Skip to main content

Full text of "Oeuvres complètes de J.J. Rousseau : avec des eclaircissements et des notes historiques"

See other formats


Google 


This  is  a  digital  copy  of  a  book  thaï  was  prcscrvod  for  générations  on  library  shelves  before  it  was  carefully  scanned  by  Google  as  part  of  a  project 

to  make  the  world's  bocks  discoverablc  online. 

It  has  survived  long  enough  for  the  copyright  to  expire  and  the  book  to  enter  the  public  domain.  A  public  domain  book  is  one  that  was  never  subject 

to  copyright  or  whose  légal  copyright  term  has  expired.  Whether  a  book  is  in  the  public  domain  may  vary  country  to  country.  Public  domain  books 

are  our  gateways  to  the  past,  representing  a  wealth  of  history,  culture  and  knowledge  that's  often  difficult  to  discover. 

Marks,  notations  and  other  maiginalia  présent  in  the  original  volume  will  appear  in  this  file  -  a  reminder  of  this  book's  long  journcy  from  the 

publisher  to  a  library  and  finally  to  you. 

Usage  guidelines 

Google  is  proud  to  partner  with  libraries  to  digitize  public  domain  materials  and  make  them  widely  accessible.  Public  domain  books  belong  to  the 
public  and  we  are  merely  their  custodians.  Nevertheless,  this  work  is  expensive,  so  in  order  to  keep  providing  this  resource,  we  hâve  taken  steps  to 
prcvcnt  abuse  by  commercial  parties,  including  placing  lechnical  restrictions  on  automated  querying. 
We  also  ask  that  you: 

+  Make  non-commercial  use  of  the  files  We  designed  Google  Book  Search  for  use  by  individuals,  and  we  request  that  you  use  thèse  files  for 
Personal,  non-commercial  purposes. 

+  Refrain  fivm  automated  querying  Do  nol  send  automated  queries  of  any  sort  to  Google's  System:  If  you  are  conducting  research  on  machine 
translation,  optical  character  récognition  or  other  areas  where  access  to  a  laige  amount  of  text  is  helpful,  please  contact  us.  We  encourage  the 
use  of  public  domain  materials  for  thèse  purposes  and  may  be  able  to  help. 

+  Maintain  attributionTht  GoogX'S  "watermark"  you  see  on  each  file  is essential  for  informingpcoplcabout  this  project  and  helping  them  find 
additional  materials  through  Google  Book  Search.  Please  do  not  remove  it. 

+  Keep  it  légal  Whatever  your  use,  remember  that  you  are  lesponsible  for  ensuring  that  what  you  are  doing  is  légal.  Do  not  assume  that  just 
because  we  believe  a  book  is  in  the  public  domain  for  users  in  the  United  States,  that  the  work  is  also  in  the  public  domain  for  users  in  other 
countiies.  Whether  a  book  is  still  in  copyright  varies  from  country  to  country,  and  we  can'l  offer  guidance  on  whether  any  spécifie  use  of 
any  spécifie  book  is  allowed.  Please  do  not  assume  that  a  book's  appearance  in  Google  Book  Search  means  it  can  be  used  in  any  manner 
anywhere  in  the  world.  Copyright  infringement  liabili^  can  be  quite  severe. 

About  Google  Book  Search 

Google's  mission  is  to  organize  the  world's  information  and  to  make  it  universally  accessible  and  useful.   Google  Book  Search  helps  rcaders 
discover  the  world's  books  while  helping  authors  and  publishers  reach  new  audiences.  You  can  search  through  the  full  icxi  of  ihis  book  on  the  web 

at|http: //books.  google  .com/l 


wm—rzT: 


^ 


IF-  A.  77t 


~\ 


OEUVRES  COMPLÈTES 


J.-J.   ROUSSEAU. 


1». 


PARIS,  IMPRIMERIE  DE  DECOURCHANT , 
Rae  d'Erfurlh  ,  ii.  i ,  {très  de  l'Abbtye. 


ŒUVRES 


DE 


J.-J.  ROUSSEAU. 


CORRESPONDANCE. 

IV. 


A  PARIS, 


CHEZ    DESENNE,   LIBRAIRE, 

(IflB  HAVTKrEOILLB,  R*  lO. 
1831 


-»—    —   'W  ' 


Va 


:> 


\  7  JUL  W7» 


/BR»' 


/ 


CORRESPOÎ^BA.NGE. 

SlTMibaaig,\«  4  pdfmsàfft  1765. 

J'AïUYB ,  monsieur,  an  plus  détestable^  voyage, 
à  tous  égards,  cjne  )  aïe  &it  de  ma  vie.  J  Wive  ex- 
cédé, rendu;  mais  enfin  j'carive,  et,  grâces  à  ronSy 
(fens  une  maison  où  je  pms  me  remettre  et  re- 
prendre haleine  à  mon  aise ,  car  je  ne  puis  songer 
i  reprendre  de  long-temps  ma  route;  et  si  j'en  ai 
encore  une  pareille  à  ceUe  que  je  viens  de  Ëiire, 
il  me  sera  totalement  impossible  de  la  soutenir.  Je 
ne  me  prévaux  point  sitôt  de  votre  lettre  pour 
3£  ZolUcoBer;  carfaioie  fort  le  plaisir  de  prince 
de  garder  llncognito  le  plus  long -temps  quon 
peut.  Que  ne  puis- je  le  garder  le  reste  de  ma  vie  I 
je  serais  encore  un  heureux  mortel.  Je  ne  sais  au 
reste  comment  m  accueilleront  les  Français;  niais 
s  ils  font  tant  que  de  me  chasser,  ils  ne  choisiront 
pas  le  temps  que  je  suis  malade,  et  sy  prendront 
moins  brutalement  que  les  Bernois.  Je  suis  dune 
lasbitude  â  ne  pouvoir  tenir  la  plume.  Le  cocher 
veut  repartir  dès  aujourd'hui.  Je  n'écris  donc 
point  à  M.  du  Pejrou  :  veuillez  suppléer  à  ce  que 
j^  ne  puis  ùire;  je  lui  écrirai  dans  la  semaine  in- 
^iWemeDL,  Il  éiut  que  je  lui  parle  de  vos  atteu' 
tioQs  et  de  vos  bontés  mieux  que  je  ne  p^uz  &ire 


I. 


6  CORKESPONDÂNCS, 

à  vous-même.  Ma  manière  d'en  remercier  est  den 
profiter;  et,  sur  ce  pied,  l'on  ne  peut  être  mieux  re- 
mercié que  vous  1  êtes  :  mais  il  est  juste  que  je  lui 
parle  de  Teffet  qu  a  produit  sa  recommandation. 
Bonjour,  monsieur;  bonne  foire  et  bon  voyage. 
J'espère  avoir  le  plaisir  de  vous  embrasser  encore 
icL 

624,  —  A  M.  DU  Pbyrou. 

Strasbourg,  le  H  noveiiibre  i^65. 

Jz  suis  arrivé ,  mon  cher  hôte ,  à  Strasbourg 
samedi,  (out-à-fait  hors  d'état  de  continuer  ma 
î oute 5  tint  par  lefiot  de  mon  mal  et  de  la  fetigue , 
que  par  la  fièvre  et  une  chaleur  d'entrailles  qui 
s'y  sont  jointes.  11  m  est  aussi  impossible  d  aller 
main  tenant  à  Potzdam  qu  à  la  Chine,  et  jo  ne  sais 
plus  trop  ce  que  je  vais  devenir;  car  probablement 
on  ne  me  laissera  pas  long-temps  ici.  Quand  on 
est  une  fois  au  point  où  je  suis,  on  n'a  plus  de 
projets  à  fiiire  ;  il  ne  reste  qu  à  se  résoudre  à  toutes 
choses,  et  plier  la  tête  sous  le  pesant  joug  de  la 
ucccssité. 

J'ai  écrit  à  milord  maréchal  ;  je  voudrais  at- 
tendre ici  sa  réponse.  Si  Ton  me  chasse,  j'irai 
chercher  de  l'autre  câté  du  Rhin  quelque  huma- 
nité ,  quelque  hospitalité  ;  si  je  n'en  trouve  plus 
nulle  part,  il  faudra  bien  chercher  quelque  moyen 
(le  s  eu  passer.  Bonjour,  non  plus  mon  hôte,  mais 
toujours  mon  ami.  George  Keith  et  vous  m'atta^ 


AxyEB  1765.  r^ 

chez  encore  i  la  vie;  de  tels  liens  ne  se  rompent 
pas  aisément. 

Je  YQos  embrasse. 

6a5. AU  MÂME. 

StnaàMmg,  le  lo  noTcmbre  1765. 

Hàsscuz-Tors,  mon  cher  hôte,  et  rassurez  nos 
»mis  SOT  les  dangers  auxquels  vous  me  croyez  ex- 
posé. Je  ne  reçois  ici  que  des  marques  de  bienveU- 
lance    et  tout  ce  qui  commande  dans  la  ville  et 
^ns  la  province  paraît  s'accorder  k  me  fevoriser. 

^*urœ  qu«  «»  a  dit  M.  le  maréchal ,  que  je  vis  hier, 
y™^  ™*  regarder  comme  aussi  en  sûreté  i  Stras- 
W^^klieAn.  iLFischer ma  servi  avec  toute 
^  chaleur  et  lom  le  zèle  d'un  ami,  et  3  a  eu  le 
pS^M^irde  troavertmk  monde  aussi  bien  disposé 
90  li  poufajt  ledésirer.  On  me  fait  apercevoir  bien 
agreabJernent  que  je  ne  suis  plus  en  Suisse. 

Je  n  ai  que  le  temps  de  vous  marquer  ce  mot 
pow  r<ms  rassarer  sur  mon  compte. 

J«  roas  embrasse  de  tout  mon  cœur.  "  ' 

6a6.  —  AU  mIme. 

Ji  reçois  y  mon  cher  hôte ,  votre  lettre  n°  6. 

^ Saurez  vu  par  les  miennes  que  je  renonce  ab- 

f^mentaa  voyage  de  Berlin ,  du  moins  pour  cet 

•W,  i  100105  que  mîlord  maréchal ,  à  qui  j'ai 


/^ 


8  CORRESPONDANCE, 

écrit,  ne  fut  d'un  avis  contraire.  Mais  je  le  connais  ; 
il  veut  mon  repos  sur  toute  chose,  ou  plutôt  il  ne 
veut  q[ue  cela.  Selon,  toute  apparence,  je  passerai 
rhiver  ici.  On  ne  peut  rien  ajouter  aux  marques 
de  bienveillance,  d'estime ,  et  même  de  respect , 
qu'on  m'y  donne ,  depuis  M.  le  maréchal  et  les 
chefs  du  pays,  jusqu'aux  derniers  du  peuple.  Ce 
qui  vous  surprendra  est  que  les  gens  d  église  sem- 
blent Couloir  renchérir  encore  sur  les  autres.  Ils 
ont  Tair  de  me  dire  dans  leurs  manières  :  Distin- 
guez-nous  de  vos  ministres,  vous  voyez  que  nous 
ne  pensons  pas  comme  eux. 

Je  ne  sais  pas  encore  de  quels  livres  j'aurai  be> 
soin  ;  cela  dépendra  beaucoup  du  choix  de  ma  de- 
meure-, mais,  en  quelque  lieu  que  ce  soit,  je  suis 
absolument  déterminé  à  reprendre  la  botanique. 
Enxonséquence,  je  vous  prie  de  vouloir  bien  faire 
trier  d'avance  tous  les  livres  qui  en  traitent ,  fi- 
gures et  autres,  et  les  bien  encaisser.  Je  voudrais 
aussi  que  mes  herbiers  et  plantes  sèches  y  fussent 
joiuts;  car,  ne  connaissant  pas  à  beaucoup  près 
toutes  les  plantes  qui  y  sont,  j'en  peux  tirer  en« 
core  beaucoup  dlnstruction  sur  les  plantes  de  la 
Suisse ,  que  je  ne  trouverai  pas  ailleurs.  Sitôt  que 
je  serai  arrêté,  je  consacrerai  le  goût  que  j'ai  pour 
les  herbiers  à  vous  en  faire  un  aussi  complet  qu'il 
me  sera  possible ,  et  dont  je  tâcherai  que  vous 
soyez  content. 

Moucher  hôte,  je  ne  donne  pas  ma  confiance 
à  demi^  visitez,  arrangez  tous  mes  papiers ,  lises 


1765.  9 

fC  feiûlletez  toat  sans  scmpale.  Je  vous  plains  de 
reofiai  qneTons donnera  tout  ce  fatras  sans  choix , 
et  je  TOUS  remercie  de  Tordre  que  vous  y  voudrez 
raette.  Tâdiez  de  ne  pas  changer  les  numéros  des 
paquets,  afin  qn*îb  nous  servent  toujours  d  mdi- 
cdlion  pour  les  papiers  dont  je  puis  avoir  besoin. 
Par  exemple,  je  sub  dans  le  cas  de  désirer  beau- 
coup de  &ire  usage  ici  de  deux  pièces  qui  sont 
dans  le  numéro  i  a,  Tune  est  Pjgmalion ,  et  Tautre 
lEngagtment  téméraire.  Le  directeur  du  spcta- 
de  a  pour  moi  mille  attentions  ;  il  m'a  donné  pour 
mon  usage  une  petite  loge  grillée;  il  m'a  fait  faire 
oaeckf  d'une  petite  porte  pour  entrer  incognito; 
il  finlV)KiR\esç\ëces<pi'il  juge  pouvoir  me  plaire. 
Je  vouànôs  ik^  àe  reconnaître  ses  honnêtetés , 
et  je  crois  que  guelgue  barbouillage  de  ma  façon , 
km  oa  maorais,  lui  serait  utile  par  la  bienveil- 
lance que  le  public  a  pour  moi,  et  qui  s  est  bien 
maïquée  au  Dci^in  du  village.  Si  j'osais  espérer 
que  vous  vous  laissassiez  tenter  à  la  proposition 
de  ijL  de  Luze,  vous  apporteriez  ces  pièces  vous- 
méoie^  et  nous  nous  amuserions  à  les  &ire  répé- 
ter. Maisconune  il  n'y  a  nulle  copie  àePygmalion^ 
il  en  Êudrait  faire  £adre  une  par  précaution,  sur- 
tout si,  ne  venant  pas  vous-même,  vous  preniez 
V  parti  (fenvoyer  le  paquet  par  la  poste  à  l'adresse 
dcM.  Zoilicofler,  ou  par  occasion.  Si  vous  venez , 
a3iidez-4e-moi  â  1  avance, et  donnez-moi  le  temps 
^^  réponse.  Selon  les  réponses  que  j'attends, 
/^  poaiTais^  si  là  chose  ne  vous  était  pas  trop  im- 


10  ,       CORRESPONDANCE  j 

portune,  vous  prier  de  perme  tre  que  madonio 
selle  Le  Vasseur  vînt  avec  vous.  Je  vous  embrassa 
Je  reçois  en  ce  moment  le  numéro  7.  Ecrive 
toujours  par  M.  ZoUicolTer. 

C27. — A  M.  dIvernois. 

A  Strasbourg V  le  ai  novembre  1,76 5. 

Ne  soyez  point  en  peine  de  moi,  monsieur 
grâces  au  ciel ,  je  ne  suis  plus  en  Suisse ,  je  le  sen 
tous  les  jours  à  l'accueil  dont  on  m'honore  ici 
mais  ma  sanle  est  dans  un  délabrement  facile  i 
imaginer.  Mes  papiers  et  mes  livres  sont  rester 
dans  un  désordre  épouvantable;  la  malle  que  vou; 
savez  a  été  remise  à  M*  Martiuet>  châtelain  di 
Val-de-Travers;  vos  papiers  sont  restés  parmi  \ei 
miens;  n'en  soyez  point  en  peine;  ils  se  retrouve 
ront,  mais  il  faut  du  temps.  Vous  pouvez  me 
crire  ici  ou  à  l'adresse  de  M.  du  Peyrou  à  NeuchA 
tel.  Vous  pouvez  aussi ,  et  même  je  vous  en  prie 
tirer  sur  moi  à  vue  pour  l'argent  que  je  vous  dois 
et  dont  j'ignore  la  somme.  Je  ne  vous  dis  rien  de 
vos  pareils;  mais,  malgré  ce  que  vous  m'avez  fait 
dire  par  M.  Desarts,  je  compte  et  compterai  tou- 
jours sur  votre  amitié,  comme  vous  pouvez  tou- 
jours compter  sur  la  mienne.  Je  vous  embrasse  de 
tout  mon  coef|ir. 


.j3i:«c.A    1765.  U 


Ç/A.  —  k  M,  DU  Peykou. 

f  AI,  Boa  cher  ^ôte ,  votre  numéro  S  et  tous 
iesprécédens.  lie  soyez  point  en  peine  du  passe- 
port; ce  n'est  pas  nne  chose  si  absolament  néceS' 
saire  que  tous  le  supposez ,  ni  si  difficile  à  renou- 
reier  an  besoin;  m^  il  me  sera  toujours  pré- 
ci<:!ajL  par  la  main  dont  il  me  vient  et  par  les  soins 
dont  il  est  la  preuve. 

Qoeipie  plaisir  cpe  j'eusse  â  vous  voir^  le  chan< 

gemÉenl  <pie  j'ai  été  forcé  de  mettre  dans  ma  ma- 

Tiiére  de  vîvrc  ralentit  mon  empressement  à  cet 

è^arcL  Les  fréquens  dioers  en  ville ,  et  la  fréquen- 

^ustion  des  femmes  et  des  gens  du  moude ,  â  quoi 

je  m  étais  livré  d'abord,  en  retour  de  leur  bicu- 

veillance,  miraposaient  une  gène  qui  a  tellement 

pris  5or  ma  santé,  qu'il  a  fallu  tout  rompre ,  et  re- 

devpnir  ours  par  nécessité.  Vivant  seul  ou  avec 

Fischer,  qui  est  un  très-bon  garçon ,  je  ne  serais  à 

port^  de  partager  aucun  amusement  avec  vous, 

^  TOUS  iriez  sans  moi  dans  le  monde ,  ou  bien ,  ne 

nrant  qu'avec  moi ,  vous  seriez  dans  cette  ville 

^is  U  connaître.  Je  ne  désespère  pas  des  moyens 

ie  nous  YOÎT  plus  âgréablemenl  et  plus  à  notre 

^;  Biais  cela  est  encore  dans  les  {uturs  contin- 

§eas  :  d'ailleurs  y  n'étant  pas  encore  décidé  sur 

ffloi-Joéme,  je  ne  le  suis  pas  sur  le  voyage  de  ma- 

àtmoiseUeLeVasseuT.  CcpendaiM,s\\ousvenez^ 


12  CORRESPONDANCE  9 

•  •  • 

VOUS  êtes  sûr  de  me  trouver  encore  ici;  et,  dan 
ce  cas^  je  serais  bien  abe  d'en  être  instruit  d'c 
vancc;  afin  de  vous  faire  préparer  un  logemci: 
dans  cette  maison  ;  car  je  ne  suppose  pas  que  vou 
vouliez  que  nous  soyons  séparés. 

Llieure  presse,  le  monde  vient;  je  vous quiti 
brusquement ,  mais  mon  cœur  ne  vous  quitte  pa; 

629. A  M.  DE  LuzE. 

Struftwor^,  la  37  noTembre  176$. 

Je  me  réjouis,  monsieur,  de  votre  heureuse  ai 
rivée  à  Par'is,  et  je  suis  sensible  aux  bons  soin 
dont  vous  vous  êtes  occupé  pour  moi  dès  Finstai 
même;  c'est  une  suite  de  vos  bontés  pour  moi 
qui  ne  m'étonne  plus,  mais  qui  me  touche  tôt 
jours.  J'ai  différé  d'un  jour  à  vous  répondre ,  poi: 
vous  envoyer  la  copie  que  Vous  demandez ,  et  qu 
vous  trouverez  ci -jointe  :  vous  pouvez  la  lire 
qui  il  vous  plaira  ;  mais  je  vous  prie  de  ne  la  p^i 
laisser  transcrire.  Il  est  superflu  de  prendre  d 
nouvelles  informations  sur  la  sûreté  de  mon  p;i 
sage  à  Paris  :  j^ai  là -dessus  les  meilleures  assi 
rances  ;  mais  j'ignore  encore  si  je  serai  dans  le  c« 
de  m'en  prévaloir,  vu  la  saison,  vu  înon  état  qi 
ne  me  permet  pas  à  présent  de  me  mettre  enrout 
Sitôt  que  je  serai  détermine  de  manière  ou  d'ai 
ire ,  je  vous  le  manderai.  Je  vous  prie  de  me  maîi 
tenir  dans  les  bons  souvenirs  de  madame  de  Fai 
gnes,  et  de  lui  dire  que  lempressemcnt  de 


cW  em  UTU&  cotmaissanœ   qui    9*cst  ûite  chez 
voiis^eiitie^xiTbeaaco^Kp  âLans  le  désir  que  fai 
depassieri^^ans.  ïa\oiite  de  grand  €XSUTj  etfes- 
père  que  vo^os  n'en  àoutez  pas  ^  <|ue  ma  tentation 
l'aller  en  kn^Xene  s'augmente  extrêmement  par 
l  arment  àe  tous  y  smvre  ^  et  de  voyager  avec 
vous.  Voi^  quant  k  pèsent  toat  ce  gue  je  puis 
dire  sur  cel  arùde  :  îe  ne  tarderai  pas  à  vous  par- 
ler plus  positivement-,  mais  jusqu'à  présent  cet 
arrangement  est  très  douteux.  Recevez  mes  plus 
tendres  salutations;  )e  vous  embrasse,  monsieur, 
de  tout  mon  cœur. 

Pièl  k  fi-rmer  ma  lettre,  î<e  reçois  la  vAtre  sans 
date,  qui  contient  les  éclaircissemens  que  vous 
avez  eu  la  bonté  de  prendre  avec  Guy  :  ce  qui  me 
détermine  absolument  à  vons  aller  joindre  aussi- 
tôt qne  je  serai  en  état  de  soutenir  le  voyage. 
Faites -moi  entrer  dans  vos  arraogemens  pour 
celin  de  Londres  :  je  me  réjouis  beaucoup  de  le 
faire  avec  vous.  'Je  ne  joins  pas  ici  ma  lettre  à 
M.  de  Grafiènried,  sur  ce  que  vous  me  marquez 
qu'elle  courtParis.  Je  marquerai  A  M.  Guy  le  temps 
précis  de  mon  départ;  ainsi  vous  en  pourrez  être 
informé  par  lui.  Qu'il  ne  m^envoie  personne,  je 
trouverai  ici  ce  <piil  me  faut.  Rey  m'a  envoyé  son 
CûmaîSy  pour  m 'emmener  en  Hollande  ;  il  s'en  re- 
tournera  comme  il  est  venu. 


1 4~  CORRESPOND  A^  CE  , 

63o,  —  A  M.  DU  Peyrou. 

Sttasboniig,  ie  3o  Dovembre  i  ^65 

Tout  bien  pesé,  je  me  détermine  à  passer  ei 
Angleterre.  Si  j'étais  en  état,  je  partirais  dès  de 
main  ;  mais  ma  rétention  me  tourmente  si  cruel 
lement,  qu'il  faut  laisser  calmer  cette  attaque, 
employant  ma  ressource  ordinaire.  Je  compte  être 
en  état  de  partir  dans  huit  ou  dix  jours;  ainsi  ne 
m'écrivez  plus  ici,  votre  lettre  ne  m'y  trouverait 
pas;  avertissez,  je  vous  prie,  mademoiselle  Le 
Vasseur  de  la  même  chose  ;  je  compte  m'arrêter  à 
Paris  quinze  jours  on  trois  semaines;  je  vous  en- 
verrai mon  adresse  avant  de  partir.  Au  reste ,  vous 
pouvez  toujours  m'écrire  par  M.  de  Luze ,  que  je 
compte  joindre  à  Paris  pour  faire  avec  lui  le 
voyage.  Je  suis  très-fâché  de  n'avoir  pas  encore 
écrit  à  madamfe  de  Luze.  Elle  me  rend  bien  peu 
de  justice  si  elle  est  inquiète  de  mes  sentimens; 
ils  sont  teb  qu  elle  les  mérite ,  et  c'est  tout  dire.  Je 
m  attache  aussi  très-véritablement  à  son  mari.  11 
a  Tair  froid  et  le  cœur  chaud;  il  ressemble  en  cela 
à  mon  cher  hôte  :  voilà  les  gens  qu'il  me  faut. 

J'approuve  très -fort  d'user  sobrement  de  la 
poste,  qui  en  Suisse  est  devenue  un  brigandage 
public  :  elle  est  plus  respectée  en  France  ;  mais  les 
ports  y  sont  exorôitans ,  et  j'ai ,  depuis  mon  ar- 
rivée ici,  plus  de  cent  francs  de  ports  de  lettres. 
Retenez  et  lisez  les  lettres  qui  vous  viennent  pour 


]Boi;iiem'eiiToyez  que  celles  (jui  Vejdgent  abso^ 
huDcnt;  il  suffit  d'un  petit  extrait  des  autres. 

le  reçois  en  ce  laonient  votre  paquet  p^  /o. 
VoQà  ieirez  avoir* reçu  une  de  mes  lettres  ou  je 
^(Mi'>  fnaîs  d'ouvrir  toutes  celles  qui  vous  Ye- 
QÛeat  à  mon  adresse  :  ainsi  vos  scrupules  sont 
tatt  nal  ^acés.  Je  ne  sais  si  je  vous  écrirai  encore 
avant  mon  départ;  mais  ne  m'écrivez  plus  ici.  Je 
Toiâ  eiubiaase  de  la  plus  tendre  amitié. 

63 1.  —  A  M.  d1v£rnois. 

Strasbourg,  le  2  décembre  iy65. 

\ovs  ne  doutez  pas ,  moDsieor,  du  plaisir  avec 
lequel  ^^  rer^u  vos  deux  lettres  et  celles  de  M.  Dc- 
lucx  Ou  s  attache  à  ce  qu  on  aime  à  proportion  des 
maux  quH  nous  conte.  Jugez  par  là  si  mon  cœur 
est  toujours  au  milieu  de  vous.  Je  suis  arrivé  dans 
cette- ville  malade  et  rendu  de  fatigue.  .Je  m'y  re- 
pose aY^c  le  plaisir  qu'on  a  de  se  retrouver  parmi 
des  humains,  en  sortant  du  milieu  des  bétes  fé- 
Toces.  J 'ose  dire  que ,  depuis  le  commandant  de  la 
provinee  jnsqn  au  dernier  bourgeois  de  Stras- 
bourg, toQt  le  monde  désirerait  de  me  voir  passer 
ki  mes  jours  :  mais  telle  n'est  pas  ma  vocation.     . 
Ifejrs  d'état  de  soutenir  la  route  de  Berlin ,  je  prends 
^  P9ïû  de  passer  en  Angleterre.  Je  m'arrêterai 
ÇtttBu  jours  ou  trois  semaines  à  Paris,  et  vous 
poarez  m  j  dourrer  de  vos  nouvelles  chez  la  veuve 
ïkàme^  libraire,  rue  Saint-Jacques. 


l6  CORRESPONDANCE  y 

Je  Yoas  remercie  de  la  bonté  que  vous  avez  eue 
de  songer  à  mes  commissions.  J  ai  d'autres  prunes 
à  digérer;  ainsi  disposez  des  y^tres.  Quant  aux 
bilboquets  et  aux  mouchoirs,  je  voudrais  bien  que 
vous  pussiez  me  les  envoyer  à  Paris ,  car  ils  me  fe- 
raient grand  plaisir;  mais,  à  cause  que  les  mou- 
choirs sont  neufs,  j  ai  peur  que  cela  ne  soit  diffi- 
cile. Je  suis  maintenant  très -en  état  d'acquitter 
votre  petit  mémoire  sans  m'incommK)der.  U  n  «n 
sera  pas  de  même  lorsque ,  après  les  firais  dW 
voyage  long  et  coûteux,  j'en  serai  à  ceux  de  mon 
premier  établissement  en  Angleterre  :  ainsi,  je 
voudrais  bien  que  vous  voulussiez  tirer  suit  moi  à 
Paris ,  à  vue ,  le  montant  du  mémoire  en  question. 
Si  vous  voulez  absolument  remettre  cette  affaire 
au  temps  où  je  serai  plus  tranquille,  je  pous  prie 
au  moins  de  me  marqueur  à  combien  tous  vos  dé- 
boursés se  montent,  et  permettre  que  je  vous  en 
fasse  mon  billet.  Considérez,  mon  bon  ami,  que 
vous  avez  une  nombreuse  famille  à  qui  vous  de- 
vez compte  de  Temploi  êe  votre  temps,  et  que  le 
partage  de  votre  fortune,  quelque  grande  qu'elle 
puisse  être,  vous  oblige  à  n'en  rien  laisser  dissi- 
per, pour  laisser  tous  vos  enfans  dans  une  aisance 
honnête.  Moi ,  de  mon  côté,  je  serai  inquiet  sur 
cette  petite  dette,  tant  qu  elle  ne  sera  pas  ou  payée 
ou  réglée.  Au  reste,  quoique  cette  violente  expul- 
sion me  dérange,  après  un  peu  d^embarras  je  me 
trouverai  du  pain  et  le  nécessaire  pour  le  reste  de 
mes  jours,  par  des  arrangcmens  dont  je  dois  vous 


1765.  17 

avoir  parlé;  et  quant  à  présent  rien  ne  me  manque, 
fai  toat  Varient  qa'îl  me  Êiat  pour  mon  voyage  et 
aurddà,  ci,  avec  on  peu  d'économie,  je  compte 
me  letroarer  bientôt  an  courant  comme  aupara- 
Tant  Xai  cm  tous  devoir  ces  détails  pour  tran- 
(foSEser  Totre  honnête  coeur  sur  le  compte  d!vaï 
homme  que  vous  aimez.  Vous  sentez  que ,  dans 
le  désordre  et  la  précipitation  d  un  départ  iirus- 
qœ  j  je  n'ai  pu  emmener  mademoiselle  Le  Vas- 
seor  errer  arec  moi  dans  cette  saison,  jusque  ce 
que  j'eusse  un  gite  ;  je  Fai  laissée  à  File  Saint- 
IHerre ,  ou  elle  est  très-bien  et  avec  de  très4ion- 
nêtes  gens.  Je  pense  à  la  £iire  venir  ce  printemps, 
<»  ^n^kleiTe,  |^  le  bateau  qui  part  dTverdun 
tonsVes ans^lonyrar,  monsieur;  mille  tendres  sa- 
lutations à  votre  chère  &mille  et  à  tous  nos  amis; 
fe  Toas  emhzsse  de  toat  mon  cœur. 

632.  ^-i  A  IL  David  Hum. 

Sln^KHirg,  k  4  diécoBabre  1765. 

Vos  bontés ,  monsieur,  me  pénètrent  autant 

qu'elles  mlionorent.  La  plus  digne  réponse  que 

je  puisse  fiûre  à  vos  offres,  est  de  les  acceptei*,  et 

}t  les  accepte.  Je  jKUtirai  dans  cinq  ou  six  jours 

^Qv  aller  me  jeter  entre  vos  bras;  c est  le  conseil 

^  nlcntl  maréchal,  mon  protecteur,  mon  ami , 

^Boapm;  c'est  celui  de  madame  deBoofflers,  dont 

b  iMveîUance  éclairée  me  guide  autant  qu'elk 

HecoBScie^  enfia  fo«e  dire  c'est  oelni  de  mon 


ao  C0RIUESP05DÀXCE ,  j 

encore  des  forces,  pour  arriver  enfin  en  liea  de 
repos. 

Je  viens  en  ce  moment  d'avoir  la  visite  de  M.  dei 
Luze ,  qui  ma  remis  votre  l^llet  du  7 ,  daté  de 
Berne.  J^ai  écrit  en  effet  la  lettre  à  M.  le  bailli  de 
Nidau  ;  mais  je  ne  voulus  point  vous  en  parler 
pour  ne  point  vous  affliger  :  ce  sont ,  je  crois ,  le^ 
seules  réticences  que  lamitié  permette. 

Voici  une  lettre  pour  cette  pauvre  fille  qui  est 
à  nie  :  je  vous  prie  de  la  lui  faire  passer  le  plus 
promptement  qu'il  se  pourra;  elle  sera  utile  à  .«a 
tranquillité.  Dites,  je  vous  supplie,  à  madame  la 
Commandante  (^)  combien  je  suis  touché  de  sou 
souvenir,  et  de  ^intérêt  jipi'elle  veut  bien  prendre 
à  mon  sort.  J'aurais  assurément  passé  des  jours 
bien  doux  près  de  vous  et  d  elle  -,  mais  je  n^étais 
pas  appelé  à  tant  de  bien.  Faute  du  bonheur  que 
je  ne  dois  plus  attendre,  cherchons  du  moins  li 
tranquillité.  Je  vous  embrasse  de  tout  mqfi  cœur 

635.  — •  A  M.  dIvernois. 

Paris,  le  18  décembre  1765. 

Avant-hier  au  soir,  monsieur,  j'arrivai  ici  très- 
£itigué ,  très-malade ,  ayant  le  plus  grand  besoin 
de  repos.  Je  n y  suis  point  incognito,  et  je  n'ai 
pas  besoin  d'y  être  :  je  ne  me  suis  jamais  caché ,  e1 
je  ne  veux  pas  commencer.  Comme  j'ai  pris  mot 

{*)  C'étalfi  la  xDèxQ  de  du  Ptjiçia^  yeuve  d'un  commandaxi 


paitisnrles  ni)asùces  des  liommes  ,  je  les  melsa'i 
^sortoates  dioses  ,  et  ^e  m'attends  à  tout  de  leur 
ful,inèïïie  qaelcjuefoîs  à  ce  qui  est  bien.  JVi  écrit 
en  ebl\a  lettre  à  M.  le  bailli  de  Nidaa^  mais  la 
cxs^KK^TOUS  m*  avez  envoyée  est  pleine  decon- 
tit-sasn£ct)les  et  de  &utes  épouvantables.  On 
mtdeqoelle  boulîqae  elle  vient.  Ce  n  est  pas  la 
première {abncalion  de.cette  espèce,  et  voas  pou- 
vez ooiie  c^ue  des  gens  si  fiers  de  leurs  iniquités 
Be  soDt  çqère  bonteux  de  leurs  falsifications.  11 
court  kî  des  copies  plus  fidèles  de  cette  lettre ,  qui 
nennent  de  Berne ,  et  qui  font  assez  d'efiet.  M.  le 
Dauphin  lui-même,  à  qui  on  la  lue  dans  son  lit 
de  mort ,  eu  a  paru  touché,  et  a  dit  là-dessus  des 
c&oses  qui  feiaieut  bien  rougir  mes  persécuteurs, 
s'ils  les  savaient,  et  qnlls  fussent  gens  à  rougir  de 
quel^oe  chose, 

Voos  pouvez  m*écrire  ouvertement  chez  ma- 
danie  Duchesne  où  je  suis  toujours.  Cependant 
l'apprends  à  l'instant  que  M.  le  prince  de  Conti  a 
en  la  bonté  de  me  &ire  préparer  un  logement  au 
Temple,  et  qull  désire  que  je  Taille  occuper.  Je 
ne  pourrai  guère  me  dispenser  d'accepter  cet  hon- 
neur; mais,  maligré  mon  délogement,  vos  lettres 
sous  la  même  adresse  me  parviendront  également. 

636. AU   HÊMB. 

Pant ,  le  ao  décembre  1 7^5. 

Votre  lettre,  mon  bon  ami,  m'alarme  pins 
«p'eile  ne  ra'înstniiî.  Vous  me  parlez  de  milord 


î 


aa  CORRESPOND  ANGE , 

marëchal  pour  avoir  la  protection  du  roi;  mais  d< 
quel  roi  entendez-vous  parler?  Je  puis  me  &ir( 
fort  de  celle  du  roi  de  Prusse;  mais  de  quoi  vou 
servirait-elle  auprès  de  la  médiation?  Et  s'il  es 
question  du  roi  de  France ,  quel  crédit  milord  ma 
réckal  a-t-il  à  sa  cour?  Employer  cette  voie  serai 
vouloir  tout  gâter. 

Mon  bon  ami,  laissez  faire  vos  amis,  et  soye: 
tranquille.  Je  vous  donne  ma  parole  que  si  la  më 
diation  a  lieu,  les  misérables  qui  vous  menacen 
ne  vous  feront  aucun  mal  par  cette  voie-là.  Vail 
sur  quoi  vous  pouvez  compter.  Cependant  ne  ne 
gligez  pas  Foccasion  de  voir  M.  le  résident,  pou 
parer  aux  préven  lions  qu  on  peut  lui  don  uer  con  tr 
vous  :  du  reste,  je  vous  le  répète,  soyez  tran 
qmnc;  la  médiation  ne  vous  fera  aucun  mal. 

Je  déloge  dans  deux  heures  pour  aller  occupe 
auTemple  l'appartement  qui  m'y  est  destiné.  Vou 
pourrez  m'écrire  à  Vhôtel  de  Saint-Simon^  a 
Temple  y  à  Paris.  Je  vous  embrasse  de  la  plu 
tendre  amitié. 

687.  —  A  M,  DE  LuzE. 

22  décembre  1765, 

L'affliction,  monsieur,  où  la  perte  d'un  pèi 
tendrement  aimé  plonge  en  ce  moment  madani 
de  Verdelin ,  ne  me  permet  pas  de  me  livrer  i  d^ 
amusemens,  tandis  quelle  est  dans  les  larme 
Ainsi  nous  n'aurons  point  de  musique  au jourd'hu 


AHîliE  1765.  33 

d^.T^"*  cW  „,o:  ce  soir  comme  à  l'on- 
J^,  et  sd  ent«  dans  vos  airangemen,  dV 

638. — A  Madame  ILatoto. 

A  Paris,  k  a4  dfconbn  iy65, 

f^^J^  ^'  ^  °"  ^"^«  »°«™  chose  de 
ÏÏiil"*     '«««pourdit,  et  mamnge  un  peâ 


i^/™'**  el  mon  séjour  ici  ne  sont  point  nn 
»«-  Je  ne  ron,  a,  p«„t  été  voir,  parw  que  je 
^  ^a^pen^  et  qaU  ne  me  serait  pi, 

-^  J^  -   *''™^»  **™«  i™  s»  coort  espace,  k  tons 

^^oiraçney  aurais  â  remplir.  C'en  serait  rem- 

Jnn  iMra  donx  d'aBer  \oiu  rendre  mes  hom- 

Mj  mais,  ontre  que  j  Ignore  si  vous  pardon - 

^f^  ortie  /mitscrétioii  â  an  homme  avec  lequel 

^  ne  rouiez  qu  une   correspondance  mysté- 

^K;  ce  serait  me  lirouiller  avec  tons  mes  an- 

^  ttis  de  donner  sar  eux  aux  nouveaux  la 

^feite;  et,  comme  je  n'en  ai  pas  trop,  que 

^CWacsmt  chers ,  je  n'en  veux  petdn:  aucun,  si 

fBi,pariBa  fiinte. 


CORRESPONDANCE, 


689.  —  ▲  M.  DU  Peyrou. 

A  PariSj,  le  2  ]  dëcombre  i  ^65, 

Je  vous  envoie,  mon  cher  hôte,  Tincluse  ou- 
rerte ,  afin  que  vous  voyiez  de  quoi  il  s'agit.  Tout 
le  monde  me  conseille  de  faire  venir  tout  de  suite 
mademoiselle  Le  Vasseur,  et  je  compte  sur  votre 
amitié  et  sur  vos  soins,  pour  lui  procurer  les 
moyens  de  venir  le  plus  promptement  et  le  plus 
commodément  qu'il  sera  possible.  Je  voudrais 
qu'elle  vint  tout  de  suite ,  ou  qu'elle  attendit  le 
mois  d'avril,  parce  que  je  crains  pour  elle  les  ap  • 
proches  de  Féquinoxe  où  la  mer  est  très-orageuse. 
Disposez  de  tout  selon  votre  prudence,  en  &isant , 
pour  lamour  de  moi,  grande  attention  â  sa  com- 
modité et  à  sa  sûreté. 

Notre  voyage  est  arrangé  pour  le  commence- 
ment de  janvier;  M.  de  Luze  aura  pu  vous  en 
rendre  compte.  J'ai  Thonncur  d'ôti«,  en  atten- 
dant, l'hôte  de  M.  le  prince  de  Conti.  Il  a  voulu 
que  je  fasse  logé  et  servi  avec  une  magnificence 
qu'il  sait  bien  n'être  pas  selon  mon  goût;  mais  je 
comprends  que,  dans  la  circonstance,  il  a  voulu 
donner  en  cela  un  témoignage  public  de  l'estime 
dont  il  m'honore.  Il  désirait  beaucoup  me  retenir 
tout-à-fkit,  et  m'établir  dans  un  de  ses  châteaux  à 
douze  lieues  d'ici;  mais  il  y  avait  à  cela  une  con- 
dition nécessaire  que  je  n'ai  pu  me  résoudre  d  ac- 
cepter ^  quoiqull  ait  employé  durant  deux  jours 


▲KiriB  1765.  ab 

consécutifs  Umle  son  élocjuence,  et  il  en  a  bean- 

coop ,  pciisr  me  persuader.  L'inquiétude  où  il  était 

rar  mes  ressources  m'a  déterminé  à  hii  exposer 

nos  anangcniens;  j'ai  fait,  par  la  même  raison,  b 

même  ccnfidence  à  tous  mes  amis  devenus  les  vô* 

ties,  et  qoi,  j'ose  le  dire,  ont  conçu  pour  tous  la 

vénération  qui  vous  est  dae.  Cependant,  une  in« 

^foietiide  déplacée  sur  tous  les  hasards  leur  a  &it 

exiger  de  moi  une  promesse  dont  il  faut  que  ja 

m'acpitte,  très-persoadë  que  c'est  un  soin  bieu 

superflu;  g  est  de  vous  prier  de  prendre  les  me* 

sores  convenaUes  pour  que,  si  j'avais  le  malheur 

itt  vous  perdre,  je  ne  fusse  pas  exposé  à  mourir 

de  bûm.  KATe^lf^cesl  on  arrangement  entre. vous 

et  T€»s  héntids,  sur  letfoel  il  me  suffit  de  U  parole 

que  TOUS  m'arex  doaaée. 

On  se  £ià  aneKte  en  Angleterre  d'onvrir  uno 
souscription  pour  1  impression  de  mes  ouvrages. 
&  TOUS  voulez  en  tirer  iparti,  j'ose  vous  assurer 
que  le  produit  en  peut  être  imn^cnse,  et  plus 
grand  de  mon  vivant  qu  après  ma  mort.  Si  cette 
idée  pouvait  vous  déterminer  à  y  faire  iin  voyage, 
ie  drsireTais  autant  de  la  voir  exécutée,  que  je  le 
oaignaà  en  toute  autre  occasion. 

le  le  Fondrais  pas,  mon  cher  h6te,  séparer  mes 

lires;  il  hut  rendre  tout  on  m'oivoyer  tout.  Jcf 

poueq^  le5  livres^  llierbier,  et  les  estampes,  1# 

^09thim  emballé  j  peut  m 'être  envoyé  parla  Hol- 

kadcy  sans  que  les  irais  soient  immenses,  et  je  ne 

àofe/as  que  AOL  Porlalès,  et  surtout  M.  Paul, 


»0  coRkESPovD  Aires, 

qui  œ^a  fait  des  offîvs  si  obligeantes,  ne  Yèuille 
bien  se  charger  de  ce  soin.  Toutefois,  si  tous 
trouvez  roccasion  de  vous  défaire  du  tout,  sauf 
les  livres  de  botanique  dont  j'ai  absolument  be-* 
soin,  jy  consens.  Je  pense  que  vous  ferez  bien 
aussi  de  m  envoyer  toutes  les  lettres  et  autres  pa- 
piers relatifs  à  mes  mémoires,  parce  que  mon 
projet  est  de  rassembler  et  de  transcrire  dabord 
toutes  mes  pièces  justificatives  ;  après  quoi  je  vous 
renverrai  les  originaux  à  mesure  que  je  les  trans- 
crirai. Vous  devez  en  avoir  déjà  la  première 
liasse;  j'attends,  pour  faire  la  seconde,  une  tren- 
taine.de  lettres  de  17^.8,  qui  doivent  être  entre 
yos  mains.  Pygmalion  ne  m  est  plus  nécessaire  ^ 
n'étant  plus  à  Strasbourg;  mais  je  ne  serais  pa3 
fâché  de  pouvoir  lire  à  mes  amis  le  Lévite  d'E- 
phraîm ,  dont  beaucoup  de  gens  me  parlent  avec 
curiosité. 

•  Je  vous  écris  avec  beaucoup  de  distraction  y 
parce  qu  il  me  vient  du  monde  sans  cesse,  et  que 
je  n  ai  pas  un  moment  à  moi.  Extérieurement,  je 
suis  forcé  dette  à  tous  les  survcnans;  intérieure- 
ment, mon  cœur  est  à  vous ,  soyez-en  sûr.  Je  voua 
embrasse.  ,     , 

Si  vous  me  répondez  sur-le-champ,  je  pourrai 
recevoir  encore  votre  leitre,  soit  sous  le  pli  de 
M.  de  Luze,  soit  directement  à  l'hôtel  de  Saine- 
Sùnott,  au  Temples 


àfaxÈB  1765.  atf 

640.  — >  ▲  M.  DB  LUZB. 

a6déce8ilMi^5. 

1e  ne  saurais,  monsieur,  darerplus  loag-tcmpi 
cor  ce  héàtre  public  Pourriez-vouSy  par  charité, 
acoéléicriin  peu  notre  c^epart?  M.  Hume  consent 
a  paifir  le  jeudi  a  k  midi  pour  aller  coucher  a 
SeaUs.  Si  tous  pouvez  vous  prêter  à  cet  arrange* 
ment,  tous  me  ferez  le  plus  grand  plaisir.  Nous 
n'aorons  pas  la  berline  à  quatre;  ainsi  vous  pren- 
drez Totre  chaise  de  poste,  M.  Hume  la  sienne, 
et  nous  changerons  de  temps  en  temps.  Voyez,  de 
grice^ â  tout  cela  tous  convient,  et  si  tous  Toulez 
m  envoyer  cjoeLpie  chose  à  mettre  dans  ma  malle. 
Mille  Cendres  salutions. 

6^1.  —  A  M.  dIteknois. 

Fnû,  le  3o  MceoibM  1765. 

Je  reçoFs,  mon  bon  ami,  Totre  lettre  du  23.  Je 
suis  très-Ûché  que  tous  n'ayez  pas  été  Toîr  M.  de 
Voltaire.  Atcz-vous  pu  penser  que  cette  démar- 
che me  ferait  de  la  peine?  que  vous  connaissez 
loal  mon  cœor  !  Eh  !  plAt  à  Dieu  qu'une  heureuse 
i<^iiciliâtion  entre  vous,  opérée  par  les  soins  de 
cet  homme  ilinstre,  me  faisant  oublier  tous  ses 
^^"^f  me  livrât  sans  mélange  à  mon  admiration 
pour  ki!  Dans  les  tezrps  oii  il  ma  le  plus  cruello- 
oeat  traité  y  jai  toujours  eubeauco^p  la^om  ds^ 


&8  CORRESPONDANCE  9 

version  pour  lui  que  d  amour  pour  mon  pays. 
Quel  c[ue  soit  1  homme  qui  vous  rendra  la  paix  et 
la  liberté,  il  me  sera  toujours  cher  et  respectaUe. 
Si  G  est  Voltaire,  il  pourra  du  reste  me  Èiire  tout 
le  mal  qu'il  voudra;  mes  vœux  constans,  jusqu'à 
mon  dernier  soupir,  se.  ont  pour  son  bonheur  et 
pour  sa  gloire. 

Laissez  menacer  les  jongleurs;  tel  fiert  qui  ne 
tue  pas.  Votre  sort  est  presque  entre  les  mains  de 
M,  de  Voltaire;  s'il  est  pour  vous,  les  jongleurs 
vous  feront  fort  peu  de  mal.  Je  vous  conseille  et 
vous  exhorte,  après  que  vous  Faurez  suffisamment 
sondé ,  de  lui  donner  votre  confiance.  U  n'est  pas 
croyable  que,  pouvant  être  Fadmiration  de  l'uni- 
yers,  il  veuille  en  devenir  Fhorrcur  :  il  sent  trop 
bien  l'avantage  de  sa  position  pour  ne  pas  la  met^ 
tre  à  profit  pour  sa  gloire.  Je  ne  puis  penser  qu'il 
veuille,  en  vous  trahissant,  se  couvrir  dlnfamie. 
En  un  mot  )  il  est  votre  unique  ressource  :  ne  vous 
l'ôtez  pas.  S'il  vous  trahit,  vous  êtes  perdu ,  )e  Fa- 
voue  ;  mais  vous  Fêtes  également  s^Û  ne  se  mêls 
pas  de  vous.  Livrez-vous  donc  à  lui  rondement  el 
franchement;  gagnez  son  cœur  par  cette  con^ 
fiance;  prêtez -vous  à  tout  accommodement  rai^ 
sonnaille.  Assurez  les  lois  et  la  liberté  ;  mais  sa« 
aifiez  Famour-propre  à  la  paix.  Surtout  aucun 
mention  de  moi,  pour  ne  pas  aigrir  ceux  qui  me 
haïssent;  et  si  M.  de  Voltaire  vous  sert  comme  i; 
le  doit^  s'il  entend  sa  gloire,  comblez -le  dlion 


JL:rs(ï»&  i 


^9 
neors, et  consacrez  \  AçoUoti  pacîficafeuf;/?^^^ 

pacatori,\a.  taéàaiiie  c^iae  vous  m'aviez uestàiép. 


Ê^a- A.  M.  DU  PEYHOr* 

APurîs,  1«  i^i»nriee  1766. 

liT^qoîs,  mon  cber  li6te,  Totre  lettre  du  af , 
Q^  i3',  je  cars  demam  ponr  le  puhlic,  et  samedi 
rédlemciil.  Toujours  embairassé  de  mes  prépa- 
ratiis  et  de  mes  continuelles  audiences;  je  ne  pois 
TOUS  écnre  que  quelques  mots  rapidement. 

N'ayant  pas  le  temps  suffisant  pour  relire  vos 
IdUres  avec  attcntiou ,  je  ne  les  ferai  pas  impri- 
mer^ d autant  que  cest  la  chose  la  moins  néces- 
saire. On  ne  peut  rien  ajouter  au  mépris  et  à  Vhor- 
rear  qu'an  a  ici  pour  vos  ministres;  ot  cett« 
affaire  commence  à  être  si  yieille,  que,  selon  Tes- 
piît  léger  du  pays,  on  ne  pourrait  se  résoudre  â  j 
revezur  sans  ennui.  J'apprends  que  la  cour  vous 
donne  un  gouTemcur;  j  imagine  que  cette  nou- 
velle ne  £iit  pas  un  grand  plaisir  au  sicaire  et  à  ses 
satellites. 

Je  ne  sais  quel  parti  aura  pris  mademoiselle  Le 
Vassenr.  On  l'attend  ici;  mais  le  froid  est  si  ter- 
rible, que  je  souiTre  à  imaginer  cette  pauvre  fille 
eu Toate,  seule,  et  par  le  temps  qull  fait.  Dirigez 
ioutpoar  le  m'eux,  soit  pour  accéU'rer  son  dé* 
pift.  soit  pour  le  retarder  jusqu'après  Vequinoxe. 
llùat  nécessairenicut  V\m  ou  l'autre  *,  le  pis  serait 
de  tewpoTiserm 


30  CORRESPOKDANÇE, 

Tâchez ,  je  tous  en  prie  j  de  m  envoyer  par  ma* 
demoiselle  Le  Vasseur  toutes  les  lettres,  mé- 
moires, brouillons,  etc.,  depuis  lySS  jusqu'à  1762, 
mois  de  juin  inclusivement,  c'est-à-dire  jusqu  à 
mon  départ  de  Paris,  attendu  que  la  première 
chose  que  je  vais  faire  sera  de  mettre  au  net  toute 
cette  suite  de  pièces,  de  peur  den  perdre  la  trace. 
Mon  voya|;e  ici  ne  ma  pas  été  tout-à-fait  inutile 
pour  mon  objet.  J  y  ai  acquis ,  sur  la  source  de  mes 
malheurs,  des  lumières  nouvelles,  dont  il  sera 
bon  que  le  public  à  venir  soit  instruit*  Je  vous  re- 
commande mes  plantes  sèches.  Ce  recueil  fait  en 
Suisse  me  sera  bien  précieux  en  Angleterre,  où 
j'espère  m'en  occuper.  Si  vous  pouvez  remettre  à. 
mademoiselle  Le  Vasseur  une  couie  du  Lévite  , 
ou  lui  brouillon  qui  doit  être  parmi  mes  papiers, 
je  vous  en  serai  fort  obligé.  Vous  savez  qu  il  y  a 
parmi  mes  estampes  une  épreuve  d  une  petite  fille 
qui  baise  un  oiseau,  et  que  cette  épreuve  vous 
était  destinée.  Je  vous  en  parle,  parce  que  cette 
estampe  est  charmante,  et  qu  elle  ne  se  vend  point* 
Il  doit  y  en  avoir  deux  en  noir  et  une  en  rouge  ; 
choisissez.  M.  Watelet  a  ranimé  ici  mon  goîkt 
pour  les  estampes,  par  celles  dont  il  ma  fait  ca- 
deau. Je  veux  vous  faire  faire  connaissance  avec 
lui.  Lorsque  vous  ferez  imprimer  mes  écrits,  il  Be 
chargera  volontiers  de  la  direction  des  planches, 
et  c'est  un  grand  point  que  cet  article  soit  bien 
exécuté. 

Jai  cherché  le  moment  pour  écrire  A  M.  de 


1766.  3i 

Vaafawen ,  à f^ui  \e  dois  des  remercîmens,  jenâi 

^W\xoTX7et  dans  ce  1outI>î11oii  de  Paris ,  où  je 

siûseTklraVnè-,  ^e  suis  Ici  dans  mon  hôtel  de  Saint-' 

Sous^^comme  SancYio  dans  son  île  de  Barataria , 

c&TCpRseulaûon  loulela  journée.  J'ai  du  monde 

detOQsclats^depmsVlnstant  où  je  me  lève  jusqu'à 

ceiiû  oà  ^  me  coache ,  et  je  suis  forcé  de  mliahil* 

la-  e&  poblic.  Je  n'ai  jamais  tant  souâêrt;  mais 

iseorcasement  cela  Ta  finir. 

On  écrit  de  Genève  <£ue  vous  êtes  en  relation 
arec  M.  de  Voltaire  ;  je  suis  persuadé  qull  n'en 
est  rien,  non  <pie  cela  me  fit  aucune  peine ,  mais 
pafce  ope  tous  ne  m'en  avez  rien  dit  Je  suis 
oUigè  de  partir,  sans  pouvoir  vous  donner  an- 
émie adresse  pour  Londres;  mais,  par  le  moyen 
de  M^  de  Lazcj  )  espère  que  notre  communication 
sera  bientôt  onrerte.  J*ai  le  coeur  attendri  des  bon- 
lés  de  madame  la  commandante ,  et  de  Fintérét 
quelle  prend  à  mon  sort.  Je  connais  son'  excellent 
coeur,  «lie  est  votre  mère  ;  je  suis  malheureux . 
comment  ne  slntércsserait-elle  pas  à  moi?  Quana 
ie  pense  &  vons^  j'ai  cent  mille  choses  à  vous  dire; 
quand  je  vous  écris ,  rien  ne  me  vient ,  j'achève 
^  perdre  entièrement  la  me  moire.  Grâce  au  ciel^ 
ce  n'est  pas  d  elle  que  dépendent  les  souvenirs  qui 
AUtadesf  i  vous.  Je  tous  embrasse  tôndxement* 


}l  €0RIlESPO?rDÀlfCE,  1 

643.  A  MADÀBfE  DE  CrÉQUI*  ^ 

Au  Temple ,  le  i  •*'  janvier  'i  766. 

Le  désir  de  vous  revoir,  madalne^,  formait  uû 
^e  ceux  qui  m  attiraient  à  Paris.  La  nécessité,  la 
dure  nécessité ,  qui  gouverne  toujours  ma  vie , 
m'empêche  de  le  salisîfaire.  Je  pars  avec  la  cruelle 
certitude  de  ne  vous  revoir  jamais  :  mais  mon  sort 
p  a  point  changé  mon  âme;  rattachement,  le  res- 
pect, la  reconnaissance,  tous  les  sentimens  que 
j'eus  pour  vous  dans  les  momens  les  plus  heureux ,  ' 
m'accompagneront  dam»  mes  richesses  juâqu  à  > 
mon  dernier  soupir  (*). 

I 

.644* A  MADAME  LaTOUR.  | 

^  Le  a  janrîer  1 766. 

Je  pars,  chère  Marianne,  avec  le  regret  de  n'a- , 
voir  pu  vous  revoir,  Je  n'ai  pas  plus  oublié  <jU3 
vous  ma  promesse;  mais  ma  situation  la  rendait 
conditionnelle  :  plaignez -moi  sans  me  condain* 
ner.  Depuis  que  je  vous  ai  vue,  j'ai  un  nouvel  in- 
térêt de  n'être  pas  oublié  de  vous.  Je  vous  écrirai , 
je  vous  donnerai  mon  adiesse.  Je  désire  extrême- 
ment que  vous  m  aimiez,  que  vous  ne  me  fassiez 

(*)  M'accompagneront  dan»  ma  richetaa. .  C'est  f'  texte  de 
réditioQ  originale  doDni'e  pnr  Peugeos  en  1 7(^8  (  pt^tit  in-  1  ai  , 
page  33).  Ma»  le  mot  richestes  nofi're  ici  aucun  sens;  c'est 
MUS  doute  d€tre$s€$  ou  travo'ses  <ja'il  y  £i»dnit  substituer. 


▲loriâE  17G6.  3X 

p!iis  de  reproches ,  et  encore  plus  de  n'en  point 
mérîler.  Mab  il  est  trop  tard  pour  me  corriger  de 
rieii;  îeTKterai  tel  qne  je  sais,  et  il  ne  dépend  pas 
plus  de  moi  d'être  plus  aimable ,  <pie  de  cesser  de 
TOUS  aimer. 

64s.  — A  WAHAirg  i^  COVTESSE  DE  BoUTTLCRS. 

Londres,  18  janvier  i^6(x 

Nors  sommes  arrÎTés  ici ,  madame ,  lundi  der« 

nier,  après  mi  yoyage  sans  accident;  je  n'ai  pu, 

comme  j«  Tespérais,  me  transporter  d  aliord  à  la 

cam^a^e.  M.  Home  a  en  la  bonté  d'y  venir  hier 

faire  tme  Umn&èe  avec  moi ,  pour  chercher  un  lo- 

ç,emcnt.  Sous  avons  passé  à  Fuïham,  chez  le  jar- 

dmierauguei  on  araii  songé;  nous  avons  trouvé 

ooe  maison  Irés-maiprepre ,  où  il  n^a  qu'une  seule 

chambre  â  donner,  laquelle  a  deux  lits,  dont  Tun 

est  maintenant  occupé  par  un  malade,  et  quil  n'a 

pas  même  voulu  nous  montrer.  Nous  avons  vu 

quelques  endroits  sur  lesquels  nous  ne  sommes 

pas  encore  décidés ,  mon  désir  ardent  étant  de 

m  éloigner  davantage  de  Londres,  et  M.  Hume 

pensant  qne  cela  ne  se  peut  sans  savoir  l'anglais; 

f  ne  pois  mieux  £àire  que  de  mVn  rapporter  cn- 

Itèrement  â  la  direction  dun  conducteur  si  zélé. 

Cependant  je  vous  avoue ,  madame ,  que  je  ne  rc- 

oooeerais  pas  fiicilement  à  la  solitude  dont  je  m'é« 

(^  flatté  et  où  je  comptais  nourrir  à  mon  aise  les 


34  *  COR|lESPOirDAirCE, 

précieux  souvenirs  des  bontés  de  M.  le  prince  • 
Contî  et  des  vôtres. 

M.  Hume  ma  dit  qu*il  courait  à  Paris  une  pi 
tendue  lettre  que  le  roi  de  Prusse  ma  écrite.  ] 
roi  de  Prusse  ma  honoré  de  sa  protection  la  pi 
décidée  et  des  offres  les  plus  oliligeantes;  mais 
ne  m'a  jamais  écrit  Comme  toutes  ces  f^hrictitio 
ne  tarissent  point ,  et  ne  tariront  vraisemblabl 
ment  pas  sitôt,  je  désirerais  ardemment  qu  on  vo 
lût  bien  me  les  laisser  ignorer,  et  que  mes  cnnem 
en  fussent  pour  les  tourmcns  qu'Û  leur  plait  de  : 
donner  sur  mon  compte,  sans  me  les  faire  part 
gcr  dans  ma  retraite.  Puissé-je  ne  plus  rien  sa  vo 
de  ce  qui  se  passe  en  terre-ferme,  hors  ce  qui  ii 
téresse  les  personnes  qui  me  son|  chères!  J  a] 
prends,  par  une  lettre  de  Neuchàtel,  que  mad< 
moiselle  Le  Vasseur  est  actuellement  en  roui 
pour  Paris ,  peut-être  au  moment  où  vous  rca 
vrez  cette  lettre ,  madame ,  sera-t-elle  déjà  chc 
madame  la  maréchale  :  je  prends  la  liberté  de  1 
recommander  de  nouveau  à  votre  protection ,  ( 
aux  bons  conseils  de  miss  Beckett.  Je  souhait 
quelle  vienne  me  joindre  le  plus  tôt  qu'il  lui  ser 
possible  :  elle  s'adressera  à  Calais ,  à  M.  Mon 
Disque,  négociant;  et  à  Douvres,  à  M.  Minet 
maître  des  paquebots ,  qui  l'adressera  à  M.  Stc 
ward ,  à  Londres. 

Je  ne  puis  rien  vous  dire  de  ce  pays,  madame 
que  vous  ne  sachiez  mieux  que  moi  ;  il  me  puai 
qu'on  m'y  voit  avec  plaisir,  et  cela  m'y  attacha 


iNNiE  1766.  3S 

Cependant  fairaerais  mieux  la  Suisse  qoe  TAn* 
f  leterre ,  loais  j'aime  mieux  les  Anglais  que  les 
Suisses.  Votre  séjour  chez  cette  nation,  quoique 
camt,  lai  a  laissé  des  impressions  qui  m'en  don- 
nent de  bien  &Torables  sur  son  compte.  Tout  le 
flHnde  m  j  parle  de  vous ,  même  en  songeant 
moins  à  moi  qu'à  soi.  On  sy  souvient  de  tos 
voyages  j  comme  d'un  bonheur  pour  TÂngleterrei 
et  je  suis  sûr  d'y  trouver  partout  la  bienveillance^ 
en  me  vantant  de  la  vôtre.  Cependant,  comme 
tout  ce  qu'on  dit  ne  vaut  pas,  â  mon  gré,  ce  que 
yt  sens,  je  voudrais  de  1  hôtel  de  Saint-Simon 
avoir  été  transporté  dans  la  plus  profonde  soli- 
tude :  ^aurais  éiè  bien  sûr  de  n'y  jamais  restes 
seul.  Mon  amour  pour  la  letraite  ne  m'a  pourtant 
pas  &it  f  Dcore  accepfer  aucun  des  logemens  qu*on 
m  3  offerts  en  campagne.  Me  voilà  devenu  difficile 
en  hôte. 

Lorsque  vous  voudrez  bien ,  madame ,  me  faire 
(Ere  un  mot  de  vos  nouvcJes,  soit  directcmeut| 
soit  pr  M.  Hume ,  permettez  que  je  vous  prie  de 
m'en  &ire  donner  aussi  sur  la  santé  de  madame  la 
maiédiale. 

Après  avoir  écrit  cette  lettre,  j'apprends  que 
M.  Hmne  a  trouTé  iin  seigneur  du  pays  de  Galles^ 
qû  dans  un  vieux  monastère,  où  loge  un  de  ses 
/ènnias,  lai  £aiit  oUrc  pour  moi  d'un  logement 
P^écisémeul,  tel  qne  je  le  désire.  Cette  nouvelle^ 
B^sdame,  me  comble  de  joie.  Si  dans  cette  con- 
fiée, â  éloignée  et  bï  sauvage,  je  pub  passer  en 


36  CORRESPONDANCE  y 

paix  les  derniers  jours  de  ma  vie,  oublié  des 
hommes,  cet  intervalle  de  repos  me  fera  bientôt 
oublier  toutes  mes  misères,  et  je  serai  redevable  à 
M.  Hume  de  tout  le  bonheur  au<juel  je  puisse  en- 
core aspirer. 

Nota,  Une  ctroontlaiice  rapportée  dans  cette  lettre  mérite 
d'être  remarquée  :  c'est  la  confidence  de  David  Hume  à  Jean- 
Jacques,  sur  la  prétendue  lettre  du  ro|  de  Prusse.  Rousseau 
fîiyatt  en  Angleterre  pour  ne  plus  entendre  ce  que  ses  enucmift 
disaient  de  lui  ;  et  son  hôte  a  la  maladresse  de  Ten  instnûre. 
Jean-Jacques  en  eut  de  1*1  umeur  contre  Hume  :  il  n'osa  Tex- 
ptimer  diredement  à  madame  de  Bonfflers,  amie  înlûne  de 
l'historien ,  et  (jui  les  aTait  liés  tous  les  deux,  mais  il  ne  saurait 
en  dissimuler  l\  xpression.  Je  d  Mirerais  tfu^on  voulut  hien  y  etc. 
Il  est  probable  qu'il  voulait  faire  doouer  Tavis  par  madame  «h 
BoniBeif. 

646.  —  ▲  M.  DU  Peyrou. 

A  liondres,  le  d^  janyier  1766U 

Je  reçois,  mon  cher  hôte,  votre  n®  i3.  Je  vouj 
écrivis  j  il  y  a  quelques  jours  j,  mais  comme  il  y  eu 
quelque  quiproquo  sur  raftranchissement  de  va* 
lettre,  et  qu'elle  poiurait  être  perdue,  je  vous  ei 
répéterai  les  articles  les  pkis  împortans,  a\cc  le 
changemens  que  de  nouvelles  instructions  m'es 
gagent  d'y  faire. 

Rey  me  marque  qu'il  désirerait  bien  d'avoir  u 
exemplaire  de  vos  lettres  et  des  pièces  pour  i 
contre  :  faites  en  sorte  de  les  lui  envoyer.  On  r 
connaissait  ici  que  votre  première  lettre  \  Bcc]l< 
et  de  Hondt  la  disaient  traduire  et  imprimer  y 


^Uit  )àicssfa&  '«iiKL  YLuxue  €|tAÂ  en  sera  cbamé 

)>ttçu^\<ffis  ^\œx  des  eVioses   s\  Yionxxétes  à  c 

svD  \c&  Xchàtos  soms  i\^\V  a.  pris  de  moi ,  et  j 

TafXBÔk  ^ûu^è  c|ui\  ma   procuré  en  Aug^ 

tcxre.  \IèV^  de  \a  liaûovi  vient  là  oomme  dear^ 

ctt  ^KTAk  die  Ve  mérite  bien  ,  el  c  est  une  boni 

Ve^Mi  ^\ii  \es  auVres.  11  me  semble  que  vous  pot 

^ez  traiter  VaGûire  i\e  Berne  sans  tous  comprc 

Bet.%z«,  et  laèiBe  en  louant  la  majeure  et  plu 

^e  partie  da  gouvernement ,  c{ui  a  dësapprou? 

rz  haulement  ce  coup  fourré  -,  mai*  pour  c« 

iMM^ns  de  Bienne,  ils  méritent  en  Térité  d'èti 

voés  par  les  i>cHies.  Vous  pourrez  joindre  poi 

^<^s«n-c^Ie&  piéoes  justificatrres  les  nooveaiutrescril 

«^  Ja  co^mt^  les  arrêts  du  CoDseil-d  état,  et  mâme  le 

^^^cttiûc^X»  donnés  au  sicaire,  commentés  en  peu  d 

^2s,  OU  sans  commentaire,  et  yous pourrez pai 

4-  d^ime  prétendue  lettre  du  roi  de  PruMe,  à  me 

;   et  siirementde£ifarieationgéaevoîse,qu 

HTO  Faxis  ^  et.  qui  est  eu  opposition  par&it 

_  1^  sentimeo^  ,  le*  discou»,  les  rèscrits,  et  ï 

LÀake  da  roi  Aslus  toute  celle  af&ire.  Si  voU 

eiitreprendi«  ce  petit  trayail,  il  fiiut  vott 

avon5  fait  suspendre  Timpressioi 


du  reste  pour  auen****^  ^  ^^.^^^^^^^  ^^^  tu» 
^Miriez  envoyer  aussi  à  Rej;  au  moyen  de  q«ii 


38  CORRESPOND  AirCK, 

Fâîce  et  les  antres  fripons  seraient  asses  pendnds^ 
voyant  vos  lettres,  quils  prennent  tant  de  peine 
à  supprimer,  publiques  en  Hollande  et  traduites 
i  Londres.  Le  sujet  est  assez  beau ,  ce  me  semble , 
et  le  correspondant  que  je  tous  donne  ne  fottmit 
pas  moins.  Je  vous  recommande  aussi  les  deux 
baillis  qui  m'ont  protégé ,  chacun  dans  son  gou- 
yernement,  M.  de  Moiry  et  M.  de  Graflènried» 
M.  Hume  croit  que  ma  lettre  à  ce  dernier  doit  en* 
Irer  dans  les  pièces  justificatives.  Vous  pourrez 
Élire  adresser  votre  paquet  bien  au  net  à  M.  Hume^ 
dans  Yorck-BuildingSf  Buckingham  streetj  Lan* 
don,  S  il  arrivait  que  vous  ne  voulussiez  pas  vous 
charger  de  cette  nouvelle  besogne,  il  faudrait  l'en 
avertir.  Au  reste,  priez-le  de  revoir  et  de  retou- 
l^her;  il  écrit  et  parle  le  français  comme  langlaisy 
cest  tout  dire. 

Je  suis  absolument  déterminé  pour  lliabitation 
du  pa^'s  de Gaiies,  et  je  compte  m'y  rendre  au  com- 
mencement du  printemps.  En  attendant  rarrivée 
de  mademoiselle  Le  Vasseur^  je  vais  habiter  on 
village  auprès  de  Londres ,  appelé  Chiswick ,  où 
|e  Tattetidrai  et  où  nous  prendrons  quelques  se- 
maines de  repos,  car  on  nen  peut  avoir  ici  pai 
PaflKience  du  monde  dont  on  est  accablé.  Cepen- 
dant je  ne  rends  aucune  visite,  et  Ion  ne  s*ei] 
fSiche  pas.  Les  manières  anglaises  sont  fort  de 
mon  goût;  ils  savent  marquer  de  Testimesans  fla- 
gorneries ;  ce  sont  les  antipodes  du  babillage  dt 
WeuchâteL  Mon  séjour  ici  fiiit  plus  de  sensatios 


▲xcifiB  1766»  9g 

fwjeiïSLunk  po  croire.  M.  le  prince hérédHaîre, 
beau-fière  (h  roi,  m'est  venu  voir,  mais  inco- 
gnito, ainsi  n'en  parlez  pas.  Louez,  eu  général , 
le  lion  accueil,  mais  sans  aucun  détail.  Je  vous 
cens  ans  règle  et  sans  ordre,  sûr  que  vous  ne 
mootiez  mes  lettres  à  personne. 

Je  foos  avoue  que  je  n'aime  pas  trop  votre  cor- 
leqMmdance  avec  M.  Misoprist,  et  surtout  l'im- 
pression dont  vous  vous  chargez.  Je  ne  reconnais 
pas  là  voire  sagesse  ordinaire.  Ignorez-vous  que 
jamais  liomme  n  eut  avec  Voltaire  des  affaires  de 
cette  espèce  qu'il  ne  s'en  soit  repenti?  Dieu  veuille 
qniainsl  ne  soit  pas  de  vous  ! 

le  vQQs  Temerâe  de  vos  bons  soins  au  sujet  de 
MM.GmnaDÀelHankey.  Je  ne  serai  pas  à  portée, 
virant  i  soixante  lieues  de  Londres,  de  leur  de- 
mander de  l'argent  quand  j'en  aurai  besoin.  Il 
vaudra  raîeuz  que  vous  preniez  la  peine  de  m'en- 
rojer  périodipement  des  billets,  ou  lettres  sur 
eox  y  que  je  pounai  négocier  dans  la  province. 
Puisque  mademoiselle  Le  Vasseur  a  a  pas  pris  les 
trente  loui»  que  je  vous  avais  laissés ,  vous  m'obli- 
gerez de  m'envoyer  sur  ces  messieurs  un  papier 
de  ottte  somme,  déduction  £iite  des  divers  4^ 
Wionés  que  vous  avez  Mts  pour  moi.  M.  Hume 
■c  ten  parvenir  votre  lettre.  Je  ne  vois  plus  M.  de 
I^ose^  et  maibeiireusement  nous  avons  perdu  son 
adresse.  Je  vous  emlH*asse  tendrement.  Mille  res« 
P^cis i  b  hmne  maman,  et  amitiés  à  tous  vos 
Ma 


4o  CORRESPOND  AirCE  y  ] 

Comme  M.  Hume  ne  résidera  pas  toujours  à 
Londres,  vous  pourrez  faire  adresser  ou  remettre  • 
Yos  lettres  h  «M.  Steward,  Y orck-Buildings ^  Buo 
kingham  street. 

le  rouvre  ma  lettre  pour  vous  dire  qu'après  y  i 
avoir  mieux  pensé,  je  ne  suis  point  davîs  que 
vous  écriviez  celte  nouvelle  lettre,  pour* éviter 
toute  nouvelle  tracasserie ,  surtout  avec  vos  voî- 
sins.  Restons  en  paix,  mon  cher  hôte,  cultivez  la  , 
philosophie,  amusiez-vous  à  la  botanique,  laissez 
les  prêtres  pour  ce  qu'ils  sont,  et  surtout  ne  vous  , 
mWez  point  de  faire  imprimer  les  écrits  de  Vol- 
taire ,  car  infailliblement  vous  eu  auriez  du  cha 
grin  ;  mais  ramassez  toujours  les  pièces  qui  regar- 
dent mon  affaire  pour  l'objet  que  vous  savez. 

647»  —^  A  M.  dIvernois. 

Cbifwick,  29  janvier  1766. 

Je  suis  arrivé  heureusement  dan^  ce  pays  :  j'y 
ai  été  accueilli,  et  j'en  suis  très  content  :  mais  ma 
santé,  mon  humeur,  mon  état ,  demandent  que  je 
m^éloigne  de  Londres  ;  et ,  pour  ne  plus  entendre 
parler,  s'il  est  possible,  de  mes  malheurs,  je  vais 
dans  peu  me  confiner  dans  le  pays  de  Galles. 
Puissé-jey  mourir  en  paix!  cest  le  seul  vœu  qui 
me  reste  à  &ire.  Je  vous  embrassa  tendrement. 


^%.— -àii4x>A3i&  1^  com:t£ssb  bb  Bovffixbs. 

ACLiswick,  le  G  VSvnn  ty66. 

TKiâi2nig&  d'habitation  ,  madame,  depuis qne 
^ùeatWnii&etff  de  vous  écrire.  M.  de  Luze,qiii 
aim  cfiiû  de  yous  remettre  cette  lettre,  et  qui 
B  et  Tenu  voir  dans  ma  nouvelle  habitation  ^ 
prana  tous  e&  rendre  compte  ;  quelque  agréable 
qu'elle  soit,  )  espère  n'y  demewer  que  jasqa'apFès 
lairiTée  de  mademoiselle  Le  Vasseur,  dont  je  n'ai 
ancane  nonyelle  et  dont  je  suis  fort  en  peine, 
rpoA  calculé,  sar  le  jour  de  son  d^>art  et  sur 
leiBpresscment  que  je  lui  connais ,  qu'elle  devrait 
natoTeliement  être  arrivée.  Lorsqu'elle  le  sera ,  et 
«ju  eIZe  aura  prb  le  repos  dont  sûrement  eUe  aura 
gr.ud  besoin,  nous  partirons  pour  aller,  dans  Je 
pays  de  Galles,  occuper  le  logement  dont  je  vons 
M  parlé,  madame,  dans  ma  précédente  lettre.  Je 
soupire  iBcessamment  après  cet  asile  paisible ,  où 
1  on  roc  promet  le  repos,  et  dont,  si  je  le  trouve , 
y:  ne  sertirai  jamais.  Cependant  M.  Hume,  plus 
difficile  que  moi  snr  mon  bien,  craint  que  je  ne  le 
trouve  pas  si  loin  de  Londres^.  Depuis  rengage- 
ment dtt  pays  de  Galles,  on  lui  a  proposé  d'autres 
V^bÂ'ations  qui  loi  paraissent  préférables,  entre 
antres  une  dans  l'ile  de  Wighf  oBerte  par  M.  StaiH 
îejr.L'àe  de  Wight  est  plus  à  portée ^ dans  uti  cB- 
Bat  plus  doux  et  moins  pluvieux  que  le  pays  de 
GaJJes,  et  le  logement  y  sera  probablement  çlu^- 

4^- 


44  CORRESPONDANCE, 

tance  dont  ils  sont  pour  les  recueils  dont  ]e  irai 
moccuper. 

Dans  mes  deux  précédentes  lettres,  j'entrai 
dans  de  longs  détails  sur  Tenvoî  de  mes  livres  < 
pajrers.  J'ai  quelque  lieu  de  craindre  que  la  pri 
niîère  n  ait  été  perdue  ;  mais  la  deuxième  suffi 
pour  vous  guider  dans  lenvoî  que  vous  vortle 
m'en  faire,  et  qui  réellement  me  fera  grand  plaisi 
dans  ma  retraite  -,  ce  qui  m'en  ferait  Irien  plus  en 
core,  serait  respoir  de  vous  y  voir  un  jour.  Si  ja 
mais  M.  de  Cerjeat  vous  y  attire,  j'aurai  bien  de 
raisons^  de  l'aimer.  Je  n'ai  pas  ouï  parler  de  lui ,  c 
je  ne  cherche  pas  de  noirvelles  connaissances 
mais,  s'il  cherche  à  me  voir,  je  le  recevrai  commi 
votre  ami ,  et  j'oublierai  qu  il  croit  aux  miracles. 

Je  ne  vois  pas  sans  inquiétude  votre  commerci 
avec  M.  Misoprist;  j'ai  peur  qu'il  n'en  résulte  enfin 
quelque  chrgrîn  pour  vous.  Je  ne  vous  conseilla 
point  de  faire  imprimer  son  manuscrit; quant  à  h 
lettre  véritable,  ce  peut  être  une  plaisanterie  sanj 
conséquence.  Cependant,  je  trouve  quil  est  an 
dessous  de  vous  de  vous  occuper  de  ce  cuistre  d< 
MontmoUin,  et  de  sa  vile  séquelle.  Oubliez  qu< 
toute  cette  canaille  existe;  ces  gens-là  n'ont  du 
sentunent  quaux  épaules,  et  Fon  ne  peut  leur  re- 
pondre qu'à  coups  de  bâton.  Je  ne  sais  ce  qu'a  dil 
le  moine Bcrgoon, et  ne  m'en  soucie  guère.  Quand 
vous  aurez  prouvé  que  tous  ces  gens-là  sont  des 
fripons,  vous  n'aurez  dit  que  ce  que  tout  le  fnondc 
sait  Cependant,  n'oubliez  pas  de  rasscmhirx 


AsmrkE,  17G6.  4^ 

toates  les  pièces  qai  me  regardent ,  et  de  mêles 

eoToyeT  quand  tous  en  aurez  Toccasion.  Je  n'ai 

TU  c^umie  senk  des  lettres  de  Voltaire  dont  vous 

mepai\cz',test,  je  crois,  la  dix-septième  on  dix* 

Wi^ème  lettre^  Je  u^ai  point  tu  non  plus  la  pré- 

icndue  lettieda  roi  de  Prusse ,  à  moi  adressée;  et 

pourquoi  Tons  Vattribnez  à  M.  Horace  Walpole, 

c'est  ce  (jne  je  ne  sais  point  du  tout. 

On  traTsoUe  ici  à  traduire  tos  lettres,  et  j'ai 
donné  pour  cela  mon  exemplaire  corrigé  comme 
i*ai  pu;  maïs  TouTrage  Ta  si  lentement,  et  la  tra* 
duction  est  â  maiiTaise,  gue  j  aimerais,  je  crois, 
prest^e  autant  «[ne  tout  cela  ne  parût  point  du 
tout,  ^ej  aurait  deàié  les  aToir  pour  les  impri- 
iTiex,  et  ]€  TOOB  atone  apt  je  suis  surpris  que  tous 
ne  TOUS  verriez  pas  de  loi  pour  toutes  ces  petites 
pièces  j  dont  tous  pourriez  tous  faire  enToyer  des 
exemplaires  par  la  poste ,  plutôt  que  des  impri- 
meois  autour  de  Tons ,  qui ,  environnés  des  pièges 
de  nos  ennemis,  y  sont  infailliblement  pris,  soit 
comme  fripons,  soit  comme  dupes.  11  me  parait 
certain  que  Félice  a  supprimé  tos  lettres  aTec  au- 
tant de  soin  qnil  a  répandu  celles  de  ce  misérable. 
On  troure  partout  les  siennes;  on  n'entend  parler 
des  Titres  nulle  part,  et  assurément  ce  n'est  pas 
I3  p^Cience  du  mérite  qui  &it  ici  celle  du  cours. 
Ou  0  oBprimez  rien ,  ou  n'imjvimez  qu'an  loin , 

coamej'aifcrt 

/attendf  ao/ourdlini  M.  Gninand,  avec  qni  je 
P'Wkfrai  des  arrangemcns  pour  notre  correspond 


46  COB&B6POIfDA.IfCB^ 

dance.  Jespère  vous  écrire  encore  avant  mon  dt 
part;  cependant  je  ne  puis  causer  trangnillemm 
avec  vous  que  de  ma  retrait^. 

Je  ne  sais  pas  trop  ce  que  signifie  Misoprist; 
me  parait  qu  il  signée  ennemi  de  je  ne  sais  quoi 
quoi(|ue  je  m'en  doute  et  vous  aussi. .    . 

» 

65o.  —  A  M.  dIvernois* 

4 

Cliiswicky  le  a3  ïirxîer  l 'jGS, 

Je  reçois ,  monsieur,  votre  lettr  ^  du  premier  d 
ce  mois.  Je  secs  la  douleur  qu  a  dû  vous  causer  h 
perte  de  madame  votre  mère ,  et  Tamitié  me  la  iàii 
partager.  C'est  le  cours  de  la  nature,  que  les  pa 
rens  meurent  avant  leurs  enfans ,  et  que  les  enfant 
}  de  ceux-ci  restent  pour  les  consoler.  Vous  avea 
dans  votre  famille  et  dans  vos  amis  de  quoi  ne 
vous  laisse  r  sentir  d  une  telle  perte  que  oe  que 
votre  bon  naturel  ne  lui  peut  refuser. 

Vous  n'avez  pas  dû  penser  que  je  voulusse  être 
redevable  à  M.  de  Voltaire  de  mon  rétablissement 
Qu'il  vous  s  rve  utilement ,  et  qu'il  continue  au 
surplus  ses  plaisanteries  sur  mon  compte;  elles  ne 
me  feront  pas  plus  de  chagrin  que  àe  mal.  J'au- 
rais pu  m'bonorer  de  son  amitié  s'il  en  eût  été  ca* 
pable;  je  n  aurais  jamais  voulu  de  sa  protection  : 
jugée  si  j  en  veux ,  après  ce  qui  s'est  passé.  Son 
apologie  est  pitoyable;  il  ne  me  croit  pas  si  bien 
instruit.  Parlez^lui  toujours  de  ma  part  en  termes 
honnêtes  i  n'acceptez  ni  ne  refusez  rien.  Le  moins 


AKiris  1766.  ^ 

feifEatûon  que  vous  aurez  ayec  loi  sur  moi) 
comj^  sera k mieux,  à  moins  que  vous  n aper* 
ceyiez  daîrcmenl  qu'H  revient  de  bonne  foi  :  ma» 
3  a  tons  les  torts ,  il  faut  qull  fasse  toutes  les 
avances;  et  ?oîlà  ce  qu'il  ne  fera  jamais.  II  veut 
pardonocr  et  protéger  :  nous  sommes  fort  loin  de 
comple. 

Je  De  connais  point  M.  de  Gnerchi,  ambassa- 
ieur  de  France  en  cette  cour;  et,  qunnd  je  le  con- 
naîtrais, je  doute  que  sa  recommandation  ni  celle 
d'un  autre  ftt  de  quelque  poids  dans  vos  aflaircs. 
Voire  sort  est  décidé  à  Versailles.  M.  de  Beauté* 
vV.Wne  Geraquexécu  a  larrôl  prononcé.  Toute- 
fois ^e  tcK\teàft\m  ècnte,  quoique  je  sois  très-peu 
connu  de  \m.  le  TouÂniis  qu  il  vous  connût  et 
qull  Tons  ainiit ,  ce  gai  est  à  peu  près  la  même 
chose.  Uœ  lettre  sert  au  moins  à  faire  connais-^ 
sance  :  toqs  pourrez  donc  lui  rendre  la  mienne 
après  IWoir  cachetée,  â  vous  le  jugez  à  propos* 
J«  TOUS  Fenvoic  à  Bordeaux  pour  plus  de  sûreté; 
mais  surtout  n*en  parlez  ni  ne  la  montrez  à  per- 
sonne. Je  vous  en  ferai  peut-être  passer  à  Genève 
on  dooMe  par  dopËcata  pour  plus  de  sûreté. 
Je  vous  SB»  obligé  de  votre  lettre  de  crédit  ;  je 
pent-étre  dans  le  cas  d'en  faire  usage.  Selon 
amngemens  avec  M.  du  Peyrou,  il  a  écrit  & 
son  lengoicrde  me  donner  Targcnt  que  je  lui  de- 
^BndbaÔL  Je  foi  ai  demandé  vingt-cinq  louis;  2 
^utibit  aacane  réponse-  Je  ne  suis  pas  d'hu- 
aearded^tander  deax  fois  :  ainâ  y  quand  f  aurai 


48  CORRESPOND  AI^CB, 

découvert  ladresse  de  MM.  Lucadou  et  DracJ^c 
que  vous  ne  m^avez  pas  donnée,  je  les  prîer< 
peut-être  de  m'avaucer  cette  somme,  et  jeu  fer« 
le  reçu  de  manière  qu'il  vous  serve  d'assîgncitlo 
pour  être  remboursé  par  M.  du  Peyrou. 

J'aurais  à  vous  consulter  sur  autre  chose*  JTi 
chez  madame  Boy  de  La  Tour  trois  mille  livre 
de  France,  et  mademoiselle  Le  Vasseur^^quatr 
cents.  L'augmentation  de  dépense  que  le  5éjx>u 
d'Angleterre  va  m  occasionner  me  fait  désirer  d 
placer  ces  sommes  en  rentes  vîagèries  sur  la  ti^ti 
de  mademoiselle  Le  Vasseur.  Le  petit  reyemi  d( 
cet  argent  doublerait  de  cette  manière,  et  ne  se 
rait  pas  perdu  pour  cette  p  uvre  fille  à  ma  jp:ior-t 
Il  se  fait,  à  ce  quon  dit,  un  emprunt  en  France 
croyez  vous  que  je  pourrais  placer  là  mon  ai^eii 
Seins  risque?  y  serais -je  à  temps?  p<jurriez-vou^ 
vous  charger  de  cette  affaire  ?  à  qul,iaudrait-il  ^jua 
je  remisse  le  billet  pour  retirer  cet  argent,  et  ccî* 
pourrait-il  se  fairis  convenablement  san^  en  avoi] 
prévenu  madame  Boy  de  La  Tour?.Voye*.  Oan: 
Téloignement  où  je  vais  être  de  Londres,- les  cor 
rcspondanccs  seront  longues  et  difficiles  ;  c^es 
pour  cela  que  je  voudrais,  en  partant,  emporte] 
assez  d'argent  pour  avoir  le  temps  de  m'arrangcr 
D'ailleurs,  j'écrirai  peu;  j  attendrai  des  occasion: 
pour  éviter  d'immenses  ports  de  lettres,  et  je  m 
recevrai  point  de  lettres  par  la  poste.  J'aurai  soir 
de  donner  une  adresse  à  M.  Cascuove  avaut  cl< 
partir^  ce  que  je  compte  £iire  dans  quinze  y 


an^lns  Uid«  Bod  voyage  ,  lieurevu  retour.  Je  vous 


\t  soL^pose  qae  tous  are^  reçu  la  lettre  que  je 
Nws&ÛLécnle  de  Londres,  il  y  a  enTiroii  trois  se* 
TOâLiues  on  un  mois. 

n  mc^îent  une  pensée.  Une  b'stoire  de  la  mé* 
AaiioQ  pourrait  dervenir  un  ouvrage  intéressant. 
ReroeiUez,  s^  se  peut,  des  pièces,  des  anecdo- 
tes, des  &As,  sans  &ire  semblant  de  rien.  Je  re- 
grette ptnsîeQis  pièces  qni  étaient  dans  la  malle, 
et  <{m  seraient  nécessaires.  Ceci  n  est  qq  un  projet 
<]uî  ^  ^espère,  ne  s'exécutera  |amais,  au  moins  de 
v&  jgaïi.  Tootefins,  de  ma  part  ou  d^une  autre, 
mi  bon  recœil  de  matériaux  aurait  t6t  ou  tard  son 
emploL  En  faTisant  un  peu  causer  Voltaire,  Von 
en   pourrait  tira-  d*excellentes  choses.  Je  vous 
conseî/le  de  le  rov  cjuelquefois;  mais  surtout  ne 
me  compromettez  pas. 

Je  ne  comprends  pas  ce  qae  j'ai  pu  vous  en- 
wajer  à  b  place  de  cette  lettre  <{ue  je  vous  écrî^ 
Tais ,  en  rous  enroyant  cdie  pour  M.  de  Beauté- 
rille.  Je  me  hâte  de  réparer  cette  étourderie.  Voici 
Totre  Jeftre.  Vous  pourrez  juger  n  ce  que  f ai  pu 
TOUS  eoTojer  A  la  place  demande  de  m'dtre  ren- 
?^.  Pour  moi  y  je  n'en  sais  rien. 


i0t0l^ 


5Ô  COUKESrONDAJfCE, 

05 1. A  M.  L£  CHEVALIER  DE  BzAUTÊTILUt. 

A  GLUwkk ,  h  a3  tSvrkp  i  'j66. 

Mo:CSIETJR, 

C*s$T  au  BOBiycfaâe  àToU^oQBUT)  dq  ibu  M.  le 
marÀduil  de  LuiLcwbourg^  €|iia  )\>m  lappcler  ji 
voli:e  souvemr  im  boBime  à  (foi  rhoooeur  de  son 
aiaitié  valut  celai  d'être  copou  de  vous.  Daos  b 
noble  fonction,  que  va  i?empUi:  V.  S.  vous  euten- 
dres  quelquefois  parler  de  cet  infortuné.  Vou£ 
connaîtrez  ses  malheurs  dans  leur  source,  et  vous 
j|ige!Fez  s'ils  étaient  mérités.  Toutefois ,  <]ue]quc 
confiance  qu'il  ait  en  vos  seatimeas  intégres  el 
généreux,  il  n'a  rieu  i  demander  pour  Im-mémc  : 
il  sait  endurer  des  torts  qui  ne  sor oot  poiai  répar 
rés;  mais  d  oso,  moasieur,  ]^*ésenter  i  V.  E.  un 
homme  de  hien  j  son  ami ,.  et  digpe  de  l'être,  di 
tous  Itf  hoanêtes  ffsoB,  Voua  voudrez  coonaitri 
U  vériié,  et  pràt^  à  ses  défenseurs  une  oveille  im 
psurtiaie»  M.  d'Ivernoi^  est  ob  état  de  vous  la  dir< 
et  par  lu^méme  e4  par  ses  aii|is>  tous  estiaaLlc 
par  leurs  maHirs.,  par  leurs  vertus,  et  par  leur  hoi 
sm^k  Ce  ne  stKitpas  des  homines  briUans,  iutri 
gans ,  versés  dans  Tari  deséduiie  ;.  maisoe  sont  d 
dignes  citoyens,  distingués  autant  par  une  cos 
duite  sage  et  mesurée  que  par  leur  attachemei 
à  la  constitution  et  aux  lois.  Daignez,  mousieir 
leur  accorder  un  accueil  fitvorable,  et  les  écouU 
avec  bonté.  Us  vous  exposeront  leurs  raisons  / 


l-J^^Ï*  ^' 


leondriHisiTec  toute  la  candeur  et  la  ÈÎmpliâ^ 
iieibircaraciàre,el\emassiire  qné  tous  trottina 
rez  en  enx  mon  excase  pour  la  libarté  que  ft 
"^iieoisèieirous  les  présenter. 

\t  sop^e  TOtre  excellence  d'agréer  tun  pn^ 

« 

6S^.  —  A  M.  UL  comrs  omtorr, 

9m  fsftt  à  ktt  lûw  p«r  et  seigneur  d*niié  recrute  êÊtik  ttfte  de 


Htltoii,  k  a3  lévrier  i^Ùù. 

Vot!SToiisdoiinei,M.  le  cdmte,  pour  avoir  des 

àn^obct^  \  en  cflfet,  c  cd  est  presque  une  d^étre 

Inenboaiitiaiiàmtérét)  et  c'en  est  uae  bien  pins 

grande  de  i*étre  de  si  loin  pourquelqu  unqil^oii  ne 

coonêît  pas»  Voé  offies  obligeantes,  le  ton  dont 

TOUS  me  les  avez  fiites,  et  la  deecription  de  Tba- 

biiaitiaa  «pie  tous  me  destines  f  seraient  as$ur<v 

iment  tri^capables  de  m'y  attii^r,  ai  fêtais  raoiuiS 

infime,  plus  allant^  pins  jeune ,  et  qoe  yOus  Sat^ 

siez  pks  piés  dn  soÛl  :  je  craindrais  d'aîUeum 

qsVn  T^yant  celai  que  yons  bonorûa  d*Me  ii^T^ 

talimiy  vons  n'y  enssie«  quelque  regret  :  tous  vous 

eUeaJriea  A  une  manfère  d'homme  de  lettres^  «n 

beau  diseur,  qui  devrait  payer  en  frais  d^esprit  est 

de  pntfeles  rotre  généreuse  hospitalité^  et  tons 

fiîninî»  qu'ail  JN>afaomBie  bka  simpU,  que  sw» 

pA  et  ses  maibeaTS  oui  rtnàu  fott  toUtâivê,  H 

fli  paar  toat  amosefflieAS  berWîstot  tents  k 


5  2  CORRÊSPOKD  AICCE  y 

journée, troare  dans  ce  commerce  arec  les  plantes 
cette  paix  si  douce  à  son  cœur^  que  lui  ont  refusée 
les  humains. 

Je  nirai  donc  pas,  monsieur ,  habiter  votre 
maison;  mais  je  me  souviendrai  toujours  avec  re- 
connabsance  que  vous  mè  l'avez  olîerte,  et  je  re- 
gretterai quelquefois  de  n'y  être  pas  pour  cultiver 
les  bontés  et  Tamitié  du  maître. 

Agréez,  M.  le  comte,  je  vous  supplie,  mes  re- 
mercimens  très-sincères  et  mes  (rès-humbles  salu« 
tations. 

653.  —  A  M.  DU  Peyrou. 

« 

.  A  Cliîfinck,  le  a  mart  1766. 

Depuis  votre  n"  17,  mon  cher  hAte,"  je  n'ai  rien 
feçn  de  vous,  et,  comme  vous  m'avez  accoutumé 
à  des  lettres  plus  fréquentes,  ce  retard  m*alarme 
un  peu  sur  votre  santé.  Je  vous  ai  écrit  deux  fois 
par  M.  Guinand;  si  vous  eussiez  reçu  mes  lettres, 
vous  ne  les  auriez  pas  laissées  sans  réponse.  Comme 
la  conduite  de  M.  Guinand  mè  le  rend  un  peu  sus- 
pect,  je  prends  le  parti  de  vous  écrire  par  d  autres 
voies,  jusqu'à  nouvel  avis  de  votre  part.  En 'gêné 
rai ,  je  serai  plus  tranquille  sur  notre  correspon- 
dance, quand  personne  de  Neucfaâtel,  ni  qui 
tienne  aux  Neuchâtelais,  n'y  aura  part. 

MademoiseUe  Le  Vasseur  m'a  remis  le  paquet 
que  vous  lui  avez  ocmM;  j'y  ai  trouvé  les  papiers 
cotés  dans  la  letti« ,  et  entre  autres ,  celui  que  vous 
me  priez  de  ne  pas  décadieter;  vous  serez  obéi 


1766.  53 

filèleiiient,  mon  cher  hôte;  et^  comme  le  cas  qne 
raos  exceptez  n'est  pas  dans  Tordre  naturel,  j'e^ 
père  «{ne  ni  elle  ,  ni  moi ,  ne  serons  pas  assez  mal- 
henrcnx  pour  qne  le  paquet  soit  jamais  décacheté. 
Je  n  entends  plus  parler  ni  de  de  Hondt  ni  de 
Tos  leUres,  dont  je  lui  ai  donné  le  seul  exemplaire 
qui  me  restait,  pour  le  £dre  traduire  et  imprimer. 
Û  serait  singulier  que  y€>s  taupes,  qui  travaillent 
toDJoiirs  sous  terre ,  eussent  poussé  jusque-là  leurs 
chemins  obscurs.  Rej  est  le  seul  libraire  à  qui  je 
me  fie  ;  il  y  a  du  malheur  que  jamais  vous  ne  vous 
soyez  adressé  à  lui  :  il  est  sûr  et  ardent;  Touvrago 
«irait  couru  partout,  malgré  le  sicaire  et  les  bri- 
çukds  de  sa  bande;  cest  maintenant  une  vieille 
aiLûre  <çdli\  est  mutile  de  renouveler.  Mais  ne  man- 
quez pas,  je  vous  prie,  de  m^envoyer  avec  mes  li- 
vres an  autre  exemplaire  de  vos  lettres,  et  deux 
ou  trob  die  la  Vision. 

Certaines  instructions  m^ont  un  peu  dégoâté, 

non  du  pays  de  Galles^  mais  de  la  maison  que  jy 

devais  habiter.  Je  ne  sais  pas  encore  où  je  me  fixe- 

rai;  chacun  me  tiraille  de  son  côté,  et  quand  je 

prends  une  résolution,  tous  conspirent  à  m^en 

£iiie  changer.  Je  compte  pourtant  être  absolument 

détcnoiné  dans  moins  de  quinze  jours,  et  j^attrai 

sois  de  TOUS  informer  de  la  résolution  que  j'atu'ai 

pise.  En  attendant,  vous  pouvez  m'écrire  sous  le 

coorert  de  MM.  Lucadou  andDrake^  marchants, 

  Union-Court,  Broad-street,  London.  Donnez* 

noi  de  ros  nouvelles.  Je  vous  embrasse. 

5. 


54  coursspowdakce  , 

Recevez  mille  remercimens  et  salutations  do 
mademoiselle  Le  Vasseur,  qui  yous  prie  aussi  de 
joindre  ses  respects  aux  iniens  près  de  madame  lat 
commandante. 

G54.  —  AU  m£mi. 

ii  Cbiiwick,  le  t4  mai»  176& 

E5Fm,  mon  clier  hôte,  après  un  silence  de  six 
semaines^  votre  n^  18  vient  de  me  tirer  de  peine. 
Je  vois  que  mes  lettres  ne  vous  parviennent  pas 
fidèlement.  Tâchons  donc  d  établir  une  règle  plus 
lente,  puiscpiil  le  faut,  mais  plus  sûre.  Je  vous 
écrirai  sous  ladicsse  de  Paris  que  vous  me  mar- 
quez, et  vous  pourrez,  par  la  même  voie,  m'é 
crire  sous  celle-ci  : 

To  MM,  Lucaâou  and  Drakty  Vnîon-Court,  Lonioiu 

En  quelque  lieu  de  l'Angleterre  que  fe  sois^  ces 
ïnessieurs.  auront  soin  de  m  y  faire  passer  vos  let- 
tres ;  maôs  ne  vous  chargez  d'aucunes  lettres ,  et  ne 
donnez  mon  adresse  â  personne. 

J'ai  reçu  les  3o  livres  sterling  dont  vous  m'avez 
envoyé  l'assignation ,  et  vous  voyez  que  cette  voie 
est  la  plus  prompte  pour  cet  effet.  Je  ne  voulais 
pas  m'éloigner  de  Londres  que  |e  ne  fusse  bien 
pourvu  d'argent,  à  cause  du  temps  qu'il  me  faodia 
pour  m'ouvrir  des  correspondances  sûres  et  com- 
modes pour  en  recevoir.  En  attendant,  j'ai  été 
&ire  une  promenade  dans  la  province  de  Surrey, 
où  j  ai  été  extrêmement  tenté  de  me  fixera  mais  le 


ASVÈB  I76& 


5r> 


rap  grand  Toîsiiiage  de  Londres^  Hia  passîcn 

fTotaBantepoor  la  retraite,  et  je  ne  sais  qoeOe  fa* 

lililé  fpn  me  détermine  indépendamiiient  de  la 

nisoB y  mcnlniineiit  dans  les  montagnes  de  Der- 

bjsWe,  et  je  compte  partir  mercredi  ptidiatn 

poor  êilcr  fiair  mes  jours  dans  ce  pays-Ia.  Je  hrflle 

J  jr  être  poar  lespii'er  après  tant  de  iatigues  et  de 

^XMBSes,  et  poor  mVnIretenir  arec  tous  plos  à 

aoo  aise  qœ  je  n  ai  po  &ife  jnsqal  présoBi.  le 

rons  dccrîrai  floon  habitation,  mon  cbcr  bote, 

lass  Fe^off  de  ¥oas  y  voir  quelque  jonr  user  de 

cotre  droit,  pois  user  davantage  du  mien  dans  la 

f  àm.  Si  cette  doiioe  idée  ne  me  consolait  daa^ 

ma  tnteHe^  î&  onôndiais  que  Fair  épais  de  cette 

lie  ne  prit  k  \a  fin  teroç  sur  mon  humoar. 

M.  Uiirae  m'a  donne  fadresse  ci- jointe  pour  son 
.imi^  M.  Walpt^y  qui  part  de  Paris  dans  un  mois 
.1  ici  ',  mais ,  par  des  raisons  trop  longues  à  déduire 
par  ieUres^  je  voudrais  qu'on  n'employât  cette 
rme  que  &nte  de  tonte  antre.  On  m'a  perlé  de  la 
{vétcodne  kttre  dn  roi  de  Prusse ,  mais  on  ne  m'a* 
fait  point  dit  qn  eBeent  étérépandueparM.  Wal* 
pôle  ;  et ,  qnand  j'en  ai  parlé  à  M.  Home ,  il  ne  m^a 
&  si  oui  ni  non. 

fc  n'entends  point  parler  des  traductions  de 
vas Witott: M.  Hume  ma  poortant  ditqn'dles  ail- 
laient Imr  train  ;  mais  on  ne  m'a  rien  moatré.  Ces 
^^i^iioat  ne  peuvent  fiiire  ancnne  sensation  dans 
^  part f  oA  Ton  ne  sait  pas  même  qne  j'ai  en  des 
'^i'^Âtf  i  Ncuchitcl^  dont  les  prêtres  ne  sont  co» 


o6  CORABSPOXDANCE^ 

DUS  que  par  le  sort  da  pauvre  Petit-Pierre.  C 
iT.isérables  sont  partout  si  méprises,  que  s'occuj 
d  eux  c^est  grêler  sur  le  persil.  Croyez>-moi ,  c 
hliez-ies  totalement;  à  quelque  i>rix  que  ce  so 
ib  sont  trop  honorés  de  notre  souvenir.  On  si 
ici  que  j'ai  été  persécuté  à  Genève,  et  l'on  en^  < 
indigné.  Le  clergé  anglais  me  regarde  à  peu  pi 
comme  un  confesseur  de  la  foi.  Du  reste,  il  se  tie 
ici,  comme  dans  toute  grande  ville,  beaucoup  < 
propos  ineptes,  bons  et  mauvais.  Le  public  en  g 
néral  ne  vaut  pas  la.  peine  qu  on  s'occupe  de  lu. 
Comment  va  votre  bâtimeni?  Est-il  confim 
que  vous  aurez  de  Feau?  Quoique  absent,  je  mli 
téresseîai  toujours  à  votre  demeure,  et  mon  cœi 
y  habitera  toujours. 

V        655.  —  A  AL  Hume. 

Wootton,  le  12  man  17GO. 

Vous  voyez  déjà ,  mon  cher  patron ,  par  la  da 
de  ma  lettre ,  que  je  suis  arrivé  au  lieu  de  ma  des! 
nation  ;  mais  vous  ne  pouvez  voir  tous  les  charo^ 
que  j'y  trouve;  il  faudrait  connaître  le  lieu  et  ^ 
dans  mon  cœur.  Vous  y  devez  lire  au  moins  \ 
sentiméns  qui  vous  regardent,  et  que  vousavc^ 
bien  mérités.  Si  je  vis  dans  cet  agréable  asile  ad| 
heureux  que  je  l'espère,  une  des  douceurs  de  i 
vie  sera  de  penser  que  je  vous  les  dois.  Faire  i| 
homme  heureux,  cest  mériter  de  Tétre.  Puissi^ 
vous  trouver  en  vous-même  le  prix  de  tout  ce  d 


Toos  aTci  &H  pour  moîl  Sevd  ,  j  aurai  po  trûQver 
^WospttaUlé  peut -être;  mais  je  ne  l'aurais  ja- 
aaîs  aiKsà  bieu  goûtée  qu'en  la  tenant  de  votre 
«iûâà.Coiiservez~la-iiioî  ton  jours  ^  mou  cher  pa- 
Inm;  aâmez-mol  pour  moi  qui  vous  dois  tant, 
pour  TOQs-iiièiiie;  aimez -moi  pour  le  J!>ien  que 
TOUS  m  aTez  Eût.  Je  sens  tont  le  prix  de  votie  sin- 
cère amitié:,  je  la  désire  ardemment;  fy  veux  ré- 
pondre par  tonte  la  mienne,  et  je  sens  dans  mon 
coTOT  de  quoi  vons  convaincre  un  jour  qu  elle  n'est 
pas  ncm  pins  sans  quelcjne  prix.  Comme  pour  des 
rÛBonsdont  noos  avons  parlé  je  ne  veux  rien  re- 
cerum^U  poste,  je  TOUS  prie, lorsque  vous  ferez 
la  bonne  oeuvre  de  m*écrire,  de  remettre  votre 
lettre  à  H.DavenpoitUaffaire  de  ma  voiture  n  est 
pas  arrangée  parce  que  je  sais  qu'on  m'en  a  im- 
posé ;  cesf  nne  petite  Êinte  qui  peut  n'être  que 
f ouvrage  d^ne  vanité  obligeante,  quand  elle  ne 
iWient  pas  deux  fois.  Si  vous  y  avez  trempé,  jo 
vous  conseille  de  quitter,  une  fois  pour  toutes  ^ 
ces  petites  mses  qui  ne  peuvent  avoir  un  bon  pin- 
cipe,  quand  eUes  se  tournent  en  pièges  contre  la 
ampUcilé.  Je  vous  embrasse,  mon  cher  pitron, 
avec  le  même  cœur  que  j'espère  et  désire  trouver 
Vivons. 

656.  —  AU  utuMé 

Wootum,  le  ^9  mars  176G. 

Tons  avez  vu,  mon  cber  patron ,  par  la  lettre 
^  M.  Davenport  a  dû  vous  remettre  ^  CQml)i;n 


S8  CORRESPONDAIKCB, 

je  me  trouTe  ici  placé  selon  mon  goût.  J'y  sen 
peut-être  plus  i  mon  aise  si  Ton  y  avait  pour  n 
moins  d'attenti<»i8;  mais  les  soins  dW  si  gala 
homme  sont  trop  obligeans  pour  s  en  f&chcr;  i 
comme  tout  est  mêlé  d'inconvéniens  daaos  la  vi 
cdui  d'être  trop  bien  est  un  de  ceux  qui  se  tolère 
le  plus  aisément  J^en  troure  un  plus  grand  k  i 
pouvoir  me  faire  bien  entendre  des  domestique 
ni  surtout  i  entendre  on  motdecequ'ilsmediseï 
Heureusement  mademoiselle  Le  Vasseur  me  f c 
dlnterprète,  et  ses  doigts  parlent  mieux  que  n 
buigue.  Je  trouve  même  à  mon  ignorance  un  aval 
tage  qui  pourra  faire  compensation,  c^est  d'écarti 
les  oisi&  en  les  ennuyant.  J'ai  eu  hier  la  risite  i 
M.  le  ministre  y  qui,  voyant  que  je  ne  lui  parla 
que  finançais,  n'a  pas  voulu  me  parler  anglais;  c 
sorte  que  Fentrevue  s  est  passée  à  peu  près  sai 
mot  dire.  J'ai  pris  gpùt  à  lexpédient;  je  m'en  se 
virai  avec  tous  mes  voisins,  si  j  en  ai;  eC,  dussë-j 
apprendre  f anglais,  je  ne  leur  parlerai  que  frai 
çais,  surtout  si  j  ai  le  bonheur  qu'ils  n  en  sachei 
pas  un  mot.  C^est  à  peu  près  la  ruse  des  sing< 
qui,  disent  les  Nègres,  ne  veulent  pas  parlei 
quoiqu'ils  le  puissent,  de  peur  qu'on  ne  les  hsS 
travailler. 

U  n'est  point  vrai  du  tout  que  je  sois  conven 
avec  M.  Gosset  de  recevoir  un  modèle  en  préseiii 
Au  contraire,  je  lui  en  demandai  le  prix,  qu'il  m 
dit  être  d  une  gainée  et  demie ,  ajoutant  qu'il  m'ei 
voulait  faire  la  galanterie,  ce  que  je  n'ai  point  ac 


àsaxéM  1766.  S9 

eepti.Uvùosfnàà^Jkc  deyoïiloîr  bîeâ  lui  pajrec 
k  aodèie  cb  ficstioD  ,  dont  M.  Davenport  anm 
U  bonté  de  TooftRinlimrser»  S'il  n'y  consent  pas, 
il  £»il  le  lu  vendre  et  le  fiire  adieter  nar  «ne 
aalreiuallest  aestmé  iKinr  M.d^ 
dqwB  lnag»ap»déaTO  avoir  mon  portrait,  tt  en 
a  iait  imt  m  en  mîuiataffo  q«i  n'est  point  dn 
tool  itsseBUant  Vous  Ates  pcHurvn  mien  ^ae 
loi;  naie  ft  sm  fiché  qno  yodb  mayeii  dlë  par 
une  diCgeiice  aussi  flatteose  le  plaisir  de  rem- 
plir k  nàfto  devoir  emws  vons*  Ayéi  labonlé, 
HMA  cW  fatron^  de  &iie  lesu^ttre  ce  modèle  à. 
M^Gwndel  Hanke^^  LiitltHSmiÊt^UeUen'^, 
^iftopyae  «ireci^pov  l'enToyor  à  M. duPeyron 
(wir  la  ffcnabe  occamn  sûre^.  Il  gèle  ki  ttepBis 
^uefysBtf^ilaoeîgétoittfes  )oiir9;  ks  YeoÀooope 
Je  rmpc;  mtJgré  cck ,  fùnaorn  omux  Ittiuter  le 
Lroo  des  lapÎDs  de  cette  garenne  i|iie  le  pln^lxA 
^fpvtaMDl  de  LonAnesw  Bonjour ,  non  dnr  pa- 
tron; tewoeeMliraiee  de  tont  mon  ooeiu:. 

657.  — •  ▲  IL  D19  Petkov. 

WooitoD  en  Ûcfbjshiic,  k  agT  nart  1766/, 

Anis  tant  de  fetignes  H  de  ooufsès,  f^nrive 
reiados  on  aaili»  agiéable  e<  scditaîre,  où  j'obère 
poneir  «exiler  en  paix.  Je  voua  dois  la  descripi' 
^  dr  Ma  lëjotir  et  le  détail  de  mes  voyages; 
ittfeU  )e  n'ai  pu  Yow  écriie^'à  la  hâte  9  el  toii^ 
!^«s  ÎMafnHBptt.  SitM  ipte  j  aurai  rej^is  haléne  ^. 


Ga  C0RRB5P05DÀirCS , 

pour  le$  autres,  quand  tous  en  diffièrcriez  Fenvoi 
jusqu'à  l'autre  année ,  il  n'y  aurait  peut-être  pas 
un  grand  mal.  Je  n^entends  phis  parler  de  l'im- 
pression de  vos  le: très;  cela,  et  d'antres  choses, 
me  rend  de  Hondt  un  peu  snspecc  Je  crois  cepen- 
dant qu^on  peut  se  servir  de  lui  pour  Fenvoi  lie 
mes  Imesi  Le  comte  de  Bintinck  s  attend  qa^ib 
Im  seront  adressés,  et  ensuite  à  wa  fils  qui  est 
ici  :  mais  je  n^aime  pas  aroir  obligation  à  ces 
grands  seigneurs*  Je  me  remets  de  tout  à  votre 
prudence* 

Milord  maréchal  me  marque  qu'il  écrit  k  ses 
geni  d'affaires  de  vous  remettre  les  3oo  guinées^ 
s'ils  ne  Font  pas  encore  &it.  A  cause  du  grand  éloi- 
gnement,  je  prends  le  parti  de  numéroter  mes  let- 
tres, à  votre  exemple,  â.  commencer  par  ceBe-ct< 
La  demièrB  de  vous  que  ['ai  reçue  ^  était  le  n^  i  g. 
Mes  tendres  respects  k  la  bonne  mamian.  Je  vo>«u 
embrasse  de  tout  mon  ooenr. 

Ne  m'envojez,  arec  mes  livres^  aocnn  de  mes 
papiers,  qu'à  mesure  que  je  vous  kes  demanderai . 
et  que  je  vous  renverrai  les  autres.  Je  vous  prie  de 
ne  pas  oublier  mon  livre  de  musique  vert ,  car  j'ai 
ici  iiae  épinette.  Du  reste,  loutesf  déjà  raesembU 
iàff  moi ,  ma  gouvemanle,  m<m  bagage ,  et  jusqu  i 
Sultan  qui  m'a  donné  des  peioes  incroyables.  11  i 
été  perdu  deux  (m  y  et  mis  dans  les  papiers  pu 
biici.  Esttil  confirmé  que  viens  avez  de  leau 
Votre  n^aison  s'avance-t-elle?  Le  temps  d'berbo 
rÎMr  flq>precbe^  en  pofiteieS'-vvtts?  Je  vous  h 


AmiB  1766.  63 

k  coauSBe  cxtrémemeiii.  Si  les  attaques  de  goatte 
ne  TOUS  tau  pas  grftoe>  en  moins  eUes  yiendront 
plus  Uid,  et  ce  serait  Coujonrs  un  grand  aTantage 
de  gagner  une  année  en  dix.  Mais  il\faul  oublier 
<!«  voQs  êtes  encore  jeune,  jusq[a*à  ce  que  toos 
piCBÎes  le  parti  de  tous  marier. 

GoS.  —  AV  Boi  DB  Pauass. 

"^^ooÊUm^  le  3o  mars  1 766. 

Je  dois  an  nalheor  <{ai  me  poorsm't  deux  biens 
^  men  consolent  :  k  bienveillance  de  milord 
maiédiià^  ci  \a protection  de  TOtre  majesté.  Forcé 
4e  TivreloînieTèlatoii  je  suis  inscrit  panni  vos 
pcupl^y  je  garde  fanour  êes  devoirs  que  f y  ai 
CDDdacfes.  Permettez,  sire,  que  vos  bontés  me 
Boivent  avec  nui  reconnaissance ,  et  que  j'aie  tou- 
jours rhonnear  d'être  votre  protégé,  comme  je 
serai  toojoors  votre  {4us  fidèle  sujet. 

S39.  -^  ▲  M.  LE  CHAVAUER  d'Eo9^. 

>Vooium,  le  3i  man  17GGL 

ïiujSy  monsieor,  à  la  veille  de  mon  départ 
fom  cette  province,  lorsque  je  reçus  le  pai[uet 
q«e  vous  m  avec  adressé;  et,  ne  Payant  ouvert 
qnîd,  je  n'ai  pu  lire  plus  tôt  la  lettre  que  vous 
m'avez  lait  llionnear  de  m'écrira.  Je  nai  même 
cttcoie  pu  qne  parcourir  rapidement  vos  Mé^ 


64  CORRESPOlfDAirCE , 

moires.  CVn  est  assez  pour  confirmer  ropînioo 
que  j  avais  des  rares  talens  de  Fauteur,  mais  non 
pas  pour  juger  du  fond  de  la  querelle  entre  vous 
et  M.  de  Guerchi.  Javoue  pourtant,  monsieur, 
que ,  dans  le  principe ,  je  crois  voir  le  tort  de  votre 
cité  ;  et  il  ne  me  parait  pas  juste  que,  comme  mi- 
nistre, vous  vouliez^  en  votre  nom  et  à  ses  frais, 
&ire  la  même  dépense  qull  eût  &ite  lui-même; 
mais,  sur  la  lecture  de  vos  Mémoires,  je  trouve 
dans  la  suite  de  cette  affaire  des  torts  beaucoup 
plus  graves  du  càté  de  M.  Guerchi;  et  la  violence 
de  ses  poursuites  n^aura,  je  pense,  aucun  de  ses 
propres  amis  pour  approbateur.  Tout  ce  que 
prouve  l'avantage  qu'il  a  sur  vous  à  cet  égard  , 
c'est  qu'il  est  le  plus  fort,  et  que  vous  êtes  le  plus 
fiiible.  Cela  met  contre  lui  tout  le  préjugé  de  Fin- 
justice;  car  le  pouvoir  et  Fimpunité  rendent  les 
forts  audacieux;  le  bon  droit  seul  est  l'arme  des 
faibles;  et  cette  arme  leur  crève  ordinairement 
dans  les  mains.  J'ai  éprouvé  tout  cela  comme 
vous,  monsieur;  et  ma  vie  est  un  tissu  de  preuves 
en  Ëiits  que  la  justic3  a  toujours  tort  contre  la  puis- 
sance. Mon  sort  est  tel  que  j  ai  dû  Fattendre  de  ce 
principe.  J  en  suis  acca])lé  sans  en  être  surpris;  je 
sais  que  tel  est  Fordrc,  pas  moral,  mais  naturel 
des  choses.  Qu'un  prêtre  huguenot  me  fiisse  la- 
pider par  la  canaille ,  quW  Conseil  ou  qu'un  par- 
lement me  décrète,  qu'un  sénat  m'outrage  de 
gaieté  de  cœur,  qu'il  me  chasse  barbarement,  au 
cœur  de  1  hiver ^  moi  malade,  sans  ombre  de 


iy66*  65 

plainte,  de  justice ,  ni  de  laison ,  j  en  sou/Ire  sans 

doale;  mak  je  ne  m'en  fâche  pas  plus  que  de  voir 

détacber  un  rocher  snr  ma  tête,  au  m(  ment  que 

je  paoee  an-dessons  de  lui.  Monsieur,  les  vices  des 

lionacs  sont  en  grande  partie  l'ouvrage  de  leur 

sitiutioD;  rinjustice  .  marche,  avec  le  pouvoir. 

iNoos, qui  sommes  Tictûnes  et  persécutés,  si  nous 

étions  k  la  ^ace  de  cenx  qui  nous  poursuivent, 

sous  serions  peut -être  tyrans  et  persécuteurs 

comme  eux.  Cette  réflexion  y  si  humiliante  poui* 

f  bninanité,  n^ète  pas  le  poids  des  disgrâces,  mais 

elle  en  été  l'indignation  qui  les  rend  accablantes. 

OnsoppoTte  son  sort  avec  plus  de  patience,  quand 

on  Ve  sent  attaché  à  notre  constitution. 

Je  ne  pois  qn applaudir,  monsieur,  h  Varticle 
qui  termine  votre  lettre.  11  est  convenable  que 
vous  soyez  aussi  content  de  votre  religion  que  je 
le  snis  de  la  mienne,  et  que  nous  restions  chacun 
dbns  la  nôtre  en  sincérité  de  cœur.  La  vôtre  est 
fi>ndée  sur  la  soumission ,  et  vous  vous  soumettez. 
La  mienne  est  fondée  snr  la  discussion,  et  ^e  rai- 
sonne. Tout  cela  est  fort  bien  pour  gens  qui  ne 
ventent  être  ni  prosélytes,  ni  missionnaires,  comme 
je  pense  que  nous  ne  voulons  Têtre  ni  vous  ni 
nwL  Si  mon  principe  me  parait  le  plus  vrai,  le 
T^  me  parait  le  plus  commode;  et  un  grand 
avantage  que  vous  avez,  est  que  votre  clergé  9^ 
tient  bien ,  au  lieu  que  le  nôtre ,  composé  de  petits 
barbouillons,  k  qui  Tarrogance  a  tourné  la  tête, 
Ac  sait  ni  ce  qu'il  veut  m  ce  qu'il  dit ,  et  n'ôte  Tin-* 

6. 


66  CORRESPONDANCE , 

Êdllibilité  à  l'Eglise  qu^afin  de  l'usurper  chacun 
pour  soi.  Monsieur^  ju  éprouvé ,  comme  vous, 
des  tracasserieii  d^ambaasadeurs  :  que  Dieu  vous 
préserve  de  celles  des  prêtres  I  Je  &iïïs  par  ce  vœu 
salutaire,  en  vous  saluant  très-homblemeni)  mou- 
sieur,  et  de  tout  mon  cœur. 

66ow  —  A  M.  dIvsrnois.    . 

WooUoD,  le  3i  inan  17,66. 

Je  vous  écrivis  avant  hier,  mon  ami ,  et  je  reçus 
le  même  soir  votre  lettre  du  1 5.  Elle  avait  été  (ou- 
verte et  recachetée.  Elle  me  vint  par  M.  Ilume^ 
très-lié  avec  le  fils  de  Tronchin  le  jongleur,  et  de- 
meurant dans  la  même  maison,  très  lié  encore  à 
Parisavec  mes  plus  dangereux  ennemis,  etauquel, 
sHl  n'est  pas  un  fourbe,  j^aurai  intérieurement 
hien  des- réparations  à  faire.  Je  lui  dois  de  la  ro- 
connaissance  pour  tous  les  soins  qu'il  a  pris  de 
moi  dans  un  pays  dont  j'ignore  la  langue.  U  s'oc- 
cupe beaucoup  de  mes  petits  intérêts,  mais  ma 
réputation  n'y  gagne  pas,  et  je  ne  sais  comment  il 
arrive  que  les  papiers  publics ,  qui  parlaient  beau- 
coup de  moi,  et  toujours  avec  honneur  avant 
notre  arrivée,  depuis  qu'il  est  à  Londres  n'en  par- 
lent plus,  ou  nen  parlent  que  désavantageuse- 
ment.  Toutes  mes  aflaires,  toutes  mes  lettres  pas^ 
sent  par  ses  mains  :  celles  que  j'écris  n'arrivent 
point  y  celles  que  je  reçois  ont  été  ouvertes.  Plu- 
sieurs autres  Êiits  me  rendent  tout  suspect  de  sa 


part,  josqal  soa  sèle.  Je  ne  puis  voir  encore 
quelles  sont  ses  intentions ,  mais  je  ne  puis  m'em- 
pécher  de  les  GTQÎre  sinistres,  et  je  suis  fort  trompé 
si  Umtes  nos  lettres  ne  sont  éventées  par  les  jon- 
gleun  qui  ficheront  in&illiblementd'en  tirerparti 
contre  nous.  En  attendant  que  je  sache  mieux  sur 
quoi  coaqMer,  voyez  de  cacheter  plus  soigneuse- 
ment ros  lettres,  et  je  verrai  de  mon  côté  de  m'ou- 
VTÎr  avec  vos  ooRespondans  une  communication 
directe,  sans  passer  par  ce  dangereux  entrepôt. 

Pnisqu  m  associé  vons  était  nécessaire ,  je  crois 
qoe  voos  avez  bien  fiiit  de  choisir  M.  Deluc.  U 
ioiai^ probité  avec  les  lumières  et  lactivité  dans 
le  travâ  i  trouvant  tout  cela  dans  votre  associa- 
tiouy  et  Yj  portant  vous-même,  il  y  aura  bien  du 
malbeur  si  vons  n^a?ez  pas  lieu  tous  deux  d'en 
être  contenjL  Jj gagnerai  beaucoup  moi-même  si 
elle  vous  procure  du  kusir  pour  me  venir  voir. 
Timapae  que  si  vous  préveniez  de  ce  dessein 
M.  du  Peyron ,  il  ne  serait  pas  impossible  qgae  vous 
fissiez  le  voyage  ensemble,  en  lavançant  on  re* 
tardant  selon  qu^  conviendrait  à  tous  deux.  JTai 
oand  besoin  d'épancher  mon  cœur,  et  de  con- 
sulter de  vnûs  amis  sur  ma  situation.  Je  croyais 
être  à  la  fin  de  mes  malheurs,  et  ils  ne  font  que 
de  coonMQcer.  Livré  sans  ressource  à  de  £iux 
^"'^i  fû  grand  besoin  d^en  trouver  de  vrab  qui 
me  oonsolcot  et  qui  me  conseillent  Lorsque  voui 
voudrez  partir,  avertissez-m^en  davance ,  et  man- 
^Ormm  à  vous  passerez  par  Paris-,  j'ai  des  corn- 


68  COJULESPO:f  DANCE  « 

1 

missions  pour  ce  pays-là  que  des  amis  seuls  peu- 
vent faire.  Je  Cc*  saurais,  quant  à  présent,  vous  ^ 
envoyer  de  procuration ,  n'ayant  point  ici  aux  en- 
dirons  de  notaire,  surtout  qui  parle  français,  et 
étant  bien  éloigné  de  savoir  assez  danglais  pour 
dire  des  choses  aus&i  compliquées.  Comme  l'afi&ire 
ne  presse  pas,  elle  sWrangera  entre  nous  lors  de 
votre  voyage.  En  attendant,  veillez  à  vos  affaires  ' 
particulières  et  publiques.  Songez  bien  plus  aux 
intérêts  de  letat  qu'aux  miens.  Que  votre  consti-  ' 
tution  se  rétablisse,  s  il  est  possible;  oubliez  tout 
autre  objet,  pour  ne  songer  qu'à  celui-là;  et  du 
reste  pourvoyez-vous  de  tout  ce  qui  peut  rendre 
votre  voyage  utile  autant  qu'il  peut  letre  à  tous  < 
égards. 

Vous  m*obligerez  de  communiquer  à  M.  du 
Peyrou  cette  lettre,  du  moins  le  commencement. 
Je  suis  très-en  peine  pour  établir  de  lui  à  moi  une 
correspondance  prompte  et  sûre.  Je  ne  connais 
que  vous  en  qui  je  me  fie,  et  qui  soyez  posté  pour 
cela  ;  mais  un  expédient  au5si  indiscret  ne  se  pro- 
pose guère,  et  ne  peut  avoir  que  la  nécessité  pour 
excuse..  Au  reste ,  nous  sommes  sûrs  les  uns*  des 
autres;  renonçons  à  de  fréquentes  lettres  que  I  é- 
loignemeut  expose  à  trop  de  frais  et  de  risques  *, 
n'écrivons  que  quand  la  nécessité  le  requiert  ;  exa- 
minons bien  le  cachet  avant  de  Fouvrir ,  Fétat  des 
lettres ,  leurs  dates ,  les  mains  par  où  elles  passent. 
Si  ou  les  intercepte  encore ,  il  est  impossible  qu  a- 
vec  ces  précautions  ces  abus  durent  long- temps. 


Je  w  serais  cas  étonné  cjoc  ccUe-ci  fit  encore  ou- 
ferte  el  mèine  supprimée  ,  parce  (juc,  la  poste 
MaBl\oin  tfki  ,  il  faut  nécessaîremenf  un  inU?r- 
méà\aire  cuire  cUe  et  moi  ;  maïs  avec  Je  temps  je 
pamenàiai  à  désorienter  les  c  urieux  ;  et,  quant  a 
présent,  ils  n'en  apprendront  pis  pins  qu'ils  n  en 
savent.  Je  \ous  emlirasse  de  tout  mon  cœur. 

661- A  XILORD  StRAFFOJIT. 

Woot}oii,3atril  i;6G. 

\.is  témoignages  de  votre  souvenir,  milord,  et 

de  vos  Isonlés  pour  moi ,  me  feront  toujours  au- 

tant  de  ]^isir  <{ae  d'honneur.  Jai  regret  de  nV 

voir  pa. profiter  à  Chiswick  de  la  dernière  pro« 

menade  que  vous  y  avez  &itc.  J  espère  réparer 

Ixentôt  cette  perte  en  ce  pays.  Je  voudrais  être 

plus  jeune  et  mieux  portant,  j^irais  vous  rendre 

qucJ^eibis  mesdevoirsen  Yorkshire;  maisquinze 

lienes  sont  beaucoup  pour  un  piéton  presque  sexa^ 

génaire;  cardés  que  je  suis  une  fois  en  place,  je 

ne  T03  âge  plus  pour  mon  plaisir  autrement  qu'à 

pied.  Toutefois  je  ne  renonce  pas  à  celte  entre* 

prise ,  et  vous  pouvez  vous  attendre  à  voir  quel* 

qae  your  un  pauvre  garçon  herboriste  aller  vous 

den&aDder  l'hospitalité.  Pour  vous ,  milord ,  qui 

avez  des  chevaux  et  des  équipages,  si  vous  faite; 

quelque  pèlerinage  équestre  dans  ce  canton ,  et 

quelque  station  dans  la  maison  que  j'habite ,  outre 

FhoDneur  qu'en  recevra  le  maitrc  du  logis,  vous 


yO  CORRBSPOKDAKCE, 

&re2aaeœuyi'epîeen£iycurdanexîlédelateta»  . 
(exmej  prisonnier,  mais  bieu  volontaire,  dans  le 
pays  de  la  liberté.  Agréez ,  milord ,  je  vous  sup- 
plie, mes  salutations  et  mon  respect. 

*  662. A  UAJOAUE  LA,  COMTESSE  DE  BoUFFLEf^S. 

Wootton,  le  5  avril  17G6. 

Vous  avez  assurément ^  madame,  et  vous  au- 
rez  toute  ma  vie ,  le  droit  de  me  demander  compte 
de  moi.  J attendais,  pour  remplir  un  devoir  qui 
m'est  si  cber^  qu'arrivé  dans  un  lieu  de  repos 
j  eusse  un  moment  à  donner  à  mes  plaisirs.  Grâce 
aux  soins  de  M.  Hume,  ce  moment  est  enfin  venu  ^ 
et  je  me  hâte  d'en  profiter.  J^ai  cependant  peu  de 
choses  à  vous  dire  sur  les  détails  que  vous  me  de* 
mandez.  Vivant  dans  un  pays  dont  j'ignore  la 
langue,  et  toujours  sous  la  conduite  d^autrui  y  je 
uai  guère  qu'à  suivre  les  directions  qu'on  me 
donne.  D'ailleurs,  loin  du  monde  et  de  li  capi« 
taie»  ignorant  tout  ce  qu  on  y  dit,  et  ne  désirant 
pas  Tapprendi^e,  je  sais  ce  qu'on  veut  me  dire  et 
rien  de  plus.  Peu  de  gens  sont  moins  instruits  que 
moi  de  ce  qui  me  regarde. 

Les  petits  événemens  de  mon  voyage  ne  méri- 
tent pas ,  madame ,  de  vous  en  occuper.  Durant 
la  traversée  de  Calais  k  Douvres ,  qui  se  fit  de  nuit 
et  dura  douze  heures ,  je  fus  moins  malade  <]ue 
M.  Hume;  mais  je  fus  mouillé  et  gelé,  et  j'ai  plu* 
tôt  senti  la  mer  que  je  ne  l'ai  vue.  Xai  été  accueilli 


ASTsrit  17G6.  yt 

i  Loodres ,  fû  en  beaucoup  de  visites ,  beaucoup 
ifofin  de  scrrice,  des  habitations  à  choisir.  J'en 
21  ediiL  cboiâ  une  dans  cette  province  :  )e  suis 
dans  la  maison  d'un  galant  homme  dont  M.  Hume 
m'a  £t  beancoup  de  bien  qui  n  a  été  démenti  par 
posome.  lia  paru  vouloir  me  mettreè  mon  aise  : 
jlgnore  encore  ce  cpEili  en  sera,  mais  ses  attentions 
scnies  m  empêchent  d'oublier  que  je  sins  dans  la 
maison  d*autrm. 

Vous  vouiez,  madame,  que  je  vous  parfe  de  la 
nation  anglaise;  il  &udrait  commencer  par  la  con- 
naître, et  œ  n'est  pas  Taffaire  d'un  jour.  Trop  bien 
mstrâl  par  rexpértencc,  je  ne  jugerai  jamab  lé- 
gèrement nî  des  nations  ni  des  hommes,  même 
lie  ceux  dont  f  amaî  à  me  plamdre  ou  à  me  kmer. 
lyaSIem  je  ne  sm  point  à  portée  de  connaître 
tes  Aogtrn  par  eux -mêmes  :  je  les  connais  far 
lliospitalité  qnlb  ont  exercée  envers  mot,  et  qui 
àéatBî  h  réputation  qu'on  letnr  donne.  II  ne 
m'a^artient  pas  de  juger  mes  bêtes.  On  m^^  trop 
bî'^  appris  cela  en  France  pour  que  je  puisse 
TcmUierici 

JevondraisVoas  obéir  en  tout,  madame;  ttab, 
ie  grftce,  ne  me  parler  plus  de  frire  des  livres,  ni 
i&ème  drs  gens  qui  en  font.  Nous  av<ms  des  Kvre9 
de  monte  cent  fins  jrfus  qu'il  n'en  frut ,  et  nous 
0  en  lalons  pas  mieux.  Vous  craignez  pour  moi 
^  dénro¥Temeztt  et  lennui  de  la  retrahe  :  vou» 
▼^xis  trompez,  madame,  je  ne  surs  jamais -moins. 
'oaajé  m  moins  oisif  que  qoand  je  suis  seul.  U 


ya-  coB.]tESPOin)ANC£^ 

me  reste ,  avec  les  amusemcns  de  la  botanique , 
une  occupation  bien  chère  et  &  laquelle  j'aime  ' 
chaque  jour  davantage  à  me  livrer.  J'ai  Ici  un 
homme  qui  est  de  ma  connaissance ,  et  que  j  ai   ' 
gi'andc  cuvie  de  connaître  mieux,  La  société  que  ' 
je  vais  lier  avec  lui  m'empêchera  d'en  désirer  au* 
cune  autre.  Je  Testime  assez  pour  ne  pas  craindre 
une  intimité  k  laquelle  il  m'invite;  et,  comme  il 
est  aussi  maltraité  que  moi  par  les  hommes^  nous   : 
nous  consolerons  mutuellement  de  leurs  outrages,  '  i 
en  lisant  dàus  la  cœur  de  nôtres  ami  quil  ne  les  a  . 
pas  mérités.  j 

.  Vous  dites  qu  on  me  reproche  des  paradoxes. . 
Elil  madame,  tant  mieux.  Soyez  sûre  qu*on  me^j 
reprocherait  moins  de  paradoxes,  si  Fou  pouvait  .,^ 
me  reprocher  des  eiTeurs.  Quand  on  a  prouvé  que 
je  pense  autrement  que  le  peuple,  ne  me  voilà-., 
iriï  pa5  bien  réfuté.  Un  saint  homme  de  moine,  , 
appelé  Cachot ,  vient  en  revanche  de  faire  un  gros 
livre  pour  pouver  q^  il  n  y  a  rien  à  moi  dans  les  i 
miens,  et  que  je  n'ai  rien  dit  qi^c.d'après  les  autres. 
Je  suis  davis  de  laisser,  pour  toute  réponse,  aux 
IpvisGS  avec  sa  révérence  ceux  qui  me  reprochent,  ^ 
k  si  grands  cris,  de  vouloir  pen^  seiU  autrement 
que  tout  le  monde,  i 

J'ai  eu  de  vous,  madame,  une  seule  lettre  :  au- 
cune nouvelle  de  madame  la  maréchale ,  depuis 
Tairivée  de  mademoiselle  Le  Vasseur,  pas  même  | 
par  M.  de  La  Roche;  j'en  suis  très  en  peine,  à 
cause  de  1  état  de  s^  santé.  Les  communicatious 


irec  k  oontineDt  me  devienneat  plus  difficiles  de 
jour  en  jour.  Les  lettres  qae  j'écris  n  arrivent  pas; 
celles  (pie  je  reçois  ont  été  ouvertes.  Dans  un  pays 
oii,  par  ngnorance  de  la  langue,  on  est  à  la  dis 
oét  on  d^ûtmi ,  il  Êiut  être  heureux  dans  le  choix 
de  ceax  i  ffà  Ton  donne  sa  confiance  9  et,  à  juger 
par  TexpéneDce,  j'aurais  tort  de  compter  sur  le 
bonhear.  H  en  est  on  cependant  dont  je  suis  ja« 
louz  et  <jae  je  ne  mériterai  jamais  de  perdre  ;  cVst 
la  continuation  des  bontés  de  M.  le  prince  de 
Conti,  qm  a  daigné  m*en  donner  de  si  éclatantes 
marcpes,  de  la  bienveillance  de  madame  la  mare* 
c\)^,«l  de  la  vAtre,  dont  mon  coeur  sent  si  bien 
le  pnx.  Waàane,  quelque  sort  qui  m*attende  en^ 
core,  et  dans  qœkpie  Heu  que  je  vive  et  que  je 
meure,  mes  consolations  seront  bien  douces ,  tant 
que  je  ne  sersd point  oublié  de  vous. 

6S3,  —  ▲  MiLo&n  ♦**. 

ht  7  avijl  ij66. 

Ce  nW  plus  de  mon  chien  qu^Q  s^a^t,  milont, 
c'oi  de  moi-même.  Vous  Terrez  par  la  lettre  d* 
)oiole  pourquoi  je  souhaite  qu'elle  paraisse  dans 
tes  papiers  publics ,  surtout  dans  le  Saint-James 
Qmmîde,  s'il  est  possible.  Cela  ne  sera  pas  msé, 
sdoo  non  <mnion ,  ceux  qqi  m^eutourent  de  leurs 
emiiehes  ayant  Até  à  mes  vrais  amis  et  à  moî- 
nâme  tout  mojen  de  £iire  entendre  la  voix  de  la 
v^iité.  Cependant  il  convient  que  le  public  ap* 

4  7 


n  \  CORRESPOND  AXCR , 

pi*cDiie  mi*II  y  a  des  traîtres  secrets  ^ui,  sous  k 
masque  aune  amitié  perfide ,.  travaillent  sans  re- 
lâche  à  me  d«slionorer.  Une  fois  averti,  si  le  pu 
blic  veut  encore  être  trompé ,  qu  il  le  so.h  ;  je  n'au- 
rai plus  rien  à  lui  dire.  J'ai  cru,  milord,  qu*9  m 
serait  pas  au-dessous  de  vous  de  m  accorder  votr« 
assistance  en  cette  occasion.  Â  notre  première  en- 
trevue ^  vous  jugerez  si  je  la  mérite,  et  si  j^en  ai 
besoin»  En  attendant,  ne  dédaignez  pas  ma  con- 
fiance; on  nf  ma  pas  appris  à  la  prodiguer-,  les 
trahisons  que  j'éprouve  doivent  lui  donner  quel- 
que prix.  ^ 

66*4  —  ^  t'AUTEUK  DU  Saiitï-James  Chrotiicle 

Woottoft,  le  7  arra  1766. 

Vous  avez  manqué,  monsieur,  au  respect  qm 
tout  particulier  doit  aux  tétcs  couronnées,  en  at 
tribuant  publiquement  au  roi  de  Prusse  une  lettn 
pleine  d  extravagance  et  de  méchanceté ,  dont  pai 
cela  seul  vous  deviez  savoir  qu'il  ne  pouvait  ètn 
rauteuc  Vous  arvez  même  osé  transcrire  sa  signa 
tu^e  comme  si  vous  laviez  vue  écrite  de  sa  main 
Je  V10US  appends,  monsieur^  que  cette  lettre  a  et 
£ibriquée  à  Paris,  et,  ce  qui  navre  et  déchire  moi 
cœur,  que  Timposleur  a  des  complices  en  Ângk 
terre. 

VottSideyez  auxoi  de  Pru6sc ,  à  la  vérité ,  à  mo 
dïmprhner  la  lettre  mic  je  vous  écris  et  que  je  s 
^,  en  réparation  d  une  faute  que  vous  vous  n 


1766.  7^ 

prbcLcricg  «ans  doate ,  ^  tous  saviez  île  quelles 
BoîrcnmToiis  tous  rendez  Tiiistruniait  Je  yous 
tes,  mouakur,  mes  sincères  sstlatations. 

ttS.  ^^A  liAtkAMK  X^  COMTSSSB  HE  BoVTTXBKS. 

WmIIob  ,  k  c>  «vol  X766. 

C'est  à  regret,  madame,  qœ  je  vais  affliger 
f  obe  ban  corar;  maïs  tl  fiiiit  absoiamcnt  que  vous 
fmmaîmeE  ce  David  Hume,  à  qui  vous  mWes 
Kyré,  comptant  me  procurer  mi  sort  tranquille. 
Dfpiib  notre  arrivée  en  Angleterre,  oè  je  ne  con- 
nais pcssonne  qne  loi,  qndquHm  qui  est  très-an 
ii»t,elfûltiimlies  mes  affaires,  travaille  en  secrtsit, 
mais  sans  reUcke,  \  m'y  déshonorer,  et  vénsM 
Bvec  DO  saeoi5  qtà  m'étonne.  Tout  ce  ^  vient 
de  m'arrfver  en  Soisse  a  été  déguisé  ;  mon  dernier 
vtrrage  de  Paris  et  Taccn^  que  j'y  ai  reçu  ont  été 
tikiSés.  On  a  bit  entendre  que  j'étais  ^énérak» 
SKnt  méprisé  et  décrié  en  I^nce  pour  ma  mau- 
vaise conduite,  et  que  c'est  pour  cela  prrDci{)alo- 
mect  que  je  n^osaîs  m  y  montrer.  On  a  mis  dons 
Ifs  papiers  publies  que,  sans  la  protection  d) 
M-  Hmne,  je  n'aurais  osé  demièreftient  traverser 
laFnmce  pour  m  embarquer  à  Calais;  mais  qVil 
B  arait  obtenu  le  passe-port  dont  je  m*étais  servi. 
Oa  a  traduit  et  imprimé  comme  audienti<^  In 
frasse  lettre  du  roi  de  Prusse,  fabriquée  par  d'A- 
lembert,  et  répandue  à  Paris'  par  leur /ami  6om- 
om  H'aipole.  On  a  pris  à  tâcbe  de  me  présenter 


^0  CORKESPONDAKCE, 

à  Londres  aycc  nnademoiselle  Le  Vasseur  dam 
tous  les  jours  qui  pouvaient  jeter  sur  moi  du  ridi* 
cule.  On  a  &it  supprimer,  chez  un  libraire,  una 
édition  et  traduction  qui  s^allait  faire  des  lettres 
de  M.  du  Peyrou.  Dans  moins  de  six  semaines, 
tous  les  papiers  publics,  qui  d^abord  ne  parlaient 
de  moi  qu'avec  honneur,  ont  changé  de  langage, 
et  n'en  ont  plus  parlé  qu  avec  mépiis. 

La  cour  et  le  public  ont  de  même  rapidement 
changé  sur  mon  compte;  et  les  gens  surtout  avec 
qui  M*  Hume  a  le  plus  de  liaisons  sont  ceux  qui 
se  distinguent  par  le  mépris  le  plus  marqué ,  afKx;- 
tant,  pour  lamour  de  lui,  de  vouloir  me  faire  la 
charité  plutôt  qu'honnêteté ,  sans  le  moindre  té^ 
moignage  d^affcction  ni  d'estime ,  et  comme  per- 
suadés qu^il  n'y  a  que  des  services  d'argent  qui 
soient  à  Fusage  d  un  homme  comme  moi.  Durant 
le  voyage ,  il  m  avait  parlé  du  jongleur  Tronchin 
comme  d  un  honmie  qui  avait  fait  pi*ès  de  lui  des 
avances  traîtresses,  et  dont  il  était  fondé  i  se  dé* 
fier  :  il  se  trouve  cependant  qu'il  loge  à  Londres 
avec  le  fils  dudit  jongleur,  vit  avec  lui  dans  la  plus 
grande  intimité,  et  vient  de  le  placer  auprès  de 
M.  Michel,  ministre  à  Berlin ,  oii  ce  jeune  homme 
va,  sans  doute,  chaîné  d'instructions  qui  me  le- 
gardent.  J^ai  eu  le  malheur  de  loger  deux  jours 
chez  M.  Hume ,  dans  cette  même  maison ,  venant 
de  la  campagne  à  Londres.  Je  ne  puis  vous  expri^ 
mer  à  quel  point  la  haine  et  le  dédain  se  sont  ma- 
nifestés contre  moi  dans  les  hôtesses  et  les  ser*' 


AVTvis  1766.        —  77 

fautes,  el  de  cpiel  accueil  infilnie  on  7  a  rëgalé 
madcmoisdle  Le  Yasseur.  Knfin  je  suis  presque 
assméde itcomiaitTe)  aa  ton  haineux  et  mépri- 
sant ^Ums  les  gens  aTec  qai  M.  Hume  yient  cl  avoir 
desconiraiGes;  et  je  l'ai  vu  cent  fois,  même  en 
ma  pmeoce,  tenir  indirectement  les  propos  qui 
poufaient  k  pins  indisposer  contre  moi  ceux  à 
qdO  pailait.  Deyiner  <|iid  est  son  but,  c'est  ca 
fi  meA  difidle ,  d'autant  plus  qu'étant  à  sa  dis- 
crétion et  dans  un  pays  dont  j'ignore  la  langue, 
tontes  mts  loties  ont  passé  jusqu'ici  par  ses  mains^ 
«{QÎï  a  ton)onrs  été  très^yide  de  Irs  voir  et  de  les 
^iB\  <|Qe  de  ceQes  qne  j'ai  écrites ,  peu  sont  par- 
rennes^  <|Qe  Y^^es^e  tontes  celles  que  j'ai  reçues 
avaient  été  onreites-,  d  celles  d'où  j^aurais  pu  tirer 
qudjoe  éclaiidoement ,  probablement  suppr»- 
mées.  Je  ne  dois  pas  oublier  deux  petites  remar- 
ques :  Fune,  qne  le  premier  soir  depuis  notre 
départ  de  Paris,  étant  couchés  tous  trois  dans  la 
néme  chambre,  j'entendis  an  milieu  de  la  nuit 
Dand  Hnme  s'écrier  plusieurs  fois  à  jrfeine  voix , 
ie  tiens  J.  J.  Rousseau;  ce  que  je  ne  pus  alors  in- 
tefppétcrqoe  &YOfablement;  cependant  il  y  ayait 
dans  le  ton  je  ne  sais  quoi  d'eflSrayant  et  de  sinistre 
<]ne  je  n'ooMîerai  jamais.  La  seconde  remarque 
yient  d'âne  espèce  d  epanchement  que  j^eus  ayec 
Ini  apès  ane  antre  occasion  de  lettre  que  je  yais 
TMB  dire.  Jayais  écrit  le  soir  sur  sa  table  à  ma- 
iame  de  Chenonceaux.  li  était  très-inqutet  dé  sa^ 
yoir  co  qne  j'écrrirais ,  et  ne  pouvât  pre^pj» 


■-*v 


v^''/A 


.yB  coiaiBSP05DAircE  y 

s^abstenlr  dy  lire.  Je  ferme  ma  lettre  sans  la  lui 
montrer  :  il  k  demande  avidem^ent,  disant  quil 
l'enverra  le  lendemain  par  la  poste  ;  il  ûiat  hUâa  la 
donner;  die  reste  sur  sa  table*  Loid  Newnham. 
arrive;  David  sort  un  moment,  )e  ne  sais  pour- 
quoi. Je  reprends  ma  lettre  en  disant  que  j  aurai 
le  temps  de  Tanvc^er  le  lendemain  :  milôid  Newii> 
ham*  s  oi&e  de  Tenvoyer  par  lé  paquet  de  Tarn- 
bassadeur  de  France;  j'accepte.  David  lentre; 
tandis  que  lord  Newnham  fait  sob  oiveloippe^  il 
tire  son  cachet;  David  offire  le  sien  avec  tant  d'en»- 
press^nent  qu  il  Êiut  s  en  servir  par  préférence. 
On  sonne,  lord  Kewnham  donne  la  lettre  au  do- 
mestique pour  renvoyer  sur-le-champ  chez  1  aoH 
•t^ssadeur.  Je  me  dis  en  moi-même  :  Je  suis  sûr 
que  David  va  suivre  le  domestique.  U  n'y  manqua 
pas,  et  je  panerais  tout  au  monde  que  qia  lettre 
n'a  pas  été  rendue,  ou  qu^elIe  avait  été.  décdi- 
chetée. 

A  souper,  il  fiiait  alternativement  sur  made- 
moiselle la  Vasseur  et  sur  moi  des  regards  qui 
.m'eifirayèrent  et  qu'un  honnête  homnie  n'est  guère 
assez  malheureux  pour  avoir  reçus  de  la  nature. 
Quand  elle  fut  montée  pour  s'aller  coucher  dans 
le  chenil  quon  lui  avait  destiné,  nous  restâmes 
quelque  temps  sans  rien  dire  :  il  me  fixa  de  nou- 
veau du  même  air;  je  voulus  essayer  de  le  fi^er  ft 
mon  tour,  il  me  ait  impossible  de  soutenir  so^ 
iiffiettx  regarda  Je  sentis  mon  âme  se  troubler,  j^é- 
taîs  dans  une  émotion  horrible*  Enfin  le  remi:iiYk 


do  mal  juger  d'an  si  grand  homne  sur  des  appa- 
rpDces  prévalat;  je  me  précipitai  dans  ses  bras 
tout  en  lannes,  en  m'écriant  :  Non,  David  Hume 
n'eftfBiSBn  traître,  cda  ni'est  pas  possible;  et  s*il 
n'était  pas  le  meilleur  des  hommes,  il  faudrait 
qvTA  en  fikt  le  plos  noir.  A  cela  mon  homme,  au 
lien  de  s'attendrir  a^ec  moi ,  ou  de  se  mtittre  en 
colère,  au  Uen  de  me  deman<kr  des  explicationfi, 
reste  trancpûDe,  répond  à  mes  transports  par 
qnekjnes  caresses  froides,  en  me  JGrappanide  pe* 
tits  cocps  SDT  le  dos,  et  sVcriant  plusieurs  fois  : 
HUa  cher  monsieur!  Quoi  donc,  mon  cher  mon- 
âcoil  Inavoué  que  cette  manière  de  recevoir  mon 
épanchemenl  me  bappa  plus  que  tout  le  reste.  Je 
partis  le  lendemain  pour  celte  province ,  oil  f  ai 
rassemblé  de  nouveaux  faits.  rétf<fchi ^  combiné, 
et  conclu ,  en  attendant  que  je  meure. 

Jai  toutes  mes  acuités  diuis  un  houleirerse- 
mcnt  qui  ne  me  permet  pas  de  vous  parler  d^âufre 
cfcose.  Madame ,  ne  vous  rebutez  ps  par  mes  mi- 
sères^, et  daignez  mVimer  encore, quoique  kplnâi 
malheureux  des  hommes. 

Jai  vu  le  docteur  Cratti  en  grande  liaison  avet 
notre  honune  :  et  deux  senles  entrevues  m'ont  ap- 
pris certainement  que,  quoi  que  vous  eu  puissiek 
dire,  le  docteur  Gatti  ne  m'aime  pas.  Je  dots  vous 
avertir  ans»  que  la  bcnteque  vous  m'avez  envojée 
par  fan  avût  été  ouveiHe,  et quoa  y  amiimàtm 
autre  cachet  que  le  vftlre.  H  ya  pRSS^dequei 
rke  I  penser  combien  mes  curieux  ont  été  punis. 


8o  CORKSSPONDANCK, 

666.  —  ▲  MM.  Becket  et  de  Hokdt, 

LlBAAllEf    ai  LOVDIES. 

Woocton ,  le  9  «▼ril  1 766. 

Tétais  surpris ,  messieurs  y  de  ne  point  voir  pa^ 
raitre  la  traduction  et  l'impression  des  lettres  de 
M.  du  Peyrou ,  que  je  vous  ai  remises  et  dont  vous 
me  paraissiez  si  empressés  :  mais  en  lisant  dans 
les  papiers  publics  une  prétendue  lettre  du  roi  de 
Prusse  à  moi  adressée,  j  ai  d'abord  compris  pour- 
quoi celles  de  M.  du  Peyrou  ne  paraissaient  point. 
A  la  bonne  beure,  messieurs,  puisque  le  public 
veut  être  trompé,  qu'on  le  trompe  i  jy  prends 
quant  à  moi  fort  peu  dlntérôt,  et  j  espère  que  les 
noires  vapeurs  qu  on  excite  à  Londres  ne  trouble* 
ront  pas  là  sérénité  de  Fair  que  je  respire  ici.  Mais 
il  me  parait  que,  ne  faisant  aucun  u^age  de  cet 
exemplaire,  vous  auriez  dû  songer  a  me  Ivt  rendre 
avant  que  je  vous  en  fisse  souvenir.  Ayez  la  l)ODté, 
me^ieurs,  je  vous  prie,  de  faire  remettre  cet 
exemplaire  i  mon  adresse,  chez  M.  Davenport, 
demeurant  près  du  lordEgremont,  en  Piccadillj. 
Je  vous  Élis,  messieurs,  mes  très-humbles  saluta- 
tions (*). 

{*)  Les  kttret  dont  il  •'agîl  ont  e'te'  impriméet  en  inoféty  et 
publiéfA  à  Londres  ches  les  mteet  tibrtiret,  in-is ,  1766.  -^ 
D<<  dMontUocet  umt-4-fiut  îod^peiidtBlet  de  1«  Tolomé  d0 
en  «▼aient  raturdé  l'impwiMoo. 


1766.  8i 

667. — A  M.  F*  H.  Rousseau. 

Wootton,  le  10  ■Tiil    766. 

h,  neRprodierais,  mon  cher  cousin,  de  tardef 
pbs  loBg-ttmps  à  Yoas  remercier  des  visites  et 
amitio  tpt  toos  m'avez  Êites  pendant  mon  se- 
jour  à  Lmdres  et  an  Toisinage.  Je  nai  point  oublié 
Fos  offres  oUigeantes  ^  et  je  m'en  prévaudrai  dans 
f occaâon  avec  confiance ,  sûr  de  trouver  toujours 
CQ  vous  mi  bon  parent ,  comme  vous  le  trouverez 
tfw^^urs  eu  mol.  Je  n  ai  pas  ouUié  non  plus  que 
)Xfak  compté  parier  de  vos  vues  à  un  certain 
boBiBc  «a  va^i  du  voyage  d'Italie.  Sur  la  con- 
duite extnor^nûre  et  peu  nette  de  cet  homme , 
il  m  est  d'abonl  remi  des  soupçons  et  ensuite  des 
Immères  qià  fflVnt  empêché  de  lui  parler,  et  qui  y 
je  crois,  vous  en  empêcheront  de  mémo,  quand 
voussamez  qœ  cet  homme,  à  Tabri  d'une  amitié, 
tnîtreee,  a  fiyrmé  avec  deux  ou  trob  complices 
Iliomiéte  projet  de  déshonorer  votre  parent  ;  qu'il 
est  en  train  d'exécuter  ce  projet,  si  on  le  laisse 
i^e.  Ce  qui  me  firaj^  le  plus  en  cette  occasion, 
nst  la  légèreté,  et,  j'ose  dire,  l'étourderie  avec 
lypeOe  les  Anglais,  sur  la  foi  de  deux  on  trois 
fîv^  dont  la  conduite  double  et  traîtresse  do* 
^t  ks  saisir  dliorrenr,  jugent  du  caractère  et 
des  aoenrs  d*on  étranger  qu'ils  ne  connaissent 
pofflt,  et  qu'ils  savent  être  estimé ,  honoré  et  res« 
focié  dans  les  lieux  où  il  a  passé  sa  vie.  Voila  Oê 


fti  canviESPmnïjaiCEy 

singulier  abrégé  de  mon  histoire^  où  l'on  i 
donne  entre  autres  pour  fils  d'un  musicien,  ce 
rant  Londres  comme  une  pièce  authentique.  Vo 
qu'on  imprime  effrontément  dans  leurs  feuil 
que  M.  Hume  a  été  mon  protecteur  en  rran< 
et  que  c'est  lui  qui  m^a  obtenu  le  passe-port  ny 
lequel  j'ai  passé  dernièrement  à  Paris.  Voilà  ce 
prétendue  lettre  du  roî  de  Prusse  imprimée  ds 
leurs  feuilles,  et  les  yoUi^  eux,  ne  doutant  j 
que  cette  lettre,  chef-d'œuvre  de  galimatias 
d'impertinence,  n'ait  réellement  été  écrite  par 
prince,  sans  que  pas  un  seul  s  avise  de  pen: 
qu'il  serait  pourtant  bon  de  mentendre  et  de 
Toir  ce  que  j'ai  à  dire  k  tout  cela.  En  vérité,  de 
mauvais  juges  de  la  réputation  nr,  méritent  | 
qu'un  homme  sensé  se  mette  fort  en  peine  de  cr 
qu'il  peut  avoir  parmi  eux  :  ainsi  je  les  laisse  dî 
en  attendant  que  le  moment  vienne  de  les  fa 
rougir.  Quoi  qu'il  en  soit,  s'il  j  a  des  lâches  et  < 
traîtres  dans  ce  pays,  il  y  a  aussi  des  gens  d^h< 
neur  et  d'une  probité  sûre  auxquels  un  honn 
homme  peut  sans  honte  avoir  obligation.  Ce; 
eux  que  je  veux  parler  de  vous  si  l'occasion  s 
présente,  et  vous  pouvez  compter  que  je  ne 
laisserai  pas  échapper.  Adieu ,  mon  cher  cens 
portez-vous  bien  et  soyez  toujours  gai.  Pour  nr 
je  n'ai  pas  trop  de  quoi  Fétre  ;  mais  j*espèrc  < 
les  noires  vapeurs  de  Londres  ne  troubleront 
la  sérénité  de  Fatr  que  je  respire  ici.  Je  vous  < 
brasse  de  tout  mon  cœur. 


Amàm  lyGG»  83 

668. AU)RD***. 

H^ootioD,  le  19  Mnû  1766. 

H  m  susaisy  milord,  attendre  votre  retour  i 
Lnnfcei  pour  vans  fiiire  les  remerclmens  que  je 
Toiu  dois^  Vo^  Imiilés  m  ont  conyaincu  que  j  a- 
Tais  CB  laisoB  de  campCer  aas  votre  générosité. 
Pour  exCQKK  lladiecrétien  ^oi-  m'y  a  fait  recou< 
rir,  il  sdEi  de  j^ter  un  cotjp  d'œil  sur  ma  situa- 
tiua.  TnMByé  par  des  tnaitxes  qui,  ne  pouvant  me 
iiJuoxtota  iâas  les  IkmC  où  j  avais  vécu*,  m'ont 
eutnanè  dans  un  pays  où  je  suis  inconnu  et  dont 
j  igaoït  U  Un^  ,  a&à  d  y  exéouter  plu^  aisément 
leur  ahœiroVjie  ftefja,  je  me  lr<Aive  j^é  dans 
ceUe  ile  ajwés  de»  mafiMttfs  smm  exiemple.  Seul, 
sans  appofy  sans  agnisj  sans  défense,  abaiodonné 
à  U  Mnètài  des  jngemens  publics,  et  aux  efièts 
goî  «0  soae  la  snite  ordiasûre ,  surtout  chez  ua 
people  qui  nataieUeitieBt  n'aime  pa«  les  étrati* 
zmy  j'avais  2e  plus  grand  besoin*  d'un  protecteui* 
joi  M  dédaignit  pa»  ma  confiance  ;  et  oii  pouvais*- 
?  nânx  lecbeiclicr  ^e  parmi  cette  Ulustre  no- 
y^œ  a  laquelle  ys  me  faisais  à  rendre  honneur, . 
"'^ài  3e  penser  <pi.'ua  jour  {[aurais  besom  délie 
fMir  m'aider  à  défendlre  lé  mim? 

Vous  me  dites  ^  nûlof  d ,  qu'après  s'fttre  un  peu 
imséj  Totre  poUic  rend  ôr£n:iirement  justiee; 
uscest  ml' amusement  bien  cruel*  «e  me  sem» 

II 

«1  qae  celui  qu'on  |Nrend  aux.d^pes»  des  in- 


84  tOBJLESPONDAlfCE ,  , 

fortunés,  et  Ce  n  est  pas  assez  de  finir  par  rendr 
justice  quand  on  commence  par  en  manquer 
«rapportais  au  sein  de  votre  nation  deux  grand 
droits  qu  elle  eût  dû  respecter  davantage  :  le  droi 
sacré  de  ThospitaUté,  et  celai  des  égards  que  Toi 
(ioit  aux  malheureux  :  fy  apportais  Testime  uni 
verselle  et  le  respect  même  de  mes  ennemis.  Poui 
quoi  m^a-t-on  dépouillé  chez  vous  de  tout  cela 
Qu'ai-je  fait  pour  mériter  un  traitement  si  cruel 
En  quoi  me  suis-je  mal  conduit  à  Londres ,  oii  Vo 
me  traitait  si  Êivorablement  avant  que  ]y  hsi 
arrivé?  Quoi!  milord,  des  diffamatioos  secrète] 
qui  ne  devraient  produire  qu'une  juste  horrei 
pour  les  fourbes  qui  les  répandent ,  suffiraiei 
pour  détruire  Veffet  de  cinquante  ans  dlionnev 
et  de  mœurs  honnêtes!  Non  y  les  pays  où  je  sui 
connu  ne  me  jugeront  point  diaprés  votre  publi 
mal  instruit;  l'Europe  entière  continuera  de  m 
rendre  la  justice  qu  on  me  refuse  en  Angletem 
et  l'éclatant  accueil  que ,  malgré  le  décret,  je  vie! 
de  recevoir  à  Paris  à  mon  passage ,  prouve  qi 
partout  où  ma  conduite  est  connue  elle  m^attû 
l'honneur  qui  m*est  dû.  Cependant,  si  le  publ 
français  eût  été  aussi  prompt  à  mal  juger  que 
vAtre ,  il  en  eût  en  le  même  sujet  L'année  de 
nière ,  on  fit  courir  à  Genève  un  libelle  affirev 
sur  ma  conduite  à  Paris.  Pour  toute  réponse, 
fis  imprimer  ce  libelle  k  Paris  même.  H  y  fut  re^ 
comme  il  méritait  de  Tétre,  et  il  semble  que  to 
ce  que  les  depx  sexes  ont  d'illustre  et  de  vertuei 


A3nx±B  i7<36.    ^  6S 

dÎDt  cette  capitale  ait  voulu  me  venger  par  les: 
pias  gnades  maxqaes  d'estime  des  outrages  de 
mes  ipik  ennemis. 

\oQSifiiex,  milord,  qa^on  me  coniiait  k  Paris 
€L  <{a'oo  iK  me  connaît  pas  à  Londres  :  voilà  pré- 
dsàMDt  et  quoi  je  me  plains.  On  n^ôte  point  à 
«B  homme  dliomienr,  sans  le  connattre  et  sans 
IcBCendre,  Vestime  pablMjue  dont  il  jouît  Si  ja« 
mais  )e  m  en  Angleterre  aussi  long -temps  que 
}  ai  vécu  en  Fzance ,  il  &udra  bien  qu'exifin  votre 
poklic  me  tende  son  estime;  mais  qnd  gré  lui  en 
BiQarai-)e  lorsque  )e  Fy  aurai  forcé? 

Yaidounez ,  milord ,  cette  longue  lettre  :  me 
pasdoBBenetrTaas  mieux  d'être  indiffeieht  à  ma 
yépuUtîoD  dans  v<ïlie  pays?  Les  Anglais  valent 
men  qn'on  sait  âcié  deles  voir  injustes ,  et  qu'a* 
fin  qe  ils  cesanil  de  l'être  on  leur  msse  sentir  corn* 
bicB  ils  le  sont.  Milwd ,  les  malheureux  sont  mat 
kmuu  partouL  En  France,  on  les  décrète;  en 
âuse^  on  les  lapide;  en  Angleterre,  on  les  dés* 
kmoie  :  c*cst  leinr  vendre  cher  l'hospitalité, 

663.  —  aM. 

AttS  17G6. 

FAWvmmn»,  monsieur,  avec  q;nelque  surprise^ 
^quelle  manière  on  me  traite  à  Londres  dans  un 
puÛîc  plus  l^r  que  je  n'aurais  cm.  HmèsemUo 
fail  vaudrait  beaucoup  mieux  refoser  aux  infor- 
Unti  jÊsik  qae  de  les  accueillir  pour  les  vor 
'f  ei  je  vous  av<me  que  l'hospitalité  vendue 


86  CORlLBSPOMAirOE) 

M  prix  do  déshonneur  me  parait  trop  Aère.  Je- 
trouTe  an&si  que,  pour  juger  un  homme  qn^n  jm 
connaît  point,  il  faudrait  s'en  rapportes  à  ceni 
qui  le  «connaissent;  et  il  me  parait  bizarre  qu'em- 
portant de  tous  les  pays  oii  j'ai  yéou  Pestime  et  la 
coUsidkéralion  des  honnêtes  gens  et  db  puUic, 
l'Angleterre,  oà  farrÎTe,  soit  le  seul  où  on^me  la 
reluse«  Cest  en  même  temps  ce  qui  nie  oonsole  : 
l-aecueil  que  je  Tiens  de  reoerobr  à  Paris ^  eià  j^ai 
passé  ma  Tie^  me  dédommage  de  tout  ce  qv'on  dit 
k  Londres.  Comme  les  Anglais,  un  peu  légers  A 
juger,  ne  sont  pourtant  pas  injustes,  si  jamais  je 
vis  en  Angleterre  aussi  long-temp  quen  FVance, 
j'esp^  à  la  fin  n'y  être  pas  moins  esëmé.  Je  sais 
que  tout  ce  qui  se  passe  k  mon  égard  n^est  point 
naturel,  qu'une  nation  tout  entiëlre  ne  change 
pas  immédiatement  du  bbnc  au  noir  sams  canse, 
et  que  cette  cause  sed^  est  d  aulaAt  ^né  dange- 
reuse quW  s*en  défie  moins  :  c'est  cela  même  qui 
devrait  ouvrir  les  yenit  du  puUic  sur  ceux  qui  k 
mènent  V  mais  ils  se  cachent  avec  trop  d'a^nsss 
pour  qu'il  s'avise  de  les  chercher  où  ils  sont.  Un 
jour  il  en  saura  davantage,  et  ilVougira  de  sa  lé- 
gèreté. Pour  vous,  monsieur,  vous  avez  trop  de 
sens ,  et  vous  êtes  trop  équitaUe ,  pour  être  comjpté 
parmi  ces  juges  plus  sévères  que  judicieux.  Vous 
mWes!  honoré  de  votre  estime ,  je  ne  mérilerm  ja* 
mais  do  la  perdre;  et,  eomme  vous  avez  toutb  la 
adeniiey  fy  jinns  la  confiaiice  que  vous  méritez. 


670.  -^  ▲  liAn^MK  PS  Luai, 

WoottoDyle  lamai  1766. 

Smi- Ji  «ses  beiuKiix ,  màdanM ,  pow  q«e 

TOI»  pcBsies  «piclqiittfiMS  à  »es  Unrts  y  et  p^tir  qye 

TQ«s  se  laïAîes  «anvais  gré  d'an  si  long  filftiice  7 

/«Bienb  Irop  puni  si  TOUS  n^j  éùez'passmsâkU. 

Autt  k  tBinllr  d^ime  TÎe  oiageose,  oraobien  jU 

Rgrelté  les  do^o»  beuros  que  je  passais  prës  de 

vous!  fftmliim  de  fois  les  premiers  Biomeiis  du 

lepos  aprè«  lecpiel  je  soapirais  ont  été  consacrés 

2  w«Me  aift  fl^r  de  Ycms  écrire  IJ  ai  maintenant 

cefaâ^nsB^ikjTcelengagement^etlcs  agrémens 

dn  bett  q«e  ^Waloîte  m'invitent  à  m'y  occuper  de 

TooSy  madame,  et  de X.  de  Loze,  qoi  m  en  a  fait 

tnwrer  iencmip  i  y  Tenir.  Quoique  je  n'aie  point 

de  ses  nouvelles ,  j'ai  su  qu'il  était  ar-* 

»  bonne  saaté;  et  j^espèi»  qu^an  mo- 

j'éoris  cette  lettre  îl  est  heureusement  de 

pris  de  roQS.  Quelque  intérêt  que  je  prenne 

à  ses  avantages,  je  ne  puis  m^empécher  de  lui  en^- 

▼îer  ceiQi4à,  et  je  tous  jure,  madame,  que  cette 

paâsîMe  retraite  perd  pour  moi  beancoup  de  son 

prix,i|iia9d  je  aougequ'elleest  à  trois  cents  lieues 

4  To«s«  Je  voudrais  TOUS  la  décrire  avec  tous  ses 

,  afin  de  TOUS  tenter)  je  nW  dire  de  m'y 

ir  voir,  mais  de  la  Tenir  voir  ^  et  moi  j'e»pm- 


X  rJj 


Figwes-voas^  madame,  une  maison  seulc^  non 


8d  CORKESPOiniAIICB  • 

fort  grande,  mais  fort  propre,  bâtie  A  mi-côte  sui^ 
le  penchant  d'un  yallon ,  dont  la  pente  est  assea 
interrompue  pour  laisser  des  promenades  de  plain- 
pied  sur  la  plus  belle  pelouse  de  Tunivers.  Au-^ 
devant  de  la  maison  règne  une  grande  terrasse, 
dot  Tœil  suit  dans  une  demi-circonférence  quel- 
ques lieues  d'un  paysage  formé  de  prairies,  d ar- 
bres, de  fermes  éparses,  de  maisons  plus  ornées  ^ 
et  bordé  en  forme  de  bassin  par  des  c6teaux  élevés 
qui  bornent  agréablement  la  vue  quand  elle  ne 
pourrait  aller  au-delà.  Au  fond  du  vallon ,  qui  sert 
â  la  fois  de  garenne  et  de  pâturage,  on  entend 
murmurer  un  ruisseau  qui ,  d'une  montagne  voi- 
sine, vient  couler  parallèlement  à  la  maison,  et 
doDt  les  petits  détours,  les  cascades  sont  dans  une 
telle  direction,  que  des  fenêtres  et  de  la  terrasse 
Tceil  peut  assez  long-temp  suivre  son  cours.  Le 
vallon  est  garni  par  places  de  rochers  et  d'arbres 
où  Ion  trouve  des  réduits  délicieux,  et  qui  ne 
laissent  pas  de  s'éloigner  assez  de  temps  en  temps 
du  ruisseau  pour  ofirir  sur  ses  bords  des  pro^ 
menades  commodes,  à  Tabri  des  vents  et  même 
de  la  pluie  j  en  sorte  que  par  le  plus  vilain  temps 
du  monde  je  vais  tranquillement  herboriser  sous 
les  roches  avec  les  moutons  et  les  lapins;  mais 
hélas  1  madame,  je  ny  trouve  point  de  scordùan^l 
Au  bout  de  la  terrasse  à  gauche  sont  des*  bâti-t 
mens  rustiques  et  le  potager;  à  droite  sontdes  bos<* 
quets  et  un  jet-d'eau.  Derrière  la  maison  est  un 
pré  entouré  d'une  lisière  de  bois^  laquelle ,  tour- 


'   Afnv&E  1766.    '  Cg 

mt  is-deb  da  y^on ,  coaronne  le  parc ,  si  l'on 
peot  damier  œ  nom  à  une  encemle  à  laquelle  on 
a  InsK  tontes  les  beautés  de  la  natnre.  Ce  pré 
Aène^&tnvers  nn  petit  Tiliafe  qui  dépend  de  lâ 
naisaijiiuie  mont^ne  qui  eu  est  à  nne  demi** 
fieoe,  et  dans  laquelle  schat  dÎTeraes  mines  de 
piaoèfie f on  exploite.  Ajoutez  qnaux  environs 
OB  a  le  cboix  des  promeuAdcs ,  soit  dans  des  pnii^ 
ries  dkanaantes,  soit  dans  les  bois^  soit  dans  des 
jar&s  4  TaD^aise ,  moins  peigné»^  mais  de  meil 
ieor  gsâl  que  ceux  des  Français. 

La  naisoB, quoique  petite,  est  très-logeable  et 

Vm  laftnbiiée.  Il  y  a  dans  le  milien  de  la&çade 

oa  aniDlrcgrp  \  ïan^ise ,  par  lequel  la  chambre 

du  Daitie'feYaiiiaÂsoii,  et  la  nùçnne,qni  est  au- 

dessus^  ont  une  rue  de  trois  côtés.  Sou  aj^partew 

neiie  est  composé  de  plusieurs  pièces  sor  le  de* 

'vaal,  el  fou  grand  salon  sur  le  derrière  :  le  mien 

etf  dvcribué  de  même,  excepté  qne  je  n'occnpe 

TBedeox  cbandires,  entre  lesquelles  et  le  salon  est 

aBeeqièce  de  Testibule  ou  d  antichambre  fix't  sin^» 

piEère,  édairèe  par  une  lai^e  lanterne  de  vitrage 

an  ttâien  du  toit. 

Avec  cela,  madame,  je  doisvons  dire  qn^on  dit 
n  bonne  chère  à  la  mode  du  pays,  c'est*àrdirc 
SQpIe  et  saine ,  précisément  comme  il  me  la  £iul. 
I^  pays  est  humide  et  froid  ;  ainsi  les  l^itiines  ont 
foi  de  goAt,  le  gibier  aucnn;  mais  la  viande  y  est 
^scdlente,  le  laitage  abondant  et  bon.  Le  maitre 
boette  maison  la  trouve  trop  sauvage  et  s  y  tient 

8. 


go  COSUSSf  QffDAKiCE  j 

peu.  Heo  adifpbuJÎMtesfttUKûjpi^Sfi^eyi^tç^i^ 
quelles  je  la  piéfibe»  od^oi^  par  la  mêfnejrai^nf  J', 
suis  nèn^aeukiQctit  ie  inaitre,  nlakiMfiiaiîatitre 
ce  qui  est  bkâ  plus*  Potiil  de  gN^  ^iUuge  au 
^nTirons  :  la  TiUe  la  plus  voisine  en  est  à  dcu 
lieues;  par  couséquont  peu  de  voisias  désœuvrée 
Sans  le  mîiustJw^qu  ma  pris  dans  otoeaiFeclîoj 
fiiogiiUdre,  je  serais  k&.dîj;  mois  d^  FauAée'absG 
lumeut  seuL 

Que  p«osez<^om  de  mon  haJNtation,  iaadâm« 
la  trouvez-Yous  assez,  bien  cèioislet)  et  iie.croyez 
vous  pas  que  pouf  ea  préférer  une  autre ,  il  Àill 
ALre  du. bien  sage  ou  bien  fou?  Eh  bieiii  madame 
U  s'en  prépare  use  peu  loin  de  Biez  ^  plus  près  4 
Tertre ,  que  je  regretterai  saas.cesse  ^  et  4>ii  ^  mal^ 
1  euTÎe,  mon  cœur  habitera  toujoul^.  Je  ne  la  r^ 
gratterais  pas  moins  quand  celle-ci  m'oÛrirait  toi^ 
tes  autres  biens  possibles,  excepté  celui  de  Tivi 
avec  ses  amis^  Mais  au  reste,  après  vous  avoi 
"peint  le  beau  cAté.,  je  ne  veux  pasvous  (tissimuk 
«pi'il  y  en  a  dautres,  et  que^  comme  dans  tpul^ 
les  choses  de  la  ine,  les  avaatages  y  sont  méU 
d*inconvéuieQs.  Ceux  du  climat  sont  grands , 
est  tardif  et  lîroid;  le  pays  est  beau ,  mais  triait  *,  I 
nature  y  est  engouidie  et  paresseuse  ;  à  pcin 
avons-nous  déjà  des  violettes^  les  arbres  n'ont  ei 
core  aucunes  feuilles  ;  jamais  on  n^y  entend  i 
rossignols  ;  tous  les  signes  du  printemps  disparaL 
sent  devant  mot  Mais  ne  gâtons  pa^  le  tablea 
vrai  que  je  viens  de  iaire  y  il  est  pris  dans  le  poil 


i;6R  gn 

f^  rve  oè  |e  ^vvx  TOI»  raoBtfer  ma  denéini!  9  afin 
<pe  ros  idées  s'y  promènent  av«c  plaisir.  C«  n'est 
<^u  auprès  de  tohs  ,  madame ,  que  je  pouvais  1it>é- 
TtT  une  fodélé  préférable  à  la  solitude.  Pour  la 
torma  has  cette  protince,  il  y  faudrait  trans- 
porta Toire  frmiUe  entière,  une  partie  de  Men- 
f  Jiilci,  et  prexpie  tont  Yverdnn.  Encore  après 
ccia^a^mne  Fhomme  est  insatiable,  me  &udr^t- 
j3  fûs  Im»s,  vos  monts ,  Tos  vignes ,  enfin  tout ,  JUS- 
^'an  lacet  ses  poissons.  Bonjour,  madame;  miSc 
ffodies  sahitations  à  M.  de  Lo2e.  Pariez  <{ttelqne- 
fois  avec  madame  de  Froment  et  madame  de  Sas- 
doE  4e  tt  "pauvre  exilé.  Pourvu  ^'il  ne  ^e  soii 
jamaîs  àb vw cœins,  locrt  antre  exil  lui  sera  sup- 
poftabk. 

fyr.  — <<i  H.  nr  LuzE: 

.Wooimi ,  le  ïo  JDM  lyCô* 

Qmipie  ma  longue  lettre  à  madame  de  Lnze 
9(Ày  monsieur,  à  votre  intention  comme  à  h 
<i«nne,  je  ne  pois  m  empêcher  d'y  joindre  un  mot 
yftB'  vous  remercier  et  des  soins  que  vous  avee 
i«^  vovia  prv-sdre  pour  réparer  la  ban<{uerout|2 
"pe  favats  &îte  à  Strasbourg  sans  en  rien  savoir, 
'^  ^  votre  obligeante  lettre  du  lo  avril.  Tai  senti, 
î  fedréme  ^aisir  que  m^a  £iit  sa  lecture ,  corn- 
^'^  je  wùJMS  sois  attaché,  et  combien  tous  vos 
Vi&s  procédés  pour  moi  ont  jeté  de  ressentimcns 
Ame.  0)mptez,  monsieur,  que  je  vous 


93  CORAESPOtrDAVCE, 

aimerai  toate  ma- vie,  et qu'up  des  re^ts  qui  n 
suivent  en  Angleterre  çst  d'y  vivre  éloigné  i 
vous.  J'ai  formé  dans  votre  pays  des  attacheme 
qui  me  le  rendront  toujours  cher,  et  .le  désir 
ffl^y  revoir  un  jour,  que  vous  voulez  bien  me  I 
moigner,  n'est  pas  moins  dans  mon  cœur  <{ 
dans  le  vôtre  :  puais  comment  espérer  .qu  il  s\ 
complisse?  Si  j'avais  fait  quelque  &ute  qui  me 
attiré  la  haine  de  vos  compatriotes,,  si  je  m'él 
mal  conduit  en  quelque  chose,  si  j  avais  quelcfj 
tort  à  me  reproçlier,  j'espér<$rais,  en  }e  réparai) 
palvenlr  à  le  leur  Ëiire  oublier  et  à  obtenir  le 
bienveillance;  mais  qu'ai -je  &it  pour  la  perdr 
en  quoi  me  suis- je  mal  conduit?  à  qui  ai-je  ma 
que  dans  la  moindre  chose?  à  qui  ai-jc  pu  rend 
service  que  je  ne  l'aie  pas  fiiit?  Et  vous  voy 
comme  ils  m'ont  traité.  Mettez-vous  à  ma  plac 
et  dites -moi  s'il  est  possible  de  vivre  parmi  d 
geiis  qui  veulent  assommer  un  homme  sans  gne 
sans  motif,  sans  plainte  contre  sa  personne, 
uniquement  parce  qu'il  est  malheureux,  h  ^ 
qu'il  serait  à  désirer,  poxur  Tbonneur  de  ces  m( 
sieurs,  que  je  retournasse  finir  mes  jours  ^u  a 
lieu  d  eux  :  je  sens  que  je  le  désirerais  moi-mêiD 
mais  je  sens  aussi  que  ce  serait  une  hante  fout 
laquelle  la  prudence  ne  me  permet  pas  de  song* 
Ce  qui  me  reste  à  espérer  en  tout  ceci  est  de  co 
server  les  amis  que  j'ai  eu  le  bonheur  d  y  »ir 
«t  d'être  toujours  aimé  d  eux  quoique  absent, 
quelque  chose  pouvait  me  dédommage  de  k 


'kmAz  1766.  93 

ewnMrce,  ce  sefait  celui  èa  galant  homme  dof  t 

j^flela maison, etqtii  n  épargne  rien  pour  m  en 

tendre  le  séjmir  agréaUe;  tons  les  gentilshommes 

des  C9VTOS,  Ions  tes  mmistres  des  paroisses  vol-^ 

sioes  ont  k  bonté  de  me  manjner  des  eraprcsse- 

fnens  qui  ne  Umchenf ,  en  ce  qn'îls  me  montrent 

ia  di^peadoD  générale  da  pays  :  le  peuple  même  ^ 

ma^noB  équipage^  onÛie  en  n^a  favenr  sa  dii*- 

f^  orfinaire  envers  les  étrangers.  Madame  de 

Luxe  Tiras  dira  comment  est  le  pays  ;  enfin  fy 

troaTcnis  de  quoi  n'en  regretter  aucun  autre,  si 

{étiîa  çbs  prèsdn  soleil  et  de  mes  amis.  Bonjour^ 

nMRme»-/^  TOQs-emlnrasse  de  tout  mon  coeur. 

6;a.  —  à  M.  DU  PEraoû. 

# 

A  Vkwmaof  le  10  mai  .1  '}661 

Hm,  m€n  cfcer  &dte,  j'ai  reçu,  par  M.  Daven- 
p<îit,  ?0f  munéros  ao ,  3  y  ,  aH  et  20 ,  par  lesqueb 
fe  rwarec  nupiiétude  que  tous  n'ayies  point  en- 
cart rtça  mon  n**  i  que  je  vous  ai  écrit  d'ici ,  et  0 1 
«  TOUS  priais  de  ne  m  envoyer  que  mes  livres  de 
>.^iiiijQe,  avec  mon  calepin,  et  d'attendre  pour 
«?  reste  i  Tannée  prochaine;  prière  qne  je  vous 
^siiime  avec  instance,  s'il  en  est  encore  temps. 
^  Hiîs  sartout  très-fôché  qne  vous  menvoyies 
•^  des  papiers  qne  je  ne  vous  ai  point  deman- 
^1.  et  sor  lesquels  j'étais  tranquille,  les  sachant 
^Kirevos  mains  y  an  lif  n  qu'ils  vont  courir  des. kv 
ufdsqne  vous  oe  pouvez  prévoir^  ik  sachant  pas 
^«me  moi  tout  ce  qui  se  passe  à  Londres.  Reii^ 


rez4es9  je  voiu  «Bx^o^june^  ^W^^^  epcQK^  Xepxf^, 
et  pQur  Pieu ,  ne  »  ei^  etnxxyeis  plus  ij^ésansaû 
ijue  je  ne  tous  les  demande.,  JÇ<^  ^4taQf,  pas  poiu 
rien  gu^  j  avw  nuxa^^çot^  lûiii  In^f^s  ^^  j^  vou^ 
laîssaui.  i,  Mt'       <  ;  '    - 

Ceux  que  Vous  av^ii  q^vdyà$  ià  Qi^4aiBe  di 
JTaugues  sout  eo  route^  f t  |e<;ompt«  tes i^eceroii 
au  pFeiui^  jour.  C  est  un  grand  bonheur  qu'il 
n'aient  pas  été  confiés  à  Ifl.  W^lpol^^ique  je  re 
^arâe  comme  lagent  seciret  de  farois.oik)  ^i^atre  hou 
nétes  gens  de  par  le  moiMiie  qui  oot  foifiné  entr< 
eux  uu  complot  auquel  je  ne  compirends  -rieo 
main  dont  je  vois  et  sens  re[;sécutioQ  successive  d< 
jour  en  jour.  La  prétendue  lettre  du  roi  de  Pruss 
est  certainement  de  d'Alenfbert  (*);  en  y  jetan 
les  yeut ,  j'ai  reconnu  éon  style  y  comme  si  je  1 
lui  arais  vu  écrire  :  elle  a  été  publiée ,  traduit 
dans  les  papiers  )  de  même  q^  une  autre  pièce  d 
même  auteur  sur  le  même  sujet.  On  a  aussi  in 
priioé  et  traduit  U9e  lettre  de  M.  de  Voltaire 
moi  adressée,  auprès  de  laquelle  le  libelle  de  Yei 
nés  nVst  que  du  miel.  Mais  cessons  de  parler  c 
ce$  matières  attristantes^  et  qui  ne  m'àfBigeraici 
pourtant  guère,  si  mon  co^u^  n'eût  é^  navré  p 
^e  plus  sensibles  coups.  Mon  cher  hdte ,  je  si^ 
Uen  le  prix  d'un  ami  fidèle,  et  que  ma  confian 
en  vous  redouble  de  cliarmes,  par  b  difficulté  \ 
.  la  placer  aussi  him  nulle  part* 

<•)  ElU  élmi  âfi  M.  "Wa^Mle,  mo^  eorrîg^  p«r  |.1iiMei 


AXNÉE  1766.  S^ 

^  SUD  très  en  peine  pour  établir  notre  èorres- 
pnodaiioed^me  manière  stable  et  sûre,  car  la  rë« 
f  olatkm  où  je  sois  de  rompre  tout  autre  coinmerce 
de  kttres  ne  me  rend  le  yôtie  que  plus  nëces* 
sûire.  Ah!  cher  ami ,  que  ne  vous  ai- je  cru ,  et  que 
Qâi-je  Rsté  à  portée  de  passer  mes  jours  auprès 
de  rousfle  sens  TÎTemeUt  la  perte  ({U6  fài  &ite, 
el  je  Be  m^D  consolerai  jamais.  Je  suis  en  peine 
<]'  p.'usiain  lettres  que  j^ai  fait  passer  par  MM.  Lu- 
dion et  DnLf ,  et  dont  je  ne  reçois  aucune  ré- 
^^ûse.  Ttsfiit  cependant  qu'ils  n'ont  pas  des 
fommis  Bfgligens;  il  faut  prendre  patience ,  et 
coui\imo.M.LQcadoa  est  un  bbnnête  kômme, 
e!  âmi  àe  mes  amis*,  jc  ne  crains  pas  qu'il  abusé  de 
mu  confiance,  mais  je  crains  de  lui  être  importun. 
Mon  intentioB  est  bien  de  parler  à  milord  Ma- 
r*'  bal  de  K  d'Eschemj^  et  de  Ikire  usage  de  sÀ 
{K'Ule  note;  mais  ce  n  est  pas  en  ce  moment  de 
"  /BaotiMi  que  cela  peut  se  laire.  S'il  est  pressé, 
-  ti/t,  malgré  moi,  que  je  laisse  à  d'autres  le  plai- 
•^'  ^  le  scryir.  Jai  pour  milord  Maréchal  le  même 
'^^bnasqne  pour  vous  de  m'ouyrir  une  corrès- 
:  ^daoce  sûre  ;  je  me  suis  adressé  à  IVt  Rougô- 
'  -!î ,  je  n'en  ai  aucune  réponse';  j  ignore  s'il  a  fait 
:  ^ «na  lettre,  et  s'UTeut  bien  continuer. 

i^^oant  à  ce  qui  regarde  ma  subsistance,  nous 

•*^:îdrons  là-dessns  les  moyens  que  vous  jugerez 

'  P^;  et,  puisque  vous  pensez  que  je  puis 

-^^t  de  six  mois  en  six  mois  des  assignations 

"■*'  vos  banquiers  de  Paris,  je  le  ferai;  mais, de 


f  j6  Cor.WBSPONDAXC^ , 

grâce,  envojcz^moi  le  modèle  de  gsisxifisig^ations* 
car  je  ne  vois  \ms  bien ,  je  vous  lavoue,  en  quels, 
termes  elles  doivent  être  conçues  sur  des  l>aii~ 
quiers  ({ue  je  ne  connais  pas^jct  qfjà  ne  ine  doivent 
rienJ 

Je  finis  à  la  hâte  ;  en  vous  saluant  de  tout  mon 
cœur.  Mille  respects  à  la  chère  et  bonne  maman. 

6^3.   -    A  MAPAHE  DE  CajÉQVI. 

Mai  itM. 

Bien  loin  de  vous  oublier,  madame,  je  &is  un 
de  mes  plaisirs  dans  cette  retraite  de  me  rappeler 
l^s  heureux  temps  de  ma  vie.  Ils  ont  été  rares  cl 
courts;  mais  leur  souvenir  les  multiplie  :  c'est  le 
passé  qui  me  rend  le  présent  supportable,  et  j^ai 
1  rop  besoin  de  vous  pour  vous  oublier.  Je  ne  vous 
écrirai  pas  pourtant,  madame,  et  je  renonce  à 
tout  commerce  de  lettres,  hors  les  cas  d^absolue 
nécessité.  Il  est  temps  de  chercher  le  repos,  et  je 
sens  que  je  nen  puis  avoir  quen  renonçant   à 
toute  correspondance  hors  du  lieu  quej^habite.  Je 
prends  donc  mon  parti  trop  tard,  sans  doute ,  mais 
assez  tôt  pour  jouir  des  jours  tranquilles  qu'on 
voudra  bien  me  laisser.  Âdicu,  madame.  L^aaiitié 
dont  vous  m'avez  honoré  me  sera  toujours  pr^ 
sente  et  chère)  daignez  aussi  yous  en  souvenir 
quelquefois. 


ÈMmkB  1766.  97 

WooUoD,  le  xo  mai  1760. 

Ce  i cttpas d'anjourdlmi,  monsieur,  que  j'aime 

â  foos  onnir  mon  cœur  et  que^vons  le  permettez^ 

La  eoifianoe  que  tous  m'arez  inspirée  ma  dé^à 

Ut  sentir  près  de  toos  que  Faffliction  même  a 

faciqnelbis  ses  douceurs;  mais  ce  prix  de  Tépan- 

dtement  me  deyient  bien  plus  sensible  depuis 

qnemesiiaax.portés  à  leur  comble,  ne  me  lais- 

«t^nsdans  la  vie  d'antre  espoir  que  des  con- 

M^aéons,  el  depuis  qu'à  mon  dernier  voyage  à 

fm  i[û  ùMusù  aciieyé  de  vous  connaître.  Oui, 

monsîeiir,  avouer  un  tort,  le  déclarer,  est  un  ef- 

tort  dejasike  êssez  raie;  mais  s'accuser  an  mal- 

heamix  qu*tm  a  peitdn,  quoique  innocemment, 

el  ne  Tro  aôner  que  davantage,  est  un  acte  de 

iscB  fof  n  appartenait  qu^à  vous.  Votre  Ame  ho-» 

non  lîmnamté,  et  la  rétablit  dans  mon  estime. 

Je  savais  qn  il  y  avait  encore  de  Tamitié  parmi  les 

bommes;  mais  sans  vous  j  ignorerais  qu'A  j  eAt  de 

lavertiL 

Laissez-nuM  donc  vous  décrire  mon  état  ifne 
^ttmde  fi>is  en  ma  vie.  Qne  mon  sort  a  cbangé 
ârpais  mon  séjour  de  Montmorencil  Vous  m'avez 
cniKaOïeureux  alors,  et  vous  vous  trompiez*,  si 
Y^aos  me  croyes  heureux  maintenant,  vous  vous 
trompez  davantage.  Vous  allez  connaître  un  genre 
ik  nâlheurs  digne  de  couronner  tous  les  autreS| 

e«.   4-  9 


g8  COtLtËSPOVtÂVÇE  y 

et  qu*en  vëritë  je  n  aurais  pas  cru  Êiit  pour  mol. 

Je  vivais  en  Suisse  en  bommé  àimt  «t  paisible  , 
fujant  le  monde ,  ne  me  mêlant  de  rien,  ne  dis- 
putant jamais,  ne  parlant  pas  même  de  mes  opi- 
aions.  Qn  m  ea  chasse  par  des  persécalkns  ^saos 
sujet,  sans  motif,  sans  prétexte,  ks  pkis  vio« 
lentes,  les  moins  méritéest  (ju^il  sok  posstUr  d:"!^ 
saginer,  et  qu'on  a  k  barisarie  do  me  reprocher 
eaeorey  comme|  sî  je  m*  les  étais  attirées  par  Ta» 
mté.  Languissant,  makuie,  affligé^  je  m'kcheDiU 
nais»,  à  l'entrée  de  thhrer,  ven  BeiÛà»  A  Stras* 
bourg,  je  reçois  de  M.  Bume  les.  inntalMHas  les 
plus  tendres  de  me  livrer  à  sa  condtuite,  et  de  le* 
suivre  en  Angletene,  oà  il  se  charge  de  me  pro- 
curer une  retraite  agréable  et  tmnqntUe*  J'avais 
ett  dé jii  le  prc^t  de  my  retirer;  Bulord  Mavéchal 
ûm  ïavait  tcmioufs  conseillé;  M«  b  ducdÂumont 
aurait,  à  Id  prière  de  madame  de  Vcrdelii,  de- 
mandé et  obtenu  po«ir  moi  un  passe-povt.  l'en  fais 
usage  ;  je  pars  ie  cœur  plein  du  bon  David^  je  conrs 
à  Paiis  me  jeter  entre  ses  Ivassc  M.  le  prince  de 
Gonù  mlioaxnre  de  l'accueil  plus  eonfmiable  à  sa 
générosité  qu'à  ma  situation, et  auquel  je  me  prôte 
pair  devob,  mais  avec  répugnanire^  prévoyant 
combien  mes  ennemis  m'en  feraient  payer  cher 
Véclat 

Ce  fiit  un  spectacle  bien  donx  pour  moi  que 
f augmentation  sensible  de  bionveilianœ  pour 
IS.  Hume  que  cette  bonne  œuvre  produisit  dans 
tout  Fans  :  il  devait  en  être  tooché  comme  mo^ 


f  <fe«lr  ^H  le  iftl  «de  la  «ftme  mmûéic  Qool 
^?  CD  soà,  iMÔlà  de  ocs  4r«niplniieiis  â  la  fim- 
ç» ,  qae  faune ,  dL  ^ne  les  antires  boIbqds  ne  sa* 

■t|BBIIHlteF« 

Vam  ce  qui  me  fit  «ne  pdne  extrême  te  de 
'^M.  le  prifloe  de  Ccûiti  m'accablak  ca  sa 
pésnn  de  si  grandes  bowlés,  qpi'ellcs  auraiem 
pe  paaKr  peor  nriUeosea  sî  j'eusse  ^  noms  à 
|xfaiâdR,«i<|«e  ic  pii&oe  eût  été  m<HD5{éiiéreinc  : 
Ik  atlmtîons  étaient  pour  moi;  M. fiaime 
«Idîé  en  qiHk|iie  aorte,  ou  invité  à  j  gdii«- 
.  Il  était  cÛr  que  cette  préferenoe  dbama* 
dflttt  ^étûs  F«febiet  es  montrait  poor  lui  une 
_  ^Ina  iiiatleiise  :  €*était  lui  dUre  :  Mon 
liHuamy  aides Hmii  marquer  de  la  commise- 
'tfommL  Mais  son  cœur  jalonx  fiit 
sentir  cette  distinctiiMi-lâ. 

Hétaitsi  occupé  de  moi  qa'il  m 
durant  son  aonaneil  :  tous  saurez 
œ  qu'il  dit  i  la  première  oonchée.  En  dé» 
larqnant  i  Dourres,  transporté  de  toucher  enfitt 
celte  tene  de  liberté ,  et  d'y  être  amené  par  cet 
fcnsii»  illnBtre,  je  lui  sautai  au  cou,  je  l'embras^ 
su  ëtnoimnent  sans  rien  dire,  mais  en  couvrant 
vvage  de  haisers  et  de  ptenrs.  Ce  n'est  pas  la 
'  «s  ni  la  plus  renarquaUe  où  il  ait  pu  voir 
BKM  les  saisissemeas  d^  coeur  pénétré.  Je  oe 
pas  trop  œqu^il  ÊHtdectssouveaiit^s'Sslui 
\^  mmiê  j'ai  duos  lespiit  qu'il  en  doh  quei^ 
faeiHS  êùe  impoitiiaé. 


100  COâRESPOlTDANCE, 

Nous  hommes  fêtés  arrivant  à  Londres  ;  dan 
les  deux  chambres ,  à  la  cour  même ,  on  s'empress 
4  me  marquer  de  la  bienveillance  et  de  restim< 
M.  Hume  me  présente  de  très-bonne  grâce  à  tov 
le  monde,  et  il  était  naturel  de  lui  attribnei 
comme  je  faisais  j  la  meilleure  partie  de  ce  boi 
accueil.  Uaffluence  me  fiiit  trouver  le  séjour  do  1 
ville  incommode  :  aussitôt  les  maisons  de  cau\ 
pagne  se  présentent  en  foule;  on  m  en  oBre  à  choi 
8irdan&  toutes  les  provinces.  M.  Hume  se  charg 
des  propositions  ;  il  me  les  fait ,  il  me  conduJ 
même  à  deux  ou  trois  campagnes  voisines  ;  jli^ 
^ite  long-temps  sur  ^c  choix;  je  me  détermine  enJSi 
pour  cette  province.  Aussitôt  M.  Hume  arrang 
tout,  les  eimbarras  s  aplanissent;  je  pars;  j*arriv 
dans  une  habitation  commode,  agréable,  et  soli 
taire  :  te  maître  prévoit  tout,  rien  ne  me  mancpie 
je  suis  tranquille,  ii)dépendant.  Voilà  le  momeij 
si  désiré  où  tous  mes  maux  doivent  finir  :  nou 
c'est  là  qu  ils  commencent,  plus  cruels  que  je  n 
les  avab  encore  égprouvés. 

Peut-être  n'ignorez>vous  pas,  monsieur,  qu^ci 
vaut  mon  arrivée  en  Angleterre  elle  était  un  de 
pays  de  TEurope  où  j'avais  le  plus  de  réputation 
j  oserais  presque  dire  de  considération  ;  les  pi 
piers  publics  étaient  pleins  de  mes  éloges ,  et 
u y  avait  qu'un  cri  d'indignation  contre  mes  pei 
sécuteurs.  Ce  ton  se  soutient  à  mon  arrivée  ;  1< 
papiers  Fannoncèrent  en  triomphe  ;  TAngleten 
s'honorait  d'être  mon  refugej,  et  elle  en  glorifia 


▲mrKE  1766.  101 

arec  justice  ses  lois  et  son  gourernemeiit.  Tont 
à  coop,  et  sans  aacniie  caose  assignable,  ce  ton 
chaiip,  BUIS  si  fort  et  si  vite  qne  dans  tons  les 
capinsda  pablîc  on  n'en  vit  jamais  un  plos  éton- 
nant Le  signal  fîit  donné  dans  un  certain  maga^ 
sin, amn  plein  dlnepties  que  de  mensonges,  et 
oà  ranleor,  bien  instruit ,  me  donnait  pour  fils  de 
nosicien.  Dès  ce  moment,  tout  part  avec  un  ac- 
cord d  msollcset  d'outrages  qui  tient  du  prodigef; 
des  Goijks  de  tivres  et  d'écrits  m  attaquent  person^ 
ueUemcnt,  sans  ménagement,  sans  disciétioa,  et 
««Be  CemÔe  n^oserait  paraître  si  elle  ne  contenait 
<|Dà{Qje  maOïonnéteté  contre  moi.  Trop  aocoo- 
tiuaè  anxinfonsdu  puUic  pour  m  en  affecter  en- 
core, je  ne  lûssais  pas  d'être  surpris  de  ce  cban- 
gemenl  à  bnisf  ne,  de  ce  coucert  si  parfaitement 
unanime,  qae  pas  un  de  ceux  qui  m'avaient  tant 
knié  œ  dit  on  seul  mot  pour  ma  défense.  Je  trou« 
fais  btrarre  qne  précisément  après  le  retour  de 
M.  Hume,  qm  a  tant  d^nfluence  ici  sur  les  gens 
de  lettres  et  de  si  grandes  liaisons  avec  eux ,  sa 
présence  eût  produit  un  effet  si  contiaire  à  celui 
qae  j'en  pouvais  attendre;  que  pas  un  de  ses  amis 
œ  se  fut  montré  le  mien  :  et  l'o^  voyait  bien  que 
les  gens  qni  me  traitaient  si  mal  n'étaient  pas  ses 
ennemis,  poisqn  ed  fiiisant  sonner  haut  sa  qualité 
de  oBnistre^  ils  disaient  que  je  n'avais  traversé  la 
France  que  sons  sa  protection  ;  quil  m  avait  ob* 
tenu  un  passe  port  de  la  cour  dfe  France;  et  peu 
s'en  hUak  qn%  n'ajoutassent  que  javais  &it  U 

9- 


1 


lOa  COKRESPONDAVCE , 

ycjBgid  i  ses  frais.  Une  autre  chose  m  étonnait  d&- 
Tantage.  Toiis  m  avaient  également  caressé  à  mon 
arrivée ,  mab  i  mesure  que  notre  séjour  se  pro- 
longeait ,  je  voyais  de  la  façon  la  plus  sensible 
changer  avec  moi  les  manières  de  ses  amis.  Tou- 
jours, je  lavoue,  ils  ont  prisses  mêmes  soins  en 
ma  Êiveur  ;  mais ,  loin  de  me  marquer  la  même 
estime,  ils  accompagnaient  leurs  services  de  l'air 
dédaigneux  le  plus  choquant  :  on  eût  dit  qu^ils  ne 
cherchaient  à  m  obliger  que  pour  avoir  droit  de 
me  marquer  du  mépris.  Malheureusement  ils  6*é- 
talent  emparés  de  moi.  Que  &ire ,  livré  à  leur 
merci  dans  uu  pays  dont  je  ne  savais  pas  la  lan- 
gue? Baisser  la  tète  et  ne  pas  voir  les  affronts.  Si 
quelques  Anglais  ont  continué  à  me  marquer  de 
Testime ,  ce  sont  uniquement  ceux  avec  qui 
M.  Hufne  n  a  aucune  liaison. 

Les  flagorneries  m'ont  toujours  été  suspectes. 
U  m^en  a  fait  des  plus  basses  et  de  toutes  les  &•- 
çons;  mais  je  n  ai  jamais  trouvé  dans  son  langage 
rien  qui  sentit  la  vraie  amitié.  On  eût  dit  même 
quen  voulant  me  fnire  des  patrons; il  cherchait  à 
m'dter  leur  bienveillance  ;  il  voulait  plutôt  que 
fen  fusse  assisté  qu*aimé  ;  et  cent  fois  j'ai  été  sur- 
pris du  tour  révoltant  qu'il  donnait  à  ma  conduite 
près  des  gen^  qui  pouvaient  s'en  bllrnser.  Un 
exemple  éclaircira  ceci.  BI.  PennedC)  du  Muséum, 
ami  de  milord  maréchal,  et  pasteur  dune  paroisse 
oh  Ton  voulait  m  établir,  vient  me  voir;  M.  Hume, 
moi  présent  j  lui  fait  mes  excuaesnde  ne  l'avoir  pas 


Âinrifi  i76c>.  tù% 

frivmkU»  Le  docteur  Maiy,  lui  dit-fl,  nous  at»eii 
ùii^ùi$  fotsr  jeudi  au  Muséum,  où  M,  Rousseau 
deveù  vous  voir  ;  mais  il  pré  fera  daller  avec 
meàsme  Garriek  à  la  comédie  :  on  ne  peui  pa$ 
fain  hsni  de  Aoses  en  un  jour. 

On  répaod  à  Parts  ane  Ëiusse  lettre  du  roi  de 
IVns»,  qui  depuis  a  été  traduite  et  impnmée  ici. 
Japproids  arec  étonnement  que  c'est  un  M.  Wal- 
poje,  and  de  KL  Hume ,  ^i  £iit  courir  cette  kttre  : 
j  *  ioi  demande  si  cela  est  Trai';  au  lieu  de  me  lé- 
poudre  ,  il  me  demande  froidement  de  qui  je  le 
Ums-,  et  quelques  jours  après ,  il  veut  que  je  con- 
fia à  ce  même  HL  Walpole  des  papiers  qui  m'is- 
eussent  et  que  ^  clierche  ft  &ire  venir  en  sûreté. 
h  Tois  cette  prétendue  lettre  du  roi  de  Prusse ,  et 
fr  reconnais  à  rinstanl  Je  style  de  M.  dÂlenibert  ^ 
autre  ami  de  M.  Home,  et  mon  ennemi  d'autant 
plus  dangereux  qu  il  a  soin  de  cacher  sa  haine, 
iipprmds  que  le  Sis  du  jongleur  Tronchin  ^  mon 
plus  mortel  ennemi  y  est  non-seukment  un  ami 
i\fi  M.  Hume,  mais  qu'il  loge  avec  lui  ;  et  quand 
M.  Ilame  voit  que  je  sais  cela ,  il  m'en  fait  la  con- 
Henœ  ,  m'assurant  que  le  fils  ne  ressemUe  pas  au 
[è*e.  J'ai  logé  deux  ou  trois  nuits  avec  ma  gouver- 
nante d  us  cette  même  maison  ^  chez  M.  Hume; 
(t  à  ^accueil  que  nous  ont  &it  ses  hôtesses ,  qui 
^fil  ses  amies,  fsû  jugé  de  la  Êiçon  dont  lui,  ou 
tet  homme  quil  dit  ne  pas  ressembler  à  son  père^ 
i'«r  airail  parié  d'elle  et  de  moi. 
Tous  ces  Liiis  combinés ,  et  d'autres  semblaUei 


2o4  COBABflPONbAVCB, 

que  j  observe  9  me  donnent  insensiblement  t 
inquiétude  que  je  repousse  avec  horreur.  Cep 
dant  les  lettres  que  j  écris  n'arrivent  pai^;  plusie 
de  celles  que  je  reçois  ont  été  ouvertes^  et  toc 
ont  passé  par  les  mains  de  M.  Hume  :  si  qi 
qu'une  lui  échappe,  il  ne  pieut  cacher  Tarde 
^iividité  de  la  voir.  Un  soir  je  vois  encore  chez 
une  manœuvre  de  lettre  dont  je  suis  finappé.  ¥< 
ce  que  c'est  que  cette  manœuvre,. car  il  peut 
porter  de  la  détailler.  Je  vous  Tai  dit,  monsie 
dans  un  fait  je  veux  tout  dire.  Après  souper,  ; 
dant  tous  deux  le  silence  au  coin  de  son  feu 
m'aperçois  qu'il  me  regarde  fixement,  ce  qui 
arrive  souvent  et  d'une  manière  assez  ren 
quaUe.  Pour  cette  fois  son  regard  ardent  et  ] 
longé  devint  presque  inquiétant.  Jessaie  d< 
fixer  à  mou  tour;  mais  en  arrêtant  mes  yeux 
les  siens  je  sens  un  frémissement  inexplicable 
je  suis  bientôt  forcé  de  les  baisser.  La  physionc 

.  et  le  ton  du  bon  David  sont  d  un  honhoni 
inais  iJ  faut  que ,  pour  me  fixer  dans  noa  tè\ 
tête,  ce  bon-homme  ait  trouvé  d  autres  yeux 
les  siens. 

L'impression  de  ce  regard  me  reste  :  mon  t 
ble  augmente  jusqu'au  saisissement.  Bientô 
violent  remords  me  gagne  ;  je  m'indigne  de 

;  jnême.  Eufin,  dans  un  transport,  que  je  me 
pelle  encore  avec  délices,  je  me  jette,  à  son 
je  le  serre  étroitement,  je  1  inonde  de  rocs  lar 
mccric  :  Norij^  non^  David  Hume  n'est  pa 


AjfviM  1766.  io5 

hvltre;  s'il  n'était  le  nteiUcur  dcshonanês,  Hfaur 
droit' qu'il  en  fut  le  plus  noir!  David  Hiume  me 
rend  mes  emiirassexnens,  et ,  tout  en  me  frappant 
de  petits  coaps  sur  le  dos,  me  répète  plusiem^s 
fois  duB  ton  tran<piille  :  Quoi!  tnon  cher  mon- 
iieur!Ek!  mon  cher  monsieur  !  Qtwi  donc  !  mon 
dtermoasieur!  Il  ne  me  dit  rien  de  pins;  je  sens 
qoe  mon  cœur  se  resserre,  notre  exjdîcation  finit 
U;  nous  allons  noiis  coacher,  et  le  lendemain  je 
pars  pour  k  prorince. 

Je  reviens  maintenant  à  ce  que  j^entendis  â 
^oye  la  première  nuit  qui  suivit  notre  départ. 
KoDS  étions  couchés  dans  la  même  chambre,  et 
plusiears  toVs  au  milieu  de  la  nuit  je  Tentendis 
s'écrier  ayec  une  véhémence  extrême  :  Je  tienè 
J.  J.  Rousseau!  Je  pris  ces  mots  dans  un  sens  &* 
Torahle  qn'assnrement  le  ton  n'indiquait  pas^ 
c  est  nn  ton  dont  il  m  est  impossible  de  donner 
1  idée,  et  qui  n'a  nul  rapport  à  celui  quil  a  peu* 
dant  Je  jour,  et  qui  correspond  très-bieu  aux  re* 
gaids  dont  j*ai  parié.  Chaque  fois  qu'il  dit  ces 
mots,  je  sentis  ui:  tressaillement  d  elfiroi  dont  je 
D  étais  pas  le  maître  :  mais  il  ne  me  fallut  quun 
moment  pour  me  remettre  et  rire  de  ma  terreur; 
dès  ie  lendemain  y  tout  fut  si  parfaitement  oublié-, 
que  je  n^y  ai  pas  même  pensé  durant  tout  mon  sé« 
jour  i  Londres  et  au  voisinage.  Je  ne  m^en  suis 
soutenu  que  depuis  mon  arrivée  ici ,  en  repassant 
toutes  les  observations  que  j'ai  fiiites,  et  dont  k 
nombre  augmente  de  jour  en  jour  ;  mais  à  présent 


lOb  COtoBSPOiTOAirCB, 

je  4uis  trop  mût  de  ne  plus  loublier.  Cet  hom] 
^e  mon  mauvais  dastm  «emble  amr  forgé  4 
exprès  pour  moi ,  n^est  pas  dans  ia  spkère  o 
jnaîre  de  lliumanité ,  et  tous  avez  assmément  ] 
4fae  personne  le  droit  de  trouver  son  caractf^e 
croyable.  Mon  dessein  n'est  pas  aussi  qoe  vou 
{ogies  sur  mon  rapport ,  mais  seulement  que  v 
logiez  de  ma  situation. 

Seul  dans  un  pays  qui  m'est  inconnu,  pa 
des  peuples  peu  doux ,  dont  je  ne  sais  pas  la  1 
gue,  et  quon  exàte  à  me  kaïr,  sans  appui,  s 
ami,  sans  moyen  de  parer  les  atteintes  qu  on 
porte,  je  pourrais  pour  cela  seul  sembler  fi>i 
plaindre.  Je  vous  proteste  cependant  que  ce  t 
ni  aux  désagrémens  que  j'essuie,  ni  aux  dan] 
que  je  peux  courir,  que  je  suis  sensible  :  j'ai  m< 
si  bien  pris  mon  parti  sur  ma  réputation,  qu 
ne  songe  plus  à  la  défendre;  je  l'abandonne  i 
peine ,  au  moins  durant  ma  vie,  à  mes  infàtiga 
ennemis.  Mais  de  penser  qu*un  homme  avec 
je  n  eus  jamais  aucun  démêlé,  un  komme  de 
rito,  estimable  par  ses  talens,  estimé  par  son 
ractèrc,  me  tend  les  bras  dans  ma  détresse 
m^étoufie  qunnd  je  m'y  suis  jeté;  voilà,  monsi* 
une  idée  qui  m'atterre.  Voltaire,  d*Alemb 
Tronchin,  nont  jamais  un  instant  affecté  i 
âme  ;  mais,  quand  je  vivrais  mille  ans,  je  sens 
jusqu'à  ma  dernière  heure  jamais  David  Hum 
cessera  de  m'étre  présent. 

Cependant  j'endure  mes  maux  avec  asse 


fAaob^  cft  je  me  félicite  %va!%Qnt  de  er  goe  mùB 
vsnà  B*ett  est  point  aigri  t  céb  me  le§  tend 

nbtÙKs, mais,  aa  lîeCi  àfj  riwer^  fheibarke'y 
c'est  me  dismelieii  dont  p  sens  lo  lieMo  :  mi» 
liBMtwiUcttt  dk  se  mest  pas  in  eftaer grande 
imaanje  ;  11011&  avoa»  peu  de  keaox  jeuis  ^  fâ  de 
mnivaîs  yeas,  on  mawwais  mieroico^  ^  ye  $tnê 
trop  ignaraiÉ  poor  kcaljoiiscir  sboëb  lifRs^  et  je 
a'enaîpeînl  cociHeicî  r  d'afflev^  aictf  naste  soal 


1 
coeur-.  Va  perle  lolaie  da  sommeil  me  lÎTia  aai 

pins  lràta&îâéc5;Gaif  dv pay»  îaiiit  i  tout  cela  sa 

somlbre  înftaence  jékjt  eemneiioe  à  sutfir  fré* 

quemanÈent  qae  )  aï  trop  récn.  Le  pis  est  (jae  je 

crrains  ht  mort  ^deare,  irôiMeoIeikieiit  potnr  elle- 

mêiEie,,  non^-seuJeamC  poara'awr  pas  un  de  mes 

amisqui  poisse  adoucir  mes  dernières  heures;  mais 

sorCoof  pour  fabàndon  totsd  où  je  laisserais  ici  la 

caoïpgigiie  de  mes  misères,  lirrée  à  la  barbarie, ou, 

qû  fiisest^àlWaltaHtepîtîédBceaaCdbirtkaMoins 

Wfaffinraie«tdeania«lépoarfiâre  en^ 

ioppaohie  ea  sîlkas^  Je  ne  saris  paa^  éli  ^  • 
ritér,  <jaiidlM  «CRRmrccf  la  phifesophief  aéfctf  k  aa 
boanmedans  aam  ëcat.  Poiar  met,,  je  aW  reis  <|iia 

qai  «oieiif  à<  nam  asagr^  Faspérauee  etla  ré* 


Le  pknvy  mgnaiaw^ye  j^'ar  davoaaéeiireast 
ft  parâîleaieiic  iodiipetid^  ic  rattante  dune  té- 
'>  f^  F  ^^  ^^o**^  eevoie  pdar  4!«Ia  aucima 


109  C0RR£SFOHDANCE, 

adresse,  bien  sûr  qae  tous  ne  vous  servirez 
de  celle  de  M.  Hume,  avec  qui  j'ai  rompu  ti 
communication.  Vos  sentimens  me  sont  codj 
il  ne  m Vn  ùut  pas  davantage  ;  j  aurai  Féqcùva 
de  cent  lettres  dans  Fassurance  où  je  snis  que  > 
penses  à  moi  quelquefois  avec  intérêt  Je  prc 
le  parti  de  supprimer  désormais  tout  coinm< 
de  lettres,  hors  les  cas  d'absolne  nécessité  ,  de 
plus  lire  ni  journaux  ni  nouvelles  pnfalîqpies 
de  passer  dans  Tignorance  de  ce  qui  se  dit  ei 
fiât  dans  le  monde  les  jours  tranquâles  qii^on  t 
dra  me  laisser. 

Je  &is,  monsieur,  les  vœux  les  pins  vrais  et 
plus  tendres  pour  votre  félicité. 

675.  «^  -  A  M.  LB  oilfiRjlL  COKWAT, 
fSCliTAlJU    s'itAT, 

L»aa  mai  1766. 
HONSIXVA, 

Vivement  touché  des  grâces  dont  il  platt  i 
majesté  de  mlionorer^  et  de  vos  bontés  qui  me 
ont  attirées,  j^  trouve  dès  à  présent  ce  Jbieo  p 
deux  à  mon  cœur,  d'intéresser  à  mon  sort  le  m 
leur  des  rois  et  l'homme  le  plus  digne  d'être  ai 
de  lui.  Voilà,  monsieur,  un  avantage  que  je 
mériterai  point  de  perdre.  Mais  il  faut  vous  pai 
avec  la  franchise  que  vous  aimes  :  après  tant 
malheurs  je  me  croyais  préparé  à  tous  les  évA 
«cas  possibles  ;  il  m'm  arrive  pourtant  qqe  je  v 


ÂsmiE  1766.  ro^ 

»pis  pnfms,  et  (ja'il  n'est  pas  même  permis  à 

BA  boBDéte  faonmie  de  prévoir.  Ils  m  en  afiècCenI 

fautant  ^os  cmellement ,  et  le  tionble  où  ils  o&o 

feUcnt  m'âtmt  b  liberté  dVsprit  nécessaire  pour 

ae  Mcù  Goodnire,  tout  ce  que  me  dit  la  raisoir, 

dui  m  état  aussi  triste,  est  de  suspendre  ma  i^  * 

nJotioa  sar  tonte  affaire  importante,  teUe  qn^est 

pour  uraî  cèUe  dont  il  s'agit.  Loin  de  me  refuser 

21a  Ueolaits  dn  roi  par  Torgueil  qu  on  mïmpnte, 

je  le  mettrais  i  m'en  glorifier;  et  tout  ce  que  jfy 

vois  de  péniUe  est  de  ne  pouvoir  m^en  honcnrer 

an  yeuL  dn  poblic  comme  aux  miens  propies. 

Vtt\ocsf|«ie  yt  les  recevrai,  je  veux  pouvoir  me 

livrer  lonv  eotaer  aux  sen  timensqulls  m'inspurent , 

et  n'avoir  k  cœur  ple'm  qne  des  bontés  de  sa  ma^ 

jesié  et  des  vôtres  :je  ne  crains  pas  que  cetta  fitçon 

de  penser  les  paisse  altérer.  Daignez  donc,  mon- 

âeor,  me  les  conserver  pour  des  temps  pins  beiH 

reax  :  toos  connaîtrez  alors  que  je  n  ai  difl^  de 

n'en  prévaloir  qne  pour  tâcher  de  m'en  rendre 

phif  digne. 

Agréez,  monsieur,  je  vous  Supplie,  mes  tvfa^ 
luMahlry  salutations  et  mon  respecL 


&j6. A  M.  DU  PXYBOU, 

AV?ooaoD,lB3i  111011766. 

/ai  reçu,  mon  cher  hôte,  voire  n^  a4  pat 
IL  dlTerMois,  et  je  reçois  en  ce  moment  votro 
9*  ^  Je  TOUS  remercie  de  l'inqoiéludc  que  vous 


1 1 0  C0ftU8P0m>ÂNCE  , 

y  VBempMx  sot  m%n  étal^ezcepté  povtant  ce  mof 
M'auriat-wfys  oabUé?  <{u^aD  fim  long  sitence  ni 
ma  au  nôBde  nWtorifiiBrait  jàmaû.  J^aurai^  en 
qmeiïXw  vous  et  noi  nous  nen  étions  plus,  de 
pvb  long-tempsy  à  de  pareilles  craintes.  Je  vow 
éerisraremeiityjeyoaseii  aipiéveira;  maisjâyouj 
AcrlsTégulilèrettiieiit;  et,  lorsque  Touâ  vous  livriea 
k  ce  crael  doate,  tous  avez  dû  recevoir  mon  n?  ^ 
De  grAee^entendons-nousbien.  Je  no  puis  souveni 
écrire^  surtout  à  présent  que  mon  hôie  et  sa'  ùt- 
mille  sont  icif.  Il  y  a,  ce  dont  je  géms,  trois  eenti 
lieues  de  distance  entre  nous  ;  il  faut  ^UMeurs  en- 
trepôts à  nos  lettres  y  qui  les  retaffllent^  et  qui  peu- 
vent les  retarder  davantage.  Enfin  y  vous  pouvea 
au  pis  vous  dire  :  l\  est  mort  ou  malade,  mais  )a- 
maisy  lkF»*t-ii  ouUié? 

Antre  grief.  M.  Bume  vnns  appMnd,  dite» 
vous,  qu«  b  province  de  Derby  m'a  nomAié  ut 
des  commissaires  des  liarrières ,  et  vous  me  repro^ 
dves  de  ne  vous  en  avoir  rien  dit.  Vous  audes 
raison ,  si  cela  était  vrai;  mais  je  n  aï  jamais  ou 
parler  de  pareille  folie;  je  vous  ai  jMPévenu*  détn 
en  garde  contre  tout  ee  qui  pouv»f  venir  dt 
M.  Hume,  et  de  n'ajouter  aucune  foi  à  tout  c< 
qu'on  vous  dirait  de  moi.  De  grâce,  une  fois  pouj 
toutes,  n'en  croyez  q;ue  ce  que  je  vous  dirai  moi 
méme^  vous  vous  épargnerez  bien  des  jugemen 
injustes  sur  mon  compte.  Par  une  suite  de  cett 
mèmt  dcilité  à  tout  croire,  vous  voilà  persuadé 
mr  le  saqpport  de  M»  de  Luze^^  que  je  désir 


ÉMBiM  17G6.  m 

Ms  écrits  iiMiifa  dt  moii  vvriint;  figaam 

jor  k  nf|Mrt  4ie  ^bî  M.  de  Lose  Ivi-^iénie  a  pu 

k  CTOÎre-,  oe  nesC  sÂronent  pas  sur  le  «Jeu,  et  je 

^omAbhrtHwooM  répète,  pour  h  ikmièpe  foû, 

àuK  k  âoéritë  de  dm»]i  âne,  cpie  aum  pins  ar« 

deat  désir  est  tfne  le  poMic  n'entende  pbis  poiier 

de  M  de  aMm  TÎTaiit.  Une  firâ  pour  lavles , 

mnesHBoismoère;  neToas§èaez  jaaoaîs  sur  cette 

dbae;  nais  soyez  persuadé  que,  tente  duise 

égik,  i'aine  nûem  qu'elle  ne  se  fi»se qu'après  aa 

Buvt  II  est  Tiai  que  fai  cm  qae  les  pundies  ais» 

faiiait  pa  se  frayer  d  aTance,  et  qu'elles  amaient 

jHL  itMècaitx  aûenz  de  mon  vivant. 

Je  aie  ftatte^|Qe  ^oas  aurez  reçu  ena  paécédenta 

asses  à  teapapoor  ac  &iiie  partir  que  mes  Imes 

de&ytaDiqoeel  iaiiiers,  et  retenir  k  reste  quant 

à  présesM.  J? sois  tris-content  de  mon  habitation, 

de  BMa  bMcj  de  mes  yoisins,  à  quelques  incon- 

rémeoM  près;  nais,  puisque  7  en  a  partout,  k 

nge  ne  ks  (oit  ps,  il  ks  supporte,  et  il  m'en 

coéle  pea  d'être  sage  en  ceb.  Mais  je  vous  avoue 

(et  qae  ceci  soh  &  Jamais  entre  nous  deux  sans 

aucsne  exception)  que  )e  sens  crnefiemeot  votre 

ai)sem:e,  et  que  fai  peine  à.  me  détacher  de  l'es* 

pair  de  retoomer  nn  jour  mourir  auprèi  de  vous* 

Met  cflemr  ne  pent  renoncer  aux  dences  idées 

^li  s'était  Élites;  plus  j'aime  le  recueilkm^it  et 

k  letiaite ,  plos  l'intimité  de  Famitié  mW  néees» 

saiie,  sortotti  rers  k  fin  de  ma  carrière  et  de  mes 

ioan, oà  je  a*ai  ^os  dwtre  projet  à  fermor  qnft 


1 14  CORf «fPOVDAVÇB  , 

rocpQi^daijlQB  ay«c  ]tL  Moultou,  ne  aacbant  pa^ 

1¥«oUoD,  le  3i  mai  176(1 

;  I 

]Uo|f«i^JE  Lucadoa  aura  pu  vous  manjueri, 
monsieur,  combien  j'étais  en  peine  de  vous;  eti 
vot^e  lettire  du  aS  ayril  m'a  tiré  dWe  grande  in- 
Quiétude.  Je  suis  dans  la  plus  grande  joie  du  pro« 
jet  que  vous  avez  formé  de  me  venir  voir  cette 
année  ^  je  sois  £iché  seulement  que  ce  soit  trop 
tard  pour  jouir  des  charmes  du  lieu  que  j'habite  ; 
il  est  délicieux  dans  cette  saison,  mais  en  no- 
y^n^bre  il  sers^  triste^  il  aura  grand  ))esoin  que 
vous  venies  en  égayer  l'habitant.  Il  £audra  pré- 
venir M.  du  Peyrou  de  votre  voyage ,  au  cas  qu'il 
ait  quelque  chose  à  m  envoyer.  J'aurais  souhaité 
que  vous  pusçies  venir  ensemble  pour  que  le 
voyage  fût  plus  agréable  à  tous  les  deux;  mais  je 
trouverai  mon  compte  i  vous  voir  lun  après 
l'autre }  je  serai  tout  entier  i.  chacun  des  deux,  et 
j'aurai  deux  fois  du  plaisir. 

Si  mes  VQ^ux  pouvaient  contribuer  &  rétablir 
parmi  vous  les  lois  et  la  liberté ,  je  crois  que  vous 
ne  <)outcz  pa^  que  Genève  uc  redevint  une  répu^ 
blique;  mai^,  diessieurs,  puisque  les  tourmens 
qqe  voçtre  $prt  futur  donne  à  mon  cœur  sont  A 
pure  perte,  permettez  que  je  cherche  à  les  adou- 
si^  (sn  pçnsant  à  vos  afiaires  le  moins  qu'il  eât  posp 


Awvità  1766.  iiS 

$ihk.  Vous  ^iwe^  poMîé  qae  je  voulais  écrire  I*hiê- 

toire  de  b  médiatioii  :  je  serais  bieo  aise  seulement 

d'en  nvoirlliîsîoiie;  mais  Hum  intention  n'e^f 

a^sarfaneit  pas  de  l'écrire  -,  et,  qaand  je  Fécrtrais, 

je  ne  pnkiais  de  la  publier.  CependaQt ,  si  vous 

vodes  ne  rassemUer  les  pièces  et  mémoires  qui 

r^pninf  cette  afl&ire ,  tous  sentes  qu'il  n'est  pas 

fosàdt  qalls  me  soient  jamais  indifierens;  mais 

gdides-les  pour  les  apporter  avec  voos,  et  ne  m'en 

fDTojrez  plus  par  la  poste,  car  les  ports  en  ce  pays 

«mi  si  exorbitans^  que  yotre  paquet  précédent 

m'a  coftié  de  Londres  ici  4  liv.  10  sous  de  France. 

Au  reste ^^  vous  préviens,  pour  la  dernière  fois, 

que  je  m  veox  ^os  &ire  souvenir  le  puUic  que 

j  existe^  et  que  de  ma  part  il  n'entendra  pins  parler 

de  moi  dorant  ma  vie.  Je  suis  en  repos,  je  veux 

ikWr  d'y  tester.  Par  une  suite  du  désir  de  me 

fiin  ootiierj  féaris  le  moins  de  lettres  qu'il  rn^eÉl 

potsilJe;  hors  trois  amis,  en  vous  comptant,  j'ai 

fompa  toute  autre  correspondance ,  et ,  pour  quoi 

ne  ce  puisse  être ,  je  n'en  renouerai  plus.  Si  voue 

('Tufes  que  je  continue  à  vous  éicrire,  ne  montrez 

;  as  mes  lettres  et  ne  parlez  plus  de  moi  h  per- 

'^^ne,  si  ce  n'est  pour  les  commissions  dont  votre 

iait^  ne  permet  de  vous  charger. 

J«  fondrais  bien  que  votre  associé,  que  je  sa» 
'^c,  eût  le  temps  den  &ire  une  avant  votre  â6- 
;  iTt.  /ai  perdu  presque  tous  mes  microscopes  ;  et 
•  SX  qui  me  restent  sont  ternis ,  et  incommodes 
^  ce  qnll  me  Ciudrait  trois  mains  pour  m'en  ser» 


.  1 16  cqUrespôndak.ce  , 

vir  :  une  poiir  tenir  le  microscope ,  une  autre  j 
tenir  la  plante  eu  état  a  son  foyer,  et  la  troisi< 
pour  ouvrir  la  fleur  avec  une  pointe,  et  en  t 
les  parties  soumises  à  l'inspection.  N'y  aurai 
.point  moyen  d'avoir  un  microscope  auquel  on 
attacher  l^objet  dans  la  situation  qu'on  voudi 
sans  avoir  besoin  de  le  tenir,  afin  d'avoir  au  m< 
une  main  libre  et  que  Tobjet  ne  vacillât  pas  U 
Les  ouvriers  de  Londres  sont  si  exorbitamn 
chers,  et  je  suis  si  peu  à  portée  de  me  faire  cnl 
dre,  que  je  crois  qu  il  y  aurait  à  gagner  de  tôt 
.manières  à  faire  faire  mes  petits  instrumeos  à  * 
nève ,  sur:  ont  sous  des  yeux  comme  ceux 
M.  Deluc  :  il  faudrait  plusieurs  verres  au  mia 
cope ,  et  touÀ  extrêmement  polis.  Il  me  man^ 
aussi  quelques  livres  de  botanique;  mais  nous 
rons  à  temps  d'en  parler  quand  vous  serez 
votre  départ,  de  mc^me  que  de  quelques  cornu 
sions  pour  Paris ,  où  je  suppose  que  vous  pa 
rez ,  à  moins  que  vous  n  aimiez  mieux  vous 
barquer  à  Bordeaux. 

Voltaire  a  faitnmprimer  et  traduire  ici  pai 
amis  une  lettre  à  moi  adressée,  où  larroganc 
la  brutalité  sont  portées  k  leur  comble ,  et  c 
s'applique ,  avec  une  noirceur  infernale ,  à  m . 
rer  la  haine  de  la  nation.  Heureusement  la  sh 
est  si  maladi'oite ,  il  a  trouvé  le  secret  d  àter  si  1 
tout  crédit  à  ce  qu  il  peut  dire ,  que  cet  icn 
sert  qu'à,  augmenter  le  mépris  que  Ton  a  ici  f 
lui.  La  sotte  hauteur  que  ce  pauvre  homme 


AHKÉB  1763.  '  •  llj 

toe  est  un  n£aàt  «jai  va  toojoQfS  en  angnien- 
taoL  Ocroh  fiiire  le  prince,  et  ne  &ît  on  efiet  qnt 
le  cTQckeleiir.  U  est  si  béte  qn'3  ne  fiiit  ^*a{>^ 
prendre  i  Uni  k  monde  combien  il  se  tonrmenlé 

IrbomiBedont  je  tous  ai  parlé  dans  ma  précé^ 
itnic  lettre  a  placé  O  fils  chez  l'homme  de  È ,  qni 
va  jifb  de  C»  Vons  comprenez  dé  quelles  com» 
HÛsnoBs  ce  petit  barboiuUon  pent  être  chargé; 
fm  ai  piérenii  D, 

Vos  oflfresaa  snjet  de  l'argent  qui  est  chez  ma-* 
dameDoy  de  La  Toor  sont  assurément  trètf-ebli^ 
^^^ntes-,  W  wA  (^ne  jy  toîs  est  qu'elles  ne  sont 
pas  acceptables  :  on  ne  place  point  an  dix  povtf 
i'citt  sm  den  tètes.  Soi  celle  de'mademoisette  Le 
VasKorpasse^  cela  se  peut  accepter.  A  cette  con* 
dïtion ,  je  vous  enverrai  le  bîUet  pour  retirer  cet 
arjeal;  on  liîen  noos  anrangerons  ici  cette  affaire 
^  lofrv  Tojage.  Je  vous  emiirasse  de  tout  mon 
cœur. 

(;^.  —  A  M.  w?  Peyroo, 

Lt  i4  Join  1766. 

Cest  bien  mon  tour  d'être  inquiet  de  votre  si- 
^^^^-i  et  je  le  suis  beaucoup ,  tant  à  cause  de  votre 
«ucâtude  ordinaire,  que  des  approches  dé  la 
SOQQe  qœ  Tons  avec  pain  craindre.  VeniUé  k 
^  que  vous  n'ayez  pas  une  si  bonne  eiBéosè  A 
^^  donner!  Mais ,  si  vous  êtes  pris  en  eflfet ,  <te 
-^^  je  tremble ,  je  vous  prie  en  grftCe  de  me  faîi« 


f  1 8  COfCEC^POjIfPjUrCE , 

i^çrii»  w  «<M  par  A(.  JeaBuii»  ;  car  f^f  eu< 
ff^ux  ^r^  aAr  d'un  mal  <{ue  d'e^  re^imt^r  na 
4f^i«6.  Votre  n^  »5  est  4u  la  m^i;  dspujii  Ion 
f^^fii  ^Q  nsçw  f  dt  je  ia«  ^i^  fs^  eiioop«  «j  vous  a 
fait  partir  quelque  chose  par  Mandrot ,  dont  74 
m^anooiKçiez  le  départ  pour  le  ^..  Ifoft  bâte  (l 
pM  l'ji^&te  de  moD  coeur  p^r  exceUe]%ce)|  M.  1 
T^^aport  j  ^  Yen^  passer  ici  troi^  çemab^s  a 
^a  &mUle,  C'e^  UB  trè^-^g^Ql  honMHc ,  pji^iu  à 
(entions  et  de  soins.  Je  suis  convenu  av^  lui  de 
dr^m^tÙTante,  ^o«islaq|ielle  vous  pouvez  m'écr 
sii|i>  «nifieloppe,  et  sans  que  mon  nop  parais 
Pwrw  q«ie  vous  metiiee  très-exactçaieut  l'adrei 
«9n|i^  ^  ^stmarquée,  ni  plus  ni  moins,  et <| 
you§  6#fiioz  mettre  vos  lettres  à  la  posl^  h  Lond 
m  i  Vwkf  ep  les  aflSrandiîssant  jusqu'à  hoïïàr\ 
fUcs  fB^  parviendront  sûrement,  promptemei 
ni  personne  ne  leç  ouvrira  que  mo}.  Moasleur  l 
rmfotFip  A  Woo:ton  ArsbomMg.  Derbystiire^ 
Adieu ,  moh  cher  et  très-cher  hôte ,  je  vous  ^ 
lH*asse  mille  fois  de  tout  mo9  cœur. 

679. AU   MÈBIB. 

HVooUQD ,  le  a  i  juin  1 766, 

Vài  WÇ«,  mtm  cher  hÂte,  votre  n**  ï6  qui  i| 
dit  99M  hien»  Je  n^e  çorrigisriM  d'autant  plus  à 
fioilif^pt  d^  l'inquiétude  que  vous  me  reprochi 
fHÇ  voiie  m  w'^i»»  •»  corrige»  pas  trop  bii*n  yof 
mân\9  qi^nud.  mes  l^tMs  tardent  à  voÛ5  anivc 


aô»,  BnUeÔB,  jittéris-tcpi  toi-HiéÉfie}  lÉâtf  AoB, 
iiioB  dier  amî,  oeUe  tendre  iii€[ttiétiide  et  la  caes^ 
f^tùlsL^jraSidt  est  une  Irop  douce  nmblfté  -^0^ 
(pe  lâimsià  moi  nous  em  v^i&aÉ  paém.  ^ 
prcnènk  Mtefeis  les  mesurer  qœ  ten^  Ailfié»- 
qnesponriie^  m6  toarmeatet  nia)  à  ipt6fù9'f 
et  y  poo  eoDBiËiicer,  j^kiscrb  aiqcMnrcI  ktir  ttf  d&îét 
de  caeâekflieeDiecofliniençanff  pbr  Â^  #  ^  tffin^dé 
voir  SDCttsâfcnenC  ime  soHe  db  nun^^^  bîeé 
ea  osdtc.  Ib  première  terrent  èsÊrtHa^Mëni  êgt 
toaioan  one  chose  aèuirablev  Anfti^&Masëteent 
ellenediirepai 

J«  11R1S  sois  bien  eM{é  âeB&tèfe^tfa^ifm» 

TTcz  doBDès  Itqs  kumpiicts  à  nie*  snjel.  Ib  «i- 

rnaf  ioB  ne  fcite  à  ftt  ^valoir  ^^  seiztf  eeslci 

If  rrer/ttrftn^  fflteeafiot  que  Vous  ayea  reça  ks^ 

trois  cffift  W(feailonlMaf écksA^  quîy  fel^ëy 

tke  tuiampsa  teanceap  eineoi*.  ië  n?ai  pwf* 

*  JGnjpafe  snr  cet  airangeinenf ,  par  i^âfffoii  k 

yomdoÊtfamnafs  le  cœui^,  et  ddïit  je  suppeser 

â  ^«'fime  en  état  d'y  répondre;  jen'enKipiStfM 

r'^/nrrapporf  I  moi,  dont  lé  coettr  |i§pMd  a«l 

'  trr^  ef  ^  croîs  pouyoîr  tous^  folihfk'de  ({M) 

^  rie»  perdre  avec  moi-,  poàrtû*  <]frie  voœT  pèi^ 

'^  a8eB<b.  SU'  arrivait  qi^  les  Mca»  d'ëffimM 

^^^>^,  dont  Tons  m'avez  parfit  ^-ibfliitiSMM  sur 

""^«natien  présenté,  j!exige  (fyi'isù  péÈfél  cail 

'^  ne  le  ifisie2  firaoc&énient,  piree  qûé  je  piaâé 

^^^w  Antres  resiKinita,  ëifxqiu^ilés  jé^fêm 

^.:à2sir  de  tenir  de  T6ns  nin sidjÉiMnéé,  Mit 


%  !M>  COR&XSPONDANCE  , 

qui  peuvent  au  besoin  me  servir  de'sopplé 
fai  bien  des  cjioses  à  vous  dire  que  je  ne  puis  o 
fier  à  une  lettre  qui  peut  s*égarer.  Quaail  ^v^< 
yiendrex  y  je  vous  dirai  ce  qui  s  est  passé  y  ol 
crois  que  voys  conviendrez  que  j'ai  fait  ce 
dû  faire  ^  mais  ce  que  je  dois  sur  toute  chose 
ae  voiis  pas  laisser  mettre  à  Tétroit  pour  l'axràc 
de  moi,  Aioff)  promettez*moi  de  me  parler  s« 
détour  dans  loccasioxi,  et  commencez  dès  À  p 
aent  si  vous  êtes  iikj\$  le  cas. 

, J^urais  fort. souhaité  que  vous  nWssicz  j 
fait  partir  mes  livres;  mais  c^est  une  afiaîre  iaLÎt 
y»  sens  que  lobjet  .de  toute  la  peine  que  vous  sk\ 
prise  pour  cela  u  était  .que  de  me  fournir  des  a  m 
semeps  dans  nva  retraite î  cependant  vous  vo 
-^tes  trompé..  J'ai  perdu  tout  go&t  pour  la  lectux 
et  hors  des  livres  de  botanique ,  il  m^est  iiiip< 
i^ble  de  lire  plus  rien.  Ainsi  je  prendrai  le  pa: 
de  &ire  restjer  tous  ces  livres  ^  Londres ,  et  de  m  \ 
dé£ûfe  comme  je  pourrai,  attendu  que  leur  traij 
yort  jusqu'ici  me  coûterait  beaucoap  au-delà  < 
ifiUTi  VfUeur,  que  cette  dépense  me  serait  fort  ou 
4MSf  )  qi|e  qmnd  jils  seraient  ici  je  ne  saorais  p 
ti^  où- les  ji^t|re  ni  qu^cn  fitire.  Je  suis  char«i 
qu^an  moins  vous  n'ayez  pas  envoyé  les  papier: 
,(•  Soyez  moiqs  en  peine  de  mon  humeur,  mi 
eht^r  hite^.et.ne  le  soyez  point  de  ma  situatio 
Le  séjour  qu^  j'habite  est  fort  de  mon.goikt^ 
maître  de  la  maison  est  un  très -galant  homm 
pi^iir  qu^  tvob  semaioes  de  ^jour  qu^U  a  fa|t  j 


imfÈK  1766.  121 

ifte  sa  Emilie  ont  cimenté  rattachement  que  ses 
baos  procédés  m  aTaient  donné  pour  lui.  Tout  ce 
qui  dépend  de  lui  est  emp'oyé  pour  me  rendre  le 
séjour  de  sa  maison  agréable.  Il  j  a  des  inconvé- 
BieBS,  mais  on  ny  en  a-t-il  pas?  Si  f avais  à  choisir 
deBoureaii  dans  toute  rÂugleterre,  je  ne  choisi- 
rab  pas  d'autre  habitation  que  celle-ci  :  ainsi  j^ 
pa^efai  très-paliemment  tout  le  temps  que  j  y  dois 
nne;  et  si  ^y  dois  moniîr,  le  plus  grand  mal  qne 
fy  tromre  est  de  mourir  loin  de  yoos ,  et  que  Ihàte 
de  mon  coeur  ne  soit  pas  aussi  celui  de  mes  cen- 
dres; car  le  me  souyiendrai  toujours  avec  aMen* 
dnsoBeitt  de  notre  premier  projet ,  et  les  idées 
tristes ,  maôs  douces,  qu'il  me  rappelle ,  valent  sû« 
rement  mieux  qœ  œlLes  du  bal  devotre  folle  amie. 
Mas  fe  De  yeux  pas  m  «engager  dans  ces  sujets  mé- 
bncoliqiies  qui  foos  feraient  mal  augurer  de  mon 
état  pièseot,  quo^ue  à  tort;  et  je  Vous  difa]  qu'il 
m'est  yenu  cette  semaine  de  la  compagnie  de  Lcm- 
dres,  hommes  et  femmes^qui  tous,  à  mon  accueil, 
i  BMMi  air,  à  ma  manière  de  yiyre,  ont  jugé,  contre 
ce  qu^  avaient  pensé  avant  de  me  voir,  que  j  é- 
tajs  henreux  dans  ma  retraite  ;  et  il  est  vrai  que  je 
0  ai  jamais  yécn  j^us  à'mon  aise,  ni  mieux  suivi 
taon  humeur  du  matin  au  soir.  Il  est  certain  que 
U  fausse  lettre  du  roi  de  Prusse  et  les  premières 
ciihanderies  de  Londres  m'ont  alarmé,  dans  la 
crainie  que  cela  n'influât  sur  mon  repos  dans  cette 
p^yyinceyetqn^on  n'yyoulût  renouveler  les  scènes 
de  Kotiers.  IVIais  sitôt  que  j  ai  été  tranquillisé  sur 

».  4*  (i 


t  âa  CORRESPONDÀ?rCE , 

te  chapitre,  et  (|u*étant  une  fois  coDTin  dans  mo 
voisinage  fai  vu  qu'il  était  impossible  que  le 
choses  y  prissent  ce  tour-là ,  je  me  suis  moque  di 
tout  le  reste,  et  si  bien,  que  je  suis  le  premier  i 
rire  de  toutes  leurs  folies.  Il  n*y  a  ^e  la  noîrceu 
de  celui  qui  soiis  tnsun  fait  aller  tout  cela  qui  m 
trouble  encore  :  cet  homtne  a  passé  mes  idées;  f 
n'en  imaginais  pas  de  faits  comtne  lui.  Mais  par 
Ions  de  nous.  11  me  manque  de  vous  revoir  pou 
chasser  tout  souvenir  cruel  de  mon  âtne.  Yods  sa 
vez  ce  qu'il  me  faudrait  de  plus  pour  mourir  heu- 
reux,  et  je  suppose  que  vous  avez  reçu  la  lettre  qu< 
|e  vous  ai  écrite  par  M.  d'Iverïtoîs  :  mais  comme  \i 
regarde  ce  projet  comme  Une  belle  chimère,  je  ne 
me  flatte  pas  de  le  voir  réaliser.  Laissons  ladirec* 
tion  de  l'avenir  à  la  Providence.  En  attendant^ 
f herborise,  je  me  promène,  je  médite  le  grand 
projet  dont  je  suis  ooéupé  (*);  je  compte  même, 
quand  vous  viendrez ,  pouvoir  déjà  vous  remettre 
quelque  chose  ;  niais  la  douce  paresse  |lle  gagne 
chaque  jour  davantage,  et  jVi  bien  de  la  peine â 
me  mettre  à  louvrage;  j'ai  pourtant  de  Tétoffe as- 
surément ,  et  b}<»n  du  désir  de  la  mettre  en  oeuvrer 
Mademoiselle  Le  Vasseur  est  très-tonsible  à  volrd 
souvenir  :  elle  na  pas  ap^M-is  un' seul  mot  d'an- 
glais; jen  avais  appris  une  trentailne' à" Londres < 
ciuc  j'ai  tous  oubliés  ici ,  tant  leur  terrible  bara- 
gouin est  indéchiffrable  à  mon  oreille.  Ce  qull  y 

(*}  Celui  d'écrire  tei  Confèuiom^ 


ASiKis  1766.  iu3 

f  ie  phîsaBt,  est  ^e  pas  une  âi^e  dajDs  la  malsoB 
ne  Bk  uo  mot  de  fiançais  :  cependant  sans  seor 
ieodbe  on  Ta  et  Ton  vit.  Bonjoar. 

Iccnai  à  Beriin  la  semaine  prodbain.e,  et  je 
pnleni  de  IL  d  Eschem^.  ^^lille  salulations  de  ma 
pat  à  km  ceux  qui  m^aimeaty  et  miÛe  tendres 
i^E^ecb  à  la  bonne  maman. 

G80.  —  ▲  M.  Huiiç. 

Le  23  juin  1760. 

Ix  fxojms,  qnxi  mpo  sSence  y  ipterprélé  par 

voAr comàmce ,  en  disait  assez.;  mais,  puisqu'il 

mtxedanskTwxnoidr  ne.  pas  L'entendre,  je  pas- 
lerai* 

Je  Toascom99kf  lOpii^Qar,  etiToii^  ne  Tignorez 
fas.  Sns  Imwnur  onléiieyreSy  s^p^  qi^ereiies, 
sans  iémëéêj  sans  ntms  ommaître  autr^ent  que 
par  b  fépiitatioii  litlânaire.,  yous  you^  empresse^ 
â  noffirîribns  mes  malheurs  vos  amis  etyos soins; 
to^dbc  de  votre  générosité,  je  me  jette  entre  vos 
uns  :  vens  m^amenez  en  AQ^terjre,  eu  apparence 
pour  n^j  procurer  un  asile,  et  en  effet  pour  m  y 
^lésWiKKer  ^  Tons  vous  appliquez  à  cette  noble 
9Km  arec  on  zèle  digne  de  votre  cœur,  et  avec 
u  art  digne  de  vos  fatens.  Il  n'en  allait  pas  tant 
fWfWflsir;  wns  vives  dans  le  gnmd  monde,  et 
letiaite  :  le  public  aime  i  dtre  trompé , 
éles  âût  poor  le  trcHiqi^.  JSe  connais  ppnr- 
AoaMocauc  yoos  ne  tcomneEfiz  par*  c'csit 


12^  '      CORRESPO?n)ANCB, 

vous-même.  Vous  savez  avec  quelle  horreur  mon 
cœur  repoussa  le  premier  soupçon  de  vos  des- 
seins. Je  vous  dis ,  en  vous  embrassant  les  yeux  en 
larmes,  ^e  si  vous  n^étîez  pas  le  meiDeur  des 
hommes,  il  faudrait  que  vous  en  fussiez  le  plufi 
noir.  En  pensant  à  votre  conduite  secrète,  vous 
vous  direz  quelquefois  que  vous  n'êtes  pas  le  meil- 
leur des  hommes;  et  je  doute  quavec  cette  idée 
vous  en  soyez  jamais  le  plus  heureux. 

Je  laisse  un  libre  cours  aux  manœuvres  de  vos 
amis  et  aux  vôtres,  et  je  vous  abandonne  avec 
peu  de  regret  ma  réputation  durant  ma  vie,  bien 
sûr  qu^un  jour  on  nous  rendra  justice  à  tous  deux. 
Quant  aux  bons  offices  en  matière  d'intértt,  avec 
lesquels  vous  vous  masquez  j  je  vous  en  remercie 
et  vous  en  dispense.  Je  me  dois  de  &*a  voir  plus  de 
commerce  avec  vous,  et  de  n^accepter,  pas  même 
à  mon  avantage^  aucune  affaire  dont  vous  soyez 
le  médiateur.  Adieu,  monsieur  :  je  vous  souhaite 
le  plus  vrai  bonheur  ;  mais,  comme  nous  ne  de* 
vous  plus  rien  avoir  à  nous  dire,  voici  la  dernière 
lettre  que  vous  recevrez  de  moi. 

68i • — ▲  M.  nlvsaifais. 

Wootton,  l«.a8|  juin  1766. 

Je  vois ,  monsieur,  par  votre^  ^tre  du  9  y  q^  ^ 

cette  date  vous  n'aviez  pas  reçu  ma  précetert^^? 

quoiqu'elle  dût  vous  être  arrivée^  et  que  jfTOUS 
l'eusse  adressée  par  vos  carrespondana  ofdÎBaireS; 


eonuBe  je  bis  ceUe<9.  L'état  critique  de  Vos  af- 

fûics  me  navre  Tàine  ;  maïs  ma  situation  me  force 

à  me  bonier  pour  tous  à  des  soupirs  et  des  yœmi 

îsiâes.  Je  n'aurai  pas  même  la  témérité  de  ri»* 

^pa  des  ooDseib  sur  votre  coodipte^  dont  le jnaa<< 

rais  fuooès  me  ferait  gémir  toute  ma  vie  si  ks 

dioses  Tenaient  à  mal  tourner,  et  je  ne  vois  pas 

assez  clair  dans  les  secrètes  intrigues  qui  décide^ 

imtde'volie  soit,  pour  jnger  des  moyens  ks  plus 

propres  à  vous  servir.  Le  vif  intérêt  mdoie  queije 

prends  à  tous  tous  mirait  si  )e  le  kissais  pan 

ntlre;  et  je  sois  â  infortunéque  mcm  malheur 

stend  i  loat  ce  qui  mHntéresse.  J'ai  fiiit  ce  que 

fai  pn,  monâeor-,  j^ai  mal  réussi;  je  réusNoraîs 

phs  mal  encore  :  ct,puisqne  je  vous  suis  inutile, 

n  ayez  pas  la  auanlé  de  m'affiger  sans  cesse  dana 

oetle  reCiaile^  ^Upar  humanité,  respectes  le  xepoa 

doBt  ;  ai  fi  grand  Besoin. 

Je  sens  que  je  n  eu  puis  avoir  tant  que  je  con* 
serrerai  des  reJalions  avec  le  côûtinënt.  Je  nVH' 
reçois  pas  une  lettre  qui  ne  retienne  des  choses 
affigeanles;  et  d  autres  rauônsy^  tipp  longues  à 
dédube,  me  forcent  à  rompre  totite  correspond 
dance  même  avec  mes  amû^  hors  les  cas  de  k 
fhs  grande  nécessité.  Je  vous  aime  tendrement^ 
etfatleiids  avec  k  plus  vive  impatience  la  visite 
que  vous  me  promettez.;  mais  comptez  peu  sur 
mes  lettres.  Quand  je  vous  aurai  dit  toutes  les  rai- 
•tmsdo  parti  que  je  prends,  vous  les  approuverei 
^ms-mème;  elles  ne  sont  pas  de  nature  à  pouvcôl 


IX. 


ta6  COÙŒSPOIfDllICB, 

itce  BÎsfls  par  écrit.  S'il  axanîydit  que  je  ne  vons 
•crirôse  plus  jusqu'à  voire  départ,  je, vous  ^ûl 
dn  prévenir  dans  feikemps  M*  du  PejfrroU^'^fia 
qde,  s'il  a  quelque  idiose  à  Veareyer^iil^^iiftk 
femette;  et,,  eu  passant  iPaiis^vôus  voà&gmefi 
nsskdj  voir  M.  Gugr,  dieSuia  veuMeiDucbesite^ 
afin  qu^  vans  remette  ce  .qu'il  a  dfii|ipriQi4'*dio 
mtia  Diétiormaire  de  Mufique ,  éi  que  j^eu'aie  par 
vniis  des  nouvdles,  car  je  i^'eu  ai.  {^us  depuis 
Iqng-^mps.  Mon  chier  mousieur ,  je  ne  serai  irân* 
qnîile  que  quand  je  scnd  ouhiiii>:  je  vondraîs  être 
mort'dans  la  mémioire  des  Jbiiimues.tParles  de  moi 
le  pioins  que  vous  pourrez,  inéiDe.à  ii^:  amis; 
Won  parlez  plus  du  tout  à  fffy  vou&aveï  tu  coin-r 
^aàïi  il  me  rend  jiisiice  ;  je  n'en  :aHeQds  plus  qne 
de  la  postérité  parnbi  dest  bomutes ,  etjde  £|ieu  qui 
voi^  mou'âœur  d^.tons  le^té^pSttJA  vous^yem* 
brasse  de  tout  mon  cœur..  ,  >     \,.  . 

1706. 

•  '         ^  I  '      '  1"  'I'  l'.lll  * 


.  QvQiQiJS  }e.  9fii^toTt  kificimnodé  ^  mmsîeqr» 
depuis  deux  jfiui^,  je  paur^s  amvânieQt  p^  mMt^ 
chaude  weé  ma  i^nté,  pour  la  layewr  j^^e  v^m 
youUez  nte  faire,  et  je  me  préparais  a  m  profiter 
oe  fioir  :  mais  voîli  Al  Ikvenportqui  m'anive  ;  il 
A  ihonwétetéde  veuirjexpiD^  pour  meivoir  :  yws^ 
monsieur,  qui  êtes  si  plein  d'^honnéteté  vous* 
mêmci  vous  n  approuveriez  pas  qu'au  mimnent 
lie  son  arrivée  je  commençi^e  par  n^  ék^îpier  idf 


li  )|ice9»ettç  ))eai|çpup  Tayaiitage  ^nt  je  suis 

piy^  i  (HW  ^u  Tc^tç  je  gagperai  fev^-ître  à  ne 

.(i^i^emoiilxer.  Si  vous  dfûgpez  parler  de  jDoi  à 

i«aàaBie  \a  ducb^sse  de  Portland  avec  la  même 

boolédoBt  TOUS  m'ayez  dpnné  tant  de  QiarqueS| 

il  yandra  mieux  pour  moi  qu'elle  me  voie  par  vos 

yeuf,  ipe  par  les  siens  ;  et  je  me  consolerai  par  le 

bien  <ja'elle  pensera  de  moi  de  celui  que  j'aurai 

perdu  moi-même. 

Je  dois  une  réponse  à  un  charmant  billet ,  mais 
Tespoir  de  la  porter  me  £iit  diili:rer  à  la  faire.  Re- 
ct;¥«x,  monsieur,  j^  ypus  supplie,  mes  très-hum- 
ble6  saLolaûoQS. 

683,  —  AU  xiME. 

PiTiSQUB  M.  Granfifte  m'inierdii  de  lui  rendra 
r  des  visites  au  milîiea  des  neiges,  il  permettra ,  du 
moins,  que  j'envoie  savoir  de  se^  nouvelles  et  com- 
inenl  il  s'est  èiré  de  ces  terriUes  chemins.  J  espère 
que  la  netge  qui  recommence  pourra  retarder  as- 
S€rx  son  départ  pour  que  je  puisse  trouver  le  mo- 
ment d  aller  lui  souhaiter  un  bon  voyage.  Mais , 
que  j'aie  ou  non  le  plaisir  de  le  revoir  avant  qu'il 
parte  y  mes  jias  teiidres  vœux  raccompagneront 
toujours. 

684.  —  AU  mAmb. 

Voii^,  jnonsfçur,  un  petit  morce9(n  de  poisson 
de  montagne  qui  pe  vaut  pas  cdui  que  vous  m'a- 
re»  eoTo^^i  ^ussi  je  vous  Voffire  ep  hommtigc  el 


I  ^8  CORRESPONBAUCE^' 

non  pas  en  échange,  sachant  biei!i  <îffM  tétées y^s 
bontés  pour  moi  ne  peuvent  ^aéqdittor  ^%V<c 
les  sentimens  que  vous  m'avez  inspii^.'le^iiéfiit- 
sais  une  fête  d  aller  vous  prier  de  me'  pféistîtet' i 
madame  votre  sœur,  mais  le  temps  me  cimtrarië. 
Je  SUIS  malheureux  en  beaucoup  de  ehdses  y  car 
je  ne  puis  pas  dire  en  tout ,  ayant  un  Voisin  tlj 
que  vous.  i 

685. AU  MÂVIB. 

Je  suis  fâché,  monsieur,  que  le  tei!np»  nî  ma 
santé  ne  me  permettent  pas  d'aller  vous  ttmdre 
mes  devoirs  et  vous  faire  mes  remerctmens  aussi- 
lot  que  je  le  désirerais;  mai$  en  ce  moment,  ex- 
trêmement incommodé,  je  ne  serai  de  quelques 
jours  en  état  de  £iire  ni  même  de  recevoir  des  yi- 
siles.  Soyez  persuadé,  monsieur,  je  vous  prie  , 
tpe  sitôt  que  mes  pieds  pourront  me  porter  jus- 
qu'à vous ,  ma  volonté  m^y  conduira.  Je  vous  &i$  f 
monsieur,  mes  très-humbles  s^utations.     ' 

686. •  AU  MÊME. 

Je  sois  très-iefisible  i  vos  honnêtetés ,  mon- 
sieur, et  à  vos  cadeaux  \  je  le  serais  encore  plus 
s'ils  revenaient  moins  souvent..  J'irai  le  plus  tôt 
que  le  temps  me  le  permettra,  vous  réitérer  mcd 
remercimens  et  mes  reproches.  Si  je  pouvais  mVn- 
tretenir  avec  votre  domestique ,  je  lui  demaxule- 
rais  des  nouvelles  de  votre  santé ,  mais  j'ai  lieu  d< 


àSWÊE  1766.  12g 

qu'elle  continue  d'être  meflleore.  Ainsi 
jQtlil! 

687- Ai;  MÊME. 

Tai  été,  monsieur,  assez  incommodé  ces  trois 
joars,  et  je  ne  sois  pas  fort  bien  aujourdliui.  J'ap- 
prends arec  grand  plaisjr  que  vous  vous  portez 
bieo  ;  et  si  le  plaisir  donnait  la  santé ,  celui  de 
votre  bon  souvenir  me  procurerait  cet  avantage. 
Mille  très-honibles  salutations. 

€88. ▲  MADEMOISELLE  DewES, 

A.«JOVftD*B1II  MADAME  f^RT. 

1766. 

Ne  sojez  pas  en  peine  de  ma  santé,  ma  belle 
Toisûre;  elle  sera  toujoan  assez  et  trop  bonne  tant 
qœ  je  toos  aurai  pom*  médecin.  Jaurais  pourtan  t 
gian^  envie  d'être  malade  pour  engager ,  par 
chmtéy  Diadame  la  comtesse  et  vous  à  ne  pa» 
poitÊr  sit^  Je  compte  aller  lundi,  s  il  &it  beau, 
Foir  s  11  tkj  a  point  de  délai  à  espérer,  et  jouir  au 
aoins  du  plaisir  de  voir  encore  une  fois  rassem-^ 
Im  la  bosme  et  aimable  compagnie  de  Calwick,. 
à  LepteUe  j*offire  en  attendant  miîle  très-bumbles 
^Ântatioiis  et  respects. 

68g-  —  A  M.  Davekport. 

Je  TOUS  dois,  monsieur,  toutes  sortes  de  dëfé- 
9  et  puisse  M.  Hume  demande  absolumenr 


1 3^  CORRESPOKD  ANGE  , 

de  son  caract^e  me  faisaient  désirer  de  joindre 
5on  amitié  à  celle  dont  m^honorait  son  illustre 
compatriote  ;  et  je  me  &isais  une  sorte  de  gloire 
de  montrer  un  bel  exemple  aux  gens  de  lettres 
dans  lunion  sincère  de  deux  hommes  dont  les 
principes  étaient  si  dilTércns. 

Avant  linvitation  du  roi  de  Prusse  et  de  mi- 
lord  Maréchal,  incertain  sur  le  lieu  de  ma  retraite, 
javais  demandé  et  obtenu,  par  mes  amis,  ud 
passe-port  de  la  cour  de  France ,  dont  je  me  servis 
pour  aller  à  Paris  joindre  M.  Hume.  Il  vit,  et  vit 
trop  peut-être,  Taccueil  que  je  reçus  d'un  grand 
prince,  et,  j'ose  dire,  du  public.  Je  me  prêtai  par 
devoir,  mais  avec  répugnance,  à  cet  éclat,  jugeant 
combien  l'envie  de  mes  ennemis  en  serait  irritée. 
Ce  fut  un  spectacle  bien  doux  pour  moi  que  Faug- 
meutationsensiblede  bienveillance  pour  M.Hume, 
que  la  bonne  œuvre  qu'il  allait  faire  produsit  dans 
tout  Paris.  Il  devait  en  être  touché  comme  moi; 
je  ne  sais  s'il  le  fîit  de  la.  même  manière. 

Nous  partons  avec  un  de  mes  amis  qiîi,  pres- 
que uniquement  pour  moi ,  faisait  le  voyage  d'An- 
gleterre. En  débarquant  à  Douvres ,  transporté  de 
toucher  enfin  cette  terre  de  liberté,  et  dy  être 
amené  par  cet  homme  illustre,  je  lui  saute  au 
cou,  je  lembrasse  étroitement  sans  rien  dire, 
mais  en  couvrant  son  visage  de  baisers  et  de  larmes 
qui  parlaient  assez.  Ce  n  est  pas  la  seule  fois  ni  la 
plus  remarquable  où  i^I  ait  pu  voir  en  moi  les  sai- 
ffis^emens  d'un  cœur  pénétré.  Je  ne  sais  ce  qu'il 


±yyiE  1766L  i33 

ù't  de  ces  scarenirs,  s  ib  lui  Tiennent^  j'ai  dans 
A^pnt  qolJ  en  doit  quelquefois  être  importunée 

Noa>  sommes  fêtés  anirajit  à  Londres;  on  s'em- 

pr-ise  dans  tons  les  états  à  me  marquer  de  la  bien- 

\ciUaDce  et  de  1  c^ime.  M.  Hume  me  présente  de 

bocxie  pice  à  tout  le  monde  :  il  était  naturel  de 

lui  attriboer.  comme  je  &isais  y  la  meilleure  partie 

dr^  et  bon  accueil  :  mon  cœur  étfait  plein  de  lui, 

j cro  parlais  à  tout  le  monde,  fen  écrivais  à  tous 

ors  amis;  mou  a ttacbement^ur  lui  prenait  cba- 

nue  jour  de  nouvelles  forces  :  le  sien  paraissait 

p'j'jr  mcÀ  des  plus  tendres,  et  il  m'en  a  quelque- 

C*^*\a  Âouné  des  marcjues  dont  je  me  suis  senti  très- 

toucliè.  Cefie  de  feire  Élire  mon  portrait  en  grand 

ne  fut  pourtant  pas  de  ce  ncmi)rc  ;  cette  fantaisie 

me  parut  trop  aïKcbée,  et  fy  trouvai  je  ne  sais 

quel  air  d^osCentation  qui  ne  me  plut  pas.  C  est 

tout  ce  que  j'aurais  pu  psser  à  M.  Hume,  s'il  eût 

éîé  Aamme  à  jeter  son  argent  par  les  fenêtres,  et 

qtiTI  eut  eu  dans  une  galeiîpe  tous  les  portraits  de 

ses aoûs.  Au  reste,  j'avouerai  sans  peine  quVn  cela 

je  pois  avoir  tort. 

Mab  ce  qui  me  parut  un  acte  d'amîtlé  et  de  gé- 
T'^jioâié  des  plus  vrais  et  des  plus  estimables,  des 
{>(&s  dignes  en  un  mot  de  M.  Hume ,  ce  fut  le  soin 
713  |rit  de  solliciter  pour  moi  de  lui-même  une 
f^Qsoïi  du  roi,  à  laquelle  je  n  avais  assurément 
^ocvï  droit  d'aspirer.  Témoin  du  zèle  qu'il  mit  h 
c^tfe  aflâire,  feu  fus  vivement  pénétré  :  rien  ne 
I  ouTaît  plus  me  flatter  qu'un  service  de  cette  e^ 


1 34  CORRESPONDANCE  ) 

pèce,  non  pour  Pintérêt  assurément;  car,  trop 
attaché  peut-être  i  ce  que  je  possède,  je  ne  sciis 
point  désirer  ce  que  je  n'ai  pas;  et  ayant  par  mes 
ainis  et  par  mon  travail  du  pain  suffisamment 

Î)our  vivre,  je  n'ambitionne  rien  de  plus  :  mais 
lionneur  de  recevoir  des  témoignages  de  bonté, 
je  ne  dirai  pas  d*un  si  grand  monarque ,  mais  d'un 
si  bon  père,  d  un  si  bon  mari,  d'un  si  bon  maître, 
d  un  si  bon  ami,  et  surtout  d'un  sihonnétcbomme, 
m'affiîctait  sensiblement;  et  quand  je  considérais 
encore  dans  cette  grâce ,  que  le  ministre  qui  Pa- 
vait obtenue  était  la  probité  vivante ,  cette  probité 
si  utile  aux  peuples,  et  si  rare  dans  son  état,  je  ne 
pouvais  que  me  glorifier  d'avoir  pour  bienfaiteurs 
trois  des  hommes  du  monde  que  j'aurais  le  plus 
désirés  pour  amis.  Aussi,  loin  de  me  refuser  à  la 
pension  ofierte ,  je  ne  mis ,  pour  laccepter,  qu une 
condition  nécessaire;  savoir,  un  consentement 
dont,  sans  manquer  k  mon  devoir,  je  ne  pouvais 
me  passer. 

Honoré  des  empressemens  de  tout  le  mon^le, 
je  tâchais  d'y  répondre  convenablement.  Cepen- 
dant ma  mauvaise  santé  et  l'habitude  de  vivre  à 
la  campagne  me  firent  trouver  le  séjoiu:  de  la  ville 
incommode  :  aussitôt  les  maisons  de  campaiMie  se 
présentent  en  foule;  on  m'en  offre  à  choisir  dans 
toutes  les  provinces.  M.  Hume  se  charge  des  pro- 
positions, il  me  les  fait,  il  me  conduit  même  i 
deux  ou  trois  campagnes  voisines  :  j'hésite  long- 
temps sur  le  choix;  il  augmen^it  cette  incerti- 


ijSB.  1*10 

laâe.  Je  me  détermine  enfin  pour  cette  province  ; 
et  daJbord  M.  Home  arrange  tout;  les  emhairas 
sapbnisseot;  je  pars;  j'arrive  dans  cette  habita- 
lion  solitaire,  commode^  agréable  :  le  maître  de 
la  iBiûsoii  prévoit  tout,  pourvoit  à  tout;  rien  ne 
manque;  je  suis  tranquille  ^  indépendant.  Voilà 
Je  ooineat  si  désiré  où  tous  mes  maux  doivent 
finir;  non ,  c  est  la  qu  ils  commencent,  plus  cruels 
qof  je  ne  les  avais  encore  éprouvés. 

J*ai  parié  josqulci  d  abondance  de  cœur,  et  ren- 
dant avez  le  plus  graxid  plaisir  justice  aux  bons 
offices  de  M.  Home.  Que  ce  q^  me  reste'  à  dire 
tLcst-ï àe  même  nature!  Rien  ne  me  coûtera  ja- 
mais âe  ce  ^  ^urra  ll&onorer.  Il  B*est  permis  de 
marchander  soi  Ve  pix  des  bien&its  que  quand 
on  DOQS  accuse  dlsgratitode  ;  et  M.  Ghime  m'en 
accuse  ao/oordliaf.  /oserai  donc  faire  ime  obser- 
vation qui/  rend  nécessaire.  En  appréciant  ses 
s<nDspaT  la  peine  et  le  temps  qu'ils  lui  coûtaient  j 
ils  étaient  d'un  prix  inestiinable,  encore  plus  par 
sa  bonne  volonté  :  pour  le  bien  réel  qu'ils  m'ont 
£ût,  ils  ont  j^lus  d'apparence  que  de  poids.  Je  ne 
tenais  point  coooune  un  mendiant  quêter  du  pain 
en  Angleterre,  j'y  apportais  le  mien,  j'y  venais 
absolnmoit  chercher  un  asile,  et  il  est  ouvert  à 
t«rt  étranger.  D'ailleurs  je  n  y  étais  point  tellc- 
ta^  inconnu,  qu arrivant  seul  j'eusse  manqué 
d'assistance  et  de  services.  Si  quelques  personnes 
mont  recherché  pour  M.  Hume,  d'autres  aussi 
m  eut  recherché  pour  moi  j  et ,  par  exemple  ^quand 


1 3d  C0R11ESP05D  A5CE  , 

M.  Davenport  voulut  bien  m'oflrir  lasile  que  j'ïir 
bite,  ce  ne  fut  pas  pour  lui,  qu'il  ne  coiinais^;! 
point,  et  qu'il  vit  seulement  pour  le  prier  de  faii 
et  ^appuyer  son  obligeante  proposition.  Ainsi 
quand  M.  Hume  tâche  aujourd'hui  d'aliéner  d 
moi  cet  honnête  homme,  il  cherche  à  m'ôler  c 
qu  il  ne  m'a  pas  donné.  Tout  ce  qui  s'est  fait  d 
bien  se  serait  fait  sans  lui  à  pu  près  de  même ,  t* 
peut-être  mieux;  mais  le  mal  ne  se  fût  point  faîf 
.Car  pourquoi  ai-je  des  ennemis  en  Angleterre! 
pourquoi  ces  ennemis  sont -as  précisément  lc< 
amis  de  M.  Hume?  qui  est-ce  qui  a  pu  m'attirei 
leur  inimitié?  Ce  n'est  pas  mol^  qui  ne  les  vis  de 
ma  vie,  et  qui  ne  les  connab  pas;  je  n'en  auraii 
,  aucun  si  j'y  étais  venu  seut 

.rai  parlé  jusqu'ici  de  £iits  publics  et  notoires . 
qui ,  par  leur  nature  et  par  ma  reconnabsance  ^ 
ont  eu  le  plus  grand  éclat.  Ceux  qui  me  restent  à 
dire  sont  non-seulement  particuliers,  mais  se- 
crets, du  moins  dans  leur  cause,  et  Ion  a  pris 
toutes  les  mesures  possiibles  pour  qu^ils  restassent 
cachés  au  public;  mais,  bien  connus  de  la  per- 
sonne intéressée,  ils  nen  opèrent  pas  moins  sa 
propre  conviction. 

Peu  de  temps  après  notre  arrivée  à  Londres , 
jy  remai^uai  dans  les'  esprits,  à  mon  égard,  uij 
c  h  jogemcnt  sourd  qui  bientôt  devint  très-sensible. 
Avant  que  je  vinsse  en  Angleterre,  elle  était  un 
des  pays  de  l'Europe  où  j'avais  le  plus  de  réputi- 
tion,  j'oserais  presque  dure  de  considération;  Tes 


AimiE  1766.  187 

ppîers  publics  étaient  pleins  de  mes  éloges  ^  et  il 
n*y  arait  ^'un  cri  contre  mes  persccuteors.  Ce 
Ion  se  sontlntâ  mon  anivée;  les  papiers  Fannon- 
errent  en  triomphe  ;  rAngleterre  s'honorait  d'être 
mon  refiige;  elle  en  glorifiait  avec  justice  ses  lois 
et  son  «otnrcmement.  Tout  à  coup,  et  sans  au- 
rooe  caose  ass^nable,  ce  ton  change ,  mais  si  fort 
ef  9  file  que  dans  tous  les  caprices  du  public  on 
n'en  Toit  guère  de  plus  itonnant.  Le  signal  fut 
d'^noé  dans  un  certain  magasin  ^  aussi  plein  d'i- 
nepties cpie  de  mensonges,  où  lauteur,  bien  ins- 
mût  ^  ou  Geignant  de  Tétre^  me  donnait  pour  fils 
de  laiBÎdcn.  Dès  ce  moment  les  imprimés  ne  par- 
lè-rent  '^kns  de  moi  «pie  d'une  manière  équivoque 
on  malhonnête  :  tout  ce  ^i  avait  tniit  à  mes  mal- 
Iteurs  était  déguisé ^  altéré ,  présenté  sous  un  faux 
par,  et  toajoms  k  moins  à  mon  avantage  quHl 
était  posâbk  :  loin  dé  parler  de  l'accueil  que  j'a- 
n»  reçu  â  Paris,  et  qui  n^avait  feit  que  trop  de 
hniit,  00  ne  supposait  pas  même  que  feusse  osé 
païailredans  cette  ville,  et  nn  des  amis  de  M.  Hume 
tii  très-sorpris  quand  je  lui  dis  que  j  j  avais  passé. 
Trop  accoutumé  à  Imconstance  du  public  pour 
«en  aflecter  cncore,îe  ne  laissais  pasd'ètre  étonné 
de  ce  changement  si  brusque ,  de  ce  concert  sî'sin- 
gi^mnent  tmanime,  que  pas  un  de  c'eà^  qui 
iB  avaient  tant  looé  absent  ne  parût*,  i#oi  pèsent , 
se  Joorenirde  mon  cxîstPncé.  Je  trouvais  biéarre 
que  précisément  après  le  retour  de  M.  Hume ,  qui 
a  tant  de  crédit  à  JLondres,  tant  d'influence  air 


lu 


t38  CORRESPOITDAXGE, 

les  gens  de  lettres  et  les  libraires,  et  de  si  grandes 
liaisons  avec  eux ,  sa  présence  eût  produit  un  effet 
si  contraire  à  celui  qu  on  en  pouvait  attendre  ; 
que  y  parmi  tant  d  écrivains  de  tout^  espèce,  pas 
un  de  ses  amis  ne  se  montrât  le  mien;  et  Ton 

.  voyait  bien  que  ceux  qui  parlaient  de  moi  n^é- 
taient  pas  ses  ennemis,  puisquen  faisant  sonner 
son  caractère  public  ils  disaient  que  f avais  tra- 
versé la  France  sous  sa  protection,  â  la  faveur 
duu  passe-port  qu  il  m^avait  obtenu  de  la  cour;  et 

.  peu  s  en  allait  qu'ils  ne  fissent  entendre  que  j  a^ 
vais  fait  le  voyage  à  sa  suite  et  à  ses  frais. 

Ceci  ne  signiliait  rien  encorde  et  n'était  que  sin- 
gulier ;  mais  çc  qui  Tétait  davantage ,  fut  que  le  ton 
de  ses  amis  ne  change<)i  pas  moins  av^  moi  que 
celui  du  public  :  toujours^  je  me  &is  un  plaisir  de 
le  dire,  leui^  soins,  leurs  bons  olfices  ont  été  les 
içéiiocs ,  et  très<;gninds  x^n  ma  ikveur  ;  mais  loin  de 

.  nie  marquer  la  même  estime,  celui  surtout  dont 

.  je  veux  parler,  eX^Ue^  qiif ,  nous  étions  dc^cexidus 
à  notre  aorivée  i*)^  ^cçompagnaijt  iout  cela  de 
])ropos  si  d^,  et  qnelque&is  si^boquans^  quW 
càt  dh  qu'il  ne  cberciiaUàm'obligecqfLC  pour  avoir 
droit^4^  mç  marquer  du  m^is.  S9JU  frère ,  d  a~ 
hprd  tirèssicçi;^eiliant,  très-Honnjéie,cbAnfea  bico^- 

,  tc^taveç  si  peu  de^^mesiire,  ^^il  ne  daignait  pas 
m^uie,  d%i  leur  propre  mai^'Km,  me  dire  uu  sevd 
mot,  ni  m/e.rcudre  le  salut^.ui  aucp^i  iks  devoirs 

(')J«uiStetrBnL 


aithSk  1766.  tS^ 

que  l'on  rend  chez  soi  aux  étrangers.  Rien  cepeB- 
danl  n  était  snirenu  de  nouveau  <jue  Tamyée  de 
J.  J.  Rousseau  et  de  David  Hume  ;  et  certainement 
la  cause  de  ces  changemens  ne  vînt  pas  de  moi,  A 
moins  <{iie  tropdesimplicité^de  discrétion,  de  mo* 
destIe,ae5oit  un  mo^'en  de  mécontenter  les  Anglais. 
PoorM.  Hume,  loin  de  prendre  avec  moi  un 
\oû  nfFoIlant ,  il  donnait  dans  l'autre  extrême.  Les 
ûi^onmes  m'ont  toujours  été  suspectes  :  il  m'en 
a  bit  de  toutes  les  fiiçons  (1)9  au  point  de  me  for- 
ctTj  ny  pouvant  tennr  davantage  ,  à  lui  en  dire 
mon  sentiment.  Sa  conduite  le  dispensait  fort  An 
«  étendre  en  parole  ;  cependant,  puisqu  il  en  vou- 
lait jlke  ^  ^aoraîs  voulu  qu'à  toutes  ces  louanges 
fades  il  eût  snhstîlué  (jaelqueibis  la  voix  d'uni  ami  : 
mais  je  n'ai  jamais  tioirvé  dans  son  langage  rien 
gui  senD*f  ht  mie  amitié  ;  pas  même  dans  la  &çon 
dont  il  parla/f  de  moi  à  d'autres  en  ma  présence. 
On  eût  dit  qu'en  voulant  me  faire  des  patrons  B 
cherchait  i.  m'ôter  leur  bienveillance ,  qu'il  vou- 
lait plutdt  que  j'en  fusse  assisté  qu*aimé  ;  et  j'ai 
fpelqacUns  été  surpris  du  tour  révoltant  qu'il 
donnait  à  ma  conduite  près  des  gens  qui  pou- 
raieot  s'en  offenser.  Un  exemple  éclaircira  ceci. 
M.  Pennech  ^  du  Muséum  ^  ami  de  milord  Mare- 

':.'  fca  dirai  aenlemeA  ane  qui  m*a  lait  rire  ;  c'était  de  ffàn 
«  Miv,  qamd  je  v«M9  le  Toir ,  ^e  je  tnxiTasic  tonjoun  «Ut 
•i«Me  OB  li»e  db  ï'Hélçûe  :  cofonc  si  je  ne  ctntwuui^  pM 
«Mftkgpôtac  IL  Hanse  povx  être  sts&ut;^  que,  de  tons  Va  )i- 
*!«  ^  cijstctt,  VHéloue  <k>it  &u'e  ^ou:-  lui  le  plut  enun^cio. 


1 4o  CORRBSPOKD  ANCE  ^ 

chai,  et  pasteur  d'une  paroisse  où  Ton  voulait  m*é^ 
tablir,  vient  nous  voir.  M.  Hume ,  moi  présent , 
lui  fait  mes  excuses  de  ne  l'avoir  pas  prévenu.  Lo 
docteur  Maty,  lui  dit-il,  nous  avait  invités  pour 
jeudi  au  Muséum ,  où  M.  Rousseau  devait  vous 
voir;  mais  il  préféra  d'aller  avec  madame  Garrick 
à  la  comédie  :  on  ne  peut  pas  faire  tant  de  choses 
en  un  jour.  Vous  m'avouerez ,  monsieiur,  que  c  o- 
tait  la  une  étrange  façon  de  me  capter  la  bienveiL 
lâace  de  M.  Pennech; 

Je  ne  sais  ce  quWait  pu  dire  en  secret  M.  Hume 
à  ses  connaissances  :  mais  rien  n'était  plus  bizarre 
que  leur  façon  d'en  user  avec  moi ,  de  son  aveu , 
souvent  même  par  son  assistance.  Quoique  ma 
bourse  ne  fût  pas  vide,  que  je  n^eusse  besoin  de 
ccUo  de  personne ,  et  quil  le  sût  très-bien,  l'on 
eût  dit  que  je  n'étais  là  que  pour  vivre  aux  dé- 
pens du  public  y  et  qu'il  n'était  question  que  de 
me  faire  1  aumône,  de  manière  à  m'en  sauver  un 
peu  1  embarras.  Je  puis  dire  qt{e  cette  afTcctation 
continuelle  et  clioquante  est  une  des  choses  qui 
m'ont  fait  prendre  le  plus  en  aversion  lé  séjour  de 
Londres.  Ce  ncsl  sûrement  pas  sur  ce  pied  qu'il 
iûut  présenter  en  Angleterre  un  homme  à  qui  l'où 
veut  attirer  un  peu  de  considération  :  mais  celte 
charité  peut  être  Lénignelncnt  interprétée ,  et  je 
consens  quelle  le  soit.  Avançons. 

On  répand  k  Paris  une  fausse  lettre  du  roi  de 
Prusse  d  moi  adressée,  et  pleine  de  la  plus  cnieile 
maiiguitc.  J'apprends  avec  surprise  que  c'est  ûu 


Aynfzi  1766.  îfi 

H,  Wslpole^  ami  de  >L  Hume,  qui  répand  cette 
kttre;  je  lui  demande  si  cela  est  vrai  ;  maiS;  pour 
toute  iép«!se,  il  me  demande  de  qui  je  le  tiens. 
1!q  moment  auparaTant ,  il  m'avait  donné  une 
carte  pour  ce  même  M.  Walpolc ,  afin  qu'il  se 
chargdt  de  papiers  qui  mimportent ,  et  que  je 
veca  bke  yeubr  de  Paris  en  sûreté. 

/apprends  que  le  fils  du  jongleur  Troncliîn , 
iDOQ  plus  martel  ennemi,  est  non-seulement  raraf, 
ie  protégé  de  M.  Hume,  mais  qu'ils  logent  ensem- 
ble \  et  quand  M.  Hume  Toit  qvLe  je  sais  cela ,  il 
men bàx \a  confidence,  m'assurdût  que  le  fils  ne 
n  sseniile  cas  au  père.  J'ai  logé  quelques  nuits 
di.ns  celte  inaison  cbex  M.  Hume  avec  ma  gou- 
vernante; et  k  lÛTj  à  TâcCHeil  dont  nous  ont  ho- 
norw  ses  hôtesses  y  qm  sont  ses  amies ,  j  ai  jugé  de 
la  fe^n  dont  ioî,  00  cet  liomme  qu'il  dît  ne  pas 
resîcœifcri  son  père,  ont  pu  leur  parler  d'elle  et 
de  BioL  1 

Ces  l^îts  combinés  entre  eux  et  arec  une  cer- 

* 

i  ifie  aj^encr^générale  me  donnent  înscnsiblc- 
rii^nt  une  inquiétude  q[ue  je  repousse  avec  bor- 
ir^.  Cependant  les  lettres  que  j'écris  narrivent 
I  is  ^  feu  reçoi»qm  ont  été  ouvertes ,  et  toutes  ont 
(^  Hé  par  les  mains  de  M.  Hume.  Si  quelqu'une 
'»n  ccbappe,  il  ne  peut  cacber  Fardentc  avidité 
^  la  voir.  Un  soir,  je  vois  encore  cbcs  lui  une 
"ûiNanrre  de  lettre  dont  \e  suis  frappé  (  i  ).  Après 

(*;U&Btdke  ce  que  c'ca  <{iie  tette  manoeuTrc.  J'caWftié 


lî[a  CORRïïSFOND  ANCE  , 

le  souper,  gardant  tous  deux  le  silence  au  coîu 
son  feu,  je  m'aperçois  quil  me  fixe,  comme  il 
arrivait  souvent,  et  d  une  manière  dont  l'idée 
difficile  à  rendre.  Pour  cette  fois,  sou  regard  s< 
ardeut,  moqueur  et  prolongé  .  devint  plus  qu' 
.  quiétant.  Pour  m'en  débarrasser,  j^essajai  de 
fixer  à  mon  tour;  mais  en  arrêtant  mes  yeux  i 
les  siens,  je  sens  un  frémissement  inexplicable  ^ 
bientôt  je  suis  forcé  de  les  baisser.  La  physloi 
mie  et  le  ton  du  bon  David  sont  d'un  bonhom  n 


«ur  la  tsUe  de  M.  Hune,  en  son  abtenoe,  une  lëponae  4  i 
lettre  que  je  venais  de  reoeToir.  tt  arrive,  trè»-€ttrieuz  de  s^i 
ce  que  j"écrivais,  et  ne  pouvant  presque  s'abstenir  d*y  lire 
ferme  ma  lettre  sans  la  lui  montrer  ;  et  y  comme  je  la  mettais  d 
ma  poche,  il  ta  demande  avidement,  disant  qu'il  reokVes-D 
loademain,  jour  dt  poste.  La  lettre  reste  sur  sa  table.  Ij 
lïewnham  arrive,  M.  Hume  sort  un  moment;  je  reprends 
lettt«,  disant  que  j'aurai  le  temps  de  lenvoyer  le  lendem, 
Lord  Kewnham  m'offVe  de  l'envoyer  par  le  paquet  de  M.  Vt 
bessadcur  de  France  ;  j'accepte.  M.  Hume  rentre  tandis  qiae  ] 
^tvfDhÊBOk  fait  son  enveloppe;  il  tire  son  cacbel  :  M.HaiBbe  c 
le  sini  avec  Uint  d'emprfssement,  qu'il  faut  s'en  servir  par  ] 
férenoe.  Cn  sonne;  lord  Kewnham  doiii>e  la  lettre  mx  lac|i 
de  M.  "Bume  pour  la  remettre  au  sien,  qjui  attend  en  bas  « 
son  carrosse,  afin  qu'il  la  porte  cl  et  M.  rambaasadiur.  A.  p^ 
le  laquais  de  M.  Hume  était  bors  de  la  potte,  qne  Je  nue 
Je  parie  que  le  maitre  va  le  suivre  :  il  n'y  manqua  (mm.  Ke 
chant  Comment  laisarr  ssul  roilord  Newnham,  j'hésitai  q^a«1 
temps  avant  que  de  suivre  à  mon  tour  M.  Hume  ;  je  ia*Ap« 
rien;  mais  il  vit  tr6s-bien  que  j'étais  inquiet.  Ainsi,  qiao»q[%j 
«'aie  reçue  aucune  réponse  à  ma  lettre,  je  ne  doute  pan  <j«] 
ne  soit  parvenue;  mais  je  doute  un  peu ,  je  l'avoue ,  qu'elle  ; 
été  lue  auparavant. 


AK^EE  T  70  •-  I  {3 

mi'is  oéy  gruul  Dieu!  ce  bonKoxnme  emprantc* 
t-Ii  ks  yeux  dont  il  fixe  ses  amis? 

UîmpKssîoD  de  ce  regar.l  me  reste  et  m  agife, 
mon  trooUe  augmente  jusqu'au  saisissement  :  si 
l  épancbement  nVût  succédé ,  j  étouffais.  Bientôt 
un  TÎoleQt  remords  me  gagne  -,  je  m'indigne  de 
moi-même;  enfin,  dans  un  transport  que  e  me 
rrtppelle  encore  avec  délices,  je  m'élance  à  son 
fou .  je  le  serre  étroitement;  suffoqué  de  sanglots , 
inotiàé  de  larmes;  je  m*écrie  d  une  voix  entrecou- 
pa :  Non^  non ,  David  Hume  n'est  pas  un  traître  f 
t'îl  n était  le  meilleur  des  hommes,  il  faudrait  - 
quH  en  fut  le  plia  noir,  Dayid  Hume  me  rend 
};i>Iîme&l  mes  cmhrassemens ,  et ,  tout  en  me  frap- 
pant  de  petits  coups  sur  le  dos,  me  répète  plu* 
siruTs  Shs  d^uB  ton  tranq;uille  :  Quoi!  mon  cher 
n:oiuiettr/-E5/  mon  cher  monsieur!  Quoi  donc! 
nton  Aer  monsieur!  Il  ne  me  dit  rien  de  plus;  ie 
sen#giie  mon  cœur  se  resserre;  nous  allons  nous 
coucher,  et  je  pars  le  lendemain  pour  la  proviuce. 

Arrivé  dans  cet  agréable  asile  où  j'étais  venu 
chercber  le  repos  de  si  loin,  je  devais  le  trouver 
iiQs  une  oiaison  solitaire ,  commode  et  riante , 
ioal  le  maître ,  homme  d'esprit  et  de  mérite ,  n  e- 
f-«Tpiait  nen  de  ce  qui  ponvait  m'en  faire  aimèi' 
le  &qoiir.  Mais  quel  repos  peut-on  goûter  dans  la 
vie  ^Qand  le  cœur  est  agité?  Troublé  de  la  plus 
nurfle  incertitude,  et  ne  sachant  que  penser  d'un 
honme  ^e  je  devais  aimer  ^  je  cherchai  à  me  dé« 
«•Ticidecedoate  funeste  en  rendant  ma  confiance 


i{\  coR^%Es^o^'DA^cE , 

h  mon  hienCuieur  ;  car  pouiitjuoi ,  par  quel  ca- 
pricc  Inconcevable  eût-il  eu  tant  de  zèle  à  Texte* 
rieur  pour  mon  bien-être,  avec  des  projets  secrets 
/  coiLtre  mon  honneur?  Dans  les  observations  qui 
m'avaient  inquiété,  chaque  fait  en  lui-même  était 
peu  de  chose,  il  n'y  avait  que  leur  coQcours  d'é- 
toiuiant;  et  peut-être,  instruit  d!autre.s  faits  que 
l'ignorais,  M.  Hume  pouvait-U,  dc^Qsup  éclaircis- 
sement, me  donner  une  solution  satisfaisante.  La 
seule  chose  inexplicable  était  qu'il  j^  .filt  refusé  à 
un  éclaircissement  que  son  honneiu'  et  son  ami- 
tié pour  moi  rendaic^it  également  nécessaire.  Je 
voyais  qu'il  y  avait  U  quelque  .chose  que  je  ne 
comprenais  pas ,  et  que  je  mourais  d'envie  A  en 
tendre.  Avant  donc  die  me  décider  absolumen.t 
sur  son  compte^  je  voulus  faire  un  dernier  effort, 
et  lui  écrire  pour  le  ramcncj,  s'il  se  laissait  séduire 
à  mes  ennemis,  qu  ppvir  le  faire  expliquer  de  ma- 
nière ou  d  autre.  Je  lui  écrivis  une  lettre  (i),  qui! 
dut  trouver  fort  naturelle  s'il  était  coupable,  mais 
fort  extraordinaire  s'il  ne  Fétaijt  pas;  car  quoi  de 
])lus  extraordinaire  qu  une  lettre  pleine  à  la  fois  de 
gratitude  sur  ses  services  et  d'inquiétudes  sur  ses 
scutimens,  et  où,  jnettant  pour  ainsi  dire  ses  ac- 
tions d  un  côté  et  ses  intentions  de  1  autre,  au  lieu 
de  pcirler  des  preuves  d'amitié  qu  il  m'avait  don- 
f 

(i)  Il  parait,  par  ce  qu'A  m'écrit  en  deniicr  lieu,  qu'il  ett 
trH-content  de  celle  lettre,  et  qu'il  J«  trouve  fort  bien  (*). 

{*)  l,a  lettre  4e  Rousseau  est  celU*  du  22  nan  »  n*  G55. 


ATfltEé  1766.  l{5 

BèeSj  \b  le  prie  de  m'aiiner  &  cause  dn  bien  qn'if 

mV?ait  bit?  Je  u'ai  pas  pris  mes  précautions  d^as^* 

9ez  Wm  pour  garder  une  copie  de  cetto  lettre  ; 

mais^  piiis[pili  les  a  prises  lui ,  qu'il  la  montre;  et 

«picoiqiie  b  lira ,  y  vojaii t  un  homme  tourmenté 

d'une  pebe  secrète  qu'il  veut  faire  entendre  et 

qnîl  Dose  dire,  sera  curieux ,  je  m  assure  y  de  sa- 

mr^neféclaircissement  cette  lettre  aura  produit^ 

surtout  i  la  saile  de  la  scène  précédente.  Aucun  j 

rien  du  tout  :  M.  Hume  se  contente,  en  réponse, 

de  me  parler  des  soins  obligeons  que  M.  Daren  • 

potlse  propose  Je  prendre  en  ma  laveur;  du  reste, 

pas  «n  seui  mol  soi  le  principal  sujet  de  nui  lettre , 

ni  snr  YètaL  âe  mon  cœur  dont  il  devait  si  bien 

voir  le  tourment  le  fus  frappé  de  ce  silence,  en- 

rorr  plasqae  je  ne  Parais  été  de  son  flegme  à  notre 

dénier  eotretien.  Jarais  tort,  ce  silence  était  fort 

nafanel  ajwrs  lanfre ,  et  j'aurais  dû  m  y  attendre  j 

car^putad  on  a  osé  dire  en  face  à  un  homme  :  Je 

sm$  tenté  de  rotts  croire  un  traitre ,  et  qu'il  n'a 

pas  la  cnriorité  de  demander  sur  quoi  y  Ton  peut 

compter  qu'il  n  aura  pareille  curiosité  de  sa  vie;  et, 

pour  peu  que  les  indices  le  chargent,  cet  homme 

•^j«gé. 

Après  ià  réception  de  sa  lettre ,  qui  tarda  beau-* 
coup,  je  pris  enfin  mon  parti ,  et  résolus  de  ne  lui 
ptas  éoire.  Tout  me  confirma  bientôt  dans  la  ré* 
^dàiteD  de  rompre  avec  lui  tout  conânercc.  Cu-> 
Ti^'wt.  au  dernier  point  dn  détail  de  mes  moindres' 
:^Tiîrcs,  il  ne  s'était  pas  borné  à  s'en  informer  d« 


Il|6  COKâfiSPOïrDA  VCB , 

ifeoi  dans  n€6  entretiens  ;  mais  j'appris  qu'après 
aToir  comiaencé  par  &ire  avouer  â  ma  gonrer^ 
qante  <{u'elle  en  était  instruite,  il  n  Wait  pas  laissé 
écha}>per  avec  elle  un  seul  léte-à-tête  sans  l'intei^ 
roger^  jusqu'à  Fimportunité,  sur  mes  occupations, 
sur  mes  ressources,  sur  mes  amis,  sur  mes  con- 
naissances, sur  leur  nom,  leur  état,  leur  demeure; 
et,  avec  une  adresse  jésuitique,  il  avait  denaudé 
séparément  les  jMmea  choses  à:  elle  e|  à  miii*  Ou 
dok  prendre  intérêt  aux  aifiiircs.dW  ami;  mais 
on  doit  se  contenter  de  ce  qu'il  veuf  nous  en  dire , 
sprtout  quaad  il  est  aussi  ouvert,  aussi  cosfiaBi 
que  mdi,  et  tout  ce  petit  cailletage  de  commère 
couvieut^  on  jx^  peut  pas  plus  mal,  à  un  pUo- 
sophe. 

'  Dans  le  mène  temps,  je  reçois  emcon  deux 
lettres  qui  ont  cté  nuvtrtea  :  l'une- de  M.  Boawett, 
dont  le  cachet  était  en  si  mauvais  état,  que  U<  Da* 
vetiport,.  en  la  recevant,  le  fit  remaïquer  au  W 
qjtiais  de  M.  Huote;  et  Tautre  de  M.  d'Ivemoi»^ 
dans  un  pa<)uei  de  M*  Hume,  laquelk  avait  été 
n^cacWtée  au  mojen  dun  fer  chaud  qui,  mata-' 
droilemcat  appliqué ,  avaU  hrdié  h  pefierantour 
de  lempreinte.  J écrivis  à  M.  Davenport  pour  le 
pcier  de  garder  pai^leVecs  kû  toutes  fes  lettres  qui 
lui  seraient  rerabes  pour  mot  ^  et  dcu  eu  remettre 
aucune  h  prsQ»ne,  sous  quelque  prétexte  queee 
fût.  J'ignore  si  M*  Davenport,  ûe»'.  éloigné  da 
penser  que  cotteprécautiMkpâttcgarderM.Uumey 
lui  miontra  ma  lettre;,  mais  ie  sais  que  tout. disais 


IcdikKcî  qnîl  avait perda  ma  confiante,  et  <juU 
a  Va  allait  pas  moins  son  train  sans  s'cml^arrass^ 
de  BTooQiivTCr» 

Mais  qae  deviiifr-je  lors({oe  je  vis  dans  les  pst- 
ften  poÛcs  la  ppétendoe  lettre  dn  roi  de  Pmssè , 
«pt  je  a  avais  pas  encore  vne,  cette  fainsse  letlin? 
es  fiEançais  et  en  anglais,  donnée  pour 
avec  la  signature  dti  roi,  et  que  j^ 
rBOOBDQs  la  plnne  de  M.  d  Alemhorl ,  aussi  sûre- 
■est  qae  si  je  ta  lui  avais  vu  écrire? 

A  rmstanl  «m  trait  de  Inmière  vint  m  erlairer 

sar  la  cause  secrcte  da  changement  étonnant  et 

prawpl  da  pdbiic  anglais  à  mon  «gard ,  et  je  vis 

à  l^m  Ve  faj9f  dn  coaiplot  ({ni  s^exécotait  k 


iL  Jiilcifait ,  autre  ani  très- intime  de 

M.  floBie,  élM  diepoîs  long-temps  mou  ennemi 

cacbé,  et  n  qiiaif  que  les  occasions  de  me  nuira 

sans  tt  comnettie;  il  était  le  seul  des  gens  de 

ktlivs  d'un  certain  nom  et  de  mes  anciennes  con- 

■ÛBBces  qni  ne  me  fnt  point  venu  voir,  ou  qui 

ne  Bi  eût  rien  fiiit  dire  à  mon  dernier  passage  à 

Partt.  Je  coanaisBais  ses  dispositions  secrètes,  mais 

je  m'en  ioqmétais  peu ,  me  contentant  d'en  avertir 

tte  »Bλ  dans  l'occasion.  Je  me  souviens  qu  un 

l^v^qacttîonDe  snr  mon  com^yte  par  M.  Hume, 

«Hqacstkmna  de  même  ensnite  ma  gouvernante, 

jf  lai  disque  M,  d'Alembort  était  un  homme  (Klroil 

ef  nué.  11  me  contredit  avec  une  chaletir  dont  fc 

miAûmnaij  ne  sachant  pas  alors  qu'tk  étaieal  -éi 


l  \S  CORBSSP09DAVCE  y 

bien  ensemble  ^  et  que  c'était  sa  propre  cause  qu^îl 
défendait. 

La  loctiure  de  cette  lettre  m^alarma  beaucoup; 
et  sentant  que  j'avais  été  attiré  en  Angleterre  en 
vertu  d'un  projet  qui  commençait  à  sexécuter, 
mais  dont  j  ignorais  le  but ,  je  sentais  le  péril  sans 
savoir  où  il  pouvait  être,  ni  de  quoi  jWais  à  me 
garantir  :  je  me  rappelai  alors  quatre  motseffirayans 
de  M.  Hume,  que  je  rapporterai  ci -après.  Que 
penser  d*un  écrit  où  Ton  me  Ëiisait  un  crime  de 
mes  misères,  qui  tendait  à  m'ôter  la  commiséra- 
tion de  tout  le  monde  dans  mes  malheurs;  etqu'cn 
donnait  sous  le  nom  du  prince  même  qui  m'avait 
protégé,  pour  en  rendre  Teflèt  plus  cruel  encore? 
Que  dcvais-je  augurer  de  la  suite  dW  tel  début? 
Le  peuple  anglais  lit  les  papiers  publics,  et  n'est 
déjà  pas  trop  favorable  aux  étrangers.  Un  vête- 
ment qui  n'est  pas  le  sien  suffit  pour  le  mettre  de 
mauvaise  humeur:  qu'en  doit  attendre  un  pauvre 
étr<inger  dans  ses  promenades  champêtres,  le  seul 
plaisir  de  la  vie  auquel  il  s  est.  borné  ?  quand  on 
aura  persuadé  k  ces  bonnes  gens  que  cet  homme 
aime  qu  on  le  lapide,  ils  seront  fort  tentés  de  \\ù 
en  donner  Tamusemcnt.  Mais  ma  douleur,  ma 
douleur  profonde  et  cruelle,  la  plus  amère  que 
j'aie  jamais  ressentie,  ne  venait  pas  du  péril  au- 
quel j'étais  exposé;  j  en  avais  trop  bravé  d'autres 
pour  être  fort  ému  de  celui-là;  la  trahison  d'un 
faux  ami,  dont  j  étais  la  proie ,  était  ce  qui  por- 
tait dans  mon  cœur  trop  sensible  laccablemeuly 


AK9ÉE  1766.  149^ 

il  tnslesse  et  h  mort.  Dans  llmpétuoslté  cTan  pre- 
aier  moarement ,  dont  jamais  je  ne  fus  le  maître^ 
et  ffMt  mes  adroits  ennemis  savent  faire  naîtra 
iponr  soï  pré\'aloir,  jVcris  des  lettres  pleines  de 
désordre,  où  je  ne  déguise  ni  mon  trouble  ni  mon 
indignation. 

Monsieor,  j'ai  tant  de  choses  à  dire  qu  en  cbe* 
im  Êisant  j'en  oublie  la  moitié.  Par  exemple, une 
ttlàdim  en  forme  de  lettre  sur  mon  séjour  à  Mont- 
Bormcy  fut  portée  par  des  libraires  à  M.  Hume^ 
<{ai  me  la  montra.  Je  consentis  quelle  fût  im^ 
pnmil'e;  il  se  chargea  d'y  reillcr  :  elle  n  a  jamais 
fani.  r&xais  apporté  un  exemplaire  des  Lettres 
de  M.  du  PeYTou,  contenant  la  relation  des  af- 
hms  de  ï^euchàiel ,  qui  me  regardent  ;  je  les  remis 
anx  mêmes  libraires  à  leur  prière,  pour  les  faire 
traduire  et  récaiprimer;  M.  Hume  se  chargea  d'y: 
veilla  :  eUes  n  bot  jamais  paru  ('*).  Dés  que  la 
ùusse  lettre  du  roi  de  Prusse  et  sa  traduction  pa- 
nmeot,  je  compris  pourquoi  les  autres  écrits  res- 
taient supprimés ,  et  je  l'écrivis  aux  libraires.  J  é^ 
criais  d'autres  lettres  qui  probablement  ont  counk 
cbns  Londres;  enfin  j'employai  le  crédit  d'un 
bomme  de  mérite  et  de  qualité  pour  faire  mettre 
dus  les  papiers  une  déclaration  de  limposture  : 
di^ns  cette  déclaration ,  je  laissais  paraître  touta 
Bi  ^Mileur  et  je  n'en  dc^uisais  pas  la  cause. 

•  *)  Les  libraire:»  vienneut  de  me  map^uer  <]iie  cette  î^litioil 
rx  Uke  et  |>rH(;  à  paraître.  Cela  ^vù.  ttr*i ,  iu;iis  c*csl  trop  ttfd^ 
Cl,  ^  ^.b  est,  trop  4  pt^o*. 

x3. 


rTor  CORBJKSPONDAFCE, 

Jusqu^ici  M.  Hume  a  semblé  marcher  dans  1ns 
téoèbaês  ;  vous  l'allez  voir  désormais  dans  la  lu- 
mière  et  marcher  à  découvert.  Il  n  y~a  qu^à  tou- 
jours aller  droit  avec  les  gcDs  ruses;  tôt  ou  tard  ils 
se  décèlent  par  leurs  ruses  mêmes. 

Lorsque  cette  prétendue  lettre  du  roi'de  Prusse 
fut  pub&ée  à  Loudres,  M.  Hume,  qui  certaine- 
nent  savait  qu'elle  était  supposée ,  puisque  je  le 
lui  avais  dit,  u^en  dit  rien ,  ne  m'écrit  rien ,  se  tait , 
çt  ne  songe  pas  même  à  faire,  en'&veur  de  son 
ami  at>sent,  aucune  déclaration  de  la  vérité.  II  ne 
frilait,  pour  aller  au  but.  que  laisser  dire  et  se 
tenir  coi  ;  c'est  ce  qu'il  fit. 

M,  Hume,  ayant  été  mon  conducteur  en  Angle- 
terre, y  était  en  quelque  façon  mon  protecteur^ 
mon  patron.  S'il  était  naturel  qu^il  prit  ma  dé- 
fense, il  ne  Tétait  pas  moins  qu'ayant  une  proies- 
ttition  publique  à  faire,  je  m'adressasse  à  lui  pour 
cela.  Ayant  déjà  cessé  de  lui  écrire,  je  n  avais  garde 
de  recommencer.  Je  m'adresse  à  un  antre.  Premier 
souiQct  sur  la  joue  de  mon  ptron  :  il  n'en  sent 
rien. 

.  Eu  disant  que  la  lettre  était  &briquée  h  Paris, 
il  m  importait  fort  peu  lequel  on  entendit  de 
&I.  d'AIcrobcrt  ou  de  son  prête-nom.  M*  Walpole: 
mais,  eu  ajoutant  que  ce  qui  navrait  et  déchirait 
mon  cœur  était  que  Timpostcur  avait  de»  com^ 
plices  en  Anglclerm,  je  m'expliquais  avec  la  plus 
grande  clarté  pour  leur  ami  qui  était  à  Loudns .  et 
qui  voulait  passer  pour  le  mien  ^  il  n'y  avait  •  ertuis 


itcmentcpie  lui  seul  en  Angleterre  dont  la  haine 
pûtdéchsrer  et  navrer  mon  coeur.  Second  soufflet 
snrla  joac  de  mon  patron  :  il  n'en  sent  rien. 

An  contraîrc ,  il  feint  malignement  que  mon 
aflBîcâoii  venait  seulement  de  la  publication  de 
rettc  lettre,  afin  de  me  faîrc  passer  pour  un  homme 
Tain,  quune  satire  affecte  Ixînucoiip.  Varo  on 
non ,  ]  étais  mortellement  affligé;  il  le  savait ,  et  ne 
ns'écriraU  pas  un  mot.  Ce  tendre  ami,  qui  a  tant 
â  cceur  que  ma  bourse  soit  pleine,  se  soucié  essez 
peu  cpic  mon  cœur  soit  déchiré. 

Mxk  autre  écrit  paraît  bientôt  dans  les  mêmes 
feuîWcs,  àc  la  même  main  que  le  premier,  plus 
'cmel  encore  s'il  éiMt  possible,  et  où  Tauteur  nft 
peixt  déguiser  sa  rage  sur  raccucil  que  f  avais  rcîçu 
à  Paris.  Cet  écrit  ne  m'afTécta  plus;  il  ne  m  appre- 
nait rien  de  nouFean:  les  libelles  pouvaient  aller 
fcnr  train  sans  m'émouvoîr,  et  le  volage  public 
hiî-raéme  se  lassait  Jêtrc  long-temps  occupé  da 
même  sujet.  Ce  n'est  pas  le  compte  des  coroplo- 
Irurs  qui ,  ayant  ma  réputation  d'hoïinéte  homme 
-à  détruire,  veulent  de  manière  ou  d'autre  en  Vt  nît 
i  bout,  n  fallut  changer  de  batterie. 

L'affaire  de  la  pension  n'était  pas  terminée  :  il 

ne  tai  pas  dîBicilc  à  M.  Hume  d'obtenir  de  Fhu- 

tiuinité  da  ministre  et  de  la  générosité  du  prince 

^oeDele  fût  ;  il  fut  chargé  de  me  le  marquer,  il 

le  EL  Ce  women  t  fut .  je  Ta  voue ,  un  des  pras  crl- 

times  de  ma  vie.   Combien  il  m'en  coûf^  p»t>iir 

ilctaon  devoir l   Mes  engagcmens.prée^deu^, 


y 


Xt%  CORRBSPOlfl)  ANCE , 

l  obligation  de  correspondre  avec  respect  anx  bon- 
tés du  roi)  rhonneur  d'être  l'objet  de  ses  attentions, 
de  celles  de  son  ministre,  ledésir  de  marquer  com- 
bien jy  étais  sensible,  môme  Favantage  d'être  un 
peu  plus  au  large  en  approchant  de  la  vieillesse, 
accablé  d'ennuis  et  de  maux,  enfin  l'embarras  de 
trouver  une  excuse  honnête  pour  éluder  un  bien- 
fait déjà  presque  accepté  ;  tout  me  rendait  difficile 
et  cruelle  la  nécessité  d'y  renoncer ,  car  il  le  &llait 
assurément,  ou  me  rendre  le  plus  vil  de  tous  les 
hommes  en  devenant  volontairement  l'obligé  de 
celui  dont  j  étais  trahi. 

Je  fis  mon  devoir,  non  sans  peine;  j'écrivis  di- 
.rec^cment  à  M.  le  général  Conway ,  et  avec  autant 
de  respect  et  d'honnêteté  qu  il  me  fut  possible , 
sans  refus  al^solu;  je  me  défendis  pour  le  présent 
d'accepter.  M.  Hume  avait  été  le  négociateur  de 
rafiàire,  le  seul  môme  qui  en  eût  parlé;  non-seu- 
lement je  ne  lui  répondis  point ,  quoique  ce  fût 
lui  qui  m'eût  écrit ,  mais  je  ne  dis  pas  un  mot  de 
;lui  dans  ma  Icltrc.  Troisième  soufflet  sur  la  joue 
4e  mon  patron;  et  pour  celui-là,  s'il  ne  le  seut 
pas,  c'est  assui^ipent  sa  faute  :  il  n en  sent  rien. . 
f     Bla  lettre  n'était  pas  claire ,  et  ne  pouvait  rôtre 
,pour  M.  le  général  Conway,  qui  ne  savait  pas  à 
quoi  tenait  ce  refus  ;  mais  elle  l'était  fort  pour 
;M.  Humo  qui  le  savait  très -bien  :  cependant  il 
fo^it  de  prendi^e  le  chaiiÇe ,  tant  sur  le  sujet  de 
•  ma  douleur  que  sur  celui  de  mon  refus,  et,  dans 
ttu  billet  quil  m'écrit  ^  il  lœ  fait  entendre  qu'on 


*«wiSb  1766.  i5j 

m*  nénagera  la  coniinuatiou  des  bontës  dn  roî 
«  je  me  ravise  sur  la  pcnrion.  En  un  mot  il  p^-' 
tend  i  toute  force ,  et  «juoi  qu'il  arrive ,  demeurer 
monT«tron  malgré  moi.  Vous  jugez  bien,  mon- 
sieur, qu  il  n  attendait  pas  d«  iHhwnse,  et  il  n'en 
eut  point 

tJuTiï  "*'"''  **"P*  *  P««  pi*»,  car  je  ne  sais 
pas  les  dates,  et  cette  exaclitade  ici  n'est  pas  ni5- 
ce^aire,  parut  une  lettre  de  M.  de  VoHairrà  moi 
*^es£ee ,  avec  une  traducUon  anglaise  qui  ren- 
dent encore  sur  l'original.  Le  nobie  obfet  de  ce 
sçuuael  ouvrage  est  de  m'at.irer  le  mépis  et  la 
hame  de  ceux  chez  qui  je  me  suis  rtfugié.  Je  ne 
Amla»çoinlque  mon  cherpatron  n'eûte'té  un  de, 
ms^mens  de  cette  publication ,  surtout  quand 

je  y« qu  en  tâchan.da]iéner de  moi  ceuxqui  pou- 
V3Knt  en  ce  pajs  me  rendre  la  vie-agréd,leron 
J^ait  omis  de  nommer  celui  qui  m'y  avdt  conduit. 
Onsavau«„,doo,equec'était  un  soin  superflu, 
«  qo  a  cet  égard  rien  ne  «stait  à  ûire.  Ce  nom 
«mabdro.tement  oublié  dans  cette  lettre,  mé 
3l„?  '^  ^'  '^^^'•^  ^"  f^^'  de  B^tus 

^Unguan  précisément  paice  qu'il  n'y  était  pas. 

On  ne  nommait  donc  pas  M.  Hume ,  mais  il  vit 

avec  tes  gens  qu  on  nommait;  il  a  pour  amis  tou« 

fflaeflflcmis,  on  le  sait  :  aiUeurs  les  Tronchin , 

U:sdAlembert,  les  Vohaire-,  mais  il  y  a  bien  pis 

â  Londres,  c'est  que  je  n'y  ai  pour  ennemis  que 

fjf  amis.  Eh  î  pourtpxoi  y  en  a^r;^is-je  d'autres T> 


tS4  COKRBSPOïtDAIlCB, 

pamquoî  mèAe  y  ai- je  ceux-là?  Qn'ai>  je  fak  i 
lord  LittletoB  que  je  ne  connais  même  pas?  Qu'ai- 
je  £iit  à  M.  Walpole  <jua  je  ne  connais  pas  davan- 
tage? Que  savent- ils  de  moi ,  sinon  que  je  suis 
IBulheurcux  et  Tami  de  leur  ami  Hume?  Que  leur 
a-t-il  donc  dit,  puisque  ce  n'est  que  par  lui  quils 
me  couuaifsent  ?  Je  crois  bien  qu^avec  le  r61c  qu'il 
£iit ,  il  ne  se  démasque  pas  devrait  tout  le  mondes  ; 
ce  ne  serait  plus  éti*c  masqué*  Je  crois^bien  qu'il 
ne  parle  pas  de  moi  à  M.  le  général  Conway  ui  à 
M,  le  duc  de  Richmond  comme  il  en  parle  dans 
ses  entretiens  secrets  avec  M.  Walpole,  et  dans  5a 
correspondance  secrète  avec  AL  d'Alembert;  mai 
qu'on  découvre  la  trame  qui  s'ourdit  à  Londres 
depuis  mon  anîvée,  et  Ton  verra  si  ]VL  Hume  uen 
tient  pas  les  principaux  fils. 

Enfin  ie  moment  venu  qu'on  croit  propre  k 
frapper  le  grand  coup ,  on  en  prépare  leflet  par 
un  nouvel  écrit  satirique  qu'on  fait  mettre  dans 
les  papiers.  S'il  m'était  resté  jusqu'alors  le  moindre 
doute,  comment  aurait-il  pu  tenir  devant  cet  écrit, 
puisqu'il  contenait  des  faits  qui  n  étaient  connus 
que  de  M.  Hume,  chargés,  il  est  vrai ,  pour  les 
rendre  odieux  au  public? 

.  On  dit  dans  cet  écrit  que  j'ouvre  ma  porte  aux 
grands ,  et  que  je  la  ferme  aux  petits.  Qu*cst-ce 
qui  sait  à  qui  j'ai  ouvert  ou  fermé  ma  porte,  que 
M.  Hume,  avec  qui  j^ai  demeuré  et  par  qui  sont 
venus  tous  ceux  que  j'ai  vus?  11  faut  en  excepter 
un  grand  que  j  ai  reçu  de  bon  coeur  sans  le  caxk« 


1766.   ^  i5J 

fisitre,  et  qog  f asirais  reça  de  bien  «tettleor  foettf 
e;îcore  si  je  Favais  connu.  Ce  fot  M.  Hume  gai 
me  ^t  s<ni  mon  qoand  il  fut  parti.  En  Tapi^nan  t, 
')€iu  im  rrai  chagrin  que ,  daignant  monler  un 
second  étage^  il  ne  fût  pas  entré  a«  pemier. 

Quant  aux  petits,  je  n^ai  rien  à  dire*  J'anrais 
â^vé  ruir  moins  de  monde  ;  mais ,  ne  Toulant 
à*'jàâe  k  personne ,  je  me  laissais  £nger  par 
M.  Hume ,  et  j'ai  reçu  de  mon  miens  tous  oenx 
ju 71  ma  présentés,  sans  distinction  de  petits  ni 
de  ^nds. 

1>H  dit  dans  ce  même  écrit  qne  je  reçois  mes 
Yw^rcDft  Ecoîdcmcnt ,  pour  ne  rien  dire  de  plus. 
(.rcrtte  çéoécdite  cfloâste  à  avoir  one  fins  reçu  as- 
Sfz  froidement  le  seul  parent  que  j'aie  hors  de 
(itrnére^  et  cela  eo  présence  de  M.  Hiune.  C  est 
occ^ssaixeraent  on  M.  Hume  ou  ce  parent  qni  a 
foœis  cet  article*  Or^  mon  cousin ,  que  jai  ton 
io€u%€tman  pour  bon  parent  et  pour  honnête 
bomme,  n'est  point  ca^ble  de  feumir  à  des  sa- 
tires publiques  contre  moi;  d^aiUeuis,  borné  par 
-^n  état  à  la  société  des  gens  decmmecee,  il  ne 
^it  pas  avec  les  gens  de  lettres^  ni  a^ec  ceux  qui 
[.unissent  des  articles  dams  les  pa^e»,  encore 
noias  arec  ceux,  qui  s'occupent  à  des  sitbes  r' 
aioâ  fartide  ne  Tient  pas  de  luL  Tout  an  plus 
pois^  penser  qne  IUL  Hume  ausa  ttehé  de  le.  faire 
.^aser^cequi  n  est  pas  absoiamoit  difficile  ,^  et  cpi'il 
^nra  touniêce qu'il  lui  a  Ade  la  nuonèrela pitù^ 
^FooLk  à  ses. vues.. IJ;  est  bon  d'ajouter  qaupscs 


l56  CORRESPOiriDAlfCE , 

ma  rupture  avec  M.  Hume  j'en  avais  écrit  à  ce  coU' 
sin-là. 

Enfin  on  dit  dans  ce  même  écrit  que  je  suis 
sujet  à  changer  d'amis.  Il  ne  faut  pas  être  bien  fin 
pour  comprendre  &  quoi  cela  prépare. 

Distinguons.  J'ai  depuis  vingt-cinq  et  trente  an« 
des  amis  très -solides.  Ten  ai  de  plus  nouveaux, 
mais  non  moins  sûrs,  que  je  garderai  plus  long- 
temps si  je  yLs.  Je  n'ai  pas  en  général  trouvé  la 
même  sûreté  chez  ceux  que  j'ai  faits  parmi  les 
gens  de  lettres  :  aussi  j'en  ai  changé  quelquefois, 
et  j'en  changeréii  tant  qu'ils  me  seront  suspects; 
c^r  je  suis  bien  déterminé  à  ne  garder  jamais  d'a- 
mis par  bienséance  :  je  n'en  veux  avoir  que  pour 
les  aimer. 

Si  jamais  j'eus  une  conviction  intime  et  ccr* 
taiee,  je  l'ai  que  M.  Hume  a  fourni  les  matériaux 
de  cet  écrit.  Bien  plus,  non -seulement  j'ai  cette 
certitude,  mais  il  m'est  clair  qu'il  a  voulu  que  je 
Tousse;  car  comment  supposer  un  homme  aussi 
fin ,  assez  maladroit  pour  se  découvrir  à  ce  point , 
voulant  se  cacher? 

Quel  était  son  bu'  ?  Rien  n'est  plus  clair  en- 
core; c  était  de  porter  mon  indignation  à  son  dt^r- 
njer  terme ,  pour  amener  avec  plus  d'éclat  le  coup 
qu'il  me  préparait.  Il  sait  que ,  pour  me  faire  faire 
bien  des  sottises,  il  suffit  de  me  mettre  entrolèrc. 
Nous  sommes  au  lAoment  critique  qui  montrera 
l'U  a  bien  ou  mal  raisonné. 

U  &ut  se  posséder  autant  que  £iit  M.  Hume,  il 


1763.  iS^ 

âtai  aroir  JOD  flegme  et  tonte  sa  force  d'e^irit 
pour  prendre  le  parti  qu'il  prit,  après  fout  ce  qui 
sctût  passé.  Dans  l'embarnis  où  j  étais,  écrirai^ 
à  M.  k  léoéral  Conwaj ,  je  ne  pus  remplir  ma 
lettre  xps  de  phrases  obscures  dont  M.  Hume  fit, 
«HBme  moa  ami  y  rinterprétation  qui  lui  plut 
Supposant  donc,  quoiqu'il  sût  très-bien  le  con-*" 
tiaiie,  qne  c'était  la  cLrase  du  secret  qui  me  f;ri* 
iait  de  b  peine,  il  obtient  de  M.  le  général  qu'il 
Toadrait  Iaoï  s'em^o jer  pour  la  faire  lever.  Alors 
r«l  homme  stoïque  et  vraiment  inscnsIUe  m'écrit 
ia  lHtr«  la  pfais  amicale ,  où  il  me  marque  qu'il 
s  t-sl  employé  pour  faire  lever  la  clause  *,  mais  qu^a- 
vaut  toute  cVrâie  il  iaut  savoir  si  je  veux  accepter 
sans  cette  condition ,  pour  ne  pas  exposer  sa  ma- 
iesté  à  on  second  refus, 

Cctait  ici  le  moment  décisif,  la  fin,  l'objet  de 
toos  SCS  fnrranx  ;  il  lui  fallait  une  réponse ,  il  la 
yofJait  Pour  que  je  ne  pusse  me  dispenser  de  la 
f^ire,  il  envoie  à  AL  Davenport  un  duplicata  de 
Ùl  sa  lettre  y  et^  non  content  de  cette  précaution, 
il  médit  dans  un  autre  billet  qull  ne  saurait  res- 
ter plus  long-temps  à  Ixmdres  pour  mon  service. 
1^  tétc  me  tourna  presque  en  lisant  ce  billet.  De 
lii^  jours  je  n  ai  rien  trouvé  de  plus  inconcevable. 
U  Ta  donc  enfin  cette  réponse  tant  désirée,  et 
re  fR»e  déjà  den  triompher.  Déjà,  écrivant  à 
AL  Aarctiport,  il  me  traite  d  homme  ieioce  et  de 
uc«istie  d  ingratitude  :  mais  il  lui  Ëmt  phis;  se» 
sont  bien  urines,  à  ce  quilpense  :  nuH^ 
.  4.  »4 


iCù  corhesfoKdavce, 

sion  da  roi.  Peut- ou  rien  penser  de  pi  fis  extr 

Tagant? 

Mais  qup  M.  Hume  j  suivant  toujours  son  plaj 
se  soit  dit  <i  lui>méme  :  Voici  le  momeat  de  V^x 
cution  ;  car,  pressant  Rousseau  d accepter  la  pci 
sion,  il  faudra  qu'il  1  accepte  ou  quil  la  refus 
S  il  laccepte,  avec  les  preuves  que  j'ai  en  mu':! 
je  le  déshonore  complètement;  s'il  la  refuse  a\iri 
lavoir  acceptée ,  on  a  levé  tout  prétexte ,  il  ùmdi 
qu'il  dise  pourrjuoi;  c'est  là  que  je  l'attends  :  s 
m'accuse,  il  est  perdu* 

Si,  dis- je,  M.  Hume  a  raisonné  ainsi,  il  a  &i 
une  chose  fort  conséquente  à  sou  plau^  et  pari 
même  ici  fort  naturelle  )  et  il  n^a  que  cette  unique 
fiiçon  d'expliquer  sa  conduite  dans  cette  aôaire 
car  elle  est  inexplicable  dans  toute  autre  suppo 
•ition  :  si  ceci  n'est  pas  démontré,  jamais  rien  m 
le  sera. 

L'état  critique  où  il  m^a  réduit  me  rappelle  him 
fortement  les  quatre  mots  dont  j'ai  parlé  ci-d^ 
vant,  et  que  je  lui  entendis  dire  et  répéter  dans 
un  temps  où  je  n  en  pénétrais  guère  la  force.  Cé^ 
tait  la  première  nuit  qui  suivit  notre  départ  do 
Paris.  Nous  étions  couchés  dans  k  mémechambn% 
çt  plusieurs  fois  dans  la  mut  je  l'entends  s eciier 
en  français,  avec  une  véhémence  extrême  :  Je 
Hens  J-  J.  Rousseau!  J'ignore  s'il  veillait  oa  s  il 
dormait.  L'expression  est  remarqoai^le  dans  la 
Wuche  d  un  homme  qui  sait  trop  bien  le  irançaîs 
pour  se  tromper  sur  la  force  et  le  choix  des  terpx's» 


A^niEé  1766.  loi 

CcpdiiiaBt  je  pris ,  et  je  ne  ponyais  iiian:jaer  alon 
de  preodre  ces  mots  dans  un  sens  favorable ,  <|tioi- 
tfK  Ve  ttm.  rîndiquât  encore  moins  que  Feicpres- 
non:  cesl  an  ton  dont  il  m  est  impossible  de 
doDiief  nd^  n  et  qui  correspond  très-bien  aux  re* 
fards  dont  j  ai  parlé.  Chacj[ue  fois  qu'il  dit  ces 
mots  je  sentis  un  tressa iliement  dcfhoi,  dont  je 
o'ctats  pas  le  maître  :  mais  il  ne  me  lallut  qu'un 
Moment  ponr  me  remettre  et  rire  de  ma  terreur  : 
dès  le  lendemain  tout  fut  si  parfaitement  oublié 
<pie  je  n'y  ai  pas  même  pensé  durant  tout  mon  se" 
fior  -k  Londres  et  au  voisinage.  Je  ne  m  eu  suis 
souvenu  f^^id  où  tant  de  choses  m^ont  rappelé 
ces  paroles,  et  me  les  rappellent ,  jpour  ainsi  dire , 
à  cbaque  instant. 

Ces  matSj  doot  le  ton  retentit  sur  mon  cœur 
eo!3ime  sUs  venaient  d'être  prononces;  les  lon^ 
el  fénesles  regards  tant  de  fois  lancés  sur  moi  ;  les 
ftths  coops  sas  le  dos  avec  des  mots  de  mon  cher 
monsieur^  en  réponse  au  soupçon  d'être  un  traître; 
tout  cela  m'iaflecte  à  un  tql- point  après  le  reste , 
que  ces  souvenirs ,  fussent-ils  les  seuls ,  fermeraient 
tout  retour  â  la  confiance;  et  il  n y  a  pas  une  nuj't 
ob  œs  mots,  Je  tiens  J.  J.  Hou^eau,  ne  sonnent 
<^s»re  à  mon  oreille  connue  si  jeies  entendais  de 
iHMnrean. 

Oui ,  M  «  Hume ,  vous  me  tenez  ^  je  le  sais  ;  mais 
seulement  par  des  choses  qui  me  sont  extérieures  : 
vous  me  tenez  par  Topiniou ,  par  les  jugemens  des 
Ji^xmaes;  vous  me  tenez  par  m^  réputation,  par 


t6i  COitJlESPOJVD  AKCE  , 

m»  3Ôioté  pfut-être,  tous  Iqs  préjugéi  sdiit  poaz 
Tooa  ;  il  vous  c$l  nisQ  de  me  faire  p9$ser  pou  r  un 
Qionstre,  conim«  vous  aves  commeQcé^  crt  je  vois 
dt^jé  l'exultation  barbare  de  mes  implacables  OBne- 
misu  Le  puI)Ucf  en  général,  ne  me  fera  ped  plus 
de  gi'dcQ  :  38n$  autjpe  examen  ^  il  est  toujours  po^^r 
les  servioes  rendu»,  parce  que  cbacuu  eat  bîea  aîs^e 
diuritftr  k  hii  on  rei^re  en  mouiPiu^u^il  sait  ïos 
sentir»  Je  prévoie  aisément  la  suite  de  tout  cela  y 
«surtout  dans  le  pays  où  voua  mVv^%  coudait,  et 
oky  leos  amb,  étranger  à  tout  le  moude,}e  suis 
pref<iue  à  voire  merci.  Les  geu$  sensée  compren- 
dreui  cependant  que ,  loin  <pie  j  ai«  pu  efeerçher 
fteUe  aâwj^ ,  die  éliUC  ee  qui  puw^il  m'owiviH- 

de  plus'  terrible  dans  la  position  pu  je  SUIS»  ik 

teAtiroui  qu'il  n  y  a  que  ma  haine  invinc jble  pour 
touw  &usseté,  et  Vimpo^ibilité  de  marquer  ém 
rnsiluM  f^  celui  ppijgr  qm  je  Tai  pordue^  qui  aient 
pu  m'ompdcher  de  dissimuler  qli^od  tAut  dinté- 
l'éto  m'en  faisaieut  une  hi  :  m^^is  le»  gea$  sei^^é^ 
sam  CB  petit  nombre^  ie|  oc  ne  soutipan  eux  ^lû 
fent  du  bruit. 

Qui^  M.  ilume,  you^  me  teneis  peur  fous  les 
lieiia  df  cette  vie  \  mais  vous  ne  9te  i^mi  ni  p^ir 
w\  vertu  ni  par  mon  courage,  }|i(}épenddnt  d« 

vous  et  des  hommes,  et  qui  me  restera  tQut  entier 
m»ilgré  vous.  No  pensess.  pas  m'eifir^^er  p^t  la 
crainte  du  »oi1  qui  m'attend.  Je  connais  lee  juge^ 
meu«  des  koqupe^^  je  suis  accoiitumé  k  leur  îiv- 
justice,  et  jVi  itpprÎA  i  le»  peu  redouter-  Si  vot» 


paiû  ot  pris  y  comme  fai  tout  lieu  de  la  crom^ 
soyex  iâr  qne  le  aûen  ne  Test  pas  okmqs.  Mon 
corp»  est  a&iblî,  mais  jamaîa  mon  âme  ne  fat  pins 
fcnoe.  Les  lioiiimes  feront  et  diront  ce  qu'ils  voo- 
drofitf  pcB  mraiporte;  ce  qui  mlmporte  est  dV 
chcvcr, comme  j'£t  commencé,  d'être  droit  et  Trai 
ju5qa*i  h  £n^  quoi  qu'il  arrive,  et  de  u'ayoir  pas 
plni  i  me  reprodier  une  lâcheté  dans  mes  misères 
qaane  insolence  dans  ma  prospérité.  Quelque 
of^volBe  qui  m'attende  et  quelque  malheur  qui 
me  menace,  je  suis  prêt.  Quoique  à  jdaiudre^  je 
le  serai  moins  que  vous,  et  je  vous  laisse  pour 
tunle  vcnçeaknce  le  tourment  de  re^ecter,  malgré 
vous  5  nxifortuné  que  vous  accablez. 

En  achevant  cette  lettre ,  je  suis  surpris  de  la 
tome  que  ;ai  eue  de  récrire.  Si  Ton  mourait  de 
cJoukiir,  feu  serais  mort  à  chaque  ligne.  Tout  est 
èçpàemeot  jocompréfaensible  dans  ce  qui  se  passe* 
L  De  conémle  pareûle  à  b  vôtre  n'est  pas  dans  la 
r^Lturp;  elle  est  contradictoire,  et  cependant  elle 
:?i'o5t  démontrée.  Ai)hnc  des  deux  côtes!  je  péris 
d^ns  Tun  ou  dans  Fautre.  Je  suis  le  plus  malhcu^ 
r^-in  des  hamains  si  tous  êtes  coupable;  fen  suis 
>'*  plus  vil,  si  vous  êtes  innocent.  Vous  me  faites 
.'trûcr  d^être  cet  objet  méprisable.  Oui ,  l'état  oà 
:-?  XB«  vernis,  prosterné,  foulé  sous  vos  pieds, 
ai uit BÎséricorde  et  £&isant  tont  pour  1  oht  uir^ 
pafiliaatl  hante  voix  mon  indignité,  et  rendant 
t\aB  vertus  le  plus  éclatant  hommage,  serait  pour 
3iCB  ooeur  un  état  d'épanouissement  et  de  joi^ 


I^  CORRESPOND  A?rû£, 

après  Tétat  d'étouffemcnt  et  de  mort  où  vous 
yez  mis,  11  ne  me  reste  qu'un  mot  à  vous  dire. 
YOVLS  êtes  coup ible,  ne  m^écrivcz  plus;  cela  sei 
mutile  et  sûrement  vous  ne  me  tromperez  j 
Si  vous  êtes  innocent,  daignez  vous  justifier 
connais  mon  devoir,  je  Taime  et  Paimcrai  t 
jours,  quelque  rude  qu'il  puisse  être.  11  n'y  a  pc 
d'abjectioix  dont  un  cœur  qui  n  est  pas  né  p 
elle  ne  puisse  revenir.  Encore  un  coup,  siv 
êtes  innocent,  daignez  vous  justifier  :  si  vous 
Pétes  pas ,  adieu  pour  jamais.. 

69  *.  —  A  M,.  DU  Petrou. 

Le  19  juillet  i76( 

'  JavaIs  le  pressentiment  de  voire  goutte ,  et 
sbntais  Tinquiétude,  tandis  que  vous  en  scii 
le  mal.  Vous  en  voilà ,  j  espère ,  délivré,  du  in( 
pour  cette  année.  Xa  prévoyance  de  ces  reU 
annuels  est  terrible;  cependant  si  de  vives  d 
leurs  laissaient  raisonner^  ce  serait  quelque  c 
folatiou,  tandis  quelles  dorent,  de  sentir  qt 
acbèic^  h  ce  prix  onze  mois  de  repos.  Quant  à  li 
si  je  pouvais  rassembler  en  un  point  ce  q« 
fioulire  en  détail ,  j^en  ferais  le  marché  de  ^ 
t;œur;  car  les  inter^'alles  de  repos  donnent  s 
un  prix  à  la  vie.  Mais,  comme  je  ne  doute  p 
que  cotto  somme  de  douleurs  ne  fût  beaul 
moindre  que  la  vùti^c ,  je  sens  que  ce  triste  ma 
ae  4oit  pus  vous  ajjréer.  Cependant^  à  toute 


I^wïé  1766.  iS5 

i^^  «ottSiTr  bsauconp  me  paraît  encore  préfo- 
nM*  t  sooS^r  toojotirs.  O  mon  hôte  !  ne  renou- 
vcWy^hos  donleurs,  dsns  leur  relâche,  en 
T^ooseanppfiant  le  cruel  souvenir.  Goiitentons- 
nons de Uirber, comme  vous  faites,  (ïadoucir  la 
T'^^JB  de  Uors  attaques  par  tontes  les  précautions 
^uf  ia  raison  peut  suggérer.  Celle  du  grand  exer- 
cice ae  pjeail  «cfUente;  h  goutte  doit  son  ori- 
fïDcahviesttlenlaire-,  il  faut  au  moins  empêcher 
M  cause  de  la  nourrir.  V^ous  scmblez  mettre  en 
piîiîé  rcxercicc  pédestre,  l'équestre,  et  le  mouvc- 
iiKnt  du  carfosse;  c'est  en  quoi  je  ne  suis  pas  do 
voiw  avis.  Le  carrosse  65 1  à  peine  un  mouvement, 
et  posant,  4  cheral,  snr  son  derrière  et  sur  ses 
pieds,  on  a  plus  d'à  moitié  le  corps  en  repos.  Dans 
là  mairie  à  ped  toitles  les  articulations  agissent , 
^t  le  iiovTeiseaf  du.  sang  accéléré  excite  une 
Iran^waf  jt)jt  51/irtaire.  11  n'est  pas  possible  que , 
frfDrfi<«pioo  mairlie,  aucune  sécréticn  d  humeur 
^'*fc»selior5deson  l:cu.  Marchez  donc,  voyagez, 
'  rfoiisez;  ailes  à  Cressier  à  pied,  revenez  de 
•^"^e,  dût  quelque  taureau  vous  faire  en  parsant 
^^bfîneursdubois. 

^haat  à  fahstinenee  que  vous  voulez  vous 
n-5CTiPe,  je  l'approuve  aussi ,  pourvu  qu'elle  n'aille 
r>lwp  loin.  Continuer  de  ne  pas  souper,  vous 
^^  àemnz  pins  paisiblement  et  mieux.  Wc  joi*- 
'Mfek  souper  au  dîner  «1  doublant  la  dose, 
'^i  encore  fort  bien  -,  mais  n\nllez  pas  partir  de  lA 
t''^r  fine  en  anachorète  ^  ei  pcs^r  vos  alimen* 


:r6G  coRRKsrôNPArïcr. , 

comme  Sanctorîaa.  Boaiucoup  d'^si^orcic^  tl 
coupd  abstincûcc  vont  iiu4  cU^Qible^.c^est  un  ré- 
(jhiie  que  n'approuve  p{u»  la  u^mr^y  pi»i$^  i  pf^ 
portion  de  1  ;'xercice  qudi  fait  dW  pugineolie 
r.ippéût.  Il  iliut  ét|  e  sol>i-e  jus(j[i«L'  4<iù$  lu  6phriéié. 
(Choisissez  ^  os  nu?ts  $aQS  les  fpesurpr.  Ayez  un/e 
t;>l)le  frugale,  mais  suiSsaute .;  qup  toiU  y  b^ài 
simple,  mais  bou  dans  son  ospèco«  Ppint  de  pri- 
•/ucurs ,  rien  de  recherché,  rien  de  nu*e,  ippi3  toiftt 
h'n)^  choisi  dans  son  meilleur  iemps.  C'est  ain^i 
x|ue  j'ai  yécu  Qaus  mon  petit  ïnéuAge;  et  qçie  jy 
.\ivrais  toujours,  quand  jalvais  cent  mille  iku^ 
de  rente.  Je  me  souviens  d'avoir  mangé  ohez  votis 
du  pain  de  farine  échaiiifi^e  çt  du  poisspo  qui  n'À- 
tclit  pas  frais;  voilà  qui  est  pernicieux.  J0  saia  que 
n^adame  laCommandante  y  {ait  tout  son  po^iÛey 
malheureusement  on  n  est  pa$  riche  înppMnénteat» 
I^i^  voilà  surtout  où  doit  portjw  sa  vigUanoe  et 
}a  votre;  que  rien  ne  soit  lin ,  quo  tçut  soit  sain. 

Il  y  a,  mon  cher  b6te,  nnq  ^utre  sortK)  dabslir 
neiice  quç  je  crois  beaucoup  plus  importante  à 
votre  étatp  et  qui  ^eqle,  je  n'en  doute  point,  pouf^ 
rait  opérer  votre  guérison.  Le  vieux  DuBiouli« 
ré[i^tait  souvent  que  jamais  homme  continent  11  a- 
vait  eu  Ifi  gouttç;  et  il  disait  aux  eouttçux  <[ui  se 
inettaiept  au  lait  :  BuTt;y  du  vin  de  Champagne , 
jet  quittez  les  filles.  Mou  cher  hôte,  je  ne  $iû^  point 
content  de  ce  que  vous  mUyez  écrit  à  ce  ^uJQi  :  ce 
que  vous  regardez  comme  la  consolation  do  voira 
4}](istçpc9  est  piécisémcnt  ce  qui  \QUi  la  read  ji 


ctajc  Cft  cug  «pj^urrri  Ae  porté  àû  dert6^ 

(ftt  iki  €sprite  Ia6gn4s«iî9  €ft  iiic«s,  ef  n'eBgf»ndf  é  • 

sm|V«ttl  M  \miBé  y  tneof o(  vous  t«rrc2f  missi  la* 
navm  tlk$èlPC9  tt5pretidre  à  Vos  y  feux  teae  faff  e 
riaiie,  et  ms  «mire»  âtee  cféîîces  fe'  plaisir 
JeHiiir.  U«Bié  da  eopp^^  k  vigueur  d«  Fîlm^ , 
la  WaWA /espif , la gâkcé de  Ihiittéttr ,  tcmt 
tMitJagraiidpoBil-,  et  le  seul  régiâve  utik  aux 
^«P^to  mpiécMéwenI  le  seiii  dont  ife  nos'avi- 
*«•  pttaÎB.  it  i^ms  prêche  un  jeûne  qbe  Plîaln^ 
^  «fttirô  a  wndu  iort  dilBcîIe,  je  k  saî»  bîeii  ; 
>«» Wcsius,  lagouoe  doit  être  tiff  mcUleur  pré- 
A«teiif  ^ttol  Opcûdaét  il  s  agit  moins  ici  de 
?«!»  ^xts  ^e  Staut^  certaino  âéx^d ,  il  feut 
««ki.A«^5»/ j  va/Bciequ'à  éviter  fc  GOfmhat  II 
ut  svfm  » éistn'aé  et  s'occuper  Beaucoup, 
ciais  sortoDl  agréaLlemeiil;  car  les  Occupations 
i<^pUaat»ootbe9okf  de  délassement ,  et  voHâ 
î^<»*»eif  éh  DOtts  attend  fcnnetoî.  Mon  cher 
-'>te,failejlts|rMd  besoin  ^  voiià;  jfe  donne- 
ra b  mmàt  de  m^  vie  pottr"VM$  v^rir  heureux 
^  ^;  et  je  snitf  p^iMadé  ^0  eek  dë]iend  d<y 
^««  «roue.  Jai  nne  grande  entlieprise  à  vous 
!*•?•*•  Ewjê^  Oit  an  de  mon  péniHe ,  mais 
^ï^pn».  Si  dMis  od  an  br  madiine  n'est  pw 
^^^^j  si  riiaene  m  i^Miiinepas^si  la  goutte 
'^'^cftmiM  anparavai^^  \e  me  tais;  nfpïvnez 
^•*»  tmx  Haii;,  êepice ,  peii$e«  à  ce  que  vot fe 
<tt  v««  fnpott  ;  SI  v^Oi  pouifoK  eocore  aspirer  ' 


l68  CORAESPOVOAlfGE, 

au  boQli?ar  et  à  la  santé,  de  si  grands  objets aè* 
luéritent-ils  pas  hi*iD  des  sacrifices?  Poiw  les  rendre  • 
moins  ouéreux,  donnez-vous  quelque  goût  qui* 
devienne  enfin  passion,  s'il  est  passiUe,  et  qui 
remplisse  tous  vos  loisirs.  Je  vous  ai  conseillé  la 
botanique;  je  vous  la  conseille  encore,  à  cause  du 
dou})le  profit  de  ramuscmcnt  et  de  rezïBrcîce,  et 
quand  on  a  Lien  herborisé  dans  les  rochers  peu* 
dant  la  journée,  ou  n  est  pas  fâché  le  soir  diaikx  i 
coucher  seuh  J'y  vois  des  avatiiages  que  djautres/ 
occupations  réuniraient  difficilcsoent  smstà  bien* 
Toutefois  suivez  vos  goûts  quels  qu^^i soient,  ' 
mais  occupez -vous  tout  de  i>oii\  voua  «ientirez  i 
quels  cliarrocs  prennent  par  degrés  las  connais- 
sances, à  mesure  quon  ks.cUltive.  TeL^iutietix 
«nualyse  avec  plus  de  plaisir  une  jolie  flçur/quiuiB 
jolie  tille.  Dieu  veuille ,  mon  U^HQher  hotey  que  . 
bientôt  airtsi  soit  de  vousl 

JV'crtrai  celle  semaine  à  milord  Marédbal  p(HMr 
rafTaire  de  M.  dKsdiemy,  à  q^ii.je  vous  prie  de 
faire  mes  salutations  et  mes  excuses  de  ce  queije  '. 
lie  lui  réponds  pas;  cVst  une  suite  de  la  résolu- 
tion que  jai  prise  de  n'écriive  plus  k  pcrsouae 
qu'au  seul  milord  Maréchal  et  à  vous.  Je  seim 
combien  il  importe  au  repos  du  reste  de  xoa  vie 
que  je  sois  totalement  oublié  du  public.  Je  ferais  . 
p)urlant  bien  fâché  que  mes  amis,  m'oubliassent  i 
mais  c  est  ce  que  je  n^ai  pas  à  craindre  de  ceux  qui  • 
sont  pré  >  de  vous;  e^  quelque  jour,  elixeu  ieniB 
eufans  auront  des  preuves  que  je  ne  les  oublie  paa 


Éon  plus.  Kus quand  on  écrit,  les  lettres  se  monw 
tioU;  on  parie  d'un  homme,  et  il  m'importe  qu'on 
^dc  ^,T  de  moi ,  au  point  d  être  censé  mort 
de  noDTiFant  Je  ne  me  suis  pas  réservé  une  seule 
«>TOp«idance  à  Paris,  à  Genève,  à  Lyon,  ps 
même  à  Tvefdun  ;  mais  mon  cœur  est  toujours  le 
«eme,  et  je  me  flatte,  mon  cher  hôte,  que  dans 
t«rf  ce  qui  est  À  votre  portée  vous  voudrez  bien 
soppfcer  à  mon  silence  dans  1  occasion.  Je  suis 
irès-Êcké  que  M.  de  Pury ,  que  j  aime  de  tout  mon 
CQW,  ait  a  se  plaindre  de  quelques  propos  de  ma- 
^oiseBe  U  Vassenr,  qui  probablement  lui  onC 
été  maimidns-,  mais  je  suis  surpris  en  même  temps 
q  .  un  homme  d  autant  d'esprit  daigne  foire  atten- 
tion  ^ces  petits  bavaidages  femeUes,  Les  femme» 
aom  hites  poor  caitoer,  et  les  hommes  pour  en 
me.  Jai  si  Uea  pjis  mon  parti  sur  tous  ces  dits  et 
r^CsdecDfflméiies,  qu'ils  sont  pour  moi  comme 
fl^nstonl  pas;  U  n  y  a  que  ce  moyen  de  vivre  en 
repos. 

Je  vous  suis  obligé  de  la  copie  de  la  lettre  do 
M.  Home  que  vous  m'avez  envoyée,  C  est  A  peu 
rrés  ce  que  fimaginais.  L'article  de  trente  livres 
5ter.mgdc  pension  ma  fait  rire.  Vous  piirrez  du 
=«^:  je  m'en  fl^itte,  juger  par  vous-même  de  ce 
T'  "  en  est.  Je  renvoie  à  ce  même  temps  les  expli- 
'étions qui  le  regardent  sur  ce  quî  s'est  passé  eiJtre 

,  *K«chcniy .  que  vous  me  jugez  Tun  et  Fautro 
«art  affecté  des  satires  publiques  et  du  radotage 
'^—  e«.  4.  ,5 


I70  CORl^ESPOlfBANCE, 

(Je  cft  pauvve  Voltaire.  Je  laisse  croire  aiur  autre» 
ce  qu'U  leur  plait  ;  mais  comment  se  peii&t*il  que 
yoUiS  me  connaissiez  si  mal  encore,  vous  qui  savez 
Hv^  je  fais  imprimer  moi-même  les  libelles  qui  90 
^t  cpnlTf  moi?  Soyez  bien  persuadé  que  depuis 
Ipng-tamps  sien,  de  la  part  de  mes  ennemi^  ui  du 
public^  ne  peut  m'alTeçler  un  seul  moment.  Les 
coups  qpi  me  navrent  me  sout  portés  de  pln^  prês^ 
ot  j'en  serais  digne  si  Je  n'y  étais  pa3  sensible.  Sî 
1^  prédicat  de  MontmolUn  publiait  des  $aûres 
contre  vous,  je  crois  qp  elles  ne  vous  blesseraient 
gt^Lere,  mais  si  vous  iapprenie?  que  J.  J.  Rousseau 
s^^ntend  avec  lui  pour  cx^Ia,  restcri^3-vous  de  sang- 
froid?  J'espère  que  Bon>  Vojilè,  1^  cas^ù  je  me 
tjeouye.  De  {race,  mon,  bon  bôte^  ne  soyez  pas  si 
pp^uftpt  à  me  juger  s»p$  mVntendre.  Qi^elque  jour 
vous  conviendrez ,  je  m  assure ,  que  je  suis  en  An- 
gleteire  le  même  que  je  fus  aupès  de  vous. 

Xëtais  bien  sûr  que  les  trois  cents  loiiis  ne  tar- 
deraient pas  d'arriver.  Celui  qui  les  envoie  est  un  ' 
bon  papa  qui  n^oublie  pas  ses  enfans  ;  mars ,  au. 
compte  que  vous  fiiites  â  ce  sujet,  il  me  paraît  que 
mon  cher  tuteur,  si  on  le  laissait  faire,  aurait  be- 
soin lui-même  d'un  autre  tuteur.  î^ipus  parlerons 
de  cela  une  autre  fols.  J'ai  tîrç  sijj  yos  banquiers 
unç  lettre  de  y2q  liv.  de  Fraujçe>^  lesqpcHes,  jointes 
aux  70  livres  marquées  sur  votre  çpQipte^  font  8oq 
Uvrx;s  pour  le  premier  seine$t;re.  Je  n'^i  point  eu*., 
coie  re^u  d^  nouvçUes^  d/e  vm^  livre»»  MiJl(>  Usa* 


ètf  sâhtatioits  &  tons  nos  amii^y  et  respects  à  Ik 
frèiJiaBiie  ttaman.  Je  vous  embrasse. 

9gtt*  — ^  A  mnjasLB  Mahéchai.. 

Le  20  )iiîllet  1766. 

La  dernière  lettre  ,  mîlord ,  que  j'ai  reçti^  de 
nménkéa  ^5  laai.  Dc^puiâ  ce  tem^,  fai  été 
(tné  it  déclarer  mes  scatimciis  4  M.  llûtAé  :  îl  k 
nmla  nné  «tj^ication ,  il  la  eue:  j'ignore  Tubage 
^*itm  Cm.  Q«ôî  qu'il  en  soit^  toïitèsttiit  jétoN 
ttùi  cMM  lui  el  moi.  Je  voudrais  vous  ênvojèr 
<n(«e  àmVeare»,  laidis  t^esi  un  livte  {K)ur  la  gros- 
seur. WUk4  ,k  iditîaietit  cruel  que  UMS  ne  nous 
verroBS  yks  chai|^  ttdo  cœur  d  utt  pôidà  iusup- 
p*taAfo$  je  JMiBeraâi  lu  moitié  de  mon  «lâUg  ponr 
fous  tM*  un  $Hd  quart  d'béure  euct^e  une  fok 
eu  aa  Tie  :  tous  «ar^z  combien  cè  quart  d'heun 
■esendcdoiuL,  mais  vouâ  itères  combien  il  me 
te^ilit  impdrmmv 

Après  aToir  bien  réfléchi  sur  ma  situatioO  prê- 
tes te,  je  n'ai  troiité  qu'un  seul  moyen  possible  de 
m  »«Ttr  qneiqtte  repos  sur  mes  derniers  jours  \ 
^tsl  et  me  fiiire  oublier  des  hommes  aussi  parÊii^ 
ica^t  que  si  je  n^eustais  jdus^  si  tant  est  qu  on 
pàse  appeler  existence  un  reste  de  régétation 
îasiye  à  sm-^ulème  et  anic  autres ,  loin  de  tout  ce 
qw  ooQs  est  cher.  En  conséquence  de  c^tte  réso- 
l<ii!OT ,  j'ai  pris  celle  dé  rompre  toute  correspon- 
iiiacc  lie»  les  cas  d'absolue  aéces^té.  Je  cesse  dé<- 


^7^  correspoudance, 

;$ormais  d*écnre  et  de  répondre  à  qui  que  ce  so'tL 
Je  ne  fais  que  deux  seules  exceptious,  dont  Tune 
est  pour  M.  du  Peyrou;  je  crois  superflu  de  vous 
dire  quelle  est  l'autre  :  désormais  tout  à  l'amitié, 
n  existant  plus  que  par  elle^  vous  sentez  que  j  ai 
plus  besoin  que  jamais  davoir  quelquefois  de  vos 
lettres. 

Je  suis  très-heureux  d'avoir  pris  du  goût  pour 
la  botanique  :  ce  goût  se  change  insensiblement 
en  une  passion  denfant ,  ou  plutôt  en  un  radotage 
inutile  et  vain;  car  je  n'apprends  aujourdhui 
qu'en  oubliant  ce  que  jappris  hier,  mais  nlm- 
poite  :  si  je  n'ai  jamais  le  plaisir  de  savoir,  j'aurai 
toujours  celui  d'apprendre,  et  c'est  tout  ce  qu'il 
me  faut.  Vous  ne  sauriez  croire  combien  Tétude 
des  plantes  jette  d'agrément  sur  mes  promenades 
solitaires.  J'ai  eu  le  bonjieiur  de  me  conserver  un 
cœur  assez  sain  pour  que  les  plus  simples  amu* 
eemens  lui  suffisent;  et  j'empêche,  en  mempail* 
lant  la  tête,  qu'il  n'y  reste  place  pour  d*autres 
fatras. 

^occupation  pour  les  jours  de  pluie,  fréquens 
pn  ce  pays,  est  d'écrire  ma  vie;  non  ma  vie  exté  • 
rieure  comme  les  autres,  mais  ma  vie  réelle,  ce\\e 
de  mon  âme,  l'histoire  de  mes  sentimens  les  plus 
secrets.  Je  fei^  ce  que  nul  homme  n  a  Ëiit  avant 
moi ,  et  ce  que  vraisemblablement  nul  autre  ne 
fera  dans  la  suite.  Je  dirai  tout,  le  bien,  le  mal, 
tout  enfin;  je  me  sens  une  âme  qui  se  peut  mou* 
trer.  Je  suis  loin  de  cette  époque  chérie  de  176a ^ 


nais  ]j  ytendrai ,  je  Fespère.  Je  recommencerai  ^ 

da  moins  en  idée  ,  ces  péleiinaf^es  de  Colomluer, 

cpii  {iirent  les  jours  les  plus  purs  de  ma  yie.  Que 

ne  peuvent-ils  recommencer  encore,  et  recom« 

meDcer  sans  cesse  !  )e  ne  demanderais  point  d^au* 

te  éternité. 

IL  dn  Peyrou  me  marque  qu'il  a  reçu  les  troii 
cents  louis.  Ils  viennent  dun  bon  père  qui,  non 
pins  (pie  celm  dont  il  est  Fimagc  y  n'attend  pas  que 
ses  en£ins  lui  demandent  leur  pain  quotidien. 

Je  nVntends  point  ce  que  tous  me  dites  d'une 
prétendue  charge  que  les  habitans  de  Derbysfaire 
rn^ont  donnée.  Il  ny  a  rien  de  pareil,  )e  vous  as- 
sure ,  et  cela  m'a  tout  Fair  d'une  plaisanterie  que 
quelqu'un  tous  aura  faite  sur  mon  compU^;  du 
reste,  je  suis  très-content  du  pays  et  des  liabi*. 
tans,  autant  qu'on  peut  l'être  â  mon  âge  d  un  di* 
mat  et  d'une  manière  de  TiTre  aux'juels  on  n'est 
pas  accoutumé.  J'espérais  que  vous  me  parleriez, 
on  peu  de  TOtre  maison  et  de  TOtre  jardin,  ne 
fit-ce  qu'en  Êiveur  de  la  botanique.  Àhlque  ne 
sois- je  à  portée  de  ce  bienheureux  jardin,  dût 
mon  pauTre  Sultan  le  fourrager  un  peu,  comme 
ilfitceJui  de  Colombier! 

•  . 

6g3.  —  A  M.  DATE^roRT. 

Jb  sais  bien  sensible,  monsieur,  à  l'attention 
que  TOUS  aTez  de  m'cnvoyer  tout  ce  que  tous 
crojrcz  dcToir  mlntércsser.  Ayant  pris  mon  parti 

i5. 


sur  Tuflliire  en  <picstion ,  je  continuerai ,  quoi  <{ù'3  * 
amvc,  dé  laisser  M.  Hume  faire  du  bruit  tout 
^ul,  et  je  garderai,  le  reste  de  mes  \oùrs^  le  si- 
lence que  je  me  suis  imposé  siu*  cet  strtide.  Au 
r«lte)  èatis  affecter  une  tranquillité  stoique^  j^ose 
vous  assurer  que  dans  ce  déchaînement  Universel 
je  suis  ému  aussi  peu  qu'il  est  possible,  et  bcau- 
cotip  moins  que  je  n'aurais  cru  î'éti^,  si  d'avance 
on  me  l'eût  annoncé  ;  mais  ce  que  je  vous  pro* 
teste  et  ce  que  je  vous  jure ,  mon  respectable  hôte  ^ 
en  vérité  et  à  la  face  du  ciel,  c  est  que  le  brajant 
et  trk)mphant  David  Hume,  dans  tout  réclâk  de 
sa  gloire,  me  parait  beaucoup  [plus  à  plaindre  que 
l'infortuné  J.  J.  Rousseau,  livré  k  la  difiàlnalion 
publique.  Je  ne  voudrais  pom*  rien  au  monde  ètro 
à  sa  place,  et  jy  préfère  de  beaucoup  la  mientte, 
même  avec  Topprobre  qu^il  lui  a  plu  d'y  attacher. 
J  ai  craint  pour  vous  ceâ  mauvais  temps  pas^. 
J'espère  que  ceux  qu'il  fait  à  présent  en  répare- 
ront le  mauvais  eftet.  Je  n  ai  pas  été  mieux  traité 
que  vous,  et  je  ne  connais  plus  guère  de  boa 
temps  ni  pour  mon  cœur  ni  pour  mon  corps  : 
j'exccpto  oelui  que  je  passe  auprès  de  vous  :  c'est 
vous  dire  assez  avec  quel  empressom^t  {e  ^tmm 
attends  et  votre  chère  famille,  que  je  remercie  et 
calue  de  toute  mon  âme. 


694»  — ^  ▲  M.  Ginr. 

WoonoD,  k  9  août  1 766. 

h  fltt  ftmifc  bien  {lassé,  tnoiUiiéitr ,  d^âpprendfft 

ks  hmils  nUi^^ns  qà*ôtt  répand  k  foris  saf  mM 

emiipCr^  et  tous  auriez  bien  pu  Vous  pÈi^^dr  dt 

Voof  joiiidrtf  4  ces  crlK^k  âtuis  qui  $«  |dfti5êfit  ft 

fli'foloDeer  vingt  poignards  dans  le  cœur.  L^  psirti 

ffa<!  fdi  ptis  de  m^eflSQVdir  dariS  cette.  Miitnde, 

teasctifrstefik  plus  aucuiie  corrci^rïdante  dans 

le  ilk«lèe,  est  1  effet  de  tfia  situation  hicn  etA^ 

teinée.  La  UgM  qui  sVst  fonnéè  cotitt^  tnoi  e&t 

trop  puissante ^Mp  adroite,  trop  ardcnlO)  trop 

laTâditée,  pour  qué^  dans  ttia  position^  sans 

ftftfft  â^ni  ipÊc  la  Térité^  je  sois  en  état  de  lui 

hité  fine  dalzs  le  pablic  Couper  les  tdtes  de  cette 

li^diear  jsenrînaitqu'â  les  toultiplicr;  et  jen'autail 

pas  dttnûl  une  de  leurs  calomnies,  que  Viirgt 

ftatm  plu!  cmeiles  lui  succéderaient  &  Finstant 

C^  qne  j  ai  à  (aire  cet  de  bien  prendre  mon  parti 

kur  les  jugeniens  dn  pulilic,  de  me  Uire^  et  dd 

ttcher  an  moins  de  vivre  et  mourir  en  topol. 

Je  n'en  suis  pas  moins  reconnaissant  poar  <5enz 
qjiifc  intérêt  qu^is  prennent  à  moi  enga*^  à  m'ins^ 
trsirip  de  ce  qui  se  paS5e  :  en  m'affigeant,  ils  mV 
Migeat;  slls  me  font  du  mal,  c'est  en  voulant  mè 
£?irrdu  bien.  Ils  croient  que  ma  répatation  dé^ 
peod  d  une  lettre  injurieuse ,  cela  peut  être  ^  Insts , 
«V>  eroient  que  mon  honneur  éu  dép<!iid,  il|  a* 


t  y6  COSRBSPOND  AKÇB  j 

trompent.  Si  l'honneur  d'un  homme  dépendait 
des  injures  (juW  lui  dit  j  et  des  outrages  qu'on  lui 
fait,  il  y  a  long-temps  qu'il  ne  me  resterait  plus 
d'honneur  à  perdre  ;  mais ,  au  contraire ,  il  est 
même  au-dessous  dW  honnête  homme  de. re- 
pousser de  certains  outrages.  On  dit  que  M.  Hume 
me  traite  de  vile  canaille  et  de  scélérat.  Si  je  sa- 
vais répondre  à  de  pareils  noms,  ie  m'en  croirais 
digne. 

Montrez  cette  lettre  à  mes  amis ,  et  priez-les  de 
se  tranquilliser.  Ceux  qui  ne  jugent  que  sur  des 
preuves  ne  me  condamneront  certainement  pas, 
et  ceux  qui  jugent  sans  preuves  ne  valent  pas  la 
peine  quon  les  désaibuse.  M.  Hume  écrit,  dit-on, 
qu'il  veut  publier  toutes  les  pièces  relatives  à  cette 
affaire;  c^est,  jen  réponds,  ce  qu'il  se  gardera  do 
faire,  ou  ce  qu'il  se  gardera  bien  au  moins  de  faire 
fidèlement  Que  ceux  qui  seront  au  fait  nous  ju- 
gent, je  le  désire;  que  ceux  qui  ne  sauront  que  ce 
que  M.  Hume  voudra  leur  dire  ne  laissent  pas  de 
nous  juger;  cela  m'est,  je  vous  jure,  très-indilfé* 
wtoL  Ifti  un  défenseur  dont  les  opérations  sont 
lentes:,  mais  sAres  :  je  les  attends. 

Je  me  liomerai  à  vous  prîîscnter  une  seule  ré- 
flexion* 11  s'agit,  monsieur ,  de  deux  hommes  dont 
rma^étéanieoé  par  l'autre  en  Angleterre  presque 
xoaipfèhù  :  iiwl  M ■gr.r,igcorant  k  langue  du  pays , 
ne  pouvant  parler  ni  entendre,  seul,  sans  amiâ^ 
SJtns  appui,  sans  connaissance,  sans  savoir  même 
A.  qui  Qoiifier  une  lelti-e  en  sûreté,  livré  .'sans,  ré? 


kmsiz  17S6.  •  tyç 

jBTe  1  Fantie  et  aux  siens,  malaile-,  retira  et  ne 

Tojmt personne,  écrîvaiit  peu,  est  allé  sVnfermer 

dans  k  fond  cTune  retraite  où  il  herborise  pour 

tome  occupation  :  le  Brefon ,  homme  actif,  liant, 

baU^ant,  au  milieu  de  son  pays,  de  ses  amis,  de 

ses  parens,  de  ses  patrons,  de  ses  patriotes,  en 

grand  crédit  à  la  cour ,  à  la  ville ,  répandu  dans  !e 

pios grand  monde,  à  la  tête  des  geas  de  lettres, 

disposant  des  papiers  publics ,  en  grande  relation 

diez  fétronger,  surtout  avec  les  plus  mortels  en* 

Demis  dn  premier.  Dans  cette  position,  il  se  trouve 

<{ae  Von  des denx  a  tendu  des  pièges  à  lauf fe.  Le 

BreUm  aïe  cpie  c'est  cette  vile  canaille ,  ce  scélérat 

d*étranger  «pii \m  en  tend  :  l'étranger,  seul,  ma<» 

lade,  abandonné,  ^mit  et  ne  répond  rien.  Là- 

desms  le  yoîlâ  jugé,  et  il  demeure  clair  qu'il  s  est 

laissé  mener  dans  Je  pays  de  Tautre ,  qu^il  s'est  mis 

à  sa  mena ,  font  exprès  pour  lui  faire  pièce  et  pour 

conjpcrer  contre  lui.  Que  pensez- vous  de  ce  juge* 

tnau?  Si  favais  été  capable  de  former  un  po* 

jet  aussi  monstrueusement  extravagant,  011  est 

rhomae  ayant  quelque  sens,  quelque  humanité^ 

cpii  ne  devrait  pas  dire  :  Vous  (àites  tort  à  ce  pauvre 

i&îséraUe;  il  est  trop  fou  pour  pouvoir  être  un 

scélérat:  plaigncz-fe,  saignez-lc;  mais  ne  Finju- 

r.ez  pas?  /ajouterai  que  le  ton  seul  que  prend 

H.  Haine  devrait  décréditer  ce  qu'il  dit  :  ce  ton  si 

bruLj,  si  bas,  si  indigne  d'un  homme  qui  se  res^ 

pecte,  marque  assez  que  Tâme  qui  Fa  dicté  n'est 

pv  saine,  'd  nanoozice  pas  un  langage  digne  1*0 


t8o  CORRESPOND  ATTCB, 

^e  fal  &it  volontairement  une  chose  injuste  on 
inalhonnéte ,  d'être  bien  persuadé  que  cela  n^est 
pas  vraL 

696.  •— '  A  MADAME  LA  MARQUISE  DE  VerDBUK  {* )^ 

m 

.  Woetton ,  août  1  ^06, 

•  Xai  attendu ,  madame ,  votre  retour  à  Parb 
pour  vous  répondre,  parce  quîl  y  a,  pour  écrire 
des  provinces  d'Angleterre  dans  les  provinces  de 
France ,  des  embarras  que  jaurais  peine  à  lever 

ICI. 

•  Vous  me  demandez  quels  sont  mes  griefs  con- 
tre M.  Hume.  Des  griefs?  non,  madame,  ce  n'est 
pas  le  mot  :  ce  mot  propre  n^existc  pas  dans  la 
langue  française;  et  j'espère,  pour  Thonneur  de 
lliumanité,  quil  nVxiste  dans  aucune  langue. 

M.  Hume  a  promis  de  publier  toutes  les  pièces 
relatives  â  cette  affaire  :  s'il  tient  parole ,  vous 
verrez ,  dans  la  lettre  que  je  lui  ai  écrite  le  10  juiT- 
let,  les  détails  que  vous  demandez,  du  moins  as* 
sez  pour  que  le  reste  soit  superflu.  D ailleurs, 
vous  voyez  sa  conduite  publique  depuis  ma  der* 
iiière  lettre;  elle  parle  assez  clair,  ce  me  semUe, 
}>our  que  je  n^aie  plus  besoin  de  rien  dire. 

Je  vous  dois  cependant,  madame,  d  examiner 
ce  que  vous  m'alléguez  à  ce  sujet. 

Que  la  &usse  lettre  du  roi  de  Prusse  soit  do 

■■■  ■  '  ...     ■     ■  ■  ..  ■     ■»  ,■-..■ 

'  (*}  Tajvn  cHderant  lu  lettre  du  1 3  mûi  1 764. . 


-  AmiM  1766.  t6i 

M.  iTAIeiiilxit,  ami  de  M.  Hume,  on  de  M.  Wal« 
pQk,a]iiidel£Huine,ce  n*es(  pas^aafond,  de 
oda  qoil  s'agit;  c  est  de  savoir,  quel  que  soit  Tau- 
leor  de  h  lettre,  si  NL  Hume  en  est  complice. 
Vous  Toolez  que  madame  du  Défiant  ait  travaillé 
&  cette  lettre;  i  la  bonne  heure  :  mais  deux  autres 
écrits,  mis  successivement  dans  les  mêmes  pa- 
pâeis,  et  de  la  même  main ,  ne  sont  sûrement  pas 
drcelled'uDe  femme;  et  quanta  M.  Walpole,tout 
ee  que  je  puis  dire  est  qu'il  £iut  assurément  que 
je  me  connaisse  mal  en  style  pour  avoir  pu  pren- 
dre le  fiançais  d'un  Anglais  poor  le  français  de 
M.dfAkmkerl. 

Votre  ob^ecûon^  tirée  du  caractère  connu  de 

M.  Hume,  est  très-forte,  et  m'étonnera  toujours  : 

al  n'a  pas  ùila  mcias  que  ce  que  jai  vu  et  senti 

i*opposé  pour  le  croire.  Tout  ce  que  je  peux  con- 

dure  de  cette  contradiction  est  qu'apparemment* 

JL  Hume  n'a  jamais  haï  que  moi  seul;  mais  aussi 

^elle  bainc ,  quel  art  profond  à  la  cacher  et  A  Tas-^ 

souv^iri  le  même  coeur  pourrait-il  suffire  à  deux 

passions  pareilles  ?  , 

On  vous  marque  que  f  ai  voué  à  M.  Hume  une 

Haine  implacable ,  parce  qu'il  me  veut  déshpnorer 

«^A  lee  ibrçant  daccepter  des  bien&its*  Savezr-« 

▼OBs  hîcn,  madame^  ce  que  ntilord  Maréchal,  à 

<pû  TOUS  me  renvoyez,  eût  &it  si  on  lui  eût  dit 

pareille  cbose?  il  eût  répondu  que  cela  n'était  pas 

RZ/;  et  a  'eût  pas  même  daigné  m'en  parler.       >  ^ 

Tao^  ce  que  vous  ajoutez  sur  ilionncur  quA 


4  Sa  COBKBSFOVIXIKCB  , 

m'eût  Êit  une  pen^on  dax  roi  d'An^etarre  est 
très'ju5te;  il  est  seulemejit  ëtonnaat  ^e  TOU3 
'Ayez  cru  avoir  besoin  de  me  dire  ces  cboses  -  Ià« 
Pour  voufi  prouver,  madame.,  q<ue  je  pense 
tement  comme  vous  sur  cet  article,  je  voeu 
voie  ci-jointe  la  copie  d\me  lettre  que  j!ëcrivis  ,  il 
y  a  trois  mois,  à  M.  le  général  Conway ,  et  dans 
kqufiUe  }'étais  même  fort  embarrassé,  sentant  déjà 
fes  trahisons  de  M.  Hume ,  et  ne  voulant  pas  ce- 
pédant  le  nommer.  Il  ne  s  agit  pas  de  savoir  si 
cette  question  m^eût  été  bonoraÛe,  mais  si  elfe 
tétait  aases  pomr  que  je  dusse  Taeccpter  à  toal 
prix,  même  à  celui  de  l'infemie. 

Quand  vous  me  demandez  qud.  est  lesnjet  qui 
ose  solliciter  son  maître  pour  un  homme  qu'il 
veui  avilir,  vous  ne  voyez  pas  qu'il  faisait  de 
cette  so!licitatation  son  grand  moyen  pour  m  ac* 
Guser  bientôt  de  ia  plus  noire  ingratitude.  Si 
IHL  Huni0!  eût  travaillé  publiquement  â  m'avilir 
lui-même  y  vous  auriez  raison;  mais  il  ne  faut  pas 
supposer  qull  exécutait  avec  bêtise  un  pn^et  si 
profondément  médité  :  cette  objection  serrait 
bonne  encore,  si,  connu  depuis  long-temps  de 
ML  Hume,  j  avais  été  inconnu  du  roi  d'Ângleierre 
et  de  sa  cour;  mais  votre  lettre  même  dit  le  cron- 
traire  :  cette  affaire  ne  pouvait  tourner,  comme 
tBb  a  fait,. qu'à  lavantage  de  M.  Hume.  Tonte  la 
oomr  d^Ân^terre  dit  maintenant  :  Ce  poutre 
homme!  il  croit  que  toui  le  monde  lui  ressemble/ 
mous  y.  avons  éié  trompés  comme  kiL 


AimiE  1766.  t83 

Drins  le  phn  qnll  s'était  f«it,  et  qii*tl  â  si  plei* 
ocment  ezécQté,  de  paraître  me  s^^r  en  publie 
i?ec  la  pins  grande  ostentation ,  et  de  me  diâii- 
aer  eisaite  aTccla  plus  grande  adresse ,  il  devait 
écaire  et  parier  honorablement  dé  moi.  Vouliez- 
mous  qnll  aBât  dire  du  mal  d'un  homme  pour  le- 
qnd  il  afleciait  tant  d'amitié?  ç  eût  été  se  contre* 
dire ,  et  jooer  très-mal  son  jeu  ;  il  vôûhit  paraître 
aToirété  pleinement  ma  dupe;  il  préparait  l'ob- 
jectioti  (jne  roas  me  Êtites  aujoaid'faui* 

Vaas  me  renvoyez,  sur  ce  que  vous  appelfias 
mes  ç^&,  à  milord  Blarécbal  pour  en  juger  :  mi- 
lord  Maiédial  est  trop  sage  pour  vouloir)  d'où  il 
esl,TQÎriûeuf]Qemoicequisepasscoii)e  suis; 
et  quand  un  bomme,  entre  quatre  yeux^  m'en* 
ûmce  i  coups  redouUcs  un  poignard  dans  le  sein, 
je  n'ai  pas  iiesoia,  pour  savoir  s'il  m^  touché^ 
de  Tailer  demander  i  d'autres. 

JFîoifisotts  pour  jamais  sur  ee  sujet  ^  je  vous  snp* 
pfie.  Je  vous  avoue ,  madame ,  toute  ma  ÊiiblcSM  : 
sî  je  savais  qne  M.  Hume  ne  fût  pas  démasqué 
avant  sa  mort,  j'atirais  peine  à  croire  encore  i  la 
Providenoe. 

Je  me  £iis  quelque  scrupule  de  mêler  dans  une 
même  lettre  des  sujets  si  disparates  ;  mais  cette  at- 
teiate  de  goutte  que  tous  avez  sentie ,  mais  les  m* 
cottBodités  de  vos  en&ns  ^  ne  me  permettent  pal 
de  vMi  rien  dire  ici  d'eux  et  ^e  vous.  Quant  i  la 
goatte,  il  n'est  pas  naturel  qu*elle  vous  maltraita 
Waoconp  â  votre  âge^  et  j'espère  que  vous  en  se^ 


|84  CORRE&POÏTDANCE, 

rez  quitte  pour  un  ressentiment  passager;  maïs  jo 
tiVnvisage  pas  de  même  cette  humeur  scrofu-" 
leuse,  qui  parait  avoir  été  transmise  â  yos  enfan» 
par  leur  père;  Tàge  pubère  les  guérira ^  comme  je 
1  espère ,  ou  rien  ne  les  guérira;  et,  dans  ce  dernier 
cas,  je  vois  une  raison  de  plus  de  combler  le» vœux* 
d'un  honnête  homme  qui  a  toute  voti^  estime,  et 
qui  mérite  tout  votre  attachement.  Vos  filles,  mal^ 
gi-éleur  mérite,  leur  naissance,  et  leur  bien,  se  ma^. 
rieront  peut-être  avec  peine,  et  peut-être  aurez*» 
vous  vous-même  quelque  scrupule  de  les  marier. 
Âh!  madame,  les  races  de  gens  de  bien  sont  si 
r^ures  sur  la  terre  !  voulez-vous  en  laisser  éteindre 
une?  A  la  place  des  simples  et  vrais  sentimens  de 
la  nature,  qu  ou  étoufie,  on  a  fourré  dans  la  so-: 
dété  je  ne  sais  quels  raffinemens  de  d^icatesso 
que  je  ne  saurais  soufirir.  Croyez  moi,  croyez-^eo 
votre  ami,  et  l'ami  de  toutes  choses  honnêtes, 
mariez -vous,  puisque  votre  âge  et  votre  cœur  le 
demandent,  L  intérêt  même  de  vos  filles  ne  s'y 
oppose  pas.  Vos  enfans  des  deux  parts  auront  les 
lùens  de  leur  père,  et  ils  auront  de  plus  les  uns 
dans  les  autres  un  appui  que  vous  rendrez  très- 
solide  par  rattachement  mutuel  que  vous  leur 
saurez  inspirer.  Mon  intérêt  aussi  se  mêle  â  ce 
conseil,  je  vous  Ta  voue;  je  sens,  et  j'ai  gi*and  be«- 
soin  de  sentir  qu'on  n'est  pas  tout-à-fait  misérable 
quand  on  a  des  ami&  heureux.  Soyez -te  Tiki  éC 
lautre,  et  Tun  par  Tautre;  quau  milieu  des  afflic- 
tions qui  m  accablent  j*aic  la  consolation  de  sa- 


AIOIKE   1765.  -  1S6 

toir  qae  fai  deux  amis  unis  et  fidèles,  qm  parient 

quelquefois  avec  attendrissement  de  mes  misères; 

elles  m'en  seront  moins  rudes  à  supporter.  J'aime 

à  enrâager  comme  &ite  une  chose  qui  doit*  se 

&îre.  Permettez-moi  de  vous  conseiller  ^  lorsque 

vous  serez  dans  votre  nouveau  ménage,  de  bien 

choisir  ceux  à  qui  vous  accorderez  «l'entrée  de 

votre  maison  :  qu  elle  ne  soit  pas  ouverte  à  tout 

JeinondeyCommela  plupart  des  maisons  de  Paris* 

Ayez  un  petit  nombre  d  amis  sûrs,  et  tenez-vous^ 

en  à  leur  commerce  :  ayez -en,  si  vous  voulez^ 

qui  aient  dé  la  littérature ,  cela  jette  de  Tagrément 

daiiBk  société;  mais  point  de  gens  de  lettres  de 

profession, sur  toute  chose;  jamab  aucun  auteur, 

quel  qull  soît.  Sonvenez-vous  de  cet  avis  y  ma^ 

dame;  et  soyez  sûre  que,  si  vous  le  négligez,  vous 

vous  en  trouverez  mal  tôt  ou  tard. 

Je  n'aî  pas  la  force  d'étendre  jusqu'à  vous  ma. 
résolution  de  ne  plus  écrire;  c'est  uoe  résolution 
que  j  avais  pourtant  prise ,  mais  qu'il  est  impossi- 
ble à  mon  cœur  d'exécuter':  je  vous  écrirai  quel- 
quefois, madame,  mais  rarement  peut-être;  je 
voudrais  qu'en  cela  vous  ne  in^imitassiez  pas.  Je 
ne  dois  pas  vous  affliger ,  et  vous  pouvez  me  cou* 
scier.  Je  vous  prie  de  ne  remettre  vos  lettres  ni  à 
H.  Coindet  ni  à  personne;  mais  de  les  envoyer 
voQs-méme  sous  Tadresse  ci- jointe,  exactement 
turrie,  sans  que  mon  nom  y  paraisse  en  aucune 
6çon  :  en  prenant  soin  de  faire  affiranchir  les  \eU 
tità  jusqu'à  Londres  2  elks  parviendront  sûre? 


tft6  ^  CORIlESPOIVDAlfCE , 

ment,  fÀ  peisonne  ut  les  ourrira  que  moi;  mais  il 
&XA  ti^Gber,  par  économie,  d'éviter  k»  paquets, 
et  d'écrire  {dutât  des  lettres  simples  sur  d'aussi 
grand  papier  qu^on  veut*,  car,  quelque  grosse  que 
•oit  une  lettre  «impie ,  elle  ne  paie  que  pour  sim* 
pie;  mais  ia  moindre  enreloppe  renchérit  le  port 
exorbitamment.  Le  dernier  paquet  de  M.  Coindet 
m'a  coûté  six  francs  de  port  :  je  ne  les  ai  pas  regret* 
tés  apurement  ;  ce  paquet  contenait  une  lettre  éê 
vous;  mais  en  tout  ce  qui  peut  se  &ird  avec  éco- 
nomie,  sans  qoe  la  chose  aille  moins  Inen ,  je  suis 
dans  une  position  qui  m'en  rend  le  som  très-utilei 
Au  reste,  je  nt  sas  pas  qui  peut  vous  avoir  dit 
que  j'étais  A  vingt-cinq  lieues  de  Londres;  j'en  suis 
a  dnquante  bonnes;  et  j'ai  mis  quatre  jours  ft  les 
faire,  avec  les  mêmes  chevaui  k  la  vérité.  Roce^ 
voz ,  madame ,  les  salutations  de'lft  phis  tendre 
amitié* 

697.  —  ▲  M,  Marg^gvsl  Rxy. 

WooUon^  août  fjGG, 

Je  reçois,  mon  cher  compère,  avec  grand  plai- 
sir, de  vos  nouvelles  :  l'impossibiKté  de  trouver 
nuUe  part  ce  repos  après  lequel  mon  ooenr  soupire 
inutilement  m'eût  £iil  im  ecrupule  de  vous  don- 
ner des  miennes,  pour  ne  pas  vou5 affliger.  D'aile 
leurs ,  voulant  me  recueillir  en  moi-même ,  autant 
qu  il  est  possible,  et  ne  plus  rien  savoir  de  ce  qui 
se  passe  dans  lc>monde  par  ra^ort  à  moi,  j'ai 


iKir££  T7G6.  r^ 

tool  commerce  de  lettres,  hors  les  cas 
d'àbtcioe  nécessité;  cela  fera  «jue  je  tous  écrirai 
flus  rarement  désormais  :  mais  soyez  sâr  que  moa 
attadmaent  pour  vous ,  et  pour  tout  ce  qui  vous 
appaHaent^  est  toa)ours  le  même  ;  ef.  que  ce  serait 
me  paade  consolation  pour  moi  dans  la  yieil* 
lesse  qui  s'a^yproche,  au  milieu  dW  cortège  d» 
dodeôis  de  toute  espèce,  d'embrasser  ma  chèie 
ùLeak  avant  ma  mort. 

Xai  sa  que  rous  aviez  eu  aussi  quelques  ai&ires 

^désagréables  :  |  eu  étais  en  peine  ;  et  je  tous  aurais 

écrit  à  ce  so^et,  si  tous  ne  m'aviez  prërënu.  J'aiH 

^e,  mr  te  que  vous  ne  m'en  dites  rien ,  que  tout 

cela  n'a  ^  eu  des  suites^  et  je  m  en  réjouis  de 

tout  mon  cœur;  mais  mon  amitié  pour  vous  ne 

me  permet  pas  de  vous  taire  mou  sentiment  sur 

CCS  sortes  d  afiâircs.  Tandis  que  vous  commenciez 

et  que  vous  aviez  besoin  d^  mettre,  pour  ainsi 

di/e,  i  h  loterie,  il  vous  convenait  de  courir 

quekpies  risques  pour  avancer  :  mais  maintenant 

q^^e  votre  maison  est  bien  établie,  que  vos  affai* 

re< ,  comme  je  le  suppose ,  sont  en  bon  état ,  ne  les 

dfTaD^  pas  par  votre  fiiute;  Jouissez  en  paix  de 

!a  fortune  dont  la  Providence  a  béni  votre  travail  ; 

ct^  au  Ueu  d'exposer  le  bâen  de  Vos  enfans  et  le 

v<Vtie,  contentez-vous  de  Tentretcnir  en  sûreté, 

sans  plus  voos  permettre  dVntreprises  hasardeux 

s^'  Voilà,  mon  cber  compère,  un  conseil  de  Va- 

mitié,  et,  je  crois,  de  la  raison  :  si  vous  trouvées 

pli  soit  à  votr0  usage ,  profitez-en. 


l  €Sr  COERESPONDANfiS  , 

Vos' gazettes  disent  donc  que  M.  Flame  est 
mon  bieufaiteur ,  et  que  je  suds  son  protégé  l  Qui 
Dieu  me  préserve  d  être  souvent  protégé  de  h 
scttle,  et  de  trouver  en  ma  vie  un  pareil  bienfai 
leur}  Je  présume  que  cet  article  n^est  que  prépa^ 
ratoire,  et  qu'il  en  suivra  bientôt  un  second,  aussi 
véridique ,  aussi  humain ,  aussi  juste.  Qu'importe  j 
mou  cher  compère?  Laissons  dire  et  M.  Hume  ^ 
et  les  plénipotentiaires,  et  les  puissances,  et  Icj 
gazetiers,  et  le  public,  et  tout  le  mondes  qulb 
crient,  quils  m  outragent,  qulls  m'insulteut , 
qu'ils  disent  et  fassent  tout  ce  qu'ils  voudront  ; 
mon  âme,  en  dépit  deux,  restera  toujours  ta 
même;  il  n'est  pas  au  pouvoir  des  hommes  de  la 
changer.  Le  public  désormais  est  mort  pour  moi  i 
je  vous  prie,  quand  vous  m'écrirez,  de  ne  me  re- 
parle? jamais  de  ce  qu'on  y  dit. 
'  MM.  Cecketetdeliondtne  m'ont  point  parlé  de 
la  pension  de  mademoiselle  Le  Yasseur;  et  comme 
Tannée  nVst  pas  écouiée,  cela  ne  presse  pas  :  mais 
je  vous  prie  de  ne  vous  servir  jamais  de  ces  racsh 
sieurs,  pour  me  rien  envoyer,  ni  pour  rien  qui 
me  regarde;  j  ai  senti,  dans  plus  d'une  affaire,  Tin- 
fluence  que  M.  Hume  a  sur  eux.  U  vient  de  uicn 
arriver  une  qui  mérite  d'être  contée.  M.  du  Pey- 
cou  ayant  juj;é  à  propos  de  menvoyer  mes  livras, 
je  l'avais  prié  de  les  adresser  à  ces  messieurs,  cjuj 
s'étaient  oflerts.  Ayant  une  collection  considéra- 
hi'^  d'estampes,  dont  les  droits,  exigés  à  la  ri- 
gueur,  auraii'ot  passé  mes  ressources^  je  les  priai 


ATHIÉE  Ï^TG.  189 

<&  lâclier  Je  bire  mitiger  le  droit,  d'autant  phi8 

^e  Li  moîfië  de  mes  estampes  ne  Veilant  pas  ce 

droite  j aimerais  mieux  les  abandonner  qne  de  le 

payer  sans  labais  :  ces  messieurs  promettent  ^e 

faire  it  leur  mieux;  ils  reçoivent  mes  liyresy  et, 

outre  qoioze  loois  de  port,  en  prennent  quinze 

antres  cliez  mon  banquier  pour  les  fira  is  de  douane  ; 

g«irdeat  et  fouillent  les  livres ,  tant  qu'il  leur  plaif , 

sans  fflc  rien  marquer  de  leur  arrivée  ;  m'envoient 

enfin  sans  avis  un  ballot  qne  je  les  avais  priés  do 

i&Vuvo}'er  sitôt  que  les  miens  arriveraient,  J'ou* 

vre  ce  baUot  où  mes  estampes  étaient;  je  trou\e 

le^  poitefeiûUes  vides,  et  pas  une  seule  estimpe , 

ni  petite  ni  grande ,  sans  qu'ils  aient  même  daigné 

me  maïquer  ce  «piiU  en  avaient  fiiit.  Ainsi  j  ai 

^ni2e  Jouis  déport,  autant  de  douane,  sans  sa^ 

voir  iisrquoî,  et  pour  cent  louis  d'estampes  per-» 

du*»,  sans  tpnï  m'en  reste  une  seule  (*).  Je  ne  sais 

«  les  Unes  que  voas  avez  vus  doivent  pajfer  à 

loodres  mille  éciis  de  douane;  mais  je  sais  biei^ 

<pic  si  je  les  revends,  comme  il  le  fautliien,  je 

Q  eo  retirerai  pas  la  moitié  de  cette  somme.  Il  y  a 

UQ  seul  article  d'oiie  livre  sterling  (c'est  près  d'un 

'*^cis),  pour  une  vieille  guifare  sourde,  brisée  et 

pottric,  qui  m'a  coûté  six  francs  de  France,  et 

<1  nt  je  ne  (es  retrouverai  jamais.  Cela  ne  se  ferait 

[^  i  Alger,  maïs  cela  se  fait  à  Londres,  grâces 

'%*;  Ces  entanipes,  déplace  des  portofèninc»  c^oî  kt  conte* 
*MciA ,  M  tmit  rcut>v.v«^  du»  un  auuç  LaUoL 


'fgO  COmiBSPONDAIfCE, 

AUX  Ions  soins  de  ces  messieurs.  SI  je  laisse  long- 
temps me^  livres  dans  leur  magasin ,  et  s'ils  me 
fent  payer  k  proportion  pour  l'entrepôt,  ne  le 
pouvant  pas 9  je  serai  foicé  de  leur  laisser  mes  li- 
vres :  amsi  j'aurai. perdu,  par  leurs  l>ons  soins, 
tous  mes  li\Tcs,  toutes  mes  estampes,  et  trente 
louis  d'argent  comptant.  Que  dites-vous  de  cela? 
Je  crois  que  ces  messieurs  sont  par  eux-mêmes  de 
fort  honnêtes  gens;  mais  je  crois  aussi  qua  moa 
égard  ils  cèdent  trop  à  Finstigation  d'autrui.  C'est 
pourquoi  je  veux  n'avoir  avec  eux,  si  je  puis,  au*- 
cune  sorte  d'affaires ,  de  peur  de  m'en  trouver  ton-* 
jours  plus  mal.  Je  chercherai,  si  vous  y  consen- 
tez ,  à  me  prévaloir  sur  vous  des  trois  cents  francs 
de  mademoiselle  Le  Vasseur,  soit  par  lettre-de* 
change,  soit  en  vous  envoyant  d'Angleterre  son 
reçu,  en  échange  duquel  vous  en  donnerez  Far* 
gent  à  celui  qui  vous  le  remettra. 

Je  dois  avoir  parmi  mes  livres  un  exemplaire 
de  la  musique  du  Devin  du  village  :  si  vous  per« 
sistez  à  vouloir  le  faire  graver,  je  pourrais  corri- 
ger cet  exemplaire,  et  vous  l'envoyer;  mais  il  faut 
du  temps,  non  seulement  pour  attendre  locca- 
sion ,  mais  pour  le  Êiire  venir  de  Londi  es ,  parce 
qu'il  faut  que  je  donne  commission  à  quckju  un 
de  confiance  d'ouvrir  la  balle  o&  il  est,  pour  l'en 
tirer  et  me  l'envoyer;  ce  qui  ne  peut  se  faire  avant 
cet  hiver.  Je  suis  très-fTxhé  que  vous  publiiez  la 
Reùie  fantasque,  parce  que  cela  jieut  fcire  encorfi 


àes  tracasKiiA  désagréables  pour  tous  et  pour 
aoû 

Gfiy  m'a  écrit  ao  sujet  du  Dictionnaire  de  Mu-* 
si{fu€  :  il  le  plaint  de  vous  et  de  ¥0S  pvopositions, 
qull  tFoure  déraiseiiDabies  :  je  h»  ai  répofidu 
«juH  fil  coaune  i)  lenteiidniit  ;  que  je  tons  aimais 
fort  tous  les  deux;  mais  que  des  affaires  de  li^ 
hr^irtà  lAraffe,  je  ne  m'en  oiélerais  de  mes  jours. 
SGJIe  tendres  salutations  à  madame  Rey.  J'eui* 
farasse  b  cbère  petite  et  son  cher  papa. 

Yoîd  «ne  adresse  dont  il  faut  vous  6«mr  dé* 
soraaiS)  quand  tous  m'écrircK  :  ne  ûites  point 
dFenveki|i^-,  et,  quoique  mon  nom  ne  paraisse 
point  sur  W  lettre^  soyez  sàr  que  personne  ne  Von» 
wim  que  mot,  et  qu'elle  me  parviendra  sàrement^ 
pouFfn  que  tous  soifiea  caaotement  f  adresse  y  cC 
que  TOQS  kSrsLDchlissiez  jusqu'à  Londres,  sasS' 
qnoi  la  kîttes  peur  les  pitmnces  d'i^gteterre 


f^-«-*  J.  M.  nlTEKKOISk 

ISToottoo^le  i6  «oAt  1766. 

Jn  sois  eiHênement  en  peine  de  tous,  men* 
t'ayant  point  de  vos  nouvelles  depuis  la^ 
91  jn  :  je  TOUS  ai  marqué^  il  estTraî,quc  jenei 
TOUS  écmais  pas;  mais,  comme  vous  n^étiez  pns 
dlnis  le  mène  embarras  que  moi,  je  mo  flatuii» 
que  mon  silence  ne  prodnîiatt  pas  lo  v^Sre  ;  et 
;  espère  an  mçins.  pnisgno  vou^  oe  g^'a^»  rieni 


ixj%  COKîlESFOrn)AîfCE, 

écrit  de  contraire  à  la  promesse  que  voos  m'ayei 
faite  de  me  venir  voir  cet  automne ,  que  cette  pro 
messe  sera  exécutée  :  ainsi  je  vous  attends  ai 
mois  de  novembre ,  fâché  seulement  que  vous  m 
preniez  pas  une  meilleure  saison. 
;  Je  vous  prie  de  voir,  en  passant  à  Lyon,  m^ 
dame  Boy  de  la  Tour,  ma  l)onne  amie,  et  & 
chère  fille,  et  de  m'apporler  amplement  de  leur! 
nouvelles.  Apprenez -moi  le  rétablissement  de  Id 
première,  et  le  bonheur  de  la  seconde  dans  soo 
mariage;  rien  ne  manquera  à  mou  plaisir  envoiu 
embrassant.  Assurez -les  de  ma  tendre  et  cons- 
tante amitié  pour  elles ,  et  di testeur  que  vous  leui 
expliquerez  à  votre  retour  pourquoi  je  ae  leur  ai 
point  écrit,  moi  qui  pense  continuellement àelles, 
çl  pourquoi  je  n  écris  -plus  à  personne;  hors  les 
cas  de  nécessité. 

•  Vous  ne  manquerez  pas ,  |ç  vous  prie ,  en  pa^ 
sant  à  Paris,  de  voir  madame  la  veuve  Duchesne, 
libraire,  et  M.  Guy,  à  qui  je  compte  cnvoycrune 
lettre  ]K>ur  vous,  où  je  rassemblerai  ce  que  je  peux 
avoir  à  vous  dire  d'ici  à  ce  temps-là ,  concernant 
votre  voyage.  En  attendant,  je  vous  préviens  oc 
ne  donner  votre  cdnfic'nice  à  personne  à  Londrc» 
Mir  ce  qui  me  regarde ^luai^  de  ivmettre,  su  ^e 
peut,  les  affaires  que  vous  pourriez  avoir  dans 
celle  capitale  à  votre  retour,  oix  vous  pourre» 
au-isi  m'y  rendre  des  services.  Je  vous  prie  *"^^ 
de  ne  m'aniener  j)ersonne  de  Londres ,  qui  qn^  ^ 
puisse  être,  et  quelque  préte^e  qu'iU  puisse»* 


AKNés  1766.  193 

IRndre  pour  Tons  accompagner  :  il  saiSra  que 
îOQs  preniez,  pour  la'roate,  un  domestique  qui 
sache  U  langue;  je  ne  vois  pas  que  vous  puissiez 
^OQS  en  passer;  car  dans  la  route^  ni  dans  cette 
contrée,  personne  ne  sait  un  seul  mot  de  français. 
Je  ne  tous  envoie  point  cette  lettre  par  M.  Lu- 
cadiHi;  TOUS  en  saurez  la  raison  quand  nous  nous 
lenms  fus  :  ne  me  répondez  pas  non  plus  par  son 
canal;  mais  envoyez  votre  lettre  à  M.  du  Pejrou^ 
qai  aura  la  bonté  de  me  la  Êiire  parvenir;  je  vous 
avoue  même  que  je  désirerais  qne  M.  Lncadou 
ne  fot  pas  prévenu  de  votre  voyage  ^  de  crainte 
qu'ï  ne  survint  des  obstacles  qui  vous  empêche^ 
nôent  i/t  Vachever.  Je  ne  puis  vous  en  dire  ici  da- 
vantage; maistont  ce  que  je  désire  pour  ce  mo* 
ment  le  phs  an  monde  est  de  vous  voir  arriver 
CD  tonne  santé.  Je  vous  embrasse. 

66g,  —  ▲  M.  nu  Peyrou. 

Wootton,  le  16  aoftt  1766. 

Je  ne  doute  point,  mon  cber  hôte,  qne  les 
cboses  incroyables  que  M.  Hume  écrit  partout  ne 
▼oos  soient  parvenues,  et  je  ne  suis  pas  en  peine 
de  Tefibi  qn  elles  £aront  sur  vous.  Il  promet  au 
putfic  une  relation  de  ce  qui  s'est  passé  entre  lui 
et  ■■» ,  avec  le  recueil  des  lettres.  Si  ce  recueil  est 
^  fidèlement*  vous  y  venrez,  dans  celle  qne  je 
an  ai  écrite  le  10  juillet^  un  ample  détail  de  sa 
conduite  et  de  la  mienne ,  sur  lequel  vous  pour* 


1^4  CORRESPONDANCE , 

rez  juger  entre  nous;  mais  comme  inlaniibletnent 
il  ne  fera  pas  cette  publication ,  du  moins  sans  les 
falsifications  les  plus  énormes,  je  me  ré^rve  i 
vous  mettre  au  fait  par  le  retour  de  M.  dlvcr- 
nois;  car  vous  copier  maintenant  cet  immense 
recueil,  c'est  ce  qui  ne  m'est  pas  possible ,  et  ce 
serait  rouvrir  toutes  mes  plaies  :  j^ai  besoin  d'un 
peu  de  trêve  pour  reprendre  mes  forces  prêtes  à 
me  manquer;  du  reste,  je  le  laisse  déclamer  dans 
le  public,  et  s'emporter  aux  injures  les  plus  bru- 
tales :  je  ne  sais  point  quereller  en  charretier  :  j'ai 
un  déieiiseur  dont  les  opérations  sont  lentes, 
mais  sûres;  je  les  attends,  et  je  me  tais. 

Je  vous  dirai  seulement  un  mot  sur  une  pen- 
sion du  roi  d^ Angleterre  dont  3  a  été  question,  et 
àont  vous  m'aviez  parlé  vôus-méroe  :  je  ne  vous 
répondis  pas  sur  cet  article,  non-seulement  â 
cause  du  secret  que  M.  liumo  exigeait,  au  nom 
du  roi,  et  que  je  lui  ai  fidèlement  gardé  jusqu  a 
ce  quil  Tait  publié  lui-même,  mais  parce  que, 
n'ayant  jamab  bien  compté  sur  cette  pension  ,  je 
hc  voulais  vous  flatter  pour  moi  de  cette  espé- 
rance que  quand  je  serais  assuré  de  la  voir  rem- 
plir. Vous  sentez  que  rompant  avec  M.  Hume  , 
après  avoir  découvert  ses  tni bisons,  je  ne  pou- 
vais, sans  infaonie,  accepter  des  bienfaits  qui  nui 
•/enaient  par  lui  :  il  est  >Tai  que  ces  bienfaits  el 
ces  trahisons  semblent  s'accorder  fort  mal  en- 
semble; tout  cela  s'accorde  pourtant  fort  bien< 
&oki  ^lan  était  de  me  servir  publiquement  avec  h 


iNTVÉE  1766.  I9S 

phs  grasile  ostentation,  et  de  me  dif&mer  en  se* 
cret  srec  la  plus  grande  adresse  :  ce  dernier  objet 
â été  pai&itement  rempli;. vous  aurez  la  clef  de 
tout  cela.  En  attendant,  comone  il  publie  partout 
qu'après  aroir  accepté  la  pension ,  je  Ta!  malhon^ 
oêleBent  refiisée^  je  vous  envoie  une  cope  de  U 
lettre  que  j'ëcriyis  à  ce  sujet  an  ministre,  par  la- 
quelle TOUS  verrez  ce  qu*il  en  est.  Je  reviens  main- 
tenant à  ce  c[ae  vous  m'en  aivez  écrit. 

Lorsqu'on  vous  marqua  que  la  pension  m'avait 
M  offerte ,  cela  était  vrai;  mais  lorsqu'on  ajouta 
que  ye  Yxvais  refusée,  cela  était  par&itement 
feux; car,  an  contraire,  sans  aucun  doute  alors 
sar  la  suicéxité  deM.  Hume,  je  ne  mis,  pour  ac- 
cepter cette  penâon,  q[u'une  condition  unicjue, 
savoir,  l'agrément  de  milord  Maréchal ,  (jue ,  vu 
ce  qnî  s'était  passé  à  NenchAtel,  je  ne  pouvais  me 
ii^Kiiser  d  obtenir.  Or ,  nons  avions  eu  cet  agré- 
fiaenl  avant  mon  départ  de  Londres;  il  ne  restait 
de  la  part  de  la  cour  qu'à  terminer  rafiaire^  ce 
que  je  n^cspérais  pourtant  pas  beaucoup;  mais  ni 
dans  ce  temps-Ià,  ni  avant,  ni  après,  je  n'en  ai 
parléàqoi  que  ce  fAt  au  monde,  hors  le  seid  mi* 
l«d  Xaréchal,  qui  sûrement  m'a  gardé  le  secret  : 
il  frnt  donc  que  ce  secret  ai t  été  ébruité  de  la  part 
de  IL  Hame.  Or,  comment  M.  Hume  a-t-il  pu  ' 
dm  que  j^avais  refusé,  puisque  cela  était  faux ,  et 
qu*alois  mon  intention  n'était  pas  même  de  refii* 
ser  ?  Cette  anticipation  ne  montre-t-elle  pas  qu'il 
sïvait  que  je  serais  bientôt  forcé  à  oe  râtos^  et 


t  g6  CORRESPONDANCE  f 

qu^il  entrait  même  dans  son  projet  de  m  y  force] 
pour  amener  les  choses  au  point  où  II  les  a  misea 
La  chaîne  de  tout  cela  me  parait  importante 
suiyre  pour  le  trayail  dont  je  suis  occupé;  et  i 
vous  pouviez  parvenir  à  remonter,  par  votre  am 
à  la  source  de  ce  qu'il  vous  écrit ,  vous  rendrie 
un  gi^and  service  à  la  chose  et  à  moi-même* 

Les  choses  qui  se  passent  en  Angleterre  à  mo 
egai-d  sont ,  je  vous  assure ,  hors  de  toute  imag 
nation  :  fy  suis  dans  la  plus  complète  dliTamatio 
où  il  soit  possible  d'être,  sans  que  j^aie  donné 
cela  la  moindre  occasion,  et  sans  que  pas  un 
âme  puisse  dire  avoir  eu  personnellement  I 
moindre  mécontentement  de  moi.  Il  parait  main 
tenant  que  le  projet  de  M.  Hume  et  de  ses  as5< 
ci  es  est  de  me  couper  toute  ressource ,  toute  cou 
munication  avec  le  continent,  et  de  me  &ire  p^ 
rir  ici  de  douleur  et  de  misère.  J'espère  qu'ils  n 
réussiront  pas;  mais  deux  choses  me  font  tren 
hier  :  Tune  est  qu'ils  travaillent  avec  force  à  àéU 
cher  de  moi  M.  Davenpon't ,  et  que ,  s'ils  réussissenl 
je  suis  absolument  sans  asile,  et  sans  savoir  qu 
devenir;  l'autre,  encore  plus  effrayante,  est  qu 
aut  absolument  que,  pour  ma  correspondant 
avec  vous,  j'aie  un  commissionnaire  iLondrei 
à  cause  de  l'affiranchissement  jusqu^i  cette  ca{i 
taie,  qu'il  ne  m'est  pas  possible  de  faire  ici  ;  je  n 
sers  pour  cela  d'un  libraire  que  je  ne  conna 

Eoint,  mais  quon  m'a  assuré  être  fort  bonne 
omnDie  ;  si  par  quelque  accident  cet  homme  v 


'▲imfiB  1766.  1^ 

liit  i  ne  manqaer ,  il  ne  me  reste  personne  à  qoi 
•dreHcr  mes  lettres  en  sûreté,  et  je  ne  saurait 
pins  comment  tous  écrire  :  il  ûat  espérer  que 
ceU  n'armera  pas  ;  maïs  mon  cher  hôte,  je  suis 
K  maDieiirNiz  I  il  ne  me  ùndrait  que  ce  dernier 
coup. 

Je  tldie  de  fermer  de  tons  cAtés  la  porte  anx 

noerelles  affligeantes  ;  fe  ne  lis  plus  aucun  papier 

fotËe;  je  ne  réponds  plus  â  aucune  lettre»  ce  qui 

doit  relmter  à  la  fin  de  m'en  écrire  ;  je  ne  parle 

qoe  de  choses  indiffîrentes  au  seul  voisin  avec  le- 

^p  je  converse,  parce  qu*il  est  le  seul  qui  parie 

bançais.  U  ne  ma  pas  été  possible,  vu  la  cause^ 

den'tee  ^  aSecté  de  cette  épouvantable  révo- 

lolion,  qm,  jencn  cloute  pas,  a  gagné  toute  l'Eu* 

npe;  mais  cette  émotion  a  peu  duré;  la  sérénité 

est  revenue,  et  j*e^re  qu'elle  tiendra  :  car  il  me 

panDtdiffidIeqn*ii  m'amve  désormais  aucun  mal^ 

Àeur  imprévu.  Pour  vous,  mon  cher  hôte,  que 

loat  cela  ne  vous  ébranle  pas  :  j'ose  vous  prédire 

^  m  jour  l'Europe  portera  le  jdus  grand  respect 

à  cens  qui  en  auront  conservé  pour  moi  dans  mÀ 


7OOU  ^A  MADAJIB  LA  COIITESSB  DB  BoDlTLBia 

Wooaon«  le  3o  août  1766. 

DvB  chose  me  £iit  grand  plaisir,  madamoi 
dus  la  kitre  que  vous  m'avez  &it  l'honneur  do 
le  22  do  mob  dernier^  et  qui  ne  m'etf 


BrgS  GORRESPQKDANCE , 

parvenne  qtie  depuis  peu  de  jours  ;  cW  de  coi 
naitre  à  son  ton  que  vous  êtes  en  bonne  santé. 

Vous  dites,  madame ^  n'avoir  jamais  vu  i 
lettre  semblable  à  celle  que  j'ai  écrite  à  M.  Hum( 
cela  peut  être,  car  je  n'ai,  moi,  jamais  rien  vu  i 
semblable  à  ce  qui  y  a  donné  lieu  :  cette  lettre  o 
ressemble  pas  du  moins  à  celles  qu^écrit  M.  Hum< 
et  j'espère  n^en  écrire  jamais  qui  leur  ressembleni 

Vous  me  demandez  quelles  sont  les  injure 
dont  je  me  plains.  M.  Hume  m'a  forcé  de  lui  dur 
que  je  voyais  ses  manœuvres  secrètes ,  et  je  h 
&it  ;  il  ma  forcé  d'entrer  là-dessus  en  explication 
je  lai  fait  encore,  et  dans  le  plus  grand  détail.  1 
peut  vous  rendre  compte  de  tout  cela,  madame 
pour  moi,  je  ne  me  plains  de  rien. 

Vous  me  reprochez  de  me  livrer  à  d'odiew 
soupçons  :  à  cela  je  réponds  que  je  ne  me  livr< 
point  à  des  soupçons  :  peut-être  auriez-vous  pu 
madame ,  prendre  pour  vous  un  peu  des  leçon 
que  vous  me  donnez ,  n'être  pas  si  &cile  a  croir 
que  je  croyais  si  facilement  aux  trahisons,  et  vou 
dire  pour  moi  une  partie  des  choses  que  vou 
vouliez  que  je  me  disse  pour  M.  Hume. 

Tout  ce  que  vous  tn*alléguez  en  sa  iavea 
forme  un  préjugé  très -fort,  très -raisonnable 
d*un  très-grand  poids,  surtout  pour  moi,  et  qu 
je  ne  cherche  point  à  combattre  ;  mais  les  préju 
gés  ne  font  rien  contre  les  faits.  Je  m'abstiens^ 
juger  du  caractère  de  M.  Hume,  que  je  ne  connai 
pas;  je  ne  juge  que  sa  conduite  avec  moi,  qo^  j 


IKHÉE  1766.  I9§ 

coBDaîs.  PeQt-€tre  suis- je  le  seotliomiiie  quHi  ait 
jamak  haï;  mais  aussi  quelle  haine!  Un  méwe 
casai  saiiiait-3  à  deux  comme  celle-là  7 

\GQSToiiliez  que  je  me  refusasse  à  révîdence^ 
c  est  ce  que  j'ai  £iit  autant  que  j^ai  pu;  que  je  dé- 
mentisse le  témoignage  de  mes  sens ,  c  est  tm  eau* 
seO  jjos  Êdle  à  donner  qu'à  suivre  ;  que  je  ne 
cnsse  liea  de  ce  que  je  sentais  ;  que  je  consul* 
tasse  les  amis  que  j  ai  en  France  :  mais  si  je  ne  dois 
rien  croire  de  ce  que  je  rois  et  de  ce  que  je  seas^ 
ils  le  croiront  bien  moins  encore,  eux  qui  ne  le 
Wmil  pas,  et  qû  le  sentent  encore  moins.  Quoi  I 
v^adune^  quand  un  homme  vient  entre  quatre 
jeux  m'euioucer ,  à  conps  redoublés ,  un  poignard 
dans  le  sein,  il  &ul,  avant  d'oser  lui  dire  qu'il  me 
^PP^9  que  /aille  demander  à  d autres  s'il  ma 
frappé' 

L^xtztee  emportement  que  tous  trouves  dons 
nu  lettre  me  Cût  pr&umer,  madame,  que  vous 
Dèies  pas  de  sang-froid  vous-même,  ou  que  la 
copie  que  vous  avez  vue  est  frJsifiée.  Dans  la  ciy- 
roBjUnoe  funeste  où  j  ai  écrit  cette  lettre ,  et  où 
H.  Home  m'a  forcé  de  Fécrire ,  sachant  bien  qe 
^11  en  voulait  faire,  j'ose  dîrequ^il  fallait  avtotr 
tti%  âme  Ibrte  pour  se  modérer  à  ce  point.  Il  n'y 
a  q«e  les  infortunés  qui  sentent  combien ,  daiis 
leiob  d'une  affliction  de  cette  espèce,  il  est  dil- 
ucOe  d'allier  la  douceur  avec  la  douleur. 

M.  Hume  s'j  est  pris  autrement ,  je  TavoQ*  ; 
Uttfis  qu'en  réponse  à  cette  même  lettre  il  mé- 


aOÔ  C0Alt£SP05DAKCE  i 

criyait  en  termes  décens  et  même  honnêtes ,  il 
écrivait  à  M.  dHoIbach  et  a  tout  le  monde  en  ter* 
mes  un  peu  diflërens.  II  a  rempli  Paris ,  la  France . 
les  gazettes,  l'Europe  entière,  de  choses  que  ma 
plume  ne  sait  pas  éôîre ,  et  qu'elle  ne  répétera  ja* 
mais  :  était-ce  comme  cela^  madame,  que  j  aurais 
dû  faire? 

Vous  dites  que  j'aurais  dû  modérer  mon  em* 
portement  contre  un  homme  qui  m'a  réellement 
servi.  Dans  la  longue  lettre  que  fai  écrite,  le  lo 
juillet,  à  M.  Hume,  j'ai  pesé  avec  la  plus  grande 
équité  les  services  qu^il  m'a  rendus  :  il  était  digne 
de  moi  d'y  faire  partout  pencher  la  balance  en  sa 
^veur,  et  c^est  ce  que  j'ai  &it  :  mais  quand  tous 
ces  grands  services  auraient  eu  autant  de  rédlité 
que  d^ostentatiou ,  s'ils  n'ont  été  que  des  pièges 
qui  couvraient  les  plus  noirs  desseins,  je  ne  vois 
pas  qu'ils  exigent  une  grande  reconnaissance. 

Les  liens  de  Vamîtié  sont  respectables  même 
après  qu'ils  sont  rompus  :  cela  est  vrai ,  mais  cela 
suppose  que  ces  liens  ont  existé  :  malheureuseï' 
ment  ils  ont  existé  de  ma  part;  aussi  le  parti  que 
i'ai  pris  de  gémir  tout  bas  et  de  me  taire  est*il  Tef- 
fet  du  respect  que  je  me  dois* 

Et  les  seules  apparences  de  ce  sentiment  Ue 
9ont  aussi.  Voilà,  madame,  la  plus  étonnanide 
maxime  dont  j'aie  jamais  entendu  parler.  Corn* 
ment!  sitôt  qu'un  homme  prend  en  puUiç  le 
niasque  de  l'amitié ,  pour  me  nuire  plus  à  son 
aise|Sans  même  daigqer  se cachei^ de  moi^  silM 


1766.  aof 

qa'ii  me  baise  en  m  assassinant,  je  dois  n^oser  plus 

me  iéfeadre ,  ni  parer  ses  coups ,  ni  m'en  plaint 

ère^ij^  même  à  lui  1...  Je  ne  pois  croire  qae  c'est 

U  ce  qae  tous  aves  Toulu  dire  ;  cependant  j  en 

relisant  ce  passage  dans  yotre  lettre,  je  n'y  puis 

ironYer  aucun  autre  sens. 

Je  Tons  sois  obligé  j  madame ,  des  soins  que 

TOUS  voulez  prendre  pour  ma  défense, «mais  je  no 

les  accepte  pas  *.  M.  Hume  a  si  bien  jeté  le  masque  | 

qu'à  présent  sa  conduite  parle  et  dit  tout  i  qui  ne 

veut  pas  s'aveugler;  mais  quand  cela  ne  serait  pas^ 

îe  ne  veux  point  qu^on  me  justifie ,  parce  que  je 

n'ai  pas  besoin  de  justification ,  et  je  ne  veux  pas 

^'ou  m^excuae ,  parce  que  cela  est  au-dessous  de 

moi;  je  souhaiterais  seulement  que,  dansFabima 

de  malheurs  où  je  sois  plongé,  les  personnes  que 

j  honore  m'écrivissent  des  lettres  moinsaccablan- 

les,  afin  que  j*eusse  au  moins  la  consolation  de 

conserver  pour  elles  tous  les  sentimens  qu'elles 

m  ont  inspirés* 

701.— -A  M.  dIvbrvois. 

«  "Wootton,  le  3o  «oôi  lyûG. 

Txi  lu,  monsieur,  dans  votre  lettre  du  3i  jvtîi* 
lei,  Farticle  de  la  gazette  que  vous  y  avez  trans* 
crit,  et  sur  lequel  vous  me  demandez  des  instnic- 
lions  pour  ma  défi^nse.  Eh  !  de  quoi ,  je  vous  jHrie , 
roo/ez-voos  me  défendre?  de  laccusation  détre 
tm  infime?  Mon  bon  ami,  vous  n^y  pensez  pas  : 


aoa  coEftBSPoirsAVCE, 

lorsqu'on  vous  parlera  de  cet  article,  et  des  éton'» 
nantes  lettres  qu^écrit  M.  Hume ,  répondez  sim^ 
plement  :  Je  connais  mon  ami  Rousseau;  de  pa- 
reilles accusations  ne  sauraient  le  regarder  :  du 
reste  y  ùdUiS  comme  moi ,  gardez  le  silence ,  et  de- 
meurez en  repos  :  surtout  ne  me  parlez  plus  de 
ce  quW  dit  dans  le  public  et  dans  les  gazettes;  il 
j  a  long-temps  que  tout  cela  est  mort  pour  moL 

Il  j  a  cependant  un  point  sur  lequel  je  désire 
que  mes  amis  soient  instruits,  parce  qu'ils  ^our* 
raient  croire ,  comme  ils  ont  fait  quelquefois ,  et 
toujours  à  tort^  que  des  principes  outrés  me  con- 
duisent à  des  choses  déraisonnables.  M.  Hume  a 
répandu  â  Paris  et  ailleurs  que  j'avais  refusé  bru- 
talement une  pension  de  deux  mille  francs  du  roi 
d'Angleterre ,  après  lavoir  acceptée  :  je  n'ai  ja- 
mais parlé  à  personne  de  cette  pension  que  le  roi 
voulait  qui  fût  secrète,  et  je  n'en  aurais  parlé  de 
ma  vie,  si  M.  Hume  n'eût  commencé.  L'histoire 
en  serait  longue  à  déduire  dans  une  lettre-^  il  suf- 
fit que  vous  sachiez  comment  je  m'en  défendis , 
quand ,  ayant  découvert  les  manœuvres  secrètes 
de  M.  Hume ,  je  dus  ne  rien  accepter  par  la  média- 
tion d'un  homme  qui  me  trahissait.  Voici,  mon- 
sieur, une  copie  de  la  lettre  que  j'écrivis  à  ce 
sujet  à  M.  le  général  Conway,  secrétaire  detat. 
J'étais  d'autant  plus  embarrassé  dans  cette  lettre 
que,  par  un  excès  de  ménagement,  je  ne  voulais 
ni  nommer  M.  Hume,  ni  dire  mon  vrai  motif  :  je 
l'envoie  pour  que  vous  jugiez,  quant  à  présent  ^ 


iuÈeseakcitùse^^  si  faî  refuse  malhonnétemeiit. 
Qfoai  BOUS  nous  ventms,  tous  saurez  le  reste  : 
^aise 4  Dieu (pe  ce  soit  bientôt I  Toutefois,  ne 
preaes  nea  sur  vos  afiàires  d*aucune  espèce  :  je 
puis  attendre,  et ,  dans  cjuelque  temps  que  vous 
veniei^  je  TOQs  verrai  fou  jours  avec  le  même  pla^ 
sir.  le  ne  rapporte  en  tonte  chose  à  la  leltreque 
j^  vous  ai  ^te,  il  y  a  une  quinzaioe  de  jours , 
[ar  Toie  d'ami  ;  je  tous  embrasse  de  tout  mon 
cceur. 

P.  5.  U  &at  que  tous  ayez  nne  mince  opinion 
à?  mondiaoeniement,  en  &ît  de  style,  pour  vous 
ima^ner  «joe  Je  me  trompe  sur  celui  de  ML  de 
\  olt^,  el  que  ie  prends  pour  être  de  lui  ce  qui 
n  en  est  pas;  el  il  &Qt  en  revanche  que  vous  ayez 
une  liaute  opinion  de  sa  bonne  foi,  pour  croire 
que  dès  qoîJ  renie  un  ouvrage,  c'est  une  preuve 
qu'il  jï'cstpw  de  lui. 

j*^  —  A  MIDASB  LA.  DUCHESSE  TE  PoUTLAIH), 

Wootum,  k  3  sepumbre  17G6. 

Quand  je  n^atrrais  eu  aucun  goût  pour  la  bota- 
nique, les  plantes  que  M.  Granvillc  m'a  remises 
îi"  Toïre  part  m'en  auraient  donné;  et,  pour  mé- 
riler  les  trésors  que  je  tiens  de  vous,  je  voudrais 
'ppcodre  à  les  connaître  :  mab,  madîame  la  àur 
'i^vtj  il  me  manque  le  |^us  essentiel  pour  cela , 


i  i 


'  .\ 


'A 


904  CORRESPOND  ANCS, 

et  ce  n'est  pas  assez  pour  moi  de  vos  herbes,  il  mo 
faudrait  de  plus  vos  instructions; que  ne  suis-je  à 
portée  d'en  profiter quelcjuefois!  Si,  commençant 
trop  tard  cette  étude  ^  je  n'avais  jamais  l'honneur 
de  savoir,  j  aurais  du  moins  le  plaisir  d'apprendre^ 
et  celui  d'apprendre  auprès  de  vous  :  fy  trouve- 
rais cette  précieuse  sérénité  d'âme;  que  donne  la 
contemplation  des  merveilles  qui  nous  entourent j 
et,  que  jVn  devinsse  ou  non  meilleur  botaniste^ 
j'en  deviendrais  sûrement  et  plus  sage  et  plus  heu* 
reux.  Voilà,  madame  la  duchesse,  un  bien  que 
j'aime  à  chercher  à  votre  exemple ,  et  qu'on  ne  re- 
cherche jamais  en  vain  :  plus  lespit  s'éclaire  et 
s'instruit,  plus  le  cœiur  demeure  pirible;  l'étude 
de  la  nature  nous  détache  de  nous-mêmes  et  nous 
élève  à  son  auteur.  C'est  en  ce  sens  qu'on  devient 
vraiment  philosophe;  c'est  ainsi  que  l'histoire  na- 
turelle et  la  botanique  ont  un  usage  pour  la  sa- 
gesse et  pour  la  vertu.  Donner  le  change  à  nos 
passions  par  le  goût  des  belles  connaissances,  c'est 
euchainer  les  amours  avec  des  liens  de  fleurs. 

Daignez,  madame  la  duchesse,  recevoir  avec 
bonté  mon  profond  respect. 

p^o3.  —  ▲  M.  RovsTAR. 

VIToociPD,  h  7  feptembfv  1 766. 

Voos  méritez  bien,  monsieur,  l'exception  qqe 
îe  ùis  pour  vous  de  très-bon  cœur  au  parti  que 
l'ai  pris  de  rompre  toute  correspondance  de  leè^ 


imnSs  1766.  aoS 

tnSj  et  àe  n'toire  plus  à  personne,  hors  les  cas 
de  nécessité.  Je  ne  yeux  pas  yoqs  laisser  an  mo- 
ment la  frosse  opinion  que  je  ne  vois  en  vous 
({a'nn  homme  d^église,  et  j'ajonterai  que  je  sois 
bien  éloigné  de  voir  les  ecclésiastiques  en  général 
de  rœtl  que  vous  supposez;  ib  sont  bien  moins 
mes  ennemis  que  des  instmmens  aveugles  et  os^ 
lensibles  dans  les  mains  de  mes  ennemis  adroits 
et  cacbés*  Le  clergé  catholique ,  qui  seul  arait  A  se 
plaindre  de  moi,  ne  m'a  jamab  Êiit  ni  voulu  au» 
cun  mal;  et  le  clergé  protestant,  qui  n'avait  qu^ 
s'en  louer^  ne  m'en  a  frit  et  voulu  que  parce  qu'il 
est  aussi  stupide  que  courtisan ,  et  qu'il  n'a  pas  vu 
que  ses  ennemis  et  les  miens  le  frisaient  agir  pour 
me  nuire  contre  tons  ses  vrais  intérêts.  Je  reviens 
k  yousj  monsieur,  pour  qui  mes  sentimens  n^ont 
point  changé,  parce  que  je  crois  les  vôtres  tou- 
jours les  mêmes,  et  que  les  hommes  de  votse 
éloâê  prennent  moins  lesprit  de  leur  état  qu'ils 
n  y  portent  le  leur.  Je  n'ai  {^as  craint  que  les  cla- 
meurs de  M.  Hume  fissent  impression  sur  vous, 
ni  sur  M.  Âbauzit,  ni  sût  aucun  de  ceux  qui  me 
connaissent  ;  et ,  quant  au  public ,  il  est  mort  po 
moi;  ses  jugemens  insensés  Tout  tué  dans  mon 
<xcur  :  je  ne  connais  pins  d  autre  bien  que  celui 
de  la  paix  de  Fâme  et  des  jours  achevés  en  repos^ 
loin  du  tumulte  et  des  hommes:  et  si  les  méchans 
ne  veulent  pas  m 'oublier ,  peu  m'importe  ;  pouf 
moi ,  je  les  ai  parfritemeot  oubliés.  M.  Hume ,  en 
m'aocahlant  publiquement  des  outrages  que  vi 


«>6  COR&ESPQlfDAMCE, 

savez  y  a  promis  de  publier  les  Ukts  et  les  pièces 
qui  les  autorisent.  Peut^tre  voudrait-il  aujour> 
d^hui  a  avoir  pas  pris  cet  engagement,  mais  il  est 
pris  enfin  :  s'û  le  remplit,  vous  trouverez  dans  sa 
relation  réclaircissement  que  vous  demandez  ;  sli 
ne  le  remplit  pas,  vous  en  pourrez  juger  par  là 
même  :  un  tel  silence,  après  le  bruit  qu^il  a  fait, 
serait  décisif.  Il  fiiut,  monsieur ,  que  chacun  ait 
son  tour;  c'est  à  présent  celui  de  M.  Hume  :  le 
mien  viendra  tard  \  il  viendra  toutefois ,  je  m'en  fie 
à  la  Providence.  J'ai  un  défenseur  dont  les  opéra- 
tions sont  lentes,  mais  sûres;  je  les  attends,  et  je 
me  tais.  Je  suis  touché  du  souvenir  de  M.  Âbauzit 
et  de  ses  obligeantes  inquiétudes  :  saluez -le  ten- 
drement et  respectueusement  de  ma  part;  mar- 
quez-lui qu^il  ne  se  peut  pas  qu*un  homme  qui 
sait  honorer  dignement  la  vertu  en  soit  dépourvu 
lui-même  :  assurez-le  que,  quoi  que  puissent  faire 
et  dire,  et  M.  Hume,  et  les  gazetiers,  et  les  pléni- 
potentiaires, et  toutes  les  puissances  de  la  terre, 
mon  âme  restera  toujours  la  même  :  elle  a  passé 
par  toutes  les  épreuves ,  et  les  a  soutenues  ;  il  n  est 
pas  aa  pouvoir  des  hommes  de  la  changer.  Je  vous 
remercie  de  roffi*e  que  vous  me  faites  de  m'ins- 
tiuire  de  ce  qui  se  passe;  mais  je  ne  J'accepte  pas  : 
je  ne  prévois  que  trop  ce  qui  arrivera,  comme  j'ai 
^cvu  tout  ce  qui  arrive.  La  bourgeoisie  n'a  dé- 
menti en  rien  la  haute  opiniou  que  j'avais  d^elle; 
sa  condintc,  toujours  sage,  modérée  et  ferme, 
«hnsdauâsi  cruelles  ciroondtanœs^  offie  un  ej;em- 


fk  pnit-élre  nnspie ,  et  bien  digse  à'ètre  eëlébni. 

kmm  ib  o'ont  mieux  mérité  de  jooir  de  la  liberté 

ijn  an  noment  q^lls  la  perdent  ;  et  j*ose  dire  qu'Us 

cfiKcnl  la  ^aise  de  ceux  qui  la  leur  ont  acquise. 

Vous  deTTÎez  bien ,  monsieur,  former  la  noble  en* 

treprise  de  oélébn^  ces  hommes  magnanimes^  en 

tûsuit  TotaMn  funèbre  de  leur  liberté  :  Yotre 

«or  sral,  même  sans  yos  talens,  suâiraît  pour 

TOUS  birt  eiécnter  supérieurement  ceite  entre» 

prix;  et  jamais  bocrate  et  Démostbène  n^ont 

traité  de  ]^bs  grand  sujet.  Faites-le,  monsieur, 

avec  majesté  et  sboplicité  ;  ne  vous  y  permettes 

ni  satire  n\  mTectÎTe,  pas  un  mot  choquant  contre 

les  deAractcus  de  la  république  ;  les  faits ,  sans  j 

^ooter  de  réfieiion,quandilsserontià  leur  charge. 

Défaunie2  ifos r^aris  de  l'iniquité  triomphante, 

et  ne  voyez  que  la  vertu  dans  les  &rs.  Imitez  cette 

aocienae  pi^trcsse  d'Athènes  qui  ne  voulut  ja* 

naigpnmoûcer  d'imprécations  contre  Âlcibude, 

disant  quelle  était  ministie  des  dieux,  non  pour 

ez/rramunier  et  maudire,  mais  pour  louer  et 

bénir. 

704»  «—  A  niLOU)  MiXÉCH^L. 

7  septembre  1^66. 

Je  ne  pois  wcms  exprimer,  milord,  à  quel  point, 
^9111  les  cîrcoiisla»ees  où  je  me  trouve,  je  suis 
ibrmé  de  votre  silence.  La  dernière  lettre  que  j^ai 
neroe de  'Vitas  était  du....  Scrait*il  possible  que  leA 
totibles  damears  de  H.  Hume  eussent  fait  imr* 


ao8  GO&RBSPONDAIfCB, 

pression  sur  vous ,  et  m  eussent,  au  milieu  de  Jan^ 
de  malheurs,  6té  la  seule  consolation  qui  me  res* 
tait  sur  la  terre?  Non,  milord  :  cela  ne  peut  pas 
être;  votre  Ame  ferme  ne  peut  être  entraînée  par 
l'exemple  de  la  foule;  votre  esprit  judicieux  ne 
peut  être  abusé  à  ce  point.  Vous  n'avez  point 
connu  cet  homme,  personne  ne  Ta  connu,  ou 
plut6t  il  n  est  plus  le  même.  Il  n'a  jamais  ha!  que 
moi  seul  ;  mais  aussi  quelle  haine  1  un  même  cœur 
pourrait-il  su£Sre  à  deux  comme  celle-là  ?  11  a  mar- 
ché jusqu'ici  dans  les  ténèlx^s,  il  s'est  caché;  mais 
maintenant  il  se  montre  à  découvert.  Il  a  rempli 
lAngleterre,  la  France,  les  gazettes,  TEurope 
entière ,  de  cris  auxquels  je  ne  sais  que  répondre  y 
et  d  injures  dont  je  me  croirais  digne  si  je  daignais 
les  repousser.  Tout  cela  ne  décèle-t-il  pas  avec 
évidence  le  but  qu  il  a  caché  jusqu'à  présent  avec 
tant  de  soin?  Mais  laissons  M.  Hume,  je  veux 
l'oublier  malgré  les  maux  qu'il  m'a  &it3  :  seule* 
ment  qu'il  ne  m'ôte  pas  mon  père;  cette  perte  est 
la  seule  que  je  ne  pourrais  supporter.  Avez -vous 
reçu  mes  deux  dernières  lettres,  l'une  du  20  juil* 
let,  et  l'autre  du  9  août?  Ont-elles  eu  le  bonhenr 
d'échapper  aux  filets  qui  sont  tendus  tout  autour 
de  moi,  et  au  travers  desquels  peu  de  chose  passe? 
Il  parait  que  l'intention  de  mon  persécuteur  et  de 
ses  amis  est  de  m'ôter  toute  communication  avec 
le  continent,  et  de  me  fiiire  périr  ici  de  douleur  et 
de  misère;  leurs  mesures  sont  trop  bien  prises 
pour  ^ue  je  puisse  aisément  leur  échapper.  Je  suis 


AtfKÈB  1766.  20g| 

fripré  â  tout,  et  je  puis  tout  sappoiter,  hors 
fotie  silence.  Je  m^adresse  à  M.  Rougemonty  je 
ne  connais  ^pe  lui  seul  à  Londres  A  qui  j*o5e  me 
coniicr  :  s'il  me  refuse  ses  services,  je  suis  saus 
itssomceet  sans  moyen  pour  écrire  à  mes  amis, 
Ak!  milord!  qu^  me  Tienne  une  lettre  de  youSj 
et  je  ne  console  de  tout  le  reste! 

705. — A  H.  Richard  Datsitport* 

'WooCSoD,  le  y  s^Memfan  1766. 

Anis  le  départ,  monsieur,  de  ma  précédente 
Wltre,  f  en  reçus  enfin  une  de  M.  Becket  :  il  me 
■unpie  qiie  Ves  estampes  sont  dans  une  des  autres 
caisses;  ûnsî  ^  uai  plus  rien  à  dire  :  mais  vous 
m'arouercz  que,  ne  les  trouvant  pas  dans  la 
caisse  ou  elles  devaient  être ,  et  trouvant  les  por- 
tc-faulks  vides,  il  était  assez  naturel  que  je  les 
€rQ3se perdues.  U  me  reste  à  vous  &ire  mes  excu- 
ses  de  vous  avoir  donné  pour  cette  afikire  bien  de 
Femban^u  mal  i  propos. 

Vous  recevez  si  bien  vos  hôtes,  et  votre  babi- 
tation  me  parait  si  agréable,  que  j'ai  grande  envie 
ie  retourner  vous  y  voir  Tannée  prochaine.  Si 
tous  n^étiez  pas  pressé  pour  la  plantation  de  votre 
jardin,  et  <jm  vous  voulussiez  attendre  jusqua 
fainée  prochaine,  il  me  viendrait  peut-être  quel- 
ques idées  ;  car  quant  à  présent,  j'ai  l'esprit  enc(H% 
trop  rempU  de  choses  tristes  pour  qu'aucune  idée 
apiiaU^  vienne  s'y  présenter  î  mais  l'asile  o&  ^ 

48* 


1k  Jù  CORRESPOrVOAKGE^ 

«uis  et  h  vie  doute  qne  j'y  mène  m'en  rendronl 
bicfntét^  qudtid  rien  da  dehors  ne  riei^dra  les 
troubler.  Puisse- je-étre  oublié  du  public,  commerje 
FoubKeî  Quoique  vous  en  disiez,  je  préférerais:, 
et  je  croirais  faire  une  chose  cent  fois  plus  utile  de 
découvrir  une  seule  nouvelle  plante,  que  de  prê^^ 
cher  pendant  cinquante  ans  tout  le  genre  ho* 
main. 

Nous  avons  depuis .  quelques  jourr  un  bieo 
mauvais  temps,  dont  je  serais  moins  affligé,  si  j'es- 
pérais qu'il  ne  s^étendit  pas  jusqu'à  Davenport. 
j  en  salue  de  tout  mon  cœur  les  habitans,  et  sur* 
tout  le  bon  et  aimable  maître. 

706. A  MILORD  MAHéCHAI.. 

WoottoDt  le  U7  sepumbrs  lyCG. 

Jb  n^ai  pas  besoin ,  milord^  de  voi^s  dire  com* 
bien  vos  deux  dernières  lettres  m^ont  fait  de  plai- 
sir et  m'étaient  nécessaires.  Ce  plaisir  a  pourtant 
été  tempéré  par  plus  d'un  article,  par  un,  surtout, 
auquel  je  réserve  une  lettre  exprès,  et  aussi  par 
ceux  qui  regardent  M.  Hume ,  dont  je  ne  saurais 
lire  le  nom  ni  rien  qui  s'y  rapporte,  sans  un. ser- 
rement de  oo^m  et  un  mouvemeut  convulsif ,  qi^i 
fitit  pis  que  de  me  tuer,  puisqu'il  me  laisse  vivre. 
Je  ioe  cherche  point,  milord,  à  détruire  Topiniqu 
que  vous  avez  de  cet  homme,  ainsi  qua  toute 
l'Europe;  mais  je  vous  conjure,  par  votre  cttor 


jateracl ,  àe  ne  me  reparler  jamais  de  lai  sans  la 
plixs  grande  nécessité. 

Je  ne  puis  me  ^spenser  de  répondre  à  ce  que 

TOUS  vten  diles  dans  votre  lettre  du  5  de  ce  moi|« 

Je  VOIS  oî^c  doêdeMir,  me  manjnez-yoQS,  (pie  troi 

ennemis  mettroat  sur  le  compte  de  M.  Hume 

tout  ce  qu'il  leur  plaira  dofouîer  au  dèméli 

Centre  vous  et  lui.  Maïs  que  pourraient-ils  faire 

de  phis  que  ce  qu'il  a  iait  lui-mdme  7  Dironf-ils  de 

mot  jHs  quil  n  en  a  dit  dans  les  lettres  qu  il  a  éav 

les  à  Paris,  par  toute  l'Europe ,  et  quil  a  fiiit  met> 

tre  dans  toutes  les  gazettes?  Mes  autres  ennemis 

me  font  du  pis  qu'ils  peuvent  et  ne  s  en  cachent 

guère-,  lui  ïaîl  pis  qu'eux  et  se  cache  ,  et  c^est  lui 

qui  ne  manquera  pas  de  mettre  sur  leur  compte  le 

âaJ  que  jusqu'à  ma  mort  il  ne  cessera  de  me  &ire 

eu  secret. 

Vous  me  dites  encore,  milord,  que  je  trouve 
■lanv.iis  que  M.  Hume  ait  soQicité  la  pension  du 
roi  d'Angleterre  à  mon  insu.  Comment  avez-voué 
pa  vous  laisser  surprendre  au  point  d'affirmer 
ainsi  oe  qui  n'est  pas?  Si  cela  était  vrai ,  je  serais 
un  ettravagant,  tout  au  moins;  mais  rien  n'eèl 
plus  fiiux.  Ce  qui  m^a  fâché,  c'était  qu'avec  sa 
profdnde  adresse  il  se  soit  servi  de  cette  pension  ( 
sur  laquelle  il  revenait  à  mon  insu ,  quoique  refa* 
sée,  pour  me  forcer  de  lui  motiver  mon  refus,  et 
de  lui  Êire  la  déclaration  qull  voulait  absolu- 
aient  avoir  et  que  ]ë  voulais  éviter,  sachant  bien 
ftisage  qull  voulait  ^  faire.  Voilà  ^  milocd^ 


ma»  co&itsspoin)Aifcs, 

Pexacte  vérité,  dont  fai  les  preuves  ef  ({ue  vooi 
pouvez  affirmer. 

Grâces  aux  ciel  !  j'ai  fini  ^uant  à  présent  sur  ce 
qui  regarde  M.  Hume.  Le  sujet  dont  j  ai  mainte^ 
uant  à  vous  parler  est  tel  que  je  ne  puis  me  résou* 
dre  À  le  mêler  avec  celui-là  dans  la  même  lettre; 
ie  le  réserve  pour  la  preoiière  que  je  vous  écrirais 
Ménagez  pour  moi  vos  précieux  jours,  je  vous  en 
conjure*  Ah  I  vous  ne  savez  pas,  dans  Tabime  de 
malheurs  où  je  suis  plongé,  quel  serait  pour  moi 
celui  de  vous  survivre  I 

707. ▲  MADAIIB  ***. 

Wootton  «  le  27  septembre  1 76611 

Lb  cas  que  vous  m'exposez ,  madame ,  est  dans 
le  fond  très-commun ,  mais  mêlé  de  choses  si  ex- 
traordinaires ,  que  votre  lettre  a  lair  d'un  roman. 
Votre  jeune  homme  n'est  pas  de  son  siècle;  c'est 
un  prodige  ou  un  monstre.  11  y  a  des  monstres  dan$ 
ce  siècle ,  je  le  sais  trop,  mais  plus  vi&  que  couva* 
geux,  et  plus  fourbes  que  féroces.  Quant  aux  ^po- 
diges,  on  en  voh  si  peu  que  ce  nest  pas  la  peine 
dy  crobre,  et  si  Cassius  en  est  un  de  force  dftme, 
il  n'en  est  assurément  pas  un  de  bon  sens  et  de 
raison. 

U  se  vante  de  sacrifices  qui,  quoiqu'ils  fassent 
horreur,  seraient  grands  a^ls  étaient  pénibles,  et 
ieraient  héroïques  s'ils  étaient  nécessaires*,  mais 
lA^fiiute  de  Tune  et  de  l'autre  de  ces  conditûN^^ 


▲Hvis  1766.  ai3 

je  m  wA  qoHuie  extravagance  qui  me  &it  très- 
■al  augurer  âe  celui  qui  les  a  £iits.  ConveDe^, 
mufaae  ^qii'im  amant  qui  oublie  sa  belle  dans  un 
TeyaQCjqiii  en  redevient  amoureux  quand  il  la  re- 
voit, qu  l^époose,  puis  qui  s  éloigne,  et  roublie 
eBCoVy  qui  promet  sèchement  de  revenir  à  ses 
oouchcselneu  £iit  rien,  qui  revient  enfin  pour 
inj  £n  ifall  Fabandonne ,  qui  part ,  et  ne  lui  écrit 
(jpe  pour  confirmer  cette  belle  résolution  ;  conye- 
oa,dis-ie,qo€  si  cet  homme  eut  de  lamour,  il 
D  en  eut  guère,  et  que  la  victoire  dont  il  se  vante 
av«c  tant  de  pompe  lui  coûte  probablement  beau- 
coup mouift  qu'il  ne  vous  dit. 

^iaift,  supposant  cet  amour  assez  violent  pour 
se  birt  honncor  du  sacrifice,  où  en  est  la  néces- 
sité? c'esl  ce  qui  me  passe.  Qu'il  s  occupe  du  su- 
Utiae  emploi  de  délivrer  sa  patrie,  cela  est  fort 
beaa,et  je  veux  croire  que  cela  est  utile;  mais  né 
se  penneOie  aucun  sentiment  étranger  â  ce  de- 
f  oir,  poQiqaoi  cela  ?  To«is  les  sentimens  vertueux 
ne  s  étaient-ils  pas  l3s  uns  les  autres,  et  peut-on 
e&  détmîre  un  sans  les  aiËôblir  tous?  Jai  cru 
io»94emps,  dit-il,  combiner  mes  affections  avec 
^es  devoirs.  U  n^y  a  point  là  de  combinaisons  k 
^, quand  ces  affections  elles-mêmes  sont  des 
de?e«s.  L'illusion  cesse ,  et  je  vois  qu'un  vrai  ci- 
tojendoit  les  abolir.  Quelle  est  donc  cette  illu- 
sion, et  où  a- t-il  pris  cette  affireuse  maxime?  S^il 
est  de  tristes  ûtuations  dans  la  vie,  s'il  est  de 
ouels  devoirs  qui  nous  forcent  quelquefois  à  leux 


d  r4  CORRESPONDAIf  CE  , 

en  sacrifier  d^antres,  a  déchirer  notre  cœur  poi 
obéir  à  la  nécessité  pressante,  ou  k  llnflexil) 
vertu,  en  est -il,  en  peut- il  jamais  être  qui  noi 
forcent  d'étoufier  des  sentimens  aussi  légitin» 
que  ceux  de  l'amour  filial,  conjugal,  paterne 
et  tout  homme  qui  se  Êiit  une  expresse  loi  c 
n'être  plus  ni  fils,  ni  mari,  ni  père,  ose-t-il  usa 
per  le  nom  de  citoyen ,  ose-t-il  usurper  le  ti(M 
d'homme? 

On  dirait,  madame ,  en  lisant  votre  lettre ,  qv 
s  agit  d'une  conspiration.  Les  conspirations  peu 
vent  être  des  actes  héroïques  de  patriotisme,  et 
y  en  a  eu  de  telles;  mais  presque  toujours  elles n 
sont  que  des  crimes  punissables,  dont  les  auteui 
songent  bien  moins  à  servir  la  patrie  qu  a  Fasseï 
vir,  et  à  la  délivrer  de  ses  tyrans  qu'à  Tétre.  Poa 
moi,  je  vous  déclare  que  je  ne  voudrais  pour  riei 
an  monde  avoir  trempé  dans  la  conspiration  1 
plus  légitime,  parce  qu'enfin- ces  sortes  d'entn 
prises  ne  peuvent  s'exécuter  sans  troubles,  san 
désordres,  sans  violences,  quelquefi:)is  sans  effir 
sion  de  sang,  et  qu'à  mon  avis  le  sang  d'un  set 
homme  est  d*un  plus  grand  prix  que  la  liberté  i 
tout  le  genre  humain.  Ceux  qui  aiment  sincère 
ment  la  liberté  n'ont  pas  besoin ,  pour  la  txoute: 
de  tant  de  machines,  et,  sans  camsér  ni  réynh 
tions  ni  troubles,  quiciwique  veut  être  Bfcre  Te 
en  effet. 

Posons  toutefois  cette  grandecutreprîse  comf1 
on  devoir  sacré  qui  dmt  régner  sûr  tous  ka  autre 


dgè-Spocff  cda  les  anéantir,  et  ces  difl^ns  de- 
Toinsimt-ilsdoiic  à  tel  point incorapatiblesqu'on 
ne  |iB9K  servir  la  patrie  sans  renoncer  à  llmma- 
uité?  Vobv  Cassius  est-il  donc  le  prenûer  qui  ait 
ïiitmé  le  pojei  de  délivrer  la  sienne,  et  ceux  gui 
1  ont  nànté  Toni'  ils  £iit  au  prix  des  sacrifices 
dont  û  se  vante?  Les  Pélopidas,  Les  Brutus,  les 
n^isCassios^et  tant  dautres,  ont-ils  eu  besoin 
àdbfuv  tous  les  droits  du  sang  et  de  la  nature 
pour  acconplÎT  leurs  nobles  desseins?  y  eut-il  ja- 
mais de  iDÔÔears  fils,  de  meilleurs  maris,de  meil- 
kiDS  pères  q[oe  ces  grands  hommes?  La  plupart, 
an  contraire^  concertèrent  leurs  entreprises  au 
seiandekan&niiDes;  et  Bmtus  osa  révéler,  sans 
o(^xssité,sonsecretàsafeftnme,uniquement  parce 
fjtiii  h  troara  digne  d'en  être  dépositaire.  Sans 
aUcT  ai  loin  dberclier  des  exemples,  je  puis,  ma- 
dame, vous  en  citer  un  plus  moderne  d  W  héros  à 
(7aii'^aejBa]iqae,paur  être  àcôté  de  ceuxde  Tan^ 
tifBfté,  que  d'être  aussi  connu  queux;  c^est  le 
comte  Louis  de  fiesqne,  lorsqu'il  voulut  briser  les 
fers  deGènes,  sa  patrie^  et  la  délivrer  du  joug  des 
Doria.  Ce  jemne  homme  si  aimable,  si  vertueux^ 
û  fsu&l ,  finnna  ce  grand  dessein  presque  dés  son 
<tt&]iûe,  et  s'éleva,  pour  ainsi  dire,  lui-m/Sme 
poorrexécuter  Quoique  très-prudent,  il  le  confia 
i  son  fiève,  à  sa  fiimille,  à  sa  femme  aussi  jeune 
^  loi-,  et  après  des  pcéparatife  très-grands ,  très- 
kms,  nés-difficiles,  le  secret  fiu  si  bien  gardé, 
t  cnir^rise  fot.si  bien  ^mncertée  el  eut  un  si  plein 


a  l6  CORRESPONDANCE  y 

succès,que  le  jeune  Fiesque  était  maître  de GéM! 
au  moment  c[uHI  périt  par  un  accident 

Je  ne  dis  pas  qu'il  soit  sage  de  révéler  ces  sottefl 
de  secrets ,  même  à  ses  proches ,  sans  la  plus  grande 
nécessité  :  mais  autre  chose  est ,  garder  son  secret^ 
et  autre  chose,  rompre  avec  ceux  à  qm  on  le  ca- 
che :  Raccorde  même  qu'en  méditant  un  grand 
dessein  l'on  est  obligé  de  iy  livrer  quelquefois  aU 
point  d'oublier, pour  un  temps, des  devoirs  moins 
pressans  peut-être,  mais  non  moins  sacrés  sitôt 
qu'on  peut  les  remplir;  mais  que,  de  propos  déli- 
béré, de  gaieté  de  cœur,  le  sachant ,  le  voulant,  od 
ait,  avec  la  barbarie  de  renoncer  pour  jamais  i 
tout  ce  qui  nous  doit  être  cher ,  celle  de  l'accaUer 
de  cette  déclaration  cruelle,  c^est,  madame,  ce 
qu'aucune  situation  imaginable  ne  peut  ni  auto- 
riser ni  suggérer  même  à  un  homme  dans  son  bon 
sens  qui  n  est  pas  un  monstre.  Ainsi  je  condos^ 
quoique  à  regret,  que  votre  Cassîus  est  fou ,  UWt 
au  moins;  et  je  vous  avoue  qu'il  m'a  tout-à-to 
Tair  d'un  ambitieux  embarrassé  de  sa  femme, qui 
veut  couvrir  du  masque  de  l'héroïsme  son  incon*- 
tance  et  ses  projets  d'agrandissement  :  or  ceux  qui 
savent  employer  k  son  âge  de  pareilles  ruses  sou( 
des  gens  qu'on  ne  ramène  jamaii,  et  qui  rarement 
en  valent  la  peine. 

Il  se  peut ,  madame ,  que  je  me  trompe  •,  c'est  1 
vous  d'en  juger.  Je  voudrais  avoir  des  choses  ploJ 
agréables  i  vous  dire;  msris  vous  me  demande! 
moQ  sentiment  j  il  âtut  vous  le  dire,  ou  me  taire 


AyyÉE  1766-  ai  7 

OQ  TOUS  tromper.  Des  trois  partis,  j'ai  choisi  le 
fias  hoDiiète  et  celui  qui  pouvait  le  mieux  vous 
nannieCi  madame^  ma  défèrence  et  mon  respect. 

y 08.  —  A  M.  DU  Peyrou. 

A  Wootton,  Ip  4  octobre  1766. 

ïdi  reçu,  mon  cher  hôte^  votre  lettre  n^  Ss  ;  je 
n'ai  pas  besoin  de  tous  dire  quel  effet  elle  a  £iit 
sor  moi;  j'ai  besoin  plutôt  de  tous  dire  qu  elle  ne 
m'a  pas  ackcré.  Celle  n^  3o  ne  me  préparait  pas 
à  cdle-là;  ce  qne  tous  aTiez  écrit  â  Panckoucke 
mj  prèpanil encore  moins;  et  j'aurais  juré,  sur- 
tout après  la  pomesse  que  tous  mWiez  &ite, 
me  vous  étiez  à  l'épreuve  du  voyage  de  Genève. 
J  avais  tort;  je  devrais  savoir  mieux  que  personne 
qui]  ne  but  jorer  de  rien.  Le  soin  que  vous  pre- 
nez de  me  ramasser  les  jugemens  du  public  sur 
ffioa compte  m'apprendassezquels  sont  les  vôtres^ 
et  je  vois  qui  si  vous  exigez  que  je  me  justifie , 
c'est  surtout  auprès  de  vous;  car,  quant  au  pu- 
Uic ,  vous  savez  que  vos  soins  là-dessus  sont  inu- 
tiles, qoe  mou  psuti  est  pris  sur  ce  point,  et  que 
ie  mon  vivant  je  n'ai  plus  rien  à  lui  dire. 

Mais  9  avant  de  parler  de  ma  justification ,  par- 
lons de  la  vôtre;  car ,  enfin,  je  n  ai  aucun  tort  avec 
Toos^  que  )e  sache ,  et  vous  en  avez  avec  moi  de 
peu  pardonnables;  puisqu avant  de  se  résoudre 
d'aocâbler  un  ami  dans  mon  état^  il  faut  s^assurer 

w.  4.  19 


2l8  CORRESPONDANCE, 

d'avoir  dix  fois  raison,  après  (juoi  Ton  a  tort  en- 
core. J'entre  eîi  ftiàtiëre. 

Je'vduis  disais  dans  ma  précédente  lettre  qae, 
lorsqu'on  vous  marqua  que  la  pension  m'avait  été 
offerte ,  cela  était  vrai  ;  mais  que ,  lorsqu'on  ajouta 
que  je  l'avais  refusée,  cela  était  &uz;  qu'il  était 
taux  même  que  j'eusse  alors  l'intention  de  la  refu- 
ser; que.  comme  c'était  alors  un  secret,  je  n'en 
a,vais  parlé  à  qui  que  ce  fût  ;  qull  £illait  donc  que 
ce  bruit  anticipé  fui  venu  de  M.  Hume,  qui  lui- 
même  avait  exigé  le  secret,  etc. ,  etc. 

Là -dessus,  voici  votre  réponse;  de  peur  de  la 
mal  extraire,  je  la  transcrirai  mot  à  mot. 

«  Votre  lettre  au  général  Conway  est  du  i  a 
(c  mai ,  et  l'affaire  de  votre  démêlé  n'a  éclaté  dans 
«  ce  pays  et  à  Genève  que  sur  la  fin  de  juillet  ;  à 
«  Paris,  dans  le  courant  du  même  mois,  ou  dans 
ce  celui  de  juin.  Il  est  donc  possible  que  M.  Hume 
«  n  ait  parié ,  dans  sa  lettre  à  d' Alemncrt ^  de  votre 
a  pension,  que  sur  h  refus  de  Tacceptel*  fait  à 
ft  M.  Conway.  Je  dis  possible,  parce  que,  n'ajant 
ce  pas  la  date  de  là  lettre  à  d^Alembert ,  je  ne  peux 
ce  pas  l'assurer;  mais  Tépôque  en  est  du  mois  de 
«  juin  au  plus  tôt.  Ainsi  la  conséquence  que  vous 
ce  tirez  contre  Hume  de  cette  circonstance  n'est 
c(  pas  nécessaire ,  et  le  secret  ébruité  de  la  pension 
c(  n^a  eu  lieu  qu  après  Votre  refias.  Je  vous  &ls 
ce  cette  réflexion  pour  vous  engager  à  bien  combi^ 
«  ner  les  dates,  k  bien  vous  eu  assurer  avant  d'é- 
«c.  tablir  sur  eUes  aucunes  inductions.  11  me  sera 


AiorÉs  1766.  ^19 

cdificile  d'avoir  la  date  de  cette  lettre  à  d'AIem* 

«  bert,  poisqa  elle  ne  se  commnniijue  plus^  mais 

«  je  ticbeni  d  en  savoir  ce  que  je  pourrai.  Ce  que 

«  \ttL  saTaos  Tenait  d'une  lettre  de  M.  Fischer  au 

«  capîtaiitt  Steiner  de  Couvet;  la  lettre  était  de 

•  tcaidK  date  y  et  je  voos  écrivis  sur-le-champ  son 

K  cootena,  et  cda  le  3i  juillet.  » 

H  parait  par  tout  ce  récit  que  je  vous  en  ai  im- 
posédans k  mien ,  en  antidatant  le  hruit  répandu 
de  mon  refiis,  pour  en  accuser  M.  Hume.  Je  crois 
que  tous  nWez  pas  tiré  positivement  cette  con* 
séqMice-,  maïs  comme  elle  suit  nëcessairemenH 
de  votre  exposé,  surtout  de  la  fin,  U  a  bien  &llu , 
malpè  vous,  qu'elle  se  présentât  au  moins  dans 
râoigncment,  pûsqull  était  totalement  ipipos- 
siUe^  de  la  manière  que  vous  présentez  la  chose , 
que  je  fiisse  dans  l'erreur  sur  ce  point  ;  et,  quand 
IJ  aurais  été ,  cette  erreur  sur  pareil  sujet  eût  été 
une  étourderie  împardonnaMe  à  mon  âge,  et  ne 
pooniC  que  rendre  mou  caractère  très -suspect. 
Or,  sans  vous  parler  des  devoirs  de  lamitié,  ceux 
de  féquitè,  de  lliumanité ,  du  respect  qu'on  doit 
aux  malheureux,  voulait  que  vous  commenças- 
àtz  par  Uen  tous  assurer  des  &its  qui  entraî- 
naient cette  conséquence,  et  que  vous  ne  vous 
fiassiez  pas  l^èrement  à  votre  miémoire  pour 
m  uspater  une  pareille  méchanceté.  Avant  d^aJl^r 
pfasloin,  je  vous  supplie  de  rentrer  ici  en  vous- 
même,  et  de  vous  demander  si  j*ai  tort  ou  rwQO* 
Suivez  maintenant  ce  que  j  ai  à  vous  dire* 


U  u4  CORRESPONDANCE  , 

réchal,  où  il  vous  dit  que  je  blflme  M.  Hume  d'à- 
Toir  demandé  et  obtenu  la  pension  sans  mon 
aveu.  Javoue  rondement  que  si  cela  est  je  sub  un 
extravagant  tout  au  moins.  Je  n'ai  rien  à  dire  de 
plus  sur  cet  article;  et,  dès  que  milord  Maréchal 
m^accuse,  je  ne  sais  plus  me  justifier ,  ou  du  moins 
je  ne  le  sais  que  par-devant  lui.  Revenons  à  vons. 

J'ai  fait  sur  vos  trois  dernières  lettres  des  ré* 
flexions  qu'il  faut  que  je  vous  communique.  Sup- 
posons que  je  fusse  mort  avant  de  les  avoir  re- 
çues,  et  par  conséquent  avant  d'avoir  pu  m  expli- 
quer avec  vous,  ni  avec  M.  de  Luze,  ni  avec  mi- 
lord Maréchal. 

Parce  qu'une  lettre  de  M.  d'Âlembert  parlait 
d^un  bruit  répandu  k  Paris  du  refus  de  la  pension 
du  roi  d'Angleterre,  vous  auriez  continué  de  con- 
clure que  ce  bmit  n  avait  pu  courir  à  Londres  au- 
paravant, et,  ayant  parfaitement  oublié  ce  que 
vous  avait  écrit  M.  de  Cerjeat,  vous  seriez  resté 
persuadé  que  j  avais  antidaté  ce  même  bruit  ^  tout 
exprès  pour  en  accuser  M.  Hume. 

Milord  Maréchal j  qui  prend  pour  un  grief,  ce 
dont  je  me  plains,  un  fait  que  je  lui  rapporte  en 
preuve  d'un  autre  feit,  aurait  toujours  vu  que  je 

mais  M.  Hume  quand  j'aurais  dû  le  remercier  ; 
et  il  eût  conclu  de  là  que  non-seulement  je  m*a- 

sais  sur  le  compte  du  bon  David,  mais  qtxe 
f  avais  cherché  les  chicanes  les  plus  ridicules  pour 
avoir  le  plaisir  de  rompre  avec  lui. 

M.  de  Lttze,  fondé  sur  cet  admirable  ar^a- 


ÀsnftE  176&  aaS 

ment  qnU  tous  a  donné  ponr  bon ,  et  que  tous 
2TCS  pris  pour  tel ,  qae  lorsqu  en  fonte  deux  p95- 
sagen  amclicpt  dans  la  même  chambre  il  est  im^ 
posfliUe  «pi^  y  en  couche  nn  troisième;  M.  de 
Loxe,  dis-je ,  eût  tenu  bon  dans  cette  persuasion  ^ 
que,  poîsqa'tl  avait  ton jonrs  couché  dans  la  même 
diarnlve  que  M.  Hume ,  je  n'y  ayais  jamais  tou- 
ché. B  edt  (lonc  cra d'abord,  comme  il  a  &it,  que 
la  lettre  4  M.  Hume,  où  je  disais  y  avoir  couché, 
était  âisfiée.  Mais ,  quand  enfin  l'on  eût*  vérifié 
que  la  lettre  était  authentique  sur  cet  article,  il 
eûl  nécessairement  conclu  quWec  une  impu* 
dence  incroyable  j'avais  inventé  cette  fiiusaeté 
pour  appnjcr  une  calomnie. 

Je  pourrais  aîoater  ici  Tarticle  de  M.  Vernes , 
sur  lequel  vous  iies  revenu  deux  fois  de  suite; 
mais  je  le  réserve  pour  un  autre  lieu.  Les  tHois 
préoédens  me  suffisent ,  quant  à  présent^ 

De  ces  trois  jugemens  communiqués  entre  vous 
et  biea  combinés,  il  eût  résulté  qu'avec  tous  mes 
beaux  raisonuemens,  et  avec  toute  la  feinte  pro- 
bité dont  je  metab  paré  durant  ma  vie,  je  n'étais 
aa  fend  qu'un  insensé^  un  menteur,  un  calomnia- 
teur, un  scélérat;  et,  comme  Fautorité  de  mes 
plus  vrais  amis  n  était  pas  suspecte,  si  ma  mé« 
noire  eât  passé  à  la  postérité,  elle  n'y  eût  passé 
qae  comme  celle  d'un  malfaiteur,  dont  on  se  sou-» 
vient  uniquement  pour  le  détester. 

Et  tout  eda,  parce  que  M.  de  Luze  n*a  point 
4e  mémoire  et  raisonne  mal;  parce  que  M.  du 


9a6  CORRESPONDANCE  j 

Pejrrou  n*a  point  de  mémoire  et  raisonne  mal;  et 
parce  que  milord  Maréchal,  prévenu  que  je  blâme 
à  tort  le  bon. David 9  voit  partout  ce  blâme ,  et 
nvême  où  je  n^en  ai  point  mis. 

Cela  ma  bien  appris,  mon  cher  hôte,  ce  que 
vaut  lopinion  des  hommes  quels  qu ils  soient,  et 
à  quoi  tient  ce  qu  on  appelle  dans  le  monde  hon- 
neur et  réputation,  puisque  l'événement  le  plus 
cruel ,  le  plus  terrible  de  ma  vie  entière,  celui  dont 
j'ai  porté  le  coup  accablant  avec  le  plus  de  cons- 
tance ,  où  je  n'ai  pas  Êtit  une  démarche  qui  ne  soit 
un  acte  de  vertu,  .çst  précisément  celui  qui,  si  j|e 
ny  avais  pas  survécu ^  m'attirait  une  ignominie 
étemelle ,  non  pas  seulement  de  la  part  du  stupide 
public,  mais  de  la  part  des  hommes  du  meilleur 
sens ,  et  de  mes  plus  solides  amis. 

En  devenant  insensible  aux  jugemens  du  pu* 
blic,  je  n'ai  &it  que  la  moitié  de  ma  tâche;  j'ai 
gardé  toute  ma  sensibilité  à  Testime  de  ceux  qui 
ont  toute  la  mienne,  et]par  là  je  me  suis  assujetti 
à  tous  les  jugemens  inconsidérés  quils  peuvent 
&ire,  à  toutes  les  erreurs  où  ils  peuvent  tom- 
ber, puisqu  enfin  Ils  sont  hommes.  Prévoyant 
de  loin  tous  les  moyens  détournés  qu'on  allait 
mettre  en  usage  pour  vous  détacher  de  moi,  tous 
les  préjugés  dont  on  allait  tâcher  de  vous  éblomr, 
quelles  sages  mesures  n'ai- je  pas  prises  pour  vous 
en  garantir?  Comptant,  comme  j'avais  droit  de  le 
faire,  sur  votre  confiance  en  ma  probité,  j'avais 
commencé  par  vous  conjurer  de  ne  rien  croire  de 


1766.  as7 

mo!  <{ae  ce  que  je  tous  en  écrirais  mo.'-méine  : 
vous  me  l'aviez  {nrouMS  très-positmment  ;  et  la 
première  chose  que  vous  avez  &ite  a  été  de  man« 
qaer  à  cette  promesse.  Vous  ne  vous  êtes  pas  con- 
tealé  de  tous  livrer  à  tons  les  bruits  du  coin  des 
rues,  sur  ce  <pie  je  vous  avais  écrit;  sitdt  cpe  quel- 
qu'un s'est  trouvé  en  contradiction  avec  moi,  c'est 
kii  que  vous  avez  cru ,  et  c'est  moi  que  vous  ave» 
refiisè  de  croire.  Exemple  :  dans  ce  que  je  vous 
avais  marqué  des  mauvais  offices  que  le  bon  David 
me  rendait  auprès  de  M.  Davenport,  un  M.  de 
Brobl  écrit  le  contraire,  et  aussitôt  vous  me  de- 
mandez si  )e  suis  bien  sâr  de  ce  que  je  vous  ai 
écrit.  Vous  me  permettrez  de  ne  pas  trouver,  en 
cette  occasion ,  la  question  fort  obligeante^  Je  n  ai 
pas,  il  est  vrai^  l'honneur  d*étre  envoj^é  d'un 
prince-,  mais,  en  revanche,  je  suis  votre  ami,  et 
conna  de  vous  ou  devant  letre. 

Le  résïdtat  de  toutes  ces  réàexions ,  que  je  vous 

communique^  est  de  me  détacher  pour  jamais  de 

Topinion  des  hommes,  queb  qu'ils  soient, et  même 

de  ceux  qui  me  sont  les  plus  chers.  Vous  avez  et 

vous  aurez  toujours  toute  mon  estime;  mais  je 

me  passerai  de  la  vôtre ,  puisque  vous  la  retirez  si 

légèrement,  et  je  me  consolerai  de  la  perdre,  en 

méritant  de  la  conserver  toujours.  Je  suis  las  de 

passer  ma*  vie  en  continuelles  apologies,  de  me 

josti£er  sans  cesse  auprès  de  mes  amis,  et  d'es- 

snyerlears  lépriniandes  lorsque  j'ai  mérité  tous 

leurs  applaudissemens.  Ne  vous  gênez  pas  plus  dé 


aSiS  CORRESPOirDAKCC  j 

sonnais  que  tous  n^avez  &k  jusqulci  sur  ce  cha« 
pitre;  continuez,  si  cela  vous  amuse,  à  me  rap- 
porter les  foliesetlesmensongesquevous  entendez 
débiter  sur  mon  compte.  Rien  de  tout  cela  ne  n^ 
fftchera  plus ,  je  vous  le  jure  ;  mais  je  n  y  répondrai 
de  ma  vie  un  seul  mot. 

Ceci,  du  reste,  regarde  uniquement  Fayenir; 
car  je  tous  ai  promis  d^examiner  avec  vous. votre 
n^  32 j  et  je  yeux  tenir  ma  parole;  mais  il  &ut 
finir  pour  aujourd'hui.  Dans  Tétat  où  je  suis,  la 
tâche  que  vous  mlmposez  ne  peut  se  remplir  sans 
reprendre  haleine.  Je  finis  donc  en  vous  réitérant 
mes  plus  tendres  vœux  pour  votre  rétablissement, 
en  vous  embrassant^ mon  cher  hôte,  de  tout  mon 
cœur. 

jriO. AU   MÊM£« 

WoottoD,  ie  iS  noTcmbre  176G. 

Je  vois  avec douleur,cher ami,  pai'votre  n^35, 
que  je  vous  ai  écrit  des  choses  déraisonnablesdon  t 
vous  vous  tenez  offensé.  Il  faut  que  vous  ayez 
raison  d  en  juger  ainsi,  puisque  vous  êtes  de  sang- 
froid  en  lisant  mes  lettres,  et  que  je  ne  le  suis 
guère  en  les  écrivant;  ainsi  vous  êtes  plus  en  état 
que  moi  de  voir  les  choses  telles  qu  elles  sont. 
'Mais  cette  considération  doit  être  aussi  de  votre 
part  une  plus  granderaisondlndulgence:cequ^oji 
écrit  dans  le  trouble  ne  doit  pas  être  envisagé 
comme  ce  qu'on  écrit  de  sang-froid.  Un  dépit  ou- 
tré a  pu  me  laisser  échapper  des  expressions  dé- 


XicRÉx  i^i66«  1129 

BSùûes  par  mon  cœur,  «jm  n'eat' jamais  pour 
Toits<{i]edes  sentîmens  bonoraUes.  Au  contraîrei 
qaokpeTM  expressions  le  soient  toujours,  vos 
idées  souîcnt  ne  le  sont  guère;  et  voilà  ce  qui, 
dans  k  fart  de  mes  afflictions,  a  souvent  achevé 
de  m'ahattre.  En  me  supposant  tons  les  torts  dont 
vom  D^arez  chargé,  il  ÊJlait  peut-être  attendre 
on  astre  moment  pour  me  les  dire,  ou  du  moins 
'  TOUS  fésoudre  à  endoier  ce  qui  en  pouvait  ré- 
soitcr.  Je  ne  prétends  pas 9  â  Dieu  ne  plaise, 
m  excuser  id,  ni  vous  charger,  mais  seulement 
TOUS  donner  des  raisons ,  qui  me  semblent  justes , 
d'ooUlier  les  torts  d'un  ami  dans  mon  état  Je  vous 
en  demande  cardon  de  tout  mou  coeur -,  j^ai  grand 
besoin  que  vous  me  l'accoriliez,  et  je  vous  pro- 
teste, arec  vérité,  goe  je  nàî  jamais  cessé  un  seul 
moment  ffavon-  pour  vous  tous  les  sêntimens  qufi 
j'aurais  désiié  vons  trouver  pour  moi. 

La  pmàtiaa  a  suivi  de  près  Toffense.  Vons  ne 
pouvez  douter  du  tendre  intérêt  que  je  prends  â 
tout  ce  qui  tient  à  votre  santé,  et  vous  refusez  de 
me  parier  des  suHes  de  votre  voyage  de  Béfort. 
Benrenseimiit  yons  n  Qvez  pu  être  méchant  qu'à 
demi ,  et  vous  me  laissez  entrevoir  un  succès  dont 
|e  farAle  d'approidre  la  confirmation.  Ecrivez*moi 
l^nlessus  en  détail,  mon  aimable  h&le,  donaez- 
moi  tout  à  la  foû  le  plaisir  de  savoir  que  vee  re- 
mèdes op^nt,  et  celui  d'apprendre  que  je  suis 
paidonné.  J'ai  le  cœur  trop  plein  decebesoîfipour 
pouvoir  aujounfhni  vous  parler  d*autre  chose,  et 


23a  COaRESPOHÛAKCE, 

je  finis  en  vous  répétant  da  fond  de  mfon  ime  que 
mon  tendre  attachement  et  mon  vrai  respect  pour 
Tons  ne  peuvent  pas  plos  sorUr  de  mon  cœnr  que 
lamour  de  la  vertu. 

711. — AM.LAUiun. 

WoottODi  le  iS  noTcmbK  1766. 

A  PEncB  nous  connaissons-nous,  monsieur,  et 
vous  me  rendez  les  plus  vrais  s^rices  de  ramitié  : 
ce  zèle  est  donc  moins  pour  moi  que  pour  la 
chose,  et  nfen  est  d'un  plus  grand  prix.  Je  toû 
que  ce  néme  amour  de  la  justice,  qui  brûla  tou- 
|our8  dans  mon  cœur,  brûle  aussi  dans  le  vôtre 
rien  ne  lie  tant  les  flmes  que  cette  conformité.  L2 
nature  nous  fit  amis;  nous  ne  sommes,  ni  vous  n 
moi,  déposés  à  l'en  dédire.  J'ai  teçu  le  paque 
que  vous  m*aves  enviée  par  la  voie  de  M.  Du 
tens;  c^st  k  mon  avis  la  plus  sûre«  Le  duplicata 
m'a  pourtant  déjà  été  annoncé ,  et  je  ne  doute  pa 
qu'il  ne  me  parvienne*  J'admire  Pintrépidiié  .de 
auteurs  de  cet  ouvrage,  et  surtout  slls  le  laisseï) 
répandre  i  Londres,  ce  qui  me  parait  difficile 
empêcher..  Du  reste ,  ils  peuvent  &ire  et  dire  toi; 
À  leur  aise  :  pour  moi,  je  n'ai  rien  à  dire  de  moi 
steur  Hume ,  sinon  que  je  le  trouve  bien  insultai 
pour  un  bonhomme,  et  bien  bruyant  pour  v 
philosophe.  Bonjour,  monsieur^  je  vous  aimer 
toujours,  mais  Je  ne  vous  écivai  pas,  A  moiois  i 
nécessité  :  cependant  je  serab  bien  aise,  par  pi 


caotioB»  à'ivcir  votre  adresse.  Je  tous  embrasse 
de  toat  mon  cœur,  et  vous  prie  de  dire  â  M.  Saut- 
tcmheim  <{cie  |e  suis  sensible  à  son  souTenir,  et 
n  ai  ^int  oublié  notre  ancienne  amitié.  Je  suis 
aussi  surpris  que  fâché  qu'avec  de  Tesprlt ,  des  ta- 
leasjde  la  douceur,  et  une  assez  jolie  figure,  il 
oe  troore rien  à  &ire  à  Paris.  Cela  viendra,  maie 
lesconmienceniens  7  sont  difficiles. 

71a. A  HAnEMOISELLE  DkWSS. 

Wootlon,  le  9  décembre  1766. 

Ml  beOe  TC»sne ,  vous  me  rendez  injuste  et  ja- 
loux pour  la  premifcre  fob  de  ma  vie  :  je  n'ai  pu 
Yoir  sans  envie  les  chaînes  dont  vous  honoriez 
mon soitan; et  je  lui  ai  ravi  lavantage  de  les  por- 
ter le  premier  :  j'en  anr^  dû  parer  votre  brebis 
cbérie,  mais  jenai  oêé  empiéter  sur  les  droits  d  ^un 
jeane  et  aimable  berger  \  c'est  déjà  trop  passer  les 
aueos  de  faire  le  galant  à  mon  âge,  mais  puisque 
vous  me  Tairez  hit  oublier,  tâchez  de  Toublier 
vous-même ,  et  pensez  moins  au  barbon  qui  vpus 
rend  faonunage,  qu'au  soin  que  vous  avez  pris  de 
loi  rajeunir  le  cœur. 

Je  ne  veux  pas,  ma  belle  voisine,  vous  ennuyeï 
1^  long' temps  de  mes  vieilles  sornettes  :  si  je 
vous  contais  toutes  les  bontés  et  amitiés  dont 
^otre  cher  oncle  mlionore,  je  serais  encore  en- 
tiuyetUL  par  mes  longueurs;  ainsi  je  me  tais.  Mais 
?<.venes  Tété  pochain  en  être  le  témoin  vous^ 


a3l  CORKESPONDANCE. 

même,  et  ramenez  madame  la  comtesse  (x  )9  à  toor  •■ 
dition  que  nous  serons  cette  fois-çi  les  plus  forts , 
et  qu'au  lien  de  yous  laisser  enlever  comme  cette  . 
année  j  vous  nous  aiderez  à  la  retenir. 

7l3.  -*'  A  UILORD  MjlRÉCHAL. 

Il  décembre  1766. 

ÂBRJËGER  la  correspondance  (^)I—  Mibrd,  qne 
m'annoncez -vous,  et  quel  temps  prenez -vous 
pour  cela  !  Serais- je  dans  votre  disgrâce?  Ah  !  dans   . 
tous  les  malheurs  qui  m'accablent  ^  voilà  le  seol 

(i)  Madame  la  comtene  Cowper,  yeuve  du  £ea  oatntm 
Cowper,  et  fille  du  comte  d«  Graoyiile. 

(^}  La  lettre  de  miloid  Maréchal  à  laquelle  celle-ci  wtt  de    ^ 
réponse  se  lennmait  amsi  :  <r  Je  sait  yieiuc,  isfirme;  f  ai  trop  pea 
«  de  mémoire.  Je  ne  aaia  ploa ce  que  j'ai  écritl  M.  da  Peyron ^ 
«  mais  je  sais  très-positivement  que  je  désirais  Tons  servir  em 
«  assoupissant  une  querella  sur  des  soupçons  qui  me  parû»- 
«  saient  mal  fondés ,  et  non  pas  pour  tous  6ter  un  amL  P«nw 
a  être  ai-je  &it  quelques  sottises  :  pour  les  ëyiter  à  laTcnir  ,  ae 
«  trouves  pas  mauvais  que  f'abiége  la  conespoodanoe,  '  ■«— «ii^ 
«  fai  déjà  fiât  avec  tout  le  monde ,  même  avec  mes  plus  p«x>- 
tt  cbes  parens  et  amis ,  pour  finir  mes  jours  dans  la  tranquillisé. 
M  Bonsoir. 

«  Je  dis  abréger  ;  car  je  désirerai  toujours  savoir  «le  temps 
«  en  temps  des  nouvelles  de  votre  santé,  et  qa  elle  soit  bo^t^e.  » 

D'amples  édaiîdssemens  à  ce  sujet,  et  la  preuve  de  faai'^iÂê 
que  milord  Maréchal  conserva  pour  Rousseau  jusqu'à  ses  âer- 
DÎers  momenSi  se  trouvent  dans  la  Réponse  Jtune  anonywn^ 
(Madame  La  Tour  de  FranqueviUe)  à  un  anonyme ^ 
dans  l'édition  de  Genève ,  tome  VI  4n  5uppUmefU,  et  des^j» 
Uitioii  de  Peinçot ,  tome  U  YUL. 


^  je  ne  samais  supporter.  Si  j'ai  des  torts,  dai* 

gnes  les  pardonner  ;  en  est-il ,  eo  peut-il  êtrej  que 

IMS  senâniens  pour  tous  ne  doivent  pas  rache- 

terl  Vos  bontés  pour  moi  font  toute  la  consola- 

ûon  de  ma  yie  :  Toulez-yous  m'ôter  cette  unique 

et  douce  consolation  ?  Vons  ayez  cessé  d'^rire 

à  Tos  païens!  Eh!  qu'importe  tous  tos  parens, 

loos  vos  amis  ensemble?  ont-ils  pour  tous  un  at* 

tacheiaent  comparable  an  mien?  £h!  milord,  c'est 

votre  âge  y  ce  sont  mes  maux  qui  nous  rendent 

pins  ntHes  Fnn  à  l'autre  :  à  quoi  peuvent  mieux 

s'employer  les  restes  de  la  vie,  qu'à  s^entretenir 

a?ec  ceux  qui  nous  sont  chers?  Vous  m  avez  pro- 

nù&  une  èlemeOe  amitié;  je  la  veux  toujours,  j'en 

siBB  totqours  digne.  Les  terres  et  les  mers  nous 

séparent,  les  hoiomes  peuvent  semer  bien  des  er- 

revrs  entre  nous;  mais  ri^n  ne  peut  séparer  mon 

cemr  du  vôtre  ^  et  celui  que  von^  aimâtes  une  fois 

a'a  point  changé.  Si  réellement  vous  craignez  Ja 

peine  décrire,  cVst  mon  devoir  de  vons  Fcpar- 

pxT  autant  qull  se  peut  :  je  ne  demande,  à  cha- 

fjœ  fois,  que  deux  lignes,  toujours  les  mémos,  et 

rien  de  plus  :  J'ai  reçu  votre  lettre  de  telle  date  ;, 

je  me  porte  bien,  et  je  vous  aime  toujours.  Voilà 

font  ;  répétez-moi  ces  dix  mots  douze  fois  Tannée  | 

et  |e  suis  content  De  mon  côté  j'aurai  le  plus 

grand  soin  de  ne  vons  écrire  jamais  rien  qui  puisse 

¥OQS  inaportuner  ou  vous  déplaire  :  mais  cesser  dé 

Totis  écrire  avant  que  la  mort  nous  sépare!  non. 


30. 


^36  COIUiESI»OKDÀNCB ,  | 

prendre ,  si  vous  refusez  de  me  parler?  Dois- je  i 
rester  dans  votre  maison  malgré  vous?  en  puis-)e 
sortir  sans  votre  assistance?  Sans  amis,  sans  cod- 
naissances  j  enfoncé  dans  un  pays  dont  j^gnore 
la  langue ,  je  suis  entièrement  à  la  merci  de  vos 
gens  :  c^est  i  votre  invitation  que  fj  suis  venu,  et 
vous  m^avez  aidé  à  y  venir;  il  convient,  ce  me 
semble,  que  vous  m'aidiez  de  même  à  en  partir, 
si  j^  suis  de  trop.  Quand  fy  resterais,  il  fiindrait 
toujours,  malgré  toutes  vos  répugnances,  que 
vous  eussiez  la  bonté  de  prendre  des  arrange- 
mens  qui  rendissent  mon  séjour  chez  vous  moins 
onéreux  pour  Fun  et  pour  Fautre.  Les  honnêtes 
gens  gagnent  toujours  à  s'expliquer  et  s'entendre 
entre  eux  :  si  vous  entriez  avec  moi  dans  les  dé- 
tails dont  vous  vous  fiez  à  vos  gens,  vous  seriez 
moins  trompé  et  je  serais  mieux  traité ,  nous  j 
trouverions  tous  deux  notre  avantage;  vons  avez 
trop  d'esprit  pour  ne  pas  voir  qu'il  y  a  des  gens  I 
qui  mon  séjoiur  dans  votre  maison  déplaît  beau^ 
coup,  et  qui  feront  de  leur  mieux  pour  me  le  ren 
dre  désagréable. 

'  Que  si,  malgré  toutes  ces  raisons,  vous  contl 
nuez  à  garder  avec  moi  le  silence,  cette  répond 
alors  deviendra  très-claire,  et  vous  ne  trouvère 
pas  mauvab que,  sans  m'obstiner  dav^mtage  in^ 
tilement,  je  pourvoie  à  ma  retraite  comme  je  pou 
rai,  sans  vous  en  parier  davantage,  emportant  v 
souvenir  très-reconnaissant  de  Fhospitaiité  <jl 
vous  m'ave2  offerte,  mais  ne  pouvant  me 


K 


^ 


▲Kfiri£  1766.  ^37 

ffloler  les  craels  embarras  oh  je  me  suis  mis  en 
Faoceptant. 

7I&.  —  k  LORD  TICOMTE  DE  NuiTCHÀII, 
ACJ0iai>'BVt  COMTK  DB  BABOOniSl 

WoottoD ,  Ift  a4  dicanbit  i  966. 

h  croirais ,  milord  ,  exécater  peu  honnêtement 
  lësofaition  qne  j  ai  prise  de  me  défaire  de  mes 
estampes  et  de  mes  livres,  si  je  ne  vous  priais  de 
Touloir  bien  commencer  par  en  retirer  les  estam- 
pes demi  TOQS  avez  en  la  bonté  de  me  &ire  pré- 
seQt  Jcn  tas  assorément  tout  le  cas  possible,  et 
la  néœssîté  de  ne  rien  laisser  sous  mes  yeux  cjoi 
me  lappelle  on  go&t  auquel  je  veux  renoncer  pou- 
vait seoie  en  osbCenir  le  sacrifice.  S'il  y  a  dans  mon 
petit  recnefl,  soit  d'estampes ,  soit  de  livres ,  quel- 

re  cbose  ^i  poisse  vous  convenir,  je  vous  prie 
me  6/re  l'honneur  de  l'agréer,  et  surtout  par 
préierence  ce  qui  me  vient  de  votre  digne  ami 
)L  Watelet ,  et  qui  ne  doit  passer  quW  main 
damL  Enfin ,  milord ,  si  vous  êtes  à  portée  d^ai- 
iaàn  débit  du  reste,  je  reconnaîtrai,  dans  cette 
boQté^  les  soins  officieux  dont  vous  m'avez  permis 
ie  me  prévaloir.  C  est  chez  M.  Davenport  que 
TOUS  pourrez  visiter  le  tout,  si  vous  voulez  bien 
en  prcaidre  la  peine.  U  demeure  en  Piccadilly  à 
cètéde  lotd  Egremond.  Recevez,  milord,  je  vous 
prie ,  les  assurances  de  ma  reconnaissance  et  ds 
aanirspecc 


2à.38  CORRESPONDANCE , 

717. À  M. 

llaiMrîer  I7<$7. 

Ce  que  vous  me  marquez,  monsienr^qucM.  Dey- 
Verdun  a  un  poste  chez  le  général  Conway ,  m^ex- 
plique  une  énigme  à  laquelle  je  ne  pouvais  rien 
comprendre,  et  que  vous  verrez  dans  la  lettre  dont 
je  joins  ici  une  copie  faite  sur  celle  que  M.  Hume 
a  envoyée  à  M.  Davenport.  Je  ne  vous  la  commu- 
nique pas  pour  que  vous  vérifiiez  si  ledit  M.  Dey- 
Verdun  a  écrit  cette  lettre,  chose  dont  je  ne  doute 
nullement,  ni  s'il  est  en  effiit  Fauteur  des  écrits  en 
question,  mis  dans  le  Saint-James  Chronide,  ce 
que  je  sais  par&itement  être  faux;  d'ailleurs  ledit 
M.  Deyverdun,  bien  instruit,  et  bien  préparé  A 
son  r&le  de  préte-nom,  et  qui  peut-^tre  Va  com- 
mencé lorsque  lesdits  écrits  fiirent  portés  au 
Saint -James  Chronide^  est  trop  sur  ses  gardes 
pour  que  vous  puissiez  maintenant  rien  savoir  de 
lui;  mais  il  n'est  pas  impossible  que  dans  la  suite 
des  temps,  ne  paraissant  instruit  de  rien,  et  g^ff- 
daut  soigneusement  le  secret  que  je  vous  confie, 
vous  parveniez  A  pénétrer  le  secret  de  toutes  ces 
manœuvres,  lorsque  ceux  qui  s'y  sont  prêtés  se- 
ront moins  sur  leurs  gardes  ;  et  tout  ce  que  je  sou- 
haite ,  dans  cette  affaire ,  est  que  vous  découvriez 
k  vérité  par  vous-même.  Je  pense  aussi  qu'il  im- 
porte toujours  de  connaître  ceux  avec  qui  Ton 
peut  avoir  à  vivre ,  et  de  savoir  si  ce  sont  dlion^ 
nétes  gens  :  or,  que  ledit  Deyverdun  ait  fait  ou 


AKSÈE  1767.  ^ 

000  les  écrits  dont  il  se  vante ,  VQUâ  sxvez  main- 
tenant^oeiDeseiahle)  k  <{aoi  vous  eD  tenir  avec 
loi  Yovs  êtes  jeune  f  yoos  nie  survivrez  y  j'espère , 
deliQUicmip  d  wnées;  et  ce  m'est  une  consola- 
tion tiès-donoe  de  penser  qp'on  jonr,  quand  le 
ibnd  de  celle  triste  aî&t^  sera  dévoilé  yvoosseies 
â  portée  d  CD  vérifier  par  vous-même  beaucoup  de 
^9  que  tous  saurez  de  mon  vivant  sans  qu  ils 
rousfeippeat,  parce  qu'il  vous  est  impossible  d'en 
voir  les  npports  avec  mes  malheurs.  Je  vous  4am- 
Ivassede  tout  mon  cœur, 

718, ÂV  UtUE. 

a  janvier  1767. 

QvÂSD  je  vous  pris  au  mot,  monsieur,  sur  la 
liberté  <pe  tous  m'accordiez  de  ne  vous  pas  lé- 
pondKy  j'étais  l»en  éloigné  de  croire  que  ce  si- 
lence pdf  foms  niquiéter  sur  ïeBkt  de  voire  pué* 
cédeole  lettre  :  je  n^  ai  rien  vu  qui  ne  confirmai 
^  seplinifDS  d  estime  et  d'attachement  que  vous 
i&avez  ins|niés;  et  ces  sentimens  sont  si  vrais, 
^  Si  jmais  fêtais  dans  le  cas  de  quitter  cette 
prorinoe,  je  soultaiierasque  ce  fiit  pour  n^  rap: 
frocher  d^  vous*  Je  vous  avoue  pourtant  que  je 
sais  tsnehé  des  soins  de  IML  Davenport ,  et  si  conr> 
trot  de  sa  SM:iété,  que  je  ne  me  priverais  pas  sans 
n^  d'une  hospitalité  si  douce;  mais  fiomme  il 
ooi&e i  peine  que  je  lui  rembourse.uoe  parUe des 
je  lui  coAte}  il  y  aurait  tropd'indi^ 


^4o  coRitBSPom>ÀK(:B , 

crétion  à  rester  toujours  chea  lui  sur  le  jnéMe 
pied,  et  je  ne  croirais  pouvoir  me  dédonunagCT 
des  âgrémens  que  j'y  trouve  que  par  eeuz  qui 
m'attendraient  auprès  de  vous.  Je  pense  souvent 
avec  plaisir  à  la  ferme  solitaire  que  nous  avons 
^e  ensemble  et  à  l'avantage  d^  être  votre  voisin  ; 
mais  ceci  sont  plutôt  des  souhaits  vagues  que  des 
projets  d'une  prochaine  exécution.  Ce  qu'il  y  a 
de  bien  réel  est  le  vraî  plaisir  que  j^ai  de  corres« 
pondre  en  toute  occasion  à  la  bienveillance  dont 
vous  m'honorez ,  et  de  la  cultiver  autant  quil  dé 
pendra  de  moi. 

Il  y  a  long -temps,  monsieur,  que  je  me  suis 
donné  le  conseil  de  la  dame  dont  vous  parlez  : 
j'aurais  dû  le  prendre  plus  tôt;  mais  il  vaut  mieux 
tard  que  jamais.  M.  Hume  était  foxa  moi  une 
^connaissance  de  trois  mois,  qu'il  ne  m'a  pas  con* 
venu  d'entretenir  :  après  un  premier  mouvement 
d'indignation  dont  je  n'étais  pas  le  maître .  je  me 
suis  retiré  paisiblement  :  il  a  voulu  une  rupture 
formelle;  il  a  fallu  lui  complaire  :  il  a  voulu  en* 
suite  une  explication;  j'y  ai  ôonsenti,  Tout  cela 
s'e^t  passé  entre  lui  et  hioi  :  il  a  jugé  è  propos  d W 
faire  le  vacarme  que  Vipus  savez;  il  \\  &it  tout 
seul,  je  me  suis  t\x\  je  continuerai  de  mi»  taire,  et 
je  n'ai  rien  dii  tout  à  dire  de  M.  Hume,  sinon  que 
je  le  trouve  un  peu  insultapr  pour  un  bonhomme, 
et  un  peu  bruyant  pour  un  philosophe. 

Comment  va  la  botanique?  vous  en  occupes* 
vous  un  peu?  voyez- vous  des  gens  qui  s^en  occu« 


AVtdE  1767.  a4l 

peut?  pour  moi,  fen  ra£ble,  je  m'y  acharne,  et 
je  n  avance  point  :  j'ai  totalement  perdn  la  mé- 
moire, et  de  plus,  je  n^ai  pas  de  quoi  Tezercer; 
c»  avant  de  retenir  il  fkat  apprendre,  et  ne  poa- 
Tant trooTer  par  moi-même  les  noms  des  plantes, 
je  naxnulaojen  de  les  saToir  :  il  me  semUe  que 
t4XK  les  lines  qu'on  écrit  sur  la  botanique  ne  sont 
boas  que  pour  ceux  qui  la  savent  déjà.  J'ai  acquis 
"f^i^StÔmgfiett,  et  je  n'en  suis  pas  plus  avancé. 
J^ai  pris  le  paiti  de  renoncer  à  toute  lecture ,  et  de 
rendre  mes  livres  et  mes  estampes ,  pour  acheter 
dn  plantes  grarées  :  sans  avoir  le  plaisir  d'ap- 
pn^^faniaioehii  d'étudier;  et  pourinon  objet 
celaRvîenlàpeQpTès  au  même. 

An  reste,  ye  siûs  très-  heureux  de  m'être  pro« 

cmé  une  occopation  qui  demande  de  Texercice.; 

car  rien  ne  me  6it  tant  de  mal  que  de  rester  assis^ 

00  d'écrire  on  lire;  et  c^esi  une  des  raisons  qui  me 

font  rauiocer  i  tout  commerce  de  lettres ,  hors  les 

cas  df  nécessité.  Je  vous  écrirai  dans  peu  ;  mais 

de  grâoe,  monsieur ,  une  fois  pour  toutes,  ne  pre« 

oes  jamais  mon  silence  pour  un  signe  de  refroi*- 

<fis5eaent  on  d'oubli,  et  soyez  persuadé  que  c  est 

peur  mon  coeur  une  consolation  très-douce  d'être 

^  de  ceux  qui  sont  aussi  dignes  que  vous 

aku  aimés  eux-mêmes.  Mes  respects  empressés  4 

H  Xalihus,  je  vous  en  supplie;  recevez  ceux  de 

'Mademoiselle  Le  Vasseur,  et  mes  nlus  corcfialef 

oiiitaiions. 


.  <:  ùm 


a  {a  CORRESPOND  AKGB^ 


719. liEPOITSBS  AUX  QUESTIONS  FAITES  PAR 

M,  DE  Chauyel  (*). 

A  Wootton,  le  5  jaDvier  ïï-^Oy* 

Jamais,  ni  en  1759,  ni  en  aucnn  antre  temps , 
M.  Marc  Chapnis  ne  m'a  proposé,  de  la  part  de 
M.  de  Voltaire,  d'habiter  une  petite  maison 
pelée  THermitage.  En  ijSo,  M.  de  Voltaire, 
pressant  de  revenir  dans  ma  patrie,  m'invitais 
d^aller  boire  du  lait  de  ses  vaches.  Je  lui  répondis. 
Sa  lettre  et  la  mienne  furent  publiques.  Je  ne  me 
ressouviens  pas  d'avoir  eu  de  sa  part  aucune  aulx^ 
invitation. 

Ce  que  j'écrivis  à  M.  de  Voltaire ,  en  1 760  (*  *  ^^  ^ 
n'était  point  une  réponse.  Ayant  retrouvé  par  1»^^ 
sard  le  brouillon  de  cette  lettre,  je  la  transcris  ici  , 
permettant  à  M«  de  Chauvel  d'en  &ire  Fusage  ^pm'il 
lui  plaira  (i). 

J(9  ne  me  souviens  point  exactement  de  ce 
j'^rivis  il  y  a  vingt-trois  ans  à  M.  du  Theil  : 


<*)  yoje%  dais  la  coirapondancB  Ae  Voluire  m 
Bime ,  dAlée  de  Feniey,  a4  octobre  1766.  Ces  Répo 
Rousseau  ont  pour  objet  de  détruire  usa  partie  des 
caloronieusei  qu'elle  coutient.  Rousseau  sans  doute 
i^wnthr  aux  autres,  relatifea  aux  relations  ijui  araîeiii 
entre  Vi^taire  et  lui^  Mais  Bl  Gingueué  (NeCe.  U  de 
>ni^  sur  las  Confeuion»)  s'est  cbargé  de  oette  nobk 
B*a  rien  laissé  à  dtUirer  sur  œ  point 

{**)  Voyez  les  Confetëionif  ûrte  X,  tofos  II. 

(1}  On  trourêra  cette  kitie  dans  le  lÎTre  X  été  Confitaim 


ANNÉB  1767.  2^3 

3  est  YTsâ  que  j'ai  été  rloinesti<{iie  de  M.  de  Mod- 
uiga,  ambassadeur  de  France  à  Venise ,  et  qpe 
j'ai  mangé  son  p^tin,  comme  ses  gentilskommes 
ètiôent  ses  domesticpies  et  mangeaient  son  pain  : 
avec  cette  difierence,  <jue  j'avais  partout  le  pas 
SOT  les  gentîlsfaonimes,  que  f  allais  au  sénat ,  que 
j^assbtats  aux  conférences ,  et  que  j'allais  en  yisite 
chez  les  ambassadeurs  et  ministres  étrangers;  de 
fnassurément  les  gentilshommes  de  Tambassa- 
deor  n'eussent  osé  &ire.  Mais  bien  qu^eux  et  moi 
fessions  ses  domestiques,  il  ne  s  ensuit  point  que 
noos  fussions  ses  valets. 

n  est  vrai  qu'ayant  répondu  sans  in^lence , 
maïs  arec  fermeté,  aux  brutalités  de  Vambassa- 
deor,  dont  le  tdn  ressemblait  assez  à  celui  de 
M.  de  Voltiirej  il  me  menaça  d'appeler  ses  gens, 
et  de  me  &ire  jeter  par  les  fenêtres.  Mais  ce  tpie 
M.  de  Vohaîre  ne  dit  pas ,  et  dont  tout  Venise 
rii  beaucoup  dans  ce  temps -là,  cest  que,  sur 
cette  moiace,  je  m'approchai  âe  la  porte  de 
sou  cabinet,  où  nous  étions;  puis  l'ayant  tet-, 
mée,  et  mis  la  clef  dans  ma  poche ,  je  re^ns  k 
M.  de  Montaigu,  et  lui  dis  :  Non  pas,  s'il  vous 
pUdt,  monsieur  l'ambassadeur.  Les  tiers  sont  iV 
commodes  dans  les  explications.  Trouvez^  bon 
fie  celle-ci  se  passe  entre  nous,  A  l'instant  son 
etoeHence  devint  très -polie;  nous  nous  sépa* 
rimes  fort  honnêtement;  et  je  sortis  de  sa  mai- 
son, noft  pas  honteusement,  comme  il  plaît  à 
U^  de  Voltaire  de  me  biie  dire ,  mais  eu  triomphe. 


^6  t(AR£Sl»Om)'ÀKGE:, 

qm  m'accoserez  d'ingratitude.  JTajoutfe  î  Akilord 
Maréchal  mon  ami  du  Peyrou.  Voilà  mes  vrais  tien* 
ÊiteoTS.  Je  n^en  connais  point  d'autres.  Voulez- 
vous  donc  me  lier  par  des  bienfiiîts?  faites  qu'ils 
soient  de  mon  choix  et  non  pas  du  vôtre  j  et  soyez 
sûr  que  vous  ne  trouverez  de  la  vie  un  cœur  jrfus 
vraiment  reconnaissant  que  le  mien.  Telle  est  ma 
façon  de  penser,  que  je  n'ai  point  déguisée  ;  vous 
êtes  jeune,  vous  pouvez  la  dire  à  vos  amis;,  et  si 
vous  ti:ouyez  quelqu'un  qui  la  blâme,  ne  vous  fiez 
jamais  à  cet  homme-la. 

y 20.  —  A  M.  DU  Petrov. 

A  WooUoir,  lo  8  janvier  i  ^67. 

QuR  Dieu  comble  de  ses  bénédictions  «non 
6her  h6te,  qui ,  par  une  réconciliation  parfaite ,  ac- 
corde à  mon  cœur  la  paix  dont  il  avait  besoin  I  Je 
prends  à  bon  augure,  dans  ces  circonstances, 
celle  que  vous  m'annoncez  pour  le  reste  de  mes 
jours  à  la  fin  de  votre  n^  38.  Si  je  puis  obtenir 
que  le  public  m'oublie,  comptez  que  je  ne  rèveil- 
ferai  plus  ses  souvenirs.  La  postérité  me  rendra 
justice,  j'en  suis  très-sûr;  cela  me  consûle  des  ou- 
te-ages  de  mes  contemporains. 

C'est  sans  contredit  une  chose  bien  douce 
qu'une  réconciliation ,  mais  elle  est  précédée  de 
œomens  si  tristes ,  qu'il  n'en  faut  plus  acheter  à  ce 
pnx.  La  première  source  de  notre  petite  mésm- 
«oUigence  est  venue  du  défaut  de  votra  mémoÎM 


LWKtJR  1767-  i/fy 

et  de  la  confiance  que  tous  n'arez  pa^  ùtissé  d'y 
avoir.  Dans  tos  deux  pénullièmes  lettres ,  par 
exemple,  parlant  de  ce  que  yous  avait  dit  M.  de 
Loze ,  vous  supposez  m'ayoir  écrit  qu^il  disait  que 
je  n  arais  point  couché  à  Calab  dans  la  mâne 
chambre  que  M.  Hume,  fait  qui  est  trës-Trai.  Si 
c'étaîllà,  en  effet  3^  ce  que  vous  m^aviez  écrit  au- 
paravant, ]*  aurais  eu  grand  tort  de  m'en  formai!* 
ser,  et  mes  réponses  seraient  très  ridicules.  Mais, 
mon  cher  hète,  votre  n^  33  ne  parait  point  du 
tout  de  Calais,  et  décidait  nettement  que  je  nV 
vais  jamais  couché  dans  la  même  chambre  avec 
M.  Hume;  voici  vos  propres  termes  : 

DeLuze  doute  que  vous  ayez  en  effet  écrit  que 
t«our  couchiez  dans  la  même  chambre  où  était 
Hume,  parce  que^  dà-il ,  c'est  lui,  de  Luze,  qui 
a  toujours 3  pendant  la  route,  occupé  la  même 
chambre  avec  M,  Hume,  et  que  vous  étiez  seul 
dans  la  vSîre.  Ce  mot  toujours  est  décisif ,  ce  me 
semUe^  non -seulement  pour  Calais,  mais  pour 
toute  la  route;  et  ma  réponse ,  très-blâmable  quant 
à  Temportement,  est  juste  quant  au  raisonne» 
ment. 

Dans  votre  n*^  36  y  vous  me  marquez  que  j'ai 
rompu  publiquement  avec  M.  Hume.  Mon  cher 
hôte,  où  avez  tous  pris  cela?  Mettez-vous  donc 
sur  mon  compte  le  vacarme  qu  a  fait  le  bon  Dth 
îîd,  pendant  que  je  n  ai  pas  dit  un  seul  mot  ,^  ce 
n'est  à  Jui  seul ,  dans  le  plus  grand  secret  j  et  seul^ 
test  quand  fl  m  y  a  forcé  ItComme  fêtais  instroil 


348  CORRSSPOKDANCE 

de  SOD  projet ,  je  craignais  plus  qtte  la  mort  rédat 
de  cette  rupture;  je  m^en  défendis  de  tout  ipon 
pouvoir,  et  je  ne  la  fis  enfin  que  par  des  lettres 
bien  cachetées,  tandis  quil  faisait  fiiire  un  grand 
détour  aux  siennes  pour  me  les  envoyer  ouvertes 
par  M.  Davenport.  Ces  lettres,  s'il  neles  eût  mon- 
trées ,  n'eussent  été  vues  que  de  lui ,  et  je  n 'en  au- 
rais parlé  même  à  personne  au  monde,qu  à  milord 
Maréchal  et  à  vous.  Appelez-vous  cela  rpmpre 
publiquement? 

Dans  votre  n^  38,  vous  m*accusez  d'avoir  mis 
de  la  méchanceté  dans  ma  lettre  du  lo  juillet  Ce 
que  je  viens  de  dire  répond  d  avance  à  cette  ac- 
cusation. La  méchanceté  consiste  dans  le  dessein 
de  nuire.  Quand  ma  lettre  eût  contenu  des  choses 
effroyables,  quel  mal  pouvait-elle  faire  à  M.  Hume, 
a  étant  vue  que  de  lui  seul?  Il  pouvait  y  avoir  de 
la  brutalité  dans  cette  lettre ,  jamais  de  la  méchan- 
ceté ,  puisqu'il  n'en  pouvait  résulter  aucun  préju- 
dice pour  celui  à  qui  elle  était  écrite,  qu autant 
qu'il  le  voulait  bien.  Mais,  de  grâce,  relisez  avec 
moins  de  prévention  cette  lettre  :  dans,  la  positicm 
où  je  Tai  écrite,  elle  est,  j'ose  le  dire,  un  prodige 
de  force  d'âme  et  de  modération.  Forcé  de  mVz- 
pliquer  avec  un  fourbe  insigne,  qui,  sous  l'appa- 
reil des  services,  travaille  à  ma  diffamation,  je 
pousse  le  ménagement  jusqu'à  ne  lui  parler  qu  en 
tierce  personne,  pour  éviter,  dans  ce  que  j^ais 
à  lui  dire,  la  dureté  des  apostrophes.  Cette  lettre 
est  pleine  de  ses  éloges  (vous  voyez  comment  il 


1767.  aiq 

me  les  a  rendus  )  ;  partoat  la  raison  qui  àiscntCf 

pas  un  seule  trait  d'insulte  oa  dliameor,  pas  un 

mouvement  d^indignation ,  pas  on  mot  dur,  si  ce 

n'est  quand  la  force  du  raisonnement  le  rend  « 

nécessaire ,  qu'on  ne  saurait  ôter  le  mot  sans  ëner* 

ver  VaTç;anient  ;  encore ,  alors  même ,  ce  mot  nW* 

ik  jamais  direct  et  affirma tif,  mais  hypothétique 

et  condldonneL  Si  vous  blâmez  cette  lettre,  j'en 

suis  d'autant  plus  Ùxhé  que  je  veux  qu'on  juge 

par  elle  de  Vàme  qui  Ta  dictée. 

Cette  sévérité  de  jugemens,  qui  ya  jusqu'à  Hn- 

\a^ice,  est  anssi  loin  de  votre  cœur  que  de  votre 

rsôson,  et  ne  vient  que  du  dé&ut  de  votre  mé* 

moire.  Vous  recevez  des  éclaircissemens  qui  vous 

£ont  changer  didée ,  et  vous  oubliez  que  je  ne  suis 

pas  instruit  de  ce  changement;  vous  voyez  que 

ma  rupture  avec  M.  Hume  est  publique,  et  vous 

oubliez  que  je  n'ai  aucune  part  à  cette  publicité; 

vous  voyez  que  je  lui  dis  des  choses  dures  qui 

sont  imprimées,  et  vous  ouUiez  également  que 

c'est  lui  qui  ma  forcé  de  les  lui  jdire,  et  que  cest 

lui  qui  les  a  &it  imprimer.  Ce  que  vous  aviez  écrit 

TOUS  échappe  ou  se  modifie,  et  il  résulte  de  tout 

cela  que  je  vous  parais  déraisonner  toujours, 

parce  qu'au  lieu  de  répondre  à  votre  idée  pré* 

sente j  que  je  ne  saurais  deviner ,  je  réponds  à  celle 

me  vous  m'avez  communiquée ,  et  dont  vous  ne 

vous  souvenez  plus. 

Uy  aurait  à  cela  deux  remèdes  en  votre  pdu» 
Hnr  :  le  premier  semt  que  vous  vouiusnez  UeO 


lasmre  tm  peu,  est  qu'en  conférant  la  clate  de  sa 
dernière  lettre  avec  celle  de  ces  nouvelles,  je  les 
crois  &usses;  mais  jb  ne  puis  me  défendre  d^one 
extrême  inquiétude;  il  ne  m'écrira  peut-être  de 
très-long-temps;  si  vous  avez  de  ses  nouvelles  ré- 
centes, je  vous  conjure  de  m  en  donner.  Je  vous 
embrasse. 

Recevez  les  remercimens  et  respects  de  made- 
moiselle Le  Vasseur* 

Je  compte  tirer  dans  quelques  jours  sur  vos 
banquiers  une  lettre  de  change  de  800  francs. 

^dl.-— A  M.  LE  MAILQUIS  DE  MiRJLBEAU. 

Wootton ,  le  3  X  janTÎcr  I  7^^. 

n  est  digne  de  l^mi  des  hommes  de  consoler 
les  affligés.  La  lettre,  monsieur ,  que  voos  m'avez 
&it  rhonneur  de  m'écrire,  la  circonstance  où  ellfi 
a  été  écrite,  le  noble  sentiment  qui  Ta  dictée,  la 
main  respectable  dont  elle  vient,  Finfortuné  à  qi^ 
elle  s'adresse,  tout  concourt  à  lui  donner  Sains 
mon  cœur  le  prix  qu'elle  reçoit  du  vôtre  :  en  vooj 
Usant,  en  vous  aimant  par  conséquent,  j*ai  sou 
vent  désiré  d'être  connu  et  aimé  de  vous.  Je  m 
iti'attendais  pas  que  ce  serait  vous  qui  feri^^  l^^ 
Avances,  et  cela  précisément  au  moment  où.  j^^tai 
universellement  abandonné;  mais  la  généxxksil 
ne  sait  rien  faire  k  demi,  et  votre  lettre  en  a  I>î^ 
k  plénitude.  Qu'il  serait  beau  que  Tami.  d^ 
bommes  donnât  retraite  A  l'ami  de  Fégalitél  ^ 


ÏMttB  T767.  fttd 

»ffie  m'a  si  ?miiient  pénétré,  j'en  ttonve  Toljjel 
nboDoraliile  à  ran  et  à  1  autre,  qae  par  on  aativ 
eOei,  bîeii  contraire,  tous  me  rendrez  malhett- 
leoifeot-ètre,  par  le  regret  de  n^en  pas  profiter; 
car,  ijnekjDe  doux  qu'il  me  tût  d'être  votre  h6te, 
je  Ton  pcn  d'espoir  à  le  devenir;  mon  Age  pbis 
aTancëque  le  vôtre,  le  grand  éloignement,  mes 
SMaxqmme  rendent  les  voyages  très-pénibks, 
Vanonrdn  repos,  de  la  solitude,  le  désir  d'être 
coUiépour  moorir  en  paix,  me  font  redouter  de 
1»  rapprocher  des  grandes  villes  oh  mon  voisi- 
n^e  pounait  réveiller  une  sorte  d'attention  qui 
tûi  non  tourment.  D^ailleurs,  pour  ne  parler  qne 
dtce  <{iû  me  tiendrait  plus  près  de  vous,  sans 
douter  de  ma  sûreté  du  c6ié  dn  parlement  de  Pa- 
ns^ je  loi  dois  ce  respect  de  ne  pas  aller  le  braver 
dans  soo  ressort,  comme  pour  lui  fitire  avouer  ta- 
citement son  injostice;  je  le  dois  à  votre  minis- 
têie,  i  qai  trop  de  marques  affligeantes  me  (ont 
^eotkfpm  fai  eu  le  malheur  de  déplaire,  et  cela 
nus  que  jra  poisse  imagnier  d'autre  cause  qu'un* 
Aalenlendu  cTautant  plus  cmel  que ,  sans  lui,  ce 
qui  m'attira  mes  disgrâces  m  eût  dû  mériter  des  fii- 
veurs.  Dix  mots  d'explication  prouveraient  cela; 
Bais  cfest  un  des  malheur^  attachés  à  la  puissance 
hamaine,  et  à  ceux  qui  lui  sont  soumis,  que 
quand  les  grands  sont  une  fois  dans  Fenreur,  3 
ot  impoisiUe  qulb  en  reviennent.  Ainsi,  moo^ 
«eor,  pour  ne  point  m'exposer  à  de  nouveaux 
orages,  îe  me  tiens  au  seul  parti  qoi  peut  assont 

I.  4-  sa 


9^3.  CORRESPOKDAKCE, 

je  veuiOe  avilir  votre  oŒre  par  cette  objection! 
mais  cW  est  une  dans  vos  maximes ,  et  il  Êiut  être 
conséquent. 

En  censurant  cette  nonchalance,  vous  me  ré- 
péterez que  c'est  n'être  bon  à  rien ,  que  n'être  bon 
que  pour  soi  (*)  :  mais  peut-on  être  vraiment  bon 
pour  soi,  sans  être,  par  quelque  câté,  bon  pour 
les  autres?  D ailleurs,  considérez  qu^il  n'appar- 
tient pas  à  tout  ami  des  hommes  d'être,  comme 
vous,  leur  bienfaiteur  en  réalité.  Considérez  que 
je  n'ai  ni  état  ni  fortune,  que  je  vieillis,  que  je 
suis  infirme,  abandonné,  persécuté,  détesté,  et 
quen  voulant  faire  du  bien  je  ferais  du  mal,  sur- 
tout à  moi-même.  J'ai  reçu  mon  congé  bien  signi- 
fié par  la  nature  et  par  les  hommes  :  je  l'ai  pris  et 
j'en  veux  profiter.  Je  ne  délibère  plus  si  c'est  bien 
ou  mal  fait,  parce  que  c'est  une  résolution  prise , 
et  rien  ne  m'en  fera  départir.  Puisse  le  public 
m'oublier  comme  je  l'oublie!  S*il  ne  veut  pas 
m'oublier,  peu  mimporte qu'il  m'admire  ou quil 
me  déchire;  tout  cela  m'est  indifférent;  je  tâdie 
de  n^en  rien  savoir,  et  quand  je  lapprends,  je  ne 
m'en  soucie  guère.  Si  l'exemple  d  une  vie  inno- 
cente et  simple  est  utile  aux  hommes,  je  puis  leur 
Élire  encore  ce  bien -là;  mais  c'est  le  seul,  et  je 
suis  bien  déterminé  à  ne  vivre  plus  que  pour  moi 
et  pour  mes  amis,  en  très-petit  Bomlx*e^  mais 

(^)  C'est  la  même  penséft  qvLO  dans  r£mi7e,  lÎTra  V  ; 
«IIa  raç^U  ki  A  la  fois  une  mocÛficaâoii  et  une  exoeption.! 


IfmavéSy  tlijxd  me  suffisent  :  encore  aorais-je  pu 
m'en  passer,  ^oique  ayant  un  cœur  aimant  et 
ieDdie,  pour  qui  des  attacbemens  sont  de  vrais 
besoins;  mais  ces  besoins  m'ont  souvent  coûté  si 
dier,^  j'ai  appris  à  me  suffire  à  moi -même,  et 
je  me  sais  conservé  Fâme  assez  saine  pour  le  pou* 
Toir.  Jamais  sentiment  haineux,  envieux,  vindi- 
c^,  0  approcha  de  mon  cœur.  Le  souvenir  de 
mes  amis  donne  i  ma  rêverie  un  charme  que  le 
soorenir  de  mes  ennemis  ne  trouble  point.  Je 
snb  toot  entier  où  je  suis,  et  point  où  sont  ceux 
qû  me  persécutent.  Leur  haine ,  quand  elle  n  agjt 
pas,  ne  tronhle  qu'eux ,  et  je  la  leur  laisse  pour 
tonte  ten|eance.  Je  ne  suis  pas  parfaitement  heu- 
reux; parce  qu'il  ny  a  rien  de  parfait  ici-bas ,  sur- 
tout  k  boûbeoT',  mais  j'en  suis  aussi  près  que  je 
poisse  Tétre  dans  cet  exil.  Peu  de  chose  de  plus 
oomhleiajt  mes  vœux  ;  moins  de  maux  corporels., 
on  cCmafpIus  doux ,  un  ciel  plus  pur,  un  air  pins 
senm ,  surtout  des  cœurs  plus  ouverts ,  où ,  quand 
ie  mien  s'épanche,  il  sentit  que  c'est  dans  un  au- 
tie.  Jai  ce  bonheur  en  ce  moment ,  et  vous  voyez 
qne  j*en  profite  :  mais  je  ne  l'ai  pas  tout-â-fait  im* 
puoëment;  votre  lettre  me  laissera  des  souveniis 
<{uî  ne  sefiaceront  pas,  et  qui  me  rendront  par- 
mis  moins  tranquiUe.  Je  n  aime  pas  les  pays  ari- 
des, et  la  Provence  m'attire  peu  ;  mais  cette  terre 
m  Angonmois ,  qui  n'est  pas  encore  en  rapport, 
et  où  Ton  peut  retrouver  quelquefois  la  nature, 
ne  donnera  souvent  des  regrets  qui  ne  seront  pas 


aa. 


ai58  CORaSSFOKDAKCE, 

tous  pour  elle.  Bonjour,  moufiieur  le  maix]uis.  Je 
hais  les  formules ,  et  je  vous  prie  de  m'en  dispeii* 
ser.  Je  vous  salue  très-humblement  et  de  tout 
mon  cœur. 

y 22.  —  A  M.  d'Ivernois. 

IVoottoii,  le  3.1  jtDvier  1767. 

Jamais ,  monsieur,  je  n'ai  écrit  j  ni  dit ,  ni  pensé 
tien  de  pareil  aux  extravagances  qu  on  vous  dit 
aroir  été  trouvées  écrites  de  ma  main  dans  les  pa- 
piers de  M.  Le  Nieps ,  non  plu5  que  rien  de  ce  que 
M.  de  Voltaire  publie ,  avec  son  impudence  ordi- 
naire ,  être  écrit  et  signé  de  moi  dans  les  mains 
du  ministre  Montmolîin.  Votre  inépuisable  cré- 
dulité ne  me  fâche  plus,  mais  elle  m'étonne  tou- 
}Qurs ,  et  d'autant  plus  en  cette  occasion  y  que 
vous  avez  pu  voir  dans  nos  liaisons  que  je  ne  suis 
pas  visionnaire,  et  dans  le  Contrat  social,  que  je 
n^ai' jamais  approuvé  le  gouvernement  démocra- 
tique.  Avez -vous  donc  assez  grande  opinion  de 
la  probité  de  mes  ennemis  pour  les  croire  incapa- 
bles d'inventer  des  mensonges,  et  peuvent-ils  ob- 
tenir votre  estime  aux  dépens  de  celle  que  vous 
me  devez? 

Tandisque  votre  fiicilité  à  tout  croire  en  montre  , 
si  peu  pour  moi  ^  la  mienne  pour  vous  et  vos  ma- 
^animes  compatriotes  augmente  de  jour  en  jour. 
Le  courage  et  la  fermeté  n  est  pas  en  eux  ce  qui 
fi^ppe ,  |e  m  y  attendais  i  mais  |e  ne  m'attendais 


fas,  )e  Tayone,  à  voir  tant  de  sagesse  en  mftne 
temps  aa  milieu  des  plus  grands  dangers.  Voici 
\k  première  fois  qa  un  peuple  a  montré  ce  grand 
et  beau  spectacle  :  il  mérite  d'être  inscrit  dans  les 
iàstesde  l'histoire.  Vos  magistrats,  messieurs ,  se 
conduisent  dans  toute  cette  afiaire  comme  un 
peuple  forcené;  et  vous  vous  conduisez ,  dans  les 
péiils  terribles  qui  tous  menacent ,  avec  tonte  la 
d^ité  des  plus  respectables  magistrats.  Je  crois 
Foir  le  sénat  de  Rome ,  assis  gravement  dans  la 
place  puhlique,  attendant  la  mort  de  la  main  des 
Gaulois.  Voici  la  première  et  dernière  fois  que , 
depuis  notre  entrevue  de  Thonon ,  je  me  serai 
permis  de  vous  parler  de  vos  affaires  ;  mab  )e  n  ai 
pu  refuser  ce  mot  d'admiration  à  celle  que  vous 
ininspirez.  Vous  savez  quel  fut  constamment 
mon  avis  dans  cette  entrevue;  et,  comme  je  vous 
rends  de  bon  cœur  la  justice  qui  vous  est  due,,  j'es- 
père que  vous  ne  me  refuserez  pas  non  plus,  dans 
l'occasion,  celle  que  vous  me  devez.  Je  n*ai  riell 
de  plus  à  vous  dire.  De  tels  hommes  n  ont  assuré- 
ment pas  besoin  de  conseils ,  et  ce  n  est  pas  à  moi 
de  leur  en  donner.  Mon  service  est  Ëiit  pour  le 
reste  de  ma  vie  ;  il  ne  me  reste  qu'à  mourir  en  r»- 
pos,  si  je  puis. 

Vous  ne  douiez  pas,  mon  ami,  du  tendre  en^* 
pressemenf  que  j  aurais  de  vous  voir.  Cependant 
3  convient,  pour  mon  repos  et  pour  votre  avan- 
tage, que  nous  ne  nous  livrions  à  ce  plaisir  que 
çwod  tout  scia  fini  de  manière  ou  d'autre  dani 


aBo  corkespokdàhce  , 

votre  ville.  Le  public,  qui  me  connatt  si  peu,  et 
qui  me  juge  si  mal ,  ne  doute  pas  que  je  n^ailie 
toujours  semant  parmi  vous  la  discorde;  et  Ton 
prétend  m'avoir  vu  moi-même ,  le  mob  dernier, 
caché  en  Suisse  pour  cet  effet.  Tout  ce  qae  vous 
lEeriez  de  bien  serait  mal,  sitôt  quon  présumerait 
que  c'est  moi  qui  Tai  conseillé.  Ne  venez  donc  que 
couronné  d'un  rameau  d^oiives,  afin  que  nous 
goûtions  le  plaisir  de  nous  voir  dans  toute  sa  pu- 
reté. Puisse  arriver  bientôt  cet  heureux  moment  I 
personne  au  monde  n  y  sera  plus  sensible  que  k 
cœur  de  votre  ami. 

728.  —  A  M.  DuTBirs. 

Wootton,  le  5  liéTrier  17C7. 

JPétais  ,  monsleiir,  vraiment  peiné  de  ne  pon^ 
voir,  faute  de  savoir  votre  adresse,  vous  faire  Id 
remercîmens  que  je  vous  devais.  Je  vous  en  doij 
de  nouveaux  pour  m'avoir  tiré  de  cette  peine,  ë 
surtout  pour  le  livre  de  votre  composition  qii 
vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'envoyer  (*).  S 
suis  f&ché  de  ne  pouvoir  vous  en  parler  avec  col 

(^)  C'est  l'oaTragfl  intitulé  !  JRecKerc/ie^*  sur  rorî^înc  àe^  i 
couverte!  attribuées  aux  modernes  y  publié  en  1766,  et  dont 
quatrième  éditioa  est  de  i8ia ,  a  vol.  in  8**.  Putens,  autrur 
éditeur  de  beaucoup  d'ouTrages,  était  un  Français  établi  4  Ix 
dres,  où  il  est  mort  eu  181  a,  étant  membre  de  U  Sori^ 
totale,  et  ayant  le  titre  d'bistoriographe  du  roi  de  la  Gcwq^ 


A95EB  1767*  ^^* 

naissance;  mais  ayant  renoncé  pour  ma  vie  â  tous 
les  Imes,  je  n  ose  &ire  exception  pour  le  vôtre  . 
car^  outre  cpe  je  n  ai  jamais  été  assez  savant  pour 
juger  de  pneîDe  matière ,  je  craindrais  que  le  plai- 
sir de  TOUS  lire  ne  me  rendit  le  goût  de  Lt  littéra 
ture^qul  mlmporte  de  ne  jamais  laisser  ranimer. 
Seulement  je  n'ai  pu  m'empêcher  de  parcourir 
I  article  de  la  botanique ,  à  laquelle  je  me  suis 
consacré  pour  tout  amusement;  et  si  votre  senti- 
ment  est  aussi  bien  établi  sur  le  reste,  vous  aurez 
forcé  les  modernes  à  rendre  l'hommage  qu^'ls  doi- 
vent aux  anciens.  Vous  avez  très-sagement  fait  de 
ne  pas  appuyer  soi  les  vers  de  Claudien;  Fautorité 
eut  été  d  autant  plus  &ible,  que  des  trois  arbres 
qu*il  nomme  apiès  le  palmier,  il  n'y  en  a  qu'un 
qui  porte  les  deux  sexes  sur  diffib'ens  individus  (*y 
Au  reste,  je  ne  conviendrais  pas  tout-à-fait  aveu 
vous  qae  TomactoTt  soit  le  plus  grand  botaniste 
do  sîécie  :  il  a  la  gloire  d'avoir  &it  le  premieriie 
b  botanique  une  étude  vraiment  méthodique; 
ir^is  cette  étude  encore  après  lui  n'était  qu'une 
>*!ude  d^apothicaire.  U  était  réservé  à  Tillustre  Lin* 


(*)  Voici  ces  rtn,  qui,  en  cfiet,  rapproché»  de  cens  qni  l«t 
>ircnkHScft  de  ceux  qni  les  mûwent,  n^oflrent  tuirB  chofesu'tiS 
Eak  dtaipMatioQy  oe  prouTtot  rien  ptr  Ini-aAme. 

M^»mmM  in  Veneran  fronâet^  omnitipte  vicis»im  . 
FtBx  mrhar  «mot ,  nutant  ad  mutua  palmm 
t^œàÊT^  ,  pofmleo  wuspirtA  popuhu  ietu  , 
£(  piaiam  pimUnU ,  olno^HC  oâsibiLat  ahuu,  * 

CuanuAa.  <k  N  nptiis  Honorii  «t  Mtnm. 


|54  CORRESPONDANCE, 

et  je  la  reçois  avec  la  reconnaissance  et  la  véné- 
ration que  je  dois  aux  faveurs  de  sa  majesté,  pas* 
sant  "paj:  des  mains  aussi  dignes  de  les  répandre. 

Daignez ,  monsieur  le  duc ,  recevoir  avec  bonti 
les  assurances  de  mon  profond  respect. 

726. A  BfADAHE  LaTOUR. 

Wootton,  le  7  (érner  1767. 

Je  viens  de  recevoir,  dans  la  même  brochure^ 
deux  pièces,  dont  on  ne  m^a  point  voulu  nommer 
les  auteurs.  La  lecture  de  la  première  m'a  fait 
chérir  le  sien,  sans  me  le  faire  connaître.  Pour  la 
seconde,  en  la  lisant,  le  coeur  ma  battu,  et  j^ai  re^ 
connu  ma  chère  Marianne.  Jespère  qu'elle  me 
connaît  aussi. 

726.  —  A  M,  Guy. 

Taî  lu,  monsieur,  avec  attendrissement  Toa- 
vrage  de  mes  défenseurs  (^) ,  dont  vous  ne  m^avies 
point  parlé.  Il  me  semble  que  ce  n'était  pas  poujr 
mol  que  leurs  honorables  noms  devaient  âtre  un 
fteci%t,  comme  si  l'on  voulait  les  dérober  à  ma  re- 
connaissance. Je  ne  vous  pardonnerais'  jamais  sur- 
tout de  m'a  voir  tu  celui  de  la  dame,  si  je  ne  l'eus^ 

(*)  C'est  le  Précis  ou  Observations  $ur  VExpost  suceindt  doit 
U  a  ëui  jterlé  d-deyànt  page  aGî  ;  ces  Ohiovation»  éuicni  sui» 
^ewd'uDe  lettre- de  madame»^*  (L«  Tour  d«  Fnn^utriUi»)  à 
-fcnituf.de  U  JH4f(ibation  4t  M  Aoutffoii, 


Assiz  1767.  165 

I  llnstaiit  devine.  Cest  de  ma  port  an  bien  petit 

mérite  :  je  n'ai  pas  assez  d'amis  capables  de  ce 

tSetXàtce  talent ,  pour  avoir  pu  m  y  tromper. 

V<Hâ  HBe  lettre  ponr  elle ,  à  laquelle  je  n'osa 

laettre  son  nom ,  à  cause  des  risques  que  peuvent 

courir  mes  lettres ,  mais  où  elle  verra  que  je  la  ro- 

cooiiais lien^  Je  vous  cbai^e,  M*  Guy 7  011  plutôt 

j'ose  Toos  permettre ,  en  la  lui  remettant ,  de  vous 

meftie en  mon  nom  à  genoux  devant  elle,  et  de 

tni  bûser  h  main  droite  ^  cette  charmante  main 

phs  angaste  que  ccUes  des  impératrices  et  des 

reuws,  qui  sait  dcfcudre  et  bonorer  si  pleinement 

et  À  noblement  linnocence  avilie.  Je  me  flatte 

que  ]  annôs  rccoram  de  même  son  digne  collègue , 

5i  Bims  nous  éUons  connus  auparavant;  mais  je 

n'ai  pas  en  ce  Jboubcar,  et  je  ne  sais  si  je  dois 

mcn  fâidter  ou  m'en  plaindre,  tant  je  trouve 

noble  el  beau  que  la  voix  de  l'équité  s'élève  en  ma 

hrear^ârnsem  même  des  inconnus.  Les  éditeurs 

Jxi  âctnm  de  M.  Home  disent  qu'3  abandonne  sa 

cdose  an  jogcment  des  esprits  droits  et  des  cœurs 

toonétes  :  c^est  la  ce  qu'eux  et  lui  se  garderont 

hita  de  &ire,  mais  ce  que  je  fais,  moi,  avec  con- 

*^  iiice,  et  qu^avec  de  parais  défenseurs  j  aurai  fait 

^^ec  succès.  Cependant  on  a  omis  dans  ces  deux 

pièces  des  choses  trèf- essentielles;  et  on  jr  a  £iit 

If^  méprises  qu'on  eût  évitées  si,  m'averlissant  à 

^mps  de  ce  qu'on  voulait  faire ,  on  m'eût  de^  ' 

'^ndé  des  éclaircissemens.  Il  est  étonnant  que 

KTSoone  lirait  encore  mis  la  question  sous  soi) 

4»  »3 


>♦ 


ar66  C0RRB5P0NDÀ^XE  • 

vrai  point  de  vue;  il  ne  tallait  que  cela  seul,  et 
tout  était  dît. 

Au  reste  ^  il  est  certain  que  la  lettre  que  je  vous 
écrivis  a  été  traduite  par  extraits  Ëiits,  comme 
vous  pouvez  penser 9  dans  les  papiers  de  Londres, 
et  il  Q  est  pas  difficile  de  comprendred'où  venaient 
ces  extraits,  ni  pour  quelle  fin. 

Mais  voici  un  fait  assez  bizarre  qull  est  fâcheux 
que  mes  digues  défenseurs  n'aient  pas  su.  Croi- 
riez-vous  que  les  deux  feuilles  que  j  ai  citées  du 
Saint  James  Chronicle  ont  disparu  en  Angleterre? 
M.  Davenport  les  a  fait  chercher  inutilement  chez 
l'imprimeur  et  dans  les  cafés  de  Londres,  sur  une 
indication  suffisante ,  par  son  libraire ,  qu'il  m'a 
assiu^  être  un  honnête  homme,  et  il  n'a  rien 
trouvé;  les  feuilles  sont  éclipsées.  Je  ne  ferai  point 
de  commentaires  sur  ce  fait,  mais  convenez  qu'il 
donne  à  penser.  Oh!  mon  cher  M.  Guy,  faut -il 
dune  mourir  dans  ces  contrées  éloignées,  sans  re- 
voir jamais  la  face  d'un  ami  sûr,  dans  le  seindu* 
quel  y.  imisse  épancher  mon  cceuri 

727.    -    A  MILORD  /COMTE  DE  HaRCOURT* 

IVooftton,  fe  7  féfrier  1767- 

Il  est  vraij  milord,  que  je  vous  croyais  ami  de 
M.  Hume;  mais  la  preuve  que  je  vous  croyais  en- 
core plus  ami  de  la  justice  et  de  la  vérité  est  que, 
sans  vous  écrire,  sans  vous  prévenir  en  aucune 
&ÇQn .  je  vous  ai  ciié  jet  nommé,  avec  conGaac^ , 


AfTSÉE  1767,  uGj 

snr  on  ùit  qui  ctait  à  sa  charge,  sans  cralute 
dètre  démenti  par  vous.  Je  ne  suis  pas  assez  in- 
siste pour  juger  mal  par  M.  Hume  de  tous  ses 
anus  :  3  en  a  qui  le  connaissent  et,  gui  sont  tiès- 
digne  de  lai  ;  mais  il  en  a  aussi  qui  ue  le  connais- 
sent pas,  et  ceux-là  méritent  qu'on  les  plaigne, 
sans  les  en  estimer  moins.  Je  suis  très-touche^ 
miI(Mii,de tos  lettres,  et  très-scnsihîe  au  com^agc 
que  TOUS  avez  de  vous  montrer  de  mes  amis  parmi 
Fos  compatriotes  et  vos  pareils;  mais  je  suis  fâché 
Y«ar  eux  qall  &ille  à  cela  da  courage  :  je  connais 
des  gens  mîenx  instruits  chez  lesquels  on  y  met- 
tsaildelaTaniié. 

Je  vous  proaveFai,  «nîlord,  mon  entière  et 
pleine  confiance  en  me  prévalant  de  vos  oiErcs 
el  dès  i  présent  j  ai  une  grâce  à  vous  demander, 
c  est  de  me  donner  des  nouve.^Ies  de  M.  Wateict*. 
U  est  amen  ami  de  M.  d'Alemhert,  mais  fl  est 
aussi  mon  ancienne  connaissance;  et  les  seuls  ju^ 
gemens  que  je  crains  sont  ceux  des  gens  qui  ne  me 
connaissent  pas.  Je  puis  bien  dire  de  M.  Wate- 
let,  an  sujet  de  M,  d^Âlembert,  ce  que  j  ai  dit  de 
vous  au  sujet  de  M.  Hume  ;  mais  je  connais  Tin- 
froyahle  ruse  de  mes  ennemis  capable  d*enlacer 
d.ins  ses  pièges  adroits  la  raison  et  la  vertu  mêmes*. 
Si  M.  Watelet  m'aime  toujours,  de  grâce,  pres- 
sez-vous de  me  le  dire,  car  j'ai  grand  besoin  de  le 
saToir.  Agréez ,  milord ,  je  vous  supplie^  mes  très- 
bombles  sahtatious  et  mon  respect 


SSS  C0RR£SP0I7DÀKCE, 

728.  —  À  ML  Davenport. 

Le  7  fétïtet  1767 

^^  reçus  hier  y  monsieur ,  votre  lettre  du  3,  p* 
laquelle  j^apprcnds  avec  grand  plaisir  votre  en- 
tier rétablissement.  Je  ne  puis  pas  vous  annoncer 
le  mien  tout-à-fait  de  même;  je  suis  mieux  cepen- 
dant que  CCS  jours  derniers. 

Je  suis  fort  sensible  aux  soins  bien&isaiis  de 
M.  Fitzherbert,  surtout  si,  comme  j^aime  à  Is 
croire,  il  en  prend  autant  pour  mon  Honneur  que 
pour  mes  intérêts.  D  semble  avoir  hérité  de$  em- 
prcssemens  de  son  ami  M.  Hume.  Comme  j'es- 
père quHl  n*a  pas  hérité  de  se&  sentimens,  \e  vous 
prie  de  lui  témoigner  combien  je  suis  touché  de 
ses  bontés. 

Voici  une  lettre  pour  M.  le  duc  de  GraSton, 
que  je  vous  prie  de  fermer  avant  de  la  lui  Ëiirc 
passer.  Je  dois  des  remercîmens  à  tout  le  monde; 
et  vous,  monsieur ,  à  qui  fen  dois  le  plus,  êtes  ce- 
lui à  qui  j'en  fais  le  moins  :  mais ,  comme  vous  ne 
vous  étendez  pas  en  paroles,  vous  aimez  sans 
-doute  à  être  imité.  Mes  salutations,  je  vous  sup- 
plie ,  et  celles  de  mademoiselle  Le  Vasseur ,  i  vo^s 
^hers  enfans  et  aux  dames  de  votre  maison. 
Agréez  son  respect  et  mes  très-humbles  salu^ 
tations. 


AKNiB  1767.  ^ 

729. AU  VÂME. 

FéTiîer  1767. 

Box  ioiuj  moDsienr,  qn^Il  puisse  jamais  m'élise 
«ttiédiaisresprit  d'être  assez  vain,  assez  sot,  et 
assct  nal  appris  pour  refuser  les  grâces  du  roi,  |e 
les  ai  tonjourr  regardées  et  les  regarderai  toujouss 
CDomek  plus  grand  bouneur  qui  me  puisse  arri- 
Tcr.Qvaixi  je  consultai  milord  Maréchal  si  je  les 
aoceptcnîs,  ce  a'était  certainement  pas  que  jfs 
fiisse U-descus  en  doute,  mab  c'est  quW  devoir 
paràco&r  et  indispensable  ne  me  permettait  pas 
àt  k  biif  <[ue  je  n  eusse  sou  agrément.  Jetais 
bien  sûr  qulii  ne  le  refuserait  pas.  Mais,  mou- 
sieur^  foand  le  roi  d Angleterre  et  tous  les  souve- 
rains de  l'nniVers  mettraient  à  mes  pieds  tous 
leors  trésors  et  toutes  leui's  couronnes,  par  les 
fflams  de  David  Hume,  ou  de  quelque  autne 
homme  de  s«n  espèce ,.  s'il  en  enste ,  je  les  rejet- 
tam  toujours  avec  autant  d'indignation  que, 
dans  tout  autre  cas,  je  les  recevrais  avec  respect 
et  reconnaissance.  Voilà  mes  senlimens,  dont 
rien  ne  me  fera  départir.  Jlgnore  à  quel  sort ,  à 
^Qcb  maibeurs  la  F^vidence  me  réserve  encore; 
Bais  ce  que  îe  sais,  c'est  que  les  sentimens  de  droi- 
ture et  dlionneur  qui  sont  gravés  dans  mou  coeur 
n'en  sortiront  jamais  qn  avec  mon  dernier  soiipir. 
Jcspère  ,  pour  cette  Cois^  que  je  me  serai  expliqua 


sa. 


MyO  COARESPOTTDATICE , 

Il  ne  faut  pas ,  mon  cher  monsieur,  je  vous  en 
prie  9  mettre  tant  de  formalités  à  I  affaire  de  mes 
livres  :  ayez  la  bonté  de  montrer  le  catalogue  à 
un  libraire;  qu'il  note  les  prix  de  ceux  des  livres 
qui  en  valent  la  peine  :  sur  cette  estimation, 
voyez  s  il  y  en  a  quelques-uns  dont  vous  ou  vos 
amis  puissiez  vous  accommoder;  brûlez  le  reste ,. 
et  ne  cédez  rien  à  aucun  liln^aire^afin  qu'il  n'aille 
pas  sonner  la  trompette  par  la  ville  qu'il  a  d:  s 
livres  à  moi.  Il  y  en  a  quelques-uns ,  entre  autres 
le  livre  de  l'Esprit,  m-4^,  de  la  première  édition ,. 
qui  est  rare,  et  où  j'ai  fait  quelques  notes  aux 
maires  ;  je  voudrais  bien  que  ce  livre  •  14  ne  tom- 
bât qu'entre  dos  mains  amies.  J'espère,  mon  bon 
et  cher  h6tc,  que  vous  ne  me  ferez  pas  le  sen- 
sible aflroHt  de  refuser  le  pctrt^  cadeau  de  mes  our 


vrages. 


Les  estampes  arvaient  été  mises  par  mon  ami 
dans  le  ballot  des  livres  de  botanique  qui  ma  été" 
envoyé;  elles  ne  s'y  sont  pas  trouvées,  et  les  porte- 
feuilles me  sont  arrivés  vides:  j'ignore  absolument 
où  Beckfît  a  jugé  à  propos  de  fourrer  ce  qui  était 
dedans. 

Je  voulais  remettre  S  des  momens  pins  tran* 
quilles  de  vous  parler  en  détail  de  vos  envois;  ce 
qni  m  en  pkiitle  plus  est  que  si  vons  entendent 
que  je  rrste  dans  votre  maison  jUsqu^à  ce  que  ÏSL- 
muscade  et  la  cannelle  soient  consommées,  je  n'en 
démarrerai  pas  dHin  bon  sièdè.  Le  tabac  est  trè^ 
boU;  et  même  trop  bon ,  puisqu'il  s  en  consamina 


p!a5nle  :  je  tous  fais  mon  remerciment  de  I  cm^ 
[•Ir.ttP,  et  DOS  pas  de  la  chose,  puisque  c'est  une 
romniissîon ,  et  vous  s^vez  les  règles.  L  eau  de  II 
T.'iTie  de  Hongrie  m'a  fait  le  plus  grand  plaisir,  et 
[*'ti  rertmra  là  on  souvenir  et  une  attention  de 
M.  laionne,  k  quoi  j'ai  été  fbtt  sensible.  Mais 
qu  est-ce  que  c'est  que  des  petits  carrés  de  savon 
parfumé?  à  quoi  diable  sert  ce- savon?  je  veux 
mjmir  fi  j'en  5ais  rien,  à  moins  que  ce  ne  soit  à 
ùkt  la  barbe  avt  puces.  Le  café  n'a  pas  encore  éfé 
'^-''?ré,  parce  que  vous  en  aviez  laissé,etqu  ayant 
*  W  iDalâde  il  en  a  £illà  suspendre  lusagc.  Je  me 
l'erds  aa  milieu  de  tout  cet  inver  taire.  J  espèce 
que .  peur  \e  coup, tous  ne  ferez  pas  de  même ,  et 
^//e  vous  rccneiDmz  les  mémoiresdes  marchands,. 
.Ma  que  quand  vous  serez  ici,  et  qu^il  s'agira  dé- 
fi tocr  ce  que  tout  cela  coûte,  vous  ne  me  disiez: 
T*a9«  comme  i  Tordinaire,  je  n'en  sais  rien.  Tant 
àf  ncbcsies  me  mettraient  de  bonne  humeur ,  si. 
1  <  <fcsastRs  de  nos  pauvres  Genevois ,  et  mes  in- 
r/iiiftades  sur  mîlord  Maréchal,n*empoisonnaient 
:  file  ma  foie.  Tai  ciaint  pour  vous  l'impression 
.'*  ces  temps  humides ,  ^t  je  la  sens  aussi  pour  ma* 
't.  Voici  le  plus  mauvais  mois  de  l'année  ;  il« 
:t  espérer  que  celui  qui  le  suivra  nous  traitera, 
n  eux.  Aiiià  soif-il!  Mademoiselle  Le  Vasseur  et 
'*oi  &iM»ns  nos  salutations  i  tout  ce  qui  vous  aj^^ 
trtîeBT,  et  vous  prions  d*agréer  les  nôtres». 


i  . 


9^%  CORRBSPQITDAirCB, 

4 

73o«  — «  A  M.  dIteritou. 

VciQttoo^le  7  SèTtkt  1767 

Xai  fait^  dier  ami,  une  étoiurderie  épouvanta* 
ble,  qui  sûrement  me  coûtera  plus  cher  qu'à  vous. 
Dans  une  distracUon  causée  par  la  diversité  des 
afiaires  pressées.^  je  vous  ai  adressé  en  droiture 
une  lettre  dans  laquelle  je  parlais  ouvertement  de 
votre  futur  voyage,  et  d'autre  choses  où  le  secret 
n'était  pas  moins  requis.  Comme  j&  ne  doute  pas 
un  instant  que  cette  lettre  ne  soit  interceptée,  je 
vous  en  transcris  ce  que  j,*a>  pu  tirer  d  un  premier 
chiffon  barbouillé,  qu'il  a  faUu  recommencer  (^). 

Voili  ce  que  je  vou&  écrivais  il  y  a  huit  jours, 
et  que  je  vous  confirme  :  mais  ayant  appris  depuis 
lors  à  quelle  extrémité  votre  pauvre  peuple  est  ré- 
duit, \e  sens  déchirer  mes  entrailles  patriotiques, 
et  je  crois  devoii  vous  dire  qu*il  est,  selon  moi, 
temps  de  céder»  Vous  le  pouvez  sans  honte,  puis* 
que  la  résistance  est  inutile,  et  vous  le  devez 
pour  conserver  ce  qui  vous  reste,  après  vos  lois 
et  votre  liberté.  Quand  je  dis  ce  qui  vous^resle ,  je 
n'en  tends  pas  bassement  vos  biens,  mais  votre 
pays^  vos  ûmilles,  et  ces  multitudes  de  pauvres 
compatriotes,  i  qui  le  pain  est  encore  plus  néces- 
saire que  la  liberté.  J'apjiirends  qiie  vous  vous  ce* 
lisez  généreusement  pour  ces  pauvres  -|^ns;  |e 


ÀsnxÈE  1767.  2yZ 

rondnis  bien  pouvoir  saivre  ce  bon  exemple, 
feaicnâ  quelque  bagatelle  aux  collecteurs  de 
Lânira^sdoii  mes  mojens;  mais  je  vous  prie 
iî^^fk  noam  pour  moi  à  madame  Boy  de*La 
ToutjiiiKp^étant  une  des  causes  innocentes  des 
misèRi  de  ce  pauvre  peuple ,  je  contribue  aussi 
oi  qadfQediose  à  son  soulagement. 

^oam^  mon  ami;  je  vous  embrasse  tendre- 
McnL  J  ai  le  plus  grand  besoin  de  vous  voir  ;  mais, 
encore  on  coop,  ne  venez  que  quand  vos  affaires 
seront  finies.  Ce  délai  importe,  et  vous  pourriez 
toro«fo  quelque  oklacle  à  passer.  Malgré  mon 
etaiiiderie,^eQez  à  petit  bruit  autant  qu'il  sera 
possuMe.  Mais  j'ai  dûngé  d'avis  sur  votre  séjour 
a  umdns,  etpseais  bien  aise  que  vous  vous  y 
^™toaaeigneîgncs  jours  pour  connaître  un  peu 
par  voQs-fflinerair  du  bureau;  car  enfin ,  si  de  là 
^oos  Tonki aittoinment  venir,  personne  n'aura 
^pourmrde  fous  en  empêcher.  J'embrasse  nos 
mis;  ne  m'odbliez  pas,  je  vous  en  supplie,  au« 
î^  de  madame  d'Iveniois. 
Ken  des  remercimens  et  respects  de  made- 
ciselle  Le  Yasseur.  Si  je  ne  vous  ai  pas  toujours 
pdé  la  même  chose  à  chaque  lettre,  cest  qu'il 
e  semblait  que  cela  n'avait  plus  besoin  d'être 
^  car  il  uj  a  pas  de  fois  qu'elle  ne  m  en  ait 


9^4     -  CORRESPO>-DAîrCE , 

781.  —A  MiLORD  Maréchal. 

Le  8  février  î  767. 

Quoi!  milord,  pas  un  seul  mot  de  vous!  Quel 
silence,  et  qu'il  est  cruel!  Ce  n'est  pas  le  pis  en- 
core, madame  la  duchesse  de  Portland  m'a  doi  né 
les  plus  grandes  alarmes  en  me  marquant  que  les 
papiers  publics  vous  avaient  dit  fort  mal,  et  me 
priant  de  lui  dire  de  vos  nouvelles.  Vous  connais- 
sez mon  cœur,  vous  pouvez  juger  de  mon  état; 
craindre  à  la  fois  pour  votre  amitié  et  pour  votre 
vie ,  ah  !  c'en  est  trop.  J'ai  écrit  aussitôt  à  M.  Rou- 
grmont  pour  avoir  de  vos  nouvelles  :  il  m'a  mar- 
qué qu'en  ^ffet  vous  aviez  été  fort  malade,  mais 
que  vous  étiez  mieux.  Il  n^y  a  pas  là  de  quoi  me 
rassurer  assez,  tant  que  je  ne  recevrai  rien  de 
vous.  Mon  protecteur,  mon  bienfaiteur,  mon 
ami ,  mon  père,  aucun  de  ces  titres  ne  pourra-t-iï 
vous  émouvoir?  Je  me  prosterne  à  vos  pieds  pour 
vous  demander  un  seul  mot.  Que  voulez-vous  que 
je  marque  à  madame  de  Portland?  lui  dirai-je  : 
Madame,  m ilord Maréchal  in  aimait^  mais  il  me 
trouve  trop  malheureux  pour  m' aimer  encore  ;  il 
ne  ni  écrit  plus?  La  plume  me  tombe  des  mains. 

ySa,  —  A  M.  GRA^nnLLE. 

V^ootton ,  février  î  76;-. 

Je  crois,  monsieur,  la  tisane  du  médecin  e^j  a- 
gnol  meilleur  et  plus  saine  que  le  bouillon  rougo 


AX5EE  1767.  Vji 

da  méiedn  fiaoçais;  la  proyision  de  miel  n'est 
px^  niQÎ05  IxHine,  et  n  les  a;>othîcaires  fournie 
sàient  (faussî  bonnes  drogues  que  vous,  ils  au* 
rakui  Wntôt  ma  pratique  :  mais,  badinage  à 
pil,  que  j'aie  aTec  vous  un  moment  d'explica- 
ûoD  aériense. 

Ja&fsdnuisaTec  pasâon  la  liberté,  Fégalitc; 
et^Todaiit  rirre  eiempt  des  obligations  dont  je 
ne  poorais  m'acquitter  en  pareille  monnaie,  je 
cie  refiisais  aux  cadeaux  même  de  mes  amis,  ce 
ÎDim'asoavcnt  attiré  bien  des  querelles.  Mainte- 
aaûl  Jai  changé  de  goût ,  et  c  est  moins  la  liberté 
<peiapaix({iie[ûme;  je  soupire  incessamment 
aprtsdle-  je  la  préfère  désormais  à  tout;  je  la 
yeux  à  toutpnx  avec  mes  amis;  je  la  veux  môme 
arec  mes  eoBemis,  $11  est  possible.  J'ai  donc  ré- 
solu JeodnnT  désormais  des  uns  tout  le  bien,  et 
des  aotRs  loai  le  mal  qu'ils  voudront  me  &ire. 
Mn5  dispoier,  sans  m'en  défendre^  et  sans  leur 
^^istnaapdque  &çon  que  ce  soit.  Je  me  livre  à 
^05  pooT  fiire  de  moi ,  soi  t  pour ,  soit  con  tre ,  cn- 
;^*^l  â  leur  volonté  :  ils  peuvent  tout,  hors 
le  m  engager  dans  une  dispute,  ce  qui  très-cer- 
"inieaicnt  narrivera  plus  de  mes  jours.  Vous 
<Ç« ,  monsieur ,  d'après  cela ,  combien  vous 
'^«  beau  jeu  avec  moi  dans  les  cadeaux  conti- 
'Qfis  (fTû  vous  plaît  de  me  fcire  :  mais  il  &ut 
^ot voQsdire;  sans  les  refuser,  je  n'en  serai  pa»» 
■  'i>  r  coDoaUsant  que  si  vous  ne  m  en  faisiez  au- 
^i'  Je  TOUS  suis  attacbé^  monsieur,  et  je  bcnis  le 


276  CORRESPONDANCB , 

ciel,  dans  mes  misères,  de  la  consobtion  ({ui 
m^a  ménagée  en  me  donnant  un  Toisin  tel  qu 
vous  :  mon  cœur  est  plein  de  Tintérét  que  von 
voulez  bien  prendre  à  moi,  de  vos  attentions,  d 
vos  soins,  de  vos  bontés,  mais  non  pasdeTc 
dons  :  c'est  peine  perdue,  je  vous  assure;  ilsn'i 
joutent  rien  à  mes  sentimens  pour  vous;  je  0 
vous  en  aimerai  pas  moins,  et  je  serai  beaucon 
plus  à  mon  aise  si  vous  voulez  bien  les  supprinu 
désormais. 

Vous  voilà  bien  averti,  monsieur;  voussave 
comment  je  ponse,  et  je  vous  ai  parlé  très-sénfc 
sèment.  Du  reste,  votre  volonté  soit  failcetno 
pas  la  niieuiie  ;  vous  serez  toujours  le  maître  de 
user  comme  il  vous  plaira. 

Le  t('mps  est  bien  froid  pour  se  mettre  c 
route.  Cependant,  si  vous  êtes  absolumentrésol 
de  p'irîîr, recevez  tous  mes  souhaits  pourvoir 
bon  vojagc  et  pour  votre  prompt  et  heureux  K 
tour.  Quand  vous  verrez  madame  la  duchesse  d 
Portland,  faites-lui  ma  cour,  je  vous  supplie '» rai 
surez-la  sur  l'état  de  milord  Maréchal.  Cepef 
dant,  comme  je  ne  serai  parfaitement  rassul 
moi-même  que  quand  j'aurai  de  ses  nouvelle 
sitôt  que  jVn  aurai  reçu,  j^aurai  Ihonncurd^ 
faire  part  à  madame  la  duchesse*  Adieu,  mo! 
sieur,  de  reclief  ;  bon  voyage,  et  souvcncz-voi 
quelquefois  du  pauvre  ermite  votre  voisin. 

Vous  verrez  sans  doute  votre  aimable  nièo 
je  vous  prjie  dfi  loi  parier  quelquefois  dn  capi 


AHiTÉE  1767,  ay^ 

L  eDe  a  mis  dans  ses  daines  et  qm  slionore  de 
les  porter. 

733l—  ▲  MILORO  COMTE  DE  Ha&COURT 

IToactoo,  le  i4  lévrier  1767* 

Vois  m'avez  donné,  milord,  le  premier  Trai 
plaque  j'ai  goûté  depuis  long- temps,  en  m  ap- 
presaBt  <{iie  )  étais  toajoors  aimé  de  M.  Watelet. 
Je  le  mérite,  en  vérité,  par  mes  sentimens  pour 
lui',  et  moi  qui  mlnquiète  très-* médiocrement  de 
leslime  du  public,  je  sens  que  je  n  aurais  jamais 
pa  me  passer  de  la  sienne.  Il  ne  faut  absolument 
poml  (jue  ses  estampes  soient  en  vente  avec  les 
autres; et  pukque, de  peur  de  reprendre  un  goût 
sjxptd  je  veux  renoncer,  je  n  ose  les  avoir  avec 
moi,  je  vous  prie  de  les  prendre  au  moins  en  dé- 
p^,  jusqu'à  ce  que  vous  trouviez  à  les  lui  ren- 
vnyeTy  caiea  iairs  un  usnge  convenable.  Si  vous 
Irouvîei  par  basard  k  les  changer  entre  les  mains 
de  qaplijûe  amateur  contre  un  livre  de  botanique, 
à  k  bonne  heure ,  j  aurais  le  plaisir  de  mettre  à  ce 
Irwe  le  nom  de  M.  Watelet;  mais  pour  les  ven- 
dre, jamais.  Ponr  le  reste,  puisque  vous  voulez 
hîea  cbercber  à  m  en  défaire,  je  laisse  à  votre  en* 
tiéredisposition  le  soin  de  me  fendre  ce  bon  office  | 
{^nnroqoe  cela  se  &sse,  de  la  part  des  acheteur», 
sans  faveur  et  sans  préférence,  et  qu  il  ne  soit  pas  . 
^oestioa  de  moi.  Puiisque  vous  ne  dédaignez  pas 
œ  vous  donner  pour  moi  ces  petits  tracas,  j'at^ 


iyS  coRftB'PONDAîrcrEy 

t(*n(lA  de  la  candeur  de  vos  scntimeTie  que  vous 
consulterez  plus  mon  goût  que  mon  avant:igp;c^ 
sera  m'obliger  doublement.  Ce  n'est  point  uû  pro- 
duit nécessaire  à  ma  subsistance;  je  le  dcsliiie  m 
entier  à  des  livres  de  botanique,  seul  et  dernier 
amusement  auquel  je  me  suis  consacré. 

L'honneur  que  vous  faites  à  mademoiselle  1  e 
Vasseur  de  vous  souvenir  d'elle  l'autorise  à  tous 
assurer  de  sa  reconnaissance  et  de  son  resprcl. 
Agreez ,  milord,  je  vous  supplie,  les  mômes sciiir 
mcns  de  ma  part. 

P.  5.  Il  doit  y  avoir  parmi  mes  eslamps  nu 
petit  porlcleuilie  contenant  de  bonnes  t^preuvos 
de  ceDes  de  tous  mes  écrits.  Oseraî-je  me  flalUT 
que  vous  ne  dédaignerez  pas  ce  faible  cadeau,  et 
de  placer  ce  portefeuille  parmi  Jes  vôlitîs?  Je 
pieiids  la  lil)erlé  de  vous  prier,  milord,  de  vouloii 
bien  donner  cours  à  la  lettre  ci-jointe. 


•>  / 


—  ▲  M.  DU  Peyrou. 

Wootton,  k*  i4  février  i^O;. 

Je  confesse,  mon  cher  hôte,  le  tort  que  j'ai  en 
de  ne  p<is  répondre  sur-le-<;hanip  à  votre  n"3;}î 
car  malgré  la  honte  d'avouer  votie  crédulitt ,  )<2 
vois  que  rnutorité  du  voilurier  Le  Comte  tk\'di\ 
fait  uue  grande  impression  sur  votre  esprit.  i( 
me  f»chais  d'abord  de  cette  petite  faiblesse,  qu 
me  paraissait  peu  d'accord  avec  le  grand  sens  t|ui 
\e  vous  connais;  mais  chacun  a  {es  siennes,  et  i 


p  y  a  qa^an  homme  bien  estimable  k  qui  I  on  n*en 
piûise  pas  reprocher  de  plus  grandes  qne  celies- 
U.  Ydx  été  malade,  et  je  ne  sais  pas  bien;  j  ai  eu 
des  tncas  qui  ne  sont  pas  finis,  et  qui  m  ont  em- 
ynfcliê  d'exécuter  la  résolution  que  j  avais  prL<;e  de 
voQâ  écrire  au  plus  vite  que  je  n'étais  pas  a  Mor- 
ges,  mais  j  ai  pensé  que  mon  n^  fy.ous  le  dirait 
A-sez^ei  d  aiUeurs^u'une  nouvelle  de  cette  espèce 
di  paraîtrait  bien  tôt  pour  faire  place  à  quelque 
iu*T€  aussi  raisonnable. 

Vous  sares  que  j'ai  peu  de  foi  aux  grands  gué- 
micurs.  Jai  toujours  eu  une  médiocre  opinion 
d\i  succès  de  votre  voyage  de  Béfort ,  et  vos  der- 
ii\^^  lettres  oc  Font  que  trop  confirmée.  Conso- 
/cz-voQS,  mon  cher  bote  ;  vos  oreilles  resteront  à 
peu  prés  ce  quelles  sont;  mais  quoi  que  j'aie  pu 
vous  en  dire  dans  ma  colère,  les  oreilles  de  voire 
esprit  sont  assez  ouveites  pour  vous  consoler  d'à* 
fok  Je  tjmpam  matériel  un  peu  obstrué  :  ce  n^cst 
pas  le  dé&nt  de  votre  judiciaire  qui  vous  rend 
cr/dale ,  c'est  lexcos  de  votre  bontt?  ;  vous  estimez 
Lop  mes  ennemis  pour  les  croire  cap^iblrs  d  in- 
venter des  mensonges  et  de  payer  des  pieds-plats 
pour  les  divulguer  :  il  est  vrai  que ,  si  vous  n  êtes 
pas  détrompé ,  ce  nest  pas  leur  fiiute 

Je  tremble  que  milord  Maiécbal  ue  soit  dans  le 
même  <:as,  mais  dune  manière  bien  plus  cruclk, 
puix{a*il  ne  s'agit  pas  de  moins  que  de  perdm 
l'amitié  de  celni  de  tous  les  hommes  à  qui  je  dois 
tc^QS  et i qui  je  suis  le  plus  attaché.  Je  ttc.sais 


^O  CORRESPONDANCE,  i 

ce  qu'ont  pu  manœuvrer  auprès  de  lui  le  bon  Da-  ^ 
vid  et  le  fils  du  jongleur  qui  est  â  Berlin;  mais  ;, 
milord  Maréchal  ne  m^écrît  plus ,  et  m^a  mt^mc  no-  , 
nonce  qu'il  cesserait  de  m'écrire,  sans  mW  dire 
aucune  autre  raison ,  sinon  qu'il  était  vieux, qull  j 
écrivait  avec  peine ,  qu'il  avait  cessé  d'écrire  â  ses 
parens,  etc.  Vous  jugez  si  mon  cœur  est  là  dupe 
de  pareils  prétextes.  Madame  Ta  duchesse  de  Port- 
laud,  avec  qui  |at  fait  connaissance  Tété  deniirr 
chez  un  voisin ,  m'a  porté  en  même  temps  le  plus 
sensible  coup ,  en  me  marquant  que  les  nouvelles 
publiques  l'avaient  dit  à  l'extrémité ,  et  me  d^  ^^ 
mandant  de  ses  nouvelles.  Dans  ma  frayeur,  je 
me  suis  hâté  d'écrire  à  M.  Rougemont  pour  savoir 
ce  qu'il  en  était.  Il  m'a  rassuré  sur  sa  vie,  en  me 
marquantqu^en  effet  il  avait  été  fort  mal,  maisqu'il  ' 
était  beaucoup  mieux.  Qui  me  rassurera  maint^ 
nant  sur  son  cœur?  Depuis  le  22  novembre,  date 
de  sa  dernière  lettre,  je  lui  ai  écrit  plusieurs foiSf 
et  sur  quel  ton  1  Point  de  réponse.  Pour  comble, 
je  ne  s.'iis  quelle  contenance  tenir  vis-à-vis  de  ma- 
dame de  Portland,  à  qui  je  ne  puis  différer  pins 
long-temps  de  répondre,  et  à  qui  je  m  veux  pas 
dire  ma  peine.  Rendez-moi,  je  vous  en  conjnrc, 
le  service  essentiel  d'écrire  k  milord  Maréchal; 
engagez-le  à  ne  pas  me  juger  sans  m'entendrc,» 
me  dire  au  moins  de  quoi  je  suis  accusé.  Voilà  te 
plus  cruel  des  malheurs  de  ma  vie  et  qui  termi- 
nera tous  les  autres. 

Jôubliai^  de  vous  dire  que  M.  le  doc  de  Graffir 


AKHÊE  1767.  a8l 

(oD,  premier  commissaire  de  la  trésorerie,  ayant 
appris  Ja  Texation  exercée  à  la  douane ,  aa  sujet 
de  mes  liyrcs  y  a  fait  ordonner  an  douanier  de  rem- 
boorxrcet  argent  à  Becket  qm  layait  payé  pour 
BMM,etqne,  dans  le  billet  par  lequel  il  m'en  a  fait 
donner  avb^  il  a  ajouté  un  coim^iment  très-hoi»- 
néte  de  h  part  da  roi»  Tout  cela  est  fort  hono- 
rable, fluûs  ne  console  pas  mon  cœur  de  la  peine 
seciéte  <jne  tous  sarez.  Je  vous  embrasse  ^  mon 
cfaer  béte^  de  tout  mon  cœur» 

73s»  — —  ▲  M.  DoTBNS» 

WtfottoDyk  16  fêTxWr  1767*. 

Je  sais  bien  recennaissant)  monsieur,  des  soins 

ebËgeâas  qm  foos  voulez  bien  prendre  pour  k 

▼ente  de  mes  boupiins;  mais,  sur  votre  lettre  et 

cefles  de  IL  Davenpert,  je  vob  a  cela  des  embar- 

rs»qa'  me  d^oAteraient  tout4-&if  de  les  vendre, 

si  jesavais  oà  les  mettre;  car  ils  ne  peuvent  rester 

cbez  M.  DavenporI,  qoi  ne  garde  pas  sonappap- 

tenenC  tente  l'année.  Je  n'aime  pomt  une  vente 

pttbliqne  ,  même  en  permettant  qv^elle*  se  fisse 

sens  votre  nom  ;  car,  entre  <fx  le  mien  est  à  la 

itee  de-ia  ^«parlde  mes  livres,  en  sedoulerabien 

^*im  filtras  si  mai  eboisreCsi  mai'codditionnéne 

vient  pas  devons.  Iln'yadaneces'quatreou'cinq 

ai99tâ  qw^iine  eentaiae-av  plus  àe  volumes  qn»' 

soient  boBs  et  bien  oon£tionnés  ;  fbut  le  reste 

Wiesh  qiie  ^  fimùer,  qjà  n^est  pas  même  boi^  à 

s4. 


^ 


'^8a  CORRESPONDANCE , 

.brûler,  parce  que  le  papier  en  est  pourri  :  hors 
quelques  livres  que  je  prenais  en  paiement  des  li- 
braires ,  je  me  pourypyais  magnifiqueme^it  sur  les 
quais,  et  cela  me  fait  rire  de  la  duperie  des  ache- 
teurs qui  s^jattendraicnt  à  trouver  des  livres  choi- 
sis et  de  bonnes  éditions.  J'avais  pensé  quece  qui 
était  de  débit  se  réduisant  à  si  peu  4^  chose , 
M.  Davenport  et  deux  ou  trois  de  ses  amiif  au- 
raient pu  s  en  accommoder  entre  eux  sur  restima< 
tion  d  un  lil^raire  ;  le  resie  eût  servi  à  plier  du 
poivre,  et  tout  cela  se  serait  lait  sans  bruit  Mais 
assurément  tout  ce  fatras  ^qui  m'a  été  envoyé  bien 
malgré  moi  de  Suisse ,  et  qui  n  en  valait  ni  le 
port  ni  la  peine ,  vaut  encore  moins  celle  que  vous 
voulez  bien  prendre  pour  son  débit.  Encore  un 
coup,  mon  embarras  est  de  savoir  ob  les  fourrer. 
S^il  y  avait  dans  votre  maison  quelque  garder  meu- 
ble ou  grenier  vide  où  Tpn  pût  les  mettre  saais 
vous  incommoder,  je  vous  serais  obligé^  de  vou- 
loir bien  le  permettre ,  et  vous  pçurriez  y  voir  à 
loisir  s^il  s  y  trouverait  p^.  hasaixl  quelqiie  chose 
qui  pût  vous  convenir  ou  à  vos  amis.  AuM^meut 
je  ne  s^is  en  vérité  que  faire  de  toute  ctstte  fripe- 
rie qui  me  peine  cruellement ,  quand  je  soii^gie  à. 
tous  les  cmbArras  quelle  donne  à  M.  Davenport* 
Plus  il  3'y^pDêté  vplqnti^,  plus  il  est' indiscret  à 
moi  d^abus^  de  sa  complais^c^#  SU  faut  encore 
abuser  de  la  vôtre»  ^  fai  ^  comme  aveq  Jui ,  la  néces- 
sité pour  ^cuse ,  e^  U  p^ua$ion  ,cfiNijksol^ple  du 
plaisir  que  vous  prc]|p2  Vvax  fel  r«)Utrcf  &  m'obl}ger. 


i 


ie  TOUS  en  EàiSj  monsieur,  mes  Temercimens  d^c 
i  )ut  luo  eopur^  et  je  vous  pûe  d'agrccr  mes  trùs- 
hu)iùt]es  saJutations. 

S\  b  Tente  poliiiquc  pouvait  se  faille  fans  qu  on 
n  moD  nom  sur  les  livres  et  qu  on  se  doutât  d  où 
Ls  uenneot^  A  la  bonne  heure*  Il  m'importe  foii 
p  >u  qae  les  acheteurs  voient  ensuite  qu  ils  étaient 
à  moi;  mais  je  ne  yeux  pas  risquer  qu'ils  le  sachent 
àd\daotj  et  ]e  m'en  rapporte  là -dessus  i  votre 
cdadeor. 

735. A.  ILiDEMOISELLE  ThÉODORE^  - 

«iViCAaiMiB  aosâxs  01  uosiqv%  {*). 

Sans  dote. 

On  ne  pmt  éire  plus  surpris  que  je  tennis ,  ma- 
il nmseile,  de  recevoir  une  lettre  datée  de  L'Aca- 
liéinierovale  de  Musique,  par  iaqueUe  on  r^k^lame 
les  conseils  de  ma  part  pour  y  bien  vivre.  Vos 
'xpressioiis  peinent  Thonnéteté  avc^.  tant  de 
rjQchise  et  de  candeur,  que  jene  vous  roii  verrai 
-^T  pour  en  rcceroir,  i  céluL  qui  ont  coutume 
'  M  donner  à  cellesqui  5  y  présentent.  Je  ne.  puis 
''pendant  pas  vons  foimiir  les  prâseptes^qiié  vol}S 
^  "  AeanùaBm  1  ne  dontez  nnllemi^nl  de  joia  bonne 
oloBté  à  TOUS  satîfifiire)  mab  îe  suis  moi  mémo 


(*;  C^  ttvove  «lans  la  Poésia  (tome  XII «  po^  286)  oxit 
^ce  d*  ▼«»  adveatée  à  une  dmiotaene  T^écniore,  quoq  peut 
Ifuacv  la  ■^nrr  que  œlle  dont  3  l'agit  ici. 


s86  CORRESPOND  ATTCE  y 

gence,  mais  comptez  toujours  sur  mon  plus  5Îi 
cère  attachement 

738. AU  MÊME. 

a8  fivriar  1767. 

Que  fait  mon  bon  et  aimahie  voisin?  comme\ 
se  porte-t-il?  Jai  appris  avec  grand  plaisir  so 
heureuse  arrivée  à  Bath,  malgré  les  temps  al 
freux  qui  ont  dû  traverser  son  voyage  :  mais  maii 
nant  comment  s  y  Irouve-t-il?  la  santé,  les  eau: 
les  amu semons,  comment  va  tout  cela?  Vous  s 
vez,  monsieur,  que  rien  de  ce  qui  vous  touc^ 
ne  peut  m*étre  indifTérent  :  rattachement  que 
vous  ai  voué  s'est  formé  de  liens  qui  sent  \oV 
ouvrage;  vous  vous  êtes  acquis  trop  de  droits  51 
moi  pour  ne  m  en  avoir  pas  un  peu  donné  s 
vous  ;  et  il  n'est  pas  juste  que  j'ignore  ce  qui  m  i 
tcrcsse  si  véritahlement.  Je  devrais  ausM  \v] 
piirlcr  de  moi, parce  qu'il  faut  vous  rendre  com] 
àe  votre  hicn  ;  mais  je  ne  vous  dirais  toujours  c 
les  m^mes  choses  :  paisible,  oisif,  souffrant^  f 
nant  patience,  pcslant  quelquefois  contre  le  m 
vais  temps  qui  10  empêche  d  aller  autour  des 
chers  furetant  des  moussas,  et  contre  Ihiver 
retient  Calwich  désert  si  long-temps.  Amu 
vous,  monsieur,  je  le  désire,  mais  pas  assez  | 
reculer  le  temps  de  votre  retour;  car  ce  serait } 
amuser  à  mes  fU^pens.  MademoifcUe  Le  Va; 
vous  deniajiclc;  la  permission  de  vous  rendi 


AirxÉE  1767,  s  87 

ses  devoirs,  et  nous  tous  supplions  Fud  et  Tauirc 
d^agréer  nos  très-humbles  salutations. 

ySc).  —  A  M.  DtTEîTS. 

'Wootton ,  le  a  man  1 767. 

Tous  mes  lÎYres,  monsieur,  et  tout  mon  avoir 
ne  valent  assurément  pas  les  soins  que  vous  vcmle^ 
bien  prendre  et  les  détails  dans  lesquels  vous  vou- 
lez bien  entrer  avec  moi.  J'apprends  que  M.  Da- 
venport  a  trouvé  les  caisses  dans  une  confusion 
horrible-,  et,  sachant  ce  que  c'est  que  la  peine 
d  arranger  des  livres  dépareillés .  je  voudrais  pour 
tout  au  monde  ne  Favoir  pas  exposé  à  cette  peine, 
quoique  je  sache  qu  il  la  prend  de  très- bon  cœiu. 
SU  se  trouve  dans  tout  cela  quelque  chose  qui 
vous  convienne  et  dont  vous  vouliez  vous  accom- 
moder de  qnelque  manière  que  ce  soit,  vous  me 
ferez  plaisir  sans  doute ,  pourvu  que  ce  ne  soit  pas 
uniquement  1  intention  de  me  faire  plaisir  qui 
rous  détermine.  Si  vous  voulez  en  transformer  le 
prix  en  une  petite  rente  viagère,  de  tout  mon 
ccEur  ;  quoiqu'il  ne  me  semble  pas  que ,  FEncyclo- 
{lédie  et  quelques  autres  livres  de  choix  ôtés,  le 
reste  en  vaille  la  peine,  et  d'autant  moins  que  le 
produit  de  ces  livres  n'étant  point  nécessaire  à  ma 
subsistance,  tous  serez  absolument  le  maître  de 
prendre  votre  temps  pour  les  payer  tout  à  loisir  en 
une  ou  plusieurs  fois,  à  moi  ou  à  mes  héritiers, 
tout  comme  il  vous  conviendra  le  mieux.  En  un 


('  * 


a88  coit&E6Poin>A5c£, 

içot^  je  TOUS  laisse  absolument  décider  de  tonti 
chose  y  et  m  en  rapporte  à  vous  sur  tOQS  les  points 
hors  un  seul,  qui  est  celui  des  sûretés  dont  toui 
me  parlez  :  j  en  ai  une  qui  vie  su|Kt,  et  je  ne  veui 
entendre  parler  d  aucune  autre  ;  c'est  la  probité  à 
M.  Dutensip 

Je  me  suis  tait  envoyer  ici  le  baUot  qui  coopte 
nait  mes  livres  de  botanique,  dont  je  ne  veux  pa; 
me  défaire,  et  quelques  autres ilon.t  j^ai  renYO)< 
à  M.  Davenport  ce  qui  s^est  trouvé  sous  ma  main 
c'pst  ce  que' contenait  le  ballot  qui  ^t^  ra^é  sur  l 
catalogue.  Les  livres  dépaix^illés  |  oj;it  été  dans  le 
fréquens  démënagemcps  que  j'ai  été  forcé  de  faire 
aûçisi  je  n'ai  pas  de  quoi  les  compléter.  C^s  livre 
sont  de  nulle  valeur,  et  je  nen  vois  aucon  aulr 
u^gc  à  faire  que  jle  les  jeter  dans  la  liyière,  i^ 
ppuvant  les  anéantir  d'un  acte  de  n^  volotaté. 

Vos  .lettre^,  monsieur,  et  tout  jc^  que  je  vois  d 
vous  m'ii^pirent  non -seulement  la  plus  giaod 
estime,  mab  u^e  confiance  qui  m'attire  et  ui 
donne  un  vrai  regret  de  ne  pas  vous  connalu 
picrspnnellement.  Je  sens  que  cette  connaissant 
m'eût  été  très-agréa]>le  dans  ious  les  temps  ^ 
trës-cousolautc  dan$  mes  malheurs.  Je  voys  saiui 
i^onsieur ,  très-humblem€;nt  et  de  tout  mon  cxevj 

74o.  —*  A  tflLORD  COMTB  DE  HaRCQVRT. 

Woottoo.  le  5  man  1 767. 

Je  ne  suis  pas  surpris ,  milord ,  de  l'état  o&  vc 
ayez  trouvé  facs  estampes;  je  m  attendais  à  pi 


mais 3  me  parait  cependant  singtilîer  qull  ne  s'en 
soi!  pas  trouvé  mie  seule  de  M.  Watelet  ;  quoî- 
tîQc,pnDÎ  Beafoconp  de  gravures  quîl  mavaît 
doTinéts,!  j  en  eût  peu  des  'siennes,  il  y  en  avait 
poortam  :  la  préférence  qu'on  leur  a  donnée  fait 
bonnctiràson  burin.  J'en  avais  un  beaucoup  plus 
grand  ncoiilve  de  M:  Tabbé  de  Saïnt-T^on.  Si  elles 
s^  btnreiil,  je  ne  voudrais  pas  non  plus  qu  elles 
Asscnt  Tendues;  ter  quoique  je  n*aie  pas  Thon- 
neor  de  le  connahrepersonnellement ,  elles  étaient 
Qi^  cadeau  de  sa  patt.  Si  vous  ne  les  aviez  pas^ 
^ïûwi,  et  qo* eBes  passent  vous  plaire ,  vous  m'o- 
Migcricx  Wmcoup  de  vouloir  les  agréer.  Le  pa- 
pier <pie  -vcuxs  avez  eu 'la.  honte  de  m'envoyer  est 
de  b  main  de  nnlord  Maréchal  )'  et  me  rappelle 
^î/ ja  dans  mon  recueil  un  portrsdt  de  lui ,  saùs 
i-om, mais  tête  une  ci  très-ressemblant,  que  pour 
rien  an  monde  je  ne  Voudras  perdre,  et  dont  j'a- 
vais ooMé  de  vous  parler  :  c'est  la  senje  ei^tampe 
"pe  je  veuiBe  mexéserver;  et, quand  ellome  lais- 
^''rait  h  frntaîsie  d  avoir  les  portraits  des  hommes 
^i  hâ  ressemblent ,  ce  goOft  ne^erait  pas  ruineux. 
It  sens  avec  combien  d'indiscrétion  j'abuse  de 
votre  lenps  et<de  vos  bontés  ;  mais  quelque  peine 
]tie  vous  donne  la  recherche  de  ce  portrait,  j^en 
tarais  ose  infiniment  plus  grande  à  m'en  voir 
îrivë.  S  vous  pçuveucz  i  k  letrouver,  je  vous 
^pptityOïîlordyde  voiibkbkn  l'envoyer  à  M.Da« 
^nport  j  afin  <fBkil  le  joigne  au  preoûer  envoi  qu'il 
tvra  la  bonté  de  me  &ire. 

4«  aS 


Comme^  après  tout,  mon  recueil  était  asset 
peu  de  chose  y  qne  probablement  il  ne  s'est  pas  ao- 
cru  dans  les  mains  des  douaniers  et  des  lilmiires, 
^t  que  les  retranchemens  que  j'y  fais  îqûX  du  reste 
xm  objet jde  très-peu  de  valeur,  j'ai.i  me  reprocher 
4e  vous  avoir  embanqassé  de  ces  b^àtelles;  mais^ 
pour  TOUS  idire  la  vérité ,  BÛlofd  >  je  ne  cherchais 
qu  un  prétexte  pour  me  prévaloir  de  vos  ofiQres  et 
"VOUS  montra  ma  confiance  ei^  vos  bontés^  • 

J^oubllais  de  vous  parler  4e  la  découpore  de 
1VI.  Huber;  c^est  efiectivocten^  M.  de  Voltaire  en 
habit  de  théâtre  (^).  Comme  je  xie  suis  p^s  tout 
l-fait  aussi  curieux  d'avoir  sa^figure  que  celle  de 
milord  Marécha)^,  f^^  ppi^y^z ,.  piloi:4/  «^  Totre 
jchoix  y  garder.,  ou  jeter ,  pa  donnjçr ^  w  jbrûlcvr  ce 
x^hilTon;  pourvt^ qu'il  iie  ^ne  revienne  pas,  c'esl 
tout  ce  que  je  dé^^  A^ez,  milcqrd,  je  vous  is^op 
plie  y  les  assurances  de  fiioB  respect, 

(  *)  Iluber  était  un  GénevoÎB  qui  •*^ait«Raché  ^  VoHàIre.  et 
^,  pendant  vingt  an* ,  jricm  vtêe  M  danâ  tmel  ititÎBM  fanft- 
liante.  Hrinle  dans  les  aiu  du  detittn,  il  •'était  acquis  nue  impu- 
tation par  un  talent  vraiment  extraordinaire,  celc^  de  .dépovper 
ie  papier  de  manière  à  représenter  les  objets  le»  plua  âêUcata 
cf  Ica  plus  comptines.  Il  excellait  innoat  à  figuiîêr  ^dnsi  le 
;8lde  Voluire,  et  j  avait  aequb  uba  lelle  ii^f6  q«ni 
paît  ce  profil  sans  y  Toii 4  qsiks«iatnf  déniera ibdoak.UJke  £û^ 
•ail  exécuter  par  «on  dial^  en  loi  jprétent^oL-  à  ostttlre   uxuj 
If  anche  de  fromage,  et  il  araît  une  manièce  plus  originale  ca.^ 
c'oi«  de  le  représenter  fuî-mtow  rar  la  n^tfe.  —  u'  ptup»^ 
det  découpures  de  Hnbcr,  exëctttécsètfr^éliil,  iom*e^   ^TjgVil 
terra  dan»  ks  colnncu  d«»  curit^qu  On  W  •  fitoyfyHàôaiB  | 


AKrrzB  1767.  19* 

741.  —  A  mujokd  HarAchal. 

Le  19  miiia  1767. 

Cm  est  donc  £iit ,  fnilord ,  j  ai  perdu  poar  {a- 
macTos  bonnes  grâces  et  vod^  amitié,  s<ins  qu'il 
me  sort  po.sîhie  de  savoir  et  d'imnginor  d'où  me 
rient  cette  perte,  n  ayant  pas  un  fenlîmriit'dans^ 
mon  caar,  pas  une  aetion  dans  ma  conduite  qui 
nsit  dû,  fose  le  dire,  confirmer  cette  prccieuso 
bicnTeîOance  qne,  selon  vos  promises  tant  de 
t«*îs  rèîtèries,  jamais  rien  ne  pouvait  ni'ôlèr.  Je 
conçois  aisément  (eut  ce  qn'on  a  pv  faire  auprès 
de  vous  pour  me  nnire  :  je  l'ai  prévu,  je  vôns  en 
ai  prévenu;  vous  m^avez  assuré  qu^on  ne  réussi- 
rdit  jamais j  fat  dà  le  croire.  A-t-cn  réussi  malgré 
tout  cela?  voîlâ  ce  qui  me  passe;  et  comment  a-t- 
on réussi  aa  point  que  vous  n^ayes  pas  même  daî-^ 
pic  me  £ie  de  quoi  je  suiscoupaHe ,  ou  du  m  oins- 
de  ^noi  je  suis  accusé?  Si  je  suis  coupable ,  pour- 
quoi me  taire  mon  crime?  si  je  ne  le  suis  paSy 
f«ouiqnoi  me  traiter  en  criminel?  En  m^annon- 
C  m  que  Toas  cesserez  de  m'écrire,  vous  me  faîtes 
«ileudrc  que  vous  n'écrirez  plus  à  personne;  ce- 
p'^ndant  j'apprends  que  vous  écrivez  à  tout  le 
oio-nde,  et  que  je  suis  le   enl  excepté,  quoique 
vous  sachiez  dans  quel  tourment  m'a  jeté  votre 
-«iVnce.  Mîlord,  dans  quelque  erreur  que  vous 
'.AÛssiez  être  ,  si  vous  connaissiez,  je  ne  dis  pr.s^ 
&es  sentimens,  vous  4qvcz  les  connaître,  mais 


2Q2  coamsiPOVPAircc,  ^ 

nat  sitoation,  dont  vous  o  avez  pas  l'idée,  votre 
humanité  du  moinft  raos  parlerait  pour  moi . 

Vous  êtes  dans  Terreur,  milord,  et  cW  ce  qui 
me  console  :  je  vous  connais  trop  bien  pour  vous 
croire  capable  d'une  aussi  incompréhensible  le-  , 
gèretë,  surtout  dans  un  temps  où-,  venu  par  vos 
conseils  dans  le  pays  que  j*habite,  j'y  vis  acca- 
})lë  de  tous  les  malheurs  sensibles  à  un  homme 
dhouneur.  Yous  êtes  dans  lerreur^  je  le  répète  : 
lliomme  que  vous  n^aimez  plus  mérite  sans  doute 
votre  disgrâce  ;  ^lais  cet  honune ,  que  vous  prenez 
pour  moi ,  n  est  pas  moi  :  je  n^ai  point  perda  votre 
bienveillance,  parce  que  je  pai  point  mérité  de 
la  perdre,  et  que  vous  n^ètes  ni  injuste  ni  incons- 
tant. On  vous  aura  figuré  sous  mon  nom  on  fan- 
tôme ;  je  vous  Vabandonne ,  et  j^attends  que  votre  ' 
illusion  cesse,  bien  sûr  qu'aussitôt  que  vous  me 
verrez  tel  que  je  suis ,  vous  m'aimerez  comme  au- 
paravant. 

Mais  en  attendant ,  ne  pourrai-je  du  moins  sa- 
voir si  vous  recevez  mes  lettres?  ne  me  reste-  t-il 
nul  moyen  dapprcudre  des  nouvelles  de  votre 
santé  qu'en  m'informant  au  tiers  et  au  quart,  el 
n'en  recevant  que  de  vieilles,  qui  ne  me  tran<{uil- 
liseut  pas?  Ne  voudriez- vous  pas  du  moins  per- 
mettre qu  un  de  vos  laquais  m^écrivit  de  temps 
en  temps  comment  vous  vous  portez?  Je  me  ré- 
signe  à  tout,  mais  je  ne  conçois  rien  de  plus  cruol 
que  Imceitilude  continucUç  qù  je  vî^  ^^^ ce  q\x 
m^i^tQ^csse  le  plus. 


y.f^^ — '  A  M.  DU  PçYtou^ 

Woottoa,  le  27  mon  17O17. 

ÂpostîQe  d'une  lettie  di&  M.'  L.  Dutenâ ,  dtf  1 9 , 
confirmée  par  une  lettre  de  M.  Davenport  <1p 
ffléoie  date,  en  conséquence  d'un  message  reçu  la 
veille  de  >L  le  général  Conway. 

«Je  viens  d  apprendre  de  M.  Daveiiporl  h  nou- 
«  TeDe  agréaUe  que  le  roi  vous  avait  accOrdi  une 
ff  pension  de  cent  livres  sterling.  La  manière  dont 
«  kiot  vous  donne  cette  marque  de  son  esti>ne 
ft  m^a  £ûl  autant  de  plaisir  que  la  chose  même  \  et 
«  \t  VQQ»  felkîte  de  tout  mon  cœur  de  ce  que  ce 
tr  J»en&ii  vous  est  conféré  du  plein  »gré  dr  so  inar 
ir  je^et  da secrétaire-d'état,  sans  que  là  moindre 
«  sollicitation  y  aiteu  part*  » 

Le  plus  vrai  plaisir  que  me^  fiisse  cette  nofi- 
relie  est  celui  que  je  sais  qu^elle  fera  â  uies  amii!;; 
cest  pourquoi ,  mon  cher  hôte,  je  me  pesse  de 
ruas  ia  commimiqu»  :.&ites-la ,  par  la  mâlne  rai- 
son, passer  à  mon  ancien  et*  respectable  ami 
)L  Roguin,  et  aussi,  je  vous  en  prie,  i  moq  ami 
M.  d'Ivemoi»  :  je  vous  embrasse  de  tout  moa 
cumn 

Cooirae  dans  peu  jlrai,  si  je  pui^^  i  Londrei^, 
ne  micmez  jdus  que  sous  mqu  propre  nom;  et 
ij  Toœ  écrivez  i  IL  dlvemoîss-donnezrlui  le. 


i5. 


)94  COMinEgPOyDkVÇEf 

743- A  M.  DVTENS. 

Wootu>n,lea6inan     767. 

Jespère,  monsieur ,  que  cette  lettre ,  destinée 
à  TOUS  offirir  mes  souhaita  de  bon  voyage  y  tous 
trouvera  encore  à  Londres.  Ib  sont  bien  Ti&  et 
bien  vrais  pour  votre  beureuse  route ,  agréabit 
séjour,  et  retour  en  bonnc/  santé*  TémoigBez,  je 
Vous  prie ,  dans  le  pays  oil  vous  ailes ,  à  tous  ceux 
^i  m  aiment^  que  mon  eoeur  D*est  pas  en  reste 
^vec  eux,  puisque  avoir  de  vrais  amis  et  les  ai- 
mer est  le  seul  plaisir  auquel  il  soit  encore  sen- 
sible. Je  n'ai  aucune  nouvelle  de  Félargissement 
du  pauvre  Guy  :  je  vous  serai  très  -obligé  si  vous 
voulez  bien  m'en  dcmnèr,  avec  celle  de  votre  heu- 
reuse arrivée,  ^'^oici  une  correction  omise  à  la  fin 
de  Terrata  que  je  lui  ai: envoyé;  ayez  la  bonté  de 
la  lui  remettre»' 

Je  reçois ,  monsieur ,  comme  je  le  dois  y  la  gr✠
dont  il  plait  au  rèi  de  m'honorer,  et  à  laquelk 
f  avais  si  peu*  lieu  de  m 'attendre.  J'aime  à  y  toit, 
de  la  part  de  M.  le  générât  Conway,  des  niar- 
qu^  d'une  bienveillance  que  je^ desirais  Uen  pins 
que  je  n^osais  Tespérer .  L'effet  des  laveois  du 
prince  n'est  guère,  en  Angleterreyde  capter  i 
ceux  qui  les  reçoivent  celles  du  puUic.  Si  c«lle^ 
Êiisaît  pourtant  cet  effet  j'en  serais  d'autant  pluj 
comblé,  que  c'est  encore  un  bonheur  auquel  y 
dûis^pea  m'atlendre;  car  on  pardonne  ^el^e£bi 


les  offenses  <pi^on  a  reçues,  maïs  {amais  celles 
cpi'on  a  faHes;  et  il  ny  a  point  de  haine  plus  Ir* 
réconciliable  ^e  ceOe  des  gens  qui  ont  tort  avec 
nous. 

Si  yous  payez  trop  cher  mes  libres,  monsieur, 
je  mets  le  trop  sur  Totre  conscience ,  car  pour  mol 
je  n'en  peux  mais.  Il  7  en  a  encore  ici  (jnelcjues-uns 
qui  reviennent  â  la  masse,  entre  autres  Fexcel- 
lente  Historia  fiorentina,  de  Machiavel ,  ses  Dû- 
cours  sur  Tite  Liiœ,  et  le  trailé  de  Legîbus  roma- 
nis y  àe  Sigonins.  Je  prierai  M.  Dayenport  de  vous 
les  &îrc  passer.  La  rente  (*)  que  vous  me  propo- 
sez, trop  forte  pour  le  x:apîtai,  ne  me  parait  pas 
acceptable^  même  à  mon  âge;  cependant  la  con- 
dition d'être  éteinte  i  la  mort  du  premier  mou- 
nn  t  des  deux  la  rend  moins  disproportionnée  ;  et  ^, 
si  vous  le  préférez  ainsi,  \y  consens,  car  tout  cil' 
nbsolunucnt  égal  pour  moi. 

/e  songe,  monsieur,  à  me  rapprocherdoLon- 
c'res,  puisque  la  nécessité  lordonrc;  car  ^y  ai  une* 
répugnailce  extrême ,  que  la  nouvelle  de  la  pen- 
sion augmente  encore.  Mais,  quoique  combl^des 
al  tentions  généreuses  de  M.  Davenport,  je  ne  puis 
rester  plus*  long-temps  dans  sa  maison,  oti  fliême 
mon  séjOur  lui  est  très  à  charge  :  et  je  ne  Tois  pas 
qu'ignorant  la  langue  il  me  soit  possible  détablir 
mon  ménage  à  Ia  campagne,  et  d'y  vivre  sur  un 
autre  pied  que  celui  ou  je  suis  ici.  Or,  j^aimcrsds^ 


t*)  Cbtle  de  dix  Urrct  scn! 


398  C01tRBSF05DAirC1S , 

naître,  et  par  Tusage  auquel  ils  étaient  destinés. 
Je  vous  supplie,  monsieur,  d'agréer  les  senti- 
mens  de  ma  gratitude  et  mon  profond  respect. 

745. A.  HILORD  GOVTE  DR  HaRCOUKT. 

Woottoo»  le  2  avril  1767. 

Tapprei^ds  ,.  milord  y  par  M.  Dovenport,  qne 
VOUS  avez  eu  la  bonté  de  me  dé&ire  de  toules  mes 
estampes,  hors  une.  Serais-je  assez  heureux  poui 

Îuc  celte  estampe  exceptée  fût  celle  du  roi?  ]c  V 
ésîre  assez  pour  l'espérer;  en  ce  cas,  vousauriea 
bien  lu  dans  mon  cœur^  et  je  tous  prierais  i^ 
vouloir  conserver  soigneusement  cette  estamp 
jusqu à  ce  cpie  j'aie  l'honneur  de  vans  voir  et  Ai 
vous  remercier  de  vive  voix  :  je  ta  joindànis  à  celli 
de  milord  Maréchal,  pour  avob  le  plaisir  de  cot 
fiempicrijuelquefois  les  trait»  de* mes  bienfiûteui^ 
et  de  me  dire  en  les  voyant  qu^il  est  enoore  d< 
hommes  bienfaisans  sur  la  terre. 

Cette  idée  m^en  rappelle  une  autre ,  qne  it 
mémoire  absolument  éteinte  avait  laissé  <5cha| 
per  :  ce  portrait  du  roi  avec  une  vingtaine  dai 
trcs  me  vieuneiU  de  M.  Ramsay ,  qui  ne  tooIi 
jamais  m'(m  dire  le  prix;  ainsi  ce  prix  lui  appj 
tient  et  non  pas  à  moi  :  mais  comme  probaL 
ment  il  ne  voudrait  pas  plus  laccepter  au |oi 
dhui  que  ci-devant,  et  que  je  n'en  veux  pas  i^ 
plus  faire  mon  profit,  je  ne  vois  à  cela  d^autre  i 
pédient  que  de  distribuer  aux  pauvres  le  prod 


àmiE  17G7.  ^ 

de  ces  estampes;  et  ye  crois,  milcord^.qu  ane  fi>nc- 
tion  de  charité  ne  peut  rien  aroîr  que  l'humanité 
de  votre  cœur  dédaigne.  La  difficulté  serait  de  sa- 
voir quel  est  ce  produit ,  ne  pouvant  moi-même 
me  rappeler  le  nombre  et  la  qualité  de  ces  estant 
pes  ;  ce  qne  je  sais  ^  c'est  que  ce  sont  toutes  gra- 
vures anglaises ,  d<»nt  je  n  avais  que  quelques  an- 
très  avant  celles '-là.  Pour  ne  pas  abuser  de  vos. 
bontés ,  milord ,  au  point  de  vous  engager  dans 
de  nooveUes  recherches ,  je  ferai  uae  évaluation 
grossière  de  ces  gravures,  et  j^estime  que  le  prix 
ii*en  pourrait  guère,  passer  quatre  #u  cinq  gui* 
nées  :  ainsi,  ponr  aller  au  plus  sûr,  ce  sont  cinq 
gttiuâes  sur  le  produit  du  tout  qut  je  prends  la 
Jiberté  de  vous  ptîer  de  vouloir  Ihcu  distribuer 
aaxpanrrei.  Vous. voyez,  milord,  comment  jeu 
use  avec  vous.  Quoique  je  sois  persuadé  que  mon 
importunité  ne  passe  pas  votre  complaisance,  si 
j  avais  prévu  jusqu  où  je  serais  forcé  de  la  poiier, 
je  me  serais  gaidé  de  m'oublier  a  ce  point.  Agréez, 
milord,  je  voussupplie,  mes  très-humbles  excuser 
et  mon  respect. 

746-  —^  A  M.  DU  Peyrou.  ^"    ^ 

A  WoottoB.  le  a  •Tiiî  1767. 

O  mm  cher  et  ainmble  hôte  !  qu  avez-vous  fiait? 
Yous  êtes  tombé  dans  le  pot  au  noir  bien  crueUo- 
aent  pour  moL  Vôtr€  n*  ^a^<^^xé  vous  avez  en- 
^oyépourplv»  dk  sâieté  par  um  wMre  voie^  e$t 


Spà  OPRAESPOin>AVCE, 

ptécisément  tombé  à  Londres  entre  les  iliains  âe 
mon  (ousin  Jean  Rousseau,  qui  demeure  chfx 
M.  Golombies,  à  qui  on  Ta  mallienrrusekDfnt 
adressé.  Or ,  vous  saurez  que  mon  très-cher  cou- 
sin est  en  secret  l'âme  damnée  du  bon  David, 
alerte  pour  saisir  et  ouvrir  toutes  les  lettres  et  pi- 
quets qui  m^rrivent  à  Londi^s;  et  la  yètre  a  été 
ouverte  très-certainement ,  œ  qui  estd'autantplm 
aisé,  que  vous  cachetez  toujours  très-nfid,  avec 
de  mauvaise  cire  j  et  que  vous  en  mettez  tsop  peu  ; 
la  cire  noire  ne  cacheté  jamiis  bien.  Votre  icUre  a 
très-certainement  été  ouverte. 
;  lVk>n  cher  h6le,  je  suis  de  toœ  c6tés  sous  \c 
piège;  il  <^st  impossible  ^e  je  m* cm  tiie^  votre 
ami  ne  m^«n  tire  pas,  mais  j'espèi^e  qu'il  le  fera;  ii 
n'y  a  certainement  que  lui  qui  io  puisse ,  et  il 
semble  que  la  Providence  l'a  envoyé  dans  moD 
\)ioisinagc  pour  cette  bonne  œuvre.  Il  s^agit  pren 
mièrcracnt  de  sauver  mes  papie»^  car  on  lej 
guette  avec  une  grande  vigilance,  et  XtXL  espèn 
bien^qu'ik  n'écltappei'ont  pas.Toutefi)îs,s11  m'en 
voie  lexprès  que  je  lui  ai  demandé  avant  qu< 
M.  Davenport  arrive,  ils  sont  tout  prêts;  je  les  k 
remettrai ,  et  ils  pcisseron  t  cufre  les  mains  de  voti 
ami  9  qui  ne  saurait  y  veiller  avec  trop  de  soin  ^  i 
trop  attendre  une  occasion  sûre  pour  vous  les  &ii 
passer;  car  rien  ne  presse,  et  lossendél  est  cpi'i 
soient  en  sûreté. 

Reste  k  safvoîr  si  ma  lettrc'à  M.  de  C  est  aïk 
iùrement  et  en  droiture.  Les  gens  qui  portent 


A5^££  1767.  3ol 

rapportmt  iBes  lettres,  ceux  de  la  poste,  tout 
m'est  égalemenf  suspect  ;  je  suis  daii5  les  mains  de 
toQl  le  monde,  sans  qull  me  soît  possible  de  &ire 
un  seul  HKiuYenient  pour  me  dégager.  Vous  me 
^tes  rire  par  le  sang-froid  avec  lequel  vous  me 
marquez  :  Adressez-vous  à  celui-ci  ou  à  celui  là^ 
c'est  comme  si  vous  me  disiez  :  Âdressez-Yoos  â 
on  balMtant  de  la  lane.  S^adresser  est  un  mot 
liientàt  dit,  mais  il  Êiat  savoir  comment;  il  ny  a 
que  la  lace  d'un  ami  qui  puisse  me  tirer  dafiaire  ^ 
Contes  les  lettres  ne  ibnt  que  me  trahir  et  m'em- 
liomber.  Celles  que  je  reçois  et  que  j'écris  sont 
(ouïes  Txirs  par  mes  ennemis;  ce  n'est  pas  le 
moyen  de  me  tirer  deienrs  mains. 

5î  le  ciel  vent  que  ma  précédente  lettre  \ 
M.  de  C  ail  écluppé  à  mes  gardes,  qu'il  Tait  re- 
çue, et  qu  il  envoie  Texprès,  nous  sommes  forts; 
car  jaî  mou  second  chîfire  tout  prêt;  je  le  ferai 
partir  arec  celte  Ictlrc-ci ,  et  j'espère  qu'il  ne  tom- 
tiera  plos  dans  les  mains  de  M.  Colombies  ni  de 
mon  cber  cousin.  S^  m'arrive  de  me  servir  du 
premier,  ce  sera  pour  donner  le  change;  n'ajouter 
^acune  £>i  â  c:e  qne  je  voui  marquerai  de  eette 
requière,  à  moins  que  vous  ne  lisie;^  en  tête  ce 
m.'>t,  écrit  de  ma  maio ,  VrnL 

Je  vous  enverrai  une  note  exacte  des  paquets 
^ue  f  envoie  à.  votre  ami,  et  que  j  aurai  bien  droit 
iappder  le  nûen,  s'il  accomplit  en  ma  £iveur  la 
koDbe  opiiTre  qnil  veut  bien  Ëiire;  et  cette  note 
f*^  assez  détailla  pour  qoc^  si  ]  ai  le  bonheur  de 


3oa  coitiÎESPO'DAycE,  ^ 

passf*r  en  terre  ferme,  vous  puissiez  indîtjueî*  les 
paquets  dont  nous  aurons  besoin. 

Je  ne  puis  vous  écrire  plus  Ion {^- temps.  Je  don- 
nerais la  moiûé  de  ma  vie  pour  être  en  terre  ferme, 
et  Fautrc  pour  pouvoir  vous  embrasser  encore  uue 
lois,  eî  puis  mourir. 

n  faut  que  je  vous  marque  encore  que  ce  n'est 
nî  pour  le  Contrat  social  ni  pour  les  Lettres  de  la  \ 
Montagne  que  le  pauvre  Guy  a  été  mis  à  la  Bas-   ; 
tille;  c'est  pour  les  Mémoires  de  M,  de  LaCha- 
lofais.  Panckoucke  est,  je  croîs,  de  bonne  foi;  i 
mais  n'écoulez  aucune  de  ses  nouvelles  ;  elles 
vîeuntait  toutes  de  mauvaise  main. 

Je  tiens  cette  lettre  et  le  chiffre  tout  prêts,  mais 
viendra  ton  les  chercher?  Viendra-t-on  me  cher- 
cher moi-même?  O  destinée!  6  mon  ami!  pritz 
pour  moi;  il  me  semble  que  je  n'ai  pas  mcrilé  les 
malheurs  qui  m'accablent. 

Le  courrier  n'arrivant  point,  jaî  le  temps  Ja- 
jouler  encore  quelques  mots.  Que  vous  envoyiez 
Vos  leltie?  |iar  la  France  ou  par  la  Hollande ,  cela 
est  bien  indifférent  à  la  chose;  c'est  entre  Londres 
et  Wootton  que  le  filet  est  tendu,  et  il  est  impos- 
sible c|uc  rien  en  échappe. 

Pour  être  prêt  au  moment  que  lliommc  arri- 
vera, s'il  arrive,  je  vais  cacheter  cette  lettre  avci 
le  second  chif&e.  Le  6  avril,  je  fais  partir  par  li 
post'*  une  espèce  de  duplicata  de  cette  lettre.  1 
sera  intercepté,  cela  est  sûr;  mais  peut-être  le  kilj 
scxa-t-on  passer  après  l'avoir  lu. 


AirirÉE  1767.  Sdî 

747. AU   MiMB 

A  Wootton*.  1   4  «TTÎ  1 767. 

YiynuBn**4^,  mon  cher  hôte,  m'est  parvenu, 
apc-èsiToir  été  ouvert,  et  ne  pouvait  manquer  de 
rélivparb  voie  qne  vous  avez  choisie,  puis.-fuH 
a  été  adressé  par  monsieur  votre  parent  à  M.  Co- 
lojilbies,  de  Londres,  lequel  a  pour  commis  un 
mien  cousin ,  Tâme  damnée  du  bon  David ,  et 
difrte  pour  intercepter  et  ouvrir  tout  ce  qui  m'est 
adressé  du  continent,  presque  sans  exception. 

Votre  inutile  précaution  porte  sur  cette  suppo- 
»tioii  tien  &iisse  que  nos  lettres  sont  ouvertes 
entre  Londres  et  Neuchatel;  et  point  du  tout , 
cest  entre  Londres  et  Wootton;  et,  comme  de 
foelqoe  adresse  que  vous  vous  serviez,  il  &ut 
tonjouis  qn'dUes  passent  ici  par  d'autres  maîos* 
^îanfiTarriver  dans  les  miennes,  il  sVnsuit  que, 
par  quelques  routes  quelles  viennent,  cela  est 
trés-îndîffîrent  pour  la  sûreté.  Les  précautions 
sont  telles  qall  est  impossible  qu  il  en  écbappe  au- 
cune sans  être  ouverte,  à  moins  qu  on  ne  le  veuille 
bien.  Ainsi,  la  poste  me  trahit  et  ne  saurait  me 
servir.  U  n'y  a  dan  ma  position  que  la  vue  d'un 
homme  sûr  qui  puisse  métré  utile.  Présence  ou 
nen. 

Je  £iis  des  tentatives  pour  aller  à  Londres,  je 
dontc  qu'elles  me  réussissent  ;  d  ailleurs  ce  voyage 
est  très  hasardeux^  à  cause  du  dépôt  qui  est  ici 


3o4  C0RRE5P05DA:TCE, 

dans  mes  mains,  qui  vous  apprtieut,  et  dont  Tar. 
dent  désir  de  vous  le  faire  passer  en  sûreté  fait 
tout  le  tolurment  de  ma  vie.  Le  désir  de  s  empai  er 
de  ce  dépôt  à  ma  mort,  et  peut-être  de  mon  vi- 
yant,  est  xtùe  des  principales  raisons  pourquoi  je 
suis  si  soigneusement  surveillé.  Or,  tant  que  je 
suis  ici,  il  est  en  sûreté  dans  ma  chambre;  je  suis 
presque  assuré  qull  lui  arrivera  malheur  en  route, 
sitôt  que  j'en  serai  éloigné.  Voilà ,  mon  cher  hùlc , 
ce  qui  fait  que  quand  même  je  serais  libre  de  me 
déplacer,  je  ne  m'y  exposerais  qu'avec  crainte^ 
presque  assuré  de  perdre  mon  dépôt  dans  le  trans- 
port. Que  de  tentatives  j'ai  faites  pour  le  mettre 
en  sûreté?  Mais  que  puis- je  faire  tant  que  per- 
sonne ne  vient  à  mon  secours?  Quand  vous  écri- 
vez tranquillement,  Adressez-vom  à  celui-ci  au 
à  celui-là,  c'est  comme  si  vous  m'écriviez,  Adres- 
sez-vous à  un  habitant  de  la  lune.  Mon  cher  hôte  ^ 
libre  et  maître  dans  sa  maison  à  Ncuchâtel,  par- 
lant la  langue   et  entouré  de  gens  de  bonne  vo- 
lonté, juge  de  ma  situation  par  la  sienne.  H  se 
trompe  un  peu. 

J'ai  travaillé  un  peu  k  ma  besogne  au  milieu  du 
tumulte  et  des  orages  dont  j'étais  entouré;  c'est 
mon  travail ,  ce  sont  mes  matériaux  pour  la  suit  e 
qui  me  tienneni  en  souci  ;  je  souffre  à  penser  cju^i 
faudra  que  tout  cela  périsse.  Mais ,  si  je  ne  suis  se 
couru ,  je  n'ai  qu  un  parti  à  prendre,  et  je  le  prei] 
drai  quand  je  me  sentirai  pressé,  soit  parla  mori 
«oit  par  le  danger*^  c'est  de  brûler  le  tout ,  p*\xt^ 


AlIKEE  1767.  ?o5 

que  de  le  laisser  tomber  entre  les  mains  de  mes 
ennemis.  Vous  yoilâ  averti,  mon  cher  hôte;  si 
Tonstroarez  que  fai  mieux  à  ùire^  apprenez-lcH 
moi,  mais  o  oubliez  pas  ^e  tos  lettres  seront 

TOCS. 

Je  roQS  ai  donné  avis  de  la  pension.  Je  vois 
dici,  snr  cet  avis,  tontes  les  Ëiusses  idées  qne 
TOUS  vous  &ites  sur  ma  situation  :  votre  eireor 
est  excusable ,  mais  elle  est  grande.  Si  vous  saviez 
romment,  par  <pii,  etpourqnoi  cette  pension 
m'est  venue,  vous  m'en  fièliciteriez  moins.  Vous 
me  demanderez  peut-être  un  jour  pourquoi  je  ne 
Vai  pas  refusée^  je  crois  que  j'aurai  de  quoi  Uen 
ivpoodre  à^cda. 

U  importe  de  vous  donner,  une  fois  pour  tou- 
PpSj  les  ezp&cations  contenues  dans  cette  lettrey 
qne  je  suis  pressé  deiinir.  Je  l'adresse  à  M.  Roo^ 
gcmoat,  dr  Londres,  en  qui  senl^je  puis  prendre 
confiance;  si  on  la  lui  laisse  arriver,  elle  vous  ar- 
rfrcra.  Mille  remercîmens  empressés  et  respectr 
i  la  pins  digne  des  mamans.  Recevez  ceux  de  mai- 
demoiselle  Le  Vasseur.  Je  vous  embrasse,  moE 
fil  V  hôte  ,  de  tout  mon  cœur. 

Vous  devez  comprendre  pourquM  je  ne  vous 
parie  pas  îcide  votre  ami;  Ëiites  de  même. 

248.—  A  M.  dIvebkois. 

WqoOoo,  le  6  arril  iy6%* 

Pai  reça,  mon  boAanii,  votre  dernière  lettl^ 
il  lu  le  mémoire  q|ie  vous  y  avez  joint.  Ce  m^- 

96* 


,  3oG  CORRESPONDANCE , 

;  moire  est  fait  de  main  de  maitre  ^t  ibndé  sur.  d'ex« 
icellens  principes;  il  m  Inspire  une  grande  estime      ^ 
|M)qr  son  auteur  qnel  quu  soit  :  Biais  n'élaflit  plus 
capable  d  attention  sérieuse  et  de  raisonnemens 
suivi  1 9  je  n'ose  prononcer  sur  la  balance  des  avan- 
tages respectifs  et  isur  la  solidité  de  Vouvrage  qui    .^| 
en  résultera;  ce  que  je  crois  voir  bien  clairement, 
c'^est  qu'il  vous  ollre,  dans  V0tre  position,  i'ac-      i 
compagnement  le  meilleur  et  le  plus  honoraMo     ^ 
que  vous  puissiez  espérer.  Je  voudrais ,  tant  ma 
pission  de  vous  savoir  pacifiés  est  vive  y  donner  la 
moitié  de  mon  sang  pour  apprendre  que  cet  ac- 
cord a  reçu  sa  sanction.  PeutH&tre  ne  serait-il  pas 
à  désirer  que  j'en  fusse  l'arbitre  *,  je  craindrais  qne      ' 
l'amour  de  la  paix  ne  fût  plus  fort  dans  mon  cœur 
que  celui  de  la  lU)erté.  Mes  bons  amb,  sentcr- 
vous  bien  quelle  gloire  ce  serait  pour  vous^de  part     ' 
et  d  autre ,  que  ce  saint  et  sincère  accord  fût  votre     ' 
propre  ouvrage,  sans  aucun  concours  élranger? 
Au  reste  9  nattendez  rien  ni  de  TÂngleterre  ni  de 
personne  que  <jte  vous  seuls;  vos  ressources  soxit 
toutes  dans  votre  prudence  et  dans  votre  courage  ; 
eilcs  sont  grandes,  grâces  au  ciel. 

I  J'ai  prié  M.  du  Peyrou  de  vous  donner.avis  cj]kx^ 
le  roi  m'avait  gratifié  d'une  pension.  Si  janiâîs 
nous  nous  revoyons,  je  vous  en  dirai  d:ivant5%go  ^ 
mais  mou  cœur,  qui  désire  ardemment  ce  1>ot^.! 
hc  nr,  ne  me  le  promet  plus.  Je  suis  trop  m; 
reux  en  toute  (  bose  jQur  espérer  plus  aucuKm 
l^iiilsir- en  cçltc  yie.  Âd;ei|,  mon  amî^  adieu  ^ 


17^7-  3o7 

amis.  Si  rotre  liberté  est  exposée,  voos  avez  dn 
nieins  layantage  et  la  gloire  de  pouvoir  la  défen* 
dre  et  la  rtcLuner  ouvertement.  Je  connais  des 
gens  filas  à  plaindre  que  vous.  J^  vous  emLrasse. 

'ji^  —  À  M.  ut  UiiRQUIS  OB  MiKkBEAV. 

Wootlon,  le  8  arril  1767^ 

JcdiiEiais,  monslenr,  de  vous  répondre ,  dans 
Fespoir  de  m  entretenir  avec  vous  plus  à  mon  aise 
qtund  je  serais  délivré  de  certaines  distractions 
^i^ci  graves  ;  mais  les  découvertes  que  je  fais  jour- 
a:Iieiiientsar  ma  véritable  situation  les  augmen- 
tent, et  ne  ne  laissent  plus  guère  espérer  de  les 
ro.r  finir  :  ainsi  y  qaekjue  douce  que  me  fût  votre 
c<ymsj*€fnd3iice  y  Ûy  faut  renoncer  an  moins  peut 
Qii  Umps,  â  moins  d*unc  mise  auséi  inégale  dans 
la  quantité  ^e  dans  la  valeur.  Pour  éclaircir  uxt 
proLUmc  Mngulîcr  qui  moccnpe  dans  ce  pré* 
tendu  pa^s  de  llbeité^  fe  vais  taiter,  el  bien  à 
rontrc-cQtrur^  lia  voyage  de  Londres.  Si,  conti^ 
Lion  attente ,  je  l'exécute  sans  obstacle  et  sans  ao* 
ûjicnt,  je  voofi  écriraî  delà  plus  au  long. 

V<Nu  adnvez  Richardson  :  ^.  k*  manpûs, 
^"«^nliea  vous  Taduttreriez  davantage^  si,  comme 
ra-'if  vous  étîcs  à  poHéede  corapaiter  les  tableauDi 
de  ce  grand  peintre  à  la  natu'  e;  de  voir  oomJnqQ 
^^  sitnatioQS,  tfod  paraissent  romanesques, sonl 
atttreUes;  cosubîcB  ses  porlraiCs,  qui  paraîssevt 
(Wgcs,  sooi  Trais?  Si  jeniearapporlais  uniques 


3o8  corhespokdance, 

ment  à  mes  observations,  je  croira's  même  qn*i 
n'y  a  de  vrais  que  ceux-là  ;  car  les  capitaines  Tom 
linson  me  pleavent,  et  je  n^ai  pas  aperçu  jùsqu'ic 
vestige  d  aucun  Belford;  mais  j^ai  vu  si  peu  di 
monde  y  et  Tile  est  si  granc%*,  que  cela  prouve  seu 
lement  que  je  suis  malheureux. 

Adieu,  monsieur.  Je  ne  verrai  jamais  lechâteai 
de  Trye;  et,  ce  qui  m'af&ige  encore  davantage 
selon  toute  apparence ,  je  ne  serai  jamais  à  porté 
d'en  voir  le  seigneur;  mais  je  Thonorerai  et  ché 
rirai  toute  ma  vie  :  je  me  souviendrai  toujour 
que  c'est  au  plus  fort  de  mes  misères  que  son  nobl 
cœur  m'a  fait  des  avances  d  amitié  ;  et  la  mienne 
qui  u^a  rien  de  méprisable ,  lui  est  acquise  jusqu* 
mon  dernier  soupir. 

75o. —  A  MILO&D  COMTE  DE  HaECOUBT. 

Wootton,  le  1 1  mrrl  1 7C7- 

Je  ne  puis,  milord,  que  vous  réitérer  mes  trèf 
humbles  excuses  et  remercimens  de  toutes  h 
peines  que  vous  avez  bien  voulu  prendre  en  k 
Êiveur.  Je  vous  suis  très-obligé  de  m  avoir  coi 
serve  le  portrait  du  roi  :  je  le  reverrai  souvei 
avec  grand  plaisir,  et  je  me  livre  envers  sa  m 
{esté  à  toute  la  plénitude  de  ma  roconnaissanc 
très- assuré^  qu'en  &isant  le  bien  efle  n*a  poj 
d  autre  vue  que  de  bien  &ir^.  Puisque  vous  sa-v 
au  juste  à  quoi  monte  le  produit  des  estam^ 
domt  M.  Ram^ay  a^aît  eu  l'honnêteté  do  me 


17^.  '305 

tîadeaa, TOUS  pouvez  y  horner  la  distribatlon  que 
"^ous  \oulez  bien  avoir  la  bonté  de  faire  aux  pau- 
irres,  et  remettre  le  surplus  à  M.  Davenport,  qui' 
veut  bien  se  charger  de  me  l'apporter.  Jaspire, 
milord,  au  moment  d'aller  vous  rendre  mes  ac- 
tions de  grâce  et  mes  devoirs  en  personne ,  et  il  ne 
tiendra  pas  â  moi  que  ce  ne  soit  avant  votre  dé- 
part de  Londres.  Recevez  en  attendant,  je  \o\A 
supplie  3  mtlord,  mes  très-humbles  salutations  €% 
mon  respect 

P.  S,  Je  ne  vous  parle  point  de  ma  santé ,  parce 
f]u*eUe  n'est  pas  meilleure,  et  que  ce  uVst  pas  la 
peine  d'en  parler  pour  n  avoir  que  les  mêmes 
choses  â  dire.  Celle  de  mademoiselle  Le  Vasseur, 
à  laquelle  vous  avez  la  bonté  de  vous  intéresser^ 
est  très -mauvaise,  et  il  nest  pas  Lien  étonnant 
<|u^elle  empire  de  jour  en  jour* 

70 1.  — A  M.  Dave'nport. 

UfT  maitine  de  maison ,  jnonsîenr,  est  obligé 

de  savoir  ce  qui  se  passe  dans  la  sienne,  sur* 

loul  ^  l'égard  des  étrangers  qu'il  y  reçoit.  Si  vous 

i     ignorez  ce  qui  se  passe  dans  la  vôtre  à  mon  égard 

.'     depuis  Noël,  vous  avez  tort;  si  vous  le  savez  et 

que  vous  le  souffriez ,  vous  avez  plus  grand  tort  : 

saisie  torf  ie  moins  excusable  est  d'avoir  ou- 

hlié  Yotre  promesse ,  est  d'être  allé  tranquille- 

Qieot  vous  établir  à  Davenport ,  sans  vous  em« 


3.  a  GOR&£SPOia>ANCE, 

baixassor  si  1  homme  qpi  vom  attendait  ici  sur 
votre  parole  y  éUiit  à  son  aise  ou  non.  En  voilà 
plus,  qu'il  ne  faut  pour  me  faire  prendre  mon 
parti.  Demain  y  monsieur,  je  quitte  votre  maison, 
J'y  laisse  mou  petit  équipage  et  celui  de  made^ 
moiselle  Le  Vasscur,  et  fy  laisse  le  produit  de  mcî 
estampe»  cl  livres  pour  sûreté  des  fiais  feits  poui 
ma  d^cnse  depuis  Noël.  Je  n  ignore  ni  les  em 
iLûches  cpri  m  attendent,  ni  Timpuissance  où  j^ 
suis  de  m'en  garantir;  mab,  monsieur,  jai  vécu 
il  ne  me  reste  qu'à  finir  avec  courage  une  camèri 
passée  avec  honneur.  Il  est  aisé  de  m'oppnmeï 
mais  diflScilc  de  m  avilir.  Voilà  ce  qui  me  rassor 
contre  les  dangers  que  je  vais  courir.  Recevez  oi 
rechef  nicsviis  et  sincères  remercîmens  de  la  not 
hospitalité  que  vous  m'avez  accordée.  Si  elle  ava 
fini  comme  elle  a  commence,  j'emporterais  < 
vous  un  souvenir  bien  teadre^quî  ne  sWacer^ 
jamais  de  mon  cœur.  Adieu ,  monsieur  :  je  regr< 
terai  souvent  la  demeure  que  je  quitte;  mais 
regretterai  beaucoup  davantage  d'avoir  eu  un  m 
.  si  aiipaLle,  et  de  n'en  avoir  pu  faire  Bion  anû. 

I 

733. A  M.  LZ  GÉNÉRAI,  CoîTWAT. 

Monsieur, 

'  I 

José  vous  supplier  de  vouloir  bien  prendra 
vos  affaires  le  temps  de  lire  cette  icUre,^  scK 
avec  attention.  C'est  à  votre  iu  ement  écl 


AyyLz  \yCïj  3i  i 

Cf5t  à  vote  Jflie  Siiîne  que  j'ai  a  parler.  Je  suis 
sûr  de  tnNiver  en  vous  tout  ce  qu'il  faut  pour  peser 
îïTrc  sagesse  et  avec  équité  ce  que  j'ai  à  vous  àivo. 
feu  serai  moios  sûr  si  voui  consultez  tout  autre 

«ngnore  avec  quel  projet  j'ai  été  amène  en  An- 
çkterre  :  H  j  en  a  eu  un ,  cela  esl  ccrlaîn  ;  j'en  juge 
parsoneflct, aussi  grand,  aussi  plein  qnil  auiait 
paIétre,qQaiid  ce  projet  eût  été  une  alTaire  d'étal, 
Mao  comment  le  sort,  la  réputation  d'un  piovpe 
infortuné,  poarraient-îls  jamais  faire  une  affaire 
ïiéUt?Ceslccquî  est  trop  peu  concevahle  polît 
T»  f  cuisse  m'anièter  à  pareille  supposition.  Ce- 
pendant, que  les  Sommes  les  plus  élevés ,  les  plus 
tlistingnè,  les  plus  estimables  ;  qu'une  naticaa 
tofli  en/iérc,  se  prêtent  aux  passions  d'un  parti- 
ra qui  vent  en  avilir  un  autre,  c'est  ce  qui  se 
fonçoif  cnco/e  moins.  Je  vois  l'effet  ;  la  cause  m'est 
^acMe,  et  je  me  sois  tourmenté  vainement  pour 
«pénétitr;  mais  quelle  que  soit  cette  cause,  les 
^tes  en  seront  les  mêmes:,  et  c'est  de  ces  suites 
f^  s'agît  îd  Je  laisse  le  passé  dans  son  obscu- 
file;  c  est  maintenant  l'avenir  que  j'cxaipîne, 

J  ai  (Ai  traité  dans  mon  honneur  aussi  cruelle- 
««ail  ^B  soit  possiUe  de  fétre.  Ma  diflimation 
^t  telle  en  Angleterre  que  rien,  ne  l'y  peut  relcvei 
se  mon  vivant.  Je  prévois  cependant  ce  qui  doit 
tuer  apiis  ma  mort,  par  la  seule  force  de  la  va- 
;'*  j  et  sans  qu'aucun  écrit  posthnmc  de  ma  j«rt 
ea  mélc(  mais  cela  viendra  lentement,  et  5cul> 


'3ia  coaitESPO!n)ANcfi  9 

ment  quand  les  révolutions  du  gouvernement  ai 
ront  mis  tous  les  faits  passés  en  éyidence.  Âloi 
ma  mémoire  sera  réhabilitée ,  mais  de  mon  yivaii 
je  ,ne  gagnerai  rien  à  cela. 

Vous  conccyez ,  monsieur,  cpie  cette  ignoml 
D}fi  intolérable  au  cœur  d'un  homme  dlionncii 
xeiid  au  mien  le  séjour  de  TAngletcrre  insuppoi 
table.  Mais  on  ne  veut  pas  que  j*en  sorte  -,  je  | 
sens,  j'en  ai  mille  preuves,  et  cetarrangcmen'cî 
très -naturel^  on  ne  doit  pas  me  laisser  aller  pu 
])lier  au  dehors  les  outrages  que  j'ai  reçus  dar 
l'fle ,  ni  Ja  captivité  dans  laquelle  j'aî  vécu;  od  b 
veut  p^s  non  plus  que  me»  mé.moircs'passcnt  dat 
Iç  continent  et  ailleurs  instruire  une  autre  généri 
tion  des  maux  que  m'a  fait  soufirir  ceUe-<:i.  Quai) 
je  dis  on ,  j'entends  les  premiers  auteurs  de  mi 
disgrâces  :  à  Dieu  ne  plaise  que  lldée  que  jai 
ruonsieur,  de  Totre  respectable  x:aractère  me  p^ 
ipette  jamais  de  penser  que  vous  ayez  ticpapé  dai 
le  fond  du  projet!  Vous  ne  me  connaissiez  poin 
on  vous  a  &it  croire  de  moi  beaucoup  de  chose 
rijIusFon  de  Famitié  vous  a  prévenu  pour  m^^  c' 
ncmis,  ils  ont  abusé  de  votce  bienveillance,  ^ 
ar  uine  suite  de  mon  ^malheur  ordinaire,  les  n 
)Ies  seiuimcns  de  votre  .coeur,  qui  vous  auraicj 
parlé  pour  moi  si  j'eusse  été  mieux  connu  de  vol 
QkWt  nui  par  Topinioai  qu'on  vqus  en  a  donn< 
Maintenant  le  mal  est  sans  remède;  il  est  pres(| 
«Lnpossible  que  vous  soyez  désabusé;  c'est  ce  (j 
j|e  fie  suis  pas  i  portée  de  tenter  :  et ,  daus  fen^ 


i 


imtE  1767.    *    .  3iî 

où  vous  êtes,  k  prudence  veut  <jue  vous  vous  prf-* 
liez  aoi  miesares  de  mes  ennemis. 

roserai  pourtant  vous  &ire  une  proposition 
çii,  f  crois,  doit  parler  également  à  votre  cœur 
et  k  ?Dtre  sagesse  :  la  tenihie  extrémité  où  je  suis 
réduit  es  ïàlj  je  rayoue  j  ma  seule  ressource  ;  mais 
cette  nssome  en  est  peut-être  paiement  une' 
p^or  mes  ennemb  contre  les  suites  désagréables 
<pe  peut  ayoïr  pour  eux  mon  dernier  désespoir. 

'cTeoi  sortir,  monsieur^  de  l'Ângleterte  ou  de 

I3  vie;  et  je  sens  bien  que  je  n'ai  pas  le  doîx.  Le$ 

maïKKïïvres  sinistres  que  je  voîsmannoncent  le 

sort  (jm  m'attend ,  si  je  fe;n»  seulement  de  vouloir 

ffl  cmtartjDfr.  ]  y  suis  déterminé  pourtant ,  pairce 

Çae  toutes  les  horreurs  de  la  mort  n'ont  rien  do 

f «mpaïajye  i  céUes  qui  m'environnent  Objet  de 

U  risée  et  de  lexéaation  publique ,  je  ne  me  vois 

eoviromiéquedcs  sîçnes  affreux  qui  m'annoncent 

]'^  «fatinée.  C'est  trop  souffiir^  monsieur^  et  toute 

téit&tiou  de  correspondance  m  annonce  asses 

ff ,  âtèl  que  Fargent  qui  me  reste  sera  dépensé^ 

!  Q  aï  plus  qixk  mourir.  Dans  ma  situation ,  ce 

•  '^  un  soulagement  ppur  mot  y  €t  c^édl  le  seul  dé- 

'^^u  qm  me  resté  -,  mais  f  ai  bien  Ûe  la  peiùe  k 

^ascrqne  mon  malbetir  lie  laîisc  apirès  lai  linlle 

'fct  détegiéable.  Quelque  làbileinetil  ique  laî 

^5»  ât  été  concertée,  qtfèkrae  ailroile  qu'en 

'l Texécufioir^  il  restera  des  indices  pêu^fava; 

-^les  i  Hospitalité  nationale.  Je  suis  malbeu- 

^^s^aent  trop  connu  potir  que  ma  fin  tragique 

4.  a7 


3l4  CORRESPOND  ANpE) 

OU  ma  disparition  demeurent  sans  commentaires^ 
et  quand  tant  de  complices  garderaient  le  secret ^ 
tous  mes  malheurs  précédens  mettront  trop  de 
gens  sur  la  trace  de  celui-ci  pour  que  les  ennemis 
de  mes  ennemis  (car  tout  le  moude  en  a}  n'en 
fassent  pas  quelque  jour  un  usage  qui  pourra  leur 
déplaire.  On  ne  ^it  Ju^uob  ces  choses >!à  peu- 1 
vent  aller,  ^t  Ion  n est  plus  maître  de  les  arrêter 
4iuand  une  fois  elles  marchent.  ConyeQez ,  mon- 
sieur, qu'il  j  ajuraijt  quelque  avantage  à  pouvoir 
5e  dispenser  d'eu  venir  à  cette  ei^trémité. 

Or  on  le  peut,  et  prudejnment  on  le  doit  Dai- 
gnez m  écouter.  Jusqu'à  présent  j'ai  toujours  pensé 
î  laisser  après  moi  des  ^émoire^  qui  missent  ao 
Ê^it  la  postérité  des  yrais  événemens  de  ma  vie  ; 
je  les  ai  commencés,  4éposés  fin  d autres  mains, 
et  désorixiais  abandonnés.  Ce  dernier  coup  m'a 
&it  sentir  ri]iipossi))ilité  d'exécuté  ce  dessein ,  et 
in  pn  ^  totalemen  t  ôt^  l'envie. 

Je  suis  sans  espoir^  sans  projet,  sans  désîi 
même  de  rétablir  ma  réputation  détruite  ,  parc< 
que  je  sais  qu'après  moi  cela  viendra  de  soi-même 
et  tqu  il  me  faudrait  des  eflbrts  immense^  poux  ] 
parvenir  de  mon  vivant.  Lt  découragement  m^ 
gagné;  la  doucje  amitié ,  Tamour  du  repos ,  sou\  \< 
seules  passions  qif i,me  restent,  et  je  u  aspire  qu 
finir  paisiblement  :  mes  ioyjrs  dans  le  sein  d\3 
ami.  Je  ne  vois  plus  d'autre  bonheur  pour  mol  si 
la  terre;  et,  quand  jWrais  désormais  à  choisiT, 
sacrifierais  tout  i  cet  unique. ^é^ir  (pi  m^est  res^l 


VoUk,  monsieur,  llioinme  qtn  vous  propose 
de  le  laisser  aller  en  paix,  et  qui  tous  engnge  sa 
(n^  sa  parole,  tons  les  «entimens  d'honneur  doni 
\\  fait  profession  ,  et  toutes  ces  espérances  sacrée» 
([\n  font  ici-bas  la  consolation  des  malheureux  ^ 
que  nou-seulemcnt  il  abandonne  pour  toujours  le 
pojet  décrire  sa  vîc  et  ses  mc'moircs,  mais  qu'A 
ne  lui  échappera  jamais,  ni  de  bouche,  ni  par 
écrit,  un  seul  mot  de  plainte  sur  les  malhenrs  qui 
lui  sont  arrivés  en  Angleterre  ;  qn  il  ne  parlera  ja- 
mais de  M.  Unme,  ou  qull  n'en  parlera  qu'avec 
Ixiineur;  et  que,  lorsqu'il  sera  pressé  de  s'expli- 
quer 5ur  les  pintes  indiscrètes  qui,  dans  le  fort 
de  ses  peines,  Im  soûl  quelquefois  échappées,  li 
i>  5  rejettera  sans  mystère  sur  çou  humeur  aigrie 
et  portée  à  b  défiance  et  aux  ombrages  par  des 
malheurs  continuels.  Je  pourrai  parler  de  la  sorte 
nrec  vérité,  n'arant  que  trop  d'injustes  soupçons 
à  me  reprocher  par  ce  malheureux  penchant ,  ou- 
vrage de  mes  désastres,  et  qui  maintenant  y  met 
!e  romble.  Je  m'engage  solennellement  k  ne  jamais 
é  rire  quoi  que  ce  puisse  être,  et  sous  quelque 
!  '-élexte  que  ce  soit ,  pour  être  imprimé  ou  pu- 
'  /:é,  ni  sous  mon  nom,  ni  en  anonyme,  ni  de  mon 
vivant,  ni  après  ma  mort. 

Vous  trouverez,  monsieur,  cespromcsfcsbîen 
f  rtes;  elles  ne  le  sont  pas  trop  pour  la  détresse  ob 
je  suis^y  OU5  me  demanderez  des  garans  pour  leur 
c  .écutîon  ;  cela  est  très-juste  :  les  voici*,  je  \6us 
\^\t  de  les  peser. 


3l6  CORRBSPQlfBAKCB , 

Preipièremeqt,  tpus  mes  papiers  relatift  à  l'An- 
gleterre y  sont  encore  dans  un  dépôt*  Je  les  ferai 
tous  remettre  entre  yos  mains  ^  et  j'y  en  jouterai 
quelijaes  autres  ^c&sgz  importans  qui  sont  restés 
dans  les  miennes.  Je  partirai  a  vide  et  sans  autres 
papiers  cpi'un  petit  portefeuille  al)soluraent  né- 
cessaire à  mes  affaires,  et  que  j'offre  à  visiter  (^). 

Secondement,  vops  aui^ez  cette  lettre  signée 
pour  garant  de  ma  parole^  et  de  plus^  une  autre 
déclaration  que  je  remettrai  en  partant  à  qui  vous 
me  prescrirez,  et  telle  que,  si  |'étais  capable  de 
jamais  lenfreindre  de  mon  vivant,  ou  après  ma 
mort,  cette  seule  pièce  anéantirait  tout  ce  que  je 
pourrais  dire,  en  montrant  dans  son  auteur  on 
in£tme  qui,  se  jouant  de  ses  promesses  les  plu5 
solennelles ,  ne  mérite  d^étre  écouté  sur  rien.  Ainsi 
mon  travail  détruisant  son  propre  objet  en  ren- 
drait la  peme  aussi  ridicule  que  vaine» 

En  troisième  lieu,  je  suis  prêt  à  recevoir  ton- 
jours  avec  le  même  respect  et  la  même  reconnais- 
sance la  pension  dont  il  platt  au  roi  de  m'honorer. 
Or  je  vous  demande,  monsieur,  si  bi^u  honoré 
d'une  pension  du  prince,  jetais  assez  vil,  assez 
inUme  pour  mal  parler  de  son  gouvernement,  de 
sa  nadon  et  de  sesr  sujets,  il  serait  possible  en  au-- 
cuo  temps  qu  on  m'éooutflt  sans  indignation ,  sans 
mépris  et  sans  borreur»  Monsieur,  je  me  lie  par 
les  liens  les  plus  forts  et  les  plus  indissolubles* 

{^)  J'offirt  à.  WMtcr»  Confixme  aa  telle  dcJ'éditîoD  ori^oale, 


)iinrix  X767.  Z\y 

Vous  ae  pouvez  pas  supposer  que  je  reuille  rets- 
\Xa  mon  honneur  par  des  moyens  (jui  me  len* 
draient  le  plus  vil  des  mortels. 

n  y  a^  monsieur^  un  quatrième  garant,  plus 

sûr ,  plus  sacré  que  tous  les  autres  ^  et  qui  vous  ré^ 

pond  de  mor,  c'est  mon  caractère  connu  pendant 

cinquante-six  ans.  Esclave  de  ma  fioi,  fidèle  à  ma 

parole,  si  jetais  capable  de  gloire  encore,  je  m'en 

ferais  une  illustre  et  fière  de  tenir  plus  que  je  n'àu» 

rais  promis;  mais,  plus  concentré  dans  moi-même, 

il  me  suffit  d'avoir  en  cela  la  conscience  de  mou 

devoir.  Eh!  monsieur,  pouvez-vous  penser  que* 

de  rhumeur  dont  je  suis ,  je  puisse  aimer  la  vie  en 

portant  la  bassesse  et  le  remords  dans  ma  solitude? 

Quand  la  droiture  cessera  de  m'étre  chère,  cesl 

alors  que  je  serai  vraiment  mort  au  bonheur. 

N09X,  monsieur,  Je  renonce  pour  jamais  à  tous 
.souvenirs  pénibles.  Mçs  malheurs  n'ont  rien  dW 
$ez  amusant  pour  les  rappeler  avec  plaisir;  je  suis 
assez,  heureux  si  je  suis  libre  y  et  que  je  puisse 
ren^e  mon  dernier  soupir  dans  le  sein  dun  amL 
Je  ne  vous  promets  en  ceci  que  ce  que  je  me  pro- 
.  mets  à  moi-même  y  si  je  puis  goûter  encore  queW 
ques  jciurs  de  paix  avant  ma  mort. 

Je  u  ai  parlé  jusqaici  y  monsMsur,  qu'à  votr» 

raison  :  je  n^ai  quun.  mot  maintenant  à  dire  .4 

votre  cœur.  Vous  voyez  un  malheureux  réduit  au 

<  àésespoSar^  n'atlfudant  plus  que  la  manière- de  sd 

.  demiére  heure-  Vous  pouvez  rappeler  cet  infof^ 

tuué  à  la  vie«  vQiispowez  vous,  en  rendre  le  seo^ 


3 1 8  CORRESPOITDAXCE , 

Veur,  et  du  plus  misérable  des  liommes  en  fiâre 
encore  le  plus  heureux.  Je  ne  vous  en  dirai  pas 
davantage ,  si  ce  n'est  ce  dernier  mot  qui  vaut  la 
peine  d'être  répété.  Je  vois  mon  heure  cxtn^mc 
(jui  se  prépre;  je  suis  résolu,  sHl  le  faut,  de  Tail- 
ler chercher,  et  de  périr  ou  d'être  libre  ;  il  n'y  a 
plus  de  milieu. 

753.  -—A  M.  E.  J 

CBIAUlK^tEH. 

L«'i3  mal  i76'7- 

Vous  me  parlez,  monsieur,  dans  une  langue 
littéraire  de  sujets  de  littérature,  comme  à  on 
homme  de  lettres;  vous  m^accablez  déloges  si 
pompeux  qu'ils  sont  ironiques;  et  vous  croyez 
m'cnîvrcr  d'un  pareil  encens?  Vous  vous  troro- 
pez,  monsieur,  sur  tous  ces  points  :  je  ne  suis 
po^int  homme  de  lettres  :  je  le  fus  pour  mon  mal- 
heur; depuis  long -temps  j'ai  cessé  de  Têtre;  rien 
de  ce  qui  se  rapporte  à  ce  métitn-  ne  me  convient 
plus.  Les  grands  éloges  ne  m'ont  jamais  flatté;  au^ 
jourd  hui  surtout  que  j'ai  plus  besoin  de  consola- 
tion que  d'encens,  je  les  trouve  bien  déplacés  : 
c'est  comme  si ,  quand  vous  allez  voir  un  pauvre 
'malade,  au  lieu  de  le  panser,  vous  lui  faisiez  dès 
complimens 

J'ai  livré  mes  écrits  à  la  censure  publique;  elfe 
les  traite  aussi  sévèrement  que  ma  personne  :  i  la 
bomie  heure  ;  je  ne  prétends  point  avoir  en  rai« 


mmÉE  1767.  319 

son  ;  je  sais  seulement  que  mes  intentions  étaient 
assez  droites,  assez  pures,  assez  salutaires,  pour 
dr^oir  m  obtenir  quelque  indulgence.  Mes  er- 
reurs peurent  être  grandes;  mes  sentimens  au- 
raient dà  les  racheter.  Je  crois  qu'il  y  a  beaucoup 
de  choses  sur  lesquelles  on  n^a  pas  voulu  m  en- 
tendre :  telle  est, par  exemple,  Poriginc  dn  droit 
talurcl ,  sur  laquelle  vous  me  prêtez  des  senti- 
mcDS  qui  n'ont  jamais  été  les  miens.  Ccst  ainsi 
<]^]*oû  ag^ve  mes  fautes  réelles  de  toutes  celles 
qu  on  juge  &  propos  de  m^attribuer.  Je  me  tai.> 
ccvant  \esbommes,  et  je  remets  ma  cause  entre 
les  mains  de  Dîen ,  qui  voit  mon  cœur. 

Je  ne  répondmdonc  point,  monsieur,  ni  anï 
rrprocbes que roQS mt  faites  au  nom  dautrui , ni 
31  ux  louanges  que  vous  me  donnez  de  vous- 
r!!vmev  les  uns  oc  sont  pas  plus  mérités  que  les 
jutm.  Je  ne  vous  rendrai  rien  de  pareil,  iunt 
l  iTCe  que  je  ne  vous  connais  pas  que  parce  que 
jjmc  à  iUt  simple  et  vrai  en  toutes  choses.  Vous 
*  :»iis  ililes  dûnn^ien  :  si  vou5  m'eussiez  parlé  bo- 
.  rtiqœ,  et  des  plantes  que  produit  votre  contréei 
ous  m  auiiez  fiiit  plaisir ,  et  j'en  aurais  pu  causer 
vec  Tiras  :  mais  pour  de  mes  livres,  et  de  toute 
ij  tre  espèce  de  livvvs ,  vous  mVn  parleriez  inu^ 
'lout,  parce  que  je  ne  prends  plus  d'intéiét  à 
u!  cela.  Je  ne  vous  réponds  point  en  latin,  par 
raison  ci -devant  énoncée;  il  Ae  me  reste  de 
.:te  langue  qu'autant  qn*il  en  fkut  pour  entendre 


3aO  CORRBSPONOANCB , 

le$  phrases  de  Lîmianis.  Recevez  ^  inbnsieiiri  mes 
liès-hambLes  salutatio]i&, 

754^ 1.  91  LE.  MAKQUIS  D&  MiRÀBBÀXr. 

C^Iaiè,  îè  aa  nui  i7<>7«^ 

Parrivb  ici,  monsieur,  aprc»  bien  dés  ayen^ 
tares  lùzarres,  qui  feraient  un  détail  plus  long 
qu'amusant.  Je  voudrais  de  tout  mon.  cœur  aller 
finir  mes  jours  au  châteaadé  Trye;  mais  y  pour 
entreprendre  un  pareil  établissement^  il  &udrait 
plus  de  certitude  de  sa  durée  que  vpus  ne  pouvez 
la  donner.  Je  ne  vois  pour  moi  qu  un  repos  staÙe, 
x:^est  dans  l'état  de  Venise;  et ,  malgré  lïmmensité 
du.  trajcl,  je  suis  déterminé  à  le  tenter.  Ma  situa- 
tion j  4  tous  égards  y  me  forcera  à  de&  stations  que 
je  rendrai  aussi  courtes  qu'il  me  sera  possible.  Je 
désire  ardemment  d!en^  Êiire  une  pelite  à  Parfs 
pour  vous  y  voir,  si  ]y  puis  garder  Pincognîto 
convenable ,  et  que  je  sois  assuré  que  ce  court  se* 
Jour  ne  déplaise  pas.  Permettez  que  je  vous  coq* 
suite  la  -  dessus,  résolii  de  passer  tout  droit  et  le 
pitti  p^omptement  qu'il  me  sera  possible ,  tà  Vou6 
jugez  qife  ee^  sett  le  meitleittr  parti.  Je  ne  i«005  en 
dirai  pas  davanti^eiei,  monjqeiir;imaîst)  attends 
avec  empressemeiil  de  vos  nouvelles ,  et  je  compte 
m'arrâtff  à  Amiens  pour  cela..  Aye&  la  bonfté  de 
m'y  répondre  sons  le  converti  M^^'Bartbéieoû 
Midy,  négociant.  Cette  rép<|nse  régkra  ma  maî- 
che.  Puisse-t-elle^  monsieur^  pie-  Exwr  k  l'ardent 


'A3xvi%  1767,  3at 

iésîr  qne  fai  de  Tok  et  d  embrasser  le  respectable 
ami  des  hommes  ! 

755.  — A  M.  Dv  Petrou. 

tilak,  le  M  mai  1767. 

JTaixivb  ici  transporté  de  joie  d  avoir  la  com- 
nnmicationroaYertç  et  sûre  avec  mouclier  bote, 
^  de  n  avoir  plus  l'espace  des  mers  en  lie  nous.  Je 
pars  demain  pour  Amiens,  où  j'attendrai  de  vos 
nouyelles,  sous  le  couvert  de  M.  Bartbélemi 
Mtdy,  négociant  Je  ne  vous  en  dirai  pas  davan« 
tage  auiourd'hui;  mais  je  n'ai  pas  voulu  tarder  à 
rompre ,  aussitât  qull  m'était  possible ,  le  silence 
£6rcé  que  je  garde  avec  vous  depuis  si  long-tempt. 

jS6. A  Af.  Ui  HAAQUIS  DB  MlHABEAV* 

'ÂakoÊ,  U  %  fom  1767» 

J'ai  dîffîré,  monsieur ,  de  vous  ^ire  jusqu'à 
ce  que  je  pusse  vous  marquer  le  jour  de  mon  dé- 
part et  le  lieu  de  mon  arrivée.  Je  compte  pariir 
demain,  et  arriver  après -demain  au  soir  à  Saint- 
Dems,  où  je  séjournerai  le  lendemain  vendredi 
pour  y  attendre  de  vos  nouvelles*  Je  logerai  aut 
Trois  Maillets*  Comme  on  trouve  des  fiacres  à 
Saint -Denis,  sans  prendre  la  peine  d'y  venir 
vous-même,  il  suffit  que  vous  ayez  la  bonté  d  en- 
voyer un  domestique  qui  nous  conduise  dans  ïà* 
uk  iaspûaiier  que  vous  voulez  bien  me  destiner. 


3^4  iCOBJtESPONBAirCB, 

taUe  et  chéri  un  antre;  mab  |e  suis  yemi  ^An^ 
gleterre  avec  une  résolution  qu'il  ne  m'est:  pas 
même  permis  de  changer,  puisque  je  ne- saurai 
devenir  votre  hôte  à  demeuie  sans  contracter  dea 
oMigations  qu'il  nest  pas  en  aion  pouvoir  ni 
même  en  ma  volonté  de  remplir;  et,  pour  .xé^ 
pondre  une  fois  poiu*  toutes  à  un  mot  que  toiu 
m'avez  dit  en  passant,  je  vous  lépète  et  vous  dé- 
clare que  jamais  je  ne  reprendrai  la  plume  poQi 
te  public,  sur  quelque  sujet  que  ce  puisse  étrej 
que  je  ne  ferai  ni  ne  .laisserai  rien  imprimer  de 
moi  avant  ma  mort,  même  de  ce  qui  reste  encore 
en  manuscrit;  que  je  ne  puis  ni  ne  veux  rien  lire 
désormais  de  ce  qui  pourrait  réveiller  mes  Idéei 
éteintes,  ps  même  vos  propres  écrits;  que  dès  à 
présent  je  suis  mort  à  toute  littérature,  sur  quet 
que  sujet  que  ce  puisse  être ,  et  que  jamais  rien  ne 
me  fera  changer  de  résolution  sur  ce  point.  Je  suii 
assurément  pénétré  pom*  vous  de  reconnaissance . 
m^is  iton  pas  jusqu'à  vouloir  ni  pouvoir  me  ttrei 
de  mon  anéantissement  mental.  N  attendez  riec 
de  moiy  â  moins  que,  pour  mes  péchés ,  je  ne  de- 
vienne empereur  ou  rpi;  encore  cç  que  |e  leraj 
dans  ce  cas  sera-t-il  moins  poiu*  vous  que  pont 
mes  peuples  y  puisque  en  pareil  cas^  quand  je  m 
vpus  devrais  nen,  je  ne  le  ferais  pas  moins. 

En  outre,  quoi  que  vous  puissiez  faire ,  au  Bi 
gnon  je  serais-chéz  vous,  et  je  ne  puis  jêtre  4  moi 
tiseque'chez  moi;  je  serais  dans  le  ressort  du  pax^ 
kment  de  PariSy  qui^  par  raison  de  conveuanœ 


jMiit  y  an  Booieiit  qa'oa  y  pensera  le  moins ,  faira 
vue  excursioa  nouvelle  in  animd  vili  :  je  ne  yea 
pas  le  faiâser  exposé  à  la  tentation. 

Jlraîs  pooitant  voir  Totre  terre  avec  gian4 
(4aisir  si  ceb  ne^sait  paa  on  détour  inutUe,  et 
si  je  ne  fraignais  on  peu^  cpiand  j'y  serais ,  d'avoir 
h  tentation  d'y  rester  :  là -dessus  toutefois  yotre 
folontésoit&îte;  je  ne  résisterai  jaipais  au  bien 
que  toos  vondreas  me  £iire|  quand  je  le  sentirai 
ooiifiurme  à  mon  bien  réel  ou  de  £intâisie  ;-  car 
pour  moi  c'est  tout  un.  Ce  que  je  crains  n'est  pas 
de  vous  être  oUigé,  mais  de  vous  éti-e  inutile. 

Je  SUIS  très-surpris  et  très  en  peine  de  ne  reœ* 

voir  aucune  nouTdk  d'Angleterre,  et  surtout  de 

Saisêej  dent  jpen  attends  avec  inquiétude.  Ce  re* 

tard  me  o^t  dans  ie  cas  de  Êire  à  vous  et  A  moi  le 

plaisD'  de  rester  ici  jusqu'à  ce  que  j'en  aie  reçu,  et 

par  conséquent  celui  de  vous  y  embrasser  quel- 

queins  encore,  sachant  que  les  œuvres  de  miséij* 

corde  piUsent  à  votre  cœur.  Je  remets  donc  k  ceg 

doax  mcimens  ce  qu'il  me  reste  à  vous  dire,  et 

RotOHt  1  vous  remercier  du  bien  que  vous  m'avez 

procisré  dimanche  au  soir,  et  que  par  la  manière 

dont  je  Tai  senti  je  mérite  davoîr  encore.  FaUf 

€tm€aM9UU 

^o.  —  A  M.  nv  PsTmov. 

Jb  ttçMj  mon  cher  h4te,  votre  n^  46;  je. n'ai 
pont  reçu  les  trcns  précédens.  Je  veux  supposer^ 

s8 


3'j.6  COKRBSPOITDAfrcB, 

|;our  ma  consolation^  que  la  goutte  n^est  po^nt 
i^enue ,  et  que ,  selon  vos  arrangemens ,  vous  sirri- 
verez  aujourdhui  ou  demain  à  Paris.  CcLi  étant, 
qllez ,  e  vous  snpplie,  au  Luxembourg  voir  N.  le 
marquis  de  Mirabeau  ;  vous  saurez  par  lui  de  mrs 
nouvelles.  Il  n'est  prévenu  de  rien,  parce  que  je  ' 
ne  1  ai  pas  vu  depuis  la  réception  de  Totre  lettrt-, 
mais  il  suffira  de  vous  nommer.  Ne  sachant  si   ' 
cette  lettre  vous  parviendra,  je  n en  dirai  pas  id 
davantage.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur»     ' 
Si  jyiiT  hasard  M.  le  marquis  de  jVCraheau  n'é-  * 
tait  pas  chez  lui,  demandez  M.  Garçon ,  son  so-  ' 
crétaire.  ' 

^{)I« ▲  AL  LE  MARQUIS  DE  MiRABEAV* 

Ce  FexKlredi,  19  jum  i^j. 

Je  lirai  votre  U^tc  ,  puisque  vous  le  voules  ;  en- 
suite j'aurai  à  vous  remercier  de  Tavoir  lu  :  nuôs 
3  ne  résultera  rien  de  plus  de  cette  lecture  que  la 
confirm:}tiou  des  sentimrns  que  vous  m'aves  mv 
pires,  et  de  mon  admiration  pour  votre  grand  et 
{)rofond  génie,  ce  que  je  me  permets  de  toi^  due 
en  pissaat  et  seulement  une  fois.  Je  ne  vous  ré- 
ponds pas  môme  de  vous  suivre  toujours,  parce 
quil  ma  toujours  été  pénible  de  penser,  fatigant 
de  suivre  les  pensées  des  auti*es,  et  qu'à  présenl 
je  ne  le  puis  pliis  du  tout.  Je  ne  vous  remercia 
point,  mais  je  sors  de  votre  maison  fier  d^y  avo^ 
été  admis,  et  plus  désireux  que  jamais  de  cou 


ï  7C7.  3'*7 

server  les  bontés  et  Tamitié  du  maître.  Du  reste, 
quekpe  mal  que  vous  pensiez  de  la  sei.sikilîtM 
prise  pour  toate  nourriture ,  c  est  Tuaicpie  qui 
m^esl  restée;  je  ne  vis  plus  que  {>ar  le  cœur.  Je 
?t  axToas  aimer  aataut  que  je  vous  respecte  :  c'est 
be^ncocp;  mais  voilà  tout;  n attendez  ^amais  de 
moi  rien  de  plus.  J'emporterai  si  je  puis  votie  liyn? 
déplantes;  sil  mcmljarrasse  trop,  je  le  laisserai, 
dinsfespoir  de  revenir  qu^'Ique  jour  le  lire  plus  & 
BMm  aise.  Adieu,  mon  cher  et  respectable  bote;  je 
pats  plein  de  vous,  el  content  de  moi,  puisque 
\eiDpoc\ie  votre  estime  et  votre  amitié. 

76a.  —  ▲  M.  DU  Peteou* 

'àntlAieaa  de  Trye,  le  ai  )uûi  17^* 

i^uuLivs  béQreu$ement,  mon  cher  hôte,  avec 
M.  Coindet,  qui  vous  rendra  compte  de  l'état  des 
c&oses.  Xespere,  les  premiers  embarras  levés,  pou- 
voir couler  ici  des  jours  assez  tranquilles,  sous  la 
f  niCectioD  du  grand  prince  qui  medonne  cet  asile. 
Donnez-m'y  souvent  de  vos  nouvelles,  cher  ami; 
vmis  savez  combien  elles  sont  nécessaires  à  mon 
Unheor.  Vous  pouvez  remettre  vos  lettres  à 
M.  Coiodet ,  ou  k*s  Êiire  mettre  à  la  poste  sous 
CHU'  adresse  :  A  M.  Manoury ,  lieutenant  des 
chasses  de  M.  le  prince  de  Conti,  pour  remettre 
i  3/.  Renou,  au  château  de  Trye,  par  Gisors. 
Ouand  vous  aurez  quelque  paquet  à  me  &ire  te- 
uvTy  il  y  a  un  carros9e  de  Gisors  (jui  va  à  PartSr 


3a6  coRRBSPOifVAircfi, 

loti5  les  mercredis ,  et  revient  tous  les  samedis  : 
mais  je  ne  sais  pas  oii  en  est  le  bureau  à  Paris; 
cela  n'est  pas  difficile  k  Crouyer;  il  fiint  se  servir 
par  le  carrosse  de  la  même  adresse.  M.  Coindet 
Ta  partir,  je  suis  très-pessé;  je  finis  en  vous  em- 
brassant de  tout  mon  cœur. 

763.  -^A  M^  LE  MABQtns  DS  MuABEAIT. 

t^e-le^âtetiH  ^  le  a4 J^iîn  i  ^6^ 

J'BSPiRAXs,  monsieur,  vous  rendre  comptB  un 
peu  en  détail  de  oe  qui  regarde  mon  anivée  et 
mon  habitation  ;  mais  une  douleur  fort  vive  qui 
me  tient  depuis  bier  i  la  jointure  du^ poignet  me 
donne  à  tenir  la  plume  une  diffi^colté  qui  me  force 
d'abréger.  Le  cbftteau  est  vieux ,  le  pays  est  agréa- 
Ue,  et  j'y  suis  dans  un  hospice  qui  ne  me  laisse- 
rait rien  à  regretter,  si  je  uel^ortais  pas  de  Fleury. 
Jar  apporté  votre  livre  de  plantes  domf  ^aurai 
grand  soin  ;  )'ai  apporté  vo^re  Philosophie  rurale^ 
que  f  ai  essayé  de  lire  et  de  suivre  sans  pouvoir  en 
venir  à  bout  i  j'y  reviendrai  toutefois.  Je  réponds 
de  la  bonne  volonté,  mais  non  pas  du  succès.  Td}. 
aussi  apporté  la  clef  du  parc  ;  }'étais  en  train  d'em- 
porter toute  la  maison  ;  je  vous  renverrai  cette  clef 
par  la  première  occasion.  Je  vous  prie  de  me  gar- 
der le  secret  sur  mon  asile;  M.  le  prince  de  Conti 
le  désife  ainsi,  et  je  m'y  suis  engagé.  Le  nom  de 
Jacques  ne  lui  ayant  pas  plu ,  j^  ai  substitué  celui 
jue  Je  signe  ici,  et  sous  lequel  j'espère  y  monsieur, 


recevoir  de  vos  nouyeUes  à  Yaânsie  0aivante« 
Kgtèez,  monneor,  mes  saliitalioii5  tr^hnmUeSé 
le  TOUS  léy ère  et  yous  emlirasse  de  tout  mon  coeur* 

Rekov. 

^64- A  MILOED  HaRCOUKT. 

Le  10  juillet  ijCy, 

Je  reçois  seulement  eo  ce  moment,  mîlOTd^  la 
lettre  que  yous  m'ayez  fait  rhonneur  de  m'écrire 
le  7  mai ,  et  le  billet  que  yous  m'ayez  enyoyé  sous 
la  même  date.  En  you5  remerdant  de  Tune  et  de 
l'autre ,  et  eu  yous  réitérant  mes  trés-humbics  ez« 
cuses  de  la  peine  que  yous  ayez  bien  youlu  pren- 
dre  en  nta  niyeur,  permettez  qu  étant  éloigné  de 
yoQS  je  prenne  ia  liberté  de  me  recommander  & 
tlionneur  de  yptre  souyenir,  de  yous  assurer  que 
yo6  bontés  ne  sortiront  point  de  ma  mémoire,  et 
de  yous  renouveler  les  protestations  de  ma  recon^ 
naissance  et  de  mon  respecta 

Je  yous  demande  la  peimission ,  milordT,  de  rur 
point  dater,  quant  &  pré^nt ,  du  lieu  de  ma  re-' 
traite  ;  et  de  ne  plus  signer  unr  nom  sous  lequel 
)^ai  yécu  si  maffieoreuiir  Vous  ne  tarderer  pas 
d'étreinsCrait  de  celui  que  f  ai  pris ,  et  sous  fequel 
je  yous  rendiaf  désormais  mes  hommages  ^siyoïis  ' 
me  permettez  de  yous  les  renouyeler  quelquefeij^- 
Si  yôas  m'h<Miores  d!ime  léponse,  IL  Watdet  9$t 
ifortéedc  me  k  fiiire  passer. 


Z3o  COKRESPOIlDAXrCB, 

765»  — *  A  M.  0v  Peyrov» 

Le  aa  juillet  ^'i&y. 

Je  sais,  mon  cher  h6te,  Jans  les  plus  grandes 
alarmes  de  nWoir  aacune  nouvelle  de  voos  de- 
puis Totre  départ.  Si  vous  m'avez  écrit,  il  faut 
^e  vos  lettres  se  soient  dévoyées  ^  et  je  n'imagine 
que  la  goutte  <jui  ait  pu  vous  empêcher  d'écrire. 
Cette  idée  me  fait' frémir,  en  pensant  à  ce  que 
cVst  que  d'être  pris  de  la  goutte  hors  de  chez  soi , 
et  peut-être  même  en  route  dans  un  cabaret.  Ah! 
cher  ami  !  si  je  le  croyais  bien ,  si  je  savais  où  y  rien 
ne  m  empêcherait  d'aller  vous  y  joindre;  votre  si- 
lence me  tient  dans  une  angoisse  d'autant  plus 
cruelle  que,  dans  le  doute,  je  mets  toujours  les 
choses  au  pis.  De  grîlce,sî  ma  lettre  vous  parvient, 
en  quelque  état  que  vous  soyez ,  faites-moi  écrire 
un  mot^  faites-le  écrire  à  double,  lun  où  je  suis, 
directement  à  mon  adresse  que  vous  savez  ^  et 
lautre  à  l'adresse  de  M.  Coindet,  que  vous  saxei 
aussi.  Il  est  étonnant  que  je  ne  sache  ou  que  je  ne 
me  rappelle  pas  votre  nom  de  baptême  :  cela  nie 
lient  en  quelque  emkirras  pour  vous  distingue.T , 
en  écrivant  à  M.  du  Peyron  d'Amsterdam  ,  à  qui 
j  adresse  cette  lettre.  Je  n'ai  pas  le  courage  de  voui 
parler  de  moi  jusqu  à  ce  que  j'aie  de  vos  nouTelle^ 
Donnez -m'en,  je  vous  conjure,  le  plus  xAt  qi| 
vous  pourrez.  Adieu,  mon  cher  hôte  :  puisse  ] 


Aursii  1767.  33 1 

Provkleiice  tous  conduire  et  vous  ramener  heu- 
KQsaneotJ 

7G6.  —  A  M.  L£  MARQUIS  DE  MlBABEAU. 

Trye ,  le  a6  juillet  1767. 

TÀVEAisiû ,  monsîenr,  VOUS  écrire  en  recevant 

Totre  dernier  billet  ;  mais  j'ai  mieux  aime  tarder 

(pelles  jom?  encore  k  réparer  ma  négligence, 

el  pouvoir  vons  parler  en  même  temps  du  livre  (  ?  ) 

^e  TOUS  m'iivez  envoyé.  Dans  rinipossibilité  de 

le  lire  tout  entier,  j'ai  chobi  les  chapitres  oli  lau- 

ttur  casse  les  vitres,  et  <pii  m  ont  paru  les  pi  ils 

importans.  Cette  lecture  m'a  moins  satislàit  qu^ 

je  ne  m'j  attendais;  et  je  sens  que  les  traces  de 

mes  rie'dks  idées ^  racornies  dans  mon  cerveau , 

ne  penoefteot  p'us  à  des  idées  si  nouvelles  d  j 

(aire  de  fortes  impressions.  Je  n  ai  jamais  pu  Lieu 

entendre  ce  que  c'était  que  cette  évidence  qui  sert 

de  Iiase  an  despotisme  légal  ^  et  rien  ne  m'a  paru 

iBoîns  évident  que  le  chapitre  qui  traite  de  toutes 

CCS  évidences.  Ceci  ressemble  assez  au  système  de 

i  oWié  de  Saint- Pierre,  qu!  prétendait  que  la  raison 

buiuaine  allait  toujours  en  se  perfectionnant,  aU 

Urniu  que  chaque  siècle  ajoute  ses  lumières  â  celles 

As  siècles  prc'ccdens.  Il  ne  voyait  pas  que  reh- 

tciiiii  mrnt  humain  n^a  toujours  qu  nue  même  me^ 

(  0  VOràrt  natm-tt  et  ttftniid  des  Société»  politiques  (17  O7» 
ti4*<oas  ^^  ti»-i3),p«rAIercaKr^Lalliirt^ey  Binseii  îli^ 
k 


33a  coERBSPOirDÀircE, 

sure  et  très-étroite,  qu'il  perd  d'un  cbié  tout  au- 
tant qu'il  gagne  de  1  autre,  et  que  des  j»^jugés 
toujours  renaissans  nous  6tent  autant  de  lumières 
acquises  que  la  raison  cultivée  en  peut  remplacer.. 
Il  me  semble  que  Tévideuce  ne  peut  jamais  être 
dans  les  lois  naturelles  et  politiques  qu'en  les  con- 
sidérant par  abstraction.  Dans  un  gouyernement 
particulier  j  que  tant  d  elémens  divers  composent, 
cette  évidence  disparaît  nécessairement.  Car  la 
science  du  gouvernement  n'est  quWe  science  de 
combinaisons,  d'applications  et  d'exceptions,  se- 
lon les  temps,  les  Deux,  les  circonstances.  Jamais 
le  public  ne  put  voir  avec  évidence  les  rapports 
et  le  jeu  de  tout  cela.  Et,  de  grâce,  qu'arrivera- 
t-il?que  deviendront  vos  droiCs  sacrés  de  propriété 
dans  de  grands  dangers,  dans  des  calamités  ex- 
traordinaires, quand  vos  valeurs  disponibles  ne 
suffiront  plus,  et  que  le  salus  populi  suprema  lex 
esta  sera  prononcé  par  le  despote! 

Mais  supposons  toute  cette  théorie  des  lois  na^^ 
fnrelles  toujours  parfaitement  évidente,  même 
dans  ses  applications  ,^et  d'une  clarté  qui  se  pro- 
portionne i  tous  ks  yeux;  comment  des  philo- 
sophes qui  connaissent  le  cœur  humain  peuvent- 
ik  donner  à  cette  évidence  tant  d'autorité  sur  les 
actions  des  homiuesT  comme- sUs  ignoraient  que 
chacun  se  conduit  très-rarement  par  ses  lumières 
e%  très-firéquemmenr  pr  ses  passions..  On  prouve 
./{ue  le  plus  véritable  in  téfêt  du  despote  est  de  gon» 
ferner  légalement|  cela  est  recçniw  dans  tons  lo 


▲imiB  1767.  333 

temps;  maïs  gai  est-ce  qui  se  conclait  stir  ses  plitf 
nais  înlérêfs?  le  sage  seiol^  s  11  existe.  Vous  Élites 
donc,  messiearSy  de  Tos  despotes  autant  de  sages. 
Presque  Ions  les  hommes  connaissent  leurs  vrais 
intàïts ,  et  ne  les  suirent  pas  mieux  poAc  cela. 
Le  prodigoe  qui  oiangë  ses  capitaux  sait  parfaite- 
ment qo'il  se  ruine,  et  n^en  va  pas  moins  soa 
train  :  de  <pioi  sert  que  la  raison'  nous  édaÎNi 
quand  la  passion  nous  conduit? 

Viieo  aidtora  frobo4pitg 


Vmlà  ce  que  &ra  votre  despote^  ambitîeuor^ 

prodigue,  avaxe,  amoureux^,  vindteatif  ^  jalooix, 

£iîj]le;  car  c'est  aina  qu'ib  font  tous ,  et  que  nous 

îaÀsons  tons.  Messieurs,  permettez-moi  de  vâns  le 

dire,  vous  donnez  trop  de  force  i  vos  calcula,  el 

pas  assez  aux  penchans  du  cœur  humain  et  ao 

ji  u  des  passions.  Votre  système  est  trë^boti  pour 

le^  «ens  de  IX'to^^Ie-^  il  ne  vaut  rien  pour  les  eifc^ 

Lxks  d'Adam* 

Voici^  dans  mes  vieilles  idées,  le  grand  pro» 
hléme  en  politique, que  jç  compare  à  celui  de  la 
quaidratnie  du  cerde  en  géométrie ,  et  à  cdui  des 
ioogitndes  en  astronomie  ;  rroKc^er  une  forme 
de  pcmi^emement  qid  mette  la  loi  au-dessus  de 
l'homme» 

Si  eetie  forme  est  trouvaUe,  cherchons-la  et 
tichoBS  de  rétablir.  Vous  prétendez  j,  messieurs, 
troorer  cette  loi  dominante  dans  ^évidence  des 


334  GORREf'POVBÂNCE, 

autres.  Voos  prouvez  trop;  car  cette  criileuce  a 
dû  être  dans  tous  les  gouvememens,  ou  ae  sera 
jamais  dans  aucun. 

Si  malheureusement  cette  forme  n^est  pas  trou* 
vable,  et  j'avoue  ingénument  que  je  crois  qu'elle 
ne  Test  pas  j  mon  avis  est  qull  &ut  passer  à  l'autre 
extrémité^  et  mettre  tout  d'un  coup  Thomme  au- 
tant au-dessus  de  la  loi  qu'il  peut  létre,  par  con- 
séquent établir  le  despotisme  arbitraire  et  le  plus 
arbitraire  qu'il  est  possible  :  je  voudrais  que  le 
despote  pût  être  dieu.  En  un  mot,  je  ne  vois  point 
de  milieu  supporta])le  eutri*  la  plus  austère  démo- 
cratie et  le  bobbisme  le  plus  parfait  :  car  le  conflit 
des  hommes  et  des  lois,  qui  met  dans  l'état  une 
guerre  intestine  continuelle ,  est  le  pire  de  tous  les 
états  politiques. 

Mais  les  Caligùla,  les  Néron,  les  Tibère!..... 
Mon  Dieul...  je  me  roule  par  terre ,  et  je  gémis 
d  être  homme. 

Je  n  ai  pas  entendu  tout  ce  que  vous  avez  dit 
des  lois  dans  votre  livre,  ce  qu'en  dit  l'auteur 
nouveau  dans  le  sien.  Je  trouve  qu'il  traite  un  peu 
légèrement  des  diverses  formes  de  gouvememeut , 
bien  légèrement  surtout  des  suffirages.  Ce  qu'il  a 
dit  des  vices  du  despotisme  électif  est  très-vrai, 
ces  vices  sont  teiribles.  Ceux  du  despotisme  héré- 
ditaire, qu'il  n  a  pas  dit,  le  sont  encore  plus. 

Voici  ttu  second  problème  qui  depuis  long-» 
temps  ma  roulé  dans  lesprit  : 

Trouver  dans  le  despotisme  arbitraire  une 


forme  de  succession  qui  ne  soit  ni  étectiue  ni  hé- 
réditaire ,  ou  plutôt  qui  soit  à  la  fois  lune  et  Vau' 
tre,et  par  laquelle  on  s'assure,  autant  quil  est 
possible,  de  n'avoir  ni  des  Tibère  ni  des  Néron* 
Si.  jamais  j'ai  le  malheur  de  m'occuper  dt^re- 
clicf  de  cette  foBe  idée ,  je  vous  r«*procli#»rai  toute 
ma  yie  de  m*aToIr  ôf é  de  mon  rAtelier.  J'espère 
que  cela  n'arrivera  pas;  mais,  monsieur,  quoi 
qu^  arrive,  ne  me  parlez  plus  de  votre  despo- 
tisme légal.  Je  ne  saurais  le  goûter  ni  même  IVn- 
tendre;  et  je  ne  vois  là  que  deux  mots  contradic- 
toires, qui  rcunis  ne  signifient  rien  pour  moi. 

Je  connais  d'autant  moins  votre  principe  de 
population ,  qu'il  me  parait  inexplicable  en  hii- 
même,  contradictoire  avec  les  faits,  impossible  A 
concilier  avec  J  orîgîce  des  nations.  Selon  vonS| 
monsieur,  la  population  multiplicative  n'aurait 
dû  commencer  que  quand  elle  a  cessé  rëellemeni. 
Dans  mes  vieilles  idées,  sitôt  qull  y  a  eu  pour  un 
son  de  ce  que  vous  appelez  richesse  ou  valeur  dis- 
ponible ,  sitôt  que  s'est  fait  le  premier  échange,  la 
population  multiplicative  a  dÙ  cesser;  c^est  aussi 
ce  qui  est  arrivé. 

Votre  système  économique  est  admirable.  Bien 
n^est  plus  profond,  plus  vrai^  mieul  vu,  pins 
utile,  n  est  plein  de  grandes  et  sublimes  véiîtës 
qui  transportent.  II  s'étend  à  tout  :  le  champ  est 
vaste;  mais  jài  peur  qu  il  n'aboutisse  à  àc»  pays 
lien  différcns  de  ceux  oh  vous  prétendiez  aller. 
fai  voulu  vous  marquer  mon  obéissance  en 


Tons  montiant  que  Je  tous  avais  da  moins  pso^ 
couru.  Maintenant  j  illustre  ami  des  hommes  et  la 
mien ,  je  me  prosterne  à  vos  pieds  ponr  vous  con* 
jurer  d'avoir  pitié  de  mon  état  et.de  mi^  malhean, 
de  laisser  en  paix  ma  mourante  tête,  de  n'y  plus 
jréveiller  ^es  idées  presque  éteintes,  et  qui  ne  p^n- 
yeat  renaître  que  pojùjr  ^nlabimer  dans  de  non- 
yeaux  gouBSres  de  ;Qaux«  Aimez -.moi  toujoivs, 
.mais  ue  ^n'envoyez  plus  de  liyres,  n^exi^ez  pins 
que  j'en  lise  ;  ne  tcntetz  pas  m$n).e  de  m^éclairer  si 
je  m'égare  :  il  n'^st  plus  temps.  On  ne  se  cooTertit 
point  sincèrement  à  mon  Age.  Je  puis  me  trom* 
per  y  et  vous  pouvez  me  convaincre  y  mais  non  pas 
me  pers^ader^  D  aillejurs^  je  ne  dii^ute  jamais; 
J^aime  mieux  céder  et  me  Jtaire  :  trouvez  boa  qœ 
je  m'en  tienne  à  cette  résolutipn.  Je  vous  em- 
brasse 4e  la  plus  tendrje  amîfié  et  avec.  le  jplusTi^ 
resjpect,! 

Si,  commç  je  respère.  ;non  Jrès-jcher  h4te| 
vous  ^yez  reçu  ma  lettre  précédente^  vous  y  a^* 
rpz  vu  combien  jW.ais  bssoi;i}  4e  Ja  yôtre  du  20 
pour  me  tranquîliser  sur  votre  voyage.  Grâce  à 
Dieu,  vous  voilà  arrivé  exempt  Âe  goutte;  et, 
quand  même  elle  yous  prendrait  pîl  yous  êtes,  ce 
qui,  je  ][nfi  flatte,  n arrivera  pas,  f en  serais  mo'm5 
effirayé  que^e  vous  savoir  arrêté  en  route  dansun^ 
auberge,  malbeur  que  j'ai  craint  dans  ces  circons* 


AKirÉ3  1767.  33y 

lances  par-dessus  tout.  Si  votre  vie  ambulante  de 
Gietle  auuée  pouvait,  pour  cette  fois,  vous  exemp- 
ter de  la  goutte,  je  ne  désespérerais  pas  qu^avcc 
vos  précautions  et  la  botanique  vous  n'en  fussiez 
peut-être  délivré  toutrà-£iit.  Ainsi  soit^ill 

Je  ne  vous  dirai  pas  ce  qui  s^est  passé  ici  de- 
puis votre  départ;  peut- être  cela  changera-t-il 
avant  votre  retour.  Son  altesse,  qui  màlbeureuse- 
meut  a  bit  un  voyage ,  doit  revenir  dans  peu  de 
jours. 

J'écris,  comme  vous  le  désirez,  à  Douvres; 
mais  \e  tire  un  mauvais  augure,  pour  le  sort  des 
lettres^e-cbange,  de  ce  que  votre  lettre  ne  vous 
a  pas  été  renvoyée.  S*,  vous  m'eussiez  consulté 
quand  vous  la  fites  partir,  je  vous  aurais  conseillé 
d'attendre  une  autre  occasion.  J'eqpère  que  vous 
aurez  été  pins  henrenx  à  retirer  lopéra. 

Je  suis  encore  incertain. sur  la  meilleure  voie 
pour  avoir  recours  a  vos  banquiers,  cW-i-dire 
sur  le  meilleur  nom  à  prendre.  Comme  cela  ne 
presse  point  du  tout,  nous  aurons  le  temps  d'en 
délibérer.  S'il  ne  vous  était  pas  incommode  de 
vous  charger  vous-même  du  semestre  échu  quand 
vous  viendrez  me  voir,  cela  ferait  que,  n'ayant 
rien  à  recevoir  d'eux  jusqu'à  Tannée  prochaine, 
j  aurab  tout  le  temps  de  pmser  aux  meilleurs  ar- 
tangemms  pour  cela,  En  attendant ,  il  est  à  croit** 
que  l'affaire  de  la  pension  sera  détermmée  de  ma^ 
fiière  ou  d  autre;  elle  ne  Test  pas  jusqu'ici. 

Je  comprends  que  celle  de  vos  afiaires  ^ue 

C«rrc»poailaB7«.    4*  •  '9 


338  COIlRSSPoirDANCEy 

vous  styez  tenhinée  la  première  où  vous  êtes  ^ 
celle  d'autrui,  et  je  vous  reconnais  hien  là.  Ti 
chez  y  cher  ami^  d'arranger  si  solidement  les  T< 
très  que  voua  n^ayez  pas  souYent  de  pareils  voyi 
ges  à  faire.  Il  vaut  encore  mieux  s'aller  pronieni 
au  creux  du  vent  par  la  pluie  ^  qu'en  Hollande  p; 
le  beau  temps. 

Je  n'ai  ici  ni  carfce,  ni  li^Vesyni  instmctioni 
pour  votre  route;  mais  je  suis  très^sâr  que  toi 
pouvez  venir  ici  en  droiture  sans  avoir  besoin  c 
passer  par  Paris.  Je  crois  que  Beauvaiis  nVst  p^ 
fort  éloigné  de  votre  route  -,  il  y  en  a  une  de  Bciii 
vais  à  GisorSy  et  la  dbtance  de  ces  deux  vill< 
n'est  que  de  six  lieues;  les  mêmes  chevaux  i 
poste  les  font  9  à  ce  qu  on  m'a  dit.  Ce  château  ei 
sur  la  même  route ,  ou  du  moins  très-près  ci  set 
iement  à  demi4teue  de  Gisors.  Vous  pouvez  aist 
ment  vous  arranger  pour  y  venir  mettre  pied 
lerre  ,*  et  vous  enverrez  votre  voiture  et  vos  gens 
Gisors. 

Je  vous  prie  de  dire  pour  moi  mille  choses 
monsieur  et  madame  Rey.  Voyez  aussi,  de  gràci 
ma  petite  filleule  ;  embrassez-la  de  ma  part.  Je  si 
rais  bien  aise  d'avoir  à  votre  retour  quelques  di 
tails  sur  la  figure  et  le  caractère  de  cette  chère  cl 
faut;  elle  a  cinq  ans  passés;  on  doit  commend 
d'y  voir  quelque  chose. 

Jattends  de  vos  nouvelles  avec  la  plus  vil 
impatie.nce;  instruisez-moi  le  plus  t6t  que  vol 
pourrez  du  temps  de  votre  départ,  et,  s^il  se  peti 


K. 


AVfféz  17G7.  339 

de  celui  de  Votre  anriTée.  Cette  idée  me  fiiit  d  a- 

Tance  tressaillir  de  joie.  Ma  sœur  vous  baise  les 

maÎDS  ^  et  partage  mon  empressement.  Adic^u , 

mon  clier  hôte,  je  tous  embrasse  de  tout  mou 

Qxnr. 

Ne  pouniez-YOus  point  trony^r  où  tous  êtes 
YAgrasîographia ,  ou  Trotté  des  Gramen  de 
Schenzer?  Il  est  impossible  de  Tavoir  à  Paris.  Si 
?oas  pouviez  aussi  trouver  la  Méthode  de  Lud- 
ivig,  on  quelque  autre  bon  livre  de  botanique , 
vous  me  feriez  grand  plaisir.  Les  miens  sont  en 
Angleterre  avec  mes  guenilles,  et  1  on  ne  se  pressa 
pas  de  me  les  renvoyer. 

768.  —  A  M.  Graïtville» 

De  Fnnce,  k  i*'  août  i7(>7* 

Si  j'avais  eu,  monsieur^  l'honneur  de  vous 
écrire  autant  de  fois  que  je  l'ai  résolu ,  vous  auriez 
été  accablé  de  mes  lettres^  mais. les  tracas  dune 
vie  ambulante ,  et  ceux  d'uae  multitude  de  surve« 
nans  ont  absorbé  tout  mon  temps,  jusqujà  ce  qua 
je  sois  parvenu  à  obtenir  un  asile  un  peu  plus 
tranquille.  Quelque  agréable  qu^l  soit,  j'y  sens 
souvent,  monsieur,  la  privation  de  votre  voisi* 
nage  et  de  rotre  société,  et  j'en  remplis  souvent 
)a  solilade  dn  souvenir  dé  vos  bont^  pQur  moi. 
Peu  s'en  est  iàllo,  que  je.  M  aniîs  retourné  jouir  de 
tout  cela  chez  mon  anckn  et  aimable  hâte;  mais 
EJére  doiol.' vos  papiers  puUics.  ont  parlé  do 


^O  CORRESPONDANCE  y 

ma  retraite  m'a  déterminé  à  la  Étire  entière,  et  a 
exécuter  un  projet  dont  vous  avez  et  '^  le  premier 
confident.  Je  vous  disais  alors  qu^en  quelque  lieu 
que  je  fusse  je  ne  vous  oublierais  jamais  ;  j'ajoute 
maintenant  qu'à  ce  souvenir  si  bien  dû  se  joindra 
toute  ma  vie  le  regret  de  Tentretenir  de  si  loin. 

Permettez  du  moikis  que  ce  regret  soit  tempéré 
par  le  plaisir  de  vous  demander  et  d'apprendre 
quelquefois  de  vos  nouvelles ,  et  à  réitérer  de 
temps  en  temps  les  assurances  de  ma  reconnais- 
sance et  de  mon  respect. 

769.  —  A  M,  GuT. 

Ëorite  de  Ifotnuuidie,  le  6  août  17O7. 

Remerciez  mon  excellente  amie,  madame  de 
La  Tour,  de  son  petit  biUet,  et  dites -lui  que  les 
premiers  épanouissemens  de  mon  cœur  seront 
pour  elle;  je  ne  peux  rien  de  plus  quant  à  pré- 
sent. Elle  m'avait  envoyé  son  adresse*,  mais  sa 
lettre  est  restée  avec  mes  papiers^  et  il  m'est  im- 
possible de  m'en  ressouvenir. 

77<y.  -*-  A  M.  LE  MARQUIS  DE  MlRABEAU* 

Tiye ,  le  I  a  août  1767. 

Je  suis  affligé,  noBsiêur ,  que  vous  mé  mettiez 
dans  le  cas  d'avoir  «m  refu$  à  vous  &ire;  mais  co 
que  vous  me  demandez  est  contraire  â  ma  plus 
inébranlable  résolution,  même  à  tiksengagDmeiis^ 


àsmiE  1767.  3)t 

Ht  VGQS  pouvez  ètw  assuré  que  de  nia  Tie  une  li- 
pe  de  moi  ne  sera  imprimée  de  mon  aveu.  Pour 
6leT  même  une  fois  pour  toutes  les  sujets  de  ten- 
tation ,  je  TOUS  déclare  que  dès  ce  moment  je  re- 
nonce pour  jamais  à  toute  autre  lecture  que  des 
livres  de  plan  tes  9  et  même  à  celle  des  articles  de 
vos  lettres  qui  pourraient  réveiller  en  moi  des 
Î4ées  que  je  veux  et  do»  étoufler.  Après  cette  dé^^ 
daration,  monsieur ,  si  vous  revenez  à  la  charge  ^ 
ne  vous  oflRensez  pas  que  ce  soit  inutilement 

Vous  voulez  que  je  vous  rende  compte  de  la 
manière  dont  je  suis  id.  Non,  mon  respectable 
ami ,  je  ne  déchirerai  pas  votre  noble  cœur  par  tm 
semblable  récit.  Les  traitemens  que  j'éprouve  en 
ce  pays  de  la  part  de  tous  les  habitans  sans  ercep 
b'on,  et  dès  ilnstant  de  mon  arrivée,  sont  t^op 
contraires  à  l'esprit  de  la  nation  et  aux  fntentions 
du  grand  prince  qui  m'a  donné  cet  hospice,  pour 
que  je  les  puisse  imputer  qu^à  un  esprit  de  vertige 
dont  je  ne  veux  pas  même  rechercher  la  cause» 
Puissent-ils  rester  ignorés  de  toute  la  terre  1  et 
puisse- je  parvenir  moi- même  i  les  regarder  comme 
non  avenus! 

'  Je  fiiis  des  vœux  pour  l'heureux  vojrage  de  ma 
bonne  et  belle  compatriote  que  je  crois  déjà  par» 
lie.  Je  suis  bien  fier  que  madame  la  comtesse  ait 
daigné  se  rappeler  un  homme  qui  n'a  eu  quW 
moment  l'honneur  de  paraître  à  ses  yeux^  etdont 
les  abords  ne  sont  pas  hrillans;  eCe  aurait  trop  i 
s U  ûlJail  «ju^^Qe  gaiddl  ui|  peu  dt^  spover 


34i  COUKBSPOHDAirGB, 

nîrs  qn^elle  laisse  à  qviconqtte  a  eu  le; bonheur^ 
la  YCttriRacoYez  mes  plus- tendres  embiasfieixieAS. 

771.— ▲  MADABCB  UL  VAAÉCHALB  DE  LuXfiMBOi'^G. 

Trye,le  16  tout  1767. 

Jb  compte  si  par&itement,  madame  la  inari- 
chale^  sur  la  eontiiwatîoa  de  toutes  yos  bontés 
pour  ttiot,  que  je  viens  y  recourir  avec  la  plus 
parfaite  confiame,  eu  voue  supi^iaBl  dobteDÎr 
de  M.  le  prince  de  CoAli  la  perseiasion  de  quitter 
ee  séjour  sans  «scourir  sa  disgrâce.  J'ose  désirer 
encore  de  savoir  si  le  gouvernement  approuve , 
ou  non,  que  je  m  établisse  dans  quelque  coin  du 
royaume  y  oà  je  pubse  vivre  et  mourir  eu  paix^ 
sous  la  protection  de  son  altesse ,  ou  si  je  dois  cou* 
iinuer  ma  route  pour  chercher  un  asile  ailleurs» 
Je  vous  conjure,  madame  la  maréchale,  par  nue 
mémoire  respectable  et  si  chère  à  votre  cœuf  9^ 
vouloir  prendre  les  informations  nécessaires  pour 
me  tirer  de  Tincertitude  où  je  suis  sur  ce  qull 
m.'est  permis  de  £iire  ;  car  ma  résolution  est  i^ 
n'accepter  plus  de  logement  gratuit  cbes  per- 
ÉûiBne.  Le  grand  prince  qui  a  bien  voulu  m'eo  ac- 
corder un  sera  mon  dernier  h^ ,  et  je  crois  de* 
voir  i  llH>nneuT  qu'il  ma  fait  de  n'en  accepta 
^ue  de  personne  uo  semblable.. Alai^,  pour  osa 
tne  donner  un  a^ife  indépendant ,  il  faut ,  qoel^ 
obscur  et  reculé  qu'il  soit,  et  quelque  incognito 


A^rtriH'  ly&y*  343 

hâgsi  «Bpanr.  Ab'  madame ,  <fie  je>^oii»dK>iT&  lo 
repos  des  dêmkars  foar^demayiejîimWpBrav» 
Ira  cent  fois  pkis  doQx  ! 


Ceaa  apût  1767. 

k  TOUS  dois  hien  des  mai«mta«ns,  moDÔeuV) 
pour  votre  demîèfre  lettre,  et  je  tous  lea  fiiis  dt 
loot  nioD  cœur»  Hle  m'a  tiré  d  «ine  grande  peine; 
car,  TOUS  étant  aussi  sincèreflient  attaobr  «{ue  je 
W  s<ûs ,  yt  oe  pondais  rester  nii  moment  tranquille 
dans  \a  eraônte  de  voos  avoir  déplu.  GxÂœs  à  vos 
Iiomès,  rae  voi\à  tranquillisé  snn  ee  pomL  Vous 
me  trouTcz  gro«noD;  passe  pimyoela  :  je  réponds 
cla  moins  qme  roas  o^  mo  trouveriss.  jamais  in- 
oral;  maïs  n'exiges  rien  de  ma  déférence  et  de 
mon  amîtié  contre  b  danse  que  j'ai  h  plus^  expres- 
sémtBt  stipnlée;  car  )e  tous  eouQrme,  pour  la 
dernière  fois,  que  ce  serait  inutilement. 

J'ai  tort  de  n'avoir  irien  remisi  pour  M.  Vdbhé  ; 
mais  ce  lort  n'est  qu*cxtérieur  et  apparent ,  je  vous 
jme.  n  me  semUe  que  les  hommes  de  son  ordre 
doîventdeviner  Timprcssion  qulls  font  sans  qu'on 
la  lenr  témoigne.  La  raison  même  qui  m^cmpê- 
ibàh  de  répondre  à  sa  politesse  est  obligeante 
poor  lui,  puisque  c'était  la  crainte  d'être  en- 
ln«iiié  dans  des  discussions  que  je  me  suis  inter* 
à.tcsj  et  ob  j  avais  penr  de  n*étie  pas  le  j^ns  fort. 
Je  tooi  dirsd  tout  fraschemenf  qœ  |^&i  porponni 


344  CO^RXdPOÇDANCE, 

chez  TouA  qiiek[«9S  pagesd^f^pn  oiunrage,  (j 
vous  avies  oégUgeoimelitJi^ss^.mir  lej)urçau 
M.  Garçon ,  et  que,  sentant  quoje  mprdais  un  {i 
à  rliaineçon ,  je  me  suis  dépêché  de  fermer  le  lii 
ayaut  que  j^ fusse iout^^à-fiik  prisi  Or,  précl 
et  patrocinez  tout  à  yotre  aise,  je  vous  proia 
que  je  ne  rbûyrirai  de  mes  jouis  ni  celui-là, 
les  vôtres,  ni  aucun  antre  da  pateil  acabit  :  b( 
TÂstrée,  je  ne  reux  plus  que  des  livres  qui  me 
nuient,  ou  qui  ne  parlent  que  de  mon  foin. 

Je  crainsbien  que  vous  n  ayez  deviné  trop  p 
sur  la  source  de  ce  qui  se  paâse  ici,  et  doùt  vo 
ne  sauriez  même  avoir  Vidée;  mais  tout  cela,  u 
tant pcrini dans  l'ordre  natureldes  choses, ne  fot 
fiit  point  de  conséquence  contre  le  séjour  de 
caimpagne,  et  ne  m'en  rebute  assurément  ps.  I 
qnll  faut  fuir  li'est  pas.  la  campagne;  mais  les  mi 
sonadés  grands  et  despiînjces  qiu  ne  sont  poi 
les  maîtres  chez  eux ,  et  n^e  savent  riei^  de  ce  (\ 
j'y  Élit.  Mon  malheur  estj^.  premièrement,  dhal 
ict  dans  un  chiteau ,  et  non  pas  sons  un  toit 
qhaume;  chez  autrui,  et  non  pas  chez  moi; 
surtout  d'avoir  un  hôte  si  élevé ,  qu^entre  lui 
moi  il  faut  nécessairement  des  intermédiaires, 
sens  bien  qu'il  faut  me  détacher  de  Tcspoir  a| 
sort  tranquille  et  dune  vie  rustique;  mais  je, 
puis  m'empécher  de  soupirer  en  y  songeant  l 
.  mez  -  moi  et  plaignez  -  moi  Ah  !  pourquoi  fanl 
que  j'ctie  &it  des  liyr^sl  j'étais  si  peu  &it  poar{ 


AHiriK  1767.  345 

triste  métier!  J'ai  le  cœur  serré,  je  fiois  et  tous 
embrasse. 

773.  —  A  M.  dIvernois. 

An  châtean  de  Ttjb,  ce  14  tout  1767. 

Je  n  ai  reça  que  depuis  peu  de  jours ,  mon  bon 
aani,  yotre  lettre  du  20  mai ,  adressée  à  Wootton  : 
elle  était  dans  le  plus  triste  état  du  monde,  à 
demi  brûlée,  e€  paraissant  avoir  été  ouverte  plu- 
sieurs fois  :  les  pièces  que  vous  y  avez  jointes, 
ayam-grossi  le  paquet ,  ont  augmenté  la  curiosité. 
Je  ne  sais  pourquoi  vous  vous  obstinez  à  m  en- 
voyer de  pareilles  pièces;  peine  qui  ne  peut  ser- 
vir de  rien  ni  à  vons,  ni  à  moi,  ni  à  personne,  et 
qui  empêchera  toujours  que  vos  lettres  ne  me  par- 
viennent fidèlement.  Quand  vos  afi&ires  seront 
accommodées^  apprenez -le -moi  pour  consoler 
mon  cœur  :  jusque-là  ne  me  parlez  que  de  vous« 

Lorsque  je  doutais  que  vous  vinssiez  me  voir  & 
Wooton ,  ce  n^était  pas  de  votre  volonté  que  j'é- 
tais en  peine,  mais  bien  des  obstacles  que  vous 
trouveriez  à  Fexécuter  :  soyez  persuadé  que,  si 
vous  m  étiez  venu  voir  en  Angleterre ,  de  quelque 
manière  que  vous  vous  y  fussiez  pris,  vous  n'au«> 
riez  point  passé  Londres.  Si  jamais  la  <ton.€orde 
renaît  parmi  vous,  j'ai  lieu  d espérer  que  n  ayant 
pins  à  courir  si  loin ,  vqus  aucez  moins  de  diffi- 
cultés a  me  joindre  :  M.  du  P^yïou  vous  en  indi- 
fiiera  les  n^jpens  quand  il  sera  temps,  et  soyez 


;$4S  CORRESPOND  AKCE, 

774'  —  A  M.  DU  Peyrou. 

J'ai  reçu  avant  hier  au  soir  votre  lettre  du  3; 
malgré  Foubli,  elle  avait  été  décachetée;  mais 
l'enveloppe  à  milord  Maréchal,  qu'il  a  en  Timpru- 
dence  de  me  laisser,  ne  l'avait  point  été.  Qaeccla 
vous  serve  de  règle  quand  vous  m'écrirez.  Je 
prendrai  le  parti  de  porter  moi-même  cette  lettre 
à  la  poste;  mais,  comme  cela  sera  remarqué,  et 
qu'on  y  pom^wa  pour  la  suite ,  je  n'y  reviendrai 
pas,  et  je  vous  dirai  tout  dans  celle-<:i. 

Que  j'ai  craint  cette  cruelle  goutte,craeliepour 
lun  et  pour  l'autre ,  pour  moi  surtout  à  diveo 
ég«rds  !  J'espère  encore  que  cette  atteinte  naura 
pas  de  suite,  et  ne  vous  empêchera  pas  de  m* 
venir  voir.  Mon  excellent  et  cher  hôte,  ce  sera  la 
dernière  fois  que  nous  nous  verrons;  jWdile 
pressentiment  trop  bien  fondi.  Puisse  ce  dcrflier 
des  heureux  momcns  de  ma  vie  achever  dcT0U5 
d: voiler  le  cœur  de  votre  ami!  Coin^^t  fera  ions 
ses  elForts  pour  venir  avec  vous  ;  évitez  ce  cor- 
tège; après  ce  que  je  sais,  il  empoisonnerait  mes 
plaisirs.  J'étais  sûr  que,  puitsque  vous  jugitz  à 
propos  de  le  consulter  sur  votre  route,  il  faait  en 
forte  de  vous  dégoûter  de  venir  ici  dueetem^n^- 
Il  vous  aura  embarrassé  de  traverses  inutiiesotiu 
fausses  difficultés  des  maîtres  de  poste.  Gardes  si 
lettre,  et  montrez  cet  article  à  geus  instruits, vov^ 
veirez  ce  qu'ils  vous  dii*ont 


Mon  cher  hdte ,  vous  mWcz  pcrda  sans  le  you- 
\oir,  sans  le  saToir,  et  bien  innocemment,  mais 
?ans  ressource.  Le  concours  fortuit  de  mon  voyage 
ici  cl  du  vôtre  en  Hollande  a  passé  chez  mes  per- 
sécuteurs pour  une  affaire  arrangée  entre  nous. 
On  vous  a  cru  chargé  d  une  négociation  avec  Kej» 
Le  papier  cjue  vous  avez  adressé  pour  moi  k 
Coindet  par  son  canal  les  a  encore  efiàrouchés  3 
leur  conscience  agitée  alarme  leurs  têtes,  et  leur 
persuade  toujours  que  j'écris.  Connaissant  si  peu 
le  charme  dune  vie  oisive,  solitaire  et  simple ,  ils 
ne  peuvent  croire  que  c'est  tout  de  bon  que  j'her» 
horise,  que  ces  papiers  et  ces  petits  livi'cs  éUrient 
destinés  a  coUer  et  dessiner  des  plantes  sur  le 
transparent;  et  ]  afvu  clairement  que  Coindet,  i 
qui  j  ai  j^arlé  de  cet  emploi  que  j  eu  voulais  faire, 
n'en  a  rien  cru.  Tous  ses  propos,  toutes  ses  ma* 
nonivrcs ,  m  Wt  dit  tout  cequi  se  passait  dans  soh 
àme  et  qu'il  croyait  bien  c^ché;  et  ce  Coiiitfel'j 
qui  se  croit  si  fin,  n est  qu un  fat  Fiez-vous  fn^ 
corc  moins  qu  a  lui  à  la  dame  k  qui  il  vous  a  pré- 
senté, et  dont  il  est,  envers  moi,  Yùme  damnée. 
Elle  ma  trompé  six  ans;  il  y  en  a  deux  qu^clIc  vt 
me.  trompe  plus,  et  j  avais  tout4-<fait  rompu  avec 
elle.  M.  le  prince  de  Conti,  qui  ne  sait  rien  de 
tout  cela,  et  poussé  par  quclquun  qui,  pour 
mieux  cacher  son  jeu^  montre  avoir  peu  de  liai* 
son  avec  elle*  m'a  remis,  pour  ainsi  dire,  entre 
ses  mains,  comme  en  celles  d'une  amie,  et  elle  fail 
usage  de  ce  moyen  ponr  m'achever.  De  mon  calé, 


3&0  COKItESPONDAKCE, 

profitant  enfin  de  vos  ayis,  je  feins  de  ne  rien 
Toir;  en  m^étoufiant  le  cœur,  je  lenr  rends  ca- 
resses pour  caresses,  ils  dissimulent  pour  me  per- 
dre, et  je  dissimule  pour  me  sauver;  mais,  comme 
je  D  y  gagne  rien,  je  sens  que  je  ne  saurais  dissi- 
muler encore  long-temps;  il  &ut  tôt  on  tardqiie 
Forage  crève.  Tout  ceci  vous  surprend  trop  pour 
•pouvoir  le  croke.  Vous  vous  rappelez  le  voyage 
auprès  de  moi^  Targent  offert,  le  passe-port;  et, 
ne  devinant  pas  à  quoi  tout  cela  était  destiné, 
votre  honnête  cœur  demeure  incrédule;  soit:  jç 
ne  demande  pas^à  vous  persuader  quant  i  pr^ 
sent;  mais  je  demande  que  vous  suspendiez  les 
actes  de  votre  confiance  en  elle  pour  ce  qui  me  re- 
garde, en  attendant  que  vous  sachiez  si  j'ai  tort 
ou  raison. 

Je  crois  que  M.  le  prince  de  Conti  et  madam* 
de  .Lu.\cmbourg,  me  voyant  menacé  ddûendes 
^llgers,  ont  voulu  sincèrement  m'en  mettre  à 
couvert,  en  s'assurant,  à  la  vérité,  de  moi  par  des 
entours  qui  n'ont  pas  paru  sufilsans  aux  deux 
dames  pour  rassurer  leur  ami.  On  a  donc  suscite 
contre  moi  toute  la  maison  du  prince,  les  prêtres, 
les. paysans,  tout  le  pays.  On  n  a  paà  douté,  cou- 
naissant  la  fierté  de  mon  caractère,  que  je  ne  me 
dérobasse  à  l'opprobre  avec  promptitude  et  inai- 
gnaùon.  C'est  ce  que  j'ai  cant  fois  voulu  faire?^^ 
que  j'aurais  fait  à  la  fin  peut-être,  si  ma  pauvre 
9œur,  la  raison,  et  une  rechute  de  ma  maladie j 
^'étaient  venues  à  mon  3efX)urs.  Madame  de  V..'j 


A^mis  1767.  35 1 

qm  ne  in  a  tu  Tenir  qu'à  regret,  n*a  pu  cl^iser 
assez,  ni  Coindet  non  plus,  leur  extrême dé5ir de 
m'en  voir  sortir.  Cet  empressement ,  si  peu  natu- 
rel i  des  amis  dans  ma  position,  m'a  &it  ouvrir 
les  yeux,  et  ma  rendu  patient  et  sage.  Ma  sœur, 
le  seul  TéritaMe  ami  quavec  vous  j'aie  dans  le 
monde,  et  qu'A  cause  de  cela  mes  ennemb  ont  en 
haine,  me  disait  sans  cesse,  quoirpi'elle  portât  la 
plus  grande  et  plus  sen^ble  part  des  outrages  : 
Attendez ,  souffrez ,  et  prêtiez  patience ,  le  pritice 
fie  vous  abandontiera  pas.  Foulez-vous  donner 
h  vos  ennemis  l'avantage  quïls  demandent^  de 
erier  que  tous  ne  pouvez  durer  nulle  porf  ?  Les 
sages  discours  de  cette  pauTre  fille  étaient  ren« 
furvés  par  la  raison.  Où  aller?  Où  me  réfugier? 
Où  trouver  un  plus  sûr  abri  contre  mes  ennemis? 
Où  ne  m'atteindront-ils  pas,  s'ils  m  atteignent  ici 
même?  Où  aller  aux  approches  de  Ihiver,  et  sen* 
tant  déjà  les  atteintes  de  mon  mal?  Une  dernière 
réflexion  m'a  décidé  à  tout  souffrir,  et  à  rester^ 
quoi  qn  on  fasse.  Si  l'on  ne  voulait  que  s'assurer 
de  moi,  c'est  ici  quïl  me  faudrait  laisser;  car  j  y 
suis  à  leur  merci,  pieds  et  poings  liés  :  mais  on 
veut  ahsolument  m'attirer  à  Paris  ;  pourquoi  ?  je 
TOUS  le  laisse  à  deviner.  La  partie  sans  doute  est 
liée  :  on  Teut  ma  perte,  on  veut  ma  vie,  pour' se 
débVrer  de  ma  garde  une  fois  pour  tontes.  H  est 
impossible  de  donner  à  ce  qui  sç  passe  une  autrv 
ciplication*  Ainsi ,  rien  ne  pourra  me  tirer  d'ici 
que  la  force  ouverte.  Outrages,  ignominie,  maut^ 


35  a  CORRESPOND  ATTCE  , 

vais  traitemens,  f endurerai  tout,  et  je  me  suis 
déterminé  d^  périr.  Mon  Dieu!  si  le  public  était 
instruit  de  ce  qui  se  passe  ^  quelle  indignation 
pour  les  Français,  quon  les  fit  les  satellites  des 
AngLiis  pour  assouvir  la  rage  d  un  Ecossais,  et 
qu  on  les  forçât  de  me  punir  eux-mêmes  d^avoir 
clierché  chez  eux  un  asile  contre  la  barbarie  de 
leurs  ennemis  naturels! 

Voilà  des  explications  qull  allait  2d>soIunient 
vous  donner,  pour  régler  votre  conduite  à  non 
égard  au  milieu  de  mes  ennemis  qui  vous  trom- 
pent,et  pourvous  éclairer  sur  les  vrais  servicesque 
votre  amitié  peut  me  rendre  dans  Toccasion.  J'es- 
père que  vous  pourrez  venir.  Vous  devez  fcntir 
combien  mon  cœur  a  besoin  de  cette  consolation  ; 
si  je  la  perds,  que  j^aie  au  moins  celle  de  voir 
votre  ami  M.  de  Luzc.  S^il  vous  porte  mes  der- 
niers embrassemens,  je  me  console  et  me  résigne. 
Mais  lequel  des  deux  qui  vienne,  qu*il  tâche  sur- 
tout de  venir  seul.  Jai  demandé  permission  à 
M.  le  prince  de  Conti  de  vous  recevoir  dans  son 
chAteau.  Je  n'ai  point  de  réponse  encore  ;  si  vous 
arrivez  avant  elle ,  il  convient  de  loger  à  Gbors  ;  il 
ny  a  que  demi-lieue  dici,  et  nous  pourrous  éga- 
lement passer  lc$  journées  ensemble.  Si  je  puis 
vous  recevoir  au  château,  votre  laquais  sera  logé 
près  de  vous,  et  nous  ferons  en  sorte  qu'il  ne 
meure  pas  de  £ûm.  Je  vous  embrassci  dans  les 
plus  tendres  élans  d'un  cœur  brisé  d'afflictiou, 
mais  tout  plein  de  vous» 


AKWBE  1767.  i5^ 

Marquez -moi  la  réception  de  cette  lettre  bien 
exactement  et  promptement;  mais  n  entrez  dans 
ancim  des  articles  qu'elle  contient.  Présence  ou 
Tien;  souvenez -vous  de  cela.  Ah!  cette  funeste 
goutte!  Cher  ami ,  quelque  douloureuse  qu'elle 
paisse  être ,  elle  tous  fera  moins  de  mal  qu'à  moi« 
Quand  TOUS  Tiendrez,  yôus  ou  M.  de  Luîe,  ne 
meprérenez  point  du  jour  dans  yos  lettres;  ve- 
nez sans  avertir ,  c'est  le  plus  sâr . 

775. A  M.  DB  SaRUNE, 

ftltV.TESAIIT-GtSiftikl.  3>E   YOLtOB. 

  TVje-le-Chàteau,  le  9  teptexnhre  1767. 
Ho5SI£l.'m, 

Pcrmeflez  que  faie  Thonneur  d'exécuter  près 
de  vous  Tordre  exprès  que  m'a  donné  lauteur 
d'un  livre  intitulé  :  Dictionnaire  de  musi(iiie,  par 
J.  J.  Rousseau^  qui  s'imprime  chez  la  veuve  Dit- 
chesne.  Cet  ordre  est,  monsieur, de  m  opposer  de 
sa  prt ,  comme  je  &is,  à  la  publication  de  cet  ou- 
vrage qui  porte  son  nom^  jusqu'à  ce  quil  ait  été 
de  nouveau  soumis  à  la  censure,  attendu  que  deb 
passages  raturés  et  rétablis  dans  le  mauuscrit  peu- 
vent feire  naitre  des  diâicultés  quc'le  cenrcur, 
étant  mort,  ne  pourrait  lever ,  et  que  l'auteur  peut 
prévenir.  Vous  êtes  très -humblement  supplié  ^ 
oionsiear,  d'arrêter  ladite  publication  jusqu'à  ce 
tenpft-lM. 

J'ai  i'honneiB*  d'éti^  avec  un  proibnd  rcqpeot. 

3o.  ï^^^^'"- 


334  CORRESPOND  AirCZ, 

77$.  A  M.  DU  PlYROU. 

Le  9  Septembre  1 767. 

AuJou&D^HLi,  mon  cher  hôte,  f écris  à  M.  de 
3artij:ie  et  à  Guy,  pour  arrêter  la  publication  du 
Dictionnaire  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été  soumis  dere- 
chef À  U'  censure.  Vous  pouvez  comprendre  que 
j'ai  des  raisons  gi^aves  pour  prendre  cetio  précau- 
tion. Si  cette  cruelle  goutte  vous  laisse  en  état 
daller,  voyez  Guy  sur-le-champ,  je  vous  en  sup- 
plie^;  sachez  s^il  a  reçu  ma  lettre,  et  s'il  se  met  en 
devoir  d'en  exécuter  le  contenu.  Faites -moi  pas- 
ser sa  réponse,  et  répondez-moi  vous-même  aus- 
sitôt que  vous  pourrez.  Vous  devez  comprendre 
que  je  ne  serai  pas  à  mon  aise  jusqu'au  moment 
où  je  recevrai  des  nouvelles  de  cette  aDairci.  Si 
mon  malbem-  veut  que  la  goutte  vous  retienne, 
priez  M.  de  Lnze  de  vouloir  bien  se  charger  de  ma 
commission,  car  elle  ne  souffre  aucuB  reUurd. 
Doiinez-moi'dc  vos  nouvelles;  aifiiez  et  plaignez 
Votive  ami  ;  c'est  tout  ce  que  }'ai  k  focce  de  voos 
dire.  Âcbèa. 

777.. A  MADAME  LA  MAR<}UISB  BB  MeSMIS. 

.  Du  13  flfeptembre  17^7- 

Js  reoonndis,.  madame,  vos  bontés  ordiuaii^ 
dans  les  soins  que  vous  prenez  pour  me  procure 
un  9aiisQii  ïùii  veuille  iMen  ne  po»  m'mterdirc  I 


AmtE  1707.  355 

feu  et  Veau;  mais  je  connais  trop  iMea-ma  sitoa* 
àon,  pour  attendre  de  ces  soins  ixeiifiisans  nir 
tttccès  qui  me  procure  le  repos  après  leqmel  j*ai 
raînement  soupiré)  etque  je  necfaâdieplos  parce 
^e  je  ne  Tespère  pins. 

Vivement  touché  de  Tintérét  <jue  VL  le  coml» 
de  **^  veut  bien  prendre  à  mes  malheurs,  je  Tona 
snpplie,  madame  )  de  vouloir  bien  lui  âîre*pas9er 
les  témoignages  de  ma  très-humble  reconnais» 
sance  ;  c  est  une  de  mes  peines  de  ne  ponvohr  aUeir 
moi  même  la  lui  témoigner  :  mais  quant  au 
voyage  ici  qne  son  excellence  daigne  proposer^  je 
ne  suis  pas  assez  vain  pour  en  accepter  loffire  f  et 
Ces  bonnenrs  bniyans  ne  conviennent  pins  k  \é^ 
fat  Jliumiliation  dans  lequel  je  suis  app^  à  finit 
mes  jours  :  je  ne  crois  pas  non  plus  qu^il  coB<» 
vienne  de  risquer  auprès  de  M.  le  comte  de  '*'^^  ^ 
ni  auprès  de  personne,  aucune  demande  en  ma 
fkvenr  ^  puisque  ce  ne  serait  qu'aller  ch^t^her 
d'ittihillibles  refus  qui  ne  feraient  qu'empirer  ma 
situation ,  s'il  était  possible.  — 

Le  parti  que  j  ai  pis  d'attendre  ici  ma  destinée 
est  le  seul  qui  me  convienne,  et  je  ne  puis  faire 
aucune  espèce  de  dénuHrche  sans  aggraver  sur  ma 
tète  le  poids  de  mes  malheurs;  je  sais  que  ceux 
qui  ont  entref»îs  de  me  chasser  d'ici  n  épargne* 
ront  auciine  sorte  d'efforts  pour  y  parvenir;  %ai0 
)e  les  attends;  je  m'y  prépare,  et  U  ne  teste  phis 
qu'à  savoir  lesquels  auront  le  {dus  de  conslanea^ 
aux  pour  persécuter  ^  ou  itfoi  pour  souŒdr»  <2iie  |î 


356  CORRESPONOAlfCJC, 

la  patience  m^échappe  à  la  fin ,  et  que  mon  cou 
lage  succombe,  mon  parti  eo  pareil  cas  est  encoK 
pris  :  c^est  de  m'éloigner,  si  je  peux,  de  Forage 
qfui  m'accable  ;  mab  sans  empressement ,  sans  pré 
caution,  sans  crainte,  sans  me  cacher,  sans  m< 
inontrer,  et  avec  là  simplicité  ^  convient  à  Fin 
nocence.  Je  considère,  madame ^  qu  ayant  près  à 
soixante  ans ,  accablé  de  malheurs  et  d^infirmités 
les  restes  de  mes  tristes  jours  ne  valent  pas  la  fa 
ligue  de  les  mettre  à  couvert  :  je  ne  vols  plus  riei 
dans  cette  vie  qui  puisse  me  flatter  ni  me  tenter 
loin  d*espérer  quelque  chose,  je  ne  sais  pas  même 
que  désirer.  L'amour  seul  du  repos  me  restait  en 
core  ;  l'espoir  m'en  est  6té  :  je  n'eu  ai  plus  d'autre 
je  n'attends  plus,  je  n'espère  plus  que  la  fin  <]< 
mes  misères  :  que  je  Tobtienne  de  la  nature  ou  ûc\ 
hommes ,  cela  m'est  assez  indiffèrent  ;  et ,  de  quel 
que  manière  qu'on  veuille  disposer  de  moi,  1  oi 
me  fera  toujours  moins  de  mal  que  de  bien.  J< 
pars  de  cette  idée ,  madame  ;  je  les  mets  tous  ai 
pis,  et  je  me  tranquillise  dans  ma  résignation. 

Il  suit  de  là  que  tous  ceux  qui  vieulent  bici 
s*intéresser  encore  à  moi  doivent  cesser  de  se  don 
ner  en  ma  faveur  des  mouvemcns  inutiles  :  rc 
mettre,  à  mon  exemple,  mon  sort  dans  les  maii) 
de  la  IVovidence,  et  ne  plus  vouloir  résbter  4  | 
nécessité,  voilà  ma  dernière  résolution;  qoe  c 
soit  la  vôtre  aussi,  madame,  à  mon  égard,  ^ 
même  à  Fégàid  de  cette  chère  en&nt  que  le  cij 
vous  tenlève  sans  qu'aucun  secouis  humain  f  ui$^ 


JLXUéE  T767.  357 

TOUS  b  renilrc;  qoe  tous  les  soins  qne  vous  lui 
rendrez  désormais  soient  pour  contenter  votre 
tendresse  et  la  lui  montrer,  mais  qu'ils  ne  rérevl* 
lent  plus  en  vous  une  espcirance  cruelle  qui  domie 
la  mort  à  chaque  fob  qnW  b  perd. 

778.  —  A  M.  DU  Peyrou. 

Le  12  septembre  1767. 

Vous  me  consolez  beaucoup,  mon  cher  hôte,  par 

Totre  lettre  du  9;  car  j*en  avais  reçu  une  aupara* 

vant  deM.  Coindet,  qui  m'avait  appris  vos  vives 

souffirances;  cl  même  j'en  ai  reçu  de  lui  une  autre 

du  10;  qui  ne  me  permet  de  me  livrer  quavec 

crainre  â  lespoir  que  vous  me  donniez  la  veille , 

puisqull  me  maïque  que  vous  êtes  toujours  le 

même.  Ne  me  trompez  pas,  mon  très-aimable 

Ilote,  sur  votre  état,  quel  qu'il  soit;  car  Tincertî- 

tade  et  le  doute  me  tuent,  et  me  font  toujours  les 

maax  pirps  qu'ils  ne  sont.  Quand  vous  serez  en 

convalesoeuce,  donnez -vous  le  temps  de  vous 

hien  JvJEaMir  où  vous  êtes;  et,  quand  vos  forces 

s^ont  suffisamment  revenues  pour  aller  à  la  cam- 

pi^ne,  venez  ki  passer  une  quinzaine  de  jours. 

\  ous  jr  troaTeiez  un  bon  air,  un  beau  pays 9  UA 

E^igemeut  au  château ,  une  terre  bien  garnie  de  g»< 

t'^er,  et  la  permission  de  chasser  autant  que  cela 

rr^os  ajDosera.  Xespère  que  ce  voyage,  après  le- 

[nti  je  soapiri>  avec  péission,  sera  salutaire  à  l'un 

1  a  l  aolre  ,  et  effacera  jusqu^aux  dernières  traces 


•"^ 


35S.  COHRESPONDÂ^CE , 

des  maux  de  votre  corps  et  de  mon  coeur.  Da 
reste ,  ne  vous  pressez  point;  rien  ne  périclite,  fl 
retardez  plutôt  de  quelques  jours  pour  puToii 
m'en  donner  davantage,  que  de  vous  exposer 
avant  le  parfait  rétablissement' Vous  pouvez  ma- 
verlir  quelques  jours  d'avance ,  afin  qu  on  prépare 
votre  chambre;  ou  si  vous  venez  sans  être  at- 
tendu^ que  ce  soit  d'aussi  bonne  heure  qu'il  se 
podrra.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Je  ne  vois  point  d'inconvénient  de  me  préve- 
nir du  jour  où  vous  arriverez. 

77p. AU  M&UB. 

Le  1 8  aeplemfaR  1767. 

Jb  vous  écrivis  hier,  mon  cher  hâte,  en  même 
temps  qu'à  M.  de  Luze  ;  et  j  ai  tellement  égaré  ma 
lettre ,  qu  il  m'est  impossible  de  la  retrouver.  Je  ne 
,sais  pas  même  quand  celle-ci  pourra  partir,  né- 
tant  pas  eu  état  au jourd  hui  de  la  porter  moi- 
même  àGisors,  et  trouvant  très-difficilement  des 
exprès  pour  y  envoyer.  En  vous  marquant  la  joie 
que  m'avait  causée  la  vue  de  votre  écritore,  |^ 
Vjovis  grondais  de  vous  être  Êitigné  à  écrire  tioiJ 
pages.  Trois  lignes  dans  votre  état  suffisent  poui 
me  tranquilliser;  et  non-seulement  vous  dcvcî 
garder  le  lit  jusqu'à  ce  que  vous  soyez  bien  d«i^ 
vré,  mais  ménager  votre  attention  et  vos  lorcd 
pour  vous  mettre  en  état  de  venir  ici  pln^  t^ 
achever  de  vous  rétablir.  Par  le  cours  que  prew 


1767.  3,V) 

votre  goutte ,  3  sic  senthle  qaVUc  yeuillc  se  tmns* 
ibnncr  en  scia  tique.  Ordinairement  ies  douleurs 
de  celle-ci  soot  moindres;  et  je  sais  par  1  exemple 
de  mon  défunt  ami  Gaul^ourt,  qui  s'en  était 
guéri,  qo'on  s  en  débarrasse  plus  aisément. 

Vous  me  donnez  d'excellentes  nourelles  qui 
me  £mt  grand  plaisir.  Je  suis  bien  aise  que  tous 
ayex  en  main  toutes  les  pièces  sur  lesquelles  yous 
pourrez  juger  i  loisir  si  je  sms  timbré  ou  non; 
mais  il  est  très- vrai  kjne  je  n^ayais  pas  compté  que 
le  tout  yous  revînt  si  £icilemenL 

le  ne  me  sens  pas  bien  depuis  quelque  temps, 
et  je  endos  de  payer  le  long  relâche  dont  j'ai  joui. 
BrL  Bnme  a  dit  partout  que  M.  de  Luze  lui  avait 
assuré  que  je  n  at aïs  point  de  maladies.  Le  frère 
Cdme^ni  Iforand,  ni  ftlalouin,  etc.,  ne  sont  sû- 
rement pas  là-dessus  de  Fayb  de  M.  de  Luze;  et 
malheniettsement,  en  ce  moment  surtout,  j'en 
suis  encore  moins.  Si  les  peines  de  l'âme  remé- 
diaient an  maux  du  corps,  je  devrais  me  porter 
à  merr^ille.  Mais  du  courage  et  un  ami  sont  uu 
grand  remède  ans  premières,  au  Heu  qu  il  n'y  a 
de  remède  aux  dernières  que  la  patience  et  ]4 
mort  Xapprends  qne  Robert,  peu  coulent  do 
Geofge,  n'est  pas  non  plus  fort  â  son  aise.  Il  fiint 
cspéver  qa*en£ai  tout  changera  ou  finira, 

Banjpior^  mon  cher  hAte;  donnex-moi  do  roê 
AooyeDes;  mais  MyonsécriyezTon5-mémei,qo|tre 
lîgnosnflisnit  Entre  nous,  les  mots  d'amitif  n^ent 


36o  corhespovdakce, 

pins  besoin  de  se  dire.  Deux  mots  sur  les  affaire 

et  quatre  sur  la  santé.  Voilà  tout. 

J'envoie  cette  lettre  aujourd'hui ,  ainsi  elle  de 
vous  arriver  demain, 

^do. AU  MÊME. 

Le  3 1  Beptenilire  1 767. 

Pas  un  mot  de  vous^  mon  très-^cher  li6te,  àt 
puis  plus  de  huit  jours!  Que  ce  silence  mlnquiètc 
Serait-ce  une  rechute?  M.  de  Luze  n'aurait-il  p 
eu  du  moins  la  charité  de  m  écrire  un mot?Que 
que  lettre  serait-elle  égarée  ?  J'ai  écrit  i  M.  de  La; 
dans  la  semaine;  je  vous  avais  écrit  le  même  jou 
Je  perdis  ma  lettie*,  je  vous  écrivis  le  lendemai: , 
Mou  Dieu  !  être  si  proche  9  vous  savoir  malade  ^ 
ne  point  apprendre  de  vos  nouvelles!  Que  sera- 
Jonc  quand  nous  serons  éloignés?  Si  de  quclqi' 
jours  je  n'apprends  rien  de  vous,  je  prendrai  , 
parti  d envoyer  un  exprès  à  Paris,  si  j  eu  trouv 
car  c'est  encore  une  autre  difficulté.  Que  je  su)  ^ 
plaindre!  ;^ 

M.  le  prince  de  Coiitî,*  qui  devait  venir  ic  - 
semaine  dernière,  ncst  point  venu.  H  a  piîf>j 
peine  de  m'étrîre  pour  me  marquer  la  cause 
son  retard,  et  m'annoncer  son  voyage  pourb 
mai  ne  prochaine.  J'aurais  passionnément  H 
que  Vos  forces  vous  eussent  permis  de  venS  (|^ 
poi}r  le  màme  temps ,  afin  d  avoir  le  fhl^  ^ 
vpus.  présenter  à  lui.  Cependant^  comme  i  i^ 


I 

'-h 


^'"■i. 


irsÈE  1767.  36i 

rt^fangerew  de  se  déplacer,  après  une  pareille 
attaque,  ayant  le  plus  parfait  rétablissement, 
gamez-Toos  d^anticiper  snr  votre  conyalcscenceî 
msj  mon  ami  y  donnez-moi  de  vos  noavelles^  ou 
i?nesaisce^ejeferaû 

781. AU  MÊME. 

27  sefftexnbre  1767. 

»ors  pouvez^  mon  clier  hAte ,  juger  du  plaisir 

•?«  a  a  &ît  votre  dernière  lettre ,  par  l'inquiétude 

T^TOosavez  trouvée  dans  ma  précédente,  et 

j^  vous  blâmez  avec  raison  ;  mais  considérez 

7^^  tant  de  longues  «citations  si  propres  à 

t'oafcfcraa  tête ,  au  lieu  du  repos  dont  j'avais  be- 

■^•opoorla  rai&rmir,  je  me  trouve  ici  submergé 

*^<fc$mers  d'indignités  et  d'iniquités,  au  mo- 

^31  même  où  tout  paraissait  concourir  à  rendje 

^retraite  honoraÛe  et  paisible.  Cher  ami,  si 

tce  DQ  coeur  malheureusement  trop  sensible ,  et 

tïtïellement  et  si  eontinuelleonent  navré, il  reste 

'^  ou  tête  encore  quelques  fibres  saines ,  il  faut 

koatarellemecit  le  tout  dc  fût  pa^  trop  mal  con- 

^  Le  seul  remèd«  efficace  encore,  et  dont 

*  f spérer  tout ,  est  le  coeurxl  un  ami  pressé  sur 

^Q  :  venez  donc,  je  n'ai  que  vous  seul,  vous 

^îez;  c'est  bien  assez;  je  n  en  regrette  qu un , 

^û  veux  plus  d'autre  :  vous  serez  désormais 

le  genre  humain  pour  moi.  Venez  verser  sûr 

blessures  enjQammées  le  baume  de  l'amitié  et 


352  CORRESPOîTOAîf  CE  , 

de  la  raison  :  Lattente  de  cet  élixir  salutaire  en  an« 
ticipe  déjà  Feffet. 

Ce  que  yons  me  marquez  die  Neuchàtel  nW 
pfts  un  spécifique  bon  pour  mon  état;  je  crois  que 
vous  le  sentez  suffisamment  ;  et  malheureusement 
mes  devoirs  sont  toujours  si  cruels,  ma  position 
est  toujours  si  dure,  que  j'ose  à  peine  livrer  mon 
ciœur  à  ses  vœux  sefcrets,  entre  le  prince  qui  m^ 
donné  asile,  et  les  peuples  qui  m  ont  persécuté^ 

JSL  le  prince  de  Conti  n^est  point  encore  T€nu, 
j'ignore  quand  il  viendra;  on  l'attendait  hier.  Je 
ne  sais  ce  qu^il  fera;  mais  je  lis  dans  la  contenance 
des  comploteurs  qu'ils  craignent  peu  son  armée; 
que  leur  partie  est  bien  liée,  et  qu'ils  sont  siârs, 
malgré  leur  maître,  de  parvenir  k  me  chasser 
dlci.  Nous  verrons  ce  qu  il  en  sera  ;  je  crois  <jue 
c  est  le  cas  de  faire  pouf  :  il  ne  s'y  attendent  pas. 

Le  parti  que  tous  prenez  de  ne  sortir  du  Ik  tfa» 
parÊitement  rétabli  est  trè&-sage;  mais  U  ne  îxkl 
pas  sauter  trop  brusquement  de  vos  rideaus  dans 
fa  rue,  cela  serait  dangereux  :  frites  mettre* des 
nattes  dans  votre  chambre ,  au  dé£mt  de  tapis  4» 
pieds;  donnez- vous  le  temps  d#  vous  bien  réta- 
blir, avant  de  songer  à  venir,  et  en  attendant  ar- 
rangez tellement  vos  affaires^  que  vous'  n'ayez  4 
partir  Jici  que  quand  tous  vous  j  ennuieras  : 
&ites  en  sorte  de  vous  laisser  mattre  de  tout  votre 
temps;  je  ne  puis  trop  vous  recommander  celt# 
précaution  :  j'aime  mieux  vous  avoir  ]^us  tara  ,  et 
vous  garder  plus  long-tem|ps.  Enfin ,  ie  vous 


ARWÉE  1767.  3j3 

ym  êerechef^,  strecinsXajice ,  de  pourvoir  si  hien 
tf avance  à  toate  chose,  qne  licn  ne  paisse  tous 
ûire  pardr  d  ici  qae  votre  Tolonté. 

Mous  avons  ici  des  échecs,  ainsi  n^en  apportez 
pas;  nais,  si  tous  roulez  apporter  quelques  vo- 
lans,  100&  ferez  faien ,  car  les  miens  sont  gâtés  ou 
ne'^ent  rien  :  je  suis  bien  aise  que  vous  vous 
lenftraez  asses  aux  échecs  pour  me  donner  du 
plaisir  à  vous  liatt'e;  voilA  tout  ce  que  vous  pon- 
ves  espmr;  car^  â  moins  que  vous  ne  receviez 
«vantage,  moD' pauvre  aini,  vous  serez  batta,  et 
Uo^nss  kittu.Je  me  souviens  qu'ayant ihonueur 
de  jouer,  il  y  a  six  ou  sept  ans,  avet  M.  le  ^prince 
de  Couû,  je  hii  ^guai  trois  parties  de  suite ,  tan:- 
dis  que  tout  son  cortège  me  Élisait  des  grimaces 
de  possédé  :  eo  quittant  le  jeu,  je  lui  dis  grave- 
ment :  Monaeignear,  )»  respecte  trop  votre  altesse 
pour  ne  pas  toujours  gagner.  Mon  ami ,  vous  serez 
oatfo,  et  &îeD  battu;  je  ne  serais  pas  même  têuclié 
que  oda  vous  dégoûtÀt  des  édiocs^  ca?  je  n  aifue 
pas  que  vous  praiiea  du  goût  pour  des  ammse^ 
meus  si  fatigans  et  si  sédentaires. , 

A  propos  de  cela,  parlons  de  votre  régime;  il 
est  bon  pour  un  convalescent ,  mais  très-mauvais 
à  prendre  &  votre  âge,  pour  quelquW  qui  doit 
agir  et  marcber  beaucoup  :  .ce  régime  vous  afiai- 
bKra  et  vious  tterk  le  goût  de  t  eï^rcice.  Ne  vous 
p'tet  peint  commue  cela ,  j^  vous  en  cm  jure,  dans 
tes  estiémes  systématiques;  cei  â^es!  pas  ainsi  qw 
la  nature  se  mène .:  croyefe-moi ,  prenez-moi  poup 


36'4  COKRESPONDAKCE , 

le  médecin  de  votre  corps ,. comme  je  vous  prends 
pour  le  médecin  de  mon  âme  ;  nons  nous  en  trou- 
verons bien  tous  deux.  Je  vous  préviens  mente 
qu'il  me  serait,  impossible  de  vous  tenir  ici  aux  lé- 
gumes, attendu  qu  il  y  a  iclua  grand  potager  d'oà 
je  ne  saurais  avoir  un  poil  d'berbe ,  parce  que  sob 
altesse  a  ordonné  à  son  jardinier  de  me  fournir  de 
tout  :  voilà,  znoxi  ami,  comment  les  princes,  ?i 
puissans  et  si  ccain t&  où  ils  ne  sont  pas ,  sont  obéis 
et  craints  dans  leur  maison.  Vous  aurezici  à!exr 
cellent  bœuf,  d'excellent  potage ,.  d'excellent  gi- 
J)ier.  Vous  mangerez  peu;  je  me  charge  de*  votre 
régime,  et  je  vous  promets  qu'en  partant  d'ici 
vous  serez  gras  comme  un  moine  ^  et  sain  comme 
une  béte;  car  ce  nest  pastvetre  estomac,  mais 
votre  cervelle  que  je  yeux  mettre  au  régime  fru- 
givore.  Je  vous  ferai  brouter  avec  mol  de  mon 
foin.  Ainsi  soit-il!  Bonjmur» 

Mille  choses  de  ma  part  à  M.  de  Liuze.  Hélasl 
avec  qui  nous  nous  sommes  vus!  dans  quel  mo- 
ment nous  nous  sommes  quittés  1  Ne  nous  rêver- 
rons-nous  point? 

782. AU  MÊME. 

Ce  lundi  5  octobre  1767. 

« 

Je  vous  écris,  )non  cher  bâtie,  un  mot  tfès  i 
la  hâte ,  pour  vous  proposer  si ,  avant  de  venir  ici  ^ 
vous  ne  pourriez  point  aller  voir  Robert,  sans  le 
prévenir  de  votre  visite,  afin  que  nous  en  ayons 


des  nouvelles  sûres.  Du  reste ,  rien  ne  me  parait 
pressé ,  ni  pour  lui ,  ni  pour  moi  :  donnez-vous  le 
temps  de  reprendre  vos  forces  et  de  vous  «iccou- 
tumer  à  Tair.  Je  ne  puis  vous  dire  à  quel  poiut  la 
hrièveté  du  temps  que  vous  pouvez  me  donner 
m^afflige;  je  tous  conjure  au  moins  de  prendre 
toutes  les  mesures  possiUes  pour  pouvoir  le  pror 
longer  autant,  qu'il  dépendra  de  vous.  Mon  cher 
hôte ,  je  suis  peut-être  appelé  au  malheur  de  vieil- 
lir,  mais  tout  me  dit  que  le  jour  où  vous  me  quit- 
terez sera  le  dernier  où  j  aurai  souhaité  de  vivre» 
Je  vous  envoie-  une  liste  que  j^avaîs-  faite^  de 
livres  de  botanique  que  je  voulab  acquérir  à  lei- 
siT*,  comme  elle  est  considérable,  et  que  les  livres 
sont  cher&,)e  souhaiterais  seulement  daequérir, 
s  li  était  possible,  un  ou  deux  dés  quatre  ott  einq 
premiers.  Si,  dans  quelqu'une  de  vas- courses^ 
vous  pouviez ,  à  l'aide  de  Panckoucke,  recouvcer 
surtout  le  premier,  vous  me  feriez  un  très -grand 
plaisir.  U  u y  a  presque- piotnt  delivresde hotauir 
que  chez  les  iy)raires  de- Paris,  e^Ton  y. est  très- 
barbare  sur  cet  article;  cependant,  jç  erois  que 
Didot  le  jeune  ou  Chevalier  en  ont  quelques-uns. 
Sans.vouloir  compter  avec  vous  à  la  rigueur,  ce 
qui  me  serait  bien  impossible,  je  vous  pria  pou»- 
tant  de  tenir:  toujours  note  ei^cte  de  vos  déhoui>- 
ses  pour  moi ,  afin  de  me  laisser  la  liberté  de  vous 
donnez  les  commissions.  Je  vou^  emjbrassei.. 


3x.. 


366  COftKBSPOVDANCE, 

783. AU   MÈH$, 

9  ottobre  1767. 

Jb  v<ms  écris  im  mot  à  la  hâte  pout  vous  dirt 
vpB  le  "patron  ài^  la  case  est  yena  ici  mardi,  seol, 
et  n'a  point  chassé;  de  sorte  qpe  j'ai  profité  de 
tous  les  momens  que  ce  grand  prilice^  et,  pour 
plus  dire ,  que  ce  digne  homme  a  passés  ici  :  S  me 
les  a  donnés  tous.  Vous  connaissez  mon  eœur  j  ju- 
gea comment  fat  senti  cette  grâce  :  faëlas!  qae  ne 
peut-il  voir  le  mal  et  en  couper  la  source!  mais  il 
ne  me  reste  qu'à  me  r&igner;  et  ccst  ce  que  jeâis 
aussi  pleinement  qu'il  se  peut. 

Cher  hôte,  renea  :  nous  aurons  des  légnfies, 
non  pas  de  son  jardin,  car  il  a^en  est  pas  le  niaf- 
tre;  mais  un  bonhomme  quW  tj^ompait  s'est  dé- 
taché de  la  ligue ,  et  je  compte  m'arrangcr  avec  lai 
pour  mes  fournitures,,  que  je  n!ai  pu  bite  jns- 
qu'ici ,  ni  sans  payer,  ni  en  payant  Samedi,  soth 
pant  avec  sou  altesse  y  je  mandai  du  £ruit  pour  la 
si:ule  fois  depuis  deux  mois  :  je  le  dis  tout  bonne- 
ment; le  lendemain,  il  m'envoya  le  bassin  qnon 
lui  araît  servi  la  veille,  et  qui  me  fit  grand  plal- 
s>^;  tar  il  ÙM  votis  dire  que  je  suis  ici  environna 
de  jardins  et  d  arbres^  comme  Tant^de  au  milieu 
des  eaux.  Mon  état  à  tous  égards  ne  peut  se  repré- 
senter,  mais  venez  :  il  changera  4tt  moius  tandb 
que  vous  serez  avec  moi. 

£otre  précaution  d'aller  par  degrés  est  excel- 


leoti^  coatiiittesi  de  meniez  et  ne  ^oss  prenez 
poiBt  :  mais  je  T<Ms  conjure  de  si  bien  faire ,  ^c 
vo«s  Vi^Qâ  pressiez  enccMre  XAOkis  dé  partir  d  ici 
(pMà  ynmi  j  serez*  Vous  ùite»  ttès^iÂeù  de  por- 
ter à  ^08  peds  Y09  nattes  et  vos  tapie  de  jAcd  : 
h  Êçoa  iooftt^wÉ»  me  proposez  celte  terrible 
éni^e  tsa  &if  taidorir  de  rite;  fe  suis  TOIulip^ 
tjui  fera  l'eSbrt  de  la  deviner ,  c'est  que  vous  avez 
des  pantoufles  de  laine  garnies  de  paille  :  si  Vos 
dlta^ aes  d'échecs  sont  de  la  force  de  vos  énigmes  s 
je  n'ai  qu'à  me  bien  tenir.  Bonjour. 

l«5  oreilles  ont  dû  vous  tinter  pendant  que 
soniitçsseiêlàitlci.Bofiîourderechef  ;  jene  croyafe 
«k  rire  qu'um  mot ,  et  je  ne  siatirais  finir. 

^84'  —  A  BL  Dtmirs. 

16  octobre  x?^?- 

PiisqvE  M.  Dntens  juge  plus  co;nimodé  irpie  la 
['eûle  rente  qu'il  a  proposée  pour  priSc  de^  livres 
<if  J.  J.  Rousseau  soit  payée  â  i^ndrei^,  même 
I  ''or  cette  année ,  où  cépndaill  l'un  et  lautrc 
îOTii  en  ce  pays,  soit.  Il  y  aura  toutefois,  sut  la 
f 'miole  de  la  lettre  de  change  qu'il  lui  a  envoyée , 
lin  petit  retranchement  à  fai^,  sur  Icqil^l  il  scfâît 
î  propos  que  M.  Frédéric  Dutens  fftt  prévenu  ; 
:  est  ceint  du  lieu  de  la  date  :  car  quoicpie  Rous- 
'^aa  sache  très-I»eii  que  Sa  demeure  est  connue 
!e  tout  le  monde,  il  lui  convient  ccpend^t  de  ne 
^fiat  aatoriser  de  son  iaittette  connaissance.  Si 


X8  CORRBOPOlfïDAlICCE , 

cette  suppressionpoiiyalt  faire  dîfficullé^  M.Du- 
tens  serait  prié  de  chercher  le  aiayea  de  la  leVer^ 
eu  de  revenir  au  paiement  du  capital,  £Mile  de 
pouvoir  établir  commodémèut  cehii  delà  sente. 

J.  J.  Rousseau  a  laissé  enU*e  les  mains  de 
M«  Darenport  un  supplément  4^  Uvi»&  à  la  dispo- 
sition de  M.  Dutens ,  poui*  éUe  réunie,  i  la  masse. 

•  ■ 

^85., — 'A  M.  DU  Peyrou. 

La  17  octobre  i767# 

*  t        ' 

ê  ■ 

Tai,  mon  cher  hâte,  votre  lettre  du  i3,  et  jy 
vois,. avec  la  plus  grande  joie,  que  vsos  forces  re- 
venues graduellement,  et  par  là  plus  soljdeifient, 
vous  mettent  en  état  de  &ire  ^  Paris  le  grand  gar- 
çon; mais  je  voudrais  bien  que  vous  n'y  fissiex  pas 
trop  l'homme,  et  que  vous  vinssiez  ici  alKomir 
votre  virilité,  de  peur  d'être  tenté  de  Texercer  où. 
vous  ôtes.  Vous  me  paraissez  en  train  d^abuser  un 
})eu  de  la  pemûssiou  que  je  vous  ai  donnée  d'y 
j^rolonger  votre  séjour.  Ecoutez;  j  ai  bien  mesuré 
cette  permission  sur  les  besoins  de  votre  santé  j 
mais  non  pas  sur  ceux  de  vos  plaisirs ,  et  je  ne  me 
.^ens  pas  assez  désintéressé  sur  ce  point  pour  con- 
sentir que  vous  vous  amusiez  à  mes  dépens.  Ne 
venez  pas ,  après  vous  être  solacié  k  Paris  tout  k 
voire  aise ,  me  dire  icique  vous  ôtes  pressé  de  par- 
tir ,  que  vos  aflbires  vous  talonnent,  etc.  ;  je  vous 
i>vorlis  qu'un  Ici  langage  ne  prendrait  pas  du  tout; 
<^iu  ,  sur  C(»  ytiut,  je  n  entendrais  pas  raillerie;  et 


que  fal  tout  au  moins  le  droit  d  exiger  que  tous 
fie  soyez  pa»  plus  pressé  de  partir  d  ici^que  vous 
aelayez  été  d  y  venir.  Pensez  à  cela  très -sérieu- 
sement, je  TOUS  prie;  et  faites  surtoat  ks  choses 
fassez  bonne  grâce  pour  mériter  que  je  vous  par- 
donne les  huit  jours  dont  vous  avez  eu  le  front  de 
me  parler.  Au  premier  mx)mcnt  oii  vous  vous  dé> 
}da)rez  ici,  partez- en ^  rien  n  est  plus  juste ^  mais 
arrangez- vous  de  telle  sorte  qu'il  n'y  ait  que  Fea- 
nui  qui  VOU&  en  puisse  chasser  :  j'ai  dit» 

Je  ne  suis  pas  absolument  fâché  des  petits  tktiu 
cas  qu'a  pn  vous  donner  la  recherche  des  livre&  de 
hotanîque  ;  promenades,.dLversioBS  y  distraetienSy 
sontcboses  bonnes  pour  la  convalescenee  1  mai& 
3  ne  faut-pas  vous  inquiéter  du  peu  de  succès  dt 
y  os  recherches;  jeu  étaiis  déjà  presque  sus  dV 
vancev  et  c  était  en  prévoyant  quon^  trouverait 
peu  de  livres  de  botanique  à  Paris ,.  que  ^a  notais 
un  grand  nombre  pour  mettre  au  hasard  la  ren- 
contre de  qnekjnW.  Il  est  étonnant  ^  quel  point 
de  erasse  ignorance  et  de  barbarie  on  resta  en 
France  sur  cette  belle  et  ravissante  êiud&que  Lin^ 
naeus  a  mise  à  la  mode  dans  tout  le  reste  de  TËu- 
rope.  Tandis  qnen  Allemagne  et  en  Angleterre 
les  princes  et  les  grands  font  leurs  délices  de  Fé- 
tude  des  plantes,  on  la  regarde  encore  ici  comme 
one  étude  d'apothicaire;  et  vous  ne  sauriez  croire 
qœl  profond  mépris  on  a  conçu  pour  moi,  dans  ce 
f^ySj  en  me  voyant  herboriser.  Ce  superbe  tapis 
dont  la  terre  est  couverte  ne  montre  à  leurs  yeux 


5y2  CORRCSPOKDANXE , 

plus  tard  qu'à  Fordinaire ,  j'envoyai  trois  fois  de 
suite  à  Gi6ors  :  eiifin  je  la  reçois  cette  lettre  si  im- 
patiemment  attendue  ;  et,  après  Tavoir  déchirée 
pour  l'ouvrir  plus  vite ,  au  lieu  du  détail  que  j'y 
cherchais,  j^  vois  pour  début  celui  du  départ  de 
mes  lettres.  Mon  Dieu!  qu'en  le  lisant  vous  me 
paraissiez  haïssable!  Ma  foi,  si  c^e^  ]&  de  la  poli- 
tesse,  je  la  donne  au  diable  de  bien  bon  cœur. 

Enfin  vous  voilà  heureusement  arrivé,  malgré 
ce  premier  accident  dont  l'histoire  m'eût  feît 
trembler,  si  votre  lettre  n'eût  été  datée  de  Paris, 
Convenez  qu  en  ce  moment-là  vous  dûtes  sentir 
qu'il  nest  pas  inutile  à  un  convalescent  d'avoir 
avec  soi  un  ami  en  route,  et  qu'au  fond  du  cœur 
vous  m  avez  su  gré  de  ma  tricherie.  Voilà  les 
seules  que  je  sais  Êiire,  mais  je  ne  m'en  corrigerai 
pas. 

Je  suis  trës-charmé  que  vous  soyez  content  de 
vos  petits  repas  tête  à  tdte,  et  je  désire  extrême- 
ment que  vous  preniez  l'habitude  de  diner  en  ville 
le  moins  qu'il  se  pourra ,  d'autant  plus  que  le  froid 
terrible  qu'il  Êiit,  et  dont  l'influence  m*est  bien 
cruelle,  la  neige  abondante  par  laquelle  il  se  ter- 
minera probablement,  doivent  vous  empêcher  de 
songer  à  votre  départ  jusqu'à  ce  que  le  temps  s'a- 
doucisse, et  que  les  chemins  deviennent  prati- 
cables ;  tjuoique  je  vous  avoue  bien  que  votre  lon| 
séjour  à  Paris  ne  me  laisserait  pas  sans  inquiétude, 
si  vous  n'aviez  avec  vous  un  bon  surveittant  qni^ 
f espère j  ne  s'embarrassera  pas  plus  ^e  moi  àâ 


^NKÉs  1768.  3j3 

TOUS  déplaire  pour  tous  conserver.  Je  me  tran- 
(piillisedonc^  et  je  tranquillise  de  mon  mieux  ma 
pauvre  aœor,  non  moins  inquiète  que  moi ,  espé- 
rant que,  dans  ce  temps  rigoureux  y  vous  veillerez 
altcnbTemcnt  Tun  sur  l'autre ,  en  sorte  que  vous 
voQs  rendiez  tons  deux  à  vos  pénates,  sains  et 
sauÊ.  Ainsi  soit -il!  Cette  bonne  fille  est  trans- 
portée de  joîe  de  votre  heureuse  arrivée  j  et  je  vois 
arec  grand  plaisir  qu'elle  cède  à  cette  pente  si  na- 
tnitile  et  si  honorable  au  xxeur  humain ,  de  s^at- 
lâcher  aux  gens  avec  plus  de  tendresse  par  les 
soins  qu'on  ienr  a  rendus.  Quant  à  ce  que  vous 
ajoutez,  qu'elle  s*est  lait  gronder  plus  d'une  fob 
par  son  Crère ,  à  cause  des  soins ,  des  attentions  et 
des  complaisances  quelle  avait  pour  vous,  cela 
me  parait  si  plaisant^  que ,  n'étant  pas  aussi  gail* 
lard  que  vous,  je  n'y  trouve  rien  à  répondre. 

Vous  avez  raison  de  croire  que  les  détails  de 
vos  déjcttûers  et  dîners  me  font  grand  plaisir  : 
ajoalez  même,  et  grand  bien  ;  car  ils  me  rendent 
laj^ûtquc  le  froid  excessif  m'Âte. 

V^oici ,  mon  cher  hôte ,  une  réponse  de  madame 
Tabbesse  de  Gomer-Fontaine.  Cette  réponse  était 
accompagnée  d'un  petit  billet  très-obligeant  pour 
Boi,  et  £oor  ma  sœur  ^  de  jolies  breloques  de  re^ 
ligieases.  Cette. dame  est  jeune,  bonne,  très^iSM- 
naUe;  et  je  crois  que  vous  auriez  assez  aimé  à  lui 
KEodre  des  douceurs  qui  fussent  autant  de  son 
giùt,  «pie  les  siennes  Tétaient  du  v6tre.  Je  ne 

4.  3s 


37  \  CORRESPONDANCE , 

manquerai  pas  de  lui  &irc  quelijuefois  votre  cour, 
sitôt  que  la  saison  le  permettra. 

7^3* ^  MILO&D  COMTE  DB  HaRCODUT. 

'i3  janTÎer  1768. 

Je  ote  reprocherais,  milord,  d'avoir  tardé  â 
long-temps  à  vous  écrire  et  à  tous  remercier ,  si  je 
ne  me  rendais  le  témoignage  que  la  volonté  y  était 
tout  entière,  et  que  ce  que  je  veux  Aire  est  tou- 
jours ce  que  je  Eus  le  moins.  J'ai,  entre  autres,  été 
depnis^  trois  mois  garde-malade,  et  je  n'ai  pas 
quitté  le  chevet  d*un  ami,  qui,  grâce  an  ciel!  est 
enfin  parfaitement  rétabli.  Je  vous  offire,  mikrd, 
bs  prém^iccs  de  mes  loisirs;  et  c'est  avec  autant 
d'empressement  que  de  reconnaissance  que ,  tou- 
ché de  toutes  les  bontés  dont  vous  m'avez  bo- 
luré:,  je  vous  en  demande  la  coatiunatioii.  11  ne 
tiendra  pas  à  moi  qu'eu  les  cultivant  avec  le  plus 
grand  soin ,  je  ne  vou&  témoigne  en  toute  occasion 
combien  elles  me  sout  précieuses* 

Tai  reçu  depuis  long-temps  Pargent  du  biUet 
q^e  vous  prîtes  la  peine  de  m'envoyer  pour  W 
pGoduit  des  estampes;  et  c'est  encore  un  de  mes 
>lert6  les  moins  excusables  de  ne  vous  en  avoir  pas 
U»ut  de  suite  accusé  la  réception  ;  mais  je  me  nh 
fùMB  un  peu  en  cela  sur  votre  banquier^  quî 
n-aura  pas  manqué  de  vous  en  donner  avis.  Vous 
mer  demandez,  miloid,  ce  qu'il  allait  faire  des 
estampes  de  M.  Watelet  :  nous  étions  convenus 


AîfKÉE  1708.  375 

gse,  pois^ue  vous  ne  les  aviez  pas,  et  qu^elles 
Yom  étaient  agréables,  vous  les  ajouteriez  à  vos 
porte-feuilles ,  d  autant  plus  qu'elles  ne  pouvaient 
passer  décemment  et  convenablement  que  dans 
ks  makis  d'un  ami  de  Fauteur  ;  ainsi  jVspèrequ'à 
ce  titre  vous  ne  dédaignerez  pas  de  les  acceptée 
A  r^ard  de  Testampe  da  roi,  je  désire  extrême* 
■fDt  qu  eUe  me  parvienne  :  et ,  sL  vous  perud^ez 
foe  j'abuse  eaccœ  de  vos  bontés,  j^ose  -voua  sup» 
pKer  de  la  laire  en¥eli^»per  avec  soin  dansw  ro»^ 
leau.  Je  désire-extrémemeut  recevoir  bientôtcettie' 
belle  estampe,  que  f aurai  soin  de  faire^Bcadrer 
conv^nabkmrat,  pour  avoir  tes  traitas  démon  au- 
ffxAt  bleolaueur  incessamment  grav^  soi»  me& 
j'-eiu,  c<HBme  ses  bontés  le  sont  dans^mon  cœur. 
Daigaez,  miloid,  continuer  k  mlKHiorer  des 
v6tres,  et  quelquefois  des  marques  de  VAtre*  iou- 
veair  :  je  ticherai^de^mon  cèté,  do  ne  me  pas 
taisser  oeblier  de  vous,  en  vous  r^iouvelant^  au- 
tant qœ  cela  ne  vous  importunera  pas,  les  assu. 
raiioes  de  mon  plus  entier  dévouMaent  el  de  mon 
plus  vrai  respecL 

7SO. A  M.  LE  JUXQVIS  i>£  MlBABEAV. 

fi3  Janvier  1^68. 

J'ai,  BMHi  îilustjpe  ami^  pour  vous écnre,  laissé 
passer  le  temps  des  sots  complimens  dictés  non 
par  le  coeur,  mais  par  le  jour  et  par  Tbeure^  et  qui 
partent  â  leur  moment  c<»nme  la  détente  dun« 


3^6  correspo:îdan'Ce  , 

horloge.  Mes  sentimens  pour  vous  sont  trop  vrais 
pour  avoir  besoin  d'être  ditfr,  et  vous  les  méritez 
trop  bien  pour  manquer  de  les  connaître.  Je  vous 
plains  du  fond  de  mon  cœur  des  tracas  od  vous 
êtes;  ear^  quoi  que  vous  en  disiez,  je  vous  \oh 
em})an{ué ,  sinon  dans  des  querelles  littéraires ,  au 
moins  dans  des  querelles  économiques  et  poli- 
tiques; ce  qui  serait  peut-être  encore  pis,  sHl  était 
possible.  Je  suisrprét  a  tomber  en  d^aillance  nu 
seul  souvenir  de  tôuf  cela;  permetfcz  que  je  nVn 
parle  plus,  que  je  n^  pense  plus  qnepar  le  tendre 
intérêt  que  je  prends  à  votre  repoy,  à  votre  gloire; 
Je  puis  bien-  tenif  les  mains  élevées-  pendant  le 
ooml)at,  mai9non  pcrs'Tnc  résoudre  à  Ic-regarder. 
Parlons  de  chansons',  cela  vandrir  mieux  :  se- 
rait-il possible  que  vous  songeassiez  tout  de  bon 
à  faire  un  opéra?  Obi  que  vous  seriez  aimable ,  et 
que  j  aimerais  bien  mieux  vous  voir  chanter  k 
l'Opéra  que  crier  dans-  le  désert  !  non  qu  on  se 
vous  écoute  et  qu'on  ne  yons  lise,  mais  on  ne 
vous  suit  ni  ne  veut  vous-entendre.  Ma  foi,  mon- 
sieur, faisons  comme  les  nourrices,  qui,  quand 
les  enfaus  grondent ,  leur  chantent  et  les  font  dan- 
ser. Votre  seule  proposition  m'a  déjà  mis,  moi 
vieux  radoteur,  parmi  ces  enfans-là;  et  il  s'en 
faut  peu  que  ma  muse  chenue  ne  soit  prête  à  se 
ranimer  aux  accens  de  là  vôtre,  ou  même  kh 
seule*  annonce* de  ces  accens.  Je  ne  vous  en- dirai 
pas  aujourd'hui  davantage  j  car  votre  proposition 
ma  ton*  Tair  de  n'être  qu'une  vainc  amorce,  pour 


voir  si  le  TÎeiix  fou  mordrait  encore  â  Hiameçon. 
A  présent  ^e  vous  en  avez  à  peu  près  le  plarsir^ 
dites-moi  rondement  ce  qui  en  est;  et  je  vous  dh- 
rai  banchement ,  moi ,  ce  que  j'en  pense ,  et  ce  que 
je  croîs  V  pouvoir  Élire  :  après  cela ,  si  le  cœur  voiis 
en  dit^noQs  en  pounrons  causer  avec  mon  aimable 
pajse^qai  nous  donnera  sur  tout  ceta  de  très-bons 
conseils.  Adieu,  mon  illustre  amr;  je  vous  em- 
hrassê  arec  respect  ^  mais  de  tout  mon  cœur. 

791  >  —  A  Madame  Latouh. 

A  Twjfe^  k  ao  i«nvier  i^ÇÇL 

LotsqiJi  )e  voiu?  écrivis  un  mot,  il  y  a  trois 
mois,  chèreMarânne,  j'avais  le  coeur  plein  d'espé- 
rances flatteuses  gni  se  sont  bien  cruellement  éva^ 
noo^.  L^tereeption  d'une  correspondance  di- 
recte étant  plus  que  probable ,  je  comptais  ^  entre 
aotres,  ^ncher  ce  cœur  dans  le  vôtre  par  une 
voie  qoj  me  paraissait  aussi  sûre  que. douce.  Il 
n'en  est  plus  question  :  le  ciel,  qui  veut  qu  il  ne 
manque  rien  à  ma  misère,  m^ôte  la  plus  précieuse 
eoasolation  des  infortunés*  • 

Samiisi ,  ho  Dô  !  ftfodr, 
Et  Don  poter  mai  dio  : 
Morir  mi  s«nto  J  . 

11  ne  me  reste  phis  qu^à  prendre  mon  parti' de 
Venue  grâce,  et  je  le  p'ends  du  moins  irrévocable- 
Acnt:  je  me  condamne  à  un- silence  ét#rnc4  9ut 

3i. 


38a  CORAESPONBANCE, 

de.la  belle  saison  qui  s  approche  y  dans  votre  cha^ 
mante  demeure,  sans  aucun  ressentiment  de  vos 
précédentes  incommodités.  Vous  y  trouverez,  je 
pense,  à  votre  retour,  un  barbouillage  nouvelle- 
ment imprimé,  où  je  me  suis  mêlé  de  bavarder 
sur  la  musique,  et  dont  j'ai  fait  adresser  un  exem- 
plaire à  M.  Rougemont,  avec  prière  de  vous  le 
taire  passer.  Aimant  la  musique,  et  vous  j  con* 
naissant  aussi  biea  que  vous  faites,  vous  ne  dé- 
daignerez peut-être  pas  de  donner  quelques  mo- 
mens  de  solitude  et  d^oisiveté  à  parcourir  une 
espèce  de  livre  qpi  en  traite  tant  bien  que  mal  : 
j'aurais  voulu  pouvoir  mieux  faite  j  mais  enfin  le 
voilà  terqu'il.esf.- 

Le  défaut  d'occasion,  monsieur,  pour  Ênre 
partir  cette  lettre ,  rend  sa  date  bien  surannée ,  et 
me  Ta  fait  écrire  â  deux  feb^^:  Toecasioii  mèccie 
d'un  ami  prêt  à  partir,  ct'ijui  veut  bien- s*ca  char- 
ger, ne  me  laisse  pas  lëtemps'd'e  Cranscrire*ma  ré- 
ponse à  raimabîé  Bergère  de  Câlwich ,  et  me  force 
à  la  laisser  partir  un  -peut  embrouillée  :  vemlleA 
lui  Élire  excuser  cette  petite- îrréjgularité)  ainsi 
que  cdUôdu  défituC  de  signature^  dont' vous  po\t 
trez  savoir  la  raison.  Recevez,  monsieur,  mes  sa 
lùtations  empressées  et  mes  vœux  pour  4'a£fenDU 
sement-de  votre  santë.v 

t'HsRBoiasTK 


BiS-CojBme  Tex^nplaire  du  Picf  î 


AîmÉE  1768^  3ot 

Musique  qui  vous  était  destiné  ayaît  été  adressé  h 
M.  Vaillant,  ^i  n'a  jamais  paru  fort  soi^eox  des 
commissions  qui  me  regardent,  j'en  ai  fait  en* 
voyer  depuis  un  second  à  M.  Rougemont  pour 
TOUS  le  fa'u'e  passer  au  défaut  du  premier. 

J()3. A  MADEMOISELLE  DewE$, 

Ls  25  janvier  i7/>8« 

Sf  je  vous  ai  laissé,  ma  lieHe  voisine,  une  em^ 
preînte  que  vous  avez  bieû' gardée,  vous  mfci! 
avez  laissé  une  autre  que  j'm  gardée  encoremieux . 
Vous  n  avez  mon  cachet  que  sur  un  papier  qui 
peut  se  perdre,  maïs  jai  le  vôtre  empreint  dan i 
mon  cœur,  d où  rien  ne  peut  refiaccf;  Puisqu'il 
était  certain  que  j'emporïab  vofrc  gïige,tr  don* 
teux  que  vous  eiisisiez  conservé  le  mien,  c'était 
moi  seul  qui  devais  désirer  de  vérifier  la  chose  : 
c'est  moi  seul  qui  perds  à  ne  Parôîr  pas  fait.  Aî-je 
donc  Besoin,  pom-  mieux  sentir  mon  malheur, 
que  TOUS  m'en  Êissiez  encore  un  crime?  cela  n'est 
pas  trop  humain.  Mais  votre  souvenir  mfr  console 
de  vos  reproches',  j'aime  mieux  raos  savoir  in- 
juste qu-indiSerente,  et  je  voudrais  être  grondé 
tous-les  jours  au  même  prix.  Daignez  donc,  mîa 
belle  voisine,  ne  pas  oublier  tout -à-fait  votre  es»- 
clave ,  cl  continuer  à  lui  dire  quelquefois  ses  vé- 
rités. Pour  moi ,  si  j'osais  à  mon  loûr  vous  dire  les 
vôtres,  vous  me  firouveriez  trop  galant  pour.un 
harbon.  Bonjour,  ma  beUe  voisine.  Puissicz-vouà 


38a  CORRESPOUDANCE, 

bientôt,  sous  les  auspices  du  cher  et  vespectaU 
oncle,  donner  un  pasteur  à  vos  hrebis  de  Ca 
wicb! 

794» A.  M.  lE  MARQUIS  D£  MlRABËAU. 

Trye ,  le  a8  janvier  1 768. 

Je  me  sonylens^  mon  illustre  ami,  que  I 
jour  où  je  renonçai  aux  petites  vanités  du  monde 
et  eti  même  temps  à  ses  avantages,  je  me  di 
entre  autres,  en  me  défaisant  de  ma  montre 
Grâce  au  ciel!  je  n^aurai  plus  besoin  de  savoî 
rheure  qu^il  est.  J'aurais  pu  me  dire  la  même  cfaos 
sur  le  quantième,  en  me  deâiisant  de  mon  aima 
nach  ',  mais,  quoique  je  11  y  tienne  plus  par  les  ai 
faires,  j'y  tiens  encore  par  Famitié  ;  c^  rend  me 
correspondances  plus  douces  et  moinsfirâciuentes 
c'est  pourquoi  je  suis  sujet  à  me  tromper  dans  mie 
dates  de  semaine,  et  même  quelquefois  de  mois 
car,  quoique  avec  Talmanach  je  sache  bien  trou 
ver  le  quantième  dans  la  semaine,  sacbant  \ 
jour ,  quand  il  s'agit  de  trouver  aussi  la  semaine 
je  suis  totalement  en  défaut.  Ty  dévrais  ^urtaii 
être  moins  avec  vous  qu'avec  tout  autre ,  puiaqu 
je  n'écris  à  personne  plus,  souvent  et  plus  Toloii 
tiers  qu'à  vous« 

Conclusion  :  nous  ne  ferons  d'opfra  bî  IW  ^ 
Tautre;  c'est  de  quoi  jetais  d  avance  k  peu  pr^ 
KÛ^  J'avoue  pourtant  que ,  dans  ma  situation  pr^ 
^nte,  quelque  distraction  attachante  et  agréabi 


ne  serait  nécessaire.  Jaurais  besoin^  sinon  de 
faire  de  la  mosîqae,  au  moins  d'en  entiendre,  et 
cela  me  ferait  même  beaucoup  plus  de  bien.  Je 
sois  attacte  plus  qne  [Mnais  à  k  solitude;  mais 
il  y  a  tant  d'entonrs  déplaisant  à  la  mienne,, 
et  tant  de  tristes  sooyenirs  mj  ponrsniyent,  mal- 
gré moi,  qu'il  m'en  fiiiidrait  nne  antre  encerc 
plnsenciére,  maïs  où  des  objets  agréables  pns* 
sent  e&oer  l'impression  de  cenx  qui  m'oecupent^ 
et  faire  diversion  au  sentiment  de  mes  midhenrs 
Des  spectacles  où  je  pusse  être  seul  dans  un  ceia 
h  pleurer  k  Hion  aise,  de  la  ntisiqne  qui  pAt 
ranimer  un  peu  mon  ceeiMP  affaissé;  roilà  ce  qu'il 
me  Eàudrail  pour  efiàcer  toutes  les  idées  anlé 
rieures  y  et  me  ramener  uniquement  à  mes  plantes , 
qui  m*ont  (pitié  pour  trop  long -temps  cet  hiver. 
Je  n aurai  rien  de  tout  ceia,  car  en  toutes  choses 
les  coBsolatîoos  les  pins  simples  me  sont  refusées  ; 
maïs  U  Bit  âne  m  peu  de  travail  sur  moi-même 
poarj  soppléer  de  mon  propre  fonds. 

On  dit  i  Paris  que  je  retom-ne  en  Angleterre. 
Je  n'en  suis  pas  sorpris  ;  car  le  public  me  connaît 
si  bien ,  qnH  me  &it  toujours  faire  exactement  le 
coQiraiie  des  choses  que  je  &is  en  eflët.  M.  Da^' 
vcnport  ma  écrit  des  lettres  très-bonnêtes  et  très- 
eaapressées  ponr  me  rappeler  chez  lut.  Je  n'ai  pas 
on  devoir  repondre  brutalement  à  ses  avancés, 
OMB  je  n'ai  |amais  mar^é  Fintention  dfj  refont^ 
fier.  Honoré  ées  bieiic&tts  du  souverain,  et  des 
bornés  et  beaucoup  de  gens  de  çiérite  dans  ea 


3S\  GORKESPOVDANCE, 

pays-là  {]y  suis  attaché  par  reconnaissance ,  et  \e 
ne  doute  pas  qu'avec  un  pou  de  choix  dans  mes 
liaisons  je  n'y  pusse  vivre  agréaUement;  «nais 
l'air  du  pays  qui  m  en  a  chassé  n'a  pas  changé  de- 
puis ma  retraite,  et  ne  me  pennet  pas  de  songer 
au  retour.  Celui  de  France  est  celui  de  tous  les 
airs  du  monde  qui  convient  le  mieux  à  mon  corps 
el  à  mon  cœur;  et  tant  qu'on  me  permettra  dy 
vivre  en  liberté,  je  ne  choisirai  point  d'autre  asile 
pour  y  finir  mes  jours. 

On  me  presse  pour  la  poste,  et  je  suis  forcé  de 
finir  brusquement,  en  vous  saluant  avec  respeci 
et  vous  embrassant  de  tout  mon  ^cœur. 

7g5.  —  ▲  MADAME  Latour. 

Ce  18  jam  1768. 

*  « 

Je  crains  bien ,  chère  Marianne,  qu'une  lettie 
que  je  vous  écrivis  il  y  a  dix  ou  douze  jours  ne  se 
soit  égarée  par  ma  faute,  en  ce  que,  m  étant  très- 
mal  à  propos  fié  à  ma  inémoire,  qui  est  entière- 
ment éteinte ,  au  lieu  de  mettre  sur  Tadresse  la  rue 
du  Croissant^  je  mis  seulement  la  rue  du  Qros- 
Chenet.  Ce  qui  augmenterait  mon  chagiin  de 
cette  perte  est  que  {^entrais,  dans  cette  lettjre ,  dans 
bien  des  détails  que  j  aurais  désiré  n'être  vus  que 
de  vous.  Peut-être  aussi  que  votre  silence  ne  vient 
que  de  ce  que  vous  ignorez  mon  adresse.  £lle  est 
tout  simplement,  À  M.  Renou,4  Tiye,  par  Gi- 
sors.  J'attends  ^e  vous  un  mot  d^éclalrcissenient| 


AJfviE  1768.  385 

e\  falieiids  en  même  temps  des  noayelles  de  rotre 
samé,  et  rassurance  cpe  vous  m'aimez  toujotirs. 

^6.  — •  A  M.  d1v£anois. 

Trye,  le  ^9  jwnrier  1768. 

Tki  reçu ,  mon  digne  ami  ^  to tre  paquet  du  a:», 
et  il  me  serait  paiement  parvenu  sous  ladresse 
que  je  vous  ai  donnée,  quand  tous  n^auriez  pas 
pris  Tinutile  précaution  de  la  double  enveloppe, 
sous  laquelle  il  n  est  pas  même  à  propos  que  le 
nom  de  votre  ami  paraisse  en  aucune  &çoq«  CVst 
avec  le  plus  sensible  plaisir  que  j'ai  enfin  appris 
de  vos  nouvelles;  mais  j'ai  été  vivement  ému  de 
1  envoi  de  votre  &miUe  à  Lausanne  :  cela  m^ap- 
prend  assez  à  quelle  extrémité  votre  pauvre  ville 
et  tant  de  braves  gens  dont  elle  est  pleine  sont  à 
la  veîUe  d'être  réduits.  Tout  persuadé  que  je  sois 
gne  rien  ici-bas  ne  mérite  d'être  acheté  au  prix  dm 
sang  bnmain  y  et  qu'il  n  y  a  plus  de  liberté  sur  la 
terre  que  dans  le  cœur  de  l'homme  juste  j  je  sens 
bien  toutefois  qu'U  est  naturel  à  des  gens  de  cou- 
rage |  qui  ont  vécu  libres,  de  préférer  une  mort 
honorable  à  la  plus  dure  servitude;  cependant, 
même  dans  le  cas  le  plus  clair  de  la  juste  défense 
de  vous-mêmes ,  la  certitude  où  je  suis  qu  eussiez- 
vous  pour  un  moment  l'avantage,,  vos  malheiu^ 
n'en  seraient  ensuite  que  plus  grands  et  plus  sûrs , 
me  prouve  qu'en  tout  état  de  cause  les  voies  de 
ûil  ne  peuvent  jamais  vous  tirer  de  la  situation 


386  coiiit£sPoi!a>ANCE , 

critiqae  où  tous  êtes  qu'en  aggravant  vos  mal- 
lieurs.  Puis  donc  que,  perdus  de  toutes  fiiçons, 
supposé  qu'on  ose  pousser  la  chose  à  rextrème, 
vous  êtes  prêts  à  vous  ensevelir  sous  les  ruines  de 
la  patrie ,  faites  plus  :  osez  vivre  pour  sa  gloire  au 
moment  qu'elle  n'existera  plus.  Oui  j  messieurs ,  il 
vous  reste ,  dans  le  cas  que  je  suppose,  un  dernier 
parti  à  prendre,  et  cest,  j^ose  le  dire ,  le  seul  qui 
soit  digne  de  vous  :  c'est,  au  lieu  de  souiller  vos 
mains  dans  le  sang  de  vos  compatriotes,  de  leur 
abandonner  ces  murs  qui  doivent  être  Tasile  de  la 
liberté,  et  qui  vont  n'être  plus  qu^un  repaire  de 
tyrans;  c^est  d^en  sortir  tous,  tous  ensemble,  en 
plein  jour,  vos  femmes  et  vos  en&ns  an  milieu  de 
vous;  et.,  puisqu'il  &ut  porter  des  fers,  d'aller 
porter  du  moinsj:eux  de  quelque  grand  prince, 
et  non  pas  rinsupportable  et  odieux -joug  de  tos 
égaux.  Et  ne  vous  imagines  pas  quen  pareil  cas 
TOUS  resteriez  sans  asile  ;  vous  ne  savez  pas-quelle 
estime  et  quel  respect  votre  ooorage,  votre  no- 
dération,  votre  sagesse,  ont  inspirés  pour  tous 
dans  toute  1  Europe.  Je  nlfflagine  pas  ^ul\  s^y 
fe:euve  aucun  souverain,  je  n'en  excepte  aucun , 
qui  ne  reçût  avec  honneœr,  j'ose  dire  avec 
pect,  cette  colonie  émigrante  d'hommes  trop 
tueux  pour  ne  savoir  pas  être  sujets  aussi  fidèles 
qu'ils  furent  zélés  citoyens.  Je  comprends  lâen 
qu'en  pareil  cas  pIuMeots  d'entre  vous  seiaient 
ruinés  :  mais  je  pense  que  des  gens  qui  saTeat 
crifier  leur  vie  au  devou*  auraient  sacrifier  ie 


XIXTXZE  1768.  387 

iieDsàllioiiiiear,  et  s^applaudii^  de  ce  sacrifice; 
cl,  après  tout,  ceci  n'est  qu'un  dernier  cxpédieAt 
p(Kir  conserver  sa  vertu  et  son  innocence  quand 
toolkieste  est  perdu.  Le  cœur  plein  de  cette 
Âiee,  je  ne  me  pardonnerais  pas  de  n'aroir  osé 
TOUS  k communiquer.  Du  reste,  tous  âtes  éclaît- 
rés  et  sages  ;  je  suis  très-sûr  que  tous  prendrrs 
tonjoors  en  tout  le  meilleur  parti ,  et  }e  ne  oe  puis 
croire  qaW  laisse  jamais  aller  les  dioses  au  point 
qull  est  bon  d'avoir  prévu  d'avance  pour  ttre 
pte  &  tout  événement. 

Si  vos  afl&ires  vous  laissent  quelques  momens 
à  d<xmer  à  d'autres  choses  qui  ne  sont  xiest  moins. 
<pie  pressées,  en  voici  une  qui  me  tient  au  ceem*^. 
et  SOI  laquelle  je  voudrais  vous  prier  de  prendre 
quelgae  ëcbf  rcissement ,  dansquelqu'un  des  voya- 
ses  que  je  suppose  que  vous  ferez  à  Lausanne , 
taudis  que  voùne  Êimille  y  sera.  Vous  savez  que 
j  cil  a  Xioo  oDe  tante  qui  ma  élevé ,  et  que  j'ai  tou- 
jours tendrement  aimée,  quoique  faîe  une  fois, 
romme  vous  pouvez  vous  en  souvenir,  sacrifié  ïê 
plaisir  de  la  voir  k  Fempressement  d'aller  avec  * 
vous  joindre  nos  amis.  ËUe  est  fort  vieflle^  eUe 
^^e  un  mari  Sort  vieux  9  j'ai  peur  qu'elle  n'ait 
[^09  de  peine  que  son  âge  ne  comporte ,  et  je  vou- 
drais lui  aider  à  payer  une  servante  pour  la  sou- 
'^r.  Malbenreusement,  quoique  je  n'aie  aug-- 
BfQté  ni  mon  train  ni  ma  cuisine,  que  je  n'aie 
ïiioin  domestique  à  mes  gages,  et  que  je  sois  ici 
Qçé  et  chauffe  gralmieiBent ,  ma  positioA  me  rend 


38S  COHaESPONDANOE, 

la  vie  ici  si  dispendieuse,  <jue  ma  pension  me 
suffit  à  peine  pour  les  dépenses  inévitables  dont 
jesuis  chaîné- Voyez,  cher  ami,  si  cent  francs  de 
France  par  an  pourraient  jeter  quelque  douceur 
dans  la  vie  de  ma  pauvre  vieille  tante,  et  si  vous 
pourriez  les  lui  faire  accepter.  £n  ce  cas,  la  pre 
mière  année  courrait  depuis  le  commencement  de 
celle-ci,  et  vous  pourriez  la  tirer  sur  moi d  avance, 
aussitôt  que  vous  aurez  arrangé  cette  petite  afiaire- 
là.  Mais  je  vous  conjure  de  voir  que  cet  argent  soit 
employé  selon  sa  destination ,  et  non  pas  au  profil 
de  parens  ou  voisins  âpres ,  qui  souvent  obsèdent 
les  vieilles  gens.  Pardon ,  cher  ami  :  je  choisis  bien 
mal  mon  temps;  mais  il.  se. peut  qu'il  n'y  ea  ait 
pas.i  perdre.. 

797' ^^  MÊME; 

Du  chAteau  de  Trye ,  ce  0  ïéTntr  1 768. 

Dàks  l'incertitude,  <mi)n  excellent  ami,  de  la 
meilleure  voie  pour  vous  &ire  passer  cette  lettra 
'sûrement  et  promptement,  je  prends  le  parti  de 
risquer  directement  ce  duplicata,  etdVn  adresser 
un  autre  à  M.  Goindet,  pour  vous  le  faire  passer. 
C'est  une  lettre  qu'il  a  ceçue  et  qu'il  m^a  euToyée 
qui  a  occasiomié  la  mienne.. Le  temps  me  presse^ 
je  suis  rendu  de  fatigue  et  navré  de  douleur,  dans 
la  crainte  d'une  catastrophe.  Au  nom  de  Dieu  | 
&ites-moi  passer  des  nouvelles  sitôt  que  le  sort  Ai 
votre  pauvre  état  sera  décidé.  Oh!  la  pabc,  la  paix 


A2tk£e  i;G8..  38cj 

iDon  bon  ami  !  Hélas  !  il  n'y  a  que  cela  de  bon  dans 
tettecourte  vie,  J  embrasse  nos  amis;  je  vous  em- 
brasse de  toute  la  tendresse  de  mon  cœur.  J'im- 
plore k  bénédiction  du  cid  sur  vos  soins  patrio- 
tiques,  et  j'en  attends  le  succès  avec  la  plus  vive 
impatience. 

ïesfère  que  vous  avez  reçu  ma  précédente ,. 
que  je  vous  ai  adressée  en  droiture.  C  est  toujours, 
la  voie  qu'il  faut  préférer,  surtout  pour  tout  ce 
mû  peut  demander  du  secret*. 

7q8. AXJ  MÈMF.. 

On  m'a  communiqué ,  mon  bon  ami ,  quelques 
articles  des  deux  projets  d'accommodement  qui 
vous  sont  proposés,  et  j'apprends  que  le  Conseik 
général  q«i  doit  en  décider  est  fixé  aa  28*  Quoi- 
que tant  de  pfécîpitatbn  ne  me  laisse  pas  le  temps: 
de  peser  sufGsamm^it  ces  articles,  quoique*  je-  ne* 
sois  pas  SUT  les  Ueux,  que  jïgnore  lëtatdeschoscsv 
que  je  n'aie  ni  papiers  ni  livres,  et  que  ma  mé- 
moire, absolument'  éteinte^  ne  me  rappelle  pas 
même  votre  constitution  j,  je  suis  trop  affecté  de 
votre  situation  pour  ne  pas  vous  dire,  bien  qu'au 
là  bâte,  mon  opinion  sur  les  moyens  qu'on  vous 
ofl^  d  en  sortir.  Quelque  mal  digérée  que  soit 
cette  opinion ,  je  ne  laisse  pas,  messieurs',  de  vous: 
Texposer  avec  confiance^non  pas  en  moi ,  mais  ca. 


1 


390  CORRESPONDANCE, 

TOUS,  très-sûr  que,  si  je  me  trompe,  yous  dém^ 
lerez  abément  mon  erreur. 

Dans  l'extrait  qui  ma  été  envoyé,  il  n'y  a,  du 
projet  appelé  le  second,  qu^un  seul  article ,  qui  est 
aussi  le  second;  sayoir  :  Télection  de  la  moitié  du 
petit  Conseil  par  le  Conseil  général  :  ce  second 
article  n'étant  bon  à  pas  grand'chose,  je  ne  dirai 
rien  du  projet  dont  il  est  tiré. 

Je  parlerai  de  lautre,  après  avoir  posé  deux 
principes  que  yous  ne  contesterez  pas  :  l'un,  qu'un 
accommodement  ne  suppose  pas  qu  on  cède  tout 
d'un  c6té  et  rien  de  l'autre ,  mais  qu'en  se  rap* 
proche  des  deux  côtés;  l'autre,  qu'il  n  est  pas  ques- 
tion de  victoire  dans  cette  affaire,  ai  de  donner 
sain  de  cause  aux  négatifs  on  aux  représentans,. 
mais  de  Étire  le  plus  grand  bien  de  la  cbose  com- 
mune, sans  songer  ai  l'on  est  Rutule  ouTr»yen» 

Cela  posé ,  j^oserai  yous  dire  que  ce  projet  me 
porak  non-seulement  acceptable,  mai» aivec  quel- 
ques cbangeraens,  et  l'addition  dun  ou  deux  ar- 
ticles, le  meilleur  peut-être  que  yous  puisslex. 
adopter» 

Le  petit  Conseil  tend  fortement  à  Fa  plus  dore 
ajpîstocratie  :  les  maximes  des  représentans  yoiit 
parleurs  conséquences  nourseulcment  à  l^xcès^ 
mais  â  l'abus  de  la  démocratie,  eda  est  certain.  Or 
il  ne  Êiut  ni  tun  ni  lautre  dans  votre  république  ^ 
TOUS  le  sentez  tous  :  entre  le  petit  Conseil ,  violent, 
aristocrate,  et  le  Conseil  général,  démocrate  ef- 
fréné|,oii  trouver  une  force  intermédiaire  qui  con.— 


ÂjmiE  1768.  391 

benne  Tun  et  Fantre,  et  soit  la  clef  àa  gourerne- 
ment?  Elle  existe  cette  force,  c^est  le  Conseil  da 
Deux-Cents;  mais  pourquoi  cette  force  ne  ysh 
t-elle  pas  à  son  but?  pourquoi  le  Deux-Cents ^  an 
Keu  de  contenir  le  Vingt-Cinq ,  en  est-il  l'esclave  1 
N'y  a-t-3  pas  moyen  de  corriger  cela?  Voilà  pré- 
cisément de  quoi  il  k^agit. 

Avant  d'entrer  dans  l'examen  des  moyens^  per 
mettez-moi  j  messieurs,  d'insister  sur  une  réflexion 
dont  j'ai  le  cœor  pleiù.  Les  meilleures  institutions 
knmaines  ont  leurs  dé&uts  :  la  v6tre,  excellente 
à  tant  d'égards ,  a  celui  d'être  une  source  étemelle 
de  divisions  intestines.  Des  &milles  dominantes 
s'enorgoeiUisseQt,  abusent  de  leur  pouvoir,  exd* 
tent  la  jalousie;  le  peuple ,  sentant  son  droit ,  s'in- 
digne d'être  ainsi  traîné  dans  la  fiinge  par  $c$ 
égaux;  des  tribunanx  coiicnrrens  se  chicanent | 
se  contre-pointent  ;  des  brigues  disposent  des  élec- 
tions; 1  autorité  et  la  liberté,  dans  un  conflit  per- 
pétuel, portent  leurs  querelles  jusqu'à  la  guerre 
civile  :  j'ai  m  vos  concitoyen»  armés  sentfëgor- 
gerdans  vos  murs;  ep  ce  moment  même, cette  hor- 
rible catastnvphe  est  prête  k  renaître;  et  quand, 
dans  vos  plans  de  réforme,  vous  devrîeîe ,  par  des 
moyens  de  concorde  et  de  paix,  par  des  établisse- 
mens  doux  et  sages,  tâcher  de  couper  la  racine  à 
ces  maux ,  vous  allez ,  comme  à  plaisir,  les  attiser, 
en  excitant  parmi  vous  de  nouvelles  animosités, 
de  nouvelles  haines,  par  la  plus  dure  de  toutes  les 
censures,  par  Tinquisition  du  grabeau«  Cela .  mes- 


39^  CORKESPONDiLKCE , 

sieurs 9  permettez-moi  de  le  dire,  n  est  assaiémenf 
pas  hien  pensé.  Premièrement,  le  Conseil  ne  souf- 
frira jamais  un  établissement  trop  humiliant  poar 
de  fiers  magistrats;  et  quand  ils  le  souûSriraicDl; 
[e  dis  pour  le  bien  de  la  paix  et  de  la  patrie ,  il  ne 
serait  point  à  désirer  qu'il  eût  lieu.  Loin  d'étaljir 
de  nouveaux  grabeaux ,  vous  £^iez  mieux  diabolir 
ceux  qui  existent,  mais  qui,  très-benreusemeDt 
ne  signifiant  rien  du  tout,  peuvent  rester  saus 
danger. 

,  Cela  dit,  je  passe  à  mon  sujet  :  il  s'a^t  d  on 
.gouyemement  mixte ,  mais  difficile  à  combiner, 
où  le  peuple  soit  libre  sans  être  maître,  et  où  le 
magistrat  commande  sans  tyranniser.  Le  vice  de 
votre  constitution  n'est  pas  de  trop  gêner  la  li^ 
berté  du  peuple;  au  contraire,  cette  liberté  légi- 
time ne  va  que  trop  loin ,  et ,  quoi  quon  en  puisse 
dire,  il  n  esLpas.bon  que  le  Conseil  général  soit 
trop  nécessaire  à  tout.. 

Mais  le  vice  inhérent  et  fondamental  est  dans 
le  défaut  de  balance  et  d'équilibre  dans  les  trob 
autres  Conseils  qui  composentle  gouvernement; 
ces  .trois  Conseils,  dont  deux  sont  k  peu»  près  inu^ 
tilcs,  sont  si  mal  combinés,  que  leur  ibpoe  est  en 
raison  inverse  de  leur  autorité  légale ,. et  <{iie  nu* 
£érieur  domine  tout  :  il  est  impossible  ^e  ce  via 
reste ,  etque  la  machine  puisse  aller  bien. 

Ce  qu' il  y  a  d'heureux  pourtant  dans  cette  nu 
chine,  qui  ne  laisse  pas  d'être  admirable^  est  %fH 
cet  important  équilibre  peut  s'établir  SiUM  ûe; 


p 

AynKÉE  1768.  •    39% 

changer  aux  principales  pièces;  tons  les  ressorts 
sont  bons ,  il  ne  s*agi  t  que  de  les  iaire  jouer  un  peu 
dlSerenunent. 

Mus  ce  qull  y  a  de  Êcheux  est  que  cette  ré- 
fonne  demaiide  des  sacrifices,  et  précisément  de 
la  part  des  deux  corps  qui  jusqu'ici  ont  paru  le 
mobs  disposés  à  en  Êiire;  savoir,  le  Conseil  g^ 
néial  et  celui  des  Vingt-Cinq» 

Or,  voilà  que^  par  plusieurs  articles  que  ]ai 
SOQS  les  jeux,  les  Vingt-Cinq  offirent  d'eux-mêmes 
prescpie  tout  ce  qu'on  pourrait  avoir  à  leur  de* 
mander;  même ,  en  un  sens,  davantage'^ A jontez 
nn  seul  article,  mais  indispensable,  et  le  petit 
Conse'iLa  fait,  de  son  cdté,  tous  les  pas.  néces-, 
saires  vers  un  accord  raiso^ahlc  et  solide  :  cet 
stnide  regarde  I  élection  des  syndics ,  dans  la  sup* 
poâtion,presque  impossible, que  le  cas  qui  se  pK- 
sente  îd,  pour  la  première  fois  depuis^  la:  fonda- 
tion de  la  république^  y  pût  renaître  une  seconde 
(ois;  auquel  cas,  acu  lieu  de  présenter  derechef  le 
Conseil  en  corps ,  comme  on  va  &ire  y  il  Êiudrait  y 
selon  moi,  se  résoudre  &  présenter  de  nouveaux 
candidats,  tirés  des  Soixante  :  je  dirai  mes  raisons 
ô-apsès» 

Qne  le  Conseil  gén^l  veuille  céder  à  son  tour, 
on  i^utôt  échanger,  contre  l'élection  des  Soixante 
qn'il  gagne,  on  droit,  un  seul  droit  qu'il  prétend, 
nais  qu'on  loi  conteste,  et  dont  il  n'est  point  en 
possession;  au  moyen  de  cela,  tout  est  fait  :  je 
parle  du  droit  de  prononcer  souverainement  et 


3q4  CORRESPOWDAÎÏCE  , 

CD  dernier  ressort  sur  lobjet  des  représenlatJon^ 
en  un  mot,  c'est  le  droit  négatif  qu'il  s'agit  d'ac 
corder  au  Deux -Cents,  déjà  juge  suprême  d< 
tous  les  autres  appels.  Peut-Atre  est-il  parlé,  daiii 
le  projet,  de  ceL  article,  et  cela  doit  être,  maii 
Textrait  que  j'ai  n'en  dit  rien. 

Avec  ces  additions  et  quelques  légères  modifi- 
cations au  reste,  le  projet,  dont  les  articles  sonl 
sous  mes  yeux,  me  parait  olfiîr  un  moyen  de  p- 
cificatiou  convo^ahte  à  tout  le  monde,  raison- 
nable du  moins,  solide  et  durable  autant  qu'on 
peut  Tespére»  de  1  é^ial  pi*cseû%des  choses  et  de  la 
disposition  des  esprits  ;  et  je  crois  qu'il  en  résulte- 
rait un  gouvernement  qui ,  sans  être  plus  composé 
que  Tancien,  serait  mieux  Ué  dans  ses  parties,  et 
par  conséquent  plus  fort  dan»  son  tout 

C  est  stutout  dans  le  second  article  que  consiste 
essentiellement  la  bonté  du  projet  :  par  cet  article, 
le  Conseil  des  Soixante  est  en  entier  élu  par  k 
Conseil  général, et  tous  les  membres  du  petit  Con- 
seil doivent  être  tirés  du  Soixante  (  car  il  feut  ôtcr 
dici  les  auditeurs).  L'idée  de  donner  une  exis- 
tence à  ce  Conseil  des  Soixante,  qui  n'était  rien 
auparavant,  est  très-bonne;  elle  est  due  aux  mî^ 
diateurs  :  il  faut  en  profiter,  et  leur  en  savoir  gré. 
Ceci  suppose  qu'on  revêtira  ce  corps  de  nouvelles 
attributions  qui  lui  donneront  dn  poidsdans  Tétat  ; 
Imais  bien  qu'il  soit  rempli  par  le  peuple,  ce  nest 
pourtant  pas  en  lui-^même  que  s'opérera  son  plus 
grand  eflet,  mais  dans  le  Deux -Cents,  dont  les 


kyii^ÉE  i;68.  3i)5 

nembres  reotreronl  ainâ  dans  la  dépendance  du 
Conseil  général,  maître  de  leur  ouvrir  ou  fermer 
à  son  gré  Ja  porte  des  grandes  magistratures.  Voilà 
préësémoit  la  solution  très-simple  et  très-sûre  du 
prc^Uénie  que  je  proposais  au  commencement  de 
cette  lettre. 

Par  k  p^mîer  article,  on  accorde  au  G>nseil 
génàal  Télection  de  la  moitié  des  Deux-Cents  :  je 
ne  senis  pas  trop  d'aris  qu'on  acceptât  cette  con- 
cession  ;  ces  moitiés  d  élection  sont  moins  efficaces 
^embarrassantes.  Il  ne  &ut  pas  considérer  les 
éleaions  fiiites  par  le  peuple ,  par  leur  efikt  sub- 
séquent, qui  nest  rien,  mais  par  leur  effet  anté- 
nenr  qm  est  tout.  Les  syndics  sont  dus  par  le 
G)nseîl  général  :  voyez  toutefois  comment  ils  le 
traitent  I  Le  peuple  ne  doit  pas  espérer  de  ses 
créatures  plus  de  reconnaissance  qu  il  n'en  a  pour 
ses  bienfaiteurs.  Ce  n^esl  pas  à  ce  qu'on  &it  après 
être  ëa,  mais  à  ce  qu  on  a  fiiit  pour  être  élu ,  qu'il 
àm,  regarder  en  bonne  politique^  Quand  le  peuple 
tire  ses  magistrats  de  son  propre  sein,  il  n^au{- 
BKQtederîen  sa  £9rce;  mais  quand  il  1»5  tire  d'un 
antre  corps,  il  se  donne  de  la  force  sur  ce  corp^là. 
Voilà  pourquoi  Télection  du  Soixante  vous  don- 
nera de  Tascendant  en  Dèux^Cents ,  et  potunuoi 
i'âectbn  du  petit  Conseil  donnera  die  rascendant 
)a  Deux-Cents  en  Smxante.  Vous  en  auriez  par 
les  syndics  sur  le  VingtXinq  même ,  s'il  était  plus 
uoitbreiix ,  ou  que  le  choix  ne  fût  pas  forcé.  C'est 
sifisi  que  les  pins  simples  moyens^  les  meilleurs 


896  CORRESPOND  AKCE  , 

en  tonte  cbose,  vont  tont  remettre  dans  Tordre 
légitime  et  naturel. 

Il  suit  de  là  qne  le  privilège  d'élire  la  moitié  du 
Deux-Cents  vous  est  beaucoup  moins  avantageux 
t|u'il  ne  semble^  et  cela  est  trop  remuant  pour 
votre  ville,  trop  bruyant  pour  votre  Conseil  gé- 
néral. Le  jeu  de  la  machine  doit  être  aussi  facile 
que  simple,  et  toujours  sans  bruit,  autant  qu'il  se 
peut.  L'élection  du  Deux-Cents,  laissée  au  petit 
Conseil,  a  pourtant  de  grands  inconvéniens,  je 
l'avoue;  mais  ny  aurait-il  pas,  pour  y  pourvoir, 
quelque  expédient  plus  court  et  mieux  entendu? 
Par  exemple,  où  serait  le  mal  que  cette  élection 
fût  une  des  nouvelles  attributions  dont  on  revêti- 
rait le  Conseil  des  Soixante?  Le  petit  Conseil  lui- 
même  y  devrait  d'autant  moins  répugner  que ,  par 
sa  présidence  et  par  son  nombre ,  qui  fait  presque 
la  moitié  du  nombre  total,  il  n'aurait  guère  moins 
d'influence  dans  ces  élections  que  s'il  continuait 
seul  à  les  &ire  :  je  n'imagine  pas  que  ceci  &sse 
une  grande  difficulté. 

Mais  je  crains  que  l'article  de  l'élection  des 
syndics  n'en  fasse  davantage,  et  ne  coûte  beau- 
coup au  Conseil;  car  il  y  a,  chez  les  hommes  les 
plus  éclairés,  des  entêtemens  dont  ils  ne  se  dou- 
tent pas  eux-mêmes,  et  souvent  ils  agissent  par 
obstination,  pensant  agir  par  raison.  Ils  s^effiraie^ 
ront  de  la  possibilité  d'un  cas  qui  ne  saurait  même 
arriver  désormais,  surtout  si  la  loi  qui  doit  y 
pourvoir  passe.  Le  Conseil  des  Vingt^linq  scàt 


ANNÉE  1768.  397 

trop  SSL  paîssance  absolue;  il  sent  trop  que  tout 
dépend  de  lui,  que  lui  seul  ne  dépend  de  rien  j  de 
rien  du  tout^  cela  doit  le  rendre  dur,  exigeant. 
Impérieux,  quelquefois  injuste.  Pour  son  propre 
intérêt,  pour  se  faire  supporter,  il  faut  qu'il  dé- 
pende de  quelque  chose;  car  le  ton  quil  a  pris  ne 
peut  être  souDfert  par  des  hommes.  Ehl  quelle 
plus  légère  dépendance  peut -il  s'imposer  que 
celle,  non  pas  de  soulTiir,  mais  de  prévoir, ^ule- 
ment  dans  un  cas  extrême,  la  perte  passagère 
d'un  syndicat  en  idée,  et  qui  réellement  ne  sortira 
jamais  de  son  corps?  Cependant  ce  sacrifice  idéal 
et  purement  chimérique  peut  et  doit  produire 
un  grand  effet,  pour  leur  rendre  cet  esprit  hu- 
main et  patriotique  qui  parait  s'être  éteint  parmi 
eux.  £h  !  sll  en  reste  un  seul  à  qui  quelque  goutte 
de  sang  genevois  coule  encore  dans  les  veines, 
comment  ne  frémit -il  pas  en  songeant  au  péril 
auquel  ils  viennent  d  exposer  Tétat  pour  vous  as- 
servir ^  et  dont  ils  n  ont  été  garantis  eux-mêmes 
que  par  votre  fermeté^  par  votre  sagesse,  par  la' 
modération  des  médiateurs,  quoique  si  cruelle- 
ment prévenu5?  Comment  les  chefs  de  la  républi- 
que pouvaient-ils  ne  pas  prévoir,  en  exposant 
ainsi  sa  liberté ,  que  le  peuple  en  aurait  avant  eux 
déploré  la  perte ,  mais  qu  ils  l'auraient  sentie 
avant  lui]  En  voyant  un  moyen  si  doux,  mais  {si 
sûr,  de  garantir  leurs  successeurs  de  pareille  in- 
cartade, ils  devraient,  s  ils  aimaient  leur  pays,  le 
proposeT  eux-mêmes,  quand  personne  avant  eux 


3r)8  coRv.EîiPoyBxytiE , 

ne  Taurait  proposé.  Pour  moi ,  je  tous  dédarre  que 
cet  article  me  j^iaraît  d  une  si  grande  importance, 
que  rien ,  selon  moi ,  ne  devait  vous  y  foire  renon- 
cer, pas,  quand  on  tous  céderait  tout  le  reste, 
pas,  quand  les  Conseils  voudraient  en  échange 
renoncer  au  droit  négatif. 

Mais  je  ne  vous  dissimulerai  pas  non  plus  que 
ce  droit  négatif  attribué,  non  pas  au  petit  Con- 
seil, ni  même  au  Soixante,  mais  au  deux-Cents^ 
me  parait  si  nécessaire  au  bon  ordre,  an  maintien 
de  toute  police,  à  la  tranquillité  publique,  à  la 
force  du  gouvernement,  que,  quand  on  y  vou- 
drait renoncer,  vous  ne  devriez  jamais  le  per- 
mettre. S'il  n^y  a  point  d'arbitres  des  plaintes, 
comment  finiront-elles?  Si  le  Conseil  général,  au- 
teur des  lois,  veut  être  aussi  juge  des  feifs,  vous 
n'êtes  plus  citoyens,  vous  êtes  magistrats-,  c'csl 
Tanarchie  d'Athèueb,  tout  est  perdu.  Que  cbacun 
rentre  dans  sa  sphère,  et  s'y  tienne,  tout  est  sauvé. 
Encore  une  fois,  ne  soyez  ni  négatifs  ni  représen- 
tans;  soyez  patriotes,  et  ne  reconnaissez  pom 
vos  droits  que  ceux  qui  sont  utiles  &  celtte  petite 
mais  illustre  république ,  que  de  si  dignes  citoy eut 
couvrent  de  gloire. 

Ce  nW  point,  messieurs,  à  des  gens  comm^ 
vous  qu'il  faut  tout  dire.  Je  ne  m'arrêterai  point 
vous  détailler  les  avantages  du  projet  proposée 
dans  l'état  où  vous  pouvez  raisonnablement  éLt 
mander  qu'on  le  mette,  et  où  les  changement 
fitire  sont  autmit  contre  vons  que  pour  vous.    J 


ANNÉE  1768.  3fï9 

n'ai  rien  dît,  par  exemple,  de  labolition  du  plus 
grand  fléau  de  ▼otre  patrie,  de  cette  autorité  de- 
Yenue  héréditaire  et  tyrannise,  usurpée  et  réu- 
nie par  des  familles  qui  en  abusaient  si  cruelle- 
ment. C'est  à  cette  première  entrée  qu'il  £iut 
attendre  et  repousser  au  passage  tout  ce  qui  est 
de  même  sang,  ou  de  même  nom;  car  une  fois 
dans  le  Conseil ,  soyez  sûrs  qu'ils  parriendront  au 
syndicat  malgré  tous  :  c'est  à  vous  d  j  veiller,  et 
cela  devient  très-&cile^  Ëncoze  une  fois,  cette^oL* 
senration  ni  d^aEtres  pffi'eiUes  nesont  pas  deceUes 
qu'on  a  l^soin  de  vous  rappeler  ^  c'est  asses  d'a^ 
voir  établi  iesprincîpes^les  conséquences  neTom 
échapperont  pas» 

Je  me  suis  bâté,  mon  bon  ami,  de  tous  &ire 
ab  hoc  et  ab  hdcmes  petites  observations,  dans  la 
crainte  de  les  rendre  trop  tardives.  Si  je  me  suis 
trompa  dans  cet  examen  trop  précipité,  hommes 
âges  et  respectables,  pardonnez  mon  erreur  k 
mon  zèie  :  je  crois  sincèrement  que  le  projet  dont 
il  s'agit  serait,  dans  son  exécution,  &vorable  à  la 
liberté,  à  la  tranquillité,  k  la  paix*,  je  crois,  de 
plus,  que  cette  paix  vous  est  très-nécessaire;  que 
les  circonstances  sont  propres  à  la  iaire  avanta- 
geusement, et  ne  le  redeviendront  peut-être  ja« 
mais.  Puisse -je  en  apprendre  bientôt  rheoreusQ^ 
nouvelle  et  mourir  de  joie  au  même  instant  I  je 
mourrais  plus  heureusement  que  je  n'ai  vécu*  îjt 
Tons  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


400  CORRESPOITDÀNCEf 

799. A  M.  DU  PeYROU. 

10  îémer  1768. 

Votre  n*  5,  mon  cher  hôte ,  me  donne  le  jJaî- 
sir  impatiemment  attendu  d'apprendre  votre  hen* 
reuse  arrivée,  dont  je  félicite  bien  sincèrement 
l'excellente  maman  et  tous  vos  arais^  Vous  aviez 
tort,  ce  me  semble ,  d'être  inquiet  de  mon  silence. 
Pour  un  homme  qui  n'aime  pas  à  écrire,  j'étais  as- 
surément bien  en  règle  avec  vousqui  Taimez.  Votre 
dernière  lettre  était  une  réponse  ;  je  la  reçus  di- 
manche an  soir  :  elle  m  annonçait  votre  départ 
pour  le  mardi  matin,  auquel  cas  il  étaic  de  toute 
impossibilité  qu'une  lettre  que  je  vous  aurais 
écrite  à  Paris  vous  y  pût  trouver  encore,  et  il  était 
naturel  qudii) 'attendisse,  pour  vous  écrire  à  Veu- 
châtel,  de  vous  y  savoir  arrivé,  la  neige  ou  d^a vi- 
tres accidens ,  dans  cette  saison ,  pouvant  vous  ar- 
rêter en  route.  Ma  santé,  du  reste,  est  à  pea  près 
comme  quand  vous  mWcz  quitté;  je  garde  mes 
tisons;  l'indolence  et  1  abattement  me  gagnent  :  je 
ne  suis  sorti  que  trois  fois  depuis  voti-e  départ ,  et 
)e  suis  rentré  presque  aussitôt.  Je  n'ai  plus  de 
cœur  à  rien,  pas  môme  aux  plantes.  Manoury,  plus 
Aoir  de  cœur  que  de  barbe,  abusant  de  réloigne- 
ment  et  des  distractions  de  son  maître ,  ne  cesse 
de  me  toiumenter,  et  veut  absolument  m  expul- 
ser d'ici  ;  tout  cela  ne  rend  pas  ma  vie  agréal^ie  ; 
et  quand  elle  cesserait  d'être  orageuse^  n  y  voyant 


ATCNEE  1768.  /^0\ 

plus  même  un  seul  objet  de*  désir  pour  mon  cœur, 
fen  trourerais  toujours  le  reste  insipide. 

Mademoiseile  Renou,  qui  n^attendait  pas' 
taonis  impatiemment  que  moi  des  nouyelles  de 
yotit  arrirée ,  Fa  apprise  ayec  la  plus  grande 
joie,  <pie  votre  bon  sourenir  augmente  encore. 
Pas  UA  de  nos  déjeuners  ne  ^e  passe  sans  parler 
de  tous;  et  j'eir  ai  an  renseignement  mémorial 
toajoim  pèsent  dans  le  pot-de-chambre  qui  vous 
serrait  de  tasse,  et  dont  j'ai  prb  la  liberté  dlicri- 

Jai  reçu  votre  vin  dont  je  vous  remercie  j  mais 
que  TOUS  avez  eu  tort  d'envoyer  :  il  est  agréable  à 
boire;  mais  pour  naturel ,  je  n  en  crois.rien.  Quoi 
qnîl  en  soit,  fl  armera  de  cette  afiaire  comme  de 
beaucoup  d'autres,  que  Tun  fait  la  faute  et  qile' 
Tautre  la  boit<: 

Hendez,  je  vous  prié,  mes  salutations  et  ami- 
dés  à  tons  vos  bons  amis  et  les  miens,  surtout  à 
votre  aimable  camarade  de  Toyage  à  qui*  je  serai 
toujonisobHgé.  Mes  respects,  en  particulier,  à  la 
reine  des  mères,  qui  est  la  TÔtrc,  et  aussi  à  la 
reine  des  femmes,  qui  est  madame  de  Luzc:  Je 
^nis  bien  Ûché  de  n  avoir  pas  un  lacet  k  envoyer 
à  sa  cbarmante  fille,  bien  «ûr  qu'elle  mérite  de  le 
porter. 

fl  &0t  finir,  car  la  Bonne  madame  Chevalier 
est  pressée  et  altend'ma  lettre.  Je  prends  Tunique 
expédient  que  j'ai  de  vous  écrire  d  ici  en  droiture , 
«^  TOUS  adressant  ma  lettre  chez  M.  Junct;  Âdlru*,' 


^  «A  ■ 


4oa  CORRESPONDANCE  ^ 

mou  clier  h6te;  je  vous  embrasse  et  yons  recom^ 
mande ,  sur  toute  chose ,  Tamusemeot  et  la  gaieté  i 
vous  me  direz  :  Médecin,  guéris -toi  toi- même  ,* 
mais  les  drogues  pour  cela  me  man^eqt,  au  Uea 
qufi  TOUS  les  ayez, 

J^ai  tant  lanterné,  (jue  la  bonne  dame  est  par- 
tie, et  ma  lettre  n'ira  que  demain  peut-être^  ou 
du  moinjs  ne  marchera  pas  aussi  sûren^enU 

8oQ»  -^  A  M.  Dly£RNo:s. 

Dn  cliAteau  de  Trye^  œ  a3<  (érnet  lyGS, 

Je  reçois,  mon  bon  ami,  ayec  votre  lettre  da 
17,  le  mémoire  que  vous  y  avez  joint ^  et  quand 
\ç  serais  en  état  d  y  £iire  les  observations  que  vous 
me  demandez ,  il  est  clair  que  le  temps  me  man* 
queralt  pour  cela,  puisque  cette  lettre,  écrite  sur 
le  moment  même,  aura  peine,  supposé  mêmeqne 
rien  nen  suspeude  la  marche,  à  vous  aniver 
avant  le  28.  Mois,  mon  excellent  ami,  je  sensqoe^ 
tna  mémoire  est  éteinte ,  que  ma  tète  est  en  coiifu- 
sion,  que  de  nouvelles  idées  ny  peuvent  plus  en- 
trer, qu'il  me  Êiut  môme  un  temps  et  des  Qffi)ri& 
infinis  pour  reprendre  la  tiace  de  celles  qui  m^oftt 
été  Ëimilières.  Je  ne  suis  plus  en  état  de  comparerj 
de  combiner  V  je  ne  vois  quun  nuage  en  parcou- 
lant  votre  mémoire;  je  ny  vois  quHine  chose 
claire,  que  )e  savais,  mais  qui  m'est  bien  confir- 
mée, c'est  que  les  rédacteurs  de  ce  mémoire  sont 
alfisez.  instruits,  assez  écUirés,  assez  sages  pour 


AVSÉE  1768.  4^3 

fèin'par  eux-mêmes  une  besogne  tout  aussi  bonne 
qu  elle  peut  l'être ,  et  que  y  dans  1  objet  qui  les  oo> 
cope,  ïs  n'ont  besoin  que  de  temps,  et  non  pas 
fk  coDseik,  pour  la  rendre  par&Ite.  J'y  vois  bien 
clairemoit  encore  que,  conune-  je  lavais  prévu ^ 
la  pmipîtaiion  de  ma  lettre  précédente  et  Tigno- 
rance  d'une  foule  de  choses  qu'il  fallait  savoir  m'y 
ont  bit  tomber  dans  de  grandes  bévues',  dont 
vous  ea  relevez  ,.dans  votre  lettre  j,  une  qui  main* 
ttBsnt  me  santé  aux  yeux. 

Cependant  je  suis  dans  la  plus  intime  persud- 
Sion  que  votre  état  a  le  plus  grand  besoin  dWe 
prompte  pacificatioo  ,  et  que  de  plus  longs  délais 
roos  peuvent  précipiter  dans  les  plus  grands  mal- 
heurs. DaBS  cette  position^  il  me  vient  une  idée* 
qui  doit  sârement  être  venue  à  quelqu'un  d  œtre 
vous ,  et  dont  je  ne  vois  pas  pourquoi  vous  ne  fe- 
riez pas  usage,  parce qu^âlle  put  avoir  de  ^-ands^ 
avanlages  sans  aucun  inconvénient»  Ce  serait,, 
Çfoar  vous  donner  le  temps  de  peseï  un  ouvrage 
qui  demande  cependant  la  plus  prompte  execu- 
fjkw^  Élire  un  règlement  provbionnel  qui  q'cût 
foice  de  loi  que  pour  vingt  ans,  dorant  lesquels  on^ 
r7arah  le  temps  d'en  observer  la  force  et  la  marche  y 
H  aa  bout  desquels  il  serait  abrogé,  modifié,  ou^ 
<€gïBxméj  selon  que  l'expérience  en  aurait  fait 
sentir  les  inconvéniens  ou  les  avantages.  Vont: 
Aftoi,  je  n'aperçois  que  ce  seul  expédient  pour 
;oiidlier  la  d^gence  avec  la  prudence;  et  j'avoue 
fue  je  nVn  aperçois  pas  le  danger^  La  paix,  me* 


4o4  CORRESPONDANCE , 

amis,  la  paix,  et  promptement,  ou  je  meurs  de 
peur  gue  tout  n  aille  mal. 

Vous  ne  recevrez  point  le  duplicatade  ma  lettre 
par  M.  Coindet  :  il  n'en  a  point  été  conttat ,  et  me 
Pa  rendue.  Je  m^en  étais  douté  d'avance. 

L'article  IX ,  page  4o ,  commence  par  ces  mots , 

S'il  se  publiait Il  faut ,  ce  me  semble  j  ajouter 

ces  deux -ci,  dans  Vétat;  car,  enfin,  il  me  parait 
absurde  et  ridieute  que  le  gouvernement  de  Ge- 
nève prétende  avoir  juridiction  sur  les  livres  qui 
s'impriment  hors  de  son  territoire  dans  tout  le 
reste  du  monde  ;  et  parce  que  le  petit  Conseil  a 
&it  une  Ibis  cette  fente,  W  ne  faut  pas  pour  cela  la 
consacrer  dans- vos  lois,  d'autant  pln&que  je  ne 
demandé ,  ni  ne  désire,  ni  n'approuve  gne  I  oc 
revienne  jamais  sur  cette  afl&ire,  puisque -a y an1 
fait  un  serment  solennel  de  nerenOrer  jamaÎB  dani 
Genève ,  si  ce  petit  grief-  étSik  redressé,  il  ne  dé 
pendraitpas-de  moi  de  tirer  aueun  parti  de  ce  re- 
dressement, ce  dont  je  suis  «bien' aise  de  ^oos  pré 
venir,  de  pciu*  que  votre  zèle  amical  bc  vous  ins 
pirât  dans* la  suite- quelque  démarcho  inutile  5U] 
un  point  qui  doit  à  jamais  rester  dans  l'oubli.  Ai 
ïoste,  je  mots  si  peu  de  fierté  à  cette  résolution 
que  si, par  quelque  démarclfe  respectueuse,  \ 
pouvais  ôter  une  partie^du  levain  d'aigreur  cy^ 
&rmcnte  encore^  j»  la  ferais  de  tout  mon  cœur. 

Je  finis  à  la  hâte  ce  grifibnnage ,  que  je  n*ai  p^ 
m^ine  le  temps  de  relire^  tact  je  suis  pressé  de  ! 
flire^artir^. 


ANNÉE  1768,  4^5 

Êfa  mon  Dieu!  cher  ami,  j'oublie  de  tous  par^ 
ter  de  ce  que  vous  ayez  fait  pour  ma  bonne  tante, 
et  de  Vargent  que  tous  avez  avancé  pour  moi. 
Hélas!  je  suis  si  occupe  de  vous  que  je  ne  songe 
pas  même  à  ce  que  vous  faites  pour  moi.  Mais, 
mon  digne  ami,  vous  connaissez  mou  cœur,  je 
m  en  flatte,  et  vous  êtes  bien  sûr  que  cet  oubli  ne 
durera  pas  loug-temps.  Ah!  plaise  au  ciel  que 
votre  première  lettre  m^annouce  une  bonne  nou- 
velle! Si  je  tarde  encore  un  instant,  ma  lettre 
n  est  plus  à  temps.  Je  vou5  embrasse.- 

Soi, A  MADAME  LA  COUTXXB  DB  BotJFTLEBS.' 

Le  2^  férner  1 766. 

Je  vieillis  dans  les  ennuis,  mon  âme  est  affai^ 
Uie,  ma  tête  est  perdue;  mais  mon  cœur  est  tou-^ 
jours  ie  même  :  il  n'est  pas  étonnant  qu  il  mcT' 
ramène  à'  vos  |)ieds.  Madame,  vous  n'êtes  pai^ 
exonpte  de  torts  envers  moi  :  je  st»ns  vivemeof 
les  miens;  mais  tant  de  maux  sottflerts  n  ont* ils 
Tien  expié?  Je  ne  sais  pas  revenir  à  demi;»  vous* 
me  connaissez  assez  pour  en  être  assurée.  Ne  dois» 
je  donc  plus  rien  espérer  de  vous?  Ah  !  madame^ 
rentrea  en  yous-méme,  et  consultez  votre  àm<i 
noble. Voyez  qui  vous  sacrifiez,  et  à  qm!  Je  vouir 
demande  une  henre  entre  le  ciel  et  vous  pouf 
cette  comparaison.  Souvenez-vous  du  temps  oCi 
TOUS  avez  tout  £iit  pour  moi.  Combien  vos  soins 
bieniâisans seront  honorés  un  jour!  Eh!  pourquoi 


4o6  CORRESPOKDÀNCE, 

d<ftrtt!re  ainsi  votre  propre  ouvrage?  pourvoi 
vous  en  ôter  tout  le  prix?  Pensez  que, dans  Tordre 
naturel,  vous  devez  beaucoup  me  survivre ,  et 
qu'enfin  la  vérité  reprendra  ses  droits.  Les  hommes 
fins  et  accrédités  peuvent  îout  pendant  leur  vie; 
ils  fascinent  aisément  les  yeux  de  la  multitude, 
toujours  admiratrice  de  la  prospérité  :  mais  leur 
crédit  ne  leur  survit  pas,  et  sa  chute  met  à  décoit- 
vert  leurs  intrigues.  Ils  peuvent  produire  une  er- 
reur publique,  mais  ils  ne  la  peuvent  éterniser^ 
et  j^ose  prédire  que  vous  verrez,  ti>i  ou  tard,  ma 
mémoire  en  honneur.  Faudra  t-il  qti'alors  mon  sou- 
venir, Ëiit  pour  vous  flatter,  vous  «rouble?  Faudrs^ 
t-il  que  vous  disiez  en  vous-même  :  Xai  vu  sans 

Sitié traîner,  étouffer  dans  la  &nge,  un  homme 
igné  d estime,  dont  les  sentimens  avaient  bien 
mérité  de  moi?  Non,  madame,  jamais  la  généro- 
sité que  je  vous  connais  ne  vous  permettra  d'avoir 
un  pareil  reproche  à  vous  faire.  Pour  lamour  de 
vous,  tirez-moi  de  Tabime  d'iniquités  où  je  suis 
plongé.  Faites-moi  finir  mes  yours  en  paix  :  cela 
<lépend  de  vous,  et  fera  la  gloire  et  la  douceurdes 
vôtres.  Les  motifs  que  je  vous  présente  vous  mon- 
trent de  quelle  espèce  sont  ceux  que  je  crois  faits 
pour  vous  émouvoir.  De  toutes  les  réparations 
que  je  pouvais  vous  faire,  voilà,  madame,  celle 
qui  m'a  paru  la  plus  digne  de  vous  et  de  moi . 


y 


ANNÉE  Ij68.  ^ÙJ 

8o3.  -<—  A  M.  ou  PfTROr. 


1768. 

Votre  n^  6,  mon  cher  hôte,  m^offlige  en  m'ap- 
prenaat  que  tous  ayez  nu  nouveau  ressentiment 
de  goutte ,  assez  fort  pour  vous  empêcher  de  sor- 
tir. Je  crois  bien  que  ces  petits  accès  plus  firéquens 
vous  garantiront  de  grandesattaques.  Mais  comme 
l'onde  cesdeux  états  est  aussi  incommodeque  l'au- 
tre est  douloureux,  je  ne  sais  si  vous  vous  accom- 
moderiez d'avoir  ainsi  changévosgrandesdouleurs 
en  petite  monnaie;  mais  il  est  â  présumer  que  ce 
n'est  qu'une  queue  de  cette  goutte  efiarouchéc,ct 
que  tout  reprendra  dans  peu  son  cours  naturel. 
Apprenez  donc,  une  fois  pour  toutes ,  à  ne  vou- 
loir pas  guérir  malgré  la  nature,  car  c'est  le  moyen 
presque  assuré  d'augmenter  vos  maux. 

A  mon  égard,  les  conseils  que  vous  me  donnez 
sont  plus  aisés  â  donner  qu'à  suivre.  Les  herbori^ 
étions  et  les  promenades  seraient  en  etkt  de 
douces  diversions  à  mes  ennuis,  si  elles  m'étaient 
llfiksées;  mais  les  gens  qulilisposent  de  moi  n'ont 
gaidê  de  me  laisser  cette  ressource.  Le  pojet  dont 
MM.  Manoory  et  Deschamps  sont  les  exécuteurs 
demande  qull  ne  m'en  reste  aucune.  Comme  on 
m'attend  au  passage,  on  n  épargne  rien  pour  me 
chasser  d'ici^et  il  parait  que  l'on  veut  réussir  dans 
peu,  de  manière  ou  d'autre.  Un  des  meilleurs 
moyens  que  Ton  prend  pour  cela  est  do  lâcher  sur 


4o8  COBAESPOVDârrCE, 

moi  la  populace  des  villages  voisins.  On  n  ose 
plus  mettre  personne  au  cachot,  et  dire  que  c  est 
moi  qui  le  veut  ainsi;  mais  on  a  fermé,  barré, 
barricadé  le  château  de  tous  les  côtés  :  il  n^j  a 
plusjii  passage  .ni  communication  par  les  cours 
ni  par  la  terrasse;  et,  quoique  cette  clôture  me 
soit  très-incommode  à  moi-même,  on  a  soin  de 
répandre ,  par  les  gardes  et  par  d'autres  émissaires , 
que  c'est  le  Monsieur  du  château  qui  exige  tout 
cela  pour  faire  pièce  aux  paysans.  J^i  senti  Teffet 
de  ce  bruit  dans  deux  sorties  que  f  ai  faites,  et  cela 
ne  m'excitera  pas  à  les  multiplier.  «Tai  prié  le  fer- 
mier de  me  faire  faire  une  clef  de  son  jardin,  qui 
est  assez  grand,  et  ma  résolution  jest  de  borner 
mes  promenades  à  ce  jardin  et)  au  petit  jardin  du 
prince,  qui,  comme  vous  savez,  est 'grand  comme 
la  main  et  enfoncé  comme  un  puits.  VoilA,  mon 
cher  hôte,  comment,  au  cœur  du  r4)yaume  de 
France,  les  mains  étrangères  s'appesantissent  en- 
core sur  moi.  Â  Tégard  du  patron  de  la  case,  on 
lempêche  de  rien  savoir  de  ce  qni  se  passe  et  de 
s'en  mêler.  Je  suis  livré  seul  et  sans  ressource  & 
ma  constance  et  à  mes  persécuteurs.  J'espère  en* 
core  leur  faire  vx)ir  que  la  besogne  qu'ils  ont  en- 
treprise n  c&t  pas  si  facile  à  exécuter  qu'ils  Font 
cru.  Voilà  bien  du  verbiage  pour  deux  mots  de 
réponse  qu'il  vous  fallait  sur  cet  article.  Mais  j Vus 
toujours  le  cœur  expansif  ;  je  ne  serai  jamais  bien 
corrigé  de  cela,  et  votre  devise  ne  sera  jamais  W 
mienne. 


AytfE£  1768.  40:) 

JTai  dêcùmetl  avec  ime  peine  infinie  les  no|ns 
de  botanique  de  piusieun  pkntes:  de  iîarsaiilt. 
Jai  aussi  réduk,  avec  non  moins  de  peine ,  les 
pbnfles  de  SanTages  à  la  nomenclature  triviale 
AelJBBaeus,  qui  est  très-conunode.  Si  le  plaisir 
d'aroir  «n  jardin  vous  rend  un  peu  de  goût  pour 
la  botaaique ,  je  pourrai  vous  épargner  beaucoup 
de  tmrail  pour  la  synonymie,  en  vous  envoyant 
pour  vos  exemplaires  ce  que  |  ai  noté  dans  les 
micDs;  et  il  est  absolument  nécessaire  de  dé- 
brouiller cette  partie  critique  de  la  botanique 
poor  reconnaître  la  même  plante,  à  qui  souvent 
cba^ne  auteur  donne  un  nom  différent. 

Je  ne  vous  parle  point  de  tos  afiaires  pubU- 
çnes,  non  qK  je  cesse  jamais  d  y  prendre  intérêt , 
mais  parce  que  cet  intérêt ,  borné  par  ses  effets  à 
des  rœax  aussi  vrais  qu'impuissans  de  voir  bieur 
t^  rétablir  la  paix  dans  toutes  vos  contrées ,  ne 
peut  oontribuer  en  rien  à  l'accélérer. 

Adkay  moa  cher  bête  :  mes  hommageGs  i  la. 
mâtiaut  des  nères^  mille  choses  au  bouM.  Jeaa- 
aio,  et  JL  tous  ceux  tpi  m^aiment,  et  à  tdus  cent 
]iie  VDOS  aimez.  1  ' 

8û3b  -^-^  A  M.  MoiTLTokr. 

A  Ttje^  x^  Gîpor»,*1e  7  mm  lyCè.   . 

CoitK  fignove,  monsieur ,  ce  que  M.  Coindet 
a  pa  TOUS  écrire,  je  veux  vous  rendre  compte 
■Mi-méme  de  ce  que  j'ai  ÙÎL  Sitêt  qu^il  m'eut  en« 


$  I  or  COA&ESPOVt)  AKCE  ^ 

voyé  TOlro  première  lettre ,  )eii  éeriTta  une  & 
M.  d'Ivemois,  le  seul  correspondant  que  je  me 
sois  laissé  à  Genève  y  et  auquel  même ,  depuis  mon 
funeste  départ  pour  rÂngle terre ,  )e  n'avais  «pas 
écrit  plus  de  cinq  ou  six  fois.  Cette  lettre,  rai* 
sonnée  de  mon  mieux ,  mais  pressante  et  impar- 
:bale  autant  qu'il  était  possible^  péchait  ei)  plci« 
sieurs  points  faute  de  connaissance  de  la  situatioa 
de  vos  affaires^  dont  je  ne  savais  absolument 
rien  que  ce  qui  en  était  dit  dans  h  vôtre,  jy 
b|Amais  fortement  le  grabeau  proposé;  j^  propo- 
sais le  projet  du  Conseil,  dont  j avais  TextAÎt 
dans  votre  lettre,  comme  excdlent  en  lui-même, 
sauf  quelques  chaugemens  ^t  additions,  les  unes 
favorables,  les  autres  coi^traires  aux  représen* 
tans,  selon  qu'il  m'avait  paru  nécessairepour  &ire 
un  tout  plus  solide  et  bien  pondéré.  Xavaîs  imt 
cette  lettre  a  la  hÂiC;,  eOe  était  très-longuié  :  je  ren-> 
voyai  ouvert^  à  M.  Coindet,  le  priant  de  labfiûrq 
passer  à  son  adresse,  et  àà  vous  en  envoyer  eu 
m4me  temps  upe  copie.  Quelques  joursaprès^iliiM 
marqua  o'avolr  rieu  ^t  dêi 'tout. cela,  parce^quU 
ne  trouvait  pas  que  cette  lettre  allftt.à  son  buL  H 
est  venu  me  voir,  et  je  me  la  suis  fait  rendre  : 
j'offre  de  vous  Venvoyer  quand  il  vous  plaira ,  afin 
que  vous  en  puissiez  juger  yous-méme.  Comme  le 
moment  pressait,  et  que  je  prévoyab  un  peu  ce  qu'à 
Sût  M.  Coindet,  j'avais  envoyé  en  ménie  temps  le 
brouillon  de  la  même  lettre,  en  duplicata ^dnrec- 
tement  à  M.  dlvemois^  dont  les  amis  ne  Font  pas 


▲HNiB  I76S.  ^It 

QCH]  plus  approuvée;  et  il  m'est  arrivé  ce  qa*il  ar- 

nvecidiiiaireiiient  à  tout  homme  impartial  entre 

dcQX  partis  édiauflis,  qui  cherche  sincèrement 

ïiBtkêi  commun  et  ne  va  qu^au  bien  de  la  chose  ; 

jai  déplu  également  des  deux  côtés.  Voyant  les 

cspnui  peu  disposés  encore  â  se  rapprocher,  et 

KntaaA  toutefois  combien  la  plus  prompte  pacifi- 

csû(m  Toos  est  à  tons  importante  et  néciessaire^ 

jai  ea  depuis  une  autre  idée  que  j*ai  coBomtmi- 

qaée  encore  k  M«  dlvemois;  mais  je  né  sais  s^l 

ion  reçu  ma  lettre  :  ée  serait  de  tâcher  du  moins 

de  £ûie  «ir  r^lemént  provisionnei  pour  vin^jt 

20s,  au  bout  desquels  on  ponrrail  Panniiler  ott  h 

ot^irmer,  selon  qn*on  rauratf  reconnu  boti  on 

raamrais  i  iiisage  :  on  doit  tout  &ire  ppur  apaiser 

rt  moÊtent  de  rhakur  qui  peut  avoir  les  suines  tes 

plosfnstes.  Quand  on  ne  se  iGsra  plus  un  devoir 

^racl  de  m'affliger ,  quand  je  ne  serai  plus ,  H  que 

1"^  circonstances  seront  changées ,  les  esprits  se 

"^pprodieront  naturellement,  et  clmcun  sentira 

' 't  ou  tard  que  son  plus  vrai  bien  n  est  qne  dans 

e  Àren  de  la  patrie. 

Vous  devez  le  savoir,  monsieur;  si  fen  avais 
Êe cru,  non-seulement  on  n  eût  point  soutenu  les 
^ésentations,  mais  on  nen  eût  point  fait;  car 
^tareflement  je  sentais*  qu'elles  ne  pouvaient 
r^ir  ni  succès  ni  suite,  que  tout  était  contre  les 
pésenlans,  et  qu'ils  seraient  infaillibleincnt  les 
ctimes  de  leur  zèle  patriotique.  J'étais  bieu  éloi- 
ë  de  prévoir  le  grand  et  beau  spectacle  qu'Us 


fl2    '  C0r.R£SP02ïDANCE^ 

viennent  de  donner  à  FunivcFS ,  et  qui  ^  quoi  quVn 
puissent  dire  nos  contemporains,  fera  l'admira- 
lion  de  la  postérité.  Cela  devrait  bien  guérir  vos 
magistrats,  d'ailleurs  si  éclairés,  si  sagtts  sur  tout 
autre  point,  de  Terreur  de  i^garder  le  peuple  de 
Genève  comme  une  populace  ordinaire.  Tant 
qu^ils  ont  agi  sur  ce  faux  préjugé,  ils  ont  fidt  de 
grandes  Êiutes  qu'ils  ont  bien  payées  v  et  je  prédis 
qu'il  en  sera  de  méoke  tant  qu'ils  s^obstinonont 
dans  ce  mépris  très-mal  ettendu  :  quand  oo  veut 
asservir  un  peuple  libre,  il  îkisdL  savoir  employer 
des  moyens  assortis  à  son  génie,  etricnm'estplui 
aôsé^mais  ils  sont  loin  de  ces  moyens-li.  Je  reviens 
à  moi  :  le  malheurque  j'ai  eu  d'être  impliqué  dans 
les  commencemens  de  tos  troubles  m'a  fiit  un 
devoir,  dont  je  ne  me  su»  jamais  départi ^  de 
n^être^nila  cause  ni  le  prétexte  de  leur  continua- 
tion. C^est  ce  qui  m'a  empècbé  d'aller  pu^er  le 
décret  y  c'est  ce  qui  m'a  faU  lenoncerâ  ma  bour- 
geoisie, c'est  ce  qui  m^a  fait  faire  fe  serinent  so- 
lennel de  ne  rentrer  jamais  dans  Genève,  dest  ce 
qui  m^a  fait  écrire  et  parler  à  tous  mes  amis  comme 
î'ai  toujours  fait;  et  j'ai  encore  renouvelé  en  der- 
nier lieu,  4  M.  dlvernois,  les  mêmes  déclarations 
que  j  ai  souvent  faites  sur  cet  article,  ajoatanl 
même  que,  s'il  ne  tenait  qu'à  une  démarche  aossf 
respectueuse  qu'il  soit  possible  pour  apaiser  l'anii 
taiosité  du  Conseil,  j'étais  prêt  à  la  Êiire  hautei 
ment  et  de  tout  mon  cœur  r  pourvu  que  vous  aje^ 
la  paix|  rien  ne  me  coûtera,  monsieor,  je  toui 


'AlfKÉE  1768.  4 '3 

protesf  e^  et  cela  sans  espoir  d'aucun  retour  de  jus- 
tice et  dlionnâteté  de  la  part  de  personne.  Les  ré* 
paiallons  <{ui  me  sont  dues  ne  me  seront  fiûlef 
.^'après  ma  mort,  je  le  sais«  mais  elles  seront 
grandes  et  sincères;  fy  compte,  et  cekt  me  suffit. 
Malheureusement  je  ne  peux  rien  /  je  n'ai  nolk 
espèce  de  crédit  dans  Genève,  pas  même  parmi 
ks  reprisentaas.  Si  jen  avab  eu,  je  vous  le  ré* 
pète,  tout  ce  qui  s  est  fait  ne  se  serait  point  fait. 
D'ailleurs  je  ne  puis*  qn  exhorter,  mais  je  ne  veux 
pas  tromper  :  je  dirai,  comme  je  le  crois,  que  la 
paix  yaut  mieux  que  la  liberté ,  qu'il  ne  reste  phf 
dTasïle  à  la  liberté  sur  la  terre  que  dans  le  cœur  da 
fhomme  juste,  et  que  ee  nVst  plus  la  peine  de  se 
batailler  pour  le  reste  :  mais  quand  il  s^agîra  de 
peser  un  projet  et  d'en  dire  mon  sentimenf,  je  le 
dirai  saus  déguisement.  Encore  une  fois,  je  veux 
exhorter,  mais  non  pas  tromper. 

Je  suis  bien  aise,  monsieur,  que  tous  pennes 
savoir  que  je  suis  tranquille ,  et  que  cela  vousihsve 
plaisîp.  Cependant,  si  vous  connaissiez  ma  véri- 
table situation,  tous  ne  me  croiriez  pas  si  hors 
des  mains  de  M.  Hume,  et  vous  ne  vous  acbresse* 
riez  pas  à  M.  Coindet  pour  dire  le- mal  que  vont, 
pouvez  penser  de  cet  homme -là.  Adieu ,  mon- 
âeur  :  je  ferai  toujours  cas  de  votre  amitié,  et  je 
serai  toujours  flatté  d*en  recevoir  destémoîgnages; 
mais  comme  vous  n'ignoresnt  mon  habitation  ni 
k.  nom  que  fy  porte  ^  vous  me  ferez  plaisir  de 
n'écrire  directement  par  préférence,  ou  de  fiur« 


4 1 4  CORRESPO^TD  ANCE  , 

passer  vos  lettres  par  d'autres  mains;  et  surloud 
De  soyez  jamais  la  dupe  de  ceux  qui  font  le  plu£^ 
de  bruit  de  leur  grande  amitié  pour  moi.  J'ou- 
bliais de  TOUS  dire  que  M.  Coindet  ne  m  envoya 
que  le  29,  c'est-à-dire  le  lendemain  du  Conseil 
général  y  votre  lettre  du  i  o  ;  que  je  ne  la  reçus  que 
le  3  mars  y  et  que  par  conséquent  il  n'était  plus 
temps  d'en  faire  usage.  Du  reste»  ordonnez;  je 
suis  prêt. 

804.  — •  A  M.  dIvernois. 

Au  diàtean  de  Trjt ,  le  8  mars  17G8. 

Votre  lettre,  mon  ami ,  du  29,  me  fait  frémir. 
dh  !  cruels  amis^  quelles  angoisses  vous  me  don* 
oez  !  n^ai-je  donc  pas  assez  des  miennes?  Je  vous 
exhorte,  de  toutes  les  puissances  de  mon  âme,  de 
renoncer  à  ce  malheureux  giabeau  qui  sera  la 
cause  de  votre  perte ,  et  qui  va  susciter  contre  vous 
la  clameur  universelle  qui  jusqu  i  présent  était 
en  votre  faveur.  Cherchez  d'autres  équivalens, 
consultez  vos  lumières;  pesez,  imaginez,  propo- 
sez :  mais,  je  vous  en  conjure,  hâtez -vous  de  fi^ 
nir,  et  de  finir  en  hommes  de  bien  et  de  paix ,  et 
avec  autant  de  modération,  de  sagesse  et  de 
gloire,  que  vous  avez  commencé.  N^attendez  pas 
que  votre  étonnante  union  se  relâche,  et  ne  comp- 
tez pas  qu'un  pai'eil  miracle  dure  encore  lon^ 
temps.  L'expédient  d'un  règlement  provisionnel 
Ii«ut  vous  Élire  passer  sur  bien  des  choses  qui 
pourront  avoic  leur  correctif  dans  un  meilkuir 


iTCNÉB  1768.  4l^ 

leiups  :  ce  moment  court  et  passager  you^^  est  &> 
torable;  mais  si  tous  ne  le  saisissez  rapidement, 
Uya  vous  échapper;  tout  est  contre  vous  et  vous 
êtes  perdus.  Je  pense  bien  différemment  de  vous 
nir  la  chance  générale  de  ravenir  ;  car  je  suis  très- 
persuadé  cpe  dans  dix  ans ,  et  surtout  dans  yingt , 
eUe  sera  beaucoup  plus  avantageuse  à  la  cause  des 
réprésentans^  et  cela  me  parait  in&illiUe  :  mais 
on  ne  peut  tout  dire  par  lettres,  cela  deviendrait 
trop  long.  Enfin,  je  vous  en  conjure  derechef  par 
vos  iamilles ,  par  votre  patrie ,  par  tous  vos  de* 
voirs,  finissez  et  promptement,  dussiez -vou* 
beaucoup  céder  ;  ne  changez  pas  la  constance  en 
opiniâtreté  :  c  est  le  seul  mojen  de  conserver  Tes* 
tFme  publigue  qae  vous  avez  acquise,  et  dont 
vous  sentirez  le  prix  un  jour.  Mon  cœur  est  si 
[Aetn  de  cette  nécessité  d'un  prompt  accord,  qu'il 
voudrait  s'élancer  au  milieu  de  vous,  se  verser 
dans  tous  les  vôtres  pour  vous  la  fiiire  sentir. 

Je  dlAere  de  vous  rembourser  les  cent  francs 
que  vous  avez  avancés  pour  moi,  daus  Fespoir 
d'une  occasion  phis  commode.  Lorsque  vous  son- 
gerez à  réaliser  votre  ancien  projet ,  point  de  con- 
fidens,  point  de  bruit,  point  de  noms,  et  surtout 
défiez-vous  par  préférence  de  ceux  qui  font  osten- 
tation de  leur  grande  amitié  pour  moi.  Adieu^ 
mon  ami  :  Dieu  veuille  bénir  vos-^travaw  0t  U^ 
couronner  !  Je  vous  embrasse. 


/ 


\t6  toBiusspoNDAifari 

8o5«  —«A  M.  LS  MARQUIS  DB  MiRABEAU.      . 

9  ma»  I  ^8» 

Se  ne  vous  répéterai  pas ,  mon  iHustre  ami ,  les 
DMHiotoiies  excuses  de  mes  longs  silences,  daa« 
tant  moins  ^e  ce  serait  toujours  à  recommencer; 
car  à  mesure  que  mon  abattement  et  mon  décou- 
ragement au^nentent ,  ma  paresse  augmente  en 
même  raison»  Je  nai  plus  d'activité  peor  rien, 
plus  même  pour  la  promenade,  à  laquelle  d ail- 
leurs je  suis  forcé  de  renoncer  depuis  quelque 
temps.  Réduit  au  travail  très-Ëitigant  de-me  levée 
ou  de  me  coucher,  je  trouve  cela  de  trop  encore; 
du  reste,  je  suis  nul.  Ce  n'est  pas  sealemeat  là  le 
itiieux  pour  ma  paresse ,  c^est  le  mieux  auâsi  poui 
|na  raison  ;  et  comme  rien  n'use  plus  vamemeni 
la  vie  que  de  regimber  contre  la  nécessité ,  le  meil« 
leur  parti  qfui  me  seste  à  prendre,  et  que  je  prends, 
est  de  laisser  faire  Sjtas  résistance  ceux  qjÉi  dispo- 
sent ici  de  moi., 

La  proposition  d'aller  vous  voii^  I  iheonp  est 
aussi  charmante  qu'honnête,  et  je  sens  que  1  al^ 
mable  société  que  ly  trouverais  serait  en  effet  uj] 
spécifique  excellent  centre  ma  tristesse..  Vos  ex 
pédieus,  mon  illustre  ami,  vont  mienx  à'  mot 
coeuc  c{ue  votre  mosale;  je  la  trouve  trop  haut< 
pour  moi,  plus  stoï(|ae  que  consolante;  et  rien  n^ 
me  parait  moins  calmant  pour  les  gens  qui  souf 
frent  que  de  leur  prouver  qu'ils,  n'ont  ^int  di 


mrsiE  1768.  Al** 

oaL  Ce  pèlerinage  me, tente  beaucoup,  et  c*est 
ftéàséweat  pour  cela  que  je  crains  de  ne  le  pou- 
Toir  &ire  :  il  ne  m'est  pas  donné  davoir  tant  do 
plaisir.  An  reste  ,  je  ne  prévois  d'obstacle  vraiment 
diiimant  que  la  dorée  de  mon  état  présent  qui  ne 
ne  permettrait  pas  d'entreprendre  un  voyage, 
qnoique  assez  court.  Quant  à  la  volonté,  je  vous 
jure  qu'elle  y  est  tout  estière,  de  même  que  la  sé- 
curité. Jai  la  certitude  que  vous  ne  voudriez  pas 
■iVxposer,  et  l'expérience  que  votre  bospitaîite 
€Si/iQssî  sûre  que  douce.  De  plus^  le  refuge  que 
)e  SUIS  venu  chercher  au  sein  de  votre  nation  sans 
précantion  d'auctme  espèce,  sansautre  sûreté  que 
mon  estime  pour  elle,  doit  montrer  ce  que  j'en 
pense,  et  que  je  ne  prends  pas  pour  argent  comp* 
CaaC  les  erreurs  qo^on  cherche  à  me  dûûaer»  £ir* 
fin, qyand  un  homme  de  mon  humeur,  et  qui  n'a 
i  se  reprocher,  veut  bien ,  en  se  livrant  sans 
â  ceux  qu'il  pourrait  craindre,  se  sou- 
mettre aux  précautions  suffisantes  pour  ne  les  pas 
forcer  à  le  voir,  assurément  une  telle  conduite 
fflaïqoe,  non  pas  de  Tarrogance,  mais  de  la  con- 
fiance ;  elle  est  un  témoignage  d'estime  auquel  on 
doit  être  sensible,  et  non  pas  une  témérité  dont 
on  se  puisse  ofièuser  :  je  suis  certain  qu'aucun  es- 
prit bien  fiut  ne  peut  penser  autrement. 

Comptez  donc,  mon  illustre  ami ,  qu'aucune 
<7ainte  ne  m'empêchera  de  vous  aller  voir.  Je  n  £Û 
rîen  altéré  du  droit  de  ma  liberté,  et  difficilement 
•je  jamais  de  ce  droit  un  usage  plus  agréable 


4ao  coRTirsPONï)Aî;t:E, 

parvenue  avant  le  départ  de  votre  n^  7;  mais, 
n'ayant  ui  mémoire  pour  me  rappeler  les  dates,  ni 
soin  pour  suppléer  k  ce  cléfaut,  je  me  puis  lieB 
affirmer  9  et  je  laisse  un  peu  notre  oorrespondance 
au  hasàid ,  comme  toutes  les  choses  de  la  vie ,  ffoiy 
tout  bien  compté^  ne  valent  pas  la  sollicitude 
qu'on  prend  pour  elles.  J'approuve  cependant 
très^fort  que  vous  n'ayez  pas  la  même  indiffi- 
rence  ^  et  que  vous  vous  pressiez  de  vouloir  mettre 
en  règle  nos  affitîres  pécuniaires;  je  vous  avoue 
même  que  sur  ce  point  je  n'avais  consenti  à  laîsseï 
les  choses  comme  elles  sont  restées,  que  parce  qu'il 
me  semblait  qu'à  tout  prendre,  ce  qui  demeuntil 
dans  vos  mains  valait  bien  ce  qui  a  passédans  Je^ 
miennes. 

Je  n'ai  point  prétendu,  non  plus  que  vous,  an^ 
ttiiler  en  partie  1  arrangement  que  nous  avions  fiû 
ensemble,  mais  en  entier,  et  vous  aves  dû  voij 
pai<  iûSL  précédent^  lettre  que  la  chose  ne  peut  dtn 
auQrement  II  s'ensuit  de  cette  résiliation,  comuM 
vous  avez  vu  dans  mon  mémoire,  que  je  too^ 
teste  débiteur  des  cent  louis  que  j*âi- reçoit  de  Tooâ 
et  iqu'il  &utque  je  vous  restitue,  puisque,  oiitr| 
le  recueil  de  tous  mes  écrits  et  papieis,  ^^pd  e^ 
entre  vos  mains ,  et  dont  il  ne  s'agit  pins ,  voas  m 
CToyez  pas  devoir  vx)us  permettre  de  prendre  oetti 
somme  sur  les  troLs  cents  louis  que  vous  avez  re 
çus  de  milord  Maréchal;  j'avais  cru,  moi ,  Yy  po« 
Voir  assigner,  parcequ'enfin,si'Ces  trob  cents  louj 
appartenaient  ï  quelqu'un  j^  c'était  J^  sioi^  d^poj 


Âtmin  1768.  4^1 

iqne  uùlord  Maréchal  m'en  avait  ùiï  présenti  qne 
même  U  me  les  ayait  voulu  remettre ,  et  que  c'é- 
tait à  mon  instante  prière  qu*îl  avait  cherché  à 
m'en  constituer  la  rente  par  préférence.  Vous  avez 
la  preuve  de  cela  dans  les  lettres  qu'il  m'a  écrites 
ft  ce  sujet,  et  qui  sont  entre  vos  mains  avec  les 
antres.  D'ailleurs,  il  me  semblait  que  sans  rien 
changer  à  la  destination  de  cette  rente ,  quatre  ou 
cinq  ans,  dont  une  partie  est  déjà  écoulée,  suffi- 
saient pour  acquitter  ces  cent  louis.  Ainsi,  vous 
laissant  nanti  de  toutes  manières,  je  ne  songeais 
guère  à  ce  remboursement  actuel ,  en  quoi  j'avais 
tort;  car  il  est  clair  que  tous  ces  rabonneraens, 
bons  pour  moi,  ne  pouvaient  avoir  pour  vous  la 
jnéme  force* 

Bref  ^  j'ai  reçu  de  vous  cent  louis  quHI  faut  vous 
restituer;  rien  n'est  plus  clair  ni  plus  juste.  Ilreste 
à  voir,  mon  chet  hôte,  par  quelle  voie  votts  vou* 
iez  que  je  vous  rembourse  cette  somme.  Je  n'ai  pas 
des  banquiers  à  mes  ordres,  et  je  ne  puis  vous  la 
Êûre  tenir  i  Neochâtel;  mab  je  pub,  en  nous  ar- 
rangeant, vofisla  faire  payer  à  Paîrb,  à  Lyoii,  cm 
ici  :  choisissez,  et  marquez -moi  votre  décisioii. 
J'attends. l&-4ie«6us  vos  ordres,  et  je  pense  que 
-plus  tâi  cette  affiiire  sera  terminée,  et  mîeul  ce 


Pour  vous  punir  de  ne  rien  dire  de  précis  sdr 
votre  santé,  je  ne  vous  dirai  rien  dé  la  mienne. 
Dans  votre  précédente  lettre  vous  étiez  content 
de  votre  estomac  et  diè  votre  état ,  à  la  goutte  prè»| 

Comtyovdsacc.   4*  ^ 


4aa  cortiespoMakce  , 

à  laquelle  vous  devez  être  accoutumé.  Dans  celle- 
ci  vous  trouvez  chez  vous  la  nature  en  décadence. 
Pourquoi  cela?  Parce  que  vous  étés  sourd  et  'goa^ 
teUz  ;  mais  il  y  a  vingt  ans  que  vous  Tètes ,  et  Totre 
état  n  est  empiré  que  pour  avoir  à  toute  force 
voulu  guérir.  On  ne  meuit  point  de  la  surdité,  et 
fou  ne  meurt  guère  de  la  gou'te  que  par  sa  fiiute. 
Mais  vous  aimez  i  vous  aiRibler^  tétie  d'un  drap 
Qiortuaire;  et,  dïci  à  Tàge  de  ^atre- vingts  ans 
que  vous  êtes  fait  pour  atteindre,  vous  paaaerex 
votre  vie  k  faire  des  arrangemens  pour  la  mort. 
Croyez-moi,  mon  cher  h^e^  tenez  votre  âme  en 
état  de  ne  la  pas  craindre;  du  reste,  laissez^Ia^ve^ 
air  quand  elle  voudra .  sans  lui  &ire  Tbimiieur  de 
tant  songer  à  elle,  et  soyez  sur  que  vos  héiiiîers 
SOU^Kmt  bien  arranger  vos  papiers,  sans  vous  tant 
tCHUfmenJ^r  pour  leur  en  épargner  la  peine. 
.    Jk  3ui9  bieu  obligé  à  M.  Panckoucke  de  voisloîr 
hi^^.  songer  à  moi  dans  la  distribution  de  sa  tra- 
duotion  de  Lucriœ.  Je  la  lirais  avec  plaisir  si  je 
lisais  quc^e  chose  ;  mais  vous  aortes  pu  loi  dire 
fUQ  je  ne  lis  plus  rien.  D'aïdeurs,  je  ne  voie  pas 
pourquoi  vous  voulez  lui  indiquer  M.  Coindet 
«Son  confrère  Guy  était  plus  à  sa  portée.  Yoiiffde- 
w«  savoir  que  |e  n'aime  pas  extrtoemeot  que 
M.  Coindet  se  donne  tant  de  peine  pour  m»  af- 
6ires;  et,  si  j  en  étais  le  maltie^  il  i»  s'en  dssiio^ 
mt  plus  du  tout. 

lilademoiseUe  Renou  vous  remercie  de  tuo 
JbNilies.  anutiéâj,  et.vous  &it  les  aieuMaî 


* 

•      ANNÉE  I7G8.  4^3 

BOUS  1*011  et  Taotre  aux  pieds  de  la  bonne  maman. 
Je  compte  répondre  k  madame  de  Luze  dans  ma 
prenièrê  lettre  -,  je  salue  M.  Jeannin ,  et  vous  em^ 
Ixasse,  moa  cher  hôte,  de  tout  moa  coeur. 

Je  rais  aujourdliui  din^  à  Gisors,  où  je  suis 
aOendo;  et  je  compte  y  porter  moi-mùme  cette 
Uttre  à  la  poste.  Comme  il  faut  tout  péToir,  a 
Totie  exemple,  etque  je  puis  mourir  dapoplexie, 
ao  cas  que  vous  n  ayez  plus  de  mes  nouvelles  par 
ffioî«ffiéiBe,  adressez-  tous  1  ceux  qui^secont  en* 
foisessîon  de  ce  que  je  laisse  ici  ^  ils  yoss  paiereiU 
Toscent  louis.  Adieu», 

808*. —  A  M.  nlvERKoïk. 

>4  mon- n^r- 

Entik  |e  respîjFe;  tous  aurez  Fa  paix,  et  vous 
faoKz  arec  ua  garant  sûr  qu'elle  sera  solide,  sa* 
Tojr,  J'estîffle  publique  et  celle  de  vos  magistrats^ 
qui,  TOUS  traitant  jnsqulci  comme  un  penj4e  or- 
dinaire, n'ont  jamais  pis,  sur  ce  faux  préjugé, 
que  «le  fausses  mesures.  Ils  doivent  être  enfin 
guéris  de  cette  erreur,  et  je  ne  doute  pas  que  le 
discours  tenu  par  le  procureur- général  en  Deux- 
cents  ne  soit  sincère.  Cela  posé,  vous  devez  es- 
pérer  que  l*on  ne  tentera  de  long- temps  de  vous 
flupreodre ,  ni  de  tromper  les  puissances  étran* 
gères  sur  TOtre  compte  ;  et  ces  deux  moyens  man* 
foant ,  je  e'en  vois  plus  d  autres  pour  vous  asser- 
vir, yics  di^es  amis,  vous  avez  pris  les  seuls 


4:^4  CORRESPOin>ANCB, 

moyens  contre  lesquels  la  force  même  perd  son 
effet,  Tunion,  la  sagesse,  et  le  courage.  Quoi  que 
puissent  faire  les  hommesr,  ob  est  toujours  libre 
quand  on  sait  mourir. 

Je  Tondrais  à  présent  que  de  votre  côté  roos  ne 
fissiez  pas- à  demi  les  choses,  et  que  la  concert 
une  fois  rétablie  ramenât  la  confiance  et  la  subor- 
dination aussi  pleine  et  entière  qne  s'il  n  y  eût  ja- 
maireu  de  dissension.  Le  respect  pour  les  magi^ 
trats  fait  .dans  les  républiques  la^  gloire  des  ci- 
toyens ,  et  rien  n'est  si  beau  que  de  savoir  se  sou- 
mettre après  avoir  prouvé  qu-oB  savait  i^îster. 
Le  peuple  de  Genève  s  est  toujours  distingué  par 
ce  respect  pour  sescBefs  qui  le  rend  lui-même  si 
respectable.  C'est  à  présent  qu'il  doit  ramener 
dans  son  sein  toutes  les  vertus  sociales  que  î  a- 
mour  de  Tordre  établit  sur  Tamour  de  la  liberté. 
D  est  impossible  quune  patrie  qui  a  detels  eu&ns 
ne  retrouve  pas  enSn  ses  pères;  et  c  est  alors  que 
la  grande  famille  sera  tout  â  la  fois  illustre,  floris- 
sante, heureuse,  et  donnera  vraiment  au  monde 
un  exemple  digne  d  imitation  Pardon ,  cber  ami  ; 
emporté  par  mes  désirs,  je  fais  ici  sottement  le 
prédiccitcur  ;  mais  après  avoir  vu  ce  que  tous 
étiez,  je  suis  plein  de  ce  que  vous  pouvez  être. 
Des  hommes  si  sages  nW(  assurément  pas  besoin 
d^exhortation  pour  continuer  à  Tétre;  mais  moi  y 
j'ai  besoin  de  donner  quelque  essor  aux  plus  ar- 
dens  vœux  de  mon  cœur. 

Au  reste,  je  vous  fâicite  en  particulier  d*um 


AîïKJêE  1768!.  4^ 

fionheur  qui  n'est  pas  toujours  attaché  â  la  bonne 
canse^  c'est  d'ayoïr  IroUTé  pour  le  soutien  de  la 
vôtre  des  talens  capables  de  la  &ire  valoir.  Vos 
mémrâes  sont  dés  cheÊ-d'œuvre  de  logique  et  de 
diction.  Je  sais  quelles  lumières  régnent  dans  vos 
cercles, qn^on  y  raisonne  bien,  qu'on  y  connaît  à 
fond  vos  édits;  mais  on  n'y  trouve  pas  communé- 
ment des  gens  qui  tiennent  ainsi  la  plume  :  celui 
({oi  a  tenu  la  yôtre ,  quel  qu'il  soit,  est  un  honuu^ 
rare;  n^oubliez  jamais  la  reconnaissance^que  vous 
hû  devez. 

A  l'égard  de  la  réponse  amicate  qud  vous  me 
démandez  sur  ce  qui  me  regarde,  je  la  ferai  avec 
la  pins  pUîne  confiance.  Rien  dans  le  monde  n'a 
pins  affligé  et  navré  mon  cœur  que  le  décret  'dé 
Genève.  D  n'en  fat  jamais  de  plus  fniquë,  de  plu^ 
absurde,  et  de  plus  ridrcule.  Cependant  il  n'a  pu 
détacher  mes  aJSsl:ûqn&  de  ma  patrie,  et  rien  au 
maade  ne  les  en  peut  de  tacher.  II  m'est  îndifie- 
rentj  quanrft^inon  sort ,  que  ce  décret  soit  annula 
ou  sahuste,  puisque  ue  m  est  possible  en^iilicun 
cas  de  profiter  de  mon  rétablissement;  mais  il  ue 
me  serait  pourtant  pas  indifférent ,  [e'-l'avoue ,  que 
ceu  qui  ont  commis  Ja  faute  sentissent  leur  tort , 
et  eussent  le  courage  de  le  réparer.  Je  crois  qu'en 
pareil  cas  j'en  mourrais  de  joie,  parce  que  ïy  Ver- 
rais la  fin  d'une  haine  implacable, etque  je  pDur- 
lais  de  bonne  grâce  me  liNrrer  aux  sentimens  re^ 
pectuenx  que  mon  cœur  m^inspire,  sans  crainte 
<fe  afaTÎlir.  Toutcc  que  je  puis  vous  dire  à  et 


If%  >  courespoctince  , 

>ujct  c$X  que  si  cela  arrivait,  ce  (fu'aasnrémeot  je 
ft'espère  pas ,  le  Conseil  sejralt  content  de  mes  seu- 
timens  et  de  ma  conduite^,  et  il  connaîtrai  t  bientôt 
^el  immortel  ^honneur  il  s  est  £iit.  Mab  je  tous 
pyoue  aussi  que  ce  rétablissement  ne  saurait  me 
flatter  s'il  ne  vient  d'eux-mêmes;  et  jamais,  de 
inon  consentement  9  il  ne  sera  sollicité.  Je  suis  sûr 
4q  vos  sentimens,  les  preuves  xa^en  sont  inutiles  ; 
inais  celles  des  leurs  me  toucheraient  d^autant 
P^s  que  je  m  y  attends  moins.  Bref ,  s*îU  font  cette 
démarche  d^eux-mémes,  je  ferai  mon  devoir;  s'ils 
ne  la  font  pas^  ce  ne  sera  pas  la  seule  injustice 
dont  j^aurai  à  me  consoler;  et  je  ne  veux  pas,  en 
tout  état  de  cause ,  risquer  de  servir  de  pierre  d  a- 
chopperaent  au  plus  parfait  rétablissement  de  la 
concorde. 

.  Voici  un  manBat  sur  la  veuve  Duchesne  pour 
tes  cent  francs  que  vous  avez  bien  voulu  avancer 
A  ma  bonne  vieille  tante.  Je  vons  redois  autre 
chose,  mais  malheureusement  je  n'^  sais  pa&  le 
contant. 

'809,  •— ^  ▲  MABABIX  U  COMTESSE  DE  BoUFIXBR5« 

Votre  lettre  me  toache,  madame  >  parce  que 
^y  crois  reconnaître  le  lan^^age  du  cœur;  ce  lan- 
pge  qui, de  votre  part,  m'eût  rendu  le  plus  heu- 
reux des  Jiommes,  et  à  bien  peu  de  frais.  Mais, 
^'espérant  plus  rien  ^  et  ne  sachant  plus  même 


ANNÉE  1768.  4^7 

(pe  désirer,  je  ne  vous  importunerai  plus  de  mes 
plamtes.  Si  mon  sort,  quel  qu'il  soit,  vous  en  ar- 
rachait quelqu'une,  je  m  en  croirais  moins  mal- 
aeintax. 

La  lettre  de  M.  le  prince  de  Conti  me  met  en. 
grande  peine  sur  son  état  actueL  Oserai -je  espé* 
rer,  madame,  que  vous  voudrez  bien  m'en  faire 
icnxe  on  mot  par  quelqu'un  de  vos  gens ,  ou  ceux 
de  son  altesse? 

Je  finis  brusquement  p  étant  attendu  pour  aller 
àGîsots. 

810. —  à.'HL  LE  DUC  DE  CbOISEUI» (^]. 

A  Trjt,  U  aj  m«r»  1768. 

• 

Vons  dai^ez  m'éoonter.  De  quel  poids  je  me 
sens  soulagé!  5i  tous  eussiez  bien  touIu  me  yotr^ 
il  me  semble  que  je  u  aurs^is  eu  besoin  de  yous 
riea  dire,  et  qu^à  hnstant  vous  auriez  lu  dans 
mon  Cœur. 

Un  mot  que  me  dit  M.  de  Luxembourg  à  mou 
•^part  pour  la  Suisse  autorise  le  détail  dans  lequel 
je  rais  entrer,  et  qui  serait  sup^u  s'il  vous  eût 
r  'ndu  ma  i^onse  :  mais  le  meiUeur  et  le  j^  ai* 

'.*)  Cette  lettre  pantt  îd  imprimée  pour  la  première  foii.  Je- 
r«i  copiée  moi -même  va  ïii^fiosAj  qui  m'a  été  communiqné 
p*r  JL  Bendou  On  IH  sur  U  première  ptft  cca  moU  ëcrita  «a 
oa^ee  :  Répondu  It  ac^  E»  A.  L 


A 


4a8  CORRESPONDANCE , 

mable  des  hommes  n'en  fut  pas  tonjoars  le  plus 
courageux. 

Our  vous  a  donné  de  quelques  passages  de  mes 
écrits  des  interprétations  non  seulement  si  fausses 
et  si  peu  naturelles  que  Ik  public  ne  s'en  est  ja- 
mais douté,  mais  si  contraires  à  mes  vues,  que  le 
seul  de  ces  passages  qu^on  m  ait  cité  contient  Fé- 
loge  le  plus  vrai ,  le  plus  grand,  j  ose  dire  le  plus 
digne  que  vous  recevrez  peut-être  jamais,. et  dont 
ftt)^  de  modestie  a  pu  seul  vous  empêcher  de 
senti)*  Fa^lication. Monsieur  le  duc,  je  aai  point 
de  protestations^à.vous.Êiire..  Je  dirai  les  faits,  et 
TOUS  jugerez. 

Tous  les  ministres  qui  vous  onVprécédé depuis 
long-temps  m'ont  paru  fort  au-dessous  de  leurs 
places;  toutes  les  personnes,  n'importe  le  sex«^| 
qui  se  sont  mêlées  dt  l^dminb.tration,  n  on^  eu , 
selon  moi ,  que  de  petites  vues,,  des  demi- talent , 
des  passions  bass,es^et  de  r^avarice,  pkitôtqne  de 
l'ambition.  Enfia  j'en»  pour  eux  tous  un  mépris 
peut-être  injuste,  mais  qui  allait  jusqu'à  la  haine  ^ 
et  que  jç  n'ai  jamais  beaucoup  dégiiisé».Ti0U5  mej 
p«[ichans,  au  ^contraire,,  vous  favorisèrent  dès  1^ 
premier  instant.  Jo. pré  jugeai,  que  vous  alliez  rcoi 
dreaaiaiuistère.réciat  obscurci  par  ces  gcns-là 
et  quand  le  bruit  courut  que  de  vous  et  d'une  dt^ 
p^'sonnes.doHt;  je  viens  de  parl^,  rua  des 
déplacerait  Tautre,  je  fis  en.  votre  faveur  des 
qui  ne  furent  pas  aussi  secrots  qu*il  Tauvait  fkU«j 
Seu  après^M.  de  Luxembourg^  j^hasard^  ^ov 


iy6S.  4^9 

parla  de  moi  ;  et ,  sur  Vtssai  qtÈe  j'avais  fiiit  à  Ve- 
iiise,  Yoiis  offi*ites  de  m'oçcuper.  Je  fus  d'autant 
plus  sensible  à  cette  offi%,  que  jamais  les  gens  en 
placeBem  ont  gâté  par  leurs  bontés.  Environ  dans 
le  fflAme  temps  éckrta  ce  célèbre  pacte  de  famille  : 
qael  augure  n'en  tirai-je  point  pour  Une  admini^ 
tration  cpii  commençait  ainsi  1  Je*  mettais  alors  la 
dernière  main  au  Contrat  sociat  :  le  cœur  plein 
de  YGQs^  j  y  portai  mon  jugement  et  mon  pronom 
tic  arec  nue  confiance  que  le  temps  a  coiÂrmée) 
et  que  Vayenir  ne  démentira  pas. 

Vous  qulionore  la  véiîté,  reconnaisses  seUL 
langage.  Le  passage  dont  je  yiisns  de  tous  donner 
iWpIîratioii'  est  ie  seul  où  j'aie  voulu  piurler  dé 
vous.  Si  l'on  a  chercbé  de  sinistres  applications  à 
quefcpie  antre,  j  en  appelle'au  boiT  sens  potnr  les 
réfuter, et  je  suis  prêt  à  montrer  partout  ce  que 
fzi  Toulu  dire.  Me  serais-je  aussi  sottement  con- 
tredit moi-même,  en  faisant  Télogé  ef  la  satire  du 
même  en  même  Ôemps7'Cela  est-il  donc  dans  mon 
caractère?  et  mVl^on  Vu  quelquefois  souffler  ainsi 
de  la  même  boudie  le  froid  et  le  chaud? Qu'on  se 
Sgure  un  étranger  à  ma  place ,  au  sein  de  la  France^ 
oà  il  se  plaît ,  aimant  à  publier  des  vérités  hardies 
mais  générales,  dont  jamais  ni  satii^  ni  nuUe  ap^ 
pbcation  personnelle  et'  maligne  n'a  souillé  les 
écrits,  qui  jamais  ne  repoussa  cp'avec  déceike  et 
dignité  les  traits  envenimés  deses  adversaires,  et 
qui  £nida  toujours  sa  fière  sécurité  sur  des  prinn 
ripes  et  des  maximes  irr^procludbles  :  coneevr^r 


43l  COlUtESPONDAIICKy 

Agréez,  monseigneur,  je  yoiiB  supplie,  mon 
sîncj»^  et  profond  respect* 

J.  J.  Rousseau. 

Si  vous  m'honorez  d  nne  réponse  sous  le  nom 
de  Renou,  trob  mots  suffisent,  Je  vous  crois;  et 
je  suis  content. 

8i  I.  -*-'  A  M.  dIv^brvois* 

a8  huds  f  jG8. 

Je  ne  mé  pardonnerais  pas ,  mon  ami ,  de  tous 
kisser  l'inquiétude  qu'a  pu  tous  donner  ma  pré- 
cédente lettre  sur  les  idées  dont  j^étais  frappé  en 
Fécrivant.  Je  fis  ipa  promenade  agréaUement  :  je 
revins  heureusement;  je  reçus  des  nouvelles  qui 
me  firent  plaisir;  et-,  voyant  que  rien  de  tout  ce 
que  jWais  imaginé  n'est  arrivé,  je  commence  à 
craindre,  après  tant  de  malheurs  n§els,  d*en  avoir 
quelquefois  d'imaginaires  qui  peuvent  agir  sur 
mon  cerveau.  Ce  que  je  sais  bien  certainement, 
c'est  que,  quelque  altération  qui  survienne  4  ma 
tAte,  mon  cœur  restera  toujours  le  même,  etquH 
vous  aimera  toujours»  Xespère  que  vous  commen- 
cez jt  goûter  les  doux  fimits  de  la  paix.  Que  vous 
êtes  heureux!  ne  cessez  jamais  de  TAtre.  Je  vous 
embrasse  de  lout  ^on  coeâuu 


tm  PU  TOME  QUAtBIÈME  DS  14  (S0«|tSSP0inML9CB. 


OEUVRES  COMPLÈTES 


DTE 


J.  J.  ROUSSEAU. 


20 


PARIS ,  IMPRIMBRIB  DE  DEGOURGHANT, 
RM  d'BfAvth,  D*  I ,  pHt  d«  r  AblMy*. 


ŒUVRES 


DE 


J.-J.  ROUSSEAU. 


CORRESPONDANCE. 


A  PARIS, 


CHEZ  DESENiNE,  LIBRAIRE, 

■Cl  HAVraraOILLE,!!*  10. 


CORRESPONDANCE. 

8 1  a. A  M.  bI VERITOIS. 

96  mil  1 768* 

(Quoique  je  Bisse  accoutumé,  mon  bon  ami,  à 
receroir  de  vous  des  paquets  iiéquens  et  coûteux, 
f  ai  été  YÎTement  alarmé  à  la  vue  du  dernier ,  taxe 
et  payé  six  Uvres  quatre  JOUb  de  port.  Xai  cru  d'a- 
bord qu'il  s'agissait  de  quelque  nouveau  trou}>le 
dans  votre  ville,  dont  vous  m  envoyiez  à  la  hâte 
f  important  et  cruel  détail;  mais  à  peine  en  ai -je 
parcouru  cinq  on  six  lignes,  que  je  me  suis  tran- 
quiitisë,  voyant  de  quoi  il  s'agissait  ;  et,  de  peur 
détre  tenté  d*en  lire  davantage,  je  me  suis  pressé 
de  jeter  mes  àx  livres  quatre  sous  au  feu ,  surpris, 
je  J'avoue,  que  mon  ami,  M.  dlvemois,  m'en- 
voyât de  pareils  paquets  de  si  loin  par  la  poste, 
et  Ixien  plus  surpris  encore  cp'il  m'osât  conseiller 
dy  répondre.  Mes  conseik  y  mon  bon  ami ,  me  pa- 
raissent meilleurs  que  les  vôtres,  et  ne  méritaient 
assurément  pas  un  pareil  retour  de  votre  part^ 

A  mon  départ  pour  Gisors,  regardant  cette 
course  comme  périlleuse,  je  vous  envoyai  un  bil- 
let do  cent  fiancs  sur  madame  Duchesne ,  afin  que 
sll  mésarrivait  de  moi,  vous  n  en  fussiez  pas  poui 
ces  cent  firancs,  dont  vous  m  aviez  £iit  Tavance, 
11  vous  a  plu  de  supposer  que  cet  envoi  voulait 


6  CORRCSFOin>AII€B, 

dire  :  Ne  venez  pas.  Une  interprétation  si  bizarre 
est  pen  naturelle;  si  je  ne  vous  connaissais ^  |e 
croirais  y  moi,  qu^elle  était  de  votre  part  un  mau* 
vais  prétexté^  pour  ne  pas  vedir^  après  m'en  avoir 
témoigné  tant  d'envie  :  mais  je  ne  suis  pas  si 
prompt  que  vous  à  mésinteipréter  les  motifs  de 
mes  amis;  et  je  me  contenterai  de  vous  assurer , 
avec  vérité,  qné  rien  jamais  ne  fht  plus  éloigné  de 
ma  pensée,  en  écrivant  ce  bOlet,  que  le  motif 
que  vous  m^avez  supposé. 

Si  j'étais  en  état  de  faire  dVme  manière  satis- 
faisante la  lettre  do&t  vous  m'avez  dit  le  sujet,  je 
vous  en  enverrais  ci- joint  le  modèle;  mais  mon 
cœur  serré,  ma  tète  en  désordre,  toutes  mes  ùk- 
cultes  troublées,  ne  me  permettent  plus  de  rien 
écrire  avec  soin,  même  avec  clarté;  et  il  ne  me 
reste  précisément  qu^assez  de  sagesse  pour  ne 
plus  entreprendre  ce  que  je  ne  suis  plus  en  état 
d'exécuter.  Il  n'j  a  point  à  ce  refiis  de  mauvaise 
volonté,  je  vous  le  jure;  et  je  suis  désormais 
hors  d'état  d'écrire  pour  moi-même  les  dioses  ks 
plus  simples  j  et  dont  j'aurais  le  plus  gmiid  be- 
soin* 

Je  crois,  mon  bon  ami,  pour  de  bonnes  rai- 
fons,  devoir  renoncer  à  la  pen^on  du  roid'Angle» 
ferre  ;  et ,  ponr  des  faisons  non  moins  bonnes ,  f aï 
rompu  irrévocablement  1  accord  que  j'avab  fiil 
avec  M.  du  Peyrou.  Je  he  vous  consulte  pas  sur 
ces  résolutions,  je  vous  en  rends  compte;  ainsi 
TOUS  pouvez  vous  épargner  d'inutiles  efforts  pcmr 


AiniiE  1768.  7 

m^en  dissnader.  Il  est  yral  que,  £iible,  iufimiey 
èëcoHragéy  je  reste  à  peu  près  sans  pain  sur  mes 
fieux  jours,  et  hors  d'état  aen  gagner  :  mais  qu'à 
cela  ne  tieiiRe,  la  IVovidence  y  pourvoira  de 
manière  ou  d*aatre.  Tant  que  j-'aî  vécu  pauTre , 
j'ai  vécu  heureux;  et  ce  n'est  que  quand  rien  ne 
ma  manqué  pour  le  nécessaire  que  je  me  suis 
senti  le  plus  malheureux  des  mortels  :  peut-être  le 
bonheur,  on  du  moins  le  repos  que  je  cherche, 
reriendra-t-il  ayec  mon  ancienne  pauvreté.  tJne 
attention  que  vous  devriez  peut-être  à  l'état  où  je 
rentre  serait  d'être  un  peu  moins  prodigue  en  en- 
vois coûteux  par  la  poste,  et  de  ne  pas  vous  ima- 
g'mcr  qneu  me  proposant  le  remboursement  des 
ports  j  vous  seriez  pris  au  mot.  Il  est  beaucoup 
plus  honnête  avec  des  amis,  dans  le  cas  où  je  me 
trouve, de  leur  écononûser  la  dépense,  que  d  of- 
frir de  la  leur  rembourser. 

Bonjonr,  mon  cher  dlvemois*,  je  vous  aîme 
et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J'espère  que  vous  n'irez  pas  inquiéter  ma  bonne 
vieille  tante  sur  la  suite  de  sa  petite  pension. 
Tant  quelle  et  moi  vivrons,  elle  lui  sera  conti- 
nuée, quoi  qu  il  arrive,  à  moins  que  je  ne  sois 
tout-4-fait  sur  le  point  de  mourir  de  &ini;  et  j'ai 
confiance  que  cela  ^'arrivera  pas. 

P.  S.  Quand  M.  du  Peyrou  me  marqua  que  la 
0»De  dé  comédie  avait  été  brûlée,  je  araignis  le 
contre-coup  de  cet  accident  pour  fe  cause  des  re* 


i 


i 


prësentans;  mais  que  ce  soit  à  moi  que  Voltaire 
Pimpute ,  je  vois  là  de  quoi  rire  :  je  n  y  vois  point 
du  tout  de  quoi  répondi*e,  ni  se  fâcher.  Les  amis 
de  ce  pauvre  homme  feraient  bien  de  le  faire  bai- 
gner et  saigner  de  temps  en  temps. 

8i3.  —  A  M.  DU  Peyrou. 

'A  Tiye,  le  19  •rnX  t^HS. 

Notre  correspondance ,  mon  cher  hôte ,  prend 
nn  tour  si  peu  consolant  pour  des  cœurs  attristés , 
qu'il  faut  du  courage  pour  Fentretenir  dans  létat 
où  nous  sommes;  et  le  courage  qui  donne  de  1  ac- 
tivité n^a  jamais  été  mon  fort.  Misiintenant,  pr^i- 
dre  une  plume  est  presque  au-dessus  de  mes  fiw- 
ces.  J'aimerais  autant  avoh*  la  massue  d  Hercule  i 
manier.  Ajoutez  que  Tétat  où  m'arrivent  vos  let- 
tres me  fait  voir  qu  elles  ont  bien  des  inspecteurs 
avant  de  me  parvenir  ;  il  en  doit  être  à  peu  prés 
de  même  des  miennes,  et  tout  cela  n^est  pas  bien 
encourageant  pour  écrire. 

L'état  dans  lequel  vous  vous  sentez  est  Yvsi* 
ment  cruel,  d  autant  plus  que  la  cause  n'en  est 
pas  claire,  et  qull  n  est  pas  clair  non  plus,  selon 
moi,  lequel  des  deux  a  le  plus  besoin  de  traite* 
ment  de  la  tète  ou  du  corps.  Depuis  ce  qui  s'est 
passé  ici  durant  votro  maladie,  et  durant  votre 
convalescence  ;  depuis  que  je  vous  ai  vu  &ire  à  la 
hâte  votre  testament  4  et  vous  presser  de  mettre 
ordre  à  vos  affaireS|  tandis  que  vous  vous  réta- 


Asm^iE  1768;  9 

Uîssiez  ï  Tue  d'œil;  depuis  la  slogoltére  &çoii 
dont  je  T0U5  ai  va  traiter  en  toute  chose  ave:: 
celni  <pii  nayait  que  tous  d^arai  sur  la  terre,  qui 
n  avait  de  confiance  qu'en  vous  seul ,  qui- n  aimait 
encore  la  vie  que  pour  la  passer  avec  vous;  avec 
celui  enfin  dont  vous  étiez  la  dernière  et  la  seule 
espérance;  je  vous  avoue  qu'en  résumant  tout 
ceb,  je  me  trouve  forcé  de  conclure  de  deux 
choses  lune,  on  que  dans  tous  les  temps  jai  mal 
connu  votre  cœur,  ou  qu'il  s'est  fait  de  terribles 
changemens  dans  votre  tête  :  comme  la  demièro 
opnion  est  plus  honnête  et  plus  vraisemblahle, 
je  TBLy  tiens,  et,  cela  posé,  je  ne  puis  m'empécher 
de  croire  que  cette  tdte  un  peu  tracassée  a  une 
très-grande  part  dans  le  dérangement  de  votre 
machine;  et,  si  cda  est,  je  tiens  votre  mal  incu* 
raUe,  parce  qu^une  âme  aussi  peu  expansive  que 
la  vètre  ne  pent  trouver  au  dehors  aucun  remède 
an  mal  qn  elle  se  iait  à  soi-même.  11  se  peut  très- 
bien,  par  exemple,  que  l'affiiibUssement  de  votre 
vue  ne  soit  que  trop  réel,  et  quà  force  d avoir 
voulu  réCaUir  vos  oreilles  vous  ayez  uni  à  vos 
jeux.  Cependant,  si  j'étais  près  de  vous,  je  vou« 
drais,  par  une  inspection  scrupuleuse  de  vos  yeux , 
Pi  surfont  du  gauche,  voir  si  quelque  altération 
extérieure  annonce  celle  que  vous  sentez;  et  je 
vous  avoue  que  si  je  n'apercevais  rien  au  dehors, 
f  aurais  un  fort  soupçon  que  le  mal  est  plus  à  l'au- 
tre extrémité  du  nerf  optique  qu^à  cel:e  qui  ta- 
pisse le  fond  de  l'ϔL  Je  vous  dirais  :  Consultez 


10  C(milKSrO?rDAlfCE, 

«ur  vos  yélu  quelqu'un  qui  s'y  couBaisso,  si  ce 
n'était  vous  exposer  à  donner  votre  confiance  i 
gens  qui  ont  intérêt  à  vous  tromper.  Tâchez  de 
voir,  mon  bon  ami,  c est  tout  ce  que  je  puis  vous 
dire.  Vou9  voilà,  ou  je  me  trompe  fort,  dans  le 
oafi  oii.la  foi  guérit,  dans  le-cas  oi^  il  faut  dire  au 
bokeux  :  Charge  ton  petit  lit,  et  marche. 

Toutes  les  explications  dai^s  lesquelles  vous 
Mitres  sur  nos  affiiires  sont  admirables  assuré- 
ment; mais  elles  n*empèchent  pas>  ce  me  semble  « 
qu'ayant  nettement  rdteé  de  vous  rembourser  de 
vos  cent  louis  sur  Targeiit.qui  vous  a  été  remis 
par  milord  Marédiai,  il  ne  sVnsnive  avec  la  der- 
nière évidence  qu'il  fitut-,  ou  que  je  tire  de  ma  po- 
che ces  cent  louis  pour  vous  les  rendre,  ou  que  je 
vous  en  reste  débiteur.  Or  je  ne  veux  point  vous 
resta*  débiteur,  et  il  ne  serait  pas  honaéte  à  vous 
de  vouloir  m  y  con^aindre.  Si  donc  vous  persistei 
à  ne  pas  vouloir  vous  rembourser  des  ceM  louis 
sur  l'argent  qui  vous  a  été  remis  peur  moi^  il  &ut 
bien  de  nécessité  que  vous  les  recevies  de  moi. 

Vous  me  dites  à  cela  que  vous  ne  pouvei^  rien 
dianger  k  k  destination  de  la  somme  qui  vous  a 
été  remise,  sans  le  gré  du  constituant  FiHrt  bien  -, 
mab  si,  comme  il  pourrait  très-bien  anivcr,  le 
constituant  ne  vous  répond  rien ,  que  feres-vous? 
Reluserez*voùs  de  vous  rembourser  de  ces  cent 
louis,  parce  que  je  ne  veux  pas  recevoir  les  deux 
cents  autres?  Vous  m'avouerez  qu'un  pareil  refus 
serait  un  peu  hifarre,  et  qu'il  est  difficile  do  voir 


Afnfix  tyGS.  If 

pourquoi  Tods  serez  plus  eiobarfaissé  de  deux 
cents  louis  ^e  de  trois  cents.  Vous  me  piessez  àt 
TOUS  répondre  catégonqaeméttt  si  je  veux  recd- 
voir  k  rente  Tiagère  y  oui  ou  notiiJe^iFOUS  réponds 
à  cela  qoe  fn  tous  refusez  de  tous  rembourser  sur 
le  capita] ,  je  la  recevrai  jusqu'à  la  coneurrenae  du 
paiement  des  cent  louis  que  je  vous  dois;  que  si 
TOUS  ex^ez  pour  oela  que  je  m'engage  à  la  rece- 
voir encore  dans  la  suite,  c'e5t,  ce  me  semUe^ 
Qsorper  un  droit  que  tous  nWez  point  Je  la  re- 
cevrai, mou  cher  hdte,  jusqu'à  ce  que  tous  sey^ 
pjé*y  auris  cela,  je  Terrai  ce  que  jauni  à  faire; 
enin,  si  vous  persistez  à  Touloir  des  conditions 
pour  ïavemr,)e  persiste  à  n*en  Touloir-pmit  fidre^ 
et  vous  n'avez  qu'à  tout  garder.  Bien  entendu 
qu'aussitM  que  la  somme  qui  tous  a  été  remise 
pour  moi,  par  mîlonl  Maréchal ,  lui  sera  restituée , 
il  faudra  l»en  qu^  votre  tottr  tous  receviez  la  rem 
tîtntfon  des  cent  louis. 

Tout  ce  que  tous  me  £tes  sur  ki  solennité  né- 
cessaiie  dans  la  rupture  de  notre  accord,  et  sur 
les  raisons  que  nous  aurons  à  donner  de  cette 
repture ,  me  parait  assez  bizaire.  Je  ne  Tois  pas  â 
qui  nous  serons  obligés  de  rendre  compte  dHm 
traité  &it  entre  nous  seuls ,  qui  ne  regardait  qile 
nous  seub,  et  de  sa- rupture;  Je  ne  crois  pas  tos 
kérttien  assez  méchans,  si-je  tous  suipris,  pou» 
vouloir  me  forcer,  le  poignard  sur  la^gorge^  â  tt* 
ceroir  une  rente  dont  je  ne  veui'point.  Et,  sup- 
poiant  que  je  fusse  obligé  de  dire  pourquoi  f  ai  d6 


la  courespondancb, 

rompre  cet  accord ,  je  vous  trouve  là-dessus  des 
scrupules  d'une  tournure  à  lavjuclle  je  n  entends 
rien.  On  dirait ,  en  vérité ,  que  vous  voulez  vous 
Élire  envers  moi  un  mérite  des  ménagemens  que 
j'avais  la  délicatesse  d avoir  pour  vous.  Ah!  par 
ma  foi^  c'en  est  trop  aussi,  et  il  nVst  pas  permis  à 
une  cervelle  humaine  d^extra vaguer  à  ce  point. 
Prenez  votre  parti  là-dessus,  mon  cher  hôte,  et 
dites  hautement  tout  ce  que  vous  aurez  â  dire. 
Pour  moi,  je  vous  déclareque  désormais  je  ne  m'en 
ferai  pas  faute,  et  que  jai  déjà  commencé.  Ma 
conduite  là-dessus  sera  simple,  comme  en  toutes 
choses;  je  dirai  fidèlement  ce  qui  s^est  passé,  rien 
de  plus  :  chacun  conclura  ensuite  comme  il  jugera 
à  propos. 

On  dit  que  les  afiàires  de  votre  pays  vont  très- 
mal;  j'en  suis  vraiment  afil*gé,  à  cause  de  beaa* 
coup  d'honnêtes  gens  à  qui  je  mintéresse.  On 
prétend  aussi  que  M.  de  Voltaire  m'accuse  d  avoir 
brûlé  la  salle  de  la  comédie  à  Genève.  Voilà, 
sur  mon  Pieu,  encore  une  autre  accusation  dont 
très-assurément  je  ne  me  défendrai  pas.  Il  fiàut 
avouer  que,  depuis  mon  voyage  d'Angleterre,  nie 
voilà  travesti  en  assez  joli  garçon I  Ma  foi,  c^esl 
trop  faire  le  rôle  d'Heraclite;  je  crois  quà  hieii 
peser  la  manière  dont  on  mène  les  hommes,  ^i« 
finirai  par  rire  de  tout  Adieu,  mon  cher  hôte  ,  ^ 
vous  embrasse. 


AHIfÉK  T758.  |3 

8l4* AU  MÉMB. 

AT^e,  le  10  jnîo  1768» 

Je  T0Î5,  mon  cher  bAte,  que  nos  discussions , 
an  lieu  de  s'édaircir,  sWbrouillent.  Comme  je 
nVirae  pas  les  chicanes,  je  reviens  à  cette  afTairo 
aujourd'hui  pour  la  dernière  fois.  Je  tfouye  le  dé* 
sir  que  vous  avez  de  la  mettre  en  règle  f(H*t  raison* 
naUe;  mais  je  ne  vois  pas  que  vous  preniez  les 
moyens  d'en  Tenir  à  bout. 

En  exécution  d'un  accord  entre  nous,  qui 

n'existe  plus,  fai  reçu  de  vous  cent  louis,  qu'il 

fiait,  par  conséquent,  que  je  vous  restitue.  Vous 

avez,  de  votre  côté,  le  dépôt  de  mes  écrits,  tant 

imprimés  que  manuscrits ,  de  toutes  mes  lettres  et 

papiers,  tous  les  matériaux  nécessaires  pour  écrire 

ma  triste  vie,  dont  le  commencement  vous  est 

aus»  parvenu.  Vous  avez  de  plus  reçu  trois  cents 

louis  de  mîlord  Maréchal ,  pour  le  capital  d'une 

rente  viagère  dont  il  m^a  fait  le  préisent. 

Dans  cetétat ,  j'ai  cru  et  j'ose  croire  encore  pou- 
voir acquitter  ces  cent  louis  avec  ce  qui  reste  entre 
vos  mains,  quoique  je  renonçasse  à  la  rente  via-^ 
gère;  et  cette  renonciation ,  loin  d'être  un  obstacle 
â  cet  arrangement,  doit  le  fevoriser,  parce  que, 
prenao t  cette  somme  sur  le  capital  ou  sur  la  rente, 
i  votre  choix,  j acceptais  avec  respect  et  recon»- 
naissasce  cette  partie  du  don  de  mitord  Maréchal, 
et  que  ce  ne  pouvait  pas  être  à  vous  de  me  dire  : 
jlccepiez  le  toui  ou  rien 

tm,  5.  % 


r4  CORRESPOirDAVGBy 

Je  vous  proposai  donc  premièrement  de  pren* 
dre  ces  cent  louis  sur  le  capital.  A  tout  cela  vous 
objectâtes  que  vous  ne  pouviez  rien  changer  &  la 
destination  de  ce  fonds,  sans  le  consentement  de 
celui  qui  vous  Tarait  remis.  Le  consentement  de 
milord  Maréchal  vous  ayant  donc  paru  nécessaire 
n'a  cependant  point  été  otbtenu,  par  la  raison  qu'il 
n'a  point  été  demandé.  Ainsi,  voilà  on  obstacle. 

Je  vouft^^î^osai  ensuite  de  laisser  sobsister  la 
rente  viagère  jusqu'à  ce  que  ces  cent  louis  fîissent 
acquittés,  sauf  à  voir  après  comment  on  ferait; 
et  cet  arrangement  était  d'autant  phis  naturel^ 
quêtant  usé  de  chagrins,  de  maux,  et  déjà  sur 
Yi^^  ma  mort ,  dans  Tintervalle,  pouvait  dénouer 
la  difficulté.  Vous  n'avez  fiiit  aucune  réponse  à 
cet  article ,  qui  n'avait  besoin  du  consentement  de 
personne ,  puisqu'il  nIRait  que  Texécution  fidèle 
des  intentions  du  constituant. 

Mais ,  au  lieu  de  ce  second  article,  stt*  lequel 
vous  n'avez  rien  dit,  voici  une  difficulté  novvdk 
que  vous  avez  élevée  sur  le  premier.  Je  la  tmn5- 
cris  ici  mot  pour  mot  de  votre  lettre. 

Observez  que  vous  n'êtes  pas  le  seul  iniéressé 

dans  cette  affaire,  et  que  la  rente  est  rét^ersiUe 

à  une  autre  personne  après  vous^  et  cela  pottr  les 

.  deux  tiers.  Cette  considération  seule  doit,  ce 

semble,  décider  la  question  entre  nous, 

Cétait  là,  mon  cher  hôte  une  o^ 
qu'il  m'était  difficile  de  fiiire,  puisque  cet  artide 
de  votre  lettre  est  la  première  novvtlie  ^e  fwiù 


AnvtK  1768.  i5 

jamab  eue  de  cette  prétendae  Térenicm,  Cetlo 
danse ,  îl  est  vrai ,  Élisait  partie  du  traité  qui  était 
entre  yoos  et  moi ,  mais  elle  n'avait  rien  de  com- 
mun,  cpie  je  sache,  avec  la  constitution  de  miiord 
Maréchal;  et,  si  elle  eût  existé,  il  n'est  pas  con- 
vensJsle  que  ni  lui  ni  vous  ne  m'en  eussiez  jamais 
dit  un  seul  mot.  Elle  u  est  pas  même  compatible 
avec  la  quotité  de  b  somme  constituée^  attendu 
quune  telle  clause,  vous  rendant  la  rente  plus 
Qfnéreuse,eikt  exigé  un  fonds  plus  con5idcra})ley 
et  railord  Maréchal  est  trop  galant  homme  pour 
vouloir  être  généreux  à  vos  dépens.  Ainsi,  i 
moins  que  \&  n^aie  la  preuve  péremptoire  de  cette 
réversion,  vous  me  penneitrez  de  croire  quelle 
n'existe  pas,  et  que ,  par  défaut  de  mémoire ,  vous 
aurez  con&ndn  une  clause  du  traité  annulé  avec 
une  constitution  de  rente^  oii  il  u^en  a  jamais  été 
question. 

Je  dirai  pins  :  quand  même  cette  clause  exis- 
terait réellement,  loin  d'empêcher  l'exécution  de 
I  arrangement  poposé,  elle  en  lèverait  les  diffi- 
cultés, et  le  Êivoriserait  pleinement;  car  ôtez  du 
capital  les  cent  louis  que  j'assigne  pour  votre  rem- 
boursement, reste  précisément  le  capital  des 
quatre  cents  livres  de  rente  que  vous  pouvez  payer 
dès  â  présent  à  celle  k  qui  elles  sont  destinées, 
comme  si  fêtais  déjà  mort.  Cette  solution  répond 
à  tout. 

Mais  :e  crains  que ,  puisque  vous  voilà  en  train 
de  scrupules,  vous  uVu  ayez  tant  ^  que  notre  af» 


l6  COlUUSSPOITDAirCE, 

rangement  définitif  ne  soit  pas  prêt  à  se  faire. 
Pour  moi  «je  vous  déclare  que  non-seulement 
rien  tie  me  presse,  mais  que  ]e  consens  de  tout 
mon  cœur  à  laisser  toujours  les  choses  3ur  le  pied 
où  elles  sont^  croyant ,  dans  cet  état^  pouvoir  en 
sûreté  de  conscience  ne  pas  me  regaider  comme 
votre  débiteur. 

Quant  à  mes  écrits  et  papiersqui  sont  entre  vos 
mains,  ils  y  sont  bien;  permettez  que  je  les  y 
laisse,  résolu  de  ne  les  plus  revoir  et  de  ne  m^ea 
reméler  de  ma  vie.  Ce  recueil,  s  il  se  conserve^ 
deviendra  précieux  un  jour;  s'il  se  démembre,  Û 
s'y  trouve  suffisanunent  d  ouvrages  manuscrits 
pour  en  tirer  d  un  libraire  le  remboursement  des 
avances  que  vous  m  avez  faites.  Si  vous  prenez  ce 
jparti,  j'exige  on  que  rien  ne  paraisse  de  mon  vi« 
vant ,  ou  que  rien  ne  porte  mon  nom,  ni  présent, 
ni  passé.  Au  reste ,  il  n'y  a  pas  un  de  ces  écrits  qui 
soit  suspect  en  aucune  manière,  et  qui  ne  puisse 
être  imprimé  à  Paris,  même  avec  privilège  et  per- 
mission. Le  parti  qui  me  conviendrait  le  mieux, 
je  vous  Tavoue,  serait  que  tout  fût  livré  aux  flam- 
mes, et  c'est  même  ce  que  je  vous  prie  instam- 
ment et  positivement  de  faire.  Si  vous  voyez  en» 
fin  quelque  moyen  de  yous  rembourser  de  vos 
avances  sur  le  fonds  qui  est  entre  vos  mains,  qne 
je  n'entende  plus  parler  de  ces  malheureux  pa- 
piers, je  vous  en  supplie;  que  je  n'aie  plus  d'autre 
soin  que  de  m'armcr  contre  les  maux  que  Von  me 


AxmÉE  1768.  i  y 

àesûne  encore,  et  que  de  chercber  à  mourir  eo 
paix,  si  jepuis.  Amen. 

Le  tour  qu  ont  prb  yos  afiaires  pablk{iies  m'af- 
ffige,  mais  né  me  surprend  point.  Jai  vu  de- 
puis kmg- temps,  et  je  yous  le  dis  ici  dès  mon  ar* 
ri?ée,  que  le  pays  où  vous  êtes  ne  servait  que  de 
prétextes  à  dé  plus.grands  projets,  et  c'est  g€  qui 
doit,  en  quelque rfitçon ,  consoler  ceux  qui  Iliaîû- 
tent;  car>f  de  quelque  manière  qu'ils  se  fussent 
conduits,  rérénement  eût  été  le  même ,  U  n  en  se- 
rait arrîyé  ni  plus  ni  moins.  Vous  avez  eu  le  pro- 
jet d'en  sortir;  je  erms  que  ce  projet  serait  bon  a 
exécuter,  à  tout  risque ,  si  vous  aimez  la  tranquil- 
Ulé.  le  sais  qoe  la  bonne  maman  n'en  sortirait  pas 
sans  peine;  mais  il  y  a  eu  dëjà  des  spectacles  qui 
devraient  aider  à  la  déterminer.  Je  regretterais 
pour  elle  et  pour  vous  votre  maison ,  ce  beau  bc, 
votre  pvdin;  mais  la  paix  vaut  mieux  que  tout; 
et  je  sais  cela  mieux  que  personne,  moi  qui  Ëiis 
tout  pour  elle,  et  qui  ne  me  rebute  pas  même  par 
Impossibilité  certaine  deroblenir. 

A  propos  de  jardin,  aves-Tous  &it  &emer;dans 
le  TÔtie  ma  graine  dVpoe/n  ?  J'en  ai  £iit  semer  et 
soigner  ici  sur  couche  et  sous  cfcch^ ,  et  j'ai  eu 
tontes  les  peines  du  monde  d*en  sauver  quelques 
pieds  qui  languissent;  je  crains  qnil  nen  vienne 
aucun  à  bien.  Je  n^aurais  jamais  cru  cette  plante 
si  difficile  â  cidtiver.  En  revanche,  j^ai  semé  dans 
le  petit  jardin  du  carthamus  lanatus  qui  vient  à 
reiUe.  des  medicaga-scmcllata  et  interîexta. 


:>. 


1 8  GORÎlfiS^OirDAKtC  y 

<^i  sàtit  déjÀ  iBâ  fteuTS ,  et  dont  je  oennpte  ckâqué 
jour  les  brins,  les  poils,  les  feuilles,  ayec^les  ravis- 
scmens  toujours  nouyeaux.  Je  suis  occupé  main* 
tenant  à  mettre  en  ordre  un  très*bei  heil»ier,  dont 
un  jeune  homme  est  venu  ici  me  faire  pr.'sent,  et 
q[ui  contient  lâi  très-grand  nomlyre  de  plantes 
étrangères  et  i^res,  parfaitement  beUes  et  bteo 
conservées.  Je  tiraille  à  jtbndrs  nion  petit  her- 
Mer  que  vous  avez  vn,  et  dont  la  nxisèreÂit  mieux 
Rassortir  la  magnificence  de  lautre.  Le. tout  forme 
dix  grands  cartons  ou  volumes  in-folio,  ipi  coii- 
tiennent  environ  quinze  cents  plantes  ^  près  de 
deux  mille  en  comptant  les  var^ëb*  ïj  ai  fiiil 
taire  line  belle  caisse  pour  pouvoir  rempcntér  par- 
tout commodément  avec  moi  Ce  sera  dèsoniuûs 
mon  unique  bibliothèque;  et,  pourvu  qum  ne 
-m'en  ôte  pas  la  jouissance,  je  défie  les  hotnmesde 
me  rendre  mâlheùrenx  désormais.  Je  suis  obli^ 
à  M.  d'Eschemj^de  son  soiiveair,  et  sois  fort  aise 
d'apprendre  de  pas  nouvelles.  Comme  e  ne  mfc 
suis  jamais  tenu  pMr  brouillé aveclui,  ncms  n'a- 
vons pas  besoin  d<i  raccommodement. 'Du  reste, 
je  serai  toujou^  fi)rt  aise  de  recevoir  de  hii  quel- 
que sigàe  de  vi&,  stntout  ^and  vous  serez  son 
médiatcnlr-pôur  oe]â« 


ÂMKiE  ty6Sé  ig 

SlS.-— ▲  M.  S^  PRINGB  D£  COTTI. 

Tkje-fe-Chilea,  Joio  1768 

Ceux  qui  composent  votre  maison  (je  n'en  ex* 

cepte  personne)  sont  peu  &its  pour  me  connaître  : 

sait  qu'ils  me  prennent  pour  on  espion  ^  soit  quils 

me  croteot  bonnôte  homme,  tous  doivent  égak- 

mentcralnâre  mes  regards.  Aussi,  monseigneur, 

ils  ooDt TÎ^o  épargné,  et  ils  n'épargneront  rien . 

cbacuu  par  les  manoeuvres  qui  lui  conviennent, 

pottr  ne  rendre  baïssahle  et  m^risable  à  tous  les 

yeux,  et  pour  me  forcer  de  sortir  enfin  de  votre 

château.  Monseigneur, en  cela  je  dois  et  je  veux 

leur  complaire*  Les  grâces  dont  m^a  comblé  votre 

altesse  sérénissime  suffisent  pour  me  consoler  de 

tous  les  malheurs  qui  m'attendent  en  sortant  de 

cet  êâlej  oà  h  gloire  et  l'opprobre  ont  partagé 

mon  séjour.  Ma  vie  et  mon  cœur  sont  à  vous ,  mais 

mon  boiuieur  est  i  nioi  :  permettez  que  j'obéisse 

^  sa  voix  qui  crie^  et  que  je  sorte  dès  demain  de 

hez  vous;  j'ose  due  que  vous- le  devez.  Ne  laissez 

[>9s  un  compila  de  moaespèce  parmi  ces  honnêtes 

;eaj^ 

816»  —  ▲  M.  DU  Peteou. 

Lyon ,  le  10  aTz3  1 7(18. 

Jgnea[iepafdofittfiauspas,.non  cher  hAte,  de 
eus  bisser  ignorermesmarchesjoulesappreudie 


IgO  CÔRKESPONDANCE, 

pai*  d*autres  avant  moi.  Je  suis  à  Lj'on  depuis  deux 
jours,  rendu  des  fatigues  de  la  diligence,  ayant 
grand  besoin  d  un  peu  de  repos,  et  très-empressë 
d'y  recevoir  de  vos  nouvelles^  d'autant  plus  que 
le  trouble  qui  règne  dans  le  pays  oii  vous  vivez 
me  tient  en  peine,  et  pour  vous  et  pour  nombre 
d'homiêtes  gens  auxquels  je  prends  intérêt.  J  at- 
tends de  vos  nouvelles  avec  l'impatience  de  Tami- 
tié.  Donnez-m'en,  je  vous  prie,  le  j^ud  tôt  que 
TOUS  pourrez. 

Le  désir  de  faire  diversion  à  tant  Jattristans 
souvenirs,  qui,  à  force  d'affecter  mon  cœur,  alté* 
raient  ma  tête,  m'a  fait  prendre  le  parti  de  cher» 
cher,  dans  un  peu  de  voyages  et  d'herborisations, 
les  amusemens  et  distractions  dont  j  avais  besoin  ; 
et  le  patron  de  la  case  ayant  approuvé  cette  idée, 
je  l'ai  suivie  :  j  apporte  avec  moi  mon  herbier  et 
quelques  livres  avec  lesquels  je  me  popose  de 
faire  quelques  pèlerinages  de  botanique.  Je  soi»» 
haiterais,  mon  cher  hôte,  que  la  relation  dé  mes 
trouvailles  pût  contribuer  à  vous  amuser;  j'en  au* 
rais  encore  plus  de  plaisir  à  les  faire.  Je  vous  dirai.) 
par  exemple,  quêtant  aHé  hier  voir  madame  Boy 
de  La  Tour  à  sa  campagne,  j'ai  trouvé  dans  sa 
vigne  beaucoup  d'aristoloche  que  je  n'avais  ya- 
mais  vue,  et  qu  au  premier  coup-d'œil  j'ai  recoiv 
nue  avec  transport. 

Adieu,  mon  cher  hôte;  je  vous  embrasse,  et 
^attends  dans  votre  preoiîèit  lettre  de  b<mne$ 
nouvelles  de  vos  yeux. 


AHSIÉB  1768»  %\ 

Siy, ÀV  BiiME. 

Lyon,  le  6  juillet  x  768. 

Jb  comptais,  mon  cher  hôte,  vous  accuser  la 
réception  de  votre  réponse  par  ma  bonne  amie 
madame  Boy  de  la  Tour;  mais  je  n'ai  pu  trouver 
un  moment  pour  vous  écrire  avant  son  départ; 
et  même  à  présent ,  prêt  à  partir  pour  aller  herbo- 
riser à  la  grande  Chartreuse  avec  belle  et  bonne 
compagnie  botaniste,  que  j^ai  trouvée  et  recrutée 
en  ce  pays,  |e  nai  que  le  temps  de  vous  envoyer 
on  petit  bonjour  à  la  hâte. 

Mademoiselle  Renou  a  reçu  k  Trye  beaucoup 
de  lettres  pour  moi,  parmi  lesquelles  je  ne  doute 
point  que  celle  que  vous  m'écriviez  ne  se  trouve; 
mais  comme  le  paquet  est  un  peu  gros ,  et  que  j'at- 
tends Voccasion  de  Iç  &ire  venir,  s  il  y  a  dans  ce 
que  vous  me  mariiez  quelque  chose  qui  presse  | 
vous  ièrez  bien  de  me  le  répéter  ici.  Si ,  comme  je 
le  désirais,  et  comme  je  le  dJésire  encore,  vous  avez 
pris  le  parti  de  brûler  tous  mes  livres  et  papiers, 
j'en  sois,  je  vous  jure ,  dans  la  joie  de  mon  cœur  : 
mais  »  vous  les  avez  conservés ,  il  y  en  a  quelques-. 
uns,  je  lavoue,  que  je  ne  serais  pas  fâché  de  re- 
voir, pour  remplir,  par  un  peu  de  distraction ,  les 
mauvais  jours  d'hiver,  ou  mon  état  et  la  saison 
m  empêchent  d  herboriser^  celui  surtout  qui  m  in 
ti'resserait  le  plus  serait  le  commencement  du  ro- 
intitulé  JË/iii/e  et  Sophie,  ou  les  Solitaires. 


i4  C0RRESP01VDAKCZ , 

sultez  madame  I'abbesse(^);  elle  est  bieir&isante, 
éclairée;  elle  nous  aime;  elle  vous  conseillera 
bien  ;  mais  je  doute  qu'elle  vous  conseille  de  rester 
auprès  d'elle.  Ce  n  est  pas  dans  une  communauté 
qu'on  trouve  la  liberté  ni  la  pai^  :  vous  êtes  ac- 
coutumée à  l'une,  vous  ave2  besoin  de  l'autre. 
Pour  être  libre  et  tranquille^  soyez  chez  vous,  et 
ne  vous  laissez  subjuguer  par  personne.  Si  j'avais 
un  conseil  à  vous  donner ,  ce  serait  de  venir  à  hyou. 
Voyez  l'aimable  Madelon;  demeurez,  non  chei 
elle,  mais  auprès  d^elle.  Cette  excellente  fiUe  a 
rempli  de  tout  point  mon  pronostic  :  elle  n^avait 
pas  quinze  ans,  que  j'ai  hautementannoncéquclle 
femme  et  quelle  mère  elle  serait  un  jour.  Elle  l'est 
maintenant  y  et,  grâce  fiu  ciel,  si  solidement  et 
avec  si  peud'éèlat,  que  sa  mère,  son  mari,  ses 
frères,  ses  sœurs,  tous  ses  proches,  ne  se  doutent 
pas  eux-mêmes  du  profond  respect  qu'ils  Iqi  por- 
tent, et  croient  ne  faire  que  l'aimer  de  tout  leur 
cœur.  Aimez-la  comme  ils  font,  chère  amie;  elle 
eu  est  digne,  et  vous  le  rendra  bien.  Tout  ce  ^^d 
restait  de  vertu  sur  la  terre  semble  s^être  réfugié 
dans  vos  deux  cœurs.  Souvenez-vous  de  votre 
ami  l'une  et  1  autre;  parlez-en  quelquefois  entie 
vous.  Puisse  ma  mémoire  vous  être  toujours  chère^ 
et  mourir  parmi  les  hommes  avec  la  dernière  des 
deux! 


■  Aladame  de  Nad.ii!Iac ,  abbesM  de 
iktiM  II  peu  dt  dislAoct  du  cbâtctB  d«  Trj«. 


AwvtE  176&  aS 

Bepids  mon  départ  de  Tiye  j'ai  des  preayes  de 
jour  en  jour  plus  certaines  que  rœil  vigilant  de  la 
maWeillance  ne  me  quitte  pas  d'un  pas,  et  m^at* 
tend  pnnâpalement  sur  la  frontière  ;  selon  le 
parti  quHs  pourront  prendre,  ils  me  feront  peut« 
être  da  bien  sans  le  vouloir.  Mon  principal  objet 
est  bien ,  dans  ce  petit  voyage,  daller  sur  la  tombe 
de  cette  tendre  mère  que  vous  aves  connue  ,pleu< 
rer  le  malheur  que  j'ai  eu  de  lui  survivre  ;  mais  il  y 
entre  aussi ,  je  Tavoue ,  du  désir  de  donner  si  beau 
jeu  à  mes  ennemis,  qulk  jouent  enfin  de  leur 
reste;  car  vivre  sans  cesse  entouré  de  leurs  satel- 
lites flagorneurs  et  fourbes  est  un  état  pour  moi 
pire  que  la  mort.  Si  toutefois  mon  attente  et  mes 
conjectures  me  trompent,  et  qi^e  je  revienne 
comme  je  suis  allé ,  vous  savez ,  chère  sœur ,  chère 
amie,  qu'ennuyé,  dégoûté  de  la  vie,  je  n^  cher- 
(diaîs  et  n y  trouvais  plus  dautre  plaisir  que  de 
chercher  â  vous  la  rendre  agréable  et  douce  ;  dans 
ce  qui  peut  m<en  rester  encore,  je  ne  changerai 
ni  d^occapation  ni  de  goût.  Adieu,  chère  sœur: 
je  TOUS  embrasse  eu  frère  et  en  ami* 

8/9. ▲  M.  LE  COMTE  DE  ToK5ERK£. 

BoQigoSn,  le  6  août  ,17^* 
MoBISlBUB.. 

JVspère  que  la  lettre  que  j'eus  Honneur  de 
vous  écrire  i  mon  départ  do  Grenoble  vous  aura 
été  remise,  et  je  vous  demande  la  permû^ion  de 

^nnpomdàmet.  5.  3 


!l6  CORKBS^ln>AKCB^ 

VOUS  re&oUTelcr  d'ici  les  assurances  de  ma  recon- 
naissance et  dé  inoii  respect.  Un  voyage  presque 
aussitôt  suspendu  que  comtnencé  tlê  mé  laisse  pas 
cspëner  de  le  pousser  bien  loin,  et  la  cetoitadc 
que  les  itianceaVres  que  je  voudrais  fuir  me  pré- 
viendront partout  m  en  Àterait  le  courage ,  quand 
mes  forces  me  le  donneraient.  De  toutes  les  habi- 
tations qu'oh  m^a  fait  voir  ^  la  maisondeM.Faure, 
qui  a  rhbiineûr  d'être  connu  de  vous  ma  paru 
celle  où  Vûn  tnVlurait  voulu  par  préférence,  et 
c'est  aussi  celle  de  loutes  les  retiraites  (  pour  me 
servir  d'un  mot  doux)  o&  je  pouvais  être  confiné, 
celle  où  j^aurais  préféré  de  vivre.  Quelques  incon- 
véniens  m^ont  alarmé;  s'ils  pouvaient  se  lever  t>u 
s'adoucir ,  que  le  maître  de  la  maison ,  qpi  me  pa- 
rait galàni  homme,  conservai  la  même  bonne  vo- 
lonté, etquevou^tiedédaignassies  pas,  monsieur, 
d'être  notre  tnédîatenr,  je  penserais  que  puis- 
qu'il ùtXA  bien  céder  à  la  destinée,  le  meilleur 
fHLYÛ  qui  mè  testerait  à  prendre  serait  de  vivre 
dans  sa  maison. 

J'ose  vous  siiq^lier,  monsietir,  si  vous  relevet 
}x>ur  moi  quelques  lettres,  de  vouloir  bien  me  les 
faire  parvtsnil*  ici,  où  je  suis  logé  à  la  Fontaine 
1er. 

«Tai  lltonneur  d'être  av«c  respect,  etc. 


&Q.  -^  AU  MÊME. 

lourgoin,  le  11  août  1763, 
Mo!fSlCTJIL  j 

Je  prends  la  liberté  de  ¥Ous  adres^r  me^  ob- 
servations sur  la  note  de  M.  Faure  qae  tous  avez 
eu  la  bonté  de  m'enyoyer.  J'attends  sa  réponse 
poar  prendre  ma  résolution  ^  ne  pouyant  m'aller 
confiner  dans  cette  solitude  sans  savoir  à  quoi  je 
m  engage  en  y  enlmnU 

Permettez ,  monsieur  le  comte ,  ^ue  je  vous  réi- 
tère ici  mes  remercimens  très-humbles |  en  yoon 
suppliant  d'a^éer  mon  respect. 

8a I.  —  AU  mIme. 

Bontigoin ,  le  33  eoûl  1 7^. 
MoiVSTEUtfy 

Permettez  qae  je  prenne  la  liberté  de  vous  en- 
Toyer  une  lettre  que  je  viens  de  recevoir  de  M,  Bo- 
vîcr^  et  copie  de  ma  réponse.  Si  vous  daigniez 
mander  le  malheureux  dont  il  s'agit,  et  tirer  au 
clair  cette  aflàire  y  vous  feriez ,  monsieur  le  comte , 
une  oeuvre  digne  de  votie  générositéf 
J'ai  l'honneur  I  etc» 


$S  _^        CORRES?ONDAirCE} 

822.  * —  AU  BIÈME. 

Bomigomyle  %S  aoAt  i7d8L 
MoiVSIEVRy 

J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  une  lettre  en 
réponse  à  celle  de  M.  Faure  que  vous  avez  bien 
voulu  me  faire  passer.  Ses  propositions  sont  si 
honnêtes,  qp'il  ne  Test  presque  pas  de  les  accep- 
ter. Cependant,  forcé  par  ma  situation  d'être  in- 
discret, je  réduis  ces  propositions  souj  ane  forme 
qui,  je  pense 2  lèvera  toute  difficulté  entre  lui  et 
moi. 

Mais  il  en  existe  une,  monsieur  le  comte, <jull 
dépend  de  vous  seul  de  lever,  dans  l'imposture 
qui  a  donné  lieu  aux  deux  lettres  que  j'ai  pris  la 
liberté  de  vous  envoyer  dernièrement.  Car  si , 
vivant  sous  votre  protection ,  je  ne  puis  obtenir 
aucune  satisfaction  d'une  fourberie  aussi  impu- 
dente et  aussi  clairement  démontrée ,  à  quoi  dois* 
je  m'attcndre  au  milieu  de  ceux  qui  l'ont  &fari« 
quée ,  si  ce  n'est  à  me  voir  harceler  sans  cesse  par 
de  nouveaux  imposteurs  soufflés  pa<*  les  mêmes 
gens,  et  enhardis  par  l'impunité  du  premier?  U 
faudrait  assurément  que  c  fusse  le  plus  insensé 
des  hommes  pour  aller  me  fourrer  volontairement 
dans  un  tel  enfer.  Je  comprends  bien  qu'on  m  at- 
tend partout  avec  les  mêmes  armes ,  mais  encore 
n'irai-je  pas  choisir  par  préférence  les  lieax.  où 
l'on  a  commencé  d'en  user. 


AN?rBC  1768.  9<) 

rattends  tos  ordres,  monsieur  le  comte;  je 
compte  sur  votre  équité,  et  j'ai  rhonneur  d'être 
tyec  autant  de  confiance  que  de  respect,  etc. 

8a3.  — •▲  M.  Lalliaitd. 

BourgoÎDyle  3i  août  1768. 

Nous  TOUS  devons  et  nous  tous  faisons,  mon- 
neur,  mademoiselle  Renou  et  moi,  les  plus  vifs 
remercfmens  de  toutes  vos  hontes  pour  tous  les 
deux  ;  mais  nous  ne  tous  en  ferons  ni  l'un  ni  i^autre 
pour  la  compagne  de  Toyage  que  tous  lui  aTcz 
donnée.  J  ai  le  plaisir  d'aroir  ici ,  depuis  quelques 
fKot^  celle  de  mes  infortunes;  Toyant  qu'à  tout 
piz  elle  Tonlait  suiTre  ma  destiuée,  jai  fait  en 
sorte  an  moins  qu*ele  pût  la  suiTre  aTec  honneur. 
fai  &n  ne  ries  risquer  de  rendre  indissoluhle  un 
attachement  de  vingt-cinq  ans, que  lestime  mu* 
taelle,  sans,  laquelle  il  n  est  point  d'amitié  dura- 
ble, n  a  £iit  qu'augmenter  incessamment.  La  ten* 
dre  et  pure  fraternité  dans  laquelle  nous  TiTon5 
depuis  treize  ans  n'a  point  changé  de  nature  par 
le  nœud  conjugal;  elle  est  ^  et  sera  jusqu'à  la  mort, 
ma  femme  par  la  force  de  nos  liens,  et  ma  sœur 
par  leur  pureté.  Cet  honnête  et  saint  engagement 
a  été  contracté  dans  toute  la  simplicité,  mais 
aussi  dans  toute  la  Térité  de  la  uature,  en  présence 
Je  deux  hommes  de  mérite  et  d^honnenr ,  ofEciers 
d'artillerie,  et  l'un  fils  d'un  de  mes  anciens  amis 

du  bon  temps^  c'est-à-dire  avant  que  j'eusse  oxx* 

3. 


3a  coiuiEspoNDikKx:E, 

cun  nom  clans  le  monde  ;  et  Tautre ,  maire  de  c^tto 
Tille ,  et  proche  parent  du  premier  (*).  Durant  cet 
acte  si  court  et  si  simple,  j'ai  vu  fondre  en  larmes 
ces  deux  dignes  hommes,  et  je  ne  puis  vous  dire 
combien  cette  marque  de  la  Bonté  de  leurs  cœurs 
m'a  attaché  à  Fun  et  à  lautre. 

Je  ne  suis  pas  plus  avancé  sur  le  choix  de  m^ 
demeure  que  quand  j'eus  Thonneur  de  vous  voir 
à  Lyon^  et  tant  de  cabarets  et  de  courses  ne  fiici* 
litent  pas  un  bon  établissement.  Les  nouveaux 
voyages  à  faire  me  font  peur,  surtout  à  Tentrce 
de  la  saison  où  nous  touchons;  et  je  prendrai  le 
pc'irli  de  m'arréter  volontairement  ici,  si  je  puis^ 
('ivant  que  je  me  trouve,  par  ma  situation ,  dans 
Timpossibilité  d'y  rester  et  dans  cel!e  d*aller  plus: 
loin.  Ainsi ,  monsieur,  je  me  vois  forcé  de  renon* 
ccr,  pour  cette  année,  à  Tespoir  de  me  rappro* 
cher  de  vous,  sauf  à  voir  dans  la  suite  ce  que  je 
pourrai  faire  pour  contenter  mon  désir  à  cet 
égardi 

Recevez  les  salutations  de  ma  femme,  et  celles^ 
monsieur,  d'un  homme  qui  vous  aime  de  tout  son 
cœur. 


*<v<- 


-,h^ 

{*)  Us  sont  Dommés  l'un  et  l'autic  dam  la  lettie  au  comte  dft 
Tonnerre  ci-après ,  en  date  do  1 8  septembre.  Le  premier  s'ap- 
pelait deRotière'f  le  second,  cousin  du  premier,  et  maire  da 
Botir;oin,  était  AI.  de  Chanipaaneux.  On  ne  Toit  pas,  dans  let 
Conlcsiiotu ,  le  père  de  ee  M.  de  Roïièis  figurer  panai  ta 
CMi»  amis  tbà  hon  temp»^ 


umiB  176&  3r 

834* 1  M.  LE  COBITE  D9  ToVNERRE. 

Bonrgoio,  k  1.*'  aeptemhiv  1 768^ 
M09SIET7R, 

Je  sols  très-sensîLIe  i  la  bonté  qiie  vous  avez 
eue  de  mander  et  interroger  le  sieur  Thevenin  sur 
le  prêt  qu'il  dit  avoir  fiiit,  il  y  a  environ  dix  ans ,  A 
moi,  ou  à  un  homme  de  même  nom  que  moi ,  et 
do&t  il  ma  Êtit  demander  la  restitution  par  M.  Bo» 
rier.  Mais  je  prendrai  la  liberté,  monsieur  le 
comte,  de  n'être  pas  de  votre  avis  sur  la  bonne 
foi  dudit  Thevenin,  pu&qull  est  impossîMe  de 
concilier  cette  bonne  foi  avec  les  circonstances 
qull  rapporte  de  son  prétaidu  fvtij  et  avec  les 
lettres  de  recommandation  qu'il  dit  que  Temprun-^ 
tcur  lui  donna  pour  MM.  de  Faugnes  et  Aldiman» 
Cet  homme  vous  parait  borné,  cela  peut  être;  un 
imposteur  peut  très-bien  n^être  qu'un  sot,  et  cela 
me  confirme  seulement  dans  la  persuasion  qull  a 
été  dirigé  aussi  bien  qu'encouragé  dans  l'inven- 
tion de  sa  petite  histoire,  dont  les  contradictions 
sont  nn  inconvénient  difficile  i  éviter  dans  les  fie* 
tioQs  les  mieux  concertées.  Il  y  a  même  une  autre 
contradiction  bien  positive  entra  Itii,  qui  vous  a 
dit  y  moiUkiear ,  nWoir  parlé  de  cette  affaire  k  qui 
que  ce  soit  qu'à  M.  Bovier,  son  voisin,  et  le  même 
M.  Bovii^qni  m'écrit  que  le  ditThevenîn  lui  en  a 
&it  parler  par  le  vicaire  de  sa  paroisse.  Je  persiste 
donc  dans  la  résolution  de  ne  point  retaumcr 


Sa  C0RRESP09DANCK , 

dans  les  lieux  où  cette  histoire  a  été  fabriquée, 
jusqu'à  ce  qu  elle  soit  assez  bien  éclaircie  pour 
ôtcr  aux  &bricateurs,  quels  qu  ils  soient,  la  fan- 
taisie d  eu  forger  derechef  de  semblables.  Je  trouve 
ici  un  logement  trop  cher  pour  pouvoir  le  garder 
long-temps,  mais  où  j^aurai  le  temps  d  en  chercher 

S  lus  à  ma  portée,  où  je  puisse  me  croire  à  labri 
es  imposteurs.  Je  n'y  suis  pas  moins  sous  votre 
protection  qu'à  GrenoUe  ;  et ,  si  le  mensonge  et  la 
calomnie  m'y  poursuivent,  j'éviterai  du  moins  le 
désavantage  d  être  précisément  à  leur  foyer. 

Daignez,  monsieur,  agréer  derechef  mes  ex- 
cuses des  importunités  que  je  vous  cause,  et  mes 
actions  de  grâces  de  la  bonté  avec  laquelle  tous 
Voulez  bien  les  endurer.  Si  Ton  ne  me  harcelait 
jamais,  je  demeurerais  tranquille  et  ne  serais 
point  indiscret;  mais  ce  n'est  pas  Fintention  de 
ceux  qui  disposent  de  moi. 

Recevez  avec  bonté ,  je  vous  supplie,  monsieiir 
le  comte;  les  assurances  dé  mon  respect. 

Rekou. 

Permettez,  monsieur,  que  je  joigne  ici  une 
lettre  pour  M.  Faure. 

8a5. A  UNE  DAMB  DE  LyON'(*). 

BouTgoin ,  le  3  septembre  1 768. 

Vous  trouverez  ci- joint  up  papier  dont  voici 
l'occasion  :  Ayant  été  malade  ici  et  detcuu  dnxxs 

(*)  CettoIettiL:  t  été  Imprimée  pour  la  prcmièBe 


▲If^éE  1768.  S 

me  dambre  pendant  quelques  jours,  &ns  le 
fort  de  mes  chagrins,  je  m'amusai  à  tracer,  der< 
rière  une  porte ,  quelques  lignes  au  rapide  trait  du 
crayon,  qu'ensuite  j'oubliai  d  effacer  en  quittant 
ma  chambre ,  pour  en  occuper  une  plus  grande  i 
deux  lits  avec  ma  femme.  Des  passans  mai  inten* 
tionnës,  k  ce  qull  m'a  paru,  ont  trouvé  ce  bar« 
bouillage  dans  la  chamiû^  que  j'avais  quittée,  y 
ont  e^é  des  mots,  en  ont  ajouté  d  autres,  et 
l'ont  transcrit  pour  en  faire  je  ne  sais  quel  usage* 
Je  vous  envoie  une  copie  exacte  de  ces  lignes, 
afin  que  messieurs  vos  frères  puissent  et  veuillent 
bien  constater  les  Ëilsifications  qu'on  y  peut  faire 
en  cas  qu^elles  se  répandent.  J'ai  transcrit  même 
les  tantes  et  les  redites,  afin  de  ne  rien  changer» 

Sentiment  du  public  sur  mon  compte ,  dans  les 
divers  états  qui  le  composent» 

Les  Tois  et  les  grands  ne  disent  pas  ce  qu'ils 
pensent;  mais  ils  me  traiteront  toujours  honora- 
îlement. 

'       '  ■  ——■——■  Il        I  I.         I  .  M^-I^M^— .M» 

Ciwregpanitàce  HWeraîre  d«  Grimm  (deuxième  partie ,'  tome  Vt 
pa^  55).  Kooft  aarioiis  &  nous  défier  d*uiie  source  ausai  sus* 
pecfe.  û  Véait  qui  £ût  tuite  à  œfte  lettre  ne  wt  trouvait  c^le- 
mcm  dapf  PéditioD  de  Poinçot,  tome  XXVIU,  page  a8a.  Lei 
cdUeors  timoiioeDt  le  tenir  de  H.  de  (Siimpagneuz,  maire  d« 
iouijguin.  qui,  diaeot-iU,  Va  trarucrit  lui-même  avec  la  phu 
txatu  fÀèliU;  «t  oonune  ce  même  écrit,  dans  l'édition  de 
Poinçoft^  ottre  avec  celui  qui  est  rapporté  par  Griïmn  dns  dif* 
réfcGcca  maeinoui^^  c'eet  d'içrèt  celte  édition  q^  now  }f 


94  CORRES]PO!CDA|rCE  | 

La  Traie  noblesse ,  qui  aime  la  gloire  et  qui  svi 
que  je  m  y  cousais,  m'honore  et  se  taiu 

Les  magistrats  me  haïssent  à  cause  du  mal 
qu'ils  m'ont  fait. 

Les  philosophes,  que  fai  démasqués,  yeuleot 
à  tout  pnJi  me  p«:tlre  ;  ils  y  réussiront. 

Les  évéques ,  fiers  de  leur  naissance  et  de  leur 
état,  mWiment  sans  me  craindre,  et  s'honoreni 
en  me  marquant  des  égïirds. 

Les  prêtres,  vendus  aux  philosophes,  aboient 
après  moi  pour  faire  leur  cour. 

Les  beaux  esprits  se  vengent,  en  mlnsuhant, 
de  ma  supériorité  quils  sentent. 

Le  peuple,  qui  fut  mon  idole,  ne  voit  en  moi 
qu'une  perruque  mal  peignée  et  un  homnie  dé- 
crépit. 

Des  femmes,  dupes  de  deux  p....  iroids  qui  les 
méprisent ,  trahissent  Thomme  qui  mérita  le  mieux 
délies. 

Les  magistrats  (*)  ne  me  pardonneront  jamais 
le  mol  qu'ils  m'ont  fait. 

Le  magistrat  de  Genève  sent  ses  torts,  sait  que 
[e  les  lui  pardonne ,  et  les  rëprerait  s  il  losait. 

Les  che&  du  peuple,  élevés  sur  mes  épaules, 
voudraient  me  cacher  si  bien  qua  Toa  ne  vit 
qu'eux. 
-*  -  -  --  ,         , 

l*)  Dans  la  Correspoodaooe  do  GrimiOv  m  lîeo  dét  le»  ■■#• 
jiffrots».  OD  Ut,  Ut  Sui$t€ê, 


Les  auteurs  me  pillent  et  me  blâment;  les  fri- 
pons me  maudissent^  et  la  canaille  me  hue. 

Les  gens  d«  bien,  s^il  en  existe  encore,  gémis- 
sent tout  bas  sur  mon  sort;  et  moi  je  le  bénil 
s'il  peut  instruire  un  jour  les  mortels. 

Voltaire,  que  j  empêche  de  dormir,  parodiera 
ces  lignes.  Ses  grossières  injures  sont  un  hom- 
mage qu'il  est  forcé  de  me  rendre  malgré  lui  (^). 

JBafiL A  M.  tS  €MITB  DS  ToNNSMlE. 

Il  y  a  peu  de  résoltitlons  ^  et  il  n*y  a  point  de 

répugna!Qce  par  dessus  lesquelles  le  désir  d'appro^ 

fbudir  TaCâire  du  sieur  Theyenin  ne  ,me  fasse 

passer;  et,  si  ma  confrontation,  sous  vos  ycux^ 

a^ec  cet  homme  peut  tous  engager,  monsieur i»  à 

b  suivre  ju5^  an  bout,  je  suis  prêt  à  partir.  Per- 

mettez  s^^ofemcnt  que  j  ose  vous  demander  aupa« 

ravaut  l'assurance  que  ce  voyage  ne  sera  point 

inutile  ;  que  vous  tie  dédaignerez  aucune  des  pré* 

cautions  couvenaUes  pour  constater  la  vérité^ 

tant  à  vos  yeuic  qu^i  ceux  du  public,  et  que  le 

motif  Jévitcr  l'éclat  ,que  je  ne  crains  point ,  n'ar* 

v&tera  aucune  des  démarches  nécessaires  t  cet 

(*)  Lft  flMiaJîe  <lom  fMie,  J.  J.  M  )Mddatt  bqittlle  H  «il 
ammmf^ietà  àttrUr*  um porte»  è^tûm^aeamtttiU letnt 
û  lédloRflit  U  en  cft  Tavleiir;  pour  k  croire  il  iaut  ie  iémoi- 
f «c^e  de  ILde  Gbavip^nflU  nf^x^  V^  ïàdittar  et  VédÂiÎM 


36  co&nEsiPOiiDAircB, 

effet  n  ne  serédt  assurément  pas  digne  de  yotre 
générosité,  ni  de  la  protection  dont  vous  m'ho- 
norez ,  que  des  imposteurs  pusseut  à  leur  gré  me 
promener  de  ville  en  ville ,  m'attirer  au  milieu 
d  eux ,  et  m  j  rendre  impunément  le  jouet  de  leurs 
suppôts. 

J'attends  vos  ordres,  M.  le  comtç,  et ,  quelque 
parti  qu'il  vous  plaise  Je  prendre  sur  cette  affaire, 
dont  je  vous  cause  à  regret  la  longue  importun  ité , 
je  vous  supplie  de  vouloir  bien  me  renvoyer  la 
lettre  de  ftL  Bovier,  et  la  copie  de  ma  réponse, 
que  j*eus  1  honneur  de  vous  envoyer. 

Je  vous  supplie,  M.  le  comte,  dagréer  avec 
honte  ma  reconnaissance  et  mon  respect. 

827.  —  A  M.  DU  Peyrov. 

Bomigoiii,  k  9  •epconbit  1758. 

Après  diverses  courses,  mon  cher  hôte,  qui 


ont  achevé  de  me  convaincre  qu'on  était  bien  d^ 
terminé  à  ne  me  laisser  nulle  part  la  tranquillité 
que  j'étais  venu  chercher  dans  ces  provinces,  j'ai 
pris  le  parti,  rendu  de  ^tigue  et  voyant  la  saison 
5'avancer,  de  m  arrêter  dans  cette  petite  ville  pour 
y  passer  l'hiver.  A  peine  y  ai- je  été,  qu'on  s^esA 
pressé  de  m  y  harceler  avec  la  petite  histoire  que 
vous  allez  lire  dans  Textrait  d'une  lettre  qu'un  cer* 
tain  avocat  Bovier  m'écrivit  de  Grenoble  le  sa  du 
mois  dernier. 

M  Le  sieur  Thevenin,  chamoiseur  de  son 


▲IVKÉE  1758b  37 

«  âer ,  se  trouva  logé >  il  7  a  environ  dix  aas,  chez 

«  le  sieur  Janin,  hôte  du  bourg  des  Verdières-de<- 

«Joue 9  près  de  Neucfaâtel,  avec  M.  Rousseau, 

«  qui  se  trouva  lui-même  dans  le  cas  d  avoir  bc* 

ft  soin  de  quelque  argent,  et  qui  s'adressa  au  sieur 

«  Janin,  son  hôte,  pour  obtenir  cet  argent  du 

«  sieur  Thevenin  :  ce  dernier,  n'osant  pas  pré- 

«  senter  à  M.  Rousseau  la  modique  somme  qu'il 

«  demandait,  attendit  rson  départ,  et  Taccompa* 

«  gna  effectivement  des  Verdières-de-Jonc  jusqu'à 

«  Saint-Sulpice  avec  ledit  Janin*,  et,  après  avoir 

«  diné  ensemble  dans  une  auberge  qui  a  un  soleil 

«  pour  enseigne,  il  lui  fit  remettre  neuf  livres  de 

K  France  par  ledit  Janin.  M.  Rousseau,  pénétré 

ff  de  reconnaissance ,  donna  audit  Thevenin  quel* 

cques  lettres  de  recommandation,  entre  autres 

«  une  pour  M.  de  Faugnes,  directeur  des  sels  i 

«  Yverdun ,  et  une  pour  M.  Aldiman ,  de  la  même 

«  vîlie^  dans  laquelle  M.  Rousseau  signa  son  nom, 

«  et  signa  le  Voyageur  perpétuel  dans  une  autre 

«  pour  quelqu'un  a  Paris,  dont  le  sieur  Thevenin 

k  ne  se  rappelle  pas  le  nom.  » 

Voici  maintenant,  mon  cher  hête,  copie  de  ma 
réponse ,  en  date  du  aS* 

«  Je  n^ai  pas  pu,  monsieur,  loger  il  y  a  environ 
«  dix  ans  où  que  ce  fût,  près  de  Neuchàtel ,  parce 
«qu'il y  en  a  dix,  et  neuf,  et  huit,  et  sept,  que 
«  j'en  étais  fort  loin,  sans  en  avoir  approché  du* 
«  rant  tout  ce  temps  plus  près  de  cent  lieues. 

«  Je  n'ai  jamais  logé  au  bourg  des  Vcrdiëres^ 

Carmpoad«ac«>  5«  4 


38  coRRBSPom)AircB, 

«  et  n'en  ai  même  jamais  entendu  parler  :  cVsl 
a  peut-être  le  village  des  Verrières  qu'on  a  voulu 
«  dire;  j'ai  passé  dans  ce  village  une  seule  feis,  il 
«  n'y  a  pas  cinq  ans,  allant  à  Pontarlier;  j'y  re- 
«  passai  en  revenant;  je  n'y  logeai  point;  j'étais 
ce  avec  un  ami  (qui  n'était  pas  le  sieur  Tbeve- 
c<  nin);  personne  autre  ne  revint  avec  nous;  et, 
«  depuis  lors ,  je  ne  suis  pas  retourné  aux  Ver- 
«  vières. 

«  Je  n'ai  jamais  vu,  que  je  sache,  le  sieur  The- 
«  venin ,  chamoiseur  ;  jamais  je  n'ai  oui  parler  de 
a  lui ,  non  plus  que  du  sieur  Janin ,  mon  prétendu 
«  h6te.  Je  ne  connais  qu'un  seul  M.  Jeannin ,  mab 
ce  il  ne  demeure  point  aux  Verrières ,  il  demeure  à 
«  Neuchâtel,  et  il  n'est  point  cabaretier;  il  est  se- 
«:  crétaire  d  un  de  mes  amis. 

«  Je  nai  jamais  écrit,  autant  qu^  m'en  901»- 
«  vient,  à  M.  de  Faugncs,  et  je  suis  sûr  au  moins 
«  de  ne  lui  avoir  jamais  écrit  de  lettres  de  recom* 
«  mandation ,  n'étant  pas  a  sez  Ué  avec  lui  pour 
ft  cela  :  encore  moins  ai -je  pu  écilre  &  ML  AUi- 
«  man,  dTverduu,  que  je  nai  vu  de  ma  vie, 
«  et  avec  lequel  je  n  eus  jamais  nulle  espèce  de 
«  liaison. 

•c  Je  n'ai  jamais  signé  avec  mon  nom  le  Voyo- 
«  geur  perpétuel,  premièrement  parce  cjne  oelb 
t  n'est  pas  vrai^  «t  surtout  ne  Tétait  pas  alors  ^ 
t  quoiqu'il  le  soit  devenu  depuis  quelques  aiii- 
I  nées  ;  en  second  lieu ,  parce  que  je  ne  tourne  pes 
*  mes  malbeuis  en  pbisanteries ,  et'^'eafitt^  à 


oeb  m'arriyait,  je  tâcherais  qu'elles  fussent 
moins  plates. 

K  J'aiqnelcpiefois  prêté  de  Targent  à  Neuchâtel, 
nuds  je  n'y  en  empruntai  jamais,  par  la  raison 
très-simple  qu'il  ne  ma  jamais  manqué  dans  ce 
fàpli;  et  Yous  m'avouerez,  monsieinr^qu^ayant 
pour  amis  tous  ceux  qui  y  tenaient  le  premier 
rang,  il  eût  été  du  moins  fort  bizarre  que  j^al- 
lasse  emprunter  neuf  francs  d  un  chamoiseur 
que  je  ne  connaissais  pas,  et  cela  à  un  quart  de 
fieae  de  chez  moi;  car  c'est  à  peu  près  la  dis- 
tance de  Saint-Suipice,  oh  Ton  dit  que  cet  ar- 
gent m'a  été  prêté,  k  Motiens,  où  je  demeu- 
rais.» 

Vous  croiriez,  mon  cher  hôte,  sur  cette  lettre 
et  sur  ma  réponse  que  j'ai  envoyée  au  comman- 
dant de  la  province,  que  tout  a  été  fini,  et  que, 
Timposture  étants!  clairement  prouvée,  l'impos- 
teur a  été  cbâiié  ou  bien  censuré  :  point  du  tout; 
1  afiàire  est  encore  là,  et  ledit  Thevenin .  conseillé 
par  ceux  qui  Font  aposté ,  se  retranche  à  dire  qu'il 
a  peut-étie  pris  un  autre  M.  Rousseau  pour  J.  J. 
Rousseau,  et  persiste  à  soutenir  avoir  pété  la 
somme  à  un  homme  de  ce  nom,  se  tirant  d'af- 
ù  ire,  je  ne  sais  comment,  au  sujet  des  lettres  de 
recommandation  :  de  soçte  qu'il  ne  me  reste  dau* 
tre  moyen  pour  le  confondre  que  d^aller  moi-même 
k  Grenoble  me  confronter  avec  lui;  encore  ma 
mémoire  trompeuse  et  vacillante  peut -elle  soU' 
vent  m'abuseï  sua  les  &its.  Les  seuls  ici  qui  me 


4o  CORRESPOND  AVCE, 

•ont  certains^c'est  de  n'avoir  jamais  connuDÎTbe- 
venin  niJanin;  de  n'avoir  jamais  voyagé  ni  mangé 
avec  eux;  de  nWoir  jamais  écrit  à  M.  Àldiman; 
de  n'avoir  jamais  emprunté  de  Targent,  ni  peu  ni 
beaucoup ,  de  personne  durant  mon  séjour  à  Neu- 
châtel;  je  ne  crois  pas  non  plus  avoir  jamais  écrit 
à  M.  de  Faugnes,  surtout  pour  lui  recommander^ 
quelqu'un;  ni  jamais  avoir  signé  le  Voyageur 
perpétuel;  ni  jamais  avoir  couché  aux  Verrières, 
quoiqu'il  ne  me  soit  pas  possible  de  me  raj'peler 
où  nous  couchâmes  en  revenant  de  Pontarlier 
avec  Sauttersheim,  dit  le  Baron;  car  en  allant  je 
me  souviens  parfaitement  que  nous  n'y  couchAmes 
pas.  Je  vous  fais  tous  ces  détails,  mon  cher  h6te, 
afin  que  si ,  par  vos  amis ,  vous  pouvez  avoir  quel- 
que éclaircissement  sur  tous  ces  fsits,  vous  me 
rendiez  le  bon  o£Sce  de  m'en  faire  part  le  plus  tôt 
qu  il  sera  possible.  J'écris  par  ce  même  courrier  à 
M.  du  Terreau,  maire  des  Verrières,  à  M.  Brefruel, 
à  M.  Guyenet,  lieutenant  du  Val-de-Travers, 
mais  sans  leur  faire  aucun  détail;  vous  aurez  la 
bouté  dy  suppléer,  s'il  est  nécessaire,  par  ceux 
de  cette  lettre.  Vous  pouvez  m'écrire  ici  en  droi- 
ture; mais  si  vous  avez  des  éclaircissemens  inté- 
ressans  à  me  donner,  vous  ferez  bien  de  me  les 
envoyer  par  duplicata,  sous  enveloppe,  à  l'adresse 
de  M,  le  comte  de  Tonnerre,  lieutenant-général 
des  armées  du  roi,  commandant  pour  sa  majesté 
en  Dauphiné,  à  Grenoble.  Vous  pourrez  même 
m'écrire  à  l'ordinaire  sous  son  couvert  i  mes  leN 


ULHIfiE  1768,  4î 

très  me  pamennent  plus  lentement ,  mais  plus 
sûrem«it  cpi'en  droiture. 

J'espère  qu^on  est  tranquille  à  présent  dans 
votre  pays.  Paisse  le  ciel  accorder  k  tous  les 
hommes  la  paix  qu'ils  ne  veulent  pas  me  laisser! 
Adieu  y  mon  cher  hôte;  je  vous  embrasse* 

8a8« ▲  M.  LE  COMTE  DE  ToNNERRS» 

IkKU^jain,  le  i3  icptcmbre  1768. 
M058IEUE9 

Comme  je  ne  pois  douter  que  vous  ne  sachiez 

parfaitement  à  quoi  vous  en  tenir  sur  le  compte 

du  sieur  Thcvenin ,  je  crois  voir  par  la  dernière 

lettre  que  vous  m^avez  &it  Thonneur  de  m'écrirej 

qu'on  vous  trompe  comme  on  trompe  M.  le  prince 

de  Conti,  et  qwe  mon  futur  voyage  de  Grenoble 

est  une  affaire  concertée  dont  la  ùhle  de  C9  mal- 

beoretuL  n'est  que  le  prétexte.  Vous  aviez  la  bonté 

de  désirer  que  ce  motif  m'attirât  aux  environs  d^ 

cette  capitale.  Jignore,  M.  le  comte,  d\)ù  natt  ccf 

désir,  et  si  je  dois  vous  en  rendre  grAces;  tout  ce 

qne  je  sais  est  que  les  moyens  employés  à  cet  effet 

ne  sont  pas  extrêmement  attirans.  Malgré  les  em« 

barras  où  je  suis ,  je  pars  demain  pour  me  rendre 

à  vos  ordre»;  jeudi  j'aurai  Ihonneur  de  me  pré» 

senter  à  votre  audience,  et  j'espère  qu'il  vou5 

pbira  d'y  mander  ledit  Thevenin.  Je  repartirai 

vendredi  matin  ^  quoi  qu'il  arrive j  si  l'on  n'es 

kiase  la  lîbexté, 

4 


4a  COTlIlESPOlfBAlfCE, 

.   Xai  l'boniAUi?  d'être  avec  respect  « 
Monsieur, 

Votre  tràs^humble  et 
■erviteuTi 

Reçoit. 

829. —*AV  MÈMB. 

Bourgoin,  le  18  septfembve  1 76S. 

Monsieur, 

Le  contre-temps  de  votre  absence  k  mon  airi 
vée  à  Grenoble  m  affligea  d'autant  plus,  que,  sen- 
tant otBibien  il  m'importait  que,  selon  votre  de* 
sir,  mon  entrevue  avec  le  sîeur  Thevenin  se  passai 
sous  vos  yeux ,  et  ne  pouvant  le  trouver  qu'à  Faidc 
de  M.  Bovier ,  que  ^aurais  voulu  ne  pas  voir,  je  me 
voyais  forcé  d'attendre  à  Grenoble  votre  retoar, 
à  quoi  je  ne  pouvais  me  résoudre,  ou  de  revenir 
l^tlemlre  ici,  ce  qui  m'exposait  k  un  second 
voyage.  Saurais  pris ,  monsieur,  ce  dernier  parti  y 
sans  la  lettre  que  vous  me  âtes  l'honneur  de  me* 
crire  le  i5,  et  qui  me  fut  envoyée  à  la  nuit  par 
M.  Bovier.  Je  compris  par  cet:e  lettre,  qu*afin  que 
mon  voyage  ne  fût  pas  inutile,  vous  pensiez  que 
je  pouvais  voir  ledit  ïhevenin,  quoique  en  votre 
absence;  et  c'est  ce  que  je  fis  par  1  entremise  de 
M.  Bovier,  auquel  il  tMul  bien  recourir  pour 
cela. 

Je  le  vis  tard,  à  la  bâte,  en  deux  reprises  :  je» 
tais  en  proie  à  mille  idées  cruelles ,  indigné ,  navré 
de  me  voirj  après  soixante  ans  d  bwneur, 


promb  j  seul  ^  loin  de  vous ,  sans  appai  y  sans  ami , 
vis-à-vis  d'un  pareil  misérable,  et  surtout  de  lire 
dans  les  cœurs  des  assistans,  et  de  ceux  mêmes  i 
qui  je  m  étais  confié,  leur  jnauTaise  volonté  se- 
crète. 

Mais  quelque  courte  qu'ait  été  cette  confé- 
rence, elle  a  suffi  pour  lobjet  que  je  m  y  propo* 
sais.  Avantd'y  venir,  permettez-moi, M.  le  comte, 
une  petite  observation  qui  s^  rapporte  :  M.  Bo- 
vier  m  avait  induit  en  erreur,  en  me  marquant 
que  c  était  personnellement  à  moi  que  ledit  The- 
venin  avait  prêté  neuf  francs;  au  lieu  que  Theve- 
nîn  lui-même  dit  seulement  les  avoir  £iit  passer 
parla  main  d'autrui,  en  prêt  ou  en  don  (car  il  ne 
s'explique  pas  clairement  là-dessns) ,  à  un  homme 
applé  Rousseau,  duquel  au  reste  il  ne  donne  pas 
le  moindre  renseignement,  ni  de  son  nom,  ni  de 
son  âge,  ni  de  son  état,  ni  de  sa  demeure^  ni  de 
sa  ûgurCf  ni  de  son  habit,  excepté  la  couleiur,  et 
qu'il  s'était  signé  dans  une  lettre  le  Voyageur 
perpétuel,  M.  Bovier,  sur  le  simple  rapport  d'un 
quidam,  qu'il  dit  ne  pas  connaître,  part  de  ces 
seuls  indices,  et  de  celui  du  lieu  oh  se  sont  vus./ 
ces  deux  hommes,  pour  m'écrire  en  ces  termes  ; 
«  Je  crois  vous  &dre  plaisir  de  vous  rappeler  un 
a  homme  qui  vous  a  rendu  un  service  il  y  a  près 
«  de  dix  années ,  et  qui  se  trouve  aujourd  hui  dans 
*  le  cas  que  vous  tous  en  souveniez,  »  Ce  même 
M«  Bovier,  dans  sa  lettre  précédente^  me  parlait 
ainsi  :  «  Je  vous  ai  vu  ',  j'ai  été  émerveUlé  do  troiv 


44  Correspond  A?rcK, 

ir  ver  une  ftme  aussi  belle  que  la  vôtre,  jomf  c  à  un 
fc  génie  aussi  sublime.  nVoilà,  ce  me  semble,  cette 
belle  âme  transformée  un  peu  légèrement  en  celle 
d  un  vii  emprunteur  et  d  un  plus  vil  banquerou* 
tier  :  il  faut  que  les  belles  âmes  soient  bien  corn* 
munes  à  Grenoble^  car  assurément  on  ne  les  y 
met  pas  à  haut  prix. 

Voici  la  substance  de  la  déclaration  dndit  The- 
venin ,  tant  en  présence  de  M.  Bovier  et  de  sa  &• 
mille ,  que  de  M.  de  Champagneux ,  maire  et  châ* 
tclain  de  Bourgoin  ^  de  son  cousin  M.  de  Roùère  ^ 
officier  d'artillerie,  et  dW  autre  officier  du  même 
corps,  leur  ami,  dont  j'ignore  le  nom;  laquelle 
déclaration  a  été  faite  en  plusieurs  fois,  avec  des 
variations,  en  hésitant,  en  se  reprenant,  quoique 
assurément  il  dût  avoir  la  mémoire  bien  fraîche 
de  ce  qu'il  avait  dit  tant  de  fois,  et  à  vous,  M.  le 
comte ,  et  avant  vous  à  M.  Bovier. 

Que  de  la  Charilé-sur-Loire,  qui  est  son  f^ys.^ 
venant  en  Suisse,  et  passant  aux  Verrières-de- 
Joue,  dans  un  cabaret  dont  l'hôte  s'appelle  Janin^ 
un  homme  nommé  Rousseau^,  lé  voyant  mettre  à 
genoux,  lui  demanda  s^il  était  catholique;  que  là- 
dessus  s  étant  pris  de  conversation,  cet  homme 
lui  donna  une  lettre  de  recommandation  pour 
Yverdun;  qu'ayant  continué  de  demeurer  en^ 
semble  dans  ledit  cabaret ,  ledit  Rousseau  le  pri^ 
de  lui  prêter  quelque  argent,  et  lui  donna,  d<rux 
jours  après,  deux  autrrs  lettres  de  recommandai 
tion;  savoir,  une  f.cconde  pour  Yverdun ,  et  lai»- 


JL?rfrÉE  1568.  45 

tre  pour  Paris  5  où  ledit  Rousseau  lui  dît  qn^l  avait 
mis  pour  signature  le  Voyageur  perpétuel  qu'en 
reconnaissance  de  ce  service,  lui,  Theveuin, 
lui  fit  remettre  neuf  francs  par  Janin,  leur  hôte, 
après  un  voyage  qu  ib  firent  tous  trois  des  Ver- 
rières à  Saint- Snlpîcc,  où  ik  dînèrent  encore  en- 
semble ;  quVnsuite  ils  se  séparèrent  *,  que  lui ,  The- 
venin ,  se  rendit  de  là  à  Yverdun ,  et  porta  les  deux 
lettres  de  recommandation  à  leurs. adresses,  Tune 
pour  M.  de  Fangnes,  l'autre  pour  M.  Aldiman; 
que, ne  les  ayant  trouvés  ni  lun  ni  lautre ,  il  re- 
mit ses  lettres  à  leurs  gens,  sans  que,  pendant 
deux  ans  qull  resta  sur  les  lieux,  la  fantaisie  lui 
ait  pris  de  retourner  chez  ces  messieurs,  voir ,  du 
moins  par  curiosité,  leffet  de  ces  mêmes  lettres 
qull  avait  si  bien  payées.  A  Tégard  de  la  lettre  de 
recommandation  pour  Paris,  siî^ée  le  Voyageur 
perpétuel  y  il  l'envoya  à  la  Cliarité-sur-Loire ,  à  sa 
/emme,  qui  h  fit  passer  par  le  curé  à  son  adresse, 
dont  il  ne  se  souvient  point. 

Quant  à  la  personne  dudit  Rousseau,  j  ai  déjà 
dit  qu'il  ne  s'en  rappelait  rien,  ni  rien  de  ce  qui 
s'y  rapporte  :  interrogé  si  ledit  Rousseau  portait 
son  chapeau  sur  la  tète  ou  sous  le  bras ,  il  a  dit  ne 
s'enpassouvenir  ;  s*il  portait  perruque  ou  s'il  avait 
ses  cheveux,  a  dit  qu'il  ne  s^en  souvenait  pas  non 
p!aSy  et  que  cela  ne  faisait  pas  une  différence  bien 
sensible  :  interrogé  sur  rhabillement ,  il  a  dit  que 
tout  ce  qu'il  s'en  rappelait  était  qu'il  portait  un 
habit  gris,  doublé  de  bleu  ou  de  vert  ;  interrogé 


48  CORRSSPOIfDAIVCB, 

venin  lui-même,  et  Thôte  Janln,  qui  est  absent  : 
d'ailleurs,  le  témoignage  des  deux  premiers, 
comme  parties,  est  nul,  à  moins  qu'ils  ne  soient 
d accord;  et  celui  du  dernier  serait  suspect,  s'il 
favorisait  Thevenln;  car  il  peut-être  son  com- 
plice; il  peut  même  être  le  seul  fripon,  comme 
vous  Tavez,  monsieur,  soupçonné  vous-même; 
il  peut  encore  être  gagné  par  ceux  qui  ont  aposté 
Fautre.  H  n'est  décisif  qu^au  cas  qu'il  condamne 
Thevenin.  En  tout  état  de  cause,  je  ne  vois  pasi 
tout  cela  de  quoi  faire  preuve  sans  d'antres  infar- 
mations.  Il  est  vrai  que  les  circonstances  du  récit 
de  Thevenin  ne  seraient  pas  un  préjugé  qui  lui 
fiit  bien  &vorable,  quand  même  0  aurait  affaire 
au  demi^  des  malheureux,  qui  aurait  tous  les 
autres  préjugés  contre  lui;  mais  enfin  tout  cela 
ne  sont  pas  des  prenves.  Qu  un  garçon  chamoi- 
seur ,  qui  court  le  pays  pour  chercher  de  louviage, 
s'aille  mettre  à  genoux  en  parade,  dans  un  caba* 
rct  protestant;  quun  autre  homme  qui  le  voit 
conclue  de  là  qu  il  est  catholique,  lui  en  ùtsse  co» 
pliment,  lui  oifre  des  lettres  de  recommandation, 
et  lui  demande  de  l'argent  sans  le  connaître  et 
sans  en  être  connu  d'aucune  feçon;  qu'au  lieu  de 
présumer  de  là  que  lemprunteur  est  un  escroc, 
et  que  ses  recommandations  sont  des  torche  culs, 
l'autre ,  transporté  du  bonheur  de  les  obtenir,  tire 
aussitôt  nenf  francs  de  sa  bourse  cossue;  quil  ait 
même  la  complaisante  délicatesse  de  n*oser  lei 
donner  lui-même  à  celui  qui  ose  bien  les  loi  de- 


kvtdz  1768.  % 

mander;  quH  attende  ponr  cela  d*étre  en  un  antre 
lien,  et  de  les  lui  faire  modestement  présenter  mr 
on  autre  homme  :  tout  cela,  tout  inepte  et  rlsible  ' 
cpi'il  est,  n*est  pas  absolument  impossible. 

Que  le  prêteur  ou  donneur  passe  trois  jours 
avec  l'emprunteur;  quil  mange  avec  lui;  quil 
voyage  avec  lui  sans  savoir  comment  il  est  fait, 
s^  porte  perruque  ou  non  j  s'il  est  grand  ou  pe* 
tit,  noir  ou  blond,  sans  retenir  la  moindre  chose 
de  sa  figure  :  cela  parait  si  singulier,  que  je  lui  en 
fis  Pobjection.  A  cela  il  me  répondit  qu  en  mar- 
chant, lui,  Theyenin ,  était  derrière  Fautre  et  ne 
le  Toyalt  que  par  le  dos',  et  qu'à  table  il  ne  le 
voyait  pas  bien  non  plus,  parce  que  ledit  Rous- 
seau ne  se  tenait  pas  assis,  mais  se  promenait  pai 
la  chambre  en  mangeant  II  &ut  convenir,  en  riant 
du  plus  fort,  que  cela  n^est  pas.  encore  impossible 

11  ne  l'est  ps  enfin  que,  desdites  lettres  de  re- 
commandation si  précieuses ,  aucune  ne  soit  par- 
venue j  attendu  que  ledit  Thevenin ,  modeste 
pour  les  lettres  comme  pour  Fargent,  ne  voulut 
pas  les  rendre  lui-même,  ni  s  informer  au  moins . 
de  leur  efiêt,  quoiqu'il  demeurât  dans  le  même 
fieo  qu'habitaient  ceux  à  qui  elles  étaient  adres- 
«ées,  quïl  les  vît  peut-être  dix  fois  par  jour,  et 
que  ce  fiif  au  moins  une  curiosité  fort  naturelle  de 
savoir  si  un  coureur  de  cabarets,  k  Faflïit  des  écùs 
des  passans,  pouvait  être  réellment  en  liaison  avec 
ces  messieurs-lâ;  Si,  comme^il  est  à  craindre,  au- 
cune desdites  lettres  n'est  parvenue^  ce  seront  ces 
t«.  5.  5 


5a  CORRKSPOU  DÀV  CE  , 

preuves,  et  permettez,  monsieur  le  comte/  que 
nous  examinions  un  peu  le  rapport  de  notre 
homme ,  et  que  nous  voyions  s*il  se  peut  rappor- 
ter A  moi. 

Le  sieur  Thevenin  fit  ponnalssance  avec  ledit 
Rousseau  aux  Verrière^,  et  ils  y  demeurèrent  en- 
semble deux  ou  trois  jours,  logés  chez  Janin.  J^ai 
demeuré  long-temps  à  Moitiers  sans  aller  aux  Ver- 
rières, et  je  n  yai  jamaisétéquWesculefois,  allant 
à  Pontarlier  avec  AL  de  Sauttersheim,  dit,  dans 
le  pays,  le  baron  Sauttem.  Je  n'y  couchai  point 
en.  allant,  j  en  suis  très -sur;  je  suis  très-persuadé 
que  je  n'y  couchai  point  en  revenant,  quoique  je 
Ji'en  sois  pas  sûr  de  même;  mais  si  j'y  couchai,  ce 
fut  'sans  y  séjourner,  et  sans  quitter  le  baron. 
Thevenin  dit  cependant  que  son  homme  était 
seul.  Ma  mémoire  affaiblie  me  sert  mal  sur  les 
Êiits  récens  ;  mais  il  en  est  sur  lesquels  elle  ne  peut 
me  tromper;  et  je  suis  aussi  sûr  de  n^avoir  jamais 
séjourné,  ni  peu  ni  beaucoup,  aux  Verrières,  que 
je  suis  sûr  de  n'avoir  jamais  été  Su  Pékin. 

Je  ne  suis  donc  pas  Thomme  qui  resta  deux  ou 
trois  jours  aux  Verrières,  à  contempler  les  génu- 
flexions du  dévot  Thevenin. 

Je  ne  peux  guère  être  non  plus  celui  qui  lui 
demanda  de  l'argent  à  emprunter  aux  mêmes  Ver-» 
iières ,  parce  que ,  outre  M  .du  Terreau ,  maire  du 
lieu^  jy  connaissais  beaucoup  un  M.  Breguet, 
très-galant  homme,  qui  m^aurait  fourni  tout  Tar- 
gent  dont  j^aurais  eu  besoin^  et  avec  lequel  j*di  eu 


À^NKE  1768.  3â 

bien  des  querelles,  pour  n^avoir  po  tenir  la  pro* 
messe  qae  je  lui  avais  laite  de  Vy  aller  voir.  Si  j'a- 
vais logé  là  seul,  ceût  été  chez  lui,  selon  toute 
apparence ,  et  non  pas  chez  le  sieur  Janin  j  sur- 
tout quand  j'aurais  été  sans  argent. 

Je  ne  sois  point  l'homme  à  l'habit  gris  doublé 
de  bleu  ou  vert ,  parce  que  je  n  en  ai  amais  por;é 
de  pareil  durant  tout  mon  séjour  en  Suisse  :  je 
n^  ai  jamais  voyagé  qu'en  habit  d'ArménicD ,  qu 
sàrement  n'était  doublé  ni  de  vert  ni  de  bleu. 
Thevenin  ne  se  souvient  pas  si  son  homme  avait 
ses  cheveux  ou  la  perruque,  s^il  portait  son  cha* 
peau  sur  la  tête  on  sous  le  bras;  un  Arménien  ne 
porte  point  de  chapeau  du  tout,  et  son  équipage 
est  trop lemaïquable  pour  quon  eu  perde  totale- 
ment le  souvenir,  après  avoir  demeuré  trois  jours 
avec  lui,  et  après  Tavoir  vu  daus  la  chambre  et  en 
?oyage,  par  devant,  par  derrière^  et  de  toutes  les 

Je  ne  sois  point  l'homme  qui  a  donné  au  sieur 
Thevenin  une  lettre  de  recommandation  pour 
il.  de  FaugBes,que  je  ne  connaissais  pas  même 
encore,  quand  ledit  Thevenin  alla  à  Yverdun;  et 
\t  ne  suis  point  l'homme  qui  lui  a  donné  une 
lettre  de  recommandation  pour  M.  Âldiman,  que 
je  nai  connu  de  ma  vie,  et  que  je  ne  crois  pas 
même  avoir  été  de  retour  d  Italie  à  Yverdun  sous 
la  même  date  (i). 

(1)  i'«  appris  teulement  depuis  quelque»  jonn  que  k 
•M  Ittllivat  d*YTCiilitii  t*appcîait  aiuii  BL-AkUmni. 

^    5. 


$4  CORIIESPONDÀ^CB, 

Je  ne  suis  point  Thomine  <jui  a  donne  au  sîom 
TUerenin  une  lettre  de  recommandation  pour  Pa- 
ris,  signée  le  Voyageur  perpétuel.  Je  ne  crois  pas 
avoir  jamais  employé  cette  plate  signature;  et  je 
suis  parfaitement  sûr  de  n  avoir  pu  IVmplojer  à 
Tcpoque  de  ma  prétendue  rencontre  avec  Tbcve« 
nin  ;  car  cette  lettre ,  devant  être  antérieure  k  l'ar- 
rivée dudit  Thevenin  à  Yverdun,  dut  Tétre,  i 
plus  forte  raison ,  à  son  départ  de  la  même  ville. 
Or,  même  en  ce  temps -li ,  je  ne  pouvais  signet 
le  F oyageur  perpétuel^  avec  aucune  apparence 
de  vérité  d'aucune  espèce  \  car  durant  l'espace  de 
dix- huit  ans,  depuis  mon  retour  dltaUe  à  Paris , 
jusqu'à  mon  départ  pour  la  Suisse,  je  nWais  fait 
qu*un  seul  voyage;  et  il  est  aissurde  de  donner  le 
oom  de  Voyageur  perpétuel  1  un  homme  qui  ne 
fait  qu'un  voj^age  en  dix-huit  ans.  Depuis  la  date 
de  mon  arrivée  à  Métiers,  jusqu'à  cel^s  du  départ 
de  Thevcnin  d'Yverdun ,  je  n'avais  fait  encore  au- 
cune  promenade  dans  le  pays,  qm  pàt  porter  le 
nom  de  voyage.  Ainsi  cette  signature,  au  moment 
que  Thevenia  la  suppose,  eût  été  non-seulement 
plate  et  sotte ^  mais  fausse  en  tous  sens,  et  de 
toute  fausseté. 

II  n'est  pas  non  plus  fini  aisé  de  croâie  que  je 
sois  le  même  Rousseau  dont  Thevenia  n  a  plus 
oui  [parler,  durant  tout  son  séjour  en  Suiase, 
puisqu'on  n'y  parlait  que  de  cet  homme  infernal^ 
qui  Osait  croire  en  Dieu  sans  croire  aux  miracles  ^ 
coolre  lequel  les  prédicaas  pràchaieat  avec  le 


AirirÉB  ty68.  55 

plus  saint  zèle,  et  qu'ils  nommaient  Maniement 
\ Antéchrist.  Je  suis  sûr  qu*U  ny  avait  pas,  dans 
toute  la  Suisse,  un  honnête  chamoiseur  qui  n  e- 
difiâtson  quartier  en  rn^j  maudissant  saintement 
mille  fois  par  joor;  et  je  crois  que  le  bénin  The- 
venin  n^était  pas  des  derniers  à  s  acquitter  de  cette 
bonne  oeuvre.  Mais,  sans  rien  conchire  de  tout 
cela ,  |e  finis  par  ma  preuve  përemptoire. 

Je  dis  que  je  ne  suis  point  l'homme  qui  a  pu  se 
trouver  aux  Verrières  et  à  Saint- Sulpice  avec  le 
sieur  Thevenin ,  quand,  venant  à  la  Charité-sur- 
Loire  ,  il  allait  à  Yverdnn  ;  car  il  n'a  pu  passer  aui 
Verrières  plus  tard  que  Tété  de  1761 ,  puisque  le 
3o  juillet  1763  il  y  avait  environ  deux  ans  qu*U 
demeurait  chez  le  sieur  Cuche,  et  probablement 
davantage  qu*il  demeurait  à  Yverdnn.  Or ,  au  vu 
et  au  su  de  toute  la  France,  j  ai  passé  Tannée  en- 
tière de  1761 ,  et  b  moitié  de  la  suivante,  tran- 
quille à  Montmorend;  je  ne  pouvais  donc  pas, 
dès  Tannée  précédente,  avoir  couru  les  cabarets 
aux  Verrières  et  à  Sadnt-Sulpice.  Ajoutez ,  je  vous 
supplie,  qu'arrivant  en  Suisse  je  n'allai  pas  tout 
de  suite  à  Motiers;  ajoutez  encore  qu'arrivé  à 
Métiers,  et  tout  occupé  jusqu'à  l'hiver  de  mon 
établissement^  je  ne  fis  aucun  voyage  du  reste  de 
l'année,  ni  bien  avant  dans  la  suivante.  Selàn 
Thevenin ,  notre  rencontre  a  dû  se  ùire  avant 
qui]  allât  à  Yverdun  ;  et  selon  la  vérité,  il  était 
déjà  parti  de  cette  viHe  quand  je  fis  mon  premier 
fit  unique  voyage  aux  Verrières  :  je  n'étais  donc 


S6  'eOUESP01l1>A.NCE , 

pas  Hiomme  portant  le  nom  do  Rousseau  qall  y 
rencontra;  c^est  ce  que  j^avais  à  prouver. 

Quel  était  donc  cet  homme?  je  l'ignore  :  ce 
que  je  sais,  c'est  que,  pour  que  ledit  Tbcvenin  ne 
soit  .pas  un  imposteur,  il  Êiut  que  cet  homme  se 
trouve,  c'est-à-dire  que  son  existence  soit  connue 
sur  les  lieux;  il  Ëiut  qu'il  s'j  soit  trouyé  dans  Tan- 
née 1761 ,  qu'il  s'appelât  Rousseau,  qu  il  eût  un 
habit  gris  doublé  de  vert  ou  de  bleu^  qu  il  ait  écrit 
des  lettres  à  MM.  de  Faugnes  et  Aldiman ,  qui  par 
conséquent  étaient  de  sa  connaissance;  quïl  ait 
écrit  une  autre  lettre  à  Paris  ^  signée  le  Vojageur 
tierpétuel;  quaifxès  avoii  passé  deux  jours  avec 
Thevenin  aux  Verrières,  ils  aient  encore  été  de 
compagnie  à  Saint-Sulpice  avec  Janin  leur  hôte^ 
et  qu'après  y  avoir  diné  tous  trois  ensemble,  ledit 
Thevenin  ait  fait  donner  audit  Rousseau  neuf 
francs  par  ledit  Janin.  La  vérification  de  tous  ces 
faits  git  en  informations,  que  je  ne  suis  point  en 
état  de  faire,  et  qui  ne  m'intéressent  en  aucune 
sorte ,  si  ce  n'est  pour  prouver  ce  que  je  sais  bien 
sans  cela ;saTaii:,que  ledit  Thevenin  est  unimpos- 
teur  apo$té.  J'ai  pourtant  écrit  dans  le  payspoiir 
avoir  là -dessus  des  éclaircissemcns,  dont  j  aurai 
l'honneur  «  monsieur,  de  vous  &îre  part,  s  Us  me 
parviennent  :  mais  comment  pourrai -je  espérer 
quedeslettresdécetteeepèce  échapperont  àlmlcr- 
;  ception ,  puisque  celles  même  que  j'adresse  à  M.  k 
prince  de  Gonti  n'y  échappent  pas ,  et  que  la  àa- 
nièrc  que  l'eus  1  honneur  ae  hii  écrire ,  et  que  je 


ÂimEB    1768.  5y 

mis  moi-même  à  la  poste,  en  partant  de  Grenoble, 
ne  loi  est  pas  panrenae?  Mais  ils  auront  beau 
Eure,  je  me  ris  des  machines  qu'ils  entassent  sans 
cesse  autour  de  moi  ;  elles  s'écrouleront  par  leur 
propre  masse,  et  le  cri  de  la  vérité  percera  le  ciel 
tài  ou  tard. 

Agréez,  monsieur  le  comte,  les  assurances  de 
mon  respectai). 

83o. AU  HÉME. 

'  Bourgob,  le  ao  sqMenbM  tyôBf 

HoKsni»^ 

A  compte  des  éclalrcissemens  que  fai  deman- 
•dés  sur  lïiscoire  du  sieur  Thevenin ,  voici  tou- 
oors  une  lettre  de  M.  Roguin ,  dTverdun  respec- 
table vieillard,  mon  ami  de  trente'  ans ,  et  celui  de 
ku  M.  de  Rozière,  père  de  M.  de  Rozière ,  officier 
dartillene,  par  qui  cette  lettre  m^est  parvenue. 
Vous  y  vem;z,  monsieiH',que  le  bénin  Thevenin 
nen  est  pas  a  scn  coup  d  essai  d'impostures,  et 

(1)  ApottiUe  de  l'auUur. 

V.  B.  Celte  lettre  est  restée  mos  réponse .  'de  même  qu'une 
«aie  «cfite  encore  ronUnaire  tnivaiit  à  M.  la  comte  de  'Tonuerre  « 
ai  lui  m  euToyant  une  dan»  laquelle  M.  Roguin  me  donnait 
les  iofennations  sur  le  sieur  Theveoin ,  et  qui  ne  m'a  point  étà 
tsnrajée.  Depuis  lors,  }e  n'ai  reçu  ni  de  M.  de  Tonnerre ,  ni 
3'a«iaiiie  âme  YiTantey  aucun  avis  de  rien  de  <T  qui  a'eii  passé 
â  Grenoble  6n  sniet  de  cette  aflkire,  lu  à»  et  ^[tt'cst  de  veau 
ledit  TUeveoin. 


58  CORRJBSPOïrDANCE, 

qull  a  été  ci-deyant  condamuc ,  par  arrêt  in  par- 
lement de  Paris,  à  être  fouetté ,  marqué,  et  en- 
voyé aux  galères  pour  fabrication  de  faux  actes. 
Vous  y  verrez  un  mensonge  bien  manàfeste  dans 
sa  dernière  déclaration ,  puisqu  il  m'a  dit,  k  moi, 
n'avoir  pu  joindre  M.  de  Faugnes  pour  lui  re 
mettre  la  lettre  de  recommandation  de  R.,  m 
pour  en  apprendre  Teffet;  et  vous  vqycz,  par  la 
lettre  de  M.  Roguin ,  qu'il  sait  bien  le  joindre  pour 
lui  remettre  la  lettre  du  curé '4e  Tovency-les- 
Filles ,  et  pour  le  circonvenir  de  ses  mensonges  an 
sujet  de  M.  Thevcbîn  de  Tanley ,  conseiller  au 
parlement  de  Paris.  Si  mes  lettres  et'leriria  répon- 
ses parviennent  fidèlement,  j  aurai  dans  pe\i  ré-  ^ 
poBse  directe  de  M.  de  Faugnes,  et  la  déclaration 
de  Janin ,  que  je  lui  ai  fait  demander  par  le  prei- 
mier  magistrat 'du  lieu. 

Veuillez, monsieur  le  comte^agréer  avec  bonté 
mou  respeet«  Rsarou. 

Rien  nfe  pressç  pour  le  renvoi  de  la  leltro  d- 
jointe.  Je  vous  supplie  seulement,  monsieur,  d'or- 
ilonner  qu'elle  ne  soit  pas  égarée,  et  ^pi'bn  mie  b 
renvoie  quand  elle  ne  servira  plus  i  rien.< 

63tr  — -  A.  M.  LaliuuD. 

A  Boar]goia,  le  ai  teptenibre  'i 9G8. 

Je  ne  puis  résister ,  monsieur ,  an  désir  de  Vous 
donner,  par  la  copie  cî-jointe^  une  idée  de  la  œ^ 


n'ière  dont  je  sais  traité  dans  ce  pivs.  SildC  que  je 
fos  parti  de  Grenoble,  pour  venir  ici,  l'on  y  dé- 
lerra  un  garçon  chamoiseor  nommé  Tbevenîn, 
qaî  me  demandait  neuf  francs,  qu*il  prétendait 
m'avoir  prêtés  en  Suisse,  et  qu'il  prétend  à  pré^ 
sent  m'avcNor  donnés ,  paice  que  ceux  qui  nnsirai» 
sent  ont  senti  le  ridicule  de  &ire  prêter  de  l'krgeni 
par  un  passant  à  quelqu'un  qui  demeure  dans  le 
pays.  Cette  extravagante  héstoire,  qui  partoul 
aSIeurs'  eût  attiré  ai^it  Theveain  le  traitement 
qu'il  m^ite ,  lui-attire  ici  la  &veur  puUique^  et  il 
n'y  a  personne  à  GrenoUe,  et  parmi  les  gens  qui* 
m'entourent,  qui  ne-donnât  tout  au  monde  pour 
queThevenin  se  trouvât  llionnéte  homme,  et  moi^ 
le  fripon  :  malheureosemest  pour  eux^  j  apprends 
à  l'instant,  par  une  lettre  de  Suisse  qai  m^est  ar- 
rivée sons  couvert  étranger, que  ledit  Tbcvenîna 
eu  à-devant  rhonneur  d'être  condamné,  par  un 
arrêt  du  pariement  de.Paris,  à  être  mapqué  et  en*, 
voyé  aux  galères,  pour  frhricatÎMi  de  &nx  actes^ 
dans  un  procès  qu'il  eut  l'impudence  d'intenter  i 
M.  Thevemn  de  Tànley ,  conseiller  honomiBe  a»> 
tnel  au  pariement,  rue  des  EnfioiSi'Rouges,  an 
Marais  (  i)^  J'ai  écrit  en  Suisse ,  poor  avoiv  des  in* 


"»*■ 


(i)  L'arrêt  est  du  lo  matp  1761.  Il  fol  pennii  à  Jean  iW 
teain  de  Tanlej  el  consorts  de  le  frire  bnprîmer,, publier  el 
•ScW.Oii  j  Toh  nêflM  que  ledit Hfeolas-Êlst  Tkcireniii,  dtl» 
C^amt&rêuT*homtf  al  tondimuà  ai^aicaa  ».  tB.ptooB  da  Grèvf  ^ 
poor  7  dcmeaier  d^pnî».siids  iiw^*A  éf^M,  heures  «  aysni  ^oift 
lean  derant  et  derrière,  partant  css  mois •  CalonmiatOÊr  s»  iii^ 
postas' ûuj^im; 


60  CORRESPONDANCE, 

formations  sur  le  compte  de  ce  misérable  :  je  n^^ 
eu  encore  que  cette  seule  réponse  y  qui  heureuse- 
ment n'est  pas  venue  directement  à  mon  adresse. 
J^ai  écrit  à  M.  de  Faugnes,  receveur  général  des 
finances  à  Paris,  lequel  a  coiuiu,  à  ce  qu'on  me 
marque,  ledit  Thcvenin;  je  nW  ai  aucune  ré- 
ponse :  je  crains  bien  que  mes  lettres  ne  soient  in- 
terceptées à  la  poste.  M.  de  Faugnes  demeure  rue 
Feydeau.  Si,  sans  vous  mcommoder,  vous  pou- 
viez ,  monsieur ,  passez  chez  lui  et  chez  M.  The- 
venin  de  Tanley,  vous  tireriez  peut-être  de  ces 
messieurs  des  informations  qui  me  seraient  utilies 
pour  confondre  mon  coquin^  malgré  la  favçur  de 
Se&  honnêtes  protecteurs. 

Je  vois  que  ma  diffamation  est  jurée,  et  qu^oo 
veut  l'opérer  à  tout  prix  :  mon  intention  n*est  pas 
de  daigner  me  défendre,  quoique  en  cette  occa- 
nott  je  n\iie  pu  résister  au  désir  de  démasquer 
llmposteur;  mais  j'avoue  qu'enfin  dégoûté  de  la 
France  je  n'aspire  plus  qu'à  m'en  éloigner,  et  du 
byer  des  complots  dont  je  suis  la  victime.  Je  n'es* 
père  pas  échapper  à  mes  ennemis ,  en  qveique  lieu 
que  je  me  réfugie;  mais,  en  les  forçant  de  multi- 
plier leurs  complices,  je  reuda  leur  secrel  plus 
difficile  à  garder,  et  je  le  crois  déjà  au  point  de  ne 
pouvoir  me  smTÎvre  :  c'est  tout  ce  qu'il  me  reste  à 
désirer  désormais.  Bonjour,  monsieur.  Votre  der- 
nière lettre  m'est  bien  parvenue;  cela  me  £iit  es- 
pérer le  même  bonheur  potir  celle-ci ,  et  peut-être 
pour  votre  réponse  :  fiiites-Ia  un  peu  promue- 


'ment y  je'' vous  supplie,  si  vous  roulez  que  je  la^ 
reçorre;  car,  dans  une  quinzaine  de  jours,  je^ 
pourrais  Iweii^i'étre  plus  icL  Ma  femme  vous  prie 
d agréer  ses  obéissances  :  recevez  mes:  très*httm<^' 
blés  salutations. 

{^a.  —  ▲  M.  DTit  Peyaou; 

Bourgoîo,  le  a6  s^ptemliR  1^68^ 

Je  reçois  en  ce  moment , mon  cher  hôte,  votre 
lettre  du  ao,  et  j'y  apprends  les  progrès  de  votre 
fétaUissement  avec  une  satisfaction  à  laquelle  il 
ne  manque ,  pour  être  entière^  que  d'aussi  bonnes 
nouvelles  de  la  santé  de  la  bonne  maman.  11  n'y  a. 
rien  à  £iire  à  sa  sciatique  que  d'attendre  les  tré<- 
ves,  et  prendre  patience  :  Vous  êtes  dans  le  même 
cas  pour  votre  goutte;  et  après  la  leçon  terrible 
pour  vous  et  pour  d'autres  que  vous  avez  reçue,, 
j'espère  que  vous  renoncerez  une  bonne  fois  à  laf 
fimtaisie  de  guérir  de  la  goutte ,  de  tourmenter 
votre  estomac  et  vos  oreilles,  et  de  vouloir  chan- 
ger votre  constitution  avec  du  petit  lait ,  des  pur* 
gati&  et  des  drogues;  et  que  vous  prendrez  une 
bonne  fois  le  parti  de  suivre  et  d'aider,  s'il  se  peut, 
la  nature,  mais  non  de  la  contrarier. 

Je  ne  sais  pourquoi  vous  vous  imaginez  qu'il 
a  i&llu,  pour  me  marier,  quitter  le  nom  que  je 
porte  {*)  ;  ce  ne  sont  pas  les  noms  qui  se  mai  icnt , 

(*)  Cduî  de  Renott,  çull  avait  pris  en  allant  habher  la  ckK» 


64  CoiftCSPOffDÂVCE, 

Dels  qaWme  tait  souffiir  me  dégoAtent  un  jpen 
.'de  la  botanique,  qui  ne  me  parait  un  amaBemeut 
délicieux  qu'autant  qu^on  peut  s'y  livrer  tout  eo- 
tier.  Je  sens  que  pour  peu  que  l'on  me  tourmenie 
encore  je  m'en  détacherai  tout-à-Êtit.  Je  n^ai  pas 
laissé  pourtant  de  trouyer  en  ce  pap  quelqnos 
plantes 9  sinon  jolies,  au  moins  nouYelles  pour 
moi;  entre  autres,  près  de  Grenoble,  YOsjris  et 
lé  Térébinûie;  ici  le  Cenchrus  racemosus  ^ai  m'a 
beaucoup  surpris,  parce  que  c'est  un  gramen  ma- 
ritime; VHjpopitis,  plante  parasite  qui  tient  de 
lorobanche;  le  Crépis  fœtida  qui  sent  Vamande 
amère  à  pleine  gorge,  et  quelques  autres  que  je 
ne  me  rappelle  pas  en  ce  moment.  Voilà,  mon 
.cher  hôte,  plus  de  botanique  qu'il  nW  fimt  à 
TOtre  stoïque  indifl^ence.  Vous  pouyez  m'écrire 
en  droiture  ici  sous  le  nom  de  Renou.  Fat  grande- 
peur,  s'il  ne  survient  quelque  amélioration  dans 
mon  état  et  dans  mes  ai&ires,  d'être  réduit  à  passer 
avec  ma  femme  tout  Fbiver  dans  ce  cabaret,  puis- 
que je  ne  trouve  pas  sur  la  tene  une  pierre  pour 
y  poser  ma  tête. 

833.  ^-«  AV  M iMB« 

Bourgmo,  Ve  2  octobre  1768. 

QuBLLB  affreuse  nouvelle  vous  m^apprenez, 

.  mon  cher  hôte,  et  que  mon  coeur  eu  est  afiectél 

.  le  ressens  le  cruel  accident  de  votre  pauvre  ma* 

oan  comme  elle,  ou  plutàl  comme  vous^  et  ces! 


AmÉB  1768.  65 

tout  dire.  Une  jamBe  cassée  est  un  malheur  que 
mon  père  eut  étant  d^jà  vieux,  et  qui  lui  arriva 
de  même  en  se  promenant,  tandis  que  dans  ses 
tenribles  fatigues  de  chasse,  qu'il  aimait  à  la  pas- 
sion, jamais  il  n'avait  eu  le  moindre  accidents  Sa 
jambe  guérit  Irës-Êicilement  et  très -bien  malgré 
son  âge;  et  j'espérerais  la  même  chose  de  madame 
la  commandante,  si  la  fracture  n'était  dans  une 
place  où  le  traitement  est  incomparablement  plus 
difficile  et  plus  douloureux.  Toutefois,  avec  beau- 
coup de  ré«gaàtion ,  de  patience ,  de  temps ,  et  les 
soins  d'un  homme  habile,  la  cure  est  également 
possible,  et  il  n'est  pas  déraisonnable  de  l'espérer. 
Cesl  tout  ce  qu'il  m'est  permis  de  dire ,  dans  cette 
&taJe  drcODStance,  pour  notre  commune  conso- 
lation. Ce  malheur  &it  aux  miens,  dans  mon 
ooenr,  nue  diversion  bien  funeste,  mais  réelle 
pourtant,  en  ce  qu'au  sentiment  drs  maux  de 
ceux  qui  nous  sont  chers,  se  joint  l'impression 
tendre  de  notre  attachement  pour  eux,  qui  n'est 
jamais  sans  quelque  douceur;  au  lieu  que  le  seo* 
timent  de  nos  propres  maux,quand  ils  sont  grands 
et  sans  remède,  nest  que  sec  et  sombre  :  il  ne 
porte  aucun  adoucissement  avec  soi.  Vous  n'at- 
tendez pas  de  moi,  mon  cher  hAte,  les  froides  et 
vaines  sentences  des  gens  qui  ne  sentent  rien  ;  on 
ne  trouve  gnère  pour  ses  amis  les  consolations 
qu'on  ne  peut  trouver  pour  soi-même.  Mais  ce- 
pendant je  ne  puis  m'empécher  de  remarquer  que 
votre  amiction  ne  raisonne  pas  juste,  quand  elle 


66'  COAUSfOnAHCBy 

s*îrrite  pâtr  lidée  qnt  ce  triste  éyéBemenl  n'est  pat 
dans  Tordre  des  choses  attaché  à  la  condition 
humaine.  Rien^  mon  cher  hôte,  n  est  plus  dans 
cetoidieque  les  accidens  imprévus  qui  troublent, 
Gèrent  et  abîment  U  vie.  C  est  avec  cette  dé- 
|MBndanoe  que  nous  sommes  nés;  elle  e^t  attachée 
à  notre  nature  et  à  notre  constitution.  S'il  j  a  des 
coups  qu'on  doive  endurer  avec  patience ,  ce  sont 
ceux  qui  nous  viennent  de  l'inflexible  nécessité, 
et  auxquels  aucunô  volonté  humaine  n'a  con- 
couru. Ceux  qui  nous  sont  portés  par  les  mains 
des  méchans  sont  à  mou  gré  beaucoup  plus  in- 
supportables, piU'oeqne  la  nature  ne  nous  fit  pas 
pour  les  souffiir.  Mais  cWt  déjà  trop  moraliser, 
fiennee-'^moi  &équemmeut|  mon  char  h&te,  des 
nouvelles  de  la  malade;  dites- lui  souveni  aosn 
combien  mon  omur  est  navvé  de  ses  iwwiffiances, 
et  combien  de  Vû0ux  je  joins  aux  vôtres  pour  sa 
guérîson. 

J'ai  reçu  par  H.  le  comte  de  Tonnerre  une 
lettre  du  lieuteûdirt  de  Guyenet,  bqudle  m'en 
promet  uue  autre  que  j'attends  pour  lui  &ire  des 
remercimeos.  A  présent  ledit  lïevenin  est  bien 
convaincu  â*étre  un  Imposteur.  M.  de  Tonnerre, 
qui  m'avait  positivement  promb  toute  protection 
da^s  cette  aflaire,  me  marque  qu'il  lui  imposai 
silence.  Que  dites-vous  de  cette  manière  de  rendre 
fastice?  c  est  comme  si»  après  qu'un  homme  aurait 
pris  ma  bourse, aa  lieu  de  me  la  £ûre  rendie^op 


INNÊB  1768.  6; 

lai  ordonnait  de  ne  me  plus  voler^  En  loutef 
dioses  yoiU  comme  je  suis  traité. 

Je  TOUS  ai  déjà  marqué  que  vous  pouvez 
nkècnre  ici  en  droiture  sous  le  nom  de  Reiicn; 
TOUS  pouvez  continuer  aussi  d'employer  la  même 
adresse  dont  vous  vous  servez  ;  cela  me  parait  ab* 
lolunent  égaL 

834^  — -  A  AL  Laluaud. 

BoDif^în^  le  5  octobre  fjGSê 

Vonzlettre,  monsieur,  du  agseptembre,  m*est 
portemie  en  son  temps ,  mab  sans  le  duplicata, 
et  je  saisdms  que  vous  ne  vous  donniez  plus  la 
peioed^D  &ire  par  cette  voie,  espérant  que  vo$ 
iCttits  continueront  à  me  parvenir  en  droiture, 
ayant  peut-être  été  ouvertes  ;  mais  n'importe  pas , 
pourvu  qu'elles  parviennent.  Sî  j  aperçois  une  in- 
i:7miptioa,  je  cfaercheFai  une  adresse  intermé- 
diaire  id,  si  je  pnis,  ou  â  Lyon. 

Je  sois  bien  touché  de  vos  soins  et  de  la  peine 
]ails  vous  donnent,  à  laquelle  je  suis  très-ste 
^œ  vous  n'ayez  pas  regret;  mais  il  est  superflu 
pevoos  continuiez  d'en  pnendre  au  sujet  da  ce 
|^<)qnin  de  Tlievenin,  dont  l'imposture  est  main* 
j^naat  dans  un  degré  d'évidence  auquel  Msr  de 
oonerre  faii-méme  ne  peut  se  refuser.  Savez* 
là -dessus  quelle  îustice  il  se  proposé  de  me 

àft^  après  m^avoîr  promis  la  protection  la  plus 
lîqae  pour  tiier  c^tte  afiâire  au  dair?  c'est 


68  COfcHESPOlVDAVCE, 

d'imposer  sHence  à  cet  homme;  et  moi  toute  la 
peine  que  je  me  suis  donnée  était  dans  lespoir 
qu'il  le  forcerait  de  parler.  Ne  parlons  plus  de  ce 
misérable  ni  de  ceux  qui  Font  mis  en  jeu.  Je  sais 
que  rimpunité  de  celui-ci  va  les  mettre  à  leur  aise 
pour  en  susciter  mille  autres;  et  c était  pour  cela 
qu  il  m'importait  de  démasquer  le  premier.  Je  Tai 
fait,  cela  me  suffit  :  il  en  viendrait  maintenant 
cent  par  jour  que  je  ne  daignerais  pas  leur  ré^ 
pondre. 

Quoique  ma  situation  devienne  plus  cruelle  de 
jour  en  jour,  que  je  me  voie  réduit  à  passer  dans 
un  cabaret  Thiver  dont  je  sens  déjà  les  atteintes , 
et  qu'il  ne  me  reste  pas  une  pierre  pour  y  poser 
ma  tête ,  il  n^y  a  point  d'extrémité  que  je  nVndore 
plutôt  que  de  retourner  à  Trye;  et  vous  ne  me 
proposeriez  sûrement  pas  ce  retour  si  vous  saries 
ce  qu'on  m  y  a  fait  souffrir,  et  entre  les  mains  de 
quels  gens  jMtais  tombé  U.  Je  fiémis  seulement 
à  y  songer  :  n'en  reparlons  jamais^  je  vous  prie. 

Plus  je  réfléchis  aux  traitemens  que  j'éprouTe  ^ 
moins  je  puis  comprendre  ce  qu  on  me  tcoL  Ega< 
lemcnt  tourmenté,  quelqueparti  que  jeprttkne,  \i 
n'ai  la  liberté  ni  de  rester  où  je  suis,  ni  d^aller  oj 
je  veux;  je  ne  puis  pas  même  obtenir  de  saT<Mr  oi 
l'on  veut  que  je  sois,  ni  ce  qu'on  veut  faire  di 
moi.  J'ai  vainement  désiré  qu'on  disposât  oiKre« 
tement  de  ma  personne,  ce  serait  me  looltre  e^ 
repos;  et  voilà  ce  qu'on  ne  veut  pas.  Tout  ce  €fa 
je  sens  «st  qu'on  est  importuné  de  mon  existeno^ 


àMfiiz  1768.  89 

et  qa'on  veut  &ire  en  sorte  que  je  le.  sois  moi- 
ntoe;  il  est  impossible  de  s^y  prendre  mienx  pour 
oeU.  n  mest  cent  fois  venu  dans  Fesprit  de  pro- 
poser mon  transport  en  Amérique,  espérant  qn'on 
voudrait  Uen  tû*y  laisser  tranquille ,  en  quoi  je 
crois  bien  que  je  me  flaCtais  trop;  mais  enfin  j'en 
aursùs  fait  dé  bon  cœnr  la  tentative  si  nous  étions 
plus  en  état,  ma  femme  et  moi^  d'en  supporter  le 
yoyage  et  l'air.  U  me  vient  une  autre  idée  dont  je 
veux  vous  parler,  et  que  ma  passion  pour  la  bo^ 
taniqué  ma  fail  naître;  car,  voyant  qu'on  ne  vou* 
hit  pas  me  laisser  herboriser  en  repos,  j  ai  voulu 
quitter  les  plantes  ;  mais  j'ai  vu  que  je  ne  pouvais 
plus  m'en  passer  .*  c'est  une  distraction  qui  m'est 
nécessaire  absolument;  c'est  un  engouement  d  en* 
6nt,  mais  qai  me  durera  toute  ma  vie. 

Je  voudrais,  monsieur,  trouver  quelque  moyen 
d^aller  la  finir  dans  les  iles  de  TÀrchipel,  dans 
celle  de  Chypre,  ou  dans  quelque  autre  coin  de 
la  Grèce;  il  ne  mlmporte  ob,  pourvu  que  je 
trouve  un  beau  climat  fertile  en  végétaux,  et  que 
la  charité  chiétienne  ne  dispose  plus  de  moL.  J'ai 
dans  Fésprit  que  la  barbarie  turque  me  sera  moins 
cmeQe.  MadMureusement,  pour  y  aller,  pour  y 
vivreavec  ma  femme ,  j'ai  besoin  d'aide  et  de  pro* 
tection.  Je  ne  saunûs  subsister  là -bas  sans  res- 
MQice;  et  sans  quelque  faveur  de  la  Porte,  ou 
fndqoe  recommandation  du  moins  pour  quel* 
quun  des  consulsqui  résident  dans  le  pays ,  mou 
étaUissement.y  serait  lots^ement  impossible. 


1 


70  COREBSPOIfDAIICB, 

Gomme  je  ne  serais  pae  aans  edlpoir  d'y  rencke 
mon  séjour  de  quelque  utilité  au  progrès  de  Fhis* 
toire  naturelle  et  de  la  botanique ,  je  croirais  pou* 
Toir  à  ce  titre  obtenir  quelque  assistance  des  sou* 
veraitts  qui  se  font  honneur  de  le  favcMÎser.  Je  ne 
suis  pas  un  Toume&rt,  ni  un  JuÉsiea;  mais  aussi 
je  ne  fecak  pas  ce  travail  en  passant,  plein  d'au- 
tres vues  et  par  tâche  :  je  m'y  livrerais  tout  entier, 
uniquement  par  plaisir^  et  jusqu'à  la  mort.  Le 
•goût,  Fassiduitié,  la  canstanœ,  pouveni  suppléer 
i  beaucoup  de  eonnaâssanoes,  et  même  lesdon- 
ner  à  la  fin.  Si  j'avais  encore  ma  pension  du  roi 
d'Angleterre ,  elle  me  suffirait,  et  je  ne  demande^ 
rais  rien,  sinon  qa?bn  favorisAt  mon  passage,  et 
qu'onm'accordit quelque  recommanda tioo.Maîs, 
sans  y  avoir  renoncé  iarmeUemoitt,'je  me  suis  mis 
dans  le  cas  de  ne  pouvoir  demaiider,  ni  désirer 
même  honnêtement  qu elle  me  soit  continuée;  et 
d'ailleurs,  avant  d'aller  m'exiler  là  pour  le  reste 
de  mes  jours,  il  me  fitudraitj quelque  assurance 
raisonnable  de  n  y  pas  être  oubKé  et  laissé  mou- 
rir de  &km.  J  avoue  qu'en  fiôsant  «sage  de  mes 
propres  vessouroes ,  f  en  trouverais  dans  le  fruit  de 
tues  travaux  passés  de  suffisantes  pouirsobsi^er  où 
que  ce  fût  ;  mais  cela  demanderait  d'autres  arran- 
gemeas  que  ceux  qui  suhsisitent ,  et  des  soins  que 
'je  ne  suis  pins  en  état  d'y  donner.  Pardott^  m<»n- 
sieup  :  .je  vous  expose  bien  confusément  l'idée  ^qui 
m  est  venue,  et  les  obstacles  que  je  vobii  son  exé^ 
Gtttion.  Cependant^  comme  ces  ebMoles  ne  sou4 


pas  insurmontables  y  et  ^e  cette  idée  wHoSn  le 
seul  espoir  de  repos  qai  me  reste,  j^i  cru  devoir 
TOUS  en  parler,  afin qne,^  sondant  le  terrain ,  si 
Foccasion  s'en  présente,  soit  auprès  de qnelquW 
qui  ait  du  crédit  à  la  cour,  et  dès  protecteurs  que 
▼ous  me  connaisses ,  soit  pour  tâchet  de  saToir  en 
qadle  disposition  l'on  serait  à  ceUe  de  Loodlre» 
pour  pro^er  mes  herborisations  dans  PArchi* 
pd,  TOUS  puissiez  me  mai^er  si  Teiil  dans  ce 
pays-lâ  que  je  désire  peut  éiro  favorisé  dHin  des 
tkux  sonrerains.  Kn  reste,  il  n^  a  que  ce  moyen 
de  le  rendre  praticable,  et  je* ne  me  résoudrai  ja« 
mais,  avec  quelque  ardew  que  je  le  désire  ^  à  re- 
courir pour  cela  à  aucun  particulier  quelqn'il  soit. 
La  roie  la  plus  courte  et  la  ^us  sûr^  de  savoir  là- 
dessus  ce  qui  se  peut  &ife  S^ait,  à  mon  avis,  de 
consulter  madame  la  maréchale  de-  Luxembourg. 
J'ai  même  une  si  pleine  confiance  et  dans  sa 
bonté  pour  moi,  et  dans  ses  lumières,  que  je  vou* 
drais  que  vous  ne  parlassiez  d^abord  de  ce  projet 
qui  elle  seule,  ^e  tous,  notiez  k-dessns  que 
ce  qu'elle  approuvera,  et  que  vous  n'y  pensiez 
plus  ai  elle  le  juge  impraticable.  Vous  m'avez 
écrit,  momsieiiri  do  compter «nr  vous.  Voilà  ma 
réponse.  Je  meta  mou  sort  eotit  tos  mains,  au- 
tant qell  pett  dépend  de  moi&  Adieu ,  mon- 
sieur, je  vous  embrasse  do  tMt  mmaLCaur. 


y%  G0BKiS5P0VbAVC8| 

83:5.  —  aSL  MouLTom 

Boorgoin,  le  îo  octobre  t^tB. 

Vos  lettres,  mon^ieiir,  nie  sont  parvenues.  Je 
ne  répondis  point  à  la  pr^ière,  parce  que  vous 
m'annonciez  yotre  prochain  départ  de  Genèye; 
mais  j'y  enis  voir  d^  YOtp^  part  la  continuation 
d'une  amitié  ji  la<p»eUe  joiS^at  toujours  sensible^ 
et  ]y  trouvai  la  clef  de  hifiu  des  mystères  auji^guels 
depuis  iong-teipps  je  ne  comprenais  rien.  Cela 
m'a  fait  rompre,  up  peu  imprudemment  peut- 
être  ,  avec  des  ingrats  dont  f  ai  plus  à  craindre 
qu'à  espérer,  après  m^étre.  penlu  pour  ksur  ser- 
vice i  mais  mon  horreur  pour  toute  espèce  d^  dé- 
guisement augmente  avec  l'effet  de  ceux  dont  je 
suis  la  victime»  Aussi-bien  y  dans  l'état  oU  l'on  ma 
réduit,  je  puis  désormjus  élre  frpinc  impunément; 
je  n'en  deviendrai  pas  plps  misérable. 

J'ignore  absolument  ce  que  c'est  que  le  qbâteaa 
de  Lavagnac,  à  qui  il  appartient,  sur  quel  pied  yj 
pourrais  loger,  s'il  est  habitable  pour  moi ,  c'est» 
à-dire  k  ma  mapiète,  et  meublé;  en  un  mot,  tout- 
ce  qui  s'y  rapporte,  hors  le.  peu  que  vous  m  eu 
dites  dans  votre  dernière  lettre^  et  qui  me  parait 
très-attrayant.  Coindet  ue.  m  en  a  jamais  parlé,  et 
cela  ne  ;n'étonne  guère,  Votr^  courte  description 
du  local  est  charmante.  Vous  m'oŒrez  de  m*en 
dire  davantage ,  et  même  d'aller  prendre  des  édair- 
cis3emens  sur  les  lieux.  Je  suis  bien  tenté  de  vom 


AHWÉK  1768.  yi 

prendre  aa  met  :  car  aller  habiter  an  si  beau  lien , 
moi  qui  n'ai  d'asile  cju'aQ  cabaret;  vous  voir  en 
passant;  être  voisin  de  M.  Venei,  pour  lequel  j'ai 
la  plus  véritable  estime  :  tout  cela  m  atdre  assez 
fortement  pourmedéterminer  probablement  tout* 
i-Êit,  pour  peu  que  les  convenances  dont  j'ai  be* 
soin  s'y  rencontrent  Â  legard  du  profond  secret 
que  vous  me  promettez,  vous  n  en  êtes  plus  le 
roaitre  ;  ne  laissez  pourtant  pasde  le  garder  autant 
qull  vous  sera  possible;  je  vous  en  prie  instanH 
ment ,  puisque  votre  lettre  a  été  ouverte ,  quoique 
celle  qnl  lui  servait  d  enveloppe  ne  Tait  pas  été. 
Avis  au  lecteur,  * 

J'apprends  avec  ie  plus  vrai  plaisir  que  votre 
voyage  a  été  salutaire  à  la  santé  de  madame  IVÏoul*** 
ton  :  mon  empressement  de  vous  voir  est  encore 
augmenté  par  le  désir  d'être  connu  d  elle ,  et  de  lut. 
agréer-  Si  je  n'obtiens  pas  qu'elle  approuve  yotre 
amitié  pour  moi,  et  quelle  en  suive  l'exemple,  je 
réponds  au  moins  que  ce  ne  sera  pas  ma  fauté  ^ 
mais  y  comme  }e  désire.m'arréter  un  peu  à  Montr 
peilier  pour  vok  M.  Gouan  et  le  Jardin  des  Plai]L«- 
tes,  je  ne  logerai  pas  chea^' vous.  Je  vous  prierai 
seulement  de  me  chercher  deux  chambres  dans 
votre  voisinage,  et  qui  n'empêcheront  pais,  si  je 
ne  vous  importune  point,  que  vous  ne  me  voyiez 
chez  vous  presque  autant  que  si  j'y  logeais,  i  con-. 
dîtion  que  vous  ne  fermerez  pour  cela  votre  porte 
à  personne  :  les  sociétés  bonnes  pour  vous  seront 
sûrement  très^bonnes  pouf  moi;  et|  si  je  ne  $tà9t 


^6  COlUtBSPOUDANCi;^ 

S'ils  n'avaient  voulu  que  s^assurer  de  moi ,  me  clif 
&mer  à  leur  aise,  sans  que  jamais  je  pusse  dévoi- 
ler leurs  trames  aux  yeux  du  public,  ni  même  les 
pénétrer  ,'c  était  là  qu^ils  devaient  me  tenir,  puis- 
que, maîtres  absolus  dans  la  maison  du  prince  où 
il  n'a  lui-même  aucun  pouvoir,  ils  y  disposaient 
de  moi  tout  à  leur  gré.  Cependant,  après  avoir 
tâché  de  ma  dissuader  d  y  rentrer  et  de  me  per- 
suader d  en  sortir,  trouvant  ma  volonté  inébrân^ 
lable,  ils  ont  fini  par  mW  chasser  de  vive  force 
par  les  mains  du  sacripant  que  le  maître  avait 
chargé  de  me  protéger,  mais  qui  se  sentait  trop 
bien  protégé  ici  même  par  d^autres  pour  avoir 
peur  de  désobéir.  Que  me  veulent-ils  maintenant 
qu'ils  me  tiennent  tout-à-fait?  Je  Tignore;  je  sais 
seulement  qu  ils  ne  me  veulent  ni  à  Tiye ,  ni  dans 
une  ville,  m  au  voisinage  d'aucun  ami,  ni  même 
au  voisinage  de  personne,  et  qu'ils  ne  veulent 
autre  chose  encore  que  simplement  de  s'assurer 
de  moi.  Convenez  que  voilà  de  quoi  donner  à 
penser.  Comment  le  prince  me  protégerait-il  ail- 
leurss'il  n'a  pu  me  protéger  dans  sa  maison  même? 
Que  deviendrai-je  dans  ces  montagnes  si  je  vais 
m  y  foiurer  sans  préliminaire  •  sans  connaissance?, 
et  sûr  d^étre,  comme  partout,  la  dupe  et  la  vic- 
time du  premier  fouroe  qui  viendra  me  circonve- 
nir? Si  nous  prenons  des  arrangemens  d'avance^ 
il  arrivera  ce  qui  est  toujours  arrivé,  c'est  fpie 
M.  le  prince  de  Conti  et  madame  la  maréchale  as 
pouvant  les  cachjer  aux  machiavélistes  qui  les  en- 


toarenty  et  tjiii  se  gardent  bien  'de  laisser  voir 
leurs  desseins  secrets,  leur  donneront  le  plus  beau 
jeu  du  monde  pour  dresser  d'avance  leurs  batte- 
ries dans  le  lien  que  je  dois  habiter.  Je  serai  at- 
tendu là ,  comme  je  Tétais  à  Grenoble ,  et  comme 
je  le  suis  partout  où  Ton  sait  que  je  veux  aller.  Si 
c'est  une  maison  isolée ,  la  cbose  leur  sera  cent 
fob  fins  commode  :  ils  n'auront  à  corrompre  que 
les  gens  dont  je  dépendrai  pour  tout  et  eu  tout. 
Si  ce  n'était  que  pour  m  espionner,  à  la  bonne . 
keure,  et  très-peu  m'importe.  Mais  c  est  pour  au*, 
tre  cbose,  comme  je  vous  Tai  prouvé  ;  et  pourquoi? 
le  Tignore,  et  je  in'y  perds*,  mais  convenez  que  le 
doute  n^est  pas  attirant. 

Voilà,  monsieur^  des  considérations  que  je. 
vous  prie  de  bien  peser,  à  quoi  j  ajoute  les  incom* 
modités  infinies  d'une  habitation  isolée  pour  un . 
étrangler,  &  mon  âge  et  dans  mou  état,  la  dépense 
au  moins  triple,  les  idées  terribles  auxquelles  je  , 
dois  être  en  proie,  ainsi  séquestré  du  genre  bu- , 
main,  non  volontairement  et  par  goût,  mais  par  ; 
fiM€e  et  pour  assouvir  la  rage  de  mes  oppresseurs  :  * 
car,  d^aiUeurs,:je  vous  jure  que  mon  même  goût. 
pour  la  solitude  est  plutôt  augmenté  que  diminué 
par  mes  infortunes;  et  que,  si  j  étais  pleinement 
libre  et  maître  de  mon  sort,  je  choisirais  la  plus . 
profonde  retraite  pour  y  finir  mes  jours.  Bien  pius^ 
une  captivité  déclarée  n'aurait  rien  de  pénible  et 
de  triste  pour  moi.  Qu'on  me  traite  coigme  oo 
voudra^  pourvu  ^p»  ce  soit  ouvertement,  je  puis 


tout  sooffi'ir  sans  murmure;  mais  mon  cœur  ne 
peut  tenir  aux  flagorneries  d'mn  sot  fourbe  qui  se' 
croit  fin  parce  qu  il  est  faux.  J'étais  tranquflle  aux 
cailloux  des  assassins  de  Motiers,  et  ne  puis  Fétre 
aux  phrases  des  admirateurs  de  Grenoble. 

Il  faut  vous  dire  encore  que  ma  situation  pré- 
sente est  trop  désagréable  et  violente  pour  que  je 
tfe  saisisse  pas  la  première  occasion  den  sortir; 
ainsi  des  arrangemens  d^une  exécution  éloignée 
ne  peuvent  jamais  être  pour  moi  des  engagemens 
absolus  qui  m'obligent  ï  renoncer  aux  ressources 
qui  peuvent  se  présenter  dans  Tintervalle.  J^ai  dû, 
monsieur,  entrer  avec  vous  dans  ces  détails,  aux- 
quels je  dois  ajouter  que  l'espèce  de  liberté  de  dis- 
poser de  moi,  que  mes  ressources  me  laissent, 
n^est  pas  illimitée;  que  ma  situation  la  restreint  ' 
tous  les  jours;  que  je  ne  puis  former  des  projets 
qtie  pour  deux  ou  trois  années,  passé  lesquelles 
d^aulres  lois  ordonneront  de  mon  sort  et  de  celui 
de  ma  compagne;  mais  l'avenir  éloigné  ne  m'a 
jamais  eflrayé.  Je  sens  qu'en  général,  vivant  ou 
mort,  le  temps  est  pour  moi  ;  mes  ennemis  le  sen- 
tent aussi ,  et  cVst  ce  qui  les  désole  :  ils  se  pressent 
de  jouer  de  leur  reste;  dès  maintenant  ils  en  ont 
trop  fait  pour  que  leurs  manœuvres  pnissent  res- 
ter long-temps  cachées:  et  le  moment  qui  doit  les 
mettre  en  évidence  sera  précisément  celui  où  ils 
voudront  les  étendre  sur  l'avenir.  Vous  êtes  jeune, 
monsieui*;  souvenez-vous  de  la  prédiction  que  |o 
votts.fhis,  et  sojet  sûr  que  vous^la  verrez  accou^ 


pHe.  fi  me  reste  maintenant  à  Vous  dire  qoë^  pré* 

venu  de  tout  cela,  vous  pouvez  agir  comme  votre 

cœur  vous  inspirera ,  et  comme  votre  raison  voua 

éclairera  ;  plein  de  confiance  en  vos  sentimens  et 

eu  vos  lumières ,  certain  que  vous  n'êtes  pas  homme 

à  servir  mes  intérêts  aux  dépens  de  mon  bonneur, 

je  vous  donne  toute  ma  confiance.  Voyez  madame 

la  maréchale;  la  mienne  en  elle  est  toujours  lâ 

même.  Je  compte  également  et  sur  ses  bontés  et 

sur  celles  de  M.  le  prince  de  Couti;  mab  lun  est 

subjugué,  Tautre  ne  l'est  pas^  et  je  ratifie  d  avance 

tout  ce  que  vous  résoudrez  avec  elle,  comme  fait 

pour  mon  plus  grand  bien.  A  Fégard  du  titre  dont 

vous  me  parlez,  je  tiendrai  toujours  à  très-grand 

honneur  d'appartenir  à  S.  A.  S.,  et  il  ne  tiendra 

pas  â  moi  de  le  mériter;  mais  ce  sont  de  ces  chosel 

qui  s'acceptent  et  qili  ne  se  demandent  pas.  Je  ne 

suis  pas  encore  à  la  fin  de  mon  bavardage,  mais  je 

suis  à  la  fin  de  mon  papier  ;  j^ai  pourtant  encore  à 

vous  dire  que  l'aventure  de  Thevenim  a  produit 

sur  moi  Fefiet  que  vous  désiriez.  Je  me  trouve 

moi-ntâ^ne  fort  ridicule  d  avoir  pris  à  cœur  une 

pareille  afiaire,  ce  que  je  n'aurais  pourtant  pas 

lait,  je  vous  jure,  si  je  n'eusse  été  sûr  que  c  était 

un  drôle  aposté.  Je  désirais,  non  par  vengeance 

assurément,  mais  pour  ma  sûreté,  qu'on  dévoilât 

ses  instigateurs  :  on  tie  l'a  pas  voulu,  soit;  il  eu 

vicndLrait  mille  autres  que  je  ne  daignerais  pns 

oiefme  répondre  à  ceux  qui  m'en  parieraient  Bon- 


8o  îCOllOtESlIOimAKÇK) 

jouTi  monsieur;  je  tous  embrasse  de  tout  moit 
cœur. 

P.  S.  Joubliais  de  tous  dire  que  mon  chamoi- 
seur  est  bien  le  cordonnier  de  M.  dé  Tanley;  il 
apprit  le  métier  de  chamoiseur  à  Yyerduu  après 
sa  retraite.  «Tai  fait  faire  en  Suisse  des  informa- 
tions avec  la  déposition  juridique  et  légalisée  du 
cabaretier  Janin, 

83^. ^*  ^'  ^^  Pe TROU. 

BoorgoÎD,  le  3o  octobre  17C81 

• 

'  Voici,  jVspëre,  la  dernière  fois  que  j'aurai  i 
vous  parler  du  sieur  Thevenin,  dont  je  n'entends 
plus  parler  moi-même..  Après  les  preuves  pé» 
remptoires  que  j'ai  données,  à  M.  de  Tonnerre  de 
la  fourberie  de  cet  imposteur,  il  en  a  bien  ùiln 
convenir  à  la  fin ,  et  il  ma  oflfert  de  le  punir  par 
quelques  jours  de  prison ,  comme  si  le  but  de  tous 
tes  soins  que  j'ai  pris  et  que  j'ai  donnés  à  ce  sujet 
était  le  châtiment  de  ce  misérable.  Vous  croye2 
bien  que'  je  n^ai  pas  accepté.  L'imposteur  étant 
convaincu ,  rien  n  était  plus  aisé  que  de  le  làire 
parler  et  de  Remonter  peut'-étre  à  ia  source  de  ce 
complot  profondément  ténébreux  dont  je  suis  h 
victime  depuis  plusieurs  années,  et  dont  je  dois 
Tétre  jùsqWà  ma  mort.  Je  me  le  tiens  pour  dît  ;  ef 
prenant  enfin  mon  parti  sur  les  manoeuvres  des 
bommes,  je  les  laisserai  4ésQnnai5  ourdir  el 


iNBn&B  1768.  8  k 

leon  iniquités,  certain ,  quoi  qu'ils  puissent 
hirtj  que  le  temps  et  la  yérité  seront  plus  forts 
qu'eux*  Ce  qu'il  me  reste  de  toute  cette  affaire  est 
un  tendre  souvenir  des  soins  que  mes  amis  ont 
bien  Yonln  se  donner  en  cette  occasion ,  pour  con- 
fimdre  Hmposture,  et  je  suis  en  particulier  très- 
sensiUe  à  l'actiyité  de  M.  Guyenet ,  dont  je  n  avai^ 
pas  le  même  droit  d'en  attendre,  et  avec  qui  je 
nétais  plos  en  relation.  J apprends  qu il  com* 
mence  &  se  ranger,  et  je  mVn  réjouis  de  tout  mon 
coeur,  pour  le  bonheur  de  son  excellente  petite 
femme  et  le  sien.  Je  finis,  mon  cber  hôte,  un  peu 
à  la  hâte,  en  vous  embrassant  au  nom  de  ma 
femme  et  an  mien.  J'embrasse  M.  Jeannin. 

838.  —  A  M.  LalIuud. 

SoDiigoiit,  le  a  novemlire  1 768/ 

Depuis  la  dernière  lettre ,  monsieur,  que  je  tous 
ai  écrite,  et  dont  je  n'ai  pas  encore  la  réponse ,  j^ai 
reçu  de  Sf.  le  duc  de  Choiseul  un  passe-port  que 
je  lui  avais  demandé  pour  sortir  du  royaume  il  y 
a  près  de  six  semaines,  et  auquel  je  ne  songeais 
plus.  Bfe  sentant  de  plus  en  plus  dans  l'absolue 
néœanté  de  me  servir  de  ce  passe-port,  j'ai  déli* 
béré,  dans  la  cruelle  extrémité  où  je  me  trouve, 
et  dans  la  saison  où  nous  sommes,  sur  rusagequé 
i*en  fcnis,  ne  voulant  ni  ne  pouvant  le  laisser 
écouler  comme  l'autre.  Vous  serez  étonné  du  ré- 
sultat de  ma  délibération^  fiûte  pourtant  avec  tout 


:84  bo&RBSPOVDAKCE  j 

semble  que  si  fêtais  près  de  vous,  que  nous  nous 
embrassassions,  que  nous  pleurassions  tous  deux, 
sans  nous  rien  dire,  nos  cœurs  se  seraient  beau- 
coup dit. 

Cruel  ami,  que  de  regrets  vous  me  prépares 
dans  votre  description  de  Lavagnac!  Hélas!  ce 
beau  séjour  était  Tasile  quil  me  fallait;  j^  aurais 
oublié,  dans  un  doux  repos,  les  ennuis  de  ma  vie; 
je  pouvais  espérer  d^y  trouver  enfin  de  paisibles 
jours,  et  dy  attendre  sans  impatience  la  mort, 
qu'ailleiu*s  je  désirerai  saus  cesse.  Il  est  trop  tard. 
Laiatale  destinée  qui  m'entraîne  ordonne  autre- 
ment de  mon  sort.  Si  j'en  avais  été  le  maître ,  si  le 
prince  lui-même  eût  été  le  maître  chez  lui,  je  ne 
serais  jamais  sorti  de  Tiye,  dont  il  n'avait  rien 
épargné  pour  me  rendre  le  séjour  agréable.  Ja- 
mais prince  n'en  a  tant  &it  pour  aucun  particu- 
lier qu^il  en  a  daigné  faire  pour  moi.  Je  le  mets 
ici  à  ma  place,  disait-il  à  son  ofl^ier;  )o  veux 
quil  ait  la  même  autorité  que  moi,  et  je  n'en- 
tends pas  qu'on  lui  offre  rien,  parce  que  je  le  fais 
le  maître  de  tout.  Il  a  même  daigné  me  venir  voir 
plusieurs  fois,  souper  avec  moi  tète  k  fête,  mcdbe, 
en  présence  de  toute  sa  suite,  qu'il  venait  exprès 
pour  cela  :  et,  ce  qui  m'a  plus  touché  que  tout  k 
reste,  s  abstenir  même  de  chasser,  de  peur  que  le 
motif  de  son  voyage  ne  fût  équivoque.  £h  bien! 
cher  Moultou,  malgré  ses  soins^  ses  ordirs  tes 
plus  absolus,  malgré  le  désir,  la  passion,  jfose 
dins ,  qu'il  avait  de  me  rendre  heiveux  dans  la  r«- 


y 


AHif iB  lySSi  '85 

traite  qall  m'avait  donnée,  on  est  pairenu  à  m'en 
chasser,  et  cela  par  des  moyens  tels  que  Thorrible 
écrit  D  en  sortira  jamais  de  ma  boiidie  ni  de  ma 
plume.  Son  altesse  a  tont  su,  et  n  a  pu  désap- 
prouver ma  retraite;  les  bontés,  la  protection ^ 
Pamitié  de  ce  grand  homme,  mont  suivi  dans 
cette  province,  et  n'ont  pu  me  garantir  des  indi- 
gnités cpie  )  j  ai  souffertes.  Voyant  qu'on  ne  me 
laisserait  jamais  en  repos  dans  le  royaume,  j'ai 
résolu  d*en  sortir;  j'ai  demandé  un  passe -port  à 
M.  de  Choiseul,  qui,  après  m  avoir  laissé  long- 
temps  sans  réponse ,  vient  enfin  de  m  envojrer  ce 
passe-port.  Sa  lettre  est  très-polie,  mais  n'est  que 
cela  :  il  m*en  avait  écrit  auparavant  d'obligeantes. 
Ne  point  m'inriter  k  ne  pas  &ire  usage  de  ce  pas- 
se-port, c'est  m'inviter  en  quelque  sorte  â  en  £aiirQ 
usage.  U  ne  convient  pas  d'importuner  les  minis- 
tres pour  rien.  Cependant  depuis  le  moment  où 
f  ai  demandé  ce  passe-port  jusqu'à  celui  où  je  Fai 
obtenu,  la  snison  s'est  avancée,  les  Alpes  se  sont 
couvertes  de  glace  et  de  neige;  il  ny  a  plus 
moyen  de  songer  &  les  passer  dfans  mon  état. 
Mille  considérations  impossibles  à  détailler  dan^ 
une  lettre  m^out  forcé  à  prendre  le  parti  le  plus 
violent ,  le  plus  terrible  auquel  mon  cœur  pût  ja- 
mais se  résoudre  ;  mais  le  seulqui  m'ait  paru  me  res- 
ter,  c'est  de  repasser  en  Angleterre ,  et  d'aller  finir 
mes  malheureux  jours  dans  ma  triste  solitude  do 
Wootton,  où,  depuis  mon  dcfâri,  le  propriétaire 
ju'a  souvent  j:appelé  par  force  cajoleries.  Je  vient 


8S  CORRESPOm^AlICB , 

:de  lui  écrire  en  conséquence  de  cette  résolution  ; 
j'ai  même  écrit  aussi  à  l'ambassadeur  d'Angle- 
terre. Si  ma  proposition  est  acceptée,  comme  elle 
le  sera  in&illiklisment ,  je  ne  puis  plus  m'en  dédîr  , 
,et  il  faut  partir.  Rien  ne  peut  égaler  Diorreur  que 
im'inspire  ce  voyage;  mais  je  ne  vois  plus  de 
•moyen  de  m'en  tirer  sans  mériter  de  reproches;  et 
à  tout  âge,  surtout  au  mien,  il  vaut  mieux  être 
malheureux  que  coupable. 

.  J'aurais  doublement  tort  d'ncheter  par  rien  dte 
répréhensible  le  repos  du  peu  de  jours  qoi  me  rcs^ 
tcnt  à  passer;  mais  je  vous  avoue  que  ce  beau  sé^ 
jour  de  Lavagnac,  le  vobinage  de  M.  Vencl,  Fa* 
vantage  d'être  auprès  de  son  ami ,  par  conséquent 
d'un  honnête  homme,  au  lieu  qu'à  Trye  j'étais 
entre  les  mains  du  dernier  des  malheureux,  tout 
cda  me  suivra  en  idée  dans  ma  sombre  retraite, 
et  y  augmentera  ma  misère  pour  n'avoir  pu  faire 
mon  bonheur.  Ce  q*ii  me  tourmente  encore  plus 
en  ce  moment  est  une  lueur  de  vaine  espéranc<) 
dont  je  vois  Fillusion,  mais  qui  m'inquiète  malgré 
que  j'en  aie.  Quand  mon  sort  sera  parfaitement 
décidé,  et  qu'il  ne  me  restera qu  à  m'y  soumettre, 
j'aurai  plus  de  tranquillité.  C'est,  en  attendant , 
un  grand  soulagement  pour  mon  cœnr  d  avoir 
épanché  dans  le  vôtre  tout  ce  détail  de  ma  situa- 
tion. Au  reste,  je  suis  attendri  d'imaginer  vos 
dames,  vous,  et  M.  Yencl^  faisant  ensemble  ce 
pèlerinage  bienfaisant,  qui  mérite  mieux  que 
ceux  de  Lorette  dôlre  mis  au  nombre  des  œuvros 


Afmiz  T768.  87 

de  miscricorde.  Recercz  tous  mes  plus  tendres  ns 
mercimens  et  ceux  de  ma  femme  ;  faites  agréer  ses 
respects  et  les  miens  à  vos  dames.  Nous  vous  sa-* 
laons  et  vous  embrassons  ïwx  et  l'autre  de  tout 
notre  cœur. 

P  S,  J'ai  proposé  raltcrnativc  de  rAngletcrre 
et  de  Mînonj[ue,  que  j^aimerais  mieux  i  cause  rlu 
climat.  Si  ce  dernier  parti  est  préféré,  ne  pour- 
rions-nous  pas  nous  voir  avant  mon  départ  ^  soit 
k  Montpellier,  soit  à  Marseille? 

Autre  P.  S.  Si  )  avais  reçu  votre  lettre  avant  le 
départ  des  miennes,  je  doute  quelles,  fussent 
parties. 

&}<>•  — -  A  M.  LlLLIAim. 

Bour^ÎD,  le  7  novcBilivc  17G8. 

Dspuis  ma  dernière  lettre,  monsieur,  j  ai  reçu 
dun  ami  l'incluse,  qui  a  foxt  augmenté  mon  re^< 
gret  d^avoir  pris  mon  parti  si  brusquement;  la  si* 
tuation  charmante  de  ce  château  de  Lavagnac,  le 
maitre  auquel  il  appartient,  l'honnête  homme 
qu  il  a  pour  agent,  la  beauté,  la  douceur  du  cli- 
mat, si  convenable  à  mon  pauvre  corps  délabré, 
le  lieu  assez  solitaire  pour  èti*e  tranquille,  et  pas- 
assez  pour  être  un  désert;  tout  cela,  je  vous  ÏOr- 
voue,  si  :je  passe  en  Angleterre  ou  méme4  Alahon,. 
car  j'ai  proposé  Talternative ,  tout  cela ,  dis- je ,  ma  ' 
fera  souvent  tourner  les  yeux  et  soupirer  vers  cet  * 
agréable  agile  ^  m  bien  ùÂi  pour  me  rendre  heu^-t 


88  CORRBSPOlTDAirCE ,    . 

reux ,  si  Ton  m'y  laissait  en  paix.  Maïs  j*aî  écrit  :  sî 
l'ambassadeur  me  repond  honnêtement,  me  voilà 
engagé;  f aurais  Pair  de  me  moquer  de  lui  si  je 
changeab  de  résolution;  et  d'ailleurs  ce  serait,  en 
quelque  sorte,  marquer  peu  d'égard  pour  le  passe- 
port que  M.  de  Choiscul  a  eu  la  bonté  de  m  cn^ 
Toycr  à  ma  prière.  Les  ministres  sont  trop  occu- 
pés, et  d'afiaires  trop  importantes,  pour  qu'il  soit 
permis  de  les  importuner  inutilement;  d'ailleui'S, 
plus  je  regarde  autour  de  moi^  plus  je  yois  avec 
certitude  qu'il  se  brasse  quelque  chose  ^  sans  que 
je  puisse  deviner  quoi  Thevenin  n'a  pas  été 
aposté  pour  rien  :  il  y  avait  dans  cette  farce  ridi- 
cule quelque  vue  qu'il  m'est  impossible  de  péné- 
trer; et,  dans  la  profonde  obscurité  qui  m- envi- 
ronne, j^ai  peur  au  moindre  mouvement  de  fiiire 
un  &UX  pas.  Tout  ce  qui  m'est  arrivé  depuis  mon 
retour  en  France ,  et  depuis  mon  départ  de  Try e , 
me  montre  évidemment  qu'il  n'y  a  que  M.  le 
prince  de  Conti,  parmi  ceux  qui  m'aiment,  qui 
sache  au  vrai  le  secret  de  ma  situation ,  et  qu'il  at 
&it  tout  ce  qu'il  a  pu  pom*  la  «rendre  tranquille 
sans  pouvoir  y  réussir.  Cette  persuasion  m'arra- 
che des  élans  de  reconnaissance  et  d  attendrisse- 
ment vers  ce  grand  prince,  et  je  me  reproche  vi- 
vement mon  impatience  au  sujet  du  silence  qu'il 
a  gardé  sur  mes  deux  dernières  lettres;  car  il  y  a 
pen  de  temps  que  j'en  ai  écrit  à  son  allesse  une 
Seconde,  qn'eUe  n  a  peut-être  pas  plus  reçue  <pi6 
la. première  :  c'est  de  quoi  je  désirerais  extrd^ 


mement  d'être  instruit.  Je  n'usé  en  ajouter  ime 
pour  elle  dans  ce  pa^et,  de  peur  de  le  grossir  au 
point  de  donner  dans  la  vue;  mais  si,  dans  ce 
moment  critique,  vous  aviez  pour  moi  la  charité 
de  vous  présenter  à  sonaudiènce,  vous  me  ren* 
driez  un  office  bien  sigHalérde  Tinformer  de  ce  qui 
se  passe,  et  de  me  &ire  parvenir  son  avis,  c'est4- 
dire  ses  ordres;  car,  dûs'  tout  ce  que  j^ai  fait  de 
mon  chef,  je  n^ai  fait  que  des  sottises ,  qui  me  ser- 
viront au  moins  de  leçons  à  l'avenir ,  s'il  daigne 
encore  se  m^er  de  moi.  Demandez-lui  aussi  de 
ma  part,  je  vous  supplie,  la  permission  de  lui 
écrire  désormais  sous  votre  couvert,  puisque  sous 
le  sien  mes  lettres  ne  passent  pas. 

La  tracasserie  du  sieur  Thevenin  est  enfin  ter* 
minée  :  après  les  preuves  sans  réplique  que  j'ai 
données  à  SiL  de  Tonnerre  de  Timposture  de  ce 
coquin ,  il  m'a  oSkrt  de  le  punir  par  quelques  jours 
de  prison.  Vous  sentez  bien  que  c'est  ce  que  je  n'ai 
pas  accepté,  et  que  ce  nest  pas  de  quoi  il  était 
question.  Vous  ne  sauriez  imaginer  les  angoisses 
que  m'a  données  cette  so^te  affaire,  non  pour  ce 
misérable  à  qui  je  n'aurais  pas  daigné  répondre, 
maïs  pour  ceux  qui  l'ont  aposté,  et  que  rien  u té- 
tait plus  aisé  que  de  dénuisquer  si  on  Tcût  voulu  : 
rien  ne  m'a  mieux  fait  sentir  combien  je  suis 
inepte  et  bête  en  pareil  cas,  le  seul,  à  la  vérité, 
de  cette  espèce  où  je  me  sois  jamais  trouvé.  J'étais 
îiavré,  consterné ,  presque  tremblant  ;  je  ne  savais 
ce  que  ja  disais  en  questionnant  l'imposteur;  et 

8. 


9»  *  GORRBSPONDAVCË  , 

tiH*e,  qui  a  dans  son  cœur  la  véritable  religion, 
celle  qui  &it  les  gens  de  bien  ;  voilà  tout  ce  que  j« 


«  Sa  bourse  ne  fut  jamais  fermée  aux  malheureux  ;  on  ne  ftnt 
comprendre  qn*ayec  une  aussi  médiocre  fortune,  Ât  homme, 
désintàiesaé  )usi}u*au  blAroe,  put  donner  autant  Peraonne  à  la 
vérité  ne  fiit  plus  sobie  que  lui  et  n'eut  moins  de  besoins ,  oc 
fut  plus  propre  et  n*usa  moins. 

«<  M.  de  Saint-Germain ,  accompagné  d'une  autre  pcftonne , 
fiit  visiter  M.  Rousseau  4ui  s'était  retiré  4  la  campagne.  Piu 
api-ùs  leur  arrivée  un  honmie  vint  frapper  4  la  perle.  M.  Roas-* 
s?au  se  lève,  lui  ouvre,  ei  lui  dit  de  rdvecir.  L'homme  insista 
en  disant  qu'il  venait  de  loin,  et  qu'il  avait  besoin  de  son  argent. 
Alors  il  le  fit  entrer,  et  ces  àeva.  messieurs  virent  sept  i  huit 
^  étemens  de  diffîrente  taille  que  cet  homme  apportaîc  M.Rous- 
9-^u  liû  demanda  ce  qu^l  fad  fallait,  il  répondit,  dhc-hnif 
francs ,  il  lui  fiirent  payés.  Voyant  que  ces  messieurs  s'ctaieot 
aperçus  de  ce  qu'il  voulait  leur  cacher,  M.  Rousseau  leur  dit  r 
C'est  une  Êimille  qui  n'est  pas  vêtue  :  il  ne  &ut  pas  croire  que 
de  donner  vingt-quatre  sous  ou  im  petit  ^cu  à  l'impôt tonilè 
d'fan  pauvre,  ce  soit  remplir  les  obligations  de  la  charitd  U  Caut 
chercher  le  besoin  où  il  est...,  etc. 

«  Pourrait-on  aoire  que  M.  Rousseau  avec  'des  weotàntwt 
pireils ,  sontenus  par  une  pratique  habîiuelle ,  ait  pu  être  un 
empoisonneur,  un  fripon  ?  Il  est  cependant  yrai  qu'au  sujet  èm 
son  goût  pour  la  recherche  des  plantes  il  a  été  taxe'  d'y  cherdirr 
du  poison ,  et  qu'on  a  cité  un  homme  sur  lequel  on  prétendait 
qu'il  en  avait  fait  l'essai ,  parce  qu'il  mourut  dans  les  douleurs 
d'une  colique  néphrétique ,  malgré  tous  les  secours  que  lut  pro- 
cura M.  Rousseau.  Obligé  de  subir  une  confrontation  «vee  UD 
ouvrier,  il  confondit  cet  imposteur,  qui  disait  lui  avoir  prête,  à 
NeufchAtel,  neuf  firancs,  que  M.  Rousseau  n'avait  ji 
vooln  lui  rendre... 

(c  Un  ièrmier  qui  avait  fourni  prndant  quinte  mob  à  U.  R4 
mMU  des  œahf  du  benire,  du  fromage,  qui  toniours  en  avait 
éU  payé  beaucoup  au-delà  de  oe  ^  bchow  valait,  et  ijui  «b 


XNirEE  1768.  ci 

cherctie.  On  ne  séduit  pas  M.  de  Saint-Grermain , 
on  rintiniide  encore  moins;  passez -moi,  mon- 
sieur, la  Êimiliarité  du  terme  :  vous  êtes  précisé- 
ment rhomme  qu'il  me  &ut. 

Saurais,  monsieur,  à  mettre  en  dépât  dans  le 
oGeur  d'un  honnête  homme  des  confidences  qui 
n'en  sont  pas  indignes,  et  qui  soulageraient  le 
mien.  Si  vous  voulez  bien  être  ce  généreux  dépo- 
sitaire, ayez  la  bonté  de  m'assigner  chez  vous 
ilieure  et  le  jour  d'une  audience  paisible,  et  je 
m  y  rendrai.  Je  tous  préviens  que  ma  confiance 
ne  sera  mêlée  d'ancnne  indiscrétion;  que  je  nai 
à  vous  demander  ni  soins,  ni  conseils,  ni  rien  qui 
puisse  vous  donner  la  moindre  peine  ou  vou^i 
compromette  en  aucune  fiiçon  {  vous  naurez 
d'autre  usage  à  fiiire  de  ma  confidence  que  d^eii 
honorer  nn  jour  ma  mémoire,  quand  il  n'y  aura 

outre  avait  reçu  de  lui,  ainsi  que  sa  fiunîlley  mille  bien&ils,  ei:( 
nngntttude  et  b  mauTaise  foi  de  lui  euToyer  un  mëmoin:  qutt 
ce  CenBÎer  affinnaît  lui  éUv  dA,  eC  ne  lui  avov  pa»  hé  payé  pac 
il.  RouaMan  avast  sob  dopait.  Celt*  demande/  vérifiée  par 
M.  de  Saint-Germain,  £at  prouvée  &us8e. 

«t  Une  lemme  d«  cfaarabre,  prétendant  à  l'esprit,  fatiguait 
H.  Rousseau  par  des  visiiea  continuelles  :  fiuieuse  de  ce  qu'il 
l'avait  ciiassëe  de  chez  Hù,  elle'dSt  qu'il-  l'avait  voulu  vioitn*«  et 
ae  bruit  se  répandit  partout. 

«  Tous  œa  événemens,  quoique  f^beux^  n'auraient -pas  dA 
aflferter  Bf.  Rousseau  au  point  où  U  l'était,  encore  moins  lui 
prrsaaderque  ces  calomnies  grossières  étaient  louvrage  de  ses 
cttoeinis;  autant  à' plaindre  qu'a  bVoner,  U  était,  par  sa  sensi- 
lâliii  et  ta  méfiaqçei  ion  plus  cruel  cnnenu  ^  lûi-jmêmer,.,  eic.» 


94  CORRESPONDANCE, 

plu5  de  risque  à  parler.  Je  ne  vous  dis  rien  de  mes 
sentioiens  pour  vous,  mais  je  vous  en  donoe  la 
preuve^ 

84a. ▲  M.  LE  COMTE  DE  ToNNERRB, 

Eo  lui  envoyant  récrit  suivant 

Bôurgoin,  le  9  novembre  1768. 

MoxsxEtm, 

J'ai  rhonneur  de  vous  envoyer  ci-jointe  la  d^- 
claratioB  juridique  dusieur  JeanDet(^),cabaretier 
des  Verrières,  relative  k  celle  du  sieur  Thevleniu. 
De  peur  d'abuser  de  votre  patience ,  je  m'abstiens 
de  joindre  &  cette  pièce  ceQes  que  j'ai^  reçues  en 
même  temps,  puisqu  elle  suffit  seule  à  la  suite  dea 
preuves  que  vous  avez  déjà  pour  démontrer  plei« 
nement^  non  1  erreur,  mais  Timposture  de  ce  der* 
nier.  Je  n  aurais  assurément  pas  eu  FindiscrétioD 
de  vous  importuner  de  cette  ridicule  affaire;  si  le 
ton  décidé  sur  lequel  M.  Bovier  se  faisait  le  por^ 
teur  de  parole  de  ce  misérable  neût  excité  ma 
)nste  indignation.  Vous  m'avez  &it  l'honneur  de 
me  marquer  qu'après  ce  qui  s^est  passé  mon  pré- 
tendu créancier  se  tleudia  pour  dit  quHl  ne  sau- 
rait se  flatter  de  trouver  eu  moi  son  débiteur. 
VoiU,  monsieur  le  comte,  de  quoi  jamais  il  n* 
«'est  flatté,  je  vous  assure;  mais  il  s^'esl  flatté,  pie- 

(*)  Ce  Jeoimet  eit  nommé  Jani'n  dans  les  lettres  préoédentrs.; 
c^  suBi  A>ntft  niKaywmde  Roweau,  ^lu  avait  éié  mal  infonai. 


ANNEE  1768.  gS 

mièrement ,  de  mentir  et  m'ayilir  à  son  aise  ;  puis , 
dprès  avoir  dit  tout  ce  qu*il  voulait  dire, et  n^ayanC 
phis  qu'à  se  taire,  de  se  taire  er suite  tranquille- 
ment; et,  s'il  était  enfin  convaincu  d'être  un  im« 
posteur,  de  sortir  néanmouis  de  cette  affaire, 
confondu,  très -peu  lui  importe,  mais  impuni,, 
mais  triomphant  Pour  un  homme  qui  parait  si 
lête,  je  trouve  qu  il  n'a  pas  trop  mal  calcule. 

Je  vous  supplie,  monsieur,  de  vouloir  bien  ôr« 
donner,  k  votre  commodité,  que  les  deux  pièces 
ci -jointes  me  soient  renvoyées  avec  la  lettre  de 
M.  lloguin.  Je  sens  que  j  ai  fort  abusé,  dans  cetlç 
ûccasion,de  la  permission  que  vous  m'avez  donnée 
de  feire  venir  mes  lettres  sous  votre  pli.  Je  serai 
plus  discret  à  l'avenir;  et  si limpunitedu premier 
fourbe  en  suscite  d^autrcs ,  elle  me  servira  de  leçon 
pour  ne  m'en  plus  tourmenter. 

J'ai  VhonneuT,  M.  le  comte ,  de  vous  assurer  d« 
tout  mon  respect. 

DÉCLARATION  JURIDIQUE  DU  SIEUR  JEANNST, 

L'an  1768,  et  le  dix-neuvième  }our  du  mois  de 
septembre ,  par-devant  noble  et  prudent  Cbarle#* 
Auguste  du  Ferraux,  bourgeois  de  Neucbâtel  et 
de  Romain-Motiers,  maire  pour  sa  majesté  le  roi 
de  Prusse,  notre  souverain  prince  et  seigneur,  en 
la  juridiction  des  Verrières,  administrant  justiCiO 
par  jour  extraordinaire,  mais  aux  lieu  et  heurp 
accoutumés,  et  en  la  présence  des  sieurs  furés  en 
icdle  après  nommés  ;  '  * 


06  CORIl£S?OimANCE, 

PcrsonucUcmeiit  est  compara  AL  Guyenel ,  re- 
ccyeur  pour  sa  majesté,  et  lieutenant  en  ihonc»- 
rable  cour  de  jn&tice  du  Yal-de-Travers ,  qui  a  rc^ 
présenté  cpi'ayant  reçu  depuis  peu  une  lettre  de 
AI.  J.  J.  Rousseau,  datée  de  Bourgoin,  du  8  du 
courant,  par  laq[uclle  il  lui  jnaïque  que  le  nommé 
Thevenin ,  chamois)eur  de  sa  profession ,  lui  ayani 
fait  demander  neuf  livres  argent  de  France,  qull 
prétend  lui  avoir  fait  remettre  en  prét^  an  logis 
du  Soleil,  à  ,Saint-3uIpice^  il  y  a  à  peu  près  dix 
ans;  et  comme  cet  article  est  trop  intéressant  à 
l'honneur  de  mendit  sieur  Rousseau  pour  ne  pas 
Véclaircir,yu  et. d'autant  qu'il  n.'a  jamais  &tjé  dans 
le  cas  d'emprunter  cette  somme  dndit  Thevenin, 
et  que  ,cet  article  est  contr(ui¥é;  c^est  pourquoi 
if^ondit  sieur  le  lieutenant  Guyenet  se  présente 
aujourd'hui  par-devant  cette  honorable  justice, 
p^mr  roquérirque,  par  reconnaissance,  il  poisse 
justifier  aulhentiquement  ce  qu^il  Tient  d'avancer^ 
«'lyant  pour  cet  effet  fait  citer  en  témoignage  le 
sieur  Jean -Henri  Jeannet,  cabaretler  de  ce  lieu^ 
présent ,  lequel  et  par  qui  l'argent  que  répète  ledit 
Thevenin  k  mondit  sieur  Rousseau,  doit,  suivant 
lui,  avoir  été  remis;  requérant  qu avant  de  faire 
déposer  ledit  sieur  Jeannet ^  il  y  soit  appointé,  ce 
qui  a  été  âounu. 

Et  pour  y  satisfaire ,  ledit  sieur  Jeannet  étant 
comparu^  a^  après  serment  intime  sur  les  inter- 
rogats  circonstanciés  a  Jui  adressés ,  tendan»  à  dire 


AmdK  1768.       "  97 

tout  ce  qn'il  |>eut  sayoïr  de  cette  afitttê,  dépoté 
comme  suit  ; 

Qull  n^a  aucune  connaissance  que  le  noBioié 
Thevenin,  chamoiseor,  ait  japiais  prêté  chez  loi, 
déposant,  ni  ailleurs,  aucun  argent  à  Al  Jeai^ 
Jacques  Rousseau  pendant  tout  le  laps  de  temps 
qu^il  a  demeuré  dans  ce  pays^  n'ayaînt  jamais  eu 
l'honneur  de  yoir  dans  son  logis  mondit  sieur 
Rousseau;  bien  est- il  vrai  qu'il  y  a  à  peu  près 
cinq  ans  qu^il  le  vit  s'en  revenant  du  côté  de  Pon« 
tarlier,  sans  lui  avoir  parlé  ni  lavoir  revu  dès 
lors. 

Il  se  rappelle  aussi  ti«s-bien  ju'en  176a,  pe*. 
dant  le  courant  du  mois  de  mai,  arriva  chez  iu| 
un  nommé  Thevenin ,  qui  se  disait  être  de  la  Ch^ 
rité-sur-Loire,  réfugié  dans  ce  pays  pour  éviter 
Teffet  d'une  lettre  de  cachet  obtenue  contre  lui| 
lequel  était  accompagné  du  nommé  GuiUohel  ^ 
marchand  horloger  du  même  lieu  ;  ledit  Thevenia  ; 
n'ayant  séjourné  chez  hii  que  huit  à  dix  joarn, 
pendant  lequd  temps  arriva  encore  dans  son  • 
logis  un  nommé  Decustreau,  qu^ll  connaissait  4^/ 
puis  près  de  vingt  ans^  pour  avpir  Ipgé  ches  kd 
à  diffirente»  fois,  et  duquel  il  peut  produire  des 
lettres. 

Ledit  Decustreau  partit  au  bout  de  quelques 
jours  pour  Nenchâtel  ;  Thevenin  avec  lui  Jeann^ 
raccompagnèrent  jusqu'à  Saint-Sulpice,  au  logis* 
du  Soleil, oi^  ils  dipèrent.  Après  le  départ  dudit 
Decustreau,  ledit  Thevenin  demanda  au  déposait 


«'il  €oiiiiat9$ait  kdit  Oecostreau  ^  il  lui  répond 
^u'il  le  connaissait  pour  avoir  logé  chez  lui.  Cette 
deu.andie  dudit  ïfaevenio  ayant  excité  au  dépo- 
sant la  ciu*io3ité  dappreodre  de  lui  pourquoi  il 
lui  formiait  cette  question  j  ledit  TheTenin  lui  ré- 
pondit que  c'était  à  cause  d  un  écu  de  trois  livres 
(^11  avait  prêté  audit  Decustreau  sur  la  demande 
quil  lui  en  avait  faite.  Et  enfin  ledit  sieur  Jeannet 
ajoute  que  pendant  tout  le  temps  que  ledit  The- 
Vi^nin  a  resté  chez  lui,  il  ne  lui  a  point  parlé  de 
M»  Rousseau,  ni  dit  qu'il  eût  la  moindre  chose  i 
faire  avec  lui  ;  que  ledit  Thcvenin,  lorsqu'il  ar 
riva  dans  ce  pays,  n^avait  point  de  profesmon, 
ayant  dès  lors  appris  celle  de  chamoiseur  à  Esta- 
vayé-Ie-Lac. 

'  C  Wt  tout  ce  que  ledit 'sieur  Jeoxmet  a  déclaré 
savoir  sur  cette  affaire. 

Enfin  mondit  sieur  le  lieutenant  a  contiaué  à 
dire  quêtant  nécessaire  à  M.  Rousseau  d  avoir  le 
tout  par  écrit,  pour  lui  aervir^en  cas  de  besoÎB^il 
demandait  que  par  connaissance  il  lui  fat  adjugé; 
oo'quiiuiaété. 

.  Connu  et  jugé  par  les  sieurs  Jacques  Lambelet , 
dojten  ^  et  Jacob  Perroud ,  tous  deux  justiciers  du- 
dit  lieu;  et  par  mondit  sieur  le  maire  ordonné  aa 
notaire  soussignée  greffier  des  Verrières^  de  lui  en 
fam  1  expédition  en  cette  fonne.  Le  jour  prédit^ 
i^  septembre  i;€r; 

Far  ordonnance.  Signé  JnAXJàQsupt, 


miÉB  1768.  99 

&43« A  M.  DE  SAlin-GsRIUIll. 

t 

A  Boixrgoio ,  le  1 3  noTembre  1 768. 

BIardi,  monsieur,  vous  n'êtes  pas  libre,  ni 
moi  mercredi;  le  jendi  même  est  douteux  :  reste 
donc  demain  y  lundi ,  pour  ne  pas  aller  trop  loin. 
Il  me  serait  moins  incommode,. il  faut  lavouer, 
que  TOUS  me  fissiez  rfaonneur  de  yenir  manger 
mon  potage;  mais  comme  une  soupe  de  cabaret 
n  est  pas  tropprésentable,etque  jyperdrais  l'hon- 
neur de  dîner  avec  madame  de  Saint-Germain ,  je 
préfère ,  monsieur,  de  profiter  de  votre  invitation , 
eu  la  priant  de  permettt^  que  faille  demain  lui 
demander  i  dîner.  S'a  faisait  beau  demain ,  sur 
les  dix  heures,  jlrais  vous  proposer  une  prome- 
nade jusqu^â  midi ,  à  moins  que  vous  ne  la  pré- 
férassiez de  nos  cétés,  où'  il  y  a  d'assez  belles 
prairies. 

Ne  craignez  pas,  monsieur,  d'entendre  de  ma 
part  rierî  qui  vous  puisse  déplaire  :  je  respecté  trop 
pour  cela  et  vous  et  vos  sentlmens;  et  les  miens, 
que  je  vois  bien  qui  ne  tous  sont  pas  connus,  en 
sont  moins  éloignés  que  vous  ne  pensez.  Mais  ce 
ilVst  pas  de  cela  qu'il  s'agira. 

Je  sub  bien  sensible,  monsiénrj  à  votre  com- 
plaisance; vo^us  ne  tarderez  pas  d^en  connaîtra' fe 
prix.  Si  j'avais  trouvé  plus  tôt  un  coeur  au^i^elle 
nlcD  psÂt  s'ouvrir  yj'attwsiQiMiiQrtd^ipoinsviy^s 
augoisseSy  et  ma  laisM  «s^ei  tirQuveFaii  mîsiuu  A 


deinain  donc,  monsieur,  puisque  vous  le  yoiiles 
bien.  Permettez  que  je  présente  mon  respect  trè»* 
humble  à  madame  de  Saint-Germain» 

Kbvôv, 

844'  -^  A  M,  LE  COMTE  DE  ToiVNERRE* 

fioatgoin,  le  i6  navtaihtt  iyGS, 
MoifSIBUlL  j 

Pardon  de  mes  importunités  réitérées;  mais  je 
ne  puis  me  dispenser  de  vous  envoyer  encors 
.  l'imprimé  ci-joint  qu^on  n  a  pu  recouvrer  plus 
tôt  (*)•  Vous  y  verrez ,  M.  le  comte ,  que  ceux  qui 
ont  aposté  le  sieur  Thevenin  ont  su  choisir  un 
sujet  déjà  expérimenté  dans  le  métier  qu'Us  lui 
disaient  faire. 

Je  ne  puis  penser ,  monsieur ,  que  vous  m  ajez 
pu  croire  dansPâme  assez  de  bassesse  pour  vou- 
loir me  venger  d  un  tel  malheureux.  Moi  qui  ja- 
^mais  n^ai  fait,  ni  rendu,  ni  voulu  le  moindre  mal 
à  personne ,  commenc^ais-je  si  tard  et  sur  un  pa* 
reil  personnage?  Non,  monsieur,  je  nai  point 
.désiré  sa  punition,  mais  sa  confession,  et  cVst  ce 
que  sa  conviction  devait  u^aturellement  produire, 
si  Ton  en  eût  profité  pour  remonter  à  la  source  de 
sçs  menées.  Mais  c'est  ce  qui  commence  à  desvenir 
superflu;  et  sans  que.V^utorité  ni  moi  nous  en 

{*)  CVtait  un  arrêt  dû  parkmeot  de  ^arît,  du  i  o  man  i  ^  6 1 , 
^i  tendamnalt  T^eremn  au  carcao ,  a  6tre  marqué ,  et  m  g^ 
Utm  pour  UDW  Uf  I  pour  inipocturM  «t  cotoeyiMf. 


lySê.  toi 

uSlioiis  en  aiicane  manière-,  je  pré?oU  qtie  kt 
public  ne  tardera  pas  à  savoir  à  quoi  s^en  tenir. 

Permettez  que  je  vous  réitère  ici  mes  action» 
de  grâce  des  bontés  dont  vous  m'ayez  honoré,  é€ 
mes  excuses  de  Tabus  que  j'en  ai  pu  faire  ;  et  daU 
gnez ,  monsieur ,  agréer  ^  je  tous  supplie ,  les  assu*; 
fsmces  de  mon  respect* 

P.  5.  Je  prends  la  liberté  d'exiger,  monsieur , 
que  TOUS  ne  fassiez  aucun  usage  de  cet  imprimé. 
U  est  pour  tous  seul,  et  pour  être  brAlé  après  Fa^ 
Voir  lu,  à  moins  qçe  vous  n'aimiez  mieux  le  gar- 
der, mais  de  Êiçon  qu'il  ne  puisse  nuire  i  celui 
qu'il  concerne* 

845.  -r-  A  liL  MotJLTOV. 

BovigQÎii,  la  ai  novumBre  1768e 

Tai,  mon  ami,  yotre  lettre  du  i4*  Je  ne  pui^ 
me  détacher  de  Tidée  d*aller  vous  emlwasser  ef, 
délibérer  avec  vous  de  ma  destination  ullérienre. 
Je  n^ai  point  encore  de  réponse  de  l'ambassadeur 
d'Angleterre  :  il  n'était  pas  à  Paris  quand  je  lui  al 
écrit;  et  jai  appris  dans  Imtervaue  qu'il  avait 
Honnête  Walpole  pour  secrétaire  d^ambassade  •: 
cette  nouvelle  a  achevé  de  me  déterminer.  Je  n'i-. 
rai  point  en  Angleterre  :  on  me  traitera  comme 
on  voudra  en  France,  mais  je  suis  déterminé  à  y 
rester.  Je  ne  puis  renoncer  à  lespérance  qu'au 
moins ,  pour  Thonneur  de  l'hospitalité  française  ^ 
il  s'y  trouvera  quelque  coin  oti Ton  voudra  bien 

g. 


toi  CORRBSPOfrioiKGB, 

me  laisser  mourir  en  repos.  Si  ce  coin ,  cher  MouI« 
ton ,  en  pouvait  être  un  du  château  du  Lavagnac  ^ 
il  me  semble  ^e  sous  les  auspices  de  lamitié  fha- 
bitation  m*en  serait  délicieuse.  Malheureusement 
j  écris  inutilement  i  M..le  prince  de  Conti  ]  mes  let- 
tres ne  lui  parviennent  point.  D  me  répondait  fort 
exactement  au  commencement^  H  ne  me  r^ond 
plus  :  il  ma  fait  dire  qu'il  ne  recevait  point  de 
mes  nouvelles.  Les  négociations-  intermédiaires 
ont  leurs  inconvéniens.  La  g'nérosité  de  ce  grand 
prince  m'a  accoutumé  à  accepter*  et  non  pas  k 
demander  :  je  ne  puis  me  résoudre  à  changei<  de 
méthode.  Si  Tami  de  M.  Vencl,  aui  commande 
dans  le  château,  veut  ^rire,  à  la  bonne  heure,  je 
lui  en  serai  obligé;  pour  moi  je  n'écrirai  pas. Mais 
dites-moi,  n^  a-t-U  d^fus  le  pays  aucune  habita- 
tion (jui  pût  me  convenir  que  ce  château?  Le  bon 
'  M.  Venel  ne  pourrait-il  pas  me  trouver  un  terrier 
à  Pézénasmôme,  ou  aux  en  virons?  Pourvu  que  je 
sois  son  voisin ,  que  m'importe  en  quel  lieu  j'ha- 
bite? Si  nous  étions  dans  une  meilleure  saison,  si 
le  voyage  était  moins  pénible,  si  j'avais  plus  de 
fecilités  pour  le  faire ^  je  volerais  près  de  vous; 
mais  mon  transport  et  celui  de  tout  mon  attirail 
de  botanique  est  embarrassant.  Je  ne  suis  point  ft 

Eortéc  dlci  d^avoir  des  voitures.  Il  me  &udrait  un 
on  carrossin  qui  pût  charger  avec  nous  cinq  ou 
^ix  n^alle^,  ou  caisses;  il  me  âudrait  un  bon  voi- 
turier ,  qui  notis  conduisit  Iiien  et  qui  ftH  honnête 
liomme  :  j'ai  pensé  qu6  cela  se  pourrait  trouver 


où  tons  êtes  ;  et  ^c  vous  pourridz  être  â  pork'c 
de  faire  pour  moi  ce  marché,  et  c|e  in  envoyer  la 
voiture  au  temps  convenu.  Voyez.  Ah!  si  vous 
pouviez  faire  pins  !  Mais  madame  Moultou  y  votre 
santé ,  vos  affaires  !  et  quand  tout  vous  le  permet 
trait,  je  ne  devrais  pas  le  s<mf&ir.  Quoi  qull  en 
soit^  j'ai  le  plus  grand  dësb  de  me  rendre  auprès 
de  vous,  et  cela  d^autant  plus  que  j'ai  quelques 
lieu  de  croire  qu'on  m  y  verrait  avec  plus  de  plai- 
«I  qu'ici. 

Jai  reçu  depuis  peu,  avec  le  reste  de  mes 
plantes  et  bouquins,  une  lettre  que  M.  de  Gouan 
m'écrivait  à  Trye  :  elle  est  de  si  vieille  date  que  je 
ne  sais  plus  comment  y  répondre.  U  m^accusera 
de  iDaihonnéteté  envers  lui,  moi  qui  voudrais  tout 
ihire  pour  obtenir  sestnstractîons  et  sa  corres- 
pondance, et  que  ce  désir  anime  encore  k  me 
rendre  à  Montpellîer.  SI  votns  le  connaissez ,  si 
vous  le  voyez,  obtenez -moi,  je  vous  prie,  ses 
f>oanes  grâces,  en  attendant  que  je  sois  i  portée 
de  les  cultiver.  Quel  trésor  vous  m'annoncez  dans 
Ilierbier  des  plantes  marines!  Que  je  suis  touché 
delà  générosité  de  votre  digne  parent!  Elle  xcf 
f<7a,avrc  celle  du  brave  Dombey,  une  collection 
complète,  sortoiit  si  M.  Gouan.veut  bien  y  ajoi;^- 
ter  quelques  finaginens  de  ses  dernières  dépouillds 
des  Pyiéaées.  Que  je  vaia  être  riche!  Je  tms  si 
avare  et  sr  en&nt  que  Je  cœur  m'en  bat  é^  piq. 
Gaide^moî  bîen  prâci^uaoment-celMfinppféseftt, 


ro4  co&ùWQsrftAAicB, 

je  vous  prieVjusqu'à  ce  qu'il  soit  décî33  ^  Je  loi 

OU  de  moi  ira  jomdrê  Faulre. 

Jai  été  très-makde)  Irâsr-agité  de  peine  et  de 
fièvre  ces  temps  derniers  ;  maintenant  je  sois  tian- 

?uille,  mais  très-&iBle.  J*aime  mieux  cet  état  que 
autre  ;  et  j^aur4i  peu  de  regret  aux  forces  qui  me 
manquent  s'il  m.eii  reste  assez  pour  vous  aller 
voir.  Adieu,  cher  Moultou;  faites  agréer  à  ma« 
dame  les  hommages  et  respects  de  votre  vieux  ami 
et  de  sa  femme.  Nous  vous  embrassons  l'un  el 
Tautre  de  tout  notre  cœur. 

846.  —  A  M.  DU  Pbyrou. 

BoDigoin ,  le  2 1  nOTemlve  1 768L 

,  Se  vous  remercie  >  mon  cher  h Ate  y  de  l'arrêt  de 
Ihcvenin;,  je  Far  envoyé  à  M.  de  Tonnerre^  avec 
condition  expresse,  qui  du  reste  n était  pas  fort 
nécessaire  à  stipuler,  de  n'en  &ire  aucun  usag» 
qui  pût  nuire  à  ce  malheureux.  Votre  supposition 
qu'il  a  été  la  dupe  d'un  autre  imposteur  est  abso- 
lument incompatible  avec  ses  propres  dëclanb> 
tiens,  avec  celles  du  cabaretier  Jeannet ,  et  avec 
tout  ce  qui  s'est  passé;  cependant  si  vous  voules 
absolument  vous  y  tenir ,  soit.  Vous  dites  que  mes 
ennemis  ont  trop  d'esprit  pour  choisir  une  ca* 
lomnie  aus^i  absurde  :  prenez  garde  qu'en  leia 
iaccofdant'tant  d  esprit  vous  ne  leur  en  accordies 
pas  ^coré  assez;. car  leur  JohjeX  n'étant  que  de 
.voir  queUd^ioAteftanoe*  jo  tenfûs  vis*4-vis  d'oft 


AimiB  1768.  <io5 

faux  témoin  ^  il  est  clair  que  plus  l'accttsation 
était  absurde  et  ridicule^  jlns  elle  allait  à  leor 
but  :  si  ce  but  eût  été  de  persuader  le  public^  vous 
auriez  raison  j  mais  il  était  autre.  On  savait  très- 
bien  que  je  me  tirerab  de  cette  afiaire  ;  mab  on 
roulait  yoir  comment  je  m'en  tirerais;  voilà  tout. 
On  sait  que  Thevenin  ne  m^a  pas  prêté  neuf 
francs 9  peu  importe;  mais  on  sait  qu'un  impos- 
teur peut  m'embarrasser;  c'est  quelque  cbose. 

Vos  maximes  )  mon  très-cber  hôte^  sont  très- 
stoiqucs  et  très -belles ,  quoique  un  peu  outrées  , 
comme  sont  celles  de  Sénèque,  et  généralement 
celles  de  tous  ceux  qui  philosophent  tranquille- 
ment dans  leur  cabinet  sur  les  malheurs  dont  ils 
son  t  loin ,  et  sur  Topinion  des  hommes  qui  les  ho- 
nore.  J'ai  appris  assurément  à  n'estimer  l'opinion 
d'autrui  que  ce  qu'elle  vaut,  et  je  crois  savoir  du 
moins  aussi  bien  que  vous  de  combien  de  choses 
la  paix  de  lame  dédommage;  mais  que  seule  elle 
tienne  lieu  de  tout  et  rende  seule  heureux  les  in- 
fortunés, voilà  ce  que  j'avoue  ne  pouvoir  ad- 
mettre; ne  pouvant,  tant  que  je  suis  homme,* 
compter  totalement  pour  rien  la  voix  de  la  na- 
ture pâtissante  et  le  cri  de  l'innocence  avilie. 
ToutefiMS,  comme  il  nous  importe  toujours,  et 
surtout  dans  l'adversité,  de  tendre  k  cette  impas- 
sibilité sublinie  k  laquelle  vous  dites  être  parvenu', 
|e  tâcherai  de  profiter  de  vos  sentences,  et  d'y 
faire  la  réponse  que  fit  l'architecte  athénien  k  la 
baiangue  de  l'autre  ;  Ce  qiiil  a  dit,  je  le  ferai: 


«o8  eOUSSPOlfBAKCB  f 

mente  ;  je  les  aime ,  et  il  &ut  que  je  les  quitte  ;  me» 
plantes  ne  m'amusent  plus  :  je  ne  fais  que  chanter 
des  strophes  du  Tasse;  il  est  étonnant  quel  charme 
je  trouve  dans  ce  chant  ayee  ma  pauvre  voix  cas* 
sée  et  déjà  trembiottante.  Je  me  mis  hier  tout  en 
larmes,  sans  presque  m^en  apercevoir,  en  chantant 
l'histoire  d^Olinde  et  de  Sophronie;  si  j'avais  une 
pauvre  petite  épinette  pour  soutenir  un  peu  ma 
voix  &iblissante,  je  chanterais  du  matin  jusqu^au 
soir,  n  est  impossible  à  ma  mauvaise  tête  de  re- 
noncer aux  chAteaux  en  Espagne.  Le  foin  de  la 
cour  du  château  de  Lavagnac,  une  épinette,  et 
mon  Tasse,  voilà  ce  qui  m^occupe  aujonrdliui 
malgré  moi.  Bonjour,  monsieur  :  ma  femme  vous 
salue  de  tout'Son  cœur;  j'en  £iis  de  même;  nom 
vous  aimons  tous  deux  bien  sincère^^ent 

848. — A  MADAioi  LA  pnisiuxirTE  BB  Ybkva^ 

Bourgoin,  le  %  décembre  1 768. 

Laissons  à  part,  madame,  je  vous  supplie,  les 
livres  et  leurs  auteurs.  Je  suis  si  sensible  à  votre 
obligeante  invitation,  que  si  ma  santé  me  per- 
mettait de  Étire  en  cette  saison  des  voyages  de 
plaisir,  j'en  ferais  un  bien  volontiers  pour  aller 
vous  remercier.  Ce  qu^  vous  avez  la  bonté  de  me 
dire,  madame,  des  étangs  et  des  montagnes  de 
votre  contrée,  ajouterait  à  mon  empressement ^ 
mais  n'en  serait  pas  la  première  cause.  On  dit  que 
la  grotte  de  la  'Bsimfi  est  de  vos  côté^}  c'est  encore 


on  objet  de  promenade  et  m^me  dlabiUtioD  y  si 
je  poayais  mVn  pratiqaer  une  dont  les  fourbes  et 
ks  chaayes-sonris  n^approchasseot  pas.  A  l^égard 
de  Tétode  des  plantes,  pennetles,  madame,  que 
je  la  fasse  en  naturaliste  ,  et  aon  pas  en  apothi- 
caire :  car,  outre  que  je  n'ai  qu'une  foi  très-mé- 
diocre à  la  médecine^  je  connais  l'organisation 
des  plantes  sur  la  foi  de  la  nature,  qui  ne  ment 
point,  et  je  ne  connais  leurs  ycrtus  médicinales 
que  sur  la  foi  des  bonunes,  qui  sont  menteurs.  Je 
ne  sms  pas  d'humeur  i  les  croire  sur  leur  parole, 
ni  à  portée  de  la  yérifier»  Ainsi,  quant  à  moi, 
faime  cent  fois  mieux  yoir  dans  l'émail  des  prés 
des  guirlandes  pour  les  bergères  que  des  herbes 
pour  les  layemens.  Puisse- je,  madame,  aussit&t 
que  le  printemps  ramènera  la  yerdnre,  aUer  faire 
dans  yos  cantons  des  herborisations  qui  ne  pour* 
ront  qu'être  abondantes. et  brillantes,  si  je  juge 
par  les  fleurs  que  répand  yotre  plume  de  celles 
qui  doiyent  naître  autour  de  yous.  Ap'éez,  ma- 
dame, et  fiâtes  agréer  à  M.  le  président,  je  yous 
supplie,  ks  assurances  de  tout  mon  respect. 

Rekov. 

1k>ùrgoiD,k  la  èkeaJaté  1768. 

Toici,  numsienr,  une  lettre  à  laquelle  je  yous 
prie  de  youioir  bien  donner  cours  :  elle  est  pour 
H.  Dayenport,  qui  m'a  écrit  trop  honnêtement 


1 10  CORRESPONDANCE  , 

pour  que  je  puisse  me  dispenser  de  lui  donner 
avis  que  j'ai  changé  de  résolution.  J  espère  que 
ma  précédente  ayec  Tincluse  vous  sera  bien  par- 
venue j  et  j'en  attends  la  réponse  a/u  premier  jour. 
Je  suis  assez  content  de  mon  état  présent  ;  je  passe 
entre  mon  Tasse  et  mon  herbier  des  heures  assez 
rapides  pour  me  faire  sentir  combien  il  est  ridi- 
cule de  donner  tant  d'importance  à  une  existence 
aussi  fugitive  :  j'attends  sans  impatience  queuta 
mienne  soit  fixée;  elle  lest  par  tout  ce  qui  dé- 
pendait de  moi;  le  reste,  qui  devient  tous  les 
jours  moindre,  est  à  la  merci  dss  la  nature  et  des 
hommes  ;  ce  n'est  plus  la  peine  de  le  leur  dispu- 
ter, f  aimerais  assez  à  passer  ce  reste  dans  la  grotte 
de  la  Balme,  si  les  chauves-souris  ne  Tempuan- 
tissaient  pas  :  il  faudra  que  nous  Fallions  voir  en- 
semble quand  vous  passerez  par  ici.  Je  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur. 

85o.  — .  A  M.  MoULTOV. 

Quoi!  monsieur,  c'est  k  M.  Q t  quW 

s'est  adressé;  c'est  à  lui  quont  été  envoyés  lc5 
extraits  des  lettres  que  je  Vousnavàîs  écrites  dans 
la  confidence  de  Famitié,  et  ce  serait  sous  les  aus* 
pices  de  lliommequi  m'a  chassé  du  château  de 
Trjré ,  malgré  son  maitre ,  que  jlrais  habiter  celui 
de  Lavagnac.  Vraiment,  mon  ami,  vous  avez 
'opéré  li  de  belles  choses?  Mais  ti*es  parlons  plus; 


AinréE  X768.  m 

ce  n'est  pas  votre  faute  :  vous  ne  saviez  nf  ce  qu'é- 
tait M.  Q t^niceipi'étail  M.  M x;  mais 

vous  ne  deviez  pas,  me  semble,  être  si  Êicile-é 
donner  les  extraits  des  lettres  de  votre  ami  Le 
plus  grand  mal  de  tout  ceci  est  que  j^ai  trouvé  de 
mon  côté  le  moyen  d'écrire  au  prince  et  de  lui 
faire  passer  ma  lettre.  Si  son  altesse  agrée  que 
j'aille  à  LavagnaCy  comment  ferai-je  po|ir  m'en 
dédire,  après  le  lui  avoir  demandai?  ou  à  quelle 
destinée  dois- je  m'attendre  si  j  ose  aller  me  livner 

i  des  gens  sur  qui  Q t  a  de  linfluence ?  Ce 

qu'il  y  a  de  sûr  est  qu'il  n'y  a  rien  4  quai  je  ne 
m  expose'  plutôt  qu'à  la  disgrâce  du  prince,  et 
surtout  à  la  mériter  :  ainsi,  s^il  approuveque  j'aille 
à  Lavagnac,  je  suis  déterminé  à  m'y  rendre  à  tout 
risque,  quoique  assurément  le  destin  qu'on  m'y 
prépare  ne  puisse  être  pire  que  celui  auquel  je 

maltends.  Mais  que  j^écrive  à  M,  Q 1,  moil 

non,  mon  ami,  le  riche  Dauphinob  et  le  célèbre 
Genevois  ne  sont  point  faits  pour  s'écrire  l'un  à 
lautre,  et  ne  s'écriront  jamais,  je  vous  en  ré» 
ponds» 

Je  suis  vivement  touché  du  zèle  et  des  bontés 
de  M. Vencl  :  je  ne  lui  écris  pa$, parce  qu'il  m'est 
très -pénible  d'écrire  ^  mais  j'ai  le  cœur  plein 
de  lui  :  si  j'a'Ilais  à  Lavagnac^  lavantage  d'être 
auprès  de  lui  me  pourrait  consoler  et  dédomma- 
ger de  beaucoup  de  choses;  mnis  je  vous  avoue 

que  l'idée  d'être  au  pouvoir  du  sieur  Q t  me 

&it  Ërémir.  Ce  qu'il  y  a  de  bizarre  est  que  }c  ne 


connais  point  du  tout  cet  homme-fà,  que  jle  n  ai 
jamais  eu  nulle  affaire  avec  loi ,  nulle  sorte  de 
liaison,  que  je  ne  Tal  même  jamiais  vu  que  je  sa- 
che. II  me  hait,  comme  tou5*  mes  autres  ennemis^ 
sans  avoir  à  se  plaindre  de  moi  en  aucune  sorte , 
et  uniquement  parce  qu'ils  ont  tous  des  cœurs 
&its  pour  goûter  un  plaisir  sensible  à  haïr  et 
tourmenter  les  infortunés.  Au  reste,  vous  vous 
doutez  bien  qu  un   courtisan  aussi  délié  que 
M.  Q.......t  se  garde  bien  d'avouer  sa  haine  :  il 

suit  encore  en  cela  les  mêmes  erremens  des  autres; 
et,  pour  mieux  servir  sa  haine,  11  a  grand  soin  de 
la  cacher. 

Je  vous  renvoie  ci>jointe  la  lettre  de  votre  ami , 
fen  suis  pénétré  :  si  je  dépendais  de  mol,  je  ne 
tarderais  guère  à  aHer  lui  demander  ses  dkections 
et  profiter  de  ses  soins  généreux  :  il  ne  dépendra 
même  pas  de  moi  que  cela  n'arrive;  mais(  ceux 
qui  disposent  de  moi  règlent  ma  marche  comme 
Dieu  celle  de  îa  mer,  Procèdes  hùc,  et  non  ibis 
ampliàs.  Adieu,  cher  Monltoa :  je  ne  sais  ce  qull 
arrivera  de  moi.  Je  vois  que  je  soupire  en  valu 
après  le  repos  qu'on  ne  veut  pas  m'accorder;  mais 
ce  iqu*on  ne  m^ôtera  pas  du  moins,  quoi  qu'il  ar- 
arrive ,  c'est  le  plaisir  dé  vous  aimer  jusqu'il  mon 
dernier  soupir.  .        .  ,. 

Je  vois,  par  te  qtte  monsieur  votre  ami  vous 
dit  de  son  herbier,  et  de  cfe  qu'il  se  propose  d!j 
joindre,  que  ^e  n'est  pas  tmit-à*fait'ce  que  j'avais 
imaginé  sur  votre  expression:  Vous  m'aviez  an- 


ÀlfïïÊB  1768.  H  5 

Doncé  des  fjantes  mai4ned  t  tes  plantes  mariaes 
sont  des  fucus  qui  irioni^nt  dans  la  mer;  et  je-pré- 
smne  par  sa  lettre  que  ce  sont  seulement  des 
plantes  maritimes  qui  Tiennent  sur  les  rivages; 
c'est  autre  chose  :  mais  n'importe,  l'un  ou  l'autre 
jn-éseat  me  sera  toujours  très-précieux. 

Je  vois  que  madame  Moultou  a  été  malade  : 
vous  ne  m*en  aviez  rien  dit;  vous  aviez  tort  :  la* 
mitié  est  un  sentiment  si  doux  quelle  donne  même 
une  sorte  de  plaisir  à  partager  les  peines  de  iios 
amis  j  et  vous  mWez  rayi  ce  plaisir-là.  Il  est  vrai 
que  )e  lui  préfère  celui  de  partager  maintenant 
votre  ioie*Miile  respects  de  ma  part  et  de  celle  de 
ma  femme  à  votre  chère  convalescente ,  et  prenez- 
en  votre  part. 

"SSi*  —  A,  SL  mi  Pbtrou. 

BoQxgoîii,  k  29  déoefaibie  1768; 

Ce  que  vous  me  marquez  de  la  fin  de  vosbrouil- 
lerîes  avec  la  cour  me  £iit  grand  plaisir;  et  j'en 
angnre  que  vous  pourrez  encore  vivre  agréable- 
ment où  vous  êtes ,  et  où  vous  êtes  retenu  par  des 
liens  d^attachement  qu'il  n'est  pas  dans  vot^ 
oorar  de  rompre  aisément.  Il  mç  semMequele  rçi 
(e  conduit  réellement  en  très-grand  roi^  loFsja'il 
vent  premièrement  être  le  maître,  et  puis  être 
faste.  Vous  penserez  qu'il  serait  {^  gra&det  plus 
beau  de  vouloir  transposer  cet  ordre  :  ceb  peut 
étrej  mais  cela- est  âu-d^ssus  de  l'humsaiité,  et 

II. 


1 1 6  COMLES  MMAKCfB  , 

France  est  si  barbare  ericore  en  botanique,  qu'on 
n'y  trouve  presque  aucun  livre  de  cette  science; 
et  fai  ëtë  obligé  de  faire  venir  â  grands  frais  de 
Hollande  et  d^Âugleterre  le  peu  que  j'en  ai;  en« 
core  ai-je  cherche  partout  ceux  de  Ôusius  sans- 
pouvoir  les  trouver. 

Voilà  bien  du  bavardage  sur  la  botanique, dont 
je  vois,  avec  grand  regret,  que  vous  avez  tout-â- 
fiiit  pendu  le  goût.  Cependant,  puisque  vous  aver 
un  peu  fêté  mon  apocjn,  far  grande  envie  de 
vous  envoyer  quelques  graines  de  Tarbre  de  soie  et 
de  la  pomme  de  cauelle,  quW  m'a  dernièrement 
apportées  des  iles.  Quand  vous  commencerez  à 
meubler  votre  jardin ,  je  suis  jaloux  d^  contribuer. 
Bonjour,  mon  cher  hâte;  nous  vous  embrassons 
et  vous  ^uons  Tun  et  lautre  de  tout  notre  oœur. 

85a.-  —  ▲  M.  Lalluiid. 

Bourgoin,  le  19  décmùat  1768.^ 

Paotue  garçon,  pauvre  Sauttersheim !  Trop 
occupé  de  moi  durant  ma  détresse,  je  lavais  on 
peu  perdu  de  vue;  mais  il  n^était  point  sorti  de 
mon  cœur ,  et  j'y  avais  nourri  le  désir  secret  de  me 
rapprocher  de  lui,  si  jamais  je  trouvais  quelque 
intervalle  de  repos  entre  les  malheurs  et  ht  mort* 
C  était  rhomme  qu'il  me  fallait  pour  me  fermer 
les  yeux  ;  son  caractère  était  doux ,  sa  société  était 
simple,  rien  de  la  pré tîntaille  française;  encoiB 
plus  de  sens  que  d'esprit;  uâ  ^dût  sain ,  formé  pav 


h  boDté  de  son  cœnr,  des  talens  assez  Jpour  parer 
one  solitude ,  et  un  naturel  fait  pour  l'aimer- avec 
un  ami  :  c'était  mon  homme;  la  Providence  me  Ta 
bté'y  les  hommes  m'ont  Até  la  jouissance  de  tout 
ce  qui  dépendait  deux;  ils  me  yeudeut  jusqu  à  (a 
petite  mesure  d'ahr  <ju*ils  permettent  que  je  res- 
pire :  Il  ne  m«  restait  qu'une  espérance  illusoire, 
ii  ne  mVn  reste  plus  du  tout.  Sans  doute  le  ciel 
me  troure  digde  de  tirer  de  moi  seul  toutes  mes 
ressources,  puisque  ne  m*en  reste  plus  aucune 
autre.  Je  sens  que  h  perfe  de  ce  pauvre  garçon 
m'affecte  plus  S  proportion  qu'aucun  de  mes  au- 
tres malheurs,  it  fellait  qu^  y  eût  une  ^jmpatiiie 
bien  forte  entre  lui  et  moi ,  puisque ,  ayant  déjà 
appris  i  me  mettre  en  garde  contre  les  empressés^, 
je  le  reçus  â  bras  ouverts  sitôt  qu  il  se  présenta, 
et  dès  les  premiers  jours  de  notre  liaison,  elle  fut 
intime.  Je  me  souviens  que ,  dans  ce  même  temps , 
ou  m'écrivit  de  Genève  que  cétait  ïm  espion 
aposté  pour  tâcher  de  m'àRîrer  en  France ,  où  l'on 
voulait,  disait  la  lettré,  me  faire  un  mauviiis  parti. 
LÀ-dessus  je  proposai  à  SauCtersheim  un  voyage  à 
Pentarlier,  sans  lui  parler  de  ma  lettre  :  il  y  Con- 
sent; nous  partons.  En  arrivant  k  Pontarlicr,  je 
Fembrasse  avec  transport ,  et  puis  je  lui  montre  la 
lettre  ':  il  la  lit  sans  s'émouvbir;  nous  nous  em- 
brassons derechef,  et  nbs  larmes  coulent.  J  en 
rerse  derechef  en  me  î^ppelant  ce  délicieux  m^ 
flnent«  Jaî  feit  avec  lui  plusieurs  petite  voyages 
pédestres;  je  comiaenÇais  d'herboriser 2  ^  pre^^^^ 


130  CCttUSPONDANCB, 

TOUS  pourriez  me  rendre,  celui  de  me  pourvoir 
d^uae  épinette  doit  être  laissé  pour  le  dernier.  11 
est  vrai  que  vous  me  voyez  déjà  trancpiille  au  châ- 
teau de  Lavagnac.  Ah]  mou  cher  monsieur  Lai- 
liaud,  cela  me  prouve  que  vous  avez  la  vue  plus 
longue  que  moi.  Bonjour,  monsieur >  nous  vous 
saluons  tous  deux  de  tout  notre  cœur.  Je  vous 
donne  l'exemple  de  finir  sans  complimens  j  vous 
ferez  bien  de  le  suivre^ 

853.  —  A  M.  MovLTou. 

Bburgoiii,  k  So  décembre  1768. 

J'attendais,  cher  Moultou,  pour  répondre  1 
votre  dernière  lettre,  d'avoir  reçu  les  ordres q[ue 
M.  le  prince  de  Conti  mWait  fait  annoncer  en- 
suite de  Papprobation  qu'il  a  donnée  au  projet  de 
ma  retraite  à  Lavagnac;  mais  ces  ordres  ne  sont 
poin  t  encore  venus^  et  je  crains  qu'ils  ne  viennent 
pas  sitôt;  car  son  altesse  m!a  fait  prévenir  qull 
fallait ,  avant  de  m^écrire ,  qu'elle  prît  pour  ce  pro- 
jet des  arrangemens  semblables  à  ceux  qu  elle  ^ 
cru  à  propos  de  prendre  pour  mon  yoy^e  enDau- 
phiné  l'ces  arrangemens  dépendent 4e  faccorJ 
de  personnes  qui  ne  se  rencontrent  pas  souyent;^ 
et'  quelle  que  soit  la  générosité  de  cœur  de  ce 
grand  prince,  de  quelque  extrême  bonté  quH 
m'honore,  vous  sentez  qu'il  d'est  pas  ni  ne  saurait 
être  occupé  de  moi  seul  ;  et  ]à  chose  du  monde  qm 
£at,le  mieux  son. éWe  est  qu'il  ne.se  soit  pas  fgfr 


AKn££  Ï768.  lïf 

tore  eannyé'de  tous  les  soins  c[u«  je  lui  ai  coAtés. 

Jattepcis  donc  sans  inipallence^  inais  en  atten* 

dant;  ma  situation  devient,  à  tous  égards,  pluf 

Gritk{ae  de  jour  en  jour;  et  Tair  marécageux  et 

Teau  de  Bourgoia  m'ont  £iit  contracter  depuis^ 

cpelqae  temps  une  maladie  singulière  dont,  do 

manière  ou  d  autre ,  il  Êiut  tâcher  de  me  délivrer  : 

cVst  an  gonflement  d'estomac  très^considérabie 

et  sensible  même  au  dehors ,  qui  m'oppresse ,  m'<P 

touffe,  et  me  gène  au  point  de  ne  pouvoir  plus 

me  baisser  y  et  il  &ut  que  ma  pauvre  femme  ait  la 

peine  de  me  mettre  mes  souliers,  ete.  Je  croyais 

d'abord  d'engraisser,  mai^  \a  graisse  n'étouffe  pas  ; 

)e  n  engraisse  que  de  Testomac,  et  le  reste  est  tout 

aussi  maigre qu à  l'ordinaire.  Cette  incommodité, 

qui  croît  à  vue  d'œil,  me  détermine  à  tâcher  de 

sortir  de  ce  mauvais  pays  le  plus  tôt  qu'il  me  serar 

possible.  En  attendant  que  le  prince  ait  jugé  à 

propos  de  disposer  de  moi,  il  y  a  dans  ce  pays ,  à 

demiJieue  de  la  ville,  une  maison  à  mi-c6te, 

agréable,  bien  située ,  oii  Feau  et  Fair  sont  très* 

bons  et  ob  le  propriétaire  veut  bien  me  céder  uiï 

petit  logement  que  j'ai  dessein  d'occuper.  La  maif 

son  est  seule,  loin  de  tout  village,  et  inhabitée' 

dans  cette  saison.  J'y  serai  seul  avec  ma  femme  et 

une  servante  qn^on  y  tient  :  voilà  une  belle  ocea-^- 

àon ,  pour  ceux  qui  disposent  de  moi ,  de  se  déli'-' 

vrer  du  soin  de  ma  garde ,  et  de  me  délivrer ,  0101 , 

des  misères  de  cette  Vie.  Cette  idée  ne  me  dér 

loume  ni  tie  me  détermine  ;  je  compte  aller  lA 


dans-^èlctues  iours,  à  la  merci  des  hommes  el  I 
la  garde  de  la  Proyidence.  En  attendant  <juc  je 
sache  sHl  m  est  permis  d'aller  vous  joindre,  ou  si 
je  dois  rester  dans  ce  pays  (car  je  sais  déterminé 
î  ne  prendre  aucun  parti  sans  l'aveu  du  prince, 
parce  que  ma  confiance  est  égale  A  ma  reconnais- 
sance, et  c'est  tout  dire),  cher  Moulton, adieu  :  je 
ne  sais  ni  dans  quel  temps  ni  à  quelle  occasion  je 
ce^rai  de  vous  écrire;  mais,  tant  ^e  je  vivrai^ 
je  ne  cesserai  de  vous  aimer^ 

854^ A  MADAME  LaTOVE^ 

A  Bonrgoin ,  le  3  janviar  1 760. 

Ceux  qui  ont  hesoin  qu'un  homme  dans  mon 
état  leur  rappelle  son  existeiice  sent  indignes  qu'il 
les  en  fasse  souvenir.  Je  savais^  chère  Marianne^ 
que  vous  n^étiez  pas  de  ce  nombre;  j*attendais  de 
vos  nouvelles ,  et  j'étais  sûr  d'en  recevoir,  mais  ma 
situation  ne  me  permettait  pas  de  vous  en  deman» 
di^r.  Mon  cœur  ne  peut  cesser  djSti;^  plein  de  vous; 
J0  vous  chérissais  par  toutes  ks  qualités  aimables 

Îuo  vous  m'avez  montrées;  mais  un  seul  service 
e  véritable  amitié  m'imprimera  toujours  un  sen- 
timent plus  fort  que  tout  autre  attachement,  un 
sentiment  que  Tabsence  ni  le  temps  ne  peuvent 
prescrire;  et,  soit  qull  me  reste  peu  ou  beaucoup 
de  temps  à  vivre,  vous  me  serez  aussi  re^pectabU 
que  chère  jusqu'à  mon  dernier  soupnr. 

D<7pnis  quelques  iours  je  ne  puis,  plus  écrîjre 


fins  Beaucoup  souffrir,  et  bientôt,  s!  inoa*  cUt 
empire ,  je  ùc  le  pourrai  plus  du  tout.  Un  mal  des  • 
tomac,  accompagné  d  enflure  et  dëtouf&ment, 
ne  me  permet  plus  de  me  baisser  :  toute  autre  at- 
titude que  celle  de  me  tenir  droit  rae  sufibque,  et 
il  y  a  déjà  long-temps  que  je  ne  jmis  mettre  moi- 
même  mes  souliers.  Je  veux  attribuer  ce  mal  ex- 
traordinaire à  l'air  et  à  Teau  du  pa^-s  marécageux 
que  j'habite;  si  je  m'en  tire,  je  vous  récrirai;  si 
j^y  succombe,  Marianne,  honorez  la  mémoire  de 
votre  ami,  et  soyer  sûre  quil  a  vécu  et  qufl 
mourra  digne  des  sentlmensqne  vous  lui  avez  té- 
moignés. 

855. —  A.  M.  Bbavchatbao. 

Bouifoin ,  k  9  )«iivier  1 769. 

Hier  ,  monsieur,  je  reçus ,  par  le  canal  du  sienr 
Sny^  libraire  â  Paris  ^  avec  des  Etrennes  mi- 
gnonnes, votre  lettre  du  7  septembre  1768. 

Mes  ennemis  ont  toujours  parlé;  mes  amis,  à 
fen  ai ,  se  sont  toujours  tus  :  los  uns  et  les  autn*s 
peuvent  continuer  de  même.  Je  ne  désire  point 
quon  me  loqe,  encore  moins  qu'on  me  justifie, 
«rapproche d  un  séjour  où  les  in  justicesdes  hommes 
ne  pénètrent  pas.  La  seule  chose  que  je  désire,  en 
les  quittant,  est  de  les  laisser  toXis  heureux  et  en 
paix.  Adieu  2  monsieur. 


856.  — .  A  M.  DU  Peyrou. 

làoor|oin,  le  la  janvier  1769. 

Pi:rm£TTe2  ,  mon  cher  hôte ,  que ,  danfi  l'impos- 
sihilité  où  me  met  un  grand  mal  d'estomac,  ac- 
.compagne  d'enflure,  d^étouffement  et  de  fièvre, 
d'écrire  moinnéme,  j'emprunte  le  secours  d'une 
autre  main  pour  vous  marquer  combien  je  suis 
touché  de  la  continuation  de  vos  alarmes  sur  le 
triste  état  de  madame  la  commandante.  Je  vous 
.avoue  que  depuis  que  j 'eus  1  honneur  de  la  voir  un 
peu  de  suite  à  Crcssier,  je  jugeai  sur  plusieurs  si- 
gnesqueson  sang,  très-saind'ailleurs,  tenait  d^unc 
biuneur  scorbutique,  et  vous  savez  que  c'est  un 
des  effets  du  scorbut  de  rendre  les  os  très-fragîlcs  ; 
mais  en  même  temps  cette  humeur  surabondante 
rend  les  calus  très-faciles  à  fonn^.  Ainsi  lé  re- 
mède, à  quelque  égard ^  suit  le  mal)  il  n'y  a  que 
des  mouvemens  bien  lians,  bien  doux,  tels  qu'elle 
sera  forcée  de  les  faire ,  qui  puissent  prévenîrparcils 
.accidens  à  l'avenir.  Son  état  forcé  sera  presque  ce- 
lui où  elle  serait  obligée  de  se  tenir  volontairement 
i  Favenir,  pourprévenir  d^autres  fractures,  quand 
même  elle  n'en  aurait  point  eu  jusqu'ici.  Le  mien , 
mon  cher  hôte,  medispensede  tant  de  prévoyance, 
ict  je  crois  que  la  nature  ou  les  hommes  me  laissent 
voir  de  plus  près  le  repos  auquel  j'avais  inutile- 
ment aspiré  jusqu^ici.  Accoutumé  à  l'air  subtil  des 
moulagues,  je  puis  juger  que  l'air  marécageux  du 


pays  que  jf habite,  et  les  manyaises  eaux  que  lon 
est  forcé  dy  baire,  ont  contribué  à  me  mettra 
dans  cet  état.  Si  j^avais  eu  plus  de  force  et  de 
moyens,  que  ma  santé  fût  moins  désespérée ^  je 
tâcherais  d'aller  travailler  à  la  rétal>lir  dans  quel« 
que  habitation  plus  convenable  à  mon  tempéra* 
meut.  Mais  le  mal  me  parait  sans  remède  ;  je  suis 
très-faible,  cest  une  grande  fatigue  pour  moi  de 
me  transplanter;  ainsi  j'ignore  encore  si  j'en  aurai 
loccasion,  le  courage,  et  si  j^y  serai  à  temps.  S'il 
arrivait  que  je  fusse  privé  du  plaisir  de  vous  écrire 
davantage,  vous  pourrez  toujours  avoir  des  nou-* 
velles  de  ma  femme  et  lui  donner  des  vôtres , 
comme  j'espère  que  vous  voudrez  bien  Êiire,  pac. 
ia  voie  de  Lyon. 

Quant  à  ce  qui  est  entre  vos  mains ,  et  qui  peut 
4tre  complété  par  ce  qui  est  dans  celles  de  la  damei 
à  la  marmelade  de  fleur  d'orange,  je  vous  laissa 
absolument  le  maître  d'en  disposer  après  moi  dq 
la  manière  qui  vous  paraîtra  la  plus  favorable  aux 
intérêts  de  ma  veuve,  à  ceux  de  ma  filleule^  et  k 
fhonneur  de  ma  mémoire. 

Il  n'y  a  pas  d'apparence,  mon  cher  hôte,  qu'il 
soit  désormais  beaucoup  question  de  botanique  d 
aiu^  vos  plantes  des  Alpes  et  le  livre  que  vous 
vouliez  joindre  ne  seront  probablement  plus 
saison  quand  même  je  resterais  comme  je  suis,  ce 
qui  me  parait  impossible,  puisque  je  ne  Stiuraia 
actuellement  me  baisser  ni  mettre  mes  souliem 
loai-mémcî  oe  qui  n'est  pas  une  bonne  dispositiosi 


II. 


laS  C0RRB$P05DAirCE , 

néiée  imi^iiement  de  mes  maux,  plus  snppor* 
tables  pour  moi  qu  elle. 

Voici,  monsieur,  une  lettre-de-change  de  dii 
ibrres  sterling  sur  l'Angleterre,  que  je^vous  prie 
de  tâcher  de  négocier,  ou  d'envoyer  à  Londres; 
elle  sera  payée  sur-le-cbamp  :  cest  une  petite 
tente  viagère  que  j^ai  reçue  en  paiement  de  mes 
livres,  que  je  vendis  à  Londres  pour  n^avoir  plus 
à  les  traîner  après  moi  depuis  qu'ils  m^étaient  de- 
venus inutiles. 

Mon  cher  monsieur  Lalliaud,  plaignaz^noi  eC 
pardonnez-moi.  Je  ne  puis  plus  écrire  sans  souf- 
frir beaucoup  et  sans  aggraver  mtfn  mal;  et/^ur 
surcroit,  je  n'ai  affaire  qu'à  des  gens  exigeans, 
qui  s  embarrassent  très-peu  de  mon  état,  et  ma 
comptent  leurs  lignes  sur  les  pages  qu'ils  exigent 
de  moi.  Vous  n'êtes  pas  de  même;  aussi  touta 
mon  attente  est  en  vous.  Je  ne  vous  écrirai  que 
pour  choses  nécessaires  et  très  en  bref.  Ne  comp- 
ilez pcis  rigoureusement  avec  votre  serviteur,  je 
vous  en  conjure,  et  donnez-moi  la  consolation 
d'apprendre  de  temps  en  temps  que  vous  ne  m'otn 
bliez  pas.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  oœur,  ei 
ma  femme  vous  salue. 

858.  —  A  IVl  DU  Peykou. 

'A  Boorgoin,  le  i8  jairrîcr  176^ 

Txmxmsy  mon  cher  h6te,  par  le  plus  singu- 
lior  hasard,  qu'on  a  imprime  à  Lausanne  on  des 


chidbns  qui  sont  entre  vos  mains ,  sur  cette  qnes* 
tion  :  Quelle  est  la  première  vertu  du  héros? 
Vous  croyez  bien  que  }c  comprends  qu'il  s  agit 
dW  yol;  mais  comment  ce  vol  a-t-il.été  iait^  et 
par  qui?...  Vous  qui  êtes  si  soigneux,  et  surtout 
des  dépôts  d*autrui  !  J  ai  des  engagemens  qui  ren- 
dent de  pareils  larcius  de  très-grande  couséquence 
pour  moi.  Comment  donc  ne  m'avez -vous  point 
du  moins  averti  de  cette  impression?  De  grâce, 
mon  cher  bote,  tâcher,  de  remonter  à  la  source^ 
de  savoir  couinent  et  par  qui  ce  torche-cul  a  été 
imprimé.  Je  vis  dans  L  sécurité  la  plus  profonde 
sur  Les  papiers  qui  sont  entre  vos  mains  ^  si  vous 
soufliez  que  je  perde  cette  sécurité,  que  devien- 
drai-je?  Mettez -vous  à  ma  place  ^  et  pardonnez: 
limportanité. 

J'ai  cm  mourir  cette  nuit  ;  le  jour  je  suis  moin^ 
mal.  Ce  qui  me  console  est  que  de  semblable^ 
nutts  ne  sauraient  se  multiplier  beaucoup.  Ma» 
femme;  qui  a  été  fort  mal  aussi,  se  trouve  mieux. 
Je  me  prépare  à  déloger,  pour  aller,  dans  le  séjour 
élevé  qui  m^est  destiné,  chercher  un  air  plus  pue 
que  cslui  quW  respire  dans  ces  vallées. 

Je  suis  très-inquiet  de  Tétat  de  madame  la 
commandante,  et  par  conséquent  du  vôtre.  Mon 
cher  hôte,  donnez-moi,  je  vous  prie,  deg  nou- 
velles de  tous  deux  le  plus  tôt  que  vous  pourrez. 
Je  voue  embrasse. 


tSo  CMtKESPOimAVCE. 

S5  N  —  à,  M.  Lallixud. 


*^ 


MoD^in,  lé  4  féTrier  1769. 

Pi.!  reçu,  oMHisieur,  vos  deux  dernières  let* 
Ires ,  et,  avec  la  première ,  la  rescription  que  vous 
avez  eu  la  boaté  de  m'envoyer,  et  dont  je  voos 
remercie. 

Quoi!  moDsifhur,  le  barbouillage  académique 
'mprimé  à  Lausaone  Pavait  aussi  éié  à  Pari5!....el 
cest  M.  Fréron  qui  en  est  l'éditt^ur  (*)!-...  Le 
temps  de  l'impression,  le  choix  de  la  pièce,  Ia 
moindre  et  la  plus  j^ate  de  tout  ce  que  j'ai  laissé 
en  manuscrit ,  tout  m^pprend  par  quelles  espèces 
de  main  et  à  quelle  intention  cet  écrit  a  été  publié. 
L  édition  de  Lausanne  ^  si  elle  existe ,  aura  proba- 
blement été  fiiitè  sur  celle  de  P^ris;  mais  le  si- 
lence de  M.  du  Peyrou  me  fait  douter  de  celte  se- 
conde édition,  dont  la  nouvelle  m'a  été  donnée 
d assez  loin  pour  qu^n  ait  pu  confondre;  et  de 
pareils  chiffons  ne  sont  guère  de  ceux  qu  on  inip 
prime  deux  fois.  Vous  avez  pris  le  vrai  moyen 
daller,  s'il  est  possible,  à  la  source  du  vol  par 
Vexamen  du  manuscrit  :  cela  vaut  mieux  qu'une 
lettre  imprimée,  qui  ne  ferait  que  faire  aouveuir 
de  moi  le  public  et  mes  ennemis,  dont  je  cherche 
^'■'  ■■'■  ■  ■ I  ■  ■ 

(*)  En  effet.  Fcéroii  «Tait  publié  Iq  dûcour*  dont  il  t^M^' 
dftotjon  Année  littéraire  ^  tome  VII^  1 768.  Il  est  précécié  d'une 
lettre  d'envoi  que  lui  adr>jaae  un  anonyme,  et  le  journaliste  n'^ 
•  ajouté  aucune  rèflenon» 


AJfViE  1769*  l3rC 

à  être  ouUié,  et  sur  laquelle  les  coupables  n'iront 
sûrement  pas  se  déclarer.  Vous  m^appreuez  aussi 
qu'on  a  imprimé  un  nouveau  volume  de  mes 
écrits  vrais  ou  Êtux.  C'est  ainsi  qn^on  me  dissèque 
de  mon  vivant,  ou  plutôt  qu'on  dissèque  un  autre 
corps  sous  mon  nom.  Car  quelle  part  ai- je  au  re- 
cueil dont  vous  me  parlez,  si  ce  n'est  deux  ou 
trois  lettres  de  moi  qui  y  sont  insérées^  et  sur  les- 
quelles, pour  £iire  croire  que  le  recueil  entier  en 
était ,  on  a  en  l'impudence  de  le  faire  imprimer  A 
Londres  sous  mon  nom,  tandis  que  j'étais  en  Ân* 
gleteire,  en  supprimant  la  première  édition  de 
Lausanne  &ite  sous  les  yeux  de  l'auteur?  J'entre- 
vois que  Timpression  du  chiffon  académique  tient 
encore  4  quelque  manœuvre  souterraine  de  même 
acabit  Vous  m  avez  écrit  quelquefois  que  je  fai 
sais  du  noir;  l'expression  n'est  pas  juste;  ce  nest 
pas  moi,  monsieur,  qui  fais  du  noir,  mais  c'est 
moi  quW  en  barbouille*  Patience;  ils  ont  beau 
vouloir  écarter  le  vivier  deau  claire,  il  se  tro»- 
Fera  quand  je  ne  serai  plus  en  lenr  pouvoir,  et  au 
moment  qu'ils  y  jpenscront  le  moinr»  Aussi  qu'ils 
fassent  désormais  à  leur  aise,  je  les  mets  au  pis. 
J  attends  sans  alarmes  Fexplosiou  qu'ils  comptent 
faire  apris  ma  mort  sur  ma  mémoire ,l^cpiblable3 
aux  vils  corbeaux  qui  s  acharnent  sur  les  cada- 
vres. C'est  alors  qu'ils  croiront  n^avoir  plus  A 
craindre  le  trait  de  lumière  qui,  de  mon  vivant, 
ne -cesse  de  les  Êiire  trembler,  et  c'est  alors  que 
l'on  connaîtra  peut-être  le  nrix  de  ma  patience  et 


8  3d  GOBKCSPONDAKCE  j 

de  mon  silence.  Quoi  qu'il  en  sbît,  en  quittant 
Bourgoin  j'ai  quitté  tous  les  soucis  qui  m'en  ont 
rendu  le  séjour  aussi  déplaisant  que  nuisible.  L'é^ 
tat  oii  je  suis  a  plus  £iit  pour  ma  tranquillité  que 
les  leçons  de  la  philosophie  et  de  la  raison.  J'ai 
vécu,  monsieur;  je  suis  content  de  l'emploi  de  ma 
vie  ;  et  du  même  œil  que  j'en  vois  les  restes ,  je  vois 
aussi  les  événcmens  qui  les  peuvent  remplir.  Je  re- 
nonce donc  A  savoir  désormais  rien  de  ce  qui  se 
dit  y  de  ce  qui  se  iait^  de  ce  qui  se  passe  par  rapport 
à  moi  :  vous  avez  eu  la  discrétion  de  ne  m  eu  ja- 
mais rien  dire.  Je  vous  conjure  de  continuer.  Je 
ne  me  refuse  pas  aui  soins  que  votre  amitié,  votre 
équité,  peuvent  vous  inspirer  pour  la  vérité, 
pour  moi  dans  Poccasion,  parce  que,  après  les 
sentimens  que  vous  professez  envers  moi,  ce  se* 
fait  vous  manquer  à  vous-même.  Mais  dans  I  état 
où  sont  les  choses ,  et  dans  le  train  que  je  leur 
vois  prendre,  je  ne  veux  plus  m'occuper  de  rien 
qui  më  rappelle  hoi;^  de  moi,  de  rien  qui  puisse 
ôter  à  mon  esprit  la  même  tranquillité  dont  jouit 
ma  conscience. 

Je  vous  écris,  sans  y  penser,  de  longues  lettres 
qui  font  grand  bien  à  mon  cœur,  et  grand  mh\  i 
mon  estomac.  Je  remets  à  xme  autre  fois  le  détail 
de  mon  habitation.  Madame  Renou  vous  remer- 
cie et  vous  salue:  et  moi,  mon  cher  monsieur^  je 
vous  embrasse  de  tout  mon  coeur. 


1765.  IÎ3 

Moii9iiis,  le  i4  iérxia  1769% 

Je  sois  déloge,  cW  Moultou;  j  ai  quitté  Vaif 
marécageux  dç  Bourgoin  pour  venir  occuper  sur 
la  haateur  une  maisofî^  vide  et  solitaire  que  la 
dame  à  qui  elle  appartient  m'a  oâerte  depuis  long- 
temps, et  oh  j*ai  été  reçu  wec  une  hospitalité 
très-noble, mais  trop  bien  pour  me  &ire  oublier 
que  3e  ne  suis  pas  chez  moi.  Ayant  pris  ce  parti^ 
Tétat  où  je  suis  ne  me  laisse  plus  penser  à  une 
autre  habitation;  Hionnétetéméme  ne  me  per- 
mettrait pas  de  quitter  si  proonptement  celle  -ci 
après  avoir  consenti  quW  l'arrangeât  pour  moi. 
Ma  situation,  la  nécessité,  mon  goàt,  tout  me 
porte  à  borner  mes  désirs  et  mes  soins  à  finir  dans 
eette  sditude  des  jours  dont,  grâce  au  ciel,  et 
quoi  que  tous  en  puissiez  dire  j  je  ne  crois  pas  le 
terme  biefi  éloigné.  Accablé  des  maux  de  la  vie  el 
de  l'injustice  des  honunes,  f approche  avec  joie 
d'un  séjour  où  tout  cela  ne  pénètre  point;  et  en 
attendant  je  ne  veux  plus  m'occuper,  si  je  puis, 
qu'à  me  rapprocher  de. moi-même,  et  à  goûter  ici 
entre  la  comj[>agne  de  mes  infortunes^  et  mon 
cœur^  et  Dieu  qid  le  voit^  quelques  heures  de 
doiiceiir  et  de  paix^  en  attendant  la  demièpe» 
Ainsi,  mon  bon  aitii^  piaiies-moi  de  votre  amitié 
pour  mbi,  elle  jne  sera  ioujours  chère;  mais  ne 
me  p^^ez  plus  de  projets,  il  n'en  est  pins  pour 

Correspondance*  5*  ■  1% 


L 


|34  CORRlSPOICDAirCE , 

moi  d'autre  en  ce  monde  que  celui  d'en  sortir 
ivëc  la  même  innocence  que  fy  ai  vécu. 
^  Tai  vu,  mon  ami,.dans  quelques-unes  de  vos 
lettres,  notamment  dans  la  dernière,  que  le  tor- 
rent de  la  mode  vous  gngne ,  et  que  vous  commen- 
cez à  vaciller  dans  des  sentimens  où  je  vous 
croyais  inébranlable.  Âhl  cber  ami,  comment 
avez-vous  (ait?  Vous  en  qui  j'ai  toujours  cru  voir 
un  cœur  si  sain,  une  âme  si  forte,  cessez -vous 
donc  d'être 'content  de  vous-même?  et  le  témoin 
secret  de  vos  sentimens  commencerait- il  à  tous 
devenir  importun?  Je  sais  que  la  foi  n'est  pas  in« 
dLspensable,  que  l'incrédulité  sincère  n'est  point 
un  crime,  et  qu'on  sera  jugé  sur  ce  qu'on  aura 
fait,  et  non  sur  ce  qu'on  aura  cru;  mais  ^irenes 
garde,  je  vous  conjure,  d'être  bien  de  bonne  foi 
avec  vous-même;  car  il  est  très^diflËrent  de  n'a- 
voir pas  cru  ou  de  n'avoir  pas  voulu  cnnre;  et  je 
puis  concevoir  comment  celui  qui  n'a  jamais  cru 
ne  croira  jamais,  mais  non  comment  celui  qui  a 
cru  peut  cesser  de  croire.  Encore  un  coup,  ce  qne 
je  vous  démande  n'est  pas  tant  la  foi  que  la  bonne 
foL  Voillez-vous  rejeter  l'intelligence  universelle? 
les  causes  finales  vous  crèvent  les  yeux*  Voulez- 
vous  étouffer  rinstînct  moral?  la  voix  interne  s'é- 
lève dans  votre  coeur,  y  foudroie  les  petits  argn- 
meus  è  la  nkode,  et  tous  crie  qu'il  n'est  pas  vrai  ir^ 
que  Thonnête  homme  et  le  scélérat^  le  vice  et  la  ^^ 
vertu,  ne  soient  rien  ;  car  vous  êtes  trop  bon  rat* 
fonnenr  pour  ne  pas  voir  à  Imstâmt  qu'en  reîet^ol     l  $ 


AVH^B  1766.  tSS 

la  cause  première  et  le  mouyemeiit,oii  Ate  toute 
noralité  à  la  yie  humaine.  Eh  quoi,  mon  Dieu!  le 
juste  infortuné  en  proie  &  tous  les  maux  de  cette 
rie,  sans  en  excepter  même  l'opprobre  et  le  dés* 
honneur,  n'aurait  nul  dédommagement  à  atten- 
dre après  elle,  et  mourrait  en  bête  après  avoir 
vécu  en  Dieu?  Non,  non ,  Moultouj  Jésus  que  ce 
siècle  a  méconnu,  parce  quîl  est  indigne  de  le 
connaître;  Jésus  qui  mourut  pour  avoir  voulu 
&ire  un  peuple  illustre  et  vertueux  de  ses  vils 
compatriotes ,  le  sublime  Jésus  ne  mourut  point 
tout  entier  sur  la  cioix;  et  moi  qui  ne  suis  qu'un 
chétif  homme  plein  de  faiblesses,  mais  qui  me 
sens  un  cœur  dont  un  sentiment  coupable  n  ap 
procha  jamais,  c'en  est  assez  pour  qu'en  sentant 
approcher  la  dissolution  de  mon  corps,  je  sente 
en  même  temps  la  certitude  de  vivre.  La  nature 
entière  m'en  est  garante.  Elle  n  est  pas  contradic- 
toire avec  elle-même;  j'y  vois  régner  un  ordre  phy- 
sique admirable  et  qui  ne  se  dément  jamais. 
L'oixlre  moral  y  doit  correspondre.  II  fut  pourtant 
renversé  pour  moi  durant  ma  vie;  il  va  donc 
commencer  à  ma  mort.  Pardon ,  mon  ami ,  je  sens 
que  je  rabâche;  mais  mon  coeur,  plein  pour  moi 
d'espoir  et  de  confiance,  et  pour  vous  d'intérêt 
et  d'attachement ,  ne  pouvait  se  refuser  à  ce  court 
épanchement. 

P.  S.  Je  ne  songe  plus  à  Lavagnac,  et  proba- 
blement mes  voyages  sont  finis.  J'ai  pourtant  reça 


T  36  coraespondance  , 

âerniërement  une  lettre  du  patron  de  la  case^ 
aussi  pleine  de  bonté  et  d  amitié  qu  il  m  en  ait  ja- 
mais écrit,  et  qui  donne  son  approi>ation  à  une 
autre  proposition  qui  m  avait  été  faites  mais  tou^ 
jours  projeter  ne  me  convient  plus.  Je  veux  jouir 
entre  la  nature  et  moi  du  peu  de  jours  qui  me  res- 
tent ^  san9  plus  me  laisser  promener,  si  je  puis^ 
parmi  les  hommes  qui  mWt  si  mal  traité  et  plus- 
mal  connUr^Quoique  je  ne  puisse  plus  me  baisser 
pour  herboriser,  je  ne  puis  renoncer  aux  pdautos^ 
jd  les  observe  avec  plus  de  pkisir  que  jamais.  Je 
ne  vous  dis  point  de  m'envoyer  les  vôtres ,  parce 
que  j'espère  que  vous  les  apporterez.  :  ce  moment , 
cher  MouUou,  me  sera  bien  doux.  Adieu,  je  vous 
embrasse  f  partagez  tous  les  senti  meus  de  mon 
cœur  avec  votre  digne  moitié,  et  recevez  Tun  et. 
Fautre  les  respects  de  la  mienne.  Elle  va  rester  k, 
plaindre.  C'est  bien  malgré  elle,  c  est  bien  malgré 
nous  qu'elle  et  moi  n  avoués  pu  remplir  de  grands^ 
devoirs;  mais  elle  en  a  rempli  de  bien  respectaUes. 
Que  de  choses  qui  devraient  être  sues  vont  être 
ensevelies  avec  moi!  et  combien  mes  cruels  enne- 
mis tireront  d'avantages  de  l'impossibilité  oii  ils^ 
m'ont  mis  de  parler- 

86i.  — 'A  M.  Lalliaud. 

A  MonqniD ,  le  a8  fiSvridr  1 7691 

Je  ne  connais  point  M.  de  La  Sale  ;  je  sais  seu- 
lentenf  que  c'est  un  fabricant  de  hyon.  U  aoconi/t 


kmis  1769,  i37 

pagaa  cet  automne  le  fils  de  madame. Boy  de. La 

Tour,  mon  amie ,  qui  vint  me  voir  ici.  Me  voyant 

logé  si  tristement  et  dans  un  si  mauvais  air,  il  me 

proposa  une  habitation  en  Dombes;  je  ne  dis  ni 

oui  ni  non.  Cet  hiver,  me  voyant  dépérir,  il  est 

revenu  à  la  charge;  j  ai  refusé;  il  m'a  pressé.  Faute 

d^autres  bonnes  raisons  à  lui  dire ,  je  lui  ai  déckiré 

que  je  ne  pouvais  sortir  de  cette  province  sans  Ta- 

grément  de  M.  le  prince  de  Oonti.  Il  m'a  pressé  de 

lui  permettre  de  demander  cet  agrément*^  je  ne 

m'y  suis  pas  opposé  :  voilà  tout. 

J'apprends,  fut  le  plus  grand  hasard  du  monde , 
qu'on  vient  d'imprimer  à  Lausanne  un.  ancien 
chiflfon  de  ma  façons  C'est  un  discours  sur  une 
question  proposée,  en  1761  ,parM.  Curzay, tan- 
dis quil  était  en  Corse.  Quand  il  fut  fait,  je  le 
trouvai  si  mauvais,  que  je  ne  voulus  ni  l'envoyer 
n!  le  faire  imprimer.  Je  leremis ,  avec  tout  ce  que 
''fa vais  en  manuscrit,  à  M.  du  Peyrou,  avant  mqn 
départ  pour T Angleterre.  Je  ne  l'ai  pas  revu  de- 
puis, et  je  n-y  ai  pas  même  pensé.  Je  ne  puis  me 
rappeler  avec  certitude  si  ce  barbouillage  est  ou 
nVst  point  un  des  manuscrits  inlisibles  que  M.  du 
Peyrou  m  envoya*  à  Wootton  pour  les  transcrii?e  ; 
et  que  je  lui  renvoyai ,  copie  et  brouillon ,  par  sou 
ami  M.  de  Ccrjat  chez  lequel ,  ou  durant  le  trans- 
port, le  vol  aura  pu  se  faire;  ce  qu'il  y  a  de  sûr, 
c'est  que  jen  ai  aucune  part  à  cette  impression  y  et 
que  si  j'eusse  été  assez  insensé  pour  vouloir  mettre 
encore  quelque  chose  sons  la  presse,  ce  n'est  pas 


1 38  coMESPovDAircnB  ^ 

un  pareil'  torche-col  que  j  aurais  choisi.  JlgaoM 
comment  il  est  passé  sous  la  presse;  mais  )e  crob 
M.  du  Peyrou  par&itemeDt  incapable  d'une  pa- 
reille infidélité.  En  ce  qui  me  regarde^yoîlà  la  vé- 
rité, et  il  importe  que  cette  vérité  soit  co&iiue. 
Je  vous  embrasse  et  vous  salue,  mon  cher  moo- 
sieur,  de  tout  mon  cœur. 

86:^.  -rr-'  A  M.  ou  Pbykou. 

Monquin,  le  28  février  i769i. 

Jb  suis  sur  la  montagne,  mon  obor  bdte,  oùmon 
nouvel  établissement  et  mon  estomac  me  rendent 
pénible  d'eaire,  sans  quoi  je  n^aurais  pas  attendu 
si  long-temps  à  vous  demander  de  fréquentes 
nouvelles  de  madame  la  commandante,  jùsqui 
lentière  guérison  dont,  sur  votro  pénultième  let- 
■  tre ,  Fespoir  se  joint  au  désir.  Pour  moi ,  mon  état 
^n'est  pae  empiré  depuis  que  je  suis  ici;  mais  je 
'  sottifre  toujours  beaucoup.  J^ai  eu  tort  de  ne  vous 
pas  marquer  le  n' tahlissemcnt  de  madame  Renou , 
qui  n'a  tenu  le  lit  que  peu  de  jours;  mab  imagi- 
nez ce  que  c  était  que  d  être  tous  deux  en  même 
temps  presque  à  l'extrémité  dans  un  mauvais  ca- 
'  baret. 

il  n^  a  pas  eu  moyen  de  tirer  de  Frérpn  le  aia- 
nuscrit  sur  lequel  le  discours  en  question  a  été 
imprimé  ;  mais  je  vois,  par  ce  que  vous  me  mar- 
quez, que  la  copie  furtivo  en  a  été  faite  avant  les 
corrections,  qui  cependant  sont  assez  anciepnesj 


.    AKViB  1769^  I^ 

0lles  ii*empéchent  pas  que  lonvrage,  ainsi  cor- 
rigé, ne  soit  un  misérable  torche-cul;  jugez  de  ce 
qu'il  doit  être  dans  Fétat  où  ils  Tont  imprimé.  Ce 
qu'il  y  a  'de  pis  est  cpie  Rcy  et  les  autres  ne  man* 
qucront  pas  de  Finsérer  en  cet  état  dans  le  recueil 
de  mes  écrits.  Qu  y  puis-je  &ire?  il  n^y  a  point  de 
ma  &ute.  Dans  Fétat  où  je  suis ,  tout  ce  qull  reste 
à  ùire,  quand  tous  les  maux  sont  sans  remède ^ 
est  de  rester  tranquille  et  de  ne  plus  se  tourmen- 
ter de  rien. 

M.  Séguier,  célèbre  par  le  Plantœ  Veronenses 
que  vous  ayez  peut-être  ou  que  tous  devriez 
avoir,  vient  de  mVnvoyer  des  plantes  qui  m'ont 
remis  sur  mon  herbier  et  sui  mes  bouquins.  Je 
suis  maintenant  trop  riche  pour  ne  pas  sentir  la 
privation  de  ce  qui  me  manque.  Si,  parmi  celles 
que  vous  promet  le  Parolier ,  pouvaient  se  trouver 
la  grande  Gentiane  pourprée,  le  Thora  valden-- 
stum,  YEpimedium^  et  quelques  autres,  le  tout 
bien  conservé  et  en  fleurs,  je  vous  avoue  que  ce 
cadeau  me  ferait  le  plus  grand  plaisir,  car  je  sens 
que,  malgré  tout,  la  botanique  me  domine.  Jlier- 
boriserai ,  mon  cher  hôte ,  jusqu'à  la  mort  et  au- 
delà;  car,  s'il  y  a  des  fleurs  aux  champs  élysées, 
j'en  formerai  des  couronnes  pour  les  hommes 
vrais,  francs,  4roits,  et  tels  quassurémentj  avais 
mérité  d'en  trouver  sur  la  terre.  Box^our,  moa 
très-cher  hôte;  mon  estomac  m  avertit  de  finir 
ayant  que  la  morale  me  gagne;  car  cela  me  m^D^ 


l4d  CORRBSPOimA^CE^ 

rait  loin.  Mon  cœur  tous  suit  aa  pied  du  lit  de  h 
bonne  mamaUr  J'embrasse  le  bon  Jeanniu. 

863,  — A.M.DE*^*(0. 

Hooqain  t  le  ^5  mars  i  j<>9^ 

Lb  voilà  j  monsieur ,  ce  miséraUe  radotage  qair 
mon  amour-propre  humilié  vous  a  &it  si  loag« 
temps  attendre ,  &ute  de  sentir  qa!nn  amour-f  ro* 
pre  beaucoup  plus  noble  devait  m'apprendre  i 
surmonter  ceîui-iâ.  Qu'importe  que  mon  verbiage 
vous  parabse  misérable ,  pourvu  que*  je  sois  coû- 
tent du  sentiment  qui  me  Fa  dicté.  Sitôt  que  mon 
meilleur  état  m'a  rendu  quelques  forces  ^  j^en  ai 
profité  pour  le  relire  et  vous  l'envoyer.  Si  vou» 
avez  le  courage  d  aller  jusqu'au  bout ,  je  vous  prio 
après  cela  de  vouloir  bien  me  le  renvoyer,  sans 
me  rien  dire  de  ce  que  vous  en  aurez  pefnsé,  et 
que  je  comprends  de  reste.  Je  vous  salue,  moo« 
sieur,  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

864.  — aM^db*^  • 

Boorgoiq,  le  i5  juiTler  17^. 

Je  sens,  monsieur,  l'inutilité  du  devoir  que  je 
remplis  en  répondant  à  votre  dernière  lettre  ;  mais 
c  est  un  devoir  enfin  que  vpus  m'imposez  et  que 

(1)  GeUe  lettre  scH  (TeoToi  à  «lie  ^ni  mât,  écif»  ploidt 
dlpcsmoM  aeipanivaiii,  coBMiie  00  U  voii  pu  m  dat». 


Afndn  176g.  i4' 

je  remplis  de  bon  coeur  quoique  mal^  vu  les  dbs 
ti-actions  de  1  état  où  )c  suis. 

Mon  dessein^  en  vous  disant  ici  mon  opinion 
sor  les  principaux  points  de  yotre  lettre,  est  de 
TOUS  la  dire  avec  simplicité  et  sans  clicfchcr  à 
TOUS  la  £iire  adopter.  Cela  serait  contiT  mes  priu^ 
cipes  et  même  contre  mon  goût.  CcU*  je  suis  juste  ; 
et  comme  je  n^aimepoint  qu  on  cherche  à  me  sub- 
juguer, je  ne  cherche  non  plus  à  sub juger  per- 
sonne. Je  sais  qœ  la  raison  commune  est  très- 
4)omée  \  qu'aussitôt  qu^on  sort  de  ses  étroites  limi- 
tes ^  chacun  a  la  sienne  qui  nest  propre  quà  lui; 
que  les  opinions  se  propagent,  par  les  opinions, 
non  par  la  raison  j  «t  que  quiconque  cède  au  rai- 
sonnemenl  diiu  autre ,  chose  déjà  très-rare ,  cède 
par  préjugé,  par  autorité,  far  sîffection ,  par  pa- 
resse, rarement,  jamais  peut-être,  par  sou  propre 
jugements 

Vous  me  maïquez,  moflsieur,  que  le  résulta^, 
de  vos  recherches  sur  Fauteur  des-  choses  est  un 
état  de  doute.  Je  ne  pais  juger  de  cet  état,  parce 
qu  il  n'a  jamais  été  le  mien.  J'ai  cru  dans  mou  cn^ 
£iiicc  par  autorité,  dans  ma  jeunesse  par  senti- 
ment,  dans  mon  âge  mûr  par  raison  ;  maintenant 
je  crois  parce  que  j'ai  toujours  cru.  Tandis  que 
ma  mémoire  éteinte  ne  me  remet  plus  sur  la  trace 
de  mes  raisonnemens,  taudis  que  ma  judiciaire 
afiaiblie  ne  me  permet  plus  do  les  rccommenceri 
les  opinions  qui  en  ont  résulté  me  restent  dans 
toute  leur  force)  et  sans  que  i'aie  la  volouté  uL  le 


l4tl  CÔIUa»PO!n>ANCE , 

eottcage  de  les  mettre  derechef  en  déIiI)ération ,  je 
ta  y  tiens  en  confiance  et  en  conscience,  certain 
d'avoir  apporté  dans  la  vigueur  de  mon  jugement 
à  leurs  discussions  toute  Tattention  et  la  bonne 
foi  dont  j'étais  capable.  Si  je  me  suis  trompé,  œ 
n'est  pas  ma  &ute,  c'est  celle  de  la  nature,  qui 
n'a  pas  donné  à  ma  tète  une  plus  grande  mesure 
d'intelligence  et  de  raison.  Je  n'ai  rien  de  plus  au- 
jourd'hui; j'ai  beaucoup  de  moins.  Sur  quel  fon- 
dement recommencerais-je  donc  à  délibérer?  Le 
moment  presse;  le  départ  approche.  Je  n  aurais 
jamais  \e  temps  ni  la  force  d'acheter  le;  grand  tra- 
vail d'une  refonte*  Permettez  qu'à  tout  événe- 
ment j'emporte  avec  moi  la  consistance  et  la  fe^ 
fneté  d'un  homme,  non  içs  doutes  découFageaos 
et  timides  d'un  vieux  radoteur. 

A  ce  que  je  puis  me  rappeler  de  mes  anciennes 
idées ,  à  ce  que  j'aperçois  de  la  marche  àes  vAtres, 
je  vois  que ,  n 'ajant  pas  suivi  dans  nos  recherche» 
ia  même  route,  il  est  peu  étonnant  que  nous  ne 
soyons  pas  arrivés  à  la  même  conclusion.  Balan* 
^ant  les  preuves  de  Texistence  de  Dieu  avec  les 
difficultés,  vous  n'avez  trouvé  aucun  des  cÀtés 
assez  prépondérant  pour  vous  décider,  et  tous 
êtes  resté  dans  le  doute.  Ce  n^est  pas  comme  cela 
que  je  fis  ;  j  examinai  tous  les  systèmes  sur  la  for- 
mation do  l'univers  que  jWais  pu  connaître;  je 
méditai  sur  ceux  que  je  pouvais  imaginer;  je  les 
comparai  tous  de  mon  mieux  ;  et  je  me  décidai, 
non  pour cdui  qui  ne  mWcait  pointde  difficultés, 


îb  m*eii  ofiraient  tous ,  mai»  pour  celui  qui  me 
paraissait  en  aroir  le  moins  :  je  me  dis  que  ces 
dijfficnltés  étaient  dans  la  nature  de  la  chose;  cpie 
la  contemplation  de  Imfini  passerait  toujours  les. 
bornes  de  mon  entendement;  que,  ne  devant  jcV 
mais  espérer  de  concevoir  pleinement  le  système 
de  la  nature,  tout  ce  que  je  pouvais  £eiire  était  de  le 
considérer  par  les  côtés  que  je  pouvais  saisir  ;  qull 
fiillait  savoir  ignorer  en  paix  tout  le  reste;  et  jV 
voue  que,  dans  ces  recherches,  je  pensai  comme 
lesgens  dont  vous  parlez,  qui  ne  rejettent  pas  une 
vérité  claire  ou  suffisamment  prouvée  pour  les 
difficultés  qui  l'accompagnent,  et  qu  on  ne  saurait 
lever.  J'avais  alors,  je  lavoue,  une  confiance  si 
téméraire,  ou  du  moins  une  si  forte  persuasion, 
que  j  aurais  défié  tout  philosophe  de  proposer  au*»- 
cun  autre  système  intelligible  sur  la  nature,  au^ 
quel  je  n'eusse  opposé  des  objections  plus  fortes, 
plus  invincibles  que  celles  qu'à  pouvait  m'opposer 
sear  le  mien  ;  et  alors  il  &llait  me  résoudre  à  rester 
sans  rien  croire,  cotbme  vous  faites ,  ce  qui  ne  dé- 
pendait pas  de  moi.  ou  mal  raisQuner,  eu  croire* 
comme  j'ai  fiiit 

Une  idée  qui  me  vint  il  y  a  trente  ans  a  peut« 
être  plus  contribué  qu  aucune  autre  à  me  rendra 
inébranlable  :  supposons,  me  disais -je,  le  geni^ 
huma'n  vieilli  jusqà'à  ce  jour  dans  le  plus  com[*!et. 
matérialisme ,  sans  que  jamais  idSe  de  divinité  ni. 
d'âme  soit  entrée  dans  aucun  esprit  humain  ;  sup* 
posons  gue  l'athéisme  pbilosophiquie  ait  épuM 


f44  CORRÉSPOKDAirGEy 

lous  ses  systèmes  poar  expKcjaer  la  fonnation  tf 
la  marche  de  l'univers  par  le  seul  jeu  de  la  ma*» 
tière  et  du  mouveioent  nécessaire,  mot  auquel, 
du  reste,  je  u'ai  jamais  rien  conçu  :  dans  cet  état, 
monsieur,  excusez  ma  firanchise,  je  supposais  en- 
core ce  cjue  j'ai  toujours  vu,  et  ce  que  je  sentais 
devoir  être,  qu au  lieu  de  5e  reposer  tranquille- 
luent  dpns  ces  systèmes ,  x^omme  dans  le  seôn  de  la 
vérité,  leurs  inquiets  partisans  cherchaient  sans 
cesse  à  parler  de  leur  doctrine^  à  Féclaircir,  A  l'é- 
tendre, à  Texpliquer,  ia  palMçr,  la  oorriger,  ct^ 
comme  celui  qui  sent  trembler  sous  ses  pieds  la 
liiaison  qu^il  habite,  à  Tétajer  de  nouveaux  argu- 
mens.  Terminons  enfin  ces  suppositions  par  celle 
d  W  Platon ,  d'un  Ckrke ,  qui ,  se  levant  tout  d'un 
coup  au  milieu  deux»,  leur  fedtdit^  Mes  amis, si 
vous  eussiez  commencé  TalïaJyse.  de  cet  xmycTS 
par  celle  de  vous^'mèmes ,  vous  «ussiez  trouvé 
dans  la  nature  de  votre  être  la  clef  de  la  ebnstitu- 
tien  de  ce  même  univers,  que  vous  cherchez  ea 
vain  sans  cela;  qù^'ensnite,  leur  expliquant  la  disf 
tinction  des  deux  substances^  îi  leur  eût  prouvé 
par  les  propriétés  mêmes  de  la  matière  que,  quoi 
qu'en  dise  Locke*,. la  m]{>pesition  de  la  matière 
pensante  est  une  véritable  absurdité;  qu'il  leur 
eût  fait  voir  qucUe  est  la  natufe  de  l'être  vraiment 
ac-fif  et  pensant;  et  que,  de  l'établissement  de  cet 
être  qui  juge,  il  fût  enfin  remonté  aux  notions 
confuses, mais  isûres,  de  TEtre  suprême  :  qui  peut 
cbutçr  que,  frappés  de  l'éclat,  de  la5impUcité,dr 


'  'AimÉE  1769.  145 

lai  vérité  ^  de  la  t>èàuté  de  cette  ravissante  idée ,  les 
mortels,  jils^'alors  aveugles,  éclairés  dès  pre- 
miers rayoïis'de'la  Divinité,' ne  lui  eussent  ofièrt 
par  acclamatibn  leurs  premiers  hommages ,  et  que 
les  penseur^  surtout  et  les  philosophes  n^eussent 
rougî  d'avoir  contemplé  si  long-temps  les  dehors 
de  cette'  mîièliitie  immense,  sans  trouver,  sans 
soupçonner  Jnême  la  clef  de  sa  constitution  ;  et, 
toujours  grossièrement  bornés  par  leurs  sens-,  de 
n'avoir  jamais  su  voir  que  matière  où  tout  leur 
montrait  qu'une  autre  substance  donnait  la  vie  à 
runlvers''et  llntelligence  à  ITiomme.  C  est  alors, 
iSionsici#,*que  la  mode  eût  été  pour  cette  nouvelle 
pHilosoj)hie;^qne  les  jeunes  gens  et  les  sages  se 
ftjsscht  trouvéis  d'accord  ;  qu'une  doctrine  si  belle^ 
si.  i^littie,  si  douce  et  si  consolante  pour  tout 
homme  ju^ste,  eût  réellement  eicité  tous  les 
hommes  i  la  vertu;  et  que  ce  beau  mot  d'huma- 
nité, rehattli  maintenant  jusqu'à  Id' fadeur,  jus- 
qu'au ridicule,  par  tes  gens  du  monde  les  moins 
humains,  eût  été  plus  empreint  dkns  lès  coèura 
que  dans  les  livres.  11  eût  donc  suffi  d'une  ^Aiple 
transposition  de  tcfmps  pour  -fenre  prendre  tout  1^ 
contrc-pted  "â  la  mode  ]philosophiq[ue/  aVec  cette 
fiflêwnbe  que  Celle  dnujourd'hui ,  malgré  son 
dinquant  de  paroléé ,  ne  nous  protaet  pas  une  gé« 
ttératioii  bien  estimable,  ni  des  philosophes  bien 
Vertueux. 

Vous  objectez, monsieur,que  si Dfeu  éàï  toutuf 
obliger  les  hommes  A  le  conxuittre,'ii  eftt  mis  sou 


I  ^8  CORRESPONDANCE  , 

jnode,  tous  tous  ces  vétemens  divers  on  trouve 
pourtant  toujours  Dieu.  Le  petit  nombre  d'élite 
qui  a  de  plus  hautes  prétentions  de  doctrine^  et 
dont  le  génie  ne  se  borne  pas  au  sens  commun, 
en  veut  un  plus  transcendant ,  ce  n  est  pas  de  quoi 
je  le  blâme;  mais  qu'il  parte  de.là  pour  se  mettre 
à  la  place  du  genre  humain ,  et  dire  que  Dieu  s*est 
caché  aux  hommes,  parce  que  lui,  petit  nombre, 
ne  le  voit  plus,  je  trouve  en  cela  qu'il  a  tort.  D 
peut  arriver,  j^en  conviens,  que  le  torrent  de  la 
mode  et  le  jeu  de  Tintrigue  étendent  la  secte  phi- 
losophique, et  persuadent  un  moment  à  la  multi- 
tude qu'elle  ne  croit  plus  en  Dieu;  mais  cette 
mode  passagère  ne  peut  durer;  et,  comme  qu  od 
s'y  prenne,  il  faudra  toujours  à  la  longue  un  Dieu 
à  l'homme;  enfin  quand,  forçant  la  nature  des 
choses,  la  Divinité  augmenterait  pour  nous  d évi- 
dence, je  ne  doute  pas  que  dans  le  nouveau  lycée 
on  n  augmentât  en  même  raison  de  subtilité  pour 
la  nier.  La  raison  prend  à  la  longue  le  pli  que  le 
cœur  lui  donne  ;  et,  quand  on  veut  penser  en  tout 
autrement  que  le  peuple^  on  en  vient  à  bout  tôt 
ou  tard. 

Tout  ceci,  monsieur,  ne  vous  paraît  guère  phi- 
losophique, ni  à  moi  non  plus;  mais,  toujours  de 
bonne  foi  avec  moi-même ,  je  sens  se  joindre  à  mes 
raisonnemens,  quoique  simples,  le  poids  de  Fav 
sentiment  intérieur.  Vous  voulez  quW  s  en  défie; 
îe  ne  saurais  penser  comme  vous  sur  ce  point,  et 
je  trouve,  au  contraire^dans  ce  jugement  interao 


AmfiE  1769»  149 

une  sauvegarde  naturelle  contre  les  sophismes  de 
ma  raison*  Je  crains  même  qu^en  cette  occasion 
vous  ne  confondiez  les  penchans  secrets  de  notre 
cœur  qui  nous  égarent,  avec  ce  dictamen  plus  se- 
cret, plus  interne  encore,  qui  réclame  et  murmure 
contre  ces  décisions  intéressées,  et  nous  ramène 
en  dépit  de  nous  sur  la  route  de  la  vérité.  Ce  sen^ 
timent  intérieur  est  celui  de  la  nature  elle-même^ 
c'est  un  appel  de  sa  part  contre  les  sophismes  dé 
la  raison  ;  et  ce  qui  le  prouve  est  qu'il  ne  parle  ja« 
mais  |4us  fort  que  quand  notre  volonté  cède  aveé 
le  plus  de  complaisance  aux  jngemens  qu^il  soUs^ 
tîne  à  rejeter.  Loin  de  croire  que  qui  juge  d'après 
lui  soit  sujet  à  se  tromper,  je  crois  qoe  jamais  il 
ne  nous  trompe,  et  qu'il  est  la  lumière  de  notre 
ÛLïbie  entendement,  lorsque  nous  voulons  allef 
plus  loin  que  ce  que  nous  pouvons  concevoir.     ' 
Et  apr^  tout,  combien  de  fois  la  philosophie^ 
eile-méme,  avec  toute  sa  fierté,  n'est-elle  pas 
forcée  de  recourir  à  ce  jugement  interne  qu  elle 
affecte  de  mépriser?  N  etaif-ce  pas  lui  seul  qui  fai* 
sait  marcher  Diogène  pour  toute  réponse  devant 
Zenon  qui  niait  le  mouvement?  n'était-ce  pas  par 
hii  que  toute  1  antiquité  philosophique  répondait 
au  pyrrfaoniens?  N'allons  pas  si  loin  ;  tandis  que 
toute  la  philosophie  moderne  rejette  les  espritsy 
tout  d'an  coup  Tévéque  Berkley  s  élève  et  soutient 
qu'il  ny  a  point  de  corps.  Comment  estH)n  venu 
i  bout  de  répondre  à  ce  terriUe  logicien?  Otez  le 
sentiment  intérieur^  et  je  défie  tous  les  philoso* 


r  50  GORRBSPO^DANCB  y 

phes  moderneft  ensemble  de  prottFer  à  BerUcj 
qu'il  y  a  des  corps.  Bon  jeune  homme  ^  qui  me  pa- 
raissez si  bien  né ,  de  la  bonne  foi ,  je  vous  en  con- 
jure., et  permettez  que  je  y<His  cite  ici  un  auteur 
qui  ne  vous  sera  pas  suspect ,  celui  des  Pensées 
fhilosophùjues  {*).  Qu^un  homme  vienne  vous 
dire  que,  projetant  au  hasard  uue  multitude  de 
caiactères  d'imprimerie,  il  a  vu  l'Enéide  tout  ar- 
rangée résulter  de  ce  jet  ;  convenez  qu^au  lieu 
d'aller  vérifier  cette  merveille  vous  lui  répondrez 
froidement  :  Monsieur,  cela  n'est  pas  impossiUe, 
mais  vous  mentez.  En  vertu  de  quoi ,  je  vous  prie , 
lui  répondrez->vou$  ainsi? 

Eh!  qui  ne  sait  que,  sans  le  sentiment  interne, 
îl  ne  resterait  bientôt  plus  de  traces  de  vérité  sur 
ia  terre,  que  nous  serions  .tous  successivement  le 
jouet  des  opinions  les  plus  monstrueuses,  à  me* 
sure  que  ceux  qui  les  soutiendraient  auraient  pins 
de  génie ,  d  adresse  et  d'esprit  -,  et  qu'enfin ,  réduits 
à  rougir  de  notre  raison  même,  nous  ne  saurions 
bientôt  plus  que  croire  ni  que  penser? 

Mais  les  objections....  Sans  doute  il  y  en  a  dln- 
solubles  pour  nous,  et  beaucoup,  je  le  sas;  mais 
dncore  un  coup,  donnez-moi  un  système  oà  il  ny 
en  ait  pas,  ou  dites-moi  comment  je  dois  me  dé» 
terminer.  Bien  plus,  par  la  nature  de  mon  sys* 
tème,  pourvu  que  meâ  preuves  directes  soient 
bien  établies,  les  difficultés  ne  doivent  pas  m'ar- 

*  '  '     '  ■       '  ■  ■    n   M  m  1 1     ■  ■■     I    1 1       I  I  I    M 

nOifteroi. 


Ainrés  176g.  ifït 

réter ,  tq  l'impossibilité  oii  je  suis ,  moi  être  mixte, 
de  raisonner  exactement  sur  les  esprits  purs  et 
d'en  observer  suffisamment  la  nature.  Mais  vous, 
matérialiste,  qui  me  parlez  dVine  substance  uni- 
que, palpable,  et  soumise  par  sa  nature  à  llns^ 
pection  des  sens,  vous  êtes  obligé  non-seulement 
de  ne  me  rien  dire  que  de  clair,  de  bien  prouvé, 
mais  de  résoudre  toutes  mes  difficultés  d'une  Êiçon 
pleinement  satis&isante,  parce  que  nous  possé- 
dons vous  et  moi  tous  les  instrumens  nécessaires 
à  cette  solution.  Et,  par  exemple,  quand  vous 
iaites  naître  )a  pensée  des  combinaisons  delà  ma- 
dère, vous  devez  me  montrer  sensiblement  ces 
comlnnaisons  et  leur  résultat  par  les  seules  lois  de 
b  physique  et  de  la  m^écanique,  puisque  vou3 
n'en  admettez  point  d'autres.  Vous,  épicurien , 
Vous  composez  Vâme  d^atomes  subtils.  Mais  qu^ap^ 
pelez-vous  subtils,  je  vous  prie?  vous  savez  que 
nous  ne  connaissons  point  de  dimensions  abso- 
lues, que  rien  n  est  petit  ou  grand  que  relative- 
ment â  l'œil  qui  le  regarde.  Je  prends  par  suppo- 
sition un  microscope  suffisant,  et  je  regarde  un 
de  vos  atomes  :  je  vois  un  grand  quartier  de  rocber 
crochu;  de  la  danse  et  de  Taccrochement  de  pa» 
reils  quartiers  j'attends  de  voir  résulter  la  pensée* 
Vous,  moderniste,  vous  me  montrez  une  moIé* 
cnle  organique;  je  prends  mon  microscope,  et  je 
vois  un  dragon  grand  comme  la  moitié  de  ma 
chambre;  j'attends  de  voir  se  mouler  et  s'entor- 
tiller de  pareils  dragons  jusqu^à  ce  que  |c  voie  rér 


1 5  2  CORRESPONDANCE , 

sulter  du  tout  un  être  non -seulement  oi^anlsé, 
mais  intelligent,  c  est-à-dire  un  être  non  agrégatif 
et  qui  soit  rigoureusement  un-,  etc.  Vous  me  uxar-^ 
quiez,  monsieur ,  que  le  monde  s'était  fortuite- 
ment arrangé  comme  la  république  romaine  c  pour 
que  la  parité  fût  juste ,  il  faudrait  que  la  républi- 
que romaine  n'eût  pas  été  composée  avec  des 
hommes,  mais  avec  des  morceaux  de  bois.  Mon-. 
ti*ez-moi  clairement  et  sensiblement  la  génération 
purement  matérielle  du  premier  être  intelligent» 
je  ne  tous  demande  rien  de  plus. 

Mais  si  tout  est  l'œuvre  a  un  être  intelligent, 
puissant,  bienfaisant,  doà  vient  le  mal  sur  la 
terre?  Je  vous  avoue  que  cette  difficulté  si  terrible 
ne  m'a  jamais  beaucoup  frappé ,  soit  que  je  ne  Taie 
pas  bien  conçue,  soit  qu'en  effet  elle  n'ait  pas 
toute  la  solidité  qu  elle  paraît  avoir.  Nos  philoso- 
phes se  sont  élevés  contre  les  entités  métaphysi- 
ques, et  je  ne  connais  personne  qui  en  tàsse  tant, 
Qu  entendent-ils  par  le  mal?  qu'est-ce  que  le  mal 
on  lui-même?  ob  est  le  mal  relativement  k  la  na- 
ture et  à  son  auteur?  L'univers  subsiste;  Tordre  y 
règneet  s^y  conserve  ;  tout  y  péril  successivement, 
parce  que  telle  est  la  loi  des  êtres  matériels  et  mus; 
mais  tout  s'y  renouvelle,  et  rien  n^  d^énère, 
parce  que  tel  est  Tordre  de  son  auteur,  et  cet  ordre 
ne  se  dément  point.  Je  ne  vois  aucun  mal  à  tout 
cela;  mais  quand  je  souffre,  n'est-ce  pas  un  mal? 
quand  je  meurs,  n^est-çe  pas  un  mal?  Doucement; 
je  suis  sujet  i  la  mort,  parce  oue  j'ai  reçu  la  vie; 


il  tCy  avait  pour  moi  qu^uD  moyen  de  iie  point 
mourir,  cétait  de  ne  jamais  naître.  La  vie  est  un 
bien  positif,  mais  fini,  dont  le  terme  s^appelle 
mort.  Le  terme  du  positif  n  est  pas  le  négatif  ;il 
est  zéro.  La  mort  nous  est  terrible,  et  nous  appe* 
Ions  cette  terreur  un  mal.  La  douleur  est  encore 
nn  mal  pour  celui  qui  sou&e ,  j'en  conviens  ;  mais 
la  douleur  et  le  plaisir  étaient  les  seuls  moyens 
d^attacher  un  être  sensible  et  périssable  à  sa  propre 
conservation,  et  ces  moyens  sont  ménagés  avec 
nne  bonté  digne  de  TEire  suprême.  Au  moment 
même  que  j'écris  ceci ,  je  viens  encore  d'éprouver 
combien  la  cessation  subite  d'une  douleur  aiguë 
est  un  plaisir  vif  et  délicienx.  M'oserait- on  dire 
que  la  cessation  du  plaisir  le  plus  vif  soit  une  dou^ 
leur  aiguë?  La  douce  jouissance  de  la  vie  est  per* 
manente;  il  suffit,  pour  la  goûter,  de  ne  pas 
souftîr.  La  douleur  n'est  qu^un  avertissement  im- 
portun, mais  nécessaire,  que  ce  bien  qui  nous  est 
d  cher  est  en  péril.  Quand  je  regardais  de  près  à 
tout  cela,  je  trouvai,  je  prouvai  peut-^tre  que  le 
sentiment  de  la  mort  et  celui  de  la  douleur  est 
presque  nul  dans  Tordre  de  la  nature.  Ce  sont  les 
hommes  qui  l'ont  aiguisé;  sans  leurs  raffinemens 
insensés,  sans  leurs  insatutions  barbares,  les 
maux  physiques  ne  nous  atteindraient  pas,  ne 
nous  afibcteraient  guère,  et  nous  ne  sentirions 
point  la  mort. 

Mais  le  mal  moral!  autre  ouvrage  de  l'homme^ 
auquel  Dieu  n'4  d'autre  part  que  de  l'avoir  fait 


1 56  COKltESPOTOAKCE  , 

lui  de  son  lion  naturel;  il  cède  à  ses  penelians  ev 
pratiquant  la  justice,  comme  le  méchant  cède  aux 
siens  en  pratiquant  Tiniquité.  Contenter  le  goût 
qui  nous  porte  à  bien  faire  est  bonté  ^  mais  non 
pas  vertu. 

Ce  mot  de  vertu  signifie  force,  U  n'y  a  point 
de  vertu  sails  combat;  il  n  y  en  a  ppint  sans  vic- 
toire. La  vertu  ne  consiste  pas  seulement  à  être 
juste ,  mais  à  Tétare  en  triomphant  de  ses  passions , 
&i  régnant  sur  son  propre  cœur.  Titus,  rendant 
heureux  le  peuple  romain,  versant  partout  les 
grâces  et  les  biôifaits,  pouvait  ne  pas  perdre  un 
seul  jour  et  n'être  pas  vertueux;  il  le  fiit  certaine- 
ment  en  renvoyant  Bérénice.  Bmtus  faisant  mou- 
rir  ses  enfans  pouvait  n'êtreque  juste.  Mais  Bnifus 
était  un  tendre  père  ;'  pour  faire*  son  devoir  il  dé* 
chira  ses  entrailles,  et  Brutus  fut  vertueux. 
'  Vous  voyez  ici  dWance  la  question  remise  â 
son  point.  Ce  divin  simulacre  dont  vous  me  parlez 
s*offire  à  moi  sous  une  image  qui  n^est  pas  ignoble, 
et  je  crois  sentir  à  llmpression'  que  cette  image 
fiiit  dans  mon  cœur  la  chaleur  qu'elle  est  capable 
de  produire.  Mais  ce  simulacre  enfin  n'est  encore 
qu^une  Àe  ces  entiteVmétaphysiques  dont  vous  ne 
voulez  pas  que  les  hommes  se  &ssent  des  dieux; 
c^est  un  pur  objet  de  conteihplatiop.  Jusqu'oft 
portez -vous  lleffet  de  bette  contemplation  su* 
blime?  Si  vous  ne  voulez  qu'en  tirer  un  nouvel 
encouragement  pour  bien  Êiire,  je  suis  d'accoid 
p/fec  vous;  mais  cq  nest  pa$  de  cela  qu  il  s'^it. 


isniE  17G9.  157 

Supposons  votre  cœpr  hopûéte  en  proie  aux  p95< 
sions  les  plus  terribles,  dont  yous  n'êtes  pas  k  Ta- 
bri ,  puisque  enfin  Tous^tes  hpmme.  Cette  image , 
qui  dans  le  calme  s'y  peint  si  ravissante,  n'y  per- 
dra-t-elle  rien  de  ses  cbarmes,  et  ne  s'y  ternira^ 
t-elle  point  au  milieu  des  flots?  Ecartons  1^  sup- 
position décourageante  et  terrible  des  périls  qui 
peuvent  tenter  1^  vertu  mise  au  désespoir;  sup- 
posons seulement  qu  un  cœur  trop  sensible  brûle 
d  un  amour  involontaire  pour  la  fille  ou  la  femme 
de  son  ami;  qu'il  soit  maître  de  jouir  d'elle  entre 
le  ciel  qui  n'en  voit  rien ,  et  lui  qui  p'en  veut  rien 
dire  à  penonne;  que  sa  figure  ch^urmante  TatÛTe 
ornée  de  tous  les  attraits  de  la  beauté  et  de  la  vo- 
lupté :  au  moment  où  ses  sens  enivrés  sont  prêta 
à  se  livrer  4  leurs  délices,  cette  image  abstraite  de 
la  vertu  vicndra-t-elle  disputer  son  cœur  à  l'objel 
réel  quile  frappe?  lui  parailra-i-«lle  en  cet  instant 
la  plus  belle?  rarracbera-t-elie  des  bras  de  celle 
qu!îl  aime  pour  se  livrer  i  la  yaine  contemplation 
dun  &ntôme  qu'il  sait  être  sans  réalité?  finira-t-i) 
comme  Joseph ,  el  laissera-t-il  son  manteau?  Non^; 
monsieur;  il  fermera  les  yeux^çt  succombera.  I^e 
croyant,  dires-vous,  succombera, d^  même.  Oui^ 
llionune  faible;  celui,  par  etei^pl^,  qui  vonv- 
écrit  ;  mais  donnez -leur  à  tou;  dfiuoL  lé  mênm. 
degré  de  force^  «t  voyez  la  dîfi^ence  du  poLoi. 
4'appuL 

Le  moyen ,  monsieur,  de  résister  à  des  tentai 
^ons  viçlentes,  quand  on  peut  l^nr  eéder  sai^i 


l58  'CORABSFOimÀVCE, 

crainte  en  se  disant  :  A  quoi  bon  résister?  Pour 
être  yertueux ,  le  philosophe  a  besoin  de  Fétre  aux 
yeux  des  hommes,  mais  sons  les  yeux  de  Dieu  le 
juste  est  bien  fort  ;  il  compte  cette  vie,  et  ses  biens, 
et  ses  maux,  et  toute  sa  gloriole  pour  si  peu  de 
chose!  il  aperçoit  tant  au-delà  !  Force  invincible 
de  la  yertu,  nul  ne  te  connaili  que  celui  qui  sent 
tout  son  être,  et  qui  sait  qull  n  est  pas  au  pouvoir 
des  hommes  d'en  disposer?  Lisez-vous  quelque- 
fois k  République  de  Platon?  voyez  dans  le  se- 
cond dialogue  avec  quelle  én^gie  Tami  de  So» 
drate,  dont  jai  oublié  le  nom,  lui  peint  le  juste 
accablé  des  outrages  de  la  fortune  et  des  injustices 
des  hommes,  diffamé,  persécuté,  tourmenté,  en 
proie  à  tout  Topprobre  du  crime,  et  méritant  tous 
les  prix  de  la  vertu ,  voyant  déjà  la  mort  qui  s  ap- 
proche, et  sAr  que  la  haine  des  méchans  n  épar- 
gnera pas  sa  mémoire  ,<piand  ils  ne  pourront  plus 
rien  sur  sa  personne.  Quel  tableau  décourageant , 
si  rien  pouvait  décourager  la  vertu  1  Socrate  lui- 
ittêine  eflSrayé  s'écrie ,  et  croit  devoir  invoquer  ks 
dieux  avant  de  répondre  ;  mais  sans  Tespoir  d*une 
autre  vie,  il  aurait  mal  répondu  pour  celle-ci. 
Toutefois,  dût- il  finir  pour  nous  à  la  mort,  ce 
qui  ne  peut  être  si  Dieu  est  juste,  et  par  consé- 
quent s  il  existe ,  l'idée  seule  de  cette  existence  se- 
rait encore  pour  Thomme  un  encouragement  à  la 
vertu,  et  une  consolation  dans  ses  misères,  dont 
manque  celui  qui ,  se  croyant  isolé  dans  cet  mû* 
r^rs,  ne  sent  au  fond  de  son  eceur  aucun  confident 


.  ' 


de  ses  pensées.  C'est  toujours  une  douceur  dans 
l'adversité  d'avoir  un  témoin  (ju'on  ne  Fa  pas  mé- 
ritée; c'est  un  orgueil  vraiment  digne  de  la  vertu 
de  pouvoir  dire  à  Dieu  :  Toi  qui  lis  dans  mon 
cœur,  tu  vois  que  j^use  en  âme  forte  et  en  homme 
juste  de  la  liberté  que  tu  m'as  donnée.  Le  vrai 
crojanty  qui  se  sent  partout  sous  l'œil  éternel, 
aime  à  slionorer  k  la  Ëtce  du  ciel  d'avoir  rempli 
ses  devoirs  sur  la  terre. 

Vous  voyez  que  je  ne  vous  ai  point  disputé  ce 
simulacre  que  vous  m'avez  présenté  pour  unique 
objet  des  vertus  du  s^^e.  Mais ,  mon  cher  mon- 
sieur, revenez  maintenant  à  vous,  et  voyez  com- 
bien cet  objet  est  inalliable,  incompatible  avec 
vos  principes.  Comment  ne  sentez-vous  pas  que 
cette  même  loi  de  la  nécessité  qui  seule  règle,  se- 
lon vous,  la  marche  du  monde  et  tous  les  événe- 
mens,  règle  aussi  toutes  les  actions  des  hommes, 
toutes  les  penséesde  leurs  tètes,  tous  les  sentimens 
de  Jeurs  cœurs;  que  rien  n  est  libre,  que  tout  est 
forcé,  nécessaire,  inévitable;  que  tous  les  mou- 
vemens  de  Thomme,  dirigés  par  la  matière  aveu- 
gle, ne  dépendent  de  sa  volonté  que  parce  que  sa 
volonté  même  dépend  de  la  nécessité;  qu'il  n'y  a 
par  conséquent  ni  vertus,  ni  vices,  ni  mérite,  ni 
démérite,  ni  moralité  dans  les  actions  humaines; 
et  que  ces  mots  d'honnête  homme  ou  de  scélérat 
doivent  être  pour  vous  totalement  vides  de  sens? 
Us  ne  le  sont  pas  toutefois,  j'en  suis  très  sûr; 
votre  honnête  cœur,  en  d^it  de  vos  argumenS| 


1 6o  coftRESPoiro  AircE , 

léclame  contre  votre  triste  philosophie;  le  senti- 
ment de  la  liberté 9  le  charme  de  la  vertu,  se  foiit 
sentir  à  vous  malgré  vous.  Et  voilà  comment  de 
.  toutes  parts  cette  forte  et  salutaire  voix  du  senti- 
ment intérieur  rappelle  au  sein  de  la  vérité  et  de 
la  vertu  tout  homme  que  sa  raison  mal  conduite 
égare.  Bénissez,  monsieur,  cette  sainte  et  bien- 
disante  voix  qui  vous  ramène  aux  devoirs  de 
Ihomme,  que  la  philosophie  à  la  mode  finirait 
par  vous  faire  oublier.  Ne  vous  livrez  à  vos  argur 
mens  que  quand  vous  les  sentez  d'accord  avec  le 
dictamen  de  votre  conscience;  et,  toutes  les  fois 
que  vous  y  sentirez  de  la  contradiction ,  soyez  stf 
que  ce  sont  eux  qui  vous  trompent 

Quoique  je  ne  veuille  pas  ergoter  avec  vous  ni 
suivre  pied  à  pied  vos  deux  lettres,  je  ne  puis  ce- 
pendant me  refuser  un  mot  à  dire  sur  le  parallèle 
du  sage  hébreu  et  du  sage  grec.  Comme  admira- 
teur de  Tun  et  de  lautre ,  je  ne  puis  guère  être  sus- 
pect de  préjugés  en  parlant  d'eux.  Je  ne  vous  crois 
pas  dans  le  même  cas  :  je  suis  peu  surpris  que 
vous  donniez  au  second  tout  l'avantage;  vous 
nWez  pas  assez  &it  connaissance  avec  1  autre ,  et 
vous  nWez  pas  pris  assez  de  soin  pour  dégager 
ce  qui  est  vraiment  à  lui  de  ce  qui  lui  est  étranger 
et  qui  le  défigure  &  vos  yeux,  comme  à  ceux  de 
bien  d^autres  gens  qui,  selon  moi,  n  y  ont  pas  re- 
gardé de  plus  près  que  vous.  Si  Jésus  fût  né  à 
Athènes,  et  Socrate  à  Jérusalem,  que  Platon  et 
jSLénopbon  eussent  écrit  la  vie  du  premier,  Luc  et 


▲KIviE  1769.  161 

Matbien  celle  de  Tautre,  vous  changeriez  beau* 
coup  de  langage;  et  ce  qui  lui  fait  tort  dans  votre 
esprit  est  précisément  ce  qui  rend  son  élévation 
d'âme  plus  étonnante  et  plus  admirable ,  savoir^ 
sa  naissance  en  Judée,  chez  le  plus  vil  peuple 
qui  peut -être  existât  alors;  au  lieu  que  Socrate, 
né  chez  le  pluif  instruit  et  le  plus  aimable,  trouva 
tous  les  secours  dont  il  avait  besoin  pour  s'élever 
aisément  au  ton  quil  prit  11  s-éleva  contre  les  so- 
phistes, comme  Jésus  contre  les  prêtres;  avec  cette 
di£Ërence  que  Soorate  imita  souvent  ses  antago^ 
nistes,  et  que,  si  sa  belle  et  douce  mort  n  eût  ho- 
nwé  sa  vie,  II  eût  passé  pour  un  sophiste  comme 
eux.  Pour  Jésus ,  le  vol  sublime  que  prit  sa  grande 
âme  releva  toujours  au-dessus  de  tous  les  mortels; 
et  depuis  Tâge  de  douze  ans  jusqu^au  moment 
qu'il  expira  dans  la  plus-cruelle  ainsi  que  dans  la 
plus  infâme  de  toutes  les  morts,  il  ne  se  démentit 
pas  un  moment.  Son  noble  projet  était  de  relever 
son  peuple,  d'en  Êdre  derechef  un  peuple  libre  et 
digne  de  l'être;  car  c'était  par  lâ  qu'il  fellait  com- 
meticer.  L'étude  profonde  qu'il  fit  de  la  loi  de 
Moise ,  ses  effi>rts pour  en  réveiller  lenthousiasme 
et  lamour  dans  les  cœurs,  montrèrent  son  but^ 
autant  qu'il  était  possible,  pour  ne  pas  effarou- 
cher les  Romains».  Mai»  ses  vils  et  lâches  compa- 
triotes, au  lieu  de  Técouter,  le  prirent  en  haine 
piécisément  à  cause  de  son  génie  et  de  sa  vertu 
qui  leur  reprochaient  leur  indignité.  Enfin  ce  n$ 
fut  qu'après  avoir  vu  l'impossibilité  d'exécuter  son 

14. 


iGs  CO&RESPOITDAVCE, 

projet  qu'il  Fétendit  dans  sa  tête ,  et  que ,  ne  pou* 
Tant  faire  par  lui-même  une  révolution  chez  son 
peuple,  il  voulut  ^i  faire  une  par  ses  disciples 
dans  Tunivers.  Ce  qui  Tempêcha  de  réussir  dans 
son  premier  plan ,  outre  la  bassesse  de  son  peuple , 
incapable  de  toute  vertu,  fut  la  trop  grande  don-' 
ceur  de  son  propre  caractère  ;  douceur  qui  tient 
plus  de  lange  et  du  Dieu  que  de  l'homme ,  qui  ne 
l'abandonna  pas  un  instant  ^  même  sur  la  croix, 
et  qui  fait  verser  des  torrens  de  larmes  k  qui  sait 
Ure  sa  vie  comme  U  faut  à  travers  les  &tras  dont 
ces  pauvres  gens  Fout  défigurée.  Heureusement  ils 
ont  respecté  et  transcrit  fidèlement  ses  discours 
qu'ils  n  entendaient  pas  :  ôtez  quelques  tours 
orientaux  ou  mal  rendus,  on  ny  voit  pas  un  mot 
qui  ne  soit  digne  de  lui  ;  et  c^est  là  qu'on  reconnaît 
rhomme  divin ,  qui,  de  si  piètres  disciples,  a  &it 
pourtant,  dans  leur  grossier,  mais  fier  enthon- 
riasme,  des  hommes  éloquens  et  courageux. 

Vous  m'objectez  qu'il  a  fait  des  miracles.  Cette 
objection  serait  terrible,  si  elle  était  juste;  mais 
vous  savez,  monsieur,  ou  du  moins  vous  pour- 
riez savoir  que ,  selon  moi ,  loin  que  Jésus  ait  fait 
des  miracles,  il  a  déclaré  très- positivement  qull 
n'en  ferait  point,  et  a  marqué  un  très-grand  mé- 
pris pour  ceux  qui  en  demandaient. 

Que  de  choses  me  resteraient  à  dire  !  Mais  cette 
lettre  eât  énorme;  il  faut  finir  :  voici  la  dernière 
fois  que  je  reviendrai  sur  ces  matières.  J'ai  voulu 
vous  complaire  y  monsieur;  je  ne  m'en  repens 


AimiE  1769.  i63 

point  :  an  contraire,  je  vous  remercie  de  m'avoir 
fait  reprendre  un  fil  dldées  presque  effacées,  mais 
dont  les  restes  peuvent  avoir  pour  moi  leur  usage 
dans  l'état  où  je  suis. 

Adieu,  monsieur;  souvenez -vous  quelquefois 
d'un  homme  que  vous  auriez  aimé ,  je  m'en  flatte, 
quand  vous  Tauriez  mieux  connu ,  et-qui  s'est  oc- 
cupé de  vous  dans  des  momens  où  Ton  ne  s'occupe 
guère  qae  de  soi-même* 

865.  —  ▲  M.  L1.U.UDP. 

Sfooqam,,  le  17  mars  x^Op* 

J'ai  reçQ|  monsieur i  avec  VQtre  dernière  lettre, 
voire  seconde  rescriplion ,  dont  je  vous  remercie, 
et  dont  je  n'ai  pas  encore  fait  usage ,  faute  d'o& 
casion. 

Je  me  trouve  beaucoup  mieux  depuis  que  je 
suis  ici  j  je  respire  et  j'agis  beaucoup  plus  libre- 
ment, quoique  Testomac  ne  soit  pas  désenflé  : 
outre  i'eiTet  de  l'air  et  de  Teau  marécageuse,  je 
crois  devoir  attribuer  en  grande  partie  mon  in- 
commodité au  vin  du  cabaret ,  dont  j'ai  apporté 
avec  moi  une  vingtaine  de  bouteilles,  et  dont  j  aï 
senti  le  mauvais  effet  toutes  les  fois  que  j'en  ai  bu. 
Tous  les  cabaretiers  falsifient  et  firelatent  ici  leurs 
vins  avec  de  Talun;  et  rien  n'est  plus  pernicieux ^ 
Mutout  pour  moi. 

J'ai  appris  par  M.  du  Pejrrou  que  le  discoun  en 
question  avait  été  absolument  défiguré  et  mutilé 


1 64  CORAESPONDAirCE  , 

i  rimpressioD;  et  que  non-seulemest  on  n'avait 
pas.  suivi  les  corrections  que  ]j  ai  Eûtes ^  mais 
qu  on  avait  même  retranché  des  morceaux  de  la 
première  composition.  Cela  me  console  en  quel- 
que sorte  de  ce  larcin  oii  personne  de  bon  sens  ue 
peut  reconnaître  mon  ouvrage. 

Permettez  que  je  vous  prie  de  donner  cours  i 
la  lettre  ci- jointe. 

J'oubliais  de  vous  répondre  au  sujet  des  livres 
dont  vous  oi&ez  de  me  défaire.  S'ils  sont  tolérés, 
j'y  consens;  s'ils  sont  défendus ,  je  m*y  oppose. 
Mais  une  chose  qui  me  tient  beaucoup  plus  au 
cœur,  et  dont  vous  ne  me  parlezj>oint ,  est  le  por- 
trait du  roi  d'Angleterre.  Il  est  singulier  que,  de 
quelque  façon  que  je  m'y  prenne ,  il  me  soit  im- 
possible d'avoir  ce  portrait.  Il  est  pourtant  bien  i 
tnoi,  ce  me  semble,  et  je  ne  suis  dhumeur  à  le 
céder  â  qui  que  ce  soit ,  pas  même  à  ^ous  j  &  moins 
quHl  ne  vous  fit  autant  de  plaisir  qu'à  moi. 

Donnez -nous,  monsieur,  de  vos  nouvelles  à 
vos  momens  de  loisir.  Madame  Renou  vous  sou- 
haite; ainsi  que  moi,  bonheur*  çt  santé,  et  nous 
vous  Élisons  l'un  et  l'autre  bien  des  salutations. 

866» ▲  MADAM B  LaTOUR* 

*A  Monquio,  k  a3  mars  1769. 

liS  changement  d  air  m^a  fiiit  du  bien ,  chère 
Uarianne,et  je  me  trouve  beaucoup  mieux, quant 
à  la  santé^  que  quand  j'ai  quitté  Bourgoin. 


AÎWÉE   176;.     *  165 

Cependant  mon  estomac  nVst  pas  assez  rétabli 
pour  que  je  puisse  écrire  sans  peine  j  ce  qui  m*o- 
bltge  à  ne  faire  que  de  courtes  lettres  autant  que 
je  pub,  et  seulement  pour  le  besoin.  C'en  sera 
toujours  un  pour  moi ,  mon  aimable  amie ,  d'en- 
tretenir avec  TOUS  les  liens  d'une  amitié  mainte- 
nant aussi  chère  à  mon  cœur  qu'elle  parut  jadis 
Tétre  au  vôtre. 

867.  —  A  M.  DU  Peyrou. 

A  Monquin ,  le  3i  mars  1 769s   . 

VoTBE  dernière  lettre  sans  da^e,  mon  cher  hôte, 
a  bien  vivement  irrité  les  inquiétudes  où  j  étais 
déjà  sur  Tétat  tant  de  madame  la  commandante 
:[ue  sur  le  vôtre.  Je  vois  que  vous  en  êtes  au  point 
de  ne  pas  même  craindre  le  retour  de  la  goutte, 
comme  une  diversion  de  la  douleur  du  corps  pour 
celle  de  Pâme.  Cela  m'apprend  ou  me  confirme 
bien  combien  tous  les  systèmes  philosophiques 
sont  faibles  contre  la  douleur  tant  de  l'un  que  de 
Fautre,  et  combien  la  nature  est  toujours  la  plus 
forte  aussitôt  quelle  fait  sentir  son  aiguillon.  Il 
uy  a  pas  six  mois  que,  pour  m  armer  contre  ma 
faiblesse,  vous  me  souteniez  que,  hors  les  remords 
inconnus  aux  gens  de  votre  espèce,  les  peines 
morales  n*étaient  rien ,  qu'il  n'y  avait  de  réel  que 
le  mal  physique  ;  et  vous  voilà ,  feible  mortel  ainsi 
que  moi,  appelant,  pour  ainsi  dire ,  ce  même  mal 
physique  à  votre  aide  contre  celui  que  vous  sou- 


X66  CORRESPO^TDANCE) 

teniez  ne  pas  exister.  Mon  cher  hôte,  revenons- 
en  donc  pour  toujours,  tous  et  moi,  à  cette  ma- 
xime naturelle  et  simple,  de  commencer  par  être 
toujours  bien  avec  soi,  puis,  au  surplus  y  de  crier 
tout  bonnement  et  bien  fort ,  quand  on  souŒre,  et 
de  se  taire,  quand  on  ne  souffîe  plus;  car  tel  est 
l'instinct  de  la  nature  et  le  lut  de  Tétre  sensible 
Faisons  comme  les  enfans  et  les  ivrognes,  qui  ne 
se  cassent  jamais  ni  jambes  ni  bras  quand  ils  tom- 
I)ent,  parce  qu'ils  ne  se  roidisseut  point  pour  ne 
pas  tomber,  et  revenons  à  ma  grande  maxime  de 
laisser  aller  le  cours  des  choses  tant  qu'il  n'y  a 
point,  de  notre  Ëiute,  et  de  ne  jamais  regimbei 
contre  la  nécessité» 

838.  —  A  M.  Beauchateau. 

Vous  vous  moquez  de  moi.  monsieur,  avec 
votre  médaille.  Allez ,  je  ne  veux  point  d  autre 
médaille  que  cejle  qui  restera  dans  les  cœurs  des 
honnêtes  gens  qut  me  survivront ,  et  qui  connaî- 
tront mes  sentimens  et  ma  destinée.  Je  vous  salue, 
tnonsieur,  très- humblement*    * 

869.  —  A  M.  DU  Peyrou, 

Moniutn,  ai  ■▼ni  t^Gf^ 

Que  votre  situation ,  mon  cher  hôte,  me  navre! 
Que  je  vous  trouve  à" plaindre,  et  que  |e  vous 
plains  ainsi  que  votre  digne  et  infortunée  mère! 


kVVÉE  1769.  l6j 

Mais  TOUS  ïtes  sans  contredit  le  plus  â  plaindre 
des  deux;  tant  quelle  voit  son  fils  tendre  et  bien 
portant  auprès  d^elle-,  elle  a  dans  3e$  terribles 
maux  des  consolations  bien  douces;  mais  vous, 
TOUS  n'en  avez  point.  Elle  peut  encore  aimer  sa 
rie,  et  vous^  tous  devez  soigner  la  vôtre,  parce 
cp'elle  lui  est  nécessaire.  Ce  n'est  pas  une  conso- 
lation pour  TOUS,  mais  c'est  un  devoir  qui  doit 
vous  rendre  bien  sacré  le  soin  de  vous-même. 

Vous  me  demandez  conseil  sur  ce  que  vous 
devez  lui  dire  au  sujet  du  choix  que  vous  vous 
êtes  (ait.  Personne  ne  peut  vous  donner  ce  conseil 
que  vous-même ,  parce  que  personne  ne  peut  pré 
voir,  comme  vous,  Teffet  que  cette  déclaration 
peut  hm  sur  son  esprit  ;  car,  sans  contredit ,  vous 
ne  devez  rien  lui  dire  dans  son  triste  état  que  vous 
ne  sachiez  devoir  lui  être  agréable  et  consolant. 
Vous  êtes  convaincQ ,  me  dites-vous ,  que  ce  choix 
lui  fera  plaisir;  cela  étant,  je  ne  vois  pas  pourquoi 
vous  balanceriez.  Biais  vous  n  ayez  pas  le  coït- 
rage,  ajontez-rous,  de  lui  en  parier  de  but  en 
blanc  dans  son  état?  Eh  hier.  I  parlez-lui-en  par 
finme  de  consultation  plutôt  que  de  déclaration. 
Cette  déférence  ne  peut  que  hii  plaire  et  la  tou- 
cher; et,  dût-elle  ne  pas  approuver  votre  choix, 
vous  n'en  restez  pas  moins  le  maître  de  passer 
OQtre  sans  la  contrister,  lorsque  le  ciel  aura  dis- 
posé d'cDe.  VoiU  tout  ce  que  la  raison  et  le  tendre 
Mrtérêt  que  je  prends  k  ïun  et  i,  FàuCre  pae  preiCrit 
di  vous  dire  A  ce  sujet. 


i68  coRREsp(nn)AxcE, 

.  J'ai  le  cœur  si  plein  de  vous  et  de  votre  cmelk 
situai  ion  y  que  je  nai  pas  le  courage  de  voi^s  parler 
de  moi;  et  tout  ce  que  j  ai  de  bon  à  vous  en  dire 
est  que  ma  santé  continue  d'aller  assez  bien.  Faiîes 
parler  mon  cœur  avec  le  vôtre  auprès  de  votre 
bonne  maman.  Mille  amitiés  au  bon  Jeannin. 
îjlons  vous  embrassons,  madame  Renou  et  moi, 
de  tout  notre  cœur. 

870. ÂV  HftuB. 

Ce  19  mai  1760. 

J'aptoewds  votre  perte,  mon  cher  hôte ,  et  je  la 
sens  bien;  mais  ce  n  est  pas  une  perte  récente  â 
laquelle  vous  n,e  fu^sif.z  pas  préparé,  Je  ne  vou- 
drais pour  vous  en  copsoler  que  le  détail  que  vous 
me  faites  de  l'état  de  }à  défunte.  Il  7  avait  long- 
temps qu'elle  ava^t  cessé  de  vivre ,  elle  |i'a  |ait  que 
cesser  de  souffi-ir^i  et  vous  de  partager  ses  souf- 
frances, n  n'y  a  pas  là  de, quoi  s'affliger.  Mais  votrp 
perte ^  pour  être  ancienne  en  quelque  sorte,  n'en 
est  pas  moins,  réelle  et  pas  moins  irréparable;  et 
voilà,  spir  quoi  doivent  tomber  vos  r^els;  vous 
avez  un  véritable  aîni  de  moins,  et  un  ami  qui  ne 
se  remplace  ps.  Puissiez-vous  n  avoir  jamais  plus 
i  le  pleurer  dans  1a  suite  que  vous  ne  le  pleurez 
aujourd'hui I.IVIais  telle  est  la  loi  4^  )a  nature ^  il 
faut  baisser  la  tête  et  s.e  résigner. 
.  ,Li  na^ture  qui  se  ranime  me  ranime  aussi.  Je 
«^prends  des  forces  et  j'herborise.  Le  pajs  où  je 


.  ÂimiB  1769»  169 

SUIS  serait  très-^agréable  ail  afvait  d^autres  habî- 
tans;  jWab  semé  qaelques  plantes  dans  le  jardin, 
on  les  a  détruites.  Cela  ma  déterminé  à  n'avoir 
plus  d'autre  jardin  que  les  prés  et  les  bois.  Tant 
que  j'aurai  la  force  de  m^y  promener,  je  trouverai 
du  plaisir  à  vivre  ;  c'est  un  plaisir  que  les  hommes 
ne  m'ôteront  pas,  parce  qu'U  a  sa  source  en  dedans 
de  moi. 

871*  — i^  M.  IB  PUmCE  DE  CONTI. 

Bourgoin,  k  3t  nii  1769. 

Monseigneur  y 

Puisque  votre  altesse  sérénissime  n'approuve 
pas  que  je  dispose  de  moi  sans  ses  ordres ,  et  puis- 
que je,  ne  veux  en  rien  lui  déplaire,  il  laut  qu  elle 
da^e  endtuer  les  importunités  que  ma  situation, 
rend  indispensables. 

Je  ne  puis  rester  volontairement  ici,  ni  choisir 
ooQ  habitation  dans  le  lieu  qu'il  vous  a  plu ,  mon- 
seigneur, de  me  désigner.  Mes  raisons  ne  peuvent 
l'écrire.  J'ai  cent  fois  été  tenté  de  partir  à  tout  ris- 
que pour  porter  i  vos  pieds  les  ^laircissemens 
qu'il  m'importe  qui  soient  connus  de  vous,  et  de 
vous  seuL  Avant  de  céder  â  cette  tentation  qui 
devient  plus  forte  de  jour  en  jour,  je  crois  devoir 
vous  en  instruire.  Daignez  l'approuver,  et  n'avoir 
pas  plus  d'égard  k  mes  périls  qiie  je  n'en  veux 
avoir  moi-même,  parce  qu'il  nW  pas  de  la  ma- 
gnanimité de  votre  âme  de  voulok*  ma  sûreté  aux 
dépens  de  mon  hannear. 


873.  —  À  Madame  Latour* 

A  Mongnin ,  le  19  Jain  1 769. 

Connaître  mon  cœur  et  lui  rendre  justice,  c'est 
en  montrer  un  bien  digne  de  son  attachemenl.  II 
y  a  trois  ligues  dans  votre  dernière  lettre,  chère 
Marianne,  (jui  m'ont  encore  plus  touché  que  tout 
ce  que  vous  m'avez  écrit  jusqu'ici.  Vous  comptez 
sîir  mes  sentimens  ;  vous  avez  d'autant  plus  rai- 
son, que  vous  m'avez  appris  à  compter  sur  les 
vôtres,  et  que  toute  personne  dont  je  serai  sûr 
d'être  aimé ,  fût-elle  bien  moins  aimable  que  vous, 
aura  toujours  de  ma  part  plus  que  du  retour.  Je 
sens  plus  que  vous,  croyez -moi,  notre  éloîgue- 
ment;  mais  quand  vous  pourriez  mè  venir  voir 
ici,  je  n'y  consentirais  pas;  plus  vous  m'aimez, 
plus  vous  seriez  affligée.  Nous  étions  amis  sans 
nous  être  jamais  vus,  nous  le  serons,  et,  s'il  le 
l'aut,  sans  nous  revoir.  J'étais  négligent  à  écrire  ;  à 
présent  que  vous  ralniitcz  un  peu,  je  ne  serai  pas 
plus  exact;  mais  dusse- je  ne  vous  plus  voir  et  ne 
vous  plus  écrire,  le  besoin  de  vous  aimer  et  la 
douceur  de  le  satisfaire  feront  partie  de  mou  éiro 
aussi  long-temps  qu'il  sera  ce  qu'il  est 

874. A  LA  BCÈMB* 

•' 
A  Monquin,  le  4  imllet  1769* 

Rassumz  vous,  belle  Marianne,  j  ai  regi'et  aox 
inquiétudes  que  je  vous  ai  données*  Jai  voula 


mettre  à  répneuve  votre  sensibilité;  le  soecès  a 
passé  mon  attente;  je  tous  promets  de  ne  plnS' 
£ûre  avec  yous  de  pareils  essais.  Adieu ,  belle  Ma^ 
rianne;  puissiez -vous  ne  voir  jamais  autour  de 
TOUS  que  bonheur  et  prospérité!  Quand  on  s  af- 
fecte ainsi  des  peines  de  ses  amis,  ou  n'en  doit 
avoir  que  dlieurenx. 

875r  —  ▲  M*  DU  PBTaov. 

Jl  Neven ,  le  3 1  juillet  1 769* 

Jb  n'aurais  pas  tardé  si  long-temps,  mon  cher 
hôte ,  à  vous  remercier  du  livre  de  M.  Haller ,  et  à 
vous  en  accuser  la  réception ,  sans  mon  départ  un 
peu  précipité,  pour  venir  rendre  mes  devoirs  à 
mon  ancien  h6te  de  Trye,  tandis  qull  se  trouvait 
capproehé  de  moi.  Après  huit  jours  de  séjour  ^ 
cette  ville,  je  compte  en  repartir  demain  pouf 
LjoDy  et  de  là  pour  Monquin,  où  j'ai  laissé  ma- 
dame Renon,  et  où  j'espère  trouver  de  vos  nou* 
velles,  nVn  ayant  pas  eu  depuis  votre  mariage , 
au  bonheur  duquel  vous  ne  doutez  pas,  je  mVn 
flatte,  de  Imtérêt  vif  et  vrai  que  prend  votre  con* 
citoyen.  Je  ne  doute  pas  que  Thabltatton  de  la 
campagne  ne  tire  en  ce  moment  un  nouveau 
charme  de  celle  avec  qui  voii«  la  partagez ,  et  que 
vous  n'y  repreniez  même  le  goût  de  Therborisa- 
tion,  ne  fût-ce  que  pour  lui  offiir  des  guirlandes 
mieajc  assorties.  Jaurais  bien  voulu  pouvoir  y 
joindre  de  très -jolies  fleurs  que  j'ai  trouvées  sur 


Ijâ  COJBtaESPOUDAlCCE, 

prendre  que  votre  singulière  opération  vt)us  a  en 
€^*et  délivré  d  une  attaqué  de  goulte,  comme  tous 
l'avez  espéré. 

.Votre  Hailer  me  ait  tOQJoiik*S'  grand  plaisir, 
mais  je  le  trouve  touiours  plus  rempli  de  &ate» 
d^impression.  La  moitié  des  phi^ases  de  Linnaens 
qu'il  oite  sont  estropiées ,  et  un  trèsrgrand  nombre 
de  cliiilires  des  tables  et  citations  sont  faux,  de 
sorte  qu  on  né  sait  presque  o&  aller  chercher  tout 
08  quil  indique-;  j'ai  vu  peu  de  livres  aussi  consi- 
dérables imprimés  si  négligommânt  Le  catalogue 
de  M.  Gagnebin  est  exact,  net|  mais  sans  ordre , 
de  sorte  qu'on  ne  sait  comment  j  chercher  la 
plante  dont  oh  a  besoin.  Au  reste,  l'un  et  l'autre 
de  ces  deux  ouvrages  peut  donner  des  instructions 
utiles  j  dont  je  profite  de  mon  mieux  en  pensant  à 
vous.  Quand  je  serai  revenu  de  Pila  (si  j'en  re- 
viens heureusement),  je  vous  marquerai  ce  que 
j  y  aurai  trouvé  de  plus  ou  du  moins  que  dans  le 
catalogue  de  M.  Gagnebin. 

877.  —  A  MAP  AVE  Rousseau. 

Moivjaln,  ce  samedi  12  août  1769^ 

Dbpitis  vingt-six  ans,  ma  chère  amie,  que 
notre  union  dure ,  je  n'ai  cherché  mon  bonheur 
que. dans  le  vôtre,  je  ne  me  suis  occupé  qu'à. tâ- 
cher de  vous  rendre  heureuse;  et  vous  avez  vu 
par  ce  que  j'ai  fait  en  dernier  lieu,  sans  m'y  être 
engagé  jamais,  que  votre  hooneor  et  votre  bon- 


ÀXtsiE  176g.  177 

heor  ne  m'étaient  pas  moins  chers  lun  que  l'outre. 
Je  m'aperçois  avec  douleur  que  le  succès  iie  vé^ 
pond  pas  à  mes  soins,  et  qu'ils  ne  vous  sont  pas 
aussi  doux  à  recevoir  qu'il  me  lest  de  vous  les 
rendre.  Je  sais  que  les  sentîmcns  de  droiture  et 
d'honneur  avec  lesquels  vous  êtes  née  ne  s'altére- 
ront jamab  en  vous;  mais  quant  à  ceux  de  ten- 
dresse et  d'attachement ,  qui  jadis  étaient  récipro- 
ques j  je  sens  qu'ils  n  existent  plus  que  de  mon 
côté.  Ma  chère  amie,  non- seulement  vous  avez 
cessé  de  vous  plaire  avec  moi,  mais  il  Êittt  que 
vous  prenies  heaucoup  sur  vous  pour  y  rester 
quelques  momens  par  complaisance.  Vous  êtes  à' 
votre  aise  avec  tout  le  monde,  hors  avec  moi  ;  tous 
ceux  qui  vous  entourent  sont  dans  vos  secrets, 
excepté  moi ,  et  votre  seul  véritable  ami  est  le  seul 
exclus  de  votre  confidence.  Je  ne  vous  parle  point 
de  beaucoup  d'autres  choses.  H  faut  pendre  nos 
amis  avec  leurs  défiiuts,  et  je  dois  vous  passer  les 
vôtres  comme  vous  me  passez  les  miens.  Si  vous 
élîcz  heureuse  avec  moi,  je  serais  content;  mais 
je  vois  clairement  que  vous  ne  letes  pas ,  et  voiIâ( 
ce  qui  me  déchire.  Si  je  pouvais  &irc  mieux  pour 
y  contribuer,  je  le  ferais  et  je  me  tairais;  mais  cela 
u'est  pas  possible.  Je  n^ai  rien  omis  de  ce  que  j'ai 
cru  panvoîr  contribuer  k  votre  félicité  ;  je  ne  sau^ 
rais  &îre  davantage,  quelque  ardent  désir  que 
j'en  sâeJLa  nous/unissant,  jai  iaitmesxonditîoas; 
vous  y  avez  consenti,  je  les  ai  remplies.  Il  n'y 
avait  qumi  tendre  attachement  de.  votre  part  qui 


t;^  CQlUtCSPOTCDANCE, 

pût  m*engager  à  les  passer  et  à  n'écouter  qae  notre 
amour  au  péril  de  ma  vie  et  de  ma  santé.  CoiiTe- 
nez,  ma  chère  amie,  que  vous  éloigner  de  moi 
n'est  pas  le  moyen  de  me  rapprocher  de  voas  : 
c était  pourtant  mon  intention ,  je  vous  le  jure; 
mais  votre  refroidissement  m^a  retenu,  et  des  aga- 
ceries ne  suffisent  pas  pour  m^attirer,  lorsque  le 
cœur  me  repousse.  En  ce  moment  même  où  je 
vous  écris ,  navré  de  détresse  et  d'affliction ,  je  n*ai 
pas  de  désir  plus  vif  et  plus  vrai  que  celui  de  finir 
mes  jours  avec  vous  dans  Tunion  la  plus  parfiiile, 
et  de  n'avoir  plus  qu'un  lit ,  lorsque  nous  n'aurons 
plus  quWe  âme« 

Rien  ne  plaît,  rien  n'a^e  de  la  part  de  qoel> 
qu'un  qu  on  n  aime  pas.  Voilà  pourquoi ,  de  qnd* 
que  £içon  que  je  m^  prenne,  tous  mes  soins, 
tous  mes  e/Forts  auprès  de  vous  sont  insuffisaiis.  Le 
cœur,  ma  chère  amie ,  ne  se  commande  pas,  et  ce 
mal  est  sans  remède.  Cependant,  quelque  passion 
que  j'aie  de  vous  voir  heureuse  à  quelque  prix 
que  ce  soit,  je  n'aurab  jamais  songé  à  m'éloigner 
de  vous  pour  cela ,  si  vous  n'eussiez  été  la  pre- 
mière à  m'en  &ire  la  proposition.  Je  sais  bien  qu'il 
ne  faut  pas  donner  trop  de  poids  à  ce  qui  se  dit 
dans  la  chaleur  d'une  querelle  ;  mais  vous  êtes  re- 
venue trop  souvent  à  celte  idée  pour  qu'elle  n'ait 
pas  fait  sur  vous  quelque  impre«on.  Vous  coo» 
naissez  mon  sort,  il  est  tel  qu^on  n'oserait  pas 
même  le  décrire,  parce  qu'on  n'y  samait  ajouter 
Coi.  Je  n'avais,  ^hère  amie,  qu'une  s^uie  consola- 


tton,  mab  bien  doure,  c'était  d'épancher  mon 
cœur  dans  le  tien;  quand  j^avais  parlé  de  mes 
peines  avec  toi ^  elles  étaient  soulagées;  et  quand 
tn  m'avais  plaint,  je  ne  me  trouyais  plus  â  plain- 
dre, n  est  sûr  que,  ne  trouyant  plus  que  des  cœurs 
fermes  ou  faux,  toute  ma  ressource,  toute  ma 
confiance  est  en  toi  seule;  le  mien  ne  peut  yiyre 
sans  s^épancher y  et  ne  peut  s'épancher  quWec  tôt. 
Il  est  sûr  que^  si  tn  me  manques  et  que  je  sois  ré- 
duit à  vivre  absolument  seul,  cela  m'est  impos* 
sible,  et  je  suis  un  homme  mort«  Mais  je  mourrais 
cent  fois  plus  craellement  encore,  si  nous  conti- 
nuions de  yiyre  ensemble  en  mésintelligence,  et 
que  la  confiance  et  Tamitié  s'éteignissent  entre 
BOUS.  Âfa,  mon  en£uitl  à  Dieu  ne  plaise  que  je 
sois  résefvé  i  ce  comble  de  misère  !  Il  vaut  mieux 
cent  fois  cesser  de  se  voir,  s^aimer  encore ,  et  se 
regretter  quelquefois.  Quelque  sacrifice  quHl  faille 
Je  ma  part  pour  te  rendre  heureuse  ^  sois-le  A 
quelque  prix  que  ce  soit ,  et  je  suis  content 

Je  te  Conjure  donc,  ma  chère  femme,  de  bien 
lentrer  en  toi-même ,  de  bien  sonder  ton  oocmf ,  et 
de  Inen  examiner  s  il  ne  serait  pas  mieux  pour 
Fun  et  pour  l'autre  que  tu  suivisses  Ion  projet  àff 
le  mettre  en  pension  dans  toie  communauté  pour 
t  épargner  les  désagrémens  de  mon  hume«r,  et  4 
moi  ceux  de  ta  fit^ideitr^  caf,  dans  Tétai  présent 
des  choses^  il  est  impossible  qne  nous  trouvions 
noire  bonheur  l'un  avec  Tantre  :  je  né  pms  riei^ 
chanQfff  en  moi,  et  f ai  peur  que  tn  ne  puisses  rien 


.i8d  CùKXSspomxTfcty 

changer  en  toi  non  plus.  Je  te  laisse  parfait  emenf 
libre  de  choisir  ton  asile  et  d'en  changer  sîl6l  «jue 
cela  te  conviendra.  Tu  n'y  manqueras  de  rien  ^ 
j'aurai  soin  de  toi  plus  que  de  moi-même;  et  sitôt 
que  nos  cœurs  nous  feront  mieux  sentir  comineo 
nous  étions  nés  Fun  pour  lautre y  et  le  vrai  besoin 
de  nous  réunir, ^lons  le  ferons  pour  yiyre  en  paix 
et  nous  rendre  heureux  mutuellement  jusqu'au 
tombeau.  Je  n'endurerab  pas  Vidée  d^une  sépara- 
tion étemelle;  je  Q*eu  yeux  qu'une  qui  nous  serve 
i  tous  deux  de  leçon;  je  ne  l'exige  point  même, 
je  ne  Timpose  point;  je  crains  seulement  quVUe 
ne  soit  devenue  nécessaire.  Je  ten  laisse  le  juge, 
et  je  m  en  rapporte  à  ta  décision.  La  seule  chose 
que  j'exige,  si  nous  en  venons  là,  c'est  que  le 
parti  que  tu  jugeras  à  propos  de  prendre  se  prenne 
de  concert  cntre.nous  :  je  te  promets  de  me  prêter 
lè-dessus  eu  tout  à  ta  volonté,  autant  qu'elle  sera 
naisonnable  et  juste,  sans  humeur  de  ma  part  et 
sans  chicane.  Mais  quant  au  parti  que  tu  voulais 
prendre  dans  ta  colère  de  me  quitter  et  de  t'édîp- 
ser  sans  que  je  m  en  mélnsse  et  sans  que  je  susse 
même  où  tu  voudrais  aller,  je  n'y  consentirai  de 
ma  vie,  parce  qu'il  serait  honteux  et  déshonorant 
pour  l'un  et  pour  lautre,  et  contraire  k  tous  nos 
engagemens. 

Je  vous  laisse  le  temps  de  bien  peser  toutes 
ehoses.  Réfléchissez pendantmôn  absence  au  sujet 
de  cette  lettre.  Pensez  k  ce  que  vous  vous  deves, 
à  c(9  que  TOUS  me  devez,  k  ce  cjne  nous  soaunes 


ÂîfKiE  1763.  «89 

depnîs  long-tcmp  I  nn  à  l'aatre ,  et  &  ce  que  nous 
devons  être  jusqu^à  la  fin  de  nos  jours,  dont  la 
plus  grande  et  la  plus  belle  partie  est  passée ,  et 
dont  il  ne  nous  reste  que  ce  qu'il  faut  pour  cou* 
ronner  une  vie  infortunée,  mais  innocente,  hon- 
nête et  vertueuse,  par  une  fin  qui  l'honore  et 
nous  assure  un  bonheur  durable.  Nous  avons 
des  fautes  à  pleurer  et  à  expier;  mais,  grâces  au 
ciel,  nous  nWons  à  nous  reprocher  ni  noirceurs 
ni  crimes  :  n'effaçons  pas  par  Timprudence  de  nos 
derniers  jours  la  douceur  et  la  pureté  de  ceux  que 
nous  avons  passés  ensemble. 

Je  ne  vais  pas  &ire  un  voyage  bien  long  ni  bien 
périlleux;  cependant  la  nature  dispose  de  nous 
au  moment  que  nous  y  pensons  le  moins.  Vons 
connaissez  trop  mes  vrais  sentimens  pour  crain- 
dre qu'à  quelque  degré  que  mes  malheurs  puissent 
aller,  je  sois  homme  à  disposer  jamais  de  ma  vie 
avant  le  temps  que  la  nature  ou  les  hommes  au- 
ront marqué.  Si  quelque  accident  doit  terminer 
ma  carrière,  soyez  bien  sûre,  quoi  qu'on  puisse 
dire,  que  ma  volonté  n'y  aura  pas  eu  la  moindre 
part.  J'espère  me  retrouver  en  bonne  santé  dans 
vos  bras,  d'ici  à  quinze  jours  au  plus  tard;  mais 
s'il  en  était  autrement,  et  que  nous  n'eussions  pa$ 
le  bonheur  de  nous  revoir,  souvenez-vous  en  pap 
reil  cas  de  l'homme  dont  vous  êtes  la  veuve,  et 
d'honorer  sa  mémoire  en  vous  honorant.  Tinui> 
vous  d'ici  le  plus  tôt  que  vous  pourrez.  Qu'aucun 
moine  ne  se  mêle  de  vous  ni  de  vos  affaires  ptk 


l6a  tORlUSSPOin>ÀKCB , 

quelque  façon  que  ce  soit.  Je  ne  vous  dis  point 
ceci  par  jalousie,  et  je  suis  bien  convaincu  qu'ib 
n'en  veulent  point  à  votre  personne  ;  m^iis  n'im- 
porte, profitez  de  cet  avis,  ou  soyez  sûre  de  n\it- 
tirer  que  déshonneur  et  calamité, sur  le  reste  de 
votre  vie.  Adressez-vous  à  M.  de  Saint-Germain 
pour  sortir  d'ici;  tâchez  d^endurer  Pair  méprisant 
de  sa  femme  par  la  certitude  que  vous  ne layez 
paa  mérité.  Cherchez  à  Paris,  k  Orléans,  ou  à 
Blds,  une  communauté  qui  vous  convienne,  et 
tâchez  d'y  vivre  plutôt  que  seule  dans  une  cham- 
bre. Ne  comptez  sur  aucun  ami;  vous  n'en  avez 
point  ni  moi  non  plus ,  soyez-en  sûre  ;  mais  comp- 
tez sur  les  honnêtes  gens,  et  soyez  sûre  que  la 
bonté  de  cœur  et  l'équité  d^un  honnête  homme 
vaut  cent  fois  mieux  que  lamitié  d'un  coquin. 
C'est  à  ce  titre  d'honuéte  homme  que  vous  pouvez 
donner  votre  confiance  au  seul  homme  de  lettres 
qi)e  vous  savez  que  je  tiens  pour  tel  (i).  Ce  n'est 
pas  un  ami  chaud ,  mais  c'est  un  homme  droit  qui 
ne  vous  trompera  pas,  et  qui  ninsaltera  pas  ma 
mémoire,  parce  qu'il  ma  bien  connu  et  qu'il  est 
juste;  mais  il  ne  se  compromettra  pas,  et  je  ne 
désire  pas  qu  il  se  compromette.  Laissez  tranqnil* 
lement  exécuter  les  complots  faits  contre  votra 
mari  ;  ne  vous  tourmentez  point  à  justifier  sa  mé- 
moire outragée;  cont.entez-vous  de  rendre  bon-* 
neur  à  la  vérité  dans  l'occasion ,  et  laissez  la  Pro- 


À5NÉE  17%-  iS3 

viJence  et  le  temps  Êiire  leur  oeuvre;  cette  œuvre 
se  fera  tôt  oa  tard.  Ne  vous  rapprochez  plus  des 
grands;  n'acceptez  aucune  de  leurs  oifres,  encore 
moins  de  celles  des  gens  de  lettres.  J'exclus  nom- 
mément toutes  les  femmes  qui  se  sont  dkes  mes 
amies.  «Texcepte  madame  Dupin  et  madame  de 
Chenonceaux;  l'une  et  Paatre  sont  sûres  a  mon 
^gard  et  incapables  de  trahison.  Parlez-leur  quel- 
quefois de  mes  sentimens  pour  elles  ;  ils  vous  sont 
connus.  Vous  aurez  assez  de  quoi  vivre  Ludépcn- 
danle  avec  les  secours  que  M.  du  Pe)^rou  a  dessein 
de  vous  donner,  et  quil  vous  doit,  puisqu il  en  a 
re^u  Vargent.  Si  vous  aimez  mieux  vivre  seule 
chez  vous  que  chez  des  religieuses,  yoiis  le  pou- 
vez; mais  ne  vous  laissez  pas  subjuguer,  ne  vous 
livrez  pas  k  vos  voisines,  et  ne  vous  fiez  pas  aux 
gens  avant  de  les  connaître.  Je  finis  ma  lettre  si  à 
la  bâte  que  je  ne  sais  plus  ce  que  je  dis.  Adieu  ^ 
chère  amie  de  mon  cœur  :  k  vous  revoir;  et,  s*: 
nous  ne  nous  revoyons  pas.  souveue3&-vous  tou« 
jours  du  seul  ami  véritable  que  vous  ayez  eu  et 
fpie  vous  aurez  jamais.  Je  ne  me  signerai  pas  ^- 
non,  puisque  ce  nom  fut  fatal  à  votre  tendresse; 
mais,  pour  ce  moment,  jen  veux  reprcndn;  uu 
^e  votre  cœur  ne  saurait  oublier. 

J.  J.  RoTissE\t;. 


t^i  CORRESrolTDÂirCB  j 

878.  — *  ▲  M.  Làlliaud. 

Moo^pia  »  le  27  tout  1 769.     . 

Un  voyage  de  botankpe,  monsieur,  que  fai 
fait  au  mont  Pila,  presque  en  arrivant  ic:  ma 
privé  du  plaisir  de  vous  répondre  aussitôt  que  je 
laurais  dû.  Ce  voyage  a  été  désastreux,  toujours 
de  la  pluie  ;  j*ai  trouvé  peu  de  plantes,  et  j*ai  perdu 
fDOn  chien ,  blessé  par  un  autre  et  fugitif  :  je  le 
croyais  mort  dans  les  bois  de  sa  blessure,  quand  â 
mon  retour  je  Fai  trouvé  ici  bien  portant,  sans 
que  je  puisse  imaginer  comment  il  a  pu  faire  douze 
lieues  et  repasser  le  Rhdne  dans  Tétat  où  il  était* 
Vous  avez,  monâeur,  la  douceur  de  revoir  vos 
pénates  et  de  vivre  au  milieu  de  vos  amis.  Je  preii> 
drais  part  à  ce  bonheur  en  vous  en  voyant  jouir, 
mais  je  doute  que  le  ciel  me  destine  à  ce  partage. 
J^ai  trouvé  madame  Renou  en  assez  bonne  santé  ; 
elle  vous  remercie  de  votre  souvenir,  et  vous  salue 
de  tout  son  cœur.  J'en  &is de  même,  étant  forcé 
d'éti*e  bref  à  cause  du  soin  que  demandent  quel- 
ques plantes  que  j'ai  rapportées,  et  quelques 
graines  que  je  destinais  à  madame  de  Portlaud,  le 
tout  étant  arrivé  ici  à  demi  pouri  par  la  pluie.  Je 
voudrais  du  moins  eu  sauver  quelque  chose ,  pour 
n  avoir  pas  perdu  tout -à-fait  mon  voyage,  et  la 
peine  que  jai  prise  à  les  recueillir.  Adieu,  mon 
clier  M.  Làlliaud:  conservez -vous,  et  vivez  con- 
tent. 


r 


k55£S  Î769.  l85 

8^.  —  A  ML  MouiTov. 

Uoo^m ,  U  8  septembre  1  ^(xs, 

Satts  une  foulure  à  la  main ,  cher  Moultou ,  qui 
me  fait  souffrir  depuis  plusieurs  jours,  je  me  Ht 
vrerais  à  mon  aise  au  plaisir  de  causer  avec  tous; 
mais  je  ne  désespère  pas  d'en  retrouver  une  occa- 
sion plus  commode  :  en  attendant,  recevez  moiK 
remerciment  de  votre  bon  souvenir,  et  de  celui  de 
madame  Moultou,  dont  je  me  consolerai  difficile- 
ment d'avoir  été  si  près  sans  la  voir.  Je  veux  croire 
qu  elle  a  quelque  part  au  plaisir  que  vous  m  avez 
fait  de  m'amener  votre  fils ,  et  cela  m*a  rendu  plus 
touchante  la  vue  de  cet  aimable  enfant.  Je  suis 
fort  aise  qull  soit  un  peu  jaloux ,  dans  ce  qu'il  fait^ 
de  mon  approbation  :  il  lui  est  toujours  aisé  de 
s'en  assurer  par  la  vôtre;  car  sur  ce  point,  comme 
sur  beaucoup  d'auti^s ,  nous  ne  saurions  penser 
diffêremmeut  vous  et  mot. 

Je  ne  suis  point  surpris  de  ce  que  vous  me  mar* 

quez  des  dispositions  secrètes  des  gens  qui  vous 

entourent  :  il  y  a  long^temps  qu^ik  ont  changé  le 

patriotisme  en  égoïsme,  et  Tamour  prétendu  du 

bien  public  n'est  plus  dans  leurs  cœurs  que  la 

haine  des  partb.  Garantissez  le  vôtre,  ô  cher 

Moultou,  de  ce  sentiment  pénible  qui  donne  tou«» 

jours  plus  de  tourment  que  de  jouissance ,  et  gui  j 

lors  même  qu'il  l'assouvit,  venge  dans  le  cœur 

je  celui  qm  l'éprouve  le  mal  qu'il  fait  k  son 

16* 


1 3G  coiir»E5Po?rDA>XE , 

rctni.  ParaJis  aux  bicnfaisans^  disait  sans  cesse 

le  bon  abl)é  de  Saint-Pierre  :  voilà  un  paradis 

que  les  médians  ne  peuvent  ôter  à  personne  ,  et 

quils  se  donneraient^  s'ils  en  connaissaient  le 

prix. 

Adieu,  dier  Moultou;  je  vous  embrasse. 

880.  —  A  M.  DU  Peyrou. 

Mbnq^nÎQ,  le  16  septonbre  1769. 

Je  n'aurais  pas  attendu ,  mon  cher  hôte^  votre 
lettre  du  5  septembre  pour  repondre  à  celle  du  6 
août,  si  à  mon  retour  du  mont  Pila  je  ne  me  fusse 
foulé  la  main  droite  par  une  chute  qui  men  a 
pendant  quelque  temp  gêné  Ihisage.  Je  suis  Lien 
charmé  de  n  apprendre  votre  accès  de  goutte  qu'à 
votre  convalescence;  c'est  une  grande  consola- 
tion, quand  on  souflfre,  d'attendre  ensuite  de  longs 
intervalles  durant  lesquels  on  ne  souffrira  plus; 
et  je  ne  suis  pas  surpris  que  les  tendres  soins  de 
votre  aimable  Henriette  fassent  une  assez  grande 
diversion  à  vos  souIFrances  pour  vous  les  laisser 
beaucoup  moins  sentir.  Vous  devez  vous  trouver 
trop  heureux  de  gt'^gner  à  son  service  des  accès  de 
goutte  dans  lesquels  vous  êtes  servi  par  ses  mains. 
Vous  êtes  assurément  bien  faits, lun  pour  donncr| 
Pautre  pour  sentir  tout  le  prix  dessoins  du  plus  pur 
zèle  et  de  la  plus  tendre  amitié^  mais  cependant ^ 
aux  charmes  près  qu'elle  seule  y  peut  ajouter ,  des 
soins  de  cette  espèce  ne  doivent  pas  être  absolu- 


ÂvyÉB  176;).  187 

ment  nouveaux  pour  vous.  Je  suis  plus  que  fl^itté, 
]v  suis  touche  qu'elle  fe  souvienne  avec  plaisir  de 
noire  ancienne  connaissance.  J'aurais  été  trop 
heureux  de  pouvoir  la  cultiver;  mais  les  attache- 
mens  fondes  sur  1  estime,  tels  i[ue  celui  que  j'ai 
conçu  pour  elle,  n'ont  pas  J>esoin  de  l'habitude  de 
se  voir  pour  s'entretenir  et  se  renforcer.  Fût-elle 
beaucoup  moins  aimable ,  les  respectables  devoirs 
qu'elle  remplit  si  bien  près  de  vous  la  rendent  trop 
estimable  à  tout  le  monde  pour  ne  la  pairlf^ndre 
chère  aux  honnêtes  gens,  et  surtout  à  vos  amis. 
A  regard  des  échecs,  malgré  tout  ce  que  vous  me 
dîtes  de  son  habileté,  vous  me  permettrez  de 
douter  que  ce  soit  le  jeu  auquel  elle  joue  le  mieux  ; 
cl,  si  jamais  j  ai  le  plaisir  de  faire  une  partie  avec 
elle,  je  lui  dirai,  et  de  bien  bon  cœur,  ce  que  je 
disais  jadis  k  un  grand  prince  (*)  :  «  Je  vous  ho- 
«  nore  trop  pour  ne  pas  gagner  toujours.  » 

Vous  aviez  grande  raison ,  mon  cher  hôte ,  d'atr 
tendre  la  relation  de  mon  herborisation  de  Pila; 
car,  parmi  les  plaisirs  de  la  &ire,  je  comptais  beau^ 
coup  sur  celui  de  vous  la  décrire.  Mais  les  pre» 
micrs  ayant  manqué  me  laissent  peu  de  quoi 
fournir  à  Tautre.  Je  partis  à  pied  avec  trois  mes* 
sieurs,  dont  un  médecin,  qui  faisaient  semblant 
d'aimer  la  botanique,  et  qui , désirant  me  cajoler, 
je  ne  sais  pourquoi,  s'imaginèrent  qu'il  n^  avait 
rîeo  de  mieux  pour  cela  que  de  me  faire  bien  de$ 

(*)  Xjè  prince  4e  Gonti. 


iS8  CORRESPONDANCE, 

&Ç0I1S.  Jugez  comment  cela  s  assortit  non  seulo- 
ment  avec  mon  humeur,  mais  avec  Taisance  et  !a 
gaieté  des  voyages  pédestres.  Ils  m'ont  trouvé  tri  s- 
maussade,  je  le  crois  bien;  ils  ne  disent  pas  que 
c  est  eux  qui  m'ont  rendu  tel.  Il  me  semble  que 
malgré  la  pluie  nous  n^étions  point  maussades  i 
Brot  ni  les  uns  ni  les  autres.  Premier  article.  I^ 
second  est  que  nous  avons  eu  mauvais  temps 
presque  durant  toute  la  route  ;  ce  qui  n  amuse  pas 
quand  on  ne  veut  qu'herboriser^  et  que,  faute 
dune  certaine  intimité ,  Ton  n'a  que  cela  pour 
point  de  ralliement  et  pour  ressource.  Le  troi> 
sième  est  que  nous  avons  trouvé  sur  la  montagne 
un  tr^s-mauvais  gîte;  pour  lit,  du  foin  ressuant 
et  tout  mouillé,  hors  un  seul  matelas  rembourré 
de  puces,  dont,  comme  étant  le  Sancho  de  la 
troupe,  j'ai  été  pompeusement  gratifié.  Le  qua- 
trième ,  des  accidens  de  toute  espèce  :  un  de  dos 
messieurs  a  été  mordu  d  un  chien  sur  la  montagne. 
Sultan  a  été  demr-massacré  dVin  autre  chien  ;  il  a 
disparu,  je  lai  cru  mort  de  ses  blessures  ou  mangé 
du  loup;  et  ce  qui  me  confond  est  quà  mon  re- 
tour ici  je  lai  trouvé  tranquille  et  parfaitement 
guéri ,  sans  que  je  puisse  imaginer  comment,  dans 
Tétat  où  il  était,  il  a  pu  faire  douze  grandes  lîeues 
et  surtout  repasser  le  Rhône, qui  n'est  pas  un  petit 
ruisseau,  comme  disait  du  Rhin  M.  Chazeron.  Le 
cinquième  article ,  et  le  pire ,  est  que  nous  n'ayons 
presque  rien  trouvé,  étant  ailes  trop  tard  pour  les 
fleurs^  trop  tôt  pour  les  graines^  et  n^ayant  eu  nul 


AirNÉE  1769.  18^ 

guide  pour  trouver  les  bons  eodrolts.  Ajoutez  qus 
la  montagne  est  fort  triste,  incuite,  déserte,  et 
n'a  rien  de  Padmirable  variété  des  montagnes  de 
Suisse.  Si  vous  n  étiez  pas  devenu  un  profane,  je 
vous  ferais  ici  l'énumération  de  notre  maigre  col- 
lection; je  vous  parlerais  du  méum,  de  ïoreille 
i/oiirsj  du  doronic,  de  la  historié,  du  napel,  du 
thymelœa,  etc.  Mais  j'espère  que  quand  M.  d'Es- 
chcniy  ,  qui  a  appris  la  botanique  eu  trois  jours, 
sera  près  de  vous,  il  vous  expliquera  tout  cela. 
Pamii  toutes  les  plantes  alpines  très-communes, 
l'en  ai  trouvé  t^'ois  plus  cuiieuses  qui  m'ont  fait 
^and  plaisir.  L'une  est  Vonagra  {œnothera  bîen- 
nis^  j  <]ue  j*ai  trouvée  aux  bords  du  Rhône,  et  que 
Tavais  déjà  trouvée  à  mon  voyage  de  Nevers  au 
Lord  de  la  Loire.  La  seconde  est  le  laiteron  bleu 
des  Alpes,  sonchus  alpinits,  qui  ma  fait  d'autant 
plus  de  plaisir  que  fai  eu  peine  à  le  déterminer, 
ni'ol>stinant  à  le  prendre  pour  une  laitue;  la  troi- 
sième est  le  lichen  islandiciis,<i\ie  j  ai  d'abord  re- 
connu aux  poils  courts  qui  I)ordcnt  les  feuilles.  Jo 
vous  ennuie  avec  mon  pédant  étalage;  mais  si 
votre  Henriette  prenait  du  fjoùt  pour  les  plantes, 
conuue  mon  foin  se  transformerait  bien  vite  en 
fleurs!  II  faudrait  bien  alors,  malgré  vous  et  vos 
dents,  que  vous  devinssiez  botaniste. 


t(]2  COTlTlESPOîrD  A?f  CE  ^ 

suis  pas  au  point  d^aller,  comme  on  vous  Ta  dit, 
rh?rcher  en  Europe  une  plante  qui  empoisonne 
par  son  odeur;  et  je  pense  y  au  contraire  ^  quïl  y  a 
beaucoup  à  rabattre  des  qualités  prodigieuses, 
tant  en  bien  qu'en  mal,  que  l'ignorance,  la  char- 
latanerie,  la  crédulité  et  quelquefois  la  méchan- 
ceté prêtent  aux  plantes,  et  qui,  bien  examinées, 
se  réduisent  pour  Fordinaire  à  très-peu  de  chose, 
souvent  tout-à-fait  k  rien  J  allais  à  Pila  &ire  ayoc 
trois  messieurs,  qui  faisaient  semblant  d'aimer  la 
botanique,  une  nerborisation  dont  le  principal 
objet  était  un  commepcement  d'herbier  pour  Yun 
des  trois,  à  qui  j'avais  tâché  d'inspirer  le  goût  de 
cette  douce  et  aimable  étude.  Tout  en  marchant^ 
M.  le  médecin  M**^*  m  appela  pour  me  montrer, 
gisait-il 9  une  très-belle  ancolie.  Comment,  mon- 
sieur, une  ancolie!  lui  db-je  en  voyant  sa  plante; 
c'est  le  napel.  Là-dessus  je  leur  racontai  les  £ibles 
que  le  peuple  débite  en  Suisse  sur  le  napel;  et  j'a- 
voue qu'en  avançant  et  nous  trouvant  conmic 
ensevelis  dans  une  forêt  de  napels ,  je  cra$  un  ino- 
ment  sentir  |iin  peu  de  mal  de  tête ,  dont  je  recoiH 
nus  la  chimère  et  ri^  aycc  ces  ijaessieurs  presque 
au  même  i^staqtl 

Mais  au  lieu  d  une  plante  à  laquelle  Je  n  avais 
pas  songé,  j'ai  vraiment  et  vainement  cherché  â 
Rila  une  fontaine  glaçante,  qui  tuait,  à  ce  qu  on 
nous  dit,  quiconque  en  buvait.  Je  déclarai  qne 
jeu  voulais  faire  fessai  sur  moi-même ,  non  pas 
pour  me  tuer,  je  vous  jurc^  mais  pour  désabuser 


ANÎfÉE  1769.  193 

ces  pauvres  gens  sur  la  foi  de  ceux  qn!  se  plaîseut 
A  calomnier  la  nature .  craignant  jusqu'au  lait  de 
leur  mère,  et  ne  voyant  partout  que  les  périls  et 
la  mort.  J'aurais  bu  de  l'eau  de  cette  fontaine 
comme  M.  Storck  a  mangé  du  napel.  Mais  au  lieu 
de  cette  fontaine  homicide  qui  ne  s  est  point  trou- 
vée, nous  trouvâmes  une  fontaine  très- bonne, 
très-firaiche,  dont  nous  bûjnes  tous  avec  grand 
plaisir,  et  qui  ne  tua  personne. 

Au  reste,  mes  voyages  pédestres  ayant  été  jus- 
qu'ici tous  très- gais,  faits  avec  des  camarades 
dl^aussi  bonne  humeiu'  que  moi ,  j  avais  espéré  que 
ce  serait  ici  la  même  chose.  Je  voulus  d'abord 
bannir  toutes  les  petites  façons  de  ville  *:  pour 
mettre  en  train  ces  messieurs,  je  leur  dis  des  ca- 
nons, je  voulus  leur  en  apprendre;  je  m'imaginais 
que  nous  allions  chanter,  criailler,  folâtrer  toute 
la  journée*,  je  leur  fis  môme  une  chanson  (l'ali; 
s'entend)  que  je  notai,  tout  en  marchant  par  la 
pluie,  avec  des  chiffires  de  mon  invention.  Mais 
quand  ma  chanson  fut  faite ,  il  n  en  fut  plus  ques- 
tion, ni  damusemens,  ni  de  gaieté,  nJide  âimi- 
liarité;  voulant  être  badin  tout  seul,  je  ne  me 
trouvais  que  grossier;  toujours  le  grand  cérémo- 
oial,  et  toujours  monsieur  don  Japhet.  A  la  fin 
|e  me  le  tins  pour  dit;  et,  m'amusant  avec  mes 
plantes,  je  laissai  ces  messieurs  s*amuser  à  me  faire 
des  fiiçons.  Je  ne  sais  pas  trop  si  mes  longues  ra- 
bâcheries  vous  aniusent  ;  je  sais  seulement  que ,  si 
je  les  polongeais  encore,  elles  vous  ennuirai«nt 


19  {  CORRESPONDANC?, 

certamement  à  la  fin.  Voilà,  monsieur,  l'histoirB 
exacte  de  ce  tant  célèbre  pèlerinage,  qui  court 
déjà  les  quatre  coins  de  la  France,  et  qui  remplira 
bientôt  TEurope  entière  de  son  risiblc  fracas^  J? 
TOUS  salue,  monsieur,  et  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

883.  — -  A  HADAMB  B. 

Monquiii,  le  dd  octobre  ijCc^ 

Si  je  n  avais  été  garde-malade,  madame,  et  si 
je  ne  Tétais  encore,  j^aurab  été  moins  lent  et  je 
serais  moins  bref  à  vous  remercier  du  plaisir  que 
m*a  fait  votre  lettre ,  et  du  désir  que  j'ai  de  mériter 
et  cultiver  la  correspondance  que  vous  daignez 
m^offi-ir.  Votre  caractère  aimable  et  vos  bons  sen- 
timens  m  étaient  déjà  assez  connus  pour  me  don- 
ner du  regret  de  n'avoir  pu  leur  rendre  mon  hom* 
mage  en  personne ,  lorsque  je  fus  un  instant  votre 
voisin.  Maintenant  vous  m*offi:ez,  madame,  dans 
la  douceur  de  m^entretenir  quelquefois  avec  tous, 
u]|^  dédommagement  dont  je  sens  déjà  le  prix, 
mais  qui  ne  peut  pourtant  qu'à  Faide  d  une  ima- 
gination qui  vous  cherche  suppléer  au  charme  de 
voir  animer  vos  yeux  et  vos  traits  par  ces  senti- 
meqs  vivifians  et  honnêtes  dont  votre  coeur  me 
parait  pénétré.  Ne  craignez  point  que  le  mien  re- 
pousse la  confiance  dont  vous  Toulez  bien  mlio- 
uorer ,  et  dont  je  ne  suis  pas  indigne. 

Adieu,  madame;  soyez  sûre^  je  vous  suppfie, 


ANN^E   1761.  igS 

qne  mon  cœur  répond  très-birn  au  ^-tôtre,  et  qu« 
c'est  pour  cela  que  ma  plume  n  ajoute  rien. 

883.  —  A  M,  DE  SÀiin:-GERMAnf . 

'A  MonqaîD,  le  mardi  3i  octobre  1769. 

Il  me  reste ^  monsieur,  un  seul  plaisir  dans  la 
vie ,  et  qui  m  est  aussi  doux  que  rare ,  celui  de  voir 
la  face  dun  honnête  homme^  Jugez  de  leropres- 
sèment  avec  lequel  vous  serez  reçu  quand  vous 
voudrez  bien  faire  Tobligeante  course  que  vous 
me  promettez.  Les  cadeaux  que  veut  me  faire 

ML ont  Tair  d'une  plaisanterie.  Je  vous  prie  do 

vouloir  lui  &ire  bien  des  salutations  de  ma  part^ 
quand  vous  lui  écrirez. 

Permettez,  monsieur,  que  j  assure  ici  madame 
àe  Saint-Gennain  de  mon  respect,  que  ie  vous 
salue  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Restoit. 
884.  —  A  M.  DU  Pevrou. 

Honqinny  it  i5  aovcmbre  1769. 

Vous  voflà ,  mon  cher  hôte .  grike  i  la  rechute 
dont  vous  êtes  délivré,  dans  un  de  ces  intervalles 
heureux  4uraiit  lesquels ,  d  entrevoyant  que  de 
loin  le  retour  des  atteintes  de  goutte ,  vous  pouvez 
jouir  de  la  santé,  et  même  la  prolonger;  et  je  suis 
bien  sûr  que  le  plus  doux  emploi  que  vous  et} 
pourrez  faire  sera  de  rendre  la  vie  heureuse  à  cette 


I  g()  CORRESPONDANCE  , 

•limaBle  Henriette  qui  verse  tant  de  douceurs  et 
de  consolations  dans  la  vôtre.  Les  détails  <p]e  vous 
me  faites  de  la  manière  dont  vous  cultivez  le  fonds 
de  sentiment  et  de  raison  que  vous  avez  trouvé 
en  elle,  me  font  juger  de  Fagrément  que  vous  de- 
vez trouver  dans  une  occupation  si  chérie ,  et  me 
font  désirer  bien  des  fois  dans  la  journée  d  avoir 
la  douceur  d'en  être  le  témoin  :  mais,  appelé  par 
de  grands  et  tristes  devoirs  k  des  soins  plus  néces- 
saires, je  ne  vois  aucune  apparence  à  me  flatter 
de  finir  mes  jours  auprès  de  vous.  J'en  sens  le  dé- 
sir, je  l'exécuterais  même  s'il  ne  tenait  qu'à  ma 
volonté;  la  chose  n'est  peut-être  pas  absolument 
impossible  :  mais  je  suis  si  accoutumé  de  voir  tous 
mes  vœux  éconduits  en  toute  chose,  que  j'ai  tout- 
A -fait  cessé  d^en  faire,  et  me  borne  à  tlcher  de 
supporter  le  reste  de  mon  sort  en  homme,  tel  qu*il 
plaise  au  ciel  de  me  l'envoyer. 

Ne  parlons  plus  de  botanique,  mon  cher  hôte; 
quoique  la  passion  que  j'avais  pour  elle  n'ait  fait 
qu'augmenter  jusqu'ici;  quoique  cette  innocente 
et  aimable  distraction  me  fût  bien  nécessaire  dans 
mon  état ,  je  la  quitte ,  il  le  faut;  n'en  parlons  plus. 
Depuis  que  j'ai  commencé  de  m'en  occuper,  j'ai 
fait  une  assez  considérable  collection  de  livres  de 
botanique,  parmi  lesquels  il  y  en  a  de  rares  et  do 
recherchés  par  les  botanophiles,  qui  peuvent  don- 
ner quelque  prix  à  cette  collection.  Outre  cela, 
j'ai  $Ht  sur  la  plupart  de  ces  livres  un  grand  tra- 
vail par  rapport  à  la  synonymie,  en  ajoutant  à  la 


ATTNÉE  1769.  içy 

{dupart  des  descriptions  et  des  figures  le  noia  de 
Linnxus.  U  £iut  s'être  essayé  sur  ces  sortes  de  con- 
cordances pour  comprendre  la  peine  qu  elles  coû*- 
tent,  et  combien  celle  que  j'ai  prise  peut  en  éviter 
à  ceux  à  qui  passeront  ces  mêmes  livres,  s'ils  en 
veulent  faire  usage.  Je  cherche  à  me  défaire  de 
cette  collection ,  qui  me  devient  inutile  et  difficile 
à  transporter.  Je  voudrais  qu'elle  pût  vous  con» 
venir;  et  je  ne  désespère  pas,  quand  vous  aurez 
un  jardin  de  plantes,  que  vous  ne  repreniez  le 
goût  de  la  botanique,  qui,  selon  moi,  vous  serait 
très-avantageux.  En  ce  cas,  vous  auriez  une  col* 
lectio^  toute  Êiite,  qui  pourrait  vous  suffire,  et 
que  vous  formeriez  difficilement  aussi  complète 
en  détail  ;  ainsi  j'ai  cru  devoir  vous  la  proposer 
avant  que  d  en  parler  à  personne  :  j'en  Ëiis  faire 
le  catalogue^  voulez -vous  que  je  vous  le  fasse 
passer? 

Je  ne  suis  point  surpris  des  soins,  des  Ion* 
gueurs,  des  fiais  inattendus,  des  embarras  de 
toute  espèce  que  vous  cause  votre  bâtiment  :  vous 
avez  dû  vous  y.  attendre,  et  vous  pouvez  vous 
rappeler  ce  que  je  vous  ai  écrit  et  dit  à  ce  sujet 
quand  vous  en  avez  formé  Fentreprise.  Cependant 
vous  devez  être  à  la  fin  de  la  grosse  besogne,  et 
ce  qui  vous  reste  i  faire  n^est  qu  un  amusement 
tn  comparaison  de  ce  qui  est  fait  :  à  moins  pour- 
tan  t  que  vous  ne  donniez  dans  la  manie  de  dé^ 
£iire  cl  refiùre;  car,  en  ce  cas,  vous  en  avez  pour 
la  vie,  et  vous  ne  jouirez  jamais.  Refusez- vou9 

17. 


I  gS  CORRESPONDANCE  y 

totalement  k  cette  tentation  dangereuse,  ou  jf 
TOUS  prédis  <pie  tous  vous  en  trouverez  très^maL 

885.  —  A  M.  Lalliauo. 

Moaqaîtf,  le  3o  novembre  1769. 

^APPRENDS  avec  plaisir,  monsieur,  que  vous 
jouissez,  en  bonne  santé  et  avec  agrément,  du 
beau  climat  que  vous  habitez,  et  que  vous  êtes 
content  à  la  fois  de  votre  séjour  et  de  votre  ré- 
colte. Vous  avez  deviné  bien  juste  que,  tandis  que 
l'ardeur  du  soleil  vous  forçait  encore  quelquefois 
i  chercher  Tombre,  j  étais  réduit  à  garder  mes  ti- 
sons; et  nous  avions  eu  déjà  de  fortes  gelées  et  des 
neiges  durables  long-temps  avant  la  réception  de 
votre  lettre.  Cela,  monsieur,  me  chagrine  en  une 
chose ,  c'est  de  ne  pouvoir  plus ,  pour  cette  année , 
exécuter  votre  petite  commission  des  rosiers  à 
feuilles  odorantes,  puisque  ayant  depuis  long- 
temps perdu  toutes  leurs  feuilles,  ils  seraient  à 
présent  impossibles  à  distinguer,  et  difficiles  même 
à  trouver.  Je  suis  donc  forcé  de  remettre  cette  re- 
cherche à  Tannée  prochaine  ;  et  je  vous  assure  que 
vous  me  fournissez  Foccasion  d  une  petite  herbo- 
risation très-agréable,  en  songeant. que  je  la  fiiis 
pour  votre  jardin. 

Je  vous  dois  et  vous  Êiis,  monsieur,  bien  des 
remercîmens  des  lauriers  que  vous  avez  la  bonne 
intention  de  m'envoyer  pour  mon  herbier,  quoi* 
que  je  ne  me  rappelle  point  du  tout  qu'il  en  ait 


AinrÉB  1769*  ir^ 

été  question  entre  nous  :  ils  ne  laisseront  pas  ctc 
iTOQveT  leur  place,  et  de  me  rappeler  votre  obli- 
geant souvenir  aussi  long-temps  que  je  resterai 
possesseur  de  mon  herbier;  car  il  pourrait  dans 
pu  changer  de  maitre,  ainsi  que  ntcs  livres  de 
plantes,  dont  je  cherche  à  me  défaire ,  étant  sur 
le  point  de  quitter  totalement  la  botanique. 

Jai  fait  votre  commission  auprès  de  madame 
de  Lessert,  et  je  ne  doute  pas  que ,  dans  sa  pre- 
mière lettre,  elle  ne  me  charge  de  ses  remerci- 
mcns  et  salutations  pour  vous.  Elle  a  eu  la  bonté 
de  me  pourvoir  d'une  bonne  épinctto  pour  cet 
hiver;  cet  instrument  me  fait  plaisir  encore,  et 
me  donne  quelques  momens  d  amusement;  mais 
il  ne  me  fournit  plus  de  nouucllcs  idées  de  musi* 
que,  et  je  me  suis  vainement  efforcé  d^en  jeter 
quelques-unes  sur  le  papier ,  rien  n'est  venu ,  et  je 
sens  quîl  faut  renoncer  désormais  à  la  composi- 
tion comme  â  tout  le  reste  :  cela  n'est  pas  surpre* 
nant. 

Bonjour,  monsieur;  le  beau  soleil  qu'il  &it  ici 
dan5  ce  moment  me  fait  imaginer  des  promenades 
délicieuses  en  cette  saison  dans  le  pays  où  vous 
êtes-,  et,  si  j^  étais  aussi ,  j  aimerais  bien  à  les  £iire 
avec  vous. 

Bonjour  derechef;  portez-vous  bien,  amusez* 
voQs^  et  donnez-moi  quelquefob  de  vos  nouvelles 


aOO  CORRESPOXDANCB , 

886. A  BfADAME  B. 

Monquîn ,  le  ^décembre  1769. 

Je  piësume^  madame,  que  vous  yoîlà  heureu- 
sement arrivée  à  Paris,  et  peut-être  déjà  dans  le 
tourbilloin  de  ces  plaisirs  bruyans  dont  vous  prés- 
entiez le  yide,  en  vous  proposant  de  les  chercher. 
Je  ne  crains  pas  que  vous  les  trouviez ,  à  l'épreuve, 
plus  substantiek  pour  un  cœur  tel  que  le  vôtre  me 
paiait  être,  que  vous  ne  les  avez  estimes  :  mais  il 
pourrait  résulter  de  leur  habitude  une  chose  bien 
cruelle,  c'est  qu ib  devinssent  pour  vous  des  be 
soins,  sans  être  des  alimt^ns;  et  vous  voyez  dans 
quel  état  cruel  cela  jette  quand  on  est  foiicé  de 
chercher  son  existence  là  où  l^on  sent  bien  qu'on 
De  trouvera  jamais  le  bonheur.  Pour  prévenir  un 
pareil  malheur,  quand  on  est  dans  le  train  den 
courir  le  risque,  je  ne  vois  guère  qu'une  chose  à 
faire,  c'est  de  veiller  sévèrement  sur  soi-même ,  et 
de  rompre  cette  habitude,  ou  du  moins  de  Tinter- 
rompre  avant  de  s'en  laisser  subjuguer.  Le  mal  est 
que,  dans  ce  cas  comme  dans  un  autre  plus  grave, 
on  lie  commence  guère  à  craindre  le  joug  que 
quand  on  le  porte  et  qu'il  n^est  plus  temps  de  le 
secouer;  mais  j avoue  aussi  que  quiconque  a  pu 
faire  cet  acte  de  vigueur  dans  le  cas  le  plus  diffi- 
cile peut  bien  compter  sur  soi-même  aussi  dans 
llaqtre;  il  suffit  de  prévoir  qu'on  en  aura  besoin. 
La  conclusion  de  ma  morale  sera  donc  moios  ans- 


'AinrÉE  1769.  aoi 

tère  que  le  déliât.  Je  ne  blâme  assurémenf  pas  que 
TOU5  vous  livriez ,  avec  la  modération  que  vous  y 
voulez  mettre,  aux  amusemens  du  grand  monde 
où  vous  vous  trouvez  :  votre  âge,  madame,  vos 
sentimens,  vos  résolutions,  vous  donnent  tout  le 
droit  d'en  goûter  les  innocens  plaisirs  sans  alarmes; 
et  tout  ce  que  je  vois  de  plus  à  craindre  dans  les 
sociétés  où  vous  allez  briller  est  que  vous  ne  ren- 
diez beaucoup  plus  difficile  à  suivre  pour  d'autres 
Favis  que  je  prends  la  liberté  de  vous  donner. 

Je  crains  bien ,  madame, que  Tintérét  peut-être 
un  peu  trop  vif  que  vous  m'inspîrez  ne  m'ait  fait 
vous  prendre  un  peu  trop  légèrement  au  mot  sur 
ce  ton  de  pédagogue  que  vous  m'invitez  en  quel- 
que façon  de  prendre  avec  vous.  Si  vous  trouvez 
mon  radotage  impertinent  ou  maussade,  ce  sera 
ma  vengeance  de  la  petite  malice  avec  laquelle 
vous  êtes  venue  agacer  un  pauvre  barbon  qui  se 
dépêche  d*être  sermonneur,  pour  éviter  la  tenta- 
tion d'être  encore  plus  ridicule.  Je  suis  même  un 
peu  tenté,  je  vous  lavoue,  de  m'en  tenir  là  :  Fétat 
ou  vous  m  apprenez  que  vous  êtes  actuellement, 
et  le  vide  du  coeur,  accompagné  dune  tristesse 
habituelle  que  laisse  dans  le  vôtre  ce  tumulte  qu'on 
appelle  société,  me  donnent,  madame,  un  vif  dé- 
sir de  rechercher  avec  vous  s  il  n^y  aurait  pas 
mojen  de  faire  servir  une  de  ces  deux  choses  de 
remède  à  lautre;  mais  cela  me  mènerait  à  des  dis- 
cussions si  déplacées  dans  le  train  d'amusemens 
où  je  vous  suppose^  et  que  le  carnaval  dont  nous 


aOl  CORRESPOTTDAVCE , 

approchons  ta  probablement  rendre  plus  vifs, 
^'il  me  &udrait  de  votre  part  plus  qu  une  per- 
mission pour  oser  entamer  cette  matière  dans  on 
moment  aussi  désavantageux.  Si  vous  m  entendex 
d'avance^  comme  je  puis  l'espérer  ou  le  craindre, 
dites<moi^  de  grâce,  si  je  dois  parler  ou  me  taire; 
et  soyez  sûre,  madame,  que  dans  l'un  ou  Vautre 
cas  je  vous  obéirai,  non  pas  avec  le  marne  plaisir 
peut-être,  mais  avec  la  même  fidélité» 

S87.  —  A  M.  Df  Petroiï. 

Blcnqaiii,  7  îaoTkr  1770. 

Excusez,  mon  cher  h6te,  1^  retard  de  ma  ré- 
ponse. Je  ne  vous  ai  jamais  promis  de  l'exactitude, 
encore  moins  de  la  diligence;  et  j'ai  maintenaDt 
une  inertie  plus  grande  qu'à  l'ordinaire  par  la  ri* 
^eur  de  la  saison  et  par  le  froid  excessif  de  ma 
diambre^  où,  le  nez  sur  un  feu  presque  aussi  a^ 
dent  que  ceux  que  vous  faisiez  faire  àTiye,  je  oa 
puis  garantir  mes  doigts  de  l'onglée. 

Jai  prévu  et  je  vous  ai  prédit  tout  ce  qui  arrive 
au  sujet  de  votre  bâtiment,  et  dans  le  fond  autant 
vaut  qu'il  vous  occupe  qu'autre  chose;  si  c'est  un 
tracas,  c  est  aussi  un  amusement.  C'est  d ailleurs 
la  charge  de  votre  état  :  il  &ut  opter  dans  la  vie 
entre  être  pauvre  ou  être  affairé;  trop  heureux 
d'éviter  un  troisième  état  que  je  connais  bienj 
c'est  d'être  à  lafob  l'un  et  l'autre. 

Grand  merci,  mon  cher  hôte,  de  la  subite  vel- 


léité  qui  tous  prend  de  m'avoir  auprès  de  vous. 
Jai  vu  le  temps  que  FezécutioD  de  ce  projet  eût 
tait  le  bonhenr  de  ma  vie;  et  si  ce  temps  nVst  plnSy 
ce  ù^est  assurément  pas  ma  &ute.  Vous  m  exhortez 
à  vous  traiter  tout-à-lait  en  étranger  ou  tout-i-£iit 
en  ami;  Taltemative  me  parait  dure,  car  votre 
exemple  ne  m'a  pas  laissé  le  choix,  et  votre  cachet 
m  avertit  sans  cesse  que  nos  deux  sbnes  ne  sau- 
raient jamais  se  monter  au  même  ton.  Vous  voulez 
que  nous  Êssions  un  saut  en  arrière  de  trois  ou 
quatre  ans;  vous  voilà  bien  leste  avec  votre  goutte: 
pour  moi ,  je  ne  me  sens  pas  si  dispos  que  cela  ;  et 
quand  je  pourrais  me  résoudre  à  faire  ce  saut  une 
fois,  je  voudrais  du  moins  être  sûr  de  n^en  avoir 
pas  dans  trois  on  quatre  ans  un  second  à  faire.  Je 
vous  avoue  nalarellement  que  si  ce  saut  était  en 
mon  pouvoir,  je  ne  le  ferais  pas  seulement  de  trois, 
mais  de  huit. 

Tout  cela  dit,  Je  ne  vous  dissimulerai  point  que 
f effacerai  difficilement  de  mes  souvenirs  la  douce 
idée  que  je  m^étais  faite  dWhever  paisiblement 
mes  jours  près  de  vous.  Tavoue  même  que  laima- 
ble  hôtesse  que  vous  m'avez  donnée  me  rend  cette 
idée  infiniment  phis  riante.  Si  je  pouvais  lui  feire 
ma  cour  au  point  de  vous  rendre  jaloux  du  pauvre 
barbon ,  cela  me  paraîtrait  fort  plaisant  et  surtout 
fort  agréable  ;  et  crojez-moi ,  mon  cher  hôte ,  vous 
aurez  beau  vous  vanter  d'en  vouloir  courir  les  ris- 
ques, je  vous  connais,  votre  mine  stoïque  est  ad- 


ao4  (CORRESPOND  AKCE, 

mirable,  mais  seulement  tant  que  vous  êtes  loin 
du  danger. 

Votre  conseil  de  ne  point  renoncer  subitement 
et  absolument  à  la  botanique  me  parait  de  fort 
bon  sens,  et  je  prends  le  parti  de  le  suivre.  Il  est 
contre  la  nature  de  la  cbose  de  se  prescrire  on  de 
s^interdire  d'avance  un  choix  dans  sesamusemens. 
Quand  le  dégoût  viendra,  je  cesserai  dlierboriser; 
quand  le  goût  reviendra,  je  recommencerai  jus- 
qu'à ce  qull  me  quitte  derechef.  II  est  déjà  revenu. 
Des  plantes  qu'on  ma  envoyées  et  des  correspon- 
dances de  botanique  me  Font  rendu,  et  je  doute 
quil  seteîgne  jamais  tout-à-&it.  Cela  n'empd- 
chera  pourtant  pas  que  je  ne  me  défasse  de  mes 
livres  et  même  de  mon  herbier;  et ,  si  vous  voulez 
tout  de  bon  vous  accommoder  de  Fun  et  de  l'antre, 
je  serai  charmé  qu'ils  tombent  entre  vos  mains, 
qui,  quoi  que  vous  en  disiez,  ne  seront  jamais 
pour  moi  des  mains  tout-à-&it  étrangères.  Le  désir 

3ue  j'avais  de  vous  envoyer  le  catalogue  est  une 
es  causes  qui  ont  retardé  cette  lettre.  Le  grand 
froid  ne  me  permet  pas,  quant  à  présent,  ce  bon- 
quinage;  et,  puisque  vous  ne  voulez  pas  encore 
avoir  ces  livres ,  rien  ne  presse.  Mais  vous  ne  serez 
pas  oublié,  et  vous  aurez  la  préférence  que  vous 
avez  Thonnéteté  de  me  demander,  et  qui  en  de« 
vient  réellement  une,  car  depuis  ma  deroièrt 
lettre  on  m'a  demandé  cette  collection. 


t 


888*  —  A  M.  MouLTouv 

Moo^pûa,  le  to  jaBv|i«r  1770. 

Je  comprends,  mon  cher  Mooltoa,  qu^une 
caisse  de  confitures  que  j\ii  reçue  de  Montpellier 
est  le  cadeau  que  vous  m'aviez  annoncé  cet  été  ^ 
et  auquel  je  ne  songeais  plus  quand  il  est  venu  me 
surprendre  en  guet-apens.  Que  voulez-yous  que 
je  fasse  d'un  si  grand  magasin?  voulez-vous  que 
je  me  mette  marchand  de  sucre?  il  me  semble  que 
je  n  étais  pas  trop  appelé  à  ce  métier  ;  voulez-yous 
que  je  le  mange?  il  en  faudrait  beaucoup,  je  l'a- 
voue, pour  adoucir  les  fleuves  d'amertume  qu'on 
me  £iit  avaler  depuis  tant  d  années  ;  maisc  est  une 
amertume  mielleuse  et  traîtresse ,  qui  ne  saurait 
s'allier  avec  la  franche  douceur  du  sucre.  Votre 
envoi,  cher  Moult  ou,  n  est  raisonnable  qu'au  cas 
que  vous  vouliez  venir  m'aider  i  le  consommer; 
j'en  goûterais  alors  la  douceur  dans  toute  sa  pu-, 
reté.  Il  Êiudraiiattendre ,  il  est  vrai ,  que  la  saison 
i&t  plus  doace  elle-même;  car,  quant  i  présent^ 
la  campagne  n'est  pas  tenable;  il  y  fait  presque 
aussi  froid  que  dans  ma  chambre,  où,  près  d\ia 
grand  feu,  je  gèle  ei^  me  rôtissant,  et  Tonglée  m» 
&it  tomber  la  pluine  des  doigts. 

Adieu ,  cher  Moultou  :  me3  deux  moitiés  émir 
brassent  les  diei^:  vôtres^  et  topt  ce  qui  vous  éfl 
cEer* 


.  S.  18 


808  CORRESPOKDAirCE , 

premier  éclat.  On  croit  que  ce  n*est  pas  à  une 
femme  de  votre  âge  qu'il  faut  dire  ces  choses-là; 
et  moi  je  crois,  au  contraire,  que  ce  n'est  qu'à 
votre  âge  qu'elles  sont  utiles,  et  que  le  cœur  s'y 
peut  ouvrir  :  plus  tôt,  il  ne  saurait  les  entendre; 
plus  tard ,  son  habitude  est  déjà  prise,  il  ne  sau- 
rait les  goûter. 

Gomment  s'y  prendre?  me  direz-vous  ;  que  feîrc 
pour  cultiver  et  développer  ce  sens  moral?  Voilà, 
madame ,  à  quoi  j'en  voulais  venir  :  le  goût  de  la 
vertu  ne  se  prend  point  par  des  préceptes,  il  est 
reffct  d'une  vie  simple  et  saino  :  on  parvient  bien- 
tôt à  aimer  ce  qu'on  fait ,  quand  on  ne  fait  que  œ 
qui  est  bien.  Mais  pour  prendre  cette  habitude^ 
qu'on  ne  commence  à  goûterqu'aprèsPavoirprise, 
fl  faut  un  motif  :  je  vous  en  offire  un  que  votre 
étdt  me  suggère;  nourrissez  votre  en&nt.  J'en- 
tends les  clameurs,  les  objections  :  tout  haut,  les 
embarras,  point  de  lait,  un  mari  qu'on  impor- 
tune.... tout  bas,  une  femme  qui  se  gêne,  l'ennui 
de  la  vie  domestique,  les  soins  ignobles,  Pabstî* 
nence  des  plaisirs....  Des  plaisirs?  Je  vous  en  pro- 
mets, et  qui  rempliront  vraiment  votre  âme.  Ce 
n'est  point  par  des  plaisirs  entassés  qu  on  est  heu- 
reux ,  mais  par  un  état  permanent  qui  n'est  point 
composé  d'actes  distincts  :  si  le  bonheur  n'entre, 
pour  ainsi  dire,  en  dissolution  dans  notre  âme, 
s'il  ne  fait  que  la  toucher,  l'effleurer  par  quel- 
ques points,  il  n'est  qu  apparent ,  il  n'e^  rien 
pour  elle* 


*AKKiB  1770.  â(K) 

Lliabitude  La  plus  douce  qui  puisse  exister  est 
oelle  de  la  vie  domestique, qui  nous  tient  plus  près 
de  nous  qu'aucune  autre  :  rien  ne  s'identifie  plus 
fbrtement^plus  constamment  avec  nous  que  notre 
femille  et  nos  en&ns,  les  seutimens  que  nous  ac- 
quérons ou  que  nous  renforçons  dans  ce  com- 
merce intime  sont  les  plus  vrais,  les  plus  durables, 
les  plus  solides  qui  puissent  nous  attacher  aux 
êtres  périssables  ;  puisque  la  mort  seule  peut  les 
éteindre;  au  lieu  que  Tamour  et  l'amitié  vivent 
rarement  autant  que  nous  :  ils  sont  aussi  les  plu^ 
purs ,  puisqu'ils  tiennent  de  plus  près  à  la  nature , 
à  Tordre,  et 9  par  leur  seule  force,  nous  éloignent 
du  vice  et  des  goûts  dépravés.  J'ai  beau  chercher 
où  l'on  peut  trouver  le  vrai  bonheur,  s^il  en  est 
sur  la  terre,  ma  niison  ne  me  le  montre  que  lit...* 
Les  comtesses  ne  vont  pas  d^ordinaire  Yy  cher- 
cher, je  le  sais;  elles  ne  se  font  pas  nourrices  et 
gouyemantes;  mais  il  faufqu^elles  sachent  se  pas-* 
ser  d'être  heureuses;  il  faut^ue,  substituant  leurs 
brajans  plaisirs  au  vrai  bonheur,  elles  usent  leur 
vie  dans  un  travail  de  forçat  pour  échapper  à 
Pennui  qui  les  étouffe  aussitôt  qu'elles  respirent; 
et  il  &ut  que  celles  que  la  nature  doua  de  ce  divin 
sens  moral  qui  charme  quand  on  s  y  livre,  et  qui 
pèse  quand  on  l'élude,  se  résolvent  à  sentir  ince^ 
samment  gémir  et  soupirer  leur  cœur  j  tandis  qu^ 
leurs  sem  s  amusent. 

Mais  nioî  qui  parle  de  famSIe,  d'en&ns....  Ma* 
dame,  plaignes  ceux  ^u'oo  sort  de  fer  prive  d'un 

j3. 


^IQ  COR&ESPO{n>A!rCE| 

pareil  bonheur;  plaignez4cs  s'ils  ne35nt<}ueiftat 
heureux;  plaignez -les  beaucoup  plus  s'ils  sont 
coupables.  Pour  moi,  jamais  on  ne  me  verra ^ 
prévaricateur  de  la  vérité,  plier  dans  mes  égare- 
mens  mes  maximes  à  ma  conduite;  jamais  on  ne 
me  verra  falsifier  les  saintes  lois  de  la  nature  et 
du  devoir  pour  exténuer  mes  fautes.  J'aime  mieux 
)es  expier  que  les  excuser  :  quand  ma  raison  me 
dit  que  j'ai  ait  dans  ma  situation  ce  que  j'ai  dû 
Élire,  je  l'en  crob  moins  que  mon  coeur  qui  gémit 
et  qui  la  dément.  Condamnez-moi  donc,  madame, 
mais  écoutez-moi  :  vous  trouverez  un  homme  ami 
de  la  vérité  jusque  dans  ses  fautes ,  et  qui  ne  craint 
point  d'en  rappeler  lui-même  le  souvenir,  lors- 
qu'il en  peut  résulter  quelque  bien.  ISéanmoins  je 
rends  grâces  att  ciel  de  n'avoir  abreuvé  que  moi 
des  amertumes  de  ma  vie,  et  d'en  avoir  garanti 
mes  enfàns  :  j'aime  mieux  qu  ils  vivent  dans  un 
état  obscur  sans  me  connaître,  que  de  les  voir, 
dans  mes  malheurs ,  bassement  nourris  par  la  traî* 
tresse  générosité  de  mes  ennemis,  ardens  à  les 
instruire  à  hair,  et  peut-être  à  trahir  leur  père  ;  et 
j'aime  mieux  cent  fois  être  ce  père  infortuné  qui 
négligea  son  devoir  par  faiblesse ,  et  qui  pleure  sa 
&ute,  que  d'être  l'ami  perfide  qui  trahit  la  con- 
fiance de  son  ami,  et  divulgue,  pour  le  difiamer| 
le  secret  qu'il  a  versé  dons  son  sein. 

Jeune  femme,  voulez -vous  travailla  à  vouS 
rendre  heureuse?  commencez  d'abord  par  nourrir 
votre  enfant  :  ne  mettez  pas  votre  fille  dans  un 


convent,  élevez -la  vous-même;  votre  mari  est 
jeuue,  il  est  dun  hou  naturel;  voilà  ce  qu'il  nous 
l'aut.  Vous  ne  me  dites  point  comment  il  vit  avec 
vous;  n'importe  :  fut-il  livré  à  tous  les  goûts  dô 
sou  âge  et  de  son  temps  ^  vous  Ten  attacherez  par 
les  vôtres  sans  lui  rien  dire;  vos  en  fans  vous  aide- 
ront à  le  retenir  par  des  liens  aussi  forts  et  plus 
constans  que  ceux  de  Tamour  :  vous  passerez  la 
vie  la  plus  simple,  il  est  vrai^  mais  aussi  la  plus 
douce  et  la  plus  heureuse  dont  j'aie  l'idée.  Mais 
encore  une  fois ,  si  celle  d'un  ménage  bourgeois 
vous  dégoûte,  et  si  l'opinion  vous  subjugue,  gué- 
rissez-vous de  la  soif  du  bonheur  qui  vous  tour* 
mente,  car  vous  n«  Tétancherez  jamais* 

Voilà  mes  idées  :  si  elles  sont  fausses  ou  ridi* 
cules,  pardonnez  Terreur  à  Fintention  ;  je  mé 
trompe  peut-être,  mais  il  est  sûr  que  je  ne  veux 
pas  vous  tromper.  Bonjour,  madame;  1  intérêt 
que  vous  prenez  à  moi  me  touche ,  et  je  vous  jure 
que  je  vous  le  rends  bien. 

Toutes  vos  lettres  sont  ouvertes;  la  dernière  Ta 
été ,  celle-ci  le  sera  ;  rien  i^* est  plus  certain.  Je  vous 
en  dirais  bien  la  raison,  mais  ma  lettre  ne  vous 
par/iendrait  pas  ;  comme  ce  n  est  pas  à  vous  qu'on 
en  veut ,  et  que  ce  ne  sont  pas  vos  secrets  qu  on  y 
cherche,  je  ne  crois  pas  que  ce  que  vous  pour- 
riez avoir  à  me  dire  fût  exposé  à  beaucoup  d'in- 
discrétion; Eiais  e&core  faut- il  que  vous  soyez 
avertie. 


El  2  COREESPONDANCE, 

890. ▲  LA  XÊMB. 

llonqaîn,1e  S  fôvxîcr  1770. 

Si  votre  dessein ,  madame ,  lorsque  tous  com- 
mençâtes de  m'écrire,  était  de  me  circonvenir  et 
de  m  abuser  par  des  cajoleries ,  vous  avez  parfai- 
tement réussi.  Touché  de  vos  avances,  je  prêtais 
i  votre  âme  la  candeur  de  votre  âge;  dans  fatten- 
drissemcnt  de  mon  cœur,  je  vous  regardais  déjà 
comme  Faimable  consolatrice  de  mes  malheurs  et 
de  ma  vieillesse,  et^'lldée  charmante  <jue  je  me 
taisais  de  vous  effaçait  Pidée  horrible  des  auteurs 
des  trames  dont  je  suis  enlacé.  Me  voilà  désabusé; 
c^est  louvrage  de  votre  dernière  lettre  :  son  tortil- 
lage ne  peut  être  ni  la  réponse  que  U  mieone  a 
dû  naturellement  vous  suggérer,  ni  le  langage  ou- 
l^ert  et  franc  de  la  droiture.  Pour  moi,  ce  langage 
ne  cessera  jamais  d'être  le  mien  :  je  vois  que  vous 
avez  respiré  laîr  de  votre  voisinage.  Ehl  mon 
Dieu,  madame,  vous  voilà,  bien  jeune,  initiée  â 
des  mystères  bien  noirs  I  J'en  suis  Ùiché  pour  moi, 
j^en  suis  affligé  pour  vous....  à  vingt-deux  ans!.... 
Adieu,  madame. 

Rousseau. 

P.  S.  En  reprenant  avec  plus  de  sang-froid 
votre  lettre,  je  trouve  la  mienne  dure  et  même  in- 
juste; car  je  vois  que  ce  qui  rend  vos  phrases  em» 
barrassées  est  quune  involontaire  sincénté  s'} 


ittéle  à  la  dissimulation  que  tous  voulez  avoir.  En 
blâmant  mon  premier  mouvement  ^  je  ne  veut 
pourtant  pas  vous  le  cacher;  non  /madame,  vous 
ne  voulez  pas  me  tromper,  je  le  sens;  c'est  vous 
quon  trompe,  et  bien  cruellement.  Mais,  cela 
posé,  il  me  reste  une  question  à  vous  faire.  Dans 
le  jugement  que  vous  portez  de  moi,  pourquoi 
m  éarire7poiirquoi  me  recherchcr?que  me  voulcz- 
voos?  recherche -t- on  quelqu'un  qu'on  n'estime 
pas?  Eh!  je  fuirais  jusqu'au  bout  du  monde  un 
homme  que  je  verrais  comme  vous  paraissez  me 
voir.  Je  suis  environné,  je  le  sais,  d'espions  em-* 
pressés  et  d^ardens  satellites  qui  me  flattent  pour 
me  poignarder;  mais  ce  sont  des  traîtres,  ils  font 
leur  métier.  Mais  vous,  madame,  que  je  veux  ho-* 
norer  autant  que  je  méprise  ces  misérables,  de 
grâce  que  me  voulez-vous?  Je  vous  demande. suif 
ce  point  une  réponse  précise,  et,  pour  Dieu,  sui- 
vez en  la  fiiisant  le  mouvement  de  votre  cœur  et 
non  pas  limpulsion  d autrui»  Je  veux  i*épondre 
en  détail  à  votre  lettre,  et  j'espère  avoir  long- 
temps la  douceur  de  vous  parler  de  vous  :  mais| 
pour  ce  moment^  commençons  par  moi;  com^ 
mençons  par  nous  mettre  en  règle  sur  ce  que  nous 
devons  penser  l'un  de  Fautre.  Quand  nous  sau« 
rons  bien  à  qui  nous  parlons,  nous  en  saurons 
mieux  ce  que  nous  aurons  à  nous  dire. 

Je  TOUS  prie ,  madame ,  de  ne  plus  m'écrire  sous 
on  autre  nom  que  celui  que  je  signe,  et  que  je 
n'aurais  jamais  dû  quitter. 


%  1 6  C02lR£SP0!?DiKCE  ^ 

tête  da  petit  bonhomme  :  il  vous  regarde  Comme 
un  homme  à  ses  gages ,  une  espèce  de  domestique , 
fait  pour  lui  obéir,  pour  complaire  à  ses  caprices  j 
et,  dans  son  petit  jugement,  il  lui  parait  fort 
étrange  que  ce  soit  vous  qui  prétendiez  l'asservir 
aux  vôtres;  car  c'est  ainsi  qull  voit  tout  ce  que 
vous  lui  prescrivez  :  toute  sa  conduite  avec  vous 
Il  est  qu'une  conséquence  de  cette  maxime,  qui 
nest  pas  injuste,  mais  qu^il  applique  mal,  que 
c*est  à  celui  qui  paie  de  commander.  Diaprés  ceh 
qu  importe  qu'il  ait  tort  ou  raison?  C  est  lui  qui 
paip. 

Essayez,  chemin  faisant,  d'effacer  cette  opi- 
nion  par  des  opinions  plus  justes,  de  redresser  ses 
çrrçurs  par  des  jugemens  plus  sensés  :  tâchez  de 
lui  faire  comprendre  qu'il  y  a  des  choses  plus  es- 
timables que  la  naissance  et  que  les  richesses;  et 
pour  le  lui  faire  comprendre  il  ne  faut  pas  le  lui 
dire,  il  faut  le  lui  faire  sentir,  forcez  sa  petite 
flme' vaine  à  respecter  la  justice  et  le  courage,  à  se 
mettre  à  genoux  devAUt  la  voi^^^  et  n'allez  ps 

Sour  cela  lui  chercher  des  livres,  les  hommes  des 
vres  ne  $eron(  j^m^is  pour  lui  que  des  hommes 
d'un  autre  n^onde.  Je  ne  sache  quun  seul  modèle 
qui  puisse  avoir  à  se^  yeux  de  la  réalité  ;  et  ce  mo- 
dèle ,  c^est  vous ,  monsieur;  le  poste  que  vous  rem- 
plissez est  à  mes  yeux  le  plu&  noble  et  le  plus 
grand  qui  soit  sur  la  terre.  Que  le  vil  peuple  en 
pense  ce  qu'il  voudra,  pour  moi  je  vous  vois  à  )a 
flaire  de  Dieu,  vous  ^ites  un  hpnune.  Si  vfbs 


TOUS  voyez  du  même  œil  qae  moi ,  que  cette  idée 
doit  vous  élever  en  dedans  de  vous-même  !  qu^elle 
peut  vous  rendre  grand  en  effist!  et  c'est  ce  quil 
£iut;  car,  si  vous  ue  Tétiez  qu^en  apparence,  et 
que  vous  ne  fissiez  que  jouer  la  vertu, le  petit  bon* 
homme  vous  pénétrerait  infailliblement,  et  tout 
serait  perdu.  Mais  si  cette  image  sublime  du  grand 
et  du  beau  le  frappe  une  fois  en  vous^  si  votre 
désintéressement  lui  apprend  que  la  richesse  ne 
peut  pas  tout;  s'il  voit  en  vous  combien  il  est  plus 
grand  de  commander  à  soi-même  qu'à  des  valets; 
si  vous  le  forcez,  en  un  mot,  à  vous  respecter^ 
dès  cet  instant  vous  Faurez  subjugué,  et  je  vou^ 
réponds  que,  quelque  semblant  qu'il  fasse,  il  ne 
trouvera  plus  égal  que  vous  soyez  d  accord  avec 
lui  ou  non,  surtout  si,  en  le  forçant  de;  vous  ho- 
norer dans  le  fond  de  son  petit  cœur,  vous  lui 
marquez  en  même  temps  faire  peu  de  cas  de  ce 
quil  pense  lui-même,  et  ne  vouloir  plus  vous  fa- 
tiguer à  le  &ire  convenir  de  ses  torts.  Il  me  semble 
qu'avec  une  certaine  façon  grave  et  soutenue 
d'exercer  sur  lui  votre  autorité,  vous  parviendrez 
à  la  fin  à  demander  froidement  à  votre  tour  : 
Qu  est-ce  que  cela  fait  que  nous  soyons  d'accord 
ou  non?  et  qu'il  trouvera,  lui,  que  cela  fait  quel- 
que chose.  Il  faudra  seulement  éviter  de  joindre 
à  ce  sang-fi<oid  la  dureté  qui  vous  rendrait  hais-* 
sable.  Sans  enti;er  en  explication  avec  lui ,  V0113 
pouirez  dire  à  d'autres  en  sa  présence  :  «  J^aurais 
•r  frit  mes  délices  de  rendre  son  en&nce  heureuse^ 


FO'é 


^âO  rORRESPOITDjlRCB, 

892.  -^  A  M.  MoULTOU. 

Monquin ,  k  1 7  70. 
Paittbbs  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Cher  Moultou,  quoique  tous  paraissiez  moa* 
hlier,  je  vous  aime  toujours,  et  je  n'ai  pas  voulu 
mcloigner  de  ce  pays  sans  vous  en  donner  avis  et 
vous  dire  encore  un  adieu.  Je  compte  y  rester 
quinze  jours  ou  trois  semaines  avant  de  me  ren- 
dre H  Lyon  :  ces  trois  semaines  me  seraient  bien 
précieuses  pour  Therborisation  des  mousses  et  des 
lichens,  si  la  neige  n'y  portait  obstacle;  car  pro- 
bablement loccasion  nen  reviendra  plus  pour 
moi.  Le  temps,  qui  parait  vouloir  se  remettre, 
peut  permettre  un  essai  ;  et,  après  avoir  été  long- 
temps bien  malingre,  je  comptô  tenter  aujooF- 
d'hui  lanalyse  de  quelques  troncs  d'arbres.  Faites 
comme  moi.  Adieu;  je  vous  embr^asise  tendrement, 
et  je  vous  exhorte  à  m'aimer,  car  je  le  mérite. 

J.  J.  ROVSSEAU. 

Je  reprends  un  nom  que  je  n  aurais  Jamais  dû 
quitter  :  n  en  employez  plus  d'autre  pour  m^écrire. 

893* A  MADAME  GoN€£RU| 

«£e  nouss&Au, 

MiMiquUi)]6  17  701. 

I^AUVBEs  sTeuglea  que  nous  sommes!  !  etc. 

Ma  bonne,  ma  chère ,  ma  respectable  tante,  né 
mourant,  je  vous  pardonne  de  m'avoir  &it  vivre, 


'À3mJÈB  1770.  !iii 

et  ]e  m^afflîge  de  ne  pouvoir  vous  rendre  i  la  fin 
de  vos  jours  les  tendres  soins  que  vous  m'avet 
prodigués  au  commencement  des  miens«  Â  la  pre» 
nûèie  lueur  d une  meilleure  fortune,  je  songeai  i 
vous  faire  une  petite  part  de  ma  subsistance  qui 
pût  rendre  la  vôtre  un  peu  plus  commode  :  je  vous 
en  fis  aussitôt  donner  avis ,  et  votre  petite  pension 
commença  de  courir  en  même  temps,  savoir  à  la 
fin  de  mars  1767  (^).  11  ny  a  pas  encore  de  cela 
trois  ans  révolus,  et  ces  trois  ans  vous  ont  été 
payés  d  avance,  année  par  année  :  ainsi,  quand 
vous  ne  recevriez  rien  d^uit  an  dlci,  tout  serait 
encore  en  règle,  et  il  n'y  aurait  encore  rien  d'ar- 
riéré. Mon  intention  est  bien  pourtant  de  conti- 
nuer à  vous  payer  d'avance  et  Tannée  qui  corn» 
mencera  bientôt  de  courir  et  les  suivantes ,  autant 
que  mes  moyens  me  le  permettront;  mais,  ma 
chère  tante ,  je  ne  puis  pas  vous  dissimuler  que  la 
dureté  présente  et  future  de  ma  situation  me  met 
dans  la  nécessité  de  compter  avec  moi-même, 
sans  quoi  je  ne  me  résoudrais  jamais  à  compter 
avec  vous.  Veuillez  donc  prendre  un  peu  de  pa» 
tience  dans  la  certitude  de  n'être  pas  oubliée^  et 
s*ii  arrivait  dans  la  suite  que  votre  pension  tardais 
k  venir,  ce  qui  ne  sera  pas,  autant  qu'il  me  sera 
possible,  dites -vous  alors  à  vous-même  :  Je  con- 
fiait le  ccmr  de  man  neveu;  et,  sûre  ip^il  ne 
m'oublie  pas,  je  le  plains  de  n'être  pas  en  àkH  de 


'»- 


i")  Voyei  U  ktti«  k  dlTernoisy  da  39  iaiiTÎer  1 7 66. 


^ 


aia  ïonzspontoiircx, 

mieUx  faire.  Adieu,  ma  bonne  et  respectaUe 
tante  :  je  tous  recommande  à  la  Proyidence  ;  faitei 
la  mAme  chose  pour  moi,  car  fen  ai  grand  besoioi 
et  recevez  avec  bonté  mes  plus  tendres  et  respec- 
tueoses  salntations. 

894*  — «  A  M.  U  MARQUIS  DE  CoKDORCET. 

MonquÎD,  le  17  7a 

pÂum  aTCngldr  ^[ne  ooai  loiBinesi  etc. 

Je  suis  pënéiré,  monrieur,  de  Honneur  que 
TOUS  me  fiâtes  de  mmvoyer  vos  Essais  d'analyse, 
et  je  m  en  sens  digne  )pas  ma  sensibilité,  quoique 
je  le  sois  si  peu  par  mon  intelligence,  trop  bornée 
pour  me  mettre  en  état  de  lire  cet  ouvrage,  que 
ma  l&te  affaiblie  ne  me  permettrait  même  plus  de 
Sttiirre,  quand  j'aurais  les  connaissances  néce»- 
aaores  pour  cela.  Que  je  tous  envie  de  cultiver  de 

Erofondes  études  qui  mènent  à  des  vérités  qunn 
omme  boié  peut  dire  impunément  à  ses  sem- 
UaUes,  sans  avoir  besoin  de  tenir  à  des  partis  et 
de  se  donner  des  appuis!  Si  j avais  i  renaître,  pe 
ticberais  d'être  votre  disciple  poor  mériter  l%on- 
nenr  d'être  un  jour  votre  émule  et  votre  ami;  mais 
ne  pouvant,  dans  mon  ignorance,  être  que  votre 
stopide  admirateur,  je  vous  remercie  au  moins 
du  moment  de  véritable  dooceur  que  votre  obli* 
géante  attention  jette  sur  ma  triste  eadsteni».  Je 
vous  salue ,  monsieur,  et  vous  hon^ne  de -tout  mon 
coeur. 


AmntE  1770.  iii 

895. A  M.  DB  BSLLOT. 

Monqpio,  par  Bonigoio t  le  17   70. 
FAinrB«  «reu^ei  que  nous  tnnmiet!  aie 

Jlionorais  vos  talens ,  monsieur,  encore  plus  le 
digne  usage  que  vous  ea  faites,  et  j  admirais  com« 
ment  le  même  esprit  patriotique  nous  avait  con  • 
duits  par  la  même  route  à  des  destins  si  contraires, 
vous  à  l'acquisition  d'une  nouvelle  patrie  et  à  des 
honneurs  distingués,  moi  à  la  perte  de  la  mienne 
et  à  des  opprobres  inouïs. 

Vous  m'avez  ressemblé ,  dites-vous ,  par  le  mal- 
henr;  vous  me  feriez  pleurer  sur  vous,  si  je  pou- 
vais vous  en  croire.  Etes-vous  seul  en  terre  étran- 
gère, isolé,  séquestré,  trompé,  trahi,  difiamé  par 
tout  ce  qui  vous  environne ,  enkcé  de  trames  hor- 
ribles dont  vous  sentiez  Teifi^,  sans  pouvoir  par- 
venir i  les  connaître,  A  les  démêler?  Etes-vous  i 
la  merci  de  la  puissance,  de  la  ruse,  de  l'iniquité ^ 
réanies^  pour  vous  traîner  dans  la  fange,  pour 
élever  autour  de  vous  une  impénétrable  oeuvre  de 
ténèbres,  pour  vous  enfermer  tout  vivant  dans 
wi  cercueà?  Si  tel  est  ou  fat  votre  sort,  venez, 
gémissons  ensemble;  mais,  en  tout  autre  cas,  ne 
vous  vantez  point  de  faire  avec  moi  société  dé 
malheurs. 

Je  Usais  votre  Bayàrd ,  fier  que  vous  eussiez 
trouvé  mofh  Edouard  digne  de  lui  servir  de  mo- 
dèlt  en  quelque  choses  et  vous  me  fabiez  vénérer 


33.J  '  CORRESPONDANCE, 

ces  antiques  Français  auxquels  ceux  d  aujoardlmi 
ressemblent  si  peu,  mais  que  vous  &ites  trop  bien 
agir  et  parler  pour  ne  pas  leur  ressembler  vous- 
même.  Â  ma  seconde  lecture ,  je  suis  tombé  sur 
un  vers  qui  m^avait  échappé  dans  la  première,  et 
^ui  par  réflexion  ma  déchiré  (*),  J'y  ai  reconnu, 
non  y  grâces  au  ciel,  le  cœur  de  Jean-JacqueS; 
mais  les  gens  à  qui  j'ai  affaire,  et  que,  pour  mon 
malheur,  je  connais  trop  bien.  J'ai  compris,  j'ai 
pensé  du  moins  qu^on  vous  avait  si^géré  ce  vers- 
là  :  Misère  humaine!  me  suis- je  dit.  Que  les  mé^ 
chans  diffament  les  bons,  ils  font  leur  œuvre; 
mais  comment  les  trompent-ils  les  uns  à  légard 
des  autres?  leurs  âmte  n'ont-eltes  pas  pour  se  r^ 
connaître  des  marques  'plus  sûres  que  tous  les 
prestiges  des  imposteurs?  J'ai  pu  douter  quelques 
instans,  je  l'avoue  ^  si  vous  n'étiez  point  séduit 
plutôt  que  trompé  par  mes  ennemis. 

Dans  ce  même  temps,  j'ai  reçu  voâre  lettre  et 
votre  Gabrielle,  que  j'ai  lue  et  relue  aussi,  mais 
avec  un  plaisir  bien  plus  doux  que  celui  que  mV 
vait  donné  le  guerrier  Bayard;  car  Ihéroisme  de 
la  valeur  m'a  toujours  moins  touché  que  le  charme 
du  sentiment  dans  les  âmes  bien  nées.  L'attache» 
ment  que  cette  pièce  m'inspire  pour  son  auteur 
est  un  de  ces  moovemens,  peut-être  aveugles, 
II-  I  I  11.11         * 

(*}  n  est  probable  que  ce  vers  ccait  le  Mccnd  da  oeardom-ôi 

Que  de  Terta  briUait  dan»  ton  làiui  vqiefitir  ! 
Peu^on  li  biem  la  peindre,  et  ne  Ia  pM  teolirS 


mais  auxquels  mon  cœnr  n^a  jamais  résisté.  Ceci 
me  mène  à  Tavea  d  une  autre  folle  à  laquelle  il  ne 
résiste  pas  mieux,  c'est  de  faire  de  mou  Héloise  le 
critérium  sur  lequel  je  juge  du  rapport  des  autres 
coeurs  avec  le  mien.  Je  conviens  volontiers  qu'on 
peut  être  plein  d'honnêteté  ^  de  vertu ,  de  sens ,  de 
raison^  de  goût,  et  trouver  ce  roman  détestable  : 
quiconque  ne  laimera  pas  peut  bien  avoir  part  à 
mon  estime,  mais  jamais  à  mon  amitié;  quicon* 
que  n'idolâtre  pas  ma  Julie,  ne  sent  pas  ce  quil 
&LUt  aimer;  quiconque  n'est  pas  l'ami  de  Saint- 
Preux,  ne  saurait  être  le  mien  :  d'après  cet  entê- 
tement, jugez  du  plaisir  que  j'ai  pris  en  lisant 
votre  Gabrielle,  d'y  retrouver  ma  Julie  un  peu 
plus  héroïquement  requinquée,  mais  gardant  son 
même  naturel ,  animée  peut4tre  d'un  peu  plus  de 
chaleur,  plus  énergique  dans  les  situations  tragi» 
ques,  mais  moins  enivrante  aussi,  selon  moi, 
dans  le  calme.  Frappé  de  voir  dans  des  multitudes 
de  veri;  â  quel  point  il  &ut  que  vous  ayez  contem* 
plé  cette  image  si  tendre  dont  je  suis  le  Pygma- 
Ëon ,  j'ai  cru ,  sur  ma  règle  ou  sur  ma  manie ,  que 
la  nature  nous  avait  laits  amis-,  et,  revenant  avec 
plus  d'incertitude  aux  vers  de  votre  Bayard,  j'ai 
résolu  d'en  parler  avec  ma  franchise  ordinaire  | 
sauf  k  vous  de  me  répondre  ce  qu*il  vous  plaira. 

M.  de  Belloy,  je  ne  pense  pas  de  rhonneur^ 
coimne  tous  de  la  vertu,  qu^  soit  possible  d'ea 
bien  parler,  &y  revenir  souvent  par  goût,  par 
choix,  et  d'en  parler  toujours  d^un  ton  qui  touche 


aaB  C0UL2SP051>AlfGE , 

^e  Boai^oîn  par  le  temps  qu'il  &it^  et  je  m'oppose 
absolument  à  tout  désir  que  vous  pourriez  avoir 
de  renouveler  pour  moi  cette  oeuvre  de  miséri- 
corde; au  lieu  du  plaisir  que  me  donne  toujours 
votre  présence,  vous  ne  m'apporteriez  que  des 
alarmes  pour  votre  santé  et  pour  votre  retour. 
Cependant ,  avan  t  de  nous  séparer  vraisemblable- 
ment pour  toujours,  que  j'aie  au  moins,  s'il  m^est 
possible,  la  douceur  denûn*asser  encore  une  fois 
mon  consolateur.  Je  compte,  monsieur,  sur  ce 
que  vous  me  dites  dernièrement ,  que  vous  aviez 
encore  au  moins  buit  à  dix  jours  à  rester  à  Bour- 
goin  I  et  je  tâcherai  d^en  prendre  un ,  s'il  m^est  pos- 
sible ,  pour  me  rendre  auprès  de  vous.  Si  malben- 
reusement  votre  départ  était  accéléré,  je  vous 
prierais  de  vouloir  bien  ipe  le  faire  direy  a£n  que 
je  ne  fisse  pas  un  voyage  inutile. 

Monsieur,  veuille  le  ciel  vous  payer  en  prospé- 
rités, tant  sur  vous  que  sur  madame  de  Saint-Xîer 
main  et  sur  votre  aimable  et  florissante  famille,  It 
prix  des  boutés  dont  vous  m  avez  comblé!  Soi^ 
yenez-rvous  quelquefois  d*un  infortuné  qui  ne  m& 
rite  point  ses  malheurs,  qui  vous  prouva  sa  véné- 
ration pour  vous  par  sa  confiance,  et  qui,  par  le 
.droit  qu'il  se  sent  à  votre  estime2  se  gliorifiera  toiP* 
jours  oy  avoir  part. 


'ksmtE  1770.  23g 

Monqnin,  le  17    ^Ck 
PAimES  iTeu^les  que  nous  sommet  !  etc. 

0&  étes-vous,  brave  Saint -Germain  7  Quand 
pcrarrai'je  voos  embrasser,  et  réchauffer  au  feu  de 
votre  courage  celui  dont  j  ai  besoin  pour  suppor- 
ter les  rigueurs  de  ma  destinée?  Qu  il  est  cruel, 
qu'il  est  déchirant  pour  le  plus  aimantdeshommes 
de  se  voir  devenir  ïhorreur  de  ses  semblables  en 
retour  de  son  tendre  attachement  pour  eux,  et 
sans  pouvoir  imaginer  la  cause  de  cette  frénésie, 
ni  par  conséquent  la  guérir!  Quoil  Timplacable 
animosité  des  méchans  peut -elle  donc  ainsi  ren- 
verser les  tÂtes  et  changer  les  cœurs  de  toute  une 
nation,  de  toute  une  génération?  lui  montrer  noir 
ce  tjuî  est  blanc;  lui  rendre  odieux  ce  qu'elle  doit 
aimer;  lui  faire  estimer  Hniquité  justice;  la  tra- 
hison, généro^té?  Ahl  c'est  aussi  trop  accorder 
à  la  puissance  que  de  lui  soumettre  ainsi  le  juge- 
ment ^  le  sentiment,  la  raison,  et  de  se  dépouiller 
pour  elle  de  tout  ce  qui  nous  fait  hoippies. 

Quels  sont  mes  torts  envers  M.  de  Choiseuji?. 
Un  seul,  mais  grand,  celui  d^avoir  pu  lestimen 
pans  ma  retraite ,  je  ne  connaissais  de  lut  que  S9n 
mini5tère  :  son  pacte  de  &mille  me  pévint  en  la» 
veur  de  ses  talens,  Il  av^t  paru  bien  disposé  pour 
moi  :  cette  bienveillance  m  en  avait  inspiré.  Je  ne 
savais  ri^n  de  son  naturel,  de  se$  goûts,  de  s^ 

Ootntfonâêact»  5»  30 


a3o  coiiit£SPOia)ÀNCV, 

inclinations,  de  son  caractère;  et,  dans  les  ténè- 
bres où  je  suis  plongé  depuis  tant  d'années,  j^ai 
long-temps  ignoré  tout  cela.  Jugeant  du  reste  par 
ce  qui  m'était  connu,  je  lui  donnai  des  louanges 
quil  méritait  trop  peu  pour  les  prendre  au  pied 
de  la  lettre.  Il  se  crut  insulté  :  de  là,  sa  liaine  et 
tous  mes  malheurs.  En  me  punissant  de  mon  tort 
il  m'en  a  corrigé.  S'il  me  punit  maintenant  de  loi 
rendre  justice ,  il  ne  peut  être  trop  sérëre;  car  as- 
surément je  la  lui  rends  bien. 

Pour  mieux  assouvir  sa  vengeance ,  il  n'a  roula 
ni  ma  mort  qui  finissait  mes  malheurs,  ni  ma 
captivité  qui  m'eût  du  moine  donné  le  repos.  D  a 
conçu  que  le  plus  grand  supplice  d  une  âme  fiëre 
et  brûlante  d  amour  pour  k^gloire  étaitle  mépris  et 
l'o}:probre ,  et  qu'il  n'y  avait  pdint  pour  moi  de  pire 
tourment  que  celui  d'être  haï  ;  c'est  sur  ce  double 
objet  qu'il  a  dirigé  son  plan.  Il  s'est  appli^é  â  me 
travestir  en  monstre  effi^oyable;  il  a  concerté  dans 
te  secret  Fœuvre  de  ma  diffamation;  il  m'a  fait  en- 
lacer de  toutes  parts  par  ses  satellites;  il  m'a  fiùt 
traîner  par  eux  dans  la  fange  ;  il  m'a  rendu  la  fiide 
du  peuple  et  le  jouet  de  la  canaille.  Pour  m  accabler 
encore  mieux  de  la  baine  publique,  il  a  pris  soin 
de  la  Taire  sortir  par  les  moqueuses  caresses  des 
fbnrbes  dont  il  me  disait  entourer;  et,  pour  der» 
nier  raffinement,  il  a  fait  en  sorte  que  partout  les 
égards  et  les  attentions  parussent  me  suivre,  afin 
que ,  quand ,  trop  sensible  aux  outrages,  j  esdbale- 
rais  quelques  plaintei^^  j'eusse  Pair  d'un  hontm» 


Àjxviz  1770.  23 1 

ijiiï  n'est  pas  à  son  aise  avec  lui-mdme,  et  qui  se 
plaint  des  autres  parce  qu'il  est  mécontent  de  lui* 

PoQT  m'isoler  et  m'ôter  tout  appui,  les  moyens 
étaient  simples.  Tout  cède  k  la  puissance,  et  près* 
que  tout  à  Tintrigue.  On  connaissait  mes  amis,  on 
a  travaillé  sur  eux  ;  aucun  n'a  résiste.  On  a  éventé 
par  la  poste  toutes  les  correspondances  que  je 
pouvais  avoir.  On  m'a  détaché  de  temps  en  temps 
de  petits  chercheurs  de  places,  de  petits  implo* 
reurs  de  recommandations,  pour  savoir  par  eux 
sil  ne  restait  personne  qui  eût  pour  moi  de  la 
bienveillance,  et  travailler  aussitôt  à  me  rôter.  Je 
connais  si  bien  ce  manège,  et  j'en  ai  si  bien  senti 
le  succès,  que  je  ne  serais  pas  sans  crainte  pour 
XL  de  Saint-Germain  lui-même,  si  je  le  savais 
moins  clairvoyant,  et  que  je  connusse  moins  sà 
sagesse  et  sa  fermeté.  Parmi  les  objets  de  tant  de 
vîgîlanoe,  mes  papiers  nont  pas  été  oubliés.  J'^i 
confié  tous  ceux  que  j'avais  en  des  mains  amies  ^ 
ou  que  je  crus  telles  :  tous  sont  à  la  merci  de  mes 
ennemis.  Enfin  on  ma  lié  moi-même  par  des  en* 
gagemens  dont  j'ai  cru  vainemoit  acheter  mon 
repos,  et  qui  n'ont  servi  qu'à  me  livrer  pieds  et 
poings  liés  au  sort  qu'on  voulait  me  ùite.  On  ne 
m'a  laissé  pour  défense  que  le  ciel,  dont  on  ne 
s'embarrasse  guère,  et  mon  innocence^  quon  u'a 
pu  m'ôter. 

Parvenu  une  Ibis  à  ce  point,  tout  le  reste  va  de 
lui-même  et  sans  la  moindre  difficulté.  Les  genà 
ckiTgés  de  disposer  de  moi  ne  trouvent  plus  d'obs* 


33a  COIOIESPOVDàNCE, 

tades.  Les  essaims  despions  maivèillans  et  yigi- 
lans^  dont  je  suis  entoaré,  savent  comment  ils 
ont  à  Élire  leur  cour.  S  il  y  a  du  bien ,  ils  se  garde- 
ront de  le  dire,  ou  prendront  soin  de  le  travestir; 
s'il  y  a  du  mal,  ils  Faggraveront;  s'il  n  y  en  a  pas, 
ils  l'inventeront.  Ils  peuvent  me  charger  tout  à 
leur  aise  ;  ils  n^ont  pas  peur  de  me  trouver  là  pour 
les  démentir.  Chacun  veut  prendre  part  à  la  fête, 
et  présenter  le  plus  beau  boulet.  Dès  qu'il  est 
convenu  cpie  je  suis  un  homme  noir,  c'est  k  qui 
me  controuvera  le  plus  de  crimes.  Quiconque  en 
a  fait  un  peut  en  faire  cent,  et  vous  verrez  que 
bientôt  j'irai  violant,  brûlant,  empoisonnant,  as- 
sassinant k  droite  et  à  gauche  pour  mes  menus 
plaisirs,  sans  m  embarrasser  des  foules  de  surveil- 
lans  qui  me  guettent  >  sans  songer  que  les  plan- 
chers sous  lesquels  je  suis  ont  des  yeux,  que  les 
murs  qui  m'entourent  ont  des  oreilles,  que  je  ne 
fais  pas  un  pas  qui  ne  soit  compté,  pas  un  mou- 
vement de  doigt  qui  ne  soit  noté ,  et  sans  que  du- 
rant tout  ce  temp-là  personne  ait  la  charité  de 
pou^Toir  à  la  sûreté  publique  en  m'empêcbant  de 
continuer  toutes  ces  horreurs ,  dont  ils  se  conten- 
tent de  tenir  tranquillement  le  regbtre ,  tandis  que 
je  les  £aiis  tout  aussi  tranquillement  sous  leurs 
yeux ,  tant  la  haine  est  aveugle  et  béte  dans  sa  mé» 
chancetél  Mais  n'importe,  dès  qu'il  s  agira  de 
m'imputer  des  for&its ,  je  vous  réponds  que  le  bon 
M.  de  Choiseul  sera  coulant  sur  les  preuves,  et 
gu  après  ma  mort  toutes  ces  inepties  deviendront 


▲imàt  1770*  333 

aatant  die  faits  mcontestaUes^parceque  monsieur 
rnn,  et  monsieur  Tautre,  et  madame  celle-ci^  et 
mademoiselle  celle-là ,  tous  gens  de  la  plus  haute 
probité ,  les  auront  attestés,  et  (jue  je  ne  rejssusci* 
terai  pas  pour  y  répondre^ 

Encore  une  fois,  tout  devient  Êicile,  et  désor* 

mais  on  va  &ire  de  moi  tout  ce  qu'on  youdra  de 

mauvais.  Si  )e  reste  en  repos,  c'est  que  je  médite 

des  dîmes,  et  peut-être  le  pire  de  tous,  celui  de 

dire  la  vérité.  Si ,  pour  me  distraire  de  mes  maux, 

je  m^amuse  à  l'étude  des  plantes,  cest  pour  y 

chercher  des  poisons.  Mon  Dieul  quand  quelque 

jour  ceux  qui  sauront  quel  ftit  mon  caractèrei,  et 

qui  liront  mes  écrits,  apprendront  qu'on  a  fait 

de  Jean-Jacques  Rousseau  un  empoisonneur,  ib 

demanderont  quelle  sorte  d'êtres  existaient  de  sou 

temps,  et  ne  pourront  croire  que  ce  dissent  des 

homm'es. 

Mais  comment  en  est-on  venu  là?  quel  fut  le 
premier  for&it  qui  rendit  les  autres  croyables? 
Voilàf  ce  qui  me  passe,  voilà  l'étonnante  énigme^ 
C'est  ce  premier  pas  qu'il  faut  expliquer,  et  qui 
n'oflSre  à  mes  yeux  qu'un  abîme  impénétrable. 
M.  de  Saint-Germain ,  dans  ce  que  vous  connais* 
sez  de  moi  par  vous-même,  trouvcrez-vous  de 
IViofie  ponr  &ire  un  scélérat?  Tel  je  parais  à  vos 
yeux  depuis  plus  d'un  an ,  tel  je  fiis  pendant,  près 
de  soixante.  Je  n'eus  jamais  que  des  goûts  hon- 
nêtes, que  des  passions  douces;  je  m'élevai,  pour 
ainsi  dire,  moi-même;  je  me  livrai  par  choix  aux 


20. 


%i\  coRXESPosria^rcE , 

nenienres  études;  je  ne  cultivai  qne  des  talens 
timables.  J'aimai  toujours  la  retraite ,  la  vie  palÂ- 
ble  et  solitaire.  J^ai  passé  la  jeunesse  et  Tâge  mûr, 
cbëri  de  mes  amis ,  bien  touIu  de  mes  connais- 
sances ,  tranquille ,  heureux^  content  de  mon  sort, 
et  sans  avoir  eu  jamais  qu^une  seule  querelle  avec 
un  extravagant  (^)^  laquelle  tourna  tout  à  ma 
gloire.  Malheureusement  ayant  déjà  passé  ïàge 
mûr,  je  me  Libsai  tenter  enfin  de  communiquer 
au  public,  dans  des  livres  qui  ne  respirent  que  b 
vertu,  des  maximes  que  je  crus  utiles  k  mes  sem* 
Uables,  ou  de  nouvelles  idées  pour  le  progrès  des 
beaux-arts.  Me  voilà  de?enu  depuis  lors  un  homme 
noir;  de  quelle  Êtçon?  je  Tignore.  EhJ  quels  sont 
ces  malheureux  dont  les  âmes  sombres  et  concen* 
trées  couvent  le  crime?  Sont-ce  des  auteurs,  des 
gens  de  lettres  dévoués  à  la  paisible  occupation 
d^écrire  des  livres,  des  romans,  de  la  musique,  des 
opéras?  Ont-ils  des  cceurs  ouverts,  confians,  fa- 
ciles à  s'épancher?  Et  où  de  pareils  secrets  se  ca* 
cheraient-îls  un  moment  dans  le  mien,  transpa- 
rent comase  le  cristal ,  et  qui  porte  à  Tinstant  dans 
mes  yeux -et  sur  mon  visage  chaque  mouvement 
dont  il  est  affecté?  Seul,  étranger,  sans  parti,  li- 
vré dans  ma  retraite  à  de  pareils  goûts ,  quel  avan- 
tage ,  quel  moyen ,  quelle  tentation  pouvais- je 
avoir  de  mal  faire?  Quoi!  lorsque  famour,  la  rai- 
ton ,  la  vertu ,  prenaient  sous  ma  plume  leurs  plus 


(*^)  Le  «cua»  âê  Monniyi,  ■iijbimihm  à 


'AKirîs  1770.  a^ 

àorn,  kars  pins  énergupcs  accens;  lorsqae  je 
menivrais  à  torrens  des  plus  délicieux  sentimioi 
qui  jamais  soient  entrés  dans  un  oœnr  d'homme, 
lora^e  je  planais  dans  Fempirée  au  milîea  de$ 
objets  channans  et  presque  angëliques  dont  je 
m'étais  entouré ,  c^était  précisément  alors ,  et  pour 
la  première  fois,  que  ma  noire  et  j&rouche  Ame 
méditait,  digérait,  commettait  les  forfaiils  atroces 
dout  on  ne  me  voila  Fimputation  que  pour  n'6ter 
les  moyens  de  m'en  défendre,  et  cela  sans  motif, 
sans  raison,  sans  sujet, sans  autre  intérêt  que  celui 
de  satis&ire  la  plus  infernale  férocité  1  Et  Ion 
peut....  Si  jamais  pareille  contradiction ,  pareille 
extravagance,  pareille  akurdité,  pouvait  réelle- 
ment trouver  foi  dans  i esprit  d'un  homme,  om, 
fose  le  dire  sans  crainte ,  il  faudrait  étouffibr  ce! 
homme-là« 

Les  passions  qui  portent  au  crîme  sont  analo- 
gues â  leurs  noirs  effets.  Ob  furent  les  miennes? 
Je  nU  connu  jamais  les  passions  haineuses  ;  ja- 
mais I  envie,  la  méchanceté,  la  vengeance,  n'oip 
trèrent  dans  mon  cceur.  Je  suis  bouillant,  em* 
porté, quelquefois  colère,  jamais  fouibe,  ni  ran- 
cuoier;  et  quand  je  cesse  d  aimer  quelqu'un,  cela 
5apcr;oit  bien  vite.  Je  hais  Fennemi  qui  veut  me 
nuire  ;  mais ,  sitit  que  je  ne  le  crains  plus,  je  ne  le 
bais  plus.  Que  Diderot,  que  Grimm  surtout,  ie 
premier,  le  plus  caché ,  le  plus  ardent ,  ie  pins  im* 
placable,  celui  qui  m'attira  tous  les  autres,  dise 
pourquoi  il  ik^B  hait.  Est-ce  pour  k  mol  qu'il  a* 


]»36  COIUUSSPONDÀRCE, 

reçu  cle  moi?  Non ,  c'est  pour  celai  qu'il  m'a  fait , 
car  souTent  Toffensë  pardonne^  mais  Tofifenseor 
ne  pardonne  jamais.  Dirai-je  ines  torts  enTere  loi? 
jjVn  sais  deux  :  le  premier,  je  Tai  trop  aime;  le  se- 
cond, son  cœur  fut  déchiré  par  la  louange  qw 
n'était  pas  pour  lui  (i).  Si  lui,  si  Diderot,  onl 
quelque  autre  grief,  qu'ils  le  disent.  Us  ont  dé- 
couvert, dira-t-on,  que  j^étais  un  monstre.  Âh! 
c'est  une  autre  affaire;  mais  toujours  est-il  sus 
que  ce  monstre  ne  leur  fit  jamais  de  mal. 

Madame  la  comtesse  de  Boufflers  me  hait ,  et  en 
femme;  c'est  tout  dire.  Queis  sont  ses  griefs?  Les 
voici. 

Le  premier.  Jai  dit  dans  VBéloïseqae  la  femme 
d^on  charbonnier  était  plus  respectable  que  la 
maîtresse  d^un  prince  :  mais,  quand  j'écrivis  ce 
passage,  je  ne  soàgeaifs  ni  à  elle  ni  à  aucune  femme 
en  particulier;  je  ne  savais  pas  même  alors  qull 
existât  une  comtesse  de  Boufilers  «  encore  moins 
qu  elle  pût  s'offenser  de  ce  trait,  et  je  n'ai  £iit  que 
long-temps  après  connaissance  avec  elle. 

Le  second.  Madame  de  Boufflers  me  consulta 
sur  une  tragédie  en  prose  de  sa  &çon ,  c'est>à-dke 
qu'elle  me  demanda  des  éloges.  Je  lui  donnai  ceux 
que  je  crus  lui  être  dus;  mais  je  l'avertis  que  sa 
pièce  ressemblait  beaucoup  i  une  pièce  anglaise 
que  je  lui  nommai  :  j^eus  le  sort  de  Gil  Blas  au- 
près de  Tévèque  prédicateur. 
—  ■  -    

(^}  Passage  remarquable  cb  Petit  Trophète^  aninu^  ^ 
H  Gcimni»  «t  dans  Isqitei  tl  s'est  pcinliiiii  7  mnfjm. 


AKNÉB  1770,  a37 

Le  troisième.  Madame  de  Boufflers  était  aima> 
ble  alors  )  ef  jeune  eocore.  Les  amitiés  dont  elle 
mlionora  me  touchèrent  plus  quil  n^eût  fiillit 
peut-être  :  elle  s'en  aperçut  Quelque  temps  après^ 
f appris  ses  liaisons,  (pie  dans  ma  bêtise  je  ne  sa- 
vais pas  encore.  Je  ne  crus  pas  quil  convint  i 
Jean-Jacques  Rousseau  d'aller  sur  les  Inisées  d'un 
prince  du  sang,  et  je  me  retirai.  Je  ne  sais,  mon- 
sieur, ce  que  vous  penserez  de  ce  crime;  mats  il 
serait  singulier  que  tous  les  malheurs  de  ma  vie 
fussent  venus  de  rropdeprudence,dans  un  homme 
qui  en  eut  toujours  si  peu. 

Madame  la  maréchale  de  Luxembourg  me  haït; 
elle  a  raison.  J'ai  commis  envers  elle  des  balour- 
dises, bien  innocentes  assurément  dans  mon  coeur, 
bien  involontaires,  mais  que  jamab  femme  ne 
pardonne,  quoiqu'on  n'ait  pas  eu  Tintention  de 
Tofienser.  Cependant  je  ne  puis  la  croire  essen* 
tiellement  méchante,  ni  perdre  le  souvenir  des 
jours  heureux  que  j  ai  passés  près  d'elle  et  de 
M.  de  Luxembourg.  De  tous  mes  enuemb  elle  est 
la  seule  que  je  croie  capable  de  retour,  mais  non. 
pas  de  mon  vivant.  Je  désire  ardemment  qu'elle 
me  survive,  sûr  d'être  regretté,  peut-être  pleuré 
d  elle  après  ma  mort. 

Ajoutez  à  cette  courte  liste  M.  de  Cboiseul, 
dont  j'ai  déjà  parlé,  et  qui  malheureusement  à  lui 
seul  en  vaut  mille  ;  le  docteur  Tronchin ,  avec  qui 
|e  n'eus  d  autre  tort  que  d'être.  Genevois  comme 
loi  9  et  d  avoir  autant  de  célébrité ,  quoique  j'eus» 


<$9pte  :  au  bout  de  quinze  jours  lembarras,  Fassii- 
jettissement,  Tinquiétude  surtout  de  cette  maa 
dite  caisse  me  font  toini>cr  malade.  Je  finis  par 
quitter  la  caisse ,  et  me  faire  copiste  de  musique  â 
six  sous  la  page.  M.  de  Fraocueil ,  à  qui  je  marque 
ma  résolution,  me  croit  encore  dans  le  transport 
de  la  fièvre,  vient  me  yoir,  me  parle,  m'exhorte^ 
ne  m'ébranle  pas  :  il  attend  inutilement;  et,Toyant 
ma  résolution  bien  prise  et  bien  confirmée,  il  dl^ 
pose  enfin  de  sa  caisse,  et  me  donne  lui  succes- 
seur. Ce  fatit  seul  pfbuye,  ce  me  semble,  que  Ta- 
Tidité  de  Targent  n'est  pas  mon  dëfaaut  :  et  jen 
pourrais  donner  des  preuves  récentes  plus  finrles 
que  celle-là.  Et  de  quoi  me  servirait  lopolence? 
Je  déteste  le  luxe,  j'aime  la  retraite,  je  n^ai  que 
les  goûts  de  la  simplicité,  je  ne  saurais  souffiir  au- 
tour de  moi  des  domestiques;  et  quand  j'aurais 
cent  mille  livres  de  rentes,  je  ne  voudrais étfc  ni 
mieux  vôtu,  ni  mieux  logé,  ni  mieux  nourri  que 
je  ne  le  suis.  Je  ne  voudrab  être  riche  que  pour 
fiiire  du  bien ,  et  Fon  ne  cherche  pas  à  satis&irc  dix 
pareil  goût  par  des  crimes. 

Le!(  femmes! ...  Oh!  voici  le  grand  article; car 
assurément  le  violateur  de  la  chaste  Verber  doit 
être  un  terrible  homme  auprès  délies,  et  le  plus 
difficile  des  travaux  d'Hercule  doit  peu  lui  coûter 
après  celui-là.  Il  y  a  quinze  ans  quon  eût  été 
étonné  de  mVn tendre  accuser  de  pareille  in&mie  ; 
mais  laissez  fiiire  M.  de  Choiseul  et  madame  de 
Boufflers;  ib  ont  bien  opéré  dai^tres  mètamoir- 


AvnfÉE  1770.  !a4i 

phoses^  et  je  les  vois  en  train  de  ne  s'anétei:  plus 
guère  qae  par  Timpossibilîté  d  en .  imaginer.  Je 
doute  qu^aucun  homme  ait  eu  une  jeunesse  plu« 
chaste  que  la  mienne.  J^avais  trente  ans  passés 
sans  avoir  eu  qu'un  seul  attachement ,  ni  fait  à  i^n 
ohjet  qu'une  seule  infidélité  ('^)  ;  c^était  là  tout  Le 
reste  de  ma  vie  a  doublé  cette  licence  {**)}  je  «'ai 
pas  été  plus  loin.  Je  ne  fais  point  honneur  de  cette 
réserve  à  ma  sagesse^  elle  est  bien  plus. due  à  ma 
timidité;  et  j'avoue  avoir  manqué  par  elle  bien 
des  bonnes  fortunes  que  j  ai  convoitées,  et  qui,  si 
j'en  avais  tenté  l'aventure,  ne  m  auraient  peut* 
être  pas  réduit  au  même  crime  auquel,  ^lon  la 
Vertier,  m'ont  entraîné  ses  attraits* 

Pour  contenter  les  besoins  de  mon  cœur  encore 
plus  que  cenz  de  mes  sens ,  je  me  donnai  tine  com* 
pagne  honnête  et  fidèle,  dont,  après  vingrcinq 
ans  d'épreuve  et  d'estime,  jai  fait  mavfemme.  Si 
G^est  li  ce  qu'on  appelle  de  la  débauche,  je  m'en 
honore,  et  ce  n'est  pas  du  moins  oelle^là  iqui  mémo 
dans  les  lieux  publics.  L'exemple;  la  nécessité, 
f  honneur  de  celle  qui  m'était  chère  ^d'itutréa  puis* 
santés  raisons  me  firent  confier  mes  en&ns  à  Vér 
tablissefment  fait  pour  cela,^t  m'empêchèrent  de 
remplir  moi-même  le  premier,  le  jpîus  saint  des 
devoirs  de  la  nature.  £n  cela ,  loin  de  m'eKu^r» 


■  fc  «ll^l    JB||      I     «  ^    .^il 


(*)  Son  âTentnie  trec  nsdame  de  L«nige. 

i**)  ht  fooper  &it  vn»  Gpim  elles  GtapflU),  tOM  jpii  fitt 

étékrahe. 

•  -  -  • 


A 


^a  COR&ESPOKDAKCE, 

je  m*accase  :  et  cpiand  ma  raison  me  dit  que  f  ai 
fint  dans  ma  situation  ce  que  j'ai  dû  &ire,  je  Teo 
crois  moins  que  mon  coekor  qui  gémit  et  qui  la  dé- 
ment. Je  ne  fis  point  un  secret  de  ma  conduite  à 
mes  amis ,  ne  voulant  pas  pas^r  à  leurs  yeux  pour 
meilleur  que  je  n'étais.  Quel  parti  les  barbares  en 
ont  tiré!  Avec  quel  art  ils  Font  mise  dans  le  jour 
le  plus  odieux  !  Comme  ils  se  sont  plu  à  me  pein- 
dre en  père  dénaturé,  parce  que  j'étais  à  plaindre! 
èomme  ils  ont  cherché  à  tirer  du  fond  de  mon  ca^ 
ractère  une  faute  qui  fut  louvrage  de  mon  mal- 
heur? Comme  si  pécher  n'était  pas  de  Thomme, 
et  même  de  l'homme  juste.  Elle  fut  grave,  sans 
doute,  elle  fut  impardonnable;  mais  aussi  ce  fut 
la  seule,  et  je  Fai  bien  expiée.  A  cela  pi^ës^  et  des 
vices  qui  n^ont  jamais  fiiit  de  mal  qu'A  moi,  je 
puis  exposer  à  touÈ  les  yeux  une  vie  irréprodia* 
bledans  tout  le  secret  de  mon  cœur.  Abl  que  ces 
hommes  si  sévères  aux  Êiutcs  d'autrui  rentrent 
dans  le  fond  de  leiir  conscience,  et  que  chacna 
d  eux  so  félicite  s'il  sent  qu  au  jour  où  tout  sans 
eiception^sèra  maûifesté^lui-même  en  sera  quitte 
à  meilleurcowpteli 

La  Providence  a  veillé  sur  mes  enfâna  par  le 
péché  même  de  leur  père.  Eh!  Dien  !  quelle  eût  été 
leur  destinée  s'ils  avaient  eu  la  mienne  à  partager? 
que  seraient-ils  devenus  dans  mes  désastres?  Ils 
seront  ouvriers  ou  paysans  ;  ils  passeront  dans 
ToWcurité  des  Jours  paisiUes;  que  n'ai-je  eu  la 
même  bonheur!  Je  j^uds  au  moins  grAce  au  ciel 


de  n'avoir  abreuvé  que  moi  des  amertumes  de  ma 
vie,  et  de  les  eu  avoir  pr&ervés.  Taime  mieux 
qu'ils  vivent  du  travail  de  leurs  mains  sans  me 
connaître,  que  de  les  voir  avilis  et  nourris  par  la 
traîtresse  générosité  de  mes  ennemis,  qui  les  ins- 
truiraient à  hair,  peut-être  à  trahir  leur  père;  et 
j  aime  mieux  cent  fois  être  ce  père  infortuné  qui 
commit  la  £iute  et  qui  la  pleure,  que  d'être  le  mé* 
chant  qui  la  révèle,  1  étend,  l'amplifie,  Taggrave 
avec  la  plus  maligne  joie,  que  d'être  Tami  perfide 
qui  trahit  la  confiance  de  son  ami,  et  divulgue, 
pour  le  diffamer,  le  secret  qu'il  a  versé  dans  son 
sein. 

Mais des&utes,qnelquegrandes qu'elles  soient, 
n'en  supposent  pas  de  contradictoires.  Les  débau- 
chés sont  peu  dans  le  cas  d'en  commettre  de  pa- 
ifipttes ,  comme  ceux  qui  s'occupent  dans  le  port  â 
charger  des  vaisseaux,  que  bientôt  ils  perdent  de 
vue,  ne  songent  guère  4  les  assurer.  Mes  attache- 
mcns  me  préservèrent  du  désordre;  et  toujours, 
je  le  répète,  je  fus  réglé  dans  mes  mœurs.  Je  ne 
doute  pas  même  que  celles  de  ma  jeunesse  n'aient 
contribué  dans  la  suite  â  répandre  dans  mes  écrits 
cette  vive  chaleur  que  les  gens  qui  ne  sentent  rien 
prennent  pour  de  Fart,  mais  que  Fart  ne  peut 
contrefiiire,  et  que  ne  saurait  fournir  un  sang  ap 
pauvri  par  la  débauche.  Pour  répondre  à  ces 
hommes  vils  qui  m'osent  accuser  d'avoir  gagné , 
dans  des  lieux  que  je  ne  connais  point,  des  maux 
que  je  connais  encore  moins  ^  je  ne  voudrais  que 


A  {4  CORRESPONDAME  , 

la  Nouvelle  Hélohe.  Est-ce  ainsi  qu  on  apprend 
à  parler  dans  la  crapnle?  Qu  on  prenne  autant  de 
débauchés  qxi'on  voudra,  tous  doués  d^autant 
d'espiit  qu^il  est  possible,  et  je  les  défie  entre  eux 
tous  de  iaire  une  seule  page  à  mettre  à  c6té  d'une 
des  lettres  brûlantes  dont  ce  roman  n'abonde  que 
trop.  Non ,  non  ;  il  est  pour  l'âme  un  prix  aux 
bonnes  moeurs,  c'est  de  fa  yiyificr.  L  amour  et  la 
débauche  ne  sauraient  aller  ensemble;  il  £iut 
choisir.  Ceux  qui  les  confondent  ne  connaissent 
que  la  dernière;  c'est  sur  leur  propre  état  qails 
jugent  du  mien  :  mais  ils  se  trompent;  adorer  les 
femmes  et  les  posséder  sont  deux  choses  très^flë^ 
rentes  :  ils  ont  fait  l'une,  et  j'ai  fait  l'autre.  Pai 
connu  quelquefois  leurs  plaisirs,  mais  ils  n'ont  ja* 
mais  connu  les  miens. 

L*amour  que  je  conçois,  cdui  que  j'ai  pu  sentir, 
s'enflamme  à  Timage  illusoire  de  la  perfection  de 
l'objet  aimé  ;  et  cette  illusion  même  le  porte  à  i'eo- 
tliousiasme  de  la  vertu,  car  cette  idée  entre  tou- 
jours dans  celle  dnne  femme  parfaite.  Si  cjnei- 
quefois  l'amour  peut  porter  au  crime,  cest  dans 
Terreur  d'un  mauvais  choix  qui  nous  égare,  on 
dans  les  transports  de  la  jalousie  :  mais  ces  deax 
états,  dont  aucun  n'a  jamais  été  le  mien,  sont 
momentanés  et  ne  transforment  point  un  oœar 
noble  en  une  âme  noire.  Si  Tamour  m'eût  fait  faire 
on  crime ,  il  faudrait  m'en  punir  et  mW  plaindre  ; 
mais  il  ne  me  rendrait  pas  l'horreur  des  honnêtes 
gens. 


'Àm££  1770.  245 

Voilà  tout^  ce. me  semble,  à  moinÈi  ^'on  ne 
Teuille  ajouter  l'amour  de  la  solitude;  car  cel 
amour  fut  la  pemière  marque  à  laquelle  Diderot 
parut  juger  que  j^étais  un  scélérat.  Ses  mysté- 
rieuses trames  avec  Grimm  étaient  commencées 
quand  j'allai  vivre  à  lliennitage.  11  publia  quel- 
que  temps  après  le  Fils  naturel,  dans  lequel  il  in- 
séra cette  sentence  :  //  n'y  a  que  le  méchant  qui 
soit  seuL  Je  lui  écrivis  avec  tendresse  pour  mo 
plaindre  qu'il  n\tA  ms  à  ce  passage  aucun  adou- 
cissement ;  il  me  répondit  durement  et  sans  au- 
cune explication.  Pour  moi,  quoique  cette  sen- 
tence ait  quelque  chose  qui  papillote  à  Poreille,  io 
n'y  trouve  qu^une  absuriÛté;  et  il  est  si  Êiux  qu^il 
n'y  ait  que  le  méchant  qui  soit  seul,  qu^au  con- 
traire il  est  impossible  qu'un  homme  qui  sait  vivre 
seul  soit  méchant ,  et  qu'un  méchant  veuille  vivre 
seul;  car  à  qui  ferait-il  du  mal,  et  avec  qui  forme- 
rait-il ses  intrigues?  La  sentence  en  elle-même 
exigeait  donc  tout  au  moins  une  explication  :  elle 
l'exigeait  bien  plus  encore,  ce  me  semble,  de  la 
part  d'un  auteur  qui,  lorsqu'il  parlait  de  la  sorte 
au  public,  avait  nu  ami  retiré  depuis  six  mois 
dans  une  solitude  ;  et  il  était  également  choquant 
et  malhonnête  de  refuser,  du  moins  en  maxime 
générale,  1  honorable  et  juste  exceptionj  qu  il  de- 
vait non-seulement  à  cet  ami ,  mais  à  tant  de  sages 
respectés,  qui  dans  tous  les  temps  ont  cherché  le 
calme  et  la  paix  dans  la  retraite,  et  dont,  pour  la 
première  (bis  depuis  que  le  monde'eidste ,  un  écri» 


ai. 


«46  CORUSPORDÀKCE  y 

vain  Sàviae,  avec  un  trait  de  plume,  de  fidre  au- 
tant de  scélérats  :  mab  Diderot  avait  ses  vnes,  et 
ne  s^embarrassait  pas  de  déraisonner,  poaim 
qu'il  préparât  de  loin  les  coups  qu'il  m'a  portés 
dans  la  suite. 

Je  vais  &ire  une  remarque  qui  peut  paraître 
légère  y  mais  qui  me  parait  à  moi  des  plus  sâres 
pour  juger  de  Tétat  interne  et  vrai  d^un  auteur. 
On  sent,  dans  les  ouvrages  que  j'écrivais  à  Paris, 
la  bile  d^un  homme  importuné  du  tracas  de  cette 
grande  ville ,  et  aigri  par  le  spectacle  continuel  de 
ses  vices  (  i  )•  Ceui  que  j'écrivis  depuis  ma  retraite 
i  IHermitage  respirent  une  tendresse  de  coeur, 
une  douceur  d'âme,  qu'on  ne  trouve  que  dans  les 
bocages,  et  qui  prouvent  Tefl^t  que  faisaient  sur 
moi  la  retraite  et  la  campagne,  et  quelles  feront 
toujours  sur  quiconque  en  saura  sentir  le  charme 
et  y  vivre  aussi  volontiers  que  moi.  Les  pensées 
mâles  de  la  vertu,  dit  le  nerveux  Young,  les  no- 
bles élans  du  génie,  les  brtUans  transports  tfan 
cœur  sensible,  sont  perdus  pour  l'homme  qui 
croit  qu'être  seul  est  une  solitude  :  le  malheu' 
i^ux  s'est  condamné  à  ne  les  jamais  sentir*  Dieu 
et  la  raison!  quelle  immense  société!  que  leurs 

(i)  Ajout»  la  BDpulaîoiu  oontiinieUet  de  Dûl«n>l,  qtti, 
•oit  qu*il  ne  pût  oablier  le  donjoD  de  Vinoenne»,  soit  sTec  b 
projet  déjà  foimé  de  me  rtfodre  odieax,  m  ailatt  iazu  oette  odch 
lADt  et  «tîmalant  aux  Mrcaaiiies.  Skôt  que  je  fiu  à  la  campagne, 
et  que  ces  impubiom  oeiiènDt»  le  caractère  et  I9  ton  db  0« 
dMogècent  et^e  nntni  duie  Bia0  a«ti«Ml 


ÀNNiB  1770.  147 

entretiens  sont  sublimes!  que  leur  commerce  est 
plein  de  douceur!  Voilà  MM.  Yoimg  et  Diderot 
d'ayis  un  pea  différens,  sans  ajouter  celui  de  Vir- 
gile. Pour  moi,  je  me  fais  honneur  d  avoir  imité  le 
scélérat  Descartes,  quand  il  s'en  alla  méchamment 
philosopher  dans  sa  solitude  de  Nord-Hollande. 

Je  viens  de  faire,  ce  me  semble,  une  revue 
exacte,  et  je  n^  vois  rien  encore  qui  m'ait  pu 
donner despenchans pervers.  Que reste-t-il donc 
enfin  7  L'amour  de  la  gloire.  Quoi!  ce  noble  sen- 
timent qui  élève  Tâme  aux  sublimes  contempla- 
tions, qui  l'élancé  dans  les  régions  éthérées,  qui 
l'ctend  pour  ainsi  dire  sur  toute  la  postérité,  pour- 
rait lui  dicter  des  fbr&its  !  H  prendrait ,  pour  slio- 
norer,  la  route  de  Imâtmie!  Eh!  qui  ne  sait  que 
rien  n'avilit,  ne  resserre  et  ne  concentre  Tàme 
conime  le  crime;  que  rien  de  grand  et  de  généreux 
ne  peut  partir  dun  intérieur  corrompu?  Non, 
non  ;  cherchez  des  passions  viles  pour  cause  à  des 
actions  viles.  On  peut  être  un  malhonnête  homme 
et  £iire  un  bon  livre;  mais  jamais  les  divins  élans 
da  génie  n'honorèrent  l'âme  d'un  malfaiteur;  et  si 
les  soupçons  de  quelqu'un  que  j  estimerais  pou- 
vaient à  ce  point  ravaler  la  mienne ,  je  lui  présen- 
terais mon  Discours  sur  l'Inégalité  (  1  )  pour  toute 
réponse,  et  je  lui  dirais  :  Lis,  et  rougis  (2). 

•(i)Eii  retrindiaiit  qnel^ei  morceBUide  la  façon  de  Diderot, 
qu'il  m'y  fit  tiuérer  presque  maigri  mol  U  en  avait  ajouté  <U 
pfaH  'don  encore  ;  ma»  je  oe  ptu  me  résoudre  a  les  employer. 

(3}  Que  sersii-oe  ri  je  loi  prtkeiitais  ma  Lettn  à  J^AUmbmi 


a48  CORRESPONDAKCK, 

Vous  me  citerez  Erostrate.  Â  cela  voici  ma  ré- 
ponse. L'histoire  d'Erostrate  est  une  &ble  :  mais 
sappos6ns*la  vraie;  Erostrate ^  sans  génie  et  saos 
talent,  eut  un  moment  la  fantaisie  de  la  célébrité, 
à  laquelle  il  n^avait  aucun  droit  ;  il  prit  la  seuk  et 
courte  voie  que  son  mauvais  cœur  et  son  esprit 
étroit  pût  lui  suggérer  :  mais  comptez  que,  s 3  se 
fût  senti  capable  de  faire  l^Emile,  il  n  eût  point 
brùlé')e*temple  d'Ephèse.  Non,  monsieur^  on  udy 
pire  point  par  le  crime  au  prix  qu  on  peut  obtenir 
par  te  Vertu;  et  voilà  ce  qui  rend  plus  ridicuk 
Timpo^tUre  dont  je  suis  l'objet.  Qu'avais-jebesob 
de  gloire  et  de  célébrité?  je  1  Wais  déjà  tout  ac- 
quise, non  par  des  noirceurs  et  des  actes  abonn- 
nables ,  mais  par  des  .moyens  vertueux ,  honnêtes, 
par  des  talens  distingués,  par  des  livres  utiles,  pai 
une  conduite  estimable,  par  tout  le  bien  que  j'a- 
vais pu  faire  selon  mon  pouvoir  :  elle  était  belle, 
elle  était  sans  tache;  quy  pouvais-je  ajouter  dé- 
sormais, si  ce  n'est  la  persévérance  dans  l'hono- 
rable carrière  dont  je  voyais  déjà  d^assez  près  le 
terme?  Que  dis- je?  je  lavais  atteint;  je  n'avais 
plus  qu'à  me  reposer,  et  jouir.  Peut-on  conceroir 


% 

'i»r  kê  Spectacles.,  ouvrage  ou  le  plus  tendra  dâin  peroeaf*' 
vers  la  force  du  raitonnement',  et  rend  cette  leeturo  ravûunK- 
n  u'y  a  poîut  d'absurdité  qu'on  ne  rende  imaginable  en  suppo- 
•■ut  que  des  acélerats  peuvent  traiter  ainsi  de  pareils  to)^ 
Déxnocrite  prouva  aux  Abdéritains  qu'il  n'était  pas  ibu  ea  kut 
Usant  une  de  ses  pièces  ;  et  moi ,  je  défm  tout  bomme  seniê  qui 
itira  octOfi  lettre  de  pouvoir  çrm  ^pM  riuteur  soit  un  coquin. 


'ANNÉE  1770.  ♦249 

qae,  de  gaieté  de  cœur  et  par  des  forfaits,  j'aie 
cherché  moi-même  à  ternir  ma  gloire ,  à  la  dé- 
traire ,  à  laisser  échapper  de  mes  mains  ^  ou  plutdt 
à  jeter,  dans  un  transport  de  furie,  le  prix  inesti- 
mable que  j^avais  légitimement  acquis?  Quoi!  le 
sage,  le  braye  Saint-Germain  retournerait-il  ex- 
près à  la  guerre  pour  y  flétrir  par  des  lâchetés  in- 
fâmes les  lauriers  sous  lesquels  'û  a  blanchi?  Ne 
sait-oa  pas  qu*une  belle  réputation  est  la  plus 
noble  et  la  plus  douce  récompense  de  la  vertu  sur 
la  terre?  Et  Ton  veut  qu'un  homme  qui  se  Test  di- 
gnement procurée  s  aille  exprès  plonger  dans  le 
crime  pour  la  souiller!  Non^  cela  n'est  pas,  parce 
que  cela  ne  peut  pas  être;  et  il  n'y  a  que  des  gens 
sans  honneur  qui  puissent  ne  pas  sentir  cette  im- 
possibilité. 

Mais  quels  sont  enfin  ces  forfaits  dont  je  ma 
suis  avisé  si  tard  de  souiller  une  réputation  déjà 
tout  acquise  par  mieux  que  des  livres,  par  qua- 
rante ans  d'honneur  et  aintégrite?  Oh!  c'est  ici 
le  mystère  profond  qu'il  ne  faut  jamais  que  je  sa- 
che, et  qui  ne  doit  être  ouvertement  publié  quV 
près  ma  mort,  quoiqu'on  fasse  en  sorte, pendant 
ma  vie,  que  tout  le  monde  en  soit  instruit,  hors 
moi  seul.  Pour  me  forcer,  en  attendant,  de  boire 
la  coupe  amère  de  rignominie,on  aura  soin  de  la 
faire  circuler  sans  cesse  autour  de  moi  dans  l'obs- 
curité ,  de  la  faire  dégoutter,  ruisseler  sur  ma  tête , 
afin  qu'elle  m'abreuve,  m'inonde,  me  suffoque, 
suais  sans  qu'aucun  trait  de  lumière  l'offire  jamais 


%io  CORRJSSPOTTDAVCS, 

i  ma  vue, et  me  laisse  discerner  ce  qn  elle  contient 
On  me  séquestrera  du  commerce  des  hommes, 
même  en  vivant  avec  eux  ;  tout  sera  pour  moi  se- 
cret, mystère  et  mensonge  ;  on  me  rendra  étranger 
à  la  société,  sans  paraître  m'en  chasser;  on  élè- 
vera autour  de  moi  un  impénétrable  édifice  de  té- 
nèbres; on  m'enscveiira  tout  vivant  dans  un  cer- 
cueil. C^est  exactement  ainsi  que,  sans  prétexte 
et  sans  droit ,  on  traite  en  France  un  homme  libre, 
un  étranger,  qui  n  est  point  sujet  du  roi,  qui  ne 
doit  compte  à  personne  de  sa  conduite,  en  conti- 
nuant d^y  respecter,  comme  il  a  toujours  £tit,  le 
roi,  les  lois,  les  magistrats  et  la  nation.  QuesH 
est  coupable,  quon  l'accuse,  quon  le  juge  et 
qu on  le  pimisse  ;  s'il  ne  l'est  pas,  qu^on  le  laisse 
libre,  non  pas  en  apparence,  mais  réellement 
Voilà,  monsieur,  ce  qui  est  juste;  tout  ce  qui  est 
hors  de  là,  de  quelque  prétexte  qu'on  Ihabillei 
est  trahison,  fourberie,  iniquité. 

Non,  je  ne  serai  point  accusé,  point  arrêté, 
point  jugé,  point  puni,  en  apparence;  mais  on 
s'attachera,  sans  quil  y  paraisse,  à  me  rendre  la 
vie  odieuse,  insupportable,  pire  ceut  fois  que  la 
mort  :  on  me  fera  garder  à  vue  ;  je  ne  ferai  pas  un 
pas  sans  être  suivi;  on  m^ôtera  tous  moyens  de 
rien  savoir  et  de  ce  qui  me  regarde ,  et  de  ce  qui 
ne  me  regarde  pas;  les  nouvelles  publiques  les 
plus  indifférentes,  les  gazettes  même  me  seront 
interdites  ;  on  ne  laissera  courir  mes  lettres  et  pa- 
quets que  pour  ceux  qui  me  trahissent, onçoupera 


ma  correspondance  avec  tout  autre;  la  réponse 
universelle  à  toutes  mes  questions  sera  toujours 
qu'on  ne  sait  pas;  tout  se  taira  dans  toute  assenir 
blée  à  mon  arrivée;  les  femmes  n'auront  plus  de 
langue,  les  barbiers  seront  discrets  et  silencieux; 
je  vivrai  dans  le  sein  de  la  nation  la  plus  loquace 
comme  cbez  un  peuple  de  muets.  Si  je  voyage ,  on 
préparera  tout  d  avance  pour  disposer  de  moi  par- 
tout où  je  veux  aller;  on  me  consignera  aux  pas- 
sagers, aux  cochers,  aux  cabaretiers;  à  peine 
trouvcrai-je  à  manger  avec  quelqu'un  dans  les  au- 
berges,  à  peine  trouverai- je  un  logement  qui  ne 
soit  pas  isolé;  enf  n  Ton  aura  soin  de  répandre 
une  telle  horreur  de  moi  sur  ma  route,  qu'à  cha- 
que pas  que  je  ferai ,  à  chaque  objet  que  je  verrai, 
mon  âme  soit  déchirée  :  ce  qui  n'empêchera  pas 
que,  traité  comme  Sancho,  je  ne  reçoive  partout 
cent  courbettes  moqueuses,  avec  autant  de  com- 
pUmens  de  respect  et  d^admiration  :  ce  sont  de 
ces  politesses  de  tigres  qui  semblent  vous  sourire 
au  moment  qnlls  vont  vous  déchirer. 

Imaginez,  monsieur,  s  il  est  possible,  un  trai- 
tement pins  insultant,  plus  cruel,  plus  barbare, 
et  dont  le  concert  incroyablement  unanime  laisse, 
au  sein  d  une  nation  tout  entière ,  un  infortuné  ri- 
goureusement seul  et  sans  consolation.  Tel  est  le 
talent  supérieur  de  M.  de  Ghoiseul  pour  les  dé- 
tails; tels  sont  les  soins  avec  lesquels  il  est  servi 
quand  il  est  question  de  nuire  :  mais  s'il  s'agissait 
d  une  œuvre  de  bonté,  de  générosité,  de  justico» 


a^a  CORRESPONDANCE, 

trouverait-il  la  même  fidélité  dans  ses  oéatoies? 
j'en  doute;  aurait-il  lui-même  la  même  activité! 
j'en  doute  encore  plus. 

J'ai  beau  chercher  des  cas  où  il  soit  permû 
d'accuser,  de  juger,  de  diffiimer  un  homme  àsoD 
insu,  sans  vouloir  Ten tendre,  sans  souflSnr  qnll 
réponde,  et  même  qu'il  parle;  je  ne  trouve  rien. 
Je  veux  supposer  toutes  les  preuves  possibles  : 
mais  quand,  en  plein  midi,  toute  la  ville  verrait 
un  homme  en  assassiner  un  atttie  sur  la  place por 
blique ,  encore ,  en  jugeant  l'accusé ,  ne  ^empécD^ 
rait-on  pas  de  répondre;  encore  ne  le  jugerait-on 
pas  sans  l'avoir  interrogé.  Â  l'inquisition  Ton  ca- 
che à  laccusé  son  délateur,  je  I avoue;  maisao 
moins  lui  dit-on  qu'il  est  accusé,  au  moins  ne  k 
condamne-t-on  pas  sans  l'entendre,  au  moins  ne 
l'empêche-t-on  pas  de  parler.  Un  délateur  secret 
accuse,  il  ne  prouve  pas;  il  ne  peut  prouvera 
aucun  cas  possible  :  car  comment  prouverait-il? 
Par  des  témoins?  mais  Taccusé  peut  avoir  contre 
ces  témoins  des  moyens  de  récusation  qae  les 
juges  ignorent.  Par  des  écritures?  mais  Taccosé 
peut  y  faire  apercevoir  des  marques  de  £msseté 
que  d'autres  n'ont  pu  connaître.  Un  délateur  qoi 
se  cache  est  toujours  un  lâche  :  s'il  prend  dqs  D^ 
sures  pour  que  I  accusé  ne  puisse  répondre  a  l'ao 
cusation,  ni  même  en  être  instruit,il  est  un  fourbe: 
s'il  prenait  en  même  temps  avec  l'accusé  le  masi^tf 
de  l'amitié,  il  serait  un  traître.  Or  un  traître  qui 
prouve  ne  prouve  jamais  assez ,  ou  ne  prouve  ^ 


contre  Im-miSme;  et  quiconque  est  un  trattre  peut 
bien  éUne  encore  un  imposteur.  Eh!  quel  serait, 
grand  Dieul  le  sort  des  particuliers  s'il  était  per- 
mis de  leur  &ire  à  leur  insu  leur  procès,  et  puis 
cle  les  aller  prendre  chez  eux  pour  les  mener  tout 
de  suite  au  supplice,  sous  prétexte  que  les  preuves 
sont  si  claires  qu'il  leur  est  inutile  d'être  entendus? 

Remarquez,  monsieur,  je  tous  supplie,  com* 
Inen  cette  première  accusation  dut  paraître  ex- 
traordinaire, vu  la  réputation  sans  reproche  dont 
je  jonissab,  et  que  soutenaient  ma  conduite  et 
mes  écrits.  Assurément  ceux  qui  vinrent  appren- 
dre pour  la  première  fois  aux  chefs  de  la  nation 
que  î^étais  un  scélérat  durent  les  étonner  beau- 
coup, et  lien  ne  devait  manquer  à  la  preuve  d'une 
pareille  accusation  pour  être  admise.  Il  y  manqpa 
jpourtant  au  moins  une  petite  circonstance ,  savoir 
Vaudition  de  Taccusé;  on  se  cacha  de  lui  très-soi- 
gneusement, et  il  fut  jugé:  Messieurs  I  messieurs] 
quand  il  serait  généralement  permis  de  juger  un 
.accusé  sans  Pouir,  il  y  a  du  moins  des  homimes  qui 
mëritefaîent  d'être  exceptés,  et  Jean-Jacques  pou- 
▼ait  espérer,  ce  me  semble,  d'être  mis  au  nombse 
de  ces  hommes*là. 

On  ne  vous  a  pas  jugé,  diront-ils.  £t  qu'avezr 
TOUS  donc  &it,  misérables?  En  feignant  d^épar- 
gner  ma  personne,  vous  m'dtez  Fhonneur,  vous 
m'accablez  d'opprobres;  vous  me  laissez  la  vie, 
mais  vous  me  la  rendez  odieuse  en  y  joignant  la 
diSkmatioiL  Vous,  me  traitez  plus  cmelLeipent 


a54  CORRESPONDANCE, 

mille  (ois  que  si  tous  m^aviez  fiiit  mourir;  et  Tom 
appelez  cela  ne  m'avoir  pas  jugé!  Les  fourbes!  il 
ne  manquait  plus  à  leur  barbatie  que  le  yemis  de 
la  générosité. 

Non ,  jamais  on  ne  vit  des  gens  aussi  fiers  d*ttre 
des  traîtres  :  prudemment  enfoncés  dans  leurs  ta* 
aières,  ils  s^applaudissent  de  leurs  lâchetés,  et 
insultent  à  ma  franchise  en  la  redoutant  Pour 
m'ét^oufier  sans  que  je  crie,  ils  mWt  auparavant 
attaché  un  bâillon.  A  yoir  enfin  leur  bénigne  con- 
tenance, on  les  prendrait  pour  les  bourreaux  œ 
l'infortuné  don  Carlos ,  qui  pétendâient  quH  leur 
fût  encore  redevable  de  la  peine  qu'ils  prenaient 
de  Tétrangler. 

En  vérité,  monsieur,  plus  je  médite  sur  cette 
étrange  conduite ,  plus  j  y  trouve  une  complic»' 
tion  de  lâcheté,  d'iniquité,  de  fourberie,  qui  la 
rend  inimaginable.  Ce  qui  me  passe  encore  plus 
est  que  tout  cela  parait  se  faire  de  Faveu  de  lana- 
tioil  entière;  que  non -seulement  mes  prétendus 
amis,  mais  d'honnêtes  gens  réellement  estimadiles^ 
j  paraissent  acquiescer;  et  que  M.  de  Saint-Ger- 
main lui-même  ne  m'en  parait  pas  encore  assez 
scandalisé  Cependant,  fusse- je  coupable^ fusséje. 
en  effet  tout  ce  qu'on  m  accuse  d'être,  tant  qn on 
ne  m*aura  pas  convaincu,  cette  conduite  enyen 
moi  serait  encore  injuste,  fiiusse,  inexcusable. 
Que  doit  elle  me  paraître  à  moi  gui  me  sens  in* 
nocent? 

Soyons  équitables  teuiours.  Je  i|e  crois  psqoe 


AimiB  1770,  a55 

Il  de  CbioLseoI  soit  fauteur  de  rimposture;  maïs 
je  ne  doute  point xfaW  n'ait  très-bien  yu  que  c'en 
était  une,  et  que  ce  ne  soit  pour  cela  qull  prend 
tant  de  mesures  pour  m'empêcher  d'en  être  ins« 
tmit  :  car  autrement,  avec  la  haine  envenimée 
que  tout  décèle  en  lui  contre  moi,  jamais  il  ne  se 
refuserait  le  plaisir  de  me  convaincre  et  de  me 
confondre,  dât-îl  s  ôter  par  là  celui  de  me  voir 
souffrir  plus  long-temps. 

Quoique  nia  pénétration,  naturellement  très* 
mousse,  mais  aiguisée  à  force  de  s'exercer  dans 
les  téntibres ,  me  fasse  deviner  assez  juste  des  mul- 
titudes de  choses  qu'on  s'applique  à  me  cacher, 
ce  noir  mystère  est  encore  enveloppé  pour  moi 
d'un  voile  impénétrable;  mais  à  force  d'indices 
combinés ,  comparés  ;  à  force  de  demi-mots  échap- 
pés, et  saisis  à  la  volée;  à  force  de  souvenirs  effa* 
ces,  qui,  par  hasard,  me  reviennent,  je  présume 
Grimm  et  Diderot  les  premiers  auteurs  de  toute  la 
trame.  Je  leur  ai  vu  commencer,  il  y  a  plus  de 
dix-huit  ans,  des  menées  auxquelles  je  ne  corn* 
prenais  rien,  mais  que  je  voyais  certainement 
couvrir  quelque  mystère,  dont  je  ne  mlnquiétass 
pas  beaucoup,  parce  que ,  les  aimant  de  tout  mon 
cœur,  je  comptais  qu'ils  m  aimaient  de  même.  Â 
quoi  ont  abouli  ces  menées?  autre  énigme  non 
moins  obscure.  Tout  ce  que  je  puis  supposer  le 
plus  raisonnablement  est  qu'ils  auront  fabriqué 
quelques  écrits  abominables  qu  ils  m'auront  attri* 
bues.  Cependant,  comme  il  est  peu  naturel quW 


t56  COIIRESPOin>AKC£, 

les  en  ait  crus  sur  leur  parole,  il  aura  &lla  qu'ils 
aient  accumulé  des  vraisemblances,  sans  oublier 
d'imiter  le  style  et  la  main.  Quant  au  style,  uu 
hqfflme  qui  possède  supérieurement  le  talent  (*) 
d'écrire  imite  aisément  jusqu'àcertainpointle  style 
d'un  autre,  quoique  bien  marqué  :  c'est  ainsi  que 
Boileau  imita  le  style  de  Voiture  et  celui  de  Balzac 
k  s  y  tromper;  et  cette  imitation  du  mien  peut  être 
surtout  facile  à  Diderot,  dont  j'étudiais  particuliè- 
rement la  diction  quand  je  commençai  d'ëcrire ,  et 
qui  même  a  mis  dans  mes  premiers  ouvrages  plu- 
rieurs  morceaux  qui  ne  tranchent  point  avec  le 
reste,  et  qu'on  ne  saurait  distinguer,  du  moins 
quant  au  style  (  i  ).  H  est  certain  que  sa  tournure  et 
la  mienne,  surtout  dans  mes  premiers  ouvrages, 
dont  la  diction  est,  comme  la  sienne,  un  peu  sau- 
tante et  sentencieuse,  sont,  parmi  celles  de  nos 
contemporains,  les  deux  qui  se  ressemblent  le 
plus.  D'ailleurs,  U  y  a  si  peu  de  juges  en  état  de 
prononcer  sur  la  différence  ou  l'identité  des  styles, 
et  ceux  même  qui  le  sont  peuvent  si  aisément  s*y 

(*}  Variante  :  Y  Art  et  écrire, 

(i}  Quant  aux  pensées,  caîfei  qu'il  i  eu  la  lîonté  'âd  ne 
prêter.,  Pt  que  j'ui  eu  la  bel ûe  <f adopter,  aont  bien  fadlet  k  <U0- 
liiigaer  des  loii nnes,  comme  on  peut  le  Toir  dans  oeHc  du  jplii- 
loeoplie  qui  a'aufimente  en  enfonçant  aon  bonne^sor  Mf  oreiUei 
{Discours  sur  V  Inégalité)]  car  ce  morcean  est  de  lui  tout  entier. 
U  eet  oertoin  que  M.  Diderot  abusa  toujours  de  ma  ooofiann 
et  de  ma  facilité  pour  donner  h  mes  écrits  un  ton  dun  cft  un  aii 
noir,  qu'ils  n'eurent  phis  sitôt  qn  Q  oe«a  dfl  me  dîxîs^  «^  H^ 
îe  ht  iivxé  tout-A-6it  à  moi-mèoiBs 


AimÉE  1770.     ^  267 

Iromper, l^e  chacun  peut  décider  là^essns  comme 
il  luiplaitySaos  cramdred'étre  convaincu  d'erreur. 

La  main  est  plus  difficile  à  contrefaire;  je  crois 
même  cela  presque  impossible  dans  un  ouvrage 
de  longue  haleine  :  cVst  pourquoi  je  présume 
qu'on  aura  préféré  des  lettres,  qui  n'ont  pas  la 
même  difficulté ,  et  qui  remplissent  le  même  objet 
Quant  à  l'écrivain  chargé  de  cette  contrefaction, 
il  aura  été  plus  facile  à  trouver  à  Diderot  quà 
tout  autre, parce  que,  étant  chargé  de  la  partie  des 
arts  dans  VEncyclopédie ,  il  avait  de  grandes  re- 
lations avec  les  artistes  dans  tous  les  genres.  Au 
reste,  quanti  la  puissance  s'en  mêle ,  beaucoup  de 
difficultés  s^aplanissent;  et  quand  il  s'agirait,  par 
ezemjde,  de  décider  si  une  écriture  est  ou  n^est 
pas  contre&ite,  je  ne  crois  pas  qu'on  eût  beaucoup 
de  peine  à  trouver  des  experts  prêts  à  être  de  1  avis 
qu'il  plairait  à  M.  de  Chobeul. 

Si  ce  n'est  pas  cela ,  ou  de  faux  témoins ,  je  n'i- 
magine rien.  Je  pencherais  même  un  peu  pour 
cette  dernière  opinion,  parce  quassuiêment  le 
bénin  Thevenin,  quoi  qu'on  en  dise,  ne  fut  pas 
aposté  pour  rien  :  et  je  ne  puis  imaginer  d'autre 
objet  k  la  faUe  de  ce  manant,  et  à  l'adroite  façon 

dont  ceux  qui  l'avaient  aposté  Font  accréditée  (  i}, 
—      - ■    -  -. 

(t)  Enfin ^  tant  ont  aj^éré  les  gens  qxù  disposent  de  mot, 
qu'il  reste  cltir  comiiie  l«  jour,  k  Grenoble  et  siDeun,  j^ue  le 
gaUrieD  Thevenin  m'a  prêté  neuf  francs  ans  Verrières,  tandis 
que  l'étais  à  Montmoiend  ;  qu'il  me  les  a  prêtés  parles  mains  du 
calMvetier  Jeanneti  notre  commun  bute ,  cbes  qui  je  n'ai  /iomais 

aa. 


idS  cokrespondakce  , 

3ue  de  vouloir  lâter  d'ayance  comme  je  soutien- 
rais  la  confrontation  d  un  faax  témoin. 
Les  holbachiens,  qui  croyaient  m  avoir  Aé\k 
coulé  à  fond ,  furieux  de  me  voir  bien  au  château 
de  Montmorenci  et  chez  M.  le  prince  de  Conti, 
firent  jouer  leurs  machines  par  d'Âlembert^  ei, 
profitant  des  piques  secrètes  dont  j'ai  parlé,  firent 
passer,  par  le  Temple ,  leur  complot  à  l'hôtel  de 
Luxembourg.  Il  est  aisé  dlmaginer  commentM.(]e 
Choiseul  s'associa  pour  cette  afikire  particuliérr. 
avec  la  ligue,  et  s  en  fit  le  chef;  ce  qui  rendît  dès 
lors  le  succès  immanquable,  au  moyen  des  ma- 
nœuvres souterraines  dont  Grimm  avait  proba- 
blement fourni  le  plan.  Ce  complot  a  pu  se  tramer 
de  toute  autre  manière;  mais  voilà  celle  où  les  in- 
dices, dans  ce  que  j  ai  vu,  se  rapportent  le  micni. 
Il  fallait,  avant  de  rien  tenter  du  c^lé  du  public, 
meloigner  au  préalable,  sans  quoi  le  complot  ris- 
quait à  chaque  instant  d'être  découvert,  et  sou 
auteur  confondu.  VEmile  en  fournit  les  moyem, 
et  l'on  disposa  tout  poiu*  m'effrayer  par  un  décrcl 
comminatoire,  auquel  on  n'en  voulait  cependant 
venir  que  quand  j'aurais  pris  le  parti  de  fuir.  Mais 
voyant  que,  malgré  tout  le  fracas  dont  on  accom- 
pagnait la  menace  de  ce  décret,  je  restais  tran- 
quille et  ne  voulais  pas  démarrer,  on  s  avisa  d'un 

logé,  et  à  qui  je  ne  parlerai  de  ma  vie  $  et  que  je  lai  donnai ,  cb 
reconaaissancei  des  lettres  de  reooiçinaiidation  pour  fOi.  ^ 
Faugoc^  et  Aldiman .  qu^  je  ne  oo^AaiasaU  pas. 


expédient'  tont  poissant  sur  mon  cœur.  Madame 
de  Boufflers,  avec  une  grande  éloquence,  me  fit 
voir  l'alternatm  inévitable  de  compromettre  ma- 
dame de  Luxembourg  y  si  fêtais  interrogé,  ou  de 
mentir,  ce  que  fêtais  bien  résolu  de  ne  pas  £iire« 
Sur  ce  motif,  auquel  je  ne  pus  résister,  je  partis 
enfin ,  et  Ton  ne  lâcha  le  décret  que  quand  ma  ré* 
soilution  fut  bien  prise  et  qu'on  put  le  savoir.  H 
paraît  que  dès  lors  le  projet  était  arrangé  entre 
madame  de  Boufflers  et  M.  Hume  pour  disposer 
de  moi.  Elle  n^épargna  rien  pour  m'envoyer  en 
Angleterre.  Je  tins  bon,et  Voulus  passer  en  Suisse^ 
Ce  n'était  pçis  là  le  compte  de  la  ligue,  qui,  par 
ses  roanjoeuvres,  parvint  avec  peine  à  m'en  chas* 
scr.  Nouvelles  sollicitations  plus  vives  pour  l'An- 
gleterre; nouvelle  résistance  de  ma  paît.  Je  pars 
pour  aller  joindre  milord  Maréchal  à  Berlin.  La 
ligue  vit  llnstant  où  j'allais  lui  échapper.  Soncom* 
plot  s^en  allait  peut-être  en  fumée,  si  Ton  ne  m^eût 
tendu  tant  de  pièges  à  Strasbourg,  qu'enfin  j'y 
tombai,  me  laissai  livrer  à  Hume,  et  partis  avec 
lui  pour  TÂngleterre,  où  j'étais  attendu  depuis  si 
long-temps.  Dès  ce  moment  ils  m^ont  tenu;  je  ne 
leur  échapperai  plus. 

Que  je  regrettai  la  France  I  avec  quelle  ardeur, 
avec  quelle  constance  je  surmontai  tous  les  obsta- 
cles, tous  les  dangers  même  qu'on  eut  soin  d  op* 
poser  â  mon  retour;  et  cela,  pour  venir  essuyer 
dans  ce  pays  si  désiré  des  traitemens  qui  m  ont 
£iit  r^retfter  1  Angleterre!  Cependant  les  seize 


a6o  COlîRESPONSiÀNGS, 

mois  que  \y  passai  ne  furent  pas  perdas  pour  h 
ligue  :  i  mon  retour,  je  trouvai  la  France  et  ÏEn- 
rope  totalement  changées  à  mon  égard;  et  ma 
prévention,  ma  stupidité,  furent  telles, que, trop 
nappé  des  manœuvres  de  David  Hume  et  de  ses 
associés,  je  m'obstinais  i  chercher  à  Londres  la 
cause  des  indignités  que  j^essuyais  à  Tiye.  Me 
voilà  bien  désabusé  depuis  que  je  n  y  suis  plus,  et 
je  rends  aux  Anglais  la  justice  qulb  me  refluent. 
Néanmoins,  s'ils  étaient  ce  qu'on  les  suppose, ils 
auraient  dit  :  N'imitons  pas  la  légèreté  firânçaise; 
défions-nous  des  preuves  d  accusation  qu'on  cache 
si  soigneusement  à  Taccusé,  et  gardons-nous  de 
juger,  sans  lentendre,  un  homme  qu'on  cajok 
avec  tant  de  &usseté,  et  qu'on  charge  avec  tant 
danimosité. 

Enfin  ce  complot ,  conduit  avec  tant  d'art  et  de 
mystère,  est  en  pleine  exécution.  Que  dis-jc?il 
est  déjà  consommé  :  me  voilà  devenu  le  mépris, 
h  dérision,  l^horreur  de  cette  même  nation  dont 
j'avais,  il  y  a  dix  ans,  lestime,  la  bienveillance, 
j'oserais  dire  la  considération  -,  et  ce  changement 
prodigieux,  quoique  opéré  sut  un  homme  da 
peuple ,  sera  pourtant  la  plus  grande  œuvre  du 
ministère  de  M.  de  Choiseul,  celle  qu'il  a  eoe  le 
plus  à  cœur,  celle  à  laquelle  il  a  consacré  le  phs 
de  temps  et  de  soin.  Elle  prouvera,  par  un  exem- 
ple fiétrissan  t  pour  l'espèce  humaine  ^  combien  est 
fiute  l'union  des  méchans  pour  mal  fiirei  tandis 


xTsnxÉB,  1770,  a6i 

qae  celle  des  bons,  quand  elle  existe ,  est  si  lâche , 
si  faible,  et  toujours  si  Êicile  à  rompre.. 

Rien  n^a  été  omb  pour  Texécution  de  cette  no- 
ble entreprbe  :  toute  la  puissance  d'un  grand 
royaume,  tous  les  talens  d'un  ministre  intrigant, 
toutes  les  ruses  de  ses  satellites,  toute  la  vigilance 
de  ses  espions,  la  plume  des  auteurs,  la  langue 
des  clabaudeurs,  la  séduction  de  mes  amis,  l'eu- 
couragement  de  mes  ennemis,  les  malignes  re- 
cherches sur  ma  yie  pour  la  souiller,  sur  mes  pro- 
pos pour  les  empoisonner,  sur  mes  écrits  pour  les 
falsifier  ;  l'art  de  dénaturer,  si  facile  à  la  puissance, 
celui  de  me  rendre  odieux  à  tous  les  ordres,  de 
me  diâamer  dans  tous  les  pays.  Les  détails  de 
tous  ces  hits  seraient  presque  incroyables,  s'il 
m'était  possible  d'exposer  ici  seulement  ceux  qui 
me  sont  connus.  On  m'a  lâché  des  espions  dç 
toutes  les  espèces,  aventuriers,  gens  de  lettres, 
aJjbés.  mih'taircs,  courtisans;  on  a  enyoyé  des 
émissaires  en  divers  pays  pour  m'y  peindre  sons 
les  traits  qu  on  leur  a  marq^iés.  J'avais  en  Savoie 
un  témoin  de  ma  jeunesse,  un  ami  que  j  estimais, 
et  sur  lequel  je  comptais;  je  vais  le  voir,  je  voj3 
qu'il  me  trompe;  je  le  trouve  en  correspondance 
avec  M.  de  Choiseul.  Xavaîs  à  Paris  un  vieux  com- 
patriote, un  ami,  très-bon  homme;  on  le  met  à  la 
Bastille ,  j'Ignore  pourquoi ,  c'est-à-dire  sous  quel 
prétexte.  Le  long  temps  qu'il  y  a  resté  lui  fait  hon- 
neur; on  Faura  trouvé  moins  docile  qu'on  n  avait 
cru;  je  yeux  espérer  qu'on  n'aura  pas  lassé  sa  pa* 


!l62  COlaiESPO:TDÀKCE, 

tience,  et  qu^au  bout  de  seize  mois  II  sera  sorti  de 
la  Bastille  aussi  honnête  homme  qu'il  j  est  entré. 
Je  désire  la  même  chose  du  libraire  Guy,  qu'on  y 
a  mis  de  même,  et  détenu  presque  aussi  long- 
temps. On  disait  avoir  trouvé  dans  les  papiers  du 
premier  un  projet  de  moi  pour  I  étc^Iissement 
d  une  pure  démocratie  à  Genève^  et  j  ai  toujours 
blâmé  la  pure  démocratie  à  Genève  et  partout  ail- 
leurs :  on  disait  y  avoir  trouvé  des  lettre^  par  les- 
quelles j^excitais  les  broullleries  de  Genève;  cl 
non- seulement  j^aî  toujours  blàmé  les  brouillcries 
de  Genève,  mais  je  n*ai  rien  épargné  pour  porter 
les  représentans  à  la  paix.  Mais  qu'importe  gu  on 
en  impose  et  quon  mente?  un  mensonge  dit  en 
Tair  fait  toujours  son  effet,  surtout  quand  il  rient 
des  bureaux  d'un  ministre,  et  quand  il  tire  sur 
moi. 

En  songeant  au  libraire  de  Paris,  avec  lequel 
j'eus  si  peu  d'afiaires,  M.  de  Choiseul,  qui  n'ou- 
blia rieU)  a-t-il  oublié  mon  libraire  de  Hollande? 
Je  ne  sais;  mais  dans  un  livre  que  celui-ci  s^est 
obstiné  à  vouloir  me  dédier,  quoique  l'y  sois  mal- 
traité, et  dont  II  n  a  pas  voulu  me  communiquer 
d'avance  l'épîire  dédicatoire,  j'ai  trouvé  la  tour- 
nure de  cette  épitre  si  singulière  et  si  peu  natu- 
i^elle,  qu'il  est  diflScile  de  n'y  pas  supposer  un  but 
caché  qui  tient  à  quelque  fil  de  la  grande  trame. 

Enfin  nulle  attention  n^a  été  omise  pour  m  j 
défigurer  de  tout  point,  jusqu'à  celle,  qu'on  ni- 
maginerait  pas,  de  Êiire  disparaître  les  portraits 


ASfviB  1770,  a63 

de  moi  ijoà  me  ressembleiity  et  d  en  répandre  on 
à  très-grand  bruit  qui  me  donne  un  air  &roacIie 
et  une  mine  de  cjclope.  Â  ce  gracieux  portrait, 
on  a  mis  pour  pendant  celui  de  David  Hume  (i), 
mii  réellement  a  la  tête  d'un  cyclope,  et  à  qui  l'on 
donne  un  air  charmant.  Comme  ils  peignent  nos 
figures,  ainsi  peignent-ils  nos  flmes  avec  la  même 
fidélité.  En  un  mot,  les  détails  qu'embrasse  Texé^ 
cution  du  plan  qui  me  regarde  sont  immenses , 
inconceyaUes.  Obi  si  je  savais  tous  ceux  que  j'i- 
gnore, si  je  voyais  mieux  ceux  que  je  n^ai  fait  que 
conjecturer,  si  je  pouvais  embrasser  dW  coup 
d'oui  tous  cepx  dont  je  sui$  Tobjet  depuis  dix  an- 
nées, ils  pourraient  me  donner  quelque  orgueil, 
si  mon  cœur  en  était  moins  déchiré.  Si  M-  de 
Choiseul  eût  employé  à  bien  gouverner  l'état  la 
moitié  du  temps,  des  talens,  de  l'argent  et  des 
soins  qu'il  a  mis  à  satisfaire  sa  haine,  il  eût  été 
Ton  des  plus  grands  minbtres  qu'ait  eus  k  Francç* 
Ajoutez  à  tout  cela  l'expédition  de  la  Corse, 
cette  inique  et  ridicule  expédition,  qui  choque 
toute  justice,  toute  humanité,  toute  pplitique, 
tomte  raison;  expédition  que  son  succès  rend  en- 
core plus  ignominieuse,  en  ce  que,  n'ayant  pu 
conquérir  ce  peuple  infortuné  par  le  fer,  il  l'a  fallu 
conquérir  par  Tor.  La  France  peut  bien  dire  de 

(ijf  Quand  il  s'aTÛa  de  me  fiaire  peiodre  à  Londres,  je  ue  pila 
iinafpner  quai  élatt  toa  b«t ,  car  f 'aitfivvoyaia  dé)à  de  raiie  qns 
-ae  jk'émà  paa  par  «mit ié  pour  moi.  Je  vob  ■^^iwlenanS  ttr^lN^ 
m  imty  maii  je  ne  me  pardonnera»  pu  d^  l'arpû  di^i^* 


à64  cokR£SPom)ÀNCE, 

<;ette  inutile  et  coûteuse  CQixjuête  ce  que  disait 
Pyrrhus  de  ses  yictolres  :  Encore  une,  et  nous 
sommes  perdus.  Mab^  hélas!  l'Europe  n'offiin 
plus  à  M.  de  Choiseul  d'autre  peuple  naissante 
détruire,  ni  d'aussi  grand  homme  à  noircir  que 
son  illustre  et  vertueux  éhef . 

C'est  ainsi  que  l'homme  le  pins  fin  se  décèle  en 
écoutant  trop  son  animosité.  M.  de  Choiseul  con- 
naissait bien  la  plaie  la  plus  cruelle  pat  laquelle  il 
pût  déchirer  mon  cœur,  et  il  ne  me^apa5épa^ 
gnée  :  mais  il  n  a  pas  vu  combien  cette  barba» 
vengeance  le  démasquait  et  devait  éveuterson 
complot.  Je  le  défie  de  pallier  jamais  cette  cif^ 
ditîon  d'aucuqe  raison  ni  d'aucun  prétexte  qui 
puisse  Contenter  un  honlme  senséi  On  saura  cp» 
je  sus  voir  le  premier  un  peuple  disciplinaUeel 
libre  où  toute  ITIurope  ne  voyait  encore  quVn  las 
de  rebelles  et  de  bandits;  que  je  vis  germer  te 
palmes  de  cette  nalion  naissante;  qu'elle  me  choi- 
sît pour  les  arroser,  que  ce  choix  fit  son  iofortuDe 
et  la  mienne  ;  cjue  ses  premiers  combats  furent  te 
victoires;  que ,  n'ayant  pu  la  vaincre,  il  fillut  Ta- 
cheter.  Quant  à  la  conclusion  qui  meregaide,0B 
présumera  quelque  jour,  je  l'espère,  malgré  tous 
les  artifices  de  M.  de  Choiseul^  qu'il  ny  anrt 
qu'un  homme  estimabk  qu'il  pût  hmr  avec  tant 
j^e  fiu'eur. 

Voilà,  monsieur^  ce  qui  me  &it  prendre ib0D 
parti  avec  plus  de  courage  que  n  en  semblait  an- 
noncer Idccablement  où  vous  m'avez  vu;  mais  j^ 


ANNÉE  1770.  a65 

découvrab  alors  pour  la  première  fois  des  bor* 
reurs  dont  je  n^avais  pas  la  moindre  idée,  et  aux* 
quelles  il  n  est  pas  même  permis  à  un  honnête 
homme  d'être  préparé.  Epouvanté  des  infernales 
trames  dont  je  me  sentais  enlacé,  je  donnais  trop 
de  pouvoir  à  Timposture,  j'en  prolongeais  trop 
loin  l'effet  sur  lavenir  :  j^  voyais  mon  nom,  qui 
doit  me  survivre,  couvert  par  elle  d'un  opprolire 
étemel,  au  lieu  de  la  gloire  «t  des  honneurs  que 
je  sens  dans  mon  cœur  m'êtrc  dus;  je  frémissais 
de  douleur  et  dlndignation  à  cette  cruelle  image. 
Aujourdliuijque  j'ai  eu  le  temps  de  m^apprivoiser 
avec  des  idées  qui  m'étaient  si  nouvelles,  de  les 
peser,  de  les  comparer,  de  mettre  par  ma  raison 
les  iniques  oeuvres  des  hommes  à  la  coupelle  du 
temps  et  de  la  vérité,  je  ne  crains  plus  que  le  Vil 
alliage  y  résiste  :  le  soufre  et  le  plomb  s  en  iront 
eu  fumée ,  et  l'or  pur  demeurera  t^t  ou  tard , 
quand  mes  ennemis ,  morts  ainsi  que  moi,  ne  lai- 
téreront  plus.  Il  est  impossible  que,  de  tant  de 
trames  ténébreuses,  quoiqu'une  au  moins  ne  soit 
pas  enfin  dévoilée  au  grand  jour;  et  c'en  est  assez 
pour  juger  des  autres.  Les  bons  ont  horreur  des 
méchans  et  les  fuient ,  mais  ils  ne  brassent  pas  des 
complots  contre  eux.  Il  est  impossible  que,  reve- 
nus de  la  haine  aveugle  quon  leur  inspire,  mes 
semblables  ne  reconnaissent  pas  un  jour  dans  mes 
ouvrages  un  homme  qui  parla  d'après  son  cœur» 
U  est  impossible  qu^en  blâmant  et  plaignant  les 
erreurs  où  j'ai  pu  tomber;  ils  ne  louent  pas  mes 

GorreipoBdaace.  5.  23 


2GS  CORRESPONDANCE, 

cela  qu'il  s'agît  :  que  je  sache  à  tout  prix  de  quoi 
je  suis  coupable;  que  j'apprenne  enfin  quel  est 
mon  crime,  qu^on  m'en  montre  le  témoignage  et 
les  preuves,  ces  invincibles  preuves  qui,  bien 
qu  administrées  si  secrètement  et  par  des  mains  si 
suspectes,  n'ont  laissé  le  moindre  doute  à  per- 
sonne, et  SUT  lesquelles  âme  vivante  n'a  même 
imaginé  qu'il  fût  pourtant  bon  de  savoir  si  je  n'a- 
vais rien  k  dire  ;  enfin  qu  on  daigne  je  ne  dis  pas 
me  convaincre,  maïs  m  accuser  moi  présent  (i}, 
et  je  meurs  content. 

Eh  !  que  reste-t-il  ici-bas  pour  me  faire  aîmer  à 
vivre?  Déjà  vieux,  sonflrant,  sans  ami,  sans  ap 
pui,  sans  consolation,  sans  ressource,  voila  la 
pauvreté  prête  à  me  talonner;  et  quand  on  mau- 
rait  laissé  même  la  liberté  d'employer  mes  talens 
à  gagner  mon  pain ,  de  quoi  jouirais-;e  en  le  man- 
geant? Quoi!  voir  toujours  des  hommes  faux, 
haineux,  malveiîlans!  toujours  des  masques,  tou- 
jours des  traîtres!  et  loin  de  vous,  pas  un  seul  vi- 
sage dTiomme!  plus  d'épanchemens  dans  le  sein 
*-  ■  - 

(i)  Je  toîs  persvndë  qu'il  y  a  bous  tout  cela  quelque  équi- 
voque ,  quelque  malentciidn ,  jqucique  adroit  menson^ ,  sur  le- 
quel un  mot  peut-être  serait  uu  trait  de  lami(>re  qui  irappenit 
tout  le  inonde ,  et  démasquerait  les  imposteurs.  Ils  le  seotcnt  tx 
le  craignent  sans  doute  ;  aussi  parait-il  qu'ils  ont  mis  toute  l'a- 
dresse j»  tonte  la  nue ,  toute  la  sagacité  de  leur  esprit  ^  chercher 
des  raisons  plausibles  et  spécieuses  pour  prévenir  toute  expU* 
cation.  Cependant  comment  ont-ib  pu  couvrir  Tiniquité  de 
cette  conduite  jusqu'il  gromper  les  çen^  de  boo  sens?  Voilà  ea 
qui  ine  passe. 


d'un  ami,  plus  de  ces^doux  sentimens  qaWe  lon^ 
gue  habitude  rend  délicieux!  Ah!  la  vie  à  ce  prix 
m^est  insupportable  ;  et  quand  sa  fin  ne  serait  que 
celle  de  mes  peines,  je  désirerais  d'en  sortir  :  mais 
elle  sera  le  comsnencement  de  cette  félicité  pour 
laquelle  je  me  sentais  né,  et  que  je  cherchai  vai- 
nement sur  la  terre.  Que  j  aspire  i  cette  heureuse 
épo^e,  et  que  j^aimerai  quiconque  m'y  fera  par- 
venir! Jetais  homme,  et  j'ai  péché;  j'ai  &it  de 
grandes  fautes  que  j'ai  bien  expiées ,  mais  le  crime 
jamais  n  approcha  de  mon  cœur.  Je  me  sens  juste, 
bon,  vertueux,  autant  quliorome  qui  soit  sur  la 
terre  :  voilà  le  motif  de  mon  espérance  et  de  ma 
sécurité.  Quoique  je  paraisse  absolument  oublié 
de  la  Providence,  je  n'en  désespérerai  jamais.  Que 
ses  i^ompenses  pour  les  bons  doivent  être  belles, 
puisqu'elle  les  néglige  à  ce  point  ici-bas!  Javoue 
pourWJit  qu^en  la  voyant  dormir  si  long-temps,  il 
me  prend  des  momensd'abattement  :ilssontrares, 
ils  ne  durent  guère ,  «t  ne  changent  rien  à  ma  dis- 
position. J'espère  que  la  mort  ne  viendra  pas  dans 
un  de  ces  tt'isfes  momens  ;  mais  quand  elle  y  vien« 
draity  elle  me  serait  moins  consolante,  sans  m'être 
plus  redoutable.  Je  me  dirais  :  Je  ne  serai  rien ,  ou 
je  serai  bien;  cela  vaut  toujours  mieux  pour  moi 
que  cette  vie. 

La  mort  est  douce  aux  malheureux  ;  la  souf- 
france est  toujours  cruelle  :  par  là  je  reste  ici-bas 
à  la  merci  des  méchans.  Mais  enfin  que  me  peu« 
vent-îJs  faire  ?  Ils  ne  me  feront  pas  plus  souffirîc 

23. 


que  ne  fit  la  néphrétique;  et  j'ai  &it  lit- dessus 
lessai  de  mes  forces.  Si  mes  manz  sont  longs,  ik 
exerceront  mon  âme  à  la  patience ,  à  la  constance, 
au  courage;  ils  lui  feront  mériter  le  prix  destiné  k 
la  yertu;  et  au  jour  de  ma  mort , quil  Ëiudra  bien 
enfin  qui  yienoe ,  mes  persécuteurs  m'auront  rendn 
service  en  dépit  d  eux.  Pour  quiconque  en  est  li, 
les  hommes  ne  sont  plus  guère  i  craindre.  Ansâ 
M.  de  Choiseul  peut  jouer  de  son  reste  avec  tonte 
sa  puissance.  Tant  quil  ne  changera  pas  la  na- 
ture des  choses,  tant  qu'il  n'ôtera  pas  de  ma  poi- 
trine le  cœur  de  Jean-Jacques  Rousseau  pour  j 
mettre  celui  dun  malhonnête  homme,  \e  le  mets 
au  pis. 

Monsieur,  j'ai  vécu  :  jej^e  vois  plus  rien ,  même 
dans  Tordre  des  possibles, qui  pût  me  donner  en- 
core sur  k  t^re  i;n  moment  de  vrai  plaisir.  On 
m'oflSrirait  ici-bas  le  choix  de  ce  que  j'y  venxétrdi 
que  je  répondrais,  mort.  Rien  de  ce  qui  flattait 
mon  cœur  ne  peut  plus  exister  pour  moi.  SU  me 
reste  un  intervalle  encore  jusqu'à  ce  moment  si 
lent  à  venir,  je  le  dois  à  Ihonneur  de  ma  mé- 
moire. Je  veux  tâcher  que  la  fin  de  ma  vie  honore 
son  cours  et  y  réponde.  JusquHci  j'ai  supporté  le 
malheur;  il  me  reste  â  sayoir  supporter  la  capd» 
vite,  la  douleur,  la  mort  :  ce  n'est  pas  le  plus  dif- 
ficile; mais  la  dérision,  le  mépris,  l'opprobre, 
apanage  ordinaire  de  la  vertu  parmi  les  méchans, 
dans  tous  les  points  par  où  l'on  pourra  me  les  faire 
sentir.  J^espëre  qu'un  jour  on  jugera  de  ce  que  je 


àhkée  1770.  371 

fus  par  ce  que  j'ai  su  souffirir.  Tout  ce  que  vous 
m'avez  dit  pour  me  détourner,  quoique  plein  de 
sens,  de  vérité,  d'éloquence, n'a  fait  qu'enflammer 
mon  courage  :  c'est  un  effet  qu'il  est  naturel  d'é- 
prouver près  de  vous;  et  je  nai  pas  peur  que 
d  autres  m'ébranlent  quand  vous  ne  m'avez  pas 
ébranlé.  Non ,  je  ne  trouve  rien  de  si  grand ,  de  si 
beau,  que  de  souffrir  pour  la  vérité.  Jenvie  la 
gloire  des  martyrs.  Si  je  n  ai  pas  en  tout  la  même 
foi  qu'eux,  jai  la  même  innocence  et  le  même 
ztle,  et  mon  coeur  se  sent  digne  du  même  prix. 

Adieu,  monsieur.  Ce  n'est  pas  sans  un  vrai  re- 
gret que  je  me  vois  à  la  veille  de  m'éloigner  de 
vous.  Avant  de  vous  quitter  j'ai  voulu  du  moirs 
goûter  la  douceur  depancher  mon  cœur  dans 
celui  dun  homme  vertueux.  C'est,  selon  toute 
apparence,  un  avantage  que  je  ne  retrouverai  de 
longtemps. 

Rousseau. 

■OTE  OVïïUiM  DAfIS  MA  ISTIBE  A  M.  DS  SAlUT-eESMAIH. 

Je  me  souyiens  d'avoir,  <fiant  Jeiane,  employé  le  verasuîyaal 
dn»  nne  comédie. 

Cest  eD  le  trabiisant  qu'il  £iut  purar  i^  troitre. 

Mai»  en  outre  que  c'ëtait  dans  ub  cas  trèt-exàiaable ,  et  oti  â 
ne  s'bgiaMit  |ioiiit  d'une  véritable  trabisoiiy  ce  ven,  échappé 
dans  la  rapidité  de  la  composition ,  dans  une  pièoe  n(Mi  pnbKqofi 
et  non  oorrigée,  ne  prouve  point  que  Tauteur  pense  ce  qu'il  ùAjL 
dire  k  une  femme  jalouse,  et  ne  fait  aaiorité  pour  persomia. 
S'il  est  permis  de  trahir  les  traîtres,  «  n'est  qu'aux  geos  qui 
leur  rrsawnhifpti  buûs  jamais  les  armea  des  mécbaos  v/i  sooiW 


2J2  'ÎOnilESPONDAirCE , 

Jèrent  les  maîns  d'un  liooD^ie  bomme.  Comme  U  n'est  pM  per- 
mis de  mentir  à  un  menteur,  il  est  encore  moins  permis  de  m- 
hii  un  traître  :  sans  cela,  toute  la  moraJe  serait  subvertie,  ctb 
vertu  ne  serait  plus  qu  un  vain  nom  ;  car  le  nombre  des  nttl- 
Iionnétes  gens  étant  malheurettsement  lo  plus  grand  de  la  terre, 
si  l'on  se  permettait  d'adopter  vis-à  vit  d'eux  leurs  propus 
maximes,  ofi  serait  le  plus  souvent  malhonnête  hasnme  sni 
mfmr,  et  l'on  en  viendrait  iMcntôt  ft  supposer  toujours  que  l'aii 
a  aâTaire  à  des  coquins ,  afin  de  s'autoriser  à  l'èune. 

898* A  M.  L  ÂBBÉ  ML 

Monquin,  17     ^o. 
PArvuES  sreugies  que  nous  sommes!  etc. 

Vptre  précédente  lettre,  monsieur,  m^en  pro- 
mettait si  bien  une  seconde,  et  j  étais  si  sur  quelle 
viendrait,  que^  quoique  je  me  crusse  ohligé  de 
vous  tirer  de  l'eiteur  où  je  vous  voyais  ,  j  annai 
mieux  tarder  de  remplir  ce  devoir  qtie  de  tous 
6ter  ce  plaisir  si  doux  aux  cœuins  honnêtes  de  ré^ 
parer  leurs  torts  de  leur  propre  mouvement  (*). 

La  bizarre  man  ière  de  dater  qui  vous  a  scanda- 
lisé est  une  formule  générale  dont  depuis  quelque 
temps  j'use  indifféremment  avec  tout  le  monde* 
qui  n'a  ni  ne  peut  avoir  aucun  trait  aux  personnes 
à  qui  j  écris,  puisque  ceux  qu  elle  regarde  ne  sont 


(*}  Pour  rintelltgence  de  cette  plirase  et  de  eeUes  qui  U 
vent ,  il  hni  savoir  que  la  personne  à  qui  cette  aeconde  lettre 
était  adressée  avait  mis  en  tète  de  sa  réponse  4  la  première  na 
quatrain  qui  semblait  annoncer  qu'elle  avait  pris  eu  mauvaise 
part  celui  de  M.  Kousseau ,  ce  qui  amendant  n'était  pas. 

(  Nott  au  iiiUun  iê  Gewèpe.) 


xyndE  1770.  273 

pas  faits  pour  être  honorés  de  mes  lettres,  et  ne 
le  seront  sûrement  jamais.  Comment  m  ayez-vous 
pu  croire  assez  brutal,  assez  féroce,  pour  vouloir 
iusuiter  ainsi  de  gaieté  de  cœur  quelqu^un  qne  je 
ne  connaissais  que  par  une  lettre  pleine  de  témoi- 
gnages d'estime  pour  moi,  et  si  propre  à  m'en 
inspirer  pour  lui?  Cette  erreur  est  là-dessus  tout 
ce  dont  je  peux  me  plaindre;  car  si  ce  nen  eût 
pas  été  une,  votre  ressentiment  devenait  très-lé- 
gitime, et  votre  quatrain  trës-mérité  :  si  même 
j'avais  quelque  autre  reproche  à  vous  faire,  ce  se- 
rait sur  le  ton  de  votre  lettre  qui  cadrait  si  mal 
avec  celui  de  votre  quatrain.  Quoique  dans  votre 
opinion  je  vous  en  eusse  donné  lexemple,  deviez* 
vous  jamais  l'imiter?  ne  deviez-vous  pas,  au  con- 
traire, être  encore  plus  indigné  de  l'ironie  et  dé 
la  fausseté  détestable  que  cette  contradiction  met* 
tait  dans  ma  lettre?  et  la  vertu  doit- elle  jamais 
som'Iler  ses  mains  innocentes  avec  les  armes  des 
roéchans ,  même  pour  repousset  leurs  atteintes?  Je 
vous  avoue  franchement  que  je  vous  ai  bien  plus 
aisément  pardonné  le  quatrain  que  le  corps  de  la 
lettre;  je  passe  les  injures  dans  la  colère ,  mais  j'ai 
peine  à  passer  les  cajoleries.  Pardon ,  monsieur,  à' 
mon  tour  :  j'use  peut-être  un  peu  durement  des 
droits  de  mon  âge,  mais  je  vous  dois  la  vérité  de- 
puis que  vous  m^avez  inspiré  de  Festime;  c'est  un 
bien  dont  je  &is  trop  de  cas  pour  laisser  passer  en 
silence  rien  de  ce  qui  peut  laltérer.  A  présent  ou- 
blions pour  jamais  ce  petit  démêlé ,  je  vous  en 


2^4  COARSSPOimAIÏCB, 

prie,  et  ne  nous  souvenons  que  cb  ce  qui  peut 
nous  rendre  plus  intéressans  Tun  à  Fautre  parla 
manière  dont  il  a  fini. 

.  Revenons  à  votre  emploi.  S'il  est  vrai  que  vous 
ayez  adopté  le  plan  que  j'ai  tâché  de  tracer  dans 
VEmiley  j admire  votre  courage;  car  vous  avea 
trop  de  lumières  pour  ne  pas  voir  que,  dans  on 
pareil  système,  il  faut  tout  ou  rien,  et  qu'il  vau- 
drait cent  fois  mieux  reprendre  le  train  des  édu- 
cations ordinaires,  et  Ëiire  un  petit  talon  ronge, 
que  de  suivre  à  demi  celle-là  pour  ne  £aiire  qu'as 
homme  manqué.  Ce  que  j'appelle  tout,  n'est  pas 
de  suivre  servilement  mes  idées;  au  contraire^ 
c^est  souvent  de  les  corrige,  mais  de  s'attacher 
aux  principes,  et  d'en  suivre  exactement  les  coq- 
séquences  avec  les  modifications  qu'exige  néces- 
sairement toute  application  particulière.  Vous  ne 
pouvez  ignorer  quelle  tâclie  immense  vons  vous 
donnez  :  vous  voUà  pendant  dix  ans  au  moins noi 
pour  Vous-même  et  livré  tout  entier  avec  toutes 
vos  faculu^s  à  votre  élève;  vigilance,  patience, 
fermeté,  voilà  surtout  trois  qualités  sur  lesquelles 
vous  ne  sauriez  vous  relâcher  un  seul  instant  sans 
rbquer  de  tout  perdre;  oui,  de  tout  perdre,  en- 
tièrement tout  :  un  moment  d'impatience,  de  né- 
gligence ou  d'ouhli^  peut  vous  ôter  le  fruit  de  âx 
ans  de  travaux,  sans  qu'il  vous  en  reste  rien  du 
tout,  pas  même  la  possibilité  de  le  recouvrer  par 
le  travail  de  dix  autres.  Certainement,  s'il  y  a  quel- 
que chose  qui  mérite  le  nom  d'héroïque  et  de 


ANirÉE  1770.  »jS 

grand  parmi  les  hommes,  cest  le  succès  de;:  en- 
treprises pareilles  à  la  vôtre  ;  car  le  succès  est  tou- 
jours proportionné  à  la  dépense  de  talens  et  de 
vertus  dont  on  Fa  acheté  :  mais  aussi  quel  don 
vous  aurez  £iit  à  vos  semblables^  et  quel  prix 
pour  vous-même  de  vos  grands  et  pénibles  tra^ 
vaux!  Vous  vous  serez  Ëiit  un  ami,  car  c^est  là  le 
terme  nécessaire  du  respect,  de  l estime  et  de  la 
reconnaissance  dont  vous  Taurez  pénétré.  Voyez, 

monsieur dix  ans  de  travaux  immenses,  et 

toutes  les  plus  douces  jouissances  de  la  vie  pour 
le  reste  de  vos  jours  et  au-delà  :  voilà  les  avances 
(fue  vous  avez  &ites,  et  voilà  le  prix  qui  doit  les 
payer.  Si  vous  avez  besoin  d^encouragement  dans 
cette  entreprise^  vous  me  trouvère^  toujours  prêt; 
si  vous  avez  besoin  de  conseils ,  ils  sont  désormais 
au-dessus  de  mes  forces.  Je  ne  puis  vous  promet- 
tre que  de  la  bonne  volonté;  mais  vous  la  trou- 
verez toujours  pleine  et  sincère  :  soit  dit  une  fois 
pour  toutes,  et,  lorsque  vous  me  croirez  bon  à 
quelque  chose,  ne  craignez  pas  de  mlmportuner. 
Je  vous  salue  de  tout  mon  coeur. 

899.  —  A  M.  nE  Saiîît-Germain  . 

MoiM|iiin,  fe  17    70. 
lUnviœi  «reugles  que  doqs  sommes  !  etc. 

Votre  lettre,  monsieur,  m^attendrit  et  me  tou- 
che; je  croyais  n*étre  phis  susceptible  de  plaisir, 
et  vous  venez  de  m'ei^  donner  un  moment  bien 


^y6  CORRËSPOVDAKCE , 

pur.  Il  n'est  troublé  que  par  le  regret  de  ne  pas 
pouvoir  me  rendre  à  vos  généreuses  et  obligeantes 
sollicitations;  mais  mon  parti  est  pris.  Je  connais 
trop  les  gens  à  qui  j'ai  afiaire  pour  croire  qu'ils  me 
laisseront  exécuter  mon  projet;  je  m^attends  da- 
vance  à  ce  qui  doit  m'arriyer  :  je  ne  me  dois  pas 
le  succès,  il  est  dans  les  mains  de  la  Providence; 
mais  je  me  dob  la  tentative  et  l'emploi  de  mes 
forces  :  rien  ne  m'empécbera  de  remplir  ce  devoir. 

Je  ne  suis  point  encore  daus  la  situation  que 
vos  oflres  généreuses  vous  font  prévenir ,  ni  même 
près  d'y  tomber;  je  prévois  seulement  que  si  j'a- 
vançais dans  la  vieillesse,  elle  me  deviendrait  dure 
à  plus  d'un  égard,  et  c'est  moins  là  pour  moi  mi 
sujet  d'alarme  qu'une  consolation  de  n'y  pas  pr- 
venir.  Je  crois  si  bien  connaître  votre  âme  noUe, 
que ,  dans  la  situation  supposée ,  je  vous  aurais  de 
moi-même  prouvé  la  vérité  de  messentimens  pour 
vous,  en  vous  mettant  dans  le  cas  d'exercer  les 
vôtres. 

Si  la  crainte  de  contrister  votre  bon  cœur 
m'empêche,  monsieur,  de  suivre  les  mouvemcns 
du  mien  daus  les  adieux  que  je  désirais  vous  aller 
faire,  \c,  sens  ce  que  me  coûtera  cette  déférence; 
mais  je  sens  aussi ,  dans  la  résolution  que  jai 
prise ,  le  danger  de  l'exposer  à  des  attaques  d'au- 
tant plus  redoutables,  que  mon  penchant  ne  se- 
conderait que  trop  bien  vos  efforts.  Adien  donc^ 
homme  respectable;  je  partirai  sans  vous  voir, 
puisqu'il  le  faut^  inais  vo^s  laissant  lameilleure 


ÀJXviE  1770.  377 

partie  de  moi-même  dans  les  sentimens  d'un  cœur 
toujours  plein  de  Vous. 

900.  —  A  M,  DU  Pbyrou, 

A  Monquio  )  le  1 7    70. 
lUiTTtEs  tcveoffa  que  nous  sonames  !  etc. 

Vous  me  marquez,  mon  cher  hôte^  que  votire 
r61e  est  passif  vis-ii-yis  dé  moi^  que  lliabitude  a 
dû  Yous  le  rendre  familier^  et  que  ma  réponse 
vous  prouve  cette  vérité  affligeante  pour  Vhuma- 
nité,  que  les  battus  paient  encore  l'amende;  ce 
({ui  veut  dire  que  cest  vous  qui  êtes  le  battu ,  et 
que  c*est  vous  qui  fayez  Tamende. 

Qu  entre  nous  votre  rôle  soit  passif  et  le  mien 
actif,  voilà ,  je  vous  avoue ,  ce  qui  me  passe.  Je  ne 
vous  propose  jamais  rien ,  je  ne  vous  demande  ja- 
mais rien ,  je  ne  fais  jamais  que  vous  répondre  j  je 
ne  me  mêle  en  aucune  sorte  de  vos  affaires ,  je  n'ai 
avec  personne  aucune  relation,  ni  secrète  ni  pu- 
blique, qui  vous  regarde,  je  ne  dispose  de  rien 
qui  vous  apprltenne;  enfin,  excepté  un  senti- 
ment d affection  qui  ne  peut  s'éteindre,  je  suis 
pour  vous  comme  n'existant  pas.  En  quel  sens 
donc  puis- je  être  actif  vis-à-vis  de  vous?  Je  le  fus 
une  fois,  et  bien  vous  en  prit.  Depuis  lors  je  réj- 
soiusde  ne  plus  Tétre.  Je  crois  avoir  tenu  jusqu'ici 
cette  résolution,  et  ne  la  tiendrai  pas  moins  dans 
la  suite.  ExpUquez-moi  donc,  je  vous  prie,  cofl»> 

GprretpoBiIajac«%  5.  2  4 


UyS  CORIŒSPOirDÀNCE , 

ment  vous  êtes  passif  vis-à-vis  de  moi  ;  car  cela 
me  paraît  curieux  à  savoir. 

Dans  votre  précédente  lettre,  vous  m'exhortez 
à  un  épanchemeut  de  cœur,  en  me  disant  de  vous 
traiter  tout-à-fait  en  ami  ou  tout-à-&ît  en  étran- 
ger. Votre  devise  sur  le  cachet  de  cette  même 
lettre  m^a^rlissait  que  vous  vous  faisiez  gloire  de 
n'avoir  vous  même  aucun  de  cesépanchemensde 
cœur  auxquels  vous  m'exhortiez.  Or  il  me  parais- 
sait injuste  d'exiger  datas  l'amitié  des  conditions 
qu'on  ny  veut  pîïis  mettre  soi-même;  et  me  dire 
que  c  est  traiter  un  homme  en  étranger  que  de  ne 
pas  s'ouvrir  avec  lui,  c  était  me  dire  assez  daire- 
tueut,  ce  me  semble,  en  quel  rang  fêtais  auprès 
de  TOUS.  Votre  exemple  à  fait  la  règle  de  ma  ré- 
ponse. Si  VOUS  êtes  le  battu  dans  cette  affiure, 
convenez  au  moins  que  je  n'ai  fiiit  que  tous  ren- 
dre les  coups  que  vous  m  aviez  donnés  le  premier. 

Je  n'avais  pas  besoin,  mon  cher  hôte,  de  b 
note  que  vous  m'avez  envoyée  pour  être  con- 
vaincu de  votre  exactitude  dans  les  comptes. 
Cette  note  me  fait  plaisir,  en  ce  que  j'y  vois  ap- 
procher le  temps  où  noua  serons  tout-à-&itquittes, 
et  vous  me  faites  désirer  de  vivre  au  moins  jus- 
que-là. 11  n'est  pas  temps  encore  de  parler  des 
arrangemens  ultérieurs ,  et.  tant  de  prévoyance 
u  entre  pas  dans  mon  tour  d'esprit,  Alais ,  en  at< 
tendant,  je  suis  sensible  à  vos  ofEres,  et  il  eotre 
bien  dans  mon  cœur,  je  vous  assure,  d'enélrere- 
c<Minaissant. 


V 


AimÉB  1770.  27g 

Comme  je  me  propose  de  déloger  d'ici  dans 
peu  y  mon  dessein  n'est  pas  d^  laisser  après  moi 
mon  herbier  et  mes  livres  de  botanique  ;  je  compte 
prendre  une  charvette  pour  &ire  conduire  le  tout 
à  Lyon  9  chez  madame  Boy  de  La  Tour,  où  tout 
cela  sera  plus  à  portée  de  vous  parvenir  sans  em« 
barras.  En  emballant  lesdits  livres,  j  en  ferai  le 
catalogue,  et  vous  TenTcrrai.  Que  ne  puis- je  les 
suivre  auprès  de  vous!  Je  vous  jure  quil  n'y  a 
point  de  jour  où  Tidée  d'aller  être  l'intendant  de 
votre  jardin  de  plantes,  et  Thôtc  de  mou  hôtesse, 
ne  vienne  encore  chatouiller  mon  coeur.  Mais  |e 
suis  pourtant  un  peu  scandalisé  de  ne  point  voir 
venir  d^  petits  hôtes  qui  lui  aident  un  jour  à  me 
&ire  ses  honneurs.  Adieu,  mon  cher  hôte,  ma 
femme  et  moi  vous  saluons,  et  embrassons  Tun  et 
Vautre.  Elle  est  presque  percluse  de  rhumatismes. 
Notre  demeure  est  ouverte  à  tous  les  vents,  nous 
sommes  presque  ensevelis  dans  la  neige,  et  nous 
ne  savons  plus  comment  ni  quand  cela  finira. 
Adieu,  derechef. 

Je  signe ^  afin  que  vous  sachiez  désormais  sous 
quel  nom  vous  avez  à  m'écrire.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  vous  avertir  que  le  quatrain  joint  à  la  date  est 
une  formule  générale  qui  n'a  nul  trait  aux  per- 
sonnes à  qui  j  écris. 


38o  CORRESPONDANCE, 

901.  «-^  ▲  M.  DE  Bellot. 

pACvncs  «veuf^let  que  nous  wooÉmm  !  «te. 

Il  faut,  monsieur,  yoos  résoudre  k  bien  de  t'en- 
nui,  car  j*ai  grand'peur  de  vous  écrire  une  longue 
lettre. 

Que  TOUS  m'ayez  rafraîchi  le  sang^etcjue  j'aime 
voire  colère!  J'y  vois  bien  le  sceau  de  la  vérité 
dans  une  âme  fière ,  que  le  patelinage  des  cens  qui 
m'entourent  marqtie  encore  plus  fortement  à  mes 
yeux.  Vous  avez  daigné  me  faire  sentir  mon  tort; 
c^est  une  indulgence  dont  je  sens  le  prix,  et  que 
je  n'aurais  peut-être  pas  eue  à  votre  place  :  il  ne 
m'en  reste  que  le  désir  de  vous  le  faire  oublier.  Je 
fus  quarante  ans  le  plus  confiant  des  hommes, 
sans  que^  durant  tout  ce  temp^,  jamais  une  seule 
fois  cette  confiance  ait  été  trompée.  Sitôt  que  j'eus 
pris  la  plume ,  je  me  trouvai  dans  un  autre  uni- 
vers, parmi  de  tout  autres  êtres,  auxquels  je  con- 
tinuai de  donner  la  même  confiance,  et  qui  m'en 
ont  si  terriblement  corrigé  quHs  m'ont  jeté  dans 
l'autre  extrémité.  Rien  ne  m'épouvanta  jamais  au 
grand  jour,  mais  tout  m'effarouche  dans  les  ténè- 
bres qui  m'environnent,  et  je  ne  vois  que  dunoid 
dans  Tobscurité.  Jamais  Tobjet  le  plus  hideux  ne 
me  fit  peur  dans  mon  enfance,  mab  une  figure 
cachée  sous  un  drap  blanc  me  donnait  des  con- 
vulsions :  sur  ce  point,  comme  sur  beaucoup  d'au- 


ANÏfiB  1770.  261 

treSj  Je  resterai  enfant  jusqu'à  la  mort.  Ma  dé- 
fiance est  d'autant  plus  déplorable  que,  presque 
toujours  fondée  (et  je  n'ajoute  presque  qu'à  cause 
de  tous),  elle  est  toujours  sans  bornes,  parce  que 
tout  ce  qui  est  hors  de  la  nature  n'en  connaît  plus. 
Voilà,  monsieur,  non  lexcuse,  mab  la  cause  de 
ma  faute,  que  d'autres  circonstances  ont  amenée  y 
et  même  aggravée,  et  qu  il  faut  bien  que  je  vous 
déclare  pour  ne  pas  vous  tromper.  Persuadé  qu'un 
homme  puissant  vous  avait  Êiit  entrer  dans  ses 
Tues  à  mon  égard,  je  répondis  selon  cette  idée  à 
quelqu'un  qui  m'avait  parlé  de  vous,  et  je  répon- 
dis avec  tant  d'imprudence  que  je  nommai  même 
l^omme  en  question.  Né  avec  un  c<iractère  bouil- 
lant dont  rien  na  pu  calmer  TeiFervescence ,  mes 
premiers  mouvemens  sont  toujours  marqués  par 
une  étourderie  audacieuse,  que  je  prends  alors 
pour  de  lintrépidité,  et  que  j'ai  tout  le  temps  de 
pleurer  dans  la  suite ,  surtout  quand  elle  est  in- 
juste, comme  dans  cette  occasion.  Fiez-vous  à 
mes  ennemis  du  soin  de  m'en  punir.  Mon  repentir 
anticipa  même  sur  leurs  soins  à  la  réception  de 
votre  lettre;  un  jour  plus  tôt  elle  m'eût  épargné 
beaucoup  de  sottises;  mais  puisqu'elles  sont  faites, 
n  ne  me  reste  qu'à  les  expier  et  à  tâcher  d  en  ob- 
tenir le  pardon ,  que  je  vous  demande  par  la  com-^ 
misera  tion  due  à  mon  état. 

Ce  que  vous  me  dites  des  imputations  dont 
vous  m'avez  entendu  charger,  et  du  peu  d'eifet 
qu'elles  ont  fait  sur  vous^  ne  m'étonne  que  par 

î4. 


a^l  CORRESPOÎÎDAWCE , 

llmbèclllîlè  de  ceux  qui  pensaient  vous  surpren- 
dre par  cette  voie.  Ce  n'est  pas  sur  des  hommes 
tels  que  vous  que  des  discours  en  lair  ont  quelque 
prise,  mais  les  frivoles  clameurs  de  la  calomnie, 
qui  n'excitent  guère  d attention,  sont  bien  difle- 
rentes,  dans  leurs  eflèts,  des  complots  tramés  et 
concertés  durant  longues  années  dans  un  profond 
silence,  et  dont  les  développemens  successifs  se 
font  lentement,  sourdement,  et  avec  méthode. 
Vous  parlez  d  évidence  :  quand  vous  la  verrez 
contre  moi,  jugez-moi,  c'est  votre  droit;  mais 
nWbliez  pas  de  juger  aussi  mes  accusateurs;  exa- 
minez quel  motif  leur  inspire  tant  de  zèle.  J'ai 
toujours  vu  que  les  médians  inspiraient  de  Thor- 
rcur,  mais  point  d^animosité.  On  les  punit,  ou  on 
les  fuit  :  mais  on  ne  se  tourmente  pas  d'eux  sans 
cesse;  on  ne  s'occupe  pas  sans  cesse  à  les  circon- 
venir, à  les  tromper,  à  les  trahir;  ce  n*est  point  à 
eux  que  Ton  fait  ces  choses-là,  ce  sont  eux  qui  les 
font  aux  autres.  Dites  donc  à  ces  honnêtes  gens  si 
zélés,  si  vertueux,  si  fiers  surtout  d'être  des  traî- 
tres, et  qui  se  masquent  avec  tant  de  soin  pour 
me  démasquer  :  «  Messieurs,  j'admire  votre  zèle, 
«  et  vos  preuves  me  paraissent  sans  réplique;  mais 
cf  pourquoi  donc  craindre  si  fort  que  Faccusé  ne 
«  les  sache  et  n  y  réponde?  Permettez  que  je  len 
K  instruise  et  que  je  vous  nomme.  Il  n  est  pas  gé- 
K  néreux,  il  n  est  pas  même  juste  de  diffamer  un 
t  homme,  quel  qu'il  soit,  en  se  cachant  de  lui. 
(c  Cest,  dites-vous,  par  ménagement  pour  lui  que 


iXKEE  Î770.  a83 

«  vous  ne  voulez  pas  le  confondi^e;  maïs  il  serait 
«  moins  crael ,  ce  me  semble ,  de  le  confondre  que 
«  de  le  diffamer,  et  de  lui  ôter  la  yie  que  de  la  lui 
«  rendre  insupportable.  Tout  hypocrite  de  vertu 
«  doit  être  publiquement  confondu;  c'est  là  son 
«  vrai  châtiment;  et  l'évidence  elle-même  est  sus- 
«  pecte  quand  elle  élude  la  conviction  de  l'accusé.  » 
Eu  leur  pairlaut  de  la  sorte  ^  examinez  leur  conte* 
nance,  pesez  leur  réponse;  suivez,  en  la  jugeant, 
les  mouvemens  de  votre  cœur  et  les  lumières  de 
votre  raison  :  voilà ,  monsieur,  tout  ce  que  je  vous 
demande,  et  je  me  tiens  alors  pour  bien  jugé. 

Vous  me  tancez ,  avec  grande  raison ,  sur  la 
manière  dont  je  vous  parais  juger  votre  nation  : 
ce  n  est  pas  ainsi  que  je  la  juge  de  sang-froid,  et 
je  suis  bien  éloigné,  je  vous  jure,  de  lui  rendre 
rinjivstlce  dont  elle  use  envers  moi.  Ce  jugement 
trop  dur  était  Pouvrage  d'un  moment  de  dépit  et 
de  colère,  qui  même  ne  se  rapportait  pas  à  moi , 
mais  au  grand  homme  qu^on  vient  de  chasser  de 
sa  naissante  patrie,  quHl  illustrait  déjà  dans  sou^ 
berceau,  et  dont  on  ose  encore  souiller  les  vertus 
avec  tant  d'artifice  et  dln justice.  SU  restait,  me 
disais- je,  de  ces  Français  célébrés  par  de  Belloy, 
pourquoi  leur  indignation  ne  réclamerait  -  elle 
point  contre  ces  manœuvres  si  peu  dignes  d'eux? 

C'est  à  cette  occasion  que  Bayard  me  revint  en 
mémoire,  bien  sûr  de  ce  qull  dirait  ou  ferait  s  il 
vivait  aujourd'hui.  Je  ne  sentais  pas  assez  que 
tous  les  honunes^  même  vertueux ,  ne  sont  pas  de$ 


a8î  cditig:E5Fôinsrace, 

Bayards  ;  qu*on  peat  être  timide  sans  cesser  Skn 
juste;  et  ({uen  pensant  A  ceux  <ju\  machinent  et 
crient  y  j Wais  Jort  d'oublier  ceux  qui  gémissent  et 
se  taisent.  J'ai  toujours  aimé  votre  nation ,  elle  est 
même  celle  de  l'Europe  cpe  j'honore  le  plus;  non 
que  j'y  croie  apercevoir  plus  de  vertus  que  dans 
les  autres,  mais  par  un  précieux  reste  de  leur 
amour  qui  s'y  est  conservé,  et  que  vous  réveillez 
quand  il  était  prêt  à  s'éteindre.  Il  ne  &ut  jamais 
désespérer  d  un  peuple  qui  aime  encore  ce  qui  est 
juste  et  honnête,  quoiqu'il  ne  le  pratkjue  plus. 
Les  Français  auront  beau  applaudir  aux  traits  bé- 
roiques  que  vous  leur  présentez ,  je  doute  qu^ils 
les  imitent;  mais  ils  s  en  transporteront  dans  vos 
pièces,  et  les  aimeront  dans  les  antres  hommes^ 
quand  on  ne  les  empêchera  pas  de  les  y  voir.  On 
est  encore  forcé  de  les  tromper  pour  les  rendit 
injustes;  précaution  dont  je  n*ai  pas  vu  qu'on  eût 
grand  besoin  pour  d'autres  peuples.  Voilà,  mon- 
sieur, comment  je  pense  constamment  k  l'égaie 
des  Français,  quoique  je  n'attende  plus  de  leur 
part  qu'injustice,  outrages  et  persécution;  nab 
ce  n'est  pas  à  la  nation  que  je  les  impute,  et  tout 
cela  n'empêche  pas  que  plusieurs  de  ses  membres 
n'aient  toute  mon  estime  et  ne  la  méritent ,  mèioe 
dans  Terreur  où  on  les  tient  D'ailleurs,  mon  casxix 
s'enflamme  bien  plus  aux  injustices  dont  je  sat5 
témoin  qu  à  celles  dont  je  suis  la  victime  :  il  lui 
manque,  pour  ces  dernières,  l'énergie  et  la  vi* 
gueur  d'un  généreux  désintéressement.  H  me 


ANNÉE  1770.  a8j 

ble  que  ce  nVst  pas  la  peine  de  m'échaufTer  pour 
une  cause  qui  n'intéresse  que  moi.  Je  regarde  mes 
malheurs  comme  liés  à  mon  état  d'bomme  et  d'ami 
de  la  vérité.  Je  vois  le  méchant  qui  me  persécute 
et  me  diffame  comme  je  verrais  un  rocher  se  dé- 
tacher d'une  montagne  et  venir  m'écrascr;  je  le 
repousserais,  si  jen  avais  la  force,  mais  sans  co- 
lère, et  puis  je  le  laisserais  là  sans  y  plus  songer. 
J^avoue  pourtant  que  ces  mêmes  malheurs  m'ont 
d^ahord  pris  au  dépourvu,  parce  qu'il  en  est  aux- 
quels il  n'est  pas  même  permis  à  un  honnête 
homme  d'être  préparé  :  j'en  ai  été  cependant  plus 
abattu  qu'irrité;  et,  maintenant  que  me  voilà 
prêt,  j'espère  me  laisser  un  peu  moins  accabler, 
mais  pas  plus  émouvoir  de  ceux  qui  m'attendent. 
  mon  âge  et  dans  mon  état  ce  n  est  plus  la  pine 
de  s'en  tourmenter,  et  j'en  vois  h  terme  de  trop 
près  pour  m'inquiéter  beaucoup  de  l'espace  qui 
reste.  Mais  je  n'entends  rien  à  ce  que  vous  rao 
dites  de  ceux  que  vous  avez  essuyés  :  assurément 
}e  suis  fait  pour  les  plaindre;  mais  que  peuvent- 
ils  avoir  de  commun  avec  les  miens?  Ma  situation 
est  unique ,  elle  est  inouïe  depuis  que  le  monde 
existe,  et  je  ne  puis  présumer  qu  il  s'en  retrouvo 
jamais  de  pareille.  Je  ne  comprends  donc  point 
quel  rapport  il  peut  y  avoir  dans  nos  destinées,  et 
j'aime  à  croire  que  vous  vous  abusez  sur  ce  point. 
Adieu,  monsieur  :  vivez  heureux,  jouissez  en 
paix  de  votre  gloire,  et  souvenez-vous  quelque- 
fois dW  homme  qui  vous  honorera  toujours. 


a88  CORRESPOÏTDANCE, 

déshonneur,  dont  la  perte,  même  injuste,  en- 
traine des  malheurs  civils  pires  cent  fois  qae  la 
mort.  Sur  ce  chapitre  de  Ihonneur  TinsuiSkance 
dvs  lois  nous  laisse  toujours  dans  l'état  de  nature  : 
je»  crois  cela  prouvé  dans  ma  Lettre  à  Af .  dAlem- 
bert  sur  les  Spectacles,  Llionneur  d'un  homme 
ne  peut  avoir  de  vrai  défenseur  ni  de  vrai  vengeur 
fjue  lui-même.  Loin  qu'ici  la  clémence,  quVn  tout 
autre  cas  prescrit  la  vertu,  soit  permise,  die  est 
défendue;  et  laisser  impuni  son  déshonneur^,  c'<i;t 
y  consentir  :  on  lui  doit  sa  vengeance,  on  se  la 
doit  à  soi-même;  on  la  doit  même  k  la  société  et 
aux  autres  gens  d'honneur  qui  la  composent  :  et 
c^est  ici  Tune  des  fortes  raisons  qui  rendent  le  duel 
extravagant,  moins  parce  qu'il  expose  rinnocent 
à  périr,  que  parce  qu^il  l'expose  à  périr  sans  ven- 
geance et  à  laisser  le  coupable  triomphant.  Et 
vous  remarquerez  que  ce  qui  rend  le  trait  du 
major  vraiment  héroïque,  est  moins  la  mort  qnll 
se  donne  que  la  fière  et  noble  vengeance  qu'il  sait 
tirer  de  son  roi.  C'est  son  premier  coup  de  pisto* 
let  qui  fait  valoir  le  second  :  quel  sujet  il  lui  âte, 
et  quels  remords  il  lui  laisse!  Encore  une  fois,  le 
cas  entre  particuliers  est  tout  diflërent.  Cepen- 
dant, si  Thonneur  prescrit  la  vengeance,  il  la  prcs^ 
crit  courageuse  :  celui  qui  se  venge  en  lâche,  au 
lieu  d'effacer  son  infamie,  y  met  le  comble;  mais 
celui  qui  se  venge  et  meurt  est  bien  réhabilité.  iH 
donc  un  homme  indignement,  injustement  flétri 
par  un  autre  ^  va  le  chercher  on  pistolet  à  la  main 


AKK&£  1770.  989 

dans  lamptuthéâtre  ^e  lX)pëi«,  lui  cdtte  la  t6to. 
devant  tout  le  laande;  et  pois,  se  laissant  tnin- 
quillement  mener  devant  les  juges  ^  leur  dit  :  Je^ 
viens  de  faire  un  acte  de  justice  que  je  me  devais,, 
et  qui  n'appartenait  qu'à  moi;  faites-^moi  pendre, 
si  vous  l'osez;  il  se  pourra  bien  qu^ils  le  fiissent. 
pendre  en  effet,  parce  qu'enfin  quiconque  a  donné 
la  mort  la  mérite^  qu'il  a  dd  même  y  compter; 
mais  je  réponds  qu'il  ira  au  supplice  avec  l'estime 
de  tout  homme  équitable  et  sensé ,  comme  avec  la 
mienne;  et  si  cet  exemple  intimide  un  peu  les  tà- 
tenrs  dliommes,  et  fait  marcher  les  gens  dlioU' 
neuf,  qui  ne  ferraillent  pas,  la  tSte  un  peu  plus 
levéc^  je  dis  que  la  mort  de  cet  homme  de  courage 
ne  sera  pas  inutile  à  la  société.  La  conclusion  tant 
de  ce  détail  que  de  ce  que  j'ai  dit  à  ce  sujet  dans 
VEntile,  et  que  je  répétai  souvent,  quand  ce  livre 
l^irut,  à  ceux  qui  me  parlèrent  de  cet  article,  est 
qu^on  ne  déshonore  point  un  homme  qui  sait 
mourir.Je  ne  diraipoint  ici  si  j'ai  tort;cela  pourra 
se  discuter  à  loisir  dans  la  suite  :  mais,  tort  ou 
noQi  si  cette  doctrine  me  trompe,  vous  permet- 
lires  néanmoins ,  n'en  déplaise  à  votre  illustre  prA- 
i)eur  d'oracles^  que  je  ne  me  tienne  pas  pour  dés- 
honoré. 

Je  viens,  monsieur,  à  la  question  que  vous  me 
proposez  sur  votre  élève.  Mon  sentiment  est  qu'on 
ne  doit  forcer  nn  enfiint  à  manger  de  rien,  il  y  a 
des  répugnances  qui  ont  leur  cause  dans  la  cons^^ 
litntiou  particulière  de  l'individai  et  celles-là. 


^  C0RIIE5PCWD  A!rCE  y 

de  Testime  sur  mes  écrite;  roas  m'en  accorderiez 
encore  plus  sur  ma  rie  si  elle  vous  était  connue; 
et  darautage  encore  sur  mon  cœur,  sli  était  ou- 
vert &  vos  yeux  :  il  n'en  fiit  jamais  un  plus  tendre, 
un  meilleur,  un  plus  juste;  la  méchanceté  ni  la 
liaine  n  en  approchèrent  jamab.  J*ai  de  grands 
vices  sans  doute,  mais  qui  n'ont  jamais  fait  de 
mal  qu'à  moi;  et  tous  mes  malheurs  ne  me  vien- 
nent que  de  mes  vqrtus.  Je  n  ai  pu,  malgré  tous 
mes  effi)rts,  percer  le  mystère  afireûx  des  trames 
dont  je  suis  enlacé;  elles  sont  si  ténébreuses,  on 
me  les  cache  avec  tant  de  soin ,  que  je  n'en  aper- 
çois que  la  noirceur.  Mais  les  maximes  communes 
que  vous  m'alléguez  sur  la  calomnie  et  l'impos- 
ture ne  sauraient  convenu  à  celle-là;  et  lesfirivoles 
clameurs  de  la  calomnie  sont  bien  diflëren tes,  dans 
leurs  etkts,  des  complots  tramés  et  concertés  du- 
rant longues  années  dans  un  profotàl  silence,  et 
dont  les  développemens  successif,  dirigés  parla 
ruse,  opérés  par  la  puissance,  se  font  lentement, 
sourdement,  et  avec  méthode.  Ma  situation  est 
unique;  mon  cas  est  iuoui  depuis  que  le  mondf 
existe.  Selon  toutes  les  règles  de  la  prévoyance 
humaine ,  je  dois  succomber;  et  toutes  les  mesures 
sont  tellement  prises,  qu'il  n'y  a  qu'un  miracle  de 
la  Providence  qui  puisse  confondre  les  impos- 
teurs. Pourtant  une  certaine  confiance  soutient 
encore  mon  courage.  Jeune  femme,  écoutez-moi  : 
quoi  qu'il  arrive,  et  quelque  sort  qu'on  me  pré- 
pare,  quand  on  vous  aiua  Ait  rénumératîon  ds 


ÀjmÉs  1770.  agS 

mes  crimes,  quand  on  vous  en  aura  montré  les 
finappans  témoignages,  les  preuves  sans  réplique, 
la  démonstration,  révidence,  sourenez-vous  des 
trois  mots  par  lesquels  ont  fini  mes  adieux  :  n 
SUIS  iimocBirT.  Rousseau. 

Vous  approchez  dnn  terme  intéressant  pour 
mon  cœur  :  je  désire  à  en  savoir  llieureux  évéoe* 
ment  aussitdt  qu'il  sera  possible.  Pour  cela,  si 
TOUS  n'ayez  pas  ayant  ce  temps- ià  de  mes  nou- 
velles ,  préparez  d'avance  un  petit  billet,  que  vous 
ferez  mettre  à  la  poste  aussitôt  que  vous  serez  dé- 
livrée,  sous  une  enveloppe  à  Tadresse  suivante  t' 

A  madame Boj  de  La  Totir,  néeKoguin,  à  Lyon. 

904. ▲  M.  MoULTOU* 

Mondain, le  98  mais  i77.o* 

Jb  tardais,  cher  Mou  Itou,  pour  répondre  2 
votre  dernière  lettre,  de  pouvoir  vous  donner 
quelque  avis  certain  de  ma  marche;  mais  les  neiges 
qui  sont  revenues  m'assiéger  rendent  les  chemins 
de  cette  montagne  tellement  impraticables,  que 
}e  ne  sais  plus  quand  j  en  pourrai  partir.  Ce  sera  ^ 
dans  mon  projet,  pour  me  rendre  à  Lyon ,  d'où  je 
sais  bien  ce  que  je  veux  faire ,  mais  j'ignore  ce  que 
|e  ferai. 

Xavais  eu  le  projet  que  vous  me  suggérez  d*aller 
m'etablir  en  Savoie;  je  demandai  et  obtins,  du- 
rant mon  séjour  à  Bourgoin,  ua  passe-port  poor^ 


sgS  C01l1lESP0I!n)AKCE , 

<pill  ne  serait  pas  à  PépreuTe.  Entre  antres  rê 
marques  que  jai  faites  sur  cette  édidon,  fj  ai 
trouvé,  avec  autant  d indignation  que  de  sur 
prise,  trois  ou  quatre  lettres  de  M.  le  comte  de 
Tressan,  avec  les  réponses  qui  furent  écrites  il  j 
a  une  quinzaine  d  années  au  sujet  d'une  tracas- 
série  de  Palissot.  Je  n'ai  jamais  communiqué  ces 
lettres  qu'au  seul  Vemes,  auquel  javais  alors,  d 
bien  malheureusement,  la  même  confiance qae 
celle  que  j'ai  maintenant  en  vous  :  dcpîuis  lors  f 
ne  les  ai  montrées  à  qui  que  ce  soit ,  et  ne  me  rap- 
pelle pas  même  en  avoir  parlé;  voilà  pourtant  Rej 
qui  les  imprime  :  d'oii  les  a-t-il  eues?  ce  n'est  cfr 
tainement  pas  de  moi  ;  et  il  ne  m'a  pas  dit  un  mot 
de  ces  lettres,  en  me  parlant  de  cette  édition.  Je 
comprends  aisément  qu  il  n'a  pas  mieux  rempli  le 
devoir  d  obtenir  l'agrément  de  M.  de  Tressan^qni 
probablement  ne  laurait  pas  donné  non  plus qoe 
moi.  Du  cercueil  ob  Ton  me  tient  enfermé  tout  ri- 
vant ,  je  ne  puis  pas  écrire  à  M.  de  Tressan ,  dont  je 
ne  sais  pas  l'adresse ,  et  à  qui  ma  lettre  ne  parvien- 
drait certainement  pas.  Je  vous  prie  de  remplir  et 
devoir  pour  moi.  Dites-lui  que  ce  ne  serait  pas  en- 
vers lui,  que  j'honore,  que  j  aurais  enfineint  un  de- 
voir dont  j'ai  porté  l'observation  jusqu'à  un  scn- 
pulc  peut-être  inouï  envers  Voltaire,  que  j'ai  laisse 
ialsifier  et  défigurer  mes  lettres  et  taire  les  siennes, 
sans  que  j'aie  voulu  jusqu'ici  montrer  ni  les  uses 
ni  les  autres  k  personne.  Ce  n'est  sûrement  pas 
pour  me  faire  honneur  qne  cet  lettres  ont  été  m- 


primées  ;  c'est  nniquement  pour  m^atiirer  rini 
mitié  de  M.  de  Tressan. 

a^  JTai  ikit,  il  y  a  quelques  mois,  &  madame  la 
duchesse  douairière  de  Portland  un  envoi  do 
plantes  que  j'avais  été  herboriser  pour  elle  au 
mont  Pila,  et  quef  aval»  préparées  avec  beaucoup 
de  soin,  de  même  quun  assortiment  de  graines 
que  j  7  avais  joint.  Jen  ai  aucune  nouvelle  de  ma* 
dame  de  Portland  ni  de  cet  enVoi,  quoique  jaic 
écrit  et  à  elle- et  à  son  commissionnaire  :  mes  leU 
1res  sont  restées  sans  réponse;  et  je  comprends 
qu'elles  ont  été  suppimées ,  ain^i  que  l  envoi ,  par 
des  motifs  qui  ne  vous  seront  pas  difficiles  â  pé- 
nétrer. Les  manœuvres  qu'on  emploie  sont  très- 
assorties  à  l'objet  quon  se  propose.  Ayez,  cher 
Moultou,  la  complaisance  d'écrire  à  madame  de 
Portlandce que  j'ai &it,  et  combien  j'ai  de  regret 
qu^on  ne  me  laisse  pas  remplir  les  fonctions  du 
titre  qu  elle  m'avait  permis  de  prendre  auprès 
d'elle,  et  que  je  me  faisais  un  honneur  de  mérvfef. 
Vous  sentez  que  je  ne  peux  pas  entretenir  des  Cor< 
respondances  malgré  ceux  qui  les  interceptent. 
Ainsi  là-dessus,  comme  sur  foute  chose  où  la  né- 
cessité commande ,  je  me  soumets.  Je  vbudrai^ 
seulement  que  mes  anciens  correspondaàs  su^ 
sent  qu'il  n'y  a  pas  de  ma  &ute,  et  que  je  ne  les 
ai  pas  négligés.  La  même  chose  m'est  arrivée  avec 
M.  Gaan,  de  Montpellier,  à  qui  j'ai  fait  un  envoi 
sons  1  adresse  de  M.  de  Saint-Priest.  La  même 
chose  m'arriyeia  peut  ^tre  avec  vous«  Accuses-- 


3oQ  coiUL2sro:fi>A:(CB, 

sais  fidre  à  Motîcrs,  surtout  ({nanti  Inerdce, 
vous  ne  seriea  point  atteint  dé  cette  crucUe  ma- 
bdie.  Point  de  souper^,  peu  de  cabinet,  et  beau- 
coup de  marche  dan$  vos  relâches;  voilà  ce  ^*n 
me  reste  k  vous  recommander. 

Ce  que  vous  m'apprenez  qui  s^est  passé  derniè- 
rement dans  votre  ville  me  fôche  encore^  mais  se 
me  surprend  plus.  Comment!  votre  Conseil  soif 
verain  se  met  à  rendre  des  jugemens  crinnneb! 
Les  rois,  plus  sages  que  lui,  n'en  rendent  point 
Voilà  ces  pauvres  gens  prenant  à  grands  pas  k 
train  des  Athéniens ,  et  courant  chercher  la  meiDt 
destinée,  qu'ils  trouveront,  hélas!  assez  tôl  suis 
tant  courir.  Mais, 

iQiiOf  vuÈt  jmrâgrt  Japâcr  ikiiieiitttf. 

Je  ne  doute  point  que  les  nc^ti&  ne  missent  I 
leurs  prétentions  Tinsolence  de  gens  qui  se  sen 
tent  soufflés  et  qui  se  croient  soutenus;  mais  f 
doute  encore  moins  que,  si  ces  pauvres  citoyens 
ne  se  laissaient  aveugler  par  la  prospérité,  et  sé- 
duire par  un  vîl  intérât,  ib  qpuçsenfcété  les  pre- 
miers à  leur  offirir  le  partage,  dans  le  fond  très- 
juste  ,  très-raisonnablé,  et  très-avantageux  à  tons, 
que  les  autres  leur  demandaient.  Les  voilà  aussi 
durs  aristocrates  avec  les  habitans  que  les  magis- 
trats furent  jadis  avec  eux.  De  ces  deux  aristooa- 
ties  j'aimerais  encore  miieux  la  première. 

Je  suis  setisible  à  la  bonté  que  vous  avez  d« 
vouloir  bien  écrire  à  madame  de  Portlaïul  et  à 


AjmxiE  1770.  2oi 

M.  de  Tressan  :  féquité,  Taniitiéy  dicteront  vos 
lettres;  je  ne  suis  pas  en  peine  de  ce  que  vous 
direz.  Ce  que  tous  me  dites  de  rantérieure  im-' 
pression  des  lettres  du  dernier  disculpe  al)solu« 
ment  Key  sur  cet  article,  mab  ninfirme  point , 
au  reste ,  les  fortes  raisop^  que  j'ai  de  le  tenir  tout 
au  moins  pour  suspect  -,  ejt,  je  connais  trop  bien  les 
gens  à  qui  j'ai  affaire,  pour  pouvoir  croire  que, 
songeant  à  tant  de  monde  et  à  tant  de  choses,  ils 
aient  oublié  cet  honune-lâ.  Ce  que  tous  a  dit 
M.  Garcin  du  bruit  qu'il  Êiit  de  son  amitié  pour 
moi  n'est  pas  propre  à  m'y  donner  plus  de  con- 
fiance. Cette  affectation  est  singulièrement  dans  le 
Elan  de  ceux  qui  disposent  de  moi,  Coindet  y  bril- 
lit  par  excellence,  et  jamais  il  ne  parlait  de  moi 
sans  verser  des  larmes  de  tendresse.  Ceux  qui 
m'aiment  véritablement  se  gardent  bien,  dans  les 
circonstances  présentes,  de  se  mettre  en  avant 
avec  tant  d emphase;  ils  gémissent  tout  bas  au 
contraire,  observent,  et  se  taisent  jusqu^à  ce  que 
le  temps  soit  venu  de  parier. 

Voilà,  cher  Moultou,  ce  que  je  vous  prie  et 
vous  conseille  de  faire.  Vous  compromettre  ne  se* 
cait  pas  me  servir.  Il  y  a  quinze  ans  qu'on  travaille 
sous  terre;  les  mains  qui  se  prêtent  à  cette  œuvre 
de  téaèbres  la  rendent  trop  redoutable  pour  qu'il 
soit  permis  k  nul  honnête  homme  d!en  approcher 
pour  Fexaminer.  U  faut ,  pour  monter  sur  la  mine^ 
attendre  quelle  ait  iàit  son  explosion  ;  et  ce  n'est 
plus  ma  personne  qu'il  faut  songer  à  défendre, 

5.  :^6 


3o4  COftRESPOND  Aires, 

de  TOUS  en  marquer  sa  (rès-hnmble  reconnais- 
sance. Je  vous  prie  anssi,  monsieur,  de  youloir 
témoigner  la  mienne  à  madame  de  Saînl-Ger- 
main,  en  lui  fiiisant  agréer  mon  respect.  Y  ans 
connaissez,  monsieur,  toute  ma  confiance  en  to- 
tre  bienveillance,  et  je  me  flatte  que  vous  con- 
naissek  aussi  combien  j  j  suis  sensible  et  disposé 
ft  m'en  prévaloir  en  toute  occasion ,  sans  crainte 
de  vous  déplaire.  Des  inconvéniens,  que  j'aurais 
dû  prévoir,  retardent  ma  marche ,  sans  rien  chan- 
ger à  mes  résolutions.  Je  prends  la  liberté  de  me 
recommander  i  votre  souvenir,  et  de  vous  assu- 
rer que  rien  n'affaiblira  jamais  les  sentimens  im- 
mortels que  vous  mWez  inspirés. 

908.  -^  ▲  M.  DE  Gesàkoe^ 

MoiMinim,  fin  dWH  I7J<»» 

Je  vous  avoue ,  monsieur,  que,  vous  connais- 
sant pour  un  gentilhomme  plein  dhonnenr  et  de 
probité,  je  n apprends  pas  sans  sui;prise  la  tran- 
quillité avec  laquelle  vous  avez  souffert  en  mon 
absence  les  outrages  atroces  que  ma  femme  a  reçus 
du  bandit  en  cotillon  auquel  madame  de  Cesarges 
a  jugé  k  propos  de  nous  livrer,  après  nous  avoir 
été  les  gens  qu'elle  nous  avait  tant  vantés  elle- 
même,  et  avec  qui  nous  vivions  en  pûx. 

Je  sais  bien ,  monsieur,  qu'on  vous  taxe  d avoir 
peu  d'autorité  chez  vous,  et  que  le  capitaine  Ver- 
lier  vous  a  subjugué,  dit-on,  comme  les  autres; 


AWWÊE  1770.  3oD 

fmais  je  ne  tous  aurais  jamais  cru  dénué  de  crédit 
dans  votre  propre  maison,  au  point  de  n  y  pou- 
voir procurer  la  sûreté  aux  hôtes  que  vous  y  avez 
placés  vous  même.  Puisqu'en  cela  toutefois  je  me 
suis  trompé,  puisque  vous  ne  pouvez  vous  déli- 
vrer des  mains  des  susdits  bandits  en  cotillon,  et 
puisque  madame  de  Cesarges  elle-même  ne  voit 
a  autre  remède  aux  mauvais  traitemens  que  je 
puis  recevoir  des  gens  qui  dépendent  d'elle  que 
d'en  être  désolée,  ne  trouvez  pas  mauvais,  jus- 
qu'à ce  que  je  puisse  me  procurer  une  autre  de- 
meure, que,  i^uit  à  moi  seul  pour  toute  res- 
source, je  tâche  de  me  faire  la  justice  que  je  ne 
puis  obtenir,  etf  pourvoyant  de  mon  mieux  à  ma 
propre  défense  et  à  k  protection  que  je  dois  à  ma 
femme.  Que  s'il  en  arrive  du  scandale  dans  votre 
maison ,  je  vous  prends  vous-même  à  témoin  qu'il 
n  y  aura  pas  de  ma  faute,  puisque,  ne  pouvant, 
sans  manquer  k  moi-même  et  à  ma  femme,  éviter 
d'en  venir  là,  je  ne  Fai  fait  (^)  cependant  qu'à 
la  dernière  extrémité,  et  après  vous  en  avoir  pré- 
venu. 

909.-— •  A  M.  DJB  SAnrr-GERMAlN. 

Quoique  je  me  sois  résigné ,  monsieur,  à  la  pri  • 
vation  que  vous  m'avez  imposée  pour  épargner  A 
votre  bon  cœur  l'émotion  d'un  dernier  adieu,  je 

,  _    • 

(^)  Je  ne  Vai  fait  Tate  eonfonne  J  ecJui  de  l'édition  ori^ 
fHial»  (reciisH  dt  do  Ptjroft»  1 790'X 


3o(5  COUlESFOirDAirCC, 

sens  ponrtaBt  que  si  vous  fussiez  resté  «joelqaei 
jours  de  plus,  je  n'aurais  pu  résister  au  désir  de 
vous  revoir  encore  une  fois,  et  de  vous  commu- 
niquer beaucoup  de  nouvelles  idées  qui  m  etaieut 
venues  à  force  de  rêver  au  triste  sujet  dont  vous 
m'avez  permis  de  vous  parler,  et  qui  toutes  con* 
firment  mes  conjectures  sur  les  causes  de  mes  mal- 
heurs. Puisque  la  consolation  de  vous  revoir  ne 
m'est  pas  donnée,  je  ne  vous  ennuierai  pas  de 
nouveau  de  mes  longues  écritures,  et  je  me  flatte 
que  ce  qui  vous  en  est  déjà  connu  suffira  pour 
mettre  un  jour,  avec  votre  généreuse  assbtance, 
les  amb  de  la  justice  sur  la  Vijie  de  la  vérité. 

Mon  libraire  de  Hollande  vient  de  Étire  ane 
édition  générale  de  tous  mes  écrits  imprimés,dont 
il  m'a  envoyé  deux  exemplaires,  qui  malheureu- 
fiement  sont  encore  en  feuilles  :  j'ai  pris  la  liberté 
de  Élire  porter  le  paquet  diez  vous.  L'un  de  ces 
exemplaires  vous  est  destiné ,  et  je  me  flatte,  mon- 
sieur, que  vous  ne  dédaignerez  pas  cet  homnu^e 
de  mon  attachement  et  de  ma  reconnaissance. 
L'autre  est  pour  moi ,  et  mon  intention  est  de  ne 
vous  offrir  le  vôtre  qu'après  les  avoir  £ût  relier 
tous  les  deux.  Comme  les  embarras  oii  ie  me  trouve 
ne  me  permettent  pàs«  quant  à  présent,  de  m'oc- 
cuper  de  ce  soin,  je  vous  prie,  en  attendant  que 
je  le  remplisse,  de  vouloir  bien  permettre  que  le 
paquet  reste  chez  vous  en  dépét.  &i  les  événemens 
m'empêchent,  dans  la  suite,  d'exécuter  là-dessus 
mes  intentions,  je  vous  prie  dy  suppléer  en  dis- 


Àniftfs  1770,  3o7 

posant  des  deux  exemplaires,  de  Êiçon  que  h 
mien  serre  à  payer  la  reliure  du  vôtre  (*), 

J'ai  eu  la  curiosité  de  chercher  dans  les  feuilles 
de  ce  paquet  un  barbouillage  dont  M.  Fréron  a 
«té  le  premier  éditeur,  et  qui  m'a  été  volé  panni 
mes  papiers,  je  ne  sais  comment,  ni  par  qui,  et 
d^où.  Sur  cette  édition  furtive,  Rey  a  jugé  à  pro- 
pos d'augmenter  la  sienne*  C'est  un  discours  sur 
un  sujet  proposé  par  M.  de  Cursay  ,.dans  le  temps 
qu*il  pacifiait  la  Corse,  et  quil  y  &dsait  refleurir 
les  lettres.  Le  dépositaire  de  mes  papiers,  qui  ne 
mWait  rien  dit  de  ce  larcin  v  voyant  que  j  en  étais 
instruit,  m'apprit  que  ce  discours  avait  été  mu- 
tilé à  Timpression ,  et  qu  on  en  avait  retranché  un 
article  tout  entier,  supposant  que  c^était  une 
omission  dHoadvertance  par  la  hâte  où  le  voleur 
avait  transcrit  le  discours  ;  mais  il  ne  voulut  poinf 
me  dire  quel  était  cet  article  oublié  ou  retranché. 
J'ai  donc  vérifié  la  chose  dans  rédition  de  Rey,  et 
j'ai  trouvé  que  cet  article  omis  était  un  très-bel 
éloge  du  peuple  de  Corse ,  et  uii  éloge  encore  plus 
beau  des  troupes  françaises  et  de  leur  général.  Il 
ncb  m'en  a  pas  £illu  davantage  pour  comprendre 
tout  le  reste.  Si  jamais  vous  prenez  la  peine  de 
parcourir  ce  recueil,  vous  connaîtrez  à  plus  d'une 
enseigne  en  quelles  mains  Tauteur  e^t  tombé. 

■  I  ■■  ■  ■    I    I  I  ■         ■  I  -      m 

(*1)  L0  IflcteiTT  doit  liîeii  crotra  qM  M.  de  Salnt-Geiinaîv  « 
4«i»  êê  rrfpome,  en  •l'erptent  im  exempUîre,  n'a  pu  idhentft 
«M  telle  fiopoMtJon. 


3<>8  CORJISSPOVDAHCE, 

En  ce  moment,  monteur,  il  me  revient  sur  les 
matières  dont  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  entretenir 
un  petit  fiiit  bien  minutieux  en  apparence,  mais 
que  je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  dire  à  caofe 
de  ses  conséquences  et  de  la  facilité  que  vous  avez 
de  le  vérifier.  Depuis  notre  dernière  entrevue,  je 
parlai  par  hasard  une  fois  de  VEmile  avec  un  offi- 
cier de  votre  connaissance.  D  meditque^  causant 
un  jour  avec  M.  Diderot,  lorsqu'on  parlait  de  ce 
livre  long-temps  avant  sa  publication ,  M.  Diderot 
lui  avaii  dit  qu'il  le  connaissait,  que  je  le  !ui  avais 
montré,  que  c'était  un  projet  pour  élever  chaque 
homme  pour  Tétat  dans  lequel  il  devait  vivre. 
Par  exemple,  ajoutait-il,  s'il  devaii  vivre  dan» 
une  monarchie,  on  lui  apprendra  de  bonne  heure 

à  être  un  fripon  ^  etc Pourquoi  M.  Diderot 

mentait'il  avec  tant  d'impudence?  Je  ne  lui  avais 
certainement  pas  montré  ce  livre ,  puisqu*il  n*é- 
tait  pas  encore  commencé  quand  je  rompis  avec 
hii,  et  que  le  plan  qu'il  me  prétait  est  exactement 
contraire  au  mien,  comme  il  est  aisé  de  le  voir 
dans  l'ouvrage. 

Je  suis,  monsieur,  dans  un  cas  embarrassant 
vis-à-vis  de  M.  de  Tonnerre.  Je  voudrais,  et  de 
tout  mon  cœur,  lui  témoigner  combien  je  suispé* 
nétré  des  bontés  dont  il  m'a  comblé  durant  mon 
séjour  dans  cette  province,  mais  c'est  ce  quie  je 
ne  saurais  faire  sans  laisser  parler  en  même  temps 
mon  indignation  de  Tastuce  avec  laquelle  on  la 
(ait  agir^  sans  qu  il  s'en  aperçût  lui-même ,  daot 


AVNÂB  1770,  Sbg 

la  lidicitle  aflaire  du  gdlérien  Therenm,  dîgiic 
iDStniment  des  gens  qui  Tout  employé.  Je  connae 
et  pionore  la  droiture  de  M.  de  Tonnerre  ;  )  ai  au- 
tant de  respect  pour sa-personne  que  pourson  illus 
tre  naiss:)Dce  :  je  te  plains  d  élrequelquefbis^surpris 
par  des  fourbes;  mais  quand  cette  surprise  tombe 
sur  moi ,  je  me  manquerais  à  moi-même  en  la  pas- 
sant sous  silence,  et  je  trouve  trop  difficile,  en  lut 
écrivant  y  de  me  &ire  entendre  sans  roÛenser,  ce 
qu'assurément  je  serais  au  désespoir  de  £ifre.  S'il 
n'y  avait  pas  trop  d'indiscrétion,  monsieur, à  vous 
supplier  de  vouloir  être  auprès  de  lui  Torgane  de 
mes  sentimens,  vous  les  feriez  si  bien  valoir,  et 
vous  me  tireriez  d'un  si  grand  embarras,  que  ce 
serait  une  œuvre  digne  de  votre  bienfaisance.:  Je 
ne  compte  partir  que  dans  quelques  joiu^;  ainsi 
je  puis  recevoir  encore  ici  de  vos  nouvelles,-  si 
vous  voulez  bien  m'en  donner.  Je  ne  désire  qu^un 
mot.  Adieu,  monsieur;  je  ne  vous  parlerai  phis 
de  mes  sentimens  pour  vous;  vous  les  voyez  dans 
ma  confiance  qui  en  est  le  finit;  mais  je  finirai 
ce  dernier  adieu  par  un  mot  que  je  vous  prie  de 
graver  dans  votre  âme  vertueuse  :  Je  suis  in- 
nocent. 

910.  —  A  M.  DE  La  Tov&ette. 

Lyoo ,  le  a  juin  1 770. 

Japprehds,  monsieur,  qu  on  a  formé  le  projet 
d'élever  une  statue  à  M.  de  Voltaire ,  et  qu'on  per- 
i&et  à  tous  ceux  qui  sont  connus  par  quelque  on- 


3 1  s  COBJUBSFOKDARCE  , 

oies  existeni  oa  non  :  sus  n'ezistelit  pas,  ftrâi 
avec  le  plus  vif  empressement  oontenter  le  besoio 
de  Vpus  Yoir,  que  me  doDaa  la  premike  lettre 
qae  vous  me  fites  Hioaneur  de  m*écrire  y  et  qu'ont 
augmenté  toutes  les  autres.  Un  rendez-vous  a« 
spectacle  ne  saurait  01e  convenir,  parce  que^  bien 
éloigné  de  vouloir  me  cacher,  je  ne  veui  pas  doo 
plus  me  donner  en  spectacle  moi-même^  mais 
s'il  arrivait  que  le  hasard  nous  y  conduisit  eo 
'même  jour,  et  que  je  le  susse,  ne  doutez  pascpc 
je  ne  profitasse  avec  transport  du  plaisir  de  yoib 
y  voir,  et  même  que  je  ne  me  présentasse  à  votre 
Loge ,  si  j'étais  sûr  que  cela  ne  vous  déplût  pas.  J^ 
suis  affligé  d^appreadre  votre  prochain  départ 
EstrCf  pour  augmenter  mon  regret  <|ue  vous  oc 
proposez  de  vous  suivre  en  Nivernais?  Bonjour^ 
madame  :  donnez-moi  de  vos  nouvelles  et  vos  or- 
dres durant  le  sé]our  qui  vous  zeste  à  faire  à  Pa- 
ris; donnez-moi  votre  adresse  en  province,  ci 
souvenez-vous  de  moi  quelquefois. 

Pas  un  mot  du  prétendu  opéra  qu'on  dit  que  je 
vais  donner.  «Tespère  que  de  sa  vie  J.J.  Rousseau 
n'aura  plus  rien  à  démêler  avec  le  puUic.  Quaud 
^elque  bruit  court  de  moi ,  croyez  toujours  exac- 
tement le  cfmtraire^  vous  tous  tromperez  raiv- 
ment. 


^  AJTintfi  1770.  3i& 

F)m,  le  t3  {allkt  1770^ 

Jb  ne  puis ,  madame ,  vous  aller  voir  que  la  siv 
maine  pTOchaioe,  puisque  nous  sommes  à  ia  fin 
de  celle-ci  :  je  tâcherai  que  ce  soit  mardi,  osais  je 
De  m'y  engage  pas,  encore  moins  pour  le  diner;  i} 
fiiut  que  tout  cela  se  prenne  impromptu  :  car  tous 
les  engagemens  pris  aayance  m'ôtent  tout  le  ptai* 
sir  de  les  remplir.  Je  déjeûne  toujours  en  me  le« 
vant;  mais  cela  ne  ip'empéchera  pas,  si  vous  pre- 
nez du  cafê  ou  du  chocolat,  d'en  prendre  encore 
avec  vous.  Ne  m'envoyez  point  de  voiture,  j'aime 
mieux  aller  à  pied  ;,  et ,  si  je  ne  suis  pas  chez  Vous 
1  dix  heures^  ne  m'attendez  plus. 

Je  vous  sais  gré  de  me  reprocher  mon  air  gau«^ 
che  et  embarrassé;  mais  si  vous  voulez  que  je 
m  en  dé&sse,  il  faut  que  ce  soit  votre  ouvrage. 
Avec  une  âme  assez  peu  craintive,  un  naturel 
d'une  insupportable  timidité,  surtout  auprès  des 
femmes,  me  rend  toujours  d^autant.plus  maast 
sade  que  je  voudrais  me  rendre  plus  agréable  :  do 
plus,  je  n  ai  jamais  su  parler,  surtout  quand  j'au- 
rais voulu  bien  dire  ;  et  si  vous  avez  lajpréférence 
de  tous  mes  embarras,  vous  n'avez  pas  trop  à  vous 
en  plaindre.  Bonjour,  madame  :  voilà  votre  la^ 
quais  ;  à  mardi ,  s  il  fait  beau ,  mais  sans  promesse* 
Je  sens  qu'ayant  à  vous  perdre  si  vite^  il  &0  fyoX 
pas  me  filtre  un  besoin  de  vous  voir. 


Ît4  GOKE^ÎPOltDAAfil^ 

Mif  Tôioi  i  Paris  y  monsiénr.  Depuis  trob  se- 
mâmes ,  j'y  ai  repris  tnoU  ancientte  habitatidn ,  fj 
rcTois^mes  anciennes  connai^ncéSy  f  j  Mis  mon 
ancienne  manière  de  ^ivre ,  j^  exerce  mon  aneicn 
métier  de  copiste,  et  jnsqu'i  présent  je  in  y  re- 
trouve à  peu  près  dans  la  même  situation  ou  fê- 
tais avant  de  partir.  Si  on  m'y  laisse  tranquille^ 
jy  resterai  ;  si  Ton  m'y  tracasse,  je  Tendurerai  :  ma 
volonté  n'est  soumise  (^'à  la  1^  du  devoir,  mais 
ma  personne  Test  an  joug  de  la  nécessité,  que  j^ 
appf  is  â  porter  sans  murmure.  Les  hommes  peu- 
vent sur  ce  point  se  satisfaire,  je  les  mets  bien  à 
la  pœ^ée  de  s'en  donner  le  plaisir.  Je  n'ai  pu, 
monsieur,  vous  écrire  à  mon  arrivée,  quelque 
désir  que  j'en  eusse,  A  cause  de  laffluénce  des  oi- 
sifs et  des  embarras  du  débarcrnement.  J'ai  eu  plu- 
sieurs fois  ce  plaisir  à  Lyon ,  d'où  l'on  me  mande 
qu  il  m'est.venu  plusieurs  lettres  depuis  mou  dé- 
part. J-espère  trouver  dans  quelqu'une  de  ces  let- 
tres des  manji|es  de  votre  souvenir,  et  de  bonnes 
nouvelle^'  dç  votre  santé  et  de  celle  dé  madame 
de  Saint-^rmain. 

J^i  eu  le  pbisir  de  parler-ici  de  vous  avec  des 
personne^  de  votre  connaissance  et  cjui^  partagent 
les  senttnu^s  que  vous  m'sivez  inspirés.  Je  mcîls  â 
leur  tète  M.  rarchcvêque»...-  avec  -  lequel  j*aî  eu 


▲mois  177^*  3k^3 

lli^HMIPr  4le  4'im'  il  y  a  deux  ycmn.  ISpos  part 
lames  aussi,  mais  di^emment,  d*iui«  yers^pq 
doDt  TOiis  savez  les  procédés  à  mon  égard  et  qu'il 
connaît  Vmu  Ywsnvez  fiât  là  oosquètexie  trois 
voyageurs  très-aimables  qui  vous  demandèrent  de 
mes  nouvelles  i  Bourgoin  et  qui  m  ont  ici  beau- 
MQp  demandé  des.  v&ira^  Je  «u>  proposé  aittsl- 
tte  qu'on  niie  Uu»MMiMi^iw  ^^9f  rappefeit  k 
IL  D....  une  oonnaMance.&il^spii^  vos  aii^pjk^it 
et  lui  demander  de  vos  nouvettes^  en.  attendaiH  h 
plaisir  d'en  recevoir  directement  Donneisrmen^ 
mmiÂeur,  aussi  promplement  qu'il  se, pourra,  je 
ks  recevrai  avec  la  joie  que  me  donnent  toojoms 
tons  les  témoignages  de  vos  bontés  pour  moi.  Je 
TOUS  supplie  de  &îre  agréer  mon  respect  à  ma- 
dame de  Saiat*Germain  ;  ma  femme  vous  prie 
d'agréer  les  sienSt 

9t5.  -^  A  ViJDAIIE  LaTOIA. 

Pttif,  17  70. 

Jb  n  accepte  point ,  madaçue^  Tbonneur.  quir 
^oos  voulez  me  fiiire.  Je  «e  sois  pas  Iqgé  de  ma-^ 
niera  i  pouvoir  recevoir  des  visites  èe  dam<)s^  et 
les  vôtres  ne  pounaieni  m(tiM{uer  d'être  aussi,  gê- 
nantes poilr  mafemineetpaucmf^iyqu'eanqjriQu;^ 
pour  vous» 

Llncottvénient  que  vous  tionvei  voui-méme  Ik 
eecevoir  les  nûennes  suffirait  poor  m'eng^gcr  à 
oi'ea  abstenir  y  et  tout  antre  détail  nsmt  superflu^ 


3l6  CORMSPOirPAlICE, 

Agréez,  madame,  je  vous  supplie,  mes  satttUtîcms 
el  noii  respect. 

« 

gi6.  — •  A  M.  Ds  SAiine«GBJiiuni. 

« 

•   Pariii  17    70- 

Jai  bien  reçu ,  monsieur,  et  votre  denûèro  let* 
tfe  du  5  septembre  et  la  précédente  réponse  dont 
vous  m'avez  bonoré,  de  même  depuis  quelque 
temps  celle  que  vous  aviez  eu  la  bovité  de  m'écnre 
à  Lyon  au  sujet  du  fermier  de  Monquia ,  et  où  j'ai 
vu  avec  bâen  de  la  reconnaissance  les  soins  qae 
vous  avez  bien  voulu  prendre  pour  confondre  ce 
misérable  :  je  suis  pénétré,  monsieur,  je  vous  as- 
sure ,  de  retrouver  toujours  en  vous  les  mâmes 
bonti§s  ;  et  1  assurance  qu'elles  sont  à  l'épreuve  du 
temps  et  de  lëloignement,  et  de  l'astuce  des  bom* 
mes ,  me  rendra  toujours  cher  le  séjour  de  Bout- 
goin  qui  m'a  valu  un  bonheur  dont  je  ^ns  Uen  le 
prix ,  et  que  je  cultiverai  autant  qu'il  dépendra  de 
moi.  Il  est  vrai,  monsieur,  que  je  tâcbc  insensi- 
blement  de  reprendre  la  vie  retirée  et  solitaire  qui 
convient  &  mon  bumeur.  Mais  je  n'ai  pas  été  jus- 
qulci  assez  heureux  pour  pouvoir  souvent  satis- 
&ire  au  jardin  du  roi  Tardeur  qui  ne  s*est  jamais 
attiédie  en  moi  d  en  connaître  les  richesses  :  je 
n  ai  pu  encore  y  aller  que  deux  fois,  tant  k  cause 
du  grand  éloignement,  que  de  mes  occupations 
qui  me  retiennent  chez  moi  les  matinées,  à  qucj 
se  joint  depuis  quelque  temps  une  fluxion  asfez 


âouloureoM  qui  m'empêche  absolument  desortirf 
ma  femme  en  a  eu  dans  le  même  temps  une  toute 
semblable,  et  nous  nous  sommes  gaj^és  mutuel* 
lement.  EUe  est  mieux  à  présent,  et  nous  réunis* 
sons  nos  actions  de  grâces  pour  Tobligcant  sou- 
venir de  madame  de  Saint-Germain ,  à  qui  nous 
vous  supplions  l'un  et  l'autre  de  âiire  a^éer  noi 
respects. 

Vous  connaissez ,  monsieur,  les  sentimens que 
nous  vous  avonsTouésyils  sont  inaltérables  comme 
vos  vertus ,  et  je  vondrab  bien  que  vous  me  prou* 
vasâe2  combien  vous  y  comptez,  en  me  donnant 
ici  quelque  commission  par  laquelle  je  pusse  vous 
piDuver  à  mon  tour  mon  zèle  à  vous  obéir  et  vous 
complaire. 

* 

917. ▲  MADAME  DE  CrÉQIJI. 

Ce  dimanche  malin  (fepMmbre  1 770)  (*). 

Vous  m'affligez,  madame,  en  désirant  de  moi 
ttne  chose  qui  m'est  devenue  impossible.  Elle  peut 
un  jour  cesser  de  I  être.  Tous  les  obscurs  complots 
des  hommes,  leurs  longs  succès,  leurs  ténébreux 
triomphes,  ne  me  feront  jamab  désespérer  de  la 
Providence:  et*  si  son  œuvre  se  fait  de  mon  vi^ 

{*)  J,  J.  R<Nu«eau  parlaoi  dans  «Ue  lettre  de  complola»  ap* 
^lant  Thérèse  sa  femme ,  nom  qu'il  ne  lui  donne  qu'en  1 768  ;: 
enfin  n'étant  de  reiour  à  Paria  qu'en  1770,  celte  lectce  dolil 
Son  de  «  tcm|M ,  et  non  de  1^66^  date  qu'on  lui  a  donné  jue* 
fiik pvéwnt,  0|iPiiMfD*i1  p««i« celle n^ m  Apgl^lffvet 

*7- 


tint  I  je  n'onUiarai  pas  votrs  demande  y  ni  le  plai- 
sir cpe  j^anraî  d'y  aocpiiescer.  Jusque-là,  pomet» 
lez,  madame,  2^e  jeveus  conjure  de  ne  m'en  plm 
reparler* 

Ma  fismme  est  comblée  de  llionnear  que  roua 
lat  faites  de  penser  â  elle,  et  de  votre  oÛigeante 
inritation.  Si  elle  éîM  un  peuplas  allante,  elle 
en  profiterait  bien  vite,  moins  pourvoir  le  jaidÎB 
que  pour  6ire  sa  lévérence  à  la  maîtresse;  mais 
die  est  d'une  paresse  incroyaUe  à  sortir  de  sa 
chambre,  et  j^ai  toutes  les  peines  du  monde  à  ob- 
tenir, cinq  ou  six  fois  Tannée,  qu'elle  veuille  Imcq 
venir  promener  avec  moi;  au  reste,  elle  partage 
tous  mes  sentiraens,  madame,  et  surtout  œax 
de  respect  et  d'attachement  dont  mon  cœur  est 
et  sera  pénétré  pour  vous  jusqu'à  mou  dernier 
soupir. 

Je  me  proposais  de  vous  porter  ma  réponse 
moi-même,  mais  des  contrariétés  me  font  prendra 
le  parti  d*envoyer  toujours  ce  mot  devant. 

918. A  LA  mAmIB. 

Par»,  1770  (•>. 

Je  reçois  votre  lettre,  madame,  en  arrivant 

... ,  ^i»^— —  Il       >■  1 1     11   I  ■ 

(*)  Les  préoédens  èditeun  ont  daté  cette  lettra  dn  Temple,  fe 
S  {uvier  1766.  Or  il  fartait  ee  jour  mèiii*  pour  rABgîetciTO 
areo  Darid  Hume.  Une  autre  dreoaitaiice  déâoiHre  rcrre«r4e 
ta  date.  Il  park  de  l'inâaliilirit^  de  son  bdntatioa ,  taodift  ^H 
étail  log^  par  le  prinoe  de  Gonti  li  l*bd«sl  Saial-SimOB, 
f  enolba  <fai  Teni|rie|  et  meabléi 


AiçKtc  i77«H  3ia 

â'tiQe  coiir€€^i^  >^  r^nd$  i  la  bftte^ en  vepr*^ 
tanl  pour  une  a.uti?9.  L'air  mal$«àn  pour  moi  da 
mou  hahitatioB ,  et.  rhqporiauîjDé  des  désœuvi^ 
dis  tous  lefi  coins  du  monde,  me  forcent  à  chercher 
le  soiijifigeiae^l  et  la  solitude  dans  des  pélsiinage» 
doiitîiraeis^ 

Ce  vendredi  nmùti  (  Vuti» ,  f  7  7<>  ). 

Vous  ne  m7imposez  pas,  madame ^  une  lâche 
aisée  eu  m'oidonnant  de  vous  montrer  Eiçilç  dans 
eette  Ue  où  Ton  est  vertueux  sans,  témoins^  et  cou* 
rageux  sans  ostentation»  Tout  ce  qae  j'ai  pu  sa- 
voir^ cette  tteétrajDgère^estqu^ayant  4y  aborder 
on  ny  voit  jamais  personne;  cju'en y  arrivant  on 
est  encore  fort  sujet  à  s'y  trouver  seul;  mais^qua- 
lors  on  se  console  aussi  sans  peine  du  petit  mal-^ 
heur  de  n'y  être  vu  de  qui  que  ce  soit.  En  vérité , 
madame ,  je  crois  que  ^  pour  voir  les  habitantes  de 
cette  fie  y  il  £iut  les  cherchm^  soi-même,  et  ne  s  en 
rapporter  jamais  qu'à  soi.  Je  vous  ai  moi^tré  n^on 
Bmile  en  chemin  pour  y  arriver;  le  reste  de  1» 
route  vous  sera  bien  moins  difficile  4  faire  seule  ^ 
qu'à  moi  de  vous  y  guider. 

Je  vous  remercie,  madame,  de  la  chanson  çie 
vcMtf  aves  eu  la  boulé  de  m'envoyer,  et  je  vous 
daoïaiide  pardon  de  ne  l'avoir  pas  trouvée,  à  ma 
inropue  lecture,  aussi  jolie  que  quand,  vous  nous 
la  lisiez  :  la  versification  m'en  paraît  contrainte; 
je  n'y  trouve  ni  douœiii  ni  chaleur;  le  pésttkième 


3ao  CouESPOimAÎiCEi 

couplet  est  le  seul  où  je  trouve  au  naturel  et  du 
sentiment;  dans  le  premier  couplet^  le  premier 
vers  est  gâté  par  le  second  ;  les  deux  premiers  yen 
du  quatrième  couplet  sont  tout-à-&it  louches;  il 
&Ilait  dire  :  Si  Von  ne  parle  d*elle  à  tout  moment, 
on  parle  une  langue  qui  m'est  étrangère,  S^  isA 
être  clair  quand  on  parle^  il  faut  être  luminein 
quand  on  chante.  La  lenteur  du  chant  eflhalej 
liaisons  du  sen^^  à  moins  quelles  ne  soient  tiis- 
marquées.  Je  ne  renonce  jpourtant  pas^à  fairefair 
que  vous  désirez;  mais,  madame,  je  voudrais (px 
vous  eussiez  la  bonté  de  faire  faire  quelques  cor- 
rections aux  paroles ,  car  pour  moi  cela  m'est  im- 
possible; et  même,  si  vous  ne  trouvez  pas  mes 
observations  justes,  je  les  abandonne,  et  feiû 
l'air  sur  la  chanson  telle  qu^eQe  est.  Ordonoei, 
fobéirai. 

920.  —  A  M.  DtJSAUCX. 

PHw(Poif  Unckvtliur),  17  1^ 

ToirTBs  vos  bontés  pour  moi,  monsiciir,w 
trouveront  toujours  sensible  et  reconnaissant, 
parce  que  je  suis  sûr  de  leur  principe.  QueJqœ 
tentant  que  fût  pour  moi  â  bien  des  égards  Tap 
parlement  auquel  vous  avez  bien  voulu  songer, 
je  ne  pévois  ^s  qu'il  puisse  me  convenir,  par» 
quil  me  ûut  chaàâbre  garnie,  et  même  d'un  prix 
modique,  et  que  personne  ne  prendra  le  boo 
marché  dans  sa  poche  dans  toute  affaire  qui  ne 
régardera ,  et  dont  voudra  bien  se  mêler  IML  I>^ 


▲moEs  1770.  3ai 

flanlx  :  d'àffleors  je  sais  en  quelque  sorte  anang^ 
ici  pour  cette  saison.  J'irais  arec  empressement 
manger  votre  soupe  et  ce  que  vous  i^pelez  votre 
rogaton,  si  je  n*allais  diner  chez  madame  de  Che- 
Donceaùx,  qui  est  malade  et  cpd  ma  errhé  de* 
pais  deux  jours  (**)•  Le  mauvais  temps  m'empé* 
cha  hier  de  sortir  el  d'aller  rendre  mes  devoirs  à 
madame  Duaaulz,  comme  je  l'avais  résolu.  Mille' 
trèa-humhles  salutations. 

gai«  —A  M.  DuTBirs. 

Fariti  la  8  BOTembté  f  77a 
Poft  îaiArta  lux, 

Sx  suis  aossi  touché,  monsieur,  de  vos  soins 
obligeans  que  surpris  du  singulier  procédé  de 
M.  le  colonel  Roguin.  Comme  il  m  avait  mis  plu- 
sieurs fois  sur  le  chapitre  de  la  pension  dont 
mlionora  le  roi  d'Angleterre,  je  lui  racontai  his- 
toriquement les  raisons  qui  m'avaient  fait  renon** 
cer  à  cette  pension.  Il  me  parut  disposé  à  agir 
pour  &ire  cesser  ces  raisons,  je  m*y  opposai  ;  il  . 
insista,  je  le  refusai  plus  fortement,  elj  je  lui  dé- 
clarai que,  sll  Élisait  là-dessus  la  moindre  démar- 
che, soit  en  mon  nom,  soit  au  sien,  il  pouvait 
être  sûr  d'être  désavoué,  comme  le  sera  toujours 

<*)  On^ît  arrher,  et  non  errher.  Diuatilz,  qni  le  premier  t 
publie  cette  lettre,  t  touligné,  eomne  noue  le  ûisone  id#  le 
9^  qun  RoBMeaa  D*e  pu  eioplojerque  par  iudvtrttix». 


férence,  selon  toute  apparence,  ils  no  taidenwt 
pas  beaocoHp  à  vous  revenir. 

Si  vous  TOUS  plaignez  de  mon  peu  d*exacti* 
tude,  fai  à  me  plaindre  de  Fezcès  de  la  Tttic. 
Pourquoi  voulez -yons  prendre  des  anangemeDS 
positif  sur  des  suppositions,  et  m'euTojer  nu 
manddt  sur  vos. banquiers  sans  savoir  si  je  sob 
^quitablement  dans  le  cas  de  m*en  prévakirT  At 
tendez  du  moins  que  do  retour  chez  vous  tons 
puissiez  vérifier  par  vous-même  Tétat  des  choses, 
et  ne  m'exposiez  pas  à  recevoir  des  paiemensaYast 
Téchéance,  à  redevenir  votre  débiteur  sans  en  ries 
savoir.  Il  me  semble  aussi  qu^  y  aurait  une  sorte 
de  bienséance  k  énoncer  dans  lV>rdre  i  vos  ban- 
quiers d^où  me  vient  la  rente  dont  il  m'assigne  k 
paiement  j  et  qu'il  ne  suflEit  pas  qu'on  sache  de  moi 
quel  est  le  donateur,  si  l'on  ne  le  sait  anssi  de 
vous-même.  J'espère,  mon  cher  hAte,  que  tooi 
né  verrez  dans  mes  objections  rien  que  de  raison- 
nable, et  que  vous  ne  m'accuserez  pas  de  cbcr- 
cher  de  mauvaises  difficultés  en  vous  renvoyant 
votre  billet.  Ainsi,  je  le  joins  ici  sans  scrupule* 

Je  suis  plus  £lché  que  vous  de  n'être  pas  i 
portée  de  profiter  de  la  bienveillance  et  des  bontés 
de  ma  chère  hôtesse;  mon  éloignement  de  vos 
contrées  n*est  pas ,  comme  vous  le  savez ,  une  af- 
fidre  de  choix ,  mais  de  nécessité  ;  et  je  ne  la  crob 
pas  assez  injuste  pour  me  fiiire,  ainsi  que  vodi 
un  crime  de  mon  malheur.  Mais  vous  qui  park^i 
pourquoi,  venant  à  Lyan^  ne  1^  avez-vous  y» 


amenée?,  vous  me  mettez  Ioîa  de  mon  compte^ 
moi  qu'on  flattait  de  vous  voir  tous  deux  cet  hiyer 
à  Paris.  Avec  tpel  plaisir  j'aurais  renouvelé  ma 
connaissance  avec  elle,  et  peut-être  mon  amitié 
avec  vous  1  car,.quoi  xpie  vous  en  dUîez ,  elle  n'est 
poiut  si  bien  éteinte  qu'elle  n'eût  pu  renaître  en- 
core^  et  votre  Henriette,  sage  et  bonne ,  comme 
.je  me  la  représente,  eût  été  bien  digne  détre  le 
médium  junctionisn  Ma  femme  vous  remercie,  * 
vous  saine  et  vous  embrasse.  Comme  yotre  sour 
venir  la  rend  contente  délie,  et  que  je  suis  dan^ 
le  même  cas,  nous  ne  cesserons. jamais  IW  et 
1  autre  de  penser  à  vous  aviec  plaisir. 

ga3,  —  AM.LD.  M. 

JhAt  U  a3  novembre  1770. 

....  Oui,  le  cruel  moment  où  cette  lettre  fut 
écrite  fut  celui  où,  pour  la  première  et  Tunique 
fois,  je  crus  percer  le  sombre  voile  du  complot 
iaouï  dont  je  suis  enveloppé;  complot  dont,  mal- 
gré mes  efforts  pour  en  pénétrer  le  mystère,  il  ne 
m'était  venu  jusqu^alors  la  moindre  idée,  et  dont 
la  trace  sVfiaça  bientôt  dans  mon  esprit  au  milieu 
des  absurdités  sans  nombre  dont  je  le  vis  envi- 
ronné. La  violence  de  mes  idées,  et  le  trouble  où 
jelles  me  plongèrent  à  cette  découverte,  m'ont  plu- 
tôt laissé  le  souvenir  de  leur  impression  que  celui 
de  leur  lissu.  Pour  ^n  bien  ji^cr ,  il  faudrait  avoir 
présens  à  lesprit  tous  les  détails  de  la  situation^où 


J9U  CORRESfOMDA9CS, 

l'étais  pour  iors^  et  toutes  les  ctrconstanoes^  la 
rendaient  accablante  :  seul ,  sans  appui ,  sans  cou- 
ieil,  sans  guide,  à  la  merci  des  gens  chargés  de 
disposer  de  moi,  livré  par  leuis  soins  à  la  haine 
publique  cpie  je  voyais,  que  je  sentais  en  ficémis* 
sant,  sans  qu^U  me  fût  possible  den  apercc^r, 
d'en  conjecturer  au  moins  la.cause,  pasniénie,€« 
qui  parait  incroyable^  de  savoir  les  nouvelles  pa- 
Ûiques  et  de  lire  les  gazettes  v  environné  des  plos 
noires  ténèbres ,  à  travers  lesquelles  je  n'apert»- 
vais  que  de  sinistres  objets;  confiné  pour  tout 
asile,  aux  approches  de  1  hiver,  dans  un  méchant 
cabaret;  et  d'autant  plus  effirayé  de  ce  qui  venait 
de  m'arriver  A  Trye,  que  j'en  voyais  la  suite  et 
leffet  à  Grenoble. 

L^aventure  de  Thevenin ,  que  j 'attribuais  ani 
intrigues  des  Anglais  et  des  gens  de  lettres,  m'ap- 
prit que  ces  intrigues  venaient  de  plus  près  et  de 
plus  haut.  J'avais  cru  ce  Thevenin  aposté  ^eul^ 
ment  par  le  sieur  Bovier*;  j'appris  par  hasard  qnr 
Bovier  n'agissait  dans  cette  affaire  que  par  Tordre 
de  M.  l'intendant;  ce  qui  ne  me  donna  pas  peu  à 
penser.  M«  de  Tonnerre,  après  m*avoir  haute* 
ment  promis  toute  la  protection  dont  j'avais  b^ 
soin  pour  approfondir  cette  affiiire,  me  pressa  de 
(a  suivre ,  et  me  proposa  le  voyage  de  Greuobie 
~  pour  m'aboucher  avec  ledit  Thevenin.  La  propo 
sition  oie  parut  bizarre  après  les  preuves  péronp- 
foires  que  favais  données.  J'y  consentis  néan- 
moins. Quand  feus  fiiit  ce  voyage ,^et  que;  mal^ 


mon  ineptie,  son  imposture  fat  paryfeQQe  ao  jAus 
iiaut  degré  d'évidence,  M.  de  Tonnerre ,  ouUiant 
l'assarance  qn'il  m  Wail  donnée^  m'offrit  de  punir 
ce  malhecireox  par  quelques  jouts  de  prison,  a  jou- 
tant  qu'il  ne  pouvait  rien  de  piu5-  Je  n'acceptai 
point  cette  offire^  et  Taffaire  en  demeura  li.  Mais 
il  resta  dair,  par  l'expérience,  qu'un  imposteur 
adsroit  pouit^H  m  embarrasser,  et  que  je  manquais 
souvent  du  sang-^froid  et  de  la  présence  d  esprit 
nécessaires  pour  me  démêler  de  ses  ruses.  Je  crus 
atissi  m'aperoevoir  que  c'était  là  ce  qu'on  avait 
voulu  savoir,  et  que  cette  connaissance  influait 
sur  les  intrigues  dont  j'étab  Tobjet*  Cette  idée 
m'en  rappela  d'autres  auxquelles  jusqu'alors  j  V 
vais  fait  peu  d'attention ,  et  des  multitudes  d'ob- 
servatiohs  que  j'avais  rejetées  comme  les  vaines 
inquiétudes  d'une  imagiziation  efiarouchée  par 
mes  malheivs. 

Pour  remonter  i  un  événement  qui  n'est  pas 
sans  mystère,  l'époque  du  décret  ccmtre  ma  per» 
sonne  me  parut  avoir  été-celle  d'une  sourde  trame 
contre  ma  réputation,  qui,  d'année  ea  année, 
éleudit  doucement  ses  menées,  jusqu^à  ce  que 
mon  départ  pour  l'Angleterre ,  les  manœuvres  do 
M.  Hume,  et  la  lettre  de  M.  Walpole,  les  mirent 
plus  A  découvert;  jnsqli'à  ce  qu ayant  écarté  de 
mot  tout  fe  monde,  hors  les  &uteurs;(jiu complot, 
pn  put  me  traîner  dans  la  £inge  ouvertement  et 
impunément. 

C'est  ainsi  que  peu  à  peu  tout  changeaitautoof 


\ 


s  a8  COK&ESPOKD  AKCZ  , 

de  moi.  Le  langage  même  de  mes  connaisances 
changeait  très-^eiisiblement  :  il  régnait  jusque  dans 
leurs  éiogfîs  uûe  affœtation  de  résenre,  d'équivo- 
que et  d'obscurité)  quils  n'ayaient  jamais  eue  au- 
paravant; et  M.  de  Mirabeaç,  m^ayant  écrit  k 
Wootton  pour  m'oflirir  un  asile  en  France,  prit 
un  ton  si  bizarre ,  et  se  servait  de  tournures  si  sin- 
gulières, qu'il  me  fallait  toute  la  sécurité  de  Hn* 
nocence  et  toute  ma  confiance  en  ses  avances 
d'amitié  pour  n'être  pas  choqué  d'un  pareil  lan- 
gage. J'y  fis  pour  lors  si  peu  d^attention  que  je 
n'en  vins  pas  moins  en  France  à  son  invitation; 
mais  j^y  trouvai  un  tel  changement  par  rapport  à 
moi,  et  une  telle  impossibilité  d'en  découvrir  la 
cause,  que  ma  tète,  déji  altérée  par  Tair  sombre 
de  FAngleterre,  s'affectait  davantage  de  plus  en 
plus.  Je  m'aperçus  qu'on  cherchait  à  m'ôter  la 
connaissance  de  tout  ce  qui  se  passait  autour  de 
mo*.  U  n'y  avait  pas  là  de  quoi  me  tranquilliser; 
encore  moins  dans  les  traitemens  dont,  à  Tiusu 
de  M.  le  prince  de  Conti  (du  moins  je  le  croyais 
ainsi),  Ion  m'accablait  au  château  de  Trye.  Le 
bruit  en  étant  parvenu  jusqu'à  S.  A.  S.,  elle  né- 
pargna  rien  pour  y  mettre  ordre,  quoique  tou- 
jours sans  succès,  sans  doute  parce  que  l'impul- 
sion secrète  en  venait  à  la  fob  du  dedans  et  du 
dehors.  Enfin  ^  poussé  à  bout,  je  pris  le  parti  de 
m'adresser  à  madame  de  Luxembourg  qui,  pour 
toute  assistance,  me  fit  faire  de  bouche  une  ré* 
pouse  assez  sèche',  très-peu  consolante,  et  qui  ne 


Ainfii  1770.  Sag 

répondait  guère  aux  bontés  dont  ce  prince  parai»' 
sait  m  accabler. 

Depuis  très^long-temps ,  et  long-temps  même 
ayant  le  décret,  j'avais  remarqué  dans  cette  dame 
un  grand  changement  de  ton  et  de  manières  en- 
vers moi.  JTen  attribuab  la  cause  à  un  refiroidisso- 
ment  assez  naturel  de  la  part  d'une  grande  dame, 
qui ,  d'abord  s^étant  trop  engouée  de  moi  sur  mes 
écrits  y  s'en  était  ensuite  ennuyée  par  ma  bêtise 
dans  la  conversation ,  et  par  ma  gaucherie  dans  la 
société.  Mais  il  7  avait  plus,  et  )  avais  trop  d'in- 
dices de  sa  secrète  haine  pour  pouvoir  raisonna- 
blement en  douter.  Je  jugeais  même  que  cette 
haine  était  fondée  sur  des  balourdises  de  ma  part, 
bien  innoeentes  assurément  dans  mon  cœur,  bien 
involontaires,  mais  que  jamais  les  femmes  ne 
pardonnent,  quoiqu'on  nait  eu  nulle  intention 
de  les  oâenser.  Je  flottais  pourtant  toujours  dans 
cette  opinion,  né  pouvant  me  persuader  qu'une 
femme  de  ce  rang,  qui  m  avait  si  bien  connu,  qui 
m*avait  marqué  tant  de  bienveillance  et  même 
d  empressement,  la  veuve  d*un  seigneur  qui  m'ho- 
norait dune  amitié  particulière,  pût  jamais  se  ré- 
soudre à  me  hair  assez  cruellement  pour  vouloir 
travailler  à  ma  perte.  Une  seule  cliose  m  avait 
paru  toujours  inexplicable.  En  partant  de  Mont- 
morenci ,  j'avais  laissé  à  M.  de  Luxembourg  tons 
mes  papiers,  les  uns  déjà  triés,  les  autres  qu'il  se 
chargea  de  trier  iui^éme  pour  me  les  envoyer 
avec  les  premiers^  et  brûler  ce  qui  m'était  inutile. 


S3a  CORHESPOirBAirCE , 

I  mes  oreilles  des  propos  si  mystérieux  ;  BoVier 
m'écrivait  de  Grenoble  des  lettres  si  inquiétantes, 
qu'il  fut  clair  qu'on  cherchait  à  m'alarmer  et  me 
trouUer  tout-à-&it;  et  Ton  réussit.  Ma  tétes'aflfecta 
de  tant  defirayans  mystères,  dont  on  seflforçait 
d'augmenter  l'horreur  par  lobscurité.  Précisément 
dans  le  même  temps, on  arrêta, dit-on,  sur  la  fron- 
tihrt  du  Daupfainé,  un  homme  qu  on  disait  com- 
plice d'un  attentat  exécrable  :  on  m'assura  ^e  cet 
homme  passait  par  Bourgoin  (i)*  La  rumeur  fut 
grande,  les  propos  mystérieux  allèrent  leur  train, 
avec  Taffiîctation  la  plus  marquée.  Enfin ,  quand 
on  aurait  formé  le  projet  d^acfaever  de  me  rendre 
tout-à-&it  firénétique,  on  n  aurait  pas  pu  mieux 
s  y  prendre  ;  et  si  la  plus  noire  fureur  né  s'empara 
pas  alors  de  mon  âme,  c'est  que  les  mouvemens 
de  cette  espèce  ne  sont  pas  dans  sa  nature.  Vous 
sentez  du  moins  que,  dans  lemotion  successive 
qu'on  m'avait  donnée,  il  n'y  avait  pas  \k  de  quoi 
me  tranquilliser,  et  que  tant  de  noires  idées,qu'on 
avait  SOI  n  de  renouveler  et  d'entretenir  sanâ  cesse, 
n'étaient  pas  propres  à  rendre  aux  miennes  leur 
sérénité.  Continuant  cependant  à  me  disposer  au 
prochain  départ  pour  1  Angleterre,  je  vbitais  1 
loisir  les  papiers  qui  m'étaient  restés,  et  que  j'a- 
vab  dessein  de  brûler,  comme  un  embarras  înn- 

(i)  Comme  oo  n*a  plus  enteodu  parler,  que  je  sache ,  de  ce 
prétendu  prisonnier,  je  ne  doute  point  que  toot  «la  m 
{en  btdwirct  di^M  de  m»  penérâteank 


▲NVEB 1770.  233 

tile  apte  je  traînais  apràs  moi.  Je  commençais  cettô 
opération  sur  un  recncil  transcrit  de  kttrcs,  (jue 
j'avais  discontinué  depuis  long -temps,  et  feu 
feuilletais  mackinalement  le  premier  volume  ,- 
quand  |e  tombai  par  hasard  sur  la  lacune  dont  j'ai 
parlé,  et  qui  m'avait  toujours  paru  difficile  â  com- 
prendre* Que  devins- je  en  resftarguant  que  cette 
lacune  tombait  précisément  sur  le  temps  de  l'épo- 
que dont  le  pisonnier  qui  venait  de  passer  mV 
vait  rappelé  l'idée,  et  à  laquelle,  sans  cet  événe- 
ment, je  n  aurais  pas  plus  songé  qu'auparavanti' 
Cette  découverte  me  bouleversa;  j'y  trouvai  la 
clef  de  tous  les  mystères  qui  m'environnaient.  Je 
compris  que  cet  enlèvement  de  lettres  avait  cer-* 
tainement  raifort  au  temps  ùk  eltes^  avaient  été 
écrites ,  et  que  quelque -innocentes  que  fussent  ces 
lettres ,  ce  n'était  pas  pour  rien  qu'on  s'en  était 
emparé.  Je  conclus  de  là  que  depuis  plus  de  six 
ans  ma  perte  était  jurée,  et  que  ces  lettres,  inu- 
tiles k  tout  autre  usage,  servaient  a  fournir  les 
points  fixes  des  temps  et  des  lieux  pour  bâtir  le 
système  d'impostures  dont  on  voulait  me  rendre 
la  victime. 

Dès  l'instant  même  je  renonçai  au  projet  d  aller 
en  Angleterre,  et,  sans  balancer  un  moment,  je 
résolus  de  m  exposer,  armé  de  ma  seule  innocence^ 
à  tous  les  complots  que  la  puissance ,  la  ruse  et, 
l'injustice  pouvaient  tramer  contre  elle  (i).  La 
*— — ^-— i^— ^■^■.— ^— il— ^— ■— — ^—  ■  I  ■  Il  ■  I     ■■■  ■ 

(t)Cm  fat'par  «ne  kûm  de  cette  même  itaoluiion  que  jeeoa- 


V 


à 


i^iit  ménm  oà  je  fis  cette  afireuse  décoorerte,  je 
«OPgeaU  f  sachant  bieo  qu0  toulea  mei  kuree 
éiaie^t  ouvertes  it  U  poste  ^  à  profiler  do  retour 
4e  M«  Pepîo.  de  Belleisie  (x),  fm^  mVtaat  rei» 
voir  kl  veille  >  m*accablait  des  plus  pressantes  of- 
Ibes  de  service;  et  je  lui  remis  le  matin  une  ^trs 
poiir  madame  de  Bcionne^  qui  en  contenait  une 
antre  p6ur  M.  le  priaoe  de  Contî ,  Vlum  et  fantra 
écrites  si  à  la  hi!0>  quarani  été  cantcaiia  d'en 
transcrire  une  ^  j  envoyai  le.  bronilloii  wliea  de  la 
copieik 

Tels,  sont,  autant  que  je  puis^me  le^rappeler, 
kit  sujet  et  Toccasion  desdites  lettres  :  car,  encore 
une  fois  9  ragitation  od.  j'étais  en  les  éoriyaait  ds 
ma  pas  permis  de  gsidtt  un  souvenir  bien  distinct 
de  tout  ce  qui  $^y  rapporte. 

4a9*  — •  A  M 

tait,  le  a4  eofcmbie  1770* 

Çoyipz  contint,,  mon^ur,.  tous  et  ceiu  qoi 
vpns  dirigent  II  vous  l^maiit  alisolumont  one  lettre 
de  moi  :  vous  m'avez  voulu  forcer  à  Técrire,  et 
VQi|s  avez  réussi  ;  car  on  sait  bien  que  quand  qnel- 
<pi'un  nous  dit  qfiil  vent  se  tuer,  on  est  obligéi 
en  consçiencst  i  Tea^horter  de  n'en  rien  fiûse» 

strvai  mon  itcoeil  d«  lettrai,  dont  heareoMfiieiift  |e 
«orè  déohM  et  iiràlé  que  qnéhjum  firaffleti. 

(i)lUcMÎt4'i 
deGerigiMp. 


.    Atnxûz  1770.  333 

Je  ne  tous  connais  point  ^  monsienr^  et  niri 
nal  désir  de  Tons  connaître;  mais  je  Toos  (rouVt 
très  à  plaindre  y  et  bien  plus  encore  qne  Toua^  ne 
pensez  :  néanmoins,  dans  tont  le  détail  de'TOS 
malheurs ,  je  ne  Tois^  pasdt  quoi  fonder  bi  terrible 
résolurien  que  vons  m'assurez  avoir^prise.  Jecon^ 
nais  l'indigence  et  son  -poids  aussi  bien  ijne  tons^^ 
tout  an  moins;  mais  jamais  elle  a*a  suffi  seule 
pour  dëtenniner  un  bomme  de  bon  sens  6  s'ôter 
la  vie.  Car  enfin  le  pis  qu'il  puisse  arriver  est  d« 
mourir  de  fiiim  y  et  Ton  ne  gagne  pas  grand'chose 
t  se  tuer  pour  éviter  la  mort.  H  est  ponmntdes 
cas  où  la  misère  est  terrible ,  insupportable  ;  tnai^ 
il  en^  est  où  elle  est  moins  dure  i  souIRtr  :  c'est  le 
TÔtre.  Comment  y  monsieur,  à  yingt  ans,  seul, 
sans  £inrille,  arec  delà  santé ,  de  l'esprit ,  des  bras 
et  un  bon  ami,  tous  ne  voyez  d'autre  asilecontre 
la  misère  que  le  tombeau?  sAfemenrroosuy-tfvez 
pas  bien  regardé. 

Mais  Yoppvohre. ...  La  mort  est  à  pr^fisrer ,  j  en 
conviens;  mais  encore  dut  il  commencer  parsW 
furer  que  cet  opprobre  est  bien  réel.  Un  homme 
injuste  et  dur  vous  persécute;  il  menace d^tteii- 
ter  à  votre  liberté  ;  en  bien  1  monsieur,  je  suppose 
qu*il  exécute  sa  bari)are  menace, :seBne&-T9>u«  dés* 
honoré  pour  cela?  Des  fers  déshonorent^ils  fin^ 
nocent  qui  les  porte?  Socrate  JUourut-il  dans 
ignominie 7  Et  où  est  donc,  monsieur^  cette  su- 
peribe  morale  que  tous  étalez  si  poolpeasenient 
dans  vos  lettres?  et  comment,  avac  d^  maximes 


3w6  CORHESPOICDAIICE  j 

ai  suUiines,  se  reDd-ou  ainsi  Tesclave  de  fop« 
lûoii?  Ce  nW  pas -tout  :  on  dirail,  à  Tons  eulen« 
dre^  que  vous  n'a^z  d'autre  alternative  ^e  de 
mourir  bu  de  vi^Te  en  captivité.  Et  point  du  loal, 
vous,  avez  l'expédient  tout  simple  de  sortir  de 
Pari^  cela  vaut  encore  mieux  que  de  sortir  de  b 
vie.  Plus  je  relis  votre  lettre,  plus  j  y  trouve  de  co- 
lère et  d'animosîta  Vous  vouscomplaisez  à  limage 
de  votre  sang  jaillissant  sur  votre  cruel  parent, 
vt)U8  vous  tuez  plutôt  par  vengeance  que  par  des- 
espoir', et  vous  sougez  moins  à  vous  tirer  d'afikire 
qu^à  punir  votre  ennemî.  Quand  je  lis  les  répri< 
mandes  plus  que  sévères  dont  il  vous  plait  d'ac- 
cabler fièrement  le  pauvre  Saint-Preux,  je  ne  pois 
m'em pêcher  de  croirieque,  s'il  était  là  pour  vous 
répoudre ,  il  pourrait,  avec  un  peu  plus  de  justice, 
vous/en  rendre  quelques-unes  à  son  tour. 

.  Je  conviens  pourtant,  monsieur,  que  votn 
lettre  est  très-bien  faite,  et  je  vous  trouve  fortdSseit 
pour  mu  désespéré.  Je  voudrais  vous  pouvoir  ^* 
citer  sur  votre  bonne  foi  comme  sur  vqtre  élo- 
quence-, mais  la  manière  dont  vous  narres  notit 
entrevue  ne  me  le  permet  pas  trop.  U  est  certais 
que  je  me  serais,  il  y  a  dix  ans,  jeté  à  votre  télé, 
que  }  aurais  pris  votre  afiàire  avec  chaleur;  et  il 
est  probable  que ,  comme  dans  tant  d^affaires  sem- 
blables dont  j'ai  eu  le  malheur  de  me  mêler,  la 
pétulance  de  mon  zèle  m'eût  plus  nui  qu'elle  ue 
vous  aurait  scrvL  Les  plus  temUes  expérieuces 
m  ont  rçi\du  plus Té90rTé;  j*ai appris  à  naccucillii 


imûz  1770.  337 

qo^aTec  circonspection  les  nonveanx  visages,  et, 
dans  limpossibilîté  de  remplir  à  la  fois  tous  les 
nombreox  devoirs  qu'on  m'impose ,  à  ne  me  mêler 
que  des  gens  que  je  connais.  Je  ne  vous  ai  pour^ 
tant  point  refusé  le  conseil  que  vous  mWez  de* 
mandé.  Je  n^ai  point  approuvé  le  ton  de  votre 
lettre  à  M.  de  M....;  je  vous  ai  dit  ce  que.fy  trou- 
vais à  reprendre  ^  et  la  preuve  que  vous  entendîtes 
bien  ce  que  je  vousdisais^estquevousy  répondîtes 
plusieurs  fois.  Cependant  vous  venez  me  dire  au- 
jourd'hui que  le  chagrin  que  je  vous  montrai  ne 
vous  permit  pas  d'entendre  ce  que  je  vous  dis, 
et  vous  ajoutez  qu'après  de  mûres  déliLérations, 
il  vous  sembla  d'apercevoir  que  je  vous  blâmais  de 
vous  être  un  peu  trop  abandonné  à  votre  haine  ; 
mais  vraiment  il  ne  Êillait  pas  de  bien  mûres  déli- 
bérations pour  apercevoir  cela,  car  je  yous  Kavais 
bien  articulé ,  et  je  m'étais  assuré  que  vous  m'en' 
tendiez  fort  bien.  Vous  m'avez  demandé  conseil^ 
je  ne  vous  l'ai  point  refusé,  j\ii  feit  plus  :  je  vous 
ai  olTert,  je  vous  offre  encore  d^alléger.  en  ce  qui 
dépend  de  moi ,  la  dureté  de  votre  situation.  Je  ne 
vois  pas,  je  vous  lavoue,  en  quoi  vous  pouvez 
vous  plaindre  de  mon  accueil  ;  et  si  je  ne  vous  ^i 
point  accordé  de  confiance^  c'est  que  vous  ne 
m'en  avez  point  inspiré. 

You^  ne  voulez  point ^  monsieur,  &m  part  de 
l'état  de  votre  âme  et  de  votre  dernière  résolution 
à  votre  bien&iteur,  à  votre  consolateor^dans  la^ 
crainte  que ,  voulant  prendre  votre  défense ,  il  <:« 


3C8  coRR£spbin)ÀNCfi, 

se  oompromit  inattlement  avec  un  ennemi  pii»> 
sant  qui  ne  lui  pardonnerait  jamais;  c^est  à  moi 
que  TOUS  vous  adressez  pour  cela,  sans  doute  i 
cause  de  mon  grand  crédit  et  des  moyens  que  j'aî 
de  TOUS  servir^  et  qu  un  ennemi  de  plus  ne  vous 
paraît  pas  une  grande  affaire  pour  quelqu'un  dins 
ma  situation.  Je  tous  suis  obligé  de  la  préfé- 
rence, fen  userais  si  fêtais  sAr  de  pouvoir  vous 
servir;  mais,  certain  que  Tinférèt  qu'on  me  voirait 
jSrendre  à  vous  ne  ferait  que  vous  nuire,  je  me 
tiens  dans  les  bornes  que  vous  m^a  vez  demandées, 
'  A  Tégard  du  jugement  que  je  porterai  de  la  ré- 
solution que  vous  me  marquez  avoir  prise ,  quand 
j*en  apprendrai  lexécution ,  ce  ne  sera  sûrement 
jias  de  penser  que  (tétait  là  le  but,  la  fin^  Vobjct 
moral  de  la  vie;  mais  au  contraire  que  c'était  le 
comble  ile  l'égarement^  du  délire  et  de  la  fureur. 
SU  était  quel(|ue  cas  où  Thomme  eût  le  droit  de 
se  délivrer  de  sa  propre  vie,  ce  serait  pour  des 
maux  intolérables  et  sans  remède,  mais  non  pas 
pour  dne  situation  dure,  mais  passagère,  ni  pour 
des  inaux  qu  une  meilleure  fortune  peut  finir  dès 
demain.  La  misère  nçsl  jamais  un  état  sans  res- 
sources, éhrtout  à  votre  âge;  elle  laisse  toujours 
Fespoir  bien  fondé  de  la  voir  finir  quand  on  y  tra- 
vaille avec  courage,  et  qu'on  a  des  moyens  pour 
cela.  Si  vous  craignez  que  votre  ennemi  n'exécute 
sa  mepace,  et  xjue  vous  ne  vous  senties  pas  Ut 
Constance  de  supporter  ce  malheur,cédèz  à  l'orago 
et  quittez  Patis;  qur  vous  en  empêche?  Si  vous 


aimez  mieux  le  brarer,  vous  le  pouvez,  aon  sans 
danger ,  mais  sans  opprobre.  Crojez-you5  être  le  ' 
seul  qui  ait  des  ennemis  puissans,  qm  soit  en  jfé- 
ril  dans  Paris,  et  qui  ne  laisse  pas  dy  vivre  t^air- 
quille,  en  mettant  les  hommes  au  pis,  contçnt  de 
se  dire  k  lui-même  :  Je  reste  au  pouvoir  de  mes 
ennemis  dont  je  connais  la  ruse. et  la  puissance, 
mais  j'ai  Ëiit  en  sorte  qulls  ne  puissent  jamais  me 
faire  de  mal  justement/  Monsieur,  celui  qui  se 
parle  ainsi  peut  vivre  tranquille  au  milieu  d'eux^ 
et  Q^est  point  tenté  de  se  tuer. 

9^5.  —  A  M.  DusÀU];,Xv 

PAvnttfl  «Teuf^es  qne  nom  tommèt  !  etc. 

Si  M.  Dosauly  fiiisait  quelquefois  collation  sur 
le  bout  du  banc,  pour  être  au  lit  à  dix  heures,  jp 
lui  proposerais  aujpurdlui  v^  petit  souper,  90a 
d'ApiciuSy  mais  d  Epicure,  et  tel  qu'on  n  ea  fai) 
guère  â  Paris.  Ce  souper,  j'y  ai  pourvu,  seraif 
animé  dWe  bouteille  de  son  via  dl^ap^gne  C)^ 
surtout  de  sa  présence  et  d^  son  entretien.  S'il 
consent,  jp  lui  demande  on  petii  oui,  afin  qi^  le 

(*)  U  avjût  envoyé  demander  eeUe  baul^iHe  cbet  Ph9«."1x  ; 
naît  aa  lieu  d'uqe  on  en'tppaita  douze ,  ^énëiosité  au  mnimi 
£irt  maladroite ,  et  qui  dut  paraître  &  Rouaieau  d*auUnl  phin 
«^OBaiite,  <|ae  «on  procédé  était  fram  et  ahnaUè.  Roiuaeaii 
^QC  l'en  ^KilMyetoemiinemttii  il  afaii  raisoiij  ofpciuiout  b 
^f«£xelle  nVut  m»  de  aniie. 


plaisir  ^e  le  voir  soit  précède  Je  celui  de  rattea- 
dre^  à  moins  qu  il  n'aime  mieux  broire  que  ce  soit 
pour  faire  d^arance  les  pr^parati&  du  festin. 

Les  respects  de  ma  femme  et  les  miens  à  ma 
dame  DusAuIx. 

Pawve»  «reuslet  qat  uobs  sommet  I  ete. 

Monsieur, 

Je  suis  toujours  frappé  de  Tidée  que  tous  avcs 
eue  de  me  mettre,  dans  le  livre  que  vous  faites, 
en  pendant  avec  un  scélérat  abominable  qui  fait 
du  masque  de  la  vertu  Tinstrument  du  crime,  et 
qui,  selon  vous,  la  rend  aussi  touchante  dans  ses 
discours  qu'elle  l'est  dans  mes  écritSr  J'ai  toujours 
cru,  je  crois  encore  qu'il  faut  sincèrement  aimrr 
la  vertu  pour  savoir  la  rendre  aimable  aux  autres, 
et  que  quiconque  y  croit  de  bonne  foi  distingue 
aisément  dans  son  cœur  le  langage  de  Iliypocnsif 
d'avec  celui  que  le  cœur  a  dicté.  Vous  me  dites 
pour  excuse  que  vous  portiez  ce  jugement  k  Tâge 
de  dix-sept  ans  ;  mais,  monsieur ,  vous  n*aviez  pas 
lu  mes  écrits  :  cW  à  l'âge  oh  vous  êtes,  c'est  au 
moment  que  vous  écrivez  que  vous  identifiez 
Vimpreçsion  que  vous  &it  Icm*  lecture  avec  celle 
des  discours  du  fourbe  dont  il  s'agit.  Si  c'est  U  b 
Seule  ou  la  plus  honorable  mention  que  vous 
faites  dans  votre  ouvrage  d'un  homme  à  qui  von» 


iKsris  177t.  34â* 

marquez ,  entre  vou5  et  lui ,  tant  cPestime  et  d'em* 
pressement ,  le  tour,  si  c^est  un  éloge  y  est  neuf  et 
bizarre  ;  si  c'est  un  art  employé  pour  appuyer 
eouvertement  l'imposture,  il  est  infernal.  Vous 
paraissez  disposé  à  changer  dans  le  passage  ce  qui 
peut  m'y  déplaire  :  je  tous  Tai  déjà  dit  y  monsieur, 
n'y  changez  rien  ;  s'il  a  pu  tou^  plaire  un  moment, 
il  ne  me  déplaira  jamab.  Je  suis  bien  aise  que  tout 
le  monde  sache  quelle  place  tous  donnez  dans  vos 
écrits  à  un  homme  qu'en  imème  temps  vous  re- 
cherchez SLytc  tant  de  zèle,  et  à  qui  vous  parais- 
sez ,  du  moins  en  parlant  à  lui ,  en  donner  tme  si 
belle  dans  votre  estime  et  dans  yotre  cœur.  Cette 
remarque  m  en  rappelle  d'autres  trop  petites  pour 
être  citées ,  mais  sur  Teffet  desquelles  je  veux  vous 
ourrir  le  mien. 

Après  m  avoir  dit  si  souvent  en  si  beaux  termes 
que  vous  me  connaissiez,  m*aimiez,  m'estimiez, 
mlonoriez  parfaitement,  il  est  constant,  et  je  le 
dis  de  tout  mon  cœur,  que  les  prévenances  et  les 
honnêtetés  dont  vous  m'avez  comblé,  adressées,, 
dans  votre  intention  comme  dans  la  vérité,  à  un 
bomme  de  bien  et  d  bonneur,  ont  à  ma  reconnais* 
sance  et  à  mon  attachement  un  droit  que  je  serai 
toujours  empressé  d'acquitter. 

Bfais,  s  il  était  possible,  au  contraire,  que, 
m'ayant  pris  pour  un  hypocrite  et  un  scélérat, 
rous  m  eussiez  cependao  t  prodigué  tant  d'avances, 
de  caresses  et  de  cajoleries  de  toute  espèce,  pour 
capter  ma  confiance  et  mon  amitié^  soii  parce  que- 


M  %  COEILB5P05D17?C£  « 

mom  .caractère  supposé  conviendrait  au  TÔtre, 
soit  pour  aller  par  astuce  à  des  fins  que  vous  me 
cacheriez  avec  soin;  dans  ce  cas,  il  nen  est  pas 
moins  sûr  qu  en  tout  état  de  choses  possibles  vous 
ne  seriez  Yous*même  qu  un  vil  fourbe  et  un  mal- 
honnête homme,  digne  de  tout  le  mépris  que  tous 
auriez  eu  pour  moi* 

J'aurais  bien  quelque  chose  encore  a  tous  dire; 
mais  je  m'en  tiens  là  quant  à  présent.  Voilà ,  mon- 
siçur,  un  doute  que  jai  senti  naître  aTec  doulenri^ 
et  qui  s  augmente  au  point  d'être  intolérable.  Je 
vous  le  déclare  aTec  ma  fianchise  ordinaire ,  dont, 
quelque  mal  qu  elle  m^ait  fait  et  qu'elle  me  fasse, 
je  ne  me  départirai  jamais.  Je  tous  montre  bien 
mes  sentimens  :  montrez -moi  si  bien  les  TÔtres 
que  je  sache  avec  certitude  ce  que  vous  pensez  de 
moi.  Je  me  souviens  de  tous  aToir  dit  que  si  ja- 
mais je  me  défiais  de  tous  y  ce  serait  Totre  faute. 
Vous  Toilà  dans  le  cas;  c'est  à  tous  dy  pounroir, 
au  moins  si  tous  donnez  quelque  prix  à  mon  es- 
time. En  y  pounroyant,  nen  faites  pas  à  deux 
fois,  car  je  tous  aTertis  qu*à  la  seconde  tous  n'y 
seriez  plus  à  temps. 

Jg  me  suis  confié  à  tous,  monsieur,  et  à  d'an- 
tres que  je  ne  connaissais  pas  plus  que  vous.  Le 
témoignage  intérieur  de  Finnocence  et  de  la  vé- 
rité m'a  Ëiit  croire  qu*il  suffisait  d'épancher  mon 
cœur  dans  des  cœurs  dliommes  pour  y  verser  le 
sentiment  dont  il  était  plein.  J'espère  ne  m'étre 
ras  trompé  dans  mon  choix;  mais  quand  cet  e»- 


f  otr  m'abuserait,  je  n'eu  serais  poîiit  aLatTa.  La 
véritë,  le  temps,  triompheront  enfin  de  Jlmpos^ 
tore,  et  de  mon  yiyant  même  elle  n'osera  soutenir 
mes  regards.  Son  plus  grand  soin ,  son  plus  grand 
art  est  de  s'y  dérober;  mais  cet  art  même  la  dé- 
cèle. Jamais  on  n'a  vu ,  jamais  on  ne  verra  le  men- 
songe marcher  fièrement  à  la  Ëice  du  soleil  en  in- 
terpellant k  grands  cris  la  vérité,  et  celle-ci  deve- 
nir cauteleuse,  craintive  et  traitr^sc,  se  masquer 
devant  lui ,  fuir  sa  présence ,  n'oser  laccuser  qu  eu 
Secret,  et  se  cacher  dans  les  ténèbres. 

Je  vous  fais ,  monsieur ,  mes  très-humbles  sahi« 
fations. 

937.  —  AV  utuB. 

PAVfisf  Vftoifim  ffob  noot  foiBines!  ele. 

En  lisant,  monsieur,  et  relisant  votre  lettre,  je 
sens  qaîl  me  £tut  du  temps  pour  y  penser.  Per- 
mettez que  j'attende  le  retour  an  sang-firoid.  Un 
bomme  comme  vous  mérite  bien  qu'on  délibère, 
quand  il  s'agit  de  s'en  détacher.  Je  vous  salue  très- 
humblement  Rousseau. 

928. AU  HiME. 

J'ai  Toulu,  monsieur ,  mettre  un  intervalle  en- 
ire  votre  dernière  lettie  et  celle-ci  pQur  laisser 


calmer  mes  premiers  mouvemeas  et  agir  marals<» 
seule.  Votre  lettre  est  bien  plus  employée  à  me 
dire  ce  que  je  dois  penser  de  tous  que  ce  que  tous 
pensez  de  moi,  quoique  je  vous  eusse  prérena 
que  de  ce  dernier  jugement  dépendait  absolument 
Fautre.  11  faut  pourtant  que  je  me  décide  et  que 
je  vous  juge  en  ce  qui  me  regarde,  quoique  j'oie 
renoncé,  comme  vous  me  le  conseillez,  à  juger 
des  hommes,  bien  convaincu  que  Tobscur  laby- 
rinthe de  leurs  cœurs  m*est  impénétrable,  à  moi 
dont  le  cœur  transparent  comme  le  cristal  ne  put 
cacher  aucun  de  ses  mouTemens,et  qui,  jugeants! 
long-temps  des  autres  par  moi,  n  ai  cessé  depnis 
vingt  ans  d'être  leur  jouet  et  leur  victime. 

A  force  de  m'environncr  de  ténèbres,  on  m*! 
cependant  rendu  quelquefois  jdus  clairvoyant, et 
l'expérience  et  la  nécessité  me  font  apercevoir 
bien  àes  choses  par  le  soin  même  qu^ou  prend 
pour  me  les  cacher.  JTai  vu  dans  votre  conduite 
avec  moi  les  honnêtetés  les  plus  marquées,  les  at- 
tentions les  plus  obligeantes,  et  des  fins  secrètes  à 
tout  cela  :  j^y  ai  même  démêlé  des  signes  de  peo 
d'estime  en  bien  des  points,  et  surtout  dans  la 
fréquens  petits  cadeaux  auxquels  vous  m^avez  ap- 
paremment cru  très-sensible,  au  lieu  qu'ils  me 
sont  indifiërens  ou  suspects  :  Timeo  DanatJSj  et 
dona  ferenies.  C'est  précisément  par  le  peu  de  cas 
que  j'en  Ëtis  que  je  ne  les  refuse  plus,  laasë  des 
tracasseries  et  des  ridicules  que  m'attirèrent  long- 
temps c^  iefu5,  par  la  malignité  des^  donneon 


AÎTÎfÉE  177't.  345 

qui  araient  lenrs  vues^  et  bien  sttVy  en  recevant 
tOQt  et  ouMiant  tout,  d^écarter  enfin  plus  sûre-» 
ment  toutes  ces  petites  amorces.  Je  cherchais  un 
logement;  tous  ayez  voulu  m^avoir  pour  voisin  et 
presque  pour  hôte  :  cela  était  bon  et  amical  ;  mais 
)  ai  vu  que  vous  vouliez  trop,  et  que  vous  chcr-^ 
c1iie2  à  m'attirer  :  vous  avez  &il  tout  le  contraire. 
Vous  avez  cru  que  j'aimais  les  dîners;  vous  avez 
cm  que  j'aimab  les  louanges.  Tout,  &  travers  la 
pompe  de  vos  paroles,  m*a  prouvé  que  j*étais  mal 
connu  de  vous.  Les  je  ne  sais  quoi ,  trop  longs  â 
dire 9  mais  frappans  i  remarquer,  mont  averti 
qu'il  j  avait  quelque  mystère  caché  sous  vos  ca- 
resses, et  tout  a  confirmé  mes  premières  observa- 
tions. 

L'article  que  vou5  m*avez  lu  a  achevé  de  mM^ 
dairer.  Plus  j  7  ai  réfléchi ,  moins  je  Tai  trouvé  na-* 
tiirel,  dans  ma  situation  présente,  de  la  part  d\in 
iHenveillant  Vous  me  faites  trop  valoir  le  isoin 
que  vous  avez  pris  de  me  lire  cet  article.  Vous 
avez  prévu  que  je  le  verrais  un  jour,  et  vous  sen- 
tiez ce  que  j'en  aurais  pu  penser  et  dire,  si  vous 
me  l'eussiez  tu  jusqu*a  la  publication.  Vous  avez 
cm  me  leurrer  par  ce  root  d  illustre.  Ah  !  vous  êtes 
trop  loin  de  voir  combien  la  réputation  d  homme 
bon ,  juste  et  vrai ,  que  je  gardai  quarante  ans ,  et 
que  je  n'ai  jamais  mérité  de  perdre,  m'est  plui 
chère  que  vos  glorioles  littéraires,  dont  j^ai  si  bien 
senti  le  néant.  Ne  changeons  point,  monsieur^ 
Fétat  de  I9  question.  11  ne  s'agit  pas  de  savoir  corn* 


346  co&AssForoijccv , 

ment  tous  yoos  y  êtes  pris  pour  bit9  passer  im 
article  aussi  captieux,  mais  comment  Û  tous  est 
venu  dans  Tesprit  de  Técrire,  de  me  mettre  gra- 
cieusement en  parallèle  avec  un  exécrable  scélé- 
rat, et  cela  précisément  au  moment  où  llmpos- 
ture  n'épargne  aucune  ruse  ppur  me  noirdr.  Mes 
écrits  respirent  l'amour  de  la  vertu  dont  le  ooenr 
de  l'auteur  étaîLembrasé.  Quoi  que  mes  ennemis 
puissent  £iii»,  cela  se  sent  et  les  désole.  Pite^ 
moi-si,  pour  énerver  ce  sentiment  l^onoralile  et 
juste  9  aucun  d^eux  s'y  pît  plus  adroitement  qiis 
vous. 

Et  maintenant)  au  lieu  de  me  dire  nettement 
quel  jugement  vous  portez  de  moi ,  de  pies  senti- 
mens,  de  mes  mœurs,  de  mon  caractère,  comme 
vous  Le  deviez  dans  la  circonstance,  et  comme  je 
vous  en  avais  conjuré ,  tous  me  parlez  de  larmes 
d'attendrissement  et  d*un  intérêt  de  commîséca- 
tion;  comme  si  c'était  assez  poi^r  moi  d^excittf 
votre  pitié ,  sans  prétendre  à  des  sentimeas  phs 
honorables!  Je  vous  estime  encore ,  me  dites- 
vous,  mais  je  vous  plains.  Moi,  je  vous  réponds  : 
Quiconque  ne  m^estimera  que  par  grâce  Ironveia 
difficilement  en  moi  la  même  générosité. 

Je  voudrais,  monsieur,  entendre  un  pcaplm 
clairement  quel  est  ce  graod  intérêt  que  tous 
dites  prendre  en  moi.  Le  j»*emier,  le  plus  grasd 
intérêt  d  un  homme  est  son  honneur.  Vous  au- 
riez ,  dites-vous ,  donné  un  bras  pour  m'en  sauve 
un!  C'est  beaucoup,  çt  c'e^t  même  trop  :  Je  nW 


*  Avntz  1771,  347 

rais  pas  donné  mon  bras  pour  saurer  h  vAtrej 
mais  je  laurais  donné,  je  le  jure,  pour  h  défense 
de  votre  honneur.  Entouré  de  tous  ces  preneurs 
d Intérêt  qui  ne  cherchent  qu'à  me  donner,  comme 
faisait  aux  passans  ce  Romain,  un  écu  et  un  souf- 
flet à  chaque  rencontre,  je  ne  preùds  pas  le  change 
sur  cet  intérêt  prétendu  :  je  sais  qu'ils  n'ont  d'au* 
tre  but  dans  leur  iausse  bien?eillauce  que  d'ajouter 
à  leurs  noirceurs,  quand  je  m'en  plains,  le  repro- 
che d'ingratitude. 

«  Le  généreux,  le  Vertueux  Jean-JaoquesRous- 
fc  seau  inquiet  et  méfiant  comme  un  lâche  crimi- 
ce  ncl  !  »  Monsieur  Dusaulx ,  si ,  vous  sentant  poi- 
gnarder par  derrière  par  des  assassins  masqués , 
vous  poussiez,  en  vous  retournant,  les  cris  de  la 
douleur  et  de  llmlignatioa,  que  diriez -vous  de 
celui  qui  pour  cela  vous  reprocherait  froidèlnent 
d*être  inquiet  et  méfiant  comme,  un  lâche  cri- 
minel? 

Il  n  y  aura  jamais  que  des  cœurs  capables  du 
crime  qui  puissent  en  soupçonner  le  mien  ;  et 
q^nant  à  la  lâcheté |  malgré  tout  leffiroi  qu^on  a 
voulu  me  donnet*,  me  vwd  dans  Paris,  seul, 
étranger,  sans  appui,  sans  amis,  sans  parens, 
safns  conseil,  armé  de  ma  seule  innocence  et  de 
mon  courage,  à  la  merci  des  adroits  et  puissant 
persécnte^Éfs  qui  me  diffament  en  se  cachant,  lés 
provtKTuant ,  et  leur  criant  :Tarlez  haut  tae  TUÎfâ, 
Jbla  foi,  monsieur, ^srquclqu^un  Êitlâchemcnt  h 


A 


34B  C0ft1lBSP0SiDA5CE, 

plongeon  dajis  celte  a&îre,  il  me  semble  qae  es 
n'est  pas  moi. 

Je  yeux  être  juste  toujours.  S'il  n*y  a  contie 
moi  nulle  œuvre  de  ténèbres,  votre  reproche  est 
fondé,  j'en  conviens^  mab  s^il  existe  une  pareille 
œuvre,  et  qae  vous  le  sachiez  très-hien ,  convenes 
aussi  que  ce  même  reproche  est  bien  barbare.  Je 
prends  là  dessus  votre  conscience  pour  juge  eotre 
vous  et  moi. 

*  Vous  me  trônez ,  monsieur  :  jlgnore  à  qodle 
finj  mais  vous  me  trompez.  C'est  assurément 
tromper  un  homme  à  qui  Ton  marque  la  plus  ten- 
dre aiTectîon,  que  de  lui  cacher  les  choses  qui  le 
regardent  et  qu'il  lui  importe  le  plus  de  savoir. 
Encore  une  fois,  j^gnore  vos  motOb;  mais  je  sais 
qu'on  ne  trompe  personne  pour  son  bien.  Je  n'at- 
taque à  tout  autre  égard  ni  votre  droiture  ni  vos 
vertus^  je  n'explique  point  cette  inconséquence. 
Je  ne  sais  qu'une  seule  chose,  mais  je  la  sais  très- 
bien,  c^est  que  vous  me  trompez. 

Je  veux  que  tout  le  monde  lise  dans  mon  coeur, 
et  que  ceux  avec  qui  je  vis  sachent  comme  moi- 
même  ce  que  je  pense  d'eux,  quoiqu'une  malheo- 
reuse  honte,  que  je  ne  puis  vaincre^  m*empêcfae 
de  le  leur  dire  en  fece.  CVst  afin  que  vous  n  igno- 
riez pas  mes  sentimens  que  je  vous  écris.  Da  reste, 
mon  intention  n'est  de  rompre  avec  vous  ^'au- 
tant que  cela  vous  conviendra  :  je  vous  la&ae  k 
choix.  Si  je  connaissais  un  seul  homme  A  ma 
portée  dont  le  oœur  f&t  ouvert  comme  ie  aien. 


qui  «ût  autant  eu  horreur  la  dissimulation,  h 
Bieiisonge ,  qui  dédaigntt,  qm  nefusâl  de  banteft 
ceux  auxquels  il  n'os^ait  dire  ce  qu'il poised'eut. 
j'irais  à  cet  homme,  et,  très-sûr  d'en  &îre  mou 
ami ,  je  renoncerais  à  tous  les  autres  ;  il  serait  pouxi 
moi  le  genre  hosnaiii  :  mais,  après  dix  ans  de  re-> 
cfaerdies  inutiles,  je  me  lasse,  et  j'éteins  ma  lan« 
terne.  Environné  de  gens  qui,  sous  un  air  d'inté- 
rêt grossièrement  aHecté^  me  flattent  pour  me 
surprendre ,  je  les  laisse  &ire ,  parce  qu^il  &ut  bien 
Tiyre  avec  quelqu'un,  et  qu'en  quittant  ceux-là 
pour  d'autres,  je  ne  trouverais  pas  mieux.  Du  . 
reste,  s'ib  ne  voient  pas  ce  que  je  pense  d'eux, 
c'est  assurément  leur  &ute.  Je  suis  toujours  sur- 
pris, je  l'avoue,  de  les  voir  m'étaler  pompeuse- 
ment et  leurs  vertus  et  leur  amitié  pour  moi;  je 
cherche  Inutilement  comment  on  peut,  être  ver^ 
tneux  et  faux  tout  à  la  fois,  comment  on  peut  se 
Élire  un  honneur  de  tromper  les  gens  qu'on  aime. 
Von,  je  n'aurais  jamais  cru  qu'on  pût  être  aussi 
fiers  d'être  des  traiu*es. 

livré  depuis  long*temps  i  ces  gens-là ,  j'auraim 
tort  assurément  d^étre  difficile  en  liaisons,  et  bien 
plus  de  me  refuser'à  la  vôtre ,  puisque  votre  so- 
ciété me  parait  très-agréable,  et  que,  sans  vous 
confondre  avec  tous  les  empressés  qui  m'entou- 
rent, je  vous  compte  parmi  ceux  que  j'estime  le 
plus.  Ainsi  je  vous  laisse  le  maître  de  me  voir  ou 
de  ne  me  pas  voir,  comme  il  vous  conviendra. 
Pour  de  Tintimité,  je  n'en  veux  plus  avec  per^,  ^. 


j35o  C0Rfl£SlK>5DA9C£  j 

sonne,  à  moins  èfue,  contre  tonte  apparence,  je 
trouve  fortuitement  lliomme  jnste  et  vrai  que  j'ai 
tfessë  de  chercher.  Quiconque  aspire  à  ma  con- 
fiance doit  commencer  par  me  donner  ia  sienne; 
et  du  reste,  malade  ou  non,  pauvre  ou  riche,  jé 
trouverai  toujours  très  mauvais  que, sous  préicste 
d'un  zèle  que  je  n'accepte  point,  qui  que  ce  soil 
veuille  malgré  moi  se  mêler  de  mes  afiàires. 

Je  viens  de  vous  ouvrir  mon  cceur  sans  rés<ttw, 
cest  à  vous  maintenant  de  consulter  le  vAtre,€l 
de  prendre  le  parti  qui  vous  conviendra  (*)* 


«te 


r   (*)  Dtuattlx  fit  à  cette  lettre  ttae  r^wnee  fc  leqneUe  R< 
ne  léptiqiaa  patb  «^e  œ  eacha  |im,  dit  Dwaifai  k  ce  anîet ,  ^ 
K  depuis  notre  éternelle  sepantioa  il  sdt  torti  de  m  botMclic  on 
I  seul  mot  capable  <le  ni'oficoser  :  au  cootraire ,  j*ai  apprit  arec 
I  recoDDaiwaDCe  qu*fl  t'était  expliqué  tuf  mon  compte  tTue 
<«  maniir»  trop  honèrabte  pour  le  répéter....  Je  oê  Vm 
«  rencontré  qu'iui«  foi»  par  baffrd.aus  tnwni  de  rÊtode 
«  line  det  Cliampt  Élytéea.  Son  premier  mouTODent  et  le  mien 
o  furent  réciproquement  de  tomber  dana  les  bras  l'un  de  l'aiitreit 
«i  mais  il  s'arrêta  au  milieu  de  son  élan.  Qui  Ta  donc  lelenu? 
tt  la  méfiance  dont  un  accès  plus  violent  qu'à  rordinaire  le  anî^ 
«  tout  à  «oup.  Situé  sur  le  bord  d'oAe  inmdiie  profonds ,  ci  me 
tt  vojantà  ses«ôlés,  il  craignit  apparemment  que  Je  a«  Vj  pv^ 
tt  cifitasse  ;  tout ,  du  moins ,  m'autoeisait  à  le  croire.  U  trrmWwt 
«  de  tous  ses  membres.  Tantôt  il  élcTaît  des  bras  supplÎMita  >*«» 
«  le  ciel;  tamdt,  camme  s'il  eût  inroqué  ma  pîdé,  il  me  mon- 
a  trait  Vabime  ouvert  sous  ses  pas.  Je  ne  oompôs  fpm  trop  m 
a  langage  mnet.  M'^oâgnant  de  lui,  je  lAcbai  de  k  rasaorer  par 
^  les  phis  tendres  démonstratioos  ;  quoîqu*il  en  parut  tosiciié,  il 
«  pasaa  son  dbemin.  a  £(«  met  rapporti  avec  J.  J.  Rouamuu, 
f  âge  kig. 


AVnfo  1771  r  .  33.1 

939.  —  kMéBv  Petko^. 

JAHÂiSy  mon  cher  hôte,  un  homme  sage  et  ami 
de  la  îi]3tice ,  quelque  preuve  qu'il  croie  avoir,  110 
tondamne  un  autre  homme  sans  l'entendre,  ou 
sans  le  mettre  à  portée  d^être  entendu.  Sans  cette 
loi,  la  première  et  la  plus  sacrée  de  tout  le  droit 
naturel,  la  société,  sapée  par  ses  fimdemens,  ne 
serait  qu'un  brigandage  afifreux ,  oii  llnnocenca  et 
la  vérité  sans  défense  seraient  en  proie  à  Terreur 
et  à  l'imposture.  Quoiqu  en  cette  occasion  le  sujet 
soit  un  peu  moins  grave,  fai  cependant  à  me 

Êlaindre  que ,  pour  quelqu'un  qui  dit  tant  croire  à 
i  vertu,  vous  me  jugiez  si  légèrement  à  votre  or- 
dinaire. 

i^  n  n'y  a  que  peu  de  jours  que  j*ai  reçu  votre 
lettre  du  i5  novembre,  avec  le  billet  sur  vos  ban- 
qnieis  tpi*elle  contenait  Par  une  finaude  des  fac- 
teuES  squi  s'entendaient  avec  je  ne  sais  qui,  mes 
lettres  ont  resté  plusieurs  mois  sans  cours  i  la 
poste,  et  ce  n'est  qu  après  un  entretien  avec  un 
de  ces  messieurs  qui  me  vint  voir,  que  Tafilûre  fut 
éclaircie,  que  le  grief  fut  redressé,  et  qu'on  me 
promit  que  pareille  chose  n'arriverait  plus  à  l'a* 
venir.  En  conséquence  de  ce  redressement,  09 
m'apporta  toutes  mes  lettres ,  dont ,  vu  lénormité 
des  ports,  je  ne  retirai  qjae  la  vôtre  seule  que  je 
Toconiius  à  l'écriture  et  au  cachet.  Il  eût  été  maJU 


354  éû&lMPOCTMSCr, 

^3o» «—4M.  DK  SAn!rr->GBaHAnr. 

A  paris,  17    7t. 

C'siT  aroe  lÂent  da  regref ,  monsieur ,  «pie  faî 
domeuré  si  lon^Xemps  privé  de  vos  nouvelles^ 
une  tracasserie  qu'on  m'avait  &îte  k  la  postf 
m'avs^it  fiit  renoncer  à  recevoir  ni  écrire  auoine 
lettre  par  cette  voie*  Ce  n'est  cpie  deppie  quelques 
jours  qu'une  visite  d'uu  de  ces  messieurs  mVi 
donné  Téclaircissement  de  ce  malenteado  ;  et 
après  la  promesse  qui  m'a  été  fiilte  que  rien  de 
pareil  n*arriverait  à  1  avenir,  je  reprends  la  même 
voie  pour  donner  de  mas  nouvelle»!  et  en  deaian* 
der  aux  personnes  qui  m'intéressent  1  pamm  Us- 
quelles  vous  savez  bien^  monsieur,  que  vous  tenex 
et  tiendrez. toujours  le  premier  rang»  Vemlles, 
monsieur,  m*informer  de  Tétat  présent  àp  voln 
santé  et  de  celle  de  madame  de  Saint^dreraiain,  il 
de  toute  votre  brillante  ÊunîUe.  Je  tous  ooanais 
trop  invariable  dans  vos  senti vens  pour  ^oiMr 
que  je  ne  retrouve  toujours  en  votis  les  boules  el 
la  bienveillance  dont  vous  m^ayez  honoré  ci-de^ 
yant  ;  comme  je  ne  cesserai  jamais ,  non  plus,  d'a- 
voir le  cœur  plein  de  I  attachement  et  de  la  recoin 
sance  que  je  tous  ai  voués. 

Je  n'ai  rien  k  vous  dir»  de  nouveaû«ur  mat  si- 
tuation, elle  est  la  même  que  cî-devanl<:  mes  in- 
oommodilés  ordinaires  m'oni  retenu  chez  moi  ime 
partie  de  Thiver ,  sans  pourtant  m'avo^  ttfof  mal- 


ABTNix  1771  r .  255 

traité.  Ma  femme  a  eu  des  rhumes  et  âes  rliuro^« 
tisses  y  et  le  froid  qui  cvutiuue  avec  beaucoup  da 
rigueur  ne  nous  a  pas  encore  rendu  à  Tun  et 
l'autre  notre  santé  d  été.  Nous  avons  passé  d'a< 
gréaUes  soirées  au  coin  de  nos  tisons  à  parler  des 
avantages  que  nous  a  procurés  Thonneur  de  vous 
connaître,  et  des  heures  si  douces* que  vous  nous 
avex  données  :  noos  vous  prions  de  vous  rappel(^ 
quelquefois  danciens  voisins  qui  sentiront  toute 
leur  vie  le  regret  d'avoir  été  forcés  de  s  éloigner  de 
vous. 

Veuillez,  monsieur,  faire  agréer  nos  respects 
a  madame  de  Saint-Germain ,  et  recevoir  avec 
votre  bonté  accoutumée  nos  plus  humbles  salu- 
latioos,  ^        . 

93l.— -▲  MlDÀlfS  DB  T. 

Le  Garni  1771. 

Un  violent  rhume,  madame,  qui  me  met  hors 
detat  de  parler  sans  &tiguer  extrêmement,  me 
fait  prendre  le  parti  de  vous  écrire  mon  sentiment 
sur  votre  en£int  ^  pourvue  pas  le  laisser  plus  long- 
temps dans  Fétat  de  suspension  où  je  sens  bien 
que  vous  le  tenez  avec  peine,  quoiqu'il  n*y  ait 
poifl^,  selon  moi,  d'inconvénient.  Je  vous  avoue- 
rai d'abord  que  plus  je  pense  à  l'exposition  lumi- 
neuse que  vous  m'av^  faite,  moins  je  puis  me 
persuader  quecette  roideur  de  caractère  qu'il  ma- 
nifeste dans  un  âge  si  tendre  soit  1  ouvrage  de  la 
natixiv.  Cette  mutinerie,  ou,  si  vous  voulez ,  ma- 


?56  CORRESPONDANCE, 

dame^  cette  fermeté,  n'est  pas  si  rare  que  Toni 
croyez  parmi  les  enfans  élevés  comme  lui  dans 
topulence;  et  f  en  sais  dans  ce  moment  même  à 
Paris  ttn  antre  exemple  fout  semblable  dont  la 
Conformité  m*a  beaucoup  frappé,  tandisque parmi 
les  autres  enfans  élevés  avec  moins  de  sc^Iîcitnde 
'apparente /et  à  qui  Ton  â  moins  fait  sentir  parla 
leur  importance /je  n'ai  Vu  de  ma  vie  un  exemple 
pareil.  Mais  laitons,  quant -ft  présent,  cette  ob- 
servation qui  nous  mènerait  trop  loin,  et,  qu<M 
quil  en  soit  de  la  cause  du  mal,  parlons  du  re- 
mède. 

Vous  voilà,  madame,  à  mon  avis,  dans  une 
circonstance  favorable  dont  vous  pouvez  tirer 
grand  parti  :  Ten&nt  commence  k  s'impatienter 
dans  sa  pension,  il  désire  ardemment  de  revenir; 
mais. sa  âerté,  qui  ne  lui  permet  jamais  de  5V 
baisser  aux  prières,  l'empêche  de  vous  manifester 
pleinement  son  désir.  Suivez  cette  indication  pour 
prendre  sur  lui  un  ascendant  dont  il  ne  lui  soit 
pas  abé  dans  la  suite  d'éluder  leffet.  S'il  n*y avait 
pas  un  peu  de  cruauté  d'augmenter  ses  larmes,  je 
voudrais  quon  commençât  par  lui  faire  la  pe« 
tout  entière,  et  que^  sans  que  personne  lui  d^ 
précisément  qu'il  restera,  ni  qu'il  reviendra,  il 
vit  quelque  espèce  de  préparatifs,  comme  pour 
lui  faire  quitter  tout-à-faît  la  maison  paternelle, 
et  qu'on  évitât  de  s'expliquer  avec  lui  sur  ces  pré- 
paratifs. Quand  vous  Feu  verriez  le  plus  inquiet, 
vous  prendriez  alors  votre  momeiit  pour  loi  par 


In,  et  Cflia  d^an  air  si  sérieux  bï  â  ferme  (pill.  fui 
bien  persuadé  qoe  c  est  tout  de  bon. 

ex  Mon  filS)  il.  n'en  coAlc  tant  de  vous  tenir 
éloigné  de  moi  y  que^  si  je  n'écontais  qnc  mop  pen- 
chant, je  TOUS  retiendrais  ici  dès  ce  moment  ;  mais 
c  est  ma  trop  grande  tendresse  ponr  vous  qui 
iD^elnpâche  de  m^  livrer  :  tandis  que  vous  ùyez 
été  ici  j'ai  vu  avec  la  ^us  vive  douleur  qu'au  lieu 
fie  répondre  à  rattachement  de  votre  mère ,  et  de 
lui  rendre  en  toute  chose  la  complaisance  qu!eUe 
aimait  avoir  pour  vous,  vous  ne  vous  appliquiez 
qu^à  Ini&ire  éprouver  des  contradictions,  qui  la 
cléchifent  tmp  de  votre  part  pour  qu'elle  les  pui^e 
endurer  davantage ,  eit^ 

«  J'ai  donc  pris  la  résolution  de  vous  placer 
loin  de  moi  pour  m^épargner  laffliction  d être. à 
tout  moment  Fobjet  et  le  témoin  de  votre  déso* 
béissance.  Puisque  vous  ne  voulez  pas  répondre 
aux  tendres  soins  que  j'ai  voulu  prendre  de  votre 
éducation  «j^areie  mieux  que  vous  alliez  devenir 
un  mauvais;  sujet  loip  de  mes  yeux,  que  de  voir 
mon  fils  chéri  manquer  4  chaque  instant  à  ce  qu^il 
doit  à  sa  mère  ;  et  d'ailleurs  je  ne  désespère  pas 
que  des  gens  fermes  et  sensés ,  qui  n'auront  pds 
pour  vous  le  même  faible  que  m3i ,  ne  viennent  a 
bout  de  dompter  vos  mutineries  par  des  traltc^- 
Riens  nécessaires  que  Votre  mère  n'aurait  jamais 
le  courage  de  vous  faîreendorcir;  etc. 

n  Voilà,  mon  fils,  les  raisons  du  parti  que  j'ai 
pris  i  votre  égard  5  èl  le  seul  q,ue  tous  me  laissiez 


« 


ipFcndra  pour  ne  pas  vons  livixr  à  îsnm  vta  ié" 
£iuts  et  me  rendre  idat-à-fiitt  malhenraBat.  Je  ne 
VMé  Imue  point  à  Paris,  pour  ne  ]Ma  «voir  i 
oanibatire  sans  cesse,  en  tous  vojanl  €rop  son- 
^o&l,  le  désir  de  voiis  rapprocher  de  m^i;  mais  je 
^e  TOUS  tiendrai  pas  non  pk»  si  él<Mgné  que,  si 
Von  est  contenr  de  vous,  je  ne  pdaso  vous  fm 
venir  ici  quelquefois,  etc.  n 

Je  sois  fort  trompé,  madame,  si  toute  sa  lian- 
leur  tient  à  ce  coup  inattendu  «  dont  'û  antia 
toute  la  conséquenee,  yu  amAaiit  k  àeodre  aUa- 
€iieitieBt  que  tous  lui  oonnaifles  pour  vous,  et 
qtti,  dans  ce  moment;  Ara  tanre  teDtr&ittie  pr» 
cliant.  11  pleurera ,  il  gémira,  il  pooasera  des  crii* 
Miqnds  TOUS  ne  aètaz  ni  ne  paraître»  insensiUe; 
fuiis,  lui  pariant  towfonn  die  son  départ  oonine 
dWe  chose  arrangée,  tous  lui  montieiva  du  »> 
pet  qu'il  ait  laissé  venir  est  ammgement  aa  poîst 
m  ne  pouvoir  plus  être  révoqué.  Voilà  ^  s^ 
moi,  le  route  par  laquelle  veW  l'amènerez  sans 
peine  à  une  capitulation ,  qttll  acceptera  arvec  ins 
transports  de  joie«  et  dont  vous  réglerez  tous  les 
articles  san^  qu'il  regimbe  contre  aucun  :  encorr 
avec  tout  cela  ne  paraitrez-vous  pas  compter  ei 
trémement  sur  la  solidité  de  ce  traité;  vous  le  re- 
oevrez  plutôt  dans  votre  maison  comme  paF  essa 
que  par  une  réunion  constante^  et  son  voyage  p^ 
rattra  plutôt  diffioré  que  mippai,  rassurant  œpes- 
dant  que,  s'il  tient  xëellenieAt  (W  eogagemeos,  C 


AUSliB  1771.  ^39 

foa  le  bonheur  de  votre  vie  en  vous  dispensant  de 
rélotgncr  de  vous. 

Il  me  semhle  que  voilà  le  moyen  de  fair&avec 
lui  raccord  h  plus  solide  qu*il  soit  possible  défaire 
avec  un  enfant  ;  et  il  aura  des  raisoi^s  de^  tennr  cet 
accord  si  puissantes  et  teHement  â  sa  portée,  que , 
sdon  toute  apparence  y  il  reviendra  souple  et  ÛXf: 
cile  pour  long-temps. 

Voilà,  madame,  ce  qui  m'^a  para  le  mieux  à 
fabe  dans  k  circonstance.  H  y  a  une  contipuilé 
de  régime  à  observer  qu'on  ne  peut  détaiUer  dans 
une  lettre,  el  qui  ne  pent  se  déterminer  que  par' 
Texameo  du  sujet:  et  d'ailleurs  ce  n'est  ^s  une 
mère  aussi  len^  que  vous ,  ce  n^est  pas  un  esprit 
aussi  clairvoya!it  que  le  v6tre  qu'il  &ut  guider 
dans  tous  cm  détails.  Je  vous  Tai  dit,  tnadame,  je 
m'en  suis  }  énétré  dans  notre  unique  coXIversa* 
tîon }  vous  n'avez  besoin  des  conseils  de  personne 
dans  la  grande  et  respectable  tlche  dont  vous  êtes 
chargée,  et  que  vous  rempiissee  si  bien.  J'ai  dû 
cependant  m  acquitter  de  celle  que  votr^mddestie 
m*a  imposée  -,  je  lai  fait  par  obéissance  ^  par  de* 
vdir ,  mais  bien  persuadé  que  pour  savoir  ce  qull 
y  a  de  mieux  à  faire,  il  suffisait  dbhierrér-'Otf^^ 
vottsferex. 


^S0  OOaESSPpXDAKCÈ, 

93a. — A  HADAMS  DB  CrÉQUI, 

Cemwdi  7.(1771.; 


R^ussBAD  peut  assurer  madame  la  maïquise  de 
Créqui  que,  tant  qu'il  croira  trouver  chez  eUe  In 
scntimeùi  ffa!i\  y  porte ,  et  dont  le  retour  lui  est 
dû ,  loin  de  compter  et  regretter  sçs  pas  pour  avoir 
l'honneur  de  la  voir,  il  se  croira  bien  dédommagé 
de  ceiit  courses  inutiles  par  le  succès  d'une  seule. 
Mais,  en  tout  autre  cas,  il  déclare  qu'il  regarde- 
rait un  seul  pas  comme  indignement  perdu,  et  ses 
visite^  reçues  comme  une  fraude  et  un  roi,  puis- 
que T-estime  rédproque  est  la  condition  sacrée  et 
indispensable  sans. laquelle,  hors  la  nécessité  des 
aSaires,  il  est  bien  déterminé  &  n^en  jamais  ho- 
norer volontairement  qui  que  ce  soit. 

Je  reçois  chez  moi,  j'en  conviens,  des  gens 
pour  qui  je  n'ai  nulle  estime  \  mais  je  les  reçois  par 
force  :  je  ne  leur  cache  point  mon  dédain;  e! 
coraiùe  ils  sont  accommodans,  ib  le  supportent 
pour  aller  à  leurs  fins.  Pour  moi,  qui  ne  veui 
tromper  ni  trahir  personne ,  quand  je  fais  tant  que 
d^aller  c\us%  quelqu^un,  c'est  pour  rfaonorer  et  ea 
être  honoré.  Je  lui  témoigne  mon  estime  en  y  al- 
lant; il  me  témoigne  la  sienne  en  me  recevant  :  s  il 
a  h  malheur  de  me  la  refuser,  et  qull  ait  de  k 
droiture,  il  sera  bientôt  désabusé,  ou  délivré  èi 
moi.  VoxU  mes  sentimens  :  s'ils  s*accordeQt  avec 
ceux  de  madame  la  BEiamuise  de  Créqui,  j*ca  scrat 


▲KNtJS  I77X.  36i 

.cooiklé  de  joie;  slb  en  ^àSèreuijfes^e  qu'elle 
Tondra  biep  me  dire  en  ^oi.  Si  elle  aime  mieux 
ne  me  rien  dire,  ce  .sera  me  parler  très-clairement. 
Je  la  supplie  d  agréer  ici  mes  sentimens  et  mon 
respect.  RovssBAtr. 

N.  B,  Ce  billet  fut  écrit  à  la  réception  de  celui 
que  madame  la  marquise  deCréqui  ma  fait  écrire; 
mais  ne  voulant  pas  le  confier  à  la  petite  poste, 
fai  attendu  que  je  fusse  en  état  de  le  porter  moi- 
même. 

§33.  —  ▲  Mjldamb  Latovr. 

Je  n'ai  eu  llionneut  de  vous  voir,  madame, 
qu'une  seule  fois  en  ma  vie,  j^ai  eu  souvent  celui 
de  vous  répondre;  et,  sans  prévoir  que  mes  let* 
très  seraient  un  jour  exposées  à  être  imprimées ,  je 
me  suis  livré  pleinement  aux  diverses  impressions 
que  me  faisaient  les  vôtres.  Vous  avez  pris  ma  dé- 
fense contre  les  trames  de  mes  persécuteurs  du- 
rant mon  séjour  en  Angleterre  :  cette  générosité 
m'a  (^fin$porté,  vou»  avpz  d(!(  voir  combien  j^y 
étab  fusible.  Depuis  lors,  ma  situation  se  dévoi- 
lant davantage  à  mes  yeux,  j'ai  trouvé  qu'avec  au- 
tant de  franchise  et  même  d'étourderie,  il  ne  me 
convenait  de  rester  en  commerce  avec  personne 
dont  je  ne  connusse  bien  le  caractère  et  les  liai- 
sons ;  j'ai  vu  que  Postentation  des  services  qu'on 
j empressait  de  me  rendre  n'était  souvent  quuii 


36q  CORRESPOltDAirCX, 

piège  plus  on  moins  adroit  pour  më  drconvenlr, 
ou  pour  m'exposer  au  blâme ,  si  je  Tévitaîs.  De 
toutes  mes  correspondances  vous  étiez  en  même 
temps  la  plus  exigeante,  celle  que  je  connaissais 
le  moins,  et  celle  qui  m*éclairait  le  moins  sor  les 
choses  qu'il  m^importait  de  savoir  et  que  voici  ni- 
gnoriez  pas.  Cela  m'a  détermine  à  cesser  un  com- 
merce qui  me  devenait  onéreux  j  et  dont  le  vrai 
motif  de  votre  part  pouvait  m'échapper.  J'ai  tou- 
jours cru  que  rien  n'était  plus  Kbre  que  les  liai- 
sons d'amitié,  surtout  des  liaisons  purement  épis- 
tolaires^etqull  était  toujours  permis  de  les  romprs 
quand  elles  cessaient  de  nous  convenir,  pourvu 
que  cela  se  fit  franchement,  sans  tracasserie,  sans 
malice  et  sans  éclat,  tant  que  cet  édat  n'était  pas 
indispensable.  Tai  voulu,  madame,  user  avec  vous 
de  ce  droit,  avec  tous  ces  ménagemens.  Vous  m'en 
avez  Ëiît  un  crime  exécrable,  et,  dans  votre  der* 
nière  lettre,  vous  appelez  cela  enfoncer  d'une 
main  sûre  un  fer  empoisonné  dans  le  sein  de  Va- 
miiié.  Sans  vous  dire,  madame,  ce  que  je  pense 
de  cette  phrase,  je  vous  dirai  seulement  que  je 
suis  déterminé  à  n'avou:  de  mes  jours  de  liaison 
d'aucune  espèce  avec  quiconque  à  pu  l'employer 
en  pareille  occasion.. 


1  • 


AtlKiB  1771*  363 

934.  —  ▲  ML  DU  Petrou. 

A  Pirif ,  a  ipiUet  I J7 1. 

Jai  été  hief)  mon  cher  hôte,  chez  vos  ban- 
quiers recevoir  Tannée  échue  de  ma  pension  de 
milord  Maréchal  :.  ce  n'est  pourtant  pas  unique- 
ment po,ur  vous  donner  cet  avis  que  je  vous  écris 
aujourd'hui^  mais  pour  vous  dire  qu'il  j  a  long- 
temps que  je  n'ai  reçu  directement  de  vos  nou- 
velles; heureusement  le  libraire  Rey,  qui  vous  a 
vu  à  Neufehâtel,  n^'en  a  donné  de  vous  et  de  ma-' 
dame  du  Peyrou^  d'assez  honnes  pour  m'ôter 
toute  autre  inquiétude  que  celle  de  votre  oubli. 
Etes-Tous  enfin  dans  votre  maison?  Est-elle  en- 
tièrement achevée,  et  y  étes-vous  bien  arrangé? 
Si ,  comme  je  le  désire^  son  habitation  vous  donne 
autant  d'agrément  que  son  bâtlmenl  vous  a  causé 
d'embarras,  vous  j  devez  mener  une  vie  bien 
douce.  Je  me  suis  logé  aussi  l'automne  dernier, 
moins  au  large  et  k  un  cinquième,  mais  asses 
agréablement  selon  mon  goût ,  et  en  grand  et  bon 
air;  ce  qui  n'est  pas  trop  facile  dans  le  axxa  de 
Paris.  Si  vous  me  donnez  quelque  signe  de  vie ,  je 
serais  bien  aise  que  vous  me  donnassiez  des  nour 
velles  de  M.  Roguin,  mon  bon  et  ancien  ami, 
dont  )e  sais  que  les  incommodités  sont  fort  aug- 
mentées depuis  un  an  ou  deux ,  et  dont  je  n'ai  au* 
cunes  nouvelles  depuis  long-temps.  Nous  vous 
prions,  ma  femme  et  moi,  de  npus  rappeler  au 


366  COKUSPOITDAliCS  y 

que  oeux  qoi  ont  prétenda  vous  mettre  au  ùii  de 
celte  afiaire  ne  vous  ont  pas  £iit  un  rappcnrt  fidèle , 
et  que  la  difficulté  n'est  pas  où  vous  croyez  la 
voir. 

Je  vous  réitère,  monsieur^  mes  actions  de  grâces 
de  Ilntérât  que  vous  voulez  bien  prendre  à  moi, 
et  qui  m'est  plus  précieux  que  toutes  les  pensions 
du  monde;  mais  comme  j'ai  pris  mon  parti  sur 
celle-U ,  je  vous  prie  de  ne  m  en  reparla'  jamais. 
Agréez  mes  humbles  salutations. 

987.  *-«▲%[.  LiKics  (*). 

P«rii,  k  SI  tqrtcmibre  1^71. 

Recivsz  avec  bonté,  monsieur,  Iliommage 
d'un  très-ignare,  mais  très-zélé  discif^  de  vos  dis- 
ciples ;  qui  doit  ^  en  grande  parUe ,  à  la  méditation 
de  vos  écrits,  la  tranquillité  dont  il  jouit,  au  mi- 
lieu d  une  persécution  d'autant  plus  cmellequ>lle 
est  plus  cachée,  et  quelle  couvre  du  masque  de 
la  bienveillance  et  de  Famitié  la  plus  terrible  haine 
que  Fenfer  excita  jamais.  Seul ,  avec  la  nature  et 
vous,  je  passe  dans  mes  promenades  champêtres 
des  heures  délldeuses ,  et  je  tire  un  profit  plus  réel 
de  votre  philosophie  botanique  que  de  tous  les 

livres  de  morale.  J'apprends  avec  joie  que  je  ne 

< , 

{*)  Cette  lettre  fnt  oammaDiquée  â  BL  BraiuMliet  ptr 
M.  &mth,  de  le  Société  lojale  de  Londrat,  qoî  e  eequîe  le  coU 
leetion  et  lei  nuonicriu  de  Linné;  il  Va  fini  tnpiioMr  àam fe 
JounuA  de  VarU^  le  9  mai  1786. 


kvviz  177a*  367 

vous  sois  pas  toat-è  fait  inconnu,  et  que  vous 
voulez  bien  me  destiner  quelques-unes  de  vos 
productions.  Soyez  persuadé,  monsieur,  qu'elles 
feront  ma  lecture  chérie,  et  que  ce  plaisir  devien* 
dra  plus  vif  encore  par  celui  de  le  tenir  de  vous. 
«Tamuse  une  vieille  en&nce  à  &ire  une  petite  col- 
lection de  fruits  et  de  graines  :  si^  parmi  vos  tré- 
sors en  ce  genre,  il  se  trouvait  quelques  rebuts 
dont  vous  voulussiez  faire  un  heureux,  daignez 
songer  à  moi.  Je  les  recevrais  même  avec  recon- 
naissance, seul  retour  que  je  puisse  vous  oi&ir, 
mais  que  le  cœur  dont  elle  part  ne  rend  pas  indi- 
gne de  vous. 

Adieu ^  monsieur;  continuez  d'ouvrir  et  d'in- 
terpréter aux  hommes  le  livre  de  la  nature.  Pour 
moi^  content  d'en  déchiffrer  quelques  mots  k 
votre  suite ,  dans  le  feuillet  du  règne  végétal ,  je 
vous  Us,  je  vous  étudie,  je  vous  médite,  \e  vous 
honore  et  je  vous  aime  de  tout  mon  cœur« 

g38.  — A  M.  DJB  SAlirr-GERMAiN. 

Moi,  vous  oublier,  monsieur!  pourriez -vous 
penser  ainsi  de  vous  et  d(^  moi!  non,  les  senti- 
mens  que  vous  m'avez  inspirés  ne  peuvent  non 
plus  s^altérer  que  vos  vertus,  et  dureront  autant 
que  ma  vie.  Mes  occupations,  mon  goût,  ma  pa- 
resse, m'ont  forcé  de  renoncer  à  toute  correspon- 
dance. Je  m'étais  pourtant  proposé  de  vous  faire 


368  CO&AESPOITDAirCB , 

passer  un  petit  signe  de  vie  par  M.  le  marqoîs 
de^**j  ^  m'a  promis  de  me  revenir  Yoir  ayant 
son  départ ,  et  de  vouloir  bien  s'en  chaîner.  Je  sois 
touché  que  votre  bonté  m  ait  forcé,  pour  ainsi 
dire,'  à  prévenir  cet  arrangement. 

Je  ne  puis,  monsieur,  vous  promettre,  en  £ût 
de  lettres,  une  exactitude  qui  passe  aies  forces; 
mais  je  vous  promets,  avec  toute  la  confiance  d*iiD 
ooËur  qui  vous  est  dévoué^  un  attachement  inalté- 
rable et  digne  de  vous.  Ainsi,  quand  je  ne  vous 
écrirai  point,  daignez  interpréter  mon  silence  paz 
tous  les  sentrmens  que  je  vous  ai  fiiit  connaitre, 
et  vous  ne  vous  tromperez  jamais. 

Ma  femme,  pénétrée  des  attentions  dont  vous 
rhonorez,  me  charge  de  vous  témoigner  combien 
elle  y  est  sensible,  et  c'est  corijointement  que  noos 
réunissons  les  vœux  de  nos  cœurs  pour  vous, 
monsieur ,  pour  madame  de  Saint-Gènnain ,  â  qui 
nous  vous  prions  de  &ire  agréer  nos  respects,  et 
pour  tous  vos  aimables  enfans,  dont  la  brillante 
espérance  annonce  de  quel  prix  le  ciel  vent  payer 
les  vertus  de  ceux  qui  leur  ont  donné  Fétre. 

gSg.  --^  A  M.  DE  Sartine  (*). 

Monsieur, 

Je  sais  de  quel  prix  sont  vos  momens,  je  sais 

{*)  Bl  Leooir  ne  succéda  à  Bl  de  Sartine  qa*eo  1 774*  <^^ 
donc  |)ar  erreor  quQo  a,  dans  kt  éditioqs  pcMdentea»  mmh 
tfam  du  premier* 


iNIfiE  1772.  369 

qa'on  les  doit  respecter;  mais  je  sais  aussi  qae  les 
plus  précieux  sont  ceux  (jue  vous  consacrez!  i  pro- 
téger les  opprimes,  et  si  j  ose  en  réclamer  quel- 
ques-uns, ce  n'est  pas  sans  titre  pour  cela. 

Après  tant  de  vains  elfi)rts  pour  faire  percer 
quelque  rayon  de  lumière  à  travers  les  ténèbres 
dont  on  mVnvironne  depuis  dix  ans,  j'y  renonce. 
J'ai  de  grands  Vices,  mais  qui  n'ont  jamais  &it  de 
mal  qu'à  moi;  j'ai  commis  de  grandes  fautes ,  mais 
^e  je  n*ai  point  tues  à  mes  amis,  et  ce  nW  que 
par  moi  qu  elles  sont  connues,  quoiqu'elles  aient 
été  publiées  par  d'autres  qui  sont  quelquefois  plus 
discrets.  A  cela  près,  si  quelqu'un  m'impute  quel* 
que  sentiment  vicieux,  quelque  discours  blâma- 
ble,  ou  quelque  acte  in  jus  le,  qu'il  se  montre  et 
qu'il  parle;  je  l'attends  et  ne  me  cache  pas;  mais 
tant  qu'il  se  cachera,  lui,  de  moi,  pour  me  diffa- 
mer, il  n'aura  diffamé  que  lui-même  aux  yeux  de 
tout  homme  équitable  et  sensé.  L'évidenee  et  les 
ténèbres  sont  incompatibles  :  les  preuves  admi- 
nistrées par  de  malhonnêtes  gens  sont  toujours 
suspectes,  et  celui  qui,  commençant  par  fouler 
aux  pieds  la  plus  inviolable  loi  du  droit  naturel  et 
de  la  justice  ,^  se  déclare  par  là  déjà  lâche  et  mé- 
chant, peut  bien  être  encore  imposteur  et  fourbe. 
Et  comment  donnerait-il  à  son  témoignage,  et ,  si 
l'on  vent ,  à  ses  preuves ,  la  force  que  Téquité  n'ac- 
corde même  à  nulle  évidence,  de  disposer  de 
rhonneur  d'un  homme,  plus  précieux  que  la  vie, 
sans  l'avoir  uàs  préaiablemeni  en  état  de  se  dé^ 


3^  '  CORRESPOIIDAVCE  , 

campagnes ,  oh,  livré  sans  ressource  aux  manœu- 
vres des  gens  qui  disposent  de  m<H,  je  me  voyais 
en  proie  à  leurs  salelîites  et  à  tontes  les  illusions 
par  lesquelles  les  gens  puissans  et  inlrigans  abii. 
sent  si  aisément  le  public  sur  le  compte  êHun 
étranger  isolé  i  qui  l'on  est  venu  à  bout  de  fiùre 
un  inviolable  secret  de  tout  ce  qui  le  regarde,  et 
qui  par  conséquent  n^a  pas  la  moindre  défense 
contre  les  mensonges  les  plus  extravagans. 

J'ai  donc  peu  besoin ,  monsieur,  de  vous  dire 
que  cette  opulence  don  t. on  me  gratifie  si  libéra- 
lement dans  les  cercles ,  que  toutes  ces  pensions  si 
fièrement  spécifiées  (i)^  cette  édition  qu'on  me 
pëte,  sont  autant  de  fictions;  mais  je  n'ai  pu 
m^empêchef  de. mettre  sous  vos  yeux  l'impudence 
incroyable  dudit  Simon,  que  je  ne  vis  de  mes 
joun$,  que  je  sache,  chez  qui  je  n'ai  jamais  mis  k 


(t)  CeUet  en  paitieuKer  de  madame  Duchesne  m  réduisot 
foutes  à  une  rente  de  trMseeoU  fiancs,  ttîpiilée  dana  le  mafcbé  de 
moD  DMonncùre  de  Musiqui,  J'en  ai  use  de  tix  ceota  frHaca,  de 
milord  llaréebal,  dont  je  ioois  par  Tattention  de  celui  <{a*i]  ca 
a  chargé  ^  ma  prière ,  mais  sans  a«itre  aâreté  que  son  bon  plaisirf 
n'ayant  aucun  acte  Talable  pour  la  réclamer  de  mon  cbef.  In 
fine  rente  de  di«  lÎYies  sterling,  pour  roea  IWrei  que  î'û  «bhIm 
fn  Angleterre,  sur  la  tête  de  l'ackatsur  et  aur  ki  mîeaae,  m 
forte  que  cette  rente  doit  s'éteindre  au  premier  moniant.  Toai 
cela  fidt  ensemble  onie  cents  francs  de  viager,  dont  il  u*j  a  <{» 
trois  oeots  de  solides.  Ajontei  A  cela  quelque  argent  oomptaitL 
Irienier  Nste  du  petit  eapîtal  que  J'ai  ooaenme  dana  fMa  ▼oyaçai. 
êh  que  je  m'dtaia  céaenré  yçm  avoir  jjueljne'  ntanoe  fo 
iâ  ma  éubllasfinmt, , 


pied ,  dont  je  ne  sais  pas  la  demeure ,  et  ^e  j*igiiô* 
rais  même,  avant  ces  bruits  y  avoir  imprimé  aucun 
de  mes  écrits.  Comme  je  n'attends  plus  aucune 
justice  de  la  part  des^ommes,  je  m'épargne  dé^ 
sonnais  la  peine  inutile  de  la  demander,  et  je  ne 
vous  demande  à  vous-même  cpie  la  patience  de 
me  lire  j  quoique  je  fasse  l'exception  qui  est  due  i 
votre  intégrité  et  à  la  générosité  qui  vous  inté- 
resse aux  infortunés.  Mais  ne  voyant  plus  rien 
qui  paisse  me  flatter  dans  cette  vie ,  les  restes  m'en 
sont  devenus  indiffîrens.  La  seule  douceur  qui 
peut  m  y  toucher  encore  est  que  Toeil  clairvoyant 
d'un  homme  juste  pénètre  au  vrai  ma  situation, 
qu^il  la  connaisse,  et  me  plaigne  en  lui- même , 
sans  se  commettre  pour  ma  défense  avec  mes  dan- 
gereujc  ennemis.  Je  vous  aurais  choisi  pour  cela,, 
monsieur,  quand  vous  ne  rempliriez  point  la  place 
oii  vous  êtes;  mais  j'y  vob,  je  Tavoue,  un  avan- 
tage de  plus ,  puisque ,  par  cette  place  même ,  vouj 
aveas  été  à  portée  de  vérifier  assez  d'impostures 
pour  en  présumer  beaucoup  d'autres  que  vous 
pouvez  vérifier  de  même  un  jour.  Peut-être  vous 
écrirai- je  quelquefois  encore,  mais  je  ne  vous  de- 
manderai jamais  rien;  et  si  ma  confiance  devient 
importune  à  l'homme  occupé,  je  réponds  du  moins 
(pi  elle  ne  sera  jamais  à  charge  au  magistrat. 
Veuillez  ne  la  pas  dédaigner;  veuillez,  monsieur, 
vous  rappeler  qu'elle  ne  tient  pas  seulement  au 
respect  que  vous  m'avez  inspiré,  mais  encort 
skWL  témoignages  de  bonté  dont  vous  m'avez  ho- 

"a 


3^  cost^bspo5I3a:?ce, 

iitfré  quelquefois^  et  que  je  veux  mériter  toute 

ma  vie. 

A  la  suite  de  cette  lettre,  Vauieur  a  ajouté ^ 
êoit  comme  apostille  j  soit  c(mitfiie  simple  obser- 
potion,  l'article  qu'an  va  lire^ 

Il  n  est  peut-être  pas  inutile  d'oliserver  que  k 
sieur  Guy  vient  très-fréquemment  chez  moi  sans 
avoir  rien  k  me  dire ,  et  sans  que  je  puisse  trouver 
aucun  motif  à  ses  vbites,  vu  que  toutes  les  afiàiics 
que  nous  avons  ensemble  n'exigent  qu'une  entre- 
vue de  deux  minutes  par  an,  et  qu'il  n'y  a  point 
de  liaison  d'amitié  entre  lui  et  moi.  II  m'a  prié  de 
lui  faire  un  triage  de  chansons  dans  les  anciens 
recueils  pour  en  faire  un  nouveau.  Je  Tai  prié,  de 
mon  cAté,  de  me  prêter  quelques  romans  pour 
amuser  ma  femme  durant  les  soirées  d'hiver.  Il  est 
parti  de  là  pour  me  Êiire  apporter  en  pompe  dHm- 
menses  paquets  de  brochures,  qui,  avec  ses  allées 
et  venues,  lui  donnent  Tair  d'avoir  avec  moi  beau- 
coup d'affaires.  Tout  cela ,  joint  aux  bruits  dont 
j^ai  parlé,  commence  à  me  faire  soupçonner  que 
ces  fréquentes  visites, que  je  ne  prenais  que  pour 
un  petit  espionnage  assez  commun  aux  gens  qui 
m  entourent,  et  très-indifl^rent  ponr  moi,  pour- 
raient bien  avoir  un  objet  plus  méthodique  et  di- 
rigé  de  plus  loin.  11  y  a  dans  tout  cela  de  petites 
manœuvres  adroites,  dont  le  but  me  parattrait 
pourtant  facile  à  découvrir  dans  toute  autre  posi- 
ûon  que  la  mienne^  pour  peu  qu'on  y  mit  de  soin. 


imiE  1773.  37a 

^O. A  lOLORD  HARCOimT. 

Pttbtle  i6Jiiiii  1773. 

Jai  reçu  9  mllord,  avec  plaisir  et  reconnais- 
sance, des  témoignages  de  la  continuation  do 
TOtre  souvenir  et  de  vos  bontés  par  madame  la 
duchesse  de  Portland,  et  je  suis  encore  plus  sen- 
sible k  la  peine  que  vous  prenez  de  m  en  donner 
par  vous-même.  Tavais  espéré  que  l'ambassade 
de  milord  Harcourt  pourrait  vous  attirer  dans  ce 
pays  )  et  c^eAt  été  pour  moi  une  véritable  douceur 
de  vous  y  voir.  Je  me  dédommage  autant  qu'il  se 
peut  de  cette  attente  frustrée ,  en  nourrissant  dans 
mon  cœur  et  dans  ma  mémoire  les  sentimens  que 
roiis  mWez  inspirés,  et  qui  sont  par  leur  nature 
à  l'épreuve  du  temps,  de  Téloignement  et  de  Tin- 
terruption  du  commerce.  Je  n'entretiens  plus  de 
correspondance ,  je  n'écris  plus  que  pour  l'absolue 
nécessité;  mais  je  n'oublie  point  tout  ce  qui  m'a 
paru  mériter  mon  estime  et  mon  attachement;  et 
c^est  dans  cet  asile  de  diflScile  accès,  mais  par  U 
plus  digne  de  vous,  et  où  rien-  n^entre  sans  le 
passe-port  de  la  vertu ,  que  vous  occuperez  tou- 
jours une  pbce  distinguée. 

Je  suis  sensible  y  milord,  à  vos  ofires  obli- 
geantes; et  si  j'étais  dans  le  cas  de  m^en  prévaloir, 
je  le  ferais  avec  confiance,  et  même  avec  joie, 
pour  vous  montrer  combien  je  compte  sur  vos 
bontés  :  mab^  grices  au  ciel^  je  n'ai  nulle  afiaire^ 


iy6  CORKSSPOITOÀVCE , 

et  toat  sur  la  terre  m'est  devenu  si  indiifêrent,  qne 
je  ne  me  donnerais  pas  même  la  peine  de  formet 
un  désir  pour  cette  yie,  quand  cet  acfe  seul  suffi- 
rait pour  l'accomplir.  Ma  femme  tous  prie  d'a- 
gréer ses  remercîmens  trës-humbles  de  uionneur 
de  votre  souvenir,  et  nous  vous  ol&ons,  miloid, 
de  tout  notre  cœur,  l'un  et  l'autre ,  nos  salutations 
et  nos  respects. 

g/^l  é  *—  ▲  HÂDAME  LaTOUR. 

Voici,  madame,  votre  partition;  je  vous  de- 
mande pardon  de  mon  étourderie  et  du  quipro- 
quo, N^ayant  pas  en  ce  moment  le  temps  d'exa- 
miner la  Reine  fantasque  ^  et  ne  voulant  pas 
abuser  de  la  complaisance  cpe  vous  avez  de  me  U 
laisser,  je  vous  la  renvoie,  avec  mes  remercîmens^ 
Je  vous  en  dois  de  plus  grands  pour  Foffire  cpe 
vous  ïsCavez  bien  voulu  &ire  de  comparer  avec 
les  bonnes  éditions  les  éditions  que  1  on  fait  ici  de 
mes  écrits,  et  que  je  dois  croire  frauduleuses, 
puisqu^on  me  les  cache  avec  tant  de  soin.  Je  sens 
le  prix  de  cette  offre,  et  j'y  suis  sensible;  mais  la 
dépense  et  la  peine  que  Vous  coûterait  son  exécu* 
lion  ne  me  permettent  pas  d^  consentir. 

Jai  eu  l'honneur,  madame^  de  vous  voir  hier 
pour  la  troisième  fois  de  ma  vie;  j^ai  réfléchi  sur 
i  entretien  oii  vous  m'avez  engagé  et  sur  les  choses 
^ue  vous  m'y  avez  dites;  le  résultat  de  ces  ré- 


flexions  est  cle  me  confirmer  pleinement  dans  la 
résolution  dont  je  vous  ai  ùîi  part  ci-devant ,  et  À 
laquelle  vous  vous  devez,  selon  moi,  de  ne  plus 
porter  d'obstacle,  â  moins  que  vous  n'ajez  pour 
Cela  des  raisons  particulières  que  je  ne  sais  pas ,  et 
auxquelles^  par  cette  raison ,  je  suis  dispensé  de 
céder. 

C^2.  *^  A  MADAME  LA  MARQUISE  DE  MesMES. 

Parts,  29  juillet  177s* 

Je  suis  affligé,  madame,  que  vous  vous  y  pre- 
niez un  peu  trop  tard ,  car ,  en  vérité ,  je  vous  an- 
rais  demandé  de  tout  mon  cœur  lentrevue  que 
vous  avez  la  bonté  de  m  oflBrir,  mais  je  ne  vais  plus 
chez  personne,  ni  à  la  ville  ni  à  la  campgne;  la 
résolution  en  est  prise,  et  il  faut  bien  qu'elle  soit 
sans  exception,  puisque  je.  ne  la  fais  pas  pour 
vous.  Jai  même  tant  de  confiance  aux  sentimens 
que  j'ai  su  vous  connaître,  que  je  ne  refuserais 
pas ,  madame ,  de  discuter  avec  vous  mes  raisons , 
si  j'étais  à  portée,  quoique  je  sache  bien  que  ce 
serait  me  préparer  de  nouveaux  regrets. 

Adieu  donc, madame;  daignez  penser  quelque- 
fois à  un  homme  dont  vous  ne  seriez  jamais  ou- 
bliée, et  qui  se  consolerait  difficilement  d'être  si 
mal  connu  de  ses  contemporains,  si  leurs  senti- 
mens  sur  son  compte  Tintéressaient  autant  que? 
fo'ont  toujours  ceux  de  madame  la  maitjuisc  de 

« 

3a. 


3^9  C0MlB5P0tlDA9€B| 

g43. A  MADAME. .... 

Paris,  le  i4  9oàî  1771. 

Il  est,  madame 9  des  situations  auxquelles  il 
n^est  pas  priais  à  un  honnête  homme  d'être  pré- 
paré, et  celle  oh  je  me  trouve  depuis  dix  ans  est 
h  plus  inconcevable  et  la  plus  étrange  dont  on 
puisse  avoir  Fidée.  JPen  ai  senti  Thorreur  sans 
en  pouvoir  percer  les  ténèbres.  J'ai  provoqué 
les  imposteurs  et  les  traîtres  par  tous  les  moyens 
permis  et  justes  qui  pouvaient  avoir  prise  sur  des 
coeurs  humains  :  tout  a  été  inutile;  ils  ont  Eût  le 
plongeon;  et,  continuant  leurs  manœuvres  sou- 
terraines, ils  se  sont  cachés  de  moi  avec  le  plus 
grand  soin.  Cela  était  naturel,  et  j'aurais  dû  m'y 
attend'"e.  Mais  ce  qui  Test  moins  est  qu'ils  ont 
rendu  le  public  entier  complice  de  leurs  trames  et 
de  leur  &usseté;  qu'avec  un  succès  qui  tient  du 
prodige  on  m'a  ôté  toute  connaissance  des  corn* 
plots  dont  je  suis  la  victime,  en  m  en  JEiisant  seiH 
lement  bien  sentir  1  eflèt,  et  que  tous  ont  marqué 
le  même  empressement  à  me  &ire  boire  la  coupe 
de  Tignominie,  et  à  me  cacher  la  bénigne  main 
qui  prit  soin  de  la  préparer.  La  colère  et  llndi- 
gnatioD  m^ont  jeté  d'abord  dans  des  transports  qui 
m'ont  Ëiit  faire  beaucoup  de  sottises, surlesqueUes 
on  avait  comptée  Comme  je  trouvais  injuste  d'en- 
velopper tout  mon  siècle  dans  le  mépris  qu^on 
doit  à  quiconque  se  cache  d'un  homme  pour  le 


diffamer  9  j^aî  cherché  quelqu'un  qui  eût  assez  de 
droiture  et  de  justice  pour  m'éclairer  sur  ma  si* 
tuation ,  ou  pour  se  refuser  au  moins  aux  intrigues 
des  fourbes  :  j'ai  porté  partout  ma  lanterne  inuti- 
lement, je  n'ai  point  trouvé  d'homme ,  ni  d'âme 
humaine.  Xai  vu  avec  dédain  la  grossière  Ëmsseté 
de  ceux  qui  voulaient  m'abuser  par  des  caresses  ^ 
si  maladroites  et  si  peu  didtées  par  la  bienveillance 
et  restime,  qu'elles  cachaient  même,  et  assez  mal, 
une  secrète  animosité.  Je  pardonne  Terreur;  mais 
non  la  trahison.  Â  peine,  dans  ce  délire  univer- 
sel ,  ai-je  trouvé  dans  tout  Paris  quelqu'un  qui  ne 
s'avilit  pas  à  cajoler  fademcnt  un  homme  qu'ils 
I  voulaient  tromper,  comme  on  cajole  un  oiseau 
^  niais  qu'on  veut  prendre.  S'ils  m'eussent  fui,  s'ils 
m'eussent  ouvertement  maltraité,  j'aurais  pu,  les 
plaignant  et  me  plaignant,  du  moins  les  estimer 
^  encore  :  Us  n'ont  pas  voulu  me  laisser  cette  con- 
,  solation.  Cependant  il  est  parmi  eux  des  per- 
,  sonnes  d'ailleurs  si  dignes  d^estime,  qu'il  parait 
injuste  de  les  mépriser.  Comment  expliquer  ces 
.  contradictions?  J'ai  &it  mille  efforts  pour  y  par- 
,  venir;  j'ai  fait  toutes  les  suppositions  possibles; 
^  j'ai  supposé  Timposture  armée  de  tous  les  flam- 
\  beaux  de  l'évidence  :  je  me  suis  dit  :  Ils  sont 
trompés,  leur  erreur  est  invincible.  Mais,  me 
suis^je  répondu,  non-seulement  ils  sont  trompés, 
.mais,  loin  de  déplorer  leur  erreur,  ils  l'aiment, 
'\  ils  la  chérissent.  Tout  leur  plaisir  est  de  me  croire 
.  vil^  hypocrite  et  coupable;  ils  craindraient  comme 


38o  COURSSPOHDA^CB  ^ 

un  malheur  affieuz  de  me  retrouver  innocent  et 
digne  d^estime.  Coupable  ou  non ,  tous  leurs  soins 
sont  de  m*6ter  lezercice  de  ce  droit  si  naturel, i 
sacré,  de  la  défense  de  soi-même.  Helas!  tonte  leur 
peur  est  d'être  forcés  de  yoir  leur  inîustice,  tout 
leur  désir  est  de  laggrayer.  Ils  sont  trompés!  Eh 
bien  I  supposons  ;  mais ,  trompés ,  doivent-ils  se  c<ui- 
duire  comme  ils  font?  d  honnêtes  gens  peuvent-ih 
se  conduire  ainsi?  me  conduirais-je  ainsi  moi-fnéine 
à  leur  place?  Jamais,  jamais  :  je  fuirais  le  scélérat 
ou  confondrais  l'hypocrite;  mais  le  flatter  pour  k 
circonvenir  serait  me  mettre  au-dessous  de  lui 
Mon,  si  j'abordais  jamais  un  coquin  que  je  cn>i« 
rais  tel,  ce  ne  serait  ^e  pour  le  confondre  et  loi 
cracher  au  visage. 

Après  mille  vains  efforts  inutiles  pour  eipt 
qtier  ce  qui  m'arrive  dans  toutes  les  suppositions^ 
j'ai  donc  cessé  mes  recherches,  et  je  me  suis  dit  : 
Je  vis  dans  une  génération  qui  m'est  inexpIicaUe. 
La  conduite  de  mes  contemporains  à  mon  égard 
ne  permet  à  ma  raison  de  leur  accorder  aucune 
estime.  La  haine  n'entra  jamais  dans  mon  coeur. 
Le  mépris  est  encore  un  sentiment  trop  tourmen- 
tant. Je  ne  les  estime  donc,  ni  ne  les  hais,  ni  ne 
les  méprise  ;  ils  sont  nuls  à  mes  yeux  ;  ce  sont  poor 
moi  des  habitans  de  la  lune  :  je  n'ai  pas  la  moin- 
dre idée  de  leur  être  moral;  la  seule  chose  que  je 
sais  est  qu'il  n'a  point  de  rapport  au  mien  ^  et  qot 
nous  ne  sommes  pas  de  la  même  espèce.  J'ai  dov 
renoncé  avec  eux  à  cette  seule  société  qui  ponvaii 


m*étre  donce,  et  ^e  j'ai  si  vainement  cherchée^ 
savoir  à  celle  des  cœurs.  Je  ne  les  cherche  ni  ne 
les  fais.  A  moins  d^afiaik'es,  je  n  irai  plus  chez  per- 
sonne :  mes  visites  sont  nn  honneur  que  je  ne  dois 
plus  à  qui  que  ce  soit  désormais;  un  pareil  témoi- 
gnage dWime  serait  trompeur  de  ma  part^  et  je 
ne  suis  pas  homme  à  imiter  ceux  dont  je  me  dé- 
tache. A 1  égard  des  gens  qui  pleuvent  chez  mo! , 
je  ferme  autant  que  je  puis  ma  porte  aux  quidams 
et  aux  brutaux;  mais  ceux  dont  an  moins  le  nom 
iD*est  connu,  et  qui  peuvent  s*abstenir  de  m^in- 
5nlter  chez  moi,  je  les  reçois  avec  indiflërencc, 
mais  sans  dédain.  Comme  je  n'ai  plus  ni  humeur 
ni  dépit  contre  les  pagodes  au  milieu  desquelles 
je  VIS,  je  ne  refuse  pas  même,  quand  Poccaston 
5 en  présente,  de  m'amu?er  d'elles  et  avec  elles 
autant  que  cela  leur  convient  et  à  tnoi  aussi.  Je 
laisserai  aller  les  choses  comme  elles  s'arrangeront 
delles-mëmes,  mais  je  n'irai  pas  au-delà;  et,  à 
moins  que  je  ne  retrouve  enfin ,  contre  toute  at^ 
tente,  ce  que  j'ai  cessé  de  chercher,  je  ne  ferai  de 
ma  vie  plus  un  seul  pas  sans  nécessité  pour  re- 
chercher qui  que  ce  soit.  J'ai  du  regret,  madame, 
à  ne  pouvoir  Êiire  exception  pour  vous ,  car  vous 
m'avez  paru  bien  aimable;  mais  cela  n  empêche 
pas  que  vous  ne  soyez  de  votre  siècle,  et  qu'à  ce 
titre  je  ne  puisse  vous  excepter.  Je  sens  bien  ma 
perte  en  cette  occasion ,  je  sens  même  aussi  la' 
vôtre j  du  moins  si,  comme  je  dois  le  croire,  vous 
recherchez  dans  la  société  des  choses  d'un  plus 


384  C0RIl£S?a9n>AKCBy 

par&itement  rétablie^  et  malheureusement  la  sai- 
son où  nous  entrons  n'est  pas  favoiaUe  à  Texer- 
cice  pédestre,  que  je  crois  aussi  bon  pour  tous 
que  pour  moi,  Lliiyer  a  aussi ,  comme  vous  savez , 
monsieur,  ses  herborisations  qui  lui  sont  propres^ 
sayojr ,  les  mousses  et  les  lichens.  U  doit  y  aroir 
dans  vt>s  parcs  des  choses  curieuses  en  ce  genre, 
et  je  TOUS  exhorte  fort,  quand  le  temps  tous  U 
permettra,  d'aller. exftminer  cette  partie  sur  les 
lieux,  et  dans  la  saisQU. 

Vos  résolutions,  monsieur,  étant  telles  quf* 
vpus  ffl.e  le  marquez,  je  ne  suis  assurément  pai 
homme  a  les  désapprouver;  c'est  s  être  procuré 
bien  honorablement  des  loisirs  bien  agréables. 
Remplir  de  grands  devoirs  dans  de  grandes  plaoeSi 
c'est  la  tâche  des  hommes  de  votre  état  et  doués 
de  vos  talens  :  mais  quand,  après  avoir  offert  k 
son  pays  1&  trihut  de  son  zèle,  on  le  voit  inutile, 
il  est  bien  permis.alors  de  vivre  pour  soi-mdme  et 
de  se  contenter  d  être  heureux* 

g4^'  — 4.  M.  PB  Saxtirs. 

Jttk  1774- 

H  Ci^is  remplir  un  devoir  indispensable  en 
vous  «nvoyaut  la  lettre  ci- jointe,  qui  m'a  été 
adressée  vraisemblablement  par  quiproquo ,  puis- 
qu'elle répond  à  une  le.ttre  que  je  n'ai  point  eu 
1  honneur  de  vous  écrire  ;  non  que  j'acquiesce  aux 
£^Ucitations  ^ue  vous  recevez,  mais  parce  ^ue  ce 


AinrÉs  1775.  385 

n'est  pas  mon  usage  d'écrire  en  pareil  cas  (i).  Je 
TOUS  sapplie^  monsieur,  d  agréer  moii  respect. 

g^$, A  M.  LE  PRIVCB  DB  BELOSELSRI.. 

Paris,  97  mai  tyySé 

Je  suis  vraimeot  bien  aisé  «  monsieur  le  prince , 
d  avoir  yotre  estime  et  votre  confiance.  Les  cœurs 
droits  se  sentent  et  se  répondent;  et  j'ai  dit  en  re- 
lisant votre  lettre  de  Genève  :  Peu  dhomme$  m'en 
inspireront  autant. 

Vous  plaignez  mes  anciens  compatriotes  de 
n'avoir  pas  pris  ma  défense,  quand  leurs  ministres 
assassinaient,  pour  ainsi  dire,  mon  âme.  Les  lâ- 
ches! je  leur  pardonne  les  injustices^  c^est  à  la 
postérité  peut-être  à  m'en  venger. 

  rheure  qu'il  est,  je  suis  plus  à  plaindre 
qu'eux  :  ils  ont  perdu ,  dites-vous ,  un  citoyen  qui 
faisait  leur  gloire;  mais  qu'est-ce  que  I9  perte  de 
ce  brillant  &nt6me,en  comparaison  de  celle  qu'ils 

—  ii-i       -      -    ---      '    —  --- 

(1)  La  lettre  <]i|e  Jean-JTaoguea  raoToyait  ëtaît  une  r^nia 
de  M.  àt  ^artiâe  à  im  Rouiaeaa  qui  le  Kliehait  de  son  pnttaga 
dv  laqpaiûe  au  mbiatère  da  la  marine.  M.  da  Saidna  a^cxpritta 


«  Je  lida  iftokible  à  la'  part  qitf  roui  prepat  4  la  grftce  dont 
«I  le  Roî  vient  de  m'honore^.  Recevea,  je  vçua  prie,  lei  acau- 
«  ranoea  da  ma  rcconnaisiattce,  et  toua  lea  temerdmeni  qtia  {• 
«▼oa8doia.a 

JLa  lettre  da  Jeaa-Jabqnaa n'a  point  da  data;  «aata»  A  t'aide 
der«vénemam  A4«:caaion  duquel' elle  fat  écrife,  a(  qui  eut  Uem 
«D  mai  177  4 1  <>B  peut  lui  en  donner  une. 

G»rrcsp«adaae«.  5  3^ 


38G  CORRESPOyDAT^CE , 

mont  forcé  de  faire?  Je  pleure  quand  |e  pen^e  que 
je  nVi  plus  ni  parens,  ni  amis,  ni  patrie  libre  et 
florissante. 

O  lac  sur  tes  bords  duquel  j'ai  passé  les  douces 
heores  de  mon  enfance!  Charmant  paysage  où 
j'ai  vu  pour  la  première  fois  le  majestueux  et  tou- 
chant lever  (ïu  soleil*,  oU  j'ai  senti  les  premières 
émotions  du  cœur,  les  premiers  élans  du  génie 
devenu  depuis  trop  impérieux  et  trop  célèbre, 
hélas!  je  ne  vous  verrai  plus!  Ces  clochers  qui 
s'élèvent  au  milieu  des  chênes  et  des  sapins,  ces 
troupeaux  bêlans,  ces  ateliers,  ces  fabriques,  bi- 
zarrement épars  sur  des  torrens,  dans  des  préci- 
pices, au  haut  des  rocbers;  ces  arbres  vénérables, 
ces  sources,  ces  prairies,  ces  montagnes  qui  m'ont 
vu  naitre,  elles  ne  me  reverront  plus. 

Brûlez  cette  lettre,  je  vous  supplie  :  on  pour 
ralt  encore  mal  mterpréter  mes  sentimens. 

Vous  me  demandez  si  je  copie  encore  dé  la  mu- 
sique. Et  pourquoi  non?  Serait-il  honleixx  Am  fa> 
gner  sa  vie  en  travaillant?  Vous  voulez  que  je- 
crive.  encore;  non ,  je  ne  le  ferai  plus.  J'ai  dit  des 
irérités  aux  hommes;  ils  les  ont  mal  prises,  je  ne 
dirai  plus  rien. 

Vous  voulez  rire  en  me  demandant  des  nou- 
^.veljies  de  Paris'.  Je  ne  sors  que  pour  me  promener, 
et  toujours  du  mèjne  c6té.  Quelques  beaux  esprits 
Refont  trop  d'bonxkeur  «n  menvoyant  leurs  U- 
•Wes  :  je  ne  fis  phis.  On  m'a  appcyrté  ces  jour»-ct 
un  noav<el  opéra-comique  ;  la  musique  est  de  Gré* 


try  j  que  vous  aîmez  tant ,  et  les  pa!X)Ies  sont  assu- 
rément d*un  homme  d'esprit ,  mais  c'est  encore  des 
grands  seigneurs  qu  on  vient  de  mettre  sur  la 
scène  lyrique.  Je  vous  demande  pardon ,  monsieur 
le  prince;  mais  ces  gens-là  n'ont  pas  d'accent ^  et 
ce  sont  de  bons  paysans  qu'il  faut. 

Ma  femme  est  bien  sensible  à  votre  souvenir* 
Mes  disgrâces  ne  lui  affectent  pas  moins  le  cœur 
qu'à  moi,  mais  ma  tâte  sWaiLIit  davantage.  Il  ne 
me  reste  de  vie  que  pour  souffrir,  et  je  n'en  ai  pas 
même  assez  pour  sentir  vos  bontés  comme  je  le 
dois.  Ne  m'éarivez  donc  plus,  monsieur  le  prince , 
il  me  serait  impossible  de  vous  répondre  une  se- 
conde fois.  Quand  vous  serez  de  retour  à  Parisii 
venez  me  voir,  et  nous  parlerons. 

Agréez,  monsieur  le  prince,  je  vous  prie,  les 
assurances  de  mon  respect  (i). 

(i)  Cette  lettre  n'a  jti9qa*a  ce  jour  été  comprise  dans  aucune 
des  édidoDf  de  U  Gorreapondaooa  de  Jean^acques.  Celle  de 
If.  LeAvn  ëtùt  imprimée,  lonqnt  ton  éditeur  en  eut  eon- 
oaîasaooe.  A  llntën  dans  le  supplément  :  c'est  le  motir  pour 
leqitel  nous  la  reproduisons  textuel lenient  Elle  parut  pour  la 
première  ibis  en  1 789 ,  dans  les  Poésies  françaises  d'*un  jrince 
étranger.  Rousseau  Vécrivrt  h  une  époque  où  il  ne  correspondait 
plus  avec  personne.  Nons  ignorons  de  guel  opéra  il  vent  parler* 
Ceux  dont  Qtétxj  fit  la  musiq*!»  en  1775  sont  la  Fausse  ma^ie 
et  Cèpkalû  et  ProcrU  ;  eneote  cette  dernière  pièce  avait-elle  été 
préo^iemmcnt  jouée  à  Veikaillcs.  Tontes  deux  sont  de  Mar- 


âS8  CORRESPOND  AKCB, 

947*  —^  BUDAMB  LA  COMTESSE  DE  SaIKT^^^. 

Je  suis  fôclié  de  ne  pouvoir  complaire  à  ma- 
dame la  comtesse;  mais  je  ne  &is  point  les  hoB« 
neurs  de  l'homme  quelle  est  curieuse  de  voir,  et 
jamais  il  n'a  logé  chez  moi  :  le  seul  moyen  dj 
être  admis  de  mon  aveu^  pour  quiconque  m'est 
inconnu,  c^est  une  réponse  catégorique  i  C6 
billet  (*). 

q/^8. A  LA  MÈHB. 

Jeadifidnai  1776. 

J'ai  eu  d'autant  plus  de  tort,  madame,  d^em- 
ployer  un  mot  qui  vous  était  inconnu,  que  je 
vob,  par  la  réponse  dont  vous  m'avez  honore, 
que,  même  à  Taide  d'un  dictionnaire,  vous  na- 
vez  pas  entendu  ce  mot.  Il  &nt  tâcher  de  m^ex- 
pliquer. 

La  phrase  du  billet  à  laquelle  il  sagit  de  ré* 
pondre  est  celle-ci  :  «  Mais  ce  que  je  veux,  et  ce 
te  qui  m'est  dû  tout  au  moins  apràs  une  condam* 
c(  nation  si  cruelle  et  si  infamante,  cest  qu'on 
«  m'apprenne  enfin  quels  sont  mes  crimes, etcom- 
«t  ment  et  par  qui  j  ai  été  jug^.  » 


X*)  Par  la  lettre  à  laquelle  oélle^  aert  de  réponee, 
'âfi  Saint  ***  annonçait  k  Ronsaeaa  qu'elle  lui  enTojaît  de  U 
inuaîque  k  copier,  en  lui  avouant  en  même  tempa  que  ce  ii*étah 
fuun  prétexte  pour  le  roir.  Quant  au  billet  dont  Roi»ae«a 
parle,  c'éuîi  le  biHet  ctrcnlaii«  porUnt  pour  adveoex  A  tout 
Françaii  aimant  encore  la  justice  et  la  «érifé. 


amÉE  1776.  389 

Tout  ce  que  je  désire  ici  est  uue  réponse  à  cet 
article.  C  est  mal  à  propos  cjue  je  la  demandais 
catégorique ,  car  telle  qu'elle  soit,  elle  le  sera  tou- 
jours pour  moi;  ma  demeure  et  mon 'cœur  sont 
ouverts  pour  le  reste  de  ma  vie  à  quiconque  me 
dévoilera  ce  mystère  abominable.  S^il  mHmpose  le 
secret,  je  promets,  je  jure  de  le  lui  garder  invio- 
lablement  jusqu'à  la  mort,et  je  me  conduirai  exac« 
tement,  s'il  l'exige,  comma  s'il  ne  m'eût  rien  ap^ 
pris.  Voilà  la  recense  que  j'attends,  ou  plutôt  que 
je  désire  I  car  depuis  long- temps  j'ai  cessé  de 
Tespérer. 

Celle  que  j*aurai  vraisemblablement  sera  la 
feinte  dlgnorer  un  secret  qui ,  par  le  plus  éton- 
nant prodige ,  n'en  est  un  que  pour  moi  seul  dans 
l'Europe  entière.  Cette  réponse  sera  mpins  fran- 
che assurément,  mais  non  moins  claire  que  la  pre- 
mière; enfin  le  refus  même  de  répondre  naura 
pas  pour  moi  plus  d'obscurité.  De  grâce,  madame, 
ne  vous  ofl^nsez  pas  de  trouver  ici  quelques  traces 
de  défiance  :  c'est  bien  à  tort  que  le  public  m  en 
accuse  ;  car  la  défiance  suppose  du  doute  ^  et  il  ne 
m^en  reste  plus  à  son  égard.  Vous  voyez,  par  les 
explications  dans  lesquelle  j'ose  entrer  Ici,  que  je 
procède  au  vôtre  avec  plus  de  réserve,  et  cette 
difi^nce  n'est  pas  désobligeante  pour  vous.  Ce- 
pendant vous  avez  commencé  avec  moi  comme 
tout  le  monde,  et  les  louanges  hyperbolùiues  (i) 

(i)  Void  flmrarB  un  mot  pour  k  dictionnaire.  BéUi!  pooc 

33. 


3gO  CORRESPOND  A!^CE, 

et  outrées  dont  vos  deux  lettres  sont  remplies 
semblent  être  le  cacliet  particulier  de  mes  plus 
ardens  persécuteurs  ,  mais,  loin  de  sentir  en  les 
lisant  ces  mouvemens  de  mépris  et  d  indignation 
({ue  les  leurs  me  causent,  je  nai  pu  me  défendre 
d'un  vif  désir  que  vousne  leur  ressemblassiez  pas; 
et^  malgré  tant  d'expériences  cruelles,  un  désir 
aussi  vif  entraine  toujours  un  peu  d'espérance. 
Au  reste,  ce  que  vous  me  dites ,  madame,  du  prix 
que  je  mets  au  bonheur  de  me  voir,  ne  me  fera 
pas  prendre  le  change  :  je  serais  touché  de  Thon* 
neur  de  votre  visite,  faite  avec  les  sentimensdont 
je  me  sens  digne  ;  mais  quiconque  ne  veut  voir 
que  le  rhinocéros  doit  aller,  s  il  veut,  i  la  Foîrc, 
et  non  pas  chez  moi;  et  tout  le  persiflage  dont  on 
assaisonne  cette  insultante  curiosité,  n'est  qana 
outrage  de  plus  qui  n  exige  pas  de  ma  part  une 
grande  déférence.  Voulez -vous  donc,  madame, 
£tre  distinguée  de  la  foule  :  c'est  k  vous  de  faiire 
ce  qu'il  faut  pour  cela. 

11  est  vrai  que  je  copie  de  la  musique  :  je  ne  re- 
fuse point  de  copier  la  v6tre,  si  c'est  tout  de  bon 
que  vous  le  dites;  mais  cette  vieille  musique  a  tout 
l'air  d'un  prétexte,  et  je  ne  m'y  prête  pas  volon^ 
tiers  lànlessus.  Néanmoins  votre  volonté  soit  faite. 
Je  vous  supplie,  madame  la  comtesse,  d  agréer 
mon  respect 

pvler  de  ma  destinée,  il  (aadreit  uo  ToCMboUîro  tpvt  iioiit«mi 
qni  ii'eût  d(é  campow  ^ue  pour  rnoî* 


i.I75ÉE  1777.  391 

g49. ▲  M.  LE  COMTE  DUPRAT  (*). 

Paris }  k  3i  décembre  1777. 

Jaccepte,  monsieur,  avec  empressement  et 
i)econnaissance,rasile  paisible  e  t  solitaire  cpieyous 
ayez  la  bonté  de  m  offrir,  dans  la  supposition  que 
?ous  voudrez  bien  vous  prêter  aux  arrangemeTis 
que  la  raison  demande  et  que  peut  permettre  ma  si- 
tuation, qui  vous  est  connue.  L  aménité  dû  sol  et 
les  agrémens  du  paysage  ne  sont  plus  pour  înoi 
des  objets  à  mettre  en  balance  avec  un  séjour  tran- 
quille et  la  bienveillante  hospitalité.  Je  suis  tou- 
ché des  soins  de  M.  le  commandeur  de  Menbn , 
sans  en  être  surpris;  j'ai  le  plus  grand  regret  de 
n'en  pouvoir  profiter;  mais  on  a  pris  tant  de  peine 
&  me  rendre  le  séjour  des  villes  insupportable?, 
qu'on  a  pleinement  réussi.  J'étais  trop  fait  pour 
aimer  les  hommes  pour  pouvoir  supporter  le  spec- 
tacle de  leur  haine.  Ce  douloureux  aspect  me  dé- 
chire ici  le  cœur  tous  les  jours;  je  ne  dois  pas  aller 
chercher  à  Lyon  de  nouvelles  plaies.  Ils  m'ont  ré- 
duit i  la  triste  alternative  de  les  fuir  ou  de  les 
haïr.  Je  m'en  tiens  au  premier  parti  pour  éviter 
l'autre.  Quand  je  ne  les  verrai  plus,  j'oublierai 

■  ■      I       ■        »^— ^—1.^— — —  .1,1,,       .«.—y—      ■  I 

(^)  Le  oomte  Daprat,  Uentenaot-coloiiel  aax  régiment  d^>' 
léinSf  eit  mort  tn  1793,  oondamnë  par  le  trihaBal  réTobi<» 
ticmnaiic.  C'est  liuit  tes  papiers  qa'ont  été  tgoarém  les  trois 
lecti«B  qu'on  va  lire ,  d'amant  plus  précieuses  qne^  à*9f^  leuj 
4ste^  on  doit  les  considérer  conune  le  cbaot  duç^goe. 


393  CORRESPOTOATf  CE  , 

bieDtàt  leur  haine,  et  cet  oubli  m^est  nécessaire 
pour  vivre  et  mourir  en  paix. 

Je  ne  vois  qu'un  obstacle  i  Fexécution  de  votre 
obligeant  projet;  cVst  l'infirmité  de  ma  femme  et 
la  longueur  du  voyage,  qull  est  douteux  qu'elle 
puisse  supporter.  Cette  idée  me  &it  trembler.  Il 
u^y  faut  pas  songer  durant  la  saison  où  noos 
sommes.  L'hiver,  juscpi^ici,  ne  la  pas  affectée  au- 
tant que  je  l'aurais  craint.  Peut-être,  aux  appro- 
ches d'un  temps  plus  doux,  sera-t-elle  en  état  de 
faire  cette  entreprise  sans  risque.  Hélas!  pourquoi 
faut-il  que  j'aille  ci  loin  chercher  la  paix,  moi  qui 
ne  troublai  jamais  celle  de  personne!  Si  ma  femme 
pouvait  obtenir  ici,  du  moins  â  prix  d'argent,  le 
seilvice  et  les  soins  qu'on  ne  refuse  â  personne 
parmi  les  humains,  et  que  je  suis  hors  d^étatde 
lui  rendre^  nous  ne  songerions  point  à  nous  trans- 
planter; mais  dans  l'universel  abandon  tii  Ton  se 
concerte  pour  la  réduire,  il  faut  bien  qu  elle  ris- 
que sa  vie  pour  tâcher  d'en  conserver  les  restes  i 
l'aide  des  soins  secourables  que  vous  ayez  la  cha- 
rité de  lui  procurer.  Ahl  monsieur  le  comte,  e& 
ne  vous  rebutant  pas  de  mes  misères  et  n'ahaih 
donnant  pas  notre  vieillesse,  j'osp  vous  prédire 
que  vous  vous  ménagez  de  loin,  pour  la  vôtre, 
des  souvenirs  dont  vous  ne  prévoyez  pas  eacoit 
toute  la  douceur. 

Jo  souhaite  ardemment  que,  sans  noire  4  yu 
affaires,  tous  puissiez  en  voir  assez  prompt emes; 
la  fin,  jpour  arriver  ici  avant  celle  de  lliiver.  S 


'AWKÉE  1778.  393 

TOUS  aviez  pour  compagnon  de  voyage  le  digne 
ami  qui  partage  vos  bontés  pour  moi,  rien  ne 
manquerait  à  ma  joie  en  vous  voyant  arriver.  Ma 
femme,  qui  partage  ma  reconnaissance,  est  très- 
sensible  à  rhonneur  de  votre  souvenir,  et  nous 
vous  supplions,  Tun  et  l'antre,  monsieur  le  comte, 
d^agréer  nos  trè»-humbles  salutations. 

9S0. A  UADAIIB  DE  C. 


ritylapîtovier  1776, 

Tai  lu,  madame,  dans  le  numéro  5  des  feuilles 
que  vous  avez  la  bonté  de  m  envoyer,  que  Tun  de 
messieurs  vos  correspondans,  qui  se  nomme  le 
Jardinier  d'Auteuilj  avait  élevé  des  hirondelles. 
Je  désirerais  fort  de  savoir  comment  il  s'y  est  pris , 
et  quelle  contenance  ces  hirondelles,  qu'il  a  éle- 
vées, ont  fiiite  chez  lui  pendant  l'hiver*.  Après  des 
peines  Infinies,  fêtais  parvenu,  à  Monquin ,  à  en 
Élire  nicher  dans  ma  chambre.  J'ai  même  eu  sou-^ 
veut  le  plaisir  de  les  voir  s'y  tenir,  les  fenêtres 
fermées,  assez  trauquilles  pour  gazouiller,  jouer 
et  foUtrer  ensemble  à  leur  aise ,  en  attendant  qu'il 
me  plût  de  leur  ouvrir,  bien  sûres  (0  ?^^  ^^^  ^^ 

(x)  L^iiiiondeUe  est  taatarellaiiMit  fianQîèr?  et  confiante; 
mais  c'est  une  sottise  4gnt  on  la  punit  trop  bien  pour  ne  Tea 
pas  corriger.  Avec  de  la  patience,  on  raccoutume  encore  a  vivre 
dans  des  appartemens  fermes,  tant  qu'elle  n'nperçoit  pai  1* in- 
tention de  l'y  tenir  captive  :  mais  sitôt  qu'on  abuse  de  cette 
«mfioiioe  (k  quoi  Tod  né  manque  jamais} ,  elle  la  perd  pour 


3g\  CORRSSPO^DAKCE) 

tarderait  pas  d'arriver.  En  effet,  je  me  levais 
même,  pour  cela,  tous  les  jours  ayant  quatre 
heures  ;  mais  il  ne  m  est  jamais  veau  dans  IVsprit, 
je  Tavoue,  de  tenter  d'élever  aucun  de  leurs  p 
tits,  persuadé  que  la  chose  était  non-seulemeiit 
inutile ,  mais  impossible.  Je  suis  charmé  d  appren- 
dre qu'elle  ne  Test  pas ,  et  je  serai  très-obligé,  pour 
ma  pari,  au  jardinier  d'Auteuîl,  s'il  veut  bb 
communiquer  son  secret  au  public.  Agréez,  m:)- 
dame,  je  vous  supplie,  mes  remcrcimeDS  et  mon 
respect. 

90 1 . xHLitE  COMTB  Dt PRAT. 

Pwis,  le  3  février  17:8. 

Vous  rallumez,  monsieur,  un  lumignon pres^ 
que  éteint;  mais  il  n^  a  plus  d'huile  à  la  lainpei 
et  le  moindre  air  de  vent  peut  l'éteindre  sans  re- 
tour. Autant  que  je  puis  dérirer  quelque  chose 
encore  daus  ce  monde,  je  désire  d^aller  finir  mes 
jours  dans  Tasile  aimable  que  vous  voulez  btfo 
me  destiner;  tous  les  vœux  de  mon  cœur  sont  potf 
y  être  ;  le  mal  est  qu'il  &ut  s'y  transporter.  En  ce 
moment  je  suis  demi-perclus  de  rhumatismes,  in^ 
femme  n'est  pas  en  meilleur  état  que  moi;  Yi(^' 
infirme,  je  sens  à  chaque  instant  le  découra^^' 
ment  qui  me  gagne  ;  tout  soin ,  toute  peine  i  ^^^ 

toujours.  Dès  lors  elle  ne  mange  phu ,  elle  ne  cesse  de  «  <^ 
battre ,  et  Bttii  par  se  toer.  (iVote  de  Jcan^Acques.) 


AyyiK  1778.  39  f) 

ctre,  toute  fatigue  à  souteDir,  eflàrouche  mon  în< 
dolence;  il  Ëiudrait  que  tontes  les  choses  dont  j  ai 
besoin  se  rapprochassent;  car  ye  ne  me  sens  plus 
assez  de  vigueur  pour  les  aller  chercher;  et  c'est 
précisëment  dans  cet  état  d*anéantissementqiie, 
privé  de  tout  service  et  de  toute  assistance  dans 
tout  ce  qui  m'entoure,  je  n'ai  plus  rien  à  espérer 
que  de  moi.  Vous,  monsieur  le  comte,  le  seul  qui 
ne  m'ayez  pas  délaissé  dans  ma  misère,  voyez ,  de 
grâce,  ce  que  votre  générosité  pourra  fiiire  peur 
me  rendre  lactivité  dont  fai  besoin.  Vous  m^of- 
frcz  quelqu'un  de  votre  choix  (*)  pour  veiller  à 
mes  eflfets  et  prendre  des  soins  dont  je  suis  inca- 
pable; oh!  je  l'accepte,  et  il  n'en  faut  pas  moins 
pour  m'évertuer  un  peu;  car  si,  par  moi-même, 
je  puis  rassembler  deux  bonuets  de  nuit  et  cinq  ou 
six  chemises,  ce  sera  beaucoup. 

n  n'y  a  plus  que  ma  femme  et  mon  herbier 
dans  le  monde  qui  puissent  me  rendre  un  peu 
d'activité.  Si  nous  nous  embarquons  seuls  sous 
notre  propre  conduite,  au  premier  embarras,  au 
moindre  obstack,  je  suis  arrêté  tout  court,  je 
n'arriverai  jamab.  Xaime  à  me  bercrr,dan5  mes 
châteaux  en  Espagne,  de  Tidée  que  vous  seriez 
ici  y  monsieur,  iivac  ML  le  commandeur  ;  que  vous 

(^)  Gi  qntlqm'uB  ékah  M.  de  Keuvilla  :  et  commtf  il  affecte 
de  ue  m'en  poiat  parler,  Je  cratas  qu'il  u'y  nit  du  froid,  do 
WU'^  i«  soie  trtMiabarrassë  qui  lui  donner  k  ta  place. 

(  ^^o;e  iu  comte  Du^-aL  ) 


3g6  COÀRESPONDAItCE, 

daigneriez  aiguillonner  un  peu  ma  paresse;  (pe 
mes  petits  arrangemens  s  eu  feraient  fias  vite  et 
mieux  sous  vos  yeux;  que  si  vous  poussiez  l'œuvre 
de  miséricorde  jusqu'à  permettre  ensuite  que  nooi 
fissions  route  i  la  suite  de  l'un  ou  de  Tautre,  tX 
peut-être  de  tous  les  deux;  alors,  comme  tout  se- 
rait aplani!  comme  tout  irait  bien!  Mab  cest  no 
château  en  Espagne,  et  de  tous  ceux  que  j'ai  âiib 
en  ma  vie  je  n'en  vis  jamais  réaliser  aucun.  Diea 
Feuille  qu  il  n'en  soil  pas  ainsi  de  Tespoir  d'arnTcr 
au  vôtre  ! 

Au  reste,  je  nVi  nul  éloignement  pour  les  pré 
cautions  qui  vous  paraissent  convenables  pour 
enter  trop  de  sensation.  Je  n'ai  nulle  répugnance 
à  aller  à  la  messe;  au  contraire,  dans  qudque  re- 
ligion que  ce  soit,  je  me  croirai  toujours  avec  mes 
frères,  parmi  ceux  qui  s'assemblent  pour  servir 
Dieu.  Mais  ce  n  est  pas  non  plus  un  devoir  que  je 
veuille  m'imposer;,  encore  moins  de  laisser  croire 
danjs  le  pays  que  je  sfuis  catholique.  Je  déâre  a»- 
>surément  fort  de  ne  pas  scandaliser  les  hommes, 
mais  je  désire  encore  plus  de  ne  jamais  les  trooh 
per.  Quant  au  changement  dé  nom,  après  av(»r 
repris  hautement  le  mien,  malgré  tout  le  monde, 
pour  revenir  à  Paris,  et  Vj  ayoir  porté  huit  an». 
je  puis  bien  maintenant  le  quitter  pour  en  sortir. 
et  je  ne  m'y  refuse  pas;  mais  Texpérience  du  pas?< 
m'apprend  que  c'est  une  précaution  très-iiiiitiki 
et  même  nuisible,  par  Tair  du  mystère  qui  s; 
ioint,  et  que  le  peuple  interprète  toujours  en  mai. 


ATO'LE  1778.  Ziy 

Vous  déciderez  de  cela,  connaissant  le  paj's 
cornue  vous  faites;  là-dessus  comme  sur  tout  le 
reste,  je  m'en  remets  à  votre  prudence  et  à  votre 
amitié.  Agréez,  M.  le  comte,  mes  très  «humbles 
salutations. 

gSa. ATJ  MÊME. 

Paris,  le  iS  mtn  1778^ 

Je  vois,  monsieur,  que  malgré  toutes  vos 
bontés,  qui  me  sont  chères  et  dont  je  voudrais 
profiter,  le  seul  vrai  remède  à  mes  maux ,  qui  reste 
À  ma  portée ,  est  la  patience.  L'état  de  ma  femme, 
empiré  depuis  quel^fue  temps ,  et  qui  rend  le  mien 
de  jour  en  jour  plus  embarrassant  et  plus  triste, 
m'ôte  presque  Tespoir  d'achever  et  le  courage  de 
tenter  le  long  voyage  qu'il  famlrait  fiiire  pour  at- 
teindre l'arile  que  vous  nous  avez  bien  voulu  des- 
tiner. Ce  qu'il  y  a  du  moins  déj4  de  bien  sûr,  est 
qu'il  nous  est  impossible  de  le  faire  seuls;  ma 
femme,  abattue  par  son  mal,  se  souvient,  pour 
surcroît,  des  gites  ob  l'on  nous  a  fourrés,  et  des 
traitemens  qu  on  nous  y  a  faits  dans  nos  autres 
voyages,  lorsque  plus  jeunes  et  mieux  portans, 
nous  avions  plus  de  courage  et  de  force  pour  sup 
porter  la  fatigue  et  ie$  angoisses.  Elle  aime  mieux 
mourir  ici,  que  de  s  exposer  de  nouveau  à  toutes 
ces  indignités;  et  nous  croyons  l'un  et  1  autre  que 
a  présenced'un  tiers,  ne  fût-ce  qu'un  domestirjue, 
aous  en  sauverait  assez  paur  que  nous  puissions  ^ 

C*rrMpoRdaBcc.  5.  3  S 


3i)6  C0ARRSP01^DA5CK) 

armés  de  donœur  et  de  résijjDatioD,  snpporter  le 
reste.  Cette  délibératioo,  monsieur ,  sur  laipidle 
nous  n'avons  encore  eu  que  des  explications  très- 
vague»,  est  la  première  et  la  plus  importante,  sans 
quoi  toutes  les  autres  sont  inutiles.  Je  sais  <{ue 
votre  généreuse  bienveillance  prodiguera  sessoins 
.  pour  nous  fiiciliter  ce  transport;  mais  il  s^a^t  en- 
core de  savoir  ce  qu'elle  pourra  faire  pour  nous  le 
rendre  praticable,  et  cela  consiste  essentiellement 
à  trouver  quelqu'un 'de  connaissance ,  qui,  ayant 
le  même  voyage  à  Sûte^  veuiUe  bim  nous  souSnr 
à  sa  suite,  nous  fHrocurer  des  gites  sttfq>ortabIes, 
et  nous  garantir,  autant  que  cela  se  pourra,  <la 
obstacles  et  des  outrages  qui,  sous  un  &ax  tf 
d'attentions  et  de  soins,  nous  attendront  dass  b 
route.  Si  eette  occasion  ne  se  trouve  pas,  comme 
fai  lieu  de  le  craindre,  le  seul  parti  qui  me  reste 
A  prendre  est  d'attendre  ici  votre  arrivée  oo  ceik 
de  M.  le  commandeur,  et  de  prendre  palieucci 
en  attendant,  comme  j^espère  fiùre  jusqu'à  la  fia^ 
à  moins  qu'il  ne  se  |u:ésente  quelque  ressomce 
imprévue ,  sur  laquelle  j'aurais  grand  tort  <k 
compter. 

Quant  aux  soins  qui  regardent  ici  les  guenitks 
que  ]j  puis  laissa,  c'est  un  article  trop  peuûft- 
portant  pour  que  vous  daigniez  vous  en  oocuptf 
ainsi  d  avance;  nous  ne  manquerons  pas  de  gt^ 
empressés  à  recevoir  ce  petit  dépôt.  Mon  silence 
au  sujet  de  M.  de  Neuville  me  paraissak  une  ré- 
ponse tris-daire;  mais  vous  en  voulos  une  ex- 


i»*fÉE  1778.  39:) 

presse,  il  Êiut  obéir.  De l'humeiir  dont  je  me  con- 
nais, il  lui  faudrait  toujours  i>ien  moins  de  peiné 
ponr  me  &ire  oublier  ses  dispositions  à  mon  égard, 
qu'il  nVn  a  pris  à  me  les  faire  connaître;  mais, 
en  attendant;  prêt  à  liu  rendre  avec  le  plus  vrai 
zèle  tous  les  services  qui  pourraient  dépendre  de 
moi,  je  me  sens  peu  porté  à  lui  en  demander,  U 
semblait,  au  tour  de  votre  précédente  lettre,  que 
\  eus  aviez  quelqu'un  en  vue  pour  cet  effet;  et  je 
puis  vous  assurer,  à  cet  égard,  d'une  confiance 
entière  en  quiconque  viendra  à  moi  de  votre  part« 
A  regard  de  la  messe  et  de  l'incognito,  vous 
connaissez  là-dessus  mes  principes  et  mes  senti- 
mens;  ils  seront  toujours  les  mêmes.  L'expérience^ 
m'a  ùài  connaître  Tinutilîté  et  les  inconvéniens 
de  ces  petits  mystères  qui  ne  sont  qu^un  jeu  mal 
joué.  Vous  dites,  monsieur,  qu'on  ne  m'interro- 
gera pas;  on  saura  donc  qu'il  ne  faut  pas  mlnter- 
roger  :  car  d'ailleurs  c'est  un  droit  qu'avec  peu 
d'égard  pour  mon  âge  s'arrogent  avec  moi  sans 
&çon  petits  et  grands.  Je  mettrai,  je  vous  le  pro« 
teste,  une  grande  partie  de  mon  bonheur  à  vous 
complaire  en  toute  chose  convenable  et  raison- 
nable; mais  je  ne  veux  point  là-dessus  contracter 
d'obligation.  Adieu,  monsieur;  quel  que  soit  le 
succès  des  soins  que  vous  daignez  prendre  pour 
moi,  j'en  suis  touché  comme  je  dois  l'être,  et  leur 
5oavenir  ne  s'effacera  jamais  de  mon  cœur.  Ma 
femme  partage  ma  reconnaissance,  et  sons  von» 


4oO  COaHESPOtVDAlfCE,  AXViE  I778. 

supplions  Tun  et  Fautre  d'agréer  nosirès-hamblei 
salutations  {*), 


(*)  Let  cliotet  n'ont  pu  s'arrangitfr  pour  «jull  fk  le  vojagi 
|irojetë.  Bieo  peu  de  temps  après  il  s^est  décidé  en  &Tnir  d'Ef* 
lOfliionviUe  où  il  est  mort  dans  la  même  année. 

(IVole  du  comff  DupruC^ 


TIH  ntf  TOMB  GINQTJliME  ET  OSaFUf 
DE  LA  CORRESPOHDANGK. 


^ 


œUVRES  COMPLÈTES 


DB 


J.  J.  ROUSSEAU 


2i. 


é 


4oo        coRRESPO^ aucb  ,  ÂXviE  1778. 

supplionê  Tun  et  Tautre  d'agréer  noairès-humUei 
•alutatioas  (*). 

(*)  Let  cliotet  n'ont  pn  s'amngar  pour  «ju'il  fit  le  vojigi 
projeté.  Bieo  peu  de  temps  après  il  t*est  décidé  en  IsTeiir  d'Et' 
lofibonville  où  il  est  mort  dau  la  même  année. 

(  IVole  du  comte  Duprot* 


TIH  Dtf  TOMB  GINQUliME  ET  DBaFlKf 
DE  LA  CORRESPONDANGB. 


OEUVRES  COMPLÈTES 


DB 


J.  J.  ROUSSEAU 


2<. 


»     *    *  ♦ 


( 

l. 


PARIS,  IMPRiMERIE  DE  DECOURCHANT, 
Rue  d'Eifarth,  d.  i,  prêt  de  l'Abbajre. 


ŒUVRES 


DE 


J.-J.  ROUSSEAU 


MELANGES. 


A  PARIS, 

CHEZ  DESENNE,    LIBRAIRE, 

KHB  nAUTBPEnibLB,  IfO  10. 

1831 


MÉLANGES. 

PROJET 

POUR.  L'ÉDUCATION 

DE  M.  de;  sainte  marie  (*) 


Vob-s  m'ayez  fait  Thonneur,  monsieur,  de  me 
confier  rinslruction  de  messieurs  vos  enfatis,: 
cVsl  à  moi  d'y  répondre  par  tous  mes  soins  et  par 
toute  retondue  des  lumières  que  je  puis  avoir;  et 
fai  cru  que ,  pour  cela ,  mon  premier  objet  devait 
être  de  Sien  connaitre  les  sujets  auxquels  j'aurai 
afi'aire.  C'est  à  quoi  j'àî  principalement  employé 
le  temps  ïju'il  y  a  que  j'ai  Thonneur  d'être  "àans 
votre  maison  ;  et  je  crois  d'être  suffisamment  ftiî 
(ait  à  cet  égard  j3our  pouvoir  régler  lâ-dessus  lé 
plan  de  leur  éducation.  Il  n'est  pas  n<^cessairoquo 
fe  vous  fasse  cî)ttipUfÉent,  monsieur,  sur  ce  i^dc 
j'y  ai  remarque  davantagpû'x,  lalfectioh? que  fat 
conçue  pour  eux  se  déclarera  par  des  mîarques 
|>lus  solides  que  des  louanges,  et  ce  n  csfpas  uu 


(*)  Ce  petit  écrit  a  dû  ^tre  fuit  vcr3  Tanoc^c  1738  :  Knmseaiï 
•▼ait  «lors  vingt-six  atfc.  Il  rat  aàrttMé  à  M.  de  MaWy ,  grandr 
pitfvôt  de  Lyon,  et  frèt^  diê  oéUbrtft  ibb^de.  Mafedy  et^iR 


6  faojn 

père  aussi  tendre  et  aussi  éclairé  que  tous  ritei 

(jatt  tktit  instmtre  dos  bettes  qmrlilés  de  ses  eut- 

fans. 

II  me  reste  à  priseAt,  moïKiêur ,  d'être  édaiiti 
par  yous-môme  des  vaes  particulières  que  voos 
pouvesi  avair  sur  chacun  d'eux,  da  degré  d  auU>- 
ritë  que  vous  êtes  dans  le  dessein  de  maccorderi 
leur  égard,  et  des*  borûcs  que  vous  donnerez  â 
mes  droits  pour  les  réconip?.nscs  et  les  châtimens. 

Il  est  probable  9  monsieur,  que,  m  ayant  fait  la 
fiiv=euK  de  m-^agpécr  dans-  votro  maison  avec  ud 
appointemeat  booGrablc  et  des  distinctions  flat- 
W9ufif6,  voua  avez  aitendu.de  moi  àds  eSètsqui 
Qépoadi^sent  à  des.qoBditious  si  avantageuses;  et 
IW  Vok  bien  qu'il  ne.J^Uait  pas  tant  de  firab  ri 
40Ù^puB  pour  dojuier.  à  messieurs  yos  enfims  os 

Îiréqoptc^ur-  opdiaaircqui  leur  apprit  lerudiment, 
'of (AiO{p:^pbe ,  et  le  catéckisme  :  je.  me  j^xnbdIs 
liiieil'iai^si  de  justifier  de  tout  mon*  pouyoir  k» 
«ipari^ice»  favdrablesque  ¥ou&  ayes  pu  coacevt»ir 
su£  mcm  compte  ^.et,.tQut'pIcÂ&  d  ailleurs  dé  £itttes 
«ilr  doi  faibLesses  ^ ,  y<»u$  nd-  i^e  trouverez  jamais  à 
lue  démentir  on  instant  sur  le  zèle  et  1  attadie* 
laenl^i^e.  j0dois  L  mus  élèsres* 
.  Mais,  monsieur',, quek|^Q6  soînè^  et  cpielquet 
peines  que  je  puisse  prendre^  le  succès  est  bi«i 
éloigné  de  dépendre  de  moi  seul.  C!cst  Tbarmonie 
^èite*  qui  doit  régler  en Ue  nous, ria  confiaaoB 
^ffm  jttaB  daiga«rcft<mfaGeoiifaf,  fit  liaufeorità^pw 
TOUS  me  doQuerez  9ur  mes  é}èYes  qui  décidera  de 


l'effet  de  œoa  travaiL  Je  crois,  monsieur,  qu'il 
vous  est  tou'.  numifeste  qu'un  homme  qui  n'a  sur 
des  enÊms  des  droits  de  nulle  esp^,  soit  pour 
rendre  ses  iasli'uctloiis  aimahies  y  soit  pour  leur 
doAuer  dupoiils^  ne  prendra  jaxaais  d  ascendant 
sur  dfis'e^rlts.^ui,  dans  le  foq^,  quelque  pré- 
coces qu'on  les  veuille  supposer ^  règlent  toujours 
à  certain  âge,  les  trois  quarts  de  leuis  opérations 
^ur  les  impressions  des  sens.  Vous  sentez  aussi 
qu  un  mditre  obligé  de  porter  ses  plaintes  sur  tou- 
tes les  laules  d'uu  enfant  se  gardera  Licu^  qiiaud 
il  le  pourrait  avec  bicusiance  .^  de  se  rendre  iu> 
supportable  en.  renouvelant  sans  cesse  de  vaines 
lamentations  ;  et^  d'ailleitf^ ,  mille  petites  occa- 
fiîons  décisives  de  faire  une  correction,  ou  de 
flaUer  â  propos^  s'échappent  dans  labsence  d'un 
|)ère  et  d'ime  mère ,  ou  dans  des  momens  où  il 
serait  messéaat  de  les  i(iterrompc  aussi  désagréa- 
blement; et  Ton  n'fôt  plus  à  temps  d'y  revenir 
dans  un  autile  instant ,  où  le  changement  de/s  idées 
d'un  enfant  lui  rendrait  pernicieux  ce  qui  aurait 
élé  salutaire;  enfin  un  eniaut  qui  neljsirde  pas  à 
s'apercevoir  de  Timpuissance.  d  un  mai^e  à  soyu 
égaid  en  prend  occasion  de  &ire  \ku  de  cas  de  ses 
défenses  el;  de  ses  préceptes,  et  de  détnAure  laui 
retfNir  Tascendant  que  lautre  $^Sbr^\i  ûg  prei^ 
djw*  Vous  ne  deyez  pas  croire ^  monsi^^ry-^u'ci^ 
|iariant  sur  ce  tou4à  je  ^souhaite  de  me  proçuncr  U 
divi(  de  maltraiter  ^essieUffS  .vos  en^s  par  des 
coups-)  je  me  suis- toujours  déclaré  contre  cette 


8  PROJET 

mc'lhodc  r  rîen  tic  tnc  jparaîti'ait  plas  triste  pour 
M  de  Saiole-Marie  que  s'il  ne  restait  que  cette 
voie  de  le  réduire;  et  j*ose  me  promettre  d'obîenir 
désormais  de  lui  tout  ce  qu  on  aura  Keu  d'en  cii- 
ger,  par  des  roi^s  mofus  dures  et  plus  convena- 
bles, sï  vous  goi^ez  le  plan  que  fai  l'honneur  de 
vous  proposer.  D'aillteut-s,  à  parler  fipanrhement, 
si  voïts  pensez,  monsieur ,  qu'il  y  eût  de  l'igno- 
minip  k  monsieur  votre  fils  d  être  frappé  par  de5 
mains  étrangères ,  je  trouve  aussi  de  mon  cbié 
qu'un  honnête  homme  ne  saurait  guère  mettre  les 
sieniif*s  à  un  usa^e  plus  honteux  que  de  les  em- 
ployer k  maltraiter  un  enfant  :  mais  à  Tégard  de 
M.  dé  Saintet-Marië,  il  ne  manque  pas  die  voies  de 
le  châtier,  dans  le  l^esoîn ,  par  des  raortificatioDS 
qui  hii  feraient  encore  plus  d'impression,  et  qui 
produiraient  de  meilleurs  cflfets ,  car ,  dans  un 
esprit  aussi  Vif  que  le  sîén  ,  Tidée  des  coups 
s'eflaèera  aussitôt  que  la  donlenr ,  tandis  que  celle 
d'un  mépris  maixjué ,  ou  d'une  privation  sensiMc, 
j' restera  beaucoup  plus  long-temps. 
•    Uu  maîlrti  doit  être  craint;  il  faut  pour  cela 
que  I  élève  soit  bien  convaincu  qull  est  en  droit 
de'  le  punir  :  mais  il  doit  surtout  étte  .aimé  ;  et 
quel  moyen  a  un  gouverneur  Afi  se  fctre  aimpf 
d  un  eûfeht  A  qui  il  n*a  jamais  à  prbpo^èi*  que  des 
ot'cti^tions  contraires  à  soi  g<>Aty  iî  d'ailleurs  il 
na  ie  pouvoir  de  lui  ôccofldw  certaines  petites 
donceurs  de  détail  qutue  coûtent  prc^ue  iri  dé- 
penses ni  pertes  de  temps,  et  qui  ne  lnisaeiit  pas. 


1)'£DVCATI0N.  ^ 

étant  ménagées  h  propos,  d'être  extrêmement  5cn« 
sibles  à  un  enfant ,  et  de  l'attacher  beaucoup  à  son 
maître  ?  J'appuierai  peu  sur  cet  article ,  parce 
qu'un  père  peut,  sans  inconvénient,  se  conseryer 
le  droit  exclusif  daccorder  des  grâces  à  son  fils  y' 
pourvu  <pi'il  y  apporte  les  précautions  suivantes , 
nécessaires  surtout  à  M.  de  Sainte-Mnric,^ont  la 
vivacité  et  le  pcnchnnt  à  la  dissipation  demandent 
plus  de  dépendance,  i^  Avant  que  de  lui  faire 
quelque  cadeau,  savoir  secrètement  du  gouver» 
neur  s'il  a  lieu  d'être  iatisfait  de  la  conduite  de 
l'enfant.  2°  Déclarer  au  jeune  homme  que  quand 
il  a  quelque  grâce  à  de.nander,  il  doit  le  faire  par 
b  bouAe  de  son  gouverneur,  et  que,  sïl  lui  ar- 
rive de  la  demander  de  son  chef,  cela  seul  suffira' 
pour  Feu  exciuxe.  3**  Prendre  de  là  occasion  de. 
reprocher  quelquefois  au  gouverneur  qu'il  est  trop 
bon ,  que  son  trop  de  facilité  nuira  au  progrès  de 
son  élèvc^  et  que  c'est  à  sa  prudence  à  lui  de  cor» 
riger  ce  qui  manque  à  la  modération  d'un  enfant. 
4^^ue  si  le  maiCre  croit  avoir  quelque  raison  dé 
s'opposer  à  quelque  cadeaux^n'on  voudrait  faire  à 
âon  élève,  refuser  absolument  de  le  lui  accorder 
jusqu'à  ce  quil  ait  trouvé  le  moyen  de  fléchir  son 
précepteuj>.  Au  reste,  il  ne  sera  point  du  tout  né- 
cessaire d'expliquer  au  jeune  cn&nt,  dans  Tocca- 
sîoB,  qu'on  lui  accorde  quelque  faveur,  précisé^' 
ment  parce  qu'il  a  bien  &it  sou  devoir  ^  mais  il 
vaut  mieux  qu'il  conçoive  que  les  plaisirs  et  les* 
douceurs  sont  les  suites,  naturelles  do  la  sagesso; 


14)  FHOIKT 

et  de  la  bonne  eonduke ,  qne  sH  les  regaidatt 
comme  des  récompenses  arfaîiraires  qui  peuTcnt 
dépendre  do  caprice,  et  qui,  dans  le  fond,  ue 
doivent  jitmais  Otfe  proposées  pour  iobjel  et  le 
prix  de  Tétude  et  de  la  vertu. 

VoilÀ  tfut  au  moins,  monneiv,  les  droits  que 
vous  devez  m'accorder  sur  monsieur  votic  fils,  si 
vous  souhaitez  de  lui  donner  une  heureuse  tdu- 
cation,  st  qui  réponde  aux  l^cllcs  qualités  qull 
montre  à  bien  des  égards,  mais  qui  actuelleiueut 
sont  oITusquccs  par  beaucoup  de  loauvais  phs  qui 
deatandent  détre  corrigés  à  bonno heure,  ctavaiit 
que  le  temps  ait  rendu  la  chose  impossible.  Oh 
est  si  vrai  qu'il  s'en  faudra  beaucottp,par  exemple, 
que  tant  de  précautions  ne  soient  nécessaires  en- 
vers M.  de  Condirac;  il  a  autant  besoin  d'c'.re 
poussé  que  l'autre  d'être  retenu,  et  je  saurai  bien 
isrendre  de  moi-même  tout  l'ascendant  dont  j  au- 
rai besoin  sur  lui  :  mais  pour  M.  de  Sainte-Marie, 
cè^t  un  coup  de  partie  pour  son  éducation,  que 
de  lui  donner  une  bride  quHl  sente ,  et  qui  soit  ca- 
pable de  le  rerouir;et,dansrétat oitsontleschoses, 
les  sentimens  que  vous  souhaitez ,  monsieur,  qu'il 
ait  sur  mon  compte ,  dépendent  beaucoup  plus  de 
vous  que  db  moi-même. 

Je  suppose  toujours,  monûeor^  que  vous  n'an- 
riez  garde  de  confier  l'éducation  do  messieurs  tos 
en&ns  à  un  homme  que^vous  ne  croiriez  pas 
digne  de  votre  estime;  et  ne  pensez  punt  ?  \^  vous 
prie,  que,  par  le  parti  que  jai  pris  de  m'attachcr 


D'ÉDUCATlOir^  11 


SdDS  réserre  k  rotre  maison  daas  nue  oeçârioo  dé- 
lîeale,  Vai  pvétendo  voib  engager  vous-méma  en 
ancMie  maaière;  Il  j  a  bien  de  b  difiereace  entre 
noms  :  en  £kîsant  nKon  devoiv  smtant  queyoïismW 
laisserez  la  liberté,  je  ne  suis* responsable  de  rienj 
et^dassileiiMidy  comme  TOUS  êtes,  monsieur,  le 
WBcitfe-  et  1»  supuricinr  naUirel  deinos  en&ns,  je  ne 
woùS'  pas  en.dffoit  de  Tonloir ,  à  l'égard  de  leur  édu^ 
tadoB  y  ftroer  votare  goût  de  se  rapporter  an  mien  : 
aioA  y  après!  Vous  a^v  &it  les  repréeentations  qui 
m  ont rptfU'  nécessairesy  s'il  arrivait  que  voUs  n'es 
jugeas^ies  pas  de  même,  usk  conscience  serait 
quitte  à  cet  égacd,  eft  il  ne  me  resterait  qu'à  me 
ce#£3ntier  à  rotif^  ift)iont!ë.  Mais  pour  tous,  mon^ 
sieur  ,^  nufle  aonsidératiou  humaine  né  peut  biH 
iàocer  ce  queinrous  devez  aux  mcsin^  et  à  fëdiicar 
lâendé  messieurs  VoS)en£uis;.et  je  ne  trouverais 
imiieBient  maovuisqu  après  m'avoîr  découvert  dep 
défauts  que  veiis  n^sÉuries  peut-être  pas  d^abovd 
^rpet^tks^ût  qiitsei'mentd  unecertaine  conséquence 
;pear«. Bries  éfeves,  voua  von»  pouivussieB  aiUeUn 
èxta  meilleur  sujet. 

J^i  doBcIti^ardé  pen^r  que  tant  que  veusitië 
seuffi'ozdans^otrelnaisoa,  vous  il  avea  pas  trouvé 
en  môfide  quoi  efibcer'l-estime  dont  vous  m'aviez 
kenoré^  ILe^  vrai,  monsieur,  que  je  pou^ai^  me 
plaindre  que,  dans- les  occasions  dbr jliipn oofli^ 
jBfettfe  qnetque  Êiute,  voiis  ne  m^ayoE  pas  fiiit 
inumiieiir  de-ra^ea  avertir  tontumment  :  o'estune 
«Adeqte  je  vou0  ai  demakidée  eA<  entrant^,  ch^t 


sa  PROJET 

vous,  et  qai  manpait  damoînsMabonne  Tolonté; 
et  si  ce  n'est  en  ma  propre  cODsidératioii,  œ  » 
rait  da  moins  pour  celle  de  messiears  vos  enfuis 
de  qui  lintérét  serait  que  je  devinsse  on  homme 
parfait,  sll  était  possible. 

Dans  ces  suppositions ,  je  crois ,  monsîenr ,  que 
TOUS  ne  devez  pas  faire  difficulté  de  oonununî^er 
à  monsieur  votre  fils  les  bons  sendmens  que  vous 
pouvez  a  voir  sur  mon  compte,  etque,  comme  il  est 
impossible  que  mes  fiiutes  et  mes  &iblesses  édup- 
pent  k  des  ^eux  aussi  clairvojans  que  les  vôtres, 
vous  ne  sauriez  trop  éviter  de  vous  en  entretenir 
en  sa  présence;  car  ce  sont  des  impressions  qui 
portent  coup,  et,  comme  dit  M.  de  La  Bruyère, 
le  premier  soin  des  en&ns  est  de  chercher  les  en- 
droits faibles ide.  leurs  maîtres,  pour  acquérir  k 
droit  de  les  mépriser  :  or,  je  demande  quelle  im- 
pression pourraient  Êiire  les  leçons  d'un  homme 
pour  qui  son  écolier  aurait  du  mépris. 

Pour  me  flatter  d  un  heureux  succès  dans  l'édu- 
cation de  monsieur  votre  fik,  je  ne  puis  donc  pas 
moins  exiger  que  d  en  être  aimé,  craint  et  estimé. 
Que  si  Fou  me  répondait  que  tout  cela  devait  être 
mon  ouvrage,  et  que  c'est  ma  faute  si  je  n^  ai  pas 
réussi,  j'aurais  à  me  plaindre  d'un  jugement  si  in- 
juste. Vous  n'avez  jamais  eu  d'explication  avec 
moi  sur  Tautorité  que  vous  me  permettiez  dt 
prendre  à  son  égara  :  ce  qui  était  d  autant  plus 
nécessaire,  que  je  commence  un  métier  tfae  je 
jiai  jamais  fiiit;  que,  lui  ayant  trouvé  d'aboni  aoe 


l'éducation.  i3 

résistance  parfaite  i  mes  instructioii&  et  une  né- 
gligeoce  excessive  pour  moi,  je  n  ai  su  comment 
le  réduire;  et  qu'au  moindre  mécontentement  il 
courait  chercher  une  asile  inviolable  auprès  de  son 
papa,  auquel  peut-être  il  ne  manquait  pas  ensuite 
de  conter  les  choses  comme  il  lui  plaisait. 

Heureusement  le  mal  n'est  pas  grand  à  Tâge  où 
iiest;  nous  avons  eu  le  loisir  de  nous  tâtonner, 
.pour  ainsi  dire^réciproquement^sansque  ce  retard 
ilit  pu  porter. encore  un  grand  préjudice  à  ses  pro« 
grès, que  d'ailleurs  la  délicatesse  de  sa  santé  p'au* 
.  rait.pas  permis  de  pousser  beaucoup  (i);  mais 
comme  les  mauvaises  habitudes,  dangereuses  à 
tout  âge,  le  sont  infiniment  plus  à  celui  là,  il  est 
temps  d'y  mettre. ordre  sérieusement,  non  pour  le 
charger  détudes  et  de  devoirs,  mais  pour  lui  don- 
ner à  honue  heure  un  pli  d'obéissance  et  de  doci- 
lité qui  se  trouve  tout«  acquit  quand  il  en  sem 
temps. 

Nous  approchons  de  Li  fin  de  l'année  :  vous  ne 
saunez,  monsjieur,  prendre  une  occasion  plusna- 
rtureUc  que  le  commencement  de  l'autre  pour  Caire 
•un  petit  discours  à  monsieur  votre  fils ,  à  la  portée 
de  son  âge,  qui,  lui  mettant  devajBkt  les  yeux  les 
avantages  dune  bonne  éducation ,  et  les  inconvé- 
niens  d'une  enfance  négligée,  le  idispose  à  se  prêter 
de  bonne  grâce  à  ce  que  la  connaissance  de  son 


-**■ 


'  •  j[i}  Il  était  Ibrt  lânguitsaiit  «piand  )c  su!s  piUi  dam  k 
.  Np  f  ^i^oord'htû  «a  i  aaltf  t'afieiinit  v^^>kDiei>i. 


l6  PkOiET 

ces,  thème  les  plus  spcculatiYCS  et  les  plus  éloi- 
gnées en  apparence  de  la  société,  ne  laissent  pas 
d'exercer  l'esprit  cl  de  lui  donner,  en  l'exerçant, 
une  force  dont  i!  est  facile  d'abuser  dans  le  com- 
merce de  h  vie,  quand  on  a  le  coçur  mauvais. 

Il  y  a  plus  à  Tégard  de  M.  de  Sainte-Marie.  II 
a  conçu  un  dégoût  si  fort  contre  tout  ce  qui  porte 
le  nora  d'étude  et  d'application  j  qu'il  faudra  ïianh 
coup  d'art  et  de  temps  pour  le  déti'uirc  :  cl  il  se- 
rait fiUlieux  que  ce  teoips-lA  fût  perJu  pour  lui; 
car  il  y  aurait  trop  diiicoiivcuieiis  h  le  contraîn- 
dro;  et  II  vaudrait  encore  mieux  qu^il  igno  al  rn- 
tièrejnent  ce  que  ccst  quVuwîcs  et  que  scieur*^, 
que  de  ne  les  connaître  que  pour  les  d^îli'sl<•r. 

A  regard  de  Li  religion  cl  de  la  morale ,  rc 
n'est T>oint parla  miîi**»»î««»»*** *îp« '^ff**'*'*t'*? 'Vî'^îî 
pouna  parvenir  à  lui  en  iUvSpircr  des  princi[*es 
solides  qui  servent  de  réglé  à  sa  conduite  pour  le 
reste  de  sa  vie.  Excepté  les  ék'mens  A  la  portée  de 
son  âge  ,  on  doit  moins  songer  à  fatiguiT  sa  mé- 
moire d'un  dciaii  de  loi*  et  de  devoîi-s,  qu'à  dis- 
poser son  esprit  et  son  cœur  à  les  connaître  e:  à 
les  goûter,  à  mesure  que  l'occasion  se  présentera 
de  les  lui  développer;  et  c'est  par  lu  mémo  que  ces 
préparatifs  sont  tout-À-£iit  à  la  portée  de  son  âge 
et  de  son  esprit,  parce  qu'ils  ne  renferment  que 
des  Sujets  curieux  et  intércssans  sur  le  commerce 
civil,  sur  les  arts  et  les  métiers,  et  sur  la  manUre 
variée  dont  la  Providence  arendu  tous  les  hommes 
utiles  et  nécessaires  les  uns  aux  ^vXfes.  Ces  sujets. 


D'ÉDUCiiTlOK.  ijl 

qui  sont  pliitàt  des  matières  de  conversations  et 
de  promenades  que  d'études  réglées,  auront  en«« 
oore  divers  avantages  dont  VeBkt  me  parait  in« 
Êullible. 

Premièrement ,  n*aiSsctant  point  désâ^éaUe^ 
ment  son  esprit  par  des  idées  de  contrainte  et 
d'étude  réglée ,  et  n  exigeant  pas  de.lui  une  atteu-i 
lion  péniUe  et  continue  ^  ils  n'auront  rien  de  nui- 
sible â  sa  santé.  En  second  lieu ,  ils  accoutumeront 
k  bonne  heure  son  esprit  à  la  réflexion  et  à  consi- 
dérer les  choses  par  leurs  suites  et  par  leurs  effets. 
Troisièmement,  ib  le  rendront  curieux  cl  lui  in- 
spireront du  goût  pour  les  sciences  naturelles 

Je  devrais  ici  aller  au-devant  d  nne  impression 
qu'on  pourrait  recevoir  de  mon  projet,  en  slma^ 
ginântqae'je  ne  cherche  qu'à  m'égayer  moi^-mdme 
et  à  me  débanrasser  de  ce  que  les  leçons  out  de  seo 
et  d'ennuyeux,  pour  nieprocurcr  une  occupation 
plus  agréable.  Je  ne  crois  pas ,  monsieur  j  tqu'U 
puisse  vous  tomber  dans  l'esprit  de  penser  ainsi 
sur  mon  compte,  Peut-^étre  jamais  homnie  ne  se 
fit  une  pfikire  plus  importante  que  celle  que  je  mb 
fais  de  Tédùcation  de*  messieurs  vos  enfans,  pour 
peu  que  von^  veuilKçz  seconder  mon  zèle.  Vous 
n'avez  pas  eu  lieu  de  vous  apercevoir  jusqu'à  prêt 
sent,  que  je  cherche  à  fuir  le  travail  :  mais  jejuo 
crois  point  que,  poulr  se  donner  un  air  de  zèle  el 
d'occupioion  ,  un  maitre  doive*  ftâeéten  de  sath 
charger  w«  élèvesiifttB  Uàvail  rebûttotét  sérieux^ 
de  leur  mointrcfloujonis  ^m  contenance  sévère 


l6  PftO^BT 

M  miellée ,  et  de  se  fitâre  ainsi  à  leurs  dépefts  la  ic- 
puiatMi  <t  bemnie  exact  et  laborieux.  Pour  mot, 
monsitiuri  j^  le  dédave  une  fois  pour  toutes;  ja- 
loux jusqu'au  scrupule  de  raccomplissemcnt  de 
luoft  deroir ,  )c  suis  iocapaUb  de  m'en  reUcher 
jamais;  mon  goât  m  mes  principes  ne  nw  portent 
Bt  k  la  paresse  ni  an  nrlàchement  :  mais  de  deux 
Yoics  pour  m^assurer  le  mène  suooàs  ^  je  préférerai 
toi^ours  oolie  qui  coùteia  le  moins  de  peine  et  de 
désagrément  à  mes  élèves;  et  j'ose  assurer,  sans 
vouloir  passer  pour  tm  honune  Irès-occnpé,  qoe 
moins  ils  travailleront  en  apparence  y  et  pins  es 
effet  je  travaiilerarponr  eux. 
•    S'il  j.  a  quelques  occasions  oà  la  sévérité  soit 
nécessaire  i  Tégard  des  enfans,  c'est  dans  les  cas 
où  les  moenrs  sont  attaqiiées ,  ou  quand  il  s^git  de 
corriger  de  mauvaises  habiludes.  Souvent  plus  un 
enfant  a  d'esprit  ^  et  pins  la  connaissance  de  ses 
(sropres  avantages  le  rend  indocile  sur  ceux  qui 
ttti  restesKt  à  acqimir.  De  là  le  mépris  des  infé- 
rieurs f  la  désobâssaace  aux  sDpcrioiirs ,  et  1  impo- 
litesse avec  les  égfux  :  quand  on  se  t:roit  par&ît» 
dans  qads  travers  ne  deainc^t**on  pasi  M.  deSainle* 
Marie  ^  trop  dmbelligenceponr  ne  pas  soitir  ses 
belles  qualités  ;  mais,  si  l'on  n'y  prend  garde,  il  y 
comptera  tfap,«t  négligera  d^eii  tirer  tout  le  pmli 
ipxH  &udrak.  Ces  semences  de  vanité  ont  déjà  pro* 
duit  en  lui*  bien  des  fntîts  pcnchans  nécsssaûnss  k 
corriger.  CW  i  cet  ^aid.,  noisieut,  ^M  BOUS  no 
sannoos  agir  j^ec  trop  db<Qi9re9poiMlmce;  «t  Q 


\ 


D  EDVCATlOir.  ^9 

9Bl  tr&s4fliportaiit  que ,  dans  les  occasions  <rii  ïmt 
aura  lieu  déUre  méoontent  de  lui,  U  ii<r  trouve  de 
toutes  parts  qu'une  appareuce  de  mépris  et  d'ifi- 
diflirence,  qui  le  nMHtrfiera  d'autant  plus  que  ces 
marques  de  froideur  Ae  luiseront  point  ordinaires^ 
C'est  punir  roigueii  parles  propres  armes  et  l'àX* 
taquer  dans  sa  soutce  mènie;«t  Ton  peut  s'assurer* 
que  M,  de  &iinle4larie  est  trop  bien  né  pcffhr 
n'être  pas  infiniment  sensâile  k  restime  des  peN 
sonnes  qui  lui  simt  diires. 

La  droiture  du  cœur,  quand  elle  est  idBbmie' 
par  k  raisonnement)  est  la  source  de  la  {ustusse 
de  Feaprit  :  un  honnête  homme  peiÀe  presque  • 
toujours  juste,  et  quand  -on  est  accoutumé  dèa 
TenËuioe  à  ne  pas  s'étouidir  sur  la  réflexion  ^  et  à 
ne  se  livrer  au  ]^aisir  présent  qu  après  en  avoir 
pesé  les  suites  et  balancé  les  avantages  avec  les  in« 
convcniens,  on  a  presque,  avec  xxji  peU  d'expé- 
rience, tout  Tacquis  tî  K^essaire  pour  fonner  le  ju- 
gement. Il  «emble  en  elTet  que  le  bon  sens  dépend 
encore  plus  des  sentimcns  du  cœur  que  des  lu- 
mières de  l'esprit,  et  Von  éprouve qufe  les  gens  les 
plus  savans  et  les  phis  éclairés  ne  sont  pas  toujours 
ceux  qui  se  conduisent  le  mieux  dans  les  affaires 
de  la  vie  :  ainsi,  après  avoir  rempli  M.  de  Sâlutô- 
Marte  de  bons  principes  de  morale ,  on  pûufitiit  le 
regarder  en  un  sens  comité  e^ses  avancé  daiH  la 
science  du  raisouMmeiot^  Mais  9^^«st  qtieiqM; 
point  important  dans  son  éducation,  €'eâl  MHS 
contredit  oekû-lè^  et  Ion  ne  saurait  tiiep  bie^  Itti 


î 


"I 


<^<r  >ROJET 

apprendre  à  connaître  les  hommes,  à  savoir  ks 
prendre  par  leurs  vertus  et  même  par  leurs  faibles, 
pour  les  amener  i  son  but,  et  à  choisir  toujours  le 
meilleur  parti  dans  les  occasions  difficiles.  Cela 
dépend  en  partie  de  la  manière  dont  on  Texercent 
à  considérer  les  objets  et  à  les  retourner  de  toutes 
leurr  £ices,  et  en  partie  de  l'usage  du  monde. 
Quant  au  premier  point,  vous  y  pouvez  contri- 
buer beaucoup,  monsieur,  et  avec  un  très-grand 
succès ,  en  feignant  quelquefois  de  le  consulter  sur 
la  manière  dont  Vous  devez  vous  conduire  dans 
les  incidens  ilHnventioii  ;  cela  flattera  sa  vanité ,  et 
il  ne  regaj^Aiia  point  comme  un  travail  le  temps 
iqu^on  mettra  à  délibérer  sur  nne  affaire  où  sa  voix 
sera  comptée  pour  quelque  chose.  C'est  dans  de 
telles  conversations  qu'on  peut  lui  donner  le  plus 
de  lumières  sur  la  science  du  monde ,  et  il  appren- 
dra plus  dans  deux  heures  de  temps  par  ce  moyen 
qu'il  ne  ferait  en  un  an  pai'des  instructions  en 
règle  :  mais  il  feut  observer  de  ne  lui  présenter  que 
des  matières  proportionnées  à  son  âge,  et  surtout 
l^xercer  long-temps  sur  des  sujets  ou  le  meilleur 
parti  se  présente  aisément,  tant  afin  de  l'amener 
tellement  à  le  trouver  comme  de  lui-même ,  que 
pour  éviter  de  lui  faire  envisager  les  ailkires  de  la 
vie  comme  une  suite  de  proUèmes^  ou,  les  divers 
partis  paraissant  égidemeat  pvobables,  il  serait 
presque  indjfierent  de  se  déterminer  plulAt  pour 
IVui  ^e  ppuc  Tautre;  ce  qui  le  mènerait  à  Tindo- 


»    : 


d'éducatioic,  at' 

knce  dans  le  laisonncment ,  et  à  rindifTérencc 
dans  la  conduite. 

L'usage  du  monde  est  aussi  d'une  nécessité  ab- 
solue, et  d autant  plus  pour  M.  de  Sainte-Marie,' 
que,  né  timide,  il  a  besoin  de  voir  souvent  com- 
pagnie pour  apprendre  à  s'y  trouver  en  liberté ,  et 
Il  s'y  conduire  avec  ces  grâces  et  cette  aisance  qui 
caiactérisent  ITiorame  du  monde  et  lliomme  ai- 
n.ablc.  Pour  cela,  monsieur,  vous  auriez  la  bonté 
de  iti'indiquer  deux  ou  trois  maisons  où  je  poiîr- 
raîs  le  mener  quelquefois  par  forme  de  dt  lasse- 
ment  et  de  récompense.  11  est  xrtii  qu'ayant  à  cor- 
rlg.'^r  en  moi-m(}me  les  défauts  que  je  clic.cbc  à 
prévenir  en  lui,  je  pourrais  pai'Aître  peu  propre  à 
a  ccît  usage.  C'est  à  vous,  monsieur,  et  à  madame 
sa  tn^Té,  4  voir  ce  qtii  convient ,  et  à  vous  donner 
la  peine  de  le  conduire  quelquefois  avec  a-ous  si 
vous  jugez  que  ce!a  lui  soit  plus  avantageux.  Il  sera 
]}on  aussî  que  quand  oh  aura  du  monde  on  le  re- 
lîcnric  dans  la  cliambre,  et  quen  rîi?terrogeanl 
quelquefois  et  h  propos  sur  les  matie  res  de  la  con- 
versation, on  lui  donne  lieu  de  s'y  mêler  insensi- 
blement Mais  il  y  a  un  point  sm*  leîjuel  je  crains 
de  ne  me  pas  trouver  tout-à-fait  de  votre  sentiment. 
Qumd  M,  de  Sainte-Marie  se  trouve  eu  compa- 
guie  sous  vos  yeux,  il  badine  et  s'égaie  autour  do 
VOII5,  et  n'a  des  yeux  que  pour  son  papa,  tendresse 
bien  flatteuse  et  bien  aimable;  mais  s'il' est  con-» 
train t  d^iorder  une  autre  personne  ou  de  lui  par- 
ler, aussitôt  il  est  décontenancé,  il  ne  peut  marcher  , 


j4  paojbt 

peuf  souffrir  quW  len  distraie  an  iii;^nt,  et 
qu'il  prend  en  arersion  tout  ce  qui  produit  cet 
effet;  car.  d'ailleurs  je  me  suis  convaincu  qu'il  n'a 
nulle  haine  pour  1  étude  en  elle-même ,  et  qu'il  y  a 
9iéme  des  dispositions  dpot  on  peut  se  promettre 
beaucoup.  Pour  remédier  à  cet  inconvénient ,  il 
faudrait  lui  procui^er  d  autres  amusemens  qui  le 
délacjiosseyu  des  niaiseries  auxquelles  il  s'occupe , 
et  pour  cela  le  tenir  un  peu  séparé  de  ses  firëres  et 
de  sa  sœur  ;  c  est  ce  qui  ne  se  peut  guère  &ire  dans 
^u  appartement  comme  le  mien^  trop  petit  pour 
les  mouvemens  d'un  enfant  aussi  vif,  et  où  même 
il  serait  dangeneuz  d  altérer  sa  santé,  si  l'on  vou- 
lait le  contraindre  d'y  rester  trop  renfermé.  Il  serait 
plus  important,  monsieur,  que  vous  ne  pensez , 
d'avoir  une  chambre  raisonnable  pour  y  faire  son 
élude  et  son  séjour  ordinaire  ;  je  tâcherais  de  la 
\m  rendre  aimable  par  ce  que  je  pourrais  lui  pré- 
senter do  plus  riant,  et  ce  serait  déjà  beaucoujp  de 
gagaé  que  d  obtenir  qu  il  se  plûtdans  Tendroit  où 
il  doit  étudier.  Alors,  pour  le  dtUicher  iuseq$iUe- 
meul^de  ces  badinagss  puérilf^  je  me  mettrais  de 
Qloitié  detous  ses  amusemens,  et  jq  ^i  en  procu- 
rerais dc$  plus  propres  à  liiii  plaire  et  à  exciter  sa 
curiosité  :  de  petits  jeux,  des  découpures, un  peu 
de  dessin,  la  musique, les iustrumens, un pcisrae 
un  microscope,  un  verre  ardent  y^t,  mille  ciulrcs 
petites  curiosités,  me  fourniraient  des  sujels  de  le 
(li[verti]r  et  de  Tatt^çhtur  peu  à  peu  à  son  apparte* 
ment^  au  point  4e  fi  y  plaioç  plus  que  partout  9JA* 


D'ÉDUCATION.  H 

leurs.  B'un^utre  côté,  on  aurait  soin  de  me  IVn* 
yoyer  dès  qu'il  serait  levé ,  sans  qu'aucun  prétexte 
pût  len  dispenser  ;  Ton  ne  permettrait  point  qu'il 
alMt  dandinant  par  la  maison ,  pi  qu^l  se  réfugiât 
près  de  yous  aux  heures  de  son  travail,  et  afin  de 
lui  faire  regarder  Tétude  comme  d'une  importance 
que  rien  ne  pourrait  balancer,  on  éviterait  de 
prendre  ce  temps  pour  le  peigner,  le  friser,  ou  lui 
donner  quelque  autre  soin  nécessaire.  Voici,  pat 
rapport-  à  moi ,  comment  je  m  y  prendrais  poqr 
l'amener  insensiblement  à  l'étude,  de  son  propre 
mouvement.  Aux  heures  où  je  voudrais  Toccuper, 
)e  lui  retrancherais  tonte  espèce  d^amusement,  et 
je  lui  proposerais  le  tiavail  de  cette  heure-là;  s^i} 
ne  s>y  livrait  pas  de  bonne  grâce,  je  ne  ferab  pas 
même  semblant  de  m'en  apercevoir,  et  je  le  laisse* 
rais  seul  et  sans  amusement  se  morfondre  jusqu'à 
ce  que  l'ennui  d'être  absolument  sans  rien  faire 
leût  ramené  de  lui-même  à  ce  que  j'exigeais  do 
lui;  alors  j affecterais  de  répandre  un  enjouement 
et  une  gaité  sur  son  travail,  qui  lui  fit  sentir  l^i 
difierence  qu'il  y  a,  même  pour  le  plaisir,  de  la 
fainéantise  à  une  occupation  honnête.  Quand  ce 
moyen  ne  réussirait  pas ,  je  ne  le  maltraiterais 
point;  mais  je  lui  retrancherais  toute  récréatioii 
pour  ce  jour-là,  en  lui  disant  froidement  que  je 
ne  prétends  point  le  faire  étudier  par  force,  mais 
cpie  le  divertissement  n'étant  légitime  que  quan4 
il  est  le  délassement  du  travail  ^  ceux  qui  ne  foqt 
jrien  n*èn  ont  aucun  Lesoin.  De  plus,  vous  aurie^ 


jr     1 


26  PROJET 

1^  bonté  de  convenir  avec  moi  d  un  signe  par 
lequel,  sans  apparence  dmtelligence,  je  pourrais 
TOUS  témoigner,  de  même  qu^à  madame  sa  mère, 
quand  je  serais  mécontent  de  lui.  Alors  la  froideur 
et  Kndifférence  qull  trouverait  de  toutes  parts, 
sans  cependant  lui  faire  le  moindre  reproche,  le 
surprendrait  d  autant  plus,  qull  ne  s^aperccvratt 
point  que  je  me  fusse  plaint  de  lui;  et  il  se  porte- 
rait à  croire  que  comme  la  récompense  naturelle 
du  devoir  est  l'amitié  et  les  caresses  de  ses  supé- 
rieurs ,  de  même  la  fainéantise  et  Toisiveté  portent 
avec  elles  un  certain  caractère  méprisable  qui  se 
fait  d  abord  sentir,  et  qui  refroidit  tout  le  monde 
à  son  égard. 

J'ai  connu  un  père  tendre  qui  ne  s'en  fiait  pas 
tellement  à  un  mercenaire  sur  Imstruction  de  ses 
cnfans,  qu'il  ne  voulût  lui-même  y  avoir  l'œil  :  le 
bon  père ,  pour  ne  rien  négliger  de  tout  ce  qui 
pouvait  donner  de  1  émulation  à  ses  enfans, avait 
adopté  les  mêmes  moyeiî^  que  j'expose  ici.  Quand 
il  revoyait  ses  enfans,  il  jetait,  avant  que  de  les 
aborder  un  coup  d  œil  sur  leur  gouverneur  :  lors- 
que celui-ci  touchait  de  la  main  droite  le  premier 
bouton  de  son  habit ,  c'était  une  marque  qu'il  était 
content,  et  le  père  caressait  son  fib  à  son  ordi- 
naire :  si  le  gouverneur  touchait  le  second,  alors 
c'était  marque  dWe  parfaite  satisfaction ,  et  le 
père  ne  donnait  point  de  bornes  à  la  tendresse  die 
ses  caresses,  et  y  ajoutait  ordinairement  quelque 
^eay;  maj$  sans  aQectation  :  quand  le  gouver- 


D^ÉDUCATIOR.  "37 

neUT  ne  faisait  aucun  signe ,  cela  Toulail  dire  qu'il  » 
était  mal  satisfait,  et  la  froideur  du  père  répondait 
au  mécontentement  du  maître;  mais  quand  de  la 
main  gauche  celui-ci  touchait  sa  première  bou- 
tonnière, le  père  faisait  sortir  son  fils  de  sa  pré-"" 
sence ,  et  alors  le  gouverneur  lui  expliquait  les 
fautes  de  lenfant.  J'ai  vu  ce  jeune  seigneur  ac- 
quérir en  peu  de  temps  de  si  gi*andes  perfections , 
que  je  crois  qu  on  ne  peut  trop  bien  augurer  d  une 
méthode  qui  a  produit  de  si  bons  effets  :  ce  n'est 
aussi  qu'une  harmonie  et  une  correspondance  par- 
faite entre  un  père  et  un  précepteur  qui  peut 
assurer  le  succès  d'une  j)onnc  éducation  ;  et  comme 
le  meilleur  père  se  donnerait  vainement  des  mou- 
vemcns  pour  bien  élever  son  fils,  si  d'ailleurs  il  le 
laissait  entre  les  mains  «!  un  précepteur  inattentif, 
de  môme  le  plus  intelligent  et  le  plus  zélé  de  tous 
les  maîtres  prendrait  des  peines  inutiles ,  si  le 
père ,  au  lieu  de  le  seconder ,  détruisait  son  ou- 
vrage par  (les  démarches  à  contre-temps. 

Pour  que  monsieiu*  votre  fils  prenne  ses  études 
à  cœur,  je  crois,  monsieur,  que  vous  devez  té- 
moigner y  prendre  vous-même  beaucoup  de  part  : 
pour  cela  vous  auriez  la  bonté  de  Imterrogerquel- 
quefois  sur  ses  progrès,  mais  dans  les  temps  seu« 
lement  et  sur  les  matières  où  il  aura  le  mieux  fait, 
afin  de  n'avoir  que  du  contentement  et  de  la 
satisfaction  à  lui  marquer,  non  pas  cependant  par 
de  trop  grands  éloges,  propres  à  lui  inspirer  de 
Torgueil  et  à  le  faire  trop  compter  sur  lui-mdme. 


^  PROJET 

Quelquefois  aussi ,  mais  plus  rarement ,  votre  exa- 
men roulerait  sur  les  matières  où  il  se  sera  négligé: 
iilors  vous  vous  informeriez  de  sa  santé  et  des 
causes  de  son  relâchement  avec  des  marques  d  in- 
ipiiétude  qui  lui  en  communiqueraient  à  lui-même. 

Quand  vous,  monsieur,  ou  madame  sa  mère, 
aurez  quelque  cadeau  à  lui  faire,  vous  aurez  la 
bonté  de  choisir  les  temps  o  j  il  y  aura  le  plus  lieu 
d'être  coatent  de  lui ,  ou  du  moins  de  m^cn  avertir 
d'avance ,  afin  que  j  évite  dans  ce  temps-là  de  lex 
poser  à  me  donner  sujet  de  m'en  plaindre,  car  à 
cet  âge-l  les  moindres  irrégularités  portent  coup. 

Quant  i  l'ordre  même  de  ses  études,  il  sera 
très-simple  pendant  les  deux  ou  trois  premières 
années.  Les  élémcnsdu  latin,  de  l'histoire  et  de  la 
géographie,  paitageront  son  temps.  Â  l'égard  du 
latin ,  je  n^ai  point  dessein  de  Texercer  par  une 
étude  trop  méthodique,  et  moins  encore  par  la 
composition  des  thèmes.  Les  thèmes ,  suivant 
M.  RoIIin,  sont  la  croix  des  enfans;  et,  dans  lln- 
tention  où  je  suis  de  lui  rendre  ses  études  aimables, 
je  me  garderai  bien  de  le  Êtirepasserparcette  croix, 
ni  de  lui  mettre  dans  la  tête  les  mauvais  gallicismes 
de  mon  latin  au  lieudeceluideTite-Live,de  César 
et  de  Cicéron  :  d'ailleurs  un  jeune  homme,  furtout 
s^l  est  destiné  à  Fépée,  étudie  le  latin  pour  Fen- 
tendre  et  non  pour  Técrire,  chose  dont  il  ne  lui 
arrivera  pas  d  avoir  besoin  une  fois  en  sa  vie. 
Qu'il  traduise  donc  les  anciens  auteurs,  et  qu*îl 
prenne  dans  leur  lecture  le  goût  de  la  bonne  lati- 


d'éducatiok.  ig 

nité  et  de  la  belle  littérature  :  c'est  tout  ce  qae  j'exi- 
gerai de  lui  à  cet  égard. 

Pour  l'histoire  et  la  géographie,  il  Ëiudra  seule- 
ment lui  en  donner  d'abord  une  teinture  aisée, do& 
|e  bannirai  tout  ce  qui  sent  tropja  sécheresse  et  Fé- 
tude,  réservant  pour  un  âge  plus  avancé  les  diffi- 
cultés les  plus  nécessaires  de  la  chronologie  et  de 
la  sphère.  Au  reste,  m^écartant  uq  peu  du  plan 
ordmaire  des  études,  je  m'attacherai  beaucoup 
plus  à  rhistoire  moderne  qu'à  l'ancienne ,  parce 
que  je  la  crois  beaucoup  plus  convenable  à  un  of- 
ficier; et  que  d'ailleurs  je  suis  convaincu  sur  1  his- 
toire moderne  en  général  de  ce  que  dit  M.  Tabbé 
de...  de  celle  de  France  en  particulier,  qu'elle  nV 
bonde  pas  moins  en  grands  traits  que  l'histoire 
ancienne,  et  qu'il  n'a  manqué  que  de  meilleurs 
historiens  jpour  les  mettre  dans  un  aussi  beau  jour. 

Je  sub  d'avis  de  supprimeraM.de Sainte-Marie 
toutes  ces  espèces  d'études  où,  sans  aucun  usage 
solide,  on  &it  languir  la  jeunesse  pendant  nombre 
d'années  :  la  rhétorique,  la  logique,  etlaphilo» 
Sophie  scolastique ,  sont  à  mon  sens  .toutes  choses 
très-superflues  pour  lui,  et  que  d'ailleurs  je  serais 
peu  propre  â  lui  enseigner.  Seulement,  quand  il 
en  sera  temps ,  je  lui  ferai  lire  la  Logique  de  Port- 
Royal,  et,  tout  au  plus,  r^r/  de  parler  du  P.  Lami| 
mab  sans  l'amuser  d'un  côté  au  détail  des  tropes 
et  des  figures,  ni  de  lautre  aux  vaines  subtilités 
de  la  dialectique  :  j  ai  dessein  seulement  de  Tezer- 
4xr  a  la  précision  et  à  la  pureté  dans  le  style,! 

3. 


3o  PROJET 

Tordre  et  i  la  méthode  dans  ses  raisonnemcns,  ei 
à  se  faire  un  esprit  de  justesse  qui  lui  serve  à  dé- 
mêler le  £aiux  orné ,  de  la  vérité  simple ,  toutes  les 
fois  que  l'occasion  s'en  présentera. 

L'histoire  naturelle  peut  passer  aujourd'hui, 
par  la  manière  dont  elle  est  traitée,  pour  la  plus 
intéressante  de  toutes  les  sciences  que  les  hommes 
cultivent,  et  celle  qui  nous  ramène  le  plus  natu- 
rellement de  Tadmiration  des  ouvrages  à  l'amour 
de  l'ouvrier  :  je  ne  négligerai  pas  de  le  rendre  cu- 
rieux sur  les  matières  qui  y  ont  rapport,  et  je  me 
propose  de  Yy  introduire,  dans  deux  ou  trois  ans 
par  la  lecture  du  Spectacle  de  la  nature,  que  je 
ferai  suivre  de  celle  de  Nieuwentit. 

On  ne  va  pas  loin  en  physique  sans  le  secours  des 
mathématiques;  et  je  lui  en  ferai  faire  une  année, 
oe  qui  servira  encore  à  lui  apprendre  à  raisonner 
conséquemment  et  às'appliquer  avec  un  peu  d  at- 
tention ,  exercice  dont  il  aura  grand  besoin  ;  cela 
le  mettra  aussi  à  portée  de  se  faire  mieux  considérer 
parmi  les  officiers,  dont  une  teinture  de  mathéma- 
tiques et  de  fortifications  fait  une  partie  dumétier. 

Enfin ,  s'il  arrive  que  mon  élève  reste  assez  long- 
temps entre  mes  miains,  je  hasarderai  de  lui  donner 
quelque  connaissance  de  la  morale  et  du  droit  na- 
turel par  la  lecture  de  PuiTendorf  et  de  Grotios, 
parce  qu*il  est  digne  d^un  honnête  homme  et  d  un 
homme  raisonnable  de  connaître  les  principes  du 
bien  et  du  mal,  et  les  fbndemens  sur  lesquels  la 
sôâété  dont  il  Ëiit  partie  est  étabiie. 


d'éducation.  3r 

Ed  Élisant  succéder  ainsi  les  sciences  les  unes 
aux  aulres,  je  ne  perdrai  point  l'histoire  de  vue, 
comme  le  principal  objet  de  toutes  ses  études  et 
celui  dont  les  branches  s  étendent  le  plus  loiù  sur 
toutes  les  autres  sciences  :  je  le  ramènerai,  au  bout 
de  quelques  années,  à  ses  premiers  principes  avec 
plus  de  méthode  et  de  détail;  et  je  tâcherai  de  lui 
en  Élire  tirer  alors  tout  le  profit  qu  ou  peut  espérer 
de  cette  étude. 

Je  me  propose  aussi  de  lui  faire  une  récréation 
amusante  de  ce  qu'on  appelle  proprement  belle- 
lettres^  comme  la  connaissance  des  livres  et  des 
auteurs,  la  critique,  la poésie,le style, l'éloquence, 
le  théâtre,  et  en  un  mot  tout  ce  qui  peut  contri- 
buer à  lui  former  le  goût  et  à  lui  présenter  Vétude 
sous  une  face  riante. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  d  avantage  sur  cet  article , 
parce  que  après  avoir  donné  une  légère  idée  de  la 
route  que  je  m'étais  à  peu  près  proposé  de  suivre 
dans  les  études  de  mon  élève,  j'espère  que  M.  votre 
frère  voudra  bien  vous  tenir  la  promessequ^il  vous 
a  faite  de  nous  dresser  un  projet  qui  puisse  me 
Servir  de  guide  dans  un  chemin  aussi  nouveau 
pour  moi.  Je  le  supplie  d'avance  d'être  assuré  que 
je  m'y  tiendrai  attaché  avec  une  exactitude  et  ud 
soin  qui  le  convaincra  du  profond  respect  que  j'ai 
pour  ce  qui  vient  de  sa  part  ;  et  j'o^  vousiiépondre 
qu'il  ne  tiendra  pas  &  mon  zèle  et  à  mon  attache- 
ment qae  messieurs  ses  neveux  ae  deviennent  des 
hommes  parfaits. 


MmnÊMtMmitÊtinyymmiiM^M&ÊmmMÊÊmm 


RÉPONSE 

AU  MÉMOIRE  ANONIME 

istitulé' 

SI  XE  MONDE  QUE  NOUS  HABITORS  EST  UNE  SPHÈRE,  etC. 
aêini  oavs  lb  HEiciniB  m  mtuer,  fagi  i5f  {. 

Monsieur  , 

Attiré  par  le  titre  de  votre  mémoire,  |e  Tailn 
avec  toate  l'avidité  d'un  homme  qai,  depuis  pla- 
neurs années ,  attendait  impatiemment  avec  touïe 
l'Europe  le  résultat  de  ces  fameux  voyages  entre- 
pris par  plusieurs  membres  de  lacadémie  rojak 
des  Sciences^  sous  les  auspicc^  du^lus  magni&pie 
de  tous  lesrois.'J  avoueraifi^nchement,  monsieur, 
que  j*ai  eu  quelque  regret  de  voir  que  ce  que  j^avais 
pris  pour  le  précis  des  observiitions  de  ces  grands 
hommes  n'était  effectivement  qu^une  conjectnie 
hasardée  peut-être  un  peu  hors  de  propos.  Je  ne 
prétends  pas  pour  cela  avilir  ce  que  votre  mémoire 
contient  dmgénieux;  mais  vous  permettrez,  mon- 
sieur, que  je  me  prévale  du  même  privilège  q[M 
vous  vous  êtes  accordé ,  et  dont,  selon  vous,  tout 
homme  doit  être  en  possession ,  qoi  est  de  dire  U- 
bc^tt^t  ta  pensée  sur  le  sujet  dant  il  s'agit. 


RÉPONSE  AU  MÉMOIRE  ANONIME.  33 

D'abord  il  me  parait  que  vous  avez  choisi  le 
temps  le  moins  convenable  pour  faire  part  au  pu- 
blic de  votre  sentiment.  Vous  nous  assurez ,  mon* 
sieur,  que  vous  n'avez  point  eu  en  vue  de  ternir 
la  gloire  de  messieurs  les  académiciens  observa- 
teurs, ni  de  diminuer  le  prix  de  la  générosité  du 
roi.  Je  suis  assurément  très-porté  à  justifier  votre 
oœur  sur  cet  article  ;  et  il  parait  aussi ,  par  la 
lecture  de  votre  mémoire ,  qu'en  efiet  des  senti- 
mens  si  bas  sont  très-éloigués  de  votre  pensée. 
Cependant  vous  conviendrez,  monsieur,  que  si 
vous  aviez  en  effet  tranché  la  difficuité ,  et  que 
vous  eussiez  fait  voir  que  la  figure  de  la  terre  n'est 
point  cause  de  la  variation  qu'on  a  ti^ouvée  dans 
lii  mesure  de  diiférens  degrés  de  latitude,  tout  le 
prix  des  soins  et  des  fatigues  de  ces  messieurs ,  les 
firais  qu'il  en  a  coûté  et  la  gloire  qui  en  doit  élre 
le  fruit ,  seraient  bien  près  d'être  anéantis  dans 
l'opinion  puUique.  Je  ne  prétends  pas  pour  cela , 
monsieur,  que  vous  ayez  dû  déguiser  ou  cacher 
aux  ho'mmes  la  vérité^  quand  vous  avez  cru  la 
trouver,  par  des  considérations  particulières;  je 
parlerais  contre  mes  principes  les  plus  chers.  La 
vérité  est  si  précieuse  à  mon  cœur,  que  je  ne  fais 
entrer  nul  autre  avantage  en  comparaison  avec 
elle.  Mais,  monsieur,  il  n^éait  ici  question  que  de 
retarder  votre  mémoire  de  quelques  mois  ^  ou 
plutôt  de  l'avancer  de  quelques  années.  Alors 
vous  auriez  pu  avec  bienséance  user  de  la  liberté 
qu'ont  tous  les  hommes  de  dire  ce  qu'ils  pens^ot 


34  KEPONSB 

gur  certaines  matières  ;  et  il  eût  sans  donte  été 
bien  doux  pour  vous,  si  vous  eussiez  rencontré 
)uste,  d'avoir  évité  au  roi  la  dépense  de  deux  si  longs 
voyages.,  et  à  ces  messieurs  les  peines  qu'ils  ont 
souffertes  et  les  dangers  qu'ils  ont  essuyés.  IVIais 
aujourd'hui  que  les  voici  de  retour,  ayant  qu'être 
au  fait  des  observations  qu'ils  ont  faites,  des  con< 
séquences  qu'ils  en  ont  tirées;  en  un  mot,  avant 
que d  avoir  vu  leurs  relations  et  leurs  décoiivertes, 
Û  parait,  monsieur,  que  vous  deviez  moins  voos 
hâter  de  proposer  vos  objections,  qui,  plus  elles 
auraient  de  force,  plus  aussi  seraient  propres  à 
ralentir  Tempressement  et  la  reconnaissance  du 
public,  et  à  priver  ces  messieurs  de  la  gloire  légi- 
timement due  à  leurs  travaux. 

Il  est  question  de  savoir  si  la  terre  est  sphériqi^ 
ou  non.  Fondé  sur  quelques  argumens ,  vous  vous 
décidez  pour  raffirmative.  Autant  que  je  suis  ca- 
pable de  porter  mon  jugement  sur  ces  matières, 
vos  raison uemens  ont  de  la  solidité  ;  la  consr- 
quence  cependant  ne  m'en  parait  pas  invincible- 
ment nécessaire. 

En  premier  lieu,  Tautorité  dont  vous  fortifiez 
votre  cause,  en  vous  associant  avec  les  anciens, 
est  bien  faible,  à  mon  avis.  Je  crois  que  la  préé- 
minence qu'ils  ont  très-justement  conservée  sur 
les  modernes  en  fait  de  poésie  et  d'éloquence  ne 
s  étend  pas  jusqu'à  la  physique  et  à  l'astronomtf  \ 
et  je  doute  qu'on  osât  mettre  Aristote  et  Ptolê- 
mée  en  comparaison  avec  le  chevalier  Newton  ci 


AU  MEMOIRE  AKONIME.  35 

M.  Cassini  :  ainsi,  monsieur,  ne  vous  flattez  pas 
de  tirer  un  grand  avantage  de  leur  appui.  On 
peut  croire,  sans  ofiénser  la  mémoire  de  ces  grands 
hommes,  qu'il  a  échappé  quelque  chose  à  leurs 
lumières.  Destitués,  comme  ils  ont  été^  des  expé- 
riences et  des  instrumcns  nécessaires ,  ils  n  ont 
pas  dû  prétendre  à  la  gloire  d'avoir  tout  connu; 
et  si  l'on  met  leur  disette  en  comparaison  avec  les 
secours  dont  nous  jouissons  aujouivlliui,  on  verra 
que  leur  opinion  ne  doit  pas  être  d'un  grand  poids 
contre  le  sentiment  des  modernes  :  je  dis  des  mo- 
dernes en  général,  parce  qu'en  effet  vous  les  ras- 
semblez tous  contre  vous ,  en  vous  déclarant  con- 
tre les  deux  nations  qui  tiennent  sans  contredit  le 
premier  rang  dans  les  sciences  dont  il  s  agit;  car 
vous  avez  en  tête  les  Français  d'une  part,  et  les 
Anglais  de  Faulre,  lesquels  à  la  vérité  ne  s^accor- 
dent  pas  entre  eux  sur  la  figure  de  la  terre,  mais 
qui  se  réunissent  en  ce  point,  de  nier  sa  sphéricité. 
Eu  vérité,  monsieur,  si  la  gloire  de  vaincre  aug- 
mente â  proportion  du  nombre  et  de  la  valeur 
des  adversaires ,  votre  victoire ,  si  vous  la  rem- 
portez ,  sera  accompagnée  d  un  triomphe  bien 
flatteur. 

Votre  première  preuve ,  tirée  de  la  tendancs 
égale  des  eaux  vers  leur  centre  de  gravité ,  me 
parait  avoir  beaucoup  de  force ,  et  j  avoue  de 
bonne  foi  que  je  n^^  sais  pas  de  réponse  satis&i- 
sante.  En  effet,  s'il  est  vrai  que  la  superficie  de  h. 
tner  soit  sphérique^  il  faudra  nécessairement  ou 


35  rïponsb 

que  le  globe  entier  suive  la  même  figure,  ou  bien' 
que  les  terres  des  rivages  soient  horriblement  es- 
carpées dans  les  lieux  de  leurs  alongemens.  D'ail- 
leurs, et  je  m'étonne  que  ceci  vous  ait  échappé, 
on  ne  raurait  concevoir  que  le  cours  des  rivi&res 
pût  tendre  de  Téquateur  vers  les  pôles,  suivant 
l'hypothèse  de  M.  Cassini.  Celle  de  M.  Newton 
serait  aussi  sujette  aux  mêmes  inconvéniens,  mais 
dans  un  sens  contraire;  c'estnà-dire  des  lieux  bas 
vers  les  parties  plus  élevées^  principalement  aoi^ 
environs  des  cercles  polaires,  et  dans  les  régions 
froides  où  Pélévation  deviendrait  plus  sensible  : 
cependant  Texpérience  nous  apprend  qu'il  j  a 
quantité  de  rivières  qui  suivent  cette  direction. 

Que  peut-on  répondre  à  de  si  fortes  instances! 
Je  n^cn  sais  rien  du  tout.  Remarquez  cependant, 
monsieur,  que  votre  démonstration ,  ou  celle  du 
P.  Tacquet,  est  fondée  sur  ce  principe,  que  ton- 
tes les  parties  de  la  masse  terraquée  tendent  par 
leur  pesanteur  vers  un  centre  commun  qui  n'est 
qu'un  point  et  n'a  par  conséquent  aucune  lon- 
gueur; et  sans  doute  il  n'était  pas  probable  qu*an 
axiome  si  évident ,  et  qui  fait  le  fondement  de 
deux  parties  considérables  des  mathématiques  <, 
pût  devenir  sujet  à  être  contesté.  Mais  quand  îl 
s^agira  de  concilierMes  démcustrations  contraidic- 
toires  avec  des  faits  assurés ,  que  ne  pourra-t-oii 
point  contester  ?  J'ai  vu  dans  la  pré&ce  des  Eté- 
mens  d'astronomie  de  M.  Fizes,  professeur  es 
luatbématiques  de  Montpellier  ;  un  raisonnement 


qui  tend  k  montrer  que  dans  lliypothdse  de  Co- 
pernic, et  suivant  les  principes  de  la  pesanteur 
étahlis  par  Descartes,  il  s'ensuivrait  que  le  centre 
de  gravité  de  chaque  partie  de  la  terre  devrait 
fitre,  non  pas  le  centre  commun  du  globe,  mais 
k  portion  de  Taxe  qui  répondrait  perpendiculai- 
rement à  cette  partie ,  et  que  par  conséquent  la 
figure  de  la  terre  se  trouverait  cylindrique.  Je  n^ai 
garde  assurément  de  vouloir  soutenir  un  si  éton- 
nant paradoxe,  lequel  pris  à  la  rigueur  est  évidemr 
ment  faux  :  mais  qui  qous  répondra  que,  la  terre 
une  fois  démontrée  oblongue  par  de  constantes 
observations ,  quelque  physicien  plus  subtil  et 
plus  hardi  que  moi  n'adopterait  pas  quelque  hy- 
pothèse approchante?  Car  enfin ,  dirait-il,  c'est 
une  nécessité  en  physique  que  ce  qui  doit  être  se 
trouve  d  accord  avec  ce  qui  est. 

Mais  ne  chicanons  point;  je  veux  accorder 
votre  premier  argument.  Vous  avez  démontré  que 
la  superficie  de  la  mer,  et  par  conséquent  celle  de 
la  terre,  doit  être  sphérique;  si,  par  l'expérience, 
je  démontrais  qu'elle  ne  fest  point,  tout  votre  rai- 
sonnement pourrait-il  détruire  Li  force  de  ma 
conséquence?  Supposons  pour  un  moment  que 
cent  épreuves  exactes  et  réitérées  vinssent  à  nom 
convaincre  quW  degré  de  latitude  a  constam- 
ment plus  de  longueur  à  mesure  qu'on  approdie 
de  réqjuateur,  serais-je  moins  en  droit  d'en  con- 
<;Iure  à  mon  tour.  Donc  la  terre  est  efFectivemenf 
plus  courbée  vers  les  pôles  ^v^  ytTp  Féquateuri 

MiUsgei.  4 


38  KÉPONSE 

donc  elle  s^alonge  en  ce  sens-là;  donc  cest  un 
sphéroïde?  Ma  démonstration,  fondée  sur  les  opé- 
rations les  plus  fidèles  de  la  géométrie,  serait-elle 
moins  évidente  que  la  vôtre  établie  sur  on  prin- 
cipe universellement  accordé?  Où  ks  tàiis  par- 
lent, n^est-ce  pas  au  raisonnement  à  se  taire?  Or, 
c'est  pour  constater  le  fait  en  question  que  pln- 
sîeurs  membres'  de  Facadànie  ont  entreprb  les 
voyages  du  Nord  et  du  Pérou  :  c  est  donc  à  Paca- 
demie  à  en  décider,  et  votre  argument  n^aora  point 
de  force  contre  sa  décision. 

Pour  éluder  d'avance  une  conclusion  dont  vous 
sentez  la  nécessité,  vous  tâchez  de  jeter  de  Yin- 
certitude  sur  les  opérations  faites  en  divers  lieux 
et  à  plusieurs  reprises  par  MM.  Picart,  de  La  Hire, 
et  Cassini,  pour  tracer  la  fameuse  méridienne  qui 
traverse  la  France,  lesquelles  donnèrent  lieu  i 
M.  Cassini  de  soupçonner  le  premier  de  rirrégn- 
larité  dans  la  rondeur  du  globe,  quand  il  se  foi 
assuré  que  les  degl^s  mesurés  vers  le  Septentrion 
avaient  quelque  lon^eur  de  moins  que  ceux  qui 
s'avançaient  vers  le  Midi. 

Vous  distinguez  deux  manières  de  considérer  la 
surface  de  la  terre.  Vue  de  loin,  comme  par  exem- 
plo  depuis  la  lune,  vous  l'établissez  sfribérique: 
mais  regardée  de  près,  elle  ne  vous  paraît  plus 
telle,  à  cause  de  ses  inégalités  :  car,  dites-vous, 
les  rayons  tirés  du  centre  au  sommet  des  phis 
hautes  montagnes  ne  seront  pas  égaux  à  ceux  <pB 
•eront  bornés  à  la  superficie  de  la  mer.  Ainsi  ks 


AU  MEMOIRE  ATONTME.  Zg 

arc5  de  cercle,  quoique  proportionnels  entre  eux, 
étant  inégaux  suivant  1  inégalité  des  rayons  |  il  se 
peut  très-bien  que  les  différences  qu  on  a  trouvées 
entre  les  degrés  mesurés,iquoique  avec  toute  Texac- 
titude  et  la  précision  dont  l'attention  humaine 
est  capable,  viennent  des  différentes  élévations 
sur  lesquelles  ils  ont  été  pris,  lesquelles  ont  dû 
donner  des  arcs  inégaux  en  grandeur,  quoique 
égales  portions  de  leurs  cercles  respectifs. 

J  ai  deux  choses  à  répondre  à  cela.  En  premier 
lieu,  monsieur,  je  ne  crois  point  que  la  seule  iné- 
galité des  hauteurs  sur  lesquelles  on  a  fait  les  ob- 
servations ait  suffi  pour  donner  des  difiérences 
bien  sensibles  dans  Li  mesure  des  degrés.  Pour 
s  en  convaincre,  il  faut  considérer  que,  suivant 
le  sentiment  commun  des  géographes,  les  plus  hau- 
tes montagnes  ne  sont  non  plus  capables d^altérer 
la  figure  de  la  terre,  sphérique  ou  autre^  que  quel- 
ques grains  de  sable  ou  de  gravier  sur  une  boule 
de  deux  ou  trois  pieds  de  diamètre.  En  effet,  on 
convient  généralement  aujourdhui  qu'il  ny  a 
point  de  montagne  qui  ait  une  lieue  perpendicu- 
laire sur  la  sunface  de  la  terre  ;  une  lieue  cepen- 
dant ne  serait  pas  grand  chose ,  en  comparaison 
d'un  circuit  de  huit  ou  neuf  mille.  Quant  â  la 
hauteur  de  la  surface  de  la  terre  même  par-dessus 
ce!le  de  la  mer,  et  derechef  de  la  mer  par-dessus 
certaines  terres,  comme,  par  exemple,  du  Zny- 
derzéc  au-dessus  de  la  Nord-Hollaude,  on  sait 
qu  elles  sont  peu  considérables.  Le  cours  modéré 


4^  REPOlfSB 

de  la  plupart  des  fleuves  et  des  rivières  ne  peut 
être  qae  leflfet  d'une  pente  extrêmement  douce. 
Xavouerai  cependant  que  ces  différences  prises  à 
la  rigueur  seraient  bien  capables  d  en  apporter  dans 
les  mesures  :  mais  de  bonne  foi,  serait-il  raison- 
nable de  tirer  avantage  de  toute  la  diflerence  qui 
se  peut  trouver  ctitre  la  cime  de  la  plus  haute  mon- 
tagne et  les  terres  inférieures  à  la  mer?  les  obser- 
vations qui  ont  donné  lieu  aux  nouvelles  conjec- 
tures sur  la  figure  de  la  terre  ont-elles  été  prises  à 
des  distances  si  énormes?  Vous  n'ignorez  pas  sans 
doute,  monsieur,  qu  on  eut  soin,  dans  la  construc- 
tion de  la  grande  méridienne,  d  établir  des  s  titions 
sur  les  hauteurs  les  plus  égales  qu'il  lEut  possible  : 
ce  fut  même  une  occasion  qui  contribua  beaucoup 
à  la  perfection  des  niyeaux.  "^ 

Ainsi,  monsieur,  en  supposant  avec  vous,  qne 
la  terre  est  sphérique.  il  me  reste  maintenant  à 
&irc  Yoir  que  cette  supposition,  de  la  manière  que 
vous  la  prenez,  est  une  pure  pétition  de  principe. 
Un  moment  d^attention ,  et  je  m'explique. 

Tout  votre  raisonnement  roule  sur  ce  théo- 
rème démontré  eu  géométrie,  que  deux  cercles 
étant  concentriques,  si  Ion  mène  des  rayons  jus- 
qu'à la  circonférence  du  grand,  les  arcs  coupés 
par  ces  rayons  seront  inégaux  et  plus  grands  à 
proportion  qu'ils  seront  portions  de  plus  grands 
cercles.  Jusqu'ici  tout  est  bien  ;  votre  principe  est 
incontestable  :  mais  vous  me  paraissez  moins  heu- 
reux dans  l'application  que  vous  en  £iltes  aux 


AU  MimOlRE  ANOlfIME,  4' 

degrés  cle  latitude.  Qu'on  divise  un  méridien  ter* 
resf  re  en  trois  cent  soixante  parties  égales  par  des 
rayons  menés  du  centre,  ces  parties  égales,  selon 
TOUS,  seront  des  degrés  par  lesquels  on  mesurera 
Féléyation  du  pôle.  J^ose,  monsieur,  m'inscrire  en 
&UX contre  un  pareil  sentiment,  et  je  soutiens 
Mpie  ce  n'est  point  là  Tidée  qu'on  doit  se  faire  des 
degrés  de  latitude.  Pour  vous  en  convaincre  d  une 
manière  invincible,  voyons  ce  qui  résulterait  de 
là,  en  supposant  pour  un  moment  que  la  terre  fût 
tm  sphéroïde  obîong.  Pour  Ëiire  la  division  des 
degrés,  j'inscris  un  cercle  dans  une  ellipse  repré- 
sentant la  figure  de  la  terre.  Le  petit  axe  sera 
l'éqnateur,  et  le  grand  sera  Taxe  même  de  la  terre  : 
je  divise  le  cercle  en  trois  cent  soixante  degrés,  de 
sorte  que  les  deux  axes  passent  par  quatre  de  ces 
divisions;  pat  toutes  les  autres  divisions  je  mène 
des  rayons  que  je  pit)longe  jusquài  b  circonfé* 
rence  de  lellipse.  Les  arcs  de  cette  courbe,  com- 
pris entre  les  extrémités  des  rayons,  donneront 
l'étendue  des  degrés,  lesquels  seront  évidemment 
inégaux  (une  figure  rendrait  tout  ceci  plus  intel- 
ligible^ je  l'omets  pour  ne  pas  effrayer  les  yeux 
des  dames  qui  lisent  ce  journal),  mais  dans  un 
sens  contraire  à  ce  qui  doit  être  ;  car  les  degrés  se- 
ront plus  longs  vers  les  pôles,  et  plus  courts  vers 
Téquateur,  comme  il  est  manifeste  â  quiconque  a 
quelque  teinture  de  géométrie.  Cependant  il  est 
démontré  que^  si  la  terre  est  oblongue,,  les  degrés 
doiveut  avoir  plus  de  longueur  yers  Féquateut 


4  a  RiLP05S£ 

que  vers  les  pôles.  C^est  à  vous,  monsieur  â  sau^ 
ver  la  contradiction. 

Quelle  est  donc  l'idée  qu  on  se  doit  former  des 
degrés  de  latitude  ?  Le  terme  même  d'élévati(m  du 
pôle  vous  rapprend.  Des  diffé/ens  degrés  de  cette 
élévation  tirés  de  part  et  d'autre  des  tangentes  à 
la  superficie  de  la  terre;  les  intervalles  compris 
entre  les  points  d  attouchement  donneront  les  de- 
grés de  latitude  :  or  il  est  bien  vrai  que ,  si  la  terre 
était  sphérique,  tous  ces  points  correspondraieni 
aux  divisions  qui  marqueraient  les  degrés  de  la 
circonférence  de  la  terre,  considérée  comme  àr- 
culaire;  mab  si  elle  ne  lest  point,  ce  ne  sera  plus 
la  même  chose.  Tout  au  contraire  de  votre  sj^ 
tème,  les  pôles  étant  plus  élevés,  les  degrés  y  de* 
vraient  être  plus  grands;  ici  la  terre  étant  plus 
courbée  vers  les  pôles,  les  degrés  soni  plus  petits. 
C  est  le  plus  ou  moins  de  courbure,  et  non  i'éloî* 
gnementdu  centre,  qin  influe  sur  la  longueur  des 
degrés  d  élévation  du  pôle.  Puis  donc  que  votre 
raisonnement  n'a  de  justesse  qu'autant  que  vous 
supposez  que  la  terre  est  sphérique ,  j  ai  été  en 
droit  de  dire  que  vous  vous  fondez  sur  une  péti* 
tion  de  principe;  et,  puisque  ce  n  est  pas  du  plus 
grand  ou  moindre  éloignement  du  centre  que  r&* 
suite  la  longueur  des  degrés  de  latitude,  je  con* 
durai  derechef  que  votre  argument  n'a  de  solidité 
en  aucune  de  ses  parties. 

Il  se  peut  que  le  terme  de  degré,  éqahroque 
dans  le  cas  dont  il  s'agit,  vous  ait  îndiiit  eneneiis^ 


ÏU  MÉMOIRE  ANONIME.  4^ 

antre  chose  est  un  degré  d^  la  terre  considéré 
comme  la  trois  cent  soixantième  partie  dune  cir- 
conférence circulaire,  et  autre  chose  un  degré  de 
latitude  considéré  comme  la  mesure  de  1  élévation 
du  pôle  par-dessus  Thorizon;  et,  quok][u'on  puisse 
prendre  Tun  pour  Tautre  dans  le  cas  que  la  terre 
soit  sphérique,  il  s'en  faut  beaucoup  qu'on  en 
puisse  faire  de  niême,  si  sa  figure  est  irrégulière. 

Prenez  garde ,  monsieur ,  que  quand  j'ai  dit 
que  la  terre  n'a  pas  de  pente  considérable,  je  l'ai 
entendu,  non  par  rapport  à  sa  figure  sphériquc; 
mais  par  rapport  à  sa  figure  naturelle,  oblongue 
ou  autre;  figure  que  je  regarde  comme  déterminée 
dès  le  commencement  par  les  lois  de  la  pesanteur 
et  du  mouvement,  et  à  laquelle  Téquilibre  ou  le 
niveau  des  fluides  peut  très-bien  être  assujetti  : 
mais  sur  ces  matières  on  ne  peut  hasarder  aucun 
raisonnement  que  le  fait  même  ne  nous  soit  mieux 
connu. 

Pour  ce  qui  est  de  Finspection  de  la  lùne,  il  est 
lyien  vrai  qu  elle  nous  parait  sphérique,  et  elle  Test 
probablement;  mais  il  ne  sWsuit  point  du  tout 
que  la  terre  le  soit  aussi.  Par  quelle  règle  sa  figure 
serait-elle  assujettie  à  celle  de  la  lune,  plutôt  par 
exemple  qu'à  celle  de  Jupiter,  planète  d'une  toute 
autre  importance,  et  qui  pourtant  n'est  pas  sphé* 
rique?  La  raison  que  vous  tirez  de  lombre  de  la 
terre  n'est  guère  plus  forte  :  si  le  cercle  se  mon- 
trait tout  entier,  elle  serait  sans  réplique;  mais 
vous  savez ,  monsieur,  ^11  est  difficile  de  distii;- 


m  aiPOFSB  AU  MI^MOI&E  ANONIME. 

gaer  ane  petite  portion  de  courbe  d'avec  1  arc  d  an 
cercle  plus  ou  moins  grand.  D  ailleurs  on  ne  croit 
point  que  la  terxe  s'éloigne  si  fort  de  la  figure  sph^ 
rique,  que  cela  doive  occasioner  sur  la  surface  de 
la  lune  une  ombre  sensiblement  irrégulière;  d'au- 
tant plus  que  la  terre  étant  considérablement  plos 
grande  que  la  lune,  il  ne  parait  jamais  sur  celle- 
ci  qu^une  bien  petite  partie  de  son  circuit. 


Je  suis,  etc. 


RooasBAV. 


dMonUiy»  %QWBpuÊBln  17^9. 


MÉMOIRE 

4  S.  B.  MONSEIGNEUR 

LE  GOUVERNEUR  DE  SAVOIE. 


ïxi  rhonncur  d  exposer  très-respectueusement 
&  son  excellence  le  triste  détail  de  la  situation  oii 
je  ire  trouve,  la  suppliant  de  daigner  écouter  la 
générosité  de  ses  pieux  sehtimeus  pour  y  pour- 
voir de  la  manière- qu^elle  jugera  convenable. 

Je  suif  sorti  très-jeune  de  Genève,  ma  patrie, 
ayant  abandonné  mes  droits  pour  entrer  dans  le 
sein  de  Féglise,  sans  avoir  cependant  jamais  fait 
aucune  démarche,  jusque  aujourdhui,  pour  im- 
plorer des  secours,  doat  jaurais  toujours  tâché  de 
me  passer  s  il  n'avait  plu  à  la  Providence  de  m'af- 
fliger  par  des  maux  qui  m'en  ont  àté  le  pouvoir. 
J  ai  toujours  eu  du  mépris  et  même  de  1  indigna- 
tion pour  ceux  qui  ne  rougissent  point  de  faire  un 
trafic  honteux  de  leur  foi,  et  d'abuser  des  bienfaits 
qu'on  leur  accorde.  J'ose  dire  quHl  a  paru  par  ma 
conduite  que  je  suis  bien  éloigné  de  pareils  senti- 
mens.  Tombé,  encore  enfant,  entre  les  mains  de 
feu  monseigneur  l'éyâque  de  Genève,  je  tâchai  de 
répondre  par  Pardeur  et  l'assiduité  de  mes  études, 
aux  vues  flatteuses  que  ce  respectable  prélat  avait 


46  MSMOiRE 

sur  moi.  Madame  la  baronne  de  Warens  voulut 
bien  condescendre  à  la  prière  qull  lui  fit  de  pren- 
dre soin  de  mon  éducation,  et  il  né  dépendit  pas 
de  moi  de  témoigner  à  cette  dame  j  par  mes  pro- 
grès, le  désir  passionné  que  j'avais  de  la  rendre 
satisfaite  de  1  efiet  de  ses  bontés  et  de  ses  soins. 

Ce  grand  évêque  ne  borna  pas  là  ses  bontés;  il 
me  recommanda  encore  a  M.  le  marcpiîsde  Bonac, 
ambassadeur  de  France  auprès  du  Corps  helvéti- 
que. Voilà  les  trois  seuls  protecteurs  à  qui  j'aie  eu 
obligation  du  moindre  secours;  il  est  vrai  qu ils 
mont  tenu  lieu  de  tout  autre ,  par  la  manière  dost 
ils  ont  daigné  me  Êiire  éprouver  leur  générosité. 
Ils  ont  envisagé  en  moi  un  jeuoe  homme  assez 
bien  né ,  rempli  (Témulation ,  et  qu'ils  entre- 
voyaient pourvu  de  quelques  talens,  et  qu"î-.5  .v 
proposaient  de  pousser.  Il  me  serait  glorieux  di? 
détailler  à  son  exrePcnce  ce  que  ces  deux  sei- 
gneurs avaient  eu  la  honte  de  concerter  pour  mon 
plahlissement:  mais  la  mort  dt  monseigneur  iéTé- 
que  de  Genève,  et  la  maladie  mortelle  de  M.  lam- 
bassadeur,  ont  éJé  'a  fatale  époque  du  commcn- 
cernent  de  tous  mes  désastres. 

Je  commençai  aussi  moi-même  d'être  atlaqn-? 
de  la  langueur  qui  me  met  aujourd  hui  au  tom- 
beau. Je  retombai  par  conséquent  à  la  charge  c!c 
madame  de  Warens ,  qu  il  faudrait  ne  pas  con- 
naître pour  croire  qu  elle  eût  pu  démentir  sts 
premiers  bienfaits,  en  m  abandonnant  dans  une 
si  trifite  situation. 


AU  GOUVERNEUR  DE  SAVOIE.  fyj 

Malgré  tout ,  je  tâchai,  tant  qu'il  me  resta  quel* 
ques  forces,  de  tirer  parti  de  mes  faibles  talens  : 
mais  de  quoi  servent  les  talens  dans  ce  pays?  Je  le 
dis  dans  Tamertame  de  mon  cœur ,  il  vaudrait 
mille  fois  mieux  n'en  avoir  aucun.  Eh  !  n'éprouvé- 
je  pas  encore  aujourd  hui  le  retour  plein  d'Ingra- 
titude et  de  dureté  de  gens  pour  lesquels  j'ai  achevé 
de  m'épuiser  en  leur  enseignant ,  avec  beaucoup 
d'assiduité  et  d'application ,  ce  qui  m'avait  coûté 
bien  des  soins  et  des  travaux  à  apprendre?  Enfin , 
pour  comble  de  disgrâces,  me  voilà  tombé  dans 
une  maladie  affreuse,  qui  me  défigure.  Je  suis  dé- 
sormais renfermé  sans  pouvoir  presque  sortir  du 
lit  et  de  la  chambre ,  jusqu  a  ce  qull  plaise  à  Dieu 
de  disposer  de  ma  courte  mais  misérable  vie. 

Ma  douleur  est  de  voir  que  madame  de  Waren^ 
a  déjà  trop  fait  pour  moi;  je  la  trouve,  pour  le 
reste  de  mes  jours ,  accablée  du  fardeau  de  mes 
infirmités,  dont  son  extrême  bonté  ne  lui  laisse 
pas  sentir  le  poids ,  mais  qui  n'incommode  pas 
moins  ses  affaires,  déjà  trop  resserrées  par  ses 
abondantes  charités,  et  par  Tabus  que  les  misera* 
blés  u'ont  que  trop  souvent  fait  de  sa  confiance. 

J'ose  donc,  sur  le  détail  de  tous  ces  faits,  re-« 
courir  à  son  excellence,  comme  au  père  des  affli- 
gé:s.  Je  ne  dissimulerai  point  qu'il  est  dur  à  un 
homme  de  sentiment,  et  qui  pense  comme  je  fais, 
d'être  obligé ,  faute  d'autre  moyen ,  d'implorer  des 
assistances  et  des  secours  :  mais  tel  est  le  décret 
iJc  Ja  Providence.  Il  me  suffit,  en  mon  particulier| 


4^  HIÈMOIRE 

d'être  hien  assnté  qne  je  n'ai  donné,  par  ma  £iate, 
aucun  Heu  ni  à  la  misère  ni  aux  maux  dont  je  sob 
accablé.  J  ai  toujours  abhorré  le  libertinage  et 
Foisiveté  ;  et,  tel  que  je  suis ,  j'ose  être  assuré  que 
personne,  de  qui  j'^aie  l'honneur  d'être  connu, 
n'aura,  sur  ma  conduite,  mes  sentimens,  et  mes 
mœurs ,  que  de  favorables  témoignages  à  rendre. 

Dans  un  état  donc  aussi  déplorable  que  k 
mien ,  et  sur  lequel  je  n'ai  nul  reproche  à  me  faire, 
je  crois  qu'il  n'est  pas  honteux  à  moi  dlmplorer 
de  son  excellence  la  grâce  d'être  admis  à  partici- 
per aux  bienfaits  établis  par  la  piété  des  princes 
pouf  de  pareils  usages.  Us  sont  destinés  pour  des 
cas  semblables  aux  miens ,  ou  ne  le  sont  pour 
personne. 

En  conséquence  de  cet  exposé ,  je  supplie  tr&s- 
humblement  son  excellence  de  vouloir  me  pro- 
curer une  pension ,  telle  qu  elle  jugera  raisonna- 
ble, sur  la  fondation  que  la  piété  du  roi  Victor  a 
établie  à  Annecy,  ou  de  tel  autre  endroit qull  loi 
semblera  bon,  pour  pouvoir  subvenir  aox  néces- 
sités du  reste  de  ma  triste  carrière* 

De  plus,  l'impossibilité  où  je  me  troare  de 
faire  des  voyages  et  de  traiter  aucune  affaire  civile, 
m'engage  à  supplier  encore  son  excellence  qa^ 
lui  plaise  de  faire  régler  les  choses  de  manière  qnp 
laidite  pension  puisse  être  payée  ici  en  droitore, 
et  remise  entre  mes  mains,  ou  celles  de  madame 
la  baronne  de  Warens ,  qui  voudra  bien  y  â  ma 
très-humble  sollicitation,  se  charger  de  Temployei 


AV  GOIJVfiRNBim  DE  SAVOIE.  ^g 

à  mes  besoins.  Ainsi  jouissant ,  pour  le  peu  de 
jours  qu'il  me  reste,  des  secours  nécessaires  pour 
le  temporel  y  je  recueillerai  mon  esprit  et  mes  for- 
ces pour  mettre  mon  ^e  et  ma  conscience  eu 
paix  ayec  Dieu;  pour  me  préparer  à  commencer, 
avec  courage  et  résignatiou,  le  voyage  de  Féter- 
nîté,  et  pour  prier  Dieu  sincèrement  et  sans  dis- 
traction pour  la  par&ite  prospérité  et  la  très-pré- 
cieuse conser\'ation  de  son  excellence. 

J.  J.  Rousseau. 


ifiu«|M. 


»»»»l>W>l%»<WW^*WmXM^^'»WMI%fcOH*^**W» 


MÉMOIRE 

^EMIS  LE  19  ATBXL  174'. 

A  M.  BOUDEt,  ANtOKW, 

Qui  travaille  k  lliîstoire  de  (eu  te.  de  ffcniiÊXi^Té^iie&Ciiièit 


■'    -ittirn 


Daks  l'intention  t)ùi  1  on  est  de  n'omettre  daai 
i  histoire  de  M.  de  Bernex  aucun  des  £dts  confi- 
déra])les  qui  peuvent  servir  à  mettre  ses  vertus 
chrétiennes  dans  tout  leur  jour^  on  ne  saurait 
oublier  la  conversation  de  madame  la  baronne 
de  Warcns  de  La  Tour,  qui  fut  l'ouvrage  de  ce 
prélat. 

Au  mois  de  juillet  de  Tannée  17^6,  le  roi  de 
Sardaigne  étant  à  Evian ,  plusieurs  personnes  de 
distinction  du  pays  de  Vaud  s'y  rendirent  pour 
voir  la  cour.  Madame  de  Wareas  fut  du  nombw', 
et  cette  dame,  qu'un  pur  motif  de  curiosité  avait 
amenée  y  fut  retenu';  par  des  moti&  d'un  g^nre 
supérieur,  et  qui  n'en  furent  pas  moins  efficace 
pour  avoir  été  moins  prévus.  Ayant  assisté  pff 
hasard  à  un  des  discours  que  ce  prélat  prononçait 
avec  ce  zèle  et  cette  onction  qui  portaient  dans 
les  coeurs  le  feu  de  sa  charité,  madame  de  Warens 
en  fut  émue  au  point ,  qu'on  peut  regarder  cet  in- 
stant comme  Tépoque  die  sa  conversion.  La  choie 


mëmoîrb  a  m.  boudet.  5t 

eepéndant  deyaît  paraitre  d^autant  plus  difficile  ^ 
qae  cette  daine,  étant  très-éclairée ,  se  tenait  en 
garde  contre  les  séductions  de  Fëloquence ,  et 
n'était  pas  disposée  à  céder  saas  être  pleinement 
convaincue.  JVIais  quand  on  a  l'esprit  juste  et  le 
cœur  droit ,  que  peut-il  manquer  pour  goûter  la 
vérité  j  que  le  secours  de  la  grâce  ?  et  M.  de  Bcrnejc 
n  était -il  pas  accoutumé  k  la  porter  dans  les 
cœurs  les  plus  endurci3?  Madame  de  Warens  vit 
le  prélat;  ses  préjugés  furent  détruits;  ses  doutes 
furent  dissipés;  et  pénétiée  des  grandes  vérités 
qui  lui  étaient  annoncées ,  elle  se  détermina  4 
rendre  à  la  foi ,  par  un  sacrifice  éclatant,  le  prix 
des  lumières  dont  elle  venait  de  Téclairer. 

Le  bruit  du  dessein  de  madame  de  Warens  ne 
tarda  pas  à  se  répandre  dans  le  pays  de  Vaud.  Ce 
fut  un  deuil  et  des  alarmes  universelles.  Cette 
dame  y  était  adorép ,  et  lamour  qu on  avait  pour 
elle  se  changea  en  foreur  contre  cequW  appelait 
ses  séducteurs  et  ses  ravisseurs.  Les  habitans  dç 
Ve  vay  ne  parlaient  pas  moins  que  de  mettre  le  feu 
à  Evian,  et  de  l'enlever  à  main  armée  au  milieu 
même  de  la  cour.  Ce  projet  insensé,  fruit  ordi- 
naire dun  zèle  fanatique,  parvint  aux  oreilles  de 
sa  majesté;  et  ce  fut  à  cette  occasion  qu  elle  fit  à 
AL  de  Bernex  cette  espèce  de  reproche  si  glorieux, 
qalX  faisait  des  conversions  bien  bruyantes.  Le 
roi  fit  partir  sur-le-champ  madame  de  Warens 
pour  Annecy,  escortée  de  quarante  de  ses  gardes. 
Ce.  fut  U  ohy  quelque  temps  après,  sa  majesté  Tas- 


5)  MiMOTHE 

5ura  de  sa  |>roitectioii  dans  les  ternies  les  jins  flat- 
teurs, et  lai  assigna  une  pension  qui  doit  passer 
pour  une  preuve  éclatante  de  la  piété  et  de  la 
générosité  de  ce  prince,  mais  qui  n'ôte  point  à 
madame  de  Warens  le  mérite  dVivoir  abondoDué 
de  grands  biens  cl  un  rang  brillant  dans  sa  patrie, 
pour  suivi-e  la  voix  du  Seigneur ,  et  se  livrer  s^ns 
réserve  à  sa  providence.  Il  eut  même  la  bonté  de 
lui  offrir  d'augmenter  cette  pension  de  sortequ  elle 
pût  figurer  avec  tout  l'éclat  qu'elle  soubaiteniît« 
el  de  lui  procurer  la  situation  la  plus  gracieuse,  si 
elle  voulait  se  rendre  à  Turin,  auprès  de  la  rcioe. 
Mais  madame  de  Warens  n'abusa  point  des  bon- 
tés du  inonarque  :  elle  allait  acquérir  les  plus 
grands  biens  en  participant  à  ceux  que  l'Eglise 
répand  sur  les  fidèles  ;  et  l'éda  t  des  autres  n'avait 
désônnais  plus  rien  qui  pût  la  toucher.  CVst  ainsi 
qu'elle  s'en  explique  k  M.  de  Bernex;  et  c'est  sur 
CQS  maximes  de  détachement  et  de  modération 
qti  'on  Va  vue  se  conduire  constamment  depuis  lors. 
Enfin  le  jour  arriva  où  M.  de  Bernex  allait  as- 
surer à  lEglise  la  conquête  qu'il  lui  avait aoquise. 
Il  reçut  publiquement  Tabjuration  de  madame  de 
Warens,  et  lui  administra  le  sacrement  de  con- 
firmation le  8  septembre  17^6,  jour  de  la  Nativité 
de  Notre-Dame,  dans  l'église  de  la  Visitation, 
devant  la  relique  de  saint  François  de  Sales.  Cette 
dame  eut  1  honneur  d'avoir  pour  marraine,  dans 
cette  cérémonie,  madame  la  princesse  de  Hesse, 
sœur  de  la  princesse  de  Piémont  |  depuis  reiue  de 


À  U.  BOUSET.  53 

Sardaigne.  Ce  fut  un  spectacle  touchant  de  voir 
une  jeune  dame  dWe  naissance  illustre,  favorisée 
des  grâces  de  la  nature  et  enrichie  des  biens  de  la 
fortune,  et  qui,  peu  de  temps  auparavant,  faisait 
les  délices  de  sa  patrie,  s^arracher  du  sein  de 
Tahondance  et  des  plaisirs,  pour  venir  déposer  au 
pied  de  la  croix  du  Christ  Téclat  et  les  voluptés 
du  monde,  et  y  renoncer  pour  jamais.  M.  de  Ber- 
nex  fit  à  ce  sujet  un  discours  très-touchant  et  t;  ès- 
pathétîqpie  :  l'ardeur  de  son  zèle  lui  prêta  ce  jour- 
là  de  nouvelles  forces;  toute  cette  nombreuse  as- 
semblée fondit  en  larmes;  et  les  dames,  baignées 
de  pleurs,  vinrent  embrasser  madame  de  Warens, 
la  féliciter,  et  rendre  grâces  à  Dieu  avec  elle  de  la 
victoire  qu'il  lui  faisait  remporter.  Au  reste,  on  a 
cherché  inutilement,  parmi  tous  les  papiers  de 
£eu  M.  de  Bemex,  le  discours  qull  prononça  en 
cette  occasion,  et  qui,  au  témoignage  de  tous  ceux 
qui  l'entendirent,  est  un  chef-d'œuvre  d  éloquence; 
et  il  y  a  lieu  de  croire  que,  quelque  beau  qu'il 
soit,  il  a  été  composé  sur-le-champ  et  sans  prépa^ 
ration. 

Depuis  ce  jour-Iâ,  M.  de  Bemex  n  appela  plus 
madame  de  Warens  que  sa  fille,  et  elle  l'appelait 
son  père.  II  a  en  effet  toujours  conservé  pour  elle 
les  bontés  d'un  père;  et  il  ne  £aiut  pas  s'étonner 
qu'il  regardât  avec  une  sorte  de  complaisance 
Touvrage  de  ses  soins  apostoliques,  puisque  cette 
dame  s'est  toujours  efforcée  de  suivre^  d^aussi  près 
gn*il  loi  a  été  possible,  les  saints  exem{4es  de  Ce 

5. 


Hitrmmnrtm  rwanririnfifrvin^iifinrii— *  'ir¥T^firifirwrinrinfiTr¥Mfit*"~*f*"'*^**^*** 

NOTES 

M  nfro^ATio*  os  L*ow«AOE  D'BELyfnus,  tiTRini: 

DE  L  ESPRIT. 


AVIS  DE  L'ÉDITEUR- 

Rousseau,  prêt  k  quitter  l'Angleterre,  et  TOuhotM 
défaire  de  ses  livres ,  avait  prié  son  hôte,  M.  Dafenport, 
de  lui  trourer  un  acheteur,  a  Parmi  ces  libres,  luiécn- 
«  vait>il  en  février  17657 ,  il  j  a  le  livre  de  tEprit,  inV. 
«  première  édition ,  qui  est  rare ,  et  où  j'ai  fait  qoelqvs 
«  notes  aux  marges;  je  voudrais  bien  que  ce  livre  neloa- 
W  bât  qu'entre  des  mains  amies.  »  A  cet  égard  son  àhiti 
ctc  pleinement  satisfait.  H  traita  directement  de  ses  lÎTTti 
avec  un  Français  nommé  Dutent,  établi  depuis  long^empi 
&  Londres,  connu  en  France  par  quelques  écrits,  et ittc 
lequel  Rousseau  a  été  quelcpie  temps  en  correspondaiK^ 
Dutens  nous  apprend  lui-même,  dans  une  brochaient 
il  sera  ci-après  parlé,  qu'il  acheta  tous  ces  livres,  subos- 
bre  d'environ  mille  volumes  ,  mojcnnant  une  rente  v 
dix  livres  sterling,  et  que  ce  fut  cet  «xemplaire  de  l ou- 
vrage d'Helvétiusqui  le  détermina  principalement  à  cdf 
acquisition;  mais  Rousseau,  dit-il,  a  ne  consentit is^ 
«  les  vendre  qu'à  condition  que,  pendant  sa  vie,  je  ne  p 
M  blierais  point  les  notes  que  je  pourrais  trouver  lar  I  ■ 
Cl  livres  qu'il  me  vendait,  et  qne,  lut  vivant,  TexempU'^- 
K  du  livre  de  fEspril  ne  sX>rtirait  point  de  mes  mains.  * 

(c  II  parait,  dit  encore  Dutens,  qu'il  avait  entrcpci)^ 
A  réfuter  cet  ouvrage  de  M.  Helvétins,  mais  qu'il  st»' 
<r  abandonné  cette  idée  dès  qu'il  l'avait  vu  persécuté^' 
11^— ^«—^^^^—^—  ■  ■  '*' 

l*)  Cette  conjecture  de  Dutens  est  confit  uirfc  pir  A«nf>^ 


ftlFUTATioîsr  DU  LIVRE  bç  l'esprit.        ^y 

«M.  Helvétius,  ajant  appris  que  jeta»  en  possession 
M  de  cet  exemplaire ,  me  fit  proposer  de  le  lui  envoyer, 
tf  J'étais  lié  par  ma  promesse  :  je  le  représentai  k  M.  Bel- 
<t  vétius;  il  approuva  ma  délicatesse,  et  se  ré<luisit  h  me 
fc  prier  de  lui  extraire  quelques-unes  des  remarques  qui 
«  portaient  le  plus  coup  contre  ses  principes ,  et  de 
c  les  lui  communiquer  ;  ce  que  je  fis.  Il  fut  tellement 
u  alarmé  du  danger  que  courait  un  édifice  qu'il  avait 
ce  pris  tant  de  plaisir  à  élever,  qu'il  me  répondit  sur4e«. 
(«  champ,  afin  d'effacer  les  impressions  qu'il  no  doutait 
u  pas  que  ces  notes  n'eussent  faites  sur  moa  esprit.  Il 
cr  m'annonçait  une  autre  lettre  par  le  courrier  suivant, 
u  mais  la  mort  l'enleva  huit  ou  dix  jours  aprè».  » 

Après  la  mort  de  Rousseau ,  Dntens,  dégagé  de  sa  pro« 
messe  envers  lui ,  sorgea  à  faire  jouir  le  public  des  notes 
dont  il  était  possesseur;  il  en  a  fait  l'objet  d'une  bro« 
chure  publiée  h  Paris  sous  le  titre  de  Lettre  à  M,  D.  B, 
(  De  Bure,  alors  libraire  à  Paris) ,  1779»  in-i  a.  Il  j  rap- 
porte les  passages  du  livre  de  tEsprit  auxquels  \cn  notes 
de  Rousseau  s'appliquent,  puis  transcrit  immédiatement 
celles-ci ,  en  y  joignant  au  besoin  quelques  éclaircisse- 
mens.  A  la  fin  de  la  même  brochure  se  trouvent  les  dcnx 
lettre?  d'flelvétiusàDtitens,  dont  il  vient  d'être  parlé  (*). 

C'est  cette  brochure  de  Dutens  que  nous- allons  repro- 
d«iire  ici  presque  tout  entière,  ce  qui  lui  appartient  en 
propre  dans  ce  petit  ouvrage  ne  pouvant  guère  être  sé- 
paré des  notes  de  Rousseau  dont  il  facilite  l'intelligence. 
Quant  k  l'exemplaire  qui  contient  celles-ci  en  original ,  il 
est  maintenant  en  la  possession  de  M.  De  Bure. 

lui-même,  qui  s*en  explique  formellement  dans  une  note  des 
ItCttres  de  la  "Montagne,  Lettre  première. 

^*)  La  Lettre  àM.D.B,,tx  les  deux  lettres  d'Helvétiat  qui 
y  fiant  suite ,  ont  été  réimprimées  dans  l'édition  de  Génère , 
tii'8^1  toms  III  du  premier  Supplément. 


S8  RÉFirr^Tioty 


Le  grand  but  de  M.  Helvélius  dans  son  ouvrage 
est  de  i^éduirc  toutes  les  facultés  de  rkpmme  à  une 
existence  purement  matérielle.  Il  débute  par  avan- 
cer, tom«  I,disc.  I  ,chap.i,  p.  190  (*)^  v  que  noui 
•t  avons  en  nous  deux  fiicultës,  ou,  s'il  Tose  dîrr , 
«  deitx  puissances  passives;  la  sensibilité  phv^l- 
«  que  et  la  mémoire;  et  il  définit  la  mémoire  une 
«  sensation  continuée,  mala  affaiblie.  »  A  quoi 
Rousseau  répond  :  «  Il  me  semble  quîl  iàudntit 
«  distinguer  les  impressions  purement  organiques 
«et  locales,  des  impressions  qui  afiecteni  tout 
«  rindividu;  les  premières  ne  sont  que  de  simples 
«  sensations;  les  autres  sont  des  sentimens.  »  El 
«un  peu  plus  bas  il  ajoute  :  a  Non  pas,  la  mé- 
«  moire  et  la  £iculté  dç  se  rappeler  la  sensation, 
tt  maïs  la  sensation ,  mémo  afl^blie;  ne  dure  fb 
«  continuellement.  » 

te  La  mémoire,  continue  Helvétius,  tom.  l, 
«  dise.  I ,  chap.  i ,  p.  îio3 ,  ne  peut  être  qu'un  dei 
K  organes  de  la  sensibilité  physique  :  le  principe  qui 
cr  sent  en  nous  doit  être  uécessairemcnt  Iç  principe 
«  qui  se  ressouvient ,  puisque  se  ressouvenir^ 
«  comme  je  vais  le  prouver^  n'est  proprement  que 
«  sentir,  »  «r  Je  ne  sais  pas  encore,  dit  Rousseau. 
«  comme  il  va  prouver  cela,  mais  je  sais  bien  que 

-     -   — r-  -  ^  .  I  _  É 

{*)  Lf*  reoToif  4e  cet  p*§ei  et  de  ces  rqliunee  9e  npportcni 
ft  l'éditMo  CD  1 4  volume»  ia- 18,  mjpmbt  |p«r  P.  Dîdoi  maà. 


DU  LIYRE  DE  L'ESPRIT.  Sg 

«  sehûr  Tobjet  pr&cnt,  et  sentir  l'objet  absent^ 
ce  8(Hit  deux  opérations  dont  la  différence  mérite 
«  biien  d'étfe  examinée.  » 

a  Lors(pie,  par  une  suite  de  mes  idées,  ajoute 
«  l'auteur,  tom.  I^  dise,  i ,  p.  soS,  ouparFébran- 
tc  leméut  que  certains  sons  causent  dans  l'organe 
f(  de  mon  oreille ,  je  me  rappelle  Fimage  d'un 
(c  éhéne;  alors  mes  organes  intérieurs  doivent  né- 
a  cessairement  se  trouver  à  peu  près  dans  la  même 
«situation  bii  ils  étaient  à  la  vue  de  ce  cbéne  :  or, 
il  cette  situation  des  organes  doit  incontestable- 
<c  ment  produire  une  sensation  ;  il  est  donc  évi- 
te déni  que  se  ressouvenir ,  c  est  sentir.  » 

«  Oui,  dit  Rousseau,  vos  organes  intérieurs  se 
c(  trouvent  à  la  vérité  dans  la  même  situation  où 
tr  ils  étaient  è  la  vue  du  chêne,  mais  par  Vefiet 
ce  d'uûe  opération  très-différente.  »  Et  quant  à  ce 
fjue  vous  dites  que  cette  situation  doit  produire 
une  sensation, ft  Qu  appelez-vous  sensation?dit-il. 
f4  Si  une  sensation  'est  l'impression  transmise  par 
«  l'organe  extérieur  à  Torgane  intérieur,  la  situa- 
<r  tit>A  de  Torgane  intérieur  «a  beau  être  supposée 
<r  b  même,  ceHe  de  Forgane  extérieur  manquant, 
a  ce  défaut  seul  suffit  pour  distinguer  le  souvenir 
a  de  !a  sensation.  D ailleurs,  il  n'est  pas  vtai  qua 
«  la  ftituation  de  Forgane  intérieur  soit  la  même 
cr  dans  la  mémoire  et  dans  la  sensation  ;  âutroménl 
f^  41  Gérait  sliâpôs^bte  de  distinguer  le  souvenir  de 
te  là  Sensation  d'^vecla  sensation.  Aussi  l'auteur  se 
m  aanv^-t^l  pàrr  tin  *i  i^Bt  fuis  y  tnais  une  siluàtiofl 


6o  &£FirrATios( 

«  d'organes  qui  n^est  qu'à  peu  près  la  même  na 

«  doit  pas  produire  exactement  le  même  effets 

«  Il  est  donc  évident,  dit  Helvétios,  tom.  I, 
fc  dise.  I ,  chap.  i ,  p.  207 ,  qnt  ce  ressouvenir  c'est 
«  sentir.  »  «  11  y  a  cette  diffîrence,  répond  11005- 
«(  seau,  que  la  mémoire  produit  une  sensation 
«  semblable  et  non  pas  le  sentiment,  et  cette 
ce  autre  différence  encore,  que  la  cause  n'est  pai 
«  la  même.  » 

L'auteur,  tom.  I,  dise,  i ,  chap.  i ,  p.  207,  ayant 
posé  son  principe,  se  croil  en  droit  de  conchue 
ainsi  :  u  Je  dis  encore  que  c  est  dans  la  capacité 
«  que  nous  avons  d'apeicevoir  les  ressemblances 
fc  ou  les  di^ences,  les  convenances  on  les  (& 
fc  convenances  qu'ont  entre  eux  les  objets  4i^) 
ce  que  consistent  toutes  les  opérations  de  Tespl 
«  Or,  cette  capacité  n'est  que  la  sensibilité  phj- 
«  siquc  même  :  tout  se  réduit  donc  à  sentir.  1 
«  Voici  qui  est  plaisant!  s^écrie  son  adversaire, 
«  après  avoir  légèrement  affirmé  qu  apercevoir  et 
«  comparer  sont  la  même  chose,  fauteur  conchl 
«  en  grand  appareil  que  juger  c'est  sentir.  La  cod- 
«  clusion  me  parait  claire  ^  mais  c'est  de  rantécé* 
«  dent  qu'il  s  agit.  »  , 

L'auteur  répète  sa  conclusion  d'une  antre  ma- 
nière, tom.  I,  dise.  I,  chap.  i,  p.  20g ^  et  dît  :  «I^ 
«  conclusion  de  ce  que  je  viens  de  dire,  c'est  ({tf 
«  si  tous  les  mots  des  diverses  langues  nedésigoo^ 
«  jamais  que  des  objets ,  ou  les  rapports  de  ces  ol^* 
t  jets  avec  nous  et  entre  eux ,  toi^t  l'espnt  p^ 


ru  LiVRE  DB  fESPKlT.  6l 

•r  consécpient  consiste  à  comparer  et  nos  sensa* 
«  tions  et  nos  idées,  c  est-à-dirc,  à  voir  les  ressem«* 
«  fcbaces  et  iesdi^r^nces,  les  convenances  et  les 
«( disconvenances  quelles  ont  entre  elles.  Or^ 
«  comme  le  jugement  n'est  que  ce^e  aperoeyance 
«  elle-même,  ou  du  moiujf'  que  le  prononcé  de 
«  cette  apercevance,  il  s'ensuit  que  toutes  les  opé* 
if  rations  de  l'esprit  se  réduisent  à  juger.  »  Rous* 
seau  oppose  à  cette  conclusion  une  distinction  lu* 
mineuse  :  Apercevoir  ies  objets,  dit-il,  c'est 
&ËmiR,  apercevoir  les  rapports,  c'est  juger  (*), 
«  La  question  renfermée  dans  ces  bornes ,  coi>< 
«  tinue  lauteur  de  VEsprh,  tom.  I ,  dise,  i ,  ch.  i*, 
«  p.  21  o,  j^examinerai  maintenant  si  juger  n'est 
«  pas  sentir.  Quand  je  juge  de  la  grandeur  ou  de 
«  la  couleur  des  objets  qu'on  me  présente,  il  est 
«  évident  que  le  fugemént  porté  sur  les  difierentes 
«  impressions  que  ces  objets  ont  Êiites  sur  mes 


(*)  Ontens  notu  apprend  que  cette  objection  fut  celle  qui 
alarma  le  plus  Helvétius,  lonqu'il  la  lui  commtmiqua ,  et  c'est 
Il  wtie  occasion  cpi'il  *>t  crut  obligé  de  publier  la  lettre  que  lui 
écrivit  HeUétios  à  œ  sujet,  leUre  par  laquelle  «iioii-seulffDaïf  « 
«  dit-il  I  Htlvëtius  n^  btoiBÎt  poîjit  de  l'esprit  les  dfmtes  que 
et  Rousseau  y  introduit,  mais  dont  il  appréhende  lui-même  te 
«  peu  d'effet,  puisqu'il  en  annonce  une  autre  sur  le  même  sujct^ 
«  ^a^û  edt  écrite  sans  doute  sH  eue  yécu.  »  CeUc  lettre  dUelTé* 
csas,  rébiiirim^,  comme  il  a'ëlrf  dit  phis  haot,  dans  l'édîlîoii 
kle  Geoèvr,  est  eu  effet  aussi  ftûbic  de  raisonnemeot  que  de  sfcytej 
et  quoiqu'il  eût  pu  paraître  intéressant  de  voir  aux  prises  Tatt- 
à'Èmilt  et  Celui  âeTÉsprit^  elle  nous  a  pa»  paru  mvriMf 


6s  K&rUTATidN 

«  9ens  n'est  propreeieat  qu'une  sensation;  que  ^ 
«  piùs  dire  également ,  Je  juge  ou  je  sens  qne^  de 
«  deux  oUetSy  Tun,  que  fdpj^lk  toise,  &it  sur 
«  moi  ulie  isafiression  différente  de<;elui  que  jap- 
«  peUe  piW;  que  la  couleur  que  je  nomme  rouge 
ff  agit  sur  mes  yeux  diffîremment  de  celle  que  je 
«  nomme  garnie;  et  j'en  conclus  qu'ea  pareil  cas 
«  \iujer  n^est  jaraab  que  sentir.  »  a  II  y  a  ici  oo 
«  ^oplnsme  Itès-subtil  et  très*importanl  à  bieo  it- 
«  marquer,  reprend  Rousaeau  :  autre  chose  est 
M  sentir  une  diffmrnce  entre -une  toise  et  un  fkà, 
jt  et  autre  chose  mesurer  cette  diffîreace.  Dans  la 
V  pi^mîèrc  opération  Tesprit  est  purement  passif, 
MX  mais  dans  1  autre  il  est  actif.  Celui  qui  a  j^usdo 
fc  justesse  dans  Tesprii  peur  transporter  par  ta 
ta  pensée  le  {ned  sur  la  toise,  et  voir  combien  de 
4<  ibis  il  y  est  contenu ,  est  celui  qui  en  ce  pomt  a 
-4v  respril  le  phis  juste  et  juge  le  mieux,  m  Et  quant 
«  à  la  conclusion  j  a  quen  pareil  cas  juger  n'est 
«  jamais  que  sentir  » ,  Rousseau  soutient  que , 
*A  c  est  autre  cliose,  parce  que  la  comparaison  du 
\w  jaune  et  du  rouge  n'est  pas  la  ^nsation  du  jaune 
*«iii  cdile  du  rouge.  » 

L^litefur  Se  fait  ensuite  celte  objection ,  tome  I, 
disCit  j  f  cliap.  I ,  p.  'III  :  c<  Mais^  dira-t-on,  sup- 
n  posons  qu'on  veuille  sarvoir  si  la  Ibrce  mt  préfé- 
'«  MiUe^i  la  grandeut  Ai-oorps^  pcut^on  a2»onr 
«f  qti*bters  jugisf  soilsî  mit?Otti.  répmidtaî-jc;  car, 
«  pour  porter  un  jugement  sur  ce  ^ujcl,  ma  tné 
K  uioircdoitinetriicorsuccessivemcntles  t-'^HftaOT 


DU  LTTRB  DE  L^CSPRlt.  63 

«K  cbes  situaiions  diflëreutes  où  je  puis  me  trouTeo 
ff  le  plus  communément  dans  le  coûts  de  ma  yic.  n 
cr  Comment!  réplique  à  cela  Rousseau;  la  compa- 
«  raison  successive  de  milleidées  est  aussi  un  sen^ 
«  timent!  Une  faut  pas  disputer  des  mots,  mais 
«  fauteur  se  fiiit  U  un  étrange  dictionnaire*  » 

Enfin  Helrétlus  finît  ainsi,  tom.  I,  dise,  i-, 
chap.  t,  p.  a  17  :  «  Mais,  dira-t^on,  comment  jus- 
«  qu  à  ce  jour  a-t-on  supposé  en  nous  une  faculté 
a  de  juger  distincte  de  la  faculté  de  sentir?  L'oa 
cr  ne  doit  cette  supposition,  répondrais- je,  qu'à 
fc  l'impossibilité  où  I  on  s  est  cru  jusqu'à  préseni 
f(  d'expliquer  d'aucune  autre  manière  certaines 
«  erreurs  de  l'esprit.  »  «  Point  dli  tout,  reprend 
ff  Rousseau.  Cest  qu'il  est  trës«^mple  de  suppo- 
«r  ser  que  deux  opérations  d'espècos  diflférentes  se 
ce  font  par  deux  différentes  acuités.  » 

A  la  fin  du  premier  discours,  tom.  I^  dise,  i , 
eh.  4,  p-  28f.  ML  Helrétius,  revenant  à  sou  grand 
principe,  dit  :  «Rien  ne  m'empêche  maintenanl 
«  d'avancer  que  juger ^  comme  je  l'ai  déjà  prouvé, 
«c  n'est propremenlqneitfit(£r.^«VousQ'c'^ye7ri^o 
«  prouvésiircepoint,répondRousseau,$inonquo 
«  vous,  ajoutez  au  sens  du  mot  sentir  le  sens  que 
flc  nousdonnonsaumotJUGBaivousréunissezsQUS 
«  un  mot  commun  deux  facultés  essentidlement 
«  d^rentes.  »  Et  sur  ce  que  Helvétius  dit  encore, 
lom.  I ,  dise.  I ,  chap.  4,  p.  28  que  «  Pesprit peut 
«  être  considéré  comme  la  faculté  productrice  de 
«  nos  pensées,  et  ixest^  en  ce  sens, que  seusibilit^ 


64  htèfita  tcx 

«  et  mémoire  »,  Ronsscsii  >.iti  tx  note  :  Seitsibi« 

UTÉ )  Mémoire ,  Jugement  (* ). 

Dans  son  second^iscours,  ^11  î  li  Ivètîus  avance, 
tom.  n,  dise,  n,  cHap.  4?  P-  ^^-^  «  qnc  nous  ne 
ce  concevons  que  des  idées  analogues  aux  nAtres, 
<t  que  nous  n'avons  A' estime  sentie  que  pour  celle 
cr  espère  d^idécs  ;  et  de  lA  cette  haute  opinion  qne 
it  chacun  est,  pour  ainsi  dire,  forcé  d'avoir  de 
t€  soi-même,  et  qull  appelle  la  nécessité  où  nous 
fr  sommes  de  nous  estimer  préférablemcut  anx 
cr  autres.  Mais  ,  ajoute-t-il ,  tom.  11 ,  dise,  n  , 
«  chap.  4 7  p.  57,  on  me  dira  que  Ton  voit  quel- 
k  ques  gens  reconnatlre  dans  les  autres  p!ns  des- 
flt  prit qu  en  eux.  Oui,Tépondrai-je,  on  voit'deshooi- 
«r  mes  en  faire  l'aveu;  et  cetaveu  est  d  une  belle  Ame. 
r  Cependant  ils  n'ont,  pour  celui  quiis  avouent 
(c  leur  supérieur,  quune  estime  sur  parole  :  ils  ne 
c(  font  que  donner  à  Popinion  publique  la  préfé^ 
«  rence  sur  la  leur,  et  convenir  que  ces  personnes 
«sont  plus  estimées,  sans  être  intérieurement 
cr  convaincus  qu'elles  soient  plus  estimables.  » 
«  Cela  n*eBt  pas  vrai,  reprend  brusquemeat  Rons- 
«  seau.  J'ai  long- temps  médité  sur  un  sujet ,  et  f  en 
ft  ai  tiré  quelques  viies  avec  toute  ^attention  que 

{*)  Les  notes  qu'on  vient  de  lire  ont  toutes  pour  objet  àt 
«ombattre  la  proposition  principale  qui  sert  de  htam  k  l'onrf»^ 
à*Heïwéiu>â,  et  Dutens  observe  avec  raison  que  cet  ouvrage 
D'étant  composé  que  de  chapitres  sans  liaison,  d'idées  dikoo- 
auei ,  de  petits  contes ,  et  de  bons  mots^  les  notes  qui  suivent  ue 
•qui  anasi  que  des  sorttea  «iv  des  acnttmens  paiiirBUera. 


DtJ  LIVRE  DE  t*ESParr.  65 

f<  j^étais  capable  cTy  mettre.  Je  communkpie  ce 
tv  même  sujet  à  un  autre  homme;  et,  durant  notre 
«c  entretien, je  vois  sortir  du  cerveau  de  cet  homme 
R  des  foules  d'idées  neuves  et  de  grandes  vues  sur 
a  ce  même  sujet  qui  m  en  avait  fourni  si  peu.  Je 
R  ne  suis  pas  assez  stupide  pour  ne  pas  sentir 
«  l'avantage  de  ses  vues  et  de  ses  idées  sur  les  mien* 
<c  nés  :  je  suis  donc  forcé  de  sentir  intérieurement 
ft  que  cet  homme  a  plus  d  esprit  que  moi,  et  de  lui 
n  accorder  dans  mon  cœur  une  estime  sentie^ 
ce  supérieure  à  celle  que  j'ai  pour  moi.  Tel  fiit  le 
V  jugement  que  Philippe  second  porta  de  Tesprit 
c<  d'Alonzo  Ferez  9  et  qui  fit  que  celui-ci  s'estima 
ce  perdu.  » 

Helvéiius  vent  appuyer  son  sentiment  d'un 
exemple,  et  dit,  tom.  II,  dise,  n,  ch.  4 9  p*  ^7,^ 
1.0 te  :  «  En  poésie,  Fontenelle  serait  sans  peine 
ce  convenu  de  la  supériorité  du  génie  de  Corneille 
c<  sur  le  sien ,  mais  il  ne  l'aurait  pas  sentie.  Je  sup- 
€<  pose,  pour  s  en  convaincre,  qu'on  eût  prié  ce 
a  même  Fontenelle  de  donner,  en  fait  de  poésie ^ 
<c  l'idée  qu  il  s'était  formée  de  la  perfection  ;  il  est 
ce  certain  qu'il  n'aurait  en  ce  genre  proposé  d  au* 
ce  très  règles  fines  que  celles  qu'il  avait  lui-même 
(K  aussi-bien  observées  que  Corneille.  »  Mais  Rous- 
seau objecte  à  cela  :  ce  II  ne  s^agit  pas  de  règles;  il 
cr  s'agit  du  génie  qui  trouve  les  grandes  images  et 
<v  les  grands  sentimens.  Fontenelle  aurait  pà^se 
fc  croire  meilleur  juge  de  tout  cela  que  Corneille, 
m  fliaia  non  pa^  aussi  bon  inventeur  :  il  était  iail 

6. 


66  RÉfXTÀTlOV 

«  pour  sentir  le  gckiie  de  Corneille ,  et  non  pour 
fc  régaler.  Si  Tauteur  ne  croit  pas  qu*iiD  homme 
u  puisse  sentir  la  supcrioritë  d'un  autre  dans  son 
«  propre  genre ,  assurément  il  se  trompe  beau- 
«  coup  :  moi-même  je  sens  la  sienne,  quoique  je 
a  ne  sois  pas  de  son  se^iûment.  Je  sens  qu'il  se 
<r  trompe  en  homme  qui  a  plus  d  esprit  que  moi  : 
«  il  a  plus  de  vues  et  plus  lumineuses,  mais  ks 
«  miennes  sont  plus  saines,  Fénélon  remportait 
a  sur  moi  k  tous  égards  :  cela  est  certain,  i»  A  ce 
sujet  Helvétius  ayant  laissé  échapper  TexpressioQ 
du  poids  importun  de  V estime ,  Rousseau  le  re- 
lève en  s'écriant  :  <c  Le  poids  importun  de  Tes- 
ff  time!  Eh  dieu!  rien  nest  si  doux  que  Testime, 
«  même  pour  ceux  qu  on  croit  supérieurs  à  soi  » 

tt  Ce  n'est  peut-être  qu'en  vivant  loin  des  so- 
«  ciétés,))  dit  Helvétius,  tom.  II,  dise,  ii,  chap.  6^ 
p.  yj^  «qu'on  peut  se  défendre  des  illusions  qui 
«  les  séduisent.  Il  est  du  moins  certain  que,  dam 
a  ces  mômes  sociétés,  on  ne  peut  conserver  une 
«  vertu  toujours  forte  et  pure  sans  avoir  hafai- 
«  tuellemcnt  présent  à  l'esprit  le  principe  de  fnti- 
<c  lité  publique;  sans  avoir  une  coonaissajuce  pro- 
«  fonde  des  véritables  intérêts  de  oe  public ,  et, 
«  par  conséqiu^nt,  de  la  morale  ci  de  la  poUti|ue.  • 
fc  A  ce  compte,  répond  Rousseau,  il  n'y  a  de  vé* 
«,ritable  probité  que  chez  les  philosophes.  Ma  fiû| 
«  ils  font  bien  de  sen  faire  complimeiU  les  uns 
c  aux  autres,  n 

Consé^jnemment  au  principe  gue  Tenait  dV 


DU  LIVKS  DB  L^ESPRIT.  6;; 

vanœr  rauteur ,  il  dit ,  tom.  II ,  dise,  n,  cb«  6| 
p.  78,  note,  ce  que  Fontenelie  définissait  la  meo:* 
K  songe,  taire  une  vérité  oq'oii  doit.  Up/bommo 
a  sort  du  lit  d^une  femme ,  3  en  rencontre  le  mari  : 
ce  D'où  venez-vous  7  lui  dit  celui-ci.  Que  Ini  ré- 
€€  pondre?  Loi  doit^on  alors  la  vérité  ?  Non  y  dil 
ce  Fontenelie^  parce  qu*alors  la  vérité  n'e^t  utile  i 
€€  personne.  »  fx  Plaisant  ezemple  I  s  écrie  Rous- 
a  seau  :  comme  si  celui  qui  ne  se  £iit  pas  un  sera- 
«r  pule  de  coucher  avec  la  femme  d'autrui  s'en 
cr  faisait  un  de  dire  on  mensonge  1 U  se  peut  qu'u9 
c(  adultère  soit  obligé  de  mentir,  mais  lliomme  de 
ce  bien  ne  veut  être  ni  menteur  ni  adultère  (^). 

Lors(}uildit,tom.  Ilydisc.ii^chap.  ia,p«  168, 
a  Qu  un  poète  dramatique  ùs^  une  bonne  tragé- 
a  die  sur  un  plan  déjà  connu ,  c'est ,  dit-on ,  un 
ce  plagiaire  méprisable;  mais  qu  un  général  se  serve 
a  dans  une  campagne  de  Tordre  de  bataille  et  des 
ce  stratagèmes  d'un  autra  général ,  il  n  en  parait 
<c  souvent  que  plus  estimable  n  :  l'autre  le  relève 
C31  disant;  «  Vraiment,  je  le  crois  bien!,  le  premier 


-.T- 


C*)  Hcirélius  a  dit  :  ce  Tout  derlent  légîume,  «t  mèigt  T«r« 
«c  tueuz ,  pour  le  salut  public.  »  Rousseau  a  mis  en  note,  à  cdté  : 
Lit  êobtt  puhiic  n^est  rien ,  ti  tout  le$  jHirticuliers  ne  $ont  en 
^reté,  -—  Cette  note  ée  lUiiuaeatt  ne  iâîi  point  parité  ^e  eellea 
q|ue  Dvteot  a  pnbliéee;  noifa  Ifi  devons  à  1  éditeur  de  i8o)i  fipiï 
l'a  irçnYét  ttm»  dimle  ^jwb  l'exemplaire  que  ^ua  aV9M  d$t  plfit 
}}attt  être  encore  en  la  posaession^  Af.  De  Bure.  Dutens  a  pu  .la 
ftager  digne  de  peu  d'aitention ,  et  l'omettre  comme  Mt  d^ia  té 
farodiaM  j  mais  Jrn  évdnemept  aurreniif  depuis  donnent  i  œttt 
ajtcupyiaiiliiiliiiMblf  etijMiiaciKotipartoMsktlaoi^Mfc 


66  RÉrUTATIOW 

«  se  donne  pour  Fauteur  d'une  pièce  nouvelle,  le 
ic  second  ne  se  donne  pour  rien;  son  objet  est  de 
«  battre  rennemi.  S'il  faisait  un  livre  sur  les  la- 
ce tailles,  on  ne  lui  pardonnerait  pas  plus  le  plagiat 
ce  qu^à  l'auteur  dramatique.»  Rousseau  n'est  pas 
plus  indulgent  envers  M.  Helvétius  lorsque  celui- 
ci  altère  les  faits  pour  autoriser  ses  principes.  Par 
exemple, lorsque,  voulantprouverque,  «  danstoos 
c<  les  siècles  et  dans  tous  les  pays,  la  probité  n'est 
tt  que  1  habitude  des  actions  utiles  à  sa  nation ,  il 
((sJlègue^  tom.  II,  dise  ii,  chap.  i3,  p.  190, 
«  Texemple  des  Lacédémoniens  qui  permettaient 
«  le  volj  et  conclut  ensuite ,  tome  II ,  dise,  n, 
«  chap.  i3,  p.  193,  que  le  vol,  nuisible  à  tout 
«  peuple  riche,  mais  utile  à  Sparte ,  y  devait  être 
«  honoré  >?  j  Rousseau  remarque  que  le  vol  nétaù 
permis  quaux  en  fans, et  qu'il  n'est  dit  nulle  j^art 
que  les  hommes  volassent  y  ce  qui  est  vrai.  Et  scr 
le  même  sujet  Fauteur  dans  une  note,  a jant  dit 
«  qvCnn  jeune  Lacédémonien,  plutôt  que  d'ai*ori^r 
ce  son  larcin,  se  laissa,  sans  crier,  dévorer  le  venti^î 
«  par  un  jeune  renard  qu  il  avait  volé  et  caclv 
p.  sous  sa  robe  »  ;  r.on  critique  le  reprend  aîibi 
c^  avec  raison  :  ce  II  n  est  dit  nulle  part  que  FenÈst 
ce  fiit  questionné  :  il  ne  s  agissait  que  de  ne  pas 
«  déceler  son  vol ^  et  non  de  le  nier.  Mais  lauteur 
«  est  bien  aise  de  mettre  adroitement  le  menson^ 
ce  an  nombre  des  vertus  lacédémoniennes.  st. 

M.  Helvétius ,  tome  H ,  dise,  u ,  ckap.  iS, 
p.^3y  ùisànt  lapologie  du  luxe ,  porte  Teqih^ 


DU  livue  de  l'esprit.  69 

du  paradoxe  jusqu^à  dire  que  les  femmes  galantes, 
dans  un  sens  politique,  sont  plus  utiles  à  Tétat 
que  les  femmes  sages.  Mais  Rousseau  répond  : 
et  L'une  soulage  ces  gens  qui  souffrent;,  l'autre  fa- 
<r  vorise  des  gens  qui  veulent  s'enrichir  :  en  exci- 
te tant  Findustrie  des  artisans  du  luxe ,  elle  ert 
K  augmente  le  nombre  ;  en  faisant  la  fortune  de 
cr  deux  ou  trois,  elle  en  excite  vingt  à  prendre  un 
ce  ét\{  où  \h  resteront  misérables  ;  elle  raulliplîe 
ff  les  sujets  dans  les  professions  inutiles ,  et  les 
ir  fiMl  ni:in'[ucr  dans  les  professions  né  ressnircr..  » 

Drus  une  autre  occasion,  tom.  III,  dise,  ii, 
cil.  5, p.  1^6,  note,  M.  Hclvétius,  remarquant 
que  «  l'envie  permet  à  chacun  d'être  le  panégy- 
ce  riste^dè  sa  probité ,  et  non  de  son  esprit  » , 
Rousseau,  loin  d'être  de  son  avis,  dit  :  «  Ce  n'est 
ce  point  cela',  mais  c'est  qu'en  premier  lieu  la  pro* 
«  bile  est  indispensable,  et  non  lesprit,  et  qu en 
«  second  lieu  il  dépend  de  nous  d'être  honnêtes 
<r  gens,  et  non  pas  gens  d'esprit.  » 

Enfin ,  dans  le  premier  chapitre  du  troisième 
discours ,  tom.  IH,  p.  i(>3,  fauteur  entre  dans  la 
question  de  l'éducation  et  de  l'égalité  naturelle  des 
esprits.  Voici  le  sentiment  de  Rousseau  là-dessus, 
exprimé  dans  une  de  ses  notes  :  ce  Le  principe 
<c  duquel  l'auteur  déduit,  dans  les  chapitres  sui- 
<f  vans ,  f égalité  naturelle  des  esprits ,  et  qu'il  a 
ce  tâché  d'établir  au  commencement  de  cet  ou- 
a  vrage,  est  que  les  jugemens  humains  sont  pure* 
n,  ment  paâ8i&<  Ce  principe  a  .été  établi  et  discuté 


^  RËk^iATION  DU  LIVEB  DE  LBSntlT. 

«E  avec  beaucoup  de  pbilosopliie  et  de  profondeur 
«  dasis  [Encjclopédie,  article Eyu)£nce.  J'ignore 
c(  quel  est  lauteur de  cet  article;  oiaU c'est  certai- 
ce  neiueut  un  très>graad  métaphysicien,  je  soop- 
f<  çonne  labbé  de  CondiUac  ou  M.  de  Bufi^o. 
tt  Quoi  qu'il  en  soit,  j'ai  tâché  do  conubaUre  ce 
K  principe  et  d établir  lactivité  de  nos  jogemeos 
ff  dans  les  notes ,  que  j  ai  écrites  au  comBleDc^ 
t<  ment  de  ce  livre ,  et  surtout  dans  ia  prefflièn 
fc  partie  de  la  Protession  de  foi  do  yicaire  saToyard. 
«  Si  j'ai  raison,  et  que  le  fn-indpe  de  M.  Ilehétios 
ce  et  de  lauteur  susdit  soit  faux ,  les  raisoooemens 
f<  des  chapitres  Sûivans ,  qui  n'en  sont  qœ  dn 
ce  conséquences ,  tunbcnt ,  et  il  n^est  pas  yrai  q« 
c(  Tinégaiité  des  eiprits  soit  Feffet  de  Li  seule  «dor 
K  c*ation ,  qu'elle  j  puisse  influer  beaucoup.  » 


tmMmnMimnnmivttuMwwlymm 


LE  PERSIFLEUR  (*). 


qu'on  ma  appris  que  les  écTÎTains  qui  s'é* 
taieut  chargés  cl  examiner  les  ouvrages  nouveaux 
acvaient ,  par  divers  aocidens  j  successîvegieD  t  résl« 
gaë  karsempims  ^  je  me  suis  mis  en  teteque  je  pour* 
mis  fort  Inen  ies.remplacer;  et,  comme  je  n'ai  pas 
bi  mauvaise  vamté  de  vouloir  être  modeste  aveo 
le  public,  jiavoue  franchement  que  fe  nveu  suift 
trouvé  très'Kapahle;  je  soutiens  même  qu'on  »a 
doit  jamais  parler  autrement  de  soi ,  que  quand  ou 
est  lûen  sâr  de  nV^n  pas  être  la  dupe.  Si  j'étais  un 
auteur  connu,  j!aifecterais  peut-être  de  débiter  des 
contre-vérités  à  mon  désavantage,  potu*  tâcher,  à 
leur  faveur^  d^amener  adroitement  dans  la  même 
eiasse  les  défauts  que  je  serais  contraint  davxmer  : 
mais  actuellement  le  stratagème  serait  trop  dau« 
gereiix.;  le  lecteur,  pr  provision ,  me  jou^rai-t  in- 
iasmUement  le  tour  de  tout  prendre  au  pied  de  la 
Icttce  :  .or,  je  le  demande  k  mes  chers  ccmfinèreiiy 
e^-^oe  )à  le  compte  d'«n  auteur  qui  parle  mal. do 
'i  ' 


f*  ■     *  ■  I    ■  ■  <  II— — — ^*»**— — *— ^MW»— ■■a^w^^i— ^»4i 


r*)  BbOBsetB,  cintt  m»  Con^iom,  Livre  VU,  iiouf  ap» 
7ppea4  que  et  vuuùwa  4eTaift  éts^M  ftaù^t  fiiniUa  d'i»  éeril 
périoâîgne  projeté  pour  être  fait  ahenjativeraeDt  «nue  Dîdfro^ 
et  Jui  «Des  évéïzeinens  hnprevDe,  dit-iL,  Doqs  bau^rent,  n  1^ 
«  projet  iitt  àemttbaà  U.  » 


7?  UB  PERSIFLEUR. 

Je  sens  bien  qu^il  ne  suffit  pas  tont-à-fait  que  je 
sois  convaincu  de  ma  grande  capacité,  et  quHI se- 
rait assez  nécessaire  que  le  public  fût  de  moitié 
dans  cette  conviction  :  mais  il  m  est  ais^i  de  mon- 
trer  que  cette  réflexion,  même  prise  comme  il  &m, 
tourne  presque  toute  k  mon  profit.  Car  remarquez, 
je  vous  prie ,  que ,  si  le  public  n'a  point  de  preores 
que  je  sois  pourvu  des  talcns  convenables  pour 
réussir  dans  iouvrage  que  j^entreprends,  od  ne 
peut  pas  dire  non  plus  qu'il  en  ait  du  oontraire. 
Voilà  donc  déjà  pour  moi  an  avantage  couadëiaUe 
sur  la  plupart  de  mes  concurrens;  j'ai  réellemeot 
vis-à-vis  d  eux  une  avance  relative  de  toat  lecki- 
min  qu'ils  ont  fait  en  arrière. 

Je  pais  ainsi  d'un  préjugé  favorable,  et  }•  b 
confirme  par  les  raisons  suivantes,  très-capables, 
à  moti  avis^j  de  dissiper  pour  jamais  tôate  espèu 
de  doute  désavantageux  sur  mon  compte. 

i^  On  a  publié  depuis  un  grand  nombre  d'ai^ 
néeà,  une  infinité  de  journaux,  feniUe  et  auHe» 
ouvrages  périodiques,  en  tous  pays  et  en  lonfte 
langue,  çt  j'ai  irpporté  la  plus  scnipaleiise allco- 
tion  à  ne  jamais  rien  lire  de  tout  cda.  D  où  jecett- 
dus  que ,  n'ayant  point  la  tète  fercie  de^ce  jai^goe, 
je  suis  en  état  d  en  tirer  des  productions  meillevRS 
beaucoup  en  elles-mêmes,  quoique  peut-être  es 
moindre  quantité.  Cette  raison  est  bonne  pour  k 
public  ;  mais  j'ai  été  ceintraint  de  la  retoomcr 
ipo:i  libraire,  en  lui  disant  que  k  jugemcnf 
P^dre  plus  de  choses  à  mesiire  que  la  n^éiiioîii 


LB  FBaifllFLEVR.'  y^ 

en  est  moins  chargée,  et  qq'ainsi  les  fnatdnaux 
ne  nous  manqueraient  pas. 

a^  Je  n^ai  pas  non  plus  trouvé  à  propos ,  et  k 
peu  près  par  la  même  raison ,  de  perdre  beaucoup 
de  temps  à  Tétude  des  sciences  ni  A  celle  des  aur 
teurs  anciens.  La  physique  systématique  est  de- 
puis long-temps  reléguée  dans  le  pys  des  romans; 
la  physique  expérimontale  ne  me  parait  plus  que 
Fartdarranger  agréablement  de  jolis  brimborions; 
et  la  géométrie,  celai  de  sepasserdq  raisonnement 
â  Faide  de  quelques  formules. 

Quant  aux  anciens  j  il  m'a  semblé  que  y  dans  les 
jugemens  que  j  aurais  à  porter,  ta  probité  ne  you-> 
lait  pas  que  je  donnasse  le  change  à  mes  lecteurs, 
ainsi  que  disaient  jadis  nos  sayans^en  substituant 
£:auduleusement,  à  mon  avis  qu  ils  attendraient, 
celui  d'Âristote  ou  de  Ciccron  dont  ils  n'ont  que 
faire  :  grâce  à  l'esprit  de  nos  modernes ,  il  y  ^ 
long- temps  que  ce  scandale  a  cessé,  et  je  me  gar.-. 
clorai  bien  d  en  ramener  la  pénible  mode.  Je  me 
suis  seulement  appliqué  à  la  lecture  des  diction^ 
naires;  et  j^y  ai  fait  un  tel  pro^t,  qu'en  moins  dç 
trois  mois  je  me  suis  vu  en  état  de  décider  de  tout 
avec  autant  d'assurance  et  d  autorité  que  si  j'uvaîî; 
eu  doux  ans  d'éiiide.,  J  ai  de  plus  acquis  un  petit 
recueil  de  passages  latins  tirés  de  divers  poëte^,  où 
je  trouverai  de  quoi  broder  et  enjoliver  mes  feuil- 
Jes,  en  les  ménageant  avec  économie  afin  qu'ils 
durent  longtemps.  Je  sais  combien  les  vers  latins, 
cités  àpropos,  donaentde  rejief  Jun  philoçophq; 


éiy  parla  ïnfiiiie  raisob ,  je  me  suis  fourni  de  ({nt- 
tité  d'axiomes  et  de  sentences piûlosophiquespoiir 
orner  ihés  disserta tiûtis,  quand  il  sera  question  ds 
^ésîe.  Car  je  n^ignoré  pas  que  c'est  un  devoir  in- 
dispensable^ peur  quiconque  aspire  à  larépota- 
tion  d'àufeuf  célèln^,  de  parler  pertinemment  de 
toutes  lès  sciences,  hors  celle  dont  il  se  mêle. 
D'arileurs,  je  ne  sens  point  du  tout  la  néceasité 
d'être  fort  savant  pour  juger  les  ouvrages  qu'oo 
nous  donne  aujourd'hui.  Ne  dirait -oU  pas  qull 
faut  avoir  lu  le  père  Pétan,  Montfitucon,  etc.,  et 
être  "profond  dans  les  mathématiques,  etc. ,  pour . 
juger  Tonzaï ,  Grigri  Angola ,  Misaponf ,  et  autres 
suUimes  productions  de  ce  siècle? 

Ma  dernière  raison,  et,  dans  le  fond  la  seuk 
dont  j  avais  besoin ,  est  tirée  de  mon  objet  même. 
Le  but  que  je  me  propose  dans  le  travail  médité 
est  do  fîHre  Faniilyse  des  ouvrages  nouveaux  qm 
paraîtront ,  d'y  joindre  mon  sen  timent ,  et  de  ooim- 
hiuniqiiér  lun  et  l'autre  au  public;  or ,  dans  tout 
2:cla  j  je  ne  vois  pas  la  moindre  nécessité  d'é^e  sa- 
vant. Juger  Sainement  et  impartialet^ent ,  lûen 
écrire ,  savoir  sa  langue  ;  ce  sont  là,  ce  me  s^nUe^ 
toutes  les  connaissances  nécessaires  en  pareil  cas  : 
mais  ces  connaissances,  qiii  est-ce  qui  se  vantée 
les  posséder  mieux  que  moi  et  à  un  plus  hamâ. 
degré?  A  la  vérité  je  ne  saurais  pas  bieo^émoatm- 
que  cela  soit  réellemé&t  tdut-à^&it  comne  )e  le 
'dis,  mais  c'est  justement  à  cause  de  cela  que  je  le 
uih)i9  encore  pltis'foxt  :  ^on  ne  pâut  trop  sôitu- 


même  oe  quon  ^eqt  -pemaaàae  aux  autres.  Sôraia- 
yi  dtM3c  le  premier  qui ,  à  foroe.de  se  croire  ua  fort 
hiihûe  homme ,  Taurait  aussi  fait  croire  au  puhUc? 
et  si  je  parvins  à  lui  donner  de  moi  une  semblable 
opimon^  qu'olie  soit  bien  ou  mal  fondée,  n'est-œ 
pas,  pour  ce  qui  me  regarde,  à  peu  près  la  même 
chose  dans  le  cas  dont  il  s'agit? 

On  ne  peut  donc  nier  que  je  ne  sois  très-fimdé 
â  m  ériger  en  Âristarquc,  on  juge  souvoirain  des 
ouvrages  nouveaux,  louant,  blâmant,  critiquante 
ma  £intaisie,  sans  que  pers<mne  soit  en  droit  de 
me  taxer  de  témérité  ^  sauf  à  tous  et  un  chacun  de 
âe  prévaloir  contre  moi  du  droit  de  représailles, 
que  je  leur  accorde  de  très^grand  cûeur,  désirant 
seulement  qu il  leur  prenne  en  gré.de  dire  du  mal 
de  moi  de  la  mdme  manière  et  dans  le  même  sens 
que  je  m  avise  d'en  dire  du  bien. 

C  est  par  ui^e  suite  de  ce  principe  d'équité  quc^ 
n'étant  point  connu  de  ceux  qui  pourraient  deye^ 
nir  mes  adversaires,  je  déclare  que  toute  critique 
<fu  observation  personnelle siorapourtoujours ban- 
nie de  mon  journal.  Ce  ne  sont  que  des  livres  que 
je  vais  examiner;  le  mot  d'auteur  ne  sera  pour 
moi  que  l'esprit  du  livre  même,  il  ne  s'étendra 
point  au-delà;  et  j avertis  positivement  que  je  ne 
m'en  servirai  jamais  dans  un  autre  seuf  :  de  sorte 
que  si,  dans  mes  jour&de  mauvaise  humeur,  il 
m'arrive  quelquefois  de  dire  :  Voilà  un  sot,  un  im- 
pertinent écrivain,  c'est  l'ouvrage  seul  qui  scr|i 
taxé  d'impcrtineoce  et  de  sottise ,  et  je  a  entende 


^  LB  PERSIFLEUR. 

Dullement  que  l'auteur  en  soit  moins  au  génie  du 
premier  ordre ,  et  peut-être  même  un  digne  acadé-, 
micien.  Que  sais-jé,  par  exemple,  si  Pon  ne  s'avi- 
sera point  de  régaler  mes  feuilles  des  épithètes 
clobt  je  viens  de  parler?  or,  on  voit  bien  d*abord 
Tjue  je  ne  cesserai  pas  pour  cela  d^être  un  homme 
de  beaucoup  de  mérite. 

Comoie  tout  ce  que  j'ai  dit  jusqu'à  présent 
paraiti'âit  un  peu  vague  ^  si  je  n  ajoutais  rien  pour 
t^xposer  plus  nettement  mon  projet  et  la  manière 
dont  je  me  propose  de  l'exécuter,  je  vais  Revenir 
.  mon  lecteur  sur  certaines  particularités  de  mon 
caractère,  qui  le  mettront  au  &it  de  ce  qu'il  peut 
s'attendre  à  trouver  dans  mes  écrits. 

Quand  Boileau  a  dit  de  l'homme  en  géné?ul 
qu'il  changeait  du  blanc  au  noir,  il  a  croqué  mon 
portrait  eu  dçux  mots,  en  qualité  d'individu.  Il 
Peut  rendu  plus  précis,  s'il  y  eût  ajouté  toutes  ks 
autres  couleurs  avec  les  nuances  intermédiaires. 
Rien  n'est  si  dissemblable  à. moi  que  moi-même; 
c'est  pourquoi  il  serait  inutile  de  tenter  de  me  dé- 
finir  autrement  que  par  cette  variété  singulière; 
«lie  est  teUe  dans  mon  espri  t,,  qu'elle  influe  de  temps 
à  autre  jusque  sur  mes  sentiment  Quelquefob  je 
suis  un  dur  et  féroce  misanthrope;  en  dTaatres 
momens,  j  entre  en  extase  au  milieu  des  charmes 
de  la  société  et  des  délices  de  l'amour.  Tant6|  ft 
suis  austère  et  dévot ,  et,  pour  le  bien  de  mon  ime^ 
|e  £ùs  tous  mes  efforts  pour  rendre  durables 
saintes  dispositions  :  mais  je  deviens  bientôt 


LE  PBRSIFLEim.  jj 

fianc  libertin;  et,  comme  je  mWcupe  alors  beau- 
coup plus  de  mes  sens  que  de  md  raison ,  je  m'abs* 
tiens  constamment  d'écrire  dans  ces  momens-lL 
C  est  sur  quoi  il  est  bon  que  mes  lecteurs  soient 
saflisamment  prévenus;  de  peur  qu'ils  ne  s'atten- 
dent à  trouver  dans  mes  feuilles  des  choses  que 
certainement  ils  n'y  verront  jamais.  En  un  mot 
on  Protée,  un  caméléon,  une  femme,  sont  des 
êtres  moins  changeans  que  moi  :  ce  qui  doit  dès 
Tabord  ôter  aux  curieux  toute  espérance  de  me 
reconnaître  quelque  jour  à  mon  caractère;  car  ils 
me  trouveront  toujours  sous  quelque  forme  parti- 
culière ,  qui  ne  sera  la  mienne  que  pendant  ce  mo- 
ment-là. £t  ils  ne  peuvent  pas  même  espérer  de 
me  reconnaître  à  ces  changemen<:;  car,  comme  11$ 
n'ont  point  de  période  fixe,  ils  se  feront  quelque- 
fois d'un  instant  à  lautre,  et,  d^autres  fois,  je  de- 
meurerai des  mois  entiers  dans  le  même  état.  C'est 
cette  irrégularité  même  qui  fait  le  fond  de  ma 
constitution.  Bien  plus,  le  retour  des  mômes  ob- 
jets renouvelle  ordinairement  en  moi  des  disposi- 
tions semblables  à  celles  ou  je  me  suis  trouvé  la 
première  fois  que  je  les  ai  vus;  c^est  pourquoi  je 
suis  assez  constamment  de  la  même  humeur  avec 
les  mêmes  personnes.  De  sorte  qu^à  entendre  sépa- 
rément tous  ceux  qui  me  connaissent,  rien  ne 
paraîtrait  moins  varié  que  mon  caractère  :  mais* 
allez  aux  derniers  éclaircissemcns,  l'un  vous  dira 
^e  je  suis  badin;  Fautre,  grave;  celui-ci  me  pren- 
dra pour  un  ignorant  ^  Uautre'pour  un  homme  £brt 


jS  tE  raiNn.Bim« 

docte  ;  m  un  mol ,  autant  de  titcs  autant  d'avis.  Je 
me  trouve  ai  bizarrement  disposé  à  cet  égard , 
qn^étant  un  jour  abordé  par  deux  personnes  k  la 
fois,  avec  Fune  desquelles  j  avais  accoutumé  délre 
^i  jusquà.  la  folie,  et  plus  ténébreux  qu'Heraclite 
avec  l'autre  7  je  me  sentis  si  puissamment  agité^ 
que  je  fus  contraint  de  les  quitter  brusquement, 
de  peur  que  le  contraste  des  passions  opposées  ne 
me  fit  tomber  en  syncope. 

Avec  tout  cela>  à  force  de  m  examiner,  je  nai 
pas  laissé  que  de  démêler  en  moi  certaines  disp^ 
sitious  dommautes  et  certains  retours  presqne  pé- 
riodiques qui  seraient  difficUes  à  remarquer  à  tout 
autre  qu*i  Tobservatenrie  plus  attentif,  en  on  mot 
qu'à  moi-même  :  c  est  à  peu  près  ainsi  que  toutes 
les  vicis»itydes  et  les  irr^ularités  de  Tair  n'empè- 
dktni  pas  que  les  marins  et  les  habitans  de  la  catn* 
pagne  n'y  aient  remarqué  quelques  circonstances 
annuelles  et  quelques  phénomènes^  qu^ils  ont  ré- 
duits ea  règle  pour  pi^ire  à  peu  près  le  temps 
qu  il  fera  daiis  certaines  sabons.  Je  suis  sujet,  par 
exemple  y  à  deux  dispositions  principales,  <pii 
changent  asse?  coiiî^lammcnt  de  huit  en  huit 
jours,  et  que  j  appelle  tncs  âmes  hebdo:nadatres  : 
par  lunô ,  je  n^,  trouve  sagement  fou  ;  par  Tautrc, 
follement  sage;  mais  de  telle  manière  pourtant 
que,  la  folie  remportant  sur  la  sagesse  dans  l'un 
et  dans  l'auti^  cas,  elle  a  surtout  manifestement 
le  dessus  dans  la  semaine  où  jd  m  appelle  sage; 
<sr  alors  le  fond  de  toutes  les  oalièros  que  f 


LE  PCMIfXEim,  ^ 

tnite^  opiel^e  raisonnable  qu'il  puisse  être  en 
loi,  se  trouve^  presque  entièrement  absorbe  par 
les  futBitéa  et  les  extravagances  août  j  ai  toujours 
soin  de  rha])illcr.  Ponr  mou  àme  folle,  ci  le  est 
bien  pimsi  sage  que  cela; car,  bien  qu'elle  tire  ton* 
jours  de  son  propre  fonds  le  texte  sur  lequel  elle 
argumente,  elle  met  t^nt  dWt,  tant  d'ordre,  et 
tant  de  force  dans  ses  raisonnemcns  et  dans  ses 
preuves,  qu*uae  folie  ainsi  déguisée  ne  diffère 
preque  en  rien  de  la  sagesse.  Sur  ces  idées ,  que  je 
garantis  justes,  ou  k  peu  près,  je  trouve  un  petit 
problème  h  proposer  à  mes  lecteurs,  et  je  les  prie 
de  vouloir  bien  décider  laquelle  c'est  de  mes  deux 
Ames  qui  a  dicté  cette  fouille. 

Qu'on  ne  s  attende  doue  point  è  ne  voir  ici  qu^ 
de  sages  et  graves  dissertations  :  on  v  en  verra 
sans  doute;  et  où  serait  la  variété?  Mais  je  ne  ga- 
rantis point  du  tout  qu  au  'milieu  de  la  plus  pro- 
fonde métaphysique  il  ne  me  prenne  tout  d'un 
coup  une  saillie  extravagante ,  et  qu  emboîtant 
mon  lecteur  dans  llcosaëdre  de  Bei^erac ,  je  ne 
le  transporte  tout  dm  coup  dans  la  lune,  tout 
comme,  à  propos  de  rArioste  et  de  l'Hippocriffe, 
|e  pourrais  fort  bien  lui  citer  Platon ,  Locàe  ou 
Malebrauche. 

Au  reste  y>toutes  matières  seront  de  ma  compor 
tence  :  j'étends  ma  juridiction  indistinctement  sur 
tout  ce  qui  sortira  de  la  presse  ;  je  m'arrogeriii 
mfinie ,  quand  le  cas j  écherra,  le  droit  de  révision 
fiir  les  jugemetts  de  mes  couirères  ;  et ,  mm  non- 


8o  LE  PERSIFLEUR. 

lent  de  me  soumettre  toutes  les  impiimmes  da 
France,  je  me  propose  aussi  de  faire,  de  temps  en 
temps,  de  bonnes  excursions  hors  du  royamne,  et 
de  me  rendre  tributaires  dltalie,  la  Hollande,  et 
môme  FAngleterre,  chacune  à  son  tour,  promet- 
tant, foi  de  voyageur,  la  véracité  la  plus  eiacte 
dans  les  actes  qiie  j^en  rapporterai. 

Quoique  le  lecteur  se  soucie  sans  doute  àssti 
peu  des  détails  que  je  lui  fais  ici  de  moi  et  de  moa 
caractère,  j'ai  résçlu  de  ne  pas  lui  en  &ire  grâo; 
d'une  seule  ligne  ;  c^est  autant  pour  son  profit  qne 
pour  ma  commodité  que  j'en  agis  ainsi.  Après 
avoir  commencé  par  me  persifler  moi-même, 
j  aurai  tout  le  temps  dé  persifler  les  autres  ;  j'oo- 
vrirai  les  yeux ,  jécrirai  ce  que  je  vois ,  et  Fod 
trouvera  que  je  me  serai  assez  bien  acquitté  de 
ma  tâche. 

Il  me  reste  à  faire  excuse  d'avance  aax  autenn 
que  je  pourrais  maltraiter  k  tort,  et  au  public.de 
tous  les  éloges  injustes  que  je  pourrais  donner  aui 
ouvrages  qu  on  lui  présente  ;  ce  ne  sera  jamab 
volontairement  que  je  commettrai  de  pareilles 
erreurs.  Je  sais  que  Hmpartialité  dans  un  îoum.^* 
liste  ne  sert  qu'à  lui  faire  des  ennemis  de  tdtis  les 
auteurs,  pour  n'avoir  pas  dit,  au  gré  de  chacun 
d'eux ,  assez^dé  bien  de  lui ,  ni  assez  de  mal  de  se? 
confirèrcs^  ccst  pour  cela  que  je  veux  tou)oiin 
rester  inconnu.  Ma  grande  folie  est  de  Touloir  ix 
consulter  que  la  raison  et  de  ne  dire  que  la  vériie. 
dfi  sorte  que,  suivant  l'étendue  de  mes  lomière» 


LE  PERSIFLEUR.  8l 

et  la  disposition  de  mon  esprit ,  on  pourra  trouver 
en  moi,  tantôt  un  critique  plaisant  et  badin,  tan-< 
tôt  un  ceaseur  sévère  et  bouiru,  non  pas  un  sati- 
rique amer  ni  un  puéril  adulateur.  Les  jugemens 
peuvent  être  faux^  mais  le  juge  ne  sera  jamais 
inique. 


Là  REINE  FANTASQUE. 


CONTE. 


tm 


Il  y  avait  autrefois  nn  roi  qui  aimait  son  peu- 
ple.... Cela  commence  comme  un  conte  de  fée , 
interrompit  le  druide.  C  en  est  un  aussi  y  répondit 
Jalamir.  II  y  avait  donc  un  roi  qui  aimait  son  peu- 
ple, et  qui,  par  conséquent,  en  était  adoré.  Il 
avait  fait  tous  ses  efforts  pour  trouver  des  mi- 
nistres aussi  bien  inlealî^Bnés  que  lui  ;  mais , 
ayant  enfin  reconnu  la  folie  d*nne  pareille  recher- 
che ,  il  avait  pris  le  pard  de  faire  par  lui-même 
toutes  les  choses  qu^il  pouvait  dcrolier  à  leur  mal- 
faisante activité.  Comme  il  était  fort  entête  du 
bizarre  projet  de  rendre  ses  sujets  heureux ,  il 
agissait  en  conséquence;  et  une  conduite  si  sinpi- 
iière  lui  donnait  parmi  les  grands  un  ridicule 
ineffaçable.  Le  peuple  le  bénissait;  mais,  à  la 
cour,  il  passait  pour  un  fou.  Â  cela  près,  il  ne 
manquait  pas  démérite  :  aussi  s\appelait-il  Phénix, 

Si  ce  prince  était  extraordinaire,  il  avait  une 
femme  qui  l'était  moins.  Vive ,  étourdie,  capri- 
cieuse, folle  par  la  tétc,  sage  par  le  cœur,  honne 
par  tempérament,  méchante  par  caprice;  voifâ, 
en  quatre  mots,  le  portrait  de  la  reine.  Fauttisque 
était  son  nom  ;  nom  célèbre  qu^ellc  avait  reçu  de 


L4  REmE  FAtrrASQlTE.  83 

ses  ancfitres  en  ligne  féminine,  et  dont  elle  soute- 
naît  dignement  1  honneur.  Cette  personne  si  illus- 
tt*e  et  si  raisonnable  était  le  charme  et  le  supplice 
de  son  cher  ëpoux  ;  car  elle  Taimait  aussi  fort  sinr 
cèrement,  peut-être  â  cause  de  la  facilité  quelle 
avait  &  le  tourmenter.  Malgré  ramour  réciproque 
qui  régnait  entre  cux^  ils  passèrent  plusieurs  an- 
nées sans  pouvoir  obtenir  aucun  fruit  de  leur 
union.  Le  roi  en  éi^ut  péuéU^  de  chagrin,  et  la 
reine  s'en  mellak  dans  des  impatiences  dont  ce 
bon  .prince  ne  se  ressentait  pas  tout  seul  :  elle  s'en 
prenait  à  tout  le  monde  de  ce  qu'elle  n^avait  point 
d'eu  fans.  H  n'y  avait  pas  un  courtisan  à  qui  elle 
ne  demandât  ctourdiineut  quelque  secret  pour 
en  avoir,  et  qu  cHc  ne  rendit  responsable  du  mau- 
vais succès. 

Les  médecins  ne  furent  point  oubliés;  car  la 
rrine  avait  pour  eux  une  docilité  peu  commune^ 
3l  ils  n'ordonnaient  pas  une  drogue  qu'elle  ne  fit 
jréparer  très-soigneus.?meDt .  pour  avoir  le  plaisir 
le  la  leur  jeter  au  ne^  à  linstant  qu'il  la  fallait 
>rendre.  Les  derviches  eurent  leur  tour;  il  £illut 
ccourir  aux  neuvaines^  aux  vœux ,  surtout  aux 
•flrând<es.  Et  malheur  aux  desservans  des  temples 
il  sa  tnajcslé  allait  en  pèlerinage  !  elle  fourrageait 
out;  et,  sous  prétexte  d  aller  respirer  un  air  pro- 
!fiquc  y  elle  ne  manquait  jamais  de  mettre  sens 
ùssus  dessous  toutes  les  cellules  des  moines.  Elle 
oxtah  aussi  leuts  reliques,  et  s'affublait  alterner* 
Vetnen't  de  tous  leurs  différens  équipages  :  tânl6| 


84  l'A  HEINE  FANTASQUE. 

c  était  an  cordon  blanc ,  tantôt  une  cantate  de 
cuir,  tantôt  un  capnchon,  tantôt  un  scapulaire; 
il  ny  avait  sorte  de  mascarade  monastique  dont 
sa  dévotion  ne  s'avisât  ;  el  comme  elle  avait  on 
petit  air  éveille  qui  la  rendait  charmante  sous  ces 
déguisemens,  elle  n'en  quittait  aucun  sans  avoir 
eu  soin  de  s'y  faire  peindre. 

Enfin,  à  force  de  dévotions  si  bien  faîtes,  à  fora 
de  médecines  si  sagement  employées,  le  ciel  et  k 
terre  exaucèrent  les  vœux  de  la  reine;  elle  devint 
grosse  au  moment  qu'on  commençait  à  en  déses- 
pérer. Je  laisse  à  deviner  la  joie  du  roi  et  ceQe  da 
peuple.  Pour  la  sienne ,  elle  alla,  comme  toutes  ses 
passions,  jusqu'à  l'extravagance  :  dans  ses  trans- 
ports, elle  cassait  et  brisait  tout;  elle  embrassait 
indifféremment  tout  ce  qu'elle  rencontrait,  hom- 
mes, femmes,  courtisans,  valets  :  c'était  risqua 
de  se  faire  étouflfer  que  se  trouver  sur  son  passage. 
Elle  ne  connaissait  point,  disait-«lle,  de  ravisse- 
ment pareil  à  celui  davoîr  un  enfant  à  qui  e!!e 
pût  donner  le  fouet  tout  à  son  aise  daqs  ses  mo- 
jncns  de  mauvaise  humeur. 

Comme  la  grossesse  de  la  reine  ayalt  été  lon^ 
temps  inutilomcnt  attendue ,  elle  p^sâ^ait  pour  un 
de  ces  événemcus  extraordinaires  dont  tout  k 
monde  veut  avoir  riionneur.  Les  médecins  Tatth- 
huaient  à  leurs  drogues ,  tc$  moines  à  leurs  reli- 
ques, le  peuple  à  ses  jirières,  ctle  roi  à  son  amour. 
Chacun  s'intéressait  a  Fenfant  qui  devait  naître^ 
comme  si  c'eût  été  le  sien ,  et  tous  Cuisaient  dû 


lA  RBIirE  FANTASQVS.  85 

i^oeux  sincères  pour  l'heureuse  naissance  du  prince, 
Ccir  on  eu  voulait  un;  et  le  peuple,  les  grands  et 
le  roi,  réunissaient  leurs  désirs  sur  ce  point.  La 
reine  trouva  fort  mauvais  qu'on  s  avisât  de  lui 
presaire  de  qui  elle  devait  accoucher,  et  déclara 
qu  elle  prétendait  avoir  urc  fille,  ajoutant  qu^l  lui 
paraissait*  assez  singulier  que  quelqu'un  osât  lui 
disputer  le  droit  de  disposer  d^un  bien  qui  n'ap* 
parteuait  incontestablement  qu'à  elle  seule. 

Phénix  voulut  en  vain  lui  faire  entendre  raison  : 
elle  lui  dit  nettement  que  ce  n'était  point  là  ses 
affaires,  et  s'enferma  dans  son  cabinet  pour  bou- 
der; occupcVion  chérie  à  laquelle  elle  employait 
ré^lièrement  au  moins  six  mois  de  l'année.  Je  dis 
SIX  mois,  non  de  suite,  c'eût  été  autant  de  repos 
pour  son  mari,  mais  pris  dans  des  intervalles  pro« 
près  à  le  chagriner. 

Le  roi  comprenait  fort  bien  que  les  caprices  de 
hx  mère  ne  détermineraient  pas  le  sexe  de  Fenfiint  ; 
mais  il  était  au  désespoir  qu  elle  donnât  ainsi  ses 
travers  en  spectacle  à  toute  la  cour.  Il  eût  sacrifié 
tout  au  monde  pour  que  Tcstime  universelle  eût 
justifié  lamour  qu-il  avait  pour  elle;  et  le  bruit 
qu'il  fit  mal  à  propos  en  cette  occasion  ne  fut  pas 
la  seule  folie  que  lui  eût  fait  &irc  le  ridicule  espoix 
de  rendre  sa  femme  raisonnable. 

Ne  sachant  plus  à  quel  saint  se  vouer,  il  eut 
recours  à  la  fée  Discrète  son  amie,  et  la  protectrice 
de  son  royaume.  La  fée  lui  conseilla  de  prendx» 
les  voies  de  la  douceur^  c'cstrà-dire ,  de  dcmandev 


/ 


86  £A  rams  fa^tasqvs. 

excuse  &  ia  reine.  Le  seul  but,  lui  dH-dle,  d» 
toutes  les  fiintaisies  des  femmes  est  de  désorienter 
OD  pou  la  morgue  masculine ,  et  d'accontamer  lei 
hommes  à  Tobéissance  qui  leur  coDTÎent.  Le  meil- 
ieur  moyen  que  vous  ayez  de  guérir  les  extravah 
igances  de  yot^  femme  est  d'extrayaguer  arec  elk. 
Dès  le  moment  que  vous  cesserez  de  contrarier  ses 
caprices,  assurez-vous  qu'elle  cessera  d'en  aToir,   . 
et  qu  elle  n'attend,  pour  devenir  sage,  que  de  vous 
avoir  rendu  bien  compiétemeot  fou.  Faites  dont 
tes  choses  de  bonne  grâce,  et  tâchez  de  céder  en 
cette  occasion, pour  obtenir  tout  ce  que  vous  vou- 
drez dans  une  autre.  Le  roi  crut  la  fée;  et,  pour 
se  conformer  à  son  avis,  s'étant  rendu  au  cercle 
de  h.  reine,  il  ia  prit  à  part,  lui  dit  tout  bas  qu'à 
était  fiché  d'avoir  contesté  contre  elle  mal  à  pro> 
pos,  et  qu'il  tâcherait  de  la  dédommager  à  ravenîr, 
par  sa  comp'0isance,  de  l'humeur  qu'il  pouvait 
avoir  mise  dans  ses  discours  en  disputant  impoli- 
ment contre  elle. 

Fantasque ,  qui  craignit  que  la  douceur  de 
Phénix  ne  la  couvrit  seule  de  tout  le  ridicule  de 
cette  aiTaire,  se  hâta  de  lui  fépondre  que  sous  cette 
excuse  ironique  elle  voyait  encore  plus  d^oi^ueS 
que  dans  les  disputes  précédentes;  mais'que,  puî^ 
que  les  torts  d  un  mari  n^autorisaient  point  ceux 
d'une  femme ,  die  se  hâtait  de  céder  en  cette  oo 
casion  comme  elle  avait  toujours  fait.  Mod  prince 
et  mon  époux,  ajout a-t-dle  tout  haut,  m'ordon 
d'accoucher  d'un  garçon,  et  je  sais  trop  bien 


tk  RBIHE  WÂVTAsqVZ,  8jr 

dervoir  pour  manquer  d  obéir.  Je  nlgnore  pas  ^qa 
^piand  sa  majesté  m'honore  des  marques  de  sa  ten- 
dresse,  cest  moins  pour  l'amour  de  moi  que  pour 
odui  de  son  puple,  dont  Fintérét  ne  Toccupe 
guère  moins  la  nuit  que  le  jour;  je  dob  imiter  un 
fii  noble  désintéressement^  et  je  vais  demandée 
au  divan  un  mémoire  instructif  du  nombre  et  du 
sexedesenÊinsqui  conviennent  à la&mille royale; 
mémoire  important  au  bonheur  de  l'état ,  et  sut 
lequel  toute  reine  doit  apprendre  à  régler  sa  con- 
duite pendant  la  nuit. 

Ce  beau  soliloque  fut  écouté  de  tout  le  cercle 
avec  beaucoup  d'attention,  et  je  vous  laisse  à  pen- 
ser combien  d'éclats  de  rire  furent  assez  maladjx)!- 
tement  étouÛës.  Âh!  dit  tristement  le  roi  en  sor- 
tant et  haussant  les  épaules ,  je  vois  bien  que| 
quand  on  a  une  femme  foUe,  on.  ne  peut  éviter 
d^ètre  un  sot 

La  fée  Discrète  j  dont  le  sexe  et  le  nom  contras- 
taient quelquefois  plaisamment  dans  son  carao 
tère,  trouva  cette  querelle  si  réjouissante,  quelle 
résolut  de  s'en  amuser  jusqu'au  bout  Elle  dit  pu- 
bliquement au  roi  qu'elle  avait  consulté  les  co- 
mètes qui  président  à  la  naissance  des  princes ,  ef 
^'elle  pouvait  lui  répondre  que  Icn&nt  qui  naK 
trait  de  lui  serait  un  garçon  ;  mais  en  seocet  elle 
assura  la  reine  qu'elle  aurait  une  fiUc. 

Cet  avis  rendit  tout  à  coup  Fantasque  aussi 
raisonnable  qu  elle  avait  été  capricieuse  jusqaar 
lors.  Ce  fut  avec  une  douceur  et  une  complaisance 


83  t\  REITTE  FANTASQUE. 

infinies  quelle  prit  toutes  les  mesures  possibles 
poiur  désoler  le  roi  et  toute  Li  cour.  Elle  se  hâta 
de  faire  faire  une  layette  des  plus  superbes,  affec- 
tant de  la  rendre  si  propre  à  un  garçon,  qu'elle 
devint  ridicule  à  une  lillc;  il  fallut,  dans  ce  des- 
i$ein,  chan;;er  plusieurs  modes;  mais  tout  cela  ne 
lui  coûtait  rien.  Elle  fit  préparer  un  beau  collier 
de  Tordre,  tout  brillant  de  pierreries,  et  voufut 
absolument  que  le  roi  nommlt  dWance  le  gou- 
verneur et  le  préccptem*  du  jeune  prince. 

Sitôt  qu^elIe  fut  sûre  d avoir  uae  fille,  elle  ne 
parla  que  de  son  fils,  et  n^omit  aucune  des  précau- 
tions inutiles  qui  pouvaient  faire  oublier  celles 
qu'on  aurait  dû  prendre.  Elle  riait  aux  éclats  en 
se  peignant  la  contenance  éi^onnée  et  béte  qu*au- 
raient  les  grands  et  les  magistrats  qui  devaient  or- 
ner ses  couches  de  leur  présence.  11  me  semUe, 
disait-elle  i  la  fée ,  voir  d'un  côté  notre  vénérable 
chancelier  arborer  de  grandes  lunettes  pour  véri- 
fier le  sexe  de  Teufant ;  et  de  lautre ,  sa  sacrée  ma- 
jesté baisser  les  yeux  et  dire  en  balbutiant  :  «  Je 
c(  croyais....  la  fée  m'avait  pourtant  dit....  Mes- 
c(  sieurs,  ce  n'est  pas  ma  faute  ;  »  et  d'autres  apoph- 
thegmes  aussi  spirituels,  recueillis  par  les  savans 
de  la  cour,  et  bientôt  portés  jusqu  aux  extrémités 
des  Indes. 

Elle  se  représentait  avec  un  plaisir  malin  k 
désordre  et  la  concision  que  ce  merveilleux  évé- 
nement allait  jeter  dans  toute  l'assemblée.  Elle  se 
figurait  d'avance  les  disputes,  Tagitation  de  toute» 


LA  REIKE  FAlfTASQVE.  8g 

tes  dames  du  palais,  pour  réclamer,  ajuster ,  con- 
cilier en  ce  moment  imprévu,  les  droits  de  leurs 
importantes  charges,  et  toutq  la  cour  en  mouye- 
ment  pour  un  béguin. 

Ce  fat  aussi  dans  cette  occasion  qu'elle  inventa 
le  décent  et  spirituel  usage  de  faire  haranguer  par 
les  magistrats  en  robe  le  prince  nouveau  né.  Phé- 
nix voulut  lui  représenter  que  c'était  avilir  la  ma- 
gistrature à  pure  perte,  et  jeter  un  comique  ex- 
travagant sur  tout  le  cérémonial  de  la  cour,  que 
d^aller  en  grand  appareil  étaler  du  phébus  à  un 
petit  marmot  avant  qu  il  le  pût  entendre,  ou  du 
moins  y  répondre. 

Eh  !  tant  mieux  !  reprit  vivement  la  reme,  tant 
mieux  pour  votre  fils!  Ne  serait-il  pas  trop  heu- 
reux que  toutes  les  bêtises  qu'ils  ont  à  lui  dire  fus- 
sent épuisées  avant  qu'il  les  entendît?  et  voudricz- 
vous  qu  on  lui  gardât  pour  Tâge  de  raison  des  dis- 
cours propres  à  le  rendre  fou?  Pour  Dieu,  laissez^ 
les  haranguer  tout  leur  bien-aise,  tandis  qu  on  est 
sûr  qu'il  n'y  comprend  rien ,  et  qu'il  en  a  l'ennui 
de  moins  :  vous  devez  savoir  de  reste  qu  on  n'en 
est  pas  toujours  quitte  à  si  bon  marché.  11  eu  fal- 
lut passer  parla*,  et,  de  Tordre  exprèsdesa  majesté, 
tes  présidons  du  sénat  et  des  académies  commen- 
cèrent à  composer,  étudier,  raturer,  et  feuilleter 
leur  Vaumorière  et  leur  Démosthèue^'  pour  ap- 
prendre à  parler  à  un  embryon. 

Enfin  le  moment  critique  arriva.  La  reine  sen- 
tît les  premières  douleurs  avec  des  transports  de 

». 


91  la:  reine  fAîTTASQUB. 

diaide;  je  ne  les  cônnaitrai  que  trop  parleurs  ac- 
tions :  &is-les  donc  agir  si  ton  histoire  a  besoin 
d  eax,  et  n'en  dis  mot  s'ils  sont  inutiles  :  je  ne  rem 
point  d'autres  portraits  que  les  £iits.  Puisqu'il  d^ 
a  pas  moyen ,  dit  Jalamir ,  d  égayer  mon  récit  pr 
on  peu  de  métaphysique,  j'en  vais  tout  bêtemeot 
reprendre  le  fil.  Mais  conter  pour  conter  est  dan 
ennui. . .  Vous  ne  sayez  pas  combien  de  belles  cho- 
3es  you5  allez  perdre.  Âidez>moi,  je  tous  pîe,  à 
me  retrouver,  car  lessentiel  m'a  tellement  em- 
porté, que  je  ne  sais  plus  à  quoi  j'en  étais  du 
conte. 

A  cette  reine,  dit  le  druide  impatienté,  que  tu 
as  tant  de  peine  à  faire'accouchèr ,  et  avec  laquelle 
tu  me  tiens  depuis  une  heure  en  travail.  Oh!  oh! 
reprit  Jalamir ,  croyez* vous  que  les  enËins  des  rois 
se  pondent  comme  des  œu&  de  grives?  Vous  allez 
voir  si  ce  n'était  pas  bien  la  peine  de  pérorer.  La 
reine  donc ,  après  bien  des  cris  et  d^  ris ,  lira  eu- 
fin  les  curieux  de  peine  et  la  fée  d'intrigue^  eo 
miettant  au  jour  une  fille  et  un  garçon  plus  beaui 
que  la  lune  et  le  soleil ,  et  qui  se  ressemblaient  à 
fort  qu'on  avait  pcinj  à  les  distinguer,  ce  qui  fit 
que  dans  leur  eniance  on  se  plaisait  à  les  habilkr 
de  même.  Dans  ce  moment  si  désiré,  ic  roi,  sor- 
tant  de  la  majesté  pour  se  rendre  à  la  natare  «  fit 
des  extravagances  qu'en  d'autres  temps  il  n'eût  pa? 
laissé  Élire  à  la  reine  ;  et  le  plaisir  d'avoir  des  en- 
fans  le  rendait  si  enfant  lui-même,  qu'il  conmt 
fOr  son  balcon  crier  à  pleine  tète  :  «  Mes  amis* 


LA  REnrE  FANTASQUE.  q3 

k  rëjouissez-^vous  toas;  il  vient  de  me  naître  nn 
ce  fils,  et  à  vous  un  pere ,  et  une  fille  à  ma  femme.  » 
La  reine ,  qui  se  ttouyait  pour  la  première  fois  de 
sa  vie  à  pareille  fête,  ne  s^aperçut  pas  de  tout  lou* 
vrage  qu  elle  avait  fait,  et  la  fée,  qui  connaissait 
son  esprit  fantasque,  se  contenta,  conformément 
à  ce  qu'elle  avait  désiré,  de  lui  annoncer  d'ahord 
une  fille.  La  reine  se  la  fit  apporter,  et,  ce  qui 
surprit  fort  les  spectateurs,  elle  l'embrassa  tendie- 
tocnt  à  la  vérilf ,  mais  les  larmes  aux  yeux,  et  avec 
Un  air  de  tristesse  qui  cadrait  mal  avec  celui  qu^ello 
avait  eu  jusqu'alors.  J'ai  déjà  dit  qu'elle  aimait 
sincèrement  son  époux  :  elle  avait  été  touchée  de 
l'inquiétude  et  de  l'attendrissement  qu'elle  avait 
lu  dans  ses  regards  durant  ses  souffrances.  E4e 
avait  fait,  dans  un  temps,à  la  véritésingulièremeot 
choisi,  des  réflexions  sur  la  cruauté  qu  il  y  avait  à 
désoler  un  ûiari  si  bon;  et,  quand  on  lui  présenta 
sa  fille ,  elle  ne  songea  qu  au  regret  qu'aurait  le  roi 
de  n'avoir  pas  un  fils.  Discrète,  à  qui  l'esprit  de 
son  sexe  et  le  don  de  féerie  apprenait  à  lire  facile- 
ment dans  les  cœurs,  pénétra  sur-le-champ  ce  qui 
se  passait  dans  celui  de  la  reine;  et,  n'ayant  plus 
de  rabon  pour  lui  déguiser  la  vérité,  elle  fit  ap- 
porter le  jeune  prince.  La  reine,  revenue  de  sa 
surprise,  trouva  Icxpédient  si  plaisant  qu  elle  eu 
.fit  des  éclats  de  riie  dangereux  dans  Fétat  où  elle 
était.  Elle  se  trouva  mal.  On  eut  beaucoup  de 
peine  à  la  &ire  revenir;  et ,  si  la  fée  n  eût  répomlu 
de  sa  vie,  la  douleur  la  plus  vive  allait  succède 


&K 


V 


1)4  XX  REIKE  VÀlïTA^US. 

aux  transports  de  joie  dans  le  coeur  da  roi  et  sur 
les  visages  des  courtisans.  , 

Mais  voici  ce  ^'il  y  eut  de  plus  slngidier  4âiis 
toute  cette  avealure  :  le  regret  sincère  qu'avak  la 
rcme  d'avoir  tourmentié  son  mari  lui  fit  prenore 
une  affection  plus  vive  pour  le  jeune  prince  que 
pour  sa  sœur;  et  le  roî,  de  sou  côté,  qui  adorait 
la  reine^  marc^ua  ki  même  préférence  k  h  fille 
(ju  elle  avait  souhaitée.  Les  caresses  indirectes  que 
ces  deux  uniques  époux  se  Ëûsaicnt  ainsi  l'un  i 
1  autre  devinrent  bientôt  un  goût  très-décidé,  et 
la  reine  ne  pçuvait  non  plus  se  passer  de  son  fiU 
quç  le  roi  de  sa^lc. 

Ce  dotible  cvénemenl  fit  un  grand  plaisir  à 
tout  h  peuple,  et  le  rassura  du  moins  pour  on 
temps  sur  la  frayeur  de  manquer  de  maîtres.  Les 
esprits  forts  qui,'s^étaient  moiqués  des  promesses 
de  la  fée,  furent  moqués  à  leur  tour  ;  mais  ils  ne 
se  tinrent  pas  pour  battus,  disant  qu'ils  n accor- 
daient pas  même  à  b  fée  rinfiullibilité  du  men- 
songe, ni  à  ses  prédictions  la  vertu  de  rendre  in»- 
possibles  les  choses  qu'elle  annonçait  :  daatres« 
Fondés  siu*  la  prédilection  qui  commençait  à  se 
déclarer  ^  poussèrent  l'impudence  jusqu'à  sou- 
tenir qu  en  donnant  un  fils  à  Liureine  et  uue  fille 
au  roi ,  Tévénemcnt  avait  de  tout  point  démenù 
la  prophétie. 

Tan  Ais  que  tout  se  disposait  pour  la  pompe  du 
baptême  des  deux  nouveaux-nés ,  et  que  Torgoeii 
humain  se  préparait  à  briller  humblemeni  aux 


IiA  HfiffiE  FAIVTASQirE,  g$ 

autels  des  dieux. ^.  Un  moment,  interroiapit  1q 
druide;  tu  me  brouilles  dune  terrible  £içon.  Ap* 
prends-moi ,  je  te  prie ,  en  quoi  lie u  nous  sommes^ 
D*cd)ord ,  pour  rendre  la  reine  enceinte ,  tu  la  pri^h 
menais  parmi  des  reliques  et  des  capuchons;  après 
cela  tu  nous  as  tout  à  coup  fait  passer  aux  Indea; 
à  présent  tu  viens  me  jparlcr  du  baptême,  et  pois 
des  ant(^}s  des  dieux.  Par  le  grand  Thamiris!  je  ne 
sais  phis  si ,  dans  la  cërcmonic  (pie  tu  prépares, 
nous  allons  adorer  Jupiter,  la  bonne  vierge,  on 
Mahomet.  Ce  n'est  pas  qu'à  moi,  druide,  il  m'im- 
porte Ijcaucoup  que  tes  deux  l)amkins  soient  bap- 
tisés ou  circoncis;  mais  encore  £iutril  observer  le 
costume ,  et  ne  pas  m'exposer  à  prendre  un  éyé- 
que  pour  Je  muphti,  et  le  iVIissèl  pour  rAlcoran. 
Le  grand  malheur!  lui  dit  Jalamir  :  d'aussi  fins 
que  vous  s^y  tromperaient  bien.  Dieu  garde  de 
mal  tous  les  prélats  qui  ont  des  sérails  et  prennent 
pour  de  Tarabe  le  latin  du  bréviaire!  Dieu  fasse 
paix  à  tous  les  honnêtes  cafards  qui  suivent  l'in- 
tolérance du  prophète  de  la  Mecque ,  toujours 
prêts  à  massacrer  saintement  le  genre  humain 
pour  la  plus  grande  gloire  du  Créateur!  Mais  vous 
devez  vous  ressouvenir  que  nous  sooiniçs  dans 
un  pays  de  fée ,  oii  l'on  n'envoie  personqe  en 
eniêr  pour  le  bien  de  son  dme,  où  Ton  ne  s'avisi) 
point  de  regarder  au  prépuce  des  gens  pour  les 
damner  on  les  absoudre ,  et  oix  la  mitre  et  le  tur- 
han  vert  couvrent  également  les  tètes  sacrées^ 


g6  LA  K^IVE  FAIVTASQUB. 

pour  servir  de  signalement  aux  yeux  des  sages  et 
do  parure  à  ceux  des  sots. 

Je  sais  bien  que  les  lois  de  la  géographie,  qui 
règlent  toutes  les  religions  du  monde,  veulent  que 
les  deux  nouveaux-nés  soient  musulmans;  mais 
on  ne  circoncit  que  les  mâles ,  et  j'ai  besoin  qm 
mes  jumeaux  soient  adminbtrés  tous  deux;  ainsi 
trouvez  bon  que  je  les  baptise.  Fais,  fais,  dit  le 
druide;  voilà ,  foi  de  prêtre ,  un  choix  le  mieux 
motivé  dont  j'aie  entendu  parler  de  ma  vie. 

La  reine ,  qui  se  plaisait  à  bouleverser  toQlc 
étiquette,  voulut  se  levci  au  bout  de  six  jours,  et 
sortir  le  septième,  sous  prétexte  qu'elle  se  porUÀ 
bien.  En  effet,  elle  nourrissait  ses  en&ns  :  exemple 
odieux ,  dont  toutes  les  femmes  lui  représentèrent 
très-fortement  les  conséquences.  Mais  Fantasqur, 
qui  craignait  les  ravages  du  lait  répandu,  soutbl 
qu'il  u  y  a  point  de  temps  plus  perdu  pour  le  plai- 
sir de  la  vie  que  celui  qui  vient  après  la  mort ,  <pe 
le  sein  d'une  femme  moi  le  ne  se  flétrit  pas  moins 
que  celui  d'une  nourrice ,  ajoutant  d'un  ton  it 
duègne  qu'il  uy  a  point  de  si  belle  gorge  aux  yeai 
d  un  mari  que  celle  d  une  mère  qui  nourrit  se 
enfans.  Cette  intervention  des  maris  dans  de 
soins  qui  les  regardent  si  peu  fit  beaucoup  rire  Ws 
dames;  et  la  reine,  trop  jolie  pour  Tétre  impuni 
ment ,  leur  parut  dès-lors ,  malgré  ses  càpric». 
presque  aussi  ridicule  que  son  époux ,  qu'elles  ap 
pelaient  par  dérision  le  bourgeois  de  Vamgirar^ 

Je  te  vois  venir ,  dit  aussitôt  le  druide^  ta  yob 


'£A  RBIKE  FANTASQUE,  ^ 

drais  me  donner  insensiblement  le  rAIe  de  Schah* 
Bahan ,  et  me  faire  demander  sll  y  a  aussi  uti 
Vaugirard  aux  Indes  comme  un  Madrid  au  bois 
de  Boulogne,  un  Opéra  dans  Paris,  et  un  philo- 
sophe à  la  cour.  Mais  poursuis  ta  rapsodie,  et  ne 
me  tends  plus  de  ces  pièges;  car  n étant  ni  marié, 
uî  sultan ,  ce  nW  pas  la  peine  d'être  un  sot. 

Enfin,  dit  Jalamir  sans  répondre  au  druide, 
tout  étant  prêt ,  le  jour  ftit  pris  pour  ouvrir  les 
portes  du  ciel  aux  deux  nouveaux-nés.  La  fée  se 
lendit  de  bon  matin  au  palais,  et  déclara  aux 
augustes  époux  quelle  allait  faire  à  chacun  dp 
leurs  enfans  un  présent  digne  de  leur  naissance  et 
de  son  pouvoir.  Je  veux,  dit-elle,  avant  que  l'eau 
magique  les  dérobe  à  ma  protection ,  les  enrichir 
de  mes  dons  et  leur  donner  des  noms  plus  effica- 
ces que  ceux  de  tous  les  pieds-plats  du  calendrier , 
puisqu'ils  exprimeront  les  perfections  dont  j'aurai 
soin  de  les  douer  en  même  temps;  mais,  comme 
vous  devez  connaître  mieux  que  moi  les  qualités 
qui  conviennent  au  bonheur  de  votre  famille  et 
de  vos  peuples,  choisissez  vous-mêmes,  et  faites 
ainsi  d'un  seul  acte  de  volonté  sur  chacun  de  vos 
deux  enfans  ce  que  vingt  ans  d'éducation  font 
rarement  dans  la  jeunesse ,  et  que  la  raison  ne  Ëiit 
plus  dans  un  .'}ge  avancé. 

Aussitôt  grande  altrTcation  entre  les  deux 
époux.  La  reine  prétendait  seule  régler  à  sa  ikh» 
taisie  le  caractère  d^  toute  sa  famille;  et  le  bon 
prince,  qui  srptatt  toute  1  importance  d'po  pareil 

M-'i*»::''!.  ^  Q 


TOO  Z.A  RBimS  FAifTASQUE. 

bon  roi,  partage  qui  ne  paraissait  pas  des  mienx 
«nteadus,  mais  sur  lequel  on  ne  pouvait  plus  r^ 
venir.  Le  plaisant  fut  que  l'amour  mutuel  des 
deux  époux  agissant  en  cet  instant  avec  toute  la 
force  que  lui  rendaient  toujours,  mais  souvent 
trop  tard ,  les  occasions  essentielles,  et  la  prédilec- 
tion ne  cessant  d'agir^  chacun  trouva  celui  de  ses 
c^nËins  qui  devait  lui  ressembler  le  plus  mal  par- 
tagé des  deux,  et  songea  moins  â  le  felid^rqu'àle 
plaindre.  Le  roi  prit  sa  fille  dans  ses  bras  et  la  ser- 
rant tendrement  ;  Hélas  !  lui  dit-il ,  que  te  servirait 
la  beauté  même  de  ta  mère  sans  son  talent  pour  la 
Élire  valoir?  Tu  seras  trop  raisonnable  pour  £ûre 
tourner  la  tcte  à  personne.  Fantasque,  plus  cir- 
conspecte sur  ces  propres  vérités,  ne  dît  pas  tout 
ce  qu^elle  pensait  de  la  sagesse  du  roi  futur;  mais 
il  était  aisé  de  douter,  à  l'air  triste  dont  elle  le  ca- 
ressait, qu'elle  eût  au  fond  du  cœur  une  grandf 
opinion  de  son  partage.  Cependant  le  roi,  la  re- 
gardant avec  une  sorte  de  confusion ,  lui  fit  quel- 
ques reproches  sur  ce  qui  s^était  passé.  Je  sens  mes 
torts,  lui  dit-il,  mais  ils  sont  votre  ouvrage;  ncs 
enfans  auraient  valu  beaucoup  mieux  que  nous. 
vous  êtes  cause  qu^ils  ne  feront  que  nous  ressem- 
bler. Au  moins,  dit-^Ue  aussitôt ^  en  sautant  au 
cou  de  son  mari,  je  suis  sûr  qu'ils  s^aimeront  au- 
tant qu^il  est  possible.  Phénix,  touché  de  ce  qu'il 
f  avait  de  tendre  dans  cette  saillie ,  se  consola  p« 
cette  réflexion  qu'il  avait  si  souvent  oocasioii  dt 


LA  MSINB  FÂSrrXSQUC.  lOf 

fiire^  qn  en  effet  la  bonté  naturelle  et  un  ooeur  sen* 
fthle  suffisent  pour  tout  réparer. 

Je  devine  si  bien  tout  le  reste,  dit  le  druide  à 
Jalamir  en  Tinterrompac  t, que  j  achèverais  le  coûte 
pour  toi.  Ton  prince  Caprice  fera  tourner  la  tête  à 
tout  le  monde  y  et  sera  trop  bien  Timitateur  de  sa 
mèrepour  n  enpasétrele  tourment.  Il  bouleversera 
le  royaume  en  voulant  le  réformer.  Pour  rendre 
ses  sujets  heureux,  il  les  mettra  au  désespoir,  s  en 
prenant  toujours  aux  autres  de  ses  propres  torts  : 
injuste  pour  avoir  été  imprudent,  le  regret  de  ses 
fautes  lui  en  fera  commettre  de  nouvelles.  Comme 
la  sagesse  ne  le  conduira  jamais ,  le  bien  qu'il  vou- 
dra £kire  augmentera  le  mal  qu'il  aura  hiu  En  ua 
mot,  quoique  au  fond  il  soit  bon,  sensible  et  gêné-- 
reux,  ses  vertus  mêmes  lui  tourneront  à  préju- 
dice; et  sa  seule  étourderie,  unie  à  tout  son  pou- 
voir, le  fera  plus  haïr  que  n'aurait  fait  une  mé- 
chanceté raîsounée.  D  un  autre  côté,  ta  princesse 
Raison,  nouvelle  héroïne  du  pays  des  fées,  dé- 
pendra un  prodige  de  sagesse  et  de  prudence;  et, 
tans  avoir  d  adorateurs,  se  fera  tellement  adorer 
lu  peuple,  que  chacun  fera  des  vœux  pour  être 
gouverné  par  elle  :  sa  bonne  conduite',  avanta- 
geuse à  tout  le  monde  et  à  elle-même,  ne  fera  du 
x}n  qu'à  son  frère,  dont  on  opposera  sans  cesse 
es  traveis  à  ses  vertus ,  et  à  qui  la  prévention  pu- 
blique donnera  tous  les  dé&uts  quVUe  n  aura  paS| 
[iiand  même  jl  ne  les  aurait  pas  lui-même.  Il  sera 
nestion  d  Intervertir  l'ordre  de  la  succession  au 

9- 


lai  LA  ftcnns  fautasque* 

trAae,  d'atseiw  la  marotte  à  la  ipvnoaiUe,  et  la 
fortune  à  la  raison.  Les  docteurs  exposeront  am 
etnpliase  les  conséquences  â*an  tel  exemple,  et 
prouveront  qu'il  vaut  mieux  que  le  peuple  obéîsie 
aveuglement  aux  enragés  que  le  hasard  peut  hi 
donner  pour  mattres,  que'de  se  choisir  lui^éme 
descheé  raisonnables;  que,  quoiqu'on  interdise 
i  un  fou  le  gouvernement  à&  son  propre  bien,  il 
est  bon  de  lui  laisser  la  su{Ȏme  disposition  de  nos 
biens  et  de  nos  vies  ;  que  le  plus  insensé  des  homm:^ 
est  encore  préférable  à  la  plus  sage  des  femmes;  et 
que  le  mâle  ou  le  premier  né,  fùt-il  un  singe  on 
un  loup,  il  faudrait  en  bonne  poliliquo  qu'une 
héroïne  ou  un  ange ,  naissant  après  lui ,  obéît  k  ses 
volontés.  Objections  et  répliques  de  la  paît  des 
séditieux ,  dan^  lesquels  Dieu  sait  comme  on  verra 
briller  ta  sophistique  éloquence  ;  car  je  te  connaît, 
c'est  surtout  à  médire  de  ce  qui  se  fait  que  ta  bile 
a*exhale  avec  volupté  ;  et  ton  amère  fiandii  e 
semble  se  réjouir  de  la  méchanceté  des  hommes 
par  le  plaisir  qu'elle  prend  à  la  leur  reprocher. 

Tublcul  père  druide,  comme  vous  y  ailes!  dit 
JaLimir  tout  surpris;  quel  flux  de  paroles I  Oh 
diaUe  aves*vous  prb  de  si  belles  tirades?  Vous  ne 
prêchâtes  de  votre  vie  aussi  bien  dans  le  bois  sacré, 
quoique  vous  n'y  parliez  pas  plus  vrai.  Si  je  vous 
laissais  feire,  vous  changeriez  bientôt  un  conte 
de  fëes  en  un  traité  de  politique ,  et  l'on  tronve- 
lait quelque  jour,  dans  Ifis  cabinets  des  priaces, 
Barbô^-Bleue  ou  Peàu-d'iBe,  an  lien  4elIadiav«L 


Mais  ne  tous  mettez  point  tant  en  firais  pour  Aevi* 
ner  la  fin  de  mon  cqûlg. 

Pbttr  ¥0U5  raontiar  que  les.<iénoaemens  ne  nt 
manquent  pas  au  besoin,  j*en  vais  dans  quatre 
mots  expédier  un ,  non  pas  e^isû  savant  que  le 
vAtre,  mais  peut-être  aussi  naturel,  et  à  coup  sûr 
plus  imprévu. 

Vous  saurez  donc  que  les  deux  enÊins  jumeaujl 
étant,  comme  je  lai  remarqué ,  fort  semblables  de 
figure,  et  de  plus  habillés  de  même,  le  roi,  croyant 
avoir  pris  son  fils,  tenait  sa  fille  entre  ses  hra5  au 
moment  de  Tinfluence;  et  que  la  reine,  trompée 
par  le  choix  de  son  mari ,  ayant  aussi  pris  son  fils 
pour  sa  fille,  la  fce  profita  de  cette  erreur  pour 
douer  les  deux  enfans  de  la  manière  qui  leur  con- 
venait le  mieux.  Caprice  fut  donc  le  nom  de  la 
princesse.  Raison  celui  du  prince  son  frère;  et, 
en  dépit  des  bizarreries  de  la  reine,  tout  se  trouva 
dans  Tordre  naturel.  Parvenu  au  trône  après  la 
mort  du  roi ,  Raison  fit  beaucoup  de  bien  et  fort 
peu  de  bruit,  cherchant  plutôt  à  remplir  ses  de- 
voirs qu^à  s  acquérir  de  la  réputation  ;  il  ne  fit  ni 
guerre  aux  étrangers,  ni  violence  à  ses  sujets,  et 
reçut  plus  de  bénédictions  que  d'éloges.  Tous  les 
projets  formés  sous  le  précédent  règne  furent  exé» 
cutés  sous  celui-ci  ;  et  en  passant  de  la  domination 
du  père  sous  celle  du  fils,  les  peuples  deux  fois 
heureux  crurent  n  avoir  pas  changé  de  maître.  La 
princesse  Caprice,  après  avoir  fait  perdre  la  vie 
ou  la  raison  à  des  multitudes  d'amans  tendres  et 


104  I^  RZmE  FANTASQUE. 

aimables^  fat  enfin  mariée  à  on  roi  voisb,  qu'elle 
préféra  parce  qu'il  portait  la  plus  longue  mousta- 
che et  sautait  le  mieux  à  cloche-pied.  Poqt  Fas- 
Casque ,  elle  mourut  d*une  indigestion  de  pieds  de 
perdrix  en  ragoût  qu'elle  voulut  manger  ayanlde 
se  mettre  au  lit,  où  le  roi  se  morfondait  à  htteo- 
dre,  un  soir  qu'à  force  d  agaceries  elle  l'avait  en- 
gagé à  venir  coucher  avec  elle. 


TRADUCTION 


DD  PREMIER  LITRE 


DE  L'HISTOIRE  DE  TACITE. 


AVERTISSEMENT. 

QuAHD  j'eas  le  malheur  de  vouloir  parler  au  public, 
ft  sentis  le  besoin  d'apprendre  à  écrire,  et  j'osai  m'es- 
lajer  sur  Tacite.  Dans  cette  tuc  ,  entendant  médiocre- 
ment le  latin,  ctsouTetit  n  entendant  point  nioii  autenr, 
j'ai  dû  faire  bien  des  contre-sens  particnlic-rs  sur  ses 
pensées  :  mais,  si  je  n'en  ai  point  fait  un'général  sur  sod 
esprit,  j'ai  rempli  mon  but;  car  fs  ne  cherchais  pas  à 
rendre  les  phrases  de  Tacite ,  mais  son  stjle  ;  ni  de  dire 
œ  qu'il  a  dit  en  latin ,  maia  ce  qu'il  eut  dit  en  français. 

Ce  n'est  ^n«  ici  qu'un  travail  d'écolier  ;  j'en  con- 
viens ,  et  je  ne  le  donne  que  pour  tel.  Ce  n'est  de  pins 
qu'un  simple  fragment ,  un  essai  ;  j'en  conviens  eneorr  : 
un  si  rude  jouteur  m'a  bientôt  lassé.  M'iis  ici  les  essais 
peuvent  être  admis  en  attendant  mieux  ;  et ,  avant  qo* 
d'avoir  une  bonne  traduction  complète ,  il  faut  snppor- 
ter  encore  bien  des  thèmes.  C'est  une  grande  entreprise 
qu'une  pareille  traduction  :  quiconque  en  sent  asses  la 
difficulté  pour  pouvoir  la  vaincre  pçrfévérera  difficile- 
ment. Tout  homme  en  état  de%uivre  Tacite  est  hicnièt 
tenté  d'aller  seul. 


TRADUCTION 

DU  PREMIER  LIVRB 

DE  L'HISTOIRE  DE  TACITE.' 


Jb  commencerai  cet  ouvrage  par  le  second  con- 
sulat de  Galbli  et  ruoiqtie  de  Vînius.  Les  y*ÀO  pro* 
mières  années  de  Rome  ont  été  décrites  par  divers 
auteurs  avec  réloquence  et  la  liberté  dont  elles 
étaient  dignes.  Mais^  après  la  bataille  d'Actium, 
qutl'&liut  se  donner  un  maître  pour  avoir  la 
paix,  ces  grands  génies  disparurent  Llgnoranoe 
des  aiTaires  d'une  république  devenue  étrangère  à 
ses  citoyens,  le  goût  effiéné  de  la  flatterie,  h 
haine  contre  les  chefs ,  altérèrent  la  vérité  de  milb 
manières;  tout  Ait  loué  ou  blâmé  par  passion, 
sans  égard  pour  la  postérité  :  mais,  en  démêlant 
les  vues  de  ces  écrivains,  elle  se  prêtera  plus  vo- 
lontiers aux  traits  de  Tenvie  et  de  la  satire,  qui 
flattent  la  malignité  par  un  £iux  air  d'indépen» 
dance,  qu'à  la  basse  adulation,  qui  maïque  la 
servitude  et  rebute  par  sa  lâcheté.  Quant  à  moi, 
Oalba,  Vitellius,  Othon ,  ne  m'ont  fait  ni  bien  ni 
mal  :  Vespasien  commença  ma  fortune,  Tite Tau- 
gmenta,  Domitien  1  acheva,  j^en  conviens; mat 
un  bi^torien  qui  se  cobsacre  à  la  vérité  doit  parier 


io8  ntwiKh  LiymB 

sans  amour  et  sans  haine.  Que  s1l  me  reste  assex 
de  yie,  je  réserve  pour  ma  yieillesse  la  riche  et 
l>aisiUe  matière  des  règnes  de  Nerra  et  de  Trajas^ 
rares  et  heureux  temps  où  Ton  peut  penser  lilxv- 
ment  et  dire  ce  que  1  on  pense. 

J  entreprends  une  hbtoîre  pleine  de  catastro- 
phes ,  de  combats ,  de  séditions ,  terrible  même 
durant  la  paix  :  quatre  empereurs  égorgés^  trois 
guerres  civiles ,  plusieurs  étrangères ,  et  la  plupart 
mixtes  :  des  succès  en  Orient^  des  revers  en  Occi- 
dent, des  troubles  en  111} rie;  la  Gaule  ébraolée, 
TAngleterre  conquise  et  d abord  abandonnée;  les 
Sarmates  et  les  Suèves  commençant  k  se  montrer; 
les  Daces  illustrés  par  de  mutuelles  défaites;  les 
Partlies ,  joués  par  un  faux  Néron,  tout  prêts  i 
prendre  les  annes  :  lltabe^  après  les  malheurs  de 
tant  de  siècles^  en  proie  à  de  nouveaux  désastres 
dans  celui-ci;  des  villes  écrasées  ou  consumées 
dans  les  fertiles  répons  de  la  Campanie;  Rome 
dévastée  par  le  feu ,  les  plus  anciens  temples  brû- 
lés; le  Capitole  même  Ûvré  aux  flammes  par  les 
mains  des  citoycDs;  le  culte  profané,  des  adultères 
publics,  les  mers  couvertes  d  exilés,  les  iles  pleines 
de  meurtres  ;  des  cruautés  plus  atroces  dans  la  ca- 
pitale, où  les  biens,  le  rang,  la  vie  privée  ou  pu- 
blique, tout  était  également  impulé  à  crime,  et 
où  le  plus  irrémissible  était  la  vertu  :  les  délateurs 
non  moins  odieux  par  leurs  fortunes  que  par 
leurs  forfaits;  les  uns  faisaient  trophée  du  sacer- 
doce et  du  consulat,  dépouilles  de  leurs  victimes . 


DE  TÂcm:.  109 

if autres,  toat  paissant  tant  ao-dedans  quau-^e^ 
hors,  portant  partent  le  trouble  ^  la  hahie  et  l'ef- 
froi :  les  maîtres  trahis  par  leurs  esclaves,  les 
patrons  par  leurs  affranchis;  et^  pour  comble  en- 
fin ,  ceax  qui  manquaient  d^ennemis  j  opprimés 
par  leurs  amis  mêmes. 

Ce  siècle,  si  fertile  en  crimes ,  ne  fut  pourtant 

pas  sans  vertu  :  on  vit  des  mères  accompagner 

leurs  en&ns  dans  leur  fuite ,  des  femmes  suivte 

leurs  maris  en  e\ih,  des  pareus  intrépides,  des 

gendres  inébranlables,  des  esclaves  même  à  Tc- 

pre.uvc  des  tourmens^  On  vit  de  grands  hommes^ 

fermes  dans  toutes  les  adversités,  porter  et  quitter 

la  vie  avec  une  constance  digne  de  nos  pères.  A 

CCS  muhiludes  d'événemens  humains  se  joignirent 

les  prodiges  du  ciel  et  de  la  terre,  les  signes  tirés 

de  la  foudre,  les  présages'de  toute  espèce,  obscurs 

ou  manifestes,  sinistres  ou  favorables  :  jamais  les 

plus  tristes  calamités  du  peuple  romain,  jamais 

es  plus  justes  jugemens  du  ciel  ne  montrèrent 

ivec  tant  d'évidence  que  si  les  dieux  songent  k 

tous,  c'est  moins  pour  nous  conserver  que  pouf. 

ious  punir. 

Mais,  avant  que  d^entrer  en  matière,  pour  d^ 
elopper  les  causes  des  événemens  qui  semblent 
DUTent  VeSei  du  hasard,  il  convient  d^exposer 
état  de  Rome,  le  génie  des  années,  les  mœura. 
S5  provinces,  et  ce  qu'il  y  avait  de  sain  et  de  cor- 
»nipn  dans  toutes  les  régions  du  monde. 
Après  les  premiers  transports  excités  par  la 


1 10  PHEHIER  LTTRB 

mort  3e  Ncron,  il  s'était  élevé  des  moim&ieDS 
divers  Don-seulozneat  au  sénat,  parmi  le  peuple 
et  hs  bandes  prétoriennes^  mais  entre  tons  les 
cheË»  et  dans  toutes  les  légions  :  le  secret  de  l'enh 
pire  était  enfin  dévoil^^  et  Ton  voyait  <jiie  le  priacB 
pouvait  s  élire  ailleurs  que  dans  la  capitale.  Mail 
le  sénat,  ivre  de  joie,  se  pressait,  sous  un  nou- 
veau prince  encore  éloigné,  d abuser  de  la  liberté 
qu'il  venait  d^usurper  :  les  principaux  de  Tordre 
équestre  n'étaient  guère  moins  contens;  la  plus 
saine  partie  du  peuple  qui  tenait  aux  grandes 
maisons ,  les  clients ,  les  aâranchis  des  proscrits  et 
des  exilés,  se  livraient  à  Fespérance.  La  vile  po- 

f)ulace ,  qui  ne  bougeait  du  cirque  et  des  tbéitres, 
es  esclaves  perfides,  ou  ceux  qui,  à  la  honte  de 
Néron ,  vivaient  des  dépouilles  des  gens  de  bien, 
s  affligeaient  et  ne  cherchaient  ^e  des  troubles. 

La  milice  de  Rome,  de  tout  temps  attadiée  aux 
césars ,  et  qui  s'était  laissé  porter  4  déposer  Néron 
lus  à  force  d'art  et  de  sollicitations  que  de  son 
n  gré,  ne  recevant  point  le  donatif  promis  a» 
nom  de  Galba ,  jugeant  de  plus  que  les  services  et 
les  récompenses  militaires  auraient  moins  liea  do- 
rant la  paix ,  et  se  voyant  prévenue  d  .ns  la  fiiTeur 
du  prince  par  les  légions  qui  lavaient  éla,  se  li- 
vraîent  à  son  penchant  pour  les  nouveautés,  ex- 
citée par  la  trahbon  de  son  préfet  Nyosphidios 
qni  aspirait  A  Fempire.  Njmphidius  périt  dbn» 
cette  entreprise;  mais,  apràs  avoir  perdu  le  dwf 
de  la  sédition ,  ses  complices  ne  Tava'eut  pas  «m- 


t 


Dk  TACITB.  I  (  I 

Miée,  et  glosaient  sur  la  yieillesse  et  l'avarice  de 
Galba.  Le  bruit  de  sa  sérérité  militaire,  autrefois 
si  louée,  alarmait  ceux  qui  ne  pouvaient  souttir 
lanciemie  discipline;  et  quatorze  ans  de  relâche^ 
ment  sous  Ncron  leur  faisaient  autant  aimer  les 
vices  de  leurs  princes,  que  jadis  ils  respectaient 
leurs  vertus.  On  répandait  aussi  ce  mot  de  Galba, 
q!ii  e&t  &it  honneur  à  un  prioce  plus  libéral,  maî& 
qu  on  interprétait  par  son  humeur  :  Je  sais  dioisir 
mes  soldats,  et  non  les  acheter. 

Vinius  et  Lacon,  l'un  le  plus  vîl,  et  Fautre  le 
plus  méchant  des  hommes,  le  décriaient  par  leur 
conduit/e;  et  la  haine  de  leurs  forfaits  retombait 
sur  son  indolence.  Cependant  Galba  venait  lente- 
ment, et  ensanglantait  sa  route  :  il  fit  mourir  Var- 
ron,  consul  désigné,  comme  complice  de  Nym- 
phidius,  et  Turpilien,  consulaire,  comme  général 
de  Néron.  Tous  deux,  exécutés  sans  avoir  été  en- 
tendus, et  sans  forme  de  procès,  passèrent  pour 
inaocens*  A  son  arrivée  il  fit  égorger  par  milliers 
les  soldats  désarmés,  présage  funeste  pour  son 
règne,  et  de  mauvais  augure  même  aux  meur- 
triers. La  légion  qu'il  amenait  d'Espagne,  jointe  & 
celle  que  Néron  avait  levée,  remplirent  la  ville 
de  nouvelles  troupes  qu  augmentaient  encore  le) 
nombreux  détachemens  d'Allemagne ,  d'Angle* 
4erre  et  dlUyrie,  choisis  et  envoyés  par  Néroo 
aux  Portes-Caspiennes,  où  il  préparait  la  guerra 
d'Albanie,  et  qu'il  avait  rappelées  pour  répimer 
les  mouvcmens  de  Vindex,  tous  gens  à  beaucoup 


1 1 1  FRÊM IBR  LlVftB 

entreprendre,  sans  chef  encore,  mais  prftts  à  ser« 
Vtr  le  premier  audacieux.   ^ 

Par  hasard  on  apprit  dans  ce  même  temps  les 
meurtres  de  Macer  et  de  Capiton.  Galba  fit  mettre 
à  mort  le  premier  par  Fintendant  Gamcianns,  sur 
lavis  certain  de  ses  mouyemens  en  Afrique;  et 
Tautre,  commençant  aussi  k  remuer  en  AUe> 
magne,  fut  traité  de  même  avant  Tordre  du  prince 
par  Aquinus  et  Valens,  lieutenaus-généraux.  Piu- 
sieurs  crurent  que  Capiton ,  quoique  décric  pour 
son  avarice  et  pour  sa  débauche,  était  innoceat 
des  trames  qu'on  lui  imputait,  mais  que  ses  lieu- 
tenans ,  s  étant  vainement  efforcés  de  îezciter  à  k 
guerre,  avaient  ainsi  couvert  leur  crime;  et  que 
Galba,  soit  par  légèreté,  soit  de  peur  d'en  trop 
apprendre,  prit  le  parti  d  approuver  une  conduite 
qii'il  ne  pouvait  plus  réparer.  Quoi  qu'il  en  soit, 
ces  assassinats  firent  un  mauvais  etkt;  car,  soos 
on  prince  une  fois  odieux,  tout  ce  qu'il  fait,  biea 
ùa  mal,  lui  attire  le  même  blâme.  Les  affiranchis, 
tout  puissans  k  la  cour,  y  vendaient  tout  :  les  es- 
daves,  ardens  à  profiter  d^une  occasion  passagère, 
se  hâtaient  sous  un  vieillard  d^assouvir  leur  avi- 
dité. On  éprouvait  toutes  les  calamités  du  règne 
précédent,  sans  les  excussr  de  même  :  il  ny  avait 
pas  jusqu'à  Tâge  de  Galba  qui  n'excitât  la  risée  et 
le  mépris  du  peuple,  accoutumé  à  la  jeunesse  de 
Néron ,  et  à  ne  juger  des  princes  que  sur  la  figure. 

Telle  était  à  Rome  la  disposition  d'esprit  la  plus 
générale  chez  une  si  grande  multitude.  Dans  les 


DE  TACITE.  I  { 3 

provinces,  Rufus,  beau  parleur  -et  bon  chef  en 
temps  de  paix,  mais  ^ns  expérience  militaire, 
commandait  en  Espagne.  Les  Gaules  conservaient 
le  souvenir  de  Vindex  et  des  faveurs  de  Galba, 
qui  venait  de  leur  accorder  le  droit  de  bourgeoisie 
romaine,  et,  de  plus,  la  suppression  des  impôts. 
On  excepta  pourtant  de  cet  honneur  les  villes 
voisines  des  armées  d^ÂUemagne,  et  Ton  en  priva 
même  plusieurs  de  leur  territoire;  ce  qui  leur  fit 
supporteravecundoubledépitleurs  propres  pertes 
et  les  grâces  Êiites  à  autrui.  Mais  ou  le  danger  était 
grand  &  proportion  des  forces  c'était  dans  les  ar- 
mées d'Allemagne,  fières  de  leur  récente  victoire^ 
et  craignant  le  blâme  d'avoir  favorisé  d  autres  par- 
tis; car  elles  n'avaient  abandonné  Néron  qu'avec 
peine,  Verginius  ne  s'était  pas  d'abord  déclaré  pour 
Galba;  et  s'il  était  douteux qu  il  eût  aspiré  à  l'em- 
pire, il  était  sûr  que  Tarmée  le  lui  avait  offert  : 
ceux  même  qui  ne  prenaient  smcun  intérêt  à  Ca- 
piton ne  laissaient  pas  de  murmurer  de  sa  mort 
Enfin  Verginius  ayant  été  rappelé  sous  un  faux 
semblant  d  amitié,  les  troupes,  privées  de  leur 
chef,  le  voyant  retenu  et  accusé,  s'en  oiTonsaieni 
comme dWe  accusation  tacite  contre  elles-mêmes. 
Dans  la  Haute-Allemagne,  Flaccus,  vieillard 
infirme  qui  pouvait  à  peine  se  soutenir,  et  qui 
ii*avait  ni  autorité  ni  fermeté,  était  méprisé  de 
farméo qu'il  commandait;  et  ses  soldats,  qu'il  ne 
pouvait  contenirmême  en  plein  repos,  animés  par 
Ba  £iibl^^,  ne  connaissaient  plus  de  firein.  l^e 

lO.. 


ii4  pKEuiER  Lrra£ 

légions  de  la  Basse-Âllemagûe  restèrent  long-temps 
sans  chef  consulaire.  Enfin  Galba  leur  donna  Vitt^I- 
Uns  y  dont  le  père  avait  été  censeur  et  trois  fois 
consul;  ce  (jui  parut  suffisant.  Le  calme  régnait 
dans  larmée  d'Angleterre  ;  et,  parmi  tous  cesmon* 
vemens  de  guerres  civiles,  les  légions  qui  la  coiii- 
posaientfurentcelles  qui  se  comportèrent  le  mieux^ 
Eoit  à  cause  de  leur  éloignement  et  de  la  mer  qui 
lesenfermait^  soit  que  leurs  fréquentesexpédittons 
leur  apprissent  à  ne  haïr  que  Tennemi.  LlUjri* 
n'était  pas  moins  paisible,  quoique  ses  légions, 
appelées  par  Néron,  eussent,  durant  leur  séjour 
en  Italie,  envoyé  des  députés  à  Verginius  :  mais 
c^  armées ,  trop  séparées  pour  unir  leurs  forces  et 
mêler  leurs  vices,  furent  par  ce  salutaire  oiojeB 
mainteuues  dans  leur  devoir. 

Rien  ne  remuait  encore  en  Orient.  Mucianos, 
honuuc  également  célèbre  dans  les  succès  et  dans 
les  révers,  tenait  la  Syrie  avec  quatre  légions.  Am- 
bitieux dès  sa  jeunesse,  il  s  était  lié  aux  grands; 
mais  bientôt,  voyant  sa  fortune  dissipée,  sa  per- 
sonne en  danger,  et  suspectant  la  colère  du  princre, 
il  s'alla  cacher  en  Asie,  aussi  près  de  lexil qull  fut 
ensuite  du  rang  supi'éme.  Unissant  la  mollesse  i 
Tactivité,  la  douceur  et  rarrogance,  les  talens  bons 
et  mauvais,  outrant  la  débauche  dans  loisâFeté, 
mais  ferme  et  courageux  dans  Toccasion;  estima- 
ble en  public,  blâmé  dans  sa  vie  privée;  exifin  si 
déduisant,  que  ses  inférieurs,  ses  poches ,  xû 
jégiuXj  no  pouvaicut  lui  résister;  U  lui  était  pi 


D£  TACITS.  1 1  {r 

aise  de  donner  l'empire  que  de  Tusui^per.  Vç^pa- 
sien ,  choisi  par  Néron ,  faisait  la  guerre  en  Judée 
ayec  trois  légions ,  et  se  montra  si  peu  contraire  à 
Galba  9  qu'il  lui  envoya  Tite  son  fils  pour  lui  rcn* 
dre  hommage  et  cultiver  ses  bonnes  grâces,  comme 
nous  dirons  ci-après.  Mais  leur  destin  se  cachait 
encore,  et  ce  nest  qu'après  Tévénement  qu^on  a 
remarqué  les  signes  et  les  oracles  qui  promettaient 
1  empire  à  Vespasien  et  à  ses  cnfans. 

En  Egypte,  c'était  aux  chevaliers  romains  an 
lieu  des  rois  qu'Âftguste/avait  confié  le  comman- 
dement de  la  province  et  des  troupes;  précaution 
qui  parut  nécessaire  dans  un  pays  abondant  en 
blé,  d^un  abord  difficile,  et  dont  le  peuple  chaq- 
géant  et  superstitieiix  nerespiîcte  ni  magistrats  ni 
luis.  Alexandre ,  Egyptien ,  gouvernait  alors  ce 
royaume.  L'Âfirique  et  ses  légions,  après  la  mort 
de  Macer,  ayant  soufl*ert  la  domination  particu* 
lière ,  étaient  prêtes  à  se  donner  au  pemier  venu  : 
les  deux  Mauritanies,  la  Rhétie,  la  Norique,  la 
Thrace,  et  toutes  les  nations  qui  n'obéissaient 
qu'à  des  intendans ,  se  tournaient  pour  ou  contre  ^ 
selon  le  voisinage  des  armées  et  lïmpulsion  des 
plus  puissans  :  les  provinces  sans  défense,  et  sur- 
tout [Italie,  Q  avaient  pas  même  le  choix  de  leurs 
fers,  et  n  étaient  que  le  prix  des  vainqueurs.  Tel 
était  Tétat  de  Tempire  romain  quand  Galba ,  cou* 
sul  pour  la  deuxième  fois,  et  Vinius  son  collègue^ 
commencèrent  leur  dernière  année  et  presque 
celle  de  la  r^ubli^ue* 


1 16  PREUIfiA  LI711E 

Au  commencement  de  janvier  on  reçut  avis  de 
Propinquns,  intendant  de  la  Belgique,  que  les  lé- 
gions de  la  Germanie  supérieure ,  sans  respect 
pour  leur  serment,  demandaient  un  autre  empe- 
reur, et  que,  pour  rendre  leur  révolte  moins 
odieuse,  elles  consentaient  qu'il  fdt  élu  par  le  se- 
nat  et  le  peuple  romain.  Ces  nouvelles  accélé- 
rèrent Fadoption  dont  Galba  délibérait  aupra- 
vaut  en  lui-même  et  avec  ses  amis,  et  dont  le  brait 
était  grand  depuis  quelque  temps  dans  toute  U 
ville,  tant  par  la  licence  des  nouvellistes  qu'à  cause 
de  Tâge  avancé  de  Galba.  La  raison ,  Famour  de  li 
patrie,  'dictaient  les  voeux  du  petit  nombre;  maù 
la  multitude  passioanée,  nommant  tant6t  Tim, 
tantôt  Tautre  ,-chacun  son  protecteur  ou  son  ami, 
consultait  uniquement  ses  désirs  secrets  ou  !»a 
haine  pour  Vinius ,  qui ,  devenant  de  jour  en  jour 
plus  puissant,  devenait  plus  odieux  en  même  me- 
sure :  car,  comme  sous  un  maître  Infirme  et  cré- 
dule les  fraudes  sont  plus  profitables  et  moins  dstjk- 
gereuscs,  la  facilité  de  Galba  augmentait  ravidité 
des  parvenus,  qui  mesuraient  leur  aminltion  sor 
leur  fortune. 

Le  pouvoir  du  prince  était  partagé  entre  k 
consul  Vinius  et  Lacon,  préfet  du  prétoire  :  mai 
Icelus,  affranchi  de  Galba,  et  qui,  ayant  reçu  Tach 
neau,  portait  dans  Tordre  équestre  le  nom  de 
Marcian,  ne  leur  cédait  point  en  crédit.  Ces  i^ 
^orisy  toujours  en  discorde,  et  jusque  dans  k$ 
laoiiidires.  choses  ne  consultant  cha«in  <jae  sob 


DE  TACITE.  îty 

intérêt,  formaient  deux  factions  pour  le  choix  du 
successeur  à  lempire  :  Vinius  était  pour  Othon ; 
Icelus  et  Lacon  s  unissaient  pour  le  rejeter,  sans 
0n  préférer  un  autre.  Le  public ,  qui  ne  sait  rien 
taire ,  ne  laissait  pas  ignorer  à  Galba  Famiti^ 
d'Othon  et  de  Vinius,  ni  Talliance  qu'ils  proje- 
taient entre  eux  par  le  mariage  de  là  fiUe  de  Vinius 
et  d'Othon ,  Tune  veuve  et  Fautre  garçon;  mais  je 
crois  qu^occupé  du  bien  de  l'état,  Galba  jugeait 
qn*autant  eût  valu  laisser  à  Néron  lempire  que  de 
le  donner  à  Othon.  En  elTet ,  Othon ,  négligé  dans 
son  enfance,  emporté  dans  sa  jeunesse,  se  rendit 
si  agréable  à  Néron  par  l'imitation  de  son  hixr, 
que  ce  fut  à  lui,  comme  associé  à  ses  dchauciios, 
qu'il  confia  Poppée,  la  principale  de  ses  court i* 
sanes,  jusqu'à  ce  qu^il  se  filt  défait  de  sa  femme 
Octavic;  mais,  le  soupçonnant  d abuser  de  son 
dépôt,  il  le  relégua  en  Lusitanie  sous  le  nom  d 
gouverneur,  Othon,  ayant  administré  sa 'province 
•avec  douceur,  passa  des  premiers  dans  le  parti 
contraire,  y  montra  de  I activité;  et  tant  que  la 
guerre  dura,  s'étant  distingué  par  sa  magnifi- 
cence, il  conçut  tout  d'un  coup  Fcspoir  de  se  fatre 
adopter;  espoir  qui  devenait  chaque  jour  plus  ar- 
dent, tant  par  la  faveur  des  gens  de  guerre  que 
par  celle  de  la  cour  de  Néron,  qui  comptait  le  re- 
trouver en  lui. 

Mais,  sur  les  première*»  nouvelles  de  la  sédition 
d'Allemagne ,  et  avant  que  d'avoir  rien  d  assuré  du 
côté  de  Vitellius ,  Fincertttude  de  Galba  sur  Jcs 


1 18  PRBMmi  LtVKB 

lieux  ok  tomberait  XeBbri  des  armdes,  et  h  dé- 
fiance (les  troupes  mâiacs  qui  étaient  à  &ome,  W 
détenninèreiU  à  se  donner  un  collègue  i  Vcni^iTe, 
comme  k  Tunique  parti  qu'il  crut  lui  rester  i  pren- 
dfe.  ÂjanI  donc  assemblé,  avec  Vinius  et  Lacan, 
Celsus,  coosul  désigné^  et  Gémius,  préfet  de  Rome, 
après  quelques  discours  sur  sa  vieillesse ,  il  fit  ap- 
peler Pison,  soit  de  son  prope  mouycment,  soit, 
selon  quelques-uns,  à  i'instigatiou  de  LacoA,  ^, 
par  le  moyen  de  Plautos,  avait  lié  amitié  avec 
Pison,  et  le  portant  adroitement  sans  paialtre  j 
prendre  intérêt,  était  secondé  par  la  bonne  opi- 
nion publique.  Pisou,  fils  de  Crassus  et  de  Soi- 
})ou)a,  tous  deux  d^Ulustres  maisons,  suivait  les 
mœurs  antiques  «  homme  austère,  à  le  juger  éqni- 
tablciBcnt,  triste  et  dur  selon  ceux  qui  louiiàen! 
tout  en  mal  ,•  et  dont  l'adoption  plaisait  à  Gaibi 
par  le  côté  même  qui  cboquait  les  autres. 

Prenant  donc  Pison  par  k  main,  Galba  loi 
parla ,  dit-on ,  de  celte  manière  :  rc  Si ,  comme  par- 
ie ticulier,  je  vous  adoptais,  selon  rusage,p<ur  de> 
Il  vant  lespoutifcs,  il nou9 serait  honorable,imoi. 
ff  d  admettre  dans  ma  famille  un  descendant  it 
«  Pompée  et  de  Crassus;  à  vons ,  d'ajouter  k  votrr 
ce  noblesse  celle  des  maisons  Lutatienne  et  Suipi- 
«  cienne.  Maintenant,  appelé  à  Tempire  du  cou- 
Cl  seulement  des  dieux  et  des  hommes,  lamour  de 
ce  la  patrie  et  votre  beuseux  naturel  me  portent  à 
«r  vous  offiîr,  au  sein  de  la  paix,  ce  pouvoir  s«- 
jc-préme  que  la  guerre  m'a  donné  et  que  nos  an- 


DE  TACITE-  nrig 

«  cêtres  se  sont  disputé  par  les  armes,  t^'est  amsi 
m  que  le  grand  Auguste  mit  au  premier  rang  après 
a  lui,  (l'abord  son  neveu  Marcellus^  ensuite  Agrippa 
fc  son  gendre,  puis  ses  petlls-fils,  et  enfin  Tibère, 
«  fils  de  sa  femme;  mais  Auguste  choisit  son  suc- 
«  cesscur  dans  sa  maison;  je  choisis  le  mien  dans 
«  la  république,  non  que  je  manque  de  proches 
ce  ou  de  compagnons  d  armea  :  mais  je  nW  point 
«  moi-même  brigué  Tempire;  et  vous  préférer  à 
«  mes  parens  et  aux  vôtres,  c'est  montrer  assez 
m  mes  vrais  sentimens.  Vous  avez  un  fi'ère  illustre 
M  ainsi  que  vous,  votre  aîné,  et  digne  du  rang  où 
«vous  montez,  si  vous  ne  Tétiez  encore  plus, 
c  Vous  avez  passé  sans  reproche  l'âge  de  la  jeu- 
à  nesse  et  des  passions  :  mais  vous  n'ave?  soutenu 
«  jusqu^ci  que  la  mauvaise  fortune;  il  vous  reste 
fc  une  épreuve  plus  dangereuse  à  faire  en  résistant 
«  à  la  bonne;  car  Tadversité  déchire  Tâme^  mai» 
«  lebonheurlacorrompt.Vousaurezbeancultiver 
H  toujours  avec  la  même  constance  Tamitié ,  la  foi^ 
«  la  Uherté,  qui  sont  les  premiers  biens  de  rbomme, 
«  un  vain  respect  les  écartera  malgré  vous;  les  flaU 
«  teurs  vous  accableront  de  leur  £&usses  caresses, 
«  poison  de  la  vraie  amitié,  et  chacun  ne  songera 
m  qu'à  son  intérêt.  Vous  et  moi  nous  parlons  au- 
«  jourd'hui  IHin  à  1  autre  avec  simplicité;  mais 
€€  tous- s'adresseront  à  notre  fortune  plutàt  qu'^ 
«  nous,  car  on  risque  beaucoup  à  montrer  leur 
«  devoir  aui  princes,  et  rienà  leur  persuader  qu'il» 
m  h  font. 


I3CI  PREMIER  LITRB 

«  Si  la  masse  immense  de  cet  empiré  eAt  pa 
«  garder  d^cUe-mdme  son  équilibre,  j'étais  di^ 
<c  de  rétablir  la  républi(jue;  mais  depuis  long-temps 
ce  les  choses  en  sont  à  tel  point,  que  tout  ce  qui 
a  reste  à  faire  en  &vcur  du  peuple  romain,  cVt 
((  pour  moi ,  d  employer  mes  derniers  jours  i  lui 
(c  choisir  un  bon  maître,  et,  pour  vous,  d'être  tel 
«  duraut  tous  le  cours  des  vôtres.  Sous  les  empe- 
«  reurs  précédens,  l'état  n'était  l'héritage  que  d'une 
«  seule  famille  ;  par  nous  le  choix  de  ses  chefs  loi 
«  tiendra  lieu  de  Hberté;  après  Textinctiou  des 
«  Jules  et  des  Claudes ,  Tadoption  reste  ouverte  an 
«  plus  digne.  Le  droit  du  sang  et  de  la  naissance  ne 
ce  mérite  aucune  estime,  et  fait  un  prince  au  ba- 
«  sard  ;  mais  l'adoption  permet  le  choix ,  et  la  voix 
4c  publique  l'indique.  Ayez  toujours  aous  les  yeux 
«  le  sort  de  Néron ,  fier  d'une  longue  suite  de 
«  césars;  ce  n'est  ni  le  pays  désarmé  de  Vindex, 
Il  ni  l'unique  légioji  de  Galba ,  mais  son  luxe  et  ses 
«  cruautés  qui  nous  ont  délivrés  de  son  joug, 
n  quoique  un  empereur  proscrit  fut  alors  un  évc- 
K  nement  sans  exemple.  Pour  nous  que  la  guerre 
fc  et  lestimc  publique  ont  élevés,  sans  mériler 
ftd ennemis,  n^espérons  pas  nen  point  avoir; 
«  mais,  après  ces  grands  mouvemens  de  tout  Tu- 
«  nivers,  deux  légions  émues  doivent  peu  vous 
«  ei&ayer.  Ma  propre  élévation  ne  fut  pas  tran- 
m  quille;  et  ma  vieÛlesse,  la  seule  chose  qu'on  me 
4K  reproche,  disparaîtra  devant  celui  qu'ona  cboîsi 
»  pour  l^,  soutenu*.  Je  sabque  Néron  sera  toujoaj;^ 


DE  TAÇrKB^  121 

V  regretté  des  mécbans;  c'est  à  vous  et  à  moi  d'em- 
a  pécher  qu^il  ne  le  soit  aussi  des  gen«  de  bien.  Il 
tt  n'est  pas  temps  d'en  dire  ici  davantage,  et  cela 
c(  serait  superflu  si  j  ai  £iit  en  vous  un  bon  choix* 
«  La  plus  simple  et  la  meilleure  règle  à  suivre  dans 
te  votre  conduite,  c'est  de  chercher  ce  que  vous 
«  aiu'iez  approuvé  ou  blâmé  sous  un  autre  prince. 
«  Songez  qu'il  n'en  est  pas  ici  comme  des  monar- 
cx  chics,  où  une  seule  famille  commande,  et  tout 
«  le  reste  obéit,  et  que  vous  allez  gouverner  un 
«r  peuple  qui  ne  peut  supporter  ni  une  servitude 
«  exti^me  ni  une  entière  liberté.  »  Ainsi  parlait 
Galba  en  homme  qui  &it  un  souverain,  tandis quq 
tous  les  autres  prenaient  d'avance  le  ton  qu  on 
prend  avec  un  souverain  déjà  fait. 

On  (lit  que  toute  l'assemblée  qui  tourna  les 
yeux  sur  Pison ,  même  de  ceux  qui  l'observaient  à 
dessein ,  nul  ne  put  remarquer  en  lui  la  moindre 
émotion  de  plaisir  ou  de  trouble.  Sa  réponse  fut 
respectueuse  envers  son  empereur  et  son  père,mo-' 
deste  à  Tégard  de  lui-même  j  rien  ne  parut  changé 
dans  3on  air  et  dans  ses  manières;  on  y  voyait 
plutôt  le  pouvoir  que  la  volonté  de  commander. 
On  délibéra  ensuite  si  la  cérémonie  de  l'adoption 
se  ferait  devant  le  peuple,  au  sénat,  ou  dans  le 
camp.  On  préféra  le  camp,  pour  faire  honneur 
aux  troupes,  comme  ne  voulant  point  acheter  leur 
laveur  par  la  flatterie  ou  à  prix  d'argetit,  ni  dédai- 
gner de  l'acquérir  par  les  moyens  honnêtes.  Ce-r 
pendant  le  peuple  environnait  le  palais,  impatient 


Ida  PREMIER  LIVRE 

d'apprendre  Timportante  affaire  qui  s'y  traitait  en 
secret ,  et  dont  le  bruit  s'augmentait  encore  par  les 
vains  efforts  qu'on  faisait  pour  Tétouffer. 

Le  dix  de  janvier,  le  jour  fut  obscurci  pr  de 
grandes  pluies,  accompagnées  d'éclairs,  de  ton- 
nerres, et  de  signes  extraordinaires  du  courroux 
céleste.  Ces  présages,  qui  jadis  eussent  rompu  les 
comices,  ne  dctournèreut  point  Galba  d'aller  an 
camp;  soit  ^u'il  les  méprisât  comme  des  choses 
fortuites,  soit  que,  les  prenant  j)our  des  signes 
réels ,  il  en  jugea  levènement  inévitable.  Les  gens 
de  guerre  étant  donc  assemblés  en  grand  nombre , 
il  leur  dit,  dans  un  discours  grave  et  concis,  qui! 
adoptait  Pison,  à  Fexemple  d'Auguste,  et  suivant 
l'usage  militaire.,  qui  laisse  aux  généraux  le  choix 
de  IcursJieutenans.  Puis,  de  peur  que  son  silence 
au  sujet  de  la  sédition  ne  la  lit  croire  plus  dange- 
reuse, il  assura  fort  que,  n'ayant  été  formée  dans 
la  quatrième  et  la  dix-huitième  légion  que  par  un 
petit  nombre  de  gens,  elle  sëtait  bornée  à  des 
murmures  et  des  paroles,  et  que  dans  pca  tout 
serait  pacifié.  Il  ne  mêla  dans  son  dbcours  ni  flat- 
teries ni  promesses.  Les  tribune,  les  centurions,  et 
quelques  soldats  voisins,  applaudirent;  mais  tout 
le  reste  gardait  un  mome  silence ,  se  voyant  privés 
dans  la  guerre  du  donatif  qu'ils  avaient  même 
exigé  durant  la  paix.  U  parait  que  la  moindre  li- 
béralité arrachée  à  l'austère  parcimonie  de  ce  vieil- 
lard eût  pu  lui  concilier  les  écrits.  Sa  perte  vijAi 


DE  TACITE.  I2r3 

•de  cette  antique  roideur  et  de  cet  excès  de  sévérité 
qui  ne  convieut  plus  à  notre  faiblesse. 

De  là  s'étant  rendu  au  sénat,  il  n'y  parla  ni 
moins  simplement  ni  plus  longuement  qu'aux  sol- 
dats. La  harangue  de  Pison  fut  gracieuse  et  bien 
reçue;  plusieurs  le  félicitaient  de  bon  cœur;  ceux 
qui  Taimaient  le  moins,  avec  plus  d'aflectation , 
et  le  plus  grand  nombre ,  par  intérêt  pour  eux- 
mêmes,  sans  aucun  souci  de  celui  de  Tétat.  Durant 
les  quatre  jours  suivans,  qui  furent  l'intervalle 
entre  Tadoption  et  la  mort  de  Pison ,  il  ne  fit  ni 
ne  dit  plus  rien  en  public.  Cependant  les  fréquens 
avis  du  progrès  de  la  défection  en  Allemagne,  et 
la  facilité  avec  laquelle  les  mauvaises  nouvelles 
s  accréditaient  â  Rome,  engagèrent  le  sénat  à  en- 
voyer une  députation  aux  légions  révoltées;  et  il 
fut  mis  se(  rètement  en  délibération  si  Pison,  ne 
s'y  joindrait  point  lui-même ,  pour  lui  donner 
plus  de  poids,  en  ajoutant  la  majesté  impériale  S 
l'autorité  du  sénnt.  On  voulait  que  Lacon,  préfet 
du  prétoire ,  fût  aussi  du  voyage  ;  mais  il  s'en 
excusa.  Quant  aux  députés ,  le  sénat  en  ayant 
laissé  le  choix  k  Galba,  on  vit,  par  la  plus  hon- 
teuse inconstance ,  des  nominations ,  des  refus ,  "" 
des  substitutions,  des  brigues  pour  aller  ou  pour 
demeurer,  selon  Tespoir  ou  la  crainte  dontchacun 
était  agité. 

Ensuite  il  &llut  chercher  de  largent;  et,  tout 
bien  pesé,  il  parut  très-juste  que  letat  eAf  recours 
i  ceux  qui  l'avaient  appauvri.  Les  dons  terséi 


ta!  PRfiMtBR  LIVRE 

par  Nëroti  montaient  à  fias  de  soixante  millions, 
il  fit  donc  citer  tous  les  donataires,  leur  redeman- 
dant les  neuf  dixièmes  de  ce  qu'ils  avaient  reçu, 
et  dont  à  peine  leur  restait- il  Tautre  dixième  par- 
tie $  car  également  avides  et  dissipateurs,  et  dod 
moins  prodigues  du  bien  d^autrui  que  du  leiir,ik 
n'avaient  conservé,  au  lieu  de  terres  et  de  revenus, 
que  les  instrumens  ou  les  vices  qui  avaient  acquis 
«t  consumé  tout  cela.  Trente  chevaliers  romains 
furent  préposés  au  recouvrement;  nouvelle  ma- 

Îistrature  onéreuse  par  les  brigues  et  par  le  nom- 
re«  On  ne  voyait  que  ventes,  huissiers;  et  le 
peuple,  tourmenté  par  ces  vexations,  ne  laissait 
pas  de  se  réjouir  de  voir  ceux  que  Néron  avait 
enrichb  aussi  pauvres  que  ceux  qu'il  avait  dé- 
pouillés. £n  ce  même  temps,  Taurus  etNason,tn- 
buns  prétoriens;  Pacenis,  tribun  des  milices  boor- 
geoises;etFronto^tribunduguet,ayantétécassés, 
cet  exemple  servit  moins  à  contenir  les  officien 
ffaA  les  effirajer,  et  leur  fit  craindre  qu  étant  tous 
Suspects,  on  ne  voulût  les  chasser  l'un  après 
l'autre. 

Cependant  Othon ,  qui  n'attendait  rien  d  un 
^uvemement  tranquille ,  ne  cherchait  qne  3e 
nouveaux  troubles.  Son  indigence,  qui  eût  été  à 
oharge  même  à  des  particuliers,  son  luxe,  <{ui 
leût  été  même  à  des  princes,  son  ressentiment 
tontre  Galba ,  sa  haine  pour  Pison ,  tout  Texcitait 
à  remuer.  U  se  forgeait  même  des  craintes  pour 
irriter  ses  désirs.  N'ai»it-il  pas  été  suspect  à 


DE  TAGltB.  12  S 

Néron  lai-méme?  Fallait-il  attendre  encore  llion- 
neur  duu  second  exil  en  Lusitanie  ou  ailleurs? 
Les  souverains  ne  voient-ils  pas  toujours  avec  àé* 
fiance  et  de  mauvais  œil  ceux  qui  peuvent  leur 
succéder?  Si  cette  idée  lui  avait  nui  près  d'un 
vieux  prince,  combien  pins  lui  nuirait-elle  auprès 
d'un  jeune  homme  naturellement  cruel,  aigri  par 
un  long  exil!  Que  s^ils  étaient  tentés  ds  se  déâdre 
de  lui ,  pounpioi  ne  les  préviendrait-il  pas/  tandis 
que  Galba  chancelait  encore,  et  avant  que  Pison 
fût  affermi?  Les  temps  de  crise  sont  ceux  où  con- 
viennent les  grands  effi>rts;  et  c'est  une  erreur  de 
temporiser,  quand  les  délais  sont  plus  dangereux 
que  l'audace.  Tous  les  hommes  meurent  égale* 
ment,  c^est  la  loi  de  la  nature  j  mais  la  postérité 
les  distingue  par  la  gloire  ou  Toubli.  Que  si  le 
même  sort  attend  l'innocent  et  le  coupable,  il  est 
plus  digne  d'un  homme  de  courage  de  ne  pas  périr 
sans  sujet. 

Othon  avait  le  cœur  moins  efféminé  que  le 
corps.  Ses  plus  familiers  esclaves  et  ai&anchis , 
accoutumés  à  une  vie  trop  licencieuse  pour  une 
maison  privée,  en  rappelant  la  magnificence  du 
palais  de  Néron ,  les  adultères  ,  les  fêtes  nup- 
tiales, et  toutes  les  débauches  des  princes,  à  un 
homme  ardent  après  tout  cela,  le  lui  montraient 
en  proie  k  d  autres  par  son  indolence,  et  à  lui  s'il 
osait  s'en  emparer.  Les  astrologues  l'animaient 
encore,  en  publiant  que  d'extraordinaires  mouve- 
mens  dans  Içs  cicux  lui  annonçaient  une  annc« 


ia6  PltEMlER  LIVRE 

^orieuse  :  genre  d'hommes  fait  pour  leurrer  les 
grands,  abuser  les  simples,  qu'on  chassera  sans 
cesse  de  notre  ville,  et  qui  s'y  maintiendra  ton- 
jours.  Poppée  en  avait  secrètement  employé  pin- 
sieurs  qui  furent  Tinstrument  funesie  de  son  ma- 
riage avec  Tempereur.  Ptolomée,  un  dentre  eu 
qui  avait  accompagné  Othon ,  lui  avait  promis 
qu'il  survivrait  à  Néron;  et  l'événement,  joint â 
la  vieillesse  de  Galba ,  à  la  jeunesse  d'Othon^  au 
conjectures  et  aux  bruits  publics,  lui  fit  ajontcr 
qu'il  parviendrait  â  Tempire.  Othon ,  suivant  le 
penchant  qu'a  l'esprit  humain  de  saffectionner 
aux  opinions  par  leur  obscurité  même ,  prenait 
tout  cela  potu*  de  la  science  et  pour  des  avis  dn 
diestin  ;  et  Ptolomée  ne  manqua  pas ,  selon  la  con- 
unie ,  d'être  l'instigateur  du  crime  dont  il  avait 
été  le  prophète. 

Soit  quOthoQ  eût  ou  non  formé  ce  projetai! 
est  certain  qu'il  cultivait  depuis  long-temps  les 
gens  de  guerre,  comme  espérant  succéder  i  rem- 
pire  ou  Tusurper.  En  route ,  en  bataille ,  au  camp, 
nommant  les  vieux  soldats  par  leur  nom ,  et, 
comme  ayant  servi  avec  eux  sous  Néron ,  les  ap- 
pelant camarades ,  il  reconnaissait  les  uns,  s  m- 
formait  des  autres,  et  les  aidait  tous  de  sa  bourse 
ou  de  son  crédit.  11  entremêlait  tout  cela  de  fipé- 
quentes  plaintes  ,  de  discours  équivoques  sur 
Galba ,  et  de  ce  qu'il  y  a*  de  plus  propre  à  émoa- 
voir  le  peuple.  Les  fiitigues  des  marches ,  la  rareté 
disa  vivres,  la  dareێ  du  commandement,  il  enve* 


L 


DBTACïTH.      '  *'-7 

nîmàit  tout ,  comparant  les  anciennes  et  agréables 
navigations  de  la  Campanie  et  des  vîUes  greoq[iies 
avec  les  longs  et  rudes  trajets  des  Pyrénées  et  des 
Alpes ,  où  Ton  pouvait  à  peine  soutenir  le  poids 
de  ses  armes. 

Pudens ,  un  des  confidens  de  Ti^Ilinus ,  sé- 
duisant diversement  les  plus  remuans ,  les  plus 
obérés,  les  plus  crédules,  achevai*,  d'allumer  les  es-^ 
prits  déjà  échauiles  des  soldats.  11  en  vint  au  point 
que,  chaque  fois  que  Galba  mangeait  chez  Othon , 
Ton  distribuait  cent  sesterces  par  tète  â  la  cohorte 
qui  était  de  garde ,  comme  pour  sa  part  du  festin  ; 
distribution  que,  sous  lair  d'u  le  largesse  polJi- 
que,  Othon  soutenait  encore  par  d  autres  dons 
particuliers.  Il  était  même  si  ardent  à  les  corrom- 
pre, et  k  stupidité  du  préfet  qu  on  trompait  jus- 
que sous  ses  yeux  ftit  si  grande ,  que ,  sur  une 
dispute  de  Proculus,  lanci'er  c'e  la  garde,  avec  un 
voisin  pour  quelque  borne  commune  ,  Othon 
icheta  tout  le  champ  du  voisin  et  le  donna  à 
Proculus. 

Ensuite  il  choisit  pour  chef  de  l'entreprise  qui! 
naëditait  Onomastus,  un  de  ses  ai&anchis,  qui  lui 
lyant  amené  Barbitis  et  Veturius,  tous  deux  ba5 
officiers  des  gardes ,  après  les  avoir  trouvés  â 
['examen  rusés  et  courageux ,  il  les  chargea  de 
ions  y  de  promesses,  d'argent  pour  en  gagner 
Tautres;  et  l'on  vit  ainsi  deux  manipulaires  en- 
reprcndre  et  venir  à  bout  de  disposer  de  1  empire 
'onyiiBL.  Us  mirent  peu  de  gens  dkûs  It  secret }  et 


1  a8  PR£3aER  LIVRE 

tenant  les  fufres  en  suspens ,  ils  les  excitaient  par 
divers  moyens  ;  les  che&y  comme  suspects  par  les 
bien£iits  de  Nymphidius;  les  soldats,  par  le  dépit 
de  se  voir  frustrés  du  donatif  si  long-temps  at- 
tendu. Rappelant  A  qae^[ues-uns  le  souvenir  de 
Néron,  ils  rallumaient  en  eux  le  désir  de  IW 
cienne  licence  :  enfin  ils  les  effrayaient  tous  par  k 
peur  d'un  changement  dans  la  milice. 

Sitôt  qu^on  sut  la  défection  de  l'armée  d  ADf- 
magne,  le  venin  gagna  les  esprits  déjà  émus  des 
légions  et  des  auxiliaires.  Bientôt  les  malinteo- 
tionnés  se  trouvèrent  si  disposés  à  la  sédition,  et 
les  l)ons  si  tièdes  à  la  réprimer,  que,  le  quatorze 
de  janvier,  Othon  revenan'^  de  souper  eût  été  e&- 
levé,  si  l'on  n'eût  craint  les  erreurs  de  la  nuit,  Ie$ 
troupes  cantonnées  par  toute  la  ville,  et  le  pe« 
d'accord  qui  règne  dans  la  chaleur  du  vin.  Ce  ne 
fut  pas  Tinterai  de  Tétat  qui  retint  ceux  qui  médî- 
laient  à  jeun  de  souiller  leurs  mains  dans  le  sao^ 
de  leur  prince,  mais  le  danger  quW  autre  ne  fol 
pris  dans  Tofascurité  pour  Othon  par  les  soldâU 
des  armées  de  Hongrie  et  d'ÂUeuiagne  qiû  ne  k 
connaissaient  pas.  Les  conjurés  étoufE^rent  plu- 
sieurs indices  de  la  sédition  naissante  ;  et  ce  qu  0 
en  parvint  aux  oreilles  de  Galba  fut  éludé  par 
Lacon,  homme  incapable  de  lire  dans  l'esprit  des 
soldats,  ennemi  de  tout  bon  conseil  qull  n'ava^* 
pas  donné ,  et  toujours  résistant  à  l'avis  des  sagfs. 

Le  quinze  de  janvier,  (ynune  Galba  sacrifiai: 
•au  temple  d'ÂpoUon^  Tanispice  (Jmfaricins^  sur  k 


DE  Tacite.  lag 

triste  aspect  des  entrailles,  lui  dénonça  d'actuel- 
les embûches  et  un  ennemi  domestique ,  tandis 
qu'Othon ,  qui  était  présent ,  se  réjouissait  de  ces 
mauvaises  augures  et  les  interprétait  favorable^ 
ment  pour  ses  desseins.  Un  moment  après,  Ono- 
mastus  vint  lui  dire  que  rarchitecte  et  les  experts 
lattendaient ;  mot  convenu  pour  lui  annoncer 
rassemblée  des  soldats  et  les  apprêts  de  la  conju- 
ration. Othon  fit  croire  à  ceux  qui  demandaient 
ôii  il  allait ,  que ,  prêt  d'acheter  une  vieille  mai- 
son de  campagne ,  il  voulait  auparavant  la  Êiire 
examiner;  puis,  suivant  laffiranchi  à  travers  le 
palais  de  Tibère  au  Velabre,  et  de  là  vers  la  co- 
lonne*dorée  sous  le  temple  de  Saturne,  il  fut  salué 
empereur  par  vingt-trois  soldats,  qui  le  placèrent 
aussitôt  sur  une  chaire  curule,  tout*%onstemé  de 
leur  petkt  nombre,  etlenvironnèrcnt  Tépée  à  U 
main.  Chemin  £aiisant,  ils  furent  joints  par  un 
nombre  â  peu  près  égal  de  leurs  camarades.  Les 
uns,  instruits  du  complot,  Faocompagnaient  à 
grands  cris  avec  leurs  armes  ;  d'autres ,  frappés  do 
spectacle ,  se  disposaient  en  silence  à  prendre 
conseil  de  Févénement 

Le  tribun  Martialis ,  qui  était  de  garde  aucamp, 
effrayé  d'une  si  prompte  et  si  grande  entreprise, 
ou  craignant  que  la  sédition  n  eût  gagné  ses  sol- 
dats et  qull  ne  fût  tué  en  s^y  opposant,  (ut  soup- 
çonné par  plusieurs  d  en  être  complice.  Tous  les 
autres  tribuns  et  centurions  préférèrent  aussi  le 
parti  le  pins  sûr  au  plus  honnête.  £i^  Jtel  bt 


\?ù  PRBHIEB  UVtlE 

Tétat  des  espits ,  qu'an  petit  nombre  ayant  entm 
pris  an  forait  détestaUe ,  plusieors  FapprouT^ 
rent  et  toos  le  souffrirent. 

Cependant  Galba ,  tranquillement  occupé  de 
son  sacrifice ,  importunait  les  dieux  pour  un  enh 
pire  qui  n^était  plus  à  lui ,  quand  tout  à  coup  qd 
bruit  s  éleva  que  les  troupes  enlevaient  un  séna- 
teur qu^on  ne  nommait  pas,  mais  quoo  sntfD 
suite  être  Othon.  Aussitôt  on  vit  acconrir  des 
gens  de  tous  les  quartiers;  et  &  mesure  qu'on  1» 
rencontrait ,  plusieurs  augmentaient  le  mal  et 
d'autres  Pexténuaient,  ne  pouvant  en  cet  instant 
même  renoncer  à  la  flatterie.  On  tint  conseil. ^t 
il  fut  résolu  que  Pison  sonderait  la  disposibocâ? 
la  cohorte  qui  était  de  garde  au  palais,  résem"' 
Fautorité  encore  entière  de  Galba  pour  de  piu: 
pressans  besoins.  Ayant  donc  assemblé  les  sokl^' 
devant  les  degrés  du  palais,  Pison  leur  parla  aio^* 
«  Compagnons,  il  y  a  six  jours  que  je  hs  noouKf 
:«  césar  sans  prévoir  l'avenir,  et  sans  savoir  si ^^ 
«  choix  me  serait  utile  ou  funeste;  c'est  à  vo(]> 
«  d'en  fixer  le  sort  pour  la  république  et  p<^^  - 
«  nous.  Ce  n'est  pas  que  je  craigne  pour  m^* 
fc  même  ,  trop  instruit  par  mes  malheurs  à  *^< 
«  point  compter  sur  la  pospérité  :  mais  je  pki  < 
ft  mon  |>èrc,  le  sénat  et  1  empire,  en  nous  ^oy 
or  réduits  à  recevoir  la  movt  ou  i  la  donner,  e\trt 
K  mité  non  moins  cruelle  pour  des  gens  de  \k^ 
«c  tandis  qu'après  les  derniers  mouremens  on  i 
•  félicitait  que  Rome  eût  été  exempte  de  viokiM 


BSTACm*  l3l 

«  et  dé  meartres ,  et  qu W  espérait  avoir  pourvu , 
ce  par  i'adoptioD ,  à  prévenir  toute  cause  de  guerre 
tt  après  la  mort  de  Galba. 

(c  Je  ne  vous  parlerai  ni  de  mon  nom  ni  de 
tt  mes  mœurs,  on  a  peu  besoin.de  vertus  pour  se 
V  comprer  à  Othon.  Ses  vices,  dont  il  fait  toute 
«  sa  gloire,  ont  miné  l'état  quand  il  était  ami  du 
cv  prince.  Est-ce  par  son  air,  par  sa  démarche,  par 
Cl  sa  parui^  efiëminée,  qu  il  se  croit  digne  de  Tem- 
«  pire?  On  se  trompe  beaucoup  si  Ion  prend  son 
r<  luxe  pour  de  la  libéralité.  Plus  il  saura  perdre, 
a  et  moins  il  saura  donner.  Débauches,  festins, 
€t  attroupcmens  de  femmes,  voilà  les  projets  qu'il 
et  médite,  et,  selon  lui,  les  droits  de  l'empire,  dont 
a  la  volupté  sera  pour  lui  seul,  la  honte  et  le  dés- 
ce  lionneor  pour  jms  -,  car  jamais  souverain  pou- 
u  voir  acrjuis  par  le  crime  ne  fut  vertueusement 
fc  exercé.  Galba  fut  nommé  césar  par  le  genre  hu- 
tt  main ,  et  je  lai  été  par  Galba  de  votre  consente- 
a  ment.  Compagnons,  j'ignore  s'il  vous  est  indiffé- 
Cl  rent  que  la  république,  le  sénat  et  le  peuple  ne 
((  soient  que  de  vains  noms;  mais  je  sais  au  moins 
(c  qu'il  vous  importe  que  des  scélérats  ne  vous 
«  donnent  pas  un  chef. 

«  On  a  vu  quelquefois  des  légions  se  révcdter 
ic  contre  leurs  tribuns.  JusquHci  vo:re  gloire  et 
i<  votre  fidélité  n  ont  reçu  nulle  atteinte,  et  NàroD 
€t  lui*méme  vous  abandonna  plutôt  qu  il  ne  fut 
«  abandonné  de  vous.  Quoil  veirons-nous  une 
m  trentaine  au  plus  de  déserteurs  et  de  trs^isfiigeSj^ 


i3a  vunsa  iiniE 

«  à  qui  Ton  ne  pennettiait  pas  de  se  choiâr  aeo- 
«  kinent  un  officier,  faire  an  empereur?  Si  toos 
«c  soulErez  un  tel  exemple ,  si  vous  partagez  le 
«  crime  en  le  laissant  commettre ,  cette  liocnoe 
«  p  'Ssera  dans  les  proyinces;  nous  périrons  par 
Il  les  meurtres,  et  vous  par  les  combats,  sans  qv 
«  la  solde  en  soit  plus  grande  pour aToirégorgeson 
«  prince,  que  pour  ayoûr  £iit  son  deroir  :  mais k 
«  donatif  n'en  vaudra  pas  moins,  reçu  de  noo 
«  pour  le  prix  de  la  fidélité,  que  d*un  autre  pour  k 
a  prix  de  la  trahison.  » 

Les  lanciers  de  la  garde  ayant  disparu ,  le  resH 
de  !a  cohorte,  sans  paraître  mépriser  le  discoiss 
de  Pison ,  se  mit  en  devoir  de  préparer  ses  ensei- 
gnes plutôt  par  hasard,  et,  comme  il  arrive  en oo 
momcns  de  trouhie,  sans  trop  savoir  ce  quco 
faisait,  que  par  une  Ceinte  insidieuse,  comme  oi 
Ta  cru  dans  la  suite.  Celsus  fut  envoyé  aa  détacha 
ment  de  Tannée  d'IUyrie  vers  le  portique  de  \~ip- 
sanius.  On  ordonna  aux  primipilaires  Serenns  et 
Sabinus  d'amener  les  soldats  geimains  dn  tempk 
de  la  Liberté.  On  se  défiait  de  la  légion  marine, 
aigrie  parle  meurtre  de  ses  soldats  que  Galba  avait 
Ëiit  tuer  à  son  arrivée.  Les  tribuns  Certas,  Sobr- 
nus,  et  LoDginus,  allèrent  au  camp  piétorîei 
pour  tâcher  d  étoulTer  la  sédition  naissante  avact 
qu  elle  eût  éclaté.  Les  soldats  menacèrent  lesdesx 
premiers;  mais  Longin  fut  maltraité  et  dësannc . 
parce  qu  il  n'avait  pas  passé  par  les  grades  nDlilttd^ 
res^  et  qu^étant  dans  la  confiance  cie  Galba  il  r^ 


DE  tACITE.  l33 

étmt  plus  suspect  aux  rebelles.  La  légion  de  la  mer 
ne  balança  pas  à  se  joindre  aux  prétoriens  :  ceux 
du  détachement  dlUyrie,  présentant  i  Ceisus  ^a 
pointe  des  armes,  ne  youlurent  point  l'écouter; 
mais  les  troupes  d'Allemagne  hésitèrent  long- 
temps,  n'ayant  pas  encore  recouvré  leurs  forces, 
et  ayant  perdu  toute  mauvaise  volonté  depuis 
que,  revenues  malades  de  la  longue  navigation 
d'Alexandrie  où  Néron  les  avait  envoyés,  Galba 
n'épargnait  ni  soin  ni  dépense  pour  les  rétablir. 
La  foule  du  peuple  et  des  esclaves,  qui  durant  ce 
temps  remplissait  le  palais,  demandait  à  cris  per^- 
çansla  mort  d'Olhon  et  l'exil  des  conjurés,  comme 
ils  auraient  demandé  quelque  scène  dans  les  jeux 
publics;  non  que  le  jugement  ou  le  zèle  excitât 
des  clameurs  qui  changèrent  d'objet  dès  le  même 
jour,  mais  par  lusage  établi  d'enivrer  chaque  prftice 
d'acclamations  efiirénées  et  de  vaines  flatteries. 

Cependant  Galba  flottaitentre  deux  avis.  Celui 
de  ,Vinius  était  qu'il  fiillait  armer  les  csclares,  res^ 
ter  dans  le  palais,  et  en  barricader  les  avenues;^ 
qu'au  lieu  de  s^ofErir  k  des  gens  échauflfés  on  devait 
laisser  le  temps  aux  révoltés  de  se  repentir  et  aux 
fidèles  de  se  rassurer;  que  si  la  promptitude  con- 
fient aux  for&its,  le  temps  Ëivorise  les  bons  des- 
seins-^qu  enfin  l'on  aurait  toujours  la  même  liberti 
d'aller  s'il  était  nécessaire^  mais  qu'on  n'était  pas 
sûr  d'avobr  celle  du  retour  au  besoin. 

Les  autres  jugeaient  qu'en  se  hâtant  de  préve- 
siir  le  progrès  d'"ue  sédition  faible  encore  et  peo 


\3\  niZISXBk  UVRE 

nombreuse,  on  épouyanterait  Othon  mâiM,  qui, 
l'étant  Hyré  furtivement  à  des  inconnus^  profite^ 
rait,  pour  apprendre  à  représenter ,  de  tout  k 
temps  qu'on  perdrait  dans  une  lâche  indolence. 
Fallait<>il  a!t  ndre  qu^ayant  pacifié  U  camp  il  Tint 
s'emparer  de  la  place  ^  et  monter  an  Capîtole  anx 
yeux  mêmes  de  Galba ,  tandis  qu'un  si  grand  capi> 
taine  et  ses  braves  amis,  renfermés  dans  les  por* 
tes  et  le  seuil  du  palais,  Tinviteraient  pour  ainsi 
dire  à  les  assiéger?  Quel  secours  pouvait-on  se 
promettre  des  esclaves,  si  on  laissait  refiroidir  la 
faveur  de  la  multitude,  et  sa  première  indignation 
plus  puissante  que  tout  le  reste?  D ailleurs, 
disaient-ils,  le  parti  le  moins  honnête  est  aussi  le 
moins  sûr;  et,  dût-on  succomber  au  péril,  il  vaut 
encore  mieux  l'aller  chercher;  Othon  en  sera  i^os 
odieux,  et  nous  en  aurons  plus  d'honneur.  Vinius 
résistant  à  cet  avis  fut  menacé  par  Lacon  â  Hn- 
stigation  dicelus,  toujours  prêt  à  servir  sa  haine 
particulière  aux  dépens  de  l'état. 

Galba ,  sans  hésiter  plus  long-temps,  cboisil  le 
parti  le  plus  spécieux.  On  envoya  Pison  le  jn- 
mier  au  camp,  appuyé  du  crédit  que  devaient  ha 
donner  sa  naissance,  le  rang  auquel  il  venait  de 
monter,  et  sa  colère  contre  Vinius,  vérifaUe  oa 
supposée  telle  par  ceux  dont  Vinius  était  hai  et 
que  leur  haine  rendait  crédule.  A  peine  Pison  fel 
parti,  qu il  s'éleva  un  bruit,  d abord  vague  et  îd- 
certain ,  qu^Othon  avait  été  tué  dans  le  camp  : 
pois,  comme  il  arrive  aux  mensonges  important, 


DETACITB.  l35 

i!  se  trouva  bientôt  des  témoins  oculaires  du  t»ii,j 
^  persuadèrent  aisément  tous  ceux  qui  s^cn 
réjouissaient  ou  qui  s  en  souciaient  peu;  mais  plu» 
$ieurs  crurent  que  ce  bruit  était  répandu  et  fo- 
menté par  les  amis  d'Othon,  pour  attirer  G^lba 
par  le  leurre  d^une  bonne  nouvelle. 

Ce  fut  alors  que,  les  applaudissemens  et  Tem* 

E ressèment  outré  gagnant  plus  haut  qu'une  popu- 
ce  imprudente,  la  plupart  des  chevaliers  et  des 
sénateurs,  rassurés  et  sans  précaution,  forcèieat 
les  portes  du  palais,  et,  courant  au-devant  de 
Galba,  se  plaignaient  que  llioDueur  de  le  venger 
leur  eût  été  ravie.  Les  plus  lAchcs,  et,  comme  1  ef i- 
fet  le  prouva,  les  moins  capables  d^afironter  le 
danger,  téméraires  en  paroles  et  braves  de  la  lan- 
gue, a&maient  tellement  ce  qulls  savaient  le 
moins,  que,  faute  davis  certain,  et  vaincu  par 
ces  clameurs ,  Galba  prit  une  cuirasse ,  et ,  n'étant 
ni  d  âge  ni  de  force  à  soutenir  le  choc  de  la  foule, 
se  fit  porter  dans  sa  chaise.  Il  rencontra,  sortant 
du  palais,  un  gendarme  nommé  Julius  Âtticus, 
^ui,  montrant  son  glaive  tout  sanglant,  s  écria 
qu  il  avait  tué  Othon.  Camarade ,  lui  dit  Galba , 
qui  vous  Va  commandé?  Vigueur  singulière  d'un 
homme  attentif  à  réprimer  la  licence  militaire,  et 
qui  ne  se  laissait  pas  plus  amorcer  par  les  flatto- 
ries  qa'effirayer  par  les  menaces! 

Dans  le  camp  les  scntimens  n  étaient  plus  dou- 
teux ni  partagés,  et  le  zèle  des  soldats  était  tel, 
que,  non  contens  denvircHiner  Othon  de  leurs 


\ 


r36  PREMIER  LIVRE 

corps  et  de  leurs  bataillons,  ils  le  placèrent  an  mi- 
lîeu  des  en^ignes  et  des  drapeaux,  dans  Tenceinte 
où  était  peu  auparavant  la  statue  d'or  de  Galba. 
Ni  tribuns  ni  centurions  ne  pouvaient  approcher, 
et  les  simples  soldats  criaient  qu^on  prit.garde  aux 
officiers.  On  n'entendait  que  clameurs,  tumultes, 
exhortations  mutuelles.  Ce  n'étaient  pas  les  tièdes 
et  les  discordantes  acclamations  d'une  populace 
qui  flatte  son  maître;  mais  tous  les  soldats  quon 
voyait  accourir  en  foule  étaient  pris  par  la  main , 
embrassés  tout  armés ,  amenés  devant  lui ,  et ,  après 
leur  avoir  dicté  le  serment,  ils  recommandaient 
Tempercur  aux  troupes  et  les»  troupes  i  1  empereur. 
Othon,  de  son  côté,  tendant  les  bras,  salua:nt  la 
multitude,  envoyant  des  baisers,  n'omettait  rieo 
de  servile  pour  commander.     , 

Enfin ,  après  que  toute  h  lé^îon  de  mer  lui  eut 
prêté  le  serment,  se  coit^ant  en  ses  forces  et  vou- 
lant animer  en  commun  tous  ceux  qu  il  avait  ex- 
cites en  particulier,  il  monta  sur  le  rempart  du 
camp,  et  leur  tint  ce  discours  : 

ce  Compagnons ,  j'ai  peine  à  dire  sous^piiel  titre 
«  je -me  présente  en  ce  lieu  :  car,  élevé  par  vous  à 
K  Tempire,  je  ne  puis  me  regarder  comme  parti- 
«  culicr,  ni  comme  empereur  tandis  quun  autre 
«commande;  et  l'on  ne  peut  savoir  quel  nom 
a  vous  convient  k  vous-mêmes  qu'en  décidant  si 
«  celui  que  vous  protégez  est  le  chef  ou  l'enDemi 
ce  du  peuple  romain.  Vous  entendez  que  nul  ne 
£  demande  ma  punition  qu'il  ne  demande  aussi 


R  la  vôtre ,  tant  il  est  certain  que  nous  ne  pouvons 
«  nous  sauver  ou  pérû*  quVnsemble;  et  vous  de^ 
ce  vez  juger  de  la  fiicilité  avec  laquelle  le  clément 
a  Galba  a  peut-être  déjà  promis  votre  mort  par  le 
a  meurtre  de  tant  de  milliers  de  soldats  innocens 
tt  que  personne  ne  lui  demandait.  Je  frémis  en  me 
ce  rappelant  Thorreur  de  son  entrée  et  de  son 
ce  unique  victoire,  lorsqu'aux  yeux  de  toute  la 
(c  ville  il  fit  décimer  les  prisonniers  supplians  qu'il 
(c  avait  reçus  en  grâce.  Entré  dans  Rome  sous  de 
(c  tels  auspices,  quelle  gloire  a-t-il  acquise  dans  le 
ce  gouvernement,  si  ce  nest  dWoir  fait  mourir 
ce  Sabinus  et  Marcellus  en  Espagne,  Cbilon  dans 
a  les  Gaules,  Capiton  en  Allemagne,  Macer  en 
c(  Afrique,  Cingonius  en  route,  Turpilien  dans 
«c  Rome,  et  Nymphidius  au  camp?  Quelle  armée 
et  ou  quelle  province  si  reculée  sa  cruauté  n'a-t-elle 
ce  point  souillée  et  déshonorée,  ou,  selon  lui,lavée 
(C  et  purifiée  avec  du  sang?  car,  traitant  les  crimes 
<c  de  remèdes  et  donnant  de  faux  noms  aux  choses, 
ce  il  appelle  la  barbarie  sévérité,  Tavarice  écono- 
cc  mie^  et  discipline  tous  les  maux  qu'il  vous  friit 
ce  souffrir.  Il  n  y  a  pas  sept  mois  que  Néron  est 
ce  mort,  et  Icelus  a  déjà  plus  volé  que  n^ont  Ëiit 
et  Élius,  Polyclèle  et  Vatinius.  Si  Vînius  lui-même 
a  eût  été  empereur,  il  eût  gouverné  avec  moins 
a  d  avarice  et  de  licence;  mais  il  nous  commande 
ce  comme  à  ses  sujets ,  et  nous  dédaigne  comme 
ce  ceux  d'un. autre.  Ses  richesses  seules  suffiseni 


l38  PREMIER  IIVRB 

«  pour  ce  donatif  qu  on  vous  vante  sans  cesec  el 
ce  qu'oB  ne  yoas  donue  iamais. 

et  Afin  de  ne  pas  même  laisser  d'espoir  i  son 
c  successeur,  Galba  a  rappelé  d'exil  on  homme 
K  qu'il  jugeait  avare  et  dur  comme  lui.  Les  dieui 
«  vous  ont  avertis  par  les  signes  les  plus  évidens, 
«  qu'ils  désapprouvaient  cette  élection.  Le  sénat  et 
«  le  peuple  romain  ne  loisont  pas  plus fiivorables  : 
«c  mais  leur  confiance  est  tout  en  votre  courage; 
«  car  vous  avez  la  force  en  main  pour  exécuter  ks 
«  choses  honnêtes,  et  sans  vous  les  meilleurs  des- 
«  seins  ne  peuvent  avoir  d  effet*  Ne  croyez  pas 
ctqu^il  soit  ici  question  de  guerres  ni  de  périb, 
(T  puisque  toutes  les  troupes  sont  pour  nous,  que 
«  Galba  n  a  qu'une  cohorte  en  toge  dont  il  n*est 
«  pas  le  chef,  mais  le  prispnnier,  et  dont  le  seul 
«  combat  à  votre  aspect  et  à  mon  premier  signe  va 
a  être  à  qui  m'aura  le  plus  tôt  reconnu.  Elnfin  et 
«  n'est  pas  le  cas  de  temporiser  dans  une  entrt; 
«  prise  quon  ne  peut  louer  qu  après  lexécution.  • 

Aussitôt,  ayant  Ciit  ouvrir  l'ai^senal,  tous  cou- 
rurent aux  armes  sans  ordre  «  sans  règl«,  sans 
distinction  des  enseignes  prétoriennes  et  des  lé- 
gionnaires,  de  Fécu  des  auxiliaires  et  du  bouclier 
romain;  et,  sans  que  ni  tribun  ni  centurion  seo 
mêlât,  chaque  soldat,  devenu  son  propre  ofScier, 
s  animait  et  s'excitait  lui-même  à  mal  fiiire  par  k 
plaisir  d-affliger  les  gens  de  bien. 

Déjà  Pison,  efl&uyé  du  frémissement  de  la  sé£- 
tàao.  croissante  et.  àa  hriiit  des  dâ^euis  ^  retca- 


DE  TACiTB.  r3g 

tissait  ji  jsqne  dans  la  ville ,  s  était  mis  à  la  suite  de 
Galba-qoi  s'acheminait  vers  la  place.  Déjà,  sur  les 
manvabes  nouveites  apportées  par  Celsus ,  les  uûs 
parlaient  de  retourner  au  palais,  d^aufresd  aller  air 
Capitole,  le  plus  grand  nombre  d'occuper  les 
rostres.  Plusieurs  se  contentaient  de  contredire 
lavb  des  autres  ',  et ,  comme  il  arrive  dans  les  mau- 
vais succès,  le  parti  quil  nétait  plus  temps  de 
prendre  semblait  alors  le  meilleur.  On  dit  que 
Lacon  méditait  à  YirSsn  de  Galba  de  faire  tuer 
Vinius  ;  soit  qu'iLespéràt  adoucir  les  soldats  par  ce 
châtiment,  soit  qu'il  le  crût  complice  d'Othon, 
soit  enfin  par  un  mouvement  de  haine.  Mais  le 
temps  et  le  lieu  l'ayant  fait  balancer  par  la  crainte 
de  ne  pouvoir  plus  arrêter  le  sang  après  avoir  com- 
mencé d'en  répandre,  Teffiroi  dessurvenans,la  dis- 
persion du  cortège,  et  le  trouble  de  ceux  qui  s'é* 
taient  d'abord  montrés  si  pleins  dezèleetd'ardeur, 
achevèrent  de  Ten  détourner. 

Cependant,  entraîné  çâ  et  (à,  Galba  cédait  à 
l'impulsion  des  flots  de  la  multitude,  qui,  remplis- 
sant de  toutes  parts  les  temples  et  les  basiliques, 
a  ofl^ait  qu'un  aspect  lugubre.  Le  peuple  et  les  ci- 
toyens, Tair  morne  et  l'oreille  attentive,  ne  pous- 
saient point  de  cris  ;  il  ne  régnait  ni  tranquiUité  ni 
tumulte,  mais  un  silence  qui  marquait  à  la  fois  la 
firajreor  et  Tindignation.  On  dit  pourtant  à  Otfaon 
que  le  peuple  prenait  les  armes  :  sur  quoi  il  ordonna 
de  forcer  les  passages  et  d'occuper  les  postes  ivOf- 
l^ortans.  Alors  ^  comme  5  il  eût  été  jpiestion  ooado 


l4o  PRESnER  UVKE 

massacrer  dans  leur  prince  un  vieillard  désarmé| 
mais  de  renverser  Pacore  oiiVologèse  du  trdne  des 
ÂrsacideS;  on  vit  les  soldats  romains  écrasant  le 
peuple,  foulant  aux  pieds  les  sénateurs ,  pénétiti 
dans  la  place  à  la  course  de  leurs  chevaux  et  â  U 
pointe  de  leurs  armes,  sans  respecter  le  Capitole 
ni  les  temples  des  dieux,  sans  craindre  les  princes 
présens  et  à  venir,  vengeurs  de  ceux  qui  les  ont 
précédés. 

A  peine  aperçut-on  les  troupes  dX)thon ,  qps 
renseigne  de  l'escorte  de  Galba,  appelé^  dit^Hi, 
Vergilio,  arracha  Timage  de  1  empereur  et  la  jeta 
par  terre.  A  Tinstant  tous  les  soldats  se  dédartnt, 
le  peuple  fuit,  quiconque  hésite  voit  le  £sr  prêt  ï 
le  percer.  Près  du  lac  de  Curtius,  Galba  toinbaik 
sa  chaise  par  Teffiroi  de  ceux  qui  le  portaient,  et 
fut  d'abord  enveloppé.  On'  a  rapporté  diversement 
ses  dernières  paroles  selon  la  haine  ou  l'admira- 
tion qu'on  avait  pour  lui  :  quelques-uns  disent 
qu'il  demanda  d'un  ton  suppliant  quel  mal  il  avak 
.  Élit,  priant  qu on  lui  laissât  quelques  jours  pour 
payer  le  donatif  ;  mais  plusieurs  assurent  que, 
présentant  hardiment  la  gorge  aux  soldats,  0  leur 
dit  de  frapper  s'ils  croyaient  sa  mort  utile  à  1  état 
Les  meurtriers  écoutèrent  peu  ce  qu^il  pouraiC 
dire.  On  n'a  pas  bien  su  qui  lavait  tué  :  les  uns 
nomment  Terentius,  d'autres  Lecanius  ;  mais  le 
bruit  commun  est  que  Camurius ,  soldat  de  b 
quinzième  légion,  lui  coupa  la  gorge.  Les  autres 
lui  déchiquetèrent  cruellement  les  bras  et  les  jam- 


DB  TAcrrr.  14^ 

bes,  car  la  cuirasse  couvrait  la  poitrine  ;  et  leur 
barbare  férocité  chargeait  encore  de  blessures  un 
corps  déjà  mutilé. 

On  Tint  ensuite  à  Vinius,  dont  il  est  pareille- 
ment douteux  si  le  subit  ef&oi  lui  coupa  la  voix^ 
ou  s'il  s'écria  qu^Otbon  n'avait  point  ordonné  sa 
mort;  paroles  qui  pouvaient  être  YeSki  de  sa 
crainte,  ou  plutôt  Tayeu  de  sa  trahison,  sa  vie  et 
sa  réputation  portant  à  le  croire  complice  dun 
crime  dont  il  était  cause. 

On  vit  ce  jour-là  dans  Sempronius  Densns  un 
exemple  mémorable  pour  notre  temps.  C'était  un 
centurion  de  la  cohorte  prétorienne ,  chargé  par 
Galba  de  la  garde  de  Pison  :  il  se  jeta  le  poignard 
à  la  main  au^evant  des  soldats  en  leur  reprochant 
leur  crime;  et,  du  geste  et  de  la  voix  attirant  les 
30ups  sur  lui,  il  donna  le  temps  à  Pison  de  se 
:happcr  quoique  blessé.  Pison  se  sauva  dans  le 
:einp!e  de  Vesta,  où  il  reçut  asile  par  la  piété  d'un 
;sclave  qui  le  cacha  dans  sa  chambre  ;r,  précaution 
>lus  propre  à  différer  sa  mort  que  la  religion  ni  le 
aspect  des  autels.  Mais  florus,  soldat  des  cohor^ 
es  britanniques,  qui  depuis  long-temp  avait  été 
ait  citoyen  par  Galba ,  et  Statius  Murcus ,  lancier 
le  la  garde,  tous  deux  particulièrement  altérés  du 
ang  de  Fison ,  vinrent  de  l^f  part  d'Othon  le  tirer 
e  son  asile,  et  le  tuèrent  à  la  porte  du  temple. 

Cette  mort  fut  celle  qui  fit  le  plus  de  plaisir  à 
Khon ;  et  Ion  dit  que  ses  regards  avides  ne  pou- 
iieot  se  lasser  de  considérer  cette  tfite^  soit  que. 


î  ;a  PREMIER  LIVRE 

délivré  de  toute  inquiétude,  il  commençât  alorsl 
se  livrer  à  la  joie,  soit  que,  son  ancien  respect 
pour  Galba  et  son  amitié  pour  Vinius  mêlant  à  sa 
cruauté  quelque  image  de  tristesse ,  il  se  crût  plus 
permis  de  prendre  plaisir  à  la  mort  d'un  concur- 
rent et  d'uu  ennemi.  Les  têtes  furent  mises  cha- 
cune au  bout  d  une  pique  et  portées  parmi  les 
enseignes  des  cohortes  et  autour  de  Faigle  de  Ll 
légion  :  c'était  k  qui  ferait  parade  de  ses  maLis 
sanglantes,  à  qui,  faussement  ou  non,  se  vanterait 
d^avoir  commis  ou  vu  ces  assassinats  ,  comme 
d  exploits  gloriçux  et  mémorables.  Vitellius  troava 
dans  la  suite  plus  de  cent  viogt  placets  de  gens 
qui  demandaient  récompense  pour  quelque  ilât 
notable  de  ce  jour-là  :  il  les  fit  tous  chercher  et 
m^'ttre  à  mort,  non  pour  honorer  Galba  ,  ma» 
selon  la  maxime  des  princes  de  pourvoir  à  lear 
sûreté  présente  par  la  crainte  des  châtimensfiituis. 
Vous  eussiez  cru  voir  un  autre  sénat  et  un 
(lutre  peuple.  Tout  accourait  au  camp  :  chacun 
s  empressait  à  devancer  les  autres,  à  maudîp 
Galba,  à  vanter  le  bon  choix  des  troupes,  à  bai- 
ser les  mains  d'Othon  ;  moins  le  zèle  était  dîncèn^ 
plus  ou  aOectait  d!en  montrer.  Othon  de  son  ci^L 
ne  rebutait  personne,  mais  des  yeux  et  de  la  vca 
^chait  d  adoucir  Tavide  férocité  des  soldats.  L 
ne  cessaient  de  demander  le  supplice  de  Cebu5 
consul  désigné,  et,  jusqu à  1  extrémité,  fidèle  am 
de  Galba  :  son  innocence  et  ses  services  étaîen 
des  crimes  qui  les  irritaient  On  vojait  ^lls  u 


DE  TACITE.  143 

chcrcîiaieiit  qu'à  Ésiire  périr  tout  hcmmc  de  bien , 
et  commencer  les  meurtres  et  le  pillage  :  mais 
QthoTi  ,qui  pouvait  commander  les  assassinats^  n'a- 
vait pas  encore  assez  d'autorité  pour  les  défendre. 
Il  fit  donc  lier  Celsus ,  affectant  une  grande  colère, 
et  le  sauva  d'une  mort  présente  en  feignant  de  le 
réserver  à  des  tourmens  plus  cruels. 

Alofô  tout  se  fit  au  gré  des  soldats.  Les  préto-^ 
riens  se  choisirent  eux-mêmes  leurs  préfets.  A 
Firmus,  jadis  manipulalre,  puis  commandant  du 
guet ,  et  qui ,  du  vivant  même  de  Galba ,  s'était 
attaché  à  Othon ,  :1s  joignirent  LiciniusProculus, 
que  son  étroite  familiarité  avec  Othon  fit  soup- 
çonner d'avoir  favorisé  ses  desseins.  En  donnant 
à  Sabinus  la  préfecture  de  Rome,  ils  suivirent  le 
sentiment  de  Néron  sous  lequel  il  avait  eu  le  même 
emploi  ;  mais  le  plus  grand  nombre  ne  voyait  en 
lui  que  Vespasien  son  frère  :  ils  sollicitèrent  l'af- 
franchissement des  tributs  annuels  que,  sous  lo 
nom  de  congés  à  temps  ^hs  simples  soldats  payaient 
aux  centurions.  Le  quart  des  m'anipulaires  était 
aux  vivres  ou  dispersé  dans  le  camp  ;  et  pourvu 
que  le  droit  du  centurion  ne  fut  pas  oublié,  il  n'y 
avait  sorte  de  vexation  dont  ils  s'abstinssent,  ni 
sorte  de  métiers  dont  ils  rougissent.  Du  profit 
de  leurs  voleries  et  des  plus  servils  emplois  ils 
payaient  l'exemption  du  service  militaire  ;  et 
quand  ils  s'étaient  enrichis,  les  officiers,  les  acca-« 
blant  de  travaux  et  de  peine,  les  forçaient  d'achc** 
ter  de  nouveaux  congés.  Euliu ,  épuisés  de  dépensa 


s 


X  $4  PREMIER  LIVRE 

et  perdus  cle  mollesse^  ils  revenaient  aa  manipule 
pauvres  et  fainéans  y  de  laborieux  qu^Is  en  étaient 
partis  et  de  riches  qu'ils  y  devaient  retourner. 
Voilà  cpmment,  également  corrompus  tour  à  tonr 
par  la  licence  et  par  la  misère,  ils  ne  cherchaient 
que  mutineries ,  révoltes  et  guerres  civiles.  De 

ur  d'irriter  les  centurions  en  gratifiant  les  sol- 

ts  à  leurs  dépens,  Othon  promit  de  payer  du 
fisc  les  congés  annuels  ;  établissement  udle ,  et 
depuis  confirmé  par  tous  les  bons  princes  pour  k 
maintien  de  la  discipline.  Le  préfet  de  Lacon, 
qu  on  feignit  de  reléguer  dans  une  ile ,  fut  tué  par 
qn  garde  envoyé  pour  cela  par  Othon  :  Icelus  fut 
puni  publiquement  en  qualité  d'ailranchi. 

Le  comble  des  maux  dans  un  jour  si  rempli  de 
crimes  fut  Tallégresse  qui  le  termina.  Le  préteur 
de  Rome  convoqua  le  sénat  ;  et ,  tandis  que  les 
autres  magistrats  outraient  i  Tenvi  radulation,!» 
sénateurs  accourent;  décernent  à  Othon  la  pub- 
sance  tribunitienne ,  le  nom  d'Auguste ,  et  tnn$ 
les  honneurs  des  empereurs  précèdens  y  tàchact 
dVifacer  ainsi  les  injures  dont  ik  venaient  de  k 
cbarger,  et  auxquelles  il  ne  parut  point  sensiKf 
Que  ce  fût  clémence  ou  délai  de  sa  part ,  c'est  cc 
que  le  peu  de  temps  qu'il  a  régné  n^a  pas  pemii: 
de  savoir. 

S'étant  fait  conduire  au  Capitole  ,  puis  ai 
palais,  il  trouva  la  place  ensan^ntée  des  morb 
qui  y  étaient  encore  étendus,  et  permit  qu^ils  fo^ 
i^nt  brûlé^  et  enterrést  Yerania,  femme  de  Pisosj 


DE  TACITE.  145 

Scribonlanussonfirère,  et  Crispine,  fille  de  Vinius, 
rccueîllîrent  leurs  corps,  et,  ayant  cherché  les 
têtes, les  rachetèrent  des  meurtriers  <juiles  ayaieut 
gardées  pour  les  vendre.^ 

Pisou  finit  ainsi  la  trente-unième  année  dune 
vie  passée  avec  moins  de  bonheur  que  d'honneur. 
Deux  de  ses  frères  avaient  été  mi»  à  mort.  Ma- 
guus  par  Claude,  et  Crassus  par  Néron  :  lui-même, 
après  un  long  exil,  fut  six  jours  césar,  et,  par  une 
adoption  précipitée,  sembla  n'avoir  clé  préféré  à 
son  aîné  que  pour  être  mis  à  mort  avant  lui.  Vi- 
uius  vécut  quarante-sept  ans  avec  des  mœurs  in- 
constantes :  son  père  était  de  famille  prétorienne-, 
son  aïeul  maternel  fut  au  nombre  des  proscrits.  Il 
fit  avec  infamie  ses  premières  armes  sous  Calvi- 
sius  Sa])inus,  lieutenant-général,  dont  la  femme 
indécemment  curieuse  de  voir  Tordre  du  camp  y 
entra  de  nuit  en  habit  d'homme,  et,  avec  la  même 
impudence, parcourut  les  gardes  et  tous  les  postes, 
après  avoir  commencé  par  souiller  le  lit  conjugal  ; 
crime  dont  on  taxa  Vinius  d'être  complice.  11  fut 
donc  chargé  de  chaînes  par  ordre  de  Caligula  : 
mais  bientôt  y  les  révolutions  des  temps  Payant  fait 
délivrer,  il  monta  sans  reproche  de  grade  en  grade. 
Après  sa  préture,  il  obtint  avec  applaudissement 
le  commandement  d'une  légion  ;  mais  se  déshono- 
rant derechef  par  la  plus  sen'ilc  bassesse,  U  vola 
une  coupe  dW  dans  un  festin  de  Claude,  qui  or- 
donna le  lendemain  que  de  tous  les  convives  on 
servît  le  seul  Vinius  en  vaisselle  de  terre.  Il  n« 


l46  I^REHIBIL  UTKE 

laissa  pas  de  gouverner  ensuite  la  Gaule  narbcm- 
naise,  en  qualité  de  proconsul ,  avec  la  plus  sé?ère 
intégrité.  Enfin,  devenu  tout  à  coup  ami  de  Galba, 
il  se  montra  prompt,  hardi,  rusé,  méchant,  ba* 
bile  selon  ses  desseins,  et  toujours  avec  la  même 
vigueur.  On  n'eut  point  d'égard  à  son  testament 
à  cause  de  ses  grandes  richesses;  mais  la  pauvreté 
de  Pison  fit  respecter  ses  dernières  volontés. 

Le  corps  de  Galba ,  négligé  long  -  temps ,  et 
chargé  de  mille  outrages  dans  la  licence  des  té- 
nèbres ,  reçut  une  humble  sépulture  dans  ses  jar* 
dins  particuliers,  par  les  soins  d'Argius,  son  in- 
tendant et  Tun  de  ses  plus  anciens  domestiques. 
Sa  t^*tc,  plantée  au  bout  d^une  lance,  et  défigurée 
par  les  valets  et  goujats,  fut  trouvée  le  jour  sol- 
vant devant  le  tombeau  de  Patrobe,  aflSranchi  de 
Néron,qu  il  avait  fait  punir,  et  mise  avec  son  corps 
cL^'^jà  brûlé.  Telle  fut  la  fin  de  Sergiu3  Galba ,  apcs 
soixante  et  treize  ans  de  vie  et  de  prospérité  sous 
cinq  princes,  et  plus  heureux  sujet  que  souverain. 
Sa  noblesse  était  ancienne,  et  sa  fortune  inuucnse. 
11  avait  im  génie  médiocre,  point  de  vices ,  et  peu 
de  vertus.  11  ne  fuyait  ni  ne  cherchait  la  réputa- 
tion :  sans  convoiter  les  richesses  d  autrui ,  il  était 
ménagé  des  siennes,  avare  de  celles  de  l'état.  Sub- 
jugué par  ses  amis  et  ses  af&ancnis,  et  juste  ou 
méchant  par  leur  caractère,  il  laissait  faire  égale- 
ment le  bien  et  le  mal,  approuvant  l'un  et  igoo- 
ont  Fautre  ;  mais  un  grand  nom  et  le  malheur  des 
^^  )ps  lui  iîùsaieut  imputer  à  vertu  ce  ^i  n'était 


DE  TACITE.  l47 

qu'indolence.  11  avait  servi  dans  sa  jeunesse  en 
Germanie  avec  honneur,  et  s'était  bien  comporté 
dans  le  proconsulat  d'Afrique  :  devenu  vieux,  il 
gouverna  ITlspagne  citérieure  avec  la  même  équité. 
En  un  mot,  tant  quil  fîit  homme  privé,  il  parut 
au-dessus  de  son  étdt,  et  tout  le  monde  1  eût  jugé 
digne  de  l'empire ,  s'il  n  y  fût  jamais  parvenu. 

A  la  consternation  que  jeta  dans  Rome  l'atro- 
cité de  ces  récentes  exécutions ,  et  à  la  crainte  qu  y 
causaient  les  anciennes  mœurs  (VOthon,  se  joignît 
un  nouvel  effroi  par  la  défection  de  VitelJius, 
qu'on  avait  cachée  du  vivant  de  Galba,  en  lais- 
sant croire  qu'il  n'y  avait  de  révolte  que  dans  l'ar- 
•née  de  la  Haute-Allemagne.  C'est  alors  qu'avec  le 
sénat  et  Tordre  équestre ,  qui  prenaient  quelque 
part  aux  affaires  publiques ,  le  peuple  mémo  dé- 
plorait ouvertement  la  fatalité  du  sort ,  qui  snm- 
olait  avoir  suscité  pour  la  perte  de  Pcmpiie  deux 
hommes,  les  plus  corrompus  des  mortels  par  la 
mollesse,  la  débauche,  l'impudicité.  On  ne  voyait 
pas  seulement  renaître  les  cruautés  commises  du; 
rant  la  paix,  mais  Iborrcur  des  guerres  civiles  où 
Rome  avait  été  si  souvent  prise  par  ses  propres 
troupes,  ritcdie  dévastée,  les  provinces  ruinées. 
Pharsale,  Philippes,  Pérouse  et  Modène,  ces  noms 
célèbres  par  la  désolation  publique ,  revenaient 
sans  cesse  à  la  bouche.  Le  monde  avait  été  presque 
bouleversé  quand  des  hommes  dignes  du  souve- 
rain pouvoir  se  le  disputèrent.  Jules  et  Auguste 
vainqueurs  avaient  souftenu  l'empire,  Pompée  et 


I  (8  1>REMIRR  LIVRE 

Brutus  eussent  relevé  la  république.  Mais  était-ce 
pour  Vitellius  ou  pour  Oihoa  qu'il  fallait  invo- 
quer les  dieux?  et  quelque  parti  qu  on  prît  entre 
de  tels  compétiteurs,  comment  éviter  de  faire  des 
vœux  Impies  et  des  prières  sacrilèges,  quand  lé- 
véncment  de  la  guerre  ne  pouvait  dans  le  vain- 
queur montrer  que  le  plus  méchant?  Il  y  en  avait 
qui  songeaient  à  Vespasien  et  à  larméc  d*0ricnl; 
mais  quoiqu'ils  préférassent  Vespasien  aux  deux 
autres,  ils  ne  laissaient  pas  de  craindre  cette  non- 
velle  guerre  comme  une  source  de  nouveaux  m:tl- 
heurs  :  outre  que  la  réputa'ion  de  Vespasien  était 
encore  équivoque  ;  car  il  est  le  seul  parmi  tant 
de  princes  que  le  rang  suprême  ait  changé  en 
mieux. 

Il  faut  maintenant  exposer  Toriglne  et  les  cau- 
ses des  mouvemens  de  Vitellius.  Après  la  défaite 
et  la  mort  de  Vindex,  Farmée,  qu'une  viiloirt 
sans  danger  et  sans  peine  venait  d'enrichir,  fier? 
de  sa  gloire  et  de  son  butin ,  et  préférant  le  ptl 
lage  à  la  paie,  ne  cherchait  que  guerres  et  que 
tx»mbats.  Long-temps  le  service  avait  été  infiroc- 
tueux  et  dur,  soit  par  la  rigueur  du  dimat  et  dt^ 
saisons,  soit  par  la  sévérité  de  la  discipline,  tou- 
jours inflexible  durant  la  paix,  mais  que  les  flat- 
teries des  séducteurs  et  l'impunité  des  traitn^ 
énervent  dans  les  guerres  civiles.  Hommes,  armeN 
chevaux,  tout  s'offirait  à  qui  saurait  s  en  servir  et 
^S*en  illustrer;  et,  au  lieu  qu'avant  la  guerre  les 
armées  étant  éparses  sur  les  frontières^  chacun  ne 


DE  TACITE.  l49 

connaissait  que  sa  compagnie  et  son  bataillon , 
alors  les  légions  rassemblées  contre  Vindex,  ayant 
comparé  leur  force  à  celles  des  Gaules,  n'atten- 
daient cju^un  nouveau  prétexte  pour  chercher  que- 
relle à  des  peuples  qu'elles  ne  traitaient  plus  d'amis 
et  de  compagnons,  mais  de  rebelles  et  de  vaincus. 
Elles  comptaient  sur  la  partie  des  Gaules  qui  con- 
fine au  Rhin,  et  dont  les  habitans  ayant  pris  le 
même  parti  les  excitaient  alors  puissamment  con- 
trc  les  galbiens ,  nom  que  par  mépris  pour  Vindex 
ils  avaient  donné  à  ses  partisans.  Le  soldat,  animé 
contre  les  Eduens  et  les  S^quanais,  et  mesurant 
sa  colère  sur  leur  opulence,  dévorait  déjà  dans  son 
cœur  le  pillage  des  villes  et  des  champs  et  les  dé« 
pouilles  des  citoyens.  Son  arrogance  et  son  avi^ 
dilé,  vices  communs  à  qui  se  sent  le  plus  fort,  s'ir^ 
ritaient  encore  par  les  bravades  des  Gaulois,  qui, 
pour  faire  dépit  aux  troupes,  se  vantaient  de  la 
remise  du  quart  des  tributs ,  et  du  droit  qu'ils 
avaient  reçu  de  Galba. 

A  tout  cela  se  joignait  un  bruit  adroitement 
répandu  cl  inconsidérément  adopté,  que  les  lé- 
gions seraient  décimées  et  les  plus  braves  centu- 
rioni  cassés.  De  toutes  parts  venaient  des  nou- 
velles fâcheuses  ;  rien  de  Rome  que  de  sinistre  : 
la  mauvaise  volonté  de  la  colonie  lyonnaise  et  son 
opiniâtre  attachement  pour  Néron  était  la  source 
de  mille  &ux  bruits.  Mais  la  haine  et  la  crainte 
particulière  jointe  4  la  sécurité  générale  qu'in^i- 
raient  tant  de  force  réunies,  fournissaient  dans  1$ 


1^2  mzZU^^  UVKE 

Galba  avait  dîiDÎnaé  le  territoire  et  qu'il  avait 
maltraitées  pr  de  rigoureux  édits,  mêlés  dans  les 
quartiers  des  légions,  les  excitaient  par  des  dis- 
cours séditieux;  et  les  soldats,  corrompos  par  It> 
habitans,  n'attendaient  qu'un  homme  qui  toqIù: 
profiter  de  l'offre  qu'ils  avaient  faite  à  Verginios. 
La  cité  de  Langres  avait,  selon  l'ancien  U5a;^ 
envoyé  aux  légions  le  présent  des  mains  enlacr v'^. 
en  signe  d'hospitalité.  Les  députés,  aflectant  un: 
contenance  afBigéc,  commencèrent  à  raconter  d' 
chambrée  en  chambrée  les  injures  qulls  recevaitrt 
et  les  grâces  qu'on  faisait  aux  cités  voisines;  po:.. 
se  voyant  écoutés,  ils  échaufTaicnt  les  es|HÎt5  p* 
rénumération  des  mécontentemens  donnés  âl  * 
méc  et  de  ceux  qu'elle  avait  encore  à  craindre. 

Enfin  tout  se  préparant  à  la  sédition ,  HonJ'  .^ 
nius  renvoya  les  députés  et  les  fit  sortir  de  du 
pour  cacher  leur  départ.  Mais  cette  précaui 
réussit  mal,  plusieurs  assurant  qu'ils  avaient  : 
massacrés,  et  que  si  Ton  ne  prenait  gardeâ^^^^ 
les  plus  braves  soldats  qui  avaient  osé  murmorf- 
de  ce  qui  se  passait  seraient  ainsi  tués  de  niû> 
l'insu  des  autres.  Là -dessus  les  légions  sVt' 
liguées  par  un  engagement  secret,  on  fit  venir  r> 
auxiliaires,  qui  d'abord  donnèrent  de  l'inquiétu^ 
aux  cohortes  et  à  la  cavalerie  qu'ils  environ naît^: 
et  qui  craignirent  d'en  être  attaqués.  Mais  bien 
tous  avec  la  même  ardeur  prirent  le  même  paf 
fnutins  plus  d'accord  dans  la  révolte  jju^Us  ne  t« 
rea(  dans  leur  devoir, 


DE  TACITE.  iSl 

Cepeiulant  le  premier  janvier  les  légions  de  la 
Germanie  inférieure  prêtèrent  solennellement  le 
serment  de  fidélité  à  Galba  ^  mais  à  contre-cœur 
et  seulement  par  la  voix  de  quelques-uns  dans  les 
premiers  rangs  ;  tous  les  autres  gardaient  le  si- 
lence, chacun  n'attendant  que  l'exemple  de  sou 
voisin,  selon  la  disposition  naturelle  aux  hommes 
de  seconder  avec  courage  les  entreprises  qu'ils 
n^osent  commencer.  Mais  Témotion  n'était  pas  la 
mcme  dans  toutes  les  légions.  Il  régnait  un  si 
grand  trouble  dans  la  première  et  dans  la  cin- 
quième, que  quelques-uns  jetèrent  des  pierres  aux 
images  de  Galba.  La  quinzième  et  la  seizième, 
sans  aller  au-delà  du  murmure  et  des  menaces, 
cherchaient  le  moment  de  commencer  la  révolte. 
Dans  1  armée  supérieure,  la  quatrième  et  la  vingt- 
deuxième  légion,  albnt  occuper  les  mêmes  quar- 
tiers, brisèrent  les  images  de  Galba  ce  même  pre- 
mier de  janvier;  la  quatrième  sans  balancer,  la 
vingt-deuxième  ayant  d'abord  hésité ,  se  déter- 
mina de  même  :  mais  pour  ne  pas  paraître  avilir 
la  majesté  de  Fcmpire  elles  jurèrent  au  nom  du 
sénat  et  du  peuple  romain ,  mots  surannés  depuis 
long-temps.  On  ne  vit  ni  généraux  ni  officiers 
faire  le  moindre  mouvement  en  faveur  de  Galba  ; 
plusieurs  même  dans  le  tumulte  cherchaient  A 
l'augmenter,  quoique  jamais  de  dessus  le  tribunal 
ni  par  de  publiques  harangues;  de  sorte  que  jus- 
que-là on  n'aurait  su  à  qui  s'en  prendre. 

Le  proconsul  Hordeonius,  simple  spectateur 


lS4  PREBnER  uniE 

de  la  révolte,  n^osa  faire  le  m-  imlre  eflEbrt  pnar 
réprimer  les  séditiecu,  contenir  ceux  qui  flot- 
taient, ou  ranimer  les  fidèles  :  ncgligent  et  mm- 
tif ,  il  fut  clément  par  licheté.  Nonius  Receptus. 
Donatins  Valens,  Romillins  Marcellus,  Calpor 
nias  Repenânns,  tous  quatre  centurions  de  la 
vingt-deuxième  légion^  ayant  tou}u  défendre  lc5 
images  de  Galha,  les  soldats  se  jetèrent  sm*  eu\  ft 
les  lièrent.  Après  cela  il  ne  fût  pAus  question  Àe  L 
foi  promise  ni  du  serment  prêté;  et,  comme  il  ar- 
rive dans  les  séditions,  tout  fut  bientôt  du  c&tè  da 
plus  grand  nombre.  La  même  nuit,  VitcUiusétâTi' 
à  table  à  Cologne,  Icnseigne  de  la  quatrième  k- 
gion  le  vint  avertir  que  les  deux  légions,  apî 
avoir  renversé  lés  images  de  Galba,  avaient  jtiTè 
fidélité  au  sénat  et  au  peuple  romain  ;  serment 
qui  fut  trouvé  ridicule.  Vitellius,  voyant  rocta- 
sion  favorable ,  et  résolu  de  s  oflSrir  pour  chef,  ta- 
voya  des  députés  annoncer  aux  légions  que  bo- 
rnée supérieure  s  était  révoltée  contre  Galba ,  qu li 
fallait  se  préparer  à  laire  la  guerre  aux  rebclk^^ 
oà,  si  Ion  aimait  mieux  la  paix,  à  reconn-iltr 
un  autre  empereur,  et  qu'ils  couraient  moins  ûc 
risque  à  Félire  qu à  lattendre. 

Les  quartiers  de  la  première  légion  étaient  I^ 
plus  voisins.  Fabius  Valens,  lifutenant-généni. 
fut  le  plus  diligent,  et  vint  le  lendemain ,  à  la  tt'^ 
de  la  cavalerie  de  la  légion  et  des  auxiliaires,  sa- 
luer Vitellius  empereur.  Aussitôt  ce  fut  parmi  W^ 
légions  de  la  province  à  qui  prévi^idrait  les  as- 


DE  TACITS.  't55 

Ires'j  et  l'année  supérieure,  laissant  ces  mots  spè* 
deux  de  sénat  et  de  peapte  romain,  reconnut 
aussi  Vitellius,  le  3  de  janvier,  après  s^étre  jouée 
durant  deux  jours  du  nom  de  la  républic^ue.  Ceux 
de  Trêves,  de  Langres  et  de  Cologne,  non  moins 
ardens,  que  les  gens  de  guerre,  offiaicnt  à  lenvi^ 
selon  leurs  moyens,  troupes,  chevaux,  armes  ; 
argci^t.  Ce  zèle  ne  se  bornait  pas  aux  chefs  des 
colonies  et  des  quartiers,  animés  par  le  concours 
présent  et  par  les  avantages  que  leur  promettait 
la  victoire;  mais  les  manipules,  et  même  les  sim  - 
pies  soldats,  transportés  par  instinct,  et  prodigues 
par  avarice,  venaient,  faute  d'autres  biens,  offrir 
leur  paie,  leur  équipage,  et  jusqu  aux  ornemens 
d'argent  dont  leurs  armes  étaient  garnies. 

Vitellius,  ayant  remercié  les  troupes  de  leur 
zèle,  commit  aux  chevaliers  romains  le  service 
auprès  du  prince ,  que  les  aâranchis  faisaient  au- 
paravant. 11  acquitta  du  fisc  les  droits  dus  aux 
centurions  par  les  manipulaires.  Il  abandonna 
beaucoup  de  gens  à  la  fureur  des  soldats,  et  en 
sauva  quelques-uns  en  feignant  de  les  envoyer  en 
prison.  Propinquus,  intendant  de  la  Belgique,  fut 
tué  sur-le-champ;  mais  Vitellius  sut  adroitement 
soustraire  aux  troupes  irritées  Julius  Burdo,  com- 
mandant de  Farmée  navale ,  taxé  dWoir  intenté 
des  accusations  et  ensuite  tendu  des  pièges  à  Fon« 
téius  Capiton.  Capiton  était  regretté;  et  parmi  ces 
furieux  on  pouvait  tuer  impunément,  mais  non 
pas  éps^rgner  sans  ruse.  Burdo  fut  donc  mis  en 


l56  PREMIER  UYRE 

prison,  et  relâché  bientôt  après  la  victoire^  qoaiui 
ks  soldats  furent  apaisés.  Quant  au  centurion 
Oispinus,  qui  s'était  souillé  du  sang  de  Capiton, 
et  dont  le  crime  n'était  pas  équivoque  à  leoR 
yeux,  ni  la  personne  regrettable  à  ceux  de  Vhel- 
lius,  il  fut  livré  pour  victime  k  leur  vengeance, 
Julius  Civilis,  puissant  chez  les  Bataves,  échapp 
au  péril  par  la  crainte  qu^ou  eut  que  son  sup|di(t 
u'aliénât  un  peuple  si  féroce;  d'autant  plus  qull 
y  avait  dans  Langres  huit  cohortes  bataves  auxi- 
liaires de  la  quatorzièine  légion ,  lesquelles  s'en 
étaient  séparées  par  lesprit  de  discoïde  «rai  ré- 
gnait en  ce  temps-là,  et  qui  pouvaient  produis 
un  grand  effet  en  se  déclarant  pour  ou  contre.  Le^ 
centurions  Nonius,  Donatius,  Romilius,  Calptir- 
uius,  dont  nous  avons  parlé,  furent  tués  par  Tor- 
dre de  Vitellius,  comme  coupables  de  ficiélitt. 
crime   irrémissible  chez  des  rebelles.   Valérii^ 
Asiaticus,  commandant  de  la  Belgique,  et  doi*. 
peu  après  Vitellius  épousa  la  fille,  se  joignit  â  In:- 
Jplius  Blaesus,  gouverneur  du  Lyonnais,  eu  fitoe 
luéme  avec  les  troupes  qui  venaient  â  Lyon:  sr 
voir,  la  légion  d Italie  et  1  escadron  de  Turin 
telles  de  la  Rhétique  ne  tardèrent  point  à  suivr 
cet  exemple. 

Il  u y  eut  pas  plus  dincertitude  en  Angletent 
Trebellius  Maximus  qui  y  commandait  s'était  !»:• 
haïr  et  mépriser  de  Tarmée  par  ses  vices  et  se-: 
avarice*,  haine  que  fomentait  Roscius  Casilii^. 
cpmmaiulaut  de  la  vingtième  légion,  brouillé  de- 


DS  TACITE.  iSy 

pais  long-temps  avec  lui,  mais  à  Toccasion  clés 
guares  ciyiles  devenu  son  ennemi  déclaré.  Tre« 
bellius  traitait  Cœlius  de  séditieux,  de  perturba* 
tf^ur  de  la  discipline;  Cxlius  Taccusait  à  son  tour 
de  piller  et  miner  les  légions.  Tandis  que  les  gé- 
néraux se  déshonoraient  par  ces  opprobres  mu* 
tueisy  les  troupes  perdant  tout  respect  en  vinrent 
à  tel  excès  de  licence  que  les  cohortes  et  la  cava* 
lerie  se  joignirent  à  Cœlius,  et  que  Trcbellius^ 
aliandonné  de  tous  et  chargé  d^in jures,  fut  con- 
traint de  se  réfugier  auprès  de  Vitellius.  Cepenr 
dant,  sans  chef  consulaire,  la  province  ne  laissa 
pas  de  rester  tranquille,  gouvernée  par  les  corn- 
mandans  des  légions  que  le  droit  rendait  tous 
ëgaux,  mais  que  1  audace  de  Ca^lius  tenait  en 
respect. 

Après  l'accession  de  larmée  britannique  y  Vi- 

tellius,  bien  pourvu  d  armes  et  d'argent,  résolut 

de  faire  marcher  ses  troupes  par  deux  chemins  et 

sous  deux  généraux.  Il  chargea  Fabius  Valens 

dattirer  à  son  parti  les  Gaules,  ou,  sur  leur  rpfus, 

de  les  ravager,  et  de  déboucher  en  Italie  par  les 

Alpes  cottiemies;  il  ordonna  à  Cécina  de  gagner 

la  Crète  des  Pennines  par  le  plus  court  chemin, 

Valens  eut  Félite  de  larmée  inférieure  avec  Paîgle 

de  la  cinquième  légion,  et  assez  de  cohortes  et  de 

cavalerie  pour  lui  faire  une  armée  de  quarante 

mille  hommes.  Cécina  en  conduisit  trente  mille 

fie  l'armée  supérieure,  dont  la  vingt-unième  lé  ' 

g^on  faisait  la  principale  force.  On  joignit  à  Tctuf 


I  r>8  PUSMUBE  UVKB 

et  à  l'autre  année  des  Germains  auxiliaires  dont 
Vitellius  recruta  aussi  la  sienne ,  avec  latpielle  il 
se  préparait  à  suivre  le  sort  de  la  guerre. 

II  y  avait  entre  rarmée  et  Tempereur  une  op> 
position  bien  étrange.  Lrs  soldats,  pleins  d'ar- 
deur, sans  se  soucier  de  lliiver  ni  d'une  paix 
prolongée  par  indolence,  ne  demandaient  qui 
combattre;  et,  persuadés  que  la  diligence  est  sur- 
tout essentielle  dans  les  guerres  civiles  ^  où  il  est 
pins  question  d'agir  que  de  consulter,  ils  voukieDt 
profiter  de  TelEroi  des  Gaules  et  des  lenteurs  de 
PEspagne ,   pour  envahir  lltalie  et  marcher  i 
Rome.  Vitellius ,  engourdi  et  dès  le  milieu  du 
jour  surchargé  d  indigestion  et  de  vin ,  consumait 
(Icivance  les  revenus  de  Fempire  dans  tin  vain 
luxe  et  des  festins  immenses;  tandis  que  le  zèle 
et  Tactivité  des  troupes  suppléaient  au  devoir  du 
chef,  comme  si,  présent  lui-même,  il  eût  encou- 
ragé les  braves  et  menacé  les  lâches. 

Tout  étant  pêt  pour  le  départ,  elles  en  deman- 
dèrent Tordre,  et  sur-le-champ  donnèrent  à  Vitel- 
lius le  surnom  de  Germanique;  mais,  même  après 
la  victoire,  il  défendit  qu'on  le  nommât  césar. 
Valens  et  son  armée  eurent  un  favoraUc  augure 
pour  la  guerre  quils  allaient  faire;  car,  le  jour 
même  du  départ,  un  aigle  planant  doucement  i 
la  tête  des  bataillons,  sembla  leur  servir  de  guide. 
et,  durant  un  long  espace  de  temps,  les  solda *o 
poussèrent  tant  de  cris  de  joie  et  Faigle  s'en  eflOra  \  a 


DE  TACITE.  169 

si  peu  y  qu'on  ne  douta  pas  sur  ces  présages  d'un 
grand  et  heureux  succès. 

L'armée  vint  à  Trêves  en  toute  sécurité^  comme 
chez  des  alliés.  Mais ,  quoiqu'elle  reçût  toutes 
sortes  de  bons  traitem(  us  à  Divodure,  ville  de  la 
province  de  Metz,  une  terreur  panique  fit  pren- 
dre sans  sujet  les  armes  aux  soldats  pour  la  dé- 
truire. Ce  n'était  point  Fardeur  du  pillage  qui  les 
animait ,  mais  une  fureur,  une  rage,  d'autant  plus 
difficile  à  calmer  qu  on  en  ignorait  la  cause.  Eniin, 
après  bien  des  prières  et  le  meurtre  de  quatre  mille 
homme',  le  général  sauva  le  reste  de  la  ville.  Cela 
répandit  un  telle  terreur  dans  les  Gaules,  que  de 
toutes  les  provinces  où  passait  1  armée  on  voyait 
accourir  le  peuple  et  les  magistrats  supplians,,  les 
chemins  se  couvrir  de  femmes,  d  enfans,  de  tous 
les  objets  les  plus  propres  à  ilécliir  un  ennemi 
même,  et  qui,  sans  avoir  de  guerre,  imploraient 
la  paix. 

A  Toul,  Valens  apprit  la  mort  de  Galba  et  lé- 
lection  d'Othon.  Celte  nouvelle,  sans  eflrayer  ni 
réjouir  les  troupes,  ne  changea  rien  à  leurs  des- 
seins; mais  eRp  détermina  les  Gaulois  qui,  haïs- 
sant également  Othon  et  Vitellius ,  craignaient 
de  plus  celui-ci.  Ou  vint  ensuite  à  Langres,  pro* 
vince  voisine ,  et  du  parti  de  Tarmée  ;  elle  y  fui 
bien  reçue,  et  s  y  comporta  honnêtement.  Mais 
cette  tranquillité  fut  troublée  par  les  excès  des 
cohortes  détachées  de  la  quatorzième  légion ,  dont 
j  ai  parié  ci-devant,  et  que  Valens  avait  jointes  à 


|60  PKEMIBR  UTRE 

son  armée.  Une  querelle ,  qni  deTÎnt  émeute ,  s*é- 
leva  entre  les  Balayes  et  les  légionnaires;  et  les 
ans  et  les  autres  ayant  ameuté  leurs  camarades, 
on  était  sur  le  point  den  Yenir  aux  mains,  si,  par 
le  châtiment  de  quelques  Batayes,  Valens  n'eût 
rappelé  les  autres  à  leur  devoir.  On  s'en  prit  mal 
à  propos  aux  Eduens  du  sujet  de  la  querelle.  Il 
leur  fut  ordonné  de  fournir  de  l'argent,  des  armes 
et  des  vivres,  gratuitement.  Ce  que  les  Eduecs 
firent  par  force ,  les  Lyonnais  le  firent  volontiers  : 
aussi  furent-ils  délivrés  de  la  légion  italique  et  de 
lescadron  de^uriu  qu'on  emmenait,  et  on  ne 
laissa  que  la  dix-huiiième  cohorte  à  Lyon ,  son 
quartier  ordinaire.  Quoique  Manlîus  Valens,  com- 
mandant de  la  légion  Italique,  eût  bien  mérité  de 
Vitellius,  il  nen  reçut  aucun  honneur.  Fabius 
lavait  desservi  secrètement;  et,  pour  mieux  te 
tromper,  il  aiKx:tait  de  le  louer  en  public. 

11  régnait  entre  Vienne  et  Lyon  d'anciennes 
discordes  que  la  dernière  guerre  avait  ranimées  : 
il  y  avait  eu  beaucoup  de  sang  versé  de  part  et 
d'autre,  et  des  combats  plus  firéquens  et  pins  opi- 
niâtres que  s'il  n  eût  été  question  que  des  intérêts 
de  Galba  ou  de  Néron.  Les  revenus  publics  de  la 
province  de  Lyon  avaient  été  confisqués  par 
Galba  sous  le  nom  d'amende.  II  fit,  au  contraire, 
toutes  sortes  d'honneurs  aux  Viennois,  ajoutant 
ainsi  Fenvie  â  la  haine  de  ces  deux  peuples,  sépa- 
rés^ seulement  par  un  fleuve,  qui  n'anétait  pas 
leur  animosité.  Les  Lyonnab,  animant  donc  le 


DE  TACITE.  l6l 

soldat,  l'excitaient  à  détruire  Vienne,  qu'il  accu- 
saient de  tenir  leur  colonie  assiégée;  de  s  être  dé- 
clarée pour  Viudex,  et  d'avoir  ci-devanl  fourni 
des  troupes  pour  le  service  de  Galba.  En  leur 
montrant  ensuite  la  grandeur  du  butin ,  ils  ani- 
maient la  colère  par  la  convoitise;  et,  non  con- 
tens  de  les  exciter  en  secret  :  «  Soyee,  leur  di- 
ce  saient-ils  hautement,  nos  vengeurs  et  les  vôtres, 
ce  en  détruisant  la  source  de  toutes  les  guerres  des 
c(  Gaules  :  là,  tout  vous  est  étranger  ou  ennemi; 
<c  ici  vous  voyez  une  colonie  romaine  et  une  por- 
«  tion  de  Tarmée  toujours  fidèle  à  partager  avec 
<c  vous  les  bons  et  les  mauvais  succès  :  la  fortune 
ce  peut  nous  être  contraire,  ne  nous  abandonnez 
t<  pas  à  des  ennemis  irrités.  »  Par  de  semblables 
discours  ils  échauffèrent  tellement  Fespri^  des 
soldats,  que  les  officiers  et  les  généraux  désespé- 
raient de  les  contenir.  Les  Viennob,  qui  n'igno- 
raient pas  le  péril,  vinrent  au-devant  de  l'armée 
avec  des  voiles  et  des  bandelettes,  et,  se  proster- 
nant devant  les  soldats,  baisant  leurs  pas,  em- 
brassant leurs  genoux  et  leurs  armes,  ik  calmè- 
rent leur  fureur.  Alors  Valens  leur  ayant  fait 
distribuer  trois  cents  sesterces  par  tête,  on  eut 
égard  à  l'ancienneté  et  à  la  dignité  de  la  colonie; 
et  ce  qu*il  dit  pour  le  salut  et  la  conservation  des 
habitans  fut  écouté  Êivorablement.  On  désarma 
pourtant  la  province ,  et  les  particuliers  furent 
obligés  de  fournir  à  discrétion  des  vivres  au  8ol« 
dat;  mais  on  ne  douta  point  qu'ils  n'eussent  à 

14. 


l6a  PHEXIER  LIVRE 

grand  prix  acheté  le  général.  Enrîclii  tOQt  à  coup, 
après  avoir  long- temps  sordidemout  vécu,  il  ca- 
chait mal  le  changement  de  sa  fortone;  et,  se 
livrant  sans  mesure  à  tous  ses  désirs  irrités  par 
une  longue  abstinence,  il  devint  un  vieillard  pro- 
digue, d'un  jeune  homme  iud^gent  qu'il  avait  été. 

En  poursuivant  lentement  sa  route ^  il  con- 
duisit l'armée  sur  les  confins  des  AUobrogcs  et  des 
Voconccs,  et,  par  le  plus  infâme  commerce,  il 
réglait  les  séjours  et  les  marches  sur  Targent  qu'on 
lui  payait  pour  s'en  délivrer.  Il  imposait  les  pro- 
priétaires des  terres  et  les  magistrats  des  vilks 
avec  une  telle  dureté ,  qu'il  fut  prêt  à  mettre  le  bn 
au  Luc ,  ville  des  Voconccs ,  qui  Tadoucirent  avec 
de  Targent.  Ceux  qui  n  en  avaient  point  l'api- 
saient  en  lui  livrant  leurs  femmes  et  leurs  filles. 
C  est  ainsi  qu'il  marcha  jusqu'aux  Alpes. 

Cociua  fut  plus  sanguinaire  et  plus  âpre  au 
butin.  Les^uisscs  ,  nation  gauloise  ,  illustre  au- 
trefois par  ses  armes  et  ses  soldats,  et  maintenant 
})ar  ses  ancêtres,  ne  sachant  rien  de  la  mort  de 
Galba  et  refusant  d'obéir  à  Yitellius,  irritèrent 
Tesprit  brouillon  de  son  général.  La  vingt-unième 
légion ,  ayant  enlevé  la  paie  destinée  à  la  garnison 
d'un  fort  où  les  Suisses  entretenaient  depuis  long- 
temps des  milices  du  pays,  fut  cause,  par  sa  pé- 
tulance et  son  avarice,  du  commencement  de  la 
guerre.  Les  Suisses  irrités  interceptèrent  des  let- 
tres que  Farmée  d'Allemagne  écrivait  k  œlle  de 
itODgrie,  et  retinrent  prisonniers  un  cenUuioQ  et 


DE  TACITE.  l61 

quelques  soldats.  Céchia,  qui  ne  cherchait  que  U 
guerre,  prévenait  toujours  la  réparation  par  la 
vengeance ,  lève  aussitôt  son  camp  et  dévaste  le 
pays,  n  détruisit  un  lieu  que  2$es  eaux  minérales 
faisaient  fréquenter ,  et  qui ,  durant  une  longue 
paix,  s'était  embelli  comme  une  ville.  Il  envoya 
ordre  aux  auxiliaires  de  la  Rhetique  de  charger 
en  queue  les  Suisses  qui  faisaient  face  à  la  légion* 
Ceux-ci,  féroces  loin  du  péril  et  Uches  devant len* 
nemi ,  élurent  bien  au  premier  tumulte  Claude 
Sévère  pour  leur  général;  mais,  ne  sachant  ni 
s  accorder  dans  leurs  délibérations,  ni  garder  leurs 
rangs,  ni  se  servir  de  leurs  armes,  ils  se  laissaient 
défaire ,  tuer  par  nos  vieux  soldats ,  forcer  dans 
leurs  places,  dont  tous  les  murs  tombaient  en 
ruines.  Cécina  d'un  côté  avec  une  bonne  armée, 
de  Fautre  les  escadrons  et  les  cohortes  rhétiques 
composées  d'une  jeunesse  exercée  aux  armes  et 
bien  disciplinée  ,  mettaient  tout  à  feu  et  à  sang. 
Les  Suisses,  dispersés  entre  deux,  jetant  leurs 
annes,  et  la  plupart  épars  ou  blessés,  se  réfugié-» 
rent  sur  les  montagnes,  d'où  chassés  par  une 
cohorte  thracc  qu^on  détacha  après  eux ,  et  pour- 
suivis par  l'armée  des  Rhétiens ,  on  les  massacrait 
dans  les  forêts  et  jusque  dans  leurs  cavernes.  Onf 
en  tua  pr  milliers,  et  Ton  en  Tendit  un  grand 
nombre.  Quand  on  eut  fait  le  dégât,  on  marcha 
en  bataille  à  Avanche,  capitale  du  pays.  Ils  en- 
voyèrent des  députés  pour  se  rendre,  et  furent 
re^gus  à  discrétion.  Cécina  fit  punir  Julius  Upiau^  ^ 


l64  PREMIER  LIVRE 

un  de  leurs  che&,  comme  auteui*  de  la  gaore, 
laissant  au  jugement  de  Vitellkis  la  grâce  oa  le 
chAfiment  des  autres. 

On  aurait  peine  à  dire  qui ,  du  soldat  ou  de 
Tempereur ,  se  montra  le  plus  implacable  aux  dé- 
putés helvétiens.  Tous,  les  menaçant  des  armes 
et  de  la  main,  criaient  qu'il  fallait  détruire  leur 
ville;  etVitellius  même  ne  pouvait  modérer  ^a 
fureur.  Cependant  Claudius  Cossus,  un  des  dé- 
putés, connu  par  son  éloquence,  sut  Templov^r 
avec  tant  de  force  et  la  cacher  avec  tant  d  adresse 
sous  un  air  d'ef&oi,  qu'il  adoucit  lesprit  des  sol- 
dats, et,  selon  Tinconstance  ordinaire  au  penpk, 
les  rendit  aussi  portés  à  la  clémence  qu'ils  l'étaient 
d'abord  à  la  cruauté;  de  sorte  qu'après  beaucoup 
de  pleurs,  ayant  imploré  grâce  d'un  ton  plusra^ 
sis,  ik  obtinrent  le  salut  et  l'impunité  de  I^t 
ville. 

Cécina ,  s'étant  arrêté  quelques  jours  en  Suisi^e 
pour  attendre  les  ordres  de  Yitellius  et  se  jM'épara 
au  passage  des  Alpes,  y  reçut  Tagréable  nouvelle 
que  la  cavalerie  syllanienne,  qui  bordait  le  Pô. 
s'était  soumise  à  Yitellius.  Elle  avait  senri  sf^ 
lui  dans  son  proconsulat  d'Afrique;  puis  Hénxi, 
l'ayant  rappelée  pour  l'envoyer  en  Egypte ,  2 
retint  pour  la  grterre  de  Viudex.  Elle  ^ait  ams- 
demeurée  en  Italie,  où  ses  décurions,  à  qui  Othoc 
était  inconnu  et  qui  se  trouvaient  liés  à  Vitelliu-. 
vantant  la  force  des  légions  qui  s'approchaient  «l 
ne  parlant  que  des  armées  d'Allemagne^i  rature* 


i 


DE  TACItE.  iTS 

rent  dans  son  parti.  Pour  ne  point  s*ofIrir  lés 
maîns  vides ,  ces  troupes  déclarèrent  à  Cécina 
quVlLes  joignaient  aux  possessions  de  leur  nou- 
veau prince  les  forteresses  d^au-delà  du  Pô  :  savoir, 
Milan,  Novarre,  Ivrée  et  Verceil;  et  comme  une 
seule  brigade  de  cavalerie  ne  suffisait  pas  pour 
garder  une  si  grande  partie  de  1  Italie,  il  y  envoya 
les  cohortes  des  Gaules ,  de  Lusitanie  et  de  Breta- 
gne, auxquelles  il  joignit  les  enseignes  allemandes 
et  lescadron  de  Sicile.  Quant  à  lui,  il  hésita 
quelque  temps  s'il  ne  trai  erserait  point  les  monts 
Rhéliens  pour  marcher  dans  la  Norique  contre 
l'intendant  Petronius,  qui,  ayant  rassemble  les 
auxiliaires  et  tait  couper  es  ponts,  semblait  vou- 
loir ôfre  fidèle  à  Othon.  Mais,  craignant  de  perdre 
les  troupes  qu il  avait  envoyées  devant  lui,  trou- 
vant aussi  plus  de  gloire  à  conserver  Fltalie  ,^  et 
jugeant  qu'en  quelque  lieu  que  l'on  combattit,  la 
Nori^jue  ne  pouvait  échapper  au  vainqueur,  il  fit 
pa^se^  les  troupes  des  alliés,  et  même  les  pesans 
bataillons  légionnaires  par  les  Alpes  Pennines, 
quoiqu'elles  fussent  encore  couvertes  de  neige. 

Cependant,  au  lieu  de  s'abandonner  aux  plai- 
sirs et  à  la  mollesse,  Othon,  renvoyant  à  d'autres 
temps  le  luxe  et  la  volupté,  siu'prit  tout  le  monde 
en  s  appliquant  à  rétablir  la  gloire  de  l'empire. 
Mais  ces  fausses  vertus  ne  faisaient  prévoir  qu'a- 
vec plus  d'effroi  le  moment  où  ses  vices  repren- 
draient le  dessus.  Il  fit  conduire  au  Capitole  Ma- 
rius  Celsus^  consul  désigné^  qu'il  av2Ùt  feint  do 


l68  PREMIER  LIVRE 

grands  moyens  de  crédit  dans  tous  les  temps,  booi 
et  mauvais.' 

Cependant  Othon  écrivait  à  Vitellios  lettres 
sur  lettres,  qui!  souillait  de  cajoleries  de  femmes, 
lui  Oifiant  argent,  grâces,  et  tel  asile  qaïL  voudrait 
choisir  pour  y  vivre  dans  les  plaisirs  ;  Vitellius  Im 
réponJait  sur  le  même  ton.  Mais  ces  ofEres  m^r 
tuelles,  d'abord  sobrement  ménagées  et  couverta 
des  deux  côtés  d  une  sotte  et  honteuse  dissimuL- 
tion,  dégénérèrent  bientôt  en  querelles,  châcuo 
reprochant  à  l'autre  avec  la  même  vérité  ses  ^ices 
et  sa  débauche.  Othon  rappela  les  député  de 
Galba,  et  en  envoya  d  autres,  au  nom  du  sénat, 
aux  deux  armées  d'Allemagne,  aux  troupes  qm 
étaient  à  Lyon,  et  à  la  légion  d  Italie.  Les  déptè5 
restèrent  auprès  de  Vitellius,  mais  trop  aisément 
pour  qu'on  crût  que  c  était  pr  force.  Quant  am 
prétoriens  qu'Othon  avait  joints  comme  par  hoc 
iicur  à  ces  députés,  on  se  hâta  de  les  renvovr 
avant  qu'ils  se  mêlassent  parmi  les  légions.  Fabiu 
Valens  leur  remit  des  lettres  au  nom  des  sawsvs 
d'Allemagne  pour  les  cohortes  de  la  ville  et  ds 
prétoire,  par  lesquelles,  parlant  pompeusement 
du  parti  de  Vitellius,  on  les  pressait  de  s*y  réuiir 
On  leur  reprochait  vivement  d'avoir  transfêré  - 
Othon  lempire  décerné  long- temps  auparav^r* 
à  Vitellius.  Enfin,  usant  pour  les  gagner  de  pr> 
wicsscs  et  de  menaces,  on  leur  parlait  comme  . 
d^s  gens  à  ^ui  la  paix  n'ôtait  rieû;  et  qui  ne  po& 


»£  TACITE.  l6€| 

vaient  soutenir  la  gueiTc  :  mais  tout  ce^  n'ébranla 
point  la  fidélité  des  prétoriens. 

Alors  Othon  et  Vitellius  prireni  le  parti  d'en- 
voyer des  assassins;  l'un  en  Allemagne  et  l'autre  à 
Rome,  tous  deux  inutilement.  Ceux  de  Vitellius , 
niêl/s  (bns  une  si  grande  multitude  dliommes  In-? 
connus  Tua  à  Tautre,  ne  furent  pas  découverts; 
mais  ceux  d'Olhon  furent  bientôt  trahis  par  la 
nouveauté  de  leurs  visages  parmi  des  gens  qui  se 
connaissaient  tous.  Vitellius  écrivit  à  Titien,  frèro 
d'Othon ,  qr.e  sa  vie  et  celle  de  ses  fils  lui  répon- 
Ji^aientdc  sa  mën*  et  de  ses  cnfans.  L'une  et  lautre 
famille  fut  conservée.  On  douta  du  motif  de  la 
clémence  dOthon  \  mais  Vitellius,  vainqueur,  eut 
tout  1  honneur  de  la  sienne. 

La  première  nouvelle  qui  doniia  de  la  coqt 
fiance  à  Otlion  lui  vint  dlllyrie,  d'où  il  apprit 
que  les  légions  de  Dalmatic,  de  Pannonio  et  de  la 
IVIa'sie,  avaient  prêté  serment  en  son  nom.  Il  re- 
çut d'Espagne  un  semblable  avis,  et  donna  par 
édit  des  louanges  à  Cluvius  Rufîis;  mais  on  sut, 
bientôt  après,  que  TEspagne  s'était  retournée  du 
c6lé  de  Vitellius.  L'A:[uitaIne  que  Julius  Covdus 
avait  aussi  fait  déclarer  pour  Othou  ne  lui  resta 
pas  plus  fidèle.  Comme  U  u  était  pas  question  de 
foi  ni  d'attachement ,  chacun  se  laissait  entrair 
ner  çà  et  là  selon  sa  crainte  ou  ses  espérances. 
L  cfiGroi  fit  déclarer  de  même  la  province  narbon- 
naise  en  faveur  de  Vitellius,  qui,  le  plus  prochç 
et  le  plus  puissant,  parut  aisément  le  plus  ié^ir 

M«laagirti  I S 


I  jfO  (REXIER  LITHB 

lime.  Léft  provinoes  les  pliu  Soignées  et  celles  que 
la  mer  séparait  des  troupes  resteront  k  Othoo, 
mottis  poar  Famour  de  lui,  qu'à  cause  du  graud 
l^oids  que  donnaient  i  sou  parti  le  nom  de  Rome 
et  Tautoritë  du  sénat,  outre  quW  penchait  natii- 
peilement  pour  le  premier  reconnu  (i).  L'arméo 
de  Judée,  par  les  soins  de  Vespasien,  et  les  lé- 
gions de  Syrie,  par  ceux  de  Mucianus,  prêtèrent 
serment  à  Othon.  L'Elgypte  et  toutes  les  provinces 
d'Orient  reconnaissaient  son  autorité.  L'Afrique 
lui  rendait  la  même  obéissance,  à  lexemjJe  de 
Cartbage,  où,  sans  attendre  les  ordres  du  pro- 
coujtul  Vipsanius  Apronianus,  Crcscens,  aÂan* 
dhi  de  Néron,  se  mêlant,  comme  ses  pareils,  des 
aiTaires  de  la  république  dans  les  temps  de  cala- 
mités, ayait,  en  réjouissance  de  !a  nouyelle  élec- 
tion, donné  des  fêtes  au  peuple,  qui  se  Urraic 
étourdiraent  à  tout.  Les  autiTs  villes  imitèrent 
Cartbage.  Ainsi  les  armées  et  les  provinces  se 
trouvaient  tellement  partagées,queyitelliiis  avaii 
bissoin  des  succès  d^  la  guerre  pour  se  oiettre  en 
possession  de  l'empire. 

Pour  Othon,  il  ârisait  comme  en  pleine  faii 
les  fonctions  d'empereur,  quelquefois  soutenant 
la  dignité  de  la  république ,  mais  piuS  souvent 
ravilissani  en  se  bâtant  de  régner.  11  désigna  scA 

(i)  L'élection  de  V^telUus  ayait  précédé  celle  d*Od>«n ;  iMÎi, 
«U-del^  deé  mers,  ié  htvlt  dé  oetl»-ti  «Tah  préveno  le  hnàt  àk 


DE  TACITE.  '  171 

frère;  Titianus  consul  avec  lui ,  juscju^au  premier 
de  mars;  et,  cherchant  à  se  concilier  lamiée  d'Al- 
lemagne ^  il  destina  les  deu:  mois  snivans  à  Ver- 
ginius,  auquel  il  donna  Poppoeus  yopiscus  pour 
collègue,  sous  prétexte  dune  ancienne  amitié; 
mais  plutAt,  selon  plusieurs,  pour  feirc  honneur 
aux  Viennois.  Il  n'y  eut  rien  de  changé  pour  les 
autres  consulats  aux  nominations  de  Néron  el  do 
Galba.  Deux  Sabinus,  Cœlius  et  Flavc,  restèrent 
désignés  pour  mai  et  juin;  Arius  Antonius  et  Ma- 
rins CelsHs,  pour  juillet  et  août;  honneur  dont 
Vitellius  même  ne  les  priva  pas  après  sa  victoire. 
Othon  m(t  le  cpmble  aux  dignités  des  plus  iHus- 
ti*e8  vieiltards,  en  y  ajoutant  celles  d'augures  et 
de  pontifes,  et  consola  la  jeune  noblesse  récem- 
ment rappelée  dVxii  en  lui  rendant  le  sacerdoce 
dont  avaient  joui  ses  ancêtres.  Il  rétablit  dans  I^ 
sénat  Cadius  Rufus.,  ^dius  Bloesus,  et  Sevinus 
Piomptinus ,  qui  eu  avaient  été  chassés  sous 
Claude  pour  crime  de  concussion.  L'on  s'avisa, 
pour  leur  pardonner,  de  changer  le  n^ot  de  ra- 
pine en  celui  de  lêse-majesté ;  mot  odieax  en  ccç 
tcraps-là  et  dont  l'abus  faisait  tort  aux  meilleures 
lois. 

Il  étendit  aussi  ses  grâces  sur  les  villes  et  les 
provinces.  11  ajouti  de  nouvelles  familles  aux  co- 
lonies d'Hispalis  et  d^Emerita  :  il  donna  le  droit 
de  bourgeoisie  romaine  à  toute  la  \  rovince  de 
Langres;  à  celle  de  la  Bétique,  les  villes  de  la 
Mauritanie;  à  celle  d'Afrir|ue  et  de  Cappadoce, 


ÎJI  PREMIER  LlfKB 

de  nouveaux  droits  trop  biillans  pour  être  don- 
Wes.  Tous  ces  soins  et  les  besoins  pressons  qui  les 
exigeaient  ne  lui  firent  point  oublier  ses  amour»; 
et  il  fit  rétablir,  par  décTet  du  sénat,  les  statues 
de  Poppée.  Quelques-uns  relevèrent  aussi  celles 
de  Néron  ;  l'on  dit  même  qu  il  délibéra  s'il  ne  lui 
ferait  point  une  oraison  funèbre  pour  plaire  à  !a 
populace.  Enfin  le  peuple  et  les  soldats,  orovant 
Lieu  lui  faire  honneur,  crièrent  durant  quelques 
joui's^  i^vfe  Néron  Othon  :  acclamations  quH  ki- 
gnil  d  ignorer,  n'osant  les  défendre,  et  rougû^ut 
de  les  permettre. 

Cependant,  uniquement  occupés  de  leurs pacr- 
res  civiles,  les  Romains  abandonnaient  les  affaire 
de  dehors.  Cette  négligence  inspira  tant  d  audace 
aux  Roxolans,  peuple  sarmate,  que,  dès  llÛTcf 
pi*écédent,  après  avoir  défait  deux  cohortes,  i'S 
firent  avec  beaucoup  de  confiance  une  irruption 
dans  la  Mœsie  au  nombre  de  neuf  niille  chevaui. 
I^  succès,  joint  à  leur  avidité,  leur  faisant  plutôt 
songer  à  piller  qu^à  combattre,  la  troisième  légi<H: 
jointe  aux  auxiliaii*es  les  surprit  épars  et  sans  di5- 
cipline.  Attaqués  par  les  Romains  en  bataiUeî,  k^ 
Sannates  dispersés  au  pillage  ou  déjà  choreés  t^" 
butin,  et  ne  pouvant  dans  des  chemins  gliss^ir* 
s  aider  de  la  vitesse  de  leurs  chevaux,  se  laissaîcL 
tuer  sans  résistance.  Tel  est  le  caractère  de  c  » 
étranges  peuples,  que  leur  valeur  semble  net- 
pas  en  eux.  S  ils  donnent  en  escadrons,  à  fcuv 
une  armée  peut-elle  soutenir  leur  choc*,  s'ils 


DE  TACITE.  173 

battent  k  pied,  c  est  la  lâciieté  même.  Le  dégel  et 
rhumidité,  qui  faisaient  alors  glisser  et  tomber 
leurs  chevaux,  leur  ôtaicnt  Tusage  de  leurs  piques 
et  de  leurs  longues  épées  à  deux  mains.  Le  poids 
des  cataphractes,  sorte  d'armure  iaite  de  lames  de 
fer  ou  d'un  cuir  très-dur  qui  rend  les  che&  et  les 
officiers  impénétrables  aux  coups,  les  empêchait 
de  se  relever  quand  le  choc  des  ennemis  les  avait 
renversés;  et  ils  étaient  étouffés  dans  la  neige,  qui 
était  molle  et  haute.  Les  soldats  romains,  couverts 
d'une  cuirasse  légère,  les  renversaient  à  coups  de 
traits  ou  de  lances,  selon  l'occasion,  et  les  per- 
çaient d'autant  plus  aisément  de  leurs  courtes 
ûpées,  qu'ils  u  ont  point  la  défense  du  bouclier. 
Un  petit  nombre  échappèrent  et  se  sauvèrent 
dans  les  marais,  où  la  rigueur  de  Thiver  et  leurs 
blessures  les  firent  périr.  Sur  ces  nouvelles ,  on 
donna  à  Rome  une  statue  triomphale  à  Marcus 
Âpronianus,  qui  commandait  en  Mœsie,  et  les 
ornemens  consulaires  àFulviusÂurelius,Julianus 
Titius,  et  Numisius  Lupus,  colonels  des  légions. 
OthoB  fut  charmé  d  un  succès  dont  il  s  attribuait 
1  honneur,  comme  d'une  guerre  conduite  sous  ses 
auspices  et  par  ses  officiers,  au  profit  de  Tctat. 

Tout  à  coup  il  s'éleva  sur  le  plus  léger  sujet,  et 
du  càté  dont  on  se  défiait  le  moins,  une  sédition 
qui  mit  Rome  à  deux  doigts  de  sa  ruine.  Othon, 
ayant  ordonné  qu  on  fit  venii*  dans  la  ville  la  dix- 
septième  cohorte  qui  était  à  Ostie,  avait  châffgé 
Varius  Crispinus^  tribun  prétorien,  du  soin  dç  U 

i5. 


t74  PRSMIBIt  LTVRS 

fiiire  armer.  Crispinus,  pour  péTORir  Teaibams, 
diQÎftt  le  temps  ou  le  camp  était  tranqiuUe  et  le 
ioldat  retiré  y  et,  ajant  fait  oaTnr  larsenal ,  com 
meoça,  dès  lentrée  de  la  nuit,  à  faire  chaîner  les 
fourgons  de  la  cohorte.  L'heure  rendit  le  motif 
iUspect;  et  ce  ^en  ayait  fiiit  pour  empêcher  le 
désordre  en  produisit  un  trè»^aod.  JLa  Tue  des 
armée  donna  A  des  gens  pris  de  vin  la  tentation 
de  sVa  seryir.  Les  soldats  s'emportent,  et,  traitant 
de  traîtres  leurs  officiers  et  tribnns,  les  accusent 
de  vouloir  armer  le  sénat  conlre  Othon.  Les  uns, 
déjà  ivres,  ne  savaient  ce  qu'ils  faisaient;  les  plus 
méchans  ne  cherchaient  <pie  l'occasion  de  piller  : 
la  foj^e  se  laissait  e&tniner  par  son  goût  ordinaire 
pour  les  nouveautés,  et  la  nuit  empédiait  qu'oi 
ne  pût  tirer  parti  de  robéiasance  des  sages.  Le 
triimn ,  voulant  réprimer  la  sédition ,  fut  tué .  de 
même  que  les  [dus  sévères  centurions;  après  quoi , 
s'étant  saisis  des  armes,  ces  emportes  montèrent 
à  cheval,  et,  Tépée  i.  la  main,  prirent  le  chemin 
de  la  viBe  et  du  palais. 

Othon  donnait  un  fostin  ce  jour-4à  à  ce  qu  il  j 
arrait  de  plus  |;Tand  à  Homs  dans  les  deux  sexes. 
Les  convives,  redoutant  également  la  fureur  des 
soldats  et  la  trahison  de  Tempereur,  ne  savaient 
œ  qu'ils  devaient  craindre  le  plus,  d'être  pris  s'ils 
demeuraient,  ou  d'être  poursuivis  dans  leur  laite; 
tantôt  aâectimt  de  la  :fin-meté,  tasAàt  décelant  leur 
effiroi,  tous  observaient  le  visage  d'Othon,  et, 
OMime  on  était  porté  à  la  défianee^  la  crainte 


N 


D«  TACITE.  '  IjS 

qa'il  témoignaU  augmentait  celle  qu^on  avait  dn 
Inr.  Non  moins  ellrayé  du  péril  du  sénat  que  du 
sien  propre,  Olhon  chargea  d'abord  les  préfets  du 
prétoire  d^aller  apaiser  les  soldats,  et  se  hâta  de 
renvoyer  tout  le  monde.  Les  magistrats  fuyaient 
çà  et  là.  jetant  les  marques  de  leurs  dignités;  les 
vieillards  et  les  femmes,  dispersés  par  les  rues 
dans  les  ténèbres,  se  dérobaient  au.\  gens  de  leur 
suite.  Peu  rentrèrent  dans  leurs  maisons;  presque 
tous  cherchèrent  chez  leurs  amis  et  les  plus  pau- 
vres de  leurs  clients  des  retraites  mal  assurées. 

Les  soldats  arrivèrent  avec  une  telle  impétuo- 
sité, qu ayant  forcé  Tentrée  du  palais,  ils  blessè- 
rent le  tribun  Julius  Martialis  et  Vitellius  Satur- 
iiius  qui  tâchaient  de  les  retenir,  et  pénétrèrent 
jusque  dans  la  salle  du  festin,  demandant  à  voir 
Otlion.  Partout  ils  menaçaient  des  armes  et  de  la 
Voix,  tantôt  leurs  tribuns  et  centurions,  tantôt  le 
corps  entier  jdu  sénat  :  furieux  et  troublés  d'une 
aveugle  terreur,  faute  de  savoir  à  qui  s'en  prendre, 
ils  en  voulaient  à  tout  le  monde.  IlfstUutqu  Othon, 
sans  égard  pour  la  majesté  de  son  rang,  montât 
siir  un  sofa,  d'où,  à  force  de  larmes  et  de  prières, 
les  ayimt  contenus  avec  peine,  il  les  renvoya  au 
camp,  coupables  et  mal  apaisés.  Le  lendemain 
les  maisons  étaient  fermées,  les  rues  désertes ,  le 
peuple  consterné,  comme  dans  «ne  ville  prise  ;  et 
les  soldats  baissaient  les  yeux  moins  de  repentir 
qne  en  hoijte.  Les  deux  préfets,  Proculus  et  Fir- 
mus,  pariant  avec  douceur  ou  dureié,  chacun 


1^6  PREMIER  LtVUE 

selon  son  génie,  firent  à  chaque  manipule  (ks 
exhortations  qu'ils  conclurent  par  annoncer  ane 
distribution  de  cinq  mille  sesterces  par  tête.  Alors 
Othon,  ayant  hasardé  d'entrer  dans  le  camp,  (iit 
environné  des  tribuns  et  des  centurions,  qui,  je- 
tant leurs  omemens  militaires,  lui  demandaient 
congé  et  sûreté.  Les  soldats  sentirent  le  reproche, 
et ,  rentrant  dans  leur  devoir,  criaient qu  on  mecil 
au  supplice  les  auteurs  de  la  révolte. 

Au  milieu  de  tous  ces  troubles  et  de  ces  mouTc 
mens  divers ,  Othon  voyait  bien  que  tout  homme 
sage  désirait  un  frein  à  tant  de  licence;  il  nl^o- 
rait  pas  non  plus  que  les  attroupemens  et  les  ra 
pines  mènent  aisément  à  la  guerre  civile  uoe 
multitude  avide  des  séditions  qui  forcent  le  goa- 
vernement  à  la  flatter.  Alarmé  du  danger  ou  i 
voyait  Rome  et  le  sénat,  mais  jugeant  impossiU^ 
d^exercer  tout  d'un  coup  avec  la  dignité  conven.^ 
ble  un  pouvoir  acquis  par  le  crime,  il  tint  eo^ 
le  discours  suivant  : 

(c  Compagnons ,  je  ne  viens  ici  ni  laniiiir 
<c  votre  zèle  en  ma  faveur,  ni  réchaufièr  vo&t 
ce  courage;  je  sais  que  Tun  et  l'autre  ont  toaioii:^ 
«  la  même  vigueur  :  je  viens  vous  exhorter  «: 
c(  contraire  à  les  contenir  dans  de  justes  bonsr< 
*<  Ce  n'est  ni  lavarice  ou  la  ha\ne,  causes  de  tait 
€c  de  troubles  dans  les  armées,  ni  k  calomiùe  w 
«  quelque  vaine  terreur, cest lexcès  seul  die  votr 
K  .affection  pour  moi  qui  a  produit  avec  plusit 
«  chaleur  que  de  raison  le  tumulte  de  la  nuit  der 


VE  TACITE.  177 

«  nièrc;  mais,  avec  les  motifs  les  plus  honnêtes, 

ir  une  conduite  inconsidérée  peut  avoir  les  plus 

«  funestes  effets.  Dans  la  guerre  que  nous  allons 

«  commencer,  est-ce  le  temps  de  communiquer  à 

K  tous  chaque  avis  qu'on  reçoit,  et  faut-il  dëli- 

c(  bérer  de  chaque  chose  devant  tout  le  monde? 

Cl  L'ordre  des  affaires  ni  la  rapidité  de  l'occasion 

fc  ne  le  permettraient  pas;  et  comme  il  y  a  des 

<K  choses  que  le  soldat  doit  savoir,  il  y  en  a  d'au- 

fc  très  qu  il  doit  ignorer.  L'autorité  des  chefs  et  la 

«c  rigueur  de  la  discipline  demandent  qu'en  plu* 

«c  sieurs  occasions  les  centurions  et  les  tribuns 

«(  eux-mêmes  ne  sachent  qu'obéir.  Si  chacun  veut 

«  qu'on  lui  rende  raison  des  oixlres  qu'il  reçoit , 

«  c'en  est  fait  de  Fobéissance,  et  par  conséquent 

«  de  Fempire.  Que  sera-ce  lorsqu'on  osera  coiuîr 

«  aux  armes  dans  le  temps  de  la  retraite  et  de  la 

ce  nuit  ;  lorsqu'un  ou  deux  hommes  perdus  et  pris 

a  de  vin,  car  je  ne  puis  croire  qu'une  telle  fré- 

c<  ncsie  eii  ait  saisi  davantage,  tremperont  lears 

€c  mains  dans  le  sang  de  leurs  oiUcicrs,  lorsqu'ils 

«c  oseront  forcer  l'appartement  de  leur  empereur? 

a  Vous  agissez  pour  moi,  j'en  conviens;  n*iis 

<€  combien  Tafflueuce  dans  les  ténèbres  et  la  con- 

u  fusion  de  toutes  choses  foumifsaient-clles  une 

<c  occasion  Êicile  de  s  en  prévaloir  contre  moi- 

«  même!  S'il  était  au  pouvoir  de  Viteilius  et  de 

«c  ses  satellites  de  diriger  nos  inclinations  et  nos 

«c  e.'^prits,  que  voudraient-ils  de  plus  que  de  nous 

m  inspirer  la  di^ordaet  la  sédition,  qu'exciter  à 


1^8  pRjnnsi  UFRK 

«  la  révolte  le  soldat  contre  Ie*ceiifarimi>le  ot&r 
«  turioa  contre  le  tribon ,  ei,  gens  de  chevaldde 
«  pied ,  nous  enlrainer  ainsi  tons  pèk-nék  i 
m  notre  perte?  Compagnons,  c'est  en  exàniUct 
«  les  ordres  des  cheiiii  çt  non  en  les  controkct 
«  qu'on  fait  heureusement  la  guerre;  et  les  tronp) 
«  les  p'us  tcrriUcs  dans  la  mêlée  sont  ks  plu 
«  trauipiilles  bois  du  combat.  Les  armes  et  U  ?> 
«  leur  s  nt  votiT  partage  ^  laîssez-moi  le  soio  3c 
«  les  diinger.  Que  deux  conpables  sculemclU  ex- 
«  picnt  le  crime  d  un  petit  nombre  :  que  Icf  aii-^^ 
«  s'cITorceut  densevelir  dans  un  éi^ei  oubii  1^ 
ff  bonté  de  cette  nuit,  et  que  de  pareils  di&CMP 
«  contre  ie  sénat  ne  s'entendent  jamais  duisao- 
«cune  armée.  Non,  les  Germains  mêmes, qn 
«  Yitellius  s'eiK>rcc  d*exciter  contre  nous,  oo^ 
«  raient  menacer  ce  corfs  res^ieclable,  le  chef  e( 
«  ronieuicDt  de  l'empire.  Quels  suaient  dont  \^ 
«  ^Tciis  enfans  de  Rome  ou  de  Tltalie  qni  Toir 
ff  draicQt  le  sang  et  la  mort  des  membres  de  i^ 
K  ordre,  dont  la  splendeur  et  la  gloire  jnoutK^ 
«  et  redoublent  1  opprobre  et  Tobscurité  du  |^«' 
«  de  VitcUius?  S'Û  occupe  quelques  provino^- 
<t  s'il  traîne  api-ès  lui  quelque  simulacre  d^tm 
a  ie  sénat  est  avec  nous;  ccst  par  lui  que  no» 
te  sommes  la  république ,  et  que  nos  ennemis  ^ 
u  sont  aussi  de  1  état.  Penser-vous  que  la  mâf^ 
«  de  cette  viilc  consiste  dans  des  amas  de  pierre^ 
«  de  maisons,  monumcns  sans  ijoe  el  sans  r(HX« 
c  qu'on  jieut  dctruire  ou  rétablir  à  son  gré?  Le 


0£  TACite.  tyg 

«  ternilé  de  îeinpire,  la  paix  des  nàfîoiu,  mon 
ff  salut  et  le  ràtrc^  tout  dépend  de  la  conservation 
K  du  sénat.  Institué  solennellement  par  le  premier 
K  père  et  le  fondateur  de  cette  ville  pour  être  im- 
€(  mortel  comme  eUe,  et  continué  sans  interrupr 
ir  tioD  depuis  les  rois  jusqu'aux  empereurs,  Fin- 
ir tcrèt  commun  veut  que  nous  le  transmettions  à 
tr  nos  descendans  tel  que  nous  Favons  reçu  de  nos 
Il  aïeux  :  car  c  est  du  sénat  que  naissent  les  suc- 
H  cessent^  à  lemp&e »  comme  de  vous  les  séna- 
«  tcurs.  n 

Ayant  ainsi  tiché  dadoucir  et  contenir  la  foq- 
giie  des  soldats,  Othon  se  contenta  d^en  faire 
punir  deux;  sévérité  tempérée,  qui  n'ôta  rien  au 
hon  efSft  da  discours.  C'est  ainsi  qu'il  apaisa , 
pour  le  moment,  ceux  qu'il  ne  pouvait  réprimer. 
Mais  lo  calme  n  était  pas  pour  cela  rétabli  dans 
la  ville.  Le  bruit  des  armes  y  retentissait  encore, 
et  l'on  y  voyait  l'image  de  la  guerre.  Les  soldats 
tiVftaicnt  pas  attroupés  en  tumulte;  mais,  déguî* 
c^s  et  dispersés  par  les  maisons,  ib  épiaient,  avec 
tinc  attention  maligne,  tous  ceux  que  leur  rang, 
'eiir  richesse  ou  leur  gloire  exposaient  aux  dis- 
cours publics.  On  crnt  même  qu'il  s'était  glissé 
ian»  Reme  des  soldats  de  Vitelîius  pour  sonder 
^s  dispositions  des  esprits.  Ainsi  la  défiance  était 
t^iverscHe,  et  Ton  se  croyait  à  peine  en  sûreté 
4^xifermé  chez  soi.  Mais  c'était  encore  pis  en  pp* 
JiCj  où  chacun  y  craignant  de  paraître  incertain 
iatrw  les  nouvelles  douteuses  ou  peu  joyeux  d  nt 


l8o  PRBMISB.  LITRB 

les  favorables,  courait  avec  une  avidité  marqnh 
au-devant  de  tous  les  bruits.  Le  sénat  assemblé  m 
savait  que  feîre ,  et  trouvait  partout  des  iifr 
cultes  :  se  taire  était  d  un  rebelle,  parier  était d%i 
flatteur;  et  le  manège  de  1  adulation  n'était  pas 
ignoré  d  Otlion,  qui  s  en  était  servi  si  long-temp 
Ainsi  j  flottant  d^avis  en  avis  sans  s'arrêter  à  au- 
cun, l^on  ne  s^accordait  qu^â  traiter  Yiiellios  (k 
parricide  et  d  ennemi  de  Tëtat-les  plus  prévorau 
se  contentaient  de  l'accaUer  d'injures  sans  consé- 
quence, tandis  que  d'autres  n'épargnaient  pas» 
vérités ,  mais  à  grands  cris ,  et  dans  une  telle  coo- 
fusion  de  voix ,  que  chacun  profitait  da  M 
pour  raugrocnter  sans  être  entendu. 

Des  prodiges  attestés  par  diveirs  témoins  asf 
mentaient  encore  l'épouvante.  Dans  le  vestiboi^ 
du  capitole  les  rênes  du  char  de  la  Victoiredi^ 
nirent.  Un  spectre  de  grandeur  gigantestjue  f-i 
vu  dans  la  chapelle  de  Junon.  La  statue  de  i^\ 
-César  dans  l'ile  du  Tibre  se  tourna ,  par  un  tec^ 
calme  et  serein ,  d^occident  en  orient.  Cn  b^- 
parla  dans  l^trurie.  Plusieurs  bétes  firent  c^ 
monstres.  Enfin  Ton  remarqua  mille  autres  pan-^ 
phénomènes  qu  on  observait  en  pleine  paii^ 
les  siècles  grossiers,  et  qu'on  ne  voit  plus  anj^ 
d  hui  que  quand  on  a  peur.  Mais  ce  qui  joi^^^ 
d'solation  présente  à  TefiBroi  pour  l'avenir /J 
une  sul)ife  inondation  du  Tibne,  qui  crûti^' 
point;  qu'ayant  rompu  le  pont  SubUcius,  les  v' 
briâ  doi.t  son  lit  fut  rempli  le  firent  refluer;^ 


V 


DE  TACITE.  l8l 

foute  la  Yille,  mène  dans  les  lieux  que  leur  hau- 
teur semblait  garantir  dun  pareil  danger.  Plu- 
sieurs furent  surplis  dans  les  rues,  d'autres  dam 
les  boutiques  et  dans  lesr  chambres.  A  ce  désastre 
se  joignit  la  famine  chez  le  peuple  par  la  disette 
des  vivres  et  le  défaut  d^argent.  Enfin ,  le  Tibre, 
en  reprenant  son  cours,  emporta  des  îles  dont  le 
séjour  des  eaux  avait  ruiné  les  fondemens.  Mais  à 
peine  le  péril  passé  «laissa-t-il  songer  à  d'autres 
choses,  quou  remarqua  que  la  voie  Flaminienne 
,et  le  champ  de  Mars ,  par  où  devait  passer  Othon , 
étaient  comblés.  Aussitôt,  sans  soùger  si  la  cause 
en  était  fortuite  ou  naturelle,  ce  fut  un  nouveau 
pjodige  qui  présageait  tous  les  malheurs  dont  oq 
était  menacé. 

Ayant  purifié  la  ville ,  Othon  se  livra  aux  soins 
dr  la  guerre;  et  voyant  que  les  Alpes  Pennines, 
les  Cotiennes ,  et  toutes  les  autres  avenues  des 
(îaules ,  étaient  bouchées  par  les  trotipes  de  Vilel- 
lius ,  il  résolut  d  attaquer  la  Gaule  narbonnoise 
avec  une  bonne  flotte  dont  il  était  sûr  :  car  il  avait 
rétabli  en  légion  ceux  qui  avaient  échappé  au 
massacre  du  pont  Milvius,  et  que  Galba  avait  (ait 
emprisonner;  et  il  promit  aux  autres  légionnaires 
de  les  avancer  dans  la  suite.  U  joignit  à  la  mêniA 
flotte  avec  les  cohortes  urbaines  plusieurs  préto- 
riens, Télite  des  troupes,  lesquels  servaient  en 
xnéme  temps  de  conseils  et  de  garde  aux  chefs.  11 
âloona  le  commandement  de  cette  expédition  aus 
prîxnipilaiies  Antouius  Novellus  et  Suedius  Çfhr 


^8a  pRCMiBR  Liras 

«len^,  &nique!$  il  joignit  Emilius  P<icensis,  e&U  . 
rendant  le  tribunat  que  Galba  Ini  avait  6té»I^ 
flotte  fut  laissée  aux  foins  d'Oscus,  affiandû, 
qu*Otlion  chargea  d'avoir  Tœil  éur  la  fidélité  des 
généraux.  Â  Tëgard  des  troupes  de  terre,  il  mi 
à  !eîLr  tétc  Suétonius  Paulinus,  Marius  Celsos,  et 
Annius  Gallus*,  mais  il  donna  sa  plus  grande  coo» 
fiance  à  Licinios  Proculus..  préfet  du  prétoire.  Cet 
botnnie ,  officier  vigilant  cbns  Rome ,  mais  sans 
expérience  k  la  guerre  y  Uâmant  l'autorité  de  P^b- 
lin  j  la  vigueur  de  Celsus,  la  maturile  de  Gaifais, 
tournait  en  mal  tons  les  caractères,  et,  ce  qui 
n^est  pas  fiirt  surprenant  y  remportait  ainsi  par 
son  adroite  méchanceté  sur  des  gens  meillems  €l 
plus  modestes  que  lui. 

Environ  ce  temps-U,  Comelluâ  Dolaliefla  &l 
relégué  dans  la  ville  d'Aqnin,  et  gardé  moins  tv 
goureusement  que  sûrement,  sans  qu'on  eût  anm  j 
choâe  k  lui  reprocher  quWe  illustre  naissance  <( 
1  amitié  de  Galba.  Plusieurs  magistrats  et  la  pb 
part  des  consulaires  suivirent  Othon  par  s» 
ordre,  plutôt  sous  le  prétexte  de  Paccoupagaer. 
que  pour  partager  les  soins  de  la  guerre.  De  c 
nombre  était  Lucius  Viteliius,  qui  ne  fiit 
ni  comme  ennemi  ni  comme fi^re dm ei 
Cest  alors  que,  les  soncis  changeant  d'objet ,  iu 
o  dre  ne  fut  exenmpt  Je  péril  on  de  crainte.  Lfl 
premiers  du  s^at ,  chai^  d'années  <;t  acÊÊoà 
par  une  longue  p^ix,  une  noblesse  teerrée  etqi 
arait  oublié  Tosage  des.  aimes,  des  cfaeratiess  si 


DE  TACIT£.  I  ?i 

e^ercé^i  ne  £usai  nt  tous  que  mieux  déceler  leur 
firayeur  par  leurs  efforts  pour  la  cacher.  Husieuri 
cependant ,  guerriers  à  prix  dVgent  et  hraves  de 
leurs  richesses,  étalaient  par  uae  imbécile  vanité 
des  armes  brillantes,  de  supeibes  chevaux,  de 
pompeux  équipages,  et  tous  les  apprôts  du  luxA 
et  de  la  volupté  pour  ceux  de  la  guerre.  Tandis 
que  les  sages  veillaieut  au  repos  de  la  république , 
mille  étourdis ,  sans  prévoyance ,  s'enorgueillis- 
saient d  un  vain  espoir  ;  plusieurs ,  qui  s'étaient 
mal  conduits  durant  la  paix ,  se  réjouissaient  de 
tout  ce  désordre ,  et  tiraient  du  danger  présent 
Uur  sûreté  personnelle. 

Cependant  le  peuple,  dont  tant  de  soins  pas^ 
salent  la  portée,  voyant  augmenter  le  prix  dos 
denrées,  et  tout  Tai^geut  servir  à  l'entretien  des 
troupes,  commença  de  sentir  les  maux  qu'il  n'avait 
fait  que  craindre  après  la  révolte  de  Y  index,  tempe 
oà  la  guerre  allumée  entre  les  Gaules  et  les  légions, 
laissant  Rome  et  l'Italie  en  paix,  pouvait  passer 
pour  externe.  Car  depuis  qu'Auguste  eut  assuré 
Icrapire  aux  césars,  le  peuple  romain  avait  tou* 
jours  porté  ses  armes  au  loin ,  et  seulement  pour 
la  gloire  et  1  inté^t  d*un  seul.  Les  règnes  de  Tibère 
et  de  Caligula  n'avaient  été  que  menacés  de  guer- 
res civiles.  Sous  Claude  les  premiers  mouvemeos 
de  Scribonianus  furent  aussitôt  réprimés  que  con* 
DUS-,  et  Néron  même  fut  expulsé  par  des  rumeurs 
et  d<^  bruits  plutôt  que  par  la  force  des  armes. 
Hais  ici  Ton  avait  sous  les  yeux  des  légions^  des 


t8|  *  PREUIBR  LIVRE 

flottes,  et,  ce  qi^î  était  plus  rare  encore,  les  mOi- 
ces  de  Rome  et  les  prétoriens  en  armes.  L'Orient 
et  rOccidcnt,  avec  toutes  les  forces  qu'on  laissait 
derrière  soi,  eussent  tburni  1  dlimcnt  d'une  longae 
guerre  à  de  meilleurs  généraux.  Plusieurs,  saron- 
sant  aux  présages ^  voulaient  qu'Othon  difféiât 
son  départ  jusqu'à  ce  que  les  boucliers  sacrés  fus- 
sent prêts.  Mais,  cxcilé  par  la  diligence  de  Cécina 
qui  avait  déjà  passé  ies  Alpes,  il  méprisa  de  valus 
délais  dont  Néron  s'était  mal  trouvé. 

Le  quatorze  de  mars  il  chargea  le  sénat  du  soin 
de  la  république,  et  rendit  aux  proscrits  rappel»^ 
tout  ce  qui  n'avait  point  encore  été  dénaturé  de 
leurs  biens  confisqués  par  Néron;  don  très-juste 
et  très-magnifique  en  apprarence,  mais  qui  se  ré- 
duisait presque  à  rien  par  la  promptitude  quon 
avait  mise  à  tout  vendre.  Ensuite  dans  une  ha- 
rangue publique  il  fit  valoir  en  sa  faveur  la  ma- 
jesté de  Rome^le  consentement  du  peuple  et  du 
S:-nat,  et  parla  modestement  du  parti  contraire, 
accusant  plutôt  les  légions  d'erreu'*  que  d'audacr, 
sans  faire  aucune  mention  de  Vitellius,  soi(  mé- 
nagement de  sa  part,  soit  précaution  de  la  part 
de  l'auteur  du  discours  :  car,  comme  Othon  con- 
sultait Suétone  Paulin  et  Marins  Ceisus  sur  la 
guerre ,  on  crut  qu'il  se  servait  de  Galerius  Tra- 
chalus  dans  les  allaires  civiles.  Quehpi«^s-uns  dé- 
mêlèrent même  le  genre  de  cet  orateur,  couiiu 
par  ses  fréquens  plaidoyers  et  par  son  style  am- 
poulé^ propre  à  remplir  les  oreÛies  du  peuple.  L) 


DE  TACll E.  i8j 

harangue  fut  reçue  avec  ces  cris ,  ces  applaudis- 
flcmens  faux  et  outrés  qui  sont  l'adulatioa  de  la 
multitude.  Tous  s'efforçaient  à  l'envi  d'étaler  un 
zèle  et  des  vœux  dignes  de  la  dictature  de  César 
ou  de  lempire  d'Auguste;  ils  ne  suivaient  même 
en  cela  ni  1  amour  ni  la  crainte,  mais  un  penchant 
bas  et  service;  et  comme  il  n'était  plus  question 
d  honnêteté  publique^  les  citoyens  n'étaient  que 
de  vils  esclaves  flattant  leur  maître  par  intérêt. 
Othon  y  en  partant,  remit  à  Salvius  Titianus,  son 
frère ,  le  gouvernement  de  Rome  et  le  soin  de 
l'empire. 


.i ,. 


i5. 


TRADUCTION 

DE  L'APOCOLOKINTOSIS 

DESENËQUE, 


SVn  IJI  MORT  DE  L'EMPEREUR  CXACIK. 

r 


Je  veux  racootfff  aux  hommes  Ge  qui  s'est  passé 
dans  les  cieux  le  treize  octohre,  sous  le  cofu-^kt 
d'Asiniu^  Marcellus  et  dÂcirius  Âyiola,  dans  U 
nouvelle  année  qui  commence  cet.  heureux  siè- 
cle (i).  Je  ne  ferai  ni  tort  ni  gi'âce.  Mais  si  Toa 
demande  comment  je  suis  si  hien  instruit;  pre- 
roiôrement  je  ne  répondrai  rien ,  s'il  me  plaît, car 
qui  m'y  pourra  contraindre?  ne  sais-je  pas  que 
me  voilà  devenu  libre  par  la  mort  de  ce  ga'ant 
homme  qui  avait  très-bîen  vérifié  le  proverbe, 
qu'il  faut  naître  ou  monarque  ou  sot. 

Que  si  je  veux  répondre  y  je  dirai  comme  an 

(  I  )  Quoique  les  jeux  séculaires  eussent  été  célëbrcs  par  Au- 
guste,  Claude,  prëtendaut  qu'il  avait  mal  calculé,  las  fit  erie- 
hrer  aussi;  ce  qui  donnait  à  rire  au  peuple,  quand  le  cncw 
public  anconça,  dans  la  forme  ordinaire,  dis  |euz  «|iie  bC 
homme  vivant  n'avait  vus ,  ni  ne  reverrait.  Car,  nnn  irnifmi  i 
plusieurs  personnes  encore  vivantes  avaient  vu  ceux  d'Angosu. 
mais  même  il  y  eut  des  histrions  qui  jouèrent  aux  uns  et  an 
autres;  et  Vitdlius  n'avait  pas  hont«  de  dire  h  Qaodlft, 
Il  prodafioatîoni  Sct^sé  façiM^ 


TRADUCTION  DB  L  APOCOLOKIÎTTOSIS.         jBy 

autre  tout  ce  qui  me  Tiendra  dans  la  tête.  De* 
manda-t-on  jamais  caution  4  un  historien  juré? 
Cependant  si  j^en  voulais  une ,  je  n'ai  qu*à  cit^ 
celui  qui  a  tu  Drusille  monter  au  âel  ]  il  vous  dira 
qu'il  a  vu  Claude  y  monter  aussi  tout  clochant. 
Ne  £iut-il  pas  que  cet  homme  voie,  bon  gré  mal 
gré,  tout  ce  qui  se  Eut  là-haiit?  n'est -il  pas  in- 
specteur de  la  vok  Appienne  par  laquelle  on  sait 
qu^Âguste  et  Tibère  sont  allés  se  Ëiire  dieux?  Mais 
ne  l'interrogez  que  tête  &  tête  :  il  ne  dira  rien  en 
public;  car  apI^ès  avoir  juré  dans  le  sénat  qu'il 
avait  vu  l'ascension  de  Drusille,  indigné,  qu'au 
mépris  d'une  si  bonne  nouvelle  personne  ne  vou- 
lût croire  à  ce  qu^il  avait  vu ,  il  protesta  en  bonne 
forme  qu'il  verrait  tuer  un  homme  en  pleine  rus 
qu'il  n'en  dirait  ^ien.  Pour  moi,  je  peux  jurer, 
par  le  bien  que  je  lui  souhaite,  qu^il  m'a  dit  ce 
que  je  vais  publier.  Déjà 

Par  on  plusomt  dhesoin  Taslre  tfuà  nous  oclaira 
Dirigeait  à  nos  yeux  aa  eouxae  JoiimUi«e; 
Le  dieu  iànta^que  et  hrao  qui  préâde  au  repof 
A  de  plus  longues  nuils  prodigunit  ses  pavoU  : 
t«a  blafarde  Cjrntliie,  eux  dépens  de  son  frère. 
De  aa  triste  kieur  ëcbirait  Vliémisplière , 
Et  le  difionae  biver  obtenait  les  konoeura 
De  la  saison  des  fruits  et  du  dieu  des  bu^caîf  ; 
Le  vendangeur  tardif,  d'une  main  engourdie, 
IHait  enoor  du  cep  quelque  grappe  flétrie. 

Mais  peut-être  parlerai-je  aussi  daircmeat  en 
disant  que  c'était  le  tr-eiùème  d'ectobre.  Â  Tégacd 
de  rheure^  je  ne  puis  vous  la  dire  eiiactemeatj 


:a 


.l88  TBADUCnON 

mais  il  est  à  croire  ^uc  là-dessus  les  philosophes 
8  accorderont  mieux  que  les  horloges  (a).  Quoi 
qu'il  en  soit^  supposons  qu'il  était  entre  six  et 
sept;  et  puisque ,  non  contens  de  décrire  le  com- 
mencement et  la  fin  du  jour,  les  poètes,  plus  ac- 
tifs que  des  manœuvres^  n  en  peuvent  laisser  en 
paix  le  milieu,  voici  comment  dans  leur  langue 
j'exprimerais  cette  heure  fortunée  : 

Déjà  da  haut  des  dauc  \t  diea  de  la  lumière 
Avait  en  deux  moittct  partagé  lliémisphice  » 
Et  pressant  de  la  main  ses  coursiers  déjà  las , 
Vers  rhesphérique  bord  aocélénit  leurs  pas; 

quand  Mercure  ;  que  la  folie  de  Claude  avait  tou- 
jours amusé,  voyant  son  âme  obstruée  de  toutes 
parts  chercher  vainement  une  issue,  prit  i  paît 
une  des  trois  Parques,  et  lui  dit  :  Comment  une 
femme  a-t-elle  assez  de  cruauté  pour  voir  un  mi- 
sérable dans  des  tourmens  si  longs  et  si  pea  mé- 
rités? Voilà  bientàt  soixante-quatre  ans  quil  est 
en  querelle  avec  son  âme.  Qu^attends-tu  donc  en- 
core? souffire  que  les  astrologues,  qui  depuis  scq 
avènement  annoncent  tous  les  ans  et  tous  les  mcj 
son  trépas,  disent  vrai  du  moins  une  fois.  Ce  n'est 
pas  merveille,  jen  conviens,  s  ils  se  trompent  a. 
cette  occasion  :  car  qui  trouva  jamais  son  heurr' 

(a)  La  mort  'de  Claude  fut  long -temps  cacKae  «a  pcvpSr. 
fusqu'à  oe  qu'Agrippine  eût  pris  ses  mesures  pour  ôter  TeaipA 
à  Briurj&icus  et  Tassurer  k  Nëton  ;  ce  qui  Q|  4Juq  le  poJbl^  •  «■ 
itrait  exaccemeot  ni  le  jour  m  l'hettii. 


DE  l'APocoLORnrrosis.  189 

et  qui  sait  commeut  il  peut  rendre  1  esprit?  Mais 
n'importe;  fais  toujours  ta  charge  qu'il  meure,  et 
cède  Fempire  au  plus  digne. 

Vraiment,  répondit  Clotho,  je  voulais  lui  lais- 
ser quelques  jours  pour  faire  citoyens  romains  ce 
peu  de  gens  qui  sont  encore  à  l'être,  puisque 
c'était  son  plaisir  de  voir  Grecs,  Gaulois,  Espa- 
gnols, Bretons,  et  tout  le  monde  en  toge.  Cepen- 
dant, comme  il  est  bon  de»laisser  quelques  étran^ 
gers  pour  graine,  soit  fait  selon  votre  volonté. 
Alors  elle  ouvre  une  boîte  et  en  tire  trois  fuseaux  • 
Tun  pour  Âugurinus,  Tautre  pour  Babe,  et  lo 
troisième  pour  Claude  :  ce  sont,  dit-elle ,  trois 
personnages  que  j'expédierai  dans  lespace  d un 
an  à  peu  d'intervalle  entre  eux,,  afin  que  celui-ci 
limaille  pas  tout  seul.  Sortant  de  se  voir  environné 
de  tant  de  milliers  d'hommes,  que  deviendrait-il 
abandonné  tout  d'un  coup  à  lui-même?  Mais  ces 
deux  camarades  lui  suffiront 

Elle  dit  :  et  d'un  tour  lait  sur  un  vil  fiMeau, 
Du  !itupiJe  mortel  abiégetint  l'agonie, 
Elle  tranche  le  cour»  de  «a  royate  Yie. 
A  l'iûsfant  Lacbëais,  une  de  ses  deux  sœurs, 
Dans  im  hal  it  paré  de  festons  et  de  fleurs, 
Kt  le  fiont  couronne  des  lauriers  du  Ptrnusse, 
D'une  toison  d'urgent  prend  une  blanche  tresM 
I^out  son  adroite  niaiu  fbnne  un  61  délicat. 
Le  fil  sur  le  fuseau  prend  un  nouvel  éclat. 
Pe  sa  rare  beauté  les  soeurs  sont  étonnées; 
Et  toutes  à  l'envi  de  guirlandes  ornées, 
Voyant  briller  lem*  laine  et  s'enricliir  encofi. 
Avec  tto  fil  doré  filent  le  siècle  d*or. 


190  TRAOUCnOtf 

De  la  blanche  toîsoo  la  laine  détachai , 
Et  de  leurs  doigU  légers  rapîdmiect  toachée , 
Gotlle  k  l'hKUot  sans  peine  »  et  file  et  s'enbeflîc  ; 
De  mille  et  mille  tours  le  foseau  se  muf^L 
Ç«*U  passe  ks  kogs  ioats  et  U  trame  fenîle 
Du  rirai  de  Gépkale  et  dci  vieux  roi  de  P\lel 
Plioelius,  d'un  chant  de  joie  annonçant  rarenir,  * 
De  fuseaux  toujours' neufii  s'empresse  k  les  serrir, 
£t  eherdtant  sur  sa  lyre  un  ton  ifui  les  scduke. 
Les  trompe  heureus  ment  sur  W  tenpa  qui  s  é(.râ 
Puisse  uo  si  doux  travail,  dit-il,  6lic  ëterod  ! 
Les  i  >urs  que  vous  files  ne  sont  pss  d'un  mortel  : 
Il  me  sera  semblaiile  et  d*air  et  de  visage. 
De  la  voix  et  des  chants  i!  aura  Tavantage 
Dus  dèdcs  p!us  heureux  renaiinMit  k  sa  vqis  ; 
Sa  loi  icra  cesser  le  âikaoe  des  Ims. 
Comme  cm  voit  du  matin  r«Hoile  radieuse 
Annoncer  le  départ  de  la  nuit  iénélircme  ; 
Ou  tel  que  le  soleil ,  dissipant  Ls  vapeurs , 
Read  la  lumen  an  monde  et  falUgresse  «nz 
Tel  Cé&iax  va  paraître  5  et  la  terre  ëfalooie 
A  ses  premiers  rayons  est  déjà  réjouie. 

Ainsi  dit  Apollon }  et  la  Parque,  honorant  '> 
grande  âme  de  Néron,  ajoute  encore  de  son  cL 
plusieurs  années  à  celles  qu'elle  lui  file  à  pleit^ 
mains.  Pour  Claude  y  tous  ayant  opiné  que  < 
trame  pourie  fût  €oupée,  aussitôt  il  cracha  ^ 
âme  et  cessa  de  paraître  en  vie.  Au  moment  t{- 
expira,  il  écoutait  des  comédiens  ;  jiar  où  Ton  v 
cjue  si  je  les  crains,  ceii'est  pas  sans  cause.  A» 
un  son  fort  bruyant  de  l'organe  dont  il  parb'i  ^ 
plus  aisément ,  son  dernier  mot  fat  :  Fain  !  je  r  \ 
suis  embrene.  Je  ne  sais  au  vrai  ce  qull  fit  de  b^ 
mais  ainsi  faisait-il  toutes  choses. 


^ 
I 


DE  L^APocoLOKnrrosis.  191 

11  serait  superflu  d«  dire  ce  qui  sVst  passé  de* 
pais  sur  la  terre.  Vous  le  savez  tous,  et  il  nest 
pas  à  craindre  que  le  public  eu  perde  la  mémoire. 
Oublia-t-on  jamais  son  bonheur?  Quant  à  ce  qui 
s'est  passé  au  ciel,  je  vais  vous  le  rapporter;  et 
vous  devez,  s  il  vous  plait,  m'en  croire.  D  abord 
on  annonça  à  Jupiter  un  quidam  d'assez  bonne 
(aille,  blanc  comme  une  chèvre,  branlant  la  tête 
et  tiainant  le  pied  droit  d  un  air  fort  extravagant, 
liitcrrogé  d'où  il  était,  il  avait  murmuré  entre  ses 
dents  je  ne  sais  quoi  qu'on  ne  put  entendre,  et 
qui  xrétait  ni  grec  ni  ktin  ni  dans  aucune  langue 
connue. 

Alors  Jupiter,  s'adressant  à  IIerctilc,qui  ayant 

couru  toute  la  terre  en  devait  connaître  tous  les 

p  uplcs,  le  chargea  d'aller  examiner  de  quel  pays 

ëlait  cet  homme.  Hercule,  aguorri  contiT  tant  de 

inonstres,  ne  laissa  pas  de  se  troubler  en  abordant 

4;clui-ci  :  frappé  de  cette  étrange  &ce,  de  ce  mar« 

cher  inusité,  de  ce  beuglement  rauque  fit  sotu'd, 

xuoins  semblable  à  la  voix  d'un  animal  terrestre 

qu^au  mugissement  d'un  monstre  marin  :  ÂhJ 

dit-il,  voici  m(«  treizième  travail.  Cependant, 

en  regardant  mieux,  il  crut  démêler  quelques 

traits  d'un  homme.  Il  larrète^  et  lui  dit  aisément 

en  grec  bien  tourner  : 

D'oà  tietii-ltt?  çid  rt^tp  ?  île  quel  pap  et-^o? 

A  ce  mot,  Qaude,  voyant  qu'il  y  avait  là  der  ^ 
ibesuu  écrits,  espéra  que  V^m  d  eux  écrirxut  $011 


tôs  nADVcnoR 

histoire;  et  s'annonçant  pour  César  par  an  ven 

d^Homëre,iidit  : 

Les  Tcnts  m'ont  amené  det  rivages  trojcnsb 

Mais  le  vers  suivant  eût  été  plus  Traf , 

Dont  î*ai  détruit  les  sian,  tué  les  citoyens. 

Cependant  il  en  aurait  imposé  à  Hercule,  qn: 
est  un  assez  hon-homme  de.dieu,  sans  la  Fièvre, 
qui,  laissant  toutes  les  autres  divinités  à  Rome, 
seule  avait  quitté  son  temple  pour  le  suivre.  Ap- 
prenez, lui  dit-elle,  qu'il  ne  fait  que  mentir;  je 
puis  le  savoir,  moi  qui  ai  demeuré  tant  d'années 
avec  lui  :  c'est  un  bourgeob  de  Lyon  ;  il  est  né 
dans  les  Gaules  â  dix-sept  milles  de  Vienne;  il 
nVst  pas  Romain,  vous  dis- je,  c'est  un  firancGan- 
luL";,  et  il  a  traite  Rome  à  la  gauloise.  C'est  un  &it 
qu'il  (Si  de  Lyon,  oi\  Licinius  a  commandé  si 
long-temps.  Vous  qui  avez  couru  plus  de  pa\s 
qiiuii  vieux  muletier,  devez  savoir  ce  que  ce* 
que  F^yon ,  et  qu'il  y  a  loin  du  Rhône  au  Xantbe. 

Ici  Claude,  enflammé  de  colère,  se  mit  à  gro- 
gner le  plus  haut  qu'il  put.  Voyant  qu^on  ne  l'en- 
tendait point',  il  fil  signe  qu'on  arrêtât  la  Fîè^ir. 
et  du  geste  dont  il  Élisait  décoUer  les  cens  (seiL 
mouvement  que  ses  deux  mains  sussent  faire }^  'i 
ordonna  quon  lui  coupât  la  tète.  M«'iis  il  nVuii 
non  plus  écouté  que  s'il  eût  parlé  encore  à  ses  âf 
franchis  (3^. 


»-  * 


(^  ^>a  ^aif  couLtîrD  «et  imb^pile  vn^  P^^ 


bE  L*APocoLoiœrrosi$.  ig3 

Oh  !  oh  !  Tami ,  lui  dit  Hercule ,  ne  ya  pas  faire 
ici  le  sot.  Te  voici  dans  un  séjour  oU  les  rats  ron^ 
gent  le  fei .;  déclare  promptem^nt  la  vérité  ayant 
que  je  te  l'arrache.  Puis  prenant  un  ton  tragique 
pour  lui  en  mieux  imposer,  il  continua  ainsi  ; 

Kommc  à  l'instaiit  les  lieux  où  tu  reçus  le  jouTt 

Ou  ta  race  avec  toi  va  pcrir  mds  vetour. 

De  grands  rois  ont  senti  cette  lourde  massue , 

Et  ma  main  dans  ses  c .  npe  ne  .s*est  jamais  d^e  { 

Tremble  de  l'éprouver  encore  à  tes  dépens. 

Quel  murmure  coufus  enteods-^je  eulre  tes  dents  ?• 

Patle ,  et  ne  me  liens  pas  plus  long-temps  ei)  attente  | 

QueU»  clùrats  ont  produit  cette  tète  branlante? 

Jadis,  dans  l'Hespéne,  ou  triple  Gëryop, 

J'allai  porter  la  guerre ,  et ,  par  oocasioB , 

De  ses  nobles  troupeaux ,  ruvb  dans  son  ctable, 

Kaonenai  d;.ns  Argos  le  trophée  honorable.  < 

En  route,  aux  pieds  d'un  moût  doré  par  l'çriept^ 

Je  vis  se  léiuiir  dans  un  séjotir  riant 

Is  rapide  courant  de  l'impétueux  Rbôna 

£.t  le  cours  incertain  de  la  paisible  Saône  : 

Est-ce  là  h  pays  où  ta  reçus  le  jour? 

Hercule,  en  parlant  de  la  sorte,  aflfectah  plus 
d'Intrépidité  qu'il  n^en  avc>it  dans  l'âme,  «t  no 
laissait  pas  de  craindra'  la  main  d'un  fou.  Mats 
Claude,  lui  voyant  i'air  d'un  homme  résolu  qui 
n entendait  pas  raillerie ,  jugea  qu'il  notait  pas  là 
comme  à  Rome,  ou  nul  n'osait  s'égcikr  à  lai,  et 

■      '         '  '■    -  I  »       Il    l»^       ■  .  I     ■  »    MW    ■■    _  I    III  I       ■      !■  «M  I* 

Stnté  M  mataen  :  4  peine  te  maître  du  monde  avait-il  on  valcf 
^u'i  hij  daignât  obéir.  U  est  é|onnaut  que  Sénèoue  ait  osé  dirv 
tout  cela,  lui  qui  ttiit  si  coiuttsan  j  xuais  A^rippiae  avait  b^soi|| 
de  lui ,  et  il  le  savait  bieu. 


Ig^  TBÀÙUCTION 

que  partout  le  coç[  est  niaîlfe  sur  son  fiimiei;.  Use 
remit  donc  à  grogner;  et  autant  ^'on  put  IW 
tondre ,  il  sembla  parlée  ainsi. 

J*e$pérais  y  6  le  plus  fort  de  tous  les  dièox!  que 
vous  me  protégeriez  auprès  des  autres,  et  que,  si 
jWais  eu  à  me  renommer  de  quelqu'un,  c'eût  été 
de  vous  qui  me  connaissez  si  bien  :  car,  sonvenez- 
vous-eu,  s'il  vous  pTait,  quel  autre  que  moi  tenait 
audicncc.devont  votre  temple  durant  les  mois  de 
juillet  et  d  août?  Vons  saye£  ee  que  j'ai  souffert  là 
de  misères ,  jour  et  nnit  à  la  merci  des  avocats. 
Soyez  sûr,  tout  robuste  que  vous  êtes,  qull  vous 
a  mieux  valu  purger  les  étables  d'Âug;ia5  que  d'es- 
suyer leurs  crîaiUeeies  j  vous  avez  avalé  moins 
d^orduros  (f). 

Or  dites  nous  quel  dieu  nous  ferons  de  cet 
homme-ci.  En  ferons-nous  un  dieu  dEpîcore, 
parce  qu'il  ne  se  soucie,  dâ  persoBiie ,  ni  personne 
de  lui?  un  dieu  stoïcien,  qui,  dit  Vairon,  ne 
pîp5B  ni  n'engendre?  PTayant  ni  cœnrni  têt»,  il 
s»eoiUéaflsez  propre  à  le  devenir.  EhJ  mesàeQrs, 
SLii  eût  demandé  Cit  honneur  à  Satiumc  raéshc^ 
iknt^  présidant  i.  ae^  jéu]i ,  il  fit  d^rer  lo  mois 
Coûta  Tannée ,  iLuA  Te^t  pas  obtenu.  L'obtiendra- 
b-il  de  Jbfiiter,  ^'il  a  condamné  pouv  cause  dTiB- 
oestc^  atttant  q^'il  était  en  lui,  en  faisant  mourir 
Silanus,  son  gendre?  et  cela,,  pourquoi?  parce  qof 

(4}  Q  j  «  ici  tr5»*év)dë!nxRCot  ont  Uq»M«  ^^  y»  «• 


DE  L'APOCOLOUntroSIS.  1^5 

âjant  une  sœur  dWe  humeur  charmante,  et  que 
tout  le  mond  *  appelait  Vénus,  il  aima  mieux  l'ap- 
peler Junon.  Quel  si  grand  crime  est-ce  donc, 
dircz^ous,  de  fêter  discrètement  sa  sœur?  La  loî 
nelepcrmct-ellepas  à  demi  dans  Athènes,  et  dan5 
l'Egypte  en  plein  (5)?,...  A  Rome...,  Oh!  à  Rome! 
ignorez-vous  que  les  rats  mangent  le  fer?  Noire 
sage  Louleverse  tout.  Quant  à  lui ,  j'ignore  ce 
quil  faisait  dans  sa  chamhre;  mais  le  voilà  main- 
iyant  furetant  le  ciel  pour  se  faire  dieu ,  non 
content  d'avoir  en  Angleterre  un  temple  oii  les 
barbares  le  servent  comme  tel. 

  la  fin  Jupiter  s^avisa  qu  il  fallait  arrêter  les 
longues  disputes ,  et  faire  opiner  cliacun  à  son 
rang.  Pères  conscrits,  dil-il  à  ses  collègues,  au 
lieu  des  interrogations  que  je  vous  avais  permises, 
vous  ne  faitis  que  battre  !a  campagne  ;  j  entends 
que  la  cour  reprenne  ses  formes  ordinaires  :  que 
penserait  de  nous  ce  postulant ,  Ici  qu  il  soit? 

L'ayant  donc  fait  sortir,  il  alla  aux  voix,  en 
commençant  parle  père  JanuS.  Celui-ci,  consul 
d'un  aprcs-dincr,  désigné  le  premier  ji^Uet,  ne 
Liissait  pas  d'ôlre  homme  a  deux  envers,  regar- 
dant à  la  fois  devant  et  derrière.  En  vrai  pilier  de 
barreau,  il  se  mît  à  débiter  fortdiscTtemeni  beau- 
coup de  belles  choses  que  le  scribe  ne  put  suhrre , 

(5)  On  sait  qu'il  était  permis  en  Egypte  d'epousçr  sa  sœur  de 
plkrt  et  de  mère  ;  et  cela  était  aussi  pcnnU  à  Athènes,  mais  pour 
U  saur  de  mère  s«u1ement.  Le  mariage  d'£lpioice  et  de  Ciinoa 
^  Ibmmit  on  exemple. 


ig8  TRADUCTtOW 

Je  n*!ai  que  trop  à  parier  dés  miens  (7).  Ce  "gAstù, 
homme  que  Toas  yùftt ,  protégé  par  mon  nom 
durant  tant  d'années,  me  maitjt»  sa  reconnais- 
sance en  faisant  mourir  Lucius  Sibnus,  un  de 
mt$  arriftre-pêtîts-neveQX ,  et  ^Ktix  JuHcs  mes  ar- 
ridre-petites-nîèces,  Tune  par  le  fer ^  l'autre  parla 
frim.  Grand  Jupiter,  si  tous  Tadmcttez  parmi 
noQS)  4  tort  on  non,  ce  sera  sAreraent  à  votre 
Mâme.  Car,  db-moi,  je  te  prie,  d  divin  Clandc! 
pourquoi  tu  fis  tant  tuer  de  gens  sans  les  entendra, 
sans  mèn^e  tiuformer  de  leurs  crimes.  — -  C'étiù 
ma  coutume? — Ta  coutume?  On  ne  la  connaît 
pas  ici.  Jupiter,  qui  r^ié  depuis  tant  d  années, 
a*t-il  jamais  rien  fait  de  semblable?  Quand  II  es- 
tmpia  son  fils,  le  tna-t-il?  Quand  il  pendit  sa 
Semme,  rétiangia-t-il ?  Mats  toi,  n  as-tu  pas  mis  i 
B«rt  Messaline,  dont  j  étais  le  grand-onde  ainsi 
que  le  tien  (8)?  Je  Tignore,  dis-tu?  Miséralilel  ne 
aai»-tu  pas  qu'il  l'est  plus  honteux  de  rignorcr 
que  de  ravoir  faitl 

Enfin  Gaïus  'Galigula  s^est  ressuscité  dans  son 
successeur.  L'un  fait  tuer  spu  beau-père  (o),  et 


\rarxre 


(7)  7e  ii*«i  point  UadiiH  ttn  moU,  elîaMsi  Phormea  f 
•ttstfit.  e^o  tcick  SMTIKONTONTlHMilfHS  renesch  m»  :t 
fieictC,  parce  «pte  je  n^j  enteods  rien  du  toau  Peut«^u« 
|e  tiikurë  qubl  jue  éclaircissement  dans  letada^ea  d'É 
je  ne  mU  pas  k  portée  de  les  cotualter. 
•  (a)FirradapiioiidenrfB«if  Att^asieMftl'àiMiiaeGlMa^ 
nuit  U  était  «imIjod  gE«od>v0dtf  p^  U  jeiuM  Jjitoti  «y 
de  Claiide  et  nièce  d'Au^u^ta, 


DE  l'aPOCOLOKÏOTOSIS.  l()j) 

l'autre  «on  gendre  (lo).  L'tin  déîetià  qti  on  donne 
au  fils  de  Crassus  le  surnom  de  "Grand;  Tautre  le 
lui  rend  et  lui  fait  ciDilper  la  tête.  Sans  rcspcd 
pour  ub  sang  illustre ,  il  fait  périr  dans  une  mémo 
maison  Scribouic,  Tristonie,  Âssarion,  et  même 
Crassus  le  Grand,  ce  pauvre  Crassus  si  complète- 
ment Sot  qu'il  eût  miJrité  de  régner.  Songez  j  pères 
conscrits,  quel  monstre  ose  aspirer  à  siéger  parmi 
nous.  Voyez  comment  déifier  une  tdUe  figure,  vil 
ouvrage  des  dieux  irrités?  A  quel  culte,  à  quelle 
foi  pourra-t-^l  prétendre?  qu'il  répondq,  et  je  me 
rends.  Messieurs,  messieurs,  si  vous  donnez  la 
divinité  à  de  telles-gens,  qui  diable  reconnaîtra 
la  vôtre?  Eu  un  mot,  pères  conscrits,  je  vous  de- 
mande, pour  prix  de  ma  complaisance  et  de  ma 
discrétion,  de  venger  mes  injures/ Voilà  mes  rai- 
sons ,  et  voici  mon  avis  :   . 

Comme  ainsi  soit  que  le  divin  Claude  a  tué 
son  beau-père  Âppius  Silanus,  ses  deux  gendre??, 
Pompeîus  Magnus  et  Lucianus  Silanus,  Crassus 
hctiu-père  de  sa  fille,  cet  homme  si  sobre  (ii)  et 
m  tout  si  semblable  à  lui,  Scrîbonie  belle-mère 
de  sa  fille,  Messalîne  sa  propre  femme,  et  mille 

(i  o)  Pompeios  Magnus. 

(il)  Je  n'ai  guère  besoin,  je  crois,  d'oTertir  que"  ce  mot  est 
pris  iri^iiqtieniêDl.  SaStôrie,  iprèràYdtr  dtl*qu>B  tomtraipi, 
en  t^ut  lien,  Claude  .était  toujours  pr^  k  mander  et  boire, 
ft joute,  qn'ua  jour,  ayant  aenti  de  son  tribunal  l'odeur  du  dlnet 
ies  salîens ,  H  piailla  ta  toute  l'audience ,  et  oottnit  se  mettte  à 
ua>4c  avec  eux. 


aop  TRADUCTIOÎT 

autres  dont  les  noms  ne  fiuiraient  point;  jopbe 
qu'il  soit  sévèrement  puni^  qu  on  ne  lui  permettf 
plus  de  siéger  en  justice ,  qu'enfin  banni  sans  re- 
tard il  ait  à  vider  TOlympe  en  trois  jours,  ci  le 
ciel  en  un  mois. 

Cet  avis  fut  suivi  tout  d'une  voix.  A  l'insUot 
le  CjUénien  (la)  lui  tordant  le  cou,  le  tire  au 
séjour 

D*oÀ  nn! ,  dit-on ,  ne  reUmint  jamait 

En  descendant  par  la  voie  sacrée  ils  trouvent 
un  grand  concours  dont  Mercure  demande  la 
^ause.  Pcirions,  dit-il, que  c^est  sa  pompe  funèbre: 
et  en  effet,  la  beauté  du  convoi,  oà  Targent  n'^ 
vait  pas  été  épargné,  annonçait  bien  Tentenr- 
ment  d'un  dieu.  Le  bruit  des  trompettes,  des  corF. 
des  instrumeiis  de  toute  espèce,  et  surtout  de  ! 
fo^le ,  était  si  grand  que  Claude  lui-même  ponva  : 
Tcu tendre.  Tout  le  monde  était  dans  Fallégres^ . 
le  peuple  romain  marchait  légèrement  comc 
ayant  secoué  ses  fers.  Âgathon  et  quelques  chick 
tmurs  pleuraient  tous  bas  dans  le  fond  du  cocu: 
Les  juriaconsult^es,  maigres,  exténués  C^^)?  cor^r 
mençaient  à  respirer  et  semblaient  sortir  da  toc 
beau.  Un  d'entre  eux,  voyant  les  avocats  la  tti 
basse  déplorer  leur  perte,  leur  dit  en  s^approchao: 


f^nm 


(  I  a)  Bleicure. 

(i3}  Un  juge  qui  n'avait  d*«nlre  loi  ^piff  n 
d'oiivFBge  à  oes  moisieun-ià. 


DE  L'APOcoL6K.iirro5is.  aoi 

Ne  vous  le  disais-je  pas,  que  les  saturnales  ne  du** 
Feraient  pas  toujours? 

Claude  en  voyant  ses  funérailles  comprit  enfin 
qu'il  était  mort.  On  lui  beuglait  à  pleine  tâtc  co 
chant  funèbre  en  jolis  vers  hepsasyllabes. 

O  cris  !  ô  perte  !  6  doulean! 

De  DOê  funèbres  ckoenn 

Faisons  retentir  U  place  ? 

X}iie  chacun  se  Goo'jne6sse  : 

Crions  d'un  commun  accord  ^ 

Ciel  !  oe  fprand  homme  est  doue  noct  X 

Il  est  donc  mort  M  grand  homme  ! 

Hâas  !  TOUS  sares  tous  commet 

Sous  la  iôroe  de  son  braa, 

n  mit  tout  le  monde  à  bas. 

FaUaii-il  raincre  à  la  course  ; 

Fallait-U ,  jusque  sous  roorse  » 

Des  Bretons  presque  ignorés. 

Du  Cauoe  aux  cheveux  dores 

Mettre  l'orgueil  à  la  chaîne, 

Et  aons  la  hache  ropiaÎQe 

Faire  trembler  l'Ooéan  ; 

FaOaitril  en  moins  d'un  an 

Dompter  le  Parthe  lebeUe  ; 

FaDait-il  d'un  bras  fidèle 

Bander  Tare ,  lancer  des  traits 

Sur  des  ennemis  défaite, 

fit  d'une  audace  guerrière 

Blesser  le  Mèdc  an  derrière  ; 

Hotre  homme  était  prêt  à  tout^ 

De  tout  il  venait  à  bout. 

Pienroos  oe  nouvel  oracle , 

Ce  grand  p^ononceur  d'arrèu» 

Ce  Minos  que  par  miracle 

Le  «el  fonos  tout  csp|4ab 


M%  TRâ&ucrrcm 

Ce  {iliénk  des  beaat  §éniet 
VépmsaH  point  les  {tadet 
En  plaidojen  superlliu  ; 
Tour  ftt^  sans  se  mépreodM 
Il  kû  snflkau  d'entendre 
Une  des  deox  lont  m  plus. 
Qnel  ftutre  tonte  l'année 
y  ondn  sMfBT  désonuui , 
£t  n*«Toir,  dans  ia  jettraitei 
De  pUûsîr  ^m  les  proete? 
Mînoe,  oédefe-Ini  U  pbee; 
Déjà  son  mabte  votosdttwe 
Ct  Ts  fMfser  AïK  flttfefs. 
PtecwM^  •Faem  i  Tcndw^ 
Vo9  oÉneit  sont  ddwvts. 
Rimeun  qnVl  daignait  encendie^ 
A  q-.iî  Ht»- wns  ^os  tcrs  ? 
El  Tont ,  ^  comptiez  d  W4>M 
Des  ootneit  ei  de  la  diMee 
Tirer  nn  «mple  f^dsor, 
PLures^  brdmdicv  céMteev 
Bientâc  ott  bdclier  fiioèlm 
Va  consumer  todii  Vdin  <ir. 

Claude  se  délectait  a  eotendre  ses  )ouaTi::>'. 
aurait  bien  voulu  s^aitêter  plus  long-^emps;  u 
le  héraut  des  dieux,  lui  mettant  la  main  au  co!i 
et  lui  enveloppant  la  tète  de  peur  qu'il  ne  ttit 
connu,  Tentraina  par  le  ckamp  de  Mars,  et  1- 
descendre  aux  enfers  entre  le  T'ûxte  et  la  ^ 
couverte 

Narcisse,  ayant  coupe  par  le  plus  court  t 
min  y  vint  frais,  sortant  du  Jbain,  au-devant  de  - 
maître,  et  lui  dit  :  Goouneni!  les  diemx  che^ 
hommes!  Allons,  aDons,  dit  Mercure,  ^'asi 


DE  l'àvocolourtosis.  ao3 

dépêche  ie  nous  annoncer.  L'autre  Tonlant  s^a« 
moscr  à  cajoler  son  maito ,  il  le  hâta  d'aller  â 
coups  cle  cadacée,  et  Narcisse  partit  sor-le-champ. 
ia  pente  est  si  glissante,  el  Ton  descend  si  fiiciie- 
ment  qne,  tout  goutteux  qu^l  était,  il  atriye  en 
un  moment  à  la  porte  des  enlers.  A  sa  Tue,  la 
ni'.»iistre  aux  cent  têtes  dont  parle  Horace  s^agite, 
hérisse  ses  horribles  crina;  et  Narcisse,  accoutumé 
aux  caresses  de  sa  jolie  levrette  blanche,  éprouya 
quelque  surprise  à laspect  d'un  grand  yilain  chien 
noir  à  long  poil,  peu  agréable  à  rencontrer  dans 
L'obscarité.  Il  ne  laissa  pas  pourtant  de  s'écrier  à 
liante  yoîx  :  Voica  Claude  César.  Aussitôt  une 
ibule  s<ayance  en  poussant  des  cris  de  joie  et 
chantant  : 

n  Tient  I  ré)oiiiflsoii*-lkmi. 

Parmi  eux  étalent  Gains  Silius,  consul  désigné^ 
Jku^tiu»  Pnetorius,  Sextius  Trallns,  Helyius,  Tro« 
gtt^-,  Cotta  Tectufl,  Valens,.  Fabius,  cheraUera 
Tomàioô  que  Narcisse  avait  tous  expédiés.  An  mi- 
lieu de  la  troupe  dianfanle  était  le  pantomiam 
IVlbiester,  à  qui  sa  beauté  »rait  coûté  h  vie*  Bkor 
tàt  le  bruit  que  Gande  arrivait  parvint  jusqu'à 
Me$6allii€;  et  Ton  vit  accourir  les  premiers  ai»* 
devant  de  lui  ses  afBraiu:his  Polybe,  Myron,  Har* 
pocrate,  Amphxus  el  Phcronacte ,  qu'il  avait  en- 
voyés devant  pour  préparer  sa  maison.  Suivaient 
lé$  dciAc  préfets  Jbstns  Calonius,  et  Rufus,  filàde 
i^ompée;  puis  ses  amis  Saturnins  Lucius,  ptPeda 


â<4  '        TRADUCTICm 

PompeiùSy  et  Lupus,  et  Celer  Âsinius,  coiisii- 
liaîres;  enfin  la  fille  de  son  fi^ère,  la  filie  de  sa  soeur, 
son  gendre ,  son  beau-père,  sa  beUe-mère,  et  po- 
que  tous  ses  parens.  Toute  cette  troupe  accourt 
au-devant  de  Claude,  qui  les  voyant  s^écria:Boii! 
je  trouve  partout  des  amis!  Par  quel  hasard  été- 


vous  ici? 


Comment,  scélérat I  dit  Pedo  Pompéios,  pir 
quel  hasard?  et  qui  nous  y  enyoja  que  loi-mèiM^ 
bourreau  de  tous  tes  amis?  Yiens,  viens,  defaoC 
le  juge  ;  ici  je  t'en  montrerai  le  chemin.  11  le  mène 
au  tribunal  d'Eaque ,  lequel  précisément  se  6isait 
tendre  compte  de  la  loi  Cornélia  sur  les  meur- 
triers. Pedo  fait  inscrire  son  homme,  et  présente 
une  liste  de  trente  sénateurs,  trois  cent  quinic 
c*::evaliers  romains p  deux  cent  vingt-un  citoyens, 
et  d'autres  en  nombre  infini,  tous  tués  par  ses 
ordres. 

-  Claude,  efErayé,  tournait  les  yeux  de  tous  oAté 
four  chercher  un  défenseur;  niais  aucun  nesepié* 
sentait.  Enfin,  P.  Petronius,  son  ancien  convîn 
et  beau  parleur  comme  lui,  requit  vivement  d'éCn 
admis  à  le  défendre.  Pedo  l'accuse  à  grands  cris, 
Pétrone  tâcbe  de  répondre;  mais  le  juste  Eaqne  k 
fait  taire,  et,  après  avoir  entendu  seuleuaent  Puce 
des  parties,  condamne  laccusc  en  disant  : 

11  &n  Iroité  comme  U  traita  la  «utrei. 

t 

4 

A  ces  mots  il  se  fit  un  graind  silence.  Tout  k 
monde,  étonné  de  cette  étrange  forme ^  la  soot»- 


Hait  sans  exemple;  mais  Claude  la  troura  plus 
inique  que  nouvelle.  On  disputa  long-temps  sur 
la  pine  qui  lui  serait  imposée.  Quelques-uns  di* 
paient  qull  &]lait  faire  un  échange;  que  Tantale 
mourrait  de  soif  sHl  n'était  secouru;  qulxion  avait 
besoin  d^enrayer,  et  Sisyphe  de  reprendre  ha- 
leine :  mais  comme  relâcher  un  vétéran,  c^eût  été 
laisser  à  Claude  l'espoir  d'obtenir  un  jour  la  même 
grâce,  on  aima  mieux  imaginer  quelque  nouveau 
supplice  qui,  l'assujettissant  A  un  vain  travail, 
irritât  incessamment  sa  cupidité  par  une  espé- 
rance illusoire.  Eaque  ordonna  donc  qu'il  jouât 
aux  dés  avec  un  cornet  percé,  et  d^abord  on  le  vi 
se  tourmenter  inutilement  àcounV  après  ses  dés< 

Car  k  peioe  autant  le  mobik  cornet 
Aia  dét  prèts.ii  partir  il  demande  sonnet  (*) ,' 
Que,  nudgré  sous  ses  soins,  t|itre  ses  doigts  aTÎdBs^ 
Du  cornet  dëfionoé,  panier  des  Danaides, 
Il  sent  couler  les  dés }  ils  tombent,  et  souTcnl 
Sur  la  table ,  entraîné  par  se»  gestes  rigides, 
Son  bras  avec  eflôrt  jette  un  cornet  de.  yent. 
Ainsi  pour  terrasser  son  adroit  adTcrsaire  (t4), 
Sur  Tarène  un  atblète,  enflammé  de  colère , 
Du  ceste  qu'il  élève  espère  le  frapper } 
L*autre  gauchit,  esquive,  a  le  temps  d*dchiipper$ 
Et  le  coup ,  frappant  l'air  avec  toute  sa  force , 
Au  bras  qui  Ta  porte  donur  une  rude  entorse. 

Là  dessus,  Caligula  paraissant  tout  à  coup,  se 

{^)  5onnet  est  ici  pour  la  rime  ;  il  faut  ionnez. 

(  i4}  J'ai  pris  U  liberté  de  substituer  celte  comparaison  ai  cel^ 

Sisyphe,  employée  par  S^nèque,  et  trop  rebattus  depi»i»  ^ 

^ur. 


%0&        TRADUCSnOR  DB  L^AFOGOLOUTTOSIS. 

«lit  à  le  réckmer  comme  son  esdaye.  U  prodqîsit 
des  téoMHiis  qui  TaFaîent.  vu  le  charger  de  soufflets 
e|d*étriTÎëre9.  Aissifeôt  il  lui  fut  adjugé  par  Eaqoq 
et  Caligula  le  donna  à  Slénandrei  son  affianchii 
fom  en  iaîre  ui|  de  set  gens» 


Wt^— WO— )Wl»**»OWK»»mnfc*»^^%M»M)tWW 


TRADUCTION 

DE  L'ODE  DE  JEAN  PUTHOD  (♦), 

)$ur  le  flkftrîtge  tie  CHAa£ia4SBniAVOU ,  roi  de  Sardlûgst 
et  duc  de  Saroie ,  arec  U  prmcef le  Éliiaistm  m 

LOIBAISE. 


Muss,  TOUS  exigez  de  mai  que  je  consacre  an 
noi  de  nouream  diaots;  iospires-moi  donc  des 
vers  dignes  d'un  si  grand  monarqueé 

I  e  tcrrlUe  dieu  des  combals  avait  semé  là  dis- 
corde et!tre  les  peuples  de  FEurope  :  toute  Fltalie 
retentissait  du  bruit  des  armes ,  pendant  que  la 
triste  paix  entendait  du  fond  d  un  antre  obscur 

(*)  n  noua  a  paru  lAiztile  d'imprimer  le  leiic  loiiu  ou  iulicQ 
pour  les  moneauz  traduîu  de  Tacite,  de  SéiiA4uc  et  du  Tasse 
qui  font  partie  de  ce  volUme ,  parce  que  cet  antt'urii  sont  entre 
les  maÎDs  de  tout  le  monde.  Le  ni^e  motif  n'existant  pas  pour 
Tode  latine  de  J.  Putliod ,  nous  avons  cru  convenable  d'en  îoiii- 
dre  ici  le  texte  à  la  traduction. 


in  nufliat  Cahou  Bmumzui  înWefiar/Mi  SârAiniœ  re^U^ 
dueii  SabauàÙB,  elc;,  H  re^inm  vuiptHmimm  ELaAÊEtUM 

A  LOTBAiaoïA. 

Kfyè  mhte  «efem,  mea  nmth ,  rtjt 
Pléetra  juatigii  nova  âeâieartl 
£r^d  d«  magnum  eeMiran  éUjno 
Carminé  re^em. 


9o8  niotrcnoif 

les  tumultes  forieiiz  excités  par  les  faumaiiis,  et 
Toyaît  les  campagnes  inondées  de  nouveaux  flots 
de  sang.  Elledîistingue  de  loin  un  héros  enflammé 
par  sa  valeur  ;  c^est  Charles  qu'elle  reconnaît , 
chaîné  de  glorieuses  dépouilles.  La  déesse  Fa- 
borde  en  soupirant^  et  tftche  de  le  fléchir  par  ses 
larmes. 

Prince,  lui  dit-elle,  quels  charmes  troarez-TOQs 
dans  Thorreur  du  carnage?  Épargnez  des  ennemis 
vaincus  ;  épargnez-vous  vous-même,  et  n^exposez 
plus  votre  tête  sacrée  i  de  si  grands  périk;  k 
cruel  Mars  vous  a  trop  long-temps  occupé.  Vous 
êtes  chai^  d^une  ample  moisson  de  palmes  ;  il  est 
temps  désormais  que  la  paix  ait  part  à  vos'  soins, 

et  que  vous  livriez  votre  cœur  k  des  sentimens 

-^ 

Info-  Europe  papmloi  furwem 
Imphu  hdli  Dau  txâldrgl  ; 
OmnU  armormm  ttnpitm  fremAai 
Itaia  tefltts. 

Intérim  eteeo  httîLau  nh  antro 
Monta  pax  diro*  hominum  tumultta 
ÂuiU ,  unâavUa^pÊe  vida  reccMi 
Sanguine  e«npoc 

Cemii  Acrvem  pt>ciil  tntuaniem; 
Cûrolum  ûpumeii  «poliû  oiwstiuii; 
Diva  Mspinns  mià ,  «f^ue  mmta» 
Flectere  tentât 

Te  ^uid  annoraim /uval,  inquà^  %omr? 
Verce  jam  victU,  tAi  parce  y  frine^f 

Ntcafmtsaarumperap^rtahM 
Mitif  peridtii 


DE  t'oDS  DE  JEAN  PVTHOD.  âO^ 

plusdoui.  Pour  le  prix  de  cette  paix ,  les  dieux 
vous  ont  destiné  une  jeune  et  diyine  princesse  du 
sang  des  rois,  illustre  par  tant  de  héros  que  Tau  • 
guste  maison  de  Lorraine  a  produits,  et  quelle 
compte  parmi  ses  ancêtres.  Un  si  digne  présent 
est  la  récompense  de  vos  vertus  royales,  de  votre 
amour  pour  1  équité,  de  la  sainteté  de  vos  mœurs, 
et  de  cette  douce  humanité  si  naturelle  à  votre 
âme  pure. 

Le  monarque  acquiesce  aux  exhortations  des 
dieux.  Hâtez-vous,  généreuse  princesse-,  ne  vous 
laissez  point  retarder  pai  les  larmes  dWe  sœur  et 
d^une  mère  affligées.  Que  ces  monts  couverts  de 
neige,  dont  le  sommet  se  perd  dans  les  cieux,  ne 
vous  eflraient  point  :  leurs  cimes  élevées  s'abais* 

seront  pour  favoriser  votre  passage. 

■   '■'■'   Il  '    I  ■  Il      ■— ^fcii^^»^^— — ^ 

Te  iiù  Mavon  fènu  oecupaviij 
Teque  palmarum  uget  ampla  diMj 
Hune  piu»  pacem  eok^  miiioru 
Concipe  tensut. 

Eeet  iivînam  super  pudlam, 
Prœmium  pactf ,  iihi  iettindrunt 
Sanguinem  re^m,  Lothaygque  cUrûni 
Stemmate  ^.Aû. 

SeîUdet  tantum  motUre  munuë 
Regim  êotu,  amer  unua  tequi^ 
Sanctitas  marum^  pietoMque  ca»UÊ, 
Hoipita  mentis. 

Paruit  prineeps  monitU  iecirum, 
Erq6  festina^  gena-osa  virqo^ 
Hec  soroTf  nec  te  lacr^mis  iBorttir 
Anxia  ifuUr, 

49. 


aïo  TiADucnosr 

Vojet  ctrec<|<iel  cortège  liriflant  marche  celle 
charmante  épcnue;  les  grâces  envirotmenl  sqq 
char,  et  soa  vitoge  modeste  est  lait  poar  jdaire. 

C!e|>endaBt  le  roi  ëconte  ayec  empressement 
ton?  les  éloges  que  répand  la  renommée.  II  part, 
accompagtié  d'une  coor  pompeuse.  Il  vole  cnir 
porté  par  i Impatience  de  son  amour.  Tel  tpé 
Pédalant  Pheebus  efface  dans  le  ciel,  par  la  TÎTa- 
cité  de  5es  rayons,  la  lumière  des  autres  astres; 
ainsi  farille  œl  auguste  prince  an  milîea  de  tous 
sescourtisaiis. 

Clnrlcs ,  généreux  sang  des  héros ,  quels  ac- 
cords assez  suhKmes,  quels  vers  assez  majestueux 
pourrai  -  je  employer  pour  chanter  dignement  les 

vertus  de  ta  grande  âme  et  Fhiitrépidîlé  de  ta  ya- 

■^ —        I  -  -  ^  I     , 

Mvnitum  lîee  te  nivt  canêidomm 
Ttrreat  surjens  super  aàtra  moles: 
Se  mn  sensim  juqa  eeîsa  vrono 
Culm  me  sûtenf . 

Cemts?  6  quanta  speciosa  Pomf4 
Amhulat!  eurrum  lenert  lepore$ 
Ambiuntf  tponsœ  tedet  et  moâesto 
Oralia  vuUu, 

Rex  ut  attenta  hibit  aure  famam: 
SfAendiâd  lalè  comitatus  auld, 
Ecec  eonjestîm  volât  înquieto 
l^aptu»  amoie. 

Qualii  in  cobIq  radiîs  eonuçani 
VuH^Mt  astrorum  tenehrîs  rec^ndit 
PAœèitf ,  augusto  mtcat  iitl«c  9^^ 


leur?  Ce  sera,  grand  prince,  en  médiUià  Bat  )<« 
bauts  Êiits  de  tes  magnanimes  aïeux  que  leur  veitil 
a  consacrés  :  car  lu  coiuis  à  la  gloire  parle  mAmt 
chemin  qu'ils  ont  pris  pour  y  panneiiBr. 

Soit  que  tu  remportes  de  la  gueiro  les  plus 
glorieux  trophées ,  ou  quVn  paix  tn  cultives  idi 
beanx-^irts,  mille  monumens  illustres  témotgnenl 
la  grandeur  de  ton  règne* 

Mais  redoublez  vos  chants  d'allégresse;  je  rois 
arriver  cette  reine  divine  qoe  le  ciel  accorde  à  nos 
vœux.  Elle  vient;  c'est  elle  qui  a  ramené  de  doux 
oisirs  parmi  les  peuples.  A  son  abord  1  hiver  fuit; 
outes  les  routes  se  parent  d'uûe  herbe  tendre;  les 
hamps  brillent  de  verdure  et  se  couvrent  de 

CaroU ,  hergvm  yenerou  iamyuii , 
Quâ  lyrd  vel  quo  «fltw  onpoisim 
dlentis  exccUœ  tituloi  et  inqtnê 
Ditere  pecfus. 

Nempè  ma^norum  mcâitans  avorum 
Fada  y  i\uo9  vtrtui  $ua  contecravii^ 
Arte  iptâ  cœlum  meruiref  calum 
Scandere  UndU, 

Clara  §eu  héllù  nferat  irophaa,' 
Sou  eoia$  arîet  piadAu  ijuitÈaSf 
MiUeU  mensirant  inoRiimeiifK  Wd^hiila 
Inclyia  re^eak 

iVenct,  6!  fèaiù9  ^tminaU  ptaHrtii^' 
%^€mii  optanii  d^  dwa  Urrm^ 
BUmâa  ^110  îamdtm  p^ptik  twmni 
OtMi. vente,    . 


^ 


%i%  hlàdvctioii' 

fleurs.  ÂOflsitÂt  les  maitres  et  les  seiriteurs  quit* 
tent  leuf  labourage  ^  et  accourent  pleins  de  joie. 
Rojale  épouse,  les  coeurs  yolent  de  toutes  puts 
auhdevant.de  vous. 

Voyez  comment,  au  milieu  des  torrens  d'une 
flamme  bruyante ,  le  feu  prend  tontes  sortes  de 
figures  ;  voyez  fiiir  la  nuit  ;  voyez  cette  ploie  d'as- 
tres qui  semblent  se  détacher  du  ciel. 

Le  bruit  se  &it  entendre  dans  les  montagnes, 
et  patoe  bien  loin  au-dessus  de  leurs  cimes  mas- 
nves  ;  les  sapins  d'alentour  étonnés  en  frémIsseLt  ^ 
et  les  échos  des  Alpes  en  redoublent  le  retentis- 
sement. 


Hujiu  adventu,  ptqienU  hnand^ 
OmnU  aptili  via  riiet  herbâ; 
Floribui  spiranî,  vîriii^  lucemt 
Gramine  campî. 

Protinùipa^ù  htnè  fèriatU 
Exeunt  lœti  procert* ,  coloni; 
Ohviàm  passim  tibi  coda  cwrrunt^ 
Regia  conjux* 

UipîcU?  Crébrd  crépitante  fiammi^ 
I^nit  ut  duncîai  simulât  p^uroê^ 
tjt  filial  noctem^riguû  ut  mthfr 
Depiuit  astrU^ 

\AudiuMt  coUegf  et  opaca  lan^ 
CiMa  iathmittuntf  trepidœtpte  dreùm 
Contremuni  pim^a^  iteratgue  vocm 
AlgihHfËcl»*    ••     ' 


DE  LODÉ  DE  JEAW  PUTHOD.  2X3 

Vivez, bon  roi;  parcourez  la  plus  longue  car- 
rière. Vivez  de  même ,  digne  épouse.  Que  votre 
postérité  vive  éternellement  ^  et  donne  ses  lois  i 
la  Savoie. 

.  Vive  ter  eentum,  hone  rex,  per  anno$; 
Sic  thori  eontort  hona^  vive;  veatnun 
Vivat  etternàm  genus^el  Sabaudi» 
Imperet  arvis» 


OLINDE 

ET    SOPHRONIE, 
ÉPISODE 

Tirée  du  teooiié  d»«t  de  k  ttûvuxxm  «éuTftit ,  da  T. 


TuicMS  ffÊtt  le  tp9M  m  firapare  &  la  guerre , 
Ismène  un  jour  se  présente  à  lui  ;  Ismène^  «jm  à- 
dessous  la  tombe  peut  faire  sortir  un  corps  m^rt. 
et  lui  rendre  le  sentiment  et  la  parole;  Ismèn-' 
qui  peut,  au  son  des  paroles  magiques,  efliayr 
Pluton  jusqu^en  son  pabis;  qui  cominande  ëJ. 
démons  en  maître,  les  emploie  à  ses  œuTresiiu 
pies,  et  les  enchaîne  ou  délie  à  son  gré. 

Chrétien  jadis,  aujourd'hui  mahomëtan ,  il  : 
pu  quitter  tout-à-Ëiit  ses  anciens  rites  ,  et  /. 
proÊinant  à  des  criminels  usages,  mêle  et  con* 
ainsi  les  deux  lois  qu'il  connaît  mal.  Mai^iten.:. 
du  fond  des  antres  oà  il  exerce  ses  arts  ténèbre  - 
il  vient  à  son  seigneur  dans  le  danger  public  i 
mauvais  roi,  pire  conseiller. 

Sire,  dit-il,  la  formidable  et  victorieuse  an: 
arrive,  Mais  nous  remplissons  nos  devoirs  ;  le  l  i 
et  la  terre  seconderont  notre  courage.  Doue  i 
toutes  les  ^alités  d'un  capitaine  et  d'un  zt>i^  t^ 


OLINDE  ET  SOniRONlE.  acS 

« 

ttrn  de  loui  tout  prévu  y  tous  avearpouiro  k  tout; 
et  si  chacun  s  acquitte  aiBst  de  sai  charge^  cette 
terre  sera  le  twanbeau  de  tos  enaemis. 

Quant  &  moi,  je  viens  de  mon  côté  partager  * 
TM  périls  et  vos  travaux;  J  y  mettrai  pou«  ma  part 
les  conseils  de  la  vieilles^  et  ks  farces  de  Fart.  : 
magique.  Je  contraindrai  les  anges  bannis  du  ctei 
à  conconrîr  à  mes  soins*  Je  vcn\  cotnmeiicer  mes 
cnchantemens  par  un  opéra  dont  il  fimt  voue 
rendre  compte. 

Dons  le  temple  des  chrétiens^  sur  un  autel  sou- 
terrain,  e&t  une  image.de  celle qu'ils-adorent,  et 
que  leur  peuple  ignorant  fiiit  la  mère  de  leur  dieu, 
1^,  mort^  et  enseveli.  Lesimniacve,  devait  lequel 
une  lampe  bràle  sausi  cesse  ,  est  enveloppé  d'un 
voile ,  et  entouré  d'un  grand  nombre  de  tobuksus^ 
pendus  en  ordre,  et  que  les  crëdules  dévots  y  por« 
tciit  de  toutes  parts, 

11  s'a^  d^cnlever  de  h\  cette  effigie ,  et  Je  la 
transporte/ de  vos  propres  mains  dans  votremos^ 
quée  ;  14  jy' attacherai > un  charme  si  fort,  qu'elle 
sera ,  tarit  qu'on  ly  gardtera ^  ta  sauve-gafde de  vos 
pores;  et^par  reQbt.d^uiinouveaun{ystère,veus 
conscrveiez  dans,  vos  inurs  un-empiie  inezpu^ 
gnahle. 

9 

A  ces  mots,  le  roi  persuadé  court  impatient  à  la 
maison  de  Dieu,  force  les  prêtres,  enlève  sans  res« 
peci  le  chaste  simulacre,  et  la  porte  à  ce  temp-e 


Sl6  OÛHDE 

impie  oii  im  culte  insensé  ne  £iit  qa^iiriterkcVL 
C'est  là,  c'est  dans  ce  lien  proâne  et  sur  cette 
sainte  image  j  que  le  magicien  mmniure  ses  bU- 
phèmes. 

^  Mais»  le  matin  du  jonr  suivant,  le  g^rdienda 
tétaiple  immonde  ne  yit  plus  Timage  oàelieéuil 
la  Teille,  et,  lajant  cherchée  en  yain  de  toos 
cAtés,  courut  avertir  le  roi,  qui,  ne  doatanl  pas 
que  les  chrétiens  ne  Teussent  enlevée,  en  bt 
transporté  de  colère. 

Soit  qu'en  effet  ce  fût  un  coup  d'adresse  dose 
main  pieuse,  ou  un  prodige  du  ciel  indigné  ({K 
l'image  de  sa  souveraine  soit  prostituée  en  un 
lieu  souillé,  il  est  édifiant,  il  est  juste  de  &iit 
céder  le  zèle  et  la  piété  des  hommes,  et  de  croiff 
que  le  coup  est  venu  d'en4iaul. 

Le  roi  fit  faire  dans  chaque  église  et  dans  clo- 
que maison  la  plus  importune  recherche,  et  d^ 
cerna  de  grands  prix  et  de  grandes  peines  aqvi 
révélerait  ou  recèlerait  le  vol.  Le  magidoa  de  m 
côté  déploya  sans  succès  toutes  les  forces  de  sa 
art  pour  en  découvrir  l'auteur  :  )e  ciel,  au  mépà 
de  ses  enchantemens  et  de  lui,  tintrœuvresecittc 
de  quelque  part  qu'elle  pût  venir. 

Mais  le  tyran ,  furieux  de  se  voir  cacher  le  icl^ 

^uil  attribue  toujours  aux  fidèles,  se  livre  oontit 

h  la  plus  ardente  rage.  Oubliant  toute  pns- 

>^  *out  respect  humain,  il  veut,  à  oueiic* 

ew  . . 

dcoce^  ^ 


ET  SOPBRONIE.  217 

prix  que  ce  ^oit,  assouvir  sa  vengeance.  «  Non, 
a  non,  s'écriait-il  y  la  menace  ne  sera  pas  vaine; 
a  le  coupable  a  beau  se  cacher,  il  faut  qu'il  meure; 
c<  ils  mourront  tou^,  et  lui  avec  eux, 

«  Pourvu  qu'il  n'échappe  pas,  que  le  juste,  que 
«  Tinnocent  périsse  :  qu importe?  Mais  qu'ai* je 
«dit?  l'innocent!  Nul  ne  Test;  et  dans  cette 
ce  odieuse  race  en  est- il  un  seul  qui  ne  soit  notre 
f(  ennemi?  Oui,  s'il  en  est  d'exempts  de  ce  délit, 
a  qu'ils  portent  la  peine  due  W  tous  pour  leur 
ce  haine; que  tous  périssent;  l'un  comme  voleur, 
u  et  les  autres  comme  chrétiens.  Venez ,  mes 
ce  loyaux,  apportez  la  flamme  et  le  fer;  tuez  et 
fc  brûlez  sans  miséricorde.  » 

C'est  ainsi  qu  il  parle  à  son  peuple.  Le  bruit  de 
ce  danger  parvient  bientôt  aux  chrétiens.  Saisis, 
glacés  d'eflfroi  par  l'aspect  de  la  mort  prochaine, 
nul  ne  songe  à  fuir  ni  à  se  défendre;  nul  n  ose 
tenter  les  excuses  ni  les  prières.  Timides,  irréso*. 
fus,  ils  attendaient  leur  destinée,  quand  ils  virent 
arriver  leur  salut  d'où  ils  l'espéraient  le  moins, 

Parmi  eux  était  une  vierge  déjà  nubile,  d'une 
âxtie  sublime,  dune  beauté  d'ange,  quelle  néglige 
ovk  dont  elle  ne  prend  que  les  soins  dont  Ihon* 
riùteié  se  pare;  et  ce  qui  ajoute  au  prix  de  sei 
irliânnes,  dans  les  murs  d'une  étroite  enceinte  elle 
>^3  soustrait  aux  yeux  et  aux  vœux  des  amans. 

Biais  est  T  il  des  miurs  que  ne  perce  quelque 


AI  8  OUNDE 

rayon  d'une  béante  digne  de  fariQer  aux  yeux  et 
d  enflammer  les  cœurs?  Amour,  le  souffiirais^? 
Non  ;  tu  Tas  révélée  aux  jeunes  désirs  d'an  adoles- 
cent. Amour  qui,  tantôt  Argus  et  tantÂt  ayeagle, 
éclaires  les  yeux  de  ton  flambeau  ou  les  Yoilesde 
ton  bandean,  malgré  tous  les  gardiens,  toates  les 
clôtures ,  jusque  dans  les  plus  chastes  asiles  ta  sus 
porter  un  regard  étranger. 

Elle  s'appelle  Sophronie;  Olinde  est  le  nom  Ja 
jeune  homme  :  tous  deux  ont  la  même  patrie  rtia 
même  foi.  Comme  il  est  modeste  autant  qn  elle  est 
belle,  il  désire  beaucoup,  espère  peu,  ne  demande 
rien ,  et  ne  sait  ou  n'ose  se  découvrir.  Elle,  de  son 
côté,  ne  le  voit  ps,  ou  n^  pense  pas,  ou  le  dé- 
daigne; et  le  malheureux  perd  ainsi  ses  soins 
ignorés,  mal  connus,  ou  mal  reçus. 

I 

Cependant  on  entend  lliorrible  proclamalioB. 
et  le  moment  du  massacre  approche.  Sophronie, 
aussi  généreuse  qu'honnête,  forme  le  projet  k 
sauver  son  peuple.  Si  «a  modestie  Tarréte,  son 
courage  Fanime  et  triomphe,  ou  plutôt  ces  deui 
vertus  s  accordent  et  s'illustrent  mutuellement. 

La  jeune  vierge  sort  seule  au  milieu  du  peupt 
Sans  exposer  ni  cacher  ses  charmes,  en  marcliaivi 
elle  recueille  ses  yeux,  resserre  son  voile,  et  ci 
impose  pr  la  réserve  de  son  maintien.  Soll  arloi 
hasard,  soit  négligence  on  parure,  tout  concoui^ 
à^jrendre  sa  beauté  touchante.  Le  ciel^  la  uaVote 


\ 


ETSOPHKONIE  .     2tfg 

et  l'nniour,  qui  la  favorisent,  donnent  i  ses  né- 
gligences  reflet  de  l'art. 

Sans  daigner  voir  les  regards  qu^elle  attire  â 
son  passage,  et  sans  détourner  les  siens,  elle  se 
présente  devant  le  roi,  ne  tremble  point  envoyant 
sa  colère,  et  soutient  avec  fermeté  son  féroce  as- 
pect. Seigneur,  lui  dit-elle,  daignez  suspendre 
votre  vengeance  et  contenir  votre  peuple.  Je  viens 
vous  découvrir  et  vous  livrer  le  coupable  que  vous 
cherchez ,  et  qui  vous  a  si  fort  offensé. 

A  rhonnète  assurance  de  cet  abord,  à  Téclat 
subit  de  ces  chastes  et  fières  grâces,  le  roi,  confus 
et  subjugué,  calme  sa  colère  et  adoucit  son  visage 
irrité.  Avec  moins  de  sévérité,  lui  dans  Tàme,  elle 
sur  le  visage,  il  en  devenait  amoureux.  Mais  une 
beauté  revéchc  ne  prend  point  un  cœur  farouche, 
et  les  douces  manières  sont  les  amorces  de  Famour. 

Soit  surprise,  attrait,  ou  volupté,  plutôt  qu'at- 
tendrissement, le  baïkire  se  sentit  ému.  Déclare- 
moi  tout,  lui  dit-il;  voilà  que  j'ordonne  cpi'on 
épargne  ton  peuple.  Le  coupable ,  reprit-elle ,  est 
devant  vos  yeux;  voilà  la  main  dont  ce  vol  est 
Toeuvre.  Ne  cherchez  personne  autre;  c'est  moi 
qui  ai  ravi  l'imnge,  et  je  suis  celle  que  vous  devez 
punir. 

Cest  aiosi  que,  se  dévouant  pour  le  salut  de 
son  peuple,  elle  détourne  courageusement  le  mal- 
heur public  sur  elle  seule.  Le  tyran^ quelque  temps 


]|^0  OUTOE 

ÛTésolo,  ne  se  Ihrre  pas  si  tôt  à  sa  fiirie  accoatn- 
mée.  U  Imterroge.  Il  £iat,  dit-tl,  que  ta  medéclaivs 
qui  t^a  donné  ce  conseil,  et  qui  t'a  aidée  à  Fezé- 
cnler. 

Jalouse  de  ma  gloire ,  je  n^ai  touIu,  répond^lk^ 
en  &ire  part  à  personne.  Le  projet,  TexécutioD. 
tout  vient  de  moi  seule,  et  seule  j'ai  su  mon  se 
cret.  Cest  donc  sur  toi  seule,  lui  dit  le  roi,  que 
doit  tomber  ma  Tengeanoe.  Cela  est  juste,  re- 
prend-eUe,  je  dois  subir  toute  la  peine,  comme 
j^ai  remporté  tout  llionnenr. 

Ici  le  courroux  du  tyran  commence  à  se  rallu- 
mer. II  lui  demande  où  elle  a  caché  limage.  Elle 
répond  :  Je  ne  l'ai  point  cachée,  je  Tai  brûlée .  et 
j'ai  cru  faire  une  œuvre  louable  de  la  garantir aiji<î 
des  outrages  des  mécréans.  Seigneur,  est-ce  le 
voleurquc  vous  cherchez?  ilesten  votre  présen  e. 
Est-ce  le  voll  vous  ne  le  reverrez  jamais. 

Quoique  au  reste  ces  ncms  de  voleur  et  de  v<«i 
ne  conviennent  ni  à  moi  ni  à  ce  que  j'ai  falt^  rien 
n'est  plus  juste  que  de  reprendre  ce  qui  fut  prL> 
injustement  A  ces  mots,  le  tyran  pousse  un  tr 
menaçant ,  sa  colère  n^a  plus  de  frein.  Vertu . 
beauté,  courage ,  n  espérez  plus  trouver  grâce  de- 
vant lui.  G  est  en  vain  que ,  pour  la  défendre  d'un 
barbare  dépit,  l'amour  lui  fait  un  bouclier  de 
charmes. 

On  la  saisit.  Rendu  A  toute  sa  cruauté^  le 


ET  80PHR0KIE.  211 

la  condamne  à  périr  sur  un  bûcher.  Son  voile,  sa 
chaste  mante,  lui  sont  arrachés;  ses  bras  délicats 
soift  meurtris  de  rudes  chaînes.  Elle  se  tait;  sont 
Ame  forte,  sans  être  abattue,  n'est  pas  sans  émo*- 
tion ,  et  les  roses  éteintes  sur  son  visage  y  laissent 
la  candeur  de  Finnocence  plutôt  que  la  pâleur  do 
la  mort. 

Cet  acte  héroïque  aussitôt  se  divulgue.  Déjà  le 
peuple  accourt  en  foule.  Olinde  accourt  aussi 
tout  alarmé.  Le  fait  était  sûr,  la  personne  encore 
douteuse  :  ce  pouvait  être  la  maîtresse  de  son 
coeur.  Mais  sitôt  qu'il  aperçoit  la  belle  prisonnière 
en  cet  état ,  sitôt  qu'il  voit  les  ministres  de  sa 
mort  occupés  à  leur  dur  office^  il  s'élance,  il 
heurte  la  foule. 

Et  crie  au  roi  :  Non ,  non  :  ce  vol  n'est  point  d<d 
son  fait;  c'est  par  folie  qu'elle  s'en  ose  vantoa 
Comment  une  jeune  fille  sans  expérience  poiûr- 
rait-elle  exécuter,  tenter,  concevoir  même  une 
pareille  entreprise?  comment  a-t-eJe  trompé  les 
gardes  7  comment  s  y  est-elle  prise  pour  enlever  la 
sainte  image  ?  Si  elle  la  &it ,  qu  elle  s'explique. 
C'est  moi ,  Sire ,  qui  ai  fait  le  coup.  Tel  fut ,  tel  fut 
l^amour  dont  même  sans  retour  il  brûla  pour  elleii 

11  reprend  ensuite  :  Je  suis  monté  de  nuit  jus- 
qu'à l'ouverture  par  où  l'air  et  le  jour  entrent  dans 
votre  mosquée ,  et ,  tenant  des  routes  presque 
inaccessibtesy  jy  suis  entré  par  un  passage  étroite 


%2i  oLnmE 

Que  cdle-cl  cesse  d'usurper  la  peine  qui  m'esl 
due  :  fai  seul  mérité  Hionueur  de  la  mort;  c  est  i 
moi  qu'appartiennent  ces  chaînes,  ce  bûcher,  ces 
flammes;  tout  cela  n'est  destiné  que  pour  moi. 

Sophronie  1ère  sur  lui  les  yeux  :  k  douceur,  b 
pitié,  sont  peintes  dans  ses  regards.  Innocent  in- 
fortuné, lui  dit-elle,  que  yiens*tu  £iire  ici?  Quel 
conseil  t'y  conduit?  quelle  fureur  t^  traîne? 
Crains-tu  que  sans  toi  mon  âme  ne  puisse  sup- 
porter la  colère  d'un  homme  irrité  ?  Non ,  pour 
une  seule  mort  je  me  suffis  à  moi  seule ,  et  je  n'ai 
pas  besoin  d'exemple  pour  apprendre  à  la  soufiru*. 

Ce  discours  qu'elle  tint  à  son  amant  ne  le  (ait 
point  rétracter  ni  renoncer  à  son  dessein.  Digne 
et  grand  spectacle  où  l'amour  entre  en  Fce  arec 
la  vertu  magnanime,  oh  la  mort  est  le  prix  du 
vainqueur^  et  la  vie  la  peine  du  vaincu!  Mais, 
loin  d'être  touché  de  ce  combat  de  constance  et 
de  générosité,  le  roi  s'en  irrite. 

Et  s^en  croit  insulté,  comme  si  ce  mépris  du 
supplice  retombait  sur  lui.  O*oyons-€n ,  dit-il ,  à 
tous  deux;  qu'ils  triomphent  Tun  et  Tautre,  et 
partagent  la  palme  qui  leur  est  due.  Puis  11  fait 
signe  aux  sergens,  et  dans  Finstant  Olinde  e^t 
dans  les  fers.  Tous  deux,  liés  et  adossés  au  ménie 
pieu^  ne  peuvent  se  voir  en  face. 

On  arrange  autour  d'eux  le  bûcher;  et  déji 
Ton  excite  la  flamme^  quand  le  jeune  homme ^ 


ETSOPHRdîWEr       ""  223 

(^datant  en  gémîssemens,  dit  à  celle  avec  laquelle 
il  est  attaché  :  C'est  donc  là  le  lien  duquel  j'espé- 
rais munir  à  toi  pour  la  vie!  C  est  donc  là  ce  feu 
dont  nos  cœurs  devaient  brûler  ensemble! 

O  flammes!  6  nœuds  qu'un  sort  cruel  nous 
destine!  hélas!  vous  n'êtes  pas  ceux  que  l'amour 
m'avait  promis!  Sort  cruel, qui  nous  sépara  du- 
rant la  vie ,  et  nous  joint  plus  durement  encore  à 
la  mort!  Âb !  puisque  tu  dois  la  subir  aussi  fu- 
neste, je  me  console,  en  la  partageant  avec  toi, 
de  t'être  uni  sur  ce  bûcher,  n'ayant  pu  l'être  à  la 
couche  nuptiale.  Je  pleure,  mais  sur  ta  triste  des* 
tinée,  et  non  sur  la  mienne^  puisque  je  meurs  à 
tes  côtés. 

O  que  la  mort  me  sera  douce ,  que  les  tour- 
mens  me  seront  délicieux,  si  j'obtiens  qu^au  der- 
nier moment,  tombant  l'un  sur  lautre,  nos  bou- 
ches se  joignent  pour  exhaler  et  recevoir  au  même 
instant  nos  derniers  soupirs!  Il  parle,  et  ses  pleurs 
étouflent  ses  paroies.  Elle  le  tance  avec  douceur, 
et  le  remontre  en  ces  termes  : 

Âmi,ie  moment  où  nous  sommes  exige d  autres 
soins  et  d'autres  regrets.  Âh!  pense,  pense  à  tes 
fautes  et  au  digne  prix  (pie  Dieu  promet  aux  fi- 
dèles :  souflSre en  son  nom,  les  tourmens  te  seront 
doux.  Aspire  avec  joie  au  sdjour  céleste  :  vois  le 
ciel  comme  il  est  beau,  vois  le  soleU,  dont  il 
semble  que  Taspect  riant  nous  appelle  €t  nou« 
console. 


124  OLmDB 

A  ces  mots,  toat  le  peuple  païen  éclate  en  san- 
glotSy  tandis  que  le  fidèle  o^e  à  peme  gémir  à  plus 
basse  voix.  Le  roi  même)  le  roi  sent  au  fond  je 
^n  Ame  dure  je  ne  sais  quelle  émotion  prête  i 
l'attendrir  :  mais^  en  la  pressentant,  il  s'indigne, 
éy  refuse ,  détourne  les  yeux ,  et  part  sans  Tooloir 
se  laisser  fléchir.  Toi  seule ,  ô  Sophronie!  oac- 
compagnes  point  le  deuil  géoéral;  et,  quand  tout 
pleure  sur  toi,  toi  seule  ne  pleures  pas. 

En  ce  péril  pressant  survient  un  guerrier,  « 
paraissant  tel ,  d'une  haute  et  belle  apparence, 
dont  Tarmurc  et  Thabillemcnt  étraugef  anoo: 
çaient  qu'il  venait  de  loin  :  le  tigre,  &meuse  ty 
seigne  qui  couvre  son  casque,  attira  tooslesjeui. 
et  fit  juger  avec  raison  que  c'était  Clorinde. 

Dès  Tâge  le  plus  tendre  elle  méprisa  les  isku 
dises  de  son  sexe  :  jamais  ses  courageuses  m  ■ 
ne  daignèrent  toucher  le  fuseau,  l'aiguille,  et  - 
travaux  d'Ârachné;  elle  ne  voulut  ni  s'amollirf- 
des  vétemens  délicats,  ni  s  environner  timidoiit  ^ 
de  clôtures.  Dans  les  camps  mêmes,  la  vraie  b 
nêteté  se  fait  respecter,  et  partout  sa  force  6^ 
vertu  fut  sa  sauve-garde  :  elle  arma  de  fierté  > 
visage,  et  se  plut  à  le  rendre  sévère;  o^^ 
charme,  tout  sévère  qu  il  est. 

DWe  main  encore  enfantLoe,  elle  spp- 
gouverper  le  mors  d'un  coursier,  i  manier  la  piçi 
6t  Tépéej^  elle  endurcit  son  corps  sur  l'arèoej! 


ET  SOPHRONIE.  AaS 

rendit  légère  à  la  course;  sur  les  rochers,  à  travers 
les  bois,  suivit  à  la  piste  les  bétes  féroces;  se  fit 
guerrière  enfin,  et,  après  avoir  fait  la  guerre  en 
homme  aux  lions  dans  les  forêts ,  combattit  en. 
lion  dans  les  camps  parmi  les  hommes. 

Elle  venait  des  contrées  persanes  pour  résister 
de  toute  sa  force  aux  chrétiens  :  ce  n'était  pas  la 
première  fois  qu  ils  éprouvaient  son  courage;  sou- 
vent elle  avdit  dispersé  leurs  membres  sur  la  pous- 
sière et  rougi  les  eaux  de  leur  sang.  L'appareil  de 
mort  qu'elle  aperçoit  en  arrivant  la  frappe  :  elle 
pousse  son  cheval ,  et  veut  savoir  quel  crime  attire 
un  tel  châtiment. 

La  foule  s'écarte;  et  Clorinde,  en  considérant 
de  près  les  deux  vicllmes  attachées  ensemble,  re- 
marque le  silence  de  Tune  et  les  gemissemens  de 
Taulre.  Le  sexe  le  plus  faible  montre  en  cette  oc- 
casion plus  de  fermeté;  et,  tandis  quOlinde  pleure 
de  pitié  plutôt  que  de  crainte,  Sophronie  se  tait, 
et,  les  yeux  fixés  vers  le  ciel,  semble  avoir  déjà 
quitté  le  séjour  terrestre. 

Clorinde,  encore  plus  touchée  du  tranquille 
sQence  de  lune  que  des  douloureuses  plaintes  de 
Vautre,  s^attendrit  sur  leur  sort  jusqu^aux  larmes; 
puis,  se  tournant  vers  un  vieillard  qu  elle  aperçut 
auprès  délie  :  Dites -moi,  je  vous  prie,  lui  de- 
manda-t-elle,  qui  sont  ces  jeunes  gens,  et  pour 
quel  crime  ou  par  quel  malheur  ils  souBBrent  uo 
pareQ  supplice?  ^ 


226  OLnrDS 

Le  Tieîllaid  en  pea  de  mots  ayant  ^mcmpDt 
satis&ità  sa  demande,  elle  fut  frappée  détODne 
ment,  et,  jugeant  bien  que  ions  deux  étaieol  h- 
nocens,  die  réscdut,  autant  que  le  pomraieMt  ^ 
prier v^  ou  ses  armes,  de  les  garantir  de  la  nu-. 
EUe  s'approche ,  en  fiusant  retirer  la  flamme  pr 
à  les  atteindre  :  elle  parle  ainsi  à  ceux  qni  lui- 
saient : 

Qu  aucun  de  tous  n'ait  l'audace  de  poursc .^^ 
celte  cruelle  œuvre  justpi'â  ce  que  j'aie  prie  3! 
roi  :  je  tous  promets  qu'O  ne  vous  saura  pas  ic:> 
vais  gré  de  ce  retard.  Frappés  de  son  air  gnci  ■ 
noble,  les  sergens  obéirent  :  alors  elle  sachcn' 
vers  le  roi,  et  le  rencontra  qui  venait  auder^.- 
delle. 

Seignenr,  lui  dît-elle,  je  suis  Clorinde;  v 
m  avez  peut-être  oui  nommer  quelquefok  ' 
viens  m  offrir  pour  défendre  avec  vous  la  foi  c  ' 
mune  et  votre  trône  :  ordonnez,  soit  en  pV 
campagne  ou  dans  lenceinte  des  murs,qut  ; 
emploi  qu'il  vous  plabe  mWigner,  je  l  acce] 
feras  craindre  les  plus  périlleux  ni  dédaigner- 
plus  humbles. 

Quel  pajs ,  lui  répond  le  roi ,  est  si  loit  • 
TAsie  et  de  la  route  du  soleil ,  ob  llllustre  000  * 
Clorinde  ne  vole  pas  sur  les  ailes  de  la  çl«>  ' 
Non ,  vaillante  guerrière ,  avec  vous  je  n  ai  pi 
ni  doute  ni  crainte  ;  et  {aurais  moins  de  confias: 


BT  SOPHKONIE.  2iay 

en  nne  armée  entière  venue  A  mon  secours  qu'en 
votre  seule  assb tance. 

Oh!  queGodefroi  n'arrive-t-ilàrinstant  mémel 
Il  vient  trop  lentement  à  mon  gré.  Vous  me  de- 
mandez un  emploi  ?  Les  entreprises  difficiles  et 
grandes  sont  les  seules  dignes  de  vous;  comman* 
dez  à  nos  guerriers;  je  vous  nomme  leur  général. 
La  modeste  Clorinde  lui  rend  grâce,  et  reprend 
ensuite  : 

Cest  une  chose  bien  nouvelle  sans  doute  que 
le  salaire  précède  les  services;  mi^is  ma  confiance 
en  vos  bontés  me  £.it  demander ,  pour  prix  de 
ceux  que  j'aspire  k  vous  rendre,  la  grâce  de  ces 
deux  condamnés.  Je  les  demande  en  pur  don,  sans 
examiner  si  le  crime  est  bien  avéré ,  si  le  châti- 
ment  n'est  point  trop  sévère ,  et  sans  m'arréter 
aux  signes  sur  lesquels  je  préjuge  leur  innocence. 

Je  dirai  seulement  que ,  quoiqu'on  accuse  ici 
les  chrétiens  d'avoir  enlevé  Tîmage,  j'ai  quelque 
raison  de  penser  autrement  :  cette  œuvre  du  ma^ 
gicien  fut  une  profanation  de  notre  loi;  qui  n'ad- 
met point  d'idoles  dans  nos  temples,  et  moins 
encore  celle  des  dieux  étrangers. 

C  est  donc  à  Mahomet  que  j'aime  à  rapporter 
le  miracle;  et  sans  doute  il  Fa  fait  pour  nous  ap- 
prendre à  ne  pas  souiller  ses  temples  par  d'autres 
cultes.  Qulsmène  fasse  à  son  gré  ses  enchanto- 
temens,  lui  dont  les  exploits  sont  des  maléfices; 


aoS  OIINDE  ET  S0PHm05IE. 

pour  nous,  gaerriers,  manions  le  glaive;  cW  là 
notre  défense,  et  nous  ne  devons  espérer  ^  en  loi* 

Elle  se  tait  :  et,  qnoique  l'âme  colère  du  roi  ne 
s^apaisc  pas  sans  peine,  il  voulut  néannyins  Im 
complaire ,  plutôt  fléchi  par  sa  prière  et  par  la 
raison  d'état  que  par  la  pitié.  QuHls  aient,  dit-il, 
la  vie  et  la  liberté  :  un  tel  intercesseur  pat-il 
éprouver  des  refus?  Soit  pardon,  soit  justice,  in- 
nocens  je  les  absous^  coupables  je  leur  Êiis  grâce. 

Ils  furent  ainsi  délivrés,  et  la  fut  couronné  le 
sort  vraiment  aventureux  de  l'amant  de  Sophro* 
nie.  Eh  !  comment  refuserait-elle  de  vivre  avec 
cehii  qui  voulut  mourir  pour  elle?  Du  bûcher  ils 
vont  à  la  noce  ;  diamant  dédaigné ,  de  patient 
même,  il  devient  heureux  époux,  et  montre  ainsi 
dans  un  mémorable  exemple  que  les  preuves  d'un 
amour  véritable  ne  laissent  point  insensible  un 
cœur  généreux. 


*fM>tiM^ift>»'yy»n^^ttmt6tMmMi0iifii»0fiitiiiÊiÊtmiyiim/y^ 


LE  LÉVITE  D'ÉPHRAiM  H. 


CHANT  PREMIER. 

Sainte  colère  de  la  vertu ,  viens  animer  ma 
voix  :  je  dirai  les  crimes  de  Benjamin  et  les  yen  - 
geancesdlsraël;  je  dirai  des  forfaits  inouïs,  et  des 
cliâtimens  encore  plus  terribles.  Mortels,  respec- 
tez ia  beauté,  les  mœurs,  Thospitalité  :  soyez  jus- 
tes saiis  cruauté,  miséricordieux  sans  faiblesse; 
et  sachez  pardonner  au  coupable  plutôt  que  de 
punir Imnocent.    * 

O  vous ,  hommes  débonnaires ,  ennemis  de 
toute  inhumanité;  vous  qui,  de  peur  d'envisager 
les  crimes  de  vos  frères,  aimez  mieux  les  laisser 
impunis,  quel  tableau  viens- je  offrir  à  vos  yeux? 
Le  corps  d  une  femme  coupé  par  pièces;  ses  mem-* 
bres  déchirés  et  palpitans  envoyés  aux  douze 
tribus  ;  tout  le  peuple ,  saisi  d  horreiu* ,  élevant 
îusqu^au  ciel  une  clameur  unanime ,  et  s^écriant 
de  concert  :  Non,  jamais  rien  de  pareil  ne  s'est 
fait  en  Israël  depuis  le  jour  où  nos  pères  sortirent 
d'Egypte  jusqu^à  ce  jour.  Peuple  saint,  rassemble- 
toi  :  prononce  sur  cet  acte  horrible ,  et  décerne  le 
prix  qu'il  a  mérité.  À  de  tels  forfaits ,  celui  qui 

C)  yojet  dant  U  lObfe  les  eluiiMUcf  XIX,  XX  et  2LXI  a« 


a3o  XB  LÉVITK  d'^phraîm. 

détourne  ses  regards  est  un  lâche,  un  déseitenr 
de  la  justice;  la  véritable  humanité  les  envisage 
pour  les  connaître ,  pour  les  juger,  pour  les  dé 
tester.  Osons  entrer  dans  ces  détails,  et  remontons 
à  la  source  des  guerres  civiles  qui  firent  périr  odo 
des  tribus,  et  coûtèrent  tant  de  sang  aux  autres. 
Benjamin,  triste  enfant  de  douleur,  qui  donnas 
la  mort  à  ta  mère,  c^e^  de  ton  sein  qu^est  sorti  k 
crime  qui  t'a  perdu;  c'est  ta  race  impie  qui  put  h 
commettre,  et  qui  devait  trop  Pexpier. 

Dans  les  jours  de  liberté,  où  nul  ne  régnait  sur 
le  peuple  du  Seigneur,  il  fut  un  temps  de  licence 
où  chacun,  sans  reconnaître  ni  magistrat  ni  juge, 
était  seul  son  propre  maître  et  faisait  tout  ce  qui 
lui  semblait  bon.  Israël ,  alors  épars  dans  les 
champs,  avait  peu  de  grandes  villes,  et  la  sim- 
plicité de  ses  mœups  rendait  superflu  l'empire  des 
lois.  Mais  tous  les  cœurs  n'étaient  pas  également 
purs,  et  les  méchans  trouvaient  Timpunité  da 
vice  dans  la  sécurité  de  la  vertu. 

Durant  un  de  ces  courts  intervalles  de  calme  el 
d'égalité  qui  restent  dans  l'oubli,  parce  qae  nul 
n  y  commande  aux  autres  et  qu^on  n'yùài  point 
de  mal,  un  Lévite  des  monts  d'Ephraïm  vit  dans 
Bethléem  une  jeune  fille  qui  lui  pluL  II  lui  dit  : 
Fille  de  Juda,  tu  n^es  pas  de  ma  tribu,  tu  n'as 
point  de  fi-ère;  tu  es  comme  les  filles  de  Salphaad, 
et  ie  ne  puis  fépouser  selon  la  loi  du  Seigneur  (i). 


•^ 


(tj  NoDiircs,  chap.  XXXFI,  ▼.  8,  Jt  laîi  jot  Ici 


CHANT  PREUIEK.  a3( 

Mais  mon  cœur  est  â  toi;  viens  avec  moi,  vivons 
ensemble  ;  nous  serons  unis  et  libres  ;  tu  feras  mon 
bonheur,  et  je  ferai  le  tien.  Le  Lévite  était  jeune 
et  beau;  la  jeune  fille  sourit;  ils  sWirent,  puis  il 
remmena  dans  ses  montagnes. 

Li,  coulant  une  douce  vie,  si  chère  aux  cœurs 
tendres  et  simples,  il  goûtait  dans  sa  retraite  les 
charmes  d'un  amour  partagé;  là,  sur  un  sistre  d  or 
fait  pour  chanter  les  louanges  du  Très-Haut,  il 
chantait  souvent  les  charmes  de  sa  jeune  épouse. 
Cpmbien  de  fois  les  coteaux  du  mont  Hcbal  reten- 
tirent de  ses  aimables  chansons!  Combien  de  fois 
il  la  mena  sous  rom}>rage,  dans  les  vallons  de  Si- 
chcm,  cueillir  des  roses  champêtres  et  goûter  le 
frais  au  bord  des  ruisseaux!  Tantôt  il  cherchait 
dans  les  creux  des  rochers  des  rayons  d'un  miel 
doré  dont  elle  faisait  ses  délices;  tantôt  dans  le 
feuillage  des  oliviers  il  tendait  aux  oiseaux  des 
pièges  trompeurs,  et  lui  apportait  une  tourterelle 
craintive  quelle  baisait  en  la  flattant;  puis,  len- 
fcrnoant  dans  son  sein,  elle  tressaillait  d  aise  en  la 
sentant  se  débattre  et  palpiter.  Fille  de  Bethléem, 
lui  disait-il,  pourquoi  pleures-tu  toujours  ta  fa- 
mille et  ton  pays?  Les  enfans  dÉphraïm  n'ont-ils 
point  aussi  des  fêtes?  les  filles  de  la  riante  Sichem 
sont-elles  sans  grâce  et  sans  gaieté?  les  habitans 
de  Fan  tique  Atharot  manquent -ils  de  force  et 

d  adresse?  Viens  voir  leurs  jeux  et  les  embellir. 

-  — 

Lévî  pouvaient  se  marier  dans  toutes  les  tribus  •  nuis  non  d«Di 
le  cas  supposa. 


S3l  LE  tÉVtTÈ  D*ÉPBlUÎsr. 

Donne-moi  des  plaisirs;  6  ma  bien^aimée!  en  estr 
il  pour  moi  d'autres  que  les  tiens? 

Toutefois  la  jeune  fiUe  s  ennuya  du  Lévite, 
peut-être  parce  qu'il  ne  lui  laissait  rien  à  désirer. 
Elle  se  dérobe  et  s'enfuit  vers  son  père,  vers  sa 
tendre  mère,  vers  sez  folâtres  sœurs.  Elle  y  croit 
retrouYcr  les  plaisirs  innocens  de  son  enfance, 
comme  si  elle  y  portait  le  même  âge  et  le  même 
coeur. 

Mais  le  Lévite  abandonné  ne  pouvait  oublier 
sa  volage  épouse.  Tout  lui  rappelait  dans  sa  soli- 
tude les  jours  heureux  qu'il  avait  passés  auprès 
délie,  leurs  jeux,  leurs  plaisirs,  leurs  querelles, 
et  leurs  tendres  raccommodemens.  Soit  que  le  so- 
leil levant  dorât  la  cime  des  montagnes  de  Gelboé^ 
soit  qu  au  soir  un  vent  de  mer  vint  rafraîchir  leurs 
roches  brûlantes,  il  errait  en  soupirant  dans  les 
lieux  qu'avait  aimés  Tinfidèle*,  et  la  nuit,  seul 
dans  sa  coiiche  nuptiale,  il  abreuvait  son  chevet 
de  ses  pleurs. 

Après  avoir  flotté  quatre  mois  entre  le  r^gr«t 
et  le  dépit,  comme  un  enfant  chassé  du  jeu  pai 
les  autres  feint  n'en  vouloir  plus  en  brûlant  de  s  t 
remettre,  puis  enfin  demande  en  pleurant  dv 
rentrer,  le  Lévite,  entraîné  par  son  amour,  prend 
sa  monture;  et,  suivi  de  son  serviteur  avec  deux 
fines  d'Épha  chargés  de  ses  provisions  et  de  dons 
pour  les  paréos  de  la  jeune  fille-,  il  retourne  à 
Bethléem  pour  «e  réconcilier  avec  elle,  et  tâcher 
de  la  ramener. 


4 


CaAKT  PREMIER.  a.l3 

La  jeune  femme,  lapercevant  de  loin,  tres- 
saille, court  au-devant  de  lui,  et,  l'accueillant 
avec  caresses,  Fintroduit  dans  la  maison  de  son 
père,  lequel  apprenant  son  arrivée  accourt  aussi 
plein  de  joie,  Fembrasse,  le  reçoit,  lui,  son  servi- 
teur, son  équipage,  et  s'empresse  à  le  bien  traiter. 
Mais  le  Lévite  ayant  le  cœur  serré  ne  pouvait  par- 
ler; néanmoins,  ému  par  le  bon  accueil  de  la  fa- 
mille, il  leva  les  yeux  sur  sa  jeune  épouse,  et  lui 
dit  :  Fille  d'Israël,  pourquoi  me  fub-tu?  quel  mal 
t'ai-je  Ëiit?  La  jeune  fille  se  mit  à  pleurer  en  se 
couvrant  le  visage.  Puis  il  dit  au  père  :  Rendez- 
moi  ma  compagne;  rendez-la-moi  pour  lamour 
d'elle;  pourquoi  vivrait-elle  seule  et  délaissée? 
Quel  autreque  moi  peut  honorer  comme  sa  femme 
celle  que  j'ai  reçue  vierge? 

Le  père  regarda  sa  fille,  et  la  fiUe  avait  le  cœur 
attendri  du  retour  de  son  mari.  Le  père  dit  donc 
â  son  gendre  :  Mon  fils,  donnez-moi  trois  jours; 
passons  ces  trois  jours  dans  la  joie,  el  le  quatrième 
jour,  vous  et  ma  fille  partirez  en  paix.  Le  Lévite 
resta  donc  trois  jours  avec  son  beau-père  et  toute 
sa  fitmille,  mangeant  et  buvant  familièrement 
avec  eux  :  et  la  nuit  du  quatrième  jour,  se  levant 
avant  le  soleil,  il  voulut  partir.  Mais  son  beau- 
père  l'arrêtant  par  la  main  lui  dit  :  Quoi!  voulez- 
vous  partir  à  jeun?  Venez  fortiCer  votre  estomac, 
et  puis  vous  partirez.  Us  se  mirent  donc  à  table; 
et ,  après  avoir  mangé  et  bu ,  le  père  lui  dit  :  Mon 
fils,  je  TOUS  supplie  de  vous  réjouir  avec  nous 


ao. 


a34  LE  téyrTE  d'éphraiat. 

«ncore  aujourd'hui.  Toutefois  le  Lévite  se  levant 
voulait  partir  ;  il  croyait  ravir  à  rameur  le  temp^ 
qu'il  passait  loin  de  sa  retraite,  livré  à  d'autres 
qu'à  sa  bien-aimée.  Mais  le  père,  ne  pouvant  se 
résoudre  à  s'en  séparer,  engagea  sa  fille  d  obtenir 
encore  cette  journée  ;  et  la  fille,  caressant  sod 
mari,  le  fit  rester  jusqu'au  lendemain. 

Dès  le  matin ,  comme  il  était  prât  k  partir,  il 
fut  encore  arrêté  par  son  beau-père ,  qui  le  for.;a 
de  se  mettre  à  table  en  attendant  le  grand  jour; 
t\  le  temps  sécoulait  sans  qu ils  s'en  aperçussent. 
Alors  le  jeune  homme  s'étant  levé  pour  partir  avec 
sa  femme  et  son  serviteur,  cl- ayant  préparé  toute 
chose  :  O  mon  fils ,  lui  dit  le  père,  vous  voyez  que 
le  jour  s'avance  et  que  le  soleil  est  sur  son  déclin  : 
ne  vous  mettez  pis  si  lard  en  route;  de  grâce,  ré- 
jouissez mon  copur  encore  le  reste  de  cette  jour- 
née; demain  dès  le  point  du  jour  vous  partirez 
sans  retard.  Et,  en  disant  ainsi,  le  bon  vieillard 
était  tout  saisi  ;  ses  yeux  paternels  se  remplis- 
saient de  larmes.  Mais  le  Lévite  ne  se  rendit  point, 
et  voulut  partir  à  Tinstant. 

Que  de  regrets  coûta  cette  séparation  funeste! 
Que  de  touchans  adieux  furent  dits  et  r«ïcooi' 
mencés!  Que  de  pleurs  les  sœurs  de  la  jeune  filk 
versèrent  sur  son  visage!  Combien  de  fois  elles  b 
reprirent  tour  à  tour  dans  leurs  bras!  Combien  de 
fois  sa  mère  éplorée,  en  la  serrant  derechef  dans 
les  siens,  sentit  les  douleurs  d'une  nouvelle  sépa- 
TftUQO  i  Mais  son  père^  en  Fcmbrassant,  ne  pleo- 


cflAirr  sficoi^D.  23'! 

rait  pas  :  ses  muettes  étreintes  étaient  mornes  et 
coDvulsives;  des  soupirs  tranchans  soulevaient  ^ 
poitrine.  Hélas!  il  semblait  prévoir  Thorrible  sort 
de  Tinfortunée.  Oh  !  s'il  eût  su  qu  elle  ne  reverrail 
jamais  l'aurore;  s'il  eût  su  que  ce  jour  était  le  der- 
nier de  ses  jours!...  Ils  partent  enfin,  suivis  des 
tendres  bénédictions  de  toute  leur  &mille,  et  de 
vœux  qui  méritaient  d'être  exaucés.  Heureuse  fa- 
mille, qui,  dans Tun ion  la  plus  pure,  coiile  au  sein 
de  l'amitié  ses  paisibles  jours,  et  semble  nWoir 
qu'un  cœut  à  tous  ses  membres  !  O  innocence  des 
moeurs,  douceur  d'âme,  antique  simplicité,  que 
vous  êtes  aimables!  Comment  la  brutalité  du  vice 
a-t-elle  pu  trouver  place  au  milieu  de  vous?  Com- 
ment les  fureurs  de  la  barbarie  n'ont-ellcs  pas  re$« 
pecté  vos  plaisirs? 


m«n^MnA«nA«tM««wMr 


CHANT  SECOND. 


Le  jeune  Lévite  suivait  sa  route  avec  sa  femme, 
son  serviteur  et  son  bagage,  transporté  de  joie  de 
ramener  l'amie  de  son  cœur,  et  inquiet  du  soleil 
et  de  la  poussière,  comme  une  mère  qui  ramène 
son  enfant  chez  la  nourrice  et  craint  pour  lui  les 
injures  de  Tair.  Déjà  Ton  découvrait  la  ^nlle  de 
Jëbus  k  main  droite,  et  ses  murs,  aussi  vieux  que 
les  siècles,  leur  ofiraient  uu  asile  aux  approches 
de  la  nuit.  Le  serviteur  dit  donc  à  son  maître  : 


2l3S  LB   LÉYITE  D^CPHILUM. 

Vous  voyez  le  jour  prêt  à  Jinir;  avant  que  les  té- 
nèbres nous  surprennent,  entrons  dam  la  ville 
des  Jéboséens  y  nous  y  chercherons  un  asile;  d 
demain,  poursuivant  notre  voyage,  nous  poiu" 
rons  arriver  à  Géba. 

A  Dieu  ne  plaise,  dit  le  Lévite,  que  je  loge  chfi 
un  peuple  infidèle ,  et  qu'un  Cananéen  donne  V 
couvert  au  ministre  du  Seigneur!  non  :  mais  alloos 
jusques  à  Gabaa  chercher  Thospitalité  chez  m 
frères.  Ils  laissèrent  donc  Jérusalem  derrière  m; 
ils  arrivèrent  après  le  coucher  du  soleil  k  la  hau- 
teur de  Gabaa,  qui  est  as  la  tribu  de  Benjamin. 
Us  se  détournèrent  pour  y  passer  la  nuit  :  et  j 
étant  entrés  ils  allèrent  sWeoir  dans  la  place  p 
blique;  mais  nul  ne  leur  oi&rit  un  asile,  et  il5(!^ 
meuraient  à  découvert.  | 

Hommes  de  nos  jours,  ne  calomniez  pas  ks 
mœurs  de  vos  pères.  Ces  premiers  temps,  il  t^ 
vrai,  n  abondaient  pas  comme  les  vôtres  en  coic- 
moditésde  la  vie;  de  vils  métaux  n^y  suffisaicc: 
pas  à  tout  :  mais  lliomme  avait  des  entrailles  f 
Élisaient  le  reste  ;  l'hospitalité  n^était  pas  à  vendr 
et  l'on  n'y  trafiquait  pas  des  vertus,  l^s  fils  de  Jr 
mini  n'étaient  pas  les  seuls,  sans  doute,  dont  1^ 
cœurs  de  fer  fussent  endurcis;  mais  cette  duret 
n'était  pas  conunune.  Partout  avec  la  patience  o: 
trouvait  des  frères;  le  voyageur  dépourvu  de  toi 
ne  manquait  de  rien. 

Après  avoir  attendu  long-temps  inutilement,  l< 
Lévite  allait  détacher  son  bagage  gour  en  £ûrc  ^ 


CHAîTT  SECOirU.  zZy 

la  jeune  fille  im  lit  moins  dur  que  la  terre  nue , 
quand  il  aperçut  un  homme  vieux  revenant  sur  le 
tard  de  ses  champs  et  de  ses  travaux  rustiques . 
Cet  homme  é^ait  comme  lui  des  monts  d'Éj^raïm, 
et  il  était  venu  s'établir  autrefois  dans  cette  ville 
parmi  les  enfans  de  Benjamin. 

Le  vieillard,  élevant  les  yeux,  vit  un  homme 
et  une  femme  assise  au  milieu  de  la  place,  avec 
un  serviteur,  des  bétes  de  sommes,  et  du  bagage. 
Alors,  s'approchant,  il  dit  au  Lévite  :  Etranger, 
d'où  êtes-vous?  et  où  allez-vous?  Lequel  lui  ré- 
pondit :  Nous  venons  de  Bethléem,  viUe  de  Juda  ; 
nous  retournons  dans  notre  demeure  sur  le  peu-' 
chant  du  mont  d'Ephraïm,d'oùnousétionsvenus  : 
et  mamtenant  nous  cherchons  l'hospice  du  Sei- 
gneur;- mais  nul  n'a  voulu  nous  loger.  Nous  avoiis 
du  grain  pour  nos  animaux ,  du  pain,  du  vin  peur 
moi,  pour  votre  servante,  et  pour  le  garçon  qui 
nous  suit  ;  nous  avons  tout  ce  qui  nous  est  néces- 
saire, il  nous  manque  seulement  le  couvert.  Le 
vieillard  lui  répondit  :  Paix  vous  soit  mon  frère  ! 
vous  ne  resterez  point  dans  la  place  :  si  quelque 
chose  vous  manque,  que  le  crime  en  soit  sur  moi. 
Ensuite  il  les  mena  dans  sa  maison ,  fit  décharge^ 
leur  équipage,  garnir  le  râtelier  pour  leurs  bêtes  ; 
et  ayant  fait  laver  les  pieds  à  ses  hôtes,  i{  leur  fit 
un  festin  de  patriarches,  simple  et  sans  faste, 
fuais  al)ondant. 

Tandis  qu'ib  étaient  à  table  avec  leur  bote  et 


a3S  LE  L£TIT£  D^^PHRàÎBT. 

sa  fille  (i),  promise  à  un  jeune  homme  du  pa}$. 
et  que,  dans  la  gaieté  d^un  repas  offert  avec  joie, 
ils  se  délassaient  agréahlemeut ,  les  hommes  de 
cette  ville,  cnfans  de  Bélial,  sans  joug,  sansfitio, 
sans  retenue,  et  bravant  le  ciel  comme  les  Cvclo- 
pcs  du  mont  Etna,  vinrent  environner  la  maison, 
frappant  rudement  à  la  porte,  et  criant  au  vieil- 
lard d'un  ton  menaçant  :  Livre -nous  ce  jeune 
étranger  que  sans  congé  tu  reçois  dans  nos  mors; 
que  sa  beauté  nous  paie  le  prix  de  cet  asile ,  et 
qu'il  expie  ta  témérité.  Car  ils  avaient  vu  le  Lé\-iu 
sur  la  place,  et,  par  un  reste  de  respect  pour  le 
plus  sacré  de  tous  les  droits,  n'avaient  pas  vouln 
le  loger  dans  leurs  maisons  poiur  lui  (aire  violencf . 
mais  ils  avaient  comploté  de  revenir  le  surprendra- 
nu  milieu  de  la  nuit;  et  ayant  su  que  le  ri  illar! 
lui  avait  donné  retraite,  ils  accouraient  sans  \v 
tice  et  sans  honte  pour  l'arracher  de  sa  maison. 
Le  vieillard,  entendant  ces  forcenés,  se  troub'' 
s  cllraie,  et  dit  au  Lévite  :  Nous  sommes  perdu- 
ces  médians  ne  sont  pas  des  gens  que  la  raisr 
ramène,  et  qui  reviennent  jamais  de  ce  qu^ih  t»'.: 
résolu.  Toutefois  il  sort  au-devant  d'eux  pour  t. 
cher  de  les  fléchir.  U  se  prosterne,  et,  levant  r 
ciel  ^ts  mains  pures  de  toute  rapine,  il  leur  di' 
O  mes  frères]  quels  d  scours  avez-vous  pronoc 


(i)  Dans  rusa^  antique,  les  femmes  de  la  maison  m 
taient  pas  k  uble  avec  leurs  h6tes  quand  c'étaient  des 
mais  loisqu'il  ^  avait  des  |emmçS|  elles  s'j  metuicnt  stoc  cl^ 


CHANT  SECO?r0.  2ik) 

césl  Àh!  ne  faites  pas  ce  mal  derant  le  Seigneur; 
nWtragez  pas  ainsi  la  nature ,  ue  violez  pas  la 
sainte  hospitalité.  Mais  voyant  qu'ils  ne  l'écou- 
taient  point,  et  que,  prêts  aie  maltraiter  lui-même, 
ils  allaient  forcer  la  maison,  le  vieillard,  au  dés* 
espoir,  prit  à  Tinstant  son  parti;  et,  faisant  signe 
de  la  main  pour  se  faire  entendre  au  milieu  du 
tumulte,  il  reprit  d  une  voix  plus  forte  :  Non,  moi 
vivant,  un  tel  forfait  ne  déshonorera  point  mon 
hôte  et  ne  souillera  point  ma  maison  :  mais  écou- 
tez ,  hommes  cruels ,  les  supplications  d'un  mal- 
heureux père.  J'ai  une  fille,  encore  vierge,  promise 
à  Tun  d'entre  vous;  je  vais  l'amener  pour  vous 
être  immolée,  mais  seulement  que  vos  mains  sa- 
crilèges sab>tiennent  de  toucher  au  Lévite  du 
Seigneur.  Alors,  sans  attendre  leur  réponse,  il 
court  chercher  sa  fille  pour  racheter  son  hôte  aux 

j  dépens  de  son  poprc  sang. 

Mais  le  Lévite,  que  jusqu'à  cet  instant  la  terreur 
rendait  immobile,  se  réveillant  à  ce  déplorable 

,  aspect,  prévient  le  généreux  vieillard,  s'élance  au- 
devant  de  hii,  le  force  à  rentrer  avec  sa  fille,  et 
prenant  lui-même  sa  compagne  bion-airaéc  sans 
lui  dire  un  seul  mot,  sans  lever  les  yeux  sur  elle, 
Tcntraîne  jusquà  la  porte,  et  la  livre  k  ces  mau- 

,.  dits.  Aussitôt  ils  entourent  la  jeune  fille  à  demi- 
morte,  la  saisissent,  se  Tarrachent  sans  pitié;  tels 

^  dans  leur  brutale  furie  qu'au  \  îcd  fîr s  Alpes  gla- 

'  cées  on  troupeau  de  loups  affamés  surprend  une 
faible  génisse,  se  jette  sur  elle  et  la  déchire,  au 


d40  I^  LJYITE  d'ÉPHRAIK. 

retour  de  l'abreuyoir.  O  misérables!  qui  détmisex 
votre  espèce  par  les  plaisirs  destinés  à  la  repro- 
duire^ comment  cette  beauté  mourante  ne  glace- 
t-elle  point  vos  féroces  désirs?  Voyez  sur  ^es  jau 
déjà  fermés  à  la  lumière,  ses  traits  effacés,  soo 
visage  éteint;  la  pâleur  de  la  mort  a  couvert  ses 
joues,  les  violettes  livides  en  ont  chassé  les  roses; 
elle  n^a  plus  de  voix  pour  gémir  :  ses  mains  n  ont 
plus  de  force  pour  repousser  vos  outrages.  Hélas! 
elle  est  déjà  morte  !  Barbares ,  indignes  du  nom 
d'hommes ,  vos  hurlemens  ressemblent  aux  cris  de 
llioiTiblc  hyène,  et  comme  elle  vous  dévorez  les 
cadavres. 

Lés  approches  du  jour  qui  rechasse  les  bétia 
farouches  dans  leurs  tannièrcs  ayant  dispersé  ces 
brigands,  l'infortunée  use  le  reste  de  sa  force  à  se 
traîner  jusqu'au  logis  du  vieillard;  elle  tombe  à  U 
porte  la  face  contre  terre  et  les  bras  étendus  sur  k 
seuil.  Cependant,  après  avoir  passé  la  nuit  à  renh 
plir  la  maison  de  son  hôte  d'imprécations  et  de 
pleurs,  le  Lévite  prêt  à  sortir  ouvre  la  porte  rt 
trouve  dans  cet  état  celle  qu'il  a  tant  aimée.  Qut' 
spectacle  pour  son  coeur  déchiré!  Il  élève  un  m 
plaintif  Vers  le  ciel  vengeur  du  crime;  puis,  adres- 
sant la  parole  à  la  jeune  fille  :  Lève-toi,  lui  dit-îl 
fuyons  la  malédiction  qui  couvre  cette  terre 
viens,  à  ma  compagne!  je  suis  cause  de  la  pert^. 
je  serai  ta  consolation  ;  périsse  l'homme  injuste  r 
vil  qui  jamais  te  reprochera  ta  misère  !  tu  ma 
plus  respectable  qu'avant  nos  malheurs.  La  jeu»% 


'cnAVI  TROISliMB.  94  ft 

lUle  ne  répond  point  :  il  se  trouble;  son  cœur  saisi 
d^efEroi  commence  à  craindre  de  plus  grands  maux; 
'  0  rappelle  derechef,  il  la  regarde ,  H  la  touche; 
elle  n'était  plus.  O  fille  trop  aimable  et  trop  aimée  ! 
c'est  donc  pour  cela  ^e  je  t^ai  tirée  de  la  maison 
de  ton  père!  Voilà  donc  le  sort  que' te  péparait 
mon  amour!  Il  acheva  ces  mots  prêt  k  la  suivre, 
et  ne  lui  survéquit  que  pour  la  venger. 

Dès  cet  instant,  occupé  du  seul  projet  dont  son 
âme  était  remplie,  il  fyi  sourd  à  tout  autre  senti- 
ment; Famour,  les  regrets,  la  pitié,  tout  en  lui  se 
diange  en  fureur;  Taspect  même  de  ce  corps,  qui 
devrait  le  faire  fondre  en  larmes,  ne  lui  arrache 
plus  ni  plaintes  ni  pleurs  :  il  le  contemple  d  un 
œil  sec  et  sombre;  il  n^  voit  plus  qu'un  objet  de 
rage  et  de  désespoir.  Aidé  de  son  serviteur,  il  le 
charge  sur  sa  monture  et  l'emporte  dans  sa  mai- 
son. Là,  sans  hésiter,  sans  trembler,  le  barbare 
ose  couper  ce  corps  en  douze  pièces;  d^une  main 
ferme  et  sûre  il  fi*appe  sans  crainte,  il  coupe  la 
chair  et  les  os,  il  sépare  la  tête  et  les  membres;  et 
après  avoir  fait  aux  tribus  ces  envois  effroyables 
il  les  précède  à  Maspha,  déchire  ses  vêtemens, 
couvre  sa  tête  de  cendres,  se  prosterne  à;nesure 
€jitS\s  arrivent,  et  réclame  à  grands  cris  la  justice 
du  Dieu  d  Israël. 


M^ladj«fl.  ai 


a  fa  IB  liviTB  D'jipHBAin. 


«MMMAWMAIWMMMMMM 


CHANT  TROISIEME. 

Cependant  vous  eussiez  vu  tout  le  peuple  de 
Diçu  s'émouvoir,  s^assembler,  sortir  de  ses  de- 
Qitiures,  accourir  de  toutes  les  tribus  à  Maspha 
devant  le  Seigneur,  comme  un  nombreux  essaim 
d  abeilles  se  rassemble  en  bourdonnant  autour  de 
leur  roi.  Us  vinrent  tous,  ils  vinrent  de  toutes 
parts,  de  tous  les  cantons,  tous  d'accord  comme 
uu  seul  homme,  depuis  Dan  jusqu'à  Bersabée,  et 
depuis  Galaad  jusqu'à  .Maspha. 
.   Alors  le  Lévite  s'étant  présenté  dans  un  appa- 
reil lugubre,  fut  interrogé  par  les  anciens  devant 
l-assemblée  sur  le  meurtre  de  la  jeune  fille,  et  il 
leur  pai'la  ainsi  :  «  Je  suis  entré  dans  Gabaa,  ville 
«  de  Benjamin,  avec  ma  femme  pour  j  passer  la 
«  nuit;  et  tes  gens  du  pays  ont  entouré  la  maison 
n  où  j'étais  logé,  voulant  m^outrager  et  me  faire 
((  périr.  J'ai  été  forcé  de  livrer  ma  femme  à  leur 
(1  débauche,  et  elle  est  morto  en  sortant  de  leurs 
«  mains.  Alors  j'ai  pris  son  corps,  je  Ta!  mis  en 
«  pièces,  et  je  vous  les  ai  envoyées  à  chacun  dans 
«  vos  limites.  Peuple  du  Seigneur,  j'ai  dit  la  ve- 
«  rite;  faites  ce  qui  vous  semblera  juste  devant  le 
fc  Très-Haut.  » 

A  rinstant  il  s'éleva  dans  tout  Israël  un  seul 
cri,  mais  éclatant,  mais  unanime  :  Que  le  sang  A< 
JU  jeune  &mme  retombe  sur  ses  loeortrieRf.  Vive 


CHAirr  TitoKiÈMB.  a  {3 

Interne!  1  nous  ne  ren  rerons  point  dans  nos  de- 
meures ,  et  nul  de  nous  ne  retournera  sous  son 
toitf  que  Gabaa  ne  soit  exterminé.  Alors  le  Lévite 
s*écria  d'une  voix  forte  :  Béni  soit  Israël  qui  punît 
Tinfamie  et  venge  le  sang  innocent  !  Fille  de  Beth- 
léem 5  je  te  porte  une  bonne  nouvelle  ;  ta  mé- 
moire ne  restera  point  sans  honneur.  En  disant 
ces  mots,  il  tomba  sur  sa  face,  et  mourut.  Son 
corps  fut  honoré  de  fiinérailles  publiques.  Les 
membres  de  la  jeune  femme  furent  rassemblés  et 
mis  dans  le  même  sépulcre,  et  tout  Israël  pleura 
sur  eux. 

Les  apprêts  de  la  guerre  qu'on  allait  entrepren- 
dre commencèrent  par  un  serment  solennel  de 
mettre  à  mort  quiconque  négligerait  de  s'y  trou- 
ver. Ensuite  on  fit  le  dénombrement  de  tous  les 
Hébreux  portant  armes,  et  Ton  choisit  dix  de  cent, 
cent  de  mille,  et  mille  de  dix  mille,  la  dixième 
partie  du  peuple  entier,  dont  on  fit  une  armée  de 
quarante  mille  hommes  qui  devait  agir  contre 
Gabaa ,  tandis  qu  un  pareil  nombre  était  chargé 
des  convois  de  munitions  et  de  vivres  pour  l'ap- 
provisionnement de  l'armée.  Ensuite  le  peuple 
vint  à  Silo  devant  l'arche  du  Seigneur,  en  disant: 
Quelle  tribu  commandera  les  autres  contre  les 
enfans  de  Benjamin?  Et  le  Seigneur  répondit: 
C'est  le  sang  de  Juda  qui  crie  vengeance;  que 
Juda  soit  votre  chef. 

Mais,  avant  de  tirer  le  glaive  contre  leurs 
firèreS;  îLs  envoyèrent  à  la  tribu  de  Benjamin  deH 


9^4  U  LEVITE  D  ÉPHRAÎM. 

hérauts,  lesquels  dirent  aux  Benjamites  :  Pour- 
quoi cette  horreur  se  trouve-t-elle  au  milieu  de 
vous?  Livrez-nous  ceux  qui  l'ont  commise,  afia 
qu'ils  meurent,  et  que  le  mal  soit  ôté  du  sm 
dlsraël. 

Les  Êœouches  enfans  de  lémini,  qui  n^avaient 
pas  ignoré  l'assemblée  de  Maspha,  ni  la  résoIutioD 
qu  on  y  avait  prise,  s'ëtant  préparés  de  leur  coté^ 
crurent  que  leur  valeur  les  dispensait  d'être  justes. 
Ils  n'écoutèrent  point  Texhortation  de  leurs  finères; 
et,  loin  de  leur  accorder  la  satis&ction  qu'ils  lear 
devaient,  ils  sortirent  en  armes  de  toutes  les  villes 
de  leur  partage,  et  accoururent  ài.la  défense  de 
Gabaa,  sans  se  laisser  effrayer  par  le  nomiire,  et 
résqlus  de  combattre  seuls  tout  le  peuple  réuiû 
L'armée  de  Benjamin  se  trouva  de  vingt -cii^ 
mille  hommes  tirant  lepée,  outre  les  habitans  u^ 
Gabaa^  au  nombre  de  sept  cents  hommes  biec 
aguerris;  maniant  les  armes  des  deux  mains  av<  «^ 
la  môme  adresse,  et  tous  si  excellens  tireurs  df 
frondes  qu'ils  pouvaient  atteindre  un  cherec. 
sans  que  la  pierre  déclinât  de  côté  ni  d'autre. 

L'armée  d'Israël  s'étant  assemblée,  et  aj^ant  e!u 
ses  chefs,  vint  camper  devant  Gabaa,  complaD: 
emporter  aisément  cette  place.  Mais  les  Benja 
mites,  étant  sortis  en  bon  ordre,  l'attaquent,  l? 
rompent,  la  poursuivent  avec  furie;  la  terreur  le- 
précède  et  la  mort  les  suit.  On  voyait  des  fbrb 
dlsiaël  en  déroute  tomber  par  milliers  sous  leur 
épée,  et  les  champs  de  Rama  se  couvrir  de  cada- 


CHAIfT  TROISIÈME.  '  d}b' 

vres,  comme  les  sables  d'Élath  se  couvrent  des 
nuées  de  sauterelles  qu'un  vent  brûlant  apporte 
et  tue  en  un  jour.  Vingt-deux  mille  hommes  de 
l'armée  d'Israël  périrent  dans  ce  combat  :  mais 
leurs  fipères  ne  se  découragèrent  point;  et  se  fiant 
à  leur  force  et  à  leur  grand  nombre  encore  plus 
quà  la  justice  d^  leur  cause,  ils  vinrent  le  lende* 
main  se  ranger  en  bataille  dans  le  même  lieu. 

Toutefois,  avant  que  de  risquer  un  nouveau 
combat,  ils  étaient  montés  la  veille  devant  le  Sei* 
gneur,  et  pleurant  jusqu^au  soir  en  sa  présence  ils 
lavaient  consulté  sur  le  sort  de  cette  guerre.  Mais 
il  leur  dit  :  Allez,  et  combattez  ;  votre  devoir  dé- 
pend-il de  l'événement? 

Comme  ils  marchaient  donc  vers  Gabaa,  les 
Benjamites  firent  une  sortie  par  toutes  les  portes  f 
et ,  tombant  sur  eux  avec  plus  de  fureur  que  la 
veille ,  ils  les  défirent  et  les  poursuivirent  avec  un 
tel  acharnement  que  dix-huit  mille  hommes  de 
guerre  périrent  encore  ce  jour- là  dans  larmée 
d  Israël.  Alors  tout  le  peuple  vint  derechef  se 
prosterner  et  pleurer  devant  le  Seigneur;  et,  jeû- 
nant jusqu'au  soir,  ils  of&irent  des  oblations  et 
des  sacrifices.  Dieu  d'Abraham,  disaient- ils  «m 
gémissant,  ton  peuple,  épargné  tant  de  fois  dans 
ta  juste  colère ,  périra-t-il  pour  vouloir  ôter  le  mal 
de  son  sein?  Puis,  s'étaut  présentés  devant  Farche 
redoutable ,  et  consultant  derechef  le  Seigneur 
par  la  bouche  de  Phinées,  fils  d'Éléazar,  ils  lui 
dirent  ;  Marcherons-nous  encore  contre  nos  firèreS| 


;»'i 


^46  LE  LÉVITE  D^ÉPHEiÎM. 

OU  laisserotis-noos  en  paix  Benjamin?  La  ^oix  dn 
Toat-Puissant  daigna  lea^^ répondre  :  Marchez,  et 
ne  vons  fiez  plus  en  votre  nombre ,  mais  au  Sei- 
gneur, qui  donne  et  ôte  le  courage  comme  il  lai 
plaît;  demain  je  livrerai  Benjamin  cntpe  vos  mains 

A  l'instant  ib  sentent  déjà  dans  leurs  coeun 
Fefiet  de  cette  promesse.  Lne  valeur  froide  et  sûre^ 
succédant  à  leur  brutale  impéluoslté,  les  éclaire 
et  les  conduit.  Ils  s'apprêtent  posément  an  com- 
bat,  et  ne  sy  présentent  plus  en  forcenés^  mais 
en  hommes  sages  et  braves  qui  savent  vainrir 
sans  fureur,  et  mourir  sans  désespoir.  Ils  cachent 
des  troupes  derrière  le  coteau  de  Gabaa ,  et  se  ran- 
gent en  bataille  avec  le  reste  de  leur  armée;  ib 
attirent  loin  de  la  ville  les  Benjamites ,  qui ,  snr 
leurs  premiers  succès ,  pleins  d'une  confiance 
trompeuse,  sortent  plutôt  pour  les  tuer  que  pour 
les  combattre  ;  ils  poursuivent  avec  impétuosité 
larmée qui  cède  et  recule  à  dessein  devant  eux: 
ils  arrivent  après  elle  jusqu'où  se  joignent  les  che- 
mins de  Béthel  et  de  Gabaa,  et  crient  en  s  ani- 
mant au  carnage  :  Ils  tombent  devant  nous  comme 
lès  premières  fois.  Aveugles  qui,  dans  léblouisse- 
ment  d'un  vain  sucoès,  ne  voient  pas  lange  de  b 
vengeance  qui  vole  déjà  sur  leurs  rangs,  armé  da 
glaive  exterminateur! 

Cependant  le  corps  de  troupes  caché  derrière 
le  coteau  sort  de  son  embuscade  en  bon  ordre  an 
nombre  de  dix  mille  hommes,  et  s  étendant  au- 
tour de  la  ville  ^  Tattaque^  la  force  ^  en  passe  tous 


CHATTT  TROISIÈME.  24? 

les  habitans  au  fil  de  Fépée;  puis,  élevant  une 
grande  fumée,  il  donne  à  Tarinée  le  signal  conve* 
nu,  tandis  que  le  Benjamite  achluné  s^excite  à 
poursuivre  sa  victoire. 

Mais  les  forts  d'Israël,  ayant  aperçu  le  signal, 
firent  face  à  fennemi  en  Baal-Thamar.  Les  Ben- 
jamitcs,  surpris  de  voir  les  bataillons  d  Israël  se 
former,  se  développer,  s^étendrc,  fondre  sur  eux  j 
commencèrent  à  perdre  courage;  et,  tournant  le 
dos ,  ils  virent  avec  effroi  les  tourbillons  de  famée 
qui  leur  annonçaient  h  désastre  de  Gabaa.  Alors , 
frappés  de  terreur  à  leur  tour,  ils  connurent  que 
k  hnis  du  Seigneur  les  avait  atteints;  et,  fuyant 
en  déroule  vers  le  désert,  ils  furent  environnés, 
poursuivis,  tues,  foulés  aux  pieds,  tandis  que  di- 
vers détachcmens,  entrant  dans  les  villes  y  met- 
taient à  mort  chacun  dans  son  habitation. 

En  ce  joiu*  de  colère  et  de  meurtre,  presque 
toiife  la  tribu  de  Benjamin,  au  nombre  de  vingt- 
six  mille  hommes,  périt  sous  IVpée  d  Israël;  sa- 
voir, dix-huit  mille  hommes  dans  leur  première 
retniite  depuis  Menuha  jusqu'à  l'est  du  coteau  ^ 
cinq  mille  dans  la  déroute  vers  le  désert,  deux 
mille  qu'on  atteignit  près  de  Guidhon,  et  le  reste 
dans  les  places  qui  furent  brûlées ,  et  dont  tous  les 
habitans,  hommes  et  femmes,  jeunes  et  vieux, 
grands  et  petits,  jusqu'aux  bètes,  furent  mis  à 
mort,  sans  qu'on  fit  grdce  à  aucun  ;  en  sorte  que 
ce  beau  pays,  auparavant  si  vivant,  si  peuplé,  si 
ferlilei  et  maintenant  moissonné  par  la  flamme  et 


248  LE  LÉTITE  D^ÉPHRAÎM. 

par  le  fer,  n*ofirait  plus  qu'une  affreuse  soUtudf 
couverte  de. cendres  et  d'ossemens. 

Six  cents  hommes  seulement,  dernier  resU  de 
cette  malheureuse  tribu,  échappèrent  au  gUhe 
d'Israël,  et  se  réfugièrent  au  rocher  de  Rhimmoo, 
où  ils  restèrent  cachés  quatre  mois,  pleurant  trop 
tard  le  forfait  de  leurs  frères  et  la  misère  oùil  k^ 
avait  réduits. 

Mais  les  tribus  victorieuses  voyant  le  ssn^ 
qu'elles  avaient  versé ,  sentirent  la  plaie  qa'elks 
s'étaient  faite.  Le  peuple  vint,  et  se  rassembknt 
devant  la  maison  du  Dieu  fort,  éleva  un  autel  sur 
lequel  il  lui  rendit  ses  hommages,  lui  olErant  dt^ 
holocaustes  et  des  actions  de  grâces;  puis,  ek 
vant  sa  voix,  il  pleura;  il  pleura  sa  victoire  apr 
avoir  pleuré  sa  défaite.  Dieu  d'Abraham ,  s.- 
criaient-ils  dans  leur  affliction,  ah!  où  sont  t 
promesses?  et  comment  ce  mal  est-il  arrivé  à  t 
peuple,  qu'une  tribu  soit  éteinte  en  Israël?  \L 
heiu'cux  humains,  qui  ne  savez  ce  qui  vous  (^ 
bon,  vous  avez  beau  vouloir  sanctifier  tos  p  * 
sions,  elles  vous  punissent  toujours  des  c^- 
qu  elles  vous  font  commettre;  et  c'est  en  exau>  : 
vos  vœux  injustes  «pe  le  ciel  vous  les  fait  exp 

CHANT  QUATRIÈME. 

Après  avoir  gémi  du  mal  qu'ib  avaient  £ 
dans  leur  colère  j  les  en&ns  d^braêl  j  cfaercbèfci 


€Hàivt  quatrième.  34q 

quelque  remède  qui  pût  rétablir  en  son  entier  la 
race  de  Jacob  mutilée.  Emus  de  compassion  pour 
les  six  cents  hommes  réftigiés  au  rocher  de  Rhînf- 
mon,  ils  dirent  :  Que  ferons-nous  pour  conserver 
ce  dernier  et  précieux  reste  dWe  de  nos  tribus 
presque  éteinte?  Car  ils  avaient  juré  par  le  Sei- 
gneur, disant  :  Si  jamais  aucun  d  entre  nous  donne 
sa  fille  au  fils  d'un  enfant  de  Jémini ,  et  mêle  son 
sang  au  sang  de  Benjamin.  Alors,  pour  éluder  un 
serment  si  cruel ,  méditant  de  nouveaux  carnages, 
ils  firent  le  dénombrement  de  Farmée  pour  voir, 
si,  malgré  rengagement  solennel,  quclquun  d'eux 
avait  manqué  de  s  y  rendre,  et  il  ne  s  y  trouva  nul 
des  habitans  de  Jabës  et  Galaad.  Cette  branche 
des  enfans  de  Manassès ,  regardant  moins  à  la  pu- 
nition du  crime  qu'à  leSusion  du  sang  firaternel, 
s'était  refusée  à  des  vengeances  plus  atroces  que 
le  for&it,  sans  considérer  que  le  parjure  et  la  dé- 
sertion de  la  cause  commune  sont  pires  que  la 
cruauté.  Hélas!  la  mort,  la  mort  barbare  fut  le 
prix  de  leur  injuste  pitié.  Dix  mille  hommes  déta- 
cbés  de  l'armée  d'Israël  reçurent  et  exécutèrent 
cet  ordre  efiiroyable  :  Allez,  exterminez  Jabés  de 
Galaab  et  tous  ses  habitans,  hommes,  femmes, 
enfans,  excepté  les  seules  filles  vierges ,  que  vous 
amènerez  au  camp,  afin  quelles  soient  données 
en  mariage  aux  enfans  de  Benjamin.  Ainsi,  pour 
réparer  la  désolation  de  tant  de  meurtres,  ce 
peuple  Êirouche  en  commit  de  plus  grands;  sem* 
blable  en  sa  furie  à  ces  globes  de  fer  lancée  par 


aSo  LE  lÉVlTE  d'ePBRAÎM. 

nos  macbincs  embrasées ,  lesquels ,  tomliés  à  tenl 
après  leur  premier  effet,  se  relèvent  avec  une  id 
pétuosité  nouvelle, et  dans  leurs  bonds  înalteDiid 
renversent  et  détruisent  des  rangs  entiers.         i 

Pendant  cette  exécution  funeste,  Israël  envon 
des  paroles  de  paix  aux  six  cents  de  Benj<  ma 
réfugiés  au  rocher  de  Rhimmon;  et  ils  rrvii]:> 
parmi  leurs  frères.  Leur  retour  ne  fut  poi?il 
retour  de  joie  :  ils  avaient  la  contenance  aLt 
et  les  yeux  baissés;  la  honte  et  le  remoids  cvi 
vraient  leurs  TÎsages  ;  et  tout  Israël  consler 
poussa  des  lamentations  en  voyant  ces  tlv. 
restes  A^nne  de  ses  tribus  bénites,  de  \ir\v.  . 
Jacob  avait  dit  :  ce  Benjamin  est  un  loup  dévora: 
«  au  matin  il  déchirera  sa  proie,  et  le  soir  il  p.: 
«  tagera  le  butin.  » 

Après  que  le;  dix  mille  hommes  envo\r> 
Jabès  furent  de  retour,  et  qu'on  eût  dénombit 
filles  qu  ils  amenaient,  il  ne  s'en  trouva  que  q^..  ' 
cents,  et  on  les  donna  à  autant  de  Benjamii 
comme  une  proie  qu  on  venait  de  ravir  pour  rz 
Quelles  noces  pour  de  jeunes  vierges  timides  d 
on  vient  d'égorger  les  frères,  les  pères,  les  mer 
devant  leurs  yeux,  et  qui  reçoivent  des  liens  cl 
tachemcnt  et  d  amour  par  des  mains  dégoutta:  * 
du  sang  de  leurs  proches!  Sexe  toujours  esd  • 
ou  tyran,  que  1  homme  opprime  ou  qu*il  adf  i 
et  qu'il  ne  peut  pourtant  rendre  heureux  ni  lèir' 
qu'en  le  laissant  égal  à  lui. 

Malgré  ce  terrible  expédient,  fl  restait  de::: 


CUAKS  QVATiaiME.  a5ii 

ce&ts  hodiines  à  pourvoir;  et  ce  peuple  cruel  dans 
sa  pitié  même,  et  à  qui  le  sang  de  ses  frères  coû- 
tait si  peu,  songeait  peut-être  à  faire  pour  eux  de 

•  nouvelles  veuve»,  lorsqu'un  vieillard  de  Lébona 
parlant  aux  anciens,  leur  dit  :  Hommes  israélites, 
écoutez  l'avis  d  un  de  vos  frères.  Quand  vos  mains 
se  lasscront-cIles  du  meurtre  des  innocens?  Voici 
les  jours  de  la  solennité  de  l'Étemel  en  Silo.  Dites 
cilrisl  aux  enfans  de  Benjamin  :  Allez,  et  mettez 
des  embûches  aux  vignes;  puis  quand  vous  verrez 

,  que  les  filles  de  Silo  sortiront  pour  danser  avec 
des  flûtes,  alors  vous  les  envelopperez,  et  ravis- 
sant chacun  sa  femme ,  vous  retournerez  vou$ 

;    établir  avec  elles  au  pays  de  Benjamin. 

Et  quand  les  pères  ou  les  frères  des  jeunes  filles 

^  viendront  se  plaindre  à  nous,  nous  leur  dirons  : 
Ayez  pitié  d'eux  pour  l'amour  de  nous  et  de  vous* 

,  mêmes  qui  êtes  leurs  frères,  puisque  n'ayant  pu 
les  pourvoir  après  cette  guerre  et  ne  pouvant  leur 

,  donner  nos  filles  contre  le  serment,  nous  serons 
coupables  de  leur  perte  si  nous  les  laissons  périr 
sans  desceudans. 

Les  enfans  donc  de  Benjamin  firent  ainsi  qu*il 

,  leur  fut  dit;  et,  lorsque  les  jeunes  filles  sortirent 

de  Silo  pour  danser ,  ils  s'élancèrent  et  les  envi* 

ronnèrenU  La  craintive  troupe  fuit,  se  disperse; 

la  terreur  succède  à  leur  innocente  gaieté;  char 

^  cune  appelle  à  grands  cris  ses  compagnes ,  et 

^  .coart  de  toutes  ses  forces.  Les  ceps  déchirent 
'^  kurs  voiles  «  la.  terre  est  joncbée  de  leurs  paru^a* 


1  ' 


l5a  LE  LÉTITE  d'£pHRAÎH. 

la  course  anime  leur  teint  et  Tardear  des  ravis- 
seurs. Jeunes  beautéb,  où  courez-vous?  En  fujant 
l'oppresseur  qui  vous  poursuit,  vous  tombez  dans 
des  bras  qui  vous  enchaînent.  Chacun  ravit  la 
sienne 9  et,  s'efForçant  de  Tapaiser,  TefiSraie  encore 
plus  par  ses  caresses  que  par  sa  violence.  Au  tu- 
multe qui  s'élève,  aux  cris  qui  se  font  entendre  au 
loin ,  tout  le  peuple  accourt  :  les  pères  et  mères 
écartent  la  foule  et  veulent  dégager  leurs  filles;  les 
ravisseurs  autorisés  défendent  leur  proie;  enfin 
les  anciens  font  entendre  leiu*  voix*:  et  le  peuple 
ému  de  compassion  pour  les  Benjamites^  s  mté- 
resse  en  leur  faveur. 

Mais  les  pères,  indignés  de  l'outrage  fait  à  leurs 
filles,  ne  cessaient  point  leurs  clameurs.  Quoi! 
secriaient-ils  avec  véhémence, ides  filles  d'Israël 
seront-elles  asservies  et  traitées  en  esclaves  sous 
ks  yeux  du  Seigneur?  Benjamin  nous  sera-t-il 
comme  le  Moabite  et  lldumcen?  Où  est  la  Uberté 
du  peuple  de  Dieu?  Partagée  entre  la  justice  et  la 
pitié  y  rassemblée  prononce  enfin  que  les  captives 
seront  remises  en  liberté  et  décideront  elles-mêmes 
de  leur  sort.  Les  ravisseurs,  forcés  de  céder  à  ce 
jugement,  les  relâchent  à  regret,  et  tâchent  de 
suljstituçr  à  la  force  des  moyens  plus  puissans  sur 
leurs  jeimcs  cœurs.  Aussitôt  elles  s'échappent  et 
iiiient  toutes  ensemble;  ils  les  suivent,  leur  ten- 
dent les  bras ,  et  leur  crient  :  FiUes  de  Silo,  serez- 
vous  plus  heiu^uses  avec  d  autres?  Les  restes  do 
Benjamin  sont-ils  indignes  de  vous  fléchir? 


CHANT  QUATRIÈME.'  a53 

plusieurs  d entre  elles,  déjà  liées  par  des  attache* 
mens  secrets,  palpitaient  d'aise  d'échapper  à  leurs 
ravisseurs.  Axa^  la  tendre  Axa  parmi  les  autres, 
en  s'élançant  dans  les  bras  de  sa  mère  qu  elle  voit 
accourir,  jette  furtivement  les  yeux  sur  le  jeune 
Élmacin  auquel  eOe  était  promise,  et  qui  venait 
plein  de  douleur  et  de  rage  la  dégager  au  prix  de 
son  sang.  Elmacin  la  levoit,  tend  les  bras,  s'écrie 
et  ne  peut  parler-,  la  course  et  l'émotion  Font  mis 
jors  dlialeine.  Le  Bcnjamite  aperçoit  ce  trans- 
port, ce  coup  d'oeil;  il  devine  tout,  il  gémit;  et, 
prêt  à  se  retirer,  il  voit  arriver  le  père  d'Axa. 

C'était  le  même  vieillard  auteur  du  conseil 
donné  aux  Benjamites.  11  avait  choisi  lui-même 
Elmacin  pour  son  gendre  ;  mais  sa  probité  Pavait 
empêché  d'avertir  sa  fille  du  ristjue  auquel  il  ex- 
posait celles  d^autrui. 

Il  arrive  ;  et  la  prenant  par  la  main  :  Axa ,  lui 
dit- il ,  tu  connai.<:  mon  cœur  :  j^aime  Elmacin  ;  il 
eût  été  la  consolation  de  mes  vieux  jours;  mais  la 
salut  de  ton  peuple  et  1  honneur  de  ton  père  doi^ 
vent  l'emporter  sur  lui.  Fais  ton  devoir,  ma  fille, 
et  sauve-moi  de  l'opprobre  parmi  mes  frères;  car 
j'ai  conseillé  tout  ce  qui  s'est  fait.  Axa  baisse  la 
tête,  et  soupire  sans  répondre;  mais  enfin  levant 
les  yeux  elle  rencontre  ceux  de  son  vénérable 
père.  Ils  ont  plus  dit  que  sa  bouche.  Elle  prend 
son  parti.  Sa  voix  faible  et  tremblante  prononce 
à  peine  dans  un  faible  et  dernier  adieu  le  nom 
d*Elmacin,  qu'elle  n'ose  regarder;  et,. se  retour^ 

lf.lan|«s.  22 


a54  U  ifviTE  D^iPHRAÎM,  etC. 

liant  à  rînstant  demi-morte,  eUe  tombe  dans  les 
bras  du  Benjamite. 

Un  bruit  s  excite  dans  rassemblée.  Mais  Elma- 
cin  s  avance  et  fait  signe  de  la  main.  Puis  élevant 
la  voix  :  Écoute,  6  Axa}  lui  dit-il,  mon  vœu  so- 
lennel. Puisque  je  ne  puis  être  à  toi ,  je  ne  serai 
jamais  à  nulle  autre  :  le  seul  souvenir  de  nos 
jeunes  ans,  que  Tinnocence  et  Famour  ont  em- 
bellis, me  suffit.  Jamais  k  fer  n'a  passé  sur  ma 
tête,  jamais  le  vin  na  mouillé  mes  lèvres;  mon 
corps  est  aussi  pur  que  mon  cœur  :  prêtres  da 
Dieu  vivant,  je  me  voue  à  son  service;  recevei  le 
Nazaréen  du  Seigneur. 

Aussi t6t,  comme  par  une  inspiration  subite, 
toutes  les  filles,  entraînées  par  1  exemple  d  Axa, 
imitent  son  sacrifice;  et,  renonçante  leurs  pre- 
mières amours,  se  livrent  aux  Benjamitesqui  les 
suivaient.  A  ce  touchant  aspect  il  s'élève  un  cri 
de  joie  au  milieu  du  peuple  :  Vierges  d'Éphraîm, 
par  vous  Benjamin  va  renaître.  Béni  soit  le  Dieu 
de  nos  pères  !  il  est  encore  des  vertus  en  Israël. 


LETTRES  A  SARA. 


Jom  iMc  tpet  animi  eredula  mutuî, 
(Hoi.,lilkiy,od.  I.) 


AVERTISSEMENT. 

O*  comprendra  tanj  peine  comment  nne  espèce  àà 
défi  a  pu  faire  écrire  ces  quatre  lettres.  On  demandait  a 
an  amant  d'un  demi-siècle  pourait  ne  pas  liaire  rire.  IL 
m'a  semblé  qu'on  pourait  se  laisser  surprendre  3i  toat 
âge  ;  qu'un  barbon  pouvait  même  écrire  jusqu*^  «piatre 
lettres  d'amour,  et  intéresser  encore  les  honnêtes  gens, 
mais  qu'il  ne  pourait  aller  jusqu'à  six  sans  se  déshono- 
rer. Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  ici  mes  raisons  ^-  on  peut 
les  sentir  en  lisant  ces  lettres  :  après  leur  lecture ,  on  es 
jugera. 


LETTRES  A  SARA. 


PREMIERE  LETTRE. 

Tu  lis  dans  mon  cœur ,  jeune  Sara  ;  tu  m'as 
pénétré ,  je  le  sais ,  je  le  sens.  Cent  fois  le  jour  ton 
oeil  curieux  vient  épier  refiet  de  tes  charmes.  A 
ton  air  satisfait ,  à  tes  cruelles  bontés,  à  tes  mépri- 
santes agaceries  j  je  vois  que  tu  jouis  en  secret  de 
ma  misère  ;  tu  t'applaudis  avec  un  souris  moqueur 
du  désespoir  où  tu  plonges  un  malheureux ,  pour 
qui  lamour  ^n est  plus  qu^un  opprobre.  Tu  te 
trompes 9  Sara;  je  suis  à  plaindre,  mais  je  ne  suis 
point  à  railler  :  je  ne  suis  point  digne  de  mépris, 
mais  de  pitié,  parce  que  je  ne  m'en  impose  ni  sur 
ma  figure  ni  sur  mon  âge ,  qu'en  aimant  je  me 
srns  indigne  de  plaire ,  et  que  la  fatale  illusion  qui 
mY»g;u*e  m'empêche  de  te  voir  telle  que  tu  es,  sans 
ra 'empêcher  de  me  voir  tel  que  je  suis.  Tu  peux 
m'abuser  sur  tout,  hormis  sur  moi-même;  tu  peux 
me  persuader  tout  au  monde ,  excepté  que  tu 
puisses  partager  mes  feux  insensés.  C'est  le  pire 
de  mes  supplices  de  me  voir  comme  tu  me  vois; 
tes  trompeuses  caresses  ne  sont  pour  moi  qu  une 
humiliation  de  plus ,  et  j  aime  avec  la  certitude 
ai&euse  de  ne  pouvoir  être  aimé^ 

Sois  donc  contente.  Hé  bien  oui,  je  t*adore} 
oui ,  je  briUe  pour  toi  de  la  plus  cruelle  des  pas- 
sa; 


a38  LETTRES 

sions.  Mais  tente,  si  tu  Foscs^de  m'enchainer  è 
ion  char ,  comme  un  soupirant  à  cheveux  gris, 
comme  un  amanl  barbon  qui  veut  faire  l'agréable . 
et  dans  son  extravagant  délire ,  s  imagine  avoif 
des  droits  sur  un  jeune  objet.  Tu  n  auras  pas  cette 
gloire,  ô  Sara!  ne  t'en  flatte  pas  :  tu  ne  me  verras 

Soint  à  tes  pieds  vouloir  t'amuser  avec  le  jargon 
e  La  galanterie ,  ou  t'attendrir  avec  des  propos 
langoureux.  Tu  peux  m'arracher  des  pleurs,  mais 
ils  sont  moins  d amour  que  de  rage.  Bis,  si  tu 
veux,  de  ma  faiblesse;  tu  ne  riras  pas  au  moins 
de  ma  crédulité. 

Je  te  parle  avec  emportement  de  ma  passion, 
parce  que  Thumiliation  est  toujours  cruelle ,  et 
que  le  dédain  est  dur  à  supporler;  mais  ma  pas- 
sipn,  toute  folle  qu'elle  est ,  n'est  point  emportée  j 
elle  est  à  la  fois  vive  et  douce  comme  toi.  Privé  de 
tout  espoir,  je  suis  mort  au  bonheur,  et  ne  vis 
que  de  ta  vie.  Tes  plaisirs  sont  mes  seuls  plaisiis  \ 
je  ne  puis  avoir  d'autres  jouissances  que  les  tien- 
nes, ni  former  d'autres  vœux  que  tes  vœux.  J'ai- 
merais mon  rival  mémo  si  tu  1  aimais  :  si  tu  ne 
Taimais  pas ,  je  voudrais  qu'il  pût  mériter  ton 
amour;  quil  eût  mon  coeur  pour  taimer  plus 
dignement ,  et  te  rendre  pins  heureuse.  C'est  le 
seul  désir  permis  à  quiconque  ose  aimer  sans  ôtre 
aimable.  Aime ,  et  sois  aimée,  6  Sara  I  Vis  con- 
tente,  et  je  mourrai  content. 


a  sktuù  i5g 


SECONDE  LETTRE. 

Puisque  je  vous  ai  écrit ,  je  veux  vous  écrire 
encore  :  ma  première  faute  en  attire  une  autre. 
Mais  je  saurai  mWêter ,  soyez-en  sûre  ;  et  c'est  la 
manière  dont  vous  m'avez  traité  durant  mon  dé- 
lire ,  qui  décidera  de  mes  sentimens  à  votre  égard 
({uand  j'en  serai  revenu.  Vous  avez  beau  feindre 
(le  n  avoir  pas  lu  ma  lettre,  vous  mentez;  je  le 
sais,  vous  Tavez  lue.  Oui,  vous  mentez  sans  me 
rien  dire,  par  Fair  égal  avec  lequel  vous  croyez 
ni  Vn  imposer.  Si  vous  êtes  la  même  qu'aupara- 
va  n  t ,  c'est  parce  que  vous  avez  été  toujours  fausse  ; 
et  la  simplicité  que  vous  affectez  avec  moi  me 
prouve  que  vous  nen  avez  jamais  eu.  Vous  ne 
dissimulez  ma  folie  que  pour  l'augmenter;  vous 
n'êtes  pas  contente  que  je  vous  écrive,  si  vous  ne 
me  voyez  encore  à  vos  pieds  ;  vous  voulez  me 
rendre  aussi  ridicule  que  je  peux  Fêtre;  vous  vou- 
lez me  donner  en  spectacle  à  vous-même,  peut- 
être  à  dautres;  et  vous  ne  vous  croyez  pas  assez 
triomphante  si  je  ne  suis  déshonoré. 

Je  v^is  tout  cela,  fille  artificieuse,  dans  cette 
feinte  modestie  par  laquelle  vous  espérez  m'en 
imposer,  dans  cette  feinte  égalité  par  laquelle 
(TOUS  me  semblez  vouloir  me  tenter  d  oublier  ma 
Eauiej  ^^  paraissant  vous-même  n'en  rien  savoir. 


!k60  LETTRDS 

Encore  ane  fois,  vous  avez  lu  ma  lettre;  je  le 
sais,  je  l'ai  vu.  Je  vous  ai  yue ,  quand  j^entnis 
dans  votre  chambre,  poser  précipitanunent  le  li- 
vre où  je  lavais  mise  ;  je  vous  ai  vue  rougir, cl 
marijuer  un  moment  de  trouble.  Trouble  sédoc- 
ieur  et  cruel,  qui  peut-être  est  encore  un  de  vos 
pièges,  et  qui  m'a  fait  plus  de  mal  que  tous  vos 
regards.  Que  devins- je  à  cet  aspect,  qui  m'a^te 
encore?  Cent  fois,  en  un  instant.^  prêt  à  me  pré- 
cipiter aux  pieds  de  l'orgueilleuse,  que  de  com- 
bats ,  que  d  efforts  pour  me  retenir!  Je  sortis  pour- 
tant ,  je  sortis  palpitant  de  joie  d'échapper  à  lin- 
digne  bassesse  que  j^allais  faire.  Ce  seul  moment 
me  venge  de  tes  outrages.  Sois  moins  fière,  ô  San  ! 
d^un  penchant  quci  je  peux  vaincre ,  puisqu'une 
fois  eu  ma  vie  j'ai  déjà  triomphé  de  toi. 

Infortuné!  j'impute  k  ta  vanité  des  fictions  èe 
mon  amoux-propre.  Que  nai-je  le  bonheur  Ae 
pouvoir  croire  que  tu  tWcupes  de  moi ,  ne  fùt-oe 
que  pour  me  tyranniser!  Mais  daigner  tyranniser 
un  amant  grisou  serait  lui  &ire  trop  d  honneur 
encore.  Non,  tu  n'as  point  d'autre  art  que  ton  in- 
différence  :  ton  dédain  fait  toute  ta  coquetterie, 
tu  me  désoles  sans  songer  à  moi.  Je  suis  malheo- 
reux  jusqu  à  ne  pouvoir  t'occuper  au  moins  i" 
mes  ridicules ,  et  tu  méprises  ma  folie  jusqu'à  n 
daigner  pas  même  t  en  moquer.  Tu  as  lu  ma  le v 
tre,  et  tu  1  as  oubliée;  tu  ne  m'as  point  parlé  «i.* 
mes  maux,  parce  que  tu  n'y  songeais  plus.  Quoi' 
je  suis  donc  nul  pour  toi  !  Mes  Aireurs^  mes  tour- 


À  SARA.  afll 

mens ,  loin  d  exciter  ta  pitié ,  ii*excitent  pas  même 
ton  attention  !  Âh  !  où  est  celte  douceur  que  tes 
veux  promettent?  où  est  ce  sentiment  si  tendre 
qui  parti it  les  animer?...  Barbare!  insensible  à 
mon  état,  tu  dois  l'être  à  tout  sentiment  honnête. 
Ta  figure  j>romet  une  âme;  elle  ment,  tu  n  as  que 
de  la  férocité...  Ah,  Sara!  j  aurais  attendu  de  ton 
bon  cœur  quelque  consolation  dans  ma  misère. 


fcl>(»»W»>»l^lWWI^m» 


TROISIÈME  LETTRE. 

Enfin  rien  ne  manque  plus  i.  ma  honte,  et  je 

suis  aussi  humilié  que  tu  l'as  Voulu.  Voilà  donc  à 

quoi  ont  abouti  mon  dépit ,  Aies  combats  ,  mes 

résolutions,  ma  constance!  Je  serais  moins  avili  si 

j Wais  moins  résisté.  Qui ,  moi!  [ai  fait  l'amour  en 

jeune  homme?  j'ai  passé  deux  heures  aux  genoux 

d*un  enfant?  j'ai  versé  sur  ses  mains  des  torrens  de 

larmes?  j*ai  souffert  qu'elle  me  consolât,  qu'elle  me 

plaignit,  qu'elle  essuyât  mesyrux  ternis  par  les  ans? 

j'ai  reçu  d  elledes leçons  de  raison,  de  courage?  Jai 

liien  profité  de  ma  longue  expérience  et  de  mes  tris- 

tes  réflexions!  Combien  defois  j  ai  rougi  d  avoir  été 

h  vingt  ans  ce  que  je  redeviens  à  cinquante!  Ah  !  je 

11. 'ai  donc  vécu  que  pour  me  déshonorer  !  Si  du 

1X1  ois  un  vrai  repentir  me  ramenait  à  des  sentimens 

plus  honnêtes!  Mais  non;  je  me  complais,  malgré 

xxioi  J  dans  ceux  que  tu  m'inspires,  dans  le  4élii'e 


a64  LETTRES 

chaimes;  il  y  a  six  mois  que  tu  m^occupes  seuk , 
et  que  je  ne  vis  que  pour  tci  :  mais  ce  n*est  qae 
d'hier  que  j'ai  appris  à  t  aimer.  Tandis  que  ta  me 
parlais,  et  que  des  discours  dignes  du  ciel  sor- 
taient de  ta  bouche,  je  croyais  voir  chauger  (es 
traits,  ton  air.  ton  port,  ta  figiu-e;  je  ne  sais  quel 
feu  surnaturel  luisait  dans  tes  yeux,  des  rayons  de 
lumière  semblaient  t  entourer.  Ah!  Sara!  si  réel- 
lement tu  n'es  pas  une  mortelle,  si  tu  es  l'ange 
envoyé  du  ciel  pour  ramener  un  coeur  qui  s  égare, 
dis-le-moi ,  peut-être  il  est  temps  encore.  Ne  hisse 
plus  profaner  ton  image  par  des  désirs  formés 
malgré  moi.  Hélas!  si  je  m'abuse  dans  mes  yopui, 
dans  mes  transports,  dans  mes  téméraires  hom- 
mages, guéris-moi  d'une  erreur  qui  t^ofibnse,  ap 
prends-moi  comment  9  faut  t'adorer. 

Vous  m'ayez  subjugué ,  Sara ,  de  toutes  les  ma- 
nières; et  si  vous  me  faites  aimer  ma  folie,  tou^ 
me  la  faites  cruellement  sentir.  Quand  je  compait 
votre  conduite  à  la  mienne,  je  trouve  un  sac^ 
dans  une  jeune  fille,  et  je  ne  sens  en  moi  qu'oz. 
vieux  enfant.  Votre  douceur,  si  pleine  de  dignité. 
de  raison,  de  bienséance,  m'a  dit  tout  ce  <pie  m 
m'eût  pas  dit  un  accueil  plus  sévère;  elle  m'a  h* 
plus  rougir  de  moi  que  n'eussent  fait  vos  repro- 
ches; et  Taccent  un  peu  plus  grave  que  vous  avez 
mis  hier  dans  vos  discours  m'a  fait  aisément  con 
•paître  que  je  p'aurab  pas  dû  vous  exposer  k  om 


A  SARA.  365 

les  feair  deux  fois.  Je  vous  entends,  Sara;  et  j es* 
père  vous  prouver  aussi  que  si  je  ne  suis  pas  digne 
de  vous  plaire  par  mon  amour,  je  le  suis  par  les 
'  sentimens  qui  TaccompagnenL  Mon  égarement 
sera  aussi  court  qu'il  a  été  grand;  vous  me  lavez 
montré,  cela  suffit,  j*en  saurai  sortir,  soyez-en 
sûre  :  quelque  aliéné  que  je  puisse  être,  si  j'cu 
avais  vu  toute  l'étendue ,  jamais  je  n  aurais  fait  le 
premier  pas.  Quand  je  méritais  des  censures, 
vous  ne  m'avez  donné  que  des  avis,  et  vous  avez 
bien  voulu  ne  me  voir  que  faible  lorsque  j'étais 
criminel.  Ce  que  vous  ne  m'avez  pas  dit,  je  sais 
me  le  dire;  je  sais  donner  à  ma  conduite  auprès 
de  vous  le  nom  que  vous  ne  lui  avez  pas  donné; 
et  si  j'ai  pu  faire  une  bassesse  sans  la  connaître, 
je  vous  ferai  voir  que  je  ne  porte  point  un  cœur 
bas.  Sans  doute  c*est  moins  mon  âge  que  le  vôtre 
qui  me  rend  coupable.  Mon  méprb  pour  moi 
m'empêchait  de  voir  toute  Tindignité  de  ma  dé* 
marche.  Trente  ans  de  dilTérence  ne  me  mon- 
traient que  ma  honte,  et  me  cachaient  vos  dan- 
gers. Hélas J  quels  dangers!  Je  n'étais  pas  assez 
vam  pour  ea  supposer  :  je  n'imaginab  pas  pou- 
voir tendre  un  piège  à  votre  innocence;  et  si  vous 
eussiez  été  moins  vertueuse ,  i'étab  un  suborneur 
•ans  en  rien  savoir. 

O  Saral  ta  vertu  est  à  des  épreuves  plus  dan- 
gereuses, et  tes  charmes  ont  mieux  à  choisir.  Mais 


^66  LETTRES 

mon  devoir  ne  dépend  ni  de  ta  vertu  ni  de  tes 
charmes;  sa  voix  me  park,  et  je  la  suivrai.  QaW 
éternel  oubli  ne  peut-il  te  cacher  mes  erreurs! 
Que  ne  les  puis- je  oublier  moi-même!  Mais  non, 
je  le  sens,  j  en  ai  pour  la  vie,  et  le  trait  s'enfonce 
par  mes  efforts  pour  Farracher.  C'est  mon  sort  de 
brûler,  jusqu'à  mon  dernier  soupir,  d  un  feu  que 
rien  ne  peut  éteindre ,  et  auquel  chaque  jour  Âte 
un  degré  d espérance,  et  en  ajoute  un  de  dérai 
son.  Voilà  ce  qui  ne  dépend  pas  de  moi;  mais 
voici;. Sara,  ce  qui  en  dépend.  Je  vous  donne  ma 
foi  d'homme  qu'il  ne  la  faussera  jamais,  que  je  ne 
vous  reparlerai  de  mes  jours  de  cette  passion  ridi- 
cule et  malheureuse  que  j^ai  pu  peut-être  empê- 
cher de  naitre,  mais  que  je  ne  puis  plus  étou£kr. 
jQuand  je  dis  que  je  ne  vous  en  parlerai  pas,  j'en- 
tends que  rien  en  lùoi  ne  vous  dira  ce  que  je  dois 
taire.  J  impose  à  mes  yeux  le  même  silence  qa  à 
ma  bouche  :  mais,  de  grâce,  imposez  aux  vôtres 
de  ne  plus  m'arracher  ce  triste  secret.  Je  suis  à 
Tépreuve  de  tout,  hors  de  vos  regards  :  vous  saves 
trop  combien  il  vous  est  aisé  de  me  rendre  par- 
jure. Un  triomphe  est  si  sûr  pour  vous,  et  si  flé- 
trissant pour  moi,  pourrait-il  flatter  votre  belle 
âme?  Non,  divine  Sara,  ne  profanes  pas  le  ten»- 
ple  oh  tu  es  adorée,  et  laisse  au  moins  quelques 
vertus  dans  ce  pœur  à  qui  tu  as  tout  Até, 

Je  ne  puis  ni  ne  veux  reprendre  le  malheoreiur 


A. SARA.  267 

tfecret  qui  Aest 'échappé;  il  est  trop  tard,  il  faut 
qu!il  TOUS  reste  ;  et  il  est  si  peu  iutéressant  pour 
;irou4^  qu'il  serait  bientôt  oublié  si  Fayeu  ne  s^en 
xenouyelait  sans  cesse.  Ah  I  je  serais  trop  à  plain- 
dre dans  ma  misère, si  jamais  je  ne  pouvais  me 
-4ire  que  vous  la  plaignez*,  el  vous  devez  d'autant 
plus  me  plaludrC)  que  vous  n'aurez  j'amais  à  m*en 
consoler.  Vous  me  verrez  toujours  tel  que  je  dois 
être,  mais  connaissez-moi  toujours  tel  que  je  suisy 
TOUS  n'aurez  plus  à  censurer  mes  discours,  mais 
souffrez  mes  lettres  :  c'est  tout  ce  que  je  vous  de* 
mande.  J«  n'approcherai  de  vous  que  comme  dunc- 
dîvinité  devant  laquelle  on  impose  silence  à  svs' 
pasMons.  Vos  vertus^  suspendront  l'effet  de  vos; 
charmes;  votre  présence  purifiera  mon  eœur^y  jir 
\\e  craindrai  point  d'être  un  séducteur  en  ne  vous: 
disant  rien  qu'il  ne  vous  convienne  d'entendi^ey  ]«• 
cesserai  de  me  croire  ridicule  quand  vous  ne  me* 
verrez  jamais  tel ,  et  je  voudrais  n^étre  plus  cou- 
pable, quand  je  ne  pourrai  Fétre  que  loin  de 
vous. 

Mes  lettres!  Non.  Je  ne  dois  pas  même  désirer 
de  vous  écrire ,  et  vous  ne  devez  le  souffrir  jamais^ 
Je  vous  en  estimerais  moins  si  vous  en  étiez  ca* 
pable.  Sara,  je  te  donne  cette  arme,  pour  t'en 
servir  contre  moi.  Tu  peux  être  dépositaire  de 
mon  Étal  secret,  tu  n'en  peux  être  la  confidente. 
C'est  assez  pour  moi  que  tu  le  saches,  ce  serait 


^68  LETTRES  A  SÀRÀ. 

trop  pour  toi  de  l'entendre  répéter.  Je  me  tairai  : 
qu'aurals-je  de  plus  à  te  dire?  Bannis-moi,  mé- 
prise-moi désormais,  si  ta  reyob  jamais  toD 
amant  dans  Fami  que  tu  t'es  choisi.  Sans  ponroir 
te  fuir,  je  te  dis  adieu  pour  la  vie.  Ce  sacrifice  était 
le  dernier  qui  me  restait  à  te  &ire;  c'était  le  sed 
qui  fût  digne  de  tes  yetiUS  et  de  mon  cœur. 


POESIES. 


A. 


AVERTISSEMENT. 

J'ai  eu  le  meilleur  autrefois  dç  refuser  des  Ten  à  des  pcr- 
•ODoes  que  j'iiouorais  et  que  je  respectais  înfinixneiit,  pam  qoi 
je  m'étais  désormais  interdit  d'en  £ïire.  J'oae  espérer  oependiol 
que  ceux  que  je  public  aujourdMiui  ne  les  offèoseront  points  d 
je  crois  pouvoir  dire,  sins  trop  de  raffinement,  qu'ils  sont  Toa- 
rrage  de  mon  cœur,  et  non  de  mon  esprit.  Il  est  même  aké  éi 
f'aperceroir  que  c'est  un  enthousiasme  imjn-omptii,  si  je  paii 
parier  ainsi,  dans  lequel  je  ii'ai  guère  songé  à  briller.  De  fré- 
quentes répétitions  dans  les  pensées  et  même  dans  Ir»  tonn,  d 
beaucoup  de  négli;;ence  dans  la  diction ,  n'annoncent  pas  u 
bomme  fort  emprcss  j  de  la  gloire  d'être  un  bon  poêle.  Je  décUn 
de  plus  que ,  si  l'on  me  tixHtve  jamaiB  2i  faire  des  vers  galam,  er 
de  ces  sortes  de  bcllf  s  choses  qu'on  appelle  des  jeux  d'e$prk<,  jt 
m'abandonne  volontiers  à  tcute  Tin  ]ignation  que  j'auiat  mcriiée. 

Il  faudrait  m'excuser  auprès  de  certaines  gi.iis  d  «voir  loai 
OUI  bienfaitrice;  et,  auprès  d.s  peisonnrs  de  mérite ^  de  n'es 
avoir  pas  assez  dit  de  bien.  Le  silence  que  je  garde  â  l'yard  des 
premiers  n'est  pas  sans  fondement  ;  quant  aux  autre»,  j'ai  l'bo»' 
neur  de  lis  assurer  que  je  serai  toujours  infiniment  satisiiHl  da 
m'eniendre  faire  le  même  r.proche. 

Il  est  vrai  qu'en  félicitant  madame  de  Warens  sur  i 
diant  à  faire  du  bien  je  pouvais  m'étendre  sur  beaucoup  d*i 
vérités  non  moins  honorables  pour  elle.  Je  n'ai  point  piétcada 
être  id  un  panégyriste ,  mais  simplement  un  homme  feiisible  H 
reconnaissant  qui  s'amuse  à  décrire  ses  plaisirt. 

On  ne  manquera  pas  de  s'écrier  r  Un  malade  tairt  âem  vcisl 
an  homme  à  deux  doigts  du  tombeau  !  C'est  pttécîaém 
cela  que  j'ai  fait  des  vers.  Si  je  me  portais  moins  mal ,  je 
croirais  comptable  de  mes  occupations  au  bien  de  la 
l'état  où  je  suis  ne  me  permet  de  travailler  qu'à  mat  pnufae  a»^ 
tjuÊiction.  Combien  de  gens  qui  regorgent  de  biens  et  de  wnÊà 
ne  passent  pas  autrement  leur  vie  entière  l  II  fiindrait  «itan  w^ 
▼oir  si  ceux  qui  me  feront  ce  reproche  sont  disposés  kk  ^*€1» 
plojer  à  quelque  chose  de  mieaxi 


i-E  VERGER 

DES  CHAllMETTES. 

Rmra  àomui  tMuem  no$  atpernatur  «mtcunu*  I 
Jlara4|ue  ROI»  humilem  calcat./cutara  slîenlem. 

VsKGEm  cher  ii  mon  cœur,  séjoar  de  l'innocence  i 
Honneur  des  plus  beaux  jours  ^ue  le  ciel  me  dispenBe^ 
Solitude  charmante,  asile  de  la  paix, 
Ynissé-je,  heureux  verger,  ne  vous  quitter  jamais) 

O  jours  délicieux ,  coulés  sous  vos  ombrages  1 
De  Philomèle  en  pleurs  les  languissaas  ramages. 
D'un  ruisseau  fugitif  le  murmure  flatteur, 
Excitent  dans  mon  Ame  un  chaime  séducteur* 
J'apprends  âur  votre  émail  à  jouir  de  la  vie  t 
J'appreod» k  méditer  sans  regret,  sans  envies- 
Sur  les  frivoles  goûts  des  mortels  insensés  ; 
Leurs  jours  tumultueux.,  l'un  par  l'autre  pousséf^ 
N'enflamqient  point  mon  cœur  du  désir  de  les  suivre* 
A  de  plus  grands  plaisirs  je  mets  le  prix  de  vivre. 
Plaisirs  toujours  charmans,  toujours  doux,  toujours  putf 
A  mon  coeur  enchanté  vous  êtes  toujours  sûrs. 
Soit  qii*au  premier  aspect  d'un  beau  jour  prés  d'éelor» 
J'aille  voir  ces  coteaux  qu'un  soleil  levant  dorCj 
Soit  que  vers  le  midi ,  chassé  par  son  ardeur, 
Sont  un  arbre  touffu  je  cherche  la  fraîcheur; 
Là,  portant  avec  moi  Montaigne  ou  La  Brujère, 
Je  ris  tranquillement  de  l'humaine  misère } 
Ou  bien ,  avec  Socrate  et  le  divin  Platon . 
Je  m'exerce  &  marcher  sur  les  pas  de  Caton  c 
Soit  qu'une  nuit  brillante ,  en  étendant  ses  voilef ,    /^^^  *^ 
Découvre  à  mes  rçgards  la  lune  et  les  étoiles}. 
Alors ,  suivant  de  lojn  La  Hire  et  Cassini  p 
Je  c^cule^  jlobMire,  et ,  prés  de  l'infini. 


^7^  LE  YERGU 

8ur  ces  mondes  âÎTert  qne  Tetlier  nous  recèle^ 
Je  pousse,  en  raisonnant,  Hajghenf  et  Fontenellt  r 
Soit  enfin  que,  furpris  d*an  orage  impréra. 
Je  rassure ,  en  courant,  le  berger  éperdu  » 
Qu  epourantent  les  Tents  quisifllent  fur  ta  tète. 
Les  tourbillona,  leelair,  la  foudre,  la  tempête. 
Toujours  également  heureux  et  satisfiit, 
Je  ne  désire  point  un  bonheur  plus  parfiùt* 
O  vous ,  sage  Warens ,  élèye  de  Minerre , 
Pardonnez  ces  transporta  d*ùne  fndiscrète  Tcrrr} 
Quoique  j'eusse  promis  de  ne  rtmer  jamais. 
J'ose  chanter  ici  les  fruits  de  vos  bienfaits.. 
Oui ,  si  mon  cœur  jouit  du  sort  le  plus  tran^pille. 
Si  je  suis  la  vertu  dans  un  chemin  facile , 
Si  je  goûte  en  ces  li;eux  on  repos  innocent  » 
Je  ne  dois  qu'à  vous  seule  un  si  rare  présent* 
Vainement  des  cœun  bas,  des  ftmés  mercenairet» 
Par  des  avis  cruels  plutôt  que  salutaires. 
Cent  fois  ont  essajré  de  m'ôter  vos  bontéi  r 
lis  ne  connaissent  pas  le  bien  que  vous  goiîtrs 
En  faisant  des  heureux ,  en  essujant  des  larmes  : 
Ces  plaisirs  délicats  pour  eux  n'ont  point  de  chanac 
De  Tite  et  de^Trajan  les  libérales  mains 
N'excitent  dans  leurs  coeurs  que  des  ris  lahumalns» 
Pourquoi  faire  du  bien  dans  ht  siècle  où  noua  soaaai 
Se  trouve-t-îl  quelqu'un ,  dans  la  race  des  hoiuiea^ 
Digne  d'être  tiré  du  rang  des  indigens  ? 
Peut-il  dans  la  misère  étra  d  honnêtes  gens  ? 
Et  ne  vaut-i^  pas  mieux  emplojrer  ses  richesse» 
A  jouir  des  plaisirs  qu'à  faire  des  largesses? 
Qu'ils  suivent  à  lair  gré  ces  sentimens  allreiix^ 
Je  me  garderai  bien  de  rien  exiger  d'eux.  *' 

2o  n'irai  pas  ramper,  ni  chercher  à  leu»  plain; 
Mon  cœur  sait ,  s'il  le  faut ,  aflh>nter  la  misèreii 
Et  ^  plu»  délicat  qu>ux ,  plus  sensible  à  l*hoft«c«*^ 


DES  CHARMETTES.  SljS 

Regarde  de  plus  près  au  choix  d'un  bîen&iteur. 
Oui,  j'en  donne  aujourd'hui  l'assurance  publique, 
Cet  écrit  en  sera  le  témoin  authentique , 
Que,  si  jamais  le  sort  m'arrache  à  tus  bienfaits, 
Mes  besoins  jusqu'aux  leurs  ne  recourront  jamais. 

Laissez  des  envieux  la  troupe  méprisable 
Attaquer  des  yertu»  dont  l'éclat  les  accable. 
Dédaignez  leurs  complots,  leur  haine,  leur  fureur: 
La  paix  n'en  est  pas  moins  au  fond  de  votre  cœiir, 
Tandis  que ,  vils  jouets  de  leurs  propres  ftfries , 
Alimens  des  serpens  dont  elles  sont  nourries. 
Le  crime  et  les  remords  portent  au  fond  des  icpv» 
Le  triste  châtiment  de  leurs  noires  horreurs. 
Semblables  en  leur  rage  ii  la  guêpe  maligne. 
De  trarail  incapable ,  et  de  secours  indigne ,. 
Qui  ne  vit  que  de  vols ,  et  dont  enfin  le  sott 
Est  de  faire  du  mftl  en  se  donnant  la  mort , 
Qu'ils  exhalent  en  yain  leur  colère  impuissante; 
Leurs  menaces  pour  yous  n'ont  rien  qui  m'épouvante. 
Ils  voudraient  d'un  ]grand  roi  vous  6ter  les  bienfaits  ; 
Mais  de  plus  nobles  soins  illustrent  ses  prpjets  : 
Lieur  basse  jalousie  et  leur  fureur  injuste 
N'arriveront  jamais  jusqu'à  son  tr^ne  aMuste^ 
Xît  le  monstre  qui  règne  en  leurs  coenrs  apattu» 
N'est  pas  fait  pour  braver  l'éclat  de  ses- vertus 
G*eBt  ainsi  qu'un  bon  roi  rend  son  empire  aimable  t 

Il  soutient  la  vertu  que  l'infortune  accable  . 

Quand  il  doit  menacer,  la  foudre  est  en  tes  mains. 

Tout  roi ,  sans  s'élever  au-dessus  des  hiimains , 

Contre  les  criminels  peut  lancer  le  tonnerre  ; 

Biais,  s'il  fait  des  heureux,  c'est  un  dieu  sur  la  terre. 

Charles ,  on  reconnaît  ton  empire  2i  c«s  traits  ; 

Ta  xnain  porte  en  toas  lieux  la  joie  ef.  les  bienfait^ « 

Tea  sujets  égalés  éprcMtvent  ta  justi^j 

On  ne  réclame  plus ,  par  «n  hootett^  caprice j^ 


iji  LE  YEHGEft 

L'u  piincipe  odieux ,  proscrit  par  l'équité, 
Qui ,  bUssant  tous  les  d.oits  de  la  société, 
Brise  les  nœuds  sacrés  dont  elle  était  unie, 
Refuse  à  ses  besoins  la  meilleure  partie., 
Et  prétend  affranchir  de  ses  plus  justes  lois 
Ceux  qu'elle  iait  jouir  de  ses  plus  riches  droitt* 
Ah!  s'il  trayait  stlfil  de  te  rendre  terrible. 
Quel  autre,  plus  que  toi ,  pouvait  être  inTÎncibUi 
Quand  l'Europe  t'a  yu,  guidant  te»  étendard^ 
Seul  entre  tous  ses  rois  briller  aux  champs  de  Hais? 
Mais  ceji'est  pas  assez  d'épouvanter  la  terre; 
Il  est  d 'autres  devoirs  que  les  soins  de  la  gucm; 
Et  c'est  par  eux,  grand  roi,  que  ton- peu  pie  aajonivB* 
Trouve  en  tot^son  vengeur,  son  père  et  son  appoi* 
Et  vous ,  sage  Warens ,  que  ce  héros  protège, 
En  vain  la  calomnie  en  secret  vous  assiège. 
Craignez  peu  ses  effets,  brAves  son  vain  c^rroion 
La  vertu  vous  défend ,  et  c'est  assez  pour  vous  i 
Ce  grand  roi  vous  estime^  £1  connaU  vetoe-«èUr 
Toujours  à  sa  parole  il  sait  ^re  lidéle; 
Et,  pour  tout  dire  enfin ,  garant  de  ses  bontés, 
Votre  cœur  vous  répond  (j[ue  vous  les  méritct. 

On  me  connaît  assez ,  et  ma  muse  sévère 
l^e  sait  point  dispenser  un  encens  meroenaiic; 
Jamais  d'un  vil  flatteur  le  langage  affecté 
N'a  souillé  dans  mes  vers  l'auguste  vérité. 
Vous  mépri&ez  vous-même  un  èloge  insipide. 
Vos  sincèi*«s  vertus  n'ont  point  l'orgueil  pooxguiés. 
Avec  vos  ennemis  convenons,  s'il  le  faut. 
Que  la  sagesse  en  vous  n'exclut  point  tout  dé&nt* 
Sur  cette  terre ,  hélas  !  telle*  est  notre  misère , 
Que  la  perfection  n'est  qu'erreur  et  chimère. 
Connaître  mes  travers  est  mon  premier  souhait* 
Et  je  fais  peu  de  ch»  de  tout  homnM  parfait. 
La  haine  quelquefois  donne  un  ti^u  utile  : 


DES  CBARMBTTBS  ÙIji 

BUmex  cette  bonté  trop  donce  et  trop  fiictle 
Qui  souvent  à  leurs  jeux  •  causé  vos  maJhenrt. 
Reconnaitset  en  vous  les  faibles  des  bous  cœurs  : 
Mais  lacbez  qu'en  secret  l'étemelle  sagesse 
Hait  leurs  fausses  vertus  plus  que  votre  faiblesse , 
Et  qu'il  vaut  mieux  cent  fois  se  montrer  à  ses  jeus 
Imparfait  comme  vous ,  que  vertueux  comme  eux. 

Vous  donc  des  mon  enfance  attacbée  à  m*instrait»| 
A  travers  ma  misère ,  bêlas  !  qui  crûtes  lire 
Que  de  quelques  talens  le  ciel  m'avait  pourvu , 
Qui  daignâtes  former  mon  coeur  i  la  vertu , 
Vous,  que  j'ose  appeler  du  tendre  nom  de  mèt«« 
Acceptex  aujourd'bui  cet  bommage  sincère, 
Le  tribut  légitime ,  et  trop  bien  mérité , 
Que  ma  reconnaissance  offre  h  la  vérité.' 
Oui ,  si  quelques  douceurs  assaisonnent  ma  vie; 
Si  j'ai  pu  jusqu'ici  me  soustraire  à  l'envie  ; 
Sif  le  cœur  plus  sensible,  et  l'esprit  moins  grossit 
Au-dessus  du  vulgaire  on  m'a  vu  m'élever; 
Enfin  f  si  chaque  jour  je  jouis  de  moi-même , 
Tantôt  en  m'élançant-juscpi'à  l'Être  suprême  « 
Tantôt  en  méditant ,  <  ans  un  profond  repos , 
Les  erreurs  des  bumains,  et  leurs  biens,  et  leurs  pa«S| 
Tantôt^  philosophant  sur  les  lois  naturelles  ^ 
J'entre  dans  le  secret  des  causes  éternelles , 
7e  cherche  k  pénétrer  tons  les  ressorts  divers. 
Les  principes  cachés  qui  meuvent  l'univers  ; 
Si ,  di»-je,  en  mon  pouvoir  j'ai  tous  ces  avautagct^ 
le  le  répète  eneor,  ce  sont  là  vos  ouvrages , 
Vertueuse  'Warcns  :  c'est  de  vous  que  je  tiens 
Le  Tni  bonheur  de  l'homme  et  les  solides  biens» 
Sans  craintes,  sans  désirs,  dans  cette  solitude, 
le  laisse  aller  mes  jours  exempts  d'inquiétude  s 
P  que  non  cœur  touché  ne  pmt-ii  k  son  gré 
W^kaûf  tur  ce  papier,  dana  un  jtutt  degré , 


91^6  U  VERGBB 

Des  plaisirs  qu'il  ressent  la-yolupté  parfaite  1 
Piésent  dont  je  joois^  passé  que  je  regrette. 
Temps  précieux ,  hélas  !  je  ne  vous  pevdrai  plm 
En  bizarres  projets ,  en  soucis  superftus. 
Dans  ce  verger  charma^it  j'en  partage  l'espace. 
Sous  un  ombrage  frais  tantôt  je  me  délasse  ; 
Tantôt  avec  Leibnitz,  Maiebranche  et  Newton, 
Je  monte  ma  raison  sur  un  sublime  ton  y 
J'examine  les  lois  des  corps  et  des  penséesf 
Avec  Locke  je  fais  l'histoire  des  idées; 
Avec  Kepler,  Wallis ,  Barrow ,  Rajrnaad ,  Pascal, 
Je  devance  Archiméde,  et  je  suis  L'Hospital  ^i). 
Tantôt ,  à  la  physique  appliquant  mes  probièma, 
J'e  me  laisse  entraîner  à  l'esprit  des  sjrstèmei  :  j 
Je  tâtonne  Descarte  et  ses  égaremens , 
Sublimes ,  il  est  vrai^  mais  iri voles  romans. 
J'abandonne  bientôt  l'bjrpothèse  infidèle. 
Content  d'étudier  l'histoire  naturelle. 
Là ,  Pline  et  Nieuwentit ,  m'aiUant  de  leur  asTotr, 
M'apprennent  à  penser,  ouvrir  les  jeux,  et  Toir. 
Quelquefois,  descendant  de  ces  vastes  lumièxet. 
Des  différens  mortels  je  suis  les  caractères. 
Quelquefois ,  m'amusant  jusqu'à  la  fiction , 
^élémaque  et  Séthos  me  donnent  leur  leçon  ; 
On  bien  dans  Gléveland  j'observe  la  nature  / 
Qui  se  montre  à  mes  jeux  louchante  et  toujona 
Tantôt  aussi ,  de  Spon  parcourant  les  cahiers  , 
De  ma  patrie  en  pleurs  je  relis  les  dangers. 
Genève ,  jadis  sage ,  ô  ma  chère  patrie  !    , 
Quel  démon  dans  ton  sein  produit  la  frénésie  7 
Souviens-toi  qu'autrefois  tu  donnas  des  héros  , 
Pont  le  sang  t'acheta  les  douceurs  du  repos. 

|t)  Le  marquis  de  L'Hospital,  aateur de  T^nal^fsc 
MMnf  psti'M»  et  de  pluiieiin  autres  ouvrages  de  asatbé^tifaa 


N 


DES  charhettjss.  ^jy 

Transportés  aujourd'hui  d  une  soudaine  rage, 

ÂTcugles  citojcns,  cherchez-yous  l'esclayage? 

Trop  tôt  peut-être ,  hélas  !  pourrei-vous  le  trouver  : 

Mais ,  s'il  est  encor  temps ,  c'est  à  vous  d  j  songer» 

Jouissez  des  bienfaits  que  Louis  tous  accorde. 

Rappelez  dans  vos  murs  cette  antique  concorde. 

Heureux  si ,  icprenant  la  foi  de  yos  aïeux, 

Vous  n'oubliez  jamais  d'ôtre  libres  comme  euxf 

O  TOUS ,  tendre  Racine  !  ô  tous  ,  aimable  Horace  I 

Dans  mes  loisirs  aussi  vous  trouvez  votre  place; 

Claville ,  Saint-Âubin ,  Platarque ,  Mézerai , 

Despréaux ,  Cicéron ,  Pope ,  Rollin ,  Bardai , 

£t  vous,  trop  doui  La  Mothe,  et  toi,  touchant  Yoltaii^j 

Ta  lecture  k  mon  cœur  restera  toujours  chère. 

Mais  mon  goût  se  refuse  à  tout  frivole  écrit 

Dont  l'auteur  n'a  pour  but  que  d'amuser  l'esprit  : 

II  a  beau  prodiguer  la  bri!Unte  antitlièse , 

Semer  partout  des  fleurs ,  chercher  un  tour  qui  plaise 

Le  cœur,  plus  que  l'esprit,  a  chez  moi  des  besoins, 

Et,  s'il  n'est  attendri ,  rebute  tous  ces  soins. 

C'est  ainsique  mes  jours  s'écoulent  sans  alarmes. 
Mes  jeux  sur  mes  malheurs  ne  versent  point  de  larmen- 
Si  des  pleurs  quelquefois  altèrent  mon  repos , 
C'est  pour  d'autres  sujets  que  pour  mes  propres  mtiix  j 
Vainement  la  douleur,  lis  craintes,  la  misère. 
Veulent  décourager  la  fin  de  ma  carrière: 
D'Êpictète  asservi  la  stoîrjue  fierté 
M'apprend  à  supporter  les  maux,  la  pauvreté; 
Je  vois,  sans  m'aflliger,  la  langueur  qui  m'accable; 
L'approche  du  trépas  ne  m'est  point  effroyable» 
Et  le  mal  dont  mon  corps  se  sent  presque  abattu 
H  est  pour  moi  qu*un  sujet  d'affermir  ma  verto/ 


M 


J 


ÉPiTRE 

A  M.  BOROE& 


Toi  qu'am  jeux  du  Parnasse  Apollon  mêiàe  gùidi, 
Tu  daignes  exciter  une  muse  timide; 
De  mes  faibles  essais  jugé  trop  iudnlgent, 
Ton  goût  à  ta  bonté  cède  en  m'enconrageant 
Mais ,  hélas  !  je  n'ai  point,  pour  tenter  la  carriéfe* 
D'un  athlète  anime  l'assurance  guerrière; 
Et ,  dès  les  premiers  pas ,  inquiet  et  surpris  » 
L'haleine  m'abandonne ,  et  je  renonce  au  prii. 
.Bordes,  daigne  juger  de  toutes  mes  alarmes; 
Vois  quels  sont  les  combats,  et  qifeds  sont  les  ifiaei; 
Ces  lauriers  sont  bien  doux,  sans  doute,  à  remporte^ 
Mais  quelle  audace  à  moi  d'oser  les  disputer l 
Quoi  !  j'irais ,  sur  le  ton  de  ma  Ijre  rustique, 
Faire  jurer  en  vers  une  muse  helvétique  {*)  : 
Et ,  prêchant  durement  de  triâtes  vérités , 
Révolter  contre  moi  les  lecteurs  irrités  ! 
Plus  heureux,  si  tu  veux,  encor  que  téméraire; 
Quand  mes  faibles  talens  trouveraient  l'art  de  plaiiCf 
Quand,  des  sifflets  publics  par  bonheur  préserrés, 
Mes  vers  des  gens  de  goût  pourraient  être  approotéSi 
Dît-moi ,  sur  quel  sujet  s'exercera  ma  muse? 

C)  Ce  vera  manque  &  réditton  do  Généra  Dihbs  TédiMi^ 
pMDÇot,  en  3B  vol.  ia-S**,  on  lit  : 

^oi  !  j'înis ,  mr  k  ton  de  ma  lyre  critiqMi 
Faka  la  gucne  an  vioe  en  st  jls  teatdéaoipf^ 


iPlTRE  A  U.  CORDES.  a^S 

Tout  poctc  est  menteur,  et  le  métier  lezcuse , 
Il  Mit  en  mots  pompeux  faire ,  d'un  riche  fat , 
Un  nouveau  Mécénas ,  un  pilier  de  1  état. 
Mais  moi,  qui  connais  peu  les  usages  de  France  « 
Moi ,  fier  républicain  que  blesse  l'arrogance ^ 
Du  riche  impertinent  je  dédaigne  l'appui , 
S'il  le  faut  mendier  en  rampant  devant  lui  ; 
Et  ne  sais  applaudir  qu*à  toi,  qu'au  vrai  mérite  i 
La  sotte  vanité  me  révolte  et  m'irrite. 
Le  riche  me  méprise  ;  et ,  malgré  son  orgueil , 
ffons  nous  voyons  souvent  à  peu  près  de  même  œîL 
(Mais,  quelque  haine  en  moi  que  le  travers  inspire, 
Mon  coeur  sincère  et  franc  abhorre  la  satire  : 
Trop  découvert  peut-être ,  et  jamais  criminel , 
Je  dis  la  vérité  sans  l'abreuver  de  fîel. 

Ainsi  toujours  ma  piume,  implacable  ennemie 
Et  de  la  flatterie  et  de  la  calomnie , 
Ne  sait  point  en  ses  vers  trahir  la  vérité; 
Et,  toujours  accordant  un  tribut  mérité. 
Toujours  prête  à  donner  des  louanges  acquises , 
Jamais  d'un  vil  Crésus  n'encensa  les  sottises. 

O  vous  qui  dans  le  sein  d'une  humble  obscurité' 
Nourrisscx  les  vertus  avec  la  pauvreté , 
Dont  les  désirs  bornés  dans  la  sage  indigence 
Méprisent  sans  orgueil  une  vaine  abondance , 
Restes  trop  précieux  de  ces  antiques  ti-mps 
Où  des  moindres  apprêts  nos  ancêtres  contrns , 
Recherchés  dans  leurs  mœurs,  simples  dans  leur  parure, 
Ne  sentaient  de  besoins  que  ceux  de  la  nature  ;  ^ 

Illustre^  malheureux,  quels  lieux  habitezp-vous  ? 
Dites ,  quels  sont  vos  noms  ?  11  me  sera  trop  doux 
b'exercer  mes  talens  à  chanter  votre  gloire; 
'A  vous  éterniser  au  temple  de  mémoire; 
Et  quand  me?  faibles  ver»  n'y  pourraient  arriver, 
Ces  noms'  si  respectés  sauront  les  coxuervcr* 


a8o  ÉPltRB 

Mais  pourquoi  m'occup  r  d  nue  raine  cLunèrè? 
Il  n'est  plus  de  sagesse  où  règne  la  misère  ; 
Sous  le  poids  de  la  faim  le  mérite  abattu 
Laisse  eu  un  triste  cœur  éteindre  la  vertu. 
Tant  de  pompeux  discours  sur  l'heureuse  indigence 
M'ont  bien  l'air  d'être  nés  du  sein  de  l'abondance  t 
Philosophe  commode ,  on  a  touj[ours  grand  soin 
De  prêcher  des  vertus  dont  on  n'a  pas  besoii». 

Bqrdes,  cherchons  ailleurs  des  sujets  ponmimasci 
De  la  pitié  qu'il  fait  souvent  le  pauvre  abuse» 
Et ,  décorant  du  nom  de  sainte  charité 
Les  dpns  dont  on  nourrit  sa  vile  oisiveté , 
Sous  l'aspect  des  vertus  que  l'infortune  opprime 
Cache  l'amour  du  vice  et  le  penchant  au  crime. 
J'honore  le  mérite  aux  rangs  les  plus  abjects; 
Mais  je  trouve  &  louer  peu  de  parefls  sujets. 

Non  y  célébrons  plutôt  l 'innocente  industrie 
Qui  sait  multiplier  les  douceurs  de  la  vie , 
Qt^  salutaire  à  tous  dans  ses  utiles  soins  » 
Par  la  foute  du  luxe  apaise  les  besoins.. 
(}'est  pfir  cet  art  charmant  que  sans  cesse  enrichis 
Qn  voit  briller  au  loin  ton  heureuse  patris  (i). 

Ouvrage  précieux ,  superbes  omemens , 
pn  dirait  que  Minerve»  en  ses  amusemens, 
làvec  l'or  et  la  soie  a  d'une  main  savante 

■ 

^ormé  de  tos  dessins  la  tissure  élégante. 
Turin  »  Londres ,.  en  vain ,  pour  le  disputer* 
Par  de  jaloux  efforts  veulent  vous  imiter  :. 
Vos  mélanges  charmans  »  assortis  par  les  grâces , 
Les  laissent  de  bien  loin  s'épuiser  sur  vos  traces. 
Le  bon  goût  les  dédaigne,  et  triomphe  chez  voas( 
Et  tauflis  qu'entraînés  par  leuv  dépit  Jaloux 

(i}|>  viUede  Ljoii«. 


A  Ué  BORDES.  aS  j 

Dans  leurs  on'vrages  froids  iis  forcent  la  natore, 
Votre  vivacité ,  toujours  brillant»  et  puie, 
Donne  à  ce  qu'Ole  pare  un  œil  plus  délicat^. 
Et  même  à  la  beauté  prête  encore  de  ieclat*. 

Ville. heureuse,  qui  fais  lonicment  de  la  France», 
Trésor  de  1  univers ,  source  de  l'abondance , 
LjoD ,  séjour  charmant  des  enfiins  de  Plutus, 
Dans  tes  tranquilles  murs  tous  les  arls  sont  reçut  fe 
D'un  sage  protecteur  le  goût  les  y  rassemble\ 
Apollon  et  Plutus ,  étonnés  d'être  ensemble , 
De  leurs  longs  différens  ont  peine  à  revenir. 
Et  demandent  quel.dicu  les  a  pu  réunir. 
On  reconnaît  tes  soins,  Pallu  (2)  :  tu  nous  rarniue» 
Les  «iècles  renommés  et  de  Tjr  et  d'Athènes  : 
De  mille  éclats  divers  Ljon  brille  à  la  fois , 
Et  sou  peuple  opulent  semble  un  peuple  de  rois. 

Toi,  dijgne  citojen  de  cette  ville  illustre,^ 
Tu  peux  contribuer  à  lui  donner  du  lustre. 
Far  tes  heureux  talens  tu  peux  la  décorer,' 
Et  c'est  lui  faire  un  vol  que  de  plus  différer. 

Comment  oses-tu  bien  me  proposer  d'écrire. 
Toi ,  que  Minerve  môme  avait  pris  soin  d'instruire^ . 
Toi ,  de  ses- dons  divins  possesseur  négligent, 
Qui  viens  parler  pour  elle  encore  en  l'outrageaut? 
Ah  !  si  du  feu  divin  qui  brille  en  ton  ouvrage 
Une  étincelle  au  moins  eût  été  m4m  partage , 
Ma  muse  quelque  jour,  attendrissant  les  cœurs. 
Peut-être  sur  la  scène  eût  fait  couler  des  pleurs. 
Mais  je  te  parle  en  vaiu  :  insensible  à  mes  plaintee^, 
]^r  de  cruels  refus  tu  confirmes  mes  craintes» 


(ft)  Imestdant  dtf  Lyon.. 

ai- 


2||64  épÎTKE 

Né  dans  lobscuritc ,  j'ai  fait  dès  mon  enfaoc» 
pes  caprices  du  sort  la  triste  expérience; 
Et  s*il  est  quelque  bien  qu'il  ne  m'ait  point  ôté, 
lUéme  par  ses  faveurs  il  m'a  persécuté. 
|1  m'a  fait  naitre  libre ,  hélas  !  pour  quel  usage? 
Qu'il  m'a  vendu  bien  cber  un  sf  varn  arantage! 
Je  suis  libre  en  effet  ;  mais  de  ce  bien  cruel 
J'ai  reçu  ]  lus  d'ennuis  que  d'un  malheur  réel» 
Ah  !  s'il  fa  lait  un  jour,  absent  de  ma  patrie , 
Traîner  chez  l'étranger  ma  laufpiissante  vie , 
S'il  fallait  bassement  ramper  auprès  des  grands  ^ 
Que  n*en  ai<je  appris  l'art  dès  mes  plUs  jeunes  aaftl 
Mais  sur  d'autres  leçons  on  fbrma  ma  jeunesse* 
On  me  dît  de  remplir  mes  devoirs  sans  bassesse , 
De  respecter  les  grands    les  magistrats ,  lès  roîi  . 
De  chérir  les  humains ,  et  d'obéir  aux  lois  : 
Mais  on  m'apprit  aussi  qu*a^ant  par  ma  naissance 
Le  droit  de  partager  là  suprême  puissance , 
Tout  petit  que  j'étais ,  faible ,  obscur  citoven  * 
Je  faisais  cependant  membre  du  souverain  ; 
Qu'il  fallait  soutenir  un  sî  noble  avantage 
Par  le  cœur  d'un  héros ,  par  tes  vertus  d'un  sag« , 
Qu'enfin  la  liberté ,  ce  cher  présent  des  eicux , 
N'est  qu'un  fléau  fatal  pour  les  coeurs  vicieux. 
Avec  le  lait ,  chex  nous ,  on  suce  ces  maximes  , 
Moins  pour  s'enorgueillir  de  nos  droits  légitimes 
Que  pour  savoir  un  J6uf  se  donne^  à  ta  §û)\t 
Les  meilleurs  magfstrats  et  tes  pl^s  sages  loii. 

Vois-tu,  me  disait-on,  ces  nations  puissantes 
Fournir  rapidement  teurs  carn'ères  btillantes  ?~ 
Tout  oe  vain  appareil  qurt«mplH  l'uni  van 
R'est  qu'uiv/rivole  éclat  qui  kitf  cache  leurs  fers. 
For  leur  propre  valeur  ils  forgent  lènrt  entraves  r 
lia  font  les  conquçrans  ,*et  sont  de  vils  esclaves  x 
Kikttr  i[aate  pouvoir ,  quie  Tart  avait  prodoit.^ 


A  m.  PARESOT.  ^ 

Par  le  luxe  bieatôt  se  retrouTe  déttaif^ 
Un  soiabien  différent  kI  nous^mrërcsse. 
Notre  plus  grantle  force  est  dans  notre  ftibleste  r 
Nous  vivons  sans  regret  dans  Ibumble  obscurité^ 
Mais  du  moins  dans  nos  murs  on  est  en  liberté. 
Nous  n*^  connaissons  point  la  superbe  arrogance, 
Nuls  titres  fastueux ,  nulle  injuste puissanèe. 
De  sages  magietratS',  établis  pa»  nos  voix  ^ 
Jugent  nos  différends,  font  observer  nos  lois. 
Lart  n'est  point  le  soutien  de  notre  république  ^      ^ 
Être  juste  est ches  nous  l'unique  politique;. 
Tous  les  ordres  diveM,  sans  inégalité, 
Gardent  chacun  le  niag  qni  leur  est  affecté. 
No-  chefs,  nos  magistrats,  simples  dan» kur  parusr,. 
Sans  étaler  ici  le  luxe  et  la  dorurt,. 
Parmi  nous  cependant  nr  sont  point  confondus  v 
Ils  en  sont  distingués .  mais  c'estpa»  leur»  v«rttis.. 

Puisse  durer  toujonre  cette  union  charmante  l 
llclas  !  on  voit  siipeu  de  probité  constante  !: 
11  n'est  rien  que  le  temps  ne  corrompe  à  la  fin  ;: 
Tout ,  jusqu'à  la  sagesse,  est  sujet  au  décli»^ 

Par  ces  réflexions  ma  raison  exercée 
M'apprit  k  mépriser  cette  pompe  insensée 
Par  qui  l'orgueil  des  grands  brille  de  toutes  parts ,, 
Kt  du  peuple  imbécile  attire  les  regards. 
Mais  qwil  m'en  coûta  cher  quand,  pour  toute  ma  vie 
La  foi  meut  éloigné  eu  sein  de  ma  patrie  ; 
Quand  je  me  vis  enfin ,  sans  appui^  sans  secour»,. 
A  ces  mômes  grandeurs  contraint  d'avoir  recours! 

I«on,  je  ne  puie  penser,  sans  répandre  des  larmes^ 
A  ce»  momens.affreux,  pleins  de  trouble  et  d'alarme». 
Où  j'éprouvai  qu'enfin  tous  ces  beaux  sentiment , 
Loin  dadoucir,iiMMi  sort,  irritaient  mes  teonneas^ 
Sans  doute  à  tous  les  jeux  U  misère  esth^nible;  ' 
Mais.pour  qiii.f  ait  pcâier  ^e  m  bi«ii  plus  MnsibU^ 


>8S  ipfT&B 

épîctite  et  Zenon ,  dans  lenr  fierté  stol^e, 
Me  faisaient  admirer  ee  courage  béroiqoe 
Qui ,  faisant  des  faux  biens  nn  mépris  généieax, 
Par  la  seule  vertu  prétend  nous  rendre  heureux. 
Long-temps  de  cette  erreur  la  brillante  chimère 
Séduisit  mon  esprit,  roidit  mon  caractère; 
Mais ,  malgré  tant  d'efforts ,  ces  raines  fictionf 
Ont-elles  de  mon  cceur  banni  les  passions? 
Il  n'est  permis  qu'à  Dieu ,  qu'à  l'essence  suprême, 
D'être  toujours  heureuse,  et  seule  par  soi-mèn*'* 
Pour  l'homme,  tel  qu'il  est  pour  l'esprit  etlccœut, 
Otez  les  passions ,  il  n*est  plus  de  bonheur. 
C'est  toi,  cher  Parîsot,  c  est  ton  commerce aimtbk, 
De  gi'ossier  que  j'étais,  qui  me  rendit  traittbie: 
Je  reconnus  alors  combien  il  est  ehafmant 
De  joindre  à  la  sagesse  un  peu  d'amusement. 
Deé  amis  plus  polis,  un  climat  moins  sauvage 
Des  plaisirs  innocens  m'enseignèrent  l'usage  : 
le  vis  avec  transport  ce  spectacle  enchantent 
Par  la  route  des  sens  qui  sait  aller  an  cœur*, 
Le  mien,  qui  jusqu'alors  avait  été  paisible» 
Pour  la  première  fois  enfin  devînt  sensible: 
L'amour,  malgré  mes  soins,  heureux  à  m'egarer, 
'Auprès  de  deux  beaux  jeux  m'apprit  à  soupiitr. 
Bons  mots ,  vers  élcganSy  conversations  riTei, 
Un  repas  égayé  par  d'aimables  convives , 
Petits  jeux  de  commerce  et  d'où  le  chagrin  fiuti 
Où ,  sans  ilsquer  la  bourse ,  on  délasse  1  esprit? 
En  un  mot ,  les  attratts  d'une  vie  opulente. 
Qu'aux  VŒUX  de  l'étranger  sa  richesse  présente, 
Tous  les  plaisirs  du  goût,  le  charme  des  beaux-artf, 
'A  mes  yeux  enchantés  brillaient  de  toutes  parti. 
Ce  n'est  pas  cependant  que  mon  âme  égarée 
bonnât  dans  les  travers  d'une  mollesse  o'itrée  : 
L'innocence  est  le  bien  le  plus  cher  i  a«a  cœn; 


'A- M.  PARISOT.  289 

t^  débauche  et  Tezcès  sont  des  objets  ^'horrenr  t 
Les  coupables  plabirs  sont  les  touimens  de  Vàme  ; 
Ils  sont  trop  achetés  s'ils  sont  dignes  de  blâme. 
Sans  doute  le  plaisir,  pour  être  un  bien  réel , 
Doit  rendre  l'homme  heureux  et  non  pas  criminel  i 
Mais  il  n'est  pas  moins  yrai  que  de  notre  carrière 
Le  ciel  ne  défend  pas  d'adoucir  la  misère  ; 
Et ,  pour  finir  ce  point  trop  long-temps  délucttu  ; 
Rien  ne  doit  être  outré ,  pas  même  11  Terta. 

Yoilà  de  mes  erreurs  un  abrégé  fidèle  : 
C'est  k  toi  de  juger,  ami ,  sur  ce  module , 
Si  je  puis ,  près  des  grands  implorant  de  i*appQS . 
A  la  fortune  encor  recourir  aujourd'hui. 
De  la  gloire  est-il  temps  de  rechercher  le  lustre? 
Me  yoici  presque  au  bout  de  mon  sixième  lustre  s 
La  moitié  de  mes  jours  dans  l'oubli  sOnt  passés*    ' 
Et  déjà  du  travail  mes  esprits  sont  lassés. 
Avide  de  science ,  ayide  de  sagesse, 
Je  n'ai  point  aux  plaisirs  prodigué  ma  jeunesse  : 
J'osai  d'un  temps  si  cher  faire  un  meilleur  emploi  | 
L'étude  et  la  vertu  furent  la  seule  loi 
Que  je  me  proposai  pour  régler  ma  conduite  ,** 
Mais  ce  n  est  point  par  art  qu'on  acquiert  du  mérite  f 
Que  sert  un  vain  travail  par  le  ciel  dédaigné , 
Si  de  son  but  toujours  on  se  voit  éloigné  ? 
Comptant  par  mes  talens  d'assurer  ma  fortune. 
Je  négligeai  ces  soins,  cette  brigue  importune , 
Ce  manège  subtil ,  par  qui  cent  ignbrans 
Ravissent  la  faveur  et  les  bienfaits  des  grands. 
Le  succès  cependant  trompe  ma  confiance  : 
ï>e  mes  faibles  progrès  je  sens  peu  d'espérance; 
Mt  je  vois  qu'à  juger  par  des  effets  si  lents , 
Pour  briller  dans  le  monde  il  faut  d'autres  talenf  ; 
Et ,  qu'j  ferais-je^  moi ,  de  qui  l'abord  timide 
Il«  sait  point  affecter  cette  audace  intrépide , 


^0  ipÎTRB  • 

Cet  air  content  de  soi ,  ce  ton  fier  et  joli 
Qui  du  rang  det  badands  sanve  rbomme  poli  ? 
Faut-il  donc  aujourd'hui  m'en  aller  dans  le  mond* 
Vanter  impudemment  ma  science  profonde , 
Et,  toujours  en  secret. démenti  par  mon  cœur. 
Me  prodiguer  l'encens  et  les  degrés  d'honneur 
Faudra-t^U,  d'un  dévot  afi^ctant  la  grimace^ 
Faire  serrir  le  ciel  à  gagner  une  place  ^ 
Et ,  par  l'hypocrisie  assurant  mes  projets. 
Grossir  l'heureux  ossaim  de  ces  hommes  parfàio, 
De  ces  humhl«s  dévots,  de  qui  la  modestie 
Compte  par  leunr  vertus  tous  les  jours  de  leur  vie? 
Pour  gku'iiier  Dieu  leur  bouche  a  tour  à  tout 
Quelque  nouvelle  grâce  à  rendre  chaque  jour. 
Mais  l'orgueiUeu}^  çn -vain,  d'une  adresse  chiédenBC, 
Sous  la  gloire  de  Dieu  veut  étaler  la  sienne  : 
L*bomme  vraiment  sensé  (ait  le  mépris  qu'il  doit 
Des  mensonges  du  fat ,  et  du  sot  qui  les  croit» 

Non ,  je  ne  puis  forcer  mon  esprit,  né  sincère, 
A  déguiser  ainsi  mon  propre  caractère  ; 
Il  en  coûterait  trop  de  contrainte  à  mon  cœur  s 
A  cet  indigne  prix  je  renonce  an  bonhenr* 
!D*ailleurs  il  faudrait  donc,  fils  lâche  et  meroenikire^ 
Trahir  indignement  les  bontés  d'une  mère. 
Et,  payant  en  iagraf  tant  de  bienfaits  re^ns^ 
Laisser  à  d'autres  mains  les  soins  qui  lui  sont  dok 
'Ah!  ces  soins  sont  trop  cLers  à  ma  reconnaissniiee  i 
8i  le  ciel  n*a  rien  mis  de  plus  en  ma  puissance  , 
Dn  moins  d'un  xèle  pur  les  vœux  trop  mérites 
Par  mon  cœur  chaque  jour  lui  seront  présenté». 
Je  sais  trop ,  il  est  vrai ,  que  oe  zèle  inutile 
Ife  peut  lui  procurer  un  destin  plus  tranquille  s 
En  vain  dans  sa  langueur  je  veux  la  soulager^ 
Ce  n*est  pas  les  guérir  que  de  les  partager. 
Ulas  .*  de  ses  tounnens  le  spectacle  fiuieste 


▲  HL  PAHSOT.  ^1 

Bientôt  de  mon  courage  étouffera  le  reste  : 
€'««i  trop  lui  Voir  porter,  par  d'éternels  efforts 
Et  les  peines  de  l'âme  et  les  douleurs  du  corps. 
Que  lui  sert  de  chercher  dans  cette  solitude 
A  fuir  l'éclat  du  monde  et  sou  inquiétude , 
Si  jusqu'en  ce  désert ,  à  la  paix  destiné , 
I^  sort  lui  donne  encore ,  à  lui  nuire  acharné , 
D'un  affreux  procureur  le  voisinage  horrible , 
Nourri  d'encre  et  de  ùei ,  dont  la  griffe  terrible 
De  êeê  ti'istes  voishis  est  plus  crainte  cent  lois 
Que  le  hussard  cruel  du  pauvre  Bavarois  ? 

Hais  c'est  trop  t'aceabler  àv  récit  de  nos  peine»; 
Daigne  me  pardonner,  ami ,  ces  plaintes  vaines  ; 
C'est  le  dernier  des  biens  permis  aux  maihcurenx 
De  voir  plaindre  leurs  maux  par  les  cœurs  génercat. 
Telle  est  de  met  malheurs  la  peinture  naïve» 
Juge  de  Ta  venir  sur  cette  perspective  ; 
Vois  SI  je  doM  eneor,  par  des  soins  impuisstn». 
Offrir  à  lé  fortune  un  inutile  encens» 
Non  ^  la  gloxr»  n  est  point  l'idole  de  mon  âme  ; 
Je  n'j  sens  point  brûler  cette  divine  Uamne 
Qui  f  d'un  génie  heureux  animant  le»  ressort» 
Le  force  k  s'élever  par  de  nobles  efforts. 
Que  m'importe,  après  tout,  ce  que  pensent  les  hommes? 
Leurs  honneurs,  leursmépriSyfont-ils  ceque  nous  sommes^ 
£t  qui  ne  sait  pas  l'art  de  s'en  faire  admiver 
A  la  félicité  ne  peut-il  aspirer  ? 
L'ardente  ambition  a  l'éclat  en  partage. 
Mais  les  plaisirs  du  cœur  font  le  bonheur  du  sage. 
Que  les  plaisirs  sont  doux  à  qui  sait  les  goûter! 
Heureux  qui  les  connaît  et  sait  s'en  contenter  l 
Jouir  de  leurs  douceurs  dans  un  état  paisible , 
C'est  le  plus  cher  désir  auquel  je  suis  sensible. 
Un  bon  livre ,  un  ami ,  la  liberté ,  la  paix, 
Fant-il  poi|T  vivre  heureux  former  d*antref  f onbâtts^ 


^91  iptTKB  A  M.  PHUSOT. 

Les  grandes  pastiops  sont  des  sources  de  petiM  i 

J'érlte  les  ^ngers  oâ  leur  penchant  entrmine; 

Dans  lenrs  pièges  adroits  si  Ton  me  Toît  tomber; 

Du  moins  je  ne  fiùs  pas  gloire  d*^  succomber. 

De  mes  égarcmens  mon  coeur  n'est  point  complice^ 

Sam»  être  vertueux  je  déteste  le  TÎce } 

Et  le  bonbeur  en  rain  s'obstine  à  se  cacbrr/ 

Poisqu'enfin  je  connais  où  je  dois  le  cbercbcr. 


mSimititHM»fimii^SMfiaiy»MtMéilBlimÊ^ 


ÈPÎTRE 
A  M,  DE  L'ÉTANG^ 

yxcahb  muiconm. 


m. 


KR^dépit  an  destia  jaloux 

'Cher  abbé ,  nom  irons  cliez  YOns^ 

Dans  TOtre  franche  politesse , 

Dans  votre  gaité  sans  rudesse , 

Parmi  yos  bois  et  vos  coteaux 

^ous  irons  chercher  le  repos  ; 

Nous  irons  chercher  le  remède 

Au  triste  ennui  qui  nous  possède, 

A  ces  affi'euz  chaiivaris , 

'A  tout  ce  fracas  de  Paris. 

O  ville  où  règne  Tarrogance/ 

Où  les  plus  grands  fripons.de  France 

Régentent  les  honnêtes  gens. 

Où  les  yertueux  indigeUs 

Sont  des  objets  de  raillerie; 

.Ville  où  là  charlatanerie , 

Le  ton  haut,  les  airs  insolent, 

Écrasent  les  humbles  talent 

Et  tjrannisent  la  fortune; 

Tille  où  l'auteur  de  Rodognoê 

A'  rampé  devant  Chapelain  ; 

'Où  dun  petit  magot  vilain 

L'amour  fit  le  héros  des  belles  ; 

Où  tout  les  roquets  des  ruelles 

Deviennent  dct  hommes  d'étatï 

Où  le  jeooo  et  beun  mapttnt 

•S. 


2^4  I&FÎIILB 

Ëtftle ,  avec  les  tirs  d  un  fat; 
Ba  pcnuque  pour  tout  mérite; 
Où  le  sayant ,  bas  parasite , 
Chez  Aspasie  ou  chez  Phrjvé , 
Vend  de  l'esprit  pour  un  diné  : 
Paris ,  malheureux  qui  t'habite  !> 
Mais  plus  malheureux  mille  fois 
Qui  t*habite  de  son  par  choix  / 
Et  dans  un  climat  plus  tranquille 
Ne  sait  point  se  faire  nn  asile 
Inabordable  aux  noirs  soncis,' 
Tel  qu'à  mes  jeux  est  Marcoussis! 
Marcoussis  qui  sait  tint  nous  plaire  | 
Marco ussis  dont  pourtant  j'espère 
Vous  voir  partir  nn  beau  matin 
Sans  YOus  en  pendre  de  chagrin  ! 
Accordez  donc ,  mon  cher  vicaire , 
Votre  demeure  hospitalière 
A  gens  dont  le  soin  le  plus  doo^ 
Est  d'aller  passer  près  de  vous 
Les  momens  dont  ils  sont  les  malttea* 
Nous  connaissons  déjk  les  êtres 
Du  pays  et  de  la  maison  ; 
Nou^  en  chérissons  le  patron , 
Et  désirons,  s'il  est  possible, 
Qu'à  tous  autres  inaccessible , 
Il  destine  en  notre  <ave«r 
Son  loisir  et  sa  bonne  humeur* 
De  plus ,  prière^  des  plus  rivet 
D'éloigner  tous^cheui  conTÎTet^ 
Taciturnes ,  mauvais  phiisans , 
Ou  beaux  parleurs ,  ou  médtsamS." 
Point  de  ces  gens  que  Dieu  eonfeBd»^ 
De  ces  sots  dont  Paris  lâNmde , 
£t  qu'on  j  nomme  bewia-tfpritf. 


A  M.  DS  t'iTANG.  0^5 

Vendeurs  de  famée  &  tout  prix 

Au  riche  famûn  qui  les  géte , 

Vils  flaUfiir^  de  qui  les  empâte, 

Plus  yils  détracteun  du  bon  sens 

De  qui  méprise  leur  encens. 

Point  de  ces  fades  petits-maîtres  ;   . 

Point  de  ces  hobereaux  champêtres 

Tout  fiers  de  quelques  vains  aïeux         .  , 

Presque  aussi  méprisables  qu  eux. 

Point  de  grondeuses  pigriècheè  ^ 

Voix  aigre ,  teint  noir,  et  mains  sèches^ 

Toujours  syndiquant  les  appai 

Et  les  plaisirs  qu'elles  n'ont  pas , 

{)énigrant  le  prochain  par  zèle , 

Se  donnant  à  tous  pour  modèle , 

Médisantes  par  charité ^ 

Et  sages  par  nécessité* 

Point  de  Crésus ,  point  de  canaille } 

Point  surtout  de  cette,  racaille 

Que  l'on  appelle  grands  seierneur». 

Fripons  sans  probité ,  sans  mOBj^rs , 

Se  raillant  du  pauvre  vulgaire 

Dont  la  vertu  fait  la  chimère  i 

Mangeant  fièrement  notre  bien  $ 

Exigeant  tout ,  n'accordant  rien  ; 

-Et  dont  la  fausse  politesse , 

Rusant ,  patelinant  s^ns  cesse, 

N*est  qu*un  piège  adroit  pour  dupet 

Le  sot  qui  s  j  laisse  attraper. 

Point  de  ces  fendans  militaires 

A  Tair  rogue,  aux  mines  alcières/ 

Fiers  de  commander  des  goujats , 

Traitant  chacun  du  haut  en  bas , 

Donnant  la  loi ,  tranchant  du  maître , 

Bit  tailleurs ,  fanfarons  peut-être , 


196  iirifù 

ToujouTt  priti  ï.  battre  on  taer. 
Toujours  parlant  de  leur  nétierV 
Et  cent  fois  plus  pédans ,  me  lemiilef 
Que  tous  les  ergoteurs  ensembU.' 
Loin  de  nous  tons  ces  ennujeuz. 
Mais  si ,  par  un  sort  plus  heureux p 
Il  se  rencontre  un  honnête  homma 
Qui  d'aucun  grand  ne  se  renomnisj 
Qui  soit  aimable  comme  touSi 
,Qui  sache  rire  ayec  les  fi>us', 
£t  raisonner  aypc  le  sage , 
Qui  n'affecte  point  de  langage^ 
Qui  ne  dise  point  de  bon  mot. 
Qui  ne  soit  pas  non  plus  un  sot^ 
Qui  aoit  gai  sans  chercher  à  rétro , 
^Qni  soit  instruit  sans  le  paraître. 
Qui  ne  rie  que  par  gaicé , 
flSt  jamais  par  malignité , 
.De  mœurs  droites  sans  être  austire*  j 
Qui  soit  simple  dans  ses  manières , 
'Qui  Teuille  Tirre  pour  autrui , 
Afin  qu'on  vive  aussi  pour  lui  ; 
Qui  sache  assaisonner  la  table 
D'appétit ,  d'humeur  agréable  ; 
fie  voulant  point  être  admiré, 
nie  voulant  point  être  ignoré,' 
ITenant  son  coin  comme  les  autrefg 
Mêlant  ses  folies  aux  nôtres ,' 
Raillant  sans  jamais  insulterV 
Haillé  sans  jamais  s'emporter, 
Aimant  le  plaisir  sans  crapule  f 
Ennemi  dA  petit  scrupule, 
BuT^Ipt  sans  risquer  sa  raison  V 
Point  philosophe  hors  de  saison; 
En  un  mot  d'un  tel  caractèra 


Qu'arec  lui  nous  puissions  nous  plaire, 

Qu'arec  nous  il  se  plaise  aussi  s 

S'il  est  un  homme  fait  ainsi , 

Donne»*le-nous ,  je  tous  supplie , 

Mettez^le  en  notre  compagnie  ; 

Je  brûle  déjà  de  le  roir, 

Et  de  l'aimer,  c'est  mon  deroit; 

Hais  c'est  le  rdtre ,  il  faut  le  dlr«| 

Avant  que  de  nous  le  pioduiie , 

De  le  connaître.  C'est  «s«et| 

Moiitreirlt-noiia  il  tqui 


FRAGMENT  D'UNE  ÉPÎTRE 

A  M.  BORDES. 


ApiiÊ9  un  carême  enniTfvaflK, 

Grâce  à  Dieu ,  voîd  U  tenuiàr 

Des  divertissemeiM  pieux*.- 

On  va  de  neuvaine  en  nenyalne  , 

Dans  chaque  église  on  se  promène; 

Chaque  autel  y  charme  les  jeux; 

Le  luxe  et  la  pompe  mondaine 

Y  brillent  à  l'honneur  des  cienx. 

Là ,  maint  agile  énergiÀnène 

Sert  d*Arlec|uin  darts  ctis  seiati  lieuxf 

Le  moine  ignorant  »'j  démène  ,^ 

Ses  oremus  mystérieux, 
Kt  criant  d'un  ton  furieux, 
Fora ,  fora ,  par  saint  Eugène  ! 
Rarement  la  semonce  est  vaine  ; 
Diable  et  frà  s'entendent  bien  mieux» 
L'un  à  l'autre  obéit  sans  peine. 
Sur  des  objets  plus  gracieux 
La  diversité  me  ramène. 
Dans  ce  temple  délicieux 
Où  ma  dévotion  m'entraîne , 
Quelle  agitation  soudaine 
Me  rend  tous  mes  sens  précieux? 
Illumination  brillante , 
Peintures  d'une  main  savante, 
Parfums  destinés  pour  les  dieux  « 


Mais  dont  la  roiuptc  divine 
Délecte  rhumaine  narine 
A  Tant  de  le  porter  aux  cieoz!  ' 

Et  tôt,  musique  rayissante, 
Du  Carcani  chef-d'œuvre  harmonieux , 
Que  tu  plaie  quand  Catine  chante! 
Elle  rharme  à  la  fois  notre  oreille  et  nos  jeux^ 
Beaux  sons ,  que  votre  effet  est  tendre  l 
Heareux  l'amant  qui  peut  s*attendi« 
D'occuper  en  d'autres  momens 
La  bouche  qui  vous  fait  entendre, 
A  des  soins  encor  plus  charmans  ! 
Mais  ce  qui  plus  ici  m'enchante  ^ 
C'est  mainte  dévote  piquante , 
Au  teint  frais ,  à  l'œil  tendre  et  doux^ 
Qui ,  pour  éloigner  tout  scrupule , 
Vient  à  la  Vierge .  à  deux  genoux , 
Offrir,  dans  l'ardeur  qui  la  brûle. 
Tous  les  vœux  qu'elle  attend  de  no«i»' 
Tels  sont  les  familiers  eotloquet« 
^  Tek  sont  les  ardens  soliloques 
Des  gens  dévots  en  ee  saint  lieu. 
Ma  loi ,  je  ne  m'étonne  guéres , 
Quand  on  fait  ainsi  set  prières , 
Qu'on  ait  du  goût  à  prier  Dien. 


IMITATION  LIBRE 

DUNE  CHANSON  ITALIENNE 

DE  METASTASE. 


Gaacz  k  tant  de  tromperie»; 
Oràce  à  tes  coqnetterief , 
Nice ,  je  respire  epfiD. 
Mon  cœur,  libre  de  sa  cb^«|; 
Ne  déguise  plus  sa  peine; 
Ce  n'est  plus  un  songe  vain. 

Toute  ma  flamme  est  éteinte  > 
80QS  une  colère  feinte 
L*amour  ne  se  cache  plus. 
Qu'on  te  nomme  en  ton  absence  , 
Qu'on  t'adore  en  ma  présence. 
Mes  sens  n'en  sont  point  émns. 

En  paix  sans  toi  je  sommeille  | 
Tn  n  es  plus ,  quand  je  m'éreille^ 
Le  premier  de  mes  désirs. 
Rien  de  ta  part  ne  m'agites 
Je  t'aborde  et  je  te  quitta 
Sans  regrets  et  sans  plaisiraj 

iLe  souTenir  de  tes  cliaineȔ 
Le  souTcnir  de  mes  larmes  i^ 
Ne  fait  nul  effet  sur  moi. 
luge  enfin  comme  je  t^aimaj 
Avec  mon  rival  lui-même 
le  pourrais  parler  de  tioL 


iMiTATioif ,  etc.  3di 

Soi*  fiète ,  sois  inhumaine , 
Ta  fierté  n'est  pas  moins  Taina 
Que  le  serait  ta  douceur. 
Sans  être  ému  je  t'écoute, 
Et  tes  jeux  n*ont  plus  de  route 
Ponr  pénétrer  dans  mon  cœur. 

S>*un  mépris ,  d*une  caresse , 
Mes  plaisirs  ou  ma  tristesse 
Ne  reçoirent  plus  la  loi. 
Sans  toi  j'aime  les  bocages-, 
L'horreur  des  entres  sauyagea 
Peut  me  déplaire  avec  toi. 

Tn  me  parais  enoor  belle; 
Mais ,  Nice ,  tu  n'es  plus  ceUe 
Dont  mes  sens  sont  enchantés. 
Je  Tois ,  derenu  sage , 
Des  défauts  sur  ton  visage 
Qui  me  semblaient  de»  beautés. 

Ix>rsque  je  brisai  ma  chaine , 
B>ieux  !  que  j'éprouvai  de  peine  i 
Hélas  !  je  crus  en  mourir  : 
Mais ,  quand  on  a  du  courage , 
Pour  se  tirer  d'esclavage 
Que  ne  peut-on  point  souHrir? 

Ainsi  du  piège  perfide 
Un  oiseau  simple  et  timide 
Avec  effort  échappé , 
Aux  prix  des  plumes  qu'il  laisse  • 
Prend  des  leçons  de  sagesse 
Pour  n'être  plus  attrapé. 


3oa  nmATios 

Tu  croîs  que  mon  cœur  t'adowi 
Yojant  que  je  parle  cncow 
Des  soupirs  que  j'ai  poussés*, 
Mais  tel ,  au  port  qu'il  désire. 
Le  nocher  aime  à  redire 
Les  périls  qu'il  a  passés. 

Le  guerrier  couvert.de  gloire 
Se  plait,  après  la  yictoîre, 
A  raconter  ses  exploits  ; 
Et  l'esclave ,  exempt  de  peîneî 
Montre  avec  plaisir  la  chaîne 
Qu'il  a  traînée  autrefois. 

Je  m'exprime  sans  contrainte; 
Je  ne  parie  point  par  feinte  « 
Pour  que  tu  m'ajoutes  loi  ; 
Et,  quoi  que  tu  puisse  dire, 
Je  ne  daigne  pas  m'instruira 
Gomment  tu  parles  da  moi. 

Tes  appas ,  beauté  trop  Taintj 
Ne  te  rendront  paa  sans  pttiM 
Un  aussi  fidèle  amanU 
Ma  perte  est  moins  dangerenief 
Je  sait  qu*nne  autre  trompeoat 
Se  trouve  plu*  aM«iB«Bt* 


D'un  CHAHSOIf  DE  MÉTAST.ISB.  3o3 

VARIANTES 

■■TU  l'ismcm  de  ouivs  et  ceus  bb  ■iic-socHn  m. 


I 
! 


Moo  oœnr,  libre  de  sa  chatne, 
£dL  de  Gen.  {  Ne  dëgaite  phM  ta  paioe;* 
Ce  n'est  ploa  uo  songe  vain. 

Non ,  non ,  «a  n*ast  point  an  songn; 
9t. 'M.  Rey,  ^  Mon  oœur,  libre,  sans  menacnigey 

Ne  trioniphe  ploa  en  YaÛL 
]^i,  de  Gen,     Qu'on  t'adoie  en  ma  présence. 
il/.-.V.  Kcy,     ^u'on  te  lergne  en  ma  préseaoe. 
t^d.  de  Gen.     Joge  eu  fin  eomme  je  t'aime. 
ilf.-A/.  Rey.     Juge  enfin  comment  je  taime. 
i'?<2.  de  G  en.     Sois  fière,  sois  înbnmaine. 
Af .-M.  Rey,     Sois  tendre ,  sois  inhumaine. 
hd,  de  Gen,     Mes  plaiftirs  ou  ma  tristesse. 
^I,~M,  Rey,     Ma  gaîté  ni  ma  tnstesse. 

pj  j  r       /  ^'^^'^^^^  ^^  antres  sauvaget 
'  y  Peut  me  déplaire  aTec  toi. 

£b  bien!  des  déserts  sauTaget 
Me  déplairaient  avec  toi. 

Ed.  de  Gen,  Bêlas  !  je  crus  en  mourir 

M.'-M.  Rey^  Hélas  !  je  crus  d'en  mouxv. 

Éd,  de  Gen.  Un  oiseau  simple  et  rimidc* 

K.-]IT.  Rey,  Ot  ois'an  jeune  et  timide. 

rd.  de  Gen.  Voyant  que  je  parle  encont 

"M.^M.  Rey.  Parce  que  je  parle  encore. 

iV.  B.  Nous  croyons  que  l'éditeur  qnl  a  nonailli  naa  ▼«ianiea 
s'est  trompé.  Nous  n'avona  point  l'édition,  de  Ut-M.  Rey  ;  mais 
tout  ce  qu'il  dit  appartenir  à  eetie  édition  «iCcoii&mrbic  ^  l'édi* 
tion  de  Genire.  C  îfcêe  oogumini^és;  ) 


M.'M.  Rey.  / 


l^aMAwilMlMMlMl 


L'ALLÉE  DE  SYLVIE. 


Qu'a  m'^arer  dans  ces  boetgct 
Mon  coeur  goûte  de  ToioptésS 
Que  je  ne  plais  sons  cet  ombrages  ! 
Qiu-  j'aime  ces  flots  argentés  1 
Douce  et  charmante  rêverie, 
Solitude  aimable  et  chérie, 
Fuissiesr-votts  toujours  me  channerl 
De  ma  triste  et  lente  carriéie 
Rien  n'adoucirait  la  misère. 
Si  je  cessais  de  tous  aimer. 
Fujrt  de  cet  heureux  asile,' 
Fuyez  de  mon  âme  tranquille, 
•Vains  et  tumultueux  projeu  ; 
.Vous  pouTcx  promettre  sans  cest« 
Et  le  bonheur  et  la  sagesse , 
Mais  TOUS  ne  les  donnes  jamais. 
Quoi  !  l'homme  ne  pourra^-il  rirw  , 
'A  moins  que  son  coeur  ne  se  lino 
'Aux  soins  d'un  douteux  STcnir? 
Et  si  le  temps  coule  si  rite. 
Au  lieu  de  retarder  sa  fitite. 
Faut-il  encor  la  prévenir? 
Oh  !  qu'avec  moins  de  ptéro/anco 
La  vertu,  la  simple  innocence, 
Font  des  heureux  à  peu  de  frais! 
Si  peu  de  bien  suffit  an  sage, 
.Qn'aTcc  le  plus  léger  parUge 
•Tous  ses  désirs  sont  satisfaits^ 
Tant  de  soins,  tant  de  pi^ojanee , 
Sont  moins  des  fruits  de  la  pnideoce 


l'allée  db  stltib.  3oS 

Que  det  fruits  de  l'ambition. 
L'homme  content  du  nécessaire 
Craint  peu  la  fortune  contraire , 
Quand  son  coeur  est  sans  passion. 
Passions ,  source  de  délices , 
Passions ,  source  de  supplices  ; 
Cruels  tjrrans ,  doux  séducteurs  ; 
Sans  Tos  fureurs  impétueuses , 
Sans  Yos  amorces  dangereuses  ^ 
La  paix  serait  dans  tous  les  coeurs. 
Malheur  au  mortel  méprisable 
Qui  dans  son  àme  insatiable 
fîourrit  l'ardente  soif  de  l'or  f 
Que  du  vil  penchant  qui  l'entrain* 
Chaque  instant  il  trouve  la  peine 
'Au  fond  même  de  son  trésor! 
■Malheur  à  l'âme  ambitieuse 
De  qui  l'insolence  odieuse 
Veut  assetvir  tous  les  humains  l 
Qu'à  ses  riyaux  toujours  en  butte  i 
L'abime  apprêté  pour  sa  chute 
Soit  creusé  de  ses  propres  mains  f 
Malheur  à  tout  homme  farouche, 
'A  tout  mortel  que  rien  ne  touche 
Que  sa  propre  félicité  ! 
Qu'il  éprouye  dans  sa  misère ,' 
De  la  part  de  son  propre  frère* 
La  mcme  insensibilité  ! 
Saoi  doute  un  cœur  né  pour  k  CtbùM 
Est  fait  pour  être  la  victime 
De  ces  affivuses  passions  ; 
Mais  jamais  du  ciel  condamnée 
On  ne  vit  une  Ame  bien  née 
Céder  à  leurs  séductions. 
Il  .en  est  de  plus  dangerentes  ^1 

a6. 


3o6  l'allés  de  SYtTK. 

De  qui  les  amorces  flAtteuses 
Dcguisent  bien  mieux  le  poison/ 
Et  qui  toujours ,  dans  un  comr  ten&«« 
Commencent  à  se  faire  entendre 
En  faisant  taire  la  raison  : 
Mais  du  moins  leurs  le^tks  chflrmantei 
N'imposent  que  d*aîmables  lois; 
La  haine  et  ses  fiireurs  sanglantes 
SVn dorment  h  leur  douce  toîx. 
Des  sentimens  si  légitimes 
Seront-ils  toujours  combattus? 
Nous  les  mettons  an  rang  des  crimes  ; 
lU  devraient  être  des  yertua. 
Pourquoi  de  ces  p'enchacs  aimaUes 
Le  ciel  nous  fiut-il  un  tourment? 
11  en  est  tant  de  plus  coupables 
Qu'il  traite  moins  sévèrement!: 
O  discours  trop  remplis  de  cbarmet', 
(Est-ce  &  moi  de  vous  écouter? 
Je  fais  avec  mes  propres  armes 
L^R  maux  que  je  veux  éviter. 
Une  langueur  enchanteresse 
Mn  poursuit  jusqu'en  ce  séjour  ; 
y  y  veux  moraliser  sans  cesse , 
Et  toujours  ]j  songe  h.  Tamour. 
Je  sens  qu  une  âme  plus  tranquiOs, 
Plus  exempte  de  tendres  soins , 
Plus  libre  en  oe  charmant  asile , 
Philosopherait  beaucoup  moins. 
'Ainsi  du  feu  qui  me  dévore 
Tout  seit  à  fomenter  l'ardeur  : 
Bêlas  !  u*est-il  pas  tempv  encoiv 
Que  la  paix  règne  dans  mon  cœur  I 
Déjà  de  mon  septième  lustra 
Je  vois  le  terme  s'avancer; 


l'allée  DB  STLYXB.  3€7 

■ 

Dejh  la  jeunesM  et  son  lustre 
Chez  moi  commence  à  s'effacer. 
La  triste  et  sévère  sagesse 
Fera  bientôt  fuir  les  amours ,' 
Bientôt  la  pesante  yieillesse 
Ta  succéder  k  mes  beaux  jours. 
'Alors  les  ennuis  de  la  vie 
Chassant  laimable  volupté , 
On  verra  la  philosophie 
Naître  de  la  nécessité  ; 
On  me  verra ,  par  iaiousfe, 
Prêcher  mes  caduques  vertus. 
Et  souvent  blâmer  pax  envie 
Les  plaisirs  que  je  n'aurai  plus. 
Hais  malgré  les  glaces  de  l'âge , 
Raison ,  malgré  ton  vain  effort , 
!Le  sage  a  souvent  fait  nanfrage 
Quand  il  crojait  toucher  au  port. 

O  sagesse ,  aimable  chimère , 
Douce  illusion  de  nos  cœurs , 
C'est  sous  ton  divin  caractère 
Que  nous  encensons  nos  erreurs. 
Cha<{ue  homme  t'habille  à  sa  mode| 
Sous  le  masque  le  plus  commode 
'A  leur  propre  félicité 
Ils  déguisent  tous  leur  faiblesse. 
Et  donnent  le  nom  de  sagesse 
An  penchant  qu'ils  ont  adopté. 

Tel ,  chez  la  jeunesse  étourdi«« 
Le  vice  instruit  par  la  folie ,     * 
Et  d'un  faux  titre  revêtu , 
Sous  le  nom  de  philosophie , 
Tend  des  pièges  à  la  vertu 
Tel ,  dans  une  route  contraire , 
On  voit  le  fanatique  austère 


i 


3o8  L'AtliE  DE  SnviB. 

Ea  guerre  arec  toas  les  dénn , 
Peignant  Dieu  ton  jours  en  colère , 
Et  ne  «'attachant ,  pour  lui  plaire , 
Qu'à  fiiir  la  joie  et  les  plaisirs. 
Ah!  s'il  existait  un  rrai  sage. 
Que ,  différent  en  son  langage , 
Et  plus  différent  en  ses  mœurs , 
Ennemi  des  vils  séducteurs , 
D'une  sagesse  plus  aimable, 
D'une  Tertu  plus  sociable. 
Il  joindrait  le  juste  milieu 
A  cet  hommage  pur  et  tendre 
Que  tous  les  coeurs  auraient  dû  rendre 
Aux  grandeurs ,  ans  bienfait!  de 


FO&IBS  J>iySBSBS.  3o^ 


imimmitmttitittmtÊitmmimttMmmMtmmtim 


ÉNIGME. 


EvrAVT  de  l'art ,  enfant  de  1»  nature  ', 
îans  prolonger  lef  jours  j'enipêclie  de  monttr  t 

Plus  je  suif  yrai ,  plus  je  fais  d'imposture; 
\t  je  devient  trop  jeune  k  force  de  yieilJir. 


■WWWHWmWW*»  WWWWiWI!» 


VIRELAI 

A  MADAME  LA  EARONRE  DE  WARKMb; 

M ASAMi  „  apprenez  îa  noniF«Ue- 
De  la  prise  de  quatre  rats  ; 
Quatre  rats  n*est  pas  bagatelk  l 
'Aussi  n'en  badin^-je  pas  : 
Et  je  TOUS  mande  avec  grand  zAle 
Ces  Tert  qui  tous  diront  tout  baa^ 
Madame ,  apprenea  la  nouvelle 
De  la  prise  de  quatre  rats« 

A  l'odeur  d'un  firiand  appas  (*)  p 
Rata  sont  sortis  de  leur  caselle  ; 
Maia  ma  trappe ,  arrêtant  leurs  pat  ^ 
Les  a ,  par  une  mort  cruelle  « 
Fait  passer  de  rie  k  trépas» 
Madame ,  appenez  la  nouvell*    . 
De  la  prise  (**)  de  quatre  ratsJ 


'^}  "^ppas  est  ici  pour  la  rime.  Il 
^'')  Daaa  rùition  de  X^enèrey  on  Ul  s^ 
De  la  moit  ifi  quaUe  lala. 


•« 


l 


}  1 6  POÉSIES  DITEBSES. 

Mieux  qne  moi  saTci  qii*icî-b«t 
WtL  pas  qui  veut  fortune  telle; 
€'est  triomphe  qii*Mi  ^«il«cis  : 
Le  fait  n'est  pas  d'une  alnmelle. 
Ainsi  donc  a;roe  gtÊod  soûlas , 
Madame ,  i^pprram  la  nouvcU* 
De  la  prise  Àê^qpmtn  rats. 


«WMMAMMMWMMMWMn 


yERS 

POUR  MADAME  DE  FLEIT&IBO, 

Qui,  m'aytot  TU  Sus  une  aMfmKMe  sans  gué  feoneîVoir 
d'ètn  connu  d'elle,  dit  4M»  ITolSBdapt  de  Lyou^r» 
raîssats  sToir  de  l'^rilt  et  qu'elle  le  pfRMl  wmmi0 
physionomie. 

DipiicA  par  le  sorf ,  trahi  par  la  tendreté». 

Mes  maux-sout  comptés  par  mes  }o«n  v 
Imprudent  qnelquefob,.  persécuté  tonionet. 
Souvent  le  châtiment  surpasse  la  fiihlreee> 
O  fortune  l  h  ton  gré  comblo^iMi  de  rtg««mi»^ 
Mon  cœur  regretta  pèn  tes  frivoles  grsosdcms  , 
De  tes  hiens  incoastmesaos  peine  il  t«  tieaft  tfmx^ 
Un  seul  dont  je  jouis  ne  dépend  point  ^  «oi  s 
La  divine  Fucvxixv  m'a  jugé  du 
Ma  gloire  est  assuré«^el  e'«et 


FOiSIBS  DIYSR$BS»  3lX 


mmimmiitM»ÊtftM¥tMtii^imm 


.VERS 

A  MADEMOISBLbB  THéoOOKB  {*)i 

Sapbo  ,  j'entends  ta  yoTx  brillante 

Pousser  des  sons  jusques  aux  cienz; 

Ton  chant  nous  ravit,  nous  enchante^ 

Le  Maure  ne  chante  pas  mieux. 
Mais  quoi!  toujours  des  chants!  crois>tu  que  rharmoDie 
Seule  ait  droit  de  borner  tes  soins  et  tes  plaisirs  f 
Ta  voix,  en  déployant  sa'douceur  infime. 
Veut  en  vain  sur  ta  bouche  arrêter  nos  désfr|, 

Tes  jeux  cbarmans  en  inspirent  miUo  «utret^ 
Qui  méritaient  bien  mieux  d'occuper  tes  loiifftv 
Mais  tu  u*es  point ,  dis-in ,  sensible  à  nos  Muplity 

Et  tes  goûts  ne  sont  point  les  nôtiei^^ 
Quel  goût  trouvea-tu  donc  à  de  frîvcJles  sonf  f 
Ah  !  sans  tes  ^rs  mépris ,  sans  tes  rebuts  sauTtigii^ 
Cette  l^oucbe  charmante  aurait  d'autres  usager 
Bien  plus  délicieux  que  de  vaines  chanaons. 
Trop  sensible  au  plaisir^  quoi  que  tu  puisse  dtfei^ 
Parmi  de  froids  accords  tu  sens  peu  de  donoeifr| 
Mais,  entre  tous  les  biens  que  ton  Ame  déaire, 
En  est-il  de  plus  doux  que  les  plaisirs  du  covnr?. 


(^}  Ces  vers  ont  été  imprimés  pour  la  première  6M  eu  1 770t 
'dans  le  même  volnme  qui  a  Cût  connaîtra  fp^i^j  la  DéammiU 
dm  Nouv€a»^Mçnêe^  fto. . 


3ia  lK>isiES  DIVEBSES. 

Lt  mien  est  délicat,  tendre,  cmpietié,  fidile7 

Fait  pour  aimer  jusqu'au  tombeau. 
8î  dn  parfait  bonhevr  tu  cherches  le  modèle» 
'Aimo-moi  lenlement .  et  laisse  U  Rameau. 

ÉPITAPHE 

m  MDX  ÀMàm  QOI  SB  SOEIT  TUis  A  SHai^il'lEW  n 

AV  MOIS  DB  tVa  1^2^  (*)• 

Ci-gisent  deux  amans  :  I*nn  pour  l'autre  ils  récurent, 
I«*an  pour  l'antre  ils  sont  morts,  et  les  lois  en  murmnvcntk 
La  simple  piété  nj  trouve  qn*un  forfait  ; 
Le  senûment  admire ,  et  la  raison  se  tait. 


(*)  Cette  wrentnn  a  fourni  ft  Léonard  le  faiei  d^ 
intitalé  :  Lettres  de  dswx  Atnan»  habiîûn»  de  Lyon^  1783, 
3  voLiD*ia.LB  tGjnia  181a ^  on  repréienusnr  le  ihéÂncdi 
ttMéon,  CèUnine  et  Faldoni^  on  les  Amant  de  Lyon,  dnm 
hSstoriqae  en  trob  actes  et  en  prose,' par  M.  Augustin  ^** 
(Hapdé}|  imprima  la  même  année.  Yoltaire  a  parlé  des  dcns 
amans  de  Lyon  dans  Tarlide  Caton  de  son  Dictionnaire  philo- 
•ophiqne.  Le  jeune  homme  s'appelait  FeUonîj  la  jeune  ps* 
foniie,  T^créieVonier. 


I» 


POisiES  DIVERSES.  3l3 


m/ttiitMtMu»ni¥miiHmmÊMymMn^i*Ê 


STROPHES 


à  ceDci  dont  se  compote  le  SiàQui  PAftOBU,  idjtk 
de  Gbemit  (*}. 


Mais  qui  nons  eût  transmis  Thistoire 
De  ces  temps  de  simplicité  ? 
Était-ce  au  temple  de  mémoire 
Qu'ils  grayaient  leur  félicité  ? 


{*)  Rousseau  a  mis  cette  idjlle  en  musique;  elle  iàit'partît 
<lu  recueil  de  ses  romances  gravëes.  Les  trois  strophes'  qu'il  y*  a 
ajoutées  ont  été  évidemment  composées  pour  faire  suite  ï  TâTant^ 
dernière  des  strophes  de  Gresset,  et  remplacer  la  demtèfe  qni 
présentait  A  rimagination  de  notre  philos^^phe  uii^  Ma  trop 
chagrine.  Voici  ces  deux  strophes  : 

Ne  pems-]e  point  une  chîmèift? 
Ce  charmant  siècle  »-t-iI  été? 
D*iin  auteur  témoin  oculaire 
En  sait-on  la  réalité?. 
J*onTre  les  fastes  :  sur  cet  Aga 
Partout  je  trouTe  des  re^srets  ; 
Tons  ceux  qui  m'en  oflîcnt  l'ima^ 
6e  plaignent  d'étie  nés  agrès. 

Tj  lis  que  la  terre  fut  teinte 
Du  saiig  de  son  premier  herger; 
Depnis  ce  jour,  de  maux  attetntd« 
Elle  s*arma  pour  le  Tenger; 
Ce  n'est  donc  qu'une  belle  fable  f 
n'envions  rien  2i  nos  aïeux. 
Ed  tout  temps  l'homme  fut  coapaSWt 
En  tout  temps  il  tat  malheufou; 


'  3 1 6  POÉSIES  DITfiBSES. 

QUATRAIN 

Jtfis  ptr  lùinnême  ra-idesioiu  d*an  de  cet  nombreux  pormi» 
.  qiii  portarênt  ton  nom,  et  dont  il  eus  ti  méoontent  (*). 

HoMMis  MTaa9  dans  Tart  de  feindre , 
Qui  me  prêtez  des  traits  si  doux , 
^Vons  aurez  beau  vouloir  me  peindre  » 
Vous  ne  peindrez  jamais  que  yous«  - 

{*)  Yo^es  le  secood  Dialogue  9s  Routteo»  Ju^€  it  Jui^ 
Jacqu€$^  touL  XIX  de  Tédition. 

ria  Azs  FOLIES. 

2V.  B.  •«>  A  en  croire  Fréron,  rendant  compta  &  sa  manitn 
de  la  Lettre  tur  la  musique  française ,  Bonsaeau  «  a  daigné  o^ 
«  ricbîr  anciennement  le  Mercure  d'un  grand  nombre  de  pièoa 
«  de  poésie ,  imprimées  sous  son  nom ,'  auxquelles  le  pobUc,  ia- 
M  scDsible  aux  bonnes  choses,  n'a  pas  fait  la  plus  petite  altea- 
«  tioD.  {Lettres  sur  queUiues  écrits  àe  ce  temps,  t.  IX,  p.  33 1.)" 
-^  FréroM  ëcrtvait  oec.  en  juin  i  ^53.  Ce  n'eai  pas  sor  b  fin 
d'un  pareil  témoignage  que  nous  poufioos  être  tentés  de  £ur  à 
cet  égard  des  recherches  dont  le  résultat,  au  moins  aoos  la  rap- 
port littéraire ,  eût  été  certainement  de  très-peu  d'inféré  pool 
les  lecteurs.  D'ailleurs  la  fausseté  du  £ftit  leur  sera  sana  dooic 
suffisamment  prouvée  par  ce  passage  d'une  lettre  a  Vabbé  Raj« 
nal,  du  a 5  jaillct  i^So  :  «Une  chose  singuU^,  c'est  qu'ajaat 
<t  autrefois  publié  un  seul  oiiTrage  (  la  Dissertation  sur  là  mm- 
«  sitfue  moderne),  où  certainement  il  n*est  point  question  de 
tt  poésie ,  on  me  &sae  aujourd'hui  poète  mal^  moi  ;  ou  Tsesi 
«  tous  les  jours  me  faire  compliment  sur  des  piéœs  de  yets  que 
«  je  n'ai  point  faites  et  que  je  ne  suis  point  capable  de  fiûre. 
«t  C'rst  l'identité  du  nom  de  l'auteur  et  du  mien  qui  m'aïUr^  cei 
«  houucur.  J'en  serais  flatté |^  sans  doutai  etc»  »^ 


LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

SUR  LA  BOTANIQUE. 


Lettre  P.  A  madame  Delesseitt  (♦>.  • 

Du  23  août  177*' 

VoTKE  idée  d'amuser  un  peu  la  vivacité  do 
votre  fille ,  et  de  rcxcrcer  à  l'attention  sur  des  ob- 
iets  agréables  et  variés  comme  les  plantes ,  me  pa- 
rait excellente,  mais  je  n'aurais  ose  vous  la  pro- 
poser, de  peur  de  faire  le  monsieur  Jossc.  Puisque 
elle  vient  de  vous,  je  lapprouvcde  lont  mon  cœur^ 
et  j'y  concourrai  de  môme ,  persuadé  qu  a  tout 
âge  l'étude  de  la  nature  émousse  le  goût  des  amu- 
semens  frivoles, 'prévient le  tumulte  dos  passions, 
et  porte  à  Tâme  une  nourriture  qui  lui  profile  en 

(♦)  Ce»  Lettr«» ,  nu  nombre  de  huit,  et  fonn.n»  le  con.n.ei>- 
cement  duo  cou«  .b«gé  de  bo.«.iTie.  <^\i^  ^"^^^^   ■ 
ment  go«té«  en  Angleterre,  et  Ion  y  .  bientôt  «.nt.  le  b«.«a 
qu'elles  fusjent  contùiu<!es  sur  le  même  pUn.  C  est  ce  qn  •  » 
.vec  mcd,  M.  Martyu,  profcMéui  de  botanique  à  1  »■»»««  * 
d.  Cambridge.  Il  .  public  vingt- quatre  Lettre.  ^'''*^»  1"' 
font  suiu  à  celles  d<-  notre  auteur,  et  qui  ont  ete  irad"!"»  «° 
frsnçaU  par  M.  de  La  Montagne.  Cette  traduclK.n  .  été  .n^ 
tout  entière  dans  l'édition  de  Poinçot ,  et  fonne,  arec  le*  Levt»» 
,  4»  IU»u»ow ,  Je*  tome»  y  «  V»  de  celte  «liiisn. 


3l8  LETTRES  Él£mENTAIII£S 

la  remplissant  du  plus  digne  objet  de  ses  contem» 
plations. 

Vous  ayez  commencé  par  apprendre  à  la  petite 
les  noms  d^autant  de  plantes  c|ue  vous  en  aviei 
de  communes  sous  les  jeux  :  c'était  précisément 
ce  qu'il  fallait  faire.  Ce  petit  nombre  de  plantes 
qu^elle  connaît  de  yue  sont  les  pièces  de  compa- 
raison pour  étendre  ses  connaissances  :  mais  eUes 
ne  suffisent  pas.  Vous  me  demandez  un  petit  ca- 
talogue des  plantes  les  plus  connues  ayec  des 
marques  pour  les  reconnaître.  Je  trouye  à  cela 
quelque  embarras  :  c'est  de  yous  donner  par  écrit 
ces  marques  ou  caractères  d  une  manière  claire  et 
cependant  peu  difluse.  Cela  me  parait  impossible 
sans  employer  la  langue  de  la  cbose  ;  et  les  termes 
de  cette  langue  forment  un  i^ocabulaire  A  part  que 
yous  ne  sauriez  entendre^  s'il  ne  yous  est  préala- 
blement expliqué. 

D'ailleurs,  ne  connaître  simplement  les  plantes 
que  de  yue,  et  ne  sayoir  que  leuils  noms,  ne  peut 
être  qu  un&  étude  trop  insipide  pour  des  esprits 
comme  les  yôtres  ;  et  il  est  à  présumer  que  yotre 
fille  ne  s'en  amuserait  pas  long-temps.  Je  yous 
propose  de  prendre  quelques  notions  prélimi- 
naires de  la  structure  yégétale  ou  désorganisation 
des  plantes,  afin ,  dussiez-yous  ne  faire  que  quel- 
ques pas  dans  le  plus  beau ,  dans  le  plus  ricbe  des 
trois  règnes  de  la  nature,  d'y  marcher  du  moins 
ayec  quelques  lumières.  11  ne  s^agit  donc  pas  en* 
core  de  la  nomenclature ,  qui  n'est  qu'un  sayoîi 


sua  LA  BOTAïaQUE.  3*1 9 

d'herboriste.  Xai  toujours  cru  qu'on  pouvait  étm 
un  très-grand  botanbte  sans  connaître  une  seule 
plante  par  son  nom,  et,  sans  vouloir  ûiire  de  votre 
fille  un  très-grand  botaniste,  je  crois  néanmoins 
qu^il  lui  sera  toujours  utile  d'apprendre  à  bien 
voir  ce  qu'elle  regarde.  Ne  vous  effarouchez  pas 
au  reste  de  l'entreprise.  Vous  connaîtrez  bientôt 
qu^elle  n*esi  pas  grande.  11  n^y  a  rien  de  compli- 
qué ni  de  difficile  à  suivre  dans  ce  que  j'ai  à  vous 
proposer.  Il  ne  s  agit  que  d'avoir  la  patience  de 
commencer  par  le  commencement.  Après  cela  on 
n'avance  qu  autant  qu  on  veut 

Nous  touchons  à  Farrière-saison ,  et  les  plantes 
dont  la  structure  a  le  plus  de  simplicité  sont  déjà 
passées.  D'ailleurs  je  vous  demande  quelque  temps 
pour  mettre  un  peu  d'ordre  dans  vos  observations- 
Mais,  en  attendant  que  le  printemps  nous  mette 
à  portée  de  commencer  et  de  suivre  le  cours  de  la 
nature ,  je  vais  toujours  vons  donner  quelques- 
mots  du  vocabulaire  à  retenir. 

Une  plante  par&iite  est  composée  de  racine,  de 
tige ,  de  branches ,  de  feuilles,  de  fleurs  et  de  fruits 
(car  on  appelle  fruits  en  botanique,  tant  dans  les 
herbes  que  dans  les  arbres,  toute  la  fabrique  de 
la  semence).  Vous  connaissez  déjà  tout  cela,  du 
moins  assez  pour  entendre  le  mot  :  mais  il  y  a  une 
partie  principale  qui  demande  un  plus  grand  exa- 
men ;  c'est  la  fructification ,  c'est«Â^re,  la  fleur  et 
le  fruit.  Commençons  par  la  flei^r,  qui  vient  la 
première.  C'est  dans  cette  partie  que  la  nature  a 


3aO  lETTRES  ÉIÉMBSTAIMS 

renfermé  le  sommaire  de  son  ouvrage: c'est p 
eUe  mi'eUe  le  perpétue,  et  c'est  aussi  deloatef 
parties  du  yégétal  la  plus  éclatante  pour  lotc 
naJrc,  toujours  la  moins  sujette  aoxwnatioœ 

Prenez  un  lis.  Je  pense  que  vousentiMW 
encore  aisément  en  pleine  fleoi.  Avant  f 
s'ouvre ,  tous  voyez  à  rextrémité  de  1» te- 
bouton  oblong,  verdàtre,  qui  blanchit  i"»" 
qu'il  est  prêt  à  s'épanouir;  et,  quand  il«i»^ 
feit  ouvert ,  vous  voyei  son  enreloRi*  «^ 
prendre  la  forme  d'un  vase  divisé  en  pl»^ 
segmens.  Cette  pardc  enveloppante  et  col»*;' 
est  blanche  dans  le  lis ,  s'appelle  la  corolk-i' 
pas  la  fleur  comme  chez  le  vulgaire, paiwT- 
fleur  et  un  composé  de  plusieurs  parues*^ 
corolle  est  seulement  la  principale. 

La  corolle  du  lis  n'esr  pas  d'une  seok; 
comme  U  est  facîle  à  voir.  Quand  elle  «  I' 
tombe,  elle  tombe  en  siï  pièces  bien  s^'J 
s'appeUent  des  pétales.  Ainsi  la  cofo"' y 
composée  de  six  pétales.  Toute  coroUe* 
qui  est  ainsi  de  ploâieurs  pièces  s'appeU»  < 
poUpétde.  Si  la-  corolle  nëtait  que  duf'^ 
pièce ,  comme  par  exemple  dans  le  foero» 
lé  clochette  des  champs,  elle  s'appeUeraii 
pétale .  Revenons  à  notre  Bs.  ,  .^ 

Dans  la  corolle  vous  trouverez ,  pf«e 
au  milieu ,  une  espèce  de  petite  oAonnO^--^ 
tout  au  fond  et  qui  pointe  directemeiK  ^ 
ka«^  Cette  colonne  éprise  dans  soa  entiO' 


SUR  Là  botanique.  3a  I 

pelle  le  pistil  i  prise  dans  ses  pirtics,  elle  se  divise 
en  trob  :  i  *-  sa  base  renflée  en  cylindre  avec  trois 
angles  arrondis  tout  aatour;  cette  base  s'appelle 
le  germe  :  a"»  un  filet  posé  sur  le  germe;  ce  filet 
s^appelle  style  :  3®-  le  style  est  couronné  par  une 
espèce  de  chapiteau  avec  trois  échancrures  :  ce 
chapiteau  s'appelle  le  stigmate.  Voilà  en  quoi 
consistent  le  pistil  et  ses  trois  parties. 

Entre  le  pistil  et  la  corolle  vous  trouvez  six 
autres  corps  bien  distincts,  qui  s'appellent  les 
etamines.  Chaque  étamine  est  composée  de  deux 
paities;  savoir,  une  plus  mince  par  laquelle  Téta- 
mine  tient  au  fond  de  là  corolle ,  et  qui  s'appelle 
le  filet',  une  plus  grosse  qui  tient  à  l'extrémité  su- 
périeure du  filet,  et  qui  s'appelle  anthère.  Chaque 
anthère  est  une  boite  qui  s'ouvre  quand  elle  est 
mûre ,  et  verse  une  poussière  jaune  très-odorante, 
dont  nous  parlerons  dans  la  suite.  Cette  poussière 
jusqu'ici  n'a  point  de  nom  français  ;  chez  les  bo- 
tanistes on  l'appelle  le  pollen  ^  mot  aui  signifie 
poussière. 

Voilà  l'analyse  grossière  des  parties  de  la  fleur. 
A  mesure  que  la  corolle  se  fane  et  tombe,  le  germe 
grossit,  et  devient  une  capsule  triangulaire  alon- 
gée,  dont  l'intérieur  contient  des  semences  plates 
distribuées  en  trois  loges.  Cette  capsule ,  considé- 
rée comme  l'enveloppe  des  graines,  prend  le  nom 
de  péricarpe.  Mais  je  n'entreprendrai  pas  id 
l'analyse  du  finit.  Ce  sera  le  sujet  d'une  autrt 
lettre. 


3aa  LETTRES  ÉLÉIIEIITAIEES 

Les  parties  que  je  Tiens  de  vous  nommer  st 
trouvent  également  dans  les  fleurs  de  la  plij^ 
des  autres  plantes,  mais  &  divers  degrés  de  jn- 
portion,  de  situation,  et  de  nombre.  Cest  p 
l'analogie  de  ces  parties ,  et  par  leurs  divoseï 
combinaisons ,  que  se  déterminent  les  diroscs 
fiimilles  du  règne  végétal  ;  et  ces  analogies  da 
parties  de  la  fleur  se  lient  avec  d  autres  analqgiis 
des  parties  de  la  plante  qui  semldent  n  avoir  an» 
cun  rapport  i  ceUes-là.  Par  exemple ,  ce  noolie 
de  six  étamines,  quelquefob  seulement  tnùs,  in 
six  pétales  ou  divisions  de  la  corolle ,  et  celte 
forme  triangulaire  à  trois  loges  de  lovaire,  déitr- 
minent  toute  la  famille  des  liliacées  ;  et  dans  \OBk 
cette  même  famille ,  qui  est  très-nombreuse,  k 
racines  sont  toutes  des  oignons  ou  bulbes  y  pb 
ou  moins  marquées,  et  variées  quant  i  lenrfips* 
ou  composition.  L^oignon  du  lis  est  composé 
d'écaillés  en  recouvrement;  dans  Taspbod^' 
c'est  une  liasse  de  navets  alongés;  dans  le  safixi 
ce  sont  deux  bulbes  lune  sur  Tautre;  dans  leccr 
chique,  à  côté  l'une  de  l'autre,  mais  tonjonrs  c& 
bulbes. 

Le  lis,  que  j'ai  choisi  parce  qu^il  est  de  la  saîsr 
et  aussi  à  cause  de  la  grandeur  de  sa  fleur  et  des: 
parties  qui  les  rend  plus  sensibles,  manque  cr 
pendant  d'une  des  parties  constitutives  dnx 
fleur  par&ite,  savoir  le  calice.  Le  ooiice  est  c^ 
partie  verte  et  divisée  communément  en  cîli:! 
folioles  ,  qui  soutient  et  embrasse  par  ie  bas  U 


SUR  LA  BOTANIQUE.  3^3 

corolle,  et  qui  l'enveloppe  tout  entière  avant  son 
épanouissement,  comme  vous  aurez  pu  le  remar- 
quer dans  la  rose.  La  calice,  qui  accompagne 
presque  toutes  les  autres  fleurs,  manque  à  la  plu- 
part des  liliacées,  comme  la  tulipe,  la  jacinthe,  le 
narcisse,  la  tubéreuse,  etc.,  et  même  Foignon,  le 
poireau,  lail,  qui  sont  aussi  de  véritables  liliacëe5| 
quoiqu'elles  paraissent  fort  différentes  au  premier 
coup  dœil.  Vous  verrez  encore  que,  dans  toute 
cette  même  famille,  les  tiges  sont  simples  et  peu 
rameuses,  les  feuilles  entières  et  jamais  découpées; 
observations  qui  confirment,  dans  cette  &mille, 
l'analogie  de  la  fleur  et  du  fruit  par  celle  des  autres 
parties  de  la  plante.  Si  vous  suivez  ces  détails  avec 
quelque  attention,  et  que  vous  vous  les  rendiez 
Ëimiliers  par  des  observations  fréquentes,  vous 
Yoili  déjà  en  état  de  déterminer  par  Finsj^ection 
attentive  et  suivie  dune  plante,  si  elle  est  ou 
non  de  la  famille  des  liliacées,  et  cela,  sans  savoir 
le  nom  de  cette  plante.  Vous  voyez  que  ce  n'est 
plus  ici  un  simple  travail  de  la  mémoire ,  mab  une 
étude  d'observations  et  de  &ita  vraiment  digne 
A\xn  naturaliste.  Vous  ne  commencerez  pas  par 
dire  tout  cela  à  votre  fille,  et  encore  moins  dans 
la  suite,  quand  vous  serez  initiée  dans  les  mystères 
de  la  végétation;  mais  vous  ne  lut  développeres 
par  degrés  que  cequi  peut  convenir  à  son  âge  el 
à  son  sexe,  en  la  guidant  pour  trouver  les  choses 
par  elle-même  plutôt  qu'en  les  lui  appreuanl. 


324  LETTRES  ELEMENTAIRES 

BoDJoor,  chère  cousine;  si  tout  ce  filtras  toqs 
convient,  je  suis  à  vos  ordres. 

Lettre  II.  A  la  même, 

Da  1 8  octobre  i^^i. 

Puisque  VOUS  saisissez  ai  bien,  chère  cousÎQf, 
les  premiers  linéamens  â^s  plantes ,  quoique  s 
légèrement  marqués,  que  votre  oeil  clairvovàEi 
sait  déjà  distinguer  un  air  de  famille  dbns  leslilb- 
cées,  et  que  notre  chère  petite  botaniste  samcv 
de  corolles  et  de  pétales,  je  vais  vous  propos 
une  autre  famille  sur  laquelle  elle  pourra  dc«i  btf 
exercer  son  petit  savoir;  avec  un  peu  plus  dedii 
ficultés  pourtant,  je  l'avoue,  à  cause  des  ftn^ 
beaucoup  plus  petites,  du  feuillage  plus  vanf 
mais  avec  le  même  plaisir  de  sa  part  et  de  lavt:^ 
du  moins  si  vous  en  prenez  autant  à  suivre  cc:t 
route  fleurie  que  j'en  trouve  à  vous  la  traoer. 

Quand  les  premiers  rayons  du  printemps  s> 
font  éclairé  vos  progrès  en  vous  montrant  è^ 
les  jardins  les  jacinthes ,  les  tulipes,  les  naxciss^ 
lee  jonquilles  et  les  muguets,  dont  l'analyse  t^ 
est  déjà  connue ,  d'autres  fleurs  arrêteront  bîet* 
vos  regards,  et  vous  demanderont  un  nouvel er 
men.  Telles  seront  les  giroflées  ou  violiers;  U^ 
les  juliennes  ou  girardes.  Tant  que  vous  les  tr  - 
verez  doubles,  ne  vous  attachez  pas  à  leur  r.' 
men;  elles  seront  défigurées,  ou,  si  vous  TOi&k* 
paréçs  à  notre  mode;  la  nature  ne  s^  troof^ 


SUR  LA  BOTANIQTJE.  3a5 

plus  :  elle  refuse  de  se  reproduire  par  des  mons- 
tres ainsi  mutilés;  car  si  la  partie  la  plus  brillante, 
savoir  la  corolle,  s'y  multiplie ^c^est  aux  dépens 
des  parties  plus  essentielles  qui  disparaissent  sous 
cet  éclat. 

Prenez  donc  une  giroflée  simple,  e(  procédez 
â  Panalyse  de  sa  fleur.  Vous  y  trouverez  d'abord 
une  partie  extérieure  qui  manque  dans  les  lilia- 
cées,  savoir  le  calice.  Ce  calice  est  de  quatre  piè- 
ces, qu  il  faut  biel>  appeler  feuilles  ou  folioles ^ 
puisque  nous  n^avons  point  de  mot  propre  pour 
les  exprimer,  comme  le  mot  pétales  pcmr  les  pièces 
de  la  corolle.  Ces  quatre  pièces,  pour  lordinaire, 
sont  inégales  de  deux  en  deux,  c  est-à-dire,  deux 
folioles  opposées  l'une  à  Tautre,  égales  entre  elles, 
plus  petites  ;  et  les  deux  autres ,  aussi  égales  entre 
elles  et  opposées,  plus  grandes,  et  surtout  par  le 
bas  où  leur  arrondissement  fait  en  dehors  une 
bosse  assez  sensible. 

Dans  ce  calice  vous  trouverez  une  coroUe  com« 
posée  de  quatre  pétales  dont  je  laisse  à  part  la 
couleur,  parce  qu'elle  ne  fait  point  caractère. 
Chacun  de  ces  pétales  est  attaché  au  réceptacle 
ou  fond  du  calice  par  une  partie  étroite  et  pâle 
q[u^on  appelle  Yonglc^t ,  et  déborde  le  calice  par 
une  partie  plus  large  et  plus  colorée,  qu^on  ap- 
pelle la  lame. 

Au  centre  de  la  corolle,  est  un  pistil  alongé, 
cylindrique  ou  à  peu  près,  terminé  pai  ^n  style 
très-court,  lequel  est  terminé  lui-même  paruD 

a8 


Sa6  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

Îtigmate  oblong,  bifide,  c'est-i-dire,  partagé  lA 
[eux  parties  qui  se  réfléchissent  de  part  et  d  aotie. 

Si  vous  examinez  avec  soin  la  position  respec- 
tive du  calice  et  de  la  corolle,  vous  verrez  que 
chaque  pétale^  au  lieu  de  correspondre  exacte- 
ment à  chaque  foliole  du  calice,  est  posé  an  con- 
traire entre  les  deux ,  de  sorte  qu 'il  répond  à  Tovi- 
verture  qui  les  sépare,  et  cette  position  altematite 
a  lieu  dans  toutes  les  espèces  de  fleurs  qui  ont  ua 
nombre  égal  de  pétales  à  la  corolle  ^t  de  folioks 
au  calice. 

Il  nous  reste  à  parler  des  ëtamines.  Vous  ks 
trouverez  dans  la  giroflée  au  non^I»re  de  si, 
comme  dans  les  liliacées,  mais  non  pas  de  même 
égales  entre  elles,  ou  alternativement  inégaks; 
car  vous  en  verrez  seulement  deux  en  opposiàoB 
l'une  de  l'autre,  sensiblement  plus  courtes  que  les 
jjuatre  autres  qui  les  séparent,  et  qui  en  sont  ansà 
séparées  de  deux  en  deux. 

Je  n'entrerai  pas  ici  dans  le  détail  de  leur  stra^ 
tore  et  de  leur  position  ;  mais  je  vous  préviens  que, 
st  vous  y  regardez  bien ,  vous  trouverez  la  laisoB 
pourquoi  ces  deux  étamines  sont  {dus  courtes  qoe 
les  autres,  et  pourquoi  deux  folioles  du  calice  soal 
plus  bossues,  ou,  pour  parler  en  termes  de  bota- 
nique,  plus  gibbcuses,  et  les  deux  autres  pbs 
aplaties. 

Pour  achever  Histoire  de  notre  giroflée ,  3  m 
fiiut  pas  l'abandonner  après  avoir  analysé  sa  fleur, 
mais  il  £aiut  attendre  que  la  corolle  se  flétrisse  «l 


SVK  LA  BOTANIQUE.  3a; 

tombe,  co  (ju'elle  fait  assez  promptement,  et  re^ 
marquer  alors  ce  que  devient  le  pistil^  composé^ 
comme  nous  lavons  dit  ci-devant,  de  lovaire  ou 
péricarpe,  du  style  et  du  stigmate.  Uovaire  s'al- 
longe beaucoup  et  s'élargit  un  peu  à  mesure  que 
le  fruit  mûrit  :  quand  il  est  mûr,  cet  ovaire  ou 
fruit  devient  une  espèce  de  gousse  plate  appelée 
silii/ue. 

Cette  silique  est  composée  de  deux  valvules 
posées  lune  sur  Vautre,  et  séparées  par  une  cloi* 
son  fort  mince  appelée  médiastin. 

Quand  la  semence  est  toiit-à-faî£  mûre,  les  val- 
vules s^ouvrent  de  bas  en  haut  pour  lui  donner 
passage,  et  restent  attachées  au  stigmate  par  leur 
partie  supérieure. 

Alors  on  voit  des  graines  plates  et  circulaire» 
posées  sur  les  deux  faces  du  médiastin  ;  et  si  l'on 
regarde  avec  soin  comment  elles  y  tiennent,  on 
trouve  que  c'est  par  un  court  pédicule  qui  attache 
chaque  graine  alternativement  à  droite  et  à  gau« 
che  aux  sutures  du  médiastin,  cVst-i-dire,  à  ses 
deux  bords,  par  lesquels  il  était  comme  coûta 
avec  les  valvules  avant  leur  séparation. 

Je  crains  fort,  chère  cousine,  de  vous  avoir  un 
peu  fatiguée  par  cette  longue  description ,  mais 
elle  était  nécessaire  pour  vous  donner  le  caractère 
essentiel  de  la  nombreuse  Eimille  des  crucifêreê 
ou  fleurs  en  croix,  laquelle  compose  une  classe 
entière  dans  presque* tous  les  systèmes  des  bota* 
nistcs}  et  cette  description,  diflb:ile  à  entendre 


3a8  LETTRES  ÉLÉHEirTAIRES 

ici  sans  figure,  vous  deviendra  plus  claire,  foso 
lespérer^  quand  vous  la  suivrez  avec  quelque  at- 
tention ,  ayant  Fobjet  sous  les  yeux. 

Le  grand  nombre  d'espèces  qui  composent  U 
famille  des  crucifères  a  déterminé  les  botanistes  i 
la  diviser  en  deux  sections  qui,  quant  à  la  fleur, 
sont  parfaitement  semblables,  mais  différent  sen- 
siblement quant  au  fruit. 

La  première  section  comprend  les  crucifères  à 
silique,  comme  la  giroflée  dont  je  viens  de  parier, 
la  julienne,  le  cresson  de  fontaine,  les  choux^les 
raves,  les  navets,  la  moutarde,  etc. 

La  seconde  section  comprend  les  crucifcresi 
silicule,  cest-à-dirc,  dont  la  silique  en  diminutif 
est  extrêmement  courte,  presque  aussi  large  que 
longue,  et  autrement  divisée  en  dedans;  comme 
entre  autres  le  cresson  alenois ,  dit  nasiiixrt  ou  no- 
tou,  le  thlaspi,  appelé  taraspi  par  les  jardiniers,  le 
cochléaria,  la  lunaire,  qui,  quoique  la  gousse  en 
soit  fort  grande,  nest  pourtant  quune  siltcule, 
parce  que  sa  longueur  excède  peu  sa  largeur.  Si 
vous  ne  connaissez  ni  le  cresson  alenois,  ni  le  co* 
chléaria,  ni  le  tblaspi,  ni  la  lunaire,  vous  con- 
naissez, du  moins  je  le  présume,  la  bourse-à-pa!<- 
teur,  si  commune  parmi  les  mauvaises  bcrhes  des 
jardins.  Hé  bien,  cousine,  la  bourse-à-pasteur  eâ 
une  crucifère  à  silicule,  dont  la  silicule  est  trian- 
gulaire. Sur  celle-là  vous  pouvez  vous  former  une 
idée  des  autres,  jusqu'à  ce  qu'elles  vous  tambenX 
sous  la  main. 


5UR  LA  BOTANIQUE.  829 

n  est  temps  de  yous  laisser  respirer,  d^autaiit 
plusqae  cette. lettre ,  avant  que  la  saison  vous 
permette  d'en  &ire  usage,  sera,  j espère,  suivie 
de  plusieurs  autres,  où  je  pourrai  ajouter  ce  qui 
reste  à  dire  de  nécessaire  sur  les  crucifères,  et  que 
je  n'ai  pas  dit  dans  celle-ci.  Mais  il  est  bon  peut- 
être  de  vous  prévenir  dès  à  présent  que  dans  cette 
famille,  et  dans  beaucoup  d autres,  vous  trouve- 
rez souveut  des  fleurs  beaucoup  plus  petites  que 
la  giroflée,  et  quelquefois  si  petites,  que  vous  ne 
pourrez  guère  examiner  leurs  parties  qu  à  la  fa- 
veur dune  loupe,  instrument  dont  un  botaniste 
ne  peut  se  passer,  non  plus  que  d'une  pointe, 
d  une  lancette,  et  dune  paire  de  bons  ciseaux  fins 
à  découper.  En  pensant  que  votre  zèle  maierucl 
peut  vous  mener  jusque-là,  je  me  fais  un  Ublcau 
cbarmant  de  ma  belle  cousine  empressée  avec 
son  verre  à  éplucher  des  monceaux  de  fleurs, 
cent  fois  moins  fleuries,  moins  fraîches  et  moins 
agréables  qu'elle.  Bonjour,  cousine,  jusqu'au  cha- 
pitre suivant». 

Letthb  III.  A  la  même. 

Je  suppose,  chère  cousine,  que  vous  avez  bien 
reçu  ma  précédente  réponse,  quoique  vous  ne 
m'en  parliez  point  dans  votre  seconde  lettre.  Ré- 
pondant maintenant  à  celle-ci,  j'espère,  sur  ce- 
^Qie  YOUS  WLj  marquez,  que  la  maman,  bien  téia^ 

a8. 


OU" 


Z2o  LBTniEfi  ELÉmnrTÀniBs 

Uîe,  est  parde  en  bon  état  pour  la  Suina,  et  je 
compte  que  vous  n'oublierez  pas  de  me  domiff 
avis  de  l'effet  de  ce  voyage  et  des  eaux  qn'cDe  ta 
prendre.  Comme  tante  Julie  a  dû  partir  avec  eOe, 
f  ai  cbargé  M.  Gu ,  «jui  retourne  au  Val-de-Trafcn, 
du  petit  herbier  qui  lui  est  destiné  y  él  je  lai  mis  i 
votre  adresse,  aân  quVh  son  absence  vous  puis- 
siez le  recevoir  et  vous  en  servir ,  si  tant  est  9e 
panjû  ces  échantillons  informes  il  se  tronveipei- 
e  chose  à  votre  usage.  Au  reste,  ]e  n'acrâde 
as  que  vous  ayez  des  droits  sur  ce  chiffim.  Vos 
en  avez  sur  celui  qui  Ta  fait,  les  plus  forts  et  ks 
plus  chers  que  je  connaisse;  mais  pour  llicriiier, 
il  fut  promis  à  votre  saur,  lorsqu  elle  herborisa!! 
avec  moi  dans  nos  ^omenades  à  la  Croix  è 
Vague,  et  que  vous  ne  songiez  à  rien  moins  dans 
celles  oii  mon  cœur  et  mes  pieds  vous  suivaies' 
avec  grand'maman  en  Vaise.  Je  rougis  de  lui  avo: 
tenu  parole  si  tard  et  si  mal;  mais  enfin  elle  ara.: 
sur  vous,  à  cet  égard,  ma  parole  et  Taniérioitu. 
Pour  vous,  chère  icousine,  si  je  ne  vous  proofc 
pas  un  herbier  de  ma  main,  cest  pour  vous  et 
procurer  un  plu^  précieux  de  la  main  de  vot? 
fiUe,  si  vous  continuez  à  suivre  avec  elle  cta 
douce  et  charmante  étude  qui  remplit  d*iDlèK^ 
santés  observations  sur  la  nature  ces  vides  k 
temps  que  les  autres  consacrent  à  roisiveté  osi 

Îis.  Quant  à  présent,  reprenons  le  ffl  hitefronp 
e  nos  fiimilles  végétales. 
.  Mon  intontion  est  de  vous  décrîm  dVdbocd  six 


Stm  Lk  BOTANIQUE.  33  f 

àt  ces  familles  pour  tous  familiariser  avec  la  stmc* 
ture  générale  des  parties  caractéristiques  desplan- 
tes.  Vous  en  avez  déjà  deux;  rcsle  à  quatre  qu'il 
Eut  encore  avoir  la  patience  de  suivre  :  après 
quoi,  laissant  poui*  un  temps  les  autres  branches 
de  cette  nombreuse  lignée,  et  passant  à  l'examen 
des  parties  di£&entes  de  la  fructification ,  nous 
ferons  en  sorte  que,  sans  peut-être  connaître 
beaucoup  de  plantes ,  vous  ne  serez  du  moins 
jamais  en  terre  étrangère  parmi  les  productions 
du  règne  végétal. 

Mais  je  vous  préviens  que  si  vous  vouiez  pren» 
dre  des  livres  et  suivre  la  nomenclature  ordinaire, 
avec  beaucoup  de  noms  vous  aurez  peudldées^ 
celles  que  vous  aurez  se  brouilleront,  et  vous  no 
suivrez  bien  ni  ma  warche  ni  celle  des  autres,  et 
n'aurez  tout  au  plus  qu'une  connaissance  de  mots. 
Chère  cousine,  je  suis  jaloux  d être. votre  seul 
guide  dans  cette  partie.  Quand  il  en  sera  temps , 
je  vous  indiquerai  les  livres  que  vous  pourrez 
consulter.  En  attendant,  ayez  la  patience  de  ne 
lire  que  dans  celui  de  la  nature  et  de  vous  en  tenir 
i  mes  lettres. 

Les  pois  sont  à  présent  en  pleine  fructification. 
Saisissons  ce  moment  pour  observer  leur  carac- 
tère. Il  est  un  des  plus  curieux  que  puisse  offrir  la 
botanique.  Toutes  les  fleurs  se  divisent  générale* 
ment  en  régulières  et  irrégulières.  Les  première» 
sont  celles  dont  toutes  les  parties  s  écartent  uni- 
fonnément  du  centre  de  la  fleur,  et  aboutiraient 


33a  LETTRES  ELÉMERTAIMS 

ainsi  par  leurs  extrémités  extérieiurcs  à  la  cirwp 
férence  d'un  cercle.  Cette  uniformité  fait  qut^ 
présentant  à  l'oeil  les  fleurs  de  cette  espèce, il' ' 
distingue  n  i  dessus  ni  dessous,  ni  droite  ni  pufi ' 
telles  sont  les  deux  fiimilles  ci-devant  cxamifl^ 
Mais,  au  premier  coup  d'oeil,  vous  vcrreKpû' 
fleur  de  poi§  est  im  gulière ,  qu'on  y  &^^' 
aisément  dans  la  corolle  la  partie  plus  lo^r' 
qui  doit  être  en  haut,  de  la  plus  courte, f-i' 
être  en  bas,  et  qu'on  connaît  fort  bien, en p- 
tint  la  fleur  vis-à-vîs  de  l'œil,  si  on  la  tiaiu  ' 
sa  situation  naturelle  ou  si  on  la  renversa.  ^ 
toutes  les  fois  qu'examinant  une  fleur  inr:» 
on  parle  du  haut  et  du  bas ,  cest  en  la  f^ 
daus  sa  situation  naturelle. 

Comme  les  fleurs  de  cette  famille  sodI '^' 
construction  fort  particulière ,  non-sculcr 
faut  avoir  plusieurs  feuilles  de  pois  et  k» 
quer  successivement,  pour  observer  louU^ 
parties luue après  Taulrc,  il  faut  même 5uî'  ' 
progrès  de  la  fructification  depuis  la  p^"' 
floraison  jusqu'à  la  maturité  du  unit. 

Vous  trouverez  d  abord  un  calice  mono  ' 
c'est-à-dire,  d'une  seule  pièce  terminée  cd^ 
pointes  bien  distinctes,  dont  deux  unp^^*' 
larges  sont  en  haut ,  et  les  trois  plus  étroit 
bas.  Ce  calice  est  recourbé  vers  le  bas,  ài'[ 
que  le  pédicule  qui  le  soutient,  lequel  p^-^ 
«i  trèsniélié^.très-aiohilei  en  sorte  qo^  ^^ 


\ 


I 

-      SUR  LA  BOTANIQUE.  333 

suit  aisément  le  courant  de  l'air,  et  présenteordi* 
uairement  son  dos  au  veut  et  à  la  pluie. 

Le  calice  examiné,  on  Tote,  en  le  déchirant 
délicatement  de  manière  que  le  reste  de  la  fleur 
demeure  entier ,  et  alors  vous  voyez  clairement 
que  la  corolle  est  polypétale. 

Sa  première  pièce  est  un  grand  et  large  pétale 
qui  couvre  les  autres,  et  occupe  la  partie  supé- 
rieure de  la  corolle,  à  cause  de  quoi  ce  grand  pt^ 
taie  a  pris  le  nom  de  pavillon.  On  Tappelle  aussi 
{'étendard.  II  faudrait  se  bouclier  les  yeux  et  les- 
prit  pour  ne  pas  voir  que  ce  pétale  est  là  comme 
un  parapluie  pour  garantir  ceux  qu'il  couvre  des 
principales  injures  de  lair. 

Eu  enlevant  le  pavillon  comme^vous  avez  fuit 
le  calice ,  vous  remarquerez  qu  il  e^  emboîte  de 
chaque  côté  par  une  petite  oreillette  dans  Ie5> 
pièces^  latérales^,  de  méuiicre  que  sa  situation  n« 
puisse  être  dérangée  par  lèvent. 

Le  pavillon  6té  laisse  à  découvert  ces  deux 
pièces  latérales  auxquelles  il  était  adhérent  par  ses 
oreillettes  :  ces  pièces  latérales  s'appellent  les  ailes. 
Vous  trouverez  en  les  détachant  qu^emboitées 
encore  plus  fortement  avec  celle  qui  reste ,  elles 
n  en  peuvent  être  séparées  sans  quelque  effort 
Aussi  les  ailes  ne  sont  guère  moins  utiles  pour 
garantir  les  côtés  de  la  fleur  que  le  pavillon-pour 
la  couvrir. 

Les  ailes  ôtées  vous  laissent  voir  la  dernière 
pièce  de  la  coroUe;  pièce  qui  couvre  et  dé&od  U 


534  LBTniES  iLÉnRTAIUS 

centre  de  le  fleur,  et  l'enTrioroe,  sortonlp 
dessous  y  aussi  soigneusemeniipe  les  trobat 
pétales  enyeloppeiit  le  dessus  et  les  c^tés.  Cd 
dernière  pièce ,  qu'A  cause  de  sa  forme  on  appe! 
la  nacelle,  est  comme  le  coffie-fortdaDsIeipc 
oature  k  vois  son  trésor  à  Tabri  des  atteistai 
l'air  et  de  Teau. 

A]»è5  aroir  bien  examiné  ce  pétale,  tin» 
doucement  par-dessous  en  le  pinçant  \if^ 
par  la  quille^  c'est-è-dire,  par  la  prise  nios^- 
TOUS  présente,  de  penr  d'enleyer  avecIoictf- 
enTeloppe  :  je  suis  sûr  quau  momeDtoècfu^ 
nier  pétale  sera  forcé  de  làciier  prise  etde^ 
le  mystère  qu^il  cache,  vous  ne  poarreic&>>?* 
cevant  vous  abstenir  de  fiiire  un  cri  desnrp' 
d*admiration. 

Le  jeune  fruit  qn'enyeloppait  la  aacA 
construit  de  cette  manière  :  Une  membnDc^ 
drique  terminée  par  dix  filets  bien  distinct!' 
toure  Povaire,  c'est-A-dire,  Tembiyondebr* 
Ces  dix  filets  sont  autant  d^étaminesqû^' 
nissent  par  le  bas  autour  du  germe,  et  se ^ 
nent  par  le  haut  en  autant  d'anthères  jaaD«i^ 
la  poussière  va  féconder  le  stigmate  (fi  \^ 
le  pistil ,  et  qui ,  quoique  jaune  aussi  par  la } 
sière  fécondante  qui  s'y  attache^  se  distis^ 
sèment  des  examines  par  sa  figure  et  par  j^l 
seur.  Ainsi  ces  dix  étamines  forment  eoccf^ 
leur  de  Tovaire  une  dernière  coinnse  p^ 
préferrer  des  injures  du  dehors. 


SUR  LA  BOTANIQUE.  33& 

Si  VOUS  y  regardez  de  bien  près,  vous  trouve- * 
rez  que  ces  dix  étamînes  ne  font  par  leur  base  un 
seul  corps  qu'en  apparence  :  car,  dans  la  partio 
supérieure  de  ce  cylindie,  il  y  a  une  pièce  ou  ét»- 
mine  qui  d'abord  paraît  adhérente  aux  autres  ^ 
mais  qui ,  à  mesure  que  la  fleur  se  fane  et  que  le 
fruit  grossit,  se  détache  et  laisse  une  ouverture  en 
dessus  par  laquelle  ce  5ruit  grossissant  peut  s'é- 
tendre en  entr  ouvrant  et  écartant  de  plus  en  plus 
le. cylindre  qui,  sans  cela,  le  comprimant  et 
l'étranglant  tout  autour,  l'empêcherait  de  giossir 
et  de  profiler.  Si  la  fleur  n*est  pas  assez  avancée  ^ 
vous  ne  verrez  pas  cette  étamine  détachée  du  cy- 
lindre-, mais  passez  un  camion  dans  deux  petits 
trous  que  vous  trouverez  près  du  réceptacle  â  la 
base  de  cette  étamine,  et  bientôt  vous  verrez 
l'étaminc  avec  son  anthère  suivre  l'épingle  et  se 
détacher  des  neuf  autres  qui  continueront  tou- 
jours de  faire  ensemble  un  seul  corps,  jusqu^à  ce 
qu  elles  se  flétrissent  et  dessèchent  quand  le  genUg. 
fécondé  devient  gousse  et  qu  il  n'a  plus  besoin 
délies. 

Octte  gousse j  dans  laquelle  lovaire  se  change 
en  mûrissant,  se  distingue  de  la  sîlique  des  cru* 
ctfères,  en  ce  que  dans  la  sUique  les  graine^ 
sont  attachées  alternativement  aux  deux  sutures  | 
au  lieu  que  dans  la  gousse  elles  ne  sont  attachées 
que  dun  côté,  c est-à-dire,  i  une  seulement  de^ 
deux  sutures,  tenant  alternativement  k  la  vérité 
aux  deux  valves  qui  la  composent^  mais  toujours 


? 


336  I£TTIl£S  ELÉUEUTAnLES 

du  même  côté.  Vous  saisiriez  parfaitement  «tl 
différence  si  TOUS  ouvrez  en  même  temps  la  ^ci^m 
dun  pois  et  la  silique  d'une  giroflée ,  ajanUtt^i 
tion  de  ne  les  prendre  ni  Tune  ni  l'autre  en  pii>  i 
maturité,  afin  qu après  l'ouverture  du  fruit. 
graiaes  restent  attachées  par  leurs  ligamensàki 
sutures  et  à  leurs  valvules. 

Si  je  me  suis  bien  fait  entendre,  Touscocfr- 
drez,  chère  cousine,  quelles  étonnantes  p' 
tions  ont  été  cumulées  par  la  nature  pour  ait  :^ 
Tembryon  du  pois  à  matiurité ,  et  le  garantir  >^ 
tout,  au  milieu  des  plus  grandes  pluies, fie  I  > 
midité  qui  lui  est  funeste,  sans  cependant IV' 
mer  dans  une  coque  dure  qui  en  eût  &it  nùt  -- 
sorte  de  fruit.  Le  suprême  ouvrier,  altcnti:  1 
conservation  de  tous  les  êtres ,  a  mis  de  r  * 
soins  à  garantir  la  fructification  des  planttr  i 
atteintes  qui  lui  peuvent  nuire  ;  mab  il  \  ' 
avoir  redoublé  d'attention  pour  celles  qui  ser  i 
i  la  nourriture  de  Ihommc  et  des  animaoi  r*  ^' 
la  plupart  des  légumineuses.  L^appareil  de  k  i 
tification  du  pois  est^  en  diverses  proportio: 
même  dans  toute  cette  fa  mille.  Les  fleurs  y  p^'' 
le  nom  de  papilionacées y  ^nrce  qu'on  a  cm;  i 
quelque  chose  de  semblable  à  la  figure  dun  \  I 
Ion  :  elles  ont  généralement  un  pat^illon^  > 
ailes  ,  une  nacelle ,  ce  qui  fait  commui.H 
quatre  pétales  irré^ulières.  Mais  il  y  a  des  ;  l 
oh  la  nacelle  so  divise  dans  sa  longueur  en  i 
pièces  presque  adhérentes  par  la  quille,  rt 


SUR  Ui  BOTAinQ|IB«  38^'<' 

flem-là  ont  réellement  cinq  pétales  y  Jâatres^i 
comme  le  treffle  des  prés,  ont  tontes  leun  partîei 
attachées  en  nne  seule  pèce,  el^  «jaoiqne  papiliQ^ 
nacées,  ne  laissent  pas  d'être  monopélàles. 

Les  papiUonacées  ou  légumineuses  sont  une 
des  ftmilles  des  jdantqs  letf  plus  nDttd>reuses  et  le^'i 
plus  utiles.  On  y  trouve  les  fêres,  les  genêts,  les' 
luzernes,  sainfoins,  lentilles,  Tesces,  gesses,  les 
haricots,  dont  le  caractère  est  d'ayoir  la  nacelle 
contournée  en  spirale ,  ce  cpi'on  prendrait  d^abord 
pour  un  accident;  il  y  ades  arbres,  entre  autves , 
celui  qu'on  appelle  vulgairement  aeaciay  et  qui 
n'est  paé  le  véritable  acacia  ;  Tindiga,  la  réglisse , 
en  sont  aussi  :  mais  nous  parlerons  de  tout  cela 
plus  en  détail  dans  la  suite.  Bonjour,  cousine, 
J'embrasse  tout  ce  que  vous  aimes, 

LsTTES  TV..  A  U  même. 

Du  igfItt!iii77S. 

•Vous  m'aves  tiré  de  peine,  chère  cousine,  vàtàs  ' 
il  me  reste  encore  de  Tinquiétude  sur  ces  nau 
d'estomac  appelés  maux  de  cœur,  dont  votne:- 
mamsui  sent  les  retours  dans  Tattitude  d^écrite*' 
Si  c'éât  seulement  l'effet  d'une  plénitude  de  bile  y 
le  Voyage  et  les, eaux  suffiront  pour  Tévacner^^ 
oiais  je'  crains  bien  qu'il  n'y  ait  à  ces  acoidens  r 
quelque  cause  locale  qui  ne  sera  pas  si  facik  à  dé-  * 
truire,  et  qui  demandera  toujours  d^elle  un  grand* 
ménagement,  mémo  sgpiès  son  ffétabliseemesal.' 


aamtM  que  yiHUi.cn  ««rat;  nKés  jV^xige  «yae  it 
mddiap  Ae  flonge  ii  ,iiy^Qnre.qttfi  poucniAppMHlre 
aoa  entiire^uiiwm. 

•  ie  Ml  puis  ocHBfûrfiodrQ  pourquoi  vous  navet 
paa  feça  lÏMdbîffii  Daifs.Ui  pcfsiMista»  que  taote 
Jttlie.  «fait  dé)à  pavde,  jWitts  nemi»  le.  paqvet  à 
M*  G^  pourviMsiaKpédler  lea  passumi  à  Diion-Je 
n/apprands  d'aacua.  côté  qa'il  soit  pairei»  ai 
dans  Yûs  main»4  ni.daw  celles,  dé  toItq  scmr,  a 
j^  n'inagine  ploi-oe.fju'il  peut  être  devenu. 

JRarlona  de-ypkmt»^  tandis.qde  la  aaiaoD  de  ks 
e|3Mri^er.'noii5c]e  iavâte.  Votre  solntioo  de  laqaes^ 
tiobjqae.je  Vous*  aYaî»  faite  sur  ks8:él«Diîiiesd<s 
cnifiiâEes  estvpat&iteffleutijufiley  et  me  fnmt 
biea  que  tous  .m'axez  entendu ^  ou  phitit  ^ 
vous  mWes  écouté;  car  ^ous  navez  besoin  <[bc 
d'écouter  pour  eu  tendre;  Vous  mWes  bien  irndb 
raison  de  la  ^bbosité  de  deux  folioles  du  calice, 
et  de  la  brièveté  relative  de  deux  étamines,  das 
iargin>|kii9i^pa9  la.Q6urbm9^4^iqe^dettx  étaoûacs. 
GefendiiiH,'.  wpas  deplo»  V9u«  eût  MOfgoét  jay 
^paià  la  c»nlB€,jKfimèM^  dft  ce|te»stniql|ire  :  car^ 
VfNUi  rif<^ercbe»  <  4nMre«  pwrquoi  çe^.  ^eux  eu- 
mînW  soutiaitoi  reQ9n?lbé^  «It.^par  conségaff*' 
reooMicies,  iroi^  tronirwiz  wie^petî te  f  lande  in 
plantée  suk  leràceplacle^  enlre.  l'étaiiMi^e  et  > 
gerkna^  et  cfcst  cette  glande  <qui^  él<MgaaiH  réi«- 
nline»  et;la  lorçaut éprendre  leconlonr^ la la^ 
cammtmécttssàirenttnil^ll^  ^em^tm  awr  h  mimm, 


tteeftàdt  éeox  autres  flaiMies ,  une  ftu  pied  de 
âhaqtie  paire  des  grandes  étapaines;  nais  foe  leur 
ftisatit  point  faire  de  contour,  dles  ne  les  rac- 
courcissent pas  parce  que  ces  glandes  de  sont  pas  y 
comme  lesdeuxpreimère9|en  dedans ,  c^est-^-^i^, 
entre  l*étafnine  et  le  germe,  sais  en  dehors,  cW-àr 
'dire  entre  la  paire  d*étamines  et  le  calice.Âinsi  cfes 
quatre  éfamines^  sotfteiraes  et  dirigées  Vèitkdie» 
neùt  en' droite  ligne  ^  débordent  celles  qui*  s<Ail 
recourbées,  et  sembleiitpliivkxtf  gaes  pafxset^u^lies 
sont  plus  drotties.  Ces  quatxe  gbtfldies-se*  tr ouventr 
àa  du  moins  \en»s  Testiges  j  plusovttioitts'irisriil^- 
mentdsms  presque*  toutes  bs  fleurs  cFncifêres^,iet 
dans  quelques-unes  bien  plus  dfedncfes  que  dans 
la  gfroflée.  Si  vous  demandez  encore  poucqaoi  ces- 
ghasàes^jéwoxa  répondrai  qu'elfes  sont  mtdesr  in- 
strumensdestinësparla  natureft  unir  le  Wfgne  végi^ 
cal  tfu  règne  aiiitpal ,  et  les  hire  cinulet  Ïxlù  daHs" 
ratttre;mais,laissantcésreehesciiesinipeùlropaf]'- 
ticip^ds,  revenons,  qoallit  à  préisent,  à  nos iamlU^s.. 
Les  fleuis  que  j^  Vous  ai  dédritos  'ju^'à  p)^- 
sent  sont  tout^  ^pO'typétates.  J'i^Urais  dû  Com- 
mencer peut-être  par  les  mondiales  régulières 
dont  la  sti'ofGture  est  beaucoup^  plUs  simple  :  oetle 
^ande  siti^lieilé  ^mi^nfè  est  ce  ^q^  Wen  a  ein  - 
péeiié.  Les  mdtiit^pétales  ïég«d«<^r«s  cdustkuétet 
mojn^  Uëe  fiimtllè  qu'une  granilé  ^itniàn  dans  k- 
qaelle  on  compte  plusieurs  familles  'bieto'distinc- 
JMs>,  iBh  Batte  que,  pètlr  les*  C5omprendre  téules 
^é069  utie 4tadté2«lfa)n  eèmiilitqey  fl  &M'Éasf\ëféi 


\ 

\ 


34^  LETTUBS  elemeutairbs 

:Si  TOUS  airachez  la  corolle,  vous  arracherei 
ave<reUe  les  étamines  qui  y  tiennent  par  leurs  fi- 
lets, et  non  pas  au  réceptacle,  où  le  style  restera 
seul  attaché.  En  examinant  comment  les  étamiiies 
tiennent  à  d'autres  fleurs,  on  les  trouve  génénk- 
ment  attachées  à  la  corolle  quand  elle  est  monopé- 
tale,  et  au  réceptacle  ou  au  calice  quand  la  corolk 
est  polypétale  :  en  sorte  quW  peut,  en  ce  dentier 
cas,  arracher  lies  pétales  sans  arracher  les  éta- 
mines. De  cette  observation  Fon  tire  one  rè^ 
belle,  facile,  et  même  assez  sûre,  pour  saroir  si 
une  corolle  est  d'une  seule  pièce  ou  de  plusieurSi 
lorsqu'il  est  difficile^  comme  fl  Test  quelquefcii, 
de  s'en  assurer  immédiatement. 

La  corolle  arrachée  reste  percée  à  son  fbiKi. 
parce  qu'elle  était  attachée  au  réceptacle,  hissan 
une  ouverture  circulaire  par  laquelle  le  pistil  et  c; 
qui  Tentoure  pénétrait  au-dedans  du  tube  et  de  b 
corolle.  Ce  qui  entoure  ce  pistil  dans  le  lamicr  ci 
dans  toutes  les  labiées ,,  ce  sont  quatre  embijoEf 
qui  deviennent  quatre  graines  nues,  c'est-è-dirr. 
sans  aucune  enveloppe;  en  sorte  que  ces  graim^ 
quand  elles  sont  mûres,  se  détachent ,  et  tomber  : 
a  terre  séparément.  Voilà  le  caractère  des  labin< 
L^autre  lignée  ou  section,  qui  est  celle  despr- 
^sonnées y  se  distingue  des  labiées;  premiîremr^ 
par  sa  corolle,  dont  les  deux  lèvres  ne  sont  p-* 
ordinairement  ouvertes,  et  béantes,  mais  fenn^-» 
et  jointes  )  comme  vous  le  pourrez  voir  dans  1: 
fleur  de  jardin  appelée  muflaude  ou  mufle  «2« 


BtSR  LA  BOTAHIQUIS.  343^ 

vèàUf  on  bien,  à  son  déÊitit,  dans  la  lltiaire,  cette 
flbiii*  jatine  à  éperon ,  si  commune  en  cette  saison 
dâiàs  la  campagne.  Mais  un  caractère  plus  précis 
&t  pkis  sûr  est  qu  au  lieu  d  aVoit  quatre  graines 
nuesaU  fb^d  du  -calice ,  comme  les  labiées,  les 
personnëes  y  ont  toutes  une  capsule  qui  renferme 
les  graines,  et  ne  sWVre  qu'^àleur  maturité  pour 
les  répandre.  J^ajoute  à  ces  cardctères qu'un  grand 
nombre  dé  labiées  sont  ou  des  pkntésodbin&tes 
él  aromatiques ,  telles  que  loirigsfn ,  la  rÉiarjoliiin^, 
le  tbyth,  le  serpolet,  le  basilic,  b  tiientbe^^  I1iy- 
sope,  la  lavande,  etc.,  ou  dés  plantés  odorantes 
«t  jpùantes ,  telles  que  diverses  espèces  d'orties 
mortes ,  stfl^uîs,  crapaiidines,  marrtibé;  qifekjtt^s- 
unes  seulement,  telles  que  le^bnglé,  h  hrûHdltj 
la  toque ,  n'ont  pas  d'odeur,  au  lieu  que  les  per^ 
sonnées  sont  pour  la  plupatt  des  plantes  sans 
odeur,  comme  la  muflaude,  lalinaire,  l'euphraise, 
la  pédiculaire,  la  crête  de  coq,  Torobanche,  la 
cimbalaire,  la  velvote,  la  digitale;  je. ne  connais 
guère  déodorantes  dans  cettp  branche  que  la  scrp- 
phulairç^qi^i  sente  et  qui  pue^  sans  être  aromati- 
que. Je  ne  puis  guère  vous  citer  ici  que  des  plantes 
qui  vraisemblablement  ne  vous  sont  pias  côniiuqs, 
mais  que  peu  ^  peu  vo.us  apprendrez  a  côûnûilfe^ 
et  dônl  au  moins  à*  leur  rencoûtre  Vous  poûrrca 
jpar  vous^m'êine  détermîtier  la  fefmîfle;  JH  vbtidrais 
même  due  Vdns  tik:ha^z  d^  déifèrmiïiér  ta 
Vlgrièe  ou  sèctîôii  par  laphj^ohbmSlf,Wqtté  tous 


•  344  urrraEs  sitiJCBnTAi&ss 

bhfleur  en  gueule  que  tous  vojez  est  une  la^ 
ou  uQ,e  peraonuée.  La  figure  extérieure  de  b  ov 
rûlle  pec^t  suffire  pouc  vous  guider  dans  ce  choix, 
-^e  TOUS  pourrez  vérifier  ensuite  en  étant  k 
Corolle»  et  regardant  au  fond  du  calice:  car,  si 
vous  ayez  bien  jugé ,  la  fleur  que  vous  ^fmi 
nosunée  labiée  vous  montrera  quatre  giames 
nues,  et  celle  que  vous  aurez  nommée  f^mmuée 
vous  montseiis^  un  péricarpe  :  le  contraiie  von 
prouverait  que  vous  vous  êtes  trompée;  etparoa 
âecond  examen  de  la  même  plante ,  vous  piéTie&- 
drez  tine  erreur  semblable  pour  une  autre  fok^ 
Voilà  y  chère  cousine,  de  Toccupation  pour  qui* 
ques  promenades.  Je  ne  tarderai  pas  à  vous  es 
^piirer  pour  cefte^  qui  suivront. 

l/Ê^fXMV.Alaméme^ 

Db  16  foiUcs  177s. 

Je  vous  remercie,  chdre  cousine,  des  bonnes 
nouvelle»  que  vous  m'avez  données  de  la  mamaft 
Savais  espéré  le  bon  effet  du  changement  daL*. 
et  je  tHea  attends  pas  moins  des  eaux,  et  surtoc' 
du  régime  austère  prescrit  durant  leur  usage.  «^ 
5tûs  tQupbddu  souvenir  de  cette  bonne  amle.i 
je  vo(iJS  prie  de  l'en  remercier  pour  moi.  Mais  ^ 
!  nejven^p^.absolument: quelle  m'écrive  dura:- 
,  909  «^jofif  ^eA  Suisse  ;  et^  si  eU^  veut  ncip  doiûitr^ 

•  àiimitiBiafMtt  dç  fm  wmYfile»^  fAUt  a  près  «Telle  ^ 


^r 


SVK  LÀ  SOTANIQVE.  ^45 

bon  secrétaire  (*)  qui  s'en  acquittera  fort  bien.  Je 
suis  plus  charmé  que  surpris  qu'elle  réussisse  en 
Suisse  :  indépendamment  des  grâces  de  son  âge, 
et  de  sa  gaieté  vive  et  caressante,  elle  a  dans  le 
caractère  un  fonds  de  douceur  et  d  égalité  dont  je 
Tai  vue  donner  quelquefois  à  la  grand  «maman 
Texemple  charmant  qu  elle  a  reçu  de  vous.  Si 
votre  sœnr  s'établit  en  Suisse,  vous  perdrez  lune 
et  lautre  une  grande  douceur  dans  la  vie,  et  elle 
surtout  des  avantages  difficiles  à  remplacer.  Mais 
votre  pauvre  maman  qui,  porte  à  porte,  sentait 
pourtant  si  cruellement  sa  séparation  d'avec  vous, 
comment  supportera- 1- elle  la  sienne  à  une  si 
grande  distance  ?  C'est  de  vous  encore  qu  elle 
tiendra  ses  dédommagemens  et  ses  ressources. 
Vous  lui  en  ménagez  une  bien  précieuse  en  as- 
souplissant dans  vos  douces  mains  la  bonne  et 
forte  étoflfe  de  votre  favorite^  <{niy  je  n*en  doute 
point,  deviendra  par  vos  soins  aussi  pleine  de 
grandes  qualités  que  de  charmes.  Ah!  cousine, 
fheureuse  mère  que  la  vôtre  ! 

Savez-vous  que  je  commence  â  être  en  peine 
du  petit  herbier?  Je  n'en  ai  d^aucune  part  aucune 
nouvelle ,  quoique  j'en  aie  eu  de  M.  G.  depuis  son 
retour, par  sa  femme, qui  ne  me  dit  pas  dô  sa  part 
un  seul  mot  sur  cet  herbier.  Je  lui  en  ai  demandé 
des  nouvelles;  j attends  sa  réponse.  J'ai  grand* 


(*)  La  woBW  de  madame  Dclesteit ,  qam  Rousseau  a 


!t4()  LETTRES  ÉLÉMElfTàULES 

peur  que  y  ne  passant  pas  à  L^OQ,  il  ait  confié  k 
paquet  ù  qucltjue  quidam  qui /sachant  que  c  était  I 
des  herbes  sèches,  aura  pris  tout  cela  pour  do  | 
foin.  Cependant,  si,  comme  je  Tespère  encore, il 
parvient -enfin  à  votre  sœur  Julie  ou  à  vous,  vont 
trouverez  que  je  n  ai  pas  laisse  d  y  prendre  quel- 
que soin.  C^est  une  perÇe  qui,  quoique  petite,  ne 
me  serait  pas  facile  à  réparer  promptement,  sur- 
tout à  cause  du  catalogue,  accompagné  de  diveA 
petits  éclaircissemens  écrits  sur-le-champ,  et  dont 
)e  n  ai  gardé  aucun  douUe. 

Consolez-vous,  bonne  cousine,  de  n  avoir  ps 
vu  les  glandes  des  crucifères.  De  grands  botanistes 
très-bien  oculés  ne  les  ont  pas  mieux  vues.  Toiir- 
nefort  lui-même  n'en  fait  aucuRe  menlion.  Elles 
<ont  bien  claires  dans  peu  de  genres  ^  «jpoiqaos 
en  trouve  des  vestiges  presque  dans  tous ,  et  c  est 
i  force  d^analyser  des  fleurs  en  croix  y  et  iy  voir 
toujours  des  inégalités  au  réceptacle ,  qu  en  la 
examinant  eu  particulier  on  a  trouvé  que  ces 
glandes  appartenaient  au  plus  grand  nomore  des 
genres,  et  qu'on  les  suppose,  par  analogie,  daiH 
ceux  même  où  on  ne  les  distingue  pas. 

Je  comprends  qu^on  est  fâché  de  prendre  tant 
de  peine  sans  apprendre  les  ùoms  des  plante 
qu'on  examine.  Mais  je  vous  avoue  de  bonne  Ci 
qu'il  n'est  pas  entré  dans  mon  plan  de  vous  épar- 
gner ce  petit  chagrin.  X)n  prétend  que  la  bota- 
nique  n'est  quVine  science  de  mots  qui  n'exerc^ 
que  la  mémoire^  et  n'apprend  qu'à  nommer  àa 


SUR  LA  BOTAIVIQTIB.  34? 

plantes: pour  moi,  je  ne  connais  point  d'étude 
raisonnable  qui  ne  soit  qu'une  science  de  mots  jet 
auquel  des  deux,  je  vous  prie,  accorderai-je  le 
nom  de  botaniste,  de  celui  qui  sait  cracher  un 
nom  ou  une  phrase  à  Faspect  d  une  plante,  sans 
rien  connaître  à  sa  structure,  ou  de  celui  qui, 
cdnnaissanttrè5-bien  cette  structure, ignore  néan- 
moins le  nom  très -arbitraire  qu  on  donne  â  cette 
plante  en  tel  ou  en  tel  pays?  Si  nous  ne  donnons 
à  vos  en&ns  qu'une  occupation  amusante,  nous 
manquons  la  meilleure  moitié  de  notre  but,  qui 
^,  en  les  amusant,  d'exercer  leur  intelligence,  et 
de  les  accoutupier  à  l'attention.  Avant  de  leur  ap- 
prendre à  nommer  ce  qu'ils  voient,  commençons 
par  leur  apprendre  à  le  voir.  Cette  science,  ou- 
bliée dans  toutes  les  éducations,  doit  faire  la  plus 
importante  partie  de  la  leur.  Je  ne  le  redirai  ja- 
mais a^cz  ;  apprenez-leur  à  ne  jamais  se  payer  dQ 
^ots ,  et  à  ne  croire  ne  rien  savoir  de  ce  qui  n'est 
cxitré  que  dans  leur  mémoire. 

Âu.re^te,  pour  ne  pas  trotp  &ire  le  méchant,  je 
y.ous  nomme  pourtant  des  plantes. sur  lesquelles, 
en  vous  lesikisant  mo^trer,  vous  pouvez  aisément 
yérifier  mes  descriptions.  Vous  n aviez  pas,  je 
le  suppose,  sous  vos  yeux,  une  ortie  blanche  en 
H^nt;  r^nalysA  des  labiées  ;  mais  vous  n'aviei 
qa'à:  envpyçr  chez  Therboriste  du  coin  cherchex 
4ç  liortîe  bl«mche  iraichement  cueillie,  vous  ap- 
pliquiez à  sa  fleur  ma  description,  et  ensuite , 
examinant,  les.  autres  parties  de  la  plante  de  b^ 


34s  LBTmES  iLtuEtrrxiRts 

manière  dont  nous  traiterons  ci-après,  vous  coih 
naissiez  Tortie  blanche  infiniment  mieux  que  Ille^ 
Boriste  qui  la  fournit  ne  la  connaîtra  de  ses  joais; 
encore  trouverons-nous  dans  peu  le  moyen  ât 
nous  passer  d  her}>oriste  :  mais  il  faut  premîm- 
ment  achever  l'examen  de  nos  Êmnilies.  Ainsi  js 
viens  à  la  cinquième,  qui,  dans  ce  moment, est 
en  pleine  fructification. 

Représeutez-vous  une  longue  tige  assez  droite^ 
garnie  alternativement  de  feuilles  pour  lordinaiie 
découpées  assez  menu,  lesquelles  embrassent  par 
leur  base  des  branches  qui  sortent  de  leurs  ais- 
selles. De  lextrémité  supérieure  de  cette  tige  pai^ 
tent,  conime  dun  centre,  plusieurs  pédicules  on 
rayons,  qui,  s 'écartant  circulairement  et  r^olîè* 
rement  comme  les  côtes  d'un  parasol,  couronnent 
cette  tige  en  forme  d'un  vase  plus  ou  moins  oo- 
vert.  Quelquefois  ces  rayons  laissent  un  espce 
vide  dans  leur  milieu,  et  représentent  alors  phs 
exactement  le  creux  du  vase;  quelquefois  anssi 
ce  milieu  est  fourni  d'autres  rayons  plus  courts, 
qui,  montant  moins  obliquement,  garnissent  k 
vase ,  et  forment  conjointement  avec  les  premiei?, 
la  figure  à  peu  près  d'un  demi-globe^  dont  la 
(lartie  convexe  est  tournée  en  dessus. 

Chacun  de  ces  rayons  ou  pédicules  est  tenniaf 
i  son  extrémité  non  pas  encore  par  une  fleur, 
mais  par  un  autre  ordre  de  rayons  plus  petits  <]ti 
couronnent  chacun  des  premiers,  prédsémcDI 
comme  ces  premiers  couronnent  la  tige. 


SUR  LA'  BOTANIQUE*  34g 

Ainsi,  voilà  deux  ordres  pareils  et  successifs  ; 
lun,  de  grands  rayons  qui  terminent  la  tige; 
l'autre ,  de  petits  rayons  semblables  qui  terminent 
chacun  des  grands. 

Les  rayons  des  petits  parasols  ne  se  subdivisent 
plus,  mais  chacun  deux  est  le  pédicule  dVme 
petite  fleur  dont  nous  parlerons  tout  a  llieure. 

Si  vous  pouvez  vous  former  l'idée  de  la  figure 
]ue  je  viens  de  vous  décrire,  vous  aurdz  celle  de 
la  disposition  des  fleurs  dans  la  famille  des  ombel^ 
liferes  ou  porte-parasols,  car  le  mot  latin  un^ 
bella  signifie  un  parasol. 

Quoique  cette  disposition  régulière  de  la  firuc- 
âfication  soit  fi*appante,  et  assez  constante  dans 
toutes  les  ombelliferes,  ce  n'est  pourtant  pas  elle 
|ui  constitue  le  caractère  de  la  famille  :  ce  carao- 
[ère  se  tire  de  là  structure  même  de  la  fleur,  qu'il 
àut  maintenant  vous  décrire. 

Mais  il  convient,  pour  plus  de  clarté,  de  vous 
lonner  ici  une  distinction  générale  sur  la  disposi- 
îon  relative  de  la  fleur  et  du  bmi  dans  toutes  les 
liantes,  distinction  qui  facilite  extrêmement  leur 
irrangement  méthodique,  quelque  système  qu'on 
'euille  choisir  pour  cela. 

11  y  a  des  plantes,  et  c'est  le  plus  grand  nom- 
wrc,  par  exemjple  rôeillet  dont  l'ovaire  est  évi- 
lemmeiit  enfermé  dans  lar  corolle.  Nous  donn»- 
ons  à  celles-là  le  nom  de  fleurs  infères,  parce 
[ue  les  pétales  embrassant  Tovaire  prennent  leoi 
laissance  au-dessous  de  luL 


QaBS  dautrcs  plantes  en  assez  gnmd  noinlve, 
r^oyatre  se.  trouve  placé,  noa  dans  les  pétaks, 
maUau-desspus  d'eux  :  ce  que  tous  pouyes  Toir 
dans  la  rose;  car  le  gnitte-cul,  qui  en. est  le  finît, 
«t  ce  cûrps  vert,  et  renflé  que  vous  yoyez  an 
dessous  du  calice,  par  conséqueut  aussi  an-des- 
sousr  de  la  corolle,  qui,  de  cette  manière,  cou- 
ronne cet.  ovaire  et  ne  Fenveloppe  pas.  Xapp^ 
lerai  celles-ci  fleurs  supères,  parce  que  la  corolle 
est  au-dessus  du  fruit  On  pourrait  faire  des  mots 
plus  francisés,  mais  il  me  parait  arantageux  de 
vous  tenir  toujours  le  plus  près  qu*il  se  pouna  des 
termes  admis  dans  la  botanique,  afin  qne,saiis 
avoir  Lesoîn  d'Apprendre  ni  latin  ni  grec,  vo« 
puissiez  néanmoins  entendre  passablement  le  to- 
cabulaire  de  cette  science,, pédantescjuement  tire 
d^  oçs  deux  langues,  comme  si,  pour  connaître 
les  plantes,  il  fallait  commencer  par  être  un  sa* 
van^  gi^ammaîrieo. 

TowTQefort  exprimait  la  même  distinction  ei 
d'dutn9&  termes  :  dans  le  cas  de  la  fleur  infère,  2 
âis«|it  que  le  pbti  l  deveimit  fruit  ;  dans  le  cas  de  b 
4«nr  supêre ,  il  disait  que  le  calice  devenait  bwl 
Cette  manière  de  sexprimer  pouvait  être  anss. 
clmv^%  T^oAis  elle  n'était  certainement  pas  avs^ 
)tKMe4  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  une  .occasion  d'exe 
ocTi.  quand  il  en  sera  temps,  vos  jeunes  élèves. 
«Avoir  démêler  les  mêmes  idées,  rendues  par  d.^- 
Ifjra^es  tout  di/Térens. 

J^  vous  dirai  maintenaut.qoe.Ies.  plantes  on 


svK  LA  b:>ta?cqtte.  35i 

bellifères  oat  la  fleur  supêre,  ou  posée  stir le  finit. 
La  corolle  de  cette  fleur  est  à  cinq  pétales  appebfe 
réguliers,  quoique  souyent  les  deux  pétales,  qui 
sont  tournés  en  dehors  dans  les  fleurs  qui  bor- 
dent l'ombelle,  soient  pius.grauds  que  les  trois 
autres. 

La  figure  de  ces  pétales  varie  selon  les  genres, 
muis  le  plus  communément  elle  est  en  €Cdur  ;  l'on- 
glet qui  porte  sur  l'ovaire  est  fort  minoe;  la  lame 
va  en  s^éîargissant;  son  bord  est  émarginé  (légè- 
rement échancré),  ou  bien  il  se  termine  tn  une 
pointe  qui  se  repliant  en  dessus^  donne  encore 
au  pétale  Tair  d'être  émarginé,  quoiqu^on  le  vit 
pointa  s'il  était  déplié. 

Entre  chaque  pétale  est  une  étamine  doiit  Fan* 
thère,  débordant  ordinairement  la  corolle,  rend 
les  cinq  étamines  plus  visibles  que  les  cinq  pé- 
tales. Je  ne  fais  pas  ici  mention  du  calice,  parce 
que  les  ombelliféres  n'en  ont  aucun  bien  distinct. 
Du  centre  de  la  fleur  partent  deux  styles  garnis 
chacun  de  leur  stigmate,  et  assez  apparens  Aossi^ 
Icsqueb,  après  la  chute  des  pétales  et  des  éUf 
mines,  restent  pour  couronner  le  finit. 

La  figure  la  plus  commune  de  ce  finit  est  un 
ovale  un  peu  alongé ,  qui ,  dans  sa  maturité,  s'ou* 
yre  par  la  moitié ,  et  se  partage  en  deux  semences 
nues  attachées  au  pédicule,  lequel,  pAr  un  ^Êfi 
admirable,  se  divise  en  deux,  ainsi  que  le  finit,  et 
tient  les  graines  séparément  suspndues,  jusqilVl 
leur  chute* 


3&3  L£TTIŒS  BLÉHEVTAJllES 

Toutes  ces  proportions  varicntsclon  Icsgenre*«^ 
inab  en  voilà  Tordre  le  plus  coiBmun.  Il  &ut,  ;: 
Tayoue^  avoir  Fœil  très-atteutif  pour  bien  distÎD- 
guer  sans  loupe  de  si  petits  objets;  mais  ils  sont  si 
dignes  d  attention,  ipi'on  n  a  pas  regret  à  sa  peiaf. 

Voici  donc  le  caractère  propre  de  la  ^miiie 
des  omhellifères.  Corolle  supère  à  cinq  pébdes. 
cinq  étamines,  deux  styles  portés  sur  un  fruit  ns 
disperme,  c'est-4-dire^  composé  de  deux  gramo 
accolées. 

Toutes  les  fois  que  vous  trouverez  ces  cani& 
lères  réunis  dans  une  fructificatioD^  comptez  (pt 
la  plante  est  une  CHubelIifere,  quand  même  eT.^ 
n  aurait  d  ailleurs ,  dans  son  arrangement,  ria 
de  Tordre  ci-devant  marqué.  Et  quand  vous  trou- 
veriez tout  cet  ordre  de  parasols  conforme  à  ma 
description,  comptez  qu^il  vous  trompe,  s'il  es! 
démenti  par  Texamen  de  la  fleur. 

S'il  anivait,  par  exemple,  qu'en  sortant  de  L-t 
ma  lettre  vous  trouvassiez,  en  vous  promenant 
un  sureau  encore  en  fleur,  je  suis  presque  assu:. 
qu'au  premier  aspect  vods  diriez.  Voilà  une  oc 
bcllifèrc.  En  y  regardant,  vous  trouveriez  granit 
ombelle,  petite  ombelle,  petites  fleurs  blancbr.- 
corolle  supère,  cinq  étamines  :  cest  une  ombel. 
fêre  assurément;  mais  voyons  encore  :  je  prenc 
une  fleur. 

D  abord ,  au  lien  de  cinq  pétales ,  je  trouve  utK 
corolle  4  cinq  divisions,  Û  est  vrai,  mais  ncntt 
moios  dWe  seule  pièce  :  or,  les  fleurs  des  omLci 


ST7R  LA  BOTANIQUE.  353 

^feres  ne  sont  pas  monopëtales.  Voilà  bien  cinq 
élamines;  mais  je  ne  vois  point  de  styles^  et  je 
vois  plus  souvent  trois  stigmates  que  deux  j  plus 
souvent  trois  graines  que  deux  :  or,  les  ombelli- 
fêres  n^ont  jamais  ni  plus  ni  moins  de  deux  stig« 
mates,  ni  plus  ni  moins  de  deux  graines  poux 
chaque  fleur.  Enfin ,  le  fruit  du  sureau  est  una 
baie  molle;  et  celui  des  onibelliieres  et  sec  est  nik 
Le  sureau  n  est  donc  pas  une  ombellifere. 

Si  vous  revenez  maintenant  sur  vos  pas  en  re- 
gardant de  plus  près  à  la  disposition  des  fleurs , 
vous  verrez  que  cette  disposition  n'est  qu  en  appa* 
reuce  celle  des  ombelliferes.  Los  grands  rayons, 
au  lieu  de  partir  exactement  du  même  èentre, 
prennent  leur  naissance  les  uns  plus  baut^  les 
autres  plus  bas  ;  les  petits  naissent  encore  moins 
rogulîèrtment  :  tout  cela  n'a  point  l'ordre  inva- 
riable des  ombelliferes.  L^arrangem^nt  des  fleurs 
du  sureau  est  en  corymbe,  ou  bouquet,  plutôt 
qu'en  ombelles.  Voilà  comment,  cr  nous  trom- 
pant quelquefois 3  nous  finissons  par  apprendie  â 
mieux  voie 

Le  chardon-rolanct ,  au  contraire,  n'a  guère  le 
port  Junc  ombellifere,  et  néanmoins  c'en  est  une, 
puisqu'il  en  a  tous  les  caractères  dans  sa  fructifi- 
cation. Où  trouver,  me  direz-vous,  le  chardon- 
roland?  par  toute  la  campagne;  tous  hs  grand» 
chemins  en  sont  tapissés  à  droite  et  à  gauche;  le- 
premier  paysan  peut  vous  le  montrer,  et  vous  le 
reconnaîtrez  presque  vous-même  2  la  couleof 


356      «  LETTRES  KLiUfiirrAniES 

lA-desdos  plus  que  nous  avec  toute  notre  Jo* 
Vous  avez  raison.  Mais  cependant,  si  no&i 
mençons  par  les  observations  de  déUils,  l^ 
accablés  par  le  nombre  ,  la  mémoire  noas 
donnera ,  et  nous  nous  perdrons  dès  le  p 
p^s  dans  ce  règne  immense  :  an  lien  que,  ! 
commençons  par  bien  reconnaître  les  ; 
routes ,  nous  nous  égarerons  rarement  è 
sentiers,  et  nous  nous  retrouverons  paitH 
Ijeaucoup  de.peine.  Dtonnons  cependant <[ 
exception  k  Tutilité  de  l'objet^  et  oe  noe 
sons  pas ,  tout  en  analysant  le  règne  vé.t 
manger  par  ignorance  une  omelette  khat 

La  petite  ciguë  des  jardins  est  une  oiski 
ainsi  que  le  persil  et  le  cerfeuil.  Elle  a  li 
blanche  comme  Tun  et  l'autre  (i);  elle  est  2 
dernier  dans  la  section  qui  a  la  petite  eor< 
et  qui  n'a  pas  la  grande  ;  elle  leur  ressent 
par  son  feuillage ,  pour  qu'il  ne  soit  psi 
vous  en  marquer  par  écrit  les  difl&cnccs. 
voici  des  caractères  suffisans  pour  ne  roQ$ 
trpmper. 

U  £iut  commencer  par  voir  en  fleoi^  ^ 
verses  plantes;  car  c^cst  en  cet  état  que  la  c 
son  caractère  prope.  Cest  d'avoir  son5 1^ 
petite  ombelle  un  petit  involucre  composé» 

-" — • — -^  ' 

(i)  La  fleur  da  prnil  est  un  peu  jaonitt*»  »***  F 
•oiiri  4'oiiibellilâros  pjniMent  jaiwet,  à  cne»^^^'^^^ 
■admises  et  lia  taitfem  po  d'ttov  kf  pAd0  U«^ 


SUR  LA  BOTANIQUE.  35^ 

petites  folioles  pointues,  assez  longues,  et  toutes 
jois  tournées  en  dehors -,  au  lieu  que  les  folioles 
les  petites  ombelles  du  cerfeuil  l'enveloppent  tout 
tutour  y  et  sont  tournées  également  de  tous  les 
:ôtés.  A  regard  du  persil,  à  peine  at-il  quelques 
iourtes  folioles,  fines  comme  de»  cbe  veux,  et  dis* 
ribuées  indifl*éremment,  tant  dans  la  gi^ande  om- 
iclle  que  dans  les  petites,  qui  toutes  sont  claires 
X  maigres. 

Quand  vous  vous  serez  bien  assurée  de  la  ciguë 
m  fleiu's ,  vous  vous  confirmerez  dans  votre  juge- 
nent  en  froissant  légèrement  et  fl^airant  son  feuil- 
ngc-,  car  son  odeur  puante  et  vireuse.  ne  tous  la 
lissera  pas  confondre  avec  Te  persil  ni  avec  le 
jrfeuil,  qui,  tousdeux,  ont  des  odeurs  agréables.. 
;Ien  sûre  enfin  de  ne  pas  faire  de  quiproquo,  voiis 
xaminerez  ensemble  et  séparément  cesfroisplnit^ 
as  dans  tons  leurs  états  et  par  toutes  Feurs  parties^ 
urtout  par  le  feuillage,  qui  les  accompagne  plus 
oustamment  que  la  fleur;  et  par  cet  examen, 
omparé  et  répété  jusgu  à  ce  que  vous  ayez  acquis 
i  certitude  du  coup  d'oeil ,  vous  parviendrez  2 
îstinguer  et  connaître  imperturbablement  la  ci- 
Lie.  L'étude  nous  mène  ainsi  jusqu'à  la  porte  de 
L  pratique*,  après  quoi  ccllc-;ci  &it  la  facilité  du 
ivoîr. 

Prenez  haleine,  obère  cousine,  car  voilà  uno 
•tire  excédante;  je  n'ose  même  vous  promettre 
lus  de  discrétion  dans  celle  qui  doit  la  suivrOi 
kais  après  cela  nous  u  atirons  devant  nous  qu'un 


3So  LETTRES  ÉLlÎMEinrAniES 

ferment  comme  une  couronne  aolour  de  h  ei^ 
guérite,  et  qui  ne  vous  paraissent  tout  anf'j 
^u  autant  de  petits  pétales,  sont  réellement  aos 
de  Yéri tables  fleurs*,  et  chacun  de  ces  petits t-' 
jaunes  que  vous  voyez  dans  le  ccnlrt^elc: 
d'abord  vous  n  avez  peut-être  pris  que  poors 
étamines,  sont  autant  de  véritables  fleais.Sr'- 
aviez  déjà  les  doigts  exercés  aux  dissectiousK 
niques,  que  vous  vous  armassiez  dunebK" 
loupe  et  de  beaucoup  de  palicnce,  je  jwr 
vous  convaincre  de  cette  vérité  par  vos  j^; 
jeux;  mais,  pour  le  présent,  il  faut  comiD^'i: 
s'il  vous  plaît,  par  m'en  croire  sur  mapa^' 
peur  de  fatiguer  votre  attention  sur  desatet 
Cependant,  poifr  vous  mettre  au  moins  ^^ 
voie,  arrachez  une  des  folioles*  blanches ff 
couronne;  vous  croirez  d  abord  cette  foliok> 
dW  bout  à  l'autre;  mais  regardez -la  bien[> 
bout  qui  était  attaché  à  la  fleur,  vous  Tcrro' 
ce  bout  n'est  pas  plat,  mais  rond  et  crto 
forme  de  tube ,  et  que  de  ce  tube  sort  un  peu 
à  deux  cornes  :  ce  filet  est  le  style  fourchu  dt^ 
fleur ,  qui ,  comme  vous  voyez ,  n^est  plate  58 
le  haut. 

Regardez  maintenant  les  brins  jaunes  qt 
au  milieu  de  la  fleur ,  et  que  je  vous  ai  dit  et 
tant  de  fleurs  eux-mêmes  :  si  la  fleur  est 
avancée,  vous  en  verrez  plusieurs  toutaii 
lesquels  sont  ouverts  dans  le  milieu^  et  mcfl 
coupés  en  plusieurs  parties.  Ce  sont  des  CA 


SUR  I.A  BOTAmQVE.  SCl. 

monopétales  qui  s'épanouissent,  et  dans  lesquelles 
la  loupe  vous  ferait  aisément  distinguer  le  pistil  et 
même  les  anthères  dont  il  est  entouré  :  ordinaire- 
ment les  fleurons  jaunes,  qu'on  voit  au  centre, 
sont  encore  arrondis  et  non  percés;  ce  sont  des 
fleurs  comme  les  autres ,  mais  qui  ne  sont  pas  en- 
core épanouies;  car  elles  ne  s'épanouissent  que 
successivement  en  avançant  des  bords  vers  le 
centre.  En  voilà  assez  pour  vous  montrer  à  Toeil 
la  possibilité  que  tous  ces  brins,  tant  blancs  que 
jaunes,  soient  réellement  autant  de  fleurs  par- 
faites; et  c'est  un  fait  très-constant  :  vous  voyez 
néanmoins  que  toutes  ces  petites  fleurs  sont  pres- 
sées et  renfermées  dans  un  calice  qui  leur  est 
commun,  et  qui  est  celui  de  la  marguerite.  En 
considérant  toute  la  marguerite  comme  une  seule 
fleur,  ce  sera  donc  lui  donner  un  nom  très-coxive- 
nable  que  de  l'appeler  une  fleur  composée  ;  or  il  y 
a  un  grand  nombre  d'espèces  et  de  genres  de  fleurs 
formées  conune  la  marguerite  d'un  assemblage 
d autres  fleurs  plus  petites,  contenues  dans  un 
calice  commun.  Voilà  ce  qui  constitue  la  sixième 
fiinûlle  dont  j'avais  à  vous  parler,  savoir  celle  des 
fleurs  composées. 

Commençons  par  ôter  ici  Féquivoque  du  mot 
de  fleur  y  en  restreignant  ce  nom  dans  la  présente 
Ëiinille  à  la  fleur  composée,  et  donnant  celui  de 
fleurons  aux  petites  fleurs  qui  la  composent  ;  mais 
n'oublions  pas  que,  dans  la  précision  du  mot^ 


36a  UTTHES  ÉLÉHEïrrAI&ES 

ces  fleurons  eux-mêmes  sont  autant  de  yérilullr! 
fleurs. 

Vous  avez  vu  dans  la  marguerite  deux  sorl^ 
de  fleurons,  savoir,  ceux  de  coulcor  jaune  (ji: 
remplissent  le  milieu  de  la  fleur,  et  les  petit' 
languettes  blanches  ^ui  les  entourent  :  les  p 
miers  sont,  dans  leur  petitesse,  assez  sembU  ' 
de  figure  aux  fleurs  du  muguet  on  de  la  jac}Dt 
et  les  seconds  ont  quelque  rapport  aux  fieors- 
chèvrefeuille.  Nous  laisserons  aux  premicn^ 
nom  de  fleurons^  et,  pour  distinguer  les  auln 
nous  les  appellerons  demi- fleurons  ;  car,caec 
ils  ont  assez  Tair^e  fleurs  monopétales  quoQ-^ 
rait  rognées  par  un  côté  en  n'y  laissant  qu'J 
languette  qui  ferait  à  peine  la  moitié  de  la  cor^^ 

Ces  deux  sortes  de  fleurons  se  combinenU 
les  fleurs  composées  de  manière  à  diviser  lott 
famille  en  trois  sections  bien  distinctes. 

La  première  section  est  formée  de  celles  qu 
sont  composées  que  de  languettes  ou  deoûi 
rons,  tant  an  milieu  qu'à  la  circonférence;  o: 
appelle  fleurs  demi-fleuronnées;  et  la  flcui 
tière  dans  cette  section  est  toujours  d'une  $ 
couleur,  le  plus  souvent  jaune.  Telle  est  Ul 
apj^lée  dent-de-lipn  ou  pissenlit;  telles  son 
fleurs  de  laitues,  de  chicorée  (  celle-ci  est  blc 
de  scorsonère,  de  saisifis,  etc. 

lajseconde  section:  comprend  les  fleurs 
Tonnées^  c'est-à-dTre,  qui  ne  sont  composée: 
de  fleurons ,  lOus  pour  l'ordinaire  aussi  < 


SUR  Là  botanique.  353 

8  ulë  couleur  :  telles  sont  les  fleurs  d'immortelle , 
de  bardane,  d^absynthe,  d^armoise,  de  chardon , 
d*artichaut,  qui  est  un  chardon  lui-même,  dont 
on  mange  le  calice  et  le  réceptacle  encore  en  bou^ 
ton  avant  que  la  fleur  soit  ëclose^  et  môme  formée 
Cette  bourre  y  qu^on  ôte  du  milieu  de  l'artichaut  y 
n'est  autre  chose  que  l'assemblage  dez  fieuronj 
qui  commencent  à  se  former,  et  qui  sont  séparés 
les  uns  des  autres  par  de  longs  poils  implantés  sur 
le  réceptacle. 

La  troisième  section  est  celle  des  fleurs  qui  ras- 
semblent les  deux  sortes  de  fleurons.  Cela  se  fait 
toujours  de  manière  que  les  fleurons  entiers  oc< 
cupcnt  le  centre  de  la  fleur,  et  les  demi-flcuro::5 
forment  le  contour  ou  la  circonférence,  comme 
vous  avez  vu  dans  la  pâquerette.  Les  fleurs  de 
cette  section  s'appellent  radiées^  les  botanistes 
ayant  donné  le  nom  de  rajon  au  contour  d'une 
fleur  composée,  qnand  il  est  formé  de  languettes 
ou  demi -fleurons.  A  l'égard  de  Taire  ou  du  centre 
de  la  fleiH*  occupé  par  les  fleurons,  on  l'appelle  le 
disque,  et  on  donne  aussi  quelquefois  ce  même 
nom  de  disque  à  la  surface  du  réceptacle  où  sont 
plantés  tous  les  fleurons  et  demi-fleiu'ons.  Dans 
les  fleurs  radiées ,  le  disque  est  souvent  d'une  cou- 
leur et  le  rayon  d  une  autre  :  cependant  il  y  a  auasi 
des  genres  et  des  espèces  où  tous  les  deux  sont  de 
la  même  couleur. 

Tâchons  à  présent  de  bien  déterminer  dans 
votre  esprit  Tidce  d'une  fleur  composée.  Le  trefflQ 


554  LETTRES  iLÉMEîrrAJRES 

ordinaire  fleurit  en  cette  saison  ;  sa  fleur  est  pour- 
pre :  s'il  vous  en  tombait  une  sous  la  maio ,  tous 
pourriez^  en  voyant  tant  de  petites  fleurs  rassem- 
blées ,  être  tenté  de  prendre  le  tout  pour  une  flear 
coo^posée*  Vous  vous  tromperiez  ;  en  quoi  7  en  ce 
que,  pour  constituer  une  fleur  composée,  il  De 
suffît  pas  d'une  agrégation  de  plusieurs  peûcn 
fleurs,  mais  qn'il  faut  de  plus  qu'une  ou  deux  des 
parties  de  la  fiructification  leur  soient  communes, 
de  manière  que  toutes  aient  part  à  la  mésie ,  et 
qu'aucune  n'ait  la  sienne  séparément  Ces  deux 
parties  communes  sont  le  calice  et  le  réceptacle, 
n  est  vrai  que  la  fleur  de  treffle,  ou  plutàt  h 
groupe  de  fleurs  qui  nVn  semblent  quune  parait 
d'abord  portée  sur  une  espèce  de  calice;  mas 
écartez  un  peu  ce  prétendu  calice  et  vous  verrt: 
qu^il  ne  tient  point  à  la  fleur,  mais  qu^il  est  attaché 
au-dessous  d^elle  au  pédicule  qui  la  porte.  Ainsi 
ce  calice  apparent  n  en  est  point  un  ;  il  appartient 
au  feuillage  et  non  pas  à  la  fleur;  et  cette  préten- 
due  fleur  n'est  en  effet  qu'un  assemblage  de  fleun 
légumineuses  ibrt  petites,  dont  chacune  a  son  ca- 
lice particulier,  et  qui  n'ont  absolument  rien  àt 
commun  entre  elles  que  leur  altache  au  même 
pédicule.  L'usage  est  pourtant  de  prendre  tooit 
cela  pour  une  seule  fleur;  mais  c^est  une  &ns5« 
idée ,  ou ,  si  Ton  veut  absolument  regarder  comme 
une  fleur  un  bouquet  de  cette  espèce ,  il  ne  &at 
pas  du  moins  Fappeler  une  fleur  composée,  mais 
une  fleur  agrégée  ou  une  tête  {flos  aggregatus. 


sur'  la  botanique.  365 

flo^capîtatus ,  capîtulum).  Et  ces  dénominations 
sont  en  effet  quelquefois  employées  en  ce  sens 
par  les  botanistes. 

Voilà  9  ma  chère  cousine  ^  la  notion  la  plus 
simple  et  la  plus  naturelle  que  je  puisse  vous 
donner  de  la  famille,  ou  plutôt  de  la  nombreuse 
classr  des  composées,  et  des  trois  sections  ou  fa- 
milles dans  lesquelles  elles  se  subdivisent.  Il  faut 
maintenant  vous  parler  de  la  structure  des  fructi- 
fications particulières  à  cette  classe,  et  cela  nous 
mènera  peut-être  à  en  déterminer  le  caractère 
avec  plus  de  précision. 

La  partie  la  plus  essentielle  d'une  fleur  compo- 
sée est  le  réceptacle  sur  lequel  sont  plantés , 
d'abord  les  fleurons  et  demî-fleurons,  et  ensuite 
les  graines  qui  leur  succèdent.  Ce  réceptacle»  qui 
forme  un  disque  d'une  certaine  étendue,  fait  le 
centre  du  calice,  comme  vous  pouvez  voir  dans 
le  pissenlit,  que  nous  prendrons  ici  pour  exemple. 
Le  calice,  dans  toute  cette  faimille,  est  ordinaire- 
ment découpé  jusqu'à  la  base  en  plusieurs  pièces, 
afin  qu'il  puisse  se  fermer,  se  rouvrir  et  se  ren- 
verser ,  comme  il  arrive  dans  le  progrès  de  la 
fructification ,  sans  y  causer  de  déchirure.  Le  ca- 
lice du  pissenlit  est  formé  de  deux  rangs  de  folio- 
les insérés  luu  dans  Vautre ,  et  les  folioles  du  rang 
extérieur  qui  soutient  Tautre  qui  se  recourbent  et 
replient  en  bas  vers  le  pédicule ,  tandis  que  les 
folioles  du  rang  intérieur  restent  droites  pour  en« 

3i. 


366  lETniBS  ÉlilCElfTAIRES 

toorer  et  contenir  les  demi-fleurons  gui  compo* 
sent  la  fleur. 

Une  forme  encore  des  plus  communes  aux  ca^ 
lices  de  cette  classe  est  d^étre  imbriqués^  c^est-i- 
dir^,  formés  de  plusieurs  rangs  de  folioles  en  re- 
couvrement, les  unes  sur  les  joints  des  autres, 
comme  les  tuiles  d'un  toit.  L'artichaut,  le  bluet^ 
la  jacée,  la  scorsonère,  vous  o£Brent  des  exemples 
de  calices  imbriqués. 

Les  fleurons  et  demi-fleurons  enfermés  dans  le 
calice  sont  plantés  fort  dru  sur  son  disque  ou  ré- 
ceptacle en  quinconce,  ou  comme  les  cases  d'un 
damier.  Quelquefob  ils  s'entretouchent  à  nu  sans 
rien  d'intermédiaire,  que!quefois  ils  sont  séparés 
par  des  cloisons  de  poils  ou  de  petites  écailles  qui 
restent  attachées  au  réceptacle  quand  les  graines 
sont  tombées.  Vous  voUà  sur  la  voie  d'observer 
les  diflërences  de  calices  et  do  réceptacles;  parlons 
à  présent  de  la  structure  des  fleurons  et  demi- 
fleurons,  en  conunençant  par  les  pemiers. 

Un  fleuron  est  une  fleur  monopétale,  régulière, 
pour  lordiuaire,  dont  la  corolle  se  fond  dans  le 
haut  en  quatre  ou  cinq  parties.  Dans  cette  corolle 
sont  attachés,  à  son  tube,  les  filets  des  étamines 
au  nombre  de  cinq  :  ces  cinq  filets  se  réunissent 
par  le  haut  en  un  petit  tube  rond  qui  entoure  le 
pistil,  et  ce  tube  n'est  autre  chose  que  les  cinq 
anthères  ou  étamines  réunies  circufoirement  en 
un  seul  corps.  Cette  réunion  des  étamines  forme, 
aux  yeux  des  botanistes,  le  caractère  essentiel  des 


SUR  I.À  BOTANIQUE.  367 

fleuts  composées,  et  n'appartient  qu^à  leurs  fleu* 
rons  exclusivement  à  toutes  sortes  de  fleurs.  Ainsi 
vous  aurez  beau  trouver  plusieurs  fleurs  portées 
sur  un  même  disque  ^  comme  dans  les  scabieuses 
et  le  charck)n  à  foulon ,  si  les  anthères  ne  se  réu- 
nissent pas  en  un  tube  autour  du  pistil,  et  si  la 
corolle  ne  porte  pas  sur  une  seule  graine  nue,  ces 
fleurs.ne^ntpasdes  fleurons  et  qo  forment  pas 
une  fleur  composée.  Au  contraire,  quand  vous 
trouveriez  dans  une  fleur  unique  les  antbères 
ainsi  réunies  en  un  seul  corps ,  et  la  corolle  supèrc 
posée  sur  une  seule  graine,  cette  fleur,  quoique 
seule,  serait  un  vrai  fleuron,  et  appartiendrait  à 
la  famille  des  composées ,  dont  il  vaut  mieux  tirer 
ainsi  le  caractère  dune  structure  précise  <pie 
cTunc  apparence  trompeuse. 

Le  pistil  porte  un  stj^le  plus  long  d'ordinaire' 
qne  le  fleuron  au-dessus  duquel  on  le  voit  sV^ever 
à  travers  le  tube  formé  par  les  anthères.  Il  se  ter- 
cnine  le  plus  souvent,  dans  le  haut,  par  un  stig- 
mate fourchu  dont  on  voit  aisément  les  deux 
petites  cornes.  Par  son  pied,  le  pistil  ne  porte  pas 
immédiatement  sur  le  réceptacle,  non  plus  que  le 
fleuron  :  mais  lun  et  Tautre  y  tiennent  par  le 
rerme  qui  leur  sert  de  base  ,  lequel  croit  et 
Rallonge  à  mesure  que  le  fleuron  se  dessèche  et 
levient  enfin  une  graine  longuette  qui  reste  atta- 
Jxée  au  réceptacle  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  mûre. 
^lors  elle  tombe  si  elle  est  nue,  ou  bien  le  vent 
'emporté  au  loin  si  elle  est  couronnée  dWe  ai- 


C6i  LETTRES  ÉLÉMEIfTAIIlCS 

grette  de  plumes ,  et  le  réceptacle  reste  à  décoc* 
yen  tout  nu  dans  des  genres  ou  garni  d'écaili^i 
ou  de  poils  dans  d'autres. 

La  structure  des  demi-fleurons  est  semUaUf  i 
celle  des  fleurons:  les  étamines,  le  pistil  etla  gnbe 
y  sont  arrangés  à  peu  près  de  même  :  seulenifi!! 
dans  les  fleurs  radiées  il  y  a  plusieurs  genres  cà 
les  demi-fleurons  du  contour  sont  sujets  à  avorta. 
soit  parce  qu'ils  manquent  d'étamines,  soit  psa 
que  celles  qu'ils  ont  sont  stériles ,  et  n''ont  psL 
force  de  féconder  le  germe  ;  alors  la  fleur  ne  graioe 
que  par  les  fleurons  du  milieu. 

Dans  toute  la  classe  des  composées^  la  grsict 
est  toujours  sessile^  c'est-à-dire  qu'elle  porte  la- 
médiatemeut  sur  le  réceptacle  sans  aucun  p^i 
cule  intermédiaire.  Mais  il  y  a  des  graines  doru 
sommet  est  cotnronné  par  une  aigrette  quelque!  ' 
sessilcy  et  quelquefois  attachée  à  la  graine  psrr 
pédicule.  Vous  comprenez  que  IVsage  de  et' 
aigrette  est  d'éparpiller  au  loin  les  semcnce5.  f  » 
donnant  plus  de  prise  à  Pair  pour  K  s  emporiei 
semer  à  distance.       , 

A  ees  descriptions  informes  et  tronqnèf* 
dois  ajouter  que  les  calices  ont,  pour  Toitlini 
la  propriété  de  s'ouvrir  quand  la  fleur  sYpan - 
de  se  refermer  quand  les  fleurons  se  sèmet:  j 
tombent ,  afin  de  contenir  la  jeune  graine  el  1  ' 
pêcher  de  se  répandre  ayant  sa  maturité  ;  cntli  " 
se  rouviùr  et  de  se  renverser  tout-è-6ît  pour  c 
dans  leur  centre  une  aire  plus  large  aux  pà,J 


SUR  lA  BOTANIQUE.  ^69 

qui  grossissent  en  mûrissant.  Vous  avez  dû  sou- 
vent yoir  le  pissenlit  dans  cet  état  quand  les  en- 
fans  le  cueillent  pour  souffler  dans  ses  aigrettes, 
q\ii  forment  un  globe  autour  du  calice  renversé. 

Pour  bien  connaître  cette  classe ,  il  faut  en 
suivre  les  fleurs  dès  avant  leur  épanouissement 
jusqu'à  la  pleine  maturité  du  iruity  et  c'est  dans 
cette  succession  qu'on  ^oit  des  métamorphoses  et 
un  çnchainement  de  merveilles  qui  tiennent  tout 
esprit  sain  qui  les  observe  dans  ,ane  continuelle 
admiration.  Une  fleur  conunode  pour  ces  obser- 
vations est  celle  des  soleils,  qu'on  rencontre  fré- 
quemment dans  les  vignes  et  dans  les  jardins.  Le 
soleil,  comme  rous  voyez,  est  une  radiée.  Là 
reine-marguerite,  qui,  dans  lautomne,  fait  Tor- 
nement  des  parterr:  s,  en  est  une  aussi.  Les  char- 
dons (i)  sont  des  fleuronnées  :  j'ai  déjà  dit  que  la 
scorsonère  et  le  pissenlit  sont  des  demi-fleuron- 
nées.  Toutes  ces  fleurs  sont  assez  grosses  pour 
pouvoir  être  disséquées  et  étudiées  à  Toeil  nu  sans 
le  fatiguer  beaucoup. 

Je  ne  vous  en  dirai  pa3  davantage  aujourd'hui 
sur  la  famille  ou  classe  des  composées.  Je  tremble 
déjà  d'avoir  trop  abusé  de  votre  patience  par  des 
détails  que  j'aurais  rendus  plus  clairs  si  j'avais  su 
les  rendre  plus  courts,  mais  il  m  est  impossible  de 
sauver  la  difficulté  qui  naît  de  la  petitesse  des  ob- 
jets. Bonjour^  chère  cousine. 

■  * 

(  I  )  Il  faut  prendre  garde  de  n'j  pas  mêler  le  chardon-à-lbttloa 
4iu  àes  bonuetien ,  <\m  uW  pas  uo  vni  chardon. 


Sra  LETTRES  ÉLâMETCTAIKES 

des  monstres  dépourvus  de  la  faculté  de  produiit 
leur  semblable,  dont  la  nature  a  doué  toos  les 
êtres  organisés.  Les  arbres  firuîtiers  sont  i  pea 
près  dans  le  même  cas  par  la  greffe  :  tous  aoiez 
beau  planter  des  pépins  de  poires  et  de  pommes 
des  meilleures  espèces,  il  n  en  naîtra  jamais  que 
des  sauvageons.  Ainsi,  pour  connaître  la  poire  et 
la  pomme  de  la  nature,  il  faut  les  chercber,  non 
dans  les  potagers,  mais  dans  les  forêts:  La  cbâir 
nen  est  pas  si  grosse  et  si  succulente,  mais  ks 
semences  en  mûrissent  mieux,  en  multiplient  da- 
vantage, et  lés  arbres  en  sont  infiniment  plm 
grands  et  plus  vigoureux.  Mais  j  entame  ici  on 
article  qui  me  mènerait  trop  loin  :  revenons  à  nos 
potagers. 

Nos  arbres  fixdtiers,  quoique  grefl^,  gardent 
dans  leur  fructification  tous  les  caractères  bota- 
niques qui  les  distinguent;  et  c'est  par  Tétade  at- 
tentive de  ces  caractères,  aussi-bien  que  par  les 
transformations  de  la  greffe,  qu  on  s'assure  qa'i 
n!y  a,  par  exemple,  qu'une  seule  espèce  de  poire 
sous  miUe  noms  divers,  par  lesquels  la  forme  et  la 
saveur  de  leurs  fiuits  les  a  fait  distinguer  en  au- 
tant de  prétendues  espèces  qui  ne  sont,  au  fend, 
que  des  rariétés.  Bien  plus,  la  poire  et  la  pomnt 
ne  sont  que  deux  espèces  du  même  genre ,  et  leur 
unique  différence  bien  caractéristique  est  <jne  le 
pédicule  de  la  pomme  entre  dans  un  enfoncemeiil 
du  finit,  et  celui  de  la  poire  tient  d  un  prolonge* 
ment  du  fi:xiit  un  peu  alongé.  De  même  toutes  les 


SUR  LA  BOTANIQUE.  3y3 

sortes  de  cerises ,  guignes  ^  griottes ,  bigaireanx ,  ne 
sont  que  des  variétés  d^une  même  espèce  :  toutes 
les  prunes  ne  s8nt  qu'une  espèce  de  prunes;  le 
genre  de  la  prune  contient  trois  espèces  princi- 
pales, savoir  :  la  prune  proprement  dite,  la  cerise 
et  l'abricot,  qui  n^est  aussi  qu  une  espèce  de  prune^ 
Ainsi,  quand  le  savant  Linnœus,  divisant  le  genre 
dans  ses  espèces,  a  dénommé  la  prune  prune,  la 
prune  cerise,  et  la  prune  abricot ^  les  ignorans  se 
sont  moqués  de  lui  ;  mais  les  observateurs  ont  ad- 
miré la  justesse  de  ses  réductions^  etc.  Il  faut  cou- 
rir, je  me  bâte. 

Les  arbres  fruitiers  entrent  presque  tous  dans 
une  &mille  nombreuse,  dont  le  caractère  est  fa^ 
cile  à  saisir,  en  ce  que  ies  étamines ,  en  grand 
nombre,  au  lieu  d'être  attachées  au  réceptacle, 
sont  attachées  au  calice  par  les  intervalles  que 
laissent  4es  pétales  entre  eux  ;  toutes  les  fleurs  sont 
polypétales  et  4  cinq  communément.  Voici  les 
principaux  caractères  génériques. 

Le  genre  de  la  poire,  qui  comprend  aussi 
la  pomme  et  le  coin.  Calice  monopbjlle  à  cinq 
pointes.  Corolle  à  cinq  pétales  attachées  au  ca- 
lice, une  vingtaine  d'étamines  toutes  attachées 
au  calice.  Germe  ou  ovaire  infère,  c'est-à-dire  au- 
dessous  de  la  corolle,  cinq  styles.  Fruits  charnus 
â  cinq  logettes ,  contenant  des  graines,  etc. 

Le  genre  de  la  prune^  qui  comprend  l'abricot, 
la  cerise  et  le  laurier-cerise.  Calice,  corolles  et 
anthères  à  peu  près  comme  la  poire  ;  mais  le  germe 


274  LBTTRES  ÉLÉMENTAIRES 

est  supère,  c'ost-à-dîre,  dans  la  corolle,  et  il  n'y  a 
qu'un  style.  Fruit  plus  aqueux  que  charnu,  con- 
tenant un  noyau  y  etc. 

Le  genre  de  l'amande,  qui  comprend  aussi  la 
pêche.  Presque  comme  la  prune,  si  ce  n'est  que  le 
germe  est  yelu,  et  que  le  firuit ,  mou  dans  la  pêche, 
sec  dans  l'amande,  contient  un  noyau  dur,  rabo- 
teux, parsemé  de  cavités^  etc. 

Tout  ceci  n'est  que  bien  grossièrement  ébau- 
ché, mais  C'en  est  assez  pour  yous  amuser  cette 
année.  Bonjour,  chère  cousine. 

Lettre  YIII.  A  la  mime» 

Sar  les  Herbiers.. 

Du  11  aTTil  1772. 

Grâce  au  ciel ,  chère  cousine ,  tous  voilà  réta- 
blie. Mais  ce  n'est  pas  sans  que  votre  silence  et 
celui  de  M.  6.  ^  que  j'avais  instamment  prié  de 
m'écrire  un  mot  à  son  arrivée  ne  m'ait  causé  bien 
des  alarmes.  Dans  les  inquiétudes  de  cette  espèce, 
rien  n'est  plus  cruel  que  le  silence,  parce  qnîl 
fait  tout  porter  au  pis;  mais  tout  cela  est  déjà  ou- 
blié, et  je  ne  sens  plus  que  le  plai^r  de  votre  ré- 
tablissement. Le  retour  de  la  belle  saison ,  la  vîe 
moins  sédentaire  de  Fourrière,  et  le  plaisir  de 
remplir  avec  succès  la  plus  douce  ainsi  que  k 
plus  respectable  des  fonctions,  achèveront  bien- 
tôt de  l'aB^rmir,  et  vous  en  sentirez  moins  triste- 


SUR  LA  BOTAMQUE.  SjS 

ment  Tabsence  passagère  de  votre  mari,  au  milieu 
des  chers  gages  de  son  attachement,  et  des  soins 
continuels  qu'ils  vous  demandent. 

La  terre  commence  à  verdir,  les  arbres  à  bour- 
geonner, les  fleurs  à  s'épanouir  :  il  y  en  a  déjà  de 
passées;  un  moment  de  retard  pour  la  botanique 
nous  reculerait  d'une  année  entière  :  ainsi  \y 
passe  sans  autre  préambule. 

Je  crains  que  nous  ne  layons  traitée  jusqu'ici 
dune  manière  trop  abstraite,  en  n'appliquant 
point  nos  idées  sur  des  objets  déterminés;  c  e3t  le 
défaut  dans  lequel  je  suis  tombé,  principalement 
à  regard  des  ombelliféres.  Si  j'avais  commencé 
par  vous  en  mettre  une  sous  les  yeux,  je  vous  au- 
rais épargné  une  appliottiou  très-fatigante  sur  un 
objet  imaginaire,  et  à  moi  des  descriptions  diffi- 
ciles, auxquelles  un  simple  coup  d'œil  aurait  sup- 
pléé. Malheureusement,  à  la  distance  où  la  loi  de 
la  nécessité  me  tient  de  vous,  je  ne  suis  pas  à 
portée  de  vous  montrer  du  doigt  les  objets;  mais 
si ,  chacun  de  notre  côté,  nous  en  pouvons  avoir 
sous  les  yeux  de  semblables ,  nous  nous  enten- 
drons très-bien  l'un  l'autre  en  parlant  de  ce  que 
nous  voyons.  Toute  la  difficulté  est  qu'il  faut  que 
l'indication  vienne  de  vous;  car  vous  envoyer 
d'ici  des  plantes  sèches  serait  ne  rien  faire.  Pour 
bien  connaître  une  plante,  il  &ut  commencer  par 
la  voir  sur  pied.  Les  herbiers  servent  de  mcmora- 
tifs  pour  celles  qu'on  a  déjà  connues,  mais  ils  font 
axai  connaître  celles  qu'on  i/vi  [.iis  vues  aupara- 


376  lETTRES  ÉLÉMEÏH'AIIŒS 

vanL  C'est  donc  à  vous  de  m  envoyer  des  plante» 
-^e  V0U5  voudrez  connaitre  et  eue  vous  aorei 
cueillies  sur  pied;  et  c  est  k  moi  de  vous  les  noo- 
mer,  de  les  classer,  de  les  décrire,  jusquà ceque^ 
par  des  idées  comparatives ,  devenues  {amllièri 
à  vos  yeux  et  à  votre  esprit,  vous  parveniez  i 
classer,  ranger  et  nommer  vous-même  celles  (p^ 
vous  verrez  pour  la  première  fois;  science  (p 
seule  distingue  le  vrai  botaniste  de  llierborisUos 
nomenclateur.  Il  s^agit  donc  ici  d'apprendre  i  pré- 
parer, dessécher  et  conserver  les  plantes,  03 
échantillons  de  plantes,  de  manière  à  les  rcnb 
faciles  à  reconnaître  et  à  déterminer;  c'est,  «bb» 
mot,  un  herhîer  que  |e  vous  propose  de  comoKS^ 
cer.  Voici  une  grande  occupation  qui,  de  loin. î^ 
prépare  pour  notre  petite  amatrice;  car,  quan^* 
présent,  et  pour  quelque  temps  encore,  il  &u()n 
que  Fadresse  de  vos  dcigts  supplée  à  la  ÊûblesK 
des  siens. 

.  Il  y  a  d*abord  une  prpvision  à  taire;  saro::. 
cinq  ou  six  mains  de  papier  gris,  et  à  peu  pK^ 
autant  de  papier  blanc ,  de  même  grandeur,  as»  ^ 
fort  et  bien  collé,  sans  quoi  les  plantes  se  poorrr 
raient  dans  le  papier  gris,  ou  du  moins  les  fleu>'i 
y  perdraient  leur  couleur;  ce  qui  est  une  despa: 
ties  qui  les  re(ndent  reconnaissables,  et  par  h 
quelles  un  herbier  est  agréable  à  voir.  D  sera;'* 
encore  à  désirer  que  vous  eussiez  une  presse  de  t: 
grandeur  de  votre  papier,  ou  du  moins  df»^ 
bouts  de  planches  bien  unies,  de  manière  que;} 


SUR  LA  BOTANIQUE.  877 

plaçant  vos  feuilles  entre  deux,  vous  les  y  pui.i- 
siez  tenir  pressées  par  les  pierres  ou  autres  corps 
pesans  dont  vous  chargerez  la  planche  supérieure. 
Ces  préparatifs  faits,  voici  ce  qu'il  faut  observer 
pour  préparer  vos  plantes  de  manière  à  les  con- 
server et  les  reconnaître. 

Le  moment  à  choisir  pour  cela  est  celui  où  Xd 
plante  est  en  pleine  fleur,  et  où  même  quelques 
fleurs  commencent  k  tomber  pour  faire  place  £  u 
fruit  qui  commence  à  paraître.  C^est  dans  ce  point 
où  toutes  les  parties  de  la  fructification  sont  sen- 
sibles,  qu  il  faut  tâcher  de  prendre  la  plante  pour 
la  dessécher  dans  cet  état. 

Les  petites  plantes  se  prennent  tout  entières 
avec  leurs  racines,  qu'on  a  soin  de  bien  nettoyer 
avec  une  brosse,  afin  qu^il  n  y  reste  point  de  terre. 
Si  la  terre  est  mouillée,  on  la  laisse  sécher  pour 
la  brosser,  ou  bien  on  lave  la  racine;  mais  il  faut 
avoir  la  plus  grande  attention  de  la  bien  essuyer 
et  dessécher  avant  de  la  mettre  entre  les  papiers, 
sans  quoi  elle  s^y  pourirait  infailliblement,  et 
communiquerait  sa  pouriture  aux  autres  plantes 
voisines,  il  ne  faut  cependant  s  obstiner  à  con- 
server les  racines  qu'autant  quelles  ont  quelques 
singularités  remarquables;  car,  dans  le  plus  grand 
nombre,  les  racines  ramifiées  et  fibreuses  ont  des 
formes  si  semblables,  que  ce  n'est  pas  la  peine  de 
les  conserver.  La  nature,  qui  a  tant  fait  pour  Té- 
légance  et  l'ornement  dans  la  figure  et  la  couleur 
d^  plantes  en  ce  qui.  frappe  les  yeux ,  a  destiné 

3a. 


rSo  LKTTILES  ÉLEMEKTAIRES 

moins  de  papier  gris,  sur  lesquelles  tous  places 
une  feuille  de  papier  blanc,  et  sur  cette  feu*Ue 
vous  arrangez  votre  plante,  prenant  grand  soin 
que  toutes  ses  parties,  surtout  les  feuilles  et  les 
fleurs,  soient  bien  ouvertes  et  bien  étendues  dans 
leur  situation  naturelle.  La  plante  un  peu  flétrie, 
mais  sans  l'être  trop,  se  prête  mieux  pour  l'ordi- 
naire à  Tarrangement  qu^on  lui  donne  sur  le  papier 
avec  le  pouce  et  les  doigts.  Mais  il  y  en  a  de  re- 
belles qui  se  grippent  dun  côté,  pendant  quoa 
les  arrange  de  1  autre.  Pour  prévenir  cet  înconTé- 
nient,  j'ai  des  plombs,  des  gros  sous,  des  liaids, 
avec  lesquels  j'assujettis  les  parties  que  je  viens 
dWanger,  tandis  que  j'arrange  les  antres,  de 
façon  que,  quand  j'ai  fini,  ma  plante  se  troure 
presque  toute  couverte  de  ces  pièces  qui  la  tien- 
nent en  état.  Après  cela  on  pose  une  seconde 
feuille  blanche  sur  la  première,  et  on  la  presse 
avec  la  main ,  afin  de  tenir  la  plante  assujettie 
dans  la  situation  qu'on  lui  a  donnée,  avançant 
ainsi  la  main  gauche  qui  presse  à  mesure  qu'on 
retire  avec  la  droite  les  plombs  et  les  gros  sons 
qui  sont  entre  les  papiers  :  on  met  ensuite  deox 
autres  feuilles  de  papier  gris  sur  la  seconde  f^iilk 
blanche,  sans  cesser  un  seul  moment  de  tenir  !a 
plante  assujettie ,  de  peur  qu'elle  ne  perde  la  situa- 
tion qu'on  lui  a  donnée.  Sur  ce  papier  gris  on  met 
une  autre  feuille  blanche;  sur  cette  feuille  une 
plante  qu'on  arrange  et  recouvre  comme  ci-de- 
vant,  jusqu'à  ce  qu  on  ait  çlacé  toute  la  moissoo 


SUR  LA  BOTAICIQUE.  38i: 

qu^on  a  apportée,  et  qui  ne  doit  pas  être  nom- 
breuse pour  chaque  ibis,  tant  pour  éviter  la  lon^ 
gueur  du  travail,  que  de  peur  que,  durant  la 
dessiccation  des  plantes  ;  le  papier  ne  contracte 
quelque  humidité  par  leur  grand  nombre;  ce  qui 
gâterait  infailliblement  vos  plantes^  si  vous  ne 
vous  hâtiez  de  les  changer  de  papier  avec  les 
mômes  attentions;  et  c^est  même  ce  qu'il  faut  faire 
de  temps  en  temps,  jusqu'à  ce  qu^elies  aient  bien 
pris  leur  pli,  et  quVlles  soient  toutes  assez  sèche& 

Votre  pile  de  plantes  et  de  papiers  ainsi  arrau 
gée  doit  être  mise  en  presse,  sans  quoi  les  plantes 
se  gripperaient  :  il  y  en  a  qui  veulent  être  plus 
pressées,  d'autres  moins;  i'expéiience  vous  ap- 
prendra  cela,  ainsi  qu^à  les  changer  de  papier  à 
propos,  et  aussi  souvent  qu^il  &ut,  sans  vous  doiK 
ner  un  travail  inutile»  Enfin,,  quand  vos  plantes 
seront  bien  sèches ,  vous  hs  mettrez  bien  propre- 
ment chacune  duns  une  feuille  de  papier,  Ic5 
unes  sur  tes  autres,  sans  avoir  besoin  de  papiers 
intermédiaires,  et  vous  aurez  ainsi  un  herbier 
commencé,  qiri  s'augmentera  sans  cesse  avec  vos 
connaissances,  et  conliemîra  enfin  llristoîfe  de 
toute  la  végétation  du  pays  :  an  reste  il  faut  to*u« 
jours  tenir  un  herbier  bien  serré  et  un  peu  en 
presse;  sans  quoi  les  plantes,  quelque  sèches 
qu'elles  fassent,  attireraient  lliumidité  de  Tair  et 
se  gripperaient  encore* 

Voici  maintenant  l'usage  de  tout  ce  travail 
pour  parvenir  a  la  connaissance  particulière  de$ 


38  f  LETTiuss  itiuEirrAiiiEs 

«  cet  ;  à  cliaque  pas  De  yoos  oflriront  de  nouvelles  SStà^  ' 
«  ne  TOUS  apprendront  rien....  fie  toos  attendet  point in^>' 
«  Ter  une  plante  dans  tout  son  ëclai  :  ceUes  qui  m  iea^:  i 
«  mieux,  perdent  encore  beaucoup  de  kenr  fraidiear.... Ik:' 
«  les  moyens  employés  à  la  dessûcation  des  planta,  kp^^c 
c  pie,  cdui  de  la  pression,  est  le  préfihable  pou  no  W^*"-  ''■ 
«  cx>uleurs  peuvent  être  conserva  aussi  bien  que  pir  li  (S 
»  cation  au  sable,  et  les  plantes  desséchées  y  sont  iom^('=^ 
«  neuses  et  moins  fragiles....  Ayes  une  bonne  prorînoa^  :  * 
«  tre  sortes  de  papiers  ;  i*  du  papier  gris,  épais  d  ps  c 
«r  a<*  du  papier  gris,  épais  et  ooRé;  3«  du  gros  papierUi"^ 
n  lequel  on  puisse  écrire  ;  et  4*  ^  papier  bloc  m  f 
«vous  fixerez  vos  plantes,  ]or8q[oe  la  dessiceabos m ^^ 
«  plète....  Lorsque  vous  voudrez  dessécher  me  pbB*<  ^  ' 
«  la  cueillir  par  un  beau  tempe  ;  et  lorsque  ses  êemti^" 
u  nouics,  laisaet'la  quelques  heures  se  làner  â  rorlilit 
«  que  ses  parties  srront  amollies,  étendes-la  avte  Mis^- 
c  feuille  de  papier  gris  de  la  première  esp^  doit  ]i  ' 
«  mettes  dessous  cette  feuille  une  feuille  de  s«tDO,«  ^ 
«  douze  à  quinse  doubles  de  papier  de  la  premitR  ts^' 
«  tes  le  tout  entre  deux  ais  de  boîs,  ou  deûphacbcslr.'  I 
«  que  vous  chargerez  d'abord  médiocrement,  et  dont  tc«  ^ 
«  menteres  peu  4  peu  la  prcsaioa ,  k  mesure  qoe  la  à»*-  ^ 
«  ^'opérera.  U  est  plus  avantageux  de  ae  aemr  de  c»  p"^ 
a  presses  de  brocheuses,  parce  que  Ion  senc  sîp«<i''' 
«  qu'on  le  veut^  au  bout  dune  heun  ou  deux, soio-b  ^ 
u  tage ,  et  laissez-la  ainsi  vin^t-quatrô  heuces  aa  pl<tfi  '^'-^ 
«  ensuite;  cfaangez^Ia  de  panier,  et  mettez  desioai  a»  - 
«  feuille  de  carton  bien  sèche,  ainsi  que  ks  feoilks  depp 
«  vous  ailes  mettre  dessus;  lemetiffs  le  tout  en  presse.»'^ 

•  plus  que  la  première  fois;  laisses  ainsi  dein  jours  rom  i 
«  sans  y  toucber;  changsz-la  encore  une  troisième  kè^fj-^ 
«  mais  pcene*  du  papier  gris  collé  ;  sevrés  enooie  diTac^' 

•  presse,  et  ne  mettez  dësus  que  trob  ou  quatre  doi^ 
a  papiers,  ou  seulement  une  feuille  de  csiion  dessos  et  lu^ 
's  sousç  laiasez-la  ainsi  eo  presse  deux  o«  trois  feis  riost^' 
a  boues;  si,  lorsque  vont  retimcs  votre  pbnir,  elle  x  ' 


1  '; 


SUR  UL  BOTANIQUE.  385 

«  parait  pas  aun  privée  de  son  humidité,  tous  la'diangerac 
M  encore  plusieurs  fois  de  papiers.  (  U  y  ?  des  plantes  <{n'il  siiflît 
«  de  chanf;er  deux  fois  de  papiers,  et  d'autres  qu*il  faut  chan^ 
f<  jusqu'h  six  fois:  celles  qui  sont  de  nature  aqueuse  eiioent  qu'on 
ce  en  accélère  la  dessiccation).  Maïs  si,  au  contraire,  les  parties 
H  qui  la  composent  ont  déjà  perdu  de  leur  flexibilité,  il  faut  b 
«c  mettre  dans  une  feuille  de  gros  papier  Uanc,  où  on  la  laissera 
u  en  presse  jusqu'à  ce  que  la  dessiccation  soit  parfaitement  acbe- 
«  Tëe  ;  ce  sera  alors  qu'il  faudra  songer  à  assurer  pour  long- 
•c  temps  la  conservation  de  votre  plante  ^  elle  pourra  être  employée 
«  à  la  formation  de  votre  herbier;  il  ne  s'agit  plus  que  de  la  fixev,^ 
«  de  la  nommer  et  de  la  mettre  en  place....  Pour  garantir  votre 
ce  herbier  des  ravages  qu'y  feraient  les  insectes,  il  faut  tremper 
«  le  papier  sur  lequel  vous  voulei  fixer  vos  plantes,  dans  une 
K  forte  dissolution  d'alun ,  le  faire  bien  sécher ,  et  y  attacher  vos 
te  plantes  avec  de  petites  bandelettes  de  papier,  que  (vous  colle" 
M  rez  avec  de  la  colle  à  bouche  ;  c'est  avec  cette  colle  que  youa 
<(  pourrez  aussi  assujettir  les  organes  de  la  fructification  des  plan* 
M  tes,  lorsque  vous  anrex  eu  la  patience  de  les  dessécher  à 
«I  part....  U  serait  bon  d'avoir  plusieurs  échantillons  de  la  mènsi 
«  plante,  surtout  si  elle  est  sujette  à  yarier....  Il  faut  ren&nncr 
«  y  os  plantes  dans  des  boites  de  tilleul  que  tous  étk}iiete|$ï[  3 
m  faut  qu'elle^  soient  en  un  lieu  ieC|  Ito.  ^ 


M^Uaiai.:  3S 


.> 


386  LETTRES 


Mtmmivtiaiwtmyt/timiyvm 


'1- 


Letthe  p.  a  m.  de  Malesherbes. 

Sur  le  format  des  Herbiers  et  sur  la  SjBon/mi(< 

Si  j'ai  tardé  si  long-temps,  monsMur^irej'i 
dre  en  détail  à  la  lettre  que  vous  jnrez  culabf  i 
de  m'écrire  le  3  janvier,  c'a  été  d'abord dâibl^-^ 
du  voyage  dont  vous  m  aviez  prévenu,  et  as 
je  a^ai  appris  que  dans  la  suite  que  voos  ari^^ 
nonce,  et  ensuite  par  mon  travail  joarnafe.^^ 
m'estvenutoutd'uncoupen  si  grande abonà: 
que ,  pour  ne  rebuter  personne ,  j'ai  été  oHi:  * 
m  y  livrer  tout  entier;  ce  qui  a  fait  à  la  l)oUa 
une  diversion  de  plusieurs  mois.  Mais  enfio 
la  saison  revenue,  et  je  me  prépre  à  recoœC' 
cer  mes  courses  champêtres,  devcDueSjp:'-^ 
longue  habitude,  nécessaires  à  mon  bani^'°^^ 
ma  santé. 

En  parcourant  ce  qui  me  restait  en  P'  ■ 
sèches ,  je  n'ai  guère  trouvé  hors  de  mon  bff^  ' 
auquel  je  ne  veux  pas  toucher,  que  quelques  ^ 
blés  de  ce  que  vous  avez  déjà  reçu;  et  cela  nt 
lant  pas  la  peine  d'être  rassemblé  pour  un  prf^ 
envoi,  je  trouverais  convenable  de  me  feii** 
rant  cet  été,  de  bonnes  fournitures,  de  Icspr^ 
rer,  coller  et  ranger  durant  l'hiver;  après  qu^ 
pourrais  continuer  de  même,  d'année  en  ân^ 
jusqu'à  cç  que  j'eusse  épuisé  tout  ce  que  je  p^ 


!T 


I 


SXm  LA  BOTANIQUE.  38^ 

rais  fournir.  Si  cet  arrangement  vous  convient, 
monsieur,  je  m  y  conformerai  ave^  exactitude;  et 
dès  â  présent  je  commencerai  mes  collections.  Je 
désirerais  seulement  savoir  quelle  forme  vous  pré- 
férez. Mon  idée  serait  de  faire  le  fond  de  chaque 
herbier  sur  du  papier  à  lettre  tel  que  celui-ci  ;  c'est 
ainsi  que  jen  ai  commencé  un  pour  mon  usage, 
et  |e  sens  chaque  jour  mieux  que  la  commodité 
de  ce  format  compense  amplement  l'avantage 
qu'ont  de  plus  les  grands  herbiers.  Le  papier  sur 
le' {uel  sont  les  plantes  que  je  vous  ai  envoyées 
\audrait  encore  mieux ,  mais  je  ne  puis  retrouvrr 
du  mJme;  et  l'impôt  sur  les  papiers  a  tellement  de- 
nature  leur  fabrication,  que  je  nen  puis  plus  trou- 
ver pour  noter  qui  ne  perce  pas.  J'ai  le  projet  aussi 
d'une  forme  de  petits  herbiers  à  mettre  dans  lar 
poche  pour  les  plantes  en  miniature,  qui  ne  sont 
pas  les  moins  curieuses,  et  je  n'y  iSgraisentrerncan-^ 
moins  que  des  plantes  qui  pourraient  y  tenir  en- 
tières,  racine  et  tout;  entre  autres,  la  plupart  des 
mousses,  les  glaux,  peplis,  montia,  sagina,  passo^ 
pierre,  etc.  Il  me  semble  que  ces  herbiers  mignons 
pourraient  devenir  charmans  et  précieux  en  même 
temps.  Enfin ,  il  y  a  des  plantes  d'une  certaine 
grandeur  qui  ne  peuvent  conserver  leur  port  dans 
un  petit  espace,  et  des  échantillons  si  parfaits, 
q  le  ce  serait  dommage  de  les  mutiler.  Je  destine 
à  ces  belles  plantes  du  papier  grand  et  fort;  et 
j'en  ai  déjà  quelques-unes  qui  font  un  fort  bel  ef- 
fet dans  cette  forme. 


388  tirmiEs 

n  y  a  long-temps  ^e  j'éprouve  les  ^culié^ 
de  la  nomenclature ,  et  j'ai  souvent  été  tenk 
d'abandonner  tout-à-fait  cette  partie3I^  ili^i: 
drait  en  même  temps  renoncer  aux  livres  et  i 
profiter  des  observations  d'autrui;  et  il  mekoil' 
ç[U  un  des  plus  grands  charmes  de  la  botan^^: 
est  5  après  celui  de  voir  par  soi-même,  celui i^^ 
vérifier  ce  qu'ont  vu  les  autres  :  donner,  sdtj 
témoignage  de  mes  propres  yeux ,  mon  ass^-' 
ment  aux  observations  fines  et  justes  dun  aciu* 
me  paraît  une  véritable  jouissance;  an  lien fi 
quand  je  ne  trouve  pas  ce  qu'il  dit,  je  soislK 
jours  eu  inquiétude  si  ce  n^est  point  moi  qoi^ 
mal.  D'ailleurs,  ne  pouvant  voir  parmoi-n- 
que  si  peu  de  chose,  il  faut  bien  sur  le  rester 
fier  à  ce  que  d'autres 'ont  vu  5  et  leurs  diffirt: > 
nomenclatures  me  forcent  pour  cela  de  percera 
mon  mieux  le  chaos  de  la  synonymie.  Il  a  i^ - 
pour  ne  pas  m  y  perdre,  tout  rapportera  ud^e 
menclature  particulière*,  et  j'ai  choisi  celle d«l- 
nœus,  tant  par  la  préférence  que  j'ai  donDt^* 
son  système ,  que  parce  que  ses  noms,  comp^ 
seulemcntde  deux  mots,  me  délivrent  des  loor 
phrases  des  autres.  Pour  y  rapporter  sans  pf  ' 
celles  de  Toumefort,  il  me  faut  très-souvenir 
courir  à  l'auteur  commun  que  tous  deux  cit'  ! 
assez  constamment^  savoir  Gaspard  Bauhin.  C<^ 
dans  son  Pinax  que  je  cherche  leur  concordao'' 
car  Linnœus  me  parait  faire  une  chose  convro! 
ble  et  juste,  quand  Toumefort  n  a  &it  qoe  P^ 


SUR  14  BOTANIQUE.  889 

.dre  la  phrase  de  Bauhin,  de  citer  Fauteur  origi- 
nal, et  non  pas  celui  qui  Ta  transcrit,  comme  on 
fait  très-injustement  en  France.  De  sorte  que, 
quoique  presque  toute  la  nomenclature  de  Tour- 
nefort  soit  tirée  mot  à  mot  du  pinax^  on  croirait, 
à  lire  les  botanistes  français ,  f^ill  n^a  jamais 
existé  ni  Bauliin  uipinax^  au  monde  ;  et,  pour 
comble,  ils  font  encore  un  crime  à  Linnaeus  de 
n  avoir  pas  imité  leur  partialité.  A  IVgard  dos 
plantes  dont  ïournefort  n'a  pas  tiré  les  noms  du 
pinax^  on  en  trouve  aisément  la  concordance 
dans  les  auteurs  français  linn^çistes,  tels  que  Sau- 
vages, Gouan ,  Gérard,  Guétard,  et  d'Alibard, 
qui  l'a  prcs(|uc  toujours  suivi. 

J^ai  fait  cet  hiver  une  seule  herborisation  dans 
le  bois  de  Boulogne,  et  j'en  ai  rapporté  quelque» 
mousses.  Mais  il  ne  faut  pas  s'attendre  qu  on 
puisse  complctter  tous  les  genres,  même  par  une 
espèce  unique.  Il  y  en  a  de  bien  difficiles  à'  mettre 
dans  un  herbier,  et  il  y  en  a  de  si  rares,  quib 
n'ont  jairais  passé  et  vraisemblement  nepasseront 
jamais  sous  mes  yeux.  Je  crois  que,  dans  cette  fa- 
mille et  celles  des  algues,  il  faut  se  tenir  aux  gen- 
res ,  dont  on  rencoiilre  assez  souvent  des  espèces^ 
pour  avoir  le  plaisir  de  s'y  reconnaître,  et  négliger 
cvnx  dont  la  vue  no  nous  reprochera  jamais  notre 
ignorance,  ou  dont  la  figure  extraordinaire  nous 
fera  faire  effort  pour  la  vaincre.  J'ai  la  vue  fort 
courte,  mes  yeux  deviennent  mauvais,  et  je  ne 
puis  plus  espérer  de  recueillir  que  ce  qui  se  pro- 

33. 


3cfO  LETTRES 

sentera  fortuitement  dans  les  lieux  à  peu  près  o& 
je  saurai  qu'est  ce  que  je  cherche.  Â  l'égard  de  la 
manière  de  chercher,  j'ai  suivi  M.  de  Jussieu  dans 
sa  dernière  herborisation ,  et  je  la  trouvai  si  tumul* 
tueuse  et  si  peu  utile  pour  moi,  que,  quand  il  en 
aurait  encore  fait,  j'aurais  renoncé  à  l'y  suiTre. 
Jai  accompagné  son  neveu  Tannée  dernière,  moi 
vingtième,  à  Montmorency,  et  j'en  ai  ra^wrté 
quelques  jolies  plantes,  entre  autres  la  Ij-simachia 
tenellaj  que  je  crois  vous  avoir  envoyée.  Mais  j'ai 
trouvé  dans  cette  herborisation  que  les  indications 
de  Tournefort  et  de  Vaillant  sont  très-fautives,  on 
que,  depuis  eux,  bien  des  plantes  ont  changé  de 
sol.  Jai  cherché  entre  autres,  et  jai  engagé  toat 
le  monde  à  chercher  avec  soin  le  plantago  monan- 
ihos  à  la  queue  de  l'étang  de  Montmorency,  et 
dans  tous  les  endroits  oti  Tournefort  et  VaîlUnt 
rindiquent,  et  nous  n  en  avons  pu  trouver  un  seul 
pied  :  en  revanche,  j'ai  trouvé  plusieurs  plantes 
de  remarque,  et  même  tout  près  de  Paris,  dans 
des  lieux  où  elles  ne  sont  point  indiquées.  En  gé- 
néral j'ai  toujours  été  malheureux  eo  cherchant 
d'après  les  autres.  Je  trouve  encore  mieux  mon 
compte  à  chercher  de  mon  chef. 

J'oubliais,  monsieur,  de  vous  parler  de  vos  li- 
vres. Je  n'ai  &it  encore  qu  y  jeter  les  yeux  ;  eC 
comme  ils  ne  sont  pas  de  taille  à  porter  dans  la 
poche,  et  que  je  ne  lis  guère  l'été  dans  la  chambre, 
{e  tarderai  peut-être  jusqu^à  la  fin  de  l'hiver  pro- 
chain à  vous  rendre  ceux  dont  vous  n'aurez  pat 


SUR  LA  BOTANIQUE.  Sgi 

à  faire  avant  ce  temps-là.  J'ai  commencé  de  lire 
ÏAnthologie  de  Pontedera ,  et  fy  trouve  coDlre 
le  système  sexuel  des  objections  qui  me  parais- 
sent bien  fortes,  et  dont  je  ne  sais  pas  comment 
Linnseus  s'est  tiré.  Je  suis  souvent  tenté  d'écrire 
dans  cet  auteur  et  dans  les  autres  les  noms  do 
Linnxus  à  côté  des  leurs  pour  me  reconnaître. 
J  ai  déjà  même  cédé  à  cette  tentation  pour  quel- 
ques-unes, n'imaginant  à  cela  rien  que  d'avanta- 
geux pour  l'exemplaire.  Je  sens  pourtant  que  c'est 
une  liberté  que  je  n\iurais  pas  dû  prendre  sans 
votre  agrément,  et  je  lattendrai  pour  continuer. 

Je  vous  dois  des  remercîmens,  monsieur,  pour 
l'emplacement  que  vous  avez  la  bonté  de  m'offrir 
pour  la  dessiccation  des  plantes  :  mais,  quoique 
ce  soit  un  avantage  dont  je  sens  bien  de  la  priva- 
tion ,  la  nécessité  de  les  visiter  souvent,  et  Téloi- 
gnement  des  lieux,  qui  me  ferait  consumer  beau- 
coup de  temps  en  courses  ,  m'empêchent  de  me 
prévaloir  de  cette  offre. 

La  fantaisie  m'a  pris  de  faire  une  collection  de 
fruits  et  de  graines  de  toute  espèce,  qui  de\Taient, 
avec  un  herbier,  faire  la  troisième  partie  d'un 
cabinet  d'histoire  naturelle.  Quoique  j'aie  encore 
acquis  très-peu  de  chose,  et  que  je  ne  puisse  espé* 
rer  de  rien  acquérir  que  très -lentement  et  par 
hasard,  je  sens  déjà  pour  cet  objet  le  défaut  de 
place  :  mais  le  plaisir  de  parcourir  et  visiter  inces- 
samment ma  petite  collection  peut  seul  me  payer 
la  peine  de  la  ùire  *,  et  si  je  la  tenais  loin  de  mes 


3qsi  lettres 

yeux,  je  ccsserab  d*en  jouir.  Si,  par  hasard, t^ 
gardes  et  jardiniers  trouyaient  ^elquefois  $f  j 
leurs  pa5  des  faînes  de  hêtres,  des  fruits  daui-' 
d'érables ,  de  bouleau ,  et  généralement  de  totk  ; 
fruits  secs  des  arbres  de  forêts  ou  d'autres,  q? 
en  ramassassent,  en  passant,  quelques-anse 
leurs  poches  ,  et  que  vous  voulussiez  bien  l 
faire  paivenir  quelques  échantillons  par  occasi 
j'aurais  un  double  plaisir  d'en  omerma  colîea 
naissante. 

Excepté  l'Histoire  des  Mousses  par  Eîifarlv 
j'ai  à  moi  les  autres  livres  de  botanique  donl\  u 
m  envoyez  la  note  :  mais ,  quand  je  n'en  â  ' 
aucun,  je  me  garderais  assurément  de  conse': 
vous  priver,  pour  mon  agrément ,  du  moladr 
amusemens  qui  sont  k  voire  portée.  Je  vous; 
monsieur,  d'agréer  mon  respct. 

LstTRE  II.  Au  même» 

Sur  les  Mousses. 


.=  I 


A  Paris,  le  19  déctmbrt  17*1 


Voici,  monsieur,  quelques  échantillo: 
mousses  que  j^ai  rassemblés  à  la  hâte  y  pour  ^1 
mettre  à  portée  au  moins  de  distinguer  les  ['i 
paux  genres  avant  que  la  saison  de  les  ob-  < 
soit  passée.  C  est  une  étude  à  laquelle  j'emp  i 
délicieusement  Ibiver  que  j'ai  passé  à  W'o^l 
où  je  me  trouvais  environné  de  montagne.^ 


SUR  LA  BOTANIQUE.  3,, 3 

bois  et  de  rochers  tapissés  de  capillaires  et  de 
mousses  des  plus  curieuses.  Mais,  depuis  lors,  j'ai 
si  bien  perdu  cette  famille  de  vue,  que  ma  mé- 
moire éteinte  ne  me  ibumit  presque  plus  rien  de 
ce  que  j  avais  acquis  en  ce  genre  ;  et  n'ayant  point 
I  ouvrage  de  Dilleuius,  guide  indispensable  dans 
ces  recherches ,  je  ne  suis  paiTenu  qu'avec  beau- 
coup d  effort,  et  souvent  avec  doute^  à  déterminer 
les  espèces  que  je  vous  envoie.  Plus  je  m'opiniàtre 
à  vaincre  les  difficultés  par  moi-même  et  sans  le 
secours  de  personne  ,  plus  je  me  confirme  dans 
lopinion  que  la  botanique ,  telle  qu'on  la  cultive, 
est  une  science  qui  ne  s'acquiert  que  par  tradition  : 
on  montre  la  plante,  on  la  nomme;  sa  figure  et 
son  nom  se  gravent  ensemble  dans  la  mémoire.  Il 
y  a  peu  de  peine  à  retenir  ainsi  la  nomenclature 
d^un  grand  nombre  de  plantes  :  mais ,  quand  on 
se  croit  pour  cela  botaniste  ,  on  se  trompe  ,  on 
n'est  qu'herboriste;  et  quand  il  s'agit  de  détermi- 
ner par  soi-même  et  sans  guide  les  plantes  qu  on 
n'a  jamais  vujss,  c  est  alors  qu  on  se  trouve  arrêté 
tout  court,  et  qu^on  est  au  bout  de  sa  doctrine.  Je 
suis  resté  plus  ignorant  encore  en  prenant  la  route 
contraire.  Toujours  seul  et  sans  autre  maître  qUe 
la  nature ,  j'ai  mis  des  efforts  incroyables  à  de 
très-faibles  progrès.  Je  suis  parvenu  à  pouvoir, 
en  bien  travaillant,  déterminer  à  peu  près  les 
genres  ;  mais  pour  les  espèces,  dont  les  diÛërences 
sont  souvent  très-peu  marquées  par  la  nature,  et 
plus  mal  énoncées  par  les  aulems,  je  n'ai  pu  par- 


3 


gS  LETTRES 

plantes  indigènes.  Il  n'y  a  que  les  jardins  et  pn 
ductions  exotiques  où  je  me  trouve  en  payspenii 
En6n  ce  que  je  naurai  pu  déterminer  sera  p:< 
vous,  monsieur,  un  objet  de  recherche  et  de  :\ 
riosité  qui  rendra  vos  amusemens  plus  ptqu>'î: 
Si  cet  arrangement  vous  plaît ,  je  suis  à  vos  onlr  i 
et  vous  pouvez  être  sûr  de  me  procurer  un  &zi 
sèment  très-intéressant  pour  moi. 

^attends  la  noteque  vous  m'avez  promise  t<  .i 
travailler  à  la  remplir  autant  qu'il  dépendra  j 
moi.  L'occupation  de  travailler  k-  des  krK-r 
remplira  très-agréablement  mes  beaux  îoiBsd/.(.i 
Cependant  je  ne  prévois  pas  d'être  jamais 
riche  eD  plantes  étrangères;  et,  selon  moi,  It 
grand  agrément  de  la  botanique  est  de  p^»^  J 
étudier  et  connaître  la  nature  autour  de  soi  ;  i 
tôt  qu  aux  Indes.  J'ai  été  pourtant  assez  hec  i 
pour  pouvoir  insérer  dans  le  petit  recueil  qu- 
eu  l'honneur  de  vous  envoyer  quelques  pk'  i 
curieu  .es,  et  entre  autres  le  vrai  papier,  qui  i 
guici  notait  point  connu  en  France,  pas  cki 
de  M.  de  Jussieu.  Il  est  vrai  que  je  n'ai  pu  ^  i 
envoyer  qu'un  brin  bien  misérable ,  mais  c'en  i 
assez  pour  distinguer  ce  rare  et  précieux  sooci 
Voilà  bien  du  bavardage;  mais  la  botanique  n  j 
trahie ,  et  j'ai  le  plaisir  d  en  parler  avec  tous  :  i 
cordez-moi,  monsieur,  un  peu  d'indulgence. 

Je  ne  vous  envoie  que  de  vieilles  mousses  ;  | 
ai  vainement  cherché  de  nouvelles  dans  la  c^ 
pagae  II  n'y  en  aura  guère  qu  au  mois  de  &ft 


sua  LA  BOTANIQUE.  397 

pirce  que  lautomne  a  été  trop  sec^  encore  fau- 
dra-t-il  les  chercher  au  loin.  On  n'en  trouve  guère 
autour  de  Paris  que  les  mêmes  répétées. 


Lettre  F^.  A  madame  la  duchesse  de  Portland. 

A  Wootton,  le  20  octobre  1766. 

Vousi  ayez  raison,  madame  la  duchesse,  de 
commencer  la  correspondance,  que  vous  me  faites 
rhohneur  de  me  proposer,  par  m'envoycr  des  li- 
vres pour  me  mettre  en  état  de  la  soutenir  :  mais 
je  crains  que  ce  ne  soit  peiné  perdue  ;  je  ne  retiens 
plus  rien  de  ce  que  je  lis;  je  n'ai  plus  de  imémoire 
pour  les  livres,  il  ne  m'en  reste  que  pour  les  per- 
sonnes, pour  les  bontés  qu'on  a  pour  moi-,  et  j'es- 
père à  ce  titre  profiter  plus  avec  vos  lettres  qu'avec 
tous  les  livres  de  l'univers.  11  en  est  un ,  madame, 
où  VOU6  savez  si  bien  lire,  et  où  je  voudrais  bien 
apprendre  i  épeler  quelques  mots  après  vous« 
Heureux  qui  sait  prendre  assez  de  goût  à  cette 
intéressante  lecture  pour  n  avoir  besoin  d'aucune 
autre,  et  qui,  méprisant  les  instructions  des  hom- 
mes, qui  sont  menteurs,  s'attache  à  celle&.,de  la 
nature,  qui  ne  ment  point!  Vous  letudiez  avec 
autant  de  plaisir  que  de  succès;  vous  la  suivez 
dans  tous  ses  règnes  ;  aucune  de  ses  productions 
ne  vous  est  étrangère;  vous  savez  assortir  les  fos- 
filles,^  les  minéraux^  les  coquillag^esi  cultiver  le* 


SgS  LETTRES 

plantes,  apprivoiser  les  oiseaux  :  clqQCB'app' 
voiseriez-vous  pas?  Je  connais  un  animal  un  p 
sauvage  qui  vivrait  avec  grand  plaisir  dans  \o:' 
ménagerie,  en  attendant  rbonneur  dèlrc  adi- 
un  jour  en  momie  dans  votre  cabinet. 

J'aurais  bien  les  mêmes  goûts  si  jeUÎsenr- 
de  les  satisfaire  ;  mais  un  solitaire  et  un  comni 
rant  de  mon  âge  doit  rétrécir  beaucoup  1  unh  ^ 
s'il  veut  le  connaître:  et  moi,  qui  me  perds cop 
un  insecte  parmi  les  herbes  d'un  pré,  je  n'ai;  ' 
d'aller  escalader  les  palmiers  de  l'Afrique  u 
cèdres  du  Liban.  Le  temps  presse,  et,  loind.N 
rer  à  savoir  un  jour  la  botanique,  j*ose  i  ^ 
espérer  d'herboriser  aussi  bien  que  les,  mou*  J 
qui  paissent  sous  ma  fenêtre  ^  et  de  savoir  coaJ 
eux  trier  mon  foin. 

J'avoue  pourtant,  comme  les  hommes  ne  î> 
guère  conséquens,  et  que  les  tentations  vien-- 
par  la  facilité  d'y  succomber,  que  le  jardin  dec 
excellent  voisin,  M.  de  Granvillc,  ma  donm 
projet  ambitieux  d  eu  connaître  les  rickessi 
mais  voilà  précisément  ce  qui  prouve  que,  ne 
chant  rieh,  je  ne  suis  &it  pour  rien  apprew 
Je  vois  les  plantes,  il  me  les  nomme,  je  les  onU 
je  lè^îevois,  il  me  les  renomme,  je  les  oublie 
core;  et  il  ne  résulte  de  tout  cela  que  l'éprei 
que  nous  faisons  sans  cesse,  moi  de  sa  comp 
sance,  et  lui  de  mon  incapacité.  Ainsi,  dac 
de  la  botanique,  peu  d'avantage;  mais  un  ti 
grand  pour  le  bonheur  de  la  vie,  dan;  celui 


SUR  LA  BOTANIQUE.  3f)g 

cultiver  la  société  d'un  voisin  bienfaisant,  obli 
géant,  aimable,  et,  pour  dire  encore  plus,  sll  est 
possible,  à  qui  je  dois  Thonneur  d'être  connu 
de  vous. 

Voyez  donc,  madame  la  duchesse, ^el  ignare 
con^cspondant  vous  vous  choisissez ,  et  ce  qu'il 
pourra  mettre  du  sien  contre  vos  lumières.  Je  suis 
en  conscience  obligé  de  vous  avertir  de  la  mesurcj 
des  miennes;  après  cela^  si  vous  daignez  vous  eu 
contenter,  à  la  bonne  heure;  je  n'ai  garde  de  re- 
fuser un  accord  si  avantageux  pour  moi.  Je  vous 
rendrai  de  l'herbe  pour  vos  plantes,  des  rêveries 
pour  vos  observations;  je  m  instruirai  cependant 
par  vos  bontés  :  et  puisse -je  un  jour,  devenir 
meilleur  herboriste ,  orner  de  quelques  fleurs  la 
couronne  que  vous  doit  la  botanique  pour  l'hon- 
neur que  vous  lui  faites  de  la  cultiver! 

Javais  apporté  de  Suisse  quelques  plantes 
sèches  qui  se  sont  pouries  en  chemin  :  c'est  un 
herbier  à  recommencer,  et  je  n'ai  plus  pour  cela 
les  mêmes  ressources.  Je  détacherai  toutefois  de 
ce  qui  me  reste  quelques  échantillons  des  moins 
gâtés,  auxquels  jen  joindrai  quelques-uns  de  ce 
pays  en  fort  petit  nombre ,  selon  lëtendue  de  mon 
savoir,  et  je  prierai  M.  Granville  de  vous  les  faire 
passer  quand  il  en  aura  Toccasion;  mais  il  faut 
auparavant  les  trier,  les  démoîsir,  et  surtout  re- 
trouver les  noms  à  moitié  perdus,  ce  qui  u'cst  pas 
pour  moi  une  petite  affaire.  Et,  à  propos  des 
noms,  comment  pai  viendrons -nous,  madame,  à 


400  LETTRES 

nous  entendre?  Je  ne  connais  point  les  noms  îq- 
glais;  ceux  qae  je  connais  sont  tous  du  Pinox^ 
Gaspard  Bauhin  on  du  Species  plantarum  c? 
M.  Linnœus ,  et  je  ne  puis  en  faire  la  s}'noD}ip> 
avec  Gérard,  qui  leur  est  antérieur  à  lun  eii 
Tautre,  ni  avec  le  Synopsis^  qui  est  antérieur yj 
second,  et  qui  cite  rarement  le  premier-,  en  s* r 
que  mon  Species  me  devient  «lutile  pour>oû^ 
nommer  l'espèce  de  plante  que  fy  connais 
pour  y  rapporter  celle  que  vous  pouvez  mek" 
connaître.  Si  par  hasard  y  madame  la  daclic>^ 
vous  aviez  aussi  le  Species  plantarum  ou  le  P 
naXj  ce  point  de  réunion  nous  serait  très-commf- 
pour  nous  entendre ,  sans  quoi  je  ne  sais  pas  tri 
comment  nous  ferons. 

J'avais  écrit  à  milord  Maréchal  deux  joc 
avant  de  recevoir  la  lettre  dont  vous  m'avez  b 
noré.  Je  lui  en  écrirai  bientôt  une  autre  p*^^ 
m'acquitter  de  votre  commission ,  et  pour  Iui<i^ 
mander  ses  félicitations  sur  Favantage  que  sc^ 
nom  m'a  procuré  près  de  vous*  J'ai  renoncé  i  to^ 
commerce  de  letb^s,  hors  avec  lui  seul  et  ui 
autre  ami.  Vous  serez  la  troisième,  madame I 
duchesse,  et  vous  me  ferez  chérir  toujours  plusl 
botanique  à  qui  je  dois  cet  honneur.  Passé  cela 
la  porte  est  fermée  aux  correspondances.  Je  à 
viens  de  jour  en  jour  plus  paresseux;  il  ni« 
coûte  beaucoup  d'écrire  à  cause  de  mes  incoronM 
dîtes;  et  content  d'un  si  bon  choix  je  m'y  bon»'' 


5tR  LA  BOTANIQUE.  ifoi 

bien  sûr  que^  si  je  Tétendais  davantage,  le  même 
bonheur  ne  m'y  suivrait  pas. 

Je  vous  supplie,  madame  la  duchesse,  d  agréer, 
mon  profond  respect. 

Lettre  II.  A  la  même. 

A  Wooton,  le  la  fiéTrier  17G7.  ^ 

Je  n'aurais  pas^  madame  la  duchesse,  tardé  uni 
seul  instant  de  calmer,  si  je  lavais  pu ,  vos  inquiÀ<> 
tudes  sur  la  santé  de  milord  Maréchal;  mais  je 
craignis  de  ne  faire,  en  vous  écrivant,  qu'augmen- 
ter ces  inquiétudes ,  qui  devinrent  pour  moi  des 
alarmes.  La  seule  chose  qui  me  rassurât  était  que 
j  avais  de  lui 'une  lettre  du  .22  novembre;  et  je 
présumais  que  ce  qu'en  disaient  les  papiers  pu- 
blics ne  pouvait  guère  être  plus  récent  que  ccla.. 
Je  raisonnai  là  -  dessus  avec  M.  Granville ,  qui 
devait  partir  dans  peu  de  jours,  et  qui  se  chargea 
de  A'^ous  rendre  compte  de  ce  que  nous  avions 
pensé ,  en  attendant  que  je  pusse ,  madame ,  vous- 
marquer  quelque  chose  de  plus  positif  :  dans 
cette  lettre  du  32  novembre,  milord  Maréchal  me 
marquait  qu'il  se  sentait  vieillir  et  affaiblir,  qu'il 
n'écrivait  plus  qu'avec  peine,  qu'il  avait  cessé 
d'écrire  à  ses  parens  et  amis,  et  qu'il  m'écrirait 
désorma^'s  fort  rarement  à  moi-même.  Cette  réso- 
lution, qui  put -être  était  déjà  leffet  de  sa  mala- 
die, fait  que  son  silence  depuis  ce  temps -là  me 
forprend  moins  ^  mais  il  me  chagrine  extrême 

34.- 


4oa  LETTRES 

ment.  Xattendaisquelcpie  réponse  aux  lettres  qoi 
je  lui  ai  écrites;  je  la  demandais  incessammeD'. 
et  j'espérais  vous  en  faire  part  aussitôt;  U  nV: 
rien  venu.  J  ai  aussi  écrit  à  son  banquier  ï 
Londres,  qui  ne  savait  rien  non  plus, mais qr. 
ayant  fait  des  informations,  m^a  marqué  qu  . 
cITet  milord  Maréchal  avait  été  fort  malade, œ:: 
qu  il  était  beaucoup  mieux.  Voilà  tout  ce  que  ]0 
sais,  madame  la  duchesse.  Probablement  vousrQ 
savez  davantage  à  présent  vous-même;  et,  a  \ 
supposé,  j  oserais  vous  supplier  de  vouloir  biei 
me  faire  écrire  un  mot  pour  me  tirer  du  troul  i 
oh  je  suis.  A  moins  que  les  amis  charitables  :i 
m^instruisent  de  ce  qu'il  mimporte  de  savoir.] 
ne  suis  pas  en  position  de  pouvoir  l'appreadre  :  i 
moi-même. 

Je  n'ose  presque  plus  vous  parler  deplani! 
depuis  que,  vous  ayant  trop  annoncé  les  chiâ 
que  j  avais  apportés  de  Suisse,  je  n'ai  pu  cdi  : 
vous  rien  envoyer.  U  faut,  madame,  vous  avoj 
toute  ma  misère  :  outre  que  ces  débris  valdM 
^)eu  la  peine  de  vous  être  oflèrts,  j'ai  été  rcta: 
par  la  difficult'é  den  trouver  les  noms,  qui  ipi 
quaient  à  la  plupart  ;  et  cette  difficulté  mai  TaiL>! 
m'a  Élit  sentir  que  j'avais  fait  une  entreprise  t: 
pénible  à  mon  âge,  en  voulant  m  obstiner  à  ci 
naître  les  plantes  tout  seul.  Il  Ëiut,  en  botank^ 
cominencei  par  être  guidé;  il  faut  da  moins 
prendre  empiriquement  les  noms  d'un  cen 
nombre  de  plantes  avant  de  vouloir  ieft  étu< 


SUR  LA  BOTANIQUE.  4^^ 

méthodiquement  :  il  &ut  premièrement  être  her- 
boriste y  et  puis  devenir  botaniste  après ,  si  Ton 
peut.  J'ai  voulu  faire  le  contraire,  et  je  m'en  suis 
mal  trouvé.  Les  livres  des  botanistes  modernes 
n'instruisent  que  les  botanistes  ;  ils  sont  inutiles 
aux  ignorans.  U  nous  manque  un  livre  vraiment 
élémentaire,  avec  lequel  un  homme  qui  n^aurait 
.jamais  vu  de  plantes  pût  paiTenir  à  les  étudier 
seul.  Voilà  le  livre  qu  il  me  faudrait  au  défaut  d'in- 
structions verbales  i  car,  où  les  trouver?  Il  n  y  a 
point  autour  de  ma  demeure  d'autres  herboristes 
que  les  moutons.  Une  difficulté  plus  grande  est 
que  j'ai  de  très-mauvais  yeux  pour  analyser  les 
piaules  par  les  parties  de  la  fructification.  Je  voir 
drais  étudier  les  mousses  et  les  gramens  qui  sont 
à  ma  portée;  je  m'éborgne,  et  je  ne  vois  rien.  Il 
scmijle ,  madame  la  duchesse ,  que  vous  ayez  exac- 
tement deviné  mes  besoins  en  m  envoyant  les 
deux  livres  qui  me  sont  le  plus  utiles.  Le  Synopsis 
comprend  des  descriptions  à  ma  portée  et  que  je 
suis  en  état  de  suivre  sans  m^arracher  les  yeux,  nt 
le  Petiver  m'aide  beaucoup  par  ses  figures,  qui 
prêtent  à  mon  imagination  autant  qu'un  objet 
sans  couleur  peut  y  prêter.  C'est  encore  un  grand 
défaut  des  botanistes  modernes  de  lavoir  négligée 
entièrement.  Quand  j'ai  vu  dans  mon  Linnacus  la 
classe  et  Tordre  dune  plante  qui  m'est  inconnue  ^ 
je  voudrais  me  figurer  cette  plante,  savoir  si  elle 
est  grande  ou  petite ,  si  la  fleur  est  bleue  ou  rouge, 
me  représenter  son  port.  Rien.  Je  lis  une  descrip* 


4oî  LETTRES 

ti(m  caiactéristîquc,  d'après  laquelle  \e  ncpé 
rien  me  représenter^  Cela  n'esl-il  pas  désolant? 

Cependant,  madame  la  duchesse,  je  suisasv: 
fou  pour  m'obsliner,  ou  plutôt  je  suis  assez  sa:^ 
tMr  ce  goût  est  pour  moi  une  affaire  de  raison.  J^ 
(juekpie  fois  besoin  dart  pour  me  conserverie 
ce  cal  ne  précieux  au  milieu  des  agitations  f 
troul)lent  ma  vie,  pour  tenir  au  loin  ces  pass. 
haineuses  que  vous  ne  connaissez  pas,  que  je  :  i 
guère  connues  que  dans  les  autres ,  et  que  je  n 
peux  pas  laisser  approcher  de  moi.  Je  ne  vr^ 
pas ,  s'il  est  possible ,  que  de  tiistes  somn  ! 
viennent  troubler  la  paix  de  ma  solitude.  Je  u: 
oublier  les  hommes  et  leurs  injustices.  Je  v  i 
m  attendrir'  chaque  jour  sur  les  merveilles  de  û  i 
qui  les  fit  pour  être  bous,  et  dont  ils  ont  si  ici 
giicmcnt  dégradé  l'ouvrage.  Les  végétaux  c 
nos  bois  et  dans  nos  montagnes  sont  encore  t 
quils  sortirent  originairement  de  ses  mains, 
c'est  là  que  j'aime  à  étudier  la  nature;  car  je  \> 
avoue  que  je  ne  sens  plus  le  même  charme  h  !j 
boriser  dans  un  jardin.  Je  trouve  qu  elle  n'^ 
plus  la  mémo;  elle  y  a  plus  d éclat,  mais  elle 
est  pa  si  touchante.  Les  hommes  disent  q  i 
rembcllisscnt,  et  moi  je  trouve  qu'ils  la  dO: 
rent.  Pardon,  madame  la  duchesse;  en  pan 
des  jardins  j'ai  peut-être  un  peu  médit  du  vi  1 
mais,  si  j  étais  à  portée,  je  lui  ferais  bien  répi 
tion.  Que  n'y  puis-je  faire  seulement  cinq  ou 
herborisations  à  votre  suite  ^  sous  M.  le  docl 


SUR  LA  BOTANIQUE.  ^oi 

Solanderl  II  me  semble  que  le  petits  fonds  de 
connaissances  que  je  tâcherais  de  rapporter  de  ses 
instructions  et  des  vôtres  sufiirait  pour  ranimer 
mon  courage,  souvent  prêt  à  succomber  sous  le 
poids  de  mon  ignorance.  Je  vous  annonçais  du 
bavardage  et  des  rêveries;  en  voilà  beaucoup  trop. 
Ce  sont  des  herborisicions  d'hiver;  quand  il  n  y  a 
plus  rien  sur  la  lerrc,  j'herborise  dans  ma  tête,  et 
^lalheureusement  je  n'y  trouve  que  de  mauvaise 
lerbe.  Tout  ce  que  j*ai  de  bon  s'est  réfugié  dios 
non  cœur,  madame  la  duchesse,  et  il  est  plein  de» 
,entiniens  qui  vous  sont  dus. 

Mes  chiffons  de  plantes  sont  prêts  ou  a  peu 
nrès  ;  mais,  faute  de  savoir  les  occasions  pour  les 
mvoyer,  j'attendrai  le  retour  de  M.  GEraBvUle 
pour  le  prier  de  vous  les  Ëiire  parvenir* 

Lettre  IIL  A  la  mémem 

VTooltcn,  28  térûa  1757, 

SIadame  la  duchesse  7 

Pardonnez  mon  împortunîté  :  je  suis  trop  touh 
ché  de  la  bonté  que  vous  avez  eue  de  me  tirer  de 
peine  sur  la  santé  de  milord  Maréchal ,  pour  diffé- 
rer à  vous  en  remercier.  Je  suis  peu  sensible  i 
mille  bons  offices  où  ceux  qui  veulent  me  les 
rendre  à  toute  force  consultent  plus  leur  goût  que 
le  mien.  Mais  les  soins  pareils  à  celui  que  vous 
avez  bien  voulu  prendre  en  cette  occasion  m'afr 


4o8  LETTRBS 

tremisc,  parvenir  à  savoir  si  mes  lettres  Imi^ 
viennent?  Je  fis  partir^  le  1 6  de  ce  mob, k ci 
trième  que  je  lui  ai  écrite  depuis  sa  dermén 
ne  demande  point  qu'il  y  réponde,  je  iésirr 
seulement  d'apprendre  sll  les  reçoit  Je  pn 
bien  toutes  les  précautions  qui  sont  en  moB  f 
voir  pour  quelles  lui  parviennent;  mais  lai 
cautions  qui  sont  en  mon  pouvoir  à  at  à 
comme  à  beaucoup  d'autres  y  sont  Uen  p"» 
chose  dans  la  situation  où  je  suis. 

Je  vous  supplie,  madame  la duchesse.cap 
avec  bonté  mon  profond  respect. 

Lbttre  V.  a  la  même. 

Ce  lojuiaeti:^ 

Permettez,  madame  la  duchesse, que] 
gue  habitant  hors  de  rÂngleterre,  jepre^^ 
liberté  de  me  rappeler  à  votre  souvenir.  G^i 
Tos  bontés  m'a  suivi  dasos  mes  voyages  et  ci 
bue  à  embellir  ma  retraite.  Ty  ai  apporté  i« 
nier  livre  Xjue  vous  m'avez  envoyé;  et  je  n^J 
i  faire  la  coQiparaison  des  plantes  de  ce  a 
avec  celles  de  votre  île.  Si  j'osais  me  flatter 
dame  la  duchesse,  que  mes  observations  p 
avoir  pour  vous  le  moindre  intérêt,  Icd^ 
70US  plaire  me  les  rendrait  plus  importai' 
taoïbition  de  vous  appartenir  me  fait  aspi' 
ûtre  de  votre  herboriste  ^  comme  si  j'avais  le 
ix^ai2|3anc;es  qui  me  rendraient  digne  de  le  | 


SUK  LA  BOTANIQUE.  499 

Accordez-moi,  madame,  je  vous  en  suppUe,  la 
permission  de  joindre  ce  titre  au  nouveau  non» 
gue  je  substitue  à  celui  sous  lequel  j^ai  yécu  st 
malheureux.  Je  dois  cesser  de  Tétre  sous  vos  aus- 
pices; et  l'herboriste  de  madame  la  duchesse  de 
Portland  se  consolera  sans  peine  de  la  mort  de 
J.  J.  Rousseau.  Au  reste,  je  tâcherai  bien  que  ce 
ne  soit  pas  là  un  titre  purement  honoraire;  je  sou- 
halte  qu'il  m'attire  aussi  Thonneur  de  vos  ordres, 
et  je  le  mériterai  du  moins  par  mon  zèle  à  les 
remplira 

Je  ne  signe  point  ici  mon  noii^veau  noih,  et  je 
ne  date  point  du  lieu  de  ma  retraite  (*),  n  ayant 
pu  demander  encore  la  permission  que  j'ai  besoin 
d'obtenir  pour  cela.  S'il  vous  plaît,  en  attendant, 
m'honorer  dune  réponse ,  vous  pourrez ,  madame 
la  duchesse ,  l'adresser  sous  mon  ancien  nom , 
à  Mess...,  qui  me  la  feront  parvenir.  Je  finb  par 
remplir  un  devoir  qui  m'est  bien  {ffédeux,  en 
vous  suppliant,  madame  la  duchesse,  dagréer  ma 
très-humble  reconnaissance  et  les  assurances  de 
mon  profond  respect. 


(*)  Le  chàtctu  de  Trje^  où  Rooteeeu  était  bous  le  nom  de 

RlHOV. 


l|cUa|U.'  35 


4lO  LETTHES 

Lbttu  VI.  A  la  méme^ 

Je  suis  d*aatant  plus  toucbé ,  madame  b  do- 
chesse ,  des  nouveaux  témoignages  de  bon  tés  doLt 
ilvousaplumlionorer^que  j  avais  quel(jue  craiiite 
que  Féloignement  ne  m  eût  fait  oublier  de  ynm. 
Je  tâcherai  de  mériter  toujours  par  mes  sentimens 
les  mêmes  grâces ,  et  les  mêmes  souvenirs  par  moo 
assiduité  à  vous  les  rappeler.  Je  suis  comblé  de  b 
permission  que  vous  voulez  bien  m'accoider,  et 
très-fier  de  Thonneur  de  Vous  appartenir  en  quel- 
que chose.  Pour  commencer,  madame,  à  rempfi: 
des  fonctions  que  vous  me  rendez  préciensef.  ^ 
vous  envoie  ci-joints  deux  petits  échantillons  de 
plantes  que  j  ai  trouvées  à  mon  voisinage,  parmi 
les  bruyères  qui  bordent  un  parc ,  dans  un  terraiii 
assez  humide,  où  croissent  aussi  la  camomille 
odorante ,  le  Sagina  procumbens ,  VHiercunum 
umbellotum  de  Linnœus,  et  d'autres  plantes  qce 
je  ne  puis  vous  nommer  exactement,  n avant 
point  encore  ici  mes  livres  de  botanique,  excrpJ^ 
le  Flora  Britannica ,  qui  ne  m'a  pas  quitté  us 
seul  moment. 

De  ces  deux  plantes,  lune,  n^  a,  me  paraît 
être  une  petite  gentiane ,  appelée ,  dans  leSynopsis^ 
Centaurium  palustre  luteum  minimum  nosiras, 
Flor.  Brit.  i3i. 

Pour  1  autre  n^    i ,  je  ne  saurais  dire  ce  ^pie 


SUR  LA  BOTANIQUE.  /^If 

c'est,  à  moins  que  ce  ne  soit  peut-être  une  élatine 
de  Linnseus,  appelée  par  YàjîiiaxLX  Abinastnun 
serpyllifolium ,  etc.  La  phrase  s^j  rapporte  asseï 
bien  ;  mais  Vélatine  doit  avoir  huit  étamines ,  et  je 
n'en  ai  jamais  pu  découvrir  que  quatre.  La  fleur 
est  très-petite;  et  mes  yeux,  déjà  Ëiibles  naturel- 
lement, ont  tant  pleuré,  que  je  les  perds  avant  le 
temps  :  ainsi  je  ne  me  fie  plus  à  eux.  Dites-moi  de 
grâce  ce  qu^il  en  est,  madame  la  duchesse;  c*est 
moi  qui  devrais,  en  vertu  de  mon  emploi,  vous 
instruire  ^  et  c^est  vous  qui  m'înstnusez.  Ne  dé« 
daignez  pas  de  continuer,  ^e  vous  en  supplie;  eC 
permettez  que  je  vous  rappelle  la  plante  à  fleivr 
jaune  que  vous  envoyâtes  Tannée  dernière  ik 
M.  Granvillc,»  et  dont  je  vous  ai  renvoyé  uo 
exemplaire  pour  en  apprendre  le  nom* 

Et  à  propos  de  M*  GranvIUe,  mon  bon  voisér, 
permettez^  madame^  que  je  tous  témoigne  ïia- 
quiétude  qiûî  son  silence  me  cause.  Je  lui  aiécrit^ 
et  il  ne  ma  point  répondu,  lui  qui  est  si  exact. 
Serait-il  malade?  J'en  suis  vérîtalilement  en  peine. 

Mais  je  le  suis  .plus  encore  de  milord  Maréchal, 
mon  ami,  mon  protecteur,  mon  père,  qui  m*a  to- 
talement oublié.  Non,  madame,  cela  ne  saurait 
être.  Quoi  qu'on  ait  pu  faire,  je  puis  être  dans  sat 
disgrâce,  mais  je  suis  sûr  qu'U  m  aime  toujours. 
Ce  qui  m'afilige  de  it:a  position,  c  est qu  elle  m'ôte 
les  moyens  de  lui  écrire.  J'espère  pourtant  en  avoir 
dans  peu  l'occasion ,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  vous< 
dire  avec  quel  empressement  je  la  saisirai.  En  ai* 


4l2  LETTRES 

tendant,  f Implore  vos  bontés  pour  ayoir  ie« 
nouToUes,  et,  si  j'ose  ajouter,  pour  Im  faire  & 
UB  mot  de  moi. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  profond  rcspccl 

Madame  la  duchesse, 

YotR  trtf-Iminiae  et  ttèHitfi 
•crricenry 

Herboaistb. 

p.  s.  Tavais  dit  au  jardinier  de  M.  Davespfi 
que  je  lui  montrerais  les  rochers  où  croissait 
petit  adiantunij  pour  que  vous  pus«c2,inai'^ 
eu  emporter  des  plantes.  Je  ne  me  pardonne  p' 
de  l'avoir  ouhtié.  Ces  rochers  sont  au  mii  { 
maison  et  regardent  le  nord.  11  est  tr&s-auv  c 
détacher  des  plantes ,  parce  qu'il  y  en  a  çn  f'' 
sent  sur  des  racines  d'arhres. 

Le  long  retard,  madame,  du  départ  de(^ 
lettre ,  causé  par  des  difficultés  qui  tiennent  i 
situation,  me  metàportée  de  rectificravanlf 
parte  ma  balourdise  sur  la  plante  ci-jointe  i 
Car  ayant  dans  Fintervalle  reçu  mes  livres  i 
tanique,  jy  ai  trouvé,  à  ïsààe  des  figure?' 
Michelius  avait  fait  un  genre  de  cette  planU 
le  nom  de  Linocarpon^  et  que  Lînnaras  1^ 
mise  parmi  les  espèces  du  lin.  Elle  est  aussi 
le  Synopsis  sous  le  nom  de  Radiolcj  et  feu  i 
trouvé  la  figure  dans  le  Flora  Britannica  (p 
vais  avec  moi,  mais  précbément  la  plaoch 


I 


SUR  LA  BOTANIQUE.  ^i3 

oh  est  cette  figure,  se  trouve  omisp  dans  mon 
eicemplaire  et  n^est  que  dans  le  Synopsis,  que  je 
n  avais  pas.  Ce  long  verbiage  a  pour  but,  madame 
la  duchesse,  de  vous  expliquer  comment  ma  bévue 
tient  à  mon  ignorance,  à  la  vérité,  mais  non  pas 
à  ma  négligence.  Je  n'en  mettrai  jamais  dans  la 
correspondance  que  vous  me  permettez  d'avoir 
avec  vous,  ni  dans  mes  efforts  pour  mériter  un 
titre  dont  je  m'honore  :  mais ,  tant  que  dureront 
les  incommodités  de  ma  position  présente,  Vexac^ 
titude  de  mes  lettres  en  souffirira,  et  je  prends  le 
parti  de  fermer  celle-ci  sans  être  sûr  encore  du 
jour  où  je  la  pourrai  faire  partir* 

Lettre  VII.  A  la  méme^ 

Ce  4  ]an^î<^r  17  68. 

Je  n'aurais  pas  tardé  si  long-temps,  madame  la 
duchesse ,  à  vous  faire  mes  très-hambles  remerci- 
mens  pour  la  peine  que  vous  avez  prise  d'écrire  en 
ma  fiivcur  à  milord  Maréchal  et  4  M.  Gran ville, 
si  je  n  avais  été  détenu  près  de  trois  mois  dans  la 
chambre  dun  ami  qui  est  tombé  malade  chez  moi, 
et  dont  je  n  ai  pas  quitté  le  chevet  durant  tout  ce 
temps,  sans  pouvoir  donner  un  moment  à  nul 
autre  soin.  Enfin  la  Providence  a  béni  mon  zèle: 
je  lai  guéri  presque  malgré  lui.  11  est  parti  h  er 
bien  rétabli;  et  le  premier  moment  que  son  départ 
mo  lai^  est  emjloyéf  madame^  &  remplir  auprès 

35. 


4lS  LETTRES 

Lettre  VIII.  A  la  niéme. 

ALyon,ks}uUeti;6S. 

S*iL  étalten  mon  pouvoir,  madame ladoct 
lïc  mettre  de  rexactilude  dans  quclpiccontsi 
dance,  ce  serait  assurément  dans  celle  donn 
m'honorez;  maïs,  outre  l'Indolence  et  le  déc 
gement  qui  me  subjuguent  chatjae  jour  à 
tagc^  les  tracas  secrets  dont  on  me  tourme!!:' 
sorbcnt  malgré  moi  le  peu  d'activité  qui  mc^ 
et  me  voilà  maintenant  embarqué  dans  uof 
voyage,  qui  seul  serait  une  terrible  affai"! 
un  prcsseux  tel  que  moi.  Cependant,  coin 
botanique  en  est  le  principal  objet,  je  tâck 
l'approprier  à  Thonneur  que  j'ai  de  vousa[f 
nir,  eu  vous  rendant  compte  de  mes  hert 
tions,  au  risque  de  vous  ennuyer,  mada' 
détails  triviaux  qui  n'ont  rien  de  nouTt^i 
vous.  Je  pourrais  vous  en  faire  d'inléress^' 
le  jardin  de  l'École  vétérinaire  de  cette  vill*' 
les  directeurs,  naturalistes,  botanistes,  et  J 
très-aimables,  sont  en  m^me  temps  très<« 
uicatifs;  mais  les  richesses  exotiques  de  et 
m'accablent,  me  troublent,  par  leur  moll 
'  et,  à  force  de  voir  à  la,  fob  trop  de  choses 
discerne  et  ne  retiens  rien  du  tout.  Jesp 
trouver  un  peu  plus  à  Taise  dans  les  moi 
de  la  grande  Chartreuse,  où  je  compte  aii 
borîser  la  semaine  prochaine  avec  deax 


SUR  LA  BOTANIQUE.  4^7 

messieurs,  qui  veulent  bien  &ire  cette  course ,  et 
dont  les  lumières  me  la  rendront  très-utile.  Sî 
j'eusse  été  à  portée  de  consulter  plus  souvent  les 
vôtres,  madame  la  duchesse,  je  serais  plus  avancé 
C[ue  je  ne  suis. 

Quelque  riche  que  soit  le  j<urdin  de  FÉcole  vé- 
térinaire, je  n'ai  (pendant  pu  y  trouver  le  ffeu'p 
tiana  campestris  ni  le  swertia  perennU;  et  comme 
le  gentiana  filiformis  n^était  pas  même  encore 
sorti  de  terre  avant  mon  départ  de  Trye,  il  m'a 
par  conséquent  été  impossible  d'en  recueillir  de 
la  graine,  e(  il  se  trouve  qu'avec  le  plus  grand  zèle 
pour  faire  les  commissions  dont  vous  avez  bien 
voulu  mlonorer,  je  n'ai  pu  encore  en  exécuter 
aucune.  J^espère  être  à  l'avenir  moins  malheu- 
reux, et  pouvoir  porter  avec  pins  de  succès  un 
titre  dont  je  me  glorifie. 

J'ai  commencé  le  catalogue  d'un 'herbier  dont 
on  m'a  fait  présent,  et  que  je  compte  augmenter 
clans  mes  courses.  «Tai  pensé,  madame  la  duchesse, 
qu'en  vous  envoyant  ce  catalogue,  ou  du  moins 
celui  des  plantes  que  je  puis  avoir  i  double,  si 
vous  preniez  la  peine  d'y  marquer  celles  qui  vous 
manquent,  je  pourrais  avoir  Thonneur  de  vous  les 
envoyer  fraîches  ou  sèches,  selon  la  manière  que 
vous  le  voudriez,  pour  l'augmentation  de  votre  jar- 
din ou  de  votre  herbier.  Donnez-moi  vos  ordres, 
madame,  pour  les  Âlpes,  dont  je  vais  parcourir 
quelques-unes  ;  je  vous  demande  en  grâce  de  pou- 
voir ajouter  au  plaisir  que.  je  trouve  à  mes  herbo- 


4!8  lETTUBS 

r'sations  celai  d^en  SiireqaelqpfiimespovrTQt; 
seryice.  Mon  adresse  fix^i  durant  mes  coom 
sera  celle-ci  : 

A  monsieur  Renous  chez  Mess^ 

JTose  vous  supplier,  madame  bt  dachest.i 
vouloir  bien  me  donner  des  nouTeDesde  mi  i 
Maréchal ,  tontes  les  fois  que  vous  me  fenz  ili 
ncur  de  m'écnre.  Je  crains  bien  qoetoutceq: 
passe  à  Neufchâtei  n^afflige  saa  excelleotcT^ 
car  je  sais  qu*il  aime  toujours  ce  pays-U.ia^ 
l'iiigratitude  de  ses  habitans.  Je  snâs  affli^^^ 
(4C  n'avoir  plus  de  nouvelles,  de  M.  GranviL 
lui .'  erai  toute  ma  vie  attaché. 

Je  vous  supplie^  madame  la  duchesse,  i^ 
avec  bonté  mon  profond  respect. 

Lettre  IX.  A  la  même* 

AB«argoiiicnD«ipbin6*kii  tMtij 

Madame  la  duchesse  y 

Deux  voyages  consécutifs  immédiatementi 
la  réception  de  la  lettre  dont  vous  m'avez  U 
le  5  juin  dernier,  Vkout  empêché  de  voos  li 
gner  plus  tôt  ma  joie,  tant  pour  la  conseit 
de  votre  santé  que  pour  le  rétablissement  if 
du  cher  fils  dont  vous  étiez  en  alarmes,  et  id^ 
titude  pour  les  marques  de  souvenir  qu'il  v 
plu  m'accôrder.  Le  second  de  ces  voyages 


SUR  LA  BOTANIQUE*  4<9 

fait  h  votre  intenûon;  et,  yoyant  passer  la  saison 
de  l^herborisation  que  j  avais  en  vue,  fai  préféré 
dans  cette  occasion  le  plaisir  de  vous  servir  4 
llionneur  de  vous  répondre.  Je  suis  donc  parti 
avec  quelques  amateurs  pour  aller  sur  le  mont 
Pila,  à  douze  ou  quinze  lieues  d'ici,  dans  l'espoir, 
madame  la  duchesse,  d'y  trouver  quelques  plantes 
ou  quel  [i  es  graines  qui  méritassent  de  trouver 
place  dans  votre  herbier  ou  dans  vos  jardins  :  je 
n'ai  pas  eu  le  bonheur  de  remplir  à  mon  gré  mon 
attente.  11  était  trop  tard  pour  les  fleurs  et  pour 
les  graines  ;  la  pluie  et  d'autres  accidens  nous 
ayant  sans  cesse  contrariés ,  m'ont  fait  faire  un 
voyage  aussi  peu  utile  qu'agréable  ;  et  je  n'ai  pres- 
que rien  rapporté.  Voici  pourtant,  madame  la 
duchesse,  une  note  des  débris  de  ma  chétive  col- 
lecte. C'est  une  courte  liste  des  plantes  dont  j'ai 
pu  conserver  quelque  chose  en  nature ,  et  j'ai 
ajouté  une  étoile  à  chacune  de  celles  dont  j'ai  re- 
cueilli quelques  graines,  la  plupart  en  bien  petite 
quantité.  Si  parmi  les  plantes  ou  parmi  les  graines 
il  se  trouve  quelque  chose  ou  le  tout  qui  puisse 
vous  agréer,  daignez,  madame,  m'honorer  de  vos 
ordres,  et  me  marquer  à  qui  je  pourrais  envoyer 
le  paquet,  soit  à  Lyon,  soit  à  Paris,  pour  vous  le 
faire  parvenir.  Je  tiens  prêt  le  tout  pour  partir 
immédiatement  après  la  réception  de  votre  note; 
mais  je  crains  bien  qu'il  ne  se  trouve  rien  là  digne 
d'y  entrer,  et  que  je  ne  continue  d'être  à  votre 
égard  un  serviteur  inutile  malgré  son  zèle. 


4aO  LETTRES 

J'ai  la  mortification  de  ne  pouvoir  i<;<^ 
présent,  vous  envoyer ,  madame  la  docbe^ 
la  graine  de  gentiana  filifarmiSf  la  fbnU 
très -petite ,  très-fîi§itive ,  difficile  à  rmi 
pour  les  yeux  qui  ne  sont  pas  botanistes,  m 
à  qui  j  Wais  compté  m  adresser  pour  ceb 
mort  diins  TintervâUe ,  et  ne  eonnaissai 
sonne  dans  le  pays  à  quh  pouYcir  doo! 
commission. 

'  Une  foulure  que  je  me  sois  &ite  ï  t 
^oite  par  une  chute,  ne  me  permettaDl 
qu'avec  beaucoup  de  peine,  me  force  &i 
lettre  plus  tôt  que  je  n'aurais  désiré.  Dair- 
dame  la  duchesse ,  a^éer  avec  bontë  le  i^ 
profond  respect  de  votre  très-humble  et  w 
sant  serviteur, 

liETTiut  X.  A  la  même. 

A  Monquia,  le  ai  déccalfti: 

Cbst  ,  madame  la  duchesse ,  ayec  h 
honte  et  du  regret  que  je  m'acquitte  si 
petit  envoi  que  j'avais  eu  Honneur  de  y 
noncer,  et  qui  ne  valait  assurément  pas 
d'être  attendu.  Enfin ,  puisque  mieux  t 
que  jamais ,  je  fis  partir  jeudi  dernier,  poc 
une  botte  à  ladresse  de  M.  le  chevalier L 
contenant  les  plantes  et  graines  dont  je 
la  note.  Je  désire  extrêmement  que  le  to 


Sun  LA  BOTANIQUE.  /^^t 

parvienne  en  bon  état;  mais  comme  je  n'ose  es- 
pérer que  la  boite  ne. soit  pas  ouverte  en  route,  et 
mâme  plusieurs  fois,  je  crains  fort  que  ces  herbes, 
fragiles  et  déjà  gâtées  par  Thumidité,  ne  vous  ar- 
rivent absolument  détruites  ou  méconnaissables. 
Les  graines  au  moins  pourraient,  madame  la  du- 
chesse, vous  dédommager  des  plantes,  si  elles 
étaient  plus  abondantes;  mais  vous  pardonnerez 
leur  misère  aux  divers  accidens  qui  ont,  14-^essus, 
contrarié  mes  soins.  Quelques  uns  de  ces  accidens 
ne  laissent  pas  d'être  risibles,  quoiqu'ils  m'aient 
donné  bien  du  chagrin.  Par  exemple,  les  rats  ont 
manège  ^ur  ma  table  presque  toute  la  graine  de  bi- 
sorte  que  j'y  avais  étendue  pour  la  faire  sécher; 
et ,  ayant  mis  d'autres  graines  sur  ma  fenêtre  pour 
le  même  effet,  un  coup  de  veut  a  &it  voler  dans 
la  chambre  tous  mes  papiers,  et  j'ai  été  condamné 
ft  la  pénitence  de  Psyché;  mais  il  a  fiillu  la  faire 
moi-m£me,  et  les  fourmis  ne  sont  point  venues 
m'aider.  Toutes  ces  contrariétés  m^ont  d'autant 
plus  fâché,  que  j'aurais  bien  voulu  qu'il  pût  aller 
jusqu'à  Calwich  un  peu  du  superflu  de  Bullstrode; 
mais  je  tâcherai  détre  mieux  fourni  une  autre 
fols  ;  car,  quoique  les  honnêtes  gens  qui  disposent 
de  moi,  fâchés  de  me  voir  trouver  des  douceurs 
dans  la  botanique ,  cherchent  à  me  rebuter  de  cet 
innocent  amusement  en  y  versant  le  poison  de 
leurs  viles  âmes,  ils  ne  me  forceront  jamais  à  y 
renoncer  volontairement.  Ainsi,  madame  la  du- 
chesse, veuillez  bien  m'honorer  de  vos  ordres  et 


4a^  LETTRES 

me  filîre  mcriter  le  tître  que  vous  maycï  itrnà 
de  prendre;  je  tâcherai  de  suppléer  à  mon  i^o- 
rance  à  force  de  zèle  pour  exécuter  yos  coq- 
ntissions*. 

Vbus  rrouyerez ,  madame,  une  ombeDifii^* 
laquelle  j'ai  pris  la  liberté  de  donner  le  Bosià' 
seseti  Hallerij  feule  de  savoir  la  trouver  dans» 
Speciesy  au  lieu  qu'elle  est  bien  décrite  dam!^ 
dernière  édition  des  plantes  de  Suisse  de  M.Hi. 
1er,  n°  76a.  C'est  une  très-belle  plante,  qœ^ 
plus  belle  encore  en  ce  pays  que  dans  les  con!i^ 
plus  méridionales ,  parce  que  les  premières  atte: 
tes  du  froid  lavent  son  verd  foncé  d^an  W^ 
pourpre,  et  surtout  la  couronne  des  graines,^ 
elle  ne  fleurit  que  dans  Tarrière-saisonjCeqni*^ 
aussi  que  les  graines  ont  peine  à  mûrir  et  qn'tl^ 
difficile  d'en  recueillir.  «Tai  cependant  troaTi< 
moyen  d^en  ramasser  quelques-unes  qoeîti 
trouverez,  madame  la  duchesse,  avec  les  aati^ 
Vou9  aurez  la  bonté  de  les  recommander  â  t^ 
jardinier,  car,  encore  un  coup,  la  plante  est k^ 
et  si  peu  commune,  qu'elle  n  a  pas  même  end 
un  nom  parmi  les  botanistes.  Malheureosesi 
le  spécimen  que  j'ai  rhonnenr  de  vous  enTC!| 
est  mesquin  et  en  fort  mauvais  état,  mais  les  ^ 
nés  y  suppléeront. 

Je  vous  suis  extrêmement  obligé,  madaoe 
la  bonté  que  tous  avez  eue  de  me  donner 
nouvelles  de  mon  excellent  voisin  M.  Granvi 
«t  des  témoignages  du  souvenir  de  son  aim 


StJR  LA  BOTANIQUE.  4^3 

niice  miss  Dewes.  inespéré  qu  elle  se  rappelle  as- 
sez les  traits  de  son  yieax  berger  pour  conyenir 
qu'il  ne  ressemble  guère  k  la  figure  de  cyclopc 
qu'il  a  plu  à  M.  Hume  de  Ëdre  graver  sous  mou 
nom.  Son  graveur  a  peint  mon  visage  comme  sa 
plume  a  peint  mon  caractère.  Il  n  a  pas  vu  que  la 
seule  chose  que  tout  cela  peint  fidèlement  est  lui- 
même. 

Je  vous  supplie ,  madame  la  duchesse ,  d'agrëer 
avec  bonté  mon  profond  respect 

Lettre  XI.  A  la  méme^ 

A  Pkris,  I0  17  tmL  177s. 

Jai  reçu,  madame  la  duchesse,  avec  bien  de  la 
reconnaissance,  et  la  lettre  dont  vous  mWez  ho- 
noré le  17  mars,  et  le  nombreux  envoi  de  graines 
dont  vous  avez  bien  voulu  enrichir  ma  petite 
collection.  Cet  envoi  en  fera  de  toutes  manières 
la  plus  considérable  partie,  et  réveille  déjà  fnon 
zèle  pour  la  compiéter  autant  qu'il  se  peut.  Je  suis 
bien  sensible  aussi  à  la  bonté  qu'a  M.  le  docteur 
Solander  dy  vouloir  contribuer  pour  quelque 
chose;  mais  comme  je  n'ai  rien  trouvé,  dans  le 
paquet,  qui  mlndiquàt  ce  qui  pouvait  venir  de 
lui ,  je  reste  en  doute  si  le  petit  nombre  de  graines 
ou  firuits  que  vous  me  marquez  qu  il  m'envoie 
était  joint  au  même  paquet,  ou  s'il  en  a  fait  un 
autre  à  part  qui^  cela  supposé^  ne  m^est  pas  en- 
core parvenu. 


4^4  LETTRES 

Je  VOUS  remercie  aussi,  madame  la  ducbersf. 
de  la  bonté  que  vous  avez  de  m'apprendre  IlMti 
reux  mariage  de  miss  Dewes  et  de  M.  Sparow:;< 
m'en  réjouis  de  tout  mon  cœur,  et  pour  elle  s 
bien  &ite  pour  rendre  un  honnête  homme  bri 
reux  et  pour  Fétre,  et  pour  son  digne  onde  f 
l'heureux  succès  de  ce  mariage  comUeia  dej> - 
dans  ses  vieux  jours. 

Je  suis  bien  sensible  au  souvenir  de  mil 
Nuncham;  j'espère  (pi'il  ne  doutera  jamaisâea^ 
sentimens,  comme  je  ne  doute  point  de  ses  bo£S 
Je  me  serais  flatté  durant  l'aml^assade  de  m' 
Harcourt  du  plaisir  de  le  voir  à  Paris ,  mai5  ' 
m'assure  qu'il  ny  est  point  venu,  et  ce  nest[' 
une  mortification  pour  moi  seuh 

Âvez-vous  pu  douter  un  instant,  mâdani^^ 
duchesse^ que  je  n eusse  reçu  avec  anUnldc 
prcssement  que  de  respect  le  livre  des  jan! 
anglais  que  vous  avez  bien  voulu  penser  à  m  ^ 
voyer?  Quoique  son  plus  grand  prix  fût  vci 
pour  moi  de  la  main  dont  je  l'aurais  rpçn- 
n  ignore  pas  celui  qu'il  a  par  lui-même,  puisf- 
est  estimé  et  traduit  dans  ce  pays;  et  dailt<^ 
j'en  dois  aimer  le  sujet,  ayant  été  le  premifT' 
terre  ferme  à  célébrer  et  Êiire  connaître  ces  m^ 
jardins.  Mais  celui  de  BuUstrode ,  où  toutes 
richesses  de  la  nature  sont  rassemblées  et  assoit 
avec  autant  de  savoir  que  de  goût ,  mérites 
bien  un  chantre  particulier. 

Pour  Élire  une  diversion  de  mon  goût  à  fl 


SUR  LA  BOTANIQUE.  4^^ 

occupations,  j[e  me  suis  proposé  de  faire  dés  her- 
biers pour  les  naturalistes  et  amateurs  qui  vou- 
dront en  acquérir.  Le  règne  végétaL  le  plus  riant 
des  trois,  et  peut  être  le  plus  riche,  est  très-né- 
gligé et  presque  oublié  dans  les  cabinets  d'histoire 
naturelle ,  où  il  devrait  briller  par  préférence.  J'ai 
pensé  que  de  petits  herbiers,  bien  choisis  et  faits 
avec  soin  ,  pourraient  Ëivoriser  le  goût  de  Li 
botanique,  et  je  vais  travailler  cet  été  à  des  col- 
Irctions  que  je  mettrai ,  j^espère  ,  en  état  d'être 
distribuées  dans  un  an  d'ici.  Si  par  hasard  il  se 
trouvait  parmi  vos  connaissances  quelqu'un  qui 
voulût  acquérir  de  pareils  herbiers ,  je  les  servirais 
de  mon  mieux ,  cft  je  cotitinuerai  de  même  s'ils 
sont  contens  de  mes  essais.  Mais  je  souhaiterais 
particulièrement,  madame  la  duchesse,  que  vous 
m'honorassiez  quelquefois  de  vos  ordres,  et  de 
mériter  toujours,  par  des  actes  de  mon  zèle^. 
ilionneiïr  que  j'ai  de  vous  appartenir. 

Letrre  XII.  A  ta,  même. 

A  Parit,  le  ig  mai  1771> 

Je  dois,  madame  la  duchesse ,  le  principal  plai- 
sir que  m'ait  fait  le  poème  sur  les  jardins  anglais, 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer,  &  la 
main  dont  il  me  vient.  Car  mon  ignprance  dans 
la  langue  anglaise,  qui  m'empêche  d'en  entendra 
la  poésie,  ne  me  laisse  pas  partager  le  plaisir  q':e 
1  on  prend  à  le  lire.  Je  crojrais  avoir  eu  Honneur 

36. 


4^6  tBTTilES 

de  voiis  marquer ,  madame ,  qae  nous  aroos  c 
ouvrage  traduit  ici  ;  vous  avez  supposé  <p 
préférais  rorigiDal,  et  cela  serait  très-yrai  u  j'e.^ 
eu  état  de  le  lire,  mais  je  n eq  comprends  tou'j 
plus  que  les  notes,  qui  ue  sont  pas,  &  ce  qui!  : 
semble,  la  partie  la  plus  intéressante  de  foau:. 
Si  mon  étourderie  m'a  Êiit  oublier  mon  iiKi: 
cité  y  j  en  sub  puni  par  mes  Tains  efforts  pos: 
surmonter.  Ce  qui  n  empêche  pas  que  cet  » 
ne  me  soit  précieux  comme  un  nouyeau  Xtv 
gnage  de  vos  bontés  et  une  nouvelle  manpf 
votre  souvenir.  Je  vous  supplie  ,  madame  k  c 
ch  sse,  d'agréer  mon  remerciment  et  mon  rcs  •^ 
Je  reçois  en  ce  moment,  madame ,  la  lettre i 
vous  me  âtes  Honneur  de  m'écnre  Tannée  u 
nière  en  date  du  a5  mars  1771.  Celui  qui 
l'envoie  de  Genève  (M.  Moultou)  ne  dit  poii* 
raisons  de  ce  long  retard  :  il  me  marque  s^  » 
ment  qu'il  n'y  a  pas  de  sa  faute  ;  voilà  tout  ce  ] 
f  en  sais. 

Lettre  XŒ.  A  la  même, 

Parif ,  le  19  juillet  i77^< 

CesT,  madame  la  duchesse,  par  nn  quipro 
b^n  inexcusable ,  mais  bien  involontaire ,  que 
si  tard  Ihonneur  de  vous  remercier  des  fruits  n 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m  envoyer  de  .a  ] 
de  M.  le  docteur  Solander,  et  de  la  lettre  àa 
juin,  par  laquelle  vous  avez  bien  voulu  me  i 


SUR  LA  BOTAMQITE.  4^ 

ner  avis  de  cet  envol.  Je  dois  aussi  à  ce  savant 
naturaliste  des  remcrcimcns,  qui  seront  accueillis 
bien  plus  favorablement ,  si  vous  daignez ,  ma- 
dame la  duchesse,  vous  en  charger  comme  vous 
avez  fait  l'envoi ,  que  venant  directement  d'un 
homme  qui  n'a  point  Thonneur  d'être  connu  de 
lui.  Pour  comble  de  grâce,  vous  voulez  bien  en- 
core me  promettre  les  noms  des  nouveaux  genres 
lorsqu'il  leur  en  aura  donné  :  ce  qui  suppose 
aussi  la  description  du  genre ,  car  les  noms  dé- 
pouiTUS  d'idées  ne  sont  que  des  mots,  qui  ser- 
vent moins  à  orner  la  mémoire  qu'à  la  charger, 
A  tant  de  bontés  de  votre  part,  je  ne  puis  vous 
offrir,  madame,  en  signe  de  reconnaissance,  que 
le  plaisir  que  j'ai  de  vous  être  obligé. 

Ce  n'est  point  sans  un  vrai  déplaisir  que  j  ap- 
prends que  ce  grand  voyage,  sur  lequel  toute 
TEurope  savante  avait  les  yeux,  naura  pas  lieu. 
C'est  une  grande  perte  pour  la  cosmographie, 
poiu*  la  navigation  et  pour  Thistoii^  natureUe  en 
général,  et  c'est,  j'en  suis  très-sûr,  un  chagrin 
pour  cet  homme  illustre  que  le  zèle  de  Tinstruc* 
tion  publique  rendait  insensible  aux  périls  et  aux 
fatigues  dont  l'expérience  l'avait  déjà  si  parÊiite^ 
ment  instruit.  Mais  je  vois  chaque  jour  mieux  que 
les  hommes  sont  partout  les  mêmes,  et  que  le 
progrès  de  l'envie  et  de  la  jalousie  fait  plus  de  mil] 
aux  âmes,  que  celui  des  lumières,  qui  en  est  la 
cause  y  ne  peut  faire  de  bien  aux  esprits. 

Je  n'ai  certainement  pas  oublié^  madame  la 


i'iS  LETTRES 

duchesse, que  vous  aviez  désiré  de  la  graine  .1 
gentiana  filiformis  ;  mais  ce  souvenir  n'a  Lu 
quaugmenter  mon  regret  d*avoir  perdu  ctti 
plante,  sans  me  fournir  aucun  moyen  de  hr 
couvrer.  Sur  le  lieu  même  où  je  la  trouvai,  qj 
est  i  Trye,  je  la  cherchai  vainement  Tannée  51 
vante,  et  soit  que  je  n'eusse  pas  Lien  retenu  J 
place  ou  le  temps  de  sa  florcscence ,  soit  ({u  t j 
n'eût  pas  grcné,  et  quelle  ne  se  fût  pas  res. 
vclée ,  il  me  fut  impossible  d  en  retrouver  t 
moindre  vestige.  Jai  éprouvé  souvent  la  zkz\ 
mortification  au  sujet  dautres  plantes  qie  \ 
trouvées  disparues  des  lieux  où  auparavant  ce  i 
rencontrait  abondamment;  par  exemple, le  ^ 
tago  uniflora,  qui  jadis  bordait  1  étang  de  M.i 
morency  et  dont  j'ai  fait  en  vain  Tannée  den. 
la  recherche  avec  de  meilleures  botanistes  el  \ 
avaient  de  meilleurs  jeux  que  moi;  je  Toosyi 
teste,  mc(dame  la  duchesse,  que  je  ferais  de  j 
mon  cœur  te  voyage  de  Trye  pour  y  caeillir  ci 
petite  gentiane  et  sa  graine ,  et  vous  faire  panri 
lune  et  Tautre,  si  j  avais  le  moindre  espcc 
succès.  Mais  ne  Tayant  pas  trouvée  Tannét 
vante,  étant  encore  sur  les  lieux,  quelle  j\ 
rence  qu  au  bout  de  plusieurs  années,  où  tod 
renseignemens  qui  me  restaient  encore  se 
effacés,  je  puisse  retrouver  la  trace  de  cette  p 
et  fugace  plante?  Elle  n'est  point  ici  au  Jard  1 
Roi,  ni,  que  je  sache,  en  aucun  autre  |an£t 
tirès-peu  de  gens  même  la  connaissent.  A  I^ 


SUR  LA  BOTATaQUE.  ^^ 

j  carthamus  lanatus,  j'en  joindrai  de  la  graine 
uk  échantillons  d herbiers  que-f espère  tous  ea^ 
}yeT  à  la  fin  de  Thiyer. 

J'a^renâs^  madame  la  duchesse,  avec  une 
en  douce  joie,  le  parfiiit  rétablissement  de  mon 
cien  et  bon  voisin,  M.  GranviHe.  Je  suis  très- 
aché  de  la  peine  que  vous  avez  prise  de  m«n 
>truirey  et  vous  avez  par  là  redoublé  le  prix 
me  si  bonne  nouvelle. 

Je  vous  supplie,  madame  la  duchesse^d^igréei ,' 
?c  mon  respect,  mes  vi&  et  vrais  remercimens 
toutes  vos  bontés* 

Letthb  Xiy.  U  ta  même. 

A  Pttit,  le  Al  ocCobiv  Z773t 

Fai  reçu,  dans  son  temps,  la  lettre  dont  n/a 
loré  madame  la  duchesse,  le  7  octobre;  qnan^ 
elle  dont  il  y  est  &it  mentton,  écrite  quinze 
ts  auparavant,  je  ne  Tai  point  reçue  :  la  qnan- 
de  sottes  lettres  qui  me  venaient  de  toutes 
ts  par  la  poste  me  force  à  rebuter  toutes  celle» 
il  récriture  ne  m^est  pas  connue,  et  il  se  pemt 
*n  mon  absence  la  lettre  de  mad^ime  la  du« 
55e  n'ait  pas  été  distinguée  des  autres.  Jirais  la 
amer  à  la  poste,  si  Fezpérience  ne  m'avait  ap> 
que  mes  lettres  disparaissaient  alissitôtqu^ellcs 
i  rendues,  et  qu'il  ne  m^est  plus  possible  de  les 
>ir.  C'est  ainsi  que  j'en  ai  perdu  une  de  M.  Lin* 
ts  c[ue  je  n'ai  jamais  pu  ravoir,  après  avoir. 


43il  LBTniBS 


W»<11^>1IM>W)WW| 


LXTTEB  A  M.  DU  PbTIOV. 

10  oeiolit  i;6^ 

-^  Traité  historique  des  plantes  fd  croii 
dans  la  Lorraine  et  les  Trois -Evim, 
M,  P.  J.  Buchoz,  avocat  au  parlemetukï 
docteur  en  médecine  y  ete. 

Cet  ouvrage,  dont  deux  Tolumcs  ontiéjà^ 
en  aura  vingt  in-8^,  avec  des  planches  gn^^ 
J'en  étais  ici,  monsieur,  quand  j'atreçti 
docle  lettre;  je  suis  ckarraé  de  vcs  prof! 
vous  exhorte  àcontinuer;  vous  serez  iiotiti 
et  VOU&  aurez  tout  l'honneur  de  potre  l^^ 
voir.  Je  vous  conseille  pourtant  de  cos 
M.  Marais  sur  les  noms  des  plantes,  plos^ 
leur  étymologie;  car  asphodelos^  et  noDpi 
fhodeiloi ,  n'a  pour  racine  aucun  iDOt  qoi^ 
ni  mort  ni  herbe ,  mais  tout  au  pins  on  yà 
signifie  je  tue ,  parce  que  les  pétales  de  Fas)» 
ont  quelque  ressemblance  à  des  fers  de  pif 
reste,  j'ai  connu  des  asphodèles  qui  avai^ 
longues  tiges  et  des  feuilles  semblables  i  cei 
lis.  Peut-être  faut-il  dire  correctement  à 
des  asphodèles.  La  plante  aquatique  estb» 
zmphar ,  autrement  nymphœa ,  comme  je  di 
faut  redresser  ma  Êiute  sur  le  calament,  < 
(^appelle  pas  en  latin  caUunentumj  maïs  cd 
tha^  comme  qui  dirait  belle  menthe* 


SCK  lA  BOTAinQTTB.  433 

Le  temps  ni  mou  état  présent  ne  m^en  laissent 
pas  dire  davantage.  Puisque  mon  silence  doit  par- 
ler pour  moi|  vous  sayez^  monsieur,  combien  foi 
à  me  taire. 


IKWWWMM«WW«MnM«W 


LeItâb  a  m.  LioTARn,  u  vmv^ 

■EBBOmSTB  A  OUDIOUJL 

BouTgom,  le  7  novembra  1767. 

y  Al  reçu,  monsieur,  les  deux  lettres  ffie  vous 
m^vez  fait  1  amitié  de  m'écrire.  Je  n'ai  point  fait 
de  réponse  à  la  première,  parce  qu'elle  était  une 
réponse  elle-même,  et  qu'elle  n'en  exigeait  pas.  Je 
vous  envoie  ci-joint  le  catalogue  qui  était  avec  la 
seconde ,  et  sur  lequel  j'ai  marqué  les  plantes  que 
je  serais  bien  aise  d'avoir.  Les  dénominations  de 
plusieurs  d'entre  elles  ne  sont  pas  exactes,  ou  du 
moiâs  ne  soat  pas  dans  mon  Speeies  de  l'édition 
de  IJ62».  Vous  m^oMigerez  de  vouloir  Uen  Jles  j 
rapporter,  avec  le  secours  de  M.  Cbappter,  qu*  'e 
remercie,  et  que  je  salue.  J'accepte  Toifire de  quel- 
ques mousses  que  vous  voulez  bien  y  joindre, 
pourvu  que  vous  ayez  la  bonté  d  y  mettre  aus${ 
très- exactement  les  noms;  car  je  serais  peut-être 
fort  emban'assé  pour  les  déterminer  sans  le  se- 
cours de  mon  Dilleniusy  que  je  n'ai  plus.  À  Tégard 
du  prix,  je  le  réglerais  de  bon  cœur  si  je  pouvais 
n^écouter  que  la  libéralité  que  j  y  voudrais  mettre; 
mais,  ma  situation  me  forçant  de  me  borner  en 


43}  LETTRES 

toa tes. choses  aux  prix  communs,  je  yotis  prie  d^* 
vouloir  bien  régler  celui-là  de  façon  que  tobst 
trouviez  honnêtement  votre  compte,  sans  oublk 
de  joindre  à  cette  note  celle  des  ports,  et  aatm 
menus  frais  qui  doivent  vous  être  remboorsés;  et 
comme  je  n'ai  aucune  correspondance  â  Grenob^, 
je  vous  enverrai  le  montant  par  le  courrier,  i 
moins  que  vous  ne  m*indiquiez  quelque  êntn 
voie.  Votbe  de  venir  vous-même  est  obligeant^; 
mais  je  ne  laccepte  pas ,  attendu  que  je  n'en  pour- 
rais profiter,  qu'il  ne  fait  plus  le  temps  dlerfaori- 
ser,  et  que  je  ne  suis  pas  en  état  de  sortir  pour 
cela.  Portez-vous  bien,  mon  cher  M.  Liot»d;  je 
vous  salue  de  tout  mon  cœur. 

REîfor. 

PQprriez-vous  me  dire,  si  le  pisiaeia  f&ercièh 
thus  et  iosiris  alba  croissent  auprès  de  GrenoUe? 
Je  crois  avoir  trouvé  Fun  et  l'autre  au-dessus  d» 
la  Bastille  (i),  mais  je  n^en  mis  pas  sûr. 


•<^ 


M  ><BDtW)e  u»)^  de  li^ttdl»  Gienobk  cit  fitiié. 


SUR  tA  BOTANIQUE.  /^iSt 


%W1^W«WW^W«W««M««« 


Letrre  P*.  a  m.  de  ia  Touhbttb, 

OOHSBILLZB  EH  LA  COVl  DZS  MOnAIZS  DE  ITOST  (*}, 

ABIoiiqwii,lerlJ69r*^ 

J'ai  dilËré,  monsienr,  de  quelques  jours  a  vous 
accuser  la  réception  du  liinre  que  yous  ayez  eu  la 
bonté  de  m  enyoyer  de  la  part  de  tJL  Gouan ,  et  à 
yous  remercier,  pour  me  débarrasser  auparayant 
d'un  enyoi  que  j^ayais  à  faire,  et  me  ménager  le 
plaisir  de  m'entretenir  un  peu  plus  loug-tcmps^ 
ayec  yous* 

Je  ne  suis  pas  surpris  qûe\yous.  soyez  reycno 
dltalie  plus  satb£aJt  de  la  nature  que  desbcmunes^ 
c'est  ce  qui  arriye  généralement  aux  .bons  obser- 
yateurs^  même  dans  les  cCm^ats  o4  elle  est  motus 
belle.  Je  sais  qu^on  trouye  peu  de  penseurs  dans 
ce  pays-là;  mais  je  ne  conyiendrais  pas  tout-à-Êût 
qu'on  n'y  trouye  à  satisfaire  que  les  yeux,  j'y  yo'>- 
drab  ajouter  les  oreilles.  Au  reste,  quand  j  appris 
yotre  yoyage,  je  craignis,  monsieiu*,  que  lesautres 
parties  de  l'Ëistoire  naturelle  ne  fissent  quelque 

{*)  Il  ëtait  en  outre  Mcréuire  de  racadémio  de»  flcicnoes  et 
belL*»-*ctlics  de  c.  tte  viJle. 

(**)  Pour  l'explication  de  cette  manière  de  dater,  comme 
pour  connaitre  k  motif  dû  quatrain  placé  en  tête  de  cbacuoe 
des  lettres  qui  todI  mivre ,  Toyez  dana  la  Coi'responianee  la 
note  qui  se  rappoite  k  la  lettre  à  l'a!  bé  M**|  du  9  février  ly^oi» 


436  LETTRES 

tort  à  la  botanîqae,  et  que  votis  ne  rapports 

de  ce  pays-li  plus  de  raretés  pourTOlztQk 

que  de  plantes  pour  votre  herbier.  Je  pèm^ 

ion  de  votre  lettre,  que  je  ne  me  subpssl^ 

coup  trompa  Âh!  monsieur,  tous  feriexp 

tort  à  la  botanique  de  Fabandonner  après  loi' 

si  bien  montré,  par  le  bien  que  tous  luiaTtii 

fait,  celui  que  vous  pouvez  encore  loi  faire 

Vous  me  &ites  bien  sentir  et  déplorer  82* 

sère,  en  me  demandant  compte  de  mon  i)^* 

sation  de  Pila.  Ty  allai  dans  une  mauvaise  si 

par  un  très-mauvais  temps,  comme  tooss" 

avec^de  très-mauvais  yeux,  et  avccd«c^^^ 

gnons  de  voyage  encore  plus  ignorant  ^w^ 

et  privé  par  conséquent  de  la  ressource  pf^ 

suppléer  que  j'avais  à  la  grande  Chartreu»^  j 

terai  qu'il  n'y  a  point,  selon  moi,  dccomprJ 

à  faire  entre  les  deux  herborisations,  et go^'' 

de  Pila  me  parait  aussi  pauvre  que  celle  i 

Chartreuse  est  abondante  et  riche.  Je  nap^ 

pas  une  astrantia ,  pas  une  pirola^  pas  une  k^- 

nelle,  pas  une  ombellifére,  excepté  le  mem! 

une  saxifrage,  pas  une  gentiane,  pas  une  ]i^ 

ûéuse,  pas  une  belle  didyname,  excepte  la  dK; 

à  grandes  fleurs.  J'avoue  aussi  que  nous  eij 

sans  guides,  et  sans  savoir  où  chercher  les p*^ 

riches,  et  je  ne  suis  pas  étonné  qu'avec  lo» 

avant^es  qui  me  manquaient,  vous  aye«^ 

dans  cette  triste  et  vilaine  montogn**'^". 

que  je  ny  ai  ps  vues.  Quoi  qu'il  en  soitj  j«^^ 


SUR  LA  BOTANIQUE.  4^7 

envole,  monsieur,  la  courte  liste  de  ce  que  jy  ai 
Vu,  plutôt  que  de  ce  que  j'en  ai  rapporté;  car  la 
pluie  et  ma  maladresse  ont  fait  que  presque  tout 
ce  que  j  avais  recueilli  s'est  trouvé  gâté  et  pouri  à 
mon  arrivée  ici.  Il  n'y  a  dans  tout  cela  que  deux 
ou  trois  plantes  qui  maient  fait  un  grand  plaisir. 
Je  mets  à  leur  tête  le  sonchus  alpinus^  plante  de 
cinq  pieds  de  haut,  dont  le  feuillage  et  le  port 
sont  admirables,  et  k  qui  ses  grandes  et  belles 
fleurs  bleues  donnent  un  éclat  qui  la  rendrait 
digne  d'entrer  dans  votre  jardin.  J'aurais  voulu, 
pour  tout  au  monde,  en  avoir  des  graines;  mais 
cela  ne  me  fut  pas  possible ,  le  seul  pied  que  nous 
trouvâmes  étant  tout  nouvellement  en  fleurs;  et, 
vu  la  grandeur  de  la  plante,  et  qu  elle  est  extrê- 
mement aqueuse,  à  peine  en  ai- je  pu  conserver 
quelques  débris  à  demi-pôuiîs.  Comme  j'ai  trouvé 
en  route  quelques  autres  plantes  assez  jolies,  j'en 
ai  ajouté  séparément  la  note ,  pour  ne  pas  la  con- 
fondre avec  ce  que  j'ai  trouvé  sur  la  montagne. 
Quant  à  la  désignation  particulière  des  lieux,  il 
m'est  impossible  de  vous  la  donner;  car,  outre  la 
difficulté  do  la  faire  intelligiblement,  je  ne  m'en 
ressouviens  pas  moi-même;  ma  mauvaise  vue  et 
mon  étourderie  font  que  je  ne  sais  presque  jamais 
où  je  suis;  je  ne  puis  venir  à  bout  de  m'orienter, 
et  je  me  perds  à  chaque  instant  quand  je  suis  seuji| 
sitêt  que  je  perds  mon  renseignement  de  vue. 

Vous  souvenez -vous,  monsieur,  dun  pelif 
soucbet  que  nous  trouvâmes  en  assez  g;raiidQ 

37. 


438  LBTniES 

abondance  auprès  de  la  grande  Chartraise,^*: 
je  crus  d*aI)ord  être  le  cjpenis  fuscus^  li 
n'esl  point  lui,  et  il  n'en  est  fait  aucune  wî- 
qiie  je  sache,  ni  dans  le  Species^  ni  dansât 
auteur  de  bolaniqu-^,  hors  le  seul  MiAelk-- 
voici  la  phrase  :  Cjperus  radice  repent(,f^^ 
hcustis  imciam  longis  et  lineam  latii,Tà 
f,  I.  Si  vous  avez,  monsienr,  quelque icds^.: 
ment  plus  précis  ou  plus  sûr  dudit  sonck 
vous  serais  très-obligé  de  vouloir  bicnmca- 
part. 

La  botaniquedevient  un  tracas  si  eoAarr^ 
et  si  dispendieux  quand  on  s'en  occupe  avï- 
taut  de  passion ,  que  pour  y  mettre  de  la  nel  ' 
je  suis  tenté  de  me  délire  de  mes  livres  ae  p- 
La  nomenclature  et  la  synonymie  formfBî' 
élude  immense  et  pénible  :  quand  oo  ne  ^^ 
qu observer,  s'instruire,  et  s'amuser  entre lî^ 
ture  et  soi,  Ton  n'a  pas  besoin  de  tant  de  r 
Il  en  faut  peut-être  pour  prendre  quelque  w -^ 
système  végétal,  et  apprendre  A  observer;  ^^ 
quand  une  fois  on  a  les  yeux  ouverts,  qu^ 
ignorant  d  ailleurs  qu  on  puisse  être,  on  na  ; 
besoin  de  livres  pour  voir  et  admirer  sans  c^^ 
Pour  moî,  du  moins,  en  qui  l'ofiniitrclei;' 
suppléé  À  la  mémoire,  et  qui  n'ai  &it  ^^^^ 
peu  de  progrès,  je  sens  néanmoins  qua^^' 
gramens  d'une  cour  ou  d'un  pré  f  aurais  de  f 
m'occuper  tout  le  reste  de  ma  vie,  sans  f^ 
m'ennuyer  un  moment  Pardon,,  ©ons»*"^» 


SUR  LA  BOTANIQUE.  4% 

v'out  ce  long  bavardage.  Le  sujet  fera  mon  excuse 
t  uprès  de  vous.  Agréez  j  je  vous  supplie  ^  mes  très- 
lumbles  salutations. 

Lettre  IL  Au  même. 

Moiiqnin,k  i72Jl;o. 

PauTiet  aveugles  ^^ac  nous  sommet  ! 
-  Ciel ,  démasque  les  irvposieurs , 


;  Et  force  leurs  barbares  oœnis  ^ 

A  s*ouvrir  aux  regards  dea  hommes. 

C'EN  est  fait,  monsieur,  pour  moi  de  la  bota^ 
lique^  il  n'en  est  plus  question  quant  à  présent, 
t  il  y  a  peu  d'apparence  que  je  sois  dans  le  cas 
l  y  revenir.  D'ailleurs  je. vieillis,  je  ne  suis  plus 
ngambe  pour  herboriser;  et  des  incommodités. 
[ui  m'avaient  laissé  d  assez  longs  relâches  mena- 
it nt  de  me  faire  payer  cette  trêve.  C  est  bieu  assez 
[csonoais  pour  mes  forces  des  courses  de  néccs- 
ité;  je  dois  renoncer  à  celles  d'agrément,  ou  les 
>onieT  à  des  promenades  qui  ne  satisfont  pas  1  avi- 
lité  d  un  botanophile.  Mais,  en  renonçant  à  un« 
tude  charmante,  qui  pour  moi  s'était  U'ansfor- 
liée  en  passion,  je  ne  renonce  pas  aux  avantagea 
[u'clle  m'a  procurés,  el surtout, «nonsieur,  à  cul- 
ivcr  votre  connaissance  et  vos  bontés,  dont  j  e^ 
tère  aller  dans  peu  vous  remercier  en  personne. 
Test  à  vous  qu  U  Ëiut  renvoyer  toutes  les  exhor- 
ations  que.  vous  me  faites  sur  l'entreprise  d'un 
tictioiiuaire  de  botanique,  dont  il  est  étonnant 


4to  LETTRES 

^e  ceux  qui  cHltlyent  cette  science  scnlects] 
la  nécessité.  Votre  âge,  monsieur,  vos uleos, 
connaissances,  vous  donnent  les  moyens dt 
iner,  diiiger  et  exécuter  supérieurement  cctt 
treprise;  et  les  applaudissemens  areclesip' 
premiers  essab  ont  été  reçus  du  pubiicTOci! 
garans  de  ceux  avec  lesquels  il  accueill^- 
travail  plus  considérable.  Pour  moi,  qui  i^ 
dans  cette  étude,  ainsi  que  dans  beancoof 
trcs  s  qu'un  écolier  radoteur,  j'ai  songé  pli' 
herborisant,,  à  me  distraire  et  mamaser({ti^^ 
struîre,  et  n^aî  point  eu,  dans  mesokefr- 
tardives,  la  sotte  idée  d*enseigner  an  poUk  ' 
je  ne  savais  pas  n^oi-mème.  Monsieur,  j. 
quarante  ans  heureux  sans  Êiire  des  line^  * 
suis  laissé  entraîner  dans  cette  carrièitC 
malgré  moi  :  j'en  suis  sorti  de  bonne  ber 
ne  retrouve  pas,  après  lavoir  quittée,  Ki' 
dont  je  jouissais  avant  d^  entrer,  je  reL- 
moins  assez  de  bon  sens  pour  sentir  ((C 
étais  pas  propre ,  et  pour  perdre  i  JMwij^ 
tation  d'y  rentrer. 

J'avoue  pourtant  que  les  difficultés  ^ 
trouvées  dans  Tétude  des  plantes  moot 
quelques  idées  Sur  le  moyen  de  la  £&cilitff' 
rendre  utile  aux  autres,  en  suivant  le  fil' 
tèmn  végétal  par  une  méthode  plus  grai 
moins  a]>straite  que  celle  de  Toomeibrtct 
ses  successeurs,  sans  en  excepter  Lm'^ 
même.  Peut-^tre  mon  idée  est-elk  imp^ 


SUR  LA  BOTANIQUE.  44 1 

ans  en  causerons,  si  vous  voulez ,  quand  j  aura! 
lonncur  de  yous  voir.  SI  vous  la  trouviez  digne 
être  adoptée,  et  qu'elle  vous  tentât  d  entrepren* 
re  sur  ce  plan  des  institutions  botaniques,  je 
'oirais  avoir  beaucoup  pkis  fait  en  vous  excitant 
ce  travail,  que  si  je  l'avais  entrepris  moi-même. 
Je  yous  dois  des  remcrcime.is,  monsieur,  pour 
s  plantes  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  mVn- 
oyer  dans  votre  lettre,  et  bien  plus  encore  pour 
s  éclairdssemens  dont  vous  les  ayez  accompa- 
nées.  Le  papyrus  m'a  fait  grand  plaisir,  et  je  Tai 
lis  bien  précieusement  dans  mon  herbier.  Votre 
ntirrhinutn  purpureum  m'a  bien  prouvé  que  le 
lien  n'était  pas  Iç  vrai ,  quoiqu'il  y  ressemble 
eaucoup;  je  penche  à  croire  avec  vous  que  ccst 
nt;  variété  de  l'arvense  ;  et  je  vous  avoue  que  j  en 
rouve  plusieurs  dans  le  Species,  dont  les  phrases 
le  suffisent  point  pour  me  donner  des  diilërences 
pécifiques  bien  claires.  Voilà,  ce  me  semble,  un 
éfaut  que  n  aurait  jamais  la  méthode  que  j^ima- 
ine ,  parce  qu'on  aurait  toujours  un  objet  fixe  et 
éel  de  comparaison,  sur  lequel  on  pourrait  aisé*- 
aent  assigner  les  diQërences. 

Parmi  les  plantes  dont  je  vous  ai  précédem- 
ment envoyé  la  liste,  j'en  ai  omis  une  dont  Lin« 
laeus  n'a  pas  marqué  la  patrie,  et  que  j'ai  trouvée 
k  Pila,  c'est  le  rubia peregrina ;  je  ne  sais  si  vouo 
fave2  aussi  remarquée-,  elle  n'est  pas  absolument 
rare  dans  la  Savoie  et  dans  le  Dauphiné. 

Je  suis  ici  dans  un  grand  embarras  pour  le 


44^  LETTRSS 

transport  de  mon  bagage,  conàstant,  eo  p 
partie,  dans  un  attirail  de  botani({Qe.Iai^ 
tout,  dans  des  papiers  épars,  on  grand ficd 
de  plantes  sèches  en  assez  manYaisordre^ei:! 
munes  pour  la  plupart ,  mab  dont  cepe:i 
quelques-unes  sont  plus  curieuses  :  mais|i 
ni  le  temps  ni  le  courage  de  les  trier,  polf 
travail  me  devient  désormais  inutile.  krX 
jeter, au  feu  tout  ce  fatras  de  paperasses, faii^ 
prendre  la  liberté  de  vous  en  parler  à  tout  b^ 
et  si  vous  étiez  tenté  de  parcourir  ce  foio'- 
rîtablement  n^en  vaut  pas  la  peine,  jcn  p-^ 
faire  jone  liasse  qui  vous  parviendrait  parV 
quet  ;  car,  pour  moi,  je  ne  sais  commenter'^ 
tout  cck,  ni  qu'en  faire.  Je  crois  me  rappel' 
exemple,  qu'il  s'y  trouve  quelques  fougèreJ 
autres  le  poly podium  fragraus,  que  jai  k 
sées  en  Angleterre,  et  qui  ne  sont  pas  cob^ 
partout.  Si  même  la  revue  de  mon  herfc' 
mes  livres  de  botanique  pouvait  tous  ^i 
quelques  momens,  le  tout  pourrait  étiti^ 
chez  vous ,  et  vous  le  visiteriez  à  votre  al< 
doute  pas  que  vous  nayez  la  plupart  <v 
livres.  Il  peut  cependant  s'en  trouver  dt^ 
comme  Parkinson,  et  le  Gérard  èmaoùi 
peut-être  n^javez-vous  pas.  Le  Valefws  il 
est  assez  rare;  j'avais  aussi  Tragus,  id^\ 
donné  k  M,  Clappier. 

Je  suis  surpris  de  n'avoir  ancune  nou\  i 


8tm  LA  BOTANIQUE.  44^ 

/T .  Gouan ,  à  qui  j'ai  envoyé  les  carex  (i)  de  ce 
ys  qu'il  paraissait  désirer,  et  quelques  autres 
tites  plantes  9  le  tout  à  l'adresse  de  M.  de  Sainte 
^riest,  qu'il  m'ayait  donnée.  Peut-être  le  paquet 
1.^  lui  est-il  pas  parvenu  :  cVst  ce  que  je  ne  sau- 
rai is  vérifier,  vu  que  jamais  un  seul  moi  de  vérité 
ne  pénètre  à  travers  Fédifice  de  ténèbres  qu  os  a 
^ris  soin  d'élever  autour  de  moi.  Heureusement 
Les  ouvrages  des  hommes  sont  périssables  comme 
sux,  mais  la  vérité  est  étemelle  :  post  tenebras 

Agréez,  monsieur,  je  vous  supplie,  mes  plus 
sincères  salutations. 

Lettre  III.  Au  même. 

Monquin ,  le  17^^01. 
PftQTRs  aTenglei  que  nom  tomnet ,  elc; 

Ne  &ites,  monsieur,  aucune  attention  i  la  bi- 
zarrerie de  ma  date;  c'est  une  formule  générale 
q[ui  n'a  nul  trait  à  ceux  à  qui  j'écris,  mais  seule- 
ment aux  honnêtes  gens  qui  disposent  de  moi 
avec  autant  d'équité  que  de  bonté.  C'est,  pour 
ceux  qui  se  laissent  séduire  par  la  puissance  et 
tromper  par  l'imposture ,  un  avis  qui  les  rendra 
plus  inexcusables,  si,  jugeant  sur  des  choses  que 
tout  devrait  leur  rendre  suspectes,  ils  s'obstinent 

»  I  ■  ■     ■     ■  I-       ■■     .      —  ■  I       M  ■» 

(1)  Je  me  souviens  d'sToir  mis  par  mégarde  un  nom  poai 
«q  «ttUe ,  cùTtx  enilpinâ ,  pour  cartx  kpotina. 


444  LETTRES 

A  se  refuser  aux  moyens  «jac  présent  U  jasà 
poar  s'assurer  de  la  vérité. 

C'est  avec  regret  que  je  vois  recukr^parr 

état  et  fMur  la  mauvaise  saison,  le  moment i 5 

rapprocker  de  vous.  Xespère  cependant  i^f 

tarder  beaucoup  encore.  Si  j'ava'iscpclqaef-*- 

qui  valussent  la  peine  de  vous  être  pàcnlfc  « 

prendrais  le  parti  de  vous  les  envoyer  im^' 

pour  ne  ps  laisser  passer  le  temps  de  les  sf^f. 

maïs  jWais  fort  p«u  de  chose,  et  je  le  yi^^'^ 

des  plantes  de  Pila,  dans  un  envoi  ΰ«J^^J^ 

quelques  mois  à  madame  la  duchesse  dePorti^ 

et  qui  n'a  pas  été  plus  heureux,  selon  toot^aïf 

rence,  que  celui  que  j'ai  fait  à  M.  Gi^^f 

que  je  n'ai  aucune  nouvelle  ni  de  rrainidei^G^' 

Comme  celui  de  madame  de  Portland  etaIl^ 

considérable ,  et  que  j'jr  avais  mis  pîus  de  s«^ 

de  twps,  je  le  regrette  davantage,  mau  J^  ^ 

tien  que  j  apprenne  à  me  consoler  de  m^ 

pourt«mt  encore  quelques  grames  ^'"°.  j^j^ 

seseli  de  ce  pays,  que  j  appelle  seseh     ;^ 

parce  que  je  ne  le  trouve  pas  dans  uMi^*^ 

ai  aussi  dune  plante  d'Amérique,  çne  j^^ 

semer  dans  ce  pays  avec  d'autres  F?^°^^^^ 

m'avait  données,  et  qui  seule  a  réussi.  W^;. 

pelle  gombaut  dans  les  îles,  et  J  ai  i»"  ^  ^^ 

c'était  Yhibiscus  esculentus;  il  a  bien  1^^^: 

fleuri;  et  j'en  ai  tiré  dune  capsule  (f^fP^^^ 

'  nés  bien  mûres,  que  je  vous  porterai  av 

hU,  si  vous  ne  les  avez  pas.  Comme  i^ 


Sun  lA  BOTANIQVB.  44^ 

plantes  est  des  pays  chauds,  et  que  l'autre  grëne 
fort  tard  dans  nos  campagnes,  je  présume  que 
rien  ne  presse  pour  les  mettre  en  terre,  sans  quoi 
)e  prendrais  le  parti  de  vous  les  envoyer. 

Votre  gaïium  roîundifolium ,  monsieur,  est 

bien  lui-même  à  mon  avis,  quoiqu'il  doive  avoir 

la  fleur  blanche,  et  que  le  vôtre  lait  flave;  mais 

comme  il  a  rive  à  beaucoup  de  fleurs  blanches  de 

jaunir  en  séchant,  je  pense  que  les  siennes  sont 

dans  le  même  cas.  Ce  n'est  point  du  tout  mon 

rubia  peregrinay  plante  beaucoup  plus  grande | 

plus  rigide,  plus  âpre,  et  de  la  consistance  tout 

au  moins  de  la  garance  ordinaire,  outre  que  je 

suis  certain  d'y  avoir  vu  des  baies  que  n'a  pas 

votre  galium^  et  qui  sont  le  caractère  générique 

des  rubia.  Cependant  je  suis,  je  vous  l'avoue, 

hors  d'état  de  vous  en  envoyer  un  échantilloOi 

Voici,  là-dessus,  mon  histoire. 

Savais  souvent  vu  en  Savoie  et  en  Danphiné 
la  garance  sauvage,  et. jeu  avais  pris  quelques 
échantillons.  L'année  dernière,  à  PQa,  j'en  vis 
encore;  mais  elle  me  parut  diflërente  des  autres^ 
et  il  me  semble  que  j  en  mis  un  spécimen  dans 
mon  porte-feuille.  Depuis  mon  retour,  lisant  par 
hasard,  dans  1  article  nihia  peregrina^  que  sa 
feuille  n'a  point  de  nervure  en  dessus,  je  me  rap- 
pelai ou  crus  me  rappeler  que  mon  rubia  de  Pila 
n^en  avoit  point  non  plus^  de  là  je  conclus  qua 
.  c'était  le  rubia  peregrina.  En  m'échauffant  sur 
cette  idée,  je  vins  à  conclure  la  même  chose  des 

ttéUagcc.  38 


44^  ^  LETTIIES 

autres  garances  que  j'avais  trouvées  danscesr 
parce  qu'elles  n'avaient  Jonlinaipc  qoc  (fi 
feuilles;  pour  que  cette  conclusion  fit  lai^r 
ble,  il  aurait  iallu  chercher  les  plantes  et  t^;: 
voilà  ce  que  ma  paresse  ne  me  permit  por 
faire,  vu  le  désordre  de  mes  paperasses. e 
temps  qu  il  aurait  fellu  mettre  k  cette  rtchr 
Depuis  la  réception ,  monsieur,  de  votre  !  * 
j'ai  mis  plus  de  huit  jou  s  à  feuilleter  toŒ 
livres  et  papiers  l'un  après  l'autre ,  sanspc 
retrouver  ma  plante  de  Pila ,  que  fai  p«î  ! 
jetée  avec  tout  ce  qui  est  arrivé  pouri.  J'f'- 
trouvé  quelques-unes  des^autles;  mabjaf 
mortffication  d  y  trouver  la  nervure  bieniwr 
qui  ma  désabusé,  du  moins  sur  cellcs-Ia. C  ; 
dant  ma  mémoire ,  qui  me  tromp  si  souret" 
retrace  si  bien  celle  de  Pila ,  que  j'ai  peine  •^* 
à  en  démordre,  et  je  ne  d&espèrc  pasquf 
se  trouve  dans  mes  papiers  ou  dans  mes  i^ 
Quoi  qu'il  en  soit,  figurez-vous  dans  l'éclu- 
*  ci- joint  les  feuilles  un  peu  jJus  larges  et  sai' 
vure  ;  voilà  ma  plante  de  Pila. 

Quelqu'un  de  ma  connaissaoce  a  sonhaite* 
quérir  mes  livres  de  botanique  en  entier.^ 
demande  même  la  préférence;  ainsi  je  ne  tf 
vaudrais  point  sur  cet  article  de  vos  oHifj 
offi-es.  Quant  au  fourrage  épars  dans  des  chï 

risque  vous  ne  dédaignez  pas  de  le  parc(Hîr 
ferai  remettre  à  M.  Pasquct;  mais  il  6»^^ 
ravant  que  je  feuillette  et  vide  mes  V^ 


SUR  LA  BOTANIQUE.  44? 

ssquels  jai  Ja  mauvaise  liaLiUide  de  fourrer,  en 
XI  i va  nt ,  les  plantes  que  j'apporte ,  parce  que  cela 
ist  plus  tôt  fait  J'ai  trouvé  le  secret  de  gâter,  d  ! 
:ett€'  façon ,  presque  tous  mes  livres,  et  de  perdre 
:>resque  toutes  mes  plantes,  parce  qu^elles  tombent 
3t  se  hrisent  sans  que  jy  fasse  attention,  tandis 
[jue  je  feuillette  et  parcours  le  livre^  uniquement 
occupé  de  ce  que  jy  cherche. 

Je  vous  prie,  monsieur,  de  faire  agréer  mes  re- 
mcrcimens  et  salutations  à  monsieur  votre  frère. 
Persuadé  de  ses  boutés  et  des  vôtres ,  je  me  pré- 
vaudj'ai  volontiers  de  vos  ofll  es  dans  Toccasion.  Je 
finis,  sans  façon,  en  vous  saluant,  monsieur ^  de 
tout  mon  cœur. 

Lettre  IV.  Au  même. 

Monqoîo ,  le  1 7^70. 
Pauvres  avengles  que  nous  toiiuna !  etc. 

VoiCT,  monsieur,  mes  misérables  herbailles, 

où  fai  bien  peur  que  vous  ne  trouviez  rien  qui 

mérite  d'être  ramassé,  si  ce  nVst  des  plantes  que 

vous  m'avez  données  vous-même,  dont  j avais 

quelques-unes  à  double,  et  dont,  après  en  avoir 

mis  plusieurs  dans  mon  herbier ,  je  n^ai  pas  eu  le 

temps  de  tirer  le  même  parti  des  autres.  Tout 

lusage  que  je  vous,  conseille  àen  faire  est  de 

mettre  le  toiit  au  feu.  Cependant,  si  vous  avez  la 

patience  de  feuilleter  ce  fatras,  vous  y  trouverez. 


T-  a 


CJ 


448  LETTKES 

je  croîs,  quelques  plantes  qu^un  officier  obligr::* 
a  eu  la  bonté  de  m'apporter  de  Corse^  et  que  j(:« 
connais  pas. 

Voici  aussi  quelques  graines  du  sesetiHall"^ 
U  y  en  a  peu,  et  je  ne  l'ai  recueilli  qu'avec  her. 
coup  de  peine,  parce  qu'il  grène  fort  tard  et  cl 
rit  difficilement  en  ce  pays  :  mais  il  y  deviest.': 
revanche ,  une  trèsrbelle  plante ,  tant  par  son  b.  : 
port  que  par  la  teinte  de  pourpre  que  fcs  pr 
mières  atteintes  du  firoid  donnent  i  ses  ombe. 
et  à  ses  tiges.  Je  hasarde  aussi  d'y  joindre  que' 
graines  de  gomhciut^  quoique  vous  ne  m  es  4; 
rien  dit,  et  que  peut-  être  vous  favez  oti  ne  v 
en  souciez  pas,  et  quelques  graines  de  lAfp: 
phîllon,  quon  ne  s'avise  guère  de  ramasserai 
qui  peut-être  ne  lève  pas  dans  les  jardins,  crj 
ne  me  souviens  pas  dy  en  avoir  jamais  m. 

Pardon,  monsieur,  de  la  hâte  extrême  avec'^ 
quelle  je  vous  écris  ces  deux  mots,  et  qui  ma  ù 
presque  oublier  de  vous  remercier  de  Vaspen 
taurina,  qui  ma  fait  bien  grand  plaisir.  Si  n 
chemins  étaient  praticables  pour  les  'toitures* 
serais  déjà  près  de  vous.  Je  vous  porterai  le  cJ 
logue  de  mes  livres ,  nous  y  marquerons  ceux  :{ 
peuvent  vous  convenir  ;  et  si  racquércur  Teul  5 1 
défaire,  j'aurai  soin  de  vous  les  procurer.  Je  1 
demande  pas  mieux,  monsieur,  je  tous  assun 
que  de  cultiver  vos  bontés;  et  si  jamais  j'a: 
bonheur  d*étre  un  peu  mieux  connu  de  tous  q 
de  monsiiîur  **j  qui  dit  si  bien  me  connailr 


SUR  l»A\BOTtârNIQUE.  4  fÇ 

'espère  que  vous  ne  m'en  lreu.v:erei  pa^  indigne. 
le  YOiis  salue  de  tout  mon  cœur.  ' 

Avez-vous  le dianthus  mperbus?  Je  Y0tt3  lenr 
^oie  à  tottt  hasard.  C'est  i*i^Ueiiient  up  bien  I>ei 
Deillct ,  et  d'une  odeur  bien  'suave  ^Quoique  feible. 
l'ai  pu  recueillir  de  la  graine  bien  aisément,  car  il 
croit  eu  aboudfince  daus  un  pci^  qni  est  sous  mes 
ienétres.  U  ne  deyrait^ine  permis  qu^ux  chevaux 
du  soleil  de  se  nourrir  d'un  pareil  ibin. 

,  Lext&e  V.  Au  même. 

À  Pari»,  le  i^lj70. 

PiraTrci  areagles  qat  nons  aoinnies  !  ete. 

t  ' 

Je  voulais,  monsieur,  vous  rendi:e'  comptq  de 
:  mon  voyage  en  arrivant  à  Paris;  mais  il  npia  fal^i 
I  quelques  jours  pour  m'arranger  et  meireïi^t(,rcau 
:  courant  avec  mes  anciennes  çonnaîssancesw  Fatl- 
!  gué  d'un  voyage  de  deux  jours,  j'en  séjournai  tr<»l6 
ou  quatre  à  Dijon,  doù,  par  la  mémâ  raison, 
,  j'allai  &ire  un  pareil  séjour  à  Âuxerre,  après  a^voir 
eu  le  jJaisir  de  voir  en  passant  M.  de  Builbn  ,\qui 
me  fit  l'accueil  le  plus  obligeant.  Je  vis  aussi  à 
Montbart  M.  Dau})enton  le  subdélégué,  lequel , 
après  une  heure  ou  deux  de  prom^nî^de  ensembljQ 
dans  le  jardin ,  me  dit  que  j  avais  déjà  des  com- 
mencemens,  etqu^en  cpptinuant  de  travaillais 
pourrab  devenir  un  peu  botaniste.  Mais,  le  len- 
demain l'étant  aUé  voir  av«Moit  mon  départ,  je  pa^- 

38. 


4  jO  ^      tBTniïS 

coanw  avec  lui  sa  pépinière,  malpt  la  pli 
tkous  incommodait  fort;  et  n'y  connaBantp^ 
■que  rien,  je  démentis  si  bien  la  boute  op 
<lù'il  avait  eue  de  moi  ia  veille,  qn'il  Hum  v 
ék'^e  et  ne  me  dit  plos  rien  dn  loaL  Malert 
nmuvais  succès,  je  n'ai  pas  laissé  dlerbonw- 
peu  durant  ma  route,  cl  de  me  tiowereu:-^ 
J^  connaissance  dans  la  campagne  et  diLv^ 
lK)is.  Dans  presque  toute  la  BouiçogDejâiïi- 
terre  couverte,  à  droite  et  àgaàchc,decetl£&^ 
grande  gentiane  jaune  que  je  nsvais  ^ti^^i 
Pila.  Les  champs,  entre  Alontkrd  cl(U- 
sont  pleins  de  bulbocasianumj  maiskiât 
est  beaucoup  plus  âcrc  quen  AnglelcntjCtp 
que  inunangeajjlc  ;  Vœnaiitc  fistulm  et  la  c?^ 
lourde  (pulmtilla)  y  sont  aussi  en  quantité ;^ 
^»ajant  traversé  la  foret  de  FonfaincUcauf 
ti^s  à  la  hâte,  je  ny  ai  rien  vu  du  tont  Je  n 
qtiable  que  le  geraniurà  gvandiflorm.f 
•trouvai  sons  mes  pieds  jxff  hasard  une  scA  ^ 
.     Xftllaî  hier  toir  >L  Daubenlon  au  Ja* 
Roi  ;  fy  rencontrai  eh  me  promenantjM.Ric!  - 
jardiWer  de  Trianon,  avec  lequel  je  m'empn?^; 
comme  vous  jugez  bien,  de  faire  connaissacce 
me  promit  de  me  faire  voir  sou  jardin,  f  ^ 
beaucoup  plus'  riche  que  celui  du  roi  i  ftr- 
ainsi  me  vôihi  à  portée  de  faire,  danslanetà^ 
ïautrcj  quelqui?  connaissance  avccks p'^^'*' 
pxotiques,  sur  leâ^uelles ,  comme  yousarei? 
yoify  je  suis  pi*fcifeûiebt  ignarant.  Jep»** 


r 


2-  SUR  hk  BOTANIQUE.  /^jt 

.our  voir  Tiianon  plus  à  moo  aise^  quelque  mo- 

,,iciit  oà  la  cour  ne  sera  pas  à  Versailles,  et  je 

. .  icherai  de  me  fournir  à  double  de  toul  ce  quou 

le  pei;jettia  de  prendre,  a&n  de  pouvoir  vous 

iivoyer  ce  que  vous  pourriez  ne  pas  avoir.  Jai 

ussi  vu  le  jardin  de  M.  Cocliin ,  qui  ma  paru  fort 

•eau  9  mais ,  en  Tabsence  du  maître ,  je  n^ai  ose 

ouclier  à  rien.  Je  suis, depuis  moii  arrivée,  tcUo- 

iieut  accaLlé  de  visites  et  de  dîners,  que,  si  ceci 

lure,  il  est  impossible  que  j^j  tienne,  et  malheu- 

cment  je  manque  de  ibrce  pour  me  défendre. 

Li^pcndant ,  si  je  ne  prends  bien  vite  un  autre 

.raiu  de  vie,  mon  estomac  et  ma  botanique  sont 

m  grand  péril.  Tout  ceci  n'est  pas  le  moyen  de 

'ivpreiidre  la  copie  de  musique  d  une  façon  bien 

'hirralive;  et  j  ai  peur  qui  force  de  diner  en  ville 

;  je  ne  finisse  par  mourir  de  faim  chez  moi.  Mou 

aine  navrée  avait  besoin  de  quelque  dissipation, 

;  je  le  sens;  mais  je  crains  de  n'en  pouvoir  ici  régler 

la  mesure ,  et  j'aimerais  encore  mieux  être  tout  en 

^'  moi  que  tout  boTs.de  moi.  Je  n'ai  point  trouvé, 

^  monsieur ,  de  société  mieux  tempérée  et  qui  me 

^  convînt  mieux  que  la  vùtre  ;  point  d'accueil  plus 

selon  mon  cœur  que  celui  que,  sous  vos  auspices, 

j'ai  reçu  de  FadoralJe  Mélanie.  S  il  m'était  donné 

dis  me  4:boisir  une  vie  égale  et  douce,  je  voud.ais, 

tous  les  jouis  de  la  mieime,  passer  la  matinée  au 

travail,  soit  à  ma  copie,  soit  sur  mon  herbier^ 

riner  avec  vous  et  Mélanie;  nourrir  ensuite, |uie 

heure  ou  deux,  mon  oreille  ci  mon  cœur,  des  sons 


^Sa  LETTRES 

de  sa  YO»  et  de  ceux  de  sa  faarpe  ;  puis  me  prorae 
lier  tète  à  tête  avec  vous  le  reste  de  la  journée,  ea 
herborisant  et  philosophant  selon  noire  tautai^ic. 
L}  on  m'a  laissé  des  regrets  qui  m'en  rapproche- 
ront quelque  iour  peut-être  :  si  cela  m'arrive, 
vous  ne  serez  pas  o:.bIié,  moufieur,  dans  isfs 
projets  :  puîssiez-vous  concourir  L  leur  exécaCioa! 
Je  suis  fôché  de  ne  savoir  pas  ici  Tadresse  de 
monsieur  votre  frère  ,  s'il  y  est  encore  :  je  n'au- 
rais pas  tardé  si  long  -  temps  à  l'aller  voir  ^  m 
rappeler  à  son  souvenir ,  et  le  prier  de  vouloir 
bien  n)e  rappeler  quelquefois  au  vôtre  et  à  celai 
de  M.  ♦*. 

Si  mon  papier  ne  finissait  pas,  si  la  poste  n'al- 
lait pas  partir^  je  ne  saurais  pas  finir  moi-mênie. 
Mon  bavardage  n'est  pas  m>eux  ordonné  sur  i« 
papier  que  dans  la  conversation.  Veuillez  sap- 
porter  lun  comme  vous  avez  supporté  l'autre. 
Vale^etmtama. 

Lbttrb  VI.  Au  même. 

PauTret  aveugles  que  doua  tomnies  !  etc. 

Je  ne  voulais ,  monsieur ,  m*accttser  de  mes 
torts  qu'après  les  avoir  réparés;  mais  le  maaTâs 
temps  qu'il  fait  et  la  isaison  qui  se  gâte  me  puni^ 
se^t  d'avoir  négligé  le  Jardin  du  Roi  tandis  qnli 
feisait  beau,  et  me  mettent  hors  d'état  de  voos 


^  SLa  UL  BOTANIQUE.  4^3 

raud^e  compte ,  quant  à  présent  y  da  plantago 
uniflora ,  et  des  autres  plantes,  curieuses  dont 
j'aurais  pu  vous  parler  si  j'avais  su  mieux  profiter 
dea  bontés  de  M  de  Jussîeu.  Je  ne  désespère  pas 
pourlant  de  profiter  encore  de  quelque  heau  jour 
d  automne  pour  faire  ce  pèlerinai^,  et  alle^*  rcce-. 
voir,  pour  cette  année,  les  adieux  de  la  syngéné* 
sie  :  mais,  en  attendant  ce  moment,  permettez., 
monsieur,  que  je  ptenne  celui-ci  pour  vo«is  re- 
mercier, quoigue  tard,  de  la  continuation  de  Vos 
bontés  et  dffVbs  lettres,,  qui  me  feront  toujôul*s  le 
plu  »  >Tal  plaisir ,  quoique  je  sois  peu  ezi^ct  à  y 
répondre.  J'ai  encore  à  m  accuser  de  beaucoup 
d'autres  omissions  pour  lesqiidlesi  jeu'ai  pas  moins 
besoin  de  pardon.  Je  voulais  ailer  remercier  mon- 
sieur votre  £rère  de  1  honneur  de  son  souvenir,  et 
lui  rendre  sa  visite;  j'ai  tardé  d'abord,  et  puis:  j  ai 
oublié  sou  adresse.  Je  le  revis  une  fois  à  la  Corné- 
die  italieiuie  ;  mais  no«3  éùqm  dfiBS^.de&  loges 
éloignées ,  je  ne  pus  Taborder ,  et  m^nt^riant 
j'ignore  même  sil  est  encore  à  Paris.  Au^re  tort 
inexcusable;  je  me  suis  rappelé  de  ne  vous  avoir 
point  remercié  de  la  connaissance  de  M.  Robinet,' 
et  de  laccueîl  obligeant  que  vous  m^^vez  attiré  de 
lui.  Si  vous  copïptéz  avec  votre  serviteur,  il  rcs» 
tera  trop.in{&Qlv«^bl<^.;  mab  puisque  nous  sommes 
en  usage,  moi  de  faillir,  vou,s.de  pardonner,  cou^ 
vrez.ençtMre  cette  fois  mes  fauîe^  de  votre  indulr 
gpnce ,  et  je  tâcherai  d'en  avoir  moins  besoin  dans 
U  suite,  pourvu  toutefois  que  vous  n'exigiez  pas 


456  LBTTHBS 

d^uB  coup.  JPaî  parlé  â-  M.  de  Jussiea  dn  puptra 
que  Vous  avez  rapporté  de  Naples;  ildootetpe^i 
soit  le  vrai  papier  niloiioL,  Si  vous  poomloiG 
envoyer,  soit  plante, soit  grùnes,  soit  par  w'\ 
soit  pair  d antres,  j'ai  va  qfoe  cela  lui  fei^t^ 
plaisir,  et  ce  serait  peat-étre  on  exceUentiDojii 
d'obtenir  de  Ini  beanconp  de  choses  cp'aloRo^ 
aurio^  bonne  grâce  à  demander,  qucnqiKK^ 
che  bien  par  opérience  qn^l  est  charmé  d'oiiii^^ 
gratuitement;  mais  fai  besoin  de  qadped:) 
ponrtn'enhardir ,  quand  il  Êiut  demander. 

Je  remets  avec  cette  lettre  à  BfM. 
Tour  qui  s  en  retournent,  une  bdte  coatru 
une  araignée  de  mer,  qui  vient  de  bien  loin:  i 
on  me  Ta  envoyée  du  golfe  du  Mexique.  Co^i 
cepe|i<la]it  ce  nêst  pas  une  pièce  biea  rar' 
qu^elle  a  été  fort  endommagée  dans  le  trajet,  i 
sitais  à  vous  lenvoyer;  mais  mi  me  dit  f^ 
peut  se  raccommoder  et  trouver  place  encore  iJ 
un  cabinets  cela  supposé,  je  vous  prie  de  h 
donner  une  daAs .  le  vôtre ,  en  consdéiatioii  c 
bomme  qui  vous  sera  toute  sa  vie  bien  sic^  < 
jnent  attaché.  J  ai  mis  dans  la  même  boite  ks ^ 
ou  trois  semences  de  doronic  et  antres  que  \J 
sous  la  main.  Je  compte  Tété  prochain  me reo^ 
au  courant  de  la  boûnique  pour  tâcher  de  ic^ 
un  peu  du  mien  dans  une  correspimdaoct 
m'est  précl^^ise ,  et  dont  j'ai  eu  josquici  scé^ 
le  profit.  Je  crains  d'avoir  poussé  'éloohlai^ 
.point.de  ne  vous. avoir  p^  remercié  tde  b  ci 


SUR  LA  BOTAMQtJIS*  4^7 

plaisance  de  M.  Robiuet,  et  'des  honnêtetés  dont 
U  m'a  comblé.  J'ai  aussi  laissé  repartir  d'ici  M.  de 
Fleurieu  sans  aller  lui  rendre  mes  devoirs^  comme 
je  le  devais  et  voulais  faire.  Ma  volonté,  monsieur^ 
n'aura  jamais  de  tort  auprès  de  vous  ni  des  vôtres^ 
mais  ma  négligence  m'en  donne  souvent  de  bien 
inexcusables,  que  je  vous  prie  toutefois  d'excuser 
dans  votre  miséricorde.  Ma  femme  a  été  très-sen- 
sible à  rhonneur  de  votre  souvenir,  et  nous  vous 
prions  Tun  et  Tautre  d'agréer  nos  très-humblé^ 
salutations. 

Lettrb  VIII.  Au  même. 

P Autres  ayengles  que  nous  aonmiflil  etc. 

J'ai  reçu,  monsieur,  avec  grand  plaisir,  de  vof 
nouvelles,  des  témoignages  de  votre  souvenir,  et 
des  détails  de  vos  intéressantes  occupations.  Mais 
vous  me  parlez  d'un  envoi  de  plantes  paTM.rabbé^ 
Rosier,  que  je  n'ai  point  reçu.  Je  me  souviens  bieiï 
d'en  avoir  reçu  un  de  votre  part,  et  de  vous  en 
avoir  remercié^  quoiqu'un  peu  tard,  avant  votre 
voyage  de  Paris;  mais  depuis  votre  retour  à  Lyoi^ 
votre  lettre  a  été  pour  moi  votre  premier  signe  de 
vie;  et  j'en  ai  été  d'autant  plus  charmé^  que  javais 
presque  cessé  de  m'y  attendre. 

En  apprenant  les  changemens  survenus  à  Lyon, 
f  avais  si  bien  préjugé  que  vous  vous  regarderiez 

««langes.  39 


458  LETTRES 

comme  affranchi  d*iin  dur  esclavage,  etqIle,d^ 
gagé  de  devoirs,  respectables  assurément,  mù 
quW  homme  de  goût  mettra  difficîIemeDt  as 
nombre  de  ses  plaisirs,  vous  en  goûteriez  on  très- 
vif  à  vons  livrer  tout  entier  A  l'étude  de  la  naton* 
que  j'avais  résolu  de  vous  en  féliciter.  Je  sois  bri 
aise  de  pouvoir  du  moins  exécuter  après  conp.ri 
sur  votre  propre  témoignage,  une  résolution qc? 
ma  paresse  ne  ma  pas  permis  d^exéculer  d'avance. 
quoique  très-sûr  que  cetU:  félicita tion  ne  yksdiû 
pas  mal  â  propos. 

Les  détails  de  vos  herborisations  et  de  vos  ^ 
couvertes  m'ont  fait  battre  le  cœur  d'aise.  D  wt 
semblait  que  jMtais  à  votre  suite,  et  que  je  pu1^ 
geais  vos  plaisirs;  ces  plaisirs  si  purs,  si  doux,  ap 
si  peu  d'hommes  savent  goûter,  et  dont,  parai >t 
peu-là,  moins  encore  sont  dign?s,  puisque  je  vcï^ 
avec  autant  de  surprbe  que  de  chagrin,  que  b 
botanique  elle-même  n  est  pas  exempte  de  ces  ja- 
lousies, de  ces  haines  couvertes  et  cruelles  qui  em- 
poisonnent et  déshonorent  tous  les  autres  genre 
d'études.  Ne  me  soupçonnez  point,  nionsitnr. 
d'avoir  abandonné  ce  goût  délicieux;  il  jette  sa 
charme  toujours  nouveau  sur  ma  vie  solitaire.  Je 
m'y  livre  pour  moi  seul,  sans  succès,  sans  progr^ 
presque  sans  communication,  mais  chaque  jour 
plus  convaincu  que  les  loisi*^  livrés  à  la  contea- 
plation  de  la  nature  sont  les  momcns  de  la  vie  oà 
Ion  jouit  le  plus  délicieusement  de  soL  ravom 
pourtant  que,  depuis  votre  départ,  j'ai  joint  m 


^  SUR  LA  BOTAraQUE.  4^9 

petit  objet  d'amour-propre  à  celui  dT amuser  inno- 
cemment et  agréablement  mon  oisiveté.  Quelques 
fruits  étrangers,  quelques  graines  qui  me  sont  par 
hasard  tombées  entre  les  mains  ^  m'ont  inspiré  la 
fantaisie  de  commencer  une  très-petite  collection 
en  ce  genre.  Je  dis  commencer,  car  je  serais  bien 
fâché  de  tenter  de  1  achever,  quand  la  chose  me 
serait  possible,  nignorant  pas  que,  tandis  qu^on 
est  pauvre,  on  ne  sent  que  le  plaisir  d^acquérir^ 
et  que,  quand  on  est  riche,  au  contraire,  on  ne 
sent  que  la  privation  de  ce  qui  nous  manque,  et 
rînquiétnde  inséparable  du  désir  de  compléter  ce 
qu  on  a.  Vous  devez  depuis  long-temps  en  être  à 
cette  inquiétude,  vous,  monsieur,  dont  la  riche 
collection  rassemble  en  petit  presque  toutes  les 
productions  de  la  nature,  et  prouve,  par  son  Bel 
assortiment,  combien  M.  Tabbé  Rosier  a  eu  raison 
de  dire  qu  eUe  est  l'ouvrage  du  choix  et  non  du 
hasard.  Pour  moi,  qui  ne  vais  que  tâtonnant  dans 
un  petit  coin  de  cet  immense  labyrinthe,  je  ras- 
semble fortuitement  et  précieusement  tout  ce  qui 
me  tombe  sous  la  main,  et  non-seulement  j'accepte 
avec  ardeur  et  reconnaissance  les  plantesque  vous 
voulez  bien  m'of&ir;  mais,  si  vous  vous  trouviez 
avec  cela  quelques  fruits  ou  graines  surnuméraires 
et  de  rebut  dont  vous  voulussiez  bien  m^enrichir, 
j'en  ferais  la  gloire  de  ma  petite  collection  nais- 
sante. Je  suis  confus  de  ne  pouvoir,  dans  ma  mi- 
sère, rien  vous  offrir  en  échange,  au  moins  pour 
[e  moment.  Car,  quoique  j'eusse  rassemblé  quelr 


46o  LETTRES 

qucs  plantes  depuis  mon  arrivée  i  Pans,  ma Q";? 
gcnce  et  l'humidité  de  la  chambre  qae  judal^d 
habitée  ont  tout  laissé  pourir.  Peut-être  seni-x 
plus  heureux  cette  année,  ajanlrésolud'eiD[i!cyi 
plus  de  soin  dans  la  dessiccation  de  mesplani'} 
et  surtout  de  les  coller  k  mesure  qu'elles  son;  ^ 
ches;  moyen  qui  m'a  paru  le  meilleur  pvir  ^ 
conserver.  J'aurai  mauvaise  grâce,  ayant  fait  > 
recherche  vaine,  de  vous  faire  valoir  une  If  : 
risation  que  j  ai  faite  à  Montmo"«icy  ielécrr 
avec  La  Caterve  du  Jardin  du  Roi  ;  mais  il  e$>  ' 
(ain  qu  elle  ne  fut  entreprise  de  ma  part  (p  ■' 
trouver  le  plantago  monanthos^  que  jea^l' 
grin  dy  chercher  inutilement.  M.  de  Jussk'^ 
jeune ,  qui  vous  a  vu  sans  doute  â  Lyon,  aor/ 
vous  dire  avec  quelle  ardeur  je  priai  tous  w- 
sieurs,  sit6t  que  nous  approchâmes  de  la  ([^ 
de  Tétang,  de  m'aîder  à  la  recherche  dec 
plante;  ce  qu'ils  firent^  et  entre  autres  M.  Tbo: 
avec  une  complaisance  et  un  soin  qui  nériL 
nn  meilleur  succès. 

Nous  ne  trouvâmes  rien  ;  et  après  deux  b  ^ 
d  une  recherche  inutile,  au  fort  de  la  cbalcu 
le  jour  le  plus  chaud  de  Tannée ,  nous  fûmes 
pirer  et  faire  la  halte  sous  des  arbres, qui  net 
pas  loin,  concluant  unanimement  que  le /'L?* 
uniflora ,  indiqué  par  Toumefort  et  M.  de  Ju5^ 
aux  environs  de  Tétang  de  Montmorency,  en  a- 
absolument  disparu.  L'herborisation  au  surp 
fut  assez  riche  en  plantes  communes}  w^  ^' 


BUR  LA  BOTAinQUE.  ^6x 

ce  qui  vaut  la  peine  d'être  mentionné  se  réduit  à 
ïosmonde  royale  ^  le  lythrum  hjssopifolia  j  le  /j- 
simachia  tenella^  le  peplis  portula^  le  drosera 
rotundifolia  j  le  cjperus  fusais ,  le  schœnus  nigri' 
cans^  et  Vhjdrocotjle  ^  naissantes  avec  quelques 
feuilles  petites  et  rares,  sans  aucune  fleur. 

Le  papier  me  manque  pour  prolonger  ma 
lettre.  Je  ne  vous  parle  point  de  moi  y  parce  que 
je  n'ai  plus  rien  de  nouveau  à  vous  en  dire,  et  que 
je  nei^rends  plus  aucun  intérêt  à  ce  que  disent , 
publient 9  impriment,  inventent ^  assurent,  et 
prouvent,  à  ce  qu'ils  prétendent,  mes  contempo- 
rains, de  Têtre  imaginaire  et  fantastique  auquel  il 
leur  a  plu  de  donner  mon  nom.  Je  fiçis  donc  mon 
bavardage  avec  ma  feuille,  vous  priant  d excuser 
le  désordre  et  le  griffonnage  d  un  homme  qui  a 
p;:rdu  toute  habitude  d'écrire,  et  qui  ne  la  reprend 
presque  que  pour  vous.  Je  vous  salue ,  monsieur , 
de  tout  mon  cœur,  et  vous  prie* de  ne  pas  m'ou- 
blier  auprès  de  monsieur  et  madame  de  Fleuriea. 

Lettrb  IX.  Au  même. 

A  Paris,  le  17773. 
Pauvres  avêngles  que  nous  sommes!  Qtc. 

Votre  seconde  lettre,  monsieur,  m'a  fait  sen- 
tir bien  vivement  le  tort  d'avoir  tardé  si  long- 
temps à  répondre  à  la  précédente,  et  à  vous  re- 
mercier des  plantes  c^ui  raccompagnaient»  Ce 


Vpo^ 


' 


462  '     LETTRES 

Il  est  pas  que  je  n'aie  été  bien  sensible  i  toM 
souvenir  et  k  votre  envoi  ;  mais  la  nëcesâté  d'uoe 
vie  trop  sédentaire  et  l'inhabitude  d^écrire  des 
lettres  en  augmentent  journellement  la  difficulté, 
et  je  sens  qu'il  faudra  renoncer  bieDtôt  i  tout 
commerce  épistolairc ,  même  avec  les  posoiuiej 
qui,  comme  vous,  monsieur ,  me  l'ont  toujonR 
rendu  instructif  et  agréable. 

Mon  occupation  principale  et  la  dimiDQtioooe 
mes  forces  ont  ralenti  mon  goût  pour  b  botofl> 
que,  au  point  de  craindre  de  le  perdre  tout-i-Bit 
Vos  lettres  et  vos  envois  sont  bien  propres  i» 
ranimer.  Le  retour  de  la  belle  saison  y  contre 
buera  peut-être  :  mais  je  doute  qu'en  auaintflBp 
ma  paresse  s'accommode  long-temps  delà  tnUi- 
sic  des  collections.  Celle  de  graines  qn  a  ^ 
M.  Thouin  avait  excité  mon  émulation, et  ja^ 
tenté  de  rassembler  en  ptit  autant  de  divff»^ 
semences  et  de  fruits,  soit  indigènes,  soit «^ 
tiques,  qu'il  en  pourrait  tomber  sous  ma  id^' 
j^ai  fait  bien  des  courses  dans  cette  intcnlion.J«fl 
suis  revenu  avec  des  moissons  assez  raisonnai»^' 
et  beaucoup  de  personnes  obligeantes  ayant  con- 
tribué à  les  augmenter,  je  me  sub  KenlôlseDD, 
dans  ma  pauvreté,  l'enibarras  des  richesses; caf) 
quoique  je  n  aie  pas  en  tout  un  millier  d'cspec«> 
leffi-oi  m'a  pris  en  tentant  de  ranger  tout cela;« 
la  place  d'ailleurs  me  manquant  pour  y  ^^^ 
une  espèce  d'ordre,  j'ai  presque  renoncé  icj 
•ntreprise  j  et  j'ai  des  paquets  de  graines  gui  »  ' 


celte 


SUR  LA  BOTANIQUE.  4^3 

i  envoyés  d'Angleterre  et  daiUeurs,  depuis  ^sez 
ig-temps,  sans  que  j'aie  encore  été  tenté  de  les 
vrir.  Ainsi,  à  moins  que  cette  fantaisie  ne  se 
lime,  elle  est, quant  à  présent,  à  peu  près  éteinte. 
Ce  qui  pourra  contribuer  avec  le  goût  de  la 
»menade  qui  ne  me  quittera  jamais,  à  me  con^ 
ver  celui  a  un  peu  d  herborisation ,  c'est  l'entf  e- 
>e  des  petits  herbiers  en  miniature  que  je  me 
>  chargé  de  faire  pour  quelques  personnes ,  et 
,  quoique  uniquement  composés  de  plantes 
environs  de  Paris,  me  tiendront  toujours  un 

en  haleine  pour  les  ramasser  et  les  dessécher, 
Juoi  qu'il  arrive  de  ce  |joût  attiédi ,  il  me  lai^ 
i  toujours  des  souvenirs  agréables  des  prome- 
es  champêtres  dans  lesquelles  j'ai  eu  l'honneur 
rous  suivre,  et  dont  la  botanique  a  été  le  su- 
et ,  s  il  me  reste  de  tout  cela  quelque  part  dans 
e  bienveillance ,  je  ne  croirai  pas  avoir  cul- 

sans  fruit  la  botanique,  même  quand  elle 
1  perdu  pour  moi  ses  attraits.  Quant  à  Tadmi- 
>ii  dont  vous  me  parlez,  méritée  ou  non,  je 
ous  en  remercie  pas,  parce  que  c'est  un  séa- 
nt qui  n'a  jamais  flatté  mon  coeur.  JTai  promis 
.  de  Châteaubourg  que  je  vous  remercierais 
l'avoir  procuré  le  plaisir  d'apprendre  par  lui 
js  nouvelles ,  et  je  m'acquitte  avec  plaisir  de 
promesse.  Ma  femme  est  très-sensible  à  llion- 

de  votre  souvenir,  et  nous  vous  prions, 
sieur  ,  Fun  et  Tautre  ^  d'agréer  nos  remerci- 
s  et  tios  salutations. 


464  VSTTBXS 

Lettre  a.  M.  l*abbé  db  Peamoitt. 

N.  B.  —  L  abbé  de  Prunont  avait  eonfié  ï  Rc9« 
uoe  collection  de  planche»  grarécs  lepitsentit: 
plantes  ,  et  accompagnées  d'un  texte  explic^'i:  p 
chaque  plante.  Rousseau  les  a  rangées  siiirant.]i 
thodo  de  Linnée ,  et  a  joint  au  texte  des  notes  cc  *« 
grand  nombre.  Ce  recueil ,  en  deux  yolunes  ^ 
foiio  contenant  898  planches ,  et  ajant  pem  ^"^ 
Botanique  mite  à  la  portée  de  tout  le  monde,  p»'^'-  •' 
dame  Regnault,  Paris,  1774  (^)>  ^st  actocUeiBet' --  * 
à  la  bibliothèque  de  la  Chambre  des  Député»  "^ 
est,  avec  Toiiginal  de  la  lettre  qu'on  va  Iire,BQ''  ' 
raisonnéc  et  méthodique  faite  par  Roassesa  i^cc  J 
coup  de  soin^ 

A  Paris,  k  iSanfliTT^ 

Vos  planches  gravées,  moDsiear,  sont:^ 
et  arrangées  comme  vous  l'avez  désiré.  ^  0- 
prié  de  vouloir  Lien  les  faire  relirer.  Ell^  ' 
raient  se  gâter  dans  ma  chambre,  et  nvf' 
plus  qu un  embarras,  parce  ({ue  la  peine  ç 
eue  à  les  arranger  me  fait  craindre  d'y  t 
derechef.  Je  dois  vous  prévenir,  monsifur* 
y  a  quelques  feuilles  du  discours  extrèni 
barbouillées  et  presque  inlisibles;  di$cilc$â 
à  relier  sans  rogner  de  lécriture  que  j^aî  qc I 

(*)  Il  fo^e  maintenant  trois  toIiudcs;  nuis  a  Tipl 
Rousseau  l'eut  entre  les  mains ,  on  n'^axt  encore  pibi-^  j 
deux  premicfs.. 


StIR  LA  BOTAmQUE.  4^5 

fois  prolongée  étourdiment  sur  la  mai^e.  Quoique 
j'aie  assez  rarement  succombé  à  la  tentation  de 
faire  des  remarques,  Famour  de  la  botanique  et  le 
désir  de  vous  complaire  m'ont  quelquefois  em- 
porté. Je  ne  puis  écrire  lisiblement  que  quand  je 
copie ,  et  j  avoue  que  je  n'ai  pas  eu  le  courage  de 
doubler  mon  travail  eu  faisant  des  brouillons.  Si 
ce  griffonnage  vous  dégoûtait  de  votre  exemplaire 
après  l'avoir  parcouru^  je  voas  offre ,  monsieur,  le 
]?emboursement,  avec  l'assurance  qu'il  ne  restera 
pas  à  ma  charge.  Agréez^  mouMeur,  mes  très- 
humbles  salutations. 

La  Table  méthodique  dont  il  yient  d'être  parlé,  est 
précédée  d'un  court  préliminaire  et  terminée  par  cette 
observation  : 

((  La  méthode  de  Linnaeus  n  est  pas,  à  la  vérité, 
ce  parfaitement  naturelle.  11  est  impossible  de  ré- 
cc  duire  en  un  ordre  méthodique  et  en  même  temps 
c(  vrai  et  exact  les  productions  de  la  nature,  qui 
ce  sont  si  variées  et  qui  ne  se  rapprochent  que  par 
rc  des  gradations  insensibles.  Mais  un  système  de 
rc  botanique  nW  point  une  histoire  naturelle  : 
<(  c'est  une  table ,  une  méthode  qui ,  à  l'aide  de 
c<  quelques  caractères  remapquables  et  à  peu  près 
ce  constans ,  apprend  à  rassembler  les  végétaux 
ce  connus  et  à  y  ramener  les  nouveaux  individus 
<c  qu'on  découvre.  Ce  moyen  est  nécessaire  pour 
ce  en  faciliter  Tétude  et  fixer  la  mémoire.  Ainsi 
«  aucun  système  botanique  n'est  véritablement 
«  naturel.  Le  meilleur  est  celui  qui  se  trouve  fondé 


466  LETTRES  SUR  LA  BOTAïaQUE. 

«  sur  les  caractères  les  plus  fixes  et  lesilosai^o 
«  oonnaitre.  n 

Quant  anx  notes  qu*on  trooTe  presse  va  cb; 
feuille  du  Recueil  en  question ,  elles  proorcot  bk  f 
fonde  connaissance  de  la  matière,  et  sont  i^^'* 
rédigées  d  une  manière  piquante.  En  Toid  deu['^ 
ail  bâtard. 

Sw  la  grande  capucine,  u^  128. 

ce  Madame  de  Linnée  a  remarqué qoc s» E^^ 
tt  rayonnent  et  jettent  une  sorte  de  heorau 
«  crépuscule.  Ce  que^'e  vois  de  plus  sûr  (fait  ^ 
<«  observation,  c'est  que  les  dames  dans  ce  p;^ 
c<  se  lèvent  plus  matin  que  dans  celui  d.  > 

Sur  la  mélisse  ou  citronelU,  n^  ^4 

cr  Chaque  auteur  la  gratifie  d'une  vertu  f' 
a  comme  les  fées  marraines,  doûtchacnned  ' 
(c  la  filleule  de  quelque  beauté  ou  qualité  pa^^ 
«  lière.  » 


FRAGMENS 

UN  DICTIONNAIRE 

DES  TERMES 

D^USAGE  EN  BOTANIQUE 

ITEG  DES  ARTICLES  SUPPLÊMEHTAIRSIL 
(Yojn  k  jMNe  an  Ttno  da  etn»  ptfB. 


N.  B.  —  On  la  senti  qu'il  faudrait  ajooter  pn 
chose  k  ces  Fragmens  pour  en  fermer,  sinon  ra  ft^' 
naire,  au  moins  un  Voèabulaire  encore  fertibrf)''^ 
doute ,  mais  assez  complet  dans  son  ensemble  po^:  ^t 
fire  aux  personnes  qui  ne  font  de  letade  ds  la  boti:  \ 
qu'un  objet  de  distraction  et  d'amnsenentD»!'^ 
Tue,  on  a,  dans  une  petite  collection  publisa-^ 
sous  le  titre  de  B^anitfut  JeJ^J.  Rottsseu,^' 
forme  de  supplément  aux  Fracmens  nae  suite  c:> 
articles  pour  lesquels  on  a  annoncé  s'Itre  senieip 
partie  du  Dictionnaire  de'Bulliard^  reractio^ 
par  Richard. 

Nous  ayons  p<uisé  que  tous  ces  articles  inin^  ^' 
leur  ordre  et  incorporés  aux  Fragmens  enx-iKa^^ 
draient  ceux-ci  dun  usage  plus  général,  ctcff^ 
draient  à  la  plus  grande  partie  des  lecteuis.  Ce  v 
se  distingueront  facilement  de^cenz  de  RouM*!' 
•igné  ^  qui  les  précède» 


■AAWNMMMMAMMfM^WWMMlMMI 


INTRODUCTION. 


L>£  premier  malTienr  de  la  botanique  est  'd'ayoïr  été 
regardée  dès  sa  naissance  comme  une  partie  de  la  méde* 
ci  ne.  Cela  fit  qu*on  ne  s'attacha  qu'à  trouver  ou  supposer 
des    vertus  aux  plantes,  et  quon  négligea  la  connais- 
sancer  des  plantes  mêmes;  car  comment  se  liyrer  aux 
courses  immenses  et  continuelles  qu'exige  cette  recher- 
,  elle ,  et  en  même  temps  aux  travaux  sédentaires  du  labo< 
,  rntoire  ,  et  aux  traitemcns  des  malades,  par  lesquels  on 
parvient  à  s'assurer  de  la  nature  des^ubstances  végétales, 
et  de  leurs  effets  dans  le  corps  humain?  Cette  fausse 
manière  d'envisager  la  botanique  en  a  long-temps  rétréci 
l'ctude,  au  point  de  la  borner  presque  aux  plantes  usuel- 
les ,  et  de  réduire  la  chaîne  végétale  à  un  petit  nombre 
de  chaînons  interrompus;  encore  ces  chaînons  mêmes 
ont-ils  été  très-mal  étudiés ,  parce  qu'on  y  regardait  seu- 
lement la  matière ,  et  non  pas  l'organisation.  Comment 
se  serait-on  beaucoup  occupé  de  la  structure  organique 
d'une  substance,  ou  plutôt  d'une  masse/ramifiée,  qu'on 
ne  songeait  qu'à  piler  dans  un  mortier.  On  ne  cherchait 
pas  des  plantes ,  mais  des  simples.  C'était  fort  bien  fait , 
îdira-t-on  ;  soit  :  mais  il  n'en  a  pas  moins  résulté  que ,  si 
l'on  connaissait  fort  bien  les  remèdes ,  on  ne  laissait  pas 
de  connaître  fort  mal  les  plantes  ;  et  c'est  tout  ce  que 
j'avance  ici.' 

La  betanique  n'était  rien  ;  il  n'j  avait  point  d'étude 
^es  plantes  que  pour  trouver  des  remèdes  ;  on  ne  cherchait 
de  la  botanique,  et  ceux  qui  se  piquaient  le  plus  de  coiv 
naître  les  plantes  n'avaient  aucun'c  idée,  ni  de  leur  stmc-' 
tore ,  ni  de  l'économie  végétale.  Chacun  connaissait  d« 
vue  cinq  ou  six  plantes  de  ton  canton,  auxquelles  il 

■rUafff.  ^Q 


/jyo  lîmioDucnoîï. 

donnait  des  notas  au  hasard,  eorichis  de  vertus  ntn^' 
ïeusef  qu'il  lui  plaisait  de  leur  supposer-,  et  cbac 
ces  plantes  changée  en  panacée  universelle  wfisaiik 
pour  immortaliser  tout  le  genre  humain.  Ces  pliLi 
transformées  en  baume  et  en  emplâtres,  dispariijja 
promptement,  et  faisaient  bientôt  place  à  dauUtsJ 
quelles  de  nouveaux  venus,  pour  se  disûoÇTitr,^ 
buaient  les  mcmes  effets.  Tantôt  c'était  ane  pUtt  i 
velle  qu'on  décorait  d'anciennes  vertus,  et  twiôt  i 
ciennes  plantes  proposées  sous  de  nou?«u  » 
suffisaient  pour  enrichir  de  nouveaux  charlaîiiiî 
plantes  avaient  des  noms  vulgaires,  diffcrensdj^j^^^ 
canton  ;  et  ceux  qui  les  indiquaient  pour  lenn  -  ."^ 
ne  leur  donnaient  que  des  noms  connus  tout  asp^-^ 
le  lieu  qu'ils  habitaient^  et,  quand  leurs  récip«o>a- 
dans  d'autres  pays ,  on  ne  savait  plus  de  quelle  fl:^ 
y  était  parlé  ;  chacun  en  substituait  une  i  $J  ^^^  ^ 
tans  autre  soin  que  de  lui  donner  le  même  non» 
tout  l'art  que  les  Myrepsus,  les  Hildegardcs,  Ko 
dus ,  les  Yillanova ,  et  les  autres  docteurs  de  ce  hi 
U ,  mettaient  à  l'étude  des  plantes  dont  iU  oo:  j 
dans  leurs  livres;  et  il  serait  difficile  peut-être wp 
d'en  reconnaître  une  seule  sur  leurs  noms  ou  jw 
descriptions^ 

'À  la  renaissance  des  lettres  tout  dîspanit  for 
place  aux  anciens  livres  :  il  n'y  eut  plu*  o^"  **  ' 
I  de  vrai  que  ce  qui  était  dans  Aristote  et  dans  u 

Au  lieu  d'étudier  les  plantes  sur  la  terre ,  on  ne  k^ 
!  diait  plus  que  dans  Pline  et  Dioscoride;  et  il  n  T  *  "■ 

!  tî  fréquent  dans  les  auteurs  de  ces  temp»-l4  çw  .' 

nier  l'existence  d'une  plante  par  l'unique  ra»»^^ 
Dioscoride  n'en  a  pas  parlé.  Mais  ces  doctes  p'««' 
fallait  pourtant  les  trouver  en  nature  po«T 
plo/er  selon  les  préceptes  dn  maître.  Alors  on  »f^' 


ÏNTRODUCTIOÎf.  4?' 

l'on  se  mit  à  chercher,  k  obseryer,  k  conjecturer;  et  cha- 
cun ne  manqua  pas  de  faire  tous  ses  efforts  pour  trouyer 
dans  la  plante  qu'il  ayait  choisie,  les  caractères  décrit! 
dans  son  auteur;  et,  comme  les  traducteurs,  les  com- 
mentateurs ,  les  praticiens ,  s'accordaient  rarement  sur  le 
choix ,  on  donnait  yingt  noms  à  la  même  plante ,  et  à 
vingt  plantes  le  même  nom,  chacun  soutenant  que  U 
sienne  était  la  véritable,  et  que  toutes  les  autres,  n'étant 
pas  celles  dont  Dioscoride  ayait  parlé,  devaient  êtr^ 
proscrites  de  dessus  la  terre.  De  ce  conflit  résultèrent  en- 
fin des  recherches,  à  la  vérité  plus  attentives,  et  quel- 
ques bonnes  observations  qui  méritèrent  d'être  conser- 
vées, mais  en  même  temps  un  tel  chaos  de  nomenclature, 
que  les  médecins  et  les  herboristes  avaient  absolument 
cessé  de  s'entendre  entre  eux.  Il  ne  pouvait  plus  j  avoir 
communication  de  lumières,  il  aj  ayait  plus  que  des 
disputes  de  mots  et  de  noms ,  et  même  toutes  les  recheiw 
ohes  et  descriptions  utiles  étaient  perdues,  faute  de 
pouvoir  décider  de  quelle  plante  chaque  auteur  avait 
parlé» 

Il  commença  pourtant  Vse  former  de  vrais  botanistes, 
tels  que  Clusius ,  Cordus ,  Césalpin,  Gesner,  et  à  se  faire 
'de  bons  livres,  et  instructifs,  sur  cette  matière,  dans  les- 
quels même  on  trouve  déjà  quelques  traces  de  méthode 
Et  c'était  certainement  une  perte  que  ces  pièces  devins- 
sent  inutiles  et  inintelligibles  par  la  seule  discordance 
des  noms.  Mais  de  cela  même  que  les  auteurs  commen- 
çaient à  réunir  les  espèces ,  et  k  séparer  les  genres ,  cha« 
cun  selon  sa  manière  d'observer  le  port  et  la  structure 
apparente ,  il  résulta  de  nouveaux  inconvéniens  et  une 
nouvelle  obscurité ,  parce  que  chaque  auteur ,  réglant  sa 
nomenclature  sur  sa  méthode ,  créait  de  nouveaux  gen- 
res ,  ou  séparait  les  anciens ,  selon  que  le  requ<$rait  le 
caractère  des  siens  :  de  s?rte  qu'espèces  et  grnres,  tout 


/\y2  I?ÇTRODUCTIOÎf- 

ctaii  tcllt  ment  mclc,  qu'il  n'y  avait  presque  pasdt  {b"  • 
ftii  n'eût  autant  de  noms  diffcrcns  qu'il  j  avait  d\ui  t  > 
qui  i'araient  décrite;  ce  qui  rendait  l'étude  de  la  t 
cordance  aussi  longue  et  souYCUt  plus  diflk:iic  que  o  - 
des  plantes  mêmes. 

Enfin  parurent  ces  deux  illustres  frère»,  qui  oc»  ]  - 
fait  eux  seuls  pour  le  progrès  de  la  liotaiiique  q«  ' 
les  autres  ensem'ble  qui  les  ont  précédés  et  mcme  »t:  ..- 
jusqu'à  Tournefort  :  hommes  rares  ,  dont  le  sarotr  .s 
mense,  et  les  solides  travaux ,  consacrés  &  la  botarh  * 
les  rendent  dignes  de  l'immortalité  qu'ils  leur  ontarq  « 
car,  tant  que  cette  science  naturelle  ne  tombera  pa^.-? 
l'oubli ,  les  noms  de  Jean  et  de  Gaspar  Bauiûn  ti<-  " 
avec  elle  dans  la  mémoire  des  hiMumcs. 

Ces  deux  hommes  entreprirent,  chacun  de  soc  f< 
une  histoire  universelle  des  plantes  ;  et ,  ce  qmi  sc  rr 
poite  plus  immédiatement  à  cet  article,  ils  entrcpr  : 
l'un  et  l'autre  d'y  joindre  une  sjnon^mie ,  c  cst-*-. 
une  liste  exacte  des  noms  que  chacune  d'elles  p'f 
dans  tous  les  auteurs  qui  les  avaient  précédés.  (>r  " 
vail  devenait  absolument  nécessaire  pour  qu'on  pût  !- 
fitei  des  observations  de  chacun  d'eux;  car,  sans  rr.: 
devenait  presque  impossible  de  suivre  et  déaiclercU;< 
plante  à  travers  tant  de  noms  différens. 

"L'aine  a  exécuté  2i  peu  près  cette  entreprise  dan^  ' 
trois  volumes  in-folio  qu'on  a  imprimés  après  sa  k* 
et  il  }r  a  joint  une  critique  si  juste ,  qu'il  s'est  raz^K-i 
trompé  dans  ses  sjnonjrmies. 

Le  plan  de  son  frère  était  encore  plus  vaste,  coibb' 
parait  par  le  premier  volume  qu'il  eo  a  donné,  «*:  ^■ 
peut  faire  juger  de  l'immensité  de  tout  l'ouvrage,  »  ii  '• 
en  le  temps  de  l'exécuter  ;  mais ,  au  volume  prés  du-:  i 


INTRODUCTION.  .    47^ 

▼lens  de  parler,  nous  n'avons  que  les  titres  du  reste  dans 
son  pinax;  et  ce  pinax ,  frui'  de  quarante  ans  de  travail, 
est  encore  aujourd'hui  le  guide  de  toUi»  ceux  qui  veulent 
travailler  sur  cette  matière ,  et  consulter  les  anciens 
auteurs. 

Gomme  la  nomenclature  des  Bauhin  n'était  formée 
que  des  titres  de  leurs  chapitres,  et  que  ces  titres  com- 
prenaient ordinairement   plusieurs  mots,   de  là  vient 
l'habitude  de  n'employer  pour  noms  de  plantes  que  des 
phrases  louches   assez  longues  ,  ce  qui   rendait   cette 
nomenclature  non-seulement  trainant«>  et  embarrassante; 
mais  pédaniesquc  et  ridicule.  Il  y  aurait  k  cela,  je  l'avoue, 
quelque  avantage,  si  ces  phrases  avaient  été  mieux  faites; 
mais,  composées  indilTércmment  des  noms  des  lieux  d'où 
venaient  ces  plantes ,  des  noms  des  gens  qui  les  avaient 
envoyées ,  et  même  des  noms  d'autres  plantes  avec  les- 
quelles on  leur  trouvait  quelque  similitude ,  ces  phrases 
étaient  des  sources  de  nouveaux  embarras,  et  de  nou- 
veaux doutes,  puisque  la  connaissance  d'une  seule  plante 
exigeait  celle  de  plusieurs  autres ,  auxquelles  sa  phrase 
renvoyait,  et  dont  les  noms  n'étaient  pas  plus  déteiminés 
que  le  sien. 

Cependant  les  voyages  de  long  cours  enrichissaient 
incessamment  la  botanique  de  nouveaux  trésors;  et  tan- 
dis que  les  anciens  noms  accablaient  déjà  la  mémoire,  il 
en  fallait  inventer  de  nouveaux  sans  cesse  pour  les  plan- 
tes nouvelles  qu'on  découvrait.  Perdus  dans  ce  labyrin- 
the immense,  les  botanistes,  forcés  de  chercher  un  fîi 
pour  s'en  tirer,  s'attachèrent  enfin  sérieusement  à  la  mé- 
thode. Herman ,  Rivin ,  Rny  ,  proposèrent  chacun  la 
sienne;  mais  l'immortel  Tournefort  l'emporta  sur  eux 
tous  :  il  rangea  le  premier ,  systématiquement ,  tout  le 
règne  végétal;  et  réformant  eh  partie  la  nomenclature. 
la  combina  par  ses  nouveaux  genres  avec  celle  <fll«OaA. 

4o. 


47  î  HTTRODUCnOîT, 

par  BauLin.  Mais  loin  de  la  débamsaerdc  tttkar« 
phTa£(^9 ,  on  il  en  ajouta  de  nourelles,  ou  il  cbaiçr*  k 
ancrcnnes  des  additions  que  sa  méthode  k  foi^t  : 
iatrf^.  Alors  s'introduisit  l'usage  barbare  de  lier  k«  b^ 
veaux  noms  aux  anciens  par  un  qui  «fum  ^md  cootr>:i 
toii*!* ,  qui  d'une  même  plante  faisait  deux  geonî  t? 
diffc-rcns. 

Dens  leonU  qui  pUotella  folio  mdntu  vUtosô  :  Jkrlt^ 
jacoùcta  orientalU  iimomU  folio  :  Tiiano'keraUtph^h*  r^i 
ûlofhylon  marinum  albicans, 

'Ainsi  la  nomenclature  se  chargeait;  les  noms  ^^''^ 
tes  derenaient  non -seulement  des  phrases,  bi-^ 
périodes.  Je  n'en  citerai  qu'un  seul  de  Plukecr.  i 
prouvera  que  je  n'exagère  pas.  a  Gramen  auftoicef-yi 
«<  carotinianum  ,  seu  gramen  aLissimum,  pamiaUt  ■^•' 
«  speciosa ,  e  spieis  majoribus  comprestirnscMlii  i/^' 
c  pinnatit  blattam  moleàdariam  quodamittâ>do  re^rttti'i 
«  composilap  fbliit  convolulits  mucrotuUis  pmm^eetJ* 
Almag.  i3y* 

C'en  était  fait  de  la  botanique  si  ces  pratiguei  f "'*' 
été  suivies.  Devenue  absolument  insupportable,  li^ 
menclature  ne  pouvait  plus  subsister  dans  cet  érat,* 
fallait  de  tonte  nécessité  qu'il  s'jr  fit  une  réforme, nu] 
la  plfis  riche,  la  plus  aimable,  la  plus  6cile  des  tiob  ;< 
lies  d«.  rhi&toire  naturelle  fiit  abandonnée. 

Enfin  M.  Lînnasus,  p!ein  de  son  sjrstème  kii^î. 
â^es  vastes  idées  qu'il  lui  avait  suggérées ,  fbnna  le  p'  * 
d'une  refonte  générale,  dont  tout  le  monde  seot^* 
'iWaoin ,  mais  dont  nul  n'osait  tenter  l'entraprise.  i* 
plus ,  il  l'exécuta  ;  et ,  après  avoir  préparé ,  «Itas  i^^^ 
iica  boianica ,  les  règles  sur  lesquelles  ce  traraii  den 
fttratffbnduit ,  il  détennina,  dans  son  Geacra  pi«ur>J 


WTRODUCTIOX.  47^ 

;c9  genres  des  plantes ,  ensuite  les  espèces  dans  son  Spe- 
'ics  ;  de  sorte  que,  gardant  tous  les  anciens  noms  qui 
>ouy aient  s'accorder  avec  ces  nouvelles  règles ,  et  refou- 
lant tous  les  autres,  il  établit  enûn  une  nomenclature 
éclairée,  fondée  sur  les  vrais  principes  de  l'art,  qu'il  avait 
uî-mcme  exposés.  Il  conserva  tous  ceux  des  anciens  gen- 
res qui  étaient  vraiment  naturels;  il  corrigea,  simplifia  , 
réunit ,  ou  divisa  les  autres ,  selon  que  le  requéraient  les 
irrais  caractères  ;  et ,  dans  la  confection  des  noms,  il  sui- 
vait, quelquefois  même  un  peu  trop  sévèrement,  ses  pro- 
pres règles. 

\      A  l'égard  des  espèces  ,  il  fallait  bien ,  pour  les  détrr. 
ruiner,  des  descriptions  et  des  différences;  ainsi  les  phra> 
fica  restaient  toujours  indispensables,  mais  s'^  bornant  à 
pn  petit  nombre  de  mots  techniques  bien  choisis  et  bien 
adaptés ,  il  s'attacha  à  faire  de  bonnes  et  brèves  défini- 
(tions  tirées  des  vrais  caractères  de  la  plante,  bannissant 
^rigoureusement  tout  ce  qui  lui  était  étranger.  11  fallut 
pour  cela  créer ,  pour  ainsi  dire ,  à  la  botanique  une  nou- 
velle langue  qui  épargnâtce  long  circuit  de  paroles  qu'on 
voit  dans  les  anciennes  descriptions.  On  s'est  plaint  que 
i\ea  mots  de  cette  langue  n'étaient  pas  tons  dans  Cicéron. 
r Cette  plante  aurait  un  sens  raisonnable,  si  Cicéron  eût 
fai:  un  traité  complet  de  botanique.  Ces  mots  cependant 
f  sont  tous  grecs  ou  latins ,  expressifs ,  courts ,  sonores,  et 
forment  même  des  constructions  élégantes  par  leur  ex- 
trême précision.  C'est  dans  la  pratique»  journalière  de 
l'art  qu'on  sent  tout  l'avantage  de  cette  nouvelle  langue, 
'  aussi  commode  et  nécessa'ire  aux  botanistes  qu'est  celle 
'  de  l'algèbre  aux  géomètres* 

}  Jusque  là  M.  Linnxus  avait  déterminé  le  plus  grand 
t  nombre  àeï  plantes  connues,  mais  il  ne  les  avait  pas 
I  uommées  ;  car  ce  n'est  pas  nommer  une  chose  que  de  i« 


473  nrTRODucTiox. 

idéânii'  :  une  plirase  ne  sera  jamais  nn  rni  not  '*  i 
n'en  saurait  avoir  l'usage.  Il  pourvut  à  ce  défaut  p»r  3 
Tention  des  noms  triviaux  qu'il  joignit  à  ceax<ic>  f^ 
rcs  pour  distinguer  les  espèces.  De  cette  maniw  V  .1 
de  chaque  plante  n'est  composé  jamais  que  àt  <■■' 
mots  ;  et  ces  deux  mots  seuls ,  choisis  avec  discorr^^ 
et  appliqués  avec  justesse,  font  souvent  mieux  c^:::^^ 
la  plante  que  ne  faisaient  les  longues  phrases  àt  y..  1 
et  de  Plukenet.  Pour  la  connaître  mieux  cncorr  >.  i 
régulièrement ,  on  a  la  phrase  qu'il  fant  »t). j  ^ 
doute ,  mais  qu'on  n'a  plus  besoin  de  répéter  a  ic--i 
p09  lorsqu'il  ne  faut  que  nommer  l'objet 

Rien  n'était  plus  maussade  et  plus  n^ïcn.    ' 
qu'une  femme  ou  quelqu'un  de  ces  hommes  qui  >> 
semblent ,  vous  demandait  le  nom  d'une  herbe  i 
fleur  dans  un  jardin ,  que  la  nécessité  de  ct^  ' 
réponse  une  longue  enfiladede  mots  latins,  qui  --^ 
blaient  à  des  évocations  magiques  ;  iDconvénicni  ^-| 
pour  rebuter  ces  personnes  frivoles  d'une  ciu<it  1 
mante  offerte  avec  un  appareil  aussi  pédante^qot. 

Quelque  nécessaire  ,  quelque  avantageuse  v^ 
cette  réforme,  il  ne  fallait  pas  moins  que  le  [  ' 
savoir  de  M.  Linnaeus  pour  la  faire  avec  succè^.r'  \ 
célébrité  de  ce  grand  naturaliste  pour  la  faire  ui.  > 
lement  adopter.  Elle  a  d'abord  éprouvé  de  U  i^  ' 
elle  en  éprouve  encore;  cela  ne  saurait  être  ao*'' J 
tes  rivaux  dans  la  même  carrière  regardent  ctv  ' 
tion  comme  un  aveu  d'infériorité  qu'ils  n'ont  1  ' 
faire;  sa  nomenclature  paraît  tenir  tellement  à  -^ 


(*)  Cette  leçon  est  confonne  à  rédîtion  de  Gf\c\t,  "I 
à  rëdition  de  Paris,  en  38  vol.  in- 8^.  Dans  quelques  *'^ 
Ht  :  Une  phrase  ne  âcra  jamais  un  trai  90ML 


HTTRODirCTIOll.  477 

1^  qu'on  ne  s  avise  guère  de  len  séparer  ;  et  les  botiU 
Ces  du  premier  ordre,  qui  se  croient  obligés,  par  hau- 
r ,  de  n'adopter  le  système  de  personne ,  et  d*aToir 
cun  le  sien,  n'iront  pas-  sacrifier  leurs  prétentions 
'  progrès  d'un  art  dont  l'amour  dans  ceux  qui  le  prot. 
ent  est  rarement  désintéressé. 

Les  jalousies  nationales  s'opposent  encore  li  l'admi»- 
i  d'un  système  étranger.  On  se  croit  obligé  de  soute- 
les  illustres  de  son  pajs,  surtout  lorsqu'ils  ont  cessé 
nyre  ;  car  même  Tamour-propre ,  qui  faisait  souffrir 
6  peine  leur  supériorité  durant  leur  -vie,  s'honore  d* 
'  jgloire  après  leur  mort« 

lalgré  tout  cela ,  ta  grande  comaiodité  de  cette  nau^ 
e  nomenclature,  et  son  utilité,  que  l'usage  a  fait  conf- 
ire ,  l'ont  fait  adoptes  presque  unirerseUcment  dans 
te  l'Europe ,  plus  t4t  ou  plu»  tavd'à  la  vérité ,'  aaai«> 
n  à  peu  près ,  partout, et  même  à  PariS'.  llf.  de  Jus^ 

vient  de  l'établir  au  Jardin  du  Roi,  préférant  amsii 
ilité  publique  à  la  gloire  d'une  nouvelle  Eefui»tc,.qur 
blait  demander  la  méthode  des  famille»  naturelles^ 
t  son  illustre  oncle  est  l'auteur.  Ce  n'est  pas  que  cette* 
enclatUire  linnéenne  n'ait  encore  ses  défauts-,  et  n» 
c  de  grandes  prises  h  la  critique;  mais,  en  attendant 
n  eu  trouve  une  plus  parfaite ,.  à  qui  rien  ne  man» 

il  vaut  cent  foi»  mieux  adopter  celle-là  que  de  n'en 
r  aucune,  ou  de  retomber  dans  les  phrase» de  Tous- 
rt  et  de  Gaspar  Bauhin.J'ai  même  peine  à  croire 
Dc  meilleure  nomenclature  pût  avoir  désormais  assez 
iccés  pour  proscrire  celle-ci ,  Il  laquelle  les  botanis- 
e  l'Europe  sont  déjà  tout  accoutumés;  et  c'est  par 
uble  chaîne  dc  l'habitude  et  de  la  commodité  qu'ils 
lonceraient  avec  plu»  de  peine  encore  qu'ils  n'en 
3t  à  l'adopter.  Il  faudrait,  pour  opérer  ce  change» 
;  ,  un  auteur  donc  le  crédit  efiaçât  celui  de  M.  Lii^ 


48o  nmottucno». 

tades  a  répandues  dana  la  masse  dn  genn  Imbëi.  ^ 
eela  xi*est  pas ,  et  qne  la  troisième  et  pins  aimiUe  pL'< 
^e  rhistoire  naturelle  mérite  Tettentioa  des  csurz 
qn'on  me  due  comment  on  %'j  prendra  ponr  fm  ik 
des  connaissances  «i-derant  ncqnises,  si  l'en  acc-r 
menoe  par  apprendre  la  langue  des  avtenrs,  et  pnv 
à  qnels  objets  se  rapportent  les  noms  enploycs  pu  • 
«nn  d'eux.  Admettre  l'étnde  de  la  botanique,  et  ^■' 
celle  de  la  nomenclature .  c'est  donc  tomber  dsas  Uu 
absurde  contradiction* 


PRAGMENS 

POUR 

UN  DICTIONNAIRE 

DES  TERMES 

D'USAGE  EW  BOTANIQUE, 


*  Aboutif.  Qui  ne  purvient  point  k  sa  perfection. 

Abrupte.  Od  donne  l'épithéte  d' abrupte  aux  feuilles  poncet, 
au  ftonimcl  desquelles  manque  la  foliole  impaii-e  terminale  quVUcs 
ont  ordinairement. 

AanErvoiBs,  ou  gouttières.  Trous  qui  se  forment  dans  leboia 
pouri  des  chicots,  et  qui,  retenant  l'eau  des  pluies,  pounsaeol 
«nfin  le  reste  du  tronc. 

AcAULis.  snns  tige. 

*  AcOTYLÉDv)5E,  SOUS  cotyJé(lon$.  La  plante  ne  d<*veloppe 
p<iini  dans  sa  germination  la  feuille  primordiale  nommée  co- 
tyledon, 

*  Agamie.  au  lieu  de  Cryptogam'e.  Sans  ctamines  ni  pîstîlf. 
■*  AonÉGKEs.  Pctiicillées  naissantes;  plusieurs  ensemble  d'u« 

même  point  de  In  ti.4;e. 

AiCKETTE.  Touffe  de  filamens  simples  ou  p!umcux  qui  cou-* 
tonnent  les  semcmes  dans  plusieurs  »<  nrcs  de  coin  posées  et  d'au- 
tres flnirs.  L'aiffrette  est  ou  w^ssile ,  c'e$l-h-dire  inim^'diateroent 
attachée  nutour  de  l'embryon  qui  la  porte,  ou  pédicnU?e,  c'est- 
^  dire  portée  pnr  un  pied  appelé  m  latin  stipes,  qui  la  tient 
éUt^^t  au-dessus  de  l'eiahryon.  L'ai^^rette  sert  d'abord  de  calioa 
au  fieurou ,  ensuite  elle  le  pousse  et  le  chesye  il  mceore  qu'il  m 

M.-laagei.  il 


48a  APH 

ûiDC  poarqull  ne  reste  pas  tous  U  Mnenoe  et MToftàe^ 
de  mârir  ;  eik  garantit  œlte  même  aeaocnoe  aatàtXtma 
pluie  qui  pourrait  la  pourir  ;  et  lorsque  la  saaeaa  ti  u: 
•Ue  lui  sert  d'aile  pour  eue  portée  et  dtssàninëe  ain  pf  r" 
Tentau 

ÀiLtx.  Une  feuille  composée  de  deux  lbliolacppiénc> 
même  pétiole  s'appelle  feuille  ailée. 

Aisselle.  Angle  aigu  on  droit,  formé  par  use  hnAi  v 
une  autre  branche,  ou  sur  la  tig^ ,  ou  par  ujm  leaPk  sr  a 
brancbe. 

*  Al^bé.  Fait  en  alêne. 

*  Alterhss.  Feuilles  qui  se  trouvent  sur  «fircn  poiiti  à 
tige  à  des  distances  à  peu  près  égales. 

Ama!ide.  Scmeoce  enfermée  dans  un  noyau. 

*  ABn£!<TAc£E.  Plante  dont  les  fleurs scotdispo«ic>(Br^-' 
*■  Amplexicaule,  dont  la  base  embrasse  la  tigs. 

*  AmciTïxi.  Ayant  deux  bords  oppoeés  plu»  o«  w^  ~ 
cbaos. 

AnonocTin!.  ^li  porte  des  fleun  mâles  et  des  finn  ^'^ 
sur  le  même  pied.  Ces  mots  anêrc^yne  et  awnoîfM  x:^ 
abaolument  la  mém*'  chose  :  excqpûf  que  dans  le  preauff  <==  ' 
plus  d'attention  au  difiërent  sexe  drs  fleurs  ;  et  dans  le  m*-'- 
)eur  assemblage  sur  le  même  indivichi. 

AiioxosPERME,  à  semences  enveloppées.  Ce  terne  d^-' 
•perroe  convient  égalemenf  aux  fruits  4  capsule  et  aux&ub'  -  < 

Ahtbère.  Capsule  ou  boîte  portée  par  le  dkt  de  1 1^^  ' 
et  qui,  ^'ouvrant  au  moment  de  la  f^oondadoo,  réfMc^  >>  :"' 
sière  prolifique 

■*'  AnTHtsE.  Le  temps  où  tous  les  oigaoet  d'ans  Sof*^ 
4aQS  leur  partit  accroissement. 

AsTHOLOGiE,  Discours  sur  les  fleurs.  C'est  le  titre  J^»  ^^ 
de  Pomedera,  dans  lequel  il  combat  de  tonte  sa  tee  ki^^ 
aeittel^  qu'il  eût  sans  doute  adopte  luî-mtoe,  ■  k*  «^ 
Vaillant  et  de  Linnaeus  avaient  précédé  le  sien. 

A^nnoniTEB.  M.  Adanson  donne  oe  nom  A  dei  sniw^  ** 
#à>^«tf  individii  tepodoit  «on  tonUal^B  par  b  fêaa^ 


maU  Mns  aucun  acte  extérieur  de  copulation  on  de  fécondation, 
tels  que  quelques  pucerons,  les  conques,  la  plupart  des  vers 
sans  sexe ,  les  insectes  qui  se  reproduisent  sans  génération ,  mais 
par  la  section  d'une  partie  de  leur  corps;.  En  ce  si ns,  les  pUbites 
qui  se  multiplient  par  hontnres.  et  par  caîcux  peuvent  élre  appe- 
lées aussi  apbrodites.  Cette  irrt^hrité,  si  concraire  à  la  marche 
ordinaire  de  la  nature,  offre  bien  des  difficultés  à  la  définition  de 
l'espèce  :  est-ce  qu'à  propremenl  parler  il  n'exislerait  point  d'es- 
pèces dans  la  nature,  mais  seulement  des  individus?  Mais  on 
peut  douter,  je  crois,  s'il  est  des  plantes  absolument  aphrodittWj 
c'rst-^-dire  qui  n'ont  rérllcment  point  de  sexe  et  ne  peuvent  se 
ir.ultiplier  par  copulation.  Au  reste  i  il  y  a  celte  différence  entre 
'  c.  s  deux  roots  aphrodite  et  asexe,  que  le  premier  s  appli<pie  aux 
plantes  qui ,  n'ayant  point  de  sexe,  ne  laissent  pas  de  multiplier, 
<  au  lieu  que  l'autre  ne  convient  qu'à  celles  qui  sont  neutres  ou 
I  stériles ,  et  incapables  de  ivproduu'e  leur  semblable. 
>         Aphtlle.  On  pourrait  dire  c0èuillé;  mab  efftuillé  signifie 
)    dont  on  a  ôtc  les  feuilles,  et  aphylle,  qui  n'en  a  poioL 

*  AppE^mCE.  Toute  partie  qui,  6xée  à  on  os^gane  quelconque, 
I    parait  additionnelle  à  la  structure  ordinaire  ds  cet  organe. 

Absbe.  Plante  d'une  grandeur  considémUe,  qui  n'a  qu'un  senl 
et  principal  tronc  divisé  en  maîtresses  branches. 

ARBOissEAr.  Plante  ligneuse  de  n^oîndrt  taille  que  l'arbre, 
laquelle  se  divise  ordinairement  dès  la  racine  en  plusienn  tigri. 
Les  arbres  et  les  arbrisseaux  poussent,  en  automne,  des  bontooi 
<iius  les  aisselles  des  feuilles ,  qui  se  développent  dans  le  pria<- 
temps  et  s'épanouissent  en  fleurs  et  en  fruits  :  diffiérenoe  qui  les 
distingue  des  sous-arbrisseaux. 

*A«iixz.  Partie  charnue  qu'on  rencontre  dans  qudqucp 
fruits,  et  qui  n'est  qu'une  expansion  du  cordoit  omfri/ical  Yojes 
œ  mol. 

Articijl£.  Tige,  racines,  feuilles,  siliqtie  :  se  dit  lorsque  qael^ 
qu'une  de  ces  parties  de  la  plante  se  trouve  coupée  par  des  «oeudi 
distribués  de  distance  m  distance. 

*  AuBiZR.  Nouveau  bois  qui  se  fbtme  ch'iqué  année  sur  k 
corps  ligneux. 


48i  nti. 

AxitAnE.  Qaî  «ort  d'une  aitseUc. 

f^  BÀGCiFiu ,  dont  le  fruit  est  ime  baie. 

Baib.  Fruit  cfaaniu  on  snocolent  à  ooe  oa  phawifen 
Bali:.b.  Calice  dans  les  gramiuëes. 

*  Bifide.  Diviaé  longitndinalciiient  en  ôeux  pam»  irr^ 
par  angle  rentrant  aigu. 

*  Bifde  diffîie  de  hUM,  en  ce  qn'^n  Heu  d'na  aç>  «r 
•Blui-«i  a  un  sinus  obtns  plus  ou  moins  airoadl 

*  BioiMisiEs.  Au  nombre  de  quatre,  dm  1  dna.»' 
pédoncule  commua, 

BoCLOH.  Groupe  de  fleurettes  amassées  m  tète 
BonnGEOV.  Germe  des  iSeulUes  et  des  brandies 
Boinov.  Germe  des  fleurs. 

*  BovTOir.  1®  A  bois  ou  à  feuilles  appelé  volgairPB*"  ' 
geon ,  est  celui  qui  ne  doit  produire  que  des  leuiUei  «t  '  ' 
2**  Bouton  à  fleur  et  fruits  produit  Tnne  et  lantn-  3"  ^  > 
donne  des  fleurs ,  des  feuilles  et  du  bois.  Lrs  bontoiHJ*  -  ' 
plus  gros,  plus  courts,  <inoins  unis,  moins  poiatus  qof  ^*  ^ 
et  leurs  écailles  sont  plus  velues  eu  dedans. 

Bouture.  Est  une  jeune  brancbe  que  Ton  cmçe  ^  '^' 
arbres  moelleux,  tels  que  le  figuier,  le  saule,  Uc^P"^ 
laquelle  reprend  en  terre  sans  racine.  Le  réussite  dn  ^^' 
dépend  plutôt  de  leur  Êicilité  à  produire  des  ndce.  f^ 
l'abondance  de  la  moelle  des  branches;  car  rorao^.  "  ^' 
l'if  et  la  Sabine,  qui  ont  peu  de  moelle ,  rcpreoncnt  Ik  '^ 
de  bouture. 

*  BaACTÉEs  ou  Feuxues  plobaus.  Petites  feailies  ç  ' 
■ent  avec  les  fleurs,  et  qui  difi&rent  toajcors  des  km^  ^ 
plante. 

Bràiiches.  Bras  plians  et  élastiques  du  corpi  de  f*^-' 
sont  elles  qui  lui  donnent  la  figure;  elles  sont  ou  altm* 
opposées ,  ou  TerticUlôes.  Le  bourgeon  s'étend  pea  ^  i  ' 
brandies  posées  colJaléralcment  ei  composées  des  w^  K  ' 
He  la  tige  :  et  Ton  prétend  que  ragiutioo  des  bnucbn  « 
par  le  vent  est  aux  arbres  ce  qu'est  auT  animaux  l'ipf*^ 
Usuï.  On  4utingue, 


/ 


CA?  485 

t  *  Let  maitri  SMS  brancbes ,  qui  tiennent  ininédiatement  an 
tronc ,  et  d'où  partent  toutes  les  autres. 

a**  Les  l>ranches  &  bots .  qui ,  étant  les  plus  grosses  et  pleioes- 
de  boutons  plats ,  dounrnt  la  forme  à  un  arbre  fruitier ,  et  doi* 
▼ont  le  conserver  eu  partie. 

3**  Les  brancbes  à  fruit  sont  plus  faibles  et  ont  des  boulont 
rond) 

4^  Les  chiffonnes  sont  courtes  et  menues* 

5**  Les  gourmandes  sont  grosses ,  droites  et  longues. 

6**  Les  T.ules  sont  longues  et  ne  promettent  aucune  fécondité. 

y**  1^9  branche  yoûtée  est  celle  qui,  après  le  mois  d'août,  a 
pris  naissance ,  s'endurcit ,  et  devient  noirâtre. 

8"  Enfin,  la  branche  de  faux-bois  est  grosse  à  l'endroit  où 
elle  devrait  être  menue,  et  ne  donne  aucune  marque  de  rioondité. 

Bi  LBE.  Est  une  racine  orbiculaire  composée  de  plusieurs  peaux 
ou  tuniques  emboîtées  les  unes  dans  les  auti«s.  Les  bulbjs  sont 
plutôt  des  boutons  sous  terre  que  des  racines ,  ils  en  oni  eux- 
mêmes  de  véritables,  généralement  presque  cylindriques  et 
rameuses. 

Calice.  Enveloppe  extérieure,  ou  soutien  des  autres  parties 
de  la  fleur,  etc.  Comme  il  j.  a  d(S  plant' s  qui  n'ont  point  dt 
calice ,  il  y  en  a  aussi  dont  le  calice  se  métamorphose  peu  à  peu 
en  feuilles  de  la  plante,  (trtciproqiiement  il  y  en  a  dont  les  feuil- 
les de  !a  plante  se  ckan^eni  en  calice  :  c'est  ce  qui  se  voit  dans  la 
£in)ille  de  quelques  renoncules,  comme  l'auémone,  la  puisa* 
tille ,  etc. 

*  Caucltz.  Petites  bractées  environnant  immëdiatemcot  le 
base  externe  d'un  calice.  .  * 

CAMPA9IFOBMB,  OU  CaMPAHULÉE.  (V.  GLOCHS.) 

Capiujiikxs.  On  appelle  feuilles  capillaires,  dans  la  iàmill« 
des  mousses ,  celles  qui  sont  délices  comme  des  cheveux.  C'est 
ce  qu'on  trouve  souvent  exprimé  dans  le  Sinopsy*  de  Ray,  et 
dans  l'histoire  des  mousses  de  Dillen,  par  le  mot  grec  de  trn 
chodes. 

On  donne  aussi  le  nom  de  capillaires  à  une  branche  de  la  (à« 
mille  des  fougères,  qui  porte  comme  elle  sa  fructification  sur  le 
dfti  de»  feuilles  et  ne  s'en  distingue  que  par  la  suture  des  planM 


486  C4P 

qui  la  eomposcot,  betnconp  plus  petite  dus  la  of^èe  ^ 
dans  les  fougères.  ^ 

CAPntriCATiov.  Fécondation  des  ficon  feiMflcsiFsv  yrv« 
6gaier  dioique  par  la  poussière  des  étamines  de  ruMfiù'.s  ai 
appelé  caprifi^ier.  Au  mojen  de  oedc  opération  de  u  b.^ 
aiJée  eu  cela  de  Imdustrie  bumaiue ,  ks  figues  uns  (nt'  >fl 
grossissent,  mûrissent ,  et  donnent  une  récolte  oiciileiatfi  p 
abondante  qu'on  ne  Tobtiendrait  sans  cela. 

La  merveille  de  cette  opération  consiste  en  ee<]«.i»i 
genre  du  figuier,  les  fleurs  étant  encJoaes  dans  le  frait.  -^i) 
que  celles  qui  sont  hermaplirodites  on  androgjnes  qni  yr-^fl 
pouvoir  être  fécondées  ;  car,  quand  les  sexes  sont  UMA-'é'J:^ 
parés ,  on  ne  voit  pas  comment  la  poussière  des  flnl^  i' 
pourrait  pénétrer  sa  propre  enveloppe  et  celle  du  fruit  v' 
jusqu'aux  pistils  qu'elle  doit  féconder.  C'est  on  inataf  7-^ 
charge  de  ce  transport  :  une  aorte  de  moucheron  partie:  '^  **  * 
eapnfignicr  y  pond,  j  éclôt,  s'j  oonvre  de  U  poassihtc^'  ' 
mines ,  la  porte  par  Tœil  de  la  figtie  à  travers  les  écaille»  -  - 
garnissent  l'entrée,  jusque  dans  Tintérieur  du  firoît,  et  u.  * 
poussière,  ne  trouvant  plus  d'obstacle,  ae  âépaèftal'^^ 
destiné  à  la  recevoir. 

L'histoire  de  cette  opération  a  été  détaillée  Hi  pifaô^  > 
par  Tfaéopbraste,  le  premier,  le  pins  savant,  ou,  pocrr* 
dire,  l'unique  et  vrai  botaniste  de  l'aotiqinté;  et,  apr^  !*  ' 
Pline  chez  les  anciens  ;  cbet  les  modernes  par  Jean  Bau)  ' 
par  Toumefort  sur  les  lieux  mêmes  ;  après  lui,  par  Pootnr* 
par  tous  les  compilateurs  de  botaniqae  et  d'bisïoiie  sAtv 
qui  n'ont  &it  que  transcrire  la  relation  de  Tonmdbrt. 

CÀnULAïuL  Les  pUntrv  capcuiaircs  sont  relies  dont  k  ' 
est  à  capsules.  Kàj  a  faut  de  oetic  dirîsioo  sa  db-ara^v 
classe,  Herha  vaaeulifera, 

CA.KI7LE.  Piâicaipe  see  d'an  fevit  sec;  caroiin«doaDef« 
par  exemple ,  le  nom  de  capsule  à  Técorce  de  la  grenad- . 
que  aussi  sèche  et  dure  que  beaucoup  d'aatt«a  eapsxiks,  p 
qu'elle  enveloppe  un  firuit  mou. 

Capucbor  (Calyfitra.)  Coiflfe  pointne  qui  roorre  onf"* 
ueiit  ruQe  des  noosses.  Le  cipachoo  est  d*abord  ad-^-r*' 


CIM  4^7 

irne,  mais  ensuite  3  se  dëuche  et  tombe  quanl?  elle  approche 
;  la  mainrité. 

I  ^CABAcri'.nes  des  plautïs.  Parties  par  lesquelles  les  végétaux 
I  rassemblent  ou  difierent  entre  eux.  Ils  sont  elauiques ,  gêné- 
ffues  et  gpéciptiuesj  quand  ils  forment  les  classes,  les  genres  et 
^  espèces,  linnëe  a  pris  dans  les  étamines  les  caractères  des 
fisses,  les  pistils  pour  les  ordres,'  l'exanien  de  toutes  les  parties 
'S  organes  reproductifs  de  la  plante  pour  les  genres ,  et  toutes 
^  pnrtics  visibles  et  palpables  pour  les  espèces. 

i  Cartophyll^e.  Fleur  <)^yopli)  liée  ou  en  œillet. 

r  ^Casque.  Lèvre  supérieure  des  comlles  labiées. 

•'  ^CAULiNAinE.  Ce  qui  naît  immédiatement  sur  là  tige. 

'  CATFrx.  Eulbes  par  lesquelles  plusieurs  liliacées  et  autres 

lontcs  se  reproduisent. 

^  ^CiiATicissoBE.  Assemblage  de  petits  filamens  produits  par  du 

^u)Ier  de  mauvaise  nature,  ou  par  les  racines  de  quelques 

^lute8  malades. 

'  CiiAi  05.  Assemblages  de  fleurs  mâles  ou  (èmelles  spiralement 
tat  btScs  4  un  axe ,  ou  réceptacle  commun ,  autour  duquel  ces 
Vurs  prennent  la  figure  d'une  queue  de  chaL  II  y  a  plus  d'ar- 
es à  cliatoDS  m&les  qu'il  n'y  en  a  qui  aient  aussi  des  chatons 
t)i  elles. 

Chaume.  (Cuimus).  Nom  particulier  dont  on  distingue  la  tige 
?s  graminées  de  celles  des  autres  plantes,  et  à  qui  l'on  donne 
DUT  caractère  propre  d'être  géniculée  et  fistuleuse,  quoique 
aitcoup  d'autres  plantes  aient  ce  même  caractère,  et  que  Les 
liciies  et  divers  gramens  des  Indes  ne  l'aient  pas.  On  ajoute  que 
!  Ci.uumc  n'est  jamais  rameux,  ce  qui  néanmoins  sonore  encore 
sception  dans  Varundo  calamaqrotis ,  et  dans  d'autres. 

*CniiVAuCHASTi:s.  Feuilles  pliéi  s  comme  une  gouttière  aiguë, 
t  appliquées  les  unes  sur  les  autres,  disposées  de  même  que 
:ins  l'imbrication;  elles  sont  convexes  au  lieu  d*étra  an^nlëeS 
tar  le  dos. 

* Cheyeiub.  Racine  chargée  d'un  grand  nombre  de  fibres  dé« 
iées. 

*CiaiE  (en).  Les  pëdoncoks  cotnmones  parunt  d*tm  mèoift 


'. 


488  coir 

point  ont  kiin  deniîira  divisions  paiivtiHft  d* yaiep  I: ^ 
Les  fletin  sont  élevces  ordinairemeDt  sor  an  wim  ^  i 
fàreaa.) 

*CiiiiiBE.  Filament  au  moyen  duquel  ostaiacifilaei»^ 
dient  à  d'autres  corps.  (La  vigne.) 

^CoiFrE.  Enveloppe  mince  et  membmme  qà  r.i 
l'ai  ne  dans  laquelle  sont  renfennés  les  oi|giBei  de  h  éï-'J 
tîoo  des  mousses. 

Cloche.  Fleurs  en  clocbe,  ou  campanilMoei 

*CoiXEDETTC  ou  ISVOLUCHE.   Eimilloppe  CtHEIinY  ^  I 

tiell?  des  ombelliftr^s ,  placée  à  une  certaine  diftaacr^:  l  > 
sont  insérés  les  pétales  des  fleurs. 

^Collet.  Petite  couronne  qai  tigratMy  loténeoTcisfr  .i 
des  ièoilles  des  graminées. 

Coron é.  Les  calices^  les  balles,  Vs  écailles, lr«^  ' 
les  parties  extérieures  des  plantes  qui  sont  verle»  oa  r-^  ' 
muncnient  sout  dites  colorées  lors7vi*elles  ont  ooe  '<*  ' 
éclatante  et  plus  vive  que  leurs  se nnblables  ;  tds  sost  -^  ^ 
de  la  cîicée,  de  la  moutarde,  de  i«  carline ^ la  rsTc  i 
l'astrantia  :  la  corolle  des  oraitlio^ales  blancs  et  jacbc- ' 
au-dossous,  et  colorées  en  dessus;  les  ëcaiiles  da xm^'^  -' 
si  colorées  qu'on  les  prendrait  poar  des  p/t«tei;  etir  J 
polvgala,  d'abord  très-coloré  «  perd  sa  co-iloff  pea<  ^ 
prend  enfin  celle  d'un  calice  ordinaire. 

^Com-LÈTE.  (Fleur}  Quand  elle  a  calice,  corol.^ 
et  pistil. 

^CoMPniMÉ.  Quand  la  largeur  des  côtés  eioêde  l«f^' 
^Co^oiabiE.  Qui  est  du  même  genre. 
^CosoLOBÉss.  Feuilles  ou  fleurs  ramassées  eo  bcul* 
^CoHiFines.  Fleurs  ou  fruits  en  ibime  deoùof.r'* 
fc6ne  est  un  assemblage,  arrondi  ou  ovcâdal ,  d ec«i  «'^  ' 
ou  ligneuses,  imbriquées  en  tout  sens  d'une  Bunk«J 
moins  serrée  autour  d'un  axe  oommnn  caché  par  elle- 

*CovtVGViM&.  Deux  folioles  fixées  au  sonmct  d^l 
flOmiBani  ou  sur  deux  points  opposés  da  isémepeM^ 


COB  489 

s.  Roalée  en  dedans  par  uo  c^  ;  la  leuille  6k 
ors  IVnlonooir. 
Conoon  ombiJtcal  dans  les  capill«ires  et  fougères. 
^CoEDOsi  ouBiLicAL.  La  saîlUe  que  forme  le  réceptacle  d'one 
'aine  qu'elle  porte  ou  enveloppe  en  s'j  attodiant  par  un  point 
t'on  nomme  hile. 
CoitHET.  Sorte  de  nectaire  infiindibuliformc. 
^ConoLLK.  Partie  de  fleur  qui  embrasse  immédiatement  lei 
iftirs  sexuelles  de  la  plante.  C'est  un  organe  en  lance,  ou  e*i 
ibe  (suivant  que  la  corolle  est  monopëtale  ou  poljrpétale) ,  qui , 
lant  placé  en  dedans  du  calice,  naît  immédiatement  en  dehors 
la  p;>int  ou  de  la  ligne  d'insertion  des  étamincs,  ou  bien  les 
3rte  attachées  parleurs  bases  à  sa  paroi  intrrne.  Lexjstenca 
une  corolle  exige ,  suivant  plusieurs  botanisles,  celle  d'un  calice, 
a  corol!e  n'est  jamais  continue  au  bord  même  du  calice. 
^CoBTXCAL.  Qui  appartirnt  A  l'écorce. 
CoATMBE.  Disposition  de  fltur  qui  tient  le  milieu  entre  l'om-; 
•cil  >  et  la  panicule  ;  les  pédicules  sont  graduées  le  long  de  la  tige 
omme  dans  la  panicule,  et  arrivent  tous  à  la  môme  hauteur 
brniant  à  leur  sommet  une  surface  plane. 

Ijc  corjmbe  diffère  de  l'ombelle  eu  ce  que  les  pédicules  qui 
e  forment,  au  lieu  de  partir  du  même  centre,  partent,  h  diifi- 
«ntes  hauteurs ,  de  divers  points  sur  le  même  axe. 

CopTMBiFiiiEs.  Ce  mot  semblerait  devoir  désigner  les  plantes 
I  fleurs  en  coryinbe,  comme  celui  d'omteI(ifere5  di'signe  les 
>lantes  â  fleurs  en  parasol.  Mais  Tus  'ge  n'a  pas  aiUorisé  cette 
malogîe;  l'acception  dont  je  vais  parler  n'est  pox  même  fort 
isitée  ;  mais  comme  elle  a  été  employée  par  Ray  et  par  d'autres 
XYtanistcs ,  il  la  (àut  reconnaître  pour  les  entendre. 

Les  plantes  eorymhifera  sont  donc  dans  la  classe  des  compo* 
}ées  f  et  dans  la  section  des  discoïdes  celles  qui  portent  leurs  se- 
oieuces  nues,  c'est-à-dire  sans  aigrettes  ni  filets  qui  les  couron- 
nent; tels  sont  les  bidens,  les  armoises,  la  tanaisie,  eie.  On 
dbserrera  que  les  demi-flenronnées ,  A  semences  nœs ,  comme  la 
lanipsane,  l'hjoseris,  la catanance,  etc.,  ne  s'appellent  pas  cc« 
peudant  corfmbiArts ,  paice  qu  elles  ne  sont  pas  du  nombre  d«i 
discoïdes. 


490  CRV 

*     GoME.  Péiic#.^  3rs  fruits  légvaiîiienx.  la  eme  f«  *- 

•Âe  onlnutiremcnt  de  denx  valTvles ,  et  ^ocVjirfcia  ■  n  i  - 

lenle. 

Tosaoïr.  ffoaTetu  unnent  qui  croît  ni  b  viçoc  sf^  *  ' 
•st  taiUée. 

CotilÉdoii.  Foliole,  ou  partie  de  rembrjoa.da,''^  • 
f  élaborent  tt  te  préparent  les  sucs  nutriùisdcla  gsol;' 

Les  cotylédons ,  autrement  appelés  feuiUes  séss^* 
les  premières  parties  de  la  plaote  qui  pcraiueiA  l'' 
loi  squ  elle  coromenee  à  régéter.  Ces  preaûères  fêuiiie  * 
60uiient  d'une  autre  ibnne  que  celles  qui  les  snireit  e 
les  véritables  feuilles  de  la  plante.  Car,  pour  l'oriit  ' 
tylédons  ne  1  aident  pas  à  se  flétrir  et  à  tomber  pcn  f  '■ 
plante  est  levée .  et  qu'elle  reçoit  par  d'autres  par'i^ 
ritiire  plus  aLondante  qu'!  celle  qu'elle  tirait  psr  m  ^ 
si  ;nrc  céme  de  la  semence. 

Il  y  a  des  plantes  qui  n'ont  qu'un  cotj  lédoo .  f^  ' 
cela,  s'z-'ppellent  monocotylédones,  tels  sont  lr«  pif 
lîacérs,  les  graminées,  et  dautrei  plantes;  le  phu;'-  ^  ' 
en  ont  deux,  et  s'appellent  dicotylédones;  si  dAt:'*" 
da\-nnta{;e,  elles  s'appelleront  poiycolylédoDei.  Lo>  ' 
sont  celles  qui  n'ont  pas  de  cotjlcdonS(  telles  que  ^* 
les  mou  ses ,  les  c^'ampignons ,  et  toutes  les  crrp'o;  r  ^ 

Ces  difTcrcnces  de  la  germination  ont  Ibomi i  Ka>  .•  ' 
botanistes,  ot  en  dernier  lieu  à  messieurs  de  Ju»y  •  '> 
U  première  ou  plus  grande  division  naturelle  du  r^o-  i 

Mais,  pour  classer  les  plantes  solvant  cette  VBtih<> 
les  examiner  soi  tant  de  terre  dans  leur  premièie  gtrr 
jusque  dans  la  semenoe  même  ;  œ  qui  est  souvent  U  < 
surtout  pour  les  plantes  marines  et  aquatiques.  V^  "^ 
et  plantes  étrangères  ou  alpines  qui  icfoseDl  ôc  gnw<  ^ 
dani  nos  jardins. 

*Gocnomii.  FVuît  qui,  proTeaint  d'un  o^aiit  ii*^ 
■finre  i  son  sommet  uns  pwiie  on  ia  totalité  do  \i^  * 

CstCtriiis ,  ou  GavciroiiMC,  disposé  en  fetw ^  ^ 
donne  spédalement  le  nom  de  cmcifère  à  use  ba^  'l 


BEH  491 

ont  le  caractère  est  d'avoir  dea  fleura  eompôi^ea  3c  qnat^j 
étales  disposés  en  croix,  sur  an  calice  composé  d'autant  dfl 
>IioU's,  et,  autour  du  pistil,  six  élamines,  dont  deux,  égales 
ntre  elles,  sont  plus  courtes  que  les  quatre  autres»  et  les  divisent 
g  lenient. 

*C]iYiTocAai£,  dont  les  organes  sexuels  sont  cachés,  douteux, 
)ii  dîflScile  h  counaître.  On  ferait  mieux  d'appeler  les  plantes  de 
e  genre  axâmes,  puisqu'elles  n'ont  ni  éuniines  ni  pistils. 
*Cui  MiFinE.  Plante  dont  la  tige  est  un  chaume.  (Les  graminées.) 
* CxivhiFOfME.  Rétréci  de  haut  en  bas  en  angle  aigu. 
CtPi'ij^s.  Sortes  de  petites  calottes  ou  coupes  qui  naissent  le 
}1us  souvent  sur  plusieurs  lichens  et  algues,  et  dans  le  creux 
le>c|iiclles  on  voit  les  semences  naiire  et  se  fermer,  surtout  dans 
e   genre  appelé  jadis  hépatique  des  fontaines,  et  aujourd'hui 
jiarcliaiilia. 

*CYLiicDai<j(LE.  Ce  qui  est  d'une  forme  allongée,  de  même 
vrosseur  dans  sa  longueur ,  et  sans  angles. 

C\ME ,  on  CYMisa.  Sorte  d'ombrelle ,  qui  n*a  rien  de  régulier, 
quoique  tous  ses  rayons  partent  du  même  œntre,  telles  sont  les 
lli^uio  de  l'obiei,  du  chèvre-feuille,  etc. 

*■  DKCOLr  ARTB.  FeuiUc  dont  les  deus  bords  se  prolongent  avee 
saillit  sur  la  tige  au  dessous  de  son  point  détaché. 

*  DÉiiiscLacx.  Manière  dout  une  partie  close  de  toutes  parts 
«'ouvre. 

Duf  i-FLEUBOB.  C*ett  le  nom  donné  par  Tournefort ,  dans  let 

fleurs  composes,   aux  fleurons  éch ancrés,  qui  garnissent  lo 

dis(]uc  des  Lnctucées,  et  à  ceux  qui  forment  le  contour  dse 

radiées.  Quoique  ces  deux  sortes  de  df-mi-fleurons  soient  exacte- 

ment  de  même  figure,  et  ponr  cela  confondues  sous  le  même 

nom  par  les  botai.istes ,  ils  dificrent  pourtant  essentiellement  en 

ce  que  1rs  premiers  ont  toujours  des  étamines ,  et  que  les  autree 

ii'tn  ont  jamais.  Les  demi-ficurons,  de  même  q^ie  les  fleurons. 

sont  toujours  su  pères,  et  portés  par  la  semence,  qui  est  portée 

à  son  tour  par  le  disque,  ou  réceptacle  de  la  fleur.  JLe  demi41eiiroi| 

est  formé  de  deux  parties ,  l'inférieure ,  qui  est  an  tube  ou  cj* 

Un'Jie  Irùs-^ourt,  et  la  aupérieure ,  qui  est  plane ,  taillée  en  bu:'* 

luette,  rt  à  qui  ou  donne  le  nom.  (Yojes  Fleubo* ,  Furoa. } 


49^  0^0 

^Dcvri.  Ce  dont  lei  bords 

^DiADELPHKs.  Eumines  réonirt  es  dan  cacps|tr]aBfe 
«D  de  ceax-ci  pouvant  être  solitaire. 

*DiADELPiiis,  signifie  denx  frères.  Voya  Utfémà 
•jrstème. 

Difcix ,  ou  DioéciE ,  balnudon  s^aiee.  Où  éonat  ieasi 
Ùiecie  à  uoe  classe  de  plantes  composées  de  louiaorlbf 
portent  leurs  fleurs  mAles  sur  un  pied,  et  Iran  fiembefa 
sur  un  autre  pied. 

Dioiri.  Une  feuille^ est  digitée  lorsque  ses  foliola  psat 
toutes  du  sommet  de  son  pétiole  comme  d'anceaorciv&â 
Telle  est ,  par  exemple ,  la  feuille  du  nnronnier  dU 

^'DiGTVC .  Fleur  ayant  deux  pistils,  ou  deux  Afa.m èa 
stigmates  sessiles. 

DioiQUE.  Toutes  les  plantes  de  la  diccîesoDtdioi^vi 

*  Diptère.  Ayant  deux  ailes. 
*DisPEBMX.  Fruit  leufeiiuant  deux  gninci}  tartoi^^ 
l'unr  à  côté  de  l'antre,  ou  sicr|iosMs  Tune  an-dantderm 

DisQn.  Corps  îoiermëdiaire  qui  tient  la  ftmr  ooqo^  * 
unes  de  ses  parties  élevées  au-dessus  du  vr»*  rkeptck- 

Quelquefois  on  appelle  disque  le  réceptacle  inAw.  n*^ 
dans  les  composées  ;  alors  on  dislingne  la  rarûce  do  iterpt^' 
ea  ie  disque ,  du  contour  qui  le  borde,  et  qu'on  ooaiae  n'>- 

Disque  est  aussi  un  corps  cliamu  qui  se  troaTcdatfipv 
genres  de  pUnie  au  fond  du  calice,  dessous  rembrjWi^^ 
qucfois  les  ëtamines  sont  attachées  autour  de  ce  disque 

^DrvEBOEHs.  Pédoncules  qui  ont  un  point  d*iDsrrooo<^ 
nun  (  t  s'4caitent  ensuite. 

*DoD£GÂOT9E.  Fleur  ayant  douae pistils,  stjlo«>tti3>^' 
sessiles. 

*DonsiFXaBs.  Feuilles  qui  portent  sur  leur  dos  b  («^ 
la  fructification.  (Les  fougères.) 

DiAoBORs.  Branches  enradoées  qui  tienoeDl  «>  ^ 
arhte,  ou  au  tronc,  dont  on  ne  peut  les  arracher  tf»^*^*^ 

Vf 

^DaoLf  1.  Fruit  chanu  «cniSanaat  wie  nsis.  (Oa*'<  ^ 


*I>cxiE  OM  TLAnm  exprimée  ptr  les  tignet  foirani. 

®  Aimuelk.       Tj:  Yivace.  ^ 

5  Bisaoïiuelle.     1^  Ligneuse. 

ÉCAILLES,  ou  PAiLLZTTEf.  Petîtcs  lauguettet  palêacées,  *pif 
îdaiis  plusieurs  genres  de  fleurs  composëes,  implantées  sur  k 
rcccplacle ,  distinguent  et  séparent  les  fleurons  ;  quand  les  pail- 
Ictte:  sent  de  simples  filets,  on  les  appelle  des  poils  ;  mais  (piand 
elles  ont  quelque  largeur,  eUes  prennent  le  nom  d'écaillés. 

11  est  singulier  dans  le  béranthème  à  fleur  double ,  que  les 
écailles  autour  du  disque  s'alongent,  se  Q>lorent,  et  prennent 
l'appaierce  de  viais  demi-fleurons ,  au  point  détromper  &  Ta*- 
pect  quiconque  n'y  regarderait  pas  di^  bien  prfes. 

Ou  donne  liès-sou  vent  le  nom  d'éeailles  aux  calices  des  chatons 
«t  des  cônes  :  on  le  donne  aussi  aax  folioles  des  calices  imbriquée 
des  fleurs  en  tète,  teb  que  les  chardons,  les  jacées,  et  à  celles 
des  calices  de  substance  sèdie  et  scarieuse  du  zeranthème  et  df 
la  catananche. 

La  ti^e  des  plantes  dans  quelques  «opères  est  aussi  chargée 
d'ccaillcs  :  ce  sont  des  rudimens  coriaces  de  feuilk  squi  quelque? 
fois  en  tiennent  lieu,  comme  dans  l'orabanche  et  le  tussilage. 

Enfin  on  appelle  encore  écailles  ks  enveloppes  imbriquées  des 
halles  de  plusieurs  liliacees,.et  les  balles  ou  calices  aplatis  'dea 
schœnus ,  et  d'autres  graminacées. 

*  ÉcHANcni.  Dont  le  sonunet  a  un  petit  sinus  on  angle  rentrani. 
ÈconcK.  Yêtemeot  ou  partie  enveloppante  du  tronc  et  def 

branches  d'un  arbre.  L'ccorce  est  moyenne  entre  Vépiderme  à 
l'extérieur,  et  le  liber  h  l'intcrieur;  ces  trois  enveloppes  se  réo- 
ni:sent  souvent  dans  l'usage  vulgaire,  sous  le  nom  commun 
d'i-corce. 

*  l^cisscH.  Petits  tubercules  ou  petites coDcavités des  lichen^ 
'dins  le  temps  de  leur  fructification. 

Éri7L£  (£<ifi/i5t),bonà  manger.  Ce  mot  est  du  nombre  à$ 
4umx  qu'il  est  à  dé«>irer  qu'on  fasse  passer  du  laûn  dans  lalaagn* 
HoivascUe  de  la  botanique. 

*  Eh^xtor.  Le  jeune  fruit  qui  renferme  en  petit  b  plante.  Q 
•st  oo  droit ,  ou  courbé ,  ou  loulé  tu  tpink.  L'une  de  ses  QdH^^ 


4g6  TLE 

4ia»  nn  Jardîn  ont  un  aîr  trop  caVoe,  y  pitM^ajl 

gouvent  languissent  et  dégénèrent. 

^FiBBEUX.  Dont  la  cbair  ou  ks  péricarpe  est  tuofXi  de  'iy 
nens  plus  ou  nwios  tenaces. 

Filet.  Pédicule  qui  soutient  l'étamine.  OndcmneaosùW  3 
de  filets  aux  poils  qu'on  voit  sur  U  surface  des  tiges,  des ki»  3 
et  mènàe  des  fleurs  de  plusieurs  pbntes. 

*FzLiyEin>ULE.  Qui  pend  comme  nn  fît 

*FnTUL£Ux.  Alongé  cylindrique  et  creoz,  mais  dos  pr  i 
deux  bouts. 

Fleua.  Si  je  livrais  mon  ima^nation  aux  ifcnces  fti^--  i 
que  ce  mot  semble  appeler,  je  po:*frais  £ùre  un  article  ac  -i 
peut-^tre  aux  bergers ,  mais  fort  mauTats  pour  les  IxtU':  > 
écartons  donc  un  moment  les  vives  couleurs ,  les  odeur»  ^u  i 
les  fomei  élégantes ,  pour  chercher  premièrement  à  Lït.  i 
naître  l'être  organisé  qui  les  rassemble.  Rien  ne  parait  è  ^j 
plus  iigiciie  :  qui  est-ce  qui  croit  avoir  besoin  qu'on  lui  apt"! 
œ  qtie  c'est  qu'une  fleur  ?  Quand  on  ne  me  demande  p3<  "  i 
c'est  que  le  temps,  disait  saint  Augustin,  je  le  s:«is  fcrt  ïr 
ne  le  sais  plus  quand  on  me  le  demand*?.  On  en  poum  '  i 
autant  de  la  fleur  et  peut-être  de  la  beauté  mênie ,  qui .  n  i 
elle,  est  1» rapide  proie  dv  temps.  En  cflèt,  tous  les  l^t    i 
qui  ont  voulu  donner  jusqu'ici  des  définitions  de  la  fin.' 
échoué  dans  cette  entreprise,  et  les  plus  tllnstres,  irU 
MAI.  limueus,  HaUer,  Adansnn,  qui  sentaient  mieux  la  tli  '  ! 
que  les  autres,  n'ont  pas  même  tecté  de  la  lurmcmter,  r 
laissé  la  fletir  à  définir.  Le  premier  a  bien  donné  dans  sa  Fi-  I 
phie  hotanitiue  les  définitions  de  Jungins.  deKaj,  de  Tourx 
de  Pontedera,  de  Ludwig,  mais  sans  en  adopter  aucune  et 
en  proposer  de  son  chef. 

Avant  lui  Pontedera  avait  bien  senti  (t  bien  exposi'  i 
diflScttlté  ;  mais  il  ne  piU  rrâister  2i  la  tentation  de  la  vaincrr 
lecteur  pourra  bientôt  juger  du  suoc^  Disons  noaintroa*! 
quoi  cette  diffcnlté  consiste,  sans  néanmoiitt  compter,  i 
lente  à  mon  tour  de  lutter  contre  elle^  de  réussir  mieux  ^i 
D*a  fiiit  jusqu'ici. 

On  me  présente  une  rose,  et  l'on  me  dit  :  YoUà  uik  2 


C'est  BHf  U  montrer,  je  l'aroue,  mais  œ  nVst  pas  la  di'finir,  et 
cette  iuspection  ne  me  sufiira  pas  pour  décider  sur  toute  nn're 
plaute  si  ce  que  je  vois  est  on  nVst  pas  la  f!eur;  car  il  j  a  une 
multitude  de  végétaux  qui  n  ont,  dans  aucune  de  leurs  parties , 
la  couleur  apparente  que  Raj,  Toornefort,  Juogins,  ft>nt  entrer 
dous  la  définition  de  la  flf'ur ,  et  qui  pourtant  portent  des  fleurs 
non  moins  réelles  que  celles  du  rosier ,  quoique  bien  moins  ap- 
parentes. 

On  prend  généralement  pour  la  flenr  la  partie  coloréf  de  la 
fleur  qui  est  la  corolle ,  mais  on  s'y  trompe  aisément  :  il  j  a  des 
bractées  et  d'autres  oi^anes  autant  et  plu«  colorés  que  la  fleur 
même  et  qui  n'en  (ont  point  partie ,  comme  on  le  voit  dans  l'or- 
min ,  dan*  le  blé-de-Yache,  dans  plusieurs  amarantbes  it  chcno- 
podium  ;  il  y  a  des  multitudes  de  fleurs  qni  n'ont  point  du  tout 
de  corolle,  d'autres  qui  l'ont  sans  couleur,  si  petite  et  si  |>eu 
appnrente,  qu'il  n'y  a  qu'une  recherche  bien  soigneuse  qui  puiAse 
l'y  faire  trouver.  Ior8<{ue  les  blé»  sont  en  fleur,  y  voit-on  des 
pétales  colorés?  en  voit-on  dans  les  mousses,  dans  les  graminéf  s? 
en  \ oit-on  dans  les  chatons  du  noyer,  du  hêtre  et  du  chêne, 
dans  l'aune,  dans  le  noisetier,  dans  le  pin,  et  dans  ces  multitu^ 
des  d'nrbres  et  d'Iierbes  qui  n'ont  que  des  fleurs  &  étamines?  Os 
fl('iii-s  néanmoins  n'en  portent  pas  moins  le  nom  de  fletv  :  l'es- 
sence de  la  fleur  n'est  donc  pas  dans  la  corolle. 

Klle  n'est  pas  non  plus  séparément  dans  aucune  des  antres 
partie»  constituantes  de  la  fleur,  puisqu'il  n'y  a  aucune  de  ces 
parties  qui  ne  manque  à  quelqufs  espèces  de  fleurs  :  le  calice 
man'iue,  par 'exemple,  à  presque  toute  la  £aimille  des  liliacécs,  et 
l'on  ne  dira  pas  qu'une  tulipe  ou  un  lis  ne  sont  pas  luie  fleur. 
S'il  y  a  quelques  parties  plus  essentielles  que  d'antres  à  une  fleur, 
ce  sont  ceruinement  le  pistil  et  les  étamines  :  or ,  dans  toute  la 
fisimille  des  cucurbitacées ,  et  même  dans  toute  la  classe  des  mo- 
noiquet ,  la  moitié  des  fleurs  sont  sans  pistil ,  l'autre  moitié  sans 
étamines ,  et  eette  privation  n'empêche  pas  qu'on  ne  les  nomme 
et  qu'elles  ne  soient  les  unes  et  les  autr.  s  de  véritables  fleurs. 
L'essence  de  la  fleur  ne  consiste  donc  ni  séparément  dans  quel* 
qu(  s-unes  de  ses  parties  dites  constituantes ,  ni  même  daus  l'a»- 
semblage  de  touves  ces  parties.  En  ^uoi  donc  coniiite  propre 


498  VtB 

iwDt  cetle  eascaos?  Voi&  1»  qoestitiaf  ro^i^  h  ££ruv.  < 

▼oici  la  solution  par  laquelle  PoutedCTa  a  Uhcbc  6e  ien  ûr- 

La  fleur,  dit -U,  est  une  partie  dam  b  ^ote,  iàSivzHi 
autres  par  sa  namre  et  par  sa  ibnne ,  toaîonn  adhocate  <<  ^ 
à  l'emliryon)  si  la  llenr  a  an  piatil  ;  et,  si  lo  pîAil  naof{^  1 
tenant  à  nul  eoubryon. 

Cett?  dëfinitîon  pèche,  ce  me  s^v&ble,  en  «  qa'elk  «iiifani»'~i 
car,  loisquelepis  Jl  manque,  la  fleur  n  ajant  plnsd'autm  .i 
lères  que detctiffàrer  des antrrs parties  de  la planieptr  uu  ^1 
par  sa  forme,  oa  pootra  donner  oe  nom  aux  Ixraclées,  an  atJ 
aux  ncctarium,aiuidpines,  et  àlontcequi o'eslnifieui^t  1 
elles;  et  quand  la  corolle  est  tombée  et  que  le  fruit  appndir  1 
maturité,  on  pourrait  encore  donner  k-  00m  de  fieurvac^  > 
«éccptaclc,  quoique  rédlemeot  il  n'y  ait  akMS  pki^  de  âsur  "  > 
cette  dcfiniliou  eontrient  omni,  elle  ne  oooTÎ'nt  pas  Wu  ^^ 
que  par  U  d'une  des  deux  principales  conditions  rcqav> 
laisse  d'ailleurs  un  ride  dans  Tesprit»  qui  csst  V  plus  v*^  ' 
qu'une  di^fimtion'puissc  avoir;  car,  aprè»  aroîi  assi^v  i 
de  la  fleur  au  profit  de  l'embryon  quand  elle  y  ad)kèT« .  - 
sapposcrtotalement  inutile  celle  q'JÎ  n'y  adhère  pas.  a  c  ' 
plit  mal  l'idée  que  le  botaniste  doit  r.v(Mr  du  conconn»  ' 
tics  et  de  leur  emploi  dans  le  jeu  de  la  madiixae  orgatà-f -^ 

Je  crois  que  ie  définH  gëoérai  vient  ici  d  avoir  tn^  >v  4 
la  fleur  comme  une  snbstmce  absolue,  tandt»  qu'elle  l  i 
me  semble ,  qu'un  être  collertif  et  relatif  ;  et  d'avoir  m  f  t 
sur  les  idées,  tanriis  qilCil fallait  se  borner  à  œlfe  qui  »  :t 
tait  naturellement.  Selon  cette  idée,  la  fl  ur  ne  x^t  p»-i 
que  l'état  passager  des  partie»  de  U  lructific:ttioa  duraU  -  * 
dation  durgerme  :  de  là  suit  que ,  quand  toute»  les  pattr- 
finictification  s-  ront  réonies,  il  n'y  aora  qu'usse  fleur,  «pu  i 
aeront  séparées,  il  y  es  aura  autant  qu'il  y  a  de  partie»  nff^ 
k  la  fécondation;  et,  comme  ces  parties  efaenii.  JJe»  ne«i  1 
n«nibre  de  deux,  savoir,  le  pistil  et  les  étamine»,  il  d  j  ^t 
conséquent  que  deux  fleurs,  luac  mule  et  l'autre  itur  1 
•oient  B  xxssair.  s  à  la  fmctification.  On  en  peut  oef>eiKi' 
poser  une  troisième  qui  ivuniraii  les  sexes  séparés  dan»  <* 
«Ubesc  mai»  aiorsi  ai  tomca  01»  fleur»  ctiicia  é^kneot  J 


FLE  499 

troisième  rendrait  Ira  denx  autres  superflues  et  pounait  seul* 
flSre  k  1  œuvre ,  ou  bien  il  y  aurait  réellement  deux  fôaonda* 
08,  et  nous  n'examinons  id  la  fleur  que  dans  une. 
La  fleur  n'est  donc  que  le  Ibjer  et  l'insirumnit  de  la  iecoiH 
ion  :  une  seule  suffit  quand  elle  est  hermaphrodite;  quand  elle' 
st  que  mâle  ou  ièmelle,  il  en  faut  deux  :  savoir,  «ne  de  cba- 
5  sexe  ;  et  si  l'on  £dt  entrer  d'autres  parties ,  cosune  le  calic» 
[a  corolle,  dans  la  composition  de  la  fleur,  ce  ne  peut  être 
tune  essentielles,  mais  seulement  ctMmme  nutriiires  et  coniter- 
rices  de  celles  qui  le  sont.  U  j  a  des  JQenn  sans  calice  ;  il  j  en 
ins  corolle  ;  il  j  en  a  même  sans  l'un  et  sans  l'autre  :  mais  il 
en  a  point  et  il  n'y  en  saurait  a  voir  qui  soient  en  mémcigfsmpa 
s  pistil  et  sans  étamines. 

I^  fleur  est  une  partie  locale  et  )>aBsagèrB  de  la  plante  qui 
cède  la  fécondation  du  germe,  et  <kns  laquelle  on  par  laquelle 
!  s'opère. 

Je  ne  m'e'tendnii  pas  à  justifier  ici  tous  les  termes  d4  cette 
îniiion  qui  peut-être  n'en  vaut  pas  la  peine;  ye  dirai  seule- 
nf  que  le  mot  précède  m'y  paraît  easensiel,  parce  que  k  plus 
veut  la  corolle  s'ouvre  et  s'épanouit  avant  que  les  anthères 
ivrciit  à  leur  tour  ;  et,  dans  ce  cas,  il  est  iooontestafale  que  la 
1  prë(  xiste  à  l'oeuvre  de  la  fécondation.  J'ajoute  que  celte 
mdation  s'opère  dans  elle  ou  par  elle,  parce  que,  dans  les  fleurs 
es  d  s  plantes  androgyoes  et  dioiques ,  il  ne  s'opère  aucune 
;iification,  et  qu'elles  n'en  sont  pas  moins  des  fleurs  pour  cela. 
VoiU,  ce  me  semble,  la  notion  la  plus  juste  qu'on  puisse  se 
e  de  la  fleur,  et  la  seule  qui  ne  laisse  aucune  prise  anxobjec- 
is  qui  renversent  toutes  les  autres  définitions  qu'on  a  tenté 
I  donner  jusqu'ici  :  il  iâut  seulement  ne  pas  piendre  trop 
:tcnient  le  mot  durant^  que  j'ai  employé  dans  la  mienne;  car 
ue  avant  que  la  ieccmdaiioo  du  germe  soit  commencée,  on 
t  dire  que  la  fleur  existe  aussitôt  que  les  organes  sexuels  sont 
Ivideuce,  c'est-à-dire  aussitôt  que  la  corolle  est  épanouie;  et 
(iinaire  les  anthères  ne  s'ouvrent  pas  à  la  poussière  séminale^ 
l'instant  que  la  corolle  s'ouvre  aux  anihères.  Cependant  k 
•odation  ne  peut  commencer  avant  que  les  anthères  soient 
ertes  s  ds  in^ioe  l'ççaTxe  de  la  ficondation  s'achève  sonveii^ 


rr» 


SOO  VLB 

■nnt  que  U  coioUe se  flétrîsM  et  tombe;  or.  jufii'^ oiir^ 
(Al  peut  dire  xpat  la  fleur  existe  eaoore.  B  Cutt  doec  ô-^ 
aécessaiiemcnt  un  pea  d'exteiuioii  au  mot  êaraxit .  f^r 
voir  dire  que  U  fleur  et  VceuTie  de  la  lecoodatian  cunrr: 
tt  finissent  ensemble. 

Gomme  génënlement  la  fleur  te  ùh  rsmaz^orr  par  «? 
partie  bien  plus  apparente  que  ks  antres  par  U  wr^-^r  i-  -i 
eottfeurs,  c'est  dans  cette  corolle  aussi  qu'on  ÙA  madtiju.':.! 
Cûnsbtsr  ressente  de  la  fleur,  et  ls3  botantsies  cm-Mcr^j 
sont  pas  toujours  exempts  de  cette  petite  illnsk» ,  car  «:>.  i 
îb  emploient  le  mot  de  fleur  pour  celui  de  corolk;  c-.- 1 
petites  impropriëtëcs  d'inadvertanse  importent  peu  (fan.  i 
ne  changent  rien  aux  idées  qu'on  a  des  choses  quand  on  t  ^  ^ 
De  là  ces  mois  de  fl«ii9  moacpëcales ,  poljpêtala  ,étn 
labiées,  personnées,  de  fleun  régulières,  irrfgnlkTes,  etc. .  i 
trouTC  fréquemment  dans  les  livres  même  d lnstirDti4i&  ! 
petite  impropriété  était  non-seulement  pardonnaUe.  bb^*  i 
que  Ibroée  à  Tonmelbrt  et  fc  «es  contemporains,  qui  l:-  i 
pas  encore  h  mot  de  corolle ,  et  l'usage  s'en  est  ocmarm  *^i 
eux  par  l'habitude,  sans  grand  inconvénient;  mais  il  ri^^i 
pas  permis  à  moi  qui  remarque  cette  incorrectioo  de Ina.*'' i 
ainsi  je  renroîe  au  mot  Coboixe  k  parler  de  ses  Ibeme»  d^  i 
et  de  ses  divisions. 

Mais  je  dois  parler  ici  des  fleurs  composées  et  sxDf^,  f^ 
que  c'est  la  fleur  même  et  non  la  corolk  qui  se  conpcar.  o  i 
on  le  va  voir  aplk^  l'exposition  des  parfîrs  de  la  fleur  sic  r* 

On  divise  cette  fleur  en  complète  et  incomp!èie:  I^  1 
complète  est  celle  qui  contient  toutes  les  parties  csseotid;^ 
concourantes  à  la  fructification,  et  ces  parties  sont  au  nonur  : 
quatre  :  deux  essentielles,  savoir,  le  ptstil  et  l'étaminr,  -.« 
dtamines  ;  et  deux  accessoires  ou  concourantes,  saToir,  i>  r  t 
et  le  calice  ;  à  quoi  Ton  doit  ajouter  le  disque  ou  réoept^I* 
porte  le  tout. 

La  fleur  est  complète  quand  elle  est  composée  de  leo^ 
parties  ;  quand  il  lui  en  manque  quelqu'une ,  elle  eat  i^  i 
plète.  Or,  la  fleur  incomplète  peut  manquer  non-seuleiw  ' 
0Offolk  et  de  calice  |  mais  même  de  paiùk  ou  dénminrs  ;  tf ,  -^ 


FtB.  50l 

«Ismier  cas ,  il  y  a  toujours  une  autre  fleur,  aoît  sur  le  m&iM 
individu ,  soit  sur  un  difierent ,  qui  porte  Tautre  partie  essen- 
tielle qui  maoque  â  celle-ci  ;  de  1^  la  division  en  fleurs  lierma-^ 
pkrodites,  qui  peuvent  être  complètes  ou  ne  l'être  pas,  en  flcun 
puremeot  mâles  ou  femelles,  qui  sont  touionrs  incomplète  s. 

La  fleur  hermaphrodite  incomplète  n'en  est  pas  moins  p-ir- 
iuite  pour  cela ,  puisqu'elle  se  suffit  à  elle-même  pour  opérer  la 
fécondation;  mais  elle  ne  peut  cire  appelée  complète,  puisqu'elle 
m&nque  de  quelqu'une  des  parties  de  celles  qu'on  appelle  ainsi. 
Une  rose,  un  oeillet,  sont,  par  exemple,  «les  fleurs  parfaites  et 
complètes ,  parce  qu'elles  sont  pourvue*  de  toutes  ers  parti' s. 
Mais  une  tulipe,  un  lis,  ne  &cmt  point  des  fleurs  compiètr:», 
qiioique  parfaites,  parce  qu'iûcs  n'ont  point  de  calice;  dcn.èmc 
la  jolie  petite  fleur  appelée  paronichia  est  parfaite  comme  her- 
maphrodite; mais  elle  est  icccmplète,  parce  que,  maigre  sa 
riaiile  couleur,  il  lui  manque  uns  corolle. 

Je  pourrais ,  sans  sortir  encore  de  la  section  des  fleurs  sim- 
ples ,  parler  ici  des  fleurs  i  cgulières ,  et  des  fleurs  appelées  li  rr- 
giilières.  Miiis,  comme  ceci  se  rapporte  principalement  Ix  U 
coiolle^  il  vaut  mieux  sur  cet  article  renvoyer  le  Itclcur  à  ce  mot. 
Reste  donc  à  parler  des  oppositions  que  peut  soufliir  ce  mot  de 
Heur  simple. 

Toute  fleur  d'où  résulte  une  seule  fiiicliGcation  est  une  fleur 
simple.  Mais  si  d'une  seule  fleur  rt^sultent  plusieurs  fruits,  alte 
fleur  s'appelU'ra  composée,  et  cette  pluralité  n'a  jamais  lieu  dans 
les  fleurs  qui  n'ont  qu'une  corolle.  Ainsi  toute  fleur  composée  a 
nrcessairement  non  seulement  plusieurs  pétales,  mais  plusieurs 
corolles;  et,  pour  que  la  fleur  soit  réellement  composée,  et  non 
pas  une  seule  a^ii^ation  de  plusieurs  fleurs  simples,  il  faut  que 
quelqu'une  des  parties  de  la  fructification  soit  commune  à  tous 
les  fleurons  composans,  et  niauqtie  à  chacun  d'eux  en  pariiculier. 
Je  prends,  par  exemple,  une  fleur  de  l'aitroo,  la  voyant  rem- 
plie de  plusieurs  petites  fleurettes,  et  je  me  demande  si  c'est  une 
fleur  composée.  Pour  savoir  cela,  j'examine  toutes  les  parties 
de  la  fructification  l'une  après  l'autre ,  et  je  trouve  que  chaque 
fleurette  a  des  étamines ,  un  pistil,  une  corolle,  mais  qu'il 
b'j  a  ^u'un  seul  réceptade  en  forme  de  dit^e  (pu  les  reçoit 


Zen  TXB 


toutes,  et  qu'il  n'j  a  qu'on  leal  pvad  calice  qui  W  nrr 
d*ou  je  coDclus  que  la  fleur  est  composce ,  puisqne  dm  '^- 
de  la  IriiclificalîoQ,  savoir  le  calice  et  le  rôoepudc,  vta  ■ 
muoes  k  toutes  et  manquent  à  chacune  en  puticafiR. 

Je  pKDdjt  ensuite  une  fleur  de  srâbieuse  où  ft  disiiar.- 
plusieurs  fleuiettes  ;  je  rexamlne  et  mène,  cl  je  trx 
chacune  d'elles  est  pourvue  eu  son  panîcalicr  lîc  toc:.«  > 
ties  de  la  fructification,  sans  en  exc^ptPt  le  calicr  r.  r*: 
réceptacle,  paîjqu'on  peut  regarder  oonunr  tel  k  item: 
qui  sert  de  base  à  la  semence.  Je  couc!as  doiK  que  b  s.^ 
n'est  point  une  fleur  oomposëe,  quoi^ja'elle  rassorU-  '  : 
elles  plusieui%  fleurettes  sur  un  même  disque  ei  daai  «r  i 
cïlice. 

Conrnie  ceci  pourtant  est  sujet  à  diapiite ,  soitaut  a  "^ 
réceptacle  f  on  tire  des  fleuretres  mêmes  un  carad^T^  p 
qui  con\  ient  à  toutes  celles  qui  constituent  propteaKc:  : 
composa  et  qui  ne  convient  qn'^  elles;  c'est  d'a^or  . 
mines  réunies  en  tube  ou  cylindre  par  Jrurs  aotbèr>^  >■  > 
stjle ,  et  divisées  par  leurs  cinq  filets  au  b^  de  la  m* 
fleur  dont  les  fleurettes  ont  leurs  anthères  ainsi  fW."' 
donc  une  fleur  composée,  et  toute  fleur  où  1  on  ne  ^  t  i 
fleurette  de  cette  c«k;^e  n'est  point  une  fleur  conpf^  ' 
]K>Tte  même  au  singulier  qu*improprenieiit  le  nom  d-  '■'  = 
qu'elle  est  réellement  une  agn^atiun  de  plusieurs  fl-'ius 

Ces  fleurettes  partielles  qui  ont  ainsi  leurs  antlnrrt  r  i 
et  dont  rasseniiilage  Ibrrae  udc  fleur  véritab'emrol  cv  i 
sont  de  deux  espèces  :  les  unes ,  qui  sont  rcgulières  et  tr  i 
t'appellent  proprement  fleurons  ;  les  autres»  qui  sont  rr.  ' 
et  ne  présentent  par  le  haut  qu'une  languette  plane  t\  f 
souTtnt  den  elëe,  s'appellent  demi-Apiirons;  etdr»cncù'C 
de  ces  deux  espèces  dans  la  fleur'tolale  résultent  irot»fc<t« 
cipales  de  fleurs  composées,  savoir,  celles  qui  ne  sont  ^»'  "^ 
de  fleurons,  celles  qui  ne  sont  garnies  que  de  denu-â''  ^' 
celles  qui  sont  mélëes  des  uns  et  des  autres. 

Les  fleurs  à  fleurons  ou  fleurs  fleuronnées  se  dinafr*.  r 
en  deux  espèces,  relativement  à  leur  fonne  rxtcneuie.  (  «^ 
préscDtctit  une  figure  arrondie  en  manière  çk  tic  i  ^  "^ 


alîoe  approclie  de  la  lonne  hérnupL^rique,  l'appellciit  fleurs  en 
étc,  c<ipitati  :  tels  sont)  par  exemple,  let  chardons,  les  artn 
-^auf s ,  la  chauMsetrape. 

Celles  dont  le  réceptacle  est  plus  aplati,  en  sotte  que  leurs 
leuroDS  forment  avec  le  calice  une  âgurehpcupit^cyliudrique^ 
.'appellent  fleurs  en  disque ,  discoïdei  :  la  «antoltne,  par  ex«m- 
>1e ,  et  Veupatoire ,  nfirent  des  (leurs  en  disque  ou  discoïdes. 

Lesfli>ursà  demi-fleurons  s'appellent  demi- flruronnées ,  et 
eur  6gure  extérieure  ne  Tarie  paaassex  régulicrrment  pourofltir 
ine  division  srnrblable  à  la  précédente.  Le  saUifîs^  \n  scorsonère, 
le  pissenlit ,  la  chicorée ,  ont  des  fleurs  demi-fleuronnî'es. 

A  Fégxrd  des  fleurs  mixtes,  les  demi-ilcnrons  ne  s'y  mêlent 
pas  parmi  les  fleurons  en  confiision ,  sans  ordre  ;  nais  les  fl-  u- 
rons  occupent  le  centre  du  disque,  les  demi-fleuron»  en  garnis^ 
^eut  la  circonfcrence  et  forment  une  couronne  h  la  fleur,  et  ces 
fleurs  a'nsi  couitmnces  portent  le  nom  de  fleurs  radiées.  I.es 
reines-'mar faites  et  tous  les  asCers,  lescuri,lessc^ei7s,la;K>(re« 
de-terre,  portent  tous  des  fleurs  radiées. 

ToutM  ces  sections  forment  encore  dons  les  fleurs  coroposëès, 
et  relatif cment  au  sexe  des  fleurons,  d'autres  divisions  dont  il 
sera  parlé  dans  l'artic'e  Fleuron. 

Les  fleurs  simples  ont  une  autre  sorte  d'oppositioi  dans  otl* 
les  qu'on  appelle  fleurs  doubles  ou  pleines. 

La  fleur  double  est  celle  dont  quelqu'une  dis  parties  est  mol* 
tipliée  au-dil'i  de  son  nombre  naturel,  irais  sans  que  cette  mul« 
tiplicatiott  nuise  à  la  fecon  Jatioo  du  t^eruiC. 

Les  fleurs  se 'doublent  rarement  p  ir  le  calice,  presque  jamais 
par  les  étimiues.  Leur  multiplication  la  plus  commune  se  fait  paf 
la  corolle.  Les  exemple»  lespla<;  frétjuens  en  sont  d^us  les  fleurs» 
poly pétales,  comme  «illets,  anémones,  renoncules;  l>s  fleurs 
monopelales  doublent  moins  communoment.  Op<  ndant  on  voit 
ussci  ouvent  des  campanules ,  des  priincvères,  d^s  auricules,  et 
surtout  des  jaciutbes  à  fleur  double. 

Ce  mot  de  fleur  double  ne  mircjue  pas  dans  le  nombre  dtt 
pétales  une  simple  duplication ,  mai:»  uue  multiplication  quel* 
eonqne.  Soit  que  le  nombre  des  {xltales  devienne  double,  tiiple, 
quadroftle,  etc. ,  tant  qu'ils  ne  multiplient  pas  au  point  d'ciooSùt 


t 


Si  ce4 

^ur  rr  d'ca  nî  ïmn  m  X 

et  ce  a'ca  m 


Ce  a 


II 


«lie  son  eirbryon.  Aîi.»î  cette  multiplicité  o'eiiipèdie  pat  le  nynn 
pbëft  jaune  d'^ôire  une  fleur  simple. 

I^  constitution  cmmnune  au  plus  fgjnnd  nombie  àt*  fletm 
est  d'èlre  bermaplirodites  ;  et  cette  «x>nstHution  parait  en  effet  la 
phi»  convenable  an  règne  végétal  y  où  les  individus  dépourvus 
de  tout  mouvement  progrcsif  et  spontané  ne  peuvent  s'aller 
chercher  Tun  Tautre  quand  les  sexes  sont  séprj-és.  Dans  les  ar- 
bre» et  les  plantes  où  ils  le  sont,  la  nature ,  qui  sait  varier  ses 
moyens,  a  pourvu  i  cet  obstacle  :  mais  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  géucralement  que  des  êtres  immobiles  doivent ,  pour  per- 
pétuer  leur  espèce,  avoir  en  eux -niâmes  tous  les  instrumen* 
propres  à  cette  fin. 

l'*i.cuR  MirmiB.  Est  celle  qui ,  pour  l'ordinaire,  par  défaut  d« 
chaleur ,  perd  ou  ne  pro<luit  point  la  corolle  qu'elle  devrait  na- 
lurrllement  avoir.  Quoique  cette  mutilation  ne  doive  point  faire 
espace,  les  plantes  où  elle  a  lieu  se  diâtinguent  néanmoins  dans 
kl  nomenclature  de  celles  de  même  espèce  qui  sont  complètes, 
oon  me  on  peut  le  voir  dans  plusieurs  espèces  de  (fuamoolity  d« 
cucul^ulfs,  de  lursilaejesj  de  campunules^  etc. 

Fl£lii£Tte.  Petite  fleur  complète  (|ui  entre  dans  la  structure 
d'une  fleur  agrûgce. 

Flelbok.  Petite  fleur  incomplète  qui  entre  dans  la  stnicturi 
d  une  fleur  composée.  (Voyez  Fleuh.) 

Voici  quelle  est  la  structure  naturelle  des  fleurons  csom« 
posons. 

1.  Corolle  monopéiale  tuhuléc  à  cinq  dents,  suprre. 

2.  Pistil  alongé,  termine  par  deux  sii«miLtes  réfléchis. 

3.  Cinq  étamiucs  dont  les  filets  sont  sépares  ptr  le  bas,  mais 
formant,  par  Tadhérence  de  leurs  antLcres,  un  tube  autoiu'  du 
pistil 

4.  .Semence  nue,  alongée,  ayant  pour  îase  le  réceptacle 
eonimnn,  et  servaul  elle-même,  par  son  sommet,  de  réceptacle 
à  la  corolle. 

5.  Aigrette  de  poils  ou  d'écaillcs  couronnant  la  S'-meoce,  ec 
figrrant  un  calice  k  la  base  de  la  corolle.  Cette  aigrette  pousse  de 
baa  en  bout  la  corolle,  b  détache  et  U  &xt  tomber  lorsqu'ellf 
aat  flétrie ,  e:  que  le  semence  accrue  approcbe  de  sa  maturité. 


5ot>  TKV 

Getic  siioetttre  conoiaiie  et  f^éoéiale  des  fleonBWtfit^ 
exceptions  dans  plusieurs  genres  de  c«BBpocBa,tta9Q£sna 
omnâcncht  nièiiaB  des  sections  <|ai  tatmeal  «AMI  ^  kuos 
dam  celte  noralffease  famille.- 

GeUes  de  ces  dUKieiMes  qui  tiennent i b  svnCDBcnr»» 
fleurons  ont  été  ci'derttst  ei^liqiiées  an  irot  |kv.  J'iibb.' 
BSnt  4  parler  de  celles  qni  ont  rapport  4  k  ftoonditMe. 

L'ordre  commun  des  fleurons  dont  jeTÎnisdepnkreii'^ 
Irernisphrodites ,  et  ils  se  iëcoodcnt  par  cnz-iBfeBB>  Va»  :  • 
t  d'&utres  qui  tyant  des  étunines  et  B^sjntpoatàtn 
poriciH  le  nom  de  mflAes',  d'anties  qui  ont  m  gn^-' 
point  d'ëtanines  s'appellent  flearooslêmelks  ;  d'aafici»-*' 
ni  gbrnie  ni  ëtamines^  ou  dont  te  gcnne  napaiiait  »ntii^' 
portant  le  nom  de.  neutres. 

Ces  «Kverses  espèces  de  flcnnms  ne  sont  pss  wëS^ 
énfremé!<^  dans  les  Aenis  ooaipmoes ;  mais  kaav^'  ' 
métbodiqnes  et  régulières  sont  tou|6an  relsiircs  «a.*-' 
sure  ficondation ,  ou  à  la  fins  ■boudante  frncnficsnos.  ^ 
plus  pleine  msturification  des  graines. 

*  FoixiOLZ.  FeuiUe  pwàeUe de  la  fenilfe  tomfaià.ùt 
pièce  d'un  calice  poljplijlle  est  nommée  foliofe. 

*  FoLuctiLE.  FJruit  gërtiné,  prorenaot  d'unied  pstl'cn 
tible  jusqu'à  la  base.  Il  n'appartient  qn'anx  «pJcyWo 

*  FftAnai.  Ayant  à  ses  bords  des  dMnpnxts  trisrbe 

FancriricATKW,  Ce  mot  se  prend  toujours  dan  na  «*' 
lectif ,  et  comprend  non^seulement  l'oeurre  de  Is  Ccos^ 
germe  et  de  la  maturtGcation  du  fruit,  mais  Tassenfal^''  ' 
les  inslrumcos  naturels  destinés  à  cette  opcrstioB. 

Fnurr.  Dernier  produit  de  la  vé^ution  dam  lifl<!^«^^ 
tenant  Us  semences  qui  doivent  U  renouTcferpsrd'ti^' 
dîvidus.  La  semence  n'est  ce  dernier  proJnit  qœ  ^pusJ  '  ' 
seule  et  nue.  Quand  elle  ne  l'est  pas,  elle  n^eat  qv  f^ 
fruit 

Fauir.  Ce  mot  m,  <ktQs  la  bctfanique,  on  sens  besaon?  I 
éttpdn  que  dans  l'usa jq  «idicaife.  Dans  les  arbres,  «  '^ 
4a9s  d'autres  plants»,  toutes  k*  asscncei.  on  les*  «"tH 


^ 


GER  Soy 

honne*  à  manger,  portent  en  g^éra]  le  nom  de  frnlt.  Mnis,  en 
IsotATiiqae,  ce  ir^me  noin  s'applique  pins  {généralement  encore 
à  tout  ce  qui  résulte,  àp^^8  la  flrur,  âe  Ta  fécondation  du  pcrm?. 
Ainsi  le  fruit  n'est  proprement  antre  chose  que  lov  aire  fécondé, 
et  cela ,  soit  qu'il  se  nian;;e  ou  ne  se  mange  pas ,  soit  que  U 
MBincnce  soit  déj&  mûre  on  qu'elle  ne  le  soit  pas  encore. 

*  FusiroKBfi:.  En  forme  de  fiiscau. 

*  G  KÎyz.  Expansion  de  la  pm-tic  infcricnrc  d'une  feuille,  par 
laquelle  celle'  ci  enveloppe  la  li.je. 

*-  Of.r.ATiNEUX.  De  la  consistance  d*une  jgelée. 

*  GiMisÉEs.  Naissans  deux  ensemble  du  même  lieu,  ou  lap- 
pTocliés  deux  à  deux. 

*  Gembiation.  Tout  ce  qui  concerne  le  bourgeonnement  des 
plantes  vivaces  et  ligneuses. 

Geheb.  Bëunioa  de  pluai^rs  «spècet  sout  un  cxe^cttn 
commun  qui  les  distingue  de  toutes  les  autres  plantes* 

Germe,  embryon,  ovaire,  firuitCes  termes  sont  si  pris  d  être 
synocy mes,  qu'avant  d'en  parler  séparément  dans  leurs  articles 
je  c&ois  devoir  les  unir  îql 

Le  germe  est  le  prcif  ier  rudimeni  de  la  nouvel!'*  pl.inte ,  il 
devient  cn.bryon  ou  ovaire  au  moment  de  la  fécou.ialiin ,  et  ce 
même  embryon  devient  fruit  eu  mûrissant  :  voilà  les  diQc'rcnces 
exactes.  Mais  on  n'y  fait  pas  toujours  attention  dans  l'usage ,  et 
l'on  prend  souvent  ces  mots  luu  pour  l'autre  iodifiiiremn:cnt. 

n  y  a  deux  sortes  de  germes  bien  distincts,  l'un  contenu  dans 
la  semence,  lequel  eu  se  dévtloppaqt  devient  plante ,  et  l'autre 
contenu  dans  la  fleur,  lequel  par  la  fécondation  devient  fruit. 
On  voit  par  quelle  alternative  perpétuelle  chacun  de  ces  d.uz 
genties  se  pioduit ,  et  en  est  produit. 

On  peut  encore  donner  le  nom  de  germe  aux  rudimens  des 
feuilles  enfermés  d<ins  les  bourgeons ,  et  h  ceux  'des  fleurs  ci|- 
femiées  dans  les  boutons. 

^     Gemovàtion.  Premier  développement  des  parties  de  la  plante 
oontenne  en  petit  dans  le  germe. 

*  Quand  on  examine  ce  que  devient  une  graine  après  qu'elle 
nité  semée,  on  la  voit  se  gonfler,  augmenter  de  volume  :  se 


ImiqiBe  propre  se  ^écbtre,  ses  lobes  m  oocjléZcairrrj  r 
lenn  bcrocMix ,  s*écartenty  livrent  pattage  k la  pkasik. f..  '. 
dit  alorr  q[ae  U  plaote  est  dans  l'état  de  ^amudica.  U  fr 
luicT  degré  s'anoooceordiQaireineatparVappaxÀiiAifGaer;» 
de  petit  bec  nnminé  radicule.  Ce  petit  bec  se  touroeTcnU:  * 
produit  de  droite  et  de  gauche  des  fiilinlles  lanénks  {fa^<*- 
£)niier  k  cbereln  ou  les  ramiâcations  dt?  la  radae  doot  ^  * 
rule  est  tou)oui8  le  pivot.  Après  le  développemeBtdrlj' >- 
on  Toît  paraître  la  pluma  le  qui  tient  aux  k>bc»  de  b  «ry 
juscpia  ce  qu'elle  puisse  recevoir  des  suc*  par  le  Buycîi' 
I seines.  La  plumulo  s'élève,  quille  ses  cotvledoos,  ce  r  * 
cons<>rv-e  que  sous  la  forme  de  feuilles  sémiiules;  eTt^ 
toutes  les  parties  de  U  pbmtule  augmenlereD  ksotecrv  * 
longrment  des  lames  qui  les  composent ,  cic^uérir  too>  •  - 
un  diamètre  plus  grand  par  l'cpatssiscmentdifCâinéK'^-'* 
'et  toutes  ces  parties  prendre  suocessiveascnt  U  fooK  a  1<^ 
tion  qui  lenr  coBvîemient. 

^  Si  de  la  pmne  que  vous  avec  scms  les  yem  i  4a£B  ^ 
une  berbe ,  vous  ne  verrei  point  de  boutoos  aoy  aîscE*^  y  > 
feuilles  :  s'il  doit  naître  un  arbre  on  ail»risseaB ,  h  pliBU  J 
viendra  une  tige  dont  la  consistance  sera  ligncasii 

*  Clabui.  Lisse ,  sans  duvet  nî  poils. 

Oi,A5DE9.  Organes  qui  serrent  à  la  sécnHioe  dci  las  • 
plante. 

*  Glqvtme.  Elle  est  formée  pnr  les  ccatDes  oa  paiDn^  ' 
environnent  les  qrganes  sexueb  des  eraminê.:s. 

*  GoxMïs.  Excrétions  qui  suintent  uaturdknBC  p^ 
fibres  destinés  h  cet  nsa^b 

Gousse.  Fruit  dune  plante  légruniDCOse.  La  pooam 
s'appelle  aussi  légume ,  est  ordinal  ^  ent  compowe  <i>  ' 
jiauneaux  nommés  cosses ,  aplatis  ou  convexes ,  colks  -  e 
l'autre  par  deux  sutures  longitudinales ,  et  qui  rmfersr 
semences  attacbces,  alternativement  par  la   suture  Mi  ^ 
cosses ,  lesquelles  se  séparent  par  U  maturité. 

*  GaAiSK.  Partie  du  fhiit  renfermant  l'eirlirTUB  d'a^  ^ 
Telle  plante*  La  graiiie  est  récrite  coioBic  Tcu^  «ê^t^ii. 


HiL  bog 

iitiÀJt¥Ey  raamut.  Sorte  depi  dans  lequel  Ici  ûtah  ne  font 
ni  seisiles  ni  toutes  attadiëes  à  la  rûpe,  mais  à  des  pédiçalcs 
partiels  dans  lesquels  les  pédicules  prineipauz  se  dÎTisen!.  La 
f^ppe  n'est  autre  chose  qu'une  panicule  dont  les  rameaux  sont 
plus  serrés ,  plus  courts ,  et  souvent  plus  gros  que  la  panieolo 
proprement  dite. 

Lor8({ue  laie  d'une  panicule  ou  d'un  épi  pend  en  bas  an 
lieu  de  s'élever  vers  le  ciel,  on  lui  donne  alors  le  nom  de  grappe; 
telle  est  l'épi  du  groseiller ,  telle  est  la  grappe  de  la  vigne. 

Greffe.  Opération  par  laquelle  on  force  les  sucs  d'un  arbre 
h  passer  par  les  couloirs  d'un  autre  arbre  ;  d'où  il  résulte  que  1  S 
couloirs  de  ces  deux  plantes  n'ctaot  pas  de  même  figure  et  dl^ 
snriision,  ni  placés  exactement  les  uns  vis-2i-vis  des  autres.  le« 
sucs  forcés  de  se  subtiliser,  en  se  divisant,  donnent  eysuite  des 
i'ruits  meilleurs  et  plus  savoureux. 

GsEFFEn.  Est  eng^'tger  l'œil  ou  le  bourgeon  d'une  saiiia 
branche  d'arbre  dans  t'ccorce  d'un  autre  arhre,  avec  les  pré- 
cautions nécessaires  et  dans  la  saison  ^vorahle ,  en  sorte  que  ce 
lionrgeon  reçoive  le  suc  du  second  arbre  ,  et  s'en  nourrisse 
comme  il  aurait  fait  de  celui  dont  il  a  été  détaché.  On  donne 
le  nom  de  qrcffe  à  la  poition  qui  s'unit,  et  de  sujet  h  l'arbi-C 
auquel  il  s'unit 

Il  y  a  diverses  manières  de  grrfl'er.  La  greffe  par  approche, 
en  fente ,  en  couronne ,  en  flAte ,  en  ccusson. 

GiMsoîPEaME.  A  s'^mence*  nuis.  * 

Hampe.  lir,e  sans  feuillâs,  destinée  uniquement  à  tenir  la 
fructification  clcvcc  nu-drssus  de  la  racine. 

*■  Heliotbope.  Qui  tourne  le  disque  de  sa  fleur  vers  le  soleil 
et  le  suit  dans  son  cours. 

*■  Herbes.  Plantes  qyl  perdent  leurs  lig€^  tous  Ira  hivers^ 

*  HiTÉnopBTLLE.  Qul  portent  des  icuiUes  disseniblablas  las 
ufses  des  autres. 

*  HEXAaTHiE.  Six  pistils. 

*  HiXÀvrtBZ.  A  six  ailesb 

*  Hble.  Point  par  leqoel  une  graino  tient  k  la  oavitil  d« 
péricarpe. 

^  43. 


*  BvmoTE,  Garai  de  poîU  durs. 

f^  HoHOiiAiJLBt.  Vixvghes  d*uu  ■ii'iai  cfité. 
<^  Hsmmic.  Étalrfe  ïen  tout  mu  mr  la  tcnv^ 

*  HTwniB.  FUate  qui  doit  cob  onpqe  k  dem 


*  BfTVOcnATiwosxE.  En  ferme  de  ooope. 

*  iMvnQCÉ.  diargé  de  partie»  appliquées  eo 
)fê  tmes  sur  les  autres  oomme  les  tuiles  d'un  toit. 

*  IiiCisE.  A  bord  découpé  par  des  indsioi»  si^Uv< 

*  ImxKESCXVCZ.  Priration  de  îa  iacaUé  de  s^nurrir. 

*  IvDictBiE.  Qui  croît  nalareOeznent  dsns  le  p^^ 

birisE ,  ScrisE.  Quoîqae  ces  mots  soient  pomaeiît  i^* 
on  est  obligé  de  les  employer  en  français  dans  le  îss^ç  *  < 
botanique,  sous  peioe  d'âire  diffus,  lâche  et  lovscbc,  f»^"k 
loir  parler  purement.  La  même  n<$ce>sité  doit  être  sngfess* 
la  même  excuse  répétée  dans  tous  les  mots  lalim  que  ]e  f 
forcé  de  franciser  ;  car  c*c»t  ce  qoe  je  ne  ierai  jamais  ^  ve 
^re  ce  que  je  ne  pourrais  aussi  bien  fûre  mteudre  daas  os  za 
çais  plus  correct. 

Il  y  a  dans  lei  fleurs  deux  dispositions  diS«imttes  du  ctV  "i 
de  la  corolle,  par  rapport  au  genue,  dont  leipuaa^u  irnr^ ^ 
souvent ,  qu'il  faut  absolument  créer  un  n:ot  pour  eUc.  Ço-ii 
le  calice  et  la  corolle  portent  sur  le  (;^me,  la  fleur  est  d>  ' 
pèi'e.  Quand  le  germe  porte  sur  le  caliœ  et  la  corolle,  U  Srrr  ^ 
di|e  tn^re.  Quand  de  la  corolle  on  transporte  le  mot  an  ^cr- 
n  faut  prendre  toujours  Topposé.Si  la  corolle  est  inCre,  le  §•  ^  i 
est  supère  ;  si  la  coroOe  est  snpère ,  le  germe  est  in^ie  :  «=  i 
Ton  a  le  choix  de  ces  deux  manières  d'exprimer  la  iMuie  c' 

Comme  il  y  a  beaucoup  plus  de  plantes  où  la  fleur  est  ir  -i 
qtie  de  celles  où  elle  est  supère ,  quand 'Vette  dispc»tioa  i:  i 
point  exprimée,  on  doit  toujours  aoTi»-eniiendre  le  prenîer  re- 
parte qu'il  est  le  plus  ordinaire  ;  et  si  b  desrripCMa  ue  p  '< 
point  de  la  disposition  relative  de  la  ooiulle  et du|^iiii ,  S  ^ 
supposer  la  corolle  infire  .*  car  si  eU«iftait  mpn^  twmum  st  t 
AflKiriplioii  iaurut^zpBMéuMDl  dit 

^  lartnronuuroiiHB.  En  entonooir. 


LOB  b l I 

*  Labi^.  "Dont  le  limbe  a  dcnx  icc'sions  Intcnlet  |>rindpiift 
qui  la  partogent  en  êmx  lam'M  npposécs,  inégal  s,  l'une  ttipé- 
ricure,  et  l'autre  inférieure. 

**  LAcniiâ.  Di^oupé  iscgalcmeuteo  Uoières/^longéef. 

*  LACuâTiiAL.  Qui  croit  autour  de»  laa. 

*  Lame,  partie  snpciieure  d  uu  iMîtale  ongukulé. 

*  Làrc^olé.  En  fci  de  lance. 

LrLGCME.  Sorte  de  péricarpe  conlposé  de  d(*nx  panneaux , 
BqoI  les  bnrdft  sont  r^nnia  par  étmz  sniiiroi>  lon^itodîaialcs.  Lea 
éeinmcea  lont  attacbëea  aUcmatÎTeniont  à  /xt  deux  valves  par 
la  auturc  s^prieure,  rinforicuic  «àt  mfnt^^fL'oa  appcUs  de  et 
xiona  CD  géoéral  le  fi-uil  des  pliuucs  U^unûueuss. 

LlcltmIXEushs.  (  Voy.  Fleirs,  Plamt£S.) 

*  Liiituintmrs,  Plantes  qui  ont  pour  frak  une  gouase. 

Liber  (le).  Est  con)pos<5  de  pellicules  qui  rcpresenlent  les 
feuilleta  d'un  livre;  elles  toucl-ent  inin^cdiat' ment  au  liois.  Le 
llhcr  se  dï'iarhc  ions  les  ans  d'S  deux  autres  parties  de  l'ecorce, 
et,  s'uiiiss*nt  avec  Tanhier,  il  pro.luît  sur  la  cîrconrcreiice  de 
l'arhrc  une  nouvelle  coudie  qui  en  nu;^niente  le  diamètre. 

I  ivSEUx.  Qui  a  U  consislaice  de  boL«. 

LnjACKES.  Fleurs  qui  portent  le  caractère  du  lis. 

Ltmbe.  Quand  tuic  corolle  monopëlale  rt'^ulièrc  sVvase  et 
s\'l.tr^îl  par  le  liant,  la  partie  qui  forme  cet  ëvasement  s'nppelle 
{<*  limbe,  et  se  découpe  ordinairement  en  qnatrc,  cinq,  ou  plu- 
sieurs «"gnicna.  Diverses  campûïiuÎM,  pri»fiem*e$,  frwron»,  et 
autres  fleurs  monopctales,  offrent  des  exemples  de  ce  liniLe, 
qui  est  y  à  IVgard  de  la  corolle ,  h  peu  près  c<?  qu'est ,  â  l'é^^ard 
d'une  cloebe,  la  partie  qu'wa  nomme  le  favtllon  :  fce  diflifrent 
degré  de  l'angte,  que  forme  le  limbe  »rec  le  tube,  est  a  qui  fait 
donner  k  la  corolle  le  nom  d' in  fundUmii forme ^  de  etfii^ni- 
(armet  pn  d'hypocratéri forme, 

LoBXt  des  semenoet.  Sont  deux  corps  r6ints,  sfylaôi  d'u^ 
c'ité ,  ooBTOBis  d*  rauttt  :  ils  aoot  diaCtacts  <Uiis  les  acmcDoes 
Ic^umineusea. 

Loues  des 


5lA  IflT 

LocE.  CavUé  mtêrieare  da  fiait  :  îl  c«  î  ifasBii  «9 
fuand  il  est  partagé  par  des  doisom. 

*  JjCïïUvL  En  fiKine  de  croisMot 

Maout.  Bruielie  de  Taimée  à  laqiM3koiiln9KpiMr.:i 
planter  deux  diioaU  du  TÎeax  bois  caittam  des  denxffiifi.ti 
aorte  de  boutnie  ae  pratique  senfemeot  sur  U  t^k  ci  a'i 


MASQCt.  Fleoren  masque  est  âne  fleor  monopru/ 

*  Les  flearsen]ni9q«eiiiiiicniiuiiBafl(àdaxkr& 

M05Éc lE  oa  MosKECŒ.  Habitation  coniDiiiK  toi  ^  *^ 
Ou  donne  le  nom  de  meROwie  à  une  cla^e  de  pb!*»f  ' 
de  toutes  oellek  qui  portent  des  fleais  oUks  txi^^ 
meUcs  sur  le  même  pied. 

MoRoÏQ^Es.  Toutes  le»  fdaalcs  de  la  moooRX  «^  ' 
ques.  On  appelle  platties  monoï^oes  celles  doai  ks  tJf-'    ' 
pas  licnuaphrodilrs ,  mais  séparément  nLlks  cl  ^-  * 
mrme  individu  :  ce  mot ,  Ibrmé  de  cetni  de  laoi»':'- 
grer,  et  signifie  ici  que  les  deux  s>t*xrs  orcupent  Ihtbu  :i 
iogis ,  mais  sans  habiter  la  même  chambre.  La  c^^^  ^ 
n:eIon ,  et  toutes  les  cucurbitaocos,  sont  des  pUotc»  e--  ' 

MurLE  (  fleur  en }.  (  To  j.  Bf  asque.  ) 

*  ynCTAaz.  Suirint  Unnée,  c'est  une  paitinfe  k-I 
ou  comme  aiuutée,  adnëc  à  un  drs  quatre  ptt:^p*ax  1 
floraux;  c'est  un  appendice  de  la  corolle. 

*  Z^EJtTCRES.  Élévation  filamenteuse  i  qu'on  ceocacc*.  ^ 
fiïuilles  et  les  pétales. 

*  Nbctbe.  Sans  étamine  et  sans  pistil. 

NORiDt.  Sont  les  «rtkulatioiis  dç»  tiges  et  des  ntmt*^ 
Noix.  Enveloppe  Upieuse» ou  omffwfide  f^f^'^ 

de  leur  aégumeat  pcopie, 

NoMEBKXATOiix.  Ari  de  joindre  aux  noms  qa'oa  ^ 

plantes  Itdée  de  leur  stnietnn  et  ^  Um  dassificatiaB. 
NOTAD.  Sfmenrr  osseuae  qni  renfi  tsuii  lute  biii»^ 
K u.  Dcpourva  des  vétemens  ordinaires  à  ses  sok^ 
ppi  appelle  graine$  niiss.oeUes  qui  a'oqi  peârtdtf^ 


I 


0V&  5 1 3 

mtMiès  nueéj  cvUei  <pû  n'ont  point  d'iiiTolaere;  tigeê  nuet, 
œlles  qui  ne  sont  point  garnies  de  feuilles  ,-elc. 

NuiTs-DE-FEB.  Noctts  fejTeœ.  Ce  sont ,  en  Suède ,  cellet  dont 
la  froide  température,  arrêtant  la  Tégétation  de  pIusieurB  plan- 
tes, produit  lenr  dépëris^ment  inaensâUe,  leur  ponriture,  et 
'  enfin  leur  mort.  Leun  premières  atteintes  avertissent  de  rentrer 
dians  les  terres  les  plantes  étrangères  qui  périiiBtent  pat  ces  sortes 
de  froids. 

(C'est  aux  premiers  gds  asseï  communs  au  mois  d'août  dans 
les  pa js  pays  froids  qu'on  donne  ce  nom ,  qui ,  dans  des  climats 
tempérés,  ne  peut  pas  être  employé  pour  les  mêmes  jours.}  11. 

*  Obculte.  En  massue  lenvcrsée. 

*  Obovalb.  En  orale  renTcrsé. 

OFiL.  (Yoy.  Ombilic.)  Petite  cavité  qu  se. trouve  en  certaine 
fruits  à  l 'extrémité  oppose^  au  pédicule  :  dans  les  fruits  infixés 
ce  sont  les  divisions  du  calice  qui  forment  Tombilic,  comme  le 
coin ,  la  poire ,  la  pomme  y  etc.  ;  dons  ceux  qui  sont  supères , 
l'ombilic  est  la  cic^ttrice  laissée  par  l'insertion  du  pistil. 

QEiLL£TO:fs.  Boiu'geons  qui  sont  k  côté  des  racines  des  arti- 
c'  auu  et  d'autns  plantes ,  et  qu'on  détache  afin  de  multiplier 
ces  phutes. 

*  Offici!ial.  Qui  se  vend  dons  les  boutiques  comme  étant 
d^usage  dans  les  arts. 

0.vBfc'U.E.  Assembla.'^e  de  rayons  qni,  partant  d'un  même 
cr:jtrc,  diveig'nU  comme  ceux  d'un  parasol.  1/ombelIe  univer- 
selle porte  sur  la  ti^e  ou  sur  une  branche  ;  lombellc  partidle 
soit  d'un  rayon  de  ron:be11e  universelle. 

Ombilic.  C'est ,  dans  les  baies  et  autres  fruits  mous  inftrrs ,  It 
réceptacle  de  la  fleur  dont,  après  qu'elle  est  tombée,  la  acatrioe 
r  ste  sur  le  fruit  comme  on  peut  le  voir  dans  les  airelle».  Sou- 
vent le  calice  reste  et  couronne  l'ombilic,  qui  s'a|^lle  alors 
Tul;;aiTrment  ceil  .*  ainsi  l'œil  des  poires  et  des  pommes  n'est 
autre  chose  que  l'ombilic  autour  duquel  le  calice  persistant  s'est 
desséché. 

Orole.  Sorte  de  tache  sur  les  pétales  ou  sur  les  feuilles  »  qui 
a  souvent  la  figuie  fl'uo  ongle ^  it  d'autres  figures  dilTéreiUet, 


5l4  ^AF 

comme  on  penf  le  voir  aux  flcors  desparote.âisviin.  dsa^ 
mones,  des  cistes,  et  aaz  fruilks  des  icBMcaks,  es  pn^ 
cems,  etc. 

OiintKT.  Espèce  de  point;  rrocbie  par  bijoelk  k  pi ''  J 
quelques  coroHed  est  fixé  sur  le  caTicc  ou  sur  !e  nxcfudie. .  j 
gilet  de»  œilleis  est  plus  long  que  oeliii  des  roscL 

*  OrmccLE.  Petit  eourercle  qui  fènae  les  uns  èi  ^* 
espèces  de  moassesi. 

Opfo«ïes.  Les  lèaîlles  oppoaëes  sont  fasut  n  vdr  t 
deux,  placées,  l'aiie  vis-îh-Tis  de  l'aalre,  des  dem  f'*^^ 
life  oa  des  brancbes.  Les  iènilles  opposées  prvmn  <^  ** 
culéee  ou  sessiles;  sll  y  erût  plœ  de  deux  lèinllo  tf»^ 
nième  hauteur  autour  de  la  tige,  alon  cmt  plnrablr  r*'* 
rait  l'opposition,  et  cette  dispoehion  des  fanUcs  pRsn 
nom  diÛlen  ut.  (  Voj.  VmnnMiT».  ) 

Otaiie.  C'est  le  nom  qu'os  donne  k  rembrjoa  &  K^^ 
c'est  le  fruit  mtese  «Tant  la  ficoadation.  AprH  la  fe"-' 
l'oTaire  perd  oe  nom ,  et  s'appdk  aimplencnt  /rm^i  n  '^  P' 
ticulier  pmcoipe,  tî  la  plante  est   angiospenne;  «w*-  ' 
yraittCy  n  la  plante  est  ^rmnospenDe. 

Pajxxsttc  i'jGaille  membraneuse,  sèche,  dreHée,  ^  ' 
hase  d'une  fleur  qa  elle  enveloppe  oa  recoune.  (Les  pr   i 

*  PALÉACé.  Garni  de  paillettes,  ou  de  la  natmc  del^  i'-^ 

*  Palmé.  Ressemblant  k  une  main  onrerte. 
PauisX.  Une  lênUle  est  palmée  lorsquau  lien  d^-t  ^ 

poaée  de  plnsieuis  folioles,  ecmme  la  feuile  dîgîice,  r 
seulement  déoonpëe  en  plusieurs  lobes  din§o  ea  n^''^*  ' 
le  sommet  du  pétiole,  maii  se  rénnissant  avant  qoe  à}-'^ 
Pavicolb.  Épi  lamenx et  pjtamidaL Cette f^wr ^ ^"^ 
«!* que  les  rameaux  du  bas,  étant  les  pins  Wjcs,  §xaP-'  ^ 
eux  un  plua  large  espaee,  qui  se  rénécit  en  mootaat.  1  ^ 
que  ces  rameaux  derienneat  plus  eonrU,  moina  naaiti^  I 
aoite  qu'une  panicnle  parfaitement  n^ulière  se  lonîasa»'^ 
par  une  fleur  sessiie. 

*  pAnu<niACis.  CnroDe  sr^ïîâte  à  éa^  pétales.  U  -^ 
«knr,  pin»  grand,  s'appelle  iUném-à  :  les  dbn  lad^  ^ 


*v 


M»  5i5 

1rs  dèax  inférieurs  fonnoit  une  petite  oaoeRe  qtk'ùA  appelb 
t arène.  Vojes  la  trobième  deè  LeUres  élémentaire  nn  Rnimntf 
décrit  d'tttie  manière  précise  les  fleura  de  ce  genre. , 

*  PAPTBAci.  Mil  ce  et  lec  comme  du  papier. 

pAAAsrrss.  Plantée  qui  unissent  on  croiaaent  sur  d'autictf 
plantes ,  et  se  nourrissent  de  leur  substance.  La  ooaeute,  le  gui, 
plusieurs  mousses  et  licbens,  sont  des  plantes  parasitesu 

pAAF.rrcHTMZ.  Substauce  pulpeuse,  ou  tîssu  cellulaire,  qui 
forme  le  ct^rps  de  la  feuille  ou  du  pétale  :  il  est  couvert  dam 
Vune  et  dans  Tautrc  d'un  épidenne. 

Partielle.  (  Vo)  ez  Osibeile.  ) 

PAIITIES  DE  LA  FnUCTlFlCATIOI».  (Voj.  ÉTAHIHES,  PISTIL,) 

i 

*  Pai'Ciiudi£X.  Fleur  ayant  peu  de  rayons. 
PÉDiCELLE.  Petit  pédoncule  propre  de  diaque  fleur. 
PAVILL05.  Synonyme  d'ëtendard. 

Pf.i)ictLE.  Base  alon2;ce,  qui  porte  le  firuiL  On  dit  peâuneuhi» 
en  luûn,  mais  je  crois  qu'il  £iut  dire  pèdicuie  en  français  :  e^esl 
l  ujcien  usngc,  et  il  n'y  a  aucune  bonne  raison  pour  le  dianger* 
Pcdnnculus  sonue  mieux  en  Utin»  et  il  évite  Tëquivoquedunom 
yn:dicuhui  y  x&ais  le  mot  fcdicuU  est  net,  et  plus  doux  en  firan- 
ç.iiÀ  ;  4 1,  dans  le  clioix  des  mois,  il  convient  Je  consulter  rorcille^ 
et  d'avo'r  <^ard  ^  l'acoeot  de  la  langue. 

L'udjrrttf  pédicule  me  parait  nécessaire  par  opposition  à  l'ao- 
tre  adirctif  sessile.  La  botani<|ue  est^  si  embarrassée  de  termes, 
qti'dntu-  sauraK'^trop  s'attachera  rendre  clairs  et  courts  ceux  qui 
lui  août  spécialement  consacrés. 

I^  pëdiinile  est  le  llrn  qui  aftscbe  la  fleur  ou  le  fruit  À  k 
Hrvncbe,  ou  a  la  fige.  Sa  substattceest  d'ordinaire  plus  solide  qu* 
te  fie  du  fruit  qu'il  poru:  par  un  de  ses  bouts,  et  moins  que  oell« 
du  bois  auquel  il  est  atuciic  par  l'autre.  Pour  l'ordinaire,  quand 
le  fruh  est  mûr,  il  se  détache,  et  tombe  avec  son  péùiculc.  Mait 
(fuelquetob,  et  surtout  dans  les  pbntes herbacées,  le  fruit  tombt 
H  le  pédicule  r  ste,  comme  on  peut  le  voir  dans  le  genre  des 
Yumex.  Cn  y  peu!  remarquer  encore  une  autre  particularité; 
t'est  que  fcs  p6dicu!es,  qui  tous  sont  vertîcIlléB  autour  delatig^ 
iont  Qn;si  tous  articuL*s  vers  leur  ikdli^ii.  Il  IcieMs  qu^o  M  e«i 


5l6  PET   -^ 

1»  froit  devrait  wiSutha  à  TartiaihùaB, MÈàa met» 
Boiûé  àa  pédicule,  et  liûsacr  l'autre  moitié  «uIcibcdi  iUcm 
A  la  plaote.  YmSk  n^nmoiiis  oe  qui  n urin  fiLUhài 
déuche,  et  tombe  leul.  Le  pédicaie  tout  esbcr  iesie,rt  û b. 
une  action  expresse  pour  le  diviser  en  deux  an  pomt  <k  Fctt:- 
lation. 

*  PiDOBCVLB.  Snppoit  oomimm  6t  phukiin fleanw  i>> 
fleur  solitaire.  En  terme  Tul^ire ,  la  qucoe  d'aac  kv  «  «' ^ 
fruit. 

*  PÉKiciLLÉ.  Glandes  déliées,  rapprocbécs  ^  pen  pèo* 
les  crins  d'un  pinceau. 

*  Pehtaptèae.  a  cinq  aîlea« 

*■  PEKTAsmaiE.  A  dnq  graines. 

*  Pepiv.  Semence  couverte  d'une  Inmqœ  cpsaK  <>  (^ 
^i  se  trouTe  au  centre  de  certains  finiiu. 

PiBPOuiE.  La  feuille  peribtiée  est  ceDe  que  la  hmàt^ 
et  qui  entoure  cdle-ci  de  tous  o&tés. 

PÉBIANT1IC.  Sorte  de  ciliœ  qui  tondM  iHiiart»*"'"  ' 
fleur  ou  le  fruit 

*■  PÉniCAB?E.  Partie  du  fruit.  Tout  fiuit  psrfâl  ce  «a"&^ 
lement  composé  de  deux  parties ,  le  péricarpe  n  u  f^''-  ' 
ce  qui  nest  point  partie  ir:tégnuile  àtcàk-d^p^ 
ceUe>U. 

.  'Pemuqtts.  Kom  donné  par  YaiDanC  aux  laÔBngsàai 
chevelu  touflii  de  filnillcs  cntreiacëes  cowmt  àa  ^^ 
emmêlés. 

PéTAU:.  On  donne  le  nom  de  pétale  ^  cLaqoe  piètt  m 
as  la  corolle.  Quand  la  cotoUe  n'est  qae  d'une  KuJr  K 
n'y  n  suÂsi  qu'un  pétale;  le  pétale^  et  la  covDlk  De«^-' 
qu'une  seule  et  même  chose ,  et  celte  sorte  de  ctwolk  v  H 
par  l'épiihite  de  monopc.ale.  Quand  la  corolle  est  ife  p^ 
pièces,  ces  piccea  sont  autant  de  pétales ,  et  UcorolJc.i 
aomppsent  se  désigne  par  leur  nombre  tirédugFRtp^^ 
le  mot  de  pétale  en  vient  aussi,  et  qu'il  conviefli.r^' 
reut  ix>niposer  uamot,  de  tirer  deux  racines  de  hmèst*  < 
Aipsé,  les  mots  d»  nonupéuk^  de  dîpÀak ,  dt  tnffr' ' 


m  5i7 

Utnpétale,  âe  peatcpiftaleV  et  enfin'  de  poiypÂale,  indiquent 
«ne  corolle  d'une  seule  pièce,  ou  de  deux,  de  trdlB,  de  quatre, 
de  cinq ,  elc  ;  enfin ,  d'one  multitude  indétenninée  de  pièces. 

PiTATOÏDE.  Qui  a  des  pétales.  Ainsi  la  fleor  pétatoitU  en 
l'opposé  de  la  fleur  apétale, 

Quek|aefois  ce  mot  entre  comme  seconda  racine  dans  U  com- 
position d  UD  autre  mot,  dont  la  pirmièce  lacin^st  un  nom  ^ 
nombre  :  alors  il  signifie  une  corolle  monopétaie  profondément 
divisée  en  autant  de  sections  qu'en  indique  la  première  raduo. 
Ainsi  la  corolle  tripétatoide  est  divist'C  en  trois  ««gw]^n*  ou 
demi-pétales,  la  pentapétatoîde  en  dnq,  etc. 

PÉTIOLE.  Base  alongce  qui  porte  la  feuille.  Le  mot  pétiole  est 
opposé  k  iessHe,à  l'égard  des  feuilles,  comme  le  mot  pédicuU 
l'est  à  l 'égard  des  fleurs  et  des  fruits.  (  Vojes  Péiucuic , 
Sessile.) 

*  PiMÀTiPiSE.  Dont  les  c6tés  sont  divisés  en  plusieuisU» 
nières  ou  lobes  par  les  incluons  profonde»  qui  n'atteignent 
point  le  milieu  longitudinal,  ou  la  nervure  médiaire. 

*  PiH9£x,  Une  feuille  ailée  à  plusieurs  rangs  s'appelle  fisuills 
pinnée. 

Pistou  Organe  femelle  de  la  fleur  qui  sunnonte  le  germe ,  ei 
par  lequel  celui-ci  reçoit  l'iotromission  fécondante  de  la  pous- 
sière des  aoth^pes  :  le  pintil  se  prolonge  ordinairement  par  un 
ou  plusieurs  styles  j  quelquefois  aussi  il  est}  couronné 'immédia- 
tement par  un  ou  plusieurs  stigmates,  sans  aucun  style  intdr- 
médiaire.  Le  stigmate  reçoit  la  poussière  prolifique  du  sommel 
des  étamiaes  ret  k  transmet  par  le  pistil  dans  l'intëiieur  du 
germe,  pour  féconder  l'ovaire.  Suivant  le  système  sexuel,  la  fé- 
condation des  plantes  ne  peut  s'opérer  que  par  le  concours  doi 
deux  sexes  ;  et  l'acte  de^  la  fructification  n^est  plus  que  celui  ds 
la  génération.  Les  filets  des  ëtamines  sont  les  vaisseaux  sperma-: 
tiques,  les  anthères  sont  les  testicules ,  la  poutuière  qu'elles  ré- 
pandent est  la  liqueur  sâninale ,  le  stigmate  devient  la  vulve ,  Is 
style  est  la  trompe  ou  le  vagin ,  et  le  gtnne  fait  l'office  d'ntéru» 
ou  de  matrice. 

*  PiyoTASTE.  Racine  qui  a  on  tronc  priodpal  enfonoë  pas* 
^sndicnlairement  dans  la  tens. 


5i8  WH 

•Ifeft  sont  immédiAeiBeot  attacbéo.  M.  lianam  a  afait  fR« 
ce  D«iB  de  Ploemla, «l  emploie UMijoanAlui^rJorpudtCa 
Mots  rendent  ponrlHl  det  iddcB  ftnt  difl^TWies.  Un»;bi 
est  U  partie  par  où  le  fruit  dent  à  U  plmit  :  k  pkenu  f  si  h 
pettîepMroù  lesermnioet  t»iieiitrapénoKpe.tt««mi^ 
fttand  lee  um^pa»  flonc  naei ,  il  ii*j«poi&id'aiitR  pfanaa 
b  réoeptade;  mus  telce  les  km  qw»  lo  fivt  est  afi^aK, 
W  réceptacle  et  le  plseeate  «mt  difluwe. 

Les  cJoÎMMis  (diasepmcHta)  de  tontes  les  oipaDlu  ï  piisn 
loges  eoDt  de  véritables  pbeentas,  «t  dans  des  capnlBi«to 
il  ne  laisse  pas  d'y  avoir  sowent  dos  plaosMa  aMAfs^FÎ 
licarpe. 

VhJomL  Ptodniction  v^iétale  compoeëe  de  deux  pertv^ 
cipalesy  sarob ,  la  racine  par  laquelle  elle  est  attadiée  1  ke« 
ou  a'<ttn  antre  corps  dont  e8e  tire  sa  nourrilure,  et  rMc^ 
hK{neUf  die  inspire  et  respire  l'ëlémeiit  dam  kqndciievâ  > 
bous  les  v^étaux  connus,  la  tnA  est  pRSi|ns  k  aeiil^« 
puisse  dire  n*êiR  pas  phnte. 

Plastes.  Végétaux  dissâninés  sur  b  snriacr  de  U  Mff.p^ 
b  vêtir  et  b^parer.  Iln'j  a  pohit  d'aspeet  aussi  tnStt^«^ 
de  la  t  ire  nue  ;  il  n^  en  a  point  d  aussi  riast  qar  eefai  ^** 
tagnes  conronnées  d'arfafees ,  des  rivières  iMidécs  de  haoff^  ds 
^^aines  tapissées  de  verdme,  et  des  vairons  émMBêi  dr  Aon 

On  ne  peut  disconveDir  que  les  plantes  ne  seiot  es  (W 
oi^anlsés  et  vivons,  qui  se  nourrissent  et  uuiaseï  par  îmm^ 
ceptioD ,  et  dont  chaîne  partie  possède  en  eUe^-BêaseaBeviù 
isolée  et  indépendante  des  antres,  pnis'.|tt*elles  ont  b  6ca}»  < 
se  reproduire  (♦). 

Poils  ou  Som.  FUets  phts  ou  moins  solides  et  tamn  ^ 
naissent  sur  certaines  parties  des  pbntes  ;  ib  sont  carrii  «^T 


t*')<Sct  artîds  ne  parait  pas  aefaevé ,  ocm  pfcos  qm  ls«r^ 
d^autres,  quoiqu'on  ait  rassemblé  dans  les  troU  pan^nf^^ 
dsBsnSy  qui  eompownt  celuî-d,  tsoisjwisvttmi  de  ïasiiVi*' 
s«r  autant  Je  diilTciis.  (NoU  des  Èiàgun  Jk  G^nm,) 


^ 


pot  tî^g 

findriqu»*  droits  ou  couchés,  fourdbés  oo  simples  ^  subulés  oa 
ea  hanieçoos;  et  ces  dÎTene»  figures  sont  des  caractères  aasec 
CMistans  poiur  pcuToir  servir  k  classer  ces  plantes.  Yoye*  l'ou- 
▼ragr  de  M.  Gnettard ,  intitulé  :  Ohservatioiu  sur  Ub  planies, 

*  Poufs.  (  Yoyes  Poussiias.  > 

PoiteAsaE.  Phiralité  d'iialntation.  Une  dasae  de  pUmteS 
porte  le  nom  de  pol}  garnie ,  et  renfenne  toutes  celles  qui  ont  des 
fleurs  licrmapliTodites  sur  un  pied ,  et  des  fleurs  d'un  seul  sexe« 
nUles  ou  femelles  y  sur  tin  autre  pied. 

O  mot  de  pol)  garnie  s'applique  encore  h  plusieurs  ordre*  de 
la  classe  des  fleurs  composées  ;  et  alors  on  y  attache  une  idée  un 
peu  diflcrentc. 

Les  fleurs  composées  penvent  toutes  être  regardées  comme 
poly.';sDics ,  puisqu'elles  renfnrmeQt  toutes  plusieurs  fleurons  qui 
fructifient  séparcmenl,  et  qui  par  conséquent  ont  chacun  sa 
propre  habitation,  et  pour  ainsi  dire  sa  propre  lignée.  Toutes 
ces  htabilations  séparées  se  roujoig.ieut  de  différentes  manièreSi 
et  pctr  Vk  forment  plu  «ieurs  sortes  de  combinaisons. 

Qunnd  tous  1  s  fleurons  d'une  fleur  c^typoriSe  sunl  hemia> 
pbrodifes,  l'ordre  qu'ils  forment  porte  le  nom  de  polygamie 
é^;a»c. 

Çuand  tous  c?s  fleurons  compo':an^  ne  sont  pas  hcrmaj^iro* 
dites,  ils  forment  entre  eux,  pour  ainsi  dire,  une  polygamie 
bâtarde ,  et  cela  de  plusieurs  façons. 

i<*.  Polytjamie  superflue^  lorsque  les  fleurons  du  disque  étant 
tous  hermaphrodites  fructifient ,  et  que  les  fleurons  du  contour 
étant  femelles  fiuctifient  aussi. 

a**.  Polygamie  inutile,  quand  les  fleurons  du  disque  étant 
hermaphrodites  fiuctifient,  et  que  ceux  ducontour  sont  neutrea 
et  ne  fhiaifient  point. 

3*.  Polygamie  nécessair«,quand  les  fleurons  du  disque  étant 
ifi&les,  et  ceux  du  contour  étant  femelles,  ils  ont  besoin  les  usa 
dbes  auties  pour  fructifier. 

4®.  Polygamie  aéparée,  lorsque  U»  fleurons  composai»  «Mf 
divisés  entre  eux ,  soit  k  un ,  soit  plusieurs  ensemble ,  par  «afinic 
de  calices  partiels  veoftinés  daoa  celui  de  ioule  la  fleur. 


On  poaiTÛt  imftgiiier  encore  de  ooavcDei 
vnpposut ,  par  rxempfe ,  des  fleurons  mâles  a« 
fleorons  beanaphrodites  on  femeUes  aa  diaqiic; 
rive  point 

*  PoLTfFEBMB.  Renfbnnaiit  phisiean  graîoeL 

PorsBifeBB  nounQux.  C'est  une  moîticiide  de  peûsOT 
•pkmqnes  enfinmés  dans  chaque  anth^iv ,  et  qui,  knsfae»^ 
ci  s*oum  et  les  Teise  dans  lestî^pociate,  s'oo'VTentàksKr 
imbibent  œ  même  stigmate  d*ane  bumrar  qui,  pénànot  j3»> 
.veis  ie  pistil,  ts  féconder  Tembryon  du  Irait. 

**  PrOLiFims.Du  disque  de  laquelle  naiaeent  niieoop»'* 
fleurs.  Si  c*est  unlramean  feuillu,  la  fkitr  est  Su.  fr9midmi.i 

pKOVnr.  Braocbe  de  TÎgne  coocLée  et  coadt*c  ca  ttr-  '. 
pousse  des  cLevelus  par  les  nœuds  qui  se  trouTent  cmer?^ 
â>upe  ensuite  le  bois  qui  deut  au  œp,  et  le  bout  agy^  ;• 
sort  de  terre  derioat  un  nouveau  cep. 

*  PUBESCEUCE.  Existence  de  poils. 

PciPi.  Substance  moUe  et  chamne  de  plusîenn  ùti  «  ' 


B-ACiVE.  Pattie  de  la  plante  par  laquelle  eQe  tient  i  la  :  -* 
ou  an  ooips  qui  la  nourrit.  Les  plantes  ainsi  aftarh>Vs  |àj 
raciDe  k  leur  matrice  ne  peuvent  aToir  de  nkouTemeiA  k»*  . 
sentiment  Irur  sffait  inutile,  puisqu'elle  ne  pruTcm  cbi:r^ 
ce  qui  leur  convient,  ni  fuir  ce  qui  leur  nuit  :  or  la  iianct  - 
fait  rien  en  vain. 

Radicales.  Se  dit  des  feuilles  qui  sont  ks  phts  près  ^ 
racine.  Ce  mot  s'étend  aussi  aiu  tiges  dans  le  méoie  neas. 

Radicule.  Racine  naissaote. 

Radiée.  (  Voje*  Flecr.) 

RicEPTACLE.  Celle  des  parties  de  li  fleur  et  dvi  fiuh  qs  ^ 
de  siège  à  toutes  les  antres,  et  par  ou  leur  sont  tnfBOSB  é  « 
plante  les  sucs  nutritifi  qu'elles  en  doirent  tirer. 

Il  se  divise  le  plus  généralement  en  réeeptneie  pf«^.  ' 
ne  soutient  qu'une  seule  fleur  et  on  seul  fimit,  et  ^ui  fm  c- 
idquent  n'appartient  qu'aux  plus  simples,  ec  •■ 
muauDi  qui  porte  cnreçoii  pHuiewi  fleuri. 


SEM  5'AX 

QoBiiH  ta  fleur  est  infôre,  c'est  le  même  rëoeptacle  qui  porte 
toute  la  fructificatico.  Mais  quand  la  fleur  est  supère ,  le  rt^ccp- 
tacle  propre  est  double  ;  et  celui  qui  porte  la  fleur  n'est  pas  le 
même  que  celui  qui  porte  le  fruit.  Ceci  s'entend  de  la  consiruc- 
lion  la  plus  commune  ;  mais  on  peut  propos. r  k  ce  sujet  le  pxo- 
blême  suivant,  dans  la  solution  duquel  la  nature  a  mis  une  de 
•es  plus  iogénieuses  inventions. 

Quand  la  fleur  est  sur  le  mût ,  comment  se  peut-il  faire  que 
la  fleur  et  le  fruit  n'aient  cependant  qu'un  seul  et  même  rcccp< 
tacle? 

Le  réceptacle  commun  n'appartient  proprement  qu'aux  fleurs 
composées,  dosit  il  porte  st  unit  lous  Us  fleurons  en  une  fleur 
régulière  ;  en  sorte  qife  le  retranchement  de  quelqucs-UQs  cau- 
serait l'irrégularité  de  tous;  mais,  outre  les  fleurs  agrégées  dont 
on  peut  dire  à  peu  pxès  la  même  chose,  il  y  a  d'autres  sortes  de 
réci  pia  les  communs  qui  mérita  nt  encore  le  même  nom,  comme 
ajant  le  même  usage  :  tels  sont  Vombclle,  Tépt ,  la  paniculej  tt^ 
thyr$e,  la  cyme,  le  spadix,  dont  on  trouvera  les  artid.s  chacun 
à  sa  place. 

*  Recomposée.  Feuilles  composées  deux  fois:  elles  ont,  x^ un 
pétiole  commun;  a**  des  pétioles  immédiats;  3^  des  pétioka 
propres. 

RKcrLiÈnEs  (Flonrs).  "Elles  sont  symétriques  dans  toutes  les 
pirties,  comme  les  c/'uci/erej,  les  h'/iace'es,  etc. 
RÉNiton^iE.  De  la  figure  d'un  reia. 

^  R^snES.  Excrétions  épaisses,  visqueuses,  inflaromaLbs» 
qui  suintent  par  des  filtres  destinés  à  cet  usage.  Les  gommes  ne 
iont  pas  susceptibles  de  s'enflammer. 

*  RsTicuLi.  Marqué  de  nervures  en  réseau. 
RosAcm  Polypétale  régulière  comme  est  hi  rose. 
Rosette.  Fleur  en  n>5ette  est  une  fleur  monopétalc  dont  U 

tube  est  nul  ou  très-court ,  et  ks  limbe  très-aplaû. 

*  Saoitté.  En  fer  de  flèche. 

*  Saxatilb.  Qui  croit  sur  les  pierres  à  nu. 

Seiiz9C£.  Germe  ou  rudiment  simple  d'une  nouvelle  pla  tt« 
tfni  à  un«  fubstanoe  propre  à  sa  conservation  avant  qp*eUt 

44. 


fenue,  et  qui  la  itourrit  dartnt  U  ptcmiïre  f/Bsmaséea  jsr/t 
OB  qu'cUe  puisse  tirer  ton  aliment  immpitiiaicicqn  de  li  tct 

ScsuLZ.  Cet  adjectif  niaise  privatkm  de  réc^tack  u  £■ 
di<iue  que  la  ieuilk,  la  fleur  ou  le  frait  «œn|Dcls  oo  ï*^y 
tiennent  immédiatement  à  la  plante,  sans  reatRoàse  iscz 
pétiole  ou  pédicule. 

*  Skvz.  Liqueur  Umpide,  sans  conleBr*  lani  rnnsr.  a 
odeur ,  qui  ne  sert  qu*à  rarcroïseeKoit  du  vé^^iîtaL 

Sriz.  Ce  mot  a  ébé  éteadu  an  F&gne  Testai,  et  y  mèrr: 
iamilicr  depuis  rétabUssement  du  sj^ènse  aexucL 

SiLiQUE.  Fruit  composé  de  deux  pannemux  reteoss  p  à.- 
sutures  longitudinales  aux^cUes  les  gtatn'!»  soot  ai&db^  ^ 
di-ux  côtrs. 

1m  sitique  est  ordiiaîrement  Inloculaire ,  et  porea^  p*: 
cloison  à  laquelle  e«t  altadiée  une  partie  d-s  grain -s.  Cry-' 
C3ltt'  cloison  ne  lui  étant  pis  essentielle  ne  doit  pas  esr*  >' 
SI  définition,  comme  on  peut  le  rotr  dmxs*  le  cl.ioae.«:<.- J 
c^lflidoine,  etc. 

*■  Sisui.  Qui  a  on  sinus  ou  nne  ëdiaccrure  arraB£e. 

Soirs.  (  Voye*  Poils.) 

l^oarAinE.  Une  (leur  Folit^ire  est  seul*  svr  son  pé«&  s> 

5ous-AiiBBissEAii.  Plante  ligneuse ,  ou  petit  hnissoa  r  -  i 
que  l'arl  risscan ,  n  ah  qui  ne  pousse  point  en  autcanne  «i'   i 
tons  à  fleiU'S  ou  ù  fruits  :  tels  ront  le  thym  ,  le  roj«arÙ8.  ', 
seiVlîcr,  les  bruyères,  etc. 

Spaoix  y  ou  RÉci^fK.  C'est  le  rameau  floral  d^ns  b  ^n 
des  palmiers  ;  21  est  le  ttw  réceptsde  de  la  ! 
d'un  spathc  qui  lui  sert  de  voile. 

Spaths.  Sorte  de  calice  membranenr  qui 
aux  fleurs  avant  kar  ^noaissemeui,  et 
O'iTrir  le  passage  aux  appPoc!:at  de  la  Cfeondatioa. 

I^  spathc  est  cnraetënatiqiie  dans  la  & 
dans  celle  des  liliacécs. 

SpxnALE.  Ligne  qui  fiât  plosieurs 
.  ifcutiv ,  #11  m  ft'cn  apprachaiiU 

*.6TirHiXBVS.  Dont  kl  ctawaai  toal  tr^ 


SYM  523 

9n»iftàTB.  Smunet  du  pistil ,  qui  sliamecte  «a  nanrat  ds 
la  fêcoodation  f  pour  que  la  poussière  prolifique  s' j  attache. 

Stifvle.  Sorte  de  foliole  ou  d'écaillés,  qui  naît  h  la  baie  du 
pédole,  du  pédicule ,  ou  de  la  branche.  Les  stipules  sont  ordi* 
ttaûeiMot  extérieures  a  la  partie  qu'elles  aecompaçoent ,  et  leur 
•ervent  en  quelque  manière  de  console  :  nais  quelqiicfws  aussi 
eDet  naissent  k  côté,  Ti»-li-Tis,  ou  au-dedana  même  àù  f angla 
d'insertion. 

M.  Adatton  dit  qu'il  n'y  a  de  tî aies  stipules  que  ceUes  qui 
Aont  attachées  aux  tiges,  comme  dans  les  air^es,  ks  apoeiiis. 
Us  iujobtefff ,  les  tityaafes,  les  cbàtaif  niera,  les  liMeulsi  les 
nauves^  les  cAprien  :  elles  tienBent  lieu  de  feuilles  4ans  lea 
plantes  qui  ne  les  ont  pas  verticillëes.  Dans  les  plantes  liigunii- 
neuses  la  siliuation  des  stipules  varit.  Les  rosiers  «'en  ont  pas 
de  vraies,  mais  seulement  un  prolongement  ou  appendice  da 
fisuille,  ou  une  extension  du  pétiole.  H  y  m  aussi  des  stipules 
membraneuses  comme  dans  l'o^aigoutte. 

*  SvoLoviriiUE.  Dont  la  tige  pousse  du  pied  comme  de  petites 
figes  latérales,  ^sêks  et  stérilesj 

Style.  Partie  du  pistil  qui  tient  le  stigmate  ëleré  au-dessu« 
du  germe. 

*  SiBULi^.  Fn  alêne. 

Suc  tfounniasn.  Partie  de  la  sève  qui  est  propre  &  nountr  la 
]~  bnte. 

Snpf  AE.  (  Voyet  InrtnE.  ) 

Sui>por.Ts.  Fula-a.  Dix  espèces,  saToôr,  la  stipule,  ta  bractée, 
la  vriile,  l'épine,  l'aiguillon,  le  pédicule  «  le  pétiole,  la  hampe, 
la  glande ,  et  1  ecaîtle. 

Slugeosi,  Swculus,  ITom  donné  aux  jeunes  brandies  de 
rœiilct ,  etc. ,  auxquelles  on  fait  prendre  racine  en  les  buttant 
en  tene  lorsqu'elles  .tiennent  encore  il  la  tige  :  cette  opéraûoa 
est  une  espèce  de  Marcotte. 

*  SruvixAtiquEa,  Étamin^  qui  réunissent  les  pétales  àm 
manière  il  donner  il  une  corolle  polypéftale  lappaiencs  df  \m 
nonopétal^té.  (  Les  malYaoées.  ) 


.  % 


5a4  ^* 

Stvobtiiii.  Concordance  de  divers  Bom  èaeak  pv  ât- 
cens  auteurs  aux  mdmea  plantes. 

La  synonymie  n*eat  point  une  ëtude  oiseuv  d  imâc 

Taloh.  Oreillette  qui  se  tnmye  à  la  base  des  ksaSa  i^m- 
gars.  Cest  aussi  Tendroit  où  tient  rcnlieton  qo  os  dosk  *  4 
pied  d*anichaut ,  et  cet  endroit  a  un  peu  de  rseiae. 

TfeKMniAi..  Flenr  tenmnak  est  celle  qarneat  aa  «bb^  ir 
U  tige  ou  d'nne  branche. 

Tebséz.  Une  fienille  temëe  esc  composée  de  txwf  Mtfbs  ifi- 
chées  au  même  pétiole. 

TÊTK.  Fleur  en  tète  ou  capitée  est  une  fleur  agrégs  n  >« 
posée, 'dont  les  flenroos  sont  disposés  spbâcK|neBm « 2 m 
pris. 

Tétvsb.  £pi  rameux  et  cjliadrîqne  :  ce  terne  a'et  sfi* 
trèmement  nsitë,  parce  que  le»  exnnples  n'en  sons  pu  ^  "* 

(TroE.  Tronc  de  la  plante  d'où  sortent  toutes  lesntm?- 
ties  qui  sont  bon  de  tenne  ;  elle  a  du  lappmt  avec  h  ete  a  * 
que  celle-ci  est  quelquefois  unique,  et  se  ramiiie  ooaS'  '-' 
par  exemple ,  dans  la  fougère  :  elle  s'en  distii^ae  akk  '-  ' 
qu'unifbnne  déns  son  contour  elle  n*a  ni  Ëire,  ai  des.::^* 
déterminés ,  au  lieu  que  tout  cela  se  trouve  daus  U  rôtt. 

Plusieurs  plantes  n'ont  point  de  tige,  d'aunes  n'est  ^1: - 
lige  nue  et  sans  feuilles,  qui  pour  cela  disn^  de  noc  \  •  1 
Kaufe.) 

La  tige  se  ramifie  en  brancbes  de  diflërcntes  so^iiéres. 

ToQrE.  Figure  de  bonoet  cylindrique  avec  nae  nirtf  " 
levée  en  forme  de  chapeau.  Le  fruit  du  palîuxus  a  la  ixai,  v  J 
toque. 

TnACEB.  Courir  horizontalement  entre  deux  tares,  or ''i 
fait  le  chiendent.  Ainsi  te  mot  tracer  ne  convient  qn'HU  nri  - 
Quand  on  dit  donc  que  le  mûrier  (race,  on  di:  mal;  L  nr; 
et  c'est  autre  cliose. 

Tbacbées  ues  rLAiTTEs.  Sout/selou  Ma^igbi,  cnta^  *-' 
seaux  formés  par  les  contours  spiraux  d'une  lame  miarr.  j 
01 'assez  large,  qui  se  roulant  et  contournant  ainsi  es  tr 
bourre,  (bime  un  tuyau  étranglé,  et  omnow  dirisé  tm»'^ 
gneur  en  phisiean  cellules ,  etc. 


TkaIïhamk  ou  Tr.Ai!<^:E.  Longs  fikts  qui ,  dans  eertaines  plan- 
tes ,  rampent  sur  la  terrp ,  et  qui ,  d'espace  en  espace  »  ont  de* 
•rticiilDtions  par  lesquelles  elles  jettent  en  terre  des  radicules 
qui  produisent  de  nouvrlles  plantes. 

*  TiîEfLiE.  Feuille  composée  de  trois  folioles, 

*  TuLTFE.  Genre  de  plantes  qui  naissent ,  vivent ,  se  rrpro- 
'duis^nt  et  nr-eiirent  sous  terre.  Quelques  botanistes  voudraient 
qu*on  fît  de  ce  mot  le  substantif  de  ce  qu'on  appelle  racine  tu- 
bèreuse* 

*  TcBi  BCiLE.  ExcroUsancc  en  forme  de  bosse  ou  de  grains 
Hc  cbrpelcts  qa'on  trou  Te  sur  les  feuilles,  les  tiges  et  lis  racinrs. 

*  TuBÉREUss.  Bacine  manifestement  renilce  et  plus  ou  moins 


c!ianiue. 


TuKtQrEs.  Ce  sont  les  peaux  ou  enveloppes  conccntrîc^ues 
des  ogrons. 

*  TcnioH.  Bourgeon  radic:d  des  pla&tes  viraces.  L*aspcrg« 
qu:  l'on  mange  est  le  turion  de  la  plaote. 

*  Uliciheux.  Marécageux ,  spongieux. 

*  UncéoLÉ.  Renflé  comme  une  petite  outm. 

*  VnvK  ou  PvxiDrLE.  Petite  capsule  des  moussrs. 

*  Vai  V£.  Segment  d'un  péricarpe  déliiscent. 

*  Vabiété.  Plante  qui  ne  diûh-e  de  î  :*cpèc6  que  par  cer- 
taines notes  variables. 

VÉGixAL.  Corps  organisé ,  doué  de  vie  ei  prive  de  senti* 
ment. 

On  ne  me  passera  pas  celte  définition ,  je  le  sais.  On  Tcut  qne 
l«8  mirër»ux  vivent,  que  les  végt^iaux  sentent,  et  qne  la  ma- 
tière même  informe  soit  douée  de  s?ntiment.  Quoi  qu'il  eo  soit 
de  cette  nouvelle  physique,  j  imais  je  n'ai  pu ,  je  ne  pourrai  ja> 
mais  parler  d'après  les  idées  d'autrui,  quand  ces  idées  ne  sont 
pas  les  niiennei.  J  ai  souvent  vu  mort  un  arbre  que  je  voyais 
•upai avant  plein  de  vie  ;  maij  la  mort  d'une  pierre  est  une  idée 
qui  ne  saurait  m'entrer  dan$  l'esprit.  Je  vois  un  sentiment  ex- 
quis dans  mon  cliien,  mais  je  n'en  aperçois  aucun  dans  uocLou. 
Les  paradoxes  de  Jean-Jacnjues  sont  fort  oëlébies.  J'ose  deman< 
^  s'il  en  avança  jamaia  d'«aasi  (bu  que  oelui  que  j'aurais  4 


SiG  VIT 

cotabattre  h  l'enfr»»  ià  cbus  celte  lËKiiBioB,  et  qui  pemani 
ne  c^'or^ue  personne.  Mail  je  m'arrête ,  et  itnue  <iiai  umn 

Puisque  les  végétaux  naissant  et  ▼ÎTcnt,  ik  sed^tiùmlrt 
nieareiit  ;  c'est  ]*îrrcrocabIe  loi  k  lacprllc  toat  cDipt  tM  ^xxl\s 
par  conscqnent  Us  se  reproduisent  ;  nuU  ronniient  m  fùi  ttt* 
reproduction?  En  tout  ce  qui  est  soumis k  Dossensddoslcrcpe 
•x  ?^clal ,  nou?  la  voyrns  se  (aire  ppT  1 1  voie  d«  la  fractificaîwi . 
rt  l'on  peut  pfésumf  r  que  cette  loi  de  la  natnrf  est  égatee»! 
suivie  dans  les  parties  du  même  lé  ;ne  dont  l'orgamsatioa  tcLafpe 
à  nos  ymx.  Je  ne  vnis  ni  fleurs  ni  fruits  dans  In  l^tnu.és» 
les  eonfèrva^  dans  les  intffet;  mais  je  vois  ces  xé^jkmx  m  per- 
p:^uer ,  et  raDalo!;ie  sur  laqnell**  je  me  Ibn^SepoarlcsrianLtter 
L's  mêmes  moyens  qu'aux  autre  >  de  tendre  à  U  mtme  b.  mit 
anato'pe,  dis- je ,  me  patahsi  nlre,  qtie  je  ne  pnishipfEVT 
mon  assentiment. 

II  est  vrai  qon  la  piupait  des  pUntet  ont  dauittt  wni'm 
da  se  reproduire ,  comme  par  csicux,  parbontiiivs.}Hr<lr«roai 
rnricinés.  Mais  ces  mojeos  aont  biîen  plutôt  drs  sapplrcirv 
que  des  priiicipea  d*în9tîtali<»i;  ils  ne  sont  point  coanaass^ 
toutes  ;  il  n'y  a  que  la  finictifiratioD  qui  le  soit,  et  qui.  ne  m»'- 
frant  aurnne  exception  dans  celles  qui  nous  soat  liai  conn^. 
n'en  lac^se  point  supposer  dans  les  autres  subsuucei  Tctu^i 
qui  le  sont  moins. 

VET.C.  Suiface  tapissée  de  poi1$. 

Verticillk.  Attache  circulaire  sur  le  même  plan  »  et  es  oo» 
hte  de  plus  de  deux  autour  d'un  axe  commun. 

VivACB.  Qui  vit  plusieun  années  ;  ks  arbres,  k«srf»>«W» 
Jes  sous>arbiisseaux,  sont  tous  vÎTsces.  Plusieurs  ke^  «^ 
le  sont,  maia^ulemeni  par  leurs  racines.  Ainsi  le  chènefcauc 
et  \c  houblon ,  tous  deux  TÎvaœs ,  le  sont  difieremneot  :  le  p>^ 
mier  conserve  pendant  l'iiiver  ses  tig»,  en  sorte  qu'eU»  m*"- 
geonnent  et  fleuiisseul  le  printemps  suivant;  maif  k  itnhm 
p"rd  les  siennes  à  la  fin  de  chaque  automne^et  recttnnflW*** 
«ours  chaque  tLiméo  à  en  pousser  de  son  pied  de  aouvcUsk 

Les  plantes  transposcées  hors  de  kur  dimataseti 
^arior  aux  cet  article.  Plusieim  planM  TÎraoes  daw  l^P*?* 


«hauîds  de>?i€niieBt  pami  non»  amu&eHefs',  et  ee  Q*eal>pas  laaoalo 
«Itération  qu'eDes  sabiuent  iaos  no»  jaadtas. 

De  iMte  «pit  la  bctuii^ue  exaùjae  éludiét  «a  Enuaçm 
donne  aosvcDC  de  bien  lÎMHaet  observationa, 

*  VoLTE.  Enveloppe  radicale  de  toutes  kt  eapèces  de  chani* 
pignons. 

VrOlzs  ou  MAi!t9.  Esp^e  defiets  qui  ttnnineni  irs  brancTiee 
dans  certaines  plantes,  et  leur  fournissent  tes  moyens  de  s*etta> 
ci)  r  â  d'autres  eorps.  Les  rrîllcs  son;  sîmplrs  ou  rameuses;  eHea 
prennent ,  étant  libres,  toutes  sortej  de  directions,  et  lorsrpi'elle^ 
s'accroc)i(  nt  A  un  corps  étranger,  ellee  Tcnibrasscat  en  spirale. 

VuLGAine.  On  désigne  ordinairement  ainsi  l'esp<Vii  principale 
de  cliaque  genre  la  plus  anciennement  ci^nnue  dont  il  a  tiré  sou 
nom,  et  qu'on  regunlait  d'abord  comme  une  es])<H:e  unique. 

UnsF.  Boîte  ou  capsule  remplie  de  poussièie,  que  portent  la 
plupart  des  mousses  en  ileur.  La  construction  la  plus  commune 
(le  cts  urnes  est  d'être  élevées  au-dessus  de  la  plaute  pi<r  un  pé- 
di(  ulc  plus  ou  nio'ns  !on^  ;  de  portir  à  leur  sommet  une  espèce 
de  coifFc  ou  de  capuchon  pointu  qui  les  cou\re,  adhcrent  d  a- 
l>ord  À  lurne,  mais  qui  s'en  détache  ensuite,  et  ton.be  lors- 
qu'elle e^t  prHe  à  s'ouvrir,  de  s'ouvrir  ensuite  uu:x  deux  tiirsdo 
leur  hauteur,  comme  une  boite  h  savonnette,  par  un  couvercle 
qui  s'en  dctache  et  tombe  A  son  toiu*  après  la  chute  de  la  colSè  : 
d'être  doublement  ciliée  autoiu*  de  sa  jointure,  afin  que  l'humi- 
dité ne  puisse  pénétrer  dans  l'iiitcrieur  ne  l'urne  tout  qu'iUe  est 
ouverte  ;  cnfl;i ,  de  pencher  et  se  courber  en  en  -  bas  aux  appro- 
ches de  la  matuiité  pour  vefser  à  lene  lu  pou.ssiire  qu  elle  cai- 
tient. 

L'opinion  gés.crale  des  botanistes  sxur  cet  article  est  que  cette 
unie  avec  sou  pédicule  est  une  et  a  ni  ne  dont  le  pédicule  est  la 
flct,  dont  l'uinc  est  l'anthère,  et  dont  b  poudre  qu'elle  contient 
e.  qu'elle  verse  est  la  poussière  féeou Jante  qui  va  fertiliser  la 
([f.MT  femelle  :  en  conajqueiire  de  ce  f)  striée  on  donne  commu- 
nément le  nom  d'anthère  ù  la  c.  psule  dont  nous  parlons.  Cepen- 
dant, comme  la  fructification  des  mousrcs  n'est  pas  jusqu'ici 
parfaitement  connue,  et  qu'il  n'est  pas  d'une  certitude  invinci' 
ble  que  l'antI1^re  dent  nous  parlons  soit  véiitablement  une  ai^ 


Sao  vTÊi 

thère,  je  erob  qu'en  atiaiâaiii  me  plot  pank  énkut.m 
ut  presser  d'adopter  on  Don  si  dédeif ,  qve  àtjkm^mès  i 
mièRt  pottTTwent  foicer  ensiiite  d^abandoaDcr,  il  wt  s.^ 
couserver  celai  d'urne  donné  par  TaiUaat ,  et  ^.  ^v^«ir  i 
tème  qu'on  adopte ,  peut  subsister  san»  iaoofivéaieat. 

Utbicules.  £ortes  de  petites  outres  peroéespa-kidenyt 
et  conuDumjpiaBt  successÎTaneut  de  ToDe  i  laafet  pr  î! 
ouvertures,  comme  les  aludels  d'un  aUnnliir.  CeiTÛicac  h 
ordinairement  pleins  de  sère.  lis  occupent  Va  tBfwn  «anJ 
«uTertes  qui  te  trouTcnt  entre  les  films  loaçtofiMbc 
boîa« 


tcnàtaoÊ  M  ao* 


■         ■  '  '  * 


TABLE  DES  PIÈCES 

GONTENUBS  DAl^S  CE  YOLIJMB. 

f . 

PROJET  pour  TÀhieMioB  de  M.  de  Samtê^Bfine. .' .  Pttgt       '5 

RÉPONSE  an  BféBX>ire  anonîme  intitoW,  Sx  lx  mohdb 

<^B  nous  HABiToas  m  vue  s^Hiu 3s' 

MEMOIRE  &  moDse^neur  le  goQTemear  de  Savoie 4^ 

MÉMOIRE  temia  à  Bl  Bondet 5o 

NOTES  en  réihutioo  du  Livre  de  VEsprii,  d*Helvétiiia .  .  56 

LE  PERSIFLEUR , 71 

LA  REINE  FANTASQUE,  eaou. ;  « .  ..  8a 

TRADUCTION  «tn  piemier  Livre  de  THisTOnB  m  Tacite.  1 65 
XRADUCllON  DE  L'APOGOLOKITOSIS  de  SénèqUe, 

•  sur  la  mort  de  rcmpereor  Claude. «.  x86 

TRADUCTION  DE  L'ODE  DF  JEAN  PUTHOD,  Mir  la 
.  mariage  de  Cbarles-Emmanuel,  loi  de  Sardaigne,  et: 

,  d'Elisabeth  de  Lorraine  .•........•.•••••..'•••  207 

OLINDE  ET  SOPHRONIE.  ...  ^  .........  ^ «i4 

LE  LÉVITE  D'ÉPHRAIM .^.  :  .  aiQ 

Tbaït  pbemizb ,• V.  îbid, 

' C11AST SECOND. .: . .-. , , a35 

••  Cbajit  TBoisiiMB. .;....; •  241 

USVmSS  A.SARA. . . , , ' «55 

.  LkTTBE  PREfUtlX. «..♦■. •  .  .  .     iS^ 

. •  Lettiib  n '. ,, ,  aS? 

I ....  ' 

.^Lettre  ÎV /*.-•.?   ?^^ 

VpJ^WÀ,............,...../..,,.^^^^ 

MiUa^i,  4  ' 


V  k 


ÈptTU  A  M.  BdiDU ^  H 

Êpins  ▲  IL  f  ArtUt > *X 

Értm  A  BL  DK  l  Étasg k 

FmAGMEBr  d*aM  £pitie  à  M»  B«nki  »  .i  « « . .  >  «.' 

buTATiov  LiBBE  d'ane  Cbamoa  iflieimt  de  Miiiai   > 

L'Allée  de  Stlyis.  ..••«••••» w 

ËmoMB J- 

"  VlMLAf  A  MA^AMUit  fctfiOWK  «â  WJBIII  % .%  . .   .  «t 
T'M  pour  madiie  dk  FicnuEii»  ••  ••«••«...... i 

Vem  à  madfmoûeUie  Tmmmmui.  •««'.•••••-•«.•  ^ 

ËnrAVBE  de  d.iui  tmans  <pil  m  sont  cnéi  à  Sô»- 

ÉtMDoe  en  Foret ,  au  mois  ie  jain  i  ^^o '» 

ajoutées  au  Siicil  pastokal  ,  tÂjtt  9 


Bou^VBT  d'oa  CB&Bt  à  m  nèrei 

tHscBvnoH  BÎM  m  baftd'MÉ  ^«rwail  ds  twêéiÊk  t. 


j(^AnAtf  lt.aHidmn  Ddhé.  • 


>••*«••««»«*•• 


t» 


ÇuAx»AHi.p»uruadt«Mportniii»«  t 

iMtrbs êlémeutairs^  cent  ia  wmAsWfn.^  ' 

lisnài  F^  Atfttditte  Del  ètOIL  •%..«.«« 

ëmxtwM,  Ul •••. 

-;  IxTniE.iy .  ....«....« • I 

i^RTu  y. . .  * •  4 I 

Uettbc  \1 ......> 

;  LcrTBEyiLSur lesariyceifruitLn «... 

'^.BRU  Vin.  SW  Wi  beriiicn. . * 

|[^m»F*M  A  M>  dt  mcAeiiiM* . . .  ^  t .  «  * "^ 

tcTxa&IL  Sur.ka  mounoi ;»« ^ 

IkrtmrF*.  A  uMam  h*d«)iâiie  df  FMtlâitil .  ...    1 

'^ILkTtn:  H.  .•....•.•.•.  .• .1 

^ttmzlXî.'  .•.;.•..-...; * 

IfeTtftrlT ...;.;......... '^ 

1At?»V.-.-.-. w. .  .'^.•.•.•.  .♦..♦..  .• * 

VI  ,•  «• ,'  ,•  .♦ ,'  ,••.•  .•.,•.•,,•,',•,••,.,,......     "^ 

FII.....w,./........■^ - W 


i   * 


Table.  53 i 

T^ITTBI  Tin Page  4 16 

LbttbsIX 418 

LETTmi  X. 4^0 

Ijettrk  XI 4^3 

ÏJBTTtJL  Xn k 4^5 

letthe  xni 4^^ 

LvmiE  XrV 4^9 

Lettbk  XV •  . .  4^0 

Lettie  ▲  M.  su  P&TVOU 43^ 

Lettbe  a.  m.  Liotakd,  berborîste  à  Grenoble 4^^ 

Lettee  l**.  A  M.  de  La  Tourelle,  conseiller  en  U  cour 

des  monnaies  de  Lyon 4^^ 

IJCTTEE  II 4^9 

IMITEE  m ^  .......  .  44^ 

I^TTEE  IV 447 

Lettee  V 449 

Lettee  VI 4^2 

Letthe  vil 4^4 

Lcrrik  VIII 457 

Lettee  IX • 4^1 

Lettee  a  M.  l'abe^  de  Peakovt 4^4 

FRAGMENS  POUR  UN  DICTIOIINAÏRE  ses  teexee 

d'usage  eh  botavique •..;........  4^7 

iHTEODUCnOH  ...«••.... » 4^ 

Feagmess  du  DiCTiOEBAiEB  ovec  des  AriieUs  suppU^ 

mentairu • .......•••  4^* 


»«■  OB  LA  TAttI  ntt  MfalEftM. 


\ 


y 


è