle 
bataille  Marcus  Emilius,  homme  de  dignité  Consulaire,  fut 
prins  et  tué  auec  deux  de  ses  filz.  Si  furent  occis  sur  le 
champ  quatre  vingts  mille  nobles  hommes,  tant  Romains 
que  de  leurs  alliez,  et  soixante  mille  varlets  prins  :  telle- 
ment que  de  tout  ledit  exercite,  il  nen  eschappa  que  dix 
hommes,  qui  portèrent  les  nouuelles  misérables  à  Romme. 


8INGTLARITBZ   DE   TROYE.    UVRE  III.  329 

Les  Cimbres  gaignerent  les  deux  camps  des  deux  Procon- 
sulz,  auec  vn  merueilleux  butin  :  mais  par  vue  execrableté 
non  accoustumee,  ibz  gasterent  et  meirent  à  perdition  tout 
ce  quilz  auoient  prins.  Mesmes,  ilz  débâchèrent  les  babil- 
lemens  et  despouilles  des  Romains,  et  ietterent  les  pièces  ça 
et  là  :  lor  et  largent  ilz  le  ruèrent  dedens  le  fleuue.  Les 
haubers  et  autres  armures  des  hommes,  ilz  les  froissèrent 
et  desrompirent,  les  freins  et  chanfreins  des  chenaux  furent 
dispersez  et  gastez  :  et  les  cheuaux  noyez  dedens  les  gouf- 
fres du  fleuue,  et  les  hommes  penduz  aux  arbres.  Telle- 
ment que  les  vainqueurs  ne  iouyrent  daucun  fruit  de  leur 
proye,  ne  les  vaincuz  de  quelque  miséricorde.  Alors  y  eut 
vn  merueilleux  dueil  à  Romme,  auecques  crainte  extrême 
que  tout  incontinent  les  Cimbres  ne  passassent  les  monts 
et  destruisissent  Italie.  Et  certes  comme  met  Lucius  Flo- 
rus,  cestoit  fait  à  iamais  des  Romains  :  si  neust  esté  que 
Marias  le  vaillant  capitaine  estoit  de  ce  temps  là. 


De  la  d«ffaite  du  Roy  Teutobochus  I«  Oeant,  aaecques  tes  Ambrons  et 
Tigurins,  qui  demeurèrent  auprès  d*Âiz  en  Prouence. 

Les  romains  estonnez  dauoir  desia  perdu  trois  grands 
batailles  contre  lesdites  nations  Galliques  et  Germaniques, 
firent  Consul  pour  la  quatrième  fois,  ledit  Marins  qui  na- 
gueres  auoit  vaincu  lugurtha,  Roy  de  Numidie,  en  Afrique, 
et  iceluy  amené  prisonnier  à  Romme  en  son  triomphe. 
Quand  donques  ledit  Marins  fut  venu  en  Prouence,  il  nosa 
de  prime  face  assaillir  noz  gens  :  mais  entretint  ses  gendar- 
mes en  son  camp,  bien  fortifié  :  attendant  que  la  terrible 
impétuosité  de  ceux  de  pardeça  fut  vn  peu  rassise.  Orose 
met  que  lassiete  du  camp  dudit  Marius  estoit  auprès  du 


I 


330  ILLVSTRATIONS  DE   6ÀVLE,  ET 

lieu  où  le  fleuue  de  Liseré  entre  dedens  le  Rhône  :  cesta- 
sauoir,  auprès  de  Valence  en  Dauphiné.  Les  Teutoniques, 
Cimbres,  Tigurins  et  Ambrons  assaillirent  par  trois  iours 
continuelz  le  fort  des  Romains,  pour  cuyder  les  auoir,  ou 
attraire  aux  champs,  et  donner  la  bataille  :  mais  quand 
lesdits  Cimbres  et  autres  virent  quilz  ne  profitoient  riens 
à  lassault,  ilz  laissèrent  en  paix  lesdits  Romains,  en  les 
menassant,  et  demandant  silz  vouloient  riens  mander  à 
leurs  femmes  :  tant  se  monstroient  ilz  asseurez  daller  pren- 
dre Romme.  Si  se  diuiserent  en  trois  bendes  délibérez  de 
ce  faire. 

Teutobochus,  vn  Roy  Géant,  estoit  chef  de  lune  des  ben- 
des, cestasauoir,  des  Ambrons  et  des  Tigurins,  lesquelz  cy 
dessus  ont  esté  spécifiez.  Icelle  armée  estoit  de  trois  cens 
mil  hommes  ou  enuiron  :  si  prindrent  leur  chemin  deuers 
Prouence.  Mais  après  leur  partement,  le  consul  Marins  en 
grand  diligence,  sauança  de  leur  couper  chemin,  pour  leur 
défendre  le  passage  des  montaignes.  Si  les  vint  trouuer  en 
vne  vallée,  assez  près  d'Aix  en  Prouence  :  là  où  lesdits 
Ambrons  et  Tigurins  sestoient  parquez  tout  du  long  dune 
riuiere.  Si  planta  Marins  son  camp  sur  vn  tertre  vis  à  vis 
d'eux.  Et  comme  son  ost  fut  en  grand  nécessité  deau  et  les 
gendarmes  se  plaingnissent  à  luy,  disans,  quil  laissoit  mou- 
rir de  soif  eux  et  leurs  chenaux  :  il  leur  respondit  :  Vêla 
la  riuiere  que  les  ennemis  tiennent  :  si  vous  estes  hommes, 
il  la  faut  gaigner  au  fer  esmoulu,  et  au  trenchant  des  espees. 

Ce  mot  ne  fut  pas  si  tost  hors  de  la  bouche  du  Consul 
Marius,  que  ses  gens  firent  de  nécessité  vertu.  Tout  pre- 
mièrement les  coustilliers  (1)  et  gros  varletz  à  grans  cris  et 
huées,  entamèrent  la  bataille.  Puis  après  les  hommes  dar- 

(1)  armëa  de  la  coustille  ou  coutelas. 


SINGVLARITEZ   DE  TROTB.   LIVRE  lU.  33f 

mes  donnèrent  dedans  en  bon  ordre.  Et  fut  combatu  par 
vne  merueilleuse  ardeur  et  aspresse  :  tellement  que  les  Am- 
brons et  Tigurins  furent  reboutez  et  vaincuz  pour  la  pre- 
mière fois.  Et  les  Romains  gaignerent  la  iournee,  et  la 
riuiere,  là  où  ilz  se  refreschirent  pour  estancher  leur  grand 
soif.  Et  dit  Lucius  Florus,  que  loccision  fut  si  grande,  que 
les  Romains  altérez  de  soif  et  de  chault,  buuoient  autant 
de  sang  humain  comme  deaue.  Aucuns  historiens  tiennent 
que  ledit  Marius  laissa  ses  gens  auoir  soif  tout  à  essient  :  à 
fin  que  pour  recouurer  eaue,  ilz  combatissent  plus  ar- 
damment. 

Le  quatrième  iour  après  que  chacune  desdites  deux  ar- 
mées eust  reprins  son  alaine  :  elles  se  mirent  de  rechef  en 
bataille,  lune  contre  lautre.  Et  fust  combatu  depuis  le  ma- 
tin, iusques  à  mydi  presques  également,  sans  sauoir  lequel 
auoit  du  meilleur  ou  du  pire.  Mais  après  que  le  soleil  com- 
mença à  seschauffer,  comme  met  Orose,  les  corps  des  Alle- 
mans  et  des  Gaulois  commencèrent  à  fondre  comme  neige. 
Et  fut  faite  d'eux  vne  horrible  boucherie,  iusques  à  la 
nuict.  Et  y  moururent  deux  cens  mille  hommes  de  ladite 
nation  des  Ambrons  et  Tigurins,  et  furent  prins  quatre 
vingts  mille.  Si  en  eschappa  enuiron  trois  mille. 

Teutobochus  leur  Roy,  lequel  comme  met  Lucius  Florus, 
auant  la  bataille  estoit  si  puissant  et  si  dextre,  quil  souloit 
saillir  oultre  et  pardessus  quatre  ou  six  cheuaux  tout  à  vne 
fois,  estoit  si  aflfoybli  des  playes  quil  auoit  receiies,  que  à 
peine  peult  il  monter  sur  vn  coursier  pour  cuider  se  sauner 
à  la  suitte  :  mais  il  fut  poursuiuy  et  ratteint  en  vn  prochain 
tertre  :  et  estoit  chose  merueilleuse  de  voir  sa  grandesse. 
Car  après  que  son  cheual  fut  tué  souz  luy,  et  il  se  tint 
encores  debout,  en  soy  deffendant  vaillamment,  la  hauteur 
de  sa  corpulence  surpassoit  les  colomnes  qui  illec  estoient 


332  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLK,   ET 

plantées  pour  trophées  et  enseignes  de  victoire.  Parquoy 
il  faut  dire  quil  estoit  de  stature  de  Géant.  Finablement  il 
fut  tué  par  les  Romains. 

Telle  fut  la  desconfiture  des  Tigurins  et  des  Ambrons. 
Mais  de  leurs  femmes,  Orose  et  saint  Hierome  racontent 
vne  chose  mémorable  :  cestasauoir,  que  après  la  bataille, 
quand  elles  eurent  entendu  quelles  seroient  liurees  en  ser- 
uitude  et  concubinage  aux  Romains  vainqueurs  :  trois 
cens  des  plus  nobles  et  apparentes  dentre  elles  vindrent  se 
présenter  deuant  le  consul  Marins  :  et  luy  firent  requeste, 
que  sil  les  vouloit  auoir  en  vie,  quil  leur  fut  loisible  garder 
leur  chasteté.  Et  pour  ce  faire,  que  on  leur  assignast  lieu 
au  seruice  des  Vierges  et-Nonnains  sacrées,  en  aucun  tem- 
ples de  Ceres  et  de  Venus.  Laquelle  chose  comme  elles  ne 
peurent  impetrer,  ains  furent  reboutees  par  les  sergens 
dudit  Consul,  la  nuict  suruenant  elles  tuèrent  leurs  petis 
enfans  :  et  le  lendemain  furent  tout  trouuees  mortes  et 
entretuees,  la  pluspart  tenans  lune  lautre  embrassée. 


Comment  la  bende  des  deux  frères  Teatonius  et  Cloadic,  Roy  des 
Cimbres,  entrèrent  en  Italie  à  force  et  maugré  les  Romains. 

/i 

La  seconde  et  la  tierce  bende  des  Cimbres  et  Teutons, 
Belgiens,  Tongrois  et  Menapiens,  après  quilz  se  furent  par- 
tis, comme  dessus  est  dit,  dautour  du  fleuue  du  Rhône  en 
Gaule,  ilz  ne  peurent  passer  les  montaignes  quon  dit  main- 
tenant de  Sauoye  :  à  cause  de  ce  que  le  Consul  Marins, 
après  sa  victoire  des  Ambrons  et  des  Tigurins,  les  auoit 
desia  occupées.  Si  furent  contraints  de  faire  vn  grand  tour 
et  denuironner  vn  grand  païs,  en  passant  par  les  Helue- 
tiens,  quon  dit  maintenant  Souyceres,  et  tirant  de  là,  ius- 


SINGVLARITEZ  DB   TROYE,   LIVRE  III.  333 

ques  en  Soaue  et  aux  montaignes  de  Trente,  qni  séparent 
Italie  d'Âlleroaigne.  Si  passa  lesdites  montaignes  la  première 
desdites  deux  bendes,  par  grand  force  et  vertu,  nonobstant 
Ihyuer  et  les  neiges,  et  en  despit  de  Quintus  Catulus,  Pro- 
consul des  Romains,  commis  à  garder  le  passage  et  les 
destroits.  Et  lautre  bende  demoura  pour  arrieregarde, 
secours  et  renfort  en  Allemaigne  :  cestasauoir,  es  montai- 
gnes de  Soaue  et  de  Bauiere.  I> 

De  ladite  bende  qui  entra  en  Italie,  en  nombre  de  denx 
cens  mille  hommes  de  fait,  sans  leurs  femmes  et  leurs  en- 
fans,  estoient  conducteurs  les  dessusnommez  deux  frères 
Roy  s  Teutonius  et  Cloadic,  enfans  de  Menapius,  lesquels 
auoient  aussi  auec  eux  plusieurs  autres  Roys  et  Princes, 
tant  alliez,  comme  subietz,  dont  dessus  est  faite  mention. 
Si  comme  les  Roys  Bolus,  Lucius,  Claudius,  Boiorix  et 
Cesorix,  et  autres  assez,  dont  nous  nauons  point  les  noms. 
Lesquelz  tous  ensemble  auoient  iuré  leurs  Dieux,  de  non 
sarrester  iamais  en  lieu  déterminé  iusques  à  ce  quilz  eus- 
sent destruit  Romme  :  ce  quilz  ne  feirent  pas,  comme  vous 
orez,  et  dont  mal  leur  en  print. 

Comme  donques  ilz  eussent  passé  les  Alpes  à  viue  force, 
et  eussent  desia  rué  ius  le  dessusdit  Quintus  Catulus  Pro- 
consul Romain,  et  abatu  vn  fort  chasteau  sur  le  fleuue 
Athesis,  (1)  qui  passe  parmy  Trente  et  Vérone  :  lequel  ledit 
Catulus  nauoit  peu  garder,  ains  sonfuyoit  deuant  eux  : 
finablement  sans  autre  résistance,  ilz  passèrent  la  riuiere 
non  pas  à  gué,  ce  quilz  cuiderent  faire,  mais  ilz  ne  peu- 
rent  :  ny  aussi  à  force  de  ponts  de  bateaux,  lesquelz  ilz  ne 
sceurent  ou  ne  daignèrent  faire,  mais  à  force  de  gros  trônez 
darbres,  quilz  coupèrent  et  ietterent  dedens,  tant  quilz  les 
feirent  surmonter  leau,  et  ainsi  passèrent. 

(1)  L'Adige. 


554  ILLVSTRÂTIONS   DE   GATLE,    ET 

Apres  auoir  passé  ladite  riuiere  d'Athesis,  ilz  sestendirent 
par  la  plaine  de  Lombardie  et  de  la  terre  Veronoise,  Pa- 
duanne  et  Vénitienne,  dont  les  Romains  eurent  merueilleuse 
crainte  et  estonnement  autant  quilz  eurent  iadis  d'Annibal . 
Et  si  nosdits  Cimbres  fussent  tirez  oultre  tout  dune  marche, 
comme  ilz  auoient  premièrement  délibéré,  ilz  eussent  mis 
en  grand  hazard  toute  la  puissance  de  Romme  :  mais  pource 
quilz  trouuerent  ledit  territoire  gras  et  plein,  doux  et  fer- 
tile, et  quilz  commencèrent  à  menger  du  pain  et  de  la  chair 
cuite  et  des  figues,  et  autres  doux  fruitages,  dont  la  région 
abonde  :  et  boire  du  vin  à  planté  ;  et  aussi  saccoustume- 
rent  destuues  et  de  baings,  ce  quilz  nauoient  encores 
accoustumé,  comme  met  Lucius  Florus  :  leur  force  et  leur 
dureté  robuste,  et  parauant  si  terrible  et  si  redoutable,  se 
commença  à  amollir  et  anichiler.  (1)  Et  en  ce  temps  pendant 
le  Consul  Marins  fut  derechef  créé  Consul  alencontre  d'eux, 
et  luy  fut  baillé  pour  collatéral  Quintus  Catulus,  lequel 
parauant  sen  estoit  fuy  deuant  lesdits  Cimbres,  comme 
nous  auons  dit. 


De  la  merueilleuse  bataille  entre  les  Romains  et  les  Cimbres  :  et  de 
la  defifaite  desdits  Cimbres  par  la  subtilité  des  Romains  :  et  de  la 
forte  bataille  quilz  eurent  contre  les  femmes. 

Le  consvl  Caius  Marivs,  auecques  son  collatéral  Quintus 
Catulus,  feit  marcher  son  armée  iusques  auprès  de  celle  des 
Teutons  et  des  Cimbres,  laquelle  chose  voyans  les  Roys 
dessusnommez  feirent  demander  par  vn  héraut  audit  Con- 

(1)  L'édition  1512  fait  de  ce  paragraphe  une  vingtaine  de  petites 
phrases  découpées  par  des  points. 


SINGTLÂRITEZ  DB   TROTE.   LIVRE  UI.  335 

sul  Marius  iour  et  lieu  assigné  pour  combatre  :  ce  qui  leur 
fut  accordé  à  certain  iour  prochain,  et  en  vne  grande  et 
large  campaigne,  nommée  Gandin. 

Le  iour  de  la  bataille  assigné  venu,  les  deux  Consulz 
Marius  et  Catulus  furent  diligents  et  meirent  leurs  gens 
en  ordonnance  subtilement  de  grand  heure,  pour  surpren- 
dre les  Cimbres,  tellement  que  larmee  des  Romains  fut 
plustost  approchée  à  combatre  main  à  main  quilz  neussent 
peu  penser  quelle  eust  esté  preste.  Par  ainsi  comme  gens 
de  cheual  des  Cimbres  eussent  soustenu  le  premier  fais, 
ce  pendant  que  les  autres  se  mettoient  en  ordre,  ilz  furent 
de  léger  (1)  reculez  par  la  foule  des  Romains  et  contraints 
à  rentrer  dedens  les  leurs,  lesquelz  ilz  entretroubloient 
et  mettoient  en  desordonnance.  Si  vserent  oultreplus  les 
Romains  dune  cautelle  et  artifice  de  guerre  semblable  à 
celle  dont  Annibal  vsa  vers  eux  à  la  bataille  de  Cannes. 
Cestasauoir,  de  leur  sauoir  donner  la  pouldre  et  le  Soleil 
au  visage  :  au  moyen  desquelles  choses,  vne  si  terrible  mul- 
titude de  Cimbres  fut  vaincue  et  desconfite,  sans  grand 
perte  des  Romains. 

En  ceste  iournee  mourut  nostre  Roy  Teutonius,  filz  de 
Menapius,  lun  des  principaux  chefz  de  larmee  des  Cimbres, 
et  le  Roy  Belus  ou  Beleus,  et  le  Roy  Lucius,  et  le  Roy 
Boiorix,  tous  vaillans  Princes  :  et  auec  eux  le  nombre  de 
sept  vingts  mille  hommes.  Il  y  eut  deux  autres  vertueux 
Princes  dont  on  ne  scait  les  noms,  comme  met  Orose  :  les- 
quelz quand  ilz  veirent  la  perte  de  la  bataille,  coururent 
sus  lun  à  lautre  et  sentretuerent.  Le  Roy  Cloadic,  firere 
dudit  Teutonius,  fut  prins  prisonnier  :  auec  deux  autres 
Roy  s  Claudius  et  Cesorix  :  et  quarante  mille  de  leurs  gens. 

(1)  c.-à-d.  rapidement,  facilemont. 


336  ILLVSTRATIONS   DK  GAVLE,    ET 

Le  Consul  Catolus,  combien  quil  eust  premièrement  esté 
rebouté  par  lesdits  Cimbres  à  lentree  d'Italie,  combatit 
neantmoins  plus  heureusement  que  Marius  :  car  il  eut  en 
sa  part  trente  et  vne  enseignes  des  Cimbres  et  des  Teuto- 
niques,  là  où.  Marius  nen  eut  que  deux.  Et  fut  ceste  des- 
confiture, lan  deuant  lincarnation  nostre  Seigneur  quatre 
vingts  quatorze. 


De  la  cruelle  et  noble  mort  des  femmes  des  Cimbres  :  et  de  la  tierce 
bende  dont  depuis  yssirent  les  Goths,  qui  bien  se  vengèrent  des 
Romains  :  et  diceux  Goths  extraits  des  Cimbres,  descendirent  les 
anciens  Roys  de  Bourgongne  et  d'Espaigne. 

Apres  la  desconfiture  des  hommes,  les  Romains,  eurent 
presques  autant  à  faire  à  vaincre  les  femmes  :  car  pour 
deffendre  leur  honneur  et  chasteté,  elles  sestoient  fortifiées 
entre  leurs  chariots  et  bagages  :  comme  dedens  fortes  tours 
ou  chasteaux,  et  dillec  combatoient  de  lances,  de  dards  et 
despees,  par  vne  merueilleuse  hardiesse  et  obstination  de 
courage,  tellement  que  par  longue  espace  on  ne  pouuoit 
entamer  sur  elles  :  mais  quand  il  aduenoit  que  aucunes 
desdites  femmes  en  combatant  tomboient  es  mains  diceux 
Romains,  ilz  les  faisoient  mourir  de  plajes  cruelles  et  des- 
honnestes,  en  la  présence  des  autres,  pour  leur  donner 
crainte  et  frayeur  :  mesmemènt  ilz  leur  coupoient  le  test  (1) 
de  la  teste,  auec  les  cheueux  :  de  laquelle  nouuelle  et  exé- 
crable manière  de  mort,  lesdites  femmes  espouuentees , 
enuoyerent  premièrement  au  Consul  Marius,  vne  ambas- 
sade comme  auoient  fait  les  autres  dessusdites,  pour  impe- 

(I)  c.-à-d.  le  haut  du  crâne.  Cf.  testa  «s  vertex  ap.  Ducange. 


SmCYLARlTEZ   DE   TRÔTE.    tIVBE   III.  ^57 

trer  liberté,  et  quelles  poussent  seruir  les  Dieux  et  les 
Déesses  en  aucuns  temples  comme  religieuses.  Laquelle 
chose  comme  elles  ne  peurent  impetrer,  elles  estranglerent 
premièrement  et  ietterent  contre  terre  leurs  enfans,  et  puis 
tournèrent  contre  elles  mesmes  les  armes  quelles  auoient 
prinses  contre  les  Romains  :  tellement  que  les  aucunes 
sentretuoient  de  coups  de  lances,  de  haches'  ou  despees  : 
les  autres  prenoient  lune  lautre  par  la  gorge,  et  sestran- 
gloient  par  merueilleuse  fureur  et  desesperation.  Et  telles 
en  y  eut  qui  nouèrent  des  cordes  par  lun  des  bouts  aux 
iambes  derrière  de  leurs  cheuaux,  et  de  lautre  bout  à  leurs 
mesmes  gorges  :  puis  en  aguillonnant  leurs  cheuaux,  se 
faisoient  trainer  par  iceux  iusques  au  mourir.  Les  autres 
se  pendirent  aux  arbres  prochains,  aux  timons  de  leurs 
chariotz,  voire  à  tout  leurs  cheueux  mesmes  par  faute  de 
cordes.  Si  en  fut  trouué  vne  pendant  à  vn  arbre,  ayant  à 
chacun  de  ses  piedz  vn  de  ses  enfans  penduz. 

La  tierce  bende,  laquelle  comme  nous  auons  dit  cy  do- 
uant, estoit  demouree  sur  les  frontières  de  Soaue  et  de 
Bauiere,  pour  donner  secours  à  ceux  cy  :  quand  ilz  enten- 
dirent la  desconfiture  de  leurs  compaignons,  neurent  garde 
dentrer  en  Italie,  voyans  la  fortune  contre  eux,  ains  sen 
allèrent  par  Allemaigne  et  Hongrie  chercher  autre  habi- 
tation :  iusques  aux  paluz  Meotides,  deuers  Tartarie  :  ïâ 
oîi  ilz  sarresterent,  et  y  demourerent  long  temps.  Si  déuin- 
drent  vn  grand  peuple  :  et  disent  aucunes  Histoires,  mes- 
mement  Raphaël  de  Volaterre  en  son  premier  liure  des 
Commentaires  vrbains  (1)  :  Que  de  ceux  mesmes  yssirent  les 

(1)  Raphaël    Maffei,  surnomme   Volaterranus,  né  à  Yolterra  en 
1452,  mort  en  1522.  Le  plus  connu  de  tous  ses  ouvrages  est  intitulé  : 
Cotnmentariirerum  «rbanarutn  libri  XXXVI II,  espèce  d'encyclopédie. 
II.  23 


338  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Goths,  Vesegoths  et  Ostrogoths  :  qui  depuis  se  vengèrent 
^es  Romains  à  grand  oultrance  :  et  se  respandirent  par 
toutes  les  Italies,  Gaules  et  Espaignes.  Et  de  ceux  sont 
yssuz  les  Rojs  de  Bourgongne  et  d'Espaigne,  comme  nous 
dirons  cy  après  en  son  lieu. 

Le  consul  Caius  Marius  auec  son  collatéral  Quintus 
Lucanus  Catulus,  après  leur  victoire,  eurent  leur  entrée 
triomphale  à  Romme  et  menèrent  auec  eux  les  Roys  Cloa- 
dic,  Claudius  et  Cesorix,  prisonniers.  Et  pour  la  mémoire 
de  ladite  victoire,  et  à  fin  de  remercier  les  Dieux,  le  Sénat 
fit  faire  vn  temple  dœuure  merueilleuse,  lequel  iusques 
auiourdhuy  sappelle  le  temple  Cimbrique  :  et  est  situé 
auprès  de  sainte  Marie  maiour.  Ainsi  demoura  Cloadie 
prisonnier  à  Romme. 


Comment  après  la  deffaite  de  Teutonius  et  Cloadie,  Roys  des  Cimbres, 
Léon  le  quart,  leur  frère  fut  occis  par  les  Saxons.  Et  son  frère,  et 
successeur  Godefroy  surnommé  Karle,  chassa  daupres  de  luy  son 
filz  nommé  Charles  Ynach. 


La  desconfitvre  des  Cimbres  en  Italie,  comme  il  est  assez 
vray semblable,  causa  en  noz  païs  de  par  deçà  vn  grand  trou- 
ble. Et  fut  ce  quartier  bien  estonné,  (1)  dauoir  perdu  vne 
si  grand  force  de  gens  :  attendu  que  tous  les  ieunes  et  forts 
hommes  y  estoient  allez.  A  cause  de  quoy,  Léon  le  quart, 
Roy  des  Belgiens,  des  Cimbres  et  des  Tongrois,  auec  son 
frère  Godefroy,  furent  bien  esbahis,  et  menèrent  grand 
dueil  de  la  mort  de  leur  frère  Teutonius  :  et  de  la  captiuité 
de  leur  autre  frère  Cloadie,  détenu  à  Romme,  et  sur  ces 


(1)  c.-à-d.  consterné. 


SIMGTLAHITBZ   DB  TROTE.    LIVRB   III.  339 

entrefaites,  comme  il  aduient  coastumierement  que  dune 
mauaaise  fortune  sensuiuent  plusieurs  autres,  Âusonarix, 
Roy  de  Saxone,  ayant  quelque  ancienne  querele  alencontre 
des  Belgiens  et  Tongrois,  descendit  d'AUemaigne  auec  un 
grand  exercite  de  Saxons,  Vuandelz,  Huns,  Istriens  et 
Austrichois,  et  combatit  en  la  campaigne  contre  le  Roy 
Léon  le  quart,  et  Godefroy  son  frère.  Si  fut  ledit  Roy  Léon 
tué  en  la  bataille,  et  Godefroy  se  sauua  à  la  fuite.  Par- 
quoy  ledit  Ausonarix  Roy  de  Saxone  demeura  vainqueur. 

Dont  après  tant  dinfortunes,  ledit  Godefroy,  seul  et  der- 
nier des  quatre  frères,  fut  Roy  de  Tongres,  mais  trop 
affoibly.  Si  se  retira  en  son  chasteau  de  Megue  (1)  sur  la 
riuiere  de  Meuse,  et  vescut  illec  assez  tristement  et  soli- 
tairement. Et  pource  quil  se  tenoit  ainsi  estrange  et  me- 
lencolique,  sans  communiquer  auecques  les  gens,  il  fut  sur- 
nommé Karle,  qui  signifie  en  langage  Teutonique  ou  Thiois, 
rude,  robuste  ou  rustique  :  toutesfois  il  paya  la  rançon 
de  son  frère  Cloadic,  estant  prisonnier  à  Romme  :  lequel 
Cloadic  neantmoins  ne  fut  pas  deliuré  à  plein,  mais  de- 
meura comme  ostager  et  pour  seureté  à  Romme. 

Iceluy  Godefroy  surnommé  Karle,  eut  vn  filz  nommé 
Charles  Ynach,  lequel  son  père  chassa  et  bannit  de  sa  pré- 
sence et  de  son  Royaume,  pource  quil  auoit  vsé  de  force 
enuers  vne  fille  :  tellement  que  ledit  Charles  Ynach,  con- 
traint de  partir  des  païs  de  pardeça,  se  retira  vers  son 
oncle  Cloadic,  ostager  à  Romme,  duquel  il  fut  honnorable- 
ment  receu.  Si  le  logea  et  colloqua  auec  vn  noble  Sénateur 
nommé  Gneus  Octauius,  pour  voir  et  aprendre  du  bien  et 
de  Ihonneur  Romain.   En  ce  mesme  temps,  cestasauoir 

(1)  Metgue  (éd.  1528),  peut-être  Megen,  près  de  Njmègue,  ou  plu- 
tôt Nymôgue  même  (▼.  plus  bas). 


340  ILLVSTRATIONS  DE   GAYLE,    ET 

enuiron  septantedeux  ans  deuant  lincarnation  de  nostre 
Seigneur,  Mithridates,  Roy  de  Ponte,  faisoit  la  guerre  aux 
Romains,  es  parties  d'Orient  et  de  Grèce,  laquelle  dura 
bien  quarante  ans,  selon  les  histoires,  et  fut  souuent  renou- 
uellee. 

Pour  lors,  cestasauoir  enuiron  aucun  temps  de  ladite 
guerre,  estoit  en  la  prouince  de  Péloponnèse,  qui  est  vne 
partie  de  Grèce,  quon  dit  maintenant  la  Moree,  contenant 
les  païs  d'Arcadie  et  d'Achaie,  estably  pour  Duc,  Proconsul 
et  Président,  vn  Prince  Romain,  nommé  Lucius  Iulius,  qui 
fut  père  de  Caius  Iulius  César,  Dictateur  perpétuel,  et  qui 
premier  instaura  la  monarchie  de  Lempire,  et  dont  tous 
les  autres  ses  successeurs  depuis  ont  esté  nommez  Empe- 
reurs et  Césars.  Ledit  Lucius  Iulius,  donques  selon  le  de- 
uoir  de  sa  charge,  feit  tantost  assauoir  au  Sénat  et  peuple 
de  Romme,  les  nouuelles  entreprises  dudit  Roy  Mithri- 
dates, à  fin  dy  pouruoir. 


Comment  Charles  Ynach  milita  pour  les  Romains,  en  la  guerre  du 
Roy  Mithridates,  et  amena  pardeça  vne  des  sœurs  de  Iulius  César  : 
et  de  limposition  du  nom  de  Yalenciennes. 

Povr  fournir  donc  à  la  guerre  dessusdite,  furent  mis  sus 
nouueaux  gensdarmes  à  Romme,  auec  lesquelz  alla  Charles 
Ynach  exillé  et  banny  des  païs  de  pardeça  par  son  père 
Godefroy  Karle,  comme  dessus  est  dit.  Et  milita  en  icelle 
guerre,  souz  lenseigne  de  Lucius  Iulius  dessusnommé,  pro- 
consul d'Arcadie  et  d'Achaie.  Et  en  ces  entrefaites  mesmes, 
et  pour  loccasion  de  ladite  guerre  du  Roy  Mithridates, 
sourdit  à  Romme  la  grand  discorde  ciuile  entre  SyUa  et 
Marius  :  dont  Sylla,  qui  demeura  vainqueur,  feit  vne  mer- 


SMGVLARITEZ  DE  TftOYB.    LitEE  111.  341 

tiëilleuse  occision  et  prôscrij^tion  de  ceux  qui  auoient  tenk 
le  party  de  Marius,  son  ennemy.  A  cause  dequoy  plusieurs 
citoyens  Romains  abandonnoient  leurs  biens  et  leurs  mai- 
sons et  senfuy oient,  pour  fuyr  la  cruauté  énorme  de  Sylla. 

Entre  ceux  qui  laissèrent  Romme,  pour  euiter  ladite 
tyrannie,  fut  le  dessusnommé  Octauius  Sénateur,  en  la 
maison  duquel  Charles  Ynach  auoit  premièrement  esté  logé 
et  à  luy  recommandé  par  son  oncle  Cloadic,  comme  nous 
auons  dit  cy  dessus.  Lequel  Octauius  se  retira  en  Arcadie, 
vers  ledit  Lucius  Iulius  Proconsul,  là  où  il  trouua  Charles 
Ynach,  son  hoste.  Si  se  tint  illeçques  auec  luy,  iusques  à  la 
mort  de  Sylla,  et  ce  pendant  mourut  le  Roy  Cloadic,  estant 
ostager  à  Romme. 

Or  auoit  ledit  Lucius  Iulius,  proconsul  d' Arcadie,  deux 
filles,  lune  nommée  Iulia  et  lautre  Germaine.  Iulia  estoit 
de  la  mesme  mère  dudit  Iulius  César  :  lautre  il  lauoit  eiie 
dune  noble  dame  dudit  païs  d' Arcadie.  Quand  donques 
après  la  mort  dudit  tyrant  Sylla,  iceluy  Octauius  voulut 
retourner  à  Romme,  il  désira  prendre  alliance  et  affinité 
auec  ledit  Lucius  Iulius.  Laquelle  chose  luy  fut  de  léger 
ottroyee,  pource  quil  estoit  fort  noble  et  preudhomme.  Si 
furent  faites  les  noces  solennelles,  et  puis  Octauius  monta 
sur  mer  et  partit  d' Arcadie  auec  sa  femme.  Et  Iulius  César, 
son  beau  frère,  pour  lors  ieune  adolescent,  fut  député 
pour  les  accompaigner. 

Lautre  fille  dudit  Lucius  Iulius  proconsul,  nommée  Ger- 
maine, tresbelle  damoiselle,  demoura  auecques  sa  mère  en 
Arcadie.  De  laquelle  deuint  amoureux  Charles  Ynach  , 
estant  cheualier  de  son  père.  Et  pour  la  priuauté  quil 
auoit  leans,  feit  tant  secrètement  quil  la  pria  damours  et 
la  rendit  enceinte.  Mais  craingnant  que  la  chose  vint  à 
lumière,  et  que  tous  deux  en  eussent  à  soufirir,  après  quil 


542  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

luy  eust  conté  comment  il  estoit  filz  de  Roy,  mais  exillé  de 
son  pais  par  le  maltalent  de  son  père,  et  que  neantmoins 
esperoit  de  retourner  en  sa  grâce,  ilz  sentrepromeirent 
mariage  :  et  elle  fut  contente  dabandonner  ses  parens  et 
son  pais,  et  sen  venir  auec  son  amy  Charles  Ynach,  es 
pais  de  pardeça.  Si  troussèrent  les  meilleurs  de  leurs 
bagues,  auec  ce  quilz  peurent  de  trésor,  et  sembarquerent 
celeement  par  vne  belle  nuict,  et  sen  vindrent  en  Italie,  du 
costé  de  Venise  là  où  ilz  prindrent  terrre. 

En  après  délibérant  comme  dessus  est  dit,  Charles  Ynach 
de  retourner  pardeça,  et  de  trouuer  quelque  moyen  de 
rentrer  en  la  grâce  de  son  père  :  ilz  montèrent  à  cheual, 
luy,  sa  femme  et  son  train,  le  plus  desguisément  et  cou- 
uertement  quilz  peurent,  de  peur  destre  congnuz.  Si  dres- 
sèrent leur  chemin,  premièrement  à  Milan,  et  dillec  par  les 
AUobroges  quon  dit  maintenant  Sauoyens  et  Bourguignons, 
et  par  le  pais  de  Gaule,  qui  maintenant  sappelle  France, 
et  firent  tant  par  leurs  iournees,  quilz  arriuerent  à  Cam- 
bray. 

De  Cambray  ilz  tirèrent  oultre,  et  vindrent  iusques  à 
vne  place,  qui  pour  lors  se  nommoit  le  chasteau  de  Sesnes, 
là  où  ilz  se  refreschirent  et  reposèrent  en  la  belle  vallée, 
sur  vne  plaisante  riuiere,  en  laquelle  nageoient  plusieurs 
cygnes.  Alors  lun  des  varletz,  lequel  estoit  archer,  benda 
son  arc,  et  tira  vne  flesche  après  lun  desdits  cygnes.  Mais 
loisel  euita  le  coup,  et  en  volant  tout  effroyé,  se  vint  ren- 
dre au  gyron  de  la  belle  Germaine,  dont  elle  fut  ioyeuse, 
pour  la  nouueauté  du  cas,  et  en  prenant  bonne  signifi- 
cation diceluy,  pource  que  au  temps  passé  le  cygne  estoit 
dédié  à  la  déesse  Venus  de  laquelle  elle  estoit  descendue  de 
par  Eneas,  filz  d'Anchises  de  Troye.  Si  demanda  à  Charles 
Ynach,  son  mary,  comment  tel  oisel  auoitnom  au  langage 


SIMGVLARITBZ    OB   TROTE.    LIVRE  lU.  343 

de  son  païs  :  et  il  respondit,  quon  le  nommoit  Sauane,  en 
langue  Thioise.  Lors  dit  elle  quelle  vouloit  désormais  estre 
ainsi  appellee,  et  non  plus  Germaine,  de  peur  quelle  ne 
fust  quelque  fois  recongnue  à  cause  dudit  nom.  Si  fut 
obtempéré  à  son  plaisir  et  à  cause  de  la  multitude  des 
cygnes,  ledit  lieu  fut  deslors  appelle  Val  des  Cygnes,  et  est 
maintenant  le  lieu  où  est  située  la  ville  de  Vallenciennes, 
sur  la  riuiere  Descault,  et  elle  feit  emporter  auec  elle  ledit 
Cygne,  et  le  nourrit  et  garda  songneusement. 


Comment  Charles  premier  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  surnommé 
Ynach,  régna  à  Tongres  après  la  mort  de  son  père  Godefroy  Karle, 
et  fut  occis  en  bataille  par  Iulius  César,  son  beau  frère.  Et  est 
aussi  désigné  le  tenement  de  Ambiorix,  Roy  des  Ebarons. 


Dvdit  lieu,  quon  dit  maintenant  Vallenciennes,  Charles 
Ynach  et  sa  femme  Suuane  ,  qui  plus  ne  voulut  estre 
appellee  Germaine,  tirèrent  iusques  au  chasteau  de  Froid- 
mont,  quon  dit  Cauberghe,  (1)  en  langage  Thiois,  près  de 
Bruxelles.  Là  endroit  fut  aduerti  Charles  Ynach,  de  la 
mort  de  son  père  Godefroy  Karle,  Roy  de  Tongres.  Si  tira 
oultre  auec  sa  femme  et  son  train,  et  alla  au  grand  temple 
de  Mars  et  de  Pluton,  estant  à  Louuain,  là  où  il  rendit 
grâces  aux  Dieux,  de  sa  pérégrination  et  exil  acheuez,  et 
leur  feit  sacrifice  solennel.  Et  dillec  alla  prendre  possession 
de  sa  cité  de  Tongres,  en  laquelle  il  fut  receu  à  grand  ioye 
et  triomphe  par  ses  subiets,  comme  leur  Prince  et  vray 
héritier  de  son  père.  Si  régna  illec  paisiblement  aucun 
temps,  et  eut  de  sa  femme  Suuane,  deux  enfans,  cestasa- 

(1)  C'est  le  quartier  de  Bruxelles  appelé  CautUnberff , 


544  ILLVSTRATIONS   DiE   GÀVLE,    ET 

^r,;  vn  filz  ]pommé  Octauius,  et  vne  fille  appellee  Suuane. 

Aucun  temps  après  Ariouistus,  Roy  des  Allemans  Saxons, 
eut  aspre  et  mortelle  guerre  contre  Iulius  César  et  les 
Romains,  à  cause  de  celle  partie  de  Gaule,  quon  disoit 
alors  le  pais  des  Sequanois,  cest  maintenant  la  franche 
Conté  de  Bourgongne.  Et  pource  que  Charles  Ynach  crain- 
gnoit  que  ledit  lulles  César  ne  marchast  plus  auant  en 
Gaule,  il  se  ioingnit  et  feit  alliance,  comme  plusieurs 
autres,  auec  ledit  Ariouistus  Roy  des  Saxons,  et  alla  à 
toute  sa  puissance  en  personne,  contre  les  Romains.  Mais 
en  vne  grosse  bataille  quilz  eurent  auprès  de  Bezenson,  du 
costé  de  la  conté  de  Ferrete,  Ariouistus  fut  vaincu  et 
Charles  Ynach  tué.  Si  demeura  la  poure  Royne  Suuane  sa 
femme  vefue,  esperdue  et  bien  désolée,  auec  ses  deux 
ieunes  enfans,  atout  lesquelz  elle  sen  alla  musser  au  chas- 
teau  de  Megue,  sur  la  riuiere  de  Meuse,  craingnant  que 
son  frère  Iulius  César,  lequel  entroit  tous  les  iours  plus 
auant  en  païs,  nouyst  quelque  nouuelle  délie.  Par  ainsi 
elle  laissa  le  gouuernement  de  la  terre  de  Tongres  à 
Ambiorix,  Roy  des  Eburons,  son  allié.  Si  feit  emporter  auec 
elle  son  cygne,  dessus  mentioné,  et  le  mit  es  fossez  du 
chasteau  de  Megue,  et  passoit  son  temps  à  le  nourrir  et 
paistre  de  sa  propre  main,  en  souuenance  de  son  feu  mary 
le  Roy  Charles  Ynach,  et  aussi  de  la  haute  extraction  de 
la  déesse  Venus,  et  du  sang  de  Troye  dont  elle  estoit  yssue, 
comme  dessus  est  dit  à  cause  de  la  maison  de  lulles. 

Ambiorix,  Roy  des  Eburons,  est  souuentesfois  mentionné 
es  Commentaires  de  lulles  César.  Et  par  ce  que  ientens  des 
bons  acteurs,  ledit  Ambiorix,  tant  comme  Roy  des  Ebu- 
rons, comme  régent  de  Tongres,  dominoit  sur  tout  ce  que 
contient  maintenant  leuesché  du  Liège  et  le  païs  qui  siet 
entre  Rhin  et  Meuse.  Pour  toutes  lesquelles  terres  on  peult 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.    LITRE   Ul.  345 

entendre  par  coniecture  ,  que  leurs  limites  sestendoient 
autant  que  contiennent  maintenant  lesDuchez  de  Lembourg, 
de  Lothric  et  de  luliers,  auec  la  eité  et  les  appartenances 
d'Aix  la  chapelle  et  quelque  portion  de  la  conté  de  Namur. 
Si  feit  ledit  Ambiorix  grand  diligence  de  nuire  aux  Ro- 
mains :  et  de  fait  les  deffit  au  fort  de  Vatucca,  que  aucuns 
disent  estre  Bosleduc  et  les  autres  luliers.  Et  combien 
quil  fust  parauant  tributaire  des  Aduatiques,  lesquelz  es- 
toient  de  la  lignée  des  Cimbres,  qui  furent  desconfltz  en 
Italie,  comme  dessus  est  dit,  et  lesquelz  Aduatiques  on  dit 
maintenant  estre  les  Brabansons,  neantmoins  il  fut  depuis 
leur  chef.  Si  ioingnit  auec  luy  les  Belgiens  et  Neruiens,  qui 
sont  maintenant  les  Haynnuiers  et  Tournisiens,  desquelz 
leur  Roy  nommé  Andromadas  estoit  mort  en  bataille.  Et 
auoit  ledit  Ambiorix  le  nombre  de  soixante  mille  hommes. 
Si  feit  beaucoup  darmes,  et  assiégea  Quintus  Cicero,  lieute- 
nant de  Iulius  César,  en  sa  garnison  estant  au  pais  des 
Neruiens.  Et  fut  beaucoup  assisté  des  Menapiens,  lesquelz 
iay  dit  icy  dessus  estre  ceux  de  la  duché  de  luliers.  Mais 
en  fin,  la  fortune  et  la  force  demeura  à  luUes  César  et  aux 
Romains,  comme  il  est  cler  par  les  histoires. 


De  la  tresnoble  et  tresantique  généalogie  des  Brabons,  et  de  lear  bla- 
son  qui  fut  tel,  que  le  porte  auiourdhuj  la  maison  d'Austricbe  et 
de  Lothric. 


Ivlivs  César,  ainsi  prospérant  en  Gaule  Belgique,  auoit 
entre  ses  gensdarmes,  vn  cheualier  et  principal  porteur 
denseigne,  nommé  Saluius  Brabon,  extrait  de  lancienne 
lignée  de  Francus,  filz  d'Hector  de  Troye.  Et  pour  mieux 
entendre  ceste  généalogie,  il  faut  vn  petit  repeter  ce  que 


546  ILLVSTRATIONS    DE   GÀVLE,    ET 

au  Commencement  de  ceste  œuure  en  est  mis.  Cestasauoir, 
que  Sicamber,  filz  d'Hector  de  Troye,  duquel  porta  iadis  le 
nom  la  cité  de  Sicambre,  qui  maintenant  sappelle  Bude  en 
Hongrie,  eut  vn  filz  nommé  Priam  deuxième  de  ce  nom, 
qui  régna  après  luy.  Ledit  Priam  engendra  Hector  second 
de  ce  nom.  leeluy  Hector  eut  trois  en  fans,  cestasauoir, 
Troïus,  Polydamas  et  Brabon  lancien.  Brabon  lancien  eut 
deux  enfans,  dont  laisné  fut  nommé  Priam,  qui  régna  après 
luy,  et  lautre  fut  dit  Brabon  du  nom  paternel  :  lequel 
print  à  femme,  vne  dame  d'Arcadie,  prouince  de  Grèce,  cy 
dessus  spécifiée.  Iceluy  Brabon  le  ieune,  pour  iamour  de  sa 
femme,  fut  content  dabandonner  son  pais  de  Pannonie  et 
aller  habiter  en  Arcadie,  là  où  ses  successeurs  se  tindrent 
iusques  à  la  vingtième  génération,  de  laquelle  fut  Saluius 
Brabon,  cheualier  de  lulles  César,  dont  nostre  propos  est 
mis  en  termes.  Lequel  Saluius  Brabon,  ayant  première- 
ment seruy  en  guerre  le  père  de  lulles  César,  contre  le  Roy 
Mithridates  de  Ponte,  sestoit  depuis  retiré  souz  lenseigne 
de  lulles  César,  suiuant  le  noble  mestier  des  armes,  esquel- 
les  il  estoit  fort  exercité  vaillant  homme  et  féal,  portant  en 
son  escu,  vne  faste  (1)  dargent  en  champ  de  gueuUes.  Lequel 
blason  portent  de  toute  ancienneté,  les  Roy  s  d'Austrasie, 
ou  d'Austriche  la  basse,  quon  dit  mantenant  la  Duché  de 
Lothric.  Et  tel  le  porte  auiourdhuy  la  maison  d'Austriche. 


(1)  pour/eue^,  terme  de  blason. 


SIMGVLARITEZ   D£  TROTE.    LIVRE   111.  347 


Comment  laRoyne  Germaine,  aurnomm^e  Suuane,  vefue  du  Rojr  Char- 
les  loach,  fut  recongnne  par  luUus  César  son  frère,  an  moyen  dudit 
Cheualier  Saluius  Brabon  :  et  de  la  vraye  histoire  do  Cjgne  de 
Cleuea. 


Lhistoire  dit,  que  ainsi  comme  vn  iour  entre  les  autres, 
lulles  César,  à  peu  de  train  et  priuee  maisnie  se  fust  retiré 
au  chasteau  de  Cleues,  pour  illec  se  reposer  et  refreschir  vn 
petit  de  ses  grans  trauaux  de  la  guerre,  ledit  cheualier  Sal- 
uius Brabon,  estant  lun  de  ceux  de  sa  compaignie,  passoit  le 
temps  autour  dudit  chasteau,  à  tout  vn  arc  et  vne  trousse 
de  flesches,  pensant  en  soy  mesmes  à*  vn  songe  quil  auoit 
eu  de  nuict,  par  manière  de  vision.  Et  en  recordant  beau- 
coup de  ses  fortunes  passées,  prioit  de  bon  cœur  à  ses  Dieux, 
que  quelquefois  (1)  ilz  luy  donnassent  repos  de  la  guerre,  en 
laquelle  il  auoit  esté  nourry  toute  sa  vie,  en  quelque  re- 
compense et  félicité  honneste  de  ses  trauaux  passez. 
''  En  cepensement,  tournoyant  ledit  Saluius  Brabon,  il  ne 
se  donna  garde,  quil  se  trouua  sur  la  riue  du  Rhin,  qui 
nest  pas  loing  dudit  chasteau  de  Cleues,  là  où  il  veit  vn 
Cygne  blanc  comme  neige,  qui  se  iouoit  et  mordoit  de  son 
bec  vne  petite  naisselle  estant  sur  le  bort  du  riuage,  de 
laquelle  chose  Saluius  Brabon  print  grand  plaisir  et  mer- 
ueilles  tout  ensemble.  Si  se  ailla  aduiser  de  son  songe  et 
pensa,  quen  cecy  pouuoit  auoir  quelque  bonne  signifiance 
de  nouuelUe  auenture  :  car  le  Cygne  est  vn  oyseau  de  noble 
nature  et  bien  aymé  des  Dieux.  Parquoy  il  entra  dedens 
le  petit  vaisseau,  et  le  Cygne  seslongna  vn  petit  en  auant 
tout  priuément  sans  soy  assauuagir,  comme  par  semblant 

(1)  c.-à-d.  qu'un  jour. 


348  ILLTSTRATIOMS   DE    GAYLE,   ET 

de  luy  vouloir  monstrer  le  chemin.  Et  le  cheualier  délibéra 
de  le  suiure,  en  se  recommandant  aux  Dieux. 

Par  ainsi,  quand  il  se  fut  empaint  (1)  dedens  le  Rhin,  il 
suiuoit  le  Cygne  son  conducteur,  lequel  le  menoit  tout  paci- 
fiquement par  le  cours  du  fleuue.  Et  le  cheualier  regardant 
tousiours  et  de  toutes  pars,  sil  verroit  ou  trouueroit  quelque 
chose  faisant  à  son  propos,  erra  tant  et  si  longuement,  que 
le  Cygne  recongnut  le  chasteau  de  Megue,  auquel  estoit  sa 
maistresse,  la  Royne  Germaine  surnomme  Suuane,  iadis 
femme  du  Roy  Charles  Ynach,  laquelle  viuoit  illec  assez 
petitement  et  solitairement,  en  nourrissant  ses  ieunes  en- 
fans,  comme  vne  poure  vefue  estrangere.  Quand  donques 
le  Cygne  veit  son  repaire  accoustumé,  il  commença  à  batre 
les  esles  et  sesleuer  hors  de  leaue,  et  sen  vola  celle  part, 
iusques  aux  fossez  du  chasteau,  là  où  il  auoit  accoustumé 
prendre  sa  nourriture,  de  la  main  de  sa  dame.  (2) 

Quand  Saluius  Brabon  se  veit  abandonné  de  son  Cygne, 
il  cuida  bien  estre  moqué  et  frustré  de  son  aduision,  attendu 
quil  nauoit  encores  trouué  auenture  digne  de  mémoire.  Si 
fut  despit  et  dolent  à  merueilles,  et  mit  sa  nasselle  à  bort 
et  saillit  en  terre,  ayant  son  arc  bendé  et  délibérant  de 
tuer  le  Cygne  sil  le  pouuoit  aucunement  ratteindre,  dont 
en  le  poursuiuant  à  veiie  de  païs,  quand  il  leut  apperceu 
dedens  lesdits  fossez  du  chasteau  de  Megue,  il  mit  sa  flesche 
en  coche  et  commença  à  effonser  lare  pour  tirer,  alors  la 
dame  suruenant  à  la  fenestre    pour  festoyer  son  Cygne, 

(1)  c.-à-d.  boute,  poussé,  cf.  impingere  et  empeindre. 

(2)  C'est  la  légende  ou  plutôt  le  mythe  solaire  du  Chevalier  au 
Cygne,  Schmànnritter,  qui  a  été  rattaché  au  Cycle  des  Croisades. 
{Germania,  I,  art.  W.  Miiller.)  —  Michel  de  Castelnau  (Mémoires 
t.  II,  p.  511)  attribue  à  J.  Le  Maire  un  roman  du  Chevalier  de  (sic) 
Cygne.,  «  composé  en  faveur  de  la  maison  de  Clèves.  » 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE   III.  549 

quand  elle  veit  ceste  homme  incongna,  prest  à  desbender 
sur  son  oyseau,  elle  sescria  à  haute  voix  féminine  et  par 
grand  frayeur,  en  langage  Grec  qui  luy  vint  premier  en  la 
bouche  par  naturel  instinct  :  «  Cheualier,  quel  que  tu  soyes, 
par  tous  les  Dieux  ie  tadiure  que  ne  vueilles  tuer  mon 
Cygne.  » 

A  ces  mots  Saluius  Brabon  quand  il  se  ouyt  ainsi  arrai- 
sonner en  son  langage  Grec  naturel,  mesmement  par  vne 
femme  et  en  si  estrange  et  loingtain  pais,  fut  plus  esbahi 
que  iamais  :  et  ne  sauoit  penser  si  cestoit  fantôme  ou  resuerie. 
Neantmoins  il  abaissa  sa  main  et  osta  la  flesche  de  la  corde. 
Puis  demanda  à  la  dame  en  Grec,  qui  elle  estoit  et  quelle 
faisoit  en  ce  pais  si  diuers  (1)  et  saunage.  Et  lors  elle  dautre 
part  se  voyant  estre  arraisonnée  en  son  langage  maternel, 
fut  plus  estonnee  que  luy,  et  luy  pria  quil  entrast  en  son 
chasteau,  et  ilz  deuiseroient  plus  à  plein,  ce  quil  feit  vou- 
lentiers,  pensant  que  parauenture  il  auroit  trouué  leffect 
de  son  songe  nocturne. 

Quand  il  fut  dedens,  elle  larraisonna  de  plusieurs  cho- 
ses, et  sceut  par  luy  comment  luUes  César  estoit  au  chas- 
teau de  Cleues.  Alors  entendant  que  le  Cheualier  estoit 
natif  de  son  pais  d'Arcadie,  elle  fut  bien  réconfortée.  Et 
print  serment  et  fiance  de  luy  quil  layderoit  en  son  affaire, 
comme  vray  cheualier  et  noble  homme  doit  faire  aux  vefues 
et  aux  orphenins.  Ce  quil  luy  promit  et  asseura  sur  son 
honneur.  Alors  elle  commença  à  luy  declairer  tout  au  long 
comment  elle  estoit  sœur  germaine  de  son  seigneur  Iulius 
César.  Et  en  grand  pleur  et  pitié  femenine  luy  conta  toutes 
ses  fortunes,  et  la  mort  de  son  mary,  le  Roy  Charles 
Ynach,  et  luy  monstra  les  deux  beaux  enfans,  filz  et  fille, 

(1)  c.-à-d.  dur. 


350  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

quelle  auoit  eu  (1)  de  luy  :  en  luy  priant  doucement  quil  se 
voulsist  employer  à  faire  la  paix  de  son  offense  enuers  son- 
dit  seigneur.  Et  à  fin  quil  la  recongnust  par  certaines  en- 
seignes, luy  bailla  à  porter  audit  Iulius  César,  son  frère, 
vne  image  ou  simulacre  de  lupiter,  faite  de  fin  or  massif 
et  garnie  de  riches  pierres  précieuses  :  laquelle  image  son- 
dit  frère  luy  auoit  autresfois  baillée  en  garde.  Par  ainsi  le 
cheualier  après  auoir  esté  bien  festoyé  de  telz  biens  que 
auoit  la  Dame,  sen  partit  ioyeux,  et  se  tint  pour  bienheu- 
reux, dauoir  trouué  si  tresbonne  fortune  et  telles  nouuel- 
les,  dont  son  seigneur  luy  sauroit  bon  gré.  Et  promit  à  la 
Dame  que  bien  tost  auroit  nouuelles  de  son  retour. 

Par  ainsi  le  noble  cheualier  Saluius  Braboii  (2)  estre 
retourné  au  chasteau  de  Cleues,  vers  son  seigneur,  le  salua 
treshumblement  de  par  sa  poure  sœur  germaine  :  et  luy 
feit  présent  de  la  riche  image  dor  :  laquelle  César  recongnut 
de  primeface.  Si  demanda  à  Saluius  où  il  lauoit  recouuree, 
car  il  sen  esbahissoit  bien  fort.  Alors  le  cheualier  luy  conta 
toute  la  vie  et  les  fortunes  de  sa  sœur  germaine,  et  luy 
requist  pardon  pour  elle.  Si  print  à  Tulles  César  grand 
pitié  de  sa  sœur,  car  il  estoit  de  sa  nature  clément  et  dé- 
bonnaire :  et  ne  luy  pardonna  pas  seulement,  mais  dauan- 
tage  fut  bien  desplaisant  de  la  mort  de  son  beau  frère  le 
Roy  Charles  Ynach,  combien  quil  eust  esté  son  ennemy.  Si 
coniouist  (3)  assez  le  cheualier  et  luy  promit  pour  ses  bonnes 
nouuelles,  ce  quil  luy  sauroit  (4)  demander.  Et  par  désir  da- 
mour  fraternelle,  voulut  incontinent  aller  voir  sa  sœur  et 
ses  neueux,  au  chasteau  de  Megue.  Auquel  lieu  Saluius 
Brabon  le  guida  par  grand  liesse. 

(1)  eut  (éd.  1513). 

(2)  Cette  suppression  de  après  se  rencontre  encore  dans  Rabelais. 

(3)  c.-â-d.  fit  fête.  —  (4)  c.-à-d.  pourrait. 


SINGVLARITEZ  DE  TROTB.    UTRB  III.  351 

De  la  première  institutioa  de  1a  duché  de  Brabant  donnée  en  douaire 
par  lulles  César,  à  sa  nièce,  fille  de  Charles  Yaach  :  et  du  Royaume 
de  Coulongae  donné  à  Octauien  Germain,  duquel  la  nation  Germa- 
nique porte  le  nom  :  auec  epilogation  de  la  hante  noblesse  dadit 
sang  en  ceste  généalogie. 

Avx  premières  entreveiies  du  frère  et  de  la  sœnr,  de 
loncle  et  des  neueu  et  nièce,  mesmement  de  si  haute  no- 
blesse et  fortune  si  estrange  et  si  nouuelle,  il  est  facile  à 
coniecturer  quelle  ioye  et  quelle  pitié  ,  quel  amour  et 
quelle  reuerence  il  y  eut  dune  part  et  dautre.  Dont  pour 
faire  le  conte  sommaire  Saluius  Brabon,  selon  lottroy  du 
don  que  César  luy  auoit  promis,  luy  demanda  en  mariage 
sa  nièce  Suuane  la  ieune  Damoiselle,  ce  quil  obtint  sans 
diflficulté.  Et  furent  célébrées  les  noces  en  grand  pompe  et 
solennité  au  temple  des  Dieux  Mars  et  Pluton  à  Louuain, 
selon  lancienne  coustume,  en  la  présence  de  César,  lequel 
offrit  plusieurs  grans  dons  audit  temple  :  et  donna  à  sa 
nièce  pour  douaire  en  tiltre  de  Duché  toute  la  terre,  de- 
puis la  mer  Ruthenique,  cestadire  de  Noruueghe,  iusques 
aux  dernières  limites  des  Neruiens,  qui  sont  maintenant  les 
Haynnuiers  et  Tornisiens,  (1)  en  comprenant  les  bois  de 
Soigne  et  la  riuiere  Descault,  iusques  au  ruisseau  qui  se 
nomme  lacea,  (2)  dont  les  Barons  feirent  hommage  audit 
Saluius  Brabon,  leur  premier  Duc,  comme  à  leur  Prince.  Et 
deslors  ladite  contrée  fut  appellee  Brabant. 

Et  oultre  ce,  César  donna  à  son  neueu  Octauien,  filz  de 
sa  propre  sœur  Suuane  Germaine  et  de  Charles  Yuach,  la 

(1)  Tmmisùiu  {éd.  1513). 

(2)  La  Gette. 


352  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Royaume  d'Agrippine  quon  dit  maintenant  Coulongne  sur 
le  Rhin.  Souz  le  tiltre  duquel  estoit  contenue  toute  la  terre 
depuis  Velue,  (1)  iusques  à  Eyffle  (2)  et  Moselle,  et  iusques 
aux  limites  de  Treues  et  à  la  riuiere  de  Meuse,  et  aux  confins 
où  la  Sambre  entre  dedens  Meuse,  auec  toute  la  terre,  qui 
git  entre  Meuse  et  lace  :  laquelle  il  voulut  estre  des  appar- 
tenances de  Tongres,  et  que  désormais  elle  fust  appellee 
Germanie,  du  nom  de  sa  sœur,  quil  auoit  retrouuee.  Aussi 
ordonna  que  son  neueu  Octauien  fust  surnommé  Germain  : 
et  de  là  procède  le  nom  des  Germains  AUemans.  Si  furent 
faites  ces  choses,  lan  deuant  la  natiuité  nostre  Seigneur 
cinquante  et  vn. 

Il  appert  icy  clerement  par  les  choses  dessus  narrées, 
combien  grande  noblesse  de  sang  fut  meslee  et  redoublée 
pour  lors  en  ceste  généalogie.  Premièrement  de  Charles 
Ynach,  yssu  des  Belgiens  et  des  Cimbres,  auec  sa  femme, 
nommée  Germaine,  sœur  de  lulles  César,  premier  Empe- 
reur des  Romains.  Et  en  après  de  Saluius  Brabon,  extrait 
de  Sicamber,  filz  de  Francus,  auec  Suuane,  la  ieune  fille 
desdits  Charles  Ynach  et  Germaine.  Parquoy  les  Princes 
descendus  de  ladite  propagation,  se  peuuent  bien  vanter 
destre  les  plus  nobles  du  monde.  Et  encores  apperra  il 
mieux  par  la  déduction  finale  de  ce  premier  liure.  (3) 


-"  (1)  c.-à-d.  la  Velwvt,  plaine  aride  qui  s'étend  d'Amhem  jusqu'au 
Zuiderzée. 

(2)  L'Eifel. 

(3)  ou  plutôt  traité. 


SINGVLARITEZ   DE  TROYE.    LIVRE  UI. 


Daucunes  fondations  de  villea  faites  par  deçà  par  !ciliua  César,  du 
Géant  d'Anuers,  et  du  Dieu  Priapus  qui  y  estoit  adoré  :  de  la  dona- 
tion de  la  marche  Romaine,  et  de  la  mort  de  Saluiua,  premier  Duc 
de  Br^baut. 

Il    II  m  ■('.  ( 

Apres  ces  choses  faites,  César  ediâa  à  Louuain  vn  temple 
aux  Dieux  Mars  et  Pluton,  plus  ample  et  plus  magnifique 
que  iaraais  nauoit  esté,  et  aussi  feit  faire  vn  fort  chasteaa 
sur  la  montaigne,  de  lautre  part  de  la  riuiere  de  Dile.  (1)  Et 
en  ce  mesmes  temps  regnoit  vn  merueilleux  Géant  nommé 
Druon,  de  la  hauteur  de  quinze  coudées,  plein  d'horrible 
et  cruelle  tyrannie,  lequel  se  tenoit  sur  le  riuage  de  Les- 
cault,  en  vn  fort  chasteau,  situé  en  vn  marestz.  Et  con- 
traingnoit  ledit  Géant  tous  les  passans,  sur  ladite  riuiere, 
de  laisser  la  iuste  moytié  de  tous  leurs  biens  et  marchan- 
dises quilz  menoient  par  ladite  riuiere.  Et  sil  y  auoit  aucune 
faute,  le  tout  estoit  confisqué  et  auoit  le  marchant  ou  le 
voiturier  vne  main  coupée  :  et  pource  sappelloit  ce  lieu 
Hantuuerp,  (2)  cestadire,  laisse  main,  maintenant  nous  le 
nommons  Anuers . 

Ce  Géant  criminel,  fut  corabatu  et  rué  ius  par  vn  des 
cheualiers  de  César,  nommé  Grauius.  Ceux  de  la  ville 
d'Anuers  monstrent  encores  iusques  auiourdhuy  en  la  mai- 
son de  leur  ville,  aucuns  os  dudit  Géant,  qui  sont  de  mer- 
ueilleuse  grosseur  et  grandeur  comme  iay  veu,  et  encores 

(1)  C'est  le  prétendu  Château-César  de  Louvain,  bâti,  dit-on,  par 
l'empereur  Arnould  en  894. 

(2)  La  véritable  étyraologie,  c'est  aan  H  foerp  =  à  la  jetée.  Cf. 
Mertens  et  Torfs,  Geschiedenis  van  Antnerpen{y&n  Dieren  1845,  I, 
1).  Le  moyen-âge  prenait  les  calembours  au  sérieux. 

II.  i3 


354  ''ILIVSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

pour  attestation  de  lancienneté  de  ladite  ville  d'Anuers,  ilz 
disent  que  le  Pieu  Priapus  estoit  iadis  adoré  en  icelle,  et 
monstrent  sa  représentation  en  vne  vieille  porte  près  du 
marché  au  poisson.  Et  de  là  vient  par  ancienne  coustume, 
que  les  femmes  dudit  païs,  en  toutes  acclamations  soudaines 
appellent  Tyers,  cestadire  Priapus  en  langue  Thioise.  Mais 
pour  reuenir  à  nostre  propos,  le  cheualier  Grauius,  qui  tua 
ledit  Géant  d'Anuers,  se  maria  à  la  fille  dun  noble  Duc  dudit 
païs  :  de  laquelle  il  eut  vn  filz  aussi  nommé  Grauius,  le- 
quel fonda  depuis  la  ville  de  Graue,  sur  la  riuiere  de 
Meuse.  Et  dautrepart,  Caius  Iulius  César  fonda  sur  le  mont 
Blandin  vne  ville  nommée  Gaia  de  son  nom,  laquelle  se  dit 
maintenant  Gand,  et  édifia  à  Torhout  vne  forte  tour  :  et 
donna  ledit  César  à  vn  sien  cheualier  nommé  Caius  Fabius, 
ladite  ville  de  Gand  et  Anuers  et  tous  autres  chasteaux 
situez  sur  le  fleuue  Descault,  tant  dune  part  que  dautre. 
Lesquelles  ledit  Fabius  promit  feablement  tenir,  pour  la 
marche  des  Romains. 

César  ayant  subiugué  toute  Gaule,  délibéra  de  sen 
retourner  à  Romme,  à  main  forte,  contre  Pompée,  son 
ennemy,  et  ceux  de  sa  bende.  Et  pour  ce  faire,  print  auec 
luy  des  Princes  de  Gaule,  les  plus  vertueux  et  les  plus 
féaux.  Si  laccompaignerent  en  cest  affaire,  Octauien  Ger- 
main, Roy  des  Agrippins,  son  neueu,  et  Saluius  Brabon,  son 
beau  neueu,  Duc  de  Tongres  et  de  Brabant,  lequel  demoura 
tant  à  Romme,  quil  y  fut  tué  traytreusement  par  Brutus 
et  Cassius,  qui  aussi  tuèrent  ledit  César.  Et  mourut  ledit 
Saluius  lan  sixième,  depuis  quil  fut  fait  Duc  :  qui  fut 
deuant  lincarnation  nostre  Seigneur,  xlvi.  Si  laissa  vn 
filz  nommé  Charles  Brabon,  dont  nous  parlerons  tantost. 


SraGTLARITEZ  DE  TROTS.    LITRE  III.  355 


Du  règne  et  des  gestes  d*Octauien  Germain,  Roy  des  Agrippins  on  de 
Coulongne,  filz  de  Charles  Ynach. 

Octavien,  Roy  d'Agrippiae,  quon  dit  maintenant  Cou- 
longne, après  auoir  demouré  aucun  temps  auec  son  oncle 
César  et  obtenu  plusieurs  priuileges  ,  cestasauoir  toute 
iurisdiction  sur  les  fleuues  du  Rhin,  de  Meuse  et  de  Les- 
cault  :  et  aussi  lautorité  de  pouuoir  forger  monnoye  dor 
et  dargent,  ensemble  de  porter  le  blason  de  Lempire,  cest- 
asauoir, laigle  à  vne  teste  seulement,  il  sen  retourna  en 
son  pais  et  repara  la  cité  de  Tongres,  et  la  nomma  de 
son  nom  Octauia,  aussi  remit  il  sus  la  cité  de  Treues  :  et 
establit,  que  les  Belgiens  receussent  et  gardassent  deslors 
en  auant,  les  loix,  coustumes  et  cerimonies  des  Romains 
et  vsassent  du  langage  Romain,  par  spécial  aux  iugemens 
publiques  :  et  que  nul  ne  fust  si  hardy,  sur  peine  de  la 
teste,  de  parler  lun  à  lautre  en  langue  Belgienne,  aumoins 
des  matières  qui  touchoient  les  affaires  de  la  chose  publique. 

Ledit  Roy  Octauien,  surnommé  Germain,  régna  long 
temps,  cestasauoir  iusques  au  vingtseptieme  an  de  Lempire 
de  son  cousin  germain  lempereur  Octauien  Auguste,  au- 
quel an  il  mourut.  Et  celle  mesme  année,  la  glorieuse 
vierge  Marie  nasquit,  cestasauoir,  quinze  ans  auant  la 
natiuité  de  nostre  Seigneur  iesvs  christ.  Apres  la  mort 
duquel  Roy  Octauien  Germain,  la  puissance  des  Belgiens 
et  de  Treues  rebella  aux  Romains  :  et  aussi  feirent  les 
citez  de  Metz  et  de  Toul.  Et  en  ce  mesme  temps  yn  noble 
homme  nommé  Hoys,  fonda  la  cité  de  Huy  sur  Meuse,  près 
de  Dynant.  Apres  luy  par  faute  dhoirs  de  son  corps,  suc- 
céda Charles  Brabon  son  neueu. 


3o6  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 


De  Charles  second  de  ce  nom,  en  ceste  généalogie,  surnommé  Bra- 
bon,  Duc  de  Tongres,  de  Brabant  et  de  Thuringe,  et  Roy  de  Cou- 
longne,  et  daucuns  autres  ses  successeurs,  iusques  à  Charles  le 
Bal.  Et  de  la  fondation  de  plusieurs  villes  et  citez  en  ce  quartier. 

Charles  Brabon,  Duc  de  Tongres  et  de  Brabant,  tint 
les  terres  de  son  père  Saluius,  après  le  trespas  de  son 
oncle  :  et  espousa  la  fille  dun  Duc  de  Thuringe,  nommé 
Espirogus,  (1)  après  la  mort  duquel  il  succéda  à  ladite 
Duché,  à  cause  de  sa  femme,  vraye  héritière  dicelle.  Iceluy 
Charles  Brabon  fut  tousiours  féal  aux  Romains,  et  quand 
après  la  mort  de  son  oncle  Octauianus  Germanus,  Roy  des 
Agrippins,  ceux  de  Belges  et  de  Treues  se  furent  esmuz 
contre  Lempire  Romain,  il  signifia  le  tout  à  lempereur 
Octauien  Auguste,  son  oncle.  Parquoy  il  mérita  dobtenir 
ledit  Royaume  des  Agrippins  en  la  sorte  et  manière  que 
sondit  oncle  Octauien  Germain  lauoit  tenu.  En  son  temps 
fut  faite  la  description  générale  de  tout  le  monde,  par  lem- 
pereur Octauien  Auguste,  à  la  glorieuse  naissance  de  nos- 
tre  Seigneur  iesvs  christ.  Ledit  Charles  Brabon  eut  deux 
filz.  Lun  fut  nommé  Iulius  et  lautre  Titus.  Titus  pour  ce 
quil  oppressa  dedens  le  temple  de  Mars  une  noble  nonnain , 
fut  banny  hors  du  Royaume  de  Gaule,  mais  du  costé  de  sa 
mère  il  succéda  à  la  Duché  de  Thuringe. 

lalias,  fondateur  de  {uliers . 

Iulius,  aisné  filzdudit  Charles,  quand  son  père  fut  deuenu 
fort  sur  aage,  il  fut  député  comme  lieutenant  de  son  père , 
au  gouuernement  des  terres  qui  sont  entre  le  Rhin  et  la 

(1)  Epirogui  (éd.  1513). 


8INGTLARITBZ   DE   TROTB.    LITRB  III.  357 

Meuse.  Et  après  la  mort  de  son  père,  tous  les  pais  qui 
siéent  entre  le  Rhin  et  Lescault  furent  en  son  obéissance  : 
mais  il  frequentoit  et  aymoit  plus  les  premières  terres  quil 
auoit  régentées  en  ieunesse.  Et  à  ceste  cause,  il  y  fonda  vne 
ville,  laquelle  il  nomma  de  son  nom  luliers,  le  dixneu- 
uieme  an  de  son  règne,  qui  fut  pnemier  de  lempereur 
NeroB.  Tournay,  qui  premier  sappelloit  Hostilia  et  depuis 
Neruia,  selon  aucuns,  fut  restablie  et  restaurée  par  vn  Duc 
nommé  Tornus,  lequel  luy  donna  son  nom.  Et  enuiron  ce 
temps  mesmes  vn  Sénateur  Romain,  nommé  Antoine,  de 
dignité  tribunitienne,  fuyant  la  tyrannie  dudit  Néron,  vint 
au  refuge,  audit  Iulius,  et  impetra  autorité  et  territoire, 
pour  fonder  places.  Granus,  auec  ses  compaignons,  alla  sur 
les  extremitez  de  la  grand  forest  Dardenne,  en  vn  lieu  fort 
secret  et  solitaire  :  là  où  il  trouua  aucunes  fontaines  deaue 
chaude  et  sulphuree,  et  illec  fonda  vn  grand  palais  où  il  se 
tint  :  lequel  lieu  sappelle  iusques  auiourdhuy  en  Latin 
Aquisgranum,  cestadire  les  eaues  de  Granus.  Et  fut  auprès 
diceluy  palais,  fondée  par  Charlemagne,  vne  cité  qui  main- 
tenant se  nomme  Aix  la  chappelle,  et  y  prend  Lempereur 
sa  première  couronne.  Antoine,  son  compaignon,  tira  dun 
autre  costé,  cestasauoir,  au  pais  qui  sappelle  maintenant 
Hollande,  sur  le  fleuue  du  Rhin  :  et  là  fonda  vne  forte 
place,  quil  nomma  Antonia,  qui  depuis  fut  dit  Vuiltem- 
bourg,  maintenant  on  lappelle  Vtreth.  Ledit  Iulius  régna 
soixanteneuf  ans  et  laissa  vn  filz  nommé  Octauius. 

Octauius. 

Octauius  succéda  à  son  père  Iulius,  tant  en  la  seigneurie, 
comme  en  lalliance  des  Romains,  lan  après  la  natiuité 
nostre  Seigneur,  quatre  vingts,   au  temps  de  lempereur 


058  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Vespasian.  Gaule  eut  beaucoup  à  souffrir  en  son  temps,  à 
cause  des  discordes  ciuiles.  Il  feit  alliance  auec  lerapereur 
Traian  :  il  ietta  les  Saxons  hors  de  Vallenciennes  et  y 
mit  les  Romains  :  et  fut  estably  par  lempereur  Traian 
gouuerneur  de  toute  la  Gaule  Belgique.  En  son  temps 
saint  Materne  conu§rtit  à  la  foy  Coulongne  et  Tongres. 
Et  régna  ledit  Octauius  quarantesix  ans. 

Godard. 

Cestuy  Godard  eut  la  seigneurie  après  son  père  Octauius, 
et  fut  du  temps  de  lempereur  Antonius  Plus.  Il  édifia  à 
Huy  sur  la  roche  de  Meuse,  vn  chasteau  haut  et  fort,  et 
fut  gouuerneur  de  Gaule  Belgique,  pour  les  Romains, 
comme  son  père  auoit  esté  :  et  régna  quarantesept  ans. 

Godefroy. 

Apres  Godard  régna  Godefroy,  son  filz,  lequel  ayda  et 
assista  lempereur  Marcus  Antonius  Verus,  faisant  guerre 
aux  Germains.  Mais  pource  que  lempereur  Commodus  son 
successeur,  cruel  homme  et  mauuais  tyrant,  feit  décapiter 
aucuns  enfans  des  Princes  de  Gaule,  estans  ostagers  à 
Romme,  entre  lesquelz  estoit  vn  neueu  dudit  Godefroy,  filz 
de  sa  sœur,  il  rompit  lalliance  auec  les  Romains  et  se  ioin- 
gnit  aux  Germains,  ses  voisins.  Si  ietta  lesdits  Romains 
arrière  des  fleuues  du  Rhin,  Meuse,  Sambre  et  Lescault, 
depuis  le  païs  d'Alsate,  iusques  à  Tournay,  à  kyde  de  Vue- 
ric,  Duc  de  Treues,  et  Soric,  Duc  des  Germains.  Iceux  Ro- 
mains ainsi  pressez,  se  retirèrent  à  Tournay,  laquelle  fut 
assiégée  et  prinse  par  force.  Numerianus,  maistre  de  la 
cheualerie  dudit  empereur  Commodus,  assiégea  Mayence 


SINGVLARITEZ   DB   TROTB.    LIVRE    111.  5S9 

auec  plusieurs  légions,  mais  ledit  Godefroy,  Duc  de  Tongres 
et  de  Brabant,  et  Vueric^,  Duc  de  Treues,  deffirent  lesdits 
Romains.  Si  fut  toute  la  Gaule  Belgique,  souz  la  domi- 
nation d'eux  deux  par  lespace  de  douze  ans  entiers  franche 
de  tout  tribut  et  subside.  Parquoy  ledit  Godefroy  pour  se 
fortifier  contre  lesdits  Romains,  print  affinité  auec  ledit 
Vueric  et  espousa  sa  fille,  dont  il  eut  vn  filz  nommé  Vueric, 
son  héritier  et  successeur  :  et  régna  ledit  Godefroy  quaran- 
tecinq  ans. 

Vueric. 

Soixante  dix  ans  gouuerna  Vueric  la  Duché  de  Tongres 
et  de  Brabant,  après  la  mort  de  son  père  Godefroy  :  et 
vescut  cent  ans.  Mais  assez  bonne  espace  auant  sa  mort,  il 
laissa  le  gouuernement  à  son  filz,  Artsard,  pource  quil 
estoit  vieux. 

Artsard. 

Àrtsard,  filz  dudit  Vueric,  entra  au  gouuernement  de  ses 
païs,  du  temps  de  lempereur  Maximian.  Et  pource  quun 
nommé  Carausius,  vicaire  et  lieutenant  de  Lempereur,  ne 
gouuernoit  pas  bien  sa  prouince,  le  Duc  Artsard  fut  mis  en 
son  lieu.  Par  ainsi  il  ne  fut  pas  seulement  paisible  posses- 
seur de  son  territoire,  dont  les  limites  estoient  la  mer  Bri- 
tannique, les  fleiiues  du  Rhin  et  Lescault,  et  la  Sambre, 
mais  aussi  gouuerna  en  paix,  tout  le  riuage  de  delà  Les- 
cault, iusques  à  Ja  mer  Oceane.  Laquelle  prouince  ledit 
lieutenant  Impérial  Carausius,  auoit  mal  administrée. 
Aussi  comme  Constantius,  filz  de  Constantin  le  grand  empe- 
reur, fut  fort  oppressé  des  Allemans  autour  de  Langres,  le 
Duc  Artsard  bailla  tel  secours  audit  Constantius,  quil  de- 
meura vainqueur.  Apres  lesquelles  choses  ledit  empereur 


360  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLB,    ET 

Constantin,  à  fin  quil  reprimast  plus  facilement  les  efforts 
des  Allemans,  enuoya  quérir  sa  femme  Heleine  et  son  fllz 
Constantin,  encores  ieune  enfant,  lesquelz  estoient  en  la 
grand  Bretaigne,  quon  dit  maintenant  Angleterre,  et  esta- 
blit  son  siège  Impérial  en  la  cité  de  Treues.  A  cause 
dequoy  le  Duc  Artsard  continua  plus  facilement  sa  grand 
familiarité  auec  ledit  Empereur  et  en  eut  grand  auance- 
ment.  Si  régna  quarantehuit  ans. 

Marteiand.  <^ 

Son  fllz  Martsiandus  luj  succéda  esdites  Duchez  de 
Tongres  et  de  Brabant,  et  aussi  au  gouuernement  de  la 
prouince  marine,  pour  les  empereurs  Romains,  et  acheua 
beaucoup  de  grands  choses  pour  eux,  mesmement  du  viuant 
de  son  père,  pour  Constantin  le  grand,  alencontre  de 
Mayence  et  Licinius,  tyrans  et  vsurpateurs  de  Lempire. 
A  cause  dequoy  le  Duc  Martsiand  par  priuilege  Impérial 
estendit  les  limites  de  son  gouuernement  par  tous  les  païs, 
quon  dit  maintenant  Haynnau,  Artois  et  Picardie.  Et  régna 
quarantedeux  ans, 

Taxander,  le  premier  Prince  Chrestieu  en  ceste  généalogie,  du  temps 
duqnel  la  mer  se  recula  de  Tongre«. 

Taxander  fut  nourry  de  ieunesse  en  la  court  de  Gratian 
lempereur.  Mais  il  y  eut  beaucoup  à  souffrir  par  lenuie  et 
detraction  de  deux  personnages  ,  lun  nommé  Eugenius 
Grammaticus,  et  lautre  Arbogastes.  Finablement  il  feit 
vœu  destre  Chrestien,  parquoy  il  fut  mis  à  deliure,  au 
temps  de  saint  Martin,  archeuesque  de  Tours.  Apres  les- 
quelles choses  par  despit  de  lempereur  Gratian  qui  lauoit 


SraGVLARITEZ  DE  TROTB.    LITRE  Uf.  UN 

mal  traité,  il  fauorisa  le  party  de  Maximin,  son  grand 
ennemy,  natif  de  la  grand  Bretaigne.  Duquel  Maximin, 
régnant  en  Lempire  Occidental,  combien  que  par  droit 
dusurpation  ledit  Duc  Taxaoder  obtint  beaucoup  de  priui- 
leges,  et  en  son  temps  flourissoit  saint  Semais,  euesque  de 
Tongres,  lequel  ses  citoyens  ietterent  hors  de  sa  cité  : 
pource  que  par  esprit  de  prophétie,  il  predisoit  la  future 
persécution  des  Huns  :  et  deslors  la  mer  qui  batoit  iusques 
aux  murailles  de  Tongres,  se  recula  de  bien  loing.  Apres 
la  mort  dudit  empereur  Gratian,  le  Duc  Taxander  eut 
grand  faneur  auec  lempereur  Theodose  lancien.  Et  puis 
mourut  lan  xxxi.  de  son  règne. 

Ânsjgisus. 

Ansygisus,  filz  de  Taxander,  régna  trente  ans  et  obtint 
de  lempereur  Honorius  la  confirmation  de  tous  ses  priui- 
leges.  Il  fut  tresbon  Prince  Chrestien  et  rua  ius  en  plein 
champ  de  bataille,  cruelle  et  sanglante,  Groscus,  Roy  des 
Vuandelz,  idolâtre  et  mauuais  tyrant.  Et  fut  ladite  des- 
confiture auprès  d'Arles  en  Prouence. 


De  Charles  troisième  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  surnomma  le 
Bel,  et  de  la  grand  bataille  qui  fut  donnée  contre  Attjla,  Roy  des 
Huns,  en  laquelle  mourut  Gundengus,  premier  Roy  des  Boar- 
guiguons. 

Charles  le  Bel  fut  filz  du  dessusdit  Duc  Ansygisus,  et 
espousa  la  sœur  de  lempereur  Valentinian.  Si  fut  maistre 
de  la  cheualerie  dudit  Empereur.  Mais  quand  il  sceut  la 
mort  de  son  père  le  Duc  Ansygisus,  il  retourna  pardeça 


36S  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

pour  gouuerner  ses  païs  :  et  commença  à  régner  lan  après 
lincarnation  nostre  Seigneur  quatre  cens  trentehuit,  qui 
fut  le  deuxième  an  du  règne  de  lempereur  Martian.  Et 
succéda  ledit  Charles  le  Bel  à  son  père,  tant  en  la  Duché 
de  Tongres  et  de  Brabant,  comme  au  gouuernement  de  la 
Gaule  Belgique,  laquelle  il  gouuerna  pacifiquement,  pour 
les  Romains,  par  lespace  de  quinze  ans.  Mais  en  ce  temps 
là  suruindrent  les  grandes  et  merueilleuses  persécutions  du 
terrible  Attyla,  Roy  des  Huns,  qui  se  nommoit  le  flayau  de 
Dieu,  et  de  Vualamir,  Roy  des  Ostrogoths,  et  Ardaric,  Roy 
des  Gepides  :  lesquelz  coururent  et  destruirent  toute  ceste 
Conté  de  Gaule  Belgique  :  car  ilz  prindrent  et  démolirent 
les  citez  de  Treues,  Metz,  Coulongne,  Tongres  et  Bru- 
xelles. Apres  lesquelles  choses,  iceux  Huns  plantèrent  leur 
ost  (1)  et  passèrent  Ihyuer  auprès  d'Astha,  en  vne  grand 
champaigne,  qui  sappelle  encores  auiourdhuy  le  champ  des 
Huns.  Cest  le  païs  de  Champaigne,  (2)  entour  Bosleduc. 

Finablement  par  le  moyen  du  Duc  Charles  le  Bel,  Etius  (3) 
Patricius,  vn  grand  Duc  et  vaillant  capitaine,  fut  enuoyé 
par  les  Romains,  contre  ledit  Attyla,  Roy  des  Huns,  quon 
dit  maintenant  Hongres.  Lequel  Etius  Patricius  à  layde, 
accompaigné  de  plusieurs  Princes,  si  comme  de  Theodoric, 
Roy  des  Ostrogoths,  Gundengus,  ou  Gundiochus,  Roy  des 
Bourguignons,  Meroveus,  Roy  des  François,  et  dudit  Char- 
les le  Bel  au  pourchas  duquel  tout  se  faisoit,  donna  la 
bataille  audit  Attyla,  en  vne  grand  plaine,  appellee  les 
champs  Catalauniques,  auprès  de  Toulouse,  par  laquelle 
ledit  Attyla  fut  vaincu.  Neantmoins  Theodoric,  Roy  des 


(1)  c.-à-d.  leur  camp. 

(2)  Campigne  {éd.  1513). 

(3)  Aetius. 


SIMGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE   III.  365 

Ostrogoths,  et  Gundengus,  Roy  des  Bourguignons,  y  de- 
mourerent,  comme  sera  dit  plus  à  plein  quand  nous  parle- 
rons des  Roy  s  de  Bourgongne.  Mais  le  Duc  Charles  le  Bel 
y  acquit  grand  honneur  et  abatit  de  son  chenal  Ardaric, 
Roy  des  Gepides,  et  feit  assez  dautres  prouesses  et  vaillan- 
ces. Si  régna  lespace  de  vingt  et  deux  ans,  et  eut  vn  filz 
nommé  Lande. 


Du  Duc  Lando,  qui  premier  laissa  les  Romaiaa  et  sallia  aox 
François,  comme  jssu  de  leur  sang. 

Apres  le  Duc  Charles  le  Bel,  succéda  en  la  Duché  de 
Tongres  et  de  Brabant,  son  filz  Lando,  lan  de  nostre  Sei- 
gneur ccccLX.,  qui  fut  le  deuxième  an  du  règne  de  Childe- 
ric,  quatrième  Roy  de  France.  Iceluy  Duc  Lando  voyant 
prospérer  les  François  et  croitre  leur  puissance  de  plus  en 
plus  en  Gaule,  et  au  contraire  lautorité  des  Romains  des- 
croitre  de  iour  en  iour,  il  se  délibéra  de  donner  lieu  et 
obtempérer  à  fortune.  Si  laissa  le  party  des  Romains  et  se 
tira  vers  ledit  Childeric,  Roy  de  France,  et  ses  Barons  :  et 
leur  monstra  par  sa  généalogie,  comment  il  estoit  descendu 
dun  mesme  estoc  comme  eux,  cestasauoir  de  Sicamber,  filz 
de  Francus,  qui  fut  filz  d'Hector  de  Troye.  A  cause  dequoy 
ledit  Roy  Childeric  le  print  en  grâce  et  feit  alliance  auec 
luy  contre  les  Allemans.  Et  par  ainsi  commença  deslors  la 
Gaule  à  perdre  son  nom,  et  la  print  (1)  on  dappeller  France. 
Iceluy  Duc  Lando  fonda  la  ville  de  Landen,  auprès  de  Bos- 
leduc,  et  eut  vn  filz  nommé  Austrasius,  auquel  il  laissa  sa 
seigneurie,  après  auoir  régné  dixhuit  ans. 

(1)  o.-à-d.  on  se  mit  à. 


364  ILLVSTRATIONS  DE  GÀVLE,   ET 


Do  Duc  Âustrasîas,  lequel  fut  cause  de  faire  baptiser  Clouis,  Roy  des 
François,  ce  que  nauoit  encores  peu  faire  sa  femme  la  Royne  CIo- 
tilde  de  Bourgongne. 

Avstrasivs  fut  Duc  de  Tongres  et  de  Brabant,  après  son 
père  Lando,  et  fut  aymé  tendrement  du  Roy  Childeric  de 
France.  Car  le  Duc  Lando  de  son  plein  viuant  lauoit  enuoyé 
en  la  court  de  France,  en  le  recommandant  au  Roy  tresaf- 
fectueusement.  Par  ainsi  estoit  ledit  Austrasius  des  plus 
auancez  et  honnorez  en  France.  Puis  quand  le  Roy  Childe- 
ric fut  mort,  son  filz  Clouis  régnant  après  luy  ne  tint  pas 
moins  de  conte  dudit  Duc  Austrasius  que  auoit  fait  son  père. 

Or  estoit  ledit  Roy  Clouis  payen,  et  pource  se  tenoit  il 
plus  voulentiers  en  la  Gaule  Celtique,  quon  dit  mainte- 
nant France,  laquelle  estoit  encores  en  partie  idolâtre.  Si 
donna  audit  Duc  Austrasius,  lequel  estoit  bon  Chrestien  et 
vray  catholique,  le  gouuernement  de  la  Gaule  Belgique,  et 
il  la  régit  à  la  mode  Chrestienne.  Dont  pour  sa  singulière 
prudence  et  vertu,  ladite  prouince  commença  à  sappeller 
Austrasie,  du  nom  de  son  gouuerneur.  Oultreplus,  ledit 
Roy  Clouis  par  le  moyen  et  ayde  dudit  Duc  Austrasius 
print  la  foy  Chrestienne,  et  eut  vne  merueilleuse  victoire 
contre  les  Allemans.  Et  loccasion  fut  telle. 

Comme  en  leffort  de  la  bataille  la  bende  des  François 
commençast  à  décliner  et  estre  foullee  de  la  puissance  et 
multitude  des  Allemans  :  le  Duc  Austrasius  commença  à 
sescrier  hautement  :  «  Ha,  Roy  Clouis,  appelle  en  ton  ayde 
le  trespuissant  Dieu  des  Chrestiens,  cest  celuy  qui  ne  peult 
estre  vaincu  de  nul  :  et  celuy  seul,  auquel  la  Royne  Clo- 
tide,ta  compaigne,  croit.  »  Alors  le  Roy  Clouis  contraint  par 
nécessité,  voua  de  se  faire  baptiser,  ce  quil  nauoit  encores 


SlNGVLAaiTBZ  DE  TaOYB.    UVRK  III.  S65 

voulu  faire  à  la  requeste  de  sa  femme.  Par  ainsi  il  recouura 
honneur  et  gaigna  la  bataille.  Et  ceste  histoire  fut  récitée 
douant  le  Pape  luUes  à  présent  séant  et  tout  le  consistoire 
des  Cardinaux,  par  messire  lean  de  Chastillon,  archidiacre 
de  Campigne  en  leglise  du  Liège,  en  faisant  son  oraison  de 
lobedience  filiale  des  pais  de  pardeça,  comme  Orateur  à  ce 
enuoyé  de  par  Lempereur  et  Larchiduc,  auec  monsieur 
Ladmiral,  messire  Phelippes  de  Bourgongne,  (1)  lan  mille 
cinq  cens  et  huit. 


Des  limites  du  Royaume  d'Âustraiie,  ou  d'Austriche  la  basse,  voisine 
du  Royaume  de  Bourgongne. 

Povrce  que  souuent  en  ceste  histoire  sera  faite  mention 
des  limites  du  Royaume  d'Austrasie,  ou  d'Austriche  la 
basse,  duquel  plusieurs  gens  ignorent  lestendue,  pource  que 
les  seigneuries  sont  changées  par  longueur  de  temps,  il  est 
bien  séant  den  mettre  icy  ce  que  ien  ay  peu  trouuer  :  mes- 
meraent  par  la  chronique  de  France,  composée  par  messire 
Robert  Gaguin,  natif  de  Douay,  lequel  met  que  ledit  Roy- 
aume d'Austrasie  ha  eu  par  interualle  de  temps  deux  citez 
capitales,  cestadire  là  où  se  tenoit  le  siège  Royal,  cestasa- 
uoir,  Metz  et  Aix  la  chapelle.  Et  commençoit  depuis  les 
extremitez  de  la  haute  Bourgongne,  de  deuers  les  montai- 
gnes  de  Lorraine,  en  descendant  iusques  à  la  mer  de  Frise, 
entre  les  deux  fleuues  du  Rhin  et  de  Lescault,  et  compre- 
noit  Vtrecht,  Coulongne,  Treues,  Mayence,  les  païs  de 
Brabant,  Gheldres,  Cleues,  Hollande,  Zelande,  Haynnau, 
Hasbain,  Liège,  Lembourg,  Alsate  et  toutes  les  terres  que 

(1)  fils  naturel  de  Philippe-le-Bon. 


ILLVSTRATIOMS  DE  GAVLE,    ET 

le  Conte  Palatin  tient  maintenant  alentour  du  Rhin.  Et 
oultre  ce,  tout  le  païs  d'Ardenne  et  de  Barrois,  qui  depuis 
ha  esté  esleué  en  Duché,  auec  le  quartier  du  païs  qui  main- 
tenant sappelle  Lorraine.  Voilà  les  limites  du  Royaume 
d'Austriche  la  basse,  lesquelz  certes  estoient  de  grand 
estendue,  et  contenoient  la  plus  grand  partie  de  Gaule  Bel- 
gique. Et  disent  aucuns,  que  depuis  toute  ceste  contrée 
•appella  France  Orientale. 


CONCLVSION   DV  PREMIER  TRAICTE. 


Il  me  semble  que  iay  monstre  assez  clerement  et  succin- 
tement,  la  généalogie  du  noble  sang  des  Cimbres,  yssuz  de 
Sicamber,  filz  de  Francus  de  Troye  :  et  suis  venu  au  tresglo- 
rieux  nom  de  Charles  :  et  du  Duc  Austrasius,  fondateur  et 
dénominateur  du  Royaume  d'Austriche  la  basse.  Mainte- 
nant ie  uiendray  à  approcher  le  sang  de  Bourgongne  et  de 
France,  pour  le  conioindre  auec  celuy  d'Austriche,  laquelle 
chose  ne  se  fera  iusques  au  troisième  traicté. 


8INGTLARITEZ  DE  TROYB.   LIVRE   III.  367 


LE  SECOND  TRAICTE  DU  LIURE  INTITULÉ  LA 

GENEALOGIE  HISTORIALE  DE  LEMPEREVR 

CHARLES  LE  GRAND. 


Pvis  qve  (Dieu  mercy)  iay  monstre  la  généalogie  du  Duc 
Austrasius  qui  donna  le  nom  au  Royaume  d'Austriche  la 
basse,  il  faut  vn  petit  laisser  ladite  généalogie  en  attente, 
iusques  à  ce  que  iaye  bien  clerement  spécifié  lorigine  et 
descente  des  Roys  de  Bourgogne  :  ce  que  iay  eu  grand 
peine  de  recueillir  on  diuers  lieux.  Car  ie  ne  Iay  nulle  part 
trouué,  tout  en  vn  corps,  comme  il  sera  icy  réduit.  La  fin 
de  ce  second  traicté  est  de  monstrer  comment  le  sang  de 
Bourgongne  fut  ioint  auec  celuy  de  France,  es  personnes 
du  Roy  Clouis  de  France  et  de  la  Royne  Clotilde  de  Bour- 
gongne, sa  femme.  Mais  premièrement  à  fin  que  nous  ne 
procédons  point  par  termes  incongnuz,  il  nous  faut  sauoir 
les  limites  anciens  du  Royaume  de  Bourgongne,  dont  iay 
veu  plusieurs  gens  de  bien  estre  en  doute,  différence  et  dif- 
ficulté :  et  moy  auec  eux.  Mais  ie  men  suis  mis  hors  de 
soucy,pource  que  après  auoir  trassé  (1)  beaucoup,  iay  trouué 
certains  Acteurs  anciens  qui  men  ont  donné  laduerteur,  (2) 
ainsi  que  cy  après  est  escrit. 

(1)  c.-à-d.  cherché  avec  soin,  suivi  à  la  trace. 

(2)  c.-à-d.  renseignement. 


368  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,   ET 


De  lancienne  estendue  du  Royaume  de  Bourgongne,  et  de  ses  limites 
prouuez  par  Acteurs  autentiques. 

Icy  verra  on  combien  estoient  iadis  voisins  et  limitrophes 
le  Royaume  de  Bourgongne  et  le  Royaume  d'Austrasie, 
ou  d'Austriche  la  basse  :  dont  iay  cy  douant  descrit  les 
limites.  Or  estoit  lestendue  dudit  Royaume  de  Bourgongne, 
selon  ce  que  iay  peu  cueillir  par  les  escrits  daucuns  Ac- 
teurs anciens  et  autentiques,  telle  quil  sensuit.  Geruasius, 
iadis  mareschal  du  Royaume  de  Bourgongne,  (1)  du  temps  de 
lempereur  Othon  le  quart,  qui  fut  Roy  de  Bourgongne,  en 
son  liure  intitulé  du  passetemps  Impérial,  met  que  selon  le 
contenu  des  anciens  registres  de  Lempire,  le  Royaume  de 
Bourgongne  estoit  comprins  par  les  limites  qui  sensuiuent. 

La  première  prouince  du  lloyaume  de  Bourgongne. 

La  cité  d'Arles  métropolitaine,  qui  estoit  le  siège  du 
Royaume  de  Bourgongne  :  auec  toute  la  prouince  dudit 
Arles  le  Blanc,  en  Prouence,  lequel  auoit  souz  luy  les  dio- 
cèses et  citez  cathédrales  ou  episcopales  cy  après  nommées, 
de  lordre  de  saint  Augustin,  cestasauoir  :  la  cité  d'Auignon 
et  son  diocèse,  qui  depuis  ha  esté  esleuë  en  archeuesché, 
du  temps  du  Pape  Sixte,  Marseille,  en  Prouence,  Toulon, 
Cauaillon,  Carpentras,  Vaison,  Orenge,  Tricastel. 


(1)  Gervais  de  Tilbury  (près  de  Londres)  passa  sa  vie  à  la  cour 
d'Othon  IV,  fut  maréchal  du  royaume  d'Arles  et  mourut  vers  1218. 
On  a  de  lui  Otia  imperialia  libri  III,  sive  de  mirabilibus  orbis  ;  De 
origine  Burgundionum,  etc. 


SINGVLÀRITEZ  DE  TROTS.   UVE£  III.  300 

La  seconde  proaince. 

La  cité  métropolitaine  de  Vienne,  en  laquelle  estoit  assise 
la  chancellerie  du  Royaume  de  Bourgongne,  auec  toute  la 
prouince  de  larcheuesché  de  Vienne  :  lequel  ha  souz  luy 
les  diocèses  qui  sensuiuent  :  Grenoble,  de  lordre  de  saint 
Augustin,  Valence,  et  Die,  lesquelz  sont  ynis  :  Morienne, 
Geneue. 

La  tierce  Prouince  du  Royaume  de  Bourgongne. 

La  cité  et  archeuesché  de  Lyon  sur  le  Rhône  et  toute 
sa  Prouince  :  laquelle  contient  quatre  Diocèses,  cestasa- 
uoir  :  Authun,  Mascon,  Ghalon,  Langres. 

La  quatrième  Prouince. 

La  cité  et  archeuesché  de  Bezenson  et  toute  sa  Pro- 
uince :  laquelle  contient  trois  Diocèses,  cestasauoir  ;  Basle 
en  Souycere,  Lausanne,  Bellay  en  Sauoye. 

La  cinquième  Prouince. 

La  cité  et  archeuesché  de  Moustier  en  Tarentaise  et 
toute  sa  Prouince,  qui  contient  deux  Diocèses  de  lordre  de 
saint  Augustin,  cestasauoir  :  Seon,  Aouste.  (1) 

La  sixième  Prouince. 

La  cité  et  archeuesché  d'Embrun  et  toute  sa  Prouince, 
qui  contient  six  Diocèses  :  Digne,  de  lordre  de  saint  Augu- 
stin, Nisse,  Grasse,  Seuere,  de  lordre  de  saint  Augustin, 
Claudat,  Vienne. 

(1)  Sion,  Ao^te. 
II.  24 


570  ILLVSTRATIÛNS   DE  GAVLE,    ET 

La  septième  Prouince. 

La  cité  et  archeuesché  d'Aix  en  Prouence  et  toute  sa 
Prouince,  qui  contient  cinq  Diocèses,  cestasauoir  :  Apt, 
Foriul,  Rege,  Gap,  Sisteron. 

Desquelles  sept  Prouinces  ledit  Acteur  met  que  le  Royaume  de  Bour- 
gongne  estoit  enclos  comme  de  sept  retz  ou  filez. 

Vn  autre  acteur,  nommé  Ligurinus,  qui  fut  du  temps  de 
lempereur  Federic  Barberousse  et  escriuit  les  gestes  dudit 
Empereur  :  lequel  fut  allié  à  vne  fille  de  Bourgongne,  met 
et  conclut  lesdites  limites  du  Royaume  de  Bourgongne  en 
six  vers  Latins,  cy  après  escrits,  qui  sont  presques  dune 
mesme  substance  que  le  dessus  narré. 

Has  tibi  Métropoles,  et  primi  nominis  vrbes 
Chrysopolim  placidam,  Lugdunum,  siue  Viennam, 
Quseque  tuos  spumante  mari  Prouincia  fines 
Claudit,  Ârelatum  validis  obnoxia  ventis. 
Chrysopolim  Dubius,  reliquas  perlabitur  amnis 
Maximus  ÂUobrogam,  Rhodanus  dominator  aquarum. 

Et  si  nous  voulons  limiter  autrement  ledit  Royaume  : 
nous  le  pouuons  faire  par  distinction  de  fleuues,  de  mer 
et  de  montaignes,  dont  auoit  il  du  costé  de  Mydi  la  mer  de 
Prouence  et  de  Nisse  :  deuers  Orient,  le  fleuue  -du  Rhin 
et  les  merueilleuses  montaignes  qui  séparent  la  Gaule  dauec 
l'Italie  :  cestasauoir  le  Mont  lou  et  de  Columnaiou,  quon 
dit  maintenant  le  grand  et  le  petit  saint  Bernard,  auec  le 
mont  Senis  et  le  mont  Geneure  :  deuers  Septentrion,  le  mont 
Vosegus,  duquel  partent  les  fleuues  de  Meuse  et  de  Saône  : 
et  deuers  Occident,  les  riueres  de  Loire  et  de  Seine. 

Et  au  cœur  dudit  Royaume  estoient  comprins,  oultre  le 


SIM6VLAR1TEZ   DB   TROYB.    LIVRE    III. 


m 


dessus  narré,  autres  nobles  fleuues  et  montaignes  :  si  comme 
le  mont  lura,  quon  dit  la  montaigne  saint  Claude,  le  mont 
des  Faucilles,  le  mont  Daiguebelette  et  plusieurs  autres, 
que  ie  laisse  à  cause  de  brieueté.  Et  des  fleuues,  le  Rhône, 
Liseré,  le  Doux  et  la  Durance  :  auec  autres  infinies  riuie- 
res  et  ruisseaux.  Et  le  grand  lac  de  Lausanne  :  et  assez 
dautres  moindres. 

Dont  il  appert  que  ledit  Royaume  participoit  de  tontes 
les  trois  Gaules,  cestasauoir,  Belgique,  Celtique  et  Aqui- 
^anique  :  car  il  coraprenoit  presques  tous  les  fleuues  qui 
font  séparation  desdites  Gaules  entre  elles  :  si  comme  la 
riuiere  de  Seine,  qui  diuise  dun  costé  la  Gaule  Belgique, 
dauec  la  Celtique  :  et  aussi  font  les  riuieres  de  Saône  et 
de  Liseré  chacune  en  son  quartier,  et  le  grand  fleuue  de 
Loire,  qui  sépare  la  Celtique  dauec  l'Aquitanique. 

Aussi  sestendoit  la  domination  dudit  Royaume  sur  trois 
langues  principales  et  différentes  lune  de  lautre,  cestasa- 
uoir :  Germanique,  Romande  ou  Vuallonne,  et  Italienne. 
Et  comme  on  peult  coniecturer,  ledit  Royaume  comprenoit 
les  pais  qui  sensuiuent  :  et  se  nomment  maintenant  ainsi, 
cestasauoir  :  les  Duchez  de  Bourgongne,  de  Sauoye,  de 
Chablais  et  d'Aouste ,  les  principautez  de  Piedmont  et 
d'Orenge,  la  Landgrauie  d'Alsate,  la  Conté  Palatine  de 
Bourgongne,  les  Contez  de  Habsbourg,  de  Ferrettes,  de 
Mont  Beliard,  de  Charrolois,  de  Nyuernois,  de  Forestz,  de 
Valentinois,  de  Prouence,  de  Geneuois  et  de  Venisse,  (1) 
cestadire  Auignon  et  ses  appartenances,  les  seigneuries 
de  Bresse,  de  Salins  et  de  Noyers,  les  pais  de  Viueretz, 
d'Auxerrois,  de  Vuaud,  de  Foucigny,  et  toutes  les  mon- 
taignes et  ligues  des  Souyceres. 

(1)  Le  Cointat-VenaissiQ. 


3711  ILLYSTRATIOWS   DE   GAVLE,    El 

Par  ainsi  auons  nous  assez  demonstré  comment  le 
Royaume  de  Bourgongne  estoit  voisin  et  limitrophe  au 
Royaume  d'Austriche  la  basse,  ou  d'Austrasie,  cestasauoir 
du  costé  des  montaignes  septentrionales  qui  maintenant 
séparent  la  Conté  de  Ferrettes,  dauec  la  Duché  de  Lorraine. 
Or  donques  puis  que  nous  sauons  quelle  fut  lamplitude 
dudit  Royaume,  il  nous  faut  voir  la  vraye  sourse  et  antique 
origine  de  ladite  tresnoble  nation.  Pour  laquelle  chose  faire, 
il  est  nécessaire  monstrer  premièrement  lantiquité  des  Roys 
de  Germanie,  desquelz  sont  yssuz  les  Roys  de  Bourgongne. 


De  la  merueilleuse  antiquité  des  Rojs  de  Germanie,  desquelz  furent 
iadis  extraits  les  Roys  de  Bourgongne. 

Il  nest  rien  plus  certain,  que  tout  ainsi  comme  la  grand 
mer  Oceane  est  la  vraye  mère  et  sourse  de  tous  les  fleuues, 
fontaines  et  ruisseaux  du  monde  :  aussi  est  la  terre  de 
Germanie  ,  la  vraye  germinateresse  et  produiteresse  de 
toute  la  noblesse  de  nostre  Europe.  Nest  il  pas  tout  cer- 
tain, que  les  premiers  François  habitèrent  plus  de  quinze 
cens  ans  en  Germanie,  auant  que  descendre  en  Gaule  ?  Les 
Roys  d'Angleterre  et  d'Escosse  ne  sont  ilz  pas  de  vraye 
Germanique  origine,  comme  partiz  des  Saxons  et  des  estocz 
Germains  ?  Les  Roys  d'Espaigne  ne  se  vantent  ilz  pas  ius- 
ques  auiourdhuy  destre  yssuz  des  Gothz,  qui  furent  Ger- 
mains ?  Certes  si  font  pour  leur  plus  beau  tiltre.  Pareille- 
lement  aussi  les  Roys  de  Bourgongne  se  gloriâoyent  iadis 
destre  yssuz  de  Vandalus,  Roy  de  Germanie  :  qui  donna 
nom  à  la  nation  des  Vuandelz,  tresforte,  tresillustre  et 
tresbelliqueuse  :  comme  il  appert  par  toutes  les  histoires. 
Or  pour  entendre  qui  fut  ledit  Vandalus  :  il  est  nécessité 


SINGYLARITBZ   DE   TROYB.    LIVRE   III.  375 

de  prendre  le  fondement  à  Tuyscon  le  Géant,  premier  fcojy 
de  Germanie.  -    m 


De  Taysoon  le  Oeant,  premier  Roy  de  Germanie  et  ûlz  de  No9,  et 
des  autres  Princes  de  sa  maison. 


Berosvs  de  Chaldee,  tresdigne  et  tresexcellent  historien, 
lequel  iay  souuent  allégué  au  premier  Hure  des  Illustra- 
tions de  Gaule  et  singularitez  de  Troye,  met  que  le  tresbon 
et  tressaint  Patriarche  Noë,  Prince  et  père  de  famille  de 
tout  le  monde  après  le  déluge,  engendra  en  sa  femme 
Tytea  la  grande  ,  plusieurs  enfans  :  entre  lesquelz  fut 
Tuyscon  le  Géant  par  luy  constitué  Roy  de  lun  des  quatre 
principaux  Royaumes  d'Europe,  cestasauoir,  de  toute  Ger- 
manie et  Sarmatie.  Lesquelles  terres  comprennent  depuis 
le  fleuue  du  Rhin,  qui  fait  la  séparation  de  Gaule,  auecques 
la  Germanie  :  iusques  au  fleuue  Tanaïs,  qui  est  en  Tar- 
tarie,  et  fait  les  termes  d'Europe  alencontre  d'Asie  de  ce 
costé  là. 

La  vraye  Germanie  est  comprise  depuis  le  dessnsdit 
fleuue  du  Rhin,  iusques  au  fleuue  Vistula,  quon  dit  main- 
tenant Viscla  :  lequel  passe  parmy  Craco,  qui  est  la  cité 
capitale  du  Royaume  de  Polone  :  et  la  Sarmatie  sestend 
par  toute  la  reste  dudit  Royaume  de  Polone,  Gothie,  Rous- 
sie, Prusse  et  Dannemarch. 

Si  se  ioingnirent  auec  ledit  Tuyscon  le  géant,  tous  les 
enfans  de  Mesa  et  Ister  :  qui  furent  parens  et  de  la  pos- 
térité de  Sem,  frère  aisné  dudit  Tuyscon  le  géant. 

Mesa  fut  filz  d'Arameus  et  neneu  de  Sem.  Il  fonda  les 
peuples  de  Mysie  haute  et  basse  :  qui  se  nomment  auionr- 
dhuy  les  deux  Valaquies,  subiettes  au  Turc.  Et  en  la  basse 


374  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

Yalaquie  est  le  Royaume  deBossigne.  (1  )  Ledit  Mesa  fut  frère 
d'Alan,  qui  fonda  les  Alains  en  Allemaigne  :  et  engendra 
ledit  Mesa  cinq  Princes  qui  fondèrent  diuerses  nations. 
Getus  fonda  la  nation  des  Goths  :  Dacus,  le  peuple  de 
Dannemarch  :  Bannon,  les  deux  Pannonies,  cestasauoir, 
Pannonie  la  haute  :  quon  dit  maintenant  Austriche,  et 
Pannonie  la  basse,  qui  se  nomme  Hongrie.  Brigus  fut  père 
des  Frisons,  qui  depuis  repassèrent  en  Asie  et  donnèrent 
le  nom  au  pais  de  Phrjgie,  où  depuis  Troye  fut  fondée  : 
auec  Thynnus,  frère  dudit  Brigus,  qui  peupla  le  pais  de 
Bithynie,  lequel  est  situé  à  lopposite  de  Constantinoble, 
comme  met  Pline  au  cinquième  liure  de  Ihistoire  Naturelle. 

Ister,  de  ladite  postérité  de  Sem,  fut  filz  de  Heber  :  dont 
procédèrent  les  Hebrieux,  et  est  ledit  Ister  appelle  Ictan 
en  la  sainte  escriture.  Il  donna  le  nom  au  pais  d'Istrie  et 
au  grand  fleuue  Ister,  autrement  appelle  le  Dunoe,  qui 
passe  par  iceluy.  Et  eut  vn  filz  nommé  Dalmadan,  qui 
nomma  de  son  nom  le  Royaume  de  Dalmace.  Dalmadan 
engendra  Sarmates,  qui  occupa  toute  la  terre  de  Sarmatie 
dessus  spécifiée.  Et  furent  autres  Princes  consequemment 
de  sa  maison,  qui  donnèrent  les  noms  à  assez  dautres  pro- 
uinces  :  dont  ie  me  passe  à  cause  de  brieueté.  Et  qui  en 
voudra  sauoir  plus  à  plein,  aye  recours  au  liure  des  Généa- 
logies dudit  acteur  Berosus. 

Il  appert  donques  que  Tuyscon  le  géant,  filz  de  Noë, 
nestoit  pas  mal  accompaigné  de  Princes  en  sa  maison, 
quand  il  vint  prendre  la  première  possession  de  son 
Royaume  de  Germanie  et  Sarmatie,  qui  fut  le  vingtcin- 
quieme  an  du  règne  de  Nembroth,  son  neueu,  surnommé 
Saturnus,  premier  Roy  de  Babylone  :  cestasauoir,  lan  sept 

(l)  Bossine  (éd.  1513).  C'est  la  Bosnie. 


8INGVLAR1TEZ  DE   TROTE.    LIVRE  III.  375 

vingts  et  seize  après  le  déluge.  Et  régna  quatre  vingts 
dixsept  ans  premièrement  :  en  laissant  croitre  son  peuple 
et  viure  selon  la  loy  de  Nature.  Mais  quand  ce  vint  audit 
an  quatre  vingts  dixseptieme  :  voyant  parauenture  la 
nature  de  ses  gens  décliner  à  mal  et  à  corruption,  il  leur 
establit  loix  restrictiues,  auec  certaine  manière  de  viure, 
par  reigle  et  par  raison.  Et  régna,  en  tout,  lespace  de 
sept  vingts  onze  ans.  Parquoy  on  peult  coniecturer,  quil 
vesquit  bien  trois  cens  ans  ou  enuiron  :  car  il  nasquit  tan- 
tost  après  le  déluge.  Et  est  à  noter,  que  toute  sa  postérité 
fut  adoptée  en  la  maison  du  Patriarche  Noë  :  car  ilz  sont 
tous  mis  en  larbre  de  la  postérité  dudit  Noë,  par  ledit 
acteur  Berosus.  Et  du  nom  dudit  Tuyscon,  les  Germains 
sappellent  iusques  auiourdhuy  en  leur  langage  Tutschen, 
ce  que  nous  autres  Vualons  et  Romans  disons  Thiois,  et 
les  Italiens  les  appellent  Tudesques.  Et  fut  le  Roy  Tuyscon 
après  sa  mort,  réputé  Dieu  par  les  siens. 

De  Mannua,  second  Roj  de  Germanie,  qui  fat  filz  de  Tuyscon  le  Géant. 

Cornélius  Tacitus,  ancien  historien  Romain,  se  concorde 
auec  ledit  acteur  Berosus,  disant  que  Mannus,  second  Roy 
des  Germains,  fut  filz  de  Tuyscon  le  géant  :  lequel  Mannus, 
selon  lexpositeur  de  Berosus,  donna  le  nom  au  fleuue, 
nommé  premièrement  Allemannus,  cestadire  :  la  sourse  de 
Mannus,  (1)  qui  depuis  ha  esté  appelle  le  fleuue  du  Rhin  :  et 
selon  ce,  les  Allemans  auroient  prins  leur  nom  dudit  fleuue. 
Le  temps  de  son  règne  nest  point  spécifié.  Mais  il  eut  vn 
filz,  qui  régna  après  luy  nommé  Inghaueon. 


(1)  Étymologie  grotesque  qui  s'explique  par  le  latin  alere,  ali- 
menter. 


376  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLB,    ET 

Bë' Ing^ièlon,  troisfeMé  ^f  dià^erMUas. 

n'ilnghaueon  ou  Ingheuon,  succéda  à  son  père  Mannus,  et 
de  luy  furent  nommez  les  Ingheuons,  lesquelz  Pline,  au 
quinzième  chapitre  du  quatrième  liure  de  Ihistoire  Natu- 
relle, nomme  pour  la  seconde  nation  de  Germanie  :  et  dit 
quune  partie  diceux  estoient  les  Cimbres  et  les  Teutons, 
desquelz  nous  auons  parlé  bien  amplement  au  premier 
traicté  de  ce  liure.  Et  est  interprété  ledit  terme  Inghaueon, 
habitateur  incertain,  (1)  pource  que  de  son  temps,  les  Ger- 
mains nauoient  encores  nulles  citez  :  ains  estoient  vaga- 
bonds par  cy  par  là,  comme  sont  auiourdhuy  les  Tartres  et 
les  Arabes. 

De  Isteuon,  quatrième  Roy  de  Germanie. 

Isteuon  régna  après  son  père  Inghaueon  :  et  de  luy 
furent  nommez  vn  peuple  de  Germanie,  Isteuons,  habitant 
près  du  Rhin,  desquelz  vue  partie  sont  les  Cimbres  medi- 
terrans,  cestadire,  habitans  loing  du  riuage  de  la  mer, 
comme  met  Pline,  qui  les  nomme  en  la  seconde  nation  des 
Germains. 

De  Hermion,  cinquième  Roy  des  Germains. 

Apres  Isteuon,  régna  Hermion  son  filz,  homme  fort  belli- 
queux et  de  grand  férocité  :  lequel  enseigna  à  ses  subietz 
lexercice  des  armes  :  et  fonda  vn  peuple  de  son  nom, 
lequel  Pline,  au  quatrième  liure  de  Ihistoire  Naturelle, 
met  pour  la  quatrième  génération  de  Germanie  :  et  dit 
quune  partie  diceux  sont  les  Soaues.  Et  desdits  Hermions 
Cornélius  fait  mention  en  son  histoire. 

(1)  Peut-être  à  cause  de  in  supposé  privatif. 


8INGVLARITEZ   DE  TRÔYB.    LITRE   III.  wlT 

De  Marsas,  sixième  Koy  de  Oermanb. 

Marsus  fut  filz  du  Roy  Hermion,  qui  pareillement  donna 
iadis  son  nom  à  vn  peuple  de  Germanie  :  duquel  Pline  et 
Cornélius  Tacitus  font  mention.  Et  est  Marsus,  interprété 
Prince  de  conseil  :  car  il  introduisit  premièrement  aux 
Germains,  la  manière  de  tenir  conseils  et  parlements. 

De  Gambrinius,  septième  Roy  de  Germanie. 

Apres  Marsus,  régna  son  filz  Gambrinius,  (1)  homme  de 
grand  cœur  et  flereté,  lequel  fut  le  premier  entre  les  Roys 
Germains,  qui  porta  couronne  et  sceptre  Royal  publique- 
ment et  du  consentement  de  tous  ses  subietz  :  et  donna 
son  nom  à  vn  peuple  de  Germanie  :  dont  Pline  et  Corné- 
lius Tacitus  font  mention.  Et  de  son  temps  Osiris,  Roy 
d'Egypte,  surnommé  lupiter  le  iuste,  empereur  pacifique 
de  tout  le  monde,  vint  en  AUemaigne  :  et  monstra  la  ma- 
nière de  semer  le  froument  et  planter  les  vignes,  enter 
arbres  et  aussi  brasser  la  ceruoise.  (2) 

De  Sueaus,  huitième  Roy  de  Germanie,  qai  donna  le  nom  aux  Soaoes. 

Sueuus,  filz  de  Marsus,  fut  plus  heureux  que  beaucoup 
dautres  ses  prédécesseurs  :  pour  autant  que  iusques  à  pré- 
sent, lune  des  principales  prouinces  d'Allemaigne  garde 
son  nom  :  cestasauoir,  le  grand  et  noble  pais  de  Soaue, 
dont  sera  faite  mention  souuentesfois  en  ce  volume. 

-M-l.!      ■ 

(1)  Gambrinus,  aujoord'huil»  dieu  de  la  bière,  autrefois  Téponyme 
des  Gambriniens  ou  Gambriviens. 

(2)  Le  vin  d'orge,  dont  parlent  Eschyle  et  Hérodote  à  propos  des 
Egyptiens. 


S78  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

De   Vandaliis,   neuuieme    Roy  de   Germanie,    duquel   sont  yssus  les 
Bourguignons,  et  du  temps  de  son  règne. 

Vandalus,  filz  de  Sueuus,  duquel  est  nostre  propos  prin- 
cipal, régna  sur  les  Germains  du  temps  d'Altades,  douzième 
Roy  de  Babylone,  et  du  temps  du  grand  Hercules  de 
Libye,  Roy  d'Italie  :  et  de  son  filz  Galates,  dixième  de 
Gaule,  duquel  iay  parlé  bien  amplement  en  mon  premier 
liure  des  Illustrations  de  Gaule,  et  singularitez  de  Troye. 
Et  comme  il  est  illec  mentionné,  ledit  Galateus  commença 
à  régner  lan  depuis  le  déluge  six  cens  vingtcinq  :  deuant 
la  fondation  de  Troye  par  Dardanus  neuf  vingts  et  vn  et 
deuant  lincarnation  nostre  Seigneur,  seize  cens  soixante- 
huit. 

Or  auons  nous  pour  certain,  que  dudit  Vandalus  descen- 
dirent et  furent  nommez  les  Vuandelz,  tant  congnus  par 
les  histoires  :  lesquelz  Vuandelz  Pline  au  xiiii.  chapitre 
du  quatrième  liure  de  Ihistoire  Naturelle,  met  pour  la  pre- 
mière des  cinq  nations  de  Germanie,  et  pour  partie  dicelle 
les  Bourguignons,  disant  expressément  ainsi  :  Gênera  Ger- 
manorum  quinque  :  Uindelici,  quorum  pars  Burgundio- 
nés,  Uarrini,  Garini,  Guttones.  (1) 

De  Teutanes,  dixième  Roy  de  Germanie,  duquel  sont  nommez  les 
Teutoniques. 

Teutanes  régna  après  son  père  Vandalus,  et  fut  sur- 
nommé le  Mercure  des  Germains  :  et  adoré  comme  Dieu, 
après  sa  mort.  Auquel  on  sacrifioit  de  cruel  sacrifice,  cest- 
asauoir,  de  sang  humain,  comme  tesmoigne  Lucan,  au  pre- 
mier liure  de  sa  Pharsalique,  disant  ainsi  : 

(1)  Vandali  quorum  paries  sunt  Burgundiones^  Varini,  Carini, 
etc.  (ëd.  1513  et  1528). 


SINGTLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE  111.  379 

s,n  rlT  Et  qaibo*  imœitis  placatur  tangaioe  diro 

Teotanei,  borrensqae  feris  altaribus  Heeui. 

Aucuns  estiment  que  dudit  Teutanes,  les  AUemans  sont 
nommez  Teutoniques. 

De  Hercules  Alemannus,  onzième  Roj  de  Germanie  et  père  de 
Hannas,  daqael  sont  descenduz  les  Hongres. 

Hercules  Alemannus  succéda  à  son  père  Teutanes  :  au 
temps  duquel  la  Déesse  Isis,  (1)  Royne  d'Egypte,  vint  en 
AUemaigne  :  et  monstra  au  rude  peuple  lusage  de  mouldre 
la  farine  et  faire  du  pain.  Ledit  Hercules  fut  le  plus  preux 
et  plus  vaillant  de  tous  ses  prédécesseurs.  Et  pource  fut  il 
ainsi  nommé  :  car  les  Princes  de  haute  emprise  dudit 
temps  estoient  surnommez  Hercules,  dont,  comme  tes- 
moigne  Cornélius  Tacitus,  (2)  les  Germains  pour  mémoire 
perpétuelle  de  luy,  quand  ilz  marchoient  en  bataille,  chan- 
toient  en  leur  langage  aucunes  chansons  et  dictiers  terri- 
bles et  merueilleux  de  luy  :  et  de  ce  prenoient  courage  et 
férocité  contre  leurs  ennemis.  H  fut  après  mort  conté  au 
nombre  des  Dieux.  Et  encores  tient  on  pour  chose  certaine, 
quil  y  ha  vn  vieil  temple  en  vue  isle  du  Rhin,  nommée 
Augia  la  grande  :  lequel  est  nommé  Alman,  du  nom  dice- 
luy  Dieu.  Et  diceluy  mesmes  nom,  les  Soaues  et  Lansque- 
netz  ont  esté  nommez  Allemans.  l\  régna  du  temps  de 
Mancaleus,  quatorzième  Roy  de  Babylone,  et  du  temps  de 
Lugdus,  Roy  de  Gaule  :  qui  fonda  Lyon  sur  le  Rhône,  et 

(1)  La  Demeter  des  Egyptiens,  selon  Hérodote. 

(2)  Germ.  II.  —  D""  Hugo  Meyer  (Program.  Bremen  1868)  fait  de 
Roland  ou  Chrodoland  une  espèce  d'Hercule,  patron  des  libertés 
municipales. 


580  ILtVSTRATlONS   DÉ  GkVtX,   ET 

eut  vn  filz  nommé  Hunnus,  duquel  procédèrent  les  Huns, 
quon  dit  maintenant  les  Hongres. 

Epilogation  du  temps  de  la  duration  du  règne  desdits  Roys  de 
Germanie  en  gênerai. 

lusques  icy,  et  non  plus  auant,  ledit  ancien  acteur  Bero- 
sus  détermine  (1)  des  Roys  de  Germanie,  desquelz  iay  vou- 
lentiers  mis  la  généalogie  :  à  cause  de  Vandalus,  père  des 
Bourguignons.  Et  nen  puis  plus  auant  dire  :  pource  que 
Manethon  d'Egypte,  successeur  dudit  Berosus,  nen  dit 
rien.  Mais  selon  ce  que  ie  puis  cueillir  par  les  dits  dudit 
acteur,  tout  le  temps  du  règne  desdits  Roys  peult  estre 
estimé  à  cinq  cens  soixante  et  vn  an  ou  enuiron.  Lequel 
terme,  si  nous  prenons  les  cas  (comme  il  est  vraysemblable) 
que  ce  fut  la  dernière  année  du  règne  dudit  Hercules  Ale- 
mannus,  ce  seroit  lan  après  le  déluge,  sept  cens  et  dixsept  : 
deuant  la  première  fondation  de  Troye  par  Dardanus,  six 
vingts  et  quinze.  Auant  la  destruction  dicelle  par  les  Grecz, 
à  loccasion  d'Heleine,  quatre  cens  trentedeux  ans.  Et  auant 
lincarnation  nostre  Seigneur,  seize  cens  ans.  Et  pource  que 
nous  nauons  nulle  histoire  autentique,  qui  nous  declaire 
les  gestes  desdits  Vuandelz  et  Bourguignons  durant  lespace 
de  seize  cens  ans,  nous  passerons  tout  oultre,  et  ferons  vn 
sault,  iusques  au  règne  de  Lempereur  Octauien  Auguste, 
du  temps  duquel  nostre  Seigneur  iesvs  christ  voulut  nais- 
tre  de  la  Vierge  Marie. 


(1)  c.-à-d.  termine,  finit. 


SIKGVLARITEZ  DJS   TRUYg.   UVEB   111.  i8l 


Du  pals  d'Vuandftlie  en  Âll«maigne  :  et  dea  g^stei  des  Vuandelz, 
commençant  eauiron  le  temps  de  lincamation  de  noatre  Seigmaor. 
Et  la  cause  pourquoj  voe  )>artie  diceax  furent  premièrement  appel- 
iez Bourguignons. 

Selon  la  recitation  des  acteurs  autentiques,  Vuandalie 
est  vne  région  septentrionale  du  Royaume  de  Polone  et 
des  appartenances  de  Germanie  :  ainsi  dite,  de  par  le  Roy 
Vandalus  dessus  mentionné  :  et  de  par  vn  âeuue  qui  porte 
le  mesme  nom,  arrosant  ladite  terre,  dont  le  peuple  des 
Vuandelz  estoit  ainsi  nommé.  Et  aucimefois  on  les  treuae 
es  histoires  nommez  Vindiles  et  Vindeliciens.  (1)  Ces  toit  au 
temps  iadis  vne  merueilleuse  nation,  fau-ouche,  outrageuse 
et  inhumaine  :  tellement  que  au  temps  de  lempereur  Octa- 
uien  Auguste,  vne  partie  diceux  sesmut  et  se  mirent  en 
armes  au  nombre  de  quatre  vingts  mille  hommes.  Si  laissè- 
rent leur  territoire  pour  conquester  meilleur  païs  :  et  sen 
vindrent  iusques  sur  le  Rhin,  cestasauoir  au  païs  de  Soaue. 
Contre  lesquelz  furent  enuoyez  par  ledit  Empereur  Drusus 
et  Tiberius,  ses  neueux  :  qui  les  contraingnirent  à  grand 
force  de  retourner  en  leurs  contrées  :  et  les  diuiserent  par 
bendes,  de  peur  quilz  ne  se  ralliassent  ensemble.  Et  les 
contraingnirent  de  non  habiter  villes,  chasteaux,  ne  citez 
fermées  :  mais  bien  leur  estoit  permis  de  se  tenir  souz  ten- 
tes et  pauillons,  ou  édifier  maisons,  tugurions  (2)  et  bordes, 
sans  forteresse  :  sinon  de  hayes  ou  paliz,  pour  se  garder 
des  loups,  comme  sont  les  villages  de  pardeça.  Lesquelles 

(1)  Confusion  du  pajs  des  Wendes  Slaves  avec  la  Vindélicie  au 
aud-ouest  de  la  Germanie. 

(2)  du  latin  tugurium.,  huttb,  cabane. 


582  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

manières  dhabitacles  ilz  appelloient  Bourgs,  en  leur  lan- 
gage :  de  laquelle  dénomination,  il  y  ha  auiourdhuy  plu- 
sieurs grands  citez,  depuis  édifiées  en  Allemaigne  :  si 
comme  Ausbourg,  Madebourg,  Salsembourg,  Strasbourg, 
Rotembourg,  Fribourg,  Vuissembourg  et  plusieurs  autres. 
Et  à  ceste  cause  on  les  commença  peu  à  peu  à  nommer 
Bourguignons.  Et  perdit  ladite  bende  le  nom  des  Vuandelz, 
mais  non  les  autres  qui  estoient  demeurez  au  païs,  comme 
nous  verrons  cy  après. 

Les  Bourguignons  dessusdits  par  traict  de  temps  se  mul- 
tiplièrent si  fort,  que  pas  ne  leur  sufiisoit  la  terre  ferme 
où  ilz  habitoient  :  mais  occupèrent  aussi  vne  grande  et 
merueilleuse  isle  nommée  Scandauia,  en  la  mer  Germani- 
que, du  costé  deuers  Dannemarch.  Et  illec  se  tindrent  sans 
se  mouuoir  autrement  iusques  au  temps  de  lempereur  Va- 
lentinian  :  cestasauoir,  lan  de  grâce  trois  cens  septantesix, 
comme  met  saint  Hierome,  en  la  fin  de  sa  chronique,  que 
lors  ilz  sesmurent  derechef,  enuiron  le  nombre  de  quatre 
vingts  mille  hommes  en  armes  et  sen  vindrent  iusques  sur 
le  riuage  du  Rhin  :  comme  leurs  prédécesseurs  auoient  fait 
autresfois,  en  laissant  les  régions  froides  et  Septentriona- 
les, pour  conquester  meilleur  païs  sur  Lempire  Romain.  Si 
plantèrent  leur  siège  sur  ledit  fleuue  du  Rhin,  enuiron  le 
païs  d'Alsate,  qui  est  lune  des  meilleures  et  fertiles  con- 
trées quon  sache. 


Des  gestes  des  aulies  Vuandelz  et  de  Stilco,  Prince  de  leur  nation,  qui 
secrètement  incita  les  Bourguignons,  Vuandelz  et  autres  nations 
à  enuabir  les  Gaules. 

Lavtre  partie  des  Vuandelz,  qui  demoura  en  son  païs,  là 
où  habitent  présentement  les  Poulaques,  comme  dessus  est 


SINGULARITEZ   DE   TROYE.    LIVRB  111.  383 

dit,  se  tint  illec,  iusques  au  règne  de  lempereur  Constantin 
le  grand.  Auquel  temps  Geberith,  Roy  des  Goths,  les  enua- 
hit  puissamment  par  aspre  guerre,  et  vainquit  en  bataille 
eux  et  leur  Roy  nommé  Vismar  :  tellement  quilz  furent 
contraints  laisser  leur  propre  territoire.  Et  impetrerent 
dudit  Empereur  Constantin,  quilz  poussent  habiter  en  Pan- 
nonie,  quon  dit  maintenant  Hongrie  :  ce  qui  leur  fut  ot- 
troyé,  et  y  demourerent  enuiron  lespace  de  quarante  ans, 
tousiours  souz  le  tribut  et  manutenance  des  Romains.  Mais 
pource  que  lesdits  Goths  leurs  anciens  ennemis  et  voisins 
ne  les  y  souffroient  viure  en  paix,  il  leur  fut  force  derechef 
abandonner  le  païs  de  Pannonie,  et  sen  allèrent  à  leurs 
auentures,  sur  la  mer  Balthee  :  là  où  ilz  vescurent  aucun 
temps  de  proye  et  de  pillage,  comme  font  coursaires.  Mais 
finablement  ilz  furent  chassez  par  vn  autre  peuple  nommé 
les  Gepides,  et  sen  retournèrent  en  leur  premier  païs 
d'Vuandelie  :  là  où  ilz  se  contindrent  iusques  au  temps 
quun  Prince  de  leur  nation,  nommé  Stilco,  fut  moyen  (1)  de 
les  tirer  dehors,  pour  les  faire  entrer  en  Gaule,  au  desa- 
uantage  de  Lempire  Romain. 

Il  est  asauoir,  quen  la  court  de  lempereur  Théodore  (2) 
lancien  fut  en  ce  temps  nourry  et  esleué  vn  Prince  nommé 
Stilco,  yssu  de  lancienne  noblesse  des  Vuandelz,  dessus 
mentionnée  :  et  y  obtint  si  grand  crédit,  que  comme  ledit 
empereur  natif  d'Espaigne,  veit  approcher  la  fin  de  ses 
iours,  et  quil  laissoit  ses  deux  enfans  Honorius  et  Arca- 
dius,  ses  héritiers  futurs,  encores  ieunes  et  non  capables  à 
gouuerner  Lempire,  il  leur  ordonna  pour  tuteurs,  gouuer- 

(1)  Cf.  médius,  médiateur,  entremetteur. 

(2)  Les  édit.  1513  et  1628  portent  également  Théodore  au  lieu  de 
Théodose. 


384  ILLVSTRATIONS  DE  GÀTLE,   £T 

neurs  et  mambourgs,  trois  de  ses  principaux  Barons,  es- 
quelz  il  auoit  sa  totale  fiance,  cestasauoir,  Ruffin,  qui  eut 
la  charge  de  tout  Orient  :  Stilco,  qui  fut  régent  de  tout 
Occident  :  et  Gildo,  qui  fut  constitué  au  gouuernement  de 
toute  Afrique,  qui  sont  les  trois  principales  parties  du  monde. 

Et  pource  que  opportunité  et  loisibleté,  communément 
font  les  gens  hardis  à  emprendre  quelque  grand  chose,  les 
trois  Princes  et  gouuerneurs  dessusdits  ,  voyans  quilz 
auoient  et  pouuoir  et  loisir,  chacun  en  son  endroit,  de  se 
faire  grans,  tandis  que  leurs  seigneurs  estoient  petis  et 
moindres  daage  chacun  d'eux  trois  par  grand  ardeur,  con- 
uoitise  et  ambition  de  régner,  délibéra  dusurper  pour  luy 
et  pour  les  siens,  la  seigneurie  et  partie  de  Lempire,  en 
laquelle  il  auoit  puissance  et  autorité.  Et  de  ce  eurent  ilz 
secrète  intelligence  et  consentement  ensemble,  sans  faire 
semblant  lun  de  lautre. 

Or  fut  le  premier  et  le  plus  hardi  à  commencer  son 
emprinse  Gildo,  régent  d'Afrique,  quon  dit  maintenant 
Barbarie  :  car  apertement  et  sans  dissimulation  quelconque , 
il  tascha  dusurper  ladite  contrée  pour  luy,  en  la  soustrayant 
de  lobeïssance  de  Lempire  Romain.  Mais  pource  que  son 
propre  frère  nommé  Mescelger,  (1)  redoutoit  fort  sa  cruauté, 
il  luy  résista  puissamment  et  le  chassa  hors  d'Afrique  :  dont 
ledit  Gildo  mourut  de  despit  selon  aucuns  acteurs,  ou  de 
poison  selon  les  autres.  Et  tantost  après  comme  ledit  Mes- 
celger fust  monté  en  orgueil  et  en  cruauté  intolérable,  il  fut 
tué  par  ses  propres  gensdarmes.  Ruffin,  qui  dautre  part 
sessayoit  doccuper  toute  la  domination  d'Orient,  fut  rué  ius 
par  lempereur  Arcadius,  combien  que  ledit  empereur  fust 
encores  bien  ieune. 

(1)  de  mâme  que  dans  l'éd.  1513  pour  le  nom  maure  Mascezel. 


8IKGVLARITEZ  DE  nOTS.   UYEE  III.  385 

Lesquelles  choses  voyant  Stilco,  Prince  des  Vnandelz  et 
régent  de  Lempire  Occidental  :  il  dissimula  son  courage 
par  grand  prudence  et  cautele,  et  sentretint  (1)  de  ses  sei- 
gneurs les  empereurs  Arcadius  et  Honorius,  en  telle  sorte 
que  non  seulement  il2  ne  se  doutoient  de  luj,  mais  dauan- 
tage  Honorius  luy  bailla  lune  de  ses  filles  à  femme.  Laquelle 
morte  auant  la  consommation  du  mariage,  ledit  Stilco  es- 
pousa  vne  autre  fille  dudit  empereur  Honorius.  Par  ainsi 
lesdits  empereurs,  ses  seigneurs,  ne  le  tenoient  pour  suspect 
en  manière  quelconque. 

Estant  donques  Stilco  constitué  en  telle  autorité,  sans 
souspeçon  quelconque,  pensant  en  luy  mesmes,  comment 
ses  consorts  dessusdits  Ruffin  et  Gildo  sestoient  tresmal 
conduits,  et  auoient  esté  infortunez  en  leurs  emprises,  il  ne 
perdit  pas  courage  pourtant  :  ains  délibéra  totalement  de 
faire  son  filz  nommé  Eukerius,  empereur  de  toute  la  mo- 
narchie Romaine.  Lequel  treshaut  entreprendre,  il  ne  pou- 
uoit  mentr  à  chef,  sinon  que  premièrement  et  auant  toute 
œuure,  il  eust  enuelopé  ses  seigneurs,  les  empereurs  Arca- 
dius et  Honorius,  de  merueilleux  troubles  et  guerres  diflB- 
ciles,  espérant  que  par  ce  moyen  il  se  feroit  tousiours  plus 
grand  et  auroit  encores  plus  grand  charge  et  entremise, 
quil  nauoit  au  parauant. 

Souz  cest  arrest  et  conclusion  faite  en  lay  mesmes,  le 
Duc  Stilco  feit  solliciter  par  secrètes  ambassades,  plusieurs 
nations  de  Germanie,  cestasauoir  les  Soaues,  les  Bourgui- 
gnons, les  Alains  et  les  Vuandelz,  desquelz  le  Roy  se  nom»^ 
moit  Corsico.  Enuers  toutes  lesquelles  nations,  ledit  Stilcd  " 
auoit  crédit  et  autorité  :  comme  Prince  de  leur  sang  et 
extraction.  Si  les  esmut  à  venir  enuahir  et  conquester  les 

(1)  e.-à-d.  se  soutint  auprès  d*euz. 

11.  as 


38G  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

Gaules,  pour  eux  et  pour  les  leurs,  lesquelles  estoit  en  la 
puissance  des  Romains.  Et  oultre  ce,  par  vne  merueilleuse 
astuce,  procura  enuers  les  Empereurs,  que  la  soulde  et  pen- 
sion, qui  se  souloit  donner  aux  Vesegoths  ne  leur  fust  plus 
payée,  espérant  que  par  ce  moyen,  ilz  se  mutineroient  et  se 
parforceroient  dentrer  en  Italie,  et  il  seroit  créé  et  estably 
Duc  et  Consul  alencontre  d'eux.  Et  auroit  si  grand  puissance 
et  autorité  au  fait  de  la  guerre  et  gendarmerie  de  Lempire, 
que  facilement  il  pourroit  paruenir  à  son  intention. 

Toutes  les  pratiques  et  intelligences  du  Prince  Stilco 
ainsi  dressées  et  mises  à  effect  :  cestasauoir,  que  première- 
ment les  Vesegoths  sesmurent  et  rebellèrent  contre  Lempi- 
re, à  cause  de  leur  pension  et  soulde  non  payée,  ilz  establi- 
rent  sur  eux  vn  Roy,  nommé  Alaric,  auec  lesquelz  ilz  en- 
trèrent en  Pannonie,  quon  dit  maintenant  Hongrie.  Et  ce 
temps  pendant,  Stilco,  auec  vn  autre  Prince,  nommé  Aure- 
lianus,  furent  créez  Ducz  et  Consulz,  par  les  empereurs, 
pour  résister  ausdits  Vesegoths,  lan  de  lincarnation  nostre 
Seigneur,  quatre  cens  et  sept.  Et  enuiron  ce  temps,  les 
Soaues  :  qui  sont  hauts  Allemans,  quon  dit  maintenant 
Lansquenets,  entrèrent  les  premiers  en  Gaule,  cestasauoir, 
iusques  à  la  cité  d'Authun,  au  pourchas  dudit  Stilco.  Et 
consequemment  Corsico,  Roy  des  Vuandelz,  et  les  Alains 
et  les  Bourguignons,  qui  desia,  comme  dessus  est  dit,  auoient 
occupé  le  pais  enuiron  du  Rhin.  Lesquelles  quatre  nations 
se  fortifièrent  et  ioingnirent  ensemble  par  alliance.  Et  fu- 
rent estimez  au  nombre  de  trois  cens  mille  hommes  portans 
armes. 


81NGVLARITEZ  DB   TROTE.    LITRB  111.  3S7 


Comment  lei  François,  vne  autre  nation  d'Âllemaigne,  fnrent  reboutez 
oultre  le  Rhin  par  les  Vuandelz,  Bourgaignons  et  Alains.  Et  les- 
dits  Bourguignons  eslurent  leur  demeure  au  pals  qui  maintenant 
porte  leur  nom  :  «t  les  autres  passèrent  ouHre,  dont  le«  Vuandelz 
donnèrent  le  nom  au  pals  d'Vuandalousie  en  Espaigne  :  et  les  Oothf 
et  les  Âlains  au  pals  de  Catbelongne. 

Environ  ce  mesmes  temps,  vne  autre  nation  de  Germanie 
nommez  François,  de  la  prouince  de  Franconie,  oultre  le 
Rhin,  autresfois  domptée  et  suppeditee  par  lempereur  Con- 
stantius  Flauius,  filz  de  Constantin  le  grand,  voulut  entrer 
en  Gaule,  tant  pour  changer  meilleur  territoire,  comme  par 
enuie  des  nations  dessusdites,  lesquelles  auoient  grand  bruit 
de  faire  merueilles  en  Gaule.  Et  de  fait,  lesdits  François 
occupèrent  les  citez  de  Treues,  de  Metz,  de  Toul  et  de 
Verdun,  et  le  pais  circonuoisin.  Mais  à  listingation  des 
Soaues,  anciens  ennemis  desdits  François,  les  Vuandelz, 
Bourguignons  et  Alains  contraingnirent  lesdits  François 
par  force  darmes  à  repasser  le  Rhin  et  retourner  en  Fran- 
conie, dont  ilz  estoient  partis. 

Apres  que  les  François  furent  ainsi  rudement  repoulsez, 
les  bendes  victorieuses  des  Bourguignons,  Vuandelz,  Alains 
et  Soaues,  alliées  ensemble,  mespartirent  toutes  les  Gaules. 
Par  lequel  partage,  les  Bourguignons,  à  leur  choix  et  élec- 
tion, obtindrent  les  païs  et  citez  desia  conquestees,  cestasa- 
uoir  :  Bezenson,  Langres,  Chalon,  Mascon  et  leurs  appar- 
tenances. Et  les  Vuandelz,  Alains  et  Soaues  tirèrent  oul- 
tre, pour  aller  conquérir  nouuelles  terres  et  seigneuries  :  et 
entrèrent  premièrement  en  Aquitaine.  Si  gaignerent  toute 
la  terre  qui  sied  entre  la  riuiere  de  Loire  :  et  les  montai- 
gnes  Pyrénées  deuers  Espaigne,  et  sessayerent  dentrer  en 


388  ILLVâTRATlONS   DE    GAVLE,    ET 

Espaigne  :  mais  ilz  en  furent  reboutez  pour  ceste  fois  : 
neantmoins  depuis  ilz  la  conquirent  toute  :  et  encores  Afri- 
que, quon  dit  maintenant  Barbarie,  oultre  le  destroit  de 
Gybalthar.  Tellement  que  desdits  Vuandelz  porte  iusques 
auiourdhuy  le  nom,  le  païs  de  Vuandalousie  :  quon  dit 
Landalousie,  lun  des  plus  fertiles  quartiers  de  toute  Es- 
paigne. Et  des  Alains  qui  depuis  se  meslerent  auec  les 
Goths,  est  nommé  le  païs  de  Gothalania,  quon  dit  en  lan- 
gage vulgaire,  Cathelongne.  (1)  Et  ce  peult  on  mieux  voir 
par  les  histoires  d'Espaigne,  desquelles  ie  me  déporte  pour 
maintenant  :  à  fin  de  retourner  à  noz  Bourguignons. 


Comment  leg  Bourguignons  encores  Gentilz  et  Payons  receurent  la 
i;.!foy  catholique  :  et  la  cause  pourquoy  :  et  de  la  victoire  quilz  eurent 
■  /par  ce  moyen,  alencontre  des  Huns,  quon  dit  maintenant  Hongres. 

Cassiodore  le  Sénateur,  acteur  tresautentique,  au  qua- 
trième chapitre  du  douzième  Hure  de  Ihistoire  Tripertite  : 
et  après  luy  Celius  Calanus  de  Dalmace,  en  la  vie  du  Roy 
Attyla,  recitent,  quun  Prince  nommé  Subthar,  obtint  le 
Royaume  des  Huns,  tout  seul,  après  la  mort  de  Madhlu- 
cus,  son  frère  aisné  :  cestasauoir,  Attyla  et  Bleda,  que  les 
autres  nomment  Buda.  Et  comme  il  se  veit  desia  sur  aage 
et  sans  enfans,  il  adopta  pour  ses  filz  légitimes,  à  la  maniera 
des  Princes  Romains,  ses  deux  neueux,  filz  de  son  frère 
Madhlucus  defunct,  et  les  establit  ses  héritiers  futurs,  et 
participateurs  de  sa  domination. 

Apres  lesquelles  choses,  le  Roy  Subthar,  auec  ses  deux 
neueux  et  vn  ost  innumerable  des  Huns,  qui  depuis  ont 

(1)  Cette  étyraologie  de  Gotks  4.  Alain*  est  encore  assez  répandue. 


SINGVLARITE£   DB   TRUYE.    L1VR8   III.  818 

esté  appeliez  Hongres,  entrèrent  par  force  en  Germanie  de 
tous  costez,  et  mirent  à  feu  et  à  sang  plusieurs  villes  et 
citez  :  et  entre  les  autres  la  cité  d'Argentine,  quon  dit 
maintenant  Strasbourg.  Et  de  là  entrèrent  sur  la  terre  des 
Bourguignons  :  cestasauoir,  en  la  Conté  de  Ferrette  et  au 
païs  des  Souyceres.  Et  coururent  iusques  à  Bezenson,  Lan»- 
grès,  Auxonne,  Chaalon  et  Lyon  :  et  y  feirent  des  maux 
incroyables.  Et  ne  peurent  pour  ceste  heure  là  les  Bour- 
guignons résister  à  la  puissance,  fureur  et  multitude  des 
Huns,  combien  quilz  y  eussent  mis  toute  leur  force  et  leur 
valeur  :  ains  furent  foulez  et  outragez  sans  remède.  Les- 
quelles choses  acheuees  à  son  souhait,  le  Roy  Subthar  et 
ses  neueux  se  retirèrent  en  Hongrie. 

Or  estoient  les  Bourguignons  encores  Gentilz,  cestadire» 
Payons  et  idolâtres  :  et  telz  que  leurs  ancestres  auoient 
esté  de  tous  temps  en  leurs  païs  :  dont  quand  ilz  se  veirent 
auoir  souffert  vne  si  grieue  playe  et  persécution,  et  con- 
gnurent  que  nulle  puissance  humaine  ne  pouuoit  supporter 
le  faix  de  leurs  ennemis,  ilz  furent  conseillez  par  leurs  voi- 
sins, desquelz  ilz  estoient  aymez  et  bien  vouluz,  pource 
quilz  viuoient  auec  eux  assez  simplement  et  de  leur  propre 
labeur,  sans  outrage,  sans  hausagerie  (1)  et  sans  tyrannie 
(car  pour  la  plus  part  estoient  feures  et  charpentiers)  quilz 
deuoient  auoir  recours  à  layde  diuin.  Or  estoit  deslors  nos- 
tre  foy  catholique  en  bruit  et  en  estime  presques  en  toutes 
les  contrées  de  Gaule  :  sur  lesquelles  les  Romains  domi- 
noient.  Parquoy  les  Bourguignons  furent  conseillez  de 
prendre  le  saint  sacrement  de  Baptesme  et  la  créance  des 
Chrestiens.  Et  ny  eut  gueres  à  faire  À  les  induire  à  ce,  tant 
pource  que  cestoit  vn  simple  peuple,  comme  pource  que  la 

(1)  c.-à-d.  aiTOgance. 


590  ILLYSTRATIONS  DE   GATLE,   ET 

nécessité  les  y  contraingnoit,  mesmement  en  temps  dafflio- 
ticm  et  tribulation. 

Par  ainsi  le  peuple  des  Bourguignons,  tout  dun  accord 
et  commun  consentement,  selon  le  conseil  de  leurs  voisins 
et  amis,  se  tirèrent  vers  vne  cité  de  Gaule,  de  laquelle 
Ihistoire  nexprime  point  le  nom,  supplians  humblement  au 
prélat  dicelle  cité  :  quilz  poussent  receuoir  Baptesme,  et 
alors  leuesque  les  receut  en  toute  bénignité  :  et  leur 
enioingnit  quilz  ieunassent  par  lespace  de  sept  iours,  et 
fissent  aumosne,  pour  lamour  de  iesvs  christ,  et  en  remis- 
sion de  leurs  péchez  :  ce  quilz  feirent  voulentiers.  Et  ce 
pendant  il  leur  prescha  les  articles  de  la  foy  et  la  créance 
du  saint  Euangile  :  et  au  huitième  iour  les  baptisa,  et 
leur  donna  licence  de  retourner  en  leurs  mansions. 

Eux  retournez  chacun  en  son  domicile,  ilz  prindrent 
conseil,  courage  et  fiance  en  Dieu  de  pouuoir  résister  vail- 
lamment contre  leurs  ennemis,  quand  ilz  retourneroient 
les  assaillir.  Et  ne  furent  point  frustrez  de  leur  espérance  : 
car  comme  ledit  Subthar,  Roy  des  Huns,  lan  reuolu,  auec- 
ques  vne  armée  innumerable  de  ses  Huns,  fut  retourné  au 
pais  des  Bourguignons,  pour  destruire  le  reste  par  vne 
merueilleuse  horreur  et  rage  forcenée  :  il  fut  défiait  par 
vne  petite  bende  de  Bourguignons  :  cestasauoir,  trois  mille 
hommes  sans  plus,  mais  cestoient  des  plus  nobles  et  des 
plus  vaillans  dentre  eux.  Lesquelles  espierent  vn  soir  que 
le  Roy  Subthar  estoit  couché  en  son  pauillon,  tout  yure 
et  tout  aggraué  de  vins  et  de  viandes,  parquoy  ses  gens  et 
son  guet  estoient  en  desordre.  Si  ruèrent  les  Bourguignons 
sur  eux  par  vne  soudaine  escarmouche  et  mirent  les  Huns 
en  desarroy,  tellement  quil  y  eut  merueilleuse  desconfiture 
desdits  Huns  :  cestasauoir,  dix  mille  hommes  morts  sur  la 
place  et  trois  mille  prisonniers,  le  reste  se  sauua  à  la  fuite, 


8IN0VLARITEZ  DE   TROTB.    LITRB   III.  391 

au  moyen  de  la  nuict  obscure.  Et  le  lendemain  le  Roy 
Subthar  fut  trouué  entre  les  morts,  occis  de  trois  playes. 
Apres  laquelle  desconfiture,  Buda  et  Attyla,  successeurs 
dudit  Subthar  leur  oncle,  au  Royaume  des  Huns,  furent 
contraints  faire  paix  et  appointementauec  les  Bourguignons. 
Par  lannee  du  commencement  du  règne  dudit  Roy  Attyla, 
est  assez  congnu  le  temps  de  ladite  victoire  des  Bourgui- 
gnons. Et  aussi  le  temps  que  iceux  Bourguignons  furent 
premièrement  Chrestiennez,  qui  fut  la  mesme  année,  ou 
à  tout  le  moins  lannee  précédente.  Or  est  il  certain  par  les 
histoires  que  ledit  Attyla  commença  à  régner  sur  les  Huns, 
lan  de  lincarnation  nostre  Seigneur  quatre  cens  et  vn. 
Mesmement  selon  vn  historien  nommé  Michel  Riz  de  Na- 
ples  :  cestasauoir,  du  temps  de  lempereur  Theodose  le  ieune, 
filz  d'Arcadius,  séant  au  siège  apostolique  le  Pape  Boniface 
premier  de  ce  nom,  enuiron  lequel  temps  flourissoit  saint 
Hierome.  Et  les  Saxons  Allemans  ietterentles  anciens  Bre- 
tons hors  de  la  grand  Bretaigne  et  la  nommèrent  Angle- 
terre, dé  par  leur  Roy  Anglus.  Et  régna  ledit  trescruel 
Attyla,  quarantequatre  ans.  Si  tua  son  frère  Bloda,  (1)  ou 
Buda,  lequel  donna  le  nom  à  la  cité  de  Bude  en  Hongrie. 
Car  parauant  elle  sappelloit  Sicambre,  du  nom  de  Sicamber, 
filz  de  Francus,  qui  fut  filz  d'Hector,  comme  iay  monstre 
plus  à  plein  au  principe  de  ce  liure  des  Illustrations  de 
Gaule  et  Singularitez  de  Troye.  Mais  retournons  au  pro- 
pos prétendu. 


(1)  Bloday  également  dans  les  éd.  1512  et  1528. 


392  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,   ET 


Confutation  de  lerrenr  de  ceux  qui  cuîdent  que  du  temps  de  la  Mag- 
deleine  il  y  eust  aucun  Prince  qui  se  nommast  Roy  de  Bourgongne. 
Et  de  la  vérité  de  Ihistoire  du  Roy  Gundengus  qui  premier  fut 
institué  par  les  Bourguignons  :  et  de  ses  gestes.  Lequel  Gundengus 
estoit  de  lancienne  noblesse  des  Goths,  dont  les  Roys  d'Espaigne 
se  disent  auiourdhuy  estre  yssuz. 

Povrce  que  cest  chose  difficile  dextirper  les  erreurs  inue- 
terees,  et  que  plusieurs  sarrestent  et  sahurtent  quant  à 
lopinion  des  anciens  Roys  de  Bourgongne,  à  ie  ne  scay 
quel  abrégé  vulgaire,  qui  se  intitule,  les  Chroniques  des 
Roys,  Ducz  et  Contes  de  Bourgongne,  depuis  lan  quatorze 
après  la  résurrection  nostre  Seigneur,  etc. ,  où  il  met  que 
ledit  an  Trophinius,  Roy  de  Bourgongne,  fut  conuerty  à 
Marseille  en  Prouence,  par  la  prédication  de  la  Magdeleine, 
et  fut  le  premier  Chrestien.  Et  le  second  eut  nom  Estienne, 
etc.  A  fin  que  les  Lecteurs  congnoissent  que  cela  est  faux 
et  apocryphe,  regardent  bien  (1)  la  diligence  que  iay  mis  à 
inuestiguer  la  vérité.  Tout  premièrement,  si  la  Magde- 
leine conuertit  à  Marseille  aucun  Prince  ou  seigneur 
nommé  Trophinius,  ou  autrement,  ie  ne  le  vueil  nier  ny 
afiermer,  car  il  est  bien  possible  :  et  ie  men  raporte  à  ce 
qui  en  est  :  mais  quil  se  nommast  Roy  de  Bourgongne,  ny 
de  Prouence,  ie  le  nie  tout  plat,  et  preuue  le  contraire  en 
ceste  manière  :  Puis  que,  comme  il  est  apparu  cy  deuant  par 
acteurs  autentiques,  les  Bourguignons  ne  partirent  d'AlIe- 
maigne  pour  entrer  en  Gaule,  sinon  trois  cens  septantesix 
ans  après  lincarnation  nostre  Seigneur,  comment  y  eust 
il  eu  Roy  de  Bourgongne  habitant  en  Prouence  du  temps 

(1)  c.-à-d.  qu'ils  regardent  bien. 


SIIfGVLÂRITBZ   DE   TROTE.   LIVRE  III. 

de  la  Magdeleine,  cest  argument  est  inuincible.  Dautre 
part,  il  est  tout  certain  que  celle  partie  de  Gaule  qui 
depuis  fut  nommée  Bourgongne,  nestoit  pas  ainsi  nom- 
mée du  temps  que  la  Magdeleine  vint  en  Prouence,  ains 
auoit  autres  diuers  noms.  Car  ceux  quon  dit  ores  de  la 
franche  Conté,  se  disoient  lors  Sequanois,  ceux  de  la  Duché 
se  noramoient  Heduois,  les  Sauoyens  et  Dauphinois  estoient 
nommez  AUobroges,  et  autres  diuers  noms  particuliers 
auoit  la  terre  qui  depuis  fut  nommée  le  Royaume  de  Bour- 
gongne, par  la  conqueste  des  Bourguignons,  qui  dicelle 
chassèrent  les  Romains.  Et  qui  plus  est,  quant  au  païs  de 
Prouence,  où  la  Magdeleine  vint,  qui  eust  ce  esté  qui  en 
iceluy  eust  osé  porter  couronne  ou  se  nommer  Roy,  mesme- 
ment  du  temps  de  lempereur  Tibère,  ou  Claudius,  ou  Caius 
Caligula  ?  Attendu  que  ledit  païs  de  Prouence  estoit  rédigé 
en  propre  prouince  de  Lempire  Romain.  Certes  il  ne  peult 
estre  ne  vray,  ne  vraysemblable.  Parquoy  ceste  histoire  se 
monstrera  plus  véritable  et  plus  clarifiée. 

Le  peuple  des  Bourguignons  donques,  depuis  quil  fut 
descendu  de  la  haute  et  parfonde  Allemaigne,  cestasauoir 
deuers  la  mer  de  Danneraarch,  comme  dessus  est  dit,  et 
eurent  passé  le  Rhin  ladite  année  trois  cens  septantesix, 
ilz  conduiront  leur  police  en  estât  de  communauté  et  popu- 
larité sans  auoir  Roy  sur  eux,  par  lespace  de  trentehuit 
ans  ou  enuiron,  cestasauoir,  iusques  à  lan  de  nostre  Sei- 
gneur, quatre  cens  et  quatorze.  Laquelle  année  ilz  eslurent 
et  establirent  vn  Roy  sur  eux,  nommé  Gundengus,  aucun 
temps  auant  que  Pharamond  fust  constitué  Roy  des  Fran- 
çois, qui  encores  habitoient  en  Allemaigne  :  cestasauoir, 
enuiron  treize  ans  après  que  lesdits  Bourguignons  furent 
faits  Chrestiens.  Toutesuoyes  laques  de  Bergome  en  son 
Supplément  des  chroniquejs  met,  que  ledit  premier  Roy  des 


ILLVSTRATIONS   DE   GAVLË,    ET 

Bourguignons,  lequel  il  nomme  Gundiochus,  nestoit  pas 
vray  catholique,  mais  Arrien.  Pource  que  quand  le  peuple 
des  Goths  se  voulurent  conuertir  à  la  foy,  lempereur  Valens, 
lequel  estoit  hérétique,  leur  enuoya  des  Euesques  pour  les 
baptiser  et  des  docteurs  pour  les  introduire  en.  ladite 
hérésie  Arrienne.  Mais  il  est  vraysemblable,  que  iasoit  ce 
que  ledit  Gundengus  eust  esté  nourry  en  ladite  secte,  auec- 
ques  ses  Goths,  que  quand  il  vint  à  régner  sur  les  Bour- 
guignons, il  print  la  foy  catholique,  à  fin  de  se  mieux  con- 
former à  son  peuple. 

Iceluy  Gundengus  ou  Gundiochus  estoit  de  lancienne 
noblesse  et  lignée  d'Athanaric  et  Alaric,  Roys  des  Goths  et 
Vuisegoths,  qui  furent  yssus  des  Cimbres,  comme  nous 
auons  veu  au  premier  traicté  de  ce  liure.  Et  fut  ledit  Ala- 
ric, celuy  qui  premier  abaissa  Lempire  Romain  en  Italie 
et  print  Romme  par  force.  Et  tindrent  longuement  luy  et 
ses  successeurs  vne  grand  partie  d'Italie  et  de  Gaule  en 
leur  subiection.  Et  depuis  conquirent  les  Espaignes,  telle- 
ment que  du  sang  diceux  Roys  des  Goths,  les  Princes  d'Es- 
paigne  sont  descenduz  de  ligne  en  ligne  :  cestasauoir  quant 
au  costé  maternel.  Parquoy  il  appert  que  tousiours  de  plus 
en  plus  se  redouble  la  noblesse  et  illustrité  de  ceste  généa- 
logie historiale. 

Par  ainsi  Gundengus,  premier  Roy  de  Bourgongne  , 
homme  de  grand  noblesse  et  vertu,  se  mit  en  deuoir  dam- 
plier  les  limites  de  son  Royaume.  Et  de  fait,  conquit  la  cité 
de  Lyon  et  tout  le  pais  de  Lyonnois,  le  Dauphiné,  Mar- 
seille et  Prouence,  iusques  à  Nisse  sur  la  mer.  Mais  il  eut 
contre  luy  Etius  Patricius,  consul  Romain,  tresuaillant 
capitaine,  lieutenant  gênerai  et  maistre  de  la  cheualerie 
des  empereurs  Honorius  et  Arcadius,  et  de  Theodose  le 
ieune,   successiuement  tant  en  Gaule,  comme  en  la  grand 


SINGTLABITBZ   DE   TROYE.    LIVRB   III.  395 

Bretaigne.  Si  furent  faites  de  merueilleuses  batailles  dun 
costé  et  dautre  :  par  lesquelles  les  Bourguignons  eurent 
finablement  du  pire.  Mais  pource  quen  ce  mesme  temps  les 
François  premièrement  reboutez  oultre  le  Rhin  par  les 
Bourguignons,  et  secondement  par  ledit  Etius  Patricius 
Romain,  estoient  pour  la  tierce  fois  entrez  en  Gaule,  du 
costé  de  Tournay  et  Cambray,  et  paruenus  iusques  aux 
riuieres  de  Somme,  Seine  et  Loire,  souz  la  conduite  de 
leur  deuxième  Roy,  nommé  Clodio  le  cheuelu,  et  de  Mero- 
neus,  son  fîlz  :  et  que  dautre  part  les  Goths  tenoient  Aqui- 
taine et  les  Huns  menassoient  de  redescendre  en  Alle- 
maigne  :  a  fin  que  ledit  Etius,  Consul  et  lieutenant  des  em- 
pereurs Romains,  neust  tout  à  vn  coup  affaire  à  tant  de 
nations,  il  feit  paix  et  appointement  final  auec  les  Bour- 
guignons. 

Ainsi  régna  ledit  Gundengus  premier  Roy  de  Bourgongne 
paisiblement  vne  bonne  espace  de  temps  :  cestasauoir,  ius- 
ques à  ce  que  le  dessusnommé  Attyla,  Roy  des  Huns,  quon 
dit  maintenant  Hongres,  lequel  se  nommoit  par  ses  tiltres 
le  Flayau  de  Dieu,  descendit  de  Pannonie,  quon  dit  ores 
Hongrie,  et  d'Allemaigne,  à  tout  cinq  cens  raille  hommes, 
tant  de  ses  propres  subietz,  comme  de  ses  alliez  :  lesquelz 
furent  Vualaud,  Roy  des  Ostrogoths,  et  Ardaric,  Roy  des 
Gepides,  auec  autres  Princes  et  peuples  merueilleux.  A 
tout  laquelle  armée,  ledit  Attyla  entra  comme  foudre  et 
tempeste,  dedens  les  Prouinces  de  Gaule,  là  où  il  gasta 
tant  en  allant,  comme  en  venant,  vn  grand  nombre  de 
citez  et  grosses  villes  :  entre  lesquelles  furent  Mayence, 
Tongres,  Metz,  Treues,  Tournay,  Cambray,  Arras,  Ter- 
ouanne,  cestadire  terre  vaine  :  car  parauant,  elle  sappelloit 
Morinum  :  Amiens,  Beauuais,  Chaalons  en  Champaigne, 
Rheims.  En  laquelle  il  martyrisa  S.  Nicaise  et  sa  sœur 


396  ILLVSTRATIONS  DE  GAVLE,    KT 

sainte  Eutrope.  Si  print  aussi  Troyes  en  Champaigne, 
laquelle  il  ne  démolit  point,  par  les  prières  de  saint  Loup, 
Euesque  dudit  lieu,  qui  luy  ouurit  la  cité.  Aussi  furent 
destruites  Lyon  et  Narbone,  et  la  cité  d'Orléans  assiégée. 
Mais  Attyla  ne  la  print  point,  pour  crainte  du  Duc  Etius 
et  de  ses  alliez,  qui  se  renforçoient  de  iour  en  iour. 

Le  Duc  Etius,  pour  lors  lieutenant  gênerai  en  Gaule  pour 
Lempereur  Theodose  le  ieune,  voyant  le  treshorrible  gast 
et  dépopulation  que  faisoient  les  Huns  en  sa  Prouince,  déli- 
béra de  résister  à  leur  cruauté.  Si  feit  alliance  auecques 
Gundengus,  Roy  des  Bourguignons,  Meroveus,  Roy  des 
François,  Theodoric,  Roy  des  Goths,  et  Charles  le  Bel,  Duc 
de  Tongres  et  de  Brabant.  loingnit  aussi  auec  luy  les  AUe- 
mans,  Saxons  et  Ambrons.  Toutes  lesquelles  nations  hay- 
oient,  craingnoient  et  redoutoient  extrêmement  la  tresde- 
testable  inhumanité  des  Huns.  Iceux  donques  confederez 
ensemble,  vindrent  trouuer  le  Roy  Attyla,  es  champs  Cata- 
launiques,  lequel  auoit  abandonné  son  siège  deuant  Orléans, 
pour  doute  d'eux,  ou  plustost  pour  les  venir  combatre, 
comme  ie  croy.  Aucuns  disent,  que  lesdits  champs  Cata- 
launiques  sont  auprès  de  Chaalons  en  Champaigne  :  les 
autres  tiennent  quilz  sont  auprès  de  Tolouse. 

Les  armées  abordées  près  lune  de  lautre,  la  bataille  fut 
donnée  entre  les  deux  parties,  combien  que  le  Roy  Attyla 
leust  voulentiers  refusée,  ou  dilayee,  pource  que  les  deuins 
ne  luy  promettoient  pas  bonne  fortune.  lasoit  ce  quil  eust 
cinq  cens  mille  hommes  en  armes,  comme  dessus  est  dit, 
finablement  il  y  fut  combatu  par  si  grand  estrif  et  merueil- 
leuse  contention,  quil  y  mourut  que  dune  part  que  dautre, 
cent  quatre  vingts  mille  hommes  de  fait.  Entre  lesquelz  y 
demeurèrent  deux  Princes  de  nom,  cestasauoir,  Gundengus, 
premier  Roy  de  Bourgongne,  et  Theodoric,  Roy  des  Vuise- 


SINCTLABITEZ   DE   TROYB.    LIVRE  III.  397 

goths.  Mais  Charles  le  Bel,  Duc  de  Tongres  et  de  Brabant, 
y  acquit  grand  honneur,  car  il  abbatit  Ardaric,  Roy  des 
Oepides,  comme  de  ce  ha  esté  touché  au  premier  traicté  en 
parlant  dudit  Charles  le  Bel. 

Ceste  merueilleuse  bataille  et  dosconfiture,  par  laquelle 
Attyla  receut  grand  perte  et  diminution  de  sa  puissance, 
fut  cause  de  le  faire  sortir  hors  de  Gaule  et  se  retirer  en 
Hongrie,  comme  demy  vaincu.  Mais  en  se  retirant  il  feit 
des  maux  innumerables.  Et  aucun  temps  après  il  entra  par 
force  en  Italie  où  il  feit  le  semblable.  Et  mourut  lan  qua- 
tre cens  cinquantequatre  selon  la  chronique  de  saint  Hie- 
rome.  Aucuns  tiennent  que  Meroveus,  Roy  des  François, 
mourut  aussi  à  ladite  iournee  qui  fut  faite  lan  de  nostre 
Seigneur  quatre  cens  cinquante,  selon  ledit  saint  Hierome. 
Theodoric,  Roy  des  Vuisegoths,  fut  enseuely  royalement  à 
Tolouse  par  son  filz  Thorismund.  Mais  de  Gundengus,  pr^ 
mier  Roy  des  Bourguignons,  ie  nay  point  encores  trouaé 
où  il  fut  enterré  :  mais  tant  y  ha,  quil  mourut  vertueuse- 
ment et  en  bonne  querele,  contre  les  Payens  idolâtres, 
après  auoir  régné  trente  ans.  Et  laissa  après  luy  quatre 
enfans  masles,  desquelz  nous  parlerons  maintenant. 


Des  quatre  filz  de  GnndeDgun,  premier  Rojde  Bonrgongne  :  cestasa- 
aoir  Gundebaud,  Gundesigil  ,  Chilperic  et  Oothmar  :  lesquelz 
régnèrent  par  ensemble  en  Bourgogne  après  leur  père.  Et  de  la 
guerre  que  les  deux  frères  eurent  contre  les  deux  autres  à  cause  de 
la  succession. 

Apres  la  mort  du  Roy  Gundengus,  ses  quatre  filz,  Gun- 
debaud, Gundegisil,  Chilperic  et  Gothmar,  partirent  Ihe- 
ritage  du  Royaume  en  quatre  parties,  dont  chacun  obtint 
sa  portion  et  son  quartier.  Mais  pource  quil  est  bien  diflS- 


398  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

cile  que  quatre  frères  se  puissent  longuement  entretenir  (1) 
pacifiques  en  matière  de  régner,  il  sourdit  guerre  et  dissen- 
sion entre  eux.  le  ne  scay  pour  quelle  occasion,  sinon  peult 
estre  pour  les  limites  de  leurs  seigneuries.  Et  tellement  y 
fut  procédé,  que  Gundebaud  et  Gundegisil  furent  dune 
bende,  Chilperic  et  Gothmar,  dune  autre.  Mais  Chilperic 
et  Gothmar  furent  vaincuz  et  occis  en  pleine  bataille,  par 
Gundebaud  et  Gundegisil,  leurs  frères  aisnez.  Et  la  femme 
dudit  Chilperic  iettee  dedens  le  fleuue  du  Rhône  à  tout  vne 
pierre  au  col,  près  de  Marseille  en  Prouence.  Et  les  enfans 
raasles  desdits  Chilperic  et  Gothmar  tuez.  Les  deux  filles 
dudit  Roy  Chilperic  tenues  en  estroite  garde,  dont  laisnee 
nommée  Sedelinde  selon  aucuns  acteurs,  ou  Chrona  selon 
les  autres,  se  rendit  religieuse  en  vn  Monastère.  La  plus 
ieune  nommée  Clotilde  fut  nourrie  et  entretenue  en  Ihostel 
dudit  Roy  Gundebaud,  son  oncle. 


Da  règne  de  Gundebaud  et  de  Gundegisil  son  frère  :  et  daucuns 
de  leurs  gestes. 

Qvand  Gundebaud  fut  paruenu  à  la  monarchie,  cestadire 
à  estre  seul  dominateur  du  Royaume  de  Bourgongne,  au 
moyen  de  la  victoire  obtenue  contre  ses  frères  Chilperic  et 
Gothmar,  il  permit  à  son  frère  Gundegisil,  iouyr  et  vser 
dune  portion  du  Royaume  de  Bourgongne.  Et  puis  pour 
soy  fortifier  par  alliances,  espousa  la  fille  de  Theodoric,  Roy 
des  Ostrogoths,  qui  pour  lors  dominoit  en  Italie.  Et  cela 
fait,  le  Roy  Gundebaud  passa  les  monts  à  tout  vne  grosse 
et  puissante  armée  :  print  et  conquesta  la  cité  d'Iaorie,  (2) 

(1)  c.-à-d.  se  maintenir. 

(2)  Divoire  {éd.  1528)  pour  Jvrea. 


SiNGVLARIT£Z   DE   TROYE,   LIVRE   111.  399 

en  la  val  d'Oste,  et  Turin  en  Piedmont,  Corne  et  Nouare  en 
Lombardie,  et  assez  dautres  villes,  chasteaux  et  citez.  Si 
se  feit  renommer  et  redouter  par  tout.  Et  à  fin  de  renforcer 
tousiours  lalliance  entre  les  Princes  dessus  mentionnez,  les- 
quelz  occupoient  Lempire  Romain,  Theodoric,  Roy  des  Os- 
trogoths,  dominant  en  Italie,  comme  dessus  est  dit,  donna 
vne  autre  de  ses  filles  à  Sigisraond,  filz  dudit  Gundebaud 
Roy  de  Bourgogne  :  sa  nièce  nomme  Almaberge,  il  la  collo- 
qua  à  Hermofrum,  (1)  Roy  de  Thuringe.  Sa  sœur  à  Thrasi- 
mund,  Roy  des  Vuandelz.  Et  après  la  mort  de  sa  première 
femme,  ledit  Theodoric,  Roy  des  Ostrogoths,  demanda  en 
mariage  la  fille  du  Roy  Clouis  de  France,  et  leut,  et  tint  le 
siège  de  son  Royaume  à  Rauenne,  qui  est  vne  grosse  cite 
et  port  de  mer,  sur  la  mer  Adriatique  en  Italie. 


Comment  Clotilde  de  Bourgongae  appetant  la  vengeance  de  la  mort 
de  son  père  et  de  sa  mère,  consentit  secrètement  destre  raaie  par 
Clouis,  Roy  de  France. 

Ce  temps  pendant  que  Gundebaud,  Roy  de  Bourgongne, 
estoit  embesogné  en  ses  conquestes  de  delà  les  monts,  Clo- 
tilde, sa  nièce,  deuint  grande  et  belle  en  perfection.  Et  si  les 
Bourguignons  faisoient  merueilles  de  conquérir  sur  Lem- 
pire Romain  en  Italie,  aussi  croissoient  de  lautre  part  les 
François  en  Gaule,  et  prosperoient  de  mieux  en  mieux, 
ainsi  que  par  manière  denuie  de  mieux  faire.  Et  flourissoit 
alors  en  son  règne,  en  sa  force  et  en  sa  ieunesse  le  Roy 
Clouis  de  France,  filz  de  Childeric.  Lequel  ayant  certaines 
affaires  auec  Gundebaud,  Roy  de  Bourgongne,  comme  ont 

(1)  Hermo/ron  (éd.  1528). 


400  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

coustumierement  Princes  les  vns  auec  les  autres,  enuoya 
vue  ambassade  vers  ledit  Roy  Gundebaud.  Lesquelz  ambas- 
sadeurs retournez,  contèrent  à  leur  maistre,  la  grâce  et  la 
beauté  de  Clotilde  de  Bourgongne  ;  et  luy  donnèrent  grand 
espoir  de  pouuoir  iouyr  du  mariage  délie  et  aussi  du  Royau- 
me de  Bourgongne,  auquel  elle  auoit  droit  et  action.  Les- 
quelles nouuelles  donnèrent  facilement  impression  damours 
et  dambition,  en  vn  ieune  cœur  Royal. 

Par  ce  motif,  le  Roy  Clouis  enuoya  derechef  vne  autre 
ambassade  deuers  le  Roy  Gundebaud  de  Bourgongne,  de  la- 
quelle es  toit  chef  vn  baron  nommé  Aurelian,  ayant  charge 
de  demander  au  Roy  Gundebaud  sa  nièce  Clotilde  en  ma- 
riage pour  son  Roy.  Lequel  Aurelian,  homme  de  grand 
prudence  et  discrétion,  venu  iusques  bien  près  de  la  court 
du  Roy  de  Bourgongne,  auant  quil  entamast  la  matière  de 
son  ambassade  vers  le  Roy  Gundebaud,  voulut  première- 
ment taster  si  le  courage  de  la  pucelle  Clotilde  se  consenti- 
roit  à  ce  :  laquelle  difficulté  luy  sembloit  grande,  pource 
quelle  estoit  Chrestienne  et  son  maistre  (1)  Payen. 

Aurelian  donques  lambassadeur,  pour  essayer  le  courage 
de  Clotilde,  laissa  ses  gens  et  son  train  en  vn  bois  prochain 
de  la  court  par  vn  iour  de  Dimenche.  Et  estant  informé 
que  ledit  iour  elle  auoit  de  coustume  de  donner  laumosne 
aux  poures,  il  despouilla  ses  riches  habillemens  et  vestit 
par  dessus  son  pourpoint  vn  habit  de  pèlerin,  et  salla  met- 
tre deuant  le  portail  de  leglise  au  reng  des  poures.  Quand 
la  messe  fut  finee,  Clotilde  selon  sa  coustume,  donna  à  cha- 
cun poure  vne  pièce  dor.  Laquelle  receiie  par  ledit  Aurelian" 
ambassadeur,  il  feit  la  reuerence  à  Clotilde  et  en  luy  bai- 
sant la  main  la  luy  rendit.  Et  en  ouurant  son  manteau  de 

(1)  «»arîf(éd.  1513). 


SIMOTLAHITEZ   DE   TROYE.    LIVRE   111.  401 

pèlerin,  monstra  et  descouurit  son  riche  accoustrement, 
qui  estoit  pardessouz  iceluy.  Parquoy  Ciotilde  entendit  fa- 
cilement quil  nestoit  point  poure,  et  que  non  sans  cause  il 
auoit  fait  ce  tour.  Si  fut  curieuse  de  sauoir  qui  il  estoit.  Et 
commanda  à  aucun  de  ses  gens  quil  fust  suiny  et  qxton  ne 
le  perdist  point  de  veiie. 

Lambassadeur  Aurelian  après  auoir  fait  cest  acte,  sachant 
que  voirement  il  seroit  suiuy,  se  alla  loger  en  vne  bonne 
hostelerie  en  la  cité,  en  lieu  apparent.  Et  Ciotilde  après 
estre  informée  de  son  logis,  enuoya  deuers  luy  vne  sienne 
femme  de  chambre,  laquelle  luy  dit,  quil  eust  de  venir  par-> 
1er  à  sa  dame,  ce  quil  feit  diligemment.  Et  quand  il  fut  en 
sa  présence,  il  la  salua  de  par  le  Roy  Clouis  de  France  :  et 
luy  dit  la  charge  de  sa  légation.  Si  luy  présenta  laneau  du 
Roy  son  maistre,  auec  autres  riches  bagues  et  loyaux,  en 
signe  d'arres  (1)  de  mariage. 

Ciotilde  de  primeface  feit  difficulté  de  prendre  lesdites 
bagues,  pour  arres  de  mariage,  en  sexcusant  et  disant,  quil 
nestoit  point  licite  à  vne  fille  Chrestienne,  despouser  vn 
mary  Payen.  Neantmoins  finablement  elle  se  consentit  de 
prendre  ledit  aneau.  Et  donna  charge  à  lambassadeur,  quil 
dist  secrètement  au  Roy  son  maistre,  quelle  feroit  tout  ce 
quil  luy  plairoit  :  et  que  deslors  et  desia  elle  le  tenoit  pour 
son  seigneur  et  mary  :  posé  que  encores  nen  fust  autres 
nouuelles,  sinon  entre  eux  trois,  pour  doute  du  Roy  Gun- 
debaud,  son  oncle.  Et  que  ce  pendant  le  Roy  Clouis  deust 
faire  ses  diligences  de  la  demander  en  mariage  à  sondit  on- 
cle, par  solennelles  ambassades.  Ainsi  fut  il  conclu  entre  eux 
deux.  Et  après  le  partement  dudit  Aurelius,  Ciotilde  mit 
laUeau  du  Roy  Clouis  au  trésor  du  Roy  Gundebaud,  son 
oncle. 

(1)  derres  (éd.  1512). 
11.  » 


402  ILLVSTRATIONS    DE    GAVLE,    fiX 

Il  sembla  bien  à  lambassadeur  Aurelian  quil  auoit  assez 
exploité  dauoir  obtenu  si  bonne  response  de  la  principale 
partie.  Si  délibéra- ,  pour  ceste  fois  non  tirer  plus  outre  en- 
uersle  Roy  Gundebaud,  ains  retourner  premièrement  deuers 
son  maistre  et  laduertir  de  son  exploit,  comme  il  feit.  Et 
ce  fait,  certain  temps  après,  comme  sur  chose  asseuree,  il 
fut  derechef  enuoyé  en  ambassade  bien  magnifiquement, 
deuers  le  Roy  Gundebaud  de  Bourgongne,  auquel  il  exposa 
tout  à  plein  la  matière  de  son  enuoy,  selon  ses  instruc- 
tions :  et  disoit  que  le  Roy  son  maistre  ne  demandoit  que 
la  personne  de  la  fille  simplement,  sans  douaire  quelconque. 
Le  Roy  Gundebaud,  sentant  et  entendant  bien  comme  il 
aduint  depuis,  que  lastuce  des  François  luy  demandoit  non 
seulement  sa  nièce,  mais  aussi  son  Royaume,  fut  bien  do- 
lent et  courroucé.  Si  monta  tantost  en  sa  fureur  et  respon- 
dit  par  grand  fiereté  audit  ambassadeur,  que  iamais  il  ne 
bailleroit  sa  nièce  à  vn  tyrant  Payen.  A  quoy  lambassa- 
deur répliqua,  quil  se  preparast  donques  à  la  guerre  :  car 
il  auoit  charge  expresse,  en  cas  de  refus,  de  le  deffier  de 
par  le  Roy  Clouis  son  maistre  :  et  de  le  sommer  à  luy  assi- 
gner iournee,  et  camp  de  bataille,  pour  vuider  ceste  querele. 
Quand  les  Princes  et  Barons,  conseilliers  du  Roy  de 
Bourgongne,   entendirent  le  deffy  et  sommation  du  Roy 
Clouis  de  France,  craingnans  la  fureur  et  puissance  des 
François,  qui  tous  les  iours  de  plus  en  plus  alloient  pros- 
pérant, ilz  dirent  à  leur  Roy  Gundebaud,  que  attendu  la 
grand  poursuite  du  Roy  des  François,  il  se  donnast  garde 
que  Clotilde  sa  nièce  neust  receu  secrètement  aucuns  pre- 
sens  dudit  Roy,  parquoy  elle  luy  eust  peu  faire  quelque 
promesse  de,  mariage.  Souz  lombre  de  laquelle,  si  ladite 
Clotilde  luy  estoit  refusée,  il  auroit  occasion  de  présenter 
la  bataille. 


SIKGVLARITBZ   DE  TROTS.    LIVRE  UI.  405 

Selon  les  choses  mises  en  termes,  les  trésors  du  Roy 
Gundebaud  et  de  ladite  Clotilde  furent  cherchez  et  visitez. 
Si  trouua  on  au  trésor  du  Roy  Gundebaud,  le  signet  (1)  du 
Roy  Clouis  de  France,  marqué  de  son  nom  et  de  sa  pour- 
traiture.  Lequel  signet  icelle  Clotilde  y  auoit  mis  comme 
dessus  est  dit.  Dont  quand  il  fut  recongnu,  lesdits  Barons 
et  conseilliers  louèrent  au  Roy  Gundebaud,  quil  enuoyast  sa 
nièce  au  Roy  Clouis,  à  fin  dauoir  paix  et  deuiter  guerre  : 
ce  quil  feit  assez  enuis  et  par  grand  desdain.  Aucuns  his- 
toriens tiennent  quelle  fut  rauie,  de  son  bon  gré  et  consen- 
tement, pendant  que  le  Roy  son  oncle  estoit  delà  les  monts  : 
et  fut  menée  à  Soissons,  où  les  noces  furent  célébrées 
solennellement. 


Des  deux  requestes  que  Clotilde  de  Bourgongne,  Royne  de  France, 
feit  premièrement  au  Roy  Clouis,  son  mary  :  et  de  leffect  dicelle 
quant  à  la  guerre,  contre  son  oncle  Gundebaud.  Et  de  la  mort  de 
Gundegisil,  son  autre  oncle,  qui  tint  le  party  des  François. 

Venu  le  iour  de  solenniser  les  noces,  après  toutes  bon- 
nes chères,  Clotilde  pleine  de  prudence  et  dastuce,  ains  que 
son  mary  la  touchast,  luy  feit  deux  requestes  expresses  : 
lune  quen  délaissant  la  culture  des  idoles  et  des  faux 
Dieux,  pleins  de  vanité,  il  creust  au  Dieu  seul  qui  créa  le 
ciel  et  la  terre,  le  père,  le  filz,  et  le  saint  esprit.  La  seconde 
requeste  fut,  que  ledit  Roy  vengeast  la  mort  de  son  père 
Chilperic,  et  de  sa  mère,  et  de  son  oncle  Gothmar,  et  de 
ses  petis  frères  et  neueux  occis  iniustement  et  outrageuse- 

(1)  c.-à-d.  Tanneau  qui,  au  moyen-âge  comme  chez  les  Romains, 
servait  à  sceller  les  affaires  courantes.  Cf.  Ducaoge,  v.  Signetum. 


404  ILLYSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

ment,  par  son  oncle  le  Roj  Gundebaud  de  Bourgogne.  Et 
que  ledit  Roy  Clouis  recouurast  le  Royaume  de  Bourgongne 
qui  par  droit  dheritage  appartenoit  à  elle.  Desquelles  deux 
requestes  le  Roy  Clouis  luy  ottroya  la  seconde,  mais  non 
pas  la  première. 

Certain  temps  après,  au  pourchas  dicelle  Royne  Clotilde, 
le  Roy  Clouis  enuoya  deuers  le  Roy  Gundebaud  le  dessus- 
nommé Aurelian  ambassadeur,  pour  demander  les  trésors 
et  biens  meubles,  bagues  et  loyaux  appartenans  à  la  Royne 
Clotilde,  à  cause  de  son  feu  père  le  Roy  Chilperic  et  de  sa 
mère  aussi.  Dont  le  Roy  Gundebaud,  enflambé  d'ire  et  de 
maltalent  oultre  mesure,  commença  à  vser  de  grands  me- 
nasses enuers  ledit  ambassadeur  :  mais  par  le  conseil  de  ses 
Barons,  lesquelz  esleuoient  iusques  aux  cieux  le  merueilleux 
courage  des  François,  ledit  Roy  Gundebaud  vaincu  de  leurs 
paroles,  deliura  audit  Aurelian  ambassadeur,  vne  bonne  par- 
tie desdits  trésors  pour  porter  au  Roy  Clouis  et  à  sa  femme. 
Et  par  ainsi  il  demoura  aucun  temps  en  paix. 

La  Royne  Clotilde,  enuieuse  et  dolente  de  ce  que  son  on- 
cle demouroit  si  long  temps  paisible  Roy  de  Bourgongne, 
pressa  tant  et  sollicita  son  mary  dentamer  la  guerre  ouuerte 
à  son  bel  oncle,  et  tant  luy  rameutent  sa  promesse  et  lap- 
pella  de  sa  foy,  que  Clouis  fut  contraint  dy  aller  à  grand 
puissance.  Laquelle  chose  voyant,  Gundebaud  rallia  auec 
luy  son  frère  Gundegisil  :  et  donnèrent  ensemble  la  bataille, 
auprès  de  Diion,  qui  nestoit  lors  quun  chasteau,  sur  la 
riuiere  nommée  Ostara,  (1)  là  où  les  Bourguignons  eurent 
du  pire  et  ne  peurent  supporter  le  fiEiix  des  François,  ains 
perdirent  la  iouruee  et  se  sauuerent  à  peine  iceux  deux 
Roys  à  la  fiiite. 

(l)  L'Ouchtl 


SINGVLARITEZ   DE   TROYR.    LIVRK   111.  405 

Gundebaud  se  retira  dedens  sa  cité  d'Anignon  sur  !e 
Rhône,  auquel  lieu  Clouis  lalla  assiéger  et  le  tint  illec  en 
merueilleuse  angoisse  et  nécessité,  iusques  à  ce  quun  Baron 
treslojal  dudit  Roy  Gondebaud  salla  rendre  par  feintise  au 
Roy  Clouis.  Et  eut  tant  de  crédit  et  dautorité  autour  de 
luy,  quil  trouua  finablement  manière  de  faire  lappointement, 
en  telle  sorte,  que  le  Royaume  de  Bourgongne  deuroit  estre 
deslors  en  auant,  subiet  et  tributaire  perpétuellement  aux 
François.  Et  que  la  plus  grand  partie  des  trésors  du  Roy 
Gundebaud  seroit  deliuree  au  Roy  Clouis.  Lesquelles  choses 
accordées,  chacun  sen  retourna  en  sa  chacune.  Puis  ledit 
Gundebaud  mourut,  après  auoir  régné  ans  (1)  :  et  laissa 
deux  filz,  cestasauoir,  Sigismund  et  Gondemar,  lesquelz 
succédèrent  au  Royaume  de  Bourgongne,  après  leur  père 
Gundebaud  et  Gundegisil,  leur  oncle,  qui  mourut  sans  hoirs 
de  son  corps. 

Cela  est  couché  selon  vne  vieille  chronique  que  iay  trouuee 
en  la  librairie  de  saint  Hierome  à  Dole.  Mais  Gaguin  met 
vne  autre  opinion  de  ladite  guerre  de  Clouis  et  de  Gunde- 
baud :  et  dit,  que  Gundegisil  fut  contre  son  frère  et  tint 
le  party  des  François  :  et  que  après  ce  que  le  Roy  Gunde- 
baud sen  fut  fuy  de  la  bataille  et  assiégé  par  Clouis,  il  fut 
prins  :  mais  il  fut  racheté  en  payant  grand  rençon,  car  il 
estoit  trespuissant  en  trésors.  Laquelle  chose  pourchassa 
et  moyenna  vn  tresriche  citoyen  d'Arles,  nommé  Aredes  : 
lequel  feit  au  Roy  Clouis  plusieurs  grans  presens  pour 
rauoir  son  Prince.  Par  ainsi  lappointement  fut  fait  entre 
les  deux  Roy  s,  moyennant  ce  que  le  Roy  Gundebaud  pro- 

(1)  même  lacune  en  éd.  1513,  1528  et  1533.  Il  s*agitda  roi  Gom- 
baad,  auteur  de  la  loi  Gomhetta,  et  mort  à  Genéye  en  516.  J.  Lemaire 
s'explique  plus  bas  au  sujet  de  cette  lacune. 


406  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

mit  au  Roy  Clouis  certain  tribut  par  an.  Apres  lequel  ac- 
cord le  Roy  Clouis  sen  retourna  en  France  :  mais  laissa  en 
Bourgongne  cinq -mille  hommes  de  guerre,  souz  la  charge 
et  conduite  de  Gundegisil,  frère  du  Roy  Gundebaud,  lequel 
se  tenoit  à  Vienne. 

Tantost  après  que  le  Roy  Clouis  fut  party  de  Bourgongne, 
Gundebaud,  bien  dolent  de  sa  perte  et  désirant  la  recou- 
urer,  mit  sus  vne  grosse  puissance  et  vint  assiéger  son 
frère  Gundegisil  et  les  François  qui  estoient  en  sa  cité  de 
Vienne.  Durant  lequel  siège,  Gundegisil  ietta  tous  les 
poures  mesnagers  dehors,  de  peur  destre  affamé  :  laquelle 
chose  fut  cause  de  sa  destruction.  Car  vn  maistre  masson 
qui  autresfois  auoit  eu  la  charge  des  conduits  des  eaues 
venans  par  artifice  à  Vienne,  indigné  et  marry  de  ce  quil 
auoit  esté  chassé  comme  les  autres,  se  tira  deuers  le  Roy 
Gundebaud  et  luy  monstra  le  secret  dentrer  en  la  cité  par 
vn  conduit  desdites  eaues,  dont  il  fut  le  tresbien  venu.  Et 
au  moyen  de  ce  Vienne  fut  prinse  par  les  Bourguignons.  Et 
iasoit  ce  quil  y  eust  grand  resistence  de  par  Gundegisil  et 
les  François,  et  grand  tuerie  dun  costé  et  dautre,  finable- 
ment  la  victoire  demeura  au  Roy  Gundebaud,  et  fut  Gun- 
degisil occis  en  la  foule.  Les  gensdarmes  François  qui  de- 
meurèrent en  vie,  furent  enuoyez  à  Tolouse,  au  Roy  Alaric 
des  Goths,  ennemy  de  Clouis,  Roy  de  France.  Mais  pource 
que  le  règne  desdits  quatre  frères,  Chilperic,  Gothmar, 
Gundebaud  et  Gundegisil,  fut  confuz  et  indistinct,  et  que 
le  temps  du  règne  dunchacun  diceux  nest  point  limité,  (1) 
nous  ne  les  conterons  que  pour  vn  en  ceste  généalogie  his- 
toriale  et  viendrons  à  leurs  successeurs. 


(1)  V.  la  note  précédente. 


SINGVLABITEZ   DE  TftOTB.    LIVBB   III.  407 

f>h  xiT9t5*f'>'T  107  '.rrr.Vi  r-h  rn-/ 

De  saint  Sigismuad,  trouieme  Roy  de  Bourgong^e  :  et  de  Oondemar, 
ou  Qondeual,  ion  frère.  Et  comment  la  Rojme  Clotilde  fut  cause  de 
leur  deffaite  :  et  de  Clodomir,  Roj  d'Orléans,  qui  feit  mourir  crueU 
lement  ledit  Sigismund,  Roy  de  Bourgongne. 

Sigismvnd  et  Gondemar,  enfans  du  Roy  Gundebaud, 
régnèrent  après  leurdit  père  et  leur  oncle  Gundegisil,  et 
vescurent  paisiblement  ensemble.  Or  auons  nous  dit  cy  des- 
sus comment  Sigismund,  auant  quil  fust  Roy  :  cestasauoir, 
du  viuant  de  Gundebaud,  son  père,  espousa  premièrement 
la  fille  du  Roy  Theodoric,  des  Ostrogoths,  qui  dominoit  en 
Italie  et  tenoit  son  siège  et  sa  court  Royale  à  Rauenne. 
De  laquelle  fille  du  Roy  Theodoric,  il  eut  vn  filz  nommé 
Sigeric  :  et  puis  sa  femme  mourut.  Parquoy  le  Roy  Sigis- 
mund de  Bourgongne  se  remaria  de  nouueau  à  vne  autre 
dame,  dont  ie  ne  scay  le  nom,  ne  de  quelle  maison  elle 
estoit.  Laquelle,  comme  marastres  bayent  naturellement 
les  enfans  des  premières  femmes  de  leurs  marys,  pourchassa 
tant  enuers  le  Roy  Sigismund,  quil  print  en  hayne  son  fîl« 
Sigeric  et  le  feit  mourir. 

Apres  que  le  Roy  Sigismund  de  Bourgongne  eut  perpé- 
tré cest  homicide  en  la  personne  de  son  propre  filz,  il  en 
print  yne  merueilleuse  desplaisance  :  et  en  feit  pénitence 
extrême  et  incroyable.  Et  à  fin  que  Dieu  luy  pardonnast 
son  péché,  il  print  sa  totale  deuotion  aux  saints  Maurice, 
Exuperius,  Candidus  et  Victor,  et  aux  autres  martyrs,  quon 
dit  la  légion  de  Thebes,  qui  recourent  mort  et  passion  par 
le  commandement  de  lempereur  Maximian,  au  lieu  quon 
dit  Agaunum,  maintenant  Chablais  en  Sauoye,  au  pied 
du  mont  Columnaiou,  quon  dit  maintenant  saint  Bernard. 
Si  leur  feit  faire  vne  église  somptueuse  :  et  la  renta  et 


lOS  ILLYSTRATIONS   DE   GAVLE,  ET 

doua  de  grans  biens,  et  feit  desseruir  par  religieux  de 
sainte  vie  et  bonne  conuersation  :  tellement  que  par  ce 
moyen,  il  obtint  remission  de  son  péché,  ainsi  que  tesmoi- 
gnent  les  grans  miracles,  que  Dieu  luy  ha  donné  grâce  de 
faire  après  sa  mort  :  si  comme  guérir  de  fièvres  et  autre- 
ment. Messire  Robert  Gaguin  qui  ha  escrit  les  histoires  de 
France,  dit  que  ce  ne  fut  pas  Sigismund,  qui  feit  faire  ledit 
monastère,  mais  son  frère  Simon.  Il  se  trompe  luy  mesmes  : 
comme  il  est  aucunesfois  négligent  en  son  histoire.  Et  cuide 
qpe  Sigismund  et  Simon  soient  deux  noms  diuers.  Tout 
fiinsi  qui  diroit,  que  Goderaar,  Gondemar  et  Gondeual, 
fussent  trois  noms  differens,  et  ce  nest  quun  prononcé 
diuersement  :  car  il  ne  se  treuue  point  que  le  Roy  Gunde- 
baud  eust  autres  enfans  que  ces  deux  cy  Sigismund  et  Gon- 
demar. 

Endementiers  que  le  Roy  Sigismund  mettoit  son  estude 
à  fonder  ladite  église  de  saint  Maurice  en  Chablais,  et 
autres  dont  on  dit  quil  édifia  grand  nombre,  Clotilde,  sa 
pousine,  Roy  de  France,  ne  peut  longuement  souffrir  sa 
prospérité.  Ains  après  la  mort  du  Roy  Clouis,  son  mary, 
elle  estant  à  Tours,  sen  vint  à  Paris,  là  où  elle  assembla 
ses  quatre  enfans,  cestasauoir,  Theodoric,  Roy  de  Metz  et 
fi'Austriche  la  basse  :  Clodomir,  Roy  d'Orléans  :  Clotaire, 
Roy  de  Soiffons  :  et  Childebert,  Roy  de  Paris.  Ausquelz 
elle  feit  vne  grand  plein  te  :  et  leur  remonstra  comment 
vne  bonne  partie  du  Royaume  de  Bourgongne  leur  appar- 
tenoit  par  droit  dheritage  ,  et  comment  Sigismund  et 
gondemar,  enfans  de  Gundebaud,  la  leur  retenoient  par 
vsurpation.  Car  ledit  Gundebaud,  son  oncle,  auoit  fait  mou- 
rir mauuaisement  et  tyranniquement  le  père  délie,  Chil- 
peric,  leur  ayeul  maternel,  et  sa  mère,  leur  ayeule,  et  ses 
frères,  leurs  oncles  :  et  vsurpé  la  despouille  et  Iheritage 


SINGVLARITEK   DE  TROTE.    LITRE   III.  409 

dicenx.  Lequel  elle  prioit  à  toute  instanoe  à  sesdits  enfans 
vouloir  recouurer,  comme  à  eux  appartenant  :  et  prendre 
vengeance  de  ce  grand  outrage,  sur  lesdits  Sigismund  et 
Gondemar  de  Boargongne. 

Ces  paroles  et  instigations  maternelles  enflamberent  ias 
cœurs  de  ces  quatre  ieunes  Princes,  Theodoric,  Clodomir, 
Olotaire  et  Ohildebert,  de  telle  sorte,  quilz  ne  penserait 
iamais  assez  à  temps  auoir  satisfait  à  la  voulenté  de  leur 
mère  :  ains  après  luy  auoir  fait  promesse  certaine  de  ce, 
mirent  sus  toutes  leurs  forces  et  puissances  de  guerre,  à 
tout  lesquelles  ilz  entrèrent  au  Royaume  de  Bourgongne  : 
et  alencontre  d'eux  vindrent  en  bataille  rengee,  le  Roy 
Sigismund  et  Gondemar,  son  frère.  Lestrif  fut  grand  dun 
costé  et  dautre,  et  la  bataille  sanglante  :  mais  en  parfin, 
les  Bourguignons  déclinèrent.  Gondemar,  qui  estoit  nauré, 
se  retira  premier,  auecques  ses  gens.  Sigismund  senfuyt 
en  leglise  de  saint  Maurice  en  Chablais  :  laquelle  il  auoit 
fondée  comme  dessus  est  dit.  Et  là  fut  il  prins  par  Clodo- 
mir, Roy  d'Orléans,  son  cousin  :  auec  sa  femme  et  ses 
enfans,  et  mené  prisonnier  en  la  cité  d'Orléans. 

Puis  (l)que  Clodomir,  Roy  d'Orléans,  eut  mené  prisonnier 
le  Roy  Sigismund  de  Bourgongne,  sa  femme  et  ses  enfens  à 
Orléans,  il  les  tint  assez  estroitement,  et  aucunesfois  déli- 
béra de  les  faire  mourir.  A  quoy  vn  saint  Abbé  d'Orléans 
nommé  Auitus,  qui  lors  flourissoit  en  bruit  de  sainteté, 
cuida  bien  contrester  :  priant  et  enhortant  le  Roy  Clodo- 
mir, quil  ne  le  feist  pas,  et  disant,  que  sil  comraettoit  ce 
criminel  outrage,  mal  luy  en  prendroit  auant  long  temps. 
Mais  au  pourchas  de  la  Royne  Clotilde,  mère  dudit  Clodo- 
mir,. qui  desiroit  la  totale  destruction  de  son  sang,  le  bon 

(1)  c.-à-4.  après  que. 


410  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,   ET 

saint  Abbé  ne  fut  point  ouy  :  ains  furent  tuez  et  meurtris 
piteusement  ledit  Roy  Sigismund,  la  Royne,  sa  femme,  et 
leurs  enfans,  et  iettez  dedens  vn  puits,  au  lieu  qui  se  dit 
Coulonnanic  :  dont  il  aduint  que  lannee  ensuiuant,  selon  ce 
que  le  bon  Abbé  saint  Auit  auoit  prophétisé,  ledit  Clodo- 
mir,  Roy  d'Orléans,  et  ses  enfans,  moururent  mescham- 
ment  :  comme  sera  dit  cy  après.  Certain  temps  après  leur 
mort,  leurs  corps  furent  portez  d'Orléans  à  saint  Maurice 
en  Chablais,  par  ledit  saint  Abbé,  nommé  Auitus,  et  ense- 
uelis  honnorablement.  Là  où  iusques  auiourdhuy  ledit  Roy 
Sigismund  est  réputé  saint,  pour  les  miracles  que  Dieu 
monstre  à  son  intercession. 


De  Gondemar,  quatrième  Roy  de  Bourgongne  et  dernier  de  la  lignée 
des  Goths,  et  comment  au  poorchas  de  la  Rojne  Clotilde,  sa  cou- 
sine, il  fut  totalement  destruit  :  et  le  Royaume  de  Bourgongne 
■vint  en  la  main  des  François.  Et  de  la  mort  du  Roy  Clodomir  d'Or- 
léans. 


Encores  ne  suflSt  il  pas  à  la  Royne  Clotilde,  appetant 
vengeance  oultremesure  :  ne  elle  ne  fut  saoule  du  meschef 
pitoyable  du  Roy  Sigismund,  de  sa  femme  et  de  ses  enfans, 
si  elle  ne  voyoit  parfaire  la  totale  destruction  de  son  sang. 
Si  instiga  derechef  son  filz  Clodomir,  Roy  d'Orléans,  da- 
cheuer  la  reste  contre  Gondomar,  Roy  de  Bourgongne,  qui 
maintenoit  ladite  Royne,  après  son  frère  Sigismund.  Par 
ainsi  Clodomir  à  linstance  de  sa  mère,  assembla  la  plus 
grosse  armée  quil  peut,  et  à  tout  icelle  entra  au  Royaume 
de  Bourgongne.  Si  luy  vint  au  deuant  le  Roy  Gondemar, 
auec  si  grand  puissance,  quil  peut  finir  de  ses  vassaux  :  et 
sassemblerent  au  territoire  de  Viennois,  en  vn  lieu  qui  est 


SINGVLARITEZ    DE  TROTB.    LIVRB  tll.  411 

appelle  Visoront.  La  bataille  fut  aspre  et  cruelle.  Mais 
quand  les  Bourguignons  ne  peurent  soustenir  le  faix  des 
François,  ilz  tournèrent  en  fuite  auec  leur  Roy  Gondemar. 
Lequel  fut  suiuy  par  Clodomir,  Roy  d'Orléans,  par  si  grand 
roideur  et  aspresse,  quil  seslongna  assez  de  ses  gens  :  et 
pressa  si  fort  Gondemar,  Roy  de  Bourgongne,  quil  le  ratain- 
gnit  à  la  fuite,  en  le  menassant  par  derrière  de  grosses 
paroles,  et  le  pbursuiuant  par  grand  orgueil  et  vantise. 
Alors  le  Roy  Gondemar  de  Bourgongne  retournant  sur  luy 
par  grand  fureur  et  indignation,  coucha  sa  lance  et  abbatit 
ledit  Clodomir  ius  de  son  cheual ,  tellement  quil  demeura 
là  :  et  Gondemar  retournant  à  sa  course,  se  retira  dedens 
sa  cité  d'Authun. 

Les  nouuelles  esparses  de  la  mort  de  Clodomir,  Roy  d'Or- 
léans, Clotilde  ne  dormit  pas  :  ains  resueilla  ses  deux  filz 
Clotaire,  Roy  de  Soissons,  et  Childebert,  Roy  de  Paris,  à 
venger  la  mort  de  leur  frère  Clodomir,  Roy  d'Orléans,  Les- 
quelz  obteraperans  à  la  voulenté  de  leur  mère,  vindrent 
assiéger  la  cité  d'Authun,  en  laquelle  sestoit  fortifié  Gon- 
demar, Roy  de  Bourgongne.  Si  la  prindrent  par  force  et 
tuèrent  ledit  Roy  Gondemar  :  toutesuoyes  Gaguin  es  chro- 
niques de  France,  met  quil  eschappa,  et  les  François  emme- 
nèrent sa  femme  prisonnière. 

Par  ainsi  faillit  en  cestuy  Gondemar  la  lignée  masculine 
du  sang  des  Goths,  dont  Gundengus,  premier  Roy  des  Bour- 
guignons, estoit  yssu.  Et  ne  demoura  dudit  lignage,  sinon 
Clotilde,  Royne  de  France,  fille  de  Chilperic,  Roy  de  Bour- 
gongne :  a  la  poursuite  de  laquelle  femme  trop  vindicatiue, 
tout  le  dessus  narré  aduint.  Mais  de  tant  fut  heureux  le 
trespreux  Roy  Gondemar,  que  auant  sa  mort  il  se  vengea 
de  son  ennemy  mortel  et  raauuais  cousin  le  Roy  Clodomir 
d'Orléans,  interfecteur  et  meurtrier  de  saint  Sigismund,  son 


412  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

frère.  Et  ne  iouyt  pas  iceluy  Clodomir  de  sa  conqueste 
vsurpatiue  du  Royaume  de  Bourgongne,  ne  nul  de  ses 
enfans  après  luy,  comme  Ihistoire  dira  tantost. 


Comment  Theodoric,  Clotaire  et  Childebert,  enfans  dn  Roy  Clouis 
de  France  et  de  Clotilde  de  Bourgongne,  tindrent  ensemble  le 
Royaume  de  Bourgongne  :  et  de  la  mort  des  enfans  de  Clodomir, 
Roy  d'Orléans  :  et  aussi  dudit  Childebert,  Roy  de  Paris. 


Apres  la  mort  de  Clodomir,  Roy  d'Orléans,  et  de  Gonde- 
mar,  Roy  de  Bourgongne,  Clotaire,  Roy  de  Soissons,  et 
Childebert,  Roy  de  Paris,  diuiserent  entre  eux  le  Royaume 
de  Bourgongne  :  mais  ce  ne  fut  pas  sans  Theodoric,  leur 
frère  aisné,  Roy  de  Metz  et  d'Austriche  la  basse  :  lequel 
tant  à  cause  de  sa  primogeniture,  comme  pource  quil  auoit 
esté  chef  à  la  première  victoire  contre  Sigismund  et  Gon- 
demar,  eut  la  meilleur  part  dudit  Royaume  de  Bourgongne. 
Or  auoit  la  Royne  Clotilde  retiré  les  trois  enfans  de  son 
filz,  le  Roy  Clodomir  d'Orléans,  et  les  nourrissoit  en  son 
hostel,  dont  Childebert  et  Clodomir,  mal  contens,  crain- 
gnans  quelle  ne  les  gardast  pour  les  auancer  au  Royaume 
de  Bourgongne  et  d'Orléans,  les  feirent  venir  vers  eux, 
souz  couleur  de  beniuolence.  Et  quand  ilz  les  eurent,  Clo- 
taire en  tua  deux  de  sa  main  :  cestasauoir,  Gunthier  et 
Theodoald.  Le  tiers  nommé  Clodoal  eschappa  et  senfuyt 
en  franchise,  là  où  il  deuint  moyne,  de  toutes  lesquelles 
choses  la  Royne  Clotilde  eut  grand  regret.  Mais  elle  en 
auoit  donné  les  principes  et  fondemens. 

Ainsi  feirent  partage  ledit  Childebert  et  Clotaire  par 
ensemble,  des  despouilles  et  de  Iheritage  de  leur  frère  Clo- 
domir. Mais  en  parfin  (comme  cest  de  coustume  entre  gens 


SINGVLARITEZ   DE   TROTS.    LIVRE   III.  413 

de  mauuais  affaire)  sourdirent  plusieurs  guerres  et  dissen- 
sions entre  eux  :  parquoy  Cranus,  lun  des  ûh  de  Clotaire, 
rebella  contre  son  père  :  et  tint  le  party  de  son  oncle  Chil- 
debert.  et  luy  feirent  ensemble  forte  guerre.  Pareillement 
Theodebert,  son  neueu,  Roy  de  Metz,  fut  contraire  à  son 
oncle  Clotaire,  pour  la  querele  de  Childebert,  son  autre 
oncle.  Apres  toutes  lesquelles  choses  ledit  Childebert,  Roy  de 
Paris  et  personnier  (1)  au  Royaume  de  Bourgongne  et  d'Or- 
léans, mourut  lan  quaranteneuuiemo  de  son  règne  :  qui  fut 
lan  de  nostre  Seigneur  cinq  cens  cinquante  neuf.  Et  pource 
quil  ne  laissa  nulz  hoirs  de  son  corps,  le  Royaume  de  Paris 
et  ses  autres  seigneuries  paruindrent  à  Clotaire,  Roy  de 
Soissons  (selon  ce  que  met  Gaguin),  dont  il  print  grand 
accroissement.  Toutesuoyes  iay  trouué  ailleurs,  quil  adopta 
en  filz  son  neueu  Theodebert.  Mais  comment  quil  en  soit, 
tout  reuint  après  audit  Clotaire,  comme  sera  dit  cy  après, 
le  treuue  que  ledit  Childebert  alla  faire  la  guerre  au 
Royaume  d'Aragon,  et  à  son  retour,  fonda  vne  abbaye  à 
Paris  au  nom  de  saint  Vincent  :  en  laquelle  il  fut  ense- 
uely.  Par  ainsi  ne  demourerent  que  deux  regnans  en  la 
Bourgongne,  combien  quilz  fussent  vsurpateurs  dicelle  : 
cestasauoir,  Theodoric,  Roy  de  Metz  et  d'Austriche  la 
basse  :  et  Clotaire,  Roy  de  Soissons,  d'Orléans  et  de  Paris  : 
mais  pource  que  Theodoric  estoit  le  chef  et  laisné,  nous 
continuerons  la  généalogie  desdits  Roy  de  Bourgongne,  par 
iceluy  Theodoric  et  les  siens. 


(1)  parsonnier  (éd.  1513),  c.-à-d.  ayant  f&ri,  parctnnariMS. 


414  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 


De  Tbeodoric,  cinquième  Roy  de  Bourgongne  et  aussi  d'Austriche  la 
basse  et  de  Thuringe,  et  de  ses  gestes. 

Theodoric  premier  de  ce  nom,  filz  aisné  du  Roy  Clouis 
de  France  et  de  la  Royne  Clotilde  de  Bourgongne,  régna 
en  chef  et  eut  le  tiltre  du  Royaume  de  Bourgongne,  comme 
il  appert  clerement  par  les  gestes  que  luy  et  son  deuxième 
successeur  feirent  en  Italie  :  ce  quilz  neussent  peu  faire, 
sans  auoir  le  Royaume  de  Bourgongne.  Iceluy  Theodoric 
fut  Prince  fort  guerroyeur  :  et  vainquit  auec  ses  frères  en 
bataille  rengee,  ses  deux  cousins  Sigismund  et  Gondemar, 
Roys  de  Bourgongne,  à  la  première  conqueste,  comme  des- 
sus est  dit.  Toutesuoyes,  ie  ne  treuue  point  quil  fust  à  la 
seconde,  occupé  parauenture  en  autres  affaires  :  car  il  feit 
la  guerre  au  Roy  de  Thuringe,  en  Allemaigne,  et  le  vain- 
quit :  si  subiuga  son  Royaume.  Dautre  part,  il  entra  en 
Italie',  à  tout  quatre  vingts  mille  hommes,  et  rompit  du 
premier  coup  les  Romains  :  desquelz  estoit  Duc  Bellisarius, 
pour  lempereur  lustinian.  Si  conquit  toute  la  région  de 
deçà  la  riuiere  du  Po.  Puis  sen  retourna  par  faute  de 
viures.  Neantmoins  il  y  laissa  deux  capitaines,  lun  nommé 
Buccellin  (1)  et  lautre  Amyng  :  lesquelz  depuis  furent  vain- 
cuz  et  surmontez  par  Narses,  Consul  et  chef  de  larmee 
Romaine  :  comme  sera  dit  cy  après,  quand  nous  parlerons 
du  règne  de  Theobald,  son  neueu.  Puis  encores  derechef 
ledit  Theodoric,  Roy  de  Metz  et  de  Bourgongne,  enuoya  dix 
mille  Bourguignons  en  Italie,  à  layde  de  son  beaufrere 
Theodoric,  Roy  des  Ostrogoths,  lequel  menoit  la  guerre  en 
Italie.  Aussi  ledit  Theodoric,  Roy  de  Bourgongne  et  d'Aus- 

(l)  Bucelliniéd.  1513). 


81NGVLAR1TKZ   DE  TROTS.   LITRE  Ul.  415 

triche  la  basse,  eut  aucunes  guerres  et  différents  contre  son 
frère  Clotaire,  Roy  de  Soissons,  dont  les  histoires  de  France 
font  ample  mention,  pourquoy  ie  men  déporte.  Finablement 
il  fut  tué,  ie  ne  scay  comment,  après  auoir  régné  vingttrois 
ans  :  et  laissa  vn  Qlz  nommé  Theodebert. 

D«  Theodebert,  sixième  Roy  de  Bourgoagae  et  d'Auatriche  U  basse, 
qui  aacunesfois  ha  esté  nommée  France  Orientale. 

Theodebert,  filz  de  Theodoric,  Roy  de  Bourgongne,  d'Aus- 
triche  la  basse  et  de  Thuringe,  fut  Prince  de  grand  prou- 
esse en  armes  :  car  luy  ioint  auec  Childebert  et  Clotaire, 
ses  oncles,  eslargirent  leurs  dominations  iusques  en  Ba- 
uiere  et  Austriche  la  haute  :  et  feirent  parensemble  la 
guerre  aux  Lombars  et  aux  Gepides,  Depuis  ledit  Theode- 
bert se  benda  auec  son  oncle  Childebert,  Roy  de  Paris, 
contre  son  autre  oncle  Clotaire,  Roy  de  Soissons.  Et  fut  la 
bataille  preste  à  donner,  au  lieu  de  Combre,  au  territoire 
d'Orléans  :  mais  il  sesleua  miraculeusement  vne  si  horrible 
tempeste  de  fouldre,  de  tonnoire  et  de  pluye,  quilz  furent 
contraints  de  non  batailler.  Et  y  fut  moyenne  certain  ap- 
pointement.  Toutesuoyes  au  commencement  du  règne  dudit 
Theodebert,  ses  oncles  Childebert  et  Clotaire  eurent  enuie 
sur  luy  et  le  cuiderent  circonuenir  et  faire  aucun  mauuais 
tour  :  mais  il  les  sceut  bien  gaigner,  par  prudence  et  cour- 
toisie, et  par  le  moyen  et  seruice  de  Charles  Hasbain,  Duc 
de  Tongres  et  de  Brabant  :  comme  sera  dit  au  traicté  subsé- 
quent. Joint  à  ce,  quilz  craingnoient  sa  puissance,  parquoy 
il  demoura  en  son  entier  :  et  régna  pacifiquement  seul  en 
Austriche  la  basse  et  en  Thuringe,  et  auecques  eux  en 
Bourgongne,  dont  il  estoit  chef.  Mais  non  pas  longuement, 
à  ce  que  puis  comprendre  .  car  il  mourut,  enuiron  le  temps 


416  ILLTSTRATIONS   DE    GAYLE,   ET 

que  la  Royne  Clotilde,  sa  grand  mère,  trespassa  à  Tours. 
II  laissa  vn  filz  son  héritier  nommé  Theobald.  Et  ne  treuuô 
point  quil  feist  aucun  passage  en  Itsdie,  comme  feirent  son- 
dit  père  Theodoric  et  son  filz  Theobald.  Parquoy  il  fait  à 
présupposer,  quil  ne  régna  gueres  de  temps,  ou  fut  empes- 
ché  ailleurs. 

De  Theobald,  septième  Roy  de  Bourgongne,  et  de  ses  gestes  en  Italie. 

Apres  le  roy  Theodebert,  régna  son  filz  Theobald  :  cesta- 
sauoir  en  Austriche  la  basse,  seul  et  pour  le  tout  :  et  en  Bour- 
gongne comme  chef,  auec  Childebert  et  Clotaire,  ses  grans 
oncles.  Blondus  Flauius,  (1)  tresnoble  historien,  met  en  son 
cinquième  liure  de  linclination  de  Lempire  Romain,  que 
ledit  Theobald,  lequel  il  appelle  Roy  de  Metz,  enuoya  en 
Italie  vn  nombre  de  gens  de  guerre  Bourguignons  et  Fran- 
çois, souz  la  conduite  de  trois  capitaines,  dont  le  premier 
se  nommoit  Buccellin,  lautre  Amyng,  desia  cy  dessus  men- 
tionnez, et  que  son  ayeul  Theodoric  y  auoit  enuoyez,  et  le 
tiers  auoit  nom  Lohier  :  voire  et  ledit  Roy  Theobald  y  alla 
en  personne,  et  passa  son  armée  par  le  mont  Xenin,  (2) 
qui  est  auprès  du  mont  saint  Bernard  :  et  descendit  en  la 
val  d'Oste,  iusques  en  la  plaine  de  Plaisance. 

En  ce  temps  là,  Theyas,  (3)  Roy  des  Goths,  faisoit  la 
guerre  aux  Romains  et  eux  à  luy.  Si  cuyda  bien  que  lesdits 
Bourguignons  et  François  fussent  venuz  à  son  secours,  mais 
il  fut  deceu  :  car  quand  ce  vint  à  donner  la  bataille  entre  les 

(1)  Biondo  (1388  f  1463),  auteur  de  Roma  instaurata,  Roma  triuW' 
phans,  et  Italia  illustrata. 

(2)  c.-à-d.  le  Mont  Cenis. 

(3)  Yraias  (4d.  1513).  C'est  Teia,  roi  des  Ostrogoths,  mort  en 
553.  Plus  bas,  l'éd.  1513  porte  Thtias. 


SnfGYLABITEZ   DR   TROTE.    LITRE  in.  447 

deux  parties  :  cestasauoir,  les  Goths  et  les  Romains,  iceux 
Bourguignons  et  François  qui  estoient  neutres,  ne  tindrent 
ne  pour  lan  ne  pour  lautre  :  mais  se  rongèrent  contre  toutes 
les  deux  armées  et  defiSrent  lune  et  lautre.  Laquelle  vic- 
toire obtenue,  Theobald,  Roy  de  Boufgongne  et  d'Austriche 
la  basse  :  qui  autresfois  sest  nommée  France  Orientale,  sen 
reuint  deçà  les  monts.  Neantmoins  il  laissa  pour  ses  lieute- 
nans  en  Italie,  cestasauoir  au  quartier  des  montaignes  de 
Gennes,  les  trois  capitaines  dessus  mentionnez  :  Buccellin, 
Amyng  et  Lohier,  auec  lesquelz  Theyas,  Roy  des  Goths,  feit 
alliance  contre  les  Romains.  Parquoy  lesdits  Bourguignons 
et  François  descendirent  en  la  plaine  de  Parme,  pour  secou- 
rir ledit  Roy  Theyas. 

Lesquelles  choses  entendant  Narses  le  Chastré,  chef  de 
larmee  de  Lempereur  lustinian,  eust  esté  en  grand  soucy  et 
desespoir,  si  ne  fust  que  Sisulad,  (1)  Roy  des  Erules,  com- 
paignons  des  Lombards,  feit  alliance  auecques  ledit  Narses 
et  vint  courir  tout  le  pais  de  Turin  et  d'Iuorie  estant  des 
appendences  du  Royaume  de  Bourgongne  :  dont  les  habi- 
tans,  qui  de  ce  ne  se  doutoient,  furent  surprins  et  circon- 
uenuz  :  mais  contre  Jedit  Roy  Sisulad  fut  enuoyee  vue 
bende  de  François  et  de  Bourguignons.  Ce  nonobstant  le 
Roy  Sisulad  print  luorie  et  assiégea  Turin  :  iasoit  ce  quil 
nelapeust  prendre.  Les  François  et  Bourguignons  ne  feirent 
autre  chose  que  piller  :  tant  sur  amis,  comme  sur  ennemis. 
Et  feirent  appointement  auecques  ledit  Roy  Sisulad  et  bu- 
tinèrent entre  eux  toute  la  région  oultre  la  riuiere  du  Po. 
Et  se  ioingnirent  aussi  auecques  les  Goths,  qui  depuis  fu- 
rent defiaits  par  les  Romains  enuiron  Lucque  :  et  y  mou- 
rut Theyas,  Roy  des  Goths,  et  bien  cent  mille  hommes  auec 
luy. 

(I)  SysulaU  (éd.  1513). 
II.  ffl 


418  ILLVSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

Lohier  et  Amyng,  capitaines  des  François  et  des  Bour- 
guignons pour  le  Roy  Theobald,  se  saunèrent  à  la  fuite 
et  sen  vindrent  retirer  à  Plaisance  :  mais  la  reste  de  larmee 
desdits  Bourguignons  et  François,  lesquelz  auoient  esté 
vaincuz,  establirent  sur  eux  vn  autre  chef  et  Duc,  nommé 
Hunnides,  de  la  nation  des  Ostrogoths  :  auec  lequel  ilz  se 
cuiderent  retirer  dedens  Vérone,  mais  ilz  en  furent  forclus 
par  vn  autre  Ostrogoth,  nommé  Hercus,  qui  auoit  ladite 
ville  en  garde.  Par  ainsi  Hunnides  pensant  se  retirer  à 
Plaisance,  fut  prins  en  chemin  :  et  enuoyé  à  Narses  le 
Chastré,  chef  de  larmee  de  lempereur  lustinian  :  Amyng, 
lun  des  capitaines  des  François  et  Bourguignons,  fut  tué  : 
lautre  capitaine  nommé  Lohier,  attaint  dune  fleure,  mourut 
à  Trente. 

A  cause  desquelles  choses,  la  guerre  des  Romains  contre 
les  Goths  fut  du  tout  finee  et  anichilee.  Et  consequemment 
Theobald,  Roy  dfe  Bourgongne,  perdit  tout  ce  quil  auoit  en 
Italie,  et  mourut  puis  après  dune  fleure,  le  septième  an  de 
son  règne,  sans  hoir  de  son  corps.  Toutesuoyes  Blondus 
Flauius  dit  quil  fut  tué  en  bataille  contre  Chilperic,  son 
oncle  :  ce  qui  ne  renient  pas  en  taille.  Et  pource  que  ledit 
Theobald  ne  laissa  nulz  hoirs  de  son  corps,  son  grand  oncle 
Clotaire  hérita  de  tous  ses  Royaumes,  seigneuries  et  trésors. 
Auquel  Clotaire  il  nous  faut  maintenant  tourner  nostre 
plume. 


De  Clotaire  premier  de  ce  nom,  huitième  Roy  de  Bourgongne,  de 
France  et  d'Austriche  la  basse  :  lequel  espousa  la  femme  de  son 
frère  Clodomir,  Roy  d'Orléans. 

Clotaire,  filz  du  roy  Clouis  de  France  et  de  la  royne 
Clotilde  de  Bourgongne,  lequel  nestoit  premièrement  que 


SDfGVLARITBZ  DB  TROTB.    LIVRB   III.  419 

roy  de  Soîssons,  suruescut  tous  ses  frères  et  neueux,  et 
eut  toutes  leurs  successions.  Nonobstant  quil  eust  eu  main- 
tes guerres  contre  eux,  comme  dessus  est  dit,  dont  il  fut 
merueilleusement  augmenté  en  tenement  de  seigneuries. 
Toutesuoyes  il  fut  cruel  homme  et  luxurieux  :  comme  celuy 
qui  tua  ses  deux  petis  neueux  Gunthier  et  Theodoald  de  sa 
propre  main,  et  espousa  leur  mère  nommée  Gundenga, 
femme  de  son  frère  Clodomir  :  mais  ce  nestoit  pas  de  mer- 
ueilles,  (1)  car  il  sentoit  encores  sa  Payennie  et  estoit  Chres- 
tien  de  trop  fresche  mémoire.  Il  pourpensa  aussi  dattribuer 
à  luy  la  tierce  partie  de  tout  le  reuenu  des  églises  :  mais 
il  en  fut  gardé  par  larcheuesque  de  Tours,  qui  luy  remon- 
stra  franchement,  quil  ne  le  deuoit  pas  faire.  Il  feit  bouter 
le  feu  dedens  vne  chapelle  de  S.  Martin,  en  laquelle  sestoit 
retiré  en  franchise  Conobaldus,  roy  d'Aquitaine,  auquel 
ledit  Clotaire  faisoit  la  guerre,  pource  quil  auoit  donné 
faueur  à  son  filz  Crannus  rebellant  contre  luy  :  et  fut  bruslé 
ledit  roy  Conobald  dedens  ladite  chapelle  de  S.  Martin,  la- 
quelle le  roy  Clotaire  feit  depuis  reedifier.  Sondit  filz  Cran- 
nus  aydé  et  fauorisé  de  Senabutus,  Conte  de  Bretaigne,  osa 
bien  donner  la  bataille  à  son  père  le  roy  Clotaire  :  mais  il 
y  fut  vaincu  et  prins  auec  sa  femme  et  ses  deux  enfans, 
lesquelz  Clotaire  commanda  estre  liez  à  vn  banc,  par  le 
bourreau,  et  bruslez  tous  vifz  en  sa  présence.  Il  eut  autres 
six  enfans  masles  et  sept  femelles,  de  trois  femmes  ;  cesta- 
sauoir,  Aragunde,  lugunde  et  Consone  :  dont  les  deux 
premières  estoient  sœurs.  Radegunde,  fille  de  Berenger,  (2) 
Roy  de  Thuringe,  laquelle  estoit  prisonnière,  fut  la  qua- 
trième. Mais  il  la  laissa  vierge  à  sa  requeste  :  et  elle  entra 

(1)  c.-à-d.  pas  étonaaot. 

(2)  Barangûr{éd.  1513). 


420  ILLYSTHATIONS   DE   GAVLE,    ET 

en  religion  et  y  vescut  de  telle  sorte,  quelle  est  réputée 
sainte  en  Paradis.  Ledit  roy  Clotaire  affranchit  la  seigneu- 
rie dluetot,  (1)  en  Normandie,  tellement  que  le  seigneur 
dicelle  se  nomme  Roy  iusques  auiourdhuy.  Et  la  cause  fut 
pour  la  réparation  de  la  mort  dun  seigneur  d'Iuetot,  lequel 
le  roy  Clotaire  auoit  tué  de  sa  main,  vn  iour  du  grand 
vendredy.  Dont  le  Pape  Agapetus,  pour  lors  séant  à  Rom- 
me,  menassa  ledit  Roy  de  lexcommunier,  sil  nen  faisoit 
pénitence  et  satisfaction.  Ce  quil  feit  :  et  fut  fait  ledit  acte, 
lan  cinq  cens  trentesix.  Ledit  roy  Clotaire  commença  la 
fondation  de  leglise  de  S.  Medard  de  Soissons,  en  laquelle 
il  fut  enseuely  par  ses  enfans,  après  auoir  régné  cinquante 
et  vn  an.  Il  laissa  quatre  filz  ses  héritiers  :  cestasauoir, 
Chilperic,  Haribert,  Guntran  et  Sigibert,  lesquelz  parti- 
rent entre  eux  Iheritagede  leur  père.  Haribert,  pource  quil 
estoit  laisné,  fut  roy  de  Paris  :  Sigibert,  roy  de  Metz  et 
d'Austriche  la  basse  :  Chilperic,  roy  de  Soissons  :  et  Gun- 
tran, roy  de  Bourgongne  et  d'Orléans  :  duquel  est  descen- 
due la  tresnoble  et  tresillustre  maison  des  Contes  de  Has- 
bourg  :  depuis  alliée  à  celle  d'Austriche  la  basse  et  la 
haute.  De  laquelle  est  auiourdhuy  chef  et  souuerain,  la 
tressacree  maiesté  Impériale,  de  Maximilian  Cesarauguste, 
roy  de  Germanie.  Des  sept  filles  dudit  roy  Clotaire,  ie  ne 
treuue  point  par  histoire,  à  quelz  Princes  elles  furent 
alliées  par  mariage  :  sinon  de  deux  tant  seulement.  Dont 
lune,  de  laquelle  le  nom  nest  point  exprimé,  fiit  mariée  à 
Egilbert,  roy  d'Angleterre,  et  luy  donna  premièrement  la 
congnoissance  de  nostre  sainte  Foy  catholique  :  selon  les 
chroniques  d'Angleterre.  Lautre,  et  la  plus  ieune  de  toutes, 

(1)  D'après  la  légende  racontée  par   Oaguin  {Compendium  supra 
Francorum  gesta). 


8IN6VLAB1TEZ  DE  TROYB.    LIVR£  III.  4lii 

fut  mariée  à  vn  noble  Prince  de  la  court  de  lempereur  lua- 
tinian,  nommé  Anselbert,  Sénateur  de  Romme  et  Marquis 
du  saint  Empire  sur  Lescault  :  de  laquelle  Blitilde  descen- 
dit la  tresnoble  génération  des  Pépins  et  des  Charles,  des- 
quelz  prend  son  illustration  principale  ceste  présente  généa- 
logie historiale,  comme  il  sera  dit  bien  clerement  au  traicté 
subséquent.  Et  pource  feray  pause  à  cestuy  cy. 


CONCLVSION   DE   CE   SECOND   TRAICTE. 


Par  la  déduction  de  ce  deuxième  Traicté  ha  esté  veu, 
comment  le  tresnoble  sang  des  premiers  Roys  de  Bourgon- 
gne  fut  conioint  auec  celuy  de  France,  es  personnes  de 
Clouis  et  de  Clotilde  :  et  sommes  venus  iusques  à  Blitilde 
participant  desdits  deux  lignages.  Si  reste  de  monstrer  au 
Traicté  ensuiuant,  comment  le  sang  Romain  et  la  généalo- 
gie d'Austriche  la  basse  furent  meslez  auec  celles  de  France 
et  de  Bourgongne. 


422  ILLVSTRATIONS  DE   GàVLE,    ET 


LE  TROISIEME  TRAICTÉ  DU  LIURE  INTITULÉ  LA 

GENEALOGIE  HISTORIALE  DE  LEMPEREUR 

CHARLES  LE  GRAND. 


Or  avons  nons  tant  proufité  la  Dieu  grâce,  que  assez 
ample  congnoissance  nous  est  apparue  de  lancienne  ampli- 
tude des  Royaumes  de  Bourgongne  et  d'Austriche  la  basse, 
quon  disoit  iadis  France  orientale,  et  de  leurs  estendues  et 
limites  :  et  aussi  de  la  France  Occidentale,  qui  est  Gaule, 
et  des  Princes  qui  y  régnèrent  iusques  au  temps  du  Roy  Clo- 
taire,  premier  de  ce  nom.  Auec  la  tresantique  origine  et  les 
gestes  desdits  Princes,  tous  yssuz  du  sang  Germanique.  Par- 
quoy  maintenant  nous  entrerons  en  plus  clere  intelligence 
de  la  Généalogie  historiale  de  Lempereur  Charles  le  grand  : 
spécialement  du  tresnoble  et  tresgracieux  nom  des  Charles. 

Toute  lintention  de  ce  troisième  Traicté  nest  que  de 
monstrer,  comment  la  tresparfonde  illustrité  de  tous  les 
nobles  lignages  dessusdits,  du  sang  des  francs  Orientaux  et 
Occidentaux,  des  Bourguignons  et  des  Austrasiens,  ou  Aus- 
trichois,  eurent  tous  ensemble  concurrence  en  la  généalogie 
du  treschrestien  Empereur  César  auguste  (1)  Charles,  le 
grand  monarque,  Roy  de  France,  d'Austriche  la  basse  et  de 

(1)  sans  majuscule  comme  dans  Téd.  1513. 


SUfGTLARITBZ  DE   TROTB.    LITBB  III.  Â'XS 

Bourgongne,  et  de  luy  est  deriuee  et  précédée  ladite  no- 
blesse, comme  dune  grand  sourse  et  fontaine  à  sa  postérité. 
Maintenant  nous  faut  il  reuenir  à  la  généalogie  des  Cim- 
bres,  laquelle  en  la  fin  du  premier  Traicté  fut  terminée  au 
Duc  Austrasius  :  lequel  donna  le  nom  au  Royaume  d'Aus- 
triche  la  basse  :  combien  quil  nen  fust  pas  seigneur  du  tout, 
mais  en  partie  :  et  de  la  reste  gouuemeur  pour  les  Roys 
Childeric  et  Clouis.  Parquoy  appert,  que  tant  estoit  il 
preudhomme,  que  ladite  prouince  ne  print  point  le  nom 
daucun  de  ses  propres  Roys,  mais  dun  Prince  vassal  et 
subalterne,  ayant  administration  de  son  gouuernement, 
laquelle  louenge  nest  pas  petite  ne  taisable  :  car  pourquoy 
ne  se  pouuoit  elle  aussi  bien  dire  Childerique,  ou  Clodouee, 
comme  Austrasie,  ou  Austriche  la  basse,  à  la  différence 
d'Austriche  la  haute,  qui  est  voisine  de  Pannonie  :  quon 
dit  maintenant  Hongrie  ? 


De  Charles  quatrième  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  surnommé 
Nasouy  Duc  de  Tongres,  de  Brabant  et  de  Thuringe,  et  filz  da  Duc 
Austrasius,  qui  donna  le  nom  au  Royaume  d'Aastriche  la  basse  : 
comme  dessus  est  dit. 


Charles  Nason  succéda  en  la  Duché  de  Tongres  et  de 
Brabant,  après  son  père  le  Duc  Austrasius.  Et  comme  il 
fust  de  lancienne  extraction  des  Roys  de  Thuringe,  ainsi 
quil  est  assez  expliqué  au  premier  traicté,  il  renouuella 
laliiance  auec  ladite  maison,  en  ceste  manière.  Trois  frères 
regnoient  pour  lors  en  Thuringe,  qui  est  prouince  d'Alle- 
maigne,  oultre  le  Rhin  :  lun  nommé  Berkaire  ,  lautre 
Baderic  et  le  tiers  Hermofroy  :  dont  Berkaire  laisné,  non 
ayant  enfant  masle,  mais  seulement  deux  filles,  donna  en 


424  ILLYSTRATIOKS  DE  GATLE,   ET 

mariage  la  première  nommée  Vualberge,  audit  Duc  Charles 
Nason,  et  la  feit  héritière  de  la  Duché  de  Thuringe.  Et 
dicelle  Vualberge  ledit  Duc  Charles  Nason  eut  deux  filz  : 
cestasauoir,  Charles  et  Berkaire,  et  vne  fille  nommée 
Veraje.  Berkaire  le  maisné  eut  pour  son  partage  et  appen- 
nage,  la  Duché  de  Thuringe  :  et  Veraye,  la  fille,  fut  mariée 
à  vn  noble  et  puissant  homme  du  païs  d'Ardenne,  nommé 
Hajmon,  de  laquelle  il  eut  quatre  filz  :  cestasauoir,  Ré- 
gnant de  Montauban  et  ses  trois  frères,  que  Ion  nomme 
communément  les  quatre  filz  Haymon  :  des  gestes  desquelz 
et  de  leur  chenal  roux  (1)  Bayard,  les  Romans  vulgaires 
racontent  beaucoup  de  fables.  Et  autre  chose  ne  treuue  des 
gestes  dudit  Charles  Nason. 


De  Charles  cinquième  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  sarnommé  Has- 
bain.  Et  comment  il  fut  enuojé  ambassadeur  deuers  lempereur 
lustinian  :  et  perdit  la  Marche  de  dessus  Lescault,  pour  faire  aer- 
uice  au  Roy  Theodebert,  d'Austriche  la  basse  et  de  Bourgongne. 

Charles  Hasbain,  filz  aisné  du  Duc  Charles  Nason,  suc- 
céda à  son  père  es  Duchez  de  Tongres  et  de  Brabant.  Et 
donna  le  nom  au  païs  de  Hasbain  :  pource  quil  y  frequen- 
toit  plus  voulentiers  quen  nulle  autre  contrée  de  sa  domi- 
nation. Luy  donques  ensuiuant  le  train  de  son  père  et  de 
son  ayeul,  qui  tousiours  auoient  esté  amis  des  Roy  s  de 
France,  se  maintint  constamment  et  vertueusement  en 
lamytié  de  Theodoric,  Roy  de  France  Orientale  :  cestadire 
d' Austriche  la  basse,  et  aussi  de  Bourgongne  :  duquel  Theo- 
doric, filz  de  Clouis,  iay  parlé  asse?  amplement  au  traicté 

(1)  d'un  roag«  brun  =  badius,  baius,  hayhardns. 


8IMGVLARITEZ   DK  TROTK.    UVEK  lU.  4K 

précèdent.  Bt  aussi  fut  ledit  Duc  Charles  Hssbain  bien  en 
grâce  du  Ro)'  Theodebert,  filz  dudit  Theodoric  :  car  ilz 
estoient  dun  mesmes  aag«  :  et  tenoit  ledit  Theodoric,  Roy 
de  Bourgongne  et  d'Austriche  la  basse,  le  siège  capital  de 
son  Royaume  en  la  cité  de  Metz,  comme  auoit  fait  son 
père.  Parquoy  Charles  Hasbain,  Duc  de  Brabant,  estoit  de 
plus  près  son  voisin. 

Or  aduint,  que  quand  après  la  mort  du  Roy  Theodorie, 
son  fîlz  Theodebert  commença  à  régner,  ses  deux  oncles 
Childebert  et  Clotaire,  comme  desia  est  touché  au  traicté 
précèdent,  muz  denuie,  dambition  et  de  couuoitise  contre 
leur  neueu,  machinèrent  à  toute  leur  puissance  de  le  dés- 
hériter :  tant  du  Royaume  d'Austriche  la  basse,  comme  de 
sa  portion  du  Royaume  de  Bourgongne,  dont  il  estoit  chef. 
Voyant  donques  le  Roy  Theodebert  le  danger  eminent  oti 
il  estoit,  après  meure  délibération  de  son  conseil,  pria  au 
Due  Charles  Hasbain,  quil  voulsist  prendre  la  charge  daller 
en  ambassade  deuers  lempereur  lustinian  en  Constanti- 
noble,  pour  luy  demander  secours  contre  la  tyrannie  de  ses 
oncles  :  auec  amples  instructions  et  pleine  puissance  de 
souzmettre  le  R,oyaume  d'Austriche  la  basse,  quon  disoitlors 
France  Orientale,  à  Lempire  Romain,  et  en  faire  la  foy  et 
Ihommage  audit  Empereur. 

Le  Duc  Charles  Hasbain,  tout  bénin  et  tout  courtois, 
emprint  de  bon  cœur  cest  affaire  et  se  transporta  en  Grèce, 
deuers  lempereur  lustinian  :  auquel  il  exposa  la  somme  de 
sa  légation.  Mais  quand  Lempereur  leut  ouy,  il  ne  luy  feit 
aucune  response  touchant  ce  quil  auoit  proposé  de  la  part 
du  Roy  Theodebert,  son  maistre  :  ainçois  laccueillit  dautre 
sorte.  Car  il  le  commença  à  redarguer  sur  ce  quil  tenoit 
et  approprioit  à  luy,  de  deçà  la  mer  Oceane,  la  Marche  de 
dessus  Lescault  en  Gaule  Belgique  :  cestasauoir,  le  pais  là 


426  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

OÙ  sont  ores  situées  les  villes  d'Anuers,  Gand,  Tenremonde, 
Tournay,  Mortaigne,  Conde,  Vallenciennes,  et  les  chas- 
teaux  circonuoisins,  tant  dun  costé  de  ladite  riuiere,  comme 
de  lautre.  Et  ce,  contre  le  droit  et  iurisdiction  de  Lempire, 
comme  disoit  ledit  empereur  :  car  les  procureurs  fiscaux 
dudit  Empire  Romain  auoient  accoustumé  de  tenir  ladite 
Marche  en  leurs  mains  et  en  leuer  les  reuenues,  au  nom 
de  Lempereur  et  à  son  proufit. 

A  ceste  obiection,  qui  neantmoins  estoit  assez  estrange 
au  Duc  Charles  Hasbain  :  car  il  ne  pensoit  point  estre  venu 
là  pour  cest  affaire,  il  respondit  modestement  et  courtoise- 
ment, que  vray  estoit  quil  tenoit  ladite  Marche  du  saint 
Empire  sur  Lescault  :  mais  non  pas  quil  en  fiist  vsurpa- 
teur  ne  torçonnier  détenteur  :  car  le  Duc  Artsard,  son 
grand  ayeul,  duquel  est  faite  mention  au  premier  traicté, 
lauoit  obtenue  en  don  et  guerdon,  et  en  perpétuel  héritage, 
pour  luy  et  pour  les  siens,  de  par  lempereur  Constant, 
père  de  Constantin  le  grand,  qui  dicelle  lauoit  inuesty  :  à 
cause  des  bons  et  grans  seruices  quil  luy  auoit  faits  :  tant 
en  la  bataille  de  Langres,  comme  autrement.  Et  mesme- 
ment  en  deiettant  Carausius  le  tyrant,  qui  traitoit  mal 
ladite  prouince  et  marche  de  dessus  Lescault. 

A  ceste  response  du  Duc  Charles  Hasbain,  lempereur 
lustinian  répliqua,  que  combien  que  le  Duc  Artsard  eut 
bien  seruy  Lempire  pour  ceste  fois,  si  nauoit  il  pas  pour- 
tant obtenu  ladite  Marche  de  dessus  Lescault,  en  perpétuel 
héritage,  par  donation  irreuocable  :  car  Lempereur  ne 
doit  ne  ne  peult  rien  aliéner  du  domaine  impérial  au  desa- 
uantage  de  ses  successeurs  :  mais  sans  plus  auoit  esté 
baillé  lusufruit  de  ladite  Marche  au  Duc  Artsard  ,  par 
manière  de  recompense  :  et  en  tiltre  doffice,  et  non  pas  de 
seigneurie,  si  comme  vicaire  ou  procureur  de  Lempereur  à 


SINOTLARITEZ   DB  TROTB.    LITRB  lU.  487 

sa  vie  :  ou  pour  aucun  temps,  (1)  et  non  autrement.  Lequel 
office  cessant,  la  marche  venoit  à  vaquer  à  la  disposition 
de  Lempereur. 

Estant  ledit  Charles  Hasbain,  en  ceste  doute  et  perple- 
xité, cestasauoir  tant  de  perdre  ladite  seigneurie,  comme 
de  non  faire  les  besongnes  du  Roy  Theodebert,  il  sappensa, 
que  pour  acquérir  la  grâce  de  Lempereur  et  sauuer  laf- 
faire  du  Roy  son  maistre,  il  valoit  mieux  quil  quittast 
ladite  seigneurie  et  Marche  du  saint  Empire  sur  Lescault. 
Si  la  resigna  purement  et  libéralement  es  mains  de  Lempe- 
reur lustinian  :  auec  tout  le  droit  quil  y  pouuoit  prétendre. 
Laquelle  seigneurie  ledit  Empereur  donna  incontinent  à  vn 
tresnoble  Prince  de  sa  court,  estant  présent,  nommé  Ansel- 
bert  le  Sénateur.  Cestasauoir,  heritablement  pour  luy  et 
pour  les  siens,  reseruee  la  souueraineté. 

Comment  le  Duc  Charles  Hasbain,  comme  procureur  et  ambassadeur 
du  Roy  Tkeodebert,  feit  hommage  du  Royaume  d'Austriche  la 
basse,  ou  de  France  Orientale,  à  lempereur  lustinian,  et  de  la 
reste  de  lexploit  de  son  ambassade. 

Qvand  le  Duc  Charles  Hasbain,  pour  bien  seruir  son 
maistre  le  Roy  Theodebert,  se  fut  despouillé  de  ladite  tres- 
noble seigneurie  de  la  Marche  du  saint  Empire  sur  Les- 
coult,  Lempereur  lustinian  voulut  bien  alors  entendre  aux 
affaires  du  Roy  Theodebert.  Et  lors  le  Duc  Charles  luy 
monstra  le  plein  pouuoir  et  autorité  quil  auoit  du  Roy  son 
maistre,  de  souzmettre  et  asubiettir,  (2)  en  tiltre  de  fief,  le 
Royaume  d'Âustriche  la  basse,  à  la  souueraineté  de   Lem- 

(1)  c.-à-d.  temporairement. 
{'2)  abstigectir  {éi\.  1513). 


4S8  II4LVSTRATIONS  DE   GAVLE,   ET 

pereur  et  de  Lempire.  Duquel  Theodebert  les  autres  pré- 
décesseurs Roys  nauoient  encores  voulu  recongnoitre  les 
Empereurs  pour  leurs  souuerains  seigneurs.  Lequel  pou- 
uoir  et  instructions  veùes  par  lempereur  lustinian  et  les 
Barons  de  son  grand  conseil,  il  accorda  tout  ce  que  le  Roy 
Theodebert  demandoit.  Et  receut  ledit  Duc  Charles  Has- 
bain  comme  procureur  et  ambassadeur  dudit  Roy,  à  foy  et 
à  hommage  du  Royaume  d'Austrasie,  reserué  toutesuoyes 
quil  fust  franc  et  exempt  de  tailles  et  exactions.  Et  ce 
moyennant,  Lempereur  luy  promit  garantir  ledit  Royaume 
enuers  tous  et  contre  tous  ceux  qui  le  voudroient  troubler 
en  la  possession  diceluy  :  et  aussi  dautre  part,  le  Roy 
d'Austriche  promettoit  seruir  Lempereur,  euuers  tous  et 
contre  tous,  comme  son  féodal  et  homme  lige.  Ainsi  furent 
passées  les  choses  :  et  lettres  patentes  sur  ce  données  et 
seellees  dun  costé  et  dautre.  Et  à  cause  de  caste  subiection 
dudit  Royaume  d'Austriche,  ou  France  Orientale,  lempe- 
reur lustinian  au  commencement  des  Institutes  sappelîe 
entre  ses  autres  tiltres,  Francus. 

Par  la  vertu  de  cette  paction  et  appointement,  lempereur 
lustinian  enuoya  pour  ambassade  en  France,  le  dessus- 
nommé Anselbert  le  Sénateur,  Marquis  du  saint  Empire 
sur  Lescault,  auec  le  Duc  Charles  Hasbain,  deuers  les  deux 
Roys  frères,  Childebert  et  Clotaire,  en  leur  mandant  bien 
adcertes,  quilz  ne  présumassent  de  troubler  en  aucune 
manière  le  Royaume  d'Austriche  la  basse,  ou  de  France 
Orientale,  appartenant  au  Roy  Theodebert,  leur  neueu  :  car 
il  estoit  de  la  subiection  de  luy  et  de  Lempire  :  et  à  ceste 
cause,  en  sa  protection  et  sauuegarde.  Et  que  silz  venoient 
au  contraire,  il  les  dcclairoit  deslors  en  auant  pour  ses 
ennemis.  Lesquelles  choses  accomplies  et  menées  à  chef, 
par  la  preudhommie  et  diligence  du  bon  Duc  Charles  Has- 


SINGYLARITBZ  DE  TROYB.    LIVRB   III.  429 

bain,  le  Roy  Theodebert  fut  asseuré  en  son  Royaume.  Et 
le  crédit  et  autorité  dudit  Charles  en  augmenta  beaucoup 
deuers  luy  et  à  bon  droit. 

De  la  postérité  du  Duc  Charles  Haabain. 

Comme  ie  puis  entendre  par  les  histoires,  Charles  Has- 
bain  eut  vn  filz,  nommé  Karloman. 

Karloman,  filz  de  Charles  Hasbain,  engendra  Pépin, 
premier  de  ce  nom. 

Pépin  lancien,  et  le  premier  de  ce  nom  surnommé  de 
Landen,  lequel  par  les  Chroniques  de  Brabant,  est  réputé 
saint,  fut  Duc  d'Austriche  la  basse  et  de  Brabant,  Prince 
du  palais  de  France  :  et  eut  de  sa  femme,  nommée  Icte,  (1) 
vn  filz  nommé  Grimoald,  aussi  Prince  du  palais,  qui  mourut 
sans  hoirs  de  son  corps,  et  deux  filles,  lune  nommée  Begga 
et  lautre  Ghertrude. 

Begga,  première  fille  du  Duc  Pépin  de  Landen,  fut  Du- 
chesse de  Brabant  après  la  mort  de  son  père  et  de  son 
frère  Grimoald  :  et  eut  pour  mary  Anchises,  (2)  Marquis  du 
saint  Empire  sur  Lescault  :  neueu,  (3)  cestasauoir,  filz  du 
filz  dudit  Anselbert  le  Sénateur,  comme  nous  dirons  çy 
après. 

Ghertrude  seconde  fille  du  Duc  Pépin  de  Landen,  fut 
Abbesse  de  Nyuelle,  au  Rommanbrabant.  Laquelle  vescut 
saintement  en  la  religion  fondée  par  sa  mère  sainte  Icte. 
Lancien  epitaphe  dudit  Duc  Pépin  de  Landen  est  tel  : 

Iste  BrabantinuB  dux  tertius  Austrasiorum. 
Primus  erat,  maiorque  domus  regni  gladiator. 


(1)  Ide  ou  Ideberge. 

(2)  c.-à*d.  ÂDségise. 

(3)  en  latia  nepot. 


430  ILLVSTRATIONS  DB   GAYLE,   ET 


Comment  Anselbert  le  Sénateur  espousa  Blitilde,  fille  du  Roy  CIo- 
taire,  et  vint  prendre  la  possession  de  la  Marche  du  saint  Empire 
inr  Lescault. 


La  paix  ainsi  ânablement  conduite  comme  dessus  est 
dit,  entre  les  Roys,  oncles  et  neueux,  par  la  prudence  du 
Duc  Charles  Hasbain  et  par  lautorité  d' Anselbert  le  Séna- 
teur, ambassadeur  impérial,  Childebert,  Roy  de  Paris, 
pource  quil  nauoit  nulz  enfans,  print  en  amour  le  Roy 
Theodebert,  son  neueu  :  et  de  fait,  ladopta  en  filz  et  luy 
donna  tant  de  biens  de  son  plein  viuant,  que  chacun  ses- 
merueilloit  comment  il  auoit  si  tost  changé  hayne  en  dilec- 
tion.  Laquelle  chose  voyant,  Clotaire,  Roy  de  Soissons,  et 
considérant  quune  si  forte  alliance  entre  loncle  et  le  neueu, 
mesmement  par  trois  fois  redoublée,  si  comme  de  lignage, 
dadoption  et  de  confédération,  luy  pourroit  bien  porter 
quelque  preiudice  enuers  lempereur  lustinian,  par  le  moyen 
de  Charles  Hasbain,  Duc  de  Brabant,  il  sappensa  pour 
euiter  ce  choq,  quil  donroit  la  plus  ieune  de  ses  filles, 
nommée  Blitilde,  à  Anselbert  le  Sénateur,  homme  de  grand 
port  (1)  et  autorité.  Et  ainsi  fut  fait.  Donques  après  les 
noces  faites,  Anselbert  le  Sénateur  print  congé  du  Roy,  son 
beaupere,  et  emmena  sa  femme  en  sa  Marche  de  dessus 
Lescault,  laquelle  Lempereur  luy  auoit  donnée  :  et  print 
possession  dicelle. 


(l)  portée,  crédit,  portus  (Ducanga). 


SINGVLARITEZ   DE   TROTB.    LIVRR    III.  481 

Dd  la  tresDoble  et  tressainte  génération  qui  deicendit  d*Antelbert  le 
Sénateur,  premier  Marquis  beritable  de  la  Marche  du  saint  Empire 
sur  Lescault,  et  de  sa  femme  Blitilde,  fille  du  Roy  Clotaire. 

Ânselbert  Sénateur  de  Romme,  noble  et  puissant  Prince 
en  richesses  et  en  autorité,  fut  le  premier  Marquis  berita- 
ble du  saint  Empire  sur  Lescault,  dont  noz  souuerains 
Princes  portent  iusques  auiourdhuy  le  tiitre  et  tiennent  la 
possession.  Il  eut  de  sa  femme  Blitilde,  qui  selon  les  Chro- 
niques de  Brabant,  est  réputée  sainte,  trois  enfans  masles 
et  vne  femelle.  Le  premier  eut  nom  Arnould,  le  second 
Feriol,  et  le  tiers  Moderic  :  la  fille  fut  nommée  Tharsitia. 
Feriol  fut  Euesque  d'Vtrect,  et  là  receut  martyre.  Parquoy 
il  est  conté  entre  les  saints  de  paradis,  et  par  son  inter- 
cession se  font  illec  plusieurs  miracles.  Moderic,  son  frère, 
fut  ordonné  Euesque  en  la  cité  d'Arisid,  (1)  et  là  repose 
en  paix.  Tharsitia,  vierge  et  bien  perseuerant  en  sa  virgi- 
nité, est  à  Rhesnes  en  Bretaigne  tenue  pour  sainte.  Et  dit 
lescriture,  que  après  sa  mort,  par  ses  mérites  fut  ressus- 
cité vn  autre  mort.  Arnould,  laisné,  succéda  à  son  père  au 
Marquisat  de  Lempire. 

Arnould,  filz  d' Anselbert  le  Sénateur  et  de  sainte  Blitilde. 

Cestuy  Arnould,  second  Marquis  heritable  du  saint  Em- 
pire sur  Lescault,  eut  vn  filz  nommé  Amulphus. 

De  saint  Arnulphe,  filz  dudit  Arnould,  et  de  ses  enfans. 

Arnnlphe,  troisième  Marquis  heritable  du  saint  Empire 
sur  Lescault,  espousa  vne  sainte  Dame,  nommée  Dode,  de 

(1)  de  Ari8si(éd.  1528). 


432  ILLTSTRATIOIIS  DE  GàYLB,  ET 

laquelle  il  eut  trois  fîlz  :  cestasauoir,  Ansigisus,  ou  An- 
chises,  qui  depuis  fut  Marquis  du  saint  Empire  sur  Les- 
cault  :  lautre  fut  Flondulphus  :  et  le  tiers,  Vualchisus. 
Flondulphus  engendra  Martin,  lequel  fut  occis  traytreuse- 
ment  par  Ebroyn  le  tyrant,  Prince  du  palais  de  France. 
Vualchisus  engendra  Vuandrechisil,  saint  homme  et  con- 
fesseur de  lESVs  CHRIST.  Ledit  Arnulphe,  après  auoir  eu 
ceste  belle  lignée,  renonça  au  monde,  et  se  mit  au  seruice 
de  Dieu,  du  consentement  de  sa  femme  sainte  Dode,  en 
quelque  religion  ou  hermitage  dun  costé  et  elle  de  lautre. 
Lequel  Arnulphe,  pour  sa  sainteté,  fut  depuis  eslu  Euesque 
de  Metz,  et  après  sa  mort,  tenu  pour  saint. 

Du  Marquis  Anchises,  filz  de  saint  Arnulphe,  Euesque  de  Metz. 

Anchises,  quatrième  Marquis  du  saint  Empire  sur  Les- 
cault,  succéda  à  ladite  seigneurie  du  viuant  de  son  père, 
quand  il  renonça  le  monde,  pour  mener  vie  religieuse  et 
solitaire,  comme  dessus  est  dit.  Ledit  Anchises,  autrement 
dit  Ansigisus,  espousa  vne  noble  et  vertueuse  dame,  nom- 
mée Begga,  fille  du  Duc  Pépin  de  Landen,  première  de  ce 
nom,  et  de  sainte  Icte  :  et  sœur  de  Grimoald,  Prince  du 
Palais  de  France,  et  de  sainte  Ghertrude,  Abbesse  de  Ny- 
uelle.  Et  succéda  ladite  dame  Begga  à  la  Duché  de  Brabant, 
après  la  mort  de  son  père  Pépin  et  de  son  frère  Grimoald, 
qui  mourut  sans  hoirs  de  son  corps,  comme  cy  dessus  est 
touché.  Lesdits  Anchises  et  sa  femme  Begga  eurent  par 
ensemble  vn  filz  nommé  Pépin  deuxième  de  ce  nom,  sur- 
nommé Heristel.  Iceluy  Anchises,  tresbon  Prince,  fut  tué 
mauuâisement  et  en  trahison  par  vn  garnement  lequel  il 
auoit  nourrj  de  ieunesse  en  sa  court,  et  mesmeraent  lauoit 


SINGTLARITBZ   DE   TROYE.    LIVRE   III.  455 

leué  des  fons.  laj  trouué  lepitaphe  de  ladite  Duchesse 
Begga  tel  quil  sensuit  : 

Begga  ducissa  fuit,  genitrix  qaoqoe  germioii  huiua  : 
Qu»  fuit  Anaigiso  felici  foedere  iuocta. 


Du  Duc  Pépin  Heristel,  filz  du  Marquis  Anchiaes  et  de  sainte  Begga, 
et  de  ses  gestes . 

Pépin  Heristel,  ainsi  surnommé  à  cause  dune  seigneurie 
quil  auoit  au  pais  de  Liège,  en  laquelle  parauenture  (1)  il 
nasquit,  fut  Duc  de  Brabant,  Marquis  du  saint  Empire  sur 
Lescault,  et  paruint  encores  à  la  principauté  du  palais  de 
France  et  d'Austriche  la  basse,  ainsi  quil  sensuit.  En  ce 
temps  là  ledit  Royaume  d'Austriche  ne  se  gouuernoit  plus 
par  Roys,  mais  par  Princes,  depuis  Childeric,  filz  du  Roy. 
Lequel  Childeric  estoit  innutile  et  tyrant,  et  pource  fut 
il  tué  estant  à  la  chasse,  auec  sa  femme  nommée  Blitilde, 
par  Bodilo,  son  vassal,  auquel  il  auoit  fait  oultrage.  Et  gue- 
res  ne  sen  faillit,  que  Vuolfald,  son  gouuerneur  et  Prince 
du  Palais,  ne  fust  aussi  tué  par  ledit  Bodilo.  Mais  il  se 
sauua  à  la  fuite,  et  se  retira  en  Austriche  la  basse,  dont  il 
estoit  gouuerneur,  et  tint  icelle  contrée  tout  seul  tant  quil 
vescut  :  car  desia  la  vertu  des  Roys  de  France  estoit  aui- 
lee,  amollie  et  abaslardie,  si  quilz  ne  faisoient  rien  d'eux 
mesmes,  mais  se  laissoient  du  tout  gouuerner  par  les  Prin- 
ces du  Palais.  Parquoy  après  la  mort  dudit  Vuolfald, 
ledit  Pépin  Heristel,  obtenant  la  principauté  du  Palais,  ob- 
tint aussi  la  principauté  du  Royaume  d'Austriche  la  basse, 

(1)  c.-à-d.  peut-être.  En  anglais  peradvenhtre.  Palsgrave  p.  146 
trad.  par  :  may  happen. 

11.  38 


434  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

et  en  fut  gouuerneur  et  dominateur,  auec  vn  sien  parent 
nommé  Martin,  filz  de  Flondulphus,  qui  fut  filz  de  saint 
Arnulphe,  Euesque  de  Metz,  comme  dessus  est  dit.  Le  Duc 
Pépin  espousa  vne  dame,  nommée  Plectrude,  de  laquelle  il 
eut  deux  enfans  :  cestasauoir  Druon,  lequel  il  feit  Duc  de 
Champaigne,  et  Grimoald,  qui  fut  Prince  du  Palais  de 
France,  après  son  père.  Et  dune  concubine,  nommée  Al- 
paide,  il  eut  Charles  Martel,  tresuaillant  et  tresrenommé 
Prince. 


Des  guerres  que  Pépin  Heristel,  peie  de  Charles  Martel,  eut  contre 
Ebroyn  le  tyrant,  Prince  du  Palais  de  France,  et  contre  Gislemar, 
aussi  Prince  du  Palais. 

Alors  viuoit  vn  mauuais  et  exécrable  tjrant,  qui  fut 
Prince  du  Palais  du  temps  du  Roy  Clotaire  deuxième  de 
ce  nom,  lequel  ne  régna  que  quatre  ans  :  et  du  Roy  Theo- 
doric,  son  frère  et  successeur.  Lequel  tyrant  Ebroyn  feit 
des  maux  innumerables  au  Royaume  de  France.  Entre  les- 
quelz  il  feit  forer  à  tout  vne  tarière  les  yeux  à  saint  Legier, 
Euesque  d'Authun,  et  enuoya  en  exil  saint  Lambert  du 
Liège.  Et  tant  perpétra  de  cruautez,  souz  lombre  dudit  Roy 
Theodoric,  à  qui  il  en  donnoit  toute  la  charge,  que  les  Ba- 
rons de  France  furent  contraints  y  remédier,  et  donner  or- 
dre et  de  fait  mirent  la  main  à  leur  Roy  Theodoric  et  le 
feirent  moyne.  Et  pareillement  Ebroyn  :  lequel  ilz  encloui- 
rent  en  labbaye  de  Lisieux.  (1)  Puis  allèrent  quérir  Childe- 
ric,  qui  estoit  en  Austriche,  et  le  constituèrent  Roy  sur  eux, 
et  Vuolfald  Prince  au  Palais. 

(1)  c'est  Luxenil. 


SINGVLARITEZ   DE  TROTF.    LIVRE   III.  455 

Ne  tarda  gueres  après,  que  le  Roy  Childeric  se  gonaerna 
si  mal  enuers  ses  subietz,  que  comme  desia  est  touché  cy 
dessus,  il  fut  tué  par  la  main  dun  noble  homme,  nommé 
Bodilo,  lequel  à  tort  et  sans  cause,  il  auoit  fait  lier  à  vn 
pal  tout  nud  :  et  le  batre  de  verges  cruellement.  Adonques 
les  Princes  de  France  allèrent  tirer  leur  Roy  Theodoric 
hors  de  labbaye,  où  ilz  lauoient  enclos,  et  le  restablirent 
en  son  Royaume,  et  feirent  Prince  du  Palais,  Lendesil 
Bourguignon,  natif  d'Âuthun. 

Lesquelles  choses  entendues  par  Ebroyn  le  tyrant  que 
les  François  auoient  fait  moyne  à  Lisieux,  il  trouua  ma- 
nière de  saillir  hors  du  monastère  et  ietta  le  froc  aux  orties. 
Puis  assembla  vn  grand  tas  de  brigans,  larrons  et  gens 
perduz,  à  tout  lesquels,  il  osa  bien  venir  assaillir  le  Roy 
Theodoric,  son  seigneur,  et  Lendesil,  Prince  du  Palais.  Et 
par  effect  leur  feit  telle  guerre,  qui  les  chassa  iusques  à  Bac- 
cauille  :  là  où  il  pilla  tous  les  trésors  Royaux,  et  le  Roy  se 
retira  à  Crecy.  Et  illec  fut  contraint  de  faire  appointement 
auec  le  tyrant  Ebroyn  et  le  restituer  en  son  gouuernement 
et  Principauté  du  Palais.  Et  tantost  après  Lendesil  d'Au- 
thun,  qui  auoit  esté  Prince  du  Palais,  venant  audit  Ebroyn 
à  seureté  et  souz  sa  foy,  fut  occis  par  luy,  et  recommença  à 
faire  plus  doutrages  et  de  tyrannies  que  parauant  :  mesme- 
ment  sur  Prélats  et  sur  gens  deglise.  Et  le  Roy  Theodoric 
soufFroit  tout  :  et  ne  se  soucioit  sinon  de  se  donner  du  bon 
temps. 

Martin,  filz  de  Flondulphe,  et  Pépin  Heristel,  son  parent, 
tous  deux  Princes  d'Austriche  la  basse,  tresuertueux  et  de 
noble  cœur,  estans  aduertis  des  maux  intollerables  que 
ledit  Ebroyn  faisoit  en  France,  délibérèrent  de  non  plus 
le  souffrir,  mais  y  obuier  et  mettre  remède.  Et  pour  ce 
faire,  mirent  sus  vne  bonne  armée,  au  deuant  desquelz  vin- 


43B  ILLYSTRATIONS  DE   GAVLE,    ET 

drent  à  grand  puissance,  le  Roy  Theodoric  et  Ebroyn  le 
tjrant  :  et  fut  la  bataille  donnée  au  lieu  nommé  Bicofal, 
laquelle  fut  forte  et  aspre,  et  mourut  beaucoup  de  gens  dun 
costé  et  dautre,  mais  le  camp  demeura  au  Roy  Theodoric 
et  à  Ebroyn.  Le  Duc  Pépin  Heristel  se  retira  en  Austriche 
la  basse,  quon  dit  maintenant  Lothric  :  et  Martin  senfuyt 
en  la  cité  de  Laon,  auquel  tantost  après  treues  furent  don- 
nées :  et  souz  ombre  dicelles,  il  fut  enuoyé  quérir  par 
Ebroyn.  Et  quand  il  fut  en  sa  présence,  il  le  tua.  Mais 
aussi  comme  ledit  criminel  tyrant  ne  cessast  de  perpétrer 
tant  de  meurtres  et  occisions,  et  tous  les  maux  dont  il  se 
sauoit  aduiser,  finablement  selon  le  iuste  iugement  de  Dieu, 
il  fut  tué  en  aguet  par  vn  nommé  Hermofroy  :  lequel  après 
le  coup  fait,  se  sauua  et  senfuyt  au  Duc  Pépin,  en  Austriche, 
La  détestable  tyrannie  d'Ebroyn  estainte  par  sa  mort 
trop  tardiue,  les  François  establirent  vn  noble  homme 
nommé  Vuaracon,  Prince  du  Palais,  lequel  enuoya  incon- 
tinent ambassadeurs  au  Duc  Pépin  Heristel  en  Austriche, 
qui  traitèrent  alliance  et  amytié  auec  luy.  Depuis  Gislemar, 
filz  dudit  Vuaracon,  ietta  son  père  hors  du  gouuernement 
et  Principauté  du  Palais.  Mais  le  Duc  Pépin  print  la  que- 
rele  pour  le  père,  et  vint  alencontre  de  Gislemar  à  main 
armée,  lequel  ne  le  refusa  point  à  bataille  :  et  sassem- 
blerent  les  deux  osts  auprès  du  chasteau  de  Namur.  Le 
rencontre  y  fut  horrible  et  merueilleux,  et  y  eut  beaucoup 
de  sang  respandu.  Et  à  ce  que  ientens,  le  Duc  Pépin  gai- 
gna  la  iournee,  Gislemar  persécutant  son  père,  mourut 
tantost  après  de  maie  mort  subite  :  et  Vuaracon  refut  en 
son  premier  estât,  mais  il  trespassa  la  mesme  année. 


SOfOULARITIZ  DE  TROTE.   UTRK  III. 


ni 


Comment  le  Duc  Pépin  Heristel  deaconât  en  bataille  le  Roy  Theo- 
doric  de  France  et  Berkaire  Prince  da  Palaia  :  et  fut  Pépia  eala 
à  ladite  Principauté. 


Apres  la  mort  de  Vuaracon,  Prince  du  Palais,  les  Barons 
de  France  furent  en  quelque  estrif  et  différent  de  créer  vn 
nouueau  Prince  du  Palais.  Mais  fînablement  ilz  saccorde- 
rent  sur  vn  nommé  Berkaire,  homme  de  peu  destime  et 
valeur,  combien  quil  fust  gendre  dudit  Vuaracon.  Dont 
quand  ilz  eurent  congnu  son  poure  gouuernement  et  insuf- 
fisance, ilz  se  repentirent  beaucoup,  et  désirèrent  dauoir 
sur  eux  le  Duc  Pépin  de  Brabant,  Prince  d'Austriche  la 
basse.  Et  à  ces  fins  luy  enuoyerent  certains  messagers, 
priant  quil  mist  sus  vne  bonne  armée  et  vinst  à  leur  se- 
cours contre  Berkaire,  Prince  du  Palais,  qui  leur  estoit 
inutile  et  intollerable.  Et  ilz  constitueroient  ledit  Pépin  au 
gouuernement  du  Palais  de  France. 

Le  Duc  Pépin  obtempéra  à  leur  requeste  et  sen  vint  à 
bonne  et  grosse  puissance  contre  ledit  Berkaire.  Le  Roy 
Theodoric  estoit  auec  Berkaire  :  comme  celuy  parauenture 
qui  ne  sen  fust  osé  excuser  :  tant  estoient  alors  les  Roys  de 
France  subietz  aux  Princes  du  Palais,  qui  depuis  ont  esté 
nommez  Connestables.  Si  se  rencontrèrent  les  deux  armées 
en  vn  lieu  nommé  Textric,  (1)  là  où  lestour  commença  grand 
et  merueilleux,  et  dura  tant  que  Berkaire  y  fut  occis  et  le 
Roy  Theodoric  prins,  iasoit  ce  que  Gaguin  dise  autre- 
ment. Neantmoins  le  Duc  Pépin  Heristel  mit  tantost  à  de- 
liure  le  Roy  Theodoric  :  et  fut  la  paix  faite  entre  eux.  Et 
selon  les  conuentions  des  Princes  de  France,  le  Duc  Pépin 

(l)  Bat.  deTestry,  687. 


458  ILLVSTRATIONS    DE   GAVLE,    ET 

fut  eslu  et  esleué  à  la  dignité  de  Prince  du  Palais,  par  les- 
dits  seigneurs  de  France  et  du  consentement  de  Theodoric, 
leur  Roy.  Et  deslors  en  auant,  les  affaires  de  la  couronne 
commencèrent  à  se  remettre  en  meilleur  forme  et  estât  : 
et  allèrent  tousiours  prospérant  de  plus  en  plus. 


Des  autres  gestes  du  Duc  Pépin  Heristel  et  de  ses  enfans. 

Toutes  les  choses  ainsi  réduites  et  appaisees  en  France, 
le  Duc  Pépin  Heristel  ayant  affaire  en  son  païs  d'Austriche 
la  basse,  après  auoir  donné  ordre  à  tout,  laissa  vn  lieute- 
nant en  la  Principauté  du  Palais  de  France,  nommé  Nor- 
debert,  homme  de  qui  il  se  fioit.  Et  tantost  après  mourut 
le  Roy  Theodoric,  lan  de  son  règne  dixneuuieme.  Si  succé- 
dèrent après  luy  ses  deux  enfans,  Clouis  second  de  ce  nom, 
qui  ne  régna  que  trois  ans  :  et  après  luy  Childebert,  son 
frère,  qui  ne  feit  onques  rien  digne  de  mémoire.  Endemen- 
tiers,  Nordebert,  lieutenant  du  Duc  Pépin  Heristel,  Prince 
du  Palais,  alla  mourir.  Laquelle  chose  entendue  par  ledit 
Duc  Pépin,  il  vint  en  France  et  amena  son  filz  Grimoald  : 
lequel  il  feit  Prince  du  Palais  dudit  Roy  Childebert.  Iceluy 
Grimoald  eut  à  femme  Theudesinde,  fille  de  Radbod,  Roy 
de  Frise. 

Grimoald,  filz  du  Duc  Pépin  Heristel,  Prince  du  Palais 
du  Roy  Childebert  de  France,  ie  ne  scay  pour  quelle  cause 
fut  tué  traytreusement,  estant  en  deuotion  deuant  lautel  de 
saint  Lambert  du  Liège,  par  vn  garnement  nommé  Raui- 
gar,  Payen  et  idolâtre,  estant  des  gens  de  Radbod,  Roy  de 
Frise,  père  de  la  femme  dudit  Grimoald.  Aussi  mourut 
enuiron  ce  temps  Druon,  Duc  de  Champaigne,  frère  dudit 
Grimoald,  et  ne  laissa  quun  filz  nommé  Theodoald,  qui  suc- 


8INGVLAH1TKZ   DE  TROYK.    LIVRE    III.  439 

céda  à  son  père,  en  la  Duché  de  Cbampaigne,  et  à  son  oncle 
Grimoald,  en  la  Principauté  du  Palais  de  France,  par  le 
moyen  du  Duc  Pépin  Heristel,  son  grand  père,  lequel  y  tint 
la  main,  à  fin  que  la  Principauté  du  Palais  de  France  de- 
mourast  tousiours  en  sa  maison.  Lesquelles  choses  faites, 
le  Duc  Pépin  en  sa  vieillesse  attaint  dune  fieure  ague  mou- 
rut. Mais  il  laissa  par  testament  à  Charles  surnommé  Mar- 
tel, lequel  il  auoit  eu  dune  concubine  nommée  Alpaide,  la 
Principauté  d'Austriche  la  basse,  quon  dit  maintenant  Loth- 
ric  :  dont  sa  femme  légitime,  appellee  Plectrude,  ne  fut 
pas  contente. 

Saint  Lambert,  Euesque  du  Liège,  qui  flourissoit  en  ce 
temps,  receut  martyre,  à  cause  de  la  ialousie  que  ladite 
Plectrude,  femme  légitime  diceluy  Duc  Pépin  Heristel,  auoit 
enuers  Alpaide,  sa  concubine.  Car  comme  saint  Lambert 
blasmast  au  Duc  Pépin  le  vice  de  concubinage,  lequel  il 
exerçoit  auec  icelle  Alpaide,  mère  de  Charles  Martel,  disant 
que  ces  toit  contre  Dieu  et  contre  raison,  et  contre  les  sain- 
tes loix  de  mariage,  vn  nommé  Dodon,  frère  de  ladite  Al- 
paide, de  son  propre  mouuement,  ou  par  lenhort  de  sa  sœur» 
tua  ledit  saint  Euesque  dedens  la  cité  du  Liège,  et  fut  ense- 
ueluy  à  Vtrect.  lay  trouué  Lepithaphe  du  Duc  Pépin  Heris- 
tel tel  : 

Iste  Pipinus  erat  dux  tertius  ÂostraBioram. 
Austria  dicta  fuit  tune,  regntim  Lothariense. 


440  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 


De  Charle»  cinquième  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  surnommé 
Martel,  pare  du  Roy  Pépin  le  Brief  et  ayeul  de  lempereur  Charles 
le  grand. 

Charles  Martel,  autrement  surnommé  Tictides,  (1)  filz  de 
Pépin,  seigneur  d'Heristel  en  Liège,  et  d'Alpaide,  sa  concu- 
bine, fut  comme  dessus  est  dit,  par  le  testament  de  son 
père,  ordonné  héritier  de  la  Principauté  du  Royaume  d'Aus- 
triche  la  basse.  Laquelle  chose  sa  marastre  nommée  Plec- 
trude,  vefue  dudit  Pépin,  ne  prenoit  point  à  gré,  ains  fauo- 
risoit  à  son  neueu  Theodoald,  filz  de  son  filz  Druon,  Duc 
de  Champaigne.  Si  persécuta  tant  icelle  Plectrude,  ledit 
Charles  Martel,  quelle  trouua  manière  de  le  faire  prendre 
à  Coulongne  sur  le  Rhin,  et  illec  le  feit  détenir  en  seure 
garde.  Et  ce  pendant  se  saisit  du  Royaume  d'Austriche  la 
basse,  quon  dit  maintenant  Lothric,  et  en  mit  en  posses- 
sion son  neueu  Theodoald,  Prince  du  Palais  de  France.  Et 
eux  deux  ensemble  tindrent  en  tutele  le  Roy  Dagobert  se- 
cond de  ce  nom. 

Ne  tarda  gueres  après  que  les  François  furent  ennuyez 
dudit  Theodoald,  Duc  de  Champaigne  et  Prince  du  Palais, 
et  ne  peurent  plus  endurer  son  gouuernement.  Si  sesleue- 
rent  contre  luy  en  armes  et  le  vainquirent  en  vne  bataille 
fort  dommageuse,  auprès  de  Compiegne,  tellement  quil  sen- 
fuit.  Et  ilz  constituèrent  sur  eux  vn  autre  Prince  du  Palais, 
nommé  Raginfroy.  Si  allièrent  auec  eux  Radbod,  Roy  de 
Frise,  dont  dessus  est  faite  mention.  Et  après  la  mort  du 
Roy  Dagobert,  ilz  constituèrent  Roy  sur  eux,  vn  prestre 
lequel  sappelloit  Daniel  :  mais  ilz  luy  changèrent  son  nom  : 

(1)  Tytidesiéd.  1528). 


SINGVLARITEZ   DE   TROTE.    LIVRE    III.  441 

et  le  nommèrent  Chilperic.  Et  en  ces  entrefaites,  Charles 
Martel  eschappa  de  la  prison,  en  laquelle  il  estoit  détenu  à 
Coulongne,  par  sa  marastre  Plectmde. 


Comment  le  Dac  Charles  Martel,  après  quil  fut  eschappa  des  priMM 
de  sa  Marastre,  recounra  la  Principauté  du  Royaume  d'Austriebe 
la  basse  et  aussi  du  Palais  de  France. 

Le  dvc  Charles  Martel  se  voyant  hors  de  la  garde  pri- 
sonnière de  sa  marastre  et  aussi  du  danger  de  la  mort, 
dont  il  nestoit  pas  loing,  tascha  incontinent  de  recouurer 
sa  Principauté  du  Royaume  d'Austriche  la  basse,  occupé 
comme  dessus  est  dit  par  ladite  Plectrude  et  son  neueu 
Theodoald,  à  layde  de  Radbod,  Roy  de  Frise.  Chilperic, 
parauant  nommé  Daniel  prestre,  et  Roy  de  France,  comme 
ia  dit  est,  auec  Raginfroy,  Prince  du  Palais  :  et  ledit  Rad- 
bod, Roy  de  Frise,  vindrent  alencontre  du  Duc  Charles  Mar- 
tel :  et  fut  la  bataille  donnée  sur  la  riuiere  de  Meuse.  Les 
tour  y  fut  grief,  mais  Charles  Martel  ny  gaigna  pas  :  ains 
se  trouua  le  plus  foible,  si  se  sauua  à  la  fuite. 

Icelle  victoire  obtenue  par  Chilperic  et  Raginfroy,  ilz 
entrèrent  par  le  pais  d'Ardenne,  au  Royaume  d'Austriche 
la  basse,  lequel  ilz  coururent  et  gasterent  de  toutes  pars 
iusques  à  Coulongne  :  mais  Plectrude,  la  vefue  dessusdite, 
voyant  que  le  païs  de  son  douaire  se  perdoit  à  son  grand 
desauantage,  leur  donna  tant  des  trésors  de  son  feu  mary 
le  Duc  Pépin  Heristel,  quelle  les  feit  retourner  en  France. 
Ce  nonobstant  le  Duc  Charles  Martel,  qui  ne  dormoit  pas, 
vint  ruer  sur  la  queile  et  leur  feit  vn  merueilleux  dommage. 

Par  despit  de  laquelle  perte,  ne  tarda  gueres  après  que 
le  Roy  Chilperic  et  Raginfroy,  Prince  du  Palais,  auec  autre 


442  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

plus  grosse  armée  retournèrent  sur  les  terres  du  Duc 
Charles  Martel  :  mettant  tout  à  feu  et  à  sang.  Mais  il  se 
deflfendit  fort,  et  fut  la  guerre  menée  assez  longuement 
douteuse  dun  costé  et  dautre  :  et  finablement  le  Roy  Chil- 
peric  et  Raginfroy  furent  vaincuz  au  lieu  d'Ablaue.  (1)  Ce 
nonobstant,  aprez  leur  fuite,  ilz  rassemblèrent  vne  autre 
grosse  armée  auec  layde  d'Eudo,  Duc  d'Aquitaine  et  de 
Gascongne,  leur  allié,  et  vindrent  pour  la  tierce  fois  contre 
ledit  Charles  Martel.  La  iournee  fut  assignée  au  païs  de 
Cambresis  :  près  dun  Bourg  appelle  Vincy.  Et  là  furent 
derechef  vaincuz  le  Roy  Chilperic  et  Eudo,  Prince  de  Gas- 
congne, auec  Raginfroy.  Chilperic  et  Eudo  senfuyrent  à 
Orléans,  là  où  ilz  chargèrent  les  trésors  Royaux  :  à  tout 
lesquelz  ilz  se  sauuerent  en  Gascongne,  et  ne  les  peut 
Charles  Martel  aconsuiure.  Mais  il  passa  la  riuiere  de  Seine 
et  print  Orléans.  Puis  alla  assiéger  Raginfroy,  qui  sestoit 
retiré  dedens  Angiers  :  et  le  print  auec  la  cité.  Et  ce  non- 
obstant, en  vsant  dune  merueilleuse  clémence  et  courtoisie, 
il  le  remit  en  liberté  :  et  oultre  ce,  luy  donna  la  cité  d'An- 
giers  pour  son  estât  :  et  par  ainsi  Charles  Martel  comme 
victorieux  fut  pacifique  Prince  du  Palais.  Et  en  lieu  de 
Chilperic  fugitif,  ordonna  pour  Roy  vn  nommé  Clotaire,  ou 
Lothaire. 


Gomment  le  Dac  Charles  Martel  creoit  les  Roys  de  France  à  son  appé- 
tit :  et  comment  il  se  vengea  de  sa  marastre  Plectrude,  et  con- 
queata  le  Royaume  de  Bulgarie,  oultre  la  Dunoe,  et  la  plus  grand 
partie  d'AUemaigne,  cestasauoir  Soaue,  Saxone  (2)  et  Bauiere. 

Estant  ainsi  possesseur  pacifique  le  Duc  Charles  Martel 

(1)  Château  d'Amblôve  piès  d'Aywaille  ? 

(2)  Saxoiffne  (éà.  1513). 


SINGVLARITEZ   DE   THOYK.    LIVRE   III.  445 

des  Principautez  d'Austriche  la  basse  et  de  France,  après 
auoir  chassé  Chilperic  et  constitué  en  son  lieu  ledit  Roy 
Lothaire  :  lannee  ensuiuant,  il  enuoya  vne  ambassade 
deuers  Eudon,  Duc  d'Aquitaine  et  de  Gascongne  :  à  fin 
dauoir  en  ses  mains  ledit  Chilperic,  parauant  appelle  Daniel 
prestre.  Laquelle  chose  il  obtint.  Et  par  ce  moyen  ledit 
Eudon  eut  paix.  Ce  pendant  que  ces  choses  se  traitoient,  le 
Roy  Clotaire  alla  mourir  :  et  le  Duc  Charles  Martel  vsant 
de  grand  bénignité  enuers  son  ennemy,  restablit  iceluy 
Chilperic,  son  prisonnier,  en  la  dignité  du  Royaume  de 
France.  Ainsi  appert  que  les  Princes  du  Palais  faisoient  ou 
defFaisoient  les  Roys  de  France  à  leur  appétit. 

Chilperic  après  ce  quil  fut  fait  Roy  derechef,  ne  vescut 
gueres.  Si  fut  par  lautorité  du  Duc  Charles  Martel,  créé 
nouueau  Roy  Theodoric,  filz  de  Dagobert,  derrain  de  ce 
nom.  Lequel  Theodoric  auoit  esté  nourry  au  monastère 
des  nonnains  de  Cale.  Donques  après  ces  choses  ainsi  or- 
données en  France,  le  Duc  Charles  Martel  désirant  soy 
venger  de  sa  marastre  Pelctrude,  qui  tant  de  maux  luy 
auoit  fait,  assembla  vne  puissante  armée  et  se  tira  deuers 
Coulongne  sur  le  Rhin.  En  laquelle  cité  ladite  Plectrude, 
femme  de  grand  cœur,  sestoit  fortifiée  à  merueilles.  Et 
auoit  entre  ses  mains,  les  trésors  du  feu  Duc  Pépin  Heris- 
tel,  son  mary  :  mais  Charles  Martel  print  par  force  ladite 
cité  de  Coulongne,  ensemble  les  trésors  de  son  père,  auec- 
ques  sa  marastre.  Toutesuoyes  depuis  elle  eschappa  subti- 
lement et  senfuyt  au  Royaume  de  Bulgarie,  qui  est  oultre 
la  grand  riuiere  de  Dunoe,  en  Allemaigne,  par  delà  Hon- 
grie. 

le  ne  scay  si  pour  ceste  raison  ou  autre,  le  Duc  Charles 
Martel  fut  meu  de  tirer  son  armée  celle  part  :  mais  ie 
treuue  bien,  quil  alla  conquerre  ledit  Royaume  de  Bulga- 


444  ILLVSTRATIONS   DE  GAVLE,    ET 

rie,  et  en  passant  et  rapassant  subiuga  la  plus  grand  par- 
tie d'Allemaigne  :  cestasauoirlesSoaues,  Saxone  et  Bauiere  : 
puis  retourna  en  France,  victorieux,  auecques  grand  proye 
et  merueilleuses  despouilles. 

Retourné  en  France  le  Duc  Charles  Martel,  il  fut  ad- 
uerty,  que  le  Duc  d'Aquitaine  Eudon,  dessus  mentionné, 
machinoit  derechef  quelque  mauuaistié  contre  luy.  Si  tira 
celle  part  auecques  bonne  armée  :  mais  Eudon  ne  lattendit 
point,  ains  se  cacha  en  lieux  déserts  et  inaccessibles,  du 
costé  de  Gascongne  :  dont  quand  le  Duc  Charles  Martel 
veit  quil  ne  le  pourroit  trouuer,  il  sen  retourna  en  France 
et  donna  congé  à  ses  gendarmes  :  mais  peu  de  temps  après, 
luy  fut  mestier  les  rassembler  :  car  nouuelles  vindrent, 
que  les  hauts  Allemans  et  les  Soaues,  autresfois  par  luy 
vaincuz  et  surmontez,  se  vouloient  rebeller  par  le  motif  de 
leur  Duc  nommé  Leuffroy,  dont  il  fut  contraint  de  retirer 
celle  part,  ce  quil  feit  :  et  vainquit  ledit  Duc  Leuffroy.  Si 
remit  par  ceste  victoire,  les  hauts  Allemans  et  Soaues  en 
sa  subiection  et  obéissance. 


De  la  merueilleuse  victoire  que  le  Duc  Charles  Martel  eut  contre  les 
Sarrasins  :  lesquelz  Eudon,  Duc  d'Aquitaine  et  de  Gascongne,  auoit 
amenez  en  France.  Et  comment  il  donna  les  dismes  des  églises  aux 
geptilz  hommes. 


Pendant  ce  que  le  trespuissant  Duc  Charles  Martel  pour- 
suiuoit  ses  victoires  en  la  haute  Allemaigne,  Eudon,  Duc 
d'Aquitaine  et  Prince  de  Gascongne ,  mauuais  homme , 
vindicatif  et  tousiours  rebellant,  lequel  se  douloit  dauoir  esté 
ainsi  rebouté,  chassé  et  quis  par  Charles  Martel,  comme 
dessus  est  touché  :  sestoit  tiré  en  Espaigne,  vers  vn  Roy 


SINGVLARITEZ  DE  TROTS.  UVES  III.  44S 

infidèle  et  Mahommetiste,  nommé  Abidiram.  Auec  lequel 
il  auoit  tant  fait  et  pratiqué,  quil  luy  auoit  donné  non 
seulement  passage  par  ses  païs  de  Gascongne  et  d'Aqui- 
taine, pour  entrer  en  France,  mais  aussi  certain  espoir  et 
moyen*  dy  pouuoir  obtenir  règne  et  demeure  perpétuelle, 
auec  ses  Mores  et  Sarrasins.  Lesquelz  souz  ceste  folle 
confiance  suiuirent  leur  Roy  en  vne  merueilleuse  multitude  : 
menans  auec  eux  leurs  femmes,  leurs  enfans  et  tous  leurs 
bagages,  en  délibération  de  non  retourner  en  Espaigne, 
comme  ilz  ne  feirent  :  mais  ce  fut  au  rebours  de  leur  inten- 
tion. 

Abidiram,  Roy  des  Sarrasins,  moyennant  la  conduite  du 
Prince  Eudon  de  Gascongne,  assiégea  premièrement  la  cité 
de  Bourdeaux  et  la  print  :  brusla  les  églises  et  feit  tous 
les  maux  quil  peut.  Autant  en  feit  il  à  Poitiers  et  vint  ius- 
ques  à  Tours  :  mais  en  cest  endroit,  le  Duc  Charles  Martel 
luy  vint  alencontre,  auec  sa  puissance  d'Austrichois,  AUe- 
mans  et  François  :  si  luy  donna  la  bataille  et  vainquit, 
tellement  que  par  le  tesmoignage  de  tous  les  historiens,  il  y 
demoura  de  Sarrasins,  trois  cens  quatre  vingts  cinq  mille. 
Et  des  gens  du  Duc  Charles  Martel  seulement  quinze  cens  : 
qui  semble  chose  bien  miraculeuse.  Et  pource  que  les 
Barons  et  gentilzhommes  de  France  lauoient  bien  seruy  en 
ceste  guerre,  comme  il  y  parut,  et  despendu  tout  le  leur, 
vendu  et  engagé  leurs  terres,  pour  contrester  aux  mes- 
creans  et  soustenir  la  foy  de  Dieu  et  nostre  créance  de 
sainte  Chrestienté,  le  Duc  Charles  Martel,  du  consentement 
des  Prélats,  donna  pour  recompense  ausdits  seigneurs, 
barons  et  cheualiers,en  lieu  de  soulde  et  pour  leur  defiroy  (1) 
et  recouurement  de  leurs  terres  engagées,  aucune  partie 

(1)  c.-à-d.  pour  les  défrayer. 


446  ILLYSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

des  dismes  de  Leglise.  Promettant  les  (l)leur  rendre  au  dou- 
ble si  Dieu  luy  eust  prolongé  sa  vie.  Laquelle  donation  ou 
plustot  permission  faite  du  consentement  de  leglise  Galli- 
cane, en  péril  eminent,  les  gens  ecclésiastiques  de  France 
ont  depuis  blasmee,  et  ont  accusé  le  Duc  Charles  Martel 
destre  damné  à  ceste  cause.  Ce  que  ie  ne  croy  pas  :  car 
lequel  eust  il  mieux  valu  pour  la  chose  publique  de  Chres- 
tienté,  ou  que  les  Sarrasins  d'Afrique  se  fussent  habituez  en 
France,  par  lespace  de  huit  cens  ans,  comme  ilz  ont  fait  en 
Espaigne,  iusques  à  la  dernière  conqueste  de  Grenade,  ou 
que  le  patrimoine  de  Leglise  ayt  donné  secours  et  subside 
aux  gens  militaires  et  à  la  noblesse  de  France,  pour  obuier 
par  armes  et  de  fait  à  vn  tel  inconuenient,  ce  que  les  gens 
deglise  ne  pouuoient  faire  par  leurs  prières  et  oraisons. 
Mais  de  ce  disputer,  ie  me  déporte  :  car  ce  nest  pas  de 
présente  spéculation.  Si  reuiens  au  propos  principal  de  Ihis- 
toire  qui  dit  :  Que  après  la  desconfiture  des  Sarrasins  des- 
susdite, Eudon,  Duc  d'Aquitaine,  nonobstant  que  de  tous  ces 
maux  il  eust  esté  cause,  trouua  manière  de  faire  son  appoin- 
tement  auec  le  Duc  Charles  Martel.  Et  deflSt  la  reste  des 
Sarrasins,  selon  ce  que  met  Gaguin,  en  Ihistoire  de  France. 


Comment  le  Duc  Charles  Martel  conquesta  le  Rovaame  de  Bour- 
gongne,  la  Duché  d'Aquitaine  «t  de  Gsscongne  ,  et  depuis  le 
Royaume  de  Frise  :  et  vainqiiit  les  Allemans  sur  le  Rhin,  et  les 
Goths  et  Sarrasins  en  Prouence,  et  en  Aquitaine  :  et  de  ses  autres 
gestes. 


Geste  tresglorieuse  victoire  des  Sarrasins  acheuee  par  le 
Duc  Charles  Martel,  autre  nouuelle  guerre  suruint  du  costé 

(1)  c.-à-d.  les  gen$  ecclésiastiques  dont  Le  Maire  parle  plus  bas. 


8INGVLARITBZ   DB   TROYR..IJVBB   III.  447 

de  Bourgongne.  Et  selon  ce  que  ie  puis  comprendre  :  ce 
fut  par  le  moyen  du  dessus  nommé  Ëudon,  Duc  d'Aquitaine 
et  de  Gascongne,  tousiours  maluueillant  du  Duc  Charles 
Martel.  Lequel  Prince  tresnobleettresinuaincu,  (l)alla  icelle 
part  :  et  print  la  cité  de  Lyon  sur  le  Rhône,  qui  pour  lors 
estoit  la  tierce  prouince  du  Royaume  de  Bourgongne  :  dil- 
lec  il  tira  en  Arles  en  Prouence,  qui  de  toute  ancienneté 
estoit  la  cité  capitale  du  Royaumo  de  Bourgongne,  comme 
est  ores  Paris  en  France.  En  oultre  il  conquit  Marseille  et 
le  pais  denuiron,  en  lostant  aux  Vesegoths,  vne  nation 
d'Allemaigne,  qui  auoient  occupé  ladite  contrée.  Et  brief, 
il  mit  en  son  obéissance  tout  le  Royaume  de  Bourgongne. 
Si  tua  finablement  le  Duc  Eudon,  son  ancien  ennemy, 
comme  ie  treuue  en  vne  vieille  chronique.  Print  et  subiuga 
toutes  ses  seigneuries  en  Aquitaine  et  Gascongne,  mais 
pour  la  singulière  modération  dont  il  estoit  plein,  il  nap- 
pella  point  les  Bourguignons  quil  auoit  conquestez,  ses  sub- 
ietz  :  mais  ses  alliez  et  confederez,  par  plus  douce  et  plus 
agréable  appellation. 

Puis  après,  à  fin  quil  se  gardast  destre  oiseux,  il  mena 
son  armée  en  Allemaigne  oultre  le  Rhin,  contre  le  Roy  de 
Frise,  nommé  Radbod,  de  secte  Payenne  et  idolâtre  :  lequel 
ie  treuue  ailleurs  estre  nommé  Popon  :  si  le  vainquit  sur  le . 
fleuue  Burdon  et  gaigna  son  Royaume,  lan  de  nostre  salut 
sept  cens  trentecinq.  Et  en  ce  temps  là  les  Vuandelz,  vne 
autre  nation  d'Allemaigne,  entrèrent  en  France  iusques  à  la 
cité  de  Sens  :  lesquelz  Obbo,  archeuesque  de  Sens,  deffit.  Et 
tantost  après  les  Bourguignons  se  rebellèrent,  contre  les- 
quelz le  Duc  Charles  Martel  après  son  retour  de  Frise, 
marcha  derechef,  et  entra  dedens  Lyon  sur  le  Rhône  :  où 

(1)  Se  trouve  auasi  dans  la  Couronne  Margaritiqne. 


448  ILLVSTRATIONS   DE   GAVLE,    ET 

il  punit  aucuns  citoyens  estans  chefz  et  motifz  de  la  rébel- 
lion. Et  dillec  tira  en  Arles,  cité  capitale  dudit  Royaume 
de  Bourgongne,  et  autres  villes  et  fortes  places,  là  où  il 
mit  bonne  garnison. 

Ne  tarda  gueres  après,  quil  luy  fut  mestier  de  retourner 
en  AUemaigne,  pource  que  ses  subietz  de  dessus  la  riuiere 
du  Rhin  séstoient  esleuez  de  nouueau  :  lesquelz  il  dompta 
derechef.  Cela  fait,  autre  tumulte  suruint  du  costé  de  Pro- 
uence,  car  Marancus  Bourguignon,  (1)  qui  se  disoit  Duc  de 
Prouence,  autresfois  subiugué  par  le  Duc  Charles  Martel, 
auoit  fait  secrète  alliance  auec  les  Vesegoths,  vne  nation 
d' AUemaigne,  habitans  pour  lors  en  Aquitaine  :  lesquelz 
nestoient  point  contens  de  ce  que  leur  Duc  Odo  auoit  esté 
défiait  par  le  Duc  Charles  Martel.  Et  oultreplus,  ledit 
Marancus  de  Prouence  estoit  allé  quérir  secours  en  Esr 
paigne.  Et  de  fait,  auoit  pratiqué  deux  Roys  Sarrasins. 
Dont  lun  estoit  nommé  Athimus  et  lautre  Amorreus.  Par 
ainsi  ledit  Marancus,  qui  se  disoit  Duc  de  Prouence,  entra 
le  premier  en  Aquitaine,  auec  le  Roy  Athimus  Sarrasin.  Si 
prindrent  de  primeface  Bourdeaux  et  Narbone  :  et  vindrent 
passer  le  Rhône  et  prindrent  les  citez  d'Auignon  et  Arles 
en  Prouence.  Et  se  respandirent  lesdits  Vesegoths  et  Sar- 
rasins parmy  toute  Aquitaine  et  les  citez  capitales  du 
Royaume  de  Bourgongne,  du  costé  de  Prouence.  Si  se  for- 
tifia ledit  Marancus  dedens  Auignon,  et  le  Roy  Athimus 
à  Narbone. 

Le  Duc  Charles  Martel  aduerti  de  ces  nouu elles,  donna 
bon  ordre  en  son  pais  du  Rhin  et  vint  diligemment  en  la 
haute  Bourgongne  où  il  mit  sus  la  plus  grand  armée  quil 

(1)  Le  comte  Mauruntus,  aidé  par  Yousouf-Ibn,  gouverneur  arabe 
de  Narbonne. 


SIMGTLARITCZ   DE   THOYE.    LIVRE   III.  449 

peut.  Si  alla  promptement  assiéger  Auignon,  et  la  print  par 
force.  Aucuns  disent,  que  ce  fut  fait  par  son  frère  nommé 
Chiidebert,  son  lieutenant  en  ceste  partie.  Et  de  là  tira  à 
Nârbone,  où  le  Roy  Athimns  Sarrasin  estoit,  et  y  mit  le 
siège.  Au  secours  duquel  vint  par  raer  lautre  Roy  Sarrasin, 
nommé  Amorreus,  dont  dessus  est  faite  mention,  auec  multi- 
tude infinie  de  Sarrasins.  Parquoy  fut  mestierau  Duc  Charles 
Martel  de  demander  secours  au  Roy  de  Lombardie,  nommé 
Luitprand  :  lequel  estoit  son  compère.  (1)  Et  vn  peu  de  temps 
parauant  luy  auoit  monstre  signe  de  grand  amytié  :  car  à 
la  seule  et  simple  requeste  du  Duc  Charles  Martel,  il  auoit 
laissé  le  siège  quil  tenoit  deuant  Romme,  contre  le  Pape 
Grégoire  troisième  de  ce  nom. 

Luitprand,  Roy  des  Lombards,  venu  au  secours  de  son 
compère,  le  Duc  Charles  Martel ,  iointes  ensemble  les 
armées  des  Allemans,  François,  Bourguignons  et  Lom- 
bards, ilz  liurerent  la  bataille  aux  Sarrasins  et  aux  Vese- 
goths,  en  vne  belle  plaine,  en  la  vallée  de  Corbar,  (2)  qui  nest 
pas  loing  de  Narbone.  Lestrif  y  fut  grand  et  merueilleux. 
Mais  après  que  lun  des  Roys  Sarrasins,  nommé  Amorreus, 
y  fut  occis,  toute  la  reste  se  laissa  desconfire.  Lautre  Roy, 
nommé  Athimus,  se  sauua  en  vn  petit  nauire  et  senfuit  en 
Espaigne.  Par  ainsi  le  Duc  Charles  Martel  demoura  victo- 
rieux, moyennant  layde  de  Luitprand,  Roy  des  Lombards. 
Oultreplus,  tous  les  Vesegoths,  vne  cruelle  nation,  qui  la 
par  lespace  de  trois  cens  ans  auoient  troublé  le  monde  tant 
en  Prouence  comme  en  Aquitaine  et  Espaigne,  furent  def- 

(1)  Eq735,  Charles  Martel  avait  envoyë  son  fiU  à  Luitprand  afin 
que  celui-ci  devint  son  père  d'adoption  en  lui  coupant  les  cheveux 
selon  Tusage  germanique. 

(2)  La  vallée  des  Corbières. 

II.  » 


y 


450  ILLVSTRATIOKS    DE   GAVLE,    ET 

faits,  exceptez  aucuns  qui  se  retirèrent  à  Barcelone,  Ne 
les  Sarrasins  noserent  onques  puis  entrer  en  France.  Don- 
ques  toutes  autres  nations  estrangeres,  iettees  dehors,  la 
Gaule  demoura  subiette  aux  François,  moyennant  la  grand 
prouesse  et  vertu  du  Duc  Charles  Martel. 

Enuiron  ce  temps  là  mourut  le  Roy  de  France,  nommé 
Theodoric,  deuxième  de  ce  nom  :  filz  de  Dagobert,  au  lieu 
duquel  le  Duc  Charles  Martel,  comme  Prince  du  Palais, 
constitua  Childeric,  frère  germain  dudit  Theodoric.  Lequel 
Childeric  fut  depuis  honteusement  déposé,  souz  ombre  de 
lautorité  du  Pape  Zacharie,  comme  sera  dit  cy  après  :  quand 
nous  parlerons  de  Pépin,  filz  du  Duc  Charles  Martel.  Ainsi 
appert  que  par  le  Duc  Charles  Martel  furent  créez  quatre 
Roys  en  France  :  cestasauoir,  Lothaire,  Chilperic,  Theo- 
doric et  Childeric.  Et  fut  si  preudhomme,  quil  ne  voulut 
point  vsurper  la  couronne  de  France  :  ne  se  nommer  Roy, 
ce  quil  eust  bien  peu  faire.  Mais  Pépin  le  Brief,  son  filz, 
ne  le  feit  pas  ainsi. 

Tant  de  hautes  choses  acheuees,  par  la  force,  prudence 
et  vertu  de  ce  tresglorieux  et  magnanime  Prince,  Charles 
Martel,  le  Royaume  de  France  et  toutes  les  prouinces  par 
luy  conquises  pacifiées  :  après  tant  de  trauaux,  approchant 
le  terme  de  ses  iours,  il  cheut  en  maladie,  en  vn  bourg, 
nommé  Vermene,  près  du  fleuue  d'Isère.  (1)  Or  auoit  il  trois 
enfans,  comme  ie  croy  de  deux  femmes  :  cestasauoir  :  Kar- 
loman,  Pépin  et  Griffon.  De  la  première  femme  ie  ne  scay 
le  nom  (2)  :  mais  la  mère  de  Griffon,  le  maisné,  auoit  nom 
Simahilde  (3)  :  nièce  du  Duc  Odon  de  Bauiere.  Si  distribua 


(1)  Charles  Martel  est  mort  à  Quîersy-sur-Oise,  en  741. 

(2)  C'est  Rothrude,  mère  de  Carloraan  et  de  Pépin  le  bref. 

(3)  Sonnichilde. 


8IMGTLARITBZ   DE   TROTE.    LIVRE   III.  4M- 

Charles  Martel  son  héritage  aux  deux  premiers  tant  seule- 
ment. Karloman  eut  pour  sa  part,  Âustriche  la  basse  :  quon 
dit  maintenant  les  pais  de  Lothric  et  Brabant,  Soaue,  AJ- 
lemaigne  et  Tburinge.  Lappennage  de  Pépin  le  Brief,  fut 
France,  Bourgongne  et  Aquitaine.  Griffon,  le  plus  ieune, 
neut  point  de  terre  en  sa  part  :  mais  fut  passé  souz  silence 
au  testament  de  son  pare,  dont  sa  mère  Simahilde  ne  fut 
pas  contente. 

Tantost  après,  ce  tresuertueux  Prince  trespassa  :  lan  de 
sa  Principauté  vingtcinq,  selon  les  Chroniques  de  France  : 
mais  les  Chroniques  d'Allemaigne  luy  en  donnent  dix  da- 
uantage.  Et  fut  solennellement  enseuely  à  saint  Denis  en 
France,  en  vn  sépulcre  dalbastre,  qui  encores  est  en  estre. 
Mais  iasoit  ce  quil  ne  soit  pas  conté  au  nombre  des  Roys 
de  France,  neantmoins,  sa  statue  ou  représentation  estant 
dessus  son  tumbel,  en  ladite  église  de  saint  Denis  en  France, 
porte  sceptre  et  couronne.  Ce  que  iay  diligemment  regardé, 
et  noté.  Si  ay  trouué  en  vn  ancien  Hure,  au  païs  de  Brtdi 
bant,  son  epitaphe  en  quatre  vers,  tel  qui  sensuit  :  "■ 

Ecce,  Brabantinus  dux  quartas  ia  orbe  triumphat 
Malleus,  in  luundo  specialis  Cbristirolarum. 
Dnx,  dominusque  ducum,  llegum  quoque,  liez  fore  spi*euit  : 
Non  vult  regnare,  sed  Regibus  imperat  ipse. 


De  Karloman,  Duc  d* Austriche  la  basse,  quod  dit  maintenant  Lothric, 
et  Brabant,  Soaue,  Allemaigne  et  Thuringe  :  lequel  après  plu- 
sieurs victoires  se  rendit  moyne. 

Karloman  filz  aisné  du  Duc  Charles  Martel,  à  qui  le  père 
par  son  testament  auoit  laissé  les  païs  d' Austriche,  Brabant, 
Soaue,  Allemaigne  et  Thuriuge,  vescut  pacifiquement  auec 


4oâ  ILLVSTRATIO^S    DE    GATLE,    ET 

son  frère  Pépin  le  Brief.  Ce  qui  aduient  peu  souuent,  entre 
frères  charnelz  :  mesmement  quand  ilz  sont  grans  seigneurs. 
Et  Juy  assista  en  tous  ses  affaires.  Car  comme  Simahilde, 
vefue  du  Duc  Charles  Martel,  fust  mal  contente  comme 
dessus  est  dit,  de  ce  que  son  filz  Griffon  nauoit  point  esté 
nommé  héritier  en  aucune  partie,  au  testament  de  son  père  : 
estant  femme  de  cœur,  incita  sondit  filz  à  demander  la  part 
de  la  succession  à  ses  frères  :  attendu  quil  nestoit  point 
bastard  '  ce  quil  feit  tantost  et  voulentiers  :  et  print  en  sa 
saisine  la  cité  de  Laon.  Si  entama  la  guerre  contre  lesdits 
frères,  lesquelz  lassiegerent  et  le  prindrent.  Et  à  fin  quil 
ne  troublast  plus  les  affaires  du  Royaume,  Karloman  len- 
uoya  en  seure  garde  à  Chasteauneuf,  vne  forte  place,  en  la 
forest  d'Ardenne.  (1) 

Cela  fait,  les  deux  frères  ensemble  allèrent  alencontre  de 
Hunauld,  Duc  d'Aquitaine,  qui  se  rebelloit  contre  le  Roy- 
aume de  France.  Et  après  quilz  eurent  vaincu  ledit  Hu- 
nauld et  remis  icelle  prouince  en  deuoir  dobeïssance  :  eux 
deux  par  ensemble  domptèrent  les  Allemans  à  eux  rebelles 
et  Odilon,  Duc  de  Bauiere  :  puis  Karloman  tout  seul  alla 
contre  les  Saxons  :  desquelz  il  obtint  victoire.  Dont  après 
tant  de  prosperitez  il  fut  ennuyé  du  monde.  Si  délibéra 
dy  renoncer,  et  dentrer  en  religion  :  ce  quil  feit,  à  peu  de 
compaignie  :  du  sceu  et  consentement  de  son  frère  Pépin. 
Et  se  tira  ledit  Karloman  à  Romme  vers  le  Pape  Zacha- 
rie  :  de  la  main  duquel  il  print  Ihabit  de  saint  Benoit,  et 
alla  viure  religieusement  au  monastère  de  Montcassin  en 
Italie  :  lequel  au  parauant  il  auoit  fait  édifier  à  ses  des- 
pens,  délibérant  dy  vser  sa  vie  en  faisant  pénitence,  ce  qui 

(I)  Juxta  Arduennam,  dit  Eginhard.  C'est  le  château  d'AmblèTe, 
près  d'Aywaille,  appelé  aussi  Nev/château. 


siNfivtAarrex  ue  truyk.  livrb  m.  455 

naduint  pas  :  car  Aistulphe,  Roy  des  Lombards,  homme 
oault  et  malicieux,  trouua  moyen  de  le  tirer  hors  de  son 
monastère,  pour  ienuoyer  en  France  comme  ambassadeur, 
deuers  le  Duc  Pépin,  son  frère,  lequel  se  preparoit  de  faire 
ia  guerre  contre  ledit  Aistulphe,  pour  la  querele  et  à  la 
requeste  du  saint  siège  apostolique  :  qui  par  la  tyrannie 
dudit  Aistulphe  estoit  troublé  et  molesté  en  la  possession 
du  patrimoine  de  Leglise.  Si  pensoit  iceluy  Aistulphe,  que 
ledit  Karloman  moyne,  par  sa  persuasion  trouueroit  ma- 
nière de  retarder  son  frère  le  Duc  Pépin,  du  passage  oultre 
les  monts  :  laquelle  ambassade  le  Duc  Pépin  print  si  très- 
mal  engré,  que  non  eu  regard  à  lamour  et  charité  frater- 
nelle, ny  aux  bons  seruices  que  parauant  il  luy  auoit  faits, 
,feit  mettre  sondit  frère  Karloman  en  perpétuel  exil,  dedens 
vn  monastère,  en  la  cité  de  Vienne  en  Dauphiné,  là  où  tan- 
tost  après  il  mourut  de  regret. 


Du  Duc  Pépin  sui-noranié  le  Brief  :  troisième  de  ce  nom  en  cegte 
généalogie,  Duc  de  Bourgongae  et  d'Aquitaine,  Prince  du  Palais 
de  France  :  et  des  autres  successions  qui  lujr  accreurent  4t  cause 
de  son  frère  aisné  Karloman  deuenu  moyne.  Et  aussi  des  guerres 
quil  eut  contre  son  frère  maisné  Griffon. 


.,  Pépin  le  Brief,  cestadire  le  court,  ainsi  surnommé,  pource 
rquil  estoit  de  petite  corpulence,  viuant  encores  son  père  le 
Duc  Charles  Martel  :  incontinent  quil  se  sentit  par  le  testa- 
ment paternel  estre  declairé  et  institué  héritier  du  pais  de 
Bourgongne,  comme  dessus  est  dit  :  vsaiît  de  grand  pru- 
dence, il  se  tira  celle  part,  à  toute  diligence  :  et  en  print  la 
possession,  craingnant  que  suruenant  le  trespas  de  sondit 
père,  il  ny  eust  aucun  trouble  ou  destourbier,  sil  en  estoit 


452  ILLVSTRATIOHS    DE    GATLE,    ET 

son  frère  Pépin  le  Brief.  Ce  qui  aduient  peu  souuent,  entre 
frères  charnelz  :  mesraement  quand  ilz  sont  grans  seigneurs. 
Et  ]uy  assista  en  tous  ses  affaires.  Car  comme  Simahilde, 
vefue  du  Duc  Charles  Martel,  fust  mal  contente  comme 
dessus  est  dit,  de  ce  que  son  filz  Griffon  nauoit  point  esté 
nommé  héritier  en  aucune  partie,  au  testament  de  son  père  : 
estant  femme  de  cœur,  incita  sondit  filz  à  demander  la  part 
de  la  succession  à  ses  frères  :  attendu  quil  nestoit  point 
bastard  '  ce  quil  feit  tantost  et  voulentiers  :  et  print  en  sa 
saisine  la  cité  de  Laon.  Si  entama  la  guerre  contre  lesdits 
frères,  lesquelz  lassiegerent  et  le  prindrent.  Et  à  fin  quil 
ne  troublast  plus  les  affaires  du  Royaume,  Karloman  len- 
uoya  en  seure  garde  à  Chasteauneuf,  vne  forte  place,  en  la 
forest  d'Ardenne.  (1) 

Cela  fait,  les  deux  frères  ensemble  allèrent  alencontre  de 
Hunauld,  Duc  d'Aquitaine,  qui  se  rebelloit  contre  le  Roy- 
aume de  France.  Et  après  quilz  eurent  vaincu  ledit  Hu- 
nauld et  remis  icelle  prouince  en  deuoir  dobeïssance  :  eux 
deux  par  ensemble  domptèrent  les  Allemans  à  eux  rebelles 
et  Odilon,  Duc  de  Bauiere  :  puis  Karloman  tout  seul  alla 
contre  les  Saxons  :  desquelz  il  obtint  victoire.  Dont  après 
tant  de  prosperitez  il  fut  ennuyé  du  monde.  Si  délibéra 
dy  renoncer,  et  dentrer  en  religion  :  ce  quil  feit,  à  peu  de 
compaignie  :  du  sceu  et  consentement  de  son  frère  Pépin. 
Et  se  tira  ledit  Karloman  à  Romme  vers  le  Pape  Zacha- 
rie  :  de  la  main  duquel  il  print  Ihabit  de  saint  Benoit,  et 
alla  viure  religieusement  au  monastère  de  Montcassin  en 
Italie  :  lequel  au  parauant  il  auoit  fait  édifier  à  ses  des- 
pens,  délibérant  dy  vser  sa  vie  en  faisant  pénitence,  ce  qui 

(1)  Juxta  Arduennam,  dit  Eginhard,  C'est  le  château  d'AmblèTe, 
près  d'Aywaille,  appelé  aussi  Nev/chÂteau. 


SitUiVLABITKX    UK   TRUYK.    LIVKB    ill  4fi5 

naduint  pas  :  car  Aistulphe,  Roy  des  Lombards,  homme 
cault  et  malicieux,  trouua  moyen  de  le  tirer  hors  de  son 
monastère,  pour  ienuoyer  en  France  comme  ambassadeur, 
deuers  le  Duc  Pépin,  son  frère,  lequel  se  preparoit  de  faire 
la  guerre  contre  ledit  Aistulphe,  pour  la  querele  et  à  la 
requeste  du  saint  siège  apostolique  :  qui  par  la  tyrannie 
dudit  Aistulphe  estoit  troublé  et  molesté  en  la  possession 
du  patrimoine  de  Leglise.  Si  pensoit  iceluy  Aistulphe,  que 
ledit  Karloman  moyne,  par  sa  persuasion  trouueroit  ma- 
nière de  retarder  son  frère  le  Duc  Pépin,  du  passage  oultre 
les  monts  :  laquelle  ambassade  le  Duc  Pépin  print  si  très- 
mal  engré,  que  non  eu  regard  à  lamour  et  charité  frater- 
nelle, ny  aux  bons  seruices  que  parauant  il  luy  auoit  faits, 
,feit  mettre  sondit  frère  Karloman  en  perpétuel  exil,  dedens 
vn  monastère,  en  la  cité  de  Vienne  en  Dauphiné,  là  où  tan- 
tost  après  il  mourut  de  regret. 


Du  Duc  Pépin  surnommé  le  Brief  :  troisième  de  ce  nom  en  ceste 
généalogie,  Duc  de  Bourgongne  et  d'Aquitaine,  Prince  du  Palais 
de  France  :  et  des  «utres  successions  qui  lujr  accreurent  ^  cause 
de  son  frère  aisné  Karloman  deuenu  moyne.  Et  aussi  des  guerres 
quil  eut  contre  son  frère  maisné  Griffon. 


.«Pépin  le  Brief,  cestadire  le  court,  ainsi  surnommé,  pource 
quil  estoit  de  petite  corpulence,  viuant  encores  son  père  le 
Duc  Charles  Martel  :  incontinent  quil  se  sentit  par  le  testa- 
ment paternel  estre  declairé  et  institué  héritier  du  pais  de 
Bourgongne,  comme  dessus  est  dit  :  vsapt  de  grand  pru- 
dence, il  se  tira  celle  part,  à  toute  diligence  :  et  en  print  la 
possession,  craingnant  que  suruenant  le  trespas  de  sondit 
père,  il  ny  eust  aucun  trouble  ou  destourbier,  sil  en  estoit 


456  ILLVSTRATIOAS   DE   GAVLE,  ET 

realle,  et  maintenoit  la  seigneurie  sans  contradiction  quel- 
conque. Pour  donques  venir  à  ces  fins,  Pépin  enuoya  à 
Romme,  deuers  le  Pape  Zacharie,  vne  secrète  ambassade, 
ayans  leurs  instructions  forgées  selon  son  intention.  Et  fu- 
rent deux  hommes  deglise,  qui  la  mirent  à  exécution  : 
cestasauoir,  Burkard,  archeuesque  de  Vuirtsbourg,  dite  en 
Latin  Herbipolis,  qui  est  cité  capitale  du  païs  de  Francone, 
quon  dit  France  Orientale  oultre  le  Rhin,  et  Vokard,  (1)  archi- 
chapelain  domestique  du  Duc  Pépin.  Lesquelz  demandèrent 
au  Pape  par  cauteleuse  simplesse,  quil  luy  pleut  leur  déter- 
miner ceste  question  :  asauoir  mon  lequel  des  deux  estoit 
plus  digne  destre  Roy,  ou  celuy  qui  se  tenoit  tousiours  en 
lombre  de  son  Palais  sans  faire  chose  qui  seruit  au  bien 
commun  et  sans  se  soucier  des  affaires  du  Royaume  :  ou 
celuy  qui  par  sa  propre  vertu,  industrie  et  sollicitude,  et 
par  mettre  en  danger,  aduenturer  souuentesfois  sa  personne 
en  armes  contre  les  ennemis,  donnoit  ordre  à  tous  les  affai- 
res publiques  et  à  la  deffense  et  accroissement  du  Royaume. 
A  laquelle  demande  et  proposition  le  Pape  Zacharie  in- 
struit assez  de  la  response  quil  deuoit  faire,  et  que  les 
demandans  vouloient  quil  feist  :  respondit,  que  voirement 
celuy  estoit  plus  digne  dauoir  tiltre  de  Roy  et  la  totale  auto- 
rité du  Royaume,  qui  par  sa  prudence,  diligence  et  solicitude 
adressoit,  administroit  et  moderoit  les  affaires  de  la  chose 
publique.  Souz  lombre  et  couleur  de  laquelle  response  du 
Pape,  remonstree  aux  Barons  de  France  par  lesdits  ambas- 
sadeurs, à  leur  retour  de  Romme,  et  moyennant  lautorisation 
dicelle  :  ilz  eslurent  le  Duc  Pépin,  Prince  du  Palais,  pour 
leur  Roy.  Et  fut  sacré  à  Soissons  par  saint  Boniface,  Eues- 
que  dudit  lieu  :  lan  de  nostre  Seigneur  sept  cens  cinquante. 

(I)  Volkard  ou  Folcard. 


SlNGVLARlTeZ   DE   TBOYK.    LIVRE   III.  457 

Et  Gbilderie,  homme  de  petite  value,  fut  honteuBaoïent 
dégradé  et  mis  lus  de  la  dignité  Royale.  Si  fut  t(nda 
inoyne,  et  reclus  en  vn  monastère  :  ou  il  fina  ses  iours  en 
pénitence  et  en  angoissé. 

La  raesme  année  que  le  Roy  Pépin  la  Brîef  reoent  1»  note 
dignité  de  la  couronne  de  France,  le  peuple  des  SaxoM  luy 
feit  la  guerre.  Et  il  les  vainquit  derechef  snr  le  fleune 
nommé  Vuisara.  (1)  Et  comme  de  ladite  victoire  il  estoit  de 
retour  en  France,  il  luy  fut  nonce,  que  Griâbn  son  £rere, 
lequel  sestoit  retiré  vers  Gayffier,  Duc  d'Aquitaine,  comme 
dessus  est  dit,  estoit  mort.  La  vieille  Chronique  dit  :  quil 
fut  tuié  en  Saxone  :  il  estoit  homme  rapineux  et  vioant  de 
proye  :  si  ne  pouuoit  durer.  Et  pource  fut  il  nommé  Grif- 
fon :  comme  met  Platina.  Tantoat  après  le  Pape  Estienne, 
deuxième  de  ce  nom,  vint  en  France  demander  secours 
contre  Aistulphe,  Roy  des  Lombards,  qui  molestoit  les  ter- 
res de  Leglise  :  lequel  Pape,  le  Roy  Pépin  receut  en  grand 
honneur.  Et  il  oingnit  et  consacra  derechef  Pépin  en  Roy 
de  France  :  et  bénit  ses  deux  enfans,  Karloman  et  Charles 
le  grand,  et  toute  leur  postérité.  Si  maudit,  dautre  part, 
tous  ceux  qui  leur  feroient  grief  ou  tort. 

Par  ainsi  en  la  faueur  dudit  saint  Père,  quand  ce  vint 
sur  le  printemps,  le  Roy  Pépin  passa  les  monts  et  marcha 
contre  Aistulphe,  Roy  des  Lombards,  pour  la  première  fois. 
Et  depuis  pour  la  seconde,  tant  quil  contraingnit  ledit  Roy 
Aistulphe,  de  rendre  ce  quil  auoit  Ysurpé  en  Italie,  de 
Lexarcat  de  Rauenne,  lequel  appartenoit  à  Lempire.  Et 
presques  toutes  les  conquestes  que  le  Roy  Pépin  feit  en  Ita- 
lie, il  les  donna  à  leglise  Romaine,  comme  sera  spécifié 
tantost  en  la  fin  de  ce  liure. 

(1)  Le  Weser. 


458  ILLVSTKATIONS    DE   GAVLK,    ET 

Iceluy  Roy  Pépin  mena  aussi  la  guerre  par  lespace  de 
huit  ans  contre  Gayffier,  Duc  d'Aquitaine,  en  faueur  de  Le- 
glise,  laquelle  iceluy  Duc  oppressoit.  Maispource  quil  deue- 
noit  desia  pesant  et  sur  aage  de  vieillesse,  il  en  bailla  toute 
la  charge  à  son  filz  maisné  Charles  le  grand,  encores  ado- 
lescent et  à  qui  la  barbe  ne  faisoit  que  poindre.  Lequel 
print  tantost  Bourbon  et  Clermont,  et  autres  places  en  Au- 
uergne,  qui  fut  le  premier  commencement  de  ses  hautes  et 
heureuses  prouesses,  lesquelles  il  acreut  depuis  ainsi  que 
chacun  scait.  Finablement  iceluy  Gayffier,  Duc  d'Aquitaine, 
fut  tué  par  ses  gens  mesmes,  et  la  guerre  finee.  Taxiilo,  Duc 
de  Bauiere,  vint  en  France  à  grand  compaignie  et  triomphe  : 
et  feit  hommage  au  Roy  Pépin  de  la  Duché  de  Bauiere.  Et 
derechef,  les  Saxons  furent  par  luy  vaincuz  et  asubiettiz, 
à  ce  que  tous  les  ans  par  manière  de  tribut,  ilz  ameneroient 
au  Roy  trois  cens  coursiers  de  prys,  au  temps  que  le  parle- 
ment se  tiendroit  à  Paris.  Lequel  parlement  fut  première- 
ment institué  par  ledit  Roy  Pépin. 

De  sa  femme  Berthe  il  eut  les  deux  filz  dessusnommez  : 
cestasauoir  Karloman  et  Charles  le  grand,  lesquelz  il  laissa 
héritiers  parensemble  sans  partage,  et  vne  fille  nommée 
Berthe,  qui  fut  mariée  à  Milon,  Conte  du  Mans,  et  fut  mère 
de  Roland.  Ladite  Berthe,  mère  de  Charlemaigne,  est  ense- 
lie  en  vne  ancienne  abbaye  dite  la  Nouuellaise,  au  pied  du 
mont  Senis,  pardelà  pour  tirer  le  chemin  de  Suse  et  de 
Piedmont,  comme  autresfois  mont  affermé  les  moynes  dudit 
lieu  :  mais  le  Roy  Pépin  son  mary  est  enterré  à  saint  Denis 
en  France.  Et  mourut  à  Paris  lan  de  grâce  sept  cens  soi- 
xantehuit,  et  de  son  règne  le  vingtseptieme.  Lepitaphe 
dudit  Roy  Pépin  est  tel,  selon  les  anciens  liures  que  iay 
trouué  en  Brabant  : 

Iste  Biabnntinus,  dux  quintus  Austrasiorum, 
Ex  dace  fit  tandem  Rex  primus  generis  huius. 


SINGVLAKITEZ   Ob    TROYB.    LIVRE  III.  460 


Narration  comment  les  successions  des  Princds  se  maent  et  changent 
par  la  prouidence  diuine.  Et  comment  le  sang  de  Lemporear 
Charles  le  grand  fut  depuis  reûnjr  et  réintégré,  on  réitéré,  eb  la 
famille  de«  Roj8  trescbrestiens,  iasqaes  auiourdhnj ,  par  ligue 
féminine. 


Ainsi  termina  son  règne  sur  les  François  la  ligné  de 
Meroueus  yssu  des  Troyens  et  hauts  Sicambriens.  Laquelle 
auoit  esleué  ledit  Royaume  et  temporisé  en  iceluy,  par 
lespace  de  trois  cens  trente  ans  :  car  Pharamond,  le  premier 
Roy,  fut  couronné  lan  quatre  cens  et  vingt,  et  Pépin,  le 
premier  de  sa  lignée,  lan  sept  cens  cinquante,  comme  des- 
sus est  dit.  Et  fut  Pépin  le  vingtdeuxieme  Roy  de  France, 
comme  il  me  semble,  iasoit  ce  que  Gaguin  en  son  histoire 
ne  le  mette  que  pour  vingtunieme,  dont  ie  raesmerueille.  Et 
mesmement  de  ce  quil  ne  conte  Meroueus  et  son  filz  Ghil- 
peric,  sinon  pour  vn  Roy.  Si  pourroit  sembler  que  Mero- 
ueus, qui  fut  père  de  famille  et  chef  de  toute  ceste  lignée, 
mérite  bien  dauoir  son  lieu  à  part.  •^* 

La  génération  de  Pépin  le  Brief  et  de  Charles  le  grand 
régna  en  Lempire,  enuiron  cent  dix  ans,  et  non  plus.  Mais 
elle  posséda  la  couronne  de  France,  par  lespace  de  deux 
cent  quarante  ans,  iusques  à  ce  que  la  lignée  de  ceux 
d'Angers  (laquelle  aucuns  historiens  disent  estre  yssuz  des 
Saxons,  cestasauoir,  Hue  Capet,  filz  de  Hue  le  grand. 
Conte  de  Paris)  vsurpa  le  Royaume  sur  les  successeurs  de 
Pépin  et  de  Charles  le  grand.  Laquelle  vsurpation  fut 
faite,  lan  de  nostre  Seigneur  neuf  cens  quatre  vingts  et  dix. 
Et  tout  ainsi  que  Childeric,  filz  de  Theodoric,  fut  le  dernier 
Roy  de  la  lignée  de  Meroueus,  yssu  des  Troyens  de  la  haute 
Sicambre,   aussi  Charles,  filz  de  Loys  sixième  de  ce  nom. 


4(1)0  llXVSTRATiO^S   D£  GAVLE,   £T 

Lequel  Charles  qui  mourut  prisonnier  en  la  cité  d'Orléans, 
fut  le  dernier  de  sa  génération,  yssu  des  Troyens  de  la 
basse  Sicambre,  qui  posséda  le  Royaume  de  France. 

Lesquelles  mutations,  si  bien  nous  y  aduisons,  furent 
faites  premièrement  par  la  prouidence  diuine  :  et  seconde- 
ment par  lart,  ministère  et  traflSque  des  prostrés.  Car  si 
souz  ombre  de  religion  et  de  sainteté  Burkard,  premier 
euesque  de  Herbipolis  en  Francone,  et  Vokard,  chapelain 
domestique  de  Pépin  le  Brief,  impetrerent  du  Pape  Zacha- 
rie  la  response  seruant  à  leur  propos,  dont  la  mutation  de 
la  succession  légitime  au  Royaume  se  feit,  comme  dessus 
est  touché  :  aussi  Hue  Capet  suborna  leuesque  de  Laon 
nommé  Anselme,  à  ce  quil  luy  mist  entre  les  mains  le  Roy 
Charles,  dernier  de  la  lignée  de  lempereur  Charles  le  grand. 
Lequel  fut  enuoyé  tenir  prison  à  Orléans  là  où  il  mourut. 
Et  ce  feit  ledit  Hue  Capet,  Roy  de  France,  tant  par  force, 
comme  souz  ombre  de  ce  quil  faisoit  courir  la  voix  par 
ledit  Euesque  et  autres  gens  deglise,  que  saint  Vualeric  et 
saint  Richer  lauoient  de  ce  faire  admonnesté  par  vision  et 
luy  promis  la  couronne  de  France,  pource  quil  auoit  porté 
grand  honneur  et  reuerence  à  leurs  corps  et  à  leurs  reli- 
ques. Et  ce  recite  Gaguin  et  autres  historiens.  Toutesuoyes 
Gaguin  est  par  ceux  qui  sont  studieux  des  histoires,  sou- 
uentesfois  reprins  et  noté  de  négligence  en  plusieurs  pas- 
sages :  mesmement  en  ce  dont  dessus  est  touché,  cestasa- 
uoir  quil  dit,  que  Burkard  qui  fut  enuoyé  pour  ambassa- 
deur vers  le  Pape  Zacharie,  par  le  Duc  Pépin,  estoit  arche- 
uesque  de  Bourges  en  Berry  :  ce  quil  nestoit  pas,  ains  fut 
le  premier  Euesque  de  Vuirtsbourg  en  France  Orieatale, 
coinme  dessus  est  dit,  et  est  illecques  réputé  saint. 

Toutesuoyes  de  reuenir  au  propos,  Hue  Capet  auoit  autre 
couleur  et  moyen  dont  il  se  aydoit  :  cestasauoir  que  son 


êmSfLÂUntr.  de  tkotb.  livrk  m.  461 

ayeul  nommé  Eudon,  ou  Odon,  poiar  ses  mérites  et  pou* 
auoir  bien  seruy  la  couronne  fut  intitulé  Roy  par  le*  Pré- 
lats de  France,  mesmes  du  viuant  du  Roy  Charles  le  Sim- 
ple, dont  il  fut  tuteur  par  leepace  de  neuf  ans.  Et  paii 
comme  yray  preudhomme  et  bon  régent,  luy  rendit  ladmi- 
nistration  du  Royaume,  Mais  le  frère  dudit  Odon,  nommé 
Robert,  ne  voulut  pas  faire  ainsi,  ains  essaya  dapproprier 
à  luy  le  tiltre  du  Royaume,  comme  successeur  de  son  freray 
Et  de  fait,  se  feit  Duc  d'Aquitaine  :  et  constitua  Prelalè 
audit  pais,  qui  lé  nommèrent  Roy  de  France.  Mais  il  fut 
occis  en  bataille,  par  le  Roy  Charles  le  Simple,  auprès  de 
Soissons.  Si  laissa  vn  filz  nommé  Hue  le  grand.  Conte  de 
Paris,  et  qui  se  porta  vaillant  Prince  contre  les  Normans. 
Lequel  eut  à  femme  vne  Dame  nommée  Aygunde,  fllle  de 
lempereur  Othon  de  Saxone,  premier  de  ce  nom  :  en  la- 
quelle il  engendra  ledit  Hue  Capet,  premier  Roy  de  France 
en  sa  lignée  et  le  trentecinquieme  en  lordre  des  Roys, 
selon  Gaguin,  dont  la  tresnoble  postérité  dure  iusques  an- 
iourdhuy.  Ainsi  appert  comme  les  historiens  disent,  que  la 
maison  de  Saxone  ha  esté  producteresse  de  la  tierce  lignée 
des  Roys  de  France.  Et  comme  la  maison  des  Pépins  et 
des  Charles  ha  régné  au  Royaume  et  en  Lempire,  aussi  ha 
celle  des  Othons  :  laquelle  est  lune  des  plus  nobles  d'Alle- 
maigne. 

Icy  dessus  est  dit,  que  les  mutations  des  lignées ,  quant 
au  gouuernement  des  Royaumes  et  prouinces,  se  font  par 
la  prouidence  diuine.  Et  de  ce  ne  faut  faire  aucune  doute  : 
car  lexperience  en  est  maistresse,  et  le  nous  declaire  apper- 
tement  par  exemples  familiers  :  cestasauoir,  que  tout  ainsi 
que  les  arbres  et  les  animaux  par  longueur  de  temps  en- 
uieillissent,  tarissent  et  défaillent  en  leur  vertu  :  aussi 
fait  le  genre  humain  en  gênerai,  et  encores  plustot  les 


462  rjTlLLVSTRATIOHS   DE   GAVLE,    ET 

lignages  des  hommes  en  particulier.  Tellement  que  si  noz 
ancestres  estoient  forts,  vertueux,  corpulents  et  robustes, 
sucessiuement  noz  grans  pères  auoient  vn  peu  moins  de 
telles  bonnes  habitudes  et  dispositions,  et  après  eux  noz 
pères  :  et  par  conséquent  nous  mesmes  allons  tousiours  en 
décadence  et  si  feront  encores  plus  noz  postérieurs.  Voyant 
donques  icelle  diuine  prouidence,  la  succession  de  Mero- 
ueus  et  de  Clouis  abastardie  et  toute  anichilee  en  vertu, 
diligence  et  prouesse  :  elle  suscita  comme  bien  estoit  lors 
grand  besoing  et  nécessité  vrgente  à  toute  la  chose  publique 
de  Chrestienté,  ou  plustot  elle  resueilla  et  feit  esclarcir  au 
monde  le  tresnoble  sang  des  Pépins  et  des  Charles,  comme 
iadis  en  la  maison  du  pasteur  Isai,  fut  esleué  par  la  main 
de  Dieu,  le  Roy  Dauid,  et  donné  successeur  à  Saul,  pre- 
mier Roy  des  luifz  :  pource  que  ledit  Saul  sestoit  desia 
forfait  et  amoindri  de  sa  vertu  première.  Et  tout  le  mys- 
tère de  ce  changement  fut  fait  et  conduit  par  les  mains  du 
prophète  Samuel,  grand  prestre  de  la  loy  des  luifz. 

Par  ainsi  tout  dun  tenant,  et  dautre  part  voyant  le  hau- 
tain Spéculateur  des  actes  humains,  quen  la  postérité  de 
Constantin  le  grand,  fondateur  de  Constantinoble,  presques 
toute  noblesse  et  vertu  estoient  amorties  et  annullees  par 
la  tyrannie  scismatique  et  hérétique  des  Empereurs  Orien- 
taux, qui  souilloient  leurs  mains  en  leur  propre  sang  par 
guerres  ciuiles  et  domestiques,  et  ne  tenoient  plus  conte  du 
bien  public  vniuersel,  ne  de  Romme  iadis  chef  de  toute 
leur  Monarchie,  dont  par  leur  tel  défaut,  leglise  Romaine 
estoit  foulée,  la  foy  catholique  persécutée  et  amoindrie  de 
tous  les  quartiers  du  monde,  par  Ihorrible  insultation  de  la 
gent  Sarrasine  et  Turque,  non  seulement  sur  les  parties 
d'Orient  et  de  Grèce,  là  où  lesdits  Empereurs  tenoient  leur, 
malheureuse  résidence,  mais  iusques  dedens  les  entrailles 


SINpVLARITBZ   pB  TROTif   UVRR  III.  463 

de  nostre  Europe;  voire  iusques  à  noz  propres  maisons  et 
fouyers.  (1)  Lors  le  tresbon  et  ti'esbenin  facteur  et  Père  de 
tout  le  Monde,  resueilla  en  Occident  vue  maison  et  famille 
illustre,  comme, celle  des  Macabees,  qui  eut  le  pouuoir  et 
hardement  de  garder  son  peuple  destre  bonni  et  contaminé 
de  la  loy  des  mescreans.  Ce  fut  la  tresnoble  ligne»  des 
Pépins  et  des  Charles,  vertueuse  et  forte  de  toute  antiquité, 
comme  assez  est  monstre  par  ce  liure  :  mais  encores  plus 
ennoblie  par  les  tiltres  et  dignitez  de  la  treschrestienne 
couronne  de  France  et  du  saint  Empire  Romain,  qui  sont 
les  deux  plus  beaux  decoremens  de  ce  monde  temporel. 
Moyennant  lesquelles  prerogatiues,  ilz  domptèrent  et  sup- 
pediterent  (2)  plusieurs  nations  estranges,  cruelles  et  bar- 
bares, anciennes  ennemies  de  nostre  foy  et  de  leglise  catho- 
lique :  cestasauoir.  Saxons,  Normanset  Huns,  quon  dit  main- 
tenant Hongres,  tous  Payons  et  idolâtres.  Sarrasins,  Infi- 
dèles et  Mahomraetistes,  Goths  et  Vesegoths,  hérétiques.  Et 
finableraent,  Lombards,  tyrans  et  vsurpateurs  d'Italie  et 
du  patrimoine  de  saint  Pierre.  Et  feirent  tant  les  treshauta 
Princes  de  ladite  maison,  que  nostre  sainte  créance  esbran- 
lee  de  toutes  pars  et  comme  en  danger  de  totale  ruine, 
reloua  le  chef  et  se.  tint  debout.  Si  planta  sa  marche  ferme 
et  immobile  en  nostre  Europe  plus  clarifiée  et  autorisée  que 
onques  mais. 

le  treuue  aucunes  vieilles  histoires  qui  tiennent,  pour 
Guider  plus  autoriser  la  généalogie  de  lempereur  Charles  le 
grand,  que  sa  mère  femme  du  Roy  Pépin  nommée  Berthe, 
fut  fille  de  lempereur  Heracle,  ou  de  son  filz  Heraclion. 
Lequel  Heracle  recouura  la  sainte  Croix  de  nostre  redemp- 

(1)  Toutes  les  anciennes  éditions  coupent  ici  la  période  par  un  point. 

(2)  suppeditare,  en  bas-latin,  mettre  sous  les  pieds. 


464  ILLVSTRATIONS   HE   GAVLE,    ET 

tion,  par  la  victoire  quil  eut  contre  Cosdroe,  (1)  Roy  des 
Persans.  Et  du  temps  duquel  Empereur  Heracle,  la  loy  de 
Mahommeth  commença  de  leuer  ses  cornes  en  Orient.  Et 
par  ce  moyen  lesdits  anciens  historiens  veullent  donner  à 
entendre,  que  le  sang  des  Empereurs  d'Orient  eut  concur- 
rence en  la  génération  de  Charles  le  grand,  qui  fut  Empe- 
reur d'Occident.  Mais  de  renforcer  sa  noblesse  et  générosité 
par  ce  moyen,  nest  ia  besoing.  Et  dauantage,  iestime  quil 
nest  point  vraysemblable,  ainçois  y  ha  erreur  manifeste  : 
car  depuis  le  règne  dudit  Heracle,  iusques  à  Charles  le 
grand,  il  y  eut  vn  grand  interualle  de  temps,  auquel  ré- 
gnèrent successiuement  seize  ou  dixhuit  Empereurs.  Mais 
parauenture  pourroit  il  bien  estre  vray,  que  ladite  Berthe 
fust  descendue  de  la  génération  dudit  Empereur  Heracle. 
Et  par  ce  moyen  se  sauueroit  ladite  conionction  de  sang 
entre  Lempire  Oriental  et  Occidental.  Car  ce  nest  pas 
chose  estrange  et  nouuelle,  que  la  noblesse  des  hauts  ligna- 
ges antiques  se  continue  et  recœuure  aucunefois  par  le 
costé  féminin. 

Car  par  cas  semblable,  après  linclination  de  fortune  et 
reboutement  ou  debilitation  du  noble  sang  de  Charles  le 
grand  :  et  quand  la  couronne  de  France,  par  la  voulenté 
secrète  de  Dieu  fust  paruenue  es  mains  des  Roys  treschres- 
tiens,  successeurs  de  Hue  Cap  et,  la  ligne  de  lempereur 
Charles  le  grand  rentra  et  eut  nouuelle  alliance  en  la 
maison  de  France,  par  le  moyen  dune  dame,  ainsi  quil  sen- 
suit.  Charles  qui  fut  dernier  Roy  des  François,  de  la  lignée 
de  lempereur  Charles  le  grand,  et  lequel  dernier  Roy  dudit 
sang  mourut  prisonnier  à  Orléans,  eut  vne  fille  nommée 
Emengarde  (2)  :  qui  fut  mariée  au  Conte  de  Namur,  de 

(1)  sic  en  éd.  1513  et  1528,  pour  Cosroëa. 

(2)  sic  «Q  éd.  1513  et  1528,  pour  Ermengarde. 


SniGVLAEITBZ  DR  TBOTI.    LITEE   III.  46K 

laquelle  descendit  par  succession  de  temps  Baudouin,  sur- 
nommé illustre  Conte  Palatin,  de  Haynnau  et  d'Artois.  Le- 
quel eut  vne  fîlle  nommée  Isabel,  femme  du  Roy  Phelippes 
Auguste.  Laquelle  Isabel  auec  ses  bonnes  mœurs  et  ancienne 
noblesse,  apporta  à  son  mary  pour  douaire,  la  Conté  d'Ar- 
tois. Et  en  icelle  dame  ledit  Roy  Phelippes  engendra  le 
Roy  Loys,  pare  de  saint  Loys,  tuteur  et  conseruateur 
céleste  de  ceste  famille.  Et  par  ce  peuit  on  oongnoitre,  quil 
ne  tarda  gueres,  pour  mieux  fortifier  et  sanctifier  icelle,  que 
le  sang  illustre  du  saint  Empereur  Charles  le  grand ,  ne  se 
rassemblast  auec  celuy  de  France  :  cestasauoir  en  la  qua- 
trième generatioD,  et  y  perseuere  iusques  à  ores.  Dont  il 
est  facile  à  conclure,  que  ceste  treschrestienne  maison,  à 
lexemple  de  ses  prédécesseurs,  ha  esté  et  est  tousiours 
esleuee  et  conseruee  en  si  grand  degré,  par  choisissement 
de  la  prouidence  céleste,  à  fin  quelle  soit  gardienne  et 
deffenderesse  de  nostre  foy  catholique  et  de  la  sainte  église 
Romaine.  (1)  Et  quelle  refibrme  les  abuz  du  monde  et  de 
leglise,  reprime  les  tyrans,  annichile  les  hérétiques  :  et 
finablement  en  sa  forte  main  et  bras  exeelse,  reboute  ses 
anciens  ennemis  et  tienne  tousiours  en  crainte  douteuse  la 
détestable  nation  des  Turcz  et  autres  de  la  secte  Mahom- 
metiste.  Laquelle  nation  Turque  commença  à  saillir  hors 
de  ses  anciennes  tanières  et  paluz  de  Tartarie,  enuiron  le 
temps  que  Pépin  commença  à  régner  sur  les  François. 


(1)  Toutes  les  anciennes  éditions  ont  un  point  an  lieu  de  la  Tirgale. 
II.  30 


466  ILLVSTBATIONS   DE   GAVLE,    ET 


De»  terres  que  le  Roj  Pépin  et  ses  successeurs  Empereurs  et  Roys 
de  France,  Charles  le  grand  et  Loys  le  débonnaire  premiers  de 
ces  noms,  donnèrent  et  confermerent  à  leglise  Romaine.  Pour  les- 
quelz  mérites  et  autres,  eux  et  leurs  successeurs  sont  nommez 
Treschres  tiens. 


Maintenant  clorrons  nous  ceste -histoire,  en  reuenant  au 
Roy  Pépin  et  à  ses  gestes.  Lequel  pour  desseruir  le  nom  de 
Treschrestien  oultre  et  par  dessus  les  autres  bienfaits  que 
luy  et  ses  prédécesseurs  auoient  fait  à  chrestienté  :  et  pour 
aucune  recompense  et  rémunération  des  prééminences  et 
prerogatiues,  tant  spirituelles,  comme  temporelles,  quil 
auoit  obtenues  du  saint  siège  apostolique,  donna  et  deliura 
à  leglise  Romaine  la  cité  de  Romme,  auec  toute  sa  iuris- 
diction  et  ses  appendences,  ensemble  toutes  les  terres, 
ports  ethauresdela  plage  Romaine,  Ciuitaueche,  Viterbe, 
Perouse,  la  Duché  de  Spolete,  et  autres  villes  et  places  de 
leur  appartenance  :  et  du  costé  de  la  mer  Adriatique,  Lex- 
arcat,  cestadire  la  Principauté  Impériale  de  Rauenne  toute 
entière.  Cestasauoir,  la  cité  de  Rauenne,  Forlif,  (1)  Fayence, 
Imole,  Boulongne,  Ferrare,  Comacle,  (2)  Ceruie,  Pesquiere, 
Arimine,  Fane,  Senogalle,  Ancone,  Vrbin  et  toute  la  con- 
trée qui  se  dit  auiourdhuy  Romaignole.  Et  dautre  part  en 
la  campaigne  Neapolitane,  la  Duché  de  Naples ,  qui  main- 
tenant est  Royaume  :  Capua,  Boniuent,  Salerne  et  Cala- 
bre,  haute  et  basse.  Encores  oultre  ce,  les  Isles  situées  en 
la  mer  Thyrrene,  Sicile,  Corsegue  et  Sardaigne.  Toutes 
lesquelles  terres,  après  que  Pépin  les  eut  recouurees  des 

(1)  pour  Forli. 

(2)  Cîomacchio,  Cervia,  Pesaro,  Fano,  Sinigaglia. 


SlIfOVLARITEZ   DB  TKOTB.    LIVBB  III.  467 

mains  des  Tyrans  qui  les  occupoient,  iasoit  ce  quelles  fus- 
sent du  tenement  de  Lempire  Romain  :  et  que  le  Protos- 
pataire,  qui  vaut  autant  à  dire,  comme  le  Connestable  de 
Lempire,  se  opposast  à  ceste  donnation  au  nom  de  son 
maistre,  et  y  reclamast  tant  comme  il  luy  estoit  possible, 
tout  ce  nonobstant  le  Pape  et  leglise  Romaine  acceptèrent 
ce  don.  Et  le  feirent  depuis  confermer  par  lempereur 
Charles  le  grand  et  par  son  filz  Loys  le  débonnaire  :  et 
consequemment  par  les  autres  Empereurs  :  Othons,  Hen- 
rys  et  leurs  successeurs.  Si  en  ont  eu  depuis  les  Papes 
plusieurs  différents  quant  à  la  possession  :  et  en  ont  esta 
beaucoup  de  Princes  tant  de  France,  comme  d'AUemaigne, 
empeschez,  et  par  merueilleuse  et  exécrable  ambition  de 
toutes  pars,  en  sont  suruenuz  des  maux»  des  guerres  et 
des  dissensions  infinies,  comme  il  appert  iusques  à  présent. 
Et  voila  comment  lintention  des  tresbons  et  treschrestiens 
Princes,  vrays  champions  et  protecteurs  de  leglise,  ha  esté 
maintesfois  frustrée  et  deprauee.  Mais  de  ce  suflBse  à  tant. 


468  ÏLLVSTRAtlOKS    DR   GAtLÉ,    ET 


^ERORATION  DE  LA.CTEVR  AVX  NOBLES  LECTEURS 
ET  AUDITEURS  DE  CE  LIURE. 


Seignevrs  prudents  et  dames  vertueuses  de  noblesse  Gal- 
licane et  Françoise  :  sil  vous  semble  que  iaye  satisfait,  en 
tout  ou  en  partie,  à  ce  que  iay  promis  au  commencement 
de  ce  volume,  ie  vous  prie,  rendez  en  grâces  à  la  Royne 
treschrestienne  nostre  souueraine  dame,  Duchesse  de  Bre- 
taigne.  A  laquelle  par  la  grand  excellence  de  sa  noblesse 
et  bonté,  ceste  présente  œuure  est  dediee  et  intitulée  :  et 
de  laquelle  Princesse  le  bénin  traitement  et  gracieux  com- 
mandement, mha  donné  hardiesse  de  mettre  ce  labeur  en 
lumière,  deuant  voz  yeux  bénins  et  courtoise  audience.  Et 
sil  y  ha  quelque  chose  qui  ne  vous  plaise,  ains  gise  en  re- 
prehension,  excusez  lirabecillité  de  lentendement  humain, 
lequel  ne  fournit  pas  tousiours  et  ne  peult  attaindre  bon- 
nement à  ce  quil  voudroit. 

Quoy  que  soit,  iay  cuidé  fealement  recueillir  tout  ce  que 
les  communs  historiens  de  France  et  dailleurs,  auoient  laissé 
derrière  au  plus  grand  honneur  de  la  nation  Françoise.  Et 
mha  semblé  que  ie  faisoye  comme  font  ceux  qui  amassent  les 
menuz  espics  de  blé,  après  les  moissonneurs  :  ou  ceux  qui 
gardent  de  perdre  les  raisins  que  les  vendengeurs  ont  lais- 
sez derrière  :  laquelle  chose  est  permise  à  chacun  par  droit 
diuin  et  humain.  Si  ay  en  ce  cas  pensé  satisfaire  à  ceux  qui 
désirent  congnoitre,  que  non  seulement  par  opinion  vul- 


SINGTLARITBZ   DB  TROYI.    LITRB  III.  460 

galre  et  commune  renommée,  mais  par  viues  raisons  et 
vrayes  autoritez,  ia  nation  Gallicane  et  FrançoiBe,  taat 
Orientale  comme  Occidentale,  est  de  extraction  toute  pure 
Herculienne  et  Troyenne  :  et  que  les  vertuz  et  prouesses 
du  grand  Hercules  de  Libye  et  du  trespreux  Hector  furent 
représentées  en  la  personne  de  lempereur  Charles  le  grand. 
Laquelle  chose  aucunes  autres  nations  impugnent  par  enuie 
et  maliuolence  :  et  nous  attribuent  cest  honneur  et  préémi- 
nence, à  vantise  et  à  vaine  gloire.  Et  pource,  seigneurs,  li 
les  dames,  qui  dauenture  liront,  ou  orront  lire  ce  liure, 
estoient  quelque  fois  ennuyées  et  fâchées  de  trouuer  tant 
de  Latin  entremeslé  parmy  le  François  :  le  pourray  par 
vostre  bon  moyen,  trouuer  lieu  dexcuse,  mesmement  en  ce, 
que  aussi  bien  mest  il  licite  de  ce  faire  en  ma  vocation, 
comme  il  est  aux  prescheurs  en  la  leur,  lesquelz  allèguent 
souuent  beaucoup  de  Latin,  en  leurs  sermons,  aux  femme- 
lettes de  village,  pour  corroborer  et  persuader  ce  quilz 
veullent  donner  à  entendre  au  peuple.  Mais  sachez,  nobles 
hommes  et  experts  en  literature,  que  ie  ne  le  fais  point 
pour  monstre  et  ostentation  de  la  science  historiale,  mais 
pour  vous  releuer  de  peine  et  non  estre  douteux,  ou  scru- 
puleux, {1)  au  contenu  de  ceste  histoire. 
-o  Et  si  aucuns  trop  curieux,  ou  contredisenrs  (ie  ne  vneil 
dire  ignorans)  comme  il  sen  treuue  assez,  sesmerueillent  de 
ce  que  ie  nomme  Allemaigne,  France  Orientale  :  et  la 
terre  de  Gaule,  France  Occidentale  :  desquelles  deux  Fran- 
ces,  lempereur  Charles  le  grand  estoit  souuerain  domina- 
teur :  lisent  les  gestes  de  lempereur  Federic  premier  de  ce 
nom,  surnommé  Barberousse,  de  la  nation  de  Soaue.  Le- 
quel par  sa  généalogie  se  monstroit  yssu  des  Roys  de 

(1)  plein  d'obscurités,  de  difficultés. 


470  1LLVSTRATI0^S   DE   GAVLE,    ET 

France  Clouis  et  Charles  le  grand.  Et  fut  Prince  de  mer- 
ueilleux  cœur  et  grand  prouesse,  lequel  subiuga  les  Itales 
et  destruisit  Milan  et  Gennes  à  cause  de  leurs  rebellions. 
Et  créa  quatre  Papes  à  son  appétit.  Finablement  il  mou- 
rut es  conquestes  de  Turquie,  qui  fut  vn  merueilleux  dom- 
mage pour  la  Chrestienté.  Or  escriuit  ses  hauts  faits  en 
Italie,  vn  poète  nommé  Ligurin,  lequel  pour  monstrer  que 
lempeur  Charles  le  grand  estoit  Roy  des  deux  Frances,  dit 
ainsi  en  son  premier  liure,  parlant  de  la  cité  d'Aix  la  cha- 
pelle, dite  en  Latin  Aquisgranum  :  là  où  le  saint  Empereur 
Charles  le  grand  est  sépulture  :  et  y  prennent  les  Empe- 
reurs et  les  Roys  des  Romains  leur  première  couronne  : 

Hoc  vbi  prima  loco  veluti  cunabula  regni 
A  Carolus  esse  volens,  magno  cum  Francis  régi 

Utraque  seruiret,  primam  gesfare  coronam 
lassit,  et  in  saci'a  reges  ibi  sede  locari. 
Ât  simul  à  nostro  secessit  Gallia  regno, 
Nos  priscum  regni  morem  seruamus  :  at  illa 
lare  suo  gaudet,  nostrae  iam  nescia  legis. 

Or  fut  [empereur  Charles  le  grand  natif  de  France  Orien- 
tale, cestadire  du  territoire  de  Mayence  sur  le  fleuue  du 
Rhin  :  laquelle  cité  estant  deçà  le  Rhin,  on  deuroit  plustot 
dire  estre  située  en  Gaule  Belgique,  iasoit  ce  quilz  parlent 
Allemant.  Et  que  ladite  cité  Impériale  de  Mayence,  iadis 
fondée  par  les  Troyens,  soit  de  France  Orientale,  appert  par 
autres  vers  de  lacteur  dessusnommé,  qui  dit  en  parlant 
dicelle  : 

Nanqae  premens  Rhenura  (si  credimus  omnia  famse) 
Nomen  ab  infuso  recipit  Moguntia  Mogo. 
Hsec  vrbs  Francorum  mediis  in  finibus  :  agris, 
Uitibus,  arbustis,  populo  generosa  frequenti. 


SINGVLARITBZ    OK  TROYE.    LIVRE  lU.  471 

Uinc  atattone  tua  RheDam  contiogit,  at  iode 
Eztendit  rapidam  fines  procul  Taqa«  MoMllam. 

Oultre  le  Rhin,  et  vis  à  vis  du  tenritoire  de  ladite  cité  de 
Mayence,  est  le  pais  quon  dit  en  Latin  Franconia  :  seu 
Orientalis  Francia.  En  la  langue  d'Allemaigne  cest  Frano- 
land,  qui  signifie  en  nostre  langue  païs  des  francz.  Dont  la 
cité  capitale  est  nommée  en  Latin  Herbipolis  et  en  Allemaat 
Vuirtzburg,  de  laquelle  cité  leuesque  est  seigneur  temporel 
et  se  intitule,  Duc  de  Franconie  :  et  quand  il  célèbre  messe, 
il  ha  lespee  nue  sur  lautel.  Aussi  est  audit  pais  la  bonne 
ville  de  Francford,  tresriche  et  bien  marchande,  en  laquelle 
il  se  fait  tousiours  lelection  des  Empereurs  et  des  Roys  des 
Romains  :  laquelle  cité  de  Francford  fut  fondée  et  construite 
par  lempereur  Charles  le  grand,  comme  on  peult  coniectu- 
rer  par  les  vers  qui  sensuiuent  du  poète  dessusnommé  : 

Conueniunt  proceres,  totius  viscera  régnai, 
Sede  satis  nota  :  rapido  quse  proxima  Mogo 
Clara  situ,  popaloque  frequens,  murisque  d«coi-a  est  : 
Sed  rude  nomen  habet.  Nam  TeutoDus  iacola  dixit 
Franconefurt,  nobis  liceat  sermone  Latino 
Francorum  dixisse  vadnm  :  quia  Carolus  illic 
Saxonas  indomita  nimium  feritate  rebelles 
Oppugnans,  rapidi  latissima  flumina  Mogi 
Ignoto  fregisse  vado,  mediumque  per  amnem 
Transmisisse  suas  neglecto  ponte  cohortes 
Creditur  :  inde  locis  mansurum  nomen  inbasit.  (1) 

En  ce  mesme  païs  de  France  Orientale,  oultre  le  Rhin. 
y  ha  plusieurs  autres  grosses  citez,  si  comme  Bamberghe, 
là  où  est  enterré  Beranger,  vsurpateur  du  Royaume  d'Italie, 

(1)  adhasil  (éd.  1513  et  1528). 


472  IIXVSTRATIONS   DE   GAVLB,    ET 

prins  et  vaincu  par  lempereur  Othon,  premier  de  ce  nom  : 
ainsi  comme  Didier,  dernier  Roy  des  Lombards,  fut  prins 
par  lempereur  Charles  le  grand,  et  Ludouic  Sphorse,  Duc 
de  Milan,  par  le  Roy  Loys  douzième.  Oultreplus  est  en 
ladite  France  Orientale,  la  grosse  et  forte  cité  impériale  de 
Nurembergh,  limitrophe  de  Bauiere,  auquel  lieu  et  aux 
enuirons  furent  deffaites  les  légions  Romaines  du  temps  de 
lempereur  Octauien  Auguste,  dont  il  eut  si  grand  dueil, 
quil  en  cuida  mourir  :  comme  est  dit  au  commencement  de 
ce  liure.  Et  en  icelle  cité  de  Nurembergh,  on  garde  solen- 
nellement la  palle,  (1)  lespee,  le  sceptre,  la  pomme  dor  et 
la  couronne  impériale  de  Charles  le  grand.  Lesquelz  nobles 
loyaux  ne  sont  iamais  bougez  de  là,  sinon  à  la  première 
coronnation  dun  nouuel  empereur,  ou  Roy  des  Romains. 
En  oultre,  sont  en  ladite  France  Orientale,  plusieurs  autres 
bonnes  villes,  fondées  par  les  Troyens,  comme  il  est  touché 
au  commencement  de  ce  liure. 

Et  deçà  le  Rhin,  aussi  bien  que  delà,  habitèrent  les  pre- 
miers Roys  de  France,  comme  il  appert  par  les  anciennes 
histoires  et  fondations.  Clouis,  premier  Roy  des  François, 
fonda  la  cité  d'Argentine,  quon  dit  ores  Strasbourg,  pro- 
chaine du  Rhin,  au  pais  d'Alsate,  la  cité  cathédrale,  ou 
episcopale,  de  saint  Pierre  :  et  vne  autre  collégiale,  comme 
disent  et  escriuent  ceux  du  païs  mesmes.  Et  iusques  au- 
iourdhuy,  les  bourgeois  de  Strasbourg  marquent  leur  mon- 
noye  dargent  dune  fleur  de  lis.  Dagobert,  filz  de  Clotaire 
second  de  ce  nom,  qui  voulentiers  se  tenoit  en  ce  mesme 
quartier,  fonda  la  riche  abbaye  de  saint  Pierre,  de  Vuis- 
sembourg  :  laquelle  ville  est  à  huit  lieiies  d'Allemaigne,  de 
ladite  cité  de  Strasbourg,  en  tirant  aual  le  Rhin.  Et  au 

(1)  de  paîlium,  manteau. 


SUMÎTUAIUZ  »K  TJMYfi.   UTIS  10.  47S 


portai  dudit;  fMMitaiw  MQt  eoerito  «air»  aotvM  «doKn  1m 
vers  qui  seDflliBeBt,  doBt  iâ  prins  la  copie,  quand  ie  y 
estoye.  Si  sont  grauez  en  pierre  et  parlent  en  la  personne 
du  Roy  Dagobert,  dont  la  représentation  est  illec  etleueo, 
disant  ainsi  : 

Rorase  Francorum  Dagobertnt  rex  domiDorum, 
Pollicitus  Totum  Cbrisfo  quod  compleo  totum, 
Accipis  hoc  donum,  Petre,  faciamqae  patronum  : 
Vuisaembourg  donc  tibi,  sanote  Petre,  patrono. 
De  venia  certus  ego  rex  bîlarm  Dagobertu». 
Anno  donini  vi.  c.  xxiii.  dominus  Dagobertas  Rex  FraBOorom  foodA- 
uit  monaotcrium  Yuisaemburgenae. 

le  pourroye  alléguer  assez  dautres  semblables  preuues, 
lesquelles  iay  veijes  et  extraites  en  Allemaigne,  tant  deçà 
comme  delà  le  Rhin  :  et  en  nostre  Gaule  Belgique  :  mais 
à  fin  que  trop  grand  prolixité  sur  vn  propos  nengendre 
ennuy,  il  vaut  mieux  icy  clorre  le  pas.  En  disant  (à  fin  de 
faire  correspondre  les  dernières  choses  aux  premières)  que 
lintention  des  deux  premiers  liures  des  Illustrations  de 
Gaule  et  Singularités  de  Troye,  nha  esté  produite  pour 
autre  chose,  sinon  pour  illustrer  les  deux  Frances  :  cesta- 
sauoir,  Orientale  et  Occidentale.  Et  pour  monstrer  quil  ny 
ha  nation  au  monde,  qui  ayt  perseueré  en  sa  noblesse,  de 
toute  antiquité,  iusques  à  ores,  que  les  François  Orientaux 
et  Occidentaux  :  ce  que  nous  auons  veu  par  ce  liure. 

Or  vueille  Dieu,  que  de  nostre  temps  les  armes  de  ces 
deux  tresnobles  et  trespuissantes  nations  se  puissent  ioin- 
dre  pacifiquement  ensemble,  pour  recouurer  leur  héritage 
de  Troye,  lequel  possèdent  les  Turcz.  Et  Dieu  mercy,  nous 
en  voyons  desia  quelconque  coniecture  et  apparence  :  car 
les  Allemans,  que  nous  disons  Lansquenets,  qui  sont  les 


474  ILLVSTRATIOHS   DE  GAVLE,    ET 

vrays  François  Orientaux,  militent  auiourdhuy,  et  sont 
souldoyers  en  bonne  estime  de  hardiesse  et  de  loyauté,  souz 
le  Roy  treschrestien,  Loys  douzième.  Et  se  commencent 
ces  deux  nations  à  sentreaymer,  et  sentreaccointer,  par 
société  bellique  :  comme  ilz  faisoient  du  temps  de  lempe- 
reur  Charles  le  grand.  Lequel  seigneur  Roy  Loys  douzième 
est  en  plusieurs  choses  comparable  audit  empereur.  Et 
mesmement  en  ce  quil  ha  restitué  par  force  darmes  à 
leglise  Romaine  la  plus  part  du  patrimoine  que  ses  prédé- 
cesseurs auoient  donné  au  saint  siège  apostolique. 

Touchant  la  généalogie  des  Turcz  et  de  leurs  gestes  ius- 
ques  à  nostre  temps,  et  la  géographie,  cestadire  description 
de  la  terre  de  Turquie  et  de  Grèce  et  des  isles  circonuoi- 
sines,  laquelle  chose  par  mes  deux  autres  liures,  iauoye 
promis  monstrer  bien  clerement,  en  ce  troisième,  ie  seray 
excusé  de  non  lauoir  fait  :  à  cause  de  ce  que  iay  trouué 
matière  assez  ample  pour  remplir  ce  volume.  Mais  iasoit  ce 
que  telle  œuure  et  entreprinse  que  iay  promise  et  non 
acheuee,  soit  diflBcile  et  de  grand  labeur  et  inuestigation, 
neantmoins  quand  il  plaira  à  noz  souuerains  Prince  et 
Princesse  men  donner  le  commandement  et  loisir,  iaccom- 
pliray  ma  promesse  et  macquiteray  du  vœu  solennel  que 
ien  ay  fait,  sur  le  grand  autel  de  S.  Pierre  de  Romme  pour 
le  bien  publique  de  toute  la  Chrestienté  :  et  pour  lensei- 
gnement,  guide  et  soûlas  de  tons  nobles  hommes,  qui  se 
voudroient  armer  pour  aller  en  Grèce  et  en  Turquie,  quand 
le  cas  escherra  (si  Dieu  plait  quelque  iour)  que  par  lunion 
des  Princes  et  lautorité  du  saint  siège  apostolique,  le  grand 
passage  et  croisée  vniuerselle  sera  ouuerte  et  publiée. 
Laquelle  chose,  Dieu  nous  doint  voir  de  nostre  temps,  et 
en  donner  la  grâce  et  le  vouloir  à  noz  Princes  :  car  ilz  en 
ont  bien  le  pouuoir,  ausquelz  et  à  leur  tresnoble  lignée  et 


SIMGVLARITEZ   Dl  TKOTE,   LIVRE  Hl.  475 

alliance  Dieu  vueille  tousiours  donner  prospérité,  bonne 
valitude  et  félicité  par  tous  les  siècles  presens  et  aduenir. 
Et  à  vous  tous,  nobles  lecteurs  et  auditeurs,  plaisir  et  pas- 
setemps  de  ce  liure,  sil  vous  agrée.  Accompli  en  la  cité  de 
Nantes  en  Bretaigne,  au  mois  de  Décembre  :  lan  de  grâce, 
mille  cinq  cens  et  douze.  Duquel  liure  la  closture  sera  dun 
des  vers  de  Virgile,  qui  dit  en  la  personne  de  Helenus,  filz 
de  Priam,  parlant  à  Eneas  : 


Vade  agè,  et  ingentem  fatù  fer  ad  athera  Troiam. 
Va  mon  liure,  et  fais  tant,  que  de  Troye  finee, 
La  grandeur  monte  aux  cieux,  pau*  bonne  destinée. 


FIN  DV  TROISIEME  ET  DERNIER  LIVRE  DES  ILLVSTRATIONS    DE 
GAVLE,  ET  SINGVLARITKZ  DE  TROYE. 


De  peu  assez. 


mt' 


TABLE  DES  CHAPITRES. 


LIVRE  II. 

Prologue  du  second  Hure ^  l 

Lea  noms  des  actevrs  allegyez  en  ce  second  Hrre '6 

Chapitre  I.  —  Narration  do  retour  da  Prince  Antenor  de 
•  Grèce,  auec  recitation  de  lexploit  de  son  ambassade.  Du  con- 
seil donné  par  Paris  Alexandre  sur  ce,  et  de  lappareil  fiât 
pour  aller  en  Grèce,  par  le  consentement  du  peuple  de  Troje, 
et  au  contredit  du  Prince  Panthus,  Helenus  et  antres.  Du 
partement  de  Paris,  Deïphobus,  et  leurs  compaignons.  Et  da 
congé  prina  par  Paris  dé  sa  compftigne  la  Nymphe  Pefasia 
Oenone.  Aaecques  vné  «xcUmation  contre  laaeaglfte  emprise    A 

du  Roy  Priam '9 

Chapitre  II.  —  Explication  clere  et  ample  de  la  généalogie  de 
la  belle  Heleine  :  et  de  son  premier  rauissement  fait  en 
ieunesse  par  Theseus  Roy  d'Athènes  :  et  comment  elle  fat 
recouuree  par  ses  frères  Castor  et  PoUux,  sa  virginité  sauoe  : 

selon  la  commune  opinion SI 

Chapitre  III.  —  Du  grand  nombre  des  Princes  qui  demanderont 
en  mariage  la  pncelle  Heleine,  après  son  reeoonremrat,  pour 
la  singulière  beauté  délie.  Et  qni  fut  cftluy  qui  eut  la  pre- 
mière despouille  de  son  puceliage  auant  la  marier.  Auec  nar* 
ration  du  chois,  que  son  père  le  Roy  Tyndarus,  lui  bailla  de 
plusieurs  Princes.  Et  comme  elle  eslut  le  Roy  Menelaus  de 
Lacedemone,  à  seigneur  et  mary .     :     .    81 


478  TABU 

Chapitre  IIII.  —  Démonstration  de  la  généalogie  du  Roy  Mene- 
laus.  Et  comment  il  eut  de  sa  femme  Heleine  vne  fille  nommée 
Hermiooe.  Et  des  auentures  de  ladite  Hermione.  Et  aussi  de 
celles  de  Castor  et  PoUux,  frères  germains  de  ladite  Heleine.       38 

Chapitre  V.  —  Prosequution  du  nauigage  de  Paris,  Deïphobus, 
et  leurs  compaignons  :  et  de  la  délibération  par  eux  prinse 
sur  le  rauissement  d'Heleine.  De  leur  premier  aborder  en 
lisle  de  Cytheree.  Et  comment  ilz  furent  receuz  en  Lacede- 
mone,  par  le  Roy  Menelaus,  souz  tiltre  dambassadeurs.  De  la 
proposition  faite  par  Paris,  et  des  dons  offers  à  Menelaus     .       43 

Chapitre  VI.  —  Du  premier  regard  que  la  Royne  Heleine  ietta 
sur  le  beau  Paris  Alexandre.  Et  de  la  gracieuse  response  que 
le  Roy  Menelaus  feit  aux  ambassadeurs  feintifz.  Des  dons 
que  Paris  donna  à  Heleine  :  et  de  la  bonne  chère  que  fut 
faite  à  luy  et  à  ses  compaignons.  Et  aussi  narration  légère 
des  premières  accointances  et  semblans  couuers  de  Paris  à 
Heleine  :  et  comme  Menelaus  à  son  département,  pour  aller 
en  Crète,  recommanda  ses  choses  à  sa  femme  Heleine     .      .       53 

Chapitre  VII.  —  Recitation  du  conseil  prins  par  Paris  Alexan- 
dre, auec  son  frère  Deïphobus  et  ses  compaignons,  et  le  capi- 
taine de  ses  nauires,  touchant  la  conduite  du  rauissement  de 
la  Royne  Heleine.  Et  les  preparatiues  sur  ce.  Et  comment  il 
trouua  manière  de  gaigner  deux  de  ses  damoiselles  :  lesquelles 
portèrent  secrètement  lettres  missiues  dun  costé  et  d'autre. 
Auec  narration  biiene  et  sommaire  du  contenu  deedites  let- 
tres     62 

Chapitre  VIII.  —  De  la  dépopulation  et  robement  de  la  cite  de 
Lacedemone,  et  des  trésors  du  Roy  Menelaus,  et  rauissement 
voluntaire  de  la  Royne  Heleine  ;  auec  désignation  du  pre- 
mier lieu,  auquel  Paris  et  elle  se  ioingnirent  ensemble  :  et 
des  larmes  dicelle,  dont  fut  procréée  Iherbe  appellee  Hele- 
nium,  qui  sert  à  la  beauté  des  dames.  Du  pillage  fait  en  lisle 
de  Cytheree.  Et  comment  ilz  partirent  dillec  :  et  furent  pour- 
suiuis  par  Castor  et  PoUux  et  errèrent  en  mer,  sans  sauoir 
tenir  le  chemin  de  Troye.  Auec  vne  inuectiue  contre  Paris  et 
Heleine 74 

Chapitre  IX.  —  Narration  de  la  mort  fortuite  des  deux  bas- 


DES  CHAPITRES.  479 

tards  de  Priam,  et  de  la  Nymphe  Eipeiie,  et  da  daeil  de 
Priam  et  des  siens,  mesmement  de  la  Nymphe  Oenone,  tant 
à  ceste  cause,  comme  pour  le  long  seiour  de  Paris.  Et  des 
deuises  et  Taticinations  de  Cassandi-a.  Ensemble  recitation 
daucunes  fables.  Et  aussi  de  loccupation  vertueuse  de  ladite 
Nymphe  Oenone,  et  de  la  beniuolence  que  Priam  et  les  lieqs 
auoient  à  elle 85 

Chapitre  X.  —  Explication  du  partage  fait  par  le  Roy  Men^ 
laus  auec  ses  cousins  les  Roys  de  lisle  de  Candie,  et  autres, 
touchant  les  trésors  et  successions  de  son  oncle  maternel 
Atreus  descendu  de  Minos.  Et  commuent  luy  estant  illec,  non- 
uelles  luy  vindreut  du  rauissement  de  sa  femme  Heleine.  De 
son  retour  en  Lacedemone  :  et  de  lambassade  enuoyee  à  Troyç.       93 

Chapitre  XL  —  Des  erreurs  de  Paris,  faits  en  mer  depuis 
son  partement  de  Cytheree  :  et  comment  par  force  de  tem- 
peste  il  arriua  en  lisle  de  Cypre,  et  dillec  fut  transporté  en 
Syrie,  laquelle  est  amplement  descrite  :  et  pilla  la  cité  de 
Sidone,  et  tua  traytreusement  le  Roy  dicelle  son  hoste  :  et  de 
la  vengeance  qui  depuis  en  fut  faite  par  ceux  de  Rhodes  .     .       99 

Chapitre  XII.  —  Du  retour  de  Paris  à  Troye,  auec  Heleine  : 
de  la  vaticination  de  Cassandra,  du  dueil  de  la  Nymphe 
Oenone,  et  comment  elle  laissa  Troye,  et  sen  alla  demour«r 
à  Cebrine  :  de  la  réception  d'Heleine  :  et  du  mariage  délie 
auec  Paris.  Et  comment  le  peuple  sesmut  et  laboura  à  ce  que 
Heleine  fust  restituée  à  son  mary,  et  aux  ambassadeurs  de 
Grèce.  Et  par  quel  moyen  il  y  fut  obuié,  tant  par  Paris  et 
Doïphobus,  comme  par  Hecuba  et  Heleine.  Âuec  récitation 
du  danger  duquel  les  ambassadeurs  furent  preseruez  par 
Antenor.  Et  du  partement  diceux 109 

Chapitre  XIII.  —  Description  du  deuil  extrême  de  la  noble 
Nymphe  Pegasis  Oenone,  et  des  piteux  regrets  quelle  feit.  Et 
aussi  des  lettres  quelle  enuoya  à  son  seigneur  et  mary  Paria 
Alexandre,  sans  en  obtenir  response.  Du  diuorse  quil  feit  aueo 
ladite  Nymphe.  Et  de  labolition  des  vertus  primitiues  dudit 
Paris.  Ensemble  de  la  maison  somptueuse  qu'il  feit  faire.     .     119 

Chapitre  XIIII.  —  Récitatiou  faite  par  les  ambassadeurs  de 
Grèce,  retournez  à  Lacedemone,  de  leur  exploit.  Et  de  la  de- 


m 


"TABLE 


tennination  que  les  Grecz  prindrent  à  se  venger.  De  la  forme 
do  grand  serment,  que  le  prestre  Calchas  leur  feit  faire 
ensemble,  et  de  leurs  preparatiues.  Et  comment  Hz  nauigue- 
rent  premièrement  iusques  à  Mysie  près  de  Troye  :  et  puis  » 
sen  retournèrent  en  Orece.  Et  puis  derechef  nauiguerent  à 
Troye/,  et  prindrent  le  port  de  Sigee,  et  antres  choses  :  mes- 
mement,  par  quel  moyen  ilz  eurent  en  leurs  mains  lenfant 
Polydorus  fils  légitime  de  Priam  et  feirent  plusieurs  con- 
questes 130 

Chahitkk  XV.  —  De  lambassade  enuoyee  par  les  Grecz  à  Troye, 
pour  offrir  de  rendre  Polydorus,  en  recouurant  Heleine.  Et 
comment  il  y  fut  contredit  par  Antimachus  corrompu  â  force 
dargent  par  Paris.  Auec  recitation  du  bon  conseil  du  sage 
Panthus  :  de  la  response  d'Hector  et  d'Eneas.  Lopinion  de 
deux  acteurs  touchant  ladite  ambassade  :  du  retour  dicelle 
en  larinee  :  et  de  la  mort  de  l'enfant  Polydorus.  Et  aussi  du 
débat  meu  entre  Achilles  et  Agamemnon,  à  cause  de  la  belle 
Briseis  :  et  de  la  seconde  bataille,  dont  Hector  eut  le  prys    .     141 

Chapitre  XVI.  —  Narration  d'une  iournee  assignée  pour  ba- 
tailler, entre  les  Grecz  et  les  Troyens.  Et  de  la  couardise  de 
Paris  encontre  Menelaus  :  de  laigre  reprehension  que  Hector 
luy  feit  à  ceste  cause.  Et  comment  Paris  soffrit  à  combatre 
Menelaus  corps  à  corps.  De  la  forme  des  conuenances  sur  ce 
prinses.  Et  comment  à  Heleine  retourna  le  désir  de  son  pre- 
mier mary.  Et  des  deuises  du  Roy  Priam  auec  ladite  Heleine.     152 

Chapitre  XVII.  —  Recitation  de  la  suruenue  du  Roy  Priam  au 
camp  :  des  cerimonies  faites  touchant  le  pact  dentre  les  deux 
armées.  Et  du  combat  corps  à  corps  fait  par  Paris  contre 
Menelaus.  Comment  la  Déesse  Venus  sauua  Paris,  et  des 
reprodes  que  Heleine  luy  en  feit.  Auec  exclamation  sur  les 
fictions  du  poSte  Homère,  et  des  autres  faits  de  Paris  pendant 
la  guerre 161 

Chapitre  XVIII.  —  Des  conuenances  rompues  entre  les  deux 
ostz,  et  de  la  bataille  renouuellee  par  Pandarus  de  Lycie  : 
des  grands  prouesses  d'Hector  ;  des  treues  prinses  entre  les 
armées,  et  de  la  reconciliation  d' Achilles  auec  Agamemnon. 
Comment  ledit  Achilles  senamoura  de  Polyxene  :  recitation 


DBS   CHAPITRES. 


481 


de  la  mort  du  Roy  Sarpedon  de  Ljcie  :  et  aiuai  de  celle  de 
Patroclus  de  Mynnidoae,  qui  fat  to^  par  Hector,  et  aotras 
choses 171 

Chapitre  XIX.  —  Déclaration  de  la  mort  d'Hector,  et  des 
diuerses  opinions  d'icelle.  De  la  cruauté  dont  Acbilles  rsa 
enuers  le  corps  dudit  Hector.  Comment  Priam  le  vint  rache- 
ter pour  lenseuelir.  De  la  suruenue  de  Peothesilee,  et  de 
Memnon  neueu  de  Priam.  Et  de  la  mort  de  tous  deaz.  De 
linutilitë  de  Paris,  quant  &  la  conduite  de  la  gaerre.  Et  de 
la  mort  de  Troïlus 180 

Chapitre  XX.  —  Explanation  de  la  mort  d'Achillet,  eelon 
diuerses  opinions.  De  la  suruenue  de  Pyrrhus  en  lost  des 
Grecz.  Et  d'Eurypylus  de  Mysie  en  lost  des  Troyens.  Com> 
ment  Helenus  fut  prins  prisonnier.  Auec  recitation  de*  six 
Destinées,  quant  à  la  prinse  ou  garde  de  Troye.     *     .     .     .     180 

Chapitre  XXI.  —  Répétition  de  Ihistoire  de  Philoctetes,  et  des 
aaiettes  d'Hercules.  Du  combat  corps  à  corps,  fait  entre  Paris 
et  ledit  Philoctetes  :  et  de  la  mort  de  Paris  :  auec  recitation 
de  diuerses  opinions  sur  icelle.  Comment  son  corps  fut  port^ 
à  Cebrine.  Du  grand  dueil  que  sa  femme  la  Nymphe  Oenone 
en  mena  :  et  comment  elle  mourut  sur  ledit  corps  :  et  furent 
ensepulturez  ensemble IhS 

Chapitre  XXII.  —  De  lesmotion  des  seigneurs  de  Troye  contre 
Priam.  Comment  Deïphobus  espousa  Heleine,  de  peur  quelle 
ne  fust  rendue  aux  Grecz.  De  la  trahison  menée  par  Antenor 
et  Eneas.  Et  comment  Heleine  feit  moyenner  son  appointe- 
ment.  De  la  paix  fourrée  faite  par  les  Grecz.  Du  grand  chenal 
offert  à  la  Déesse  Miaerue.  De  la  prinse  de  Troye  :  et  de  la 
cruelle  mort  de  Deïphobus  procurée  par  Heleine  :  auec  lex- 
clamation  contre  icelle.  Et  aussi  de  la  mort  des  deux  enfans 
de  Paris  et  Heleine 210 

Chapitre  XXIII.  —  De  la  mort  misérable  du  Roy  Priam  :  et 
seruitude  de  la  Royne  Hecuba,  Cassandra  et  Andromacha. 
Comme  Âiax  Telamonius  fut  dopinion  quon  feist  mourir  He- 
leine, mais  elle  fut  rendue  à  Menelaus.  De  la  mort  de  Polyxene 
et  de  sa  mère  Hecuba.  Des  gestes  de  Menelaus  et  de  ladite 
Heleine,  après  leur  parlement  de  Troye.  De  la  nouuelle  Troye 

II.  Si 


IS2  TABLE 

fondée  sur  le  fleuue  du  Nil.  Répétition  de  Tlepolemus  Roy 
de  Rhodes  :  et  des  opinions  de  la  mort  d'icelle  Heleine  .  .  221 
Chapitre  XXIIII.  —  Comment  Heleine  après  sa  mort  fut  reputea 
Déesse  de  beauté  par  la  folle  erreur  des  Payens  idolâtres.  Et 
des  temples  qui  furent  esleuez  à  Ibonneur  délie  :  auec  recita- 
tion daucuns  fabuleux  miracles  faits  par  elle  et  ses  frères  Cas- 
tor et  Pollux,  qui  sont  par  les  Poètes  mis  au  cercle  du  zediaqae 

faisans  le  signe  de  Gemini  :  et  autres  choses 230 

Chapitre  XXV.  —  Conclusion  et  confirmation  véritable  de  ce 

(    second  liure,  parla  confutation  et  explanation  du  liure  de  Dion 

de  Pruse,  qui  se  intitule  de  Troye  non  prinse  :  auecqHes  ample 

probation  comment  Lacteur  ha  suiuy  en  ceste  histoire  les 

vrays  acteurs  autentiques 236 

LIVRE  III. 

Prologve  du  troisième  livre 247 

Les  noms  des  acterrs  qvi  sont  nommez,  et  allegvez  en  ce  livre.    253 

Division  de  ce  liure  en  trois  parties 259 

Comment  le  nom  des  Pépins  est  le  plus  antique  de  tous  cenx  du 
sang  da  grand  Hercules  de  Libye  :  lesquels  après  ledit  Her- 
cules ont  régné  en  Gaule,  ou  en  France 261 

De  Pépin  Prisque,  premier  de  ce  nom,  en  ceste  Généalogie  :  et 
de  son  filz  Âtho  le  ieune,  lequel  donna  ou  eschanga  à  Dardanns 
le  territoire  où  depuis  il  edeâa  la  grand  cité  de  Troye.     .     .     262 
De  Pépin,  Roy  de  Toscane,  second  de  ce  nom,  en  ceste  Généa- 
logie, lequel  regnort  en  Italie,  du  mesme  temps  que  Francus, 

filz  d'Hector,  vint  habiter  en  Gaule 265 

De  Francus,  filz  d'Hector  de  Troye.  Lequel  Francus  fut  Roy  de 
la  Gaule  Celtique.  Et  quelz  princes  de  son  sang  regnoient  en 
Europe,  quand  il  y  arriua  :  mesmemeut  du  Roy  Rhemus  qui 
fonda  la  cite  de  Rheims  en  Champaigne  :  et  de  Bauo,  cousin 
germain  de  Priam,  lequel  dominoit  deslors  sur  vne  partie  de 

Gaule  Belgique . 267 

Icy  est  respondu  à  plusieurs  arguments  et  obiections  qui  se  pour- 
roient  faire  contre  la  vérité  de  ceste  histoire,  et  sont  toutes 
les  solutions  prouoees  par  acteurs  autentiques 269 


DBS   CUAflTIlBIt.  MP 

Derechef,  eat  icj  respondu  à  aucunes  contradiction!  da  oeata 
histoire 272 

De  Laodamas,  filz  le^time  d'Hector,  lequel  coouae  il  eat  vrajr- 
eemblable  eut  deux  noms  :  car  il  fut  aaasi  appelle  Franeas   .     274 

Comment  Helenus  frère  d'Hector  et  sea  succeaseura  régnèrent  en 
vne  partie  de  Qrece,  quon  dit  maintenant  Albanie  et  RotIbot 
nie  :  de  laquelle  lignée  yssirent  depuis  aucuns  Emparaon  dé 
Romme,  mesmement  Constantin  le  grand 270 

Du  Roy  Bauo,  cousin  germain  de  Priam,  qui  régna  «n  Gaule 
Belgique,  incontinent  après  la  destruction  de  Troje  et  fonda 
la  grand  cité  de  Belges,  selon  les  chroniqoes  de  Hajnao.  Et 
de  la  primitiue  et  très-ancienne  fondation  de  la  cité  de  Treaes 
en  Gaule  Belgique  :  là  où  fut  adoré  le  premier  Idole    .     .     .     283 

Comment  le  Roy  Bauo,  fondateur  de  la  grand  cité  de  Belgea, 
meit  en  ruine  la  cité  de  Treues  :  pource  que  la  seigneurie  de 
Treues  luy  demandoit  tribut  dauoir  fonde  et  prins  habitation 
en  leur  territoire.  Et  des  quatre  Ducz  dudit  Roy  Bauo,  dea* 
quelz  chacun  fonda  vne  cite  eu  la  Gaule  Belgique  ....     290 

De  Bauo  Belgiueus,  filz  et  successeur  dudit  Roy  Bauo  premier 
de  ce  nom,  au  temps  duquel,  Brutus  vint  en  la  Gaule  Armo- 
rique  :  et  fonda  les  Bretons  et  la  cité  de  Tours.  Et  comment 
autres  Princes  Troyens  vindrent  en  diuerses  parties  de  Gaule 
et  de  Germanie,  et  constituèrent  plusieurs  nobles  maisons, 
peuples  et  citez  :  mesmement  de  lantique  noblesae  de  ceux 
d'Auuergne  et  de  Chartres,  prouuee  par  acteurs  autentiques  : 
et  comment  il  y  auoit  anciennement  en  France  Tse  cité  nom* 
mee  Bretaigne 295 

De  la  grand  antiquité,  force  et  renommée  des  Sicambriens  ut 
François,  prouuee  par  autoritez  publiques,  trop  ploa  que  les 
chroniques  de  France  nen  font  mention  :  et  comment  il  y 
auoit  deux  nations  Sicambriennes,  et  des  fondations  des  cites 
faites  par  eux.  Puis  est  prouué  suffisamment,  que  les  anciens 
auteurs  ne  nommèrent  iamais  les  François  sans  les  Sicam'- 
briens,  auec  autres  nations  leurs  voisines  et  alliées      .     .     .     300 

Sensuit  la  situation  de  la  grand  cité  de  Sicambre,  iadis  fondée 
par  Francus  filz  d'Hector,  en  Pannonie,  sur  le  grand  fleuna 
Dunoe.  Et  comment  depuis  vn  Prince  nommé  Buda,  frera  de 


484  TABLE 

Attila,  Roy  des  Huns,  changea  son  nom  à  ladite  cité  de  Sicam- 

bre,  et  la  nomma  Bude  en  Hongrie 308 

Raison  vraysemblable,  parquoy  les  Troyens  souz  leur  Roy  Fran- 
cus,  surnommé  Laodamas,  et  son  filz  Sicamber  sarresterent 
plustot  en  Pannonie,  quon  dit  maintenant  Hongrie,  que  en 
quelque  autre  contrée.  Et  des  Princes  dudit  païs,  qui  furent 
presens  au  rauissement  d'Heleine,  et  rindrent  depuis  au  se- 
cours du  Roy  Priam  à  Troye.  Et  comment  les  Gaulois  de 
nostre  nation  de  pardeça  cuiderent  aller  secourir  Troye,  mais 

ilz  la  trouuerent  desia  destruite 317 

De  Menapius,  Roy  des   Cimbres,  Belgiens  et  Tongrois,  qui  fut 

père  de  Godefroy  :  surnommé  Karle 323 

Déclaration  des  Princes  et  nations  qui  conspirèrent  contre  les- 

ditz  Romains  auec  les  enfants  dudit  Roy  Menapius.     .     .     .     325 
Désignation  dune  autre  raison  ou  opinion,  pourquoy  lesdits  peu- 
ples partirent  de  leurs  marches  et  enuahirent  les  Romains, 
et  des  premières  victoires  quilz  eurent  contre  eux  ....     326 
De  la  deffaite  du  Roy  Teutobochus  le  Géant,  auecques  ses  Am- 
brons et  Tigurins,  qui  demourerent  auprès  d'Aix  en  Pro- 

uence 329 

Comment  la  bende  des  deux  frères  Teutonîus  et  Claodic,  Roy 
des  Cimbres,  entrèrent  en  Italie  à  force  et  maugré   les  Ro- 
mains  332 

De  la  merueilleuse  bataille  entre  les  Romains  et  les  Cimbres  : 
et  de  la  deffaite  desdits  Cimbres  par  la  subtilité  des  Romains  : 
et  de  la  forte  bataille  quilz  eurent  contre  les  femmes  .  .  .  334 
De  la  cruelle  et  noble  mort  des  femmes  des  Cimbres  :  et  de  la 
tierce  bende  dont  depuis  yssirent  les  Goths,  qui  bien  se  ven- 
gèrent des  Romains  :  et  diceux  Goths  extraits  des  Cimbres, 
descendirent  les  anciens  Roys  de  Bourgongae  et  d'Espaigne.  336 
Comment  après  la  deffaite  de  Teutonius  et  Cloadic,  Roys  des 
Cimbres,  Léon  le  quart,  leur  frère,  fut  occis  par  les  Saxons. 
Et  son  frère  et  successeur  Godefroy  surnommé  Karle,  chassa 

dauprès  de  luy  son  filz  nommé  Charles  Ynach 338 

Comment  Chai-les  Ynach  milita  pour  les  Romains,  en  la  guerre 
du  Roy  Mithridates,  et  amena  pardeça  vne  des  sœurs  de  Iulius 
César  :  et  de  limposition  du  nom  de  Valenciennes  ....     340 


DES   CRinTRlS. 


m 


Comment  Charles  premier  de  ce  nom  en  ce«te  généalogie,  ttifi''  ^'^^ 

'■  nomm4  Ynach,  régna  à  Toogrea  apree  la  mort  de  «on  père 
Godefroy  Karle,  et  fut  occia  en  bataille  par  lalias  Cessr,  ton 
beaa   frère.  Et  est  aassi  désigné  le  teoement  de  Ambiorix, 

"■  Roy  des  Eburons .'.     .     .     . '\     .     .  '  343 

De  la  tresnoble  et  tresantique  généalogie  des  Brabons,  et  de  leur 
blason  qui  fut  tel,  que  le  porte  auiourdhay  la  maison  d'Ans- 
triche  et  de  Lothric _ 343 

Comment  la  Royne  Germaine  surnommée  Suuane,  vefiie  du  Roy 
Charles  Inach,  fut  recongnue  par  Iulius  César  son  frère,  an 
moyen  dudit  Cheualier  Saluius  Brabon  :  et  de  la  rraye  histoire 
du  Cygne  de  Cleues .347 

De  la  première  institution  de  la  duché  de  Brabant  donnée  en 
douaire  par  lulles  César,  à  sa  nièce,  fille  de  Charles  Ynach  : 
et  du  Royaume  de  Coulongne  donné  à  Octanien  Germain,  du- 
quel la  nation  Germanique  porte  le  nom  :  auec  epilogation 
de  la  haute  noblesse  dudit  sang  en  ceste  généalogie  .       .  351 

Daucuues  fondations  de  villes  faites  par  deçà  par  lolins  César, 
du  Géant  d'Anuers,  et  du  Dieu  Priapus  qui  y  estoit  adoré  : 
de  la  donation  de  la  marche  Romaine,  et  de  la  mort  de  Sal- 
uius, premier  Duc  de  Brabant 353 

Du  règne  et  des  gestes  d'Octauien  Germain,  Roj  des  Agrippins 
ou  de  Coulongne,  û\z  de  Charles  Ynach 355 

De  Charles  second  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  somommé 
Brabon,  Duc  de  Tongres,  de  Brabant  et  de  Thuringe.  et  Roy 
de  Coulongne,  et  daucuns  autres  ses  aaccesseurs,  iaaqnes  à 
Charles  le  Bel.  Et  de  la  fondation  de  plusieurs  Tilles  et  citaz 
en  ce  quartier • 356 

De  Charles  troisième  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  snmommé 
le  Bel,  et  de  la  grand  bataille  qui  fut  donnée  contre  Attyla, 
Roy  des  Huns,  en  laquelle  mourut  Gundengus,  premier  Roy 
des  Bourguignons 361 

Du  Duc  Lando,  qui  premier  laissa  les  Romains  et  sallia  anx 
François,  comme  yssu  de  leur  sang 363 

Du  Duc  Austrasius,  lequel  fut  canse  de  faire  baptiser  Clouis, 
Roy  des  François,  ce  que  naaoit  encores  peu  faire  aa  fernm* 
1»  Royne  Clotilde  de  Bourgongna 364 


48t>  .,    TAILB 

Dm  limitas  du  Royaume  d'Âustrasie,  ou  d'Austriche  la  basse, 
voisine  du  Royaume  de  Bourgongaa 365 

CoDcluaion  du  premier  traicté 366 

Le  second  traicté  du  liure  intitulé  la  généalogie  historiale  de 
lempereur  Charles  le  Grand 367 

De  lancienne  estendue  du  Royaume  de  Bourgongoe,  et  de  ses 
limites  prouuez  par  Acteurs  autentiques  .     : 368 

De  la  merueilleuse  antiquité  des  Roys  de  Germanie,  desquelz 
furent  iadis  extraits  les  Roys  de  Bourgongne 372 

De  Tuyscon  le  Géant,  premier  Roy  de  Germanie  et  filz  de  Noë, 
et  des  autres  Princes  de  sa  maison 373 

Du  païs  d'Vuandalie  en  AUemaigne  :  et  des  gestes  des  Vuan- 
delz,  commençant  enuiron  le  temps  de  lincarnation  de  nostre 
Seigneur.  Et  la  cause  pourquoy  yne  paiiie  diceux  furent  pre- 
mièrement appeliez  Bourguignons 381 

Des  gestes  des  autres  Yuandelz  et  de  Stilco,  Prince  de  leur 
nation,  qui  secrètement  incita  les  Boui'guignons,  Yuandelz  et 
autres  nations  &  enuabir  les  Gaules 382 

Comment  les  François,  vne  autre  nation  d' AUemaigne,  furent 
reboutez  oultre  le  Rhin  par  les  Yuandelz,  Bourguignons  et 
Alains.  Et  lesdits  Bourguignons  eslurent  leur  demeure  au 
païs  qui  maintenant  porte  leur  nom  :  et  les  autres  passèrent 
oultre,  dont  les  Yuandelz  donnèrent  le  nom  au  païs  d'Yuan- 
dalousie  en  Espaigue  :  et  les  Goths  et  les  Alains  au  païs  de 
Cathelongae 387 

Comment  les  Bourguignons  encores  Gentilz  et  Payens  receurent 
la  foy  catholique  :  et  la  cause  pourquoy  :  et  de  la  victoire 
quilz  eurent  par  ce  moyen,  alencontre  des  Huns,  quon  dit 
maintenant  Hongres   .     .     : 388 

Confutation  de  lerreur  de  ceux  qui  cuident  que  du  temps  de  la 
Magdeleine  il  y  eust  aucun  Prince  qui  se  nommast  Roy  de 
Bourgongne.  Et  de  la  vérité  de  Ihistoire  du  Roy  Gundengus 
qui  premier  fut  institué  par  les  Bourguignons  :  et  de  ses 
gestes.  Lequel  Gundenfrus  estoit  de  lancienne  noblesse  des 
Goths,  dont  les  Roys  d'Espaigne  se  disent  auiourdhuy  estre 
yssuz 392 

Des  quatre  filz  de  Gundengus,  premier  Roy  de  Bourgongne  : 


DES  CRAflTRBS.  487 

cestaaauoir  Oandeband,  QandMlgil,  Ch{Ip«H«  «t  Ootbraar  : 
lesquelz  régnèrent  par  ensemble  en  Boorgongne  aprea  leur 
père.  Et  de  la  guerre  qtie  lea  deux  frerea  eurent  contre  1m 
deux  autres  à  cause  de  la  auoceasion    .     .  .     .     .     .     .  *  807 

Du  règne  de  Oandebaud  et  de  Oandegbil  ion  frère  :«t  étMcotm'-^  *^ 
de  leurs  geste» 398 

Comment  Clotilde  d«  Bourgongne  appetant  la  vengeance  de  la 
mort  de  son  père  et  de  sa  mère,  consentit  soeretement  deitre 
rauie  par  Clouis,  Roy  de  France 399 

Des  deux  requestes  que  Clotilde  de  Bourgongne,  Royne  de  France,  ' 
feit  premièrement  an  Roy  CkMiia,  son  mary  :  et  d«  leffect 
dicelle  quant  à  la  guerre,  contre  son  oncle  Gundebaad.  Et  de 
la  mort  de  Gundegisil,  son  autre  oncle,  qui  tint  le  party  des 
François 403 

De  saint  Sigismund,  troisième  Roy  de  Bourgongne  :  et  de  Oon- 
demar,  ou  Gondeual,  son  frère.  Et  comment  la  Royne  Clotilde 
fut  cause  de  leur  deffaite  :  et  de  Clodomir,  Roy  d'Orleana, 
qui  feit  mourir  cruellement  ledit  Sigiamond,  Roy  de  Bour- 
gongne     407 

De  Gondemar,  quatrième  Roy  de  Bourgongne  et  dernier  de  la 
lignée  des  Goths,  et  comment  au  pourchas  de  la  Rojne  Clo- 
tilde, sa  cousine,  il  fut  totalement  destmit  :  et  le  Royaume 
de  Bourgongne  vint  en  la  main  des  François.  Et  de  la  mort     '' 
du  Roy  Clodomir  d'Orléans -410 

Comment  Theodoric,  Clotaire  et  Childebert,  enfans  da  Roy  Clo- 
ais  de  France  et  de  Clotilde  de  Bourgongne,  tindrent  ensem- 
ble le  Royaume  de  Bourgongne  :  et  de  la  mort  des  enfans  de 
Clodomir,  Roy  d'Orléans  :  et  aussi  dudit  Childebert,  Roy  de 
Paris 412 

De  Theodoric,  cinquième  Roy  de  Bourgogne  et  aussi  d'Aastriche 
la  basse  et  de  Tburinge,  et  de  ses  gestes 414 

De  Theodebert,  sixième  Roy  de  Bourgongne  et  d'Austriche  la 
basse,  qui  aucuneefois  ha  este  nommée  France  Orientale  .     .     415 

De  Theobald,  septième  Roy  de  Bourgongne,  et  de  ses  gestes  en 
Italie 416 

Le  Clotaire  premier  de  ce  nom,  huitième  Roy  de  Bourgogne, 
de  France  et  d'Austriche  la  basse  :  lequel  espoasa  la  femme 


488  TABLE 

de  son  frère  Clodomir,  Roy  d'Orlean» 418 

Conclusion  de  ce  second  traicté      .     • 421 

Le  troisième  traicté  du  liure  intitulé  la  généalogie  historiale  de 

lempereur  Charles  le  grand 422 

De  Charles  quati'ieme  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  surnommé        <  I 
Nason,  Duc  de  Tongres,  de  Brabant  et  de  Thuringe,  et  filz 
du  Duc  Austrasius,  qui  donna  le  nom  au  Royaume  d'Austriche 

la  basse  :  comme  dessus  est  dit.     .     .    ' 423 

De  Charles  cinquième  de  ce  nom  en  ceste  généalogie,  surnommé 
Hasbain.  Et  comment  il  fut  enuoyé  ambassadeur  deuers  lem- 
pereur lustinian  :  et  perdit  la  Marche  de  dessus  Lescault, 
pour  faire  seruice  au  Roy  Theodebert,  d'Austriche  la  basse 

et  de  Bourgongne 424 

Comment  le  Duc  Charles  Hasbain,  comme  procureur  et  ambas- 
sadeur du  Roy  Theodebert,  feit  hommage  du  Royaume  d'Aus- 
triche la  basse,  on  de  France  Orientale,  à  lempereur  lusti- 
nian, et  de  la  reste  de  l'exploit  de  son  ambassade  ....     427 

De  la  postérité  du  Duc  Charles  Hasbain 429 

Comment  Anselbert  le  Sénateur  espousa  Blitilde,  fille  du  Roy 
Clotaire,  et  vint  prendre  la  possession  de  la  Marche  du  saint 

Empire  sur  Lescault 430 

De  la  tresnoble  et  tressainte  génération  qui  descendit  d' Ansel- 
bert le  Sénateur,  premier  Marquis  héritable  de  la  Marche 
du  saint  Empire  sur  Lescault,  et  de  sa  femme  Blitilde,  fille 

du  Roy  Clotaire 431 

Arnould,  filz  d' Anselbert  le  Sénateur  et  de  sainte  Blitilde  .  .  431 
De  saint  Arnulphe,  filz  dudit  Arnould,  et  de  ses  enfans  .  .  .  431 
Du  Marquis  Anchises,  filz  de  saint  Arnulphe, 'Euesque  de  Metz.  432 
Du  Duc  Pépin  Heristel,  fil?  du   Marquis  Anchises  et  de  sainte 

Begga,  et  de  ses  gestes    i 433 

Des  guerres  que  Pépin  Heristel,  père  de  Charles  Martel,  eut 
contre  Ebroyn  le  tyrant,   Prince  du  Palais  de  France,  et 

contre  Gislemar,  aussi  Prince  du  Palais 434 

Comment  le  Djic  Pépin  Heristel  desconfit  en  bataille  le  Roy 
Theodoric  de  France  et  Berkaire  Prince  du  Palais  :  et  fut 

Pépin  eslu  à  ladite  Principauté 437 

Des  autres  gestes  du  Duc  Pépin  Heristel  et  de  ses  enfans     .     .     438 


DES   CHAI*1TBK8.  499 

De  Charles  cinquième  de  ce  nom  ea  ceste  généalogie,  ■arnommé 
Martel,  pare  du  Roj  Pépin  le  Brief  et  ajeul  de  lemperear 
Charles  le  grand 440 

Comment  le  Duo  Charles  Martel,  après  quil  fat  eachappé  des 
prisons  de  sa  Marastre,  recouura  la  Principauté  du  Royaome 
d'Austriche  la  basse  et  aussi  du  Palais  de  France  ....    441 

Comment  le  Duc  Charles  Martel  creoit  les  Roys  de  France  à  son 
appétit  :  et  comment  il  se  vengea  de  sa  marastre  Plectrode,  et 
conquesta  le  Royaume  de  Bulgarie,  oultre  la  Dunoe,  et  la  plus 
grand  partie  d'Allemaigne,  cestasauoir  Saxone  et  Bauiere     .     442 

De  la  merveilleuse  victoire  que  le  Duc  Charles  Martel  eut  contre 
les  Sarrasins  :  lesquelz  Eudon,  Duc  d'Aquitaine  et  de  Gas- 
congne,  auoit  amenez  en  France.  Et  comment  il  donna  les 
dismes  des  églises  aus  gentilz  hommes 444 

Comment  le  Duc  Charles  Martel  conquesta  le  Royaume  de 
Bourgongne,  la  Duché  d'Aquitaine  et  de  Gascogne,  et  depuis 
le  Royaume  de  Frise  :  et  vainquit  les  AUemans  sur  le  Rhin, 
et  les  Goths  et  Sarrasins  en  Prouence,  et  en  Aquitaine  :  et  de 
ses  autres  gestes 446 

De  Karloman,  Duc  d'Austriche  la  basse,  quon  dit  maintenant 
Lothric,  et  Brabant,  Soaue,  Allemaigne  et  Thuringe  :  lequel 
après  plusieurs  victoires  se  rendit  moyne 451 

Du  Duc  Pépin  surnommé  le  Brief,  troisième  de  ce  nom  en  ceste 
généalogie,  Duc  de  Bourgongne  et  d'Aquitaine,  Pi'ince  du 
Palais  de  France  :  et  des  autres  successions  qui  luy  accreu- 
rent  à  cause  de  son  frère  aisnë  Karloman  deuenu  moyne.  Et 
aussi  des  guerres  quil  eut  contre  son  frère  maisné  Griffon     .     453 

Comment  le  Duc  Pépin  le  Brief  fut  institué  Roy  de  France,  par 
le  consentement  des  Barons  du  Royaume,  et  par  lautorité  du 
Pape  Zacharie  au  desauantage  de  lancienne  lignée  de  Mero- 
uens  :  et  des  terres  que  le  Roy  Pépin  donna  à  leglise  Ro- 
maine :  et  autres  de  ses  gestes 455 

Narration  comment  les  successions  des  Princes  se  muent  et 
changent  par  la  prouidence  diuine.  Et  comment  le  sang  de 
Lempereur  Charles  le  grand  fut  depuis  reQny  et  réintégré, 
ou  réitéré,  en  la  famille  des  Roys  treschrestiens,  iusques 
auioardhuy,  par  ligne  féminine 459 


490  TABLE   DES   CHAPITaES. 

Des  terres  que  le  Roy  Pépin  et  ses  successeurs  Empereurs  et 
Roys  de  France,  Charles  le  grand  et  Loys  la  débonnaire  pre- 
miers de  ces  noms,  donnèrent  et  confermerent  à  leglise  Ro- 
maine, pour  lesquelz  mérites  et  autres,  eux  et  leurs  succes- 
seura  sont  nommez  Treschrestiens  .........     466 

Peroration  de  lacteur  aux  nobles  lecteuns  et  auditeura  de  ce  liure.    468 


0 


ff 


nmiàB^.       JUL6    1964 


PQ  Lemaire  de  Belges,  Jean 

1628  Oeuvres  de  Jean  Lemaire 

L5  de  Belges 

1882 
t. 2 


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