Skip to main content

Full text of "Oeuvres de Molière. Nouv. éd. rev. sur les plus anciennes impressions et augm. des variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots et locutions remarquables, d'un portrait, de facsimilé, etc."

See other formats


:r- 


•CD 


"co 


--^        ;>- 


(10) 


LES 

GRANDS    ÉCRIVAINS 

DE   LA  FRANCE 

NOUVELLES    ÉDITIONS 

pdbli£es  socs  la  dirictioh 

DE  M.  AD.  REGXIER 

Membre  de  l'Institut 


ŒUVRES 


MOLIERE 


TOME    X 


PARIS.  —  IMPRIMERIE    V    LAHURE 
Rue  de  Fleurus,  9 


^t--- 


OEUVRES 

DE 


MOLIÈRE 


NOUVELLE  EDlTlOrs 

REVUE    SUR    LES    PLUS    ANCIENNES    IMPRESSIONS 
ET     AUGMENTÉE 

de  variantes,  de  notices,  de  notes,  d'un  lexique  des  mots  et  locutions  remarquables, 
d'un  portrait,  de  fac-similc,  etc. 

PAR  MM.  imm  DESPOIS  ET  PAUL  >1ES\ARD 


TOME    DIXIEME 


PARIS 

LIBRAIRIE  HACHETTE  ET  0\ 

BOULEVARD     SAINT-G  ERM  A  IK  ,    79 
1889 


y 


ftrV 


mi 

t.w 


NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

S  U  R    M  O  L  I  È  R  E. 


Lk  nom  de  Poquelin  est  celui  que  le  grand  poète  comique 
de  lu  France  a  reçu  de  sa  naissance.  Au  théâtre,  il  en  prit 
un  autre  :  Molikrk  sera  toujours  pour  la  postérité  le  vrai 
uom  de  ce  fils  de  ses  chefs-d'œuvre,  le  seul  qui  ne  la  déso- 
riente pas.  Derrière  Molière  toutefois  Poquelin  n'a  pas  entiè- 
rement disparu,  non  plus  qu'Arouet  derrière  Voltaire. 

C'est  grâce  au  comédien  qui  a  déserté  leur  boutique  héré- 
ditaire, que  les  bons  tapissiers  Poquelin  sont  connus.  Ils  au- 
raient pu  lui  dire,  s'ils  avaient  pai'Ié  la  langue  poétique  de 
la  Fontaine  : 

Nos  noms  unis  percerouL  l'ombre  noire. 

Cette  famille  d'honnêtes  bourgeois,  qui  doit  à  Molière  sa 
petite  place  dans  le  souvenir  du  monde,  a  été  l'objet  de  pa- 
tientes  recherches'. 

On  l'a  trouvée  établie  dès  le  quatorzième  siècle  à  Beau- 
vais,  où  elle  ne  s'éteignit  qu'en  1787.  Vers  la  fin  du  seizième 
siècle,  des  branches  s'en  étaient  détachées,  qui  devinrent 

I.  Voyez  au  lome  I,  p.  lxxiii  des  Œuvres  de  Molière  (édition 
d'Augerj,  Paris,  1819,  la  Gdnéalogie  de  Molière,  dressée  d'après  les 
indications  de  BefTara  :  — Jal,  Diclionnaire  critique  de  biographie  et 
d'histoire  au  nom  Poqcelix  ;  —  et  deux  opuscules  de  31.  E.  Révé- 
rend du  Mesnil,  pu}3liés  à  Paris,  chez  Isidore  Liseux,  187g  :  la  Fa- 
mille de  Molière,  et  les  Aïeux  de  Molière  à  Beain'ais  et  à  Paris, 

'SïoiAr.iiF..    \  1  « 


3  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

parisiennes.  A  l'une  d'elles,  dont  la  vie  fut  un  peu  moins 
longue  que  celle  de  la  tige  demeurée  à  Beauvais,  et  ne  dé- 
passa pas  l'an  i72'3,  appartient  notre  poète. 

Un  Jean  Poquelin,  marchand  et  bourgeois  de  Beauvais, 
qui  fut  échevin  de  sa  ville  en  ij6G  et  en  i!)68,  eut.  entre 
autres  enfants,  un  fils  de  son  premier  mariage,  nommé, 
comme  lui,  Jean,  qui  alla  s'établir  à  Paris,  rue  de  la  Linge- 
rie*, près  du  cimetière  des  Innocents,  Il  y  fut  marchand 
tapissier*.  Sa  boutique  avait  pour  enseigne  l'image  de  Sainte 
Véronique.  Ayant  épouse  le  ii  juillet  ijg^  Agnès  Mazucl. 
fille  et  sœur  de  Violons  du  Roi^,  il  en  eut  dix  enfants.  L'aîné 
de  ces  enfants  (encore  un  Jean  Poquelin),  né  en  i  jqo,  fut  le 
père  de  notre  Molière. 

Ce  Jean  Poquelin,  deuxième  du  nom,  si  l'on  n'a  égard 
qu'aux  Poquelins  de  Paris,  dont  nous  venons  de  parler,  fut, 
comme  son  père,  marchand  tapissier;  il  est  qualifié  tel  dans 
le  contrat  de  son  premier  mariage,  daté  du  11  février  1621. 
Ce  mariage  fut  célébré  le  27  avril  1621*.  La  femme  qu'il 
épousait  était  Marie  Cressé,  fille  d'un  tapissier,  Louis  Cressé, 
ou,  comme  il  signait,  Louis  de  Cressé,  et  de  Marie  Asselin, 
nièce  d'un  tapissier.  Ainsi  l'hérédité  de  cette  profession  dans 
la  famille  Poquelin  était  encore  renforcée  par  les  alliances, 


1.  Voyez,  dans  les  Recherches  sur  Molière,  par  Eud.  Soulié,  le 
contrat  de  mariage  entre  le  père  de  Molière  et  Marie  Cressé, 
P-  127. 

2.  Ibidem.  —  Dans  l'acte  de  baptême  de  3Iolière,  son  petit- 
fils  et  filleul,  il  est  dit  «  porteur  de  grains  ».  C'était  le  titre  d'une 
charge  ou  office,  dont  le  titulaire  faisait  exercer  le  métier  de  por- 
teur par  des  ouvriers  à  ses  gages. 

3.  Ibidem,  p.  128,  et  Dissertation  sur  J.-B.  ' Poquelin-MoUcre, 
par  Beffara  (182 1),  p.  5.  —  On  a  fait  remarquer  (voyez  Molière 
inconnu,  par  Auguste  Baluffe,  Paris,  18S6,  p.  11)  que  cette  aïeule 
maternelle  de  Molière,  Agnès  Mazuel,  morte  seulement  en  i644i 
avait  pu  donner  des  soins  à  l'éducation  de  sou  petit-fils  lorsqu'il 
eut  perdu  ^a  mère.  M.  Baluffe  reconnaît  que  c'est  problématique; 
nous  n'ajouterons  pas  comme  lui  :  «  quoique  probable  ».  Cathe- 
rine Fleurette  était  là  dès  i633.  C'était  à  cette  seconde  mère 
qu'il  appartenait  de  gouverner  l'enfant. 

4.  Voyez  aux  Pièces  justificatives^  u°  i . 


SUR  MOLIERE.  3 

ce  qui  était  très  conforme  aux  mœurs  du  temps.  Molière 
se  trouvait  enfermé  dans  un  cercle  étroit  dont  il  était  in- 
vraisemblable qu'il  sortît  jamais. 

On  s'est  beaucoup  inquiété  de  connaître  exactement  l'em- 
placement, dans  le  vieux  Paris,  de  la  maison  de  ses  parents, 
à  l'époque  où  il  naquit.  Il  y  aurait  peut-être  malséant 
dédain  à  traiter  de  vaine  une  curiosité  que  le  culte  de  lu 
mémoire  des  hommes  illustres  rend  très  naturelle.  Il  est 
seulement  permis  de  dire  que  savoir  3Iolière  né  à  Paris, 
c'est  tenir  l'essentiel.  C'est  pour  nous  autres  Parisiens  un 
honneur  auquel  nous  ne  sommes  pas  indifférents  ;  c'est 
quelque  chose  de  plus  encore  :  il  ne  semble  pas  chimérique 
de  trouver  là  une  explication  de  quelques  traits  saillants  de 
l'esprit  de  notre  poète.  Beaucoup  l'ont  bien  senti,  entre 
autres  un  récent  et  très  acharné  détracteur  de  sa  gloire, 
que  son  parti  pris  d'hostilité  nous  dispensera  générale- 
ment de  citer.  Mais  cette  fois  M.  Louis  Veuillot  doit  être 
entendu  :  «  Molière,  a-t-il  dit^  est  le  premier  en  mérite  des 
écrivains  célèbres  nés  à  Paris.  Après  lui  on  cite  Regnard, 
qui  vint  au  monde  sous  les  piliers  des  halles  ;  Voltaire,  place 
du  Harlay  ;  Beaumarchais,  près  de  la  rue  des  Lombards  ;  Bé- 
ranger,  rue  Montorgueil,  et  enfin  Scribe,  rue  Saint-Denis  : 
tous  aux  environs  des  halles,  tous,  à  différents  degrés,  dans 
la  bourgeoisie  active,  et  tous  dans  la  boutique,  ou  à  peu  près. 
Il  existe  entre  eux  un  air  de  quartier,  un  air  de  famille.  On 
cite  encore,  parmi  les  Parisiens,  Rutebeuf^  et  François  Villon, 
qui  sont  si  bien  de  la  même  lignée.  ■>  Voltaire,  Parisien  «  ou 
à  peu  près^  »,  aurait  réclamé  contre  l'autre  à  peu  près,  celui 
de  la  boutique.  A.  part  cette  inexactitude,  que  l'on  croirait 
volontaire  et  d'un  trop  grand  seigneur,  la  remarque  est 
vraie  et  non  sans  portée.  La  lignée  à  laquelle  Molière  a  été 
très  justement  rattaché  par  M.  Veuillot,  était  aux  yeux  de 
celui-ci  fort  peu  recommandable;  mais  il  était  trop  fin  lettré 

1.  Molière  e£  Bourdalouc  (i  volume  in-12,  1877),  p.  14,  à  la 
note. 

2.  Rutebeuf  est  uu  Parisien  au  moins  douteux.  Ou  le  croit  plu- 
tôt Champenois. 

3.  Il  est  né  à  Chàtenay,  près  Paris. 


4  >OTICE  BIOGRAPHIQUE 

pour  ne  pas  reconnaître  chez  elle  une  sorte  de  quintessence 
de  l'esprit  français,  surtout  dans  sa  malice. 

Jean  Poquelin  et  Marie  Cressé,  lorsqu'ils  se  marièrent, 
demeuraient  «  rue  Saint-IIonoré,  sur  la  paroisse  Saint-Eus- 
tache'  '>.  Une  semblable  indication  est  donnée  par  l'acte  de 
baptême  de  Molière  (Jean-Baptiste  Poquelin).  Dans  ce  Paris 
où  tout  est  instable  et  se  renouvelle  incessamment,  cette  mai- 
son de  la  rue  Saint-Honoré,  oii  naquit  Molière,  n'existe  plus, 
et  il  est  même  devenu  difficile  d'en  fixer  la  place.  Celle  que 
l'on  a  le  plus  récemment  indiquée  est  encore  un  sujet  de 
dispute.  On  ne  peut  pas,  aujourd'hui  du  moins,  dire  plus 
certainement  :  "  Ici  fut  son  berceau  «  que  «  Voici  oîi  fut  sa 
tombe  ». 

Griraarest  donne  à  entendre  quil  naquit  sous  les  piliers 
des  halles^.  Cette  erreur,  si  longtemps  acceptée  et  répétée, 
a  vraisemblablement  son  origine  dans  ce  fait  qu'en  i633 
Jean  Poquelin  acheta  une  maison  sous  ces  piliers,  devant 
le  pilori,  à  l'image  de  Saint  Christophe^,  et  qu'il  y  mourut  : 
les  derniers  souvenirs  sont  les  plus  sûrs  de  vivre  dans  la 
mémoire  des  hommes.  La  maison  à  laquelle  fut  attribué,  à 
la  fin  du  siècle  dernier,  l'honneur  d'avoir  vu  naître  Molière 
sous  les  piliers,  n'est  d'ailleurs  pas  la  maison  devant  le 
pilori,  mais  celle  qui  était  rue  de  la  Tonnellerie,  n"  3.  Sur 
la  façade  de  cette  maison  le  propriétaire  et  M.  Alexandre 
Lenoir  firent  placer,  le  28  janvier  1799,  le  buste  de  Molière 
et  cette  inscription  :  «  Jean  Poquelin  de  Molière  est  né  dans 
cette  maison  en  1620  y.  Aujourd  hui,  sur  l'emplacement  que 
l'on  croit  être  le  même,  est  une  autre  maison  au  n°  3i  de  la 


I .  Voyez  le  Conlral  de  mariage  entre  Jean  Poquelin  et  Marie 
Cressé,  ci-dessus  cité. 

■.'..  La  yie  de  31.  de  Molière,  p.  5.  —  Cette  biographie  fut  pu- 
bliée en  1705.  Le  privilège  est  daté  du  onzième  jour  de  janvier. 

3.  M.  Auguste  Vitu,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire 
de  Paris  et  de  l'île  de  France,  tome  XI  (i885),  où  il  a  fait  l'his- 
toire de  la  Maison  des  Poqucllns  (p.  9.49-264)1  a  établi  que  Jean 
Poquelin  u'a  dû  prendre  possession  de  la  maison  à  l'image  de 
Saint  Cluislophe  qu'après  la  Saint-Jean  i6i3,  lorsque  Molière 
uc  demeurait  j)!us  clie/  lui. 


SUR    \rOLIERi;.  5 

rue  (lu  Pont-Neuf.  On  y  |)eut  voir  le  buste  de  Molière,  non 
plus  de  Iloudon,  mais  de  Goysevox,  et  la  même  inscription 
légèrement  modifiée. 

Beffara  a  relevé  l'erreur  de  la  date  de  iG-io,  acceptée  par 
Voltaire  sur  la  foi  des  plus  anciens  biographes',  et  que  l'on 
est  étonné  de  lire  encore  dans  l'inscription  de  la  rue  du 
Pont-Neuf.  Il  a  fait  en  outre  remarquer  que  les  documents 
les  plus  certains  indiquent  la  demeure  des  parents  de  Mo- 
lière en  1622  dans  la  rue  Saint-IIonoré,  ce  qui  devait  exclure 
la  maison,  tout  à  l'heure  nommée,  de  la  rue  de  la  Tonnelle- 
rie. Une  maison  de  la  rue  Saint-IIonoré  qui,  au  temps  où 
Beffara  écrivait,  numérotée  3G,  donnait,  en  retour,  sur  la 
rue  de  la  Tonnellerie  et  sous  les  piliers,  aurait  favorisé  jus- 
qu'à un  certain  point  l'ancienne  tradition;  mais,  après  in- 
formations prises,  il  doutait  beaucoup  qu'elle  eût  été  habitée 
parles  Poquelins-.  Dans  une  lettre  qu'il  adressa  en  1828  à 
M.  de  la  Chapelle,  ollîcicr  d'artillerie,  il  ajouta  que  Jean 
Poquelin,  avant  d'habiter  en  iG'jG,  i63^  et  iGj8,une  maison 
de  la  rue  Saint-IIonoré,  au  coin  de  la  rue  des  Vieilles-Etuves, 
paraît  avoir  demeuré  «  même  rue  Saint-Honoré,  dans  une 
maison  portant  aujourd'hui  [en  1828)  le  n°  ',0,  à  peu  près 
au  milieu  entre  les  rues  des  Piliers,  de  la  Tonnellerie  et 
des  Prouvaires  ».  Soulié  est  d'avis  que  la  maison  natale  de 
Molière  est  celle  qui  se  trouvait  à  l'angle  des  rues  Saint- 
IIonoré  et  des  Vieilles-Iltuves,  aujourd  hui  n°  9G  de  la  pre- 
mière, et  n°  2  de  la  seconde,  devenue  rue  Sauvai'.  L'autorité, 
qui  s'attache  justement  à  ses  Recherches ,  amis  fin  un  moment 


I.  Briizen  de  la  Martinière,  dans  sa  Vie  de  T auteur,  qui  est  en 
tète  des  OEuvres  de  Molière  (Amsterdam,  1725),  et  qui  n'est  en 
très  grande  partie  qu'une  reproduction  de  la  biographie  de  1703, 
dit  expressément  (p.  10)  :  «  Jean-Baptiste  Poquelin  naqidt  à 
Paris  lan  1620  »,  et  renvoie  à  Grimarest,  s'y  croyant  autorisé 
par  le  passage  où  celui-ci  Ip.  293)  veut  que  Molière,  lorsqu'il 
mourut  en  1673,  fût  âgé  de  cinquante-trois  ans.  Perrault,  qui 
écrivait  avant  Giimarest,  avait  déjà  dit  que  Molière  était  mon, 
âgé  de  cinquante-deux  ou  cinquante-trois  ans,  et  Bayle,  dans  sou 
Dictionnaire  :  «  Il  naquit  à  Paris  environ  l'an  1620.  d 

•>..   Dissertation  sur  J.-B.  Poquelin-MoUîre.  p.  8-1 1. 

>.   lîecherc/tes  sur  Molière,  p.   12. 


6  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

aux  incertitudes  ;  et  sur  la  maison  désignée  par  lui  on  a  posé  en 
1876  une  plaque  de  marbre  noir,  sur  laquelle  on  lit  en  lettres 
d'or'  : 

CETTE  MAISON   A  ÉTK  CONSTRUITE  SUR  l'eMPLACEMENT 

DE  CELLE   OÙ  EST   NE 
MOLIÈRE 

Le  i5  janvier  1623. 


Acte  de  baptême  de 

Molière 

i5  janvier  1622. 

Inventaire  notarié  après  le  décès 


Contrat  de  mariage  de 

J.  Poquelin 

et  de  Marie  Cressé 

22  février  1621. 

Mariés  le  27  avril  suivant. 

(Reg.  de  Saint-Eustachc.)  |  ^^  ^arie  Cressé 

I  19-31  janvier  i633. 

Il  eût  mieux  valu  ne  pas  signaler  comme  preuves  du 
renseignement  donné  au  public,  pour  son  instruction,  des 
actes  qui  ne  nomment  que  la  rue  Saint-Honoré,  et  ne  pré- 
cisent pas  davantage,  ou  du  moins  avertir  qu'ils  ne  justi- 
fient que  la  date  de  1622.  A  l'appui  de  l'opinion  que  la 
maison  natale  est  celle  qui  était  au  coin  droit  de  la  rue  des 
Vieilles-Étuves,  on  n'a  produit  que  cet  extrait  de  Y  État  de 
a  taxe  des  boues  de  la  Ville  de  Paris  pour  Vannée  163^  : 
«  Maison  où  pend  pour  enseigne  le  pavillon  des  cinges, 
appartenant  à  M.  Moreau  et  occupée  par  le  sieur  Jean 
Poquelin,  m""^  tapissier,  et  un  autre  locataire,  consistant 
en  un  corps  d'hostel,  boutique  et  court,  faisant  le  coin  de 
la  rue  des  Etuves.  «  Beffara,  nous  lavons  vu,  n'avait  pas 
ignoré  cette  demeure  de  Jean  Poquelin  ;  il  en  avait  rencon- 
tré des  traces  depuis  i6'i6  jusqu'en  i638,  et  regardait 
comme  possible  que  sa  location  remontât  à  quelques  années 

i.  On  a  toutefois  laissé  subsister  l'inscription  de  la  rue  du 
Pout-jS^euf.  Les  deux  inscriptions  scmbleraieut  par  leur  désac- 
cord nous  inviter  au  scepticisme.  Si  quelqu'un,  par  exemple 
M.  Auguste  Vitu,  qui  met  dans  l'examen  de  ces  questions  con- 
troversées tant  de  patience  et  de  science,  et  qui  jusqu'ici  se  pro- 
nonce en  faveur  de  la  maison  de  la  rue  des  Vieilles-Etuves,  par- 
vient à  lever  les  doutes,  il  serait  bon  de  faire  disparaître  celle 
des  deux  inscriptions  qui  perpétuerait  une  erreur. 


SUR   MOLIERE.  7 

avant  1636;  mais  il  n'avait  découvert  aucun  document  qui 
le  pi'ouvât;  et  même,  comme  on  l'a  vu  dans  la  citation 
que  nous  avons  faite  d'un  passage  de  sa  lettre  de  1828,  il 
croyait,  apparemment  sur  quelques  indices  encore  incom- 
plets, puisqu'il  ne  les  a  pas  fait  connaître,  avoir  des  rai- 
sons d'entrevoir  plutôt,  dans  les  années  précédentes,  une 
autre  maison  de  la  rue  Saint-Honoré.  La  question  ne  paraît 
donc  pas  assez  décidée,  même  en  faveur  de  la  plus  récente 
des  deux  inscriptions.  On  peut  regarder  comme  insuffisam- 
ment prouvé  que  Molière  soit  né  dans  la  maison  où  elle  a 
été  posée,  et  même  qu'il  l'ait  habitée  avant  i636,  c'est-à- 
dire  avant  sa  quinzième  année*. 

Au  reste,  n'y  eût-il  passé  que  le  temps  de  sa  vie  d'écolier, 
elle  se  recommande  au  souvenir.  S'il  ne  nous  en  est  resté 
aucune  image  qui  nous  la  fasse  revoir  tout  entière,  nous 
avons  du  moins  le  dessin  du  poteau  cornier  qui,  })lacé  à  l'un 
de  ses  angles,  montait  jusqu'au  toit  et  auquel  elle  devait  le 
nom  de  maison  des  singes.  En  effet  ce  poteau  était  orné  de 
sculptures  qui  représentaient  des  singes  jouant  autour  et 
au  pied  d'un  oranger.  Il  existaiL  encore  à  l'époque  où  de 
précieux  débris  étaient  réunis  par  Alexandre  Lenoir  dans 
son  Musée  national  des  monuments  français.  Il  y  fit  trans- 
porter le  poteau  des  singes,  et  l'on  en  trouve  le  dessin  au 
tome  III  du  grand  ouvrage  où  il  a  décrit  ces  monuments^. 
Quand  on  se  rappelle  que  les  singes  ont  été  choisis  quel- 
quefois pour  emblèmes  de  l'imitation  comique,  on  a  bien 
envie  de  trouver  un  air  d'horoscope  au  singulier  hasard  qui 
les  a  donnés  pour  décoration  à  la  maison  où,  s'il  est  douteux 
que  soit  né  le  plus  grand  maître  dans  cette  imitation,  se 
sont  écoulées  du  moins  quelques-unes  de  ses  jeunes  an- 
nées. Que  si,  pour  représenter  l'idée  d'un  art  devenu  si 
noble  dans  les  «  doctes  peintures  ^>  du  poète,  les  singes 
allaient  faire  quelque  peine,  ce  scrupule  ferait  peut-être  voir 
un  excès  de  délicatesse  dont  Molière  se  serait  moqué,  lui 

1.  M.  G.  Monval,  clans  le  Moliériste  d'octobre  1882,  p.  514,  et 
]\I.  G.  Larroumet,  dans  la  Comédie  de  Molière  (Paris,  Hachette, 
1887),  p.  7  et  8,  avaient  avant  nous  proposé  les  mêmes  doutes. 

2.  Ce  dessin  sera  reproduit  dans  notre  Album.  En  1779,  le  peintre 


8  NOTICE    r.ior.  R  M'JIl  QUE 

qui  se  plaisait  à  les  faire  figurer  dans  ses  armes  de  fantaisie, 
avec  les  masques  et  les  miroirs,  s'il  faut  en  croire  son  oraison 
funèbre  dans  le  Mercure  galante 

L'auteur  à'Élomire  hypocnndrc,  lo  Boulanger  de  Chalus- 
sav,  dont  il  ne  faut  pas  légèrement  accepter  comme  des  do- 
cuments biographiques  les  bouffonneries  méchantes,  s'est 
égayé  sur  le  quartier  qui  vit  naître  un  des  plus  illustres 
enfants  de  Paris.  Un  personnage  de  sa  comédie  dit  à  Elo- 
mlre  (Molière)  : 

Je  vois  bien  que  tu  viens  de  ce  riche  pays 
Où  les  juifs  ramassés  demeurèrent  jadis. 

Élomire  répond  : 

Il  dit  vrai,  je  suis  né  dedans  la  friperie. 
Qu'autrement  à  Paris  l'on  nomme  Juiveric-. 

Le  satirique  a-t-il,  pour  le  besoin  de  la  plaisanterie,  beau- 
coup étendu  le  quartier  des  fripiers?  Il  est  plus  probable 
que,  dès  ce  temps,  et  bien  avant  Grimarest,  on  faisait  naître 
Molière  dans  la  maison  achetée  par  son  père  en  1633,  sous 
les  piliers  des  halles.  C'est  là,  dans  la  rue  de  la  Tonnellerie, 
que  le  Paris  ridicule  de  Claude  Le  Petit  et  la  Fille  de  Paris 
en  vers  burlesques  de  Berthod  logent  les  <c  fripiers  rabi- 
nisés  ».  JeanPoquelin,  qui  ne  s'établit  dans  la  maison  sous 
les  piliers  des  halles  que  dix  ans  après  en  avoir  fait  l'acqui- 

F.-A.  Vincent  a  placé  la  maison  des  Singes  dans  son  tableau  qui 
a  pour  sujet  le  Président  Mole  saisi  par  les  factieux  près  de  la  croix 
(lu  Trahoir.  Non  seulement  cette  maison  avait  subi  de  grands 
changements,  mais  Vincent  n'avait  pas  jugé  qu'il  dût  la  peindre 
avec  exactitude  telle  qu'il  l'avait  sous  les  3'eux.  Nous  n'avions 
donc  pas  à  faire  dessiner,  d'après  lui,  pour  l'Album,  une  r-aison 
de  fantaisie.  Ce  tableau  est  aujourd'hui  dans  la  salle  des  confé- 
rences de  Id  Chambre  des  députés. 

I.  Année  1673,  tome  IV,  p.  3io.  — Les  masques  étaient  seuls 
marqués  sur  sa  vaisselle  d'argent.  Voj'^ez  le  Dictionnaire  de  Jal, 
p.  874,  au  nom  Molièbe. 

?..   Élomire  liypocondre  I1670),  acte  lî,  scène  vi,  p.    jG, 


SUR   MOLIERE.  9 

sition,  la  loua  jusqu'au  mois  de  juin  iG\3  à  un  fripier'. 
Longtemps  après,  ce  furent  encore  des  fripiers  qui  l'occu- 
pèrent^. Il  n'en  a  pas  fallu  davantage  à  l'auteur  à'Élomire 
hypncnridre  pour  faire  de  Molière  le  fils  d'un  fripier, 

J6  ne  dis  pas  d'au  juif. 

Quoique  juif  et  fripier  soit  quasi  inrmc  cliosc"". 

Il  est  plus  étoiinaut  que  Voltaire,  (jui  n'avait  pas  les 
mêmes  raisons  pour  se  tromper  volontairement,  ait  recueilli 
comme  une  tradition  sérieuse  un  conte  imaginé  par  la  mali- 
gnité, et  ait  fait,  lui  aussi,  de  Jean  Poquelin  un  marchand 
fripier'^.  Sans  remarquer  la  contradiction,  il  accompagne 
cette  qualification  de  celle  de  (^  valet  de  chambre,  tapissier 
chez  le  roi  »,  donnée  par  lui  prématurément  au  prétendu 
fripier^;  mais  peut-être  pensait-il  tpi  il  ne  s'agissait  que  de 
s'entendre  sur  1  étendue  du  sens  donné  alors  à  ce  mot.  Au 
surplus,  qu'importe  ?  Si  d'un  tapissier  on  veut  faire  un  fri- 
pier, Molière,  fils  de  fripier,  n'en  est  pas  diminué  dans  sa 
gloire. 

Le  registre  de  Saint-Eustache  atteste  ([u'il  fut  baptisé  le 
i5  janvier  1611^.  Il  est  probable  que  l'acte  aurait  mentionné 
le  jour  de  la  naissance,  si  ce  jour  n'avait  pas  été  celui 
même  du  baptême.  Les  neuf  mois  n'étaient  pas  encore 
tout  à  fait  accomplis  depuis  le  mariage  de  Jean  Poquelin  et 
de  Marie  Cressé,  qui  ne  laissèrent  pas  longtemps  attendre 

I.  Auguste  Vitu,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
Paris,  tome  XI  p.  aSô  et  257. 

•2.  Recherclics  sur  Molicrc.  DoctT-ilE:s"TS  LVI  ri  LVII,  p.  3i8 
et  319. 

3.  Elomire  hypocondre,  dans  le  Divorce  comique  {Comédie  en 
comédie),  scène  11,  p.  82. 

4.  OEuires  de  Foliaire  (('dition  de  Loids  IMoland),  tome  XXIII, 
p.  88. 

5.  Voltaire  s'en  est  trop  lié  à  Grimarest,  qui  dit  (p.  5)  : 
«  Il  [Molière)  étoit  fds  et  petit-fds  de  tapissiers,  valets  de  chambre 
du  roi  Louis  XIII.  »  Son  grand-père  ne  fut  pas  valet  de  chambre 
du  roi;  et  son  père,  comme  nous  le  dirons,  n'eut  qu'en  i63i 
l'office  de  tapissier  ordinaire  du  roi. 

G.   Voyez  son  acte  de  Ijaptêrae  ai.x  Piïcrs  iuuificalicrs.,  n°  11. 


lo  NOTICE    BIOGRAPHIQUE 

au  grand  siècle  ie  présent  qu'ils  lui  firent.  Molière  devait 
lui-raème  prouver  plus  d'une  fois  que,  pour  donner  la  vie 
à  un  chef-d'œuvre,  «  le  temps  ne  fait  rien  à  l'affaire  »;  mais 
les  siens  ont  été  de  ceux  dont  la  naissance  dépend  davantage 
du  talent  de  l'auteur. 

S'il  y  a  quelque  vérité  dans  la  croyance,  en  faveur  au- 
jourd'hui, que  les  grands  hommes  tiennent  le  jjIus  sou- 
vent de  leur  mère,  on  regrettera  plus  encore  de  savoir  bien 
peu  de  chose  de  Marie  Cressé.  Dans  quelques  lignes  de 
l'inventaire  fait  après  sa  mort,  on  a  vu  se  dessiner  d'elle 
une  image  qui  la  représente  «  digne  d'avoir  mis  au  monde 
cet  inimitable  génie*  )'.  La  même  vivacité  d'imagination 
nous  manque  pour  tirer  si  bon  parti  des  descriptions,  sou- 
vent instructives,  mais  à  d'autres  égards,  que  l'on  doit  à  la 
plume  des  gardes-notes  et  des  jurés  priseurs.  Que,  parmi 
plusieurs  livres  non  désignés,  ils  aient  trouvé  dans  une 
garde-robe  de  Marie  Cressé  la  Kie  des  hommes  illustres  et 
une  Bible,  quand  on  saurait  plus  clairement  qui  les  lisait, 
la  femme  ou  le  mari,  et  si  le  gros  Plutarque  n'était  pas 
«-  à  mettre  les  rabats  »,  nous  ne  sommes  point  frappé  de  ce 
qu'il  y  a  là  d'assez  caractéristique.  On  comprend  un  peu 
mieux  que  cet  inventaire  ait  paru  donner  l'idée  d'une  mai- 
son très  bien  tenue.  Il  faut  peut-être  écarter  la  comparaison 
que,  sous  ce  rapport,  on  nous  a  proposée-  avec  l'autre 
inventaire  auquel  donna  lieu  la  mort  de  Jean  Poquelin.  Elle 
serait  plus  significative  si.  au  lieu  de  se  faire  avec  le  mé- 
nage d'un  homme,  veuf  pour  la  seconde  fois,  depuis  vingt- 
trois  ans,  elle  mettait  l'économie  domestique  de  sa  pre- 
mière femme  en  regard  de  celle  delà  seconde;  mais  le.s 
éléments  de  ce  parallèle  nous  fout  défaut.  Pour  le  juge- 
ment à  porter  de  la  mère  de  Molière,  nous  ne  pouvons 
donc  demander  à  l'inventaire  de  janvier  i633  que  de  nous 
laisser  entrevoir  chez  elle,  non  seulement  le  mérite  de  faire 
régner  dans  son  intérieur  un  ordre  intelligent,  mais  aussi 
des  goûts  ù'aimable  élégance.  Cherchera-t-on  là  le  secret 
du  caractère  de  son  fils,  de  son  esprit  d'une  étoffe  à  la  fois 

I.   Recherches  sur  Molière,  p.  i3  et  14. 
a.    Ibidem,  p.   i^. 


SUR   MOLIERE.  ii 

si  solide  et  si  riche  ?  Nous  craindrions  que  ce  ne  fût  légère- 
ment forcé. 

Une  remarque  beaucou[)  moins  contestable  a  été  faite  *  ; 
elle  mérite  attention.  La  plui)art  des  pères  chez  Molière 
sont  veufs;  quand  ils  sont  remariés,  leur  seconde  femme, 
une  Elmire,  une  Réline,  n'est  pas  la  mère  de  leurs  enfants. 
Les  vraies  mères,  où  sont-elles  dans  son  théâtre  ?  Citera- 
t-on  la  femme  de  Sganarelle,  dans  le  Médecin  malgré  lui  ? 
Nous  apprenons  seulement  qu'elle  a  quatre  [)auvres  petits 
enfants  sur  les  bras.  Mme  de  Sotenville  ?  Si  elle  ne  met  que 
trop  de  zèle  à  défendre  sa  iille,  c'est  \)AY  le  seul  souci  de 
l'honneur  de  la  maison  de  la  Prudoterie.  Mme  Jourdain,  qui 
se  révolte  contre  le  mariage  de  Lucile  avec  le  fils  du  Grand 
Turc  ?  Simple  épisode  de  la  lutte  de  son  bon  sens  contre  la 
folie  de  son  mari.  La  comtesse  d'Escarbagnas?  Elle  s'occupe 
bien  moins  de  l'élève  de  M.  Robinet  que  de  ses  ridicules 
amants.  Philaminte,  celle-ci  très  vive  et  très  altière  dans  la 
revendication  de  ses  droits  maternels  ?  Mais,  plus  pédante 
que  mère,  elle  ne  songe  qu'aux  intérêts  du  cuistre  dont 
l'alliance  lui  tient  au  cœur.  Nous  chercherions  en  vain  dans 
tout  cela  un  caractère  de  mère.  C'est  pourquoi  Saint-Marc 
Girardin,  dans  son  Cours  de  littérature  dramatique^  a  un 
chapitre  sur  les  pères  des  comédies  de  Molière,  aucun  sur 
les  mères.  Il  y  a  là  une  singularité  que  l'on  nous  paraît  avoir 
bien  expliquée.  Quoique  le  génie  sache  tout  deviner,  Molière 
n'aimait  à  peindre  que  ce  qu'il  avait  observé  de  près.  Or, 
ce  n'était  point  dans  quelques  années  de  son  enfance  qu'avait 
pu  s'imprimer  dans  son  esprit  l'image  assez  durable  d'une 
mère,  avec  sa  tendresse  dévouée,  sa  douce  sagesse,  ou  ses 
aimables  faiblesses. 

Lorsque  Molière  perdit  sa  mère  au  mois  de  mai   i632^, 


1.  ^'oycz  la  Comédie  de  Molière,  p.  17  et  18. 

2.  Dans  l'inventaire  mentionné  ci-dessus,  p.  10,  il  est  dit  que 
Marie  Gressé  mourut  le  quinzième  joiu-  de  mai  iGoa.  ÎM.  Tas- 
chereau  (3°  édition,  p.  208)  donne  son  acte  d'inhumation,  que 
lui  avait  communiqué  Beffara,  et  d'après  lequel  cette  inhumation 
aurait  eu  lieu  le  mardi  11  mai.  A-t-on  bien  lu  sur  les  registres  de 
Saint-Eustache,  et  n'y  fallait-i!  pas  lire  le  mardi  18  mai? 


12  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

il  était  dans  sa  onzième  année.  Il  avait  deux  frères,  Jean, 
que  l'on  nomme  le  jeune,  pour  le  distinguer  de  son  aîné,  et 
Nicolas  ;  il  avait  aussi  une  sœur,  Marie-Madeleine.  Deux 
autres  enfants  do  Marie  Cressé  étaient  morts  avant  elle. 

Un  an  après  son  veuvage,  le  [)ère  de  Molière  se  remaria. 
Sa  seconde  femme  fut  Catherine  Fleurette,  fille  d'Eustache 
Fleurette,  marchand  et  bourgeois  de  Paris.  Les  fiançailles 
furent  célébrées  le  ii  avril  i633,  le  mariage  le  3o  mai  sui- 
vant, sur  la  paroisse  Saint-Germain  l'A-Uxerrois.  Jean 
Poquelin  eut  deux  enfants  du  second  lit  :  Catherine,  née 
en  iG34,  qui  devait  un  jour  entrer  au  couvent  de  Sainte- 
Marie  de  Montargls,  et  Marguerite,  dont  la  naissance  coûta 
la  vie  à  sa  mère,  et  qui  ne  lui  survécut  que  peu  de  jours. 
Ija  belle-mère  de  jMolière  mourut  le  12  novembre  iGjG. 

On  aime  toujours  à  se  trouver  d'accord  avec  l'ingénieux 
érudit  qui  a  entrepris,  souvent  avec  succès,  de  porter  la 
lumière  dans  les  coins  les  moins  éclairés  de  la  biographie 
de  notre  poète.  Mais  nous  aurions  peine  à  le  suivre  dans  la 
conjecture  que  Catherine  Fleurette  est  peinte  sous  les  traits 
odieux  de  la  marâtre  Béline  du  Malade  ima^inairc^.  La 
rancune  de  Molière,  après  plus  de  sept  lustres,  aurait  vrai- 
ment été  trop  durable,  lui  supposât-on  l'excuse  des  mau- 
vais traitements  durant  les  trois  années  du  second  mariage. 
On  cherche  trop  souvent  dans  ses  comédies  des  allusions 
aux  événements  de  sa  vie.  Pour  nier  qu'il  y  en  ait  quelques- 
unes,  il  faudrait  récuser  l'autorité,  généralement  très  grande, 
de  la  Préface  de  l'édition  de  1682.  Elle  affirme  que  Molière, 
dans  ses  comédies,  «  s'est  joué  le  premier  sur  des  affaires  de 
sa  famille  et  qui  regardoient  ce  qui  se  passoit  dans  son  domes- 
tique-»^. Mais  comme  les  auteurs  de  cette  |)réface  n'ont  pas 
désigné  les  allusions  qu'ils  avaient  en  vue,  le  champ  des 
suppositions  reste  sans  limites,  et  il  est  imprudent  de  s'v 
hasarder  quand  on  ne  trouve  pas  de  quelque  autre  côté  des 
indices    presque   certains    pour    se    guider.   Nous    n'avons 

I.  Les  Points  obscurs  de  ta  rie  de  Molière,  par  Jules  Loiseleur 
(Paris,  1877),  P"  ^4- 

a.  Préface  de  1682,  p.  xvi.  —  Les  pages  de  cette  préface 
auxfpiclles  ucnis  renvoyons  sont  celles  de  notre  tome  l. 


SUPx   MOLIERE.  i3 

aucun  témoignage  direct  sur  le  caractère  de  Catherine 
Fleurette  et  sur  sa  conduite  à  l'égard  des  enfants  du  pre- 
mier lit.  Pour  l'accuser  et  la  faire  détester  à  la  postérité,  il 
faut  donc  uniquement  aller  chercher  le  noir  portrait  de  la 
femme  d'Argan,  comme  si  un  auteur  comique  ne  pouvait 
imaginer  une  belle-mère  méchante  sans  se  souvenir  de  la 
sienne.  Et  de  qui  Molière  s'est-il  souvenu  lorsque,  dans  son 
Tartuffe,  il  a  peint,  comme  la  plus  aimable  et  la  plus  aimée 
des  belles-mères,  celle  de  Mariane  et  de  Damis  ?  Sans  aller 
chercher  dans  la  maison  de  Jean  Poquelin  remarié  le  mo- 
dèle de  l'hypocrite  et  perfide  Béline.  ne  serait-il  pas  plus 
naturel  de  le  trouver  dans  la  tragédie  de  Nicomcde  souvent 
jouée  par  Molière?  C'est  là  (ju'Arsinoé,  seconde  femme  de 
Prusias.  lui  dit  : 

Je  n'aime  point  si  mal  que  de  ne  vous  pas  suivre 
Sitôt  qu'entre  mes  bras  vous  cesserez  de  vivre*, 

avec  la  même  fausseté  que  Béline  dit  àArgan  :  «  S'il  vient 
faute  de  vous,  mon  fils,  je  ne  veux  plus  rester  au  monde-  ". 
Il  y  a  des  preuves  dans  Tartuffe  aussi  que  Molière  se  sou- 
venait de  la  marâtre  Arsinoé". 

Le  père  de  Molière  nous  serait  aussi  peu  connu  que  ses 
deux  femmes,  dans  son  caractère  et  dans  sa  vie.  si  nous 
n'avions  pour  nous  renseigner  que  la  Préface  de  1682.  Du 

I.   Nicomède,  acte  IV,  scène  11,  vers  iis-g-iaS-î- 

■},.  Le.  Malade  imaginaire,  acte  I,  scène  vu. 

3.  Comparez  la  scène  qui  vient  d'être  citée  de  JSicomcde,  avec 
la  scène  vi  de  l'acte  III  de  Tartuffe,  particulièrement  les  vers 
ii5o  et  i-nyi  de  la  tragédie  : 

.\RSI>OK. 

Grâce,  grâce.  Seigneur! 

PRUSIAS. 

...  Ingrat',  que  peux-tu  dire.' 
avec  les  vers  iii5  et  1116  de  la  comédie  : 

OUGO>'. 

Ingrat  1 

TARTUFFE. 

Laissez-le  en  paix.  S'il  faut  à  deux  genoux. 
Vous  demander  sa  grâce 


i4  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

silence  qu'elle  a  gardé  sur  lui,  il  y  aurait  témérité  à  con- 
clure qu'elle  n'avait  rien  de  bon  à  en  dire.  Il  est  plutôt  à 
croire  que  les  amis  de  Molière  l'avaient  fort  peu  entendu 
parler  de  son  enfance  et  de  ses  parents,  peut-être  parce 
qu'il  trouvait  peu  séant  de  satisfaire  leur  curiosité  sur  un 
temps  et  sur  une  famille  dont  sa  profession  l'avait  tant 
éloigné.  Perrault  et  plus  tard  Grimarest  ont  moins  laissé 
dans  l'ombre  Jean  Poquelin  et  les  années  où  il  eut  son  fils 
près  de  lui.  Il  n'est  pas  clair  qu'ils  aient  été  très  bien  in- 
formés. Les  actes,  si  utilement  recueillis  par  Soulié,  four- 
nissent au  contraire  sur  les  relations  du  père  et  du  lils, 
soit  avant,  soit  après  leur  sépai'ation,  des  renseignements 
positifs,  plus  certains  toutefois  que  toujours  faciles  à  inter- 
préter. Nous  en  ferons  usage  dan"s  notre  récit,  à  mesure  que 
l'occasion  s'en  présentera  ;  mais  nous  n'avons  nulle  envie  de 
torturer  des  documents  d'une  clarté  insuffisante,  afin  d'en 
tirer  des  jugements  téméraires. 

Molière  n'avait  que  neuf  ans,  et  sa  mère  vivait  encore, 
lorsque  son  père  devint  tapissier  ordinaire  de  la  maison  du 
roi.  Nicolas  Poquelin,  un  des  frères  cadets  de  Jean  Poquelin, 
s'était  démis  de  cet  office  au  profit  de  son  aîné  le  2  avril 
i63i^  Une  transaction  entre  les  deux  frères  régla  définiti- 
vement, le  29  mars  1687 ^,  les  droits  du  cessionnaire,  et  dès 
lors  celui-ci  se  trouva  libre  de  demander  pour  son  fils  aîné 
la  survivance  de  sa  charge.  Le  fils  prêta  serment  le  18  dé- 
cembre de  la  même  année^.  La  charge  qui  lui  était  ainsi 
assurée  comme  survivancier,  et  à  laquelle  était  attaché  par 
les  lettres  de  provision  le  titre  de  valet  de  chambre  (c'est  la 
première  fois  que  nous  en  rencontrons  la  mention)  n'était 
pas  seulement  jugée  très  honorable,  mais  procurait  des 
avantages  solides.  Elle  donnait  annuellement  au  titulaire 
trois  cents  livres  de  gages,  sans  compter  trente-sept  livres 
dix  sols  de  récompense,  pour  un  service  de  trois  mois. 
]M.  Bazin  a  fait  remarquer*  que  rien  n'indique  si  Jean  Po- 

I.   Recherches  sur  Molière.  DocuMEXT  II,  p.   146  et  147. 
1.  Ibidem,  DociTSiEXT  III,  p.  i48-i5o. 

3.  Ibidem.  DocujiENT  XLV,  p.  388. 

4.  j\'otes  historiques  sur  la  vie  de  Molière,  p.  [7. 


SUR   MOLIERE.  i5 

quelin  avait  uniquement  songé  à  la  faire  exercer  un  jour 
par  son  lils  ;  il  pouvait  tout  aussi  bien  s'être  rendu  compte 
que,  ce  fils  venant  à  y  renoncer,  il  lui  resterait  permis, 
grâce  à  la  survivance,  d'en  tirer  profit  en  la  vendant.  Le 
plus  vraisemblable  est  cependant  que  le  bon  tapissier  du 
roi  entendait  préparer  le  jeune  homme  à  lui  succéder,  el 
que  la  possibilité  qu'il  eût  jamais  la  folie  de  se  dérober  k 
un  si  bel  avenir  n'entrait  pas  dans  ses  pî»évisions. 

L'enfant  élevé  pour  devenir  un  jour  un  des  plus  considé- 
rables tapissiers  de  France,  un  M.  Guillaume  de  la  plus 
haute  volée,  fit  de  bonne  heure  sans  doute  son  apprentissage 
dans  la  boutique  paternelle.  Mais,  pour  y  renfermer  son 
ambition,  le  plus  sur  n'était  peut-être  pas  de  le  laisser, 
pendant  quelques  années,  quitter  pour  de  savantes  études 
les  «  belles  tentures  de  tapisserie  de  verdure,  ou  à  person- 
nages »,  dont  il  s'est  souvenu  dans  la  première  scène  de  son 
Amour  médecin.  Jean  Poquelin  ne  vit  pas  le  danger,  ou  ne 
le  crut  pas  si  menaçant  qu'il  dût  l'arrêter  dans  ses  vues  sur 
l'éducation  séante  à  son  successeur  dans  un  office  de  la 
maison  roj'ale.  Nous  ne  doutons  pas  que  même  dans  des 
conditions  qui  justifiaient  moins  un  peu  de  vanité,  plus  d'un 
bon  bourgeois  de  ce  temps  n'eût  pour  ses  enfants  pareille 
ambition.  Elle  pouvait  être  légitime,  et  si  M.Jourdain,  au  lieu 
de  se  faire  écolier  sur  le  tard,  ne  s'était  avisé  de  faire 
étudier  dans  toutes  les  sciences  que  son  fils,  Molière  ne  l'au- 
rait pas  dépeint  si  ridicule. 

Quels  qu'aient  été  les  motifs  de  la  décision  de  Jean  Poque- 
lin, le  fait  est  que  son  fils  entra  au  collège  de  Clermont'; 
et  ce  dut  être  avant  le  temps  de  la  survivance  que  son  père 
obtint  pour  lui,  lorsqu'il  allait  avoir  seize  ans.  Grimaresl. 
sans  fixer  le  moment,  dit  les  circonstances  de  son  envoi 
dans  le  célèbre  établissement  des  jésuites.  Mais  comment 
croire  qu'il  n'ait  pas  beaucoup  arrangé,  sinon  tout  à  fait 
inventé,  sa  petite  histoire,  qui  ôte  au  père  l'honneur 
d'une  résolution  devenue  si  heureuse  par  ses  conséquences 
alors  imprévues  ? 


I.   Voltaire  dit  que  ce  fut  comme  exloine. 


i6  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Suivant  le  récit  qu  il  nous  fait'.  Molièrr,  jusqu'à  l'Age  de 
quatorze  ans  (si  ce  n'est  pas  là  un  à-pcu-près,  sa  belle-mère 
vivait  encore),  serait  resté  dans  la  boutique,  où  l'on  se  con- 
tentait de  lui  faire  apprendre  à  lire  et  à  écrire.  Mais, 
comme  il  allait  déjà  souvent  au  théâtre,  et  que  son  grand- 
père  maternel-,  Louis  Cressé,  qui  l'y  menait,  souhaitait 
de  le  voir  comédien,  l'enfant  ainsi  poussé  vers  une  voca- 
tion, qui  devait  bientôt  devenir  ii'résistible,  avoua  à  son 
père  qu'il  se  résignait  difficilement  à  la  jirofession  qu'on  lui 
destinait,  et  demanda  en  grâce  qu  il  lui  fût  permis  d'étudier. 
Le  grand-père  appuya  la  demande.  Si  ce  fut  à  ces  instances 
très  maladroitement  motivées  que  le  père  céda,  il  savait  où 
aboutirait  le  chemin  dans  lequel  il  laissait  entrer  son  fils. 
Une  telle  complaisance  ne  s'accorde  pas  bien  avec  ce  que 
Grimarest  dit  lui-même  plus  loin  du  mécontentement  de  la 
famille,  lorsque  Molière  déclara  sa  résolution  de  jouer  la 
comédie.  Les  scènes  développées  et  dialoguées  par  l'ancien 
biographe  sont  plus  que  suspectes;  et  dès  qu'on  n'3^  voit 
qu'une  pure  invention,  il  n'y  a  plus  de  raison  de  faire  inter- 
venir le  grand-père  dans  ce  bienfait  de  la  foile  instruc- 
tion, qui  est  assurément  ce  que  nous  connaissons  de  plus 
intéressant  dans  l'histoire  de  la  jeunesse  de  Molière. 

Dans  le  rôle  que  Grimarest  donne  à  Louis  Cressé,  tout 
n'est  pas  également  invraisemblable.  Il  n'est  pas  impossible 
qu'il  aimât  la  comédie,  qu'il  en  procurât  volontiers  le  diver- 
tissement à  son  petit-fils,  et  qu'il  le  conduisît  à  l'hôtel  de 
Bourgogne,  fort  en  faveur  dans  le  monde  des  marchands 
dont  les  boutiques  étaient  peu  éloignées  de  ce  théâtre  de  la 
rue  Mauconseil.  "■  Tout  ce  que  la  rue  Saint-Denis  a  de  mar- 
chands... se  rendent  régulièrement  à  l'hôtel  de  Bourgogne 
pour  avoir  la  pi'emière  vue  de  tous  ies  ouvrages  qu'on  y 
représente  »,    a  dit    Boursault,  au  début   de    sa  nouvelle 


1.  L(i  P'ie  de  M.  de  MoVicre,  p.  6-g. 

2.  Grimarest  ne  dit  pas  s'il  s'agit  du  graud-père  maiernel  ou 
du  graud-père  palerucl  ;  mais  il  n'y  a  jjas  à  penser  à  celui-ci,  qui 
était  mort  le  14  avril  1626.  Voyez  le  tableau  généalogique  donné 
par  Augcr,  dans  son  édition  des  OEucres  de  Molière,  et  cité  ci- 
dessus,  p.  I,  note  t. 


SUR   MOLIERE.  i; 

à'Artemise  et  Poliante^.  La  rue  Saint-Denis  est  une  façon  de 
parler  pour  désigner  tout  ce  quartier  du  commerce,  où  se 
trouvaient  les  boutiques  des  Poquelin  et  des  Cressé.  On  a 
attaché  trop  d'importance  à  chercher  jusqu'à  quel  point 
on  les  pouvait  dire  voisines  de  la  comédie.  Indépendam- 
ment d'un  voisinage  plus  ou  moins  immédiat,  une  circon- 
stance particulière  rendait  facile  au  tapissier  Cressé  et  au 
fils  du  tapissier  Poquelin  la  fréquentation  de  l'hôtel  de 
Bourgogne.  Un  autre  tapissier,  qui  même  était  tapissier 
ordinaire  du  roi,  tout  comme  Jean  Poquelin,  et  devait  par 
conséquent  n'être  pas  sans  liaison  avec  lui,  Pierre  Dubout, 
était  le  doyen  des  maîtres  de  la  confrérie  de  la  Passion, 
«  légitimes  propriétaires  et  acquéreurs  de  la  maison  vul- 
gairement appelée  V Hôtel  de  Bourgogne"-:'^.  Dans  le  théâtre 
qu'ils  avaient  loué  aux  comédiens,  ces  confrères  s'étaient 
réservé  «  la  loge  des  anciens  Maîtres  et  le  lieu  étant  au- 
dessus  de  ladite  loge,  appelé  le  Paradis...,  tant  pour  eux. 
que  pour  leurs  parents  et  amis"'  ». 

Nous  ne  savons  s'il  n'est  pas  un  peu  hasardé  de  voir,  sur 
ces  indices,  le  jeune  Poquelin  à  l'une  de  ces  places  du  para- 
dis, près  de  son  grand-père.  Ce  n'est  d'ailleurs  qu'un  détail 
assez  indifférent.  Il  s'agit  moins  de  savoir  quelles  facilités 
on  eut  à  le  faire  entrer  dans  la  salle  des  comédiens  en  re- 
nom, que  si  vraiment  II  fit  là,  tout  enfant,  connaissance  avec 
les  pièces  de  théâtre.  Rien  ne  défend  de  l'admettre;  mais 
attachera-t-on  beaucoup  d'importance  à  des  impressions 
du  premier  âge,  qui  décident  rarement  de  la  voie  que 
l'on  suivra?  Sans  vouloir  chicaner  les  biographes  de  notre 
poète,  on  peut  se  demander  s'ils  n'ont  pas  été  naturelle- 
ment préoccupés  de  l'idée  qu'il  devait  y  avoir  eu  de  très 
bonne  heure  des  circonstances  propres  à  lui  donner  le  goût 


I.  L'auleur  de  la  comédie  do  Zclhulc  fail  dire  semMablcmcul  à 
l'un  de  ses  personnages  :  «  La  plupart  des  marchands  de  la  rue 
Saiul-Denis  aiment  tous  la  comédie,  et  nous  sommes  quarante  ou 
cinquante  qui  allons  ordinairement  aux  jireraières  représentations 
de  toutes  les  pièces.  » 

1.   Recherches  sur  Molière.  Doci'ME>rVI,  p.   i5t. 

3.   Ibidem.  Docume>'t  V,  p.   i5o, 

Molière,  x  î 


i8  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

(le  la  comédie.  Désirant  en  trouver,  il  était  à  peu  près  cer- 
tain qu'ils  seraient  heureux  dans  leurs  recherches.  Nous  ne 
donnerons  pas  pour  très  sûres  les  découvertes  qu'ils  ont 
faites,  et  le  fussent-elles,  les  conséquences  à  en  tirer  le  se- 
raient moins.  On  ne  saura  jamais  bien  à  quelle  heure  la 
Muse  comique  a  fait  à  Molière  son  ]ireiiiier  signe.  Que  c'ait 
été  plus  tût  ou  plus  tard,  le  génie  était  en  lui,  et  se  serait 
passé  de  petites  occasions  pour  s  éveiller.  ?sous  ne  devons 
pas  cependant  omettre  les  vieilles  traditions,  quoi  qu'elles 
vaillent.  Celle  des  amusements  du  théâtre  avidement  goû- 
tés par  l'enfant,  grâce  à  la  complicité  de  l'aïeul,  douteuse 
peut-être  dans  le  détail,  ne  paraît  pas  inacceptable. 

Au  temps,  qui  n'a  phs  été  assez  précisé,  où  l'on  nous  dit 
que  Molière  commença  à  connaître  l'Hôtel  de  Bourgogne, 
ce  théâtre,  qui  avait  recueilli  l'héritage  des  Sots  et  des 
Enfants  sans'souci ,  gardait  bien  des  vestiges  des  Pois  pi- 
lés.  Si  l'on  y  jouait  probablement  encore  la  Bradamante  de 
Garnier  et  les  pièces  moins  anciennes  de  Hardy,  si  Mairet 
y  fil  représenter  Sophonisbe  en  1629  et  Corneille  Mélite  la 
même  année,  une  grande  place,  la  plus  grande  sans  doute, 
était  donnée  à  la  farce,  dans  la((uelle  brillaient  Turlupin, 
Bruscambille,  Gaultier-Garguillc.  Gros-Guillaumo.  Dans  les 
grosses  facéties  de  ces  fameux  bouffons,  plus  peut-être  que 
dans  les  pièces  sérieuses  du  même  théâtre,  on  a  voulu  nous 
faire  reconnaître  les  humbles  germes  que  le  génie  de  Molière 
devait  un  jour  développer  merveilleusement.  Il  est  vrai  que 
ses  premiers  essais  ont  été  des  farces;  et  qu'au  temps  même 
où  il  eut  atteint  le  sommet  de  son  art,  il  n'a  jamais  dédaigné 
le  rire  populaire. 

Les  spectacles  de  l'Hôtel  de  Bourgogne  n'ont  pas  été  seuls 
nommés  parmi  ceux  qu'on  a  cru  avoir  charmé  son  enfance  ; 
on  a  fait  remarquer  encore  que  son  autre  grand-père,  son 
grand-père  paternel,  possédait  deux  loges  dans  l'enclos  de 
la  célèbre  foire  Saint-Germain.  Ces  loges,  ou  boutiques  de 
marchand^,  appartinrent  après  sa  mort  à  ses  héritiers*. 
On    a    conjecturé    qu'elles   aussi   avaient    donné    au    jeune 

I .  Recherches  sur  Molière.  Docusient  XXXVII,  p.  226.  Voyez  aussi 
les  Nouvelles  piccessur  Molière.,  recueillies  par  E.  Campardon,p.  6. 


SUR   MOLIERE. 


'9 


Poquelin  l'occasion  d'être  égayé  j)ar  les  bouffonneries  qui 
amusaient  le  peuple  de  Paris.  En  effet,  la  foire  Saint- 
Germain-des-Prés,  où  plus  tard  prit  naissance  le  Théâtre  de 
la  foire,  offrait  à  la  foule  qui  s'y  pressait  pendant  deux  mois 
environ  des  représentations  données  par  des  troupes  d'o- 
pérateurs et  de  bateleurs.  La  différence  n'était  sans  doute 
pas  très  grande  entre  ces  spectacles  forains  et  les  farces 
jouées  par  les  enfarinés  de  la  rue  Mauconseil.  Ceux-ci  n'é- 
taient pas  gens  à  regarder  de  haut  les  charlatans  de  place 
publique;  ils  les  traitaient  plutôt  en  confrères.  Dans  la 
première  moitié  du  dix-septième  siècle  deux  opérateurs 
furent  en  grande  vogue,  Bary  et  l'Orviétan  ;  on  a  raconté 
que  Molière  aimait  à  se  mêler  à  la  foule  attirée  par  leurs 
parades.  Si  ce  n'est  qu'une  légende,  il  s'en  est  accrédité  sur 
lui  de  plus  invraisemblables.  Elle  a  été  de  très  bonne  heure 
recueillie,  et,  comme  on  peut  croire,  amplifiée  par  l'auteur 
(^ Elamire  hypocondre.  Avec  sa  méchanceté  et  sa  mauvaise 
foi  ordinaires,  le  Boulanger  de  Chalussay  passe  toute  mesure, 
lorsqu'il  fait  non  seulement  avouer  à  Elomire  qu'il  a  étudié 
des  rôles  chez  les  deux  charlatans  ,  mais  qu'il  a  brigué  une 
place  sur  leurs  tréteaux;  du  moins,  s'il  le  nie  pour  ceux  de 
Bary,  il  en  tombe  d'accord  pour  ceux  de  l'Orviétan.  La 
Béjart  l'en  raille,  et  l'appelle  «  le  mangeur  de  vipères*  ». 
L'absurdité  de  la  caricature  est  évidente.  Le  proverbe  «  qui 
dit  trop  ne  dit  rien  »  n'est  cependant  pas  toujours  vrai.  Si 
Chalussay  n'eût  pas  connu  quelque  prétexte  à  ces  grossières 
sottises,  se  fût-il  flatté  d'y  faire  trouver  le  moindre  sel  aux 
contemporains?  Probablement,  on  se  souvenait  d'un  temps 
où  Molière  s'arrêtait  volontiers  devant  les  tréteaux  de  la 
foire  ou  du  Pont-Neuf.  Quel  fut  ce  temps?  Élomire  hypn~ 
condre  désigne  celui  où  Molière  était  liencié  en  droit.  C'est 
alors  qu'on  le  représente  fréquentant  les  spectacles  des  opé- 
rateurs. Mais  ce  put  aussi  être  plus  tôt  :  la  comédie-pamphlet 
n'est  pas  une  biographie  sérieuse,  où  il  y  ait  à  chercher  des 
dates  certaines. 

Puisque  nous   avons  interrompu  ce  que  nous  commen- 

I.   Elomire  liypocoiidrc,    acle   1\  ,    scène   il   du    Divorce    comique, 
p.  8i  et  83. 


20  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

cions  à  dire  du  collège  de  Clermont,  pour  parler  d'une 
bien  difTcrente  école,  de  celle  des  farceurs  soit  de  l'IIôtel  de 
Bourgogne,  soit  de  la  place  publique,  il  faut  une  fois  pour 
toutes  épuiser  le  sujet.  Si  l'on  peut  croire  assez  vraisem- 
blable que  Molière  a  suivi  cette  école-là  dans  son  enfance  et 
avant  ses  études  savantes,  il  est  incontestable  que  plus  tard, 
et  même  étant  déjà  comédien,  il  prenait  plaisir  à  la  verve 
des  bouffons,  à  leur  comique,  très  bas  sans  doute,  mais 
parfois  plein  de  sel  dans  sa  naïveté  populaire.  Il  goûta  sur- 
tout ïiberio  Fiurelli,  ce  fameux  Scaramoucbe,  dont  il  est 
dit  dans  Elomire  hypncondre  qu'Elomire  étudiait  <f  le  mi- 
roir en  main  »  les  contorsions  et  les  postures'.  En  tête  de  la 
pièce  une  gravure  nous  montre  «  Scaramoucbe  enseignant, 
Molière  estudiant.  »  On  peut  citer  à  l'appui  de  cette  tradition 
le  quatrain  gravé  sous  le  portrait  de  Scaramoucbe  qui  orne 
sa  Fie  écrite  par  Angelo  Constantini  : 

Cet  illustre  comédien 
Atleignil  de  son  art  l'agréable  manière. 
//  fut  le  maître  de  Molière^ 
Et  la  nature  fut  le  sien. 

Les  témoignages  concordent.  On  remarquera  que  le 
talent  de  l'acteur  est  celui  qu'ils  attribuent  aux  bouffons 
la  gloire  d'avoir  formé  chez  Molière.  Il  est  toutefois  difficile 
<le  croire  qu'il  se  soit  borné  à  demander  aux  maîtres  de  la 
farce  le  secret  de  leur  jeu,  et  n'ait  pas,  en  même  temps,  fait 
son  profit  de  leurs  plus  facétieuses  idées.  Lorsqu'on  lit 
dans  la  préface  des  Véritables  Piétieuses  de  Somaize  qu'il 
«  tire  toute  sa  gloire  des  Mémoires  de  Guillot-Gorgeu  -, 
qu'il  a  achetés  de  sa  veuve  et  dont  il  s'adapte  tous  les  ou- 
vrages »,  on  hausse  les  épaules  ;  mais  cette  méprisable  accu- 
sation ^espérait  trouver  appui  dans  l'opinion  répandue  que 
l'auteur,  et  non  pas  seulement  le  comédien,  devait  quelque 
chose  aux  célèbres  farceurs.  Au  surplus,  Molière  n'a  jamais 

I.  Acte  I,  scène  m,  p.  i3. 

3.  Guillot-Gorju,  comédien  de  l'hôtel  de  Bourgogne,  où  Mo- 
lière, dans  sa  treizième  année,  put  commencer  à  le  voir,  succéda 
à  Gaultier-Garguille  dans  la  farce,  en  i634. 


SUR  MOLIERE.  ii 

séparé  complètement  l'étude  de  l'art  du  comédien  de  celle 
de  l'art  plus  élevé  de  l'auteur  comique.  Le  théâtre  tout  en- 
tier a  été  sa  passion,  sans  distinction  trop  marquée  des  deux 
talents  d'imitation,  dont  le  concours  est  nécessaire  pour  lui 
donner  la  vie. 

Nous  ne  regrettons  pas  que  Grimarest  nous  ail  arrêté  sur 
le  seuil  du  collège  deClermont,  avec  son  anecdote  du  grand- 
père,  insistant  pour  qu'on  y  laissât  entrer  l'enfant  par  l'es- 
poir de  l'enrôler  un  jour  parmi  ces  comédiens  qu'il  lui  avait 
fait  aimer.  Si  peu  digne  de  foi  que  soit  l'iadiscrùte  et  dé- 
raisonnable intervention  de  Louis  Cressé,  nous  avons  cru 
reconnaître  l'origine  de  la  petite  histoire  dans  la  tradition, 
recueillie  par  le  biographe,  des  spectacles  dont  l'amuse- 
ment aurait  été  procuré  à  la  jeunesse  de  Molière.  Au  mo- 
ment de  parler  de  la  solide  instruction  qu'il  reçut,  il  était 
bon  de  ne  pas  perdre  de  vue  qu'il  put  y  mêler  le  souvenir  de 
leçons  beaucoup  moins  sérieuses  ;  il  y  aurait  eu  double  in- 
fluence sur  son  esprit  de  ces  peu  comparables  écoles  ;  et  il  se 
serait  formé  dans  le  magique  creuset  du  génie  un  singulier, 
mais  heureux',  amalgame. 

Pour  déveloj)per  les  dons  naturels  de  ce  génie,  des  maîtres 
tels  que  les  Bruscambille  et  les  Gaultier-Garguille  auraient 
beaucoup  laissé  à  désirer.  Heureux  fut  donc  pour  les  lettres 
françaises  le  jour  qui  vit  Molière  admis  dans  les  classes 
d'une  célèbre  maison  d'éducation.  Le  collège  de  Clermont, 
auquel  on  confiait  les  enfants  des  meilleures  familles,  ceux 
mômes  de  la  première  noblesse*,  s'était  acquis  une  grande 
renommée.   On  y   suivait   un  plan    d'études  qui,  un  demi- 

I.  «  Le  collège  deClermont,  que  Louis  XIII  fit  rouvrir  en  1G18, 
a  d'ordinaire  jusqu'à  dix-huit  cents  élèves.  Les  lettres  y  sont 
étudiées  par  de  nobles  jeunes  gens  très  nombreux,  et  presque  tou- 
jours environ  quatre  cents;  parmi  eux,  des  fils  de  grands  et  de 
différents  princes  [Nobiles  adolescentes,  magno  numéro,  et  plerum- 
qiie  ad  quadritigentos,  atque  in  liis  Procerum  ac  Principum  vario- 
rum  filii).  »  Ainsi  parle  d'un  temps  bien  voisin  de  celui  des 
études  de  [Molière  le  Belge  Alegambe,  dans  sa  continuation,  im- 
primée eu  1643,  du  Catalogue  des  écrivains  de  la  Société  de 
Jésus,  commencé  par  Ribadeneira.  Voyez  la  Biblotheca  scriptorum 
societalis  Jesu  (Rome,  1676,  in-folio),  à  la  page  147. 


22  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

siècle  avant  le  temps  du  jeune  écolier  Poquelin,  avait  été 
réglé  par  la  Ratio  studiorum,  très  admirée  de  Bacon.  Bien 
plus  tard  encore,  les  méthodes  d'enseignement  n'y  avaient 
pas  changé,  lorsque  le  P.  Jouvency  les  expliqua  dans  son 
livre  De  ratione  disccmli  et  doceiuli,  imprimé  en  1692.  Dans 
l'application  du  programme,  il  y  avait  assurément  à  décomp- 
ter sur  quelques  points.  Peu  de  place  était  donnée  par  les 
maîtres  de  Clermont  à  l'étude  du  grec,  tout  autrement  flo- 
rissante chez  leurs  rivauv  de  Port-Royal,  qui,  dans  leurs 
Petites  Ecoles,  en  nourrirent  la  jeunesse  de  Racine,  comme 
le  collège  des  Jésuites  ne  put  faire  celle  de  Molière.  Chez 
ceux-ci  le  latin  était  surtout  cultivé,  et,  il  est  juste  de 
l'ajouter,  par  de  savants  et  souvent  ingénieux  littérateurs, 
qui  ne  négligeaient  pas  non  plus  la  langue  française.  Tels 
on  les  trouve  encore  dans  les  premières  années  du  siècle 
suivant,  lorsqu'ils  se  nommaient  le  P.  Jouvency,  le  P.  Thoul- 
lier,  futur  membre  de  l'Académie  française,  plus  célèbre 
sous  le  nom  de  l'abbé  d'Olivet,  et  le  P.  Le  Jay,  et  le  P.  Porée, 
ces  maîtres  de  Voltaire.  Leur  brillant  élève,  dont  la  recon- 
naissance était  sujette  à  des  intermittences,  a  écrit  un  jour  : 
«  De  mon  temps,  on  n'apprenait  que  des  sottises  au  collège 
dit  de  Louis-le-Grand  *  »,  Mais  c'était  au  moment  où  les 
Pères  se  trouvaient,  suivant  son  expression,  «  dans  de  mau- 
vais draps  »  et  où  leurs  collèges  venaient  d'être  fermés. 
Voltaire  a  répété,  avec  quelques  développements,  les  mêmes 
plaintes  contre  les  leçons  de  ses  professeurs  dans  le  Dic- 
tionnaire philosop]iique,  au  mot  Education.  Il  avait  été  moins 
ingrat  dans  ce  passage  d'une  des  éditions  du  Temple  du 
goût  :  «  La  vérité  est  que  de  tous  les  Religieux  les  Jésuites 
sont  ceux  qui  entendent  le  mieux  les  belles-lettres,  et  qu'ils 
ont  toujours  réussi  dans  l'éloquence  et  dans  la  poésie.  Le 
Dieu  [du  goût)  voit  de  bon  œil  beaucoup  de  ces  Pères*.  »  Nous 
pouvons,  sans  craindre  de  nous  tromper,  faire  remonter 
cet  éloge  au  temps  des  études  de  Molière.  On  a  nommé 
parmi   ceux  qui  les   ont  dirigées  le  P.  Le  Moyne,   célèbre 

I.   Lettre  au  président  de  Buffey,  18  avril  i"G-2. 
1.   OEuvres  de  Voltaire  (éditiou  de  M.  Louis  Molaud),  tome  VIII, 
p.   593. 


SUR   MOLIERE.  a3 

auteur  du  poème  àe  Saint  Louis^.  Des  recherclies  récenies 
l'écartent;  un  catalogue  pour  l'an  iG'jO  désigne  comme 
professeurs  de  rliétorique  les  PP.  Briet  et  Nau,  comme 
professeur  d'humanités  le  P.  de  Solleneufve-.  Bien  qu'il 
faille  renoncer  pour  Molière  aux  leçons  du  P.  Le  Moyne,  dont 
la  riche  imagination  a  eu,  malgré  ses  excès,  de  grands  ad- 
mirateurs, il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'à  Clermont  ses 
maîtres,  quels  qu'ils  aient  été,  aimaient  et  faisaient  aimer  la 
poésie,  et  aussi  le  théâtre.  Ils  égayaient  leurs  distributions 
de  prix  en  y  faisant  jouer  des  chefs-d'œuvre  de  la  scène 
antique,  souvent  des  pièces  qu'eux-mêmes  composaient, 
Chappuzeau,  dans  son  Théâtre  français,  publié  en  iGj4.  a 
écrit  un  chapitre^  sur  les  Spectacles  qui  se  donnent  au.v  col- 
lèges.Il  y  avait  vu  représenter  des  ouvrages  de  Plante,  de 
ïérence  et  de  Sénèque,  Il  ne  nomme  pas  le  collège  de 
Clermont,  mais  il  doit  l'avoir  eu  particulièrement  en  vue. 
Ce  fut  là  qu'en  1640,  une  tragédie  latine*,  œuvre  d'un  profès, 
fut  jouée  avec  un  tel  succès  que  le  jeune  Louis  XIY  voulut 
qu'elle  fût  jouée  devant  lui.  Elle  lui  fit  un  plaisir  qu'il  n'a- 
vait peut-être  pas  oublié,  lorsque,  bien  des  années  après, 
dans  une  visite  qu'il  fit  au  même  collège  (c'était  en  1674),  il 
honora  de  sa  présence  la  représentation  d'une  autre  tragédie. 
Ce  jour-là,  un  spectateur  s'écria  dans  son  enthousiasme  : 
«  Tout  ici  est  admirable!  »  —  «  Je  le  crois  bien,  dit  le  roi, 
c'est  mon  collège.  »  Les  Pères  se  crurent  autorisés  par 
cette  parole  royale  à  changer  désormais  le  nom  de  leur  col- 
lège de  Clermont  en  celui,  cju'il  porte  aujourd'hui  en- 
core, de  collège  Louis-le-Grand  :  patronage  d'autant  plus 
mérité  que,  depuis    1662,  nous  trouvons   notés,  parmi  les 

1.  Les  Points  obscurs  de  la  fie  de  Molière,  p.  41  • 

2.  Voyez  dans  le  MoUériste  de  juillet  188G  un  article  de 
M.  H.  Tivier,  aux  pages  97-107. 

3.  Le  vi"  du  livre  L 

4.  Susaiina,  dont  l'auteur  était  le  P.  Adrien  Jourdain.  Elle  a 
été  publiée  en  i654,  à  Paris,  chez  Cramoisy  (in-12).  Elle  est  ainsi 
mentionnée  dans  la  Bihliotheca  scriplorum  societatis  Jesii,  p.  q  : 
«  Susannam  tragœdiam  actam  coram  Christianissimo  Rege  ».  — 
Cette  Susanne  était  une  sainte  martyre,  et  non  la  chaste  Susanne 
de  la  Bible. 


a^  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

divertissements  de  ce  collège,  d'assez  nombreux  ballets. 
Comédies  et  ballets!  c'est  à  se  croire  au  Palais-Ro3'al,  cbez 
Molière,  Mais  les  ballets  dansés  sur  le  tbéâtre  des  Pères 
n'entrèrent  pas  dans  son  éducation  :  ils  ne  sont  pas  de  son 
temps,  auquel  ne  furent  pas  refusées  du  moins  les  pomédies 
et  tragédies.  Il  ne  put  y  être  chargé  quelquefois  d'un  rôle,  que 
si  les  externes,  ce  que  nous  ne  saurions  dire,  étaient  ad- 
mis parmi  les  acteurs.  On  aurait  aimé  à  s'imaginer  qu'il  lui 
avait  été  permis  d'essayer  son  talent  dans  une  tragédie 
du  P.  Etienne  Dechamps,  Asmandus  et  Avitus ,  tableau  delà 
parfaite  omltié^  qui  fut  représentée  par  les  écoliers  de  Cler- 
mont,  dans  la  salle  du  Palais  cardinal,  en  présence  de  Son 
Eminence  ;  mais  il  ne  faut  pas  s'arrêter  à  cette  séduisante 
supposition  :  outre  qu'il  est  dit  que  la  pièce  fut  jouée  par  les 
pensionnaires^  la  date  de  son  impression,  qui  est  de  1641, 
indique  à  peu  près  celle  de  la  représentation,  donnée  sans 
doute  lorsque  les  études  de  Molière  étaient  depuis  quelque 
temps  achevées. 

On  comprendra  pourquoi  nous  avons  rappelé  quelques- 
unes  des  représentations  les  plus  mémorables  du  collège 
de  Clermont.  Il  nous  a  semblé  qu'elles  ajoutaient  à  la  phy- 
sionomie de  la  maison  où  notre  jeune  écolier  fut  élevé  quel- 
ques traits  qui  donnent  à  penser  sur  le  fruit  qu'il  y  put 
retirer  de  ses  études. 

C'est  sans  intention  trop  malicieuse  que.pai'mi  ces  souve- 
nirs, nous  avons  donné  place  aux  ballets,  qui  n'y  ont  paru  que 
plus  tard.  Nous  ne  doutons  pas  qu'ils  n'eussent  une  certaine 
gravité  religieuse.  Et  quant  aux  comédies,  elles  n'étaient 
dans  la  pensée  des  maîtres  que  des  exercices  littéraires, 
propres  à  former  le  goût. 

On  n'aura  pas  de  peine  à  supposer  que  ces  délassements 
instructifs,  qui  répondaient  si  bien  aux  inclinations  du  jeune 
écolier,  ne  lui  déplaisaient  point.  Mais  n'exagérons  pas  la 
valeur  des  leçons  que  lui  offraient  les  œuvres  dramatiques 
de  ses  professeurs.  Croire  que  le  dieu  rencontré  par  Voltaire 
dans  le  temple  du  Goût  les  écoutait  toujours  avec  plaisir 
serait  une  illusion  L'auteur  de  Voltaire  et  ses  maîtres,  Alexis 
Pierron,  n'avait  pas  reculé  devant  le  labeur  d'en  lire  plu- 
sieurs, la  fameuse  Siisanne  de  i65o,  entre  autres,  et  aussi  le 


SUR   MOLIERE.  al 

théâtre  du  célèbre  P.  Porée.  Comme  il  n'avait  pas  l'habitude 
d'atténuer  les  sévérités  de  son  bon  et  honnête  jugement, 
il  les  déclare  d'un  insupportable  ennui'.  Nous  n'avons 
nul  désir  de  reviser  le  procès.  Toutefois  les  médiocres  ou- 
vrages de  collège  que  Molière  put  voir  représenter  n'avaient 
point  de  peine  à  égaler  en  mérite  beaucoup  de  ceux  que 
jouaient  à  la  même  époque  les  Bellerose  et  les  Montfleury 
de  l'hôtel  de  Bourgogne.  Chappuzeau  d'ailleurs  nous  a  tout 
à  l'heure  appris  que  sur  les  théâtres  scolaires  il  y  avait  place 
aussi  pour  Plante  et  Térence,  un  peu  expurgés  sans  aucun 
doute.  En  dehors  des  représentations  réservées  pour  les  fêtes, 
ces  grands  modèles  étaient  étudiés  pour  leur  latinité.  Il  y 
eut  là  probablement  pour  le  jeune  Poquelin  la  première 
révélation  d'un  art  que  n'avaient  pu  lui  faire  connaître  les 
farces  de  nos  tréteaux.  Après  s'être  amusé,  enfant,  devant 
les  parades  des  bouffons  barbouillés,  il  était  mis  en  face  de 
ces  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  qui,  tout  en  se  reconnais- 
sant sortis  du  chariot  de  Thespis,  avaient  gardé  bien  peu  de 
traces  de  leur  rustique  origine. 

Il  semble  donc  que  son  temps  de  collège  n'ait  pas  été  seu- 
lement profitable  à  la  culture  générale  de  son  esprit,  mais 
ait  pu  favoriser  sa  vocation  de  poète  de  théâtre.  Voilà  un 
genre  de  succès  que  ses  maîtres  ne  cherchaient  certaine- 
ment pas  et  qu'il  leur  aurait  déplu  de  prévoir.  Quelque 
bonnes  que  fussent  leurs  intentions,  est-il  bien  sûr  qu'ils 
échappent  au  reproche  d'imprudence?  Ils  l'ont  mérité,  si 
l'on  accepte  le  jugement  du  prêtre  qui  a  écrit  la  Défense  du 
Traite'  du  prince  de  Conti.  Dans  ce  livre,  imprimé  en  1671, 
et  que  nous  aurons  plus  loin  à  citer  de  nouveau,  l'abbé  Voi- 
sin s'élève  contre  les  comédies  des  collèges  :  «  Certes,  dit-il, 
ce  n'est  pas  un  petit  mal  d'accoutumer  ainsi  les  enfants  à  se 
plaire  à  la  comédie,  de  sorte  que,  sortant  des  écoles  avec  cette 
inclination,  ils  n'ayent  pas  moins  de  passion  pour  les  pièces 
de  théâtre  que  pour  celles  du  collège*.  »  Il  y  a  là  quelque 
vérité;  mais,  s'il  y  avait  dans  de  tels  exercices  un  péril,  ce 
n'est  pas  pour  Molière  qu'on  aurait  le  courage  de  le  regret- 

1.  Voltaire  et  ses  maîtres  (1866),  p.  6a-8i. 

2.  Défense  du  Traité  du  orince  de  Conti,  p.  355. 


26  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

ter.  Au  reste,  les  régents  de  Clermont  auraient  pu  répondre 
aux  critiques  qu'ils  n'entendaient  faire  servir  leurs  comé- 
dies latines  qu'à  l'étude  des  humanités;  et  contre  le  danger 
de  recruter  ainsi  pour  de  moins  innocents  théâtres  des  ac- 
teurs ou  des  auteurs,  ils  croyaient  avoir  pris  assez  de  pré- 
cautions en  fermant  l'accès  de  leur  collège  aux  pièces  fran- 
çaises. Le  P.  Jouvency,  dans  son  plan  d'enseignement,  qu'il 
publia,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  vers  la  fin  du  dix-sep- 
tième siècle,  a  soin  de  parler  ainsi  des  exercices  dont  la 
langue  nationale  était  l'objet  chez  les  Pères  *  :  «  Rejetons  bien 
loin  ces  parties  inutiles  des  livres  françois,  les  fables  dan- 
gereuses  et  les   comédies Tout  cela  n'est  fait  que  pour 

énerver  les  esprits  ou  corrompre  les  mœurs.  Si  quelques- 
uns  soutiennent  qu'il  faut  laisser  quelquefois  les  hommes 
goûter  à  ces  bagatelles,  ils  ne  nieront  pas  qu'elles  doivent 
être  interdites  à  la  jeunesse.  »  Quand  il  a  prononcé,  à  la 
date  de  1692,  ce  rigoureux  arrêt  contre  les  comédies  fran- 
çaises, le  P.  Jouvency  n'a  pas  songé  à  épargner  l'élève  de 
Clermont  qui  était  devenu  Molière.  Dans  notre  théâtre, 
il  ne  recommandait  que  Corneille  ^.  Plus  indulgents,  les 
PP.  Bouhours  et  Rapin  ont  donné  des  éloges  au  poète  co- 
mique élevé  par  leurs  anciens. 

Sur  le  profit  que  Molière  retira  de  l'enseignement  du  col- 
lège de  Clermont  la  Préface  de  1C82  dit',  avec  son  habi- 
tuelle sobriété,  mais  en  attestant  l'essentiel  :  «  Le  succès 
de  ses  études  fut  tel  qu'on  pouvoit  l'attendre  d'un  génie 
aussi  heureux  que  le  sien.v  S'il  fut  fort  bon  humaniste,  il  de- 
vint encore  plus  grand  philosophe.  L'inclination  qu'il  avoit 
pour  la  poésie  le  fit  s'appliquer  à  lire  les  poètes  avec  un 
soin  tout  particulier  :  il  les  possédoit  parfaitement,  et  sur- 
tout Térence.  » 

Nous  lisons  chez  les  mêmes  biographes^  qu'  «  il  eut  l'avan- 
tage de  suivre  feu  M.  le  prince  de  Conty  dans  toutes   ses 

1.  De  rat'ione  discendi  et  docendi,  p.    32,  à  l'article  :  De  verna- 

CULA  LI^GUA. 

2.  Ibidem,  p.  5o. 

3.  A  la  page  xiii. 

4.  Aux  pages  xii  et  xiii. 


SUR   MOLIERE.  27 

classes  »,  el  qu'il  y  acquit  son  estime  et  ses  bonnes  grâces. 
Ce  serait  donc  à  une  communauté  d'études  qu'il  aurait  dû  la 
bienveillance  et  la  protection  dont  ce  prince,  à  les  entendre, 
l'honora  toujours;  cependant  les  bons  souvenirs  de  jeunesse 
sont  une  explication  plus  que  contestable  de  la  faveur  de 
Conti,  qui  ne  jfut  pas  d'ailleurs  aussi  constante  que  le  dit 
l'ancienne  biographie,  et  nous  voyons  là  bien  plutôt  un 
banal  hommage  rendu,  à  propos  du  collège  de  Clermont,  à 
l'un  des  grands  de  la  terre,  qu'un  de  ces  renseignements 
certains  que  l'on  est  habitué  à  puiser  à  cette  excellente 
source.  Reste  simplement  ce  fait  que,  dans  le  même  temps, 
l'Altesse  Sérénissime  et  le  fils  du  marchand  furent  écoliers 
dans  la  même  maison.  Mais  comment  faut-il  entendre  que 
l'enfant  d'humble  condition  suivit  «  dans  toutes  ses  classes  » 
le  noble  condisciple,  né  le  11  octobre  162g,  par  consé- 
quent moins  âgé  que  lui  de  près  de  huit  ans?  Ou  ce  doit 
être  une  erreur,  ou  l'on  a  seulement  voulu  dire  que  Mo- 
lière put  suivre  des  yeux  le  jeune  prince  dans  sa  carrière 
d'étudiant,  mais  à  la  distance  que  l'âge  mettait  entre  leurs 
classes.  Nous  n'oublions  cependant  pas  qu'en  ce  temps-là 
les  enfants  des  dieux  ou  des  demi-dieux  coui'aient  sur  le 
terrain  scolaire,  aussi  bien  que  sur  tout  autre,  beaucoup 
plus  vite  que  les  simples  mortels.  Si  même  nous  regardons 
moins  haut  que  l'Olympe,  il  |)araît  que  les  fils  de  grande  mai- 
son pouvaient  franchir  rapidement  les  degrés  d'instruction, 
cjui  s'abaissaient  pour  eux  au  collège  de  Clermont.  Bussy 
de  Rabutin  qui,  vers  la  fin  de  1629,  plus  tôt  donc  que  Mo- 
lière, y  fut  mis  comme  externe,  dit  dans  ses  Mcnwires^  : 
«  J'entrai  en  seconde  que  je  n'avois  pas  douze  ans,  et 
j'étois  si  bon  humaniste  qu'à  treize  on  me  jugea  assez  fort 
pour  entrer  de  là  en  philosophie  sans  passer  par  la  rhéto- 
rique. »  Conti,  comme  on  le  pense  bien,  n'était  pas  fait  pour 
marcher  à  pas  plus  lents.  Nous  avons  des  témoignages  qui 
nous  rassurent  sur  ce  point,  en  marquant  quelques-unes 
des  époques  de  sa  vie  de  collège.  Ils  nous  permettent  de 


I.   Mémoires  de   Roger  de  Rabutin^    comte   de   Bussy    (édition    de 
Ludovic  Lalanne,  1857),  tomel,  p.  6. 


iS  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

comparer  le  temps  de  ses  classes  avec  celui  des  classes  de 
Molière. 

Gabriel  Cossart,  jeune  professeur  de  rhétorique  au  collège 
de  Clerraont,  prononça,  à  la  rentrée  du  29  septembre  i6',7, 
un  discours  latin  pour  rendre  grâces  au  prince  de  Conti  d'un 
séjour  de  dix  ans  dans  cette  maison^  «  Ce  jour  solennel  de 
notre  académie,  disait  l'orateur,  est  le  premier  depuis  qu'elle 
a  eu  l'extrême  douleur  d'être  privée  de  votre  présence  après 
en  avoir  joui,  sans  interruption,  durant  dix  années.  »  Il 
semblerait  d'abord  que  ces  dix  années  de  collège  ne  donnent 
pas  ridée  de  classes  parcourues  à  grandes  enjambées.  Mais 
ce  qui  avait  retenu  si  longtemps  à  Clermont  le  prince,  en 
qui  l'on  voyait  alors  un  futur  cardinal  de  Bourbon,  c'étaient 
ses  études  théologiques.  En  1644,  le  28  juillet,  il  y  avait 
soutenu  publiquement,  en  présence  du  prince  et  de  la  prin- 
cesse de  Condé  et  du  cardinal  Mazarin,  des  thèses  «  sur 
toute  la  philosophie  3>,  et,  nous  dit-on.  de  manière  à  mon- 
trer «  sa  grande  capacité  et  vivacité  d'esprit'  ».  Quelques 
jours  après,  le  3  août,  il  reçut  le  degré  de  maître  ès-arts^  : 
il  n'avait  pas  encore  quinze  ans.  L'année  suivante,  il  soutint 
deux  thèses  de  théologie  au  collège  de  Clermont;  et  en 
1646,  le  10  juillet,  une  autre  thèse,  également  de  théologie, 
dans  la  salle  de  la  Sorbonne.  C'étaient,  dit  la  Gazette  de 
1646,  «  les  fruits  de  son  étude  de  deux  ans  en  théologie, 
qu'il  continue  encore  à  présent^.  »  Continua-t-il  jusqu'à  la 
fin  de  l'année  scolaire  seulement,  en  1G46?  Nous  croirions 
plutôt,  d'après  le  discours  du  P.  Cossart,  à  la  solennité  de 
la  rentrée  de  1647,  que  l'on  doit  prolonger  ses  études  à 
Clermont  jusqu'aux  vacances  de  cette  dernière  année.  A. 
l'entendre  ainsi,  il  aurait  été  confié  aux  Pères  à  la  rentrée 


I.  Armando  Borbonio  seren'issimo  princlpi  de  Conly...  Gratiarum 
actio  pro  scholis  Claromontanis . . .  decenni  commoratione  ornatis,  ha- 
bita ad  earumdem  scholarum  instaurationem.  III  Kal.  Oct.  anno  1647. 
Parisiis  apiid  Seb.  et  Gabr.  Cramoisy,  164-.  (Pièce  in-4°  de  33 
pages.) 

5.    Gazette  du  3o  juillet  i644i  P-  60}. 

3.  Ibidem^  i3  août  i644i  P-  63i. 

4.  Ibidem,  14  juillet  164O,  p.  6o3. 


SUR  MOLIERE. 


29 


de  1637,  étant  Agé  de  liuil  ans.  On  peut  cependant  licsilcr 
entre  iG^-j  cl  i63G. 

Pour  ne  pas  sortir  de  notre  sujet,  auquel  le  prince  n'ap- 
partient que  par  ses  relations  avec  Molière,  nous  n'avons 
point  à  nous  inquiéter  de  savoir  si  le  précoce  théologien  de 
1645  et  164G  ne  fut  pas  soufflé  par  l'auteur  de  la  tragédie 
tout  à  l'heure  mentionnée  comme  ayant  été  jouée  devant 
Mazarin,  par  le  P.  Dechamps,  qui  plus  tard  imprima  comme 
siennes  les  thèses  de  l'Altesse.  Pour  être  juste,  les  flatte- 
ries, telles  que  celles  du  Prince  sacant,  petit  livre  écrit  en 
1644?  qui  félicitait  Conti  d'avoir  «  rendu  la  science  prin- 
cesse  et  la  sagesse  royale  »,  ne  doivent  pas,  quelque  nau- 
séabondes qu'en  soient  les  hyperboles,  être  accusées  d'avoir 
loué  sans  vérité  son  remarquable  esprit.  Il  y  a  des  dons  de 
race.  L'illustre  aîné  du  prince  de  Conti,  le  duc  d'Enghien, 
élevé  à  Bourges,  dans  un  autre  collège  des  Jésuites,  fut  un 
écolier  prodigieux,  l'iiétoricien  aussi  précoce  d'esprit  que 
bon  latiniste,  à  onze  ans*.  Cet  exemple  de  famille  invite  à 
ne  pas  rejeter  légèrement  quelques-uns  des  témoignages 
des  maîtres  de  Conti  sur  le  prompt  développement  de  son 
intelligence.  Mais  nous  n'avons  fait  une  digression  sur  l'his- 
toire de  ses  études  que  pour  y  chercher  s'il  fut  dans  les 
mêmes  classes  que  Molière.  On  a  vu  qu'il  paraît  n'être 
sorti  de  celle  de  philosophie  qu'en  1G44,  lorsque  Molière 
avait  quitté  le  collège  depuis  plusieurs  années,  et  même  com- 
mencé sa  vie  de  comédien. 

Au  reste,  ne  fût-il  pas  si  bien  démontré  qu  ils  ne  marchè- 
rent pas  du  même  pas  dans  leurs  études,  leur  camaraderie  ne 
serait  qu  une  légende  inacceptable.  Il  ne  faut  pas  se  laisser 
tromper  par  les  souvenirs  d'un  temps  que  les  moins  jeunes 
d'entre  nous  ont  vu  dans  une  France  bien  différente  de  celle 
du  dix-septième  siècle.  Nous  ne  savons  pas  si  le  prince  de 

I.  Voyez  Vhistoire  des  Princes  de  Condt',  par  31.  le  duc  d'Au- 
male,  tome  III,  chapitre  iv,  p.  32i  et  322.  Le  noble  historieu 
donne,  à  la  fin  du  volume,  dans  les  Pièces  et  Documents^  des  let- 
tres latines  du  duc  d'Enghien  à  son  père,  que  l'âge  où  elles  ont 
été  écrites  rend  bien  surprenantes,  quand  même  la  plume  des 
maîtres,  comme  on  ne  peut  s'empêcher  de  le  croire,  aurait  prêté 
quelque  secours  à  celle  de  l'enfant. 


3<)  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Conti  était,  comme  le  duc  d'Enghien,  «  séparé  des  autres  élèves 
par  une  petite  balustrade  dorée  •  »  ;  mais  pour  tenir  à  dis- 
tance ses  condisciples,  ceux  môme  qui  n'étaient  pas  fils  de 
tapissiers,  les  respects  de  parfaits  courtisans,  que  tout  at- 
teste lui  avoir  été  rendus  par  ses  maîtres,  auraient  été  une 
assez  infranchissable  balustrade.  Il  n'est  donc  pas  besoin  de 
faire  remarquer  que  lorsque  nous  aurons  à  raconter  la  ren- 
contre du  prince  et  de  Molière  au  château  de  la  Grange,  nous 
ne  trouverons  rien  qui  donne  l'idée  d'une  affectueuse  recon- 
naissance entre  d'anciens  camarades. 

Si  la  même  date  ne  peut  sans  erreur  être  donnée  aux 
dernières  classes  suivies  par  l'écolier  de  Clermont  né  à  l'hô- 
tel deCondé,  et  par  son  condisciple  né  dans  une  boutique, 
leur  entrée  au  collège  doit  être  environ  du  même  temps.  Il 
est  vraisemblable  que  Molière  fut,  ainsi  qu'on  l'a  supposé', 
mis  chez  les  jésuites  après  la  mort  de  sa  belle-mère  ^novem- 
bre  i636).  Ce  fut  peut-être  alors,  certainement  peu  après, 
comme  nous  l'avons  dit,  que  le  prince  fut  conlié  aux  mêmes 
maîtres. 

Grimarest  dit''  que  Molière  «  en  cinq  années  de  temps  fit 
non  seulement  ses  humanités,  mais  encore  sa  philosophie  ». 
Quoiqu'il  puisse  avoir  reçu  quelques  leçons  de  logique  à 
Clermont,  il  est  probable  que  Grimarest,  en  parlant  de  phi- 
losophie, n'a  pas  distingué  de  l'enseignement  du  collège 
renseignement  reçu  ailleurs,  dont  nous  allons  parler.  Quand 
on  défalque  de  son  compte  de  cinq  années  celle  de  ce  der- 
nier temps  d'études,  il  en  reste  quatre  que  l'on  trouve,  du 
moins  à  peu  près,  depuis  les  derniers  mois  de  iG'iG  jusqu'en 
1G.4O,  qui  est  l'époque  où  \  Elomire  hypocondic  marque  la  fin 
des  classes  de  Molière  : 

....  Eu  quarante,  ou  quelque  ])cu  devant, 
Je  sortis  du  collège,  et  j'en  sortis  savant. 

Ou  quelque  peu  devant  ne   saurait  beaucoup  nous   gêner. 

1.  Histoire  des  Princes  de  Coude,  tome  III,   chapitre  iv.j).  Jig. 

2.  \  oyez  les  Points  obscurs  de  la  vie  de  Moliùre,  p.  3i. 

3.  La  fie  de  M.  de  Molière,  p.  10. 


SUR   MOLIKRE.  3i 

Nous  soupçonnons  cot  hémistichr;  d'être  venu  là  pour  amener 
à  la  rime  l'épithcle  savant,  dont  le  satirique  avait  besoin 
pour  la  faire  bien  vite  changer  en  celle  à'dne  par  son  Angé- 
lique (Madeleine  Béjart  ^ 

Quand  il  resterait  une  légère  incertitude  sur  quelques 
mois  de  plus  ou  de  moins  dans  les  années  que  Molière  passa 
au  collège,  ce  ne  serait  pas  une  affaire.  Le  doute  serait  autre- 
ment regrettable  sur  son  admission  aux  leçons  d'un  maître 
tel  que  Gassendi. 

La  connaissance  de  ce  fait,  qui  de  tous  les  souvenirs  de 
la  jeunesse  de  Molière  est  celui  dont  il  serait  le  plus  regret- 
tablede  n'être  pas  assuré,  a  paru  ne  s'appu}  er  que  sur  une  tra- 
dition et  manquer  de  preuves  positives.  «  Jusqu'à  présent, 
dit  Soulié^,  aucune  pièce  authentique  ne  vient  confirmer  ou 
démentir  la  tradition  relative  au  maître  et  aux  condis- 
ciples qu'on  lui  attribue,  Gassendi,  le  prince  de  Conti,  Ber- 
nier.  Chapelle,  Hesnault,  etc.  >>  Nous  n'admettrions  pas  que 
ç'aient  été  là  des  doutes  sérieux  dans  la  pensée  de  l'auteur 
des  Recherches .  Son  langage  circonspect  était  naturel  lors- 
que, voulant  donner  une  solidité  inébranlable  aux  fondements 
qu'il  jetait  d'une  nouvelle  biographie  de  Molière,  il  avait  pris 
le  parti  de  ne  rien  affirmer,  si  ce  n'est  pièces  en  main.  Il 
n'a  donc  fait  que  constater  sur  ce  {)oint  l'absence  de  docu- 
ments authentiquement  certifiés. 

Mais  s'il  a  été  dans  son  plan  de  ne  rien  avancer  que 
d'après  des  actes  signés  par  des  officiers  publics,  on  ne  doit 
cependant  pas  refuser  confiance  à  d'autres  témoignages 
qui,  sans  avoir  cette  certitude  légale,  en  ont  une  à  peu  j)rès 
aussi  grande.  A  vrai  dire,  ceux  que  l'on  peut  citer  sur  les 
leçons  données  par  Gassendi  ne  sont  pas,  du  moins  en  ce 
qui  regarde  Molière,  aussi  anciens  qu'on  s'y  attendrait.  En 
outre  il  y  a  des  silences  qui  étonnent,  surtout  celui  de  la 
Préface  de  1G82.  Parlant  des  études  de  Molière,  elle  se 
borne  à  dire  qu'ayant  été  très  bon  humaniste,  il  devint 
encore  plus  grand   philosophe"'.  Où?   au   collège   de   Cler- 

1.  Elomire  /ly/'ocondre,  scène  11  du  Divorce  comique,  p.  70  et  82. 

2.  Reclierclies  sur  Molière,  p.   ig. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  26. 


32  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

mont?  S'agit-il  d'uno  autre  école  de  philosophie?  C'était 
bien  l'occasion  de  la  nommer.  Pour  expliquer  l'étrange 
omission,  supposerons-nous  une  discrétion  prudente?  Mo- 
lière se  taisait-il  habituellement  lui-uiême  sur  un  souve- 
nir dont  pouvaient  s'armer  contre  lui  ceux  qui  ne  deman- 
daient qu'à  l'attaquer  comme  Epicurien  en  religion  et  en 
morale  ? 

On  remarquera  la  même  lacune  dans  les  Hommes  illustres 
de  Perrault;  là  cependant  elle  embarrasse  moins,  les  notices 
y  étant  extrêmement  brèves. 

Le  premier  des  biographes  de  Molière  dont  on  rencontre 
le  témoignage  sur  les  leçons  de  Gassendi  est  Grimarest.  Il 
dit*  que  le  jeune  Poquelin  avait  fait  au  collège  la  connais- 
sance de  Chapelle  et  de  Bernier;  et  que,  peu  après,  le  père 
de  Chapelle,  M.  Luillier,  n'épargna  rien  pour  la  belle  édu- 
cation de  ce  fils  naturel  «  jusqu'à  lui  choisir  pour  précepteur 
le  célèbre  M.  de  Gassendi  ».  Celui-ci,  «  ayant  remarqué  dans 
Molière  toute  la  docilité  et  la  pénétration  nécessaires  pour 
prendre  les  connoissances  de  la  philosophie,  se  fit  un  j)laisir 
de  la  lui  enseigner  en  même  temps  qu'à  MM.  de  Chapelle 
et  Bernier  ».  Grimarest  ajoute  que  Cyrano  de  Bergerac,  qui 
avait  assez  mal  commencé  ses  études  en  Gascogne,  se  glissa 
dans  la  société  des  disciples  de  Gassendi,  et  qu'il  n'y  eut 
pas  moyen  de  fermer  la  porte  à  ce  Gascon,  qui  était  en  effet 
très  insinuant  et  fort  difficile  à  intimider. 

Biographes  venus  plus  tard,  Lasserre  (1734)  et  Voltaire 
(i^Sg)  ne  sont  pas  des  autorités  à  invoquer  :  ils  n'ont  été 
évidemment  que  les  échos  de  Grimarest,  aussi  bien  que 
Saint-Marc  (17  jj)  dans  ses  Mémoires  pour  la  vie  de  Chapelle. 
La  Vie  de  Gassendi  par  le  P.  Bougerel  (1737)  a  quelques 
lignes  aussi  sur  les  leçons  données  à  Molière,  dans  le  même 
temps  qu'à  Chapelle.  Mais  s'il  en  avait  parlé  d'après  des 
renseignements  particuliers,  il  ne  les  aurait  point  placées 
sous  la  date  manifestement  impossible  de  iG3o,  et,  d'ailleurs, 
c'est  Griraiirest  qu'il  cite  à  la  marge,  comme  unique  source. 
Il  n'avait  pu  citer,  l'ayant  trouvée  muette  sur  ce  point,  la 
préface  que  Sorbière,  son  guide  ordinaire,  a  fait  imprimer 

I.  Aux  pages  io-i3. 


SUR  MOLIERE.  33 

en  i658,  en  tête  de  l'édition  in-folio  des  œuvres  de  Gas- 
sendi. 

Ce  qui  n'est  attesté  que  par  Grimarest  na  pas  coutume 
de  paraître  assez  établi*.  Mais  ici,  à  défaut  de  preuves 
tout  à  fait  directes,  des  faits  incontestables  se  trouvent  si 
bien  d'accord  avec  son  dire  qu'ils  lui  donnent  plus  que  de 
la  vraisemblance,  nous  ne  craignons  pas  de  dire  une  entière 
certitude.  On  la  trouvera,  nous  le  croyons,  dans  le  tableau 
que  nous  avons  à  esquisser  de  la  petite  école  de  Gassendi. 

Il  y  a  dans  la  vie  de  ce  philosophe  des  circonstances  par- 
faitement connues  qui  cadrent  au  juste.  Pour  ce  qui  est  de 
Chapelle  et  de  Bernier,  n'y  eût-il  pas  sur  eux,  comme  on  le 
verra,  un  témoignage  du  plus  grand  poids,  les  relations 
qu'ils  ne  cessèrent  d'entretenir  avec  lui,  comme  avec  un 
maître  dont  ils  s'avouaient  les  disciples,  mettent  hors  de 
doute  les  leçons  particulières  qu'il  leur  donna;  et  il  n'est  pas 
moins  assuré  que  ce  fut  chez  Luillier. 

Gassendi  était  dans  un  étroit  commerce  d'amitié  avec  ce 
maître  des  comptes,  bien  avant  la  naissance  de  Chapelle. 
Luillier  fut  son  compagnon  de  voyage  dans  les  Pays-Bas, 
et  plusieurs  fois    son  hôte  à  Paris,  d'abord   en   1624,  puis 

I.  Bien  qu'on  doive  toujours  contrôler  son  livre,  et  malgré  le 
jugement  beaucoup  trop  sévère  que  Boileau,  un  jour  de  mau- 
vaise humeur,  en  a  porté  dans  une  lettre  écrite  le  12  mars  1706 
à  Brossette,  qui  lui  en  avait  parlé  plus  équitablement,  nous  ne 
voudrions  pas  laisser  croire  au  parti  pris  de  nous  défier  toujours 
de  ce  biographe.  Ce  serait  ingratitude  pour  le  grand  service  qu'il 
a  rendu  en  écrivant  le  premier  une  /"/e  de  Molière  d'une  suffisante 
étendue,  et  cela  lorsque  vivaient  encore  des  contemporains  et 
familiers  du  poète,  qu'il  a  consultés.  Il  y  a  chez  lui  un  riche  et 
souvent  solide  fonds  d'informations  que  les  plus  dédaigneux  ont 
été  heureux  d'exploiter.  Nous  sommes  d'avis  que  derrière  Gri- 
marest il  est  bon  de  voir  ceux  qui  l'ont  renseigné,  et  que  la 
valeur  de  sa  T^ie  de  M.  de  Molière  repose  surtout  sur  celle  des 
sources  qui  lui  ont  été  ouvertes.  Nous  ne  faisons  là  que  repro- 
duire la  conclusion  d'un  article  àwMolière-Museumàe  i883  (tome  II, 
cahier  5)  sur  le  degré  de  confiance  que  mérite  Grimarest.  On  lit 
ce  travail  avec  fruit.  L'auteur  est  M.  Wilhelm  Mangold,  un  des 
écrivains  allemands,  nombreux  de  nos  jours,  qui  ont  étudié  avec 
grand  soin  Molière,  sa  vie  et  ses  ouvrages. 

Molière,  x  3 


34  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

en  164 1.  Cette  dernière  date,  très  certaine,  est  celle  qui  nous 
regarde  ^  étant  la  seule  où  aient  ])u  se  placer  les  leçons 
données  à  Chapelle  et,  suivant  Grimarest,  en  même  temps 
à  ses  jeunes  amis.  Elle  nous  fait  arriver  précisément  à  la 
dernière  limite  du  temps  où  Molière  fut  libre  de  prendre 
part  à  ces  leçons.  Il  en  avait  alors  fini  avec  les  classes  du 
collège  de  Clermont,  et  même  depuis  un  an,  au  compte  de 
Chalussay.  Si  l'on  accepte  ce  compte,  l'intervalle  qu'il  faut 
admettre  entre  la  fin  de  ses  études  du  collège  et  le  commen- 
cement de  celles  dont  Gassendi  eut  la  direction,  ne  saurait 
soulever  aucune  sérieuse  objection. 

Gassendi  nous  apprend  lui-même  dans  ses  lettres  à  Louis 
d'Angoulême,  comte  de  Provence, qu'il  partit  en  janvier  1641 
de  la  province  dont  son  correspondant  était  gouverneur, 
et  arriva  à  Paris  au  mois  de  février.  Les  prélats  d'Embrun 
l'ayant  présenté  pour  l'agence  du  clergé,  il  venait  assister  à 
l'assemblée  convoquée  à  Mantes.  Après  un  voyage  dans 
cette  ville,  où  il  abandonna  à  un  compétiteur  l'agence  dont, 
en  philosophe  désintéressé,  il  se  souciait  peu,  il  se  fixa  chez 
Luillier,  au  commencement  de  mars.  Chapelle,  né  en  1626, 
avait  alors  environ  quinze  ans.  Son  père,  en  le  confiant  à 
son  hôte,  à  son  ami,  lui  donnait  un  maître  savant  entre 
tous. 

I.  Ou  ne  pourrait  la  rejeter  pour  les  leçons  de  Gassendi,  mal- 
gré tout  ce  qui  la  confirme  et  malgré  la  nécessité  où  l'on  serait 
de  rejeter  en  même  temps  la  présence  de  Molière  à  ces  leçons,  que 
si  l'on  ajoutait  foi  au  renseignement  donné  par  Tallemant  des 
Réaux,  dans  une  phrase  de  l'historiette  de  Luillier  (tome  IV  des 
Historiettes,  édition  Moumerqué  et  Paulin  Paris,  p.  ig4  et  igS), 
ou,  pour  mieux  dire,  si  l'on  interprétait  celte  phrase  comme  l'ont 
fait  les  commentateurs  [Ibid.,  p.  197).  «  Il  alla,  dit  Tallemant,  en 
Provence,  trouver  son  bâtard,  qu'il  avoit  donné  à  instruire  à  Gas- 
sendi, son  intime,  qu'il  avoit  logé  ici  chez  lui  si  longtemps.  » 
Tallemant  était  fort  capable  de  confusion  dans  ses  souvenirs. 
Ne  peut-on  croire  d'ailleurs  qu'il  a  dit  deux  choses  distinctes,  quoi- 
que mêlées  avec  beaucoup  d'équivoque?  Dans  le  premier  membre 
de  phrase,  que  Luillier  alla  voir  Chapelle  en  Provence  :  cela  peut 
être;  mais  à  quel  moment?  Dans  le  second,  qu'il  l'avait  donné 
à  instruire  à  Gassendi  :  on  n'est  pas  forcé  d'entendre  que  c'ait 
été  en  ce  lemps-là. 


SUR   MOLIERE.  35 

On  aurait  pu  craindre  seulement  que  tant  de  science  n'eût 
trop  de  peine  à  se  mettre  à  la  portée  d'auditeurs  novices, 
bien  que  d'un  esprit  très  éveillé,  comme  l'étaient  Chapelle 
et  les  jeunes  gens  qui  se  joignirent  à  lui;  et  cependant  c'est 
un  fait  qu'ils  sortirent  des  mains  du  maître  plus  ou  moins 
profondément  pénétrés  des  principes  de  sa  philosophie, 
surtout  ayant  reçu  dans  l'esprit  une  empreinte  qui  ne  s'ef- 
faça pas;  car,  à  l'appui  du  témoignage  de  Grimarest,  ceci 
est  une  preuve  morale  qui  en  vaut  bien  une  autre  :  tous  ceux 
qu'il  nomme,  comme  élèves  de  Gassendi,  ont,  sans  en  excep- 
ter Molière,  la  marque  du  maître;  chacun  l'a  conservée  à  sa 
manière  et  suivant  son  propre  caractère. 

L'agrément  des  entretiens  de  Gassendi,  dans  lesquels  sa 
riche  mémoire  répandait  les  trésors  de  la  plus  belle  littéra- 
ture, sa  modestie,  sans  ombre  de  pédantisme,  le  rendaient 
très  insinuant.  Son  caractère,  qui  commandait  le  respect, 
lui  assurait  un  puissant  ascendant. 

Un  enseignement,  qui  dut  avoir  une  grande  influence 
sur  le  jeune  esprit  de  Molière,  est  si  important  à  connaître, 
qu'on  pourrait  nous  demander  d'essayer  d'en  déterminer 
le  caractère.  Les  historiens  de  la  vie  et  de  la  philosophie  de 
Gassendi,  ses  écrits  surtout,  fournissent  de  nombreux  éclair- 
cissements sur  ses  doctrines.  Tenter  de  les  exposer  ici  mè- 
nerait loin  ;  les  juger  avec  autorité  n'appartient  qu'à  de 
plus  compétents.  Contentons-nous  de  quelques  traits  de  la 
remarquable  physionomie  du  maître,  de  ceux  qui  sont  trop 
clairement  marqués  pour  être  méconnus.  Avant  tout,  une 
grande  indépendance  de  pensée.  On  sait  que  le  très  libre 
philosophe  a  porté  des  coups  redoutables,  non  pas  au  vrai 
Aristote,  mais  au  faux  péripatétisrae,  qui  régnait  alors  des- 
potiquement  dans  les  écoles.  Dans  le  temps  même  des  leçons 
données  chez  Luillier,  il  examina  la  métaphysique  de  Des- 
cartes, le  grand  instituteur  de  presque  tous  les  fameux  es- 
prits du  dix-septième  siècle,  et  se  prépara  à  la  combattre. 
Epicure  l'avait  séduit;  il  estimait  que  depuis  longtemps  il 
était  jugé  avec  beaucoup  d'injustice  et  fort  calomnié.  Il 
saluait  en  lui  le  grand  physicien  de  l'antiquité,  et  ne  crai- 
gnait pas  d'adopter  ses  atomes,  non  sans  les  rendre  plus 
acceptables  à  la  science  moderne.  Dès  i63  j  il  avait  corn- 


36  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

mencé  une  apologie  de  sa  vie  et  de  ses  mœurs  qu'il  ne 
fit  imprimer  qu'en  1649.  Ces  audaces,  dont  le  scandale  était 
augmenté  par  ses  liaisons  d'amitié  avec  plusieurs  esprits 
forts,  lui  attirèrent  des  accusations  d'impiété  que  Voltaire, 
dans  sa  petite  pièce  des  Systèmes,  appuie  avec  une  spiri- 
tuelle perfidie,  tout  en  constatant  chez  Gassendi  une  pensée 
quelque  peu  flottante  : 

L'incertain  Gassendi,  ce  bon  prêtre  de  Digne, 

,   .   .  proposait  à  Dieu  ses  atomes  crochus, 
Quoique  passés  de  mode  et  dès  longtemps  déchus. 
Mais  il  ne  disait  rien  de  l'essence  suprême. 

Le  portrait  est  d'une  jolie  malice  :  mais  il  y  manque,  tout  au 
moins  dans  le  dernier  vers,  l'exacte  ressemblance.  Au  mois 
d'avril  1641  (nous  citons  volontiers  cette  année-là),  lorsque 
Gassendi  examinait  les  Me'ditatinns  sur  la  première  philoso- 
phie, ouvrage  de  Descartes,  dont  le  P.  Mersenne  lui  avait 
communiqué  le  manuscrit,  il  écrivait  au  comte  d'Angoulêrae 
que,  sans  y  approuver  les  arguments  sur  lesquels  se  fonde 
la  démonstration  de  l'auteur,  il  adoptait  les  conclusions 
«  que  Dieu  existe  et  que  l'esprit  vit  indépendamment  du 
corps  ».  Dans  une  autre  lettre  datée  du  mois  d'octobre  de 
la  même  année,  il  l'avertissait,  à  propos  de  sa  défense 
d'Epicure,  qu'il  aurait  soin  d'attaquer  tout  ce  qui,  chez  cet 
ancien  philosophe,  était  en  désaccord  avec  la  religion;  il 
rappelait  les  réserves  qu'il  avait  toujours  faites  en  faveur  de 
la  Providence.  Nous  les  trouvons  d'ailleurs  dans  tous  ses 
écrits,  dans  son  Syntagma  philosophicum  et  dans  la  lettre  à 
Descartes  qui  précède  sa  Disquisition  contre  la  métaphysique 
de  ce  philosophe,  oîi  il  déclare  professer  «  l'existence  de 
Dieu  trois  fois  très  grand  et  l'immortalité  de  nos  âmes  ». 

On  a  voulu  que  ce  fût  prudence.  L'astronome  et  astro- 
logue Morin,  en  querelle  avec  lui  au  sujet  du  système  de 
Copernic,  l'accusait  de  dissimuler  sa  vraie  philosophie  «  par 
crainte,  disait-il  plaisamment,  des  atomes  du  feu  [metu 
atomorum  ignis)  ».  Les  doutes  sur  sa  sincérité  restent  sans 
preuves.  Gui  Patin,  qui  ne  lui  en  aurait  pas  voulu  d'être 
plus  téméraire,  nous  paraît  avoir  donné  de  lui  une  idée  très 


SUR~MOLIÈRE.  87 

juste  dans  ces  quelques  mots  :  «  11  étoit  homme  sage,  savant 
et  bon,  tempéré  et  habile  homme,  et  en  un  mot  un  vrai 
Epicurien  mitigé*  ».  Gassendi  lui-même  laisse  prendre  une 
mesure  exacte  de  son  épicurisme,  en  effet  très  adouci,  lors- 
que, fatigué  de  l'insistance  de  Descartes  à  l'appeler  chair, 
et  à  se  réserver  à  lui-même  le  nom  d'esprit,  il  lui  écrivait  : 
«  En  m'appelant   chair,  vous  ne  m'ôtez  pas  l'esprit;  vous 

vous  a])pelez  l'esprit,  mais  vous  ne  quittez  j)as  votre  corps 

[I  suffit  qu'avec  l'aide  de  Dieu  je  ne  sois  pas  tellement  chair 
que  je  ne  sois  encore  esprit,  et  que  vous  ne  soyez  pas  tel- 
lement esprit  que  vous  ne  soyez  aussi  chair  ;  de  sorte  que  vous 
n'êtes  pas  au-dessus  de  la  condition  humaine,  ni  moi  au- 
dessous,  bien  que  vous  reniiez  ce  qui  est  humain  et  que 
moi  je  ne  m'y  croie  pas  étranger^  ».  Voilà  du  bon  sens, 
n'est-il  pas  vrai?  C'est  un  peu  celui  que  Molière  a  prêté  à 
son  Chrysale^,  sans  doute  en  l'abaissant,  mais  pour  le  pro- 
portionner au  caractère  du  bonhomme,  et  non  sans  laisser 
percer  quelque  chose  de  sa  propre  pensée. 

Racine,  ou,  pour  mieux  dire,  Arnauld,  cité  par  Racine^, 
impute  à  Gassendi  d'avoir  donné  des  preuves  contre  l'im- 
mortalité de  l'âme  dans  sa  discussion  avec  Descartes. 
Arnauld  n'y  avait  pu  rien  lire  de  semblable,  mais  tout  le 
contraire.  La  seule  explication  de  son  injuste  accusation  est 
que,  se  faisant  juge  des  intentions,  sans  en  avoir  le  droit,  il 
croyait  pouvoir  tirer  des  théories  de  Gassendi  sur  l'âme 
les  conséquences  repoussées  expressément  par  le  philo- 
sophe, lequel  avait  entendu  seulement  combattre  la  manière 
dont  Descartes  argumentait   et  sa  méthode  philosophique. 

S'il  est  juste  de  défendre  la  philosophie  de  Gassendi 
contre  ceux  qui  l'ont  accusée  de  matérialisme  et  d'athéisme, 


1.  Lettres  choisies  de  feu  M.  Guy  Patin  (Rotterdam,  1726),  tome  I, 
p.  280. 

■2.  i"  Instance,  dans  les  OEinres  de  Gassendi,  tome  III,  p.  874 
et  875.  IS'ous  avons  légèrement  modifié  vers  la  fin  la  traduction 
que  le  P.  Bougerel   a  donnée  de  ce  passage  écrit  en  latin. 

3.  Les  Femmes  savantes,  acte  II,  scène  vu,  vers  542  et  543,  qu'il 
faut  rapprocher  des  vers  544-546  du  rôle  de  Bélise. 

4.  Voyez  les  Œuvres  complètes  de  Racine,  tome  V,  p.  218. 


38  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

ce  n'est  pas  qu'il  faille  hésiter  à  reconnaître  en  lui  un  des 
esprits  hardis  de  son  siècle.  Les  Gui  Patin,  les  Saint-Evre- 
mond,  qui  lui  ont  donné  de  grands  éloges,  l'ont  souvent  un 
peu  trop  tiré  à  eux  ;  mais  on  comprend  très  bien  que  sa 
grande  liberté  d'esprit  fût  de  leur  goût.  Ils  ne  se  trom- 
paient pas  en  saluant  en  lui  un  courageux  ennemi  des  pré- 
jugés, un  de  leurs  alliés  dans  le  combat  pour  l'affranchisse- 
ment de  la  pensée.  Il  restait  toutefois  bien  en  deçà  de  leurs 
opinions.  Telles  étaient  la  confiance  qu'on  avait  dans  la  sa- 
gesse de  ce  savant  homme  et  l'estime  dont  il  était  entouré, 
qu'il  fut  un  de  ceux  à  qui  l'on  pensa,  lorsqu'on  eut  à  donner 
un  précepteur  au  jeune  Louis  XIV.  Qu  il  s'en  soit  fallu  de 
peu  que  Molière  et  Louis  XIV  aient  reçu  les  leçons  du  même 
maître,  n'y  a-t-il  pas  là  matière  à  des  rêves  pour  l'imagi- 
nation? Mais  la  Reine  mère  n'avait  pas  écarté  la  Mothe  le 
"Vayer  pour  accepter  le  libre  philosophe.  Le  choix  pour 
l'éducation  du  Roi  s'arrêta  en  1644  sur  Hardouin  de  Péré- 
fixe,  lequel  devait  un  jour,  étant  archevêque  de  Paris,  con- 
damner durement  la  comédie  du  Tartuffe.  Gassendi,  qui 
d'ailleurs  ne  vécut  pas  assez  pour  connaître  le  hardi  chef- 
d'œuvre,  ne  s'en  serait  pas  montré  scandalisé. 

Al  côté  de  lui,  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  voir  les  jeunes 
gens  que  Grimarest  nous  dit  avoir  été,  dans  son  école,  les 
condisciples  de  Molière,  et  qui  ont  dû  avoir  sur  un  camarade 
de  cet  âge  leur  part  d'influence.  Nous  aurions  bien  voulu 
faire  assister  nos  lecteurs  aux  leçons  données  par  Gassendi, 
aux  entretiens  des  élèves,  à  l'échange  de  pensées  qu'il  y  eut 
alors  entre  eux.  Comme  il  n'en  a  pas  été  tenu  journal,  ce  se- 
rait œuvre  d'imagination.  Ne  pouvant  mettre  nos  person- 
nages en  scène,  il  faut  nous  contenter  de  donner,  de  notre 
mieux,  une  idée  de  leurs  caractères  ;  et  il  nous  semble 
que  c'est  déjà  quelque  chose.  Nous  venons  de  le  faire  pour  le 
maître;  faisons-le  pour  ses  élèves.  En  passant  cette  revue 
des  jeunes  écoliers,  nous  rencontrerons  plus  d'une  preuve 
en  faveur  de  la  tradition  qui  les  rassemble  dans  la  maison 
de  Luillier. 

C'est  Chapelle  qui  se  présente  d'abord,  c'est-à-dire  celui 
a  qui  étaient  destinées  les  leçons.  Ses  biographes  nous  disent 
que  son  père  lui  avait  fait  faire  «  son   cours  d'humanités  à 


SUR   MOLIÈRE  39 

Paris,  chez  les  jésuites^  ».  Do  quatre  ans  moins  âgé  que  Mo- 
lière, il  put  cependant,  plusvraisemblablement  que  le  })rince 
de  Conti,  se  trouver  dans  les  mêmes  classes  que  lui  au  col- 
lège de  Clermont,  et   en  sortir  vers  le  même  temps,  pour 
recevoir  bientôt   après  de  l'enseignement  de  Gassendi  un 
utile  complément  de  ses  études.  On  a  de  lui  une  lettre  latine' 
qu'il  écrivait,  le  i"  janvier  1649,  '"^  ^^  maître,    «  le  prince 
disait-il,  des  philosophes  du  siècle   présent  ».  Elle  finit  par 
ces  mots  :  «  Continue  d'aimer  celui  que  tu  as  daigné  charger 
de  tant  de  bienfaits  ».  On  aurait  aimé  sans  doute  qu'au  lieu 
d'une  expression  un  peu  vague  de  sa  reconnaissance,  il  lui 
eût  rappelé  sans  périphrase  le  temps  où  il  avait  suivi  ses 
leçons  ;   mais  il  est  difficile  de   donner  à  tant  de  bienfaits 
un  autre  sens.  Il  y  a  là  tout  au  moins  un  commencement  de 
preuve,  suffisamment   achevé  par  le   fait  bien  constaté  que 
Chapelle,  dans  sa  vie  de  paresse  et   d'insouciance,  ne  re- 
nonça jamais  à  consacrer  quelques  instants  à  la  philosophie 
gassendiste.  Nous  avons  d'ailleurs  des  paroles  décisives  de 
Boileau,  qui  nous  ont  été  conservées  par  Brossette  sous  la 
date  d'octobre  1702  :  «   M.  Despréaux  m'a  dit  que  M.  de 
la  Chapelle,  son   ami,   étoit  fils  bâtard    de   M.  Lhuilier,... 
qui   le   mit    chez   M.   Gassendi   pour   l'élever    et   en   avoir 
soin^.  » 

On  doit  citer  aussi  la  Notice  sur  Chapelle  qui  précède 
quelques-unes  de  ses  poésies  dans  \e Recueil  de Barbin  \  1 692)  *. 
Elle  est  de  Fontenelle.  On  y  lit  :  «  Le  célèbre  M.  de  Gassendi 
lui  enseigna  la  philosophie.  »  Voilà  donc  des  témoignages 
plus  anciens  que  celui  de  Grimarest,  et  qui  ne  sont  pas 
récusables.  Il  est  regrettable  qu'on  ne  puisse  les  alléguer 
pour  tous  les  disciples;  nous  aurons  du  moins  à  dire  tout 


1 .  Saiut-3Iarc,  Mémoires  pour  la  l'ie  de  C/iapel/e,  dans  les  OEia-res 
de  Chapelle  et  de  Bachaumont  (i755),  p.  xxvi. 

2.  Imprimée  à   la  page   5ai    du  tome  \I  des   OEuvres   de  Gas- 
sendi. 

3.  Brossette  sur  Boileau.  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale 
(F.  Fr.,  i5275),  p.  68. 

4-    Recueil  des  plus  belles  pièces  des  poètes  françois...  depuis  Villon 
luscjuà  M.  de    Bcnserade,    5  vol.    in-iM.    Voyez  au  tome  V, 


4o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

à  l'heure  que,  dans  celui  de  Boileau,   Bernier,   en  même 
temps  que  Chapelle,  est  nommé. 

Chapelle,  enfant  gâté,  n'était  pas,  autrement  que  par  la 
vivacité  de  son  intelligence,  en  état  de  profiter,  comme  il 
l'aurait  dû,  des  leçons  d'un  maître  excellent.  Il  n'avait  à 
recevoir  de  son  père  ni  de  sages  principes,  ni  de  sages 
exemples.  L'épicurisme  du  maître  des  comptes  Luillier 
s'écartait  beaucoup  de  celui  du  philosophe,  son  ami. 
Tallemant  des  Réaux,  qui  l'a  bien  connu,  ayant  été  locataire 
dans  une  de  ses  maisons,  était  frappé  de  sa  ressemblance 
avec  les  portraits  de  Rabelais,  et  constatait  cette  ressem- 
blance jusque  dans  son  humeur.  «  Il  étoit,  dit-il,  un  peu 
cynique*  »;  et  ce  cynisme  fut  poussé  terriblement  loin,  s'il 
faut  croire,  sur  la  foi  de  ce  même  médisant,  qu'il  initia  Cha- 
pelle, encore  tout  jeune,  à  la  débauche.  Ce  qui  n'est  point 
une  de  ces  méchancetés  dont  on  se  défie  chez  Tallemant, 
c'est  que  l'enfant  était  un  bâtard  adultérin,  et  que  Luillier, 
donnant  un  scandale  qui  accuse  aussi  son  temps,  où  il  ne 
fut  pas  sans  autre  exemple,  le  fit  légitimer*  en  1642.  Ce  ma- 
gistrat peu  vénérable  était  instruit  et  lettré,  avec  un  tour 
d'esprit  plaisant.  Tallemant  dit  de  Chapelle  :  «  Ce  garçon 
lui  ressemble  fort  par  l'humeur  et  par  l'esprit  »  ;  lui  aussi, 
par  conséquent,  très  rabelaisien.  A  vingt  ans,  son  inconduite 
le  fit  enfermer  à  Saint-Lazare,  acte  de  sévérité  dont  il  paraît 
avoir  été  redevable  aux  deux  sœurs  de  son  père,  et  qui  les 
lui  a  fait  maudire  dans  un  sonnet.  Ses  vers  sur  sa  prison 
ont  des  traits  qui  sentent  le  libertinage^  comme  en  ce  temps- 
là  on  nommait  l'irréligion.  Pour  ce  qui  est  de  l'esprit,  il 
fut  un  des  hommes  de  son  époque  à  qui  les  meilleurs  juges 
et  l'on  sait  si  les  arbitres  du  goût  s'y  entendaient  alors) 
s'accordaient  à  en  reconnaître  le  plus.  Le  meilleur  de  cet 

1.  Historiettes,  tome  IV,  p.  192- igS. 

2.  Ménage  nous  a  conservé  l'acte  de  cette  légitimation  dans 
son  Dictionnaire  étymologique,  au  mot  Chapelle  :  «  Il  est  fait  men- 
tion de  la  bâtardise  de  ce  poète  la  Chapelle  dans  les  légitima- 
tions de  la  Cour  des  comptes  en  ces  termes  :  «  Charle  Emma- 
«  nuel  Luillier,  fils  de  M'  François  Luillier,  ]\P  des  comptes,  et 
«  de  Marie  Chanut,  femme  mariée  et  éloignée  de  son  mari.  Jan- 
«  vier  1642.  » 


SUR  MOLIERE.  4i 

esprit,  (|u'i!  prodiguait  à  fonds  perdu  dans  ses  entretiens, 
n'a  pu  lui  survivre.  Ses  petits  vers  cependant,  surtout  ceux 
de  son  voyage  avec  Bachaumont,  ont  un  agrément  que  l'on 
goûte  encore,  mais  dont  on  ne  voit  pas  bien  le  rapport  avec 
ses  fortes  études.  Dernier,  dans  l'épitaphe*  qu'il  a  écrite  sur 
«  l'aimable  philosophe  »,  comme  il  l'appelait,  a  fait  de  lui 
un  éloge  qui  n'est  pas  trop  exagéré  :  «  Jamais  la  nature  ne 
lit  une  imagination  plus  vive,  un  esprit  plus  pénétrant,  plus 
fin,  plus  délicat,  ])lus  enjoué,  plus  agréable.  Les  Muses  et  les 
Grâces  ne  l'abandonnèrent  jamais.  Elles  le  suivoient  jusque 
chez  les  Crenets  et  lesBoucingaults,  où  elles  savoient  attirer 
tout  l'esprit  de  Paris....  A  l'ombre  seule  il  connoissoit  le  fat, 
et  le  tournoit  en  ridicule.  L'illustre  Molière  ne  pouvoit  vivre 
sans  Chapelle.  Il  avoit  reconnu  de  quel  secours  lui  étoit  un 
critique  de  si  bon  goût » 

Quelque  embarrassé  que  l'on  soit,  tout  d'abord,  pour 
trouver  dans  la  verve  facile  de  Chapelle  et  dans  l'épicurisme 
tout  pratique  de  ce  coureur  de  cabarets  la  trace  des  graves 
leçons  que  sa  jeunesse  avait  reçues,  il  est  certain  qu'il 
n'avait  pas  étudié  sans  fruit.  «  Il  joignit,  dit  Titon  du  Tillet-, 
à  la  philosophie  que  le  célèbre  Gassendi  lui  avoit  enseignée 
une  grande  connoissance  des  auteurs  grecs  et  latins.  » 

Une  lettre  que  Bernier,  en  juin  1668,  lui  envoya  de  Chiraz 
en  Perse^,  est  fort  curieuse  à  plus  d'un  titre,  et  notamment 
parce  qu'elle  nous  fait  faire  connaissance  avec  un  Chapelle 
ressaisi  dans  certains  moments  par  les  souvenirs  de  son 
apprentissage  philosophique  et  par  des  velléités  passagères 
de  travaux  qui  attestaient  quelles  provisions  de  science  sé- 
rieuse il  avait  faites  sous  Gassendi  :  «  Mon  très  cher,  lui 
écrivait-il,  j'avois  toujours  bien  cru  ce  que  disoit  M.  Luil- 
lier,  que  ce  ne  seroit  qu'un  emportement  de  jeunesse,  que 
vous  laisseriez  cette  vie  qui  déplaisoit  tant  à  vos  amis,  et 

1.  Oq  la  trouvera  dans  le  Journal  des  Scavaiu  du  7  juin  1688, 
p.  35.  BerDier  l'a  adressée  à  Mme  de  la  Sablière,  en  la  priant  de 
la  montrer  à  la  Fontaine. 

2.  Description  du  Parnasse  français  (1727),  p.   i38  et  iSg. 

3.  Elle  est  aux  pages  169-305  du  tome  II  des  Voyages  de  Fraii' 
vois  Bernier,  Amsterdam,  169g. 


',2  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

que  vous  retourneriez  enfin  à  l'étude  avec  plus  de  vigueur 
que  jamais.  J'ai  appris  dès  l'Hindoustan,  par  les  dernières 
lettres  de  mes  amis,  que  c'est  à  présent  tout  de  bon,  et  qu'on 
vous  va  voir  prendre  l'essor  avec  Démocrite  et  Épicure  bien 
loin  au  delà  de  leurs  flamboyantes  murailles  du  monde, 
dans  leurs  espaces  infinis,  pour  voir  et  nous  rapporter  vic- 
torieux ce  qui  se  peut  et  ne  se  peut  pas...  sur  l'existence, 

l'unité  et  la  providence    de  Dieu Je    me   promets  que 

vous  donnerez  bien  ceci  à  ma  prière,  qui  est  de  repasser 
un  moment  sur  ces  pensées  si  ingénieuses  et  si  agréable- 
ment tournées  qu'on  a  su  tirer  de  vos  Mémoires,  sur  tant 
d'autres  fragments  de  même  force  que  je  sais  qui  y  ont 
resté.  5) 

Ces  Mémoires  de  Chapelle  sembleraient  avoir  été  quelques 
parties  des  leçons  de  Gassendi,  soit  recueillies  au  temps 
où  il  les  avait  entendues,  soit  écrites  plus  tard  de  souvenir, 
quand  le  vent  soufflait  de  ce  côté-là,  et  qu'il  était  «  dans 
cette  netteté  d'esprit  et  humeur  philosophique  >>  où,  comme 
le  lui  disait  la  même  lettre,  il  se  trouvait  «  quelquefois  le 
matin  »  à  l'heure  où  il  était  encore  à  jeun.  Bernier,  avec 
sa  lettre,  donnait  un  coup  d'aiguillon  dans  l'eau,  dans  une 
eau,  qui,  remuée  un  moment,  redevenait  stagnante.  Il  nous 
a  du  moins  permis  de  surprendre  quelques  regards  du  pa- 
resseux jetés  en  arrière  vers  les  savantes  études  qu'il  avait 
été  capable  de  comprendre.  Lorsque  Voltaire,  dans  les  vers 
d'une  lettre  à  Chaulieu',  évoque  l'ombre  de  Chapelle,  il  le 
voit  approcher 

....  sa  lyre  en  main, 

Et  son  Gassendi  dans  sa  poche. 

Cette  poche  sent  l'épigramme.  Voltaire  cependant  n'a  pas 
voulu  dire  que  Gassendi  n'en  sortît  jamais;  car  il  se  com- 
mente ainsi  lui-même  dans  une  note  :  «  ...  Toutes  les  fois 
qu'il  s'enivrait,  il  expliquait  le  système  [de  son  maître)  aux 
convives  ;  et  lorsqu'ils  étaient  sortis  de  table,  il  continuait 
la  leçon  au  maître  d'hôtel.  >>  On  connaît  la  piquante  anecdote 
contée  par  Grimarest^  du  temps  perdu  sur  un  bateau  par 

1.   Ecrite  le  i5  juillet  1716.   —  3.   Aux  pages  2i5-2ai. 


SUR   MOLIERE.  43 

Chapelle  à  prendre  un  Minime,  qu'il  ne  savait  pas  un  simple 
frère  lai,  pour  arbitre  dans  sa  discussion  avec  Molière, 
celui-ci  se  déclarant  pour  la  philosophie  de  Descartes,  Cha- 
pelle défendant  avec  vivacité  celle  de  Gassendi. 

Nous  retrouverons  plus  d'une  fois  Chapelle  dans  la  vie  de 
Molière;  car  leur  intimité  dura  jusqu'au  dernier  jour  de 
notre  poète.  Si  c'est  un  reproche  à  faire  à  Molière,  il  ne  fau- 
drait pas  l'épargner  davantage,  non  seulement  à  la  Fontaine, 
qui  n'était  pas  un  sage,  mais  à  Racine  et  à  Boileau.  Tous 
ces  illustres  ont  été  séduits  par  le  gai  causeur,  dont  l'esprit 
naturel,  très  cultivé  aussi,  était  supérieur  à  ses  légères  pro- 
ductions. Louis  Racine  a  soin  de  nous  dire  qu'ils  faisaient 
au  pécheur  de  continuelles  réprimandes^,  dont  tout  à  l'heure 
parlait  aussi  Bernier.  Si  inutiles  qu'elles  aient  été,  elles 
les  dégagent  d'une  trop  compromettante  solidarité  avec  le 
grand  enfant  incorrigible.  Ce  n'était  pas  de  sa  morale, 
mais  de  ses  lumières,  comme  littérateur,  qu'ils  marquaient 
faire  cas,  lorsqu'ils  lui  demandaient  ses  avis,  souvent  très 
bons,  sur  leurs  ouvrages.  Boileau,  d'après  le  Bnlaeana-,  lui 
reconnaissait  «  bien  du  goût  tant  pour  écrire  que  pour 
juger.  y>  Molière  le  consultait  si  volontiers  que  l'on  avait 
répandu  le  bruit  d'une  collaboration.  C  était  faire  beaucoup 
trop  d'honneur  à  Chapelle;  si  fin  plaisant  qu'il  fût,  il  n'au- 
rait jamais  su  écrire  une  scène  de  comédie.  Il  a  peut-être 
fourni  à  Molière  quelques  traits,  et  proposé  quelques  judi- 
cieuses critiques  :  rien  de  plus. 

Bernier  est,  avec  Chapelle,  le  seul  que  Boileau,  au  dire  de 
Brossette,  avait  cité  comme  un  des  auditeurs,  chez  Luillier, 
des  leçons  de  Gassendi,  et  il  l'avait  fait  en  termes  assez  sin- 
guliers pour  que  nous  les  croyions  textuellement  reproduits  : 
a  Dans  le  même  temps  [que  Chapelle]  Bernier  étoit  chez 
M.  Gassendi,  comme  une  espèce  de  secrétaire  ou  de  valet  ^.  » 
Volet,  ce  doit  être,  comme  en  ce  temps-là  l'on  eût  pu  s'ex- 

1.  Mémoires  sur  la  vie  de  Jean  Racine,  au  tome  I  des  OEuvres  de 
Racine,  p.   235. 

2.  Page  g6. 

3.  A  la  suite  du  passage  du  manuscrit  de  Brossette,  ci-dessu 
cité  à  la  page  39. 


44  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

primer  aussi,  garçon  philosophe,  ou,  comme  nous  dirions,  le 
famulus  du  maître.  Le  mol  de  Boileau,  qui  ne  choque  peut- 
être  qu'aujourd'hui,  nous  paraît  donc  avoir  été  simplement 
pour  lui  synonyme  de  secrétaire.  Plus  loin,  dans  le  même 
manuscrit,  Brossette,  revenant  sur  Bernier,  dit  qu'il  «  pre- 
noit  soin  de  la  Chapelle*  »,  apparemment  comme  répétiteur. 
Le  tableau  de  la  petite  réunion  philosophique  devient  plus 
net,  et  quelques  difficultés  nous  semblent  sécJaircir,  parti- 
culièrement celle-ci  que  Boileau  n'a  pas  nommé  Molière 
comme  un  des  élèves  de  Gassendi  :  il  n'y  en  eut  qu'un,  en 
titre,  Chapelle.  Bernier  était  là  pour  faire  l'office  de  mo- 
deste auxiliaire  du  maître,  tandis  que  Molière  et  Cyrano 
avaient  leurs  entrées,  moins  comme  disciples,  à  proprement 
parler,  que  comme  auditeurs  surnuméraires  :  deux  ombres 
amenées  au  festin  d  Epicure  par  le  véritable  invité. 

Saint-Marc  veut  que  Bernier  se  soit,  de  même  que  Molière, 
lié  d'amitié  au  collège  avec  Chapelle^.  Ce  n'est  peut-être 
qu'une  conjecture.  Mais  que  Chapelle,  évidemment  moins  âgé 
que  le  secrétaire,  l'ait  eu  ou  non  pour  camarade  à  Cler- 
mont,  ce  fut  lui  qui  1  introduisit  près  du  maître.  Sur  ce  point 
nous  avons  le  témoignage  de  Bernier  lui-même.  Ecri- 
vant à  Chapelain  le  lo  juin  1668,  il  le  priait  de  remettre  à 
Monsieur  Chapelle^  en  main  propre,  la  lettre  que  plus  haut 
nous  avons  citée*,  et  disait,  sans  aucune  allusion  d'ailleurs 
à  leur  camaraderie  de  collège  :  «  C'est  lui  qui  le  premier 
m'a  procuré  cette  familiarité  avec  Monsieur  Gassendi...,  qui 
m'a  été  si  avantageuse;  ce  qui  fait  que  je  lui  suis  extrême- 
ment obligé,  et  que  je  ne  puis  que  je  ne  l'aime,  et  ne  me 
souvienne  de  lui,  quelque  part  où  je  sois*.  » 

Toute  modeste  qu'on  veuille  se  représenter  la  place  faite 
à  Bernier  dans  le  savant  cénacle,  il  resta  le  disciple  le  plus 
attaché  à  la  doctrine,  et  de  tout  temps,  comme  il  le  prouva 

1.  Ms.  de  Bi'ossette,  p.  226.  La  note  sur  Bernier  se  rapporte 
aux  vers  33  et  34  de  l'Epître  v.  Brossette  renvoie  à  la  page  167, 
qui  est  celle  des  OEuvres  de  Boileau,  dans  l'édition  de  1701  (in-12). 

2.  Mémoires  pour  la  vie  de  Chapelle,  p.   xxvii. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  41  et  42- 

4.  Voyages  de  François  Bernier,  tome  II,  p.  167. 


SUR   MOLIERE.  /,5 

bien.  En  iGSa,  de  Montpellier,  où  il  s'était  fait  recevoir 
docteur  de  la  Faculté  de  médecine,  il  était  en  docte  cor- 
respondance avec  Gassendi  sur  les  célèbres  découvertes 
physiologiques  de  Pecquet.  Il  revint  de  ses  lointains  voyages 
toujours  plein  du  souvenir  du  maître,  qu'il  avait  alors  perdu, 
et  publia  en  1678  Y  Abrège  de  la  philosophie  de  Gasfe/idi,  en 
1682  les  Doutes  sur  quelques-uns  des  principaux  chapitres  de 
cet  Abrégé.  Mais  comme  c'est  moins  cela  qu'ici  l'on  tient  à 
connaître  que  le  caractère,  que  les  opinions,  ou  téméraires, 
ou  sages,  des  gassendistes  avec  qui  Molière  étudia,  fut  en 
contact  d'idées  et  de  sentiments  en  1641,  et  demeura  lié 
depuis,  que  doit-on  penser  de  Bernier?  Il  ne  faudrait  pas 
trop  se  hâter  de  regarder  comme  un  sérieux  brevet  de  phi- 
losophie irréligieuse  et  de  morale  épicurienne,  au  sens  le 
moins  bon,  les  témoignages  de  sympathie  que  l'on  trouve 
pour  lui  chez  Saint-Evremond.  Il  y  a  même  un  passage  d'une 
lettre  du  spirituel  sceptique  à  Ninon  de  Lenclos,  où,  si  l'on 
n'apercevait  pas  facilement  entre  les  lignes  le  sourire  nar- 
quois, on  le  croirait  peu  s'en  faut  scandalisé  de  la  morale 
excessivement  hardie  de  ce  disciple  de  Gassendi  :  «  M.  Ber- 
nier, le  plus  joli  philosophe  que  j'aie  connu  {joli  philosophe 
ne  se  dit  guère  ;  mais  sa  figure,  sa  taille,  sa  manière,  sa 
conversation  l'ont  rendu  digne  de  cette  épithète-làs  M.  Ber- 
nier, en  parlant  de  la  mortification  des  sens,  me  dit  un  jour  : 
«  Je  vais  vous  faire  une  confidence  que  je  ne  ferois  pas  \ 
Mme  de  la  Sablière,  à  Mlle  de  Lenclos  même,  [et]  que  je 
tiens  d  un  ordre  supérieur;  je  vous  dirai  en  conûdence  que 
\ abstinence  des  plaisirs  me  paroit  un  grand  pe'che.  »  Je  fus 
surpris  de  la  nouveauté  du  système  :  il  ne  laissa  pas  de 
faire  quelque  impression  sur  moi.  S'il  eût  continué  son  dis- 
cours, peut-être  m'aurait-il  fait  goûter  sa  doctrine*.  » 
C'était  à  faire  rougir,  à  moins  des  développements  attendus, 
la  chasteté  de  Saint-Évremond  et  celle  de  Ninon.  Mais  y 
avait-il  donc  deux  hommes  dans  Bernier?  Le  meilleur,  le 
plus  fidèle,  nous  le  crovons,  aux  leçons  de  Gassendi,  était 
celui  qui  écrivait  à  Chapelle  cette  lettre  de  1668,  dont  nous 

I.    OEuvres  de  M.  de  Saint-Evremond  (1733],    lonie    VI,    p.    232 
et  333. 


46  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

avons  déjà  tiré  quelques  citations.  En  voici  d'autres  passages 
préférables  à  la  confidence  révélée  par  Saint-Evremond  et 
qui  nous  paraissent  être  du  vrai  gassendisme  :  «  Je  vous 
dirai  ceci  sur  la  nature  de  notre  entendement,  ^/w'//  me  semble 
qiî  il  y  a  en  nous  quelque  cliosc  de  plus  parfait  que  tout  ce  que 
nous  appelons  corps  et  matière.  »  S'il  admettait  les  atomes  de 
Démocrite  et  d'Épicure,  il  refusait  d'imaginer  qu'ils  pussent 
«  former  un  animal  qui  soit  tel  que  Thomme  dans  ses  opé- 
rations     Nous  devons  prendre  une  plus  haute    idée  de 

nous-mêmes  et  ne  pas  faire  notre  âme  de  si  basse  étoffe  que 
ces  grands  philosophes,  trop  corporels  en  ce  point;  nous 
devons  croire  pour  certain  que  nous  sommes  infiniment  plus 
nobles  et  plus  parfaits  qu'ils  ne  veulent,  et  soutenir  har- 
diment que  si  nous  ne  pouvons  pas  bien  savoir  au  vrai  ce 
que  nous  sommes,  du  moins  savons-nous  très  bien  ce  que 
nous  ne  sommes  pas  ;  que  nous  ne  sommes  pas  ainsi  en- 
tièrement de  la  boue  et  de  la  fange,  comme  ils  prétendent.  » 
Ni  matérialiste,  ni  athée,  tel  nous  pourrions,  sans  trop  d'il- 
lusion, ce  nous  semble,  nous  le  représenter,  d'après  ces 
éloquentes  paroles,  dès  le  temps  où  il  aidait  le  maître  à 
instruire  ses  disciples,  et  dut  contribuer,  jjour  sa  part,  à 
jeter  dans  l'esprit  de  Molière  les  semences  d'un  certain 
scepticisme  sans  doute  et  d'une  philosophie  indépendante  .mais 
en  même  temps  d'une  honnête  répugnance  à  des  doctrines 
dégradantes.  Faut-il  croire  que  plus  tard,  à  l'époque  où  il 
visita  Saint-Evremond  en  Angleterre,  Bernier  s'était  beau- 
coup gâté  ?  La  Bruyère,  dans  son  chapitre  des  Esprits  forts, 
a  dit  :  «  Quelques-uns  achèvent  de  se  corrompre  par  de 
longsvoyages,  etperdent  lepeude  religion  qui  leur  restait*.  » 
M.  Servois  demande^  si  ce  n'est  point  à  Bernier  qu'il  pensait. 
Il  semble  hien.  Dans  les  quelques  lignes  sur  Bernier  du  Ca- 
talogue des  e'crivains  français  dans  le  Siècle  de  Louis  XI f^ , 
Voltaire  lui  donne  cet  éloge  :  «  mort  en  vrai  philosophe.  » 
Nous  n'avons  pas  de  peine  à  comprendre.  La  mort  du  dis- 

1.  OEuvres  de  la  Bruyère  (dans  les  Grands  écrivains  de  la  France)^ 
tome  II,  p.  238. 

2.  Ibidem,  p.  427. 

3.  OF.Ui'res  de  Voltaire^  lome  XIV,  p.  40. 


SUR  MOLIÈRE.  47 

ciple  aurait  donc  été  différente  de  celle  du  maître,  que  Gui 
Patin  nous  apprend  avoir  été  «  confessé  et  communié  more 
majorum  »,  et  qu'il  laissa  «  mourant  entre  les  mains  de  deux 
prêtres  »  ;  ce  qui  lui  arrache  cette  exclamation  de  douleur  : 
«  Sic  moriuntur  magni  homines^.  » 

Quand  il  serait  certain  que  Bernier  eût  été  un  de  ceux  que 
la  Bruyère  avait  vus  se  laisser  à  la  lin  corrompre  par  les 
longs  voyages,  si  ce  n'est  plutôt  par  la  fréquentation  de  Saint- 
Évremond  et  de  son  monde;  n'aurions-nous  pas  le  droit, 
que  nous  réclamions  tout  à  l'heure,  de  ne  pas  lui  attribuer, 
quand  Molière  l'avait  pour  compagnon  d'études,  d'autres 
sentiments  que  ceux  de  sa  belle  lettre  à  Chapelle  ?  Sans  qu'il 
soit  utile  de  chercher  s'il  était  resté  fidèle  à  ces  sentiments, 
lorsque,  dans  sa  maison  d'Auteuil,  Molière,  d'un  âge  alors 
où  l'on  n'a  plus  d'influence  à  subir,  revit  cet  ami  de  jeunesse 
qui,  depuis  longtemps  absent,  revenait  des  Etats  du  Grand- 
Mogol,  le  récit  que  Grimarest  a  fait  de  leur  entrevue^  n'est 
pas  ici  sans  intérêt,  comme  preuve  de  leur  sympathie.  Nous 
en  admettons  d'autant  plus  la  vérité  qu'évidemment  écrit 
sous  la  dictée  de  Baron,  il  n'est  pas  à  l'honneur  de  ce  fat, 
assez  impoli  pour  montrer  au  célèbre  visiteur  combien  l'en- 
nuyaient ses  histoires  de  voj^ages,  et  pour  se  permettre  de 
lui  dire  que  Molière  n'avait  que  faire  des  soins  qu'amicale- 
ment il  lui  offrait  en  sa  qualité  de  médecin.  L'anecdote  ne 
constate  pas  seulement  (c'était  superflu)  l'insolente  sottise 
de  Baron,  mais  l'affectueux  souvenir  que  Molière  avait  gardé 
de  son  ancienne  liaison  avec  le  gassendiste  :  «  Taisez-vous, 
jeune  homme,  dit-il,  vous  ne  connaissez  pas  M.  Bernier,  et 
vous  ne  savez  pas  que  c'est  mon  ami.   ■» 

Cyrano  de  Bergerac  est  nommé  par  Grimarest  comme  un 
des  auditeurs,  avec  Chapelle,  Bernier  et  Molière,  des  leçons 
de  Gassendi.  Sa  jeunesse  était  trop  bien  connue  pour  qu'on 
le  supposât  sorti,  lui  aussi,  du  collège  de  Clermont.  Il  nous 
semble  d'abord  un  intrus  dans  la  maison  de  Luillier;  mais 
plus  sa   présence  y  est  inattendue,  moins  est   suspecte  la 

I.    «  Ainsi  meurent  les  grands  hommes  ».  —  Lettres  à  Cliarles 
Spon  du  21  septembre  et  du  26  octobre  i655. 
a.   La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  210-21 5. 


48  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

tradition  qui  l'y  place  parmi  les  jeunes  étudiants.  Ce  ba- 
roque spadassin,  cet  écri"win  burlesque  napas,  au  premier 
aspect,  le  moindre  air  d'un  philosophe;  il  le  fut  pourtant  à 
sa  manière;  et  parmi  d'autres  fantaisies  il  eut  celle  de  la 
science. 

Quelques  détails  biographiques  ont  été  donnés  sur  Cyrano 
par  le  Bret*,  compagnon  de  sa  jeunesse.  Il  ne  dit  pas  un 
mot  de  son  apprentissage  philosophique  sous  Gassendi 
en  164 1,  et  ce  silence  serait  gênant,  n'étaient  d'autres 
omissions  aussi  étranges  dans  ses  souvenirs.  Si  le  témoin 
fait  défaut  au  moment  où  l'on  aurait  compté  sur  lui,  du 
moins  ce  qu'il  nous  apprend  de  son  ami  dans  les  années  qui 
ont  précédé,  nous  conduit  à  un  temps  qui  se  prête  exacte- 
ment à  la  tradition  recueillie  par  Grimarest.  Cyrano,  né 
en  1619,  avait  d'abord  été  en  pension  avec  le  Bret  chez  un 
bon  curé  de  campagne.  Puis  son  père  l'envoya  à  Paris.  Là, 
ce  qui  est  également  oublié  par  le  Bret,  mais  est  parfai- 
tement établi  d'ailleurs,  il  acheva  ses  classes  au  collège  de 
Beauvais-Dormans,  dont  il  a  si  bien  ridiculisé  le  principal, 
Jean  Grangier.  Comme  il  abusait  de  la  liberté  qu'il  avait  à 
Paris,  on  l'arracha  aune  vie  de  désordre  en  le  faisant  entrer 
dans  une  compagnie  des  Gardes.  Il  s'y  rendit  fameux  par 
ses  duels  presque  quotidiens,  auxquels  il  trouvait  le  temps 
de  mêler  des  amusements  poétiques.  Il  fut  blessé  au  siège 
de  Mouzon  en  lôSg,  au  siège  d'Arras  au  mois  d'août  1640. 
Ce  fut  alors  qu'il  renonça  au  métier  des  armes,  et,  comme 
dit  le  Bret,  «  quitta  Mars  pour  se  donner  à  Minerve  ».  On 
voit  à  quel  moment  nous  le  trouvons  libre  de  rencontrer  la 
savante  déesse  sous  les  traits  de  Gassendi.  C'est  précisément 
celui  où  le  philosophe  permettait  à  quelques  jeunes  gens  de 
se  joindre  à  son  élève  Chapelle. 

Que  l'audacieux  gascon  ait  jusqu'à  un  certain  point  forcé 
l'entrée  de  la  maison  de  Luillier,  on  l'a  dit,  et  peut-être 
avec  quelque  vérité  :  il  était  homme  à  prendre  d'assaut  tous 
les  logis  ;  mais  cette  fois  les  approches  lui  ont  probablement 
été  facilitées  par  Chapelle.  Celui-ci,  à  qui  de  très  bonne  heure 
on  avait  laissé  la  bride  sur  le  cou,  pouvait  avoir  eu  dans  les 

I .  Dans  sa  préface  sur  le  Voyage  dans  la  lune. 


SUR   MOLIERE.  49 

joyeuses  compagnies  des  occasions   de  rencontre   avec  le 
mauvais  sujet. 

Si  jamais  Cyrano  a  été  disciple  de  Gassendi,  le  seul  temps 
où  il  a  pu  l'être  est  celui  des  leçons  chez  Luillier.  Or  tout 
prouve  qu'il  a  étudié  sous  ce  philosophe.  Le  Bret,  dans  la 
préface,  tout  à  l'heure  citée,  où  il  raconte  la  vie  de  son 
ami,  porte  Gassendi  aux  nues  :  «  Notre  divin  Gassendi,  si 
sage,  si  modeste,  si  savant  en  toutes  choses.  »  De  telles 
louanges  données  là  sont  déjà  significatives.  Il  y  a  plus;  il 
fait  remarquer  avec  raison  que  le  Voyage  dans  la  Lune,  à 
propos  duquel  cet  éloge  est  venu  sous  sa  plume,  offre  cer- 
taines idées  dont  on  trouve  quelques  traits  dans  des  écrits 
de  Gassendi.  L'auteur  lui-même  de  ce  voyage  fantastique  y  a 
glissé  quelque  part  un  hommage  au  maître.  Un  natif  du 
Soleil,  parlant  de  tous  les  grands  hommes  qu'il  a  visités  sur 
la  terre,  dit  :  «  J'ai  fréquenté  en  France  la  Mothe  le  Vayer 
et  Gassendi.  Ce  second  est  un  homme  qui  écrit  autant  en 
])hilosophe  que  ce  premier  y  vit.  «  On  est  encore  plus  frappé 
de  ceci  que  les  voyages  astronomiques  où  Cyrano,  ou- 
vrant la  voie  à  l'imagination  mieux  réglée  d'un  de  nos 
contemporains,  mêle  la  science  aux  jeux  de  ses  rêves, 
en  outre  les  fragments,  ceux-là  sérieux,  qu'il  a  laissés 
sur  la  physique,  révèlent  un  esprit  formé  par  un  docte 
enseignement.  Il  serait  facile  dans  ses  écrits,  dans  le  dernier 
surtout,  de  noter  bien  des  traces  de  Gassendi.  On  a  remar- 
qué, il  est  vrai,  qu'il  suit,  comme  physicien,  Rohault  de  plus 
près  encore  ;  peu  importe  :  ce  cartésien-là  avait  commencé 
par  être  gassendiste.  11  ne  faut  pas  d'ailleurs  s'attendre  à 
trouver  invariablement  assujetti  à  un  maître  un  esprit  aussi 
irrégulier  et  capricieux  que  celui  de  Cyrano.  Ce  n'est  point 
pour  s'être  mis  sur  quelques  points  de  science  du  côté  de 
Rohault  qu'il  a  été  le  plus  infidèle  à  Gassendi,  auquel  il 
doit  son  atomisme,  mais  non  pas  l'exagération  de  son  sen- 
sualisme, ses  théories  matérialistes.  On  sait  que  des  vers  de 
sa  tragédie  à' Agrippine  furent  accusés  d'impiété,  non  sans 
apparence.  Plus  qu'aucun  de  ses  condisciples  de  1641,  il  a 
eu  la  réputation  d'esprit  fort.  Nourri  du  même  enseigne- 
ment, sa  fougueuse  déraison  en  a  dénaturé  les  principes. 
Dans  la  petite  réunion  il  avait  probablement  une  place 
Molière,  x  4 


5o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

excentriquo.  Toutefois,  pour  de  jeunes  compagnons  d'étude 
sa  manière  de  philosopher  n'était  pas  sans  danger,  bien  qu'elle 
eût  pour  contrepoids  celle  du  maître,  et  que  l'esprit  juste  de 
Molière  ait  pu  se  défier  d'une  si  bizarre  imagination.  C'était 
sans  doute  avec  plus  de  curiosité  que  de  sympathie  que 
celui-ci  observait  ce  demi-fou,  qui  avait,  dans  son  extrava- 
gance, des  lueurs  d'un  génie  peu  ordinaire.  11  y  a  lieu  de 
penser  qu'il  le  trouvait  foi't  amusant,  et  il  dut  y  avoir  entre 
les  deux  jeunes  gens  de  très  gais  entretiens.  Nous  ne  dou- 
tons pas  que  Molière  ne  sût  alors  gré  à  Cyrano  de  ses 
excursions  dans  le  pays  de  la  poésie,  surtout  de  son  goût 
pour  le  comique.  Mais  de  ce  côté  même  il  est  assez  probable 
que,  tout  jeune  qu'il  fût,  il  se  tenait  sur  ses  gardes,  rien 
n'étant  plus  contraire  à  l'instinct  de  son  droit  jugement  que 
l'insipide  profusion  de  pointes  et  la  bouffonnerie  à  outrance. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Brossette  rapporte  cette  parole  de  Boi- 
leau  :  «  Molière  aimait  Cyrano'.  »  C'est  peut-être  l'expli- 
cation d'une  certaine  indulgence  de  l'auteur  de  V  Art  poétique 
pour  la  burlesque  audace^  de  cette  imagination  effrénée. 

Nous  ne  pourrions  dire  jusqu'à  quel  point  Molière  et 
Cyrano  continuèrent  leur  liaison  après  leur  rencontre  de 
condisciples  philosophes;  mais  il  est  certain  que  Molière 
avait  gardé  souvenir  d'une  verve  comique,  très  heureuse 
parfois,  malgré  tant  de  mauvais  alliage.  Il  est  remarquable 
que  dans  le  canevas  de  la  Jalousie  du  Barbouillé ,  quelques 
plaisanteries  en  rappellent  de  semblables  du  Pédant  joué. 
Ces  emprunts  d'équivoques  grossières  faits  à  la  pièce  de 
Cyrano  sembleraient  démentir  ce  que  nous  venons  de  dire 
du  bon  sens  précoce,  qui  doit  lui  avoir  fait  vite  reconnaître 
chez  Cyrano  beaucoup  de  bourbe  parmi  quelques  parcelles 
d'or.  Mais  ses  premières  farces  ne  sauraient  donner  la 
mesure  de  son  goût  au  temps  où  il  les  a  ébauchées  :  en  ce 
temps-là,  il  fallait  vivre  avant  tout,  et  la  nécessité  d'amuser 
des  spectateurs  peu  délicats  lui  faisait  ramasser  de  côté  et 
d'autre  des  facéties  de  leur  goût  et  à  leur  portée.  Ce  qui 
était  vraiment  bon  dans  le  Pédant  joué  \n\  a  seul  laissé  une 

1.  Ms.  de  Brossette,  p.  88. 

2.  Art  poétique^  chaut  IV,  vers  Sg  et  4o. 


SUR   MOLIERE.  5i 

impression  durable.  Il  n'a  pas  dédaigné  d'en  mettre  à  pro- 
fil deux  scènes  dans  ses  Fourberies  de  Scapin^  où  il  en  a 
enchâssé  les  meilleurs  traits,  comme  des  diamants  dégagés 
de  leur  gangue  et  supérieurement  mis  en  œuvre  :  c'est  à 
cette  occasion  qu'il  disait  :  «  Je  prends  mon  bien  où  je  le 
trouve.  «  En  le  trouvant  chez  Cyrano,  il  lui  faisait  beaucoup 
d'honneur.  C'est  peut-être  à  son  exemple  aussi  qu'il  a  fait 
parler  à  ses  paysans  la  langue  du  village.  Avec  quelques 
autres  bagatelles  comiques  auxquelles  s'amusait  sans  doute 
Cyrano,  Molière  a-t-il  connu  son  Pc'dant  joue',  dès  le  temps 
de  leur  camaraderie  chez  Luillier?  C'est  le  plus  probable, 
quelques  objections  qu'on  ait  tirées  d'une  allusion  dans  cette 
pièce  à  un  événement  de  1645  :  l'auteur  a  pu  ajouter 
quelque  chose,  quand  il  a  retouché  sa  comédie  avec  le 
dessein  de  la  faire  jouer;  ce  fut  assez  tard  en  effet  qu'elle  fut 
imprimée,  en  iG54  seulement:  et  l'on  croit  de  la  même  an- 
née les  premières  représentations  ;  mais  lorsqu'on  veut  que 
la  composition  s'en  soit  fait  attendre  jusque-là,  on  est  forcé 
de  juger  étrangement  patiente  et  manquant  d'à-propos  par 
sa  date,  cette  vengeance  d'écolier  contre  le  principal  Gran- 
gier.  Si  elle  n'est  pas  du  temps  même  du  collège  de  Beauvais, 
elle  doit  être  d'un  temps  très  voisin  ;  on  reste  dans  la  vraisem- 
blance en  la  supposant  déjà  communiquée  à  Molière  en  164 1. 
Il  est  naturel  de  se  représenter  les  deux  condisciples,  qu'at- 
tirait semblablement  la  comédie,  échangeant,  en  dehors  des 
heures  philosophiques,  des  confidences  sur  leurs  projets,  et 
même  sur  leurs  premiers  essais. 

En  cherchant  à  nous  re|)résenter,  autour  de  Gassendi. 
les  physionomies  de  Chapelle,  de  Bernier  et  de  Cyrano, 
c'est  à  Molière  que  nous  avons  pensé.  Nous  n'avions  affaire 
ici  à  ses  jeunes  camarades  que  pour  l'intérêt  qui  s'attache 
à  leurs  relations  familières  avec  lui.  Ces  relations,  dès  le 
temps  de  la  petite  réunion  philosophique,  ne  laissent  guère 
de  doutes,  quand  on  en  voit  plus  tard  la  continuation,  avec 
un  air  de  camaraderie  de  vieille  date.  Déjà  donc  il  y  a  là  un 
sérieux  indice  de  la  présence  de  Molière  aux  leçons  du  cé- 
lèbre maître.  Nous  allons  en  recueillir  d'autres;  et,  pour 
achever  notre  visite  dans  la  maison  de  Luillier,  nous  nous 
placerons  plus  directement  en  face  de  celui  dont  nous  écri- 


52  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

vons  la  vie,  et  nous  reconnaîtrons  que  là  seulement  il   put 
étudier  la  philosophie. 

Nulle  apparence  qu'il  soit  sorti  du  collège  de  Clermont 
aussi  savant,  aussi  grand  philosophe  que  le  dit  la  Préface 
de  1682.  Grand  philosophe!  Qui  a  mieux  mérité  ce  titre 
que  cet  incomparable  scrutateur  de  la  nature  humaine  ? 
Mais  il  n'avait  pas  encore  cette  gloire  au  temps  dont  par- 
lent les  auteurs  de  la  Prc'face.  Leur  témoignage  a  un  autre 
sens.  Ce  qu'ils  ont  voulu  constater,  nous  le  croyons,  c'est 
la  remarquable  connaissance  qu'au  sortir  de  ses  études  iî 
avait  déjà  de  la  science  philosophique.  Un  don  particulier 
du  génie  suffit  à  la  profonde  observation  des  mœurs  et  des 
caractères:  mais  bien  j)osséder  les  notions  spéciales  de  la 
philosophie  proprement  dite,  cela  ne  s'acquiert  qu'en  re- 
cevant un  fort  enseignement.  Que  l'on  ait  pu  dire  sans  exa- 
gération qu'il  les  possédait,  on  en  rencontre  des  preuves 
dans  ses  comédies.  N'en  cherchons  pas  dans  la  Jalousie  du 
Barbouillé,  petit  canevas  oîi  il  y  aurait  tout  au  plus  à  noter 
quelques  traits  contre  Aristote ,  qui ,  sans  avoir  rien  de 
savant,  pourraient  sentir  l'école  de  Gassendi,  s'ils  n'étaient 
pas  d'ailleurs  un  lieu  commun  des  farces  de  ce  temps. 
Beaucoup  plus  dignes  d'attention  sont  deux  scènes  du 
Mariage  forcé^,  liouffonneries  en  apparence,  réellement  sa- 
tires excellentes,  qui  trahissent  un  auteur  fort  au  courant 
des  disputes  philosophiques.  Le  docteur  aristotélicien  Pan- 
crace, dans  son  intarissable  babil,  n'appai'tiendrait  pas  à  la 
vraie  comédie,  s'il  ne  débitait  cpie  des  non-sens,  propres  à 
provoquer  le  gros  rire  ;  mais  sous  cette  caricature  (on  en 
])out  dire  autant  de  celle  de  Marphurius  le  pyrrhonien)  il  y 
a  mieux  que  le  Pe'dant,  type  usé  des  vieilles  farces,  il  y  a  un 
enragé  docteur  sachant  son  affaire,  et  nourri  à  fond  des 
principes  de  l'école,  Il  fallait  bien  que  Molière  les  eût  par- 
faitement étudiés  lui-même;  et  personne  ne  croira  qu'écri- 
vant une  petite  pièce  au  pied  levé  il  se  soit  donné  la  peine 
de  les  apprendre  pour  le  besoin  du  moment.  On  a  pu  se 
tromper  quelquefois  sur  le  flux  de  paroles  qui  tombe  de  la 
docte  bouche  de  Pancrace  et  n'y  voir  que  des  coqs-à-l'âne. 

I.    Les  scènes  iv  et.  t. 


SUR   MOLIERE.  53 

Un  maître  d'une  grande  autorité^  a  fort  bien  expliqué  que 
les  questions,  dont  le  pédant  personnage  fait  un  étalage 
ridicule,  sont  très  intelligibles  pour  qui  en  sait  l'histoire. 
Qu'on  se  souvienne  aussi  des  Femmes  savantes,  où  quelques 
traits,  justes  toujours,  ont  suf(i  pour  caractériser  chacune 
des  différentes  sectes^  :  le  Platonisme,  avec  ses  abstractions  ; 
le  Péripatétisme,  auquel  on  s'attache  pour  V ordre;  Des- 
cartes, et  sa  matière  subtile,  ses  tourbillons,  ses  mondes 
tombants,  sans  oublierses  dis])Utes  sur  le  vide  avec  Gassendi, 
ni  les  points  de  doctrine  particulièrement  chers  à  celui-ci. 
les  dogmes  forts  d'Epicure,  et  ses  petits  corps. 

Molière,  dans  son  allusion  à  cette  dernière  philoso|)hie, 
n'a  pas  un  mot,  il  faut  le  dire,  qui  fasse  pencher  la  balance 
de  son  côté.  C'est  ailleurs  que  nous  chercherions  une 
meilleure  preuve  de  l'étude  qu  il  en  fit  dans  sa  jeunesse; 
c'est  dans  cette  traduction  de  Lucrèce,  malheureusement 
perdue,  mais  dont  l'existence  est  parfaitement  attestée^.  On 
ne  trouverait  aucune  époque  où  il  ait  pu  avoir  le  loisir, 
disons  même  le  goût,  d'y  travailler,  sinon  au  temps  des 
leçons  de  Gassendi.  Le  poème  De  la  Nature  des  choses  était 
le  bréviaire  de  ce  maître,  qui  le  cite  continuellement  dans 
ses  lettres,  et  le  savait  tout  entier  par  cœur,  au  témoignage 
de  Bernier  *.  Une  prédilection  si  décidée  indique  par  qui  fut 
conseillée  au  jeune  Molière,  comme  l'exercice  poétique  le 
moins  étranger  de  tous  à  ses  travaux  philosophiques,  une 
traduction  hérissée  de  tant  de  difficultés  ;  il  n'est  pas  à  sup- 
poser qu'il  ait  de  lui-même  choisi  cette  rude  tâche.  Il  la 
simplifia;  car  on  nous  appi'end  qu'il  s'était  borné  à  traduire 
en  prose  et  en  vers  la  meilleure  partie  du  poème  ^.  Il  avait 


1.  M.  Paul  Janet.  Voyez,  dans  la  Rauic  politique  el  lUléraire  du 
26  octobre  1872,  le  mémoire  qu'il  a  lu  à  l'Institut  :  la  Philoso- 
phie dans  les  comédies  de  Molicre.  ^ows  y  faisons  plus  d'un  emprunt. 

2.  Les  Femmes  savantes,  acte  III,  scène  11. 

3.  Voyez  aux  pages  SSg  et  56o  de  notre  tome  V. 

4.  Dans  l'avis  au  lecleur  qui  prceèdc  son  id)régé  de  la  philoso- 
phie de  Gassendi. 

5.  Voyez  le  fragment  d'une  lettre  de  Chapelain  à  Bernier, 
citée  par  Sainte-Beuve  dans  ses    Causeries  du  lundi,  tome    XIV, 


54  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

apparemment  réservé  les  vers  pour  les  morceaux  les  moins 
arides,  tels  que  celui  dont  il  a  placé  dans  le  Misanthrope 
une  imitation  sans  aucun  doute  retouchée,  peut-être  toute 
nouvelle.  II  est  permis  de  croire  qu'il  n'aurait  pas,  même 
en  prose,  abordé  les  autres,  si  ce  n'avait  été  pour  obéir  à 
Gassendi. 

La  date  que  nous  croyons  être  celle  de  la  traduction  de 
Lucrèce  par  Molière  pourrait  donner  lieu  à  une  objection, 
dont  nous  sommes  peu  touché.  L'abbé  de  Marolles  prétend 
que  Molière  avait  avoué  «  plus  d'une  fois  qu'il  s'étoit  servi 
de  la  version  en  prose  dédiée  à  la  Sérénissime  Reine  Chris- 
tine de  Suède.  »  La  version  dont  il  parle  est  la  sienne.  Elle 
ne  fut  publiée  qu'en  i65o.  Mais  comment  croire  que  celle 
de  Molière  ne  soit  pas  antérieure?  Si  l'aveu  qu'on  lui  prête 
n'est  pas  une  invention  de  la  vanité  de  Marolles,  il  faudrait 
seulement  admettre  que,  pour  corriger  quelques  passages 
de  cette  étude  poétique  de  sa  jeunesse,  il  n'avait  pas  dédai- 
gné de  consulter  le  très  médiocre  travail  de  1  abbé.  Restât-il 
des  doutes  sur  l'époque  ou  Molière  traduisit  le  poète  de  la 
philosophie  d'Epicure,  nous  dirions  encore  :  Gassendi  est 
là  :  il  n'y  a  que  ses  leçons  qui  aient  pu  engager  Molière, 
plus  tôt  ou  plus  tard,  dans  ce  commerce  avec  Lucrèce*. 


p.  i38,  note  a.  —  L'al)bë  de  Marolles,  dans  la  préface  de  la  se- 
conde édition  de  sa  traduction  de  Lucrèce  (lôSg),  parle  de  celle 
de  Molière,  dont  il  avait  vu  deux  on  trois  stances  du  commence- 
ment du  livre  II,  qui  lui  avaient  «  semblé  fort  justes  et  agréables  ». 
Que  n'a-t-il,  rendant  un  meilleur  service  aux  lecteurs  que  par  sa 
pauvre  version,  cité  ces  stances,  où  vraisemblablement  on  recon- 
naîtrait, à  quelque  âge  que  Molière  les  ait  écrites,  la  main  d'un 
poète  dans  la  lutte  avec  les  vers  magnifiques  :  Suave  mari  magno...? 
I.  Nous  n'aurions  eu  à  revenir  plus  loin  sur  cette  traduction, 
dont  la  perte  est  si  regrettable,  que  si  nous  savions  comment 
elle  a  péri.  Grimarest  (p.  3ii  et  3 12)  raconte  qu'un  des  domes- 
tiques de  Molière,  le  même  peut-être  qui  le  chaussait  à  l'envers, 
en  ayant  trouvé  un  cahier  sous  sa  main,  en  fit  des  papillotes 
pour  la  perruque  de  son  maître,  qui,  dans  sa  colère,  jeta  le  reste 
au  feu.  On  a  tenu  assez  généralement  cette  luiecdote  pour  un 
conte.  Grimarest  avait  dit  un  peu  plus  haut  (p.  309  et  3 10)  que 
Molière  avait  laisse'  des  fragments  de  pièces  inaciiov(>es,  et  même 


SUR   MOLIERE.  55 

Quoique  un  tel  indice,  très  frappant  à  la  condition  de 
n'être  pas  le  seul,  ne  puisse  raisonnablement  paraître  avoir 
la  même  valeur  pour  tous  ceux  qui  ont  traduit  Lucrèce  vers 
ce  temps-là,  il  n'en  a  pas  fallu  d'autre  pour  que  l'on  ait  cru 
voir  dans  notre  petite  école  gassendiste  un  homme  célèbre 
par  des  vers  élégamment  traduits  du  début  du  même  poème. 
On  lit  partout  aujourd'hui  le  nom  de  Hesnault  associé  à 
ceux  que  donne  Grimarest.  N'acceptons  pas  ce  nouveau 
disciple,  enrôlé  arbitrairement  et  trop  tard.  Il  l'a  été  pour 
la  première  fois,  à  notre  connaissance,  par  Auger  dans  son 
édition  des  Œuvres  de  Molière  (i 819),  plus  digne  ordinaire- 
ment de  confiance*. 

quelques  pièces  entières  (qui  le  croira?);  que  sa  femme,  dans  son 
insouciance,  les  donna  à  La  Grange;  que  celui-ci  les  conserva 
jusqu'à  sa  mort;  mais  que  Mme  La  Grange  vendit  toute  la  biblio- 
thèque de  son  mari,  où  apparemment  se  trouvaient  les  précieux 
manuscrits,  non  pas  toutefois,  selon  lui,  la  traduction  de  Lucrèce, 
puisqu'il  la  croyait  brûlée  par  Molière.  Si  la  veuve  de  Molière 
avait  donné  à  La  Grange  les  manuscrits  de  3Iolière,  ce  ne  serait 
donc  pas  chez  sa  mère  que  le  jeune  Guérin  les  avait  eus  à  sa 
disposition,  comme  il  le  déclare  dans  la  préface  de  Mvrtil  et  Mé- 
licerte.  Différente  est  la  version  de  M.  Loiseleur,  qui  n'en  fait  pas 
connaître  les  preuves.  Mme  Molière,  dit-il,  vendit  la  traduction 
six  cents  livres  à  Barbin;  celui-ci,  trouvant  l'ouvrage  dangereux, 
refusa  de  le  publier.  On  ne  sait  vraiment  que  penser  de  ces  ré- 
cits, qui  ne  s'accordent  pas.  Parmi  les  points  obscurs,  celui  de  la 
disjjarition  du  poème  De  la  Nature  ne  nous  semble  pas  éclairci. 

I.  Voyez  la  T-'ie  de  Molière  au  tome  I  de  cette  édition,  p.  lxxxvii 
et  Lxxxnii.  —  Plus  loin,  à  la  p.  cvii,  Auger  croit  avoir  constaté 
une  étroite  liaison  entre  Molière,  Chapelle  et  Hesnault,  qui  don- 
nerait quelque  vraisemblance  à  la  présence  de  ce  dernier  dans  la 
maison  de  Luillier  en  1641.  Il  s'appuie  sur  l'autorité  de  Gui 
Patin  ;  il  n'aurait  dû  alléguer  que  celle  du  Patiniana  (Amsterdam, 
1703)  ;  car  c'est  là  seulement  que  l'on  trouve  à  la  page  80  le  pas- 
sage qu'il  cite  :  «  D'Hénault...  voit  souvent  deux  hommes  qui 
ne  sont  pas  plus  chargés  d'articles  de  foi  que  lui;  ce  sont  Cha- 
pelle et  Molière.  »  Soit  dit  en  passant,  on  ne  saurait  attacher 
d'importance  à  un  certificat  d'irréligion  donné  par  Gui  Patin. 
Mais  est-ce  bien  lui  qui  parle?  N'est-ce  pas  plutôt  celui  à  qui  on 
doit  cette  édition  du  Patiniana,  c'est-à-dire  Bayle?  Dans  le  Dic- 
tionnaire du  même  Bayle,  au  mot  P.\tiîj  [Guy)  on  lit  cette  phrase  : 


§$  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Molière,  demandera-t-on,  s'est-il  donc  jamais,  comme 
Bernier,  Cyrano  même  et  Chapelle,  montré  gassendiste? 
A  leur  manière,  non;  car  ils  ont  plus  ou  moins  philosophé 
sur  les  atomes  et  sur  les  autres  théories  favorites  du  maître, 
ce  que  lui  n'a  pas  fait.  On  a  dit'  qu'il  se  laisse  reconnaître 
pour  son  disciple  dans  sa  guerre  contre  la  médecine,  parce 
qu'au  témoignage  de  Sorbière  «  Gassendi  badinoit  agréa- 
blement et  il  y  avoit  j)laisir  à  l'entendre  sur  les  médecins  ». 
Mais  lorsque  Molière,  à  son  tour,  donne  à  ses  traits  acérés 
la  Faculté  pour  cible,  il  n'est  pas  besoin  de  voir  du  gassen- 
disme  en  cette  affaire.  En  général,  le  gassendisme  de  Molière, 
celui  du  moins  qui  serait  doctrinal,  on  a  raison  quand  on  ne 
le  distingue  pas  clairement.  On  croirait  même  volontiers 
notre  poète  dans  un  autre  camp  philosophique,  le  voyant  si 
lié  avec  le  cartésien  Jacques  Rohault  ;  mais  le  principal 
domaine  de  Rohault  a  été  la  physique,  dont  sans  doute 
Molière  ne  s'est  jamais  beaucoup  occupé.  Son  schisme  s'est 
mieux  déclaré  par  cette  dispute  dans  un  bateau  avec  Cha- 
pelle, dont  nous  avons  déjà  parlé  d'après  Grimarest^.  Nous 
y  revenons  pour  citer  le  langage  que  le  biographe  met 
dans  la  bouche  de  Molière,  le  jour  qu'il  s'échauffa  si  fort 
pour  Descartes  et  contre  Gassendi  :  «  J'en  fais  juge  le  bon 
père,  si  le  système  de  Descartes  n'est  pas  cent  fois  mieux 
imaginé  que  tout  ce  que  M.  de  Gassendi  nous  a  ajusté  au 
théâtre,  pour  nous  faire  passer  les  rêveries  d'Epicure.  Passe 
pour  sa  morale  ;  mais  le  reste  ne  vaut  pas  la  peine  que  l'on 

«  [ses  lettres]  témoigDeut  que  le  symbole  de  l'auteur  n'etoil  pas 
chargé  de  beaucoup  d'articles  ».  Cette  expression  originale  plai- 
sait évidemment  à  Bayle.  Il  est  vraisemblable  que  c'est  à  lui  seul 
qu'elle  appartient,  et  que,  la  faisant  servir  deux  fois,  tantôt  il  l'a 
tournée  contre  Gui  Patin,  tantôt  il  la  lui  a  prêtée.  Un  témoi- 
gnage si  peu  sérieux  ne  prouve  donc  rien,  pas  même  que  Molière 
ait  jamais  été  dans  des  relations  intimes  avec  Hesnault. 

I.  Voyez  dans  la  Biographie  générale  l'article  Gasse>di,  qui  est 
de  M.  Aube.  — Les  traces  de  Gassendi  dans  les  comédies  de  Mo- 
lière y  sont  cherchées  avec  soin,  et  généralement  avec  une  saga- 
cité qu'on  ne  trouve  pas  en  défaut,  et  qui  nous  a.  plus  d'une  fois, 
mis  dans  la  voie. 

a.    ^"oyez  ci-dessiis.  p.   42  et  43. 


SUR   MOLIÈRE.  57 

yfasse  attention.  »  Sainte-Beuve  s'est  emparé  de  ces  paroles. 
Molière,  a-t-il  dit',  «  de  Gassendi  prend  surtout  l'esprit, 
non  le  système,  non  les  atomes  ;  et  il  croit,  suivant  son  propre 
aveu,  et  malgré  Chapelle  qui  prend  tout  ten  glouton  qu'il 
est),  que  d'Epicure  et  de  Gassendi  il  n'y  a  guère  de  bon  que 
la  morale  ».  Il  ne  resterait  plus  qu'à  confondre  cette  morale, 
ce  qui  serait  d'ailleurs  très  injuste,  avec  celle  qui  fait  con- 
sister le  souverain  bien  dans  le  plaisir  sensuel,  et  voilà 
Molière  compromis.  Nous  nous  hâterons  moins  de  prendre 
pour  le  «  propre  aveu  »  de  Molière  le  petit  discours  que 
l'ien  ne  permet  de  croire  textuellement  rapporté.  Mais  nous 
acceptons  le  fond  de  l'anecdote.  Molière  s'est  rangé  du  côté 
de  Descartes.  Il  n'y  a  pas  là  de  quoi  le  rayer  de  la  liste  des 
anciens  disciples  de  Gassendi.  On  ne  s'étonne  pas  qu'un 
homme  de  ce  caractère  n'ait  pas  aliéné  l'indépendance  de 
son  jugement.  Gassendi  lui-même  l'avait  formé  à  cette 
liberté.  Au  reste,  on  ne  croira  pas  qu'il  ait  jamais  aimé  à  se 
perdre  dans  les  brouillards  métaphysiques.  Il  lui  convenait 
surtout  de  tirer  de  l'enseignement  du  maître  une  philoso- 
phie pratique,  la  philosophie  de  la  vie,  et  pour  laisser  parler 
M.  Janet^,  «  celle  des  gens  du  monde,  aussi  opposée  que 
possible  aux  philosophies  subtilisantes  et  aux  extravagances 
spéculatives.  »  Celle-là  seule  put  lui  être  utile,  quand  il 
amassa  son  trésor  d'observateur  moraliste,  et  dut  lui  plaire 
dès  sa  jeunesse  dans  sa  vocation  particulière.  Si  c'est  là  ce 
que  Grimarest  a  voulu  lui  faire  dire  par  les  paroles  qu'il  a 
mises  dans  sa  bouche  sur  la  morale  de  Gassendi,  à  la  bonne 
heure.  Il  faut  ajouter  que  la  clairvoyance  de  Molière  était 
trop  pénétrante  pour  que  dans  toute  ambitieuse  doctrine 
formée  par  un  esprit  systématique  il  n'aperçût  pas  quelque 
côté  faux.  S'il  ne  manqua  pas  d'en  apercevoir  dans  celle  de 
Gassendi,  cela  n'empêche  pas  que  par  sa  puissante  méthode 
elle  n'ait  été  de  nature,  sinon  à  créer,  du  moins  à  forti- 
fier chez  lui  la  rectitude  de  jugement,  l'admirable  raison 
qui  ne  lui  ont  jamais  fait  défaut.  Vraisemblablement  aussi 
il  doit  bien  à  ses  études  philosophiques  quelque  chose  du 

1.  Port-Royal,  tome  III,  p.  i-jî. 

2.  Dans  récrit  déjii  ciu-,  p.  53. 


58  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

sérieux  profond  mêlé  dans  toutes  ses  pièces  à  la  plus 
franche  gaieté.  Enfin  l'on  n'accorderait  pas  trop  peut-être  à 
Gassendi,  si  l'on  pensait  que  les  sages  et  hautes  leçons  de  ce 
maître,  homme  de  bien,  ont  contribué  à  solidement  établir 
dans  l'âme  de  Molière  les  principes  de  cette  droiture  qui 
l'a  fait  estimer  et  aimer.  On  n'a  jamais  pu  dire  que  Molière 
ait  été  épicurien  à  la  façon  de  Chapelle;  qui  ne  l'était  pas  à 
celle  de  Gassendi.  Quelque  intime  et  durable  que  soit  restée 
par  la  suite  la  liaison  des  deux  camarades,  leur  genre  de 
vie  fut  très  dissemblable.  Chapelle,  «  le  grand  ivrogne  du 
Marais  »,  pouvait  se  nommer,  à  plus  juste  titre  qu'Horace, 
un  pourceau  du  troupeau  d'Epicure,  dans  lequel  il  préten- 
dait faire  entrer  ses  amis.  Dans  sa  lettre  en  vers  au  marquis 
de  Jonsac,  célébrant  une  réunion  de  buveurs  à  la  Croix  de 
Lorraine,  oîi  se  trouvait  Molière,  il  s'est  amusé  à  le  montrer 
ce  jour-là  aussi  peu  sage  que  les  autres  : 

Molière  que  bien  connoissez, 
Et  qui  nous  a  si  bien  farcez 
Messieurs  les  coquets  et  coquettes, 

beuvoit  assez 

Pour  vers  le  soir  être  en  goguettes. 

On  sait  par  les  Mémoires  de  Louis  Racine  et  par  Grimarest 
qu'il  s'est  également  donné  le  plaisir  d'enivrer  traîtreuse- 
ment Boileau,  comme  il  s'en  est  vanté  : 

.   .   .  renversant  ta  cruche  à  l'huile, 
Je  te  mis  le  verre  à  la  main. 

Molière,  tout  comme  Boileau,  connaissait  mieux  la  cruche 
à  l'huile  que  la  bouteille  aux  petits  glouglous.  Tous  deux  ne 
cessaient  d'exhorter  leur  incorrigible  ami  à  se  guérir  de 
son  vice.  L'anecdote  du  souper  d'Auteuil  nous  fait  voir 
Molière  seul  raisonnable  au  milieu  de  gens  mis  en  péril  par 
la  folie  du  vin.  Non  seulement  sa  faible  santé,  mais  ses  goûts 
le  portaient  à  la  sobriété.  On  ne  doit  pas  se  le  figurer  non 
plus  dune  morale  trop  épicurienne  en  amour.  De  ce  côté  sans 
doute  sa  vie  fut  celle  d'un  comédien.  Cependant  Grimarest, 
qui  parle  quelque  part  de  son   «  penchant  pour  le  sexe*  », 

I.    La  vie  de  M.  de  Molière,  p.  aSo. 


SUR    MOLTÈRE.  Sg 

n  en  dit  pas  moins  ailleurs'  qu'il  «  airaoit  les  bonnes 
mœurs  ».  Nous  ne  soupçonnons  pas  là  une  banale  complai- 
sance de  biographe.  Celui  dont  le  cœur  fut  toujours  plein 
de  tendresse  pour  sa  femme,  quelques  sujets  de  plaintes 
qu'elle  lui  donnât,  nous  ne  le  voyons  point  marqué  du  ca- 
ractère d'un  débauché. 

On  n'a  pas  davantage  découvert  sérieusement,  malgré  la 
bonne  envie  qu'on  y  a  mise,  on  n'a  pas  signalé  de  manière  à 
nous  convaincre,  l'impiété  dont  il  a  été  souvent  taxé.  C'est 
un  grief  qu'un  de  ses  contemporains,  Adrien  Baillet,  a  très 
durement  développé.  Tartuffe  ne  lui  semblait  pas  la  plus 
dangereuse  de  ses  comédies.  Il  trouvait  les  semences  de 
l'irréligion  «  répandues  d'une  manière  si  fine  et  si  cachée 
dans  la  plupart  de  ses  autres  pièces  qu'on  peut  assurer  qu'il 
est  infiniment  plus  difficile  de  s'en  défendre  que  de  celle 
où  il  joue  pèle  et  mêle  bigots  et  dévots  le  masque  levé^  ». 
L'exagération  du  zèle  avait  fait  prendre  à  ce  rigoriste  des 
lunettes  grossissantes.  Plusieurs,  dans  l'entraînement  d'un 
zèle  tout  contraire,  ont  également  inscrit  3Iolière  sur  la 
liste  des  incrédules,  afin  de  lui  en  faire  compliment.  Il  a  eu 
de  grandes  hardiesses;  mais  on  n'a  pas  le  droit  d'en  forcer 
les  intentions.  Inventer  un  Molière  dévot,  serait  nouveau, 
disons  ridicule.  On  ne  reconnaîtrait  plus  l'auteur  du  Tartuffe, 
du  Festin  de  Pierre,  même  de  V École  des  femmes.  Il  est  cer- 
tain qu'entouré,  chez  Gassendi,  de  jeunes  esprits  forts,  il 
avait  respiré  là  un  air  de  libertinage,  au  sens  dont  nous 
avons  déjà  parlé.  II  est  resté  l'ami  de  ces  condisciples  peu  édi- 
fiants, et  nous  le  voyons  lié  aussi  avec  le  sceptique  la  Mothe 
le  Vayer,  même  avec  Ninon.  Enfin  on  doit  reconnaître  que  le 
poème  de  Lucrèce  pourrait  être  nommé,  non  pas  seulement 
comme  nous  l'avons  fait,  le  bréviaire  de  Gassendi,  mais 
le  catéchisme  de  ses  disciples.  Il  n'était  pas  le  meilleur  à 
leur  recommander.  Dans  un  autre  poème,  qui,  d'autre  façon, 
n'est  pas  plus  édifiant,  on  a,  parmi  les  railleries,  dit  une  in- 
contestable vérité  :  «  l'irréligion  de  Lucrèce,  trop  forte 
pour  les  jeunes  estomacs,  ne  peut  leur  être  une  nourriture 

1.  La  T^ie  de  M.  de  Molière  p.  104 • 

2.  Jitrremens  des  Scavans...  (1686),  lomc  IV,  S"^  partie,  p.   119. 


6(i  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

saine'.  »  Nous  uvons  vu  combien  Molière  s'était  nourri  du 
poète  épicurien.  Toutefois  Gassendi  a  toujours  fait  de  son 
mieux  pour  rendre  l'aliment  moins  dangereux,  en  avertis- 
sant d'en  rejeter  1  athéisme.  Ainsi  purgé  de  son  venin,  il 
risquait  beaucoup  moins  d'égarer  Molière.  Après  tout,  on 
n'a  aucune  bonne  raison  de  penser  qu'il  ait  été  très  éloigné 
des  sentiments  mis  par  lui  dans  la  bouche  du  sage  de  sa 
comédie  de  Tartuffe.  Sans  pouvoir  affirmer  qu'il  en  eût 
d'aussi  parfaits,  et  sans  tirer  parti,  plus  qu'on  ne  voudrait 
peut-être  le  trouver  juste,  du  vers  de  Cléante,  qui  semble 
plutôt  la  protestation  de  l'auteur  que  celle  de  son  person- 
nage : 

Je  suis  comme  je  parle,  et  le  ciel  voit  mon  cœur, 

nous  avons  peine  à  croire  que  son  esprit  sérieux  et  profond 
n'ait  pas  été  frappé  des  grandes  vérités  enseignées  par 
Gassendi,  le  libre,  mais  religieux,  philosophe. 

On  a  remarqué  dans  le  Festin  de  Pierre  la  tirade  de  Sgana- 
relle  où,  contre  le  vilain  homme  qu'il  sert,  le  pauvre  valet, 
avec  sa  grosse  rectitude  d'esprit,  défend  Dieu  par  le  vieux, 
mais  toujours  bon,  argument  des  causes  finales.  Otez  la 
forme  risible,  appropriée  au  rôle,  vous  constaterez  une  évi- 
dente ressemblance  de  cette  réclamation  du  bon  sens  avec 
des  passages  d'un  écrit  de  Gassendi^.  Molière  les  a  certaine- 
ment eus  sous  les  3  eux  ou  présents  à  la  mémoire,  et  ne  doit 
pas  être  soupçonné  d'avoir  voulu  s'en  railler  dans  une  irres- 
pectueuse parodie.  Son  intention,  pour  nous  très  claire,  a 
été  de  mettre  la  vérité  dans  la  bouche  d'un  simple,  la  vérité 
qui  souvent  a  moins  de  nuages  pour  l'ingénuité  que  pour 
la  science.  Après  cela,  que  Sganarelle  s'embrouille  plaisam- 
ment, et  qu'en  philosophant  il  s'évertue  si  bien  qu'il  tombe, 
la  rieuse  comédie  le  voulait;  mais  Don  Juan  est  seul  à  croire 

1.  «  Lucretius'  irreligion  is  loo  strong 

For  earlj  siomachs,  to  prove  wholesome  food.  m 
[Don  Juan  de  Byron,  chant  \",  stance  xLiii.) 

2.  Le  Syniagma  philosophicum,  au  tome  1"  des  OEucres,  p  Sag, 
et  au  tome  II,  p.  234.  —  Le  rapprochement  a  été  indiqué  par 
M.  C.  .1.  Jeanne!  dans  sou  livre  la  Morale  de  Molirre  (1867). 


SUR   MOLIERE.  6i 

que  le  l'aisonnement  se  soit,  avec  le  raisonneur,  cassé  le 
nez.  Notre  impression  est  que  Molière,  qui  jugeait  bons,  après 
la  chute  du  valet  prédicateur,  les  morceaux  de  l'argumen- 
tation, laissait  com[)rendre  aux  spectateurs  qu'il  la  retenait 
à  son  compte.  Il  a  toujours  aimé  à  donner  à  la  raison  des 
interprètes  naïfs,  bonnes  gens  sans  culture,  et  d'autant 
moins  suspects,  Martine,  Nicole  et  le  Sganarelle  du  Festin 
de  Pierre,  un  Sancho  qui  n'avait  pas  le  bonheur  de  servir 
un  honnête  Don  Quichotte. 

Plus  dun  biogra|)he  tient  pour  impeccable  celui  dont  il 
raconte  la  vie.  C'est  sans  cette  partialité  pour  notre  auteur 
que  nous  avons  repoussé  certaines  préventions  qu'à  tort, 
selon  nous,  l'enseignement  de  Gassendi  a  fait  concevoir 
sur  sa  morale  et  sur  ses  sentiments,  trop  facilement  jugés 
impies.  Nous  croyons  que  l'école  du  sage  maître  a  déposé 
dans  son  esprit  et  dans  son  âme  les  germes  d'heureux 
fruits  destinés  à  mûrir;  et  ces  fruits,  ils  nous  ont  semblé 
reconnaissables  dans  cette  justesse  et  cet  admirable  équi- 
libre du  jugement,  dans  cette  raison  parfaite,  dans  cette 
étude  si  profonde,  si  vraiment  philosophique,  des  passions 
et  des  mœurs,  qui  sont,  à  côté  de  la  verve  comique,  les 
caractères  frappants  de  ses  œuvres.  Nous  n'oublions  pas 
toutefois  que,  s'il  est  permis  de  chercher  quelles  circon- 
stances de  jeunesse  et  de  première  éducation  ont  pu  aider 
à  la  formation  d'un  grand  esprit,  il  ne  faut  pas  trop  se  flatter 
de  les  déterminer  sûrement,  ni  vouloir,  quand  on  croit  en 
rencontrer  quelques-unes,  en  exagérer  le  pouvoir.  Le  don 
du  génie  reste  un  mystère,  et  c'est  la  main  de  la  nature 
surtout  que  l'on  y  devine. 

On  doit  reconnaître  d'ailleurs  que  si,  par  les  leçons  de 
Gassendi,  la  maison  de  Luillier  a  été  bonne  à  Molière,  elle 
n'était  pas  sans  inconvénients  lorsqu'elle  le  mettait  dans 
l'intimité  des  Chapelle  et  des  Cyrano.  En  quittant  de  tels 
camarades,  il  est  entré  dans  la  vie  mal  prémuni  contre  les 
entraînements  de  son  Age  ;  et  l'on  ne  s'étonnera  pas  de  le 
trouver  tout  à  l'heure  sans  répugnance  pour  la  société  de 
nouveaux  amis  que  ne  recommandait  pas  la  régulai^ité  de 
leur  vie. 

Rien  ne  nous  ayant  paru  plus  digne  d  attention  dans  l'édu- 


62  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

cation  de  Molière  que  l'histoire  du  cénacle  gassendiste, 
on  voudra  bien  nous  pardonner  de  l'avoir  faite  un  peu  longue 
et  d'avoir,  entraîné  par  elle,  touché  à  quelques  points  que 
doivent  ramener,  dans  l'ordre  des  temps,  d'autres  parties 
de  cette  biographie.  Nous  avons  maintenant  à  suivre  Molière 
depuis  le  moment  où  il  en  a  fini  avec  ses  études  philoso- 
phiques. 

La  durée  de  quelque  mois  qu'il  faut  tout  au  moins  don- 
ner à  ces  études  nous  conduit  facilement  à  la  fin  de  i6'ji. 
A  partir  de  cette  date,  deux  ans  s'écoulèrent  avant  l'entrée 
de  Molière  dans  la  troupe  de  l'Illustre  théâtre,  un  an  seule- 
ment jusqu'au  jour  où  sa  résolution  de  se  faire  comédien 
paraît  avoir  été  connue  de  son  père.  Cet  intervalle  de  temps 
fut  rempli  par  des  études  de  droit.  On  a  parlé  aussi  d'é- 
tudes de  théologie  :  c'est  uniquement  sur  la  foi  de  Tallemant, 
qui,  dans  l'historiette  de  Mondory,  disant  quelques  mots  de 
Madeleine  Béjart,  a  écrit  cette  note  :  «  Un  garçon  nommé 
Molière  quitta  les  bancs  de  la  Sorbonne  pour  la  suivre  ;  il 
en  fut  longtemps  amoureux,  donnoit  des  avis  à  la  troupe, 
et  enfin  s'en  mit,  et  l'épousai  »  Voilà  un  homme  bien  in- 
formé !  Une  erreur  comme  celle  du  mariage  avec  Made- 
leine Béjart  suffirait  à  montrer  avec  quelle  légèreté  il  se 
faisait  l'écho  de  tous  les  contes  qu'il  trouvait  à  ramasser. 
On  fera  donc  bien  d'être  incrédule  aux  études  en  Sorbonne. 
Pour  qu'elles  ne  fussent  pas  d'ailleurs  invraisemblables,  il 
eût  fallu  les  placer  au  sortir  du  collège  de  Clermont  et 
admettre  que  Molière  y  avait  suivi  le  cours  de  philosophie, 
lequel  y  précédait  celui  de  théologie.  Il  n'a  certainement 
connu  d'autre  Sorbonne  que  la  maison  de  Luillier. 

Ses  études  du  droit  doivent  au  contraire  être  admises. 
Elles  sont  attestées  par  la  Préface  de  1682  :  «  Au  sortir  des 
écoles  de  droit,  il  choisit  la  profession  de  comédien*  .« 
Grimarest,  qui,  dans  le  doute,  n'avait  d'abord  rien  dit  de 
ces  études,  s'est  ravisé  tout  à  la  fin  de  sa  biographie, 
ayant   été  renseigné  par  la  famille  même  de  Molière-'.  Il 

1.  Les  Historiettes,  tome  VII,  p.   177. 

2.  Préface  de  1682,  p.  xiii. 

3.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  3 1 9.-3 1 4- 


SUR   MOLIERE.  63 

suffirait  peut-être  du  témoignage  de  l'auteur  à' Elomirc  hyp  ;- 
condre^,  qui  n'avait  ce  semble  aucune  raison  d'inventer  les 
licences  prises  à  Orléans.  Il  nous  apprend  que  Molière 
les  obtint  «  moyennant  finance  «.  Lorsqu'il  fait  parler  Élo- 
mire  lui-même,  celui-ci  se  vante  d'avoir  appris  les  lois  à 
fond,  de  s'être  fait  avocat  et  d'avoir  suivi  le  barreau  pen- 
dant cinq  ou  six  mois.  Angélique  (Madeleine  Béjart)  répond 
que  dans  Orléans  un  âne  pouvait  acheter  la  licence,  et 
qu'Elomire  ne  fut  qu'une  fois  au  Palais.  L'ânerie  de  Molière 
n'est  pas  plus  croyable  là  que  dans  le  passage  où  Chalussay 
l'en  a  gratifié  à  sa  sortie  du  collège  de  Clermont.  Eût-il 
abordé  avec  peu  de  goût  l'étude  des  lois,  et  n'eût-il  fait  que 
l'effleurer,  il  n'est  pas  douteux  quelle  a,  comme  toutes  les 
autres,  trouvé  son  intelligence  ouverte.  On  a  remarqué - 
avec  quelle  exactitude  il  a  fait  parler  la  langue  du  droit 
à  Scapin  dans  les  Fourberies,  au  notaire  Bonnefoy  dans  le 
Malade  irtiaginaire.  Le  soin  de  ses  affaires  avait  sans  doute 
pu,  en  différentes  circonstances,  lui  rendre  la  connaissance 
du  droit  plus  familière  ;  mais  nous  ne  doutons  pas  qu'une 
préparation,  même  superficielle,  de  sa  licence  n'ait  com- 
mencé à  l'y  initier.  Ceci  paraît  seul  vrai  dans  les  railleries 
de  la  médisante  comédie,  qu'à  Orléans  on  devenait  facile- 
ment licencié  à  beaux  deniers  comptants.  Parmi  plusieurs 
autres  témoignages  à  l'appui,  on  a  souvent  cité  un  très  pi- 
quant passage  des  Mémoires  de  Charles  Perrault^. 

Ce  qui  peut  être  surtout  à  noter  dans  le  dernier  com- 
plément des  études  de  Molière,  c'est  qu'il  atteste  combien 
son  père  tint  à  lui  donner  une  instruction  étendue.  Chalus- 
say semble  avoir  été  juste  en  l'appelant  à  cette  occasion 
«  ce  bon  père  ».  On  n'est  pas  très  assuré  de  ce  qu'il  espé- 
rait alors  de  son  fils,  toute  autre  chose  sans  doute  que  le 
parti  qu'il  allait  lui  voir  prendre.  Le  plus  probable  n'est 
pas  qu'il  comptât  le  laisser  plaider,  mais  bien  lui  faire  exer- 
cer la  profession  paternelle,  relevée  alors  par  la  charge  de 

I.  Scène  il  du  Divorce  comique,  p.  76  et  82. 

a.  Voyez  la  Langue  du  droit  dans  le  théâtre  de  Molière,  par  Eu- 
gène Paringault. 

3.   Voyez  ces  Mémoires  aux  pages  20-9.3. 


64  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

valet  de  chambre  du  roi.  Ce  devait  être  naturellement  l'es- 
pérance dont  il  s'était  flatté  lorsqu'il  lui  avait  fait  assurer  la 
survivance  de  cette  charge  par  lettres  de  provision  datées 
du  i4  décembre  163^*. 

Grimarest  dit  qu'après  avoir  achevé  ses  études,  Molière 
«  fut  obligé,  à  cause  du  grand  âge  de  son  père,  d'exercer 
sa  charge  pendant  quelque  temps  ».  Il  ajoute  :  «  et  même 
il  fit  le  voyage  de  Narbonne  à  la  suite  de  Louis  XIII*  ».  Le 
grand  âge  du  père  de  Molière  est  une  erreur  manifeste  qui 
a  mis  en  défiance  sur  tout  le  passage.  Jean  Poquelin,  ayant 
alors  quarante-sept  ans,  n'était  ni  vieux  ni  «  devenu  infirme 
et  incapable  de  sei'vir  »,  comme  l'a  dit  Voltaire,  par  amplifi- 
cation du  texte  de  Grimarest.  Il  n'était  pas  besoin  de  cette 
mauvaise  raison  pour  expliquer  que  le  père  se  fût  fait  rem- 
placer par  son  fils  ;  il  désirait  le  produire,  et  aussi  l'engager, 
le  lier  solidement.  Des  documents  certains  établissent  que 
Jean  Poquelin,  en.  1642,  ne  cessa  pas  de  s'occuper  à  Paris 
de  son  commerce,  et  par  conséquent  ne  fit  pas  son  service 
auprès  du  roi^.  Il  devait  pourtant  ce  service,  même  en 
voyage.  Cela  rend  assez  probable  l'envoi  du  survivancier  à 
sa  place.  Cette  probabilité  a  fait  chercher  Molière  sur  les 
pas  du  roi,  pendant  les  mois  d'avril,  mai  et  juin,  que  l'on 
croit  avoir  été  ceux  où  il  devait  servir*.  On  a  voulu  le 
trouver  à  Sigean,  petite  ville  à  quelques  lieues  de  Narbonne, 
où  la  maison  d'un  certain  Melchior  Dufort  hébergea  le  ser- 
vice^. Or,  fait-on  remarquer,  des  relations  entre  ce  Dufort 


1.  Recherches  sur  Molière.  Document  XLV,  cote  dix,  p.  9,88. 

2.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.    i4. 

3.  Recherches  sur  Molière,  p.  24. 

4-  Dans  les  Recherches  sur  Molière,  p.  146,  Document  II,  cote 
vingt-huit,  sont  inventoriés  deux  certificats  attestant  que  Jean 
Poquelin  a  servi  le  Roi  durant  le  quartier  d'avril,  mai  et  juin  i63i. 
Il  faudrait  pourtant  savoir  si  la  distribution  des  quartiers  était  la 
même  tous  les  ans,  si  de  celle  de  i63i  on  a  le  droit  de  conclure 
à  celle  de  1642.  On  verra  plus  loin  qu'en  i663  le  quartier  des 
Poquelin  commençait  au  mois  de  janvier.  C'était,  il  est  vrai,  sous 
un  autre  règne. 

5.  Voyez  V Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Langue- 


SUR    MOLIERE.  65 

et  la  troupe  de  Molière,  à  une  époque  ultérieure,  sont  con- 
statées. Elles  nous  ])araissent  cependant  d'un  caractère 
discutable,  et  de  toute  façon  l'indice  est  léger.  On  ne  s'est 
pas  contenté  de  tenir  pour  certaine  la  présence  de  Molière 
dans  la  suite  royale,  on  lui  a  donné  dans  la  terrible  affaire 
du  grand-écuyer  Cinq-Mars  un  rôle  qui,  malgré  le  peu  de 
droit  du  conspirateur  à  notre  sympathie,  a  paru  touchant. 
On  s'est  appuyé  sur  nous  ne  savons  trop  quelles  pièces  rela- 
tives à  l'arrestation  du  favori,  au  témoignage  desquelles  des 
perquisitions  auraient  été  faites  dans  le  palais  épiscopal  de 
Narbonne  pour  mettre  la  main  sur  lui,  tandis  qu'un  jeune 
valet  de  chambre  le  cachait  dans  un  cabinet  obscure  II  n'en 
a  pas  fallu  davantage  pour  reconnaître  Molière  dans  ce 
jeune  homme  secourable.  Avant  d'accepter  comme  de  l'his- 
toire ce  joli  roman,  la  critique  réclamerait  quelque  chose 
de  plus  que  des  inductions  forcées,  et  d'ailleurs  tirées  de 
documents,  qu  il  eût  au  moins  fallu  produire  et  qui  ne  s'ac- 
cordent pas  avec  les  relations  officielles.  N'ayons  ])as  trop  de 
complaisance  pour  les  légendes,  même  quand  elles  flattent 
l'imagination  par  un  certain  air  de  poésie. 

Il  doit  suffire,  lorsque  le  témoignage  de  Grimarest  fait 
au  moins  supposer  une  ancienne  tradition,  de  ne  pas  re- 
jeter la  probabilité  du  voyage  de  Molière  à  la  suite  de 
Louis  XIII.  Il  n'est  pas  inconciliable  avec  ses  rapides  études 
de  droit,  qui  sont  incontestablement  de  la  même  année 
1642,  ainsi  que  la  licence  prise  à  Orléans  ;  il  en  put  trou- 
ver le  temps,  celui  même  de  plaider  une  fois,  comme  on 
l'a  dit,  avant]  son  départ  pour  le  Midi,  sinon  plutôt  encore 
au  retour. 

Quelques-uns  pensent  que  le  voyage  de  1642  le  mit  pour 
la  première  fois  en  relation  avec  Madeleine  Béjart,  qu'il  au- 
rait alors  rencontrée  dans  une  troupe  comique.  On  a  même 
marqué  le  lieu  possible  de  cette  rencontre,  qui  serait  un 
village  à  quelques  lieues  de  Nîmes,  Montfrin,  où  Louis  XIII, 
retournant  à  Paris,  s'arrêta,  pour  prendre  les  eaux,  dans  la 

doc,  par  Emmanuel  Raymond  (L.  Galibcrl).  Paris,  i858,  p.  11 
et  22. 

I.  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Languedoc,  p.  2  4- 
Molière,  x  5 


66  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

seconde  quinzaine  de  juin.  La  comédie  y  était  jouée  tous  les 
jours  ;  et  l'on  veut  que  la  Béjart  y  ait  fait  partie  de  la  troupe 
des  comédiens*.  Si  ingénieusement  que  l'on  appuie  ces  con- 
jectures par  des  remarques  sur  la  composition  probable  de 
cette  troupe,  elles  restent  des  conjectures. 

VÉlonï/re  hypoco/ulrc,  où  l'on  ])eut  trouver  quelques  infor- 
mations en  les  dégageant  des  charges  grossières  dont  elles 
sont  enveloppées,  place  les  liaisons  de  Molière  avec  les  Béjart 
à  peu  près  vers  le  même  temps,  lorsque,  pendant  son  appren- 
tissage d'avocat,  ceux-ci,  le  voyant  faire  des  parades  de  l'Or- 
viétan et  de  Bary  son  école  de  comédien,  l'appelaient  «  le 
mangeur  de  vipères'  )^. 

D'après  Grimarest,  ce  fut  «  en  formant  sa  troupe  »  qu'il 
«  lia  une  forte  amitié  avec  la  Béjart^  «.  Cette  forte  amitié,  à 
quelque  moment  qu'on  la  fasse  commencer,  ne  saurait  être 
mise  en  doute,  et  il  n'est  pas  téméraire  de  lui  donner  un 
autre  nom.  Boileau  devait  être  bien  informé,  lorsqu'il  disait 
à  Brossette  que  Molière  avait  été  amoureux  de  la  Béjart*, 
sans  donner  d'ailleurs  de  date  à  cet  amour.  Ceux  qui  le  ré- 
voquent en  doute  auront  peine  à  faire  partager  leur  indul- 
gente confiance  ;  mais  on  n'admettra  pas  facilement  non 
plus  le  commérage  de  Tallemant^.  qui  fait  quitter  au  jeune 
homme  ses  études  pour  suivre  celle  qui  l'aurait  charmé. 
Bayle  aussi  l'a  voulu  croire.  Il  regrette  qu'il  n'en  soit  rien 
dit  dans  la  Fie  du  poète  par  Grimarest  :  «  On  n'y  a  point, 
dit-il^,  rappelé  un  fait  que  bien  des  gens  m'ont  assuré,  c'est 
qu'il  ne  se  lit  comédien  que  pour  être  auj)rès  d'une  comé- 
dienne dont  il  étoit  fort  amoureux.  Je  laisse  à  deviner  si 
l'on  s'en  est  tu  parce  que  cela  n'est  pas  véritable,  ou  de  peur 
de  lui  faire  peine.  »  Ainsi  une  amourette,  beaucoup  plus  que 


I.  Voyez  .1/.  de  Jlodène,  ses  deux  femmes^  et  Madeleine  Bcjurl^  par 
3I.HeDri  Chardon  (un  volume  grand  in-8°,  Paris,  1886),  p.  laS-iuj. 
a.  Voyez  ci-dessus,  p.   19. 

3.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  20. 

4.  Ms.  de  Brossette,  p.  38. 

5.  Voyez  ci-dessus,  p.  62. 

6.  Dictionnaire   historique  et   critique,   au   nom    PoQUEMN    (Jean- 
Baptiste). 


SITU    MOI.IKP,  E.  (57 

l;i  passion  de  la  comédie,  aurait  eufraînt''  Moliùre  dans  sa  ha- 
sardeuse carrière;  et  ce  serait  Madeleine  Béjart  qui  l'aurait 
donné  au  théâtre,  et  par  suite,  devrions-nous  dire,  aux 
lettres  dont  il  est  devenu  la  gloire,  si  l'on  croyait  que  le 
comédien  seul  a  pu  faii'e  le  grand  poète  comique.  Cherchez 
la  femme,  a-t-on  souvent  ré])été;  mais  on  la  trouve  quel- 
quefois où  l'on  n'en  a  j)as  affaire.  Fallût-il  croire  qu'une  ga- 
lanterie ait  pressé  Molière  de  suivre  sa  vocation  théâtrale, 
cette  vocation,  antérieure  sans  doute,  demeure  la  seule  ex- 
plication sérieuse  d'une  résolution  assez  forte  pour  résis- 
ter atout  ce  qui  la  déconseillait.  Nous  refuserions  même 
de  penser  que  l'amour  de  l'art  du  comédien,  bien  qu'il  ait 
duré  chez  lui  et  semble  n'avoir  fait  qu'un  dans  son  esprit 
avec  l'ambition  d'un  bien  plus  grand  art.  ait  été  son  prin- 
cipal mobile.  C'est  l'appel  de  ce  grand  art  qui  a  été  invin- 
cible. La  noble  aspiration  ne  s'est  pas.  il  est  vrai,  très  vite 
manifestée;  mais  bien  que  Molière  se  soit  d'abord  contenté 
de  fournir  sa  troupe  de  bagatelles  dont  il  y  avait  à  attendre 
])lus  de  secours  pour  vivre  que  de  renommée,  il  est  pro- 
bable que  de  bonne  heure  il  médita  des  ouvrages  plus  dignes 
de  lui:  et  bien  qu'ils  se  soient  fait  attendre,  une  œuvre  telle 
que  l Étourdi  n'éclate  pas  dans  le  demi-jour  d'une  ville  de 
province,  sans  cjue  depuis  longtemps  son  auteur  eût  songé  à 
quelque  coup  de  maître,  comme  mérite  d'être  nommé  ce  coup 
d'essai.  Dès  le  jour  même  où  il  rompit  av^ec  l'honnête  vie 
bourgeoise,  nous  croyons  chez  lui  à  l'impatience  d'un  génie 
qui  sentait  ses  forces,  et  entendait  plus  ou  moins  clairement 
la  voix  de  sa  destinée.  Si,  dans  le  choix  d'une  profession, 
cjui  pai'aissait  le  faire  déchoir,  il  y  a  jiour  lui  une  justifica- 
tion, elle  est  là. 

Sa  forte  instruction  de  bon  humaniste,  puis  de  philosophe, 
venait  à  peine  de  se  compléter  par  quelque  étude  du  droit, 
lorsqu  il  prit  une  voie  qu'on  n'a\ait  certainement  pas  eue 
en  vue,  en  lui  procurant  le  bienfait  d'une  telle  culture. 

Dès  le  commencement  de  iG'/J,  sa  résolution  fut  décla- 
rée à  son  père.  Il  l'avertit,  le  6  janvier,  qu'il  renonçait  à 
la  survivance  de  la  charge  de  tapissier  du  roi,  le  priant  et 
rec[uérant  de  faire  pourvoir  de  cette  charge  tel  autre  de  ses 
enfants  qu'il    lui  plairait.  Kn  même  temps  il  lui  donna  quit- 


68  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

tance  d'une  somme  de  six  cent  trente  livres,  reçue  «  pour 
l'employer  à  l'effet  y  mentionné  »,  tant  sur  «  ce  qui  lui 
pouvoit  appartenir  de  la  succession  de  sa  mère  qu'en  avan- 
cement d  hoirie  future*  «.  Si  la  quittance  elle-même  nous 
avait  été  conservée,  au  lieu  de  l'analyse  qu'on  en  trouve 
dans  l'inventaire  fait  après  la  mort  de  Jean  Poquelin,  il  est 
difficile  de  mettre  en  doute  que  la  mention  de  l'emploi  de 
la  somme  y  indiquât  les  dépenses  à  faire  pour  une  entre- 
prise, sinon  désignée  en  termes  formels,  au  moins  connue 
du  père,  comme  devant  être  l'établissement  d'une  troupe 
comique.  Le  démissionnaire  de  l'avantageuse  et  honorable 
charge  n'avait  pu  expliquer  sa  renonciation  que  par  l'aveu 
du  choix  de  la  nouvelle  carrière  où  il  se  jetait.  Grimarest 
dit  que  ses  parents  essayèrent  par  toutes  sortes  de  voies  de 
l'en  détourner-.  Perrault  parle  expressément  de  l'opposi- 
tion du  père,  qui,  «  fâché  du  parti  que  son  fds  avoit  pris,  le 
lit  solliciter  par  tout  ce  qu'il  avoit  d'amis  de  quitter  cette 
pensée,  promettant,  s'il  vouloit  revenir  chez  lui,  de  lui  ache- 
ter une  charge  telle  qu'il  la  souhaiteroit,  pourvu  qu'elle 
nexcédàt  pas  ses  forces^.  »  Cette  circonstance  dune  pro- 
messe si  engageante,  Perrault  ne  l'avait  sans  doute  pas 
inventée.  Il  est  probable  qu'il  avait  recueilli  une  tradition. 
Sans  oser  dire  qu'elle  fût  entièrement  fausse,  nous  ne  l'ac- 
cepterions pas  sans  faire  de  réserves  sur  quelques  points, 
tout  particulièrement  sur  l'anecdote  du  maître  chez  qui  Mo- 
lière avait  été  mis  en  pension  pendant  les  premières  années 
de  ses  études,  et  qui,  envoyé  par  Jean  Poquelin  pour  le  ser- 
monner et  le  détourner  de  sa  folie,  fut  au  contraire  si  bien 
endoctriné  par  lui  que,  passant  à  l'ennemi,  il  se  laissa  enrô- 
ler lui-même  dans  la  troupe,  pour  y  jouer  le  rôle  du  Pédant. 
On  ne  sait  pourquoi  Grimarest  veut  que  Perrault  ait  parlé 
de  ce  maître,  devenu  comédien,  comme  d'un  ecclésiastique  ; 
nous  sommes  du  reste  de  son  avis,  lorsqu'il  croit  que  l'on 
avait   fait  un  conte   à  Perrault  ^    La  plaisante  scène    sent 

1.  Reclterchessur Molière. Y)ocvMEyr^\}i\ll,  cote  quatre,  p.  227, 

2.  La  Fie  de  M.  de  Molière,  p.   18. 

3.  Les  Hommes  illustres,  p.  7g. 

4.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  17  et  18, 


SUR   MOLIERE.  69 

beaucoup  trop  la  comédie.  En  attendant  que  nous  montrions 
plus  loin  ce  qui  la  rend  surtout  invraisemblable,  conten- 
tons-nous de  dire  ici  que,  si  Molière  en  avait  été  vraiment 
le  témoin  et  l'un  des  acteurs,  il  serait  assez  étonnant  qu'il 
ne  l'eût  mise  à  profit  dans  aucune  de  ses  pièces.  Reste  la 
ressource  de  dire  que  nous  n'avons  pas  toutes  ses  farces. 

Comme  il  était  habitué  à  ne  rien  laisser  perdre  de  ce  qui 
lui  avait  fait  impression,  on  veut,  à  défaut  de  l'histoire  du 
convertisseur  perverti,  reconnaître  dans  des  vers  de  V É- 
toiircli  un  autre  souvenir  des  orages  domestiques  soulevés 
par  la  déclaration  de  son  projet*.  Ces  vers,  où  l'on  a  cru  en- 
tendre retentir  quelque  chose  de  sa  querelle  avec  son  père, 
sont  dans  la  bouche  de  Mascarille,  qui  s'égaye  très  irrespec- 
tueusement du  courroux  du  père  de  Lélie  : 

Vous  savez  que  sa  bile  assez  souvent  s'aigrit 
Qu'il  peste  contre  vous  d'une  belle  manière, 
Quand  vos  déporlements  lui  blessent  la  visière. 


Et  s'il  vient  à  savoir 

Que  de  ce  fol  amour  la  fatale  puissance 
Vous  soustrait  au  devoir  de  votre  obéissance, 
Dieu  sait  qtielle  tempête  alors  éclatera 
Et  de  quels  beaux  sermons  on  vous  régalera. 

Moquez-vous  des  sermons  d'un  vieux  barbon  de  père, 
Poussez  votre  hidet,  vous  dis-je,  et  laissez  faire^. 

On  découvrira  dans  les  pièces  de  Molière  autant  d'allu- 
sions qu'il  plaira  d'en  imaginer.  Celle-ci  serait  fâcheuse; 
mais  il  est  tout  à  fait  arbitraire  de  la  lui  imputer.  Ceux  qui 
l'admettraient  y  pourraient  voir  confirmée  l'explication 
qu'on  a  cherchée  de  son  association  avec  des  comédiens 
dans  son  amour  pour  une  fille  de  théâtre.  Pour  nous,  ni  cet 
amour,  ni  la  violente  colère  de  Jean  Poquelin,  dont  son  fils 

1.  Molière,  sa  vie  et  ses  œuvres  {Molière,  sein  Leben  und seine  JVerke), 
par  Ferdinand  Lotheissen  (Francfort-sur-le-Mein,  1880),  p.  4-2 
et  43. 

2.  L'Étourdi,  acte  I,  scène  11. 


^o  rsOTlCE   BIOGRAPHIQUE 

se  serait  moqué,  ne  sont  prouvés  par  une  tirade  trop  sub- 
tilement interprétée. 

Quoique  Ion  ait  peine  à  ne  croire  à  aucun  mécontente- 
ment du  père  de  Molière,  les  documents  authentiques  laissent 
à  ce  sujet  des  doutes.  Ils  engagent  tout  au  moins  à  ne  pas 
s'imaginer  que  la  résistance  paternelle  ait  été  très  ferme. 
La  somme  avancée  par  Jean  Poquelin  à  son  fils*,  et  dont  le 
refus  eût  été  une  tentative  sérieuse  d'empêchement,  dénonce 
une  assez  prompte  complaisance;  et  des  transactions  ulté- 
lûeures  auxquelles  il  se  prêta  montrent  que  cette  complai- 
sance ne  fut  pas  la  dernière.  Soulié  a  fait  remarquer  que 
^ï.  Molière,  en  164^,  n'avait  que  vingt  et  un  ans  (et  même,  le 
6 janvier,  il  s'en  fallait  de  quelques  jours  ,  et  qu'en  ce  temps- 
là  on  n'était  pas  encore  majeur  à  cet  âge.  Pour  la  majorité 
parfaite,  il  fallait  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  Molière  paraît  donc 
avoir  eu  un  bonhomme  de  père  indulgent  jusqu'à  la  faiblesse, 
on  pourrait  dire  un  peu  Géronte,  à  qui  auraient  suffi  quelques 
vaines  objections  et  remontrances.  On  avait  eu  déjà  une 
preuve,  non  pas  sans  doute  de  sa  faiblesse,  mais  de  sa  grande 
bonté,  dans  la  forte  instruction  qu'il  fit  ou  laissa  donner  à  son 
fils.  Un  excès  de  cette  bonté,  dans  un  grave  relâchement  de 
son  autorité  paternelle,  est  plus  probable  que  son  insouciance 
du  sort  de  l'obstiné  jeune  homme,  ou  encore  nous  ne  savons 
quels  vilains  calculs  d'un  homme,  qui,  pour  se  consoler  du 
coup  de  tête,  y  aurait  trouvé  l'occasion  d'arrangements  pécu- 
niaires favorables  à  ses  propres  intérêts.  S'il  eût  plus  éner- 
giquement  soutenu  son  opposition,  comme  on  sait  par  l'évé- 
nement ce  que  l'avenir  réservait  à  Molière,  on  pourrait  la 
trouver  regrettable.  Rien  cependant  n'aurait  dû  lui  paraître 
plus  prudent,  plus  conforme  à  son  devoir.  Entrer  dans  le  tri- 
pot comique  n'était  pas  chose  bien  acceptée  par  l'opinion, 
quoi  qu'ait  voulu  dire  Chappuzeau  de  la  bonne  position  des 
comédiens  dans  le  monde  de  son  temps.  Il  prend  soin  de 
rappeler  les  déclarations  royales  en  leur  faveur,  leur  facile 
accès  ce  auprès  du  roi  et  des  princes  et  de  tous  les  grands 
seigneurs,  qui  leur  font  caresse*  ».  Il  reconnaît  cependant 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  67  et  68. 

a.   Le  Théâtre  français^  livre  III,  sectiou  iv. 


SUR   MOLIERE.  71 

lui-même  qu'ils  «  sont  moins  bien  (l;uis  les  esj)rits  de  certaines 
gens  ^'.  Eugène  Despois  a  regardé  comme  évident  qu'au  début 
du  règne  de  Louis  XIV  le  préjugé  contre  eux  était  moins  fort 
qu'il  ne  le  fut  plus  tard*.  Nous  l'admettons;  et  cependant  il 
est  certain  que  même  alors,  à  considérer  leur  situation  sociale, 
ils  étaient  loin  d'avoir  cause  gagnée.  Le  monde,  qui  leur 
faisait  fête,  ne  les  reconnaissait  pas  pour  être  des  siens.  Si 
quelque  part  ils  trouvaient  la  barrière  légèrement  abaissée, 
c'était  plutôt  du  côté  des  grands  seigneurs  que  des  bons  bour- 
geois. En  dépit  donc  des  traces,  qui  sont  restées,  de  l'in- 
dulgence de  Jean  Poquelin,  nous  comprendrions  mal  que  la 
famille  de  Molière  ne  lui  en  ait  pas  du  tout  voulu  de  son 
équipée.  C'était  vraiment  une  chute.  Le  génie  qui  l'en  a  re- 
levé, et  très  haut;  ne  se  prévoyait  pas.  Il  est  naturel  qu'au- 
jourd'hui ceux  mêmes  qui  pensent  qu'il  faisait  une  faute,  soient 
portés  à  dire  :  heureuse  faute  !  Et  cependant  est-on  bien  sûr 
que  ses  immortels  chefs-d'œuvre  aient  été  à  ce  prix?  Pour 
le  soutenir,  le  ])lus  plausible  argument  est  que,  acteur  autant 
qu'auteur,  une  de  ses  forces  fut  de  's'être  préoccupé  tout 
particulièrement  de  la  représentation  de  ses  comédies,  plutôt 
faites,  comme  il  l'a  toujours  pensé,  pour  être  jouées  que  pour 
être  lues  ;  et  qu'il  n'aurait  jamais  possédé  si  bien  tous  les 
secrets  de  l'art  théâtral,  si  une  expérience  de  chaque  jour 
ne  les  lui  avait  enseignés  sur  la  scène  elle-même,  dans  une 
communication  continuelle  avec  les  spectateurs.  Mais  qui 
sait?  d'excellents  poètes  dramatiques  se  sont  passés  de  ce 
genre  d'instruction.  De  quelque  côté  d'ailleurs  que  ce  soit, 
les  grandes  destinées  finissent  par  trouver  leur  chemin,  et 
mieux  vaut  qu'elles  ne  le  cherchent  pas  d'un  côté  sujet  à 
de  fortes  objections. 

Il  est  probable  que  Jean  Poquelin  ne  fut  pas  très  satisfait, 
et  que,  s'il  céda,  ce  fut  seulement  après  quelque  essai,  si  peu 
énergique  qu'il  ait  été,  de  résistance  à  une  résolution  opi- 
niâtre. Ce  qui  ne  devait  pas  lui  coûter  le  moins,  c'était  de 
renoncer  à  l'espoir  de  transmettre  à  son  fils  aîné  sa  charge 
dans  la  maison  du  roi.  Peut-être  se  flattait-il  cependant  que 
dans  la  désertion  de  ce  fils  il  n'y  avait  rien  d'irrévocable.  Il 

I.    Lt  Théâtre  frawais  sou.a  Louii  XIV ^  p.    ii-i. 


7a  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

ne  paraît  pas  s'êti'e  pressé  de  transférer  à  son  second  fils  la 
survivance  dont  l'aîné,  tout  à  ses  projets,  le  ])riait  de  dispo- 
ser pour  un  autre  de  ses  enfants.  La  première  fois  que  Jean 
Poquelin  le  jeune  est  dit  «  tapissier  et  valet  de  chambre  or- 
dinaire du  roi  ".  c'est  en  i65'f,  dans  l'acte  du  14  septembre, 
par  lequel  son  père  lui  cède  son  fonds  de  commerce;  jus- 
que-là Molière  continua  de  prendre  ce  titre  dans  des  actes 
publics,  dans  une  obligation,  par  exemple,  du  3i  mars  1645* 
et  dans  un  baptistaire  de  Narbonne  en  date  du  i  o  janvier  1 65o  *, 
où  il  est  inscrit  comme  parrain,  et  Mlle  de  Brie  comme 
marraine.  Il  ne  pouvait  plus  s'y  regarder  comme  autorisé 
lorsque  son  frère  fut  légalement  reçu  en  survivance.  Jal 
a  constaté  que  ce  fut,  au  plus  tard,  dès  i6j^^.  Deux  ans 
après,  ce  frère,  dans  l'acte  de  baptême  d'un  de  ses  enfants, 
est  qualifié  «  marchand  tapissier  ordinaire  du  roi  »  ;  Molière, 
le  parrain,  y  est  dit  simplement  «  bourgeois  de  Paris  «  ; 
et,  dans  une  quittance  du  i3  du  même  mois  de  mai  iGSg, 
«  comédien  de  la  troupe  de  Monsieur,  ci-devant  valet  de 
chambre  du  roi^  ».  Jean  Poquelin  le  jeune  étant  mort  le 
6  avril  1660,  Molière  reprit  la  survivance  de  la  charge.  Il 
fut  porté  sur  l'état  avec  son  père,  et  seul  après  la  mort 
de  celui-ci.  La  profession  de  comédien  ne  l'exclut  pas  de 
l'honneur  de  faire  son  service.  Dans  l'acte  de  son  inhu- 
mation, comme  dans  l'inventaire  fait  après  sa  mort,  il  n'a 
d'autre  titre  que  celui  de  «  tapissier,  valet  de  chambre  du 
roi  ».  Une  relation  de  ses  obsèques  nous  apprend  que 
la  bière  de  bois  dans  laquelle  fut  porté  son  corps  était  re- 
couverte du  poêle  des  tapissiers;  dernière  preuve  qu'il  avait 
appartenu  juscpi'à  son  heure  suprême  à  l'honorable  corpo- 
ration. 

En  attendant  que  le  tapissier  reparaisse,  et  jusque  dans 
le  triste  jour  où  il  semblerait  qu'il  n'était  plus  guère  at- 

1.  Recherches  sur  Molière.  Docusiest  XVII,  p.  i85. 

2.  Voyez  cet  acte  âan&V  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans 
le  Languedoc,  p.  49-  Le  Moliériste  d'avril  1881  l'a  publié  plus  cor- 
rectement. 

3.  Dictiomiaire  critique  de  biographie...,  au   nom  .volière.  J).  876. 
4-    Rcclivrches  sur  Molière.  DociriVTENT  XX^'IIT.  p.  aoi. 


SUR   MOLIKRE.  7"? 

tendu,  il  va  pour  le  moment  s'effacer  et  faire  place  au  co- 
médien. 

L'acte  j)ar  lequel  Jean-Baptiste  Poquelin  et  ses  associés  se 
lièrent  pour  une  entreprise  théâtrale  fut  passé  le  3o  juin 
1643^  Cette  pièce,  conservée  dans  les  archives  d'un  des 
notaires  de  Paris,  est  très  curieuse  par  les  renseignements 
qu'elle  fournit,  et  parce  que  le  théâtre  qui  tient  à  honneur 
d'être  toujours  la  maison  de  Molière  pourrait  la  regarder 
comme  son  plus  ancien  titre  ;  sa  fondation  du  moins  devait 
un  jour  en  sortir.  De  cette  date  du  3o  juin  il  résulte  que  l'as- 
sociation ne  fut  réglée  que  six  mois  après  la  quittance  citée 
plus  haut,  qui  nous  a  paru  l'annoncer  assez  clairement,  et 
qui  est  des  premiers  jours  de  la  même  année.  Cette  quit- 
tance nous  ayant  montré  l'opposition  du  père  désarmée,  de 
nouveaux  efforts  de  sa  part  pour  renouveler  la  lutte  ne  sont 
pas  vraisemblables,  et  mieux  vaut  essayer,  comme  on  l'a 
fait-,  d'expliquer  le  retard  de  six  mois  par  un  événement 
qui  mit  en  deuil  les  Béjart,  principaux  associés  de  Molière, 
la  mort,  sans  date  précise,  mais  vers  ce  temps,  du  chef  de 
leur  famille,  Joseph  Béjart.  On  pourrait  entrevoir  aussi, 
comme  explication,  non  pas  une  mort,  mais  une  naissance, 
qui  aurait  forcé  la  première  comédienne  à  quelque  repos,  si 
l'on  savait  mieux  la  date  de  cette  naissance,  et  s'il  y  avait 
quelque  chose  de  plus  que  des  conjectures,  très  contestées, 
sur  la  véritable  mère  de  l'enfant,  conjectures  dont  nous 
aurons  trop  à  parler. 

I^'acte  d'association  fut  signé  dans  la  maison  de  la  veuve 
de  Joseph  Béjart,  Marie  Hervé,  qui  donnait  à  la  troupe 
trois  de  ses  enfants,  Joseph,  Madeleine  et  Geneviève.  Les 
autres  camarades  étaient  Denys  Beys,  Clérin,  Bonnenfant, 
George  Pinel,  Madeleine  Malingre,  Catherine  des  Urlis.  La 
troupe  prenait  le  nom  à' Illustre  théâtre. 

1.  Eud.  Soulié  l'a  l'ait  connaître  le  premier  dans  la  Corres- 
pondance littéraire  du  10  janvier  i865.  Nous  le  donnons  aux  Pièces 
justificatives^  n"  m,  d'après  le  texte  plus  complet  que  M.  Louis 
Moland  a  inséré  dans  sa  Vie  de  Molière,  au  tome  I  des  OEin-rts 
cœnplètes  du  potte  (deuxième  édition,  i885),  p.  43-4^- 

2.  Les  Points  obscurs  de  la  vie  de  Molière,  p.   11 6- 118. 


74  NOTICE  BlOCKAFlllOUE 

On  croit  bien  reconnaître  là  une  de  ces  associations  de 
comédiens  qui  étaient  nombreuses  alors;  mais  on  l'a  quel- 
quefois entendu  moins  simplement.  'La  Préface  de  1G82  avait 
dit*  :  «  [Molière]  tàcba  dans  ses  premières  années  de  s'éta- 
blir à  Paris  avec  plusieurs  cnfans  de  famille,  qui.  par  son 
exemple,  s'engagèrent  comme  lui  dans  le  parti  de  la  comé- 
die, sous  le  titre  de  l'Illustre  théâtre.  »  Cette  qualification 
à'enfants  de  famille,  vraisemblablement  donnée  à  Molière  et 
à  ses  camarades  pour  leur  faire  honneur,  a  suggéré  l'idée 
qu'ils  ne  furent  pas  d'abord  des  acteurs  de  profession.  Per- 
rault s'est  contenté  de  constater  que  Molière  «  se  joignit 
avec  plusieurs  jeunes  gens  de  son  âge  et  de  son  goût.  » 
Mais  Grimarest  a  présenté  leurs  débuts  sous  un  jour  qui 
lui  plaisait  mieux  ;  on  ne  peut  se  défendre  de  le  soupçon- 
ner d'avoir  voulu  arranger  les  choses  de  manière  à  justifier 
l'expression  relevée  dont  s'étaient  sei'vis  les  biographes 
de  1682  :  «  C'étoit  assez  la  coutume  dans  ce  temps-là, 
dit-il,  de  représenter  des  pièces  entre  amis.  Quelques  bour- 
geois de  Paris  formèrent  une  troupe  dont  Molière  étoit.  Ils 
jouèrent  plusieurs  fois  pour  se  divertir;  mais  ces  bourgeois 
ayant  suffisamment  rempli  leurs  plaisirs,  et  s'imaginant 
être  de  bons  acteurs,  s'avisèrent  de  tirer  du  profit  de  leurs 
représentations-.  »  C'est  assurément  sur  la  foi  de  Grima- 
rest, et  sans  avoir  rencontré  d'autres  témoignages,  que,  dans 
un  livre  imprimé  en  1732,  on  a  dit  :  «  [Molière]  s'amusa  avec 
quelques  autres  bourgeois,  selon  le  goût  de  ce  temps-là,  à 
représenter  des  pièces  de  théâtre  en  bourgeoisie,  c'est-à- 
dire  gratis,  dans  les  maisons  de  quelques  particuliers,  mais 
ses  camarades  et  lui  se  croyant  bons  acteurs,  ils  se  mirent 
à  jouer  la  comédie  pour  de  l'argent^.  ^)  On  a  cru  trouver  la 
confirmation  de  ces  commencements  innocemment  bour- 
geois dans  la  remarque  que  les  jeunes  camarades,  avant 
d'avoir  formé  une  troupe  régulière,  paraîtraient  avoir  déjà 

I.  A  la  page  xiii. 

a.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  14  el  i5. 

3.  Variétés  historiques,  physiques  et  littéraires,  tome  I,  11'  partie, 
p.  537.  Ce  recueil,  qui  a  pour  sous-titre  Recherches  d'un  savant, 
est  attribué  au  jurisconsulte  Boucher  d'Argis. 


SUR   MOLIERE.  75 

donné  quelque  part  des  repi'ésentations,  puisque  dans  le 
contrat  d'engagement  il  est  dit  qu'ils  '^  se  lient  ensemble 
pour  l'exercice  de  la  comédie,  à  fin  de  conservation  de  leur 
troupe  sous  le  titre  de  V Illustre  théâtre.  »  Mais,  quand  il  se- 
rait certain  que  déjà  ils  avaient  joué,  ce  que  n'établissent 
pas  assez  les  termes  de  «  conservation  de  la  troupe  »,  il  res- 
terait à  savoir  si  les  représentations,  où  ils  s'étaient  exercés, 
avaient  été  celles  de  comc'dieiis  de  société,  suivant  l'expres- 
sion de  M.  Taschereau^  Quelques-uns  ont  conjecturé  qu'ils 
avaient  pris  pour  premier  théâtre  un  certain  tripot  de  la 
Perle,  dans  le  quartier  qu'habitaient  les  associés,  comme 
nous  l'apprend  leur  contrat  du  'jo  juin  16  1 3.  Aucun  témoi- 
gnage n'est  produit  à  1  appui  de  cette  supj)osition.  S'il  y  a  eu 
un  tripot  de  la  Perle,  qui  soit  devenu  une  salle  de  comédie, 
cette  salle  pourrait  bien,  comme  on  l'a  soupçonné,  n'être 
autre  que  celle  des  comédiens  du  Marais.  Fùt-il  d'ailleurs 
moins  douteux  que  Molière  et  ses  camarades  aient  commencé 
par  jouer  dans  ce  tripot  si  mal  connu,  est-ce  bien  là  qu'ils 
se  seraient  réunis  pour  un  simple  divertissement  d'  «  enfants 
de  famille  »  ?  Que  ion  ait  ou  non  des  objections  à  un  tripot 
quelconque,  ce  premier  dessein  de  se  contenter  d'un  amu- 
sement «  entre  amis  »  est  tout  à  fait  invraisemblable.  Il 
n'aurait  pas  exigé  la  renonciation  de  Molière  à  la  survi- 
vance de  la  charge  paternelle,  ni  sa  réclamation  d'une 
somme  dont  lemploi  à  faire  semble  se  révéler  clairement. 
Croira  qui  voudra  aux  Béjart  simples  amateurs  des  jeux  du 
théâtre,  n'ayant  songé  dans  les  commencements  qu'à  des 
passe-temps  de  bons  bourgeois.  Dans  la  comédie  de  Chalus- 
say,  dont  souvent,  nous  ne  l'avons  que  trop  répété,  il  suffit 
de  réduire  les  exagérations,  ils  n'ont  pas  cette  physiono- 
raie-là.  Ce  sont  pauvres  diables,  aventuriers  de  la  gent  pica- 
resque, on  dirait  aujourd'hui  de  la  bohème,  dontElomire  n'a 
pu  s'entourer  qu'après  avoir  décrassé  leur  misère,  et  dont 
il  fait  ce  portrait  : 

...  Ne  pouvant  formel-  une  troupe  d'élite, 
Je  me  vis  obligé  de  prendre  un  tas  de  gueux 

I.  Histoire  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Molière,  p.   8. 


;(i  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Dont  le  mieux  fait  était  l)ègue,  borgne  ou  boiteux. 

des  gueux  à  triple  étage, 

Des  caimans*  vagabonds,  morts  de  faim,  demi-nus. 

Tout  le  monde  s'étonnant  qu'ils  soient  devenus  si  gras. 

Et  soient  si  bien  vêtus  des  pieds  jusques  au  crâne. 
Que  le  moindre  de  vous  porte  à  présent  la  paune, 

Elomire  leur  reproche  ses  bienfaits  : 

Vous  me  devez  ces  biens,  ingrats-! 

Ils  n'avaient  mérité  sans  doute  ni  cette  indignité,  ni  l'excès 
d'honneur  que  leur  fait  Grimarest.  Il  faut  essayer  de  se  faire 
une  idée  juste  de  ce  qu'étaient  les  soi-disant  enfants  de 
famille  dont  se  doit  distinguer  le  fils  de  l'honorable  tapis- 
sier du  roi.  Examinons  ceux  qui  surtout  comptaient,  les 
Béjart.  Ils  n'étaient  pas  des  caimans  :  ils  avaient  quelque 
argent;  mais  ils  ressemblaient  beaucoup  à  des  aventuriers. 
Il  est  probable  qu'ils  n'en  étaient  pas  au  premier  essai  de 
leur  roman  comique.  Soulié,  très  sévère  dans  la  critique  des 
preuves,  jugeait  «  difficile  de  croire  que  parmi  ces  associés 
(de  l'Illustre  théâtre)  quelques-uns  n'eussent  pas  déjà  figuré 
sur  la  scène^  ».  Il  conjecturait,  avec  bien  d'autres,  que  le 
chef  lui-même  de  la  famille,  l'huissier  Joseph  Béjart,  avait 
joué  dans  quelque  troupe,  le  titre  de  sieur  de  Belleville, 
qu'on  lui  donne  dans  des  actes,  ressemblant  fort  à  un  nom 
de  comédien.  Il  n'aurait  fait  qu'indiquer  le  chemin  où  s'en- 
gagèrent ses  enfants.  Il  ne  semble  pas  que  pour  le  prendre 
Madeleine  Béjart  ait  attendu  l'année  1643.  Le  libelle  de  la 
Fameuse  come'dienne  la  dit  comédienne  de  campagne  en  Lan- 
guedoc dès  le  temps  de  la  naissance  de  sa  fille  (i638)*.  Le 
témoignage  est  assurément  de  peu  de  valeur.  Quant  à  la  vrai- 

1.  Ou  quémands,  gueux,  mendiants. 

2.  Le  Divorce  comique,  scène  11,  p.  76-80. 

3.  Correspondance  littéraire,  9'  année,  p.  80. 

4.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  6.  — Nous  citons  l'édition  de  Franc- 
fort, 1688,  dont  le  titre  est  :  la  Fameuse  Comédienne  ou  Histoire 
de  la  Guérin.  auparavant  femme  et  veuve  de  Molière. 


SUR   MOLIERE. 


77 


semblance,  dont  nous  avons  parlé,  ([ue  la  Béjart  avait  fait  par- 
tie, en  1642,  d'une  troupe  appelée  à  jouer  devant  le  roi,  ceux 
qui  l'ont  proposée  n'ont  fait  qu'une  conjecture.  Plusieurs, 
sans  déterminer  l'époque,  ont  paru  ne  pas  douter  qu'avant 
l'Illustre  théâtre  elle  n'ait  été  vue  sur  quelques  scènes  dans 
le  Languedoc  et  le  Comtat  :  c'est  encore  une  supposition, 
un  peu  affaiblie,  mais  non  démentie  absolument,  par  la  con- 
statation, découverte  dans  différents  actes,  de  sa  présence 
à  Paris  à  certaines  dates  (i636,  i638,  iGSq  et  1640). 
.fal  a  plutôt  pensé  qu'elle  avait  pu  jouer  à  Paris,  ou  dans 
les  environs,  sur  quelques  théâtres  forains'.  On  a  regardé 
aussi  comme  possible  qu'elle  ait  été  quelque  temps  dans  la 
troupe  du  Marais,  où  elle  n'aurait  pas  eu  encore  une  assez 
grande  place  pour  qu'on  s'étonne  de  ne  pas  la  trouver  sur 
les  listes  des  comédiens.  Rien,  dans  tout  cela,  n'est  prouvé; 
et  cependant  les  raisons  ne  manquent  pas  de  tenir  pour 
vraisemblable  que  l'Illustre  théâtre  ne  vit  pas  ses  premiers 
débuts. 

On  a  d'elle  un  quatrain  en  1  honneur  de  Rotrou,  imprimé 
en  i636,  dans  la  première  édition  de  V Hercule  mourant-  de 
ce  poète.  Il  y   est  signé  Magd.  Bciart  (Madeleine  Béjart). 

Tou  Hercule  mourant  te  va  rendre  immortel  ; 
Au  ciel,  comme  en  la  terre,  il  publiera  ta  gloire, 
Et  laissant  ici-bas  un  temple  à  ta  mémoire. 
Son  bûcher  servira  pour  te  faire  im  autel. 

Voilà  une  jeune  fille  de  dix-huit  ans  tout  au  plus^  qui  tour- 
nait aisément  les  vers,  avec  des  jeux  d'esprit  dans  le  goiît 
du  temps,  et  qui  portait  grand  intérêt  (c'est  surtout  ce  que 
nous  voulons  faire  remarquer)  aux  pièces  de  théâtre,  glori- 
fiant et  flattant  Rotrou,  comme  si  déjà  elle  était  en  mesure 
d'espérer  de  messieurs  les  auteurs  quelque  beau  rôle,  aussi 
beau,  par  exemple,  que  celui  d'Iole  dans  VHercule  mourant. 


1.  Dictionnaire  critique. ..  au  nom  BÉjakd  ou  Béjart,  p.    17g. 

2.  Hercule    mourant.    A    Paris,    Anthoine     de    Sommaville 

M. DC. XXXVI  (in-4°).  —  Achevé  d'imprimer  le  28  mai  i636.  — 
Privilège  du  Roi  donné  à  Paris  le  So"  jour  du  mois  d'avril  i636. 

3.  Elle  était  née  en  16 18. 


78  XOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Autre  indice  :  la  liberté  et  la  hardiesse  de  la  femme  de 
théâtre  ne  se  dénoncent-elles  pas,  lorsquen  iG'38  elle  ne 
cache  pas,  mais  laisse  publier  avec  éclat,  le  témoignagne  de 
sa  vie  galante?  Enfin,  lorsqu'on  voit  entrer  avec  elle  dans  la 
nouvelle  troupe  son  frère  Joseph  et  sa  sœur  Geneviève, 
âgée  de  moins  de  vingt  ans,  on  est  plus  porté  encore  à  croire 
ces  Béjart  familiarisés,  tout  au  moins  |)ar  l'exemple  de  l'un 
d'eux,  avec  la  profession  de  comédien.  Quoi  qu'il  en  soit, 
c'était  une  famille  qui  ne  pouvait  en  craindre  beaucoup  la 
vie  aventureuse.  Le  père,  comédien  ou  non,  ne  paraît  pas 
l'avoir  très  bien  morigénée.  Rien  ne  donne  de  lui  une 
haute  idée.  On  lui  accorde  complaisamment,  dans  le  con- 
trat de  mariage  de  Molière,  le  titre  d'écuyer;  et,  dans 
ceux  du  premier  et  du  second  mariage  de  sa  fille  Gene- 
viève, la  qualification  de  procureur  au  Châtelet.  Nous  re- 
grettons de  ne  pas  la  lui  laisser  :  mais  elle  parait  n'avoir  ap- 
partenu qu'à  son  frère.  Pour  lui.  il  était  simplement  huissier 
audiencier  à  la  grande  maîtrise  des  eaux  et  forêts,  siégeant 
à  la  tiible  de  marbre  du  palais.  Quels  que  pussent  être  les 
profits  de  cette  charge,  elle  ne  faisait  de  Joseph  Béjart 
qu'un  bas  officier  de  justice.  Nous  ne  présenterons  pas  sa 
femme,  Marie  Hervé,  comme  une  très  respectable  matrone. 
Elle  iigure,  du  vivant  de  son  mari,  qui  la  laisse  faire,  dans 
l'impudent  acte  de  baptême  du  11  juillet  i638,  où  elle  est 
marraine  de  la  bâtarde  de  sa  fille  Madeleine,  avec  la  cir- 
constance très  aggravante  cjue  l'enfant,  dans  ce  même  acte, 
est  reconnu  par  le  père,  dont  la  femme  légitime  était  encore 
vivante.  C'est  dans  la  maison  de  cette  même  Marie  Hervé, 
devenue  veuve  depuis  peu,  ({u'un  de  ses  fils  et  deux  de  ses 
filles,  l'une  encore  mineure,  s'engagent  dans  la  vie  de  théâ- 
tre. Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  que  Molière  ne  débute  pas 
en  excellente  compagnie  dans  la  carrière  de  son  choix. 

Il  pourrait  suffire  de  savoir  ce  qu'étaient  ces  Béjart, 
vrais  fondateurs  de  l'Illustre  théâtre  avec  le  jeune  Poquelin. 
et  qu'il  est  d'ailleurs  nécessaire  de  bien  connaître,  parce 
qu'ils  occupent  une  trop  grande  place  dans  sa  vie,  surtout 
par  l'une  des  leurs,  née  vers  le  temps  où  se  formait  l'asso- 
ciation des  jeunes  comédiens.  Les  autres  associés  du  3o  juin 
16', 3   nous  intéressent  moins.  Rien   ne   fait   penser  qu'ils 


SUR   MOLIERE.  79 

ne  fussent  pas  dune  médiocre  condition  sociale.  Georges 
Pinel,  qui  prit  pour  le  théâtre  le  nom  de  la  Cousture, 
était  maître  écrivain^  Comme  il  pouvait  avoir  donné  à 
Molière  les  leçons  soit  de  belle  écriture,  soit  de  comptes, 
dont  les  jeunes  gens,  leurs  études  terminées,  avaient  sou- 
vent besoin  pour  leur  profession^,  on  a  cru  reconnaître 
en  lui  le  maître  de  pension  dont  Perrault  a  fait  le  héros  de 
la  plaisante  et  peu  vraisemblable  histoire  du  négociateur, 
mal  choisi  par  Jean  Poquelin^.  Ce  ne  serait  pas,  en  tout  cas, 
un  point  très  important  à  éclaircir. 

Denys  Beys  est  pour  quelques-uns  le  même  que  Charles 
Beys,  auteur  de  pièces  de  théâtre;  celui-ci,  poète  ivrogne, 
était  né  en  16 lo  :  il  aurait  été,  avec  Georges  Pinel,  un  des 
doyens  d'âge  de  la  troupe;  mais  il  est  probable  que  l'on  a 
fait,  à  tort,  une  seule  personne  des  deuxBeys,  qui  étaient  pa- 
rents. Bonnenfant,  jeune  clerc  de  procureur,  s'était  échappé 
de  son  étude  pour  se  joindre  à  nos  comédiens.  On  croit 
que  Clérin  était  frère  de  la  comédienne  du  Marais  connue 
sous  le  même  nom,  Catherine  des  Ui^lis,  lille  d'un  commis 
au  greffe  du  conseil  privé  du  roi,  entra  plus  tard  dans  la 
troupe  du  Marais,  où  l'on  trouve  aussi  son  frère  Jean  et  sa 
sœur  Étiennette,  qui  fut  mariée  au  comédien  Brécourt.  Sa 
mère,  Françoise  Lesguillon,  dut  signer  avec  elle  l'acte  d'as- 
sociation de  l'Illustre  théâtre.  Catherine  était  donc  mineure 
et  dans  toute  la  fleur  de  sa  beauté,  que  l'on  a  beaucoup 
louée.  Madeleine  Malingre  «  était  très  probablement,  dit 
Soulié*,  la  fdle  d'un  maître  menuisier  ».  La  plupart  de  ces 
enfants  de  famille  cherchèrent  bientôt  fortune  ailleurs, 
comme  nous  le  dirons  plus  loin. 

Tels  furent  les  premiers  camarades  réunis  i)ar  Jean- 
Baptiste  Pofiuelin,  que  nous  voyons  pour  la  première  fois, 


1.  Recherches  sur  Molière.  Documext  XXXMI,  p.  21g. 

2.  M.  Auguste  Vitu,  dans  le  Jeu  de  paume  des  Mestaycrs  (Paris, 
A.  Lemerre,  i883),  p.  47-49,  a  très  bien  établi  que  de  telles  leçons 
étaient  données  par  les  maîtres  experts  et  jurés  écrivains  arithmé- 
ticiens, qui  admettaient  des  pensionnaires  internes. 

3.  Voyez  ci- dessus,  p.  68  et  69. 

4.  Recherches  sur  Molière,  p.  87. 


8o  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

dans  un  petit  acte  notarié  du  28  juin  164'»,  prendre  le  nom 
de  Molière^.  A  part  le  talent  dont  Madeleine  Béjart  avait 
déjà  peut-être  fait  connaître  les  promesses,  ce  n'était  pas  là 
cette  a  troupe  d'élite  »  qu'il  aurait  voulu  former;  et  Cha- 
lussay  n'avait  pas  tort,  ce  semble,  de  dire  qu'il  ne  l'avait 
pu.  Le  nom  d'Illustre  théâtre  ne  paraissait  guère  justifié. 
S'il  ne  prête  pas  à  rire,  c'est  que  l'Illustre,  étant  fort  à  la 
mode,  n'était  pas  pris  à  la  lettre:  c'est  surtout  qu'aujour- 
d'hui nous  ne  vovons  plus  ses  humbles  commencements  que 
devenus  vraiment  illustres  par  la  gloire,  très  postérieure 
en  date,  de  son  fondateur. 

Molière  ne  demeurait  plus  chez  son  père  lorsqu'il  signa 
le  contrat  du  3o  juin  i6j3.  Son  domicile  y  est  indiqué  rue 
de  Thorigny,  dans  le  très  proche  voisinage  de  Madeleine 
Béjart,  qui,  d'après  le  même  acte,  demeurait  avec  sa  sœur 
rue  de  la  Perle,  dans  la  maison  de  Marie  Hervé.  Des 
demeures  si  rapprochées,  voire  l'habitation  sous  le  même 
toit-,  sont  assez  naturelles  pour  des  comédiens,  ayant  à 
se  concerter  chaque  jour,  appelés  d'ailleurs  à  vivre  dans 
une  grande  familiarité;  et  il  n'en  était  pas  besoin  pour 
donner  à  gloser  sur  les  relations  qui  s'établirent  entre 
Molière  et  la  principale  actrice  de  la  troupe,  celle  qui  en 
fut,  à  côté  de  lui,  la  fondatrice.  Une  périlleuse  camaraderie 
tourne  aisément  à  la  liaison  galante.  Quoique  Chalussay 
reproche  à  Madeleine  d'être  rousse  et  de  se  servir  de  la 
poudre  d'alun  pour  dissimuler  un  désagrément  auquel  les 
rousses  sont  sujettes,  la  vérité  est  qu'elle  était  belle,  sé- 
duisante par  son  esprit,  dangereuse  par  la  liberté  de  ses 
mœurs.  Molière,  plus  jeune  qu'elle  de  quatre  ans  et  dans 
l'âge  des  passions,  ne  devait  pas  être  fort  en  garde  contre 
les  entraînemonts.  Il  ne  s'était  sans  doute  pas  fait  comédien 


1.  Becherclies  sur  Molière.  DocvMEyr  X^.  Y>-   i;'. 

2.  Dans  le  bail  du  12  septembre  i643  pour  la  location  do  la 
première  salle  de  l'Illustre  théâtre  (Voyez  le  Jeu  de  paume  des  Mes - 
loyers,  p.  65),  les  Béjart  et  Molière,  ainsi  que  Beys  et  Bonnen- 
fant,  sont  dits  «  demeurants  rue  de  la  Ferle  «.Toutefois cette  élec- 
tion de  domicile  dans  la  maison  de  la  mère  des  Béjart  ne  prouve 
pas  qu'ils  y  fussent  loges  en  effet. 


SUR  MOLIERE  8i 

avec  le  ferme  propos  de  demeurer  un  Caton.  N'exigeons 
donc  ])as  de  lui  une  parfaite  sagesse  ;  mais  on  voudrait 
trouver  l'objet  de  son  premier  amour  plus  digne  d'une  vie 
(jui,  au  témoignage  des  contemporains,  autres  que  les  diffa- 
mateurs, fut,  dans  sa  maturité,  réglée  par  des  sentiments 
élevés.  Souvenons-nous,  sans  chercher  une  excuse  pour  Mo- 
lière, que  l'on  ne  trouve,  hélas!  rien  de  plus  délicat  dans 
les  amours  de  Racine,  autrement  élevé  que  le  compagnon 
de  jeunesse  des  Chai)ellc  et  des  C3  rano,  ot  qui  ne  fut  exposé 
que  par  les  soins  donnés  à  la  représentation  de  ses  pièces 
aux  séductions  des  comédiennes. 

Molière  et  ses  associés  se  proposaient  hardiment  de  jouer 
à  Paris,  où  cependant  laissaient  peu  de  place  l'Hôtel  de 
Bourgogne  et  le  théâtre  du  Marais,  dont  l'un,  fier  du  titre 
de  troupe  royale,  semblait  défier  les  rivaux,  et  l'autre,  grâce 
à  l'acteur  Mondory,  à  Corneille  surtout,  avait  montré  que 
toute  concurrence  avec  les  Grands  Comédiens  n'était  pas 
impossible.  Malgré  la  confiance  téméraire  de  la  jeunesse, 
il  est  probable  que  les  nouveaux  acteurs  espéraient  moins 
égaler  des  fortunes  si  bien  établies,  que  mériter,  dès  ces 
commencements,  quelque  estime  et  piquer  la  curiosité. 

Ils  avaient  à  chercher  l'emplacement  de  leur  théâtre.  Rien 
ne  convenait  mieux  qu'un  de  ces  tripots  où  l'on  jouait  à  la 
courte  paume.  C'était  dans  de  tels  tripots  que  les  troupes 
ambulantes  donnaient  volontiers  leurs  représentations  ;  et 
il  y  en  avait  un  à  Paris,  au  Marais,  qui  était  devenu  le 
théâtre  de  Mondory.  Molière  et  les  Béjart  s'accommodèrent 
d'un  jeu  de  paume  sis  «  sur  le  fossé  et  pi'oche  la  porte  de 
Nesle.  »  Une  famille  de  maîtres  paumiers,  du  nom  de  Mes- 
tayer,  en  avait  été  propriétaire,  d'où  l'appellation  de 
Jeu  de  paume  du  Mcstnycr  ou  des  Mestayers.  Les  associés  de 
l'Illustre  théâtre  le  louèrent  pour  trois  années,  au  prix  de 
dix-neuf  cents  livres  tournois,  par  un  bail  en  date  du  12  sep- 
tembre 16  (3*.  Marie  Hervé  se  portait  principal  prenant  et 

I.  La  minute,  conservée  dans  les  archives  des  successeurs  du 

notaire  Legay,  a  été  publiée  par  M.  \itu  aux  pages  64-69  du  Jeu 

de  paume  des  Mestayers.  —  Dans  l'histoire  très  étudiée  qu'il  a  faite 

de   cette  maison,  il  dit  (p.  i").)  qu'elle   «  occupait  remplacement 

Molière,   x  G 


8-2  .\OTlCK    HIOGIIAPIIIQUE 

caution,  liypothéquant  ses  biens  personnels,  spécialement 
sa  maison  de  la  rue  de  la  Perle,  Bien  que  tous  les  associés 
fussent  engagés  solidairement  au  payement  du  loyer,  on 
voit  que  les  Béjart,  qui  s'étaient  rendus  caution,  étaient 
réellement  à  la  tête  de  l'entreprise. 

L'historien  du  Jeu  de  paume  des  Mestayers^  M.  Auguste 
Vitu,  a  fait  la  remarque  curieuse*  que  nos  comédiens  étaient 
tenus  à  payer  le  plus  tôt  possible  une  somme  de  cent  cin- 
quante-huit livres  six  sols  huit  deniers,  pour  le  dernier  mois 
de  leur  location  de  trois  années,  et  que  Jean  Pocjuelin,  cinq 
semaines  avant  la  signature  du  bail,  avait,  le  i'"''  août  i643, 
prêté  à  Georges  Pinel  la  somme  de  cent  soixante  livres^, 
qui  est,  en  compte  l'ond,  celle  dont  il  vient  d'être  parlé. 
Voilà  une  nouvelle  preuve,  et  elle  n'a  pas  échappé  à  M.  Vitu, 
que  la  résistance  du  père  de  Molière  à  l'engagement  de  son 
fils  dans  une  entreprise  théâtrale  n'a  pas  été  très  forte,  tout 
au  moins  très  persistante.  Cette  autre  réflexion  se  présente 
que  si  Georges  Pinel  était,  comme  on  l'a  cru,  le  maître  de 
pension  qui,  dans  l'anecdote  de  Perrault,  après  s'être  chargé 
de  ramener  l'enfant  prodigue,  trahit  sa  mission,  il  devien- 
drait inexplicable  que  Jean  Poquelin  l'eût  choisi  entre  tous 
pour  faire  passer  par  ses  mains  un  subside  à  son  fils.  Lais- 
sant donc  de  côté  le  rôle  qu'on  a  fait  jouer  au  maître  écri- 
vain, il  reste  seulement  ceci,  que  dans  la  voie  indirecte 
prise  par  le  secourable  prêt  on  croit  reconnaître  la  grande 
indulgence  d'un  père  qui  tint  cependant  à  éviter  l'appa- 
rence d'un  consentement  formel  et  d'une  complicité. 

Si  pressé  que  l'on  fût  de  faire  du  tripot  une  salle  de  spec- 
tacle, la  transformation  ne  pouvait  s'improviser;  elle  de- 
manda quelques  mois.  En  attendant,  et  sans  prévoir  qu'il 
faudrait  bientôt  se  l'ésigner  à  devenir  une  troupe  de  cam- 
pagne, on  résolut  d'essayer  ses  forces  et  de  se  faire  connaître 
dans  une  ville  peu  éloignée.  La  troupe  du  Marais  avait  donné 

assez  vaste  que  représentent  aujourd'hui  les  numéros  lo,  ij,  i_î 
sur  la  rue  3Iazariue,  les  numéros  1 1  et  i3  sur  la  rue  de  Seine  ». 

I.  Aux  pages  /[S  et  46. 

1.  InvriUaire  fait  après  le  décès  de  Jean  PoqueJiu,  cote  neuf. 
Voyez  les  Rec/ierc/tcs  sur  Molivrc.  p.  i-nj. 


SUR  MOLIERE.  83 

l'exemple  de  ne  pas  dédaigner  Rouen,  où,  dit  Chappuzeau', 
«  elle  alloit  quelquefois  })asser  l'été  ».  Mondory  l'avait 
habituée  à  en  prendre  le  chemin,  depuis  qu'il  en  avait  rap- 
porté Mélite.  Ce  fut  là  que  l'Illustre  théâtre  alluma  ses  pre- 
mières chandelles.  La  destinée,  qui  a  parfois  de  ces  traits 
d'esprit,  a  placé  dans  la  ville  natale  de  Corneille  le  début 
de  Molière. 

Charles  Perrault  avait  entendu  parler  de  ce  fait  intéressant, 
qu'ont  longtemps  omis  les  autres  biographes  de  notre  poète. 
«  Sa  troupe  étant  formée,  dit-il,  il  alla  jouer  à  Rouen ^.  » 
On  n'avait  pas  assez  pris  garde  à  cette  indication,  parce 
que,  sans  distinguer  les  temps,  Perrault  ajoute  :  «  et  de  là 
à  Lyon  ».  Il  va  si  vite  dans  sa  notice,  de  deux  pages,  que, 
passant  par-dessus  le  premier  établissement  de  nos  comé- 
diens à  Paris,  il  ne  leur  fait  faire  qu'un  saut  de  Rouen  à 
Lyon,  puis  en  Languedoc,  d'où  il  les  ramène  jouer  devant  le 
roi  et  la  cour.  Cependant  Rouen  nommé  d'abord  ne  laisse 
j)as  douter  que  l'auteur  des  Hommes  illustres  ne  connût  le 
souvenir,  conservé  par  la  tradition,  du  séjour  de  la  troupe 
dans  cette  ville  en  1643.  La  preuve  de  ce  séjour  a  été  décou- 
verte par  M.  Gosselin,  archiviste  de  Rouen,  dans  un  registre 
qui  y  est  conservé  au  greffe  du  palais  de  justice.  Là  se  trouve 
un  acte  authentique"',  signé,  sous  la  date  du  3  novembre 
iG.',3,  par  Jean-Baptiste  Poqucliii  et  par  les  camarades  dont 
les  noms  se  lisent,  la  même  année,  dans  l'acte  d'association 
du  3o  juin  et  dans  le  bail  du  12  septembre,  en  outre  par 
une  nouvelle  recrue,  Catherine  Bourgeois,  qui  paraît  avoir 
passé  plusieurs  années  dans  la  troupe,  mais  ne  nous  est  pas 
autrement  connue. 

Nous  ne  savons  pas  quelles  pièces  les  acteurs  de  l'Illustre 
théâtre  représentèrent  à  Rouen,  si  ce  fut  Pompée  ou  Cinna. 
qui  auraient  été  là  comme  chez   eux.  On  aimerait  encore 


I.  Le  Théâtre  français,  livre  IH,  chapitre  xxxvi. 

•2.   Les  Hommes  illustres,  p.  79. 

3.  Publié  dans  le  Musée  des  Archives  départementales  (Paris,  Im- 
primerie nationale,  M.D. CGC. LXX VIII),  p.  872  et  873.  —  Dans 
le  Recueil  de  fac-similés  héliofT-aphitfues  qui  accompagne  cette  pu- 
blication, ou  en  trouve  le  fac-biuiile  sous  le  numéro  139,  pl.LVIll. 


84  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

laieux  imaginer  Molière  y  jouant  dans  le  Menteur  ;  mais  long- 
temps il  eut  le  goût  des  rôles  tragiques,  où  ne  fut  pas  cepen- 
dant son  plus  grand  succès.  La  seule  })icce  que  le  registre  «lu 
greffe  a  sauvée  de  l'oubli  n'est  pas  une  pièce  de  théâtre, 
mais  de  plaiderie,  qui  ne  manque  pas  de  couleur  locale  en 
pays  normand.  C  est  une  procuration  à  l'effet  de  presser 
l'aclièvement  des  travaux  qui  devaient  mettre  le  jeu  de 
paume  du  Mestayer  en  état  de  se  prêter  à  sa  nouvelle  des- 
tination dès  le  retour  à  Paris  des  jeunes  comédiens.  Ceux-ci 
donnaient  pouvoir  à  un  mandataire  de  contraindre  par 
toutes  voies  de  justice  Noël  Gallois,  maître  du  jeu  de  paume, 
le  charpentier  et  le  menuisier,  à  ne  pas  retarder  l'exécution 
de  leurs  engagements.  Lorsque  cette  procuration  commi- 
natoire fut  signée,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  le  3  no- 
vembre, il  y  avait  évidemment  plusieurs  jours  que  les  si- 
gnataires étaient  à  Rouen;  et  comme  la  célèbre  foire  de  cette 
ville,  dite  foire  du  pardon,  ou  foire  de  Saint-Romain,  com- 
mençait le  23  octobre  et  durait  quelque  temps,  on  a  fait  re- 
marquer combien  il  est  probable  que  Molière  et  ses  cama- 
rades avaient  trouvé  dans  ces  fêtes,  où  les  jeux  du  théâtre 
tenaient  une  grande  place,  l'occasion  de  leurs  premiers 
débuts. 

La  troupe  s'arrêta  peu  à  Piouen.  Le  jour  où  elle  revint  à 
Paris  ne  saurait  être  précisé;  mais  on  constate  qu'elle  y 
était  le  28  décembre,  date  du  marché  passé  entre  elle  et 
Léonard  Aubry,  paveur  des  bâtiments  du  roi,  chargé  des 
travaux  de  pavage  devant  le  théâtre,  et  qui  devait  les  avoir 
achevés  le  jeudi  3i,  «  si  le  temps  le  pcrmettoit  ».  Nous 
reti'ouverons  ce  brave  Aubr}',  qui  n'a  pas  seulement  fait 
rouler  avec  facilité  sur  ses  pavés  les  carrosses  des  spec- 
tateurs dans  les  avenues  du  tripot,  mais,  en  un  sens  dif- 
férent et  meilleur  encore,  a,  comme  très  utile  ami,  aplani 
le  chemin  à  la  comédie. 

La  date  que  (ixaitle  traité  fait  avec  lui  indique  l'intention 
d'inaugurer  la  salle  dès  le  commencement  de  l'année  sui- 
vante, dont  on  était  bien  près.  Il  ne  paraît  pas  douteux  que 
le  mois  de  janvier  164  i  n'ait  vu  s'ouvrir  le  petit  théâtre  qui 
portait  Molière  et  sa  fortune. 

Il  grandira, ce  petit  théâtre,  mais  plus  lardetàune  meilleure 


;.  SUR    >!OLIERE.  83 

place  dans  Paris.  Les  commencements  auraient  pu  décou- 
rager; des  eml)arras  d'argent  sont  ce  qui  nous  reste  surtout 
de  leur  histoire.  Dans  Êlomire  hypocoiulre  on  trouve  de  ces 
premières  diflicultés  un  tableau,  suspect  sans  doute  d'une 
médiocre  fidélité,  mais  dont  les  couleurs,  quand  le  mauvais 
succès  nous  est  prouvé  par  les  faits,  ne  doivent  avoir  été 
que  légèrement  forcées.  Le  passage  est  à  citer,  d'autant  plus 
qu'il  laisse  peu  d'incertitude  sur  le  jour  de  la  première  des 
représentations,  un  jour  de  fête,  qui  disposa  le  public  à  la 
bonne  humeur  et  à  l'indulgence.  Quelle  serait  cette  fête, 
])uisque  nous  devons  la  chercher  au  commencement  de  l'an- 
née 16  (4,  sinon  celle  des  étrennes,  par  conséquent  le  ven- 
dredi  1"  janvier? 

....  3Ia  troupe  ainsi  faite,  on  me  vit  à  la  lêle, 

Et,  si  je  m'en  souviens,  ce  fut  un  jour  de  fête; 

Car  jamais  le  parterre,  avec  tous  ses  échos. 

Ne  fit  phis  de  ah!  ah!  ni  phis  mal  à  propos. 

Les  jours  suivants  n'étant  ni  fêtes,  ni  dimanches. 

L'argent  de  nos  goussets  ne  blessa  point  nos  hanches; 

Car  alors,  excepté  les  exempts  de  payer, 

Les  parents  de  la  troupe,  et  quelque  batelier, 

Nul  animal  vivant  n'entra  dans  notre  saUe*. 

La  part  faite  à  rh\[)erbole  satirique,  rinsuffisance  des 
recettes  est  certaine,  non  setilement  au  temps  du  jeu  de 
paume  du  Mestayer,  mais  aussi  après  le  changement  de 
({uartier,  et  jusqu'au  jour  oii  la  résolution  fut  prise  de  courir 
les  provinces.  Ce  temps  a  laissé  peu  d'autres  traces  que 
celles  des  dettes  dont  on  ne  tarda  pas  <à  être  accablé. 
Cependant,  quoique  les  documents  que  nous  avons  soient 
des  papiers  d'affaires,  où  l'on  n'avait  à  traiter  que  des  ques- 
tions d'argent,  ils  nous  fournissent  un  petit  nombre  de  ren- 
seignements d'une  autre  nature. 

On  croirait  d'abord  de  peu  d'intérêt  l'acte  d'engagement 
d'un  danseur  de  Rouen,  Daniel  Mallet,  que  les  comédiens, 
très  vraisemblablement  durant  leur  séjour  en  cette  ville, 
avaient  assisté  dans  une  maladie,  et  qui  s'obligeait  à  servir 

I.  Acte  du  D'u-orce  corniijue,  scène  II.  p.  77  et  78. 


86  NOTICE   TnOGRAPIlIQUK 

chez  eux  «  tant  en  comédie  que  ballets  ».  Mais  cet  acte  est 
celui  que,  par  sa  date  (28  juin  ifi'j4),  nous  avons  déjà  jugé 
digne  d'être  cité*  comme  étant  le  premier  où  nous  trou- 
vons notre  poète  désigné  sous  le  nom  de  théâtre  qu'il  a 
immortalisé.  Il  l'a  signé  :  df,  Moui;re.  La  particule  de  ne 
signifiait  aucune  prétention  à  la  noblesse.  Elle  était  en  usage 
chez  les  comédiens  devant  le  nom  de  leur  seigneurie  co- 
mique. Pourquoi  le  jeune  Poquelin  a-t-il  donné  le  nom  de 
Molière  à  la  sienne?  Peut-être  a-t-il  pris  le  premier  venu. 
Si  le  hasard  a  été  son  parrain,  il  n'a  jamais  eu  un  plus 
glorieux  filleul. 

La  même  convention  faite  avec  le  danseur  est  signée 
aussi  par  un  nouveau  camarade,  Nicolas  Desfontaines.  Celui- 
ci  était  un  auteur,  qui  avait  déjà  composé  plusieurs  tragi- 
comédies,  dontl  l'une  éVAiX.  Euryme'don,  on  V Illustre  pirate-. 
Celles  de  ses  pièces  auxquelles  les  frères  Parfait  donnent 
les  dates  de  1644  et  de  1645  ne  peuvent  avoir  été  jouées 
que  sur  le  théâtre  dont  il  faisait  partie,  et  il  aurait  suffi  de 
leurs  titres  pour  le  faire  conjecturer.  C'étaient  Persidc  ou 
la  Suite  de  l'Illustre  jBassa,  Saint  Alexis  ou  Clllustre  Olym- 
pie^  l'une  et  l'autre  de  1644;  V Illustre  Comédien  ou  le  Mar- 
tyre de  saint  Genest  (1645),  sujet  qui  l'année  suivante  a  si 
bien  inspiré  Rotrou.  Les  fondateurs  de  l'Illustre  théâtre, 
lorsqu'ils  le  nommèrent  si  pompeusement,  avaient-ils  pris 
conseil  de  Desfontaines,  possédé  de  la  manie  de  Y  Illustre? 
Au  reste,  il  n'était  pas  le  seul  qui,  à  cette  époque,  eu  mît 
j)artout. 

On  connaît,  sans  avoir  besoin  d'une  conjecture,  d'autres 
pièces  jouées  par  nos  comédiens  dans  ces  mêmes  années. 
J.e  titre  de  VJrtaxerce,  tragédie  de  Magnon,  imprimée  en 
1645^,  porte  cette  indication,  qui  n'était  pas  ordinaire  alors, 
du  théâtre  sur  lequel  elle  avait  paru  :  «  Représentée  par 
l'Illustre  théâtre.  »   Voici  deux  autres  tragédies,   dont  la 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  79  et  80. 

2.  Recherches  sur  3Iolière,  p.  38. 

3.  A  Paris,  chez  Cardia  Besongne,  M.DC.XLV.  —  Achevé 
d'imprimer  pour  la  première  fois  le  20  juillet  1645.  —  Le  Privi- 
lège donné  à  Paris,  le  11  jiullct  1645. 


SUR    MOLTKRE.  Sr 

troupe  put  être  plus  fière  :  le  Sccvoie  de  du  Ryer',  et  la 
Mort  de  Chrtspc  de  Tristan-.  Si  nous  savons  avec  certitude 
qu'elles  furent  jouées  par  elle,  et  dès  l'année  iG^'f,  c'est 
quelles  sont  nommées  dans  la  reconnaissance,  datée  du 
9  septembre  de  cette  année,  d'un  emprunt  de  onze  cents  livres 
iait  à  Louis  Baulot,  conseiller  et  maître  d'hôtel  ordinaire 
du  roi^.  On  les  y  mentionne  parmi  les  dépenses,  qui,  jointes 
au  loyer  du  jeu  de  paume,  forçaient  à  contracter  cette  dette. 
Le  prix  auquel  elles  avaient  été  payées  avait  été  sans  doute 
un  peu  élevé  pour  les  faibles  ressources  des  associés  ;  mais 
elles  avaient  dû  leur  faire  un  honneur,  dont  Molière  se 
souvenait  lorsqu'il  les  fit  représenter  de  nouveau,  en  i6jy, 
au  Petit-Bourbon'^. 

Des  tragédies,  voilà  tout  ce  que  nous  venons  de  rencon- 
trer. Les  renseignements,  il  est  vrai,  sont  incomplets.  Il  est 
cependant  probable  que  des  succès  d'acteurs  tragiques  ont 
été  d'abord  la  principale  ambition  de  ce  théâtre,  dont  la 
comédie  devait  un  jour  faire  la  fortune  et  la  célébrité.  Il 
est  remarquable  que  l'acte  de  fondation  de  la  société  donne 
une  impoi'tance  particulière  aux  rôles  de  héros.  La  mention 
y  est  faite  d'un  accord  entre  «  Clérin,  Poquelin  et  Joseph 
Béjart,  qui  doivent  choisir  alternativement  les  héros,  sans 
préjudice  de  la  prérogative  que  tous  les  susdits  [tou.<!  les  asso- 
cies] accordent  à  Magdelaine  Béjart  de  choisir  le  rôle  qui  lui 
plaira  jj.  Nous  ne  croyons  pas  que  les  héros  puissent  simple- 

1.  Scévole^  tragédie  de  M.  du  Ryer,  à  Paris,  chez  Antoine  de 
Sommaville.  M.DC.XLVIL  —  AcheAc  d'imprimer  pour  la  pre- 
mière fois  le  2"=  janvier  i647-  —  Le  Privilège  du  roi  donné  à  Pa- 
ris le  dernier  août  i6  (0. 

2.  La  Mort  de  Clirispe  ou  les  malheurs  domestiques  du  grand  Cons- 
tantin, par  le  S'  Tristan  VHermite.  A  Paris,  chez  Cardin  Besougne. 
M.DC.XXXXV,  La  tragédie  est  dédiée  à  la  duchesse  de  Chaulues, 
dont  la  présence  à  la  représentation  est  constatée  par  VEpître  de 
Tristan.  —  L'achevé  d'imprimer  est  du  20  juillet  i645. 

3.  Voyez  la  citation  de  cette  reconnaissance  dans  les  Pièces 
justificatives  des  Points  obscurs  de  la  vie  de  Molière,  p.  S^g. 

4-  \oyez  le  Registre  de  La  Grange.  —  Le  Scévole  fut  encore 
joué  le  jeudi  1"  janvier  de  l'année  suivante  (1G60).  On  le  joua 
ce  jour-là  avec  les  Précieuses  ridicules. 


88  \0TIGK   BIOGRAPHIQUE 

ment  signilier  les  premiers  rôles,  comiques  aussi  bien  que 
tragiques.  ISous  avons  déjà  noté  chez  Molière  la  laiblesse 
(ju'il  eut  longtemps  d'aimer  à  représenter  des  personnages 
héroïques.  Quant  à  Madeleine  Béjart,  on  ])araît  lui  avoir  re- 
connu dès  ce  temps  un  véritable  talent  de  tragédienne.  ïal- 
lemant  des  Réaux  a  dit  :  «  Son  chef-d'œuvre,  c'étoit  le  per- 
sonnage d'Epicharis,  à  qui  Néron  venoit  de  faire  donner  la 
question  ^  »  Il  suffit  de  lire  la  Mort  de  Séiièque,  par  Tristan 
niermite,  pour  y  reconnaître  la  tragédie  où  la  Béjart  avait 
si  fort  brillé;  et  comme  elle  fut  certainement  représentée 
en  iG44^,  elle  est  à  ajouter  à  celles  que  nous  savons  déjà 
avoir  été  confiées  aux  comédiens  de  l'Illustre  théâtre,  dans 
ces  années  où  de  sérieux  éléments  de  succès  sembleraient 
ne  leur  avoir  pas  manqué.  Le  nom  de  l'auteur  de  Marianne 
.suffisait  pour  recommander  une  tragédie.  Les  moins  heureux 
de  ses  ouvrages,  ceux  qui  le  laissent  le  plus  loin  des  maîtres 
de  notre  scène,  s'élevaient  au-dessus  de  la  médiocrité  de  la 
plupart  des  pièces  de  ce  temps.  Telle  fut  la  Mort  de  Chrispc 
tout  à  l'heure  nommée.  Le  sujet  a  de  grandes  ressem- 
blances avec  celui  de  Phèdre.  Fauste,  marâtre  de  Chrispe, 
est,  comme  la  marâtre  dllippoh  te,  «  perfide,  incestueuse  », 
et  jalouse  dune  rivale.  On  se  demande  si  Racine  n'a  jjas 
fait  l'honneur  à  Tristan  d'avoir  gardé  quelque  souvenir  de 
sa  tragédie,  par  exemple  dans  ce  beau  vers  : 

Je  sentis  tout  mon  corps  et  transir  et  brûler'', 

que  rappelle,  malgré  sa  faiblesse,  celui-ci  du  rôle  de  Fauste  : 

Je  m'en  sens  tour  à  tour  el  brûler  et  glacer*. 

Il  est  d'ailleurs  trop  évident  que  toute  comparaison  avec  le 
chef-d'œuvre  de  Racine  serait  écrasante  pour  la  Mort  de 

I.   Historiette  de  Mondory,  au  tome  Vil  des  Historiettes.,  p.   177. 

'}..  La  Mort  de  Sénèque,  par  le  sieur  Tristan  l'Hermile.  A  Paris, 
chez  Toussaint  Quinet,  M.DC.LXV.  —  L'Achevé  d'imprimer  est 
du  10  janvier  i645,  le  Privilège,  du  19  octobre  i644-  —  La  pièce 
est  dédiée  au  comte  de  Saint-Aignan. 

3.  Phèdre,  acte  I,  scène  m,  Aers  276. 

4-    La  Mort  de  Chrispe,  acte  I,  scène  i. 


SUR  MOLIÈRE.  89 

Chrispc.  Et  néanmoins,  dans  cette  tragédie,  quelques  pas- 
sages ne  sont  pas  à  dédaigner.  Le  rôle  de  Fauste  dut  per- 
mettre à  Madeleine  Béjart  de  faire  preuve  de  son  talent. 

Tristan  lui  en  donna  une  meilleure  occasion  encore  dans 
le  rôle  d'É])icliaris  de  la  Mort  de  Sénèque,  pièce  supérieure 
de  tout  point  à  la  Mort  de  Chrispc.  Cette  Epicharis,  que 
nous  nous  garderons  de  donner  pour  l'égale  des  plus  grandes 
héroïnes  de  Corneille,  est  cependant  de  leur  famille,  surtout 
lorsque,  au  sortir  de  la  torture,  elle  brave  Néron  et  insulte 
Sabine  [Poppce\  dans  la  forte  scène*,  où  le  jeu  de  l'actrice 
avait  frappé  Tallemant.  On  ignore  si  Molière  faisait  le  per- 
sonnage de  Lucain,  épris  des  charmes  d'Epicharis.  Il  semble 
que  Tristan,  très  galant,  soit  pour  son  propre  compte,  soit 
pour  celui  du  jeune  comédien,  ait  voulu  rendre  un  flatteur 
hommage  à  l'interprète  du  rôle  de  la  séduisante  affranchie, 
lorsqu'il  lui  a  fait  dire  par  Lucain  : 

Fille  cgalc  à  Minmvo  en  beauté  de  visage, 

Divine  Epicharis 

û  beauté  sans  seconde. 

Pour  être  tout  à  fait  une  Minerve,  si  ce  n'était  pas  le  beau 
visage,  c'était  une  autre  ressemblance  avec  la  sage  déesse 
qui  manquait  aussi  bien  à  l'Épicbaris  de  la  troupe  de  l'Il- 
lustre théâtre  qu'à  celle  de  l'histoire. 

Tristan,  qui  faisait  aux  nouveaux  comédiens  la  faveur  de 
leur  confier  seslragédies,  peut  leur  avoir  rendu  encore  d'autres 
services.  Il  était  gentilhomme  ordinaire  de  la  suite  de  Gaston 
de  France.  Or  la  troupe  fut  autorisée  en  16 '44  à  se  dire 
«  entretenue  par  Son  Altesse  Royale  «  ;  le  fait  est  constaté 
dans  l'acte  du  9  septembre,  par  lequel  nous  avons  appris  que 
l'Illustre  théâtre  avait  obtenu  du  ])oète  renommé  sa  Mort 
de  Chrispe ;  ce  fut  assez  vraisemblablement  au  même  poète 
qu'il  dut  la  protection  du  prince.  On  s'explique  l'intérêt  que 
portait  Tristan  à  la  jeune  troupe.  Son  frère,  Jean-Baptiste 
i'Hermite  de  Vauselle,  était  très  ami  des  Béjart,  mieux  en- 
core, comme  on  le  soupçonnait  depuis  longtemps  et  qu'on 
l'a  récemment  mis  hors  de  doute,  leur  parent,  plus  exac- 

I.  La  scène  in  de  l'acte  V. 


go  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

tement  leur  allié  ', un  allié  assez  obligeant  pour  avoir  de  grands 
titres  à  leur  reconnaissance,  comme  nous  l'apprend  le  i)ap- 
tême,  dont  nous  avons  déjà  dit  un  mot  en  passant^,  celui 
de  la  fille  de  Madeleine  Béjart.  Dans  l'acte  de  ce  baptême, 
daté  du  II  juillet  iG'38'\  les  énormltés  sont  accumulées  : 
l'enfant  reconnu  par  un  bomine  marié:  la  mère  de  Made- 
leine Béjart  marraine;  comme  parrain,  Gaston  de  Rémond, 
(ils  légitime  du  père  de  la  bâtarde  adultérine*.  Il  est  encore 
beureux  que  cet  enfant  de  sept  ans  n'ait  point  paru.  Celui 
qui,  en  son  nom,  leva  sur  les  fonts  la  petite  Françoise,  fut 
Jean-Baptiste  l'Hermite.  Un  vilain  bomme,  ce  frère  de  Tris- 
tan. Il  était  poète,  comme  son  aîné,  mais  avec  beaucou|) 
moins  de  talent,  et  encore  plus  inférieur  à  lui  par  le  carac- 
tère. Ses  trabisons,  enregistrées  dans  l'bistoire  de  ce  temps, 
nous  feraient  sortir  de  notre  sujet.  Il  suffit  de  le  montrer 
dans  ses  relations  avec  des  personnages  qui  n'y  sont  pas 
étrangers  et  avec  la  troupe  de  Molière.  On  vient  de  voir 
comme  il  avait  bien  mérité  de  l'amant  de  Madeleine  Béjart. 

1.  31.  Henri  Chardouafail  couuaîlre  eu  1887  la  noie  suivanleqiii 
n  été  découverte  jiar  M.  le  vicomte  de  Poli  au  cabinet  des  titres 
(le  la  Bibliothèque  nationale  :  «  3  mars  i636,  Paris.  Mariage  de 
J.-B.  L'Hermite  avec  Marie  Courtin,  assistée  de  Simon  Courtin, 
son  père,  et  de  Joseph  Bézard  (Bcjart),  son  beau-frère.  »  Simou 
Coui'tin,  le  beau-père  de  L'Hermite,  était,  en  cette  même  an- 
née i636,  curateur  de  Madeleine  Béjart,  que  sa  femme,  Madeleine 
\olles,  avait  tenue  sur  les  fonts  en  1618  avec  Charles  Béjart,  frère 
de  Joseph.  H  est  assez  difficile  de  dire  comment  celui-ci  était 
beau-frère  de  Marie  Courtin.  Malgré  la  difficulté  de  l'explication, 
la  pièce  authentique  ne  saurait  laisser  de  doutes.  Peut-être  Ma- 
rie Hervé,  femme  de  Joseph  Béjart,  était-elle  sœur  utérine  dv 
la  mariée,  comme  fille  de  Madeleine  ISolles,  que  Simon  Courliu 
aurait  épousée  veuve.  Ou  supposerait-on  qu'un  frère  de  3Iarii' 
Courtin  aurait  épousé  une  Béjart,  sœur  de  Joseph?  Ce  serait  alors 
par  abus  que  le  frère  de  la  belle-sœur  aurait  été  désigné  comme 
beau-frère. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  78. 

3.  Nous  le  donnons  aux  Pièces  Jus tificatUes,  n°  IV. 

4.  n  était  filleul  de  Gaston  de  France.  Le  nom  de  ce  frère 
du  roi  Louis  XIII  est  dans  ce  baptistaire,  où  Modène  a  parmi  ses 
titres  celui  de  chambellan  de  ses  affaires. 


SUR   MOLIERE.  (;i 

L'année  suivante  (i63{))  il  lui  dédia  sa  tragédie  de  La  Chute 
de  Phae'ton.  Un  jour  il  devait  souffrir  la  liaison  galante  de 
ce  seigneur  de  Modène  avec  Mme  l'Hermite  de  Vauselle, 
sa  femme.  ])lus  tard  lui  faire  épouser  sa  fille.  Parent  de  la 
Béjart  et  complaisant  pour  ses  amours,  on  devine  sans 
peine  qu'il  a  dû  solliciter  son  frère  Tristan  en  faveur  du 
nouveau  théâtre.  Si  d'abord  il  n'en  fit  pas  lui-même  par- 
tie, le  temps  vint,  comme  nous  le  verrons,  où,  malgré  sa 
noblesse,  lui,  sa  femme  et  sa  fille,  la  future  comtesse  de 
Modène,  furent  engagés  dans  la  troupe  ambulante  de^lolière 
et  de  la  Béjart. 

Ce  rapide  coup  d'œil  sur  le  frère  de  Tristan  a  donné  en 
même  temps  du  seigneur  de  Modène  une  première  idée, 
qui  ne  lui  est  pas  non  plus  favorable.  Mais  puisque  l'Her- 
mite de  Vauselle  vient  d'introduire  dans  notre  récit  cet 
autre  personnage,  plus  intéressant  pour  nous  l\.  connaître 
que  lui,  il  nous  donne  occasion  de  regarder  de  plus  près 
celui  que  l'on  rencontrera  dans  les  questions  les  plus  déli- 
cates, comme  les  plus  difficiles  à  bien  éclaircir,  que  la  vie 
privée  de  Molière  ne  permet  pas  d'éviter. 

Ce  gentilhomme  du  Comtat-Venaissin,  Esprit  de  Rémond 
de  Mormoiron,  dont  le  père  avait  pris  d  une  de  ses  terres 
le  nom  de  baron  de  Modène,  était  né  le  19  novembre  ifioS^ 
Il  avait  été  page  de  Gaston,  dont  la  maison  n'était  pas  la 
meilleure  école  de  morale,  puis  un  de  ses  chambellans.  Dans 
sa  vie  de  soldat,  il  eut  des  occasions  de  se  signaler,  mais 
toujours  en  aventurier.  Il  ne  manquait  pas  plus  d'esprit 
que  de  bravoure,  savait  tenir  la  plume,  comme  l'épée,  et 
aurait  pu  dire  ainsi  que  Scudéry  :  «  Ne  pensant  être  que 
soldat,  je  me  suis  encore  trouvé  poète*.  »  Il  a  eu  un  jour  de 


I.  Nous  avons  fait  usage  des  renseignements  donnés  sur  lui  par 
1\L  Henri  Chardon  dans  son  livre  plein  de  curieuses  recherches 
que  nous  avons  déjà  cité  :  M.  de  Modîne,  ses  deux  femmes  et  Ma- 
deleine Béjart.  —  II  a  non  seulement  complété,  mais  rectifié  sur 
des  points  essentiels  ce  qu'avaient  écrit  sur  la  vie  d'Esprit  de 
Rémond  le  marquis  de  Fortia  et  Hippolvte  de  la  Porte  dans  leurs 
Lettres  sur  la  femme  de  Molicre,  Paris,   1826. 

^.   Préface  du  Lrsdamon  de  Scudérv. 


(jos  XOTICE    BIOO  R  \P1IIQUE 

si  étonnante  inspiration  dans  un  sonnet  sur  la  mort  du 
Christ,  qu'on  a  doute  s'il  en  était  l'auteur  ;  ses  autres  poé- 
sies cependant,  quoique  très  inférieures,  ne  sont  pas  si 
méj)risables  qu'elles  autorisent  cette  déliancc.  Avec  ces 
goûts  littéraires,  il  était  naturel  qu'il  aimât  le  théâtre.  Il 
est  certain  tout  au  moins  qu'il  a  aimé  les  comédiennes.  Ou 
en  connaît  deux  qu'il  eut  pour  maîtresses,  et  une  troisième 
qu'il  fit  la  folie  d'épouser,  lorsqu'il  était,  peu  s'en  faut,  sexa- 
génaire :  caractère  faible,  et  jouet  de  ses  passions,  peu  pro- 
fondes cependant  et  qui  ne  paraissent  avoir  été  que  des 
caprices,  il  doit  avoir  peu  étonné  le  monde  le  jour  de  son 
étrange  mésalliance.  Elle  fut  «  la  continuation  des  désordres 
de  sa  vie  »,  dit  l'abbé  Arnauld  dans  ses  Mémoires^,  où  il  le 
juge  ainsi  :  «  Le  baron  de  Modène,  homme  de  mérite  assu- 
rément, s'il  n'eût  point  corrompu  par  ses  débauches  les 
belles  qualités  de  son  esprit.  Il  faisoit  d'aussi  beaux  vers 
qu'homme  de  France-.  » 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  en  détail  la  vie  de  M.  de 
Modène  :  elle  ne  nous  appartient  ici  que  ])ar  l'histoire  de 
ses  relations  avec  Madeleine  Béjart.  On  est  d'abord  tenté 
de  le  croire  violemment  épris  d'elle,  lorsqu'on  le  voit  affi- 
cher son  impudente  paternité  de  i638  du  vivant  de  Mar- 
guerite de  la  Baume  de  Suze,  cette  «  noble  dame  de  Mali- 
corne  «  qu'en  i63o  il  avait  épousée,  veuve  de  Henri  de 
Beaumanoir,  marquis  de  Lavardin^.  Ce  serait  mal  connaître, 
ce  semble,  un  homme  de  si  peu  de  scru])ules  que  de  vouloir, 
non  pas  excuser,  mais  expliquer  son  action  indigne  par  la  folie 
d'une  grande  passion.  En  tout  cas,  on  ne  sait  oii  trouver 

I.  Voyez,  dans  la  collection  Michaïul  et  Poujoulat,  l^édilion  de 
i854),  le  lome  XXIII,  p.  5-23. 

a.  L'abbé  Aruauld,  pour  justifier  ce  qu'il  dit  des  vers  du  sei- 
gneur de  Modène,  cite  une  stauce,  très  bien  tournée  eu  effet, 
d'une  ode  qu'il  lui  avait  montrée. 

3.  M.  Chardon,  dans  sa  Troupe  du  Romun  com'ujue  devoilce  (1876). 
p.  i3,  a  le  premier  signalé  l'erreiu"  de  ceux  qui  ia  croyaient  morte 
au  temps  du  baptême  de  i638.  Payant  ])ien  cher  son  imprudence 
d'avoir  convolé  avec  un  homme  beaucoup  plus  jeune  qu'elle,  et 
de  ce  caractère,  elle  vécut  jusqu'en  février  1O49  dans  l'aliandon  un 
il  la  laissait. 


SUR   MOLIERE.  i)i 

chez  lui,  quelques  années  plus  tard,  la  moindre  étincelle 
de  l'ardent  amour  qu'on  aurait  pu  lui  supposer  pour  la 
mère  de  la  |)etite  Françoise.  Il  n'y  a  pas  inutile  curiosité  à 
chercher  si  l'on  en  ])eut  reconnaître  quelques  traces  au 
moment  où  Madeleine  Béjart  entra  dans  l'association  comique 
de  l'Illustre  théâtre.  Le  seigneur  de  Modène  porta-t-il  à  l'en- 
treprise un  tendre  intérêt?  Ou  hien  encore  semble-t-il  l'avoir 
vue  d'un  mauvais  œil,  en  avoir  pris  quelque  ombrage  ?  Etait- 
il  alors  à  Paris?  Ce  serait  gênant  pour  ceux  qui  n'aimeraient 
pas  à  voir  Molière  dans  un  rôle  peu  glorieux.  Il  n'est  \r,\s 
sans  intérêt  de  suivre,  autant  qu'il  se  peut,  pas  à  pas  le 
gentilhomme  du  Comtat  depuis  i638  jusqu'à  la  lin  du  séjour 
de  notre  troupe  à  Paris. 

Aucune  de  ses  aventures  n'est  plus  certaine,  étant  dûment 
constatée  dans  l'histoire,  que  la  part  qu'il  prit  à  la  rébellion 
du  duc  de  Bouillon,  du  comte  de  Soissons  et  du  duc  de 
Guise.  Celui-ci,  au  commencement  de  iG'ig,  s'était  retiré  à 
Sedan,  où  étaient  réunis  les  conspirateurs.  Dans  le  même 
temps,  M.  de  Modène  avait  obtenu  la  charge  de  lieutenant 
du  sieur  de  Biscarrat,  gouverneur  de  Charleville  et  du 
Mont-Olympe.  Il  se  trouvait  assez  voisin  du  foyer  de  la  ré- 
volte pour  prêter  l'oreille  à  des  ouvertures  du  prince  lor- 
rain, qui,  probablement  sans  trop  de  peine,  l'engagea  pour 
la  j)remière  fois,  non  pour  la  dernière,  dans  une  de  ses  té- 
méraires folies.  La  symj)athie  était  naturelle  entre  ces  deux 
hommes  pareillement  de  caractère  aventureux,  d'humeur 
galante,  et  gens  d'esprit  avec  peu  de  sens.  Tous  deux  avaient 
essayé,  sans  y  réussir,  d'entraîner  le  frère  du  roi  dans 
l'équipée.  Nous  trouvons  Modène  à  la  journée  du  G  juillet 
i6}i,  à  laquelle  le  bois  de  la  Marfée  a  donné  son  nom;  il  y 
fut  blessé.  Le  comte  de  Soissons  y  ayant  été  tué,  les  rebelles, 
tout  vainqueurs  qu'ils  fussent  des  troupes  royales,  n'en 
avaient  pas  moins  perdu  la  partie.  Guise,  qui  n'avait  pu 
être  à  la  bataille,  mais  en  restait  responsable,  fut  condamné 
à  mort.  Il  trouva  un  refuge  à  Bruxelles.  Pour  ses  domes- 
tiques, comme  pour  ceux  du  comte  de  Soissons,  il  y  eut 
amnistie.  M.  de  Modène,  à  qui  cette  abolition  ne  suflisait 
pas  pour  rendre  sur  de  quelque  tenq^s  le  séjour  de  Paris, 
se  tint  coi  d'abord  à  Sedan  en  iG  j  r ,  puis  dans  le  Comtat,  où 


,J'^  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

l'on  a  découvert  une  j)rcuve  peu  douteuse  de  sa  présence 
en  16 ',a'. 

On  n'a  pas  oublié  la  conjecture  suivant  laquelle  Madeleine 
Béjart  aurait  fait  partie  de  la  troupe  qui  joua  la  comédie  aux 
eaux  de  Montfrin  au  mois  de  juin  de  cette  année  i6.|2,  et 
l)ouvait  y  avoir  rencontré  son  futur  camarade,  le  jeune  tapis- 
sier du  roi*.  Une  autre,  qui  n'est  pas  la  plus  invraisemblable, 
est  qu'elle  aurait  eu  l'occasion  de  revoir  M.  de  Modène  dans 
ce  même  temps  et  dans  ce  môme  village  de  Montfrin,  ti-ès 
voisin  du  Comtat,  et  dont  les  seigneurs  étaient  des  la  Baume 
de  Suze^.  S'il  était  plus  certain  que  le  hasard  eût  réuni  alors 
Molière,  Madeleine  Béjart  et  le  seigneur  de  Modène,  comme 
dans  le  prologue  d'une  pièce  où  tous  les  trois  ont  eu  leur 
rôle,  il  faudrait  reconnaître  qu'un  poète  de  théâtre  n'eût  pas 
mieux  fait.  Il  est  regrettable  que  tout  se  borne  à  des  proba- 
bilités, et  que  de  pas  un  d'eux  la  présence  à  Montfrin  n'ait 
pu  jusqu'ici  être  positivement  constatée.  Laissons  pour 
l'instant  la  supposition  de  leur  rencontre,  sur  laquelle  nous 
devrons  plus  tard  revenir. 

Modène  accompagna-t-il  le  duc  de  Guise  à  Paris,  lors- 
que celui-ci  y  rentra  en  16^3,  profitant  de  l'oubli  dont  on 
jeta  le  voile  sur  la  rébellion  de  Sedan?  Plusieurs  l'ont  cru; 
mais  on  le  trouve  dans  le  Comtat  en  octobre  i6i'i,  en  fé- 
vrier 1644  et  en  janvier  1645^.  Il  peut  être  dit  sans  doute 
que  les  actes  et  circonstances  que  l'on  a  cités  ne  supposent 
sa  présence  pendant  ces  années-là  qu'à  certains  moments  ;  il 
y  a  néanmoins  une  circonspection  peut-être  excessive  à  ne 
pas  admettre,  d'après  de  si  fortes  présomptions,  que  cette  ré- 
sidence a  été  continuée  durant  toute  la  seconde  et  prolongée 
jusque  dans  la  troisième.  Il  faut  d'ailleurs  remarquer  qu'un 
des  actes  de  février  1644,  celui  du  i3,  est  relatif  à  la  vente 
d'une  grange  et  de  terres,  faite  par  le  seigneur  de  Modène 
à  Jean-Baptiste  l'IIermite  et  à  sa  femme^.  Si  cette  vente  ne 

I.   31.  de  Modène...  cl  Madeleine  Béjart.,  p.   11 5. 
1.  Voyez  ci-dessus,  p.  65  et  66. 
3.   M.  de  Modène...  et  Madeleine  Bcjarl,  ]).  4  t't  i^3- 
[.   Ibidem,  p.  165-167. 
5.   Recherches  sur  Molière.  Uoclmem  A.XIX,  p.  au2. 


SUR   MOLIÈRE.  .  ^5 

fut,  comme  il  semble,  qu'une  libéralité  déguisée  dont  il  gra- 
tifia une  nouvelle  maîtresse,  il  ne  vaut  vraiment  pas  la  peine 
de  chercher  l'infidèle  à  Paris,  près  de  la  Béjart,  au  temps 
où  elle  prit  une  si  grande  part  à  l'établissement  du  théâtre 
naissant  et  eut  à  lutter  avec  les  diflicultés  de  l'entreprise.  Ce 
n'est  pas  aux  bons  offices  de  Modène  qu'il  faut  attribuer  la 
[)rotection  accordée  à  l'Illustre  théâtre  par  l'Altesse  Rovale, 
dont  s'était  d'ailleurs  détaché  son  chambellan  depuis  les  évé- 
nements de  Sedan;  c'est  bien  plutôt,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  au  crédit  du  })oète  Tristan.  Il  est  probable  que  ce 
fut  le  même  Tristan  qui  recommanda  nos  comédiens  au  duc 
de  Guise,  étant  attaché  à  la  maison  de  ce  prince  lorrain. 
Ils  furent  compris,  avec  ceux  de  l'hôtel  de  Bourgogne  et  du 
Marais,  dans  une  distribution  que  fit  le  duc  de  ses  riches 
habits  S  au  printemps  soit  de  i6','f,  soit  de  x6'(j,  lorsqu'il 
suivit  Gaston  dans  ses  campagnes. 

Si  l'on  admet,  avec  les  contemporains  de  Molière,  avec 
Boileau  lui-même,  cité  par  Brossette,  qu'entre  le  jeune  co- 

I.  Le  fait  est  consigné  dans  les  Stances  adressées  au  duc  de  Guise 
sur  les  présents  qu^il  avoit  faits  aux  comédiens  de  toutes  les  troupes.  Un 
acteur,  qui  ne  les  a  pas  signées,  y  demande  ainsi  d'être  admis  au 
partage,  où  il  avait  été  oublié  : 

Déjà  dans  la  troupe  royale 
Beaucliâteau,  devenu  plus  vain. 
S'impatiente,  s'il  n'étale 
Le  présent  qu'il  a  de  la  main. 
La  Béjart,  Beys  et  Molière, 
Brillants  de  pareille  lumière, 
3I'en  paroissent  plus  orgueilleux; 
Et  depuis  cette  gloire  extrême. 
Je  n'ose  plus  m'approcher  d'eux 
Si  ta  rare  bonté  ne  me  pare  de  même. 

On  a  cité  deux  Recueils,  impiimés  en  1646,  qui  ont  donné  ces 
vers  :  Recueil  de  diverses  poésies.  Paris,  Toussaint  du  Bray,  et  -Sou- 
veau  Recueil  des  bons  vers  de  ce  temps,  Paris,  Cardia  Besongne. 
Dans  aucune  des  bibliothèques  publiques  de  Paris  nous  ne  les 
avons  trouvés.  On  peut  s'en  passer  pour  la  date  de  la  libéralité 
de  Guise,  qui  est  certainement  antérieure  à  celle  de  ces  impres- 
sions. Beys,  comme  Ta  fait  remarquer  Soulié,  n'était  plus,  au 
mois  d'août  i645,  un  des  comédiens  de  la  troupe. 


gG  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

médien  et  Madeleine  Béjart  il  y  eut  plus  que  de  la  cama- 
raderie, et  si  l'on  fait  commencer  leur  liaison  galante  dès 
le  temps  où  se  forma  la  troupe,  il  a  été  bon  de  reconnaître 
si  vraisemblables,  en  ce  même  temps,  l'absence  du  seigneur 
de  Modène,  le  changement,  d'une  date  antérieure,  de  son 
caprice  en  indifférence,  et  ses  nouvelles  amours.  Quelque 
peu  d'illusion  qu'il  y  ait  à  se  faire  sur  la  vie  de  théâtre,  on 
trouverait  plus  que  déplaisant  de  voir  le  jeune  Molière 
s'attacher  à  une  femme  que  continuerait  d'aimer  et  de  pro- 
téger un  ancien  amant,  et  l'on  est  heureux  de  ne  guère 
douter  de  l'éloignement  du  gentilhomme  au  moment  où  il 
serait  de  trop.  La  démonstration  de  son  alibi  ne  paraîtrait- 
elle  pas  assez  convaincante,  point  de  trace  du  moins  d'une 
manifestation  de  sa  jalousie,  ni  dune  aide  quelconque  prê- 
tée par  lui  à  l'Illustre  théâtre  dans  ses  embarras.  Les  docu- 
ments ne  laissent  pas  ignorer  les  noms  de  ceux  dont  la 
bourse  s'ouvrit  pour  des  prêts  d'argent  ou  pour  des  cau- 
tions à  fournir  :  il  n'est  question  nulle  part  de  Modène. 
Ce  fut  lui,  au  contraire,  apparemment  très  besogneux,  qui, 
plus  d'une  fois,  eut  recours  aux  générosités  de  Madeleine. 
Gêne  ou  avarice,  n'ayant  jamais  rien  donné  ni  prêté,  on  ne 
le  voit  pas  non  plus  se  montrer  inquiet  d'avoir  un  rival. 
Il  est  facile  de  reconnaître  un  homme  qui,  de  son  côté, 
ne  s'était  point  piqué  de  constance,  et  ne  demandait  pas 
mieux  que  d  habituer  sa  comédienne  à  lui  laisser  prendre 
sa  retraite  dans  la  simple  amitié.  On  dii-a  qu'il  ne  faut  pas 
trop  prétendre  voir  clair  dans  les  amours  de  Madeleine  Bé- 
jart, dans  cette  «  galanterie  si  confuse  »,  dont  elle  a  été 
accusée*.  Nous  croyons  cependant  n'avoir  rien  dit  que  d'à 
peu  près  certain. 

On  a  moins  encore  à  craindre  les  critiques  et  la  contro- 
verse dans  une  histoire  beaucoup  plus  simple,  celle  des  rudes 
épreuves  de  l'Illustre  théâtre.  Pour  soutenir  la  troupe  dans 
sa  très  lourde  entreprise,  ce  ne  put  être  assez  ni  des  tra- 
gédies d'auteurs  célèbres,  représentées  dans  leur  nouveauté, 
ni  de  l'avantage,  probablement  plus  honorable  que  lucratif, 


I.  La  Fameuse  Comédienne^  i^.  7, 


SUR   MOLIERE. 


97 


(l'éti'e  entretenue  par  Gaston.  La  gêne  se  fait  déjà  sentir 
dans  un  acte  du  i*^""  juillet  16', 4'-  H  a  pour  objet  de  modi- 
fier le  contrat  de  société  du  3o  juin  16',  î,  dans  une  de  ses 
clauses,  qui  permettait  à  quiconque  voulait  se  retirer,  après 
en  avoir  averti  quatre  mois  d'avance,  de  se  faire  rembourser 
de  sa  part  de  tous  les  fi*ais  «  jiour  les  décorations  et  autres 
choses  5>.  Désormais  nul  ne  pouvait  prétendre  à  ces  rem- 
boursements, «  attendu  les  dettes  que  la  compagnie  a  con- 
tractées ».  L'acte  du  9  septembre  iG'jf,  déjà  cité  ])our  la 
mention  qui  s'y  trouve  des  tragédies  de  du  Ryer  et  de  Tris- 
tan 2,  est,  nous  l'avons  dit,  la  reconnaissance  d'une  dette  de 
onze  cents  livres,  empruntées  par  la  troupe.  Marie  Hervé 
donna  pour  caution  sa  maison  de  la  rue  de  la  Perle,  caution 
])eu  rassurante,  cette  maison  étant  déjà  grevée  d'une  hypo- 
thèque de  deux  mille  quatre  cents  livres.  Par  deux  obliga- 
tions datées  du  17  décembre  1644'  les  comédiens  reconnais- 
sent devoir  deux  mille  livres  à  un  sieur  Pommier,  trois  cents 
par  la  première,  mille  sept  cents  par  la  seconde.  Pour  le 
}>ayement,  les  débiteurs  consentent  que  tout  ce  qui  ])eut  re- 
venir aux  créanciers  sur  les  recettes  des  représentations  or- 
dinaires et  des  visites,  les  frais  du  théâtre  préalablement 
payés,  soit  retenu  par  eux  jusqu'à  concurrence  de  leur  du,  et 
même  qu'ils  payent  desdits  deniers  la  somme  de  six  cents 
livres  non  encore  remboursée  au  sieur  Baulot.  On  devait 
donc  à  ce  moment  deux  mille  six  cents  livres.  Marie  Hervé 
donne  de  nouveau  sa  garantie,  mais  seulement  pour  ses 
lilles  et  pour  Molière,  qui  ainsi  a  quelque  peu  l'air  d'être 
entré  dans  la  famille.  D'autres  comédiens  ont,  de  leur  côté, 
leurs  répondants.  Le  même  jour  les  associés  s'engagent  à 


I.  Voj'cz  les  Polnlx  obscurs  de  la  fie  de  Molicre.  p.  078.  Cet  acte 
nous  donne  le  nom  d'un  nouvel  associé,  Philippe  Millot.  L'acte 
(lu  9  septembre  de  la  même  année,  que  nous  avons  phisicurs  fois 
mentionné,  fait  connaître  une  autre  recrue,  Pierre  Duljois,  maître 
brodeur.  Mais  il  ne  sera  pas  toujours  utile  de  nommer  ceux  des 
camarades  de  Molière  qui  n'ont  fait  que  passer  dans  la  troupe,  et 
n'y  ont  marqué  d'aucune  façon. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  87. 

3.  Recherches  sur  Molière.  Docu.^ients  XII  et  XIII,  p.  177-181, 
Molière,  x  7 


98  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

employer  toutes  les  recettes  à  l'acquitteraent  des  dettes 
jusqu'à  leur  entière  extinction'. 

Voilà  un  décourageant  tableau,  où  se  lit  en  traits  trop 
clairs  le  présage  d'une  prochaine  faillite  des  belles  espéran- 
ces. Pour  se  résigner  dès  lors  sans  lutte  à  cette  déception, 
Molière  était  entré  dans  sa  nouvelle  carrière  avec  trop  d'ar- 
deur et  trop  de  confiance  dans  ses  forces  ;  et  puis  l'autre  chef 
de  l'entreprise,  Madeleine  Béjart,  était  femme  de  tête.  On  ne 
se  laissa  donc  pas  si  vite  abattre,  mais  il  fallait  aviser.  Dans 
un  quartier  qui  dépayserait  moins  le  beau  monde,  la  fortune 
s'obstinerait  peut-être  moins  à  refuser  quelques  sourires. 
Le  bail  du  jeu  de  paume  des  Mestayers  fut  résilié  par  acte 
du  i/f  décembre-  i6',  '|.  Un  autre  jeu  de  paume  fut  loué,  celui 
de  la  Croix-Noire,  rue  des  Barrés,  proche  l'Ave-Maria,  ayant 
issue  sur  le  quai  des  Ormes,  au  port  Saint-Paul. 

Chalussay  a  noté  le  déménagement,  mais  sans  prendre 
plus  de  souci  de  faire  suivre  dans  l'ordre  vrai  le  premier 
tripot  du  second,  qu'un  personnage  de  Scarron  de  mettre 
dans  le  nom  de  Pascal  Zapata,  Pascal  devant  ou  Pascal  der- 
rière. Il  fait  dire  à  Elomire,  qui  vient  de  peindre  la  détresse 
de  sa  troupe  : 

Chacun  troussa  sa  malle. 

N'accusant  que  le  lieu  d'uu  si  fâcheux  destin. 

Du  port  Saint-Paul  je  passe  au  faubourg  Saint-Germain^. 

Ce  fut  l'inverse. 

Le  20  décembre  1644  un  marché  fut  passé  entre  le  maî- 
tre charpentier  Antoine  Girault,  qui  devait,  moyennant  le 
prix  de  six  cents  livres,  remonter  le  théâti'e  à  la  Croix- 
Noire  et  faire  les  réparations  nécessaires  au  Mestayer  que 
l'on  quittait.  Les  travaux  devaient  commencer  le  22  dé- 
cembre et  être  achevés  le  8  janvier  suivante  Molière  avait 
«  troussé  sa  malle  «  :  un  acte  du  3i  mars  164!)  nous  apprend 

I.  Reckerches  sur  3Iolicre.  Document  XIV,  p.  181  et  182. 

3.  Le  Jeu  de  paume  des  Mestayers,  p.  69.  —  Eud.  Soulié,  dans 
la  Correspondance  littéraire  (g*  année),  p.  84,  note  5,  donne  la  date 
du  19  décembre. 

3.  Elomire  hypocondrc,  dans  le  Dii'orcc  comique,  scène  II,  p.  78. 

4.  Rccherclies  sur  Molière.  Document  XVI,  p.   i83-i85. 


SUR  MOLIERE.  99 

qu'il  est  maintenant  logé  «  en  la  maison  oii  est  demeurant 
un  mercier,  au  coin  de  la  rue  des  Jardins,  paroisse  de  Saint- 
Paul*  ».  Il  avait  bien  fallu  emporter  avec  soi  le  fardeau  des 
dettes.  Pour  les  payer  en  partie,  les  plus  criardes  sans 
doute,  Molière  avait  emprunté  deux  cent  quatre-vingt-onze 
livres  tournois  à  Jeanne  Levé,  marchande,  lui  donnant  en 
nantissement  deux  rubans  en  broderie  or  et  argent,  que 
l'on  a  supposés  avec  plus  ou  moins  de  vraisemblance  être  un 
des  affiquets  dus  à  la  libéralité  du  duc  de  Guise.  Etant  un 
emprunteur  plus  honnête  que  le  prêteur  de  sa  comédie, 
l'homme  à  la  peau  de  lézard  remplie  de  foin,  il  est  probable 
que  son  gage  n'était  pas  sans  valeur.  Comme  il  dut  toutefois 
en  prévoir  l'insuffisance  au  temps  où  il  eut  laissé  passer 
l'échéance  de  sa  dette  sans  avoir  pu  y  faire  honneur,  il 
s'obligea,  par  l'acte  du  3i  mars  tout  à  l'heure  mentionné, 
à  payer  à  la  volonté  de  sa  créancière  la  somme  qui  man- 
querait après  la  vente  des  rubans.  Il  ne  lui  fut  possible 
de  la  rembourser,  avec  les  intérêts  et  tous  les  frais,  que  le 
i3  mai  i6jg-,  deux  jours  après  la  première  représentation 
à  Paris  de  t Étourdi^  quand  sa  fortune  venait  de  prendre 
une  face  nouvelle. 

Combien  d'autres  actes  sans  nul  doute  que  l'obligation 
à  Jeanne  Levé  révéleraient  dans  le  même  temps,  s'ils  étaient 
retrouvés,  la  triste  pénurie!  Mais  la  voilà  déjà  très  suffi- 
samment attestée.  Nous  n'avons  pas  cependant  encore  tout 
dit  sur  la  sévérité  de  la  destinée,  qui,  dans  les  difficiles 
débuts  d'un  homme  de  génie,  lui  a  imposé  d'humiliantes 
années  d'apprentissage.  L'ironie  du  sort  a  été  poussée  loin. 
Voici  qu'un  des  plus  humbles  fournisseurs,  celui  dont  les 
chandelles  éclairaient  le  théâtre  où  s'essayait  un  si  magni- 
fique avenir,  le  maître  chandelier  Fausser,  faute  du  paye- 
ment d'une  somme,  d'ailleurs  fcontestée,  de  cent  quarante- 
deux  livres,  fait  arrêter  Molière  et  le  recommande  aux  pri- 
sons du  Châtelet.  C'est  là  que  nous  le  trouvons  le  1  août 
1645^,  demandant  sa  mise  en  liberté  pour  trois  mois.  Elle 

1.  Recherches  sur  Molière.  Vioc\Jt\î.yï  y^W^  p.    l85. 

2.  Ibidem.  Docu.aient  XXVIII,  p.  201.  « 

3.  Ihidem.  Docume>"t  XVIII,  p.   i86. 


io(.  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

lui  fut  accordée  pour  six,  à  sa  caution  juratoire,  en  cas  qu'il 
ne  fût  pas  détenu  pour  autre  cause.  Mais  le  même  jour,  nou- 
velle recommandation  aux  mêmes  prisons  par  le  sieur  Fran- 
çois Pommier  pour  une  somme  de  deux  raille  livres,  qui 
lui  était  due  (il  le  prétendait  du  moins),  comme  s'y  étant 
obligé  à  la  demande  des  comédiens,  envers  Louis  Baulot, 
leur  créancier.  Il  fut  cette  fois  encore  oidonné  que  Molière 
sortirait  des  prisons,  s'il  donnait  suffisante  garantie  de  payer 
par  semaine  quarante  livres  pendant  deux  mois.  Il  semble 
donc  que  trois  cent  vingt  livres  étaient  jugées  suflire  pour 
désintéresser  Pommier,  et  que  Molière  avait  affaire  à  des 
usuriers  dont  il  fallait  réduire  les  créances.  Le  ])aveur  des 
bâtiments  du  roi,  le  bon  Léonard  Aubry,  que  nous  connais- 
sons déjà,  se  rendit  caution  jiour  les  quarante  livres  à  payer 
par  semaine'.  Molière  fut-il  libre  alors,  puis,  dès  le  lende- 
main, emprisonné  de  nouveau?  ou  avait-il  été  retenu  au 
moment  où  il  allait  sortir  du  Châtelet?  Il  est  certain  que, 
malgré  la  sentence  favorable  obtenue  le  2  août,  il  eut,  le  4, 
à  présenter  au  lieutenant  civil  une  requête  par  laquelle  il  ré- 
clamait encore,  pour  différents  motifs,  sa  liberté,  Dubourg, 
linger  à  Paris,  l'ayant  fait  arrêter  pour  une  dette  de  cent  cin- 
quante-cinq livres^.  On  lui  demanda  cette  fois  encore,  pour  le 
mettre  hors  de  prison,  sa  caution  juratoire.  On  est  disposé 
à  s'indigner  contre  les  exigeants  créanciers  qui  prétendaient 
tenir  sous  les  verrous  une  glorieuse  destinée.  Il  faut  être 
juste  cependant,  ils  ne  pouvaient  savoir  ce  qu'ils  faisaient, 
à  quel  génie,  alors  inconnu,  ils  s'efforçaient  de  lier  les  ailes. 
L'auraient-ils  su,  il  est  probable  qu'en  faveur  même  du  Mi- 
santhrope^ ils  n'auraient  pas  désarmé  leurs  droits.  L'homme 
pratique,  l'homme  d'argent,  est  toujours  ])rèt  à  dire  : 

Je  vis  de  bons  écus  et  non  de  beau  langage. 

Que  l'on  juge  naturels  ou  non  leurs  duis  procédés,  voilà 
Fausser,  le  maître  chandelier,  Pommier,  le  faiseur  d'af- 
faires, Dubourg,  le  linger,  parvenus,  ou  plutôt  traînés,  à 
la  postérité  pour  ce  fait,  qui  ne  saurait  la  laisser  de  sang- 

I.  Recherches  sur  Molière.  Docu3IENTS  XIX  el  XX,  p.  187  el  188. 
a.  Ibidem.  Docujient  XXI,  p.   189. 


SUR   MOLIERE.  loi 

froid,  l'emprisonnement  de  celui  qui  sera  dans  quelques 
années  le  grand  Molière. 

Il  est  triste  de  ne  pouvoir  (inir  l'histoire  de  l'Illustre 
théâtre  que  par  le  récit,  trop  peu  littéraire,  de  ces  embar- 
ras d'argent.  La  croissante  menace  d'une  complète  ruine  avait 
sans  doute  découragé  la  moitié  des  comédiens  de  l'époque 
de  la  fondation.  Dans  un  acte  du  i3  août  1645,  on  ne  trouve 
plus  Denys  Beys,  Pinel,  Bonnenfant,  Catherine  des  Urlis, 
qui  s'étaient  retirés  à  différents  moments,  ainsi  que  le  co- 
médien auteur  Desfontaines,  venu,  comme  nous  l'avons  vu, 
un  peu  plus  tard  dans  l'association  :  ont  seuls  signé  Molière, 
Madeleine  Béjart,  sa  sœur  Geneviève,  son  frère  Joseph,  Clé- 
rin  et  Catherine  Bourgeois,  avec  eux  un  nouveau  camarade, 
du  nom  de  Germain  R.abel. 

Dans  sa  l'equête  de  prisonnier  adressée  au  lieutenant  civil, 
Molière  avait  encore  pris  le  titre  de  «  comédien  de  Son 
Altesse  Royale  ».  L'acte  du  i3  août  ne  fait  plus  mention  de 
la  protection  de  Gaston.  Ou  l'on  avait  senti  que  l'on  ne  fai- 
sait plus  assez  d'honneur  à  cette  haute  protection,  ou  il  avait 
paru  au  protecteur  lui-même  qu'une  troupe  devenue  insol- 
vable compromettait  son  nom  ;  et  il  lui  eût  été  désagréable 
d'entendre  dire,  probablement  avec  quelque  vérité,  que  ses 
comédiens,  mis  au  Châtelet,  devaient  n'avoir  pas  été  trop 
bien  entretenus  par  lui. 

Le  même  acte  qui  nous  avertit  de  cette  déchéance,  et  qui 
est  une  obligation  à  Aubry  des  comédiens  restés  fidèles  à 
l'Illustre  théâtre  S  est  dans  les  Recherches  de  Soulié,  le  der- 
nier qui  les  dise  «  assemblés  au  jeu  de  paume  de  la  Croix- 
Noire  ».  Il  n'est  resté  de  trace  dans  aucun  document  relatif 
à  nos  comédiens  d'un  autre  jeu  de  paume,  dit  de  la  Croix- 
Blanche,  dont  a  parlé  Grimarest,  et  qu'avec  l'espoir  opi- 
niâtre d'y  relever  sa  fortune,  la  troupe  s'éloignant  du  port 
Saint-Paul,  aurait  été  chercher  au  faubourg  Saint-Germain, 
mal  recommandé  cependant  par  une  première  épreuve.  Le 
contemporain  Chappuzeau,  dans  son  Théâtre  françois^.  ne 
nomme  que  «  les  fossés  de  Nesle  et  le  quartier  de  Saint- 

I.    Reclierclies  sur  Molit-re.  Document  xxii,  p.    1S9  et  igo. 
3.  Voyez  au  livre  III,  chapitre  xxxviii. 


loa  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Paul  ».  Ce  qui,  même  à  première  vue,  fait  croire  à  une  er- 
reur de  Grimarest,  c'est  qu'il  a  passé  sous  silence  le  jeu  de 
paume  des  Mestayers  et  celui  de  la  Croix-Noire.  11  était  donc 
bien  mal  informé  et  aura  confondu  les  deux  Croix.  M.  Vitu 
dit  avoir  constaté  que  la  maison  de  la  Croix-Blanche,  rue 
de  Bucy,  ne  renfermait  pas  un  jeu  de  paume,  mais  un  jeu 
de  boules,  lequel  ne  se  prêtait  pas  à  l'établissement  d'un 
théâtre ^  On  a  voulu  donner  au  témoignage  de  Grimarest 
rap[)ui  de  celui  de  Clialussay,  qui  fait  jiasser  les  comédiens 
du  port  Saint-Paul  au  faubourg  Saint-Germain-.  Mais  c'est 
visiblement,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  un  quiproquo 
par  lequel  l'ordre  est  interverti.  En  vérité,  le  moment  au- 
rait été  bien  choisi  pour  faire  les  frais  d'une  nouvelle  in- 
stallation, lorsqu'il  était  si  clair  que  l'on  succombait  sous 
les  dettes,  et  que  la  ruine  ne  pouvait  plus,  sans  miracle, 
être  conjurée  !  Il  n'est  pas  même  vraisemblable  que  l'on  ait 
trouvé  moyen  de  se  soutenir  longtemps  à  la  Croix-Noire. 
Soulié  a  pensé  que  la  troupe  y  avait  prolongé  jusqu'à  la  lin 
de  16(6^  une  vie  devenue  si  difficile.  C'est  faire  singulière- 
ment durer  l'agonie.  Du  i3  août  1643  aux  derniers  jours 
de  1646,  il  y  a  seize  grands  mois,  pendant  lesquels  les  affai- 
res des  comédiens  avec  leurs  créanciers  et  avec  leurs  prê- 
teurs auraient  certainement  donné  lieu  à  des  actes  nom- 
breux, et  il  n'eu  a  pas  été  découvert  un  seul  de  ce  temps-là, 
qui  constate  clairement  la  continuation  à  Paris  de  l'exis- 
tence de  l'Illustre  théâtre, 

Soulié  cite  deux  documents  qui  la  lui  ont  fait  supposer  : 
d'abord  une  quittance  de  François  Pommier  à  Catherine 
Bourgeois,  en  date  du  4  novembre  164G*.  La  comédienne  lui 
avait  payé  cent  vingt  livres  pour  sa  part  dans  l'obligation, 
souscrite  à  ce  créancier,  de  dix-sept  cents  livres,  et  la  quit- 
tance, donnée  à  Paris,  porte  sa  signature  avec  celle  de 
Pommier.  Puis  c'est  une  promesse,  signée  le  24  décembre 
de  la  même  année,  faite  par  Jean  Poquelin  à  Léonard  Aubry 


1.  Le  Jeu  de  paume  des  Mestayers,  p.  7. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  98. 

3.  Recherches  sur  Molière,  p.  47- 

4.  Ibidem.  Document  XXIII,  p.   191. 


SUR   MOLIERE.  io3 

de  lui  payer  trois  cent  vingt  livres,  si  son  fils  ne  les  pavait 
pas^  Mais  de  la  présence  de  Catherine  Bourgeois  à  Paris  il 
n'y  a  rien  à  conclure.  Elle  était  probablement  alors  séparée 
de  ses  associés  ;  on  ne  la  retrouve  plus  parmi  eux.  Quant  à 
la  promesse  de  Jean  Poquelln,  Molière  a  pu  la  solliciter  de 
loin,  et  elle  n'est  point  pour  l'année  1646  une  meilleure 
preuve  contre  son  absence,  que  pour  l'année  1649  le  paye- 
ment fait  par  son  père  au  même  Aubry  de  soixante-huit 
livres,  qui  restaient  dues  sur  les  trois  cent  vingt.  L'inven- 
taire fait  après  la  mort  de  Jean  Poquelin  constate  ce  paye- 
ment, ainsi  que  celui  des  cent  vingt-cinq  livres  à  la  femme 
de  Pommier,  sollicité  par  Molière,  suivant  la  mention  écrite 
au  dos  d'une  lettre  missive  de  celui-ci-.  Il  faut  le  dire  en 
passant,  si  nous  avions  cette  lettre,  elle  nous  en  apprendrait 
beaucoup  sur  le  plus  ou  moins  de  cordialité  dans  les  rela- 
tions du  père  et  du  fils.  C'est  du  reste  assez  de  l'accueil 
fait  aux  demandes  de  Molière  pour  autoriser  à  penser  que 
ces  relations  n'étaient  pas  trop  mauvaises. 

Nous  venons  de  montrer  l'insuffisance  des  indices  qui  ont 
empêché  de  croire  que  l'Illustre  théâtre  eût  fermé  ses  portes 
peu  après  l'acte  passé  au  jeu  de  paume  de  la  Croix-Noire  le 
i3  août  1G45.  Tout  annonçait  alors  qu'à  bout  d'efforts  dans 
sa  lutte  contre  la  mauvaise  fortune,  la  troupe  était  sur  ses 
fins.  La  meute  des  créanciers  avait  sonné  l'hallali  devant  les 
portes  du  Grand  Châtelet.  On  n'était  plus  recommandé  par 
le  nom  de  l'altesse  royale.  Si  après  le  i3  août  il  y  eut  en-» 
core  des  représentations,  elles  durent  être  en  très  petit 
nombre.  Notre  résistance  à  la  supposition  faite  par  l'auteur 
des  Recherches,  guide  d'ordinaire  si  sûr,  nous  paraît  justifiée 
par  ce  qui  suit. 

On  lit  dans  les  papiers  de  Trallage^  :  «  Le  S""  Molière 
commença  à  jouer  la  comédie  à  Bourdeaux  en  164  t  ou  1645. 
M.  d'Epernon  étoit  pour  lors  gouverneur  de  Guienne.  Il 
estiraoit  cet  acteur  qui  lui   paroissoit  avoir  de  l'esprit.  » 

1.  Recherches  sur  Molière.  Document  XXXVII,  cote  quatre, p.  227. 

2.  ibidem,  p.    228. 

3.  Voyez  au  folio  2  38,  recto,  du  tome  IV  de  ces  papiers,  con- 
servés à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal. 


loi  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Les  faits  précédemment  exposés  rendent  la  date  de  i6li\ 
impossible.  Celle  de  i6/,5  ne  l'est  pas,  mais  à  condition  de 
n'admettre  que  les  derniers  mois  de  cette  année,  comme 
l'ont  fait  les  frères  Parfait*,  dans  une  citation,  d'ailleurs  peu 
exacte,  du  renseignement  donné  par  Trallage.  Ce  rensei- 
gnement approchait  beaucoup  de  la  vérité,  et  Trallage,  bien 
qu  il  liésitât  sur  la  date  précise,  n'était  pas  trop  mal  informé. 
Il  avait  bien  su  vers  quel  temps  à  peu  près  la  troupe  de  Mo- 
lière et  de  ses  camarades,  pei^dant  le  nom  d'Illustre  théâtre, 
devint  celle  du  duc  d'Epernon.  Son  témoignage  confirme 
ceux  que  nous  allons  rencontrer,  de  même  qu'il  est  con- 
fn'mé  par  eux.  Ceux-ci  ont,  il  est  vrai,  besoin  d'être  inter- 
prétés ;  mais  on  jugera  de  l'extrême  vraisemblance  de  l'in- 
terprétation, et  combien  est  peu  douteuse  la  réunion  de  nos 
comédiens,  vers  le  commencement  de  1646,  sinon  même  un 
peu  plus  tôt,  à  ceux  du  duc  d'Epernon-. 

La  dédicace  de  la  tragédie  de  Josap/iat^  avAt  été  déjà 
beaucoup  remarquée.  L'auteur  était  ce  Magnon,  dont  nous 
avons  cité  la  tragédie  antérieure  d'Artaxerce,  représentée 
par  l'Illustre  théâtre,  auquel  il  avait  ainsi  témoigné  son  bon 
vouloir  et  son  estime.  Il  dédia  son  Josaphat  au  duc  d'Eper- 
non, Bernard  de  Nogaret,  comte  de  Foix,  gouverneur  de  la 
Guyenne.  Ce  passage  de  son  Epître  a  été  depuis  assez  long- 
temps et  souvent  cité  :  «  Cette  protection  et  ce  secours, 
Monseigneur,  que  vous  avez  donné  à  la  plus  malheureuse 
et  à  l'une  des  mieux  méritantes  comédiennes  de  France, 
n'est  pas  la  moindre  action  de  votre  vie.  Et  si  j'ose  entrer 
dans  vos  sentiments,  je  veux  croire  que  cette  générosité  ne 
vous  déplaît  pas  ;  tout  le  Parnasse  vous  en  est  redevable  et 
vous  rend  grâces  par  ma  bouche.  Vous  avez  tiré  cette  infor- 


I.  Histoire  du  théâtre' francois,  tome  X,  p.  74,  à  la  note. 

•)..  Depuis  quelque  temps  on  était  sur  la  A'oie  ;  mais  avaut 
M.  Chardon,  érudit  aussi  lieureux  que  persévérant  et  sagace 
dans  ses  recherches,  personne  n'avait  autant  que  lui  fourni  des 
éléments  à  la  solution  du  petit  prohlème.  Voyez  son  livre  déjà 
cité,  M.  de  Modène...  et  Madeleine  liéjart,  p.   iSG-ltjS. 

3.  Josaphat^  tragi comédie  de  M.  Magnon.  A  Paris,  chez  Antoine 
de  Sommaville....  M.DC.XLVII. 


SUTx   MOLIERE.  io5 

tunée  d'un  précipice  oîi  son  méxùte  l'avoit  jetée,  et  vous 
avez  remis  sur  le  théâtre  un  des  beaux  personnages  qu'il 
ait  jamais  portés.  Elle  n'y  est  remontée,  Monseigneur, 
qu'avec  cette  belle  espérance  de  jouer  un  jour  dignement 
son  rôle  dans  cette  illustre  pièce,  où,  sous  des  noms  em- 
pruntés, on  va  représenter  une  partie  de  votre  vie.  »  On  a, 
sans  grand  danger  de  se  tromper,  reconnu  dans  cette  comé- 
dienne singulièrement  distinguée  que  le  duc  d'Épernon 
avait  tirée  de  l'abîme,  celle  qui  était,  puisqu'il  ne  s'agit  pas 
de  l'autre  sexe,  la  plus  brillante  épave  du  naufrage  de  l'Il- 
lustre théâtre,  et  que  l'on  ne  pouvait  secourir  plus  effica- 
cement qu'en  la  faisant  remonter  sur  la  scène.  La  phrase  : 
«  Si  j'ose  entrer  dans  vos  sentiments,  je  veux  croire  que 
cette  générosité  ne  vous  déplaît  pas  »,  pourrait  suggérer 
quelques  conjectures;  on  les  trouverait  d'accord  avec  ce 
que  nous  savons  de  la  Béjart,  dont  la  coquetterie  n'aimait 
pas  à  déroger,  et  était  surtout  encourageante  pour  les  gens 
de  qualité.  Il  nous  semble  moins  facile  d'expliquer  le  «  pré- 
cipice où  son  mérite  l'avoit  jetée.  »  Il  y  a  là  une  allusion, 
qui,  n'étant  pas  très  claire  pour  nous,  est  seule  un  peu 
gênante.  Malgré  tout,  on  peut  tenir  pour  évident  qu'il  s'agit 
bien  de  la  Béjai't,  et  que  la  voici  engagée  dans  la  troupe  du 
duc  d'Epernon,  avec  l'espérance  d'un  rôle  dans  une  pièce 
toute  pleine  d'allusions  aux  aventures  du  gouverneur  de  la 
Guyane.  Dans  Josaphat,  en  efl'et,  Bernard  de  Nogaret  est 
facile  à  reconnaître,  lorsqu'il  n'était  encore  que  duc  de  la 
Valette,  et  que  Louis  XIII,  après  le  siège  de  Fontarabie,  le 
frappa  si  durement.  La  pièce  fut  imprimée  à  Paris  en  1647. 
L'achevé  d'imprimer  est  du  12  octobre  1646,  le  privilège  est 
donné  à  Paris  le  dernier  août  précédent.  Ces  dates  méritent 
attention.  Lorsque  Magnon  écrivit  l'épître  où  il  parle  de  la 
comédienne  rendue  au  théâtre  par  le  duc  d'Épernon,  non 
seulement  la  pièce  n'était  pas  encore  représentée,  mais  on 
n'avait  même  pas  arrêté  la  distribution  des  rôles,  puisque 
la  nouvelle  recrue  n'en  était  encore  qu'à  l'espérance  d'en  ob- 
tenir un;  or,  comme  l'impression  d'une  pièce  n'ensuivait  pas 
immédiatement  la  première  représentation,  l'achevé  d'im- 
primer, daté  du  mois  d'octobre,  ne  paraît  pas  permettre  de 
faire  reculer  plus  tard  que  vers  Pâques   1646  l'admission 


io6  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

dans  la  troupe,  entretenue  par  le  duc,  de  l'actrice,  sa  pro- 
tégée. 

La  dédicace  d'une  autre  tragédie,  le  Dictateur  romain^, 
a  été  signalée  par  M.  Chardon  comme  faisant  faire  un  nou- 
veau pas,  un  pas  décisif,  à  la  question.  L'épître,  signée 
A.  Mareschal,  est,  comme  celle  de  Jo.mphat,  adressée  au 
duc  d'Epernou;  on  y  trouve  également  un  remarquable  pas- 
sage sur  sa  troupe.  Avec  respect  et  crainte,  l'auteur  lui 
dédie  sa  tragédie,  «  ])our  la  faire  passer,  heureusement,  lui 
dit-il,  de  vos  mains  libérales  en  la  bouche  de  ces  comédiens 
destinés  seulement  aux  plaisirs  de  V.  G.,  et  dont  la  troupe, 
que  vous  avez  enrichie  par  des  présents  magnifiques  autant 
que  par  d'illustres  acteurs,  se  va  rendre,  sous  vos  faveurs 
et  sous  l'appui  de  votre  nom,  si  pompeuse  et  célèbre  qu'on 
ne  la  pourra  juger  indigne  d'être  à  vous.  »  Ces  auxiliaires 
emphatiquement  vantés,  dont  le  concours  a  enrichi  la  troupe, 
Mareschal  ne  les  a  sans  doute  pas  nommés  au  hasard  à' il- 
lustres acteurs.  Il  est  vrai  que  l'épithète  d'illustre,  nous  le 
savons  déjà,  était  alors  prodiguée.  On  a  pu  remarquer  tout 
à  l'heure  qu'elle  est  donnée  par  Magnon  à  sa  tragi-comédie 
de  Josap/iat,  en  vue  de  celui  qu'elle  célébrait.  Mais  lorsque 
Mareschal  l'applique  aux  acteurs  récemment  recrutés,  a-t-il 
voulu  marquer  seulement  qu'ils  n'étaient  pas  les  premiers 
venus?  n'a-t-il  pas  plutôt  désigné  clairement  les  comédiens 
de  l'Illustre  théâtre?  L'intention  est  d'autant  plus  vraisem- 
blable que  Mareschal  était,  au  moins  autant  que  Magnon, 
un  ancien  ami  de  ce  théâtre,  dont  il  avait  signé  l'acte  de  nais- 
sance. En  effet,  dans  le  contrat  de  société  du  3o  juin  1648, 
il  est  nommé  le  premier  :  «  Faict  et  passé  à  Paris,  en 
la  présence  de  noble  homme  André*  Mareschal,  advocat 
en  Parlement,  etc.  3>  C'est  la  Béjart  seule  que  l'on  trouve 
dans  l'épître  de  Magnon;  dans  celle  de  l'auteur  du  Dictateur 
romain,  ce  sont,  avec  elle,  ses  camarades.  Si  en  examinant 


I.  Le  Dictateur  romain.  Tragédie  dédiée  à  Monseigneur  le  duc  d'Es' 
pernon.  A  Paris,  chez  Toussainct  Qiiinet,  1647. 

3.  Il  a  signé  de  même  qu'à  la  fin  de  l'épître  du  Dictateur  ro- 
main, A.  Mareschal;  son  prénom  n'était  pas  Antoine,  comme  on  l'a 
dit,  en  accusant  d'erreur  l'acte  de  i643,  mais  bien  André. 


SUR   MOLIERE.  107 

à  part,  pour  les  interpréter,  chacune  des  deux  dédicaces,  on 
pouvait  hésiter  sur  le  sens  à  leur  donner,  on  prend  confiance 
lorsqu'on  les  rapproche  et  les  met  en  regard.  Il  serait 
étrange  qu'elles  fussent  si  bien  d'accord  pour  nous  faire  la 
même  illusion  sur  la  réunion,  dès  164G,  de  la  troupe  de 
riUustre  théâtre  à  celle  de  d'Epernon.  Les  allusions  de 
Magnon  sont  donc  éclaircies,  s'il  en  est  besoin,  par  celles  de 
Mareschal,  et  réciproquement.  Dès  que  l'on  pense  ainsi, 
l'épître  dédicatoire  du  Dictateur  romain  est  celle  qui,  par  sa 
date,  fournit  le  renseignement  le  plus  curieux.  L'impression 
de  cette  tragédie  a  précédé  celle  du  Josaphat.  L'achevé 
d'imprimer  est  du  28  avril  1646;  mais  le  privilège  avait  été 
donné  à  Paris  le  ig  février.  La  pièce  avait  donc  «  passé  dans 
la  bouche  d'illustres  acteurs  ?'  avant  le  mois  de  février;  ce 
qui  suppose  que  ceux-ci  avaient  contracté  leur  engagement 
tout  au  moins  dès  le  commencement  de  l'année:  la  fin  même 
de  1645,  une  des  années  nommées  par  Trallage,  devient  assez 
probable;  et  il  ne  faudrait  plus  parler,  comme  nous  l'avons 
fait  tout  à  l'heure,  de  Pâques  1646. 

On  ne  sait  pas  au  juste  à  quelle  date  Scarron  a  écrit  cette 
phrase  qu'il  met  dans  la  bouche  d'un  des  comédiens  de  son 
Roman  comique  :  «  Notre  troupe  est  aussi  complète  que  celle 
du  prince  dOrange  et  de  Son  Altesse  d'Epernon.  »  Etait-ce 
avant  cjue  Molière  et  les  Béjart  fissent  partie  de  cette  der- 
nière troupe,  ou  depuis  qu'ils  se  furent  associés  à  Charles  du 
Fresne?  Nous  ignorons  aussi  quand  ce  du  Fresne,  qui  avait 
donné  des  représentations  à  Lyon  en  1643  avec  Desfon- 
taines, devenu,  l'année  suivante,  un  des  comédiens  de  l'Il- 
lustre théâtre,  commença  d'être  le  chef,  ou,  si  l'on  veut,  le 
principal  acteur  de  la  troupe  entretenue  par  Bernard  de 
Nogaret  :  de  bonne  heure,  à  ce  qu'il  semble;  car  il  faut  faire 
remonter  assez  haut  la  protection  dont  il  fut  honoré  par  les 
ducs  d'Epernon,  dont  l'un  (nous  croyons  qu'il  s'agit  de  l'an- 
cien, Jean  Louis,  père  de  Bernard)  le  recommanda  en  1682 
aux  échevins  de  Bordeaux^  Deux  documents  de  1647,  datés, 


I.  Detcheverry,  Histoire   des  théâtres  de  Bordeaux,    i  vol.  in-8° 
(Bordeaux,  1860),  p.  16,  note  i. 


loS  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

l'un  du  9,  l'autre  du  24  octobre*,  nous  apprennent  qu'à  ces 
dates  la  troupe  du  duc  d'Epernon  était  à  Albi,  venant  de 
Toulouse,  et  que  cinq  cents  livres  lui  ayant  été  payées,  la 
quittance  fut  signée  par  Charles  du  Fresne,  René  Berthelot 
(du  Parc)  et  Pierre  Revelhon  [Réveillon],  trois  comédiens  dont 
l'association  avec  Molière,  à  différentes  époques,  est  con- 
statée. Si  nous  n'avons  pas  mal  interprété  les  allusions  de 
Mareschal  et  de  Magnon,  Madeleine  Béjart  et  les  autres 
«  illustres  acteurs  «  que  la  mauvaise  fortune  n'avait  pas  en- 
traînés à  la  désertion,  faisaient,  eux  aussi,  partie  de  la 
troupe.  Il  est  regrettable  que  la  quittance  ne  porte  pas  leurs 
signatures;  mais  le  18  mai  de  l'année  suivante  (i6',8),  à 
Nantes,  parmi  les  témoins  du  baptême  d'une  fille  de  Pierre 
Réveillon,  on  trouve  les  mêmes  comédiens  que  tout  à  l'heure 
à  Albi,  du  Fresne  et  du  Parc,  en  outre  Marie  Hervé  et  Ma- 
deleine Béjart*.  Molière  n'est  pas  nommé;  cependant,  pour 
faire  supposer  sa  présence  dans  la  troupe  qui  jouait  alors  à 
Nantes,  celle  des  Béjart  n'aurait-t-elle  pas  suffi?  Mais  nous 
la  verrons  incontestablement  attestée  dans  la  même  ville  le 
mois  précédent. 

A  partir  de  ce  moment  on  s'accorde  généralement  à  ne 
plus  disputer  à  Molière  sa  place  dans  la  troupe  de  du  Fresne; 
et  dès  qu'on  n'hésite  pas  à  l'y  voir  en  1648  à  Nantes,  il  est 
très  invraisemblable  que  l'association  ne  se  soit  faite  que  là, 
et  n'existât  pas  déjà  en  1647  à  Albi,  ou,  pour  mieux  dire, 
avant  le  séjour  des  comédiens  dans  cette  ville.  Lorsque  du 
Fresne,  Berthelot  et  Réveillon  étaient  arrivés  à  Albi,  nous 
avons  dit  qu'ils  venaient  de  Toulouse.  Comme  il  est  à  croire 
que  Molière  était  déjà  un  des  leurs,  il  n'aurait  j)as  fallu 
traiter  de  légende  peu  digne  de  foi  l'ancienne  tradition, 
persistante  parmi  les  Toulousains,  qu'il  avait  fait  amitié 
chez  eux  avec  le  vieux  troubadour  Godelin  (Goudouli).  Si 


I.  Publiés  par  M.  Jules  Rolland  dans  V Histoire  littéraire  de  la 
ville  iTAlbi.  i  vol.  in-8°,  Toulouse,  1879. 

3.  L'acte  de  baptême,  extrait  des  registres  de  la  paroisse  Saint- 
Léonard  de  Nantes,  a  été  donné  par  M.  Benjamin  Fillon  dans 
ses  Recherches  sur  le  séjour  de  Molière  dans  l'ouest  de  la  France  en 
1648  (Fontenay-le-Comle,  1871),  p.  4- 


SUR   MOLIERE. 


109 


cette  tradition  n'est  conlirmée  par  aucun  document  positif, 
elle  n'est  pas  pour  cela  sans  valeur,  dès  que  la  date  du  pas- 
sage de  la  troupe  de  du  Fresne  ne  lui  donne  pas  de  dé- 
menti. Il  n'en  serait  pas  de  même  de  l'année  iG]g,  lorsque 
Molière  revint  à  Toulouse  :  alors  Goudouli  n'était  plus  à 
Toulouse  et  approchait  de  son  dernier  jour.  Pellet  des  Bar- 
reaux, auteur  d'une  comédie  en  vers  intitulée  Molière  à  Tou- 
louse, qu'il  fit  représenter  dans  cette  ville  en  1787,  dit  dans 
son  Avertissement  que  Molière  y  «  fit  ses  premières  armes 
en  1646  ».  Il  y  a  là  un  peu  d'exagération  méridionale,  s'il 
faut  entendre  que  Toulouse  aurait  la  première  vu  jouer 
Molière  depuis  qu'il  courut  la  province.  Par  suite  de  cette 
prétention  sans  doute,  des  Barreaux,  au  lieu  de  la  date  de 
1647,  donne  celle  de  1646,  qui  n'est  pas,  comme  on  l'a  cru*, 
une  faute  de  l'imprimeur  ayant  renversé  le  6  (1646  pour 
1649),  ™^iis  s'explique  par  le  souvenir  perpétué  de  la  véri- 
table époque  des  débuts  des  comédiens  de  llllustre  théâtre 
dans  la  troupe  de  du  Fresne. 

C'est  uniquement  afin  de  ne  rien  omettre  de  ce  qui  donne 
plus  de  probabilité  aux  dates  de  1646  ou  de  1645  pour  ces 
débuts,  que  nous  venons  de  faire  voyager  Molière  un  peu  trop 
vite.  Il  va  falloir  retourner  en  arrière,  sans  le  chercher 
d'abord  à  Bordeaux,  où  1  on  n'a  ])as  trouvé  trace  de  repré- 
sentations données  en  1646  par  les  comédiens  du  duc 
d  Epernon.  Ce  doit  être,  ainsi  que  la  remarque  en  a  été 
faite-,  qu  ils  ne  jouèrent  pas  dans  cette  ville,  mais  vraisem- 
blablement dans  quelque  autre  du  même  gouvernement  ou 
dans  un  château  du  gouverneur. 

Avec  la  réunion,  opérée  beaucoup  plus  tôt  qu  on  ne  l'avait 
longtemps  supposé,  de  la  troupe  de  nos  acteurs  à  celle  de 
du  Fresne,  nous  sommes  entré  dans  une  période  de  la  vie 
de  Molière  qui  ne  va  être  que  la  continuation  de  ses  années 
d'apprentissage  au  jeu  de  paume  des  Mestayers  et  au  port 
Saint-Paul,  mais  dans  des  conditions  toutes  nouvelles.  Elles 
lui  donnèrent  beaucoup  à  lutter   encore,  mais  avec  moins 

I.  Histoire  des  pérégi-inations  de  Molière  dans  le  Laiif^ucdoc,  p.  3l. 
3.  Voyez  les  OEuvres  de  Molière,  -i.'  édition  de  M.  Louis  Molaod, 
tome  I,  p.  67,  et  M.  de  Modène...    et  Madeleine  Béjart,  p.  199. 


iio  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

de  difficultés,  et  lui  permirent  de  s'avancer  chaque  jour  plus 
près  du  but  oh  il  devait  atteindre. 

Ses  plus  anciens  biographes  ont  extrêmement  abrégé  l'his- 
toire de  son  odyssée  de  douze  années.  Nous  avons  déjà  parlé 
de  la  rapidité  avec  laquelle  Perrault  a  brûle  presque  toutes 
les  étapes  de  ces  longs  voyages.  Les  auteurs  de  la  Préface 
de  1682,  après  avoir  dit  sommairement  que  son  dessein  de 
s'établir  à  Paris  «  ayant  manqué  de  succès,  il  fut  obligé  de 
courir  par  les  provinces  du  royaume,  où  il  commença  de 
s'acquérir  une  fort  grande  réputation  »,  se  contentent  de 
marquer  son  passage  à  Lyon  en  i65j,  son  Étourdi  joué  dans 
cette  ville,  l'accueil  qui  lui  fut  fait  en  Languedoc  par  le 
Prince  de  Conti;  la  représentation  aux  états  de  Béziers 
de  sa  seconde  comédie,  le  Dépit  amoureux  ;  enfin,  en  i658, 
après  le  carnaval  passé  à  Grenoble,  un  séjour  à  Rouen, 
d'où  il  revint  se  fixer  à  Paris.  Grimarest  lui-même,  qui, 
dans  sa  biographie,  n'a  pas  imité  la  brièveté  de  ses  devan- 
ciers, n'a  ici  rien  ajouté,  si  ce  n'est  quelques  détails  sur  le 
moment  de  faveur  auprès  de  l'altesse  et  la  m'ention  des 
Précieuses  ridicules,  qn'ïl  met  au  nombre  des  comédies  repré- 
sentées en  Languedoc.  C'est  qu'il  suffisait  bien,  dira-t-on, 
de  noter  les  points  les  plus  saillants. 

Nous  croyons  cependant  légitime  la  curiosité  d'aujour- 
d'hui qui  ne  se  contente  pas  de  si  peu.  Elle  nous  invite  à 
suivre  moins  rapidement  Molière  dans  ses  pérégrinations, 
dans  les  progrès  qu'elles  ont  fait  faire  à  son  expérience  du 
théâtre,  surtout  à  son  étude  des  moeurs  et  des  caractères, 
favorisée  alors  par  tant  d'occasions  d'observations  variées. 
Souvent  un  intérêt  d'une  autre  nature  s'est  attaché  à  une 
connaissance  plus  exacte  de  son  itinéraire.  Toute  ville  qu'il 
a  visitée  est  fière  de  relever  dans  ses  murs  quelque  trace  de 
son  passage.  De  là  ces  enquêtes  faites  à  l'envi  de  tous  c«)tés. 
Nous  ne  saurions  avoir  ce  genre  de  préoccupation;  il  le  faut 
laisser  à  l'amour-propre  local,  qui  a  souvent  rendu  le  ser- 
vice de  mettre  sur  la  bonne  voie,  mais  souvent  aussi  a  sou- 
levé, sans  les  résoudre  clairement,  de  petits  problèmes,  que 
nous  ne  voudrions  pas  être  trop  entraîne  à  discuter.  On  ap- 
prouvera que  dans  notre  voyage  à  la  poursuite  de  Molière 
nous  nous  bornions  à  l'essentiel.  Il  ne  faut  pas  d'ailleurs  se 


SUR   MOLIERE.  m 

flatter  de  ne  jamais  perdre  le  poète  de  vue,  quelque  soin 
qu'on  ait  rais  de  nos  jours  à  s'informer  de  toutes  ses  allées 
et  venues.  Nous  proliterons  beaucoup  sans  doute  d'un  grand 
nombre  de  patientes  investigations,  en  reconnaissant  à  qui 
le  mérite  en  appartient  ;  mais  nous  nous  défierons  de  ce  qui 
n'est  pas  assez  prouvé.  Des  indices,  trop  facilement  accep- 
tés, ont  dû  plus  d'une  fois  tromper,  par  exemple  lorsqu'on 
a  oublié  que  la  composition  des  troupes  de  comédiens  am- 
bulants était  changeante.  Elles  se  faisaient  mutuellement 
des  emprunts  de  leurs  acteurs.  Quelquefois  on  s'associait 
un  moment,  puis  on  se  quittait.  iSous  pouvons  donc  ren- 
contrer quelque  part  tels  ou  tels  comédiens,  sans  savoir 
sûrement  à  quelle  troupe  ils  appartiennent.  En  outre  la  pré- 
sence dans  une  ville  d'un  camarade  non  douteux  de  Molière 
n')'  rend  pas  toujours  incontestable  celle  de  toute  la  troupe 
au  même  moment.  De  là  bien  des  incertitudes,  dont  il  n'y 
a  pas  d'ailleurs  à  se  beaucoup  chagriner.  Quelques  lacunes 
qui  restent  à  combler,  ce  que  nous  savons  aujourd'hui  suf- 
fit pour  que  le  tableau  d'ensemble  des  voyages  de  Molière 
laisse  peu  à  désirer  et  puisse  au  moins  être  présenté  dans 
ses  grands  traits. 

Nous  l'avons  déjà  commencé  en  montrant  la  troupe  de 
l'Illustre  théâtre  réunie  à  celle  de  du  Fresne  sous  la  protec- 
tion du  duc  d'Épernon,  qui  la  prend  à  son  service  dans  la 
province  de  Guyenne.  Avant  qu'elle  fût  arrivée  à  Bordeaux, 
on  a  cru  qu'elle  s'était  arrêtée  au  Mans.  Cette  supposition 
hasardée  est  une  de  celles  que  l'on  passerait  volontiers  sous 
silence,  si  elle  n'avait  suggéré  l'idée  que  l'on  a  dans  le 
Roman  comique  de  Scarron  une  peinture  de  notre  troupe  ; 
ce  qui  vraiment  serait  très  curieux.  Mais  quand  on  ne  se 
rendrait  pas  aux  solides  objections  que  M.  Chardon,  dans  sa 
Troupe  du  Roman  comique  dci'oilée,  a  faite  à  la  rencontre  de 
nos  comédiens  par  Scarron,  on  chercherait  en  vain  dans  la 
burlesque  épopée  ce  qu'on  nous  fait  espérer  d'y  trouver. 
On  a  voulu  qu'en  dessinant  les  figures  de  Destin  et  de 
Mlle  de  l'Estoile,  l'auteur  du  Roman  comique  ait  eu  en  vue 
Molière  et  la  Béjart.  Jamais  peintre  n'aurait  mieux  déguisé 
ses  modèles.  Où  pouvons-nous  reconnaître  un  seul  trait  de 
leurs  caractères,  de  leurs  physionomies  ?  Aucune  aventure  du 


lia  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

roman  ne  ressemble  à  ce  que  nous  savons  de  leur  vie.  Tout 
dans  cette  histoire  de  comédiens  nomades  paraît  bien  être 
de  pure  fantaisie.  Rappelons  d'ailleurs  que  Scarron,  comme 
nous  l'avons  dit  un  j)eu  plus  haut,  distingue,  en  un  j)assage, 
sa  troupe  ambulante  de  celle  du  duc  d  Épernon'.  Si  Molière 
et  les  Béjart  étaient  dès  lors  de  cette  dernière  troupe,  cela 
suffit  pour  les  écarter. 

L'amusant  tableau  du  spirituel  conteur  nous  donnera- 
t-il  du  moins  quckjues  indications  sur  le  genre  de  vie  de 
nos  comédiens  de  campagne,  sur  leur  manière  de  voyager? 
Tout  en  tenant  compte  des  traits  grossis  par  le  burlesque, 
nous  croyons  bien  que  Scarron  a  peint  ce  qu'il  avait  à  peu 
près  vu,  mais  dans  des  troupes  vulgaires.  «  Il  s'en  trouve 
de  faibles,  dit  Chappuzeau-,  et  pour  le  nombre  de  personnes 
et  pour  la  capacité;  mais  il  s'en  trouve  aussi  de  raisonnables, 
et  qui,  étant  goûtées  dans  les  grandes  villes,  n'en  sortent 
qu'avec  beaucoup  de  profit  «.  Telle  fut,  par-dessus  toutes,  la 
nôtre,  que  protégèrent  de  très  grands  personnages.  Il  ne 
faut  pas  se  la  figurer  jouant  dans  des  granges,  mais  dans 
des  jeux  de  paume,  comme  elle  avait  fait  à  Paris,  ou  bien 
encore  dans  les  salles  de  ville,  ou  dans  les  châteaux. 
George  Sand,  dans  sa  comédie  de  Molière,  fait  dire  à  Pier- 
rette Laforêt,  dont  le  maître  est  devenu  «  tous  les  jours 
plus  riche,  plus  caressé  des  jeunes  messieurs,  plus  aimé  du 
roi,  plus  fameux  dans  la  cour  et  dans  la  ville  :  Ce  n'était 
point  comme  ça  du  temps  que  vous  n'étiez  (piun  petit  chef 
de  troupe  courant  les  campagnes  et  jouant  dans  les  granges 
plus  souvent  que  dans  les  châteaux,  y  La  bonne  Laforêt 
entend  bien  l'antithèse,  mais  connaît  mal  les  faits.  Nous  ne 
disons  pas  que  jouer  devant  les  d'Epernon,  les  Conti,  les 
d'Aubijoux,  ou  devant  le  roi  et  sa  cour,  ce  ne  fût  pas  très 
différent;  mais  nous  sommes  loin  de  ce  contraste  d'un  subit 
passage  de  l'obscurité  des  villages  à  la  clarté  de  la  faveur 
royale.  Qu'il  y  ait  eu  des  comédiens  jouant  dans  des  hangars 
rustiques,  où  leurs  tirades,  a-t-on  dit,  étaient  coupées  par 
le  braiment  d'un  âne  ou  le  mugissement  d'un  bœuf,   il   se 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  107. 

a.  Le  Théâtre  françois,  livre  III,  chapitre  xtv. 


SUR  MOLIERE.  ii3 

peut;  mais  notre  troupe  n'en  était  pas  là;  et  même  quand 
nous  la  verrons  visiter  de  petites  villes  dans  les  environs 
de  Pézenas,  on  peut  être  assuré  qu'un  local  convenable 
était  mis  à  sa  disposition.  Si  Molière  en  province  avait 
jamais  paru,  comme  un  Tabarin,  sur  de  misérables  tré- 
teaux, Chalussay  n'aurait  pas  manqué  cette  occasion  de 
l'en  railler;  il  aurait  plutôt  renchéri.  Il  se  borne  à  plaisan- 
ter sur  la  facile  et  sotte  admiration  des  provinciaux,  sur  les 
places  à  cinq  sols,  sur  la  caisse  à  peine  assez  remplie  pour 
sufiSre  aux  besoins  de  la  troupe*.  Rien  de  moins  vrai  d'ail- 
leurs que  les  petits  goussets  presque  vides.  Quand  les  co- 
médiens revinrent  à  Paris,  non  seulement  ils  avaient  grandi 
en  considération,  leurs  affaires  avaient  prospéré. 

Dès  les  premiers  débuts  en  province  de  la  troupe  de 
Molière  et  des  Béjart,  réunie  à  celle  de  Charles  du  Fresne, 
le  service  auquel  elle  était  engagée  auprès  du  duc  d'Epernon 
ne  pouvait  la  laisser  confondre  avec  la  plupart  des  troupes 
de  campagne.  Il  est  vraisemblable,  nous  l'avons  dit,  qu'elle 
ne  fit  pas  ce  service  à  Bordeaux  même;  on  présume  que  ce 
fut  tantôt  au  château  de  Cadillac,  vraie  demeure  royale,  tan- 
tôt à  Agen,  où  le  duc  n'étalait  pas  une  moindre  magnificence 
et  donnait,  en  apparence  à  la  duchesse,  mais  réellement  à 
sa  maîtresse,  la  fameuse  Nanon  de  Lartigue,  des  fêtes  très 
somptueuses.  Nous  ignorons  jusqu'à  quel  point  ce  fastueux 
gouverneur  de  la  Guyenne  était  généreux  pour  ses  comé- 
diens; il  leur  procurait  du  moins  l'avantage  déjouer  leurs 
pièces  au  milieu  de  splendeurs  dont  un  théâtre  ne  se  passe 
qu'à  regret.  Le  protecteur  n'avait  pas  toujours  besoin  de 
sa  troupe,  qu'il  laissait  libre  d'aller  se  montrer  dans  diffé- 
rentes villes,  dans  celles,  par  exemple,  que  nous  avons  déjà 
nommées,  Toulouse,  puis  A.lbi,  oii  elle  eut  l'honneur  d'être 
mandée,  pour  le  2^  juillet  1647,  ^  l'occasion  des  fêtes  de 
l'entrée  du  comte  d'Aubijoux,  ce  lieutenant  général  pour 
le  roi  en  Languedoc,  dont  Chapelle,  dans  son  voyage,  a  cé- 
lébré l'hospitalité.  D'Aubijoux,  qui  aimait  les  gens  d'es- 
prit, a  montré  dans  diverses  occasions  en  quelle  estime  il 
tenait  Molière.  Ce  ne  fut  sans  doute  pas  sa  faute  si  la  ville 

I.  Elomire  kypocondre,  scène  11  du  Divorce  comique,  p.  ^8. 
Molière,  x  8 


11^,  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

d'Aibi  qui  le  fêtait,  et  que  regardaient  par  conséquent  les 
frais  des  réjouissances  publiques,  fit  beaucoup  de  difficultés 
pour  payer  les  comédiens.  Le  comte  de  Breteuil,  intendant 
de  la  province,  qui  trouva  ceux-ci  à  Carcassonne  au  mois 
d'octobre  suivant,  avertit  par  cette  lettre  les  consuls  d'Albi 
de  réparer  le  manque  de  mémoire  qui  leur  avait  fait  négli- 
ger leur  dette  : 

«  Messieurs, 

«  Etant  arrivé  en  notre  ville  [de  Carcassonne), \'d\  trouvé  la 
troupe  des  comédiens  de  M.  le  duc  d'Epernon,  qui  m'ont  dit 
que  votre  ville  les  avoit  mandés  pour  donner  la  comédie 
pendant  que  M.  le  comte  d'Aubijoux  y  a  demeuré,  ce  qu'ils 
ont  fait  sans  qu'on  leur  ait  tenu  la  promesse  qu'on  leur  avoit 
faite,  qui  est  qu'on  leur  avoit  promis  une  somme  de  six  cents 
livres  et  le  port  et  conduite  de  leurs  bagages.  Cette  troupe 
est  remplie  de  fort  honnêtes  gens  et  de  très  bons  artistes, 
qui  méritent  d'être  récompensés  de  leurs  peines.  Us  ont  cru 
qu'à  ma  considération  ils  pourront  obtenir  votre  grâce  et 
que  vous  leur  ferez  donner  satisfaction.  C'est  de  quoi  je 
vous  prie,  et  de  faire  en  sorte  qu'ils  puissent  être  payés.  Je 
vous  en  aurai  obligation  en  mon  particulier,  etc. 

«  Signé  :  de  Breteuil. 
«  Carcassonne,  9°  octobre  1647-  " 

Sur  cette  sommation  courtoise,  les  consuls  d'Albi  ne 
purent  faire  autrement  que  de  s'exécuter,  comme  le  prouve 
cet  extrait  du  Compte  des  frais  de  V entrée  de  Monseigneur  le 
comte  d'Aubijoux  : 

«  La  troupe  de  Mgr  le  duc  d'Epernon  étant  venue  exprès 
de  la  ville  de  Tholoze  en  cette  ville,  avec  leurs  bardes  et 
meubles,  et  demeurée  pendant  le  séjour  de  Mgr  le  Comte, 
il  leur  fut  accordé  pour  le  dédommagement  la  somme  de 
cinq  cents  livres  payées  et  avancées  par  la  susdite  ville 
d'Alby ,  résultant  par  la  quittance  concédée  par  sieurs 
Charles  du  Fresne,  René  Bertlielot  et  Pierre  Rebelhon,  re- 


SUR   MOLIERE.  ii5 

tenue  par  M'^  Rernard  Bruel,  notaire,  le  24^  octobre  dudit 
an  1647*.  » 

Cette  quittance  était  bien  dite  cnncc'dée,  les  consuls  ayant 
lésiné  sur  la  somme  promise.  Le  consentement  de  la  troupe 
était  d'ailleurs  forcé.  En  général  nous  trouverons  la  magis- 
trature urbaine  moins  empressée  à  honorer  les  comédiens 
que  ne  l'ont  été  les  grands  seigneurs;  mais  il  se  peut  bien 
que  ceux-ci  aient  quelquefois  été  prodigues  surtout  d'égards 
et  d'affable  familiarité,  tandis  que  les  villes  ne  trouvaient 
pas  très  bon  qu'ils  rejetassent  sur  elles  la  charge  de  leurs 
libéralités. 

Les  documents  cités  viennent  de  nous  donner  la  certi- 
tude de  la  présence  des  comédiens  du  duc  d'Epernon  à  Tou- 
louse, à  Albi,  à  Carcassonne,  en  1GJ7;  mais  plusieurs  n'ont 
pas  cru  pouvoir  en  conclure  sans  hésitation  celle  de  Molière 
dans  cette  dernière  ville,  la  quittance  n'étant  pas  signée  par 
lui,  non  plus  que  par  les  Béjart.  S'il  fallait  douter  qu'il  ait 
été  plus  que  tout  autre  désigné  par  le  comte  de  Breteuil 
comme  un  de  ces  très  bons  artistes,  et  fort  honnêtes  gens,  on 
serait  désappointé.  Heureusement  le  scrupule  paraît  ex- 
cessif. Il  est  difficile  de  penser  que  la  troupe  n'ait  pas  été 
au  complet  dans  une  occasion  telle  que  les  fêtes  de  l'entrée 
du  lieutenant  général  ;  et  il  n'y  a  jamais  lieu  de  s'étonner 
quand  les  comédiens  ne  sont  pas  tous  nommés  dans  les 
quittances,  baptistaires  et  autres  pièces. 

Molière,  comme  nous  l'avons  annoncé,  l'est  enfin  ayantes 
en  avril  1648;  et  c'a  été  longtemps  là  que  pour  la  première 
fois  on  a  constaté  qu'il  était  entré  dans  la  troupe  du  duc 
d'Epernon.  Sur  le  registre  des  délibérations  de  l'hôtel  de 
ville  de  Nantes,  on  lit  à  la  date  du  jeudi  2'i  de  ce  mois  d'a- 
vril :  «  Ce  jour  est  venu  au  Bureau  le  sieur  Morlierre,  l'un 
des  comédiens  de  la  troupe  du  J''  Dufresne,  qui  a  remontré 
que  le  reste  de  ladite  troupe  doit  arriver  ce  jour  en  cette 
ville,  et  a  supplié  très  humblement  Messieurs  leur  permettre 
de  monter  sur  le  théâtre  pour  y  représenter  leurs  comédies. 
«  Sur  quoi,  de  l'avis  commun  du  Bureau,  a  été  arrêté 

I.  Le  texte  de  ces  pièces  a  été  douué  dans  Y  Histoire  littéraire 
delà  ville  (TAlbi,  pur  M.  Jules  Rolland,  p.  -^07  et  208. 


ii6  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

que  la  troupe  desdits  comédiens  tardera  de  monter  sur  le 
théâtre  jusques  à  dimanche  prochain'  auquel  jour  il  sera 
avisé  à  ce  qui  sera  trouvé  à  propos.  »  Le  nom  de  Molière, 
défiguré  par  le  scribe,  n'est  pas  sérieusement  méconnais- 
sable. On  craindrait  qu'il  ne  s'agît  de  quelque  autre,  si  la 
troupe  de  du  Fresne  n'était  pas  nommée  comme  celle  à 
laquelle  ce  Morlierre  appartenait.  Par  un  hasard  curieux, 
l'année  suivante,  à  Poitiers,  la  ])lume  d'un  autre  scribe  a 
semblablement  estropié  le  nom  dont  la  France  et  le  monde 
entier  savent  aujourd'hui  si  bien  l'orthographe  *.  Pour  que 
l'erreur  ne  mette  pas  en  défiance  le  jour  où  on  la  trouve  re- 
nouvelée, il  est  heureux  que  la  première  fois  elle  ait  été  rec- 
tifiée par  une  qualification  qui  désigne  parfaitement  Molière. 
On  a  du  reste  dans  les  actes  de  cette  époque  de  continuels 
exemples  de  noms  écrits  avec  une  singulière  négligence, 
tels  qu'ils  avaient  frappé  une  oreille  inattentive. 

Quelques  jours  avant  celui  où  nous  rencontrons  Molière  à 
Nantes,  nous  avons  une  preuve  que  du  Fresne  y  était.  C'est 
de  cette  ville  que  le  ig  avril  il  prit  à  loyer  pour  trois  se- 
maines le  jeu  de  paume  de  Fontenay-le-Comte.  On  l'apprend 
par  une  requête  d'un  procureur  au  siège  royal,  adressée  le 
9  juin  1648  au  lieutenant  particulier  de  Fontenay,  pour  rap- 
peler le  maître  paumier  à  l'exécution  de  ses  engagements^. 

La  permission  de  jouer,  sollicitée  à  Nantes  le  2  3  avril  par 
Molière,  ne  put  être  accordée  sur-le-champ.  Le  maréchal 
de  la  Meilleraye,  qui  gouvernait  la  Bretagne  avec  le  titre  de 
lieutenant  général  et  des  pouvoirs  dont  l'étendue  était  parti- 
culière au  gouvernement  de  cette  province,  venait  alors  de 
tomber  dangereusement  malade.  Défenses  furent  faites,  le 
dimanche  26  avril,  aux  comédiens  de  monter  sur  le  théâtre, 
tant  que  les  inquiétudes  publiques  ne  seraient  pas  calmées^. 
On  ne  sait  pas  précisément  combien  de  jours  dura  ce 
préjudiciable  loisir  fait  à  la  troupe.  Nous  voyons  seulement 
que  le  18  mai  elle  donna  au  jeu  de  paume  une  représenta- 

I.  Voyez  ci-après,  p.  119. 

1.  Recherches  sur  le  séjour  de  Molière  dans  l^ ouest  de  la  France  en 
1648,  par  Benjamin  Fillon,  p.  i. 
3.    Ibidem,  p.  3, 


SUR  MOLIÈRE.  117 

tion,  qui  fut  au  profit  de  l'hôpital,  condition  imposée  la 
veille  à  du  Fresne  par  le  bureau  de  la  ville*.  On  voit,  et  l'on 
verra  par  d'autres  exemples,  que  le  droit  des  pauvres,  sou- 
vent trouvé  lourd  par  le  théâtre,  n'est  pas  d'hier.  Le  même 
jour  fut  baptisée  une  fille  d'un  de  nos  comédiens,  Pierre 
Réveillon.  Elle  eut  pour  parrain  le  président  au  parlement 
de  Bretagne,  et  pour  marraine  la  femme  d'un  conseiller  du 
Roi,  maître  des  comptes.  Il  paraît  décidément  que  nos  co- 
médiens étaient  traités  en  fort  honnêtes  gens.  L'acte  de  bap- 
tême porte,  entre  autres  signatures,  celles  de  Madeleine 
Béjart,  de  Marie  Hervé,  de  du  Fresne  et  de  du  Parc^.  Après 
cela,  pourra-t-on  douter  que  Molière,  quoiqu'il  n'ait  pas 
signé,  fût  alors  à  Nantes? 

Il  n'aura  pas  échappé  que  pour  trouver  la  troupe  à 
Nantes,  nous  avons  eu  à  franchir  une  grande  distance  depuis 
Carcassonne,  et  aussi  un  assez  long  temps,  d'octobre  1647 
à  la  seconde  quinzaine  d'avril  1648.  Cette  lacune  dans  nos 
informations  ne  serait  pas  entièrement  comblée  si  l'on  ad- 
mettait la  conjecture,  pour  laquelle  manquent  d'ailleurs  les 
preuves,  que  les  comédiens,  lorsqu'ils  arrivèrent  à  Nantes, 
venaient  de  Paris,  où  ils  auraient  passé  la  plus  grande  par- 
tie du  carême  de  1648,  comme  faisaient  souvent  les  troupes 
de  campagne.  Il  vaut  mieux  reconnaître  que  toute  indica- 
tion fait  défaut.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  en  1648,  Mo- 
lière est  loin  du  duc  d'Epernon;  il  n'y  a  pas  à  s'en  éton- 
ner. Epernon  n'avait  plus  guère  le  loisir  de  réclamer  le  ser- 
vice de  sa  troupe.  Les  luttes  de  son  insolent  despotisme 
avec  les  Bordelais  l'avaient  engagé  dans  de  moins  agréables 
distractions.  Rien  ne  retenait  donc  ses  comédiens  dans 
son   gouvernement  ou  même  dans  les  provinces  voisines. 

1.  Reclierches  sur  le  séjour  de  Molière  dans  l'ouest  de  la  France,  p.  3 
et  4-  —  Là,  dans  la  transcription  de  l'ordre  du  bureau,  la  date 
est  :  «  du  dimauclie  xvii"  jour  de  mai  1649  "•  Evidemment  1649 
estime  faute  d'impression  :  il  est  facile  de  vérifier  qu'en  1649  le 
17  mai  était  un  lundi,  en  1648  un  dimanche. 

2.  Ibidem^  p.  4.  —  Du  Parc  est  ce  René  Berthelot  (Gros-René). 
dont  nous  avons  déjà  rencontré  la  signature  dans  la  quittance  du 
24  octobre  1647,  constatant  dès  ce  temps  sa  présence  dans  la 
troupe  du  duc  d'Epernon. 


1,8  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Tout  leur  conseillait  au  contraire   de  s'en  tenir  éloignés. 
La  troupe,  après  la  représentation  du  i8  mai,  no  s'était 
i)roposé  de  demeurer  à  Nantes  qu'un  mois  à  peine,  le  maître 
paumier  de  Fontenay-le-Comte  s'étant  obligé  à  leur  livrer  son 
tripot  le  i5  juin;  maison  n'est  pas  assuré  qu'il  ait  été  fait 
droit  à  la  requête  de  du  Fresne  pour  obtenir  l'exécution, 
devenue   très  douteuse,   de   l'engagement.   Si    l'on    alla    à 
Fontenay,  il   se  peut  que  ce  n'ait  pas  été  à  l'époque  fixée, 
mais  un  peu  plus  tard.  Après  Nantes  ou  Fontenay,  les  ren- 
seignements certains  nous  abandonnent  de  nouveau,  jus- 
qu'au jour  où  la  troupe,  au  printemps  de  l'année  suivante, 
est  à  Toulouse.  Il  y  a  une  année  à  peu  près  entière  dont 
nous  ne  savons  rien,  une  année  pendant  laquelle  les  agitations 
de  la  Fronde,  peu  favorables  aux  amusements  du  théâtre, 
purent  souvent  contrarier  les  troupes  de  comédiens  dans  la 
liberté  de  leurs  mouvements.  Les  suppositions  qui  ont  été 
faites  pour  tracer  à  la  nôtre  un  itinéraire  de  Nantes,  ou,  si 
l'on  veut,  de  Fontenay,  à  Toulouse,  sont  arbitraires.  On  a 
nommé  Poitiers,  Angoulême,  Limoges,  comme  étant  sur  son 
chemin  et  ayant  eu  vraisemblablement  sa  visite.  Ces  villes  ont 
certainement  vu  jouer  Molière  dans  un  temps  ou  dans  un 
autre  ;  mais  on  ne  saurait  affirmer  que  c'ait  été  alors.  En  tout 
cas,  on  n'y  peut  imaginer  des  séjours  très  prolongés  :  ils  au- 
raient laissé  plus  de  souvenirs  constatés.  Le  long  intervalle 
de  temps  se  trouvant  donc,  de  toute  façon,  insuffisamment 
rempli,  comment  avoir  voulu  tracer  dans  une  ligne  directe  les 
étapes  du  voyage?  Allons  tout  droit  à  Toulouse,  où  le  séjour 
de  nos  comédiens  est  le  premier  dont,  après  Nantes,  un  do- 
cument certain  nous  fournisse  la  preuve.  Voici  la  note  trou- 
vée par  M.  Galibert*  sur  le  livre  des  recettes  et  dépenses  de 
cette  ville,  à  la  date  du  i6  mai  1649  :  «  Payé  au  sieur  Du- 
fresne  et  autres  comédiens  de  sa  troupe  la  somme  de  soixante- 
quinze  livres  pour  avoir,  du  mandement  de  messieurs  les 
Capitouls,  joué  et  fait  une  comédie  à  l'arrivée  en  cette  ville 
du  comte  de  Roure,  lieutenant  général  pour  le  Roi  en  Lan- 
guedoc. »  On  a  pu  remarquer  le  mot  «  fait  ».  Cette  redon- 
dance  n'est    peut-être  qu'un  synonyme  du  mot  «  joué  »  ; 

I,  Journal  de  Toulouse  du  6  mars  18G4. 


SUR  MOLIERE. 


119 


mais  nous  supposerions  plutôt  que  Toulouse  eut  la  repré- 
sentation d'une  de  ces  petites  pièces  dont  Molière  traçait 
l'esquisse  et  qui  étaient  faites  en  même  temps  par  tous  les 
acteurs,  brodant,  à  leur  fantaisie,  sur  le  canevas.  Le 
comte  de  Roure,  à  qui  les  capltouls  en  voulurent  donner 
le  divertissement,  se  rendait  à  Montpellier,  où  il  devait,  le 
i^'  juin  1649,  ouvrir  les  états  de  Languedoc.  Il  est  assez 
vraisemblable  qu'il  engagea  à  l'y  suivre  la  troupe  dont  il 
venait  d'apprécier  les  talents,  et  qu'aux  sessions  suivantes 
nous  verrons,  avec  plus  de  certitude,  presque  constamment 
appelée  à  jouer  devant  les  états.  Si  elle  le  fut  alors,  et  dès 
l'ouverture,  il  est  douteux  qu'elle  soit  restée  à  Montpellier 
tout  le  temps  de  la  session,  c'est-à-dire  jusqu'au  23  no- 
vembre. Quoi  qu'il  en  soit,  elle  ne  paraît  pas  s'être  éloignée 
du  Languedoc,  car  au  mois  de  décembre  elle  était  à  Nar- 
bonne.  Dans  le  registre  de  l'église  Saint-Paul  de  cette  ville  on 
a  découvert  un  acte  de  baptême,  en  date  du  vingt  et...  [six 
ou  sept)  décembre  1649,  dans  lequel  le  parrain  est  Charles 
Dufresne,  bourgeois  d'Argentan  (c'est  bien  le  nôtre),  et  la 
marraine  Magdelaine  de  Baisar  de  Paris,  assurément  Ma- 
deleine Réjart.  Nous  aurons  tout  à  l'heure  la  preuve  qu'avec 
du  Fresne  et  la  Réjart,  Molière  était  là. 

11  faut  croire  que  l'on  ne  s'était  pas  proposé  de  prolonger 
autant  le  séjour  dans  le  Midi;  on  avait  voulu  aller  à  Poitiers, 
projet  qui  nous  semble  supposer  qu'on  y  avait  déjà  fait 
l'expérience  d'une  bonne  installation,  et  donner  raison  à  la 
conjecture  que  cette  ville  doit  être  comptée  parmi  celles  où 
la  troupe  s'arrêta  en  revenant  de  Toulouse  en  1648.  Le  des- 
sein de  gagner  Poitiers  est  pour  nous  bien  constaté,  si,  ren- 
contrant une  seconde  fois  le  nom  de  Moiiière,  c'est  encore 
Molière  qu'habitués  à  cette  inexacte  écriture  de  son  nom 
nous  ne  faisons  pas  difficulté  de  reconnaître.  Le  8  novem- 
bre 1649,  ^^  conseil  de  ville  de  Poitiers  délibéra  sur  une 
demande  adressée  au  maire  dans  une  lettre  du  «  sieur 
MurUère,  comédien  ».  Cette  lettre  sollicitait  la  permis- 
sion de  venir  en  ville  avec  toute  la  troupe  pour  y  passer 
une  couple  de  mois.  Il  fut  arrêté  que  le  maire  s'enten- 
drait avec  le  lieutenant  général  pour  s'opposer  à  l'arrivée 
des  comédiens,  «  attendu  la  misère  du  temps  et  la  cherté 


,2o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

des  blés*  ».  Si  dans  l'état  malheureux  où  étaient  alors  bien 
d'autres  provinces  que  le  Poitou,  la  troupe  avait  eu  la  pen- 
sée que  Poitiers  lui  serait  une  ville  hospitalière,  on  voit 
qu'elle  s'était  trompée.  Les  troubles  civils  promenaient  de 
tous  côtés  leur  fléau.  Ce  que  les  comédiens  ne  devaient  sur- 
tout pas  souhaiter,  c'était  d'être  appelés  en  Guyenne,  dont 
le  gouvernement  était  un  des  plus  agités.  Depuis  l'année 
précédente,  où,  comme  nous  l'avons  dit,  le  duc  d'Épernon 
avait  eu  d'autres  soucis  que  celui  de  la  comédie,  ses  em- 
barras s'étaient  aggravés,  et  il  devait  avoir  moins  d'objec- 
tions encore  à  l'éloignement  de  ses  acteurs,  qui  certaine- 
ment n'en  avaient  pas  eux-mêmes. 

En  février  i65o  cependant,  il  les  appela  près  de  lui,  leur 
donnant  l'ordre  de  venir  à  Agen,  où  il  y  avait  des  fêtes 
pour  la  rentrée  de  la  cour  des  aides,  qui  y  venait  repren- 
dre son  siège.  On  avait,  comme  il  l'avait  prescrit,  préparé 
le  i3  février  dans  le  jeu  de  paume  un  théâtre  pour  les  re- 
présentations et  une  galerie  pour  lui-même.  Ces  détails 
nous  sont  donnés  par  un  registre  de  la  ville  d'Agen,  qui  les 
fait  suivre  de  ces  lignes  :  «  Le  même  jour  le  sieur  du 
Fraisne,  comédien,  est  venu  dans  la  maison  de  ville  nous 
rendre  ses  devoirs  de  la  part  de  leur  compagnie  et  nous 
dire  qu'il  étoit  en  cette  ville  par  l'ordre  de  Monseigneur 
notre  gouverneur*.  »  La  troupe  venait  de  Narbonne,  où 
nous  l'avons  laissée  dans  les  derniers  jours  de  décembre 
1649,  et  où  nous  la  fait  retrouver  le  10  janvier  suivant  un 
baptistaire,  dans  lequel  Molière  [Jcan-Baptiste-Poquelin, 
valet  de  chambre  du  Roi')  est  le  parrain.  Le  nom  de  la  mar- 
raine a  lui-même  quelque  intérêt;  c'est  celui  de  «  Catherine 
du  Rosé  ■»,  sous  lequel  on  reconnaît  la  future  demoiselle  de 
Brie,  dont  il  sera  plus  d'une  fois  parlé  dans  la  vie  de  notre 
poète.  Du  Rosé  n'étant  qu'un  nom  de  théâtre^,   elle  était 

I.  Le  texte  de  rarrêté  du  Conseil,  dont  nous  avons  tiré  les 
détails  que  nous  venons  de  donner,  a  été  trouvé  par  M.  Bri- 
cauld  de  Verneuil  dans  les  archives  communales  de  Poitiers. 

a.  La  troupe  de  Molière  à  yégen,  par  Adolphe  Magen,  "x*  édition, 
1877,  p.  21. 

3.  Il  est  ainsi  qualifié  dans  l'acte. 

4.  Son  ATai  nom  était  Catherine  Leclerc. 


SUR   MOLIERE.  121 

déjà  comédienne,  soit  qu'elle  fût  entrée  plus  tût  qu'on  ne  l'a 
dit  dans  la  troupe  de  Molière,  soit  qu'elle  appartînt  à  une 
autre,  rencontrée  alors  à  Narbonne. 

Épernon,  qui  avait  fait  venir  ses  comédiens  à  Agen,  les 
y  retint  peut-être  longtemps.  Il  y  fit  lui-même  un  séjour 
de  plusieurs  mois.  C'est  à  cette  époque  que  se  rapporte 
sans  doute  le  passage  des  Mémoires  de  Pierre  Lenet*  où  il 
est  dit  que  la  haine  de  ceux  d'Agen  pour  le  duc  augmen- 
tait fort;  et  que,  s'il  sortait  de  cette  ville,  on  pensait  qu'il 
n'y  rentrerait  jamais.  Ce  moment  d'impopularité  croissante 
est  celui  oii  les  mêmes  Mémoires  parlent  de  la  folle  pas- 
sion du  gouverneur  pour  sa  Nanon.  On  nous  les  repré- 
sente alors  tous  deux  dans  leur  retraite  du  manoir  de  Mal- 
conte, menacés  par  les  malédictions  publiques,  et,  comme 
ils  cherchaient  dans  les  plaisirs  une  distraction  à  leurs 
ennuis,  gardant  peut-être  près  d'eux  la  troupe  comique^. 
Ceci  n'est  qu'une  conjecture,  mais  une  des  plus  acceptables. 
La  cour  pressait  le  duc  de  s'éloigner  de  la  Guyenne;  il 
s'y  décida  le  aS  juillet,  pour  ne  plus  reprendre  son  gouver- 
nement, dont  la  paix  de  Bordeaux,  conclue  le  29  septembre, 
promettait  aux  Bordelais  de  les  débarrasser.  On  peut  re- 
garder son  départ  d'Agen  comme  ayant  mis  fin  à  l'engage- 
ment qui  liait  les  comédiens  à  son  service. 

La  protection  d'un  homme  qui  affectait  la  puissance  d'un 
prince  n'avait  pas  été  inutile,  au  temps  surtout  oii,  en 
pleine  détresse  des  naufragés  de  l'Illustre  théâtre,  elle  leur 
avait  donné  un  titre  qui  les  relevait.  L'avantage  de  pouvoir 
s'en  parer  avait  fini  par  être  contestable,  lorsque  le  nom  du 
Mécène  était  devenu  si  justement  abhorré  dans  la  province 
où  il  régnait.  Et  puis  être  protégés  aussi  bien  par  Nanon 
de  Lartigue  que  par  le  duc  d'Epernon,  pouvait  paraître  un 
médiocre  honneur.  Il  semblerait  que  Molière  dût  être  homme 
à  le  sentir  et  à  trouver  qu'il  gagnait  quelque  chose  le  jour 
où  sa  troupe  cessa  d'appartenir  à  un  protecteur  si  mal 
famé.  Sa  profession  cependant  rendait  peut-être  difiBcile 
trop  de  délicatesse,  particulièrement  sur  l'article  des  scan- 

I.  Collection  Michaud,  tome  XXVI,  p.  267. 

a.   .V.  de  Modène...  et  Madeleine  Béjart,  p.  275-277. 


122  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

daleuses  maîtresses;  et  d'ailleurs,  en  ce  temps-là,  on  était 
tellement  habitué  aux  désordres,  publiquement  étalés,  des 
grands,  qu'on  ne  pensait  guère  à  en  être  choqué. 

Après  l'éloignement  d'Epernon,  nous  ne  retrouvons  Mo- 
lière qu'à  Pézenas,  pendant  la  session  des  états  du  Lan- 
guedoc ouverte  dans  cette  ville  le  24  octo])re  i63o  par  le 
comte  de  Bieule,  lieutenant  général  pour  le  roi.  Dans  les 
archives  départementales  de  l'Hérault,  parmi  les  papiers 
tirés  du  fonds  de  la  comptabilité  du  trésorier  de  la  Bourse, 
s'est  trouvé  ce  reçu  écrit  et  signé  de  la  main  de  Molière  *  : 
K  J'ay  receu  de  Monsieur  de  Penautier*  la  somme  de  quatre 
mille  livres  ordonnées  aux  comédiens  par  Messieurs  des 
Estats.  Faict  à  Pezenas  ce  17*  décembre  mil  six  cent  cin- 
quante. 

«  Pour  4000". 

«  Molière.  » 

D'accord  avec  cette  quittance,  la  mention  du  payement  a 
été  conservée  dans  l'Etat  des  sommes  fournies  et  avancées  par 
M^  Pierre  de  Reich,  trésorier  de  la  Bourse  du  pays  de  Lan» 
guedoc  :  «  Aux  comédiens  qui  ont  servi  pendant  trois  mois 
que  les  Etats  ont  été  sur  pied  la  somme  de  quatre  mille 
livres,  qui  leur  ont  été  payées  par  délibération  des  Etats  et 
par  leur  quittance.  »  La  durée  de  la  session  fut  en  effet  à 
peu  près  de  trois  mois;  il  né  s'en  fallut  que  de  dix  jours. 
La  troupe  servit-elle  jusqu'à  la  clôture,  qui  eut  lieu  le 
14  janvier  i65i  ?  On  peut  du  moins  regarder  comme  cer- 
tain qu'elle  avait  été  engagée  pour  tout  le  temps  des  états. 
Ils  siégeaient  depuis  un  peu  moins  de  deux  mois,  lors- 
qu'elle donna  la  quittance  des  quatre  mille  livres,  le  17  dé- 
cembre. Il  est  probable  que  du  jour  où  elle  fut  payée,  on  la 
laissa  libre,  n'ayant  plus  besoin  d'elle,  et  qu'elle  ne  fut  pas 
retenue  à  Pézenas  jusqu'à  la  fin  de  son  engagement. 

1.  Il  a  été  découvert  par  M.  de  la  Fijardière.  Voyez  le  Moliérlste 
de  novembre  i885,  p.  235.  Ce  reçu,  d'une  authenticité  que  l'on 
n'aurait  pas  dû  contester,  et  un  autre  de  i656,  conservés  aux 
mêmes  archives,  sont  entièrement  de  la  main  de  Molière,  dont 
nous  n'aurions,  sans  eux,  que  des  signatures. 

2.  Pierre  de  Reich  de  Penautier,  trésorier  de  la  Bourse. 


SUR   MOLIERE.  i23 

Nous  avons,  on  s'en  souvient,  regardé  comme  probable 
qu'elle  avait  déjà  été  appelée  à  la  session  de  1649  '^  Mont- 
pellier*. La  suivante,  celle  de  i65i  à  Pézenas,  est  la  pre- 
mière où  nous  rencontrions,  comme  on  vient  de  le  voir, 
mieux  qu'une  probabilité.  Désormais  l'habitude  est  prise  de 
faire  venir  nos  comédiens  aux  états  de  Languedoc.  Il  est 
visible  que  la  troupe  favorite  y  a  été  la  leur,  quoiqu'il  y 
vînt  aussi  des  troupes  concurrentes.  Les  états  n'en  atta- 
chaient aucune  à  leur  service,  comme  faisaient  les  princes 
ou  les  très  grands  seigneurs  ;  mais  c'était  pour  eux  un  con- 
stant usage,  c'était  même,  on  peut  le  dire,  d'étiquette,  de 
se  donner,  durant  chacune  de  leurs  sessions,  le  plaisir  de 
la  comédie.  Les  lettres  de  Mme  de  Sévigné,  lorsqu'elles 
nous  parlent  des  états  de  Bretagne,  n'oublient  pas  plus  les 
comédies  que  les  grands  festins  et  le  jeu  continuel*. 

Trois  mois  après  la  clôture  de  la  session  de  i6ji,  à  Pé- 
zenas, c'est  à  Paris  que  voici  Molière.  Sa  présence  le 
14  avril  i65i  y  est  constatée  par  une  reconnaissance  des 
sommes  reçues  de  son  père,  qu'il  signe  par-devant  deux 
notaires  au  Châtelet^.  Rien  n'indique  si  ses  camarades 
étaient  venus  avec  lui.  Il  est  plutôt  à  croire  qu'il  avait 
laissé  dans  le  Midi  la  plupart  au  moins  d'entre  eux.  Où  les 
rejoignit-il?  Ne  fut-ce  pas  à  Lyon,  où  peut-être  même  il  s'é- 
tait séparé  d'eux,  lorsqu'il  avait  pris  la  route  de  Paris? 
Nous  allons  voir  qu'il  parut  bientôt  avoir  établi  comme  son 
quartier  général  à  Lyon,  d'où  il  faisait  des  excursions  dans 
les  villes  voisines. 

En  l'y  cherchant  lorsqu'il  revint  de  Paris,  nous  n'au- 
rions fait  qu'une  conjecture  tout  à  fait  arbitraire,  s'il 
n'y  avait  de  fortes  raisons  de  croire  le  retrouver  de  ce 
côté-là,  entre  l'époque  de  ce  retour,  qui  fut  probablement 
dans  la  seconde  quinzaine  d'avril,  et  celle  de  sa  rencontre 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  11  g. 

a.  Lettre  à  Mme  de  Grignan  du  5  août  167 1,  tome  II  des  Let- 
tres de  Mme  de  Sévtgné^  p.  3 10.  —  Lettre  à  la  même  du  6  no- 
vembre  1689,  tome  IX,  p.  299  et  3oo. 

3.  Recherches  sur  Molière.  DocimEMT  XXXVII,  cote  quatre, 
p.  337. 


,2'»  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

avec  le  sieur  Dassoucy  à  Carcassonne  au  mois  de  décembre 
de  la  même  année. 

Le  dauphinois  Nicolas  Chorier  nous  apprend  qu'il  eut 
l'occasion  de  se  lier  avec  Molière  à  Lyon  et  à  Vienne*.  Il  ne 
fixe  là  aucune  date,  et  Molière  a  plus  d'une  fois  séjourné 
dans  ces  villes.  Mais  la  mention  d'un  de  ces  séjours  faite 
par  le  même  Chorier  dans  sa  Vie  de  Pierre  de  Baissât,  y 
est  accompagnée  du  souvenir  de  circonstances*  qui,  sans 
préjudice  de  l'intérêt  qu'elles  ont  par  elles-mêmes,  dési- 
gnent, si  nous  ne  nous  trompons,  comme  l'année  où  elles 
doivent  être  placées,  i65i,  et  non  pas,  comme  on  l'a  dit, 
i653  ou  1654.  Le  champ  avait  paru  ouvert  aux  conjectures, 
Chorier  ayant  dans  son  récit  nommé  l'année  i6'ji,  ou  tout 
au  moins  un  temps  très  voisin,  date  évidemment  impos- 
sible. Mettons  sous  les  yeux  du  lecteur  la  traduction  du  pas- 
sage de  la  Fie  de  Baissât.  Chorier  venait  de  dire  :  «  C'était 
l'an  mil  six  cent  quarante  et  un^.  »  Quelques  lignes  plus 
bas  il  arrive  à  Molière  :  «  Jean-Baptiste  Molière,  très  excel- 
lent acteur  et  auteur  de  comédies,  était  venu  vers  ce  temps 
à  Vienne.  Boissat  le  traitait  avec  honneur.  Il  ne  l'anathéma- 
tisait  pas,  à  l'exemple  de  quelques-uns  qui  affectarent  une 
sotte  et  insolente  sévérité.  Quelques  pièces  qu'il  jouât,  Bois- 
sat en  était  le  spectateur  assidu.  Il  faisait  même  asseoir  à 
sa  table  cet  homme  éminent  dans  son  art.  Il  lui  donnait  de 
somptueux  repas.  Il  ne  le  mettait  pas,  comme  un  excommu- 
nié, au  nombre  des  impies  et  des  scélérats,  ainsi  que  le  font 
d'ordinaire  certains  animaux  farouches....  Il  avait  loué  des 
places  au  théâtre  pour  lui-même  et  pour  des  dames  et  de- 
moiselles de  qualité,  qu'il  se  proposait  de  mener  voir  une 
comédie  que  Molière  avait  faite.  "  Suit  l'histoire  d'une  que- 
relle de  Boissat  avec  Vachier  de  Robillas,  qui,  ayant  le  pre- 

1.  Voyez  à  la  page  i3G  de  ses  Adversarla ,  publiés  par 
M.  H.  Gauriel  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  statistique  de  Gre- 
noble (1847). 

2.  De  Pétri  Boessatii...  vita  amicisque  litteratis,  Grenoble,  1680 
(un  volume  in-12),   p.  71. 

3.  «  Annus  quadragesimus  primus  post  millesimum  et  sexcen- 
tesimum  agebatur.  »  {Ibil/em,  p.  70.) 


SUR   MOLIERE.  i2j 

Tiiier  loué  les  places,  se  trouva  offensé  de  les  voir  prises  par 
lui,  voulut  l'appeler  en  duel,  mais  se  laissa  apaiser  par  quel- 
ques amis  communs. 

On  a  remarqué  sans  doute  qu'après  avoir  parlé  de  l'an- 
née 164 1,  Chorier,  passant  au  récit  de  la  rencontre  de 
Boissat  et  de  Molière,  dit  un  peu  vaguement  :  «  Vers  ce 
temps-là  [sub  id  tempus)  »  ;  mais  nous  admettons  sans  peine 
qu'il  n'y  aurait  là  qu'un  prétexte  à  chicane,  et  que  l'inten- 
tion a  vraiment  été  d'appliquer  à  la  querelle  de  Boissat  la 
date  qui  venait  d'être  donnée.  L'erreur  manifeste  de  cette 
date  nous  paraît  trahir  bien  moins  un  étrange  manque  de 
mémoire  qu'un  lapsus  de  la  plume  du  biographe,  ou  une 
faute  de  l'imprimeur.  Or,  rien  de  moins  étonnant  que  le 
changement  de  quinquagesimus  primus  en  quadragesimus  pri- 
mus,  ou  de  M.D.G.Ll  en  M.D.C.XLI,  si,  dans  le  manuscrit, 
la  date  était  en  chiffres.  Mais  voici  qui  est  incontestable. 
A  la  suite  de  l'anecdote  qui  montre  Molière  si  honorable- 
ment fêté  à  Vienne,  Chorier  raconte  *  qu'en  ces  jours-là  [his 
diebus)  «  Heinsius  et  Lagermann  étaient  venus  à  Vienne 
pour  y  voir  et  saluer  Boissat.  Heinsius  allait  à  Rome  pour  rem- 
plir la  mission  qu'il  avait  reçue  de  Christine,  reine  de  Suède.  » 
L'époque  est  certaine.  Nicolas  Heinsius,  parti  de  Leyde 
dans  les  premiers  jours  d'août  i65i,  pour  se  rendre  en 
Italie  où  Christine  l'envoyait,  passa  le  mois  de  septembre 
à  Paris,  arriva  le  4  octobre  à  Lyon,  d'où  il  alla  à  Vienne; 
là  il  vit  Boissat,  qui  lui  donna  de  magnifiques  festins,  tels 
que  ceux  qu'il  avait  donnés  à  Molière,  «  et  l'y  réunit  aux 
hommes  les  plus  savants  de  la  ville-  ».  Chorier,  qui  parle 
de  ces  repas  auxquels  la  riche  hospitalité  de  Boissat  invitait 
Heinsius  et  son  compagnon  de  voyage,  les  place  clairement 
la  même  année  que  ceux  dont  Molière  avait  été  le  convive. 
Toutefois  Heinsius  ne  put  venir  à  Vienne  qu'un  peu  après 
le  départ  de  Molière,  qui  avait  dû  se  rendre  à  Carcassonne, 
où  l'ouverture  de  la  session  des  états  se  fit  le  3i  juillet 
i65i.   Si  notre    troupe    fut   appelée  dès    cette   ouverture, 

I.  De  Pctri  Boessatii  vita,  p.    74- 

1.  Voyez  aux   pages   18-21,  de  la    y'ie    de  Nicolas   Heinsius,  en 
tête  des  Adversaria  de  Heinsius,  i  vol.  in-4°»  Harling,  1743' 


126  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

ce  fut  entre  le  mois  de  mai  et  la  mi-juillet  quelle  donna 
des  représentations  à  Vienne.  Ceux  qui  ont  cru  pouvoir 
substituer  l'année  i6j4  à  celle  qu'il  était  nécessaire  de 
corriger  dans  la  Fie  de  Boissat,  ont  trouvé  dans  leur  date 
toute  conjecturale  une  preuve  que  l'Étourdi  fut  joué  dès 
i653.  Car  Boissat  l'acadéraicien,  Boissat  Vesprit,  comme  on 
l'appelait,  n'avait  pu,  ont-ils  dit,  être  si  empressé  de  voir 
et  de  faire  voir  à  des  femmes  distinguées  une  pièce  «  faite 
piir  Molière  »,  si  cette  pièce  était  quelqu'une  de  ses  pre- 
mières farces.  Quelque  spécieuse  que  soit  cette  observation, 
on  ne  peut  la  reconnaître  bien  fondée,  dès  qu'il  faut  re- 
noncer à  i654  pour  i65i.  Il  est  fort  possible  que  les  plus 
anciens  badinages  de  Molière,  connus  d'ailleurs  aujourd'hui 
d'une  manière  incomplète,  et  dont  il  n'est  pas  imprt)bable 
qu'en  les  jouant  il  développât  très  agréablement  le  canevas, 
n'aient  pas,  en  ce  temps-là,  médiocrement  plu,  même  à  des 
esprits  délicats.  Ceux  qui,  plus  que  nous,  feraient  difficulté 
de  le  croire,  ont  la  ressource  de  penser  avec  Despois  que 
peut-être  Molière  «  n'a  attendu  ni  la  date  de  i655,  ni  même 
celle  de  i653,  pour  se  révéler  à  lui-même  et  au  public  », 
mais  qu'il  avait,  avant  l'Étourdi,  ébauché  plusieurs  des 
pièces  qui  plus  tard  parurent  à  Paris  sur  son  théâtre  »  et  les 
avait  même  «  représentées  pendant  ses  courses  en  pro- 
vince'». Nous  ne  disons  pas  que  ce  soit  impossible;  mais  on 
se  passerait  ici  de  cette  conjecture.  Nous  verrons  Molière 
jouer  une  de  ses  farces  de  province  devant  Louis  XIV,  spec- 
tateur un  peu  plus  noble  que  les  dames  de  qualité  de  Vienne, 
et  qui  ne  dédaigna  pas  d'y  prendre  plaisir. 

Quel  que  soit  le  moment  de  l'année  i65i  (nous  n'avons 
pu  proposer  qu'une  date  approximative)  oîi  Molière  quitta 
le  Dauphiné  pour  le  Languedoc,  un  témoignage,  que  nous 
avons  tout  à  l'heure  fait  prévoir,  ne  permet  guère  de  mettre 
en  doute  qu'il  ait  été  à  Carcassonne  pendant  la  session  des 
états  ouverte  le  dernier  jour  de  juillet  de  cette  année.  Ce 
témoignage  est  celui  de  Dassoucy. 

Avant  qu'on  se  fût  avisé  de  le  signaler  dans  un  petit  coin 
des  œuvres  de  l'empereur  du  burlesque,  on  ne  plaçait  pas  si 

I.  Tome  I  de  uoUe  édiliou,  dans  la  Nolice  sur  l'Élowdi,  p.  86. 


SUR  MOLIERE.  127 

tôt  sa  première  rencontre  dans  le  Midi  avec  Molière  et  les 
Béjart;  on  la  croyait  du  temps  où  il  fit  le  voyage  de  Turin, 
pour  y  présenter  ses  services  à  Leurs  Altesses  Royales  de 
Savoie,  nous  dirons  plus  loin  en  quelle  année.  Il  n'attendit 
pas  jusque-là  pour  retrouver  en  province  l'agréable  société 
de  Molière,  que  certainement  il  avait  déjà  connu  à  Paris, 
quoique  dans  une  camaraderie  moins  familière  qu'on  ne  l'a 
dit,  si  l'on  en  juge  par  le  ton  de  la  lettre  que  nous  allons 
citer.  L'heureuse  chance  qu'il  eut  de  le  rencontrer  avant  le 
voyage  qu'il  a  longuement  raconté  dans  ses  Aventures,  nous 
l'apprenons  par  une  de  ses  lettres  ;  dont  l'adresse  est  «  à 
Monsieur  de  Molières  ».  Cette  lettre  se  lit  dans  un  petit  vo- 
lume intitulé  Poésies  et  Lettres  de  M.  Dassoucy^  contenant 
diverses  pièces  he'roïques,  satiriques  et  burlesques,  et  dont  le 
frontispice  gravé  porte  :  Œuvres  mesle'es  de  M.  Dassoucj^. 
Ce  volume  est  de  i653.  Le  privilège  est  du  3  avril  de  la 
même  année.  Voici  les  passages  les  plus  intéressants  pour 
nous  de  la  lettre  à  Molière  : 

«  Monsieur, 

«  Je  vous  demande  pardon  de  n'avoir  pas  pris  congé  de 
vous.  Monsieur  Fresart,  le  plus  froid  en  l'art  d'obliger 
qu'homme  qui  soit  au  monde,  me  fit  partir  avec  trop  de 
précipitation  pour  m'acquitter  de  ce  devoir.  J'eus  bien  de 
la  peine  seulement  à  me  sauver  des  roues,  entrant  dans  son 
carrosse,  et  c'est  bien  merveille  qu'il  m'ait  pu  souffrir,  avec 
toutes  mes  bonnes  qualités,  pour  la  mauvaise  qualité  de 
mon  manteau  qui  lui  sembloit  trop  lourd;  cela  vient  du 
grand  amour  qu'il  a  pour  ses  chevaux,  qui  doit  surpasser 
infiniment  celui  qu'il  a  pour  Dieu,  puisqu'il  a  vu  périr  deux 
de  ses  plus  gentilles  créatures  -,  sans  daigner  les  soulager 

d'une  lieue Je  ne  m'étonne  pas  si  la  cour  l'a  député  aux 

états  pour  le  bien  du  peuple,  le  connaissant  si  ennemi  des 
charges.  Je  lui  suis  pourtant  fort  obligé  de  m'avoir  souffert 


1.  A  Paris,  chez  Jean-Baptiste  Loyson,  i653  (iu-12). 
3.   Les  trop  fameux  pages. 


ia8  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

avec  mon  bonnet  de  nuit,  n'ayant  prorais  que  pour  ma 
personne.  Je  remercie  Dieu  de  cette  rencontre,  et  suis, 
Monsieur, 

C.  D.   [Coypcau  Dassoucy).  » 

Si  le  personnage  singulier  qui,  dès  le  temps  de  cette  lettre, 
courait  les  provinces  du  Midi  avec  ses  pages,  ne  nomme 
pas  la  ville  où  il  a  quitté  3Iolière,  il  donne  les  moyens  de  la 
reconnaître.  Il  explique  la  précipitation  de  son  départ  par 
la  hâte  de  celui  qui  l'avait  emmené  dans  son  carrosse,  et 
qu'il  dit  avoir  été  député  aux  états  par  une  cour.  Sur  ces 
données,  on  a  pu  découvrir,  avec  une  vraisemblance  qui  ne 
permet  guère  d'hésitation,  quel  était  ce  députée  Un  Frczals 
(les  noms  alors  étaient  assez  habituellement  estropiés  pour 
que  Frezcds  ou  Fresart,  ce  soit  à  peu  près  tout  un)  fut 
envoyé  le  20  décembre  i65i,  par  la  cour  de  parlement 
de  Toulouse  aux  états  siégeant  à  Carcassonne,  afin  de  s'en- 
tendre avec  eux  sur  le  règlement  d'un  conflit  d'attributions. 
Les  délégués  de  Toulouse  revinrent  chez  eux  vers  la  fin  de 
la  session  (10  janvier  iGSa).  Le  date  ci-dessus  indiquée  du 
privilège  des  OEm'ies  meslces  ne  laisse  pas  songer  à  la  ses- 
sion suivante,  ouverte  à  Pézenas  le  ly  mars  i6î>3.  Si  l'on 
n'admettait  pas  la  session  de  i652  à  Carcassonne,  il  n'y 
aurait  plus  à  choisir  qu'entre  une  de  celles  qui  l'ont  précé- 
dée ;  mais  la  circonstance  qui  fit  députer  aux  états  par  la 
cour  de  Toulouse,  en  i65i,  une  commission,  dont  Frezals 
faisait  partie,  est  trop  particulière  pour  que  l'on  puisse 
croire  la  rencontrer  plus  d'une  fois.  Pour  douter  que  Das- 
soucy se  soit  trouvé  avec  Molière  à  Carcassonne  pendant  la 
session  dite  de  1632,  la  seule  supposition  qui  resterait  à 
faire  serait  que  Frezals  l'eût  pris  dans  sa  voiture  non  pas 
en  revenant  de  sa  mission,  mais  en  partant  de  Toulouse,  et 
que  Molière  fût  alors  resté  dans  cette  ville,  où  rien  ne  nous 
apprend  qu'il  ait  en  ce  temps-là  fait  un  séjour.  Il  est  bien 
autrement  vraisemblable  que  le  comte  d'Aubijoux,  qui  fit 

I.  L'explication  ingénieuse  et  plausible  que  uous  donnons  de  la 
lettre  est  tirée  d'un  article  de  M.  Auguste  Baluffe  dans  le  Mo- 
liériste  de  septembre  1884. 


SUR  MOLIERE. 


129 


en  i6di  l'ouverture  des  états,  y  appela  Molière,  très  en 
faveur  auprès  de  lui. 

Depuis  le  mois  de  janvier  i6j2,  qui  vit  à  Carcassonne  les 
états  se  séparer,  les  informations  sur  les  voyages  de  la 
troupe  manquent  de  nouveau  jusqu'en  décembre  de  la  même 
année.  Le  19  de  ce  mois  de  décembre,  un  de  nos  comédiens, 
Pierre  Réveillon,  est  parrain  dans  l'église  de  Sainte-Croix 
à  Lyon^  Bien  que  sa  présence  dans  cette  ville  n'y  prouve 
pas  absolument  celle  de  ses  camarades  à  la  même  date,  elle 
la  rend  des  plus  probables,  lorsqu'on  voit  deux  mois  après 
Molière  et  Joseph  Béjart  signer  là  au  contrat  de  mariage  de 
René  Berthelot,  dit  du  Parc,  le  19  février  i653'. 

Molière  «  vint  à  Lyon  en  i653  «,  dit  la  Préface  de  1682. 
Ce  serait  donner  à  son  témoignage  un  sens  trop  précis  que 
de  s'en  armer  contre  la  vraisemblance  d'un  séjour  com- 
mencé dès  la  fin  de  i652,  sinon  même  quelques  mois  plus 
tôt.  La  date  donnée  par  les  anciens  biographes  ne  doit  pas 
d'ailleurs  faire  penser  que  Molière  ait  été  pour  la  première 
fois  à  Lyon  en  i6j3  ou  en  i652.  Il  nous  a  semblé  probable 
qu'il  s'y  était  arrêté  en  i65i,  lorsque  cette  année-là  nous 
l'avons  trouvé  à  Vienne,  au  témoignage  de  Chorier^.  La 
Préface  de  1682  s'est  attachée  de  préférence  au  souvenir 
de  i653,  apparemment  comme  à  celui  de  l'époque  devenue 
fameuse  par  l'Etourdi,  que  cette  comédie  ait  été  alors  repré- 
sentée, ou  seulement  préparée  sous  l'influence  d'un  théâtre 
étranger  très  en  vogue  à  Lyon. 

Le  mariage  du  comédien  du  Parc,  qui,  plus  clairement 
encore  que  l'acte  de  baptême  du  19  décembre  i652,  nous  a 
fait  rencontrer  Molière  à  Lyon,  aurait  par  une  autre  raison 
mérité  d'être  noté.  Soit  à  ce  moment  même,  soit,  comme 
il  est  plus  problable,  quelque  temps  après,  la  troupe,  grâce 
à  ce  mariage,  recruta  une  nouvelle  actrice  destinée  à  la  cé- 
lébrité par  son  talent  et  par  des  charmes  qui  ont  exercé  leur 
séduction  sur   les  plus  glorieux  poètes  du  théâtre  de  ce 

1.  Les  Origines  du  théâtre  de  Lyon,  par  C.  Brouchoiid,  in-S" 
(Lyon,  1845),  DocujiENT  XI,  p.  5i. 

2.  Ibidem,  Document  XX,  p.  56. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  laS-iaS. 

Molière,  x  0 


i3o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

siècle,  si  bien  que  devenue,  dans  la  cour  de  ces  vrais  rois, 
comme  la  reine  de  beauté,  elle  aura  toujours  une  place 
poétique  dans  notre  histoire  littéraire.  Disons  quelques  mots 
d'elle  en  ces  commencements. 

A  Lyon,  où  le  goût  des  spectacles  s'était  depuis  longtemps 
développé,  la  troupe  de  Molière  rencontrait  d'autres  comé- 
diens, au  nombre  desquels  il  ne  semblait  alors  ni  extraor- 
dinaire ni  choquant  de  compter  des  opérateurs.  Les  plus  fa- 
meux, les  plus  huppés  de  ces  charlatans  avaient  des  acteurs, 
à  l'aide  desquels  ils  donnaient  des  représentations,  et  que 
les  comédiens  étrangers  à  tout  commerce  d'orviétan  ne  dé- 
daignaient pas  de  traiter  en  confrères.  Comédiens  propre- 
ment dits  et  opérateurs  s'empruntaient  des  associés*.  C'était 
à  une  famille  d'opérateurs  qu'appartenait  celle  qu'un  ca- 
marade de  Molière  prit  pour  femme  et  introduisit  dans  sa 
troupe.  Le  père  de  la  du  Parc  était  Jacomo  de  Gorla,  ou  de 
Gorle,  né  au  pays  des  Grisons.  Il  prenait  le  titre  de  premier 
opérateur  du  roi.  Deux  ans  après  le  temps  où  nous  faisons 
sa  connaissance  à  Lyon,  les  archives  municipales  de  cette 
ville  enregistrèrent  la  permission,  qui  lui  fut  donnée  le 
i*""  avril  i65j  par  le  consulat,  de  vendre  ses  drogues  sur  la 
place  des  Jacobins  et  d'y  dresser  son  théâtre-.  Ce  n'était 
certainement  pas  la  première  autorisation  de  ce  genre  qui 
lui  avait  été  accordée.  Vingt  ans  plus  tôt,  en  i635,  il  était 
déjà  établi  à  Lyon^.  Sa  fille  Marquise *-Thérèse,  saltimbanque 
de  naissance,  doit  avoir  fait  ses  premiers  débuts  dans  les 
parades  ou  comédies  de  l'opérateur,  où  probablement  elle 
avait  appris  à  faire  ces  belles  et  peu  modestes  cabrioles 
dont  le  Mercure  de  mai  1740  nous  a  transmis  le  souvenir. 
Ce  fut  pour  ses  beaux  yeux  que  du  Parc  l'épousa;  car  ses 
trois  mille  livres  de  dot,  ainsi  que  sa  robe  et  sa  cotte  nup- 
tiale, étaient  une  libéralité  du  futur  époux.  Il  est  piquant 
de  connaître  l'origine  et  les  commencements  de  cette  «  char- 
mante Iris  »  chantée  par  Corneille,  et  dont  Racine,  en  1668, 

1.  Les  Spectacles  populaires,  par  Victor  Fournel,  p.  aSi. 

2.  Les  Origines  du  théâtre  de  Lyon,  p.  29  et  3o,  à  la  note  3. 

3.  Voyez  le  Moliériste  d'octobre  1882,  p.  218  et  aiQ. 

4.  Marquise  était  un  de  ses  prénoms. 


SUR  MOLIERE.  i3i 

suivait,  «  à  demi  trépassé'  »,  le  convoi  funèbre.  N'imagi- 
nons pas  autre  qu'il  n'était  ce  monde  comique  auquel  ap- 
partenait Molière,  et  que  sa  gloire  nous  disposerait  à  gran- 
dir. L'heure  est  proche  où  par  une  œuvre  brillante  s'est 
ouverte  devant  lui  une  immortelle  carrière,  et  voilà  sa 
troupe  en  camaraderie  avec  des  bateleurs,  des  triacleurs, 
qui  lui  donnent  une  actrice.  Il  ne  faudrait  pas  cependant 
en  être  scandalisé;  d'abord  la  beauté  est  une  noblesse,  le 
talent  aussi,  qui  peut-être  s'annonçait  déjà;  et  puis,  quel- 
que part  que  la  troupe  de  Molière  se  recrutât,  on  aurait 
tort  de  croire  qu'elle  n'eût  pas  à  côté  des  autres  troupes 
une  place  qui  les  en  fit  distinguer.  Bien  qu'elle  fût  tou- 
jours prête  à  s'associer  des  comédiens  d'autres  bandes, 
elle  avait  dès  lors  une  supériorité  reconnue.  Chappuzeau. 
peu  de  temps  après,  écrivait  son  livre  intitulé  Lyon  dans 
son  lustre^,  où  il  dit  :  «  Le  noble  amusement  des  honnêtes 
gens,  la  digne  débauche  du  beau  monde  et  des  bons  esprits, 
la  comédie,  pour  n'être  pas  fixe  comme  à  Paris,  ne  laisse 
pas  de  se  jouer  ici  (à  Lyon)  à  toutes  les  saisons  qui  la 
demandent,  et  par  une  troupe  ordinairement  qui,  tout  am- 
bulatoire qu'elle  est,  vaut  bien  celle  de  l'hôtel  qui  demeure 
en  place^.  »  Il  n'est  pas  douteux  qu'il  désigne  la  troupe  de 
Molière. 

Parmi  les  troupes  qui  étaient  à  Lyon  en  i653,  dans  le 
même  temps  que  celle-ci,  la  moins  indigne  de  tenter  de  riva- 
liser avec  elle  paraît  avoir  été  celle  qui  se  disait  «  la  troupe 
de  Son  Altesse  Royale*  ».  Son  titre,  qui  avait  autrefois  appar- 
tenu aux  comédiens  de  l'Illustre  théâtre,  donne  à  croire 
qu'elle  était  jugée  digne  de  quelque  estime.  Elle  avait  pour 


I.  Robinet,  Lettre  en  vers  du  i5  décembre  1668. 
1    Un  volume  in-4"',  imprimé  à  Lyon  en  i656.  Le  Privilège  est 
donné  à  Paris,  le  10°  jour  de  décembre  i655. 

3.  Lyon  dans  son  lustre,  p.  43- 

4.  Cette  Altesse  Royale  était-elle  Gaston,  l'ancien  protecteur  de 
l'Illustre  théâtre?  On  penserait  plutôt  à  la  troupe  du  duc  de 
Savoie,  dite  aussi  «  troupe  de  Son  Altesse  Royale  »  ;  cependant 
elle  n'avait  permission,  suivant  Chappuzeau  (le  Théâtre  français, 
livre  III,  chapitre  xlviJ,  de  passer  les  Alpes  que  pendant  l'été. 


i3a  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

chef  Abraham  Mitallat,  dit  La  Source,  qui  l'avait  établie 
en  i6i',  à  Lyon,  où  il  la  maintint  plusieurs  années  avec  suc- 
cès. Un  des  premiers  camarades  de  iMolière,  Georges  Pinel 
delà  Cousture,  avait  passé  dans  ses  rangs.  Ce  furent  seulement, 
dit-on,  nos  comédiens  qui  firent  perdre  la  faveur  du  public 
à  la  troupe  de  Mitallat*.  On  a  cru  savoir  que  la  troupe  de 
Molière  la  désorganisa,  et,  parmi  ses  transfuges,  passés  dans 
le  camp  rival,  de  Brie  et  sa  femme,  et  Marquise  de  Gorle, 
ont  été  nommés.  Le  libelle  de  la  Fameuse  come'dienne ^  dont 
on  ne  sait  pas  jusqu'à  quel  point  les  informations  peuvent 
être  sûres,  même  quand  la  passion  ne  le  rend  point  plus 
que  suspect,  dit  que  Molière  et  les  Béjart,  «  quand  ils  furent 
arrivés  à  Lyon,  y  trouvèrent  une  autre  troupe  établie  dans 
laquelle  étoient  la  du  Parc  et  la  de  Brie*».  Il  se  peut  qu'il  ait 
voulu  parler  de  la  troupe  de  Mitallat,  bien  qu'il  ne  la  nomme 
pas.  L'opinion  que  Marquise  de  Gorle  vint,  en  i653,  de  cette 
troupe  et  non  de  celle  de  l'opérateur  son  père,  est  bien 
hasardée,  si  elle  ne  s'appuie  pas  sur  quelque  autre  témoi- 
gnage que  sur  celui  du  pamphlet.  Quant  à  Mlle  de  Brie,  nous 
l'avons  vue,  sous  le  nom  de  Catherine  du  Rosé,  marraine 
avec  Molière,  et  nous  avons  dit  qu'elle  appartenait  peut- 
être  alors  à  une  autre  troupe  que  la  sienne^.  Cette  troupe 
serait-elle  celle  de  Mitallat,  qui,  en  ce  temps-là,  aurait  été 
à  Narbonne,  et  dont  la  comédienne  serait  sortie  à  Lyon  avec 
Edme  Villequin  de  Brie,  devenu  son  mari?  Si  tout  cela  reste 
incertain,  il  importe  assez  peu. 

Il  n'est  pas  d'un  intérêt  beaucoup  plus  grand  de  savoir  à 
quelle  date  précise  Mlle  du  Parc  fut  reçue  dans  la  troupe  de 
Molière  ;  nous  ne  l'y  trouvons  avec  certitude  qu'en  septembre 
ou  octobre  de  cette  année  i653,  lorsque  sa  présence  y  est 
constatée  par  Daniel  de  Cosnac,  dans  son  récit  des  aventures 
des  coméd.'ens  au  château  de  la  Grange-des-Prés. 

Ce  n'est  pas,  en  tout  cas,  l'enrôlement  de  deux  jolies 
actrices,  destinées  à  de  grands  succès,  qui  pouvait  rendre 
mémorable  le  séjour  de  Molière  à  Lyon  en  i653.  Mais  cette 

1.  Les  Origines  du  théâtre  de  Lyon,  p.  74- 

2.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  7  et  8. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  lao  et  lai. 


SUR   MOLIERE.  i33 

époque  est  celle  où  l'on  a  placé  la  naissance  de  V Étourdi . 
Nous  penchons  à  la  reculer  de  deux  ans;  nous  admettons 
cependant  comme  très  probable  que  l'idée  de  cette  comédie 
fut  conçue,  peut-être  même  l'exécution  ébauchée,  dès  i653, 
dans  la  ville  où  plus  qu'ailleurs  Molière  rencontra  le  goût  du 
théâtre  italien,  dont  il  s'est  inspiré  dans  ses  deux  brillants 
coups  d'essai,  V Etourdi  et  le  Depit  amoureux. 

A  Lyon,  ville  si  française,  il  est  certain  que  ce  théâtre  ne 
régnait  pas  exclusivement,  que  le  nôtre  y  était  apprécié  et 
aimé.  On  y  voyait  toutefois  avec  faveur  les  comédiens  et  les 
comédies  d'au  delà  les  monts,  et  cela  dès  longtemps,  avant 
même  les  représentations  qu'y  donnèrent  les  Gelosi  au  com- 
mencement du  dix-septième  siècle.  LTn  des  acteurs  de  cette 
troupe  des  Gelnsi,  Nicolas  Barbieri ,  dit  Beltrame,  auteur  de 
Vlnacvertito,  dont  Molière  a  tiré  l'Etourdi,  joua  sa  comédie 
à  Paris  devant  Louis  XIII,  mais  aussi,  l'on  ne  peut  en  douter, 
sur  le  théâtre  de  Lyon.  Là,  Molière  eut  l'occasion  de  con- 
naître semblablement  les  comédies  de  Luigi  Grotto  et  de 
Nicolo  Secchi,  qui  furent  aussi  imitées  par  lui. 

La  voie  où  s'est  engagé  Molière  dans  ses  premiers  ouvrages 
ne  lui  était  assurément  pas  inconnue  avant  qu'il  eût  été  à 
Lyon;  mais,  dans  cette  ville,  elle  lui  est  devenue  plus  fami- 
lière et  plus  attirante.  Il  est  donc  plus  que  vraisemblable  que 
la  première  idée  de  son  Etourdi,  puisée  à  une  source  ita- 
lienne, lui  est  venue  à  Lyon,  et  même  que  la  composition  de 
sa  pièce  y  a  été  commencée.  Que  l' Étourdi  y  ait  été  repré- 
senté pour  la  première  fois,  c'est  un  fait  sur  lequel  s'accor- 
dent tous  les  témoignages. 

Grimarest  n'hésite  pas  à  le  dater  de  i653.  «  Molière  avec 
sa  troupe,  dit-il,  eut  bien  de  l'applaudissement  en  passant 
à  Lyon  en  i653,  où  il  donna  au  public  l'Étourdi^.  »  Il  a  cru 
évidemment  ne  faire  que  répéter  le  témoignage  de  la  Pré- 
face de  1682.  L'avait-il  bien  interprété?  La  critique  sévère 
d'Eugène  Despois  y  a  regardé  de  près  dans  la  Notice  sur 
l'Etourdi-.  Au  premier  abord,  le  passage  de  la.  Préface  paraît 
net  :  «  Il  [Molière]  vint  à  Lyon  en  1 65 3,  et  ce  fut  là  qu'il  exposa 

r.   La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  22. 
2.  Voyez  notre  lume  I,  p.  79-86 


i3',  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

au  public  sa  première  comédie;  c'est  celle  de  l'Etourdi.  » 
Despois  a  fait  remarquer  quelque  équivoque  dans  cette 
phrase,  qui  ne  dit  pas  «  ce  fut  alors  »,  mais  «  ce  fut  là  ». 
Ce  là  est  plus  justement  matière  à  procès  que  le  fameux  ou 
(avec  ou  sans  pâté)  de  la  promesse  de  Figaro  à  damoiselle 
Marceline.  On  craindrait  cependant  d'être  accusé  do  chicane, 
si  l'on  n'avait  pas  à  produire  le  renseignement,  cette  fois 
exempt  de  toute  ambiguïté,  donné  dans  son  Registre  par  La 
Grange,  qui  est  généralement  regardé  comme  un  des  auteurs 
de  la  Préface  de  i68a*  :  «  Cette  pièce  de  ihéÀire  [l' Étourdi) 
a  été  représentée  pour  la  première  fois  à  Lyon,  l'an  i655*.  » 
Pour  donner  la  préférence  à  i653,  on  allègue  la  confiance 
que  mérite  la  Préface,  écrite  plus  tard  que  le  Registre,  et 
où  la  date  a  pu  être  corrigée  après  mûr  examen.  L'argument 
tombe,  si,  comme  Despois,  on  doute  qu'il  y  ait  manifeste 
contradiction  entre  les  deux  témoignages.  On  insistera  sur  le 
vrai  sens  de  celui  de  1682,  en  nous  engageant  à  y  lire  la 
suite  :  «  S'étant  trouvé  quelque  temps  après  en  Languedoc, 
il  alla  offrir  ses  services  à  M.  le  prince  de  Conti.  ■>■>  Or  c'est 
en  i653  que  ces  offres  de  service  furent  faites  pour  la  pre- 
mière fois. 

Par  une  fatalité,  la  pleine  lumière  est  à  peine  entrevue 
qu'un  petit  nuage  vient  l'obscurcir.  Après  les  mots  :  «  à 
M.  le  prince  de  Conti  »,  la  Préface  ajoute  :  «  gouverneur  de 
cette  province  [de  Languedoc)  et  vice-roi  de  Catalogne  » .  Ce  fut 
seulement  en  i654  que  le  prince  eut  le  commandement  de 
l'armée  de  Catalogne  et  le  gouvernement  de  la  Guyenne, 
non  pas  celui  du  Languedoc,  qui  ne  lui  fut  donné  que  six  ans 
après.  Pour  nous  il  est  probable  que  l'inexactitude  de  cette 
mention  du  gouvernement  de  Languedoc  doit  s'expliquer 
ainsi  :  on  a  eu  en  vue  la  commission  que  reçut  Conti  de  pré- 
sider les  états  de  cette  province,  commission  postérieure 
en  date  à  sa  campagne  de  i655  dans  le  Roussillon.  Il  est 
donc  permis  de  croire  que  l'engagement  de  Molière  au  ser- 
vice du  prince  de  Conti,  «  quelque  temps  après  »  l'Étourdi 

I.  Avec   Vinot.   On  l'a  aussi  attribuée  au   comédien   Marcel. 
V^oyez  notre  tome  I,  p.  xxiii. 
3.  Registre  de  La  Giange,  p.  4- 


SUR  MOLIÈRE.  i35 

joué  à  Lyon,  est,  dans  la  pensée  de  ces  biographes,  celui  qui 
fut  de  nouveau  obtenu  en  i655.  Une  imparfaite  netteté 
dans  leurs  courtes  lignes  est  moins  étonnante  qu'une  erreur 
dans  le  Registre  sur  une  date  qui  y  a  été  inscrite  du  vivant 
de  Molière. 

Il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  Molière  a  pris  le  goût 
des  pièces  italiennes  pendant  son  long  séjour  à  Lyon  en  1 65 3. 
Mais  alors  il  faut  lui  donner  le  temps  de  faire  connaissance 
avec  elles,  puis  d'écrire  son  imitation  de  Y Inawerlito  et  de 
mettre  ses  acteurs  en  état  de  la  jouer.  Il  est  surtout  impos- 
sible de  croire,  à  moins  qu'il  n'ait  apporté  à  Lyon  sa  comédie 
déjà  toute  faite,  qu'elle  y  ait  été  représentée  dès  le  com- 
mencement de  i653.  Une  des  raisons,  dût-on  la  juger  un 
peu  faible,  qui  nous  feraient  pencher  pour  i655,  c'est  qu'il 
plaît  assez  de  ne  pas  éloigner  de  la  première  représentation 
de  V Étourdi  celle  du  Dépit  amoureux,  où  Molière  a  suivi  le 
même  filon  et  qui,  sans  contestation,  est  de  i6!»6.  Stimulé 
par  le  succès,  et  une  fois  en  train  d'inspiration  comique, 
notre  poète,  dans  la  première  joie  de  son  génie,  a-t-il  at- 
tendu trois  ans  pour  le  laisser  continuer  son  élan,  et  pour 
exploiter  une  seconde  fois  la  veine  italienne?  Nous  ne  vou- 
drions pourtant  pas  être  plus  décisif  et  tranchant  qu'il  n'est 
juste.  Despois  nous  a  donné  l'exemple  d'une  sage  réserve  : 
il  a  laissé  quelque  doute  entre  i655  et  i653.  Sans  vouloir 
dire  ce  doute  extrêmement  fâcheux,  nous  aurions  mieux 
aimé  qu'il  eût  été  possible  de  le  lever.  Si  l'on  n'a  pas  eu 
tort  d'attacher  quelque  importance  à  la  vraie  date,  long- 
temps méconnue,  de  la  naissance  de  Molière  dans  le  berceau 
où,  comme  tout  autre  enfant,  il  ne  vécut  d'abord  que  de  la 
vie  végétative,  cet  autre  jour  dans  lequel  il  a  commencé, 
sur  le  théâtre,  sa  vie  de  grand  poète  est  également  celui 
d'une  naissance  dont  il  serait,  ce  nous  semble,  moins  indif- 
férent encore  de  découvrir  l'acte  dûment  certifié. 

Les  plus  récentes  études  sur  la  vie  de  Molière  placent 
généralement  à  Lyon,  en  l'année  i653,  une  représentation 
qui,  sans  avoir  un  intérêt  égal  à  celle  de  l'Étourdi,  ne  laisse 
pas  d'en  offrir  un  véritable.  C'est  la  représentation  de  Y  An- 
dromède de  Corneille.  Elle  a  été  connue  par  un  exemplaire 
de  cette  tragédie  ^édition  in-'i"  de  i63i,  regardée  comme  la 


i36  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

première),  provenant  de  la  bibliothèque  du  comte  de  Pont- 
de-Veyle.  Dans  ce  précieux  exemplaire  on  a  écrit,  à  côté  du 
nom  de  chaque  personnage,  le  nom  de  l'acteur  qui  le  repré- 
sentait. L'écriture  est  ancienne.  On  a  voulu,  mais  sans  avoir 
trouvé  créance,  que  ce  fût  celle  de  Molière.  Il  n'y  a  pas  de 
doutes  sur  la  distribution  des  rôles,  qui  évidemment  n'a  pas 
été  inventée.  Voici  cette  distribution;  elle  nous  donne  de 
curieux  renseignements  :  Jupiter,  du  Parc;  Junon  et  Andro- 
mède, Mlle  Béjart;  Neptune,  de  Brie;  Mercure  et  Un  page 
de  Phinée,  l'Eguisé  [Louis  Bejart);  le  Soleil  et  Tintante, 
Béjart  (Joseph);  Ve'nus,  Cymodoce  et  Jglante,  Mlle  de  Brie; 
Melpomène  et  Céphalie,  Mlle  Hervé  {Geneviève  Be'jart)  ;  Éole 
et  Ammon,  Vauselle  ;  Éphyre,  Mlle  Menou  ;  Cydippe  et 
Liriope,  Mlle  Magdelon  ;  Huit  vents,  valets  ;  Céphée,  du  Fresne  ; 
Cassiope,  Mlle  Vauselle;  Phinée,  Chasteauneuf ;  Perse'e,  Mo- 
lière ;  Chœur  du  peuple,  Lestang. 

«  Le  rôle  de  P/iine'e,  dit  M.  Marty-Laveaux*,  était  d'abord 

donné  à  Molière,  et  celui  de  Perse'e  à  Chasteauneuf Le  nom 

de  Phorbas,  qui  ne  figure  pas  dans  la  liste  imprimée  des  per- 
sonnages, y  a  été  ajouté,  et  ce  rôle  a  été  attribué  à  Mlle  Hervé, 
déchargée  sans  doute  de  celui  de  Céphalie,  dont  le  nom  a 
été  remplacé  à  la  main  dans  le  courant  de  l'ouvrage  par 
celui  d' Aglante.  »  On  ne  sait  pas  en  quel  temps  furent  faits 
les  changements. 

Cette  distribution  nous  apprend  comment  à  un  certain 
moment  était  composée  la  troupe  de  campagne  de  Molière. 
Plusieurs  noms  appellent  l'attention,  particulièrement  ceux 
des  Vauselle,  et  celui  de  Mlle  Menou,  qui  a  donné  aux 
biographes  du  poète  un  intéressant  problème  à  résoudre. 
Nous  serions  tenté  (est-ce  à  tort?)  d'être  averti  par  la  lec- 
ture d'un  tel  document  de  ne  pas  nous  exagérer  l'excel- 
lence de  cette  troupe,  que  Chappuzeau  ne  jugeait  pas  dès 
lors  inférieure  à  celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne.  Pour  jouer 
Andromède,  pièce,  il  est  vrai,  très  difficile  à  monter,  elle 
était  bien  incomplète;  non  seulement  le  grand  nombre  des 
personnages  avait  forcé  d'en  faire  jouer  plusieurs  par  le 

I.  Notice  sur  Andromède,  au  tome  V  des  OEuvres  de  P.  Corneille^ 
p.  a55. 


SUR   MOLIÈRE.  i^; 

même  acteur,  mais  il  avait  fallu  charger  de  simples  gagistes 
de  réciter,  Dieu  sait  comme,  des  vers  de  Corneille,  dignes 
de  meilleurs  luterprètes. 

Il  n'est  guère  vraisemblable  que  la  pièce  ainsi  représentée 
par  nos  comédiens  l'ait  été  ailleurs  qu'à  Lyon,  pour  la  pre- 
mière fois  du  moins.  C'est  dans  une  si  grande  ville  surtout 
que  l'on  put  songer  d'abord  à  faire  goûter  un  tel  ouvrage, 
noble  tragédie  et  grand  opéra,  avec  l'espoir  d'y  trouver  une 
scène  appropriée,  bien  que  même  là  il  ne  faille  point  pen- 
ser aux  magnifiques  décorations  du  théâtre  où  elle  fut  jouée 
par  la  troupe  royale,  ni  aux  machines  de  Torelli. 

Sur  la  date  de  la  représentation  on  trouve  des  indica- 
tions dans  la  liste  des  acteurs.  Le  Chœur  du  peuple  se  fit 
entendre  par  la  bouche  de  l'Estang  (Cyprien  Ragueneau). 
Le  Registre  de  La  Grange,  qui  épousa  sa  fille  en  1672, 
constate'  qu'il  «  mourut  à  Lyon,  le  18  août  i654  ».  Voilà 
donc,  pour  le  temps  où  il  put  jouer  son  rôle  dans  Andro- 
mède, une  limite  marquée.  En  i653,  Ragjeneau  avait  fixé 
sa  résidence  à  Lyon  par  un  bail  de  trois  ans,  qu'il  y  signa 
le  i5  octobre.  Ce  fut,  selon  toute  apparence,  en  cette 
même  année  i6j3,  et  à  Lyon,  comme  nous  le  pensions  déjà, 
qu'on  lui  confia  un  bout  de  rôle  dans  la  tragédie  de  Cor- 
neille. Ce  brave  homme,  poète  et  pâtissier,  plus  pâtissier 
que  poète,  qui  parut  un  moment  dans  la  troupe  de  Molière, 
est  une  figure  originale.  Dassoucy  l'a  célébré  avec  sa  verve 
plaisante^.  Il  le  nomme  le  «  père  nourricier  des  Muses  ».  Ra- 
gueneau avait  tenu  boutique  de  pâtisserie  dans  la  rue  Saint- 
Honoré;  il  prodiguait  ses  pâtés  et  son  argent  à  tout  le  Par- 
nasse. Il  eut,  à  ce  prix,  l'amitié  des  poètes  et  des  comédiens. 
Dans  leur  commerce  il  avait  contracté  la  maladie  de  la  rime, 
aidé,  disait-on,  dans  ses  productions  poétiques  par  Charles 
de  Beys.  L'éloge  funèbre,  dont  le  sieur  Dassoucy  se  plut  à 
réjouir  son  ombre,  fut  une  manière  de  le  rembourser  de 
ses  prêts  et  de  se  mettre  en  règle  avec  sa  mémoire.  Le  recon- 
naissant débiteur  nous  apprend  que  son  généreux  prêteur. 

1.  Registre^  au  verso  de  la  première  page. 

3.  Les  Avantures  d'Italie  (Antoine  de  Rafflé,  1677),  chapitre  xn, 
p.  283-293. 


i38  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

ruiné  par  les  libéralités  dont  il  avait  comblé  les  enfants 
d'Apollon,  fut  contraint  de  quitter  Paris  avec  femme  et  en- 
fants, et  d'entrer  dans  une  troupe  de  campagne,  qui  le  jugea 
bientôt  le  plus  méchant  comédien  du  monde,  et  lui  fit  mou- 
cher les  chandelles.  Blessé  dans  sa  fierté  de  poète,  il  se 
sépara  de  cette  troupe,  puis  en  trouva  une  autre  qui  lui 
donna  encore  quelques  vers  à  prononcer,  jusqu'au  jour  oii 
elle  comprit,  elle  aussi,  que  l'emploi  jugé  humiliant  par  lui 
était  décidément  celui  qui  lui  convenait  le  mieux.  Cette  se- 
conde troupe  nous  semble  bien  être  celle  qui  dans  la  tra- 
gédie de  Corneille  l'éleva  à  la  dignité  de  Chœur  du  peuple^ 
et  lui  donna  ainsi  une  nouvelle  occasion  de  prouver  qu'il 
méritait  une  place  plus  modeste  encore.  On  nous  pardonnera 
de  lui  en  avoir  fait  une  trop  large  ici,  l'ayant  trouvé  assez 
divertissant.  Il  eût  peut-être  suÉB  de  dire  que,  pour  fixer  à 
peu  près  une  date  à  l'intéressante  distribution  des  rôles,  son 
nom  nous  venait  en  aide;  l'absence  de  celui  de  Mlle  du  Parc 
y  peut  servir  aussi. 

Quand  il  n'y  aurait  pas  eu  tant  de  difficultés  pour  faire 
représenter  tous  les  personnages  d'Andromède,  il  serait  im- 
possible de  comprendre  que  la  du  Parc  n'y  eût  rempli  au- 
cun rôle,  si  elle  eût  été  déjà  dans  la  troupe.  Les  Mémoires 
de  Cosnac,  que  nous  aurons  tout  à  l'heure  à  citer  plus  lon- 
guement, nous  apprennent,  comme  il  a  été  dit  plus  haut*, 
qu'elle  en  faisait  partie  dès  i653,  mais  l'atteste  seulement 
pour  le  temps  où  cette  troupe  fut  admise  à  jouer  devant 
le  prince  de  Conti,  Il  y  a  là  une  objection  à  la  conjecture, 
assez  naturelle  d'ailleurs,  qu'en  i653  la  représentation  à'Jn- 
dromède,  au  lieu  d'être  donnée  à  Lyon,  a  pu  l'être  dans  le 
château  de  la  Grange,  Conti  étant  assez  grand  prince  pour 
en  faire  les  frais  et  mettre  à  la  disposition  de  Molière  un 
théâtre  qui  ne  rendît  pas  la  tentative  ridicule.  Il  n'y  faut  pas 
songer,  puisque  alors  on  aurait  le  nom  de  Mlle  du  Parc 
dans  la  distribution  des  rôles. 

Andromède  fut  donc  jouée  avant  l'automne  de  i653.  Mais 
ne  peut-on  pas  remonter  plus  haut?  Tout  au  plus  jusqu'à 
la  fin  de  j652,  où  l'on  croit  déjà  trouver  Molière  à  Lyon. 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  iSa. 


SUR   MOLIÈRE.  iSg 

La  pièce,  jouée  à  Paris  au  mois  de  janvier  i65o,  ne  tomba 
dans  le  domaine  public  qu'après  sa  première  impression, 
dont  Y  achevé  d'imprimer  est  du  i3  août  i65i.  Il  se  pourrait 
que,  vers  la  fin  de  cette  année  i65i,  Dassoucy,  qui  rencon- 
tra Molière  à  Carcassonne,  lui  eût  recommandé  cette  tra- 
gédie, aux  vers  de  laquelle  il  avait,  comme  il  disait  modeste- 
ment, «  donné  l'âme  »  par  sa  musique. 

Nous  avons  dit  que  sur  la  liste  des  acteurs  A' Andromède 
les  Vauselle,  qui  nous  sont  déjà  connus,  étaient  à  remarquer. 
Ils  y  sont  trois,  Jean-Baptiste  de  l'Hermite,.  sieur  de  Vau- 
selle, sa  femme,  Marie  Cnurtin  de  la  Dehors  (Mlle  Vauselle), 
enfin  la  fille  de  ces  peu  recommandables  époux,  Mlle  Mag- 
delon,  alors  âgée  d'environ  treize  ans. 

La  présence  de  ces  Vauselle  dans  une  troupe  qui  n'était 
guère  moins  celle  de  Madeleine  Béjart  que  de  Molière,  est  un 
exemple  des  singuliers  rapprochements  de  personnes  dont 
ne  s'effarouchaient  pas  ces  sociétés  de  comédiens.  Le  sieur 
de  Vauselle  n'est  pas  le  plus  étonnant  ici,  quoique  sa  gen- 
tilhommerie  ait  dû  lui  rendre  pénible  la  nécessité  de  monter 
sur  un  théâtre.  Quant  à  être  bien  accueilli  par  les  Béjart,  il 
y  avait  les  plus  grands  droits  par  son  alliance  avec  leur  fa- 
mille et  par  les  services  que  l'on  sait.  Mais  il  amenait  avec 
lui  sa  femme  qui  notoirement  était  ou  avait  été  la  maîtresse 
de  l'ancien  amant  de  la  Béjart.  Celle-ci,  puissante  dans  la 
troupe,  n'y  aurait  pas  laissé  entrer  Mlle  Vauselle,  si  elle  eût 
ressenti  comme  une  offense  l'admission  d'une  rivale.  Evi- 
d-emment  nous  ne  nous  sommes  pas  trompé  quand  nous 
l'avons  jugée  de  bonne  composition.  C'est  ce  qu'elle  prouva 
encore  plus  tard  lorsque,  en  1661,  elle  acheta  des  Vauselle 
la  grange  de  la  Souquette^  dont  le  seigneur  de  Modène 
leur  avait  fait  en  1644  le  don  significatif  sous  le  prétexte  d'une 
vente  qui  était  fictive.  L'acquisition  de  la  Souquette  ne 
peut  faire  croire  de  la  part  de  Madeleine  Béjart  à  une 
spéculation  plutôt  qu'à  un  acte  d'obligeance,  dont  on  a  cher- 
ché à  donner  des  explications  subtiles.  Celle  de  la  parenté 
des  Courtin  et  des  Béjart  pourrait  paraître  la  moins  mau- 

I.  Recherches  sur  Molière,  p,  202  et  2o3.  —  Voyez  ci-dessus, 
p.  94  et  95. 


i4o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

vaise;  elle  est  encore  bien  peu  satisfaisante.  L'esprit  de 
famille  rend-il  suffisamment  raison  de  l'étrange  complaisance 
d'une  femme  à  qui  l'on  a  pris  son  amant?  Il  reste  de  plus 
en  plus  clair  que  la  Béjart  échappe  à  tout  soupçon  de  jalou- 
sie. Elle  était  fort  au-dessus,  si  l'on  n'aime  mieux  dire  fort 
au-dessous,  de  ce  sentiment.  Dans  ce  que  nous  savons  de  sa 
vie  on  a  trop  souvent  cru  rencontrer  des  énigmes,  où  il  eût 
été  plus  simple  de  voir  qu'elle  s'était  fait  sur  l'amour  une 
philosophie  à  la  ISinon  de  Lenclos.  Prenons  pour  ce  qu'elles 
étaient  les  femmes  de  théâtre  au  milieu  desquelles  Molière  a 
vécu,  et  parmi  ces  comédiennes,  celles  dont  il  a  été  plus  que 
l'ami;  il  faut  se  défendre  d'idéaliser  naïvement  le  roman  des 
amours  de  sa  jeunesse. 

Magdelon,  fille  de  ces  Vauselle,  a,  comme  eux,  son  nom 
sur  la  liste.  Rien  alors  ne  pouvait  faire  prévoir  que  cette  en- 
fant se  trouverait  un  jour  sur  le  chemin  de  la  Béjart,  comme 
s'y  était  trouvée  sa  mère,  et  y  serait  même  beaucoup  plus 
gênante,  s'il  était  vrai  comme  on  l'a  cru,  mais  sans  preuves, 
que  l'ancienne  maîtresse  du  seigneur  de  Modène  n'eût  jamais 
renoncé  à  l'espoir  d'être  épousée  par  lui.  La  fille  de  Marie 
Courtin  de  la  Dehors,  après  un  premier  mariage  qu'elle  fit 
annuler,  en  contracta  un  second  avec  celui  dont  la  liaison 
avec  sa  mère  n'avait  pas  été  un  mystère.  Elle  devint  com- 
tesse de  Modène  en  décembre  1666*.  A  cette  époque,  Mag- 
delon (Madeleine  de  l'Hermite  de  Souliers)  avait  environ 
vingt-six  ans,  Esprit  de  Modène  en  avait  cinquante-huit. 
Madeleine  Béjart  ne  paraît  pas  en  avoir  voulu  à  celui-ci  de 
ce  déraisonnable  mariage,  digne  couronnement  d'une  vie  de 
désordres.  Elle  continua  de  se  conduire  avec  lui  en  amie, 
et  l'on  ne  peut  pas  dire  :  en  amie  jusqu'à  la  bourse. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  distribution  des  rôles  de  la  tra- 
gédie de  Corneille  qui  nous  montre  les  Vauselle  enrôlés  dans 
la  troupe  de  Molière.  Un  factum  écrit  en  1674  par  Charles 
de  Rémond,  frère  du  comte  de  Modène,  contre  Madeleine 
de  l'Hermite,  nous  apprend  qu'elle  et  sa  mère,    engagées 

1.  M.  Chardon  a  fait  connaître  son  contrat  de  mariage,  daté 
du  26  octobre  1666.  Voyez  M.  de  Modène...  et  Madeleine  Béjart, 
p.  426.429. 


SUR   MOLIERE.  i4i 

dans  «  la  bande  du  sieur  Molière  »,  avaient  été  vues  jouant 
a  comédie  à  Avignon  '.  A  quelle  date?  Est-il  probable  que 
ce  n'ait  pas  été  avant  le  séjour  de  la  troupe  dans  cette  ville, 
en  i655?  Molière,  cette  année-là,  comme  il  sera  dit,  ne 
s'arrêta  pas  à  Avignon  plus  tôt  qu'au  mois  d'octobre.  Le 
1 1  novembre  suivant,  Magdelon  y  fut  épousée  par  un  écuyer 
du  prince  de  Conti,  du  nom  de  Le  Fuzelier.  Il  semblerait  un 
peu  étrange  que  ce  prédécesseur  du  seigneur  de  Modène 
l'eût  prise  sur  les  planches  du  théâtre  pour  la  conduire  à 
l'autel. 

Continuons  notre  revue  de  la  troupe  qui  joua  V Andro~ 
mède.  On  a  encore  à  y  remarquer  deux  comédiennes.  L'une, 
Mlle  de  Brie,  a  déjà  été  entrevue  à  Narbonne  en  i65o, 
ensuite  à  Lyon,  où,  dans  cette  année  1 653  dont  nous  parlons 
en  ce  moment,  on  dit  qu'elle  passa  d'une  troupe  concurrente 
dans  celle  de  Molière.  L'autre,  Mlle  Menou,  est  nommée 
pour  la  première  fois.  Toutes  deux  ont  beaucoup  attiré  les 
regards  des  biographes  de  notre  poète  lorsqu'ils  ont  eu  à 
porter  leur  curiosité  du  côté  de  sa  vie  privée. 

Cette  curiosité  doit,  sans  doute,  en  ce  qui  regarde  la 
demoiselle  de  Brie,  être  en  garde  contre  les  bruits  qui 
ont  eu  cours  chez  les  contemporains  de  Molière  sur  les  fai- 
blesses de  son  cœur  parmi  les  tentations  des  libres  moeurs 
d'une  troupe  comique;  cependant,  le  témoignage  de  Boileau 
compte,  même,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  lorsqu'il  ne  nous  est 
connu,  comme  ici,  que  par  les  notes  de  Brossette.  Voici  en 
quels  termes  il  est  rapporté  par  le  commentateur  :  «  M.  Des- 
préaux m'a  dit  que  Molière  avoit  été  amoureux  de  la  co- 
médienne Béjart...,  ensuite  de  Mlle  de  Brie,  aussi  comé- 
dienne^. »  Ainsi  averti,  nous  ne  pouvons  plus  refuser  toute 
créance  à  l'auteur  de  la  Fameuse  Comédienne  ;  il  est  sage  seu- 
lement de  rester  en  défiance  de  ce  qu'il  a  pu  broder  sur  un 
fond  de  vérité.  Nous  avons  précédemment  cité  ce  qu'il  a  dit 
de  la  rencontre  faite  par  Molière  à  Lyon  de  la  du  Parc  et  de 
la  de  Brie.  Lisons  la  suite  du  passage  :  «Molière  fut  d'abord 

1.  Nous  empruntons  cette  citation  à  M.  Chardon,  pages  3io 
et  3ii  de  M.  de  Modène...  et  Madeleine  Béjart. 

2.  M-i.  de  Brossette.  p.  38. 


i4a  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

charmé  de  la  bonne  mine  de  la  première  ;  mais  leurs  senti- 
ments ne  se  trouvèrent  pas  conformes  sur  ce  chapitre,  et 
cette  femme...  traita  Molière  avec  tant  de  mépris  que  cela 
l'obligea  de  tourner  ses  vœux  du  coté  de  la  de  Brie,  dont 
il  fut  reçu  plus  favorablement,  ce  qui  l'engagea  si  fort  que, 
ne  pouvant  plus  se  résoudre  à  s'en  séparer,  il  trouva  le  se- 
cret de  l'attirer  dans  sa  troupe  avec  la  du  Parc.  La  Béjart 
supporta  cet  engagement  avec  assez  de  chagrin;  cependant, 
comme  elle  vit  que  c'étoit  un  mal  sans  remède,  elle  prit  le 
meilleur  parti,  qui  étoit  de  s'en  consoler,  en  conservant  tou- 
jours sur  Molière  l'autorité  qu'elle  avoit  eue*.  »  Ce  récit 
prend  un  certain  air  de  vraisemblance,  quand  on  y  voit 
marqué  d'un  trait  si  reconnaissable  le  caractère  de  Made- 
leine Béjart,  qui,  toujours  préoccupée  des  affaires  avant 
tout,  modère  son  dépit  et  se  résigne,  à  la  condition  que  les 
droits  utiles  de  son  empire  lui  resteront. 

On  a  voulu  trouver  dans  quelques-unes  des  comédies  de 
Molière  des  indices  de  sa  passion  pour  Mlle  de  Brie.  Les 
rôles  désagréables  qu'il  faisait  jouer  au  sieur  de  Brie  ont 
donné  le  soupçon  qu'il  avait  pris  plaisir  aux  occasions  de 
le  maltraiter  sur  la  scène;  par  exemple,  dans  le  Tartuffe,  où 
il  lui  a  fait  représenter  le  déloyal  M.  Loyal,  pendant  que 
lui-même,  qui  était  Orgon,  exprimait  le  désir 

[De]  pouvoir,  à  plaisir,  sur  ce  mufle  assener 

Le  plus  grand  coup  de  poing  qui  se  puisse  donner*. 

On  a  remarqué  aussi  que,  dans  V Ecole  des  femmes,  de  Brie 
était  le  Notaire,  à  qui  Arnolphe,  représenté  par  Molière, 
fait  la  grimace,  disant  tout  bas  : 

La  peste  soit  fait  l'homme  et  sa  chienne  de  face^. 

Une  fois  préoccupé  de  ces  intentions  malignes  que  l'on 
n'admettrait  pas  sans  les  juger  inconvenantes,  on  aurait 
pu  supposer  que,  dans  la  même  scène,  deux  vers  plus  haut, 

I.   La  Fameuse  Comédienne,  p.  8. 

a.  Acte  V,  scène  iv,  v.  1799  et  1800. 

3.  Acte  IV,  scène  11,  v.  1081. 


SUR  MOLIÈRE.  143 

Molière  s'éait  permis  une  cruelle  plaisanterie,  en  se  faisant 
dire  par  le  Notaire  : 

Vous,  qui  me  prétendez  faire  passer  pour  sot. 

Défions-nous  de  ces  conjectures  trop  ingénieuses.  Si  Molière 
a  vraiment  eu  le  tort  de  s'amuser  à  marquer  son  antipathie 
pour  de  Brie,  cette  antipathie  pourrait  bien  s'expliquer 
moins  par  une  excessive  sympathie  pour  sa  femme  que 
par  une  vengeance  innocente  à  tirer  de  l'humeur  brutale 
et  querelleuse  de  cebretteur*,  qui  était,  avec  cela,  très 
médiocre  comédien.  N'oublions  pas,  d'ailleurs,  la  date  des 
pièces  dont  on  a  signalé  les  passages  tout  à  l'heure  cités. 
L'École  des  femmes  a  été  représentée  quelques  mois  après 
le  mariage  de  Molière,  le  Tartuffe  encore  plus  tard.  Sup- 
pose-t-on  que  Molière  n'avait  jamais  cessé  d'être  l'amant 
de  la  de  Brie,  et  cela  même  au  temps  où  il  venait  de  se 
marier?  Nous  n'ignorons  pas  l'accusation  que  le  libelle  de  la 
Fameuse  Comcdieiine  a  jugé  plus  habile  de  ne  pas  produire 
directement,  mais  de  mettre  avec  perfidie  dans  la  bouche 
de  la  femme  de  Molière.  Il  la  fait  récriminer  contre  des  re- 
proches importuns  par  celui  d'avoir  «  toujours  conservé 
des  liaisons  particulières  avec  la  de  Brie,  qui  demeuroit 
dans  leur  maison  et  qui  n'en  étoit  point  sortie  depuis  leur 
mariage-  ».  Mlle  Molière  eût-elle  dit  tout  ce  qu'on  lui  fait 
dire,  nous  n'y  verrions  qu'une  de  ces  mauvaises  excuses 
qu'une  femme  cherche  à  ses  torts.  Ceux  qui  parlent  aujour- 
d'hui de  Mlle  de  Brie  logée  sous  le  même  toit  que  Molière 
sembleraient  avoir  puisé  à  nous  ne  savons  quelle  source 
d'information  autre  que  la  Fameuse  Comédie/me  ;  car  ils  ne 
disent  plus  que  ce  prétendu  scandale  ait  été  donné  dans  les 
premiers  temps  du  mariage  du  poète,  mais  lorsqu'il  logeait 
dans  une  maison  de  la  rue  Saint  Thomas-du-Louvre,  oh 
on  le  trouve  en  166^^.  Cette  maison,  qu'il  quitta  en  1672, 
est  indiquée  dans  des  actes  comme  étant  aussi  le  domicile 

1.  On  croit  que  c'est  à  lui  qu'il  avait  donné  le  rôle  très  court 
de  la  Rapière  du  Dépit  amoureux . 

2.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  21. 

3.  On  a  dit  qu'il  s'y  était  établi  en  i665;  mais  l'acte  d'inhu- 


i44  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

des  Béjart,  de  Madeleine,  de  Geneviève  et  de  Louis*.  Il  ne 
saurait  donc  être  étonnant  de  trouver,  dans  le  même  temps, 
Mlle  de  Brie  dans  la  maison  de  la  rue  Saint-ïhomas-du- 
Louvre.  On  était  habitué  à  voir  des  comédiens  et  des  co- 
médiennes de  la  même  troupe  vivre  ainsi  les  uns  près  des 
autres.  Au  reste,  on  ne  veut  pas  nier,  et  il  n'y  a  aucune 
raison  de  nier,  la  durable  amitié,  très  attestée,  de  Molière 
pour  sa  bonne  camarade;  mais  rien  ne  donne  le  droit  de 
penser  qu'au  temps  où  il  n'était  plus  libre,  il  n'ait  pas  sim- 
plement cherché  dans  une  intimité,  qui  avait  changé  de 
caractère,  un  honnête  soulagement  de  son  cœur  meurtri.  Il 
y  a  une  page  dans  Grimarest  où  l'on  aurait  tort  de  voir  la 
confirmation  des  méchancetés  dont  nous  nous  défions.  Il 
serait  plus  juste  d'y  trouver  le  contraire.  Après  une  phrase, 
qui  à  la  place  où  elle  se  trouve  est  maladroite,  la  vérité  se 
fait  jour  :  «  Il  avoit  assez  de  penchant  pour  le  sexe  ;  la  de  .... 
[le  nom  omis  ne  peut  être  que  la  de  Brie  *)  l'amusoit  quand 

malion  de  son  premier  enfant  porte  que  le  corps  fut  pris  rue 
Saint-Thomas  (ii  novembre  1664). 

I.  Voyez,  dans  les  Documents  des  Recherches  sur  Molière,  l'in- 
ventaire fait  après  le  décès  de  Madeleine  Béjart,  p.  248,  et  la 
note  I  de  la  même  page.  —  Il  n'est  pas  facile  de  suivre  avec  cer- 
titude notre  poète  dans  ses  changements  de  logis.  Les  indica- 
tions de  domicile  ne  paraissent  pas  toujours  exactement  données 
dans  les  actes. 

1.  On  en  a  douté,  ne  pouvant,  dans  le  portrait  que  faisait  d'elle, 
suivant  Grimarest,  un  des  amis  de  Molière,  reconnaître  celle  que 
la  Fameuse  Comédienne  a  dite  «  fort  bien  faite  »,  et  que  vante  ce 
quatrain  des  Portraits  des  comédiennes  de  l'Hôtel  de  Guénégaud,  im- 
primé à  la  suite  du  libelle  (édition  de  i688j  : 

Il  faut  qu'elle  ait  été  charmante, 
Puisqu'aujourd'hui,  malgré  ses  ans, 
A  peine  des  charmes  naissans 
Egalent  sa  beauté  mourante. 

Dans  les  OEuvres  de  Molière  de  l'édition  de  1725,  transcrivant 
le  passage  de  Grimarest,  on  n'a  pas  hésité  à  remplacer  les  points, 
qui  suivent  /a,  par  de  Brie.  Ce  qui  nous  paraît  plus  décisif,  per- 
sonne n'a  jamais  nommé  une  autre  amie  aussi  intime  de  Molière 
au  temps   dont  parle   le  biographe.   Il   faut  croire  que   celui-ci 


SUR    MOLIERE.  i45 

il  ne  travailloit  pas.  Un  de  ses  amis,  qui  étoit  surpris  qu'un 
homme  aussi  délicat  que  Molière  eût  si  mal  placé  son  incli- 
nation, voulut  le  dégoûter  de  cette  comédienne.  Est-ce  la 
vertu,  la  beauté  ou  l'esprit,  lui  dit-il,  qui  vous  font  aimer 
cette  femme-là  ?  Vous  savez  que  La  Barre  et  Florimont  ' 
sont  de  ses  amis;  qu'elle  n'est  point  belle,  que  c'est  un  vrai 
squelette,  et  qu'elle  n'a  pas  le  sens  commun.  —  Je  sais  tout 
cela,  Monsieur,  lui  répondit  Molière;  mais  je  suis  accou- 
tumé à  ses  défauts,  et  il  faudroit  que  je  prisse  trop  sur  moi 
pour  m'accommoder  aux  imperfections  d'une  autre;  je  n'en 
ai  ni  le  temps,  ni  la  patience.  Peut-être  aussi  qu'une  autre 
n'aurait  pas  voulu  de  l'attachement  de  Molière  ;  il  traitoit 
l'engagement  avec  négligence,  et  ses  assiduités  n'étoient 
pas  trop  fatigantes  pour  une  femme.  En  huit  jours  une  pe- 
tite conversation,  c'en  étoit  assez  pour  lui,  sans  qu'il  se  mît 
en  peine  d'être  aimé,  excepté  de  sa  femme,  dont  il  auroit 
acheté  la  tendresse  pour  toute  chose  au  monde-.  »  C'est  à 
peu  près  de  cette  façon  sans  doute  que  la  liaison  de  Molière 
avec  Mlle  de  Brie  était  racontée  par  Baron  à  Griinarest. 
Garder  une  grande  place  dans  son  amitié  à  une  femme  qui 
avait  été  autrefois  plus  qu'une  amie,  est  chose  fort  délicate 
et  qui  prête  aux  interprétations.  D'un  témoignage  cepen- 
dant, oii,  si  l'on  suppose  une  intention  d'apologie,  elle  se- 
rait habilement  dissimulée,  ce  qu'il  nous  semble  juste  de 
retenir,  c'est  que  les  amis  de  Molière  ne  lui  ont  connu  de 
sérieuse  passion  que  pour  sa  femme. 

Avec  Mlle  de  Brie,  nous  avons  nommé  une  autre  ac- 
trice de  Y  Andromède,  beaucoup  plus  intéressante  encore  à 
connaître  dans  l'histoire  de  la  vie  privée  du  poète.  Celle-ci 
est  Mlle  Menou,  destinée,  si  l'on  voit  en  elle  Armande  Béjart, 


avait  entendu   décrier  les  charmes  de  Mlle  de  Brie  et  exagérer 
sa  maigreur  par  quelque   malveillant. 

1.  Nous  ignorons  de  quel  La  Barre  il  est  question.  Il  y  avait 
alors  une  famille  de  musiciens  de  ce  nom.  Florimont  est  sans 
doute  le  comédien  dont  Chalussay  dans  Élom'ire  hypocondre  a  fait 
un  des  personnages  du  Divorce  comique.  Là,  il  a  pour  camarade 
Rosidor,  comédien  du  Marais. 

2.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  aSo-aSa. 

Molière,  x  io 


i/,6  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

à  se  rendre  bien  autrement  maîtresse  du  cœur  de  Molière 
que  la  de  Brie  et  à  devenir  son  véritable  amour.  Le  fait  que 
la  très  jeune  enfant  récita  dans  la  représentation  de  i633 
les  quatre  vers  de  la  néréide  Ephyre,  nous  apprend  bien 
peu  de  chose  sur  elle;  mais  avançons  de  quelques  années, 
et  Chapelle  va  nous  donner  lieu  de  croire  que  nous  en  sa- 
vons plus.  Seul  des  contemporains  il  a  parlé  délie,  et  il  l'a 
fait  délicatement,  au  temps  où,  appelée  encore  de  ce  petit 
nom  de  Menou^  sa  jeunesse  charmait  Molière.  C'est  dans 
une  agréable  lettre  quil  écrivait  à  son  ami  en  réponse  aux 
plaintes  de  celui-ci,  tourmenté  par  les  rivalités  de  ses  trois 
grandes  actrices,  Béjart,  du  Parc  et  de  Brie'.  La  date  est, 
à  n'en  pas  douter,  celle  des  premiers  jours  du  printemps 
de  1659.  L'hiver  de  i658-i659  a  laissé  le  souvenir  d'avoir 
été  d'une  extrême  rigueur,  et  c'est  une  circonstance  mar- 
quée dans  la  lettre.  Elle  ne  saurait,  d'ailleurs,  avoir  été 
écrite  que  depuis  le  retour  de  la  troupe  de  Molière  à  Paris, 
et  avant  que  du  Parc  et  sa  femme  en  fussent  sortis  pour 
passer  dans  celle  du  Marais,  ce  qui  eut  lieu  à  Pâques  lôSg 
(i3  avril).  Citons  ce  curieux  témoignage.  Nous  omettrons 
seulement  quelques  vers,  dont  il  suffira  d'indiquer  le  sens  : 

Lettre  écrite  de  la  campw^ne  a  M.  de  Molière. 

«  Votre  lettre  m'a  touché  très  sensiblement;  et  dans 
l'impossibilité  d'aller  à  Paris  de  cinq  ou  six  jours,  je  vous 
souhaite  de  tout  mon  cœur  en  repos  et  dans  ce  pays.  J'y  con- 
tribuerois  de  tout  mon  possible  à  faire  passer  votre  chagrin, 
et  je  vous  ferois  assurément  connoître  que  vous  avez  en  moi 
une  personne  qui  tâchera  toujours  à  le  dissiper,  ou  pour  le 

I.  Il  est  étrange,  biea  qu'on  le  dise  connu  dans  quelques  pro- 
vinces. Plusieurs  y  voient  une  mauvaise  lecture  :  Menou  pour 
Manon.  Il  faudrait  alors  rectifier  le  nom  et  dans  la  distribution 
de  V Andromède  et  dans  la  lettre  de  Chapelle.  Une  erreur  ainsi 
répétée  serait  singulière  ;  elle  nous  semble  d'ailleurs  indiffé- 
rente. 

3.  La  plus  ancienne  impression  qui  nous  soit  connue  de  cette 
lettre,  souvent  reproduite  depuis,  est  au  tome  V,  déjà  cité,  du 
Rtcueil  de  Barbin.  Voyez  ci-dessus,  p.  Sg. 


SUR  MOLIERE.  147 

moins  à  le  partager.  Ce  qui  fait  que  je  vous  souhaite  encore 
davantage  ici,  c'est  que  dans  cette  douce  révolution  de  l'an- 
née, après  le  plus  terrible  hiver  que  la  France  ait  depuis 
longtemps  senti,  les  beaux  jours  se  goûtent  mieux  que 
jamais,  et  sont  tout  autrement  beaux  à  la  campagne  qu'à  la 
ville,  où,  quand  vous  les  avez,  il  vous  manque  toujours  des 
endroits  pour  en  prendre  tout  le  plaisir.  Je  me  promène 
depuis  le  matin  jusques  au  soir  avec  tant  de  satisfaction  et 
de  contentement  d'esprit  que  je  ne  saurois  croire  m'en  pou- 
voir lasser.  En  vérité,  mon  très  cher  ami,  sans  vous  je  ne 
songerois  guère  à  Paris  de  longtemps,  et  je  ne  me  pourrois 
résoudre  à  la  retraite  que  lorsque  le  soleil  fera  la  sienne. 
Toutes  les  beautés  de  la  campagne  ne  vont  faire  que  croître 
et  embellir,  surtout  celles  du  vert,  qui  nous  donnera  des 
feuilles  au  premier  jour,  et  que  nous  commençons  à  trouver 
à  redire  depuis  que  le  chaud  se  fait  sentir.  Ce  ne  sera  pas 
néanmoins  encore  si  tôt;  et  pour  ce  voyage,  il  faudra  se 
contenter  de  celui  qui  tapisse  la  terre,  et  qui,  pour  vous  le 
dire  un  peu  plus  noblement, 

Jeuue  et  foible  rampe  par  bas 
Dans  le  fond  des  prés,  el  n'a  pas 
Encor  la  vigueur  et  la  force 
De  pénétrer  la  tendre  écorce 
Du  saule  qui  lui  tend  les  bras. 

La  branche  amoureuse  et  fleurie 

Pleurant  pour  ses  naissans  appas, 

Toute  en  sève  et  larmes  l'en  prie, 

Et,  jalouse  de  la  prairie,  /  ' 

Dans  cinq  ou  six  jours  se  promet 

De  l'attirer  à  son  sommet. 

«-  Vous  montrerez  ces  beaux  vers  à  Mlle  Menou  seule- 
ment ;  aussi  bien  sont -ils  la  figure  d'elle  et  de  vous. 

«  Pour  les  autres,  vous  verrez  bien  qu'il  est  à  propos  sur- 
tout que  vos  femmes  ne  les  voient  pas ,  et  par  ce  qu'ils 
contiennent  et  parce  qu'ils  sont,  aussi  bien  que  les  pre- 
miers, tous  des  plus  méchans.  Je  les  ai  faits  pour  répondre 
à  cet  endroit  de  votre  lettre ,  où  vous  me  particularisez 
le  déplaisir  que  vous  donnent  les  partialités  de  vos  trois 


i48  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

grandes  actrices  pour  la  distribution  de  vos  rôles.  Il  faut 
être  à  Paris  pour  en  résoudre  ensemble,  et,  tâchant  de 
faire  réussir  l'application  de  vos  rôles  à  leur  caractère, 
remédier  à  ce  démêlé  qui  vous  donne  tant  de  peine.  En  vé- 
rité, grand  homme,  vous  avez  besoiu  de  toute  votre  tête  en 
conduisant  les  leurs,  et  je  vous  compare  à  Jupiter  pen- 
dant la  guerre  de  Troie.  La  comparaison  n'est  pas  odieuse, 
et  la  fantaisie  me  prit  de  la  suivre  quand  elle  me  vint. 
Qu'il  vous  souvienne  donc  de  l'embarras  oij  ce  maître  des 
dieux  se  trouva  pendant  cette  guerre  sur  les  différents  in- 
térêts de  la  troupe  céleste,  pour  réduire  les  trois  déesses  à 
ses  volontés.  » 

Ici,  dans  des  vers  que,  pour  abréger,  nous  supprimons. 
Chapelle  fait  un  tableau  plaisant,  mais  qui  ne  nous  intéresse 
par  aucune  allusion  particulière,  du  tintouin  que  donnèrent  à 
Jupiter  les  trois  déesses,  Pallas,  Junon  et  Cypris,  et  il  finit 
ainsi  : 

Voilà  l'histoire  :  que  t'en  semble? 
Crois-tu  pas  qu'un  homme  avisé 
Voit  par  là  qu'il  n'est  pas  aisé 
D'accorder  trois  femmes  ensemble? 
Fais-en  donc  ton  profit;  surtout 
Tiens-toi  neutre,  et,  tout  plein  d'Homère, 
Dis-toi  bien  qu'en  vain  l'homme  espère 
Pouvoir  jamais  venir  à  bout 
De  ce  qu'un  grand  Dieu  n'a  su  faire. 

Quand  il  ne  serait  question  dans  cette  lettre  que  du  trio 
de  divinités  jalouses  qui  désespéraient  le  «  grand  homme  » 
(Chapelle,  c'est  fort  à  remarquer,  l'appelait  ainsi  dès  ce 
temps),  elle  aurait  bien  son  prix.  Que  Molière  a  eu  raison 
de  s'écrier  dans  son  Impromptu  de  Versailles  :  «  Ah  !  les 
étranges  animaux  à  conduire,  que  les  comédiens!  »  Encore 
dans  sa  plaisanterie  n'a-t-il  voulu  ni  pu  montrer  toute  la 
plaie.  Dans  la  révélation  plus  sérieuse,  malgré  le  badinage, 
que  nous  fait  Chapelle  des  tracas  d'un  chef  de  troupe,  ce 
que  l'on  remarquera  surtout,  c'est  qu'il  ne  donne  à  supposer 
entre  les  trois  grandes  actrices  aucune  autre  discorde  que 
celle  des  amours-propres,  âpres  à  se  disputer  les  rôles. 
Comme  il  n'est  pas  probable  qu'il  fût  incomplètement  dans 


SUR   MOLIERE.  149 

les  confidences,  il  faudrait  croire  qu'il  n'attachait  pas  grande 
importance  à  quelques  intrigues  galantes,  très  ordinaires 
dans  le  monde  des  comédiens,  et  qui  y  troublaient  moins 
la  paix  que  les  prétentions  inconciliables  des  vanités  d'ar- 
tistes. 11  avait  sans  doute  des  raisons  de  penser  que  Molière 
n'était  guère  inquiet  que  de  ce  dernier  genre  de  difficultés, 
et  que  les  charmes  de  ses  belles  camarades  laissaient  son 
cœur  assez  libre.  Si  ce  cœur  était  plus  sérieusement  tou- 
ché, la  lettre  fait  entendre  que  c'était  pour  Mlle  Menou.  Ces 
vers  où  elle  est  figurée,  grandissant  comme  à  l'ombre  de 
Molière,  ne  laissent  pas,  dans  leur  gentillesse,  d'être  pré- 
cieusement alambiqués,  et  l'allégorie  pourrait  être  plus 
claire.  On  aurait  peine  cependant  à  y  trouver  seulement 
ceci,  que  Menou,  la  petite  herbe,  encore  faible  et  rampante, 
est  toute  jeune  ;  que  Molière,  le  saule  plein  de  sève,  est  d'un 
âge  mûr.  Il  doit  y  avoir  une  autre  signification  dans  cette 
image  de  l'arbre  vigoureux,  qui  tend  les  bras  à  la  naissante 
verdure  de  la  prairie,  espère  l'attirer  bientôt  à  son  sommet, 
et  l'élever  jusqu'à  sa  branche  «  amoureuse  ''. 

De  la  manière  dont  Chapelle  parle  de  Menou,  on  voit 
qu'elle  n'avait  pas  alors  dépassé  l'adolescence.  Six  ans  plus 
tôt,  elle  était  doue  dans  l'enfance,  lorsqu'elle  représenta 
l'Ephyre  à^ Andromède,  bien  moins  actrice,  à  proprement 
parler,  ce  jour-là,  que  produite,  pour  un  moment,  et  comme 
par  simple  amusement,  sur  la  scène  par  nos  comédiens, 
auxquels  visiblement  l'attachait  quelque  lien  de  famille.  On 
a  eu  tort  de  juger  invraisemblable  qu'elle  ait  été  si  jeune, 
lorsqu'elle  figura  dans  la  pièce  de  Corneille.  Une  néréide 
d'une  dizaine  d'années  n'était  certainement  pas  celle  qu'avait 
imaginée  l'auteur;  mais  qu'importait.'  On  était  bien  sûr  que 
les  spectateurs,  se  prêtant  à  la  gracieuse  fantaisie,  s'amuse- 
raient de  la  gentille  mignonne. 

Pour  le  moment,  laissons  Menou  dans  la  prairie,  au  pied 
du  saule  ;  nous  verrons  plus  tard  si  nous  ne  la  retrouvons 
pas  montant  jusqu'à  la  haute  branche  qui  l'appelle. 

A.vec  la  représentation  à! Andromède ,  qui  nous  a  engagé 
dans  des  digressions  de  quelque  utilité,  ce  nous  semble, 
nous  avons  laissé  la  troupe  à  Lyon.  Nous  n'avons  pas  épuisé 
tout  ce  que  nous  avons  de  mémorable  à  dire  d'elle  avant  la 


i5o  NOTICE  BI0GRAPHIQ;UE 

fin  de  l'année  i653.  La  durée  de  son  séjour  à  Lyon  ne  nous 
est  pas  connue.  Lorsqu'elle  quitta  cette  ville,  on  a  pensé 
qu'elle  avait  dû  «  rayonner  dans  les  villes  environnantes  du 
Forez,  de  la  Bourgogne  et  du  Dauphiné*  ».  On  ne  fortifie 
pas  assez  cette  conjecture  en  constatant  que  «  Dijon,  Gre- 
noble, Montbrison...  gardent  encore  le  souvenir  du  pas- 
sage de  Molière  dans  leurs  murs*  5)  ;  il  faudrait  ne  pas  nous 
laisser  dans  l'incertitude  sur  le  temps  auquel  ce  souvenir 
se  rapporte.  Une  indication  plus  positive  est  celle  que  nous 
donne  dans  ses  Mémoires  Duniel  de  Cosnac.  D'après  son  ré- 
cit, Molière  venait  du  Languedoc,  lorsque  lui-même  l'appela 
à  la  Grange-des-Prés,  où  résidait  le  prince  de  Conti.  Il  y 
eut  en  i653  une  session  des  états  à  Pézenas,  ouverte  par 
le  comte  de  Roure  le  17  mars  et  close  le  i*"""  juin.  On  a  cru 
sujette  à  de  grands  doutes,  sans  expliquer  pourquoi,  la  pré- 
sence de  Molière  à  cette  session^.  Peut-être  n'y  trouve-t-on 
de  difficulté  que  pour  n'avoir  rencontré  dans  la  comptabi- 
lité des  états  aucune  trace  des  représentations  de  la  troupe. 
On  peut  du  moins  tenir  pour  certain  que  si  elle  avait  été  à 
Pézenas,  elle  n'y  était  plus  lorsqu'elle  répondit  à  l'invitation 
de  l'abbé  de  Cosnac;  car  au  lieu  de  nommer  le  Languedoc, 
sans  préciser  davantage,  comment  Cosnac  n'aurait-il  pas  dit 
expressément  qu'elle  se  trouvait  déjà  dans  la  ville  aux  portes 
de  laquelle  était  le  château  de  la  Grange  ? 

Ce  fut  vers  les  premiers  jours  de  septembre  i653  que 
Molière  revit  le  prince  qu'il  avait  autrefois  connu,  très  peu 
familièrement  sans  nul  doute,  et  plutôt  à  distance  respec- 
tueuse, au  collège  de  Clermont*.  Depuis  ce  temps,  Conti, 

I,  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Languedoc,  p.  5". 
a.  ibidem. 

3.  M.  de  Modène...  et  Madeleine  Béjart,  p.  agS,  note  i. 

4.  Grimarest,  parlant  des  temps  de  l'Illustre  théâtre,  dit  (p.  19) 
que  le  prince  de  Conti  fit  venir  plusieurs  fois  Molière  dans  son 
Hôtel,  où  il  l'encouragea.  Conti  avait  alors  tout  au  plus  quinze 
ans.  On  a  cependant  soutenu  que  Molière,  dans  ces  années-là, 
avait  bien  pu  jouer  en  visite  à  l'hôtel  de  Condé;  et  dès  lors 
pourquoi  ne  serait-ce  pas  à  la  demande  de  son  condisciple  de 
Clermont?  Grimarest  veut,  au  même  endroit  (p.  19  et  20),  qu'alors 
le  prince  lui  ait  ordonné  de  venir  plus  tard  le  trouver  on   Lan- 


SUR  MOLIÈRE.  i5i 

infidèle  à  la  théologie  et  à  sa  vocation  pour  le  cardinalat, 
avait  passé  par  de  grandes  aventures  où  la  Fronde  l'avait 
jeté  :  commandant  en  chef  des  Parisiens  révoltés,  puis  re- 
tenu pendant  un  an  dans  une  prison,  d'où  il  n'était  pas 
sorti  plus  sage.  Après  avoir  été  rendu  à  hi  liberté  en  fé- 
vrier i65i,  il  n'avait  pas  laissé  l'année  entière  s'écouler 
sans  de  nouveau  s'engager  dans  la  guerre  civile,  dont  le 
prince  de  Condé,  son  frère,  lui  abandonna,  en  1632,  la 
direction  en  Guyenne,  lorsque  lui-même  quitta  cette  pro- 
vince. Dès  le  commencement  de  i653,  Conti,  dégoûté  d'être  à 
Bordeaux  l'esclave  de  la  faction  de  Vormee,  songeait  à  faire 
sa  paix  avec  la  cour;  et  il  ne  tarda  pas  à  se  prêtera  une  négo- 
ciation. L'accord  qui  lui  permettait  de  «  se  retirer  dans  telle 
de  ses  maisons  qu'il  lui  plairait  »  ayant  été  signé  le  24  juillet, 
il  sortit  de  Bordeaux  au  commencement  d'août,  simplement 
amnistié,  mais  non  encore  réconcilié;  et  après  avoir  sé- 
journé quelques  jours  à  Cadillac  avec  sa  petite  cour,  il  s'en 
alla  dans  sa  belle  maison  de  la  Grange.  Il  avait  fait  partir 
avant  lui,  pour  l'attendre  à  Pézenas,  Mme  de  Calvimont, 
sa  maîtresse.  Il  se  décida  bientôt  à  l'appeler  près  de  lui,  ne 
souhaitant  pas  moins  qu'elle  de  ne  plus  avoir  à  prendre  la 
peine  de  l'aller  voir  à  la  ville.  Peu  après  Molière  et  sa  troupe 
arrivèrent.  Quelle  peine  ils  eurent  à  faire  agréer  leur  service 
au  prince.  Cosnac  l'a  raconté.  Nulle  part  ailleurs  que  dans 
cette  page  de  ses  Mémoires  on  ne  trouve  un  renseignement 
aussi  complet  sur  un  épisode  des  pérégrinations  de  Mo- 
lière. Aussi,  quoique  souvent  citée,  nous  croyons  nécessaire 
qu'elle  le  soit  ici.  Nous  ne  faisons  d'ailleurs  que  tenir  la 
promesse  faite  par  Despois  dans  sa  Notice  sur  l'Etourdi^. 

guedoc  pour  y  donner  des  représentations.  Comment  Conti  pou- 
vait-il deviner,  dès  cette  époque,  qu'il  vi-vrait  un  jour  retiré  dans 
cette  province?  Lorsqu'il  y  retrouva  Molière,  on  va  voir  qu'il  ne 
lui  fît  pas  tout  d'abord  l'accueil  auquel  aurait  dû  s'attendre  celui 
à  qui  il  avait  donné  rendez-vous.  Ces  objections  gardent  leur  va- 
leur lorsque,  pour  trouver  un  fond  de  vérité  dans  le  passage  de 
Grimarest,  on  recule,  comme  l'a  fait  M.  Mangold,  les  représenta- 
tions à  l'hôtel  de  Condé  jusqu'en  i65i,  année  où  l'on  constate 
un  séjour  de  Molière  à  Paris. 

I.  Voyez  notre  tome  I,  p.  80,  note  a.  Il  y  est  dit  :  «  On  trou- 


i5a  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

«  Aussitôt  que...  [Mme  de  CalviraontJ  fut  logée  dans  la 
Grange,  elle  proposa  d'envoyer  chercher  des  comédiens. 
Comme  j'avois  l'argent  des  menus  plaisirs  de  ce  prince,  il 
me  donna  ce  soin.  J'appris  que  la  troupe  de  Molière  et  de 
la  Béjart  étoit  en  Languedoc  ;  je  leur  mandai  qu'ils  vinssent 
à  la  Grange.  Pendant  que  cette  troupe  se  disposoit  à  venir 
sur  mes  ordres,  il  en  arriva  une  autre  à  Pézenas,  qui  étoit 
celle  de  Cormier.  L'impatience  naturelle  de  M.  le  prince  de 
Conti  et  les  présents  que  fit  cette  dernière  troupe  à  Mme  de 
Calvimont  engagèrent  à  les  retenir.  Lorsque  je  voulus  re- 
présenter à  M.  le  prince  de  Conti  que  je  m'étois  engagé  à 
Molière  sur  ses  ordres,  il  me  répondit  qu'il  s'étoit,  depuis, 
lui-même  engagé  à  la  troupe  de  Cormier,  et  qu'il  étoit  plus 
juste  que  je  manquasse  à  ma  parole  que  lui  à  la  sienne.  Ce- 
pendant Molière  arriva  et  ayant  demandé  qu'on  lui  payât  au 
moins  les  frais  qu'on  lui  avoit  fait  faire  pour  venir,  je  ne  pus 
jamais  l'obtenir,  quoiqu'il  y  eût  beaucoup  de  justice;  mais 
M.  le  prince  de  Conti  avoit  trouvé  bon  de  s'opiniâtrer  à  cette 
bagatelle.  Ce  mauvais  procédé  me  touchant  de  dépit,  je  ré- 
solus de  les  faire  monter  sur  le  théâtre  u  Pézenas  et  de 
leur  donner  mille  écus  de  mon  argent,  plutôt  que  de  leur 
manquer  de  parole.  Comme  ils  étoient  prêts  de  jouer  à  la 
ville,  M.  le  prince  de  Conti,  un  peu  piqué  d'honneur  par  ma 
manière  d'agir  et  pressé  par  Sarrasin*,  que  j'avois  intéressé 
à  me  servir,  accorda  qu'ils  viendroient  jouer  une  fois  sur  le 
théâtre  de  la  Grange.  Cette  troupe  ne  réussit  pas  dans  sa 
première  représentation  au  gré  de  Mme  de  Calvimont,  ni 
par  conséquent  au  gré  de  M.  le  prince  de  Conti,  quoique, 
au  jugement  de  tout  le  reste  des  auditeurs,  elle  surpassât 
infiniment  la  troupe  de  Cormier,  soit  par  la  bonté  des  acteurs, 
soit  par  la  magnificence  des  habits.  Peu  de  jours  après,  ils 
représentèrent  encore,  et  Sarrasin,  à  force  de  prôner  leurs 
louanges,  fit  avouer  à  M.  le  prince  de  Conti  qu'il  falloit  re- 
tenir la  troupe  de  Molière  à  l'exclusion  de  celle  de  Cormier. 
Il  les  avoit  servis  et  soutenus  dans  le  commencement  à  cause 

vera  tout  au  long  ce  passage  [des  Mémoires  de  Gosnac]  dans  notre 
Notice  biographique. 

I.  Il  était  secrétaire  du  prince. 


SUR   MOLIERE.  i53 

de  moi;  mais  alors,  étant  devenu  amoureux  de  la  du  Parc, 
il  songea  à  se  servir  lui-même.  Il  gagna  Mme  de  Calvimont, 
et  non  seulement  il  lit  congédier  la  troupe  de  Cormier,  mais 
il  fit  donner  pension  à  celle  de  Molière*.  >>  En  reproduisant 
ce  récit,  nous  n'avons  pas  rempli  toute  l'intention  de  Des- 
pois, qui  se  proposait  de  l'accompagner  des  réflexions  de 
Sainte-Beuve-.  Le  sentiment  très  vrai  qui  les  a  inspirées 
les  rend  en  effet  bonnes  à  citer  :  «  Ce  passage...  nous 
touche  par  la  destinée  du  grand  homme  qui  y  est  en  jeu  et 
qui  s'y  agite  si  indifféremment  :  on  se  sent  pénétrer  d'une 
amère  pitié.  Ainsi  une  sotte  et  une  femme  à  cadeaux,  Mme  de 
Calvimont,  entre  à  l'étourdie  dans  une  cabale  contre  Mo- 
lière et  va  le  priver  d'un  utile  protecteur.  Tout  spirituel 
qu'il  est,  le  prince  de  Conti  hésite,  et  il  faut  que  l'abbé  de  Cos- 
nac,  qui  prend  très  peu  de  part  et  d'intérêt  à  ces  plaisirs 
de  la  comédie,  insiste,  par  pur  esprit  de  justice  et  d'exac- 
titude, pour  faire  accorder  à  Molière  et  à  sa  troupe  une 

suite   de   représentations  promises Si  Sarrasin,  au  lieu 

d'être  amoureux  de  la  du  Parc,  l'était  aussi  bien  devenu 
d'une  des  comédiennes  de  la  troupe  de  Cormier,  tout  était 
manqué.  ^ 

Dans  ce  que  dit  Sainte-Beuve  de  Mme  de  Calvimont,  il 
n'y  a  qu'une  juste  sévérité.  Voici  comment  Cosnac  la  jugea, 
la  première  fois  que  le  prince  de  Conti  la  lui  fit  voir  :  ^  Elle 
étoit  fort  parée  et  dit  d'abord  trois  ou  quatre  choses  qui 
me  firent  douter  laquelle  des  deux  étoit  plus  surprenante, 
ou  sa  beauté,  ou  sa  sottise^.  »  Quant  à  la  qualification  de 
«  femme  à  cadeaux  »,  elle  était  bien  méritée  par  une  femme 
qui  en  acceptait  d'un  Cormier. 

Ce  comédien,  chef  de  la  troupe  préférée  d'abord  à  celle 


1.  Mémoires  de  Daniel  de  Cosnac,  publiés  par  la  Société  de  l'His- 
toire de  France,  Paris,  Jules  Renouard,  1802.  Tome  I,  p.  ia6- 
128. 

2.  Voyez  à  la  page  ci-devant  citée  de  sa  Notice  sur  V Etourdi. 
Il  renvoie  là  au  tome  III  des  Causeries  du  lundi,  p.  a4o.  Dans 
la  3'  édition  que  nous  avons  sous  les  yeux,  il  faut  renvoyer  au 
tome  VI,  p.  295. 

3.  Mémoires,  tome  I,  p.  49  et  5o. 


i54  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

de  Molière,  paraît  bien  être  celui  dont  parlent  les  Mazari- 
nadex,  un  opérateur  longtemps  connu  sur  le  Pont-Neuf. 
Une  si  indigne  préférence  était  des  plus  blessantes. 

L'injurieuse  liésitation  du  prince  de  Conti  ne  put  venir 
d'une  erreur  de  son  goût  :  il  était  pour  cela  trop  loin  d'être 
un  sot  comme  sa  maîtresse  ;  il  faut  l'attribuer  à  une  faiblesse 
amoureuse,  qui  est  une  insuffisante  excuse.  Dans  tout  cela, 
on  ne  voit  pas  que  les  études  faites  ensemble  au  collège 
de  Clermont  aient  été  d'aucun  poids.  Il  est  clair  que  Molière 
n'eut  pas  la  simplicité  d'en  invoquer  le  souvenir,  qui  n'au- 
rait été  compté  pour  rien.  Les  seuls  arguments  de  Cosnac, 
dans  sa  négociation,  adroitement  secondée  par  le  spirituel 
Normand  Sarrasin,  furent  une  promesse  à  tenir,  le  talent 
des  acteurs  et  la  richesse  de  leurs  habits.  Du  mérite  de 
Molière,  comme  auteur,  il  ne  paraît  pas  avoir  été  question. 
Ce  serait  plus  difficile  à  comprendre,  si  un  peu  avant,  dans 
cette  même  année  i653,  l'Étourdi  eût  été  représenté  à  Lyon. 
N'en  aurait-on  pas  entendu  parler  à  la  Grange?  Cosnac,  pour 
justifier  ses  instances,  ne  se  serait-il  pas  appuyé  sur  le  bruit 
que  la  pièce  avait  fait?  11  est  surtout  invraisemblable  que 
l'auteur  ne  l'eût  pas  choisie  pour  faire  connaître  au  prince 
combien  de  droits  il  avait  à  sa  protection.  Au  lieu  de  cela, 
lorsque  Cosnac  parle  des  représentations  que  Mme  de  Cal- 
vimont,  dans  l'entêtement  de  ses  préventions,  goûta  peu, 
et  que  le  prince  de  Conti  eut  la  complaisance  pour  elle  de 
ne  pas  d'abord  goûter  davantage,  pas  un  mot  n'est  dit  de 
l'Étourdi.  Voilà  donc  une  nouvelle  occasion  de  croire  que 
Molière  n'avait  pas  encore,  pour  se  recommander,  cette 
charmante  comédie;  et,  malgré  tout,  il  finit  par  se  faire 
assez  apprécier  pour  obtenir  du  prince  une  pension,  en 
outre  le  titre,  donné  à  sa  troupe,  de  comédiens  du  prince 
de  Conti. 

Le  protecteur  ne  demeura  pas  longtemps  à  la  Grange 
en  iG53.  Il  devait  se  rendre  à  Paris  pour  son  mariage  avec 
Anne  Martinozzi,  nièce  de  Mazarin.  Cette  alliance,  sur 
laquelle  il  avait  été  sondé  pour  la  première  fois  durant  son 

I.  Voyez  V Histoire  du  Pont-Neuf,  par  Ed.  Fournier,  tome  I, 
p.  aoj  et  5o8,  a5i  et  262. 


SUR   MOLIÈRE.  i55 

séjour  à  Cadillac,  allait  changer  pour  lui  une  incomplète  et 
précaire  amnistie  en  réconciliation  parfaite  avec  le  ministre. 
On  peut  fixer  approximativement  à  la  mi-novembre  son 
départ  de  Pézenas.  Il  alla  d'abord  à  Montpellier,  dont  le 
gouverneur,  le  comte  d'Aubijoux,  en  grande  familiarité  avec 
lui,  l'avait  prié  de  s'y  arrêter  quelques  jours.  «  Dès  le  mo- 
ment de  son  arrivée,  dit  Cosnac*,  on  ne  songea  qu'à  festins, 
bals,  ballets  et  comédies.  »  Pour  ces  divertissements,  qui 
furent  magnifiques,  il  ne  se  pouvait  faire  que  la  troupe  du 
prince  de  Conti  ne  fût  pas  appelée.  Quels  autres  comédiens 
plus  dignes  d'amuser  l'altesse  que  l'on  recevait?  Nous  sa- 
vons d'ailleurs  en  quelle  estime  Aubijoux  tenait  Molière;  et 
probablement  il  l'avait  revu  à  la  Grange,  où  l'on  dit  qu'il 
était  venu  plusieurs  fois  rendre  ses  devoirs  au  prince.  En 
outre  on  a  la  preuve  que  Molière,  au  commencement  de 
i654,  était  à  Montpellier  :  il  est  parrain  dans  cette  ville 
le  6  janvier,  ayant  pour  commère  Madeleine  de  l'IIermite, 
qui  n'avait  pas  encore  quitté  la  troupe.  Il  est  vrai  qu'à  cette 
date  Conti  n'était  plus  là  ;  mais  il  est  peu  vraisemblable  que 
ses  comédiens  ne  fussent  venus  qu'après  son  départ,  et 
seulement  pour  les  états  dont  il  va  être  parlé.  Nous  croyons 
donc  que  Molière,  qui,  à  la  Grange,  avait  déjà  appris  à  con- 
naître son  nouveau  protecteur,  eut  l'occasion,  à  Montpellier, 
d'achever  cette  connaissance.  Ce  n'était  point  pour  la  lui 
faire  juger  plus  respectable  qu'à  Pézenas.  Aubijoux,  qui  ne 
se  montra  pas  alors  sous  un  plus  beau  jour  que  Conti,  l'en- 
gagea dans  une  nouvelle  galanterie  avec  Mlle  Rochette,  celle 
qui  devint  Mme  de  Calvière.  L'ami  du  prince  se  disait  sans 
doute  qu'il  relevait  la  dignité  de  l'amant  de  Mme  de  Calvi- 
mont  en  lui  faisant  remplacer  une  sotte  maîtresse  par  une 
femme  de  beaucoup  d'esprit.  Que,  malgré  cet  avantage,  ce 
fut  là  une  singulière  préparation  au  prochain  mariage,  ap- 
paremment il  n'en  avait  souci.  La  préparation,  au  témoi- 
gnage de  Cosnac.  fut  bien  plus  scandaleuse  encore.  Sans 
parler  des  débauches  de  bonne  chère  et  de  vin,  il  y  en  eut 
de  pires  auxquelles  le  prince  se  livra  et  qui  devaient  donner 
à  la  jeune  Martinozzi  un  très  dangereux  mari.  On  aurait 

I.  Mémoires,  lome  1,  p.  i33. 


i56  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

pu  demander  à  Conti  une  autre  façon  d'oublier  celle  qu'il 
avait  laissée  à  la  Grange,  et  qu'à  la  veille  de  prendre  femme 
il  fallait  bien  en  éloigner.  Cosnac  fut  chargé  de  signifier  son 
congé  à  Mme  de  Calvimont.  Avec  le  message  de  la  rupture, 
il  emportait  un  billet  de  six  cents  pistoles,  jugé  suffisant 
par  le  prince  pour  consoler  la  dame  ;  mais  Cosnac  prit  sur 
lui  d'aller  jusqu'à  mille  pistoles,  qui  furent  acceptées  sans 
désespoir.  «  C'est  le  seul  présent,  dit-il  S  qu'il  lui  ait  fait, 
excepté  un  diamant  de  deux  mille  écus  qu'il  lui  avoit  donné 
à  Bordeaux  le  second  jour  qu'il  l'avoit  vue.  »  Du  côté  des 
largesses  du  prince,  Sainte-Beuve  aurait  pu  l'appeler  «  femme 
à  petits  cadeaux  ».  L'altesse,  si  sagement  économe  dans  ses 
amours,  ne  devait  pas  être  très  prodigue  pour  ses  comé- 
diens. Nous  ne  saurions  dire  jusqu'à  quel  point  ils  eurent  à 
s'en  apercevoir  et  comment  la  pension  leur  fut  payée.  Mo- 
lière, lorsqu'il  fut  rappelé  pour  le  service  de  Conti,  ne  re- 
gretta sans  doute  point  de  ne  pas  retrouver  la  belle  idole 
sans  cervelle,  qui  avait  failli  lui  faire  céder  la  place  au  char- 
latan Cormier. 

Nous  n'avons  à  suivre  Conti  que  pour  tâcher  de  nous 
rendre  compte  des  mouvements  de  ses  comédiens.  Après 
être  resté  une  vingtaine  de  jours  à  Montpellier,  le  prince 
en  partit  vers  le  commencement  de  décembre  pour  aller 
passer  près  de  trois  semaines  à  Bagnols.  Il  arriva  à  Lyon 
le  dernier  jour  de  i653,  et  le  i6  février  i654  à  Paris,  où  il 
se  maria  le  21  du  même  mois.  Lorsqu'il  avait  quitté  Mont- 
pellier, la  troupe  y  était  sans  doute  ;  on  l'y  rencontre,  nous 
l'avons  dit,  le  6  janvier  1654.  Les  états  du  Languedoc 
étaient  alors  assemblés  dans  cette  ville.  La  session  avait  été 
ouverte  par  le  comte  de  Bieule  le  7  décembre  précédent,  au 
moment  où  Conti  venait  de  s'éloigner,  et  dura  jusqu'au 
3i  mars.  La  présence  de  nos  comédiens  à  la  date  que  l'on  a 
constatée  ne  permet  pas  de  douter  qu'ils  n'y  aient  joué 
pour  Messieurs  des  états.  Un  peu  avant  la  fin  de  la  session, 
on  conjecture  qu'ils  étaient  à  Lyon,  où  le  7  mars  fut  bap- 
tisé un  enfant  des  du  Parc  et,  le  26  du  même  mois,  un  autre 


I.  Mémoires ,  tome  I,  p.  i36. 


SUR   MOLIÈRE.  157 

enfant  qui  eut  pour  marraine  Mlle  du  Parc^  Il  est  possible 
cependant  que  pour  ses  couches  cette  comédienne  se  fût, 
en  compagnie  de  son  mari,  séparée  de  ses  camarades.  En 
ce  cas  même,  il  est  probable  qu'elle  ne  fit  que  les  précé- 
der un  peu  à  Lyon,  et  qu'ils  ne  tardèrent  pas  beaucoup  à 
l'y  rejoindre.  Le  concours  de  Gros-René,  surtout  de  sa 
femme,  n'était  pas  de  ceux  dont  put  facilement  se  priver  la 
troupe,  qui  d'ailleurs  revenait  volontiers  dans  la  ville  pré- 
férée par  elle  à  toute  autre  pour  s'y  fixer  quelque  temps.  Il 
est  difficile  de  ne  pas  croire  l'y  trouver  tout  entière  en 
novembre  i65'f,  lorsqu'à  la  date  du  3  de  ce  mois  les  regis- 
tres de  l'église  Sainte-Croix  donnent  l'acte  d'un  baptême 
dans  lequel  non  seulement  Mlle  du  Parc  fut  marraine,  mais 
un  de  ses  camarades,  Pierre  Réveillon,  fut  parrain*.  Il  y  a 
donc  quelques  raisons  de  penser  que  Molière  passa  une 
bonne  partie  de  l'année  i654  à  Lyon.  Le  mois  de  novembre 
aurait  été  la  fin  de  ce  long  séjour.  Ce  fut  en  effet  très  pro- 
bablement dès  le  mois  suivant  que  la  troupe  revint  à  Mont- 
pellier pour  la  nouvelle  session  des  états.  Elle  devait  s'y 
retrouver  près  de  son  protecteur. 

Après  avoir  épousé  à  Paris  la  nièce  de  Mazarin,  Conti 
avait  été  chargé  du  commandement  de  l'armée  de  Catalogne, 
qu'il  avait  pris  au  mois  de  mai,  et  dans  lequel  il  s'était  fait 
honneur.  Laissons-le  prendre  des  villes  ;  il  n'appartient  de 
nouveau  à  notre  sujet  que  du  jour  où,  son  heureuse  cam- 
pagne finie,  il  revient  de  l'armée  en  novembre  et  reçoit 
la  commission  d'ouvrir  à  Montpellier  la  session  des  états 
dont  nous  venons  de  parler,  et  qui  fut  tenue  du  7  décembre 
i65\  au  14  mars  16 55.  Pour  le  rejoindre,  la  princesse  de 
Conti  partit  de  Paris  le  16  novembre  «  assez  gayment  », 
dit  Loret^.  La  présence  de  sa  jeune  épouse  devait  être  à 
Montpellier  la  plus  belle  des  occasions  de  fêtes,  et  par  con- 
séquent de  comédies,  si  nécessaires  d'ailleurs  aux  états.  Or 
aucune  troupe  n'avait   plus    de    titres  à  être   mandée   que 

1.  Voyez  les  deux  actes  de  baptême,  dans  les  Origines  du 
théâtre  de  Lyon.   Documents  II  et  III,  p.  46  et  47- 

2.  Ibidem.  Document  IV,  p.  47- 

3.  f.a  Muse  historique.  Lettre  du  21  novembre  i654- 


iS«  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

celle  du  prince.  Plus  de  danger  qu'on  lui  fît  céder  la  place 
à  quelque  Cormier.  Galibert  accuse  d'erreur  les  biographes 
de  Molière  qui  croient  à  des  représentations  données  par 
lui  pendant  la  session  de  I655^  La  Notice  de  Despois  sur 
l'Étourdi  reconnaît  qu'elles  sont  fort  possibles,  mais  demande 
sur  quelle  preuve  repose  la  certitude-.  11  ne  nous  semble  pas 
qu'il  y  ait  lieu  de  douter.  Dans  le  Ballet  des  Incompatibles"^, 
avec  plusieurs  acteurs  et  actrices  de  la  troupe  de  La  Pierre*, 
troupe  composée  surtout  de  musiciens  et  de  danseurs,  ont 
figuré  Molière  et  Joseph  Béjart.  Le  livre  de  ce  ballet,  im- 
primé en  i655  à  Montpellier,  nous  apprend,  dans  son  titre, 
qu'il  a  été  dansé  dans  cette  ville  «  en  présence  de  Mgr  le 
prince  et  de  Mme  la  princesse  de  Conti  ».  La  plupart  des 
seigneurs  qui  y  figuraient  à  côté  des  acteurs  de  profession 
siégeaient  aux  états,  remarque  à  peine  nécessaire  pour  nous 
donner  l'assurance  que  ce  divertissement  est  du  temps  de 
la  session.  Ce  fut  sans  doute  un  des  plaisirs  du  carnaval. 
Dans  une  des  Entrées^,  Molière  eut  à  représenter  un  poète: 
Béjart,  un  peintre;  dans  une  autre ^,  Béjart,  un  ivrogne; 
puis,  dans  une  autre  encore'',  Molière,  une  harengère, 
choisie  pour  faire  contraste  avec  l'Eloquence,  que  figurait 
le  baron  de  Ferrais.  On  supposait  là  que  notre  poète  par- 
lait ainsi  : 

Je  fais  d'aussi  beaux  vers  que  ceux  que  je  récite, 

Et  souvent  leur  style  m'excite 
A  donner  à  ma  Muse  un  glorieux  emploi. 
Mon  esprit  de  mes  pas  ne  suit  pas  la  cadence; 
Loin  d'être  incompatible  avec  cette  Éloquence, 
Tout  ce  qui  n'en  a  pas  l'est  toujours  avec  moi. 

I.  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  te  Languedoc,  p.  58, 
à  la  note. 

a.  Voyez  notre  tome  I,  p.  83. 

3.  Il  a  été  donné  dans  notre  tome  I  (à  l'appendice),  p.  525-535. 

4.  Elle  appartenait  au  maréchal  de  Schomberg.  —  Voyez  Mo- 
lière inconnu  d'Auguste  BalufTe,  p.  741  no  ^t  m;  et  M.  de  Mo- 
dène...  et  Madeleine  Béjart,  p.   3oo  et  3i-2. 

5.  Première  partie,  6"  entrée. 

6.  Seconde  partie,  a"  entrée. 

7.  Seconde  partie,  3*  entrée. 


SUR   MOLIERE.  i5g 

Nous  n'apprendrons  à  personne  que  Molière  n'a  pas  eu  à 
prononcer  cet  éloge  de  son  talent,  et  qu'il  ne  l'avait  pas 
lui-même  composé.  Les  personnes  qui  paraissaient  dans  les 
ballets  y  faisaient  un  rôle  muet,  pendant  que  les  vers  à 
leur  louange,  rendus  parfois  plus  piquants  par  un  assaison- 
nement de  traits  malins,  étaient  lus  par  les  spectateurs  dans 
le  livre  qu'on  leur  avait  distribuée  On  a  pensé  que  les  vers 
de  la  Harengère  pourraient  bien  être  de  Joseph  Béjart.  La 
conjecture  ne  serait  pas  plus  hasardée  si  on  les  supposait 
de  Madeleine.  Mais  de  quelque  encensoir  que  ces  vers  louan- 
geurs soient  sortis,  de  celui,  si  l'on  veut,  d'un  camarade, 
d'un  ami,  ils  attestent  que  dès  ce  temps-là  il  y  avait  des 
admirateurs  de  l'éloquence  de  Molière,  que  l'on  connaissait 
de  lui  de  beaux  vers.  Serait-ce  donc  une  preuve  qu'il  ne 
faut  pas  retarder  jusqu'en  i655  la  représentation  de  l'É- 
tourdi? Elle  ne  nous  semblerait  pas  décisive.  Il  n'est  pas  du 
tout  dit  qu'avant  l'Étourdi,  et  sans  parler  même  de  Lucrèce 
traduit,  on  n'eût  pas  connaissance  de  quelques-uns  de  ses 
essais  poétiques.  Une  autre  explication  est  possible.  Dans 
ce  glorieux  emploi,  que  le  style,  devenu  familier  à  sa  mémoire 
de  comédien,  l'avait  excite'  à  donner  à  sa  Muse,  n'y  aurait-il 
pas  une  allusion  à  quelque  compliment  en  vers  adressé  par 
lui  soit  à  la  princesse  de  Conti,  soit  au  prince  revenu  dans 
le  Languedoc  avec  une  moisson  de  lauriers?  Il  y  eut  certai- 
nement à  l'arrivée  des  altesses  plus  d'un  hommage  de  ce 
genre  ;  on  en  trouve  même  un  exemple  dans  le  Récit  de  la 
Nuit,  qui  sert  de  prologue  au  ballet,  et  dont  on  n'a  pas  cru 
invraisemblable  que  Molière  pût  être  l'auteur. 

Ce  serait  au  temps  de  ces  états  de  i655,  à  Montpellier, 
que  semblerait  devoir  être  rapportée,  si  on  la  croyait  digne 
de  foi,  la  proposition  faite  à  Molière  par  le  prince  de  Conti, 
de  l'introduire  dans  sa  maison,  ou,  comme  on  disait  alors, 
dans  sa  domesticité,  en  qualité  de  secrétaire.  Nous  n'avons 
là-dessus  d'autre  témoignage  à  citer  que  celui  de  Grimarest. 
Le  prince  «  ayant  remarqué  en  peu  de  temps,  dit-il,  toutes  les 
bonnes  qualités  de  Molière,  son  estime  pour  lui  alla  si  loin 
qu'il  le  voulut  faire  son  secrétaire.  Mais  il  aimoit  l'indépen- 

I.   Voyez  les  Xotes  his toriques  sur  la  vie  de  Molière,  p,  90  et  91. 


i6o  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

dance,  et  il  étoit  si  rempli  du  désir  de  faire  valoir  le  talent 
qu'il  se  connoissoit,  qu'il  j)ria  M.  le  prince  de  Conti  de  le 
laisser  continuer  la  comédie;  et  la  place   qu'il  auroit  rem- 
plie fut  donnée  à  Monsieur  de  Simonie  n  Comme  il  aime  à 
prêter  des  discours  à  Molière,  il  lui  en  fait  tenir  un  très  sage 
à  ses  amis,  qui  blâmaient  son  refus.  Quelque  circonstancié 
qu'il  soit,  le  récit  n'inspire  pas  une  parfaite  confiance.  Il  offre 
quelques  difficultés.  Le  seul  moment  où  nous  sachions  que 
la  place   de   secrétaire   ait   été  vacante   dans  la  maison  du 
prince  de  Conti  est  le  commencement  de  décembre  i654, 
lorsqu'il  arrivait   à  Montpellier.  Il  eut  alors  la  nouvelle, 
venue  de  Pézenas,  de  la  mort  de  Sarrasin,  son  secrétaire 
des  commandements.  Il  fit  dès  le  soir  même  jouer  la  co- 
médie chez  lui,  pour  se  consoler,  et  le  lendemain  il  des- 
tina la  place  à  Guilleragues,  en  ce  temps-là  retiré  à  Bor- 
deaux*. La  promptitude  du  nouveau  choix  est  également 
attestée  par  Loret,  qui  annonce  la  mort  de  Sarrasin  dans  sa 
lettre  en  vers  du  19  décembre  i65  j,  et  son  remplacement 
par  Guilleragues  dans  la  lettre  suivante,  datée  du  26.  Dans 
tout  cela,  il  n'est  pas  question  de  Molière,  et  le  temps  a 
certainement  manqué  pour  que  le  secrétariat   lui  ait   été 
offert,  pour  qu'il  ait  pu  réfléchir  à  l'offre  et  faire  agréer 
son  refus.  Est-on  absolument  en  droit  cependant  de  traiter 
de   conte  l'anecdote  de  Grimarest?  On  aura   fait  attention 
que  dans  son  récit,  la  place  refusée  par  Molière  fut  donnée 
non  à  Guilleragues,  mais  à  ce  M.  de  Simoni,  qui  ne  nous 
est  pas  connu,  mais  qui  ne  saurait  être  un  personnage  de 
son  invention.  Guilleragues  ne  paraît  pas  être  entré  en  fonc- 
tion. «  S'étant  rais  dans  la  tête,  dit  Cosnac^,  que  la  qualité 
de  secrétaire  n'était  pas  assez  noble  pour  un  Gascon*,  je  lui 
fis  donner  des  provisions  ad  honores  avec  quelques  fonc- 
tions sur  les  domestiques.  «  Il  ne  serait  donc  pas  impos- 


I.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  a3  et  24-  —  Dans  le  Parnasse  fran- 
çois  (i^Sa),  p.  3io,  au  lieu  de  Simoni,  on  lit  Simon. 

1.   Mémoires  de  Daniel  de  Cosnac,  tome  I,  p.   190  et  191. 

3.  Ibidem,  p.  aoa. 

4.  C'est  assurément  ainsi  qu'il  faut  lire.  Dans  les  Mémoires  on 
lit  :   «  pour  un  garçon  » . 


SUR   MOLIERE.  iGi 

sible  que  seulement  .iprès  l'arrivée  de  Guilleragues,  invité 
à  venir  de  Bordeaux  à  Montpellier*.  Conti,  n'ayant  trouvé 
en  lui  qu'un  secrétaire  honoraire,  eût  pensé  à  Molière  et, 
sur  son  refus,  à  M.  de  Simoni.  Le  silence  ici  de  Cosnac 
sur  Molière,  qu'il  estimait  beaucoup,  resterait  étonnant. 
Une  autre  supposition  serait  qu'il  se  fût  agi  d'une  place 
dans  la  domesticité  du  prince,  différente  de  celle  qu'avait 
eue  Sarrasin,  d'une  espèce  de  secrétariat  inférieur  à  celui 
des  commandements.  A  l'entendre  ainsi,  on  ne  saurait  plus 
à  quelle  époque  l'offre  fut  faite.  Quoi  qu'il  en  soit,  Molière 
avait  trop  de  constance  dans  sa  vocation,  trop  pleine  con- 
science d'un  grand  avenir,  pour  accepter  un  marché  de 
dupe,  qui  en  eût  été  la  ruine.  Et  puis  comment  se  mettre 
en  esclavage  chez  un  prince  tellement  fantasque  et  capri- 
cieux qu'il  n'y  aurait  même  pas  eu  à  compter  sur  la  durée  de 
sa  faveur? 

Après  la  clôture  des  états,  sinon  avant,  Molière  et  ses 
camarades,  libres  de  quitter  Montpellier,  allèrent  de  nou- 
veau à  Lyon.  Leur  présence  y  est  attestée  à  la  date  du 
29  avril  par  l'acte  de  mariage  de  FouUe  Martin  et  d'Anne 
Reynis,  tous  deux  de  la  troupe  du  prince  de  Conti,  et  dont 
les  témoins  furent  Pierre  Réveillon,  Charles  du  Fresne, 
René  Berthelot,  J.-B.  Poquelin  «  de  la  même  troupe  »,  et 
aussi  Joseph  Béjart^. 

Quelques  mois  plus  tard  nous  verrons  que  Molière  était 
encore  à  Lyon.  Il  put  donc  avoir  tout  le  temps  d'y  préparer 
et  d'y  donner  la  célèbre  représentation  que  nous  croyons 
de  cette  année-là.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  plusieurs 
raisons,  déjà  soumises  à  l'appréciation  du  lecteur,  de  la  pla- 
cer en  i635  plutôt  qu'en  i6j3. 

Si  ce  fut  bien  en  iG55  que  Lyon  vit  naître  l'Étourdi,  on 
ne  saurait  songer  aux  {"jremiers  temps  de  l'arrivée  de  la 
troupe.  Il  eût  fallu  pour  cela  que  la  pièce  fût  non  seulement 
achevée,  mais    prête  à  jouer,  avant  que  l'on  quittât  Mont- 

I.  Nous  savons  qu'il  y  ëlail  lorsque  fut  donné  le  ballet  des  In- 
compatibles. 

1.  Le  fac-similé  de  cet  acte  a  été  donné  dans  les  Origines  du 
thédlre  de  Lyon,  Docu.me>t  V,  p.  48. 

Molière,  x  iï 


lirz  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

pellier;  et  alors  c'était  là,  devant  le  protecteur,  que  le  de- 
voir aurait  été  de  la  représenter. 

Comme,  la  première  fois  que  nous  l'avons  nommée,  nous 
penchions  à  en  reculer  la  date  jusqu'à  ce  moment-ci,  nous 
avons  attendu  d'y  être  arrivé  pour  dire  en  quelques  mots 
quel  événement  littéraire  ce  fut,  même  à  supposer  qu'il 
n'ait  pas  été  alors  estimé  à  tout  son  prix,  ce  que  l'on  nous 
a  laissé  ignorer. 

On  peut  le  dire,  sans  craindre  d'exagérer,  l'Étourdi,  par 
quelques-unes  de  ses  beautés,  promettait  à  la  France  lo 
poète  comique  excellent  que  lui  ont  donné  les  pièces  sui- 
vantes de  Molière.  Il  est  vrai  que  la  peinture  des  mœurs  et 
des  caractères,  cette  grande  gloire  de  son  génie,  n'était  pas 
encore  ce  qu'il  s'était  proposé  dans  son  premier  ouvrage. 
D'après  les  modèles  italiens,  il  avait  fait  une  comédie  d'in- 
trigue, où,  comme  eux,  il  cherchait  surtout  un  prétexte  à 
des  situations  plaisantes,  et  montrait  des  masques  de  théâtre 
plutôt  que  des  hommes.  Mais  son  originalité  éclate  déjà 
dans  le  mouvement  animé  des  scènes,  dans  l'inépuisable 
verve  de  gaieté,  surtout  dans  un  style  dont  la  couleur  et  le 
relief  sont  admirables.  On  ne  comprend  pas  que  Voltaire  ait 
reproché  à  ce  style  la  faiblesse,  et  y  ait  vu  «  beaucoup  de 
fautes  de  français  ».  Tout  contraire  était  le  sentiment  de 
Victor  Hugo,  si  bon  juge  de  la  langue  des  vers  ;  on  regrette 
seulement  qu'il  soit  allé  trop  loin,  le  jour  oîi  on  l'a  entendu 
déclarer  cette  première  comédie  la  mieux  écrite  de  toutes 
celles  de  son  auteur*.  Il  faut  bien  du  moins,  pour  l'avoir  à 
ce  point  charmé,  que  l'œuvre  soit  éblouissante. 

La  Harpe,  contre  sa  coutume,  n'a  pas  juré  cette  fois  sur 
la  parole  de  Voltaire.  Quelque  froides  que  soient  ses  louanges, 
il  reconnaît  pourtant  que,  dans  l'Etourdi,  Molière  a  sur  ses 
contemporains  un  grand  avantage  par  «  un  dialogue  plus 
naturel  et  plus  raisonnable  et  un  style  de  meilleur  goût  «  ; 
et  il  constate  que  «  ce  mérite  et  la  gaieté  du  rôle  de  Masca- 
l'ille  ont  soutenu  cette  pièce  au  théâtre'  ».  Elle  s'y  soutient 
pour  le  moins  autant  de  nos  jours,  et  le  rôle  de  Masca- 

1.  Voyez  notie  tome  1,  p.   loi,  à  la  noie. 

2.  Cours  de  littérature,  livre  I,  chapitre  vi,  section  ii. 


SUR    MOLIERE.  i63 

rille,  si  pétillant  d'esprit,  n'a  pas  cessé  d'y  avoir  le  même 
succès. 

Parmi  les  personnages  que  les  acteurs  italiens  représen- 
taient, ils  avaient  coutume  d'en  adopter  un  comme  favori  et 
d'en  prendre  le  nom.  C'est  ainsi  que  Molière  paraît  avoir 
dans  les  premiers  temps  adopté  Mascarillc .  et  l'on  put 
croire  un  moment  que  ce  nom  lui  resterait.  Pour  n'avoir 
pas  de  peine  à  s'en  débarbouiller,  nous  le  trouverons  bien- 
tôt assez  grand. 

M.  Nisard  a  parfaitement  parlé  du  vers  ferme,  facile,  naïf, 
de  Molière  dans  ses  premières  comédies,  et  a  fait  remarquer 
comme  elles  sont  écrites  dans  le  génie  de  notre  langue; 
mais  il  a  été  pour  elles  au  delà  de  l'admiration  de  leur 
style  *  ;  Après  avoir  dit  que  tout  en  étant  dans  le  même 
genre  que  le  Menteur  de  Corneille,  elles  «  sont  plus  près 
de  la  comédie  de  caractère,  »  il  ajoute  :  «  L'aimable  créa- 
tion de  V Étourdi,  par  exemple,  bien  qu'elle  ne  soit  pas  de 
force  à  porter  tout  le  développement  d'une  comédie,  est 
plus  vraie  que  celle  du  Menteur.  »  Il  la  nomme  parmi  les 
premiers  ouvrages  qui,  son  auteur  en  fùt-il  resté  là,  auraient 
suffi  pour  qu'il  fût  un  des  plus  grands  noms  de  notre  scène. 
«  Il  y  a,  dit-il,  un  écrivain  de  génie  dans  l' Étourdi,  le  Dépit 
amoureux,  les  Pre'cieuses  ridiculey,  Sganarelle ;  il  v  a  une 
comédie  parfaite  en  son  genre.  »  L'excellent  critique  nous 
mène  un  peu  plus  loin  que  V Étourdi,  mais  il  ne  l'excepte 
pas,  le  jugeant  digne  de  ce  qui  va  suivre  dans  la  première 
manière,  à  peu  près  la  même  du  moins,  quoique  progres- 
sivement modifiée.  Personne  ne  lui  contestera  que  l'œuvr-e 
de  début  n'ait  fait  entrer  notre  poète  dans  la  carrière  avec 
la  supériorité  évidente  de  ses  forces. 

Du  séjour  assez  long  que  Molière  fit  à  Lyon  en  iG55, 
nous  avons  un  témoin  :  il  n'est  autre  que  ce  Dassoucy  que 
nous  avons  vu  en  i6!)i  faisant  la  rencontre  de  la  troupe  à 
Carcassonne,  Dans  sgs  Aventures^,  où  il  a  négligé  de  men- 

1.  Histoire  de  la  littérature  française  (ii"  édition,  i883|,  tome  III, 
p.  87  et  89. 

2.  Les  Aiantiires  de  Monsieur  d^Jssoucr,  Paris,  chez  Cl.  Audinet, 
1677,  2  vol.  in-i3.  —  Nos  cilatious  sont  tirées  de  cette  édition. 


i64  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

tionner  ses  précédents  voyages  dans  le  Midi ,  le  plaisant 
conteur  nous  a  laissé  des  détails  sur  l'heureuse  occasion 
qu'il  eut  de  prendre  du  bon  temps  avec  les  comédiens  du 
prince  de  Conti.  A  quelle  époque?  Il  n'a  pas  tourmenté  sa 
mémoire  pour  y  retrouver  l'année.  «  Je  ne  sais,  dit-il,  si  ce 
fut  l'an  mil  six  cent  cinquante-quatre  ou  cinquante-cinq  que 
le  grand  désir  que  j'avois  de  retourner  à  Turin,  auprès  de 

leurs  Altesses  Royales,  me   fit  sortir  de  Paris^ »  Nous 

pouvons  venir  au  secours  de  ses  souvenirs,  et  mieux  que  lui 
nous  savons  que  ce  fut  en  i65j  :  car,  après  qu'il  eut  tra- 
versé la  France,  pour  se  i^endre  en  Italie,  toujours  avec  ses 
trop  fameux  pages  de  musique,  la  fin  de  cette  même  année 
le  vit  suivre  Molière  aux  états  de  Pézenas,  dont  nous  aurons 
tout  à  l'heure  à  dire  la  date.  S'étant  sans  doute  mis  en  route 
au  printemps,  son  récit  nous  le  montre  voyageant  avec  une 
extrême  lenteur,  et  ce  fut  seulement  au  commencement  de 
juillet  qu'il  dut  atteindre  Lyon.  Il  nous  dit  en  effet  que 
a  parmi  les  jeux,  la  comédie  et  les  festins  »,  il  y  demeura 
trois  mois*,  au  bout  desquels  il  s'embarqua  sur  le  Rhône  en 
compagnie  de  Molière,  pour  aller  à  Avignon  :  tout  nous 
paraît  indiquer  que  ce  dernier  voyage  se  fit  vers  le  mois 
d'octobre.  Puisqu'il  avait  alors  passé  trois  mois  à  Lyon, 
Molière  qui,  depuis  le  29  avril,  et  sans  doute  un  peu  plus 
tôt,  y  était  déjà,  y  fit  un  séjour  d'au  moins  six  mois. 

Dassoucy  trouva  «  très  honnête  »  le  peuple  lyonnais,  le 
beau  monde  de  la  ville  très  accueillant  et  caressant  pour  ce 
qu'il  appelait  ses  deux  Muses,  celle  du  poète  et  celle  du 
musicien.  «  Mais  ce  qui  m'y  charma  le  plus,  dit-il  ^,  ce  fut  la 
rencontre  de  Molière  et  de  Messieurs  les  Béjares.  Comme 
la  comédie  a  des  charmes,  je  ne  pus  sitôt  quitter  ces  char- 
mants amis.  »  Pour  un  homme  beaucoup  plus  éloigné  d'être 
un  sot  qu'un  fou,  c'était  bien  le  moment  de  nous  parler  de 
la  nouvelle  comédie  de  Molière,  qui  nous  semblerait  avoir 
dû  être  à  Lyon  le  grand  événement  de  cette  année.  Il  n'en 
dit  pas  le  traître  mot.  De  sa  bizarre  omission  l'on  a  tiré 

I.   Les  Avantures,  tome  I,  chapitre  i,  p.  1  et  3. 
5.  Ibidem^  chapitre  ix,  p.  296  et  297. 
3.  Ibidem,  p.  296. 


SUR   MOLIERE.  i65 

un  argument  contre  la  représentation  de  l'Etourdi  en  iG55. 
Mais  quand  on  la  daterait  de  i653,  comment  la  pièce  n'aurait- 
elle  pas  été  reprise  pendant  le  long  séjour  de  i6îïj?  La 
difficulté  resterait  donc  à  peu  près  la  même.  Nous  penchons 
à  croire  que  si  l'on  faisait  déjà  grand  cas  de  l'esprit  de  Mo- 
lière, la  première  révélation  de  son  rare  génie  ne  frappa 
point  autant  qu'elle  aurait  dû.  Au  reste,  il  ne  faut  peut-être 
pas  s'étonner  plus  que  de  raison  qu'un  homme  du  caractère 
de  Dassoucy,  si  amusé  qu'il  ait  pu  être  par  les  drôleries  de 
Mascarille,  se  soit  attaché  de  préférence  au  souvenir  de  l'ex- 
cellente cuisine  et  des  bons  vins  de  la  troupe.  D'autres  dis- 
tractions encore,  aussi  peu  littéraires,  furent  ses  grandes 
affaires  à  Lyon  :  sa  musique  à  faire  entendre,  le  jeu,  dont 
il  avait  la  fureur  là  comme  partout,  les  querelles  de  ses  mi- 
sérables pages.  Quant  aux  chefs-d'œuvre  poétiques,  le  seul 
dont  il  ait  alors  aimé  à  constater  le  succès,  fut  son  Ovide  en 
belle  humeur,  dont  il  prétend  avoir  trouvé  des  copies  dans 
tous  les  couvents  des  «  Religieuses  chantantes  ».  Quelque 
maudit  témoin  qu'il  soit,  il  faut  bien,  puisqu'il  s'est  atta- 
ché aux  pas  de  Molière,  que  nous  le  suivions  pour  guide  au 
delà  de  Lyon. 

En  quittant  cette  ville,  la  troupe  se  rendit  à  Avignon. 
Alors  Dassoucy,  nous  l'avons  dit,  s'embarqua  sur  le  Rhône 
avec  elle,  saisissant  l'occasion  de  voyager  aux  frais  d'une  si 
obligeante  société.  Cela  venait  fort  à  propos,  les  cartes 
ayant,  comme  d'ordinaire,  allégé  sa  bourse.  Dans  Avignon 
il  ne  manqua  pas  de  se  faire  encore  dépouiller  de  quelques 
pistoles.  Il  fut  tiré  de  peine  par  les  comédiens ,  ce  qui  prouve 
et  leur  charité  et  l'état  florissant  de  leur  caisse,  «  Comme  un 
homme,  dit-il,  n'est  jamais  pauvre  tant  qu'il  a  des  amis, 
ayant  Molière  pour  estimateur  et  toute  la  maison  des  Réjards 
pour  amie,  en  dépit  du  diable...,  je  me  vis  plus  riche  et 
plus  content  que  jamais^.  » 

Molière  était-il  vraiment  si  estimateur  de  Dassoucy  ?  Fai- 
sons la  part  de  la  vanterie.  Nous  ne  serions  cependant  pas 
étonné  qu'il  n'ait  jamais  été  aussi  sévère  que  Boileau  pour 
l'empereur  du  burlesque,  cet  original  dont  l'esprit  jetait  bien 

I.   Les  jivantures,  tome  I,  chapitre  ix,  p.  3i4  et  3i5. 


i6G  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

des  étincelles  comiques.  Le  législateur  du  Parnasse,  dans  la 
rigidité  de  son  goût,  a  fait  à  un  genre  trivial  dont  l'extrême 
vogue  le  révoltait,  une  guerre  très  utile  à  son  heure;  et 
si,  dans  le  célèbre  passage  de  son  Art  poétique,  où  il  a 
flagellé  «  le  burlesque  effronté  »,  il  a,  pour  cause,  effacé  le 
nom  de  Scarron,  il  n'a  pas  eu  les  mêmes  raisons  d'épargner 
Dassoucy,  qui,  depuis,  est  resté  marqué  du  vers  si  mépri- 
sant : 

Et,  jusqu'à  Dassoucy,  tout  trouva  des  lecteurs*. 

Faut-il,  comme  on  n'a  cessé  de  le  faire,  passer  condamna- 
tion sans  quelque  réserve?  Dassoucy  avait  une  verve  très 
plaisante,  quelque  mauvais  usage  qu'il  en  ait  fait.  Ceux  qui 
ont  lu  ses  Aventures  savent  qu'il  y  conte  très  joliment,  qu'il 
y  sème  de  fort  bons  traits.  Molière  probablement  ne  dé- 
daignait pas  tout  dans  les  bouffonneries,  parfois  singu- 
lièrement salées,  de  ses  entretiens,  et,  quand  il  l'héber- 
geait et  lui  ouvrait  sa  bourse,  il  était  d'avis  que  le  spirituel 
parasite  l'avait  bien  gagné.  Il  est  à  croire  que,  de  vieille 
date,  il  le  connaissait  plus  ou  moins.  En  effet,  Dassoucy 
nous  apprend  que  Chapelle  avait  recherché  sa  société, 
n'étant  encore  qu'un  écolier*,  probablement  chez  Gassendi. 
Lié  dès  lors  avec  Chapelle,  il  dut  plus  d'une  fois  rencon- 
trer Molière  dans  le  même  temps. 

On  reprochait  malheureusement  à  Dassoucy  une  autre 
bassesse  que  celle  du  burlesque.  Les  accusations  flétrissantes 
portées  contre  lui  ne  sont  que  trop  connues,  ne  serait-ce  que 
par  le  voyage  de  Chapelle.  Dassoucy,  qui  a  toujours  eu  la 
réplique  même  contre  Boileau,  a  répondu  à  Chapelle  de 
façon  à  montrer  que  dans  un  duel  d'esprit  il  ne  se  laissait 
pas  facilement  vaincre,  mais  non  qu'il  lui  était  aussi  aisé  de 
se  justifier.  Avant  même  l'éclat  de  Montpellier,  postérieur, 
mais  de  peu  de  temps,  à  la  rencontre  avec  Molière  en  i655, 
nous  ne  pensons  pas  qu'il  fût  à  l'abri  des  mauvais  soupçons. 

1.  Chant  I,  vers  90.  Longtemj>s  après,  dans  l'édition  de]  1713, 
Boileau,  ne  jugeant  pas  le  trait  assez  acéré,  l'a  appuyé  de  cette 
note  :  «  Pitoyable  auteur  qui  a  composé  VOvide  en  belle  humeur.  » 

2.  Les  Avantures,  tome  II,  p.  2G1  et  263. 


SUR  MOLIERE.  ,67 

On  a  donc  regretté  que  Molière  ait  en  province  souffert  sa 
compagnie,  lui  ait  même  fait  si  bon  accueil.  Il  ne  faut  pas  se 
dissimuler  que  dans  la  vie  de  comédien,  surtout  de  comédien 
ambulant ,  il  était  difficile  d'être  délicat  sur  les  hantises  et 
accointances.  Plus  tard,  Molière  s'est  beaucoup  refroidi 
pour  Dassoucy,  peut-être  parce  qu'il  avait  appris  à  le  mieux 
connaître.  Dassoucy  lui  a  reproché  son  inconstance,  qu'il  a 
attribuée  à  l'égoïste  orgueil  d'un  homme  enflé  par  ses  suc- 
cès et  devenu  opulent  : 

J'ai  toujours  été  serviteur 
De  l'incomparable  Molière 
Et  son  plus  grand  admirateur. 


Pour  moi,  je  l'aime  et  le  révère, 

Oui  sans  doute  et  de  tout  mon  cœur. 

Il  est  vrai  qu'il  ne  m'aime  guère. 

Que  voulez- vous?  c'est  un  malheur  : 

L'abondance  fuit  la  misère, 

Et  le  petit  et  pauvre  hère 

Ne  quadre  point  à  gros  seigneur*. 

Ce  que  l'on  sait  du  caractère  de  Molière  dément  l'explica- 
tion, que,  probablement  sans  y  croire  lui-même,  Dassoucy 
donne  du  manque  d'amitié  dont  il  se  plaint.  Il  ne  désespéra 
jamais  de  retrouver  prête  à  des  complaisances  pour  lui  une 
bonté  dont  il  n'avait  pu  perdre  la  mémoire,  et  sur  laquelle 
il  comptait  encore  lorsqu'il  sollicita  de  ce  «  gros  seigneur  « 
l'honneur  d'écrire  la  musique  d'une  de  ses  dernières  pièces*. 


1.  Rîmes  redoublées,  p.  118  et  119.  —  Nous  citons  ces  vers 
d'après  une  édition  de  Cl.  Nego  (sans  date).  Ils  ne  sont  pas  dans 
tous  les  exemplaires.  Nous  les  avons  trouvés  dans  un  de  ceux 
que  possède  la  Bibliothèque  nationale.  Les  Rimes  redoublées  y  ont 
été  reliées  dans  le  même  volume  que  les  Pensées  de  Monsieur  Das- 
soucy (1676)  et  à  la  suite  de  ces  Pensées. 

2.  Il  ne  la  nomme  pas.  On  pense  naturellement  aux  intermèdes 
du  Malade  imaginaire  ou  de  la  Comtesse  d'Escarbagnas,  lorsqu'on 
eu  prépara  la  représentation  pour  le  Palais-Royal.  Mais  la  lettre 
de  Dassoucy  parle  des  beaux  vers  de  la  pièce  qu'il  dit  être  «  une 
pièce  de  machines  »,  Peut-être,  depuis  que  Molière  avait  perdu 


i68  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Ayant  appris,  après  avoir  reçu  la  promesse,  dit-il,  d'en 
être  chargé,  qu'il  était  question  de  s'adresser  à  un  autre, 
é\idemment  à  Charpentier,  il  écrivit  à  Molière  ne  pouvoir 
croire  à  un  manque  de  parole  qui  ferait  «  éclater  à  la  vue 
de  tout  le  monde  une  aversion  »  très  injuste  chez  un  homme 
qui  n'avait  point  «  de  plus  grand  estimateur  ni  de  meilleur 
ami  que  lui*  ». 

Après  avoir  transcrit  cette  lettre,  il  la  fait  suivre  d'une 
note  qui  exprime  la  confiance  que  Molière  a  fait  tout  ce  qu'il 
a  pu  pour  tenir  sa  promesse  et  attribue  tout  le  mal  à  des 
comédiennes  qu'il  n'avait  pas  voulu  encenser.  Pas  plus  que 
l'antique  musicien  Orphée,  l'homme  aux  pages  n'avait  déci- 
dément les  femmes  pour  lui.  L'impression  lui  resta  qu'il 
n'avait  pas  eu  l'amitié  de  Molière.  Car,  après  sa  mort,  écri- 
vant à  sa  louange  l'Ombre  de  Molière  et  son  e'pitaphe,  il  ter- 
mine son  opuscule*  par  des  compliments  qu'il  feint  lui  être 
adressés  sur  son  généreux  oubli  de  l'ingratitude,  et  qui 
commencent  ainsi  : 

A  Monsieur  cï Assoucy. 

Sur  l'ombre  du  deffunt  Molière 
Que  d'Assoucy  toujours  aima. 
Et  que  l'aimé  fort  estima, 
3Iais  que  pourtant  il  n'aima  guère. 

Nous  croyons  bien  que  Molière  avait  fini  par  ne  pas  faire 
grand  cas  d'un  homme  si  décrié.  Comme  musicien  il  ne  le 
dédaignait  sans  doute  pas,  et  ne  devait  pas  croire  sans  valeur 
celui  à  qui  Corneille  avait  confié  la  musique  de  son  Andro- 
mède, et  dont  il  avait  loué  les  airs,  qu'Apollon  «  ne  peut  ouïr 
sans  envie ^  » .  Ce  qui  est  un  peu  plus  compromettant  pour  Cor- 
neille, dans  ce  même  temps  où  il  employait  et  célébrait  son 
talent  de  musicien,  il  lui  adressait  un  sonnet,  dans  lequel  il 
le  louait  d'avoir  paré  d'attraits  nouveaux  le  poète  des  Méta- 

Lulli  (c'est  l'expression  de  Dassoucy),  savait-on  qu'il  avait  des- 
sein de  faire  composer  une  musique  nouvelle  pour  Psyché. 

1.  Cette  lettre  est  aux  pages  iai-i25  des  Rimes  redoublées. 

2.  Publié  en  1673. 

3.  OEuvres  complètes  de  P .  Corneille,  tome  X,  p.  iSî. 


SUR   MOLIERE.  169 

murphoses^.  Si  Boileau  a  lu  ce  sonnet  clans  l'impression  de 
iG5o  de  VOvide  en  belle  humeur,  il  aura  certainement  frémi. 
Il  n'était  pas  à  l'abri  de  ces  contrariétés  avec  nos  grands 
poètes;  il  savait  que  Racine  s'amusait  quelquefois  à  la  lec- 
ture du  Virgile  travesti  de  Scarron  ;  mais  il  fallait  se  cacher 
du  sévère  ami  ^.  Molière  ne  pouvait  compter  sur  plus  d'appro- 
bation de  ce  côté  lorsqu'il  gardait  quelque  ménagement  avec 
Dassoucy  ;  et  Boileau  dut  être,  on  peut  le  soupçonner,  de  ceux 
qui  ne  l'encouragèrent  pas  à  choisir  pour  son  musicien  l'au- 
teur burlesque  qui  lui  inspirait  une  particulière  antipathie. 
Tandis  que  Dassoucy  nous  a  fait  nous  attarder  à  cette 
digression,  afin  de  nous  expliquer  sur  ses  relations  avec 
Molière,  nous  avons  laissé  celui-ci  dans  Avignon.  Le  récit 
du  témoin  de  son  voyage  fait  supposer  que  notre  troupe 
demeura  quelque  temps  dans  cette  ville,  et  par  conséquent 
y  donna  des  représentations.  Là,  elle  reçut  l'ordre  de  se 
rendre  aux  états,  convoqués  par  le  prince  de  Conti  pour  la 
session  qui  s'ouvrit  le  4  novembre  16  jj  à  Pézenas.  Le  prince 
et  la  princesse  logeaient  dans  l'hôtel  d'Alfonce,  grand  prévôt 
de  Guienne.  Les  appartements  y  étaient  assez  vastes  pour  que 
l'on  y  jouât  la  comédie.  Un  des  procès-verbaux  des  archives  de 
Pézenas,  daté  du  ',  novembre,  nous  en  fournit  la  preuve  dans 
une  note  assez  piquante,  qui  nous  montre  les  députés  forcés 
par  l'hospitalité  donnée  à  la  comédie  de  faire  le  pied  de 
grue  dans  le  vestibule  :  «  Les  évêques  de  Béziers,  d'Uzès  et 
de  Saint-Pons,  en  rochet  et  camail;  les  barons  de  Castries, 
de  Villeneuve  et  de  Lanta,  députés  par  les  états  pour  com- 
plimenter S.  A.  R.  le  prince  de  Conti,  se  rendirent  en  l'hôtel 
de  M.  d'xVlfonce,  où  logeoit  ledit  seigneur.  Le  prince  de 
Conti  les  reçut  à  la  porte  du  vestibule  qui  regarde  la  cour, 
et,  après  les  avoir  fait  entrer,  leur  dit  qu'il  étoit  forcé  de 
les  recevoir  en  cet  endroit,  parce  que  sa  chambre  étoit  en 
un  extrême  désordre  à  cause  de  la  comédie;  sur  ce,  les  com- 
pliments furent  faits^.  m  Ce  sont  probablement  Messieurs 

I.   Œuvres  complètes  de  P.  Corneille,  tome  X,  p.  11,^. 
:>..   Voyez  au  tome  I  des  OEuvres  de  Racine,  p.  338. 
3.  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Languedoc ,  p.  69 
et  60.  —  Cette  pièce  a  été  publiée  plus  complète,   en  1887,  par 


170  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

(les  états  qui  ont  fait  enregistrer,  dans  toutes  ses  circon- 
stances, cette  réception  cavalière,  peu  propre  à  les  rendre 
bienveillants  pour  les  comédiens,  si  en  faveur  à  l'hôtel  d'Al- 
fonce.  On  n'avait  cependant  que  patience  à  prendre.  Il  paraît 
bien  que  le  temps  de  cette  session  de  Pézenas  fut  celui  où 
lèvent  se  mit  à  tourner  contre  le  théâtre.  L'austère  évêque 
d'Aleth,  Nicolas  Pavillon,  venu  aux  états,  rendit  visite  au 
prince,  qu'il  trouva  malade  et  dans  une  favorable  disposi- 
tion pour  écouter  de  pieuses  exhortations  à  se  repentir  de 
ses  égarements*.  A  ce  moment,  où  l'alarme  fut  jetée  dans  la 
conscience  du  pécheur,  il  y  eut  certainement  de  sévères 
paroles  sur  les  dangers  d'un  goût  si  vif  pour  la  comédie.  Le 
temps  d'une  rupture  éclatante  avec  ce  profane  divertissement 
n'était  cependant  pas  encore  venu.  Mais  il  est  vraisemblable 
que  Molière  trouva  dès  lors  du  refroidissement.  Aussi 
n'est-ce  pas  à  ce  moment  que  nous  croirions  le  voir  à  l'apo- 
gée de  sa  faveur  auprès  de  Conti.  Il  y  avait  été  plutôt  pen- 
dant la  session  précédente,  celle  de  Montpellier;  et  c'est 
du  commencement  de  i655  que  nous  daterions  ces  jours 
de  grande  familiarité  du  prince  avec  le  comédien,  dont  le  sou- 
venir a  été  recueilli  dans  un  livre  écrit  avec  une  tout  autre 
intention  que  celle  de  glorifier  le  théâtre. 

Ce  livre  est  la  Défense  du  traite'  de  Monseigneur  le  prince 
de  Conti  touchant  la  comédie  et  les  spectacles  ^.  Il  est  de 
l'abbé  de  Voisin,  aumônier  du  prince,  «  son  domestique,  dit 
le  P.  Rapin^,  dans  le  temps  où  Molière  étoit  son  pension- 
naire ».  On  y  lit  ce  passage*  :  «  Monseigneur  le  prince  de 
Conti  avoit  eu  en  sa  jeunesse  tant  de  passion  pour  la  comé- 
die, qu'il  entretint  longtemps  à  sa  suite  une  troupe  de  comé- 
diens, afin  de  goûter  avec  plus  de  douceur  le  plaisir  de  ce 


M.  L.  de  la  Fijardière  (Molière.  Son  séjour  à  Montpellier),  p.   12. 
Nous  l'avons  su  trop  tard  ;  mais  ici  l'on  a  l'essentiel. 

1.  Port-Royal,  tome  V,  p.  27  et  28. 

2.  I  vol  in-4°,  Paris,  Louis  Billaine,  1671.  —  Notre  attention 
a  été  appelée  sur  ce  livre,  que  nous  avons  déjà  cité  à  la  page  26, 
par  M.  A.  Huyot  dans  le  Moliériste  de  juin  1886,  p.  65-72. 

3.  Mémoires,  tome  II,  p.  196. 

4.  Défense  du  traité...,  p.  419- 


SUR    MOLIERE.  171 

divertissement  ;  et  ne  se  contentant  pas  de  voir  les  repré- 
sentations du  théâtre,  il  conféroit  souvent  avec  le  chef  de 
leur  troupe,  qui  est  le  plus  habile  comédien  de  France,  de 
ce  que  leur  art  a  de  plus  excellent  et  de  plus  charmant.  Et 
lisant  souvent  avec  lui  les  plus  beaux  endroits  et  les  plus 
délicats  des  comédies  tant  anciennes  que  modernes,  il  pre- 
noit  plaisir  à  les  lui  faire  exprimer  naïvement;  de  sorte 
qu'il  y  avoit  peu  de  personnes  qui  pussent  mieux  juger  d'une 
pièce  de  théâtre  que  ce  prince,  « 

Ce  témoignage,  qui  n'est  pas  suspect  de  partialité  pour  un 
comédien  si  peu  ménagé  dans  le  Traité^  dont  l'abbé  écrivait 
la  défense,  nous  montre  quelle  place  Molière  s'était  déjà  faite 
par  la  distinction  de  son  esprit,  et  comme  il  savait  donner 
des  preuves  d'une  sérieuse  étude  des  meilleurs  modèles  de 
son  art,  étude  bien  difficile  cependant  dans  ces  années  si 
remplies  par  les  occupations  de  son  métier.  Nous  appre- 
nons aussi  là  quelle  fut  un  moment  l'intimité  de  ses  rela- 
tions avec  le  prince  spirituel  et  lettré,  qui  n'y  cherchait  pas 
seulement  un  amusement  frivole. 

Une  faveur  dans  laquelle  la  plus  juste  estime  semblait  avoir 
solidement  établi  notre  poète,  ne  pouvait  se  perdre  en  un 
jour.  Nous  croyons  que  les  remords  éveillés  par  l'évêque 
d'Aleth  mirent  quelque  temps  à  faire  leur  œuvre.  Il  est  clair 
par  le  récit  de  Dassoucy  que,  durant  la  session  de  Pézenas, 
la  troupe  ne  s'éloigna  pas.  Le  prince  de  Conti  n'en  était  pas 
encore  à  se  priver  de  la  comédie  et  à  en  priver  les  états.  Le 
parasite  de  la  troupe  parle  de  «  tout  un  hiver  »  pendant 
lequel  il  fut  régalé  par  elle.  Si  les  comédiens  ne  se  lassèrent 
pas,  comme  il  dit,  de  le  voir  à  leur  table,  il  s'en  lassa  lui- 
même  moins  encore. 

En  cette  douce  compagnie 
Que  je  repaissois  d'harmonie, 
,  Au  milieu  de  sept  ou  huit  plats, 

Exempt  de  soin  et  d'embarras, 

Je  passois  doucement  la  vie.  * 

Jamais  plus  gueux  ne  fut  plus  gras; 

I.  Voyez,  à  la  suite  de  ce  Traité,  V Avertissement  qui  précède 
les  Sentiments  des  Pères  de  l'Église^  p,  24. 


172  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Et  quoi  qu'on  chante,  et  quoi  qu'on  die 
De  CCS  beaux  messieurs  des  états, 
Qui  tous  les  jours  ont  six  ducats, 
La  Musique  et  la  Comédie, 
A  cette  table  bien  garnie. 
Parmi  les  plus  friands  muscats, 
C'est  moi  qui  souffloit  la  rôtie 
Et  qui  beuvoit  plus  d'jpocras'. 

Il  trouvait  de  tels  amphitryons  bien  dignes  de  représen- 
ter réellement  dans  le  monde  les  personnages  des  princes 
qu'ils  représentaient  tous  les  jours  sur  le  théâtre.  Et  vrai- 
ment, pour  donner  de  tels  festins,  il  fallait  que,  sans  être 
de  grands  princes,  ils  fissent  assez  bien  leurs  affaires. 

Dassoucy  se  vante  d'avoir  reçu  des  présents  considéra- 
bles «  du  prince  de  Conti,  du  généreux  Monsieur  de  Guille- 
ragues  et  de  plusieurs  personnes  de  cette  cour  ».  Ce  fut 
surtout  sans  doute  à  la  recommandation  de  Molière,  peut-être 
aussi  comme  musicien  et  comme  joyeux  esprit;  ce  qui  pour- 
rait confirmer  la  conjecture  que  dans  l'esprit  de  Conti  le  re- 
noncement aux  amusements  était  encore  en  balance,  et  qu'il 
y  avait  lutte  entre  l'influence  de  l'évêque  rigoriste  et  celle 
des  bons  vivants  dont  le  prince  était  entouré.  «  Six  bons 
mois  »  passés  «  dans  cette  cocagne  »,  tel  est  le  compte  de 
Dassoucy,  resté  un  peu  au-dessous  de  la  vérité;  car  il  veut 
évidemment  y  faire  entrer  les  mois  de  séjour  à  Lyon,  puis  à 
Avignon.  Il  nous  fait  savoir  dans  quelle  ville  Molière  alla, 
lorsqu'il  quitta  Pézenas.  Il  raconte  qu'il  le  suivit  jusqu'à 
Narbonne,  011  lui-même,  pour  son  malheur,  ne  resta  pas, 
ayant  voulu  se  rendre  à  Montpellier,  qui  lui  réservait  la 
déplorable  aventure  si  malicieusement  tympanisée  dans  le 
Voyage  de  Chapelle. 

Avant  de  trouver  la  troupe  de  Molière  à  Narbonne,  comme 
Dassoucy  vient  de  nous  l'annoncer,  quelques  mots  restent 
encore  à  dire  de  son  séjour  à  Pézenas  pendant  la  session 
des  états. 

Les  députés,  qui  prenaient  très  volontiers  le  divertisse- 


I.  Les  Avanturts   de  Monsieur    d'Assoucy^    chapitre    ix ,    p.    3i6 
et  317. 


SUR   MOLIERE.  i-3 

ment  de  la  comédie,  étaient  moins  empressés  d'en  faire  les 
frais.  Ils  durent  cependant  s'exécuter,  sous  la  pression  vrai- 
semblablement du  prince  de  Conti.  Voici  le  reçu  dont  l'ori- 
ginal, écrit  tout  entier  de  la  main  de  Molière',  est  conservé 
aux  archives  du  département  de  l'Hérault  : 

«  J'ay  receu  de  Monsieur  le  Secq  thrésorier  de  la  bource 
des  Estats  du  languedoc  la  somme  de  six  mille  livres  a  nous 
accordez  par  Messieurs  du  Bureau  des  comptes  de  laquelle 
somme  je  le  quitte.  Faict  à  Pézenas  ce  vingt-quatriesme  jour 
de  feburier  i656. 

«  Molière. 

«  Quittance  de  six  mille  livres.  » 

Il  est  à  peine  de  notre  sujet  de  dire  qu'à  la  même  date 
Joseph  Béjart  reçut  des  états  quinze  cents  livres  pour  son 
Recueil  des  titres,  qualités,  blasons  et  armes  des  seigneurs  barons 
des  Etats  généraux  de  la  province  du  Languedoc.  Ces  Béjart 
entendaient  tous  les  affaires.  Ce  ne  fut  pas  alors  comme 
comédien  que  celui-ci  parvint  à  se  faire  ouvrir  la  bourse 
des  états;  mais  il  est  probable  qu'il  fut  beaucoup  aidé  par 
la  bienveillance  de  Conti  pour  tout  ce  qui  tenait  à  sa  troupe. 

Lorsque  Dassoucy  nous  dit  que  Messieurs  des  états  avaient 
tous  les  jours  la  comédie^,  c'est  peut-être  une  façon  de  par- 
ler. Et  puis,  il  n'y  avait  pas  là  qu'une  seule  troupe  de  comé- 
diens. Les  nôtres,  pendant  un  si  long  séjour,  ne  purent 
manquer  d'avoir  des  intervalles  de  liberté.  Ils  en  profitaient 
pour  des  excursions  dans  les  villes  voisines.  Le  souvenir  en 
a  été  conservé  par  une  tradition,  qui  ne  saurait  nous  trou- 
ver entièrement  incrédules  ;  mais  elle  est  venue  jusqu'à 
nous  toute  chargée  d'anecdotes  très  suspectes  par  leur  air 
de  légendes  :  n'oublions  pas  que  dans  ce  Languedoc  nous 
sommes  au  pays  des  bons  contes.  Quelque  amusants  que 
soient  ceux-ci,  il  suffit  dans  une  biographie  sérieuse  de  les 
indiquer  très  sommairement,  et  de  renvoyer,  pour  le  détail, 
à  des  ouvrages  sur  la  vie  de  Molière  qui  sont  dans  toutes  les 
mains.  On  y  trouvera  le  Déjeuner  de  Mèze,  dont  Molière,  en 

1.  31,  de  la  Pijardière,  archiviste  de  ce  département,  en  a  pu- 
blié en   1873  le  fac-similé. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  172. 


i;',  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

le  contant  à  Pézenas,  faisait  une  scène  réjouissante,  l'histo- 
riette de  la  Fontaine  de  Gignac  avec  son  inscription  traduite 
par  lui  en  un  distique  peu  flatteur  ])Our  les  habitants,  celle  de 
la  Valise  perdue  près  de  Montagnac,  les  amours  de  Molière 
et  de  la  châtelaine  de  Lavagnac.  Ces  récits  du  Languedoc 
ont  été  recueillis  par  M.  Galibert*  de  la  bouche  du  Lan- 
guedocien Cailhava*,  qui  se  proposait  de  les  publier;  un 
souvenir  moins  piquant,  mais  qui  aurait  droit  à  plus  de 
confiance,  est  celui  d'un  voyage  à  Marseillan.  On  a  trouve, 
dit-on',  dans  les  archives  de  cette  petite  ville,  la  mention 
d'une  imposition  mise  sur  elle  pour  indemniser  Molière, 
qui  y  avait  donné  des  représentations.  On  parle  aussi  de  la 
quittance  d'un  voiturier  qui  avait  reçu  trente  livres  pour 
avoir  conduit  nos  comédiens  à  ce  même  Marseillan  et  les 
avoir  ramenés  à  Pézenas.  Ces  deux  villes  toutefois  étant  assez 
éloignées,  il  se  peut  que  le  petit  voyage  soit  plutôt  du  temps 
du  séjour  à  Béziers  en  i656. 

Ce  qui,  dans  tout  cela,  nous  semble  le  plus  intéressant, 
c'est  que,  une  juste  part  étant  faite  aux  fables  qu'est  ve- 
nue y  mêler  l'imagination  populaire,  la  mémoire  du  passage 
de  Molière  est  restée  dans  tout  ce  pays,  et  non  seulement 
celle  de  ses  excursions  dans  les  environs  de  Pézenas,  mais 
de  son  séjour  à  Pézenas  même.  La  boutique  de  son  perru- 
quier-barbier Gély  est  demeurée  célèbre.  Dans  ce  qui  en 
a  été  l'aconté,  il  peut  bien  y  avoir  quelques  broderies,  mais 
tout  ne  paraît  pas  inventé.  Le  fauteuil  où  Molière  se  tenait 
assis  dans  la  boutique,  pendant  que  les  gens  du  pays  y  ve- 
naient jaser  en  se  faisant  accommoder,  est  un  témoin  que  son 
ancienneté  recommande  ;  on  dit  avoir  de  bonnes  preuves 
qu'il  n'a  jamais  été  perdu  de  vue^.  On  pensera  d'ailleurs 


1 .  Voyez  VHisto'tre  des  vérégr'inatioits  de  Molière  dans  le  Langue- 
doc, p.  61-93. 

2.  Ibidem,  p.  81.  —  M.  Taschereau  a  raconté  aussi  une  partie 
des  mêmes  anecdotes,  p.  17  et  18,  d'après  des  notes  manuscrites 
de  M.  Astruc,  officier  de  santé  à  Pézenas. 

3.  Voyez  une  lettre  de  Poitevin  (de  Saint-Cristol)  à  Cailhava, 
dans  les  Etudes  sur  Molière,  p.  SoS-Soy. 

4.  11  est  à  Paris  depuis  1873. 


SUR  MOLIERE.  1^5 

ce  qu'on  voudra  de  la  petite  comédie,  pleine  de  péripéties, 
que  Molière  aurait  improvisée  chez  Gély,  lorsqu'il  fit  à  une 
jeune  tille  du  pays  une  fausse  lecture  de  la  lettre  d'un  soldat, 
son  amoureux*.  Il  restera  toujours  quelque  chose  de  très 
vraisemblable  dans  la  tradition  sur  le  choix  que  Molière 
avait  fait,  dit-on,  de  ce  fauteuil,  comme  d'un  très  commode 
poste  d'observation  pour  prendre  des  notes  sur  les  naïfs 
propos,  qui  ne  tarissaient  pas  dans  la  boutique,  et  recueillir 
les  traits  de  caractère,  les  saillies  originales  d'un  j)euple 
expansif  dont  on  sait  la  singulière  vivacité. 

On  peut  être  sûr  que  dans  le  Languedoc,  comme  partout 
où  il  a  passé,  1'  «  habile  picoreur*  »  a  fait  sa  moisson.  En 
signaler  des  preuves  dans  ses  pièces  ne  nous  semble  cepen- 
dant pas  facile. 

La  récolte  rapportée  de  la  boutique  de  Gélv  serait  dis- 
tincte des  imitations  qu'on  a  cru  reconnaître  chez  lui  du 
théâtre  de  Béziers.  Pour  établir  le  fait  de  ces  imitations, 
quelques  rapprochements  ont  été  faits  ^,  qui  sont  au  moins 
assez  spécieux  pour  que  l'on  hésite  à  les  traiter  d'illusions 
du  patriotisme  méridional.  Quoi  qu'on  en  pense,  personne 
n'admettra  que  Molière  ait  si  longtemps  demeuré  dans  ce 
pays  sans  avoir  pris  plaisir  à  le  bien  connaître.  Il  a  dû  en 
étudier  les  mœurs;  il  a  certainement  aimé  à  se  familiariser 
avec  la  langue  expressive  de  son  peuple.  Nous  le  savons 
par  la  scène  de  Monsieur  de  Pourceaugnac'*  dans  laquelle 
Lucette,  «  feinte  Gasconne  »  ou,  plus  exactement,  sui- 
vant la  correction  de  l'édition  de  1682,  «  feinte  Languedo- 
cienne »,  parle  le  dialecte  de  Pézcnas.  Bien  que  dans  ce 
rôle  Molière  n'ait  voulu  nous  donner  qu'un  Languedoc 
simulé,  il  y  a  mis  beaucoup  du  caractère  du  pays,  et  c^uant 
au  langage,  il  l'a  reproduit  avec  une  vérité  suffisante,  pour 
montrer  qu'après  treize  ans  il  en  avait  gardé  la  mémoire. 


1.  Cette  anecdote,  tout  au  moius  ingénieuse,  de  la  Lettre  im- 
provisée, est  racontée  dans  VHistoire  des  pérégrinations  de  Molière 
dans  le  Languedoc,  p.  89-92. 

2.  C'est  l'expression  du  Ménagiana,  tome  II,  p.  25. 

3.  Par  M.  Auguste  Baluffe. 
4-  La  scène  vu  de  l'acte  II, 


176  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Nous  noublions  pas  que  dans  la  même  comédie  on  trouve 
des  baragouins  flamand,  picard,  suisse;  mais  ils  paraissent 
supposer  bien  moins  une  véritable  connaissance  des  langages 
imités.  Monsieur  de  Pourceaugnac  et  la  Comtesse  d' Escarba- 
gnas  sont  les  pièces  de  Molière  où  sont  le  plus  visibles  les 
traces  des  souvenirs  rapportés  de  la  province.  On  croi- 
rait volontiers  qu'elles  ont  été  faites  d'après  d'anciennes  es- 
quisses, sinon  d'après  de  simples  notes,  longtemps  oubliées 
dans  son  portefeuille,  ou,  comme  on  disait  alors,  dans  son  ca- 
binet, pour  en  être  tirées,  l'une  en  1669,  l'autre  en  167 1.  La 
Comtesse  cC Escarbagnas  est  regardée  comme  une  preuve  d'un 
ou  de  plusieurs  séjours  à  Angoulème,  qui  même,  sans  cette 
comédie,  auraient  été  vraisemblables,  mais  dont  les  dates 
sont  incertaines.  Pourceaugnac,  avec  plus  d'apparence  en- 
core, indique  un  passage  de  la  troupe  à  Limoges,  oh.  l'on  a 
recueilli  cette  tradition,  plus  ou  moins  digne  de  confiance, 
qu'elle  avait  été  sifflée*  :  ce  serait  l'explication  du  ridi- 
cule jeté  sur  les  Limousins.  Le  Languedoc,  où  nous  a  laissé 
notre  récit ,  ne  semblait  pas  devoir  nous  amener  à  Li- 
moges et  à  Angoulème.  Mais  nous  n'avions  pas  su,  en 
l'absence  de  documents,  où  placer  ces  villes,  que  Molière 
connaissait  bien,  comme  il  l'a  prouvé  dans  deux  de  ses  co- 
médies ;  et  nous  ne  croyons  pas  qu'on  en  trouve  la  mention 
hors  de  propos  au  moment  où  nous  cherchons  jusqu'à  quel 
point  notre  auteur  s'est  souvenu,  pour  en  tirer  parti,  de  ce 
qu'il  avait  observé  dans  les  mœurs  provinciales.  Pourceau- 
gnac, d'ailleurs, avec  le  rôle  de  Lucette,  ne  nous  a  pas  éloi- 
gné du  Languedoc,  que  l'on  a  cru  retrouver  aussi  dans  les 
médecins  de  la  même  pièce.  Ce  dernier  point  toutefois  n'est 
pas  certain  :  on  peut  se  tromper  en  cherchant  dans  l'an- 
cienne faculté  de  Montpellier  des  modèles  qui  ont  pu  tout 
aussi  bien  s'offrir  ailleurs. 

Lorsque  Molière  quitta  Pézenas,  il  se  rendit  à  Narbonne, 
où  Dassoucy  nous  a  appris  qu'il  s'était  séparé  de  lui.  Son 
témoignage  est  confirmé  par  une  délibération  du  conseil 
de  cette  ville,  en  date  du  26  février  i656.  En  voici  le 
texte  :  «  Sur  ce  que  M.  le  premier  consul  a  représenté  que 

I.  Voyez  Molicre,  sa  vie  et  ses  œuvres,  par  Jules  Claretie,  p.  48. 


SUR   MOLIERE.  177 

les  comédiens  de  S.  A.  de  Conty,  sortant  de  Pézenas  de 
jouer  pendant  la  tenue  des  états,  et  s'en  allant  à  Bourdeaus 
pour  attendre  Son  Altesse,  où  Elle  doit  aller  à  son  retour 
de  Paris,  désireroient  de  passer  quinze  jours  dans  cette 
ville  pour  la  satisfaction  publique  ;  et,  comme  il  n'y  a  point 
d'autre  lieu  à  représenter  que  la  grand'salle  de  la  maison 
consulaire,  ils  la  demandent,  et  avec  eux  toutes  les  hon- 
nêtes gens  de  la  ville  :  à  rassemblée  d'y  délibérer. 

«  Sur  quoi  M''^  les  consuls  ayant  conféré,  ont  été  d'avis 
de  remercier  lesdits  comédiens  et  leur  donner  la  salle*.  » 

La  troupe  venait  d'arriver  ;  car  la  quittance  de  six  mille 
livres  signée  par  Molière  à  Pézenas  est  datée  du  24  février'. 
Le  séjour  à  ?y'arbonne,  qui  devait  être  seulement  de  quinze 
jours,  se  serait  prolongé  fort  au  delà,  si  la  continuation  de 
la  présence  des  comédiens  était  absolument  prouvée  par  un 
accord  passé  le  3  mai  i656,  devant  le  juge  royal  de  Nar- 
bonne,  entre  Melchior  Dufort  et  Joseph  Cassaignes,  d'une 
part,  Molière  et  Madeleine  Béjart,  d'autre  part^.  Cet  accord 
a  piqué  la  curiosité.  Malheureusement  il  ne  nous  semble  pas 
qu'il  sorte  une  clarté  parfaite  des  discussions  auxquelles  il  a 
donné  lieu.  On  nous  dit  qu'après  la  session  des  états,  le  prince 
de  Conti  avait  fait  remettre  à  Molière  une  assignation  de  cinq 
mille  livres  sur  le  fonds  des  étapes  de  la  province*.  Molière 
dans  le  même  temps  avait  reçu  six  mille  livres  des  états , 
leur  dette  étant  ainsi  payée,  pourquoi  donc  encore  les  cinq 
mille  livres?  Etait-ce  la  dette  personnelle  du  prince,  peut- 
être  la  pension  dont  il  avait  pris  rengagement  en  i653?  Et 
faut-il  croire  que,  ne  pouvant  ou  ne  voulant  trouver  la  somme 
dans  sa  bourse,  il  lui  aurait  été  commode  de  donner  un  pa- 
pier que  l'on  se  serait  trouvé  dans  la  nécessité  de  négocier? 
La  supposition  qu  il  était  le  débiteur  a  été  faite,  sans  que 
1  on  voulût  d'ailleurs  admettre  que  le  bon  pour  cinq  mille 
livres,  qui  n'engageait  que  la  signature  de  Conti,  ait  été  qua- 

1.  Voyez  le  Moliériste  d'avril  1881,  p.  23  et  23. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  173. 

3.  Voyez  V Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Langue- 
doc, p.  io5  et  106. 

4.  Ibidem,  p.   io3. 

Molière  1 3 


1^8  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

lifié  avec  raison  d'assignation  sur  le  fonds  des  étapes'.  Pour 
permettre  de  se  prononcer,  il  faudrait  que  l'on  eût  produit  le 
texte  de  l'accord  du  3  mai  i656,  ce  que  l'on  n'a  pas  fait. 
Quelques-uns  assurent  que  bien  des  dépenses  extraordi- 
naires, portées  par  le  bureau  des  états  sur  ce  que  l'on  appe- 
lait le  comptereau,  étaient,  par  abus,  payées  sur  le  fonds  des 
étapes.  Il  y  aurait  eu  là  comme  un  chapitre  très  irrégulière- 
ment complaisant  de  fonds  secrets,  qui  aurait  donné  au  prince 
de  Conti  la  facilité  de  rejeter  sa  dette  sur  les  états.  S'il  était 
certain  qu'il  eût  agi  avec  ce  sans-gêne,  ce  que  nous  ne 
sommes  en  mesure  ni  de  nier  ni  d'affirmer,  on  en  conclurait 
que  le  bureau  des  comptes  ne  s'était  pas  alors  prêté  à  une 
telle  violation  des  règles,  puisque  Molière  et  la  Béjart  durent 
négocier  le  papier  qu'acceptèrent  les  deux  personnages  tt)ut 
à  l'heure  nommés,  étapiers,  dit-on,  l'un  et  l'autre,  qui  payè- 
rent douze  cent  cinquante  livres  en  espèces,  et  s'engagèrent 
à  solder  le  reste  dans  un  an.  A  l'échéance,  ils  refusèrent  de 
faire  honneur  à  leur  signature.  Madeleine  Béjart  n'était  pas 
femme  à  lâcher  prise  et  à  s'abstenir  de  faire  valoir  ses  droits. 
Elle  obtint  jugement  à  Toulouse  contre  Dufor  et  Cassaignes, 
qui  se  virent  forcés  de  s'exécuter,  et  payèrent  dans  les  pre- 
miers mois  de  i658,  à  Grenoble^.  Nous  comprenons  mal 
leur  condamnation,  s'ils  n'étaient  jamais  parvenus  à  recevoir 
la  somme,  soit  de  la  bourse  des  états,  soit  de  celle  de  Conti. 
Toute  l'affaire  est  trop  insuffisamment  expliquée  pour  qu'on 
ne  craigne  pas  d'être  injuste  cette  fois  en  faisant  peser  sur 
le  protecteur  de  la  troupe  le  reproche  d'une  étrange  façon 
d'être  généreux. 

La  délibération  du  conseil  de  ville  de  Narbonne  constate, 
on  vient  de  le  voir,  que  les  comédiens  se  proposaient  d'al- 
ler de  Narbonne  à  Bordeaux,  où  ils  avaient  ordre  d'at- 
tendre le  retour  du  prince  de  Conti.  On  a  conjecturé  que, 
obéissant  au  programme  tracé,  ils  s'étaient  en  effet  dii'igés 
sur  Bordeaux  avant  d'arriver  à  Béziers  pour  l'ouverture  des 
états,  après  quelque  séjour  à  Carcassonne,  Castelnaudary, 

I.  Voyez  le  Moliériste  d'août  i885,  p.  I49  et  i5o, 
a.  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Languedoc,  p.  laS 
et  ia4- 


vSUR   MOLIERE. 


'79 


Toulouse  et  Agen*;  et  l'on 'a  trouvé  l'occasion  bonne  de 
placer  en  ce  temps-là  cette  représentation  d'une  tragédie  de 
la  Thebaïde ,  que  Montesquieu,  si  l'on  en  croit  Cailhava-, 
disait  avoir  été  composée  par  Molière  et  jouée  par  lui  à 
Bordeaux  avec  un  succès  malheureux.  Ce  conte,  attribué 
sans  preuves  à  Montesquieu,  a  peut-être  son  origine  dans 
un  autre  conte,  le  plan  des  Frères  ennemis  que  Molière 
aurait  donné  beaucoup  plus  lard  à  Racine.  Pour  croire  à 
un  séjour  de  notre  poète  à  Bordeaux  en  i656,  on  ne  pour- 
rait donc  s'appuyer  que  sur  l'indication  fournie  par  les  con- 
suls de  Narbonne  du  rendez-vous  assigné  par  le  prince  de 
Conti  à  sa  troupe.  Ce  rendez-vous  n'est  pas  douteux  ;  mais 
il  n'y  eut  pas  lieu  d'obéir  à  l'ordre  du  protecteur,  qui  ne 
donna  pas  suite  à  ses  intentions.  Il  était  arrivé  en  mai's  i656 
à  Paris  ^.  Il  y  fut  retenu  toute  l'année  par  l'état  de  sa  santé. 
N'eût-il  pas  eu  cet  empêchement,  il  est  probable  qu'il  aurait 
manqué  de  parole  aux  comédiens;  et  ceux-ci  peuvent  bien 
avoir  été  avertis  qu'il  ne  fallait  plus  compter  sur  sa  faveur, 
car  il  n'est  guère  à  croire  que  rien  n'eût  transpiré  des  scru- 
pules qui  lui  avaient  été  inspirés  pendant  la  session  de  i656, 
et  qui,  depuis  la  direction  de  M.  de  Ciron,  étaient  de  plus 
en  plus  en  possession  de  son  âme*.  Peut-être  un  contre-ordre 
reçu  à  Narbonne  explique-t-il  la  prolongation  du  séjour  qu'y 
fit  la  troupe.  Entre  le  moment  où  Molière  quitta  cette  ville 
et  celui  où  il  vint  à  Béziers,  des  représentations  données 
par  lui  à  Bordeaux  et  dans  les  autres  villes  que  la  ^Taisem- 

1.  Histoire  des  pérégrinations  de  Molière  dans  le  Languedoc  p.  107 
et  iio. 

2.  Etudes  sur  Molière,  p.  8  et  9,  et  p.  107.  —  Une  note  ma- 
nuscrite de  Trallage  parle  aussi  de  cette  Thebaïde,  qui  aurait  été 
jouée  devant  le  duc  d'Epernon  et  fort  goûtée  par  lui.  Elle  au- 
rait donc  été  représentée  beaucoup  plus  tôt,  à  Bordeaux,  lors- 
qu'Épernon  était  encore  gouverneui-  de  la  Guyenne.  A  quel- 
que date  que  l'on  place  cette  Thébaide  de  Molière,  il  y  a  les  plus 
fortes  raisons  de  n'y  pas  croire.  La  fausse  tradition  ne  viendrait- 
elle  pas  d'une  représentation,  donnée  par  Molière,  devant  Eper- 
non,  de  VAntigone  de  Rotrou,  qui  avait  paru  en  i638? 

3.  La  Muse  historique.  Lettre  du  18  mars  i656. 

4.  Mémoires  de  Cosnac,  tome  I,  p.  246  et  247. 


i8o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

blance  de  son  itinéraire  a  seule  fait  nommer,  restent  des 
suppositions  sans  preuves,  et  il  faut  se  résigner  ici  encore 
à  une  lacune  dans  nos  informations. 

Si  Chapelle,  dans  son  voyage  en  compagnie  de  Bachau- 
mont ,  avait,  comme  l'ont  pensé  quelques-uns,  rencontré 
Molière,  ce  ne  pourrait  avoir  été  que  dans  ce  temps  où  les 
renseignements  nous  manquent  sur  les  mouvements  de  la 
troupe;  mais  Chapelle  est  muet  sur  cette  rencontre.  On  a 
voulu  trouver  dans  son  égoïsme  une  explication  de  son 
silence  :  elle  est  vraiment  trop  difficile  à  accepter.  Nous 
admettrions  moins  encore  une  supposition  qui  a  été  faite  : 
la  troupe  de  Molière  ne  serait  pas  si  complètement  oubliée 
dans  le  Voyage  ;  ce  serait  d'elle  que  parleraient  les  voya- 
geurs, lorsqu'ils  racontent  avoir  été  menés  par  M.  de  Penau- 
tier  dans  sa  maison  de  campagne,  à  une  lieue  de  Carcas- 
sonne.  Là,  ils  trouvèrent  la  comédie  jouée  par  une  troupe 
qui  «  n'étoit  pas  mauvaise'  ».  Ce  médiocre  et  dédaigneux 
satisfecit  serait  une  trahison  de  l'amitié,  bien  pire  encore 
que  l'omission  d'un  souvenir  si  intéressant  pour  Chapelle.  Il 
est  donc  évident  que  les  passables  comédiens  ne  sont  pas  les 
nôtres.  Ceux-ci,  l'époque  du  Forçage  a  seule  donné  l'idée  de 
les  y  chercher.  Souvent  mal  daté,  il  est  certainement  de  i656, 
ainsi  que  le  prouvent  les  derniers  vers  écrits  à  Lyon,  où  les 
deux  voyageurs  prennent  connaissance  de  l'édit  somptuaire 
du  26  octobre  de  cette  année  ^,  et  le  passage  où  ils  témoi- 
gnent leur  reconnaissance  de  l'accueil  fort  civil  de  M.  le 
comte  d'Aubijoux,  qui  les  avait  reçus  à  Grouille,  peu  de 


1.  Voyage  de   Chapelle  (édition  de  Saint-  Marc  lySS),  p-  4'- 

2.  Voyez  dans  la  Muse  historique,  la  lettre  du  i4  octobre,  où 
les 

....   Défenses  expresses. 

Expresses  défenses  à  tous 

De  plus  porter  chausses  Suissesses, 

dont  parle  le  Voyage  (p.  67),  se  retrouvent  aux  vers  aoG-208  : 

Adieu,  chausses,  qui  par  en  bas 
Paroissiez,  même  aux  fripe-sausses, 
Plutôt  des  jupes  que  des  chausses. 


SUR   MOLIERE.  i8r 

temps  avant  sa  mort,  advenue  le  9  novembre  i6j6^  Les 
mois  où  l'on  a  conjecturé  que  Molière  alla  de  Narbonne  à 
Toulouse,  à  Carcassonne,  à  Agen,  à  Bordeaux,  sont  précisé- 
ment ceux  où,  en  sens  inverse.  Chapelle  et  Bachaumont  visi- 
tèrent les  mêmes  villes.  Marchant  donc  comme  au-devant 
les  uns  des  autres,  ne  pas  se  rencontrer  était  possible,  assez 
étonnant,  toutefois,  pour  des  amis  qui  passaient  par  les  mêmes 
lieux,  à  peu  de  jours  sans  doute  de  distance,  et  qui  auraient  dû 
être  avertis  de  leur  voisinage.  Nous  en  conclurions  que  le 
seul  itinéraire  certain  étant  celui  de  Chapelle,  il  y  a  forte 
présomption  d'erreur  dans  les  conjectures  qui  ont  été  faites 
sur  celui  de  Molière.  Il  n'est  pas  invraisemblable  qu'après 
Aarbonne  il  ait  été,  cette  année  encore,  s'établir  pour 
quelque  temps  à  Lyon. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  seulement  à  Béziers  qu'avec  cer- 
titude nous  le  retrouvons.  Il  y  fut  appelé  pour  la  session 
des  états,  qui  s'ouvrit  le  17  novembre  i656  et  dura  jusqu'au 
i"juin  1657.  Sa  présence  y  a  laissé  un  souvenir  qui  fait 
mieux  que  la  certifier,  qui  l'a  rendue  célèbre  dans  l'histoire 
de  notre  théâtre  ;  car  c'est  alors  que  l'auteur  de  l'Étourdi 
a  donné  un  second  gage  des  grandes  promesses  de  son  ave- 
nir. «  Le  Dépit  amoureux,  dit  La  Grange*,  a  été  représenté 
pour  la  première  fois  aux  états  de  Languedoc,  à  Béziers, 
l'an  i656,  M.  le  comte  de  Bioule,  lieutenant  du  Roi,  prési- 
dant aux  états  ^.  » 

Béziers  n'était  pas  1  égal  de  Lyon,  de  Lyon  dans  son  lustre, 
pour  parler  comme  Chappuzeau;  mais  c'était  une  ville  let- 
trée, oîi  s'était  produite,  souvent  avec  bonheur,  une  fleurai- 
son  méridionale  de  la  comédie.  Partout,  d'ailleurs,  où  s'as- 
semblaient Messieurs  des   états,  il  était  permis  au  théâtre 


1.  La  date  du  f^oyage  de  Chapelle  a  éle,  d'après  ces  preuves, 
mise  hors  de  doute  par  M.  F.  Brunetière  dans  ses  Etudes  critiques 
sur  VHistoire  de  la  littérature  française  (Paris  1880),  p.  180  et  181. 

2.  Registre,  p.   4- 

3.  Le  comte  de  Bioule  ou  de  Bleuie  ne  présidait  pas  les  états, 
mais  les  tenait  comme  commissaire  du  roi.  L'inexactitude  du 
Registre  sur  ce  point  est  sans  importance.  Voyez  notre  tome  I. 
p.  385,  note  4. 


i8a  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

de  compter  sur  des  juges  éclairés.  Aucun  témoignage  cepen- 
dant ne  nous  apprend  si  ces  juges  reconnurent  tout  le  prix 
de  l'œuvre  charmante;  et  l'on  a  été  tenté  de  craindre  que 
Molière  n'ait  chanté  à  des  sourds ,  lorsqu'on  a  vu  ces 
états  de  Béziers  traiter  la  troupe  avec  une  dureté  qui  pou- 
vait paraître  offensante.  Dans  le  procès-verbal  de  leur  séance 
du  i6  décembre  ils  firent  insérer  cette  délibération  :  «  Sur 
les  plaintes  qui  ont  été  portées  aux  états  par  plusieurs 
députés  de  l'assemblée,  que  la  troupe  des  comédiens  qui 
est  dans  la  ville  de  Béziers  fait  distribuer  plusieurs  bil- 
lets aux  députés  de  cette  compagnie,  pour  les  faire  entrer  à 
la  comédie  sans  rien  payer,  dans  l'espérance  de  retirer 
(juelque  gratification  :  a  été  arrêté  qu'il  leur  sera  notifié 
par  Loyseau,  archer  des  gardes  du  Pioi  en  la  prévôté  de 
l'hôtel,  de  retirer  les  billets  qu'ils  ont  distribués,  et  défaire 
payer,  si  bon  leur  semble,  les  députés  qui  iront  à  la  co- 
médie, l'Assemblée  ayant  résolu  et  arrêté  qu'il  n'y  sera  fait 
aucune  considération,  et  défendu  par  exprès  à  messieurs 
du  bureau  des  comptes  de,  directement  ou  indirectement, 
leur  accorder  aucunes  sommes,  ni  au  trésorier  de  la  bourse 
de  les  payer,  à  peine  de  pure  perte  et  d'en  répondre  en 
son  propre  et  privé  nom.  5»  Mais  ne  nous  hâtons  pas  d'ac- 
cuser de  barbarie  les  députés  si  décidés  à  refuser  toute 
gratification.  D'abord,  il  est  peu  probable  que  la  pièce  nou- 
velle fût  déjà  connue;  et  puis,  dans  la  pensée  des  états,  il  y 
avait  sans  doute  moins  un  parti  pris  contre  les  comédiens, 
qu'une  protestation  contre  une  comptabilité  irrégulière.  Les 
libéralités  qu'un  bon  plaisir  trop  sans  façon  leur  avait  im- 
posées dans  la  session  précédente  les  mettaient  de  mé- 
chante humeur.  C'est  donc  vraisemblablement  à  ceux  qui 
prétendaient  disposer  sans  droit  de  leur  bourse  qu'ils  vou- 
laient donner  une  leçon.  Ils  étaient  las  de  se  laisser  tondre, 
ainsi  qu'ils  le  montrèrent  par  un  autre  acte  de  sévérité  auquel 
personne  ne  contestera  l'à-propos,  comme  on  pourrait  être 
tenté  de  le  contester  à  celui  du  i6  décembre.  Joseph  Béjart, 
qui  avait  reçu  en  février  i656  quinze  cents  livres  pour 
son  Recueil  de  titres  et  blasons,  avait  pris  goût  à  des  hom- 
mages si  bien  payés.  Il  les  renouvela  en  offrant  aux  états 
un  supplément  à  ce  travail    lucratif;    mais  il  ne  tira  d'eux 


SUR   MOLIERE.  i83 

cette  fois  que  cinq  cents  livres,  et  ils  lui  donnèrent  cet  aver- 
tissement, consigné  dans  le  procès-verbal  du  i6  avril  lôSy, 
qu'à  l'avenir  on  ne  prendrait  en  considération  aucun  livre 
qu'il  présenterait,  sans  avoir  reçu  de  l'assemblée  l'ordre 
exprès  de  le  composer. 

Ne  cherchons  pas  la  première  représentation  à  Béziers 
du  Dépit  amoureux  au  delà  de  l'année  i656,  marquée,  nous 
l'avons  dit,  dans  le  Registre  de  La  Grange.  Nous  la  croyons 
du  mois  de  décembre,  après  le  i6,  étant  vraisemblable  que 
les  billets  refusés  à  cette  date  avaient  été  distribués  pour 
cette  comédie. 

Que  tout  le  mérite  en  ait  été  senti  ou  non  à  Béziers,  il 
l'est  aujourd'hui  unanimement,  il  le  fut  même,  comme  nous 
aurons  à  le  dire,  dès  qu'on  la  joua  à  Paris,  deux  ans  après. 
Molière  y  avait,  comme  dans  l'Étourdi,  imité  un  modèle 
italien,  mais,  cette  fois,  moins  bien  choisi,  l'Intéresse  de 
Nicolo  Secchi.  Avoir  empêtré  son  génie  dans  un  mauvais 
imbroglio  fut  une  faute,  imparfaitement  atténuée  par  le  bon 
goût  qui  en  corrigea  les  traits  les  plus  choquants  et  par 
l'élégante  facilité  du  style.  L'erreur  de  Molière  lui  fut  du 
rnoins  utile,  si,  lorsqu'il  l'eut  reconnue,  elle  le  décida  à 
ne  s'inspirer  désormais  qu'avec  une  originalité  plus  libre 
d'un  théâtre  qui  l'égarait  loin  de  sa  véritable  voie.  Mais 
il  y  a  beaucoup  mieux  à  dire  :  nous  n'avons  pas  eu  tort 
d'appeler  tout  à  l'heure  sa  seconde  comédie  une  «  œuvre 
charmante  «  ;  elle  l'est  en  effet,  en  dépit  du  méchant  mo- 
dèle. Bien  loin  que  Molière,  depuis  son  premier  et  bril- 
lant essai,  eût  fait  un  pas  en  arrière,  le  second  fut  un  pro- 
grès :  on  sait  grâce  à  quelle  heureuse  idée.  Pour  sortir 
de  la  route  ingrate  où  semblait  l'avoir  engagé  sans  issue  le 
choix  du  sujet,  il  s'avisa  d'introduire  dans  la  pièce  imitée 
quelques  scènes,  qui,  tout  accessoires  qu'elles  semblent,  se 
sont  trouvées  être,  à  elles  seules,  une  petite  comédie,  un 
délicieux  chef-d'œuvre.  Il  s'y  révèle  l'heureux  imitateur, 
non  plus  du  théâtre  italien,  mais  de  Térence  et  d'Horace, 
ces  peintres  si  vrais  et  si  fins  des  brouilleries  et  des  rac- 
commodements de  l'amour.  Disons  ce  qui  n'appartient  qu'à 
lui  seul.  Après  le  naïf  duo  de  colère  jalouse,  puis  de 
tendresse  repentante  qui  rend  les  armes,  il  l'a  fait  répéter 


i84  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

sur  un  ton  bien  différent  par  des  bouches  populaires, 
ignorantes  de  toute  délicatesse  dans  l'expression  de  leurs 
sentiments.  C'est  du  meilleur  comique  ;  et  il  n'y  a  pas  là 
seulement  une  plaisante  parodie,  mais  la  mise  en  action  de 
cette  vérité,  digne  du  poète  philosophe,  que  la  bassesse  même 
de  l'expression  laisse  reconnaître  les  mouvements  naturels 
de  la  passion,  semblables  dans  toutes  les  conditions,  qu'en 
un  mot,  comme  Molière  l'a  dit  ailleurs,  «  il  est  toujours  de 
l'homme  dans  tous  les  cœurs'  ».  Ce  fut  vraisemblablement 
après  avoir  achevé  sa  pièce,  rapidement  écrite,  et  peut-être 
commencée  sans  qu'il  eût  alors  pensé  à  rien  ajouter  à  celle 
de  l'auteur  italien,  qu'il  se  décida  à  lui  donner  le  titre  du 
Dépit  amoureux,  sentant  bien  dans  quelles  scènes  il  avait 
mis  sa  vraie  marque,  cette  marque  dont  on  est  là  plus  frappé 
encore  que  dans  l'Étourdi.  La  Harpe  a  dit  justement  que 
dans  la  partie  excellente  de  sa  seconde  comédie,  Molière 
«  fait  voir  les  premiers  traits  du  talent  qui  lui  était  propre  », 
et  que  des  scènes  si  parfaites  «  annonçaient  l'homme  qui 
allait  ramener  la  comédie  à  son  but,  à  l'imitation  de  la 
nature*  ». 

Avec  r Etourdi  et  le  Dépit  amoureux,  Grimarest  nomme 
les  Précieuses  ridicules  comme  représentées  avant  le  retour 
de  la  troupe  à  Paris.  «  Cette  pièce,  dit-il,  quoique  jouée  dans 
les  provinces  pendant  longtemps,  eut  cependant  à  Paris 
tout  le  mérite  de  la  nouveauté.  »  Voltaire  a  dit  sembla- 
blement  dans  le  sommaire  des  Précieuses  qu'elles  avaient 
été  «  faites  d'abord  pour  la  province^  »;  et  dans  sa  Fie  de 
Molière,  il  veut  qu'elles  aient  été  représentées,  aussi  bien 
que  l'Etourdi  et  le  De'pit  amoureux ,  devant  le  prince  de 
Conti*.  Des  lignes  qui  précèdent  immédiatement  on  devrait 
conclure  que  ce  fut  en  i656,  à  Béziers,  où  Voltaire  croyait 
que  les  états  de  Languedoc  avaient  été  tenus  par  Conti.  Il 
ignorait  qu'ils  avaient  été  assemblés,  non  par  le   prince, 

ï.  Le  Misanthrope,  vers  lySô. 

2.  Cours  de  littérature,  livre  I,  chapitre  vi,  section  H. 

3.  Vojez  notre  tome  II,  p.  45. 

4-  Œuvres  complètes  de  Voltaire  (édit.  Moland),  tome  XXIII, 
p.  91. 


SUR    MOLIERE.  i85 

mais  pas  le  comte  de  Bieule.  La  Serre,  dans  les  Mémoirex 
sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Molière  *,  après  avoir  parlé  de 
l'Étourdi  joué  à  Lyon,  et  dit  qu'il  reparut  à  Béziers,  ajoute 
que  «  le  Dépit  amoureux  et  les  Précieuses  ridicules  y  entraî- 
nèrent tous  les  suffrages  3>,  Voilà  trois  biographes  d'ac- 
cord sur  ce  fait  des  Précieuses  ']0\iées  en  province.  Mais  tout 
se  réduit  probablement  au  témoignage  de  Grimarest,  dont 
la  Serre  et  Voltaire  se  seront  contentés.  Rœderer,  à  son 
tour,  a  placé  la  première  représentation  des  Précieuses  à 
Béziers.  Nous  n'aurions  pas  eu  à  le  citer,  s'il  n'avait  donné 
la  date  de  lôS/J,  qui  mérite  quelque  attention.  La  raison  la 
plus  forte  de  la  préférer  ne  serait  pas  qu'on  se  trouve  ainsi 
plus  d'accord  avec  Grimarest,  qui  fait  jouer  la  pièce  pen- 
dant longtemps  dans  les  provinces,  mais  plutôt  que  la  date 
de  i6'j(  indique  Montpellier,  où  1  on  s'expliquerait  mieux 
que  dans  toute  autre  ville  la  composition,  puis  la  représen- 
tation, des  Précieuses.  Chapelle  nous  apprend  dans  son 
Foyage  qu'il  a  vu  là  (un  peu  plus  tard,  il  est  vrai)  une  as- 
semblée de  «  précieuses  de  campagne  ».  qui  «  n'imitoient 
que  faiblement  les  nôtres  de  Paris^  ».  Et  vraiment,  les  traits 
sous  lesquels  il  les  a  peintes  les  font  si  fort  ressembler 
à  celles  de  Molière  qu'il  semblerait  que  celui-ci  les  a  vues 
aussi  et  a  pu  les  prendre  pour  modèles.  Nous  n'oserions 
donc  affirmer  que  Grimarest  ait  été  mal  informé;  et  peut- 
être  suffit-il  de  rester  dans  le  doute.  Si  Despois  ne  s'y  est 
pas  tenu,  ce  n'est  pas  sans  une  visible  hésitation^.  Il  montre 
fort  bien  pourquoi  les  témoignages  de  l'auteur  des  Nou- 
velles nouvelles  et  de  Somaize,  souvent  invoqués  contre 
celui  de  Grimarest,  sont  de  peu  de  poids.  Quant  au  Registre 
de  La  Grange ,  où  les  Précieuses  ridicules,  à  la  date  du 
i8  novembre  i65g,  sont  nommées  «  troisième  pièce  nou- 
velle de  M.  Molière*  »,  il  ne  lui  a  pas  échappé  que  les 
mots  troisième  pièce  nouvelle  semblent  désigner  comme  éga- 
lement nouvelles  les  deux  précédentes,  l'Étourdi  et  le  Dépit 

I.  A  la  page  xx. 

1.  Voyage  de  Chapelle,  p.  47- 

3.  Voyez  au  tome  II,  p.  8-ii  la  Notice  des  Précieuses  ridicules. 

4.  Registre,  p.   i3. 


i86  NOTICE   BIOGRAPHIQÎTE 

amoureux;  ce  qui  ne  donne  pas  à  leur  nouveauté  un  sens 
absolu.  Il  ne  juge  décisif  que  ce  passage  de  la  Préface 
de  1682  :  a  En  1659,  M.  de  Molière  fit  la  comédie  des  P/e- 
cieuses  ridicules^.  »  Mais  si  l'on  a  pensé  que  La  Grange, 
dans  son  Registre,  a  regardé  la  pièce  comme  nouvelle,  par 
la  seule  raison  qu'elle  avait  été  remaniée,  la  même  explica- 
tion de  la  phrase  de  la  Préface  serait-elle  moins  plausible? 
Une  comédie  n'y  aurait  été  tenue  pour  faite  que  du  jour 
où  elle  avait  reçu  sa  forme  définitive.  On  peut  regarder 
comme  certain  que  les  Prc'cieuses  ridicules  nont  pas  été 
tout  d'abord  telles  que  nous  les  avons  aujourd'hui.  Dans 
le  Récit  de  la  farce  écrit  par  Mlle  des  Jardins,  la  mauvaise 
réception  faite  par  la  fille  et  la  nièce  de  Gorgibus  aux  deux 
honnêtes  hommes,  leurs  prétendants,  est  mise  en  action.  Il 
est  vraisemblable  que  ce  n'est  pas  une  invention  de  l'auteur 
du  Récit,  non  plus  que  cette  particularité  des  Règles  de  V amour 
débitées  en  vers  par  les  deux  précieuses.  La  «  balle  éter- 
nuée  »  et  l'expression  bouffonne  de  la  soucoupe  inférieure  sont 
évidemment  des  débris  d'un  premier  état  de  la  pièce.  Il 
n'est  sans  doute  pas  impossible  que  les  changements  aient 
été  faits  après  les  premières  représentations  à  Paris;  mais 
ils  peuvent  s'expliquer  aussi  bienpar  l'existence  d'une  farce 
qui  aurait  été  refondue  pour  le  théâtre  du  Petit-Bourbon, 
après  avoir  été  essa3ée,  peut-être  ébauchée  seulement,  en 
province.  Là,  Molière  était  aussi  capable  que  Chapelle  d'ob- 
server l'étrange  maladie.  Il  fait  dire  à  un  de  ses  person- 
nages :  «  L'air  précieux  n'a  pas  seulement  infecté  Paris,  il 
s'est  aussi  répandu  dans  les  provinces  »  ;  et  il  nomme  ses 
héroïnes  «  deux  pecques  provinciales  ».  Précaution,  a-t-on 
dit,  pour  éviter  la  colère  des  belles  dames  de  l'hôtel  de 
Rambouillet,  qu'il  voulait  égratigner  sans  leur  laisser  le 
droit  de  crier,  et  pour  faire  croire  qu'il  respectait,  comme 
il  le  dit  dans  sa  préface,  «  les  plus  excellentes  choses,  su- 
jettes à  être  copiées  par  de  mauvais  singes  ».  A  lui  suppo- 
ser cette  prudence,  insuffisante  d'ailleurs,  puisqu'il  fait  venir 
de  Paris  la  contagion,  il  lui  était  aussi  facile  de  donner  le 
change  et  de  se  mettre  à  l'abri,  en  faisant  de  ses  «  mauvais 

I.    Préface,  p.  xv. 


SUR    MOLIERE.  187 

singes  «  de  petites  bourgeoises  parisiennes.  Il  reste  donc 
remarquable  qu'elles  soient  des  provinciales.  On  peut  trou- 
ver significatif  aussi  le  nom  de  Mascarille,  qu'à  Paris,  du 
moins  après  cette  comédie,  Molière  a  laissa  de  côté,  et  qui 
peut  paraître  là  une  dernière  trace  de  son  théâtre  de  pro- 
vince. Mascarille  est  dans  le  Récit  de  Mlle  des  Jardins.  Le 
faux  vicomte,  son  ami,  n'y  est  pas  nommé,  non  plus  que 
les  deux  amants  rebutés.  Si,  au  lieu  d"y  être  anonymes,  ces 
personnages  avaient  été  désignés  par  les  noms  qu'ils  ont 
portés  depuis  1GJ9,  il  n'}^  aurait  plus  à  douter  que  le  Récit 
n'eût  été  écrit  à  Paris,  puisque  c'est  à  Paris  seulement  que 
La  Grange,  du  Croisy  et  Jodelet  sont  entrés  dans  la  troupe. 
Le  hasard  y  a  mis  de  la  malice,  si  c'est  lui  qui  nous  a  pri- 
vés, dans  le  petit  écrit,  d'un  moyen  facile  de  mettre  la  pro- 
vince hors  de  cause.  Puisque  nous  en  sommes  sur  les  noms, 
notons  encore,  sans  prétendre  toutefois  trouver  là  rien  de 
décisif,  que  Cathos  et  Madelon,  suivant  l'auteur  du  Récit, 
demandent  à  leur  père  d'être  appelées  ClymèneetPhilimène, 
et  non,  comme  plus  tard,  Polyxène  et  Aminte.  Ces  change- 
ments de  noms  ne  nous  apprennent  pas,  il  est  vrai,  où  et 
quand  la  pièce  a  subi  des  transformations.  En  résumé,  l'on  a, 
ce  semble,  quelques  raisons  de  regarder  comme  tout  au  moins 
spécieuse  la  conjecture  d'Edouard  Fournier,  que  le  Récit  de 
Mlle  des  Jardins  a  été  écrit,  non  à  Paris,  mais  dans  quel- 
qu'une des  villes  où  elle  rencontra  Molière  et  sa  troupe 
ambulante.  Nous  n'irons  pas  jusqu'à  dire  qu'il  y  ait  là  des 
preuves  assez  fortes  pour  trancher  la  question  ;  elle  est  une 
de  celles  qui  sont  en  suspens  devant  le  juge. 

Les  jours  qui  virent  le  génie  de  Molière  s'annoncer  bril- 
lamment en  province  par  deux  comédies,  peut-être  par  trois, 
étaient  comme  les  avant-coureurs  de  celui  qui  bientôt  ramè- 
nerait le  poète  à  Paris,  où  il  y  aurait  un  théâtre  digne  de  ses 
œuvres.  Voici  donc  nos  regards  déjà  tournés  vers  cette  per- 
spective. Il  faut  cependant  attendre  encore  quelque  temps 
l'occasion  favorable  qui  ouvrira  enfin  aux  fondateurs  de 
l'Illustre  théâtre  le  retour  définitif  dans  la  ville  d'où  la  mau- 
vaise fortune  les  avait  exilés. 

La  troupe  n'attendit  pas,  pour  quitter  Béziers,  la  clôture 
delà  session  des  états;  car  il  est  certain  qu'elle  était  à  Lyon 


i8<S  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

en  mai  1657,  un  mois  avant  cette  clôture.  Avant  de  s'y  rendre, 
s'était-elle  arrêtée  à  Nîmes,  comme  on  l'a  pensé?  La  preuve 
qui  en  a  été  proposée  est  contestable.  Le  12  avril,  Madeleine 
Béjart,  qui  poursuivait  le  jugement  d'une  obligation  de  trois 
mille  deux  cents  livres  souscrite  par  un  certain  Antoine  Bara- 
lier,  receveur  des  tailles,  avait  obtenu  du  juge  en  la  cour  de 
Nîmes  une  permission  de  poursuivre  l'exécution  de  cette  obli- 
gation*. Mais  il  faudrait  savoir  si  sa  présence  avait  été  néces- 
saire ;  et,  même  dans  ce  cas,  il  a  pu  suffire  d  un  court  voyage, 
fait  de  Béziers  à  Nîmes  par  elle  seule,  tandis  que  les  autres 
comédiens  continuaient  leur  route  vers  Lyon,  ou  y  étaient 
déjà  arrivés.  Au  sortir  de  Béziers,  des  séjours  plus  ou  moins 
longs  à  Montpellier,  à  Nîmes,  à  Avignon,  à  Orange,  ont  été 
indiqués,  sans  que  l'on  ait  cité  de  documents  qui  les  attestent, 
si  ce  n'est  pour  Nîmes;  mais  nous  venons  de  faire  remar- 
quer combien  la  sentence  qui  y  fut  obtenue  est  peu  dé- 
cisive. Il  en  est  autrement  de  la  présence  de  la  troupe  à 
Lyon,  au  printemps  de  1637.  C'est  le  prince  de  Conti  lui- 
même  qui  nous  a  rendu  le  service  de  la  constater.  De  Lyon, 
où,  après  avoir  séjourné  l'année  i656  à  Paris,  il  fut  de  pas- 
sage, pour  aller  prendre  avec  le  duc  de  Modène,  notre  allié, 
le  commandement  de  l'armée  d'Italie,  il  écrivait  le  i5  mai 
1637  à  l'abbé  de  Ciron  :  «  Il  y  a  des  comédiens  ici  qui 
portaient  mon  nom  autrefois  :  je  leur  ai  fait  dire  de  le  quit- 
ter, et  vous  croyez  bien  que  je  n'ai  eu  garde  de  les  aller 
voir-.  »  Ce  ne  dut  pas  être  une  surprise  pour  Molière  qui, 
depuis  les  entretiens,  nullement  ignorés,  du  protecteur 
avec  l'évêque  d'Aleth  à  Pézenas,  en  i656,  n'avait  plus  à 
attendre  que  l'beure  où  la  disgrâce  serait  déclarée.  Ce 
qu'il  en  pensa,  comment  il  la  ressentit,  on  ne  peut  que  le 
conjecturer;  mais  il  serait  peu  étonnant  que  les  pieux  motifs 
de  cette  rigueur  eussent  médiocrement  édifié  un  homme 
que  sa  profession,  son  genre  de  vie  et  les  leçons  reçues 
autrefois  dans  la  maison  de  Luillier  n'avaient  pas  disposé 
à  la  dévotion.  On  trouverait  là,  sans  trop  d'invTaisemblance, 

1.  Recherches  sur  Molière^  p.  48,  et  Document  XLII,  cote  deux, 
p.  264. 

2.  Port-Royal ,  tome  Y,  p.  3. 


SUR   MOLIERE.  189 

une  des  explications  des  «  bigots  mis  enjeu*.  »  Le  Traité 
de  la  comédie  du  prince  de  Conti  ne  fut  imprimé  qu'en  1666, 
après  la  mort  de  son  auteur  ;  le  Tartuffe  est  d'une  date 
antérieure;  mais  on  voit  dès  quel  temps  la  sensible  blessure 
avait  été  faite.  On  douterait  moins  encore  que  le  souvenir  de 
cette  blessure  ait  été  pour  beaucoup  dans  le  sanglant  coup 
de  fouet  de  1664,  si  l'on  admettait,  avec  l'abbé  de  Choisy  et 
avec  Saint-Simon,  que  Molière  ait  eu  particulièrement  en 
vue,  comme  modèle  de  son  hypocrite,  un  des  domestiques 
du  prince  de  Conti,  le  grand  vicaire  de  ses  abbayes,  l'abbé  de 
Roquette.  Il  est  difdcile  que  le  bruit  qui  en  courut  si  géné- 
ralement n'ait  pas  averti  le  prince  que  sur  le  dos  d'un  de  ses 
familiers  c'était  à  lui  qu'on  avait  voulu  rendre  coup  pour 
coup.  Pour  Conti,  rendons-lui  cette  justice,  il  ne  fut  nullement 
lui-même  un  tartuffe.  Quelque  étrange  que  soit  le  contraste 
entre  ses  anathèmes  contre  la  comédie  et  le  goût  si  vif  qu'il 
.avait  eu  pour  elle,  entre  la  vie  de  désordres  qui  avait  suc- 
cédé à  sa  première  vocation  ecclésiastique  et  son  zèle  final 
de  converti,  sa  conversion  fut  sincère. 

Au  moment  où  Molière  fut  abandonné  et  renié  parle  pro- 
tecteur de  sa  troupe,  il  paraîtrait  s'être  souvenu  de  celui 
qui  l'avait  été  avant  Conti;  car  après  Lyon,  il  alla  à  Dijon, 
où  était  Epernon,  gouverneur  de  la  Bourgogne  depuis  le 
mois  de  mai  i65i^.  Les  anciens  comédiens  de  ce  duc  purent 
y  retrouver  avec  lui  ISanon  de  Lartigue,  dont  il  ne  s'était 
pas  séparé.  Ils  obtinrent,  le  i5  juin,  la  permission  du  con- 
seil de  ville  de  Dijon  de  donner  des  représentations  dans  le 
tripot  de  la  Poissonnerie^.  Le  titre  de  Comédiens  du  prince 
de Contileuv  était  conservé  dans  cette  permission,  soit  qu'on 
l'eût  rédigée  sans  connaître  encore  la  défense  qui  leur  avait 
été  faite  de  continuer  à  le  prendre  et  peut-être  sur  une  de- 
mande adressée  de  Lyon  au  conseil  avant  la  signification  de 
cette  défense,  soit  que  la  troupe  n'ait  pas  craint  de  différer 

1.  Épi'tre  vil  de  Boileau,  vers  29. 

2.  La  Muse  historique.  Lettre  du  21  mai  i65i. 

3.  Voyez  le  Roman  comiijue  dévoile',  p,  72,  où  M.  Chardon  a  le 
premier  fait  connaître  ce  fait;  et,  du  même  auteur,  M.  de  Mo- 
déne...  et  Madeleine  Béjart,  p.  378  et  338. 


iQo  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

un  peu  l'obéissance,  sachant  Conti  éloigné  par  la  guerre 
qu'il  faisait  au  delà  des  monts. 

On  ne  suit  pas  toujours  sans  quelque  étonneraent  la  troupe 
dans  SCS  grandes  enjambées,  en  un  temps  où  les  voyages 
n'étaient  pas  rapides.  De  Dijon,  elle  nous  ramène  loin  dans 
le  Midi,  où  sa  rencontre  avec  Pierre  Mignard  va  nous  con- 
duire à  Avignon.  De  telles  marches  ne  pouvaient  être  ca- 
jmcieuses.  Celle-ci  s'explique,  si  les  comédiens  ne  s'y  sont 
décidés  que  pour  aller  jouer  devant  les  états,  qui,  cette  an- 
née-là (1657),  tinrent  à  Pézenas  une  session,  ouverte  le  8  oc- 
tobre par  le  duc  d'Arpajon,  lieutenant  général  de  la  pro- 
vince. A  une  supposition  si  vraisemblable  on  fait  une  ob- 
jection. D'autres  comédiens,  ceux  du  duc  d'Orléans,  que  le 
lieutenant  général  favorisait  et  avait  fait  jouer  dans  son 
château  de  Séverac,  furent  appelés  à  Pézenas.  Deux  d'entre 
eux,  Mignot  et  Dubois,  ont  signé  le  20  septembre  1657  une 
quittance  constatant  que  les  conseils  d'Albi  ont  fait  trans- 
porter jusqu'à  Castres  les  bagages  de  leur  troupe  qui  se  ren- 
dait aux  états'.  Mais,  comme  nous  avons  déjà  eu  occasion 
de  le  voir,  la  présence  d'une  troupe  n'exclut  point  celle  d'une 
autre.  Leur  concurrence  dans  une  même  ville,  et  pendant 
une  même  session  des  états,  était  un  fait  très  ordinaire.  Disons 
plus,  la  probabilité  que  Molière  vint  alors  à  Pézenas  est  con- 
firmée par  la  circonstance  qui  a  paru  la  contrarier.  Un  récit 
de  Grimarest,  qui  le  tenait  évidemment  de  Baron,  témoin 
irrécusable  ici,  constate  la  rencontre  de  Molière  et  de  Mignot 
_dans  le  Languedoc.  Nous  abrégerons  l'anecdote,  mais  très 
peu  ;  car  elle  est  très  honorable  pour  Molière  :  «  Un  homme 
dont  le  nom  de  famille  était  Mignot,  et  Mondorge  celui  de  co- 
médien, se  trouvant  dans  une  triste  situation,  prit  la  résolution 
d'aller  à  Auteuil,  où  Molière  avoit  une  maison...,  pour  tâcher 
d'en  tirer  quelque  secours. . .  Il  dit  à  Baron,  qu'il  savoit  être  un 
assuré  protecteur  auprès  de  Molière,  que  l'urgente  nécessité 
où  il  étoit,  lui  avoit  fait  prendre  le  parti  de  recourir  à  lui, 
pour  le  mettre  en  état  de  rejoindre  quelque  troupe  avec  sa 
famille  ;  qu'il  avoit  été  le  camarade  de  M.  de  Molière  en  Lan- 

I.  Yoyez  le  Moliériste  d'aviùl  1879,  p.  18,  et  d'août  1879,  p.  142 
el  143. 


SUR    MOLIERE. 


19Ï 


g'ue^oc...  Earon  monta  dans  l'appartement  de  Molière  et  lui 
rendit  le  discours  de  Mondorge  avec  peine...,  craignant  de 
rappeler  désagréablement  à  un  homme  fort  riche  l'idée  d'un 
camarade  fort  gueux.  Il  est  vrai  que  nous  avons  joué  la  comé^ 

die  eiutemble,  dit  Molière,  et  c'est  un  fort  honnête  homme 

Que  croyez-vous,  ajouta-t-il,  que  je  lui  doive  donner?... 
Baron,  ne  pouvant  s'en  défendre,  statua  sur  quatre  pistoles, 
qu'il  croyait  suffisantes  pour  donner  à  Mondorge  la  facilité 
de  joindre  une  troupe.  Hé  bien,  je  vais  lui  donner  quatre 
pistoles  [)Our  moi,  ditjMolièreà  Baron,  puisque  vous  le  jugez 
à  propos;  mais  en  voilà  vingt  autres  que  je  lui  donnerai  pour 
vous  :  je  veux  qu'il  connoisse  que  c'est  à  vous  qu'il  a  l'obli- 
gation du  service  que  je  lui  rends.  J'ai  aussi,  ajouta-t-il,  un 
habit  de  théâtre  dont  je  crois  que  je  n'aurai  plus  de  besoin  ; 
qu'on  le  lui  donne  ;  le  pauvre  homme  y  trouvera  de  la  res- 
source pour  sa  profession.  Cependant  cet  habit  que  Molière 
donnoit  avec  tant  de  plaisir  lui  avoit  coûté  deux  mille  cinq 
cents  livres,  et  il  étoit  presque  tout  neuf.  Il  assaisonna  ce 
présent  d'un  bon  accueil  qu'il  fit  à  Mondorge,  qui  ne  s'étoit 
pas  attendu  à  tant  de  libéralité'.  »  Quand  Mignot,  autre- 
ment dit  Mondorge,  avait-il  pu  être  momentanément  cama- 
rade de  Molière  en  Languedoc,  et  y  jouer  avec  lui?  N'est-ce 
pas  en  lôS;,  devant  les  états? 

Si,  comme  nous  le  croyons,  Molière  était  à  Pézenas  en 
1657,  il  n'y  resta  pas  jusqu'à  la  clôture  delà  session,  qui  eut 
lieu  le  24  février  i658.  A  la  fin  de  1637,  au  plus  tard  au 
commencement  de  i6j8,  on  le  trouve  dans  Avignon.  Ce  fut 
là,  d'après  le  témoignage  de  l'abbé  de  Monville,  que  Piei're 
Mignard  et  lui  se  rencontrèrent  pour  la  première  fois,  et 
«  ces  deux  hommes  rares  eurent  bientôt  lié  une  amitié  qui 
ne  finit  qu'avec  leur  vie^  ».  Le  temps  oîi  put  se  former  cette 
liaison  est  certain.  Mignard  était  venu  à  Rome  en  i636.  Les 
longues  années  qu'il  y  passa,  au  milieu  de  fécondes  études, 
lui  ont  fait  donner  le  surnom  de  Romain.  S'il  s'en  éloigna 
quelque  temps,  ce  fut  pour  accompagnerjusqu'à  Venise  son 
ami  Charles  du  Fresnoy,  qui  retournait  en  France  ;  et  sans 

1.  La  Vie  de  M.  de  Molière^  p.   120-125. 

2.  La  fie  de  Pierre  Mignard,  p.  55. 


192  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

avoir  touché  la  terre  française,  il  reprit  le  chemin  de  Rome. 
Il  y  épousa  une  belle  romaine  en  i656,  et  ne  revint  au  pays 
natal  que  l'année  suivante,  rappelé  par  de  Lionne,  dont  il 
avait  fait  le  portrait  en  Italie.  Il  s'embarqua  pour  ce  retour 
le  lo  octobre  1637,  débarqua,  après  huit  jours  de  navigation, 
à  Marseille,  où  il  s'arrêta  près  d'un  mois,  puis  se  dirigea 
vers  Avignon,  pour  y  retrouver  son  frère  Nicolas*.  Il  n'y 
arriva  donc  qu'à  la  fin  de  novembre,  sinon  même  en  décembre. 
Ainsi  est  à  peu  près  fixée  la  date  de  sa  rencontre  avec  Molière. 
Pour  avoir  eu  le  temps  de  nouer  dans  Avignon  ces  relations 
d'amitié  immortalisées  dans  l'œuvre  du  peintre  par  des  por- 
traits du  poète,  et,  du  côté  de  celui-ci,  par  le  beau  poème 
de  la  Gloire  du  Fal-de-Grâce .  il  faut  que  tous  deux  n'y  aient 
pas  fait  ensemble  un  séjour  de  trop  courte  durée.  On  a  pensé 
que  là  fut  peint  le  portrait  de  Molière  couronné  de  lauriers, 
dans  le  rôle  de  César  de  la  tragédie  de  Pompée,  vraisembla- 
blement une  des  pièces  où  Mignard  aurait  alors  vu  jouer  son 
modèle.  On  comprend  sans  peine  que  son  noble  pinceau  ait 
mieux  aimé  représenter  le  comédien  sous  les  traits  héroïques 
du  grand  romain,  que  sous  ceux  de  Mascarille. 

Il  ne  semble  pas  d'abord  qu'il  y  ait  à  chercher  bien  loin 
le  trait  d'union  qui  rapprocha  le  peintre  et  le  poète.  La 
sympathie  n'était -elle  pas  naturelle  entre  deux  hommes 
qui,  par  des  chemins  différents,  marchaient,  dans  le  même 
temps,  vers  les  hauteurs  de  l'art?  L'ami  de  Mignard,  que 
nous  avons  tout  à  l'heure  nommé,  Charles  du  Fresnoy, 
au  début  de  son  poème  latin  Sur  Van  de  la  peinture^  imité 
dans  le  Val-de-Gràce  de  Molière,  a  chanté  la  fraternité  de 
la  poésie  et  de  la  peinture.  Avant  lui,  Plutarque  avait 
nommé  la  poésie  une  peinture  parlante  ,  la  peinture  une 
poésie  sans  parole.  Voilà  l'explication  fort  tentante,  qui  don- 
nerait à  une  liaison  devenue  si  durable  la  noble  origine  dont 
elle  était  digue.  Cette  explication,  toutefois,  est-elle  bien 
la  seule?  A  côté  d'elle,  il  est  permis  d'en  entrevoir  une 
autre  plus  prosaïque.  On  a  été  frappé  des  preuves  d'une 
amitié  très  étroite  entre  Mignard  et  les  Béjart.  En  1662, 
le  peintre   signe,  comme  ami,  au  contrat   de  mariage  de 

I.   La  Vie    de  Pierre  ^lignard^  p.  5o-52. 


SUR  MOLIÈRE.  ,93 

Geneviève  Béjart*.  Madeleine,  dans  son  testament,  ordonna 
que  les  deniers  comptants  qui  se  trouveraient  lui  appartenir 
au  jour  de  son  décès  fussent  remis  à  Mignard,  qu'elle  char- 
gea de  les  employer  en  acquisition  d'héritages*.  Des  témoi- 
gnages si  particuliers  d'affectueuses  relations  sembleraient 
indiquer  qu'elles  se  seraient  étendues  des  Béjart  à  Molière, 
plutôt  que  de  Molière  aux  Béjart.  On  croit  voir  comment 
elles  s'étaient  formées.  Nous  avons  nommé  un  frère  de  Pierre 
Mignard,  Nicolas,  peintre  distingué  lui-même,  et  connu  sous 
le  nom  de  Mignard  d'Avignon.  Ce  frère  était  depuis  long- 
temps établi  et  marié  dans  cette  ville,  quand  Mignard  le 
Romain  vint  l'y  rejoindre.  Esprit  de  Modène,  qui  y  passait 
l'hiver,  n'avait  pu  manquer  d'y  connaître  Nicolas,  quand  il 
n'y  aurait  pas  eu  pour  eux  une  occasion  de  se  lier  dans 
cette  circonstance  que  Modène  avait  passé,  avec  le  duc  de 
Guise,  l'année  1647  ^  Rome,  oii  ils  avaient  trouvé  Pierre, 
qui  fit  aloi's  le  portrait  du  duc.  Nous  avons  vu  dans  Avi- 
gnon les  Béjart  et  leur  troupe  en  i655.  Il  est  assez  probable 
qu'ils  y  rencontrèrent  dès  lors  le  comte  de  Modène,  et  de 
même  dans  cette  fin  de  l'année  1637,  qui  réunit  les  frères 
Mignard.  Que  ce  soit  donc  Modène  qui  ait  recommandé  aux 
deux  peintres  Madeleine  Béjart  et  en  même  temps  Molière, 
la  conjecture  n'a  rien  de  forcé.  Si  le  refroidissement,  déjà 
de  vieille  date,  entre  le  comte  et  la  Béjart,  semblait  une  ob- 
jection, nous  y  avions  d'avance  répondu,  lorsque  nous  avons 
montré  le  volage  et  sa  comédienne  restés  de  tout  temps 
dans  les  termes  d'une  bonne  amitié,  grâce  à  la  tranquille 
philosophie  de  la  Béjart,  à  sa  morale  facile,  qui  avait  tout 
naturellement  des  trésors  d'indulgence  et  ne  lui  conseillait 
pas  de  rompre  entièrement,  pour  un  accident  très  ordinaire, 
avec  un  passé  dont  la  qualité  de  son  ancien  amant  la  rendait 
encore  fière.  Quoi  que  l'on  pense  de  cette  explication,  les 
services  qu'elle  continua  de  rendre  à  Modène  ne  permettent 
pas  de  s'étonner  si  elle  reçut  de  lui  un  bon  accueil  dans 
Avignon  et  se  laissa  introduire  par  ses  bons  offices  dans 
l'amitié  des  Mignard. 

I,   Rec/ierc/ies  sur  Molière.  DocUMEîîT  XXXIII,  p.  21^-71  S. 
7.  Ibidem.  Document  XL,  ]).  244- 

Molière,  x  i3; 


194  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Puisque  nous  rencontrons  de  nouveau  sur  notre  chemin 
ce  seigneur  de  Modène,  disons  brièvement  ce  qu'il  était 
devenu  depuis  que  nous  l'avons  perdu  de  vue. 

Sa  vie  avait  été  fort  agitée.  On  vient  de  dire  qu'il  avait 
passé  l'année  1647  à  Rome,  où  il  accompagnait  le  duc  de 
Guise.  Il  était  parti  avec  lui  dans  les  derniers  mois  de  1646, 
s'étant  engagé  à  le  suivre  dans  sa  vie  de  romanesques  aven- 
tures. A  la  fin  de  1647,  ils  s'embarquèrent  pour  l'héroïque 
folie  de  Naples.  La  brouille  ne  tarda  pas  entre  les  deux 
paladins.  Bientôt  Guise  se  crut  trahi  par  Modène;  il  le  lit 
arrêter  le  i5  février  1648  et  jeter  en  prison.  Il  fut  lui-même, 
peu  après,  prisonnier  à  son  tour,  lorsque  Naples  tomba  au 
pouvoir  des  Espagnols.  Ceux-ci  retinrent  dans  le  Château- 
Neuf  son  lieutenant,  qui  ne  recouvra  sa  liberté  qu'en  iGjo. 
Modène  revint  alors  dans  le  Comtat.  Il  paraît  ne  l'avoir  plus 
quitté  avant  la  mort  de  Guise,  en  1664;  et  ce  fut  là  que 
Madeleine  Béjart  put  le  revoir  pendant  les  différents  séjours 
de  la  troupe  dans  Avignon,  notamment  pendant  celui  de  la 
fin  de  1637  et  des  premiers  mois  de  i658,  en  ce  temps  oîi, 
malgré  la  liaison  connue  du  gentilhomme  comtadin  et  de  la 
femme  de  Jean-Baptiste  de  l'Hermite,  il  n'est  pas  invrai- 
semblable que  l'accommodante  personne  lui  ait  dû  l'amitié 
de  Mignard,  qu'elle  fit  partager  à  Molière. 

On  a  conjecturé  un  séjour  de  notre  poète  à  Lyon,  au 
commencement  de  i658.  Nous  comprendrions  mal  qu'il  eût 
sitôt  quitté  Avignon,  où  quelques  jours  lui  auraient  diffici- 
ement  suffi  pour  devenir  un  des  meilleurs  amis  de  Mignard, 
bien  que  cette  amitié  ait  pu  être  préparée  par  de  bonnes 
relations  avec  le  frère  du  peintre  dans  des  séjours  précé- 
dents. Sur  quoi  s'est-on  appuyé?  Sur  une  délibération  de 
l'Aumône  générale  de  Lyon,  qui,  le  6  janvier  i658,  accorda 
dix-huit  cents  livres  tournois  à  une  veuve  «  recommandée 
par  la  demoiselle  Béjarre,  comédienne^  ».  Que  Béjarre  soit 
Béjart,  on  n'y  peut  voir  de  difficulté.  Mais  Madeleine  s'était 
depuis  longtemps  assez  fait  connaître  à  Lyon  pour  écrire 
d'Avignon  une  lettre  de  recommandation  à  l'Aumône  géné- 

I.  Les  Points   obscurs   de   la   vie   de  Molière,   Pièces  justificatives, 
p.  38i. 


SUR  MOLIÈRE.  195 

raie,  habituée  à  mettre  largement  à  contribution  la  bourse 
des  comédiens.  11  nous  semble  peu  douteux  que  d'Avignon 
Molière  alla  directement  à  Grenoble,  où,  par  un  témoignage 
certain,  nous  apprenons  qu'il  s'arrêta  :  En  i658,  «  il  avoit, 
dit  la  Préface  de  1G82,  passé  le  carnaval  à  Grenoble, 
d'où  il  partit  après  Pâques,  et  vint  s'établir  à  Rouen*  ». 
C'est  peut-être  sa  troupe  qui  est  désignée  dans  une  délibé- 
ration du  conseil  de  ville  de  Grenoble,  portant  que  les 
comédiens  ont  mérité  le  reproche  d'incivilité  pour  avoir 
affiché  sans  permission,  et  que  leurs  affiches  seront  levées 
jusqu'à  ce  qu'ils  se  soient  mis  en  règle  avec  les  consuls  et 
Je  conseil^.  Ce  sévère  avertissement  est  du  2  février  i658. 
Si  c'est  à  Molière  qu'il  fut  signifié,  il  marque  le  moment 
de  son  arrivée  à  Grenoble. 

De  cette  ville  on  veut  encore  qu'il  ait  été  à  Lyon,  où, 
parti  de  Grenoble  après  Pâques,  qui,  cette  année,  était  le 
21  avril,  il  ne  serait  arrivé  que  bien  peu  de  jours  avant  le 
baptême  d'un  enfant  des  du  Parc,  baptême  inscrit  à  la  date 
du  i"^""  mai  sur  le  registre  de  l'église  de  Sainte-Croix^.  Il 
est  difficile  de  croire  les  comédiens  alors  à  Lyon,  le  baptis- 
taire  n'étant  signé  d'aucun  d'eux.  Ils  avaient  hâte  de  se 
rendre  à  Rouen,  que  Molière  regardait  comme  une  dernière 
étape  sur  le  chemin  de  Paris,  où  dès  lors  il  avait  l'espé- 
rance et  l'ambition  de  se  fixer  prochainement.  «  Ses  amis, 
dit  la  Préface  de  1682,  lui  conseillèrent  de  s'approcher 
de  Paris,  en  faisant  venir  sa  troupe  dans  une  ville  voisine. 
C'étoit  le  moyen  de  profiter  du  crédit  que  son  mérite  lui 
avoit  acquis  auprès  de  plusieurs  personnes  de  considéra- 
tion qui,  s'intéressant  à  sa  gloire,  lui  avoient  promis  de 
l'introduire  à  la  cour'.  » 

Une  partie  de  la  troupe  était  certainement  arrivée  à  Rouen 
avant  le  19  mai  i658,  date  d'une  lettre  écrite  de  cette  ville 
à  l'abbé  de  Pure  par  Thomas  Corneille.  La  lettre,  après  avoir 
ionné  la  nouvelle  d'un  second  mariage  de  la  comédienne 

1.  Préface  de  1682,  p.  xiv. 

•2.  archives  des  missions  scientifiques,  7."  série,  tome  1,  p.  385. 

3.  Les  Origines  du  théâtre  de  Lyon.  Document  VI,  p.  48  . 

4.  Préface  de  1685.,  p.  xiii  et  xiv. 


rgô  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Baron,  lasse  de  son  veuvage*,  continuait  ainsi  :  «  Nous  at- 
tendons ici  les  deux  beautés  que  vous  croyez  devoir  disputer 
cet  hiver  d'éclat  avec  la  sienne.  Au  moins  ai-je  remarqué  en 
Mlle  Béjart^  grande  envie  de  jouer  à  Paris,  et  je  ne  doute 
point  qu'au  sortir  d'ici,  cette  troupe  n'y  aille  passer  le  reste 
de  l'année.  »  Il  est  clair  que  les  deux  comédiennes  attendues 
encoreàRouen,  etdont  àParis  on  commençait  à  parler  comme 
de  rivales  en  beauté  de  cette  Baron  si  admirée  par  la  reine 
Anne  d'Autriche,  étaient  la  de  Brie  et  la  du  Parc,  celle-ci 
restée  certainement  à  Lyon.  Lorsque  Thomas  Corneille  écri- 
vait, il  avait  déjà  vu  les  camarades  qui  les  avaient  précédées, 
puisque  c'était  dans  des  entretiens  avec  la  Béjart  elle-même 
qu'il  avait  eu  connaissance  du  dessein  de  la  troupe  de  s'éta- 
blir à  Paris.  Pour  en  préparer  le  succès,  on  eut  besoin  de 
quelques  mois;  car,  au  témoignagne  de  Xa  Préface  de  1682, 
nos  comédiens  passèrent  tout  l'été  à  Rouen.  On  y  vit  enfin 
arriver  les  deux  belles  retardataires.  Nous  voudrions  en 
vain  nous  peu  soucier  de  regarder  de  ce  côté-là.  Dans  une 
ville  qui,  avant  Paris,  avait  vu  en  1643  les  premiers  début? 
de  l'Illustre  théâtre,  et  maintenant  retrouvait  la  troupe,  son 
chef  surtout,  singulièrement  grandis  par  la  renommée,  ce  qui 
paraît  avoir  fait  le  plus  d'impression,  ce  furent  les  charmes 

1.  Ce  second  mariage  avait  été  prédit  par  Loret,  dans  sa  lettre 
en  vers  du  9  octobre  i655,  où  il  annonçait  la  mort  de  Baron, 
père  de  l'élève  et  ami  de  Molière  : 

Sa  moitié,  qu'il  laisse  en  ce  monde, 
Femme  de  chevelure  blonde. 
Lorsque  son  deuil  sera  tari, 
Pourra  prendre  un  autre  mari. 

2.  Au  lieu  de  3111e  Béjart,  et,  plus  haut,  de  Mlle  Le  Baron,  on  a 
imprimé  «  Mlle  Rejac  et  Mlle  Le  Ravon  »  dans  les  OEuvres  com- 
plètes de.  P.  Corneille,  suivies  des  OEuvres  choisies  de  Th.  Corneille, 
édition  de  Charles  Lahure  (1857),  qui  donne  aux  pages  670  et 
suivantes  du  tome  V  quatre  lettres  de  Thomas  Corneille  à  l'abbé 
de  Pure.  Pour  rectifier  les  noms  des  deux  comédiennes,  on  au- 
rait pu  s'épargner  la  peine  d'une  conjecture.  Dans  l'autographe 
qui  est  à  la  Bibliothèque  nationale  [manuscrits  français,  n°  12763, 
Lettres  originales),  on  lit  parfaitement  Mlle  Le  Baron  et  Mlle  Beiar. 


SUR    MOLIERE. 


'97 


d'une  des  actrices,  de  Mlle  du  Parc.  Ils  touchèrent  le  cœur 
non  seulement  de  Thomas  Corneille,  mais  de  son  illustre 
aîné,  malgré  ses  cinquante-deux  ans.  Il  n'a  pas  laissé  à  de 
suspects  commérages  d'anecdotiers  le  soin  de  nous  l'ap- 
prendre. Dans  les  vers  qu'il  a  écrits  en  cette  année  i658 
pour  la  charmante  Marquise^  ce  fier  génie,  dont  la  figure 
est  restée  si  imposante  pour  la  postérité,  a  immortalisé  sa 
faiblesse,  mais  en  mettant  dans  l'aveu  qu'il  en  fait  le  noble 
accent  qui  lui  était  naturel  ;  car  la  tendresse  elle-même  pre- 
nait chez  lui  un  air  de  grandeur.  Qui  ne  connaît  ses  poétiques 
adieux  à  la  comédienne? 

Allez,  belle  Marquise,  allez  en  d'autres  lieux 
Semer  les  doux  périls  qui  naissent  de  vos  yeux'. 

Il  la  trouva  insensible,  comme  l'avait  trouvée  Molière.  Elle 
ne  lui  fît  même  pas  l'honneur  de  s'offenser  de  ses  hommages. 
Il  s'en  plaint  avec  plus  d'aimable  soumission  que  d'amer- 
tume, reconnaissant  combien  il  est  juste  que  ses  cheveux 
gris  et  les  rides  de  son  front 

Mêlent  un  triste  charme  aux  plus  dignes  encens. 
J'ai  trop  longtemps  aimé  pour  être  encore  aimable. 

A  la  fin  de  son  épître  il  ajouta  quelques  vers,  lorsque  la 
raison  l'eut  guéri  : 

Ainsi  parla  Cléandre,  et  ses  maux  se  passèrent. 

Il  vécut  sans  la  dame,  et  vécut  sans  ennui, 
Comme  la  dame  ailleurs  se  divertit  sans  lia. 

Mieux  encore  que  dans  cette  spirituelle  déclaration  de 
sage  indifférence,  il  est  lui-même,  et  se  distingue  singuliè- 
rement des  madrigaliers,  des  doucereux,  dans  les  stances 
qu'à  la  même  époque  il  adressa  à  la  belle  dédaigneuse  : 

Marquise,  si  mon  visage 

A  quelques  traits  un  peu  vieux...-. 

I.    OEuvres  complètes  de  P.   Corneille,  tome  X,  p.   142-149. 
1.    Ihidem.  p.    i65  et  ifiô. 


igS  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Elles  sont  assez  connues  pour  que  nous  laissions  la  mémoire 
de  nos  lecteurs  en  achever  la  citation.  Corneille  y  fait 
échapper  au  ridicule  son  amour  hors  de  saison,  en  oppo- 
sant fièrement  à  l'orgueil  d'une  heauté  d'un  jour  l'orgueil 
d'une  gloire  bien  autrement  durable. 

Le  plus  jeune  des  Corneille,  nous  l'avons  dit,  ne  fut  pas 
épargné  par  le  trait  qui  avait  blessé  l'aîné.  De  lui  aussi  nous 
avons  le  témoignage;  et  n'eût-il  pas,  dans  une  élégie*,  où  il 
resta  bien  au-dessous  de  l'épître  et  des  stances  de  son  frère, 
confessé  une  passion  qui  fut  sans  triomphe,  elle  nous  aurait 
été  révélée  par  l'allusion  que  ce  frère  y  a  faite,  ])arlant  de 
rivaux  que  généreusement  il  aurait  voulu  savoir  plus  heu- 
reux que  lui  : 

J'ea  ai,  vous  le  savez,  que  je  ne  puis  haïr  2. 

Cet  épisode  du  séjour  de  nos  comédiens  à  Rouen  nous 
laisse  à  coté  de  Molière,  qui  n'y  est  intéressé  que  très  indi- 
rectement ;  mais,  ayant  la  bonne  fortune  de  rencontrer  le 
grand  Corneille,  il  était  impossible  qu'il  ne  nous  arrêtât  pas 
un  moment;  c'est  aussi  qu'il  est  piquant  de  le  voir,  tout 
barbon  qu'il  était  alors,  aussi  peu  sage  que  Molière,  et  pris, 
sans  être  comédien  comme  lui,  au  même  piège  des  dangereux 
attraits  d'une  femme  de  théâtre. 

Un  tel  homme,  qui  fut  chez  nous,  comme  le  père,  non 
seulement  de  la  tragédie,  mais  de  la  bonne  comédie,  fit-il 
donc  plus  d'attention  à  la  belle  du  Parc  qu'au  poète  dont 
les  premiers  essais  pouvaient  annoncer  déjà  que  le  Menteur 
serait  de  loin  surpassé?  On  voudrait  trouver  la  preuve  qu'il 
n'a  pas  eu  cette  occasion  de  le  connaître,  sans  beaucoup  le 
remarquer,  sans  avoir  quelque  pressentiment  d'une  pro- 
chaine renommée,  qui,  dans  une  autre  route,  devait  voler 
aussi  haut  que  la  sienne.  Rien  n'indique  cependant  que,  dès 
cette  rencontre  à  Rouen,  où  l'on  ne  peut  guère  croire  que 
Corneille  n'ait  pas  connu  l'Etourdi  et  le  De'pit  amoureux^  il 
ait  fait  amitié  avec  leur  auteur;  et  nous  le  verrons  quelques 


1.  OEuvres  complètes  de  P.  Corneille,  p.  363-367. 

2.  Ibidem,  p.  ijS,  au  vers  82  de  l'épître  citée  plus  haut. 


SUR   MOLIERE.  199 

années  plus  tard,  lorsque  le  génie  de  Molière  était  en  plein 
éclat,  s'exposer  au  soupçon  d'être  importuné  par  ses  suc- 
cès. Il  est  tout  au  moins  certain  qu'il  se  laissa  entraîner 
dans  la  querelle  d'un  théâtre  dont  les  intérêts  et  l'amour- 
propre  étaient  menacés  par  la  troupe  concurrente.  Cette 
troupe,  qui,  en  i658,  ne  parut  pas,  tout  entière  au  moins, 
à  lui  et  à  son  frère,  dépourvue  d'agrément,  leur  déplut  peu 
après.  Thomas  Corneille  va  tout  à  l'heure  la  juger  très 
médiocre,  et  bonne  seulement  pour  jouer  de  pauvres  farces, 
par  exemple  les  Précieuses  ridicules,  cette  bagatelle  !  Plus 
regrettables  que  ses  injustices  seraient  celles  du  grand 
Corneille,  que  nous  trouverons  peu  douteuses.  Nous  aurons, 
il  est  vrai,  à  parler  d  un  temps  plus  heureux,  lorsque  les 
deux  admirables  génies  associeront  fraternellement  leurs 
muses.  Alors  sans  doute  ils  avaient  oublié  toute  mésin- 
telligence; et  il  ne  leur  souvenait  peut-être  pas  davantage 
qu'avant  d'avoir  rivalisé  dans  une  collaboi^ation  qui  leur  a 
mérité  le  partage  du  prix,  ils  avaient,  avec  moins  de  succès, 
été  rivaux  autrefois  dans  une  fantaisie  amoureuse. 

Si  l'on  s'est  plus  occupé  à  Rouen  d'une  séduisante  actrice 
que  du  comédien-poète,  il  semblerait,  d'après  la  lettre  de 
Thomas  Corneille,  que  pareillement  à  Paris,  lorsqu'on  sut 
que  la  troupe  des  Béjart  et  de  Molière  allait  revenir,  c'était 
surtout  la  de  Brie  et  la  du  Parc  qui  étaient  attendues  avec 
impatience.  Ayez  donc  écrit  déjà  deux  comédies  qui  annon- 
çaient un  maître,  pour  que  tous  les  regards  se  tournent  de 
préférence  vers  de  jolis  visages!  Cette  légèreté,  ce  peu  de 
clairvoyance  des  contemporains,  étonnent  la  postérité,  comme 
si  elle-même  était  incapable  d'être,  à  l'occasion,  aussi  dis- 
traite et  aveugle. 

Molière,  qui  n'était  venu  à  Rouen  qu'en  vue  de  son  éta- 
blissement à  Paris,  y  fit  alors  secrètement  quelques  voyages, 
nous  disent  ses  biographes  de  1682.  Madeleine  Béjart,  de 
son  côté,  préparait,  avec  son  activité  ordinaire,  l'installation 
projetée.  Le  12  juillet  i6j8  un  acte  fut  passé  à  Rouen*  entre 

I.  Voyez  le  Moliéiiste  de  janvier  1886,  aux  pages  3o9.  et  3o3, 
où  il  a  donné  le  texte  de  cet  acte,  découvert  par  M.  Ch.  de  Beau- 
repaire,  archiviste  de  la  Seine-inférieure. 


200  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

elle  et  le  comte  Louis  de  Talhouet,  par  lequel  celui-ci  lui 
cédait  son  bail  de  location  du  jeu  de  paume  des  Marais,  à 
Paris,  avec  toutes  les  loges,  décorations  de  théâtre,  etc. 
Le  premier  terme  du  payement  annuel  de  trois  mille  livres 
était  fixé  à  Noël.  La  location  était  faite  de  la  Saint-Michel 
(29  septembre)  i658  à  Pâques  1660. 

Le  théâtre  loué  par  ce  bail  était  celui  de  la  troupe  du 
Marais,  qui  probablement  n'avait  pas,  à  ce  moment,  la  for- 
tune favorable.  Elle  n'était  sédentaire  qu'une  partie  de  l'an- 
née et  allait  quelquefois  passer  l'été  à  Rouen,  où  il  est  pos- 
sible qu'elle  se  soit  rencontrée  avec  celle  de  Molière.  Ce  fut 
peut-être  le  succès  des  démarches  faites  par  celui-ci  dans 
ses  voyages,  où  il  venait  tâter  le  terrain  à  Paris,  qui  empê- 
cha de  donner  suite  à  la  convention  du  12  juillet,  ou  rési- 
liée, ou  simplement  laissée  de  côté  avant  son  acceptation 
définitive.  Elle  reste  un  document  intéressant,  où  nous  ap- 
prenons qu'à  sa  date  on  ne  comptait  pas  encore  sur  l'éta- 
blissement meilleur  que  la  troupe  allait  obtenir.  Elle  nous 
fournit  en  outre  des  renseignements  de  quelque  intérêt  : 
que  le  domicile  de  la  demoiselle  Béjart,  à  Rouen,  était  au 
jeu  de  paume  des  Braques,  ce  qui  marque  évidemment  le 
lieu  où  furent  données  les  représentations  de  la  troupe; 
et,  fait  plus  curieux,  que  la  même  Béjart  élisait  domicile  à 
Paris  «  en  la  maison  de  Monsieur  Poquelin,  tapissier,  valet 
de  chambre  du  roi,  demeurant  sous  les  halles  ».  Il  est 
difficile  de  supposer  que  ce  fût  à  l'insu  de  celui-ci.  Il  avait 
donc,  tout  au  moins  alors,  pris  son  parti  du  genre  de  vie 
de  son  fils,  qui  revenait  fort  accommodé,  comme  on  disait 
alors,  et  non  sans  célébrité. 

La  fortune  eut  la  justice  de  permettre  à  Molière,  dès  son 
retour  à  Paris,  de  paraître  sur  un  théâtre  plus  favorable  à 
ses  espérances  et  mieux  fait  pour  le  mettre  dignement  en 
vue  que  le  jeu  de  paume  du  Marais.  Le  Registre  de  La 
Grange,  qui  désormais  va  nous  donner  les  annales  de  la 
glorieuse  carrière  du  poète,  commence  ainsi*  :  «  Le  sieur 
de  Molière  et  sa  troupe  arrivèrent  à  Paris  au  mois  d'oc- 
tobre i658,  et  se   donnèrent  à  Monsieur,  frère  unique  du 

I.   Registre^  p.  3. 


SUR   MOLIERE.  201 

Roi,  qui  leur  accorda  l'honneur  de  sa  protection  et  le  titre 
de  ses  comédiens,  avec  Soo**  de  pension  pour  chaque  comé- 
dien. »  On  doit  dire  qu'ici  même,  le  Registre  constate,  à  la 
marge,  une  petite  déception,  à  laquelle  les  précédents  pro- 
tecteurs avaient  sans  doute  habitué  plus  ou  moins  la  troupe  : 
«  jN"  que  les  3oo*  n'ont  pas  été  payées.  »  Appartenir  au  frère 
du  roi  n'en  était  pas  moins  un  précieux  avantage  :  Monsieur 
présenta  Molière  à  la  reine  mère  et  au  roi,  devant  qui  il  le 
fit  débuter. 

Les  biographes  de  1682  n'ont  pas  nommé  les  «  personnes 
de  considération  »  dont  ils  nous  ont  tout  à  l'heure  parlé, 
comme  ayant,  par  leur  crédit,  donné  à  nos  comédiens  des 
protecteurs  à  la  cour.  On  a  cherché  à  les  connaître.  Quelles 
qu'elles  aient  été,  il  ne  leur  était  pas  très  difficile  de  plaider 
la  cause  d'une  troupe  que  le  bruit  de  ses  succès  en  pro- 
vince avait  précédée  à  Paris.  On  a  conjecturé  que  la  Mothe 
le  Vayer,  dont  le  fils  devint  l'ami  de  Molière,  connaissait 
déjà  celui-ci  comme  gassendiste  et  avait  pu  le  recommander 
à  Monsieur,  son  élève^.  On  a  pensé  aussi  à  Mazarin,  qui,  à 
l'exemple  de  Richelieu,  aimait  et  encourageait  le  théâtre. 
Il  avait,  nous  n'en  doutons  pas,  entendu  louer  Molière  par 
Conti,  lorsque  ce  prince  était  venu  épouser  la  jeune  Mar- 
tinozzi,  ou  bien  encore  plus  récemment  par  Pierre  Mi- 
gnard.  Il  se  peut  donc  que  le  puissant  ministre  ait  parlé 
en  sa  faveur  au  duc  d'Anjou-,  auquel  il  devait  paraître 
juste,  et  même  exigé  par  son  rang,  d'avoir  ses  comédiens, 
suivant  la  coutume  de  tous  les  princes  de  ce  temps,  soit 
français,  soit  étrangers.  Il  faut  ajouter  que  le  jeune  souve- 
rain et  son  frère,  l'un  âgé  de  vingt  ans,  l'autre  de  dix-huit, 
prenaient  grand  plaisir  au  divertissement  de  la  comédie. 
Comment  ne  les  aurait-on  pas  trouvés  dans  des  dispositions 
favorables  ? 

Le  24  octobre  i658  est  une  grande  date  dans   la  vie  de 

1.  M.  de  Modène...  et  Madeleine  BJj'art,  p.  352,  et  note  3  de  la 
même  page. 

2.  Tel  était  alors  le  titre  de  Philippe  de  France.  Il  ne  devint 
duc  d'Orléans  qu'en  i66o,  après  la  mort  de  son  oncle  Gaston,  ce 
premier  protecteur  tle  l'Illustre  théâtre. 


202  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Molière.  Il  parut  ce  jour-là  «  devant  Leurs  Majestés  et  toute 
la  cour  sur  un  théâtre  que  le  Roi  avoit  fait  dresser  dans  la 
salle  des  Gardes  du  vieux  Louvre*  ».  C'était  l'avant-veille 
du  départ  de  Louis  XIV  pour  Lyon,  où  l'appelait  un  projet 
de  mariage  avec  une  princesse  de  Savoie.  Si  distrait  qu'ait 
été  peut-être,  en  de  telles  circonstances,  le  premier  regard 
du  jeune  roi  sur  Molière,  il  y  eut  là  comme  un  signe  fait  à 
la  destinée  du  grand  poète.  Le  voici  montré  au  grand  prince, 
voici  le  règne  fortuné,  qui,  personnifié  dans  son  monarque, 
rencontre  une  des  plus  brillantes  gloires  appelées  à  le  déco- 
rer. Ne  laissant  voir  d'abord  qu'une  protection  honorable, 
mais  qui  paraît  avoir  été  foi't  peu  effective,  la  représenta- 
tion donnée  au  Louvre  annonce  dans  un  avenir  prochain 
une  protection,  non  seulement  plus  haute  encore,  mais  qui 
saura  défendre  le  génie  contre  les  jugements  du  faux  goût, 
et  en  assurer  la  marche  dans  ses  plus  périlleuses  hardiesses. 
Ne  lui  demandons  pas  trop  rigoureusement  compte  du 
temps  qu'elle  lui  a  souvent  dérobé  hors  du  vrai  chemin, 
et  saluons,  sans  chicane,  le  jour  où,  pour  la  première  fois, 
Molière,  de  la  scène  où  il  jouait,  vit  la  main  puissante  qui 
bientôt  devait  lui  être  tendue  de  si  haut. 

Nicomède  fut  la  pièce  que  la  troupe  représenta  devant  la 
plus  imposante  des  assemblées.  Lorsque  Molière  venait  de 
quitter  Corneille,  il  ne  pouvait  mieux  choisir  qu'une  de  ses 
tragédies  ;  et  celle-ci,  où  règne  si  fièrement  la  grandeur  d'une 
âme  royale,  était  tout  indiquée  pour  se  faire  écouter  favo- 
rablement de  l'auguste  spectateur.  «  Ces  nouveaux  acteurs, 
dit  la  Préface  de  1682,  ne  déplurent  point,  et  on  fut  sur- 
tout fort  satisfait  de  l'agrément  et  du  jeu  des  femmes*.  » 
Nous  le  croyons  sans  peine,  averti  que  nous  sommes  de  la 
curiosité  excitée  par  les  belles  comédiennes  de  la  troupe 
avant  même  leur  arrivée;  puis  la  jeune  cour  était  d'hu- 
meur galante,  déjà  le  roi  tout  le  premier. 

Le  jeu  des  femmes,  approuvé  surtout,  ferait  supposer  que 
celui  de  Molière  le  fut  moins  dans  Nicomède,  où  il  dut  avoir 
un  rôle.  Son  talent  d'acteur  était  contestable  dans  le  tra- 


1.  Préface  de  1G82,  p.  xiv. 

2.  Ibidem. 


ST^R    '^lOLTERE.  2o3 

gique.  Toutefois,  s'il  n'y  fut  pas  sans  quelques  défauts,  un 
de  ceux  qu'on  lui  reprochait  peut  bien  avoir  été  ce  naturel 
qu'il  préférait  avec  tant  de  raison  à  l'emphase  de  son  temps. 
Fut-ce  un  souvenir  de  critiques  malveillantes  dont  avait  été 
l'objet  son  début  au  Louvre,  qui,  dans  l' Impromptu  de  Fer- 
s(iilïes\  lui  fit  choisir  des  vers  de  Nicomède  comme  le  pre- 
mier exemple  qu'il  y  cite  de  la  mauvaise  récitation  des 
acteurs  de  l'Hôtel  de  Bourgogne?  La  présence  de  ces  rivaux 
à  la  représentation  du  ai  octobre  i658  est  attestée  par  la 
Préface  de  1682.  Cette  présence  achève  de  mettre  sous  nos 
veux  le  tableau  complet  de  l'avenir  réservé  à  Molière.  Nous 
y  voyons  le  roi  déjà  favorablement  disposé,  en  attendant 
qu'il  devienne  le  plus  encourageant  et  le  plus  sûr  appui  du 
poète  :  puis  sa  cour,  où  celui-ci  devait  trouver  des  appré- 
ciateurs et  des  amis,  mais  quelques-uns  aussi  de  ses  plus 
furieux  ennemis,  parmi  ceux  que,  sous  le  nom  de  marquis, 
ses  railleries  n'ont  pas  ménagés;  enfin  les  comédiens  en- 
vieux, pour  qui  leur  troupe  ne  cessa  d'être  la  seule  «troupe 
royale  »,  et  dont  il  put,  dès  ce  premier  jour,  constater 
l'hostilité.  I!  paraît  certain,  en  effet,  qu'à  cette  représenta- 
tion de  Nicomède  ils  laissèrent  tout  au  moins  reconnaître 
sur  leurs  visages  qu'ils  jugeaient  Molière  digne  -d'être  sifflé. 
Il  ne  fut  donc  pas  l'agresseur,  lorsque,  dès  le  commence- 
ment de  l'année  suivante,  il  s'est  moqué  dans  Zes-  Pre'cieuses- 
de  leur  déclamation  ronflante.  Ne  fut-ce  pas  la  malveillance 
de  ces  Grande  comédiens  qui  accrédita  le  bruit  du  mauvais 
succès  de  la  nouvelle  trouj)e  jouant  la  tragédie  de  Corneille 
dans  la  salle  des  Gardes?  Charles  Perrault  a  dit  :  «  Il  est 
vrai  que  la  troupe  ne  réussit  pas  cette  première  fois^  ". 
Est-ce  bien  certain?  Quoi  qu'il  en  soit,  Molière,  lorsqu'il  eut 
achevé  son  rcMe  dans.  ISicomèdc,  s'était  réservé  une  occasion 
de  se  faire  plus  particulièrement  connaître.  11  était,  comme 
orateur  de  la  troupe,  fort  exercé  à  parler,  et  il  le  faisait 
toujours  avec  un  goût  parfait.  11  «  vint  sur  le  théâtre, 
disent  ses  premiers  biographes,  et,  après  avoir  remercié 

I.  Scène  i,  tome  [II,  p.  398  el  ^gg. 
3.  Scène  ix,  tome  II,  p.  93. 
3.   Les  Hommes  illustres,  p.  79. 


ao4  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Sa  Majesté,  en  des  termes  très  modestes,  de  la  bonté  qu'Elle 
avoit  eue  d'excuser  ses  défauts  et  ceux  de  toute  sa  troupe, 
qui  n'avoit  paru  qu'en  tremblant  devant  une  assemblée  si 
auguste,  il  lui  dit  que  V envie  qu  ils  avoient  eue  d avoir  l'hon- 
neur de  divertir  le  plus  grand  roi  du  monde  leur  avnit  fait 
oublier  que  Sa  Majesté'  avoit  à  son  service  d'excellents  origi- 
naux, dont  ils  n'étoient  que  de  très  foibles  copies;  mais  que, 
puisqu  Elle  avoit  bien  voulu  souffrir  leurs  manières  de  cam- 
pagne, il  la  supplioit  très  humblement  dt avoir  pour  agréable 
quil  lui  donnât  un  de  ces  petits  divertissements  qui  lui  avoient 
acquis  quelque  réputation,  et  dont  il  régaloit  les  provinces^.  « 

Il  est  regrettable  que  nous  n'ayons  là  qu'un  abrégé  du 
petit  discours,  et  qu'on  nous  en  ait  seulement  donné  à  peu 
près  le  sens,  sans  que  nous  puissions  regarder  comme  tex- 
tuelles les  paroles  mises  dans  la  bouche  de  Molière.  «  Le 
plus  grand  roi  du  monde  »,  déjà!  Cette  flatterie  trop  pro- 
phétique étonnerait  à  cette  date.  Ce  que  l'on  peut  tenir  pour 
sûr,  c'est  que  la  harangue  fut  très  spirituelle.  Louis  XIV, 
en  l'écoutant,  put  se  dire,  avec  son  droit  sens,  que  l'esprit 
de  ce  comédien  de  campagne  n'était  pas  sans  urbanité  ni 
de  qualité  médiocre.  Il  allait  aussi,  quoique  dans  une  petite 
farce,  se  faire  une  idée  de  la  verve  plaisante  de  l'auteur 
comique.  Laissons  encore  parler  les  auteurs  de  la  Préface, 
dont  le  récit  continue  ainsi  :  «  Ce  compliment...  fut  si  agréa- 
blement tourné  et  si  favorablement  reçu,  que  toute  la  cour 
y  applaudit,  et  encore  plus  à  la  petite  comédie,  qui  fut  celle 
du  Docteur  amoureux [Elle]  divertit  autant  qu'elle  sur- 
prit tout  le  monde.  Monsieur  de  Molière  faisoit  le  Doc- 
teur*. « 

Mais  quoi  !  dans  une  si  grande  occasion ,  n'était-ce  pas 
l'Étourdi  ou  le  Dépit  amoureux  qu'il  eût  fallu  représenter? 
Molière,  n'en  doutons  pas,  savait  ce  qu'il  faisait.  Il  n'y 
avait  place  que  pour  un  petit  acte  après  Nicomède,  et  lors- 
qu'on paraissait  pour  la  première  fois  devant  des  personnes 
ro)'ales,  une  tragédie  avait  dû  sembler  de  rigueur.  Elle  pou- 
vait seule,  d'ailleurs,  permettre  quelque  comparaison  entre 

1.  Préface  de  i68a,  p.  xiv. 

2.  Ibidem. 


SUR   MOLIERE.  2o5 

les  ejccellenf!  originaux  et  leurs  ambitieuses  copies.  Et  puis 
il  faut  prendre  garde  de  nous  tromper  sur  le  plaisir  que 
faisaient  ces  légers  canevas,  à  la  mode  italienne,  qui  lais- 
saient beaucoup  à  l'improvisation  des  acteurs,  et  que  Molière, 
plus  que  tous  les  autres,  surtout  en  les  reprenant  alors,  se- 
mait sans  nul  doute  de  traits  étincelants.  Ils  avaient  assez 
plu  dans  le  Languedoc  pour  permettre  d'espérer  qu'ils  ne 
seraient  pas  dédaignés  par  la  cour  elle-même,  devant  qui 
l'auteur  du  Docteur  amoureux  ne  le  produisit,  soyons-en  cer- 
tains, qu'en  le  purgeant,  s'il  se  trouvait  qu'il  en  fût  besoin, 
de  tout  sel  grossier.  Au  reste,  la  petite  pièce,  qu'elle  ait  été 
parée  ou  non  d'agréments  nouveaux  pour  la  circonstance, 
n'est  pas  venue  jusqu'à  nous  ;  elle  n'est  pas  au  nombre  de 
ces  juvenilia  de  Molière  qui  nous  ont  été  conservés,  peut- 
être  plutôt  mal  que  bien,  et  sans  que  nous  sachions  ce  que, 
sur  la  scène,  il  faisait  entrer  de  spirituelles  saillies  dans  ces 
cadres  commodément  ouverts  et  toujours  faciles  à  élargir. 
Il  faut  faire  attention  à  la  manière  assez  favorable  dont 
l'auteur  des  Nouvelles  nouvelles,  impartial  en  apparence 
seulement,  parle  de  ces  petites  farces  qu'il  avait  pu  con- 
naître mieux  que  nous  :  «  Il  fit  [en  province)  des  pièces  qui 
réussirent  un  peu  plus  que  des  farces,  et  qui  furent  un  peu 
plus  estimées  dans  toutes  les  villes  que  celles  que  les  autres 
comédiens  jouoient'.  »  Ce  Docteur  amoureux,  choisi  entre 
toutes  pour  être  représenté  devant  Louis  XIV,  peut  bien 
avoir  été  celle  que  Molière  estimait  la  meilleure.  S'il  est 
vrai,  comme  le  dit  le  Bolxana,  que  Boileau  en  regrettât 
la  perte,  était-ce  seulement  parce  qu'il  pensait  «  qu'il  y  a 
toujours  quelque  chose  de  saillant  et  d  instructif  »  dans  les 
moindres  ouvrages  de  Molière^?  N'était-ce  pas  plutôt  qu'il 
avait  pu  le  juger  ainsi  au  Petit-Bourbon,  dans  le  temps  des 
représentations  qui  y  furent  données  avant  que  La  Grange 
eût  commencé  son  Registre 'l 'Slnil^vè  tout,   il  ne  pouvait  y 

1.  JVouielles    riouvellei ,    par    M.    de...   [de   Fisé) ,     i663  (in-ial 
tome  III,  p.  220. 

2.  Bolœana  (l'j^'i],   p.  3l. 

3.  Voyez  notre  tome  I,  p.  4  et  9-  {Notice  sur  les  premières  farces, 
par  E.  Despois.) 


«o§  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

avoir  là  rien  à  comparer,  même  de  loin,  avec  ses  deux 
vraies  comédies;  mais  eût-il  été  libre  de  les  choisir,  pour 
paraître,  dans  son  début,  avec  tous  ses  avantages,  un 
joueur  prudent  ne  se  hâte  pas  de  montrer  tout  ce  qu'il  a 
dans  les  mains  pour  gagner  la  partie. 

Le  roi  en  vit  assez  pour  être  content,  puisqu'il  fit  donner 
à  la  troupe  de  Monsieur  la  salle  du  Petit-Bourbon,  où  elle 
devait  jouer  alternativement  avec  les  comédiens  italiens ^ 
dont  la  troupe  avait  pour  chef  le  fameux  Scararaouche. 
Cette  salle  très  vaste*  communiquait  avec  le  Louvre  par  de 
longues  galeries.  On  y  était  presque  chez  le  roi.  Les  repré- 
sentations en  public  des  nouveaux  comédiens  y  commen- 
cèrent le  2  novembre^  iG58. 

Les  camarades  de  Molière  étaient,  à  ce  moment-là,  Bé- 
jart  l'aîné  (Joseph),  Béjart  cadet  (Louis),  du  Parc,  du  Fresne, 
de  Brie,  et  les  demoiselles  Béjart  (Madeleine),  du  Parc,  de 
Brie,  Hervé  (Geneviève  Béjart).  On  a  vu  dans  la  lettre  de 
Chapelle*  écrite  à  Molière  au  commencement  du  printemps 
de  l'année  suivante,  que  de  peines  donna  le  gouvernement 
de  cette  troupe  à  son  chef,  au  milieu  des  rivalités  des  co- 
médiennes. Si  l'on  trouve,  cinq  ans  plus  tard,  Molière  pes- 

1.  Elle  leiu'  payait  quinze  cents  livres,  et  il  était  convenu  que, 
pour  ses  représentations,  elle  prendrait  les  jours  exiraordinaires, 
les  lundis,  mercredis,  jeudis  et  samedis.  (Registre  de  La  Grange, 
p.  3.)  —  Â-u  mois  de  juillet  de  l'année  suivante  (lôSg)  les  comé- 
diens italiens  ayant  repassé  les  monts,  notre  troupe  prit  les  jours 
ordinaires,  le  dimanche,  le  mardi  et  le  vendredi.  (Ibidem,  p.  8.) 
Ces  jours  étaient  les  meilleurs,  comme  l'explique  Cliappuzeau 
(le  Théâtre  français,  livre  II,  chapitre  xv). 

2.  Sur  son  étendue,  sur  sa  situation,  le  long  de  la  Seine,  entre 
le  vievix  Louvre  et  Saint-Germain-l'Auxerrois,  sur  les  divertisse- 
ments qui  y  furent  donnés,  avant  qu'elle  fût  mise  à  la  disposi- 
tion de  Molière,  voyez  le  Théâtre  français  sous  Lauis  XIV  d'Eu- 
gène Despois,  p.  33-20,  et  p.  ^o--'\\o.  à  la  Note  première  de 
V^ppeudice. 

3.  Le  Registre  de  La  Grange  dit  inexactement  le  3  novembre, 
qui  cette  année  était  un  dimanche,  un  des  jours  réservés  aux  Ita- 
liens. Le  Registre  d'ailleurs  ajoute  :  «  jour  des  Trépassés  »,  cor- 
rigeant par  là  son  erreur. 

4.  Ci-dessus,  p.  146-148. 


SUR   MOLIERE.  207 

tant  encore,  dans  l'Impromptu  de  Versailles^,  contre  ses  ac- 
teurs, il  le  fait  alors  en  souriant  :  tout  avait  changé;  son 
autorité  était  plus  fortement  établie.  S'il  n'est  pas  probable 
que  la  guerre  eût  cessé  entre  les  femmes,  elle  était  sans 
doute  moins  ouverte.  En  tout  cas,  devant  le  public,  il  n'au- 
rait eu  garde  de  se  plaindre  de  ses  camarades  autrement 
que  par  manière  de  badinage. 

Dès  qu'il  fut  établi  au  Petit-Bourbon,  il  dut  songer  à  la 
grande  épreuve,  qu'il  n'avait  pu  risquer  devant  le  roi.  Il 
fallait,  sans  trop  différer,  connaître  le  jugement  du  public  de 
Paris  sur  les  ouvrages  dont  le  succès  intéressait  sérieuse- 
ment sa  réputation  personnelle,  tout  son  avenir  d'auteur. 
Ce  fut  dans  ces  commencements  qu'il  «  donna  pour  nou- 
veautés V Étourdi  et  le  De'pit  amoureux,  qui  n'avoient  jamais 
été  joués  à  Paris-.  »  Les  dates  manquent  nécessairement 
dans  le  Registre  de  La  Grange,  qui,  n'étant  pas  encore  entré 
dans  la  troupe,  s'est  cru  dispensé  de  marquer,  sur  ouï-dire, 
les  jours  précis  où  furent  jouées  pour  la  première  fois,  avant 
le  28  avril  i6jg,  les  deux  comédies  si  dignes  de  faire  épo- 
que. Il  s'est  contenté  de  les  nommer  avant  toutes  autres,  en 
homme  qui  n'en  ignorait  pas  la  valeur,  et  de  constater  que 
«  ces  deux  pièces  nouvelles,  ou  telles,  pour  Paris  5>,  y  furent 
représentées  avec  un  grand  succès,  qui  ne  contribua  pas  peu 
à  celui  de  la  troupe''.  Grimarest  ne  laisse  pas  les  dates  aussi 
indéterminées.  L'Étourdi  parut,  selon  lui,  dès  le  premier 
mois  (novembre  i658),  le  De'pit  amoureux  au  mois  de  décem- 
bre suivant*.  L' Élomire  kypocondre  nous  apprend  qu'avant 
la  représentation  de  l'Étourdi  d'autres  avaient  été  données, 
celles  de  cinq  des  tragédies  de  Corneille,  dans  lesquelles  on 
ne  fut  pas  content  des  acteurs.  Il  fait  dire  à  Elomire^: 

...  Tel  étoit  déjà  le  bruit  de  mon  renom 
Qu'on  nous  donna  d'abord  la  salle  de  Bourbon. 
Là  par  Héraclhis  nous  ouvrons  un  théâtre 

I.   Scène  I,  tome  IIL  ]).  089.  —  y..   Préface  de  1G82,  p.  xv. 

3.   Registre  de  La  Grange,  p.  4-  —  ^-La  f^ie  de  .1/.  de  Molière,  p.  Z^. 

5.  Scène  11  du  Divorce  comique,  p.  78-80.  —  On  a  dit  que  Cha- 
lussay  s'était  trompé  en  nommant  Héraclius  au  lieu  de  Nicomède, 
mais  il  parle  du  Petit-Bourbon  et  non  du  Louvre. 


ao8  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Où  je  crois  tout  charmer  et  tout  rendre  idolâtre. 

Mais  hélas!  qui  l'eût  cru?  Par  un  contraire  effet, 

Loin  que  tout  fût  charmé,  tout  fui  mal  satisfait; 

Et  par  ce  coup  d'essai,  que  je  croyois  de  maître, 

Je  me  vis  en  état  de  n'oser  plus  paroître. 

Je  prends  cœur  toutefois,  et,  d'un  air  glorieux. 

J'affiche,  je  harangue,  et  fais  tout  de  mou  mieux. 

Mais  inutilement  je  tentai  la  fortune. 

Après  Héraclius,  on  sifQa  Rodogune . 

Cinna  le  fut  de  même,  et  le  Cid,  tout  charmant, 

Reçut  avec  Pompée  un  pareil  traitement. 

Dans  ce  sensible  affront,  ne  sachant  où  m'en  prendre. 

Je  me  vis  mille  fois  sur  le  point  de  me  pendre. 

Mais  d'un  coup  d'étourdi  que  causa  mon  transport. 

Où  je  devois  périr,  je  rencontrai  le  port  : 

Je  veux  dire  qu'au  lieu  des  pièces  de  Corneille, 

Je  jouai  l'Étourdi^  qui  fut  une  merveille; 

Car  à  peine  on  m'eut  vu,  la  hallebarde  au  poing, 

A  peine  on  eut  ouï  mon  plaisant  baragouin ', 

Vu  mon  habit,  ma  toque,  et  ma  barbe,  et  ma  fraise, 

Que  tous  les  spectateurs  furent  transportés  d'aise. 

Du  parterre  au  théâtre,  et  du  théâtre  aux  loges, 
La  voix  de  cent  échos  fait  cent  fois  mes  éloges; 
Et  cette  même  voix  demande  incessamment 
Pendant  trois  mois  entiers  ce  divertissement. 

Mon  Dépit  amoureux  suivit  ce  frère  aîné 

Et  ce  charmant  cadet  fut  aussi  fortuné  ; 

Ceu"  quand  du  Gros-René  l'on  aperçut  la  taille, 

Quand  on  vit  sa  dondon  rompre  avec  lui  la  paille, 

Quand  on  m'eut  vu  sonner  mes  grelots  de  mulets-, 

Mon  bègue ^  dédaigneux  déchirer  ses  poulets, 

Et  remener  chez  soi  la  belle  désolée, 

Ce  ne  fut  que  ah!  ah!  dans  toute  l'assemblée; 

1.  Rôle  de  Mascarille,  acte  V,  scène  m. 

2.  Acte  II,  fin  de  la  scène  vi.  Molière  jouait  donc  le  rôle  d'Al- 
bert, et  non  celui  de  Mascarille,  qu'il  avait  sans  doute  joué  en 
province. 

3.  Le  personnage  du  jeune  premier  Éraste  avait  donc  été  donne 
à  Joseph  Béjart,  dont  le  bégayement  n'était  probablement  pas  très 
choquant. 


SUR    MOLIÈRE.  209 

Et  de  tous  les  côtés  chacun  cria  tout  haut  : 
C'est  là  faire  et  jouer  des  pièces  comme  il  faut. 

Chalussay,  dans  ce  dernier  vers,  nous  paraît  changé, 
pour  un  moment,  en  un  Balaam.  Soyons-lui  reconnaissant 
d'une  louange  de  si  grande  valeur  dans  sa  bouche,  qu'il 
n'avait  ouverte  que  pour  la  raillerie  méchante;  et  pardon- 
nons-lui, s'il  n'est  pas  invraisemblable  qu'il  ait  un  peu  exa- 
géré les  mésaventures  de  la  troupe  dans  les  pièces  de  Cor- 
neille. Il  se  peut  d'ailleurs  que  ces  représentations  tragiques 
aient  été  réellement  accueillies  par  quelques  sifflets,  qui  de- 
vaient laisser  reconnaître  la  cabale  des  tragédiens  rivaux  ; 
mais  pour  qu'il  ait  entendu  aussi  les  Ah!  ah!  soulevés,  non 
seulement  par  le  jeu  des  acteurs  du  Dépit  amoureux,  mais 
par  le  comique,  un  comique  jugé  comme  il  faut,  de  la  pièce 
elle-même,  nous  devons  tenir  pour  bien  prouvé  que  le  pu- 
blic avait,  à  son  grand  honneur,  été  plus  que  content,  vrai- 
ment transporté.  Il  est  curieux  d'avoir  à  chercher  aujour- 
d'hui dans  une  satire  le  témoignage  contemporain  des 
premières  journées  triomphantes  qui  donnèrent  courage  à 
Molière,  et  de  ne  pas  les  rencontrer  ailleurs. 

Ceux  qui  s'étonnent,  bien  qu'il  n'y  ait  pas  de  quoi,  de 
trouver  la  justice  si  tardive,  auront  peine  à  comprendre 
que  la  révélation  faite  à  Paris  d'un  génie  comique  sans  égal 
semble  n'avoir  pas  fait  le  moindre  bruit  hors  de  la  salle 
où  elle  fut  vivement  applaudie.  Déjà  la  représentation  du 
Louvre,  qu'avec  ses  promesses  de  la  plus  haute  faveur  nous 
avons  peine  à  ne  pas  nous  imaginer  aujourd'hui  comme 
une  grande  fête  littéraire,  n'avait  pas  même  eu  l'honneur 
d'une  mention  dans  la  Gazette,  très  exacte  d'ordinaire  à 
nous  faire  suivre  le  roi  partout  où  il  se  montre,  et  à  ne  pas 
oublier  ses  moindres  divertissements.  Loret  non  plus,  dans 
sa  Muse  historique,  n'en  avait  soufflé  mot;  et  lorsque  les 
deux  charmantes  comédies,  accueillies  avec  enthousiasme 
au  Petit-Bourbon,  ouvrirent  à  notre  théâtre  une  ère  nou- 
velle de  chefs-d'œuvre,  on  interroge  en  vain  chez  le  gaze- 
tier  rimeur  ses  lettres  de  novembre  et  de  décembre  i658. 
En  fait  de  spectacles,  il  n'ouvre  les  yeux  que  pour  admirer 
un  géant  qui  attirait  la  foule  au  bout  du  Pont->"euf.  La  cé- 
cité, trop  fréquente  chez  les  messagers  de  la  Renommée, 
Molière,  x  14 


2IO  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

n'explique  pas  tout  peut-être.  Il  est  permis  de  soupçonner 
une  conspiration  du  silence  machinée  autour  de  Molière 
par  l'Hôtel  de  Bourgogne.  En  se  voyant  l'objet  de  tant  de 
jalousie,  le  poète  ne  se  fût  pas  trompé,  s'il  eût  dit  comme 
son  Alceste  : 

Ce  m'est  un  fort  bon  signe,  et  ma  joie  en  est  grande'. 

Nous  ne  savons  si  sa  philosophie  alla  jusque-là;  mais  cer- 
tainement il  eut  assez  de  confiance  dans  ses  forces  pour  ne 
pas  désespérer  du  jour  de  l'entière  justice. 

Ses  camarades  eux-mêmes,  en  dépit  de  la  sourde  guerre 
de  l'envie,  n'avaient  aucun  sérieux  motif  de  découragement; 
et  s'il  y  eut  quelques  désertions,  ou  n'y  saurait  voir  le 
sauve-qui-peut  de  gens  qui  auraient  eu  la  vision  d'une  pro- 
chaine déroute.  Du  Fresne  sortit  de  la  troupe,  parce  que, 
fatigué,  il  jugea  l'heure  venue  de  la  retraite,  qu'il  alla  cher- 
cher à  Argentan,  son  pays  natal.  La  du  Parc,  entraînant 
avec  elle  Gros-René,  son  mari,  passa  dans  la  troupe  du 
Marais,  sans  autre  raison  probablement  qu'une  de  ces  piques 
féminines  comparées  dans  la  lettre  de  Chapelle  à  celles  des 
déesses  de  l'Olympe.  Au  reste,  la  première  fuite  de  la  belle 
Marquise  nQ  l'éloignapas  pour  longtemps.  Ces  changements, 
auxquels  il  ne  faut  pas  chercher  un  autre  sens,  sont  placés 
par  La  Grange  au  temps  de  Pâques  1659.  Ils  n'ébranlèrent 
point  la  fortune  du  théâtre,  qui  combla  heureusement  les 
vides  par  l'engagement  du  vieux  Jodelet,  le  farceur  si  po- 
pulaire, et  de  son  frère  l'Épy,  l'un  et  l'autre  sortis  du  Ma- 
ltais; par  celui  aussi  de  deux  excellents  acteurs,  La  Grange 
et  du  Croisy,  celui-ci  venu  avec  sa  femme. 

Quelques  jours  avant  la  rentrée  de  Pâques,  qui  n'eut  lieu 
que  le  28  avril,  la  troupe  alla  en  visite  au  château  de  Chilly-, 
où  le  maréchal  de  la  Meilleraye,  grand-maître  de  l'artillerie, 
recevait  le  roi,  rentré  h.  Paris  à  la  fin  de  janvier.  Nous  ne 
devions  pas  omettre  cette  visite,  qui  pour  la  seconde  fois 
donna  l'occasion  à  Molière  de  paraître  devant  Louis  XIV, 
non  plus  alors  avec  une  petite  ébauche  de  pièce,  mais  avec 

I.  Le  Misanthrope^  vers  iio. 
3.  Près  de  Longjumeau. 


SUR    MOLIERE.  aii 

le  Dépit  amoureux,  ainsi  que  La  Grange  en  a  consigné  le 
souvenir ^  Voilà  donc  enfin  connue  du  juge  le  plus  utile  à 
gagner,  une  comédie  qui  put,  de  ce  jour,  lui  faire  appré- 
cier plus  dignement  le  talent  de  Molière.  Qui,  sans  le  fidèle 
Registre,  nous  aurait  donné  cette  intéressante  information? 
Ce  n'aurait  été  ni  la  Gazette,  ni  la  Mu-^e  historique.  L'une 
nous  apprend  seulement  que  trois  jours  après  Pâques,  le 
i6  avril  (nous  avons  ainsi  la  date),  le  roi  fut  à  la  prome- 
nade à  Chilly,  avec  une  très  belle  troupe  de  seigneurs  et  de 
dames,  que  le  grand-maître  l'y  traita  somptueusement, 
«  puis  lui  donna  le  divertissement  de  plusieurs  sortes  de 
chasses,  et  de  la  comédie,  qui  fut  encore  suivie  d'une  ma- 
gnifique collation-  ».  La  comédie,  mentionnée  sèchement, 
fait  là  petite  figure,  et  magnifique  est  l'épithète  réservée  à 
la  gloire  de  la  cuisine.  C'est  ainsi  que  Dassoucy,  plus  par- 
donnable, avait  surtout  vanté  la  grande  mangeaille  dont  on 
se  crevait  à  la  table  de  Molière.  A  la  même  date  que  la  Ga- 
zette, Loret,  tout  comme  elle,  célèbre  les  mets  délicieux, 
la  chasse  des  chevreuils  et  des  daims  : 

Que  faut-il  encor  que  je  die? 
Les  violons,  la  comédie. 

Pour  celle-ci,  voilà  tout;  il  ne  daigne  nommer  ni  les  comé- 
diens, ni  la  pièce  qu'ils  jouèrent.  Nous  lui  devons  cepen- 
dant de  savoir  que  parmi  les  spect'àteurs  étaient  le  frère 
du  roi,  les  nièces  de  Mazarin,  la  très  belle  Villeroi^,  et  une 
demi-douzaine  de  filles  d'honneur  de  la  reine,  des  plus 
richement  parées.  Jusqu'à  la  fin  ce  fut  une  fête  éblouissante, 

Et  chacun  s'en  revint  chez  soi, 

enchanté  très  certainement. Mais  parmi  tout  ce  beau  monde, 
qui  emportait,  en  rentrant,  le  souvenir  de  tant  de  magnifi- 
cences, on  eût  peut-être  facilement  compté  ceux  qui  recon- 

1.  Registre,  p.  5. 

2.  Gazette  du  19  avril  1609. 

3.  Mlle  de  Villeroi,  fille  de  Nicolas  de  Neuf\ille,  duc  de  "Vil- 
leroi,  maréchal  de  France,  et  sœur  du  marquis  de  Villeroi  {le 
Charmant). 


ail  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

nurent  n'avoir  eu  sous  les  yeux  rien  de  plus  digne  de 
mémoire  que  les  charmantes  scènes  dont  l'éclat  fut  alors 
le  seul  qui  ne  dût  pas  rapidement  s'éteindre. 

L'Étourdi,  qu'il  restait  à  faire  connaître  au  roi,  tarda  peu 
à  être  joué  pour  lui.  Il  le  fut  le  lo  mai  lôSg*,  au  Louvre. 
La  représentation  ne  put  avoir  tout  son  agrément.  Joseph 
Béjart,  s'étant  trouvé  malade,  acheva  son  rôle,  probable- 
ment celui  de  Lélie^,  mais  avec  peine.  Souvent  la  scène  est 
pour  les  comédiens  comme  un  champ  d'honneur  où  le  sol- 
dat blessé  ne  laisse  pas  tomber  son  arme,  tant  qu'il  n'est 
pas  à  bout  de  forces. 

Le  Registre  de  La  Grange  marque  une  représentation  de 
l'Étourdi,  le  même  jour,  au  Petit-Bourbon.  On  aura  beau 
trouver  un  peu  singulier  que  l'on  commençât  par  la  ville,  au 
risque  de  ne  présenter  au  Louvre  que  des  acteurs  fatigués, 
il  ne  saurait  y  avoir  de  doutes  sur  l'ordre  des  deux  repré- 
sentations. Le  Petit-Bourbon  ne  jouait  que  dans  la  jour- 
née; ce  fut  donc  le  soir  que  l'on  joua  devant  le  roi^.  Il  est 
d'ailleurs  impossible  que  Béjart  ait  été  en  état  de  remonter 
sur  la  scène  du  théâtre  public  après  un  accident  des  plus 
graves  et  que  la  mort  suivit  bientôt.  L'avenir,  s'il  s'était  pu 
dévoiler,  eût  montré  Molière,  par  une  destinée  semblable, 

1.  Le  Registre  dit  :  «  le  samedi  ii  ».  Le  samedi  était  le  lo.  La 
Grange  a  persévéré  dans  son  erreur  de  dates  depuis  le  jeudi 
8  mai  jusqu'à  la  fin  du  mois. 

2.  On  croit  qu'il  l'avait  créé  à  Lyon.  Dans  le  Dépit  amoureux 
il  jouait  un  rôle  du  même  emploi,  celui  d'Eraste,  comme  nous 
l'apprend  VElomire  hvpocondre  : 

Quand  on  vit 

Mon  bègue  dédaigneux  déchirer  ses  poulets. 

3.  Diverses  mentions  que  fait  Dangeau  du  divertissement  de  la 
comédie  dans  les  demeures  royales  marquent  le  soir.  C'était 
peut-être  le  plus  ordinaire  dès  le  temps  très  antérieur  à  celui 
dont  il  a  fait  la  chronique.  On  verra  ci-après  toutefois  un  nou- 
vel exemple  d'une  comédie  de  Molière  représentée  deux  fois  le 
même  jour,  devant  le  roi  d'abord  à  Fontainebleau,  puis  chez  le 
surintendant  le  soir.  Il  n'y  avait  pas  la  même  difficulté  pour  une 
visite  que  pour  le  théâtre  public. 


SUR   MOLIERE.  2i3 

emporté  expirant  de  la  scène  en  jouant  sa  dernière  comédie. 
Béjart,  mis  hors  de  combat  dans  une  représentation  de  la 
première,  ne  mourut  pas  tout  à  fait  aussi  vite,  mais  au  bout 
de  quelques  jours,  dans  la  seconde  quinzaine  de  mai*.  Telle 
était  dans  la  troupe  la  grande  place  des  Béjart  qu'à  l'oc- 
casion de  la  mort  de  Joseph  (La  Grange  l'atteste),  il  y  eut 
une  longue  interruption  des  représentations,  depuis  le  lundi 
19  mai  jusqu'au  lundi  2  juin. 

L! Étourdi,  s'il  avait  été  joué  au  Louvre  avec  moins  de 
malencontre,  était  bien  fait  pour  donner  au  roi  une  plus 
haute  idée  de  Molière  que  le  Docteur  amoureux.  Une  preuve 
cependant  que,  pour  faire  goûter  son  talent,  la  petite  pièce 
avait  suffi,  c'est  qu'ayant  été  appelé  de  nouveau  au  Louvre, 
le  17  mai,  il  avait  fait  voir  au  roi  le  Médecin  volant  et  Gros- 
René  écolier,  deux  farces,  dont  l'une  est  maintenant  jointe 
à  ses  OEuvres  complètes,  l'autre,  restée  inconnue,  pourrait 
bien  aussi  être  de  lui. 

Quelques  mois  plus  tard  et  avant  la  fin  de  cette  année 
1659,  il  allait  sur  le  théâtre  du  Petit-Boui'bon  donner  une 
nouvelle  farce,  s'il  est  permis  de  la  nommer  ainsi,  quoi- 
qu'elle ne  souffre  aucune  comparaison  avec  celles  de  sa 
première  manière  qui  nous  ont  été  conservées,  et  dont  on 

I.  Jal  a  relevé  sur  le  registre  de  Saint-Germain-l'Auxerrois  la 
date  de  son  convoi  :  26  mai  1659.  —  Gui  Patin,  dans  une  lettre 
écrite  le  27  mai,  nomme  Béjart  l'aîné  parmi  ceux  qui  étaient 
morts  «  depuis  trois  jours  »,  Il  laissait,  dit-il,  vingt-quatre  mille 
écus  d'or;  ce  qui  lui  remet  en  mémoire  les  vers  de  Juvénal  {Sa- 
tire ni,  v.  58-65)  sur  la  lie  asiatique  et  les  vils  histrions,  eu 
grande  faveur  dans  Rome  corrompue  : 

Jam  pridem  Syrus  in  Tiherim  defluxil  Orontes. 

Voilà  son  oraison  funèbre.  Gui  Patiu  s'y  est  mis  eu  dépense  inu- 
tile d'indignation.  Cette  prodigieuse  fortune  que  Joseph  Béjart 
n'avait  pu  gagner  ni  au  théâtre  ni  par  son  Recueil  de  titres,  est 
un  conte  ridicule.  Marie  Hervé,  sa  mère,  fit  faire,  le  10  juillet  i65g, 
l'inventaire  de  ses  biens  meubles,  dont  elle  était  héritière,  et  qui 
étaient,  suivant  sa  déclaration,  «  tout  ce  qu'elle  savait  de  sa  suc- 
cession ».  Ils  furent  prisés  848  livres  7  sols.  (Voyez  le  Moltériste 
de  juillet  i885,  p.  119-122.) 


2i4  NOTICE  BIOGRAPHIQUE     ' 

ne  sait,  il  est  vrai,  jusqu'à  quel  point  le  texte  a  été  exacte- 
ment recueilli.  Lorsque  les  Précieuses  ridicules  furent  impri- 
mées pour  la  première  fois,  au  commencement  de  1660, 
elles  le  furent  sous  le  titre  de  comédie,  qui,  depuis,  leur  a 
toujours  été  donné,  et  auquel  elles  ont  le  plus  incontestable 
droit.  Il  n'en  est  pas  moins  à  remarquer  que  Mlle  Desjar- 
dins, dans  le  Récit  qu'elle  en  a  fait,  la  nomme  la  Farce  des 
Précieuses^  et  probablement  Molière  lui-même  l'avait  ainsi 
nommée  en  province,  si,  comme  il  ne  nous  a  pas  semblé 
impossible,  c'est  là  qu'elle  a  d'abord  été  représentée*.  Nous 
ne  serions  pas  étonné  qu'il  n'eût  pas  eu  pour  elle  l'ambition 
d'un  autre  titre,  lorsque,  le  18  novembre  1839,  il  la  fit  jouer 
pour  la  première  fois  à  Paris  :  le  nom  de  farce  n'était  pas 
pour  l'effrayer. 

Il  n  y  a,  dans  la  vie  de  Molière,  rien  de  plus  intéressant 
que  l'histoire  de  ses  ouvrages.  Nous  voudrions  cependant 
ne  pas  trop  répéter  ce  qui  en  a  été  dit  dans  les  notices 
dont  notre  édition  a  fait  précéder  chacune  de  ces  pièces.  Il 
est  permis  de  compter  un  peu  sur  la  différence  du  point  de 
vue  dans  une  étude  biographique  où  il  convient  d'omettre 
quelques  détails,  de  donner  à  quelques  autres  un  peu  plus 
de  développement.  D'après  la  règle  que  nous  nous  efforce- 
rons d'observer  partout,  nous  ne  ferons  à  la  Notice  très 
complète  d'Eugène  Despois  sur  les  Précieuses  ridicules^  que 
les  emprunts  nécessaires  ici. 

Il  a  expliqué  pourquoi  la  première  représentation,  don- 
née le  18  novembre,  n'a  été  suivie  de  la  seconde,  comme  le 
Registre  le  constate,  qu'à  la  date  du  2  décembre.  Somaize, 
dans  le  Grand  Dictionnaire  des  Prétieuses'^,  prophétise  que 
celles-ci  «  intéresseront  les  galants  à  prendre  leur  parti  », 
et  qu'  «:  un  alcôviste  de  qualité  interdira  ce  spectacle  pour 
quelques  jours  ».  La  prophétie  était  sûre,  étant  faite  après 
l'événement;  car  le  Grand  Dictionnaire  ne  fut  imprimé 
qu'en  1661,  et  ses  prédictions  n'étaient  qu'une  forme  plus 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  184-187. 

2.  Voyez  au  tome  II,  p.  3-44. 

3.  Aux  mots  Prédictions  touchant  V Empire  des  Prétieuses.  Tome  I 
du  Recueil  de  M.  Livet  (Bibliothèque  eizévirienne),  p.  189. 


SUR  MOLIERE.  2i5 

ou  moins  ingénieuse  donnée  à  des  souvenirs  de  faits  accom- 
plis. Somaize  aurait  bien  dû  prédire  le  nom  de  l'alcôviste 
assez  puissant  pour  suspendre  les  représentations  de  la 
pièce.  Le  roi  était  absent,  aussi  bien  que  son  frère,  pro- 
tecteur de  la  troupe.  Ils  étaient  partis  en  octobre  pour  le 
long  et  important  voyage  dont  ils  ne  revinrent  qu'au  mois 
de  juillet  16G0,  après  le  succès  de  la  négociation  du  grand 
mariage  qui  l'avait  fait  entreprendre  et  qui  donna  pour 
reine  à  la  France  l'infante  Marie-Thérèse  d'Autriche.  Nous 
ne  savons  si  Molière,  opprimé  par  quelque  marquis  de  Mas- 
carille  (un  vrai  marquis,  celui-ci),  eut  le  temps  d'en  appe- 
ler aux  personnes  royales,  comme  le  donnerait  à  croire  la 
mention  que  l'on  a  faite*  d'un  envoi  de  la  pièce  à  la  cour, 
pendant  le  voyage  des  Pyrénées.  Ce  serait  une  ressemblance 
avec  l'histoire  du  Tartuffe  en  1667.  Quoi  qu'il  en  ait  été, 
l'obstacle  avait  peu  tardé  à  être  vaincu,  puisque  au  bout  de 
deux  semaines  la  pièce  fut  reprise.  On  avait  affaire  à  moins 
forte  partie  qu'aux  gens  déchaînés,  huit  ans  plus  tard,  contre 
le  portrait  de  l'hypocrisie.  Le  rapprochement  des  deux  dates 
de  1639  et  1667,  toute  proportion  gardée,  ne  s'en  présente 
pas  moins  à  l'esprit. 

Molière  fut  donc  averti,  dès  ces  commencements,  du 
danger  que  l'on  courait  en  attaquant  des  coteries  puissantes. 
Un  moins  brave  pouvait  être  à  tout  jamais  gêné  par  cette 
première  leçon;  niais  il  n'était  pas  facile  d'intimider  son 
ferme  caractère,  ni  d'arrêter,  dans  son  irrésistible  force,  la 
marche  de  son  génie.  Il  fit  dès  lors  reconnaître  chez  lui  ce 
mélange  d'audace  et  d'adroite  prudence  qui  mettait  en  dé- 
route ses  victimes,  celles  mêmes  dont  les  cris  étaient  les 
plus  redoutables.  D'ans  sa  préface,  la  première  qu'il  ait 
écrite  (il  n'en  a  par  la  suite  écrit  que  deux  autres),  il  prit 
soin  de  distinguer  les  vraies  et  les  fausses  précieuses,  comme 
plus  tard  la  vraie  et  la  fausse  dévotion.  Nous  ne  sommes 
pas  de  ceux  qui  voient  là  un  distinguo  sans  aucune  sincérité. 
Son  esprit  était  trop  juste  pour  confondre  des  personnes 
d'un  mérite  reconnu  avec  ses  «  pecques  provinciales  «.Mais, 
si  l'on  plaidait  son  entière  innocence,  on  rabaisserait  son  ex- 

1.   Scgraisiana^  p.   ai2  et  2i3. 


âfg  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

cellente  comédie.  Il  se  rendait  bien  compte  que  ses  railleries 
n'iraient  pas  toutes  à  l'adresse  de  celles  qu'il  appelle  «  mau- 
vais singes  »,  et  qu'à  travers  la  caricature,  plus  d'un  trait, 
passant  par-dessus  leurs  têtes,  porterait  plus  loin,  plus  haut. 
C'est  par  là  que  l'œuvre  était  digne  de  lui,  devenait  une  très 
utile  correction  d'un  des  travers  du  siècle.  Fût-il  vrai  que 
l'applaudissement,  comme  le  dit  le  Menagiana,  eût  été  géné- 
ral à  la  première  représentation,  malgré  la  présence  de  «  tout 
l'hôtel  de  Rambouillet  »,  ce  ne  serait  là  que  la  bonne  conte- 
nance de  personnes  d'esprit,  qui  ne  purent  manquer  d'ail- 
leurs de  sentir  le  coup.  La  suppression  de  la  pièce  est  une 
preuve  certaine  que,  parmi  les  intéressés,  tout  le  monde 
n'en  méconnut  pas  la  portée.  Le  public  ne  s'y  trompa  point 
non  plus.  Sa  faveur,  si  éclatante  tout  d'abord,  ne  s'explique 
pas  uniquement  par  la  gaieté  pleine  de  verve  de  quelques- 
unes  des  scènes,  mais  par  le  sentiment  que  l'on  eut  d'un 
grand  écroulement  de  ce  trop  long  règne  du  raffinement 
d'esprit,  de  l'excessive  épuration  du  langage  et  de  la  déli- 
catesse des  sentiments,  poussée  jusqu'à  l'affectation.  Il  était 
temps  de  le  ruiner  par  le  ridicule.  Après  avoir  rendu  des 
services  dans  leurs  combats  contre  la  vieille  grossièreté,  les 
célèbres  cabinets  de  la  société  polie,  comme  on  l'a  nommée, 
avaient  fini  par  mettre  en  péril  le  naturel.  La  victoire  de 
Molière  fut  donc  celle  du  bon  sens.  De  tels  combats  cepen- 
dant sont  toujours  à  recommencer.  Si  le  puissant  moqueur 
revenait  parmi  nous,  il  ne  trouverait  pas  de  nos  jours  la 
pruderie  du  temps  où  l'on  prétendait  purger  les  mots  fran- 
çais des  syllabes  déshonnêtes,  mais  est-il  aussi  certain  qu'il 
n'aurait  pas  à  nous  faire  honte  de  la  renaissance,  sous  une 
forme  nouvelle,  du  style  alambiqué  et  des  barbarismes  pré- 
cieux? Appelons  un  nouveau  Molière. 

Quand  on  regarderait  comme  sorti  de  l'imagination  de 
Grimarest  le  veillard  que,  dans  une  représentation  des  Pré- 
cieuses, il  fait  s'écrier  au  milieu  du  parterre  :  «  Courage 
courage,  Molière!  voilà  la  bonne  comédie'  »,  on  peut  être 
sûr  que  tel  fut  le  jugement  prononcé  par  les  connaisseurs, 
par  Boileau  tout  le  premier,  qui,  pas  plus  que  Molière,  n'ai- 

I.   La  vie  de  M    de  :iIotière,  p,  36  et  3;. 


SUR    MOLIERE.  217 

mait  «  la  secte  façonnière  »,  et  qui  ne  regardait  pas  comme 
une  simple  farce  la  pièce  que  dans  ces  vers  de  sa  Satire  x 
il  a  saluée  comme  un  coup  de  l'art  : 

Ces  esprits  renommés 

Que  d'un  coup  de  son  art  Molière  a  diffamés*. 

Le  plaisir  que  l'on  avait  pris  à  la  première  représenta- 
tion d'une  comédie  étincelante  d'esprit  et  de  gaieté,  le  bruit 
qu'avait  fait  sur-le-champ  la  satire  des  plus  fameux  beaux- 
esprits,  enfin  l'intérêt  qu'elle  inspirait  depuis  que  l'on  avait 
essayé  de  la  supprimer,  assuraient  à  la  reprise  du  2  décem- 
bre, impatiemment  attendue,  un  rare  empressement  de 
curiosité.  On  s'y  attendait  si  bien,  que  cette  seconde  repré- 
sentation fut  donnée  à  l'extraordinaire,  comme  on  disait, 
c'est-à-dire  que  le  prix  des  places  fut  doublé,  ce  qui  n'était 
pas  encore  l'usage  au  Petit-Bourbon,  même  pour  les  pièces 
nouvelles.  Depuis  ce  moment  celle-ci  alla  aux  nues,  on  en 
raffola. 

Si  l'on  en  croyait  le  Segraisiana,  Molière  lui-même  aurait 
eu  de  sa  comédie  une  très  haute  opinion,  ce  qui  n'eût  été, 
après  tout,  que  se  rendre  justice.  L'approbation  de  la  cour 
aurait  même  enflé  à  tel  point  son  courage  qu'il  aurait  dit  : 
«  Je  n'ai  plus  que  faire  d'étudier  Plante  et  Térence,  ni 
d'éplucher  les  fragments  de  Ménandre;  je  n'ai  qu'à  étudier 
le  monde*.  »  Comment  a-t-on  pu  lui  attribuer  de  telles  hâ- 
bleries ?  Non,  même  après  ses  plus  grands  chefs-d'œuvre, 
jamais  il  n'a  prononcé  cet  ambitieux 

Cedite,  Romani  scriptores,  cedite,  Grali^. 

Pour  de  si  ridicules  emportements  d'un  orgueil  qui  ne  voit 
plus  rien  à  apprendre  des  plus  grands  maîtres,  il  avait  trop 
de  jugement  et  de  bon  goût.  Sa  préface,  dont  nous  avons 
déjà  parlé,  est  fort  modeste,  quoique  dans  cette  juste  mesure 
que  n'ont  pas  les  modesties  affectées  et  suspectes  :  il  ne  veut 

1.  Vers  4^9  et  440' 

2.  Segraisiana,  p.  2i3. 

3.  «  Effacez-vous,  écrivains  romains;  Grecs,  eÛ'acez-vous  !  » 
{Properce,  livre  II,  élégie  xxxiv,  v,  65.) 


2i8  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

pas  démentir  tout  Paris,  qui  n'a  pu  applaudir  à  une  sottise. 
Tant  de  gens,  qui  ont  dit  du  ijien  des  Précieu.ies,  l'ont  forcé 
de  croire  qu'elles  valaient  quelque  chose.  Cependant  elles  n'au- 
raient pas  été  irapinmées  (aucun  autre  ouvrage  de  lui  ne 
l'avait  encore  été,  au  moins  de  son  consentement),  si  l'on 
ne  lui  avait  fait  violence,  et  s'il  n'avait  dû  ne  pas  laisser 
la  place  libre  à  une  édition  subreptice,  déjà  préparée.  Il 
avait  eu  la  main  forcée;  autrement  le  succès  de  la  représen- 
tation lui  aurait  suffi,  persuadé  qu'il  était  que  sa  pièce  était 
faite  pour  être  vue  à  la  chandelle,  et  que  «  l'action  et  le  ton 
de  voix  j>  lui  avaient  donné  une  grande  partie  de  ses  grâces. 
Telles  sont  à  peu  près  ses  paroles,  et  telle  était,  nous  n'en 
doutons  pas,  sa  pensée  sincère.  Outre  qu'il  était  supérieur 
à  la  vanité,  il  est  certain  que,  sans  se  méconnaître  comme 
auteur,  il  attendait  toujours  beaucoup  pour  son  succès  de 
l'art  du  comédien  et  de  la  manière  dont  ses  ouvrages  étaient 
représentés.  Pour  sa  part,  il  les  jouait  avec  une^verve  co- 
mique et  une  perfection  qui  en  faisait  mieux  sentir  le  prix. 
On  se  souvient  des  transports  qu'au  témoignage  de  l'Élo- 
mire  hypocondre^  il  avait  excités  chez  les  spectateurs  dans 
son  rôle  de  Mascarille  de  l'Étourdi.  Un  autre  malveillant 
atteste  également  l'excellence  de  son  jeu  dans  les  Précieuses, 
oh  il  fut  encore  Mascarille.  Somaize,  dans  sa  px'éface  des 
Précieuses  ridicules.,  nouvellement  (il  aurait  dû  ajouter  :  et 
pauvrement")  mises  en  vers  par  lui-même,  dit  qu'à  la  pièce 
volée  aux  Italiens,  ainsi  qu'il  avait  l'impudence  de  le  sup- 
poser, Mascarille  a  «  ajouté  beaucoup  sur  son  jeu,  qui  a  plu 
à  assez  de  gens  pour  lui  donner  la  vanité  d'être  le  premier 
farceur  de  France  3>.  "Voilà  comme  un  détracteur  était  forcé 
de  mettre  au  premier  rang  Molière  comédien,  avec  la  vaine 
précaution  de  l'appeler  farceur,  en  même  temps  qu'il  avouait 
le  mérite  de  l'auteur  en  s'appropriant  son  ouvrage  sous  le 
déguisement  des  rimes  dont  il  l'habillait.  Molière,  qui  put 
s'habituer  de  bonne  heure  aux  morsures  de  ses  jaloux,  a, 
dans  sa  préface,  justement  dédaigné  de  se  justifier  de  l'ab- 
surde accusation  d'avoir  volé  à  l'abbé  de  Pure  sa  pièce  en 
langue  italienne,  jouée  en  i656,  simple  canevas  peut-être, 
dont  il  n'est  rien  resté.  Rien  n'est  plus  significatif,  comme 
l'a  très  bien  fait  remarquer  Despois,  que  le  silence  gardé 


SUR  MOLIÈRE.  219 

sur  ce  prétendu  plagiat  par  Thomas  Corneille  dans  une  lettre 
à  l'abbé  de  Pure,  où,  au  lieu  de  parler  avec  grand  dédain, 
comme  il  fait,  de  la  pièce  de  Molière,  il  eût  été  si  naturel 
qu'il  en  fît  honneur  à  l'auteur  dépouillé.  Cette  lettre,  qui 
maltraite  la  troupe  du  Petit-Bourbon,  aussi  bien  que  la 
comédie  des  Précieusex  ridicules,  est  très  curieuse.  Quel 
sentiment  l'a  inspirée?  Probablement  beaucoup  de  partialité 
pour  le  Marais,  qui  jusqu'alors  avait  joué  les  ouvrages  de 
Thomas  Corneille,  et  où  était  entrée  Mlle  du  Parc,  qu'il  ne 
serait  pas  trop  invraisemblable  de  le  soupçonner  d'avoir 
encouragée  à  déserter  le  théâtre  de  Molière.  Une  autre  con- 
jecture est  que  les  frères  Corneille  (^les  Cléocritcs  dans  le 
Grand  dictionnaire  de  Somaize)  ayant  fréquenté  les  fameuses 
ruelles,  où  ils  étaient  en  honneur,  et  dont  ils  ont  montré 
quelquefois  (même  celui  des  deux  si  justement  nommé  le 
Grand]  qu'ils  avaient  respiré  l'air,  leurs  liaisons  dans  le 
monde  des  précieuses  les  disposaient  mal  pour  la  comédie 
qui  le  ridiculisait.  Par  ces  raisons,  ou  par  une  erreur  de 
goût,  Thomas  Corneille  écrivait  ceci,  à  propos  de  la  pièce 
d'un  Rouennais,  intitulée  Pylade  et  Oreste,  dont  l'abbé  de 
Pure  paraît  avoir  écrit  beaucoup  de  bien,  mais  qui  n'avait 
pas  été  heureuse  au  Petit-Bourbon,  par  la  faute  des  acteurs  ; 
c'est  du  moins  ce  que  les  amis  de  l'auteur  se  plaisaient  à 
croire  :  «  J'ai  eu  bien  de  la  joie  de  ce  que  vous  avez  écrit 
à'Oreste  et  Pylade  et  suis  fâché  en  même  temps  que  la  haute 
opinion  que  M.  de  la  Clérière*  avoit  du  jeu  des  Messieurs 
de  Bourbon  n'ait  pas  été  remplie  avantageusement  pour  lui. 
Tout  le  monde  dit  qu'ils  ont  joué  détestablement  sa  pièce; 
et  le  grand  monde  qu'ils  ont  eu  à  leur  farce  des  Pre'tieuses, 
après   l'avoir  quittée^,  fait   bien    connoître   qu'ils   ne    sont 

1.  On  a  imprimé  de  la  Cléville  dans  lédition  de  Charles  Lahure, 
déjà  citée  à  la  note  2  de  la  page  196.  Mais  dans  l'autographe  il 
y  a  bien  de  la  Cterier  ou  de  la  Clérière.  Le  Registre  de  La  Grange 
nomme  l'auteur  de  Pylade  et  Oreste  «  Coqueteau  la  Clairière,  de 
Rouen  ». 

2.  Ceci  est  clair.  rSon  seulement  il  n'y  aurait  guère  eu  lieu  de 
raisonner  sur  «  le  grand  monde  qu'ils  ont  eu  »,  s'il  ne  s'agissait 
que  de  la  première  représentation  ;  mais  les  mots  «  après  l'avoir 
quittée  »  établissent  certainement  que  la  lettre  parle  des  repré- 


220  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

propres  qu'à  soutenir  de  semblables  bagatelles,  et  que  la 
plus  forte  pièce  tomberoit  entre  leurs  mains.  » 

Ainsi  se  consolent  ceux  qui  ne  peuvent  contester  l'im- 
portun succès  d'une  pièce.  Ils  aiment  à  voir  uniquement  dans 
ce  succès  celui  des  comédiens.  Comme  il  ne  fallait  pas  ce- 
pendant paraître  louer  la  troupe  de  Molière,  Thomas  Cor- 
neille ne  la  reconnaît  habile  que  dans  des  «  bagatelles»;  et 
la  comédie  des  Précieuses  n'est  à  ses  yeux  rien  de  plus. 
Bagatelle  est  bientôt  dit,  et  fut  comme  le  mot  d'ordre  des 
mécontents.  On  le  retrouve  en  i663  sous  la  plume  de  Don- 
neau  de  Visé,  dans  ses  Nouvelles  nouvelles,  où,  malgré  des 
intentions  de  dénigrement  plus  ou  moins  masquées,  il  n'a  pas 
laissé  de  porter  de  bonne  heure  témoignage  de  la  renommée 
grandissante  de  Molière  *. 

Après  avoir  soutenu,  comme  Somaize,  que  l'auteur  des 
Précieuses  ridicules  les  avait  empruntées  aux  Italiens  «  ses 
bons  amis  »,  n'étant  «  encore  ni  assez  hardi  pour  entre- 
prendre une  satire,  ni  assez  capable  pour  en  venir  à  bout  », 

sentations  données  après  que  l'on  eut  cessé  de  jouer  Pylade  et 
Oreste.  Or,  le  Registre  de  La  Grange  ne  saurait  s'être  trompé  sur 
la  chronologie  de  l'histoire  des  deux  pièces  nouvelles  représen- 
tées en  novembre.  Celle  de  Molière  l'a  été  le  i8,  celle  de  la  Clai- 
rière le  23.  Elle  a  été  «  quittée  »  à  la  troisième  représentation, 
qui  est  du  a8  novembre.  Par  conséquent  l'affluence  des  specta- 
teurs, que  Thomas  Corneille  cherche  à  expliquer,  est  celle  que 
les  Précieuses  attirèrent  depuis  la  reprise  du  2  décembre.  Cepen- 
dant la  date  de  la  lettre  est,  sans  aucune  incertitude  de  l'écri- 
ture :  0  A  Rouen,  ce  i""  de  décembre  ».  Despois  en  a  conclu  que 
Thomas  Corneille  n'a  parlé  que  de  la  première  représentation; 
ce  que  nous  venons  de  voir  impossible.  La  lettre  est  donc  mal 
datée.  Une  distraction,  il  est  vrai,  paraît  bien  surprenante  quand 
c'est  du  i"  du  mois  que  l'on  date,  et  qu'il  doit  y  avoir  d'ailleurs 
une  erreur  de  plusieurs  jours.  Nous  croyons  que  la  lettre  a  été 
commencée  le  i"^  décembre,  et,  par  suite  de  quelque  empêche- 
ment de  la  continuer,  repi'ise  plus  tard.  Il  nous  a  même  semblé 
que,  deux  ou  trois  lignes  avant  le  passage  que  nous  citons,  l'écri- 
ture est  d'une  encre  plus  blanche,  ce  qui  confirmerait  notre  sup- 
position, la  seule  que  nous  imaginions  pour  lever  la  difficulté. 

I.  On  pourrait  dire  que  le  premier  document  biographique 
sur  Molière  (il  est  bien  antérieur  à  celui  de  ses  éditeurs  de  1682) 


SUR   MOLIERE.  aai 

il  ajoute  :  «  il  les  habille  admirablement  à  la  Françoise,  et  la 
réussite  qu'elles  eurent  lui  fit  connoître  que  l'on  aimoit  la 
satire  et  la  bagatelle.  »  Oui,  la  satire  est  de  tout  temps  un 
élément  de  succès  ;  et  l'on  a  quelquefois  d  roit  de  s'en  plaindre  ; 
mais  ici  elle  était  aussi  juste  que  piquante;  et  la  marque 
du  vrai  génie  comique  était  aussi  visible  sur  cette  bagatelle 
immortelle  que  sur  cettes  où  d'utiles  batailles  littéraires  ont 
été  livrées  par  Aristophane  aux  erreurs  du  goût  de  son 
temps. 

On  a  pu  remarquer  que  si,  de  plusieurs  côtés,  on  contestait 
la  bonne  qualité  du  succès  de  Molière,  personne  n'essayait 
de  nier  le  succès  lui-même.  Il  n'en  avait  encore  eu  aucun  de 
cet  éclat.  Il  n'y  eut  plus  moyen,  même  pour  la  Muse  his- 
torique, de  se  renfermer  dans  le  silence.  Si  Loret  ne  nomme 
pas  encore  l'auteur,  il  nomme  du  moins  la  pièce,  avec  la  pru- 
dente précaution  d'ignorer  si  le  sujet  est  «  mauvais  ou  bon  », 
le  tenant  évidemment  pour  chimérique  ;  mais  sans  cacher 
combien  elle  l'a  fait  rire,  et  quelle  en  était  la  vogue  éton- 

se  trouve  dans  ces  Xouvelles  nouvelles,  dont  l'Achevé  d'imprimer 
est  du  9  février  i663.  En  commençant  les  pages  de  quelque 
étendue  quïl  a  écrites  sur  Molière,  et  qu'il  met  dans  la  bouche 
des  interlocuteurs  de  sou  dialogue,  de  Visé  annonce  qu'il  va 
faire  un  abrégé  de  sa  vie,  et  il  tient  parole.  Bien  qu'il  n'ait  pu 
alors  le  suivre  au  delà  des  représentations  de  V Ecole  des  Femmes, 
bien  aussi  que  ses  jugements  soient  souvent  malveillants,  les 
renseignements  qu'il  donne  tirent  cependant  beaucoup  de  prix 
de  leur  date,  et  aussi  du  caractère  de  l'écrit,  qui  se  distingue 
des  purs  libelles;  car  si  l'auteur,  qui  soufflait  volontiers  le  froid 
et  le  chaud,  s'est  fait  l'écho  de  très  injustes  critiques,  il  y 
mêle  des  paroles  qui  sont  d'un  admirateur  malgré  lui,  appelant 
Molière  «  le  Térence  de  notre  siècle,...  grand  auteur  et  grand 
comédien  lorsqu'il  joue  ses  pièces,...  celui  dont  on  s'entretient 
presque  dans  toute  l'Europe,  et  qtu  fait  si  souvent  retourner  à 
l'École  tout  ce  qu'il  y  a  de  gens  d'esprit  à  Paris  ».  Sans  renon- 
cer donc  à  citer,  dans  l'occasion,  quelques  passages  de  cet  écrit, 
nous  croyons  que  nos  lecteurs  aimeront  à  avoir  sous  les  yeux  de 
nombreux  extraits,  choisis  parmi  les  plus  intéressants,  du  plus 
ancien  témoignage  qui  soit  venu  jusqu'à  nous  sur  les  commen- 
cements de  lu  vie  de  notre  poète.  On  les  trouvera  aux  Pièces 
justificatives,  n°  V. 


aaa  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

nante,  une  vogue  qui  surpassait  celle  des  plus  fameux  ou- 
vrages des  maîtres  de  la  scène.  Il  avait  vu  ces  Précieuses,  à 
l'une  des  représentations  où  elles  venaient  d'être  reprises, 
et  le  6  décembre  il  écrivait  que  les  comédiens  de  Monsieur 

Ont  été  si  fort  visités 

Par  gens  de  toutes  qualités 

Qu'on  n'en  vit  jamais  tant  ensemble 

Que  ces  jours  passés,  ce  me  semble, 

Dans  l'Hôtel  du  Petit-Bourbon. 


Pour  luui,  j'y  portai  trente  sous; 
Mais  oyant  leurs  fines  paroles, 
J'ai  ri  pour  plus  de  dix  pistoles. 

Depuis  le  2  décembre  iGSg  jusqu'à  la  clôture  de  Pâques 
1660,  le  Registre  de  La  Grange  a  eu  trente-deux  représen- 
tations à  inscrire,  sans  compter  celles  qui,  pendant  le  car- 
naval et  le  commencement  du  carême,  avaient  été  données 
en  visite,  chez  M.  le  Tellier,  chez  M.  de  Guénégaud,  chez 
Mme  Sanguin,  pour  M.  le  Prince,  chez  le  chevalier  de 
Grammont,  chez  Mme  la  maréchale  de  l'Hôpital.  L'enthou- 
siasme du  public  est  vivement  peint  dans  l'avis  Au  lecteur 
d'une  petite  pièce  de  ce  temps,  composée,  comme  nous  Tal- 
ions bientôt  dire  *,  à  l'imitation  de  celle  que  Molière  fit 
jouer  peu  après  les  Précieuses  :  «  L'on  est  venu  à  Paris  de 
vingt  lieues  à  la  ronde...,  et  ceux  qui  font  profession  de 
galanterie,  et  qui  n'avoient  pas  vu  les  Précieuses,  d'abord 
qu'elles  commencèrent  à  faire  parler  d'elles,  n'osoient  l'a- 
vouer sans  rougir.  » 

Il  s'en  faut  que  les  théâtres  fussent  alors  dans  les  mêmes 
conditions  que  ceux  de  nos  jours,  où  le  public  peut  se  renou- 
veler indéfiniment.  Cependant,  à  la  rentrée  de  Pâques  1660. 
le  succès  inouï  n'était  pas  épuisé,  et  il  y  eut  encore  trois 
représentations  très  suivies  au  mois  d'avril,  malgré  la  cir- 
constance défavorable  de  la  mort  de  l'acteur  qui  avait  donné 
son  nom  au  personnage  du  vicomte-valet  dont  le  rôle  était 
le  plus  amusant  après  celui  de  son  compère  Mascarille.  Le 

I.  Voyez  ci-après,  p.  23o  et  aSi. 


SUR  MOLIERE.  228 

vieux  Jodelet,  ce  farceur  qui  nasillait  si  bien,  était  mort  mal 
à  propos  pendant  les  vacances,  le  vendredi  saint  26  mars. 
La  perte  cependant  n'était  pas  irréparable.  Loret,  dans  sa 
lettre  du  3  avril,  après  s'être  amusé  à  faire  l'épitaphe  de 
«  cet  homme  archiplaisant  »,  ajoute  ces  vers  consolants  : 

Dudit  acteur  les  compagnons, 
Quoiqu'ils  se  soient  frottés  d'oignons, 
N'ont  pas  pleuré  cette  disgrâce  ; 
Car  Gros-René  vient  à  sa  place, 
Homme  trié  sur  le  volet. 
Et  qui  vaut  trois  fois  Jodelet. 

Naguère  déserteurs  du  théâtre  de  Molière,  du  Parc  et  sa 
femme  avaient  trouvé  le  moment  bon  pour  revenir  du  côté 
oii  s'était  fixée  la  fortune.  Gros-René  (c'était  du  Parc), 
chargé  des  rôles  du  comédien  qu'on  avait  perdu,  le  rem- 
plaça certainement,  malgré  son  florissant  embonpoint,  dans 
celui  du  pâle  personnage  exténué  par  les  fatigues  de  la  guerre. 
Il  y  avait  là  une  disconvenance  dont  ne  s'inquiétait  pas  sans 
doute  Molière,  toujours  habile  à  tirer  parti  de  ses  acteurs 
et  à  faire  servir  leurs  défauts  mêmes  à  des  effets  plaisants. 

En  dehors  du  Petit-Bourbon, /<?,y  Précieuses  ridicules  eurent 
dans  le  second  semestre  de  1660  l'occasion  de  recueillir  des 
applaudissements  qui  de  tous  n'étaient  pas  les  moins  désira- 
bles. Il  restait  à  faire  confirmer  leur  succès  par  la  haute  sanc- 
tion du  roi  et  de  sa  cour,  de  retour  après  leur  longue  absence. 
Louis  XIV  n'était  revenu  que  depuis  peu  de  jours,  lorsqu'il 
voulut  voir  représenter  la  comédie  si  fort  à  la  mode,  qu'il 
n'avait  pu  connaître  dans  son  voyage  que  par  une  lec- 
ture. Le  29  juillet  1660,  on  la  joua  pour  lui  au  bois  de  Vin- 
cennes  avec  l'Étourdi.  Le  3o  août  suivant,  elle  fut  représen- 
tée pour  Monsieur  au  Louvre  ;  et  ce  fut  là  aussi  que  le  roi 
la  vit  de  nouveau  le  21  octobre,  dans  le  temps  où  la  démo- 
lition de  la  salle  du  Petit-Bourbon  laissait  la  troupe  sans 
théâtre.  Cinq  jours  après,  le  26  du  même  mois,  il  assistait 
incognito  à  la  représeutation  qui  en  fut  donnée,  avec  celle 
de  l'Etourdi,  chez  le  cardinal  Mazarin,  malade  dans  sa  chaise. 
Appuyé  sur  le  dossier  de  cette  chaise,  le  roi  resta  debout. 
11  accorda  à  la  troupe  une  ^ratification  de  trois  mille  livres. 


224  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

C'était  un  juste  dédommagement  de  l'interruption  forcée 
des  représentations  à  la  ville,  mais  sans  doute  aussi  une 
preuve  du  goût  de  plus  en  plus  vif  de  Louis  XIV  pour  Molière. 
Loret,  il  est  vrai,  attribue  la  libéralité  au  cardinal.  Ce  léger 
désaccord  avec  le  Registre  de  La  Grange  vient  peut-être  de 
ce  qu'il  convenait  de  respecter  l'incognito  du  roi.  C'est  à 
cette  occasion  que  le  gazetier  de  la  Muse  historique  daigne 
pour  la  première  fois  mettre  dans  ses  vers  le  nom  de  Molière  : 

De  Monsieur  la  troupe  comique 

Eut,  l'autre  jour,  bonne  pratique; 

Car  Monseigneur  le  Cardinal 

Qui  s'étoit  un  peu  trouvé  mal. 

Durant  un  meilleur  intervalle 

Les  fit  venir,  non  dans  sa  salle. 

Mais  dans  sa  chambre  justement, 

Pour  avoir  le  conteutement 

De  voir,  non  pas  deux  tragédies. 

Mais  deux  plaisantes  comédies, 

Savoir  celle  de  rEtourdi 

Qui  m'a  plusieurs  fois  ébaudi, 

Et  le  marquis  de  Mascarille, 

Non  vrai  marquis,  mais  marquis  drille, 

Où  l'on  reçoit  à  tous  momens 

De  nouveaux  divertissemens. 

Jule  et  plusieurs  Grandes  Personnes 
Trouvèrent  ces  deux  pièces  bonnes  ; 
Et  par  un  soin  particulier 
D'obliger  leur  auteur  Molier, 
Cette  généreuse  Éminence 
Leur  fit  un  don  en  récompense 
Tant  pour  lui  que  ses  compagnons 
De  mille  beaux  écus  mignons'. 

Bien  que  cette  citation  ait  déjà  été  faite  dans  la  Notice  de 
Despois,  nous  ne  l'avons  pas  abrégée.  Elle  a  beaucoup  d'in- 
térêt, nous  apprenant  sur  ce  spectacle  en  chambre  ce  que 
le  Registre  de  la  Comédie  n'a  pu  dire,  que  les  deux  pièces 
plurent  au  ministre  et  aux  Grandes  Personnes  (pour  ne  pas 
nommer  le  roi),  qui  ne  récompensèrent  si  généreusement 

I.   La  Muse  historique,  lettre  du  3r  octobre  1660. 


SUR   MOLIERE.  2^5 

la  troupe  que  pour  donner  à  Molière  une  marque  particu- 
lière de  faveur.  Tout  montrait  décidément  qu'il  était  entré 
en  pleine  lumière. 

Nous  avons  tout  à  l'heure  mentionné  très  incidemment 
une  interruption  des  représentations.  Durant  trois  mois,  en 
effet,  la  troupe,  dépossédée  du  Petit-Bourbon,  fut  logée  à  la 
belle  étoile.  C'est  ce  que  La  Grange  appelle  dans  son  Registre 
une  de  ces  bourrasques  auxquelles  alors  elle  fut  en  butte. 
Nul  n'étant  bon  juge  dans  sa  propre  cause,  il  se  peut  bien 
qu'il  ait  crié  un  peu  trop  fort  contre  le  surintendant  des 
bâtiments  du  roi,  et  que  la  démolition  du  théâtre  ait  été 
une  nécessité,  non  comme  l'ont  dit  les  auteurs  de  la  Pré- 
face de  1682,  et  beaucoup  d'autres  après  eux,  «  pour  ce 
grand  et  magnifique  portail  du  Louvre  »,  pour  la  colonnade 
de  Claude  Perrault,  dont  il  n'était  pas  encore  question,  mais 
pour  d'autres  projets,  formés  depuis  quelque  temps  déjà,  de 
reconstruction  partielle  du  palais  ^  Voici  comment  La  Grange 
expose  ses  griefs  :  «Le  lundi  11™''  octobre,  le  théâtre  du 
Petit-Bourbon  commença  à  être  démoli  par  M.  de  Rata- 
bon,  surintendant  des  bâtiments  du  Roi,  sans  en  avertir  la 
troupe,  qui  se  trouva  fort  surprise  de  demeurer  sans  théâtre. 
On  alla  se  plaindre  au  Roi,  à  qui  M.  de  Ratabon  dit  que 
la  place  de  la  salle  étoit  nécessaire  pour  le  bâtiment  du 
Louvre,  et  que  les  dedans  de  la  salle,  qui  avoient  été  faits 
pour  les  ballets  du  Roi,  appartenant  à  Sa  Majesté,  il  n'avoit 
pas  cru  qu'il  falloit  entrer  en  considération  de  la  comédie 

I.  Loret  parle  déjà  de  ces  projets  dans  sa  lettre  en  vers  du 
5  juillet  1659.  On  devait  donc  prévoir  dès  lors  le  sort  réserN'é  au 
théâtre  : 

Par  ordre  de  Son  Eminence, 
On  va,  dit-on,  en  diligence 

Continuer  mieux  que  jamais 
Par  une  belle  architecture 
Du  Louvre  la  grande  structure  ; 
Et  c'est  à  présent  tout  de  bon 
Que  le  sage  sieur  Ratabon, 
Comme  ayant  la  surintendance 
Des  bâtiments  royaux  de  France, 
Va,  de  bon  cœtir,  s'employer  là. 

MoLI£R£,    \  l5 


120  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

pour  avancer  le  dessein  du  Louvre.  La  méchante  intention 
de  M.  de  Ratabon  étoit  apparente.  «  C'était  vérital)leraent 
une  dangereuse  épreuve  pour  !a  troupe  de  Molière.  Il  n'en 
eût  pas  fallu  plus  pour  la  désorganiser,  si  son  chef  n'en 
avait  déjà  établi  fortement  la  fortune  par  la  grande  renom- 
mée qu'il  avait  conquise,  et  enchaîné  le  dévouement  en  s'y 
faisant  aimer  autant  qu'admirer;  si  d'ailleurs,  convient-il 
d'ajouter,  la  protection  du  roi,  qui  ne  devait  plus  lui  man- 
quer, ne  lui  avait  été  assurée  dès  ce  temps.  C'est  ce  que 
nous  apprend  le  Registre,  qui  continue  ainsi  :  «  Cependant 
la  troupe,  qui  avoit  le  bonheur  de  plaire  au  lloi',  fut  gra- 
tifiée par  Sa  Majesté  de  la  salle  du  Palais-Royal,  Mo.vsieui; 
l'ayant  demandée  pour  réparer  le  tort  qu'on  avoit  fait  à  ses 
comédiens  ;  et  le  sieur  de  Ratabon  reçut  un  ordre  exprès 
de  faire  les  grosses  réparations  [de  la  salle  du  Palais- 
Royal)....  La  troupe  commença,  quelques  jours  après,  à  faire 
travailler  au  théâtre  et  demanda  au  Roi  le  don  et  la  permis- 
sion de  faire  enlever  les  loges  du  Bourbon  et  autres  choses 
nécessaires  pour  leur  nouvel  établissement  ;  ce  qui  fut 
accordé,  à  la  réserve  des  décorations  que  le  sieur  de  Viga- 
rani,  machiniste  du  Roi,  nouvellement  arrivé  à  Paris,  se 
réserva,  sous  prétexte  de  les  faire  servir  au  palais  des  Tui- 
leries ;  mais  il  les  fit  brûler  jusques  à  la  dernière,  afin  qu'il 
ne  restât  rien  de  l'invention  de  son  prédécesseur,  qui  étoit 
le  sieur  Torelli,  dont  il  vouloit  ensevelir  la  mémoire.  La 
troupe,  en  butte  à  toutes  ces  bourrasques,  eut  encore  à  se 
parer  de  la  division  que  les  autres  comédiens  de  l'Hôtel  de 
Bourgogne  et  du  Marais  voulurent  semer  entre  eux,  leur 
faisant  diverses  propositions  pour  en  attirer  les  uns  dans 
leur  parti,  les  autres  dans  le  leur.  Mais  toute  la  troupe  de 
Monsieur  demeura  stable;  tous  les  acteurs  aimoient  le  sieur 
de  Molière,  leur  chef,  qui  joignoit  à  un  mérite  et  une  capa- 
cité extraordinaires  une  honnêteté  et  une  manière  enga- 
geante qui  les  obligea  tous  à  lui  protester  qu'ils  vouloient 
courir  sa  fortune  et  qu'ils  ne  le  quitteroient  jamais,  quelque 

I.  Nous  avons  dû  corriger  un  peu  la  phrase  de  La  Grange  qui, 
écrivant  à  la  hâte,  dit  :  «  Cependant  le  Roi,  à  qui  la  troupe  avoit 
le  bonheur  de  plaire,  fut  gratifiée...,  » 


SUR   MOLIERE.  227 

proposition  qu'on  leur  fît  et  quelque  avantage  qu'ils  pussent 
trouver  ailleurs  *.  »  Nous  avons  là  quelque  chose  de  plus 
qu'un  des  renseignements  ordinaires  donnés  par  le  Registre. 
L'éloge  du  caractère  de  Molière  y  est  d'autant  plus  touchant 
qu'on  ne  s'attendrait  pas  à  le  trouver  dans  un  sim|)le  livre 
de  comptabilité,  et  qu'il  est  évidemment  sorti  de  l'abondance 
du  cœur. 

Il  n'est  peut-être  pas  très  sur  que  le  surintendant  des 
bâtiments  ait  eu  la  méchante  intention  de  nuire  aux  comé- 
diens, et  qu'il  n'y  ait  pas  seulement  à  lui  reprocher  une 
hâte  quelque  peu  brutale  de  démolisseur.  Quoi  qu'il  en  soit, 
les  mauvais  procédés  imputés  à  Ratabon  et  à  Vigarani,  qui, 
en  jetant  bas  le  théâtre  de  Molière  et  brûlant  les  décora- 
tions, n'avaient  heureusement  pas  le  pouvoir  de  ruiner  du 
même  coup  un  avenir  de  chefs-d'œuvre,  n'ont  pas  un  si 
grand  intérêt  pour  la  postérité  qu'il  faille  aujourd'hui  ouvrir 
une  enquête  sur  la  question  de  leur  culpabilité.  Ce  qui  nous 
importe  davantage,  c'est  que  l'embarras  oii  Molière  fut  mis 
donna  au  roi  l'occasion  de  marquer  d'une  manière  éclatante 
sa  volonté  de  le  soutenir.  Ce  fut  encore  chez  lui  qu'il  le  lo- 
gea, dans  cet  ancien  Palais-Cardinal  qui,  donné  à  Louis  XI\ 
par  Richelieu,  prit,  sous  la  régence  d'.^nne  d'Autriche,  le 
nom  de  Palais -Royal,  et  devint  en  1G61  la  demeure  de 
Monsieur.  La  salle  mise  à  la  disposition  de  Molière  était, 
comme  le  dit  la  Préface  de  1682,  celle  «  où  M.  le  cardinal 
de  Richelieu  avoit  donné  autrefois  des  spectacles  dignes 
de  sa  magnificence  ».  Il  avait  voulu  qu'elle  fût  inaugurée 
en  1639  par  la  représentation  de  sa  tragi-comédie  de  Mi- 


I.  Registre  de  La  Grange,  p.  25  et  26. 

a.  Sur  la  salle  du  Palais-Royal  on  peut  voir  Sauvai,  Histoire  et 
Recherches  des  antiquités  de  la  ville  de  Paris,  tome  II,  p.  161,  et 
tome  III,  p.  47i  et  l'intoi-essante  étude  Moliere^s  Biihne  und  ihre 
Einrichtung  (la  scène  de  Molière  et  son  organisation),  que  M.  H. 
Fritsche  a  mise  en  tête  de  son  édition  de  l'Avare  (Berlin,  1886). 
Elle  a  été  traduite  par  M.  Metzger  dans  le  MoUériste  de  juin,  juil- 
let et  août  1887.  M.  Fritsche  ne  s'est  pas  borné  à  décrire  la  salle 
du  Palais-Royal;  il  donne  sur  la  mise  en  scène  de  ce  temps  des 
détails  qui  montrent  les  nécessités  auxquelles  était  soiunis  notre 


228  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Nous  avions  achevé  l'histoire  des  Précieuses  ridicules  par 
quelques  mots  sur  les  représentations  de  cette  comédie  de- 
vant Louis  XIV:  et  comme  il  avait  fallu  parler  des  deux 
dernières,  données  par  Molière  après  son  théâtre  démoli, 
nous  n'avons  pas  voulu  tarder  à  dire  ofi  un  autre  lui  avait 
été  ouvert;  mais  il  faut  revenir  sur  nos  pas;  et,  pour  nous 
établir  avec  lui  au  Palais-Royal,  nous  avons  à  en  finir  avec 
le  Petit-Bourbon.  Retournons-y  un  moment  pour  y  voir, 
avant  qu'il  fût  condamné  à  tomber,  une  pièce  nouvelle  de 
l'auteur  des  Précieuses.  Elle  était  intitulée  le  Cocu  imaginaire, 
et  fut  représentée  pour  la  première  fois  le  28  mai  1660. 
Elle  plut  extrêmement  et  ne  marqua  pas  le  moindre  arrêt 
dans  la  renommée  chaque  jour  croissante  de  son  auteur. 
Vingt- six  représentations  suivirent  la  première,  presque 
sans  interruption.  Rien  là  d'étonnant  :  les  Précieuses  ridi- 
cules avaient  mis  Molière  à  la  mode;  le  vent  de  la  faveur 
publique  soufflait  dans  ses  voiles  ;  et  puis  le  vieil  esprit 
gaulois,  que  réjouissent  particulièrement  les  plaisanteries 
que  l'on  sait,  vivait  encore,  nous  ne  croyons  même  pas  que 
chez  nous  il  risque  jamais  de  mourir.  >«ous  n'accorderions 
pas  que  Molière,  cette  fois,  fût  en  progrès,  lui  qui  venait 
de  présenter  aux  mœurs  du  temps  un  miroir  vrai,  tout 
grossissant  qu'il  eût  bien  compris  le  devoir  faire.  On  ne 
nous  imputera  pas  la  sottise  d  être  prévenu  contre  sa  nou- 
velle comédie  par  le  gros  mot  de  son  titre,  qui  n  étonnait 
alors  personne;  car  la  langue  de  la  bonne  compagnie  est 
très  variable.  Nous  acceptons  et  le  mot  à  sa  date,  et  le  su- 
jet qui,  au  fond,  n'a  rien  qui  puisse  scandaliser.  Mais  où 
est  la  vérité  des  caractères,  et  même  la  vraisemblance  des 
incidents?  En  vojant  l'auteur  des  Précieuses  s'éloigner  de 
la  voie  où  il  venait  d'entrer,  on  a  pu  se  demander  si  1  idée 
d'une  pièce  d'un  genre  si  différent  n'avait  pas  été  ancienne- 
ment conçue,  si  même  elle  n'était  pas  tirée  de  quelque  farce 
ébauchée  en  province.  Si  l'on  a  eu  d'assez  bonnes  raisons 
de  contester  à  Riccoboni  et  à  Cailhava  qu  il  y  ait  eu  là  imita- 
tion d'une  comédie  des  Italiens,  il  n'en  est  pas  moins  diffi- 

théâtre  du  dix-septième  .siècle,  et  qui  souvent  rendent  raison  du 
système  dramatique  de  ce  temps. 


SUR   MOLIÈRE.  229 

cile  que  celle  de  Molière  ne  lasse  point  penser  au  temps  où 
il  s'inspirait  de  leur  théâtre.  On  n'échappe  guère  à  l'impres- 
sion que  l'on  rétrograde,  quand  Sganarelle,  avec  sa  cuirasse 
et  sou  casque,  débite  son  monologue  de  poltronnerie  et  ses 
l'odomontades  de  capitan.  Dans  les  conjectures  cependant 
(jue  ces  remarques  sembleraient  autoriser,  il  faut  craindre 
(le  se  tromper.  Molière  avait  certainement  en  vue  dès  ce 
temps-là  un  grand  progrès  de  son  art,  mais,  de  ce  côté  même, 
point  de  système  arrêté.  Lextrême  variété  de  ses  œuvres  à 
toutes  les  époques  prouve  qu'il  n'en  a  jamais  eu.  Dans  sa 
facile  et  rapide  production,  il  s'abandonnait,  suivant  la  pente 
du  moment,  au  libre  cours  de  la  source  abondante  qui  chez 
lui  s'épanchait  en  tout  sens.  Les  genres  les  plus  divers  lui 
étaient  également  bons;  et  il  pensait,  comme  il  l'a  dit,  que 
«  la  règle  de  toutes  les  règles  est  de  plaire^  «.  Il  n'avait  sans 
doute  songé  qu'à  la  suivre  dans  son  Cocu  imaginaire,  et  n'eut 
pas  lieu  de  s'en  repentir. 

On  a  été  ingénieux,  mais,  ce  nous  semble,  trop  subtil,  en 
découvrant  chez  lui  une  intention  d'appuyer  la  critique  qu'il 
venait  de  faire  de  la  délicatesse  maniérée  des  ruelles  par  un 
exemple  de  franchise  dans  le  langage  et  d'une  gaieté  sans 
pruderie,  qui  était  de  tradition  bien  française.  Le  contraste 
est  parfait  assurément  entre  cet  esprit  gaulois  et  la  précio- 
sité; mais  il  n'avait  pas  eu  besoin  d'être  prémédité.  Il  se 
rencontre  naturellement,  bien  qu'avec  des  caractères  diffé- 
rents, dans  tous  les  ouvrages  de  Molière.  Si  donc  celui-ci  a 
été  composé,  de  même  qu'il  a  été  représenté,  après  les  Pré- 
cieuses, ce  doit  être  sans  calcul  et  sans  recherche  d'anti- 
thèse que  Molière,  en  l'écrivant,  a  pris  plaisir  à  un  comique 
dans  lequel  on  retrouve  quelque  chose  de  ses  anciennes  far- 
ces, et  dont  il  avait  éprouvé  le  sûr  effet  non  seulement  en 
province,  mais,  depuis,  à  Paris,  et  même  à  la  cour,  où  il  l'avait 
fait  goûter.  Que  l'on  croie,  ou  non,  pouvoir  rattacher  la 
pièce  jouée  en  1660  à  quelque  idée,  ou  même  à  quelque 
première  esquisse  de  plus  ancienne  date,  la  rédaction  en 
devait  être  récente,  car  on  y  reconnaît  une  plume  de  plus 
en  plus  exercée.  Nous  n'irions  pas  comme  Voltaire  jusqu'à  en 

I.   La  Critique  de  l'École  des  Femmes,  scène  vi,  tome  III,  p.  358. 


9Ao  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

mettre,  pour  cela,  le  style  au-dessus  de  celui  des  précé- 
dentes comédies  en  vers  de  Molière.  L'explication  qu'il  donne 
de  cette  prétendue  supériorité  :  «  bien  moins  de  fautes  de 
langage  »,  suffirait  pour  la  rendre  suspecte.  A'ous  connais- 
sons déjà  ces  singuliers  scrupules  d'une  grammaire  étroite 
et  le  plus  souvent  mal  informée.  Il  est  seulement  incontes- 
table que  le  style  de  cette  troisième  pièce  en  vers  est  très 
coulant,  facile,  agréable.  Nous  demandons  la  permission  de 
n'y  être  pas  frappé  d'un  vrai  progrès.  Il  nous  offre  des 
morceaux  d'une  verve  brillante,  mais,  si  on  la  compare  à 
celle  de  l'Étourdi  et  des  meilleures  scènes  du  Dépic  amou- 
reux, moins  originale,  à  notre  sentiment. 

On  peut  trouver  sujet  à  appel  notre  jugement  sur  cette 
comédie,  et  n'en  pas  accepter  la  sévérité,  toute  relative  d'ail- 
leurs. Quoi  (ju'il  en  soit,  il  est  certain  que  le  public  fut  loin 
de  s'apercevoir  que  l'auteur  des  Précieuses  n'eût  pas  rempli 
toute  son  attente  :  il  se  montra  de  plus  en  plus  satisfait. 
Quand  nous  ne  l'aui'ions  pas  appris  dans  le  Registre  de  La 
Grange,  qui  a  eu  à  inscrire  tant  de  représentations  du  nou- 
vel ouvrage,  un  auteur  contemporain,  du  nom  de  Doneau*, 
ne  nous  aurait  pas  laissé  lignorer,  et  d'abord  par  le  fait 
même  qu'il  a  cru  très  profitable  de  chercher  à  exploiter  pour 
lui-même  l'heureuse  veine  de  succès  de  la  comédie  de  Mo- 
lière, se  contentant,  à  cet  effet,  de  la  faire  reparaître,  sans 
plus  de  façon,  sous  le  déguisement  de  la  Cocue  imaginaire, 
et  de  changer  le  sexe  de  Sganarelle,  en  un  mot  de  nen- 
lever  du  plat,  qu'il  servait  réchauffé,  rien  de  moins  que  le 
sel.  Mais  on  lui  est  redevable  d'une  constatation  plus  posi- 
tive encore  de  la  brillante  fortune  de  la  pièce  que  le  soin 
pris  par  lui  de  la  suivre  pas  à  pas,  de  scène  en  scène.  Son 
maladroit  calque   est  dans  l'impression  précédé  d'un  avis 


I.  Le  privilège  de  sa  comédie,  intilule'e  les  Amours  d'Alcippe  et 
(le  Céphise  ou  la  Cociic  imaginable,  le  nomme  le  sieur  Doneau.  Les 
auteurs  de  V Histoire  du  théâtre  français  (tome  VIII,  p,  Sgo,  note  C) 
disent  qu'il  était  parent  de  M.  de  Visé.  On  écrit  habituellement 
Donneau  de  Vise;  mais  l'orthographe  d'un  même  nom  était  si  va- 
riable alors  qu'une  «  de  plus  ou  de  moins  ne  ferait  pas  de  diffi- 
culté. 


\ 


SUR    .M0L1?]RE.  xix 

Au  lecteur'^,  dont,  à  propos  dos  Précieuses,  nous  ;ivoiis 
déjà  tiré  une  citation-.  En  voici  d'autres  passages  auxquels 
donne  quelque  intérêt  le  témoignage  que  la  faveur  publique 
se  maintint  aussi  haut  dans  les  représentations  du  Cocu 
imaginaire  que  dans  celles  de  la  comédie  précédente.  Ajirès 
avoir  rappelé  que  les  malintentionnés  s'efforçaient  d'ex- 
pliquer la  vogue  de  celle-ci  par  le  jeu  des  acteurs  et  pas 
la  célébrité  des  personnes  attaquées,  et  prédisaient  que 
Molière,  moins  aidé  par  les  circonstances,  ne  serait  plus 
jamais  si  heureux,  Doneau  poursuit  ainsi  :  «  Voyons  si  le 
pronostic  de  ces  Messieurs...  est  véritable,  et  si  le  Cwii 
imaginaire  n'a  pas  eu  tous  les  applaudissements  qu'il  pou- 

voit  attendre Cette  pièce  u  été  jouée  non  seulement  en 

plein  été,  oîi  pour  l'ordinaire  chacun  quitte  Paris...,  mais 
encore  dans  le  temps  du  mariage  du  Roi,  oîi  la  curiosité 
avoit  attiré  tout  ce  qu'il  y  a  de  gens  de  qualité  en  cette 
ville;  elle  n'en  a  toutefois  pas  moins  réussi;  et  quoique 
Paris  fût,  ce  semble,  désert,  il  s'y  est  néanmoins  encore 
trouvé  assez  de  personnes  de  condition  pour  remplir  plus 
de  quarante  fois  les  loges  et  le  théâtre  du  Petit-Bourbon. 
et  assez  de  bourgeois  pour  remplir  autant  de  fois  le  par- 
terre. Jugez  quelle  réussite  cette  pièce  auroit  eue,  si  elle 
avoit  été  jouée  dans  un  temps  plus  favorable,  et  si  la  cour 
avoit  été  à  Paris.  Elle  auroit  sans  doute  été  plus  admirée  que 
les  Précieuses,  puisque,  encore  que  le  temps  lui  fût  con- 
traire, l'on  doute  si  elle  n'a  pas  eu  autant  de  succès.  » 

La  Fontaine,  à  qui  fait  penser  la  gaie  comédie,  dont  bien 
des  vers  sont  à  rapprocher  de  ceux  de  quelques-uns  de  ses 
contes,  rappelait  l'année  suivante  à  Maucroix^  qu'il  avait 
«  autrefois  .>  admiré  avec  lui  Molière,  et  que  c'était  «  son 

1.  Il  se  trouve  dans  la  seule  édition  que  nous  ayons  rencontrée 
de  la  pièce,  celle  dont  l'Achevé  d'imprimer  pour  la  seconde  fois 
est  du  27  mai  1662.  On  cite  souvent  une  première  édition  de  1660, 
mais  il  ne  nous  semble  pas  certain  que  ce  soit  jiour  l'avoir  vue. 
Peut-être  n'en  a-t-on  parlé  que  d'après  le  Privilège,  donné  le 
a5  juillet  1660,  et  dont  la  date  rend  assez  probable  qu'elle  fui 
publiée  vers  la  fin  de  cette  année. 

2.  Voj-ez  ci-dessus  à  la  page  222. 

3.  Lettre  du  22  août  1661. 


232  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

homme  ".  Quand  Molière  avait  déjà  fait  connaître  à  Paris 
les  autres  ouvrages  que  l'on  sait,  on  ne  doit  pas  supposer 
l'admiration  de  la  Fontaine,  surtout  dans  une  lettre  où  il  parle 
du  bon  goût  et  de  Valr  de  Tere/ice,  particulièrement  inspirée 
par  la  pièce  où  se  retrouvent,  très  joliment  mises  en  scène, 
les  plaisanteries  des  vieux  fabliaux.  On  ne  risque  guère  de 
se  tromper  cependant  en  s'imaginant  qu'on  aperçoit  les  deux 
spirituels  amis  champenois  au  Petit-Bourbon,  parmi  les  spec- 
tateurs qui  donnèrent  à  celle-ci  le  plus  d'applaudissements 
et  furent  mis  le  plus  en  joie  tantôt  par  les  colères  de  Sgana- 
relle,  tantôt  par  ses  réflexions  d'une  singulière  philosophie 
sur  ses  infortunes  imaginaires.  S'il  est  de  la  plus  grande 
vraisemblance  que  le  conteur  a  été  un  des  premiers  à  voir 
une  comédie  qu'il  ne  pouvait  manquer  de  trouver  si  diver- 
tissante, il  est  encore  moins  douteux  qu  il  fut  présent  le 
jour  où  elle  fut  représentée  avec  l'Étourdi  chez  Fouquet,  au 
temps  que,  la  salle  du  Petit-Bourbon  étant  ruinée,  celle  du 
Palais-Royal  n'était  pas  encore  ouverte. 

Le  Registre  àe\^à.  Grange  a  noté,  durant  ces  mêmes  vacances 
forcées,  plusieurs  autres  visites,  où  le  Cocu  imaginaire  fut 
joué  :  chez  le  maréchal  de  la  Meilleraye,  chez  la  Basinière, 
trésorier  de  l'épargne,  chez  le  duc  de  Roquelaure,  chez  le 
duc  de  Mercœur,  chez  le  comte  de  Vaillac*.  Le  roi  avait  moins 
attendu  pour  voir  la  nouvelle  comédie.  Le  3i  juillet,  peu  de 
jours  après  son  retour,  elle  fut  une  des  pièces  jouées  pour 
lui  à  Vincennes,  et  là  encore,  une  seconde  fois,  le  21  du  mois 
suivant.  Monsieur  la  fit  représenter  au  Louvre  le  3o  août. 
Il  faut  qu'elle  ait  beaucoup  plu  à  Louis  XIV  pour  qu'elle  ait 
de  nouveau  été  jouée,  toujours  à  Vincennes,  le  23  novembre, 
devant  lui  et  devant  Mazarin.  La  remarque  a  été  faite  par 
Despois  que  le  roi  la  vit  neuf  fois,  c'est-à-dire  plus  souvent 
que  les  autres  pièces  de  Molière,  les  comédies-ballets  excep- 
tées. A  la  cour  tout  aussi  bien  qu'à  la  ville,  il  n'y  a  pas  de 
doute  sur  le  plein  succès. 

En  l'égalant  à  celui  des  Précieuses  ridicules,  Doneau  a 
négligé  de  dire  si  le  talent  des  acteurs  y  contribua  autant 
qu'au  précédent.  L'intention  où  il   était  de  faire  jouer  sa 

I.  Ricard  de  Gourdon-Genouillac,  comte  de  Vaillac. 


SUR   MOLIÈRE.  a^i 

mauvaise  copie  par  quelque  autre  troupe  le  fait  soupçonner 
de  n'avoir  gardé  ce  silence  que  dans  la  crainte  de  provoquer 
une  comparaison  fâcheuse  avec  ses  comédiens.  C'est  d'un 
autre  côté  que  nous  apprenons  quelle  fut  la  perfection  du 
jeu  de  Molière  dans  sa  transformation  de  Mascarille  en  Sga- 
narelle,  personnage  d'un  très  différent  caractère.  Comme  ce 
Sganarelle,  dont  assez  généralement  on  croit  le  nom  em- 
prunté aux  Italiens,  va  reparaître,  à  partir  de  ce  moment, 
dans  plusieurs  des  comédies  de  Molière,  il  a  donné  assez 
naturellement  l'idée  d'un  nouveau  type  adopté  par  l'auteur- 
comédien  [repris  serait  plus  juste  si  l'on  tenait  compte  du 
Sganarelle  de  son  Médecin  volant),  et  qui  a  paru  marqué  dp 
traits  plus  ou  moins  faciles  à  distinguer.  Sainte-Beuve,  tou- 
jours très  fin,  a  vu  dans  ce  personnage  «  le  côté  du  laid 
humain  personnifié,  le  côté  vieux,  rechigné,  morose,  inté- 
ressé, bas,  peureux,  tour  à  tour  piètre  ou  charlatan,  bourru 
et  saugrenu^  «.  Il  semble  y  avoir  là  quelque  vérité,  mais  qu'il 
ne  faudrait  pas  trop  presser.  Il  a  été  besoin  d'une  définition 
bien  large  pour  y  faire  entrer  des  Sganarelles,  qui  n'ont  un 
air  de  famille  que  très  éloigné,  et  pour  réduire  à  une  cer- 
taine unité  une  physionomie  si  complexe.  Plus  simplement, 
Bazin  dit  :  «  Mascarille  nous  représente  la  jeunesse  de  Mo- 
lière.... A  l'âge  de  trente-huit  ans  et  plus,  il  lui  fallait  un 
caractère  plus  mûr,  moins  pétulant,  moins  moqueur^.  » 

Sans  choisir  entre  ces  deux  vues,  nous  nous  contenterons 
de  constater  que  Molière  eut,  en  1660,  à  montrer  son  talent 
d'acteur  sous  un  aspect  tout  nouveau,  qui  ne  le  fit  point 
paraître  moins  excellent.  Nous  en  avons  pour  témoin  ce 
la  Neufvillaine  ou  Neuf-Villenaine,  qui,  en  publiant  la  pre- 
mière édition  du  Cocu  imaginaire,  a  fait  précéder  chaque 
scène  d'arguments  où  il  parle  avec  enthousiasme  du  jeu  de 
Molière  :  «  Il  ne  s'est  jamais  rien  vu  de  si  agréable,  dit-il 
dans  l'argument  de  la  scène  vi,  que  les  postures  de  Sgana- 
relle quand  il  est  derrière  sa  femme;  son  visage  et  ses 
gestes  expriment  si  bien  la  jalousie  qu'il  ne  seroit  pas  néces- 
saire qu'il  parlât  pour  paraître  le  plus  jaloux  des  hommes.  » 

1.  Portraits  littéraires,  tome  H,  p.  20  et  21. 

2.  Notes  historiques  sur  la  17'e  de  Molière^  p.  36. 


a34  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Arrivé  à  la  scène  xii,  il  ne  sait  plus  dans  son  admiration 
trouver  d'expressions  assez  fortes  :  «  11  faudroit  avoir  le 
pinceau  de  Poussin,  Le  Brun  et  Mignard,  pour  vous  repré- 
senter avec  quelle  posture  Sganarelle  se  fait  admirer  dans 
cette  scène,  où  il  paroît  avec  un  parent  de  sa  femme.... 
L'on  ne  doit  pas  moins  admirer  l'auteur  pour  avoir  fait  cette 
pièce  que  pour  la  manière  dont  il  la  représente.  Jamais  per- 
sonne ne  sut  si  bien  démonter  son  visage,  et  l'on  peut  dire 
que,  dans  cette  pièce,  il  en  change  plus  de  vingt  fois.  » 

Puisque  nous  venons  de  citer  comme  la  première  édition 
celle  de  la  Neufvillaine,  nous  ne  pouvons  omettre  la  curieuse 
histoire  de  l'étonnant  éditeur,  qui,  sans  autorisation  de 
l'auteur  et  avec  la  complicité  d'un  libraire,  publie  une  pièce 
retenue,  dit-il,  de  mémoire,  et  surprend  un  privilège  pour 
son  acte  de  piraterie.  Il  est  bon  de  savoir  comment  la  pro- 
priété de  Molière,  si  parler  de  propriété  littéraire  à  cette 
date  ne  semble  pas  un  anachronisme,  pouvait  être  mise 
effrontément  au  pillage.  L'auteur,  avec  qui  l'on  avait  pris 
cette  liberté,  la  jugea  un  peu  trop  forte.  II  fit  ordonner 
par  le  lieutenant  civil  une  saisie;  on  ne  trouva  rien  chez 
l'imprimeur,  qui  déclara  avoir  remis  tous  les  exemplaires, 
un  peu  plus  de  douze  cents,  au  libraire  Jean  Ribou.  Celui-ci 
refusa  tout  simplement  de  dire  ce  qu'il  en  avait  fait,  et  l'on 
ne  put  dans  sa  boutique  saisir  que  quatre  exemplaires. 
Molière  s'était  pourtant  pourvu  d'un  privilège  après  la  pre- 
mière représentation.  Il  songea  bien  tard  à  en  user,  ne 
l'ayant  fait  transporter  qu'en  octobre  1662  à  Claude  Barbin 
et  à  Gabriel  Quinet.  On  va  d'étonncment  en  étonnement  : 
Molière  était  tellement  insouciant  de  l'impression  de  ses 
ouvrages,  qu'après  un  petit  effort  pour  défendre  ses  droits, 
il  laissa  faire.  L'édition  de  1662  S  qui  paraît  être  la  seconde, 
et  celle  de  I665^  faite  au  nom  de  Molière,  ont  les  argu- 
ments de  la  Neufvillaine.  Dans  une  édition  de  1666,  non 
celle  du  Recueil  [)ublié  cette  année,  mais  l'édition  détachée 
de  1666,  ils  n'ont  pas  été  reproduits;  mais  elle  a  encore  le 
privilège   donné   à   la    Neufvillaine  et   a  paru,   aussi   bien 

I .  Chez  Guillaume  de  Luyues  et  aussi  chez  Courbé. 
}..  Chez  Thomas  J0II7. 


SUR  MOLIERE.  235 

qu'une  autre  de  1666,  chez  Jean  Ribou,  dont  on  a  vu  le 
procédé  en  1660.  Dans  toute  cette  affaire  des  éditions  il  y 
a  des  bizarreries  qui  peut-être  la  feront  paraître  peu  claire; 
mais  il  l'est  sullisarament  que  Molière  y  fut  un  auteur  d'hu- 
meur fort  accommodante,  pour  ne  pas  dire  d'une  superbe 
négligence.  11  ne  lit  jamais  rien  changer  au  texte  de  l'usur- 
pateur de  sa  pièce,  malgré  l'aveu  de  celui-ci,  que,  dans  sa 
publication,  faite  un  peu  au  hasard  du  souvenir,  «  il  peut 
s'être  coulé  quantité  de  mots  les  uns  pour  les  autres  ». 

Molière  réservait  donc  ses  soins  pour  les  représentations. 
11  reprit  celle  de  la  plus  récente  de  ses  comédies,  dès  qu'eut 
cessé  la  longue  interruption,  rendue  plus  supportable,  d'ail- 
leurs, par  les  dédommagements  recueillis  dans  les  visites, 
et  qui  montèrent  à  5ii5  livres.  Le  Cocu  imaginaire  reparut 
le  jeudi  20  janvier  1G61,  jour  où  l'on  commença  à  jouer  au 
Palais-Royal;  on  le  <lonna  trois  fois  de  suite,  et,  immédia- 
tement après,  les  Précieuses  quatre  fois.  Ainsi  le  nouveau 
théâtre  s  ouvrit  sous  les  heureux  auspices  des  deux  pièces, 
grâce  auxquelles  surtout  le  Petit-Bourbon  s'était  fermé  en 
pleine  prospérité.  Mais  les  auspices  trompent  quelquefois. 
Au  moment  où  Molière  ne  connaissait  plus  que  les  sourires 
de  la  fortune,  aurait-on  cru  qu'elle  allait  lui  être  infidèle, 
et  qu'au  bout  de  deux  semaines  la  salle  destinée  à  voir 
naître  tant  de  chefs-d'œuvre  de  son  génie  semblerait  lui 
porter  malheur  ?  Comme  pour  l'inaugurer  par  un  ouvrage 
nouveau,  le  vendredi  4  février  il  y  donna  son  Don  Garde. 
La  pièce  eut  sept  représentations.  A  la  septième,  le  17  fé- 
vrier, on  dut  se  décider  à  la  retirer,  la  recette  étant  tom- 
bée à  soixante-dix  livres.  C'était  ce  que,  dans  la  langue  du 
théâtre,  comme  le  Registre  de  La  Grange  nous  l'apprend,  on 
appelait  dès  ce  temps  «  un  four  ».  Bien  qu'il  soit  très  vrai- 
semblable que  les  ennemis,  les  envieux  (il  n'en  manquait 
pas  chez  les  Grands  comédiens  et  parmi  les  auteurs)  avaient 
tout  fait  pour  amener  cette  chute,  ils  eussent  perdu  leur 
peine,  si,  cabale  à  part,  le  public,  très  favorable  alors  à  Mo- 
lière, n'avait  pas  été  mécontent.  Celui  qui  l'avait  si  bien  su 
faire  rire  le  déroutait  en  lui  donnant  une  comédie  héroïque. 
On  ne  crut  pas  l'y  retrouver  comme  auteur,  moins  encore, 
paraît-il,  comme  acteur,  dans  le  rôle  qu'il  jouait  du  Prince 


236  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

jaloux.  L'échec  dut  lui  être  d'autant  plus  sensible  qu'il  ne 
s'agissait  pas  d'une  petite  pièce  à  laquelle  il  lui  fût  facile 
d'attacher  une  médiocre  importance,  et  que,  dans  son  essai 
d'un  genre  nouveau  pour  lui,  il  avait  mis  de  rares  qualités 
de  style  et  beaucoup  de  son  âme.  Comment  avait-il  fait  choix 
d'un  sujet  qui  devait  tant  l'éloigner  du  chemin  où  il  avait 
rencontré  de  si  brillantes  victoires  ?  On  lui  a  prêté  encore 
l'intention  d'une  ingénieuse  antithèse  (ce  serait  la  seconde), 
avec  son  Sganarelle.  Don  Garde  aurait  été,  dans  sa  pensée, 
une  peinture  de  la  jalousie  noble,  faite  immédiatement 
après  la  peinture  de  la  jalousie  ridicule*.  Cette  explication 
de  sa  tentative  hardie  manque  trop  de  simplicité.  Il  n'eût 
pas  d'ailleurs  fallu  dire  que  la  recherche  du  contraste  lui 
fût  venue  à  l'esprit  après  qu'il  eut  donné  le  Cocu  imaginaire, 
mais  plutôt  qu'il  aurait  voulu,  dans  le  même  temps,  faire, 
ici  un  portrait  sérieux,  là  une  caricature,  du  jaloux;  car  la 
composition  de  la  pièce  héroïque  doit  être  au  moins  aussi 
ancienne  que  celle  de  la  pièce  bouffonne.  On  a  des  preuves 
qu'elle  remonte  assez  haut.  Somaize  dit*  qu'on  avait  en- 
tendu Molière  lire  Don  Garcie  le  même  jour  que  les  Pre'- 
cieuses,  qui  n'étaient  pas  encore  jouées.  Il  est  mentionné 
avec  V Etourdi,  Le  Docteur  amoureux  et  le  Cocu  imaginaire 
dans  le  Privilège  daté  du  3i  mars  1660,  trois  jours  après 
la  première  représentation  de  la  dernière  de  ces  pièces. 

Que  le  sujet  de  Don  Garcie  ait  été  tiré  d'une  comédie 
italienne  dont  l'auteur  est  Cicognini,  ou,  plus  directement, 
d'une  comédie  espagnole  qui  aurait  été  le  véritable  original, 
il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ait  été  besoin  de  l'occasion  de  cette 
imitation  d'un  modèle  étranger  pour  engager  Molière  dans 
l'entreprise  qui  le  dépaysait.  Il  est  plus  vraisemblable  que, 
se  sentant  des  dons  divers,  il  a  cédé  au  désir  d'en  faire 
connaître  un  que  jusqu'alors  il  avait  laissé  dans  l'ombre. 
A  croire  le  posséder,  il  n'y  avait  pas  eu  d'illusion  ;  son 
erreur,  s'il  en  avait  commis  une,  fut  de  ne  pas  assez  bien 
voir  comment  se  devait  faire  l'alliance  de  ce  don  et  de  ceux 

1.  j\'otes  historiques  sur  la  vie  de  Molière,  p.  Sg. 

2.  Dans  ses  Véritables  Prétieuses,  scène  vu.  Voyez  le  Recueil  des 
œuvres  de  Somaize,  donné  par  M.  Livet,  lome  II,  p.  27. 


SUR   MOLIERE.  287 

qu'il  avait  éprouvé  être  chez  lui  les  plus  éminents.  Mais, 
avant  de  s'étonner  qu'il  ait  tout  à  coup  voulu  changer  de 
gamme,  il  ne  faut  pas  oublier  que,  dans  toute  l'œuvre  de  ce 
fécond  et  souple  génie,  s'est  manifestée  une  puissance  illi- 
mitée de  diversifier  ses  créations,  une  richesse  inépuisable 
d'inventions  sans  cesse  nouvelles.  Tel  est  le  privilège  de 
toutes  les  grandes  imaginations  dramatiques. 

Si  toutefois  on  y  regarde  bien,  les  plus  différentes  de  ses 
pièces,  qui  ont  été  dignes  du  nom  de  chefs-d'œuvre,  doctes 
peintures  ou  facéties  populaires,  ont  ceci  de  commun  qu'elles 
sont  vraiment  comiques,  soit  qu'il  élève  les  unes  aussi  haut 
que  la  comédie  puisse  atteindre,  soit  qu'il  mette  dans  les 
autres  toute  la  liberté  des  gaietés  les  plus  folles.  Le  jour,  au 
contraire,  où  il  a  composé  Don  Garde,  qui  ne  donnait  pas 
de  place  au  comique,  il  est  sorti  des  véritables  conditions 
de  son  talent;  et,  tout  en  y  restant  peintre  habile  et  même 
éloquent  de  la  passion,  il  a  perdu  ses  meilleurs  avantages. 
Comment  ne  s'en  était-il  pas  rendu  compte,  lui,  d'un  juge- 
ment si  droit?  Qu'est-ce  qui  avait  pu  le  faire  tomber  dans 
ce  piège  du  genre  héroïque?  Serait-ce  qu'il  avait  pris  goût, 
comme  acteur,  à  ces  rôles  de  héros  qu'il  aimait  à  jouer?  La 
Béjart,  héroïne  avant  tout,  qui  fut  chargée  du  rôle  d'Elvire, 
avait-elle  sollicité  de  lui  une  autre  occasion  de  déployer  son 
talent  que  celle  de  la  pure  comédie?  Il  est  plus  probable 
qu'il  n'y  eut  ni  complaisance  pour  une  actrice,  ni  fantaisie 
de  comédien,  mais  plutôt  celle  d'un  poète,  qui,  trop  sensé 
d'ailleurs  pour  se  faire,  malgré  Minerve,  auteur  tragique, 
ne  crut  pas  trop  téméraire  d'essayer  un  moyen  terme  entre 
la  comédie  et  la  tragédie,  si  toutefois  ce  moyen  terme  doit 
se  reconnaître  dans  des  scènes  toutes  romanesques,  aux- 
quelles la  qualité  royale  des  personnages  donne  une  haute 
dignité.  D'une  œuvre  de  ce  caractère  mixte  Molière  avait 
des  exemples,  et  même  d'illustres.  Onze  ans  avant  Don  Gar- 
de, Corneille  avait  fait  représenter  son  Don  Sanche  d'Ara- 
gon, que  Molière,  dans  son  Prince  de  Navarre,  nous  semble 
avoir  eu  présent  à  la  pensée.  Nous  n'avons  garde  de  mettre 
sur  la  même  ligne  les  deux  comédies  héroïques.  Celle  de 
Corneille,  bien  moins  éloignée  de  la  tragédie,  est  d'une  supé- 
riorité trop  évidente,  toutes  les  fois  qu'elle  atteint  à  la  gran- 


V38  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

deur  des  âmes  de  héros.  C'est  un  fait  cependant  bon  à  rap- 
peler que  le  sort  de  Don  Sanche  ne  différa  pas  d'abord  de 
celui  de  Don  Garde.  Il  eut,  dès  la  quatrième  représenta- 
tion, si  peu  de  spectateurs,  que  son  auteur  le  retira  et  le  vit 
relégué  dans  les  provinces.  Cet  exemple  aurait  pu  avertir 
Molière  du  goût  de  son  temps,  qui  paraît  alors  n'avoir  trouvé 
son  plaisir  que  dans  des  ouvrages  ou  plus  pathétiques  ou 
plus  gais  ;  en  un  mot,  d'un  caractère  moins  indécis,  plus 
franchement  tranché. 

Le  préjugé  du  public,  si  c'en  était  un,  le  rendit  certai- 
nement injuste  pour  Corneille;  s'il  le  fut  pour  Molière,  qui 
était  beaucoup  moins  sur  son  terrain,  c'est  un  peu  moins 
évident.  Il  y  avait  toutefois  dans  son  Don  Garde  des  beautés 
qui  demandaient  grâce.  A  bien  des  traits  on  y  reconnaît 
celui  qui  avait  fait  une  profonde  étude  des  caractères,  pos- 
sédait la  science  de  tous  les  mouvements  du  cœur,  avec  le 
secret  de  les  faire  sentir  par  la  plus  juste  et  la  plus  frap- 
pante expression.  L'action  même,  sans  avoir  assez  d'intérêt, 
en  manque  moins  que  telles  autres  alors  applaudies.  S'il 
s'est  mépris  sur  le  favorable  jour  où  placer,  pour  les  faire 
comprendre,  d'éloquentes  peintures  de  la  passion,  son  tra- 
vail, tout  mal  accueilli  qu'il  eût  été,  ne  se  trouva  pas  lui 
avoir  été  inutile.  11  y  avait  exercé  sa  plume  au  style  noble, 
qu'il  n'eut  plus  qu'à  baisser  d'un  ton  pour  l'accommoder  à  la 
comédie  et  donner  à  celle-ci  la  voix  la  plus  élevée  qu'elle 
eût  jamais  fait  entendre.  C'est  à  quoi  il  réussit  admirable- 
ment plus  tard,  surtout  dans  le  Misanthrope,  où  l'on  sait 
qu'il  a  fait  entrer,  non  par  un  calcul  d'économie  qui  n'au- 
rait jamais  dû  lui  être  imputé,  mais  parce  qu'il  les  savait 
dignes  d'être  sauvés,  de  beaux  passages  de  Don  Garde.  Il  y 
a  fait,  avec  un  art  suprême,  quelques  légers  changements, 
qui,  dans  le  dialogue  comique,  ont  réduit,  quand  il  le  fallait, 
ses  vers  héroïques  au  simple  et  au  naturel. 

Quoique  trop  sage  pour  être  sujet  aux  entêtements  de 
l'amour-propre,  il  eut  de  la  peine  à  accepter  l'échec  d'une 
pièce  qu'il  n'avait  pas  tort  de  croire  trop  durement  con- 
damnée. Espérant  que  l'arrêt  des  spectateurs  du  Palais- 
Royal  pourrait  être  cassé  par  des  juges  plus  sensibles  au 
langage  des  héros,  à  celui  de  la  noble  galanterie,   il  joua 


SUR    MOLIÈRE.  289 

Don  Garde  pour  le  roi,  en  septembre  1662,  un  an  après 
pour  le  grand  Condé  à  Chantilly,  et  quelques  jours  plus 
tard,  en  octobre  i663,  de  nouveau  pour  le  roi,  qui,  dans 
les  quelques  jours  que  la  troupe  resta  à  Versailles,  ne  trouva 
pas  que  ce  fût  trop  d'en  voir  deux  représentations.  Sans 
aucun  doute  les  hauts  suffrages,  auxquels  il  faisait  un  con- 
liantap])el,  furent  gagnés.  Il  reprit  courage,  et  voulut  tenter 
d'obtenir  du  Palais-Royal  qu'il  se  déjugeât.  Le  4  et  le  6  no- 
vembre i663,  il  y  fit  reparaître  sa  comédie  rebutée,  en  l'ap- 
puyant de  son  Impromptu  de  Versailles ,  oîi  il  répondait  ver- 
tement aux  critiques  sur  sa  manière  trop  simple  de  dire  les 
vers  héroïques  ;  il  avait  ces  critiques  sur  le  cœur,  depuis 
qu'elles  lui  avaient  été  attirées  par  son  rôle  du  Prince  jaloux, 
et  qu'elles  avaient  beaucoup  contribué  cà  la  mésaventure  de 
1661.  Mais  lorsqu'il  vit  la  condamnation  devenue  définitive, 
il  ne  put  songer  à  insister;  il  laissa  disparaître  de  la  scène 
sa  comédie,  et  ne  la  fit  pas  imprimer. 

Entre  la  première  et  la  seconde  disgrâce  de  Don  Garde, 
Molière,  sans  perdre  temps,  avait  pris  de  très  consolantes 
revanches,  qui  lui  donnèrent  l'assurance  de  n'avoir  été 
abandonné  que  pour  un  jour  par  la  faveur  publique.  Avec 
son  étonnante  rapidité  de  travail,  il  donna,  la  même  an- 
née 1G61 ,  l' Ecole  des  maris,  puis  les  Fâcheux,  en  1GG2  l'Ecole 
des  femmes.  Dans  ces  nouvelles  pièces  son  génie  comique 
reprit  sa  marche  ascendante. 

L'École  des  maris^,  jouée  pour  la  première  fois  le  24  juin 
1661,  fit  reparaître  plus  brillante  que  jamais  sa  fortune  un 
moment  éclipsée;  ce  nouvel  ouvrage  fit  mieux  en  effet  que 
regagner  le  terrain  perdu;  un  grand  progrès  y  est  marqué. 
Là,  pour  la  première  fois,  des  caractères  sont  dessinés  dans 
toute  leur  vérité;  en  outre  des  problèmes  moraux  sont  agi- 
tés, où  dans  le  poète  comique  commence  à  se  montrer  un 
philosophe,  qui  même  se  laisse  ouvertement  reconnaître  dans 
un  rôle  de  raisonneur,  le  premier  que  Molière  ait  écrit. 
On  aime  généralement  peu  les  raisonneurs  au  théâtre,  mais 

1.  «  5"  pièce  nouvelle  de  M.  Molière  »,  dit  le  Registre.  La 
Grange  ne  tient  pas  compte  du  malheureux  Don  Garde,  qu'il  n"a 
pas  mentionné  dans  la  Préface  de  1682. 


24o  NOTICE    BIOGRAPHIQUE 

celui  de  i École  des  maris  n'a  rien  de  froid,  parce  qu'il  prend 
essentiellement  part  à  l'action. 

Cet  Ariste,  l'homme  excellent,  le  sage,  est  chargé  d'ex- 
primer la  propre  pensée  de  l'auteur.  La  comédie  dans  la- 
quelle Molière  s'est  ainsi  proposé  de  moraliser  annonce  chez 
lui  la  maturité  de  1  âge,  mais  une  maturité  qui  lui  laissait 
toute  la  vivacité  et  la  fleur  de  son  imagination  :  il  était  entré 
dans  sa  quarantième  année. 

Si  Térence,  dans  ses  Adelphes,  lui  avait  indiqué  les  carac- 
tères et  suggéré  le  contraste  qui  les  met  en  relief,  Molière 
a  complété  la  peinture  en  y  ajoutant  bien  des  traits,  et  l'a 
rendue  vraiment  sienne  par  une  couleur  toute  moderne.  Ce 
qui  surtout  n'appartient  pas  à  l'auteur  latin,  c'est  de  n'être 
pas  resté  sceptiquement  impartial  entre  deux  éducations 
contraires,  et  d'avoir  montré  quels  fruits  diff'érents  elles  ont 
naturellement  portés.  L'intérêt  est  par  là  plus  que  doublé. 

On  appellerait  aujourd'hui  V École  des  maris  une  comédie 
ù  thèse.  Nous  ne  voyons  pas  pourquoi  l'on  attacherait  à 
cette  expression  un  sens  défavorable  ;  mais  il  est  permis  de 
se  demander  si  la  thèse  de  Molière,  si  la  leçon  qu'elle  veut 
donner,  n'est  pas  sujette  à  de  très  grands  doutes,  si  la  mé- 
thode de  cet  Ariste,  qui  promet  à  la  jeune  fille  qu'il  aime 
un  mari  d'une  extrême  facilité,  est  aussi  sûre  qu'il  le  croit. 
N'oublions  pas  cependant  que  le  poète  comique  a  besoin 
d'exagérer  un  peu  sa  pensée  pour  qu'elle  fasse  impression 
et  produise  tout  son  effet  dramatique.  Et  puis  si  l'éloge  de 
l'indulgence  nous  semble,  dans  cette  pièce,  aller  jusqu'au 
paradoxe,  combien  de  vérités  y  sont  semées,  qui  sont  in- 
contestables, et  très  justement  passées  en  proverbes! 

Les  nécessités  de  l'art  comique  mises  à  pax't,  lorsque  nous 
voyons  Molière  pousser  bien  loin  les  complaisances  de  l'ai- 
mable tuteur  pour  sa  chère  pupille,  et  rendre  si  haïssable  la 
sévérité  de  Sganarelle  pour  la  sienne,  sur  laquelle  un  peu 
de  surveillance  n'aurait  point  paru  inutile,  nous  n'avons  pas 
besoin  de  beaucoup  de  perspicacité  pour  soupçonner  qu'il  a 
eu  ses  raisons  secrètes.  N'est-ce  pas  une  des  plus  légitimes 
occasions  de  se  souvenir  qu'il  se  jouait  quelquefois  lui-même 
dans  ses  comédies,  comme  le  dit  la  Préface  de  1682? 

Les  deux  frères  de  l'École  des  maris  sont  chargés  de  la 


SUR   MOLIERE.  9',i 

tutelle  et  de  l'éducation  de  deux  jeunes  filles,  auxquelles  ils 
tiennent  lieu  de  leurs  parents.  Ayant  bon  nombre  d'années 
de  plus  qu'elles,  ils  les  aiment  cependant,  et  les  élèvent 
avec  la  pensée  d'en  faire  leurs  femmes.  La  ressemblance  est 
grande  avec  l'histoire,  que  nous  aurons  à  faire  tout  à  l'heure, 
du  mariage  de  Molière.  Comment,  malgré  l'inégalité  d'âge, 
Ariste,  quinquagénaire  et  même  un  peu  plus  (car  Molière 
ne  tenait  pas  à  se  découvrir  tout  à  fait),  jKirviendrait-il  à 
gagner  l'affection  d'une  enfant  que  révolterait  la  cruauté  de 
lui  refuser  toute  parure  et  tout  amusement?  Il  se  gardera 
de  lui  faire  craindre  un  de  ces  farouches  rabat-joie,  de  ces 
inhumains  ennemis  des  plus  innocentes  libertés,  comme  l'est 
son  frère  Sganarelle. 

Lorsque  la  pièce  parut,  les  camarades  de  Molière  n'igno- 
raient pas  son  intention  de  se  marier.  Trois  mois  plus  tût, 
pendant  les  vacances  de  Pâques,  La  Grange  avait  écrit  dans 
son  Registre  :  «  Monsieur  de  Molière  demanda  deux  parts, 
au  lieu  d'une  qu'il  avoit.  La  troupe  [les]  lui  accorda  pour 
lui  et  pour  sa  femme,  s'il  se  marioit.  »  Peut-on  se  défendre 
de  conjecturer  que  plus  encore  qu'une  école  pour  le  public, 
la  pièce,  venue  si  à  propos,  était  le  séduisant  programme 
d'un  futur  mari?  programme  sincère  d'ailleurs,  car  Molière 
pensait  en  amant.  Il  est  piquant  de  le  surprendre  ainsi  dans 
son  extrême  bonté,  dans  sa  faiblesse  ;  et  en  même  temps  il 
est  triste  de  penser  à  l'épreuve  qu'il  devait  bientôt  faire  du 
danger  de  sa  théorie  sur  le  moyen  d'échapper  au  sort  des 
époux  dignes  de  compassion. 

Quelques-uns  de  ceux  qu'a  frappés  avant  nous,  dans 
V École  des  maris,  la  supposition  si  vraisemblable  à  nos  veux, 
ont  eu  tort  de  la  croire  justifiée  par  le  fait  que  la  jeune  fille 
élevée  par  Molière  aurait  créé  le  rôle  de  la  pupille  d'Ariste. 
C'est  plus  tard  que  son  entrée  dans  la  troupe  est  notée  dans 
le  Registre  de  La  Grange.  Mais,  pour  reconnaître  que  sa  pen- 
sée ait  été  présente  dans  la  pièce,  on  n'a  pas  besoin  qu'elle 
y  ait  paru  en  personne  dès  1661.  Il  n'y  a  pas  non  plus  d'im- 
portance à  attribuer  au  i-Ale  que  joua  Molière,  il  avait  donné 
celui  d'Ariste  au  vieux  L'Épy,  et  gardé  pour  lui-même  celui 
du  tuteur  loup-garou.  Mais,  sans  parler  du  désir  qu'il  de- 
vait avoir  de  ne  pas  rendre  les  applications  trop  faciles, 
Molière,   x  16 


i\i  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

pouvait-il  laisser  a  un  autre  le  personnage  de  vSganarelle, 
que,  depuis  avoir  quitté  celui  de  Mascarille.  il  avait  adopté 
comme  sien,  le  seul  d'ailleurs  qui,  dans  l'École  des  maris,  lui 
permît  de  déploNer  tout  son  talent  comique?  Ses  intentions 
n  y  perdaient  rien  de  leui'  clarté  et  du  bon  effet  qu'il  en 
attendait  pour  la  réalisation  de  son  cher  projet.  Quand  il 
eut  épousé  sa  Léonor,  qui  se  trouva  plutôt  une  Isabelle, 
que  pensa-t-il  de  l'Ariste  de  sa  comédie?  Persista-t-il  à  le 
trouver  très  prudent  ? 

Ces  réflexions,  qui  sont  loin  d'être  étrangères  à  Ihistoire 
de  sa  vie,  le  sont  au  jugement  littéraire  à  porter  de  sa  pièce. 
Voltaire  a  rendu  pleine  justice  à  ses  beautés.  Il  dit  qu'elle 
t-  affermit  pour  jamais  la  réputation  de  Molière  j»  ;  que 
«  l'auteur  français  égale  presque  la  pureté  de  la  diction  de 
Térence  et  le  passe  de  bien  loin  dans  l'intrigue,  dans  le 
caractère,  dans  le  dénouement,  dans  la  plaisanterie.  »  Il  dé- 
finit l'École  des  maris  une  pièce  de  caractère  et  une  pièce 
d "intrigue.  Elle  est  en  effet  l'une  et  l'autre. 

L'intrigue  est  fort  amusante  ;  il  ne  faut  pas  en  chicaner  le 
dénouement  pour  quelques  invraisemblances,  dont  l'auteur 
ne  se  souciait  guère,  sachant  qu'au  théâtre  elles  passent  sans 
difficulté.  La  ruse  d'Isabelle,  qui,  par  ses  fausses  révélations 
des  entreprises  de  Valère,  amène  Sganarelle  à  faire  lui- 
même  connaître  à  son  rival  qu'il  est  aimé  et  trouvera  le 
champ  libre,  paraît  une  idée  empruntée  à  Boccace.  La  ma- 
nière dont  elle  est  mise  en  scène  était  faite  pour  donner 
un  nouveau  régal  à  la  Fontaine,  qui,  s'emparant,  à  son 
tour,  de  la  nouvelle  du  Décaméron'^ ,  en  a  fait  le  conte  de  la 
Confidente  sans  le  savoir,  petite  comédie  aussi,  et  digne  de  dis- 
puter la  palme  à  celle  de  Molière,  si  l'intrigue,  dans  celle-ci, 
n'était  pas  secondaire.  Il  semble  que  le  conteur  se  soit  in- 
spiré de  Molière,  plus  encore  que  de  Boccace.  Chez  Fouquet, 
où,  l'année  précédente,  il  avait  pu  voir  le  Cocu  imaginaire,  il 
est  permis  de  croire  qu'il  assista,  le  ii  juillet  1661,  à  la 
représentation  de  l'École  des  maris,  donnée  à  Vaux,  en  pré- 
sence, comme  Loret  nous  l'apprend*,  de  la  reine  d'Angie- 

1.  La  troisième  de  la  Troisième  Journée. 

2.  La  Muse  hîstoricjue,  lettre  du  19  juillet  1661. 


SUR    MOLIERE.  9y,3 

terre,  de  Monsieur  et  de  iMadarae,  mariés  depuis  quelques 
mois.  Et  puis,  autre  occasion,  si  l'on  avait  des  doutes  sur  la 
première,  la  même  comédie  fut  jouée  le  surlendemain,  i")  juil- 
let, dans  la  soirée,  chez  la  surintendante. 

Ce  même  jour,  il  y  en  eut  aussi  une  représentation  devant 
le  roi,  à  Fontainebleau,  '-  pour  Reine  et  Roi  contenter*  »,  et 
très  évidemment  sur  le  grand  récit  que  l'on  avait  fait  de  celle 
du  II.  Nous  pouvons  omettre  plusieurs  autres  visites  où  la 
pièce  fut  représentée  chez  de  grands  personnages  ;  il  suffit 
de  dire  queLoret  parle  du  <;  sujet  si  riant  et  si  beau  »  comme 
du  «  charme  de  tout  Paris-  ».  Du  2',  juin  au  i  1  septembre 
1661,  il  n'y  eut  pas  au  Palais-Royal  un  seul  jour  de  comédie 
sans  l'École  des  maris.  Une  des  meilleures  preuves  que  Mo- 
lière n'avait  reconnu  aucune  hésitation  dans  l'approbation 
générale,  c'est  que  cette  fois,  dès  les  premières  représentii- 
tions,  il  ne  se  montra  pas  plus  inquiet  du  jugement  des  lec- 
teurs que  de  celui  des  spectateurs.  L'École  des  maris  est  le 
pi^emier  ouvrage  qu'il  ait  fait  imprimer,  qu'il  ait  mis  de  lui- 
même  au  jour,  comme  il  dit  dans  son  Epître  à  Monsieur,  la 
première  aussi  de  ses  dédicaces  :  jusque-là  il  avait  laissé  les 
libraires,  éditeurs  de  ses  pièces,  faire  ces  politesses  liminai- 
res, il  se  pourvut  d'un  privilège  qui  est  daté  du  9  juillet  1 66  r . 

Comme  s'il  ne  voulait  pas  laisser  languir  l'heureuse  for- 
tune revenue,  Molière,  deux  mois  après  l' École  des  maris,  eut 
une  nouvelle  pièce  toute  prête.  On  l'avait,  il  est  vrai,  beau- 
coup pressé  ;  ce  qui  l'eiit  mis  en  grand  danger,  s'il  n'avait  pa.s 
été  un  de  ces  esprits  féconds  auxquels  ne  manquent  jamais  les 
promptes  ressources.  On  ne  lui  demandait  rien  moins  qu  un 
ouvrage  impromptu.  «  Jamais,  dit-iP,  entreprise  au  théâtre 
ne  fut  si  précipitée  que  celle-ci;  et  c'est  une  chose,  je  crois, 
toute  nouvelle  qu'une  comédie  ait  été  conçue,  faite,  apprise 
et  représentée  en  quinze  jours.  »  Autre  péril  :  il  s'agissait 
d'un  prétexte  à  ballets,  ces  amusements  favoris  de  Louis  XIV, 
qui  trop  souvent  ont  dérobé  au  grand  poète  comique  un 
temps  précieux.    Pour  satisfaire  aux  conditions    imposées, 

I.    La  Muse  lùstor'ique,  lettre  du  19  juillet  1O61. 

a.   Ibidem. 

3.  Dans  rAvanl-propos  qu'il  mit  eu  tète  des  Fdclieu.r. 


2^,4  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Molière  se  proposa  d'écrii*e  quelques  scènes  légèrement 
liées,  qui  présenteraint  sous  des  formes  variées  une  idée 
toujours  la  même,  et  développeraient  successivement,  mais 
sans  progrès,  des  tableaux  scéniques,  au  lieu  d'une  action. 
C'est,  dans  la  langue  du  théâtre,  une  pièce  à  tiroir.  Mais  un 
ouvrier  tel  que  Molière  ne  trouve  jamais  qu'un  ouvrage  soit 
ingrat.  Il  voulut  n'être  pas,  malgré  la  hâte,  au-dessous  de 
lui-même;  et  puis  il  avait  un  grand  désir  de  contenter  le 
tout-puissant  prince,  dont  il  avait  déjà  éprouvé  la  bienveil- 
lance. Le  titre  de  sa  comédie  :  les  Fâcheux,  en  dit  le  sujet. 
Un  amant,  qui  a  besoin  de  quelques  moments  d'entretien 
avec  sa  maîtresse,  ne  fait  pas  un  pas  pour  la  joindre  sans 
être  arrêté  par  quelque  importun  qui  survient.  Il  n'a  fallu  à 
Molière  que  cette  très  maigre  matière  pour  déployer  son 
imagination  dans  les  vers  les  plus  spirituels  :  et  pour  lui 
c'eût  été  peu  que  cet  agrément  du  style,  s'il  n'avait  fait  bril- 
ler, dans  ces  quelques  coups  de  pinceau,  son  art  sans  égal 
de  peindre  des  caractères.  Quel  observateur  il  s'est  montré 
dans  les  portraits  de  ces  originaux  qui  passent  devant  nous, 
dans  leurs  physionomies  si  diverses,  mais  toutes  également 
prises  sur  le  vif!  Quelque  soin  qu'il  ait  pris  de  ne  négliger 
aucun  des  traits  qui  pouvaient  imprimer  à  ses  figures  la 
marque  de  leur  temps,  on  a  aujourd'hui  encore  l'illusion 
qu'il  nous  fait  rencontrer  des  connaissances. 

Il  avait  exécuté  ce  tour  de  force  pour  la  fête  magnifique 
et,  contre  toute  prévision,  devenue  si  tragiquement  célèbre, 
que  le  surintendant  préparait  pour  le  roi.  Dans  les  jardins 
de  Vaux,  éblouissants  des  plus  rares  splendeurs,  les  Fâcheux 
furent  représentés  pour  la  première  fois  le  17  août  1661. 
La  feinte,  aisément  comprise,  des  excuses  sur  l'impossibilité 
de  s'être  trouvé  prêt  à  temps,  présentées  au  roi  par  Molière 
en  habit  de  ville,  fut  le  badinage,  presque  familier,  d'un  co- 
médien qui  savait  ce  que  pouvait  lui  permettre  le  degré  de 
faveur  où  il  était.  Quand  il  eut  fini  sa  harangue,  la  nymphe 
Béjart,  sortant  d'une  coquille,  récita  le  prologue:  les  Faunes 
et  les  Bacchantes  commencèrent  le  ballet:  puis  les  baladins, 
qui  devaient  reparaître  dans  chaque  entr'acte,  firent  place 
aux  acteurs  de  la  comédie. 

La  Fontaine,  que  nous  retrouvons  ici,  et,  cette  fois,  plus 


SUR   MOLIÈRE.  2',5 

que  vraisemblablement,  a  dit  lui-même',  quatre  jours  après, 
combien  la  pièce  était  faite  pour  plaire  à  la  brillante  assem- 
blée. Les  louanges  données  à  Molière  par  son  fi'ère  en  génie 
ne  seront  jamais  trop  citées  : 

Cet  écrivain  par  sa  manière 
Charme  à  présent  toute  la  cour. 
De  la  façon  que  sou  nom  court. 
Il  doit  être  par  delà  Rome. 
J'en  suis  ravi,  car  c'est  mon  homme. 


Et  jamais  il  ne  lit  si  bon 
Se  trouver  à  la  comédie  ; 
Car  ne  pense  pas  qu'on  y  rie 
De  maint  trait  jadis  admiré 
Et  bon  in  illo  tempore. 
Nous  avons  changé  de  méthode, 
Jodelet  n'est  plus  à  la  mode; 
Et  maintenant  il  ne  faut  pas 
Quitter  la  nature  d'un  pas. 


On  comprend  sans  hésitation  que  dans  -la  pensée  de  la 
Fontaine  les  derniers  de  ces  vers  ne  s'appliquaient  pas  seu- 
lement d'une  manière  générale  à  tout  ce  que  Molière  avait 
jusque-là  fait  paraître,  mais  particulièrement  àla  pièce  nou- 
velle, où  l'excellent  juge  venait  d'admirer  la  nature  suivie 
pas  à  pas. 

Nous  ne  voulons  cependant  rien  exagérer.  Si  une  appa- 
rente bagatelle  est  devenue  une  bonne  comédie,  si  Molière 
y  a  été  peintre  d'après  nature,  il  a  fait  ailleurs  des  peintures 
autrement  profondes  des  caractères;  il  n'y  avait  pas  ici  l'oc- 
casion de  sonder  le  cœur  humain  dans  ses  replis,  mais  de 
tracer  quelques  figures  dont  on  pût  reconnaîti^e  les  types. 

Les  modèles  qui  avaient  posé,  à  l'exception  des  deux  pau- 
vres diables  Caritidès  et  Ormin,  ont  été  pris  dans  le  monde 
qui  entourait  le  roi  et  qui  était  venu  avec  lui  à  la  fête  de 
Vaux.  C'était  assurément  le  moyen  de  mettre  et  ce  monde 
et  le  roi  à  même  déjuger  de  l'exactitude  des  peintures.  Elles 

I.  Dans  cette  lettre  à  Maucroix,  du  22  août,  dont  nous  avons 
déjà  cité  quelque  chose  ci-dessus,  p.  20 1  et  2J2. 


346  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

étaient  non   seulement  vraies,  mais  piquantes.  Par  quelque 
touche  légère  et,  si  l'on  veut,  inoffensive,  qu'aient  été  indi- 
qués les  traits  plaisants  des  manies  vénielles  de  ces  marquis, 
Molière  a  pris  là  une  liberté,  poussée  dans  la  suite  plus  loin 
par  lui,  mais  déjà  d'une  certaine  hardiesse.  Elle  se  montre 
tout  au  début,  dans  le  ridicule  jeté  sur  ces  hommes  de  qua- 
lité, ces  hommes  à  grand  fracas,  qui  plantent  leur  chaise  au 
milieu  de  la  scène,  sans  aucun  souci  des  acteurs  qu'ils  ca- 
chent. Ces  fâcheux-là  n'ont-ils  pas  trouvé  insolente  la  juste 
réclamation?  Disons  que,  dès  ce  premier  essai  des  fran- 
chises de  la  comédie  à  l'endroit  des  extravagants  titrés,  on 
essaya  en  vain  de  faire  regarder  à  Louis  XIV  comme  inju- 
rieuses pour  lui-même  les  railleries  à  l'adresse  de  ceux  qui 
avaient  l'honneur  de  l'approcher  et  étaient  la  décoration 
de  sa  cour  :  il  se  voyait  tellement  au-dessus  de  toutes  les 
têtes,  qu'il  n'était  pas  fâché  que  l'on  marquât  l'infinie  dis- 
lance en  le  faisant  rire   des  petites  planètes   qui   emprun- 
taient tout  leur  éclat  à  son  soleil.  Il  indiqua  lui-même,  on 
ne  sait  pas  au  juste  à  quel  moment,  mais  après  la  représen- 
tation  de  Vaux,  un  portrait  à  ajouter,  celui  de  l'enragé 
chasseur,  un  homme   de  cour  assurément,  le  marquis  de 
Soyecourt  peut-être,  si  le  Menagiana^  a  été  bien  informé. 
Molière  ne  put  dès  lors  douter  que  le  roi  ne  lui  permît 
beaucoup  sur  les  marquis.  Aussi  les   retrouve-t-on  bientôt 
de  plus  en  plus  résolument  ridiculisés  dans  ses  comédies. 

Dans  l'Épître  adressée  au  roi  pour  lui  présenter  sa  pièce 
imprimée,  l'adroit  auteur  n'eut  garde  de  passer  sous  silence 
l'honneur  qu'il  avait  reçu  de  son  auguste  coopération,  et  de 
relever  la  valeur  de  l'idée  qui  lui  avait  été  suggérée.  Ce  ca- 
ractère «  a  été  trouvé  partout,  dit-il,  le  plus  beau  morceau 
de  l'ouvrage  3'  ;  flatterie  tellement  obligée  ici  qu'il  serait 
peu  raisonnable  d'y  trouver  à  redire.  Compliment  de  cour- 
tisan à  part,  il  est  certain  que  le  récit  du  chasseur  brille 
entre  tous  les  autres  par  la  rare  facilité  des  vers,  dont 
l'exactitude  technique  a  été  rendue  si  comiquement  agréal^le. 

r.  Tome  III,  p.  1^.  —  Soyecourt  n'étail  pas  alors,  comme  on 
l'a  dit  quelquefois,  le  grand-veneur,  mais  le  grand-maître  do  la 
qardc-robe. 


SUR   MOLIERE.  247 

Le  Bolxana^  parle  d'un  collaborateur  très  différent,  à  qui 
Molière,  fort  pressé,  aurait  eu  recours  pour  la  scène  du  pé- 
dant Caritidès.  C'était  son  ami  Chapelle.  On  peut  avoir  beau- 
coup  d  esprit,  sans  être  capable  d'écrire  pour  le  théâtre,  et 
surtout  de  prêter  sa  plume  à  Molière,  qui  reprit  la  sienne, 
n'a\'ant  trouvé  dans  la  scène  présentée  par  Chapelle  que  la 
plus  glaciale  plaisanterie. 

Si  les  Fucheu.v  furent  à  Vaux  une  grande  victoire  pour 
Molière,  dont  ils  tirent  estimer  plus  encore  le  talent  par 
Louis  XIV,  tout  le  monde  n'eut  pas  également  à  marquer 
d'une  pierre  blanche  le  jour  de  la  somptueuse  fête.  Ce  fut 
elle  qui,  faisant  éclater  l'orage  encore  suspendu,  rendit  iné- 
vitable la  disgrâce  de  Fouquet,  par  suite  celle  de  Pellisson, 
que  le  prologue  de  la  pièce,  écrit  par  lui,  ne  mil  pas  à  l'abri 
de  la  foudre.  Mais  le  sombre  souvenir,  inséparable  à  jamais 
de  l'histoire  de  la  gaie  comédie,  paraît  n'avoir  jeté  dans  l'es- 
prit du  roi  aucune  ombre  sur  l'ouvrage  de  Molière  et  sur  le 
|)Iaisir  qu'il  y  avait  pris.  Faisons  comme  lui,  nous  chez  qui 
cette  insensibilité  philosophique  n'a  pas  à  craindre  de 
paraître  aussi  dure  ;  écartons,  comme  des  fâcheux,  Nantes  et 
Pignerol;  et  ne  nous  attardons  pas,  quoique  la  Fontaine 
nous  y  invite,  à  entendre  les  cris  et  à  recueillir  les  larmes 
de  ces  Nymphes  de  Vaux,  que  Molière  avait  tant  fait  rire. 

Le  surintendant  n'était  pas  encore  arrêté,  lorsque  le  roi 
voulut  entendre  de  nouveau  les  amusants  Fâcheux^  sans 
doute  ornés  déjà  du  portrait  qu'il  avait  réclamé.  Ce  fut 
à  Fontainebleau  qu'il  les  revit,  le  aS  août,  jour  de  la  Saint- 
Louis;  ils  y  furent  joués  deux  fois,  durant  les  quelques  jours 
que  l'on  garda  les  comédiens.  Là,  au  témoignage  de  Loret-, 
on  n'approu\a  pas  moins  que  l'on  n'avait  fait  à  Vaux  «  la 
pièce  tant  et  tant  louée  »,  que  représenta  «  la  troupe  co- 
mique excellente  ». 

Il  n'est  pas  cette  fois  sans  intérêt  de  connaître  comment 
cette  troupe  s'était  partagé  les  rôles.  Molière  en  joua  plu- 
sieurs :  celui  du  chasseur,  d'invention  royale,  celui  de  Cari- 
tidès, celui  d'un  marquis.  Son  inventaire  désigne,  parmi  ses 

1.  Page  96. 

2.  La  yiuse  historique,  lettre  du  i-j  août  1661. 


248  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

habits  de  théâtre,  les  habits  de  ces  personnages'.  Il  avait 
confié  à  La  Grange  le  rôle  d'Eraste.  Mais  ceux  des  femmes 
méritent  plus  d'attention.  Ils  furent  sans  doute  remplis  à 
Vaux  et  à  Fontainebleau,  comme  on  nous  fait  connaître 
qu'ils  l'ont  été  au  Palais-Royal,  par  la  de  Brie,  la  du  Parc  et 
la  Béjart.  Loret,  qui  les  nomme  toutes  trois  dans  sa  Lettre 
du  19  novembre  1661,  dit  de  la  dernière  : 

L'agréable  Nymphe  Béjart, 
Quittant  sa  pompeuse  coquille, 
Y  joue  en  admirable  fille. 

La  Fontaine  aussi  a  parlé  d'elle  dans  sa  lettre  à  Maucroix, 
où  il  la  montre  sortant  tout  à  coup  de  sa  coquille,  puis  ré- 
citant le  prologue  de  Pellisson  :  «  La  Béjart,  dit-il, 

Nymphe  excellente  dans  son  art. 
Et  que  pas  une  ne  surpasse  », 

louange  qu'il  n'aurait  pas  donnée  à  une  jeune  fille  sans  expé- 
rience du  théâtre.  Quelques-uns  cependant  ont  cru  que  la 
Naïade  de  la  coquille  n'était  pas  Madeleine,  mais  Armande, 
cette  autre  Béjart,  que  prochainement  Molière  devait  épou- 
ser. C'est  la  faire  entrer  dans  la  troupe  un  peu  moins  tôt 
que  l'ont  voulu  ceux  qui  la  font  jouer  dans  les  premières 
représentations  de  V Ecole  des  maris,  mais  trop  tôt  encore. 
Sans  parler  du  Registre  de  La  Grange,  irrécusable  sur  ce 
point,  un  trait  peu  galant  de  la  comédie  de  la  Vengeance 
des  Marquis'^  aurait  dû  sufiBre  pour  avertir  de  l'erreur  :  «  Il 
me  souvient  de  cette  Nymphe  :  on  croyoit  tromper  nos  yeux 
en  nous  la  faisant  voir,  et  nous  faire  trouver  beaucoup  de 
jeunesse  dans  un  vieux  poisson.  »  Il  est  clair  que  le  vieux 
poisson  pour  lequel  on  avait  compté,  justement  sans  doute, 
sur  l'illusion  du  théâtre  et  sur  l'éclat  emprunté  qui  rajeunit, 
ne  peut  avoir  été  que  la  comédienne  de  quarante- trois  ans. 

1.  Recherches  sur  Molière,  p.  276  et  277.  —  On  ne  nous  apprend 
pas  quel  marcjuis  Molière  représentait  :  Lysandre,  le  danseur? 
Alcandre,  le  duelliste?  Alcippe,  le  joueur?  Tous  peut-être  bien, 
comme  dit  Soidié,  p.  88. 

2.  Scène  vu. 


SUR    MOLIERE.  249 

La  ville  attendit  assez  longtemps  la  comédie  que  son  suc- 
cès à  la  cour  devait  lui  donner  grande  impatience  de  voir 
représenter  :  depuis  l'arrestation  du  surintendant  (5  sep- 
tembre), ou  l'on  eut  ordre  de  différer,  ou  les  convenances 
le  conseillèrent.  On  pourrait  aussi  attribuer  le  retard  à  la 
difficulté  de  monter  la  pièce  que,  malgré  les  grands  frais,  on 
voulait  donner  au  Palais-Royal  telle  qu'on  l'avait  donnée  à 
Vaux  et  à  Fontainebleau,  avec  <=  ballets,  violons,  musique  » 
et  machines  '.  Elle  ne  put  être  jouée  que  le  4  novembre.  Pen- 
dant trois  mois,  elle  le  fut  tous  les  jours,  avec  de  très  fortes 
recettes.  La  nouveauté  pour  la  ville  d  un  divertissement  royal 
contribua  peut-être  à  piquer  la  curiosité;  mais  l'agrément 
de  la  pièce  y  aurait  suffi.  Une  des  représentations,  celle  du 
28  décembre,  doit  être  remarquée.  Le  Registre  note  ce 
jour-là  «  les  Fâcheux  devant  le  roi  ;>  avec  l' École  des  maris. 
Ce  fut  évidemment  au  Palais-Royal,  où  parut  le  roi,  sans 
craindre  d'éveiller  par  sa  présence  le  souvenir  du  jour  de 
colère  qui  avait  vu  la  premièi'e  représentation  des  Fâcheux. 
Voulut-il  juger  par  ses  propres  yeux  de  l'effet  produit  sur  le 
public  de  la  ville  par  la  scène  dont  il  avait  donné  le  sujet? 

C'est  plaisir  de  chercher  l'histoire  de  Molière  dans  celle 
de  ses  ouvrages;  car  elle  y  est  avant  tout,  et  s'y  offre  à  nous 
aussi  claire  que  glorieuse;  mais  à  l'époque  oïi  nous  voici 
parvenu,  il  faut,  non  sans  regret,  nous  détourner  de  la  bril- 
lante route  de  son  génie  vers  sa  vie  privée,  qui  n'est  pas 
éclairée  d  une  manière  aussi  évidente,  aussi  pure  non  plus  : 
elle  va  paraître  entourée  de  quelques  nuages  inquiétants. 
Un  écrivain,  que  l'on  aime  à  écouter,  conseille  de  renoncer 
à  la  manie,  qu'on  a  de  nos  jours,  de  confesser  indiscrète- 
ment les  grands  hommes.  Il  pense  qu'on  ferait  mieux  d"é- 
pargner  à  la  mémoire  de  Molière  toutes  ces  enquêtes  sans 
fin  sur  des  misères  inutiles  à  remuer-,  et  qu'il  importe  peu 
d'éclaircir  les  obscurités  qu'on  a  cru  trouver  autour  de  la 
naissance  de  sa  femme,  puis  encore  de  forcer  le  secret  du 
ménage  pour  suivre  d'un  œil  curieux  la  conduite  de  celle-ci 

1.  La  Muse  historique,  lettre  du  19  novembre  1661. 

2.  Vojez  dans  les  Études  critiques  de  M.  F.  Brunelière,  les  Der- 
nières recherclies  sur  Molière^  p.   184-187. 


25o  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

une  fois  mariée.  Cette  réserve  serait  de  notre  goîit  ;  mais, 
pour  qu'elle  ne  soit  pas  tardive,  elle  a  depuis  longtemps 
été  trop  peu  gardée.  Nous  craindrions  d'ailleurs  que  tant 
de  scrupule  s'accordât  mal  avec  les  devoirs  d'un  biographe. 
Comment  prétendre  retracer  une  vie,  avec  la  résolution  d'y 
laisser  de  si  visibles  lacunes? 

La  brièveté  de  la  Préface  de  1682  permettait  peut-être  de 
n'y  pas  même  nommer  Mlle  Molière;  et  cependant  on  a 
quelque  peine  à  ne  pas  croire  cette  omission  trop  volon- 
taire pour  n'être  pas  un  jugement  sur  elle.  N'avoir  pas  dit 
un  mot  de  sa  naissance,  de  ses  père  et  mère,  semble  par- 
ticulièrement avoir  quelque  signification.  Si  les  auteurs  de  la 
préface,  bien  informés  sans  doute,  s'étaient  crus  en  mesure 
de  faire  une  simple  mention,  qui  fût  comme  une  réponse  à 
des  soupçons  très  répandus,  ne  pas  la  négliger  était  leur 
devoir,  surtout  comme  amis. 

La  Grange,  que  l'on  croit  un  de  ces  auteurs,  n'a  pas  été 
muet,  dans  son  Registre,  sur  le  mariage  du  chef  de  la 
troupe.  Il  l'a  plusieurs  fois  noté,  d'abord  à  l'occasion  des 
deux  parts  demandées  par  Molière  avant  la  rentrée  de 
Pâques  1661,  qui  le  faisaient  dès  lors  pressentir*,  puis, 
sous  la  date  du  14  février  1662,  quand  le  projet  fut  ouver- 
tement déclaré,  et  qu'il  y  eut  peut-être  un  repas  de  fian- 
çailles^. C'est  à  la  première  de  ces  mentions  qu'il  a  plus 
tard  ajouté  cette  petite  note  :  «  M.  de  Molière  épousa  Ar- 
mande-Claire-Elisabeth-Grésinde  Béjart  le  mardi  gras  de 
1662^.  »  Aucun  des  prénoms  de  l'épousée  n'est  omis;  mais 
ses  pai'ents  ne  sont  pas  nommés,  quoique  La  Grange,  au 
commencement  de  son  Registre,  n'ait  pas  manqué  de  parler 
du  père  et  de  la  mère  de  sa  propre  femme,  Marie  Ragueneau. 

I.  Registre^  p.  3i.  «  La  troupe  lui  accorda  [les  deux  parts] 
pour  lui  ou  pour  sa  femme,  s'il  se  marioit.  » 

3.  Ihid.,  p.  4i-  «  Mardi  i4"  [février  1662],  visite  chez  M^d'Eque- 
villy  »  ;  et  à  la  marge  :  «  Mariage  de  M'^  de  Molière  au  sortir  de 
la  visite.  » 

3.  L'exactitude  du  Registre  est  ici  légèrement  en  défaut.  Il  a 
retardé  d'un  jour  le  mariage,  qui  fut  célébré  à  Saint-Germain- 
l'Auxerrois  le  lundi  20  février.  Voyez  l'acte  de  mariage  aux  Pièces 
justificatives^  n"  \ii. 


SUR    MOLIERE.  2ji 

Que  sait-on  avec  certitude  de  cette  Ariïlande  Béjart, 
lorsqu'elle  se  maria?  Son  Age,  à  peu  près  du  moins.  Le  con- 
trat de  son  mariage*  la  dit  «  âgée  de  vingt  ans  ou  environ  ». 
L'acte  de  son  décès,  qui  est  du  3o  novembre  1 700,  la  fait 
mourir  à  cinquante-cinq  ans.  Elle  serait  née  en  1645,  et  aurait 
été  mariée  avant  ses  dix-sept  ans,  ce  qui  est  indubitablement 
faux,  puisqu'elle  ne  peut  être  que  «  une  petite  non  bapti- 
sée >>  que  désigne  un  acte  du  10  mars  164  >•  Il  est  probable 
qu'au  moment  de  la  signature  du  contrat  elle  était  entrée 
depuis  peu  dans  sa  vingtième  année.  Molière  avait  plus  que 
le  double  de  son  âge. 

Sa  naissance  (à  part  la  date  approximativement  connue!  a 
toujours  été  sujette  à  bien  des  doutes,  à  de  nombreuses  con- 
troverses. Il  y  a  là  des  ténèbres  qui  jamais  peut-être  ne  se- 
ront entièi^ement  dissipées,  quelque  bonne  foi  que  l'on  mette 
à  tâcher  d'y  porter  la  lumière. 

Sur  ses  premières  années  du  moins  on  ne  saurait  craindre 
d'être  dans  une  complète  ignoranee.il  n'y  a  pas  à  douter  que 
Molière  n'ait  pris  soin  de  son  éducation.  Tout  confirme  ce 
dire  de  l'auteur  de  la  Fameuse  Comédienne ,  qu'il  avait  pour 
elle  une  inclination  particulière  «  comme  l'ayant  élevée-  ». 
Chalussay  est  d'accord  dans  sa  comédie.  Son  Elomire  se 
tient  assuré  de  n'être  jamais  trompé  par  sa  femme  : 

Qui  forge  une  femme  pour  soi. 

Comme  j'ai  fait  la  mienne,  en  peut  jurer  sa  foi  5. 

Dans  la  réponse  que  Bary  fait  à  Elomire,  il  le  compare  à 
Arnolphe,  forgeant  de  la  même  manière  Agnès.  La  compa- 
raison rend  parfaitement  clair  le  sens  de  forger,  quoique  la 
méchanceté  du  satirique  en  cherche,  quelques  vers  plus  loin, 
un  tout  autre  qui  est  très  odieux.  Sur  cette  sorte  de  tutelle 
de  Molière  nous  n'avons  pas  hésité  à  citer  des  libellistes,  le 
fait  dont  ils  parlent  échappant  trop  au  blâme  pour  qu'ils 
l'aient  inventé.  Mais  surtout  nous  ne  nous  défions  pas 
d'eux  cette  fois,  parce  que  cette  page  de  la  vie  de  Molière 

I .  Voyez  ce  contrat  aux  Pièces  justificatives^  u"  vi. 

•2.  Page  9. 

3.  Acle  I,  scène  m,  p,  ao. 


252  TVOïICE   BIOGRAPHIQUE 

se  trouve  comme  écrite  par  lui-même.  Il  nous  a  paru  impos- 
sible qu'on  se  soit  trompé,  lorsque  l'on  a  reconnu  sa  préoc- 
cupation de  sa  propre  histoire  dans  V École  des  maris,  dont  les 
deux  tuteurs  ont  été  charge's  du  soin  d'élever  deux  jeunes 
filles  sans  parents*,  qu'ils  ont  lini  par  vouloir  épouser.  Bien- 
tôt après,  dans  l'École  des  femmes,  Molière,  comme  obsédé 
de  la  même  pensée,  a  fait  paraître  sur  la  scène  Arnolphe,  à 
qui  est  confiée,  dès  l'âge  de  quatre  ans,  une  enfant  qu'il 
élève,  qu'il  forge  : 

Je  ne  puis  faire  mieux  que  d'en  faire  ma  femme. 
Ainsi  que  je  voudrai,  je  tournerai  cette  âme. 
Comme  un  morceau  de  cire  entre  mes  mains  elle  est, 
Et  je  lui  puis  donner  la  forme  qui  me  plaît^. 

Voilà  bien  son  rêve  sur  Armande.  Peu  importe  qu'Arnolphe 
ressemble  d'ailleurs  si  peu  à  Molière,  et  que  le  sujet  de  sa 
pièce  ait  été  trouvé  dans  une  nouvelle  de  Scarron.  S'il  l'y  a 
remarqué  et  l'a  fait  sien,  c'est  qu'il  répondait  aussi  bien  que 
celui  de  l'École  des  maris  au  grand  souci  dont  il  était  préoc- 
cupé en  ce  temps  :  comment  résoudre  la  difficulté  d'élever 
assez  sagement  une  jeune  fille  pour  l'épouser  sans  péril  à 
l'âge  qu'il  avait?  N'aurait-il  pas  à  s'applaudir  de  n'avoir 
pas  fait  d'elle  une  esclave,  comme  Isabelle,  ou  une  sotte, 
comme  Agnès? 

La  petite  Menou  de  la  lettre  de  Chapelle^  ne  doit  pas, 
quoi  qu'on  ait  voulu  dire,  être  autre  qu' Armande  Béjart. 
Comment  aurait  disparu,  sans  laisser  de  traces,  l'enfant  qui, 
poétiquement  comparée  à  l'herbe  tendre  au  pied  du  grand 
arbre,  grandissait  sous  les  5'eux  de  Molière?  Après  qu'elle 
lui  avait  inspiré  le  vif  et  tendre  intérêt  que  Chapelle  con- 
naissait si  bien,  on  ne  s'expliquerait  pas  qu'il  fiit  devenu 
impossible  de  la  retrouver  près  de  lui,  comme  si  tout  à  coup 
il  l'eût  entièrement  perdue  de  vue.  Et  oîi  est  la  vraisem- 
blance de  supposer  sa  tendresse  pai'tagée,  dans  le  même 
temps,  entre  deux  enfants,  qu'il  se  serait  également  prorais 

1.  Acte  I,  scène  11,  vers  99-106. 

2.  Acte  III,  scène  m,  vers  808-811. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  146-148. 


SUR   MOLIERE.  ^53 

de  faire  monter  jusqu'à  lui  «  dans  cinq  ou  six  jours  »  ?  La 
séduction  exercée  sur  son  cœur  par  Menou  et  «  ses  naissants 
appas  »  ressemble  singulièrement  à  ce  qui  est  dit  dans  la 
fameuse  Comédienne  de  son  ^~  inclination  particulière  »  pour 
Armande  Béjart. 

Cette  Armande  n'était  pas  sans  parents,  comme  Isabelle 
etLéonorde  V École  des  maris.  Elle  avait  une  mère  vivante, 
une  des  Béjart,  celle-ci  ou  celle-là.  L'étroite  intimité  de 
Molière  avec  cette  famille  Béjart  fait  comprendre  qu'il  ait 
pris  soin  de  l'enfant  ;  mais  l'histoire  de  cette  tutelle  est  mal 
connue.  On  ne  trouve  quelques  détails  que  dans  la  Fameuse 
Comédienne.  Il  y  est  dit  qu'Armande  «  a  passé  sa  plus 
tendre  jeunesse  en  Languedoc  chez  une  dame  d'un  rang 
distingué  dans  la  province  »  :  et  que  Molière,  «  ayant  résolu 
d'aller  à  Lvon  [on  parle  san';  doute  des  anne'es  i652  ou  i653), 
on  la  retira  de  chez  cette  dame,  qui  ayant  conçu  pour  elle 
une  amitié  fort  tendre,  fut  fâchée  de  l'abandonner  entre  les 
mains  de  sa  mère  pour  aller  suivre  une  troupe  de  comé- 
diens errants'  «.  La  suite  donne  à  entendre  qu'Armande 
fut  alors  confiée  à  Molière.  Il  était  comédien  dans  cette 
troupe  errante,  mais  il  s'y  faisait  distinguer  par  l'estime  qu'il 
s'était  acquise. 

La  source  de  ces  informations  est  suspecte.  Il  semble 
cependant  que  si  l'on  réserve,  comme  une  question  à  exa- 
miner, la  maternité,  affirmée  dans  le  libelle,  de  Madeleine 
Béjart,  les  autres  circonstances  brièvement  relatées  ne  sont 
pas  indignes  de  confiance.  La  dame  du  Languedoc  ne  paraît 
pas  une  invention  ;  on  ne  verrait  pas  quel  intérêt  la  méchan- 
ceté aurait  eu  à  imaginer  Molière  recevant  de  ses  mains 
l'enfant  que  ses  parents  n'avaient  pas  gardée  près  d'eux. 

Voilà  donc  Armande  emmenée  à  Lyon  par  celui  qui  con- 
sentait à  veiller  sur  elle;  ce  serait  une  nouvelle  raison  de 
l'identifier  avec  Menou  que  nous  avons  trouvée  dans  cette 
ville  récitant  quelques  vers  de  V  Andromède,  par  manière  de 
jeu  certainement;  car  nous  ne  verrons  pas  Armande  comé- 
dienne avant  son  mariage. 

Il   paraît    simple  d'abord    de    connaître    sa    mère.    Son 

1.    La  Fameuse  Comédienne^  P-  7- 


a54  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

contrat  et  son  acte  de  mariage  la  mettent  bien  en  règle, 
comme  fille  légitime  de  Joseph  Béjain  et  de  Marie  Hervé, 
conséquemment  comme  sœur  de  Madeleine  Béjai't.  Beau- 
coup plus  jeune  que  ses  frères  et  sœurs,  tous  bien  connus, 
elle  ne  saurait  être,  comme  nous  l'avons  dit,  que  la  «  petite 
non  baptisée  «  qui  dans  la  renonciation  à  la  succession  de 
Joseph  Béjart,  reçue  le  lo  mars  1643^  par  un  lieutenant 
civil,  est  comptée  au  nombre  des  enfants  mineurs  du  défunt. 
Comment  des  actes  si  authentiques  ont-ils  pu  laisser  place 
à  des  doutes?  Ce  n'est  pas  aussi  inexplicable  qu'on  l'a  quel- 
quefois prétendu. 

Il  est  probable  que  dans  tous  les  actes  postérieurs  à  la 
renonciation  de  1643,  on  s'en  est  rapporté  à  cet  acte  pre- 
mier en  date,  dans  lequel  la  déclaration  de  la  veuve  Béjart 
avait  été  acceptée  comme  sincère,  et  n'avait,  depuis,  donné 
lieu  à  aucune  inscription  de  faux.  Le  magistrat  qui  lavait 
reçue  doit  s'en  être  contenté,  l'acte  du  baptême  qui,  aflir- 
mait-on,  n'avait  pas  encore  été  donné,  n'ayant  pu  être  pro- 
duit. 

Cet  acte  de  baptême,  que  du  reste  aucune  recherche  n'a 
fait  jusqu'ici  retrouver,  a-t-il  été  produit  pour  le  mariage  ? 
Rien  ne  le  dit,  et  il  ne  serait  pas  étonnant  que  1  on  ne  l'eût 
pas  exigé  :  tant  on  passait  facilement  alors  sur  les  irrégu- 
larités. La  renonciation  à  la  succession  de  Joseph  Béjart  offre 
elle-même  un  exemple  de  ces  négligences.  La  remarque  a 
été  faite  que  Marie  Hervé  avait  déclaré  tous  ses  enfants 
mineurs,  lorsque  deux  d'eutre  eux  ne  l'étaient  pas,  Made- 
leine qui  avait  ses  vingt-cinq  ans  accomplis,  étant  née  le 
8  janvier  161 8,  et  Joseph  étant  plus  âgé  qu'elle.  C'était, 
dit-on,  sans  importance  dans  une  succession  qui  ne  laissait 
rien  à  recueillir;  et  l'on  avait  seulement  voulu  simplifier  les 
choses.  Nous  n'en  sommes  pas  si  sûr,  et  quand  on  l'admet- 
trait, quel  magistrat,  ou  quel  notaire  aujourd'hui  fermerait 
les  yeux  sur  cette  simplification,  ou  l'ignorerait,  faute 
d'avoir  demandé  que  l'on  justifiât  de  la  minorité  des  enfants? 
Un^tel  laisser-aller  doanait  bien  des  facilités  à  toutes  les 
fraudes.  ' 

I.   Voyez  celte  Retionciat'ioii  aux  Pièces  justificatn-es.  n°  viii. 


SUR   MOLIERE.  ^V", 

Pour  faire  soupçonner  Marie  Hervé  d'un  mensonge  sur  la 
naissance  d'Armande,  c'est  trop  peu  qu'il  ait  été  possible;  il 
faut  dire  pourquoi  il  est  moins  improbable  qu'on  ne  voudrait. 

11  V  a  désaccord  entre  les  témoignages  des  pièces  au- 
thentiques et  ce  qu'en  dépit  de  toutes  les  preuves  légales 
les  contemporains  ont  cru. 

Quand  ces  contemporains  ont  été  un  Montfleur\ ,  un  Cha- 
lussay,  ou  l'auteur  de  la  Fameuse  Comédienne ^  trop  évidem- 
ment il  n'y  a  pas  à  tenir  compte  de  ce  qu'ont  dit  de  tels 
ennemis.  Mais  si  leur  haine,  capable  de  toutes  les  calom- 
nies, a  seule  propagé  le  faux  bruit,  comment  ont-ils  trouvé 
ouverte  au  mensonge  l'oreille  de  ceux  qui  avaient  vécu  dans 
l'intimité  de  Molière,  celle  de  Boileau  lui-même?  La  phrase 
de  Brossette,  déjà  citée  plus  haut  :  «  M.  Despréaux  m'a  dit 
que  Molière  avoit  été  amoureux,  premièrement  de  la  comé- 
dienne Béjart  »,  se  continue  ainsi  :  «  dont  il  avoit  épousé  la 
tille*  ».  Ce  témoignage,  qu'on  a  qualifié  de  vague,  est  sin- 
gulièrement précis;  et  il  a  été  écrit  du  vivant  de  Boileau, 
en  IIJ02.  Reste  à  objecter  la  médiocre  confiance  qu'inspirent 
les  souvenirs  de  Brossette;  on  a  signalé  chez  lui  beaucoup 
d'erreurs.  Celle-ci  dépasserait  en  impardonnable  légèreté 
toutes  celles  qu'on  a  relevées  dans  son  commentaire-.  Croira- 
t-on  que,  préoccupé  de  l'opinion  répandue,  il  s'est  imaginé 
en  avoir  recueilli  la  confirmation  de  la  bouche  de  Boileau  ? 
Une  pareille  infidélité  de  mémoire  serait  bien  étrange.  Elle 
le  serait  plus  encore,  si  l'on  supposait  que  Boileau  lui  avait 
dit  le  contraire;  et  il  lui  a  certainement  dit  quelque  chose. 
Quand  Brossette  l'a  interrogé  sur  Molière  et  la  Béjart,  il  n  a 
pu  négliger  de  s'informer  de  ce  qu'il  pensait  d'un  bruit  qui 
n'intéressait  pas  médiocrement  la  mémoire  d'un  si  cher 
ami. 

Grimarest,  dont  l'autorité  a  été  souvent  récusée,  paraîtrait 
moins  embarrassant.  Cependant  il  l'est  bien  un  peu.  Il  est 
in^Taisemblable  que  sur  un  point  de  cette  importance  il 
n'ait  pas  consulté  Baron,  qu'il  reconnaît  lui  avoir  donné  ses 

1.  Ms.  de  Brossette,  p.  38. 

2.  Vojez  s\ir  les  erreurs  de  Brossette,  Tédition  des  OEuvres  de 
Boileau  donnée  par  Berriat-Saint-Prix,  tome  III,  p.  466-498. 


256  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

mémoires*.  Dans  son  témoignage,  il  est  donc  difficile  de 
croire  que  nous  n'ayons  pas  celui  de  Baron,  sous  la  dictée 
duquel  sans  doute  il  a  écrit  qu'Arraande  était  fille  de  Ma- 
deleine. Il  n'y  avait  guère  pour  Baron  de  secret  dans  la 
maison  de  Molière  ;  s'il  avait  des  raisons  de  ne  pas  aimer 
Mlle  Molière,  s'il  a  pu  faire  à  Griraarest  plus  d'un  conte  sur 
elle,  par  celui-ci  il  l'aurait  moins  frappée  que  la  veuve  Bé- 
jart,  Madeleine,  et  surtout  son  bienfaiteur,  livré  par  lui, 
dans  cette  triste  affaire,  à  des  conjectures  injurieuses. 

Nous  avons  déjà  fait  remarquer  que  La  Grange,  lorsqu'il 
a  parlé  dans  son  Registre  du  mariage  de  Molière,  n'a  point 
donné  les  noms  du  père  et  de  la  mère  d'Armande  Béjart, 
quoiqu'il  l'eût  pu  faire  naturellement  et  sans  la  moindre  af- 
fectation d'apologie.  De  même,  notant  à  sa  date  la  mort  de 
Madeleine  Béjart,  il  n'a  pas  saisi  l'occasion  de  la  dire  belle- 
sœur  de  Molière.  Que  celui-ci  n'ait  jamais  voulu  rétablir, 
preuves  en  main,  la  vérité  défigurée  par  ses  ennemis,  nous 
n'avons  rien  à  dire  contre  les  raisons  qu'on  en  a  proposées, 
mais  on  est  étonné  de  la  discrétion  de  La  Grange.  Il  pour- 
rait être  soupçonné  d'avoir  évité,  soit  de  lui-même,  soit  par 
le  conseil  de  Molière,  de  toucher  à  une  question  scabreuse, 
sur  laquelle  savaient  à  quoi  s'en  tenir  ses  camarades  sous  les 
yeux  desquels  il  écrivait  son  Registre. 

Un  très  petit  fait,  qui  n'a  nullement  la  valeur  d'un  témoi- 
gnage, est  cependant  assez  curieux*.  Le  lo  mai  1673,  un 
arrêt  fut  rendu  sur  l'affaire  d'une  créance  de  Madeleine 
Béjart,  dont  Mlle  Molière  avait  hérité  (affaire  Antoine  Bara- 
tier).  Quelques  mois  avant  le  jugement,  les  qualités  des 
parties  avaient  été  ainsi  établies  :  «  Entre  messire  Anthoine 
Hercule,  baron  de  Saint-Victor^...,  et  Jean-Baptiste  Po- 
quelin  Molière,  comédien  du  Roi,  et  damoiselle  Armande 
Grésinde  Béjart,  sa  femme,  héritière  de  défunte  Magdelaine 


1.  Réponse  à  la  critique  que  Von  a  faite  de  la  Vie  de  M,  de  Mo- 
lière. Voyez  les  QEmres  de  M.  de  Molière,  Paris,  par  la  Compa- 
gnie des  libraires  associés,  171c,  tome  I,  p.  117  et  118. 

2.  Il  a  été  découvert  et  raconté  par  M.  Emile  Campardon. 
Voyez  le  Moliériste  d'août  i883,  p.  i56et  157. 

3.  Il  était  gendre  de  feu  Baratier. 


SUR   MOLIERE.  257 

Béjart,  ayant  repris  l'instance  au  lieu  do  ladite  défunte  Bé- 
jart.  »  Lorsque  l'arrêt  fut  rendu  après  la  mort  de  Molière, 
et  qu'il  fallut  changer  la  désignation  des  parties,  les  noms 
et  qualités  de  Molière  et  de  sa  femme  furent  biffés,  et  l'on  y 
substitua  :  «  et  damoiselle  Armande  Grésinde  Béjart,  veuve 
du  défunt  Jean-Baptiste  Poquelin,  comédien  du  Roi,  héri- 
tière de  défunte  Magdelaine  Béjart,  ayant  repris  l'instance 
au  lieu  de  ladite  défunte  Béjart,  sa  mère,  et  dudit  Molière 
son  mari  ».  Dans  l'arrêt  néanmoins  la  veuve  de  Molière  était 
qualifiée  sœur  de  Madeleine.  Il  n'y  avait  donc  eu  qu'une 
distraction*  du  greffier.  Elle  ne  mériterait  pas  qu'on  en  par- 
lât, si  elle  n'était  une  des  nombreuses  preuves  de  la  croyance 
dont  les  contemporains  avaient  l'esprit  prévenu. 

Cette  croyance  n'était  pas  seulement  celle  d'un  petit 
nombre,  et  longtemps  elle  a  persisté.  Pour  la  faire  juger 
mal  fondée,  il  a  fallu  la  découverte  par  Befifara  de  l'acte  de 
mariage  de  Molière.  Il  y  a  eu,  depuis,  celle  du  contrat,  et  de 
la  renonciation  de  1643.  Jusque-là  les  biographes  de  Molière, 
Grimarest,  La  Serre,  Voltaire,  ont  été  d'accord  sur  la  ma- 
ternité de  Madeleine,  ce  qui  ne  prouve  autre  chose,  il  est 
vrai,  que  la  persévérante  tradition. 

Ce  qui  nous  reste  à  ajouter  n'est  pas  plus  nouveau  que 
ce  que  nous  venons  de  dire.  Quelle  considération,  qui  ne 
soit  déjà  connue,  pourra-t-on  proposer  tant  qu'on  n'aura 
j)as  trouvé  un  témoignage  irrécusable,  ayant  jusqu'ici 
échappé  aux  recherches?  Et  comment  rêver  d'en  découvrir 
jamais  un  qui,  tout  revêtu  qu'il  fût  des  caractères  de  la  plus 
authentique  légalité,  ne  paraîtrait  pas  d'une  autorité  dou- 
teuse, puisqu'il  a  pu  s'être  appuyé  sur  une  première  fausse 
déclaration? 

I.  Nous  la  comprenons  d'autant  plus  facilement  que  nous- 
même  avons  à  nous  accuser  d "une  toute  semblable  qui  a  été  l'ef- 
fet de  la  même  préoccupation.  Dans  une  ligne  de  la  Notice  sur  /« 
Comtesse  efEscarl/agnas  (tome  VIII,  p.  538),  nous  avons  nommé 
Madeleine  Béjart  belle-mère  de  Molière.  C'était  cependant  sans  au- 
cune intention  de  prendre  parti  dans  la  question  controversée; 
dont  nous  entendions  réserver  l'examen  pour  la  Notice  biogra- 
phique. A  notre  sentiment,  il  n'était  pas  permis  d'être  tout  à  fait 
si  décisif. 

Molière,   x  17 


a58  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Dans  le  contrat  de  mariage',  Marie  Hervé,  comme  mère 
d'Armande,  donne  aux  futurs  époux  dix  mille  livres  tour- 
nois, que,  cinq  mois  après,  le  24  juin  1662,  Molière  recon- 
naît avoir  reçues  :  bien  grosse  somme  pour  une  veuve,  à 
qui  l'on  n'aurait  jamais  cru  tant  d'opulence  et  qui,  deux 
ans  plus  tard,  ne  fut  pas  si  généreuse  pour  son  autre  fille, 
Geneviève.  Lorsque  celle-ci  épousa,  en  1664,  Léonard  de 
Loménie,  elle  apporta  quatre  mille  livres  tournois,  dont  la 
l^lus  grande  partie  (trois  mille  cinq  cents  livres)  était  en 
habits,  linge  et  meubles;  et  les  cinq  cents  livres  d'argent 
comptant,  le  contrat  ne  dit  même  pas  qu'elles  étaient  don- 
nées par  la  mère.  Quant  à  la  fiancée  de  Molière,  qui  soup- 
çonner dans  la  famille  Béjart  de  lui  avoir  fait  une  belle  part, 
si  ce  n'est  la  riche  Madeleine  ?  En  vérité,  voilà  une  sœur 
d'une  grande  libéralité!  C'est  elle,  et  non  Marie  Hervé,  qui 
se  conduit  en  mère. 

Elle  ne  fut  pas  moins  généreuse  pour  Armande  dans  son 
testament.  Là,  commençant  par  laisser  quatre  cents  livres 
de  pension  viagère  à  sa  sœur  Geneviève  et  à  son  frère  Louis, 
aussi  bien  qu'à  sa  sœur  la  plus  jeune,  au  profit  de  qui 
devait  s'éteindre  la  pension  des  deux  premiers,  elle  charge 
ensuite  son  ami,  le  peintre  Mignard,  de  recueillir  tout  l'ar- 
gent qui  lui  appartiendrait  au  jour  de  son  décès  et  de 
l'employer,  jusqu'à  vingt  ou  trente  mille  livres  au  plus,  en 
acquisitions  d'héritages,  dont  les  revenus  seront  reçus  par 
Armande,  après  elle  par  ses  descendants,  et  employés  en 
œu\Tes  pies.  Cinq  semaines  après,  étant  sur  le  point  de 
rendre  l'âme,  elle  ajouta  un  codicille  qui  dispensait  la  léga- 
taire de  cet  emploi  de  l'usufruit-.  On  voit  de  quels  intérêts 
elle  avait  pris  souci,  jusqu'au  dernier  soupir. 

Ce  qui  nous  intéresse  en  ce  moment,  c'est  tout  autre  chose 
qu'un  jugement  à  porter  sur  le  caractère  de  Madeleine  Bé- 
jart. Ne  laissons  pas  cependant  passer  une  occasion  d'être 
juste  pour  elle.  Lorsqu'on  la  voit,  un  pied  dans  la  tombe, 
presque  aveuglée  déjà,  comme  l'ont  constaté  les  notaires, 

I.  On  trouvera  ce  contrat  aux  Pièces  justificatives,  comme  il  a 
été  dit  ci-dessus,  p.  aSi,  note  i. 

?..   Roc'iercnes  sur  Molière^  p,  i^Z-i^^. 


SUR   MOLIÈRE.  aSg 

par  les  ombres  de  la  mort,  et  capable  k  peine  de  signer  d'une 
main  défaillante,  rassembler  ce  qui  lui  restait  de  forces  pour 
donner  plus  complète  satisfaction  à  une  affection  dévouée, 
amitié  de  sœur,  ou  amour  maternel,  ou  encore,  si  l'on  veut, 
attachement  à  Molière,  on  ne  saurait  méconnaître  chez  elle 
la  bonté  du  cœur,  bonté  dont  peut-être  il  eût  fallu,  dans 
les  services  rendus  à  Modène,  faire  la  part,  à  côté  de  l'in- 
dulgence de  la  femme  galante  pour  des  infidélités  auxquelles 
sa  morale  la  rendait  indifférente.  Mais  ceci  est  une  digres- 
sion; elle  ne  nous  fait  pas  perdre  de  vue  quelles  réflexions 
inspirent  les  sentiments  si  extraordinairement  fraternels 
révélés  par  son  testament,  qui  rend  encore  plus  vraisem- 
blable qu'Armande  devait  sa  dot  à  Madeleine.  On  peut  sans 
doute  penser  que  si  elle  a  été  ainsi  favorisée,  au  détriment 
du  reste  de  la  famille,  ça  été  comme  femme  de  Molière, 
ce  grand  ami.  Il  se  trouve  néanmoins  que  par  tant  de  par- 
tialité pour  une  sœur,  Madeleine  Béjart  a  fourni  un  spé- 
cieux argument  à  la  croyance  d'une  maternité  complaisam- 
ment  dissimulée  par  Marie  Hervé;  et  quand  on  est  déjà 
embarrassé  par  la  contradiction  entre  l'opinion  très  géné- 
rale et  les  actes  authentiques,  c'est  une  grande  fatalité,  si 
cette  opinion  s'est  trompée,  que  des  bienfaits  excessifs 
soient  venus  tellement  fortifier  l'erreur.  Il  faut  avouer  que 
tout  a  conspiré  pour  cette  erreur,  ou  tout  au  moins  contre 
une  parfaite  clarté. 

On  a  beaucoup  remarqué  que  ni  le  contrat  ni  l'acte  de 
mariage  d'Armande  Béjart  n'ont  été  signés  par  Geneviève, 
qui  seule  de  la  famille  n'est  pas  nommée  parmi  les  té- 
moins. Soulié  a  demandé'  s'il  n'est  pas  possible  que  ce  soit 
elle,  non  Madeleine,  qui  ait  été  maîtresse  de  Molière,  et  ait 
fait  à  son  mariage  l'opposition  attribuée  à  sa  sœur  aînée  par 
Grimarest.  Il  montre  d'ailleurs  ne  pas  tenir  beaucoup  à  sa 
singulière  hypothèse,  qui  aurait,  il  est  vrai,  l'avantage  de 
ne  plus  faire  voir  dans  Molière  l'ancien  amant  de  celle 
dont  on  l'a  soupçonné  d'avoir  épousé  la  fille.  On  compren- 
drait mal  comment,  dans  l'histoire  de  ses  amours,  les  con- 
temporains auraient  ainsi  pris  le  change.  Et  quelle  vraisem» 

I.  Recherclies  sur  Molière,  p,  58. 


26o  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

blancc  qu'il  se  soit  attaché  à  une  personne  aussi  insignifiante 
que  paraît  l'avoir  été  cette  Geneviève?  Mlle  Hervé  (on  l'ap- 
pelait ainsi)  est  la  plus  effacée  des  cinq  actrices  que  Molière 
a  fait  paraître  sous  leur  nom  dans  V Impromptu  de  Versailles. 
Elle  y  est  supposée  chargée  dans  la  pièce  qu'on  répète 
d'un  rôle  où  elle  déclare  qu'elle  n'aura  pas  grand'chose  à 
dire;  et  quand  Molière  lui  adresse  la  parole,  à  elle  la  der- 
nière :  <c  Pour  vous,  lui  dit-il,  vous  êtes  la  soubrette  de  la 
précieuse,  qui  se  mêle  de  temps  en  temps  dans  la  con- 
versation, et  attrape,  comme  elle  peut,  tous  les  termes  de 
sa  maîtresse,  j)  Plus  que  vraisemblablement,  c'est  une  ma- 
lice de  Molière,  qui,  sous  prétexte  de  lui  expliquer  son 
rôle,  s'est  amusé  à  peindre  son  vrai  caractère,  celui  d'une 
sotte  qui  ne  sait  pas  dire  quatre  mots.  Est-ce  bien  à  Mo- 
lière qu'on  a  jamais  pu  dire  : 

Une  femme  stupide  est  donc  votre  marotte? 

Si  la  bouderie  de  Mlle  Hervé,  lors  du  mariage  de  sa  sœur 
Armande,  n'a  pas  eu  pour  cause  quelque  querelle  de  comé- 
dienne avec  Madeleine,  on  y  pourrait  trouver  un  indice  de 
l'irrégulier  arrangement  de  famille  bien  fait  pour  la  bles- 
ser. Il  lui  aurait  déplu  de  se  laisser  donner  une  fausse 
sœur,  tellement  favorisée  d'ailleurs  dans  son  contrat  qu'elle- 
même  allait  paraître  dans  le  sien  une  aînée  mise  au-dessous 
de  sa  cadette. 

Nous  avons  laissé  en  dehors  de  la  question  l'âge  de  la 
veuve  Béjart,  sur  lequel  on  a  beaucoup  disserté,  sans  trou- 
ver rien  de  certain  à  en  dire.  Le  nombre  plus  ou  moins 
grand  de  ses  années  importe  peu  d'ailleurs,  puisque  l'on 
cite  des  exemples  de  maternité  très  tardive.  Il  n'y  a  rien 
de  sérieux  à  conclure  du  fait  que  son  dernier  enfant,  avant 
la  naissance  d' Armande,  Louis  Béjart,  était  né  en  novem- 
bre i63o. 

Bien  que  nous  pensions  avoir  dit  l'essentiel,  il  ne  faut 
pas  qu'on  ait  à  nous  reprocher  d'avoir  omis  une  des  consi- 
dérations que  font  valoir  ceux  qui  tiennent  pour  sincère  la 
déclaration  de  Marie  Hervé.  On  devrait  expliquer,  disent- 
ils,  quel  intérêt  pouvait  avoir  Madeleine  Béjart,  après  un 
passé  nullement  dissimulé,  à  ne  pas  avouer  un  nouvel  acci- 


SUR   MOLIERE.  261 

dent.  Une  des  réponses  qui  ont  été  faites  est  celle-ci  :  elle 
voulut  sans  doute  cacher  sa  faute  au  seigneur  de  Modène, 
n'ayant  pas  renoncé  à  l'espoir  d'être  épousée  par  lui.  Mais 
il  a  été  victorieusement  objecté  qu'alors  Modène  était  en- 
core marié;  et  quant  à  le  ménager  comme  amant,  s'en  in- 
quiétait-elle beaucoup?  Il  ne  paraît  pas  avoir  eu  ces  déli- 
cates jalousies.  C'était  lui  bien  plutôt  qui  avait  à  ménager 
une  femme  pour  laquelle  il  ne  faisait  aucun  sacrifice,  et  qui, 
au  contraire,  l'assistait  dans  ses  embarras  d'argent.  A  défaut 
d'une  explication  qui  ne  soutient  pas  l'examen,  on  en  pour- 
rait chercher  d'autres.  Est-ce  bien  nécessaire?  Ignorant 
dans  quelles  circonstances  elle  aurait  donné  naissance  à 
Armande,  on  ne  ferait  jamais  que  bâtir  en  l'air  de  petits 
romans.  Cependant  indiquer  seulement  que  l'on  en  pourrait 
trouver  plusieurs  à  imaginer,  entre  lesquels  on  donnerait  le 
choix,  ne  suffirait-il  pas  pour  que  l'on  n'eût  plus  le  droit 
de  dire  :  «  La  fausse  déclaration  supposée  aurait  été  sans 
motifs  possibles  »?  On  rappellerait,  par  exemple,  qu'en  16 ',2 
Modène  put  revoir  la  Béjart,  soit  dans  le  Comtat,  soit  en 
Languedoc.  Si,  dans  cette  rencontre,  leur  liaison  se  re- 
noua, et  eut  les  mêmes  suites  qu'en  i638,  et  si  le  gentil- 
homme coupable  de  récidive  ne  mit  pas  alors  une  semblable 
complaisance  à  déclarer  sa  paternité,  ou  trouva  des  empê- 
chements à  le  faire,  comme  il  en  aurait  dû  trouver  la  pre- 
mière fois,  ayant  une  femme  légitime,  Madeleine,  avertie  que 
le  père  de  l'enfant  ne  serait  pas  nommé,  put  s'inquiéter  d'un 
avenir  difficile  pour  un  enfant  sans  père,  penser  même  que 
sa  naissance  serait  autrement  fâcheuse  pour  sa  gloire  que 
celle  de  Françoise,  publiquement,  solennellement  reconnue 
par  un  homme  de  qualité.  Ce  n'était  plus  le  cas  d'aller  le 
front  levé,  en  personne  fière  d'une  illustre  faiblesse.  La  sup- 
position de  la  paternité  de  Modène  n'est  pas  trop  arbitraire, 
trop  invraisemblable.  Grimarest  y  a  cru,  probablement  d'a- 
j)rès  quelque  tradition.  Il  ne  paraît  p?.s  avoir  confondu, 
comme  la  fait  plus  tard  le  marquis  de  Fortia,  Armande 
avec  l'enfant  né  en  i638,  confusion  impossible,  non  seule- 
ment parce  qu'elle  vieillirait  trop  Mlle  Molière,  mais  sur- 
tout parce  que  la  veuve  Béjart  n'aurait  jamais  fait  passer 
pour  sa  fille  celle  qui   l'était  notoirement  de  Madeleine  et 


26:2  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

dont  on  avait  l'acte  de  baptême,  où  elle-même  était  nommée 
comme  marraine.  A  la  paternité  que  le  seigneur  avignonnais 
n'aurait  pas  avouée,  on  objectera  la  persistance  de  ses  re- 
lations amicales  avec  Madeleine.  L'objection  tomberait  s'il 
n'y  avait  pas  eu  mauvais  vouloir  de  sa  part,  si,  plus  scru- 
puleux, ou  mieux  instruit  de  l'existence  de  Mme  de  Mo- 
dène,  l'épouse  légitime,  on  n'avait  pas  accepté  cette  fois 
une  reconnaissance  interdite.  Plusieurs  ont  estimé  signifi- 
catif le  fait  que  Modène  a  tenu  sur  les  fonts  le  second  en- 
fant d'Armande.  Nous  ne  prétendons  pas  toutefois  y  trou- 
ver une  preuve  certaine.  Quant  à  ce  que  nous  venons  de 
dire,  c'est  une  simple  conjecture  ;  mais  elle  n'est  pas  des 
plus  invraisemblables  et  a  pour  elle  de  n'être  que  l'ancienne 
tradition,  corrigée,  comme  il  était  nécessaire. 

L'auteur  de  la  Fameuse  Comédienne  élargit  le  champ  des 
suppositions.  Il  dit  que  Madeleine  «  faisoit  la  bonne  fortune 
de  quantité  de  jeunes  gens  du  Languedoc  dans  le  temps  de 
l'heureuse  naissance  de  sa  fille  ».  Il  ajoute  qu'elle  se  vantait 
de  n'avoir  souffert,  dans  son  dérèglement,  que  des  gens  de 
qualité,  et  assurait  que  sa  fille  Armande  était  d'un  sang  fort 
noble^  Cela  expliquerait  que  l'enfant  eût  été,  comme  le  ra- 
conte le  même  libelle,  retiré  par  une  dame  d'un  rang  dis- 
tingué dans  le  Languedoc,  des  mains  de  laquelle  Molière  la 
reçut.  Ce  détail,  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  est  trop 
inofTensif  pour  inspirer  la  même  défiance  que  tant  de  médi- 
sances du  même  auteur.  Il  donne  une  certaine  force  à  la 
supposition  de  la  paternité  du  seigneur  de  Modène.  Toute- 
fois la  Fameuse  Comédienne  ne  le  nomme  pas  et  nous  aver- 
tit que  toute  conjecture  serait  difficile  «  dans  une  galan- 
terie si  confuse.  »  Admettons-le.  Que  le  père  ait  été  Modène 
ou  tout  autre,  il  ne  s'est  pas  fait  connaître;  et  nous  restons 
autorisé  à  dire  que  la  Béjart,  habituée,  dans  l'aveu  de  ses 
fautes,  à  un  peu  plus  de  cérémonie,  qui  à  ses  yeux  les  ano- 
blissait, a  pu  ne  pas  se  soucier  de  mettre  le  public  dans  la 
confidence  de  celle-ci. 

Mais    sortons  de   ces  dissertations  sur   de  déplaisantes 
affaires,  condamnées  d'ailleurs,  par  leur  nature  même,   à 

I,   La  Fanieuje  ConiJdiennf,  p    G  et  "j. 


SUR   MOLIERE.  263 

être  difficilement  éclaircies.  Elles  n'auraient  pas  mérité 
d'arrêter  un  moment  notre  attention,  si  Molière,  par  son 
mariage,  ne  s'y  était  trouvé  mêlé.  C'est  dans  sa  biographie 
le  point  le  plus  délicat  à  toucher. 

Nous  n'avons  pas  accepté  comme  convaincants  les  argu- 
ments de  quelques  plaidoyers,  qui  se  sont  donnés  pour  irré- 
futables, en  faveur  de  la  naissance  régulière  de  sa  femme. 
Nous  ne  saurions  faire  plus  que  de  laisser  à  la  veuve  Béjart 
et  à  sa  fille  Madeleine,  accusées  d'un  grave  mensonge,  le 
bénéfice  de  quelque  incertitude.  Pour  Molière,  de  toute 
façon  il  a  été  en  faute  dans  un  mariage  qui  n'était  pas  digne 
de  lui,  à  moins  qu'on  n'aille  jusqu'à  mettre  en  doute  on  l'a 
fait)  sa  liaison  avec  la  comédienne  Béjart.  Autrement,  n'eût-il 
pas  épousé  la  fille,  mais  la  sœur  de  sa  maîtresse,  il  n'y  a 
pas  excès  de  rigorisme  à  dire  que  la  tache  sur  son  hono- 
rable caractère  ne  serait  pas  effacée,  mais  seulement  très 
atténuée.  Avec  sa  droiture,  il  était  fait  pour  le  sentir,  et 
nous  ne  croyons  pas  qu'il  faille  parler  ici  des  commodes 
doctrines  épicuriennes  puisées  dans  son  éducation  gassen- 
diste  ;  la  vérité  est  plutôt  que,  vivant  dans  le  monde  du 
théâtre,  il  s'y  était  familiarisé  avec  une  morale  très  facile 
en  toute  occasion  où  l'amour  est  enjeu.  Jugeons-le  comme 
un  comédien,  quelque  coin  qu'il  eût  réservé  dans  son  âme 
à  d'honnêtes  et  nobles  sentiments. 

L'injure,  que  nous  ne  lui  ferons  pas,  serait  de  croire 
nécessaire  de  le  défendre  contre  l'accusation  d'un  mariage 
incestueux.  Ceux  qui  sentent  aussi  vivement  que  nous 
l'inutilité  de  la  réfuter,  ont  quelquefois  dit  que  le  seul 
moyen  de  ne  laisser  aucune  prise  à  une  telle  calomnie  était 
de  rejeter  absolument  toute  possibilité  de  la  maternité  de 
Madeleine  Béjart.  Se  placer  sur  ce  terrain,  qui  est  loin  d'être 
ferme,  c'est  trop  risquer.  Mieux  vaut  ne  s'appuyer  que  sur 
l'estime  dont  notre  poète  a  toujours  été  entouré  ;  et  peut- 
être  avec  cela,  si  ce  n'était  pas  un  soin  superflu,  faire  re- 
marquer les  difficultés  des  dates.  En  effet,  «  la  petite  non 
baptisée  »  qui  fut  présentée  au  lieutenant  civil,  comme 
mineure,  le  lo  mars  1643,  dut  naître  au  commencement  de 
cette  année-là,  plus  probablement  vers  la  fin  de  1642,  avant 
la  mort   de   Joseph   Béjart  ;   car   elle  ne  fut  pas   déclarée 


iG't  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

enfant  posthume.  On  ferait  donc  remonter  les  amours  de 
Molière  et  de  Madeleine  bien  haut,  sans  doute  jusqu'au 
temps  oi!i  l'on  nous  dit  que  celle-ci  parcourait  le  Languedoc 
dans  une  troupe  de  campagne. 

Il  est  plus  naturel  de  croire  que  la  première  occasion  en 
a  été  le  projet  de  la  fondation  de  l'Illustre  théâtre.  On  a 
cependant,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  regardé  comme  vrai- 
semblable qu'ils  s'étaient  vus  dans  le  Midi,  pendant  ce 
voyage  que  fit  Molière  à  la  suite  de  Louis  XIII.  Comme  on 
pense  que  son  service  de  tapissier  dut  commencer  en  avril, 
c'est  déjà  bien  tard  pour  trouver  dans  leur  rencontre  ma- 
tière à  soupçons.  On  n'a  d'ailleurs  supposé  cette  rencontre 
que  dans  la  seconde  quinzaine  de  juin,  à  Montfrin*.  Pour 
le  coup  il  ne  serait  plus  temps  d'avoir  aucune  inquiétude 
pour  Molière. 

A  quoi  bon  insisterait-on,  quand  le  venin  des  odieuses 
conjectures  n'a  été  semé  que  par  de  méprisables  ennemis, 
et  qu'ils  n'ont  même  jamais  sérieusement  soutenu  ce  que 
leur  perfidie  se  contentait  d'insinuer? 

C'est  ce  que  l'on  peut  dire  de  l'auteur  à'Élomlre  hypo- 
condre,  ce  méchant  digne  de  la  confiance  que  l'on  sait.  A  la 
suite  des  vers  que  ci-dessus  nous  avons  cités-  sur  Elomire 
qui  a  forgé  une  femme  pour  lui-même,  comme  Arnolphe 
avait  forgé  Agnès,  c'est-à-dire  l'a  façonnée  à^son  gré  par 
l'éducation,  Ghalussay  le  fait  parler  ainsi  : 

Arnolphe  commença  trop  tard  à  la  forger; 
C'est  avant  le  berceau  qu'il  y  devoit  songer, 
Comme  quelqu'un  l'a  fait 

Et,  lorsqu'on  lui  répond  :  «  On  le  dit  »,  Élomire  reprend  la 
parole  : 

Et  ce  dire 

Est  plus  vrai  que  le  jour 

Pour  un  pamphlétaire,  c'était  assez  de  faire  rire  par  une 
cruelle   méchanceté  ;  il   n'a  pu   croire   lui-même    que   son 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  65  et  66. 
•X.   \  oyez  ci-dessus,  p.  sSi, 


SUR    MOLIERE.  265 

odieux  trait  d'esprit  serait  pris  pour  une  accusation  for- 
melle. Mais  il  espérait  qu'une  fois  lancé,  le  dard  empoisonné 
ferait  peu  à  peu  son  chemin. 

La  Fameuse  Comédienne  s'y  prend  un  peu  autrement  que 
la  comédie.  Son  accusation  est  moins  audacieuse,  plus  sour- 
noise :  «  on  l'a  crue  (Arraande  Béjart)  fille  de  Molière,  quoi- 
qu'il ait  été  depuis  son  mari  ;  cependant  on  n'en  sait  pas 
bien  la  vérité*  «.Bayle,  en  y  regardant  mieux,  n'aurait  pas 
inexactement  écrit  dans  son  Dictionnaire,  à  l'article  Poqne- 
lin  :  «  Dans  ce  livre  on  a  dit  que  sa  femme  était  sa  fille.  ?> 
Le  libelle  n'avait  fait  que  laisser  planer  un  doute,  qui  dis- 
poserait les  esprits  à  aller  plus  loin. 

Des  attaques  qui  pouvaient  être  plus  dangereuses  furent 
celles  du  comédien  Montfleury.  En  i663  il  présenta  au  roi 
une  requête  contre  Molière,  dans  laquelle  il  dénonçait  le 
scandale  de  son  mariage;  mais  là,  il  paraît  n'avoir  pas  été, 
quoiqu'on  l'ait  souvent  dit,  jusqu'à  l'accuser  d'inceste,  et 
s'être  borné  à  dire  qu'après  avoir  été  l'amant  de  la  mère, 
il  avait  épousé  la  fille.  Voilà  ce  que  Racine,  dans  une  lettre 
dont  nous  reparlerons,  écrite  à  son  jeune  ami  l'abbé  Le 
Vasseur,  rapporte  en  termes  très  crus,  qui  n'auraient  jamais 
signifié  rien  de  plus,  si,  à  bonne  intention,  mais  très  mala- 
droitement, ils  n'avaient  été  corrigés.  Il  est  du  reste  assez 
vraisemblable  que  Montfleury  espérait  faire  tirer  de  sa  dé- 
nonciation la  conséquence  sur  laquelle  il  avait  la  précaution 
de  ne  pas  s'expliquer  lui-même. 

Un  intendant  de  Monsieur,  du  nom  de  Guichard,  n'y  mit 
pas  tant  de  façons.  Soutenant  un  procès  où  la  veuve  de 
Molière  fut  citée  comme  témoin,  il  publia  un  factum  dans 
lequel  il  osa  dire,  entre  autres  infamies  :  «  Tout  le  monde 
sait  que  la  naissance  de  la  Molière  est  obscure  et  indigne, 
que  sa  mère  est  très  incertaine,  que  son  ])ère  n'est  que 
trop  certain,  qu'elle  est  fille  de  son  mari,  femme  de  son 
père*.  « 

Ce  furieux  n'a  pas  pris  garde  que  si  la  mère  de  Mlle  Mo- 

I.   La  Fameuse  Comédienne,  p.  7. 

a.  V^oyez  VJppendice  à  la  iin  de  la  Fameuse  Comédienne,  édition 
de  M.  Livet,  p.  224. 


266  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

lière  est  incertaine,  on  ne  voit  pas  comment,  dans  une  nais- 
sance si  mystérieuse,  le  père  incestueux  est  certain.  Pour 
son  dégoûtant  factum,  Guichard  fut  condamné  à  faire  amende 
honorable,  nu-Lête  et  à  genoux. 

A  la  différence  de  l'opinion  très  répandue  que  Madeleine 
Béjart  était  mère  de  Mlle  Molière,  l'affreux  soupçon  insinué, 
puis  affirmé,  par  des  calomniateurs,  connus  pour  l'être  par 
habitude  et  métier,  n'a  pu  trouver  créance.  Bayle,  dans  le 
passage  tout  à  l'heure  cité*,  où  il  prend  l'insinuation  de  la 
Fameuse  Comc'dienne  pour  une  accusation  positive,  en  fait 
justice  par  ces  mots  :  «  ce  qui  n'est  nullement  vrai  ».  Vol- 
taire, qui  n'a  fait  que  répéter  Grimarest  sur  la  naissance 
d'Armande  Béjart,  repousse  avec  le  même  mépris  que  Bayle 
la  paternité  imputée  à  Molière  :  «  Le  soin,  dit-il,  avec  lequel 
on  avait  répandu  cette  calomnie  lit  que  plusieurs  personnes 
prirent  celui  de  la  réfuter^.  »  C'était  donc  à  ses  yeux  une 
peine  qu'il  eût  été  sage  de  s'épargner. 

Molière  a  été  défendu  contre  l'horrible  outrage  par  le 
caractère  de  loyauté  qui  de  tout  temps  s'est  fait  reconnaître 
dans  sa  vie  et  sentir  dans  ses  ouvrages.  Nous  regrettons 
qu'il  se  soit,  par  exception,  rencontré  de  nos  jours  un  grand 
écrivain,  qui,  fort  éloigné  d'être  un  ennemi  de  Molière, 
mais  plutôt  ayant  bien  des  raisons  de  l'admirer  et  de  l'aimer, 
n'a  pas  craint  cependant  d'en  croire  sur  lui  les  pamphlets. 
M.  Michelet  avait  malheureusement  fini  par  les  consulter 
tous  avec  confiance,  et  par  prendre  goût,  lui  si  parfaite- 
ment honnête,  à  tous  les  scandales,  surtout  à  ceux  d'une 
certaine  nature.  Qu'on  lise  ses  malheureuses  pages  sur  le 
mariage  de  Molière^,  on  y  trouvera  l'explication  de  ses 
doutes,  très  voisins  d'une  certitude  :  il  saisissait  une  occa- 
sion de  flétrir,  à  travers  Molière,  Madame  et  Louis  XIV*. 


1.  Voyez  ci-dessus,  à  la  page  précédente. 

2.  Vie  de  Molière,  tome  XXIII  des  Œuvres,  p.  93. 

3.  Histoire  de  France  (édition  in-12  de  1879),  tome  XV,  p.  63 
et  64. 

4.  Revenant  à  la  charge  sans  produire  d'arguments  nouveaux, 
il  dit  à  la  page  38a  du  même  volume,  dans  ses  Notes  et  Éclaircis- 
sements :  «  Molière-Arnolphe  ne  pouvait-il  être  le  père  d'Agnès 


SUR   MOLIERE.  267 

Il  n'appuie  d'ailleurs  la  probabilité  du  mariage  incestueux 
que  sur  ces  faits  entièrement  faux  :  «  ce  qui  est  sûr,  c'est 
que  l'année  1645,  où  naquit  la  petite,  était  celle  011  Molière 
devint  un  des  amants  de  la  mère  ').  Nul  besoin  de  signaler 
les  erreurs  de  dates.  L'histoire  de  notre  grand  poète  n'était 
pas  une  de  celles  que  l'illustre  historien  savait  bien. 

Grimarest  peut  bien  avoir  imaginé,  comme  il  s'y  plaisait 
quelquefois,  des  scènes  de  roman,  lorsqu'il  a  parlé  des  dif- 
ficultés qu'aurait  éprouvées  Molière  pour  se  marier.  Il  dit 
que  Madeleine  Béjart,  voyant  qu'il  avait  de  l'amour  pour 
Armande,  et  que  cet  amour  prenait  le  chemin  du  mariage, 
s'efforça  de  traverser  un  dessein  qui  contrariait  ses  vues  ; 
car  ce  elle  aimoit  mieux  être  l'amie  de  Molière  que  sa  belle- 
mère. ...  Elle  le  menaçoit  souvent  en  femme  furieuse  et 
extravagante  de  le  perdre,  lui,  sa  fille  et  elle-même....  Ce- 
pendant la  jeune  fille...  se  détermina  un  matin  de  s'aller 
jeter  dans  l'appartement  de  Molière,  fortement  résolue  de 
n'en  point  sortir  qu'il  ne  l'eût  reconnue  pour  sa  femme,  ce 
qu'il  fut  contraint  de  faire.  »  L'opiniâtre  opposition  vaincue 
par  l'étrange  démarche  de  la  hardie  pupille  a  tout  l'air 
d'uu  dénouement  de  comédie  qui  n'a  pas  coûté  de  grands 
frais  d'invention,  étant  à  peu  près  celui  de  l'École  des 
maris.  Les  efforts  passionnés  de  Madeleine  Béjart  pour 
empêcher  le  mariage  ont  eux-mêmes  été  jugés  peu  vrai- 
semblables; on  les  trouve  en  désaccord  avec  la  riche 
dot  qu'elle  a  donnée  à  Mlle  Molière  et  avec  les  bienfaits  du 
testament.  Aussi  n'oserions-nous  pas  donner  à  ce  récit  la 
valeur  d'un  sérieux  témoignage.  Cependant  le  dépit  d'une 
femme  dépossédée  de  son  amant  par  de  jeunes  charmes 
serait  très  naturel;  et  peut-être  comprendrait-on  aussi 
qu'une  fois  forcée  de  se  reconnaître  vaincue  dans  la  lutte, 
elle  ait  pris  galamment  son  parti;  qu'elle  n'ait  plus  écouté 
que  sa  tendresse  pour  une  chère  rivale  et  fait  taire  sa  dou- 
leur devant  l'intérêt  qu'elle  avait  à  laisser  du  moins  Molière 
dans  des  liens  étroits  avec  la  famille  Béjart.  L'histoire,  dans 
la  Fameuse  Comédienne,  est  tout  autre,  et  ne  soulèverait 

comme  le  roi  [pouvait  être]  amoureux  de  sa  sœur  (belle-sœur,  c'est 
la  même  chose  au  point  de  vue  canonique),  w 


'268  NOTICE   BIOfxRAPHIQUE 

])as  quelques-unes  des  mêmes  objections.  La  Béjart,  jalouse 
de  la  de  Brie,  aurait, pour  la  détruire,  favorisé  de  bonne  heure 
l'inclination  de  Molière  pour  l'enfant  confié  à  ses  soins.  La 
de  Brie  lutta  de  toutes  ses  forces  jusqu'au  moment  où  il  ne 
fut  plus  possible  d'enchaîner  la  liberté  de  Molière  ;  et  ce 
moment  fut  celui  où,  ayant  établi  sa  troupe  à  Paris,  il  lui 
imposa  très  facilement  ses  volontés*.  Saura-t-on  jamais  lu 
vérité  sur  ces  scènes  d'intérieur,  qui  échappent  aux  regards 
des  curieux,  et  sur  lesquelles  probablement  Molière  ne  s'est 
expliqué  devant  personne  ? 

C'est  assez  de  traditions  douteuses  et  de  conjectures  sur 
ce  mariage.  Ne  cherchons  ce  qui  reste  à  en  dire  que  dans 
un  document  certain,  dans  le  contrat.  Il  n'est  pas  indiffé- 
rent d'y  remarquer  la  signature  du  père  de  Molière  ;  il  fut 
dressé  en  sa  présence  et  en  celle  d'André  Boudet,  beau-frère 
du  futur  époux.  Tous  deux  furent  aussi  présents  à  la  célé- 
bration du  mariage.  Ainsi,  comme  d'ailleurs  nous  l'avions 
appris  déjà,  Jean  Poquelin  ne  demeurait  pas  étranger  à  la 
vie  de  son  fils,  le  comédien,  et  sans  doute  avec  moins  de 
scrupule  que  jamais,  voj'ant  à  quelle  renommée,  à  quelle 
faveur  de  la  cour  le  théâtre  l'avait  élevé.  Il  acceptait  pour 
belle-fille  celle  qui  lui  était  présentée  comme  sœur  d'une 
comédienne;  mais  il  est  difficile  de  croire  qu'il  eût  accueilli 
cette  Béjart  dans  sa  famille  s'il  l'avait  crue  d'une  naissance 
irrégulière,  dissimulée  par  une  fausse  déclaration;  surtout 
s'il  n'avait  pas  été  certain,  lui  qui  devait  savoir  bien  des 
choses,  que  Molière  ne  pouvait  être  soupçonné  d'épouser 
son  propre  enfant. 

Le  nom  de  Molière  n'est  pas  ajouté  à  celui  de  Jean-Bap- 
tiste Poquelin  dans  l'acte  du  mariage  religieux;  il  l'est  dans 
le  contrat,  mais  sans  la  qualification  de  comédien;  le  père 
seul  y  est  dit  «  tapissier  et  valet-de-chambre  du  Roi», 
quoique  Molière,  comme  nous  avons  déjà  eu  occasion  de 
le  dire*,  eût  repris  ce  titre  après  la  mort  de  son  frère 
cadet,  et  qu'il  ait,  dit  la  Préface  de  1682,  exercé  sa  charge 
«  dans  son  quartier  jusques  à  sa  mort  ».  Dans  l'Etat  de  la 

I.   La  Fameuse  Comédienne,  p.  8-12. 
■2.  Voyez  ci-dessus,  p.  72. 


SUR    MOLIERE.  9.69 

France  et  i663,  on  trouve  portés  comme  tapissiers  valets 
de  chambre  M.  Poquelin,  et  son  fils  à  survivance.  C'est  une 
occasion  de  dire  ce  qu'il  faut  penser  des  avantages  que 
cette  charge  procura  à  Molière.  Xous  ne  croyons  pas  qu'ils 
aient  été  très  grands.  Cependant,  lorsqu'en  1664  (28  fé- 
vrier) son  premier  enfant  fut  levé  sur  les  fonts  par  le  duc 
de  Créqui  pour  le  roi  et  par  la  maréchale  du  Plessis  pour 
la  duchesse  d'Orléans,  cet  honneur*,  moins  rare,  il  est  vrai, 
qu  on  ne  le  supposerait,  pour  ceux  qui  étaient  pourvus  d'un 
office,  même  modeste,  dans  la  maison  royale,  n'aurait  pas 
convenablement  paru  accordé  au  comédien;  aussi,  dans 
l'acte  de  baptême,  a-t-on  eu  soin  de  le  qualifier  valet  de 
chambre  du  roi.  Voilà  donc  une  faveur  que  lui  permit 
d'obtenir  son  office  de  cour.  Mais  réellement  pour  qui  était- 
elle?  Pour  le  poète  comédien,  nous  n'en  doutons  pas.  Si 
Molière  a  eu  près  du  roi  un  bienveillant  accès,  qui  n'a 
jamais  pu  toutefois  aller  jusqu'à  t en-cas  de  nuit,  dont  il  a 
été  fait  justice  par  Despois',  ce  n'est  point  parce  que  dans 
son  service  de  tapissier  il  a  quelquefois  fait  l'auguste  lit^, 
c'est  parce  qu'il  a  mieux  travaillé  pour  lui  au  théâtre  et 
dans  les  fêtes  de  ses  palais  que  dans  la  chambre  à  coucher 
royale  ;  c'est  parce  que  Louis  XIV  n'a  pas  seulement  été 
amusé  par  ses  comédies,  mais  a  reconnu  dans  ce  rare  esprit 
un  des  ornements  de  son  règne.  Enfin,  si  Molière  a  vu  de 
près  la  cour,  avec  gi^and  profit  pour  son  esprit  observateur, 
comme  pour  cette  élégante  urbanité  qu'avaient  autrefois 
rendue  familière  à  Térence  les  Scipion  et  les  Lœlius,  nous 
ne  croyons  pas  qu'il  en  ait  trouvé  l'occasion  dans  son  petit 
office,  quoique  la  Préface  de  1682  le  donne  à  entendre, 
mais  plutôt  que  des  seigneurs  l'admettaient  dans  une  assez 
grande  familiarité,  grâce  au  goût  qu'ils  avaient  pour  la  co- 

1.  Nous  donnons  lacté  de  baptême  aux  Pièces  justificatives, 
n°  IX.  On  a  cru  voir  dans  l'honneur  fait  à  Molière  une  réponse 
aux  accusations  de  Moulfltury,  mais  il  n'est  pas  probable  que 
l'on  y  ait  songé. 

2.  Le  Théâtre  français  sous  Louis  XIT\  p.  3 1 1-3  18. 

3.  Voyez  la  Comédie  de  Jlolière,  par  Gustave  Larroumet  (1887), 
p.  266.  Rien  de  plus  juste,  ce  nous  semble,  que  ce  quïl  a  dit  à 
ce  sujet. 


270  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

médie  et  à  leur  estime  pour  l'auteur  de  tant  d'ouvrages 
charmants.  Cette  dernière  explication,  la  plus  flatteuse, 
comme  la  plus  certaine,  est  confirmée  par  de  Visé  lui- 
même,  dans  ce  passage  de  ses  Nouvelles  nouvelles,  auquel  il 
veut  donner  un  tour  malveillant  :  «  Ces  messieurs  (il  parle 
de  personnes  de  qualité)  lui  donnent  souvent  à  dîner...; 
mais,  comme  ceux  qui  croient  avoir  du  mérite  ne  manquent 
jamais  de  vanité,  il  rend  tous  les  repas  qu'il  reçoit,  son 
esprit  le  faisant  aller  de  pair  avec  beaucoup  de  gens  qui 
sont  beaucoup  au-dessus  de  lui^.  »  Ce  fait  des  dîners  don- 
nés au  comédien  par  des  gens  de  qualité,  qui  n'est  pas  une 
légende,  comme  l'en-cas  de  nuit  de  Louis  XIV,  est  attesté 
par  Saint-Simon^,  particulièrement  croyable  quand  il  s'agit 
d'une  telle  condescendance  des  grands.  Outre  un  souper 
chez  M.  de  Montausier,  il  mentionne  ce  que  nous  connais- 
sons d'ailleurs,  les  joyeux  repas  de  Molière  en  compagnie 
d'une  jeune  noblesse.  Voici,  en  l'abrégeant,  ce  qu'il  ra- 
conte. M.  de  Montausier,  ayant  entendu  dire  qu'il  était 
joué  dans  le  Misanthrope,  fut  très  irrité  jusqu'au  jour  oii 
lui-môme  entendit  la  pièce  à  Saint-Germain.  Il  en  fut 
charmé;  et  estimant  qu'on  lui  faisait  grand  honneur  de  le 
reconnaître  dans  Alceste,  il  envoya  chercher  Molière,  qui 
vint  très  effrayé.  Montausier  courut  à  lui  pour  l'embrasser  ; 
et  comme  on  vint  l'avertir  que  son  souper  était  prêt,  il  in- 
vita Molière  à  se  mettre  à  table.  Celui-ci,  dit  le  narrateur, 
«  qui  avoit  soupe  en  débauche  plus  d'une  fois  en  sa  vie  avec 
de  jeunes  seigneurs,  n'en  étoit  pas  à  manger  hors  de  là 
avec  cette  même  jeunesse,  combien  moins  avec  un  homme 
de  la  dignité,  de  l'âge,  de  la  place,  de  l'austérité  de  M.  de 
Montausier....  Ce  fut  une  scène  charmante  pour  ceux  qui  en 
furent  témoins,  qui  devint  la  nouvelle  du  lendemain.  «  Ce 
récit  explique  ce  qui  dans  les  Nouvelles  nouvelles  a  pu  pa- 
raître un  peu  singulier,  ces  repas  que  donnaient  à  Molière 
des  gens  de  qualité  et  qu'il  leur  rendait.  Ils  ne  s'asseyaient 
à  la  même  table  ni  chez  eux,  ni  chez  lui,  mais  dans  quel- 

1.  Nouvelles  nouvelles,  tome  III,  p.  227. 

2.  Voyez  les  Ecrits  inédits  de  Saint-Simon,  tome  VI  (Paris,   Ha- 
cliette,  i883),  p.  3i8  et  Jig. 


SUR  moli?:re.  271 

ques-uns  des  cabarots  à  la  mode.  Il  n'y  a  d'ailleurs  rien 
là  qui  détruise  ce  que  nous  disions  de  ses  relations  fami- 
lières avec  des  personnes  de  la  noblesse. 

Revenons  au  tbéritrc  où,  le  pas  difficile  du  regrettable 
mariage  une  fois  francbi,  nous  nous  sentons  à  l'aise  pour 
admirer  pleinement  Molière.  Nous  le  retrouvons  poursui- 
vant sa  brillante  carrière  avec  une  ardeur  que  ne  ralentit 
pas  le  grand  cbangement  qui  s'était  fait  dans  sa  vie  domes- 
tique. Un  mot  seulement  de  l'entrée  de  sa  femme  dans  la 
troupe  comique,  où,  près  d'un  an  avant  son  mariage,  sa 
part  fixée  nous  a  fait  savoir  qu'elle  était  attendue.  Au  mois 
de  juin  1662,  le  Registre  de  La  Grange  la  nomme  pour  la 
première  fois  comme  en  faisant  partie,  en  même  temps 
qu'on  y  reçut  Brécourt  et  la  Thorillière,  venus  du  Marais  : 
trois  bonnes  acquisitions,  dont  celle  de  Mlle  Molière  ne  fut 
pas  pour  le  Palais-Royal  la  moins  beureuse.  Six  mois  après, 
le  26  décembre  1662,  fut  représentée  une  pièce  nouvelle 
de  Molière,  l'École  des  femmes,  inspirée  par  la  même  idée 
qui  l'avait  préoccupé  dans  son  Ecole  des  maris  :  signaler 
recueil  à  éviter  par  le  tuteur  qui  a  résolu  d'épouser  sa  jeune 
pupille.  Il  ne  faut  pas,  comme  on  l'a  fait,  parler  à'nnMolière- 
Arnolphc.  Loin  de  là,  l'égoïste  qui,  «  pour  n'être  pas  sot  », 
prétend  «  épouser  une  sotte  »,  est  le  caractère  absolument 
opposé  à  celui  de  Molière.  S'il  est  possible  de  trouver  un 
peu  de  lui  dans  Arnolpbe,  c'est  seulement  lorsque,  dans 
l'expression  de  sa  passion,  quelques  traits  tragiques  (disons 
plutôt  tragi-comiques),  qui  le  font  un  moment  prendre  en 
pitié,  paraissent  avoir  été  puisés  par  l'auteur  dans  la  con- 
naissance de  son  propre  cœur.  Il  s'y  est  toujours  pris  ainsi 
pour  mettre  quelques  traits  seulement  de  lui-même  dans 
ses  comédies. 

La  nouvelle  actrice  n'eut  pas  de  rôle  dans  cette  pièce,  écrite 
cependant,  comme  la  précédente,  en  pensant  à  la  meilleure 
manière  de  s'assurer  son  attachement.  Elle  ne  fut  pas  Agnès, 
que  représenta  Mlle  Du  Parc.  Nous  ne  saurions  dire  s'il  eût 
été  désagréable  à  Molière  de  faire  faire  à  son  Armande  le 
personnage  d'une  jeune  fdle  que  ne  touche  pas  l'amour  d'un 
tuteur  d'âge  très  mûr,  tandis  qu'elle  écoute  si  volontiers  un 
blondin.  La  véritable  raison  doit  être  plus  simple.  Ce  rôle, 


272  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

peinture  merveilleuse,  et  qu'on  ne  surpassera  jamais,  d'une 
ignorance  ingénue,  éclairée  parla  nature,  demandait  trop  de 
science  de  la  scène  pour  être  un  rôle  de  début.  Le  premier 
que  Molière  donna  à  sa  femme  fut  celui  d'Elise  dans  la  Cri- 
tique de  r Ecole  des  femmes  :  il  est  très  agréable  dans  sa  fine 
et  spirituelle  ironie  ;  et  c'était  bien  dans  la  bouche  de  Mlle  Mo- 
lière qu'il  était  naturel  de  mettre  ces  piquantes  moqueiùes 
des  sots  et  des  pédants  déchaînés  contre  son  mari. 

Si  Voltaire,  dans  son  Sommaire  de  l'École  des  femmes, 
a  parlé  de  cette  pièce  en  homme  qui  en  sentait  les  beau- 
tés, on  est  étonné  qu'il  y  ait  dit  cependant  sans  protester  : 
«  Elle  passe  pour  être  inférieure  en  tout  à  l'École  des  maris.  » 
Elle  nous  y  semble  au  contraire  très  supérieure,  et  fut  ainsi 
jugée  dès  les  premiers  tcmj)s.  Despois  n'a  pas  hésité  à 
la  déclarer  le  plus  grand  succès  dramatique  que  Molière 
ait  obtenu  pendant  toute  sa  carrière.  La  Grange,  dans  son 
Registre,  fait  connaître  les  extraordinaires  recettes  des 
représentations  données  sans  interruption  depuis  le  jour  de 
la  première  jusqu'à  la  clntui-e  de  Pâques  i663,  et,  après  la 
rentrée,  jusqu'au  12  août  de  la  même  année.  Il  dit  que  le 
samedi  6  janvier  iG6'3  on  alla  au  Louvre.  Comment  ne  pas 
croire  que  c'ait  été  pour  y  faire  connaître  la  pièce  nou- 
velle? Dans  le  même  mois,  il  marque  expressément  que  le 
samedi  20,  elle  fut  jouée  devant  le  roi*.  Elle  le  fut  chez 
Madame  le  3  avril  suivant.  Molière  venait  de  la  lui  dédier* 
dans  une  épître  où   les    louanges    de   l'aimable    princesse 

1.  En  l'absence  de  toute  indication  de  lieu,  il  semble  bien  que 
ce  fut  au  Palais-Royal.  Le  lundi  9  juillet  suivant,  c'est  encore 
plus  clair  :  «  Le  Roi  nous  honora  de  sa  présence  en  public  (pour 
la  représentation  de  V École  des  femmes  et  de  la  Critique).  »  Nous 
avons  ci-dessus  (p.  349I  parlé  des  Fâcheux  et  de  VEcole  des  maris 
joués  devant  le  roi,  le  mercredi  28  décembre  1661.  Dans  la  men- 
tion de  ces  représentations  La  Grange  n'a  pas  noté  de  recettes,  et 
il  faut  remarquer  aussi  qu'elles  n'ont  pas  été  données  les  jours 
qui  étaient  ceux  de  la  troupe.  Nous  pensons  donc,  malgré  les 
mots  en  public,  que  le  roi  en  faisait  les  frais,  et  que  les  specta- 
teurs étaient  triés  et  admis  par  faveur. 

2.  L'Achevé  d'imprimer  de  la  première  édition  est  du  17  mars 
i663. 


SUR   MOLIERE.  273 

échappent  au  reproche  d'adulation,  tant  elles  étaient  celles 
mêmes  qu'elle  méritait.  C'était  mettre  la  pièce  sous  une 
puissante  protection,  qui,  de  même  que  celle  du  roi,  ne  fut 
pas  inutile  pour  la  défendre  contre  de  violentes  attaques. 

11  y  en  eut  en  effet  beaucoup,  et  qui  ne  se  firent  pas 
attendre.  Ces  voix  discordantes,  au  milieu  de  l'éclatant 
triomphe,  ont  fait  dire  à  Grimarest  :  «  L'École  des  femmes 
parut  en  1662  avec  peu  de  succès.  »  C'est  le  contraire  de  la 
vérité;  c'est  ne  compter  que  les  protestations  impuissantes 
de  l'envie,  ou,  comme  le  dit  Boileau,  de  l'erreur  et  de  l'igno- 
rance. La  Martinière,  qui,  dans  sa  Nouvelle  Fie  de  l'auteur^,  se 
contente  le  plus  ordinairement  de  reproduire  celle  qu'avait 
donnée  Grimarest,  n'a  pas  ici  copié  l'insoutenable  assertion. 
Il  l'a  remplacée  et  corrigée  par  une  de  ses  Additions.  Il 
rappelle  que  si  Molière  lui-même,  dans  la  Préface  de  ï École 
des  femmes,  avoue  que  cette  comédie  fut  frondée  par  bien 
des  gens,  c'est  sans  oublier  qu  il  eut,  en  dépit  de  ces 
clabaudeurs,  la  satisfaction  de  voir  le  public  se  déclarer  en 
faveur  de  sa  pièce.  Sa  préface  dit  en  effet  :  «  Les  rieurs  ont 
été  pour  elle,  et  tout  le  mal  qu'on  en  a  pu  dire  n'a  pu  faire 
qu'elle  n'ait  eu  un  succès  dont  je  me  contente.  »  La  Marti- 
nière emprunte  ensuite  au  commentaire  de  Brossette  sur  les 
vers  27  et  28^  de  YÉpitre  VII  de  Boileau  l'anecdote  du 
comte  du  Broussin,  qui,  pour  faire  sa  cour  au  commandeur 
de  Souvré,  mécontent  de  la  comédie,  sortit  au  second  acte, 
disant  tout  haut  qu'il  ne  savait  comment  on  avait  la  patience 
d'écouter  une  pièce  011  l'on  violait  ainsi  les  règles^.  C'est 

1.  A  la  tête  de  l'édition  des  OEuvres  de  M.  de  Molière,  Amster- 
dam, 1720.  —  Voyez  aux  pages  aS  et  26. 

2.  Le  commandeur  vouloit  la  scène  plus  exacte, 
Le  vicomte  indigné  sortoit  au  second  acte. 

3.  Un  vers  du  Portrait  du  Peintre  (acte  I,  scène  iv)  pourrait 
paraître  un  souvenir  de  la  sotte  incartade  : 

On  fit  cesser  la  pièce  après  le  second  acte. 
Mais  il  est  bon  de  remarquer  que  dans  la  comédie  de  Boursault 
il  s'agit  d'une   représentation  «  dans  une   visite  ».  Ce  n'est  cer- 
tainement pas  au  Palais-Royal  que  la  pièce  fut  arrêtée  par  du 
Broussin  sortant  avec  fracas. 

Molière,  x  18 


2^4  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

également  Brossette  qui  a  fait  connaître  le  spectateur  mo- 
rose dont  Molière  lui-même,  dans /a  Critique,  a  raconté  le  plai- 
sant dépit,  et  les  exclamations  :  «  Ris  donc,  parterre,  ris 
donc!  »  Il  se  nommait  Plapisson.  Il  y  aurait  eu  bien  d'autres 
noms  à  donner,  si,  pour  être  particulièrement  remarqués, 
les  spectateurs  qui  affichèrent  leur  hostilité  n'avaient  pas  été 
en  trop  grand  nombre.  C'étaient,  entre  autres,  des  femmes 
qui  se  jugeaient  offensées,  celles-ci  par  la  satire  qu'on  avait 
faite  de  l'indiscrétion  et  de  l'extravagance  de  leur  sexe, 
jusqu'à  les  appeler  «  ces  animaux-là*  «,  celles-là  par  des 
plaisanteries  dont  l'immodestie  les  effarouchait. 

Belles  dames,  qui  en  vouliez  à  Molière  d'avoir  mis  dans 
la  bouche  d'Arnolphe  des  invectives  contre  ces  traîtresses 
qu'on  aime,  vous  aviez  l'esprit  mal  fait  :  jamais  les  plus  ten- 
dres madrigaux  n'ont  fait  éclater  pour  vous  autant  de  pas- 
sion que  les  injures  oîi  s'emporte  un  cœur  révolté,  sans 
succès,  contre  la  tyrannie  de  vos  attraits.  L'autre  grief,  qui 
n'était  pas  toujours  celui  de  bégueules  hypocrites,  est  plus 
sérieux.  Certains  traits  étaient  véritablement  trop  forts  ;  et 
tout  ce  que  l'on  peut  dire,  mais  très  justement,  en  faveur  de 
Molière,  c'est  que  les  vives  réclamations  contre  ces  hardiesses 
sont  le  meilleur  témoignage  des  progrès  que  par  ses  ouvrages 
il  avait  fait  faire  à  la  comédie,  si  habituée  depuis  longtemps 
aux  grossières  crudités.  Le  prince  de  Conti  n'a  pas  manqué, 
dans  son  Traité  de  la  comédie  et  des  spectacles ,  d  accuser 
l'Ecole  des  femmes  d'impureté  :  les  précieuses,  dans  leur 
néologisme,  comme  Molière  nous  l'apprend-,  disaient  obscé- 
nité. «  Il  n'y  a  rien,  dit  Conti,  de  plus  scandaleux  que  la 
cinquième  scène  du  second  acte'.  »  Ce  converti  était  dur 
pour  son  ancien  comédien,  qu'il  ne  se  souvenait  plus  de 
n'avoir  pas  lui-même  beaucoup  édifié  au  temps  de  La  Gi'ange- 
des-Prés  et  de  Montpellier. 

Mais  ce  ne  fut  pas  la  plus  dangereuse  affaire  que  fit  à  Mo- 
lière sa  comédie.  On  s'arma  contre  lui  du  sermon  d'Arnolphe 

I.  Voyez  l'acte  V,  scène  iv,  vers  1576-1579. 
1.   La  Critique  de  l'École  des  femmes,  scène  m. 
3.  Avertissement    en    tète   des   Sentiments   des   Pères   de    CÉglise, 
p.   24. 


SUR    MOLIÈRE.  275 

et  des  «  chaudières  bouillantes'  ».  Le  zèle  religieux,  sin- 
cère ou  non,  mit  dans  ses  plaintes  beaucoup  d'emporte- 
ment. Reconnaissons  d'ailleurs  que  l'auteur  de  Tartuffe 
était  déjà  là.  Une  telle  scène  prédisait  la  comédie  plus 
hardie  encore,  que  même  elle  peut  bien  avoir  inspirée, 
comme  une  réponse  au  premier  déchaînement  des  pieuses 
colères.  Elles  étaient  à  prévoir.  Ce  n'est  pas  seulement  de  la 
gent  irritable  des  poètes  qu'il  vaut  mieux  ne  point  provo- 
quer l'aiguillon.  Au  reste,  il  y  eut  imprudence  chez  les  dé- 
vots, perfidie  chez  ceux  qui  affectèrent  de  prendre  en  main 
leur  cause;  mais  s'il  faut  avoir  grande  défiance  de  ceux-ci,  il 
est  clair,  et  nous  en  avons  déjà  dit  quelque  chose,  que  Mo- 
lière, sans  mériter  d'être  taxé  d'impiété,  était  imbu  d'une 
philosophie  dont  la  liberté  pouvait  inquiéter. 

Au  temps  de  l'École  des  femmes,  comme  au  temps  du 
Tartuffe  et  an  Don  Juan,  il  eut  la  confiance  que  cette  liberté 
serait  peu  gênée.  Il  y  avait  alors  un  jeune  roi  et  une  jeune 
cour,  qui  avaient  de  bonnes  raisons  de  trouver  importuns 
les  rigoristes,  et  qui  étaient  au  surplus  très  disposés  à  beau- 
coup pardonner  au  rire,  surtout  lorsqu'un  homme  d'esprit 
savait  la  limite  que  ne  devaient  pas  outrepasser  ses  privi- 
lèges. On  n'est  pas  étonné  si,  malgré  le  tollé  qui  s'élevait 
de  maint  côté  contre  des  plaisanteries  fortement  salées  et 
contre  des  irrévérences  en  matière  plus  grave,  ni  le  roi  ni 
Madame  ne  se  sont  montrés  sévères  ponv  l' École  des  femmes  ; 
loin  de  là,  ils  firent  connaître  qu'ils  la  goûtaient  beaucoup. 

Parmi  ceux  qu'elle  charma,  et  qui  étaient  les  plus  nom- 
breux, on  ne  peut  oublier  de  nommer  Boileau.  Il  la  pro- 
clama le  «  plus  bel  ouvrage  »  de  son  auteur  dans  des  stances 
qu'il  lui  adressa,  et  en  défendit  contre  les  censeurs  la  «  char- 
mante naïveté  >>.  Ces  stances  ont  été  imprimées  en  i663,  et 
Brossette  dit  que  Molière  les  avait  reçues  comme  étrennes 
le  i"  janvier.  C'est  le  plus  ancien  avertissement  qui  nous 
ait  été  donné  de  cette  fidèle  amitié,  destinée  à  ne  se  refroi- 
dir jamais,  entre  les  deux  poètes,  Molière  était  déjà  lié  avec 
la  Fontaine,  aussi  bien  que  Boileau,  on  le  croit  du  moins-, 

1.  Acte  III,  scène  11, 

2.  Voyez  notre  Xotice  biographique  iur  la  Fontaine,  p.  lxx. 


2^6  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Boileau,  qui  va  l'être  avec  Racine  vers  la  fin  de  i663.  C'est 
alors  que  celui-ci  tarda  peu  sans  doute  à  devenir  le  qua- 
trième des  illustres  amis,  qu'on  a  peine  à  ne  pas  reconnaître 
dans  le  début  du  roman  de  Psyché'^. 

Par  d'autres  raisons  encore  l'époque  de  V École  des  femme. '! 
n'est  pas  une  des  moins  intéressantes  dans  la  vie  de  Mo- 
lière. Il  fut  alors  engagé,  sur  son  théâtre  même,  dans  une 
lutte  très  vive  contre  ses  détracteurs.  Les  critiques  mé- 
chantes qui  assaillirent  le  chef-d'œuvre  avaient  couru  le 
monde  avec  assez  de  retentissement  pour  être  toutes  bien 
connues  de  lui  avant  les  pièces  satiriques  jouées  par  la 
troupe  rivale,  qui  prirent  soin  d'en  multiplier  les  échos. 
Il  n'attendit  donc  pas  que  les  clabauderies  eussent  pris  la 
forme  de  comédies,  pour  y  répondre  dans  sa  Critique  de 
l'École  des  femmes. 

Elle  fut  représentée  pour  la  première  fois  le  i^''juin  i663. 
De  ces  jolies  scènes,  qui  sont  un  modèle  de  polémique, 
Molière  a  su,  malgré  la  difiGculté,  faire  une  comédie  par  la 
vérité  des  portraits.  La  précieuse  Climène,  le  Marquis  si 
amusant  avec  son  refrain  de  tarte  à  la  crème,  le  poète  Lysi- 
das,  ce  jaloux  sournois,  sont  des  figures  vivantes.  C'est  mer- 
veille qu'aujourd'hui  encore,  avec  ces  personnages  dont  les 
physionomies  sont  d'un  tout  autre  temps,  une  pièce  de  cir- 
constance reste  si  agréable.  Pour  trouver  un  autre  exemple 
d'une  raillerie  qui,  en  perdant  l'à-propos,  n'a  rien  perdu 
de  son  agrément,  il  faudrait,  si  le  sujet  plus  grave,  plus 
grand,  n'interdisait  pas  toute  comparaison,  le  chercher 
dans  les  petites  lettres  de  Pascal,  si  souvent  aussi  parfaite 
comédie.  Des  deux  côtés,  c'est  le  même  art,  qui  n'appartient 
qu'aux  grands  peintres,  de  faire  voir  sous  le  costume  qui 
varie  l'homme  tel  qu'il  sera  toujours. 

La  Critique  de  V École  des  femmes,  qui  ne  faisait  que  ré- 
pondre à  de  nombreux  murmures,  transporta  la  guerre  sur 
la  scène.  Une  longue  bataille  s'ensuivit.  Les  ennemis  de  Mo- 
lière, dans  l'espoir  de  lui  rendre  coups  pour  coups,  essayè- 
rent de  lui  dérober  ses  armes,  sans  être  de  force  à  s'en 
servir  comme  lui.  Si  leurs  pitoyables  ripostes  ne  sont  pas 

I .  Notice  biographique  sur  la  Fontaine,  p.  xciii. 


SUR   MOLIÈRE.  277 

tombées  dans  l'oubli  qu'elles  méritaient,  c'est  la  grandeur 
de  leur  adversaire  qui  les  en  a  sauvées,  comme  des  monu- 
ments des  haines  déchaînées  contre  lui,  et  d'utiles  commen- 
taires des  deux  pièces  où  il  a  fait  justice  de  ces  haines. 

Lorsque  les  envieux,  comédiens  et  auteurs,  sont  entrés 
en  guerre  ouverte  contre  l'École  des  femmes,  ils  n'ont  rien 
ajouté  de  sérieux  aux  attaques  déjà  repoussées  dans  la  Cri- 
tique; et  s'ils  ont  assaisonné  leurs  diatribes  de  quelque  co- 
mique, il  leur  a  fallu  l'emprunter  à  Molière. 

De  Visé  voulut  commencer  les  hostilités  à  l'Hôtel  de 
Bourgogne  par  une  comédie,  qu'il  intitula  Zélinde.  On  ne 
la  joua  pas,  soit  qu'elle  eût  paru  un  froid  dialogue,  peu  fait 
pour  la  scène,  soit  qu'on  se  défiât  chez  de  Visé  d'un  reste 
d'impartialité  qu'il  avait  montrée  en  jugeant  Molière  dans 
les  Nouvelles  nouvelles .  Bien  qu'il  y  eût  fait  W Ecole  des  femmes 
à  peu  près  les  mêmes  reproches  que  dans  Zélinde,  qu'il  en 
eût  déclaré  le  sujet  «  le  plus  mal  conduit  qui  fût  jamais  » 
et  aperçu  d'innombrables  fautes,  on  devait  être  mécontent 
de  ses  concessions.  «  Je  suis,  disait-il,  obligé  d'avouer,  pour 
rendre  justice  à  ce  que  son  auteur  a  de  mérite,  que  cette 
pièce  est  un  monstre  qui  a  de  belles  parties,  et  que  jamais 
on  ne  vit  tant  de  si  bonnes  et  de  si  méchantes  choses  en- 
semble. Il  y  en  a  de  si  naturelles  qu'il  semble  que  la  nature 
ait  travaillé  elle-même  à  les  faire.  Il  y  a  des  endroits  qui 
sont  inimitables,  et  qui  sont  si  bien  exprimés,  que  je  man- 
que de  termes  assez  forts  et  assez  significatifs  pour  vous  les 

bien  faire  connoître Ce  sont  des  portraits  de  la  nature 

qui  peuvent  passer  pour  originaux ^  »  A  l'interlocuteur  qui 
parle  ainsi,  un  autre  répond  :  «  Vous  m'avez  fait  concevoir 
beaucoup  d'estime  pour  le  peintre  ingénieux  de  tant  de 
beaux  tableaux  du  siècle.  Tout  ce  que  vous  avez  dit  de  lui 
m'a  paru  fort  sincère  ;  car  vous  l'avez  dit  d'une  manière  à 
me  faire  croire  que  tout  ce  que  vous  avez  dit  à  sa  gloire  est 
véritable  :  et  les  ombres  que  vous  avez  placées  en  quelques 
endroits  de  votre  portrait  n'ont  fait  que  relever  l'éclat  de 
vos  couleurs-.  «  Parmi  ces  couleurs  flatteuses  mêlées  aux 

1.  Ixs  Nouvelles  nouvelles,  tome  III,  p.  233. 

2.  Ibidem,  p.  aSg. 


2;8  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

ombres,  il  y  avait  de  grands  éloges  du  jeu  de  tous  les  acteurs 
dans  V École  des  femmes.  De  cela  surtout  la  troupe  rivale 
avait  dû  garder  à  de  Visé  quelque  rancune,  même  après 
qu'il  eut  bien  racheté  dans  Zélinde  de  si  grands  torts.  Com- 
ment un  homme  qui,  au  milieu  de  ses  chicanes,  avait  prouve 
avoir  l'esprit  assez  bon  pour  sentir  si  parfaitement  de  frap- 
pantes beautés,  en  vint-il  à  écrire  une  pièce  où  il  s'est 
montré  ennemi  déclaré  ?  Etait-ce  ambition  d'un  jeune  homme 
impatient  de  faire  parler  de  lui  en  se  mesurant  avec  un 
maître  ?  Voulait-il  se  rendre  agréable  aux  Grands  comé- 
diens, par  qui  il  désirait  faire  jouer  ses  pièces?  Peut-être 
aussi  depuis  qu'avait  été  jouée  la  Critique  de  V École  des 
Femmes,  dont  il  ne  connaissait  encore  que  la  prochaine  re- 
présentation lorsqu'il  écrivit  les  Nouvelles  nouvelles,  croyait-il 
avoir  une  vengeance  personnelle  à  exercer.  Il  s'était  voulu 
reconnaître  dans  le  rôle  de  Lysidas,  dont  le  commence- 
ment avait  été  (il  le  dit  du  moins  dans  sa  pièce)  tiré  de 
son  précédent  écrit.  Si  ce  n'est  pas  à  lui  seul  que  Molière 
a  pensé  dans  son  portrait  de  l'auteur  jaloux  et  perfidement 
circonspect,  l'intention  d'y  mettre  quelques-uns  de  ses  traits 
n'est  pas  invraisemblable.  De  Visé,  comme  il  le  marque 
dans  ce  long  sous-titre  de  sa  pièce,  la  Véritable  Critique 
de  V Ecole  des  femmes,  et  la  Critique  de  la  Critique,  s'était 
proposé  de  relever  le  gant  jeté  par  la  Critique  jouée  le 
i^'' juin  i663.  Il  ne  le  relevait  pas  très  prompteraent,  puis- 
que le  1 5  juillet  seulement  il  se  fît  donner  le  privilège  pour 
Zélinde,  et  que  l'achevé  d'imprimer  est  du  4  août.  Moins  de 
temps  était  nécessaire  pour  faire  débiter  chez  un  mar- 
chand de  dentelles  de  la  rue  Saint-Denis,  par  des  per- 
sonnages insignifiants  et  sans  caractère,  des  méchancetés 
qui  avaient  couru  partout,  et  dont  Molière  s'était  déjà 
moqué  dans  sa  Critique,  telles  que  nos  ravstères  choqués 
par  les  Maximes  d'Arnolphe,  et  ce  le  >  impertinent  », 
comme  le  qualifie  de  Visé,  qui  le  dit  tiré  d'une  vieille  chan- 
son. Les  seuls  reproches  un  peu  nouveaux  et  auxquels 
notre  poète  n'eût  pas  d  avance  expressément  touché,  sont 
ceux  de  plagiats,  de  méchants  vers,  de  mots  impropres, 
d'invraisemblances,  par  exemple  les  sièges  apportés  au  mi- 
lieu des  rues  :  une  pure  chicane,  car  la  mise  en  scène  de 


SUR   MOLIERE.  279 

ce  temps  rendait  inévitables  toutes  les  singularités  de  ce 
genre,  dont  on  était  habitué  à  ne  se  pas  choquer.  Tout  cela 
est  misérable,  et  de  Zélinde  il  n'y  aurait  rien  à  citer,  sans 
un  remarquable  passage,  qui  rappelle  les  meilleurs  des 
Nouvelles  nouvelles.  Dans  un  accès  de  demi-sincérité,  le 
Lysidas  s'est  oublié  un  moment  ;  il  y  a  gagné  d'avoir  donné 
une  preuve,  l'unique  dans  Zélirule,  qu'il  ne  tenait  pas  une 
mauvaise  plume,  qu'il  pouvait  bien  dire  et  bien  peindre. 
En  cherchant  à  Molière  la  querelle  que  fait  son  Harpagon 
aux  voleurs  de  secrets,  aux  espions  dont  les  yeux  dévorants 
furètent  dans  tous  les  coins,  le  satirique  est  devenu  un  prô- 
neur  malgré  lui.  Il  fait  exprimer  à  un  de  ses  personnages 
une  vive  curiosité  de  voir  Élomire,  qui  se  trouve  en  bas 
chez  le  marchand.  Celui-ci  s'empresse  de  l'aller  chercher, 
et  revient  dire  :  -  Je  suis  au  désespoir  de  n'avoir  pu  vous 
satisfaire.  Depuis  que  je  suis  descendu,  Elomire  n'a  pas  dit 
une  parole.  Je  l'ai  trouvé  appuyé  sur  une  boutique,  dans  la 
posture  d'un  homme  qui  rêve.  Il  tenait  les  yeux  collés  sur 
trois  ou  quatre  personnes  de  qualité  qui  marchandoient  des 
dentelles  ;  il  paroissoit  attentif  à  leurs  discours,  et  il  sem- 
bloit  par  le  mouvement  de  ses  yeux  qu'il  regardoit  jusques 
au  fond  de  leurs  âmes  pour  y  voir  ce  qu'elles  ne  disoient 
pas.  Je  crois  même  qu'il  avoit  des  tablettes,  et  qu'à  la  faveur 
de  son  manteau,  il  a  écrit,  sans  être  aperçu,  ce  qu'elles  ont 
dit  de  plus  remarquable....  C'est  un  dangereux  personnage  ; 
il  y  en  a  qui  ne  vont  point  sans  leurs  mains  :  mais  l'on  peut 
dire  de  lui  qu'il  ne  va  point  sans  ses  yeux  ni  sans  ses 
oreilles'.  -  C'est  bien  lui,  c'est  le  Contemplateur,  c'est  le 
Peintre. 

Ce  nom  de  Peintre  était  devenu  chez  les  ennemis  de  Mo- 
lière le  sobriquet  par  lequel  on  le  désignait,  sobriquet  glo- 
rieux et  bien  mérité.  Il  lui  est  donné  dans  le  titre  même  de 
la  seconde  en  date  des  comédies  qui  ont  prétendu  le  faire 
repentir  de  sa  Critique.  L'auteur,  Edme  Boursault,  n'avait, 
comme  de  Visé,  que  vingt-cinq  ans;  ce  fut  donc  une  témé- 
rité de  jeunesse;  un  temps  vint  où,  après  quelques  autres 
imprudentes  attaques  contre  de  grandes  renommées,  il  se 

I.    Zélinde .^  scèue  v. 


a8o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

montra  plus  digne  d'estime.  Son  Portrait  du  Peintre^  fut 
écrit  pour  l'Hôtel  de  Bourgogne,  et  joué  sur  ce  théâtre.  Il 
était  en  vers,  ce  qui  n'était  pas  suffisant  pour  lui  assurer 
une  grande  supériorité  sur  Zéllnde.  Boursault  en  avait  cher- 
ché une  plus  décisive  en  prenant  à  celui  qu'il  se  flattait 
d'accabler  ses  personnages  plaisants.  Cela  pourrait  s'appe- 
ler, en  changeant  un  peu  le  sens  d'une  parole  des  anciens, 
«  rire  avec  la  bouche  d'autrui  »,  et  c'est  ce  qui  a  fait  dire 
à  Molière  que  les  champions  des  Grands  comédiens  profi- 
taient de  l'agrément  de  ses  pièces,  en  les  retournant  comme 
un  habit'.  L'artifice  pour  faire  reparaître  les  figures  créées 
par  le  peintre  était  naïf.  Les  ridicules  personnages  qui, 
dans  la  Critique,  le  déchirent,  furent  chargés  de  le  louer  en 
opiniâtres  et  aveugles  défenseurs.  Dans  \e  Portrait  du  peintre, 
la  précieuse  l'admire,  et  non  moins  entêtés  de  l'École  des 
femmes,  le  comte  n'a  qu'à  dire  :  admirable,  du  dernier  admi- 
rable, au  lieu  de  de'testable,  et  le  chevalier  qu'à  répéter 
vingt  fois,  mais  pour  en  faire  goûter  le  charme,  tarte  à  la 
crème,  ensuite  qu'à  chanter  la  la  lare,  quand  il  ne  veut 
plus  rien  entendre.  Molière  allait,  à  sa  grande  confusion, 
se  trouver  avoir  fourni  lui-même  tout  le  sel  qui  le  piquait. 
Cette  malice  enfantine  était  le  clair  aveu  que  le  poète,  qu'on 
prétendait  railler,  possédait  seul  le  secret  de  faire  rire.  Bour- 
sault ne  s'était  pas  aperçu  de  cette  maladresse,  non  plus  que 
d'une  autre  :  dans  une  pièce  où,  comme  ont  fait  tous  ces  au- 
teurs de  comédies  pamphlets,  il  excitait  contre  Molière  les 
gens  de  cour,  assez  débonnaires  pour  se  laisser  jouer  par  lui, 
à  son  tour  il  les  livre  aux  risées. 

Une  sotte  idée  encore  de  Boursault  fut  son  Lizidor,  qui 
n'est  autre  que  Lysidas  de  la  Critique,  dans  lequel,  en  con- 
currence avec  de  Visé,  il  s'était  reconnu  ;  car  une  peinture 
si  vraie  était  un  miroir  où  bien  des  gens  se  voyaient.  Puis- 
qu'il était  entendu  que  Molière  lavait  peint  sous  les  traits 
de  Lysidas,  il  voulut,  se  contentant  toujours  de  retourner 
l'habit,  devenir  Lizidor.  Celui-ci  plaide  pour  t École  des 
femmes,  de  manière,  on  le  devine,  à  la  rendre  ridicule.  Il 

I .    Ou  la  Contre-critique  de  V École  des  femmes. 
a.   L Impromptu  de  Versailles,  scène  v. 


SUR  MOLIERE.  281 

est  donc  resté  le  «  méchant  diable  »  (Boursault  dit  «  le  fin 
diable  »),le  même  pédant  plein  de  dissimulation.  S'identifier 
avec  un  tel  personnage  est  tout  à  fait  amusant,  mais,  par 
malheur,  d'un  comique  involontaire. 

Molière  alla  voir  à  l'Hôtel  de  Bourgogne  la  pièce  que  ce 
théâtre  avait  commandée  à  Boursault.  C'est  un  fait  sur 
lequel  sont  d'accord  de  nombreux  témoignages  contempo- 
rains. Socrate,  qui  avait  affaire  à  un  plus  redoutable  railleur, 
et  était  dangereusement  dénoncé  par  lui,  eut  besoin  de  plus 
de  courage  pour  se  montrer  à  la  représentation  des  Nuées 
d'Aristophane.  Aussi  quand  Molière  a  parlé  lui-même  du  pro- 
jet qu'il  avait  fait  de  cet  acte  de  sang-froid,  ne  l'a-t-il  pas 
donné  pour  un  trait  d'héroisme,  mais  plutôt  pour  une  oc- 
casion qu'il  aurait  de  s'égayer*.  Dans  une  des  petites  comé- 
dies que  fit  naître  cette  guerre  comique,  comme  on  l'a  nom- 
mée, dans  les  Amours  de  Calotin,  qui  furent  joués  sur  le  théâtre 
du  Marais,  et  dont  l'auteur  était  Chevalier,  comédien  de  ce 
théâtre,  on  raconte  que  le  jour  où  Molière  se  mit  hardiment 
en  face  de  son  Portrait,  quelqu'un  lui  ayant  demandé  ce  qu'il 
en  pensait, 

Lui,  répondit  d'abord  de  son  ton  agréable  : 

«  Admirable,  morljleu!  du  dernier  admirable! 

Et  je  me  trouve  là  tellement  bien  tii-é. 

Qu'avant  qu'il  soit  huit  jours,  certes,  j'y  répondrai-. 

Si  Ton  était  sûr  que  Molière  eût  parlé  ainsi,  on  aurait  là 
une  preuve  décisive  que  la  pièce  de  Boursault  fut  jouée  avant 
l'Impromptu  de  Versailles  ;  mais  Chevalier  n'a  pas  donné 
comme  certaines  les  paroles  prêtées  au  poète  qu'avait  joué 
le  Portrait  du  peintre,  car  il  fait  dire  aussitôt  par  un  autre 

1.  Vlmpromplu  de  Versailles,  scène  v.  —  «  Je  te  promets,  dit 
Brécourt,  qu'il  fait  dessein  d'aller  sur  le  théâtre  rire  avec  tous 
les  autres  du  portrait  qu'on  a  fait  de  lui.   » 

2.  Acte  I,  scène  m.  — L'Achevé  d'imprimer  de  cette  pièce  est 
du  7  février  1664.  Elle  avait  donc  été  jouée  un  peu  plus  tôt,  on 
ne  sait  pas  à  quelle  date.  D'autres  comédies  de  ce  même  temps 
ont  aussi  parlé  de  la  présence  de  Molière  à  une  représentation 
du  Portrait  du  peintre;  ce  sont  la  Vengeance  du  Marquis  (scène  lii), 
le  Panégyrique  de  l'Ecole  des  femmes  (scène  v). 


282  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

de  ses  personnages  que  Molière  avait  seulement  répondu  par 
ce  vers  de  l'Ecole  des  femmes  : 

...  Moi,  j'en  ris  tout  autant  que  je  puis. 

Cependant,  dès  qu'une  pièce  dune  date  très  voisine  des 
faits  semblait  admettre  comme  possible  la  première  des  deux 
réponses  de  Molière,  on  a  vu  là  un  témoignage  de  l'antério- 
rité de  la  comédie  de  Boursault.  Bazin  croyait  à  celle  de 
l'Impromptu-.  M.  Fournel  a  été  d'un  avis  contraire'.  Il  a  fait 
remarquer  que  si,  dans  la  scène  v  de  V Impromptu,  du  Croisy 
parle  du  Portrait  du  peintre  annoncé  par  l'affiche,  mais  non 
encore  joué,  cela  est  seulement  dit  dans  la  petite  pièce 
qu'on  répète,  et  qui  est  censée  composée  avant  cette  répé- 
tition^. Despois  n'a  pas  autrement  résolu  la  question  con- 
troversée^  11  n'est  pas  douteux  que  Molière,  dans  la  scène  v 
de  son  Impromptu,  se  plaint  de  la  pièce  de  Boursault  en 
homme  qui  la  connaissait  très  bien;  car  il  en  relève  avec 
indignation  les  passages  qui  passaient  les  bornes.  Mais  on 
doit  faire  attention  à  ces  paroles  :  <  on  me  l'a  voulu  lire^  », 
c'est-à-dire  assurément  :  on  me  l'a  lue  .  Depuis  les  argu- 
ments que  nous  venons  de  citer  de  M.  Fournel,  et  que  Des- 
pois a  jugés  solides,  une  note  intéressante  a  été  découverte 
dans  les  archives  royales  de  Berlin^.  On  a  cru  qu'elle  ne 
permettait  plus  de  donner  raison  aux  remarques  qui  avaient 
frappé  deux  bons  esprits.  Voici  cette  note,  une  de  celles  qu'a 
écrites  dans  un  de  ses  journaux  Blumenthal,  envoyé  de 
l'électeur  de  Brandebourg  près  de  la  cour  de  France  : 
«  19  octobre  i663\  à  l'Hôtel  de  Bourgogne  :  le  Nicomède  de 
M.  Corneille;  item  la  pièce  nouvelle,  le  Portrait  du  peintre, 
011  l'École  des  femmes,  en  même  temps  la  Critique,  ont  été 
fortement  attaquées.  '  La  pièce  nouvelle'  ne  peut  signifier  que 

1.  Notes  historiques  sur  la  vie  de  Molière,  p.  5g. 

2.  Les  Contemporains  de  Molière,  tome  I,  p.  99. 

3.  Ibidem,  p.  ^^i,  note  3  (continuée  à  la  page  243). 

4.  Voyez  notre  tome  III,  p.  i3i,  i35  (note  1),  et  420  (note  i). 

5.  L' Impromptu  de  Versailles,   scène  v,   p.    420.  —  Brécourt  dit 
aussi  dans  la  même  scène,  page  4^5  :  «  On  m'a  montré  la  pièce.  » 

6.  Par  M.  le  docteur  W.  Mangold. 

7.  «  Das  neue  Stiick.  s 


SUR   MOLIERE.  283 

la  pièce  jouée  pour  la  première  fois.  L'envoyé  brandebour- 
geois  n'avait  pas  coutume  de  se  priver  de  ces  nouveautés. 
C'est  ainsi  qu'il  assistait,  comme  nous  l'apprend  le  même 
journal,  à  la  représentation  du  4  novembre,  qui  fut  la  pre- 
mière de  l'Impromptu,  du  moins  sur  le  théâtre  public,  car 
la  pièce  avait  été  déjà  jouée  à  Versailles.  L'édition  de  1682, 
où  elle  a  été  imprimée  pour  la  première  fois,  dit  qu'elle  fut 
représentée  '  pour  le  Roi  le  14  octobre  >',  cinq  jours  donc 
avant  le  Portrait  du  peintre.  Voilà  qui  d'abord  semble  faire 
cesser  toute  dispute;  et  cependant  il  y  a  encore  une  diffi- 
culté. La  date  donnée  par  les  éditeurs  de  1682  est  certaine- 
ment une  erreur.  Le  Registre,  que  n'y  exposait  pas  un  loin- 
tain souvenir  de  dix-huit  ans,  dit  simplement'  :  <  Le  jeudi 
1 1  octobre  la  troupe  est  partie  par  ordre  du  Roi  pour  Ver- 
sailles. On  a  joué  le  Prince  jaloux  ou  D.  Garde,  Sertorius, 
l.  École  des  maris,  les  Fâcheux,  l'Impromptu,  dit,  à  cause  de 
la  nouveauté  et  du  lieu,  de  Fersailles,  le  De'pit  amoureux,  et 
encore  une  fois  le  Prince  jaloux.  Pour  le  tout  reçu  33oo  francs. 
—  Le  retour  a  été  le  mardi  2  3«  octobre.  >  La  Grange  n'a 
pas  marqué  là  plus  précisément  le  jour  de  la  représentation 
de  chacune  des  pièces.  S'il  avait  pris  ce  soin,  il  n'eût  pas 
cru  plus  tard  que  celle  de  l' Impromptu  eût  été  donnée  le  14. 
L'impossibilité  en  est  établie  par  les  témoignages  concor- 
dants de  la  Gazette  et  de  la  Muse  historique.  Le  roi,  qui  était 
depuis  quelque  temps  à  Vincennes,  et  y  avait  eu  le  12  oc- 
tobre le  spectacle  d'un  feu  d'artifice  et  celui  d'une  grande 
revue,  n'en  partit  que  le  i5,  jour  où  la  reine,  après  s'être 
arrêtée  à  Paris  pour  ses  dévotions,  le  rejoignit  à  Versailles'. 
Le  lundi  22,  la  cour  quitta  Versailles  et  fixa  son  séjour  à 
Paris ^.  Les  comédiens,  qui  y  revinrent  le  lendemain,  étaient 
arrivés  à  Versailles  quatre  jours  avant  le  roi,  afin  sans  doute 
de  préparer  leurs  représentations,  surtout  celle  de  la  pièce 
nouvelle,  qu'il  était  nécessaire,  sinon  d'achever,  au  moins 
de  répéter  dans  le  lieu  même  où  l'auteur  en  avait  placé  la 

1.  Pages  58  et  59. 

2.  Gazette  du  20  octobre  i663.  —  Voyez  aussi   la  Muse   histo- 
rique, lettres  du  i3  et  du  20  octobre. 

3.  Gazette  du  27  octobre  i663,   et   Muse  historique,  lettre   de 
même  date. 


284  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

scène.  Il  est  parfaitement  clair  qu'on  ne  saurait  donner  à 
la  première  représentation  de  V Impromptu  une  date  anté- 
rieure au  i6  octobre;  et  si  le  Registre  de  La  Grange  a 
nommé  les  pièces  jouées  alors  à  Versailles  dans  l'ordre  où 
elles  le  furent,  il  est  probable  que  t Impromptu  ne  parut 
pas  avant  le  i8  ou  même  le  19.  Il  se  pourrait  donc  que  les 
deux  comédies  ennemies,  celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne  et 
celle  de  Versailles,  eussent  été  le  même  jour  représentées 
pour  la  première  fois.  Ce  serait  un  fait  curieux,  quoique 
nous  ne  voyions  pas  bien  quelle  conséquence  on  en  tirerait. 
Le  vers  que  nous  avons  cité  : 

Avant  qu'il  soit  huit  jours,  certes  j'y  répoudrai, 

ne  saurait  être  opposé  à  ce  que  nous  venons  de  dire.  En 
prêtant  cette  parole  à  Molière,  l'auteur  des  Amours  de  Ca- 
lotin  n'a  pas  voulu  tenir  compte  de  la  représentation  de 
Versailles.  On  feignait  sans  doute  de  ne  reconnaître,  comme 
la  première  de  toutes,  que  celle  du  4  novembre  devant  le 
public.  Il  plaisait  d'ignorer  ce  qui  était  si  fort  à  l'avantage 
de  Molière  et  aurait  été  très  gênant  pour  qui  voulait  criti- 
quer son  Impromptu. 

Si  nous  sommes  entré  dans  un  examen  que  l'on  trouvera 
peut-être  trop  scrupuleux,  particulièrement  ici,  ce  n'est  pas 
seulement  pour  rectifier  la  fausse  date  du  14  octobre,  qui  de 
l'édition  de  1682  a  passé  dans  toutes  les  suivantes,  sans  en 
excepter  la  nôtre,  c'est  surtout  parce  que  cette  question  : 
qui  de  Molière  ou  de  Boursault  a  frappé  le  premier  ?  a  donné 
lieu  à  de  longues  discussions,  auxquelles  on  a  attaché  une 
certaine  importance.  Elles  n'en  auraient  que  s'il  s'agissait  de 
peser  le  reproche  fait  à  Molière  par  Bazin  de  la  violence  mal 
justifiée  de  ses  «  représailles  anticipées  ".  Mais  alors  même 
qu'il  était  encore  permis  de  disputer  sur  les  dates,  on  ne 
devait  pas  dire  qu'il  eût  anticipe'  les  représailles ,  puisqu'il 
n'avait  pas  composé  ^Impromptu  sans  connaître  le  Portrait 
du  peintre,  auquel  des  lectures  avaient  donné  une  demi- 
publicité.  Boursault  était  donc  l'agresseur  et  méritait,  quoi 
qu'en  dise  Bazin,  d'en  être  sévèrement  puni,  n'eût-il  écrit 
que  les  vers  où  dans  le  sermon  d'Arnolphe  il  dénonce,  à 


SUR   MOLIERE.  285 

l'exemple  de  Donneau  de  Visé,  le  mépris  de  ce  que  l'on  doit 
respecter.  Mais  n'y  avait-il  que  cela?  Il  faut  que  Molière  ait 
voulu  parler  d'autre  chose  lorsqu'il  a  prié  «  ces  honnêtes 
messieurs  »  de  ne  point  toucher  à  certaines  matières'.  On 
a  dit,  et  nous  le  cro3'ons  vrai,  que  Boursault  s'était  permis 
des  allusions  à  des  chagrins  domestiques  de  Molière,  dont  on 
hasardait  déjà  la  supposition,  et  que  si  elles  ne  se  trouvent 
plus  dans  sa  pièce,  c'est  qu'il  les  en  avait  fait  disparaître 
en  la  livrant  à  l'impression.  Voltaire,  que  l'on  ne  se  serait 
pas  attendu  à  trouver  si  sévère  pour  les  personnalités,  a 
blâmé  l'auteur  de  l'Impromptu  d'avoir  écrit  «  une  satire 
cruelle  et  outrée  »  etd'avoirnommé  Boursault  par  son  nom.  La 
très  claire  anagramme  d'Élomire  ne  lavait-elle  pas  nommé 
lui-même  dans  Ze'linde?  Et  dans  la  pièce  même  de  Bour- 
sault, le  Peintre  le  désignait-il  moins  bien  qu  Élomirc?  A. 
qui  d'abord  la  faute  si  notre  théâtre  paraissait  vouloir  en- 
trer dans  la  fâcheuse  voie  de  la  licence  athénienne  ?  Mo- 
lière n'eût  pas  mieux  demandé  que  de  continuer  à  en  suivre 
une  plus  sage.  Il  appelait  «  sotte  guerre  «  celle  où  l'Hôtel 
de  Bourgogne  l'engageait,  pour  «  me  détourner,  disait-il, 
par  cet  artifice  des  autres  ouvrages  que  j'ai  à  faire'".  Aussi, 
après  r Impromptu  de  Versailles,  laissa-t-il  le  champ  libre  à 
ses  obscurs  blasphémateurs,  qu'il  jugeait  assez  écrasés.  Il 
ne  fit  même  pas  imprimer  sa  petite  comédie,  non,  comme 
l'a  dit  Voltaire,  parce  qu'il  en  sentait  la  faiblesse,  mais 
parce  que  compter  parmi  ses  œuvres  une  correction  infli- 
gée, en  passant,  à  de  méprisables  frelons,  eût  été  leur  faire 
trop  d'honneur.  Loin  d'être  faible,  son  Impromptu  est  de 
tout  point  excellent. 

A  ce  plaidoyer  pour  sa  défense,  dont  il  n'était  pas  moins 
difficile  que  pour  sa  Critique  de  faire  une  pièce  de  théâtre, 
il  a  donné  cette  fois  encore  un  cadre  très  heureux,  tel  que 
n'ont  jamais  su  en  imaginer  ses  adversaires  dans  leur  indi- 
gence d'invention.  Supposant  la  répétition  d'une  pièce  qui 
doit  être  jouée  devant  le  roi,  il  fait  paraître,  sous  leurs 
noms,  ses  acteurs  et  actrices,  recevant  ses  conseils.  Il  ca- 

1.   V Impromptu  de  Versailles,  scène  v,  p.  429  et  43o. 
3.  Ibidem,  p.  428  et  429- 


286  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

ractérise  chacun  d'eux,  et  nous  montre  comme  il  s'appli- 
quait à  les  diriger  avec  un  art  et  un  soin  dont  les  Nouvelles 
nouvelles  avaient  donné  une  idée',  vraie  sans  doute  aussi, 
mais  moins  large  :  «  Chaque  acteur  sait  combien  il  doit 
faire  de  pas,  et  toutes  ses  œillades  sont  comptées.  »  Les 
agréables  scènes  de  comédiens  auxquels  Molière  explique 
leurs  rôles  sont  aujourd'hui  le  plus  intéressant  document 
pour  son  histoire  comme  chef  de  troupe.  Parmi  les  divers 
propos  des  camarades,  plus  disposés  à  causer  qu'à  répéter 
des  rôles  que,  faute  de  temps,  ils  ne  sauront  pas,  des  ques- 
tions viennent  très  naturellement  sur  une  comédie  des 
comédiens,  dont  on  lui  reproche  d'avoir  abandonné  l'idée. 
Vivement  pressé  de  faire  connaître  en  deux  mots  de  quoi  il 
s'agissait,  il  esquisse  le  plan  d'une  bagatelle  où  il  s'était 
proposé  quelques  imitations  des  Grands  comédiens,  et 
donne  une  idée  des  portraits  qu'il  aurait  essayés  d'eux  dans 
des  pièces  de  Corneille.  Il  les  contrefait,  il  raille  non  seule- 
ment les  défauts  particuliers  à  chacun  de  ces  tragédiens  si 
vantés,  mais  l'erreur  générale  de  leur  théâtre  dans  la  ma- 
nière de  comprendre,  sans  aucun  souci  du  naturel,  la  dé- 
clamation des  pièces  héroïques.  Le  coup  était  rude,  et  il 
avait  fallu  compter  beaucoup  sur  la  faveur  du  roi  pour  le 
porter,  en  sa  présence,  à  la  troupe  royale.  Molière  rappelle 
plusieurs  fois  dans  son  Impromptu  qu'il  l'avait  composé  par 
son  ordre.  Louis  XIV  ne  jugea  pas  que  dans  l'exécution  de 
cet  ordre  la  mesure  eût  été  outrepassée.  Ce  fut  lorsque  la 
pièce  avait  été  déjà  représentée,  que  Molière  fut  porté  sur 
la  liste  des  pensions  de  i663  :  «  Au  sieur  Molière,  excel- 
lent poète  comique,  looo  francs.  »  Inutilement  les  pièces 
jouées  à  l'Hôtel  de  Bourgogne  l'avaient-elles  accusé  d'injure 
faite  à  la  personne  royale  par  le  ridicule  jeté  sur  ses  cour- 
tisans, et  d'outrage  à  la  religion  dans  une  scène  de  l'Ecole 
des  femmes.  L'honorable  pension  qui  vengeait  Molière  de  ces 
charités  lui  inspira  un  Remercîment  en  vers.  Dans  le  Pané- 
brique  de  t Ecole  des  femmes^,  injurieuse  satire  malgré  son 

1.  Tome  III,  p.  234- 

2.  Ou  Conversation  comique  sur   les  œuvres  de  M.  de   Molière,   Le 
Pririlège   est    du    3o  octobre,   l'Achevé   d'imprimer  du   3o   no- 


SUR   MOLIERE.  287 

titre  trompeur,  qui  fut  écrite  peu  de  jours  après  la  repré- 
sentation de  la  pièce  de  Boursault',  un  des  interlocuteurs 
du  dialogue  parle  ainsi  du  Remerciment  au  Roi  :  «  Avez-vous 
vu  le  Remercîment  qu'il  a  fait  sur  sa  pension  de  bel-esprit? 
Rien  n'a  été  trouvé  si  galand  ni  si  joli.  C'est  un  ])ortrait  de 
la  cour  trait  pour  trait-.  »  Nous  ne  donnons  ])as  cet  éloge 
pour  sincère  dans  la  bouche  d'un  faux  défenseur  de  Molière, 
qui  va  déclarer  tout  à  l'heure  qu'en  feignant  de  le  louer  il 
n'a  voulu  que  s'amuser'.  Là  cependant  il  n'a  rien  dit  que 
de  vrai,  peut-être  parce  qu'il  eût  été  dangereux  de  contre- 
dire ou  même  de  dissimuler  le  jugement  du  roi  et  de  la 
cour.  Assurément  il  n'a  pas  inventé  qu'au  Louvre  on  tenait 
ces  vers  de  Molière  pour  -;  la  plus  belle  pièce  qui  se  fût 
vue  >'.  Ils  avaient  assez  frappé  Perrault  pour  que  dans  sa 
notice,  où  il  ne  dit  que  peu  de  mots  sur  les  plus  célèbres 
ouvrages  du  poète  et  même  ne  les  nomme  pas  tous,  il  n'ait 
pas  oublié  ce  «  compliment  au  Roi,  si  spirituel,  dit-il^,  si 
délicat  et  si  bien  tourné  :».  C'est  une  louange  que,  partout 
oti  il  y  avait  quelque  finesse  de  goût,  on  ne  put  refuser  à  un 
chef-d'œuvre  d'esprit,  dans  lequel  se  mêlait  de  si  agréable 
façon  au  respect  le  badinage  familier  de  la  Muse  comique 
souriante.  Cette  Muse  qui,  pour  se  présenter  au  Louvre,  se 
travestit  en  marquis,  n'est-ce  pas  la  plus  ingénieuse  idée 
pour  tourner  le  remercîment  en  une  petite  comédie,  tableau 
parfait  et  digne  du  peintre  ? 

Parmi  les  courtisans,  ce  n'étaient  pas  les  gens  d'esprit 
qui  pouvaient  s'y  trouver  offensés  par  de  légères  plaisan- 
teries. Nous  savons  déjà  qu'à  l'exemple  du  roi  ils  faisaient 
fête  à  Molière,  en  dépit  des  manœuvres  de  ses  ennemis,  pour 
les  irriter  contre  lui.  Dans  Zélinde,  on  s'étonne  de  leur  hu- 
meur endurante  ;  on  les  avertit  qu'ils  obligent  ainsi  le  fameux 
Elomire  <   à  les  dépeindre  une  autre  fois  avec  des  traits  plus 

vembre  i663.  —  L'auteur  est  Charles  Robinet,  le  même  sans 
doute  qui  a  écrit  les  Lettres  en  vers  à  Madame. 

I.  C'est  ce  qui  est  dit  dans  l'avis  Au  lecteur. 

1.   Le  Panégyrique  de  C École  des  femmes,  p.  76. 

3.   Ibidem,  p.  94. 

4-   Les  Hommes  illustre^,  tome  L  p.  "9. 


288  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

forts*  ».  Zélinde  voudrait  le  faire  berner  par  quatre  marquis, 
qui  tiendraient  la  couverture.  On  lui  répond  :  «  Les  Marquis 
l'aiment  trop,  et  se  mettroient  peut-être  à  sa  place,  afin  qu'il 
les  bernât  de  toutes  manières  *.  »  Us  l'embrassent  quand  ils 
le  rencontrent  et  prennent  plaisir  à  s'appeler  entre  eux 
turlupins.  Boursault  s'efforce  de  leur  faire  sentir  le  même 
aiguillon.  Dans  la  bouche  de  son  Dorante,  qui  complaisam- 
ment 

joue  à  la  paume 

Avec  le  médisant  le  meilleur  du  royaume, 

il  met  des  vers  tels  que  ceux-ci  : 

J'en  sais  vingt  trop  heureux  de  se  laisser  jouer. 
Oui,  j'en  sais  de  ravis  qu'on  leur  fasse  la  guerre. 

De  tous  nos  turlupins  c'est  un  homme  chéri ^. 
Quelqu'un  cependant  venait  de  dire  : 

.  .    .    .  A  la  fin  craint-il  point  qu'on  s'en  choque? 
J'en  sais  un  enragé,  dnot  souvent  il  se  moque. 

Ne  reconnaît-on  pas  cet  enragé  qui  se  choque  au  point  de 
prendre  une  odieuse  vengeance  Pet  peut-on  douter  de  l'allu- 
sion, bien  qu'un  peu  moins  transparente  qu'elle  ne  l'est  dans 
ce  passage  de  Zélinde  sur  la  tarte  à  la  crème  :  «  Je  crois 
qu'elle  lui  fera  dorénavant  bien  mal  au  cœur,  et  qu'il  n'en 
entendra  jamais  parler,  ni  ne  mettra  sa  perruque  sans  se 
ressouvenir  qu'il  ne  fait  pas  bon  jouer  les  princes,  et  qu'ils 
ne  sont  pas  aussi  insensibles  que  les  marquis  turlupins*.  » 
Ce  témoignage  de  la  comédie  satirique  de  i663  permettrait 
difficilement  de  traiter  de  conte  le  bien  triste  récit  de  la 
Martinière^.  Ce  biographe  de  i^aS  a  nommé  Y  enragé  qui 
fit  subir  à  Molière  le  plus  brutal  outrage.  Grimarest  s'était 
borné    à    dire  qu'un  courtisan  de  distinction,    pressé    de 

1 .   zélinde,  scène  m. 
3.   ibidem,  scène  vin. 

3.  Le  Portrait  du  peintre,  scène  vi. 

4.  Zélinde,  scène  vin. 

5.  yie  de  Vauteur,  p.  27. 


SUR  MOLIERE.  289 

répondre  sur  ce  qu'il  trouvait  à  redire  dans  V École  des 
femmes,  avait  répondu  :  «  Tarte  à  la  crème,  morbleu  !  »  et 
répété  ces  mots,  sans  qu'on  pût  le  faire  sortir  de  là.  Molière 
s'est  amusé  à  mettre  cette  sottise  dans  la  bouche  du  mar- 
quis ridicule  de  la  Critique.  Dans  Y  Addition  de  la  Martinière 
on  lit  que  le  «  courtisan  de  distinction  j>  était  la  Feuillade. 
Peu  de  difficulté  à  reconnaître  celui  à  qui  l'auteur  de  Zé- 
linde  a  donné,  pour  flatter  ses  prétentions  vaniteuses,  le 
titre  de  prince  :  la  Feuillade  voulait  y  avoir  droit,  comme 
descendant  d'Ebon,  prince  d'Aubusson  au  neuvième  siècle. 
Ne  doutant  pas  que  ce  ne  fût  lui-même  que  l'on  eût  osé 
mettre  sur  le  théâtre,  «  un  jour,  dit  la  Martinière,  qu'il  vit 
passer  Molière  par  un  apj)artement  où  il  étoit,  il  l'aborda 
avec  des  démonstrations  d'un  homme  qui  vouloit  lui  faire 
caresse.  Molière  s'étant  incliné,  il  lui  prit  la  tête,  et  en  lui 
disant  :  Tarte  à  la  crème,  Molière  l  tarte  à  la  crème  1  il  lui 
frotta  le  visage  contre  ses  boutons,  qui  étant  fort  durs  lui 
mirent  le  visage  en  sang.  Le  Roi,  qui  vit  Molière  le  même 
jour,  apprit  la  chose  avec  indignation,  et  la  marqua  au  Duc, 
qui  apprit  à  ses  dépens  combien  Molière  étoit  dans  les 
bonnes  grâces  de  Sa  Majesté.  Je  tiens  ce  fait  d'une  per- 
sonne contemporaine  qui  m'a  assuré  l'avoir  vu  de  ses  pro- 
pres yeux.  »  Peut-être  le  fait  attesté  par  le  témoin  oculaire 
est-il  seulement  celui  de  la  forte  réprimande  du  roi.  Quanl 
aux  détails  de  l'indigne  scène,  on  ne  peut  savoir  s'ils  sont 
tous  exacts,  et  si  le  visage  ensanglanté  n'est  pas  une  exa- 
gération; mais  lorsque  de  Visé  nous  donne  à  entendre  que 
Molière  eut  sa  perruque  mise  en  désordre,  il  faut  bien  que, 
dans  la  perfide  embrassade,  il  ait  été  violemment  secoué;  et 
la  révoltante  injure,  qu'elle  ait  été  plus  ou  moins  poussée 
jusqu'à  la  barbarie,  demeure  trop  avérée.  On  s'étonnerait 
que  le  «  courtisan  passant  tous  les  courtisans  passés  *  => 
eût  si  peu  compins  cette  fois  de  quel  côté  le  vent  soufflait. 
Il  était  facile  de  prévoir  l'indignation  du  roi,  qui  protégeait 
assez  Molière  pour  ne  lui  avoir  jamais  défendu  de  l'égayer 
par  ses  peintures  hardies,  même  quand  elles  faisaient  rire 

I.  Lettre  de   Mme   de  Sëvigné  du  ao  janvier  1679,  tome  V, 
p.  55i. 

MOLIÈKE,  X  IQ 


ago  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

des  travers  de  quelques  gens  de  qualité.  Il  est  vrai  que 
dans  le  portrait  de  l'homme  à  la  tarte  à  la  crème  la  har- 
diesse avait  été  poussée  jusqu'à  l'imprudence,  puisqu'il  pa- 
raît certain  que  l'original  en  était  désigné  trop  clairement, 
s'étant  ridiculisé  par  la  fameuse  turlupinade. 

Brossette  avait  entendu  accuser  de  l'insulte  un  autre  que 
la  Feuillade.  On  racontait,  dit-il,  «  que  M.  d'Armagnac,  le 
grand  écuyer  de  France,  avait  insulté  Molière,  et  lui  avait 
fait  tourner  sa  perruque  sur  la  tête*  ».  Il  peut  donc  y  avoir 
hésitation  sur  la  personne  du  coupable.  Dans  le  portrait 
que  Saint-Simon  a  fait  de  Louis  d'Armagnac,  il  le  peint  très 
brutal.  Molière  décoiffé,  comme  le  Chapelain  de  la  parodie  du 
Cid,  c'est  justement  ce  que  nous  trouvons  dans  Zéiinde;  et 
le  titre  de  prince  convient  encore  mieux  à  M.  Le  Grand,  de 
la  famille  des  princes  lorrains,  qu'à  la  Feuillade.  Brossette, 
après  les  lignes  qui  viennent  d'être  citées,  ajoute  :  «  Mais 
M.  Despréaux  m'a  dit  que  cela  n'étoit  pas  vrai.  »  Enten- 
dait-il seulement  qu'on  avait  eu  tort  de  nommer  M.  d'Ar- 
magnac? Il  semble  plutôt  qu'il  niait  la  vérité  de  la  honteuse 
anecdote.  Son  démenti,  si  tel  en  est  le  sens,  a  pu  être  dicté 
par  le  désir  de  faire  tomber  dans  l'oubli  un  aff'ront  reçu 
par  son  ami.  Si,  à  une  date  oîi  l'injure  était  toute  récente, 
elle  n'avait  pas  été  connue,  la  méchanceté  de  la  Zéiinde 
n'aurait  pas  été  comprise.  Il  n'y  a  pour  nous  aucun  intérêt 
à  mettre  en  doute  un  fait  qui  ne  déshonore  pas  Molière, 
mais  le  courtisan,  quel  qu'il  soit,  coupable  d'un  odieux  abus 
de  sa  puissance.  D'ordinaire,  ceux  qui,  à  la  cour,  avaient 
quelque  sagesse,  ne  voyaient  aucune  raison  de  se  fâcher. 
Ils  ne  pouvaient  prendre  pour  un  dessein  formé  d'hostilité 
la  raillei-ie  de  quelques  ridicules  qu'ils  étaient  les  premiers 
à  fronder,  comme  le  dit,  dans  la  Critique,  le  chevalier  Do- 
rante^. Par  la  bouche  du  même  personnage,  et  dans  la 
même  scène  ^,  Molière  a  rendu  justice  au  bon  et  fin  juge- 
ment de  cette  cour  si  polie.  Il  l'a  fait,  nous  n'en  doutons  pas, 
avec  sincérité  :  les  marquis  extravagants  ne  lui  cachaient 

1.  Ms.  de  Brossette,  p.  54°. 

2.  Scène  ti,  p,  355. 

3.  Ibidem,  p.  354  et  355. 


SUR   MOLIERE.  291 

pas  quelle  fleur  d'urbanité,  quelle  intelligence  délicate  des 
choses  de  l'esprit  il  y  avait  dans  ce  monde  de  la  noble  élé- 
gance. Beaucoup  plus  tard,  lorsqu'il  n'avait  pas  les  mêmes 
raisons  de  se  défendre  contre  ceux  qui  cherchaient  à  lui 
faire  des  affaires  avec  la  cour,  il  a  fait  parler  sur  elle,  tout 
comme  Dorante,  son  aimable  personnage  du  Clitandre  des 
Femmes  savantes .  Ceci  dit,  il  est  permis  de  faire  la  part  d'une 
sage  et  politique  précaution  dans  un  éloge  venant  fort  à 
propos  en  un  temps  où  l'on  excitait  les  gens  de  qualité  à 
ne  plus  souffrir  ses  plaisanteries.  Il  a  toujours  été  dans  son 
caractère  de  joindre  à  une  grande  liberté  une  adroite  pru- 
dence ;  il  se  rendait  compte  de  l'impossibilité  de  tant  oser 
sans  manœuvrer  habilement.  C'est  ainsi  que  lorsqu'il  fit 
imprimer  sa  Cm/<7«e  en  i663,  il  dédia  à  la  très  pieuse  reine 
mère  cette  apologie  d'une  comédie  dont  une  scène  avait  été 
accusée  d'un  manque  de  respect  à  la  religion.  Il  ne  faudrait 
pas  comparer  son  épître  dédicatoire  à  Anne  d'Autriche 
à  la  lettre  écrite  par  Voltaire  au  pape  Benoît  XIV,  pour 
mettre  sous  sa  protection  la  tragédie  de  Mahomet.  Rien, 
d'un  coté,  qu'une  tactique  prudente;  d'un  autre,  une  sin- 
gerie malicieuse. 

Après  C Impromptu  de  Versailles,  si  Molière  jugea  inutile 
de  continuer  la  guerre,  les  comédies  n'avaient  pas  dit  leur 
dernier  mot  contre  lui.  Mais,  avant  de  suivre  ses  ennemis 
jusqu'à  la  fin  de  leur  campagne,  il  faut  dire  quelques  mots 
d'un  très  illustre  auxiliaire  qu'ils  se  sont  toujours  flattés 
d'avoir  dans  leur  parti  et  n'avaient  certainement  rien 
épargné  pour  enrôler. 

Ils  n'ont  jamais  alors  attaqué  Molière  sans  exalter  Cor- 
neille, pour  écraser  sous  sa  gloire  l'auteur  de  bagatelles 
comiques.  De  Visé,  dans  une  Lettre  sur  les  affaires  du  théâtre, 
déclare  qu'  «  il  y  a  au  Parnasse  mille  places  de  vides  entre 
le  divin  Corneille  et  le  comique  Elomire*  ».  Le  Pane'gyrique 
de  l'Ecole  des  femmes,  qui  donne  à  Molière  le  nom  de  Zoïle, 
à  Corneille  celui  de  grand  Ariste,  dit  de  celui-ci  -  :  a  Ce 
grand   homme  est  assez  étonné  de  se  voir  sur  les  talons 

I.   Les  Diversités  galantes,  p.  gS  et  94. 
a.  Page  87. 


aga  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

cette  fourmilière  de  grimelins,  qui  semblent  le  chasser  du 
théâtre,  où  jusqu'ici  sa  Muse  avait  eu  un  si  glorieux  as- 
cendant ;  et  ce  ne  lui  est  pas  une  petite  mortification  de 
voir  son  grand  cothurne  effacé  par  le  ridicule  escarpin  de 
ces  demi  ou  quarts  d'auteurs,  engendrés  de  la  corruption 
du  siècle.  »  Voilà  quels  appels  on  faisait  à  la  jalousie  du 
potier  contre  le  potier.  Savait-on  Corneille  disposé  à  les 
entendre?  Comme  il  serait  pénible  de  trouver  un  sentiment 
indigne  d'une  grande  âme  dans  celle  d'où  sont  sorties, 
comme  d'une  haute  source,  tant  d'inspirations  généreuses, 
on  aime  à  croire  que  ses  préventions  contre  Molière  s'ex- 
pliquent surtout  parla  différence  des  deux  génies.  La  peine 
qu'a  eue  Corneille  à  comprendre  les  tragédies  de  Racine  a 
eu  la  même  cause.  Racine  a  plutôt  cru  à  l'envie.  Il  n'a  pas 
douté  que  sa  jeune  célébrité  n'offusquât  son  glorieux  pré- 
décesseur; on  sait  qu'avec  trop  peu  de  respect  il  a  fait  une 
allusion  très  claire  à  sa  malveillance  dans  une  préface*,  où 
il  rappelle  Térence  forcé  de  se  défendre  contre  les  critiques 
«  d'un  vieux  poète  malintentionné,  qui  venoit  briguer  des 
voix  contre  lui  jusqu'aux  heures  où  l'on  représentoit  ses 
comédies  «.  Ne  tirons  pas  trop  de  parti  contre  Corneille  de 
ces  plaintes  emportées  de  Racine.  Lorsque  le  vieux  poète  le 
critiqua,  comme  lorsqu'il  ne  garda  pas  assez  la  neutralité 
dans  la  guerre  faite  à  Molière,  ce  ne  fut  pas  que  la  gloire 
des  autres  lui  donnât  ce  vilain  chagrin,  qui  est  le  propre  de 
l'envieux,  mais  il  était  inquiet  pour  la  sienne,  depuis  qu'il 
voyait  ses  nouveaux  ouvrages  accueillis  avec  moins  de  fa- 
veur. L'engouement  pour  «  les  modernes  illustres  3>,  comme 
il  disait,  lui  fit  craindre  pour  lui-même  un  injuste  oubli. 
Déjà  en  i663,  précisément  au  temps  où  nous  le  rencontrons 
ici,  il  ne  se  sentait  pas  rassuré  contre  le  déclin,  non  seu- 
lement de  sa  renommée,  mais  de  son  génie,  et  disait  à 
Louis  XIV  dans  un  Remercîment^  : 

Parle,  et  je  reprendrai  ma  vigueur  épuisée, 
Jusques  à  démentir  les  ans  qui  l'ont  usée. 


I.  La  préface  de  Britannîcus . 

a.   OEuvres  de  Pierre  Corneille,  tome  X,  p.  i8o  et  i8i. 


SUR   MOLIERE.  agS 

Peu  d'années  après,  en  1667,  il  se  plaignait,  dans  des  vers 
Au  Roi  sur  son  retour  de  Flandre,  que  sa  veine  ne  fût  plus 

.   .   .  qu'un  vieux  torrent  qu'ont  tari  douze  lustres. 
A  force  de  vieillir  un  auteur  perd  son  rang*. 

Pour  connaître  encore  mieux  cet  état  d'âme,  qui  ne  fut 
nullement  passager,  on  peut  lire  tout  entière  sa  belle  épître 
de  1676,  au  même  prince. 

Il  avait  un  autre  souci,  moins  personnel  que  celui  de  la 
faveur  de  la  génération  nouvelle  s'éloignant  de  lui.  Il  déplo- 
rait la  grande  vogue  de  la  comédie,  qui  lui  paraissait  une 
erreur  du  goût  public,  infidèle  à  l'élévation  héroïque,  véri- 
table âme  du  théâtre,  à  ses  yeux.  Malgré  ses  succès  dans  le 
genre  comique,  l'auteur  du  Menteur  croyait  la  comédie 
plus  facile  que  la  tragédie,  et  très  inférieure.  Il  avait  par  là 
peu  de  peine  à  s'entendre  avec  l'Hôtel  de  Bourgogne,  qui  se 
flattait  d'être  le  vrai  temple  de  la  tragédie,  et,  avec  raison 
peut-être,  de  la  mieux  jouer  que  le  Palais-Royal,  dont  la 
supériorité  dans  le  comique  était  évidente.  Molière,  sachant 
d'ailleurs  qu'en  soulevant  un  débat,  tout  littéraire  en  appa- 
rence, entre  ce  qu'on  appelait  les  seules  pièces  sérieuses  et 
celles  dont  on  bornait  le  mérite  à  faire  rire,  plusieurs  ne  son- 
geaient qu'à  se  venger  des  succès  de  ses  ouvrages  et  de  sa 
troupe,  prit  la  question  à  cœur,  et  crut  devoir  plaider,  dans 
la  Critique  de  V Ecole  des  femmes^,  pour  la  comédie,  et  être 
autorisé  par  la  nécessité  des  représailles  à  y  parler,  avec 
quelque  irrévérence,  de  la  tragédie  guindée  sur  de  grands 
sentiments  et  dispensée,  dans  les  caractères  de  ses  héros 
imaginaires,  de  peindre  les  hommes  tels  qu'ils  sont.  Tout  le 
monde  comprit  que  la  verte  réponse  était,  en  grande  partie, 
à  l'adresse  de  Corneille,  contre  qui  il  était  assez  naturelle- 
ment irrité;  car  il  lui  était  difficile  de  croire  qu  à  l'insu  du 
grand  poète  on  se  fût  servi  de  son  nom  pour  le  rabaisser 
lui-même.  Il  était  persuadé  d'ailleurs  que  les  deux  Cor- 
neille favorisaient  le   parti  de  ceux   qui  dépréciaient  son 

ï.    Œuvres  de  Pierre  Corneille,  tome  X,  p.  187. 
a.  Scène  vi,  p.  35i  et  352. 


294  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

théâtre.  Rien  de  plus  certain  pour  Thomas  Corneille  ;  nous 
le  savons  par  sa  lettre  de  1639  à  l'abbé  de  Pure*.  Aussi 
Molière  lui  avait-il  décoché  un  trait  malin  dans  les  vers  de 
l'École  des  femmes,  ofi  Chrysalde,  raillant  l'abus  de  quitter 
le  nom  de  ses  pères,  cite  en  exemple  le  paysan  Gros-Pierre, 
qui  possédait  un  fossé  bourbeux. 

Et  de  Monsieur  de  l'Isle  eu  prit  le  nom  pompeux*. 

Il  n'échappa  à  personne  que  le  trait  tombait  sur  Thomas 
Corneille,  qui  se  faisait  appeler  Corneille  de  l'Ile;  il  était 
«  le  spirituel  Isole  »,  dont  le  Panégyrique  de  l'École  des 
femmes  opposa  le  Dom  Bertrand  de  Cigaral  et  le  Feint  astro- 
logue aux  comédies  de  Molière^.  Le  grand  Corneille  ne  put 
être  insensible  ni  au  ridicule  jeté  sur  son  frère,  ni  aux  rail- 
leuses attaques  contre  la  tragédie,  qui  semblaient  viser  par- 
ticulièrement ses  héroïques  chefs-d'œuvre.  Son  méconten- 
tement fut  si  connu  qu'il  passa  pour  avoir  mis  la  main  à  la 
pièce  de  Boursault,  avec  qui  d'ailleurs  on  le  savait  en  ami- 
cales relations.  Molière  avait  entendu  dire  que  «  tout  le  Par- 
nasse »  s'était  uni  pour  faire  le  Portrait  du  peintre,  et  que 
chacun  y  avait  donné  un  coup  de  pinceau.  Cependant,  quand 
il  parlait  ainsi  dans  l' Impromptu'*,  et  qu'il  y  montrait  tous 
les  auteurs  animés  contre  lui,  depuis  le  cèdre  jusqu'à 
l'hysope^  »,  est-il  croyable,  malgré  la  grande  vraisemblance 
d'une  allusion,  que,  dans  un  seul  des  misérables  coups  de 
pinceau,  lui,  si  bon  connaisseur,  se  soit  imaginé  reconnaître 
le  cèdre?  Boursault,  dans  son  avis  Au  lecteur,  a  revendiqué 
pour  lui  seul  l'honneur  de  son  Portrait,  mettant  hors  de 
cause  tout  le  Parnasse;  et  sans  nul  doute  c'est  contre  la  col- 
laboration attribuée  à  Corneille  qu'il  a  protesté  par  ces  pa- 
roles :  «  Croire  une  pièce  digne  de  ceux  qui  sont  accusés 
d'y  avoir  mis  la  main,  c'est  demeurer  d'accord  de  son  mé- 
rite. »  L'extrême  médiocrité  de  l'ouvrage  a  protesté  bien 
plus  fortement  encore. 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  219  et  220.  —  2.  Scène  vi,  vers  175-183. 

3.  Le  Panégyrique  de  L'École  des  femmes,  p.  45- 

4.  Scène  v,  p.  420  et  421. 

5.  Ibidem,  p.   4^3. 


SUR  MOLIERE.  295 

C'est  un  spectacle  affligeant  que  celui  de  la  mésintelligence 
de  deux  grands  génies.  On  est  heureux  de  dire  qu'elle  fut 
de  courte  durée.  Elle  cessa  bien  avant  le  temps  de  cette 
Psyché,  qui  maria,  dans  un  lyrisme  si  charmant,  la  muse 
héroïque  et  la  muse  comique.  La  paix  pourrait  se  dater  de 
la  première  représentation  à' Attila,  que  Corneille  confia, 
le  \  mars  1677,  au  Palais-Royal.  Un  rapprochement  avec  la 
troupe  de  ce  théâtre  était  alors  devenu  plus  facile  par  suite 
de  la  brouille  entre  elle  et  Racine.  On  fera  remarquer  peut- 
être  que  des  pièces  de  Corneille,  notamment  Sertorius  et  le 
Menteur,  n'avaient  jamais  cessé  d'être  jouées  sur  le  théâtre 
de  Molière  ;  mais  il  n'y  a  pas  là,  comme  dans  la  représenta- 
tion d'une  pièce  nouvelle,  la  preuve  de  bonnes  relations; 
partout  en  effet  on  avait  le  droit  de  jouer  les  pièces  impri- 
mées, sans  que  la  volonté  de  l'auteur  y  fût  pour  rien.  Le 
théâtre  de  Molière  usait  de  ce  droit  en  ne  se  privant  pas, 
malgré  les  querelles,  d'ouvrages  goûtés  du  public.  Agir  au- 
trement eût  été  sacrifier  ses  intérêts  au  plaisir  d'une  mes- 
quine vengeance. 

Un  peu  plus  tôt  que  Corneille,  de  Visé  fit  sa  paix.  En 
octobre  i665,  il  porta  au  Palais-Royal  une  pièce  nouvelle. 
la  Mère  coquette.  Il  devait  bientôt  y  faire  jouer  d'autres  ou- 
vrages, la  Veuve  à  la  mode,  par  exemple,  en  mai  1667.  Il 
avait,  l'année  précédente,  donné  un  gage  du  changement  de 
ses  sentiments  dans  sa  Lettre  sur  le  Misanthrope. 

Nous  n'en  sommes  pas  encore  à  ces  réconciliations.  Mo- 
lière, qui  avait  déclaré  s'en  tenir  à  sa  victoire  de  t Impromptu 
de  Versailles  et  se  retirer  de  la  lutte,  ne  fut  pas  imité  par 
ses  adversaires  ;  ils  ne  voulurent  pas  lui  laisser  le  dei'nier 
mot.  L'Hôtel  de  Bourgogne  eut  encore  des  champions,  qui 
ne  désarmèrent  pas.  ZS'ous  trouvons  d'abord  Antoine  Jacob, 
dit  Montfleury,  fils  du  fameux  comédien  que  C Impromptu 
avait  appelé  un  roi  «  entripaillé  » ,  et  qui,  ne  se  trouvant  pas 
assez  vengé  par  la  pièce  de  son  fils,  présenta,  peu  après,  au 
roi,  l'odieuse  Requête,  dans  laquelle  il  chercha  à  désho- 
norer le  mariage  de  Molière. 

La  comédie  d'Antoine  Montfleury  est  en  vers,  d'une  hon- 
nête médiocrité,  auxquels  on  fait  bonne  mesure  de  justice 
en  les  disant  assez  faciles.  A  l'imitation  du  titre  de  la  pièce 


âge  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

ennemie,  celle-ci  voulut  se  nommer  V Impromptu  de  C Hôtel  de 
Conde'.  Pour  se  permettre  d'opposer  cet  hôtel  au  royal  Ver- 
sailles, il  fallait  y  être  autorisé  et  avoir  obtenu,  on  n'en 
saurait  douter,  une  première  représentation  chez  les  Condé. 
Qui  donc  avait  pu,  dans  cette  maison,  protéger  ainsi  un  acte 
d'hostilité  contre  Molière  ?  Non  sans  doute  le  grand  prince, 
très  favorable  à  notre  poète  ;  mais  son  fils,  le  bizarre  duc 
d'Enghien,  à  qui  déjà  Boursault,  bien  vu  d'ailleurs,  il  faut 
le  dire,  par  tous  les  Condé,  avait  dédié  le  Portrait  du 
peintre,  lui  rappelant,  dans  sonépître,  «  les  généreux  applau- 
dissements j)  dont  il  avait  honoré  son  ouvrage. 

Il  est  assez  piquant  de  trouver,  à  la  date  du  mardi  1 1  dé- 
cembre, V  Impromptu  de  Versailles  joué  aux  fêtes  du  ma- 
riage du  duc  d'Enghien  et  d'Anne  de  Bavière*,  dans  ce 
même  hôtel  de  Condé,  si  hospitalier  à  la  représentation  de 
l'autre  Impromptu,  de  celui  de  Montfleury.  Fut-ce  seulement 
une  preuve  d'impartialité  ?  On  croirait  plutôt  qu'il  plut  à 
l'illustre  père  du  marié  de  faire  prendre  à  Molière  sa  re- 
vanche dans  une  occasion  si  intéressante  pour  son  fils.  La 
réparation  était  éclatante  :  le  roi,  les  deux  reines.  Monsieur 
et  Madame  étaient  là,  entourés  d'une  cour  brillante  et  nom- 
breuse-. 

L' Impromptu  de  Montfleury,  oîi  l'on  chercherait  inutile- 
ment un  semblant  d'action,  et  qui  n'a  pas  même  un  cadre 
tant  soit  peu  comique,  n'est  qu'un  court  dialogue  devant  la 
boutique  d'une  marchande  de  livres  dans  le  Palais.  L'auteur 
ne  s'est  guère  attaché  qu'à  payer  en  même  monnaie  les  rail- 
leries sur  la  déclamation  et  le  jeu  des  Grands  comédiens.  A 
son  tour,  il  se  moque  de  la  récitation,  des  gestes,  des  gri- 
maces de  Molière  dans  la  comédie.  S'il  y  a  eu  quelque  sel 
dans  cette  caricature,  c'est  à  la  seule  condition  que  les  acteurs 
lui  aient  su  donner  quelque  ressemblance,  ce  qui  nécessaire- 
ment nous  échappe.  A  la  lecture,  il  n'y  a  pour  nous  d'un  peu 
piquant  que  le  portrait  de  Molière  jouant  des  rôles  tragi- 
ques, dans  lesquels  son  talent  d'acteur  était  le  plus  con- 

I.  Registre  de  La  Grange,  p.  60.  —  On  joua  en  même  temps 
la  Critique  de  l'Ecole  des  femmes. 

a.  La  Muse  historique,  lettre  du  i5  décenabre  i663. 


SUR  MOLIERE.  297 

testable.  Ce  portrait  a  été  pris  dans  le  rôle  de  César  de  la 
tragédie  de  Pompée,  où  il  n'avait  point  paru  depuis  plu- 
sieurs années.  Comme  Montfleury  ne  l'y  avait  sans  doute  pas 
vu,  il  est  fort  probable  qu'il  l'a  peint  de  fantaisie,  tout  au 
plus  d'après  une  tradition  et  à  l'aide  de  souvenirs  d'autres 
rôles.  Il  le  compare  aux  héi'os  de  romans  dans  les  tapisse- 
ries : 

Il  est  fait  tout  de  même  :  il  vient  le  nez  au  vent, 
Les  pieds  en  parenthèse,  et  l'épaule  en  avant. 
Sa  perruque,  qui  suit  le  côté  qu'il  avance, 
Plus  pleine  de  laurier  qu'un  jambon  de  Mayence, 
Les  mains  sur  les  côtés  d'un  air  peu  négligé, 
La  tête  sur  le  dos  comme  un  mulet  chargé, 
Les  yeux  fort  égarés,  puis  débitant  ses  rôles, 
D'un  hoquet  éternel  sépare  ses  paroles*  — 

Malgré  des  négligences  de  style,  le  morceau  est  joli;  il  a 
fait  fortune,  car  il  est  cité  partout.  Il  n'est  probablement  pas 
sans  un  peu  de  vérité.  D'autres  témoignages,  qui  ne  sont  pas 
tous  suspects  de  la  même  malveillance,  permettent  de  croire 
qu'au  milieu  des  exagérations  il  s'y  trouve  quelques  justes 
critiques.  Voici  comment  parle  La  Serre  dans  le  portrait  qu'il 
a  fait  de  Molière^  en  173  +  ,  lorsque  vivaient  encore  des  per- 
sonnes qui  avaient  entendu  parler  de  lui  par  ses  camarades  : 
«  La  nature,  qui  lui  avoit  été  si  favorable  du  côté  des  ta- 
lents de  l'esprit,  lui  avoit  refusé  ces  dons  extérieurs  si  né- 
cessaires au  théâtre,  surtout  pour  les  rôles  tragiques.  Une 
voix  sourde,  des  inflexions  dures,  une  volubilité  de  langue 
qui  précipitoit  trop  sa  déclamation,  le  rendoit,  de  ce  côté, 
fort  inférieur  aux  acteurs  de  l'Hôtel  de  Bourgogne.  II...  ne 
se  corrigea  de  cette  volubilité,  si  contraire  à  la  belle  articu- 
lation, que  par  des  efforts  continuels,  qui  lui  causèrent  un 
hoquet  qu'il  a  conservé  jusqu'à  la  mort,  et  dont  il  savait  tirer 
parti  en  certaines  occasions.  Pour  varier  ses  inflexions,  il 
mit  le  premier  en  usage  certains  tons  inusités,  qui  le  firent 

1.  V Impromptu  de  V Hôtel  de  Condé,  scène  IV. 

2.  Mémoires  sur  la   vie  et  les  ouvrages  de  Molière,  p.  lvi.  —  Ce 
portrait  a  été  reproduit  dans  le  Mercure  de  mai  1740,  p.  842. 


298  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

accuser  d'un  peu  d'affectation,  mais  auxquels  on  s'accou- 
tuma. >' 

Pi'esque  en  même  temps  que  Montfleury  s'engageait  dans 
la  lice,  de  Visé  y  rentra  avec  sa  Vengeance  des  Marquis,  que 
l'Hôtel  de  Bourgogne  s'empressa  déjouer,  l'en  jugeant  plus 
digne  que  Zélinde,  car  elle  servait  mieux  ses  colères  par  sa 
méchanceté.  Voici  pourquoi  nous  ne  parlons  de  cette  comé- 
die qu'après  avoir  parlé  de  l' Impromptu  de  V Hôtel  de  Condé : 
nous  n'avons  la  date  précise  de  la  première  représentation 
ni  de  l'une  ni  de  l'autre  pièce,  mais  il  nous  paraît  que  celle 
de  Montfleury  a  établi  sa  priorité  par  ces  vers  de  la  scène  v  : 

Avant  qu'il  soit  deux  jours  on  jouera  la  Réponse. 
Et  l'on  doit  finement  dessus  certain  chapitre — 

La  Réponse  ne  peut  être  que  la  Vengeance  des  marquis,  qui 
a  pour  premier  titre  :  Réponse  à  l' Impromptu  de  Versailles, 
et  qui  «  sur  certain  chapitre  »  plaisante  non  pas  finement, 
mais  grossièrement.  Les  deux  pièces,  réponses  l'une  et 
l'autre  à  la  récente  comédie  de  Molière,  doivent  avoir 
été  représentées  à  peu  de  jours  de  distance,  probablement 
dans  la  seconde  quinzaine  de  novembre  i663*. 

Quoique  de  Visé  ait  mis  dans  sa  seconde  attaque  beau- 
coup plus  de  fiel  que  dans  la  première,  il  a  cependant  com- 
mencé par  affecter,  suivant  son  habitude  de  vrai  Lysidas, 
une  disposition  d'esprit  impartiale.  «  Quand  le  Peintre, 
fait-il  dire  à  son  Alcipe,  dans  la  scène  11,  fait  quelque  chose 
de  bon,  je  m'y  divertis,  et  quand  on  représente  quelque 
chose  de  meilleur  à  l'Hôtel  de  Bourgogne,  je  m'y  divertis 
encore  «  ;  ce  qui  n'empêche  pas  ce  même  homme  de  qualité, 
si  exempt  de  prévention,  de  ne  plus  dire  un  mot,  après  cela, 
qui  ne  soit  un  ti'ait  de  satire  contre  Molière. 

Le  titre  de  la  Vengeance  des  Marquis  ne  convient  pas  à  la 
pièce,  et  serait  plutôt  la  Vengeance  des  comédiens,  comme 
le  dit  l'auteur  lui-même   dans  sa  Lettre  sur  les  affaires  du 

I.  La  comédie  de  Donneau  de  Visé,  à  laquelle  ou  croit  que  le 
comédien  de  Villiers  a  eu  quelque  part,  a  paru  dans  les  Diversi- 
tés galantes,  dont  l'Achevé  d'imprimer  est  du  7  décembre  i663. 
Celui  de  la  comédie  de  Montfleury  est  du  19  janvier  1664» 


SUR   MOLIERE.  299 

théâtre^.  Tout  ce  qu'il  a  fait  pour  venger  les  marquis,  c'a  été 
de  mettre  leur  éloge  dans  la  bouche  d'une  jeune  damoiselle 
de  campagne,  qui  les  trouve  bien  faits  et  bien  aimables,  bien 
mignons  et  bien  propres,  et  de  faire  paraître  dans  la  der- 
nière scène,  sottement  bouffonne,  un  valet  à  moitié  fou, 
qui  veut  se  déguiser  en  homme  de  cour,  parce  que  les  valets 
doivent  devenir  des  marquis,  depuis  que  «  le  Peintre  a  dit 
qu'il  falloit  que  les  marquis  prissent  la  place  des  valets  »  ; 
interprétation  plus  que  libre  d'un  passage  de  l' Impromptu 
de  Versaille!^-.  Il  s'agissait  bien  plutôt  de  procurer  une 
revanche  à  l'Hôtel  de  Bourgogne,  à  ses  acteurs  plaisamment 
imités  par  Molière.  De  Visé  leur  offre  la  même  occasion  que 
Montfleury  de  contrefaire  à  leur  tour  le  railleur;  et,  comme 
si  le  mot  d'ordre  était  donné,  c'est  encore  dans  la  tragédie 
de  Pompée.  Après  lui  avoir  fait  débiter  (nous  ne  savons 
pourquoi  l'on  dit  :  «;  de  profil  »)  quelques  vers  du  rôle  de 
César,  on  fait  ces  remarques  sur  son  jeu^  :  «  Examinez  bien 
cette  hanche,  c'est  quelque  chose  de  beau  à  voir.  Il  récite 
encore  quelquefois  ainsi,  en  croisant  les  bras  et  en  faisant 
un  hoquet  à  la  fin  de  chaque  vers.  >>  Il  est  ensuite  imité  lors- 
qu'il fait  l'annonce,  et  l'on  invite  à  bien  regarder  comme  il 
tient  son  chapeau.  Dans  l'imitation  les  acteurs  tragiques 
de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  les  railleries  de  Molière,  moins 
frivoles,  avaient  touché  à  une  sérieuse  question  d'art.  Si 
l'on  ne  trouvait,  dans  cette  Réponse  à  l' Impromptu  de  Ver- 
sailles, rien  de  plus  à  citer,  il  suffirait  de  dire  que  de  toutes 
ces  comédies  satiriques,  celle-ci  est  la  plus  plate  ;  mais 
nous  ne  devons  point  passer  sous  silence  ce  qu'elle  a 
d'odieux.  De  Visé  s'est  permis  la  vilaine  plaisanterie,  qui 
est  annoncée  comme  fine  dans  V Impromptu  de  ï Hôtel  de 
Condé,  celle  dont  on  soupçonne  Boursault  d'avoir  risqué  le 
premier  quelque  équivalent,  puis  d'en  avoir  eu  assez  de  honte 
pour  l'effacer.  Molière,  parlant  du  Portrait  du  peintre,  avait 
fait  dire  à  Brécourt^  :  «  Je  réponds  de  douze  marquis,  de 

1.  Page  82. 

2.  JJ Impromptu  de  Versailles,  scène  i,  p.  4oi- 

3.  La  Vengeance  des  Marquis,  scène  v. 

4-   Ce  comédien,  un  de  ceux  qui  parurent  sous  leur  nom  dans 


3oo  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

six  précieuses,  de  vingt  coquettes  et  de  trente  cocus,  qui  ne 
manqueront  pas  d'y  battre  des  mains*.  »  L'Ariste  de  la  Ven- 
geance des  marquis,  se  souvenant  que  Molière  avait  été  voir 
la  pièce  de  Boursault,  riposte  :  «  Il  a  plus  été  de  cocus  qu'il 
ne  dit  voir  le  Portrait  du  peintre  :  j'y  en  comptai  un  jour 
jusques  à  trente  et  un.  Cette  représentation  ne  manqua  pas 
d'approbateurs  :  trente  de  ces  cocus  applaudirent  fort,  et 
le  dernier  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  rire,  mais  il  n'en  avait 
pas  beaucoup  d'envie-.  «  Sans  s'expliquer  avec  la  même 
clarté  ni  se  montrer  aussi  sûrement  informé,  Montfleury 
avait  tout  au  moins  préparé  la  voie  à  la  méchanceté,  quand, 
après  avoir  dit  que  le  daubeur  allait  être  daubé  «  finement 
dessus  certain  chapitre...»,  et  s'être  arrêté  sur  ces  derniers 
mots,  il  avait  fait  répondre  à  cette  réticence  par  deux  vers 
tirés  de  l'École  des  femmes"^,  et  très  légèrement  changés  : 

Hé,  mon  Dieu!  notre  ami,  ne  te  tourmente  point. 
Bien  huppé  qui  pourra  l'attraper  sur  ce  point. 

Ce  n'est  pas  plus  innocemment  que,  dans  une  scène  précé- 
dente*, rappelant  Molière  qui,  dans  le  rôle  d'Arnolphe,  le 
doigt  sur  le  front,  dit  à  Agnès  :  «  Là!  regardez-moi  là  »,  il 
fait  remarquer  que  c'est  un  bien  bon  endroit. 

Après  de  telles  gentillesses,  qui  raillaient  grossière- 
ment, non  plus  le  comédien  ou  l'auteur,  mais  l'homme  dans 
sa  vie  privée,  il  n'y  a  pas  à  pousser  plus  loin  Ihistoire  de 
cette    guerre.  Elles  la  finissent  d'une    manière   digne   de 

r Impromptu  de  Fersailles,  y  joua  son  rôle  pour  la  dernière  fois  le 
ï6  mars  1664.  Le  lendemain  17,  il  signa  son  engagement  dans  la 
troupe  de  l'Hôtel  de  Bourgogne.  Hubert,  qui  venait  du  Marais, 
entra  à  sa  place,  et  fut  sans  doute  chargé  de  son  rôle  dans  l'Im- 
proniptii.  Cette  pièce  d'ailleurs  ne  fut  pas  jouée  au  Palais-Royal 
depuis  le  16  mars  1664,  mais  seulement  en  visite,  quatre  fois  :  au 
mois  de  septembre  1664,  chez  Monsieur,  à  Villers-Cotterets  ;  en 
octobre  1664,  à  Versailles,  pour  le  roi;  le  i"  décembre  suivant, 
chez  Colbert;  enfin  de  nouveau  à  Versailles,  en  septembre  i665. 

1.  V Impromptu  de  Versailles,  scène  v,  p.  42a. 

2.  La  Vengeance  des  Marquis,  scène  m. 

3.  Les  vers  78  et  74. 

4.  V Impromptu  de  f  Hôtel  de  Condé,  scène  m. 


SUR   MOLIERE.  3oi 

cette  ligue  de  médiocrités  envieuses,  «  rivaux  obscurcis  », 
pour  parler  comme  Boileau^  qui  croassaient  autour  d'une 
gloire  importune. 

Ces  cruautés  marquent  pour  nous  le  commencement  des 
chagrins  que  le  mariage  de  Molière  aurait  dû  lui  faire  pré- 
voir. Ce  mariage  était  trop  récent  à  la  fin  de  i66'3  pour 
qu'une  conduite  coupable  d'Armande  Béjart  ne  soit  pas,  à 
cette  date,  une  invraisemblable  invention  de  la  haine;  mais 
elle  s'était  présentée  facilement  à  l'esprit  de  ceux  qui,  sans 
s'inquiéter  de  la  vérité,  ne  cherchaient  qu'à  mordre.  Ils 
n'avaient  eu  qu'à  se  souvenir  des  prédictions  de  Chrysalde 
à  Arnolphe  : 

Comme  sur  les  maris  accusés  de  soufFrance, 

De  tout  temps  votre  langue  a  daubé  d'importance, 

Gare  qu'aux  carrefours,  on  ne  vous  tympanise-. 

Mais  en  faisant  rire  des  maris  trompés,  suivant  la  vieille 
tradition  de  nos  comédies  et  contes,  Molière  n'avait  daubé 
que  sur  des  personnages  de  fantaisie,  sans  jamais  désigner 
quelqu'un.  Il  suffisait  cependant  qu'il  eût  ridiculisé  les 
Sganarelles,  pour  que  l'idée  vînt  de  tourner  contre  lui  la 
prédiction  de  Chrysalde;  ce  n'était  certes  pas  là  une  légi- 
time application  de  la  peine  du  talion. 

Si  l'auteur  anonvme  de  la  Fameme  Comédienne  n'était  pas 
le  témoin  le  plus  indigne  de  foi,  les  comédies  de  l'Hôtel  de 
Bourgogne  n'auraient  pas  beaucoup  antidaté  les  malheurs  de 
Molière.  C'est  avant  le  mois  de  mai  1664,  date  des  Plaisirs 
de  l'île  enchantée,  que  le  libelle  donne  pour  amant  à  sa 
femme  l'abbé  de  Richelieu,  et  note  même  le  prix  dont  il 
payait  par  jour  ses  faveurs^.  Armande  se  vendant  avec  cette 
impudence,  après  moins  de  deux  ans  de  mariage,  lorsqu'elle 
portait  déjà  dans  son  sein  le  fils,  né  le  19  janvier  1664*,  et 
lorsque  Molière  était  assez   riche  pour  ne  rien  refuser  à 

1.  Epttre  VII,  vers  12. 

2.  U Ecole  des  femmes,  acte  I,  scène  i,  vers  è'j-'^i. 

3.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  la  et  i3. 

4.  Voyez  ci-dessus,  p.  269. 


3o2  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

son  luxe  même,  c'est  mettre  clans  la  calomnie  une  absurdité 
qui  la  dénonce. 

Nous  devrons  revenir  tout  à  l'heure,  à  l'occasion  de 
la  Princesse  d'Élide,  sur  cet  abbé  de  Richelieu,  au  nom 
duquel  deux  autres  ont  été  joints;  et  l'on  verra  que,  pour 
flétrir  la  femme  de  Molière,  tous  trois  ont  été  pris  au 
hasard,  avec  autant  d'ignorance  que  de  mauvaise  foi,  parmi 
ceux  des  gens  de  la  cour  les  plus  fameux  par  leurs  galantes 
aventures.  Ces  fables  écartées  avec  mépris,  nous  ne  refuse- 
rons pas  de  croire  que  la  jeune  comédienne  tarda  peu  à  se 
montrer  coquette.  Elle  était  avide  d'amoureux  hommages 
et  de  plaisirs  ;  et  il  semble  que  Molière  s'en  doutait  un  peu 
lorsqu'il  l'épousa.  Sans  cette  connaissance  de  son  carac- 
tère, aurait-il  pris  soin  de  la  rassurer,  dans  l'École  des 
maris,  sur  les  libertés  qu'il  croyait  sage  à  un  mari  de 
permettre,  sur  les  «  mouches  et  rubans  »,  sur  les  permis- 
sions de  courir  les  bals,  et  même  de  recevoir  des  «  visites 
muguettes^  »  ?  Moins  tôt  venu  qu'on  ne  s'est  plu  à  le  dire, 
le  moment  toutefois  où  la  méthode,  très  exagérée  pour  le 
moins,  de  son  Ariste,  eut  pour  lui  un  malheureux  succès, 
ne  devait  pas  se  faire  beaucoup  attendre.  Le  trouvant  en- 
core trop  lent  à  venir,  les  ennemis,  nous  venons  de  le  voir, 
se  hâtèrent  de  faire  croire  qu'il  était  arrivé. 

Lorsque  Molière  avertissait  la  meute  aboyante  qu'il  avait 
mieux  à  faire  que  de  lui  faire  tête,  on  ne  pouvait  le  soup- 
çonner de  reculer  devant  la  lutte.  S'il  était  décidé  à  ne 
pas  la  continuer,  c'est  qu'il  était  assuré  d'avoir  porté  aux 
Zoïles  de  trop  rudes  coups  pour  que  toutes  leurs  méchan- 
cetés ne  fussent  pas  désormais  ridiculement  impuissantes. 
On  allait  avoir  la  preuve  qu'il  avait  réellement,  ainsi  qu'il 
l'avait  dit,  à  employer  son  temps  à  tout  autre  chose  qu'à 
achever  des  gens  à  terre.  Si  les  premiers  ouvrages  qui 
suivirent  V Impromptu  de  Versailles ,  petites  pièces  rapide- 
ment écrites  pour  les  divertissements  de  la  cour,  ne  le 
montrent  pas  occupé  de  soins  importants,  il  n'en  est  pas 
de  même  du  chef-d'œuvre  qu'il  fit  éclater  presque  en  même 
temps,  ainsi  que  nous  le  verrons  tout  à  l'heure. 

I.  Acte  I,  scène  ii,  vers  aaa-aaS. 


SUR   MOLIERE.  3o3 

Toujours  obéir  aux  ordres  du  roi  était  une  nécessité,  un 
peu  gênante  sans  doute,  mais  qui  dut  être  acceptée  sans  re- 
gret. Plus  la  haine  tentait  do  semer  des  obstacles  sur  la 
route  du  poète,  plus  il  avait  besoin  d'être  défendu  par  la 
haute  faveur,  qui  lui  offrait  de  brillantes  occasions  d'y  ac- 
quérir de  nouveaux  titres  et  de  la  rendre  manifeste. 

Le  2g  janvier  1664,  il  fit  représenter  au  Louvre,  devant 
le  roi,  dans  l'appartement  bas  de  la  reine,  une  comédie- 
ballet,  qui  y  fut  reprise  le  surlendemain.  C'était  le  Mariage 
forcé.  Le  ballet,  dans  lequel  le  roi  figurait  en  Egyptien, 
était  du  président  de  Périgny,  la  musique  de  LuUi.  Lors- 
qu'il fut  permis  à  Loret  de  voir  au  Louvre  la  seconde  des 
représentations,  celle  du  3i  janvier,  la  comédie  de  Molière 
lui  parut  <c  un  exquis  divertissement  «.  Il  la  nomme  un  im- 
promptu. Elle  n'était  certainement  pas  autre  chose.  Voltaire 
y  trouvait  plus  de  bouffonnerie  que  d'art  et  d'agrément. 
C'est  un  peu  trop  de  dédain.  Molière,  si  pressé  qu'il  fût, 
étant  toujours  Molière,  la  main  du  maître  se  reconnaît, 
dans  deux  scènes  surtout  du  léger  ouvrage,  un  de  ceux 
probablement  dont  il  gardait  depuis  longtemps  le  canevas 
dans  son  cabinet,  et  qu'il  n'avait  plus  alors  qu'à  refaire 
avec  son  art  plus  expérimenté.  Très  dignes  de  lui  et, 
comme  nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  le  dire,  du  savoir 
philosophique  dont  il  avait  fait  provision  chez  Gassendi, 
sont  le  docteur  aristotélicien  Pancrace  et  le  docteur  pyr- 
rhonien  Marphurius,  pédants  qui  n'étaient  pas  nouveaux  au 
théâtre,  mais  dont  il  a  rajeuni  et  caractérisé,  comme  on  ne 
l'avait  jamais  fait,  les  figures,  en  mêlant  tant  de  vérité  aux 
exagérations  des  anciennes  farces. 

Joué  chez  Madame,  le  4  et  le  9  février,  le  Mariage  force' 
parut  pour  la  première  fois,  le  i3  du  même  mois,  sur  le 
théâtre  du  Palais -Royal,  «  avec  le  ballet  et  les  orne- 
ments ».  La  douzième  représentation  fut  la  dernière,  les 
frais  étant  trop  onéreux. 

Le  roi,  fort  en  goût  des  fêtes,  ne  tarda  pas  à  mettre  de 
nouveau  à  contribution  le  zèle,  toujours  prêt,  de  Molière. 
Ce  fut  pour  les  fêtes  données  à  Versailles  au  mois  de  mai 
1664,  et  connues  sous  le  nom  de  Plaisirs  de  l'île  enc/iantée. 
Elles  ont  une  célébrité  que  l'on  peut  dire  historique.  Vol- 


3o4  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

taire  a  jugé  que  leur  souvenir  méritait  une  place  dans  son 
Siècle  de  Louis  XIV  ^,  où  il  les  vante  comme  très  supé- 
rieures à  celles  qu'on  invente  dans  les  romans.  Ainsi  qu'il 
le  dit,  l'intention  du  roi  était  de  donner  le  spectacle  de 
ces  enchantements  à  la  jeune  fille  de  la  maison  de  Madame 
qu'il  aimait  passionnément,  Mlle  de  la  Vallière  :  «  La  fête 
était  pour  elle  seule;  elle  en  jouissait  confondue  dans  la 
foule.  »  Ce  n'était  un  secret  pour  personne,  bien  que  le 
prétexte  fût  de  déployer  ces  magnificences  pour  les  reines. 
Nous  ne  sortons  pas  de  notre  sujet  en  rappelant,  d'après 
Voltaire,  quel  fut  le  caractère  de  ces  galantes  journées  de 
l'Ile  enchante'e,  auxquelles  Molière  fut  appelé  à  prendre  une 
très  grande  part. 

Sa  troupe  était  partie  pour  Versailles  le  3o  a\'ril,  et  y  sé- 
journa jusqu'au  22  mai"^  Elle  figura  dans  plusieurs  des  di- 
vertissements. La  première  journée  vit  Mlle  du  Parc  sur  un 
cheval  d'Espagne  représenter  le  Printemps,  et,  dit  Loret^, 
charmer  tout  Versailles.  Mlle  Molière  aussi  y  avait  brillé 
dans  le  personnage  du  Siècle  d'or.  Elle  reparut,  dans  la  troi- 
sième journée,  comme  une  des  Nymphes  de  la  suite  d'Al- 
cine.  Sans  elle,  nous  n'aurions  pas  eu  à  entrer  dans  de  si 
petits  détails,  qui  seraient  de  trop  ici,  s'ils  ne  nous  mon- 
traient le  danger  que  courait  Molière  en  laissant  sa  jeune 
et  très  coquette  femme  exposée  à  l'admiration  peu  discrète 
des  courtisans.  Ce  danger,  sur  lequel  on  dit  qu'il  ouvrit 
alors  les  yeux,  fut  pour  lui  le  point  noir  au  milieu  de  l'éclat 
que  par  ses  comédies  il  jeta  sur  ces  fêtes.  Ses  regrets  étaient 
tardifs  ;  il  se  les  était  inévitablement  préparés  en  épousant 
une  femme  dont  il  est  évident  que  l'on  avait  pensé  de  bonne 
heure  à  faire  une  comédienne  ;  et  si  ce  fut  à  Versailles  que 
pour  la  première  fois  son  bonheur  lui  parut  menacé,  il  était 
aisé  à  prévoir  que  sur  n'importe  quelle  scène  sa  femme,  un 
jour  ou  l'autre,  inspirerait  la  fantaisie  de  le  troubler.  Pour 
un  homme  qui  cherchait  honnêtement  dans  le  mariage  la 
parfaite  union  de  deux  existences,  il  avait  été  singulière- 

1 .  Au  chapitre  xxv. 

2.  Registre  de  La  Grange,  p.  65. 

3.  Lettre  du  lo  mai  1664. 


SUR  MOLIERE  3o3 

ment  imprudent,  et  lorsqu'il  avait  voulu  s'aveugler  sur  l'in- 
convénient des  âges  disproportionnés,  sur  le   caractère  de 
sa  pupille,  après  avoir  eu  tout  le   temps  de  l'observer,  et 
lorsqu'il  avait  pris  femme  dans  une  famille  dont  il  ne  con- 
naissait que  trop  les  fâcheux  exemples,  surtout  enfin  lors- 
qu'il l'avait  destinée  au  théâtre  ;  car  l'y  faire  monter  était 
une   résolution  arrêtée  le  jour  tout   au  moins   où  il   avait 
demandé  pour  elle  une  des  parts  d'acteurs.  C'était  là  sans 
doute  une  fatalité  de  sa  vie  de  comédien  et  de  son  amour 
de  sa  profession,  à  laquelle  il  était  attaché  par  trop  de  liens 
pour  songer  à  les  rompre.  Ainsi  engagé,  il  ne  lui  était  guère 
possible  de   se   marier  hors  d'un  monde   qui   seul  était  le 
sien.  Il  avait  donc  fallu  y  choisir  la  compagne  de  sa  vie. 
Ne  pouvait-il  cependant,  pour  la  détourner  d'entrer  dans  sa 
troupe,   user  de  l'autorité   que  devait  avoir  sur  elle  celui 
qui  l'avait  élevée?  Mais  outre  une  complaisance  peut-être 
que,  dans  la  faiblesse  de  son  affection,  il  eut  pour  des  goûts 
qu'elle  avait  naturellement  pris  dans  sa  famille  et  près  de 
lui-même,  il  dut  lui  sembler  qu'il  ne  rendrait  pas  tout  com- 
mun entre  eux,  s'il  la  laissait  étrangère   à  l'art   auquel  il 
s'était  entièrement  consacré,  et  qu'il  avait  fait  inséparable 
de  ses  plus  glorieux  travaux.  Tout  cela  se  comprend,  mais 
le  vouait  presque  infailliblement  au  supplice  de  ne  pouvoir 
jamais  fixer  chez   lui   le  respectable  bonheur  dont  il  était 
digne,  ni  le  repos  réclamé  par  ses  fatigues. 

Voici  quelle  fut  la  journée  des  fêtes  royales  où  l'on  veut 
qu'il  ait  entrevu  les  épreuves  qui  lui  étaient  réservées. 

Ce  fut  la  seconde,  celle  du  8  mai^.  A  huit  heures  du  soir, 
on  y  représenta  la  Princesse  d Èlide,  dont  le  sujet  était  em- 
prunté à  une  comédie  espagnole  de  Moreto.  Il  avait  dû  se 
hâter,  afin  que  le  roi  ne  faillît  pas  attendre.  La  pièce  ce- 
pendant avait  été  commencée  en  vers,  avec  l'espérance  de 
la  pouvoir  achever;  mais  le  temps  manqua;  et  lorsque  les 
vers  du  premier  acte  et  une  quarantaine  de  la  scène  pre- 
mière du  second  étaient  faits,  un  commandement  du  roi 
pressa  le  travail;  force  fut,  pour  finir  vite,  de  faire  changer 

1.   C'est  la  vraie  date.  L'édition  de  1682  la  donne.  Le  Registre 
de  La  Grange  donne  à  tort  celle  du  6  mai,  ajoutée  en  interligne. 
MoLlÈKE,    X  ao 


3oG  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

de  ton  et  de  couleur  au  dialogue,  continué  en  prose.  Il  est 
resté  en  cet  état,  Molière  sentant  bien  que  sa  comédie  ap- 
partenait au  roi  telle  qu'il  la  lui  avait  fait  entendre  à  Ver- 
sailles, et  n'ayant  pas  d'ailleurs  songé  cette  fois  à  travailler 
pour  la  gloire.  Malgré  tout,  son  léger  ouvrage  n'était  pas 
sans  agrément,  et  il  y  avait  mis  une  galanterie  qui  ne  put 
manquer  de  plaire.  Dès  la  ])remière  scène,  le  gouverneur 
du  prince,  héros  de  la  pièce,  donne  à  son  élève,  épris  de 
la  princesse  d'Elide,  les  encouragements  les  plus  assurés 
d'être  bien  reçus,  et  qui  n'allaient  pas  seulement  à  l'adresse 
de  l'amoureux  Euryale  : 

Je  dirai  que  l'amour  sied  bien  à  vos  pareils, 

Que  ce  tribut  qu'on  rend  aux  traits  d'un  beau  visage 

De  la  beauté  d'une  âme  est  un  clair  témoignage, 

Et  qu'il  est  malaisé  que  sans  être  amoureux 

Un  jeune  prince  soit  et  grand  et  généreux, 

et  autres  variations  sur  ce  joli  thème.  Pour  être  juste,  il 
faut  se  souvenir  que,  dans  une  œuvre  autrement  grave,  le 
gouverneur  du  chaste  Hippolyte  lui  conseille  d'essayer  si 
l'amour  n'a  pas  quelque  douceur,  et  de  ne  pas  toujours 
écouter  un  farouche  scrupule'.  C'était  donc  le  goût  du 
temps,  et  si  Racine  l'a  flatté,  il  ne  peut  être  soupçonné  d'un 
autre  genre  de  flatterie  dans  sa  ti^agédie  de  167^.  Une  co- 
médie n'était  pas  tenue  à  plus  de  sévérité  que  la  moins  éloi- 
gnée de  l'esprit  chrétien  entre  toutes  nos  tragédies  profanes. 
Mais  nous  ne  voudrions  pas  plaider  l'innocence  de  Molière. 
On  savait  Louis  XIV  amoureux  et,  comme  le  dit  Voltaire, 
«  parmi  tous  les  regards  attachés  sur  lui,  ne  distinguant  que 
ceux  de  Mlle  de  la  Vallière  «.  Les  vers  qui  louent  la  ten- 
dresse de  cœur  comme  «  une  grande  marque  »  chez  un 
souverain,  avaient  donc  un  à-propos  plus  adroit  que  digne 
d'approbation.  Molière,  qui  joua  dans  la  pièce  le  rôle  de 
Moron,  ce  plaisant,  qui  sert  avec  grand  zèle  et  beaucoup 
d'esprit  la  passion  du  prince  d'Ithaque,  risquait  de  faire 
dire  qu'il  n'était  pas  sans  ressemblance  avec  son  person- 
nage. Ce  qui  seul  laisserait,  jusqu'à  un  certain  point,  hésiter 

I.   Phèdre^  vers  iig-iaS. 


SUR   MOLIÈRE.  807 

sur  un  jugement  sévère,  c'est  que  presque  tout  le  grand 
siècle  s'est  rendu  coupable  d'indulgence  pour  les  amours 
privilégiées  du  monarque  olympien. 

Que  Molière  ait  eu  des  raisons  de  se  demander  si  les 
fêtes,  dans  l'esprit  desquelles  il  n'était  que  troi)  bien  entré, 
n'avaient  pas  été  plus  galantes  qu'il  n'eût  souhaité,  et  que 
le  succès  trop  vif  de  sa  femme  l'ait  inquiété,  rien  de  plus 
vraisemblable;  mais  on  ne  s'est  pas  contenté  de  nous  ap- 
prendre que  Mlle  Molière,  dans  ces  journées  de  l'Ile  en- 
chantée, avait  enflammé  maint  cœur,  sans  en  marquer  assez 
de  déplaisir;  nous  avons  déjà  dit  un  mot  d'une  tradition 
qui,  sortie  du  pamphlet  de  la  Fameuse  Comédienne ,  l'accuse 
bien  plus  gravement,  et  ne  lui  donne  pas,  à  ce  moment-là, 
moins  de  trois  amants.  Bazin  a  fait  remarquer'  que  le  libel- 
liste  a  fabriqué  son  conte  avec  tant  de  légèreté  qu'il  a  placé 
les  célèbres  divertissements,  non  à  Versailles,  mais  à  Cham- 
bord,  et  n'a  pas  pris  garde  que  des  trois  amants  nommés 
par  lui,  Lauzun,  Guiche  et  l'abbé  de  Richelieu,  les  deux 
derniers  étaient  hors  de  France  quand  furent  données  les 
fêtes  royales  de  mai  166',. 

Ceux  qui  ont  contesté  l'exactitude  de  ces  alibi  ont  été 
réfutés  par  la  citation  de  dates  certaines-.  L'abbé,  comte 
de  Richelieu,  était  parti  au  mois  de  mars  16G',  pour  guer- 
royer contre  les  Turcs,  dans  le  corps  auxiliaire  envoyé  à 
l'empereur  par  Louis  XIV.  Il  se  distingua  à  la  bataille  de 
Saint-Gothard,  livrée  le  i"  août;  et,  la  guerre  terminée, 
il  alla  offrir  ses  services  à  Venise,  où  il  mourut  le  9  janvier 
i665.  Guiche  était  en  Pologne  depuis  la  fin  de  iG63,  et  ne 
saurait  en  être  revenu  le  8  mai  i66'i,  jour  où  la  Princesse 
cCÉlide  fut  jouée  à  Versailles,  puisque  son  arrivée  à  Var- 
sovie est  constatée  à  la  date  du  2  mai.  Mais,  a-t-on  dit, 
on  le  trouve  du  moins  à  Fontainebleau,  quand  on  y  repré- 
senta quatre  fois  la  même  comédie,  devant  le  légat,  entre 


1.  Isoles  historiques  sur  la  vie  de  Molière,  p.  ()6. 

2.  Dans  un  article  inséré  le  24  m^i  1879,  au  journal  le  Gaulois, 
sous  ce  titre  :  Madame  Molière.  Il  est  de  M.  Auguste  Vitu.  Nous 
ne  pouvions  faire  mieux  que  de  nous  laisser  guider  par  ses  re- 
cherches. 


3o8  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

le  21  juillet  et  le  i3  août  i66',*.  C'est  en  effet  de  ce  séjour 
de  la  cour  à  Fontainebleau  que  parle  sans  doute  Mme  de  la 
Fayette*,  lorsqu'elle  nous  montre  la  jeune  belle-sœur  du 
roi  et  le  comte  de  Guiche  dansant  dans  une  môme  entrée 
du  ballet  «  le  plus  agréable  qui  ait  jamais  été  ».  Qu'est-ce 
à  dire  cependant?  Nous  voyons,  dans  ce  récit,  Guiche  si 
passionnément  empressé  auprès  de  Madame  que  ce  pour* 
rait  bien  être  un  autre  genre  d'alibi  à  faire  valoir  pour 
l'écarter,  lui  aussi,  de  notre  chemin.  Au  reste  le  pamphlet 
lui  attribue  beaucoup  d'indifférence  pour  la  comédienne;  et, 
à  l'en  croire,  c'était  elle  qui  était  folle  de  lui,  et  lui  écri- 
vait un  tendre  billet,  dans  le  temps  même  où,  découragée 
par  ses  froideurs,  elle  s'était  jetée  dans  les  bras  de  Lauzun. 
Après  les  autres  mensonges,  celui-ci  ne  nous  trouvera  pas 
crédule.  Dans  ce  tissu  de  méchancetés,  si  maladroitement 
brodé,  le  très  mince  fond  de  vérité  que  l'on  pourrait  trou- 
ver est  l'éveil  donné  par  les  représentations  de  la  Princesse 
cTÉlide  aux  instincts  de  coquetterie  de  Mlle  Molière,  et  l'on 
risque  peu  de  se  tromper  en  datant  de  ce  moment-là  les 
inquiétudes  jalouses  de  son  mari.  Au  dire  de  Grimarest^, 
les  galants  commencèrent  de  très  bonne  heure  à  la  pour- 
suivre de  leurs  cajoleries.  S'il  restait  quelques  doutes,  ce 
serait  seulement  sur  le  jour  où  les  chagrins  de  Molière 
commencèrent  :  il  est  trop  certain  que  son  ménage  ne  fut 
pas  heureux,  et  que  dans  ses  peines,  bien  connues  des 
contemporains,  tout  ne  peut  pas  avoir  été  imaginé. 

Si  la  tradition  n'avait  pas  rendu  fameuses  les  représenta- 
tions à  la  cour  de  la  Princesse  d' Elide  en  y  plaçant  les  pre- 
miers symptômes  d'un  grand  trouble  dans  le  ménage  de 
Molière,  cette  comédie,  improvisée  par  ordre  et  dont  une 
partie  est  restée  à  l'état  d'ébauche,  serait,  parmi  ses  ou- 
vrages, un  de  ceux  dont  il  aurait  fallu  parler  le  plus  briève- 
ment, se  contentant  de  dire  que  vingt-cinq  représentations 
en  furent  données  à  la  ville,  et  qu'elle  y  fut  jouée  pour  la 


1.  Registre  de  La  Grange,  p.  66. 

2.  Hiitoire  de  Madame  Henriette  d^ Angleterre  (édition  in-ia  d'Am- 
sterdam, 1743)»  P-  61  et  6a. 

3.  La  fie  de  31.  de  Molière,  p,  68. 


SUR   MOLIERE.  Soq 

première  fois  le  9  novembre  1664,  puis,  sans  interruption, 
jusqu'au  4  janvier  i665.  La  musique  et  la  danse  l'avaient 
soutenue.  Par  la  suite,  elle  ne  fut  pas  reprise  du  vivant  de 
l'auteur. 

Ce  n'est  pas  elle  qui  va  nous  retenir  dans  le  récit  des 
brillantes  journées  de  mai  1664,  c'est  une  œuvre  d'une  va- 
leur tout  autre,  c'est  un  des  plus  mémorables  événements 
littéraires,  qui  s'est  glissé,  on  aurait  pu  croire  subreptice- 
ment, au  milieu  des  divertissements  de  la  cour  galante. 
Voici  comment  l'annonce  le  Registre  de  La  Grange,  dans 
rénumération  des  pièces  représentées  à  Versailles  pendant 
les  trois  jours  des  fêtes  de  mai  :  «  La  Princesse  d'Elide  fit 
une  journée.  —  Plus  les  Fâcheux,  [/e]  Mariage  force'.  —  Et 
trois  actes  du  Tartuffe,  qui  étoient  les  trois  premiers'.  « 
Voltaire,  dans  le  chapitre  déjà  cité  du  Siècle  de  Louis  XIV , 
où  il  donne  une  si  haute  idée  des  Plaisirs  de  l'Ile  enchante'e. 
a  très  bien  dit  :  «  Ce  qu'il  y  eut  de  véritablement  admirable, 
ce  fut  la  première  représentation  des  trois  premiers  actes 
du  Tartuffe.  Le  Roi  voulut  voir  ce  chef-d'œuvre  avant  même 

qu'il  fût  achevé La  plupart  de  ces  solennités  brillantes  ne 

sont  souvent  que  pour  les  yeux  et  les  oreilles.  Ce  qui  n'est 
que  pompe  et  magnificence  passe  en  un  jour;  mais  quand 
des  chefs-d'œuvre  de  l'art,  comme  le  Tartuffe,  font  l'orne- 
ment de  ces  fêtes,  elles  laissent  après  elles  une  éternelle 
mémoire.  « 

Si,  dans  l'immortelle  comédie,  on  ne  voulait  voir  que  la 
question  d'art,  ce  serait  assez  pour  proclamer  très  grand 
le  premier  jour  où  se  révéla  une  partie  de  ses  beautés. 
Quoique  pour  tous,  même  pour  ses  ennemis,  Molière,  avant 
son  Tartuffe,  fût  déjà  «  le  Peintre  5-,  il  n'avait  pas  encore 
dessiné  un  portrait  aussi  merveilleusement  achevé,  poussé 
aussi  loin  une  j)rofonde  et  dramaticjue  étude  de  caractère. 
Il  n'a  même  produit,  sous  ce  rapport,  rien  d'égal  dans  les 
œuvres  qui  ont  suivi,  et  parmi  lesquelles,  s'il  est  certain  que 
l'on  en  trouve  à  citer  de  non  moins  admirables,  c'est  pour 
d'autres  mérites. 

Mais  Tartuffe  ne  marque  pas  seulement  une  des  plus  cé- 

I.   Registre  de  La  Grange,  p.  65. 


3io  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

lèbres  dates  dans  les  annales  de  notre  littérature  théâ- 
trale :  par  sa  hardiesse,  qui  dépassait  de  beaucoup  tout  ce 
que  Molière  avait  osé  jusque-là,  il  fait  époque  dans  l'histoire 
de  sa  vie,  dans  celle  même  du  règne. 

En  s'attaquant  à  l'hypocrisie  de  dévotion,  Molière,  averti 
déjà  par  les  colères  qu'avait  provoquées  une  de  ses  comé- 
dies précédentes,  prévoyait  certainement  les  fureurs  puis- 
santes qu'il  allait  soulever,  et  qui  s'efforceraient  de  lui  faire 
perdre  la  faveur  et  la  protection  du  roi.  Sur  quels  brûlants 
charbons  il  marchait,  il  le  savait  trop  pour  se  faire  l'illusion 
que  la  vraie  piété  ne  se  sentirait  pas  elle-même  offensée  ;  car, 
il  ne  faut  pas  le  nier,  les  railleries  du  théâtre  ne  peuvent 
guère  frapper  si  rudement  le  masque  sans  atteindre  de  quel- 
ques coups  le  visage.  Si  l'auteur  avait  dit  aux  dévots  :  «  ce 
n'est  que  le  bout  du  bâton  qui  a  été  jusque  sur  vos  épau- 
les »,  il  aurait  été  naturel  qu'ils  répondissent  à  son  excuse, 
comme  Géronte  à  celle  de  Scapin  :  «  Tu  devois  donc  te  re- 
tirer un  peu  plus  loin,  pour  m'épargner'.  »  Nous  ne  croyons 
pas  qu'il  eût  été  facile  à  Molière,  dans  le  sujet  qu'il  avait 
choisi,  de  frapper  avec  tant  de  précaution,  et  de  ne  laisser  à 
quelques-unes  des  grimaces  de  Tartuffe  aucune  ressemblance 
avec  les  pratiques  du  zèle  sincère.  On  ne  touche  pas  à  de 
faux  semblants  sans  que  le  blâme  paraisse  bien  près  des 
excellentes  choses  qu'ils  contrefont.  Personne,  il  est  vrai, 
n'oserait  se  plaindre  de  ce  qui  a  été  écrit  contre  «  les 
hypocrites  qui  aiment  à  se  tenir  debout,  en  priant  dans  les 
synagogues  et  aux  coins  des  rues-  ».  Mais  un  auteur  co- 
mique, dont  la  mission  n'est  pas  de  prêcher,  et  qui  ne  se 
sert,  pour  combattre  le  vice,  que  de  l'arme  peu  évangélique 
du  ridicule,  s'expose  au  soupçon  de  ne  l'avoir  pas  voulu 
tourner  contre  les  seuls  pharisiens.  Il  est  peu  croyable  que 
Molière  ne  s'en  soit  pas  rendu  compte. 

C'est  ici  le  lieu  de  répéter  ce  que  nous  avons  déjà  dit, 
que  rien  dans  ce  que  nous  savons  de  lui  n'autorise  à  le 
taxer  d'impiété  et  à  lui  imputer  un  dessein  formé  de  faire  la 

1.  Les  Fourberies  de  Scapin,  acte  III,  scène  ii,  tome  VIII, 
p.  495. 

2.  Saint  Mathieu,  chapitre  vi.  verset  5. 


SUR   MOLIERE.  3ii 

guerre  aux  croyances  chrétiennes.  Toutefois,  son  éducation 
philosophique,  ses  liaisons  avec  des  hommes  qui  passaient 
pour  incrédules,  ne  jjermetlaient  guère  de  douter  qu'il  ne 
fût  du  moins  un  esprit  très  lihre.  On  lui  savait  d'ailleurs  de 
la  rancune  contre  la  dévotion,  étant  un  de  ces  comédiens 
que  les  rigoristes  tenaient  alors  pour  des  réprouvés.  Per- 
sonnellement, il  avait  eu  à  se  plaindre  du  zèle  pieux  de  son 
ancien  protecteur,  le  prince  de  Conti,  et  des  entours  de  ce 
converti.  Les  dévots  s'étaient  déchaînés  contre  lui  à  l'occa- 
sion de  quelques  hardiesses  de  son  École  des  femmes.  A  plu- 
sieurs des  attaques  que  nous  avons  vues  dirigées  de  bien  des 
côtés  contre  cette  pièce,  l'hypocrisie  avait  pris  part.  Mo- 
lière regarda  dès  lors  ce  vice  comme  son  particulier  en- 
nemi, et  se  promit  de  ne  pas  le  laisser  impuni. 

Est-il  nécessaire,  dira-t-on,  d'expliquer  ainsi  son  entre- 
prise, lorsqu'il  put  avoir  simplement  jugé  très  heureux 
pour  être  mis  sur  la  scène  un  sujet  agréablement  traité 
déjà  dans  des  Nouvelles,  qui  n'avaient  point  paru  de  dan- 
gereux complots?  Personne  n'ignore  qu'il  a  imité  les  Hypo- 
crites de  Scarron,  imprimés  en  i6jj,  peut-être  plus  di- 
rectement la  Fille  de  Ce'lestine  [la  Hjja  de  Celestina]  de 
Barbadillo',  d'où  Scarron  avait  tiré  ses  Hypocrites.  On  a 
récemment  découvert  que  Molière  avait  aussi  puisé  assez 
abondamment  dans  le  roman  de  Polyandre  ^1648),  attribué  à 
Charles  Sorel -.  Ces  imitations,  comme  toutes  celles  qu'on 
a  relevées  dans  ses  autres  pièces,  ne  sauraient  faire  de  ce 
génie  original  un  plagiaire  ;  mais  ce  qu'on  doit  surtout  remar- 
quer ici,  c'est  que  les  satires  de  riiy|)ocrisie  qui  ont  fourni 

1.  M.  Eugène  de  Roberville,  sous  le  pseudonyme  de  P.  d'A- 
glosse,  a  pul)Ué  en  i888  une  brochure  intitulée  :  Molière,  Scarron 
et  Barbadillo,  dans  laquelle  il  a  traduit  le  fragment  de  la  nouvelle 
espagnole,  dont  beaucoup  de  traits  en  rappellent  de  tout  sem- 
blables dans  Tartuffe.  Il  dit  avec  raison  que  [Molière  était  familier 
avec  la  langue  espagnole,  et  l'a  plus  d'une  fois  prouvé,  notam- 
ment dans  la  Princesse  d'Élide  et  dans  le  Festin  de  Pierre. 

2.  Voyez,  dans  le  Molicriste  de  juillet  et  d'août  1888,  deux 
articles  de  M.  Georges  Monval,  qui  s'est  le  premier  avisé  de  cette 
source.  Les  rapprochements  qu'il  a  faits  entre  Polvandre  et  Tar- 
tuffe sont  frappants. 


3ia  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

quelques  traits  à  son  Tartuffe  étaient  comme  perdues  dans 
ces  légers  ouvrages  dont  elles  n'avaient  pas  été  le  dessein 
principal.  Il  était  au  contraire  difficile  de  ne  pas  recon- 
naître que  Molière  avait  voulu  faire  de  sa  comédie  une  ma- 
chine de  guerre. 

Il  ne  se  dissimulait  pas  que  la  place  attaquée  serait  trouvée 
en  défense  et  toute  prête  à  lui  opposer  des  forces  redou- 
tables; mais  il  avait  des  raisons  d'espérer  que  le  coup  d'au- 
dace par  lequel  il  allait  exciter  de  si  grosses  tempêtes 
n'était  pas  pour  déplaire  au  roi.  Les  passions  du  jeune  souve- 
rain, dans  toute  leur  effervescence  en  ce  temps-là,  souffraient 
impatiemment  tout  ce  qui  prétendait  les  gêner.  Louis  XIV, 
toutefois,  s'il  était  alors  très  loin  du  zèle  religieux  que  plus 
tard  il  devait  si  peu  modérer,  était  le  roi  très  chrétien, 
gardait  au  fond  du  cœur  le  respect  de  la  religion,  et  com- 
prenait d'ailleurs  le  devoir  de  ne  pas  laisser  dans  l'Etat 
affaiblir  ce  respect.  On  comprend  donc  facilement  et  qu'il 
n'ait  pas  tout  d'abord  désapprouvé  le  Tartuffe,  et  que 
bientôt  il  ait  craint  de  le  trop  soutenir,  après  avoir  entendu 
tant  de  voix  en  dénoncer  le  danger.  Ainsi  devint  inévitable 
la  longue  lutte  où  Molière  se  trouva  engagé.  Elle  eut  bien 
des  péripéties  depuis  les  fêtes  de  Versailles  jusqu'au  jour 
qui  vit  son  opiniâtreté  courageuse  faire  prendre  victorieu- 
sement possession  de  la  scène  au  chef-d'œuvre  proscrit. 

Il  est  invraisemblable  que  la  représentation  du  12  mai 
1664  ait  été  une  surprise,  et  que,  si  le  roi  ne  connaissait 
point  la  pièce  par  une  lecture,  on  ne  lui  en  eût  pas  du 
moins  soumis  le  sujet.  Lorsqu'il  permit  de  la  représenter, 
elle  était  inachevée,  ce  qui  aurait  pu  paraître  trahir  chez 
l'auteur  le  dessein  d'abuser  de  la  circonstance  saisie  à  la 
hâte,  s'il  n'avait  pas  fallu  donner  à  la  fête,  qui  ne  devait 
pas  attendre,  tout  ce  qu'on  avait  de  prêt.  Plus  de  la  moitié 
des  vers  de  la  Princesse  d'Élide  restés  au  bout  de  la  plume 
expliquent  suffisamment  le  Tartuffe  s'arrêtant  au  milieu  de 
l'action.  Il  est  probable  que  Molière  ne  fut  pas  fâché  de 
faire  désirer  la  suite,  et  de  profiter  d'une  si  naturelle  occa- 
soin  de  tâter  le  terrain. 

Dans  la  Relation  des  Plaisirs  de  t Ile  enchantée  [dernières 
fournees\  il  est  dit  que  la  pièce  fut  «  trouvée  fort   diver- 


SUR   MOLIERE.  3i3 

tissante'  »  ;  et  Molière,  dans  sa  Préface,  qui  est  de  1669, 
oppose  aux  diatribes  de  ses  ennemis  «  le  jugement  du  Roi  et 
de  la  Reine,  qui  l'ont  vue*  ».  Il  ne  l'eût  point  osé  faire,  s'il 
n'eût  pas  reçu  des  marques  de  cette  haute  approbation. 
Nous  tenons  ainsi  de  lui-même  ce  que  nous  avions  de  plus 
intéressant  à  connaître  delà  soirée  du  12  mai  1664.  U  n'en 
est  pas  moins  regrettable  de  n'avoir  rien  appris  de  plus  sur 
cette  fameuse  représentation;  mais  tout  le  monde,  voyant 
s'amasser  tout  à  coup  des  nuages  menaçants,  jugea  prudent 
de  rester  bouche  cousue,  et  de  se  faire,  comme  disait  alors 
Lorét,  «  disciple  de  Pythagoras^  ». 

Ce  silence  discret  fait  comprendre  que  nous  n'ayons  pu 
savoir  par  aucune  relation  semblable  à  celle  de  166^^  en 
quel  état  furent  joués,  dans  les  fêtes,  les  trois  jiremiers  actes 
du  Tartuffe.  C'est  de  quoi  l'on  ne  prend  pas  facilement  son 
parti. 

Il  est  fâcheux  aussi,  quoique  beaucoup  moins,  d'être 
privé  d'informations  tout  à  fait  certaines  sur  la  distribution 
des  rôles.  On  a  cru  qu'elle  ne  pouvait  être  l'objet  de 
doutes^,  les  acteurs  qui  jouèrent  la  pièce  en  1667  faisant 
déjà  partie  de  la  troupe  en  1664.  La  vraisemblance  en  effet 
s'oflVe  d'abord  à  l'esprit  que  ce  sont  bien  les  mêmes  qui,  à 
Versailles,  ont  créé  les  rôles.  On  ne  peut  avoir  d'incertitude 
sur  ceux  d'Orgon  et  de  Tartuffe,  joués  celui-ci  par  du 
Croisy,  celui-là  par  Molière.  Mais  fut-ce  bien  Mlle  Molière 
qui  fit,  comme  plus  tard,  celui  d'Elmire,  pour  lequel  peut- 
être  elle  était  bien  jeune,  et  qui  aurait  mieux  convenu,  ce 
semble,  à  Mlle  du  Parc?  Ce  rôle  demande  un  art  consommé, 
et,  pour  le  confier  à  sa  femme,  Molière  pouvait-il  assez 
compter  déjà  sur  elle?  L'avoir  chargée,  dans  ces  mêmes 
fêtes,  de  celui  de  la  princesse  d'Elide,  on  le  comprend 
mieux.  Il  est  vrai  que  la  grande  scène  de  l'acte  IV  de  Tartuffe 


I.  Tome  IV  de  notre  édition,  p.  -xZi. 
a.   Ibidem .^  p.   3^4- 
3.  Lettre  en  vers  du  24  mai  1664. 

4-   On  la  trouve  dans  la  Lettre  sur  la  comédie  de  Vlmposteur. 
5.   Nous  l'avons  dit  nous-même,  au  tome  IV,  p.  335.  U   nous 
semble  maintenant  que  c'était  un  peu  hasardé. 


3i4  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

n'était  pas  encore  faite;  toutefois  la  troisième  de  l'acte  III  a 
certainement  un  peu  de  la  même  difficulté.  Ceux  qui  n'ad- 
mettront pas  nos  doutes  pourront  sappuyer  sur  ces  vers 
de  la  première  scène  : 

cet  état  rue  blesse 

Que  vous  alliez  vêtue  ainsi  qu'une  princesse. 
Quiconque  à  son  mari  veut  plaire  seulement. 
Ma  bru,  n'a  pas  besoin  de  tant  d'ajustement^. 

Ils  diront  que,  peu  d'accord  avec  l'idée  que  le  reste  de 
la  pièce  donne  du  caractère  d'Elmire,  Molière  n'a  pu  les 
écrire  qu'en  vue  de  sa  femme,  et  pour  lui  donner  une  leçon. 
La  conjecture  n'est  pas  sans  quelque  vraisemblance;  mais, 
dans  la  comédie,  que  nous  n'avons  pas  telle  qu'elle  fut 
d'abord,  ces  vers  ne  peuvent-ils  avoir  été  ajoutés  par  la 
suite? 

Pour  revenir  k  ce  qui  est  incontestable,  au  succès  de  la 
représentation  à  Versailles,  il  n'empêcha  pas  les  clameurs 
d'éclater  sans  perdre  de  temps.  Rien  ne  fut  épargné  pour 
faire  sentir  au  roi  qu'on  lui  avait  dissimulé  les  perfides 
intentions  de  la  comédie.  On  le  supplia  de  protéger  la  piété, 
méchamment  enveloppée  dans  le  ridicule  qui  était  jeté  sur 
sa  contrefaçon.  Pouvait-il  fermer  l'oreille  aux  ardentes  ré- 
clamations qu'appuyait  M.  de  Péréfixe,  son  ancien  précep- 
teur, puis  son  confesseur,  et,  ce  qui  était  d'un  plus  grand 
poids,  alors  archevêque  de  Paris?  Louis  XIV,  pour  leur 
accorder  quelque  satisfaction,  dut  ne  pas  donner  la  per- 
mission de  produire  le  Tartuffe  en  public.  Dès  le  17  mai, 
la  Gazette,  exagérant  les  scrupules,  peu  spontanés,  de  la 
conscience  royale,  fit  l'éloge  du  souverain  qui,  en  imposant 
la  signature  du  formulaire,  venait  de  justifier  son  glorieux 
titre  de  fils  aîné  de  l'Eglise,  et  naguère  encore  avait  fait 
voir  comme  il  soutenait  ce  nom,  «  par  ses  défenses  de  re- 
présenter une  pièce  de  théâtre,  intitulée  l'Hypocrite,  que 
Sa  Majesté,  pleinement  éclairée  en  toutes  choses,  juge 
absolument  injurieuse  à  la  religion,  et  capable  de  produire 
de  très  dangereux  effets  »,  Pour  insérer  ces  lignes  dans  la 

I.  Vers  29-3-2.  Voyez  aussi  les  vers  87-9U. 


SUR   MOLIERE.  3i5 

Gazette,  on  aL\ ait  profité  de  l'éloignement  du  roi,  qui,  après  la 
fête  de  Versailles,  était  parti  pour  Fontainebleau,  où  il  fit 
un  assez  long  séjour.  Ce  fut  là  que  Molière  alla  lui  présen- 
ter ses  doléances.  Pour  plaider  la  cause  de  sa  pièce,  il  avait 
fuit  plusieurs  voyages  à  Fontainebleau  avant  le  24  mai, 
comme  Loret  nous  l'apprend  dans  sa  lettre  de  cette  date  : 

Un  quidam  m'écrit 

Que  le  come'dicn  Molière 


Avoit  fait  quelque  plainte  au  Roi. 
Sans  m'expliquer  trop  bien  pourquoi, 
Sinon  que  sur  son  Hypocrite, 
'  Pièce,  dit-on,  de  grand  mérite, 

Et  très  fort  au  gré  de  la  cour, 
Maint  censeur  daube  nuit  et  jour. 
Aûn  de  repousser  l'outrage. 
Il  a  fait  coup  sur  coup  voyage, 
Et  le  bon  droit  représenté 
De  son  travail  persécuté. 

Il  ne  faut  pas  confondre  ces  doléances  avec  le  premier 
placet  qu'il  adressa  au  roi  peu  après,  et  dont  nous  parle- 
rons tout  à  l'heure.  Loret  dit  n'avoir  pas  appris  quel  fut  le 
succès  des  plaintes  portées  à  Fontainebleau,  Nous  savons 
qu'elles  n'obtinrent  pas  la  permission  sollicitée;  mais  comme 
on  va  voir  le  roi  tempérer  beaucoup  la  rigueur  de  l'inter- 
diction, il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'ait  accueilli  Molière  avec 
bonté,  et  sans  lui  refuser  de  bienveillantes  paroles  propres 
à  lui  rendre  espoir. 

Deux  mois  après,  la  troupe  de  Molière  fut  appelée  au  pa- 
lais de  Fontainebleau.  Elle  y  était  depuis  le  21  juillet ^ 
lorsqu'y  arriva,  le  28  -,  le  cardinal  Chigi,  légat  a  latcre. 
envoyé  par  le  pape  Alexandre  VII,  son  oncle,  pour  appor- 
ter au  roi  de  France  les  satisfactions  qu'il  avait  exigées  au 
sujet  de  l'insulte  faite   à  l'ambassadeur,  duc  de  Créqui.  Le 

I.   Registre  de  La  Grange,  \>.  66. 

a.  La  Muse  historique,  lettre  du  1  août  1664,  et  Gazette  de  même 
date. 


3i6  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

légat  assista,  le  3o,  à  la  représentation  d'un  ballet,  qui  était 
celui  de  la  Princesse  d'Élide.  La  Gazette  du  2  août  dit  qu'il 
trouva  le  spectacle  «  tout  à  fait  agréable  et  digne  d'une 
cour  si  galante*  ».  Lui  voyant  l'esprit  si  libre,  et  tant  de 
complaisance  à  entrer  dans  les  goûts  du  roi  pour  la  comé- 
die, Molière  ne  craignit  pas  de  solliciter  l'honneur  de  lui 
lire  le  Tartuffe.  C'était  comme  un  adroit  appel  à  Rome  de 
la  condamnation  de  sa  })ièce  par  des  prêtres  et  des  prélats 
français.  Il  fallait  être  persuadé  que  ce  hardi  recours  ne 
déplairait  pas  au  roi. 

Dans  le  temps  même  qu'il  trouvait  à  opposer  à  ses  cen- 
seurs la  tolérance  du  légat,  un  curé  de  Paris,  celui  de 
Saint-Barthélémy,  préparait  contre  lui  un  très  violent  écrit, 
le  Roi  glorieux  au  monde.  Il  est  daté  du  temps  où  Louis  XIV 
était  encore  à  Fontainebleau-.  Dans  son  libelle,  Pierre 
Roullé  (c'était  le  nom  du  terrible  curé'i  appelait  Molière 
«  un  démon  vêtu  de  chair  et  habillé  en  homme  «,  qui  mé- 
ritait un  supplice  exemplaire,  et  «  le  feu  même,  avant-coureur 
de  celui  de  l'enfer  «,  en  punition  de  sa  comédie  sacrilège. 
Il  prétendait  que  le  roi  lui  avait  «  ordonné,  sous  peine  de 
la  vie,  d'en  supprimer  et  déchirer,  étouffer  et  brûler  tout 
ce  qui  en  étoit  fait  « .  C'était  se  montrer  bien  mal  informé.  Loin 
d'avoir  songé  à  une  pareille  rigueur,  il  paraît  bien  établi 
que,  si  Louis  XIV  n'ordonna  pas,  comme  on  l'a  dit,  la  sai- 
sie et  la  destruction  de  l'écrit  du  curé,  il  en  témoigna  sa 
désapprobation  par  une  sévère  réprimande.  Molière,  soit 
avant  de  quitter  Fontainebleau,  soit  peu  après,  lui  adressa 
le  premier  de  ses  placets,  où  il  lui  parle  des  violentes  atta- 
ques de  Pierre  Roullé  avec  une  chaleur  d'indignation  qui 
témoigne  de  sa  confiance  dans  la  toute-puissante  protec- 
tion. Il  rappelle  la  déclaration  que  Sa  Majesté  avait  faite 
qu'  «  Elle  ne  trouvoit  rien  à  dire  dans  cette  comédie  qu'Elle 
lui  défendoit  de  produire  en  public  «. 

1.  Il  est  fort  possible  qu'on  lui  en  ait  donné  le  plaisir  quatre 
fois,  comme  le  dit  le  Registre  de  La  Grange  (p.  66):  car  il  ne  quitta 
Fontainebleau  que  le  6  août. 

2.  Il  en  était  revenu  avant  le  16  août.  Ce  doit  avoir  été  très 
peu  avant  ou  après  la  troupe,  qui  avait  quitté  Fontainebleau 
le  i3. 


SUR   MOLIERE.  817 

La  sévérité  de  la  défense  fut  en  effet  tempérée  par  de 
remarquables  adoucissements.  Au  défaut  des  représenta- 
tions, interdites  au  théâtre,  il  y  eut  de  fréquentes  lectures 
de  la  pièce,  dont  le  tout-puissant  maître  de  l'Etat  ne  s'in- 
quiéta pas,  comme  s'il  voulait  donner  raison  au  vers  : 

Il  est  avec  le  ciel  des  accommodements. 

Dès  le  26  août  1664,  l'auteur  du  Tartuffe  (ut  invité  à  faire 
une  de  ces  lectures  chez  une  des  amies  de  Port-Royal.  Au 
moment  seulement  où  elle  allait  commencer,  on  s'avisa  que 
le  jour  était  mal  choisi,  étant  celui  qui  vit  enlever  à  Port- 
Royal  de  Paris  ses  mères  et  ses  religieuses. 

Plus  encore  que  les  lectures  tolérées  par  le  roi,  des  re- 
présentations de  la  pièce  données  chez  les  princes,  mon- 
trèrent qu'on  ne  voulait  pas  tenir  les  yeux  trop  ouverts. 
L'édition  de  1682  constate'  que  «  les  trois  premiers  actes 
de  cette  comédie  ont  été  représentés,  la  deuxième  fois,  à 
Villers-Cotterets,  pour  S.  A.  R.  Monsieur...,  qui  régaloit 
Leurs  Majestés  et  toute  la  cour,  le  aî'^  septembre...  1664.  » 
La  Gazette  du  27  septembre  a  soin  de  dire  que  le  roi  re- 
vint de  Villers-Cotterets  le  24.  Loret  croit  que  ce  fut  seule- 
ment le  25  : 

Le  Roi  revint,  dit-on,  jeudi-. 

Si  cela  était  (mais  le  dit-on  marque  de  l'incertitude), 
Louis  XIV,  à  la  rigueur,  aurait  pu  revoir,  dans  la  journée, 
les  trois  actes  joués  à  Versailles.  Le  plus  vraisemblable  est 
qu'il  ne  voulut  pas  autoriser  par  sa  présence  la  hardiesse 
qu'on  se  permettait,  à  la  demande  sans  doute  de  Madame. 
Laisser  la  place  libre  marquait  déjà  bien  assez  de  connivence. 
Il  est  évident  que  le  frère  et  la  belle-sœur  avaient  la  cer- 
titude de  ne  pas  se  faire  accuser  de  désobéissance. 

Il  faut  que  Condé  n'ait  pas  craint  davantage  d'être  en 
faute,  lorsque,  le  2g  novembre  de  la  même  année,  il  de- 

t.  Voyez  aussi  le  Registre  de  La  Grange,  p.  67. 
2.  La  Muse  historique,   lettre   du    27    septembre  1G64.  Le  jeudi 
était  le  25  septembre. 


3i8  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

manda  que  le  Tartuffe  fût  joué  au  Raincy,  chez  la  belle-mère 
de  son  fils,  la  Princesse  Palatine,  très  peu  dévote  en  ce 
temps-là.  Cette  représentation  est  fameuse,  comme  une 
preuve  frappante  que  l'on  ne  croyait  pas  la  pièce  à  jamais 
proscrite,  et  que  Molière  lui-même  n'était  pas  tant  décou- 
ragé, puisque  la  plume,  qui  avait  eu  à  l'achever,  n'était  pas 
tombée  de  sa  main.  Voici  le  témoignage  du  Registre  de  La 
Grange  :  «  Le  samedi  29''  novembre,  la  troupe  est  allée  au 
Raincy,  maison  de  plaisance  de  Mme  la  princesse  Palatine, 
près  Paris,  par  ordre  de  Mgr  le  prince  de  Condé,  pour  y 
jouer  Tartuffe  en  cinq  actes'.  >>  Le  même  fait  est  affirmé 
aussi  expressément  qu'on  peut  le  désirer  dans  l'édition  de 
1682  :  «  Cette  comédie  parfaite,  entière  et  achevée  en  cinq 
actes,  a  été  représentée,  la  première  et  la  seconde  fois,  au 
château  du  Raincy...,  pour  S.  A.  S.  Monseigneur  le  Prince, 
les  içf  novembre  i66'f  et  8^  novembre...  i66j,  et  depuis 
encore  au  château  de  Chantilly,  le  20^  septembre  1G68*.  » 
Se  faire  jouer  la  pièce  «  parfaite  et  entière  »,  quand  le  roi 
n'en  avait  vu  à  Versailles  que  trois  actes,  Condé,  qui  n'était 
plus  un  frondeur,  pouvait-il  croire  que,  sans  parler  de  la 
désobéissance,  ce  ne  fût  pas  blesser  le  respect,  s'il  ne  s'était 
assuré  que  l'on  voudrait  bien  tout  ignorer? 

On  a  plus  d  une  fois  la  surprise  de  voir  les  faits  les  mieux 
attestés  être  mis  en  doute  par  la  découverte  inattendue  de 
nouveaux  documents.  Lorsque  se  préparait,  pour  le  8  no- 
vembre i665,  une  seconde  représentation  de  Tartuffe  au 
Raincy,  M.  le  Duc  écrivit  en  octobre  à  un  homme  d'affaires 
de  son  père  un  billet  que  Mgr  le  duc  d'Aumale  a  trouvé 
dans  les  archives  de  Chantilly,  et  qu'il  a  fait  connaître  le 
i"  septembre  1881.  Ce  billet^  avertissait  que  le  prince  de 
Condé,  qui  irait  au  Raincy  le  lendemain  de  la  Saint-Hubert 
(c'est-à-dire  le  ',  novembre^  y  voudrait  faire  jouer  les  Me'- 

1.  Registre  de  La  Grange,  p.  69. 

2.  Le  Registre,  p.  78  et  98,  mentionue  ces  deux  représenta- 
tions, mais  là  sans  parler  des  cinq  actes.  A  chacune  des  trois  re- 
présentations, la  troupe  reçut  la  même  somme,  cent  pistoles  d'or 
(iioo  livres). 

3.  On  en  trouvera  le  texte  entier  dans  le  Moliériste  d'octobre 
1881,  p.  199. 


SUR    MOLIERE.  819 

decins  et  aussi  le  Tartuffe,  et  taisait  dire  à  Molière  de  tenir 
prêtes  ces  deux  comédies*.  «  Si  le  quatrième  acte  de  Tar- 
tuffe étoit  fait,  demandez-lui  s'il  ne  le  pourroit  pas  jouer. 
Et  ce  qu'il  faut  lui  recommander  particulièrement,  c'est  de 
n'en  parler  à  personne,  et  l'on  ne  veut  point  que  l'on  le 
sache  devant  que  cela  soit  fait.  » 

Comment  donc,  en  novembre  1664,  la  pièce,  suivant  des 
témoignages  qu'on  ne  peut  pas  soupçonner  d'erreur,  avait- 
elle  été  jouée  en  cinq  actes  au  Raincy,  lorsque,  là  même, 
un  an  après,  on  en  était  encore  à  demander  si  le  quatrième 
acte  était  achevé  et  prêt  à  être  joué?  Une  solution  très 
vraisemblable  a  été  proposée^  de  l'étrange  difficulté.  D'im- 
portants changements  avaient  sans  doute  été  désirés  dans 
l'acte  IV,  le  seul  dont  le  duc  d'Enghien  s'informe  dans  sa 
lettre.  C'est  dans  cet  acte  que  se  trouve  la  fameuse  scène'' 
de  la  tentative  amoureuse  de  l'hypocrite.  Peut-être,  dans 
la  représentation  donnée  au  Raincy  l'année  précédente, 
avait-on  remarqué  la  nécessité  de  quelques  remaniements 
pour  faire  accepter  des  hardiesses  que,  dans  notre  igno- 
rance des  retouches  successives  faites  à  la  pièce,  il  est  per- 
mis de  supposer  plus  fortes  d'abord  qu'elles  ne  l'ont  été  de- 
puis. Sur  la  scène  un  peu  inquiétante  pour  les  spectateurs, 
ou  sur  d'autres  du  même  acte,  Condé  aurait  donné  des  con- 
seils; et  il  voulait  savoir  si  le  travail  de  refonte  était  achevé. 
C'est  aussi,  d'après  ses  avis,  dit-on,  que  fut  ajoutée,  dans 
le  premier  acte,  la  belle  tirade  sur  la  comparaison  de  la 
fausse  et  de  la  vraie  dévotion,  que  Molière  avait  d'abord  mise 
dans  la  bouche  de  Dorine,  et  qui  est  aujourd  hui  dans  celle 
de  Cléante.  Le  prince  tenait  à  prémunir  de  plus  en  plus 
contre  les  attaques  une  comédie  dont  il  s'était  fait  un  des 

1.  Celle  qu'on  appelait  les  Médecins,  aujourd'hui  connue  sous 
le  titre  de  V Amour  médecin,  fut  jouée  pour  la  première  fois  à  Ver- 
sailles le  14  septembre  i665.  Vojez  ci-après,  p.  332. 

2.  Par  M.  Régnier,  alors  retiré  du  théâtre,  après  avoir  été  un 
des  plus  distingués  sociétaires  de  la  Comédie  Française.  C'est 
dans  le  journal  le  Temps  du  8  octobre  1881,  qu'il  a  discuté  le  cu- 
rieux problème.  Le  Moliériste  du  mois  de  novembre  suivant  a  re- 
produit son  article  aux  pages  2!J7-a34. 

3.  Aujourd'Iiui  la  cinquième. 


320  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

plus  chauds  défenseurs.  Molière  dit  dans  sa  Préface  que  huit 
jours  après  l'interdiction  du  Tartuffe,  comme  on  avait  joué 
devant  la  cour  Scaramouche  ermite,  le  roi,  en  sortant,  de- 
manda à  «  un  grand  prince  «  jiourquoi  les  gens  qui  se  scan- 
dalisaient si  fort  de  la  comédie  de  Molière  ne  disaient  mot 
de  celle  de  Scaramouche.  «  La  raison  de  cela,  répondit  le 
Prince,  c'est  que  la  comédie  de  Scaramouche*  joue  le  ciel  et 
la  religion,  dont  ces  messieurs  ne  se  soucient  point;  mais 
celle  de  Molière  les  joue  eux-mêmes  :  c'est  ce  qu'ils  ne  peu- 
vent souffrir.  »  Ce  grand  prince  était  le  grand  Condé.  Sa  vive 
et  spirituelle  remarque,  si  Molière  l'a  exactement  datée  de 
la  semaine  qui  suivit  la  défense  de  représenter  le  Tartuffe, 
ne  saurait  être  que  de  1664;  car,  lorsque  la  pièce  fut  inter- 
dite une  seconde  fois,  le  6  août  1667,  le  roi,  depuis  deux 
mois,  était  en  Flandre,  dont  il  ne  revint  que  dans  les  pre- 
miers jours  de  septembre.  Ce  serait,  on  le  voit,  dès  la  nais- 
sance de  la  pièce  que  le  héros  aurait  témoigné  l'intérêt 
qu'il  y  portait.  Sa  manière  de  penser  offrit  un  contraste 
complet  avec  celle  de  son  frère,  le  prince  de  Conti. 

Entre  les  deux  représentations  données  au  Raincy,  l'une 
en  novembre  1664,  l'autre  dans  le  même  mois  de  l'année 
suivante,  se  place,  au  Palais-Royal,  celle  du  Festin  de  Pierre, 
qui  est  du  i5  février  i66j,  lorsque  Molière  n'était  pas  en- 
core venu  à  bout  des  entraves  qui  arrêtaient  la  représenta- 
tion publique  du  chef-d'œuvre  dénoncé  comme  scandaleux. 
Le  Festin  de  Pierre  ne  put  laisser  de  doutes  sur  sa  ferme 
résolution  de  ne  pas  désarmer;  et  par  là  cette  comédie  ap- 
partient trop  à  la  lutte  que  nous  avons  commencé  à  racon- 
ter, pour  que  nous  ne  nous  y  arrêtions  pas,  avant  de  suivre 
les  aventures  du  Tartuffe  jusqu'à  leur  dénouement  éphé- 
mère de  1667,  puis  jusqu'à  leur  vrai  dénouement  en  1669. 
Une  fois  rentrés,  avec  la  comédie  de  1665,  dans  l'ordre  des 
dates,  il  faudra  parler  des  autres  nouvelles  œuvres  de  notre 
auteur  représentées  dans  le  temps  qu'il  attendait  encore  la 
délivrance  de  celle  qui  restait  prisonnière  d'Etat,  et  aussi 

I.  La  comédie,  simple  canevas  probablement,  était  peut-être 
de  Scaramouche  lui-même.  On  a  eu  la  sottise  de  l'attribuer  à 
Molière. 


SUR   MOLIERE.  Sai 

des  faits  les  plus  marquants  de  sa  vie  qui  ont  rempli  Tassez 
long  intervalle. 

Lorsque  Molière  fit  jouer  le  Festin  de  Pierre,  neuf  mois 
s'étaient  écoulés  depuis  la  représentation  à  Versailles  du 
Tartuffe  inachevé,  sans  qu'il  eût  prouvé  qu'il  n'entendait 
pas  cesser  de  travailler  pour  le  théâtre.  Quelle  que  soit  la 
puissante  originalité  de  la  pièce,  par  laquelle  il  reparut  dans 
la  carrière,  nous  ne  croyons  pas  qu'elle  lui  ait  demandé  beau- 
coup de  temps.  Il  s'est  contenté  de  l'écrire  en  prose  :  ce 
peut  être  une  preuve  qu'il  la  composa  rapidement.  Bien 
qu'il  ne  faille  pas  oublier  son  Tartuffe  à  terminer,  il  s'était 
ce  semble,  moins  pressé  que  de  coutume  de  se  remettre 
au  travail.  On  est  porté  à  se  l'expliquer  par  le  découra- 
gement dont,  au  reste,  il  eut  un  second  accès  après  sa  dé- 
ception de  1667,  et  qu'il  n'a  pas  alors  dissimulé  dans  son 
deuxième  placet  au  roi  :  «  Il  ne  faut  plus  que  je  songe  à 
faire  de  comédie,  si  les  tartuffes  ont  l'avantage*.  >>  Mais  s'il 
n'est  pas  sans  vraisemblance  que  dès  le  premier  succès  de 
ses  ennemis  il  avait  un  moment  pensé  à  briser  sa  plume, 
jusqu'à  ce  qu'il  eût  obtenu  satisfaction,  persévérer  dans  ce 
dessein  n'était  pas  facile,  lorsque  son  génie  lui  criait  impé- 
rieusement :  Marche!  marche  toujours!  et  lorsque  d'ailleurs 
le  roi,  par  ses  ménagements,  laissait  la  porte  ouverte  à 
l'espérance.  Il  sut  trouver  dans  un  sujet  que,  dans  l'intérêt 
de  sa  troupe,  on  lui  demandait  instamment  de  traiter,  l'oc- 
casion de  faire  sa  rentrée  comme  auteur,  sans  donner  lieu 
de  croire  qu'il  capitulât.  Il  ne  consentit  en  effet  à  mettre  à 
son  tour  sur  la  scène  la  légende  empruntée  à  Tirso  de  Mo- 
lina,  dont  s'étaient  emparés  ses  rivaux  de  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne et  les  comédiens  italiens,  et  qu'ils  avaient  mis  fort 
à  la  mode,  qu'en  se  proposant  d'y  montrer  que,  loin  d'a- 
bandonner le  champ  de  bataille  à  la  ligue  formée  contre 
lui,  elle  allait  le  retrouver  sur  la  position  dont  elle  s'était 
flattée  de  l'avoir  délogé.  A  l'auteur  espagnol  le  châtiment 
miraculeux  de  Don  Juan  avait  inspiré  un  drame  d'intention 
édifiante.  Rien  ne  pouvait  être  changé  au  dénouement  sur- 
naturel ;  mais,   ayant  à  le  préparer  par  la  peinture  d'un 

I.  Voyez  notre  tome  IV,  p.  394. 

Molière,  x  *t 


322  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

libertin,  d'un  esprit  fort,  Molière  fit  cette  peinture  avec 
une  étrange  hardiesse,  qui  éclate  dans  de  terribles  paroles 
de  son  incrédule.  Il  ne  manque  pas,  il  est  vrai,  de  charger 
de  scélératesse  celui  qui  les  prononce  ;  et  il  semblait  juste 
de  dire  qu'après  avoir  flagellé  la  dévotion  feinte,  une  des 
formes  de  l'impiété,  il  avait  voulu  imprimer  une  égale  flé- 
trissure à  cette  autre  impiété  plus  franche,  qui  se  joue  ou- 
vertement du  ciel.  De  plus  méfiants  purent  penser  que  le 
langage  d'un  sceptique  ne  lui  avait  pas  été  assez  pénible  à 
faire  entendre.  Après  tout,  ce  langage  était  bien  dans  le 
caractère  du  personnage,  tel  à  peu  près  qu'il  l'avait  trouvé 
chez  ses  devanciers.  Molière  s'écarte  davantage  de  leurs 
traces  dans  la  scène  où,  pour  mettre  le  comble,  comme  dit 
Sganarelle*,  aux  abominations  de  Don  Juan,  il  lui  fait  pren- 
dre devant  son  père  le  masque  de  l'hypocrisie.  Ce  n'est 
chez  le  pervers  qu'une  boutade  d'ironie,  qui  ne  donne  pas 
un  sérieux  démenti  à  son  ordinaire  audace,  dédaigneuse 
des  lâches  dissimulations.  Y  eût-il  là  cependant  une  petite 
violation  de  la  règle,  qu'avant  Boileau,  Molière  connaissait 
assez  : 

Conservez  à  chacun  son  jiropre  caractère-, 

il  valait  la  peine  de  passer  outre  pour  atteindre  son  but.  Il 
fallait  absolument  imaginer  un  prétexte  à  un  nouvel  acte 
d'hostilité  contre  les  hypocrites.  Les  voilà  frappés,  et  cette 
fois  en  plein  théâtre,  aussi  durement  que  dans  la  comédie 
dont  ils  s'applaudissaient  de  s'être  débarrassés.  Ils  durent 
reconnaître  la  difficulté  de  faire  lâcher  prise  à  l'implacable 
adversaire,  lorsqu'ils  entendirent  Don  Juan  expliquer  à  son 
valet  tout  le  profit  à  tirer  de  ce  qu'il  appelle  un  «  vice  à  la 
mode  «,  un  des  vices  de  ce  siècle^.  Il  n'était  pas  douteux 
que  cette  éloquente  tirade  retentirait  comme  un  cri  de 
vengeance. 

Les  hardiesses  ne  manquent  pas  dans  ce  Festin  de  Pierre.  Il 
en  est  une  à  distinguer  de  celles  dont  nous  venons  de  par- 

I.  Acte  V,  scène  ii,  p.  ipS. 

a.  Art  poétique,  chant  m,  vers  ii3. 

3.   Acte  V,  scène  ii,  p.  ig3-i95. 


SUR  MOLIERE.  323 

1er.  Le  noble  seigneur  dont  la  pièce  nous  fait  le  portrait 
n'est  plus  le  marquis  ridicule  qu'on  nous  avait  fait  con- 
naître. Satire  beaucoup  plus  grave,  Molière  l'a  peint  sous 
de  noires  couleurs.  C'est  sans  doute  ce  qu'avaient  fait  aussi 
Tirso  et  ses  imitateurs  ;  mais  le  nouveau  Don  Juan  a  cessé 
d'être  un  Espagnol  ;  dans  sa  dépravation  finement  spiri- 
tuelle, et  revêtue  d'élégance,  c'est,  à  ne  pas  s'y  méprendre, 
un  de  ces  courtisans  français  précurseurs  des  roués  de  la 
Régence;  car  il  y  en  avait  déjà  de  ce  caractère,  qui  ne  pu- 
rent facilement  se  dissimuler  qu'ils  avaient  servi  de  mo- 
dèles :  grande  liberté  que  le  peintre  avait  prise  avec  eux. 
Sur  cette  merveilleuse  comédie,  qui  est  d'un  caractère  unique 
dans  l'œuvre  de  Molière,  il  y  aurait  bien  d'autres  choses 
à  dire;  mais  ici  l'on  doit  s'attacher  surtout  à  ce  qui  en  a 
fait  un  des  épisodes  du  combat  dans  lequel,  depuis  l'année 
précédente,  son  auteur  s'était  engagé. 

Le  dénonciateur  des  criminelles  intentions  du  Festin  de 
Pierre  ne  fut  pas  cette  fois  un  homme  d'Église,  mais  un 
avocat  au  Parlement,  dans  lequel  on  a  cru  découvrir,  sur 
d'assez  forts  indices,  le  janséniste  Barbier  d'Aucourt,  qui 
s'était  voulu  cacher  sous  le  pseudonyme  de  Rochemont. 
Ses  Observations  sur  la  comédie  jouée  le  1 5  février  i665 
parurent  avec  une  permission  datée  du  i8  avril  suivant.  Mo- 
lière y  est  accusé  comme  «  un  farceur  qui  fait  plaisanterie 
de  la  religion,  qui  tient  école  du  libertinage,  et  qui  rend  la 
majesté  de  Dieu  le  jouet  d'un  maître  et  d'un  valet  de 
théâtre,  d'un  athée  qui  s'en  rit  et  d'un  valet,  plus  impie 
que  son  maître,  qui  en  fait  rire  les  autres  ».  C'était  «  à  la 
face  du  Louvre,  dans  la  maison  d'un  prince  chrétien  » 
(c'est-à-dire  dans  le  Palais-Royal,  apparemment  destiné  à 
donner  de  plus  édifiantes  leçons),  que  l'on  venait  renverser 
tous  les  fondements  de  la  religion.  Le  cardinal  Chigi,  in- 
dulgent pour  le  Tartuffe,  n'échappe  pas  lui-même  à  une 
verte  semonce  :  «  Il  semble,  à  entendre  Molière,  qu'il  ait 
un  bref  particulier  du  Pape  pour  jouer  des  pièces  ridicules, 
et  que  M.  le  Légat  ne  soit  venu  en  France  que  pour  leur 
donner  son  approbation.  »  Le  passage  sur  le  Moine  bourru, 
un  de  ceux  qui  furent  retranchés  après  la  première  re- 
présentation,   est    particulièrement   cité   dans   les   Observa- 


32',  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

tions,  avec  quelques  altérations  qui  l'aggravent,  afin  de 
donner  plus  de  ])oids  à  l'accusation  d'avoir  confondu  cette 
absurde  superstition  avec  la  croyance  aux  mystères.  Le 
sieur  de  Rochemont  conclut  par  l'espoir  que  le  bras  «  qui 
est  l'appui  de  la  religion  abattra  tout  à  fait  ce  monstre 
{t impiété)  et  confondra  à  jamais  son  insolence  ». 

Le  prince  de  Conti,  dans  son  Traité  de  la  comédie,  ne  se 
montra  pas  moins  scandalisé  du  Festin  de  Pierre,  ne  voyant 
nulle  part  une  école  d'athéisme  plus  ouverte'. 

La  défense  de  Molière  a  été  présentée  dans  deux  réponses 
aux  Observations  *,  assez  habilement  dans  l'une  d'elles,  où 
l'on  remarque  surtout  une  parole  du  roi,  disant  à  ceux  qui 
appelaient  son  attention  sur  les  impiétés  débitées  par  Don 
Juan  :  «  Il  n'est  pas  récompensé.  »  L'apologie  est  courte, 
et  n'aurait  pas  été  très  accablante  pour  les  censeurs,  si 
elle  n'avait  pas  été  prononcée  par  une  bouche  dont  les  ar- 
guments ne  souffraient  ])as  alors  de  discussion. 

Aujourd'hui  l'on  n'est  pas  obligé  de  les  tenir  pour  pé- 
reraptoires.  Nous  avons  toute  liberté  de  jugement  sur  les 
intentions  de  Molière.  Souvent  on  les  a  voulu  faire  beau- 
coup trop  noires  ;  mais  elles  ont  été  assurément  celles  d'un 
homme  qui  s'était  promis  de  braver  les  persécuteurs  du 
Tartuffe  en  leur  prouvant  qu'ils  ne  l'avaient  pas  fait  reculer 
dans  les  hardiesses  de  sa  liberté.  Il  n'y  a  pas  d'apparence 
qu'il  ait  voulu  prêcher  l'athéisme.  Il  nous  semble  évident, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit^,  qu'il  a  entendu  adhérer 
au  «  petit  sens  »,  au  «  petit  jugement  »  de  Sganarelle, 
malgré  la  forme  risible  qu'il  a  donnée  à  sa  philosophie, 
pour  qu'elle  ne  le  fasse  pas  sortir  de  sa  simplicité  d'esprit. 
Il  a  toutefois  beaucoup  osé  dans  le  portrait  de  son  incré- 
dule, qui,  tout  coquin  qu'il  soit  représenté,  montre  jusqu'à 
la  fin  de  brillantes  qualités  d'esprit  et  d'audace  intrépide. 
Diaboliquement  séduisant,  il  paraît  ainsi  plus  vrai  et  vi- 
vant. L'art  trouve  là  son  comjjte.  Mais  de  moins  intolérants 
que  Rochemont  et  le  prince  de  Conti  purent  être  d'avis  que 

I.   Sentiments  des  Pères  de  rÉgl'ise,  à  la  suite  du   Traité,  p.  34' 
a.  Nous  les  avons  insert-cs  an  tome  V,  p.  33i-a55. 
3.  Voyez  ci-dessus,  p.  6o  el  (li. 


SUR   MOLIERE.  Sîj 

le  théâtre,  malgré  le  coup  de  foudre  final,  ne  montrait  pas 
sans  inconvénient  une  si  brillante  peinture  du  dangereux 
scepticisme  qui  dès  lors  avait  envahi  beaucoup  d'âmes.  La 
scène  du  pauvre,  dans  laquelle  d'ailleurs  (il  est  juste  de  le 
reconnaître)  l'honnête  mendiant  paraît  seul  grand,  est  sin- 
gulièrement hardie  ;  et  après  qu'il  a  refusé  de  blasphémer 
pour  obtenir  l'aumône  sollicitée  par  sa  faim,  le  louis  d'or 
donné  «  pour  l'amour  de  l'humanité  «  est  un  trait  qui  donne 
trop  à  penser.  Il  a  mérité  les  applaudissements  du  siècle 
suivant,  dont  Molière  semblait  avoir  d'avance  entendu  le 
langage. 

En  résumé,  reconnaissons  dans  son  œuvre  le  besoin 
qu'avait  son  génie  de  sonder  jusqu'au  fond  tout  caractère 
qui  s'offrait  à  son  pinceau;  mais  ne  refusons  pas  d'y  voir  en 
même  temps  un  acte  de  guerre,  non  contre  la  croyance  en 
Dieu,  mais  contre  des  fanatiques  auxquels  il  a  voulu  signi- 
fier qu'il  défendrait  jusqu'au  bout  le  libre  domaine  de  la 
comédie  contre  leur  prétention  de  le  rétrécir. 

A.U  milieu  des  clameurs  que  le  Festin  de  Pierre  soulevait, 
Louis  XIV  se  trouva  pour  la  seconde  fois  dans  quelque 
embarras,  et  partagé  entre  son  goût  pour  Molière  et  la 
nécessité  de  ne  pas  rester  tout  à  fait  sourd  aux  voix  qui 
déclaraient  la  religion  outragée  et  réclamaient  pour  elle  sa 
protection.  Il  n'interdit  pas  les  représentations  de  la  pièce; 
mais,  après  la  première,  ce  fut  certainement  lui  qui  fit 
donner  avis  de  supprimer,  sinon  la  pièce  tout  entière,  les 
passages  du  moins  signalés  comme  scandaleux.  Même  ainsi 
corrigée,  la  comédie,  dont  le  succès  est  attesté  par  les  belles 
recettes,  n'eut  pas  la  vie  longue,  et  l'on  ne  saurait  croire  sa 
mort  naturelle.  La  dernière  représentation,  qui  n'était  que 
la  quinzième,  fut  donnée  le  20  mars.  Il  faut  bien  qu'on  ait 
été  invité  à  ne  pas  faire  reparaître  la  pièce  après  les 
vacances  de  Pâques.  Baillet,  dans  ses  Jugemens  des  scavans^, 
a  dit  :  «  Elle  doit  passer  pour  une  pièce  supprimée.  Du 
vivant  de  Molière,  elle  ne  fut  plus  représentée,  elle  ne  fut 
pas  même  imprimée.  » 

Il  se  trompait;  elle  l'avait  été,  mais  seulement  en  i68a, 

I.  Au  tome  IV,  cinquième  partie,  qui  est  de  1686,  p.  1 1 1  et  1 1  j. 


3a6  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

dans  les  OEuvres  posthumes.  Les  retranchements  qui 
avaient  été  faits  au  texte,  au  temps  des  représentations,  ne 
furent  plus  jugés  suffisants;  on  exigea  plusieurs  cartons 
après  l'impression.  Mais  do  tels  monuments  de  l'art  défient 
toutes  les  précautions  des  censeurs.  En  vain  on  les  a  muti- 
lés :  la  postérité  avertie  sait  faire  d'heureuses  fouilles,  finit 
par  retrouver  les  parties  brisées  de  ces  chefs-d'œuvre,  et, 
sauf  quelques  détails  peut-être,  les  restaure  pleinement. 

En  i665,  Louis  XIV  était  peu  disposé  à  se  scandaliser 
d'une  comédie  et  à  gêner  Molière.  Si,  pour  donner  satisfac- 
tion aux  plaintes,  dont  il  était  ennuyé,  il  avertit,  sans  faire 
de  bruit,  qu'il  valait  mieux  ne  pas  laisser  trop  longtemps 
le  Festin  de  Pierre  à  la  scène,  il  montra  d'une  manière  écla- 
tante qu'on  s'était  efforcé  sans  succès  d'en  perdre  l'auteur 
dans  son  esprit.  Dès  le  mois  d'août  de  cette  même  année, 
la  troupe  de  Molière  était  venue  à  Saint-Germain.  Il 
lui  donna  six  mille  livres  de  pension.  Il  fit  plus,  il  de- 
manda à  son  frère  de  la  lui  céder,  et  dit  à  Molière  qu'il 
voulait  qu'elle  lui  appartînt  désormais.  Elle  prit  alors  le 
titre  de  Troupe  du  Roi,  les  comédiens  de  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne gardant  celui  de  Troupe  royale.  S'il  n'est  pas  trop 
subtil  de  chercher  entre  les  deux  quelque  différence,  celui 
de  Troupe  du  Roi  semblerait  le  plus  honorable,  comme 
marquant  plus  particulièrement  qu'elle  était  attachée  à  la 
personne  même. 

C'était  bien  l'auteur  de  Tartuffe  et  de  Doit  Juan  qui  rece- 
vait cette  faveur  très  significative,  car  depuis  ces  deux 
ouvrages  il  n'avait  rien  produit  qui  la  pût  expliquer. 

Nous  ne  compterons  pas  comme  y  ayant  eu  des  droits  un 
prologue  qu'appelé  cà  Versailles  le  12  juin,  il  avait  ajouté  au 
Favori  de  Mlle  des  Jardins',  et  qui  ne  nous  a  pas  été  con- 
servé. Voici  ce  que  nous  en  savons  :  «  On  a  joué,  dit  le 
Registre  de  La  Grange,  le  Favory  dans  le  jardin,  sur  un 
théâtre  tout  garni  d'orangers.  M.  de  Molière  fit  un  prologue 
en  marquis  ridicule,  qui  vouloit  être  sur  le  théâtre  malgré 
les  gardes,  et  eut  une  conversation  risible  avec  une  marquise 
ridicule,  placée  au  milieu  de  l'assemblée.  »  La  perte  du  Pro- 

I.   Registre,  p.  ^4-  —  O'i  i*  aussi  le  témoignage  de  Mlle  des  Jar- 


SUR   MOLIERE.  827 

logue  ôte  pour  nous  à  cette  représentation  son  principal 
intérêt,  mais  lui  laisse  toutefois  celui-ci,  qu'elle  montre  le 
roi  aussi  décidé  que  jamais,  malgré  les  criailleries  contre 
Molière,  à  ne  point  se  passer  de  son  talent  dans  les  fêtes 
galantes  qu'il  donnait,  et  toujours  prêt  à  lui  donner  toute 
libei'té  de  l'amuser  aux  dépens  des  marquis,  qu'il  savait 
plus  tolérants,  ou  plus  faciles  à  faire  taire  que  les  dévots. 
Il  est  cependant  regrettable  que  la  petite  scène  improvisée 
par  Molière  n'ait  pas  été  recueillie.  Ses  moindres  bagatelles 
ne  pouvaient  manquer  d'un  sel  piquant.  Quant  à  la  pièce  de 
Mlle  des  Jardins,  la  Coquette  ou  le  Favori,  qui  avait  été  jouée 
pour  la  première  fois  au  Palais-Royal,  le  24  avril,  elle  ne 
nous  intéresse  que  par  la  bonne  fortune  qu'elle  a  eue  de 
paraître  à  Versailles  avec  la  recommandation  du  badin  pré- 
lude dont  le  grand  comique  lui  fit  l'honneur.  En  ayant  ce- 
pendant parlé  par  occasion,  il  nous  sera  permis,  en  souve- 
nir des  Fâcheux,  où  plutôt  de  la  fête  de  Vaux,  de  dire  deux 
mots  de  cette  singularité,  qu'on  y  reconnaissait  facilement 
une  continuelle  allusion  à  la  disgrâce  de  Fouquet  et  à  la 
cause  la  plus  délicate  à  rappeler  de  cette  disgrâce,  une  ja- 
lousie du  monarque  amoureux.  Pour  que  Louis  XIV  ne  se 
soit  pas  offensé  de  cette  indiscrétion,  et  particulièrement  de 
la  leçon  de  clémence  que  l'on  semblait  lui  donner,  il  fallait 
qu'il  fût  de  bien  bonne  humeur  et  disposé  à  une  parfaite 
tolérance  des  privilèges  de  la  comédie. 

Le  premier  ouvrage  de  Molière  représenté  par  la  troupe, 
depuis  qu'elle  avait  obtenu  le  titre  de  troupe  du  roi,  fut 
l'Amour  médecin.  Cette  pièce,  entremêlée  d'entrées  de  bal- 
let, était  encore  une  de  ces  esquisses  rapidement  crayon- 

dins  dans  sa  Description  de  la  brillante  fête,  où  elle  loue  ainsi  Mo- 
lière : 

Cet  homme  si  fameux  que  l'univers  admire, 
Dont  la  fine  morale  instruit  en  faisant  rire, 
Du  marquis  ridicule  enrichit  le  tableau. 

Robinet,  dans  sa  lettre  en  vers  du  21  juin  iG65,  dit  que  le  beau 
régale  de  Versailles,  qu'il  appelle  aussi  un  cadeau,  fut  donné  dans 
la  nuit  du  i3  au  14.  Il  l'a  décrit  longuement,  mais  sans  parler  du 
Prolofrue. 


328  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

nées  |>our  le  divertissement  de  Louis  XIV  et  de  sa  cour, 
Molière  nous  avertit  dans  son  avis  Au  lecteur  que  de  tous  les 
impromptus  commandés  j)ar  le  roi,  celui-là  «  proposé, 
fait,  appris  et  représenté  en  cinq  jours  «,'a  été  le  plus  pré- 
cij)ité.  Aussi  en  parle-t-il  comme  d'une  de  ces  petites  pièces 
auxquelles  le  jeu  du  théâtre,  «  les  airs  et  les  symplionies  de 
l'incomparable  Monsieur  Lully,  mêlés  à  la  beauté  des  voix 
et  à  l'adresse  des  danseurs  »,  donnent  des  grâces  dont  elles 
ont  peine  à  se  passer.  A  le  prendre  au  mot,  il  faudrait  se 
contenter  de  la  simple  mention  de  cet  impromptu.  Mais, 
outre  qu'il  est  plein  d'esprit,  il  se  recommande  au  biographe 
de  Molière  comme  étant  l'acte  le  plus  fortement  marqué 
jusque-là  de  cette  hostilité  contre  la  médecine,  que,  depuis, 
il  ne  s'est  pas  lassé  de  continuer,  même  à  la  veille  de  son 
dernier  jour.  Le  voici  donc  bravant  de  nouveaux  ennemis, 
comme  s'il  n'en  avait  pas  d'assez  nombreux  déjà,  et  de  plus 
sérieux.  Que  lui  avait  fait  la  Faculté?  On  contait  une  anec- 
dote qui,  méritât-elle  plus  de  confiance,  ne  rendrait  pas 
vraisemblable  une  implacable  rancune.  On  la  trouve  chez 
le  Boulanger  de  Chalussay*  et  chez  Grimarest,  qui  l'a 
ornée  de  quelques  circonstances  un  peu  différentes  dans  les- 
quelles il  mêle  la  Du  Parc*.  Dans  l'un  et  1  autre  récit,  Molière, 
logé  chez  un  médecin,  se  voit  signifier  congé.  La  femme  du 
désobligeant  propriétaire  se  procure  un  billet  pour  aller 
voir  jouer,  sans  payer,  les  comédiens  du  Palais-Royal.  Le 
billet  est  refusé  par  l'ordre  de  Mlle  Molière,  qui  fait  mettre 
la  dame  à  la  porte.  Le  médecin  n'endure  pas  l'affront  et  ob- 
tient un  arrêt  qui  condamne  Molière  et  sa  femme.  Telles 
auraient  été  les  vexations  qui  engagèrent  notre  poète  dans 
une  guerre  inexpiable  contre  le  docte  corps. 

Il  n'y  a  là  sans  doute  qu'un  bruit  sans  vraisemblance,  ima- 
giné parles  médecins, qui  aimèrent  mieux  expliquer  l'achar- 
nement de  Molière  à  les  cribler  de  ses  traits  par  une  que- 
relle de  femmes,  que  de  le  laisser  attribuer  aune  indignation 
inspirée  par  leur  charlatanisme  et  par  leurs  âneries,  dont 
les  preuves  ne  manquaient  pas  en  ce  siècle-là. 

I.   F.lom'ire  hypocondre,  acte  I,  scène  m,  p.   l6  et  17, 
a.   La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  7 4" 77- 


SUR   MOLIÈRE.  3ig 

Depuis  longtemps  la  médecine  était  pour  la  comédie  un 
sujet  de  facéties,  où  Molière  savait,  à  son  tour,  qu'il  trou- 
verait un  des  plus  infaillibles  moyens  de  faire  rire;  mais,  en 
i665,  devenu  un  maître  dans  son  art,  il  ne  se  pouvait  plus 
contenter  des  lazzis  des  anciennes  farces,  de  leurs  grosses 
caricatures  qui  ne  tiraient  pas  à  conséquence  ;  à  ses  fan- 
taisies les  plus  gaies  il  voulait  mêler  de  sérieuses  correc- 
tions, et  mettre  le  doigt  sur  la  plaie  toutes  les  fois  que, 
médecin  lui-même,  et  meilleur  médecin  que  ceux  de  la  Fa- 
culté, il  soignait  quelque  maladie  des  hommes.  Alors,  sans 
être  moins  amusant,  il  ne  riait  plus  qu'en  philosophe.  Aussi, 
du  jour  où  il  s'empara  des  médecins,  il  était  inévitable  que, 
dans  les  portraits  satiriques  qu'il  fit  d'eux,  il  ne  leur  épar- 
gnât pas  de  fortes  vérités. 

Pourquoi,  cependant,  a-t-il  tant  insisté,  et  les  a-t-il 
frappés  sans  trêve  ?  11  faut  bien  croire  qu'il  leur  en  voulait 
tout  particulièrement.  C'est  qu'il  y  avait  chez  lui  quelque 
chose  de  plus  que  la  révolte  du  bon  sens  contre  un  art, 
dont  le  pédantisme,  souvent  grotesque  alors,  ne  lui  cachait 
pas  l'insuffisance  :  ce  devait  être  une  colère  de  malade 
devenu,  par  expérience,  défiant  de  ses  vains  secours.  Son  in- 
cessant travail  l'accablait  de  fatigues,  que  les  chagrins  de  son 
intérieur  aggravaient.  Si  l'on  avait  tenu  le  journal  de  sa 
santé,  comme  on  a  fait  pour  le  roi,  il  pourrait  bien  se  faire 
que  l'on  n'y  eût  pas  trouvé  Chalussay  en  faute,  lorsqu'il  le 
représente  comme  déjà  malade  avant  d'avoir  écrit  son  Jninur 
médecin,  et  comme  livré  aux  Esculapes  qui  avaient  été 
mandés  par  sa  femme  et  ne  pouvaient  s'accorder  dans  leurs 
prescriptions.  Ce  serait  alors,  d'après  Élomirc  hypocondrc, 
qu'il  aurait  observé  les  travers  de  ses  bourreaux  pour  les 
peindre  dans  sa  comédie  avec  une  vérité  qui,  de  l'aveu  du 
même  détracteur,  «  fait  rire  jusqu'aux  larmes  j'.  ]Vous  sa- 
vons du  moins  avec  certitude  que,  peu  après  les  représen- 
tations de  sa  pièce,  soit  en  cette  même  année  i665,  soit 
au  commencement  de  la  suivante,  une  dangereuse  mala- 
die l'obligea  de  prendre  du  repos.  En  effet,  Robinet  dit, 
dans  sa  lettre  du  21  février  1666  : 

.   .  Molière,  le  dieu  du  Ris, 


33o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

A  si  bien  fait  avec  Cloton 
Que  la  Parque  au  gosier  glouton 
A  permis  que  sur  le  théâtre 
Tout  Paris  encor  l'idolâtre. 


.   .   Du  comique  ce  grand  maître 
Dans  quelques  jours  pourra  paraître. 

Il  recommença  sans  doute  à  jouer  le  jour  même  duquel  est 
datée  cette  bonne  nouvelle,  car,  le  dimanche  21  février,  le 
Palais-Royal  reprit  l'Amour  médecin,  après  avoir  interrompu 
toutes  ses  représentations  depuis  le  27  décembre  précé- 
dent*. 

N'omettons  pas  une  explication  difTérente,  et  très  fine,  qui 
a  été  ajoutée*  à  celle  que  nous  venons  de  donner  des  atta- 
ques de  Molière  contre  la  médecine  :  le  disciple  de  Gassendi 
a  montré  partout  qu'il  avait  le  culte  de  la  Nature,  et  il  ne 
pardonnait  pas  aux  guérisseurs  la  témérité  de  leur  lutte 
contre  elle,  comme  si  par  cette  lutte  ils  en  violaient  les 
divins  et  impénétrables  mystères. 

L'Amour  médecin,  intitulé  encore  dans  le  Registre  :  les 
Mkdecins,  est  la  première  des  comédies  de  Molière  dont  la 
médecine  ait  été  le  principal  sujet;  mais,  un  peu  avant,  il 
l'avait  déjà  fort  maltraitée,  quoiqu'en  une  scène  épisodique^ 
et  comme  en  passant,  dans  le  Festin  de  Pierre;  et  même,  il 
faut  le  remarquer,  dans  cette  attaque  amenée  à  toute 
force  et  tant  bien  que  mal  par  le  déguisement  de  Sgana- 
relle  en  docteur,  il  y  a  des  paroles  qui  nient  absolument 
l'art  des  médecins,  avec  une  énergie  que  Molière  n'a  jamais 

dépassée  :  «  Tout  leur  art  est  pure  grimace C'est  une  des 

grandes  erreurs  qui  soit  parmi  les  hommes.  »  S'il  a  chargé 
un  personnage  à  «  l'âme  bien  mécréante  »  de  prononcer  cet 
arrêt  tranchant,  il  n'en  était  pas  moins  clair  que  là  c'était 

1.  R-eg'istre  de  La  Grange,  p.  79.  —  Une  des  causes  de  cette 
interruption  fut  la  maladie,  puis  la  mort  (20  janvier)  de  la  reine 
mère.  Quant  à  la  maladie  de  Molière,  le  Registre  ne  l'a  pas  notée, 
et  nous  laisse  ignorer  quand  il  avait  cessé  de  jouer. 

2.  Par  M.  Brunetière.  Voyez  le  feuilleton  du  Journal  des  Débats 
du  26  novembre  1888. 

3.  La  scène  i  de  l'acte  III,  p.   i35  et  i36. 


SUR    MOLIERE.  33i 

bien  lui-même  qui  parlait;  il  passait  ainsi  par-dessus  le 
danger  de  prêter  le  flanc  au  soupçon  d'avoir  voulu  prendre 
partout  sur  son  compte,  et  jusque  dans  des  matières  bien  plus 
graves,  l'incrédulité  de  Don  Juan.  Il  était  donc,  comme  le 
dit  Sganarelle  de  son  maître,  «  impie  en  médecine  ».  Il  avait 
cependant  un  médecin,  pour  le  fils  duquel,  un  jour,  il  solli- 
cita du  roi  un  des  canonicats  de  sa  chapelle  royale  de  Vin- 
cennes  ' ,  se  disant  très  content  de  ce  «  fort  honnête  homme  5' , 
jiourvu  qu'il  s'obligeât  de  ne  le  point  tuer.  De  fait,  il  ne 
voyait  en  lui  qu'un  ami.  Ce  peu  gênant  médecin,  qui  dans  le 
gouvernement  de  la  santé  de  Molière  avait  une  parfaite 
sinécure,  était  le  docteur  de  Mauvillain,  un  traître  à  la 
Faculté,  a-t-on  dit,  un  faux  frère  bien  capable  d'avoir  donné 
des  notes  pour  le  dernier  intermède  du  Malade  imagi- 
naire. On  raconte  que  Molière  et  lui  étant  un  jour  à  Ver- 
sailles pendant  le  dîner  du  roi.  Sa  Majesté  dit  à  Molière  : 
«  Voilà  donc  votre  médecin  ?  Que  vous  fait-il  ?  —  Nous  rai- 
sonnons ensemble,  il  m'ordonne  des  remèdes,  je  ne  les  fais 
point,  et  je  guéris  *.  » 

Molière,  qui  ne  reculait  jamais  devant  de  nouvelles  har- 
diesses, jugea  que,  dans  sa  comédie-ballet,  ce  n'était  pas 
assez  d'avoir  discrédité  par  ses  railleries  l'art  de  guérir.  Il 
y  attaqua  les  personnes  mêmes  avec  une  liberté  aristopha- 
nesque,  et  quelles  personnes!  messieurs  les  médecins  de  la 
cour,  «  traités  en  ridicules  devant  le  roi,  qui  en  a  bien  ri  », 
dit,  sans  déplaisir.  Gui  Patin,  peu  tendre  pour  les  Archia- 
trcs  auliqucs.  \\  nomme  deux  des  victimes  du  poète  comique. 
Esprit  [Bahys],  médecin  de  Monsieur,  et  Guenaut  [Ma- 
crnton),  médecin  de  la  reine,  avec  eux  des  Fougerais  [dex 
Fona/idrès\  qui  n'était  pas  delà  cour.  Quant  aux  «  masques 
faits  tout  exprès  »  sous  lesquels  il  veut  qu'ils  aient  été 
représentés,  c'est  un  conte  qu'il  n'aurait  pas  dû  se  laisser 
faire. 

Brossette,  dans  une  de  ses  notes  manuscrites,  d'accord 


I.  Voyez  au  tome  IV,  p.  SgS-Sg^,  son  troisième  placet,  pré- 
senté au  roi  le  jour  même  de  la  résurrection  de  Tariuffe,  en  1669. 

a.  Menagiaiia  (1674),  tome  II,  p.  220.  Grimarest,  p.  78,  a  ré- 
pété cette  anecdote. 


332  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

avec  Patin  sur  les  noms  d'Esprit  et  de  des  Fougerais,  dit  de 
plus  que  Fillerin  était  Yvelin,  médecin  de  Madame.  C'est 
d'après  une  autre  note  du  même  Brossette  que  Cizeron  Rival 
ajoute  d'Aquin  [Tomes),  un  des  médecins  du  roi  servant  par 
quartier.  On  a  raconté,  mais  sans  preuves,  que  le  roi  avait 
lui-même  indiqué  à  Molière  ces  grandes  célébrités  médicales 
sur  lesquelles  il  voulait  bien  qu'on  l'égayât.  Il  n'a  pu  du 
moins  manquer  de  reconnaître  des  personnalités  rendues 
si  transparentes  par  l'imitation  de  défauts  physiques;  mais 
les  comédies  de  Molière  l'amusaient,  et  ceux  qui  en  dé- 
nonçaient les  audaces  lui  paraissaient  des  importuns.  Les 
médecins  ne  l'ignoraient  pas,  et  Molière,  dans  sa  préface  du 
Tartuffe,  publiée  en  1669,  les  met  au  nombre  de  ceux  qui 
«  ont  souffert  doucement  qu'on  les  ait  représentés  *  ».  Il  les 
en  a  récompensés  dans  la  même  préface  par  une  complaisante 
palinodie,  qui  leur  aurait  mieux  donné  satisfaction  s'il  n'y 
avait  glissé  un  piquant  trait  linal,  ce  qui  s'appelle  le  venin 
dans  la  queue  :  «  La  médecine  est  un  art  profitable,  et  cha- 
cun la  révère  comme  une  des  plus  excellentes  choses  que 
nous  ayons;  et  cependant  il  y  a  eu  des  temps  où  elle  s'est 
rendue  odieuse,  et  souvent  on  en  a  fait  un  art  d'empoisonner 
les  hommes*.  y>  L'épithète  eWe-mème  profitable  donnée  à  cet 
art  révéré,  n'est  peut-être  pas  sans  malice  dans  son  équi- 
voque. Si  donc  les  médecins  ont  d'abord  filé  doux,  défions- 
nous  de  cette  sagesse.  Après  la  mort  de  Molière,  ils  mon- 
trèrent bien  par  leurs  insultes  à  sa  mémoire  qu'ils  avaient 
prononcé  in  petto  contre  le  railleur  toutes  les  malédic- 
tions de  Monsieur  Purgon.  Ce  n'avait  été  que  par  nécessité 
qu'ils  avaient  pu  feindre  d'accepter  sans  mauvaise  humeur 
les  rires  de  Versailles,  où,  du  14  au  i^  septembre  iGG5,  la 
pièce  qui  les  tympanisait  parut  si  agréable  qu'elle  fut  repré- 
sentée trois  fois.  Au  Palais-Royal  elle  ne  réjouit  pas  moins  le 
public  de  la  ville,  pour  qui  elle  fut  jouée  le  22  septembre, 
et,  après  cejour,  vingt-sept  fois  jusqu'à  la  fin  de  i6G5,  treize 
fois  jusqu'au  16  mai  1666. 

Elle  allait  faire  place  aune  œuvre  d'une  tout  autre  portée, 

1.  Tome  IV  de  notre  édition,  p.  SjS, 

2.  Ibidem,  p.  38 1. 


SUR   MOLIERE.  333 

où  le  génie  de  Molière  s'est  élevé  à  une  hauteur  d'observa- 
tion philosophique  et  de  noblesse  dans  la  pensée  comme 
dans  le  style,  que  l'on  aurait  pu  croire  inaccessible  à  la  co- 
médie. 

Le  t  juin  1666  est  la  date  de  la  première  représentation 
du  Misanthrope,  donnée  sur  le  théâtre  du  Palais-Royal.  Il  y 
a  peut-être  à  regretter  (ju'il  n'ait  pas  été  joué  d'abord  à  la 
cour,  privée  par  le  deuil  de  la  reine  mère  du  divertissement 
de  la  comédie,  depuis  le  20  janvier.  Meilleur  juge  de  la 
vérité  du  tableau,  il  semble  que  cette  cour  eût  été  moins 
étonnée  de  ses  couleurs  fines  autant  que  sévères,  et  que 
dans  tous  les  personnages  qui  y  figurent  elle  eût  aimé  à 
reconnaître  ses  mœurs  et  la  politesse  de  son  langage. 

Ce  n'est  pas  qu'il  paraisse  y  avoir  eu  de  difficultés  pour 
beaucoup  de  courtisans  à  l'aller  entendre  avec  le  public. 
De  Visé,  dans  sa  Lettre  sur  le  Misanthrope,  écrite  le  lende- 
main de  la  première  représentation,  atteste  qu'ils  «  ont 
assez  fait  voir  par  leurs  applaudissements  qu'ils  trouvoient 
la  comédie  belle  ^  »;  c'est  ce  que  confirme  le  vers  de  Su- 
bligny,  dans  la  Muse  dauphine  du  1  7  juin  : 

Toute  la  cour  eu  dit  du  bien. 

Elle  l'avait  d'ailleurs  entendu  lire  par  Molière  avant  qu'elle 
fût  jouée,  à  ce  que  rapporte  Grimarest-,  qui  nomme  parti- 
culièrement Madame,  comme  l'ayant  ainsi  connue,  et  donne 
ce  détail  qu'elle  avait  conseillé  la  suppression  du  grand 
flandrin  de  vicomte  crachant  dans  un  puits  trois  quarts 
d'heure  durant  pour  faire  des  ronds.  Il  n'en  a  pas  moins 
manqué  à  la  fortune  du  chef-d'œuvre,  dans  ces  commence- 
ments, d'avoir  été  premièrement  représenté  devant  le  roi 
et  recommandé  à  la  ville  par  son  suffrage.  De  nombreux 
témoignages  s'accordent  sur  ce  point  que  le  succès  au 
Palais-Royal  ne  fut  pas  vif  et  que  seuls  les  connaisseurs  sen- 
tirent toute  la  beauté  de  la  pièce.  Les  recettes  baissèrent 
bieutôt,  surtout  après  la  neuvième  représentation.  Molière 

I.  Voyez  au  tome  V,  p.  441- 

a.   La  t'ic  de  M.  de  Molière^  p.   18S  cl    189. 


334  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

s'était  trop  élevé  pour  être  suivi  par  le  grand  nombre,  dont 
on  ne  peut  savoir  si  la  froideur  ne  l'a  pas  écarté  d'une  voie 
où  il  aurait  trouvé  d'autres  œuvres  de  la  même  parfaite 
grandeur.  Il  se  garda  du  moins  d'un  découragement,  dont 
aurait  suffi  pour  le  préserver  l'approbation  des  juges  com- 
pétents, des  esprits  d'élite.  S'il  était  moins  bien  compris 
par  le  gros  du  public,  s'il  n'avait  pas,  cette  fois,  un  succès 
assez  général,  il  sentait  qu  il  n'en  serait  pas  toujours  ainsi; 
et  comme,  en  attendant, 

Il  faut  fléchir  au  temps  sans  obstination, 

il  ne  songea  qu'à  se  préparer  des  succès  moins  contestés, 
se  liant  d'ailleurs,  pour  que  sa  gloire  n'en  souffrît  pas  trop, 
aux  infinies  ressources  que  trouverait  bientôt  son  génie. 

Nous  ne  répéterons  pas  ici  ce  que  nous  avons  dit  ailleurs* 
de  la  manière  différente  dont  les  critiques  ont  entendu  ses 
intentions  dans  les  rôles  d'Alceste  et  de  Philinte,  et  de  la 
part  que  dans  le  premier  il  a  faite  et  à  l'admirable  élévation 
d'une  âme  inflexiblement  droite  et  à  l'exagération  qui  rend 
cette  inflexibilité  plaisante.  Une  seule  réflexion  à  ce  sujet 
n'est  pas  de  trop  dans  cette  biographie.  Qu'Alceste,  par 
moments,  donne  plus  ou  moins  à  rire,  la  peinture,  faite  avec 
une  évidente  sympathie,  d'une  honnêteté  toujours  digne  de 
respect  jusque  dans  sa  comique  raideur,  a,  dans  le  juge- 
ment à  porter  de  la  vie  de  Molière,  le  poids  d'un  incontes- 
table témoignage  en  faveur  de  son  caractère.  On  n'exprime 
pas  avec  cette  éloquence  les  haines  vigoureuses  de  la  vertu 
contre  toutes  les  bassesses,  contre  les  complaisances  mon- 
daines elles-mêmes,  que  «  l'usage  demande  :»,  sans  avoir 
trouvé  au  fond  de  son  cœur  ces  protestations  d'une  m;lle 
sincérité;  et  quant  à  l'optimisme  de  Philinte,  mélange  d'é- 
goisme  et  d'aimable  bon  sens,  il  est  visible  que,  par  ses  meil- 
leurs côtés,  il  ne  déplaisait  pas  non  plus  à  Molière,  à  sa  phi- 
losophie, très  éclairée  sur  les  iniquités  du  monde  et  sur  ses 
grimaces,  mais  en  même  temps  sur  la  sagesse,  sur  la  jus- 
tice même  qu'il  y  a  de  ne  pas  trop  demander  à  l'imperfection 

I.  Dans  la  Notice  sur  le  Misant/irope,  tome  V,  p.  357  ^^  ^"'~ 
vantes. 


SUR   MOLIERE.  355 

de  la  nature  humaine.  Il  nous  a  montré  ainsi  combien  il 
aimait  et  «  l'âpre  vérité  «,  comme  a  dit  de  lui  un  poète,  et 
la  raisonnable  indulgence.  Rien  de  ce  qu'il  a  écrit  ne  jette 
plus  de  jour  sur  sa  morale. 

On  a  objecté,  nous  ne  l'ignorons  pas,  qu'il  s'était  toujours 
proposé  de  faire  une  fidèle  peinture  des  caractères  et  non 
de  défendre  des  thèses  de  morale;  mais  nous  n'admettons 
pas  qu'il  ait  si  peu  songé  dans  le  Misanthrope^  sinon  à  don- 
ner des  leçons,  du  moins  à  exprimer  ses  propres  sentiments. 
Les  reconnaître  dans  une  comédie  où  tant  de  paroles  ne 
viennent  pas  seulement  des  inspirations  de  l'art,  mais  de 
plus  haut,  ne  saurait  être  une  illusion. 

De  telles  œuvres  ont  bien  des  aspects.  Jusque-là  Molière 
avait  fait  justice  de  tel  ridicule,  de  tel  vice  de  la  société. 
Voici  qu'il  intente  à  cette  société  un  procès  qui  la  met  tout 
entière  en  cause;  il  en  confie  le  soin  à  une  fière  probité, 
que  le  train  du  siècle  trouve  en  pleine  révolte.  Ce  n'a  pas 
été  la  moindre  preuve  de  son  courage  ;  car,  s'il  risquait 
moins  de  soulever  des  inimitiés  personnelles  par  la  satire  de 
tout  le  monde  que  par  celle  d'une  coterie  ou  de  quelque 
corps  puissant,  d'un  autre  côté  dénoncer  l'iniquité  de  son 
temps  pouvait  lui  mériter  le  renom  de  frondeur,  et  l'on 
sait  qu'il  n'y  en  avait  pas  alors  de  plus  dangereux.  On  a 
été  toutefois  beaucoup  trop  loin  lorsqu'on  a  dit  du  Misan- 
thrope :  a  Une  pièce  infiniment  hardie  (plus  que  le  Tartuffe 
peut-être  et  plus  que  Don  Juan).  Car  si  Aleste  gronde,  c'est 
sur  la  cour  plus  que  sur  Célimène.  Mais  qu'est-ce  que  la 
cour,  sinon  le  monde  du  roi,  arrangé  pour  lui  et  par  lui? 
Ces  mauvais  choix  pour  les  emplois  publics  qui  révoltent 
Alceste,  qui  donc  les  fait,  sinon  le  roi'.^  »  Molière  n'était 
ni  assez  ingrat  ni  assez  maladroit  pour  avoir  eu  la  pensée 
d'attaquer  le  règne  et  de  faire  acte  de  mécontent.  Pour  de- 
meurer dans  la  mesure,  il  aurait  suffi  de  dire,  que,  sans  don- 
ner à  Louis  XIV  la  moindre  envie  de  l'envoyer  à  la  Bastille, 
il  montra  autant  que  jamais  une  intrépide  confiance  dans  les 
franchises  de  la  comédie,  lorsqu'il  fit  entendre  les  plaintes 
d'un  homme  de  bien  contre  la  justice  tournée  par  l'intrigue 

I.   Michelet,  Histoire,  de  France,  tome  XV,  p.  85. 


336  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

et  laissant  écraser  le  bon  droit.  II  n'était  pas  non  plus  sans 
courage  de  faire  aux  gens  de  cour  une  guerre  beaucoup 
plus  sérieuse  que  celle  des  plaisanteries  sur  les  ridicules  des 
marquis,  et  d'imprimer  la  flétrissure  sur  les  malhonnêtes 
vengeances  de  leur  amour-propre  blessé,  sur  la  fausseté  de 
leurs  protestations  d'amitié  et  sur  les  mensonges  de  leurs 
«  baisers  flatteurs  ».  Au  surplus,  il  venait  de  les  épargner 
encore  moins  dans  le  portrait  de  son  Don  Juan,  en  qui  il  a 
j)prsonnirié  leur  profonde  corruption,  sans  qu'on  pût  se 
tromper  sur  le  temps  et  le  lieu  où  il  l'avait  observée.  Plus 
tard  encore  c'est  parmi  eux  qu'il  a  osé  trouver  le  person- 
nage de  l'élégant  escroc  Dorante  du  Bourgeois  gentilhomme. 

Il  est  difficile  de  parler,  même  brièvement,  du  Misan- 
thrope, sans  rien  dire  d'un  de  ses  rôles  les  plus  justement 
admirés;  nous  avons  d'ailleurs  une  particulière  raison  ici  de 
ne  point  passer  à  côté  de  Célimène  sans  la  voir  :  elle  nous 
ramène  à  Mlle  Molière  et  va  nous  donner  une  naturelle  occa- 
sion d'en  dire  un  peu  plus  que  nous  n'avons  encore  fait  sur 
son  humeur  coquette  qui  a  fait  le  tourment  de  son  mari. 
Ce  fut  elle  qui  représenta,  et  avec  beaucoup  d'éclat,  cette 
amante  d'Alceste,  devenue,  comme  par  un  invincible  sorti- 
lège, maîtresse  d'un  cœur  si  peu  fait  pour  s'accorder  avec 
le  sien.  Nous  sommes  de  ceux  à  qui  la  comédienne,  chargée 
la  première  de  ce  rôle,  paraît  y  avoir  servi  de  modèle,  au 
moins  dans  ses  traits  principaux.  Si  l'auteur  du  Misanthrope 
s'est  complu  dans  la  peinture  d'une  tendresse  malheureuse 
et  désavouée  par  la  sagesse,  c'est,  nous  aurions  j^eine  à  ne 
le  pas  croire,  qu'il  y  reconnaissait  sa  propre  faiblesse. 
Il  avait  en  même  temps  compris  que  ce  combat  de  la  rai- 
son et  de  l'amour  dans  un  cœur  serait  le  plus  grand  attrait 
de  son  œuvre,  dont  la  philosophie,  de  quelques  brusque- 
ries plaisantes  qu'elle  fût  égayée,  ne  suffirait  pas  à  l'inté- 
rêt; et  il  avait  si  bien  regardé  l'amour  de  son  honnête 
grondeur  comme  le  principal  fondement  de  cet  intérêt, 
qu'à  sa  comédie  il  donna  un  moment  ce  titre  :  l'Atrabilaire 
amoureux. 

C'est  peut-être  de  ce  côté  surtout  qu  il  s'est  joué  lui- 
même  dans  le  portrait  d'Alceste,  tout  en  mettant  dans 
d'autres  parties  de  ce  rôle  quelques-uns  encore  de  ses  pro- 


SUR   MOLIERE.  337 

près  traits,  quelques  autres  de  Montausier  et  de  Boileau.  Il 
n'était  plus,  à  cette  date,  l'Ariste,  aveuglément  complaisant, 
de  V École  des  maris,  mais  le  trop  tendre  cœur,  profondé- 
ment blessé,  qui,  sur  un  seul  mot  rassurant,  se  sentait  prêt 
à  pardonner,  si,  contre  toute  espérance,  une  femme  d'un 
caractère  léger  se  pouvait  enfin  résoudre  à  ne  plus  vivre 
que  pour  lui,  à  lui  sacrifier  les  séductions  du  monde  et  la 
douceur  d'être  courtisée.  Sous  le  nom  de  Célimène  on 
croirait  sans  doute  Mlle  Molière  un  peu  trop  flattée,  si  l'on 
voulait  retrouver  chez  elle  tous  les  traits  de  la  grande 
dame,  reine  gracieuse  des  cercles  élégants;  mais  dans  les 
modèles  auxquels  Molière  pensait  en  écrivant  ses  comédies, 
il  se  contentait  toujours  de  prendre  ce  qui  convenait  à  ses 
créations  poétiques.  Ne  nous  inquiétons  donc  pas  de  ce  qui 
manquait  à  la  complète  ressemblance  de  son  Armande  avec 
le  type  merveilleusement  observé  de  la  coquette  du  grand 
monde.  Il  n'en  a  pas  moins  donné  à  celle  qui  inspire  au  Misan- 
thrope un  «  attachement  terrible  «  beaucoup  de  l'agréable 
esprit  de  sa  femme,  beaucoup  aussi  de  son  incurable  frivo- 
lité, et  de  l'étrange  empire  qu'elle  avait  eu  le  secret  de 
prendre  sur  un  esprit  frappé  cependant,  mais  en  vain,  de 
ses  défauts.  11  n'y  a  guère  à  se  tromper  sur  son  dessein  de 
lui  faire  entendre  de  la  bouche  d'Alceste  la  menace  d'une 
rupture  sans  espérance  de  retour,  si  elle  persistait  à  re- 
pousser les  conditions  d'un  traité  de  paix. 

Lorsque  l'on  fait  remarquer  dans  l'éloquence  de  la  pas- 
sion du  Misanthrope  un  si  puissant  accent  de  vérité  qu'il  eût 
été  difficile  au  plus  habile  peintre  des  mouvements  de  l'âme 
de  l'y  mettre,  si  elle  ne  lui  avait  pas  été  inspirée  par  les  sen- 
timents dont  il  était  personnellement  agité,  on  s'expose  à 
cette  objection  qu'un  grand  nombre  de  vers  pleins  d'une 
flamme  que  le  poète  semblerait  avoir  eue  dans  le  cœur,  non 
dans  la  seule  imagination,  ont  été  empruntés  par  lui  à  son 
Don  Garcie,  représenté  dès  le  commencement  de  1661  *.  On 
nous  invite  donc  à  nous  délier  de  la  source  d'inspiration 
où  nous  sommes  porté  à  les  croire  puisés.  Mais  si  Molière 
a  sauvé  du  naufrage  de  sa  comédie  héroïque,  comme    des 

1  .Voyez  les  Études  critiques  de  M.  Brunetière,  j).  188. 

MOLIÈKK,    X  au 


338  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

débris  auxquels  il  avait  trouvé  une  meilleure  place,  ces 
belles  explosions  de  souffrance  jalouse,  ne  pourrait-ce  être 
qu'il  a  senti  avec  quelle  force  elles  avaient  exprimé  d'avance 
la  violence  de  son  amour  pour  une  ingrate  et  ses  révoltes 
contre  sa  propre  déraison?  Nous  craindrons  moins  d'être 
accusé  de  parti  pris  et  de  subtilité,  quand  nous  ferons  re- 
marquer que,  parmi  les  vers  du  Misanthrope,  dans  lesquels 
il  nous  paraît  avoir  épanché  les  amertumes  de  sa  tendresse 
trompée,  il  s'en  trouve  beaucoup  de  non  moins  éloquem- 
ment  passionnés  que  ceux  du  Prince  jaloux,  et  qui  ne  vien- 
nent pas  de  là. 

Parmi  les  passages  des  comédies  de  Molière  oii  la  Préface 
de  1682  nous  laisse  chercher  à  nos  risques  et  périls  les 
allusions,  dont  elle  parle,  à  ses  affaires  domestiques,  on  dé- 
signerait avec  plus  d'assurance  celles  qui  peuvent  éclaircir 
l'histoire  de  son  ménage,  si  les  dates  de  cette  triste  histoire 
avaient  été  mieux  établies  par  les  anciens  témoignages;  on 
pense  bien  que  nous  ne  compterons  pour  rien  la  date  cer- 
taine d'une  petite  querelle  de  Molière  avec  sa  femme  don- 
née par  lui-même,  mais  en  riant,  dans  son  Impromptu  de 
Versailles  :  «  Vous  deviez,  lui  dit  Mlle  Molière,  faire  une 
comédie  où  vous  auriez  joué  tout  seul.  —  ïaisez-vous,  ma 
femme,  vous  êtes  une  bête.  —  Grand  merci,  monsieur  mon 
mari.  Voilà  ce  que  c'est  :  le  mariage  change  bien  les  gens, 
et  vous  n'auriez  pas  dit  cela  il  y  a  dix-huit  mois'.  »  Ce  ne 
sont  là  que  de  gentilles  taquineries  qui  ne  nous  apprennent 
rien,  ou  seulement  ceci,  que  les  époux  étaient  alors  assez 
amis  encore  pour  se  les  permettre  publiquement,  sans 
craindre  qu'on  ne  s'y  trompât.  La  comédie  du  Misanthrope 
au  conti'aire  en  dit  long,  si  l'on  n'y  conteste  pas  l'intention 
de  Molière  d'y  décharger  son  cœur.  C'est  ici,  nous  dira- 
t-on,  qu'il  faudrait  être  exactement  informé  du  temps  où  l'on 
peut  faire  remonter  ses  griefs.  Mais,  quoi  que  l'on  puisse 
penser  de  l'insuffisance  de  nos  renseignements,  est-il  dou- 
teux que  la  mésintelligence  ait  commencé  d'assez  bonne 
heure,  pour  que  les  allusions  conjecturées  dans  la  comé- 
die de  1666  ne  manquent  pas  de  vraisemblance  ? 

I.  Scène  i,  p.  Sga  et  SgS  du  tome  III. 


SUR  MOLIERE.  BBg 

Au  libelle  dicté  par  la  plus  visible  haine  contre  Mlle  Mo- 
lière nous  n'avons  ajouté  aucune  foi,  lorsqu'elle  y  est  accu- 
sée des  plus  honteux  désordres  avant  même  la  première 
représentation  de  la  Princesse  <î Élide;  mais,  venant  au  temps 
où  son  rôle  l'y  fit  briller  dans  les  fêtes  de  Versailles,  si  l'on 
nous  donne  encore  des  détails,  convaincus  de  mensonge,  sur 
ses  infidélités,  on  ne  dit  rien  d'improbable  en  la  montrant 
exposée  par  ces  fêtes  de  1664  aux  compromettantes  galan- 
teries de  la  jeune  cour. 

Grimarest,  parlant  à  son  tour  des  premières  inquiétudes 
de  Molière,  nous  paraît  avoir  eu  en  vue  la  même  époque; 
et  il  peut  bien  avoir  puisé  à  une  source  plus  sûre  que  celle 
du  livre  calomnieux.  Il  en  contredit  les  accusations  les  plus 
graves,  mais  reconnaît,  tout  en  les  atténuant,  des  torts  à  la 
jeune  femme  :  Elle  «  ne  fut  pas  plutôt,  dit-il,  Mlle  de 
Molière,  qu'elle  crut  être  au  rang  d'une  duchesse;  et  elle 
ne  se  fut  pas  donnée  en  spectacle  à  la  comédie  que  le  cour- 
tisan   désoccupé    lui    en   conta Molière    s'imagina    que 

toute  la  cour,  toute  la  ville  en  vouloit  à  son  épouse.  Elle  né- 
gligea de  l'en  désabuser;  au  contraire,  les  soins  extraordi- 
naires qu'elle  prenoit  de  sa  parure...  ne  firent  qu'augmen- 
ter ses  soupçons  et  sa  jalousie.  Il  avait  beau  représenter  à 
sa  femme  la  manière  dont  elle  devoit  se  conduire  pour  pas- 
ser heureusement  la  vie  ensemble;  elle  ne  profitoit  point  de 
ses  leçons,  qui  lui  paroissoient  trop  sévères  pour  une  jeune 
personne,  qui  d'ailleurs  n'avoit  rien  à  se  reprocher*.  »  La 
voici  donc  simplement  représentée  comme  une  Célimène 
trop  curieuse  de  coquets  ajustements  et  qui  sans  doute  ne 
prenait  pas  un  bâton  pour  mettre  dehors  ses  admirateurs. 
Bien  que  nous  n'ayons  pas  hésité  à  faire  justice  des  fables 
du  libelliste,  nous  ne  nous  hasarderons  pas  à  garantir 
que  la  vérité  tout  entière  se  trouve  chez  Grimarest.  De 
la  coquetterie  qu'il  ne  dissimule  pas  à  de  beaucoup  plus 
grands  écarts  de  conduite  le  pas  pouvait  être  aisément 
franchi  par  une  comédienne,  par  une  Béjart.  Il  ne  faut  pas 
cependant  céder  à  la  crainte  d'être  naïvement  crédule.  Il 
est  loin   d'être  prouvé   que  Molière   ait    été  aussi   trompé 

I.    La  vie  de  M.  de  Molière,  p.  68-70. 


340  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

qu'on  l'a  dit  :  il  avait  beaucoup  d'ennemis  intéressés  à  l'en- 
rôler parmi  les  maris  dont  il  avait  fait  rire.  C'était  si  bien 
chez  eux  un  parti  pris,  que  nous  les  avons  vus  se  hâter,  dès 
i663,  contre  toute  vraisemblance,  de  s'en  donner  la  joie 
dans  leurs  comédies. 

On  peut  regarder  ceci  seulement  comme  suffisamment 
attesté,  qu'il  ne  trouva  nullement  dans  son  mariage  la  douce 
union  qui  eût  été  la  juste  récompense  de  sa  tendresse,  et 
que  la  paix  dont  il  avait  besoin  dans  sa  vie  dévorante  ne 
cessa  d'être  troublée  par  des  tourments  de  jalousie.  Sa 
femme  n'eut  pas  assez  de  cœur  pour  se  résoudre  jamais  à 
les  lui  épargner.  Nul  accord  entre  ces  deux  caractères.  Il 
en  fut  plus  malheureux  que  bien  d'autres,  parce  qu'il  était 
plus  aimant,  et  aussi  parce  que,  si  gaie  qu'ait  été  le  plus 
souvent  sa  verve,  il  était  d'un  naturel  mélancolique. 

C'est  surtout  lorsqu'on  ne  rejette  pas  absolument  le  juge- 
ment modéré  de  Grimarest  sur  Mlle  Molière  que  l'on  croit 
à  son  portrait  dans  le  Misanthrope,  et  que  les  chagrins 
d'Alceste  prennent  une  grande  ressemblance  avec  ceux  de 
Molière.  Si  Grimarest  n'a  fait  nulle  part  une  comparaison 
si  naturelle,  elle  n'a  pas  échappé  à  Bruzen  de  la  Martinière, 
qui,  dans  une  de  ses  Addition.';  à  la  biographie  de  i^oS*, 
cite  les  vers  1 751-1768  du  Misanthrope^,  à  l'appui  de  cette 
remarque  qu'il  vient  de  faire  :  «  Le  Misanthrope  prêt  de 
pardonner  à  Célimène  toutes  les  coquetteries  dont  elle  vient 
d'être  convaincue,  pourvu  qu'elle  veuille  se  retirer  avec  lui, 
ressemble  assez  à  Molière,  si  l'on  juge  de  lui  par  la  conver- 
sation que  j'ai  rapportée.  » 

La  conversation  dont  il  parle  est  celle  dont  un  peu  plus 
haut^  il  avait  emprunté  une  partie  à  la  Fameuse  Comédienne, 
celle  où  les  deux  amis  qui  s'entretiennent  sont  Molière  et 
Chapelle. 

Les  confidences  douloureuses  que  Molière  fait  à  son  ami, 
et  les  rudes  conseils  par  lesquels  celui-ci  y  répond,  ont  été 
bien  souvent  cités,  et  avec  de  grands  éloges,  que  nous  ne 
disons  pas  tout  à  fait  immérités;  car  une  peinture,   faite 

1.  Page  68. 

2.  Scène  dernière.  —  3.  Pages  58  el  69. 


SUR  MOLIERE.  341 

avec  tant  d'art,  des  combats  déchirants  d'un  cœur,  n'est 
assurément  pas  d'un  écrivain  médiocre.  Mais,  non  content 
de  louer  ces  pages  comme  les  mieux  écrites  du  vilain  pam- 
phlet, on  les  a  crues  dignes  de  confiance  par  l'accord  où  il 
a  paru  qu'elles  étaient  avec  le  caractère  des  deux  amis  et 
par  la  vérité  d'accent  dans  les  paroles  attribuées  à  Molière. 
Pour  donner  cette  impression  de  vérité,  il  faut,  a-t-on  dit, 
qu'elles  soient  authentiques,  et  peut-être  ont-elles  été  tirées 
de  lettres  dont  le  libelliste  aura  eu  connaissance.  Nous  croyons 
au  contraire  qu'il  n'y  a'qu'un  très  habile  artifice  de  rhétorique 
dans  le  récit  de  ce  fameux  entretien;  et  quand  on  suppose- 
rait que  tout  n'y  fût  pas  de  pure  invention,  il  serait  encore 
visible  que  la  conversation  a  été  fort  librement  chargée 
d'interpolations  pour  faire  confirmer,  en  quelques  endroits, 
par  Molière  lui-même  ce  que  le  libelle  a  conté  des  scanda- 
leuses aventures  de  Mlle  Molière.  Grimarest,  qui  aimait, 
lui  aussi,  à  imaginer  des  scènes,  a  voulu  donner  à  son  tour 
la  sienne,  par  émulation  sans  doute,  et  avec  l'intention  de 
l'opposer  à  celle  de  la  Fameuse  Comédienne.  Molière,  selon 
lui,  ne  trouvait  pas  dans  Chapelle  un  ami  assez  consolant 
pour  qu'il  le  fît  entrer  dans  ses  peines  domestiques;  c'était 
à  deux  amis  plus  sérieux,  Rohault  et  Mignard,  qu'il  se 
livrait  sans  réserve  ;  ils  sont  les  confidents  avec  qui  Grima- 
rest lui  fait  épancher  son  cœur.  Dans  cet  épanchement,  les 
paroles  qui  lui  sont  prêtées  viennent,  en  ce  qui  touche  à  la 
conduite  de  sa  femme,  à  l'appui  de  l'idée  que  le  biographe 
a  voulu  nous  en  donner;  ce  qui  suffirait  pour  inspirer  le 
soupçon  d'une  scène  non  moins  arrangée  que  celle  du  pam- 
phlétaire. Dans  les  deux  confidences,  si  peu  authentiques, 
il  y  a  toutefois  un  assez  curieux  témoignage  de  ce  que  l'on 
croyait  savoir  des  sentiments  de  Molière,  et  l'on  est  porté 
à  admettre  que  ces  fictions  ont  peint  l'état  de  son  âme 
d'après  une  tradition  certaine,  surtout  lorsqu'on  en  rap- 
proche maints  vers  du  Misanthrope,  où  nous  avons  trouvé 
si  peu  douteux  que,  sous  la  figure  d'Alceste  amoureux,  le 
poète  nous  a  confié  ses  propres  pensées.  Citons  quelques 
passages  de  la  Fameuse  Comédienne  *,  qui  semblent  un  assez 

ï.  Pages  a7-3o. 


342  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

fidèle  écho  des  paroles  que  Molière  aurait  plus  d'une  fois 
fait  entendre  dans  ses  entretiens  intimes  :  «  Je  me  fis  à  moi- 
même  des  reproches  sur  une  délicatesse  qui  me  sembloit 
ridicule  dans  un  mari,  et  j'attribuai  à  son  humeur  ce  qui 
étoit  un  effet  de  son  peu  de  tendresse  pour  moi....  Mes 
bontés  ne  l'ont  point  changée.  Je  me  suis  donc  déterminé  à 
vivre  avec  elle  comme  si  elle  n'étoit  point  ma  femme.  Mais 
si  vous  saviez  ce  que  je  souffre,  vous  auriez  pitié  de  moi. 
Ma  passion  est  venue  à  un  tel  point  qu'elle  va  jusqu'à 
entrer  avec  compassion  dans  ses  intérêts.  Et  quand  je  con- 
sidère combien  il  m'est  impossible  de  vaincre  ce  queje  sens 
pour  elle,  je  me  dis  en  même  temps  qu'elle  a  peut-être  une 
même  difficulté  à  détruire  le  penchant  qu'elle  a  d'être 
coquette,  et  je  me  trouve  plus  de  disposition  à  la  plaindre 
qu'à  la  blâmer.  Vous  me  direz  qu'il  faut  être  poète'  pour 
aimer  de  cette  manière;  mais,  pour  moi,  je  crois  qu'il  n'y  a 
qu'une  sorte  d'amour,  et  que  les  gens  qui  n'ont  point  senti 
de  semblables  délicatesses  n'ont  jamais  véritablement  aimé. 
Toutes  les  choses  du  monde  ont  du  rapport  avec  elle  dans 
mon  cœur;  mon  idée  en  est  si  fort  occupée  que  je  ne  sais 
rien  en  son  absence  qui  me  puisse  divertir.  Quand  je  la 
vois,  une  émotion  et  des  ti'ansports,  qu'on  peut  sentir,  mais 
qu'on  ne  sauroit  exprimer,  m'ôtent  l'usage  de  la  réflexion; 
je  n'ai  plus  d'yeux  pour  ses  défauts,  il  m'en  reste  seulement 
pour  tout  ce  qu'elle  a  d'aimable.  N'est-ce  pas  le  dernier 
point  de  folie?  et  n'admirez-vous  pas  que  tout  ce  que  j'ai 
de  raison  ne  serve  qu'à  me  faire  connoître  ma  foiblesse  sans 
en  pouvoir  triompher?  » 

En  beaucoup  moins  éloquent  langage,  Grimarest  attribue 
a  Molière  une  confession,  au  fond  peu  différente,  de  ses 
souffrances  jalouses  et  des  indulgentes  excuses  qu'en  s'ac- 


I.  Dans  l'édition  sans  lieu  ni  date,  et  dans  celle  de  1690,  on 
lit  :  «  qu'il  faut  être  père  ».  Est-ce  la  première  leçon,  ou  une  va- 
riante? Quoi  qu'il  en  soit,  nous  ne  croyons  pas  à  une  faute  d'im- 
pression. Avoir  glissé  là,  dans  la  bouche  de  Molière  lui-même, 
l'aveu  de  sa  paternité,  serait  bien  digne  de  la  perfidie  du  pam- 
phlet. «  Je  crois  qu'il  n'y  a  qu'une  sorte  d'amour  »  s'entend 
mieux  que  dans  la  phrase  :  «  il  faut  être  poète  ». 


SUR  MOLIERE.  3i3 

cusant  lui-même  il  cherchait  dans  son  cœur  à  une  incurable 
coquettei'ie*  :  «  Avec  toutes  les  précautions  dont  un  homme 
peut  être  capable,  je  n'ai  pas  laissé  de  tomber  dans  le  dés- 
ordre, où  tous  ceux  qui  se  marient  sans  réflexion  ont  accou- 
tumé de  tomber....  Oui,  mon  cher  monsieur  Rohault,  je  suis 
le  plus  malheureux  de  tous  les  hommes...,  et  je  n'ai  que  ce 
que  je  mérite.  Je  n'ai  pas  pensé  que  j'étois  trop  austère  pour 
une  société  domestique.  J'ai  cru  que  ma  femme  devoit  assu- 
jettir ses  manières  à  sa  vertu  et  à  mes  intentions  ;  et  je  sens 
bien  que  dans  la  situation  où  elle  est,  elle  eût  encore  été 
plus  malheureuse  que  je  ne  le  suis,  si  elle  l'avoit  fait.  Elle  a 
de  l'enjouement,  de  l'esprit;  elle  est  sensible  au  plaisir  de 
le  faire  valoir;  tout  cela  m'ombrage  malgré  moi.  J'y  trouve 
à  redire,  je  m'en  plains.  Cette  femme,  cent  fois  plus  raison- 
nable que  je  ne  le  suis,  veut  jouir  agréablement  de  la  vie;  elle 
va  son  chemin;  et,  assurée  par  son  innocence,  elle  dédaigne 
de  s'assujettir  aux  précautions  que  je  lui  demande.  Je  prends 
cette  négligence  pour  du  mépris;  je  voudrois  des  marques 
d'amitié,  pour  croire  que  l'on  en  a  pour  moi;  et  que  l'on 
eût  plus  de  justesse  dans  sa  conduite  pour  que  j'eusse  l'es- 
prit tranquille.  Mais  ma  femme,  toujours  égale  et  libre  dans 
la  sienne,  qui  seroit  exempte  de  tout  soupçon  pour  tout 
autre  homme  moins  inquiet  que  je  ne  le  suis,  me  laisse 
impitoyablement  dans  mes  peines  ;  et  occupée  seulement  du 
désir  de  plaire  en  général,  comme  toutes  les  femmes,  sans 

avoir  de  dessein  particulier,  elle  rit  de  ma  foiblesse « 

Grimarest  suppose  qu'après  avoir  écouté  ces  confidences, 
«  M.  Rohault  étala  à  Molière  toutes  les  maximes  d'une  saine 
philosophie,  pour  lui  faire  entendre  qu'il  avoit  tort  de  s'aban- 
donner à  ses  déplaisirs.  —  Eh!  lui  répondit  Molière,  je  ne 
saurois  être  philosophe  avec  une  femme  aussi  aimable  que  la 
mienne  ;  et  peut-être  qu'en  ma  place,  vous  passeriez  encore 
de  plus  mauvais  quarts  d'heure.  »  On  aura  remarqué  ce 
qui  distingue  de  l'entretien  avec  Chapelle  cet  entretien  avec 
Rohault,  dans  lequel  Grimarest  a  laissé  la  marque  de  son 
opinion  particulière  sur  les  torts  réciproques,  insistant 
beaucoup  plus  que  le  libelle  sur  les  reproches  que  s'adres- 

I.   La  Fie  de  M.  de  Molière,  p.  i47-l5l. 


3^,',  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

sait  Molière,  et  lui  faisant  exprimer  une  foi  entière  dans 
l'innocence  des  coquetteries  de  sa  femme.  Cette  conviction 
du  peu  de  gravité  des  sujets  de  plainte  qu'elle  lui  donnait 
n'est  pas  très  facile  à  admettre.  S'il  l'avait  eue,  il  n'aurait 
pas  été  si  cruellement  tourmenté,  à  moins  que  l'on  n'ex- 
plique tout  par  une  telle  humeur  noire,  qu'il  y  aurait  peu 
d'hyberbole  chez  les  satiriques,  lorsqu'ils  l'ont  nommé  hy- 
pocondre. 

Dans  la  comédie  de  Chalussay,  l'hypocondrie  d'Elomire 
est  une  maladie,  une  vraie  folie,  qui  est  attribuée  aux  in- 
quiétudes que  lui  donnait  sa  toux,  à  ses  excès  de  travail, 
aux  soucis  de  la  direction  de  son  théâtre,  et  à  ses  peines 
domestiques.  Nous  ne  prenons  pas  pour  un  document 
une  caricature  grossière,  à  laquelle  sont  mêlées  quelques 
vérités  sur  tout  ce  qui  pouvait  porter  Molière  à  la  mélan- 
colie. Il  faut  seulement  reconnaître  qu'il  paraît  y  avoir  été 
enclin.  Avant  le  temps  de  son  mariage,  il  avait  déjà  la  répu- 
tation de  n'avoir  pas  dans  le  caractère  la  gaieté  qu'il  mettait 
dans  ses  pièces.  On  faisait  dire  à  Scarron  dans  sa  Pompe 
funèbre^,  imprimée  en  1660,  qu'il  ne  voulait  pas  choisir 
Molière  pour  son  successeur,  le  jugeant  «  un  bouffon  trop 
sérieux  y  ;  et  dans  le  Songe  du  rêveur,  qui  est  de  la  même 
année,  on  trouve  ce  petit  vers*  : 

Molière  qui  n'est  pas  rieur. 

«  Médecin^  gue'ris-toi  toi-même,  ditBayle,  Molière,  qui  diver- 
tissez tout  le  public,  divertissez-vous  vous-même^.  »  Ce  n'est 
pas  cependant  sans  une  veine  d'imagination  vraiment 
joyeuse  qu'on  écrit  les  scènes  les  plus  plaisantes  qui  aient 
jamais  égayé  le  théâtre  comique.  Molière  avait  évidemment 
deux  contraires  dons,  celui  du  franc  rire,  et  celui  du  sérieux 
poussé  jusqu'à  la  tristesse.  Non  seulement  il  est  dans  notre 
nature  de  ne  pas  échapper  aux  étranges  contrastes  des  deux 
hommes  qui  sont  dans  chacun  de  nous  ;  mais  on  les  trouve 

I.  Page  10. 
a.   Page  35. 

3  Dictionnaire  historique  et  critique,  à  l'article  PoQUELIM  (édition 
de  170a). 


SUR   MOLIERE.  345 

particulièrement  dans  un  grand  génie,  dont  la  formation 
n'est  jamais  mieux  assurée  que  par  la  combinaison  de  forces 
qui  sembleraient  devoir  se  repousser.  Et  puis,  sans  renoncer 
à  croire  chez  Molière  à  deux  prédispositions  opposées, 
tenons  compte  aussi  de  l'amertume  philosophique  par 
laquelle  ne  saurait  guère  manquer  de  se  laisser  gagner  le 
railleur  qui  fait  une  continuelle  étude  du  cœur  humain  et  de 
ses  faiblesses.  Mme  de  Staël  a  dit  avec  une  profonde  vé- 
rité :  tt  II  y  a  quelque  chose  de  triste  au  fond  de  la  plaisan- 
terie fondée  sur  la  connaissance  des  hommes'.  » 

Si,  comme  il  nous  a  semblé,  Molière  s'est  peint  lui- 
même,  du  moins  par  de  certains  côtés,  dans  son  Alceste, 
c'était  un  aveu  de  l'humeur  noire  qui  faisait  de  lui  un  atra- 
bilaire amoureux.  Avec  ce  penchant  à  mettre  plus  encore 
que  du  sérieux  dans  ses  affections,  il  dut  être  bien  malheu- 
reux lorsqu'il  ne  rencontra  que  frivolité  chez  celle  qu'il  ne 
pouvait  se  défendre  d'aimer.  Avoir  épousé  une  Célimène. 
s'il  est  vrai  que  Mlle  Molière  n'ait  rien  été  de  plus,  fut  le 
tourment  de  sa  vie,  qui,  au  milieu  de  soins  accablants,  dut 
renoncer  à  la  douceur  reposante  d'un  bon  ménage  et  d'une 
affection  partagée. 

«  La  grâce  »  de  Célimène-Armande  était  «  la  plus  forte  ». 
Quelle  idée  s'en  faire?  Sachant  que  l'amour  est  le  plus  sou- 
vent inexplicable,  Alceste  se  contente  de  dire  : 

Elle  a  l'art  de  me  plaire. 

J'ai  beau  voir  ses  défauts,  et  j'ai  beau  l'eu  blâmer, 
En  dépit  qu'on  en  ait,  elle  se  fait  aimer ^. 

C'est  nous  faire  craindre  qu'on  ne  soit  en  danger  de 
perdre  sa  peine  lorsqu'on  cherche  par  quel  charme  Armande 
avait  touché  le  cœur  de  Molière  ;  on  aura  toujours  cependant 
quelque  curiosité  de  demander  aux  témoignages  qu'on  peut 
recueillir  sur  elle  l'attrait  qu'ils  lui  reconnaissent. 

Le  plus  malveillant  de  ces  témoignages,  tout  en  lui  refu- 
sant d'avoir  jamais  été  belle,  avoue  qu'elle  ne  s'était  pas 
étudiée  en  vain  à  devenir  séduisante  :   a  La  petite  Béjart 

I.    Corinne,  livre  VII,  chapitre  ii. 

a.   Le  Misanthrope,  acte  I,  scène  i,  vers  23o-23a. 


346  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

n'avoit  point  encore,  dans  sa  grande  jeunesse,  ces  manières 
qui  sans  aucuns  traits  de  beauté*,  l'ont  depuis  rendue  si 
aimable  au  goût  de  bien  des  gens*.  »  La  séduction  de  son 
talent  de  comédienne  n'est  pas  niée  par  le  libelle  :  «  La 
Molière  représentait  Psyché  à  charmer^.  »  Parler  autrement 
eût  été  maladroitement  s'exposer  à  être  démenti  par  tous  les 
contemporains.  Consultons  les  gazettes  rimées.  Loret  parle 
ainsi  d'elle,  «  avec  serment  »,  dit-il,  dans  le  rôle  de  la  Prin- 
cesse d'Élide,  où  non  seulement  il  admire  le  jeu  de  l'actrice, 
mais,  on  le  remarquera,  ne  trouve  pas  ses  traits  sans  agré- 
ment : 

L'actrice,  au  joli  visage, 

Qui  joue  icelui  personnage, 

Le  représente  au  gré  de  tous. 

D'un  air  si  charmant  et  si  doux 

Que  la  feue  aimable  Baronne*, 

Actrice  si  belle  et  si  bonne, 

Et  qui  plaisoit  tant  à  nos  yeux, 

Jadis  ne  l'auroit  pas  fait  mieux  *. 

Robinet,  l'année  suivante  (i665),  vante  Mlle  Molière  avec 
un  enthousiasme  plus  lyrique  encore,  après  l'avoir  vue  très 
parée,  plus  brillante  toutefois  d'attraits  que  de  parure,  dans 
['Alexandre  de  Racine,  où  elle  faisait  le  personnage  de  Cléo- 

file  : 

G  justes  Dieux,  qu'elle  a  d'appas! 
Et  qui  pourroit  ne  l'aimer  pas? 
Sans  rien  loucher  de  sa  coilfure 
Et  de  sa  belle  chevelure, 
Sans  rien  toucher  de  ses  habits 
Semés  de  perles,  de  rubis. 


Rien  n'est  si  beau  ni  si  mignon. 


1.  L'édition  sans  lieu  ui  date  va  jusqu'à  parler  de  laideur  : 
«  il  est  sûr  que  la  Guérin  [c'est  le  nom  cT Armande  Béjart  remariée), 
quoique  fort  laide,  a  été  une  personne  fort  touchante,  quand 
elle  a  voulu  plaire.  » 

2.  La  Fameuse  Comédienne^  p.  8. 

3.  Ibidem,  p.  33. 

.  La  Baron.  Voyez  ci-dessus,  p.  igS  et  196. 
5.    La  Muse  historique,  lettre  du  8  novembre  1664. 


SUR    MOLIÈRE.  347 

Et  je  puis  dire  tout  de  bon 
Qu'ensemble  Amour  et  la  Nature 
D'elle  ont  fait  une  mignature 
Des  Appas,  des  Grâces,  des  Ris 
Qu'on  attribuoit  à  Cjpris'. 

Nous  eussions  eu  surtout  grand  plaisir  à  apprendre  d'un 
témoin  comment  elle  jouait  Célimène.  Robinet  l'encense  très 
galamment  dans  ce  rôle.  Il  trompe  toutefois  notre  attente 
par  son  admiration  banale,  également  partagée  entre  la  Cé- 
limène, l'Arsinoé  et  l'Eliante,  et  nous  laisse  ignorer  quelle 
spirituelle  coquetterie  Mlle  Molière  mettait  dans  son  jeu  : 

....  On  y  peut  voir  les  trois  Grâces, 
Menans  les  Amours  sur  leurs  traces. 
Sous  le  visage  et  les  attraits 
De  trois  objets  jeunes  et  frais, 
Molière,  du  Parc  et  de  Brie-. 

Quoique  la  date  de  la  naissance  de  Mlle  de  Brie  ne  soit 
pas  connue,  il  est  certain  qu'en  1666,  son  printemps  était 
quelque  peu  loin.  En  la  nommant  comme  un  des  «  trois  ob- 
jets jeunes  et  frais  »,  Robinet  nous  renseigne  imparfaitement 
sur  la  fraîcheur  des  deux  autres,  et  nous  invite  à  ne  pas 
prendre  à  la  lettre  toutes  les  louanges  qu'il  donne  aux  ac- 
trices. Il  ne  faudrait  pas  toutefois  se  hâter  de  croire  le  talent 
de  Mlle  Molière  exagéré  dans  les  citations  que  nous  avons 
faites.  Leurs  éloges  sont  confirmés  par  d'autres  témoi- 
gnages. 

A  l'occasion  de  la  leçon  de  chant,  dans  la  scène  y  de 
l'acte  II  du  Malade  imaginaire,  que  Mlle  Molière  et  La  Grange 
avaient  jouée  récemment  sur  le  théâtre  Guénégaud,  les  En- 
tretiens galons,  opuscule  anonyme  .imprimé  en  1681,  font 
concevoir  une  haute  idée  de  l'effet  produit  par  l'un  comme 
par  l'autre  et  de  leur  admirable  entente  du  théâtre^  :  «  Ils 

savent  toucher  le  cœur,  ils  peignent  les  passions Ils  jouent 

presque  aussi  bien  quand  ils  écoutent  que  quand  ils  parlent.... 

1.  lettre  du  27  décembre  i665. 

2.  Lettre  du  12  juin  1666. 

3.  Les  Entretiens  galans,  VI'  Entretien,  tome  II,  p.  gi-gS 


348  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Ils  ont  soin  de  leur  parure  avant  que  de  se  faire  voir,  et  ils 
n'y  pensent  plus  quand  ils  sont  sur  la  scène;  et  si  la  Molière 
retouche  quelquefois  à  ses  cheveux,  si  elle  raccommode  ses 
nœuds  ou  ses  pierreries,  ses  petites  façons  cachent  une  sa- 
tire judicieuse  et  naturelle.  Elle  entre  par  là  dans  le  ridi- 
cule des  femmes  qu'elle  veut  jouer;  mais  enfin,  avec  tous 
ces  avantages,  elle  ne  plairoit  pas  tant,  si  sa  voix  étoit 
moins  touchante.  » 

Mais  adressons-nous  beaucoup  mieux  encore  pour  avoir 
de  Mlle  Molière  une  image  d'une  ressemblance  qu'on  puisse 
dire  garantie,  le  peintre  ayant  été  plus  à  même  que  qui  que 
ce  fût  d'observer  le  modèle,  dont  il  s'est  efforcé  d'ailleurs 
de  ne  pas  cacher  les  imperfections.  Ce  peintre  n'est  autre 
que  Molière  lui-même.  Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  l'on 
a  reconnu  sa  femme  dans  cette  Lucile  d'une  de  ses  comé- 
dies, qu'il  a  peinte  avec  amour,  et  toutefois  avec  la  clair- 
voyance que  rien,  pas  même  sa  tendresse,  ne  pouvait  jamais 
lui  faire  perdre.  Le  portrait  que,  dans  le  troisième  acte  du 
Bourgeois  gentilhomme,  Cléonte  fait  de  celle  qu'il  aime,  tout 
en  la  croyant  infidèle,  n'est  autre,  d'après  le  Mercure  de 
France  de  mai  1740*,  que  celui  d'Armande;  et,  pour  le  prou- 
ver, il  nous  a  donné,  à  son  tour,  le  portrait  suivant,  que  son 
auteur,  quel  qu'il  soit,  devait,  très  vraisemblablement,  à  des 
personnes  ayant  connu  le  modèle*  :  «  Elle  avoit  la  taille 
médiocre,  mais  un  air  engageant,  quoique  avec  de  très 
petits  yeux,  une  bouche  fort  grande  et  fort  plate;  mais  fai- 
sant tout  avec  grâce,  jusqu'aux  plus  petites  choses,  quoi- 
qu'elle se   mît  très   extraordinairement  et  d'une  manière 

I.  Page  843. 

a.  On  en  eût  été  plus  certain  encore  si  les  deux  lettres  de  1740 
avaient  été  écrites  par  Mlle  Poisson,  comme  on  l'a  dit  très  sou- 
vent, et  même  dans  notre  édition,  au  tome  III,  p.  SjS-SSo,  et  au 
tome  VIII,  p.  a6.  Mais  M.  Monval,  dans  la  préface  de  sa  récente 
édition  des  Lettres  du  Mercure  sur  Molière,  a  très  bien  fait  remar- 
quer que  ces  lettres  avaient  presque  tout  tiré  des  Mémoires  sur  la 
vie  et  les  ouvrages  de  Molière  par  La  Serre  (1734),  et  que  ces  Mé- 
moires n'attribuent  à  une  fille  de  du  Croisy  que  le  portrait  de 
Molière.  Il  reste  infiniment  probable  que  celui  de  Mlle  Molière  a 
été  donné  d'après  de  bons  renseignements. 


SUR    MOLIERE.  3',9 

presque  toujours  opposée  à  la  mode  du  temps.  »  Ce  signale- 
ment offre  assez  de  différences  avec  celui  de  la  lille  de 
M.  Jourdain  pour  n'en  pas  paraître  une  simple  copie;  en 
même  temps  assez  de  ressemblances  pour  que  tous  deux 
fassent  reconnaître  la  même  pei'sonne.  On  se  serait  d'ail- 
leurs passé  de  cette  preuve  pour  deviner  à  qui  Molière 
avait  pensé  dans  un  portrait  qu'il  a  marqué  de  traits  trop 
particuliers  pour  être  de  pure  imagination,  et  trop  char- 
mants pour  qu'il  ne  les  ait  pas  pris  dans  son  cœur;  il  y  a 
mis  toutes  les  caresses  de  son  pinceau.  La  scène  où  le  valet 
Covielle  essaye  de  le  faire,  et  oîi  Cléonte  le  retouche  et  le 
corrige,  en  amoureux  entraîné  à  oublier  ses  griefs,  est  une 
des  plus  délicieuses  que  Molière  ait  écrites. 

Si  souvent  qu'elle  ait  été  citée,  et  si  présente  qu'elle 
soit  à  toutes  les  mémoires,  il  faut  replacer  ici  sous  les  yeux 
de  ceux  mêmes  à  qui  elle  est  le  plus  familière,  cette  pein- 
ture achevée  de  la  personne  sur  qui  nous  rassemblons  ici 
tous  les  témoignages  :  «  Elle,  Monsieur!  dit  l'impoli 
Covielle,  voilà  une  belle  mijaurée,  une  pimpesouée  bien 
bâtie,  pour  vous  donner  tant  d'amour  !  Je  ne  lui  vois  rien 
que  de  très  médiocre,  et  vous  trouverez  cent  personnes  qui 
seront  plus  dignes  de  vous.  Premièrement,  elle  a  les  yeux 
petits.  —  Cléoxte.  Cela  est  vrai,  elle  a  les  yeux  petits;  mais 
elle  les  a  pleins  de  feux,  les  plus  brillants,  les  plus  perçants 
du  monde,  les  plus  touchants  qu'on  puisse  voir.  —  Covielle. 
Elle  a  la  bouche  grande.  —  Cléoxte.  Oui;  mais  on  y  voit 
des  grâces  qu'on  ne  voit  point  aux  autres  bouches  ;  et  cette 
bouche,  en  la  voyant,  inspire  des  désirs,  est  la  plus 
attrayante,  la  plus  amoureuse  du  monde.  — Covielle.  Pour 
sa  taille,  elle  n'est  pas  grande.  —  Cléonte.  Non  ;  mais  elle 
est  aisée  et  bien  prise.  —  Covielle.  Elle  affecte  une  non- 
chalance dans  son  parler  et  dans  ses  actions.  —  Cléoxte. 
Il  est  vrai  ;  mais  elle  a  grâce  à  tout  cela,  et  ses  manières 
sont  engageantes,  ont  je  ne  sais  quel  charme  à  s'insinuer 
dans  les  cœurs.  —  Covielle.  Pour  de  l'esprit,...  —  Cléonte. 
Ah!    elle    en    a,    Covielle,    du    plus    fin,    du  plus    délicat. 

[Cléonte  s'y  connaissait.)  —  Covielle.  Sa  conversation — 

Cléonte.  Sa  conversation  est  charmante.  —  Covielle.  Elle 
est  toujours  sérieuse.  —  Cléonte.  Veux-tu  de  ces  enjoué- 


35o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

ments  épanouis,  de  ces  joies  toujours  ouvertes?  et  vois-tu 
rien  do  plus  impertinent  que  des  femmes  qui  rient  à  tout 
propos?  —  CoviKLLE.  Mais  enfin  elle  est  capricieuse  autant 
que  personne  du  monde.  —  Clkoxtk.  Oui,  elle  est  capri- 
cieuse, j'en  demeure  d'accord  ;  mais  tout  sied  bien  aux 
belles,  on  souffre  tout  des  belles*.  » 

On  aura  sans  doute  reconnu  un  des  traits  qui  n'avaient 

pas  échappé  à  Robinet  :  Rien  «  n'est  si  mignon C'est  une 

miniature.  «  Et  ces  «  manières  engageantes  3>  qui  s'insi- 
nuent dans  les  cœurs,  on  les  a  trouvées  déjà  dans  la  cita- 
tion que  tout  à  l'heure  nous  avons  faite  de  la  Fameuse  Co- 
médienne. 

Dans  l'agréable  variante  du  Drpit  amoureux,  que  nous 
donne  la  comédie  de  16^0,  ce  n'est  pas  seulement  en  se  fai- 
sant le  peintre  de  sa  femme  que  Molière  nous  a  laissé  une 
page  de  ses  Me'moires.  Il  nous  apprend  là  qu'il  n'avait  pas 
cessé  d'être  sous  le  charme  à  cette  date,  ou  du  moins  qu'il 
s'y  laissait  toujours  ramener  comme  Horace  dans  son  chant 
alterné  avec  sa  Lydie.  Quelle  touchante  déclaration  à  l'in- 
grate !  et  qu'il  a  d'envie,  à  l'exemple  de  son  Cléonte,  de 
l'aimer,  malgré  tout,  et  de  trouver  injustes  ses  soupçons! 
Nous  pouvons  compter  l'année  oiî  fut  écrite  cette  jolie  scène 
comme  une  de  celles  où  il  se  prêta  à  une  réconciliation. 
Quand  on  le  voit  prendre  un  extrême  plaisir  soit  à  la  célé- 
brer, soit  à  mettre  tant  de  bonne  grâce  à  l'offrir,  on  se 
refuse  à  admettre  que  jamais,  aveuglement  ou  non,  ses  cha- 
grins aient  été  au  delà  d'une  crainte  mal  éclaircie  des  im- 
pardonnables infidélités.  Il  y  a  des  offenses  d'une  telle  na- 
ture, que  le  pardon  serait  une  lâcheté.  C'est  assez  de  croire 
qu'ayant  si  réellement  à  se  plaindre  d'une  coquetterie  et 
d'une  froideur  qui  le  mettaient  au  désespoir,  Molière  n'avait 
pas  la  force  de  se  déprendre. 

Un  trait  de  son  caractère,  qui  ne  doit  pas  être  oublie, 
est  l'empire  que  l'amour  avait  sur  son  cœur.  Pour  ne  pas  per- 
mettre d'en  douter,  il  suffirait  des  peintures  qu'il  a  faites 
de  cette  passion.  Il  serait  peut-être  prescpie  aussi  juste  de 
dire  le  tendre  Molière,  que  le  tendre  Racine.  S'élevant  dans 

I .   Le  Bourgeois  gentilhomme,  acte  ITI,  scène  ix. 


SUR   MOLIERE.  35i 

mainte  scène  au-dessus  des  galants  lieux  communs  de  la 
comédie,  il  a  donné,  lui  aussi,  sa  plus  véritable  éloquence 
à  l'amour,  surtout  à  l'amour  jaloux,  non,  comme  Racine, 
chez  les  amantes,  mais  plutôt  chez  les  amants.  C'est  tantôt 
Arnolphe,  tout  ridicule  qu'il  est,  tantôt  le  singulier,  mais 
noble  Alceste,  ouDonGarcie,  première  épreuve  de  ce  rôle; 
c'est  encore  l'Eraste  du  Dépit  amoureux,  ou  le  Cléonte  du 
Bourgeois  gentilhomme.  Celui  qui  faisait  si  bien  parler  à  ses 
personnages  un  langage  passionné,  ne  le  parlait  sans  doute 
pas  plus  mal  pour  son  compte.  Dans  sa  galanterie  de  mari 
amant,  nous  nous  le  représentons  singulièrement  aimable.  Il 
semble  donc  qu'il  lui  devait  être  facile  de  trouver  le  chemin 
d'un  cœur,  surtout  avec  le  prestige  de  sa  gloire  de  poète, 
qui  rendait  sa  tendresse  très  flatteuse.  En  avoir  été  peu 
touchée  fait  peu  d'honneur  à  Mlle  Molière. 

On  a  cependant  réclamé  contre  la  sévérité,  même  la  plus 
adoucie,  des  jugements  portés  sur  elle;  on  a  parlé  de  torts 
réciproques  et.  pour  expliquer  les  dissensions  domestiques, 
allégué  l'incompatibilité  des  humeurs.  Le  caractère  inquiet 
de  Molière,  a-t-on  dit,  et  ses  emportements  jaloux,  ont  irrité 
la  fierté  de  sa  femme,  qui  chercha  par  des  bravades  de 
coquetterie  à  se  venger  d'une  fatigante  défiance.  Cette  apo- 
logie de  Mlle  Molière  est  au  moins  excessive,  et  nous  ne 
croyons  pas  juste  de  tenir  la  balance  égale  entre  les  deux 
époux;  mais  nous  ne  faisons  pas  difficulté  de  reconnaître 
le  désaccord  des  caractères,  et  certains  côtés  de  celui  de 
Molière  propres  à  effrayer  une  jeune  femme  frivole.  Sans 
doute  le  grand  homme  lui  paraissait  bien  philosophe,  bien 
rêveur,  souvent  trop  triste,  et,  sous  le  poids  d'un  incessant 
travail,  plus  tourmenté  qu'elle  ne  l'eût  voulu  pour  son  agré- 
ment et  sa  commodité,  du  besoin  d'un  intérieur  tranquille 
et  d'une  tendresse  égale  à  la  sienne.  La  jalousie  qui  était 
dans  sa  nature,  et  que,  dans  la  vie  comique,  on  jugeait  une 
bizarrerie,  faisait  de  lui  pour  cette  Béjart  un  importun,  un 
mari  gênant.  Elle  devait  dire  comme  Célimène  dans  un  de 
ses  billets  :  <^  Il  est  cent  moments  où  je  le  trouve  le  ])lus 
fâcheux  du  monde'.  «  Et  puis  n'était-il  pas  facilement  irri- 

I .  Le  Misant/trope,  acte  V,  scène  dernière. 


35a  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

table?  N'avait-il  pas  des  brusqueries,  des  mouvements  de 
vive  impatience?  On  voudra  peut-être  citer  en  preuve  une 
anecdote  contée  par  Grimarest*,  de  sa  colère  contre  le  valet 
qui,  par  deux  fois,  lui  avait  mis  un  de  ses  bas  à  l'envers*. 
La  preuve  est  très  insuffisante.  Un  moment  d'emportement 
ne  donne  pas  le  droit  de  regarder  comme  imméritée  la  ré- 
putation qu'il  a  eue  de  beaucoup  de  douceur,  et  d'une  bonté 
familière  pour  ceux  qui  le  servaient. 

Quand  on  lui  ferait  sa  petite  part  dans  les  causes  de  la 
désunion  du  ménage,  on  ne  trouverait  de  son  côté  rien 
d'assez  grave  pour  faire  pardonner  à  sa  femme  d'avoir  si 
mal  apprécié  un  tel  attachement  et  de  ne  s'être  pas  laissé 
désarmer  par  l'extrême  indulgence  qui  tant  de  fois  lui  offrit 
des  traités  de  paix.  Les  défauts  de  Molière  étaient  faciles  à 
supporter,  et  plus  que  compensés  par  les  qualités  qui  le  fai- 
saient aimer  de  quiconque  vivait  dans  sa  familiarité  :  «  Il 
étoit  doux,  complaisant,  généreux  »,  est-il  dit  dans  le  por- 
trait qu'a  donné  de  lui  la  fille  de  son  camarade  du  Croisy^. 

Puisque  nous  faisons  un  emprunt  à  ce  portrait,  n'en  ci- 
tons pas  seulement  les  traits  du  caractère  de  Molière  qui  le 
terminent.  Car,  bien  qu'en  ce  moment  nous  ayons  plutôt 
affaire  des  peintures  de  ses  qualités  morales  que  de  celle  de 
son  extérieur,  nous  ne  voudrions  pas  que  l'on  ait  vu  tout  à 
l'heure  le  signalement  de  la  femme  sans  pouvoir  en  rappro- 
cher celui  du  mari,  où  d'ailleurs  on  cherchera  peut-être 
quelques  indications  de  caractère,  données  par  la  physiono- 
mie :  «  Molière  n'était  ni  trop  gras,  ni  trop  maigre;  il  avoit 
la  taille  plus  grande  que  petite,  le  port  noble,  la  jambe  belle. 
Il  marchoit  gravement,  avoit  l'air  très  sérieux,  le  nez  gros, 
la  bouche  grande,  les  lèvres  épaisses,  le  teint  brun,  les  sour- 

1.  La  Fie  de  M.  de  Molière,  p.  a53-255. 

2.  La  très  curieuse  biographie  de  ce  valet,  surnommé  Provençal, 
a  été  écrite  par  M.  Monval,  dans  un  petit  volume  publié  en  1887, 
sous  ce  titre  :  le  Laquais  de  Molière. 

3.  Les  objections  à  l'attribution  du  portrait  de  Mlle  Molière  à 
Mlle  Poisson  n'existent  pas  pour  le  portrait  de  Molière.  La  Serre, 
en  le  donnant  dans  ses  Mémoires  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Mo- 
lière, au  tome  I  des  OEuvres  (^LDCC.XXXIV,  in-4''),  p.  lu,  dit 
positivement  qu'il  le  doit  à  Mlle  Poisson. 


SUR    MOLIERE.  '  3j5 

cis  noirs  et  forts,  et  les  divers  mouvements  qu'il  leur  dou- 
noit  lui  rendoient  la  physionomie  extrêmement  comique.  » 
A  côté  de  l'humeur  sérieuse  et  grave  que,  dans  les  scènes 
gaies,  la  mobilité  du  masque  comique  pouvait  seule  cacher, 
la  bonté  n'est-elle  [)as  marquée  là  par  un  certain  signe,  par 
celui  des  lèvres  épaisses,  soit  dit  sans  avoir  de  prétention  à 
la  science  d'un  Lavater? 

Lorsqu'on  a  parlé  du  ménage  de  Molière,  on  a  quelquefois 
voulu  savoir  à  quels  moments  les  orages  y  avaient  éclaté,  à 
quels  moments  ils  s'étaient  calmés  :  on  ne  l'a  pas  claire- 
ment établi.  Il  aurait  au  moins  fallu  se  garder  de  demander 
des  renseignements  à  la  Fameuse  Cnme'dieniic.  rsous  avons  eu 
occasion  de  dire  que  ce  venimeux  roman  fait  commencer  les 
scènes  douloureuses  de  très  bonne  heure,  dès  le  temps  où  il 
a  honteusement  imaginé  les  amours  tarifées  de  l'abbé  de 
Richelieu*.  Par  les  anachronismes,  par  les  mensonges, 
dont  il  a  été  aisé  de  le  convaincre,  le  libelle  a  perdu  tout 
droit  à  être  cru.  On  n'a  donc  pas  à  l'écouter  lorsqu'il  ra- 
conte ensuite  que  Mlle  Molière  ne  renonça  pas  longtemps  à 
ses  galantes  intrigues,  qu'alors  Molière,  à  qui  l'on  ouvrit 
pour  la  seconde  fois  les  yeux,  la  menaça  de  la  faire  enfer- 
mer, mais,  touché  par  un  évanouissement  de  la  femme  arti- 
ficieuse, se  repentit  de  sa  violence,  et  de  nouveau  fit  grâce, 
à  la  condition  d'une  meilleure  conduite.  Elle,  cependant,  au 
lieu  d'être  reconnaissante  de  tant  de  bonté,  demande  la 
séparation,  et  de  ce  jour  donne  à  son  mari  tant  de  preuves 
d'aversion,  qu'il  accepte  enfin  la  rupture;  elle  se  fait  sans 
arrêt  du  Parlement-,  on  néglige  de  dire  en  quel  temps  ;  puis, 
immédiatement,  pour  amener  les  confidences  de  Molière  à 
Chapelle^,  on  nous  transporte  à  Auteuil,  où  il  paraît  con- 
staté que  Molière  ne  loua  une  maison  qu'en  1667^.  Suit  le 
récit,  toujours  sans  preuves,  des  amours  de  Mlle  Molière  cl 
de  Baron,   à  l'époque  de  Psjchc,  en  1671^.  Quelques  mois 

î.  Voyez  ci-dessus,  p.  3oi.  •.,,-(,, 

2.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  2I.      ■  ,     r  ..     ,   .  . 

3.  Ibidem,  p.  22-3o.  ; 

4.  Les  Points  obscurs  de  la  vie  de  Molière,  p.  jai. 
5     La  Fameuse  Comédienne,  p.  S'i-Sy. 

Molière,  x  a3 


35.',  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

après,  Madeleine  Béjart  meurt,  nous  sommes  bien  étonnés 
tra])prcndre  que  c'est  de  chagrin,  tant  elle  avait  été  sensible 
aux  désordres  du  ménage'.  Si,  laissant  de  côté,  comme  il  le 
mérite,  l'opuscule  diffamatoire,  on  s'adresse  à  Grimarest,  sa 
Vie  de  Molière  n'inspire  pas  la  même  défiance.  Mais,  sur  le 
détail  des  discordes  domestiques  et  des  réconciliations,  son 
témoignage  est  court.  Il  est  évident  que  pour  cette  jKirtie 
de  sa  biographie  il  n'avait  pu  recueillir  que  des  renseigne- 
ments incomplets.  Il  nous  fait  bien  comprendre  pourquoi  : 
«  Ayant  été,  dit-il,  malheureux  de  ce  côté-là,  [Molicrc'^  avoit 
la  prudence  de  n'en  parler  jamais  qu'à  ses  amis  ;  encore 
falloit-il  qu'il  y  fût  indispcnsablemcnt  obligé^.  «  Dans  le 
petit  nombre  de  passages  où  Grimarest  touche  quelques 
mots  des  querelles  et  des  trêves,  il  semble  rarement  con- 
naître les  dates  des  unes  et  des  autres.  On  peut  croire,  sans 
que  pourtant  ce  soit  d'une  parfaite  clarté,  qu'il  rapporte  au 
temps  de  la  Princesse  d'Élide  les  premiers  ombrages  de  Mo- 
lière et  ses  premiers  reproches  à  la  coquette  comédienne^. 
Plus  positive  est  la  date  du  trouble  qu'il  raconte  avoir  été 
mis  dans  le  ménage  par  la  faute  d'Armande,  lorsque,  jalouse 
des  soins  presque  paternels  donnés  par  Molière  au  jeune 
Baron,  elle  maltraita  cet  enfant  que  son  généreux  mari  avait 
recueilli  dans  sa  maison,  et  comme  adopté*.  Cette  brouille 
est  du  temps  où  l'on  préparait  la  représentation  de  Mélicerte, 
à  la  lin  de  16G6.  Comme  c'est  au  même  endroit  que  Grima- 
rest montre  Molière  très  malheureux  entre  l'une  et  l'autre 
Béjart,  Madeleine  qui  ne  l'aimait  plus,  Arraande  qui  sem- 
blait prête  à  le  haïr,  n'est-ce  pas  également  à  l'époque  de 

1.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  38. 

2.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  a 33. 

3.  Ibidem,  p.  69. 

4.  Ibidem,  p.  110-112.  —  Les  pages  les  plus  honteuses  de  la 
Fameuse  Comédienne,  les  phis  indignes  d'être  réfutées,  sont  celles 
où  le  libelle  salit  par  une  infâme  calomnie  la  charitable  amitié  de 
Molière.  11  est  remarquable  qu'elles  ne  se  trouvent  pas  dans  l'édi- 
tion sans  lieu  ni  date.  —  Grimarest  a  raconté  avec  de  longs  dé- 
tails, qui  seraient  de  trop  ici,  dans  quelles  circonstances  Molière 
se  chargea  du  petit  comédien  destiné  à  tant  de  célébrité,  com- 
ment il  prit  plaisir  à  le  former  et  de  quelles  bontés  il  le  combla. 


SUR  MOLIEr.E.  35!. 

Méliccrtc  qu'il  place  ce  doul)]e  accablement  des  tracas  de 
son  intérieur,  ou  bien,  nous  reportant  à  quelques  lignes 
plus  haut,  supposerons-nous  qu'il  a  eu  en  vue  l'année  1668, 
dont  il  vient  de  parler  à  l'occasion  de  l'Avare? 

Si  l'on  voit  que  les  informations  lui  ont  manqué  pour 
suivre  Molière  dans  ses  épreuves  domestiques  avec  l'exac- 
titude d'un  annaliste,  son  témoignage  n'en  est  pas  moins 
le  seul  sur  lequel  on  puisse  s'appuyer  lorsqu'on  veut  don- 
ner quelque  idée  de  cette  triste  histoire.  Ce  qu'il  en  a 
dit  de  plus  intéressant  se  trouve  dans  cet  entretien  que 
nous  avons  cité^  de  Molière  avec  son  ami  Rohault.  La  scène 
est  sans  doute  imaginaire;  mais  nous  croyons  que  Grimarest 
n'y  a  pas  tout  inventé  :  il  y  a  mis  ce  qu'il  avait  entendu  ra- 
conter des  chagrins  jaloux  de  Molière,  de  sa  facilité  de 
pardon,  qui  allait  jusqu'à  s'accuser  lui-même,  à  prendre 
parti  pour  sa  femme,  à  lui  chercher  du  moins  des  excuses. 
II  n'a  contesté  nulle  part  la  mésintelligence  des  deux  époux; 
mais  s'est  indigné  contre  les  mensonges  de  la  Fameuse  Co" 
mcdienne,  qu'il  reproche  à  Bayle  d'avoir  cités  dans  son 
Dictionnaire.  Il  ne  veut  pas  laisser  croire  à  un  état  de 
guerre  aussi  violent  qu'on  s'était  plu  à  le  représenter. 
«  Molière,  dit-il,  après  avoir  essuyé  beaucoup  de  froideurs 
et  de  dissensions  domestiques,  fit  son  possible  pour  se  ren- 
fermer dans  son  travail  et  dans  ses  amis,  sans  se  mettre  en 
peine  de  la  conduite  de  sa  femme*.  »  Et  ailleurs  :  «  Il  vivoit  en 
vrai  philosophe  ;  et,  toujours  occupé  de  plaire  à  son  Prince 
par  ses  ouvrages,  et  de  s'assurer  une  réputation  d'hon- 
nête homme,  il  se  mettoit  peu  en  peine  des  humeurs  de  sa 
femme,  qu'il  laissoit  vivre  à  sa  fantaisie  quoiqu'il  conservât 
toujours  pour  elle  une  véritable  tendresse^.  »  Sans  croire 
à  tant  de  philosophie,  qui  aurait  paru  une  indifférence 
sans  dignité,  on  entrevoit  là  quelque  vérité.  S'il  n'est  pas 
douteux  que  la  femme  de  Molière  ne  l'ait  cruellement  fait 
souffrir,  et  qu'il  ne  se  soit  souvent  emporté  en  vifs  et  justes 
reproches,  il  était  trop  distrait  de  ses  peines  par  le  travail 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  842  et  343. 

2.  La  Vie  de  M.  de  Molière^  p.  "jO. 

3.  Ihidein,  ji.  ^79  et  280. 


356  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

qu'il  aimait,  en  même  temps  il  jugeait  avec  trop  de  bon  sens 
les  inévitables  inconvénients,  dans  un  mariage,  de  la  vie  de 
théâtre  où  il  avait  engagé  sa  femme,  pour  ne  pas  se  résigner 
à  quelque  indulgence.  Il  n'a  jamais  cessé  de  jouer  ses  co- 
médies avec  Arraande,  d'y  choisir  pour  elle  des  rôles  très 
propres  à  la  faire  briller.  Il  a  fait  plus  :  dans  quelques-unes 
de  ces  pièces,  il  a  laissé  éclater  l'amour  dont  les  torts  de 
l'ingrate  ne  l'avaient  pas  guéri;  et  c'est  alors  surtout  qu'on 
trouverait  à  faire  les  conjectures  les  plus  vraisemblables  sur 
les  moments  de  ses  réconciliations,  tout  au  moins  de  ses 
offres  de  paix. 

Grimarest  place  dix  mois  avant  la  première  représenta- 
tion du  Malade  imaginaire  (lo  février  1673)  l'intervention 
d'amis  qui  essayèrent  de  rétablir  l'union  entre  les  époux, 
«  ou,  pour  mieux  dire,  de  les  faire  vivre  avec  plus  de  con- 
cert* ».  Ce  serait  vers  le  mois  d'avril  1672.  Pour  une  fois 
que  Grimarest  hasarde  une  date  précise,  il  ne  paraît  pas 
avoir  reçu  de  bons  renseignements.  Nous  ne  voudrions  pas 
lui  objecter  ce  petit  fait  raconté  par  Brossette  :  dans  la 

I.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  280  et  283.  —  On  a  parlé  ail- 
leurs de  cette  réconciliation,  la  dernière  en  date,  à  laquelle  au- 
raient travaillé  des  amis,  non  pas  dix  mois  avant  la  représentation 
du  Malade  imaginaire,  mais  lorsque  cette  comédie  venait  d'être 
achevée.  Les  officieux  amis  que  l'on  nomme  sont  Chapelle  et  le 
marquis  de  Jonzac  :  «  Molière...,  dans  l'intention  d'offrir  à  sa 
femme  le  rôle  d'Angélique,  et  sachant  combien  la  douceur  de  sa 
voix  ajoutoit  à  l'expression  des  sentiments  naturels,  avoit  su  rendre 
ce  rôle  assez  aimable  pour  faire  applaudir,  d'un  bout  à  l'autre, 
l'actrice  qu'il  en  chargeroit.  Jonzac  fit  sentir  à  Mme  Molière  le 
prix  d'un  pareil  soin  de  la  part  d'un  mari  maltraité.  Peut-être 
ce  motif  la  touclia-t-il  foiblement;  mais  l'espérance  de  plaire 
dans  un  rôle  écrit  pour  elle  la  décida.  Le  rapprochement  eut 
lieu  dans  la  soirée  même.  »  Nous  ne  trouvons  cette  anecdote 
que  dans  l'écrit  assez  singulier  intitulé  :  Extrait  des  Mémoires  de 
Madame  Guériii,  veuve  de  Molière,  et  qui  est  en  grande  partie  une 
compilation  de  la  Fameuse  Comédienne.  Cet  extrait  a  été  publié 
dans  la  seconde  livraison  de  la  Collection  des  Mémoires  dramatitjues 
(Paris,  1823).  L'anecdote  est  aux  pages  i85  et  186,  où  l'on  fait 
entendre  qu'elle  est  tirée  du  libelle;  cependant  nous  ne  la  lisons 
dans  aucune  des  éditions  que  nous  en  avons'^ies. 


SUR  MOLIERE.  357 

scène  première  des  Femmes  savantes^  les  vers  78  cl  74 
étaient  d'abord  ainsi  : 

QuaucI  sur  une  personne  on  prétend  s'ajuster, 
C'est  par  les  beaux  côtés  qu'il  la  faut  imiter. 

Boileau  n'en  avant  pas  été  content,  Molière  le  pria  de  les 
refaire,  «  tandis  qu'il  alloit  sortir  un  moment  avec  sa 
femme*  ».  On  pourrait  conclure  de  là  que  le  ménage  n'a- 
vait pas  alors  grand  besoin  que  des  amis  prissent  soin  d'y 
remettre  le  bon  accord;  mais  il  faudrait  savoir  quand  Boi- 
leau proposa  la  correction  qui  fut  adoptée,  si  ce  fut  avant 
la  première  représentation,  donnée  le  1 1  mars  1672,  ou  seu- 
lement après  l'impression,  àoïi\.\' Achevé' est  du  10  décembre 
suivant.  Il  y  a  une  difficulté  plus  sérieuse  à  opposer  à  Gri- 
marest.  La  naissance  d'un  troisième  enfant  de  Molière,  le 
i5  septembre  1672,  sept  ans  après  celle  du  second,  aurait 
dû  l'avertir  que  bien  avant  le  mois  d'avril  de  la  même  an- 
née la  séparation  avait  cessé.  Cet  enfant,  Pierre- Jean-Bap- 
tiste-Armand, qui  vécut  un  peu  moins  d'un  mois,  eut  pour 
parrain  Pierre  Boileau  (Puymorin),  frère  de  Despréaux, 
pour  marraine  la  fille  de  Pierre  Mignard^.  Il  est  assez  vrai- 
semblable que  les  médiateurs  dont  l'amitié  avait  amené  une 
réconciliation  furent  principalement  Mignard  et  les  Boileau. 
Il  est  à  remarquer  que,  des  enfants  de  Molière,  ce  dernier 
né  est  le  seul  à  qui  l'on  ait  donné,  après  le  prénom  du  par- 
rain, les  prénoms,  amicalement  rapprochés,  du  père  et  de 
la  mère,  comme  avec  l'intention  de  constater  l'union  étroi- 
tement rétablie.  La  distraction  de  Grimarest,  qui  n'a  pas 
tenu  compte  de  la  dernière  grossesse  de  Mlle  Molière,  est 
d'autant  plus  singulière  qu'il  venait  de  nous  donner  d'une 
aggravation  de  l'état  valétudinaire  de  Molière  une  explica- 
tion médicale,  aussi  peu  soucieuse  de  délicate  réserve  que 
certaines  promesses  de  M.  Purgon  dont  Argan  se  vante  à 
sa  femme^.  Molière,  dit-il,  «  pour  rendre  l'union  plus  par- 

1.  Ms.  de  Brossette,  p.  36. 

2.  Voyez  aux  Pièces  justificatii-es,  n°  XI,  l'acte  de  baptême  en 
date  du  i"^  octobre  1672. 

Le  Malade  imaginaire,  acte  1,  scène  vu,  p.  Si". 


3Si  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

faite,  quitta  l'usage  du  lait,  qu'il  n'avait  pas  discontinué 
jusqu'alors,  et  il  se  mit  à  la  viande.  Ce  changement  d'ali- 
ments redoubla  sa  toux  et  sa  fluxion  sur  la  poitrine'.  » 

Dans  un  temps  très  antérieur,  où  la  désunion  dans  le 
ménage  ne  pouvait  être  déjà  supposée,  on  n'a  pas  eu  à  cher- 
cher dans  la  naissance  d'un  enfant  l'indication  d'un  mo- 
ment de  réconciliation.  Le  premier  né,  Louis,  celui  qui  fut 
le  filleul  du  roi  et  de  la  duchesse  d'Orléans*,  était  venu  au 
monde  le  19  janvier  1664^.  Il  va  sans  dire  qu'à  une  époque 
si  voisine  du  mariage,  on  ne  vivait  pas  séparés.  Tout  au 
plus  y  aurait-il  quelque  conjecture  à  tirer  de  la  naissance, 
en  août  i6G5,  d'une  fille,  qui  devint  en  i^oî  Mme  de  Mon- 
talant.  Si  les  querelles  dont  les  fêtes  de  mai  1664  furent, 
dit-on,  l'occasion,  étaient  plus  certaines,  il  faudrait  croire 
qu'elles  ne  tardèrent  pas  à  s'apaiser.  Quelle  cjue  soit  la  va- 
leur d'une  preuve  de  retour  à  la  concorde,  que  semblerait 
fournir  la  naissance  de  l'enfant  destiné  seul  à  survivre  à  ses 
parents,  c'est  plutôt  son  baptême^  qui  offre  un  fait  curieux 
de  la  vie  de  Molière. 

Cet  enfant  reçut  les  prénoms  d'Esprit-Madeleine,  dont 
l'un  lui  était  donné  par  son  parrain.  Esprit  de  Rémond, 
marquis  de  Modène,  l'autre  par  sa  marraine,  Madeleine 
Béjart.  On  ne  voit  pas  sans  quelque  étonnement  reparaître 
ce  Modène.  Lorsqu'on  regarde  comme  vraisemblable  que 
Madeleine  Béjart  était  la  grand'mère  de  la  petite  baptisée, 
la  pensée  vient  assez  naturellement  que  le  parrain  pouvait 
bien  être  le  grand-père;  mais,  en  l'absence  de  preuves  plus 
décisives,  nous  l'avons  déjà  dit^,  ce  ne  sera  jamais  qu'une 
conjecture.  De  quelque  manière  qu'on  cherche  à  expliquer 
le  choix  comme  parrain  de  l'homme  qui  avait  été  avant  Mo- 
lière l'amant  de  Madeleine,  il  ne  fait  pas  bonne  figure  dans 
ce  baptême  de  i665.  Tout  ce  qui  est  regrettable  dans  la  vie 

1.   La  vie  de  M.  de  Molière,  p.  a8o  et  281. 
3.  Voyez  ci-dessus,  p.  269. 

3.  Il  mourut  quelques  mois  après,  le  11  novembre  1664.  Voyez 
aux  Pièces  justificatives,  n°  X. 

4.  \oyez  aux  Pièces  justificatives,  n"  XII,  l'acte  de  ce  baptême. 

5.  Voyez  ci-dessus,  p.  261  et  262. 


SUR  MOLIÈRE.  Vyg 

privée  de  Molière,  tout  ce  qui  a  blessé  non  seulement  le 
bonheur,  mais  la  dignité  de  cette  vie,  est  venu  des  liaisons 
avec  les  Béjart,  du  mariage  qui  les  a  rendues  plus  étroites 
encore.  Il  n'en  est  sans  doute  pas  moins  resté  chez  notre 
grand  poète  de  nombreuses  marques  du  caractère  de  l'hon- 
nête homme;  mais  on  ne  les  reconnaît  pas  toujours  au 
milieu  des  mœurs,  trop  acceptées  par  lui,  de  ce  monde  du 
théâtre  auquel  étaient  étrangères  les  délicatesses  d'un  cœur 
capable  de  trouver  en  lui-même  l'image  du  noble  Alceste. 
De  là,  entre  telles  et  telles  faiblesses  de  la  conduite  de  Mo- 
lière et  le  sentiment  qu'il  avait  certainement  de  l'honneur, 
un  désaccord  qui  dut  être  une  de  ses  souffrances. 

Il  nous  tardait  de  sortir  des  misères,  imparfaitement 
connues  d'ailleurs,  de  sa  vie  domestique,  pour  le  retrou- 
ver au  milieu  de  ses  brillants  travaux,  dont,  avec  lu  comédie 
du  Misanthrope,  nous  avions  conduit  l'histoire  jusqu'à  l'an- 
née 1666;  mais,  avant  de  la  continuer  à  partir  de  cette  date, 
laissons-nous  ramener  aux  deux  années  précédentes,  qui 
virent  paraître  sur  la  scène  du  Palais-Royal  les  premières 
tragédies  de  Racine.  Ce  n'est  pas  le  théâtre  où  elles  furent 
jouées  qui  les  rend  surtout  intéressantes  dans  une  biogra- 
phie de  Molière  :  c'est  la  déplorable  rupture  que  la  seconde 
amena  entre  les  deux  grands  poètes,  qui  seront  à  jamais  la 
gloire  de  la  scène  française,  et  que  nous  adnnrons  et  aimons 
l'un  comme  l'autre. 

Rien  de  plus  connu  que  leur  brouille.  Nous  ne  nous  éton- 
nons pas  que  l'on  ait  généralement  prononcé  en  faveur  de 
Molière  :  la  bonne  intelligence  ne  fut  pas  troublée  de  son 
fait.  Il  n'était  ce[)cndant  pas  nécessaire  d'être  aussi  dur 
pour  Racine  qu'on  l'a  été  trop  souvent,  et  d'aggraver  ses 
torts  avec  une  passion  qui,  chez  quelques-uns,  semblerait 
plutôt  une  inexplicable  antipathie  pour  lui  que  beaucoup  de 
sympathie,  très  méritée,  pour  Molière.  Nous  voudrions 
rester  dans  la  justice  et  l'impartialité. 

Dès  1660,  Racine,  âgé  de  vingt  et  un  ans,  aspirait  à  faire 
jouer  par  les  acteurs  du  Marais  une  pièce  de  sa  composi- 
tion, l'Aniasie;  et  l'année  suivante,  il  en  destinait  une  autre, 
les  Amours  d'Ovide,  à  l'Hôtel  de  Bourgogne.  Ayant  de  si 
bonne  heure  la  vocation  du  théâtre,  il  n'avait  pu  demeurer 


36o  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

longtemps  sans  l'elations,  plus  ou  moins  suivies,  avec  un 
comédien  qui,  mieux  encore,  était  un  très  célèbre  poète. 
Une  de  ses  lettres,  écrite  en  novembre  i663,  avant  qu'il 
n'eût  été  introduit  auprès  de  Boileau,  prouve  qu'il  connais- 
sait déjà  Molière,  et  sans  doute  assez  familièrement.  Il  dit 
dans  cette  lettre  qu'il  l'a  trouvé  au  lever  du  roi,  qui  lui  «  a 
donné  assez  de  louanges.  Et  j'en  ai  été  bien  aise  pour  lui; 
il  a  été  bien  aise  aussi  que  j'y  fusse  présent  ».  Ne  nous  ar- 
rêtons pas  au  petit  trait  de  malice,  qui  n'est  pas  assuré- 
ment une  grande  méchanceté.  Nous  avons  seulement  voulu 
citer  une  preuve  qu'on  ne  se  voyait  pas  ce  jour-là  pour  la 
première  fois.  Une  autre  lettre,  écrite  quelques  jours  après, 
l'établit  plus  expressément  :  «  Je  n'ai  point  vu  l'Impromptu^ 
ni  son  auteur  depuis  huit  jours.  »  Une  semaine  sans  se  ren- 
contrer n'était  donc  pas  très  oi'dinaire.  C'est  à  la  fin  de  la 
même  lettre  que  se  trouve  un  passage  vivement  reproché  à 
Racine  :  «  Montfleury  a  fait  une  requête  contre  Molière', 
et  l'a  donnée  au  Roi.  Il  l'accuse  d'avoir  épousé  la  fille  et 
d'avoir  autrefois  couché  avec  la  mère.  Mais  Montfleury 
n'est  pas  écouté  à  la  cour.  »  Hé  quoi!  a-t-on  dit,  pas  un 
mot  d'indignation  contre  une  dénonciation  odieuse!  N'est-ce 
pas  avoir  grande  envie  de  faire  une  querelle  à  Racine  ?  Il 
donne  simplement  à  son  jeune  ami,  l'abbé  Le  Vasseur,  une 
nouvelle  très  exacte,  sans  la  moindre  intention  d'approuver 
cette  lâche  requête  ;  il  nous  paraît  plutôt  empressé  d'en 
constater  le  mauvais  succès  à  la  cour.  Une  protestation,  ce 
nous  semble,  n'aurait  été  utile  que  dans  un  écrit  public. 
Au  reste,  n'oublions  pas  que  très  vraisemblablement  Racine, 
comme  tout  le  monde,  croyait  bien  savoir  qu'Armande  Béjart 
était  la  fille  de  Madeleine,  autrefois  maîtresse  de  Molière; 
il  n'aurait  donc  pu  flétrir  dans  l'accusation  de  Monfleury 
qu'une  assez  probable  intention  d'insinuation  calomnieuse. 
Pour  trouver  Racine  décidément  criminel,  on  s'est  plu  à 
supposer  que  l'autographe  conservé  à  notre  Bibliothèque 
nationale  n'est  qu'une  copie  inexacte,  et  que  Louis  Racine 

ï.   L' Impromptu  de  T'ersaUles,  qui  avait  été   donué  pour  la  pre- 
mière fois  sur  le  théâtre  public  le  4  novembre  i663. 
3.  Voyez  ci-dessus,  p.  aGS, 


SUR    MOLIERE.  36i 

a  donné  le  vrai  texte  de  la  lettre  originale.  A  d'autres  ! 
Est-ce  qu'il  n'est  pas  clair  que  le  bon  fils,  scrupuleux  jusqu'à 
la  maladresse,  a  cru  bien  faire  de  corriger  des  expressions 
dont  la  crudité  scandaliserait?  Il  n'avait  pas  su  prévoir 
qu'en  aggravant  les  paroles  de  l'accusateur,  il  donnerait 
des  armes  contre  celui  qui  les  avait  répétées  sans  récla- 
mer. Partant  de  là,  on  s'écrie  :  Racine  rapporte  une  atroce 
calomnie  froidement  et  sans  prendre  la  défense  d'un  ami, 
d'un  bienfaiteur;  car,  pour  rendre  son  cas  plus  mauvais, 
on  le  représente  comme  ayant  été,  «  dès  son  adolescence, 
l'objet  des  soins  de  notre  comique,  qui  guida  ses  pre- 
miers pas  dans  la  carrière  littéraire,  l'accueillit  dans  sa 
société  intime,  produisit  son  talent  à  la  cour  et  le  combla 
de  ses  libéralités  ^  »  Racine  produit  à  la  cour  par  Molière 
est  une  plaisante  imagination.  Pour  le  reste,  on  s'en  est  fié 
à  des  autorités,  dont  il  était  facile  de  reconnaître  le  poids 
plus  que  léger.  Voltaire  a  dit  :  «  C'est  peut-être  à  Molière 
que  la  France  doit  Racine.  Il  engagea  le  jeune  Racine,  qui 
sortait  de  Port-RoNal,  à  travailler  pour  le  théâtre  dès  l'âge 
de  dix-neuf  ans.  Il  lui  fit  composer  la  tragédie  de  Theagène 
et  Chariclce;  et  quoique  cette  pièce  fût  trop  faible  pour 
être  jouée,  il  fit  présent  au  jeune  auteur  de  cent  louis,  et 
lui  donna  le  plan  des  Frères  ennemis'^.  »  Voltaire  s'est  laissé 
conter  ces  histoires  par  Grimarest.  Dans  le  récit  de  celui-ci, 
Molière,  sachant  que  l'Hôtel  de  Bourgogne  devait  donner 
une  pièce  nouvelle  dans  deux  mois,  résolut  d'en  avoir  une 
toute  prête  pour  ce  même  temps,  et  se  souvint  d'un  jeune 
homme  qui,  l'année  précédente,  lui  avait  apporté  une  tra- 
gédie intitulée  Theagène  et  Charicle'e'".  Sans  en  être  satis- 
fait, il  y  entrevit  des  germes  de  talent;  et  comme  il  avait 
fait  lui-même  un  dessein  des  Frères  ennemis,  il  fit  chercher, 
pour  l'exécuter,  l'auteur  novice,  mais    de   quelque   espé- 

1.  Taschereau,  Histoire  de  la  vie  et  des  oui-rages  de  Molière,  p.  gq. 

2.  Œuvres  complètes  de  P^oltaire  (édition  Moland),  tome  XXlll, 
P-94- 

3.  Jean-Baptiste  Racine  parle  de  ce  premier  ouvrage  de  son 
père,  commencé  à  Uzès.  11  paraît  ne  pas  croire  qu'il  l'eit  achevé 
A'ojez  au  tome  VI  de  notre  édition  de  Racine,  p.  38i,  à  la  note. 


36a  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

rance,  qu'il  avait  perdu  de  vue  et  ne  savait  où  prendre. 
Quand  Racine  lui  apporta  sa  tragédie,  dans  laquelle  il  avait 
trop  pillé  Rotrou,  il  l'aida  à  la  refaire.  Corrigé  d'après  ses 
conseils,  l'ouvrage  eut  du  succès.  Racine  fut  encouragé  par 
les  applaudissements  du  public,  et  par  k  le  présent  que 
Molière  lui  iit^  ».  Ce  présent  est  sans  doute  la  double  part 
d'auteur,  qui  était  d'usage*,  et  qui  est  devenue,  sous  la 
plume  de  Voltaire,  l'invraisemblable  libéralité  de  cent  louis. 
Molière,  protecteur  du  jeune  débutant,  dont  il  pressent 
le  brillant  avenir,  et  son  utile  conseiller,  lorsqu'il  lui  pro- 
pose le  sujet  de  la  Thébaïde,  puis  lui  indique  les  change- 
ments à  y  faire,  c'est  une  légende  convaincue  de  fausseté 
par  les  lettres  de  Racine^.  Si  cette  tragédie  eût  été  composée 
à  la  demande  de  Molière,  et  même  dans  une  sorte  de  colla- 
boration avec  lui,  ces  lettres  ne  nous  apprendraient  pas 
que  l'auteur  les  destina  d'abord  à  l'Hôtel  de  Bourgogne. 
Pour  une  pièce  précédente,  en  1660,  il  s'était  adressé  au 
théâtre  du  Marais,  non  à  celui  de  Molière.  Il  n'avait  donc 
pas  de  préférence  marquée  pour  telle  ou  telle  troupe,  et 
entendait  rester  libre.  Quand  on  l'impatientait  quelque  part 
par  des  lenteurs,  il  se  tournait  d'un  autre  côté.  Mécontent 
d'être  lanterné  par  les  Grands  comédiens  pour  la  repré- 
sentation de  la  Thc'baïde,  qu'ils  ajournaient  après  celles  de 
trois  autres  pièces  nouvelles,  il  aima  mieux  s'entendre  avec 

I.   La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  57-61. 

a.  Le  Registre  de  La  Grange  dit  qu'à  la  première  représenta- 
tion de  la  Thébaïde  on  retira  deux  parts  pour  l'auteur.  Chaque 
part  ayant  été  de  dix-huit  livres  cinq  sous.  Racine  toucha  donc 
trente-six  livres  dix  sous.  Si,  dans  les  représentations  qui  suivi- 
rent, il  continua  à  toucher  deux  parts,  il  eut  pour  la  seconde 
vingt-trois  Uvres,  pour  la  troisième  vingt-cinq,  pour  la  quatrième 
six.  Après  celle-ci  la  Tlu-haïdt  ne  fut  plus  représentée  seule.  L'au- 
teur eut  donc  de  moindres  parts.  Les  plus  fortes  qu'il  put  tou- 
cher furent  celles  des  représentations  en  visite,  particulièrement 
celles  qui  furent  données  à  Fontainebleau  par  ordre  du  roi  (juil- 
.■et  iGG-i)  et  à  Villers-Cotterets  par  ordre  de  Monsieur  (septembre 
Qe  la  même  année). 

3.  Voyez  au  tome  VI  des  OEinres  de  Racine  les  lettres  40  et  4l 
de  la  fin  de  i663,  p.  618  et  5ao. 


SUR   MOLIÈRE.  363 

le  Palais-Royal,  qui,  le  20  juin  1664,  joua  sa  tragédie. 
Voilà,  ce  semble,  le  plus  incontestable  service  dont  Racine 
fut  redevable  à  Molière,  qui  peut-être  bien  y  trouvait  son 
compte  ;  car  il  avait  le  goût  assez  sûr  pour  reconnaître 
les  promesses  de  ce  début,  et  ne  devait  pas  être  fâché 
de  ne  pas  laisser  un  talent  naissant  s'attaclier  au  théâtre 
rival.  Il  est  vraisemblable  qu'alors  seulement  devint  plus 
étroite  une  liaison,  de  toute  façon  inévitable  entre  deux 
poètes  de  tant  d'esprit,  qui  avaient  des  amis  communs,  avant 
tous  la  Fontaine  et  Boileau. 

]\"est-ce  pas  entre  le  temps  où  Molière  accueillit  les 
Frères  ennemis  et  celui  de  sa  brouille  avec  Racine,  qu'on 
placerait  le  mieux  les  agréables  réunions  dont  le  souvenir 
nous  a  été  conservé,  et  dans  lesquelles  Louis  Racine  nous 
montre,  dans  la  société  de  son  père,  Boileau,  la  Fontaine 
et  Chapelle*?  Suivant  l'auteur  de  la  Description  du  Parnasse 
français^,  ils  s'assemblaient  deux  ou  trois  fois  par  semaine 
rue  du  Colombier,  dans  un  appartement  loué  par  Boileau. 
On  a  nommé  aussi  des  cabarets,  alors  célèbres,  tels  que  le 
Mouton  blanc  et  la  Croix  de  Lorraine,  où,  le  verre  en  main, 
ils  s'égayaient  ensemble.  Mais,  pour  citer  des  jours  précis 
où  l'on  y  vit  Racine  en  compagnie  de  Molière,  les  témoi- 
gnages nous  manquent.  Brossette,  dans  son  Commentaire, 
de  17 16,  des  Œuvres  de  Boileau,  parle  d'une  réunion  au 
cabaret  de  la  place  Saint-Jean,  c'est-à-dire  au  Mouton  blanc, 
dans  lequel  fut  composé  le  Chapelain  de'coiffc'.  Racine  prit 
part  à  cette  plaisanterie,  et  rien  n'avait  pu  empêcher  Molière 
de  se  trouver  auprès  de  lui,  car  c'était,  croit-on,  en  1664. 
Cependant,  s'il  eût  été  présent,  Boileau,  dans  sa  lettre  à 
Brossette  du  10  décembre  1701^,  n'aurait  pas  manqué  de  le 
dire.  Il  plaçait  d'ailleurs  ce  repas  chez  Furetière*.  Quant  à 
la  Croix  de  Lorraine,  Chapelle,  qui  en  a  raconté,  dans  une 
lettre  au   marquis   de   Jonzac,   une   des  joyeuses   frairies, 


I.   Mémoires  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Jean  Racine,  p.  2  35. 
•X.  Page  i4i  de  l'editioa  in-12  (1727). 

3.  OEuvres  de  Boileau  (éditiou  de  Berriat-Saint-Prix),  tome  IV, 
p.  35i. 

4.  Ibidem,  tome  I,  p.  33. 


364  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

nomme  Molière,  mais  non  Racine,  parmi  les  neuf  épulons. 
Ce  n'est  pas  une  raison  pour  être  incrédule  à  la  tradition 
qui,  dans  quelques-unes  de  ces  petites  fêtes  de  spirituels 
amis,  met  nos  deux  poètes  l'un  à  côte  de  l'autre. 

Dans  la  Psyché  de  la  Fontaine,  ils  étaient  certainement 
deux  des  quatre  amis  entre  lesquels  s'était  formée,  comme 
il  est  dit  au  début  du  roman,  une  société  poétique  oîi  l'on 
causait  avec  un  agrément  qui  ne  sentait  pas  le  bureau  d'es- 
prit. Racine  et  Molière  y  ont  les  surnoms,  l'un  d'Acante, 
l'autre  de  Gélaste.  Nous  avons  expliqué  dans  la  Notice  bio- 
graphique sur  la  Fontaine*  comment  il  s'est  fait  qu'après 
i665,  tout  en  laissant  des  traces  évidentes  de  Molière- 
Gélaste,  notre  fiibuliste  lui  a  substitué  dans  quelques  pas- 
sages Chapelle,  devenu  Gélaste  à  son  tour. 

Nous  tenons  donc  pour  bien  établi  que  si  Molière  n'a  pas, 
comme  on  le  prétend,  protégé  Racine,  et  ne  l'a  pas  accablé 
de  bienfaits,  tous  deux  ont  été  dans  une  assez  grande  inti- 
mité. C'était  assez  pour  conseiller  au  jeune  auteur  des 
égards  délicats,  une  abnégation  de  ses  intérêts,  qui  lui 
aurait  fait  plus  d'honneur  que  le  soin  qu'il  en  prit,  mais 
dont  nous  craignons  que  les  exemples  n'aient  été  rares  en 
tout  temps  chez  les  poursuivants  de  la  renommée. 

Quelque  familière  que  soit  à  toutes  les  mémoires  l'histoire 
de  la  seconde  tragédie  de  Racine,  on  ne  peut  se  dispenser 
ici  de  la  rappeler,  mais  d'une  façon  un  peu  plus  sommaire 
que  nous  ne  l'avons  fait  ailleurs,  dans  la  Notice  sur  Alexandre 
le  Grand. 

Racine  n'était  plus  un  inconnu.  De  beaux  passages  de  la 
Thebaïde,  et  surtout  une  lecture  faite,  à  l'hôtel  de  Nevers, 
de  trois  actes  et  demi  de  Y  Alexandre ,  avaient  fait  pressentir 
à  de  bons  juges  que  l'aurore  d'une  gloire  se  levait.  C'était 
donc  une  bonne  fortune  pour  le  théâtre  du  Palais-Royal 
d'avoir  à  jouer  une  pièce  dont  on  disait  des  merveilles.  La 
première  représentation,  dont  la  date  est  le  4  décembre  i665, 
fut  honorée  de  la  présence  de  Monsieur,  de  Madame,  du 
grand  Condé,   de  son  fils,  et  de  la  Princesse  Palatine.  La 

I.  Pages  cxii  et  cxiii.  Voyez  aussi  les  pages  65  et  66  de  la 
Notice  l'iographique  sur  Racine,  dans  notre  seconde  édition. 


SUR   MOLIERE.  365 

Grange  fit  le  personnage  d'Alexandre,  La  Thoriliière  celui 
de  Porus.  L'Axiane  fut  Mlle  du  Parc,  la  Cléofile  Mlle  Mo- 
lière. Les  deux  comédiennes  étalèrent  de  magnifiques  pa- 
rures *.  Leur  jeu  fut  peut-être  moins  éblouissant  que  leurs 
habits.  Nous  ne  savons  pourquoi  Madeleine  Béjart,  la  meil- 
leure héroïne  de  la  troupe,  ne  fut  pas  chai'gée  du  rôle 
d'Axiane,  et  si  ce  fut  à  la  demande  de  l'auteur  que  la  du  Parc 
lui  fut  préférée.  On  peut  douter  qu'elle  ait  soutenu  la  gran- 
deur de  son  personnage  à  la  satisfaction  de  Racine,  bien 
qu'ill'ait  plus  tard  enlevée  à  son  théâtre  pour  lui  confier  le 
rôle  très  différent  d'Andromaque.  Il  est  probable  que  ses 
attraits  de  jolie  femme  l'avaient  plus  charmé  que  son  talent 
de  tragédienne.  Brossette  rapporte  sur  elle  ce  jugement  de 
Boileau  :  «  Grande,  bien  faite,  elle  n'étoit  pas  bonne  ac- 
trice -.  »  Si  elle  fut  une  touchante  Andromaque,  le  même 
Boileau  disait  que  Racine  lui  avait  appris  ce  rôle  comme  à 
une  écolière.  Quant  à  Mlle  Molière,  c'est  dans  la  comédie 
qu'elle  était  charmante.  Ceux  qui  remplirent  les  rôles  des 
deux  héros  de  \ Alexandre,  La  Grange  et  La  Thoriliière, 
étaient  l'un  et  l'autre  des  comédiens  très  goûtés,  mais  ne 
paraissent  pas  avoir  pu  remplir  l'idée  qu'on  se  faisait  alors 
des  personnages  tragiques.  La  Thoriliière,  il  est  vrai,  par  sa 
bonne  mine  et  sa  noble  prestance,  passait  pour  bien  représenter 
les  rois  de  théâtre  ;  il  ne  dut  être  cependant  qu'un  médiocre 
Porus,  s'il  est  vrai  qu'il  montrait  «  un  visage  riant  dans  les 
passions  les  plus  sérieuses  et  les  situations  les  plus  tristes^  ». 
La  critique  que,  dans  V Impromptu  de  Versailles^  Molière  a 
faite  des  emphatiques  comédiens  de  l'Hôtel  de  Bourgogne, 
avait  beau  être  juste,  il  est  de  fait  que  généralement  on  les 
jugeait  supérieurs  dans  la  tragédie  à  ceux  du  Palais-Royal 
Louis  Racine  dit  que  son  père  fut  mécontent  de  ceux-ci* 
et  Monchesnay  qu'ils  jouèrent  «  trop  lâchement  la  pièce  » 
ce  que  voyant,  «  l'auteur  se  rendit  aux  avis  de  ses  amis 
qui  lui  conseillèrent...  de  la  donner  aux  Grands  comédiens^» 


1.  Robinet.  Lettre  en  vers  a  Madame  du  27  decemljre  i665. 

2.  Voyez  la  Kotice  biographique  sur  Racine^  p.  78, 

3.  Mercure  de  mai  1738,  p.  833. 

4.  Mémoires,  p.   236.  —  5.   Bohea/ia,  p.    104. 


366  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

L'insuffisance  des  premiers  acteurs  de  \ Alexandre  explique 
seule  en  effet  que  Racine  l'ait  portée  ailleurs.  Il  se  décida 
peut-être  après  la  démonstration  qui  lui  fut  faite  en  haut 
lieu  de  ce  que  sa  tragédie  gagnerait  à  ce  changement  d'in- 
terprètes. Le  lendemain  de  la  quatrième  représentation, 
donnée  le  14  décembre  au  Palais-Royal,  la  comtesse  d'Ar- 
magnac, femme  du  grand  écuyer,  ayant  l'honneur  d'offrir 
au  roi,  à  Monsieur  et  à  Madame  un  magnifique  repas,  le 
fit  suivre  du  spectacle  de  \ Alexandre  joué  par  la  troupe 
royale.  Sur  la  date  nous  avons  le  témoignage  de  la  Gazette 
du  19  décembre  et  ceux  des  Lettres  en  vers  de  la  Gravette 
de  Mayolas,  de  Robinet  et  de  Subligny,  écrites  toutes  trois 
le  20.  Subligny  nous  api)rend  que  Floridor  remplit  le  rôle 
d'Alexandre.  On  s'était  sans  doute  assuré  que  les  augustes 
personnes  présentes  ne  désapprouveraient  pas  cet  essai  de 
nouveaux  interprètes,  tout  au  moins  dans  une  représenta- 
tion en  visite.  Aussi  n'y  eut-il  encore  chez  Molière  aucune 
réclamation,  aucune  plainte.  Il  avait  fallu  que  les  acteurs  de 
l'Hôtel  de  Bourgogne,  pour  être  prêts  le  14,  se  fussent  hâtés 
d'apprendre  la  pièce  et  de  préparer  leur  peu  scrupuleuse 
concurrence,  à  tout  hasard,  car  il  est  peu  probable  que  de  si 
bonne  heure  Racine  les  y  eût  aidés.  La  tentation  fut  grande 
pour  lui  lorsqu'il  sut  quelle  valeur  nouvelle  ils  avaient 
donnée  à  sa  tragédie.  Il  les  autorisa  à  la  jouer  pour  le  public. 
Elle  parut  chez  eux  le  18  décembre,  en  même  temps  qu'au 
Palais-Pvoyal.  «  Le  même  jour,  dit  le  Registre  de  La  Grange*, 
la  troupe  fut  surprise  que  la  même  pièce  à' Alexandre  fût 
jouée  sur  le  théâtre  de  l'Hôtel  de  Bourgogne.  Comme  la 
chose  s'étoit  faite  de  complot  avec  M.  Racine,  la  troupe  ne 
crut  pas  devoir  les  parts  d'auteur  à  M.  Racine,  qui  en  usoit 
si  mal  que  d'avoir  donné  et  fait  apprendre  la  pièce  aux 
autres  comédiens.  »  Cette  note  exprime  certainement  les  sen- 
timents de  Molière  lui-même.  Il  était  blessé  profondément, 
moins  sensible,  on  doit  le  penser,  à  des  recettes  perdues  qu'à 
l'affront  fait  à  ses  acteurs  et  à  ce  qu'il  regardait  comme  une 
trahison  de  l'amitié.  On  serait  porté  à  croire  qu'il  aurait  pu 
s'opposer  à  une  violation  de  ses  droits  ;  mais  n'était-ce  pas 

I.  Page  7q. 


SUR  MOLIERE.  36; 

plutôt  la  violation  d'un  usage  seulement?  «  L'usage,  dit 
l'Histoire  du  théâtre  français'^,  observé  de  tout  temps  entre 
tous  les  comédiens  françois,  étoit  de  n'entreprendre  point  de 
jouer,  au  préjudice  d'une  troupe,  les  pièces  dont  elle  étoit 
en  possession  et  qu'elle  avoit  mises  au  théâtre  à  ses  frais 
particuliers,  pour  en  retirer  les  premiers  avantages,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  fût  rendue  publique  par  l'impression,  x  Rien 
de  plus  équitable;  mais  la  volonté  des  auteurs,  maîtres  de 
leurs  ouvrages,  n'était  peut-être  pas  soumise  au  respect  de 
cette  convention,  qui  n'obligeait  que  les  troupes,  et  encore, 
semblerait-il,  moins  comme  une  loi  que  comme  une  simple 
coutume.  Il  serait  intéressant  de  mieux  connaître  ce  qui 
s'était  passé  en  1662  entre  le  Marais  et  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne pour  la  tragédie  de  Sertorius,  qui,  avant  l'impres- 
sion, fut  jouée  sur  les  deux  théâtres.  Si  ce  ne  fut  pas  du 
consentement  de  la  troupe  du  Marais,  qui,  la  première, 
avait  représenté  Sertorius,  Corneille  ne  se  serait  pas  plus 
gêné  avec  elle  que  ne  le  fit  Racine  avec  la  troupe  de  Mo- 
lière. Ce  précédent,  fût-il  plus  clair,  n'excuserait  pas  assez 
Racine,  qui  avait,  au  Palais-Royal,  à  garder  des  ménage- 
ments avec  un  ami,  et  ne  devait  pas  oublier  sa  pièce  de 
début  accueillie,  ses  premiers  pas  encouragés.  Nous  avons 
seulement  entendu  écarter  tout  ce  qui  a  été  imaginé  pour 
aggraver  ses  torts  et  exagérer  ses  devoirs  de  reconnaissance  ; 
et,  sans  absoudre  l'égoisme  d'un  talent  impatient  de  se  faire 
reconnaître  et  de  ne  plus  être  mis,  par  la  faute  de  médio- 
cres tragédiens,  en  danger  de  ne  pas  se  révéler  avec  éclat, 
nous  demandons  quelque  indulgence  pour  une  faiblesse, 
au-dessus  de  laquelle  il  serait  bien  héroïque  à  un  poète, 
amoureux  de  gloire,  de  ne  pas  hésiter  à  s'élever. 

Il  est  remarquable  que  le  Palais-Royal,  après  le  jour  où 
il  connut  l'offensant  procédé,  se  contenta  d'abord  de  fermer 
sa  caisse  au  coupable,  et  que  son  dépit  n'alla  pas  jusqu'à 
abandonner  la  pièce  à  l'Hôtel  de  Bourgogne;  il  la  joua  trois 
fois  encore,  le  20,  le  22,  enfin  le  27  décembre,  qui  fut,  en 
i66j,  le  dernier  jour  de  ses  représentations.  S'il  ne  la  re- 
prit pas,  lorsque  l'on  rouvrit  le  21  février  1666,  il  est  per- 

I.  Tome  IX,  p.  io5. 


368  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

mis  de  penser  qu'il  s'était  senti  vaincu  par  une  troupe  tra- 
gique plus  goûtée. 

Quinze  mois  après  (\yi  Alexandre  avait  passé  du  Palais- 
Royalà  l'IIAtel  de  Bourgogne,  Mlle  du  Parc  prit,  aux  vacan- 
ces de  Pâques  1667,  le  même  chemin,  engagée  par  Racine 
à  suivre  sa  fortune.  Louis  Racine  paraît  dater  de  sa  déser- 
tion le  refroidissement  entre  son  père  et  Molière';  mais  il 
est  antérieur  à  ce  nouveau  grief,  qui,  sans  être  la  première 
cause  de  la  mésintelligence,  put  seulement  l'entretenir.  Cette 
fois,  le  Registre  de  La  Grange  se  borne  à  dire-  :  «  Mlle  du 
Parc  a  quitté  la  troupe,  et  a  passé  à  l'Hôtel  de  Bourgogne, 
où  elle  a  joué  \ Aiidromaque  de  M.  Racine.  »  Ces  derniers 
mots  seuls  semblent  marquer  que  derechef  Racine  «  en 
avait  mal  usé  »,  et  laissent  entendre  que  c'était  lui  qui 
avait  détourné  l'inconstante  camarade.  Pas  un  mot  de  re- 
gret pour  la  transfuge,  qui  n'en  était  pas  à  sa  première  infi- 
délité, et  que  sans  doute  quelques-unes  des  comédiennes, 
particulièrement  la  Béjart,  n'étaient  pas  trop  contrariées 
de  voir  s'éloigner.  Le  mobile  du  second  méfait  de  Racine 
ne  fut  pas  l'ambition  de  voir  son  œuvre  bien  interprétée, 
mais  l'amour,  passion  plus  puissante  encore  sur  un  jeune 
cœur.  Molière  se  regarda  plus  que  jamais  comme  pleine- 
ment en  droit  de  donner  cours  à  son  ressentiment.  Il  ou- 
vrit son  théâtre  à  une  petite  pièce  par  laquelle  on  espérait 
chagriner  Racine,  très  sensible  aux  moindres  piqûres.  Elle 
était  intitulée  la  Folle  querelle  ou  la  critique  cV Andromaque . 
Subligny  en  était  l'auteur.  Le  Palais-Royal  donna  la  pre- 
mière représentation  de  cette  comédie  satirique  le  18  mai 
1668,  six  mois  après  celle  ^Andromaque  à  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne. Pour  un  plat  de  vengeance,  il  était  servi  bien  peu 
chaud;  pauvrement  accommodé  d'ailleurs,  et  sans  assez  de 
sel.  Pas  trop  de  vinaigre  non  plus,  il  le  faut  reconnaître. 
On  aime  à  penser  que  Molière  n'aurait  pas  voulu  une  guerre 
plus  méchante.  Pourvu  que  l'acte  d'hostilité  ne  fût  pas  trop 
cruel,  il  était  juste,  comme  représaille.  Mieux  eût  valu  pour- 
tant ne  pas  donner  à  son  ressentiment  cette  satisfaction  de 

1.  Mémoires,]).  2  36. 

2.  Page  87. 


SUR   MOLIERE.  369 

peu  d'effet,  et  ne  point  prêter  son  théâtre  à  une  attaque 
contre  un  chef-d'œuvre  admiré  de  tous,  et  dont  assurément 
Molière,  si  bon  juge,  sentait  lui-même  la  beauté.  L'arme 
qu'un  maladroit  était  venu  lui  offrir  le  blessa  tout  le  premier, 
comme  il  dut  s'en  apercevoir,  lorsqu'on  répandit  le  bruit 
ridicule  que  c'était  lui  qui,  de  ses  propres  mains,  l'avait 
forgée.  On  ne  comprend  guère  linjure  que  lui  faisaient  quel- 
ques-uns :  il  savait  tout  autrement  railler.  Grimarest  a  fait 
preuve  de  bien  peu  de  jugement,  quand  il  a  parlé  d'une 
attribution  si  évidemment  absurde,  comme  s'il  ne  savait  trop 
qu'en  penser.  Il  prétend  que  Racine  y  fut  trompé,  et  déclara 
la  Folie  Querelle  un  des  meilleurs  ouvrages  de  Molière. 
S'il  était  vrai  quil  se  fût  amusé  à  parler  ainsi,  ce  n'eût  été 
qu'une  épigramme  de  sa  malice,  à  ne  pas  prendre  au  mot, 
et  Grimarest  a  été  bien  peu  fin  de  ne  pas  s'en  douter. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  certain  que  l'origine  du  désaccord 
entre  Molière,  non  pas  ici  auteur  de  comédies,  mais  chef 
de  troupe,  et  Racine,  auteur  tragique  ;  on  peut  donc  s'éton- 
ner que  ïiton  du  Tillet  l'ait  cherchée  dans  «  la  jalousie  du 
génie  poétique*  '>.  Les  deux  poètes  étaient  engagés  sur  des 
routes  trop  différentes  pour  se  gêner  l'un  l'autre.  Un  jour, 
il  est  vrai,  Racine  a  fait,  comme  par  amusement,  une  de 
nos  meilleures  comédies;  mais  elle  ne  fut  jouée  que  vers  la 
fin  de  1668,  longtemps  après  la  rupture;  et  cette  fantaisie 
ne  se  renouvela  pas.  En  essayant  un  badinage  aristopha- 
nesque,  destiné  dabord  au  théâtre  de  Scaramouche,  il  n'avait 
nullement  songé  à  disputer  le  prix  à  l'inimitable  Molière. 
Celui-ci,  loin  de  se  montrer  jaloux,  ne  refusa  pas  son  suf- 
frage à  l'excellente  satire  des  juges  et  des  avocats,  à  son 
double  mérite  de  gaieté  et  de  vérité.  C'est  du  moins  ce 
que  croyait  savoir  Valincour.  Après  avoir  dit  que  les  deux 
premières  représentations  furent  presque  sifflées,  il  ra- 
conte que  Molière,  présent  à  la  seconde,  «  ne  se  laissa  pas 
entraîner  au  jugement  de  la  ville,  et  dit  en  sortant  que 
ceux  qui  se  moquoient  de  cette  pièce,  méritoient  qu'on 
se  moquât  deux-  ».  Louis  Racine   nous  apprend  que  son 

1.  Parnasse  françois,  p.  412. 

2.  Histoirede  V Académie  françoise[i-jioj],  lomeII,p.  33i  et  332. — 

Molière,  x  a4 


370  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

père  n'avait  pas  de  son  côté  moins  galamment  défendu 
Molière  contre  ses  détracteurs.  Comme,  après  la  première 
représentation  du  Misanthrope,  on  était  venu,  pour  lui  faire 
plaisir,  lui  annoncer  que  la  pièce  était  tombée,  que  rien 
n'était  plus  froid,  il  répondit  :  «  Je  n'en  crois  rien,  parce 
qu'il  est  impossible  que  Molière  ait  fait  une  mauvaise  pièce. 
Retournez-y,  et  examinez-la  mieux*.  »  Cette  justice  réci- 
proquement rendue  en  pleine  brouille,  est  si  digne  de  ces 
grands  esprits,  que  nous  ne  voulons  pas  la  révoquer  en 
doute,  malgré  une  autre  petite  histoire,  qui  ne  laisserait  pas 
à  Molière  l'honneur  de  son  bon  goût  et  de  son  équité.  Dans 
la  Promenade  de  Saint-Cloud,  écrite  en  i66g,  un  des  inter- 
locuteurs du  dialogue  dit  que  Molière  avait  un  moment  eu 
dessein  de  dénouer  son  Tartuffe  par  une  nullité  de  donation, 
mais  qu'il  y  avait  renoncé  parce  que  ce  dénouement  était 
un  procès  ;  «  et  je  lui  ai  ouï  dire  que  les  plaideurs  ne  valoient 
rien  ».  Conte  bien  suspect,  inventé  sans  doute  pour  amener 
un  assez  plaisant  jeu  de  mots.  Du  côté  toutefois  de  Ra- 
cine, avouons  que,  sans  être  incrédule  au  témoignage  de 
son  fils  qui  lui  fait  rendre  hommage  à  Molière,  dans  le  temps 
du  Misanthrope  mal  jugé,  une  phrase  de  l'avis  Au  lecteur, 
dont  il  a  fait  précéder  ses  Plaideurs,  nous  gâte  son  bon  pro- 
cédé de  1666  :  «  Ce  n'est  pas  que  j'attende  un  grand  hon- 
neur d'avoir  assez  longtemps  réjoui  le  monde.  »  Mais,  étant 
plus  que  qui  que  ce  soit  du  genus  irritabilc  vatum,  il  s'était  cru 
sans  doute  autorisé  à  lancer  contre  le  domaine  de  Molière  ce 
trait  de  dédain,  au  moment  des  représentations  de  la  Folle 
Querelle  sur  le  théâtre  de  celui  qui  réjouissait  le  monde.  Si 
l'on  en  croit  le  Bolseana,  Boileau  aurait  eu  à  relever  ce  pro- 
pos désobligeant  de  Racine  sur  la  comédie  de  l'Jvare  :  «  Je 
vous  vis  dernièrement  à  la  pièce  de  Molière,  et  vous  riiez 
tout  seul  sur  le  théâtre.  »  Son  ami,  qui  n'était  pas  moins 
celui  du  poète  comique,  lui  répondit  :  «  Je  vous  estime  trop 
pour  croire  que  vous  n'y  ayez  pas  ri  intérieurement^.  »  En 

Louis  Racine,  dans  ses  Mémoires,  p.  247,  a  emprunté  cette  anec- 
dote à  Valincour. 

1.  Mémoires  sur  la  vie  de  Jean  Racine,  p.  aSG. 

2.  Bolœana,  p.   io5. 


SUR   MOLIÈRE.  ^71 

donnant  à  cette  semonce  la  forme  d'un  com[)liment  sur 
l'estime  due  à  son  esprit,  il  lui  faisait  sentir  que  c'était 
une  faiblesse  de  n'avoir  ri  qu'in  petto.  On  j)eut  être  assuré 
que  Boileau  fut  de  ceux  qui  s'efforcèrent  de  rétablir  le 
bon  accord  entre  les  deux  poètes.  Saint-Marc  dit,  dans 
ses  Mémoires  pour  la  vie  de  Chapelle,  que  leurs  amis  com- 
muns les  réconcilièrent  dans  la  suite,  que  cependant  «  ils 
n'eurent  plus  de  liaison  particulière  »  ;  et  ceci  paraît  le  plus 
certain. 

Grimarest  a  quelques  pages  très  étranges*,  011,  ne  nommant 
en  toutes  lettres  que  Molière,  il  a  remplacé  par  des  initiales^ 
les  noms  des  autres  personnes  dont  il  parle.  Elles  se  ter- 
minent ainsi  :  «  J'ai  cependant  entendu  parler  à  M.  R.  très 
avantageusement  de  Molière  ;  et  c'est  de  lui  que  je  tiens  une 
bonne  partie  des  choses  que  j'ai  rapportées,  »  On  a  toujours 
compris  que  M.  R.  était  Racine;  il  semble  bien  en  effet  dé- 
signé par  la  phrase  finale  qui  vient  d'être  citée.  Ce  ne  serait 
pas  du  moins  lui  qui  aurait  communiqué  à  Grimarest  ce  que 
nous  lisons  en  cet  endroit  de  sa  biographie  de  Molière.  Dès 
que  M.  R.  y  signifie  Racine,  B,  sa  pièce  de  théâtre,  est  Bri- 
tannicus,  et  M.  de  P.  est  Boileau  de  Pujmorin.  C'est  l'expli- 
cation qui  a  été  donnée.  Citons  le  commencement  du  pas- 
sage, qui  est  plus  que  singulier,  et  s'accorde  mal  avec  une 
page  du  biographe"  oîi,  ne  s'écartant  pas  de  la  tradition, 
il  parle  d'un  temps  de  bonne  intelligence  entre  Molière  et 
Racine  :  «  Bien  des  gens  s'imaginent  que  Molière  a  eu  un 
commerce  particulier  avec  M.  R.  Je  n'ai  point  trouvé  que 
cela  fût  vrai  dans  la  recherche  que  j  en  ai  faite;  au  con- 
traire, l'âge,  le  travail  et  le  caractère  de  ces  messieurs 
étoient  si  différents  que  je  ne  crois  pas  qu'ils  dussent  se 
chercher;  et  je  ne  pense  pas  même  que  Molière  estimât  R. 
J'en  juge  par  ce  qui  leur  arriva  à  l'occasion  de  B.  «  Que 
leur  arriva-t-il?  Le  voici,  d'après  Grimarest  :  Racine  promit 
à  Molière  la  tragédie  de  Britannicus  pour  son  théâtre,  où  il 

I.  Pages  2;5-278. 

a.  La  3Iartinière  (OEuvres  de  Racine,  1723,  p.  99  et  100  de  la 
Fie  de  raiiteur)  les  a  conservées. 

3.   Voyez  à  la  page  61  de  la  Vie  de  M.  de  Molicre. 


372  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

la  lit  même  annoncer  ;  puis  il  la  donna  à  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne. Grande  indignation  de  Molière  et  de  Baron  et  vive 
altercation  entre  celui-ci  et  Puymorin,  dans  laquelle  Baron 
traite  Racine  de  «  malhonnête  homme  ».  Molière  alors  lui 
reproche  d'avoir  manqué  à  la  politesse  en  parlant  ainsi  de 
Racine  à  un  de  ses  amis,  mais,  en  même  temps,  avoue  que 
lui-même  «  répandoit  partout  la  mauvaise  foi  de  Racine  et 
faisoit  voir  son  indigne  caractère  à  tout  le  monde  ».  Voilà  de 
quoi  réjouir  ceux  qui  n'ont  pas  de  s\  mpathie  pour  Racine. 
Son  Briiannicus  promis  à  la  troupe  de  Molière,  puis  confié 
à  une  autre,  devient  un  pendant  du  mauvais  procédé  de  son 
Alexandre^  dont  on  s'est  armé  si  souvent  contre  lui  ;  en 
outre  on  apprend  que  Molière  n'avait  cessé  de  le  méses- 
timer. Mais  l'assertion  que  l'auteur  de  Britannicus  s'était 
engagé  à  le  faire  jouer  au  Palais-Royal  est-elle  digne  de  foi? 

Supposera-t-on  que  la  pensée  de  se  rapprocher  de  Mo- 
lière ait  été  inspirée  à  Racine  en  1669  par  la  mort,  à  la  fin 
de  l'année  précédente,  de  Mlle  du  Parc,  à  qui  il  avait  des- 
tiné sans  doute  le  rôle  de  Junie;  et  qu'après  s'être  assuré 
qu'à  l'Hôtel  de  Bourgogne  Mlle  d'Ennebaut  le  jouerait  bien, 
il  se  serait  dégagé?  Il  n'y  a  pas  trace  ailleurs  de  l'anecdote; 
elle  nous  paraît  très  suspecte.  Invraisemblables  surtout 
sont  les  dures  paroles  prêtées  à  Molièi'e.  Ce  serait  un  triste 
chapitre  qu'il  faudrait  ajouter,  s'il  n'était  pas  si  douteux,  à 
l'histoire  de  la  petite  guerre  entre  les  deux  grands  poètes  ; 
mais  tout  conseille  de  s'en  tenir  à  ce  que  nous  avons  raconté 
d'incontestable  dans  cette  histoii'e,  et  qui  nous  laisse  à  dire 
seulement  quelques  mots  sur  une  alliance  entre  Corneille 
et  Molière,  facilitée  par  la  brouille  dont  \ Alexandre  avait 
été  l'occasion. 

Le  père  de  notre  tragédie  n'avait  pas  toujours  été  bien- 
veillant pour  le  poète  comique,  ni  pour  sa  troupe.  Il  les 
apprécia  davantage  lorsqu'eut  cessé  de  leur  être  confiée  la 
fortune  du  jeune  homme  dont  la  gloire  naissante  l'inquiétait. 
De  son  côté  Molière  ne  put  que  se  féliciter  de  trouver  à  op- 
poser au  nouvel  auteur  tragique,  dont  il  avait  à  se  plaindre, 
celui  dont  le  nom  était  depuis  longtemps  si  grand.  Trois 
mois  environ  après  la  représentation  de  t  Alexandre  à  l'Hô- 
tel de  Bourgogne,  Corneille  y  avait  fait  jouer  son  Agesilas 


SUR  MOLIERE.   "'  378 

le  26  février  16GG*.  Cet  Jgésilas,  que  Robinet  appelle  char- 
mant, n  eut  pas  de  succès  et  fit  dire  helasl  à  Boileau.  Cor- 
neille ne  crut  probablement  pas  qu'il  eût  été  trahi  par  le 
jeu  des  Grands  comédiens;  et  s'il  donna  à  un  autre  théâtre 
la  tragédie  dont  il  le  fit  suivre,  ce  fut  plutôt  pour  ne  pas 
s'exposer  à  l'inconstance  du  public  sur  la  scène  même  où 
venait  de  triomplier  son  jeune  émule.  Le  4  mars  1667,  la 
troupe  de  Molière  représenta  X Attila,  «  pièce  nouvelle  de 
M.  de  Corneille  l'aîné,  pour  laquelle  on  lui  donna  2000  livres, 
prix  fait*  ».  A  en  juger  par  les  vingt  représentations,  la 
majorité  des  spectateurs  ne  se  hâta  pas  de  signifier  le  holal 
au  roi  des  Huns,  bien  soutenu  par  les  acteurs  du  Palais- 
Royal,  si  toutefois  Subligny  n'a  pas  mis  trop  de  complai- 
sance à  dire  qu'ils  le  jouèrent  ...,•.. 

Avec  toute  la  force  et  l'art 
Dont  on  crut  jusqu'ici  capable 
Le  %&vX  Hôtel  inimitable'. 

C'était  quelques  mois  avant  V  Androniaque,  qui  fut  au  théâtre 
de  cet  hôtel  hi  seconde  victoire  de  Racine,  plus  éclatante 
encore  que  celle  qu'il  avait  remportée  dans  Y  Alexandre.  La 
lutte  se  prolongea  entre  les  deux  poètes  tragiques  et  les 
deux  troupes.  En  1670,  il  y  eut,  au  signal  donné  par 
Madame,  la  bataille  des  deux  Bérénice .  Corneille  et  le  Palais- 
Royal,  qui  n'avaient  pas  cessé  de  combattre  en  alliés,  furent 
enveloppés  dans  la  même  défaite. 

C'est  avec  ses  propres  ouvrages  que  Molière  fut  toujours 
assez  fort  pour  n'avoir  à  craindre  aucune  rivalité  et,  dans  la 
comédie,  maintenir  sans  contestation  sa  supériorité.  Repre- 
nons l'histoire  de  ses  pièces  oii  nous  l'avions  laissée. 

Au  Misanthrope  il  fit  succéder,  après  la  vingt  et  unième 
représentation,  une  joyeuse  comédie,  sa  veine  de  gaieté 
ayant  sans  doute  besoin  de  couler  à  son  tour.  Il  n'avait  pas 
beaucoup  de  violence  à  se  faire  pour  s'accommoder  au  goût 
du  grand  nombre,  qu'il  n'avait  pas  assez  réussi  à  élever,  à 
sa  suite,  jusqu'au  plus  haut  comique.  Il  eut  probablement 

1.  Lettre  en  vers  de  la  Gravette  de  Mavolas,  du  28  février  1666. 

2.  Registre  de  La  Grange,  p.  86. 

3.  La  Muse  Dauphine,  du  10  mars  1667. 


374  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

vite  fait  de  refondre  une  farce,  tirée  des  vieux  fabliaux, 
qu'il  avait  fait  jouer  en  1661  sous  le  titre  du  Fagot  ici-,  et 
qu'alors  on  désignait  quelquefois  sous  celui  du  Médecin  par 
force,  pjlle  devint  en  16G6  ic  Médecin  mcdgré  lui,  qui  fut 
représenté  pour  la  première  fois  le  6  août.  Avec  quelque 
rapidité  que  Molière  lui  eût  donné  une  forme  nouvelle, 
peut-être  n'a-t-il  jamais  rien  écrit  d'inspiré  par  une  verve 
plus  plaisante.  Il  y  court  d'un  bout  à  l'autre  un  torrent 
d'esprit;  et,  chose  bien  rare  dans  une  farce  populaire,  le 
badinage  est  semé  de  traits  des  plus  tins.  On  va  trop  loin 
lorsqu'on  dit  que  Molière  eut  la  pensée  de  faire  soutenir 
son  Alceste  par  le  fagotier  Sganarelle.  L'appui  d'une  farce 
était  inutile  pour  maintenir  encore  quelque  temps  sur  la 
scène  sa  grande  comédie;  et  si!  n'y  avait  pas  lieu  pour  le 
moment  d'être  entièrement  satisfait  de  la  fortune  du  Misan- 
thrope, Molière  devait  compter  sur  la  justice  de  l'avenir. 

Le  i"  décembre  de  la  même  année  1666,  commencèrent 
au  château  de  Saint-Germain  les  fêtes  royales,  qui  y  retin- 
rent la  troupe  du  roi  jusqu'au  20  février  1667.  Molière  avait 
reçu  l'ordre  de  préparer  quelques  nouveautés  pour  ces  di- 
vertissements. Sa  contribution  dans  le  Ballet  des  Muses  fut 
Melicerte,  la  Pastorale  comique  et  le  Sicilien.  On  peut  passer 
rapidement  sur  Melicerte,  un  de  ces  petits  ouvrages  que, 
sans  demander  le  consentement  de  la  Muse,  le  roi  comman- 
dait pour  être  prêts  à  jour  et  heure  fixes,  et  ne  donnait 
pas  même  le  temps  d'achever.  Melicerte  ne  se  présenta 
qu'avec  ses  deux  premiers  actes,  qui  ne  font  qu'engager 
l'action.  Telle  qu'elle  était,  et  qu'elle  est  restée,  elle  a  des 
passages  agréables;  Molière  cependant,  à  qui  il  suffisait 
d'avoir  obéi,  ne  jugea  pas  qu'elle  valût  la  peine  d'être  con- 
duite plus  loin.  Le  souvenir  qu'a  surtout  laissé  la  représen- 
tation à  Saint-Germain  de  cette  bergerie  héroïque  est  l'in- 
cartade de  Baron,  qui,  après  y  avoir  joué  le  rôle  de  Myrtil 
à  côté  de  Mlle  Molière,  mais  à  contre-cœur,  ne  pouvant  lui 
pardonner  l'injure  d'un  brutal  soufflet,  osa  solliciter  du  roi, 
avant  la  fin  des  fêtes,  la  permission  de  se  retirer,  ne  voulut 
plus  rentrer  dans  la  maison  de  son  bienfaiteur,  et  se  remit 
dans  la  troupe  de  la  Raisin,  dont  Molière  l'avait  tiré.  La 
très  courte  Pastorale  comique  mérite  encore  moins  qu'on  s'v 


SUR  MOLIERE.  S;^ 

arrête,  malgré  quelques  vers  de  ses  chansons,  qui  sont 
d'une  gentillesse  ])iquante.  Au  contraire,  le  Sicilien,  repré- 
senté à  la  fin  des  divertissements,  sera  toujours  admiré 
comme  un  précieux  bijou.  H  est  vraisemblable  que  Molière 
avait  déjà  cette  comédie  sous  la  main,  quand  on  lui  demanda 
d'apporter  son  concours  au  Ballet  des  Muses.  Voltaire  a  trop 
peu  dit,  quand  il  a  parlé  ainsi  du  Sicilien  :  «  C'est  la  seule 
petite  pièce  en  un  acte  où  il  y  ait  de  la  grâce  et  de  la  ga- 
lanterie. »  Non  seulement  galantes  et  gracieuses,  mais  d'une 
couleur  aussi  nouvelle  que  charmante,  ces  quelques  scènes 
ne  nous  offrent  pas  une  des  moins  frappantes  preuves  de 
l'étonnante  variété  de  son  talent.  Et  c'est  lui  qu'on  a  sou- 
vent accusé  de  ne  faire  que  copier  les  autres,  quand  il  ne 
s'est  jamais  copié  lui-même! 

Très  content  de  la  troupe  de  Molière,  et  surtout  de  son 
chef,  dans  les  amusements  de  Saint-Germain,  le  roi  ne  les 
laissa  point  partir  sans  leur  avoir  fait  compter,  outre  le  prix 
du  voyage,  deux  années  de  leur  pension  montant  à  douze 
mille  livres'.  Aux  demoiselles  Molière  et  de  Brie,  qui  avaient 
joué  dans  le  Sicilien,  il  fit  présent  de  deux  riches  mantes*. 

On  est  un  peu  étonné  que  la  première  de  ces  deux  ac- 
trices ait  été  chargée  du  personnage  de  l'esclave  Zalde"', 
comme  l'atteste  le  livre  du  ballet,  et  la  seconde  de  celui  de 
l'autre  esclave,  Isidore,  qui  est  le  principal  l'ôle  de  femme. 
Serait-ce  un  de  ces  moments  où  l'on  pourrait  soupçonner 
que  Molière  était  irrité  contre  sa  femme?  Il  y  aurait  plus 
de  vraisemblance  encore  dans  cette  conjecture,  s'il  était 
plus  certain  que,  dans  MéUcerte,  Mlle  du  Parc  eût  représenté 
l'amante  de  Myrtil,  et  Mlle  Molière  une  des  bergères  les 
moins  favorisées  par  l'amour  et  par  la  fortune.  Peut-être 
aussi  Molière,  se  souvenant  de  la  Princesse  d'Élide,  ne  se 
soucia-t-il  pas  de  faire  briller  à  Saint-Germain,  comme  à 
Versailles,  la  coquetterie  de  sa  femme  dans  une  fête  de  la 
cour.  Mais,  quoique  le  plus  sûr  soit  de  ne  pas  toujours 
chercher  dans  ses  pièces  des  allusions  à  ce  qui  se  passait 

1.  Registre  de  La  Grange,  p.  86. 

2.  Robinet,  Lettre  en  vers  du  19  juin  1667. 

j.  Dans  la  pièce  imprimée,  Climène,  sœur  d'Jdraste. 


376  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

chez  lui,  une  remarque  pourrait  être  faite  sur  le  rôle  de  la 
comédie  du  Sicilien,  dans  lequel  Mlle  Molière  paraît  comme 
sacrifiée  et  en  pénitence.  Si  Molière  lui  en  voulait  alors, 
comment  lui  a-t-il  procuré  le  })laisir  de  dire  ce  qu'elle  aurait 
voulu  dicter  elle-même  :  qu'un  jaloux  est  un  monstre  haï 
de  tout  le  monde...;  que  c'est  le  cœur  qu'il  faut  arrêter  par 
la  douceur  et  par  la  complaisance*?  Pour  qu'il  n'y  ait  pas 
là  de  difficulté,  il  suffit  qu'on  admette,  au  moins  le  plus 
souvent,  que  tout  simplement  Molière  faisait  parler  ses  per- 
sonnages comme  ses  pièces  le  demandaient. 

Il  a  lui-même  jugé  que  le  Sicilien  était  mieux  qu'une  de 
ces  bagatelles  improvisées  pour  une  fête  royale  et  destinées 
à  n'y  pas  survivre.  Il  l'a  fait  jouer  sur  son  théâtre,  et  livré 
à  l'impression.  S'il  ne  l'a  produit  sur  la  scène  du  Palais- 
Royal  que  le  10  juin  1667,  c'est  qu'il  avait  été  quelque 
temps  fort  malade.  Plus  d'une  fois  la  fatigue  de  sa  poitrine 
le  contraignit  d'interrompre  ses  travaux.  Cette  année,  dès 
le  17  avril.  Robinet,  dans  une  de  ses  lettres  en  vers,  avait 
parlé  du  bruit  répandu  qu'il  était  mourant.  Celle  du  12  juin 
suivant  annonçait  que  le  public  avait  enfin  vu  le  Sicilien,  et 
que  Molière,  jouant  le  rôle  du  jaloux  Don  Pèdre,  avait  re- 
paru «  plus  que  jamais  facétieux  «  et  tout  rajeuni  par  le 
lait.  Il  se  mettait  fréquemment  à  ce  régime  et  soignait  ainsi 
sa  grosse  toux,  sans  recourir  aux  médecins. 

La  dernière  des  dix-sept  représentations  qui  furent  don- 
nées du  Sicilien  en  1667  allait  être  suivie  de  la  première 
du  Tartuffe  au  Palais-Royal.  Depuis  1664,  la  mise  en  liberté 
du  chef-d'œuvre  avait  été  le  constant  souci  de  Molière.  Il 
est  vraisemblable  qu'à  Saint-Germain,  après  les  fêtes,  oiî  il 
s'était  acquis  de  nouveaux  titres  à  la  bienveillance  du  roi, 
ses  sollicitations  renouvelées  avaient  été  favorablement 
écoutées,  à  la  condition  de  quelques  prudents  changements. 
Il  importait  de  se  hâter;  mais  la  maladie,  que  nous  venons 
de  voir  constatée  en  avril,  arrêta  fort  mal  à  propos  la  re- 
présentation, qui  ne  se  trouva  prête  qu'au  commencement 
du  mois  d'août,  lorsque  Louis  XIV  était  depuis  trois  mois 
à  l'armée  de  Flandre.  Sans  attendre  son  retour,  Molière, 

I.  Le  Sicilien,  scène  xviii. 


SUR   MOLIERE.  877 

qui  regardait  son  Tartuffe  comme  enfin  dégagé  de  ses  liens, 
ou  jugeait  expédient,  après  une  promesse  plus  ou  moins  for- 
melle, de  ne  pas  paraître  douter  qu'il  ne  le  fût,  le  fit  jouer 
au  Palais-Royal  le  5  août  1667.  «  Le  lendemain  6«,  dit  le 
Registre  de  La  Grange,  un  huissier  de  la  cour  du  Parlement 
est  venu,  de  la  part  du  premier  président,  3L  de  la  Moi- 
gnon, défendre  la  pièce  ^.  »  En  l'absence  du  roi,  la  police 
de  Paris  appartenait  au  Parlement^.  Le  premier  président, 
d'après  le  récit  de  Brossette^,  envoya  le  guet  déchirer  les 
affiches,  et  fit  même  fermer  et  garder  la  porte  de  la  comé- 
die. Ni  la  visite  que  fit  JMolière  à  M.  de  Lamoignon,  ni  les 
paroles  qui  furent  portées  à  ce  magistrat  de  la  part  de  Ma- 
dame par  un  de  ses  officiers,  ne  purent  le  fléchir.  Il  fallut 
recourir  au  roi.  Le  surlendemain  de  la  défense,  Molière 
envoya  vers  lui,  dans  le  camp  devant  Lille,  deux  de  ses  ca- 
marades, porteurs  de  la  fière  supplique  qui,  dans  l'édition 
de  1682  de  ses  OEuvres,  a  été  imprimée  sous  le  titre  de 
Second  plaçât .  «  Le  8"  (août  1667),  dit  le  Registre'*,  le  sieur 
de  la  Torillière  et  moi,  de  la  Grange,  sommes  partis  en 
poste  de  Paris,  pour  aller  trouver  le  Roi  au  sujet  de  ladite 
défense —  Nous  fûmes  très  bien  reçus.  Monsieur  nous  pro- 
tégea à  son  ordinaire,  et  Sa  Majesté  nous  fit  dire  qu'à  son 
l'etour  à  Paris,  il  feroit  examiner  la  pièce  de  Tartuffe  et 
que  nous  la  jouerions.  Après  quoi  nous  sommes  revenus. 
Le  voyage  a  coûté  mille  livres  à  la  troupe.  »  Molière  n'avait 
pas  oublié,  dans  son  placet,  d'appeler  l'attention  du  roi  sur 
les  changements  qu'il  avait  faits  à  son  ouvrage,  pour  ôter 
tout  prétexte  aux  plaintes.  D'abord,  faisant  disparaître  le 
nom  de  Tartuffe,  qui  exaspérait  ceux  auxquels  il  s'était 
comme  attaché,  il  avait  nommé  sa  pièce  V Imposteur.  On  était 
ainsi  mieux  averti  que  la  dévotion  menteuse  était  seule 
mise  en  jeu.  Le  personnage  du  fourbe,  comme  s'il  n'était 

I.   Registre,  p.  8g. 

1.  Notes  historiques  sur  la  vie  de  Molière,  p.  146.  —  M.  Léon 
Say  [Turgot,  dans  les  Grands  écrivains  français,  Paris,  1887,  p.  iiq 
et  120)  dit  aussi  que  le  Parlement,  en  1775,  réclama  les  attribu- 
tions de  «  grande  police,  quil  avait  eues  de  tout  temps  ». 

3.  Ms.  de  Brossette,  p.  i^j. 

4.  Page  89. 


378  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

plus  tout  à  fait  le  même,  était  devenu  Panulphe,  et,  ce  qui 
le  déguisait  un  peu  plus  sérieusement,  il  se  montrait  sous 
l'ajustement  d'un  homme  portant  épée,  grand  collet  et  den- 
telles. Malheureusement  le  premier  président  et  beaucoup 
d'autres  avaient  trouvé  que,  pour  avoir  reçu  une  façon  nou- 
velle, le  bâton  n'en  frappait  pas  moins  au  même  endroit  et 
a  peu  près  aussi  fort.  Des  corrections  cependant  avaient 
adouci  quelques  passages.  Molière  se  flattait  que  c'était 
assez  pour  oser  réclamer  la  permission  qu'on  l'avait  auto- 
risé à  espérer.  Sachant  combien  le  roi  goûtait  ses  comé- 
dies, il  eut  la  hardiesse  de  lui  faire  craindre  sa  retraite, 
qu'il  disait  assurée,  «  si  les  Tartuffes  ont  l'avantage  ».  Dans 
ces  paroles,  déjà  citées  plus  haut,  on  peut  remarquer  qu'il 
leur  rendait  leur  nom,  déjà  passé  dans  la  langue;  voilà  ce 
qu'ils  avaient  gagné  à  l'acharnement  de  leur  persécution. 

Les  bonnes  paroles  apportées  de  Lille  par  les  comédiens 
ambassadeurs  devaient  donner  confiance.  Ce  qui  arracha 
des  mains  de  Molière  la  victoire  qu'il  croyait  tenir,  ce  fut 
évidemment  l'ordonnance  publiée  le  1 1  août  par  l'archevêque 
de  Paris,  Hardouin  de  Péréfixe.  Elle  faisait  défense  à  toutes 
personnes  de  son  diocèse  «  de  représenter,  lire  ou  entendre 
réciter  ladite  comédie,  soit  publiquement,  soit  en  particu- 
lier..., sous  peine  d'excommunication  ».  Le  roi  ne  se  crut 
plus  libre  de  donner  suite  à  ses  favorables  intentions.  L'au- 
teur de  Tartuffe  ne  pouvait  se  dissimuler  qu'il  avait  prédit 
son  sort  en  parlant  des  gens  assassinés  avec  un  fer  sacré. 

Depuis  le  6  août,  jour  où  M.  de  Lamoignon  avait  fermé  le 
théâtre  à  V Imposteur,  la  troupe,  jusqu'au  2  ■)  septembre,  cessa 
de  jouer.  Le  Registre  n'explique  l'interruption  que  durant 
le  voyage  de  La  Grange  et  de  La  Thorillière.  Il  est  probable 
que,  si  elle  fut  plus  longue,  c'est  qu'après  le  coup  dont  l'avait 
frappé  la  foudi'e  épiscopale,  Molière  eut  un  de  ces  dépits 
qui  appellent  vers  la  retraite,  suivant  une  expression  du  Sosie 
de  son  Amp/iitrjnriK  Mais  Louis  XIV  était  revenu  de  l'armée 
dans  la  première  quinzaine  de  septembre.  Une  lettre  en 
vers  de  Robinet,  datée  du  1 1  septembre,  dit  qu'il  était  alors 
rentré  à  Saint- Germain.  Peut-être  Molière  fut-il  rengagé  par 

I.  Scène  I,  vers  182  et  i83. 


SUR   MOLIERE.  879 

a  la  faveur  d'un  coup  d'œil  caressant*  «,  mieux  que  cela, 
par  des  paroles  cjui  lui  rendirent  courage,  par  la  perspective 
d'un  temps  prochain  qui  serait  moins  contraire.  Le  théâtre 
se  rouvrit,  et  recommença  ses  représentations  par  le  Mi- 
santhrope, joué  les  23,  27  et  3o  septembre.  Robinet  annon- 
çait le  8  octobre  que  Molière  avait  reparu  : 

J'oubliois  une  nouveauté 

Qui  doit  charmer  notre  cité. 

Molière  reprenant  courage, 

Malgré  la  bourrasque  et  l'orage, 

Sur  la  scène  se  fait  revoir. 

Au  uom  des  dieux,  qu'on  l'aille  voir. 

On  ne  doutait  donc  pas  qu'il  ne  se  fût  tenu  éloigné  de  la 
scène  par  ressentiment  de  la  nouvelle  proscription  de  sa 
comédie.  Il  devait  attendre  encore  un  an  et  quelques  mois 
avant  ce  qu'il  a  appelé  «  la  grande  résurrection  de  Tar- 
tuffe^ ».  Nous  en  parlerons  à  sa  date. 

Le  temps  de  fatigue  et  de  découragement  pendant  lequel 
Molière  ne  reparut  pas  au  théâtre  et  qui  put  même  faire 
craindre  de  le  voir  s'en  éloigner  définitivement  (car  il  était 
au-dessus  du  soupçon  de  ce  cjue  l'on  appelle  dans  les  comé- 
dies une  fausse  sortie)  fut  peut-être  bien  celui  où,  dans 
son  besoin  de  repos,  il  prit  le  parti  de  chercher,  comme 
Alceste,  «  un  endroit  écarté  «.  On  sait  du  moins  que  ce  fut 
à  peu  près  à  ce  moment-là  qu'il  alla  vivre  à  Auteuil.  Des 
pièces  ont  été  publiées^  qui,  aux  dates  des  21  et  22  août 
1667,  constatent  qu'il  y  était  établi  dans  une  maison  appar- 
tenant à  Jacques  de  Grou,  sieur  de  Beaufort,  et  donnent  à 
penser  qu'il  avait,  depuis  peu,  loué  une  partie  du  logis  et  du 
jardin.  Ce  serait  beaucoup  exagérer  que  de  le  représenter 
enseveli  là  dans  une  profonde  solitude.  Chapelle  s'était  fait 
avec  lui  locataire  de  la  maison.  Baron  y  était  aussi,  comme 
le   prouvent  des    anecdotes  contées  par  Grimarest,  entre 

1.  yimp/diryon,  scène  i,  vers  186. 

2.  Troisième  placet,  tome  IV,  p.  896  et  397. 

3.  Elles  émanent  de  la  jiuidiction  seigneuriale  d'Auteuil. Voyez 
les  Points  obscurs  de  la  i/e  de  Molière^  aux  Pièces  justificatives  de  ce 
livre,  p.  389-392. 


38o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

autres  celle  du  comédien  Mondorge  secouru*,  celles  de  la 
visite  de  Bernier*  et  du  souper  d'Autcuil.  Il  recevait  sou- 
vent ses  amis,  Boileau,  la  Fontaine,  Jonzac,  Nantouillet, 
pour  n'en  citer  que  quelques-uns.  On  a  supposé  que  Mlle  Mo- 
lière ne  venait  à  Auteuil  qu'en  visite,  parce  que  dans  l'in- 
ventaire des  meubles  de  l'appartement^  on  ne  trouve  qu'un 
lit,  lequel  était  dans  la  chambre  de  Molière,  tandis  qu'à 
Paris  sa  femme  en  avait  un  dans  le  sien.  Nous  ne  portons 
aucun  jugement  sur  la  force  de  cette  preuve.  Il  est  du  reste 
assez  vraisemblable  que  la  très  mondaine  comédienne  ne 
s'enfermait  pas  volontiers  à  la  campagne. 

Le  séjour  de  Molière  à  Auteuil  est  célèbre.  Louis  Racine 
en  a  parlé  dans  ses  Mémoires''  pour  en  égayer,  dit-il,  la  pre- 
mière partie.  Il  a  raconté,  après  Grimarest,  ce  fameux  sou- 
per d'Auteuil  que  nous  venons  de  nommer  tout  à  l'heure,  et 
comment  des  amis  de  Molière,  Boileau  étant  du  nombre, 
fêtèrent  si  bien  la  bouteille  qu'ils  perdirent  la  raison,  et, 
dans  leur  mélancolique  ivresse,  résolurent  de  se  noyer  de 
compagnie.  La  sagesse  de  Molière,  qui  les  avait  laissés  souper 
sans  lui,  et  s'était  contenté  de  boire  son  lait,  eut  l'adresse  de 
les  faire  renoncer  à  leur  lugubre  folie.  Le  témoignage  de 
Louis  Racine  est  bon  à  recueillir,  car  il  nous  avertit  de  ne 
pas  croire  Grimarest  mal  informé.  «  Boileau,  dit-il,  a  raconté 
plus  d'une  fois  cette  folie  de  sa  jeunesse.  y>  Si  ces  derniers 
mots  sont  ceux  de  Boileau  lui-même,  il  s'excusait  un  peu 
trop  sur  son  âge  :  l'aventure  étant  au  plus  tôt  des  derniers 
mois  de  i66j,  il  n'était  plus  trop  jeune.  Le  plus  grave  de 
cette  société  se  trouvait  être  le  comédien,  le  célèbre  rieur. 

A  propos  de  souper,  profitons  de  l'occasion  d'en  citer  un 
autre  de  Molière  et  de  ses  amis,  qui,  sans  être  aussi  amu- 
sant, mérite  encore  mieux  d'être  rappelé.  Mais  il  ne  saurait 
être  du  temps  d'Auteuil,  puisque,  avec  Boileau,  la  Fontaine, 
et  le  musicien  Descoteaux,  Racine  était  un  des  convives. 
Boileau  et  Racine  s'amusèrent  à  se  moquer  de  la  Fontaine, 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  igo  et  191. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  47- 

3.  Soulié,  Recherches  sur  Molière.  DoCXJBlENT  XLV,  p.  282-286. 

4.  Voyez  au  tome  I  des  Œinres  de  J.  Racine .^  p.  269  et  270, 


SUR   MOLIERE.  38i 

qui  était  plougé  dans  ses  rêveries.  Leurs  railleries  parurent 
à  Molière  passer  les  bornes.  «  Au  sortir  de  table,  dit  d'Oli- 
vet',  il  poussa  Descoteaux  dans  l'embrasure  d'une  fenêtre, 
et  lui  parlant  de  l'abondance  du  cœur  :  «  Xos  beaux  esprits, 
«  dit-il,  ont  beau  se  trémousser,  ils  n'effaceront  pas  le  bon- 
«  homme.  »  Louis  Racine  connaissait  l'anecdote,  qu'il  a  ra- 
contée dans  ses  Mémoires  et  dans  ses  Réflexions  sur  la  poésie; 
mais  on  lui  avait  sans  doute  moins  fidèlement  rapporté  les 
paroles  de  Molière,  qui,  chez  lui,  semblables  par  le  sens, 
n'ont  pas  la  même  vivacité  d'expression.  Cet  éloge  de 
la  Fontaine,  qui  dans  la  bouche  de  Molière  a  tant  de  prix, 
fait  souvenir  que  notre  poète  ne  fut  pas  lui-même  moins 
bien  loué  par  Boileau,  le  jour  où  le  roi  lui  demanda  quel 
était  celui  des  grands  écrivains  qui  avait  le  plus  honoré  la 
France  pendant  son  règne.  Boileau  nomma  Molière.  «  Je  ne 
le  croyais  pas,  répondit  le  roi,  mais  vous  vous  y  connaissez 
mieux:  que  moi.  »  Si  Louis  Racine  n'avait  pas  tenu  le  fait 
de  bonne  source,  il  ne  l'aurait  pas  attesté  dans  ses  Mémoires^, 
son  père  étant  mis,  dans  ce  jugement  de  Boileau,  moins 
haut  que  Molière.  On  pourrait  tout  au  plus  le  soupçonner 
d'avoir  imaginé,  comme  correctif,  l'étonnement  du  roi,  qui 
néanmoins  est  très  vraisemblable.  Quoique  l'esprit  de  Mo- 
lière l'eût  toujours  beaucoup  diverti,  on  comprend  qu'il 
n'aurait  jamais  pensé  que  dans  le  plus  gai  des  auteurs  il 
fallût  reconnaître  celui  qui  avait  jeté  sur  son  siècle  le  plus 
grand  éclat  littéraire.  Si,  à  l'exemple  de  Molière,  Boileau  eût 
nommé  la  Fontaine,  la  surprise  de  Louis  XIV  eût  été  plus 
grande  encore,  et  il  est  probable  qu'il  aurait  décidément 
refusé  de  se  laisser  persuader. 

?s"ous  avons  été  entraîné  loin  d'Auteuil.  Il  nous  restait 
seulement  à  en  dire  que  le  souvenir  de  Molière  et  des  plus 
illustres  de  ses  amis  a  rendu  poétique  le  nom  de  ce  joli 
village.  Tout  le  monde  connaît  les  vers  qu'il  a  inspirés  à 
Marie-Joseph  Chénier  dans  une  de  ses  meilleures  pièces, 
dans  1  éloquente  élégie  de  la  Promenade  : 

Auteiùl,  lieu  favori!  lieu  saint  pour  les  poètes! 
Que  de  rivaux  de  gloire  assis  sous  tes  berceaux! 

I.   Histoire  de  l'Académie,  tome  II,  p.  Sog.  —  2.  Page  271. 


382  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Il  nous  y  fait  voir  Molière,  Boileau,  la  Fontaine  et  Racine. 
Son  tableau  a  de  jolies  couleurs,  mais  n'a  pas  l'approliation 
de  la  chronologie,  avec  laquelle  on  nous  dira  que  les  Muses, 
excepté  celle  de  l'histoire,  ont  le  droit  de  prendre  des  liber- 
tés. Quoi  qu'il  en  soit,  ceux  qui  ont  présents  à  la  mémoire 
les  vers  de  Chénier.  ne  lui  reprocheront  pas  d'avoir,  «  maigre 
historien,  suivi  l'ordre  des  temps  ».  Qu'il  ait  aperçu  la  Fon- 
taine, égarant  ses  douces  rêveries  le  long  des  prairies  d'Au- 
teuil  ou  sous  les  ombrages  de  ses  bois,  il  se  peut  faire.  Nous 
ne  dirons  pas  non  plus  qu'il  n'y  ait  pas  rencontré  Molière 
esquissant  le  portrait  de  Chrysale,  mais  celui  d'Arnolphe, 
non  pas  :  il  était  depuis  longtemps  dessiné.  Quant  à  Racine, 
lorsque  nous  voulons  le  voir  à  Auteuil,  ne  l'y  cherchons  pas 
chez  Molière,  on  sait  pourquoi,  mais  chez  Boileau  ;  et  celui-ci 
n'acheta  qu'en  i685  la  maison  que  Louis  Racine  a  nommée 
le  Tibur  de  l'auteur  des  satires,  et  Jean  Racine,  plus  sim- 
plement, son  hôtellerie.  Dans  le  temps  où  celui-ci  y  rece- 
vait souvent  l'amicale  hospitalité,  il  n'en  était  plus,  comme 
le  veut  Chénier,  à  évoquer  Pyrrhus  et  Andromaque,  à  faire 
tonner  Burrhus  contre  Néron.  S'il  a  jamais  appris  aux  échos 
d' Auteuil  quelques-uns  de  ses  vers,  ce  furent  ceux  A' Eslher 
et  à' Athalle.  Qu'on  pardonne,  malgré  son  air  de  pédanterie, 
ce  souci  de  l'exactitude  à  un  prosaïque  biographe.  Il  nous 
était  permis  de  craindre  que  de  cet  Auteuil,  à  qui,  dans  le 
grand  siècle,  Molière,  le  premier,  a  donné  la  célébrité  d'un 
nouveau  sacré  vallon,  la  poétique  Promenade  n'eût  laissé 
dans  plus  d'une  mémoire  une  trompeuse  image. 

Nous  avons  vu  Molière,  après  quelques  semaines  d'irri- 
tation, remonter  sur  la  scène,  calmé  peut-être  par  quelques 
paroles  du  roi  qui  lui  avaient  rendu  confiance.  Il  ne  tarda 
pas,  ce  qui  était  bien  mieux  encore,  à  reparaître  comme 
auteur  de  nouvelles  comédies.  Par  l'empressement  que  le 
protecteur  mit  à  les  accueillir,  à  les  demander,  on  put  faci- 
lement reconnaître  que  sa  faveur  restait  assurée.  En  no- 
vembre i66- la  troupeduPalais-Royal,  concurremment  avec 
celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  avait  été  appelée  àVersailles'. 

1.  Registre  de  La  Grange,  p.  90  et  91.  —  Voyez  aussi  la  Lettre 
en  vers  de  Robinet,  du  12  novembre  1667. 


SUR  MOLIERE.  i83 

Elle  y  reçut  une  année  de  sa  pension  (six  mille  livres). 
Beaucoup  plus  remarquable  fut,  deux  mois  après,  la  part 
que  prit  Molière  aux  divertissements  des  Tuileries.  Le 
\6  janvier  1668  il  fit  jouer  là,  devant  le  roi  et  sa  cour, 
la  comédie  à' Amphitryon^ ,  déjà  représentée  deux  fois  au 
Palais-Royal  le  i3  et  le  i5  janvier.  Le  roi  la  revit,  au  mois 
d'avril,  à  Versailles,  où  la  troupe  arrivée,  par  son  ordre, 
le  23,  resta  jusqu'au  29-. 

h' Amphittj'^on  a  droit  à  une  très  belle  place  dans  l'histoire 
des  ouvrages  de  Molière.  Celle  que  plusieurs  lui  ont  voulu 
donner,  beaucoup  moins  glorieuse,  dans  l'histoire  de  la  vie 
morale  du  poète,  ne  soutient  pas  l'examen.  Nous  croyons 
avoir  bien  montré  ailleurs^,  par  quelles  raisons  de  dates, 
sans  parler  de  l'invraisemblable  indiscrétion,  on  ne  saurait 
voir  dans  les  amours  de  Jupiter  et  d'Alcmène  une  allusion 
à  ceux  de  Louis  XIV  et  de  Mme  de  Montespan.  Rotrou,  au- 
teur des  Sosies,  en  i636,  a  eu  le  bonheur  qu'il  n'y  eût  pas 
alors,  à  la  cour  de  France,  un  dieu  s'humanisant  volontiers 
pour  des  beautés  d'un  moins  sublime  étage.  L'idée  d'une 
imitation  de  X Amphitryon  latin  est  tout  naturellement  venue 
à  Molière,  soit  que  le  succès  qu'avait  eu  au  Marais  la  pièce 
de  Rotrou  l'eût  piqué  d'émulation,  soit  qu'il  fit  en  ce  temps- 
là  ses  délices  de  la  lecture  de  Plante,  comme  le  donnerait 
à  croire  son  Avare,  tiré,  cette  même  année,  de  l'Auiulaire. 
Tout  ce  qu'il  est  permis  de  dire,  c'est  qu'il  avait  trop  de 
malice  pour  ne  pas  se  douter,  en  écrivant  sa  comédie,  qu'il 
y  avait  quelque  part  un  Olympien  coureur  d'aventures, 
d'obligeants  Mercures  au  service  de  ses  galanteries,  une 
cour  prête  à  s'incliner  avec  respect,  avec  éblouissement, 
devant  les  fantaisies  du  maître  souverain.  Comment  tout  le 
monde  n'y  aurait-il  pas   pensé,  lorsque,   sous  la  plume  de 

1.  Ou  a  peine  à  comprendre  comment  La  Grange,  dans  son  Re- 
gistre, a  oublié  les  représentations  données  aux  Tuileries  en  jan- 
vier 1668,  celle  du  Médecin  malgré  lui  le  6,  celle  à' Amphitryon  le  16. 
Elles  sont  attestées  par  la  Gazette  et  par  les  Lettres  en  vers  de  Ro- 
binet, du  14  et  du  21  janvier. 

2.  Registre  de  La  Grange,  p.  gS. 

3.  Voyez  la  Notice  sur  VAmpliitryon,  au  tome  VI,  p.  3i6-3a3. 


384  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

l'auteur,  la  pièce,  très  librement  imitée,  était  devenue  (ce 
n'est  pas  un  de  ses  moindres  agréments)  toute  moderne  et 
française?  Nul  doute  qu'on  ne  l'ait  senti  à  la  cour,  oîi  l'on 
ne  s'en  est  que  plus  amusé.  Si  Molière  avait  pu  craindre 
quelque  chose,  ce  n'était  pas  qu'on  l'accusât  de  basse  com- 
plaisance, mais  d'excessive  hardiesse.  Sosie  ose  beaucoup 
dès  le  début  de  la  pièce,  où  il  ne  se  montre  pas  trop  idolâtre 
de  la  grandeur,  et  murmure  contre  l'égoïsme  dont  elle  fait 
sentir  le  poids  à  ses  plus  zélés  serviteurs;  mais  plus  encore 
au  dénouement,  lorsqu'il  donne  le  conseil  de  ne  pas  s'arrê- 
ter à  de  longues  réflexions  sur  les  brillantes  explications  du 
maître  des  dieux  : 

Sur  telles  affaires  toujours 

Le  meilleur  est  de  ne  rien  dire. 

C'est  en  dire  quelque  chose  cependant  par  ce  silence  un 
peu  moins  respectueux  que  prudent.  On  retrouve  donc  dans 
YAmphitrjon  le  Molière  que  l'on  avait  toujours  connu, 
passé  maître  dans  la  fine  insinuation  de  bonnes  vérités,  et, 
pour  les  faire  entendre  aux  puissants,  sachant  user  avec  une 
grande  liberté  des  privilèges  de  la  comédie.  Dans  le  pro- 
logue, étincelant  d'esprit,  dont  les  personnages  sont  la  Nuit 
et  Mercure,  il  y  avait  de  quoi  faire  rire  du  bout  des  dents 
de  trop  nombreux  courtisans,  disposés  à  rendre  au  maître 
certains  services  : 

Voilà  saus  doute  un  bel  emjîloi 
Que  le  grand  Jupiter  m'apprête  ; 
Et  l'on  donne  un  nom  fort  honnête 
Au  service  qu'il  veut  de  moi. 

A  la  Nuit,  qui  fait  ainsi  la  renchérie,  Mercure  répond  : 

Un  tel  emploi  n'est  bassesse 
Que  chez  les  petites  gens. 
Lorsque  dans  un  haut  rang  on  a  l'heur  de  paroître, 
Tout  ce  qu'on  fait  est  toujours  bel  et  bon  , 
Et  suivant  ce  qu'on  peut  être 
Les  choses  changent  de  nom. 

L'ironie  ne  manquait  pas  de  clarté.   Si  quelqu'un  la  juge 


SUR   MOLIERE.  385 

d'un  ruéprisalile  flatteur,  il  entend  mal  le  français.  On  l'en- 
tendait certainement  mieux  à  Versailles. 

Il  se  peut  que  Boileau  ait  trouvé  dans  notre  Amphitryon 
matière  à  quelques  critiques;  mais  on  doit  se  délier  beau- 
coup du  Bolvcana,  qui,  parmi  celles  qu'il  lui  prête,  en  cite 
de  très  pauvres.  On  ne  croira  pas  l'auteur  de  cet  ana,  lors- 
qu'il prétend^  qu'un  si  judicieux  aristarque  «  ne  goùtoit  que 
médiocrement  »  l'excellent  ouvrage.  Un  rang  tout  autre 
que  médiocre  lui  est  assuré  et  par  la  charmante  adresse 
avec  laquelle  le  poète  a  tiré  de  dessous  le  masque  antique 
des  figures  familières  à  son  temps,  et  par  le  rare  exemple 
qu'il  a  donné  là  d'une  imitation  où  l'esprit,  à  force  d'ai- 
sance, semble  toujours  original,  même  lorsqu'il  se  tient 
près  du  modèle,  enfin  aussi  par  cette  nouveauté  des  vers 
libres,  avec  entrelacement  et  redoublement  des  rimes,  vers 
si  habilement  accommodés  au  dialogue  du  théâtre  qu'on  les 
en  croirait  la  forme  la  plus  naturelle. 

Tout  en  repoussant  l'imputation  d'une  indigne  manœuvre 
pour  gagner  à  la  cause  du  Tartuffe  le  protecteur  flatté  dans 
ses  passions,  il  est  permis  de  croire  que  le  succès  des  re- 
présentations de  \ Amphitryon  à  la  cour  dut  conti'ibuer  à 
aplanir  le  chemin  vers  le  but  dont  Molière  ne  détournait 
pas  ses  regards.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  jour  où  il  montra  par 
cette  rentrée  dans  sa  carrière  d'auteur  qu'il  renonçait  à 
renfermer  dans  le  silence  son  génie  découragé,  il  put  faix'e 
deviner  qu'il  avait  eu  quelques  raisons  de  concevoir  de 
fortes  espérances.  Dans  cette  même  année  1668,  les  signes 
ne  manquèrent  pas  de  l'approche  du  moment  où  il  obtien- 
drait pleine  satisfaction.  Le  moins  équivoque  fut  le  Tartuffe 
joué  deux  fois,  eu  visite,  chez  Monsieur  le  Prince,  à  Paris 
d'abord,  dès  le  4  mars,  puis  à  Chantilly,  le  20  septembre'. 
Quelque  haute  que  fût  la  situation  du  grand  Condé,  il  est 
bien  peu  vraisemblable  qu'il  se  crût  assez  maître  dans  sa 

1.  Page  33. 

2.  Registre  de  La  Grange,  p.  98.  —  On  v  lit  :  «  Le  jeudi  20' 
yseptemljre^  une  visite  à  Chantilly,  et  [pour]  une  à  Paris,  qui 
a  été  jouée  le  4'  mars  du  Tartuffe,  pour  Mgr  le  Prince,  reçu 
iioo  **.  »  ,    , 

Molière,  x  a5 


386  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

maison  pour  }•  faire  re|)résenter  la  comédie  foudroyée  par 
l'archevêque  de  Paris,  s'il  n'avait  pas  su  que  le  roi,  disposé 
dès  lors  à  la  ressusciter,  fermerait  les  yeux.  La  représen- 
tation du  4  mars  est  surtout  remarquable.  A  Paris,  en  effet, 
toute  désobéissance  à  l'ordonnance  du  1 1  août  1667  tombait 
sous  le  coup  de  l'excommunication.  A  Chantilly,  on  était  du 
moins  hors  du  diocèse.  C'est  ce  qui  explique  que  dans  la 
petite  notice  historique  de  l'édition  de  iGSa,  la  représen- 
tation du  20  septembre  soit  la  seule  mentionnée,  et  que  le 
Rc<j;istre,  un  peu  moins  discret,  ne  nous  ait  fait  connaître 
celle  du  f  mars  qu'à  la  date  de  ce  20  septembre,  et  dans  une 
rédaction  assez  embarrassée.  Molière  évidemment  n'avait 
plus  qu'un  peu  de  patience  à  prendre. 

En  attendant,  il  donna,  la  même  année  que  V Amphitryon, 
deux  autres  pièces  nouvelles,  dont  la  première  fut  George 
Dandin,  représenté  à  Versailles,  dans  une  pompeuse  fête, 
au  mois  de  juillet,  probablement  le  18.  Il  est  à  remarquer 
comme  une  preuve  de  la  faveur  où  l'on  savait  alors  Molière, 
que  Robinet,  décrivant  la  fête  dans  sa  Lettre  en  vers  à  Ma- 
dame, en  date  du  21  juillet,  donne  à  l'auteur  de  George 
Dandin  ce  nom  : 

Le  Mome  cher  et  glorieux 
Du  bas  Oljmpe  de  uos  Dieux. 

C'était  une  pièce  fortement  salée,  celle  que,  ce  jour-là, 
Molière  fit  jouer  devant  le  roi,  la  reine,  le  dauphin,  Mon- 
sieur et  Madame.  La  relation  de  la  Gazette  paraît  même  ne 
pas  laisser  douter  que  le  nonce  du  pape  et  les  cardinaux  de 
Vendôme  et  de  Retz,  présents  à  la  fête,  ne  l'aient  été  aussi 
au  spectacle  de  la  comédie. 

Molière,  conmie  il  l'a  trouvé  commode  plus  d'une  fois, 
avait  eu  recours  à  une  de  ses  anciennes  farces.  Il  avait 
pensé  qu'à  la  condition  d'une  heureuse  refonte,  il  aurait 
quelque  chose  à  tirer  de  sa  Jalousie  du  Barbouillé,  dont  il 
devait  la  scène  la  plus  plaisante  soit  à  Boccace,  soit  aux 
fabliaux,  ou,  plus  directement  peut-être,  aux  bouffonneries 
italiennes.  11  avait  maintenant  le  secret  de  mettre  partout, 
fût-ce  où  l'on  pouvait  le  moins  l'attendre,  de  la  vraie,  de 
l'excellente  comédie.  Du  Barbouillé,  une  de  ces  figures  qui  ne 


SUR   MOLIERE.  '^87 

s'élèvent  pas  au-dessus  des  tréteaux,  il  a  fait  un  riche  vilain 
assez  sot  pour  avoir  pris  femme  dans  la  gentilhommerie. 
C'est  ainsi  que  sa  pièce  est  devenue  une  sérieuse  leçon  sur 
les  dangers  de  ces  alliances  de  la  vanité  roturière  et  de  la 
noblesse  qui  ne  fait  pas  fi  des  écus  des  vilains.  M.  et  Mme  de 
Sotenville  sont  des  types  immortels,  et  le  caractère  de  leur 
gendre  n'est  pas  d'une  vérité  moins  parfaite.  Dans  le  rôle 
particulièrement  de  cet  infortuné,  si  cruellement  puni,  on 
ne  saurait  trop  admirer  la  franchise  du  style. 

De  tout  temps  Molière  a  été  inépuisable  en  plaisanteries 
sur  les  maris  trompés.  Elles  ne  scandalisaient  jias,  ayant 
toujours  été  familières  à  l'esprit  gaulois.  C'étaient  badinages 
qui  n'invitaient  personne  à  aller  chercher  ce  qu'on  y  trou- 
verait, en  les  prenant  au  sérieux,  et  à  réclamer  pour  la  mo- 
rale en  péril.  Plus  de  sévérité  se  justifie  le  jour  où  sur  le 
théâtre  il  a  mis  l'adultère  à  découvert,  avec  ses  plus  impu- 
dents mensonges  et  dans  toute  son  effronterie.  Pour  expli- 
quer que  cette  fois  Molière  n'ait  pas  reculé  devant  des 
scènes  d'une  réalité  si  crue,  dira-t-on  qu'il  éiait  alors  de- 
venu un  peintre  de  plus  en  plus  hardi  de  la  vie,  un  mora- 
liste de  plus  en  plus  amer?  Ce  serait  chercher  trop  loin.  La 
coquine  sans  vergogne  était  déjà  dans  la  Jalousie  du  Bar- 
bouille et  dans  les  contes  d'où  elle  avait  été  tirée.  Dès  que 
Molière,  pour  ne  pas  laisser  perdre  une  facétieuse  idée, 
s'était  décidé  à  rajeunir  son  ancien  canevas,  il  pouvait  bien, 
comme  il  l'a  fait,  le  purger  d'obscènes  équivoques,  qui 
n'étaient  plus  à  son  usage,  et  même  très  ingénieusement 
rehausser  la  farce  jusqu'à  la  comédie,  mais  non  changer  la 
principale  donnée.  II  eût  assurément  mieux  fait  de  ne  pas 
reprendre  un  sujet  ti'op  scabreux,  j)uisqu"il  n'y  avait  aucun 
moven  de  le  traiter  sans  donner  le  spectacle  d'une  femme 
profondément  vicieuse.  Il  n'aurait  pas  encouru  la  grave 
censure  de  Bourdaloue,  qui,  dans  son  sermon  sur  Vimpuretc, 
a  signalé,  par  l'allusion  la  plus  claire,  la  comédie  de  George 
Dandin,  comme  un  de  ces  sj)ectacles  «  où  l'impudence  lève 
le  masque  ".  Le  prêche  philosophique  n"a  pas  été  plus  in- 
dulgent dans  la  Lettre  de  Rousseau  à  d'Alembert.  Voltaire 
dit  que  le  public  même  se  souleva  un  peu  contre  le  sujet 
de  la  pièce,  et  que  «  quekpies  personnes  se  révoltèrent  ». 


Sm  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Nous  ne  croyons  pas  que  c'ait  été  du  vivant  de  1  auteur. 
Toutes  les  apparences  sont  en  faveur  de  ce  témoignage  de 
Grimarest,  que  «  le  George  Dandin  fut  bien  reçu  à  la  cour 
au  mois  de  juillet  16G8,  et  à  Paris  au  mois  de  novembre 
suivant*  «.  La  cour,  en  ce  tcraps-là,  ne  se  piquait  pas  de 
rigorisme,  et  l'on  ne  pouvait  lui  reprocher  de  couvrir  d'un 
masque  de  pruderie  la  liberté  de  ses  mœurs.  Les  tours  joués 
au  «  mari  confondu  »  l'égayèrent  beaucoup.  Après  avoir  été 
la  première  à  en  rire  à  Versailles  en  juillet,  elle  les  voulut 
revoir  à  Saint-Germain  trois  fois  de  suite,  du  3  au  4  no- 
vembre, dans  les  fêtes  de  Saint-IIubert.  George  Dandin, 
joué  au  Palais-Royal  le  9  du  même  mois,  eut  dix  repré- 
sentations jusqu  à  la  fin  de  1668,  et  d'assez  nombreuses  les 
deux  années  suivantes. 

On  est  à  peu  près  assuré  que  dès  la  première  distribution 
Mlle  Molière  fut  chargée  du  rôle  d'Angélique,  dont  on  sait 
positivement  que  plus  tard  elle  était  en  possession.  Quel- 
ques-uns ont  pensé  que  Molière  le  lui  a  donné  dans  un  des 
moments  de  sa  plus  vive  irritation  contre  elle.  Cette  idée 
d'une  pénitence  qu'il  lui  aurait  infligée,  et  qu'elle  aurait 
acceptée,  est  des  plus  étranges.  Afficher  sa  femme  comme 
une  autre  Angélique,  c'eût  été  s'afficher  lui-même  comme 
le  modèle  de  Dandin,  dont  il  jouait  le  personnage.  Il  avait 
trop  de  bon  sens,  trop  de  soin  de  son  honneur,  pour  étaler 
des  infortunes  qu'un  honnête  homme  cache  de  son  mieux, 
pour  se  bâter  et  se  sangler  comme  les  sots  des  Aveux  indis- 
crets. Il  est  visible  qu'il  n'eut  pas  même  la  pensée  que  le 
public  pût  le  soupçonner  de  leur  ressembler.  Au  contraire 
des  conjectures  que  l'on  a  faites,  il  a  fallu  que  Molière  se 
crût  alors  dans  une  assez  grande  sécurité  pour  n'avoir  pas 
la  moindre  crainte  d'une  comparaison  dans  l'esprit  des 
spectateurs  entre  l'humeur  légère  de  son  Armande  et  les 
«  malversations  »  d'une  odieuse  femme. 

George  Dandin,  comme  il  vient  d'être  dit,  ne  fut  joué  au 
Palais-Royal  que  le  9  novembre  1668;  mais,  comme  il  faut 
tenir  compte  de  ses  représentations  à  la  cour,  nous  avons 
dû  le  mettre  à  sa  véritable  place,  qui    est    avant   l'Avare. 

1.   La  Vie  de  M,  de  Molière,  p.   19 5. 


SUR   MOLIÈRE.  389 

Celui-ci  fut  représenté  la  pretBière  fois  le  9  septembre.  Il 
n'y  a  pas  de  doute  sérieux  sur  cette  date,  que  certifie  le  Re- 
gistre de  La  Grange.  Quelques  lignes  de  Grimarest  ont  à  tort 
donné  à  croire  à  des  représentations  antérieures,  que  l'on 
a  fait  remonter  tantôt  à  1667,  tantôt  au  commencement  de 
1668  seulement.  Partant  de  cette  erreur,  on  a  expliqué  pour- 
quoi cette  pièce  avait  quelque  temps  disparu;  la  prose,  nous 
dit-on,  n'était  pas  acceptée  dans  une  comédie,  dès  qu'elle 
s'élevait  au-dessus  d'une  farce. 

Question  de  date  à  part,  est-il  faux  que  l'Avare  ait  été 
d'abord  mal  reçu?  On  n'a  peut-être  fait  qu'en  exagérer  le 
faible  succès,  et  il  paraît  bien  que  le  préjugé  contre  la 
prose  lui  fit  rencontrer  quelque  froideur.  Robinet  indique 
ainsi  que  «  le  divertissant  Avare  »  fut  diversement  jugé  : 

Il  parle  en  prose  et  non  en  vers; 
Mais  nonobstant  les  goûts  divers, 
Cette  prose  est  si  théâtrale 
Qu'en  douceur  les  vers  elle  égale*. 

La  violation  d'une  prétendue  règle  qui  imposait  la  langue 
des  vers  à  toute  vraie  comédie  ne  semble  pas,  quoi  qu'en 
aient  dit  Voltaire  et  La  Harpe,  avoir  été  reprochée  également 
au  Don  Juan,  mais  sans  doute  parce  que  l'on  n'avait  pas 
jugé  que  cette  pièce,  d'un  caractère  complexe  et  difficile  à 
classer,  fût  assez  décidément  une  comédie.  Aujourd'hui  nous 
avons  peine  à  comprendre  quelle  idée  l'on  avait  de  faire  aux 
œuvres  vraiment  comiques  une  loi  de  la  versification.  Ces 
puériles  chicanes  dont  le  génie  libre  de  Molière  ne  se  laissait 
pas  embarrasser,  ne  nous  intéresseraient  guère,  si  elles  ne 
nous  offraient  l'occasion  d'une  petite  digression  sur  certains 
jugements  qui  ont  été  portés  tantôt  des  vers,  tantôt  de  la 
prose  de  Molière. 

Il  est  plaisant  que  sa  prose,  dont  l'emploi  avait  déplu  en 
1668,  ait  été  un  peu  plus  tard  préférée  à  ses  vers,  et  qu'à 
l'appui  de  cette  préférence  on  ait  précisément  nommé  la 
comédie  à  laquelle  cette  prose  avait  nui.  Fénelon,  en  171',, 
trouvait  la  langue  poétique  de  Molière  pleine  de  métaphores 

I.  Lettre  en  vers  du  i5  septembre  1668. 


390  NOTICE    BIOGRAPHIQUE 

approchant  du  galimatias.  «  J'aime  bien  mieux,  dit-il,  sa 
prose  que  ses  vers.  Par  exemple,  l'Avare  est  moins  mal  écrit 
que  les  pièces  «jui  sont  en  vers*.  »  Molière  mauvais  écrivain 
dans  ses  vers  admirables!  et  c'est  un  écrivain  excellent  qui 
parle  ainsi!  Mais  il  y  a  d'autres  exemples  de  grands  esprits, 
à  qui,  suivant  une  expression  de  Mme  de  Sévigné,  certaines 
portes  sont  formées.  Nous  ne  disons  pas  que  dans  le  style 
poétique  de  Molière  il  n'y  ait  aucune  tache,  qu'on  n'y  puisse 
pas  découvrir  çà  et  là  quelques  négligences,  et  aussi  quel- 
ques expressions  trop  hardiment  figurées.  Encore,  pour  ce 
qui  est  de  celles-ci,  ne  faudrait-il  pas  oublier  que,  depuis 
son  temps,  il  s'est  fait  dans  notre  langue  des  changements 
dont  beaucoup  sont  d'une  regrettable  timidité  prosaïque. 
Nous  voudrions  surtout  qu'on  ne  descendît  pas  à  (pielqucs 
remarques  vétilleuses,  et  que,  se  plaçant  à  un  plus  liaut 
point  de  vue,  on  se  rendît  compte  de  l'effet  produit  sur  la 
scène  par  les  vers  du  grand  poète.  Dans  le  large  courant 
du  style  le  plus  naturel,  quelques  mots  et  quelques  tours 
ne  nous  arrêtent  aucunement  par  leur  audace,  parce  que, 
sans  avoir  été  recherchés,  ils  se  sont  offerts  à  l'émotion  dos 
personnages  ou  à  la  pensée  qu'ils  ont  eu  besoin  de  mettre 
eu  relief.  Trop  souvent,  dans  nos  comédies  en  vers,  crai- 
gnant de  ne  pas  rester  assez  simples,  on  a  rimé  de  la  prose, 
ou  bien  le  désir  de  se  montrer  poètes  a  fait  tomber  les  uns 
dans  le  lyrisme,  les  autres  dans  les  élégances  de  l'épître.  On 
ne  citerait  pas  facilement  ceux  qui  ont  dérobé  à  Molière  le 
secret  de  cette  langue  poétique,  parfaitement  distincte, 
comme  elle  doit  l'être,  de  la  prose,  toujours  familière  pour- 
tant, et  si  bien  appropriée  au  dialogue  comique  jusque  dans 
ses  images  les  plus  hardies.  Ne  nous  refusons  pas  le  plaisir 
de  citer  quelques  lignes  toutes  récentes,  où  le  vers  co- 
mique de  Molière  a  été  excellemment  jugé.  Dans  ses  comé- 
dies de  mœurs  bourgeoises,  a-t-on  dit,  «  pas  une  fois  Molière 
ne  descend  jusqu'au  prosaïsme,  et  il  ne  saci'ifie  rien  à  la 
beauté  du  style  de  ce  qui  peut  pousser  en  avant  l'action  ou 
montrer  le  fond  du  cœur  de  son  personnage  ».  Après  avoir 

I .    Lettre  sur  les  occupations  de  r Académie  française^  au  tomu*  XXI 
des  OEiivres  (('clition  de  Versailles^,  p.  39.5  et  226. 


SUR   MOLIERE.  Sgi 

cité  de  charmants  passages  de  l'Ecole  des  femmes,  on  con- 
tinue ainsi  :  «  Voilà  certes  des  vers  de  théâtre,  s'il  en  fut, 
et  cependant  qui  osera  dire  que  ce  ne  sont  point  d'admi- 
rables vers?...  Au  dix-septième  siècle,  tous  les  termes  du 

langage  possédaient  une  sorte  de  plénitude  neuve  du  sens 

Rien  que  par  un  juste  accord  de  ces  termes  pleins  d'une 
force  vive,  Molière  obtenait  des  effets  intenses  que  les  mo- 
dernes n'égaleront  jamais*.  » 

On  ne  saurait  croire  que  Boileau  n'ait  pas  compris  toute 
la  beauté  des  vers  de  Molière,  quelque  critique  qu'il  ait  pu 
faire,  en  puriste,  de  certaines  négligences.  Il  «  avoit  souvent 
voulu,  dit  Brossette,  obliger  Molière  à  les  corriger;  mais 
Molière  ne  pouvoit  jamais  se  résoudre  à  corriger  ce  qu'il 
avoit  fait^  ».  Ce  n'était  sans  doute  pas  seulement  qu'il  n'en 
pouvait  guère  trouver  le  temps,  mais  il  sentait  que  des  vers 
trop  remis  sur  le  métier  et  trop  soigneusement  limés  ne 
laisseraient  pas  au  langage  assez  de  naturel. 

Brossette  va  jusqu'à  dire  que  Boileau  reprochait  à  Molière 
du  jargon.  Il  est  peu  vraisemblable  qu'il  se  soit  servi  d'un  mot 
si  dur.  Nous  nous  défions  encore  plus  du  Bolseana,  lorsqu'il 
nous  dit  de  ce  même  Boileau  qu'il  «  trouvoit  la  prose  de  Mo- 
lière plus  parfaite  que  sa  poésie,  en  ce  qu'elle  étoit  plus  régu- 
lière et  plus  châtiée  »,  et  lorsqu'il  lui  fait  motiver  son  senti- 
ment par  cette  observation  que  «  la  servitude  des  rimes  obli- 
geoit  souvent  Molière  à  donner  de  mauvais  voisins  à  des  vers 
admirables,  voisins  que  les  maîtres  de  l'art  appellent  des 
Frères  Chapeaux'^  ».  Cette  critique,  si  elle  n'a  pas  été  faite  sur 
un  très  petit  nombre  de  vers,  serait  trop  surprenante  dans 
la  bouche  de  celui  qui,  dès  1662,  avait  dit  à  notre  poète  : 

Jamais  au  bout  du  vers  on  ne  te  voit  broncher*. 

Avait-il  donc  bronché  davantage,  depuis  qu'il  avait  écrit 
le  Tartuffe,  le  Misanthrope,  les  Femmes  sai'antes? 

I.  Paul  Bourget.  Études  et  Portraits  (Paris,  Alphonse  Lemerre, 
1889),  tome  I,  p.  33o  et33i. 
1.  Ms.  de  Brossette,  p.  36. 

3.  Bolaeana,  p.  3^. 

4.  Satire  II,  vers  8. 


3g%  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

A  Ménage  aussi  l'on  fait  dire  que  «  la  prose  de  Molière 
vaut  beaucoup  mieux  que  ses  vers*  ».  Il  importe  peu  de 
savoir  si  véritablement  il  a  parlé  ainsi.  L'autorité  de  ce  Va- 
dius  n'aurait  pas  de  poids.  Sur  les  paroles  qu'on  lui  prête 
on  lit  cette  curieuse  note  de  l'éditeur  du  Meiiagiana  :  «  C'est 
suivant  les  pièces;  mais,  généralement  parlant,  la  prose  de 
Molière  est  ampoulée,  poétique,  remplie  d'expressions  pré- 
cieuses, et  toute  pleine  de  vers....  Il  est  vrai  que  la  prose  de 
théâtre  doit  avoir  son  tour  particulier  ;  aussi  n'est-ce  propre- 
ment que  les  vers  trop  fréquents  qu'on  pourroit  reprendre 
dans  celle  de  Molière.  »  Malgré  quelque  rétractation  finale 
du  critique,  qui  ne  sait  plus  trop  ce  qu'il  doit  penser,  il  a 
bonne  envie  de  juger  Molière  écrivain  contestable  dans  sa 
prose  aussi  bien  que  dans  ses  vers.  Quoique  nous  ayons 
protesté  d'abord  contre  l'injustice  faite  à  ceux-ci,  c'était  sa 
prose  que  l'Avare  nous  invitait  à  louer.  Elle  aussi  est  d'un 
incomparable  maître  dans  cette  pièce,  comme  dans  toutes 
celles  où  il  lui  a  paru  qu'elle  convenait.  Son  mérite  est 
d'avoir  également  donné  au  style  comique,  dans  ses  deux 
formes,  toute  sa  vérité,  toute  sa  couleur,  toute  sa  force.  Le 
plus  habile  rimeur,  qui  entreprendrait  de  traduire  l'Avare 
en  vers,  ne  réussirait  qu'à  en  faire  mieux  ressortir  l'excel- 
lente prose,  à  laquelle  il  rendrait  ainsi  l'involontaire  service 
que  Thomas  Corneille  a  rendu  à  celle  du  Fextin  de  Pierre 
par  l'agréable,  mais  banale,  facilité  de  sa  versification. 

Boileau,  d'après  le  Bolseana  *,  regardait  ï Avare  comme 
«  une  des  meilleures  pièces  de  l'auteur  ».  N'ajoutons  rien  à 
ce  témoignage.  Ce  n'est  point  ici  la  place  de  le  commenter 
en  dissertant  sur  les  beautés  de  cette  comédie  qui,  tout  en 
conservant  bien  des  traits  de  son  modèle  latin,  la  trans- 
formé avec  tant  de  bonheur  en  une  peinture  moderne.  Si 
nous  n'en  avons  pas  tout  à  fait  fini  avec  l'Avare,  c'est  que 
nous  rentrerons  dans  une  étude  beaucoup  moins  litté- 
raire que  biographique  en  parlant  du  reproche  fait  à  Mo- 
lière d'avoir  porté  atteinte  dans  cette  pièce  au  respect  du 
caractère  paternel.  Saint-Marc  Girardin  a  plaidé  contre  ce 

I.   Menagiana  (171 5),  tome  I,  p.   i44' 
1.  Page  io5. 


SUR   MOLIERE.  393 

blâme  avec  infiniment  d'esprit'.  Nous  craignons  cependant 
de  nous  être  trop  laissé  entraîner  à  lui  donner  raison  dans 
notre  Notice'^  sur  la  pièce.  Il  est  très  vrai  que  pour  mettre 
en  lumière  tout  ce  que  l'avaï'ice  a  de  détestable,  on  ne  pou- 
vait mieux  faire  que  de  montrer  quel  désordre  elle  met 
dans  la  famille.  Mais  pour  donner  aux  pères  avares  cette 
leçon,  il  n'était  pas  nécessaire  que  la  révolte  du  fils  s'em- 
portât à  de  si  grands  excès  ;  et  il  faut  convenir  avec  Rous- 
seau qu'il  n'est  pas  bon  d'avoir  mis  dans  la  bouche  de  Cléante 
son  insolente  réponse  à  la  malédiction  d'Harpagon.  Rien  de 
ce  qui  a  trait  à  la  morale  de  Molière  ne  doit  être  omis  dans 
une  histoire  de  sa  vie.  Ceci  nous  intéresse  d'ailleurs,  qu'en 
cette  occasion  on  l'a  soupçonné  d'une  rancune  contre  son 
père,  explicable  par  la  ladrerie  de  celui-ci.  C'est  beaucoup 
se  risquer.  Les  mêmes  raisons  qui  nous  ont  empêché  de 
reconnaître  dans  la  marâtre  Béline  la  seconde  femme  de 
Jean  Poquelin  s'opposent  à  la  conjecture  que  celui-ci  ait 
servi  de  modèle  à  l'usurier  et  tyran  domestique  Harpagon. 
Il  est  difficile  toutefois  de  se  défendre  de  la  pensée  que 
Molière  n'aurait  pas  généralement  peint  avec  si  peu  de 
faveur  les  pères  de  son  théâtre,  s'il  eût  été  avec  le  sien  dans 
une  plus  étroite  union.  La  famille  hors  de  laquelle  il  s'était 
de  bonne  heure  jeté  pour  suivre  la  voie  qui  lui  plaisait, 
n'avait  sans  doute  pas  laissé  dans  son  esprit  un  très  doux 
souvenir.  Ce  n'est  pas  que,  si  l'on  voulait  porter  sur  son 
père  un  jugement,  qui  ne  fût  pas  trop  hasardé,  il  n'y  eût  à 
désirer  des  informations  appuyées  de  preuves  plus  cer- 
taines. Nous  avons  cru  le  voir  digne  de  reconnaissance  par 
l'éducation  distinguée  qu  il  avait  donnée  à  son  fils,  et  d'une 
bonté  très  paternelle,  quand  il  s'est  résigné  à  beaucoup  d'in- 
dulgence parmi  le  déplaisir  qu'avait  dû  lui  causer  le  coup 
de  tête  du  jeune  homme.  Mais  tout  n'a  pas  fait  concevoir 
de  lui  une  si  favorable  idée  ;  des  renseignements  fournis  par 
quelques  actes  ont  inspiré  certains  soupçons  d'habitudes 
trop  mercantiles  qui  ne  le  rendaient  pas  fort  aimable.  "  On 
doit  se  le  représenter,  dans  les  dernières  années  de  son 

I.    Cours  de  littérature  dramatujue  {i843),  tome  I,  p.  3^6. 
1.  Voyez  au  tome  VI,  cette  Notice^  p.  34  et  35. 


394  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

existence,  dit  Soulié',  comme  un  vieillard  morose,  un  peu 
avare...,  rejetant  les  offres  que  dut  lui  faire  ce  fils  à  plu- 
sieurs reprises  et  enfin  le  réduisant  à  se  cacher  pour  lui 
venir  en  aide.  »  Quoiqu'il  y  ait  loin  de  là  au  type  d'Har- 
pagon, qui  a  été  dessiné  non  d'après  lui,  mais  d'après  l'Eu- 
clion  de  L' Aululatrc.  on  ne  voudrait  pas  jurer  que,  sans  en 
avoir  nettement  conscience,  Molière  n'ait  jnis  mis  à  profit 
quelques  traits  observés  du  caractère  de  son  père.  Sa  con- 
duite avec  le  bonhomme  paraît  d'ailleurs  avoir  été  géné- 
reuse. Il  ne  réclama  pas  de  lui  ce  qu'il  restait  lui  devoir 
sur  la  succession  de  Marie  Cressé  ;  mieux  encore,  lorsque 
l'argent  manqua  à  Jean  Poquelin  ])0ur  réparer  les  ruines 
de  sa  maison  du  pilier  des  Halles,  ce  fut  son  fils  qui  lui  pro- 
cura, en  1668,  la  somme  de  dix  mille  livres*  dont  il  avait 
besoin,  et  pour  cacher  sa  main  secourable,  prit  secrètement 
pour  intermédiaire  un  de  ses  intimes  amis.  Cet  ami,  Jacques 
Rohault,  reconnut  que  le  prêt,  tout  entier  des  deniers  de 
Molière, n'était  des  siens  que  fictivement,  et  que  la  rente 
qui  lui  avait  été  constituée,  en  conséquence,  par  Jean  Po- 
quelin, appartenait  à  son  fils,  lequel  déclarait  son  prête-nom 
dégagé  de  toute  garantie  du  payement^.  On  se  souvient 
d'une  affaire  d'emprunt  dans  laquelle  Harpagon  ignore  sem- 
blablement  qu'il  traite  avec  son  fils;  mais  ici  Cléante  est 
l'emprunteur,  et  il  s  en  faut  que  son  rôle  soit  honorable 
comme  celui  de  Molière.  Celui-ci  avait  rempli  en  homme 
de  cœur  son  devoir  filial;  mais  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ait 
jamais  été  avec  son  père  dans  les  relations  vraiment  affec- 
tueuses, dont  laisse  douter,  comme  nous  l'avons  dit  tout 
à  l'heure,  les  portraits  de  la  plupart  des  pères  de  ses 
comédies. 

Il  aurait  été  trop  tard,  après  1668,  pour  parler  encore 
une  fois  de  Jean  Poquelin.  Il  mourut  le  25  février  de  l'an- 
née suivante*  dans  cette  maison  sous  les  piliers  des  Halles 


1.  Recherches  sur  Molière,  ]).  68. 

2.  Ibidem,  DocuaiEKT  XXXV,  p.  ai6-ai8. 

3.  Ibidem,  DocuMEîiTS  XXXVI  et  XXXVII,  p.  a  18  et  219. 

4.  Voyez  aux  Pièces  justificatives,   n"  XIII,  l'acte  d'iubumatioa 
de  Jean  Poquelin. 


SUR   MOLIÈRE.  SgS 

dont  il  avait  eu  tout  juste  le  temps  d'achever  la  reconstruc- 
tion avec  l'argent  de  Molière.  Le  jour  même  de  sa  mort  le 
Registre  de  La  Grange  note  «  une  visite  de  l'Imposteur^  », 
que  depuis  vingt  jours,  ainsi  que  nous  Talions  raconter,  on 
représentait  enfin  sur  le  théâtre  public.  On  ne  nous  apprend 
pas  que  dans  cette  visite  Molière  se  soit  abstenu  de  jouer 
son  rôle  d'Orgon.  Nous  devons,  il  est  vrai,  relever  dans  le 
Registre  une  erreur;  mais  elle  n'infirme  pas  absolument  le 
fait  d'une  représentation  du  Tartuffe  dans  un  jour  triste- 
ment inopportun.  C'est  à  la  date,  non  du  lundi  25  février 
1669,  mais  du  mercredi  ai  août  suivant,  que  La  Grange, 
après  avoir  écrit  :  a  Visite  de  Tartuffe  chez  Mademoiselle 
[au|  Luxembourg  »,  ajoute  :  «  Ce  même  jour  le  père  de 
M.  de  Molière  est  mort-.  »  N'est-il  pas  vraisemblable  qu'il 
avait  gardé  mémoire  du  Tartuffe  joué  chez  quelque  grand 
dans  un  jour  de  deuil  pour  son  auteur?  Son  souvenir  inexact 
de  la  date  d'un  événement  tel  que  la  mort  de  Jean  Poquelin 
ne  laisse  pas  de  paraître  singulier.  Ne  serait-ce  pas  une 
preuve  que  Molière  n'avait  pas  habitué  ceux  avec  qui  il 
vivait  familièrement  à  s'occuper  beaucoup  de  son  père?  Il 
est  aussi  à  remarquer  dans  la  funèbre  note  du  Registre  l'ab- 
sence du  losange  teinté  de  noir,  qui  y  est  ordinairement  le 
signe  des  grands  deuils.  Ce  dont  on  serait  tenté  de  s'éton- 
ner le  plus,  ce  serait  que  Molière  n'eût  pas  demandé  qu'on 
l'excusât  de  paraître  dans  une  de  ses  comédies  à  l'heure  où 
il  savait  son  père,  sinon  déjà  mort,  au  moins  expirant.  Peut- 
être  ne  faudrait-il  pas  trop  se  hâter  de  juger  sévèrement 
un  si  dur  assujettissement  aux  servitudes  du  devoir  profes- 
sionnel chez  celui  qu'on  voulut  en  vain  détourner  de  mon- 
ter sur  la  scène  le  jour  même  où,  mortellement  malade,  il 
n'acheva  la  représentation  que  pour  entrer  en  agonie.  Quoi 
qu'on  en  veuille  penser,  nous  n'aimerions  pas  à  rester  sur 
la  triste  impression  du  reproche,  plus  ou  moins  juste,  d'une 
douleur  trop  légèrement  sentie;  nous  dirons  que  le  9  août 
i66g,  quelques  mois  après  la  mort  de  Jean  Poquelin,  Mo- 
lière prit  soin  de  sa  mémoire  en  se  chargeant  du  payement 

..     I.    Registre,  p.   10 2. 
2.    Ibidem^  p,   loG. 


396  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

d'une  dette  assez  forte  qu'il  avait  laissée*.  Plus  ou  moins  sen- 
sible à  la  mort  de  son  père,  il  savait  du  moins  faire  son  devoir. 

Nous  avons  dit  que,  lorsqu'il  perdit  ce  père,  il  était  en 
plein  triomphe  des  représentations  publiques  du  Tartuffe, 
enfin  autorisées.  Ce  fut  le  5  février  1669,  le  jour  même,  au 
témoignage  des  éditeurs  de  1682.  où  la  permission  fut  ob- 
tenue, que  cette  comédie,  sans  avoir  perdu  temps,  fut  jouée 
sur  le  théâtre  du  Palais-Royal,  comme  pièce  nom'ellc,  quoi- 
que déjà  si  connue  par  des  représentations  en  visite  et  par 
de  fréquentes  lectures.  Cette  prise  de  possession  de  la  scène 
est  réellement  la  première  qui  compte,  n'ayant  pas  été, 
comme  en  1667,  sans  lendemain.  Molière,  qui  devait,  ainsi 
qu'il  l'a  dit  dans  son  troisième  placet,  la  résurrection  de  sa 
comédie  aux  bontés  du  roi,  sentit  bien  que  ses  remercie- 
ments auraient  déplu,  s'ils  avaient  appuyé  sur  la  toute- 
puissante  protection,  dont  il  fallait  se  garder  de  trop  se 
couvrir.  Il  les  glisse  discrètement  dans  une  ligne  de  son 
placet,  dont  le  seul  objet  apparent  était  la  sollicitation  d'un 
canonicat  dune  des  chapelles  royales  pour  le  lils  de  son 
médecin  Mauvillain.  L'ennemi  de  la  médecine  marquait  ainsi 
que  décidément  on  était  à  la  paix  de  tous  côtés  ;  mais 
assurément  il  souriait  en  écrivant  que  la  faveur  royale  le 
réconciliait  aussi  avec  les  dévots.  C'était  une  réconciliation 
avec  quelques  réserves  tout  bas,  comme  celle  de  Martine, 
lorsqu'elle  pardonne  au  brutal  qui  la  rudement  frappée. 

Nous  ne  soupçonnons  pas  le  «  prince  ennemi  de  la  fraude  » 
de  n'avoir  été  gagné  à  la  cause  de  Molière  que  par  les 
louanges  qu'il  lui  a  données  au  dénouement  de  la  pièce.  Il 
ne  serait  pas  juste  de  se  décharger  ainsi  de  la  reconnaissance 
qui  lui  est  due  pour  la  liberté  accordée  au  grand  poète. 
Ce  n'était  pas  chose  sans  difficultés  même  pour  son  autorité 
absolue.  Il  lui  a  fallu  beaucoup  de  bon  vouloir,  pour  trouver 
un  prétexte  au  désarmement  des  rigueurs  ecclésiastiques 
dans  la  Paix  de  l'Églixc  (octobre  1668'.  laquelle  mettait  fin 
à  une  guerre  théologique,  sans  aucune  intention  de  faire 
participer  à  son  indulgence  les  hardiesses  du  théâtre.  L'ar- 

I .  Recherches  sur  Molière,  Document  XLV,  Inventaire  fait  après 
le  décès  de  Molière,  cote  trois,  p.  286. 


SUR   MOLIERE.  397 

chevêque  de  Paris  dut  penser  que  l'on  avait  saisi  une  sin- 
gulière occasion  de  tenir  son  ordonnance  pour  abrogée. 

Il  y  eut  assurément  des  désapprobateurs  ;  on  ne  s'en 
aperçut  pas  au  théâtre,  où  le  succès  fut  éclatant  et  prolongé. 
Le  Registre  de  la  Comédie  dans  les  années  1G69  et  1670 
le  prouve  assez.  Il  y  en  a  d'ailleurs  de  nombreux  témoi- 
gnages. Celui  même  des  ennemis  ne  manque  pas.  Dans  une 
petite  pièce  intitulée  la  Critique  du  Tartuffe,  il  est  dit  : 

Je  sais  que  le  Tartuffe  a  passé  son  espoir, 
Que  tout  Paris  en  fouie  a  couru  pour  le  voir. 

En  vain  expliquait-on  là  cet  empressement  par  la  curiosité 
que  piquait  un  ouvrage  longtemps  interdit  : 

Un  si  fameux  succès  ne  lui  fut  jamais  dû. 
Et  s'il  a  réussi,  c'est  qu'on  l'a  défendu. 

Après  les  premières  représentations  un  attrait  de  ce  genre 
ne  pouvait  plus  être  supposé. 

Il  est  peu  étonnant  que  Robinet,  annonçant  la  vente  du 
Tartuffe  imprimé,  ait  si  hardiment  célébré  la  'déroute  des 
dévots  dans  sa  Lettre  du  26  avril  1669  à  Madame,  qu'il 
savait  ne  leur  être  pas  favorable  : 

Monsieur  Tartuffe  ou  le  pauvre  homme 
(Ce  qui  les  faux  dévots  assomme) 
Devient  public  plus  que  jamais. 
Comme  au  théâtre,  désormais 
II  se  montre  chez  le  libraire. 


(En  doive  crever  tout  cagot!) 
Il  va  produire  leur  peinture, 
En  belle  et  fine  mignature. 
Par  tous  les  lieux  de  l'univers 
Oh!  pour  eux  l'étrange  revers! 


Ce  qui  surprend  beaucoup  plus  que  ces  rudes  paroles, 
c'est  la  représentation  de  Tartuffe  chez  la  reine  Marie-Thé- 
rèse. Cette  visite  est  notée  dans  le  Registre  de  La  Grange, 
à  la  date  du  21  février  1669;  mais  il  est  remarquable  qu'il 
n'y  est  pas  dit  chez  qui  les  comédiens  allèrent  jouer.   La 


398  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Lettre  en  verx  de  Robinet  du  aS  février  n'a  pas  la  même 
discrétion.  On  ne  saurait  croire  que  la  pieuse  Majesté  n'ait 
pas  tout  simplement  obéi  à  un  désir  du  roi,  et  qu'elle  se 
soit  autant  divertie  que  le  prétend  cette  gazette  rimée  : 

Luu  des  soirs  de  celle  semaine, 
Notre  excellenle  souveraine 
S'en  fît,  en  sou  appartement. 
Donner  le  divertissement, 
Et  rit  bien  de  voir  l'Hypocrite 
Ajusté  comme  il  le  mérite. 

Il  devenait  difficile  de  se  faire  scrupule  d'un  spectacle  au- 
quel Marie-Thérèse  avait  prêté  son  appartement,  et  dont 
elle  était  censée  s'être  beaucoup  amusée. 

Si  Louis  XIV  n'avait  pas  voulu  laisser  plus  longtemps  en 
proie  aux  persécuteurs  le  terrible  chef-d'œuvre,  il  dut,  nous 
n'en  doutons  pas,  maudire  souvent  les  embarras  que  Molière 
lui  causait,  et  il  lui  était  beaucoup  plus  agréable  de  n'avoir 
qu'à  rire  de  ses  comédies  innocemment  ]ilaisantcs.  Il  s'y 
trouvait  moins  gêné,  peut-être  aussi  mieux  servi  selon  ses 
goûts.  En  septembre  et  octobre  1669,  il  y  eut  à  Chambord 
de  grands  divertissements.  On  avait  fait  venir  la  troupe  de 
Molière  le  17  septembre:  on  la  garda  jusqu'au  20  du  mois 
suivant.  Elle  avait  joué  le  6  octobre  Monsieur  de  Pourceau- 
gnac,  dont  ce  fut  la  première  représentation.  Molière  et 
Lulli,  tous  deux  en  faveur,  y  avaient  mis  en  commun  leur 
gaieté,  l'un  comme  auteur  comique,  l'autre  comme  musi- 
cien. Nous  sommes  incompétent  pour  juger  s'il  y  aurait  une 
part  égale  à  leur  faire,  à  ne  voir  dans  Pourceaugnac  (\vi\xwe 
très  amusante  bouffonnerie.  Mais  quand  le  vrai  comique  se 
montre  dans  cette  facétieuse  comédie,  il  ne  faudrait  plus 
penser  aune  comparaison.  Lorsque  Voltaire  disait  très  jus- 
tement que  dans  toutes  les  farces  de  Molière  «  il  y  a  des 
scènes  dignes  de  la  haute  comédie»,  c'était  à  l'occasion  de 
celle-ci;  et  sans  doute  il  pensait  à  la  scène  du  malheureux 
Limousin  entre  les  deux  médecins  appelés  pour  constater 
sa  prétendue  folie*.  C'est  une  satire  égale  par  sa  vérité  à 

I.   La  scène  vin  de  l'acte  I. 


SUR   MOLIÈRE.  -.99 

celle  de  la  grande  scène  de  la  consultation  médicale  dans 
l'Amour  médecin.  Voilà  011  en  était  l'espérance  d'une  récon- 
ciliation avec  la  Faculté,  dont  Molière,  dans  son  placet  pour 
Mauvillain.  venait  de  faire  la  plaisanterie.  Pour  l'avoir  jamais 
prise  au  sérieux,  il  en  voulait  trop  à  messieurs  les  médi- 
castres,  et  les  trouvait  trop  divertissants. 

Si  parmi  beaucoup  de  traits  vraiment  comiques,  ({u  on 
ne  trouverait  pas  uniquement  dans  une  des  scènes  de  cette 
comédie,  la  farce  cependant  domine,  ses  plus  grands  folies, 
les  seringues  mêmes  des  apothicaires  et  des  matassins, 
n'étaient  pas  faites  pour  déplaire  à  l'auguste  souverain,  par 
conséquent  à  sa  cour.  Robinet  nous  a[)prend  que  les  <c  grands 
spectateurs  »  furent  ravis'.  La  ville  le  fut  également,  lorsque 
la  pièce  fut  jouée  au  Palais-Royal  le  i5  novembre.  Elle  eut 
un  grand  nombre  de  représentations. 

On  n'a  pas  bien  cclairci  d'où  était  venue  à  Molière  1  idée 
de  prendre  pour  sujet  de  sa  comédie  les  mésaventures  d'un 
gentilhomme  de  Limoges.  Nous  avons  déjà  rencontré  des 
exemples  de  canevas  qu'il  avait  rapportés  de  province,  qu'il 
reprenait  volontiers,  et  transformait  habilement,  lorsqu'il 
devait  préparer  à  la  hâte  quelque  nouveauté  pour  les  diver- 
tissements du  roi.  Il  serait  donc  assez  naturel  de  supposer 
qu'il  avait  conserve  dans  son  cabinet  une  de  ces  petites 
ébauches  faites  à  Limoges  même.  Il  y  a  dans  Pourceau gmic 
un  souvenir  très  exact  des  rues  et  places  de  cette  ville.  On 
a  dit  (ce  n'est  peut-être  qu'une  conjecture)  que  sa  troupe 
y  avait  joué^  et  avait  été  mal  accueillie,  et  qu'il  a  voulu 
faire  expier  leurs  sifflets  aux  Limousins  en  mettant  sur  la 
scène,  comme  un  échantillon  de  ces  provinciaux,  parmi 
lesquels  il  n'a  jamais  manqué  de  gens  d'espi-it,  un  sot  et 
grossier  personnage  que  l'on  berne.  Très  différente  est  la 
version  de  Griraarest.  Il  avait  entendu  raconter  qu'un  gen- 
tillâtre  de  ce  pays  avait  eu  sur  le  théâtre  du  Palais-Royal 
une  querelle  avec  les  comédiens  et  que  la  pièce  jouée  à 
Ghambord  avait  été  une  punition  de  ce  ridicule  esclandre. 
Sans  avoir  trop  de  confiance  dans  cette  anecdote,  il  ne  faut 

1.   Lettre  en  versa  Madame,  du  12  ocLoJjre  i66y. 
•i.  Voyez  ci-dessus,  p.  176. 


4oo  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

pas  omettre  qu'au  temps  même  des  premières  re|)réscnta- 
tions  de  la  pièce,  les  Parisiens  croyaient  à  la  présence  dans 
leur  ville  d  un  modèle  de  Monsieur  de  Pourceaugnac,  auquel 
ils  donnaient  le  titre  de  marquis;  c'est  ce  que  nous  apprend 
Robinet  dans  sa  Lettre  en  vers  du  23  novembre  1669  : 

....   A  ce  qu'on  coule, 
L'original  est  à  Paris. 


Il  jure,  tempête  et  s'emporte, 
Et  veut  faire  ajourner  l'auteur 
Eu  réparation  d'honneur. 


Robinet  ajoute,  il  est  vrai  : 

Peut-être  est-ce  quelque  rieur 
Qui  de  ce  conte  est  l'inventeur. 

Aucun  moyen  de  sortir  des  doutes.  Il  est  du  moins  certain 
que  Molière,  en  écrivant  sa  pièce,  avait  eu  un  retour  de 
mémoire  sur  ses  années  de  pérégrination,  sur  Limoges  et 
Pézenas.  Il  s'était  chargé  du  rôle  de  Monsieur  de  Pour- 
ceaugnac, qu'il  jouait  de  la  façon  la  plus  comique,  tandis  que 
Lulli,  sous  le  masque  du  «  signor  Chiacchiarone  »,  et  avec 
toutes  les  singeries  dans  lesquelles  il  excellait,  représentait 
un  des  deux  musiciens,  déguisés  en  médecins  grotesques,  et 
chantait  le  piglialo-sù. 

Le  roi  demandait  habituellement  pour  ses  fêtes  des 
comédies-ballets.  Quand  Molière  les  lui  donnait  bouffonnes, 
il  était  loin  de  s'en  plaindre,  aimant,  tout  comme  le  peuple, 
à  s'y  dérider.  Mais  il  les  préférait  peut-être  sous  la  forme 
d'églogues  de  cour,  aussi  royales  que  champêtres  et  mytholo- 
giques. Quatre  mois  après  la  représentation  de  Pourceau- 
gnac à  Chambord,  il  fit  jouer  dans  les  divertissements  de 
Saint-Germain  les  Amants  magnifiques .  \1  Avant-propos  de 
Molière,  imprimé  en  tête  de  cette  comédie  dans  l'édition 
posthume  de  ses  OEm'res,  nous  fait  savoir  que  Sa  Majesté 
avait  elle-même  choisi  le  sujet  :  «  Deux  princes  rivaux  qui, 
dans  le  champêtre  séjour  de  la  vallée  de  Tempe,  où  l'on 
doit  célébrer  la  fête  des  jeux  Pythiens,  régalent  à  l'envi  une 
jeune  Princesse  et  sa  mèi'e  de  toutes  les   galanteries  dont 


SUR   MOLIERE.  V>i 

ils  se  peuvent  aviser.  "  Avouons  que  proposer  île  |)areils 
plans  à  l'auteur  du  Misanthrope  et  du  Tartuffe,  c'était  mal 
employer  son  génie,  en  méconnaître  le  prix.  Mais  il  était 
toujours  prêt  à  tout.  Il  ne  refusa  pas  même  la  tâche  d'écrire 
les  vers  des  intermèdes,  entre  autres  ceux  qui  ne  devaient 
pas  être  récités,  mais  seulement  lus  dans  le  livre  du  ballet, 
et  dans  lesquels  on  était  censé  faire  parler  les  personnages 
de  la  cour  qui  figuraient  dans  les  entrées,  le  roi  lui-même, 
quand  il  s'y  montrait.  Les  ingénieuses  allégories  et  les  fines 
allusions  de  ces  vers  étaient  d'ordinaire  confiées  au  talent 
de  Bensserade,  qui  passait  pour  être  sans  rival  dans  ces 
gentillesses.  Molière  imita  sa  manière  à  s'y  méprendre,  soit 
qu'il  voulût  simplement  ne  pas  le  faire  regretter,  soit  qu'il 
eût  une  intention  de  malicieuse  parodie,  comme  Bensserade 
paraît  l'avoir  soupçonné;  car,  sans  avoir  à  se  plaindre  d'être 
supplanté,  ayant  lui-même,  l'année  précédente,  annoncé  dans 
un  rondeau  la  résolution  de  ne  plus  travailler  aux  ballets, 
il  laissa  percer  son  mécontentement  dans  une  raillerie  assez 
plaisante  de  ces  deux  vers  de  Molière  : 

Et  tracez  sur  les  herbettes 
Les  images  de  vos  chansons. 

Lorsqu'il  les  entendit  réciter  dans  le  troisième  intermède,  il 
reprit  les  chanteurs,  comme  si  la  langue  leur  avait  fourché, 
et  dit  tout  haut  : 

Et  tracez  sur  les  herbettes 
Les  images  de  vos  chaussons*. 

Grimarest,  qui  avait  entendu  parler  d'une  querelle  de 
Molière  avec  Bensserade,  sans  en  connaître  l'occasion,  n'a 
rien  dit  à  ce  sujet  qui  mérite  attention*.  Bazin  a  cru  que  la 

I.  Le  trait  du  spirituel  railleur  était  piquant.  Bien  des  per- 
sonnes seront  d'avis  qu'il  frappait  juste,  la  phrase  de  ."Molière 
pouvant  paraître  recherchée,  bizarre  et  obscure.  Elle  s'entend 
cependant  dans  sa  hardie  et  poétique  concision.  Les  pas  des 
danseurs  suivaient  les  mouvements  des  chansons,  eu  exprimaient 
le  caractère. 

5.   La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  272-275 

MOLIÈKK,    X  2<j 


4o2  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

rectification  moqueuse  avait  été  décochée  avant  la  repré- 
sentation de  la  comédie,  et  que  Molière  avait  pris  sa  re- 
vanche par  la  contrefaçon  des  jiointes  de  Bensserade*.  Ce 
n'est  })oint  ce  qui  nous  ])araît  le  plus  vraisenihlahle.  Nous 
avons  dit  ailleurs*  les  objections  cjui  se  présentent  tout 
d'abord  à  l'esprit. 

Vers  la  fin  du  même  troisième  intermède,  il  y  a  des  vers 
que  Bensserade  aurait  eu  ))eiiie  à  ridiculiser,  et  qu'avec  tout 
son  esprit  il  n'aurait  jamais  su  faire.  Sous  le  titre,  familier 
à  Molière,  de  Dcpit  amoureux,  c'est  une  imitation,  pleine 
de  grâce  facile  et  charmante,  du  célèbre  Dnncc  <^ratus  crom 
d'Horace.  La  muse  de  Molière,  en  se  jouant,  secouait  des 
pierreries  et  laissait  tomber  des  perles  jusqu'au  milieu  des 
inévitables  fadeurs  des  lieux  communs  de  ces  ballets. 

Il  regardait  si  bien  sa  comédie  comme  un  impromptu  de 
fêtes,  aussi  éphémère  que  leurs  fleurs  et  leurs  illuminations, 
qu'elle  ne  fut  pas  imprimée  de  son  vivant,  ni  jouée  à  la 
ville.  Le  Registre  ne  la  nomme  pas  dans  sa  mention  des 
divertissements  de  Saint-Germain.  Elle  n'est  pourtant  pas 
à  dédaigner.  Le  rôle  de  l'astrologue  Anaxarque  a  son  prix. 
On  y  reconnaît  la  philosophie  de  Molière,  qui,  en  digne  dis- 
ciple de  Gassendi,  n'épargnait  nulle  part  l'imposture  et  les 
crédules  superstitions.  Le  personnage  de  Clitidas  est  très 
agréable  ;  Molière,  qui  le  jouait,  s'est  amusé  à  lui  donner 
quelques-uns  de  ses  propres  traits.  La  mémoire  toute 
])leine  de  Corneille,  il  a,  pour  quelques  scènes,  trouvé  son 
bien  dans  la  comédie  héroïque  de  Don  Sanclie  d' Aragon. 
Sostrate  fait  beaucoup  penser  à  Don  Sanche,  bien  qu'on  ne 
découvre  pas  à  la  tin  qu'il  soit  du  sang  royal  ;  et  la  prin- 
cesse Eriphile  est  une  autre  dona  Isabelle.  Ce  rôle  est  un 
de  ceux  où  Molière  a  le  plus  délicatement  éclairé  les  secrets 
du  cœur  des  femmes.  Ce  serait  du  Marivaux,  si  ce  n'était 
beaucoup  mieux,  c'est-à-dire  sans  le  même  abus  de  la 
tinesse  et  des  nuances  trop  subtile&^u  sentiment. 

On  a  été  frappé  de  la  ressemblance  du  roman  d'Eriphile 

I.  Notes  historiennes,  p.  gi  et  ga. 

a.  Voyez  In  JSotice  sur  les  Amants  magnifiques^  lome  VII,  p.  358 
et  359. 


SUR   MOLIÈRE.  4o3 

et  de  Sostrate  avec  celui  de  la  grande  Mademoiselle  et  de 
Lauzun,  dont  le  dénouement  seul  devait  un  jour  être  tout 
autre.  Cette  ressemblance  ne  saurait  être  que  fortuite.  Ni 
le  respect  dû  à  une  illustre  princesse,  ni  même  les  dates,  ne 
permettent  d'accuser  Molière  d'indiscrètes  allusions. 

Dans  la  note  du  Registre  de  La  Grange*  sur  le  séjour  de 
la  troupe  à  Saint-Gei'main,  du  3o  janvier  au  i8  février,  on 
lit  que  pour  ce  voyage  «  et  celui  de  Cliambord,  le  Roi  l'a 
gratifiée  de  la  somme  de  douze  mille  livres,  qui  ont  été 
partagées  en  douze  parts,  en  comptant  une  part  pour  l'au- 
teur ».  Molière  et  ses  dix  camarades  ,^on  n'était  alors  que 
onze)  reçurent  donc  mille  francs  chacun,  Molière  en  outre, 
comme  auteur,  mille  autres  francs,  somme  modeste  pour 
récompenser  Pourceaugnac  et  les  Amants  magnifiques.  Quant 
aux  douze  mille  livres,  si  la  troupe  les  avait  reçues  comme 
prix  de  ses  deux  voyages,  elles  paraîtraient  une  gratifica- 
tion très  libérale;  mais,  en  étudiant  le  Registre,  on  ne  doute 
pas  que  la  grosse  somme  ne  fût  simplement  le  payement  de 
deux  termes  de  la  pension  accordée  en  i665  ^. 

Au  temps  où  notre  récit  nous  a  conduit,  il  y  eut  dans  la 

I.  Page  109. 

•X.  D'api'ès  le  Registre,  la  troupe  reçoit  à  Saint-Germain ,  du 
i"  décembre  i666  au  20  février  1667,  laooo  livres  pour  deux 
années  de  la  pension  (p.  86);  —  à  Versailles,  du  6  au  9  novem- 
bre 1667,  6000  livres  pour  une  année  (p.  91);  —  à  la  fermeture 
de  Pâques  1669,  6000  livres  pour  une  année  (p.  io3);  —  à  Saint- 
Germain,  du  3o  janvier  au  18  février  1670,  12000  livres  pour  deux 
années  (p.  109);  —  en  avril  1672,  la  pension  ayant  été  augmen- 
tée, 7000  livres  pour  ime  année  (p.  i3o);  —  en  mars  1678,  un 
mois  après  la  mort  de  3Iolière,  7000  livres  pour  une  année 
(p.  i4i)- 

A  cette  dernière  date,  buit  années  de  la  pension  avaient  donc 
été  payées,  et  c'est  bien  le  compte.  Depuis  que  la  troupe  était 
devenue  troupe  du  Roi,  elle  avait  reçu  38  000  livres,  au  titre  de 
pension.  Il  y  avait  eu  aussi  diverses  gratifications  et  des  dons  de 
costumes.  En  novembre  i6(38,  à  Saint-Germain,  où  l'on  joua, 
pour  la  première  fois,  l^ Avare  devant  le  roi,  on  eut  une  gratifica- 
tion de  3ooo  livres  (p.  99  du  Registre).  On  croirait  que  par  cet 
exemple  de  générosité,  il  se  fit  un  plaisir  de  compléter  la  leçon 
que  Molière  donnait  aux  Harpagons. 


4oi  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

troupe  un  changement  qui  n'est  pas  sans  intérêt.  On  se  sou- 
vient que  Baron,  après  avoir  joue  à  Saint-Germain,  en 
décembre  i666,  le  rôle  de  Myrtil  dans  Méliccrtc,  avait 
demandé  au  roi  la  permission  de  se  retirer.  Pour  se  sous- 
traire aux  mauvais  traitements  de  Mlle  Molière,  il  avait  été 
rejoindre  la  troupe  de  la  Raisin,  dont  Molière  l'avait  tiré. 
Bien  que  regrettant  toujours  son  protecteur,  et  regretté  par 
lui,  il  n'avait  jamais  voulu  revenir.  La  troupe  de  la  Raisin 
n'ayant  pu  se  soutenir,  il  s'était  engagé  dans  une  autre,  qui 
jouait  également  en  province.  Molière  cependant  ne  le  per- 
dait pas  de  vue.  «  Quelques  jours  après  qu'on  eut  recom- 
mencé après  Pâques  [1670],  dit  le  Registre^,  M.  de  Molière 
manda  de  la  campagne  le  S""  Baron,  qui  se  rendit  à  Paris, 
après  avoir  reçu  une  lettre  de  cachet,  et  eut  une  part.  »  A 
la  marge  de  ces  lignes,  La  Grange  a  placé  l'anneau  teinté  de 
bleu,  signe  d'heureux  événement.  Il  a  certainement  voulu 
constater  la  joie  de  Molière.  Voilà  la  première  entrée  de 
Baron  dans  la  troupe;  car  au  temps  de  Melicertc,  presque 
enfant  encore,  il  n'en  faisait  pas  régulièrement  partie.  Son 
admission  en  1670  fait  honneur  à  la  constance  de  Molière  dans 
un  attachement  presque  paternel,  et  à  la  sûreté  de  son  juge- 
ment, qui  ne  s'était  })as  trompé  sur  de  grandes  espérances  de 
talent.  Elles  furent  justifiées  d'une  manière  brillante,  et  l'on 
peut  être  assuré  que  ses  excellentes  leçons  contribuèrent 
beaucoup  à  former  un  des  meilleurs  comédiens  du  dix- 
septième  siècle  et  du  suivant.  Les  circonstances  du  retour 
de  Baron  ont  quelque  chose  de  touchant.  Molière,  ayant 
appris  que  le  jeune  homme  parlait  toujours  de  lui  avec 
reconnaissance,  lui  envoya  à  Dijon  une  lettre  d'une  extrême 
bonté,  avec  l'ordre  qu'il  avait  obtenu  du  roi.  Le  jour  de 
son  arrivée,  il  alla  au-devant  de  lui  à  une  des  portes  de  la 
ville*. 

Le  récit  de  Grimarest,  dont  les  détails  ont  évidemment 
été  recueillis  de  la  bouche  de  Baron,  est  accompagné  de 
réflexions  donnant  à  penser  qu'à  ce  moment-là  les  chagrins 
de  Molière,  le  vide  qui  s'était  fait  dans  son  intérieur,  l'en- 

1.  Page  III. 

2.  La  Vie  de  M.  de.  Molière,  p.  11 3- il 7. 


SUR   MOLIERE.  4o5 

gagèrent  à  chercher  dans  le  rappel  de  son  protégé  une 
consolation  assez  nécessaire  pour  le  décider  à  ne  pas  tenir 
compte  de  l'antipathie  de  sa  femme.  Grimarest  dit  qu'il  fit 
retrouver  près  de  lui  à  son  jeune  ami  les  mêmes  bontés 
qu'avant  leur  séparation.  Il  ajoute'  :  «  On  ne  peut  s'ima- 
giner avec  quel  soin  il  s'appliquait  à  le  former  dans  les 
mœurs,  comme  dans  sa  profession.  »  Il  est  regrettable  que 
cette  sollicitude  ait  moins  réussi  à  faire  de  l'élève  un 
homme  de  mœurs  irréprochables,  qu'un  auteur  de  talent 
supérieur. 

Baron,  pour  son  début,  joua,  le  28  novembre  1670,  le  rôle 
de  Domitien  dans  la  première  représentation  de  Tite  et  Bé- 
rénice, cette  tragédie  de  Corneille  par  laquelle  le  Palais-Royal 
fit  la  concurrence,  dont  nous  avons  parlé,  à  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne, où  fut  jouée  la  Bérénice  de  Racine. 

De  la  troupe  de  campagne  que  Baron  avait  quittée  à 
Mâcon,  Mlle  Beauval,  bonne  comédienne,  fut  aussi  appelée 
à  Paris  par  une  lettre  de  cachet,  avec  son  mari,  qui  ne  fut 
reçu  qu'à  demi-part.  La  Beauval,  que  Robinet  nomme  une 
«  actrice  de  choix  royal  »,  était  réellement  du  choix  de 
Molière,  à  qui  sans  doute  elle  avait  été  recommandée  par 
Baron.  En  comptant  pour  un  dans  le  nombre  des  comé- 
diens Jean  Pitel,  sieur  de  Beauval,  ce  demi-associé,  la 
troupe  se  trouva  composée  de  treize  comédiens,  au  lieu  de 
onze.  Ils  auraient  été  quatorze  s'ils  n'avaient  pas  vu,  quel- 
ques jours  avant,  se  retirer  un  de  leurs  camarades,  Louis 
Béjart,  le  «  chien  de  boiteux  «  de  la  comédie  de  t Avare.  Ce 
frère  de  Madeleine  n'avait  alors  que  quarante  ans.  Une  déli- 
bération de  toute  la  troupe  lui  vota  une  pension  de  mille  livres. 
C'est  le  premier  exemple  d'un  pensionnaire  dans  la  maison 
de  Molière. 

Mlle  Beauval,  qui  avait  paru  à  Chambord  dans  une  comé- 
die qui  y  fut  jouée  avant  le  Bourgeois  gentilhomme,  déplut 
d'abord  au  roi,  mais  il  revint  de  sa  prévention  en  la  voyant 
dans  le  rôle  de  Nicole,  oii  elle  fut  excellente.  Il  dit  alors  à 
Molière  :  «;  Je  reçois  votre  actrice*.  » 

1.  Page  lao. 

2.  Histoire  du  Théâtre  françois,  tome  XIV,  p.  53 1, 


4o6  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Nous  venons  de  nommer  la  pièce  nouvelle  de  Molière,  qui 
fut  représentée  en  iG-o  à  Chambord,  un  an  après  que  son 
auteur  en  avait  égayé  les  fêtes  par  le  Pourceaugnac.  On  re- 
marque bien  des  points  de  ressemblance  entre  les  deux 
rc^gals,  comme  on  disait  alors,  dont  les  chasses  étaient  l'occa- 
sion. Pour  l'un,  de  même  que  pour  l'autre,  on  voulut  un  spec- 
tacle joyeux,  où  les  «  deux  grands  Baptistes  »  (on  nommait 
ainsi  Molière  et  Lulli)  lâcheraient  la  bride  aux  folies.  Aux 
siennes  Molière  mêla  cette  fois  encore,  et  même  beaucoup 
plus  largement,  le  véritable,  l'excellent  comique.  Voltaire 
a  très  bien  reconnu  que  si  le  cinquième  acte  du  Bourgeois 
gentilhomme  est  une  farce  réjouissante,  les  quatre  premiers 
«  peuvent  passer  pour  une  comédie*  ».  Ce  serait  pourtant 
une  trop  petite  mesure  de  justice,  s'il  n'avait  commencé 
par  dire  que  cette  pièce  «  est  un  des  plus  heureux  sujets 
de  comédie  que  le  ridicule  des  hommes  ait  jamais  pu  four- 
nir ».  Plus  encore  que  le  choix  du  sujet,  l'art  avec  lequel  il 
a  été  traité  est  d'un  maître. 

Le  Registre  annonce  ainsi-  le  voyage  à  Chambord  des  co- 
médiens du  roi,  qui  y  ioniranX  le  Bourgeois  gentilhomme  : 
«Vendredi  S**  octobre  [1670],  la  troupe  est  partie  pour 
Chambord  par  ordre  du  Roi.  On  y  a  joué,  entre  plusieurs 
comédies,  le  Bourgeois  gentilhomme,  pièce  nouvelle  de  M.  de 
Molière.  Le  retour  a  été  le  28*'  dudit  mois.  »  Ce  fut  le  mardi 
\\  octobre  que  l'on  représenta  pour  la  prennère  fois  cette 
comédie-ballet.  Elle  plut  tellement,  qu'elle  fut  redemandée 
pour  les  jeudi,  lundi  et  mardi  suivants.  Ces  quatre  repré- 
sentations en  huit  jours  donnent  un  démenti  à  Grimarest. 
Il  prétend  que  «jamais  pièce  n'a  été  plus  malheureusement 
reçue  »  ;  que  le  roi  garda  tout  d'abord  un  silence  inquié- 
tant ;  que  les  courtisans  se  déchaînèrent  si  fort  contre  une 
bouffonnerie,  jugée  par  eux  extravagante,  que  Molière,  pen- 
dant cinq  jours  (où  Grimarest  les  prenait-il  ?),  se  tint  caché 
dans  sa  chambre,  et  ne  reprit  courage  qu'après  la  seconde 
représentation,  lorsque  le  roi,  se  prononçant  enfin  dans  les 

I.   Sommaire  du   Bourgeois  gentilhomme.   Voyez   au   tome  VIII 
de  notre  édition,  p.   89. 
a.  Page  116. 


SUR    MOLIERE.  407 

termes  les  plus  flatteurs,  donna  aux  courtisans  le  signal  d'une 
palinodie,  chantée  aussitôt  bruyamment  par  leur  docilité*.  Si 
cette  histoire  n'a  pas  été  imaginée  parle  biographe,  on  l'avait 
mal  informé.  Quand  la  pièce  n'eût  pas  eu  tant  de  scènes  d'un 
parfait  comique,  il  est  impossible  que  le  roi  ait  tardé  à  s'en 
montrer  satisfait,  y  ayant  trouvé  ce  qu'il  avait  principale- 
ment voulu  que  Molière  y  mît,  plus  impossible  encore  que 
les  gens  de  cour  aient  été  assez  malavisés  pour  traiter  de 
pauvretés  insupportables  les  Hmi  la  ba  ha  la  chou,  c'est-à- 
dire  tout  justement  les  facéties  que  l'on  savait  commandées. 
S'il  y  avait  des  malveillants,  ils  n'auraient  osé  critiquer,  dans 
le  Bourgeois  gentilhomme,  que  ce  qui  était  dû  au  génie  co- 
mique de  Molière.  Les  turqueries,  dans  lesquelles  il  avait 
fait  rire  par  ordre,  ne  couraient  aucun  danger  d'être  atta- 
quées. 

On  sait  d'où  était  venue  au  roi  la  fantaisie  de  s'amuser 
d'une  caricature  d'enturbannés.  La  cour  de  Saint-Germain 
avait  été  égayée  par  les  récits  de  Laurent  d'Arvieux,  récem- 
ment revenu  d'un  long  voyage  en  pays  musulman,  et  truche- 
ment, à  la  fin  de  16G9  et  au  commencement  de  1670,  d'un 
envoyé  extraordinaire  du  Grand  Seigneur.  Il  a  raconté  lui- 
même  que  cet  envoyé  de  la  Porte,  reçu  par  Louis  XIV  en 
grand  appareil,  tint  sa  gravité  orientale,  et  affecta  de  ne  se 
montrer  aucunement  étonné  par  les  magnificences  dont  on 
avait  voulu  l'éblouir.  Si  l'on  en  croit  Bruzen  de  la  Marti-^ 
nière,  ce  fut  Colbert  qui  recommanda  à  Molière  de  tourner 
les  Turcs  en  ridicule,  afin  de  punir  un  si  insolent  dédain*. 
Louis  XIV  ou  son  ministre,  ce  nest  évidemment  qu'un  ici. 
Ayant  eu  l'ordre  exprès  de  lier  aune  action  comique  la  mas- 
carade des  turbans,  Molière,  dans  cette  partie  boufTonne  de 
sa  pièce,  fut  aidé  à  Auteuil  par  Lulli  et  par  Laurent  d'Arvieux, 
Celui-ci  dit  avoir  été  chargé  de  «  tout  ce  qui  regardait  les 
habillements  et  les  manières  des  Turcs  ».  Ce  ne  serait  donc 
pas  sans  vraisemblance  qu'on  le  rendrait  responsable  et  des 
questions  faites  à  M.  Jourdain  par  le  Muphti,  et  du  cérémo- 
nial,  où  l'Alcoran  est  mis  par  les  derviches  sur  le  dos  du 

I.   La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  •i6i-264. 
3.    f^ie  de  Vauteur  (i 726),  p.  93. 


/,o8  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

nouveau  Mamamouchi.  On  a  vu  là  une  intention,  qui  aurait 
été  plus  qu'indécente,  de  parodier  les  cérémonies  de  la  con- 
sécration de  nos  évêques.  C'est,  à  notre  avis,  fort  injuste. 
On  donnait  volontiers,  en  ce  temps-là,  aux  coutumes  étran- 
gères la  couleur  des  nôtres.  Si  c'est  d'Arvieux  qui  a  con- 
fondu les  unes  avec  les  autres,  il  est  probable  que,  connais- 
sant mal  les  rites  musulmans,  il  les  a,  sans  malice,  assimilés 
à  ceux  de  notre  Eglise.  Si  c'est  Molière,  pourquoi  le  soup- 
çonnerait-on de  l'avoir  fait  moins  innocemment?  Il  est  bon 
de  faire  remarquer  qu'alors  personne  ne  fut  scandalisé.  La 
prétendue  impiété  est  une  découverte  de  nos  jours  ;  elle  vient 
trop  tard  pour  donner  autorité  à  une  grave  accusation.  On 
peut  être  l'auteur  de  Tartuffe  et  de  Don  Juan  sans  être  ca- 
pable d'une  farce  sacrilège. 

Pour  donner  prétexte  aux  scènes  turques,  Molière  a  dû 
imaginer  une  pièce  dont  le  principal  personnage  serait  un 
sot  d'une  vanité  assez  extravagante  pour  devenir  la  dupe  la 
plus  aisée  à  mystifier.  Il  ne  pouvait  être  mieux  choisi  que 
dans  cette  petite  bourgeoisie  qui,  enrichie  parle  commerce, 
et  méconnaissant  son  incurable  ignorance  et  son  manque 
d'éducation,  a  la  ridicule  ambition  de  s'élever  jusqu'à  la 
gentilhommerie,  de  s'enfler,  de  se  travailler 

Pour  égaler  l'auimal  en  grosseur. 

Voilà  comme  dans  une  idée  bouffonne  Molière  a  trouvé  une 
bonne  comédie.  Assurément,  pour  amener  son  bourgeois  au 
plus  incroyable  excès  de  crédulité,  il  a  fallu  pousser  très 
loin  son  imbécile  manie.  Il  n'y  en  a  pas  moins  dans  ce  carac- 
tère, peint  avec  l'exagération  de  la  caricature,  force  traits 
d'une  admirable  vérité.  Et  quel  parfait  crayon  a  dessiné  les 
figures  de  Mm3  Jourdain  et  de  la  servante  Nicole,  deux 
types  de  l'honnête  simplicité  bourgeoise  et  populaire,  dont 
le  naïf  bon  sens  fait  si  bien  ressortir  la  prétentieuse  sottise 
du  mari  et  du  maître  ! 

Nous  ne  quitterions  pas  cette  pièce  sans  parler,  si  nous 
ne  l'avions  déjà  fait,  à  l'occasion  de  Mlle  Molière  S  de  ses 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  349  ^^  ^^°* 


SUR    MOLIERE.  409 

charmantes  scènes  de  «  dépit  amoureux'  »,  sujet  de  prédi- 
lection pour  Molière,  et  du  portrait  de  Lucile,  qu'il  a  tracé 
avec  une  délicatesse  infinie,  sous  l'inspiration  de  son  cœur. 
Le  Bourgeois  getitilhomme  ïni  représenté  pour  la  première 
fois  au  Palais-Royal,  le  a3  novembre  1670,  avec  autant  de 
succès  qu'il  en  avait  eu  à  la  cour.  Les  scènes  turques  et  les 
magnificences  du  ballet  y  contribuèrent  certainement;  car 
la  pièce  fut  donnée  au  public 

presque  tout  comme 

A  Chambord  et  dans  Saint-Germain'. 

Le  spectacle,  les  musiciens,  qui  avaient  coûté  fort  cher  au 
roi,  exigèrent  chez  les  comédiens  une  dépense,  moindre 
sans  doute,  mais  d'un  chiffre  assez  élevé  encore.  Ils  la  pou- 
vaient supporter,  et  comptaient  d'ailleurs  sur  une  vive  cu- 
riosité du  public;  le  calcul  ne  fut  pas  trompé. 

De  plus  grands  frais  furent  imposés,  l'année  suivante,  par 
un  ouvrage  très  différent  du  Bourgeois  gentilhomme,  par  la 
tragédie-ballet  de  Psyc/ic,  que  le  roi  avait  également  com- 
mandée et  fait  d'abord  représenter  devant  lui.  Lorsqu'on 
la  prépara  pour  le  Palais-Royal,  ce  fut  [)Our  ce  théâtre  une 
occasion  de  constructions  nouvelles,  destinées  à  le  rendre, 
comme  dit  le  Registre^,  «  propre  pour  les  machines  ».  Ces 
dispendieuses  transformations,  qui  permirent  de  monter 
désormais  de  plus  grands  spectacles,  et,  en  même  temps, 
de  faire  paraître  sur  la  scène  les  musiciens  et  musiciennes, 
cachés  jusque-là  dans  des  loges  grillées,  prouvaient  la  pro- 
spérité de  la  troupe  et  donnaient  l'espérance  de  l'accroître; 
mais,  quoi  qu'elles  aient  pu  faire  alors  pour  attirer  la  foule, 
ce  ne  sont  pas  elles  qui  ont  laissé  un  impérissable  souvenir 
de  cette  scène  du  Palais-Royal,  dont  la  mémoire  de  la  pos- 
térité ne  cherche  plus  les  traces  brillantes  que  dans  les 
œuvres  du  grand  poète. 

Cette  Ps)'c/ie',  nouvelle  fantaisie  royale,  était  née  d'une 
circonstance  plus  frivole  encore  que  celle  à  laquelle  on  a  dû 

I.  Acte  III,  scènes  vin,  ix  et  x. 

a.  Robinet,  Lettre  en  vers  à  Monsieur,  du  2a  novembre  iGjo. 

3.   Pages  iiî-124. 


4io  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

le  Bourgeois-  gentilhomme,  s'il  est  vrai  que  la  tragédie 
mythologique  ait  été,  comme  on  l'a  dit,  demandée  à  Molière 
pour  ne  pas  laisser  sans  emploi  un  décor  des  Enfers,  con- 
servé dans  le  garde-meuble  du  roi.  Ne  serait-il  point  piquant 
qu'un  châssis  de  toile  peinte  à  utiliser  ait  mis  en  mouve- 
ment les  muses,  pour  cette  unique  fois  associées,  de  Molière 
et  de  Corneille? 

La  première  représentation  fut  donnée,  le  17  janvier  1G71, 
dans  une  magnifique  salle  du  palais  des  Tuileries.  Les  ordres 
du  roi  avaient,  comme  de  coutume,  laissé  à  Molière  si  peu 
de  temps,  que,  pour  être  prêt  au  jour  fixé,  il  ne  put  se 
passer  d'un  collaborateur.  11  n'y  en  avait  alors  que  deux 
parmi  les  poètes  de  théâtre  qui  fussent  dignes  de  travailler 
avec  lui.  Racine  et  Corneille.  Bien  que  le  sujet  de  cette  déli- 
cieuse histoire  d'amour  parût  convenir  particulièrement  au 
premier,  Molière  avait  de  trop  bonnes  raisons  de  ne  pou- 
voir songer  à  lui.  Avec  Corneille,  au  contraire,  il  était  en  ce 
temps-là  devenu  facile  de  s'entendre,  et  l'on  s'entendit.  Point 
d'autre  exemple  dans  l'histoire  de  notre  théâtre  d'une  pièce 
à  laquelle  aient  coopéré  deux  hommes  de  génie.  Leurs  talents, 
quelque  dissemblables  qu'ils  fussent,  se  mirent  étonnam- 
ment d'accord.  La  part  de  chacun  est  sans  doute  aisée  à 
distinguer,  même  sans  tenir  compte  des  renseignements 
positifs  que  nous  avons  ;  on  n'est  toutefois  choqué  d'aucune 
disparate.  Le  vieux  et  énergique  Corneille  a  été  plein  de 
grâce  souple  et  de  tendresse;  de  son  côté,  Molière  a  très 
agréablement  badiné  dans  le  premier  acte  tout  rempli  de  la 
ridicule  jalousie  des  deux  méchantes  sœurs  et  dans  le  dia- 
logue du  Zéphire  et  de  l'Amour  qui  commence  le  troisième 
acte.  Il  s'était  réservé  ce  dialogue,  se  proposant  de  repré- 
senter lui-même  le  discret  confident  du  divin  amant  de 
Psyché'.  Dans  ces  jolies  scènes,  et  aussi  dans  le  spirituel 
prologue,  qui  est  également  de  lui,  il  n'a  pas  fait  un  moins 
heureux  emploi  du  vers  libre,  du  croisement  et  du  redou- 
blement des  rimes,  que  dans  son  Amphitryon.  Pour  ne  rien 
oublier  de  ce  qui  lui  est  dû,  c'était  lui  qui  avait  tracé  le 
plan  de  l'œuvre  commune. 

Mlle  Molière  fut  chargée  du  rôle  de  Psyché;  nous  avons 
eu  occasion  de  dire  qu'elle  y  fut  jugée  très  séduisante.  Ro- 


SUR  MOLIERE.  4ii 

binet,  dans  sa  Lettre  en  vers  à  Monsieur,  du  i"  août  i6^i, 
vante,  en  cette  occasion,  son  jeu  divin,  son  air,  sa  grâce, 
son  esprit,  et  «  maints  autres  »  de  ses  attraits.  Il  la  nomme 

la  belle  Psyché 

Par  qui  maint  cœur  est  alléché. 

L'auteur  de  la  Fameuse  Comédienne  ne  lui  refuse  pas  les 
mêmes  louanges ^  »  Il  est  vrai  qu'il  avait  son  dessein  en  lui 
rendant  cette  justice.  Lorsqu'il  ajoutait  que  «  Baron,  dont  le 
personnage  étoit  l'Amour,  enlevoit  les  cœurs  de  tous  les 
spectateurs  «,  sa  perfidie  préparait  la  vraisemblance  d'une 
noire  accusation.  Cette  Psyché  et  cet  Amour,  admirés  tous 
deux  pour  leur  charme  irrésistible,  semblaient  faits  l'un 
pour  l'autre  et  destinés  à  s'aimer,  à  se  sentir  le  cœur  pé- 
nétré de  toutes  les  douceurs  qu'ils  se  disaient  dans  la  pièce. 
Après  avoir  si  habilement  fait  pressentir  la  scène,  il  n'y 
avait  plus  qu'cà  en  imaginer  les  développements  et  à  racon- 
ter avec  détails  comment  Baron  avait  profité  d'une  si  belle 
occasion  de  trahir  son  bienfaiteur.  Il  fallait  en  vérité  que  le 
libelliste  eût  été  dans  la  coulisse  pour  si  bien  entendre  le 
galant  entretien,  dont  il  nous  régale,  du  jeune  comédien  et 
d'Arraande.  Celle-ci,  comme  on  le  ])ense  bien,  nous  est  re- 
présentée comme  flattée  de  sa  nouvelle  conquête,  et  con- 
quise elle-même,  sans  faire  tant  de  façons.  Mais  pour  ne  pas 
s'exposer  à  des  démentis  que  pouvaient  lui  faire  craindre 
les  témoins  d'une  antipathie  persistante,  le  calomniateur  a 
eu  soin  de  donner  une  courte  durée  à  la  coupable  liaison. 
Dans  son  récit,  la  jalousie  inspirée  à  Mlle  Molière  par  les 
infidélités  de  l'acteur  à  bonnes  fortunes,  et  le  désaccord 
difficile  à  éviter  entre  gens  du  même  métier,  ne  tardèrent 
pas  à  faire  renaître,  plus  grande  que  jamais,  l'ancienne 
aversion.  Tout  bien  arrangé  qu'il  est,  le  conte  a  trop  peu 
de  vraisemblance.  Baron,  il  est  vrai,  n'a  pas  laissé  la  répu- 
tation d'un  homme  scrupuleux  dans  ses  amours.  Est-ce 
assez  pour  que,  sur  la  foi  d'un  lâche  pamphlétaire,  on  le 
croie  capable  d'une  si  abominable  ingratitude?  Et  puis  s'il 
n'est  pas  sans  exemple  que  deux  personnes  qui  s'étaient 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  346. 


/jia  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

longtemps  détestées  aient  passé  un  beau  jour  de  la  haine  à 
l'amour,  ce  n'est  pas  une  bizarrerie  très  commune.  Aucun 
autre  témoignage  d'ailleurs  ne  confirme  la  scandaleuse  his- 
toire, dans  laquelle  on  reconnaît  clairement  le  parti  pris  de 
flétrir  Mlle  Molière.  Cela  doit  suffire  pour  ne  pas  la  faire 
accepter;  nous  n'en  aurions  même  point  parlé,  si  quelques- 
uns,  avec  une  confiance  trop  facile,  ne  l'étaient  allés  cher- 
cher dans  le  livre  calomnieux. 

Bien  moins  grave,  et  aussi  moins  invraisemblable,  est  le 
bruit  qui  a  couru  sur  les  tendres  sentiments  de  Corneille 
pour  la  comédienne  qui  représentait  Psyché  avec  tant  de 
charme.  Robinet  a  dit,  dans  ses  vers  sur  la  première  repré- 
sentation de  Pulchéric  (novembre  1G72)  : 

.  ,   .  L'auteur  a  fait  ce  poème 
Par  l'efTet  d'une  estime  extrême 
Pour  la  merveilleuse  Psyché,... 
Ou  Mademoiselle  Molière*. 

Cela  pourrait  signifier  simplement  que  Corneille  avait  écrit 
la  comédie  héroïque  de  1672  pour  donner  un  nouveau  rôle 
à  l'actrice  dont  l'excellent  jeu  l'avait  si  bien  servi  dans  la 
tragédie-ballet.  Mais  alors  comment  se  ferait-il  que  sa  pièce 
n'eût  pas  été  représentée  au  Palais-Royal,  mais  au  Marais? 
La  confiance  dans  un  talent,  auquel  l'auteur  de  Pulchérie 
s'abstint  d'avoir  recours,  ne  semble  donc  pas  avoir  été, 
dans  la  pensée  de  Robinet,  \' estime  extrême  dont  il  parle; 
et  il  est  naturel  de  comprendre  que  certains  vers  de  cette 
Pulchc'rie  passaient  pour  avoir  été  inspirés  par  un  genre 
d'estime  très  différent.  L'insinuation  de  la  Lettre  en  vers 
paraît  surtout  claire  lorsqu'on  la  rapproche  du  passage  de 
la  Fie  de  Corneille,  où  Fontenelle  dit  que  son  oncle  «  s'est 
dépeint  lui-même  avec  bien  de  la  force  dans  Martian,  qui 
est  un  vieillard  amoureux  ».  Il  n'y  a  pas  trop  de  difficulté  à 
croire  à  une  passion  tardive  de  Corneille.  Nous  l'avons  vu,  en 
i638,  épris,  à  l'âge  de  cinquante-deux  ans,  de  la  belle  Mar- 
quise du  Parc.  Il  a  bien  pu,  même  douze  ans  plus  tard,  se  trou- 
ver encore  le  cœur  vulnérable.  Si  c'est  Mlle  Molière  qui  a  fait 

I.  Lettre  en  vers  à  Monsieur,  du  26  novembre  167a. 


SUR   MOLIERE.  4i3 

la  blessure,  elle  n'a  pu  avoir  à  souffrir  dans  sa  réputation  des 
poétiques  hommages  de  l'illustre  sexagénaire,  dont  l'amour 
était  certainement  aussi  platonique  que  celui  de  Martian, 
devenu,  à  de  singulières  conditions,  l'époux  de  Pulchérie. 
Ce  qui  pourrait  faire  hésiter  à  reconnaître  la  charmante 
Psyché  dans  la  personne  aimée  par  le  poète,  c'est  que  sa 
Pulchérie,  comme  nous  l'avons  dit,  ne  fut  pas  confiée  à  la 
troupe  qui  possédait  cette  comédienne.  Serait-ce  que  Molière, 
ayant  appris  qui  l'on  désignait  comme  l'objet  de  la  passion 
de  Martian,  se  serait  refusé  à  faire  entendre  sur  son  théâtre 
les  innocents  soupirs  adressés  indirectement  à  sa  femme? 
Cette  jalousie  est  peu  croyable.  Les  admirateurs  de  Mlle  Mo- 
lière avaient  souvent  donné  à  son  mari  de  plus  sérieux  su- 
jets d'inquiétude. 

Entre  les  représentations  de  Psyché  aux  Tuileries  et 
celles  que  le  Palais-Royal  put  être  prêt,  six  mois  plus  tard 
seulement,  à  en  donner,  Molière  fit  prendre  patience  aux 
spectateurs  de  la  ville  par  une  nouveauté,  les  Fourberies  de 
Scapin.  Elles  furent  jouées  le  24  mai  1671.  Il  est  assez  vrai- 
semblable qu'il  les  avait  tirées,  comme  le  dit  Voltaire,  d'une 
des  farces  préparées  autrefois  par  lui  pour  la  province. 
L'imitation  de  deux  scènes  du  Pédant  joué  de  Cyrano  de 
Bergerac  semble  indiquer  un  temps  peu  éloigné  de  l'étroite 
camaraderie  des  deux  disciples  de  Gassendi.  Gor gibus  dans 
le  sac,  joué,  d'après  le  Registre,  en  1661,  i663  et  i66'j,  et 
dont  il  est  à  croire  que  Molière  était  l'auteur,  pourrait  bien 
être  une  première  reprise,  à  Paris,  du  canevas  que  l'on 
conjecture  avoir  été  écrit  pour  la  troupe  de  campagne.  Si 
ces  indices  ne  nous  trompent  pas,  en  nous  faisant  croire  à 
une  ébauche  remaniée,  dont  serait  sorti  le  Scapin,  nous 
aurions  là  un  nouvel  exemple  de  ces  anciennes  bouffonneries 
de  Molière,  très  heureusement  transformées  par  lui,  lors- 
qu'il lui  était  devenu  impossible  d'en  tirer  parti,  sans  les 
relever  comme  il  convenait  au  maître  reconnu  de  la  scène 
comique.  On  peut  être  certain  que  ïérence  n'est  venu  qu'en 
1G71  mêler  sa  fine  urbanité  aux  scènes  des  plaisantes  four- 
beries. Les  emprunts  que  Molière  lui  a  faits  avec  un  art 
délicat  ne  sauraient  laisser  de  doute  sur  leur  date. 

Boileau  a  été  très  sé\ère  sur  ce  qu'il  appelait  une  alliance 


,',i4  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

de  Térence  avec  Tabarin.  Elle  révoltait  son  goût  ennemi 
du  vulgaire  au  point  d'en  devenir  étroit;  et  la  scène  où 
Géronte  est  hâtonné  le  chagrinait  jusqu'à  lui  faire  contester 
à  l'auteur  à\x  Misanthrope,  compromis  par  ces  abaissements, 
l'honneur  d'avoir  remporté  le  prix  de  son  art.  C'était  faire 
beaucoup  de  bruit  pour  quelques  coups  de  gaule,  eussent- 
ils  égayé  déjà  le  Pont-Neuf.  Boileau  sentait  vivement  et  a 
loué  mieux  que  ])ersonne  en  son  temps  les  beautés  des 
chefs-d'œuvre  de  Molière,  mais  il  ne  comprenait  pas  tout 
dans  ce  large  esprit,  chez  qui  les  libres  folies  du  rire,  que 
l'aristarque  croyait  des  complaisances  pour  la  foule,  étaient 
aussi  naturelles  que  la  philosophie  la  plus  élevée  du  comique 
sérieux  et  profond.  Plus  Boileau  admirait  Molière,  plus  il 
était  porté  à  ne  pas  le  trouver  assez  jaloux  de  la  dignité  de 
son  génie.  De  même  qu'il  l'eût  voulu  moins  «  ami  du 
peuple  »,  il  souffrait  de  le  voir,  lui  placé  au  plus  haut 
de  la  gloire  des  lettres,  s'obstiner  à  rester  comédien. 
C'était  encore  un  point  sur  lequel  les  deux  amis  ne  s'en- 
tendaient pas.  Nous  ne  croyons  pas  inventé  ce  que  le 
Bolxana  rapporte  d'un  de  leurs  entretiens  à  ce  sujet.  Il  est 
vrai  qu'il  le  place  deux  ans  avant  la  mort  de  Molière,  lors- 
que le  conseil  de  Boileau  lui  était  inspiré  par  un  état  de 
santé  dont  on  s'inquiétait  trop  justement.  Mais  les  réflexions 
qu'il  fit  sur  le  refus  de  Molière  de  lui  donner  contentement 
semblent  celles  d'un  homme  qui  n'avait  pas  attendu  ce 
péril  pour  juger  le  grand  poète  trop  diminué  par  sa  pro- 
fession. Cette  petite  querelle  amicale  est  curieuse.  Après 
avoir  représenté  au  malade  combien  son  extrême  fatigue 
exigeait  qu'il  ne  montât  plus  sur  la  scène,  Boileau  conti- 
nuait ainsi  :  «  Contentez-vous  de  composer,  et  laissez 
l'action  théâtrale  à  quelqu'un  de  vos  camarades;  cela  vous 
fera  plus  d'honneur  dans  le  public,  qui  regardera  vos  acteurs 
comme  vos  gagistes;  et  vos  acteurs  d'ailleurs,  qui  ne  sont 
pas  des  plus  souples  avec  vous,  sentiront  mieux  votre 
supériorité.  —  Ahl  Monsieur,  répondit  Molière,  que  dites- 
vous-là?  Il  y  a  un  honneur  pour  moi  à  ne  point  quitter.  » 
Le  sage  conseiller  jugea  sans  doute  inutile,  pénible  même, 
d'insister;  mais  il  dit,  à  ])art  lui  :  «  Plaisant  point  d'hon- 
neur à  se  noircir  tous  les  jours  le  visage  pour  se  faire  une 


SUR   MOLIÈRE.  4i5 

moustache  de  Sganarelle,  et  à  dévouer  son  dos  à  toutes 
les  bastonnades  de  la  comédie!  Quoi!  cet  homme  le  pre- 
mier de  son  temps  pour  l'esprit  et  pour  les  sentiments  d'un 
vrai  philosoi)he,  cet  ingénieux  censeur  de  toutes  les  folies 
humaines,  en  avoit  une  plus  extraordinaire  que  celles  dont 
il  se  moquoit  tous  les  jours!  Cela  montre  bien  le  peu  que 
sont  les  hommes*.  »  Si  c'est  bien  Boileau  qui  parle  (et  vrai- 
ment il  y  a  là  de  son  accent) ,  il  est  clair  que  sa  pensée  allait 
plus  loin  qu'une  invitation  au  repos  conseillé  par  la  ma- 
ladie. Les  bastonnades  reçues  par  un  tel  homme,  pour  l'a- 
musement du  public,  lui  tenaient  au  cœur.  Molière  a  suf- 
fisamment prouvé  jusqu'à  son  dernier  jour  que  le  point 
d'honneur  qui  le  retenait  au  théâtre  n'était  pas  celui  d'un 
comédien  lier  de  montrer  le  visage  qu'il  se  composait  avec 
l'art  d'un  Scaramouche.  C'était  son  bon  cœur,  Boileau  le  de- 
vait savoir,  qui  l'attachait,  jusqu'à  épuisement  de  ses  der- 
nières forces,  aux  intérêts  de  sa  troupe,  tout  lui  disant  qu'ils 
seraient  trahis  par  sa  retraite.  Mais,  sans  rien  lui  retirer  d'un 
généreux  dévouement,  on  doit  reconnaître  aussi  qu'il  aimait 
son  métier.  De  tout  temps  il  avait  pensé  qu'il  manquerait 
quelque  chose  à  ses  œuvres  théâtrales,  s'il  ne  donnait  de  près 
tous  ses  soins  à  leur  représentation,  en  dirigeant  ses  acteurs 
comme  chef  et  prenant  lui-même  des  rôles  dans  ses  pièces  ; 
et  il  avait  de  bonnes  raisons  de  croire  que  son  art  de  poète 
avait  tiré  grand  profit  de  son  art  de  comédien,  lequel  n'avait 
cessé  de  lui  révéler  les  secrets  des  effets  de  scène.  Voilà  ce 
que  Boileau  n'entendait  pas,  ou  feignait  de  ne  pas  entendre, 
préoccupé  qu'il  était  de  la  disproportion  entre  les  mous- 
taches dessinées  par  le  charbon  et  la  hauteur  de  pensée 
d'un  esprit  de  premier  ordre.  Pour  ne  pas  regretter  que 
Molière  n'ait  jamais  voulu  s'avouer  cette  disproportion,  il 
est  certain  que  l'on  a  besoin  de  quelque  effort  de  réflexion. 
Il  ne  faudrait  pas  croire  à  une  sévérité,  sans  exception, 
de  Boileau,  pour  les  petites  pièces  de  Molière.  ]\'e  jugeant 
indignes  de  lui  que  les  scènes  bouffonnes,  où  ne  se  trouvaient 
pas,  à  son  avis,  «  ragréal)le  et  le  fin  »,  il  n'hésitait  pas  à 
reconnaître  ces   qualités  dans  quelques-uns  de  ses  légers 

I.   Uulu-ana,  pages  35-37. 


4i6  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

crayons.  Il  disait  à  Brossette  en  quelle  estime  il  tenait  non 
seulement  la  Critique  de  l'école  des  femmes,  cette  spirituelle 
apologie,  dont  Molière  avait  su  faire  une  bonne  comédie, 
mais  aussi  la  Comtesse  d'Escaibai^rias^,  qui  n'est  qu'une  es- 
quisse tracée  à  la  hâte  pour  un  des  divertissements  de  la 
cour.  Cette  comédie  est,  après  les  Fourberies  de  Scapin,  la 
première  que  Molière  fit  représenter.  Voici  à  quelle  occa- 
sion. Pour  fêter  le  récent  mariage  de  la  Princesse  Palatine, 
la  seconde  Madame,  célébré  le  j.ï  novembre  1671,  le  roi 
voulut  la  régaler  à  Saint-Germain  d'un  attrayant  spectacle, 
qui  serait  composé  de  tout  ce  qui  avait  particulièrement 
plu  dans  les  ballets  des  années  précédentes.  On  nomma  ce 
pot-pourri  le  Ballet  des  ballets.  Molière  fut  chargé  de  lier 
ces  divers  fragments,  et,  comme  dit  Robinet*,  de  leur  donner 
l'âme.  La  troupe,  partie  le  27  novembre  pour  Saint-Germain, 
y  resta  jusqu'au  ij  décembre.  On  joua  le  1  de  ce  dernier 
mois  la  pièce  qui  donnait  une  certaine  unité  aux  emprunts 
faits  à  des  intermèdes  de  différentes  comédies  ou  à  des 
entrées  des  plus  célèbres  ballets,  en  même  temps  qu'elle 
servait  de  prétexte  aune  nouvelle  pastorale.  Ctlie  Pastorale , 
ouvrage  aussi  de  Molière,  n'a  malheureusement  pas  été  re- 
cueillie. Regardant  également  comme  une  bagatelle  la  Com- 
tesse d^Escarbagnas,  son  auteur  n'a  pas  voulu  qu'elle  fût 
imprimée  de  son  vivant.  Il  n'y  manquait  cependant  que  des 
développements  moins  écourtés,  auxquels  il  avait  fallu  renon- 
cer faute  de  temps,  et  par  la  nécessité  de  laisser  assez  de 
place  à  la  musique  et  aux  danses.  La  comtesse  de  province, 
avec  sa  ridicule  affectation  des  grands  airs  de  Paris  et  de 
la  cour;  ses  deux  amants,  le  conseiller  Tibaudier,  caricature 
d'un  robin  qui  orne  ses  lourdes  galanteries  du  pédantesque 
langage  de  sa  profession,  surtout  le  receveur  de  tailles, 
Ilarpin,  cette  brutale  figure  de  financier,  dont  Le  Sage  s'est 
souvenu  en  dessinant  son  Turcaret,  tous  ces  caractères,  il 
a  suffi  à  Molière  de  quelques  touches  pour  les  marquer  des 
traits  les  plus  vrais,  comme  les  plus  amusants.  Ce  sont  vrai- 
semblablement des  personnages  que,  durant  ses  périgrina- 

I.  Ms.  de  Brossette,  p.  38. 

"x.  Lettre  en  vers  du  20  février  1672. 


SUR   MOLIERE.  \i- 

tions,  il  avait  pu  observer  à  Angoulême,  où  il  a  placé  la 
scène  de  sa  comédie  :  et  peut-être,  cette  fois  encore,  n'a- 
t-il  fait  que  remanier,  en  raméliorant,  une  ébauche  rappor- 
tée de  la  province. 

Lorsqu'on  représenta,  pour  la  première  fois,  la  Comtesse 
rf'jE'^c«/èag-/ia.y  au  Palais-Royal,  le  8  juillet  1672,  ce  fut  avec 
une  reprise  du  Mariage  force',  que  l'on  continua  à  y  mêler 
dans  les  treize  représentations  suivantes,  du  10  juillet  au 
7  août.  La  comédie-ballet  de  1664,  avec  sa  musique  et  ses 
ornemetits ,  avait  été  substituée  à  la  Pastorale  et  au  Ballet 
des  ballets,  dont  était  composé  à  Saint-Germain  le  spectacle 
donné  chez  la  comtesse.  On  fit  ainsi  l'économie  d'une  trop 
forte  dépense;  on  eut  de  plus  cet  avantage  d'offrir  au  public 
une  nouveauté  dans  la  musique  du  Mariage  force';  elle  ne  fut 
plus,  en  effet,  celle  de  Lulli,  que  la  cour  avait  entendue, 
mais  celle  de  Charpentier,  à  qui  Molière  l'avait  demandée. 
Il  était  alors  brouillé  avec  le  Florentin,  et  non  sans  motif, 
ayant  récemment  appris  ce  qu'il  savait  faire.  Il  aurait  pu 
dire  de  lui  avant  la  Fontaine  : 

C'est  UQ  matin 

Qui  tout  dévore*. 

Nous  aurons  occasion  de  parler  plus  loin  des  faveurs  sollici- 
tées et  obtenues  par  l'avidité  du  glouton  «  au  triple  gosier  », 
qui,  par  son  monopole  envahissant,  blessa  dans  leurs  inté- 
rêts tous  les  théâtres,  sans  excepter  celui  de  Molière. 

Un  peu  avant  les  changements  qui  rendirent  possible  de 
jouer  la  Comtesse  ctEscarbagnas  à  la  ville,  cette  comédie, 
avec  le  Ballet  des  ballets  qu'elle  encadrait,  avait  eu  à  Saint- 
Germain,  au  mois  de  février  1672,  trois  nouvelles  repré- 
sentations en  quelques  jours.  Il  n'est  pas  douteux  que  les 
deux  premières,  celles  du  10  et  du  14,  virent  Molière  rem- 
plir, comme  il  l'avait  fait  d'abord,  les  rôles  du  premier 
Pâtre  et  du  Turc  de  la  Pastorale^;  mais,  dans  la  troisième, 

1.  Satire  du  Florentin  dans  les  OEuvres  de  la  Fontaine,  vers  10 
et  II. 

2.  >'i  lui  ni  sa  femme  n'en  avaient  pris  aucun  dans  la  Comtesse 
lï  Escarbagnas . 

Molière,  x  27 


4i8  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

donnée  le  17,  Robinet  nous  apprend  qu'il  avait  dû  être 
remplacée  Ce  même  jour  du  17  février,  Madeleine  Béjart 
était  morte.  Le  Registre  de  La  Grange  n'a  pas  oublié^  cette 
fois  de  marquer  du  losange  noir  la  mention  du  grand  deuil. 
Quoi  que  l'on  pense  de  la  parenté  de  la  défunte  et  d'Ar- 
raande,  une  amitié  très  étroite  avait  uni  ces  deux  Béjart 
entre  elles,  et  Molière  avec  l'une  et  l'autre.  Le  testament 
de  Madeleine^  l'atteste,  comme  nous  l'avons  déjà  à\V,  par 
des  dispositions  si  extraordinaires  qu'elles  ont  singulière- 
ment confirmé  la  conviction  de  ceux  qui  voient  en  elle  la 
mère  de  Mlle  Molièi^e.  Il  y  a  d'autres  remarques  à  faire  sur 
quelques-unes  de  ses  dernières  volontés.  Après  avoir  recom- 
mandé son  âme  à  Dieu,  à  l'intercession  de  la  Vierge  Marie, 
et  de  tous  les  saints  et  saintes,  elle  prescrivait  que  son 
corps  fût  inhumé  en  l'église  Saint-Paul.  Soit  là,  soit  dans 
quelque  monastère,  elle  fondait  à  perpétuité  deux  messes 
basses  de  Requiem  par  chaque  semaine.  Avant  de  mourir 
elle  s'était  certainement  mise  en  règle  par  une  renonciation 
formelle  à  la  profession  de  comédienne.  Aussi  la  sépulture 
qu'elle  avait  demandée  ne  souffrit-elle  pas  de  difficultés. 
Son  corps  fut  porté  d'abord  à  Saint-Germain-l'Auxerrois, 
et  de  là,  avec  permission  de  l'Archevêque,  en  carrosse, 
à  Saint-Paul,  où  il  reposa  sous  les  charniers*,  fait  auquel 
donne  de  l'intérêt  l'inévitable  rapprochement  avec  ce  que 
nous  raconterons  bientôt  de  l'inhumation  de  Molière,  lors- 
qu'au bout  d'un  aB,  et,  par  une  singularité  frappante,  à  la 
même  date  du  17  février,  il  suivit,  dans  la  mort,  la  comé- 
dienne qui  avait  eu  de  bonne  heure  une  influence  décisive 
sur  sa  destinée.  Assurément  des  deux  vies,  qui  laissèrent 
des  fautes  communes  à  expier,  celle  de  Molière  n'avait  pas 
été  la  plus  irrégulière,  la  plus  constamment  en  désaccord 

1.  Lettre  en  vers  du  20  février  1672. 

2.  A  la  page  i3i. 

3.  Soulié  adonné  ce  testament,  avec  soncodicile,  aux  pages a43- 
247  de  ses  Recherches  sur  Molière.  Document    XL. 

4.  Voyez  ci-dessus,  p.  268. 

5.  Voyez  aux  Pièces  justificatives,  n°  XIV,  les  extraits  des  re- 
gistres des  deux  églises,  qu'a  fait  connaître  Beffara,  Disserta- 
tion sur  J.'B.  Poquelin'Molière,  p.  21  et  22. 


SUR   MOLIÈRE.  /,rg 

avec  la  morale.  Nous  dirons  par  quelle  fatalité  ce  fui  à  lui 
que  l'Eglise  crut  ai)plical3les,  et  peut-être  appliqua  de  fait, 
malgré  les  apparences,  les  sévérités  de  ses  lois. 

Si  près  qu'il  fût,  en  1672,  de  la  fin  de  sa  glorieuse  car- 
rière, nous  allons  le  voir  encore  la  fournir  jusqu'au  bout, 
sans  que  l'épuisement  des  forces  de  son  corps  ait  fait 
défaillir  celles  de  son  génie  ;  car  il  produisit  un  nouveau 
chef-d'œuvre,  où  la  richesse  de  son  pinceau  comique,  et 
l'admirable  style  de  ses  vers,  furent  dignes  de  l'auteur  du 
Tartuffe  et  du  Misanthrope.  Avant  que  la  comédie,  cadre  du 
Ballet  des  ballet.';,  dont  Saint-Germain  s'était  amusé,  fût  en 
état  d'être  jouée  au  Palais-Royal,  les  Femmes  savantes  avaient 
paru  sur  ce  théâtre,  le  11  mars  1672. 

Si  l'on  rapproche  cette  comédie  de  celle  des  Précieuses 
ridicules,  dont  elle  reprenait  les  hostilités  contre  les  admi- 
ratrices des  sottises  du  bel  esprit,  on  est  frappé  de  la  va- 
riété que  le  plus  fécond  des  peintres  a  mise  dans  les  deux 
tableaux.  Ils  ne  se  ressemblent  que  par  l'objet  des  attaques. 
Non  seulement  le  dernier  en  date  nous  offre  une  peinture 
beaucoup  plus  grande  que  celle  de  iGjg,  mais  n'a  rien  qui 
soit  à  comparer  avec  elle  dans  l'invention  comique,  non 
plus  que  dans  les  caractères.  Ceux  des  Femmes  savantes 
ont  un  bien  autre  relief  que  les  amusantes  caricatures  des 
Précieuses,  quelque  parfaite  que  soit  en  son  genre  la  petite 
comédie.  Le  bon  bourgeois  Gorgibus  n'était  qu'un  très  léger 
crayon  de  Chrysale;  Cathos  et  Madelon,  qui  ne  se  distin- 
guent guère  l'une  de  l'autre,  ni  de  toutes  les  «  pecques 
provinciales  «,  mauvais  singes  de  l'hôtel  de  Rambouillet, 
prdissent  en  regard  des  trois  types  si  variés  de  savantes. 
Sans  être  plus  amusants  que  IMascarille  et  Jodelet,  Trisso- 
tin  et  "Vadius  sont  beaucoup  mieux  que  des  personnages  de 
farce.  Ils  ont  une  large  et  nécessaire  place  dans  le  tableau 
de  la  maison  livrée  au  monde  pédant.  La  Grange  et  du 
Croisy  ont  peu  de  physionomie  à  côté  de  Clitandre.  Marotte 
avait  en  traits  bien  moins  marqués  que  Martine  représenté 
la  naïve  servante  qui  n'est  pas  infectée  du  mauvais  air. 
Quant  à  la  charmante  Henriette,  rien,  dans  les  Pre'cieuses 
ridicules,  ne  correspond  à  son  rôle,  le  plus  gracieusement 
féminin  que  Molière  ait  écrit. 


$ao  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Ce  rôle  surtout  rend  très  claire  son  intention,  qui  n'était 
pas,  comme  quelques-uns  l'ont  dit  injustement,  de  condam- 
ner les  femmes  à  l'ignorance.  S'il  y  a,  dans  son  œuvre  puis- 
sante, quelque  chose  à  regretter,  ce  n'est  point  la  pensée, 
nullement  étroite.'qui  leur  a  marqué  leur  place  naturelle  au 
foyer,  mais  seulement  ceci  :  les  portraits  des  deux  pédants, 
si  vrais  d'une  vérité  générale,  auraient  pu  et  dû  dispenser 
le  peintre  d'en  montrer  au  doigt  de  vivants  modèles.  Il 
avait,  il  est  vrai,  l'excuse  des  provocations  de  ses  victimes, 
surtout  des  injurieuses  attaques  de  Cotin.  Harcelé  par  de 
bourdonnants  insectes,  Molière  n'était  pas  d'humeur  à  souf- 
frir leur  insolence.  Impatient  de  les  secouer  et  de  les  chas- 
ser loin  de  lui,  il  eut  tort  d'oublier  qu'il  s'était  autrefois 
défendu  dans  t Impromptu  de  Versailles  contre  l'accusation 
de  toucher  aux  personnes.  Le  Mercure  calant  de  mars  1672 
raconte  qu'à  l'occasion  des  Femmes  savantes  il  renouvela 
cette  protestation,  et  que,  deux  jours  avant  la  première 
représentation,  il  déclara,  dans  une  harangue  pi^ononcée 
sur  le  théâtre,  qu'il  ne  fallait  pas  chercher  de  personnalités 
dans  sa  pièce.  Il  savait  trop  bien  qu'on  les  y  trouverait  sans 
peine,  tant  il  les  avait  laissé  voir  à  découvert,  ce  qui  écarte 
toute  idée  d'un  mensonge,  rien  n'étant  plus  facile  à  com- 
prendre qu'une  de  ces  plaisanteries,  telles  que  Voltaire  en 
a  fait  plus  tard.  La  faute  d'avoir  rendu  reconnaissables  son 
Trissotinet  sonVadius  reste,  malgré  ce  qui  l'atténue  jusqu'à 
un  certain  point,  une  petite  tache  dans  un  chef-d'œuvre 
qui,  au  point  de  vue  de  l'art,  n'en  offre  aucune. 

Molière  a  mis  cette  fois  en  scène  un  homme  de  cour  tout 
différent  de  celui  du  Bourgeois  gentilhomme.  Tout  ce  qu'il 
avait  observé  d'aimable  dans  le  noble  monde,  qui  n'était 
pas  uniquement  celui  des  marquis  ridicules,  sa  finesse  d'es- 
prit, sa  politesse  exquise,  Clitandre  en  est  un  type  accom- 
pli, et  à  cette  fleur  de  bon  goût  il  joint  l'extrême  délica- 
tesse des  sentiments.  Que  l'on  n'accuse  pas  le  poète  d'avoir 
là  chanté  une  palinodie.  Il  n'a  fait  que  développer  dans  cet 
agréable  rôle  celui  que,  bien  des  années  avant,  il  avait 
donné  à  son  chevalier  Dorante  de  la  Critique  de  V École  des 
femmes.  Ils  représentent,  l'un  comme  l'autre,  le  parfait 
honnête   homme,    et  opposent,   presque  dans   les    mêmes 


SUR   MOLIERE.  421 

termes,  le  bon  jugement  de  la  cour  au  «  savoir  enrouillé 
des  pédants'  «.  C'était  la  pensée  sincère  de  Molière.  Parmi 
ceux  qui  portaient  le  point  de  Venise  et  des  plumes,  il  avait 
des  amis,  chez  qui  il  appréciait  l'élégance  de  l'esprit, 
comme  eux-mêmes  la  reconnaissaient  chez  lui.  Ce  sont 
ceux-là  qu'il  a  pu  louer,  sans  être  soupçonné  de  flatterie. 
Ajoutons  qu'ils  lui  fournissaient,  en  regard  des  lourds  et 
ennuNcux  beaux  esprits,  un  de  ces  contrastes  par  lesquels 
il  aimait  à  éclairer  les  caractères.  Si  pourtant  on  le  veut, 
il  se  peut  aussi  que  son  habituelle  adresse  ait  trouvé  son 
compte  à  gagner  les  suffrages  de  la  cour  dans  une  comédie 
qui  avait  à  se  faire  pardonner  des  libertés  très  hardies.  La 
plus  grande  n'était  pas  de  couvrir  de  ridicule  un  acadé- 
micien aumônier  du  roi,  mais  de  faire  souvenir  que  le  son- 
net, porté  aux  nues  par  la  sotte  coterie  de  la  maison  de 
Philaminte,  avait  été  applaudi,  pour  sa  délicatesse,  chez  la 
cousine  de  Louis  XIV.  Il  n'avait  guère  moins  osé  en  faisant 
inévitablement  reconnaître  dans  la  princesse  Uranie,  à  qui 
le  sonnet  était  adressé,  la  duchesse  de  Nemours,  une  des 
protectrices  de  l'abbé  Cotin.  Voilà  un  des  plus  singuliers 
exemples  de  ce  que  la  faveur  royale  l'encourageait  à  se  per- 
mettre. 

Les  Femmes  savantes  furent  jouées  à  Versailles  le  17  sep- 
tembre 1672^,  après  la  dix-neuvième  représentation  à  la 
ville.  Grimarest,  dont  le  Mercure  de  l'-ji'i  et  Voltaire  ont 
accepté  les  assertions,  prétend  que  la  pièce,  mal  reçue  à  la 
cour,  serait  probablement  tombée,  si  elle  n'avait  été  sou- 
tenue par  la  constante  bonté  du  roi  pour  Molière.  Il  recom- 
mence l'histoire  qu'il  nous  a  contée  à  propos  du  Bourgeois 
gentilhomme,  et  fait  de  nouveau  parler,  suivant  son  artifice 
favori,  un  marquis  et  un  comte,  personnages  auxquels  il 
s'obstinait,  on  ne  sait  pourquoi,  à  prêter  d'impertinentvs 
critiques.  Le  roi  lui-même,  cette  première  fois  qu'il  entend 
le  chef-d'œuvre,  n'ouvre  pas  la  bouche,  marquant  par  ce 
mutisme   sa  désapprobation,  son   ennui.   Ce  fut   seulement 

I.  Voyez  la  Critique  de  V Ecole  des  Femmes,  scène  vi,  p.  353-355 
du  tome  III. 

a.  Gazettt  du  20  septembre  1673. 


422  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

lorsqu'il  revit  la  pièce  à  Saint-Cloud,  chez  Monsieur,  qu'il 
la  déclara  très  bonne'. 

Dans  ce  récit,  de  toute  façon  peu  vraisemblable,  la  moin- 
dre attention  relève  des  erreurs,  qui  suffiraient  pour  mettre 
tout  d'abord  en  défiance  de  la  sûreté  des  informations  du 
biographe.  Il  ne  nomme  pas  Versailles,  mais  seulement 
Saint-Gloud,  où  il  dit  que  la  seconde  représentation  fut 
donnée  devant  le  roi.  La  vérité  est  que /<?.y  Femmes  savantes, 
avant  de  paraître  à  Versailles  en  septembre,  avaient  été 
jouées  le  ii  août  en  visite  à  Saint-Cloud-,  non  sans  doute  en 
présence  du  roi  :  aurait-on  voulu  qu'il  les  vît  pour  la  pre- 
mière fois,  non  dans  un  de  ses  palais,  mais  chez  Monsieur? 
On  aurait  mal  choisi  d'ailleurs,  pour  lui  faire  connaître 
cette  comédie,  la  représentation  du  1 1  août,  si  Molière  ne 
put  y  venir  faire  son  rôle  de  Chrysale,  comme  il  est  assez 
probable,  le  Registre  de  La  Grange  ayant  noté^  que  le  1 1 
et  le  12  il  fut  assez  indisposé  pour  que  le  Palais-Royal  fît 
relâche.  Nous  conjecturons  que  la  représentation,  mal 
accueillie,  au  dire  de  Grimarest,  était,  dans  sa  pensée,  celle 
du  i^  septembre  à  Versailles.  Or,  au  témoignage  plus 
croyable  de  la  Gazette,  la  pièce,  «  une  des  plus  agréables,.., 
fut  admirée  d'un  chacun  ».  Si  Louis  XIV  en  eut  le  spectacle 
à  Saint-Cloud,  ce  ne  put  être  que  plus  tard,  dans  une  repré- 
sentation, qui  y  aurait  été  donnée  pour  la  seconde  fois. 
Toutefois  le  Registre  n'a  marqué  chez  Monsieur  que  celle 
du  II  août.  Mais  il  faut  dire  que  l'on  n'y  trouve  pas  non 
plus  celle  de  septembre  à  Versailles,  si  bien  attestée.  Expli- 
quer l'étrange  omission  par  un  faible  succès,  qui  aurait 
affligé  Molière  et  sa  troupe,  serait  bien  hasardé.  Elle  ne 
nous  paraît  pas  assez  embarrassante  pour  que  le  plus  sage 
ne  soit  pas  de  croire,  dans  la  représentation  de  Versailles, 
à  4'admiration  de  toute  la  cour,  dont  la  Gazette  n'aurait  pas 
parlé,  si  elle  avait  douté  d'y  être  autorisée. 

A  la  fin  de  cette  année  16^2,  au  cours  de  laquelle  le 
génie  de  Molière  avait  jeté  un  si  vif  éclat,  les  inquiétudes 

1.  La  Fie  de  M.  de  Molière,  p.   270-272. 

2.  Registre  de  La  Grange,  p.    i34. 

3.  Ibidem. 


SUR  MOLIERE.      "  428 

que  sa  santé  donnait  étaient  devenues  de  plus  en  plus 
sérieuses.  Dans  l'état  de  soufiVance  contre  lequel  son  cou- 
rage luttait,  il  reçut  une  nouvelle  blessure,  et  l'on  ne  doute 
pas  qu'il  ne  l'ait  sentie  cruellement.  Son  fils,  Pierre-Jean- 
Baptiste-Armand,  né  le  i5  septembre  1672*,  lui  fut  enlevé 
le  II  octobre,  âgé  de  moins  d'un  mois.  Le  bas  âge  ne  rend 
pas  un  père  insensible  à  la  perte  de  son  enfant  ;  et  quand 
cet  enfant  est  un  fils,  il  trompe,  en  disparaissant,  la  chère 
espérance  du  nom  qu'il  aurait  fait  vivre.  Il  ne  restait  plus  à 
Molière  que  sa  fille,  Esprit-Madeleine. 

Il  avait  déjà  vu  mourir  en  1664  son  premier  fils,  le  filleul 
du  roi,  qui  n'avait  vécu  que  neuf  mois.  Quelle  était  chez  lui 
la  vivacité  du  sentiment  paternel,  il  l'avait  bien  montré  dans 
le  sonnet  touchant^  qu'il  avait,  en  cette  même  année  1664, 
adressé  à  son  ami  la  Mothe  le  Vayer  qui  venait  de  perdre 
son  fils  ;  c'était  environ  cinq  semaines  avant  que  lui-même 
eût  besoin,  à  son  tour,  d'une  semblable  condoléance.  Il 
engageait  le  Vayer  à  pleurer  sans  contrainte  : 

La  sagesse,  crois-moi,  peut  pleurei-  elle-même. 

Dans  quelques  lignes,  qui  suivent  le  sonnet,  il  accuse  son 
peu  d'éloquence  s'il  n'a  pu  persuader,  «  ce  qu'il  sait  si 
bienfaire^  «.  Très  probablement,  à  ce  moment-là,  le  premier 
fils  de  Molière  lui  laissait  déjà  peu  d'espoir  de  le  conser- 
ver, et,  dans  la  prévoyance  du  coup  qui  allait  le  frapper 
quelques  semaines  après,  il  pleurait,  comme  le  père  de 
Psyché,  sur 

.   .   .  ces  fatalités  sévères 

Qui  nous  enlèvent  pour  jamais 

Les  personnes  qui  nous  sont  chères. 

Si  nous  trouvons  dans  la  lettre  à  le  Vayer,   ces  indices, 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  35^  et  note  2  de  la  même  page.  —  Oa 
n'a  plus  l'acte  de  décès  de  cet  enfant.  Beffara  {Dissertation  sur 
Molière,  p.  i6)  dit  qu'il  fut  inhumé  à  Saint-Eustache  le  12  octobre 
1672,  en  présence  de  Boudet  et  d'Aid^ry,  ses  oncles. 

2.  Il  en  a  mis  huit  vers,  avec  un  léger  changement,  dans  la 
bouche  du  Roi,  père  de  Psyché,  à  la  scène  i  de  l'acte  II. 

3.  Voyez  au  tome  IX,  p.  577-580. 


424  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

qui  ne  sauraient  guère  tromper,  de  l'affliction  de  notre  poète 
en  i66', ,  on  doit  penser  que,  moins  jeune  en  1672,  de  plus 
en  plus  valétudinaire,  et  se  sentant  peu  d'années  à  vivre, 
il  fut  encore  plus  profondément  touché. 

Quand  il  eut  à  pleurer  le  second  de  ses  fils,  il  ne  demeu- 
rait plus  à  Paris,  dans  la  rue  Saint-Thomas  du  Louvre;  il 
s'était  établi  avec  sa  femme  dans  la  maison  de  la  rue  de  Ri- 
chelieu, où  il  tarda  peu  à  mourir.  L'acte  de  baptême  de 
Jean-Baptiste-Armand  donne  même  déjà  le  domicile  de  ses 
parents  dans  cette  maison  que  leur  avait  louée,  le  26  juillet, 
René  Baudelet,  par  un  bail,  fixant  l'entrée  en  possession 
à  la  Saint-Remy  (i"  octobre).  M.  Auguste  Vitu,  dans  son 
savant  livre  intitulé  la  Maison  mortuaire  de  Molière^,  pense 
que  le  domicile,  indiqué  sur  l'acte  de  baptême,  n'était  vrai 
qu'en  droit,  et  que  Molière  n'était  entré  que  le  ^  octobre 
dans  sa  nouvelle  demeure*.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'est  pas 
douteux  que  la  maison  où  il  mourut  quatre  mois  après  son 
fils  était  celle  où  il  l'avait  pleuré.  La  perte  de  cet  enfant 
était  bien  faite  pour  aggraver  le  mal  auquel,  depuis  long- 
temps d'ailleurs,  il  était  en  proie.  D'autres  chagrins  et 
des  fatigues  excessives  n'avaient  pu  lui  laisser  le  repos  qui 

1.  Un  volume  in-8°,  Paris,  A.  Lemerre,  i883. 

2.  Page  82.  — Soulié,  sans  doute  d'après  le  bail  Baudelet,  le- 
quel porte  que  Molière  et  sa  femme  demeuraient,  à  la  date  du 
26  juillet,  rue  Saint-Honoré,  paroisse  Saint-Eustache,  dit  (p.  77 
des  Recherches...)  qu'ils  étaient  allés  loger  là  provisoirement,  en 
quittant  la  rue  Saint-Thomas  du  Louvre.  M.  Loiseleur  (p.  894 
des  Points  obscurs...)  croit  à  une  erreur  dans  la  rédaction  du 
bail,  qiu,  du  reste,  en  renferme  une  évidente  un  peu  plus  haut. 
Il  fait  remarquer  qu'eu  tout  cas,  si  Molière,  eu  1672,  a  demeuré 
quelque  temps  rue  Saint-Honoré,  ce  ne  peut  avoir  été  que  six 
mois  au  plus.  Il  aurait  pu  ajouter  que  lorsqu'on  n'admet  pas 
que  Molière  ait  passé  directement  de  la  maison  de  la  rue  Saint- 
Thomas  du  Louvre  dans  celle  de  la  rue  de  Richelieu,  il  est  diffi- 
cile d'expliquer  la  quittance  qui  lui  a  été  donnée  par  la  proprié- 
taire de  la  première,  le  6  octobre  i6ja,  d'une  somme  de  sept  cent 
soixante-quinze  livres  pour  reste  dû  de  son  loyer  (Recherches..., 
p.  îBS.  Document  XLV,  cote  dix  de  l'inventaire  fait  après  le 
décès  de  Molière).  La  question,  au  surplus,  ne  nous  paraît  pas 
avoir  ici  d'importance. 


SUR   MOLIERE.  ',2$ 

eût  été  pour  sa  poitrine  malade  la  plus  efficace  des  méde- 
cines, et  que  la  retraite  d'Autcuil  n'avait  pas  elle-même  suffi  à 
lui  assurer. 

La  naissance  de  son  fils  au  mois  de  septembre  1672  a  été 
citée  comme  l'indice  d'un  rapprochement  avec  Mlle  Molière, 
indiqué  par  Grimarest,  qui  en  recule  un  peu  trop  la  date. 
Il  n'était  probablement  qu'une  trêve  ;  mais,  quand  on  le 
supposerait  complet  et  solide,  il  venait  trop  tard  pour 
cicatriser  la  plaie  faite  à  un  cœur  torturé  par  des  années  de 
désunion.  L'incessant  travail  était  une  distraction  à  ses 
peines,  mais,  en  même  temps,  un  poids  trop  accablant.  Que 
l'on  songe  à  tant  d'oeuvres,  dont  la  production  fut  con- 
tinuelle, depuis  l'établissement  de  la  troupe  à  Paris,  à  sa 
dépense  de  forces,  comme  acteur,  quand  sa  voix  avait  un 
tel  besoin  d'être  ménagée,  enfin  à  ses  mille  soins  et  tracas 
de  directeur  de  théâtre. 

Ce  dernier  fardeau  était  sans  doute  le  moindre  de  ceux 
sous  lesquels  il  succombait  ;  mais,  s'ajoutant  aux  autres,  il 
devait  se  faire  sentir.  Quelque  attachement  et  respect  que 
ses  camarades  eussent  pour  lui,  des  comédiens  ne  sont  pas 
faciles  à  conduire.  Nous  avons  entendu  Chapelle  le  plaindre 
en  1659  des  embai'ras  de  ce  gouvernement,  et  lui-même  en 
dire  quelque  chose,  tout  en  plaisantant,  dans  son  Impro/nptu 
de  Versailles.  Souvent  aussi  il  put  trouver  que  non  seule- 
ment les  acteurs,  mais  les  spectateurs,  étaient  à'e'trangcs 
animaux.  Le  public  qui  fréquentait  les  théâtres  prenait  alors 
des  libertés  très  gênantes.  Nous  avons  fait  remarquer  dans  la 
première  scène  des  Fâcheux  une  vive  peinture  des  hommes  à 
grands  canons  qui,  faisant  leur  entrée  la  pièce  commencée, 
troublaient  la  représentation,  plantaient  leurs  chaises  devant 
les  acteurs  qu'ils  cachaient.  Avec  la  multitude  moins  privilé- 
giée, c'étaient  de  bien  autres  affaires.  Des  valets  de  chambre 
et  laquais  prétendaient  entrer  à  la  comédie  sans  payer,  et, 
l'épée  à  la  main,  ils  attaquaient  les  portiers,  qui  plus  d'une 
fois  furent  blessés.  Il  y  eut  un  de  ces  tumultes  à  la  porte  du 
Palais-Royal  en  février  1662,  un  jour  qui  était  celui  des  co- 
médiens italiens.  Dans  la  plainte  que  ceux-ci  adressèrent  au 
commissaire  au  Châtelet,  Molière  et  du  Croisy  intervinrent; 
car  c'était  le  feu  chez  le  voisin.  Le  dimanche  16  octobre  1672, 


4a6  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

jour  où  l'on  joua  la  Comtesse  d' Escarbagnas  et  l'Amour  méde- 
cin, des  gens  de  livrée,  parmi  lesquels  on  reconnut  des  pages 
du  maréchal  de  Gramont,  donnèrent  des  coups  de  bâton  à  un 
spectateur,  homme  d'épée,  jetèrent  des  pierres  aux  acteurs, 
et,  dans  un  moment  où  Molière  était  en  scène,  le  gros  bout 
d'une  pipe  à  fumer*.  Ce  fut  deux  jours  avant  de  perdre  son 
fils  que  Molière  eut  sa  part  de  ces  insolents  outrages. 

Malgré  tout,  il  aima  toujours  le  théâtre,  et  aussi,  jusqu'à 
la  dernière  heure,  on  peut  le  dire  à  la  lettre,  la  troupe  dont 
il  avait  fait  la  célébrité  et  la  foi'tune.  Nous  voici  arrivé  au 
moment  où  son  dévouement  pour  elle,  en  même  temps  que 
pour  son  art,  abrégea  très  probablement  une  vie  depuis 
longtemps  menacée  et  chargée  de  tant  de  labeurs.  Lors- 
qu  il  fut  trahi  par  les  forces  de  son  corps,  ce  fut  du  moins 
en  pleine  possession  de  son  infatigable  et  admirable  esprit. 

Nous  avons  parlé  de  l'étonnant  mélange  de  gaieté  et  de 
mélancolie  qu'on  ne  peut  méconnaître  dans  cet  esprit.  On 
en  est  frappé  dans  sa  dernière  comédie,  aussi  abondante  en 
traits  plaisants  que  celles  où  il  en  avait  semé  le  plus,  et  qui 
cependant  de  cette  source  de  joyeusetés  laisse  sortir  quel- 
que chose  d'amer,  de  sorte  qu'elle  ne  resterait  pas  sans  tris- 
tesse, même  s'il  était  possible  d'oublier  le  souvenir  lugubre 
qu'y  a  pour  toujours  attaché  l'agonie  du  grand  poète,  com- 
mencée en  la  jouant. 

Pour  que  la  maladie,  avec  ses  misères  de  mauvaise  odeur 
étalées  sur  la  scène,  avec  son  vilain  cortège  de  menaçants 
docteurs  et  d'apothicaires,  avec  ses  notaires  appelés  pour 
recueillir  les  dernières  volontés,  puisse  être  un  sujet  de 
comédie,  il  faut  qu'elle  soit  imaginaire,  ce  que  Regnard  a 
trop  oublié  dans  son  Légataire  universel.  Molière  avait  com- 
pris qu'à  cette  condition  seulement  rien  ne  gênerait  le  rire 
devant  la  chaise  où  la  peur  du  mal  livre  Argan  à  toutes 
les  drogues  de  la  Faculté.  Et  cependant  voici  le  côté  très 
attristant  que  tant  de  scènes  amusantes  n'ont  qu'à  demi 
voilé.  L'auteur  qui  s'égayait  avec  cette  belle  humeur  sur 
l'homme  de  forte  santé  tremblant  devant  les  Purgon  et  les 

I.  Voyez  les  Documents  inédils  sur  J.-B.  Poquelin  Molière^  dé- 
couverts et  publiés  par  Emile  Campardon  (1871),  p.  9-47- 


SUR   MOLIERE.  427 

Fleurant,  était  un  trop  vrai  malade;  et  il  ne  l'a  pas  laissé 
ignorer  dans  sa  pièce,  que,  d'ailleurs,  il  n'eût  pas  écrite  s'il 
n'avait  été  préoccupé  de  son  mal.  Visiblement  il  jetait  là  un 
déil  à  ce  mal,  en  raillant  ceux  qui,  n'osant  pas  regarder  en 
face  l'épouvantail,  comptent  les  battements  de  leur  pouls, 
un  défi  surtout  aux  médicastres,  à  qui  il  fait  savoir  qu'il  veut 
mourir  sans  appeler  leur  secours.  Cette  révolte  contre  eux 
était  si  bien  sa  pensée,  qu'en  se  nommant  lui-même,  il  la 
leur  déclare  par  la  bouche  de  Béralde;  et  lorsque  Argan 
souhaite  que  la  médecine  abandonne  cet  impertinent  Mo- 
lière, en  lui  criant  :  Crève  !  crève!  le  même  Béralde  répond 
à  son  frère  qu'il  faut  laisser  recourir  aux  remèdes  les  gens 
robustes  qui  ont  des  forces  de  reste  pour  les  porter,  «  mais 
que  pour  lui  il  n'en  a  justement  assez  que  pour  porter  son 
mal*  ».  N'est-ce  pas  surtout  dans  cette  scène  que  le  mélan- 
colique se  laisse  voir  près  du  rieur,  et  communique  aux 
spectateurs,  avec  beaucoup  de  sa  gaieté,  beaucoup  de  sa 
tristesse?  Ils  sont  avertis  que,  pour  les  amuser  encore  une 
fois,  il  a  recueilli  ce  qu'il  a  encore  de  vie,  et  que  la  joyeuse 
Muse,  chancelant  sur  son  brodequin,  leur  fait  un  dernier 
adieu.  C'était  l'homme  accablé  de  souffrance  qui  lui-même 
parlait  dans  la  plainte  de  la  bergère  à  la  fin  d'un  des  pro- 
logues de  la  pièce  : 

Votre  plus  haut  savoir  n'est  que  pure  chimère, 

Vains  et  peu  sages  médecins  ; 
Vous  ne  pouvez  guérir  par  vos  grands  mots  latins 

La  douleur  qui  me  désespère-. 

Malgré  ce  cri  douloureux  et  parmi  les  pressentiments  de 
sa  fin,  quelle  verve  comique  dans  tant  de  scènes  de  sa  pièce, 
dans  celles  des  deux  Diafoirus  et  des  malédictions  de  Pur- 
gon,  et  dans  la  cérémonie  boufTonne,  cette  satire  gaiement 
burlesque,  si  pleine  de  traits  de  vérité  au  milieu  de  la 
caricature!  Et  que  de  grâce,  quelle  connaissance  charmante 
de  la  gentille  enfance  dans  le  personnage  de  la  petite  Loui- 
son  !  Comme  on  admire  une  fleur  si  fraîche  sortie  de  cette 
âme  blessée  à  mort  ! 

1.  Acte  III,  scène  m,  tome  IX,  p.  4o3. 

2.  Tome  IX,  p.  272  et  2^3. 


428  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Le  Malade  imaginaire,  avec  ses  entrées  de  ballet,  ses  in- 
termèdes, sa  musique,  était  destiné  à  une  des  fêtes  de  la 
cour.  Pourquoi  Molière  renonça-t-il  à  le  faire  représenter 
devant  le  roi  ?  La  très  vraisemblable  explication  est  sa  rup- 
ture avec  Lulli,  depuis  que  le  Florentin  avait  obtenu,  au 
mois  de  mars  1672,  des  lettres  patentes  donnant  à  son  Aca- 
démie royale  de  musique  un  exorbitant  privilège.  Dès  le 
29  mars  les  comédiens  du  Palais-Royal  avaient  fait  opposi- 
tion à  la  vérification  de  ces  lettres  qui  interdisaient  aux 
autres  théâtres  les  ballets  et  la  musique.  Le  mois  suivant, 
une  ordonnance  leur  permit  six  chanteurs  et  douze  violons  : 
rien  de  plus.  Justement  irrité,  Molière  ne  voulut  plus  que 
Lulli  eût  quelque  part  dans  ses  ouvrages.  Nous  avons  déjà 
dit  que,  lorsqu'au  mois  de  juillet  1672  il  fit  représenter  au 
Palais-Royal  la  Comtesse  d' Escarbagnas,  il  avait  remplacé  la 
musique  de  Lulli  par  celle  de  Charpentier ^  Il  confia  au 
même  compositeur  la  musique  du  Malade  imaginaire.  Lulli 
fit  valoir  son  privilège  pour  obliger  Charpentier  à  mutiler 
son  travail,  dans  lequel  il  n'avait  pas  assez  tenu  compte  des 
défenses.  Dès  lors  Molière  ne  pouvait  plus  songer  à  faire 
jouer  sa  comédie  dans  un  des  divertissements  des  palais  du 
roi,  soit  qu'il  ne  la  jugeât  plus  en  état  d'y  paraître  digne- 
ment, soit  que  Lulli,  abusant  de  sa  faveur,  ait  empêché 
qu'elle  n'y  fût  admise  avec  une  musique  qui  n'était  pas  de 
lui.  Sans  trouver  sur  ce  point  de  suffisants  éclaircisse- 
ments, il  nous  paraît  peu  douteux  que  Molière  se  sentit  sa- 
crifié au  trop  favorisé  Baptiste,  et,  pour  la  première  fois,  plus 
froidement  protégé  que  lui  par  Louis  XIV.  Ce  dut  lui  être 
une  peine  encore  plus  sensible  alors,  au  milieu  d'autres 
souffrances  morales  et  dans  l'accablement  de  la  maladie. 
Grimarest  rapporte  de  lui  des  paroles  bien  significatives, 
certainement  écrites  sous  la  dictée  de  Baron,  qui  les  avait 
entendues.  Elles  furent  prononcées  en  sa  présence,  dit  le 
biographe,  en  la  présence  aussi  de  sa  femme  qu'il  avait  appe- 
lée, le  jour  où  l'on  avait  donné  la  troisième  (il  devait  dire 
la  quatrième)  représentation  du  Malade  imaginaire  :  «  Tant 
que  ma  vie  a  été  mêlée  également  de  douleur  et  de  plaisir, 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  417* 


SUR   MOLIÈRE  ',29 

je  me  suis  cru  heureux;  mais  aujourd'hui  que  je  suis  accablé 
de  peines  sans  pouvoir  compter  sur  aucuns  moments  de  sa- 
tisfaction et  de  douceur,  je  vois  bien  qu'il  me  faut  quitter 
la  partie;  je  ne  puis  plus  tenir  contre  les  douleurs  et  les  dé- 
plaisirs, qui  ne  me  donnent  ])as  un  instant  de  relâche.  Mais, 
ajouta-t-il  en  réfléchissant,  qu'un  homme  souffre  avant  de 
mourir  !  Cependant  je  sens  bien  que  je  finis  *.  » 

La  pièce  avait  été  représentée  au  Palais-Royal  le  vendredi 
10  février  i6-3.  pour  la  première  fois,  puis  le  dimanche  12 
et  le  mardi  i^.  Ce  fut  avant  la  représentation  suivante,  don- 
née le  vendredi  i^,  que  le  poète  s'épancha  dans  ces  plaintes 
sur  les  souffrances  de  son  âme  et  de  son  corps.  Sa  femme  et 
Baron,  vivement  touchés  et  inquiets,  le  supplièrent  avec 
larmes  de  ne  pas  jouer  ce  jour-là,  et  de  se  remettre  par  quel- 
que temps  de  repos.  Il  ne  faut  retrancher  aucune  des  paroles 
de  sa  réponse.  Elles  n'avaient  pu  manquer  de  se  graver  dans 
le  souvenir  du  témoin  qui  les  a  répétées  à  Grimarest.  Pleines 
d'une  sollicitude  charitable,  qui  même  pouvait  paraître  exa- 
gérée, elles  font  descendre  jusqu'à  nous  comme  un  dernier 
rayon  de  l'âme  de  Molière,  et  son  caractère  en  est  éclairé 
d'un  très  beau  jour  :  «  Comment  voulez-vous  que  je  fasse?  Il 
y  a  cinquante  pauvres  ouvriers  qui  n'ont  que  leur  journée 
pour  vivre  :  que  feront-ils  si  l'on  ne  joue  pas?  Je  me  repro- 
cherois  d'avoir  négligé  de  leur  donner  du  pain  un  seul  jour, 
le  pouvant  faire  absolument*.  » 

La  Grange,  avec  une  simplicité,  dont  on  ne  doit  pas 
reprocher  l'excès  à  un  registre  de  recettes,  se  contente  de 
dire  :  «  Ce  même  jour,  après  la  comédie,  sur  les  dix  heures 
du  soir.  Monsieur  de  Molière  mourut  dans  sa  maison,  rue  de 
Richelieu,  ayant  joué  le  rôle  dudit  Malade  imaginaire,  fort 
incommodé  d'un  rhume  et  fluxion  sur  la  poitrine  qui  lui 
causoit  une  grande  toux,  de  sorte  que  dans  les  grands  efforts 
qu'il  fit  pour  cracher,  il  se  rompit  une  veine  dans  le  corps, 
et  ne  vécut  pas  demi-heure  ou  trois  quarts  d'heure  depuis 
ladite  veine  rompue^.  » 

1.  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.   284  et  285. 

2.  Ibidem,  p.  386. 

3.  Registre  de  La  Grange,  p.  140. 


43o  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Pour  les  émouvants  détails,  c'est  Grimarest  encore  que 
tous  les  biographes  ont  nécessairement  à  citer.  Son  récit  est 
naïf,  et  quelques-uns  peut-être  le  trouveront,  par  endroits, 
un  peu  trop  réaliste,  comme  on  dirait  aujourd'hui.  Il  touche 
davantage,  cependant,  par  cette  vérité  sans  apprêt  qui  ne 
laisse  pas  désirer  plus  de  goût  et  d'élégance  : 

«  Molière  représenta  avec  beaucoup  de  difficulté;  et  la 
moitié  des  spectateurs  s'aperçurent  qu'en  prononçant  Juro, 
dans  la  cérémonie  du  Malade  imaginaire,  il  lui  prit  une 
convulsion.  Ayant  remarqué  lui-même  que  l'on  s'en  étoit 
aperçu,  il  se  fit  un  effort,  et  cacha  par  un  ris  forcé  ce  qui 
venoit  de  lui  arriver. 

«  Quand  la  pièce  fut  finie,  il  prit  sa  robe  de  chambre  et 
fut  dans  la  loge  de  Baron,  et  il  lui  demanda  ce  que  l'on  pen- 
soit  de  sa  pièce.  M.  le  Baron  lui  répondit  que  ses  ouvrages 
avoient  toujours  une  heureuse  réussite  à  les  examiner  de 
près,  et  que  plus  on  les  représentoit,  plus  on  les  goùtoit. 
K  Mais,  ajouta-t-il,  vous  me  paroissez  plus  mal  que  tantôt. 
«  —  Cela  est  vrai,  lui  répondit  Molière,  j'ai  un  froid  qui  me 
«  tue.  »  Baron,  après  lui  avoir  touché  les  mains,  qu'il  trouva 
glacées,  les  lui  mit  dans  son  manchon  pour  les  réchauffer; 
il  envo3'a  chercher  ses  porteurs  pour  le  porter  pi'omptement 
chez  lui,  et  il  ne  quitta  point  sa  chaise,  de  peur  qu'il  ne  lui 
arrivât  quelque  accident  du  Palais-Royal  dans  la  rue  de 
Richelieu,  oii  il  logeoit.  Quand  il  fut  dans  sa  chambre. 
Baron  voulut  lui  faire  prendre  du  bouillon,  dont  la  Molière 
avoit  toujours  provision  pour  elle  ;  car  on  ne  pouvoit  avoir 
plus  de  soin  de  sa  personne  qu'elle  en  avoit.  «  Eh!  non, 
«  dit-il,  les  bouillons  de  ma  femme  sont  de  vraie  eau-forte 
«  pour  moi;  vous  savez  tous  les  ingrédients  qu'elle  y  fait 
«  mettre.  Donnez-moi  plutôt  un  petit  morceau  de  fromage 
«  de  Parmesan'.  »  La  Forest  lui  en  apporta;  il  en  mangea 
avec  un  peu  de  pain,  et  il  se  fit  mettre  au  lit.  Il  n'y  eut  pas 
été  un  moment  qu'il  envoya  demander  à  sa  femme  un  oreiller 

I.  Etrange  restaurant  pour  un  moribond!  Si  c'était  un  mo- 
ment où  l'on  pût  faire  des  remarques  comiques,  on  penserait  au 
morceau  de  fromage  que  le  Médecin  malgré  lui  ordonne  de  faire 
prendre  à  la  paysanne  Parette. 


SUR   MOLIERE.  43i 

rempli  d'une  drogue  qu'elle  lui  avoit  promis  pour  dormir. 
«  Tout  ce  qui  n'entre  point  dans  le  corps,  dit-il,  je  l'éprouve 
«  volontiers;  mais  les  remèdes  qu'il  faut  prendre,  me  font 
«  peur;  il  ne  faut  rien  pour  me  faire  perdre  ce  qui  me  reste 
«  de  vie.  »  Un  instant  après,  il  lui  prit  une  toux  extrême- 
ment forte,  et,  après  avoir  craché,  il  demanda  de  la  lumière. 
«  Voici,  dit-il,  du  changement.  »  Baron,  ayant  vu  le  sang 
qu'il  venoit  de  rendre,  s'écria  avec  frayeur.  «  Ne  vous  épou- 
«  vantez  point,  lui  dit  Molière,  vous  m'en  avez  vu  rendre 
«  bien  davantage.  Cependant,  ajouta-t-il,  allez  dire  à  ma 
«  femme  qu'elle  monte.  »  Il  resta  assisté  de  deux  Sœurs 
Religieuses,  de  celles  qui  viennent  ordinairement  à  Paris 
quêter  pendant  le  Carême,  et  auxquelles  il  donnoit  l'hospita- 
lité. Elles  lui  donnèrent  à  ce  dernier  moment  de  sa  vie  tout 
le  secours  édifiant  que  l'on  pouvoit  attendre  de  leur  charité, 
et  il  leur  fit  paroître  tous  les  sentiments  d'un  bon  chrétien 
et  toute  la  résignation  qu'il  devoit  à  la  volonté  du  Seigneur. 
Enfin  il  rendit  l'esprit  entre  les  bras  de  ces  deux  bonnes 
Sœurs;  le  sang,  qui  sortoit  par  sa  bouche  en  abondance, 
l'étoufTa.  Ainsi,  quand  sa  femme  et  Baron  remontèrent,  ils  le 
trouvèrent  mort'.  ?> 

Le  seul  reproche  à  faire  ici  à  Grimarest,  c'est  de  s'être 
contenté  de  parler  des  sentiments  chrétiens  manifestés  par 
Molière,  en  passant  sous  silence  quelques  circonstances,  suf- 
fisamment attestées,  qui  ne  sont  pas  d'un  médioci'e  intérêt. 
Mlle  Molière,  dans  la  Requête  qu'elle  adressa,  comme  nous  le 
dirons  tout  à  l'heure,  à  l'archevêque  de  Paris,  va  nous  les 
faire  connaître.  Le  mourant,  dit-elle,  voulant  «  témoigner 
des  marques  de  repentir  de  ses  fautes  et  mourir  en  bon  chré- 
tien..., avec  instances  demanda  un  prêtre  pour  recevoir 
les  sacrements,  et  envoya  par  plusieurs  fois  son  valet  et 
[sa]  servante  à  Saint-Eustachc,  sa  paroisse,  lesquels  s'adres- 
sèrent à  Messieurs  Lonfant  et  Lechat,  deux  prêtres  habitués 
en  ladite  paroisse,  qui  refusèrent  plusieurs  fois  de  venir;  ce 
qui  obligea  le   sieur  Jean  Aubry^  d'y  aller  lui-même  pour 

1.  La  Vie  de  M.  de  Mollùre^  p.  287-292. 

2.  Le  fils  de  Léonard  Aubry,  cet  ami  dont  nous  avons  parlé 
plusieurs  fois  dans  cette  biographie.  Jean  Aubry,  qui  fut,  comme 


432  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

en  faire  venir,  et  de  fait  fit  lever  le  nommé  Paysant,  aussi 
prêtre  habitué  audit  lieu  ;  et  toutes  ces  allées  et  venues 
tardèrent  plus  d'une  heure  et  demie,  pendant  lequel  temps 
ledit  Molière  décéda,  et  ledit  Paysant  arriva  comme  il  venoit 
d'expirer.  »  Comment  les  démarches  tentées  à  Saint-Eustache, 
la  mauvaise  volonté  qu'elles  y  trouvèrent,  seraient-elles 
de  fausses  allégations  ?  Il  était  facile  à  l'archevêque  d'en 
contrôler  l'exactitude.  11  ne  s'agit  pas  de  douter  si  Mo- 
lière, qui  demanda  instamment  à  faire  acte  de  croyant, 
l'avait  fait  avec  conviction  ou  par  bienséance.  Il  y  a  des 
secrets  entre  l'homme  et  Dieu  que  nul  n'a  le  droit  de 
chercher  à  pénétrer.  Il  est  trop  invraisemblable  que  Bossuet 
ait  pu  l'oublier.  C'est  sans  doute  parce  qu'il  savait  mal  les 
derniers  moments  de  Molière  qu'il  a  parlé  si  cruellement 
le  jour  où  sous  sa  main,  armée  de  toutes  ses  foudres  contre 
le  théâtre,  se  sont  trouvés  l'illustre  comédien  et  sa  fin  si 
digne  d'être  jugée  avec  charité.  Après  avoir  condamné  avec 
une  rigueur  excessive  la  morale  des  comédies  de  Molière, 
le  terrible  prélat  ajoute  :  «  La  postérité  saura  peut-être  la 
fin  de  ce  poète  comédien,  qui  en  jouant  son  Malade  imagi' 
nuire  ou  son  Médecin  par  force,  reçut  la  dernière  atteinte 
de  la  maladie  dont  il  mourut  peu  d'heures  après,  et  passa 
des  plaisanteries  du  théâtre,  parmi  lesquelles  il  rendit 
presque  le  dernier  soupir,  au  tribunal  de  celui  qui  dit  : 
Malheur  à  vous  qui  riez,  car  vous  pleurerez!^  » 

Le  sens  de  ces  paroles  ne  saurait  être  que  le  rieur  mis  en 
cause,  sans  la  moindre  mention  des  intentions  témoignées 
par  lui,  fût  nécessairement  un  réprouvé.  Bossuet  savait  trop 
bien  qu'au  chapitre  de  l'Evangile*  cité  par  lui,  il  est  écrit 
aussi  :  «  Ne  jugez  pas,  et  vous  ne  serez  pas  jugés  ;  ne  con- 
damnez pas,  et  vous  ne  serez  pas  condamnés  »;   et  qu'il 

son  père,  très  allaché  à  Molière,  avait  épousé  l'aunée  précédente 
Geneviève  Béjart,  veuve  de  Léonard  de  Loméuie. 

1.  Maximes  et  Réflexions  sur  la  Comédie,  chapitre  v,  p.  19  de 
l'édition  de  1694  (un  volume  ia-12,  chez  Jean  Anisson). 

2.  Saint  Luc,  chapitre  vi.  —  L'application  que  fait  Bossuet  du 
verset  aS,  nous  paraît  fort  détournée  du  sens  de  la  belle  oppo- 
sition au  verset  ai  :  «  Bienheureux  vous  qui  maintenant  pleu- 
rez. » 


SUR   MOLIERE.  433 

n'appartient,  fut-ce  au  plus  grand  et  plus  saint  docteur,  que 
d'avertir  de  ce  qui  perd  et  de  ce  qui  sauve,  sans  prétendre 
lire  les  noms  des  condamnés  dans  le  livre,  fermé  à  nos 
regards,  où  le  monde  est  jugé.  Il  a  donc  voulu  seulement 
montrer  énergiquement  combien  est  dangereux  un  si  prompt 
passage  du  rire  à  la  dernière  heure.  Ses  éloquentes  paroles 
restent  toutefois  trop  menaçantes.  Il  eût  sans  doute  hésité 
à  les  prononcer,  si,  nous  le  répétons,  il  avait  été  mieux 
instruit  des  faits;  mais  il  n'en  avait  pas  recherché  une  con- 
naissance assez  exacte,  comme  suffirait  à  le  faire  croire, 
à  moins  qu'on  ne  suppose  l'intention  de  marquer  là  son 
dédain,  l'hésitation  sur  le  nom  de  la  pièce  que  le  poète 
jouait  quand  il  se  sentit  touché  par  la  main  de  la  mort. 
Une  inexactitude  moins  indifférente,  c'est  d'avoir  dit  :  «  peu 
d'heures  après  »,  donnant  ainsi  au  mourant  plus  de  temps 
qu'il  n'en  eut  pour  se  mettre  en  règle  avec  la  satisfaction 
exigée  par  l'Eglise.  D'après  les  témoignages,  la  mort  fut 
autrement  foudroyante.  La  Grange  nous  dit  qu'après  la 
veine  rompue,  Molière  «  ne  vécut  pas  demi-heure,  ou  trois 
quarts  d'heure  ".  La  Requête  de  sa  femme  à  l'archevêque 
de  Paris  ne  s'éloigne  guère  de  ce  compte  :  «  Ledit  sieur 
Molière  s'étant  trouvé  mal  de  la  maladie  dont  il  décéda 
environ  une  heure  après —  »  Ce  qui  méritait  avant  tout  de 
n'être  pas  ignoré,  il  n'eut  besoin  que  de  ce  peu  de  temps 
pour  exprimer  le  désir,  qui  eut  pour  témoins  deux  Reli- 
gieuses, de  faire  une  mort  chrétienne,  et  pour  demander  un 
prêtre,  dont  le  retard  ne  lui  est  pas  imputable. 

La  présence  des  deux  Sœurs,  qui  donnèrent  à  Molière  le 
secours  de  leurs  édifiantes  paroles,  n'est  pas  une  légende. 
Mlle  Molière  confirme  sur  ce  point  le  récit  de  Grimarest. 
Elle  dit  qu'elles  demeuraient  en  la  même  maison.  Grimarest 
nous  apprend  de  j)lus  que  c'était  à  Molière  qu'elles  étaient 
redevables  de  l'hospitalité.  On  ne  saurait  le  trouver  invrai- 
semblable. Elles  étaient  venues  à  Paris  pour  des  quêtes,  et 
Molière  était  connu  pour  aimer  et  pratiquer  lui-même  la 
charité.  Soulié,  remarquant  ce  fait  que  Catherine  Poquelin, 
sœur  consanguine  de  Molière,  était  au  couvent  des  Visitan- 
dines  de  Montargis,  et  qu'une  cousine  de  Marie  Cressé  avait 
pris  l'habit  chez  les  Bénédictines  de  la  même  ville,  a  supposé 
Molière,  x  28 


434  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

que  les  quêteuses  pouvaient  être  les  parentes  de  Molière,  ou 
des  dames  de  leur  couvent*.  M.  Loiseleur,  (jui,  pour  la  reli- 
gieuse de  la  Visitation,  objecte  la  règle  absolue  de  claustra- 
tion, dit  qu'il  a  été  établi  j^ar  des  documents  trouvés  à 
Annecy  que  des  religieuses  Clarisses  de  cette  ville  avaient 
plusieurs  fois  reçu  l'hospitalité  de  Molière*.  Il  importe  assez 
peu  d'ailleurs.  Visitandines,  Bénédictines,  ou  Clarisses,  deux 
servantes  de  Dieu  et  des  pauvres,  en  prières  près  du  lit  de 
mort  de  Molière  et  encourageant  sa  dernière  pensée,  celle 
qui  compte,  on  aimera  toujours  à  se  représenter  ce  tableau 
touchant,  ne  pouvant  douter  qu'il  ne  soit  vrai. 

Le  tableau  de  ses  funérailles  laisse  une  impression  très 
différente.  «  Mardy,  21  février  16^3,  sur  les  neuf  heures  du 
soir,  dit  un  témoin^,  l'on  a  fait  le  convoy  de  Jean-Baptiste- 
Pocquelin-Molière,  tapissier  valet  de  chambre^,  illustre  co- 
médien, sans  autre  pompe  sinon  de  trois  ecclésiastiques; 
quati'e  prestres  ont  porté  le  corps  dans  une  bière  de  bois, 
couverte  du  poelle  des  tapissiers^;  six  enfants  bleus  por- 

I.   Recherches  sur  Molicre,  p.  53  et  54- 
a.    Les  Points  obscurs...,  p.  341- 

3.  Dans  une  lettre  adressée  «  à  Monsieur  Boyviu,  prestre, 
docteur  en  théologie,  à  saint  Joseph  ».  Elle  a  été  publiée  par 
Benjamin  Fillon,  dans  ses  Considérations  historiques  et  artistiques 
sur  les  monnaies  de  France  (un  volume  in-8°,  Paris,  i85o),  p.  194. 
La  lettre  n'est  pas  signée,  mais  scellée  d'un  cachet.  Elle  a  tous 
les  caractères  de  l'authenticité. 

4.  L'auteur  de  la  lelti'e  n'osait-il  ajouter  :  «  du  Roi  »,  à  cause 
du  titre  de  comédien,  qui  suivait?  Cependant,  dans  l'acte  d'in- 
humation, Molière  est  qualifié  «  valet  de  chambre  ordinaire  du 
Roy  ».  Voyez  aux  Pièces  justificatives,  n°  XV. 

5.  Ce  poêle  a  choqué,  Molière  ayant  été  un  peu  moins  notoi- 
rement tapissier  que  comédien  remarquable,  hicu  mieux  encore, 
très  grand  poète.  Avec  plus  de  saug-froid  que  ceux  qui  ont  trop 
déclamé  à  ce  sujet,  M.  Jal  a  fait  observer  que,  les  comédiens, 
n'étant  pas  une  corporation,  n'avaient  point  de  poêle.  Il  n'a  pas 
eu  besoin  d'ajouter  que  le  poêle  des  hommes  de  génie  est  égale- 
ment inconnu.  Toutefois,  au  dix-septième  siècle,  les  savants,  ar- 
tistes et  écrivains  renommés  étaient  déjà  organisés  en  corps;  et, 
de  nos  jours,  aux  obsèques  des  membres  de  l'Institut,  leurs 
particuliers  insignes  ornent  les  cercueils.  Un  semblable  honneur, 


SUR   MOLIÈRE.  435 

tans  six  cierges  dans  six  chandeliers  d'argent;  plusieurs 
laquais  portans  des  flambeaux  de  cire  blanche  allumés.  >> 
On  avait  donc  toléré  un  peu  plus  d'honneurs  que  ne  pres- 
crivait, ainsi  que  nous  aurons  à  le  dire,  l'ordonnance  épi- 
scopale.  Si  l'on  différa  l'inhumation  jusqu'au  quatrième  jour 
après  la  mort,  ce  fut  sans  doute  à  cause  des  démarches  à 
faire  pour  obtenir,  comme  l'a  dit  Roileau*,  «  un  peu  de 
terre  par  prière  »  ;  il  entend  :  un  peu  de  terre  sainte. 

La  veuve  de  Molière  avait  demandé  que  le  défunt  fût 
inhumé  dans  le  cimetière  de  l'église  Saint-Eustache,  sa 
paroisse.  Le  refus  du  curé  d'en  accorder  la  permission 
est  constaté  dans  la  Requête  adressée  par  Mlle  Molière  à 
M.  de  Harlay^,  qui  était  supplié  d'accorder  «  par  grâce  spé- 

eût-il  été  d'usage  au  temps  de  Molière,  ne  lui  aurait  pas  été 
applicable,  sa  profession  de  comédien  fermant,  en  ce  temps-là, 
l'entrée  à  l'Académie  française.  En  1778,  il  fut  décidé  qu'on  lui 
décernerait  une  sorte  d'admission  posthume,  et  que  la  salle  des 
séances  serait  décorée  de  son  buste,  avec  celte  inscription  pro- 
posée par  Saurin  : 

Rien  ne  manque  à  sa  gloire,  il  manquait  à  la  nôtre. 

Plus  tôt  encore,  en  1769,  la  compagnie  avait  mis  son  éloge  au 
concours,  ce  qui  fut  déclaré  une  «  adoption  éclatante  »  par 
Chamfort,  auteur  du  discours  auquel  fut  donné  le  prix,  presque 
un  de  ces  discours  comme  on  en  adresse  à  un  récipiendaire. 

Pour  en  revenir  au  poêle  des  tapissiers,  malgré  toutes  les  justes 
explications,  il  offre  à  l'imagination  quelque  chose  d'assez  bizarre 
dans  l'enterrement  de  Molière.  Il  se  peut  qu'on  ait  eu  soin  de  ne 
pas  l'en  priver,  par  la  seule  raison  qu'il  fallait  surtout,  le  jour 
de  ses  funérailles,  le  faire  servir  à  cacher  le  comédien. 

1.  Épitrc  VII,  vers  19. 

2.  Voyez  aux  Pièces  justipcatlves^  n°  XVI,  cette  requête,  qui  fut, 
en  présence  de  Jean  Aubry,  signée  par  uu  notaire,  et  probable- 
ment rédigée  par  celui-ci,  sur  les  déclarations  faites,  au  nom  de 
la  veuve,  par  cet  ami  et  allié  de  3Iolière.  On  trouvera  à  la  suite 
de  la  requête  le  renvoi  ordonné  le  20  fé\Tier  par  l'archevêque  à 
son  officiai  pour  information  des  faits,  et  la  décision  rendue  par 
M.  de  Harlay  le  même  jour  du  20  février.  Ces  pièces  ont  été 
données  dans  le  Conservateur,  ou  Recueil  de  morceaux  inédits  d'his- 
toire...,   tirés    des    portefeuilles    de    N.   François    (de    Neufchâteau) 


436  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

ciale  »  la  sépulture  à  Saint-Eustache.  On  faisait  considérer 
que  Molière  avait  fait  appeler  un  confesseur  dont  l'arrivée 
avait  trop  tardé;  et  qu'à  Pâques  dernier  un  prêtre  habitué 
de  Saint-Germain  l'Auxerrois  lui  avait  administré  les  sacre- 
ments. M.  de  Harlay  renvoya  la  Requête  à  son  ofBcial  pour 
informer  des  faits. 

Ils  ne  pouvaient  manquer  d'être  reconnus  exacts.  Il  n'en 
fallait  pas  moins  la  grâce  spéciale  demandée.  Les  rituels  de 
cette  époque  étaient  positifs  sur  la  loi  sévère  portée  contre 
les  comédiens.  Celui  de  Paris,  publié  en  1646  par  Jean- 
François  de  Gondi*.  prescrivait,  au  chapitre  Du  Sacrement 
de  l'Eucharistie,  de  ne  pas  admettre  à  la  communion  «  les 
personnes  publiquement  indignes,  tels  que  sont  les  excom- 
muniés, interdits  et  manifestement  infâmes,  comme  pro- 
stituées, concubinaires,  usuriers,  sorciers*....  »  Dans  une 
nouvelle  édition  de  ce  rituel,  donnée  en  i654,  les  comédiens 
sont  expressément  nommés  entre  les  concubinaires  et  les 
usuriers.  L'édition  de  1646  ne  les  avait  pas  oubliés  au  cha- 
pitre de  la  Communion  des  Malades  :  «  H  faut  se  garder  de 
porter  le  viatique  aux  indignes,  tels  que  les  usuriers,  con- 
cubinaires, comédiens,  s'ils  ne  se  sont  d'abord  purifiés  par 
la  sainte  confession,  et  n'ont  donné  satisfaction  pour  leur 
offense  publique'  jj.  Le  titre  De  ceux  à  qui  il  n'est  pas  permis 
de  donner  la  se'pulture  ecclésiastique  dit  :  «  Qu'elle  soit  refu- 
sée aux  païens,  juifs  et  à  tous  les  infidèles,  hérétiques...  et 
à  ceux  contre  qui  est  prononcée  l'excommunication  ma- 
jeure..., aux  pécheurs  manifestes  et  publics,  qui  sont  morts 
sans  pénitence*.  »  Si  les  comédiens  ne  sont  pas,  cette  fois  en- 
core, nominativement  désignés,  il  est  assez  clair  qu'on 
ne  les  exceptait  pas.  Ainsi  l'entendait  l'archevêque  Louis- 
Antoine  de  Noailles,  dans  un  temps,  il  est  vrai,  où  l'Eglise 

(au  VIII),  tome  II,  p.  384-387-  Leur  publication  tardive  a  mis 
en  défiance  de  leur  authenticité.  C'est  trop  de  scepticisme. 

I.  Rltuale  Parisieiisc...  authoritatc  Illtist""  et  Jîeverend""...  Joannis 
Fiancisci  de  Gondr...  editum  (Parisiis,  M.DC.XLVI). 

3.  Page  108.  —  Dans  tous  les  passages  cités  des  Rituels^  nous 
donnons  une  traduction  littérale  du  texte  latin. 

3.  Page  ii3. 

4-   Page  a53. 


SUR   MOLIERE.  437 

de  Paris  faisait  aux  comédiens  une  application  plus  rigou- 
reuse des  sévérités  de  l'Eglise.  Le  rituel,  publié  par  ce  pré- 
lat en  1697,  ajoute  au  rituel  de  François  de  Gondi,  après 
ces  mots  du  chapitre  sur  le  refus  de  sépulture  :  «  pécheurs 
manifestes  et  publics,  morts  sans  pénitence  »,  ceux-ci,  qui 
les  expliquent  :  «  au  sujet  desquels  voyez  le  titre  de  la  com- 
munion des  malades,  article  1  ».  Or  cet  article  2,  aussi  bien 
dans  le  rituel  de  1646  que  dans  celui  de  1697,  met,  comme 
on  l'a  vu,  les  comédiens  au  nombre  de  ceux  qui  sont  privés 
de  viatique,  s'ils  n'ont  pas  donné  la  satisfaction  exigée.  En- 
tendons Bossuet,  dans  ses  Maximes  et  réflexions  sur  la  comé- 
die'^ :  «  La  décision  en  est  prise  dans  les  Rituels,  la  pratique 
en  est  constante  :  on  prive  des  sacremens  à  la  vie  et  à  la 
mort  ceux  qui  jouent  la  comédie,  s'ils  ne  renoncent  à  leur 
ai't;  on  les  passe  à  la  sainte  table,  comme  des  pécheurs  pu- 
blics; on  les  exclut  des  ordres  sacrés,  comme  des  personnes 
infâmes;  par  une  suite  infaillible,  la  sépulture  ecclésiastique 
leur  est  déniée.  »  On  la  refusa,  en  1686,  au  comédien  Ro- 
simont,  celui  qui,  après  la  mort  de  Molière,  avait  eu  l'héri- 
tage de  ses  rôles.  «  Il  fut  enterré,  dit  un  contemporain*, 
sans  clergé,  sans  luminaire,  et  sans  aucunes  prières,  dans 
un  endroit  du  cimetière  où  l'on  met  les  enfants  morts  sans 
baptême  ».  La  piété  cependant  de  ce  paroissien  de  Saint- 
Sulpice  n'était  pas  douteuse:  il  avait,  sous  le  nom  de  Du 
Mesnil,  publié  en  1680  de  très  édifiantes  Vies  des  Saints; 
mais  il  était  mort  subitement,  sans  avoir  eu  le  temps  de  dé- 
clarer qu'il  renonçait  au  théâtre. 

Tout  cela  dit,  on  doit  constater  que,  sur  l'indignité  des 
comédiens,  n'y  ayant  point,  au  temps  surtout  de  Molière, 
accord  parfait  du  sentiment  général  et  des  mœurs  avec  la 
loi  ecclésiastique,  celle-ci  était  loin  d'être  toujours  appliquée 
dans  sa  rigueur.  Les  comédiens,  comme  nous  en  avons  vu 


1.  Maximes  et  réflexions^  cliapitre  xi,  p.  4^  et  46. 

2.  Voyez  les  Sentiments  de  l'Église  et  des  S.  S.  Pères,  pour  servir 
de  décision  sur  la  comédie  et  les  comédiens,  p.  87 .  Cet  opuscule  de 
Coustel,  autrefois  maître  aux  petites  écoles  de  Port-Royal,  a  été 
imprimé  en  1694,  la  même  année  que  les  Maximes  et  réflexions  de 
Bossuet. 


'/i%  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

de  continuels  exemples  dans  cette  biographie,  tenaient  des 
enfants  sur  les  fonts  baptismaux,  bien  que  les  rituels  deParis, 
dont  nous  venons  de  parler,  défendissent  aux  curés  d'admet- 
tre comme  parrains  et  marraines  les  excommuniés  et  les 
personnes  publiquement  infâmes,  et  que,  n'hésitant  pas  à 
être  entièrement  conséquents  avec  eux-mêmes,  les  rituels 
de  plusieurs  diocèses,  celui  de  Chrdons-sur-Marne,  de  l'an- 
née 1649,  ceux  aussi  de  Sens,  deBayeux,  de  Coutances,  fis- 
sent application  expresse  de  cette  défense  aux  comédiens*. 
Une  tolérance  plus  remarquable  encore  que  celle  de  leur 
parrainage  fut  leur  admission  à  la  communion.  Il  y  a  l'exem- 
ple de  Molière,  à  qui  sa  femme,  sans  paraître  craindre  un 
démenti,  dit  qu'elle  fut  donnée  en  1G72.  Riccoboni,  dans 
une  lettre  datée  de  1746,  écrivait  que  si  la  confession  et 
la  communion  sont  refusées  aux  comédiens,  «  par  bon- 
heur il  y  a  des  moines  à  Paris  «.  Mais  c'était  un  prêtre  de 
Saint-Germain-I'Auxerrois,  qui  avait  administré  les  sacre- 
ments à  Molière,  et  non  un  de  ces  moines  soustraits  par 
l'exemption  à  la  juridiction  de  l'Ordinaire.  Il  n'est  pas  vrai- 
semblable que  Molière  ait  alors  communié  pour  la  première 
fois,  depuis  qu'il  était  au  théâtre.  On  nous  dit  que  les  comé- 
diens se  faisaient  relever  de  l'excommunication,  lorsqu'en 
se  confessant  ils  déclaraient  renoncer  à  leur  profession,  et 
qu'ils  en  étaient  quittes  pour  ne  pas  tenir  leur  promesse,  et 
pour  la  renouveler  aussi  souvent  qu'il  leur  plaisait.  S'il  est 
vrai  que  quelques-uns  eussent  recours  à  cette  fraude  aussi 
commode  que  malhonnête,  c'était  une  comédie  du  Tartuffe 
qu'ils  jouaient  au  naturel.  jVous  ne  faisons  pas  à  Molière  l'in- 
jure de  l'en  soupçonner  capable.  Il  est  plus  juste  de  croire 
qu'on  laissait  parfois  dormir  la  sévérité  des  rituels.  Bien  des 
considérations  gênaient  cette  sévérité  :  la  déclaration  royale 
de  1641,  qui,  prescrivant  aux  comédiens  de  donner  des  repré- 

I.  Voyez  l'opuscule  de  Coustel,  à  la  page  Sj,  déjà  citée  dans 
la  note  précédente.  Il  y  dit  aussi  que  ces  rituels  les  privaient  de 
la  communion,  et  ajoute  :  «  Aussi  est-ce  aujourd'hui  une  pra- 
tique ordinaire  de  Messieurs  les  curés  de  Paris  de  ne  pas  donner 
le  viatique  à  un  comédien  malade,  s'il  n'a  auparavant  renoncé  à 
sa  profession,  par  un  écrit  public,  et  devant  deux  notaires,  et 
s'il  ne  promet  de  ne  plus  remonter  sur  le  théâtre,  c 


SUR   MOLIÈRE.  489 

sentations  exemples  d'impureté,  voulait  que,  cette  condition 
remplie,  l'exercice  de  leur  art  ne  leur  fût  pas  imputé  à  blâme  ; 
le  plaisir  que  de  bons  chrétiens  prenaient  à  la  comédie  (on  se 
souvient  de  la  pieuse  compagnie  d'amis  de  Port-Royal  as- 
semblée pour  entendre  une  pièce  de  IMolière,  celle  qui  de 
toutes  était  la  plus  attaquée  par  les  dévots*);  la  familiarité 
de  très  honnêtes,  très  nobles  personnes,  avec  le  plus  célè- 
bre des  comédiens,  surtout  la  protection  dont  le-  couvrait 
Louis  XIV,  et  la  grande  part  que,  sur  son  ordre,  il  prenait 
aux  divertissements  de  la  cour,  en  i)résence  même  des  rei- 
nes. Tout  cela  semblait  devoir  protéger  Molière  mort.  Ce  qui 
d'ailleurs  plaidait  surtout  pour  lui,  c'étaient  les  démarches 
réitérées  que  l'on  avait  faites,  sur  sa  demande,  aflirmait-on, 
pour  appeler  près  de  sou  lit  de  moui'ant  des  prêtres  dont 
les  refus  seuls  étaient  responsables  de  l'arrivée  tardive  des 
secours  religieux. 

Pendant  que  l'archevêque  ordonnait  une  information  sur 
ces  circonstances,  Mlle  Molière,  à  qui  il  était  permis  de  ne 
se  pas  tenir  assez  assurée  de  ses  dispositions  favorables, 
alla  se  jeter  aux  pieds  du  roi  à  Saint-Germain.  Cizeron- 
RivaP  a  raconté  l'accueil  que  lui  fit  Louis  XIV,  d'après  cette 
note  écrite,  assure-t-il,  par  Brossette  :  «  \La  suppliante]  fit 
fort  mal  sa  cour  en  disant  au  Roi  que,  si  son  mari  étoit  un 
criminel,  ses  crimes  avoient  été  autorisés  par  Sa  Majesté 
même.  Pour  surcroît  de  malheur,  la  Molièi^e  avoit  mené  avec 
elle  le  curé  d'Auteuil  pour  rendre  témoignage  des  bonnes 
mœurs  du  défunt,  qui  louoit  une  maison  dans  ce  village.  Le 
curé,  au  lieu  de  parler  en  faveur  de  Molière,  entreprit  mal 
à  propos  de  se  justifier  lui-même  d'une  accusation  de  jansé- 
nisme dont  il  croyoit  qu'on  l'avoit  chargé  auprès  de  Sa  Ma- 
jesté. Ce  contretemps  acheva  de  tout  gâter.  Le  Roi  les  ren- 
voya brusquement  l'un  et  l'autre  en  disant  à  la  Molière  que 
l'affaire  dont  elle  lui  parloit  dépendoit  du  ministère  de 
M.  l'archevêque.  »  Que  la  note  soit  textuellement  ou  non 
de  Brossette,  il  est  difficile  de  la  croire  exacte,  surtout  dans 
les  paroles,  plus  que  maladroites,  qu'elle  prête  à  Mlle  Mo- 

I.  Voyez  ci-dessus,  p.  317. 

1.    Récréatioiu  littéraires^  p.   ^3  et  34* 


440  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

Hère,  qui  ne  passait  pas  pour  être  une  sotte.  Tout  au  plus 
pourrait-on  croire  qu'elle  insista,  avec  quelque  imprudence 
dans  des  circonstances  si  délicates,  sur  la  faveur  dont  le  roi 
avait  honoré  son  mari.  Il  n'est  guère  croyable  non  plus  que 
le  roi  ait  congédié  avec  brusquerie  la  veuve  qui  l'implorait. 
Nous  avons  une  note,  plus  authentique,  de  Brossette  sur 
le  vers  19  de  \ Epître  vu  de  Boileau*.  Là,  comme  dans  celle 
que  lui  attribuent  les  Récréations  littéraires^  le  commenta- 
teur dit  que  le  roi  répondit  à  Mlle  Molière  de  s'adresser  à 
l'autorité  épiscopale,  juge  de  l'affaire;  mais  il  ne  parle  nul- 
lement de  brusquerie  dans  ce  renvoi  très  naturel  à  l'arche- 
vêque; et,  ce  qui  ne  laisse  guère  supposer  cette  marque  de 
mauvaise  humeur,  il  ajoute  :  «  Sa  Majesté  fit  dire  à  ce  pré- 
lat qu'il  fît  en  sorte  d'éviter  l'éclat  et  le  scandale.  M.  l'ar- 
chevêque révoqua  donc  sa  défense,  à  condition  que  l'entei'- 
rement  seroit  fait  sans  pompe  et  sans  bruit.  » 

Louis  XIV  a  été  mis  en  scène  tout  autrement  que  dans 
la  note  recueillie  par  Cizeron-Rival,  et  avec  moins  de 
vraisemblance  encore.  On  jugera  si  nous  avons  tort  de  ne 
pas  accepter  ce  conte  :  «  Le  refus  que  le  clergé  fit  d'enterrer 
Molière  causa  un  grand  scandale  dans  Paris.  Le  roi  Louis XIV, 
informé  de  cet  abus  du  pouvoir  ecclésiastique,  fit  venir  le 
curé  de  Saint-Eustache...,  et  lui  ordonna  d'enterrer  le  poète. 
Lorsque  celui-ci  s'excusa  sur  la  profession  de  comédien  qu'il 
exerçait,  ajoutant  qu'un  tel  homme  ne  pouvait  être  enterré 
en  terre  sainte  :  Jusqu'à  quelle  profondeur  la  terre  est-elle 
sainte?  demanda  ingénument  le  Roi  au  curé.  — Jusqu'àquatre 
pieds.  Sire.  —  Eh  !  bien,  enterrez-le  à  six  pieds,  et  qu'il  nen 
soit  plus  question,  répondit  le  Roi,  et  il  tourna  le  dos  au  curé 
de  Saint-Eustache^.  »  Un  Louis  XIV  si  ingénu,  ou  plutôt 
si  indécemment  railleur,  est  tout  à  fait  nouveau.  Ce  qui  n'a 
pas  été  inventé,  c'est  que  Mlle  Molière  fit  appel  à  l'inter- 
vention du  roi,  soit  en  sa  présence,  soit  par  écrit,  et  que 
cet  appel  ne  fut  pas  vain.  Le  célèbre  vers  de  VEpitre  vu  de 

1.  OEuvres  de  Boileau-Despréaux,  édition  iu-4°  de  1716,  tome  I, 
p.  236. 

2.  Musée  des  monuments  français,  par  Alexandre  Leuoir,  tome  V, 
p.   198. 


SUR    MOLIERE.  Vii 

Boileau,  déjà  rappelé  ici,  est  un  témoignage  écrit  pour  la 
postérité,  et  de  la  prière  qui  fut  faite,  et  de  la  satisfaction 
que  la  volonté  royale  entendit  que  l'on  y  donnât.  Il  faut 
rendre  cette  justice  au  grand  protecteur  du  poète,  qu'il  ne 
renia  pas,  après  l'avoir  perdu,  l'estime  qu'il  avait  eue  pour 
lui  de  son  vivant.  «  Aussitôt  que  Molière  fut  mort,  dit  Gri- 
marest,  Baron  fut  à  Saint-Germain  en  informer  le  Roi  ;  Sa 
Majesté  en  fut  touchée  et  daigna  le  témoignera  »  Les  faits 
prouvent  clairement  qu'il  n'abandonna  pas  son  protégé  dans 
l'épineuse  question  des  funérailles  qui  pourraient  lui  être 
accordées.  Il  est  évident  qu  il  lit  connaître  à  larchevèque, 
comme  Brossette  en  avait  été  informé,  le  déplaisir  que  lui 
ferait  un  excès  de  rigueur.  C'est  la  seule  explication  pos- 
sible de  la  concession  à  laquelle  se  résigna  l'autorité  épi- 
scopale,  avec  une  répugnance  visible  et  bien  des  restric- 
tions. Le  jour  même  où  M.  de  Harlay  avait  annoncé  qu'il 
déciderait  après  enquête,  il  signa  un  arrêté  qui  permettait 
la  sépulture  ecclésiastique  dans  le  cimetière  de  Saint-Eusta- 
che,mais  sans  aucune  pompe,  avec  deux  prêtres  seulement, 
et  hors  des  heures  du  jour,  et  interdisait  tout  service  solen- 
nel. Cette  demi-tolérance  était  accordée  sans  préjudice  aux 
règles  du  rituel  du  diocèse,  lesquelles  étaient  maintenues-. 
Voilà  donc,  quoique  avec  peine,  un  peu  de  terre  sainte  obte- 
nue. On  ne  peut  cacher  qu'il  est  resté  des  doutes  si  ce  ne 
fut  pas  seulement  en  apparence. 

«  Le  corps,  pris  rue  de  Richelieu  devant  l'hôtel  de  Crus- 
sol,  dit  le  correspondant,  déjà  cité,  de  l'abbé  Boyvin,  a  esté 
porté  au  cimetière  de  Saint-Joseph, et  enterré  au  pied  de  la 
croix.  «  La  tombe  préparée  à  cette  place  ne  saurait  être  que 
celle  dont  parle  le  Registre  de  La  Grange  :  «  il  y  a  une  tombe 
élevée  d'un  pied  hors  de  terre  «.  Ces  indications  précises 
paraissent  d'abord  sans  difficulté.  On  a  cependant  cru  à  une 
feinte  par  laquelle  on  aurait  éludé  les  intentions  du  roi.  Le 
respect  dû  au  caractère  épiscopal  la  ferait  tenir  pour  impos- 

1.  La  vie  de  M.  de  Molière .,  p.  agS. 

2.  Voyez  le  texte  de  l'arrêté  épiscopal,  aux  Pièces  justificatives^ 
D."  XVI.  —  La  place  donnée  à  celte  pièce,  après  la  requête,  est 
indiquée  ci-dessus,  p.  4^5,  noie  2. 


4'f2  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

sible,  si  l'archevêque  qui  gouvernait  alors  le  diocèse  de  Paris 
n'était  plutôt  connu  par  l'intolérance  de  son  zèle  que  par 
une  vie  digne  d'un  vrai  pasteur.  Titon  du  Tillet,  dans  son 
Parnasse  français,  qu'il  écrivait,  il  est  vrai,  un  peu  tard  et 
publiait  en  1732,  a  jeté  de  grands  doutes  sur  le  lieu  de  la 
sépulture  de  Molière.  Voici  le  passage  :  «  La  femme  de  Mo- 
lière fit  porter  une  grande  tombe  de  pierre,  qu'on  plaça  au 
milieu  du  cimetièi-e  Saint-Joseph,  où  on  la  voit  encore.  Cette 
pierre  est  fendue  par  le  milieu,  ce  qui  fut  occasionné  par 
une  action  très  belle  ...  Deux  ou  trois  ans  après  la  mort  de 
son  mari,  il  y  eut  un  hiver  très  froid.  Elle  fit  voiturer  cent 
voyes  de  bois  dans  ledit  cimetière,  et  les  fit  brûler  sur  la 
tombe  de  son  mari  pour  chauffer  tous  les  pauvres  du  quar- 
tier; la  grande  chaleur  du  feu  ouvrit  cette  pierre  en  deux. 
Voilà  ce  que  j'ai  appris,  il  y  a  environ  vingt  ans,  d'un  an- 
cien chapelain  de  Saint- Joseph,  qui  me  dit  avoir  assisté  à 
1  enterrement  de  Molière,  et  qu'il  n'étoit  pas  inhumé  sous 
cette  tombe,  mais  dans  un  endroit  plus  éloigné,  attenant  la 
maison  du  chapelain*.  «  Lorsque  l'on  croyait  Molière  inhumé 
au  pied  delà  croix,  que  pouvait  être  cet  «  endroit  plus  éloi- 
gné »,  sinon  la  partie  du  cimetière  réservée  à  ceux  qui  ne 
devaient  pas  reposer  en  terre  sainte?  Autrement,  pourquoi 
n'aurait-on  pas  laissé  le  corps  où  sa  place  était  désignée  et 
où  il  fut  ostensiblement  porté  ?  Des  objections  ont  été  faites 
à  la  révélation  du  chapelain^.  Il  était  alors,  a-t-on  dit,  d'un 
âge  où  la  mémoire  est  affaiblie.  Mais  pour  avoir  été  présent 
à  l'inhumation  en  1678,  il  ne  paraît  pas  nécessaire  d'avoir 
été,  vers  1712,  d'une  extrême  vieillesse.  Le  souvenir  si 
précis  d'une    circonstance   des    plus    extraordinaires   peut 

1.  Parnasse  français,  p.  32o. 

2.  Vojex  les  Points  obscurs  de  la  vie  de  Molière,  p.  36 1-363.  — 
Depuis,  M.  Loiseleur,  daus  uu  opuscule  intitulé  :  Molière.  Nou- 
t-elles  controverses  sur  sa  vie  et  sa  famille  (1886),  p.  "j/^-yS,  a  repro- 
duit les  mêmes  objections.  Il  reconnaît  cependant  aux  pages  sui- 
vantes que  l'opinion  contraire  à  la  sienne  a  été  soutenue  par 
M.  Louis  Moland,  avec  des  arguments  qui  ne  sont  pas  sans  valeur. 
Nous  les  croyons  très  frappants,  et  l'examen  que  nous  avons  fait 
de  notre  côte  nous  a  laissé  une  impression  qui  ne  s'éloigne  pas 
de  celle  de  M.  Moland. 


SUR   MOLIÈRE.  ',",3 

difficilement  êti'e  attribué  au  radotage.  Mieux  vaudrait 
encore  supposer  que  le  chapelain  était  un  imposteur,  ennemi 
de  l'Église,  ou  un  personnage  inventé  par  du  Tillet,  que 
cependant  on  n'avait  jamais  soupçonné  d'avoir  un  intérêt 
de  philosophe  esprit  fort  à  calomnier  le  clergé. 

Il  a  paru  invraisemblable  que  la  veuve  de  Molière  ait 
posé  une  pierre  tombale  à  une  place  qu'elle  savait  bien 
n'être  pas  celle  où  était  son  mari,  s'il  était  vrai  que  plus 
tard  elle  y  eût  fait  allumer  assez  de  bois  pour  n'en  pouvoir 
mettre  en  doute  l'effet  destructeur.  Et  si  elle  connaissait  le 
secret,  comment  ne  fit-elle  pas  entendre  une  réclamation 
contre  la  violation  clandestine  de  l'arrêté  de  l'archevêque  ? 
Cette  objection  est  plus  forte  que  celle  de  la  sénilité  du 
chapelain.  Elle  ne  nous  semble  cependant  pas  décisive. 
Mlle  Molière  ne  fut  certainement  pas  insouciante  de  la 
mémoire  de  son  mari.  Quelques  reproches  que,  de  son 
vivant,  elle  ait  mérités,  elle  défendit  avec  zèle  cette  grande 
mémoire  contre  l'injure  qu'on  lui  voulait  faire  ;  nous 
l'avons  vue  supplier  le  roi  de  s'interposer  pour  qu'elle  lui 
fût  épargnée;  et,  dans  ce  temps-là,  elle  répétait  partout, 
dit  Brossette*  :  «  Quoi  !  on  refusera  la  sépulture  à  un  homme 
qui  mérite  des  autels!  »  Mais  il  est  permis  de  douter  qu'en 
réclamant  pour  lui  la  terre  sainte,  elle  eût  pour  motif  un 
sentiment  très  religieux,  et  ne  s'inquiétât  pas  surtout  de 
mettre  les  illustres  restes  à  l'abri  d'un  public  affront.  Elle 
avait  eu  suffisante  satisfaction  dans  la  lugubre  soirée  où, 
sans  toute  la  pompe  qu'elle  aurait  souhaitée,  mais  du  moins 
en  présence  de  tous  les  amis  de  Molière,  qui  avaient  chacun 
un  flambeau  à  la  main^,  le  corps  avait  été  porté  au  pied  de  la 
croix.  Si  elle  finit  par  apprendre  que  l'on  avait  nuitamment 
triché  les  nobles  cendres  sur  la  tombe  concédée,  ne  pensa- 
t-elle  pas  que  la  sépulture  sans  déshonneur  demeurait  cer- 
taine aux  yeux  du  monde,  et  que  divulguer  la  triste  vérité 
par  l'inutile  scandale  d'une  protestation  serait  perdre  le 
fruit  de  sa  victoire  sur  la  puissante  partie  qu'elle  avait  eue  à 
combattre?  On  peut  blâmer  ce  point  de  vue  mondain;  mais 

I.   Dans  sa  Remarque^  déjà  citée  sur  le  vers  19  de  VÉpitre  vii, 
a.   Voyez  la  même  Remarque  de  Brossette. 


',4',  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

si  l'on  suppose  qu'elle  n'en  connaissait  pas  d'autre,  ce  qui 
n'a  rien  d'improbable,  son  silence  était  prudent. 

Il  eût  plus  que  vraisemblablement  déplu  au  roi  qu'on  le  sol- 
licitât d'informer  sur  la  ténébreuse  affaire  de  ces  restes  mor- 
tels soupçonnés  d'avoir  été  déi'obés  à  la  sépulture  chrétienne, 
donnée  d'abord,  puis  retirée  après  quelques  moments;  ma- 
nœuvre qui  aurait  été  très  grave,  et  dont  on  ne  saurait 
dire  si  l'on  eût  trouvé  coupable  le  curé  de  Saint-Eustache,  ou 
l'archevêque  lui-même.  Mieux  valait  peut-être  se  contenter 
d'une  victoire  apparente  que  de  fournir  aux  ennemis  une 
occasion  de  rouvrir  un  injurieux  débat,  dans  lequel  on  n'es- 
pérait peut-être  pas  être  soutenu  par  l'indignation  publique. 
Les  temps  étaient  bien  changés,  un  siècle  et  demi  plus  tard, 
lorsque,  les  prières  chrétiennes  ayant  été  refusées  à  MlleRau- 
court  (janvier  i8i5),  l'impiété  força  les  portes  de  Saint- 
Roch,  pour  y  introduire  le  cercueil  de  la  comédienne.  Si, 
le  jour  oîi  l'on  vint  chercher,  pour  l'inhumer,  le  corps  de 
Molière,  les  intentions  de  la  foule  n'ont  pas  été  mal  com- 
prises, elle  était  animée  d'un  fanatisme  tout  différent.  Gri- 
marest  raconte  qu'elle  s'était  amassée  devant  la  maison 
mortuaire,  que  Mlle  Molière  crut  à  l'hostilité  du  tumultueux 
rassemblement,  et,  sur  le  conseil  qui  lui  fut  donné,  jeta  à 
ce  peuple  une  centaine  de  pistoles  par  les  fenêtres,  lui  de- 
mandant par  des  paroles  touchantes  des  prières  pour  son 
mari.  Son  éloquence,  rendue  plus  persuasive  par  son  argent, 
fut  écoutée:  mais  son  impression  dut  être  qu'il  serait  facile 
à  d'autres  de  ramener  une  multitude  mobile  au  sentiment 
qu'un  comédien,  à  qui  le  temps  avait  manqué  pour  faire 
amende  honorable,  n'avait  pas  eu  droit  à  la  tombe  d'un 
chrétien.  C'était  donc  une  question  dangereuse  à  remuer. 

Il  faut  dire  cependant  que  la  lettre  à  l'abbé  Boyvin  n'est 
d'accord  avec  Grimarest  que  sur  la  somme  donnée  aux 
pauvres  gens,  et  n'en  parle  pas  comme  d'une  largesse  arra- 
chée à  la  frayeur,  mais  comme  d'une  aumône  distribuée  par 
la  charité.  Au  convoi,  «  il  y  avoit,  dit  cette  lettre,  grande 
foule  de  peuple,  et  l'on  a  fait  distribution  de  mil  à  douze 
cens  livres  aux  pauvres  qui  s'y  sont  trouvez,  à  chacun  cinq 
sols  ». 

Cela    suppose   la  présence   aux   funérailles  de    plus   de 


SUR   MOLIERE.  V',5 

quatre  mille  pauvres.  L'illustre  mort  aurait  donc  été  plus 
accompagné  que  d'autres  ne  l'ont  dit,  et  il  s'en  serait  fallu 
que  la  centaine  d'amis,  portant  des  flambeaux,  formassent 
seuls  le  funèbre  cortège.  La  même  lettre,  rappelant  que 
l'archevêque  avait  défendu  aux  curés  et  religieux  de  son 
diocèse  de  faire  aucun  service  pour  Molière,  atteste  que 
«  néantmoins  l'on  a  ordonné  quantité  de  messes  pour  le  dé- 
funct.  »  Voilà  qui  conseille  de  ne  pas  trop  se  hâter  de  grossir 
le  nombre  de  ceux  qui  auraient  approuvé  la  furtive  infrac- 
tion à  l'arrêté  épiscopal,  si  elle  avait  été  connue  de  tous. 
Mais,  avant  de  raisonner  dans  la  supposition  qu'elle  eût  pu 
l'être,  il  faudrait  la  croire  hors  de  doute  :  nous  ne  voudrions 
pas  aller  jusque-là. 

Il  est  certain  du  moins  que  de  bonne  heure  le  vol  fait 
à  la  terre  sainte  a  été  soupçonné.  Un  certain  Les  Isles  le 
Bas  a  écrit  un  sonnet  très  injurieux  pour  Molière,  qui  a  été 
imprimé  en  1674,  et  est  intitulé  :  Sur  la  sépulture  de  Jean- 
Baptiste  Poquelin.  dit  Molière,  comédien,  au  cimetière  des 
mort-iics  à  Paris.  Il  finit  par  ces  deux  vers  : 

Molière,  baptisé,  perd  l'effet  du  baptême, 
El  dans  sa  sépulture  il  devient  un  mort-né. 

Grimarest  donne  lui-même  beaucoup  à  penser  dans  sa  ré- 
ponse à  un  reproche  qui  lui  avait  été  adressé  par  l'auteur 
de  la  Lettre  critique  sur  sa  Fie  de  Molière.  Cette  lettre,  vers 
la  fin,  lui  avait  parlé  du  bruit  public  qui  l'accusait  de  n'avoir 
pas  dit  tout  ce  qu'il  devait,  ou  du  moins  tout  ce  qu'il  pouvait 
dire,  particulièrement  sur  l'enterrement  du  poète,  «  dont  il 
auroit  eu  de  quoi  faire  un  volume  aussi  gros  que  son  livre, 
et  qui  auroit  été  rempli  de  faits  fort  curieux,  qu'il  sait  sans 
doute.  »  Grimarest  se  défendit  ainsi  :  «  Quant  à  ce  qui  se 
passa,  après  que  Molière  fut  mort,  je  laisse  à  mon  censeur 
de  nous  le  donner.  Apparemment  qu'il  en  est  bien  informé, 
puisqu'il  avance  qu'il  y  auroit  de  quoi  f;\ire  un  livre  fort 
curieux.  J'ai  trouvé  la  matière  de  cet  ouvrage  si  délicate  et 
si  difficile  à  traiter  que  j'avoue  franchement  que  je  n'ai  osé 
l'entreprendre,  et  je  crois  que  mon  critique  y  auroit  été 
aussi  embarrassé  que  moi  :  il  le  sait  bien.  y>  N'était-ce  pas 
reconnaître  assez  clairement  qu'il  n'ignorait  pas   des  faits 


446  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

dont  la  gravité  commandait  encore  le  silence  à  tout  le 
monde?  Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  Lettre  critique  et  la 
réponse  sont  de  1706,  lorsqu'on  était  encore  en  plein  règne 
de  Louis  XIV. 

Nous  ne  pouvons  donc  méconnaître  que  de  divers  côtés 
on  trouve  de  fâcheux  indices.  Ce  n'était  pas  à  la  fin  du 
siècle  dernier  qu'on  était  disposé  à  les  croire  insuffisants. 
L'exhumation,  le  6  juillet  1792,  des  restes  de  Molière,  ou 
de  ce  qu'il  plut  d'accepter  pour  tels,  a  été  souvent  racontée. 
Deux  commissaires  de  la  section  dite  alors  de  Molière  et  de 
la  Fontaine  furent  chargés  de  faire  des  fouilles  dans  le 
cimetière  Saint-Joseph  pour  retrouver  les  corps  des  deux 
poètes.  On  y  mit  tant  de  bonne  volonté  que  le  succès  était 
infaillible.  Pour  chercher  la  Fontaine  où  il  ne  pouvait  être, 
on  n'avait  tenu  aucun  compte  du  témoignage  du  Registre 
de  Saint-Eustache*,  qui  donne  l'acte  de  son  inhumation  au 
cimetière  des  Saints-Innocents,  et  l'on  avait  mieux  aimé  se 
laisser  tromper  par  d'Olivet,  qui,  dans  son  Histoire  de 
t Académie,  avait  dit  :  «  il  fut  enterré  dans  le  cimetière  de 
Saint-Joseph  à  l'endroit  même  où  Molière  avoit  été  mis 
vingt-deux  ans  auparavant  ».  Au  moins  aurait-on  dû  adop- 
ter son  erreur  tout  entière,  et  croire  que  l'on  trouverait 
les  illustres  amis  l'un  près  de  l'autre.  On  supposa  qu'il  n'y 
avait  que  la  Fontaine  au  pied  de  la  croix.  Là  un  cercueil 
de  chêne,  qui  fut  rencontré,  parut  être  le  sien.  On  avait 
commencé  par  l'exhumation  de  Molière*.  Les  délégués  de 
la  section  n'avaient  pas  douté  qu'il  n'eût  été  enterré  dans  la 
terre  des  mort-nés.  Sur  quoi  reposait  leur  certitude?  Les 
procès-verbaux  des  fouilles  nous  le  disent.  On  y  allègue 
«  les  historiens  contemporains  et  la  tradition  non  suspecte  ». 
D'ordinaire  les  procès-verbaux  sont  plus  précis  dans  les 
preuves  qu'ils  donnent.  Dans  ceux-ci  la  crédulité  volontaire 
s'étale  si  manifeste,  ou  plutôt  si  grotesque,  qu'elle  donne- 
rait la  tentation  de  ne  plus  rien  admettre  des  tristes  bruits 

I.  Voyez  notre  Notice  biographique  sur  la  Fontaine,  p.  ccx  et 
ccxii-ccxrr. 

1.  Le  6  juillet  1792.  L'exhumation  de  la  Fontaine  n'eut  lieu 
que  le  ai  novembre  suivant. 


SUR    MOLIERE.  U7 

répandus;  mais  la  vraie  criticjue  doit  être  plus  calme,  et 
même  dans  l'histoire  d'une  exhumation,  faite  avec  une  passion 
déraisonnahie,  elle  doit  tout  examiner.  Bien  qu'on  n'ait  pas 
trop  de  confiance  dans  un  prêtre  choisi  pour  commissaire 
civil,  il  faut  faire  attention  que  les  recherches  furent  dirigées 
par  un  vicaire  de  Saint-Eustache,  dernier  desservant  de  la 
chapelle  Saint-Joseph.  Son  nom  était  Fleury.  Il  les  fit 
faire  près  d'une  petite  maison  située  à  l'extrémité  du  cime- 
tière. S'il  y  a  quelque  soupçon  qu'il  suivait,  par  ordre, 
l'indication  donnée  par  Titon  du  Tillet,  il  pouvait  aussi 
avoir  connu  un  secret  que  se  seraient  transmis  les  chape- 
lains. Quoi  que  l'on  en  pense,  il  est  clair  que  si  Molière  a 
été  inhumé  de  ce  côté,  rien  ne  put  indiquer  ce  qu'étaient 
les  débris  de  cercueil  et  les  ossements  sur  lesquels  on  mit 
la  main,  évidemment  au  hasard.  Ainsi,  lorsque  Cailhava, 
quelques  années  plus  tard,  pressa  sur  son  cœur  les  têtes 
des  deux  grands  poètes  et  les  baisa  religieusement \  sa 
sensibilité  s'était  dépensée  en  pure  perte.  On  ne  saurait 
voir  que  des  cénota})hes  dans  les  deux  mausolées  construits 
par  Alexandre  Lenoir,  qui  en  1799  avait  reçu  dans  son 
Elysée  (jardin  du  Musée  des  ci-devant  Petits-Augustins)  les 
cercueils,  ou,  suivant  l'élégante  inscription  qu'ils  portaient, 
les  caisses  de  Molière  et  de  la  Fontaine.  Les  mausolées 
furent  transportés  le  2  mai  18 17  au  cimetière  du  Père- 
Lachaise,  et  restaurés  en  i8-5.  Tels  qu'ils  sont,  ils  resteront 
du  moins  comme  des  monuments  du  souvenir  de  la  France 
et  de  sa  juste  admiration  pour  deux  des  gloires  littéraires 
qui  lui  sont  le  plus  chères. 

L'histoire  de  la  sépulture  de  Molière,  sur  laquelle  nous 
avons  dû  nous  étendre,  a  un  caractère  extraordinaire,  qui 
en  faisait  une  nécessaire  continuation  de  celle  de  sa  vie. 
On  peut  parler  plus  brièvement  des  nombreuses  épitaphes 
qui  furent  écrites  les  unes  pour  honorer  cette  grande  mé- 
moire, les  autres  pour  l'outrager.  Celles  des  admirateurs  du 
poète  n'étaient  pas  elles-mêmes  destinées  à  être  gravées  sur 
la  pierre  qui  couvrait,  ou  passait  pour  couvrir,  ses  restes. 
Par  là  elles  ont  moins  de  droit  à  être  citées.  11  en  est  une 

1.  Etudes  sur  Molière,  p.  355  et  deriiière. 


40  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

à  laquelle  nous  aurions  voulu  donner  place  ici  ;  mais  il  aurait 
fallu  que,  parmi  ces  pièces  anonymes,  il  ne  fût  pas  impossible 
de  la  reconnaître.  Éloquente  ou  non,  le  nom  de  son  auteur 
doit  en  faire  du  moins  mentionner  l'existence.  Cet  auteur, 
assez  inattendu,  est  M.  de  Modène,  qui  devait  mourir  peu 
de  temps  après  notre  poète,  le  premier  jour  de  décembre 
de  la  même  année.  La  pensée  qu'il  eut  de  jeter  une  fleur  sur 
la  tombe  de  Molière  semble  une  preuve  qu'il  n'avait  jamais 
été  jaloux  de  lui,  ou,  tout  au  moins,  que,  depuis  longtemps, 
il  ne  se  souvenait  plus  d'une  ancienne  rivalité.  La  connais- 
sance du  fait  qu'il  avait  écrit  une  épitaplie  en  son  honneur, 
nous  la  devons  à  une  lettre  que  lui  écrivit,  le  3  mai  1678,  sa 
belle-mère,  Mme  L'Hermite,  à  qui  il  avait  envoyé  l'épitaphe 
pour  qu'elle  la  portât  à  l'imprimeur*.  On  y  lit  ces  passages  : 
«  Pour  l'épitaphe,  l'on  Ta  trouvée  fort  belle....  Je  ne  doute 
pas  que  votre  ouvrage  ne  soit  fort  bien  reçu.  Je  crois  que 
cela  sera  fort  beau  et  que  cela  se  vendra  fort  bien.  » 

Nous  renvoyons  pour  les  autres  épitaphes,  une  exceptée, 
aux  curieux  recueils  qui  ont  été  faits  de  ces  louanges  et  de 
ces  satires.  On  y  voit  d'un  côté  se  déchaîner  les  implacables 
haines  qu'avait  ameutées  contre  lui  l'immortel  railleur  et 
le  poète  d'une  supériorité  écrasante,  d'un  autre  côté  ceux 
qui  reconnaissaient  «  le  prix  de  sa  muse  éclipsée  »  devancer 
par  leurs  hommages  la  justice  de  la  postérité. 

Nous  venons  de  dire  que,  ne  citant  pas  ces  épitaphes,  il 
en  est  une  pour  laquelle  nous  ferions  exception.  Il  ne  nous 
serait  pas  pardonné  d'omettre,  quelque  connus  qu'ils  soient, 
ces  charmants  vers  de  la  Fontaine  : 

Sous  ce  tombeau  gisent  Plaute  et  Térence, 
Et  cependant  le  seul  Molière  y  gît. 
Leurs  trois  talents  ne  formoient  qu'un  esprit. 
Dont  le  bel  art  réjouissoit  la  France. 
Ils  sont  partis!  et  j'ai  peu  d'espérance 
De  les  revoir.  Malgré  tous  nos  efforts. 
Pour  un  long  temps,  selon  toute  apparence, 
Térence  et  Plaute  et  Molière  sont  morts. 

I.  La  lettre  a  été  publiée  par  M.  Chardon,  à  la  page  45o  de 
M.  de  Modène...  et  Madeleine  Béjart. 


SUR   MOLIERE. 


'♦'.9 


Les  deux  grands  auteurs  latins  n'ont  pas  à  se  plaindre  de 
l'admirateur  passionné  de  l'antiquité  qui  d'eux  et  de  Molière 
ne  faisait  qu'un.  Il  est  très  permis  de  croire  que  pour  former 
cette  trinité  comique,  c'était  Molière  qui  apportait  le  plus. 
Que  la  Fontaine  avait  raison  de  prévoir  que  pour  un  long 
temps  (soit  dit  sans  vouloir  contrarier  personne,  nous 
attendons  toujours),  on  ne  reverrait  rien  de  pareil  dans  le 
bel  art  qui  avait  réjoui  la  France  de  son  siècle! 

Ailleurs  que  dans  une  épitaphe,  Boileau  a  parlé,  dans  le 
même  sens  que  la  Fontaine,  de  l'art  de  Molière  enseveli 
dans  sa  tombe  : 

L'aimable  comédie,  avec  lui  terrassée. 
En  vain  d'un  coup  si  rude  espéra  revenir, 
Et  sur  ses  brodequins  ne  put  plus  se  tenir'. 

Ce  qu'il  voyait  tomber,  ce  qui  lui  inspirait  la  crainte 
d'une  chute  sans  relèvement,  c'était  la  muse  de  Xaimahle 
comédie,  non  le  théâtre  où  Molière  l'avait  logée,  et  qui 
devait,  grâce  à  lui,  faire  reprendre  aux  brodequins  leur 
aplomb.  Ce  théâtre  ne  parut  ébranlé  que  dans  le  temps  de 
la  première  secousse.  Il  faut  dire  quelques  mots  de  son 
existence  menacée,  après  la  mort  de  son  chef,  puis  des 
preuves  de  solidité  qu'il  donna,  comme  le  faisait  facilement 
prévoir  la  force  de  ses  fondations.  Sur  elles  reposèrent 
bientôt  les  fermes  assises  de  la  Comédie  française.  En  ne 
dépassant  pas  le  jour  où,  sous  ce  nom,  fut  établie  la  maison 
de  Molière,  il  nous  semble  que  nous  restons  encore  dans 
l'histoire  de  celui  qui  en  avait  assuré  la  durée. 

La  Grange  dit,  dans  son  Registre,  que  la  troupe  se  trouva 
dans  le  désordre  après  la  perte  irréparable  qu'elle  avait 
faite,  et  que  le  roi  eut  dessein  de  la  réunir  à  celle  de  l'Hôtel 
de  Bourgogne-.  Louis  XIV  doutait  que,  privée  de  son 
illustre  chef,  elle  fût  en  état  de  se  soutenir.  Dans  cette  dé- 
fiance de  son  avenir,  il  parut  vouloir  la  sacrifier,  et  comme 
s'il  n'avait  accordé  à  Molière  qu'une  faveur  toute  person- 
nelle et  viagère,  ne  pas  en   faire   hériter  ses  camarades. 

I.  Épitre  VII,  vers  36-38. 
1.   Registre,  p.   i4o. 

MOLIF.RE.    X  ig 


45o  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

Ceux-ci  ne  purent  manquer  de  voir  dans  la  réunion  pro- 
jetée l'anéantissement  de  leur  vie  propre  au  profit  de  leurs 
rivaux.  Il  eût  été  bien  regrettable  que  le  théâtre  créé  par 
Molière  eût  disparu.  Par  bonheur,  on  ne  se  pressa  pas  de 
donner  suite  à  la  fâcheuse  pensée.  Le  temps  gagné  sauva 
nos  comédiens,  qui  sentirent  combien  il  importait  de  ne 
pas  laisser  croire  à  leur  découragement.  Après  une  courte 
interruption,  commandée  par  leur  deuil,  la  réouverture  du 
théâtre  se  fit  le  2^  février  1673  par  une  représentation  du 
Misanthrope.  Dès  la  semaine  suivante,  le  3  mars,  on  reprit 
le  Malade  imaginaire,  malgré  le  douloureux  souvenir,  si 
récent  qu'on  a  peine  à  comprendre  ce  courage,  et  qu'on  lui 
donnerait  un  autre  nom  si  l'on  ne  savait  quel  avait  été  pour 
Molière  l'attachement  de  tous  ses  camarades.  Le  public 
sans  doute  n'interpréta  pas  mal  une  hâte,  qui  se  pouvait 
justifier,  car  il  fut  très  nombreux  à  la  représentation  du 
3  mars,  aux  suivantes  aussi,  dans  lesquelles  on  continua  à 
donner  le  Malade  imaginaire  jusqu'à  la  fermeture  annuelle. 
Malgré  l'affluence  des  spectateurs,  elles  furent  très  coû- 
teuses, ce  qui  excluait  toute  idée  d'un  calcul  de  lucre,  et 
ne  permettait  de  croire  qu'à  une  intention  d'hommage. 

II  y  eut  bientôt  un  moment  difficile  où  la  troupe  eut  à 
craindre  de  ne  faire  pour  se  maintenir  que  de  vains  efforts. 
Deux  comédiens  manquèrent  de  confiance  :  celui  qui  avait 
pris  dans  le  Malade  imaginaire  le  rôle  de  Molière,  et  celui 
que  devait,  plus  que  tout  autre,  enchaîner  la  reconnaissance, 
La  Thorillière  et  Baron.  Peut-être  celui-ci  ne  put-il  se  ré- 
signer à  la  direction,  à  l'empire  de  Mlle  Molière.  Ils  déser- 
tèrent aux  vacances  de  Pâques  16-3,  ainsi  que  Mlle  Beauval 
et  son  mari.  Tous  quatre  passèrent  à  l'Hôtel  de  Bourgogne. 
«  Ainsi,  dit  La  Grange*,  la  troupe  fut  rompue.  »  Ce  fut  alors 
que  Mme  l'Hermite,  dans  la  lettre  à  M.  de  Modène,  dont 
nous  avons  cité  un  passage-,  lui  écrivit  :  «  Je  vous  assure 
que  l'on  ne  parle  non  plus  du  pauvre  Molicre  que  s'il  n'avoit 
jamais  été,  et  que  son  théâtre,  qui  a  fait  tant  de  bruit,  il  y 
a  si  peu  de  temps,   est  entièrement  aboli.   Je   crois  vous 

1.  Registre,  p.  i45. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  448. 


SUR  MOLIERE.  45i 

l'avoir  mandé,  que  tous  les  comédiens  sont  dispersés. 
Ainsi  la  veuve  a  été  trompée,  parce  qu'elle  s'attendoit  bien 
à  jouer;  mais  on  ne  croit  pas  que  jamais  la  troupe  se 
réunisse.  Elle  [la  veuve)  a  voulu  un  peu  trop  faire  la  fière  et 
la  maîtresse.  »  Dans  sa  malveillance,  qui  se  montre  assez, 
Mme  l'Hermite  se  hâtait  trop  d'enterrer  la  fortune  du 
théâtre.  Le  jour  même  dont  sa  lettre  est  datée  (3  mai),  la 
troupe,  moins  pressée  de  se  tenir  pour  morte,  malgré  sa 
dislocation  et  la  décision  du  roi,  qui  lui  avait  repris  la  salle 
du  Palais-Royal  pour  la  donner  à  Lulli,  signa  l'engagement 
de  Rosimont,  comédien  auteur,  et  l'un  des  meilleurs  acteurs 
du  Marais,  celui  à  qui  furent  donnés  les  rôles  de  Molière; 
en  même  temps  elle  reçut  la  très  jeune  tille  du  camarade 
du  Croisy-  Vingt  jours  après,  le  aS  mai,  pour  remplacer  le 
théâtre,  dont  le  Florentin  l'avait  dépossédée,  elle  acheta 
celui  du  marquis  de  Sourdéac,  qui  avait  été  construit  en  1670 
pour  l'Opéra,  dans  un  jeu  de  paume  situé  rue  des  Fossés-de- 
Nesle,  depuis  rue  Mazarini,  en  face  de  la  rue  Guénégaud.  Le 
3  juin,  une  ordonnance  du  lieutenant  de  police,  la  Reynie, 
autorisa  son  établissement  dans  le  nouveau  théâtre,  en  lui 
conservant  le  titre  de  troupe  du  Roi,  et  fit  aux  comédiens  du 
Marais  défense  de  jouer.  Il  n'y  eut  donc  plus  à  Paris  que 
deux  troupes  françaises,  celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne  et 
celle  de  l'Hôtel  Guénégaud,  comme  il  fut  appelé.  On  l'avait 
échappé  belle;  car,  dans  les  jours  les  plus  critiques  pour 
nos  comédiens,  si,  pour  conjurer  la  ruine,  ils  faisaient  des 
voyages  à  la  cour,  les  Grands  comédiens  en  faisaient  de 
semblables,  le  Marais  se  remuait  de  son  côté,  et  le  bruit 
avait  couru  «  que  les  deux  anciennes  troupes  travailloient  à 
abattre  entièrement  la  troisième,  qui  vouloit  se  relever'  ». 
Sauvé  du  naufrage,  l'Hôtel  Guénégaud  fit  des  choix  parmi 
les  comédiens  du  Marais,  qui  n'avaient  plus  de  théâtre.  Les 
représentations  recommencèrent  le  9  juillet  1673  par  le  Tar- 
tuffe. Grâce  aux  pièces  surtout  de  Molière,  qui,  particulière- 
ment dans  les  premiers  temps,  furent  celles  que  l'on  joua 
le  plus  souvent,  la  troupe  fut  hors  du  danger  de  sombrer. 
N'ayant  à  craindre  d'autre  concurrence  que  celle  de  l'Hôtel 

I.  Chappuzeau,  le  Théâtre  français,  tome  111,  chapitre  xL. 


452  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

de  Bourgogne,  avec  qui  elle  partageait  le  monopole,  elle 
passa  plusieurs  années  dans  une  assez  grande  sécurité.  Elle 
allait  bientôt  voir  le  sort  de  son  théâtre  heureusement  fixé. 
Aux  vacances  de  Pâques  1679,  un  coup  fut  porté  à  celui 
des  Grands  comédiens.  La  Champmeslé  se  sépara,  avec  son 
mari,  de  la  troupe  royale,  et  passa  à  l'Hôtel  Guénégaud,  où 
elle  apporta  les  tragédies  de  Racine.  C  était  l'heure  de  la 
décadence  qui  sonnait  pour  les  rivaux,  longtemps  si  fiers. 
Ils  firent  encore  une  sensible  perte  l'année  suivante  (27  juil- 
let 1680),  par  la  mort  de  La  Thorillière,  qui  acheva  leur 
désarroi.  Cet  événement  a  été  noté  par  La  Grange,  qui  lui 
attribue  la  jonction  des  deux  troupes ^  Cette  jonction  fut 
décidée  par  le  roi.  L'ordre  fut  signé  par  le  duc  de  Créqui 
le  18  août  1680,  et  signifié  le  22  aux  deux  théâtres,  avec 
la  liste  des  acteurs  que  le  roi  voulait  garder  à  son  service. 
Dès  le  dimanche  25,  la  troupe  du  Roi,  composée  comme 
il  était  prescrit  par  l'ordre  de  jonction,  commença  les  re- 
présentations par  Phèdre  et  les  Carrosses  d  Orléans,  petite 
pièce  du  sieur  de  Champmeslé.  Une  lettre  de  cachet,  signée 
par  le  roi,  à  la  date  du  21  octobre,  régla  définitivement 
l'organisation  de  l'unique  Comédie  française,  qui  se  glorifie 
aujourd'hui  d'être  établie  sur  les  fondements  qu'avait  soli- 
dement assis  la  main  de  ■Molière. 

Si  nous  n'avons  cru  ni  hors  de  propos  ni  sans  intérêt  ici, 
de  donner  un  souvenir  aux  destinées  des  héritiers  de  son 
théâtre,  qui  avaient  été  comme  une  famille  pour  lui,  nous 
devons  dire  aussi  ce  que  devint  son  autre  famille,  celle  qui 
ne  lui  était  pas  seulement  unie  par  une  étroite  camaraderie, 
mais  par  les  liens  du  mariage  ou  du  sang.  Elle  ne  comptait 
que  deux  personnes  :  sa  femme  et  le  seul  enfant  qu'il 
laissait. 

Dans  ce  que  l'on  sait  d'Armande  Béjart,  depuis  la  mort 
de  Molière,  si  rien  ne  confirme  sérieusement  les  plus  graves 
des  accusations  répandues  par  ses  ennemis  sur  sa  conduite 
avant  son  veuvage,  rien  non  plus  ne  fait  voir  en  elle  la 
femme  de  cœur,  la  veuve  digne  de  porter  un  illustre  nom. 
Quand  il  avait  fallu  écarter  les  outrages  dont  les  funérailles 

I.  Jiegistre,  p.  235,  à  la  marge. 


SUR    MOLIKRE.    '  153 

de  Molière  avaient  été  menacées,  on  lui  doit  accorder 
qu'elle  avait  bien  fait  son  devoir,  et  nous  ne  voudrions  pas 
chercher  si  le  conseil  ne  lui  en  avait  pas  été  donné  par 
son  amour-propre,  comme  par  son  intérêt  personnel,  lié  à 
celui  du  théâtre  qui  était  devenu  son  affaire.  Mais,  laissant 
de  côté  les  premiers  jours  de  son  deuil,  on  ne  tarde  pas  à 
reconnaître  qu'elle  ne  resta  pas  fidèle  au  souvenir  de  celui 
qui  l'avait  tant  aimée,  et  qui  avait  fait  descendre  sur  elle 
un  reflet  de  sa  gloire,  parure  autrement  riche  que  celles 
dont  fait  étalage  la  vanité  d'une  coquette,  et  la  plus  magni- 
fique de  toutes  pour  un  orgueil  de  quelque  grandeur.  Ce 
qui  peut-être  était  de  nature  à  la  toucher  davantage,  il  lui 
laissait  une  brillante  fortune,  après  l'avoir,  de  son  vivant, 
entourée  de  bien-être,  de  luxe  même.  Dans  la  comédie  de 
Chalussay,  Élomire,  s'adressant  à  sa  femme  Isabelle  (nom 
donné  à  Armande  en  souvenir  de  la  pupille  de  Sganarelle), 
lui  parle  ainsi  de  son  talent  :  • 

Sans  lui  nous  verrions-nous  une  chambre  si  belle? 

Ces  meubles  précieux  sous  de  si  beaux  lambris,  ,, 

Ces  lustres  éclatans,  ces  cabinets  de  prix,  ^ 

Ces  miroirs,  ces  tableaux,  cette  tapisserie 

Qui  seule  épuisa  l'art  de  la  Savonnerie, 

Enfin  tous  ces  bijoux  qui  te  charment  les  yeux,  '  '  ! 

Sans  ce  divin  talent  seroient-ils  en  ces  lieux*?  '' 

Cette  énumération  de  richesses  est  très  exacte  et  se  retrouve 
dans  l'inventaire  fait  après  la  mort  de  Molière.  L'actif  de  la 
succession  y  est  de  quarante  mille  livres,  somme  qu'on  a 
évaluée  à  deux  ou  même  trois  cent  mille  francs  d'aujour- 
d'hui*. Il  faudrait  avec  cela  compter  ce  que  promettait  l'ex- 
ploitation des  œuvres  du  poète,  particulièrement  fructueuse 
pour  sa  veuve,  qui,  après  sa  mort,  toucha  la  part  d'auteur. 
Dans  son  opulence,  elle  ne  dédaigna  pas  de  tirer  un  grand 
profit  du  Festin  de  Pierre  en  autorisant  Thomas  Corneille  à 
le  versifier.  La  pièce,  qui,  malgré  des  vers  agréablement 
tournés,  fut  loin  de  gagner  à  cette  nouvelle  forme,  fut  payée 

1.  Elomire  hypocondre,  scène  I,  p.  8.  •      ' 

2.  Recherches  sur  Molière,  p.  97. 


454  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

deux  mille  deux  cents  livres  à  partager  entre  le  téméraire 
qui  avait  touche  à  un  chef-d'œuvre,  et  Mlle  Molière,  qui 
lui  en  avait  vendu  le  droit.  La  comédie  ainsi  refaite,  ou  plu- 
tôt défaite,  fut  jouée  pour  la  première  fois  le  12  février  1677, 
et  le  prix  d'achat  convenu  fut  ratifié  par  la  troupe  le  8  mars. 
C'était  presque  à  la  veille  du  second  mariage  de  la  veuve;  et 
lorsque,  le  3  juillet  1677,  elle  donna  reçu  de  la  somme*, 
depuis  un  peu  plus  d'un  mois  elle  n'était  plus  Mlle  Molière. 
En  obtenant,  par  son  trafic  d'une  partie  de  l'héritage  du 
poète,  une  pièce  au  goût  du  public,  elle  avait  fait  pour  elle- 
même  et  son  théâtre  une  bonne  affaire,  mais  peu  honorable 
pour  la  gardienne  naturelle  d'une  des  plus  nobles  mémoires. 
Mais  que  pouvait-on  attendre  de  celle  qui  allait  renoncer 
au  nom  dont  elle  aurait  dû  être  si  fière?  Elle  fut  épousée  le 
3i  mai  1677  par  Guérin  d'Estriché  ou  du  Trichet,  un  des 
comédiens  qui,  en  1673,  avaient  passé  du  Marais  à  l'Hôtel 
Guénégaud.  C'était,  non  pour  une  comédienne,  mais  pour  la 
veuve,  déchue,  suivant  l'expression  de  Virgile,  d'un  si  grand 
époux,  une  mésalliance  fâcheuse,  comme  l'eût  été,  d'ailleurs, 
tout  autre  choix. 

On  a  dit,  pour  atténuer  sa  faute,  qu'elle  avait  besoin 
d'êti'e  protégée  contre  les  insultes  auxquelles  elle  était  ex- 
posée. En  juillet  1676,  un  sieur  Guichard,  intendant  des 
bâtiments  de  Monsieur,  accusé  par  Lulli  d'un  projet  d'em- 
poisonnement, s'était  défendu  par  un  factum*,  dans  lequel 
il  avait  incidemment  accablé  Mlle  Molière  des  plus  affreuses 
injures.  Elle  avait  été  l'année  précédente  traitée  comme 
une  femme  perdue  par  le  président  au  parlement  de  Gre- 
noble, Lescot,  qu'avaient  trompé  d'infâmes  intrigantes  ^  Nous 
n'avons  pas  à  raconter  ici  l'affaire  de  ce  magistrat,  qui  rap- 

1 .  Sa  quittance  est  conservée  aux  Archives  de  la  Comédie 
rançaise.  Elle  est  signée  :  Armande-Grésinde-Claire-Élisabeth  BÉ- 

JART. 

2.  On  le  trouve  dans  V appendice  de  l'édition  de  la  Fameuse 
Comédienne  [Les  Intrigues  de  Molière  et  de  sa  femme),  publiée  par 
M.  Livet,  comme  nous  l'avons  dit  ci-dessus,  à  la  page  265,  où 
une  phrase  du  factum  est  citée. 

3.  Voyez  aux  pages  igô-aoS  du  petit  volume  cité  à  la  note 
précédente. 


SUR   MOLIERE.  455 

pelle,  comme  on  l'a  souvent  dit,  celle  du  cardinal  de  Rohan 
et  de  l'aventurière  La  Motte-Valois  en  1785  et  1786.  quelque 
répugnance  que  l'on  ait  de  mettre  en  regard  l'une  et  l'autre 
victime  d'odieuses  machinations.  A  celles  de  la  Tourelle  dont 
avait  été  dupe  le  président  Lescot,  et  qui  furent  déjouées, 
Thomas  Corneille  et  de  Visé  firent  allusion  dans  des  vers  du 
troisième  acte  de  leur  comédie  de  l'Inconnu,  représentée 
pour  la  première  fois  le  17  novembre  167J  à  l'Hôtel  Gué- 
négaud,  et  dans  laquelle  joua  Mlle  Molière.  Non  seulement 
les  outrages  dont  elle  eut  à  se  plaindre  dans  les  deux  cir- 
constances que  nous  avons  dites,  mais  dont  justice  fut  faite 
par  la  condamnation  de  leurs  auteurs,  ne  lui  sauraient  faire 
aucun  tort,  mais  lui  rendent  le  service  de  nous  mettre 
encore  plus  en  défiance  de  toutes  les  imputations  que  nous 
trouvons  dans  les  libelles.  Il  n'en  est  pas  moins  à  craindre 
qu'il  n'y  ait  trop  de  complaisance  à  ne  voir  dans  son  second 
mariage  qu'un  refuge  nécessaire  à  une  femme  mal  protégée 
contre  d'injurieuses  attaques.  Il  est  plus  vraisemblable  qu'elle 
était  lasse  de  son  veuvage  et  voulait  essayer  si,  dans  un  ma- 
riage prosaïque,  elle  ne  trouverait  pas  plus  de  bonheur  que 
près  d'un  homme  de  génie,  avec  qui  sa  médiocrité  frivole 
avait  eu  trop  de  peine  à  s'entendre.  Elle  ne  manquait  cer- 
tainement pas  dagrément  et  de  vivacité  d'esprit,  mais  son 
âme  était  petite.  Ce  quatrain  sur  elle,  qu'on  n'a  pas  toujours 
textuellement  cité  dans  sa  forme  incorrecte,  se  lit  dans  les 
Portraits  des  comédiennes  de  t Hôtel  Gue'négaud  imprimés  à 
la  suite  de  la  Fameuse  Come'dienne  : 

Les  Grâces  et  les  Ris  brillent  sur  son  visage  ; 
Elle  a  l'air  tout  charmant  et  l'esprit  tout  de  feu. 
Elle  avoit  un  mari  d'esprit  qu'elle  aimoit  peu; 
Elle  en  a  un  de  chair,  qu'elle  aime  davantage. 

Elle  paraît  n'avoir  ];)oint  fait  parler  d'elle  au  temps  de  son 
second  mariage  et  s'être  alors  attachée  à  son  ménage,  sui- 
vant le  témoignage  de  la  Fameuse  Come'dienne,  soit  qu'elle 
eût  trouvé  un  maître,  qui  mit  «  bon  ordre  à  sa  conduite  », 
comme  le  dit  le  libelle*,  soit  que  la  sympathie  ait  été  plus 

I.    La  Fameuse  Comédienne^  p.  87. 


456  NOTICE   BIOGRAPHIQUE 

facile  entre  elle  et  un  raari  dont  l'élévation  d'esprit  et  de 
caractère  était  moins  gênante. 

Elle  se  retira  du  théâtre  en  1694  et  mourut  six  ans  après, 
le  3o  novembre  1700.  Elle  laissait  deux  enfants,  un  fils  et 
une  fille.  Le  fils,  Nicolas  Guérin,  né  de  son  second  ma- 
riage, s'est  fait  surtout  connaître  pour  avoir,  avant  la  mort 
de  sa  mère,  continué  et  refondu,  sous  le  titre  de  Myitil  et 
Mélicerte,  la  Mélicerte  de  Molière,  avec  la  bonne  volonté, 
malheureusement  trahie  par  l'exécution,  de  rendre  hom- 
mage à  une  mémoire  qu'il  semblerait  avoir  été  instruit  à 
respecter.  La  fille  était  celle  de  Molière.  Avant  de  termi- 
ner cette  notice,  nous  ne  pouvons  manquer  de  donner,  en 
quelques  mots,  un  souvenir  à  celle  qui  fut  la  dernière  de 
la  famille  illustrée  par  le  grand  poète'. 

Pour  ne  pas  douter  que  Molière  n'aimât  sa  fille,  les  té- 
moignages ne  paraissent  pas  très  nécessaires,  moins  que 
tout  autre  celui  de  la  Fameuxe  Comédienne,  dont  on  sait 
quelle  est  généralement  la  valeur.  Citons-en  toutefois  deux 
lignes  qu'aucune  intention  méchante  ne  rend  suspectes. 
Dégoûté  de  tout  dans  la  vie,  «  Molière  n'avoit  point  alors  de 
plus  grand  plaisir  qu'en  sa  maison  d'Auteuil,  où  il  avoit 
mis  sa  fille*  ».  Dans  cette  retraite,  où  sa  femme  n'aimait 
pas  à  séjourner,  il  se  plaisait  sans  doute  à  élever  l'enfant, 
comme  il  avait  autrefois  élevé  la  mère.  On  voudrait  être 
assuré  qu'instruit  par  l'expérience,  il  s'y  prenait  mieux  cette 
fois,  et  ne  destinait  pas  sa  fille  au  théâtre.  On  croit,  il  est 
vrai,  d'après  la  mention  dans  son  inventaire  d'un  habit 
d'enfant  pour  la  représentation  de  Psyché,  qu'il  la  fit  figu- 
rer, à  l'âge  de  cinq  ou  six  ans,  dans  cette  pièce,  comme 
un  des  petits  Amours  du  Prologue';  mais  il  n'y  aurait  pas 

I.  Nous  avons  dit,  au  commencement  de  cette  Notice  [^.  al, 
que  cette  famille  s'éteignit  en  ijaS,  c'est-à-dire  avec  Esprit-3Iade- 
leine  Poquelin.  On  aura  bien  compris  qu'il  s'agissait  de  la  branche 
dont  le  père  de  Molière  fut  l'auteur.  Nous  n'avions  pas  à  nous 
embarrasser  des  branches  collatérales.  Lorsqu'on  en  a  tenu 
compte,  on  a  dit  qu'elles  n'ont  toutes  disparu  que  vers  1780. 
Vojez  les  Reclterches  sur  Molière,  p.   116. 

1.   La  Fameuse  Comédienne,  p.  38. 

3.    Recherches  sur  Molière,  p.  89. 


SUR    MOLIERE.   •  4^7 

dans  cette  fantaisie  une  preuve  sérieuse  du   dessein  de  la 
préparer  à  devenir  comédienne. 

Lorsque  Esprit-Madeleine  perdit  son  père,  elle  avait  sept 
ans  et  demi.  Elle  eut  naturellement  sa  mère  pour  tutrice; 
André  Boudet,  beau-frère  de  Molière,  fut  son  subrogé  tu- 
teur. Elle  approchait  de  ses  douze  ans  à  l'époque  où  la 
veuve  de  son  père  se  remaria.  La  tutelle  fut  alors  partagée 
entre  sa  mère  et  Guérin,  qui  par  leur  contrat  prirent  l'en- 
gagement de  la  nourrir,  entretenir  et  faire  instruire  suivant 
sa  condition,  jusqu'à  l'âge  de  vingt  ans*.  Il  est  douteux  que 
dans  leur  maison  elle  ait  trouvé,  surtout  après  la  naissance 
du  fils  Guérin,  en  1678,  les  tendres  soins  de  la  maison  pa- 
ternelle d'Auteuil;  mais  on  ne  doit  pas,  sur  la  foi  de  la 
Fameuse  Comédienne,  regarder  comme  certain  qu'elle  avait 
eu  lieu  de  remarquer,  en  beaucoup  de  rencontres,  la  haine 
de  sa  mère,  qui,  pour  enrichir  le  fils  du  second  lit  en  lui 
donnant  tout  le  bien  de  la  lille  de  Molière,  prétendait  faire 
de  celle-ci  une  religieuse,  contrairement  ii  son  inclination-. 
Si  l'on  en  croyait  X Extrait  des  Mémoires  de  Madame  Guérin. 
que  nous  avons  déjà  cité',  «  Chapelle,  qui  visitoit  rarement 
une  maison  où  Molière  n'étoit  plus,  demandant  un  jour  à 
Madeleine  [ce  devait  être  en  1680  ou  1681)  quel  âge  elle 
avoit,  elle  lui  répondit  tout  bas  :  quinze  ans  et  demi  ;  mais, 
ajouta-t-elle  en  souriant,  n'en  dites  rien  à  ma  mère'*.  »  Joli 
mot,  qui  donnerait  à  penser  qu'elle  n'était  pas  sans  malice 
héréditaire,  mais  qu'on  ne  sait  si  l'on  doit  tenir  pour 
authentique.  Ce  qui  est  constaté  par  des  actes,  c'est  que, 
devenue  majeure,  elle  renonça,  le  3o  juin  1 691,  à  la  commu- 
nauté de  biens  entre  son  père  et  sa  mère,  telle  qu'on  l'avait 
établie  du  20  mars  1673  au  3o  juillet  1675,  ne  l'acceptant 
qu'en  l'état  où  elle  était  à  la  première  de  ces  dates*.  Cela 
est  significatif  et  fâcheux  pour  la  mémoire  de  la  mère  tu- 
trice et  pour  celle  du  tuteur.  Soulié  pense  que  les  riches 

I.   Reclierclies  sur  Molière,  p.  3o2.  •/. 

1.  La  Fameuse  Comédienne,  p.  88  el  8y. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  356,  note  i.  - 

4.  Extrait  des  Mémoires  de  Madame  Guerin,  p.  208.  -. 

5.  Recherches  sur  Molière,  Docr.MENT  LTI,  p.   3o3. 


458  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 

successions  de  Madeleine  Béjart  et  de  Molière  avaient  été 
mal  administrées*.  Dans  l'acte  de  sa  renonciation,  Esprit- 
Madeleine  est  dite  «  demeurant,  comme  pensionnaire,  au 
couvent  des  Dames  religieuses  de  la  Conception.  «  De  là 
sans  doute  est  venue  l'accusation  portée,  niais  sans  que 
l'on  fournisse  de  preuves,  contre  la  Guérin,  d'avoir  voulu 
dépouiller  sa  fille  en  la  forçant  d'entrer  en  religion. 

La  pensionnaire  des  religieuses  de  la  rue  Saint-Honoré 
ne  demeurait  plus  dans  leur  maison  lorsque,  après  deux 
ans  de  contestations,  une  transaction  fut  signée  entre  elle  et 
les  époux  Guérin  le  26  septembre  i6g3^. 

On  a  dit  que  vers  i68j  (la  fille  de  Molière,  alors  âgée  de 
vingt  ans,  était  encore  mineure)  Claude  de  Rachel  de  Mon- 
talant  s'était  fait  aimer  d'elle  et  l'avait  enlevée,  qu'il  ne  put 
cependant  obtenir,  pour  l'épouser,  le  consentement  de  la 
mère,  dont  il  fallut  attendre  la  mort.  Bien  que  la  roma- 
nesque aventure  soit  admise  par  JaP,  qui  n'avait  pas  coutume 
d'avancer  des  faits  sans  examen,  rien  n'a  paru  moins  cer- 
tain à  Eudore  Soulié*.  Il  invite  à  remarquer  cet  éloge  que 
fait  d'Esprit-Madeleine  le  biographe  de  1705,  qui  la  con- 
naissait bien  :  «  Mlle  Pocquelin  fait  connoître  par  l'arran- 
gement de  sa  conduite  et  par  la  solidité  et  l'agrément  de 
sa  conversation,  qu'elle  a  moins  hérité  des  biens  de  son 
père  que  de  ses  bonnes  qualités^  ».  Il  faut  ajouter  que,  i>ers 
i685,  époque  désignée  comme  celle  de  l'enlèvement,  si  le 
ravisseur  avait  déjà  pei'du  sa  première  femme,  c'était  depuis 
peu,  le  dernier  de  ses  enfants  étant  né  le  3o  octobre  1684. 
Ce  qu'on  lui  impute  semble  donc  surprenant. 

Il  n'y  a  peut-être  rien  de  trop  complaisant,  rien  que  de 
vraisemblable,  dans  le  témoignage  de  Grimarest,  lorsqu'il 
parle  de  la  conversation  solide  et  agréable  qui  rappelait  de 
quel  père  Mme  de  Montalant  était  née.  Titon  du  Tillet 
s'est-il  seulement   fait  l'écho  de  ce  témoignage  en  disant, 

1.  Recherches  sur  Molière^  p.  io3. 

2.  Recherches  sur  Molière,  Document  LV,  p.  'iii-Zi']. 

3.  Dictionnaire  critique...,  p.  833. 

4.  Recherches  sur  Molière,  p.  107. 

5.  La  T'ie  de  M,  de  Molière,  p.  sgS. 


SUR   MOLIÈRE.  ^59 

lui  aussi,  qu'elle  «  s'est  distinguée  par  son  mérite  et  par  la 
beauté  et  l'agrément  de  son  esprit'  ^)  ? 

Peu  de  mois  après  la  publication  du  livre  où  Grimarest 
se  porte  garant  de  la  conduite  bien  arrangée  de  Mlle  Po- 
quelin,  elle  se  mariait  le  5  août  1705  avec  M.  de  Montalant. 
S'il  était  vrai  que  l'opposition  de  sa  mère  eût  été  un  ob- 
stacle au  mariage,  comment  avoir  attendu  cinq  ans  après 
sa  mort? 

Les  époux  de  170?  n'étaient  pas  jeunes.  Esprit-Madeleine 
avait  quarante  ans;  son  mari,  un  veuf  avec  quatre  enfants, 
approchait  de  la  soixantaine.  Il  était  d'une  fort  bonne 
famille,  mais  pauvre,  tandis  que  les  biens  de  sa  seconde 
femme  étaient  évalués  à  un  peu  plus  de  soixante-cinq  mille 
livres. 

BefTara  dit  que  M.  et  Mme  de  Montalant  passèrent  leur 
vie  à  Auteuil^.  ce  qui  plairait  beaucoup  comme  un  tou- 
chant souvenir  dans  le  cœur  de  la  fille  de  Molière,  heu- 
reuse d'habiter  le  village  où  elle  avait  passé  près  de  son 
père  un  temps  pieusement  regretté.  Mais  Auteuil  paraît 
être  une  faute  d'impression  au  lieu  à.' Argenteuil.  Ce  fut  là 
que  les  époux  vécurent,  là  que  Mme  de  Montalant  mourut, 
sans  avoir  eu  d'enfants,  le  2'3  mai  1723,  quinze  ans  avant 
son  vieux  mari.  Par  cette  fin  d'une  vie,  qui  semble  avoir 
été  assez  triste,  s'éteignait  la  postérité  de  Molière,  ses  deux 
fils  lui  ayant  été  enlevés  en  bas  âge.  Pour  ne  pas  trop 
regretter  qu'il  ne  soit  plus  resté  de  ses  descendants  un 
demi-siècle  après  sa  mort,  il  faut  se  rappeler  cette  fière 
parole  d'un  des  plus  grands  hommes  de  l'antiquité,  mou- 
rant sans  avoir  d'autres  héritières  de  son  nom  que  ses  vic- 
toires :  <;  Je  laisse  après  moi  des  filles  immortelles.  « 

P.  Mesxard. 

I.   Parnasse  français^  p.   3 18. 

1.    Dissertation  sur  J.-B.   Poquelin-Molière,  p.   l5. 


ii'.^'.^jioois.  2j:i0'.    ^»,- 


PIECES    JUSTIFICATIVES 

DE  LA  NOTICE    BIOGRAPHIQUE. 


I.  —  Page  2. 

Acte  de  mariage  de  Jean  Porjueliii,  père  de  Molière, 
et  de  Marie  Cressé. 

«  Jehan  Pocquelin,  paro.  no.  {parocliius  tioster).  Uxor  Marie 
Cressé  id.,  affidati  25  aprilis  1621,  desponsati  37  ejusdem  mensis 
et  anni.  »  'Registre  de  /a  paroisse  Saint-Eustache —  Vacte  a  été  publié 

p ar  Jal ' .  ) 


II.  —  Page  9. 

Acte  de  baptême  de  Molière. 

«  Du  samedi,  i5  janvier  1622,  fut  baptisé  Jean,  fils  de  Jean 
Pouguelin,  tapissier,  et  de  Marie  Cresé,  sa  femme,  demeurant 
Tjue  Saiut-Honoré  ;  le  parrain  Jean  Pouguelin,  porteur  de  grains; 
la  marraine  Denise  Lescacheux*,  veuve  de  feu  Sébastien  Asseliu, 
vivant  marchand  tapissier.  »  {Registre  de  la  paroisse  Saint-Eustache. 
Acte  publié  par  Beff'ara.) 

1.  Pour  tous  les  actes  des  paroisses  de  Paris,  nous  citons  nos  autorités, 
les  registres  de  ces  paroisses  ayant  été  brûlés  en  18-1. 

2.  Denise  Lescacheux,  aïeule  maternelle  de  Marie  Cressé.  Elle  était  mère 
de  Marie  Asselin,  femme  de  Louis  de  Cressé,  père  de  Marie  de  Cressé. 
Voyez  aux  pages  l27-l3o  des  Recherches  sur  Molière  le  Contrat  de  ma- 
riage entre  Jean  Fnquclin  et  Marie  Cressé. 


463     NOTICE   BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIÈRE. 


111.  —  Page  ^3. 

Contrat  de  société  entre  les  comédiens  de  Vlllustre  théâtre. 

«  Furent  présents  en  leurs  personnes  :  Denis  Beys,  Germain 
Clerin,  Jean-Baptiste  Poquelin,  Joseph  Béjart,  Nicolas  Bonnen- 
fant,  Georges  Piuel,  Magdelaine  Bëjart,  Magdelaine  3Ialingre,  Ca- 
therine de  Surlis  et  Geneviève  Béjart,  tous  demeurant  sçavoir  : 

«  Led.  Beis  rue  de  la  Perle,  paroisse  Saint-Gervais;  led.  Clerin 
rue  Saint- Antoine,  paroisse  Saint-Paul;  led.  Poquelin  rue  de  To- 
rigny,  paroisse  susdite;  lesd.  Béjart,  Magdelaine  et  Geneviefve 
Béjart  en  lad.  rue  de  la  Perle  en  la  maison  de  madame  leur  mère, 
paroisse  susd.;  led.  Bonnenfant  en  ladite  rue  Saint-Paul;  led. 
Pinel,  rue  Jeau-de-Lespine,  paroisse  Saint-Jean  en  Grève;  lad. 
Magdelaine  Malingre,  vieille  rue  du  Temple,  paroisse  Saint-Jean 
en  Grève;  et  lad,  de  Surlis,  rue  de  Poictou,  paroisse  Saint-^N'ico- 
las  des  Champs; 

«  Lesquelz  ont  faict  et  accordé  volontairement  entre  eulx  les 
articles  qui  ensuivent  soubz  lesquelz  ilz  s'unissent  et  se  lient  en- 
semble pour  l'exercice  de  la  comédie,  affin  de  conservation  de 
leur  trouppe  soubz  le  tiltre  de  l'Illustre  théâtre;  c'est  à  sçavoir  : 

n  Que,  pour  n'oster  la  liberté  raisonnable  à  personne  d'entre 
eulx,  aucun  ne  pouira  se  retirer  de  la  trouppe  sans  en  advertir 
quatre  mois  auparavant,  comme  pareillement  la  trouppe  n'en 
pourra  congédier  aucun  sans  luy  en  donner  advis  les  quatre  mois 
auparavant. 

«  Item  que  les  pièces  nouvelles  de  théâtre  qui  viendront  à  la 
trouppe  seront  disposées  sans  contredit  par  les  auteurs,  sans 
qu'aucun  puisse  se  plaindre  du  rolle  qui  lui  sera  donné  ;  que  les 
pièces  qui  seront  imprimées,  si  l'autheur  n'en  dispose,  seront  dis- 
posées par  la  trouppe  mesmes  à  la  pluralité  des  voix,  sy  l'on  ne 
s'arreste  à  l'accord  qui  en  est  pour  ce  faict  entre  lesd.  Clerin, 
Pocquelin  et  Joseph  Béjart,  qui  doivent  choisir  akernatifvement 
les  héros,  sans  préjudice  de  la  prérogative  que  tous  les  susd.  ac- 
cordent à  lad.Magdeleine  Béjart  de  choisir  le  rooUe  qui  luy  plaira. 
Item  que  toutes  les  choses  qui  concerneront  leur  théâtre  et  les 
affaires  qui  surviendront,  tant  de  celles  que  l'on  prévoit  que  de 
celles  qu'on  ne  prévoit  point,  la  troupe  les  décidera  à  la  pluralité 
des  voix,  sans  que  personne  d'entre  eulx  y  puisse  contredire. 
Item  que  ceulx  ou  celles  qui  sortiront  de  la  troupe  à  l'amiable, 
suivant  lad.  clause  des  quatre  mois,  tireront  leurs  partz  contin- 


PIECES   JUSTIFICATIVES.  463 

gentes  de  tous  les  fraiz,  décorations  et  autres  choses  généralement 
quelconques  qui  auront  été  faictes  depuis  le  jour  qu'ilz  seront 
entrez  dans  la  dicte  trouppe  jusques  à  leur  sortie,  selon  l'appré- 
ciation de  leur  valeur  présente,  qui  sera  faicte  par  des  gens 
expers  dont  tous  conviendront  ensemble. 

«  Item  ceulx  qui  sortiront  de  la  troupe  pour  vouloir  des  choses 
qu'elle  ne  voudra,  ou  que  lad.  trouppe  sera  obligée  de  mettre 
dehors  faulte  de  faire  leur  devoir,  en  ce  cas  ilz  ne  pourront  pré- 
tendre à  aucun  partage  et  desdommagement  des  frais  communs. 

«  Item  que  ceulx  ou  celles  qui  sortiront  de  la  trouppe  et  malicieu- 
sement ne  voudront  suivre  aucun  des  articles  presens,  seront 
obligez  à  tous  les  desdommagemens  des  fraiz  de  lad.  trouppe  et 
pour  cet  effet  seront  ypotecquez  leurs  équipages  et  généralement 
tous  et  chacuns  leurs  biens  presens  et  advenir  en  quelque  lieu  et 
en  quelque  temps  qu'ils  puissent  estre  trouvez. 

«  A  l'entretenement  duquel  article  toutes  les  parties  s'obligent 
comme  s'ils  estoient  majeurs  pour  la  nécessité  de  la  société  con- 
tractée par  tous  les  articles  cy  dessus. 

«  Et  de  plus  il  a  esté  accordé  entre  tous  les  dessus  ditz  que, 
sy  aucun  d'eux  vouloit  auparavant  qu'ilz  commenceront  à  mon- 
ter leur  théâtre  se  retirer  de  lad.  société,  qu'il  soit  tenu  de  bail- 
ler et  payer  au  proffit  des  autres  de  la  trouppe  la  somme  de 
trois  mille  livres  tournois  pour  les  desdommager  incontinent  et 
dès  qu'il  se  sera  retiré  de  lad.  trouppe,  sans  que  lad.  somme 
puisse  estre  censée  peine  comminatoire.  Car  ainsi  a  esté  accordé 
entre  lesd.  parties  promettant,  obligeant  chacun. 

«  Faict  et  passé  à  Paris  en  la  présence  de  noble  homme  André 
Mareschal,  advocat  eu  Parlement,  Marie  Hervé,  veuve  de  feu  Jo- 
seph Bejart  vivant  bourgeois  de  Paris,  mcre  desd.  Bejart,  et 
Françoise  Lesguillou,  femme  d'Etienne  de  Surlis,  bourgeois  de 
Paris,  père  et  mère  de  lad.  de  Surlis,  en  la  maison  de  lad.  veufve 
Bejart  devant  déclarée.  L"an  mil  six  cent  quarante  trois  le  tren- 
tième et  dernier  jour  de  juin  après  midy,  et  ont  tous  signé  les 
présentes  subjectes  au  scel  soubs  les  peines  de  l'édict.  » 

Beys.  g.   Clekix. 

Jean  Baptiste  Poqxjelix.  J.  Béiart. 

Bo>>ENFAKT.  George  Pi>'el. 

M.   Beiart.  Magdale  Maliscre. 

Geneviefve  Beiart.  Cateri>e  Deslrlis. 

A.  Mareschal.  Makie  Hervé. 
Françoise  Lesguillo>'. 

Duchesne.  —  Fiefj'c. 


464     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIÈRE. 

{Publié  par    M.    Louis   Moland,    d'avrès   l'autographe,    conservé  en 
V étude  de  M'  Biesta.] 


IV.  —  Page  90. 

Acte  de  baptême  de  Françoise,  fille  de  Madeleine  Béjart. 

«  Du  dimanche  11  juillet  i638.  Fut  baptisée  Françoise,  née  du 
samedy  troisiesme  de  ce  présent  moys,  fille  de  Messire  Esprit  de 
Raymond,  chevallier  seigneur  de  Modène  et  aultres  lieux,  cham- 
belan  des  affaires  de  Monseigneur  frère  unique  du  Roi,  et  de  de- 
moyselle  Magdeleyne  Beiard.  La  mère  demeurant  rue  Sainl- 
Honoré.  Le  parein,  Jehan-Baptiste  de  l'Ermitte,  escuyer,  sieur 
de  Vausel,  le  tenant  lieu  de  messire  Gaston-Jehan  Baptiste  de 
Raymond,  aussi  chevalier  seigneur  de  Modène.  La  mareine,  Da- 
moyselle  IMarie  Hervé,  femme  de  Joseph  Beiard,  escuyer.  »  (£n 
marge  de  Pacte  :  Françoise  illégitime.)  —  {Registre  de  la  paroisse  Saint- 
Eustache.  — Acte  publié  en  1825  à  la  suite  de  la  Lettre  du  marquis  de 
Fortia  sur  la  femme  de  Molière,  p.  85.) 


V.  —  Page  221. 

Abrégé  de  la  vie  de  Molière  et  de  l'histoire  de  ses  ouvrages  jusquen 
i663  (/ire  rfe5  Nouvelles  nouvelles,  troisième  partie,  p.  218-340 
du  tome  III). 

'<  Comme'  il  peut  passer  pour  le  Térence  de  notre  siècle, 

qu  il  est  grand  auteur,  et  grand  comédien  lorsqu'il  joue  ses  piè- 
ces, et  que  ceux  qui  ont  excellé  dans  ces  deux  choses,  ont  tou- 
jours eu  place  en  l'histoire,  je  puis  bien  vous  faire  ici  un  abrégé 
de  l'abrégé  de  sa  vie  et  vous  entretenir  de  celui  dont  l'on  s'en- 
tretient presque  dans  toute  l'Europe,  et  qui  fait  si  souvent  re- 
tourner à  l'Ecole  tout  ce  qu'il  y  a  de  gens  d'esprit  à  Paris. 

«  Ce  fameux  auteur  de  VEcole  des  Maris,  ayant  eu  dès  sa  jeu- 
nesse une  inclination  toute  particulière  pour  le  théâtre,   se  jeta 

I.  C'est  Straton,  un  des  interlocuteurs  du  dialogue,  qui  parle  d'abord. 


PIECES   JUSTIFICATIVES.  ',6j 

dans  la  comédie  quoiqu'il  se  pùl  bien  passer  de  celte  occupa- 
lion  et  qu'il  eût  assez  de  l)iea  j)our  vivre  honorablement  dans  le 
monde.  Il  fit  quelque  temps  la  comédie  à  la  campagne,  et  quoi- 
qu'il jouât  fort  mal  le  sérieux,  et  que  dans  le  comique  il  ne  fût 
qu'une  copie  de  Trivelin  et  de  Scaramouche,  il  ne  laissa  pas  que 
de  devenir  en  peu  de  tera|)s  par  son  adresse  et  par  son  esprit  le 
chef  de  sa  troupe  et  de  l'obliger  à  porter  son  nom.  Celle  troupe, 
ayant  un  chef  si  spirituel  et  si  adroit,  effaça  en  peu  de  temps 
toutes  les  troupes  de  la  campagne,  et  il  n'y  avoit  point  de  comé- 
diens dans  les  autres  qui  ne  briguassent  des  places  dans  la  sienne. 
Tl  fit  des  farces  qui  réussirent  un  peu  plus  que  des  farces  et  qui 
furent  un  peu  plus  estimées  dans  toutes  les  villes  que  celles  que 
les  autres  comédiens  jouoieut.  Ensuite  il  voulut  faire  luie  pièce 
en  cinq  actes,  et  les  Italiens  ne  lui  plaisant  pas  seulement  dans 
leur  jeu,  mais  encore  dans  leurs  comédies,  il  en  fit  une  qu'il  tira 
de  plusieurs  des  leurs,  à  laquelle  il  donna  pour  litre  l'Eslourdy 
ou  les  Contretemps.  Ensuite  il  fit  le  Dépit  anwureu.r,  qui  valoit  beau- 
coup moins  que  la  première,  mais  qui  réussit  toutefois  à  cause 
d'une  scène  qui  plut  à  tout  le  monde...  ;  et  après  avoir  fait  jouer 
ces  deux  pièces  à  la  campagne,  il  voulut  les  faire  voir  à  Paris,  où 
il  emmena  sa  troupe.  Comme  il  avoit  de  l'esprit,  et  qu'il  savoit 
ce  qu'il  falloit  faire  pour  réussir,  il  n'ouvrit  son  théâtre  qu'après 
avoir  fait  plusieurs  visites  et  brigué  quantité  d'approbateurs.  11 
fut  trouvé  incapable  de  jouer  aucunes  pièces  sérieuses;  mais  l'es- 
time que  l'on  commençoit  à  avoir  pour  lui,  fut  cause  que  l'on  le 
souffrit.  Après  avoir  quelque  temps  joué  de  vieilles  pièces  et  s'être 
en  quelque  façon  établi  à  Paris,  il  joua  son  Eslourdv  et  son  Dé~ 
pit  amoureux,  qui  réussirent  autant  par  la  préoccupation  que  l'on 
commençoit  à  avoir  pour  lui  que  par  les  applaudissemens  qu'il 
reçut  de  ceux  qu'il  avoit  priés  de  les  venir  voir.  Après  le  succès 
de  ces  deux  pièces,  son  théâtre  commença  à  se  trouver  conti- 
nuellement rempli  de  gens  de  qualité,  non  pas  tant  pour  le  di- 
vertissement qu'ils  y  prenoient  (car  l'on  n'y  jouoit  que  de  vieilles 
pièces)  que  parce  que  le  monde  ayant  pris  habitude  d'y  aller, 
ceux  qui  aimoient  la  compagnie,  et  qui  aimoient  à  se  faire  voir, 
y  trouvoient  amplement  de  quoi  se  contenter.  Ainsi  l'on  y  ve- 
noit  par  coutume,  sans  dessein  d'écouter  la  comédie,  et  sans  sa- 
voir ce  que  l'on  y  jouoit.  Pendant  cela,  notre  auteiu- fit  réflexion 
sur  ce  qui  se  passoit  dans  le  monde,  et  surtout  parmi  les  gens  de 
qualité,  pour  en  reconnoître  les  défauts;  mais  comme  il  n'étoit 
encore  ni  assez  hardi  pour  entreprendre  une  satire,  ni  assez  ca- 
pable pour  en  venir  à  bout,  il  eut  recours  aux  Italiens,  ses  amis, 
et  accommoda  les  Précieuses  au  théâtre  françois,  qui  avoienl  été 
Molière,   x  3o 


',66     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIÈRE. 

jouées  sur  le  leur,  et  qui  leur  avoient  été  données  par  un  abbé 
des  plus  galants.  Il  les  babilla  admirablement  bien  à  la  Françoise, 
et  la  réussite  qu'elles  eurent  lui  fit  connoître  que  l'on  aimoit  la 
satire  et  la  bagatelle —  Il  apprit  que  les  gens  de  qualité  ne  vou- 
loient  rire  qu'à  leurs  dépens,  qu'ils  vouloient  que  l'on  fit  voir 
leurs  défauts  au  public,  qu'ils  étoient  les  plus  dociles  du  monde 
et  qu'ils  auroient  été  bons  du  temps  où  l'on  faisoit  pénitence  à 
la  porte  des  temples....  Jamais  homme  ne  s'est  si  bien  su  servir 
de  l'occasion  ;  jamais  homme  n'a  su  si  naturellement  décrire  ni 
représenter  les  actions  humaines....  Il  fit,  après  les  Précieuses,  le 
Cocu  imaginaire,  qui  est,  à  mon  sentiment  et  à  celui  de  beaucoup 
d'autres,  la  meilleure  de  toutes  ses  pièces  et  la  mieux  écrite... 

n   Notre  auteur,  après  avoir  fait  cette  pièce,  reçut  des  gens  de 

qualité  plus  de  mémoires  que  jamais Je  le  vis  bien  embarrassé 

un  soir  après  la  comédie,  qui  cherchoit  partout  des  tablettes  pour 
écrire  ce  que  lui  disoient  plusieurs  personnes  de  condition  dont 

il  étoit  environné Ces  3Iessieurs  lui  donnent  souvent  à  dîner, 

pour  avoir  le  temps  de  l'instruire  de  tout  ce  qu'ils  veulent 
lui  faire  mettre  dans  ses  pièces  ;  mais,  comme  ceux  qui  croyenl 
avoir  du  mérite,  ne  manquent  jamais  de  vanité,  il  rend  tous  les 
repas  qu'il  reçoit,  son  esprit  le  faisant  aller  de  pair  avec  beaucoup 

de  gens  qui  sont  beaucoup  au-dessus  de  lui iJ École  des  maris 

fut  [/«  ^j?t'ce]  qui  sortit  de  sa  plume  après  le  Cocu  imaginaire Les 

vers  en  sont  moins  bons  que  ceux  du  Cocu  imaginaire  ;  mais  le  su- 
jet est  tout  à  fait  bien  conduit,  et  si  cette  pièce  avoit  eu  cinq 
actes,  elle  pourroit  tenir  rang  dans  la  postérité  après  le  Menteur 
et  les  Visionnaires,  Notre  auteur,  après  avoir  fait  ces  deux  pièces, 
reçut  des  mémoires  en  telle  confusion  que  de  ceux  qui  lui  res- 
toient  et  de  ceux  qu'il  recevoit  tous  les  jours  il  en  auroit  eu  de 
quoi  travailler  toute  sa  vie,  s'il  ne  se  fût  advisé,  pour  satisfaire 
les  gens  de  qualité  et  pour  les  railler,  ainsi  qu'ils  le  souhaitoient, 
de  faire  une  pièce  où  il  pût  mettre  quantité  de  leurs  portraits. 
Il  fit  donc  la  comédie  des  Fdchcu.v,  dont  le  sujet  est  autant  mé- 
chant que  Ton  puisse  imaginer,  et  qui  ne  doit  pas  être  appelée 
une  pièce  de  théâtre.  Ce  n'est  qu'un  amas  de  portraits  détachés, 
et  tirés  de  ces  mémoires,  mais  qui  sont  si  naturellement  repré- 
sentés, si  bien  touchés  et  si  bien  finis,  qu'il  en  a  mérité  beau- 
coup de  gloire....  Le  peu  de  succès  qu'a  eu  son  Dom  Garde  ou  le 
Prince  jaloux  m'a  fait  oublier  de  vous  eu  parler  à  son  rang;  mais 
je  crois  qu'il  suffit  de  vous  dire  que  c'étoit  une  pièce  sérieuse  et 
qu'il  en  avoit  le  premier  rôle.  ])our  vous  faire  connoître  que  l'on 
ne  s'y  devoit  pas  beaucoup  divertir. 

«   La  dernière   de   ses  comédies,  celle  dont  ^  ous  souhaitez  le 


PIECES   JUSTIFICATIVES.  ,67 

plus  que  je  vous  entretienne,  parce  que  c'est  celle  qui  fait  le 
plus  de  bruit,  s'appelle  VEcole  des  femmes.  Cette  pièce  a  cinq 
actes.  Tous  ceux  qui  l'ont  vue  sont  demeurés  d'accord  qu'elle 
est  mal  nommée  et  que  c'est  plutôt  l'École  des  maris  que  CÉcole 
des  femmes.  Mais  comme  il  en  a  déjà  fait  une  sous  ce  titre,  il  n"a 
pu  lui  donner  le  même  nom.  Elles  ont  beaucoup  de  rapport  en- 
semble; et  dans  la  première  il  garde  une  femme  dont  il  veut  f;iire 
son  épouse,  qui,  bien  qu'il  la  croye  ignorante,  en  sait  plus  qu'il 
ne  croit,  ainsi  que  l'Agnès  de  la  dernière,  qui  joue,  aussi  bien 
que  lui,  le  même  personnage  et  dans  l'École  des  maris  et  dans 
l'École  des  femmes;  et  toute  la  différence  que  l'on  y  trouve,  c'est 
que  l'Agnès  de  l'Ecole  des  femmes  est  un  peu  plus  sotte  et  plus 
ignorante  que  l'Isabelle  de  l'Ecole  des  maris.  Le  sujet  de  ces  deux 
pièces  n'est  point  de  son  invention  :  il  est  tiré  de  divers  endroits, 
à  savoir  de  Boccace,  des  contes  de  Douville,  de  la  PrJcaution  inu- 
tile de  Scarrou:  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  beau  dans  la  dernière  est 
tiré  d'un  livre  intitulé  les  yuits  facétieuses  du  seigneur  StraparoUe, 
dans  une  histoire  duquel  un  rival  vient  tous  les  jours  faire  confi- 
dence à  son  ami.  sans  savoir  qu'il  est  son  rival,  des  faveurs  qu'il 
obtient  de  sa  maîtresse;  ce  qui  fait  tout  le  sujet  et  la  beauté  de 
l'École  des  femmes.  Cette  pièce  a  produit  des  effets  tout  nouveaux  ; 
tout  le  monde  l'a  trouvée  méchante,  et  tout  le  monde  y  a  couru. 
Les  dames  l'ont  blâmée,  et  l'ont  été  voir.  Elle  a  réussi,  sans  avoir 
plu,  et  elle  a  plu  à  plusieurs  qui  ne  l'ont  pas  trouvée  bonne; 
mais  pour  vous  en  dire  mon  sentiment,  c'est  le  sujet  le  plus  mal 
conduit  qui  fût  jamais,  et  je  suis  prêt  de  soutenir  qu'il  n'y  a  pas 
de  scène  où  l'on  ne  puisse  faire  voir  une  infinité  de  fautes.  Je 
suis  toutefois  obligé  d'avouer,  pour  rendre  justice  à  ce  que  sou 
auteur  a  de  mérite,  que  cette  pièce  est  un  monstre  qui  a  de 
belles  parties,  et  que  jamais  ou  ne  vit  tant  de  si  bonnes  et  de 
méchantes  choses  ensemble.  Il  y  en  a  de  si  naturelles,  qu'il  semble 
que  la  nature  ait  travaillé  elle-même  à  les  faire.  Il  y  a  des  en- 
droits qui  sont  inimitables  et  qui  sout  si  bien  exprimés  que  je 
manque  de  termes  assez  forts  et  assez  significatifs  pour  vous  les 

bien   faire   concevoir Ce   sout  des  portraits  de  la  nature  qui 

peuvent  passer  pour  originaux.  Il  semble  qu'elle  y  parle  elle- 
même.  Ces  endroits  ne  se  rencontrent  pas  seulement  dans  ce  que 
joue  Agnès,  mais  dans  les  rôles  de  tous  ceux  qui  jouent  à  cette 
pièce.  Jamais  comédie  ne  fut  si  bien  représentée  ni  avec  tant 
d'art;  chaque  acteur  sait  combien  il  y  doit  faire  de  pas,  et  toutes 
ses  œillades  sout  comptées.... 

«    Tout  ce  que  vous  venez  de  dire  est  véritable,  repartit  Clo- 


468     NOTICE  BIOGRAPHIQUE  SUR   iMOLIÈRE. 

ranle,  mais  si  vous  voulez  savoir  pourquoi,  presque  dans  toutes 
ces  pièces,  il  raille  tant  les  cocus,  et  doj)eint  si  uaturellemcut  les 
jaloux,  c'est  qu'il  est  du  nombre  de  ces  derniers.  Ce  n'est  pas 
que  je  ne  doive  dire,  pour  lui  rendre  justice,  qu'il  ne  témoigne 
pas   de  jalousie  hors  du  théâtre;    il  a  trop    de   prudence,  et  ne 

voudroit  pas   s'exposer  à  la  raillerie  publique Nous  verrons 

dans  peu,  continua  le  même,  une  pirce  de  lui,  intitulée  la  Cri- 
tique de  V Ecole  des  femmes,  où  il  dit  toutes  les  fautes  que  l'on  re- 
prend dans  sa  pièce  et  les  excuse  en  même  temps. 

«  Elle  n'est  pas  de  lui,  repartit  Straton,  elle  est  de  l'abbé  du 
Buisson,  qui  est  un  des  plus  galants  hommes  du  siècle. 

«  J'avoue,  lui  répondit  Clorante,  que  cet  illustre  abbé  eu  a  fait 
une,  et  que  l'ayant  portée  à  l'auteur  dont  nous  parlons,  il  trouva 
des  raisons  pour  ne  la  point  jouer,  encore  qu'il  avouât  qu'elle  fût 
bonne....  Il  a  fait  une  pièce  sur  le  même  sujet,  croyant  qu'il  étoit 
seul  capable  de  se  donner  des  louanges.... 

«  Quoique  cet  auteur  soit  assez  fameux...  pour  obliger  les 
personnes  d'esprit  à  parler  de  lui,  c'est  assez  nous  entretenir  sur 
un  même  sujet.  J'avouerai  toutefois  que  vous  m'avez  fait  conce- 
voir beaucoup  d'estime  pour  le  Peintre  ingénieux  de  beaux  ta- 
bleaux du  siècle.  Tout  ce  que  vous  avez  dit  de  lui  m'a  paru  fort 
sincère;  car  vous  l'avez  dit  d'une  manière  à  me  faire  croire  que 
tout  ce  que  vous  avez  dit  à  sa  gloire  est  véritable;  et  les  ombres 
que  vous  avez  placées  en  quelques  endroits  de  votre  portrait 
n'ont  fait  que  relever  l'éclat  de  vos  couleius.    » 


VI.  —  Page  20  1 . 

Contrat  de  mariage  entre  Molière  et  Armande  Vèjart. 

«  Furent  présents  Jean-Baptiste  Poquelin  de  Molière,  demeu- 
rant à  Paris,  rue  Saint-Thomas-du-Louvrc,  paroisse  Saint-Ger- 
main-de-l'Auxerrois,  pour  lui  en  son  nom,  d'une  part;  et  damoi- 
selle  Marie  Hervé,  veuve  de  feu  Joseph  Béjard,  vivant  écuyer, 
sieur  de  Belleville,  demeurant  à  Paris,  dans  la  place  du  Palais- 
Royal,  stipulant  en  cette  partie  pour  damoiselle  Armande-Gré- 
sinde-Claire-Élisabeth  Béjard,  sa  fîlle  et  dudit  défunt  sieur  de 
Belleville,  âgée  de  vingt  ans  ou  environ,  à  ce  présente  de  son 
vouloir  et  consentement,  d'autre  part;  lesquelles  jiarlies    en   la 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  /JGq 

présence,  par  l'avis  et  conseil  de  leurs  jiarents  et  amis,  savoir, 
de  la  part  tludit  sieur  de  Molière  :  de  sieur  Jean  Poquclin,  son 
père,  tapissier  et  valet  de  chambre  du  Roi,  et  sieur  André  Bou- 
det,  marchand  bourgeois  de  Paris,  beau-fière  à  cause  de  damoi- 
selle  Marie-^Iadeleine  Poquclin,  sa  femme;  et  de  la  part  de  la- 
dite damoiseile  Armande-Grésinde-Claire-Elisabelh  Béjard  :  de 
damoiselle  Madeleine  Béjard,  fille  usante  et  jouissante  de  ses 
biens  et  droits,  sœur  de  ladite  damoiselle,  et  de  Louis  Béjard, 
son  frère,  demeurant  avec  ladite  damoiselle,  leur  mère,  dans  la- 
dite place  du  Palais-Royal,  ont  fait  et  accordé  entre  elles  de  bonne 
foi  les  traité  et  conventions  de  mariage  qui  ensuivent.  C'est  à 
savoir  que  lesdits  sieur  de  Molière  et  damoiselle  Armande-Gré- 
sinde-Ciaire-Élisabeth  Béjard,  du  consentement  susdit,  se  sont 
promis  prendre  l'un  l'autre  par  nom  et  loi  de  mariage,  et  icelui 
solenniser  en  face  de  notre  mère  sainte  Eglise,  si  Dieu  et  notre 
dite  mère  s'y  consentent  et  accordent. 

«  Pour  être  les  futurs  époux  uns  et  communs  en  tous  biens 
meubles  et  couquéts  immeubles,  suivant  et  au  désir  de  la  cou- 
tume de  cette  ville,  prévôté  et  vicomte  de  Paris. 

«  Ne  seront  tenus  des  dettes  l'un  de  l'autre  faites  et  créées 
avant  la  célébration  dudit  mariage,  et  s'il  y  en  a,  seront  payées 
par  celui  qui  les  aura  faites  et  sur  son  bien  sans  que  celui  de 
l'autre  en  soit  tenu. 

«  En  faveur  des  présentes,  ladite  damoiselle  mère  de  ladite 
damoiselle  future  épouse,  a  promis  bailler  et  donner  auxdits  fu- 
turs époux,  à  cause  de  ladite  damoiselle,  sa  fille,  la  veille  de  leurs 
épousailles,  la  somme  de  dix  mille  livres  tournois,  dont  un  tiers 
entrera  en  ladite  future  communauté  et  les  deux  autres  tiers  de- 
meureront propres  à  ladite  future  épouse,  et  aux  siens  de  son 
côté  et  ligne. 

«  Ledit  futur  époux  a  doué  et  doue  sadite  future  épouse  de  la 
somme  de  quatre  mille  livres  tournois  de  douaire  préllx  pour  une 
fois  payé,  à  l'avoir  et  prendre,  quand  il  aura  lieu,  sur  tous  les 
biens  dudit  futur  époux  qu'il  hypothèque  à  cet  effet. 

«  Le  survivant  desquels  futurs  époux  prendra  par  préciput  des 
biens  de  leur  communauté,  tels  qu'il  voudra  choisir  réciproque- 
ment jusqu'à  la  somme  de  mille  livres,  suivant  la  prisée  de  l'in- 
ventaire, et  sans  crue,  ou  ladite  somme  en  deniers  à  son  choix. 

«  Advenant  le  décès  dudit  sieur  futur  époux  avant  celui  de  la 
future  épouse,  sera  permis  à  icelle  future  épouse  et  aux  enfants 
qui  naîtront  dudit  mariage,  d'accepter  la  communauté  ou  y  re- 
noncer et,  en  cas  de  renonciation,  reprendre  ce  qu'elle  aura  ao- 
porté  audit  mariage,  lui  sera  advenu  et  échu  par  succession,  du- 


47<>     NOTICE   BIOGRAPHIQUE   SUR  MOLIERE. 

nation  ou  autrement  même,  elle,  ses  douaire  et  préciput  susdit, 
le  tout  franchement  et  quittement  sans  être  tenue  des  dettes  de 
la  communauté,  encore  qu'elle  y  eût  participé. 

«  S'il  est  vendu  ou  aliéné  aucuns  héritages  ou  ventes  rache- 
tées, appartenant  à  l'un  ou  à  l'autre  des  futuis  époux,  les  deniers 
en  provenant  seront  remplacés  en  autres  héritages  ou  rentes  pour 
sortir  pareille  nature,  et  si  au  jour  de  la  dissolution  de  ladite 
communauté  ledit  remploi  ne  se  trouvoit  fait,  ce  qui  s'en  défau- 
dra sera  repris  sur  ladite  communauté,  si  elle  suffit,  sinon  à 
l'égard  de  ladite  future,  sur  les  propres  et  autres  biens  dudit 
futur  époux. 

«  Car  ainsi  a  été  accordé  entre  les  parties,  promettant,  obli- 
geant, etc.  Fait  et  passé  à  Paris  eu  la  maison  de  ladite  demoi- 
selle, l'an  mil  six  cent  soixante  deux,  le  vingt-troisième  jour  de 
janvier,  et  ont  signé.  » 

J.    POCQUELIN. 

J.    B.    PoCQUELIN    MOLIÈKE.  MaRIE  HÉRUÉ. 

Armande-Grésinde  Béjart. 

M.    BÉJART.  A.    BoUDET. 

Louis   BÉJARD. 

Og'ier.  —  Pain. 

«  Ledit  sieur  Poquelin  de  Molière,  nommé  en  son  contrat  de 
mariage  ci-dessus,  reconnoît  et  confesse  que  ladite  demoiselle 
Marie  Hervé,  veuve  dudit  sieur  Béjard,  aussi  y  nommée,  mère  de 
ladite  damoiselle  Armande-Grésinde  Béjard,  lui  a  payé  et  d'elle 
confesse  avoir  reçu  ladite  somme  de  dix  mille  livres  que  ladite 
avoit  promis  bailler  et  donner  audit  sieur  de  Molière,  par  ledit 
contrat  et  en  faveur  d'icelui,  dont  quittance.  Fait  et  passé  es 
études  le  vingt-quatre  juin  mil  six  cent  soixante-deux  et  a  signé  » 

J.  B.  Poquelin  3Iolièke. 

Ogier,  —  Pain. 

(Publié  par  Eud.  Soiilié,  Recherches  sur  Molière,  p.  ao3-ao5, 
sur  la  minute  conservée  en  l'étude  de  M'  A  cloque.) 


PIECES   JUSTIFICATIVES.  471 


VII,  —  Page  200. 

,•/(•/(;  de  mariage  de  Molière. 

«  Du  luudy  vingtiesmc  (février  1662)  Jean-Baptiste  Poquelin, 
fils  de  Jean  Poquelin  et  de  feue  Marie  Cresé,  d'une  part,  et  Ar- 
mande-Grésinde  Béiard,  fille  de  feu  Joseph  Béiard  et  de  Marie 
Herué,  d'autre  part,  tous  deux  de  cette  paroisse,  vis-à-vis  le  Pa- 
lais-Royal, fiances  et  mariés  tout  ensemble,  par  permission  de 
M.  Comtes,  doyen  de  Xostre-Dame  et  grand  vicaire  de  ^lonsei- 
gneur  le  cardinal  de  Retz,  archevesque  de  Paris,  en  présence  de 
Jean  Poquelin,  père  du  marié,  et  de  André  Boudet,  beau-frère 
dud.  marié,  et  de  lad'  dame  Herué,  mère  de  la  mariée,  et  Louis 
Béiard  et  Magdeleine  Béiard,  frère  et  sœur  de  lad.  mariée.... 
avec  dispense  de  deux  bans.  Signé  :  J.-B.  Poquelin,  Armande  Gré- 
sinde  Bejart,  J.  Pocquelin,  A.  Boudet,  Marie  Hervé,  Louys  Be- 
jart,  Beiart.  »  [Registre  de  la  paroisse  Saint'Germain-r Aaxerrois .  — 
Acte  publié  par  Jal.) 


VIII.  —  Page  io.\. 

Renonciation  de  Marie  Hervé  pour  ses  enfants  à  la  succession 
de  Joseph  Béjart  leur  père. 

«  L'an  mil  six  cent  quarante-trois,  le  mardi  dixième  mars,  par 
devant  nous  Antoine  Ferrand,  etc.,  est  comparue  Marie  Hervé, 
veuve  de  feu  Georges  Béjart,  vivant  huissier  des  eaux  et  forêts 
de  France  à  la  table  de  marbre  à  Paris,  au  nom  et  comme  tutrice 
de  Joseph,  Madeleine,  Geneviève,  Louis  et  une  petite  non  bap- 
tisée, mineurs  dudit  défunt  et  [d'jelle,  laquelle  nous  a  dit  et  remon- 
tré que  la  succession  dudit  défunt  son  mari  est  chargée  de  grandes 
dettes  et  que  n'y  a  aucuns  biens  en  icelle  pour  les  acquitter,  et 
craint  que  si  elle  appréhende  icelle  pour  sesdits  enfants  qu'elle 
ne  leur  soit  plus  onéreuse  que  profitable,  icelle  désireroit  de  y 
renoncer  pour  sesdits  enfants,  ce  qu'elle  doute  pouvoir  valable- 
ment  faire   sans  l'avis   de»  parents  et  amis  des  desdits  mineurs 


472     NOTICE   BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIÈRE. 

qu'elle  a  requis  s'assembler  pour  [le]  donner  sur  ladite  renon- 
ciation; suivant  laquelle  requête  est  comparu  Gabriel  Renard, 
sieur  de  Siiinte-Marie,  M'  Pierre  Pillon,  procureur  au  Chilelet, 
M'..,  Berenger,  procureur  audit  Châtelet,  M'  Pierre  Bëjard,  pro- 
cureur audit  Châtelet,  oncle  paternel,  Simon  Bedeau,  maître  sel- 
lier lormier  à  Paris,  subrogé-tuteur  desdits  mineurs,  M"  Jacques 
Buyars[?],  Jean  Freval,  maître  tailleur  d'habits,  Jean  Fourault, 
bourgeois  de  Paris,  amis,  auxquels  avons  fait  faire  le  serment 
de  donner  bon  et  fidèle  avis  sur  ladite  renonciation,  lesquels, 
après  serment  par  eux  fait,  ont  dit  qu'ils  sont  d'avis  que  ladite 
veuve  renonce  pour  lesdits  mineurs  à  la  succession  dudit  défunt 
leur  père,  comme  leur  étant  plus  onéreuse  que  profitable. 

«  Sur  quoi  nous  ordonnons  qu'il  en  sera  fait  rapport  au  con- 
seil. 

«  Il  sera  dit  par  délibération  du  conseil  qu'il  est  permis  à  la- 
dite veuve,  audit  nom  de  tutrice  desdits  mineurs,  de  renoncer 
pour  eux  à  la  succession  dudit  défunt  leur  père,  comme  leur  étant 
plus  onéreuse  que  profitable,  attendu  les  dettes  dont  elle  est 
chargée,  et  ce  suivant  l'avis  desdits  parents  et  amis;  la  renoncia- 
tion qui  sera  faite  avons  approuvé  et  homologué.  » 

A.  Ferrakd, 

«  Et  le  mercredi  x  juin  audit  an  i643  est  eomparue  ladite  Hervé, 
laquelle,  audit  nom  de  tutrice  des  enfants  mineurs  dudit  défunt 
et  d'elle,  après  avoir  pris  le  consentement  ci-dessus,  a  renoncé 
à  la  succession  dudit  défunt,  leur  père,  comme  leur  étant  icelle 
plus  onéreuse  que  profitable.  » 

Mahie  Bervâ. 

[Ârclilves  nationales.  Minutes  du  Châtelet.  —  Publié  par  Eud.  Sou- 
lié  dans  les  Recherches  sur  Molière,/?.  17a  et  i^S.) 


IX.  —  Page  269. 

Acte  de  baptême  du  fils  aine  de  Molière. 

«  Du  jeudi,  a8«  féurier  166  [,  fut  baptisé  Louis,  fils  de  Mon- 
sieur Jean-Baptiste  Molière,  valet  de  chambre  du  Roy,  et  de  da- 
moiselle  Armande-Gresinde  Béjart,  sa  femme,  vis-à-vis  le  Palais- 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  '473 

Royal.  Le  parrain,  haut  et  puissant  seigneur,  messire  Charles, 
duc  de  Crequy,  premier  gentilhomme  de  la  chambre  du  Roy, 
ambassadeur,  à  Rome,  tenant  pour  Louis  quatorzième,  roy  de 
France  et  de  Navarre.  La  marraine,  dame  Colombe  le  Charron, 
épouse  de  messire  César  de  Choiseuil,  maréchal  du  Plessy,  te- 
nante pour  Madame  Henriette  d'Angleterre,  duchesse  d'Orléans. 
L'enfaut  est  né  le  19°  janvier  audit  an.  Signé  :  Colombet.  »  —  (Ee- 
g'istre  de  la  paroisse  Saint-Geimaln-VAuxerrois.  —  Acte  publié  par 
Deffara.) 


X.  —  Page  358. 

Acte  d'in/iumation  du  fils  aîné  de  Molière. 

«  Le  mardy,  11°  novembre  1664,  convoy  de  6[prêtres]de  Louys, 
fils  de  Jean-Baptiste  Molière,  comédien  de  Son  Altesse  Royale, 

pris   rue  Saint-Thomas »  [Registre  de  la  paroisse  Saint-Germain- 

CAuxerrois.  Acte  cité  par  M.  Révérend  Du  Mesnil,  dans  la  Famille   de 
Molière,  p.  68.) 


XI.  —  Page  357. 

Acte  de  baptême  du  second  fils  de  Molière. 

«  Du  samedi  i"  octobre  1672  fut  baptisé  Pierre-Jean-Baptiste- 
Armand,  né  du  jeudi  i5'  du  mois  passé,  fils  de  Jean-Baptiste 
Pocquelin-Molière,  valet  de  chambre  et  tapissier  du  Roi,  et  d'Ar- 
mande-Claire-Élizabeth  Béjart,  sa  femme,  demeurant  rue  de  Ri- 
chelieu. Le  parrain,  messire  Pierre  Boileau,  conseiller  du  Roi  en 
ses  conseils,  intendant  et  contrôleur  général  de  l'argenterie  et 
des  menus-plaisirs  et  affaires  de  la  chambre  de  S.  M.  La  marraine, 
Catherine-Marguerite  Mignard,  fille  de  Pierre  Mignard,  peintre 
du  Roi.  »  [Registre  de  la  paroisse  Saint- Eus  tache.  —  Cet  acte  publié 
par  Beffara,  dans  sa  Dissertation  sur  Molière,  p.  i6,  y  est  suivi  de 
ces  lignes  :  «  Cet  enfant  mourut  le  10  octobre  1673  et  fut  inhumé 
le  la,  dans  l'église  de  Saint- Eiistache,  en  présence  de  Boudet 
et  Aubry,  ses  oncles.  ») 


474    NOTICE  BIOGRAPHIQUE  SUR  MOLIÈRE. 


XII.  —  Page  358. 

Acte  de  baptême  de  la  fille  de  Molière. 

«  Du  mardi  4°  août  i665,  fût  baptisée  Esprit  Magdeley ne,  fille 
de  Jean-Baptiste  Pauquelin-Maulier,  bourgeois,  et  Armande-Gre- 
sinde,  sa  femme,  demeurant  rue  Saint-Houoré.  Le  parrain,  Mes- 
sire  Esprit  de  Remon,  marquis  de  Modène;  la  marraine,  Magdel. 
Bezart,  fille  de  Joseph  Besart,  vivant  procureur.  »  [Registre  de  la 
paroisse  Saint-Eustache,  —  .4cle  piihlii!  par  Beffara.) 


XIII.  —  Page  394. 

Acte  d'inhumation  de  Jean  Poquelin,  père  de  Molière. 

«  Mercredi,  27*  feurier  1669,  convoi  de  42,  service  complet, 
assistance  de  M.  le  curé,  4  prestres  porteurs  pour  deffunct  Jean 
Pocquelin,  tapissier,  valet  de  chambre  du  Roy,  bourgeois  de  Pa- 
ris, dem'  soubz  les  pilliers  des  Halles,  dcuant  la  fontaine,  a  esté 
inhumé  dans  notre  églize »  {Registre  de  la  paroisse  Saint-Eus- 
tache. Cite  par  M.  Révérend  Du  Mesnil  dans  les  Aïeux  de  Molière, 
p.  55  et  56.) 


XIV.  —Page  418. 

Actes  de  décès  de  Madeleine  Béjart. 

«  Le  17  février  167a,  demoiselle  Magdelaine  Béjart  est  décé- 
dée paroisse  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  de  laquelle  le  corps  a 
été  apporté  à  l'église  Saint-Paul,  et  ensuite  inhumé  sous  les  char- 
niers de  ladite  église,  le  19  dudit  mois.  » 

Signé  :  Béjart  l'Eguisé,  J.  B.  P.  Molière. 
[Registre  de  la  paroisse  Saint'Paul.) 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  47^ 

«  Le  vendredi  19  février  1672,  le  corps  de  feue  damoiselle 
Marie-Madelaine  Béjart,  comédieune  de  la  troupe  du  Roi,  prise 
hier  en  cette  église,  par  permission  de  Monseigneur  l'archevêque, 
a  été  portée  en  carrosse  à  l'église  de  Saint-Paul.  » 

Signé  :  Carde,  exécuteur  testamentaire,  et  De  Voulges. 

[Rfgistre  de  la  paroisse  Salnt-Germain'i' Auxerrois .  , —  Ces  deux  actes 

ont  été  publics  par  Beffara.) 


XV.  —  Page  434. 

Acte  d'inhumation  de  Molière. 

«  Le  mardy  vingt-uniesme  [février  1678]  deffunct  Jean-Baptiste 
Poquelin  de  Molière,  tapissier,  valet  de  chambre  ordinaire  du 
Roi,  demeurant  rue  de  Richelieu,  proche  l'Académie  des  P[e]in- 
tres,  décédé  le  dix-septiesme  du  présent  mois,  a  esté  inhumé  dans 
le  cimetière  de  Saint-Joseph.  »  (Registre  de  la  paroisse  Saint-Eus' 
tache.  —  Acte  publié  par  Beffara,  et  cité,  avec  l' orthographe  que  nous 
donnons,  par  M.  Révérend  Du  Mesnil.) 


XVI.  —  Page  435. 

Requête  de  la  veuve  de  Molière  à  Varchevêque  de  Paris. 
Du  17  février  1673. 

«  A  Monseigneur  l'illustrissime  et  révérendissime  archevêque  de 
Paris. 

«  Supplie  humblement  Elisabeth-Claire-Grasinde  [sic]  Bejard, 
veufve  de  feu  Jean-Baptiste  Pocquelin  de  Molière,  viuant  valet  de 
chambre  et  tapissier  du  Roy,  et  l'un  des  comédiens  de  sa  trouppe, 
et  en  son  absence  Jean  Aubry,  son  beau-frère;  disant  que  ven- 
dredy  dernier,  dix-seplieme  du  présent  mois  de  feburier  mil  six 
cent  soixante-treize,  sur  les  neuf  heures  du  soir,  ledict  feu  sieur 
Molière  s'estant  trouué  mal  de  la  maladie  dont  il  décéda  enuiron 
une  heure  après,   il  voulut  dans  le  moment  témoigner  des  mar- 


476     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR  MOLIÈRE. 

ques  de  repentir  de  ses  fautes  et  mourir  en  bon  chrestien,  à  l'ef- 
fect  de  quoy  auecq  instances  il  demanda  uu  prestre  pour  recevoir 
les  sacremens,  et  envoya  par  plusieurs  fois  son  valet  et  semante 
à  Sainct-Eustache,  sa  paroisse,  lesquels  s'adressèrent  à  messieurs 
Lenfant  et  Lechat,  deux  prestres  habitués  en  ladicte  paroisse,  qui 
refusèrent  plusieurs  fois  de  venir,  ce  qui  obligea  le  sieur  Jean 
Aubry  d'y  aller  luy-mesme  pour  en  faire  venir,  et  de  faict  fit 
Icuer  le  nommé  Paysant,  aussi  prestre  habitué  audict  lieu;  et 
comme  toutes  ces  allées  et  venues  tardèrent  plus  d'une  heure  et 
demye  pendant  lequel  temps  ledict  feu  Molière  décedda,  et  ledict 
sieur  Paysant  arriva  comme  il  venoit  d'expirer;  et  comme  ledict 
feu  Molière  est  décédé  sans  avoir  reçu  le  sacrement  de  confession, 
dans  uu  temps  où  il  venoit  de  représenter  la  comédie,  monsieur 
le  curé  de  Sainct-Eustache  lui  refuse  la  sépulture,  ce  qui  oblige 
la  suppliante  vous  présenter  la  présente  requeste,  pour  luy  estre 
sur  ce  pourveu. 

«  Ce  considéré,  Monseigneur,  et  attendu  ce  que  dessus,  et  que 
ledict  défunct  a  demandé  auparavant  que  de  mourir  un  prestre 
pour  estre  confessé,  qu'il  est  mort  dans  le  sentiment  d'un  bon 
chrestien,  ainsy  qu'il  a  témoigné  en  présence  de  deux  dames  reli- 
gieuses, demeurant  en  la  mesme  maison,  d'un  gentilhomme  nommé 
Couion,  entre  les  bras  de  qui  il  est  mort,  et  de  plusieurs  autres 
personnes;  et  que  M'  [sic]  Bernard,  prestre  habitué  en  l'église 
Sainct-Germain,  lui  a  administré  les  sacremens  à  Pasques  dernier, 
il  vous  plaise  de  grâce  spécialle  accorder  à  ladicte  suppliante  que 
son  dict  feu  mary  soit  inhumé  et  enterré  dans  ladicte  église  Sainct- 
Eustache,  daus  les  voyes  ordinaires  et  accoutumées,  et  ladicte 
suppliante  continuera  les  prières  à  Dieu  pour  voire  prospérité  et 
santé  et  ont  signe.  » 

Levasseur,  et  Aubry  (avecq  paraphe). 

Et  au-dessouhs  est  escript  ce  qui  ensttlct  : 

«  Renvoyé  au  sieur  abbé  de  Benjamin,  uostre  officiai,  pour 
informer  des  faicts  contenus  en  la  présente  requeste,  pour  infor- 
mation à  nous  rapportée,  estre  enfinct  [sic]  ordonné  ce  que  de 
raison.  Faict  à  Paris,  dans  nostre  palais  archyepiscopal,  le  ving- 
tiesme  feburier  mil  six  cent  soixante-treize.  » 

Signé  :  Archevesque  de  Paris. 

«  Veu  ladicte  requeste,  ayant  aucunement  esgard  aux  preuves 
résultantes  de  l'enqueste  faicte  par  mon  ordonnance,  nous  auons 


PIECES   JUSTIFICATIVES. 


•  ;7 


permis  au  sieur  curé  do  Sainct-Eustache  de  donner  la  sépulture 
ecclésiastique  au  corps  du  défuncl  Molière  dans  le  cimetière  de  la 
paroisse,  à  condition  néantmoins  que  ce  sera  sans  aucune  pompe 
et  avecq  deux  prestres  seullement,  et  hors  des  heures  du  jour,  et 
qu'il  ne  se  fera  aucun  service  solemnel  pour  luy  ni  dans  ladicte 
paroisse  Sainct-Eustache  ny  ailleurs,  même  dans  aucune  églize 
des  réguliers,  et  que  nostre  présente  permission  sera  sans  préju- 
dice aux  règles  du  rituel  de  notre  églize,  que  nous  voulons  estre 
observées  selon  leur  forme  et  teneur.  Donné  à  Paris,  ce  vingtie.sme 
feburier  mil  six  cent  soixante-treize.  Ainsi  signé  :  Archevesque 
de  Paris.  Et  au'dessous  :  Pur  ^îonseigaeur  :  ^Iora^ge  {oiec  paraphe). 
Collationné  en  son  original  en  jjapier,  ce  faict,  rendu  par  les 
notaires  au  Chastelet  de  Paris  soubsignez,  le  vingt-uniesme  mars 
mil  six  cent  soixante-treize.  Le  Vasskur.  »  {Publié  dans  le  Recueil 

de  morceaux:  inédits ,    tirés  des  portefeuilles  de   François  de  yeuf- 

clieiteau.) 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  53,  uotc  5.  Daus  cette  uole,  coutinuée  à  la  page  54,  nous 
exprimons  le  regret  que  l'abbé  de  Marolles,  qui  avait  connu  la 
traduction  du  poème  de  Lucrèce  par  Molière,  unit  pas  ciié  les 
stances  du  Livre  IL  dont  il  fait  l'éloge.  On  a  soupçonné  qiiil 
s'était  quelque  part  servi,  sans  en  avertir,  de  vers  empruntés 
à  cette  traduction.  Ce  serait  dans  la  préface  des  Estais  et  em/>ir«s 
du  Soleil  de  Cyrano,  publiée  en  1662,  après  sa  mort,  par  un 
ami  qui  a  gardé  l'anonyme,  mais  dans  lequel  on  pourrait  à  la 
rigueur  reconnaître  3Iarolles  ;  car  il  n'était  pas  sans  quelque 
liaison  avec  Cyrano.  Au  tome  III  de  ses  Mémoires  (édition  in- 12 
de  1755),  dans  le  Dénombrement  de  ceux  qui  m^ont  donné  de  leurs 
livres,  ou  qui  m'ont  Itonoré  extraordinairement  de  leur  civilité,  il  dit 
aux  pages  aSo  et  260  :  «  Cyrano,  qui  navoit  que  trop  de  cœur 
et  d'esprit,  parce  qu'en  effet  il  le  portoit  quelquefois  dans  l'ex- 
cès, me  donna  son  livre  du  Voyage  dans  la  Lune,  qui  est  une 
pièce  ingénieuse,  et  sa  tragédie  à' .^grippine.  »  Que  l'auteur  de  la 
préface  des  Estais  du  Soleil  soit  3Iarolles  ou  tout  autre,  les  courts 
passages  de  Lucrèce  qu'il  donne,  traduits  en  vers  d'inégale 
mesure  et  à  rimes  croisées,  peuvent  bien  lui  appartenir  et  pa- 
raissent trop  faibles  pour  que  l'on  ne  craigne  pas  de  les  attribuer 
à  Molière,  même  dans  le  temps  qu'il  étudiait  encore  sous  Gas- 
sendi. Nous  laissons  donc  ceux  qui  voudront  les  juger  eux-mêmes, 
les  cbercber  où  nous  venons  d'indiquer  qu'ils  se  trouvent. 

Page  54,  note  i,  continuée  à  la  page  55.  A  ce  que  nous  y  di- 
sons des  papiers  perdus  de  Molière  il  y  a  quelque  chose  à  ajou- 
ter. Pour  établir  le  texte  de  l'édition  de  1682,  La  Grange  a  eu 
sous  les  yeux  les  manuscrits  de  l'auteur,  ou  des  copies  faites  par 
son  ordre,  approuvées  par  lui,  comme  il  le  fait  connaître  dans 
son  Avis  au  lecteur,  lorsqu'il  y  parle  du  Malade  imaginaire.  Outre 
ce  qu'il  a  publié,  tenait-il  de  la  veuve  de  Molière  les  précieux  écrits 

Moi.lÈKE,    X  .3i 


482     NOTICE   BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIERE. 

de  l'existence  desquels  Grimarest  se  croyait  informé,  des  frag- 
ments de  pièces  inachevées,  même,  ce  qui  est  bien  peu  vraisem- 
blable, des  pièces  entières  inédites?  Lui  avait-on  remis  entre  les 
mains  les  bouffonnes  ébauches  jouées  en  province,  que  ]\Iolière, 
dit-il  dans  sa  Préface,  avait  supprimées,  ce  qui  ne  signifie  pas  né- 
cessairement détruites?  Il  est  très  possible  que,  les  possédant,  il 
ait  craint,  s'il  les  publiait,  de  manquer  de  respect  à  la  volonté  de 
l'auteur  et  de  faire  tort  à  sa  gloire.  Il  y  a  lieu  à  bien  plus  de  re- 
grets si  c'est  par  de  semblables  scrupules,  ou,  dans  certains  cas, 
par  une  prudence  forcée,  qu'il  a  cru  ne  pouvoir  nous  donner, 
sons  leurs  premières  formes,  ne  fût-ce  qu'en  indiquant  des  va- 
riantes, qui  avaient  été  probablement  conservées,  quelques-unes 
de  ses  comédies,  particulièrement  le  Tartuffe.  La  Grange  mourut 
en  1693.  Sept  ans  après  sa  mort,  les  papiers  de  Molière  étaient, 
au  moins  en  partie,  dans  les  mains  de  ^licolas  Guérin,  l'auteur 
de  Mvrtil  et  Mélicerte.  Ou  en  perd  ensuite  les  traces.  Le  comédien 
Graudmesnil  disait,  comme  on  l'avait  appris  à  Taschereau,  que 
la  Comédie  française  en  possédait  encore  quelques-uns  en  1799, 
lorsqu'ils  furent  brûlés,  cette  année-là,  dans  l'incendie  de  son 
théâtre,  aujourd'hui  TOdéori.  Le  fait  paraît  douteux  (Voyez  h 
Romnn  de  Molière  par  Edouard  Fournier,   178  et  179). 

Rien  n'eût  été  plus  utile  pfiur  la  connaissance  du  caractère  et 
de  la  vie  de  Molière  que  sa  correspondance  avec  ses  familiers.  A 
part  quelques  lignes  à  la  Mothe  Le  A'^ayer,  en  lui  envoyant  le 
sonnet  sur  la  mort  de  son  fils,  qui  ne  sont  venues  jusqu'à  nous 
que  dans  ses  œuvres  imprimées,  nous  n'avons  pas  une  seule  des 
lettres  écrites  par  Molière.  Ferdinand  Lotheissen  (Molière.  Sein 
Leben  und  seine  Werke,  p.  i^i.  et  7./\i)  a  très  bien  dit  ce  que 
nous  a  fait  perdre  leur  disparition.  Il  a  eu  raison  d'ailleurs  de  la 
trouver  plus  déplorable  qu'étouuante,  d'abord  parce  qu'il  n'est 
pas  probable  qu'il  ait  eu  le  loisir  d'en  écrire  un  grand  nombre, 
puis  aussi  parce  qu'on  ne  conservait  pas  alors  avec  le  même  soin 
curieux  qu'aujourd'hui  la  correspondance  des  hommes  célèbres, 
avec  la  pensée  qu'on  y  trouverait  un  jour  d'importants  docu- 
ments. Ce  nest  pas  un  ami  du  caractère  de  Chapelle  qui  aurait 
eu  ce  souci.  Le  biographe  allemand  fait  remarquer  combien  est 
hasardé,  il  aurait  pu  dire  :  absolument  dénué  de  preuves,  le 
soupçon  qu'au  siècle  dernier  il  s'était  formé  solis  Finflueuce  des 
jésuites  une  association  secrète  qui  avait  pris  rengagement  de 
détruire  tons  les  papiers  et  lettres  de  l'auteur  du  Tartuffe. 

Page  58,  ligne  14.  «  Jonsac  »,  lisez  :  «  Jcmzac  »,  meilleure  or- 
thographe que  nous  avons  donnée  à  la  page  363  du  nom  de  ce 
bon  compagnon,  qui  est  as.surément  le  De  J...  cité  par  Grimarest 


ADDITIONS    ET   CORRECTIONS.  ',8'^ 

(p.  i52)  comme  un  des  convives,  <ivec  Xantouillet,  du  souper 
d'Auteuil.  Une  lettre  en  vers  de  Jonzac  avait  provoqué  celle  où 
Chapelle  lui  parle  de  [Molière.  Le  même  Chapelle,  dans  son  f'^oyage, 
raconte  le  bon  accueil  qu'il  avait  reçu  du  joyeux  marquis. 

Page   io5,  ligne  23.  «  Guyane  »,  lisez  :  «  Guyenne  ». 

Page  ii3,  lignes  3o-3y.  Pour  justifier  ce  que  nous  disons  de 
l'estime  où  d'Aiibijoux  tenait  Molière,  il  eût  fallu  ajouter  qu'il 
l'avait  pu  bien  connaître  à  Paris,  au  temps  de  l'Illustre  théâtre, 
étant  chambellan  de  Gaston,  protecteur  alors  de  la  troupe.  Ce 
comte  d'Aubijoux  (François-Jacques  d'Amboise)  avait  été  un  des 
meneurs  de  la  cabale  des  Importants,  a  cerveau  mal  ordonné..., 
dit  l'Histoire  des  pritices  de  Condé,  tome  V  (1889).  p.  38,..  grand 
duelliste,  débauché  infatigable  ».  Les  écrits  du  temps  le  citent 
parmi  les  amants  de  Ninon.  Rien  d'étonnant  que  nous  l'ayons  pu 
montrer  à  la  page  i55,  complice  des  débauches  du  prince  de 
Conti. 

Page  169,  lignes  25-34-  Nous  avons  cité  un  procès-verbal  des 
Etats  réunis  à  Pézenas,  tiré  de  P Histoire  des  pérégrinations  de  Mo- 
lière dans  le  Languedoc.  Voici  le  texte  plus  complet  et  plus  exact, 
qui  a  été  publié  par  ]\I.  de  la  Pijardière  à  la  page  12  de  Molière, 
son  séjourà  Montpellier...,  et  dontnous  parlonsà  la  note  3  de  notre 
même  page  169  :  «  Messieurs  les  Evesques  de  Beziers,  Uzès  et 
de  Saint-Pons,  en  rochet  et  camail,  Messieurs  les  Barons  de  Cas- 
tries,  de  Villeneuve  et  de  Lanta,  les  sieurs  vicaires  généraux  de 
Narbonne  et  de  Mende,  envoyés  du  Comte  d'AUais,  et  de  Poli- 
gnac,  et  autres  députés  de  la  part  de  ceste  assemblée  pour  saluer 
3Ionseigneur  le  Prince  de  Conty,  ont  rapporté  qu'estant  entrés 
dans  la  cour  du  logis  de  Monsieur  d'Alfonce  où  ledit  seigneur 
loge,  ils  y  amoient  trouvé  les  gardes  de  Son  Altesse  en  aye  [en 
haie\,  les  officiers  à  leur  teste,  et  Monseigneur  le  prince  de  Conty 
les  attendant  à  la  porte  du  vestibule  qiiy  regarde  ladite  cour,  le- 
quel, après  avoir  laissé  passer  les  trois  ordres,  seroit  venu  à  eux 
et  leur  auroit  dict  qu'il  estoit  forcé  de  les  recepvoir  en  cest  en- 
droit parce  que  sa  chambre  estoit  dans  un  extrême  désordre  à 
cauze  de  la  comédie  ;  et,  après  les  compliments  faicts,  3Iessieurs 
les  députés  ayant  défîHé  par  la  queue,  ils  auroientesté  reconduits 
par  son  Altesse  jusques  à  la  porte  de  la  rue  où  Messieurs  les  Pré- 
lats ayant  quicté  leur  rochet  et  camail,  ils  seroient  réentrés  en  la 
cour,  eu  laquelle  étaient  les  gardes  en  la  mesme  porte  et  seroient 
allés  complimenter  Madame  la  Princesse  qu'ils  auroient  trouvée 
dans  le  lict,  laquelle  auroit  reçu  leur  visite  avec  beaucoup  de 
civillité.  » 

Ce  texte   rétabli   fait    disparaître  cette   faute  que    M.    Emma- 


484     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIERE. 

iiiicl  Raymond  y  avait  introduite  :  «  S.  A.  R.  le  prince  de 
Conti.  »  Les  rédacteurs  du  procès-verbal  ne  pouvaient  ignorer 
que  le  prince  de  Conti  n'était  pas  Altesse  Royale,  mais  Altesse 
Sérrnissime. 

Page  178,  ligne  -lo.  «  Dufor  »,  lisez  :   «  Dufort  ». 

Page  2o5,  lignes  11  et  i3.  «  La  petite  pièce  {le  Docteur  yimou- 
reux)  n'est  pas  venue  jusqu'à  nous.  »  Edouard  Fournier,  dans  le 
Roman  Je  Molière  (Paris,  Dentu,  i863),  j).  187  et  i38,  croit,  non 
sans  vraisemblance,  en  avoir  trouvé  quelques  traces,  mais  bien 
insufFisantes,  dans  une  petite  comédie-ballet,  jouée,  suivant  sa 
conjecture,  vers  i663,  et  intitulée:  la  Boutade  des  Comédiens.  Des 
personnages  de  diverses  pièces  du  temps  y  paraissaient  avec  le 
caractère  que  leur  avaient  donné  les  auteurs,  Rotrou,  Corneille, 
Scarrou,  Desmarets,  d'Ouville  et  quelques  autres.  A  la  neuvième 
Entrée,  le  Docteur  amoureux  se  présente,  avec  sa  maîtresse,  du 
nom  d'Hélène.  Il  n'est  guère  douteux  que  ce  ne  soient  deux 
lîgures  de  la  farce  de  Molière,  laissant  entrevoir  quelques  traits 
de  leurs  rôles,  sans  que  les  vers  dans  lesquels  elles  s'annoncent 
puissent  être  attribués  à  notre  auteur,  dont  la  petite  pièce  était 
certainement  en  prose. 

Page  214,  lignes  6  et  7.  «  Mlle  Desjardins  »,  Usez  :  0  Mlle  des 
Jardins  »,  afin  que  nous  soyons  d'accord  avec  la  manière  dont 
nous  avons  écrit  ce  nom  aux  ])ages  18G  et  187,  et  plus  loin,  aux 
pages  026  et  827.  Mlle  des  Jardins  est  plus  connue  peut-être  sous 
le  nom  de  3Ime  de  Villedieu,  qu'elle  prétendait  illégitimement 
avoir  le  droit  de  porter.  Personne  n'ignore  ses  aventures  plus  que 
romanesques  ;  mais  elle  n'a  pas  été  seulement  célèbre  par  les  sin- 
gulières audaces  de  sa  vie  galante  ;  elle  l'a  été  aussi  par  ses  nom- 
breux écrits,  souvent  très  spirituels,  romans,  poésies,  pièces  de 
tbeàtre.  Dans  son  Historiette  de  3111e  des  Jardins,  Tallemant  des 
Réaux  raconte  une  visite  que  lui  fit  Molière,  et  l'indignation  de  la 
dame,  qui  n'avait  pas  été  d'abord  reconnue.  «  Vous  êtes  un  in- 
grat, lui  cria-t-elle.  Quand  vous  jouiez  à  Narbonne,  on  n'allait  à 
votre  théâtre  que  pour  me  voir.  »  Si  l'anecdote  est  vraie,  Mlle  des 
Jardins  avait  connu  Molière  en  province;  et  l'on  peut  admettre 
qu'elle  y  avait  vu  jouer  les  Précieuses  ridicules.^  bien  qu'elle  dise 
dans  la  préface  de  son  Récit  ne  l'avoir  écrit  «  que  sur  le  rapport 
d 'autrui  ». 

Ihidem^i  ligne  12.  «   1869  »,  lisez  ;  «  lôSg  ». 

Page  256,  lignes  ig-iS.  Nous  craignons  d'y  avoir  trop  perdu 
de  vue  que  le  Registre  de  La  Grange,  intitulé  par  lui  Extrait  des 
recettes  et  des  affaires  du  t/iéàtre...,  a  été  écrit  pour  son  usage  par- 
ticulier et  lui  servait  comme    d'un  mémorial.    Certaines   lacunes 


ADDITIONS    ET   CORRECTIONS.  485 

s'expliqueraient  par  là.  Son  silence  néanmoins  sur  le  père  et 
la  mère  de  3111e  Molière  méritait,  croyons-nous,  qu'on  le  re- 
marquât,  ainsi  que  nous  l'avons  fait. 

Page  295,  ligne  7.  «  Le  4  mars  1677  »,  lisez  :  «  le  4  mars  iGfij  ». 

Page  29g,  ligne  aï.  «  Dans  l'imitation  les  auteurs  tragiques  », 
lisez  :  «  Dans  limitation  des  auteurs  tragiques  ». 

Page  327,  ligne  11.  «  La  Coquette  ou  le  Favori.  »  Le  Registre 
de  La  Grange,  p.  73,  donne  ce  titre  à  lu  pièce  noiu'cl/e  de  3111e  des 
Jardins;  mais  l'édition  de  i665  (Paris,  Louis  Billaiue)  simplement 
celui-ci  :  «  Le  Favory,  tragi-comédie  par  Mademoiselle  des  Jar- 
dins. »  Celui  de  la  Coquette  fui  sans  doute  abandonné  de  bonne 
heure;  il  n'était  pas  assez  justifié  par  la  coquetterie  du  person- 
sage  d'Elvire.  Tallemant  rapporte  que  Mlle  des  Jardins  «  querella 
Molière  de  ce  qu'il  mettoit  dans  ses  affiches  le  Favori  de  3Iadenioi- 
selle  des  Jardins,  et  qu'elle  ctoit  bien  Madame  pour  lui,  qu'elle 
s'appcloit  Madame  de  Villedieu Molière  lui  répondit  douce- 
ment qu'il  avoit  annoncé  sa  pièce  sous  le  nom  de  Mlle  des  Jar- 
dins; que  de  l'annoncer  sous  le  nom  de  Mme  de  Villedieu,  cela 
feroit  du  galimatias  ;  qu'il  la  prioit  de  trouver  bon  qu'il  l'appelât 
3Iadame  de  Villedieu  partout,  hormis  sur  le  théâtre  et  dans  ses 
affiches.  »  Il  la  persuada  sans  doute,  puisque  dans  l'impression 
de  i665  le  titre  de  la  pièce  est  celui  contre  lequel  elle  avait  ré- 
clamé. Il  fallait  que,  malgré  la  petite  querelle,  Molière  fût  en 
bons  termes  avec  elle  lorsqu'il  fît  représenter  sa  tragi-comédie  à 
Versailles  sous  la  protection  de  son  prologue.  La  pièce  d'ailleurs 
par  ses  vers  agréablement  tournés  et  par  beaucoup  de  traits  ingé- 
nieux n'était  pas  indigne  de  l'intérêt  qu'il  témoignait  y  porter. 

ibidem,  ligues  19-21.  «  Une  continuelle  allusion  à  la  disgrâce  de 
Foiiquet  et  à  la  cause  la  plus  délicate...  »,  Usez  :  «  à  la  dis- 
grâce de  Fouquet.  On  pouvait  même  eu  trouver  une  à  la  cause  la 

plus  délicate »  C'est  seulement  dans  une  tirade  du  favori  Mon- 

cade  que  l'auteur  doit  être  soupçonné  de  s'être  risqué  sur  ce 
terrain  brûlant. 

Page  395,  lignes  12  et  i3.  «  Visite  de  Tartuffe  chez  Mademoi- 
selle [au]  Luxembourg.  »  Dans  le  Registre  de  La  Grange  (du  moins 
dans  l'impression  publiée  en  1876),  il  y  a  :  «  Visite  de  Tartuffe 
chez  Mad""  de  Luxembourg.  »  La  correction  que  nous  avons  déjà 
adoptée  dans  la  Notice  sur  le  Tartuffe,  au  tome  IX,  p.  338,  nous 
a,  sans  hésitation,  paru  nécessaire.  Peut-être  La  Grange  a-t-il 
écrit,  ou  voulu  écrire,  non  pas  au,  mais,  comme  on  disait  alors,  à 
Luxembourg.  Mademoiselle,  dans  ses  Mémoires  (édition  Chéruel, 
i858,  1839,  tome  IV,  p.  74I,  parlant  du  séjour  du  grand-duc  de 
Toscane  à  Paris  en  1669  et  des  visites  qu'il  fît  alors  au  Luxembourg 


486     NOTICE   BIOGRAPHIQUE   SUR  MOLIÈRE. 

(c'était  au  mois  d'août,  comme  l'atteste  la  Gazette  du  lo),  dit  :  «  Je 
fis  jouer  la  comédie  de  Tartuffe,  qui  étoit  une  pièce  nouvelle.  » 
C'était  à  l'occasion  des  fiançailles  de  la  seconde  Crcqui  et  du 
comte  de  Jarnac.  Le  giand-duc  de  Toscane  était  présent  à  lu 
représentation. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  23,  ligne  4-  «  le  P.  de  Solleoeufre  »,  lisez  :  «  le  P.  Salle- 
neufve  ».  Le  nom  est  ainsi  écrit  dans  l'intéressante  Étude  sur  la 
vie  et  les  œuvres  du  P.  Le  Moyne  par  H.  Chérot,  S.  J.  (Paris,  A.  Pi- 
card, 1887).  Aux  pages  463  et  464  [Pièces  justificatives],  le  P.  Ché- 
rot cite  le  Catalogue  des  provinces  de  France,  an  1640,  collège  de 
Paris.  On  j  trouve  Philippe  Briet  et  Nicolas  Xau,  professeurs  de 
rhétorique,  Pierre  Salleneufve,  professeur  d'humanités.  Remar- 
quons toutefois  que  là  aussi  Pierre  Le  Moyne  est  nommé  comme 
un  des  régents  du  collège  de  Clermont.  Ne  pouvait-il  donc  avoir 
été,  dans  une  des  années  précédentes,  un  des  maîtres  de  Mo- 
lière ? 

Dans  l'article  du  Moliériste  que  nous  avons  cité,  3L  Tivier 
avait  profité  de  la  communication  de  manuscrits  du  P.  Chérot. 

Page  53,  note  5.  Dans  cette  note,  continuée  à  la  page  §4,  nous 
exprimons  le  regret  que  l'abbé  de  Marolles,  qui  avait  connu  la 
traduction  du  poème  de  Lucrèce  par  Molière,  n'ait  pas  cité  les 
stances  du  livre  II,  dont  il  fait  l'éloge.  On  a  soupçonné  qu'il 
s'était  quelque  part  servi,  sans  en  avertir,  de  vers  empruntés 
à  cette  traduction.  Ce  serait  dans  la  préface  des  Estats  et  empires 
du  Soleil  de  Cyrano,  publiée  en  1662,  après  sa  mort,  par  un 
ami  qui  a  gardé  l'anonyme,  mais  dans  lequel  on  pourrait  à  la 
rigueur  reconnaître  3Iarolles  ;  car  il  n'était  pas  sans  quelque 
liaison  avec  Cyrano.  Au  tome  III  de  ses  Mémoires  (édition  in-ia 
de  1755),  dans  le  Dénombrement  de  ceux  qui  m'ont  donné  de  leurs 
livres.^  ou  qui  m  ont  honoré  extraordinairement  de  leur  civilité,  il  dit, 
aux  pages  260  et  260  :  «  Cyrano,  qui  n'avoit  que  trop  de  cœur 
et  d'esprit,  parce  qu'en  effet  il  le  portoit  quelquefois  dans  l'ex- 
cès,  me   donna  son  livre  du    f^oyage   dans  la  Lune,   qui  est  une 

Molière,  x.  3i 


482     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR  MOLIÈRE. 

pièce  ingénieuse,  et  sa  tragédie  à'' Jgrîppine .  »  Que  l'auteur  de  la 
préface  des  Estais  du  Soleil  soit  Marolles  ou  tout  autre,  les  courts 
passages  de  Lucrèce  qu'il  donne,  traduits  en  vers  d'inégale 
mesure  et  à  rimes  croisées,  peuvent  bien  lui  appartenir  et  pa- 
raissent trop  faibles  pour  que  l'on  ne  craigne  pas  de  les  attribuer 
à  Molière,  même  dans  le  temps  qu'il  étudiait  encore  sous  Gas- 
sendi. Nous  laissons  donc  ceux  qui  voudront  les  juger  eux-mêmes, 
les  chercher  où  nous  venons  d'indiquer  qu'ils  se  trouvent. 

Page  54i  note  i,  continuée  à  la  page  55.  A  ce  que  nous  y  di- 
sons des  papiers  perdus  de  Molière  il  j  a  quelque  chose  à  ajou- 
ter. Pour  établir  le  texte  de  l'édition  de  1682,  La  Grange  a  eu 
sous  les  yeux  les  manuscrits  de  l'auteur,  ou  des  copies  faites  par 
son  ordre,  approuvées  par  lui,  comme  il  le  fait  connaître  dans 
son  Avis  au  lecteur,  lorsqu'il  y  parle  du  Malade  imaginaire.  Outre 
ce  qu'il  a  publié,  tenait-il  de  la  veuve  de  Molière  les  précieux  écrits 
de  l'existence  desquels  Grimarest  se  croyait  informé,  des  frag- 
ments de  pièces  inachevées,  même,  ce  qui  est  bien  peu  vraisem- 
blable, des  pièces  entières  inédites?  Lui  avait-on  remis  entre  les 
mains  les  bouffonnes  ébauches  jouées  en  province,  que  Molière, 
dit-il  dans  sa  Préface,  avait  supprimées,  ce  qui  ne  signifie  pas  né- 
cessairement détruites?  Il  est  très  possible  que,  les  possédant,  il 
ait  craint,  s'il  les  publiait,  de  manquer  de  respect  à  la  volonté  de 
l'auteur  et  de  faire  tort  à  sa  gloire.  Il  y  a  lieu  à  bien  plus  de  re- 
grets si  c'est  par  de  semblables  scrupules,  ou,  dans  certains  cas, 
par  une  prudence  forcée,  qu'il  a  cru  ne  pouvoir  nous  donner, 
sous  leurs  premières  formes,  ne  fût-ce  qu'en  indiquant  des  va- 
riantes, qui  avaient  été  probablement  conservées,  quelques-unes 
de  ses  comédies,  particulièrement  le  Tartuffe.  La  Grange  mourut 
en  lôg-î.  Sept  ans  après  sa  mort,  les  papiers  de  Molière  étaient, 
au  moins  en  partie,  dans  les  mains  de  Nicolas  Guérin,  l'auteur 
de  Myrtil  et  Mélicerte.  On  en  perd  ensuite  les  traces.  Le  comédien 
Grandmesnil  disait,  comme  on  l'avait  appris  à  Taschereau,  que 
la  Comédie  française  en  possédait  encore  quelques-uns  en  1799, 
lorsqu'ils  furent  brûlés,  cette  année-là,  dans  l'incendie  de  son 
théâtre,  aujourd'hui  l'Odéon.  Le  fait  paraît  douteux.  Voyez  le 
Roman  de  Molière  par  Edouard  Fournier,   178  et  179. 

Rien  n'eût  été  plus  iitile  pour  la  connaissance  du  caractère  et 
de  la  vie  de  Molière  que  sa  correspondance  avec  ses  familiers.  A 
part  quelques  lignes  à  La  Mothe  le  Vayer,  en  lui  envoyant  le 
sonnet  sur  la  mort  de  son  fils,  qui  ne  sont  venues  jusqu'à  nous 
que  dans  ses  œuvres  imprimées,  nous  n'avons  pas  une  seule  des 
lettres  écrites  par  Molière.  Ferdinand  Lotheissen  [Molière.  Sein 
Leben  urid  seine    JFerke,    p.   242    et  343)  a  très  bien    dit  ce   que 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  483 

nous  a  fait  perdre  leur  disparition.  Il  a  eu  raison  d'ailleurs  de  la 
trouver  plus  déplorable  qu'étonnante  :  outre  qu'il  n'est  pas  pro- 
bable que  Molière  ait  eu  le  loisir  d'en  écrire  un  grand  nombre, 
on  ne  prenait  pas  alors  le  même  soin  curieux  qu'aujourd'hui  de 
conserver  la  correspondance  des  hommes  célèbres,  avec  la  pensée 
qu'on  y  trouverait  un  jour  d'importants  documents.  Ce  n'est 
pas  un  ami  du  caractère  de  Chapelle  qui  aurait  eu  ce  souci.  Le 
biographe  allemand  fait  remarquer  combien  est  hasardé,  il  aurait 
pu  dire  :  absolument  dénué  de  preuves,  le  soupçon  qu'au  siècle 
dernier  il  s'était  formé  sous  l'influence  des  jésuites  une  associa- 
tion secrète  qui  avait  pris  l'engagement  de  détruire  tous  les 
papiers  et  lettres  de  l'auteur  du  Tartuffe. 

Page  55,  lignes  32  et  aS,  à  la  note  :  «  qui  n'en  fait  pas  con- 
naître les  preuves  ».  On  nous  a  averti  que  M.  Loiseleur  a  em- 
prunté aux  Diversités  curieuses  de  Bordelon  (i6g8)  ce  qu'il  dit  du 
refus  de  Barbin  de  publier  la  traduction  de  Lticrèce.  Il  est  à  pro- 
pos de  citer  surtout  ce  passage  des  papiers  de  Trallage,  tome  IV, 
f"  226  v°,  où  le  refus  d'imprimer  est  attribué,  non  à  Barbin,  mais 
à  Thierry  :  «  Le  sieur  Molière  a  traduit  quelques  endroits  du 
poète  Lucrèce  en  beaux  vers  françois;  on  les  vouloit  joindre  à 
la  nouvelle  édition  de  ses  œuvres  faite  à  Paris  l'an  i683  en  huit 
volumes  in-douze  chez  Thierry;  mais  le  libraire,  les  ayant  trou- 
vés trop  forts  contre  l'immortalité  de  l'âme,  ne  les  a  pas  voulu 
imprimer.  » 

Page  58,  ligne  i4-  «  Jonsac  »,  Usez  :  «  Jonzac  »,  meilleure  or- 
thographe que  nous  avons  donnée  à  la  page  363  du  nom  de  ce 
bon  compagnon,  qui  est  assurément  le  De  J...  cité  par  Grimarest 
(p.  iSa)  comme  un  des  convives,  avec  Nantouillet,  du  souper 
d'Auteuil.  Une  lettre  en  vers  de  Jonzac  avait  provoqué  celle  où 
Chapelle luiparle  de  Molière.  Le  même  Chapelle,  dans  son  Voyage, 
raconte  le  bon  accueil  qu'il  avait  reçu  du  joyeux  marquis. 

Page  70,  ligne  12.  «  en  1649  »,  Usez  :  «  en  i643  ». 

Page  95,  note  i.  Nous  y  disons  n'avoir  pu  rencontrer  le  Re- 
cueil de  1646  que  nous  citons.  M.  Raymond  Toinet,  avocat  à 
Tulle,  nous  a  écrit  qu'il  l'avait  dans  sa  bibliothèque.  Il  est  dédié 
à  Mme  de  Hautefort  par  Pelletier.  Le  privilège,  daté  du  3o  avril 
1645,  est  donné  au  libraire  Cardin  Besongne.  L'xichevé  d'im- 
primer est  du  21  juin  1646. 

Page  io5,  ligne  25.  «  Guyane  »,  Usez  :  «  Guyenne  ». 

Page  ii3,  lignes  35-37.  Pour  justifier  ce  que  nous  disons  de 
l'estime  où  d'Auhijoux  tenait  Molière,  il  eût  fallu  ajouter  qu'il 
l'avait  pu  bien  connaître  a.  Paris,  au  temps  de  l'Illustre  théâtre, 
étant  chambellan  de  Gaston,  protecteur  alors   de  la  troupe.  Ce 


484     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIERE. 

comte  d'Aubijoux  (François-Jacques  d'Amboise)  avait  été  un  des 
meneurs  de  la  cabale  des  Importants^  «  cerveau  mal  ordonné, 
dit  YHistoire  des  princes  de  Coudé,  tome  V  (1889),  p.  38,  grand 
duelliste,  débauché  infatigable  ».  Les  écrits  du  temps  le  citent 
parmi  les  amants  de  Ninon.  Rien  d'étonnant  que  nous  l'ayons  pu 
montrer,  à  la  page  i55,  complice  des  débauches  du  prince  de 
Conti. 

Page  169,  lignes  a5  34-  Nous  avons  cité  un  procès-verbal  des 
étals  réunis  à  Pézenas,  tiré  de  VHistoire  des  pérégrinations  de  Mo- 
lière dans  le  Languedoc.  Y o'icï  le  texte,  plus  complet  et  plus  exact, 
qui  a  été  publié  par  M.  de  la  Pijardière  à  la  page  12  de  Molière, 
son  séjour  à  Montpellier...,  et  dont  nous  parlons  à  la  note  3  de  notre 
même  page  169  :  «  Messieurs  les  Evesques  de  Beziers,  Uzès  et 
de  Saint-Pons,  en  rochet  et  camail,  Messieurs  les  Barons  de  Cas- 
tries,  de  Villeneuve  et  de  Lanta,  les  sieurs  vicaires  généraux  de 
Narbonne  et  de  Mende,  envoyés  du  Comte  d'Allais,  et  de  Poli- 
gnac,  et  autres  députés  de  la  part  de  ceste  assemblée  pour  saluer 
Monseigneur  le  Prince  de  Conty,  ont  rapporté  qu'estant  entrés 
dans  la  cour  du  logis  de  Monsieur  d'Alfonce  où  ledit  seigneur 
loge,  ils  y  auroient  trouvé  les  gardes  de  Son  Altesse  en  aye  \en 
haie\,  les  officiers  à  leur  teste,  et  Monseigneur  le  prince  de  Conty 
les  attendant  à  la  porte  du  vestibule  quy  regarde  ladite  cour, 
lequel,  après  avoir  laissé  passer  les  trois  ordres,  seroit  venu  à  eux 
et  leur  auroit  dict  qu'il  estoit  forcé  de  les  recepvoir  en  cest  en- 
droit parce  que  sa  chambre  estoit  dans  un  extrême  désordre  à 
cauze  de  la  comédie  ;  et,  après  les  compliments  faicts.  Messieurs 
les  députés  ayant  défillé  par  la  queue,  ils  auroient  esté  reconduits 
par  Son  Altesse  jusques  à  la  porte  de  la  rue  où  Messieurs  les  Pré- 
lats ayant  quicté  leur  rochet  et  camail,  ils  seroient  réentrés  en  la 
cour,  en  laquelle  étoient  les  gardes  en  la  mesme  porte,  etseroient 
allés  complimenter  Madame  la  Princesse  qu'ils  auroient  trouvée 
dans  le  lict,  laquelle  auroit  reçu  leur  visite  avec  beaucoup  de 
civilité.   » 

Ce  texte  rétabli  fait  disparaître  cette  faute  que  M.  Emma- 
nuel Raymond  y  avait  introduite  :  «  S.  A.  R.  le  prince  de 
Conti.  »  Les  rédacteurs  du  procès-verbal  ne  pouvaient  ignorer 
que  le  prince  de  Conti  n'était  pas  Altesse  Royale,  mais  Altesse 
Sérénissime. 

Page  171,  lignes  22  et  23.  «  Nous  croyons  que  les  remords..,, 
mirent  quelque  temps  à  faire  leur  œuvre.  »  Il  paraît  que  c'est  un 
peu  trop  les  faire  tarder.  La  remarque  est  de  M.  Gazier  dans  la 
Revue  critique  d'Idstoire  et  de  littérature  du  17  février  1890,  p.  i34 
et  i35.  Il  résulte  de   divers  manuscrits  cousidtés  par  lui  que  la 


ADDITIONS   ET  CORRECTIONS.  485 

conversion  du  prince  de  Conti  était  opérée  à  la  fin  de  décembre 
i655,  et  qu'il  était  déjà  un  pénitent  lorsqu'il  revint  à  Paris  en 
mars  i656.  «  Ces  détails,  dit-il,  ont  leur  importance;  car  la 
fameuse  quittance  donnée  par  Molière,  le  34  février  i656,  aurait 
ainsi  un  caractère  tout  particulier.  Le  gouverneur  du  Langaiedoc, 
chassant  les  comédiens  de  sa  province,  était  bien  obligé  de  les 
payer,  et  si,  en  cette  occurrence,  Conti  contraignit  les  états  à 
faire  les  frais,  on  en  voit  bien  la  raison  :  il  se  serait  reproché 
d'employer  ainsi  une  somme  de  six  mille  livres  qu'il  destinait  à  des 
restitutions  bien  autrement  importantes  à  ses  yeux.  Il  est  donc 
infiniment  probable  que  la  disgrâce  de  Molière  est  du  commen- 
cement de  i656  au  plus  tard.  » 

Page  178,  ligne  20.  «  Dufor  »,  lisez  :  «  Dufort  ». 

Page  i83,  lignes  8  et  9.  «  Nous  la  croyons  du  mois  de  dé- 
cembre. »  Il  est  cependant  dit  dans  le  Bulletin  archéologique  de 
Béziers  (i883)  que  dans  le  discours  du  président  de  la  société, 
M.  Ch.  Laber,  il  fut  établi,  d'après  des  documents,  selon  lui 
incontestables,  que  la  première  représentation  du  Dépit  amoureux 
fut  donnée  le  dimanche  ig  novembre   i656. 

Page  188,  ligne  28.  «  à  Pézenas,  en  i656  »,  lisez  :  «  à  Pézenas, 
en  i655  ».  La  session,  dite  de  i656,  ouverte  le  4  novembre  i655, 
dura  jusqu'au  22  février  i656. 

Page  2o5,  lignes  n  et  i3.  «  La  petite  pièce  (le  Docteur  amou- 
reux)  n'est  pas  venue  jusqu'à  nous.  »  Edouard  Fournier,  dans  le 
Roman  de  Molière  (Paris,  Dentu,  i863),  p.  i37  et  i38,  croit,  non 
sans  vraisemblance,  en  avoir  trouvé  quelques  traces,  mais  bien 
insuffisantes,  dans  une  petite  comédie-ballet,  jouée,  suivant  sa 
conjecture,  vers  i663,  et  intitulée  :  la  Boutade  des  Comédiens.  Y)es 
personnages  de  diverses  pièces  du  temps  y  paraissaient  avec  le 
caractère  que  leur  avaient  donné  les  auteurs,  Rotrou,  Corneille, 
Scarron,  Desmarets,  d'Ouville  et  quelques  autres.  A  la  neuvième 
Entrée,  le  Docteur  amoureux  se  présente,  avec  sa  maîtresse,  du 
nom  d'Hélène.  Il  n'est  guère  douteux  que  ce  ne  soient  deux 
figures  de  la  farce  de  Molière,  laissant  entrevoir  quelques  traits 
de  leurs  rôles,  sans  que  les  vers  dans  lesquels  elles  s'annoncent 
puissent  être  attribués  à  notre  auteur,  dont  la  petite  pièce  était 
certainement  en  prose. 

Page  214,  lignes  6  et  7.  «  Mlle  Desjardins  »,  lisez  :  «  Mlle  des 
Jardins  »,  afin  que  nous  soyons  d'accord  avec  la  manière  dont 
nous  avons  écrit  ce  nom  aux  pages  186  et  187,  et  plus  loin,  aux 
pages  326  et  327.  3111e  des  Jardins  est  plus  connue  peut-être  sous 
le  nom  de  Mme  de  Villedieu,  qu'elle  prétendait  illégitimement 
avoir  le  droit  de  porter.  Personne  n'ignore  ses  aventures  plus  que 


r 


486     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR   MOLIÈRE. 

romanesques;  mais  elle  n'a  pas  été  seulement  célèbre  par  les  sin- 
gulières audaces  de  sa  vie  galante;  elle  l'a  été  aussi  par  ses  nom- 
breux écrits,  souvent  très  spirituels,  romans,  poésies,  pièces  de 
théâtre.  Dans  son  Historiette  de  Mlle  des  Jardins,  Tallemant  des 
Réaux  raconte  ime  visite  que  lui  fit  Molière,  et  l'indignation  de  la 
dame,  qui  n'avait  pas  été  d'abord  reconnue.  «  Vous  êtes  un  in- 
grat, lui  cria-t-elle.  Quand  vous  jouiez  à  Narbonne,  on  n'allaita 
votre  théâtre  que  pour  me  voir.  »  Si  l'anecdote  est  vraie,  Mlle  des 
Jardins  avait  connu  Molière  en  province;  et  l'on  peut  admettre 
qu'elle  y  avait  vu  jouer  les  Précieuses  ridicules,  bien  qu'elle  dise 
dans  la  préface  de  son  Récit  ne  l'avoir  écrit  «  que  sur  le  rapport 
d'autrui  ». 

Ibidem,  ligne  la.   «  iSSg  »,  lisez  :  «  iBSg  ». 

Page  a56,  lignes  ig-aS.  Nous  craignons  d'y  avoir  trop  perdu 
de  vue  que  le  Registre  de  La  Grange,  intitulé  par  lui  Extrait  des 
recettes  et  des  affaires  du  théâtre...,  a  été  écrit  pour  son  usage  par- 
ticulier et  lui  servait  comme  d'un  mémorial.  Certaines  lacunes 
s'expliqueraient  par  là.  Son  silence  néanmoins  sur  le  père  et 
la  mère  de  Mlle  Molière  méritait,  croyons-nous,  qu'on  le  re- 
marquât, ainsi  que  nous  l'avons  fait. 

Page  171,  ligne  35.  «  Mlle  du  Parc  »,  lisez  :  «  Mlle  de  Brie  ». 

Page  286,  lignes  ag-SS.  «  Inutilement  les  pièces  jouées  à 
l'Hôtel  de  Bourgogne  l'avaient-elles  accusé,    etc.,    l'honorable 

pension  qui  vcngeoit  Molière »  Il  y  a  là  une  inexactitude.  La 

liste  des  pensions  de  i663  est  antérieure  aux  pièces  jouées  a 
l'Hôtel  de  Bourgogne.  La  pension  qui  mérita  le  Remerciement  au 
Roi  ne  vengea  Molière  que  du  déchaînement  des  haines,  provo- 
quées par  r  Ecole  des  femmes. 

Page  ag5,  ligne  7.  «  le  4  mars  1677  »,  lisez  :  «  le  4  mars  1667  ». 

Page  2gg,  ligne  22.  «  Dans  l'imitation  les  auteurs  tragiques  », 
lisez  :  «  Dans  l'imitation  des  auteurs  tragiques  ». 

Page  827,  ligne  11.  n  La  Coquette  ou  le  Favori,  s  Le  Registre  de 
La  Grange,  p.  78,  donne  ce  titre  à  la  pièce  nouvelle  de  Mlle  des 
Jardins;  mais  l'édition  de  i665  (Paris,  Louis  Billaine)  simplement 
celui-ci  :  «  Le  Favory,  tragi-comédie  par  Mademoiselle  des  Jar- 
dins. »  Celui  de  la  Coquette  fut  sans  doute  abandonné  de  bonne 
heure;  il  n'était  pas  assez  justifié  par  la  coquetterie  du  person- 
nage d'Elvire.  Tallemant  rapporte  que  Mlle  des  Jardins  «querella 
Molière  de  ce  qu'il  mettoit  dans  ses  nfUches  le  Favori  de  Mademoi- 
selle des  Jardins,  et  qu'elle  étoit  bien  Madame  pour  lui,  qu'elle 
s'appeloit  Madame  de  Villedieu....  Molière  lui  répondit  douce- 
ment qu'il  avoit  annoncé  sa  pièce  sous  le  nom  de  Mlle  des  Jar- 
dins; que  de  l'annoncer  sous  le  nom  de  Mme  de  Villedieu,  cela 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  487 

feroit  du  galimatias;  qu'il  la  prioit  de  trouver  bon  qu'il  l'appelât 
Madame  de  Villedieu  partout,  hormis  sur  le  théâtre  et  dans  ses 
affiches.  »  Il  la  persuada  sans  doute,  puisque  dans  l'impression 
de  i665  le  titre  de  la  pièce  est  celui  contre  lequel  elle  avait  ré- 
clamé. Il  fallait  que,  malgré  la  petite  querelle,  Molière  fût  en 
bons  termes  avec  elle  lorsqu'il  fît  représenter  le  Favori  à  Ver- 
sailles sous  la  protection  de  son  prologue.  La  pièce  d'ailleurs,  par 
ses  vers  agréablement  tournés  et  par  beaucoup  de  traits  ingénieux, 
n'était  pas  indigne  de  l'intérêt  qu'il  témoignait  y  porter. 

Ibidem,  lignes  19-21.  «  Une  continuelle  allusion  à  la  disgrâce  de 
Fouquet  et  à  la  cause  la  plus  délicate...  »,  Usez:  «  à  la  dis- 
grâce de  Fouquet.  On  pouvait  même  en  trouver  une  à  la  cause  la 

plus  délicate »  C'est  seulement  dans  une  tirade  du  favori  Mon- 

cade  que  l'auteur  doit  être  soupçonué  de  s'être  risqué  sur  ce 
terrain  brûlant. 

Page  33i,  note  2,  «  Menagiana  (1674)  »i  Usez  :  Menagiana 
(1694)  ». 

Page  366,  ligne  6.  «  le  14  décembre  «.  lisez  :  a  le  i3  dé- 
cembre  » . 

Page  388,  ligne  10.  «  Du  3  au  4  novembre  »,  lisez  :  «  du  3  au 
G  novembre  ». 

Page  393,  note  2,  «  au  tome  "VI  »,  lisez  :  «  au  tome  VII  ». 

Page  395,  lignes  12  et  i3.  «  Visite  de  Tartuffe  chez  Mademoi- 
selle [au]  Luxembourg.  »  Dans  le  Registre  de  La  Grange  (impres- 
sion publiée  en  1876),  il  y  a  :  «  Visite  de  Tartuffe  chez  Mad"°  de 
Luxembourg.  »  La  correction  que  nous  avions  déjà  adoptée  dans 
la  Notice  sur  le  Tartuffe,  au  tome  IX,  p.  338,  nous  avait,  sans 
hésitation,  paru  nécessaire;  mais  il  a  été  constaté  que  le  manu- 
scrit original  du  Registre  porte  lisiblement  :  «  chez  Mad"°  à  Luxem- 
bourg. »  Mademoiselle,  dans  ses  Mémoires  (édition  Chéruel,  i858- 
18.59,  toi^ie  IV,  p.  74)1  Parlant  du  séjour  du  grand-duc  de  Toscane 
à  Paris  en  1669  et  des  visites  qu'il  fit  alors  au  Luxembourg  (c'était  au 
mois  d'août,  comme  l'atteste  la  Gazette  du  10),  dit  :  «  Je  fis  jouer 
la  comédie  de  Tartuffe,  qui  étoit  une  pièce  nouvelle.  »  C'était  à 
Toccasion  des  fiançailles  de  Mlle  de  Créqui  et  du  comte  de  Jarnac. 
Le  grand-duc  de  Toscane  était  présent  à  la  représentation.  Marie 
Claire  de  Créqui,  qui  épousa  en  1669  Gui  Henri  Chabot,  comte 
de  Jarnac,  est  dans  l'édition  IMichaud  (i854)  des  Mémoires  de 
Mademoiselle  de  Montpensier,  tome  XXVIII,  p.  4o4i  ainsi  dési- 
gnée :  «  la  seconde  Créqui  ».  L'année  précédente  (1664),  «  je 
mariai,  dit  Mademoiselle,  l'aînée  des  Créqui  au  marquis  de  Lis- 
bourg  ».  Marie  Claire  était  donc  la  seconde,  c'est-à-dire  la  cadette, 
des  Créqui,    Elle  devint  dame  d'honneur  de  Mademoiselle.  Les 


488     NOTICE  BIOGRAPHIQUE   SUR  MOLIÈRE. 

deux  sœurs  Créqui  étaient  filles  d'Adam  de  Créqui  et  de  Jeanne 
Lambert  de  Lannoy.  Ainsi  l'a  entendu  M.  Chcruel,  bien  que  le 
P.  Anselme  dise  que  Marie-Claire  était  leur  fille  unique. 

Page  428,  ligne  35,  «  le  jour  où  l'on  avait  donné  »,  Usez  :  a  le 
jour  que  l'on  devait  donner  ». 


TABLE  ANALYTIQUE 

ET  ALPHABÉTIQUE 


DE    LA 


NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


AcEy.  Molière  y  joue  vraisem- 
blablement avec  la  troupe  de 
Charles  du  Fresne,  dans  la- 
quelle il  est  entré  au  service 
du  duc  d'Epernon,  ii3.  — 
Le  duc  l'y  appelle  avec  sa 
troupe  en  février  i65o,   120. 

Albi.  La  troupe  du  duc  d'Eper- 
non y  est  appelée  pour  les 
fêtes  de  l'entrée  du  comte 
d'Aubijoux  (27  juillet  1647)- 
—  Le  comte  de  Breteuil,  in- 
tendant de  la  province,  som- 
me la  ville  de  tenir  sa  pro- 
messe d'une  somme  de  six 
cents  livres  à  payer  aux  comé- 
diens, ii3-ii5. 

Amants  magnifiques  [les),  comé- 
die de  Molière,  représentée 
au  mois  de  février  1670, 
dans  les  divertissements  de 
Saint-Germain.  —  Le  roi  en 


avait  choisi  le  sujet,  400.  — 
Molière  a  écrit  les  vers  des 
intermèdes,  401.  —  Dans  le 
troisième  intermède  il  a  imité 
avec  beaucoup  de  grâce  le 
Donec  gratus  eram  d'Horace. 
—  Il  n'a  pas  fait  imprimer  sa 
pièce,  quin'estcependant  pas 
à  dédaigner,  et  ne  l'a  pas  fait 
jouer  à  la  ville.  —  Elle  a 
quelque  ressemblance  avec 
Don  Sanclte  d'Aragon,  4o2. 
Amour  médecin  (/'),  comédie  de 
Molière,  entremêlée  d'entrées 
de  ballet,  827  ;  de  tous  les 
impromptus  commandés  par 
le  Roi,  elle  fut  le  plus  préci- 
pité. —  Lulli  en  a  fait  la  mu- 
sique, J28. — EUeélaitconnue 
aussi  sous  ce  titre  :  les  Méde- 
cins, 33o.  —  Molière  y  atta- 
qua les  médecins  de  la  cour 


490  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 

avec  une  liberté  aristophanes- 
que.  —  Leurs  noms.  —  Les 
acteurs  ne  portaient  point, 
comme  on  l'a  conté,  des  mas- 
ques à  leur  ressemblance, 
33 1.  —  La  pièce  fut  jouée 
trois  fois  à  Versailles  du  i4 
au  17  septembre,  au  Palais- 
Royal,  pour  la  première  fois, 
le  22  septembre,  332. 
Amphitryon,  comédie  de  Mo- 
lière, imitée  de  YAmphitryon 
de  Plante,  qui  avait  égale- 
ment servi  de  modèle  aux 
Sosies    de  Rotrou,    en    i636. 

—  Elle  fut  d'abord  jouée  au 
Palais-Royal  le  i3  et  le  i5 
janvier  1668,  puis  aux  Tui- 
leries devant  le  Roi  et  sa  cour, 
le  16  janvier.  —  On  a  voulu 
y  voir  une  allusion  de  bas  flat- 
teur aux  amours  de  Louis  XIV 
et  de  Mme  de  Montespan. 
Justice  a  été  faite  de  cette 
charitable    conjecture,    383. 

—  Hardiesses  de  la  pièce,  où 
Molière  fit  entendre  aux  puis- 
sants de  bonnes  vérités,  384- 

Andromède,  tragédie  de  Cor- 
neille, représentée  à  Lyon, 
en  i653  vraisemblablement, 
par  la  troupe  de  ]\Iolière.  — 
Distribution  des  rôles,  notée 
dans  un  exemplaire  de  cette 
pièce,  i35  et i36. 

Akke  d'Autriche.  La  Critique  de 
l'Ecole  des  femmes  lui  est  dé- 
diée, 291. 

AuBiJOux  (comte  d'),  lieutenant 
général  pour  le  roi  en  Lan- 
guedoc. —  Il  estime  beau- 
coup Molière.  —  Pour  les 
fêtes  de  son  entrée,  le  27  juil- 


let 1647,  la  troupe  du  duc 
d'Epernon  est  mandée  à  Albi, 
ii3.  —  Il  fait,  en  i65i,  l'ou- 
verture des  états  à  Carcas- 
sonne.  Il  est  vraisemblable 
qu'alors  il  appela  Molière 
pendant  la  session,  128  et 
129.  —  Gouverneur  de  Mont- 
pellier, il  y  reçoit,  à  la  fin 
de  i653,  le  prince  de  Conti, 
qui  s'arrêta  une  vingtaine  de 
jours  en  cette  ville,  se  ren- 
dant à  Paris,  pour  son  ma- 
riage. Il  lui  donne  de  belles 
fêtes,  et  se  fait  le  complai- 
sant de  ses  désordres,  i55. 
—  Il  meurt  le  9  novembre 
1 656,  —  Quelques  jours  avant 
sa  mort,  Chapelle  etBachau- 
mont  avaient  été  reçus  très 
civilement  par  lui  dans  sa 
maison  de  Grouille,  180  et 
181.  — Sur  cet  ancien  cham- 
bellan de  Gaston  de  France, 
voyez  aussi  nos  Additions  et 
corrections,  /^83  et  4^4- 

AuBRY  (Léonard).  Paveur  des 
bâtiments  du  Roi,  il  est 
chargé  du  pavage  devant  le 
théâtre  qui  va  être  ouvert 
au  jeu  de  paume  des  Mé- 
tayers, 84.  —  Il  se  rend  cau- 
tion, en  1645,  pourune  dette 
de  Molière,  100.  —  En  dé- 
cembre 1646,  le  père  de 
Molière  lui  signe  une  pro- 
messe de  le  payer,  si  son  fils 
ne  peut  le  faire,   102  et  io3. 

AuBRY  (Jean),  fils  de  Léonard 
Aubry,  l'ami  dévoué  de  Mo- 
lière. Il  ramène,  trop  tard 
par  malheur,  un  prêtre  de 
Saint-Eustache,  pour  donner 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


49» 


les  derniers  sacrements  à  Mo- 
lière mourant,  43i  et  432. — 
II  avait  épousé,  en  1672, 
Geneviève  Béjart,  veuve  de 
Léonard  de  Loménie,  4^1, 
note  2. 

AuTEUiL.  Molière  y  loge  en 
1667,  dans  une  maison  ap- 
partenant au  sieur  de  Beau- 
fort.  —  Chapelle  y  vient 
aussi  loger,  879.  —  Des  amis 
de  Molière,  notamment  Boi- 
leau  et  la  Fontaine,  l'y  visi- 
tent souvent.  A  Auteuil  eut 
lieu  le  fameux  souper,  que 
Boileau  racontait,  38o.  — 
Marie-Joseplî  Chénier,  dans 
l'élégie  de  la  Promenade,  a 
célébré  Molière  et  les  illus- 
tres poètes  de  son  temps,  qui 
ont  laissé  dans  Auteuil  un 
grand  souvenir  ;  il  s'est  per- 
mis des  anachronismes  dont 
il  faut  se  défier,  38i  et  382. 

Avare  (/'),  représenté  au  Palais- 
Royal  le  9  septembre  1668. 
Le  préjugé  contre  les  pièces 
en  prose  fait  rencontrer  à 
cette  comédie  quelque  froi- 
deur, 389.  —  La  prose  de 
Vjévare  est  d'un  incompara- 
blemaître.  — Boileau,  dit-on, 
jugeait  cet  ouvrage  im  des 
meilleurs  de  son  auteur.  — 
La  comédie  de  Plante,  qiii 
avait  servi  de  modèle  à  VA- 
vare,  y  a  été  transformée 
très  heureusement  en  ime 
peinture  moderne.  —  On  y 
a  reproché  à  Molière  une 
atteinte  au  respect  du  carac- 
tère paternel,  392.  —  Ré- 
flexions à  ce  sujet,  393. 


Avignon.  Molière  et  sa  troupe 
y  font  un  séjour  vers  le  mois 
d'octobre  i655,  164,  i65  et 
169.  —  Ils  y  reviennent  à  la 
fin  de  1657  ou  au  commen- 
cement de  i658.  Molière  s'y 
rencontre  et  se  lie  avec  Pierre 
Mignard,  191. 


B 


Baron.  Recueilli  dans  la  mai- 
son de  Molière,  et  comme 
adopté  par  lui,  il  excite  la 
jalousie  de  I\Ille  Molière,  qui 
lemaltraite brutalement,  354. 
—  Infâmes  calomnies  par 
lesquelles  on  a  voulu  désho- 
norer l'amitié  de  Molière  pour 
le  jeune  comédien,  ibidem, 
note  4- —  T)ans  Mélicerie,  re- 
présentée à  Saint-Germain  en 
décembre  1666,  Baron  fait  le 
personnage  de  Myrtil;  mais, 
jouant  à  contre-cœur  à  côté 
de  Mlle  Molière,  il  sollicite 
du  Roi  la  permission  de  se 
retirer  avant  la  fin  des  fêtes 
du  Ballet  des  Muses,  et  rentre 
dans  la  troujie  de  la  Raisin, 
374-  —  Il  f'ii''  quelques  sé- 
jours près  de  Molière  dans 
la  maison  d'Auteuil,  879.  — 
En  1670,  Molière  le  fait  re- 
venir de  province.  Avec  de 
grandes  marques  d'amitié  et 
de  joie,  il  le  reçoit  dans  sa 
troupe,  dont  il  n'avait  pas 
encore  fait  partie  régulière- 
ment, 4o4-  —   Grands  soins 


492  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


de  Molière  pour  former  son 
jeune  ami  comme  acteur,  et 
pour  faire  de  lui  un  homme 
de  bien.  —  Baron,  pour  son 
début,  le  28  novembre  1670, 
joue  le  rôle  de  Domitien, 
dans  Tlte  et  Bérénice,  4o5.  — 
Dans  Psyché,  il  joua  celui  de 
l'Amour.  Un  libelle  l'a  accusé 
d'avoir  alors  fait  la  conquête 
de  Mlle  Molière,  puis  d'avoir 
bientôt  rompu  cette  liaison. 
Il  faudrait  d'autres  témoi- 
gnages pour  croire  qu'il  ait 
si  lâchement  trahi  son  bien- 
faiteur, 41  !•  — Il  donne  des 
soins  à  Molière  mourant,  43o. 
—  Il  se  rend  à  Saint-Ger- 
main pour  informer  le  Roi 
de  la  mort  de  Molière,  44 1- 
BÉJART  (Joseph),  sieur  de  Bel- 
leville.  —  Son  nom  de  sieur 
de  Belleville  ressemblant  fort 
à  un  nom  de  comédien,  on 
a  pensé  qu'il  avait  joué  dans 
quelque  troupe,  76.  —  Dans 
des  actes  on  lui  a  donné  tan- 
tôt le  titre  d'écuyer,  tantôt  la 
qualification  de  procureur  au 
Châtelet,  appartenant  à  sou 
frère.  Il  était  simplement 
huissier  audiencier  à  la  grande 
maîtrise  des  eaux  et  forêts, 
^8.  —  Sa  veuve  renonça  à  sa 
succession.  Nous  avons  l'acte 
qui  le  constate,  en  date  du 

10  mai  1643.  Sa  mort,  dont 
l'acte  ne  donne  pas  la  date 
précise,  est  probablement  du 
commencement  de  i643.  — 

11  laissait  cinq  enfants,  Jo- 
seph, Madeleine,  Geneviève, 
Louis,  et  une  petite  non  en- 


core baptisée.  —  Leur  mère 
les  déclara  tous  mineurs, 
quoique  Madeleine  et  Joseph 
ne  le  fussent  plus,  254. 
BiîjART  (Joseph),  fils  de  l'huis- 
sier Béjart  et  de  Marie  Hervé, 
entre  dans  la  troupe  de  l'Il- 
lustre théâtre,  dès  sa  forma- 
tion, 78.  —  Les  états  tenus 
à  Pézenas  lui  donnent,  en 
i656,  quinze  cents  livres  pour 
son  Recueil  des  titres  des 
barons  des  états  généraux  du 
Languedoc,  173.  —  Les  états 
tenus  à  Béziers  ne  lui  accor- 
dent, en  1607,  que  cinq  cents 
livres,  et  l'avertissent  qu'ils 
ne  prendront  plus  en  consi- 
dération aucun  de  ses  livres 
composés  sans  ordre,  182  et 
i83.  —  Dans  la  représenta- 
tion de  l'Étourdi,  au  Louvre, 
devant  le  Roi,  le  10  mai  1669, 
il  se  trouve  malade,  et  achève 
avec  peine  son  rôle,  212.  -^ 
Ilmeurt  danslasecondequin- 
zaine  du  même  mois.  A  l'oc- 
casion de  cette  mort,  les  re- 
présentations sont  interrom- 
pues   du    19   mai  au  2  juin, 

2l3. 

BÉJART  (Madeleine),  fille  de 
l'huissier  Béjart  et  de  3Iarie 
Hervé.  —  Tallemaut  des 
Réaux  a  dit  faussement  que 
Molière  l'avait  épousée,  62. 
—  On  a  fait  remonter  ses 
premières  relations  avec  Mo- 
lière au  voyage  de  Narbonne, 
en  1642  ;  c'est  une  simple 
conjecture,  65  et  66.  —  H 
n'estpas  douteux  que  Molière 
n'ait  été  amoureux  d'elle,  66. 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


493 


—  Fille  de  l'huissier  Béjart, 
qui  lui-même  avait  peut-être 
jouélacomédie,  elleavaitpro- 
bablement  été  comédienne 
avant  1643,  76.  —  Diverses 
conjectures  sur  le  temps  où 
elle  avait  commencé  à  pa- 
raître  sur   quelque    théâtre. 

—  Son  quatrain  en  l'honneur 
de  Rotrou,  imprimé  en  i636 
dans  la  première  édition  de 
V Hercule  mourant,  77.  —  Sa 
beauté  ;  quelles  en  étaient, 
a-t-on  dit,  les  imperfections, 
80.  —  Les  comédiens  de  l'Il- 
lustre théâtre  lui  accordent 
la  prérogative  de  choisir  ce- 
lui d'entre  les  rôles  qui  lui 
plairait,  87.  — Son  talent  de 
tragédienne,  surtout  dans  la 
Mort  de  Sénèque,  tragédie  de 
Tristan,  représentée  en  i644i 
où  elle  jouait  avec  grand  suc- 
cès le  rôle  d'Epicharis,    88. 

—  En  i638,  elle  avait  donné 
naissance  à  une  fille  adulté- 
rine de  son  amant  le  baron 
de  Modène,  90  et  92.  —  Ce- 
lui-ci eut  souvent  recours  à 
ses  libéralités,  96.  —  Allusion 
à  Madeleine  Béjart,  dans  Jo- 
saphat,  tragédie  de  3Iagnon, 
représentée,  sans  doute,  en 
1646.  —  Elle  est  protégée 
par  le  duc  d'Epernon,  104- 
106.  —  Elle  achète,  pro- 
bablement par  complaisance, 
la  grange  de  la  Souquette, 
que  M.  de  Modène  avait 
donnée,  sous  prétexte  de 
Tente,  à  la  famille  de  MUeVau- 
selle,  sa  nouvelle  maîtresse, 
189.  —  Ses  infidélités  parais- 


sent ne  lui  avoir  jamais  inspiré 
de  jalousie.  —  Même  après 
son  mariage  avec  Madeleine 
de  l'Hermite,  elle  continua 
d'agir  avec  lui  en  amie,  i4o. 

—  Etroite  amitié  entre  Pierre 
Mignard  et  elle  jusqu'à  la  fin 
de  sa  vie,  198.  —  En  i658, 
elle  s'occupe,  à  Rouen,  avec 
son  activité  ordinaire,  de 
l'installation  projetée  de  la 
troupe  à  Paris.  —  Le  12  juil- 
let, elle  signe  avec  le  comte 
Louis  de  Talhouet  un  acte 
par  lequel  celui-ci  lui  cède 
sa  location  du  jeu  de  paume 
des  Marais.  —  Le  bail  est 
résilié  ou  laissé  de  côté,  Mo- 
lière ayant  par  ses  démar- 
clies  obtenu  un  meilleur  éta- 
blissement, 199  et  200.  — Le 
domicile  de  Madeleine  Bé- 
jart, à  Rouen,  était  au  jeu 
de  paume  des  Braques  ;  elle 
l'élit  à  Paris,  dans  la  maison 
de  «  M.  Poquelin,  tapissier, 
valet  de  chambre  du  Roi, 
demeurant  sous  les  halles  »  ; 
c'est  un  fait  curieux,  300.  — 
Brillante  surtout  dans  les 
rôles  d'héroïnes,  elle  est 
chargée  de  celui  d'Elvire  dans 
Dom  Garde  de  Navarre,  ^Z-j. 

—  Lorsque  les  Fdclieux  sont 
joués  dans  les  jardins  deVaux, 
elle  représente  la  Naïade  qui 
sort  d'une  coquille  pour  ré- 
citer le  prologue.  Une  comé- 
die satirique  la  nomme  «  un 
vieux  poissou  »,  248.  —  Les 
contemporains  l'ont  crue 
mère,  et  non  sœur,  d'Ar- 
mande  Béjart,  a55  et  266.  — 


49'*  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 

On  l'a  soupçonnée  d'avoir 
donné  à  Armande  la  riche 
dot  que  celle-ci  eut  en  ma- 
riage. Dans  son  testament 
elle  fut  très  généreuse  pour 
elle.  —  Quelques  réflexions 
sur  son  caractère,  258  et  aSg. 

—  Motifs,  qu'on  peut  lui  at- 
tribuer, de  n'avoir  pas  re- 
connu Armande  pour  sa  fille, 
260  et  261.  —  Ses  efforts 
passionnés,  si  l'on  en  croit 
Grimarest,  pour  empêcher 
le  mariage  de  Molière,  267. 

—  On  prétend,  au  contraire, 
dans  la  Fameuse  Comédienne, 
que,  dans  sa  lutte  jalouse 
contre  la  de  Brie,  qui  s'ef- 
forçait d'enchaîner  la  liberté 
de  Molière,  elle  avait  favo- 
risé l'inclination  de  Molière 
pour  la  jeune  fille  élevée  par 
lui,  268.  —  Le  17  février 
1672,  mort  de  Madeleine 
Béjart.  — ■  Dans  son  testa- 
ment très  pieux,  elle  prescrit 
que  son  corps  soit  inhumé 
dans  l'église  Saint-Paul.  — 
S'étant  certainement  mise  en 
règle  par  sa  renonciation  au 
théâtre,  cette  sépulture  ne 
lui  est  pas  refusée,  4i8. 

BÉJART  (Geneviève),  fille  de 
l'huissier  Béjart  et  de  Marie 
Hervé.  Elle  entre,  en  i643, 
dans  la  troupe  de  l'Illustre 
théâtre  à  sa  formation,  en 
même  temps  que  Joseph  et 
Madeleine,  78. —  Elle  épouse, 
en  1664,  Léonard  de  Lomé- 
nie.  —  Modicité  de  sa  dot, 
258.  —  Elle  n'a  signé  ni  le 
contrat  ni  l'acte  du  mariage 


d'Armande.  —  On  a  cru  pos- 
sible qu'elle,  et  non  Made- 
leine, ait  été  la  maîtresse  de 
3Iolière,  ce  qui  est  sans  au- 
cune vraisemblance,  269.  — 
Actrice  dans  la  troupe  de 
Molière,  sous  le  nom  de 
Mlle  Hervé,  elle  est  la  plus 
effacée  de  ses  camarades,  et 
paraît  avoir  été  sans  esprit, 
260.  —  Veuve  de  Léonard 
de  Loménie,  elle  épouse,  en 
1672,  Jean  Aubry,  43i,  à  la 
note. 

BÉJART  (Louis),  le  plus  jeune 
des  fils  de  l'huissier  Béjart 
et  de  Marie  Hervé.  —  Boi- 
teux, depuis  une  blessure, 
comme  il  jouait  dans  VAi.-are 
le  rôle  de  la  Flèche,  Harpa- 
gon l'appelle  «  ce  chien  de 
boiteux-là  ».  —  A  Pâques 
1670,  il  se  retire  de  la  troupe 
de  Molière,  à  l'âge  de  qua- 
rante ans.  La  troupe  lui  vote 
une  pension  de  mille  livres, 
la  première  qui  ait  été  don- 
née dans  la  maison  de  Mo- 
lière, 4o5. 

BÉJART  (Armande),  crue  par 
quelques-uns  fille  de  l'huis- 
sier Béjart  et  de  Marie  Hervé; 
par  d'autres,  fille  de  Made- 
leine Béjart.  —  Elle  n'est  pas 
nommée  dans  la  Préface  de 
1682.  —  Le  Registre  de  La 
Grange  se  tait  sur  ses  pa- 
rents. —  Il  a  cette  petite 
note  sur  son  mariage  :  «  M.  de 
Molière  épousa  Armande- 
Claire-Elisabeth  Béjart ,  le 
mardi-gras  de  1662  »,  date 
un  peu  inexacte,  le  mariage 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


49^ 


ayant  été  célébré  à  Saint- 
Germain  l'Auxerrois  le  lundi 
20  fé-vTier,  260.  —  La  date  de 
sanaissance  n'est  qu'approxi- 
mativement  connue.  Son  con- 
trat de  mariage  la  dit  «  âgée 
de  vingt   ans  ou  environ  ». 

—  Molière  avait  certainement 
pris  soin  de  son  éducation, 
35 1.  —  Dans  r École  des  ma- 
ris et  dans  V Ecole  des  femmes, 
allusions,  qui  ne  semblent 
pas  douteuses,  à  la  jeune  fille 
élevée  par  Molière,  qu'il  choi- 
sit pour  femme.  —  La  pe- 
tite 3Ienoii  de  la  lettre  de 
Chapelle  ne  doit  pas  être 
autre  qu'ArmandeBéjart,  262 
et  253.  —  Dans  la  Fameuse 
Comédienne,  source  d'infor- 
mations toujours  suspecte, 
on  donne  quelques  détails 
surses  premières  années,  253. 

—  Elle  ne  peut  être  que  «  la 
petite  non  baptisée  »,  dont 
il  est  parlé  dans  la  Renon- 
ciation à  la  succession  de 
l'huissier  Béjart,  où  elle  est 
comptée  au  nombre  des  en- 
fants du  défunt.  —  Dans  les 
actes  postérieirrs,  on  s'en  est 
rapporté  à  cet  acte  premier 
en  date,  dont  quelques  dé- 
clarations, d'importance,  il 
est  vrai,  secondaire,  ne  sont 
pas  vraies,  254.  —  Témoi- 
gnages contemiîorains,  entre 
autres  celui  de  Boileau,  en 
désaccord  avec  cet  acte  sur 
la  maternité  de  Marie  Hervé, 
255.  —  Dans  le  contrat  de 
mariage  d'Armande,  Marie 
Hervé  donne  aux  futurs  époux 


dix  mille  livres  tournois.  — 
Madeleine  Béjart  est  éton- 
namment généreuse  pour  sa 
sœur  dans  son  testament, 
258.  —  La  supposition  que 
M.  de  Modène  était  le  père 
d'Armande  n'est  pas  tiop 
invraisemblable,  261  et  262. 

—  Entrée  d'Armande  dans  la 
troupe  du  Palais-Royal.  — 
Le  Registre  de  La  Grange  la 
nomme  pour  la  première  fois, 
comme  en  faisant  partie,  au 
mois  de  juin  1662.  —  Elle  ne 
joua  pas  dans  V Ecole  des  fem- 
mes, 271.  —  Son  rôle  de  dé- 
but fut  celui  d'Élise,  dans  la 
Critique  de  V Ecole  des  femmes, 
2'j'i.  —  Les  calomnies  de  la 
Fameuse  Comédienne  écartées, 
sa  coquetterie  n'est  pas  dou- 
teuse, 3oi  et  3o2,  307  et  3o8, 
et  339.  —  Elle  crée,  dans  le 
Misanthrope,  le  rôle  de  Céli- 
mène,  auquel  elle  paraît  avoir 
servi  de  modèle  dans  ses 
traits  principaux,  336  et  337. 

—  Molière  lui  fait  entendre 
par  la  bouche  d  Alceste  la 
menace  d'une  rupture,  si  elle 
ne  se  corrige  pas,  337.  — 
Sans  admettre  les  plus  gra- 
ves accusations  portées  con- 
tre elle,  Grimarestlui  recon- 
naît des  torts,  33g.  —  Les 
témoignages  les  plus  mal- 
veillants, en  lui  refusant  la 
beauté,  avouent  qu'elle  était 
séduisante,  345  et  346.  — 
Les  contemporainslouentson 
talent  d'actrice,   346  et  847. 

—  Grand  effet  qu'elle  pro- 
duisait avec  La  Grange,  dans 


496  TABLE  ALPHABETIQUE   ET  ANALYTIQUE 


la  leçon  de  chant  du  Malade 
imaginaire,  347  ^^  348.  — 
Sou  portrait  fait  par  Molière 
lui-même  dans  le  Bourgeois 
gentilhomme,  sous  le  nom  de 
la  Lucile  de  cette  comédie, 
348-35o.  —  Torts  réci- 
proques dont  on  a  parlé. 
Rien  d'assez  grave  du  côté 
de  Molière  pour  excuser  Ar- 
mande.  Entre  elle  et  lui  il  y 
eut  incompatibilité  d'hu- 
meurs. Les  défauts  de  Mo- 
lière étaient  faciles  à  suppor- 
ter, 35i  et  352.  —  Elle  met 
le  trouble  dans  le  ménage 
par  la  brutalité  avec  laquelle 
elle  traite  le  jeune  Baron  à 
la  fin  de  1666,  354.  — Quand 
Molière  se  fut  retiré  à  Au- 
teuil,  on  croit  qu'elle  n'y 
venait  qu'en  visite,  38o.  — 
Dans  George  Dandin,  Molière 
lui  fît  jouer  le  rôle  d'Angé- 
lique. Nulle  raison  de  pen- 
ser que  ce  pût  être  dans  un 
moment  de  grande  irritation 
contre  elle,  388.  —  Elle  créa 
le  rôle  de  Psyché,  dans  le- 
quel elle  fut  charmante.  — 
Ses  calomniateurs  ont  conté 
qu'elle  s'était  alors  laissé  sé- 
duire par  Baron,  chargé  du 
personnage  de  l'Amour,  41 1- 
—  Il  est  moins  difficile  de 
croire  à  une  passion  tardive 
et  assez  innocente  du  grand 
Corneille  pour  la  Psyché 
qu'il  avait  trouvée  si  tou- 
chante. Robinet  dit  qu'il  avait 
composé,  en  1672,  sa  Pul- 
chérie  «  par  l'effet  d'une  es- 
time extrême  »  pour  Mlle  Mo- 


lière, 412  et  4i3.  —  Avant 
la  dernière  représentation  du 
Malade  imaginaire,  elle  est  ap- 
pelée par  Molière  pour  l'en- 
tendre exhaler  ses  plaintes 
sur  les  souffrances  de  son 
âme  et  de  son  corps,  4^8  et 
429.  —  Elle  présente  une  re- 
quête à  l'archevêque  de  Paris 
pour  obtenir  la  sépulture  de 
Molière  en  terre  chrétienne, 
43i,  432,  433,  435  et  436. 
—  Elle  se  jette  aux  pieds  du 
Roi,  le  suppliant  que  cette 
grâce    ne    soit    pas  refusée, 

439.  —  Elle  est  renvoyée  par 
le  Roi  à  l'autorité  épiscopale, 

440.  —  Pour  chauffer  les 
pauvres  du  quartier  dans  un 
hiver  très  froid,  elle  fit,  dit- 
on,  brûler  sur  la  pierre  tom- 
bale de  Molière  cent  voies 
de  bois,  dont  le  feu  la  brisa, 
442-  —  Elle  avait  fait  à  la 
foule  du  peuple,  le  jour  des 
funérailles,  une  distribution 
d'argent,  racontée  différem- 
ment par  Grimarest  et  par 
l'auteur  de  la  lettre  à  l'abbé 
Boyvin,  444-  —  Molière  avait 
laissé  à  sa  veuve  une  bril- 
lante fortune.  Elle  ne  dédai- 
gna cependant  pas  de  tirer 
un  grand  profit  du  Festin  de 
Pierre,  en  autorisant  Thomas 
Corneille  à  le  versifier,  4^3 
et  454-  —  Son  mariage  avec 
le  comédien  Guérin  d'Estri- 
ché,  le  3i  mai  1677.  —  A^ant 
ce  mariage  elle  avait  été  en 
butte,  en  1675,  aux  insultes 
du  président  Lescot,  et,  en 
1675,  à  celles  d'un  factum  du 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


497 


sieurGuichard.  intendant  des 
bâtiments  de  Monsieur,  454 
et  455.  —  Elle  paraît  s'être 
bien  conduite  dans  son  se- 
cond ménage,  soit  qu'elle  eût 
trouvé  un  maître  cette  fois, 
soit  que  Guérin  eût  été  de 
son  goût  plus  que  Molière, 
455  et  456.  —  Elle  se  retire 
du  théâtre  en  1694,  et  meurt 
le  3o  noA'^mbre  1700,  lais- 
sant deux  enfants,  un  fils  de 
Guérin  et  une  fille  de  Mo- 
lière, 456.  —  Elle  avait  par- 
tagé avec  Guérin  la  tutelle 
de  safîlle.  —  On  a  dit  qu'elle 
ne  l'aimait  pas,  et  voulut  la 
contraindre  à  se  faire  reli- 
gieuse ;  ce  qui  n'est  point 
prouvé,  4^7  et  458. 

Bensserade.  —  Il  fut  longtemps 
chargé  d'écrire  les  vers  des 
livres  de  ballets.  On  y  goû- 
tait fort  les  fines  allusions  de 
ses  allégories.  —  ^Molière, 
dans  les  amants  magnifiques, 
composa  les  vers  des  in- 
termèdes, dans  lesquels  il 
imita  la  manière  de  Bensse- 
rade,  peut-être  avec  des  in- 
tentions de  parodie.  —  Bens- 
serade  répondit  à  cette  ma- 
lice par  une  raillerie  plai- 
sante de  deux  des  vers  d( 
Molière,  40 r. 

Berkier  (François).  —  Secré- 
taire de  Gassendi,  au  temps 
des  leçons  données  à  Cha- 
pelle, dont  on  l'a  cru  cama- 
rade au  collège  de  Clermont, 
43  et  44-  —  Il  resta  le  disci- 
ple le  plus  attaché  à  la  doc- 
trine du  maître,  44-  —  H 
Molière,  x. 


écrivit  V Abrégé  de  la  phlloso' 
phie  de  Gassendi,  publiée  en 
1678.  —  Saint-Evremond  cite 
de  lui  des  paroles  qui  donne- 
raient une  fâcheuse  idée  de 
sa  morale.  —  Une  lettre 
qu'il  écrivit  de  Chiraz,  ea 
Perse,  à  Chapelle,  en  1668, 
le  ferait  juger  autrement,  et 
comme  un  plus  vrai  gassen- 
diste,  comme  un  philosophe 
spiritualiste,  45  et  46.  —  Mo- 
lière, qui  le  revoit  à  Auteuil, 
après  une  longue  absence, 
lorsqu'il  revenait  desEtats  du 
Grand  3Iogol,  déclare  qu'il 
est  son  ami,  47- 

Béziers.  Molière  et  sa  troupe  y 
viennent  pendant  la  session 
des  états  de  1657.  —  Le  Dé- 
pit amoureux  j  est  joué,  pour 
la  première  fois,  vers  la  fin 
de  i656,  181-183.  —  Voyez 
aussi  les  Additions  et  correc- 
tions, 485. 

Boileau-Despréaux.  —  Ses  stan- 
ces sur  C Ecole  des  femmes  sonl 
envoyées,  comme  étrennes. 
à  Molière,  le  i"' janvier  1 663, 
premiertémoignage,  quinous 
soit  connu,  d'une  amitié  de- 
meurée si  fidèle,  273.  —  Il 
était  un  des  amis  qui  visi- 
taient souvent  Molière  à  Au- 
teuil, et  fut  un  des  convives 
du  fameux  souper,  38o.  — Au 
Roi,  qui  s'en  étonne  un  peu, 
il  nomme  Molière  comme 
celui  des  grands  écrivains  qui 
avait  fait  le  plus  d'honneur  à 
son  règne,  38i.  —  Il  n'est 
pas  vraisemblable,  quoi  qu'eu 
dise  le  Bolœana,  qu'il  ait  mé- 

33 


498  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


diocrement  goûté  l'Amphi- 
tryon de  Molière,  385.  —  Il 
jugeait,  dit  le  Bolœana,  PA- 
vare  comme  «  une  des  meil- 
leures pièces  de  l'auteur  », 
392.  —  Trop  sévère  pour  les 
Fourberies  de  Scapin.,  il  ne 
comprenait  pas  tout  dans  le 
génie  libre  de  Molière.  — On 
a  rapporté  de  lui  un  entre- 
tien dans  lequel  il  voulut  en 
vain  lui  persuader  de  ne  plus 
être  comédien,  jugeant  un 
homme  tel  que  lui  diminué 
par  sa  profession,  4i3  et  4i4- 
—  Quoiqu'il  lui  reprochât 
certaines  scènes  bouffonnes, 
il  avait  de  l'estime  pour  quel- 
ques-unes de  ses  petites  piè- 
ces, 4i5  et  416. 

BoissAT  (Pierre  de),  de  l'Acadé- 
mie française.  Il  se  trouve 
à  Vienne  avec  Molière,  qu'il 
traite  avec  honneur.  —  Il  est 
spectateur  assidu  de  toutes 
les  pièces  qu'il  joue.  —  A 
l'occasion  d'une  de  ces  repré- 
sentations, il  a  une  querelle 
avec  Vachier  de  Robillas, 
124  et  125. 

BossuET.  Mal  informé  probable- 
ment des  derniers  moments 
de  Molière,  il  parle  de  lui  et 
de  sa  mort  avec  une  exces- 
sive sévérité  dans  ses  Maxi- 
mes et  Réflexions  sur  la  comé- 
die, 432.  —  Il  trouve  dans 
les  Rituels  et  dans  l'usage 
constant  la  preuve  que  la  sé- 
pulture chrétienne  est  dé- 
niée aux  comédiens,  437- 

BouRDALouE.  Daus  le  sermon 
sur  l''Impureté,  il  signale,  par 


une  claire  allusion,  la  comé- 
die de  George  Dandin  comme 
un  de  ces  spectacles  «  où 
l'impudence  lève  le  masque», 
387. 

Bourgeois  gentilhomme  {le),  comé- 
die-ballet, dans  laquelle  s'é- 
gayèrent Molière  et  Lulli, 
celui-ci  auteur  de  la  musique. 
—  Représentée  le  14  octobre 
1670,  à  Chambord,  elle  j  est 
redemandée  trois  fois.  — 
Conte  de  Grimarest  sur  le 
mauvais  succès  qu'elle  aurait 
eu  d'abord.  —  Molière  y 
avait,  par  ordre,  introduit 
une  mascarade  de  Turcs,  pour 
amuser  Louis  XIV,  mécon- 
tent de  l'attitude  dédaigneuse 
d'un  envoyé  de  la  Porte.  — 
Molière  reçut  à  Auteuil  quel- 
ques indications  du  truche- 
man  Laurent  d'Arvieux,  4o6 
et  407- — Sans  vraisemblance 
on  a  accusé  Molière  d'avoir, 
dans  la  réception  du  Mama- 
mouchi,  parodié  les  cérémo- 
nies de  la  consécration  des 
évêques,  —  Avec  quel  art  il 
a  trouvé  dans  une  bouffon- 
nerie le  sujet  d'une  excellente 
comédie,  4o8.  —  Le  Bour- 
geois gentilhomme  fut  joue  au 
Palais-Royal,  pour  la  pre- 
mière fois,  le  23  novembre 
1670,  409. 

BouRSAULT  (Edme).  Il  fait  jouer, 
à  l'Hôtel  de  Bourgogne,  le 
Portrait  du  peintre  ou  la  con- 
tre-critique de  r École  des  fem- 
mes, comédie  en  vers,  où, 
pour  railler  Molière,  il  ne 
suit  que  s'en  approprier  les 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


499 


plaisanteries,  «  retourner  ses 
pièces  comme  un  habit  »,  dit 
Molière  lui-même.  —  Il  s'é- 
tait reconnu    dans   Lysidas, 
dont  il  fit   Lizidor    dans   sa 
pièce,    280.    —   Elle  fut  re- 
présentée,  pour  la  première 
fois,    le    19     octobre     i663. 
Avant  cette  date,  Molière  la 
connaissait    très   bien,    avec 
l'indignité   de    ses    attaques, 
282.   Boursault  avait  mérité 
les  représailles  de  r Impromptu 
de  Versailles,  où  il  fut  nommé, 
285. 
Brie  (Mlle  de).  Sous  le  nom  de 
théâtre  de  Catherine  du  Rosé 
(son   vrai   nom    était  Cathe- 
rine Leclerc),   elle    est   mar- 
raine, à  Narbonne,   dans  un 
baptême  du  10  janvier  i65o, 
où  Molière  est  parrain,  120. 
—  Elle  passe,  en  i653,  d'une 
autre   troupe    (peut-être    de 
celle     de    Mitallat)    dans    la 
troupe  de  Molière,  avec  son 
mari,     Edme    Villequin     de 
Brie,  iSa.  —  Elle   est    char- 
gée de   trois  rôles  dans  An- 
dromède, jouée  à  Lyon  parla 
troupe  de  3Iolière,    i36.  — 
On  dit  qu'elle   fut  aimée  de 
Molière,    ce    que    Brosselte 
confirme  par  le  témoignage 
de  Boileau,  i4i.  —  Examen 
des  bruits  qui  ont  couru  sur 
la    liaison    de   Molière   avec 
cette  comédienne,    i4i-i45- 
—  A  en  croire  le  libelle  de 
la   Fameuse   Comédienne,    elle 
aurait  tâché  de   faire   obsta- 
cle au   mariage    de    Molière, 
268.    —    Ce   fut    elle    (non 


Mlle  du  Parc,  comme  un 
lapsus  nous  l'a  fait  dire)  qui 
joua  le  rôle  d'Agnès  dans  VE' 
cote  des  femmes,  271. 


Caltimont  (Mme  de).  Maîtresse 
du  prince  de  Conti,  elle  est 
appelée  par  lui  dans  son  châ- 
teau de  la  Grange,  i5i.  — 
Lorsque  la  troupe  de  Mo- 
lière y  est  mandée.  Cormier, 
chef  de  la  troupe  rivale,  ga- 
gne Mme  de  Calvimont  par 
des  présents,  i52.  —  Beauté 
et  sottise  de  cette  dame,  i53. 
—  De  Montpellier,  le  prince 
de  Conti  lui  fait  signifier  son 
congé,  et  l'indemnise  chiche- 
ment,  i56. 

Carcassonke.  Molière  y  est  ap- 
pelé pour  la  session  des  états 
ouverte  le  3i  juillet  i65i.  Il 
s'y  trouve  avec  Dassoucy, 
126-129. 

Chalussay  (le  Boulanger  de). 
Citations  de  son  Elomire  hy- 
pocondre,  8,  g,  19,  76,  76, 
85,  98,  207-209,  aSi,  264. 

Chapelle,  fils  naturel  de  Fran- 
çois Luillier.  —  Il  était  né  en 
1626.  —  Son  père  le  confie 
à  Gassendi,  en  1641,  34.  — 
Témoignages  certains  sur  l'en- 
seignement qu'il  reçut  de  ce 
maître,  Sg.  —  Enfant  gâté  et 
mal  élevé  par  son  père.  — 
A  vingt  ans,  son  inconduite 
le  fait  enfermer  à  Saint-La- 


5oo  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


zare.  —  Son  irréligion.  —  Il 
a  été  jugé  par  ses  contempo- 
rains un  des  hommes  les  plus 
spirituels  de  son  temps,  ^o. 
—  Il  n'avait  pas  entendu  sans 
fruit  les  leçons  de  Gassendi, 
dont  il  marqua  toujours  qu'il 
se  souvenait,  4i"43.  —  Let- 
tre intéressante  qu'il  écrit  à 
Molière  au  printemps  de  1669, 
146-149.  — Dans  son  voyage, 
en  i656,  avec  Bachaumont, 
il  ne  rencontra  pas  Molière, 
ayant  alors  passé  par  les  mê- 
mes lieux  que  lui,  mais  sans 
doute  à  quelques  jours  de 
distance,  180  et  181.  —  On 
a  dit  que  3Iolière  avait  eu  re- 
cours à  lui  pour  la  scène  de 
Caritidès  dans  ses  Fâcheux  ; 
Molière  ne  fît  aucun  usage 
de  la  scène  très  froide  qu'il 
lui  avait  présentée,  247.  — 
On  trouve  dans  la  Fameuse 
Comédienne  les  conûdences 
faites  par  Molière  à  Cha- 
pelle de  ses  chagrins  domes- 
tiques et  les  rudes  conseils 
de  celui-ci  :  scène  remar- 
quablement racontée,  mais  ou 
de  pure  invention,  ou  tout 
au  moins  fort  arrangée,  841  • 
—  Citation  des  paroles  prê- 
tées à  Molière  dans  cet  entre- 
tien, 342.  —  Chapelle  était 
présent  auxjoyeuses  réunions 
de  Racine,  Boileau  et  la  Fon- 
taine, rue  du  Colombier  et 
dans  les  célèbres  cabarets. — 
Il  a  raconté,  dans  une  lettre 
au  marquis  de  Jonzac,  une 
de  ces  frairies  de  la  Croix  de 
Lorraine,  où  se  trouvait   Mo- 


lière, 363  et  364.  —  Dans  la 
Psyché  de  la  Fontaine,  il  de- 
vint Gélaste,  quand  sous  ce 
nom  eut  cessé  de  pouvoir  fi- 
gurer Molière,  brouillé  avec 
Racine,  364-  —  Chapelle  se 
fait  locataire  avec  Molière  de 
la  maison  du  sieur  de  Beau- 
fort  à  Auteuil,  879. 

Charpentier  (Marc- Antoine). 
En  1672,  il  fait  pour  le  Ma- 
riage forcé  une  nouvelle  mu- 
sique qui  remplace  celle  de 
Lulli,  417-  —  Molière  lui 
confie  la  musique  du  Malade 
imaginaire,  428. 

Chigi  (Flavio,  cardinal).  En- 
voyé, comme  légat  a  latere, 
par  le  pape  Alexandre  VII, 
son  oncle,  pour  apporter  au 
Roi  les  satisfactions  exigées, 
il  assiste  à  Fontainebleau,  le 
3o  juillet  i644i  au  ballet  de 
la  Princesse  d'Élide.  Molière 
lui  fait  une  lecture  de  Tar- 
tuffe, 3i5  et  3 16.  —  Dans  les 
Observations  du  sieur  de  Ro- 
chemont,  le  légat  n'échappe 
pas  à  une  verte  semonce, 
323. 

Chorier  (Nicolas).  Dans  ses  ^^- 
versaria,  il  dit  s'être  lié  avec 
Molière  à  Lyon  et  à  Vienne. 
—  Il  fait  dans  sa  Vie  de  Pierre 
de  Baissât  le  récit  de  la  ren- 
contre de  cet  académicien  à 
Vienne  avec  Molière,  des 
somptueux  repas  qu'il  lui 
donnait,  et  de  la  querelle 
qu'il  eut  à  l'occasion  d'une 
des  comédies  que  Molière 
avait  faites,  124  et  i25. 

Cocu  imaginaire  (/e).  Il  est  joué 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5oi 


pour  la  première  fois,  le 
28  mai  1660,  au  Pelit-Bour- 
bon.  — Songraud  succès.  — 
Observations  sur  celte  comé- 
die, 226-a3o.  —  Le  Roi  la 
goûta  tellement  qu'il  la  vit 
neuf  fois,  aSs.  —  La  Neuf- 
villaine  en  publie  la  première 
édition,  233.  —  Étonnante 
histoire  de  cette  édition  non 
autorisée  par  Molière,  234  et 
235. 
Collège  de  Clermoni.  Molière  y 
est  admis  vers  l'âge  de  seize 
ans,  i5.  —  Grande  renommée 
de  cette  maison,  21.  —  Ses 
méthodes  d'enseignement,  2  2. 

—  Régents  dont  Molière  suit 
les  classes.  — Pièces  de  théâ- 
tre  jouées  dans    ce    collège. 

—  Après  une  visite  du  Roi, 
en  16741  il  devint  le  collège 
Louis-le-Grand ,  23.  —  Entre 
autres  comédies,  celles  de 
Plaute  et  de  Térencey  étaient 
représentées,  étudiées  aussi 
pour  leur  latinité,  25. 

Comédiens.  Considération  dont 
Chappuzeau  a  prétendu  qu'ils 
jouissaient.  —  Déclarations 
royales  en  leur    faveur,  70. 

—  Le  monde  cependant,  tout 
en  leur  faisant  fête,  ne  les 
reconnaissait  point  pour  être 
des  siens.  —  Le  monde  bour- 
geois tenait  la  barrière  moins 
abaissée  que  celui  des  grands 
seigneurs,  71.  —  Sévérité  des 
Rituels  de  ce  temps  contre 
les  comédiens,  436  et  437-  — 
Beaucoup  d'exemples  pour- 
tant de  tolérance,  qu'il  s'agît 
de    baptême,    ou   même   de 


confession  et  de  commu- 
nion, 437  et  438. —  Déclara- 
tion royale  décidant  à  quelles 
conditions  leur  art  ne  sera 
pas  imputé  à  blâme,  438  et 

439. 

Comtesse  d^Escarl'agnas  [la], ']ouée 
à  Saint-Germain,  dans  les  di- 
vertissements qui  fêtèrent  le 
récent  mariage  de  la  Prin- 
cesse Palatine,  seconde  Ma- 
dame. —  Elle  fut  compo- 
sée pour  servir  de  cadre  au 
Ballet  des  ballets,  et  de  pré- 
texte à  une  nouvelle  Pasto- 
rale de  Molière ,  ouvrage 
perdu.  —  Elle  ne  fut  pas 
imprimée  du  vivant  de  l'au- 
teur, bien  qu'il  y  ait  dans 
cette  courte  esquisse  de  très 
bonnes  peintures  de  carac- 
tères.—  Avant  Le  Sage,  Mo- 
lière y  a  dessiné  une  brutale 
figure  de  financier,  416. 

CoxDÉ  (le  grand).  En  mars 
1660  les  Précieuses  ridicules 
sont  jouées  pour  lui,  chez 
Mme  Sanguin,  222.  —  Dom 
Garde  de  Navarre  est  joué 
pour  lui  à  Chantilly,  en  i663, 
239.  —  Il  fait  représenter 
rimpromptu  de  Fersailles  aux 
fêtes  du  mariage  de  son  fils, 
éclatante  revanche  de  la  re- 
présentation de  l'Impromptu 
de  riiotel  de  Condé,  qu'avait 
sans  doute  voulue  ce  fils, 
296.  —  Par  ordre  du  grand 
Condé,  les  cinq  actes  du 
Tartuffe,  pour  la  première 
fois  entier,  sont  joués,  le 
29 novembre  1664,  auRaincy, 
chez   la    Princesse  Palatine, 


5o2  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


de  nouveau,  le  8  novembre 
i665,  au  même  Raiucy,  3i8, 

—  Vive  et  spirituelle  réponse 
de  Condé  à  Louis  XIV,  pour 
défendre  le  Tartuffe  contre 
ceux   qu'il  scandalisait,   3ao. 

—  En  1668,  il  fait  jouer  deux 
fois  le  Tartuffe  chez  lui,  d'a- 
bord à  Paris,  le  4  mars,  puis 
à  Chantilly,  le  20  septembre. 

—  A  Paris  surtout,  dans  le 
diocèse  de  M.  de  Harlay, 
c'était  ne  pas  tenir  compte 
de  son  ordonnance  épisco- 
pale,  385  et  386. 

CoMTi  (Armand  de  Bourbon, 
prince  de).  11  étudie,  au  col- 
lège de  Clermont,  dans  le 
temps  où  Molière  en  suivait 
encore  les  classes,   26    et  27. 

—  Ses  dix  années  d'études 
dans  ce  collège.  Il  y  soutient 
des  thèses  de  philosophie, 
puis  de  théologie,  28.  — Ses 
maîtres  le  traitent  avec  des 
respects  qui  le  distinguent 
de  ses  camarades,  28-3o.  — 
Il  revoit  Molière  à  la  Grange- 
des-Prés,  où  il  s'était  retiré 
après  ses  grandes  aventures 
de  la  Fronde,  et  où  il  avait 
établi  Mme  de  Cahimont, 
i5i.  —  A  l'instigation  de 
cette  maîtresse,  il  veut  rete- 
nir la  troupe  de  Cormier  et 
ne  pas  recevoir  celle  de  Mo- 
lière. —  On  le  décide  à  tenir 
la  promesse  qu'il  avait  faite 
à  celui-ci,  162.  —  Il  lui  fait 
donner  pension.  —  Il  ne  pa- 
raît pas  avoir  témoigné  qu'il 
se  souvînt  d'avoir  été  élève 
du  collège  de  Clermont  dans 


le  même  temps  que  Molière, 
i54.  —  Vers  la  mi-novem- 
bre i663,  il  quitte  Pézenas 
pour  aller  épouser,  à  Paris, 
Anne  3Iartinozzi,  164.  —  Il 
s'arrête  à  Montpellier,  où  il 
choisit  Mlle  Rochette  pour 
succéder  à  Mme  de  Calvi- 
mont.  Il  se  livre,  dans  cette 
ville,  à  toute  sorte  de  débau- 
ches, i55.  —  Il  charge  Cos- 
nac  de  signifier  son  congé  à 
Mme  de  Calvimont  qu'il  con- 
sole par  une  très  médiocre 
somme  d'argent.  —  Il  arrive 
à  Paris  en  février  i654  et  se 
marie  le  21  du  même  mois, 
i56.  —  Il  ouvre,  à  Montpel- 
lier, la  session  des  états,  qui 
fut  tenue  du  7  décembre  i654 
au  14  mars  i655. — La  prin- 
cesse de  Conti  vient  l'y  re- 
joindre. Sa  présence  est  l'oc- 
casion de  belles    fêtes,    iSy. 

—  Le  Ballet  des  Incompati- 
bles est  de  ce  temps-là,  i58. 

—  Après  la  mort  de  Sarrasin 
(décembre  i654),  proposition 
faite  par  le  prince  à  Molière 
de  devenir  son  secrétaire, 
Guillerague,  d'abord  choisi, 
n'ayant  accepté  qu'un  secré- 
tariat honoraire,  169  et  160. 

—  Il  donne  Tordre  àlatroupe 
de  Molière  de  venir  à  Péze- 
nas pour  la  session  des  états 
ouverte  en  i655.  —  Il  loge 
la  comédie  chez  lui,  à  l'hôtel 
d'Alfonce,  169.  —  Pendant 
cette  session,  Nicolas  Pavil- 
lon, évêque  d'Aleth,  visite 
le  prince  malade,  et  l'exhorte 
au  repentir,  170.  —  De  pas- 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5o3 


sage  à  Lyon,  en  1657,  lors- 
qu'il était  décidément  péni- 
tent, il  signifie  à  ses  comé- 
diens quils  ont  cessé  de  lui 
appartenir,  188.  —  Le  res- 
sentiment de  cette  blessure 
peut  expliquer  en  partie  la 
guerre  faite  par  Molière  à  la 
dévotion  dans  le  Tartuffe, 
188  et  189.  —  Dans  le  Traité 
de  la  comédie,  Conti  déclare 
scandaleuse  au  plus  haut  de- 
gré la  scène  v  de  l'acte  II  de 
lÉcole  des  femmes,  274.  — 
Dans  la  même  Traité,  il  dit 
ne  voir  nulle  part  d'école 
d'athéisme  plus  ouverte  que 
le  Festin  de  Pierre,  324- 

CownEK.  Il  vient  à  Pézenas  avec 
sa  troupe,  en  i653.  —  Le 
prince  de  Conti  veut  retenir 
cette  troupe,  de  préférence 
à  celle  de  3Iolière,  mais  finit 
par  se  décider  à  retenir  celle- 
ci  à  l'exclusion  des  acteurs 
de  Cormier,  i52.  — Il  paraît 
que  ce  Cormier  était  bien 
le  même  que  l'opérateur  de 
ce  nom,  longtemps  connu  sur 
le  Pont-Neuf,  i54' 

CoRSEiLLE  (Pierre).  Sa  tragédie 
à^  Andromède  est  jouée  à  Lyon, 
vraisemblablement  en  i653, 
par  la  troupe  de  Molière, 
i35.  —  Il  eu  avait  confié  la 
musique  à  Dassoucy,  dont  il 
a  loué  les  vers.  —  Dans  le 
même  temps,  un  de  ses  son- 
nets louait  VOvide  en  belle 
humeur,  168  et  169. —  Quand 
la  troupe  de  Molière  vint  à 
Rouen,  en  i658,  Corneille, 
âgé  de  cinquante-deux  ans, 


est  touché  par  les  charmes 
de  la  du  Parc,  et  la  trouve 
insensible  à  son  amour.  — 
Vers  qu'il  lui  adressa,  197  et 
198.  —  Les  ennemis  de  Mo- 
lière, voulant  le  rabaisser, 
exaltèrent  Corneille,  291  et 
292.  — Le  grand  poète  était 
déjà,  en  i663,  inquiet  du 
déclin  de  sa  renommée,  292. 
—  Il  déplorait  le  goût  du 
public  pour  la  comédie.  — 
Elle  lui  paraissait  un  genre 
inférieur  à  la  tragédie.  Mo- 
lière soutint  l'opinion  con- 
traire, 293.  —  Molière  pa- 
raît s'être  imaginé  que  Cor- 
neille avait  collaboré  au  Por- 
trait du  Peintre.  S'il  a  vrai- 
ment commis  cette  erreur, 
elle  était  étrange,  294.  —  La 
mésintelligence  fut  de  courte 
durée,  293.  —  Après  que 
IHôtel  de  Bourgogne  eut 
joué  les  tragédies  de  Racine, 
Corneille  fit  représenter  au 
Palais-Royal  plusieurs  des 
siennes  dans  leur  nouveauté, 
Agésilas  en  1666,  Attila  en 
1667,  Tite  et  Bénériceen  1670, 
372  et  373.  —  Il  a  travaillé 
avec  Molière  à  la  tragédie- 
comédie  de  Psyché,  où  il  a 
été  plein  de  grâce  facile.  — 
Les  deux  génies  si  différents 
s'y  sont  merveilleusement 
accordés,  4io.  —  Des  bruits 
coururent  sur  de  tendres  sen- 
timents de  Corneille  sexagé- 
naire pour  Mlle  Molière,  qui 
l'avait  charmé  dans  le  rôle 
de  Psyché.  Robinet  prétend 
qu'il    avait   écrit    pour   elle 


5o4  TABLE   ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


Pulcitérie,  jouée  au  Marais, 
en  16-2,  412. 

Corneille  (Thomas).  Lettre 
qu'il  écrit  le  19  mai  i658  à 
l'abbé  de  Pure.  Il  lui  parle 
d'une  partie  de  la  troupe  de 
Molière  arrivée  à  Rouen,  et 
du  désir  de  31adeleine  Béjart 
d'établir  cette  troupe  à  Paris, 
igS  et  196.  —  En  même 
temps  que  Pierre  Corneille, 
il  est  amoureux  de  la  du 
Parc,  197  et  198.  —  Dans 
une  lettre  écrite,  en  lôSg, 
au  même  abbé  de  Pure,  il 
parle  avec  dédain  des  Pré- 
cieuses ridicules,  dont  le  suc- 
cès fait  connaître,  selon  lui, 
que  les  comédiens  du  Petit- 
Bourbon  ne  sont  propres 
qu'à  soutenir  de  semblables 
bagatelles,  219  et  220.  — 
Molière  lui  décoche  un  trait 
satirique  dans  l^Ecole  des 
femmes,  294.  —  La  veuve  de 
Molière  l'autorise  à  mettre 
en  vers  le  Festin  de  Pierre, 
453.  —  La  comédie  de  Mo- 
lière, versifiée,  futjouée,pour 
la  première  fois,  le  12  février 
1677,  454. 

Cos>'AC  (Daniel  de).  Il  mande  à 
la  troupe  de  Molière  de  ve- 
nir au  château  de  la  Grange, 
sur  l'ordre  du  prince  de 
Conti.  —  Le  prince  voulant 
manquer  à  sa  parole,  Cosnac 
obtient  avec  peine  que  la 
troupe  joue  sur  le  théâtre 
de  la  Grange,  x5î.  —  Il  est 
chargé  par  le  prince  de 
Conti  de  le  débarrasser  de 
Mme   de    Calvimont,   en  lui 


faisant  présent  de  six  cents 
pistoles,  qu'il  prend  sur  lui 
de  porter  à  mille,  i36. 

CouRTiN  DE  LA  Dehors  (Marie). 
Voyez  Vauselle  (Mlle  de). 

Cressé  (Louis),  grand-père  ma- 
ternel de  Molière.  Il  aimait, 
dit-on,  le  théâtre  et  condui- 
sait son  petit-fils  à  l'Hôtel  de 
Bourgogne,  16. 

Cressé  (Marie),  mariée  à  Jean 
Poquelin,  père  de  Molière, 
2.  —  On  sait  peu  de  chose 
sur  elle,  sur  son  caractère, 
10.  —  Elle  meurt  au  mois  de 
mai  1682.  II. 

Critique  de  P Ecole  des  femmes  [la], 
représentée  pour  la  première 
fois  auPalais-Roval,  le  l'^juin 
i663.  —  C'est  un  modèle 
charmant  de  polémique,  276. 

—  Elle  donne  lieu  à  de  vives 
hostilités  de  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne, 277-281. 

Croisy  (du).  Il  entre  avec  sa 
femme  dans  la  troupe  de 
3Iolière,  à  Pâques  1609,  210. 

Cyrano  de  Bergerac.  Il  est  un 
des  auditeurs  des  leçons  de 
Gassendi.  —  Il  semble  un 
intrus  dans  la  maison  de 
Luillier,  47-  —  Né  en  1619, 
il  étudie  d'abord  chez  un 
curé  de  campagne,  puis  est 
envoyé  à  Paris  par  son  père, 
et  devient  un  des  écoliers  du 
collège  de  Beauvais-Dormans. 

—  Entré  dans  une  compa- 
gnie des  gardes,  il  s'y  rend 
fameux  par  ses  duels.  —  Il 
est  blessé  au  siège  de  Mou- 
zon  eu  1639,  à  celui  d'Arras 
en  1640,   et  quitte   le  métier 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5o5 


des  armes  pour  les  lettres  et 
les  sciences,  48-  —  C'est  jus- 
tement le  temps  où  il  put  as- 
sister aux  leçons  de  Gassendi. 

—  Ses  ouvrages  donnent  d'ir- 
récusables preuves  qu'il  l'eut 
pour  maître.  Mais  il  a  déna- 
turé les  principes  de  son  en- 
seignement. —  Plus  qu'aucun 
de  ses  condisciples  de  1641, 
il  a  été  un  esprit  fort,  49-  — 
Demi-fou,  il  avait  des  lueurs 
de  génie.  —  Son  goût  pour 
la  poésie  et  pour  la  comédie. 

—  Sa  verve  comique  parfois 
heureuse.  —  A  son  Pédant 
joué  Molière  a  fait  quelques 
emprunts  dans  la  Jalousie  du 
Barbouillé  et  en  a  plus  heu- 
reusement tiré  deux  scènes 
des  Fourberies  de  Scapin.  — 
Cjnano  lui  avait  vraisembla- 
blement fait  connaître  sa  pièce 
dès  le  temps  où  ils  étudiaient 
ensemble  chez  Gassendi,  5o 
et  5i. 


D 


Dassoucy  (Charles  Coypeau).  Sa 
rencontre  à  Carcassonne  avec 
Molière  et  les  Béjart.  —  Une 
lettre  qu'il  écrit  à  Molière 
fixe  la  date  de  cette  rencon- 
tre aux  années  i65i  ou  i652, 
pendant  la  session  des  états, 
126-129.  —  Son  éloge  plai- 
sant de  Cjprien  Ragueneau, 
137.  —  Il  arrive  à  Ljon  en 
i655  et  y  trouve  Molière  et 


les  Béjart,  qui  lui  paraissent 
de  charmants  amis,  i63-i65. 

—  La  même  année,  quittant 
Lyon,  il  suit  à  Avignon  les 
secourables  comédiens,   i65. 

—  Jusqu'à  quel  point  Mo- 
lière était-il  lié  avec  lui? 
i65  et  166.  —  Il  reproche  à 
Molière  un  refroidissement 
qu'il  attribue  injustement  à 
l'orgueil  de  l'opulence,  167 
et  168.  —  Corneille  a  fait 
l'éloge  de  sa  musique  et 
même  de  son  Ovide  en  belle 
Iiumeur,  168  et  169.  —  Pen- 
dant la  session  des  états  ou- 
verte en  novembre  i655  à 
Pézenas,  il  est  dans  cette 
ville  avec  la  troujJe  de  Mo- 
lière, dont  il  a  célébré  la 
douce  compagnie  et  la  bonne 
table,  171  et  172.  —  En 
quittant  Pézenas,  il  se  sépare 
de  Molière  qui  se  rend  à 
Narbonne,   176. 

Dépit  fl/woMrewx,  représenté  pour 
la  première  fois  à  Béziers 
en  i656,  p.  i83.  —  Pour 
la  date  du  mois  voyez  aux 
Additions   et  corrections^  485. 

—  Mérite  de  cette  comédie, 
i83  et  184.  —  Elle  est  jouée 
au  Petit-Bourbon  en  i658 
avec  un  grand  succès,  qu'at- 
teste Chalussay  lui-même, 
207-209;  —  et  en  visite  chez 
le  maréchal  de  la  Meilleraye, 
devant  le  Roi,  aux  vacances 
de  Pâques  iGSg,  aïo  et 
211. 

Duos.  La  troupe  de  Molière, 
revenant  de  Lyon,  vient  à 
Dijon    en    1637.    Le   conseil 


5o6  TABLE   ALPHABETIQUE   ET  ANALYTIQUE 

de  ville  lui  permet  de  don- 
ner des  représentations  au 
tripot    de    la     Poissonnerie, 


Docteur  amoureux  [le) ,  petite 
pièce  de  Molière,  jouée,  après 
Nicomède,  au  vieux  Louvre, 
le  a4  octobre  i658.  —  Elle 
plut  beaucoup  à  la  cour.  — 
Molière  faisait  le  Docteur, 
ao4.  —  Cette  farce  est  jouée 
ensuite  au  Petit-Bourbon.  — 
Boileau,  dit-on,  en  a  re- 
gretté la  perte,  2o5.  —  Sur 
le  Docteur  amoureux  voyez 
aux  Additions    et    corrections , 

485. 

Dom  Garde  de  Navarre.  Joué 
au  Palais  Royal  le  4  février 
1661,  il  ne  réussit  pas.  — 
Molière  y  déplaît  comme  au- 
teur, plus  encore  comme  ac- 
teur. —  La  pièce  est  retirée 
après  la  septième  représenta- 
tion, 235.  —  Molière  y  avait 
mis  de  rares  qualités  de  style 
et  beaucoup  de  son  âme, 
a36.  —  En  n'y  donnant  pas 
assez  de  place  au  comique  il 
était  sorti  des  vraies  condi- 
tions de  son  talent.  —  Il 
semblait  avoir  eu  présent  à 
la  pensée  le  DonSanche  d'Ara- 
gon de  Corneille,  qui,  très 
supérieur  à  Dom  Garde,  n'eut 
pas  d'abord  un  sort  très  dif- 
férent, 337  et  238.  —  Mo- 
lière a  plus  tard  fait  entrer 
dans  le  Misanthrope  de  beaux 
passages  de  Dom  Garde,  238. 
—  Après  avoir  fait  jouer  sa 
comédie  héroïque  trois  fois 
devant  le   Roi,  et  une  fois  à 


Chantilly  devant  le  grand 
Coudé,  il  reprend  courage 
et  tente,  le  4  et  le  6  octo- 
bre i663,  d'en  essayer  de 
nouveau  l'effet  au  Palais- 
Royal;  mais,  ne  la  voyant 
pas  mieux  reçue,  il  la  laisse 
disparaître  de  la  scène  et  ne 
la  fait  pas  imprimer,  238  et 
239. 

DoxAU.  —  On  l'a  cru  parent 
de  Donneau  de  Visé,  23o.  — 
Il  a  voulu  mettre  à  profit  le 
succès  du  Cocu  imaginaire  en 
calquant  maladroitement  sur 
cette  comédie  de  Molière 
celle  qu'il  a  intitulée  la  Co- 
cue imaginaire,  23o.  —  Dans 
son  Avis  au  lecteur  il  a  parlé 
avec  admiration  du  modèle 
dont  il  s'est  fait  le  plagiaire, 
et  en  a  constaté  l'heureuse 
fortune,  23 1. 

DuFORT  (Melchior).  Des  rela- 
tions ont  été  constatées  en 
divers  temps  entre  lui  et  la 
troupe  de  Molière.  Elles 
sont  d'un  caractère  contes- 
table, 64  et  65.  —  Accord 
passé  entre  lui  et  Joseph  Cas- 
saigues  d'une  part,  Molière 
et  Madeleine  Béjart  d'autre 
part,  le  3  mai  i656,  devant 
le  juge  royal  de  Narbonne, 
177.  —  Madeleine  Béjart  ob- 
tient jugement  à  Toulouse 
contre  Dufort  et  Cassaignes, 
qui  n'avaient  pas  tenu  leurs 
engagements.  Forcés  de 
s'exécuter,  ils  font  dans 
les  premiers  mois  de  i558, 
à  Grenoble ,  le  payement 
contesté  par  eux,  178. 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5o7 


E 


École  des  maris  (/').  Cette  co- 
médie fut  jouëe  pour  la  pre- 
mière fois  le  24  juin  1661  au 
Palais-Royal. —  Elle  marque 
chez  le  poète  comique  un 
grand  progrès,  aSg.  —  Ou 
soupçonne  sans  peine  qu'il  a 
eu  ses  raisons  secrètes  pour 
y  présenter  sous  un  jour  fa- 
vorable l'extrême  indulgence 
d'Ariste,  240.  —  Grande 
ressemblance  entre  l'histoire 
des  tuteurs  voulant  épouser 
leurs  jeunes  pupilles  et  celle 
du  mariage  de  3Iolière.  — 
Lorsque  sa  pièce  parut,  ses 
camarades  connaissaient  son 
intention  de  se  marier,  i^i. 
—  Dans  l'intrigue  de  cette 
comédie  il  y  a  très  vraisem- 
blablement un  emprunt  fait 
à  une  Nouvelle  de  Boccace, 
242.  —  C'est  le  premier  des 

"  ou'S'rages  de  Molière  qu'il  ait 
fait  imprimer,  preuve  qu'il 
n'avait  reconnu  aucune  hési- 
tation dans  l'approbation  gé- 
nérale, 243. 

Ecole  des  femmes  (/'),  représen- 
tée pour  la  première  fois  le 
26  décembre  1662  au  Palais- 
Royal.  —  Elle  est  inspirée 
par  la  même  idée  qui  avait 
préoccupé  Molière  dans 
r Ecole  des  maris,  271.  —  On 
croit  qu'elle  a  été  le  plus 
grand  succès  de  Molière  dans 
toute  sa  cairière.  —  Elle  fut 


jouée  devant  le  Roi  en  jan- 
vier i663,  deux  fois  proba- 
blement, et  le  3  avril  suivant 
chez  Madame,  à  qui  Molière 
l'avait  dédiée  le  mois  pré- 
cédent dans  une  épître  pleine 
de  justes  louanges,  272.  — 
De  bien  des  côtés  il  y  eut 
des  frondeurs.  —  Le  comte 
du  Broussin  sort  au  second 
acte,  criant  qu'il  n'a  pas  la 
patience  d'en  écouter  davan- 
tage.—  Un  autre  spectateur, 
nommé  Plapisson,  marque 
aussi  sa  mauvaise  humeur 
par  de  ridicules  exclama- 
tions. —  Beaucoup  de  fem- 
mes se  jugent  offensées  par 
la  satire  de  leur  sexe  ou  par 
des  plaisanteries  immodes- 
tes. —  Désapprobation  du 
prince  de  Conti,  273  et  274. 
—  On  est  surtout  scandalisé 
du  sermon  d'Alnolphe.  — 
Cependant  ni  le  Roi  ni  Ma- 
dame ne  se  montrent  sé- 
vères. —  Boileau,  dans  des 
stances  imprimées  en  i663, 
proclame  cette  comédie  le 
plus  bel  ouvrage  de  son  au- 
teur, 274  et  275. 
Étourdi  (/'),  représenté  d'abord 
à  Lyon  en  i653  ou  en  i655. 
i33-i35.  —  Lorsqu'on  a  ra- 
conté la  présence  de  Molière 
à  la  Grange-des-Prés,  dans 
l'automne  de  i653,  on  n'a 
pas  dit  un  mot  de  F  Étourdi, 
ce  qui  rend  difficile  de  croire 
qu'il  eût  été  déjà  joué  à 
Lyon,  i54.  —  A  quel  mo- 
ment de  i655  il  put  y  être 
représenté,   161.  —  Beautés 


5o8  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


de  celte  comédie,  162  et  i63. 
—  Joué  au  Petit -Bourbon 
en  i658  avec  im  grand  suc- 
cès attesté  dans  V È'iomire  liy- 
pocondre,  207-209.  —  Joué  au 
Louvre  devant  le  Roi  le  10 
mai  1669,  2  12. 
Epernon  (Bernard  de  Nogaret, 
duc  d').  La  réunion  des  co- 
médiens de  l'Illustre  théâtre 
à  ceux  de  la  troupe  de  ce 
gouverneur  de  la  Guyenne, 
au  commencement  de  1646, 
est  plus   que    vraisemblable. 

—  Magnon  dédie  son  Josa- 
pliat  au  duc  d'Epernon,  104. 

—  André  Mareschal  lui  dédie 
son  Dictateur  romain,  imprimé 
en  1647.  —  Cette  dédicace 
prouve  que  non  seulement 
la  Béjart,mais  ses  camarades, 
avaient  été  réunis  à  la  troupe 
du  duc,  106.  —  Epernon  ap- 
pelle sa  troupe,  ainsi  dou- 
blée, aux  fêtes  somptueuses 
qu'il  donne  à  Nanon  de  Lar- 
tigue.  —  Quand  il  n'a  pas  be- 
soin de  ses  comédiens,  ils 
sont  libres  d'aller  jouer  dans 
différentes  villes,  11 3.  — Son 
insolent  despotisme  l'engage 
dans  des  luttes  qui  troublent 
sa  vie  de  plaisirs,  117.  —  Il 
appelle,  en  février  i65o,  de 
Narbonne  à  Agen  sa  troupe 
pour  des  fêtes,  120.  —  Im- 
popularité de  son  gouverne- 
ment. —  La  cour  le  presse 
de  quitter  la  Guyeune  ;  il  s'y 
décide  le  26  juillet  i65o.  Ses 
comédiens  se  trouvent  déliés 
de  son  service,  121.  —  De- 
venu en  mai  i65i  gouverneur 


de  la  Bourgogne,  il  réside  à 
Dijon,  où  la  troupe  de  Mo- 
lière le  retrouve  en  iGSy, 
189. 


Fâcheux  {les].\\s  sont  joués  pour 
la  première  fois  à  Vaux  dans 
les  fêtes  données  au  Roi.  — 
Cette  pièce  à  tiroir  dut  être 
faite  à  la  hâte.  —  On  y  ad- 
mire l'art  de  peindre  les  ca- 
ractères; les  vers  sont  pleins 
d'esprit.  —  La  représenta- 
tion dans  les  jardins  de  Vaux, 
dont  la  date  est  le  17  août 
1661,  fut  précédée  par  une 
harangue  d'un  agréable  badi- 
nage  que  Molière  fît  au  Roi 
en  habit  de  ville,  244.  —  Il 
a  commencé  là  ses  plaisantes 
attaques  contre  les  marquis. 
—  Le  Roi  a  lui-même  indi- 
qué au  poète  le  portrait  de 
l'enragé  chasseur,  246.  ■ — 
Les  Fâcheux  sont  pour  la  se- 
conde fois  représentés  devant 
le  Roi  à  Fontainebleau  le 
25  août  1661,  247-  —  Ils  ne 
purent  être  joués  au  Palais- 
Royal  que  le  4  novembre  sui- 
vant, 249. 
Femmes  savantes  [les).  Cette  co- 
médie est  jouée  pour  la  pre- 
mière fois  au  Palais-Royal  le 
II  mars  1672.  —  Compa- 
rable à  celle  des  Préeieuses 
ridicules  par  l'objet  des  atta- 
ques, elle  lui  est  supérieure, 
419.  —  Molière  n'y  a  pas  eu 
le  dessein  de  condamner  les 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


509 


femmes  à  l'ignorance.  — Il  y 
a  mis  sur  la  scène  de  vivants 
modèles,  en  représailles  d'at- 
taques injurieuses.  —  Aux 
portraits  des  pédants  il  op- 
pose celui  de  l'honnête 
homme  de  cour,  420.  —  Les 
Femmes  savantes  furent  jouées 
à  Versailles  le  17  septembre 
1672.  —  Grimarest  a  pré- 
tendu, dans  un  récit  peu  vrai- 
semblable, qu'elles  j  avaient 
été  mal  accueillies,  421  et 
43a. 
Festin  de  Pierre  (le).  Cette  pièce, 
jouée  pour  la  première  fois, 
au  Palais-Royal,  le  i5  février 
i665,  montra  que  l'auteur  de 
Tartuffe  ne  désarmait  pas, 
Sao.  —  De  la  légende  mise 
au  théâtre  espagnol  par  Tirso 
de  Molina  dans  son  Combi- 
dado  de  PieJra  l'Hôtel  de 
Bourgogne,  puis  les  Italiens, 
s'étaient  emparés,  et  ils  l'a- 
vaient mise  à  la  mode,  Sai. 

—  Terribles  hardiesses  de  la 
pièce  de  Molière,  822  et  323. 

—  Les  intentions  du  Festin 
de  Pierre  sont  violemment 
dénoncéescomme  criminelles 
dans  un  libelle  du  sieur  de 
Rochemont,  SaS  et  334-  — 
La  défense  de  Molière  est 
présentée  dans  deux  répon- 
ses aux  Observations  du  libel- 
liste,  324.  —  Après  la  pre- 
mière représentation  de  la 
pièce  on  en  fait  supprimer 
les  passages  particulièrement 
incriminés  et  l'on  donne  avis 
de  ne  pas  la  reprendre  après 
les  vacances  de  Pâques  i665. 


—  Molière  ne  la  fit  pas  im- 
primer. Elle  ne  fut  publiée 
qu'en  1682,  325.  —  Après 
l'impression  on  exigea  plu- 
sieurs cartons,  326. 

Fleurette  (Catherine),  épousée 
le  3o  mai  i633  par  le  père 
de  Molière,  Jean  Poquelin, 
veuf  de  Marie  Cressé.  —  De 
ce  second  mariage  naquirent 
deux  enfants,  Catherine,  qui 
devait  un  jour  entrer  au 
couvent  de  Sainte-Marie  à 
Montargis,  et  Marguerite, 
morte  peu  de  jours  après  sa 
naissance.  —  Fleiirette  mou- 
rut le  12  novembre  i636,  la. 

Fontaine  (Jean  de  la).  Maints 
vers  de  ses  contes  sont  à 
rapprocher  de  la  comédie  du 
Cocu  imaginaire^  qu'il  a  dû 
voir  'chez  Foiiquet  lors- 
qu'elle y  fut  jouée  en  1660, 
23i  et  232.  —  Il  fut  présent 
à  la  représentation  des  Fâ- 
cheux dans  les  jardins  de 
Vaux.  Il  en  a  fait  l'éloge 
dans  luie  lettre  à  Maucroix 
du  22  août  1661,  où  il  dit 
de  Molière  :  «  C'est  mon 
homme  »,  et  reconnaît  que 
«  maintenant  il  ne  faut  pas 
quitter  la  nature  d'un  pas  », 
244  et  245.  —  Dans  son  ro- 
man de  Psyché,  il  met  d'a- 
bord Molière,  sous  le  nom 
de  Gélaste,  au  nombre  des 
quatre  amis.  Il  lui  substitue 
Chapelle,  après  la  brouille 
de  Molière  avec  Racine,  364- 
—  Il  fut  un  des  amis  de  Mo- 
lière qui  le  visitèrent  fré- 
quemment   à    Auteuil,    38o. 


5io  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


—  A  une  ëpoque  très  anté- 
rieure, il  se  trouvait  à  un 
souper  avec  Molière,  Boileau 
et  Racine.  Ces  deux  derniers 
s'amusèrent  à  se  moquer  de 
lui.  Paroles  remarquables  de 
Molière  pour  le  venger  de 
ces  plaisanteries,  38o  et  38i. 

—  On  décide  en  1792  l'exhu- 
mation de  ses  restes  en 
même  temps  que  de  ceux  de 
Molière.  —  On  cherche  son 
corps  où  il  n'avait  jamais  été 

—  Son  mausolée,  aujour- 
d'hui au  cimetière  du  Père-la- 
Chaise,  est,  comme  celui  de 
Molière,  un  cénotaphe,  446 
et  447-  —  Sa  charmante  épi- 
taphe  de  Molière  est  citée, 
448. 

FouQUET.  Sa  disgrâce  et  son 
arrestation  après  les  somp- 
tueuses fêtes  de  Vaux,  où 
avaient  été  joués  les  Fâcheux, 
247. 

Fourberies  de  Scap'ui  (les),  repré- 
sentées le  a4  mai  1671  au 
Palais-Royal.  —  Tirées  pro- 
bablement d'une  farce  de 
Molière  jouée  autrefois  en 
province,  mais  alors  trans- 
formée et  relevée  par  les  em- 
prunts faits  à  Térence.  Mo- 
lière y  a  imité  deux  scènes 
du  Pédant  joué  de  son  ancien 
camarade  Cyrano.  —  Boi- 
leau a  été  beaucoup  trop  sé- 
vère sur  ce  qu'il  a  appelé 
une  alliance  de  Térence  avec 
Tabarin,  4i3  et  4i4- 

Fresne  (Charles  du),  chef  de  la 
troupe  du  duc  d'Epernon. 
107.  —  Il  sort  de  la   troupe 


de  Molière  au  temps  de  Pâ- 
ques 1659,  210. 


G 


Gassendi.  A  la  demande  de 
Luillier  il  donne  à  Chapelle 
des  leçons  auxquelles  sont 
admis  quelques  autres  jeunes 
gens,  32.  —  Son  intimité 
avec  Luillier,  33.  —  Il  est 
son  hôte  à  Paris,  en  1641» 
seule  année  où  l'on  puisse 
placer  l'histoire  de  son  petit 
cénacle.  —  Il  arrive  à  Paris 
en  février  164 1,  et  se  fixe 
dans  la  maison  de  Luillier  au 
mois  de  mars,  34-  —  Agré- 
ment de  ses  entretiens.  — 
Son  caractère  commande  le 
respect,  35.  —  Quelques 
mots  sur  sa  philosophie.  — 
Elle  est  injustement  accu- 
sée de  matérialisme  et  d'a- 
théisme. —  Il  est  toutefois 
un  des  esprits  hardis  du  siè- 
cle. Il  est  ennemi  des  préju- 
gés, mais  avec  mesure  et  sa- 
gesse, 35-38.  —  Il  a  été  sur  le 
point  d'être  choisi  pour  pré- 
cepteur du  jeune  Louis  XIV, 
38.  —  Gui  Patin  nous  ap- 
prend que  mourant  il  fut 
«  confessé  et  communié  more 
majorum  »,  47- 

Gaston  de  France,  frère  de 
Louis  XIII.  La  troupe  de 
l'Illustre  théâtre  est  autorisée 
en  1644  à  se  dire  entretenue 
par  lui,  89.  —  Il  fut  plus 
honorable  que  lucratif  pour 


DE  LÀ  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5ii 


la  troupe   d'avoir   ce  prince 
pour   protecteur,    96   et   97. 
—   En    1645,    la   troupe    ne 
peut   plus  faire   mention    de 
sa  protection,  loi. 
George  Dandiri,  joué  d'abord  à 
Versailles,    en    juillet    1668, 
devant   le    Roi,  la   Reine,  le 
Dauphin,    Monsieur    et    Ma- 
dame. —  C'était  une  refonte 
d'une  ancienne  farce  de  Mo- 
lière, la  Jalousie  du  Barbouillé, 
dont   la  scène  la  plus    plai- 
sante avait  été  tirée  de  nos 
vieux  fabliaux  ou  d'une  Nou- 
velle de  Boccace,  386.  —  Il 
y  a  dans   George   Dandin  une 
bonne  leçon  sur  les  dangers 
pour  les  roturiers  d'une  al- 
liance   avec     les    nobles,    et 
elle  est  développée  avec  une 
admirable  vérité  dans  la  pein- 
ture   des    caractères.    —    Le 
sujet  toutefois  était  scabreux  ; 
il  a  fort  scandalisé  Bourda- 
loue  et  J.-J.  Rousseau,  quel- 
quefois    même    les     specta- 
teurs de  la  pièce,  387.  —  La 
cour  voulut  revoir  cette  co- 
médie  trois   fois   de  suite    à 
Saint-Germain,  du  3  au  6  no- 
vembre 1668.  —  Elle  ne  fut 
jouée    au    Palais-Rojal    que 
le  9  novembre,  388. 
GouDouLi  (ou  Godelin),  poète 
languedocien.    —    Vraisem- 
blance de  sa  rencontre  avec 
Molière,    en    1647,    à    Tou- 
louse, 108  et  109. 
Gra^îge  (Varlet  de  la).  Il  entre 
dans  la  troupe  de  Molière  au 
temps  de  Pâques   1639,   210. 
—    Il    a    été    admiré,    avec 


Mlle  Molière,  dans  la  leçon 
de  chant  de  l'acte  II  du  Ma- 
lade imaginaire.  347  et  348. 
—  Il  est  envoyé  avec  La 
Thorillière  au  camp  devant 
Lille,  au  mois  d'août  1667, 
pour  présenter  au  Roi  le 
second  placet  de  Molière,  de- 
mandant qu'on  levât  la  dé- 
fense de  jouer  r  Imposteur, 
377.  —  Son  registre,  intitulé  : 
Extrait  des  recettes  et  affaires 
du  théâtre,  n'a  été  écrit  que 
pour  son  usage  personnel, 
486,  aux  Additions  et  correc- 
tions. 

Gre>-oble.  La  troupe  de  Molière 
y  passe  le  carnaval  de  i658, 
avant  d'aller   à  Rouen,  ig5. 

Grimarest  (Le  Gallois  de).  Quel 
degré  de  confiance  mérite 
cet  auteur  de  /a  Vie  de  M.  de 
Molière,  publiée  en  1703,  et 
souvent  citée  dans  notre  bio- 
graphie, 33,  note  i. 

GrisE  (Henri  II  de  Lorraine, 
duc  de).  Il  prend  part  à  la 
rébellion  du  duc  de  Bouillon 
et  du  comte  de  Soissons. 
Après  la  bataille  de  la  Mar- 
fée  (1641)5  ii  est  condamné  à 
mort etse  réfugie  à  Bruxelles, 
puis  il  est  amnistié,  gS.  — 
Dans  la  distributiou  de  ses 
riches  habits  en  1644  ^^ 
1645,  il  n'oublie  pas  Molière, 
Madeleine  Béjart,  ni  Beys, 
95.  —  Il  séjourne  en  1647  à 
Rome,  accompagné  de  M.  de 
Modène,  et  fait  faire  là  son 
portrait  par  Pierre  Mignard, 
193.  —  A  la  fin  de  cette  an- 
née 1647»  ^^  P^^^  pour  la  folle 


5i2  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


entreprise  de  Naples  avec 
M.  de  Modène.  — Il  se  croit 
trahi  par  lui  et  le  fait  empri- 
sonner en  1648.  — Il  est  lui- 
même  fait  prisonnier  par  les 
Espagnols.  —  Il  meurt  en 
1664,  194. 


H 


Harlay  de  Chanvallon, arche- 
vêque de  Paris.  Il  renvoie  à 
son  officiai  la  requête  de  la 
veuve  Molière,  436. — LeRoi, 
dit  Brossette,  lui  fait  recom- 
mander d'éviter  l'éclat  et  le 
scandale,  44o.  —  Il  signe  un 
arrêté  permettant  la  sépul- 
ture de  Molière  dans  le  cime- 
tière de  Saint-Eustache.  — 
Cette  tolérance  n'était  pas 
sans  restrictions,  441- 

Hervé  (Marie) .  L'acte  d'associa- 
tion de  1643  pour  jouer  la 
comédie  est  signé  dans  sa 
maison.  —  Elle  était  alors 
veuve  de  l'huissier  Joseph  Bé- 
jart,  73.  —  Elle  avait  été 
marraine  en  i638  de  la  bâ- 
tarde adultérine  de  Made- 
leine Béjart,  sa  fille,  78.  — 
La  troupe  de  l'Illustre  théâ- 
tre était  endettée,  elle  donne 
pour  caution  sa  maison  de  la 
rue  de  la  Perle.  —  Bientôt 
après  elle  donne  de  nouveau 
sa  garantie,  mais  seulement 
pour  ses  filles  et  pour  Mo- 
lière, 97,  —  Dans  la  renon- 
ciation à  la  succession  de  Jo- 
seph Béjart  (mars  1643),  elle 


compte  au  nombre  des  enfants 
mineurs  du  défunt  «  une  pe- 
tite non  baptisée  »,  qui  ne 
peut  être  qu'Armande  Béjart. 
— Inexactitudes  danscetacte, 
qui  rendent  suspectes  ses  dé- 
clarations, 254.  —  Dans  le 
contrat  de  mariage  de  Molière 
elle  donne,  comme  mère 
d'Armande,  dix  mille  livres 
tournois  aux  futurs  époux. 
—  Elle  est  beaucoup  moins 
généreuse,  deux  ans  après, 
pour  le  mariage  de  sa  fille 
Geneviève,  aSS. 

Hesnault  (Jean).  On  le  nomme 
parmi  les  jeunes  auditeurs 
des  leçons  de  Gassendi.  Ce 
ne  paraît  être  qu'une  conjec- 
ture mal  fondée,  55  et  note  i 
de  cette  page. 

Hôtel  de  Bourgogne.  Pierre  Du- 
bout,  tapissier  ordinaire  du 
Roi,  était  le  doyen  des  maî- 
tres de  la  confrérie  de  la 
Passion,  propriétaires  de 
l'Hôtel  de  Bourgogne,  les- 
quels l'avaient  loué  aux  co- 
médiens et  s'étaient  réservé 
dans  leur  théâtre  la  loge  des 
anciens  maîtres  et  le  paradis 
pour  eux— mêmes  et  pour 
leurs  parents  et  amis.  On  a 
conjecturé  de  là  que  le  tapis- 
sier Louis  Cressé  avait  fré- 
quenté ce  théâtre  et  j  avait 
souventconduit  son  petit-fils, 
le  futur  Molière,  dans  les  an- 
nées de  son  enfance,  17.  — 
Les  comédiens  de  l'Hôtel  de 
Bourgogne  (appelés /e5  Grands 
Comédiens)  assistent  dans  la 
salle    des    Gardes    du  vieux 


DE  LA  NOTICE   BIOGRAPHIQUE.  5i3 


Louvre  à  la  représentation 
donnée  devant  le  Roi,  le 
24  octobre  i658,  pour  les 
débuts  de  la  troupe  de  Mo- 
lière revenue  à  Paris.  —  Ils 
laissent  voir  des  marques  de 
leur  malveillance,  2o3.  — Ils 
commandent  à  Boursault  et 
font  jouer  sur  leur  théâtre 
le  Portrait  du  Peintre,  qui  ré- 
pond à  la  Critique  de  C Ecole 
des  femmes  en  injuriant  Mo- 
lière, 280  et  281.  —  Leur 
déclamation  est  raillée  dans 
T Impromptu  de  T'ersailles,  286. 

—  Ils  trouvent  pour  les  ven- 
ger deux  auteurs,  qui  se  mo- 
quent du  jeu  de  Molière  co- 
médien, Antoine  de  Mont- 
fleury  dans  V Impromptu  de 
riiotel  de  Coudé  et  de  Visé 
dans  la  Vengeance  des  mar- 
quis, oii  la  personne  aussi 
de  3Iolière  est  attaquée,  295- 
3oo.  —  Le  i5  décembre  i665, 
lendemain  de  la  quatrième 
représentation  de  V Alexandre 
de  Racine  au  Palais-Royal, 
les  Grands  Comédiens  jouent 
cette  tragédie  chez  la  com- 
tesse d'xVrmagnac.  —  Le  iS 
décembre  ils  la  jouent  chez 
eux,  en  même  temps  qu'elle 
est  jouée  chez  Molière,  366. 

—  Mlle  du  Parc  passe  du 
Palais-Royal  à  l'Hôtel  de 
Bourgogne  après  les  vacances 
de  Pâques  1667,  368.  —  Mo- 
lière étant  mort,  le  Roi  songe 
à  fondre  sa  troupe  dans  celle 
des  Grands  Comédiens,  449- 

—  Aux  vacances  de  Pâques 
quatre  des  acteurs  du  Palais- 

MOLIÈBE,    X. 


Royal  passent  à  l'Hôtel  de 
Bourgogne,  45o.  —  Le  Roi 
décide  qu'il  n'y  aura  plus  que 
deux  troupes  françaises,  celle 
de  l'Hôtel  de  Bourgogne 
et  celle  de  l'Hôtel  Guéné- 
gaud  (troupe  de  Molière), 
45 1.  —  Aux  vacances  de  Pâ- 
ques 1679,  la  Champmeslé 
déserte  l'Hôtel  de  Bourgogne 
pour  entrer  à  l'Hôtel  Guéné- 
gaud.  —  Les  Grands  Comé- 
diens perdent  aussi  La  Tho- 
rillière,  dont  la  mort  achève 
leur  désorganisation.  —  La 
jonction  des  deux  troupes  est 
ordonnée  le  18  août  1680, 
402. 


Illustre  théâtre.  La  troupe  for- 
mée par  Jlolière  et  ses  asso- 
ciés eu  1643  prend  le  nom 
cVlllustre  théâtre.  —  Noms 
des  associés,  73.  —  Quel 
était  le  caractère  de  la  troupe, 
et  comment  il  faut  entendre 
qu'elle  était  composée  d'en- 
fants de  famille,  74.  —  Il  est 
très  douteux  qu'elle  ait  pris 
pour  premier  théâtre  un  cer- 
tain tripot  de  la  Perle.  — 
Idée  que  donne  d'elle  VÉlo- 
mire  liypocondre,  76.  —  Ce 
qu'étaient  les  Béjart  entrés 
daus  la  troupe  à  sa  formation, 
76-78.  —  Courte  notice  sur 
les  autres  associés,  7g.  —  Le 
12  septembre  1643,  les  co- 
médiens de  l'Illustre  théâtre 
louent  le  jeu  de  paume  des 

33 


5i4  TABLE   ALPHABÉTIQUE  ET   ANALYTIQUE 

Métayers,  8i.  —  Ils  vont 
d'abord  jouer  à  Rouen,  83  et 
84.  —  Le  théâtre  du  jeu  de 
paume  des  Métayers  est  inau- 
guré en  janvier  i644i  très 
probablement  le  premier 
jour  de  ce  mois,  84  et  85.  — 
Un  des  nouveaux  associés  de 
l'Illustre  théâtre,  Nicolas  Des- 
fontaines, avait  composé  des 
tragédies  qui  sans  doute  fu- 
rent jouées  par  la  troupe  eu 
1644,  86.  —  Autres  pièces 
qu'elle  représenta  cette 
même  année,  86-8g.  —  En 
septembre  1644,  la  troupe  fait 
un  emprunt  de  onze  cents 
livres  à  Louis  Baulot,  maître 
d'hôtel  ordinaire  du  Roi,  87. 

—  Comment  les  associés  se 
partagent  les  rôles,  87  et  88. 

—  La  troupe  est  autorisée 
en  1644  ^  se  ^^^^  entretenue 
par  Gaston  de  France,  89.  — 
Mauvais  état  des  affaires  de 
l'Illustre  théâtre,  déjà  visible 
en  i644'  Elle  contracte 
d'assez  fortes  dettes,  97.  — 
A  leur  acquittement  les  asso- 
ciés prennent  l'engagement 
d'employer  toutes  les  recet- 
tes, 97  et  98.  —  Résiliation 
du  bail  du  jeu  de  paume  des 
Métayers,  14  décembre  i644- 

—  On  loue  celui  de  la  Croix- 
Noire,  98.  —  Un  acte  du 
i3  août  1645  n'est  signé  que 
par  cinq  des  premiers  asso- 
ciés. Les  autres,  découragés, 
s'étaient  retirés  de  la  troupe. 

—  Elle  cesse  d'être  protégée 
par  Gaston,  loi.  —  Après 
le  jeu  de  paume  de  la  Croix- 


Noire,  quelques-uns  ont  parlé 
de  celui  de  la  Croix-Blanche  ; 
ce    paraît    être    une    erreur, 
101  et  102.  —  Evidemment, 
après   le    i3   août    i645,    la 
troupe    prolongea    peu    son 
agonie  à  la  Croix-Noire,  loa. 
—  C'est   la   fin   de    l'Illustre 
théâtre,  la  troupe  ayant  été 
réunie  à  celle  du  duc  d'Eper- 
non,  io4. 
Impromptu  de   T'evsailles  (/').  La 
date  vraisemblable  de  sa  re- 
présentation à  Versailles,  en 
i663,   n'est  pas  avant  le  18 
ou  le   19  octobre.  —  Impor- 
tance   de    cette    date    pour 
l'examen    de    la    question    : 
qui  de  Boursault  ou  de  Mo- 
lière fut  l'agresseur?  284.  — 
Agréables    scènes     de     cette 
petite    pièce.  —   Elle    porte 
un    rude    coup    aux    Grands 
Comédiens  par  les  imitations 
railleuses  de    leur   déclama- 
tion   dans    les   tragédies    de 
Corneille.  —  Elle    «avait   été 
composée     par     l'ordre     de 
Louis  XIV,  285  et  286. 
Italiens     [les    comédiens).     Leur 
troupe  eut,  en  commun  avec 
celle  de  Molière,  la  salle  du 
Petit-Bourbon.      Ces      deux 
troupes  y  devaient  jouer  al- 
ternativement, 206. 


Jardins  (Mlle  des).  Elle  a  fait 
le  Récit  de  la  farce  des  Pré- 
cieuses,   186  et     187.    —   En 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5ii 


juin    i665    on   joua  dans   le 
jardin  de  Versailles  son  Fa- 
vori,   dont   Molière    fit,    en 
marquis  ridicule,  le  Prologue 
aujourd'hui   perdu,    826.    — 
Cette   pièce  à   transparentes 
allusions  avait  été  représentée 
au    Palais-Royal   le   24    avril 
précédent,  827.  —  Anecdotes 
d'une   visite    de    Molière     à 
Mlle    des   Jardins,    et   de    la 
querelle  qu'elle   lui  fit  pour 
n'avoir  pas  annoncé    le    Fa- 
vori sous  le  nom  de  Mme  de 
A^illedieu,  qu'elle  prétendait 
avoir  le  droit  de  'çovter,  Addi- 
tions et  corrections ,  486  et  487. 
JoDELET.  A  la  rentrée  de  Pâques 
i65y  il  entra  dans  la  troupe 
de    Molière    avec    son    frère 
Lépy .  Tous  deux  sortaientdu 
Marais,  210.  —  Dans  les  Pré- 
cieuses ridicules ,  3  oàelet  donne 
son    nom   au   valet-vicomte, 
dont  il  joua  le  rôle  jusqu'à 
sa  mort,   arrivée   le  26  mars 
ï66o,  222  et  223.  —  Le  per- 
sonnage   qu'il    avait     repré- 
senté,  le   fut,   après  lui,  par 
du   Parc   (Gros-René) ,   aussi 
gros  que  Jodelet  était  maigre, 

223. 


LAMOiG>'Oîi  (Guillaume  de).  Le 
lendemain  de  la  première  re- 
présentation de  l'Imposteur  au 
Palais-Royal,  il  défend,  en 
l'absence  du  Roi,  d'eu  conti- 


nuer  les  représentations,   et 
refuse    de    se    laisser  fléchir 
par  aucune  démarche,  377. 
Lartigue  (Nanon  de),  maîtresse 
du   duc    d'Epernon,   qui    lui 
donnait    à    Agen    des     fêtes 
somptueuses,    sous    prétexte 
de  les  donner  à  la  duchesse, 
ii3.   Les   Mémoires  de  Pierre 
Lenet  parlent  de  la  folle  pas- 
sion   du  duc   pour  celte   fa- 
meuse ZSanon.  —  Us  étaient 
tous    deux    menacés    par    la 
clameur  publique  dans  la  re- 
traite du  manoir  de  Malconte, 
121.   —  Elle  suivit  le  duc  à 
Dijon,  lorsqu'il  y  vint  rési- 
der comme  gouverneur  de  la 
Bourgogne,  189. 
Louis  XIV.  La  troupe  de  Mo- 
lière étant  arrivée  à  Paris,  le 
Roi  la  fait  jouer,  le  24   octo- 
bre   i658,    en    sa   présence, 
dans   la  salle   des  gardes  du 
vieux  Louvre.  C'est  le   pre- 
mier regard  du  jeune  roi  sur 
le   grand  poète,  201    et  202. 
—  Louis  XIV,  content  de  la 
troupe  de   Molière,    lui    fait 
donner    la    salle    du     Petit- 
Bourbon,  206.  —  Molière  eut 
une  seconde  occasion  de  pa- 
raître   devant    lui    dans    une 
représentation    en    visite    au 
château   de    Chilly,    où,    le 
16  avril  1669,  fut  joué  le  Dé- 
pit amoureux,  210  et  211.  — 
Le  10  mai  suivant,  Louis  XIV 
vit    pour    la    première    fois 
V Étourdi,  re}3résenté  au  Lou- 
vre,   212.   —  Le    29    juillet 
1660,    on    le   joua    pour  lui 
au  bois  de  Vincennes,    avec 


5i6  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


les    Précieuses   ridicules,  qu'il 
ne    connaissait    encore    que 
par  la  lecture.  —  Le  3o  août 
suivant  il  vit  encore  les  Pré- 
cieuses, représentées  au  Lou- 
vre   pour  3Ionsieur.   —    Le 
21  octobre  suivant,  le  Roi  les 
fit   jouer  au  Louvre.  —  Le 
26  du  même  mois,   il  les  vit 
incognito,    en    même    temps 
que  V Étourdi,  chez  le  cardinal 
Mazarin   malade.    —   Il  ac- 
corda alors  à  la  troupe  une 
gratification    de    trois    mille 
livres,  228.  —  Le  théâtre  du 
Petit-Bourbon  ayant  dû  être 
démoli,   le  Roi,   à  qui  plai- 
sait la  troupe  de  Molière,  lui 
donne    la    salle    du    Palais- 
Royal,  226.  —  Le  Cocu  ima- 
ginaire l'amusa  tellement  qu'il 
voulut  le  voir  plus   souvent 
que  les  autres  pièces  de  Mo- 
lière,    les     comédies-ballets 
exceptées,   232.   —  Il  désira 
voir  plusieurs  fois  Dom  Garde 
de  Nai'arre,  que  le  public  avait 
mal  accueilli.  —  L'approba- 
tion   qu'il    parut    donner    à 
cette  pièce  héroïque  engagea 
3Iolière  à  la  tentative,   con- 
damnée par  l'insuccès,  de  la 
faire    reparaître    au    Palais- 
Royal,     289.    —    En     i66i, 
Louis  XIV  commande  à  Mo- 
lière   une     petite    comédie, 
prétexte  à  ballets,  lui  laissant 
quelques     jours     seulement 
pour  l'écrire  et  la  tenir  prête 
à  être  jouée,   248.  —  Cette 
pièce,  intitulée    les  Fâcheux, 
fut    représentée    devant   lui, 
le    T7    août    16G1,    dans    les 


fêtes  que  lui  donna  le  surin- 
tendant dans  les  jardins  de 
Vaux,  244-  —  Après  cette 
représentation,  le  Roi  indi- 
qua à  Molière  un  portrait  à 
ajouter  à  ceux  des  autres 
originaux  de  cette  comédie. 

—  Dans  VÉpitre  au  Roi,  lui 
dédiant  la  pièce  imprimée, 
Molière  n'a  pas  oublié  l'hon- 
neur qu'il  lui  a  fait  de  lui  ou- 
vrir les  idées  du  caractère 
dont  la  peinture  a  été  «  trou- 
vée partout  le  plus  beau 
morceau  de  l'ouvrage  »,  246. 

—  La  disgrâce  de  Fouquet 
et  son  arrestation,  qui  suivi- 
rent les  fêtes  de  Vaux,  ne 
jetèrent  aucune  ombre  dans 
l'esprit  du  Roi  sur  la  gaie 
comédie,  247.  —  Il  voulut 
assister  à  la  représentation 
qui  en  fut  donnée  au  Palais- 
Royal  le  28  décembre  1661, 
249.  —  Louis  XIV,  eu  1664, 
est  parrain  du  premier  enfant 
de  Molière.  —  Il  est  faux  que, 
s'étant  fait  servir  sou  en-cas 
de  nuit,  il  ait  fait  manger 
Molière  avec  lui,  269.  — 
V Ecole  des  femmes  est  jouée 
le  20  janvier  i663  devant  le 
Roi,  qui,  pour  cette  repré- 
sentation, honora  les  comé- 
diens de  sa  présence  en  pu- 
blic, 272  et  note  i  de  cette 
page.  —  V Impromptu  de  Ver- 
sailles fut  joué  pour  la  pre- 
mière fois  à  Versailles  de- 
vant le  Roi  en  octobre  i663, 
283.  —  Cette  pièce  avait  été 
composée  par  l'ordre  de 
Louis    XIV,    grande   preuve 


DE  L.\.  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5i7 


de  la  faveur  qui  soutint  Mo- 
lière dans  la  guerre  que   lui 
faisait  la  troupe  royale,  286. 
—  Le  Roi  venge  Molière  des 
détracteurs    de      VEcole     des 
femmes   en  le   faisant    porter 
sur  la  liste  des  pensions    de 
i663    pour   une    somme    de 
mille  francs,  286.  Voir  aussi 
les    Additions    et    corrections, 
486.  —  Il  apprend  le   brutal 
outrage  fait  à  3Iolière  par  un 
de  ses  courtisans,  et  en  mar- 
que au    coupable   son    indi- 
gnation, 289.  —  Le  29  jan- 
vier 1664,  il  fait  représenter 
au     Louvre,    devant    lui,    le 
Mariage  forcé.  —  Il  emploie 
aussi  le  zèle  de  Molière  pour 
qu'il  contribue  aux  fêtes  des 
Plaisirs  de  Pile  enchantée  (mai 
1664),    3o3.     —    Ces     fêtes 
étaient    en     réalité    données 
par  le  Roi  à  Mlle  de  la  Val- 
lière,  3o4.  —  On  j  joue  de- 
vant Louis   XIV  trois  actes 
du  Tartuffe,  309.  —  On  com- 
prend qu'il  n'ait  pas  d'abord 
désapprouvé  cette    comédie, 
puis    ait   hésité    à  la  soute- 
nir,   3i2.   —    3Iolière    s'est 
prévalu  de  son  jugement  fa- 
vorable et    de    celui    de    la 
Reine.    3i3.    —  Après   d'ar- 
dentes   réclamations,    Louis 
XIV  ne  permet  pas  de  jouer 
la  pièce   en  public,  3i4-    — 
Doléances   que     Molière    lui 
présente  à  Fontainebleau  en 
1664,  3i5.  —  Le  Roi  témoi- 
gne en  termes  très  sévères  sa 
désapprobation  du  libelle  de 
PierreRoullé.3i6.  —  Il  tolère 


de    fréquentes     lectures    de 
Tartuffe   faites   par    Molière, 
317.  —  Parole  de  Louis  XIV 
pour    répondre    à   ceux    qui 
accusaient  Molière  d'avoir,  à 
mauvaise  intention,  mis   des 
paroles  impies  dans  la  bouche 
de  son  Don  Juan,   324-  —  H 
n'interdit  pas   la  représenta- 
tation    du    Festin    de    Pierre; 
mais,  après  la  première  repré- 
sentation, il  donne  sans  bruit 
l'avertissement  de  retrancher 
les  passages  qui  ont  le   plus 
scandalisé;  et,  après  la  quin- 
zième, de  ne  pas  faire  repa- 
raître la  pièce,   325.   —  Au 
mois  d'août   i665,  il  donne 
six  mille  livres  de  pension  à 
la  troupe  de   Molière.   —  Il 
demande   à  son   frère   de   la 
lui    céder,    de    sorte    qu'elle 
devient  la  troupe  du  Roi,  320. 
—   Louis   XIV  ne   s'est   pas 
offensé  des  personnalités    de 
r Amour    médecin    contre    les 
médecins    de    la   cour.   Elles 
l'ont  beaucoup  fait  rire,   33i 
et  332.  —  Il  donne  l'ordre  à 
^lolière  de  préparer  pour  le 
Ballet  des  Muses,  joué  à  Saint- 
Germain    en    1666    et    1667, 
quelques  nouveautés,  qui  fu- 
rent   Mélicerte,     la    Pastorale 
comique  et  le  Sicilien,  Z"]^.  — 
Très  content  de  la  troupe,  il 
lui    fait  compter,   outre   les 
frais  de  voyage    et   des   ca- 
deaux    aux    actrices,    douze 
mille  livres  pour  deux  années 
de  sa    pension,    376.  —  Les 
représentations  de  V Imposteur 
ayant   été  interdites,  en   son 


5i8  TABLE   ALPHABÉTIQUE   ET  ANALYTIQUE 


absence,  au  mois  d'août  1667, 
il  reçoit  au  camp  devant  Lille 
le  second  placet  de  Molière. 
—  Il  promet  qu'à  son  retour 
la  pièce  serait  examinée  et 
qu'on  la  jouerait,  377.  — 
L'ordonnance  publiée  par 
l'archevêque  de  Paris  ne  le 
laisse  pas  libre  de  donner 
suite  à  ses  favorables  dispo- 
sitions, 378.  —  Il  ferme  les 
yeux  en  1668  sur  deux  re- 
présentations de  Tartuffe  chez 
le  prince  de  Condé,  386.  — 
Le  5  février  1669,  sous  le 
prétexte  de  lApaix  de  V Eglise, 
il  accorde  la  permission  de 
représenter  Tartuffe  sur  le 
théâtre  public,  Sgô.  —  Il 
donne  à  Molière  le  sujet,  peu 
digne  de  l'occuper,  des 
Amants  magnifiques,  pour  les 
divertissements  de  Saint- 
Germain  au  commencement 
de  1670,  400  et  401.  —  Il 
commande  à  Molière  la  tur- 
querie  du  Bourgeois  gentil- 
homme, 407  i  —  puis  la  tra- 
gédie-ballet de  Psyché,  pour 
laquelle  il  lui  laisse  si  peu  de 
temps  qu'un  collaborateur 
devient  nécessaire,  409  et 
410.  —  Il  souffre  dans  les 
Femmes  savantes  des  person- 
nalités dont  quelques-unes 
aruraient  pu  lui  paraître  trop 
hardies,  421.  —  Les  privi- 
lèges excessifs  qu'il  donne 
à  l'Académie  royale  de  LuUi 
blessent  les  intérêts  de  Mo- 
lière, qui,  pour  la  première 
fois,  ne  se  sent  pas  assez 
protégé  par  lui,   428.   —    Il 


est  supplié  par  la  veuve  de 
Molière  de  ne  pas  permettre 
que  son  mari  soit  privé  de  la 
sépulture  ecclésiastique,  439. 

—  Il  la  renvoie  à  l'autorité 
épiscopale,  mais  fait  dire  à 
l'archevêque  d'éviter  le  scan- 
dale, 440.  —  A  la  nouvelle 
de  la  mort  de  Molière,  il  s'en 
montre  touché,  44 !•  —  U 
paraît  d'abord  vouloir  sacri- 
fier la  troupe  de  Molière, 
privée   de    son  illustre  chef. 

—  Il  a  le  dessein  de  la  réu- 
nir à  celle  de  l'Hôtel  de 
Bourgogne,  449-  —  H  donne 
à  LuUi  la  salle  du  Palais- 
Royal.  —  Il  fait  autoriser  les 
comédiens  dépossédés  à  s'éta- 
blir en  face  de  la  rue  Guéné- 
gaud,  et  signifier  à  ceux  du 
Marais  défense  de  continuer 
à  jouer,  45 1.  —  H  ordonne, 
le  18  août  1680,  la  jonction 
des  deux  seules  troupes  fran- 
çaises, celle  de  l'Hôtel  de 
Bourgogne  et  celle  de  l'Hô- 
tel Guénégaud,  452. 

Lucrèce  (le  poème  de).  Ce 
poème,  de  Natura  rerum,  était 
le  bréviaire  de  Gassendi.  — 
Il  a  été  traduit  par  Molière, 
53  et  54.  —  Cette  traduction 
est  perdue,  54,  note  i.  Voir 
aussi  les  Additions  et  correc- 
tions, 481  et  483. 

LuiLLiER  (François).  Ce  maître 
des  comptes  était  intime  ami 
de  Gassendi,  33.  —  H  lui 
donne  Chapelle  à  instruire 
dans  la  philosophie,  34-  — 
Il  était  homme  d'esprit,  mais 
épicurien  cynique.   —  Il   ne 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5i9 


donna  pas  de  sages  exemples 
à  Chapelle.  —  En  1642,  il 
l'avait  fait  légitimer  comme 
son  fils,  quoi  qu'il  fût  bâtard 
adultérin,  40,  et  note  2  de  la 
même  page. 

LuLLi  (Jean-Baptiste).  Il  fait  la 
musique  du  Mariage  forcé, 
3o3,  —  celle  de  r Amour  mé- 
decin, 3a8,  —  celle  de  Mon- 
sieur de  Pourceaugnac,  3 98. 
—  Dans  cette  dernière  co- 
médie-ballet il  amusait  beau- 
coup par  ses  bouffonne- 
ries, sous  le  masque  du  si- 
gnor  Chiacchiarone,  400-  ■ — 
Brouillé  avec  Molière,  sa 
musique  du  Mariage  forcé  est 
remplacée  en  1672  par  une 
nouvelle  musique,  œuvre  de 
Charpentier,  417-  —  H  ob- 
tient au  mois  de  mars  1672 
des  lettres  patentes,  donnant 
à  son  Académie  royale  de 
musique  un  monopole  exor- 
bitant, au  grand  dommage 
des  autres  théâtres.  —  La 
musique  du  Malade  imaginaire 
ayant  été  confiée  à  Char- 
pentier, Lulli  l'oblige  à  mu- 
tiler son  travail,  428. 

Lyon.  «  Molière  vint  à  Lyon 
en  i653  »,  dit  la  Préface  de 
1682.  Il  y  a  des  indices  de 
séjours  antérieurs,  en  i65i 
et  i652,  12g.  —  Eloge  de 
cette  ville  par  Chappuzeau, 
dans  son  livre  intitulé  Lyon 
dans  son  lustre,  i3i.  —  La 
troupe  d'Abraham  Mitallat  y 
brillait,  lorsqu'en  i653  Mo- 
lière et  sa  troupe  lui  firent 
perdre  la  faveur  du  public  et 


la  désorganisèrent,  i3i  et 
i3a.  —  V Etourdi  fut  joué 
d'abord  à  Lyon.  On  en  a 
daté  la  première  représenta- 
tion de  i653,  p.  i33.  — 
D'autres  la  datent  de  i655 
i34.  —  Raisons  qui  nous 
font  pencher  pour  i655.  — 
On  place  généralement  à 
Lyon  la  représentation  de 
VAndromède  par  la  troupe  de 
Molière,  i35.  —  Molière  et 
toute  sa  troupe  passèrent 
probablement  à  Lyon  une 
bonne  partie  de  l'année  i654, 
i56  et  157.  —  Ils  s'y  éta- 
blirent de  nouveau  en  i655, 
année  où  nous  placerions  la 
première  représentation  de 
r  Étourdi,  161.  —  La  troupe 
de  Molière,  en  i656,  entre 
le  séjour  à  Narbonne  et  le 
séjour  à  Béziers,  fut  peut-être 
quelque  temps  à  Lyon,  181. 
—  Elle  y  était  certainement 
en  mai  1657,  comme  l'atteste 
une  lettre  du  prince  de  Conti 
à   l'abbé    de    Ciron,     187    et 


M 


Madasce  (Henriette  d'Angle- 
terre, duchesse  d'Orléans). 
Elle  est  marraine,  le  28  fé- 
vrier 1664,  de  Louis,  pre- 
mier né  de  Molière,  dont 
Louis  XIV  est  parrain,  269. 
—  3Iolière,  dans  une  épître 
pleine    de    justes   louanges 


520  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


lui  dédie  son  École  des  fem- 
mes^ qu'il  avait  jouée  chez 
elle  le  3  avril  i663,  272  et 
273.  —  Le  Mariage  forcé  fut 
représenté  deux  fois  chez 
elle  en  février  1664,  3o3.  — 
En  août  1667,  elle  envoie  à 
M.  de  Lamoignon  un  de  ses 
officiers  pour  lui  demander 
de  lever  la  défense  de  jouer 
en  public  le  Tartuffe  devenu 
V Imposteur,  S^y. 

Magdelon.  C'est  sous  ce  nom 
que  Madeleine  de  L'Hermite 
de  Souliers,  fille  de  Jean- 
Baptiste  de  L'Hermite,  sieur 
de  Vausejle,  et  de  Marie 
Courtin  de  la  Dehors,  est 
inscrite  sur  la  liste  des  ac- 
teurs, dans  la  distribution  des 
rôles  d^  Andromède,  140.  — 
A  une  date  incertaine,  elle 
joue  la  comédie  à  Avignon 
dans  la  troupe  de  Molière, 
où  elle  était  engagée  avec  sa 
mère,  140  et  i4i. —  En  no- 
vembre i655,  elle  fut  mariée 
à  un  écuyer  du  prince  de 
Conti,  i4i.  —  En  1666,  elle 
fit  annuler  ce  mariage  et 
devint  comtesse  de  Modène, 
épousant  l'ancien  amant  de 
sa  mère,  i4o. 

MAGNOîi(Jean).  Sa  tragédie  d'Ar- 
taxerce,  imprimée  en  1646, 
avait  été  jouée  sur  l'Illustre 
théâtre,  86. 

Malade  imaginaire  [le),  dernière 
comédie  de  Molière.  —  Elle 
est  très  gaie  et  très  triste. 
—  Elle  est  un  défi  porté 
à  la  maladie  et  à  la  méde- 
cine, 4^6.  —  Destinée  à  une 


des  fêtes  de  la  cour,  elle  n'y 
fut  pas  jouée.  —  On  en 
donne  la  vraisemblable  ex- 
plication, 4a8.  —  Elle  fut 
jouée  pour  la  première  fois 
au  Palais-Royal  le  10  février 
1673.  —  Le  vendredi  17  fé- 
vrier, jour  de  la  quatrième 
représentation,  fut  celui  de 
la  mort  de  Molière,  429. 

Mariage  force'  {le).  Cette  comé- 
die-ballet fut  jouée  au  Lou- 
vre, devant  le  Roi,  le  ag  jan- 
vier i663,  au  Palais-Royal  le 
i5  février  suivant.  —  Elle  a 
deux  scènes  où  la  main  de 
Molière  se  reconnaît.  —  Le 
ballet  était  du  président  de 
Périgny,  la  musique  de  Lulli, 
3o3.  —  Reprise  remarquable 
de  cette  pièce  le  8  juillet  1672. 
—  Molière,  alors  brouillé 
avec  Lulli,  remplace  sa  mu- 
sique par  celle  de  Charpen- 
tier, 417- 

Mascarille.  Ce  nom  a  été  quel- 
que temps  donné  à  Molière 
et  a  failli  lui  rester,  i63.  — 
Molière  jouait  dans  l^ Étourdi 
le  rôle  très  gai  de  Mascarille  ; 
il  y  transportait  de  joie  les 
spectateurs,  ao8.  —  Il  avait 
sans  doute  joué  en  province 
le  rôle  de  Mascarille  dans  le 
Dépit  amoureux,  208,  note  2. 
Il  le  joua  aussi  dans  les  Pré- 
cieuses ridicules,  où  Somaize 
lui-même  le  trouvait  si  plai- 
sant qu'il  le  disait  :  «  le  pre- 
mier farceur  de  France  », 
218.  —  «  Mascarille,  a-t-on 
dit,  nous  représente  la  jeu- 
nesse  de  Molière.   »   —   De 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


Mascarille,  Molière,  après  les 
Pre'cjeKjef,devieutSganarell(>, 
et  adopte  les  rôles  du  per- 
sonnage de  ce  dernier  nom. 
Il  n'j  fut  pas  moins  excel- 
lent, 233. 

Mauvillain,  médecin  peu  gê- 
nant de  Molière.  —  Com- 
ment Molière  rend  compte 
au  Roi  de  ce  qu'il  fait  pour 
lui.  —  Ce  docteur  a  passé 
pour  traître  à  la  Faculté  et 
a  été  accusé  d'avoir  fourni 
des  notes  pour  la  Cérémonie 
du  Malade  imaginaire.  — Mo- 
lière, dans  son  troisième  pla- 
cet  au  Roi,  sollicite  pour  le 
fils  de  Mauviilain  un  cano- 
uicat  de  la  chapelle  royale 
de  Vincennes,  33i  et  Sgô. 

Médecin  malgré  lui  [le),  joué 
pour  la  première  fois  au  Pa- 
lais-Royal le  6  août  1666.  — 
Le  badinage  y  est  semé  des 
traits  les  plus  fins.  —  Il  ne 
paraît  pas  exact  que  Molière 
ait  cru  avoir  besoin  de  cette 
comédie  plaisante  pour  sou- 
tenir son  Misanthrope,  374- 

Mélicerte,  comédie  pastorale 
héroïque,  jouée  en  décem- 
bre 1666  au  château  de 
Saint-Germain  dans  le  Ballet 
des  Muses.  —  Commandée 
par  le  Roi,  elle  ne  put,  faute 
de  temps,  être  continuée  au 
delà  des  deux  premiers  actes  ; 
ensuite  l'auteur  n'a  pas  cru 
devoir  l'achever,  quoique, 
dans  ce  commencement,  il  y 
ait  des  passages  agréables, 
374.  —  Mlle  Molière  et 
Mlle   du  Parc  y  jouaient  eu 


1666.  On  ne  sait  pas  avec 
certitude  laquelle  des  deux 
créa  le  rôle  de  Mélicerte,375. 

Menou  (Mlle).  Elle  récite  en 
i653  les  quatre  vers  de  la 
Néréide  Ephyre  dans  Andro- 
mède, 145  et  146.  —  .Une 
lettre  de  Chapelle  à  Mo- 
lière atteste  que  sa  jeunesse 
charmait  Molière.  —  Cette 
lettre  nous  apprend  qu'à  sa 
date  (1659),  elle  n'avait  pas 
dépassé  l'adolescence,  146 
et  147.  Pour  la  suite  voyez 
au  nom  de  Béjart  (Ar- 
mande). 

MiGNARD  (PieiTe).   A   la  fin  de 

1667,  il  revient  d'Italie  à 
Avignon,  où  demeurait  son 
frère  Nicolas.  —  Il  y  trouve 
Molière,  avec  qui  il  se  lie. 
—  Ce  fut  alors  sans  doute 
qu'il  fit  son  portrait  dans  le 
rôle  de  César.  —  Il  devait 
être  plus  tard  célébré  par 
Molière  dans  le  poème  de 
la     Gloire    du     P'al-de-Grdce, 

191  et  192.  —  Amitié  très 
étroite  entre  Pierre  Miguard 
et  les  Béjart.  —  Il  signe,  en 
1662,  comme  ami,  au  con- 
trat de  mariage  de  Gene- 
viève Béjart.  —  Madeleine 
Béjart  le  choisit  pour  un  de 
sesexécuteurs  testamentaires, 

192  et  ig3.  —  Mignard  avait 
fait  à  Rome  eu  1647  le  por- 
trait du  duc  de  Guise,  et  put 
connaître  alors  Esprit  de 
Modène,  qui  accompagnait 
le  duc.  Il  n'est  donc  pas  im- 
probable que  Modène  ait 
facilité  la  liaison  du  peintre 


522  TABLE   ALPHABÉTIQUE   ET  ANALYTIQUE 


avec  les  Béjart  et  avec  Mo- 
lière, igS. 

MiGNOT  (dit  Mondorge).  11  avait 
joué  en  Languedoc  avec  Mo- 
lière, sans  doute  pendant  la 
session  des  ëtats  de  i658,  à 
Pézenas.  —  Plus  tard  il  va  à 
Auteuil,  dans  l'espoir  d'ob- 
tenir de  son  ancien  camarade 
quelque  secours.  —  Tou- 
chante libéralité  avec  laquelle 
Molière  lui  vient  en  aide, 
190  et  191. 

Misanthrope  (le).  La  première 
représentation  en  fut  donnée 
le  4  juin  1666  au  Palais-Royal. 

—  Le  succès  ne  fut  pas  très 
vif.  Les  recettes  baissèrent 
après  un  petit  nombre  de 
représentations,  333.  —  Mo- 
lière fait  concevoir  une  haute 
idée  de  son  caractère  élevé 
en  créant  Alceste,  de  sa  mo- 
dération et  de  sa  raisonna- 
ble indulgence  en  créant 
Philinte,  334  et  335.  Cette 
comédie,  qui  dénonçait  les 
mœurs  du  temps,  était  par  là 
d'une  hardiesse,  qu'on  a 
d'ailleurs  exagérée,  335.  — 
Molière  a  donné  un  moment 
au  3Iisanthrope  ce  titre  : 
V  Atrabilaire     amoureux,     336. 

MoDÈNE  (Esprit  de  Rémond  de 
Mormoiron,  seigneur  de). 
En  1639,  L'Hermite  de  Vau- 
selle  lui  dédie  une  tragédie. 

—  Fils  du  baron  de  Modène, 
il  était  né  le  19  novembre 
1608.  —  Il  fut  page  de  Gas- 
ton de  France,  91.  —  Son 
talent  poétique.  —  Désor- 
dres de  sa  vie.  —   Jugement 


porté  sur  lui  par  l'abbé  Ar- 
nauld.  —  Son  impudente 
paternité  de  i638,  du  vivant 
de  Marguerite  de  la  Baume 
de  Suze,  qu'il  avait  épousée 
en  i63o,  92.  —  Ses  aventures 
depuis  i638  jusqu'en  1642, 
93.  —  On  a  conjecturé  qu'il 
avait  pu  rencontrer  Made- 
leine Béjart  aux  eaux  de 
Montfrin  en  1642.  — Vente, 
probablement  fictive,  d'une 
grange  et  de  terres  à  Jean- 
Baptiste  L'Hermite  et  à  sa 
femme,  en  1644,  94  et  gS 
(et  iSg).  —  Très  besogneux, 
il  fut  souvent  aidé  par  les 
libéralités  de  Madeleine  Bé- 
jart, 96.  —  Marie  Courtiu 
de  la  Dehors,  femme  de  Jean- 
Baptiste  de  L'Hermite,  fut 
notoirement  sa  maîtresse, 
iSg.  —  En  décembre  1666, 
il  épouse  la  fille  de  cette 
maîtresse  ;  il  était  âgé  de 
cinquante-huit  ans,  i4o.  — 
Ce  fut  lui  peut-être  qui  fît 
connaître  à  Pierre  Mignard 
les  Béjart  et  Molière  :  il 
avait  vu  à  Rome  le  Romain, 
et  connoissait  beaucoup  son 
frère  Nicolas  Mignard,  qu'il 
fréquentait  à  Avignon,  où 
lui-même  passait  ordinaire- 
ment l'hiver,  igS.  —  Quel- 
ques circonstances  de  sa  vie 
agitée  depuis  les  derniers 
mois  de  1646  jusqu'à  la  mort 
du  duc  de  Guise  en  1664, 
194.  —  La  supposition  qu'Ar- 
mande  fût  sa  fille  n'est  pas 
inadmissible,  bien  qu'Ar- 
mande  ne  puisse    être    con- 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


523 


fondue  avec  la  petite  Fran- 
çoise, née  en  i638,  a6i  et 
262.  —  Il  est  en  i665  parrain 
de  la  fille  de  Molière,  dont 
Madeleine  Bëjart  est  la  mar- 
raine. A  tous  deux  sont  em- 
pruntés les  prénoms  d'Es- 
prit-Madeleine ,  donnés  à 
cette  enfant,  358.  —  Il  écrit 
en  1673  une  des  épitaphes  de 
Molière,  pour  honorer  sa 
mémoire,  448- 
MoLiÈBE  (Jean-Baptiste  Poque- 
lin,  dit),  fils  de  Jean  Poquc- 
lin  et  de  Marie  Cressé,  né  à 
Paris,  2  et  3.  —  On  n'a  pas  été 
d'accord  sur  l'emplacement 
de  sa  maison  natale,  que  rien 
encore  ne  désigne  avec  certi- 
tude, 4^6  •  —  Maison  des 
Singes,  où  l'on  sait  seulement 
qu'il  a  demeuré  pendant 
quelques-unes  de  ses  jeunes 
années,  7.  —  Il  fut  baptisé 
à  Saint-Eustache,  le  i5  jan- 
vier 1622,  9.  —  Etant  dans 
sa  onzième  année,  il  perd  sa 
mère  (mai  i632).  —  Il  avait 
deux  frères  et  une  sœur,  11 
et  12.  —  Son  père  obtient 
pour  lui  la  survivance  de  sa 
charge  de  tapissier  du  Roi,  à 
laquelle  était  attaché  le  titre 
de  valet  de  chambre  du  Roi. 
—  Le  survivancier  prête  ser- 
ment le  18  décembre  1637, 
14.  —  Avant  cette  date,  il 
était  entré  au  collège  de 
Clermont,  1 5.  Son  grand-père 
maternel  l'avait,  dit-on,  con- 
duit de  bonne  heure  à  la 
comédie,  16.  —  On  a  con- 
jecturé aussi  que  son  grand- 


père  paternel,  mort  en  1626, 
lui  avait  fait  connaître  les 
spectacles  bouffons  de  la 
foire  Saint-Germain,  18  et 
19.  —  Il  prit  plus  tard 
plaisir  aux  farces  populaires. 
—  Scaramouche  passe  pour 
lui  avoir  donné  des  leçons, 
19  et  20.  —  Succès  de  ses 
études  au  collège  de  Cler- 
mont, 26.  —  Jusqu'à  quel 
point  il  y  put  être  cama- 
rade du  prince  de  Conti, 
26-29.  —  Son  entrée  au  col- 
lège de  Clermont  est  proba- 
blement de  la  fin  de  i636.  Il 
en  sortit  en  1640,  «  ou  quel- 
que peu  devant  »,  suivant 
V Elomlre  hypocondre,  3o.  — 
Il  est  sans  doute  qu'il  a 
suivi  les  leçons  de  Gassendi, 
en  même  temps  que  son  ca- 
marade Chapelle  et  quel- 
ques autres  jeunes  gens,  3i- 
61.  —  Sa  connaissance  des 
études  philosophiques  se 
montre  dans  deux  scènes  du 
Mariage  forcé  et  dans  une 
scène  des  Femmes  savantes, 
52  et  53.  —  Le  choix  qu'il 
fit  dans  sa  jeunesse  du  poème 
de  Lucrèce  pour  le  traduire 
est  bien  d'un  disciple  de 
Gassendi,  53.  —  Sans  adop- 
ter le  système  de  Gassendi, 
il  a  surtout  tiré  de  son  en- 
seignement une  philosophie 
pratique,  56  et  57.  —  Il  ne 
fut  pas  épicurien  à  la  façon 
de  Chapelle,  58  et  59.  — 
On  l'a  trop  facilement  taxé 
d'irréligion,  mais  il  était 
loin  d'être  un  dévot.  Il  avait 


524  TABLE  ALPHABÉTIQUE   ET  ANALYTIQUE 


été  entouré  chez  Gassendi 
de  jeunes  esprits-forts.  Il 
resta  lié  avec  eux  et  avec  plu- 
sieurs sceptiques,  69.  —  On 
trouve  d'ailleurs,  même  dans 
son  Festin  de  Pierre,  des  in- 
dices de  l'éloignement  que 
l'enseignement  de  Gassendi 
lui  avait  inspiré  pour  l'a- 
théisme, 60.  —  Mais  l'inti- 
mité avec  les  Chapelle  et  les 
Cyrano  l'avait  mal  prémuni 
contre  les  entraînements  de 
son  âge,  61.  —  Au  sortir  de 
l'école  de  Gassendi,  il  fit  des 
études  de  droit,  62.  —  Il  a 
su  faire  parler  avec  exacti- 
tude la  langue  du  droit  à 
quelques-uns  des  personna- 
ges de  ses  comédies,  63.  — 
Suivant  une  tradition,  il  au- 
rait fait  en  1642  le  voyage 
de  Narboune  à  la  suite  de 
Louis  Xlll,  pour  remplacer 
son  père  dans  son  service. 
—  On  a  même  voulu  qu'il 
ait  joué  un  rôle  dans  l'affaire 
de  Cinq-Mars,  64  et  65.  — 
Quelques-uns  ont  supposé 
que  ce  voyage  l'avait  mis 
pour  la  première  fois  en  re- 
lation avec  Madeleine  Béjart, 
65.  —  Il  lia,  suivant  Grima- 
rest,  amitié  avec  elle  en  for- 
mant sa  troupe.  —  Bayle 
avait  entendu  dire  qu'il  ne  se 
fît  comédien  que  pour  être 
auprès  d'elle,  66.  —  Résolu  à 
se  faire  comédien,  il  avertit 
son  père,  le  6  janvier  1643, 
qu'il  renonce  à  la  survivance 
de  la  charge  de  tapissier  du 
roi,  67.  —  En  1645  et  en  i65o. 


il  prend  encore  le  titre  de 
cette  charge.  —  Il  le  quitte 
quand  son  frère,  Jean  Poque- 
lin  le  jeune,  est  légalement 
reçu  en  survivance.  —  Il  re- 
prend la  survivance  eu  1660, 
après  la  mort  de  son  frère. 
—  Il  conserva  toujours  de- 
puis le  titre  de  tapissier-valet 
de  chambre  du  Roi,  72.  — 
L'acte  par  lequel  il  se  lie  à 
quelques  associés  pour  une 
entreprise  théâtrale  est  passé 
le  3o  juin  i643,  73.  —  Son 
domicile  à  ce  moment  est  rue 
de  Thorigny.  —  Sa  périlleuse 
camaraderie  avec  Madeleine 
Béjart,  80.  —  Il  prend  pour 
la  première  fois  le  nom  de 
Molière  dans  un  acte  notarié 
du  28  juin  i644i  79  et  80,  et 
86.  —  Il  s'établit  avec  ses 
camarades  au  jeu  de  paume 
des  Métayers,  81.  —  En 
attendant  que  ce  tripot  fût 
prêt,  la  petite  troupe,  dont  il 
fait  partie,  va  jouer  à  Rouen, 
82-85.  —  Elle  commence  à 
jouer  à  Paris  en  janvier  1644» 
84  et  85.  —  Il  quitte  à  la  fin 
de  1644  le  jeu  de  paume  des 
Métayers,  où  les  affaires  de 
l'Illustre  théâtre  vont  mal,  et 
celui  de  la  Croix-Noire.  — 
Il  loge  alors  rue  des  Jardins, 
paroisse  de  Saint-Paul,  98  et 
99.  —  Pour  payer  les  dettes 
les  plus  criardes  du  théâtre, 
Molière  fait  des  emprunts. 
—  En  1645,  le  maître  chan- 
delier Fausser  le  fait  empri- 
sonner au  Châtelet,  99.  — 
Mis  en  liberté  sur  sa  caution 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


525 


juratoire,  il  est  de  nouveau 
arrêté  à  la  demande  d'autres 
créanciers,  loo.  —  Il  est  dit 
dans  les  papiers  de  Trallage 
qu'en  1644  o^  1643  (1644 
est  une  évidente  erreur),  Mo- 
lière commença  à  jouer  à 
Bordeaux  ,  M.  d'Épernon 
étant  alors  gouverneur  de  la 
Guyenne,  io3.  —  Il  entre 
avec  ses  associés  dans  la 
troupe  de  ce  duc  (1646  ou  fin 
de  1645),  104-107.  —  Il  est 
probable  qu'en  1647  ^^  ^'^^^'' 
à  Toulouse  avec  ses  camara- 
des et  y  put  lier  amitié  avec 
Goudouli,  108  et  109.  —  Sa 
présence  à  Albi,  à  Carcas- 
sonne,  avec  la  troupe,  est 
peu  douteuse  en  1647;  mais 
elle  est  positivement  consta- 
tée à  Nantes  le  23  avril  1648. 
—  Là,  sur  le  registre  des  dé- 
libérations de  l'hôtel  de  ville, 
son  nom  écrit  Morlierre  ne 
peut  tromper,  ii5  et  116. — 
En  1649  i^  "^"^  ^  Toulouse, 
118;  —  puis  assez  probable- 
ment à  Montpellier,  pendant 
la  session  des  états,  certaine- 
ment à  Narbonne,  119.  —  Il 
était  encore  dans  cette  ville 
le  10  janvier  i65o.  —  Dans 
un  baptême  de  cette  date,  il 
est  parrain  sous  le  nom  de 
Jean-Baptiste  Poquelin,  valet 
de  chambre  du  Roi.  — Appelé 
par  le  duc  d'Epernon,  il  va, 
avec  ses  camarades,  à  Agen, 
en  février  i65o,  120.  —  Il 
cesse,  avec  la  troupe,  d'être 
au  service  du  duc  d'Eper- 
non, qui  est  obligé,  en  juillet 


i65o,  de  quitter  la  Guyenne, 
121.  —  On  ne  retrouve  plus 
Molière  qu'aux  états  tenus  à 
Pézenas  {i65o-i65i).  —  On 
a  un  reçu,  écrit  et  signé 
de  sa  main,  le  17  décem- 
bre 1640,  de  4000  livres 
«  ordonnées  aux  comédiens 
par  Messieurs  des  états  » ,  122. 

—  Le  14  avril  i65i,  la  pré- 
sence de  Molière  à  Paris  est 
constatée,  128.  —  La  même 
année  i65i,  il  donne  des 
représentations  à  Vienne, 
124.  —  126.  —  Au  témoi- 
gnage de  Dassoucy,  il  est 
à  Carcassonne  pendant  la 
session  des  états  de  i652 
(3i  juillet  i65i, —  10  janvier 
1662),  129.  —  Il  fait  à  Lyon 
représenter  pour  la  première 
fois  son  Étourdi,  soit  en  i653, 
soit  en  i655,  i33-i35.  —  Il 
passepouravoir  été  l'amant  de 
Mlle  de  Brie,  1 41-145.  —  Il 
a  dans  sa  troupe  la  du  Parc 
et  la  de  Brie,  qui  avec  la  Bé- 
jart  le  tourmenteront  par 
leurs  rivalités,  quand  cette 
troupe  sera  revenue  à  Paris, 
i46  et  148.  —  Peut-être,  en 
quittant  Lyon  après  son  sé- 
jour de  i653,  alla-t-il  à  Pé- 
zenas, pendant  la  session  des 
états,  qui  s'y  tint  du  17  mars 
au    i""  juin    de   cette   année. 

—  Ce  qui  est  certain,  c'est 
que,  dans  l'automne  de  i653, 
Daniel  de  Cosnac  l'appela  à 
la  Grange-des-Prés,  résidence 
du  prince  de  Conti,  qu'il 
revit  en  septembre,  i5o.  — 
Il  troure  d'abord  à  Pézenas 


526  TABLE   ALPHABÉTIQUE   ET   ANALYTIQUE 


une  troupe  rivale  que  le 
prince  veut  retenir  à  l'ex- 
clusion de  la  sienne,  iSa.  — 
Il  est  enfin  préféré  et  reçoit 
pension,  i52  et  i53.  —  Au 
commencement  de  i654,  il 
était  à  Montpellier,  où  il 
était  arrivé  vraisemblable- 
ment avant  le  départ  de 
Conti.  —  Il  y  avait  sans 
doute  joué  pour  ^Messieurs 
des  états,  dont  la  session, 
ouverte  par  le  comte  de 
Bieule,  dura  du  7  décembre 
i653  au  3i  mars  i654,  i55  et 
i56.  —  Il  est  probable  qu'il 
passa  une  bonne  partie  de 
i65a  à  Lyon,  157.  —  Il  re- 
vient à  Montpellier  pour  la 
nouvelle  session  des  états, 
ouverte  par  le  prince  de 
Conti  le  7  décembre  i654i 
qui  dura  jusqu'au  i4  mars 
i655,  157.  —  Dans  des  fêtes 
données  alors  pour  le  prince 
et  la  j)rincesse  de  Conti,  il 
figure  dans  le  ballet  des  In- 
compatibles, i58.  —  On  rap- 
porte à  ce  temps  l'offre  qui 
aurait  été  faite  à  Molière  de 
la  place  de  secrétaire  du 
prince.  —  Elle  ne  fut  pas 
acceptée,  s'il  est  vrai  qu'on 
la  lui  offrit,  iSg-iôi. — Après 
la  clôture  des  états  tenus  à 
Montpellier,  il  fait  à  Lyon, 
en  i655,  un  nouvel  et  long 
séjour,  au  temps  duquel  nous 
penchons  à  placer  la  pre- 
mière représentation  de  VÉ- 
tourdi,  161.  —  En  quittant 
Lyon,  il  se  rend,  avec  la 
troupe,   à    Avignon,    164    et 


i65.  —  Là  il  reçoit  l'ordre 
de  venir  à  Pézenas,  pendant 
qu'y  siègent  les  états,  convo- 
qués par  le  prince  de  Conti. 
La  session  s'ouvrit  le  4  QO~ 
vembre  i655,  1G9.  —  Il  re- 
çoit à  Pézenas,  le  24  février 
i656,  du  trésorier  de  la 
bourse  des  états,  6000  li- 
vres. —  Son  reçu,  qui  s'est 
conservé,  est  écrit  tout  en- 
tier de  sa  main,  178.  —  Ce 
paraît  être  surtout  pendant 
la  session  des  états  à  Mont- 
pellier et  dans  les  premiers 
temps  de  la  session  suivante 
à  Pézenas  que  Molière  fut 
en  grande  faveur  auprès  du 
prince  de  Conti,  et  honoré 
de  sa  familiarité,  170  et  171. 

—  Pendant  la  session  de  Pé- 
zenas il  dut  trouver  quel- 
que refroidissement,  l'évêque 
d'Aleth  ayant  exhorté  le 
prince  à  faire  pénitence,  170. 

—  Dans  des  intervalles  de 
liberté  à  Pézenas,  Molière  et 
sa  troupe  purent  faire  dans 
les  villes  voisines  des  excur- 
sions qui  ont  donné  lieu  à 
des  traditions  plus  ou  moins 
légendaires.  —  La  plus  célè- 
bre et  la  plus  intéressante 
est  celle  du  fauteuil  de  la 
boutique  du  perruquier-bar- 
bier Gély,  dont  Molière  avait 
fait  un  poste  d'observation, 
178-173.  —  De  Pézenas,  Mo- 
lière va  à  Narbonne.  —  Il 
demande  la  permission  d'y 
séjourner  quinze  jours.  — 
Le  conseil  de  cette  ville  lui 
accorde  pour  ses  représenta- 


DE  LA  NOTICE   BIOGRAPHIQUE. 


527 


lions  la  grande  salle  de  la 
maison  consulaire,  176  et 
177.  —  Entre  le  moment  où 
il  quitta  Narbonne  et  celui 
où  il  \int  à  Bëziers,  il  n'est 
pas  certain  qu'il  ait  donné 
des  représentations  dans  quel- 
ques villes  qu'on  a  nommées, 
178-180.  —  Il  est  appelé  à 
Béziers  pour  la  session  des 
états  tenus  du  17  novembre 
i656  au  1°"^  juin  lôSj.  Là,  il 
fit  jouer  pour  la  première 
fois  le  Dépit  amoureux,  181. 
—  Quelques-uns  veulent  qu'il 
ait  fait  jouer  en  province, 
outre  r Etourdi  et  Dépit  amou- 
reux, les  Précieuses  ridicules, 
184-187.  —  Il  est  à  Lyon 
en  1657  avec  sa  troupe  à 
qui  le  prince  de  Conti  or- 
donne de  ne  plus  se  recom- 
mander de  son  nom,  187  et 
188.  —  De  Lyon,  Molière  se 
rend  à  Dijon,  où  résidait  le 
duc  d'Epernon,  devenu  gou- 
verneur de  la  Bourgogne.  — 
Il  y  donne  des  représenta- 
tions, 189.  ■ —  Après  Dijon, 
il  retourne  probablement  à 
Pézenas,  pendant  la  session 
des  états,  ouverte  le  8  octo- 
bre 1657;  car  on  ne  voit  pas 
dans  quelle  autre  circonstance 
il  aurait  pu  se  trouver  en 
Languedoc  avec  Mignot,  dit 
Mondorge,  que  plus  tard  il 
reconnut,  se  souvenant  d'a- 
voir joué  avec  lui.  —  Pen- 
dant cette  session  de  i658  à 
Pézenas,  la  lrouj)e  à  laquelle 
appartenait  Mignot  était  ve- 
nue jouer  pour  les  états.  — 


Ce  Mignot  fut  très  généreu- 
sement secouru  par  Molière 
à  Auteuil,  190  et  191.  —  A 
la  fin  de  lôSj,  au  plus  tard 
au  commencement  de  i658, 
Molière  est  à  Avignon,  où  il 
se  lie  d'amitié  avec  Pierre 
Mignard,  191-193.  —  D'Avi- 
gnon il  va  directement  à  Gre- 
noble, où  il  arrive  en  février 
i658  et  passe  le  carnaval.  — 
De  Grenoble,  pour  s'appro- 
cber  de  Paris,  il  se  rend  à 
Rouen,  ig5.  - —  Pendant  son 
séjour  dans  cette  ville,  il  fait 
secrètement  quelques  voya- 
ges à  Paris.  —  Ce  fut  peut- 
être  le  succès  de  ces  voyages 
qui  fit  renoncer  à  la  location 
du  jeu  de  paume  des  Marais, 
signée  par  Madeleine  Bé- 
jart,  199  et  200.  —  Molière 
revient  en  octobre  s'établir  à 
Paris,  où  Monsieur,  frère  du 
Roi,  prend  la  troupe  sous  sa 
protection,  200  et  201.  — 
Le  24  octobre  i658,  il  paraît 
devant  le  Roi  et  toute  la  cour 
dans  la  salle  des  gardes  du 
Vieux  Louvre,  301  et  202. 
—  Il  y  f'iit  représenter  le 
Nicomède  de  Corneille,  et, 
après,  un  compliment  adressé 
au  Roi,  il  termine  le  spectacle 
par  son  Docteur  amoureux, 
202-2o5.  —  Le  Roi  lui  donne 
la  salle  du  Petit-Bourbon,  où 
la  troupe  commence  à  jouer  le 
2  novembre  i658.  —  Avant 
la  fin  de  l'année,  Molière  y 
fait  représenter  son  Etourdi 
et  son  Dépit  amoureux,  206  et 
207.   —  Ces  deux  comédies 


528  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


sont  jouées  devant  le  Roi  en 
1659,  la  seconde  en  visite  au 
château  de  Chilly ,  le  28  avril, 
sio  et  211,  —  la  première  le 
10  mai,  au  Louvre,  212.  — 
Appelé  de  nouveau  au  Lou- 
vre, le  17  mai,  il  fait  repré- 
senter devant  le  Roi  le  Mé- 
decin volant^  une  de  ses  far- 
ces, et  Gros-René  écolier,  21 3. 
Le  18  novembre  1669,  il  fait 
paraître  sur  le  théâtre  du 
Petit-Bourbon  les  Précieuses 
ridicules,  2i3  et  214.  —  H 
donne  sur  ce  même  théâtre 
lacomédiedu  Cocu  imaginaire, 
qui  plut  extrêmement,  228. 
—  Sans  son  autorisation,  la 
première  édition  de  cette 
pièce  est  publiée  en  1660, 
233  et  234-  —  Singulière  his- 
toire de  cette  édition  et  des 
suivantes  faites  au  nom  de 
3Iolière,  qui  se  soucie  peu  de 
défendre  ses  droits  de  pro- 
priété. Il  réservait  ses  soins 
pour  les  représentations,  234 
et  235.  —  Il  fait  jouer  le  4 
février  1661  au  Palais-Royal 
son  Dom  Garde  de  Navarre, 
qui  ne  plut  pas,  et  qu'il  fallut 
retirer  après  le  17  février, 
date  de  la  septième  repré- 
sentation, 235.  —  Encouragé 
par  des  représentations  don- 
nées devant  le  Roi,  il  tente 
en  i663  de  remettre  Dom 
Garde  à  la  scène.  —  Cette 
nouvelle  tentative  n'ayant 
pas  réussi,  il  laisse  la  pièce 
disparaître  du  théâtre,  et  ne 
la  fait  pas  imprimer,  239.  — 
Le  24  juin  1661,  il  fait  jouer 


l'École  des  maris,  pièce  nou- 
velle, 239.  —  Elle  n'est  pas 
sans  de  frappants  rapports 
avec  son  projet  de  mariage, 
déjà  connu  en  cette  année 
1661  par  ses  camarades,  241- 

—  Deux  mois  après  l'École 
des  maris,  il  eut  une  nouvelle 
pièce  toute  prêle,  les  Fâ- 
cheux, qui  fut  représentée 
pour  la  première  fois  dans 
les  jardins  de  Vaux,  le  17 
août  1661,  243  et  244-  — II 
joua  plusieurs  rôles  dans 
cette  comédie,  247'  —  H 
épousa,  le  lundi  20  février 
1663,  Armande  Béjart,  25o, 
à  la  note.  —  Il  avait  pris  soin 
de  son  éducation,  25 1  et  252. 

—  La  calomnie  qui  l'a  accusé 
d'avoir  épousé  sa  fille  ne 
mérite  pas  d'être  discutée, 
263  et  264.  —  La  requête, 
présentée  au  Roi  par  le  co- 
médien Montfleury  en  i663, 
disait  seulement  que  la  femme 
de  Molière  était  fîUe  de  sa 
maîtresse,  sans  aller  au  delà 
d'une  insinuation  perfide, 
265.  —  Le  contrat  des  deux 
époux  fut  signé  par  le  père 
de  Molière,  qui  fut  présenta 
la  célébration  du  mariage, 
268.  —  Les  avantages  que 
procura  à  Molière  sa  charge 
de  valet  de  chambre  du  Roi 
ne  doivent  pas  être  exagérés. 

—  \j'en-cas  de  nuit  est  une 
légende  dont  on  a  eu  raison 
de  faire  justice.  —  Ce  ne  fut 
point  en  considération  de 
son  petit  office  que  des  sei- 
gneurs l'admirent   dans  une 


DE  LA.  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


529 


assez  grande  familiarité,  269. 
—  IMontausier  veut  que  Mo- 
lière soupe  avec  lui,  270.  — 
Molière    fait    représenter,  le 
aG  décembre  1662,  son  École 
des  femmes.    —   Il  y  joua    le 
rôle    d'Arnolplie ,    caractère 
opposé    au    sien.   —    11    n'y 
donna  pas  de  rôle  à  sa  femme, 
271.  —  Sa  Critique  de  V Ecole 
des  femmes,  réponse  aux  dé- 
tracteurs   de    sa    précédente 
comédie,  est  représentée  pour 
la   première   fois   le    i""  juin 
i663.  — Elle  donne  le  signal 
d'une  guerre  très   méchante 
qu'on  lui   fait,    276.    —   De 
Visé  écrit  contre  lui  la  comé- 
die de    Zélinde,     destinée    à 
l'Hôtel    de     Bourgogne,     et 
Boursault  celle  du  Portrait  du 
Peintre,  qui  j  fut  jouée,  277- 
281. — Le  surnom  de  Peintre 
par  lequel  ses  ennemis  le  dé- 
signaient était   bien    mérité, 
279.  —  11  va  voir  à  l'Hôtel 
de  Bourgogne    le    Portrait  du 
Peintre,  et  l'écoute  avec  sang- 
froid,  281.  —  11  riposte   par 
V Impromptu  de  Versailles,  re- 
présenté à  Versailles  pour  le 
Roi,  au  mois  d'octobre  i663, 
283.    —    Il  y  flagelle  Bour- 
sault,  qu'il   nomme,  285.  — 
Il    y    contrefait   les    Grands 
Comédiens,     et    raille     leur 
déclamation  dans   les   tragé- 
dies, 286.  — •  Sur  la  liste  des 
pensions   de    i663  il   est  in- 
scrit   pour    une    pension    de 
mille  livres,  comme    «  excel- 
lent poète  comique  ».  —  Il 
reconnaît  ce  bienfait   par  le 

Molière,  x. 


charmant  Remerciment  au  Roi, 
286  et  287.  —  Un  brutal  ou- 
trage est  fait   à   Molière   par 
im    courtisan    qui    s'est    re- 
connu  dans  le   «   Tarte  à  la 
crème  »    du    marquis    de   la 
Critique.    —  Les    uns  impu- 
tent l'indigne  vengeance  à  la 
Feuillade,  les  autres  au  comte 
d'Armagnac,  grand  écuyer  de 
France,  288-290.  — Molière, 
quoiqu'il  se  soit  moqué  des 
marquis  extravagants,  arendu 
justice   au  bon    et   fin  juge- 
ment de  la  cour,  290  et  291. 
On  cherche   à   l'écraser  sous 
la   gloire    de   Corneille,    291 
et  292.   —  Sachant  que   ce- 
lui-ci    estime     inférieur     le 
genre  comique,  il  prend    sa 
revanche  contre  le  tragique, 
dont  il  parle  avec  irrévérence 
dans  la  Critique  de  V Ecole  des 
femmes,  2g3.  —   11   avait  fait 
dans    l'Ecole    des  femmes  une 
allusion  moqueuse  à  Thomas 
Corneille    de    l'isle.    —   Un 
passage  de  V Impromptu  ferait 
croire    qu'il    soupçonnait    le 
grand  Corneille   d'avoir  mis 
quelques  traits  de   son  pin- 
ceau dans  le  Portrait  du  pein- 
tre,  294'   —   Antoine  Mont- 
fleury     continue     la    guerre 
contre  Molière   par   une  co- 
médie intitulée  :  l" Impromptu 
de  rHdtel  de  Condé,    où    il  se 
venge    de    ses    railleries    sur 
les  Grands  Comédiens,  en  se 
moquant   à  son    tour   de  sa 
récitation,    296    et    296.    — 
Citation  des   vers  assez  jolis 
où  il  fait  un  portrait  de  Mo- 

34 


53o  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


Hère.  —  Comparaison  de  ce 
portrait  avec  celui  que  l'on 
trouve  dans  les  Mémoires  de 
La  Serre,  297  et  298.  —  De 
Visé  attaque  de  nouveau 
Molière  dans  la  Vengeance 
des  marquis,  où  il  ne  s'atta- 
que pas  seulement  au  comé- 
dien, mais  à  l'homme  dans  sa 
■vie  privée,  298-300.  —  Ab- 
surdes contes  de  l'auteur  de 
la  Fameuse  Comédienne  sur  les 
infortunes  domestiques  de 
Molière,  3oi  et  3o2.  —  3Io- 
lière  fait  représenter  au  Lou- 
vre, le  2g  janvier  1664,  le 
Mariage  forcé,  comédie-ballet. 
—  Au  mois  de  mai  de  la 
même  année,  le  Roi  met  le 
zèle  de  Molière  à  contribu- 
tion pour  les  Plaisirs  de  Vile 
enchantée,  3o3.  —  Ces  fêtes 
furent  un  danger  pour  son 
bonheur  conjugal,  3o4.  — 
Ce  fut  alors  que,  le  4  mai, 
on  représenta  sa  Princesse 
d'Elide,  —  Il  y  jouait  le  rôle 
de  Moron,  3o5  et  3o6.  — 
Dans  ces  mêmes  fêtes  de 
mai  16G4,  il  fait  représenter 
devant  le  Roi  trois  actes  du 
Tartuffe,  Sog.  —  Rien  n'au- 
torise à  supposer  dans  cette 
comédie  un  parti  pris  d'hos- 
tilité contre  les  croyances 
chrétiennes,  3io  et  3ii.  — 
Elle  soulève  de  puissantes 
réclamations  qui  décident  le 
Roi  à  ne  point  la  laisser  jouer 
en  public,  3i4.  —  Molière, 
en  mai  1664,  va  plaider  à 
Fontainebleau,  auprès  du 
Roi,  la  cause  de  son  ou^Tage, 


3i5.  —  Appelé  à  Fontaine- 
bleau, avec  sa  troupe,  au 
mois  d'août  1664,  il  fait  une 
lecture  du  Tartuffe  au  cardi- 
nal Chigi,  3i5  et  3i6.  — 
Dans  un  premier  placet  au 
Roi,  il  se  plaint  des  violentes 
attaques  du  curé  de  Saint- 
Barthélémy,  3 16.  —  Il  fait 
jouer,  le  i5  février  i665,  au 
Palais-Royal,  son  Festin  de 
Pierre,  qui  marque  sa  réso- 
lution de  ne  pas  se  laisser 
désarmer  par  la  guerre  faite 
au  Tartuffe,  320.  —  Sa  nou- 
velle comédie  est  singulière- 
ment hardie.  —  Il  y  intro- 
duit une  scène  dans  laquelle 
il  recommence  les  hostilités 
contre  l'hypocrisie,  322.  — 
Ses  hardiesses  sont  dénon- 
cées dans  le  libelle  d'un  soi- 
disant  Rochemont,  avocat  au 
Parlement,  323  et  324-  — 
Le  Festin  de  Pierre  jugé  plus 
que  sévèrement  par  le  prince 
de  Conti.  Molière  n'a  pas 
voulu  prêcher  l'athéisme 
dans  sa  pièce,  qui  n'est  ce- 
pendant pas  sans  danger, 
324  et  325.  —  Il  fut  évidem- 
ment invité  à  ne  pas  la  faire 
reparaître  après  la  quinzième 
représentation.  —  Il  ne  la 
fit  pas  imprimer,  325.  —  De 
grandes  marques  de  la  faveur 
royale  lui  sont  données  au 
mois  d'août  i665. — Le  12  juin 
précédent,  dans  le  Favori  de 
Mlle  des  Jardins,  joué  à  Ver- 
sailles, il  avait  fait  le  Prologue 
en  marquis  ridicule.  —  La 
perte  de  ce  prologue  est  re- 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


53i 


grettable,  326.  —  Après  que 
sa  troupe  fut  devenue  la 
troupe  du  Roi,  le  premier 
ouvrage  de  Molière  qu'elle 
joue  est  r Amour  médecin  (sep- 
tembre i665),  827.  — Expli- 
cation qu'on  a  prétendu  don- 
ner de  ses  hostilités  contre 
la  médecine,  828.  —  Ce  qu'il 
est  plus  juste  d'en  penser, 
329  et  33o.  —  Le  docteur 
Mauvillain  était  chargé  de  le 
soigner:  c'était  une  sinécure. 
—  Personnalités  contre  les 
médecins  de  la  cour  dans 
V Amour  médecin,  33 1.  —  Ce 
qu'il  dit,  dans  la  préface  de 
Tartuffe  (1669),  des  médecins 
qui  ont  pris  doucement  ses 
plaisanteries. — Cette  douceur 
était  feinte  ;  ils  l'ont  montré 
après  la  mort  de  Molière, 
332.  —  Le  4  jan'^'ier  1666, 
il  fait  représenter  au  Palais- 
Rojal  la  pièce  nouvelle  du 
Misanthrope,  333.  —  Le  fai- 
ble succès  de  ce  chef-d'œuvre 
ne  le  décourage  pas.  —  Un 
tel  ouvrage  porte  témoignage 
de  l'élévation  d'âme  de  son 
auteur,  334  et  335.  —  Il 
donne  un  moment  à  son 
Misantlirope  ce  titre  :  V Atra- 
bilaire amoureux .  —  C'est  sur- 
tout du  côté  de  l'amour  d'Al- 
ceste  qu'il  paraît  s'être  joué 
lui-même  dans  le  rôle  de  ce 
personnage,  336.  —  L'élo- 
quence de  la  passion  d'Al- 
ceste  lui  a  été  inspirée  par 
les  agitations  de  son  propre 
cœur,  337.  —  Sur  les  dates 
de  l'histoire  de  son  ménage 


on  manque  de  renseigne- 
ments suffisants.  338.  —  II 
est  loin  d'être  prouvé  qu'il 
ait  été  aussi  trompé  qu'on  l'a 
dit,  339  et  340.  —  Il  fut  tou- 
tefoismal  récompensé  dans  sa 
tendresse.  —  Ses  confidences 
douloureuses  à  Chapelle  ra- 
contées dans  la  Fameuse  Co- 
médienne, 340.  —  Ces  confi- 
dences sontpeu  authentiques, 
341.  —  Quelques  passages  en 
sont  cités,  342- —  Grimarest 
rapporte  une  confidence  peu 
différente  faite  par  Molière  à 
Rohault,  341-343.  —  Les 
satiriques,  tels  que  Chalus- 
say,  ont  donné  à  Molière  le 
nom  d'hypocondre.  —  Sur 
sa  tristesse  divers  témoigna- 
ges sont  d'accord,  344-  — • 
Sa  continuelle  étude  du  cœur 
humain  dut  le  disposer  à 
une  philosophie  un  peu 
amère,  345-  —  Sous  le  nom 
de  Lucile,  personnage  du 
Bourgeois  gentilhomme,  il  a 
fait  de  sa  femme  un  char- 
mant portrait,  348-35o.  — 
Aux  peintures  qu"il  a  faites, 
dans  ses  comédies,  de  la  pas- 
sion des  amants,  plus  encore 
que  des  amantes,  on  recon- 
naît qu'il  avait  le  cœur  ten- 
dre, 35o  et  35i.  —  Portrait 
de  Molière  tracé  par  la  Serre, 
d'après  Mlle  Poisson,  352  et 
353. — Les  dates  des  brouilles 
et  celles  des  raccommode- 
ments dans  son  ménage  n'ont 
pas  été  exactement  fixées, 
353-355.  —  Dans  l'histoire 
de    ses  dissensions  domesti- 


53a  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


ques,  Grimarest  lui  prête, 
avec  invraisemblance,  une 
philosophie  trop  indifférente, 
355.  —  Une  des  réconcilia- 
tions des  deux  époux  est  évi- 
demment mal  datée  par  Gri- 
marest, 356-358.  —  Nais- 
sance d'un  fils  de  Molière,  le 
i5  septembre  1672,  357.  — 
Son  premier  enfant,  qui  avait 
aussi  été  un  fils,  était  né  le 
19  janvier  1664.  —  En  août 
i665  était  née  sa  fille  Esprit- 
Madeleine,  358.  —  Molière 
et  Racine  se  connaissaient 
assez  familièrement  dès  )663. 

—  Molière  ne  protégea  pas, 
autant  qu'on  l'a  dit,  le  jeune 
Racine,  et  jamais  ne  l'accabla 
de  bienfaits,  36i  et  362.  — 
Il  fait  jouer  sur  son  théâtre 
VAlexandre  le  Grand  de  Ra- 
cine (4  décembre  i665),  364- 

—  Il  est  très  blessé  lorsque, 
le  18  du  même  mois,  cette 
tragédie  est  jouée  à  l'Hôtel 
de  Bourgogne  en  même  temps 
qu'au  Palais-Royal,  366.  — 
Il  ouvre  son  théâtre  à  la 
Folle  querelle  ou  la  Critique 
£ Andromaque^  comédie  sati- 
rique de  Subligny,  368.  — 
On  répandit  le  bruit  ridicule 
qu'il  en  était  l'auteur. —  Il  a 
défendu  les  Plaideurs  de  Ra- 
cine contre  ceux  qui  en  di- 
saient du  mal,  369.  —  A 
l'occasion  du  Misanthrope, 
Racine  a  parlé  avec  justice 
du  talent  de  Molière,  370. — 
Refondant  le  Fagotier,  farce 
tirée  des  vieux  fabliaux,  et 
jouée    sur    son    théâtre     en 


1661,  il  en  fait  le  Médecin 
malgré  lui,  représenté  pour 
la  première  fois  le  6  août 
1666,  374.  —  Au  Ballet  des 
Muses,  donné  à  Saint-Ger- 
main, Molière  contribue  par 
Mélicerte,  la  Pastorale  comique 
et  le  Sicilien.  Ce  dernier  ou- 
vrage est  représenté  à  la  fin 
des  fêtes  (1667),  ^74  et  375. 
—  Cette  année  1667,  il  fut 
pendant  quelques  mois  très 
malade;  le  bruit  courait  qu'il 
était  mourant.  —  Il  ne  repa- 
rut au  théâtre  qu'en  juin.  — 
Il  s'était  rétabli  en  buvant  du 
lait.  Il  se  mettait  d'ordinaire 
à  ce  régime  pour  soigner  sa 
toux,  876.  —  Il  fait  jouer  au 
Palais-Royal  Tartuffe,  sous 
le  titre  de  Vlmposteur,  le 
5  août  1667.  —  Le  premier 
Président  en  ayant  défendu 
les  représentations,  Molière 
envoie  au  camp  devant  Lille 
\ine  supplique  au  Roi  (c'est 
le  Second  Placet),  dans  la- 
quelle il  ose  dire  qu'il  renon- 
cera certainement  au  théâtre, 
«  si  les  Tartuffes  ont  l'avan- 
tage »,  —  Les  comédiens, 
porteurs  du  placet,  revien- 
nent avec  de  bonnes  paroles; 
mais  une  ordonnance  de  l'ar- 
chevêque de  Paris  étant  in- 
tervenue, la  défense  n'est 
pas  levée.  —  Molière  décou- 
ragé songe  probablement  à 
se  retirer.  Son  dépit  expli- 
que les  représentations  in- 
terrompues du  6  août  1667 
jusqu'au  aS  septembre,  377 
et  378.  —  Ce  fut  à  peu  près 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE.  533 


à  ce  moment-là  que  Molière 
alla  vivre  à  Aulcuil,  379.  — 
Noms  de  quelques  amis  qu'il 
y  recevait.  —  Anecdote  du 
souper  d'Auteuil,  38o.  — 
Dans  un  souper  très  anté- 
rieur, il  avait  exalté  par  une 
parole  charmante  le  talent 
de  la  Fontaine,  sur  qui  ses 
amis  s'étaient  permis  des 
railleries.  —  Lui-même  un 
jour  fut  déclaré  par  Boileau, 
répondant  à  une  question  du 
Roi,  celui  des  grands  écri- 
vains qui  avait  le  plus  illus- 
tré le  règne,  38 1.  —  Il  fait 
représenter  sa  comédie  à^ Am- 
phitryon au  Palais-Royal  le 
i3  et  le  i5  janvier  1668,  et 
le  16  du  même  mois  aux  Tui- 
leries, devant  le  Roi.  —  Il 
est  faux  que  dans  cette  pièce 
il  ait  bassement  flatté  les 
passions  de  Louis  XIV,  383. 

—  Il  y  a  été  très  hardi  con- 
tre les  puissants,  384-  — 
En  1668,  il  fait  jouer  deux 
fois  le  Tartuffe  chez  le  grand 
Condé,  385  et  386.  —  La 
même  année,  au  mois  de 
juillet,  sou  George  Dandin  est 
joué  à  Versailles,  puis  en 
novembre  trois  fois  à  Saint- 
Germain,  du  3  au  6,  enfin  au 
Palais-Royal  le  9  novembre, 

388.  —  Il  fait  représenter,  le 
9  septembre  1668,  sa  comé- 
die de  l'Avare  au  Palais-Royal. 

—  Elle  fut  moins  goûtée, 
parce  qu'elle   était  eu  prose, 

389.  —  Plus  tard  Fénelon, 
Ménage,  Boileau  même,  à  ce 
qu'on  prétend,  mettaient  sa 


prose   au-dessus  de  ses  vers. 

—  Fausseté  de  quelques  ju- 
gements portés  sur  ses  vers, 
389-392.  —  Sa  conduite  gé- 
néreuse avec  son  père,  par 
devoir,  croit-on,  plutôt  que 
par  véritable  tendresse,  394. 

—  Le  fait  qu'il  aurait  joué 
Tartuffe  en  visite  le  jour  de 
la  mort  de  son  père  est  dé- 
menti par  les  dates.  —  Le 
9  août  1669,  il  prend  soin 
de  la  mémoire  de  son  père 
en  payant  une  dette  assez 
forte  qu'il  a  laissée,  SgS  et 
396.  —  Il  obtient  enfin  la 
permission,  le  5  février  1669, 
de  faire  représenter  au 
Palais-Royal  le  Tartuffe,  qui 
y  fut  joué  ce  jour-là  même, 
comme  pièce  nouvelle.  C'était 
la  seule  représentation  qui 
comptât,  celle  de  1667  ayant 
été  sans  lendemain.  —  Il  en 
remercie  le  Roi,  dans  son 
troisième  placet,  par  lequel  il 
sollicite  un  canonicat  pour  le 
fils  de  son  médecin,  396.  — 
Le  6  octobre  i668,  on  joue 
pour  la  première  fois  son 
Pourceaugnac,  dans  les  diver- 
tissements de  Chambord, 
3g8.  —  Ses  Amants  magnifi- 
ques sont  joués  à  Saint-Ger- 
main   en   février  1670,    4oo- 

—  Dans  les  vers  des  Inter- 
mèdes, qu'il  avait  écrits,  il 
avait  imité  la  manière  de 
Bensserade,  peut-être  pour 
s'en  moquer.  B'^nsserade  prit 
sa  revanche  assez  plaisam- 
ment, 401.  —  Dans  le  rôle 
de    l'astrologue    Anaxarque, 


534  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


Molière  fait  reconnaître  qu'il 
a  été  disciple  de  Gassendi.  — 
Il  jouait  le  rôle  de  Clitidas, 
auquel  il  a  donné  quelques- 
uns  de  ses  propres  traits, 
4oa.  • —  Il  fait  venir  Baron 
de  province  pour  lui  donner 
place  dans  sa  troupe,  et  le 
reçoit  avec  de  touchantes 
marques  d'amitié,  4o4-  — 
Son  Bourgeois  gentilhomme  est 
joué  à  Chambord  le  i3  octo- 
bre 1670,  406,  —  au  Palais- 
Royal  le  a3  novembre  sui- 
vant, 4o9'  —  Le  Roi  lui 
commande  la  tragédie-bai];,t 
de  Psyché,  —  Les  ordres  lui 
laissent  si  peu  de  temps  qu'il 
doit  prendre  un  collabora- 
teur, qui  fut  Corneille.  —  Le 
plan  tout  entier  est  de  Mo- 
lière. —  La  première  repré- 
sentation est  donnée,  le  17 
janvier  1671,  aux  Tuileries, 
409  et  ^\o.  —  Le  24  niai 
1671,  Molière  fait  jouer  ses 
Fourberies  deScapin. —  Boileau 
y  trouve  trop  de  bouffonne- 
rie, 4i3  et  4i4-  —  Jaloux  du 
soin  de  la  santé  de  Molière 
et  aussi  de  la  dignité  de  son 
génie,  Boileau,  d'après  le 
Bolxana,  cherche  à  lui  per- 
suader de  ne  plus  paraître 
sur  la  scène.  —  Molière  sou- 
tient qu'il  y  a  un  point 
d'honneur  pour  lui  à  ne  point 
quitter  ses  camarades,  4i4- 
—  Le  2  décembre  1671,  il 
fait  représenter  à  Saint-Ger- 
main sa  Comtesse  d! Escarba- 
gnas,  destinée  à  lier  divers 
fragments   des     ballets    des 


années  précédentes,  dont 
était  composé  le  Ballet  des 
Ballets,  416.  —  Lorsque,  le 
8  juillet  167a,  la  Comtesse 
d'Escarbagnas  est  jouée  avec 
le  Mariage  forcé,  Molière  fait 
remplacer  dans  la  comédie- 
ballet  de  1664  la  musique  de 
Lulli,  avec  qui  il  est  brouillé, 
par  celle  de  Charpentier, 
417.  —  Il  renouvelle  la 
guerre  contre  les  sottises  du 
bel  esprit  par  les  Femmes  sa- 
vantes, jouées  au  Palais-Royal 
le  1 1  mars  1672,  419-  —  Pro- 
voqué par  des  attaques  in- 
jurieuses, il  met  dans  cette 
comédie  des  modèles  vivants 
sur  la  scène.  —  Deux  jours 
avant  la  représentation,  il 
déclare  dans  une  harangue 
au  public  qu'il  ne  faut  pas 
chercher  de  personnalités 
dans  sa  pièce.  Elles  étaient 
si  évidentes  que  ce  fut  plu- 
tôt plaisanter  que  mentir, 
420.  —  Dans  cette  comédie  il 
rend  encore  une  fois  justice 
à  la  politesse  et  à  l'agréable 
esprit  de  la  cour,  420  et  421. 
—  A  la  fin  de  1672,  sa  santé 
donne  des  inquiétudes  de 
plus  en  plus  sérieuses,  4^2 
et  4^3.  —  Il  perd,  le  ir  oc- 
tobre 1672,  son  dernier  fils, 
âgé  de  moins  d'un  mois.  — 
Cette  mort  lui  cause  un  cha- 
grin qui  aggrave  ses  souf- 
frances. —  Il  était  père  ten- 
dre. Dans  le  sonnet  touchant 
qu'en  1664  il  adressa  à  son 
ami  La  Mothe  le  Vayer, 
qui  venait  de  perdre  son  fils, 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


535 


on  trouve,  ainsi  que  dans  les 
lignes  dont  il  l'a  fait  sui-sTe, 
la  preuve  de  la  douleur  que 
lui  causait  à  lui-même  la 
prévision  d'une  fin  prochaine 
de  son  premier  fils,  4^3  et 
424. —  Aux  tortures  infligées 
à  son  cœur  par  la  désunion 
dans  son  ménage  se  joi- 
gnaient les  fatigues  accablan- 
tes de  l'incessante  produc- 
tion de  ses  comédies,  de  sa 
dépense  de  forces  comme 
acteur,  de  ses  travaux  de  di- 
recteur de  théâtre,  425.  — 
Il  avait  affaire  à  un  public 
souvent  peu  commode,  à  des 
classes  privilégiées  qui  gê- 
naient les  acteurs  sur  le  théâ- 
tre, à  un  populaire  se  li%Tant 
souvent  à  de  graves  désor- 
dres, 425  et  426.  —  Eton- 
nant mélange  de  gaieté  et  de 
mélancolie  dans  sa  dernière 
comédie.  —  Quel  en  est  le 
côté  triste,  426.  —  Molière 
y  jette  un  défi  à  son  mal,  un 
cri  de  révolte  contre  la  mé- 
decine, 427-  —  I^  Malade 
imaginaire,  composé  pour  la 
cour,  n'y  est  pas  joué  :  con- 
séquence sans  doute  de  sa 
brouille  avec  LuUi.  —  Mo- 
tifs de  cette  brouille.  —  La 
faveur  du  Roi  est  devenue 
moindre,  428.  —  Molière 
épanche  ses  douleurs,  en 
présence  de  sa  femme  et  de 
Baron,  avant  la  dernière  re- 
présentation de  sa  pièce.  — 
Par  des  raisons  d'une  bonté 
touchante  il  se  refuse  à  ne 
pas  jouer  ce  jour-là,  428  et 


429.  —  Dans  la  cérémonie  du 
Malade  imaginaire  il  a  une 
convulsion.  —  On  le  trans- 
porte dans  sa  maison  de  la 
rue  de  Richelieu,  43o.  —  II 
est  assisté  par  deux  reli- 
gieuses. —  Il  meurt  étouffé. 
—  Il  avait  envoyé  demander 
un  prêtre,  43 1.  —  Celui  qui 
vint,  après  d'assez  longs  dé- 
lais, arriva  trop  tard,  432.  — 
La  mort  avait  été  prompte. 
Après  la  comédie  jouée  le 
17  février  1673,  Molièrevécut 
une  heure  tout  au  plus.  — 
Les  deux  sœurs  qui  l'assis- 
tèrent, venues  à  Paris  pour 
leurs  quêtes,  avaient  reçu  de 
lui  riiospitalité  dans  sa  mai- 
son, 433.  —  Ses  funérailles, 
le  soir  du  21  février  1673, 
sont  racontées  par  un  témoin 
dans  une  lettre  à  M.  Boyvin, 
docteur  en  théologie.  —  Son 
corps  est  porté  dans  une 
bière  de  bois  recouverte  du 
poêle  des  tapissiers,  434-  — 
Le  curé  de  Saint-Eustache 
avait  refusé  de  permettre  son 
inhumation  dans  le  cimetière 
de  sa  paroisse,  435.  —  L'ar- 
chevêque de  Paris,  à  qui  le 
Roi  a  recommandé  d'éviter  le 
scandale,  permet  la  sépul- 
ture sainte,  avec  bien  des 
restrictions,  44^  et  44i-  — 
Le  corps  est  porté  au  cime- 
tière Saint-Joseph  et  enterré 
au  pied  de  la  croix,  44i'  — 
On  croit  qu'il  fut  nuitamment 
exhumé,  et  transporté  dans 
une  partie  du  cimetière  ré- 
servée à   ceux  qui  n'avaient 


536  TABLE  ALPHABÉTIQUE   ET  ANALYTIQUE 


pas  droit  à  la  terre  sainte. — 
De  cette  clandestine  viola- 
tion de  sépulture  il  n'y  a  pas 
certitude,mais  quelques  appa- 
rences, 441-446- — Exhuma- 
tion des  restes  de  Molière 
ordonnée  en  1792,  446-  — 
Débris  de  cercueil  et  d'osse- 
ments recueillis  au  hasard. 
—  Le  mausolée,  construit  en 
IJ99,  transporté  au  Père-La- 
chaise  en  1817,  et  restauré  en 
1876,  n'est  qu'un  cénotaphe, 
447.  —  Les  épitaphes  de 
Molière,  447  et  448. 

Molière  (Mlle).  Voyez  Béjart 
(Armande). 

Monsieur.  Voyez  Philippe  de 
France. 

Monsieur  de  Pourceaugnac,  co- 
médie-ballet, jouée  le  6  oc- 
tobre 1669  dans  les  fêtes  de 
Chambord.  La  comédie  est 
de  Molière,  la  musique  de 
LuUi.  —  Vrai  comique  dans 
cette  bouffonnerie,  898.  — 
La  cour  en  fut  ravie,  comme 
les  spectateurs  du  Palais- 
Royal,  où  elle  fut  représen- 
tée le  i5  novembre  1669.  — 
Tirée  peut-être  d'un  de  ces 
canevas  de  farces  rapportés 
de  province.  —  On  y  trou- 
vait un  souvenir  exact  des 
rues  et  places  de  Limoges, 
399.  —  Conjectures  diverses 
et  toutes  incertaines,  sur  les 
raisons  du  choix  d'un  Li- 
mousin pour  être  le  provin- 
cial ridicule,  899  et  400. 

MoxTALANT  (Mme  de).  Voyez 
PoQtJELiN  (Esprit-Madeleine). 

M0NTAUSIER    (duc   de).    Appre- 


nant qu'on  l'avait  reconnu 
dans  l'Alceste  du  Misanthrope, 
il  envoie  chercher  Molière, 
l'embrasse  et  le  fait  souper 
avec  lui,  270. 

Montfleury  (Zacharie  Jacob, 
dit).  Il  présente  au  Roi  une 
requête  contre  Molière,  dans 
laquelle  il  l'accuse  d'avoir 
épousé  la  fille  de  celle  dont 
il  a  été  l'amant.  —  Comment 
cette  requête  est  rapportée 
par  Racine  dans  une  lettre  à 
un  ami,  265  et  36o. 

MontfleuryI  Antoine  Jacob,  dit) , 
fils  du  comédien  Zacharie 
Jacob  Montfleury.  Il  est  au- 
teur de  r Impromptu  de  l'Hôtel 
de  Condé,  comédie   en  vers. 

—  Pour  venger  les  Grands 
Comédiens  et  particulière- 
ment son  père,  dont  la  dé- 
clamation a  été  raillée  dans 
^Impromptu  de  Versailles,  il 
fait  dans  sa  comédie  une  ca- 
ricature du  jeu  de  Molière, 
295  et  296. 

Montpellier.  —  Molière  et  ses 
camarades  furent  probable- 
ment appelés  dans  cette  ville 
pendant  la  session  des  états 
de  1649  (du  i"  juin  au 
aS    novembre),    119    et   laS. 

—  Le  comte  d'Aubijoux  était 
gouverneur  de  Montpellier 
lorsque  le  prince  de  Conti 
s'y  arrêta  pendant  une  ving- 
taine de  jours  en  novembre 
et  décembre  i653.  —  Mo- 
lière et  sa  troupe  étaient  au 
commencement  de  i654  à 
Montpellier  pendant  la  ses- 
sion des  états,  qui  y  fut  ou- 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


537 


▼erte  le  16  (non  le  7,  comme 
nous  l'avons  dit  par  erreur) 
décembre  i653,  close  le  3i 
mars  suivant,  i55  et  i56.  — 
Le  prince  de  Conti  ouvre  à 
Montpellier,  le  7  décembre 
1654,  une  nouvelle  session 
des  états,  pendant  laquelle 
Molière  revient  dans  cette 
■ville.  —  Il  y  figure  dans  le 
ballet  des  Incompatibles,  ib'] 
et  i58. 
MoNTPENSiER  (Mlle  de).  Le  ai 
août  1669,  Tartuffe  est  joué 
chez  elle  en  visite,  SgS.  — 
Entre  l'histoire  de  cette 
grande  Mademoiselle  et  de 
Lauzun,  et  le  roman  d'Eri- 
phile  et  de  Sostrate  dans  les 
Amants  magnifiques,  on  a  re- 
marqué une  singulière  res- 
semblance. Elle  ne  peut  être 
que  fortuite,  40^  et  4o3. 


N 


Nawtes.  C'est  à  Nantes,  le 
a3  avril  1648,  qu'est  consta- 
tée, pour  la  première  fois,  la 
présence  de  Molière  dans  la 
troupe  du  duc  d'Epernon, 
ii5  et  116. 

Narbonne.  Molière  y  était  avec 
ses  camarades,  en  décembre 
1649,  ^  ^9-  —  Il  y  estparrain 
le  10  janvier  i65o,  120.  — 
Il  y  revient,  avec  sa  troupe, 
en  i656,  sortant  de  Pézenas 
où  il  avait  joué   pendant   la 


tenue  des  états.  —  Le  con- 
seil de  la  ville  lui  accorde,  le 
a6  février,  la  grand'salle  de 
la  maison  consulaire  pour 
ses     représentations,    176   et 

Xicomède.  Cette  tragédie  de 
Corneille  est  représentée  par 
Molière  et  ses  comédiens  de- 
vant le  Roi,  le  24  octobre 
i658.  C'est  leur  première  re- 
présentation, lorsqu'ils  sont 
revenus  à  Paris,  aoa. 


Palais-Royal.  La  salle  du  Pa- 
lais-Royal est  donnée  à  la 
troupe  de  Molière  après  la 
démolition  du  Petit-Bourbon, 

226.  —  C'était  dans  cette 
salle  que  Mazarin  avait  donné 
de  brillants  spectacles,  lors- 
que le  Palais-Royal  était  le 
Palais -Cardinal.  Il  l'avait 
inaugurée  par  la  représenta- 
tion   de    Mirame,     en    1639, 

227.  —  La  troupe  de  Mo- 
lière y  commence  ses  repré- 
sentations le2i  janvier  1661, 
235. 

Parc  (René  Berthelot,  dit  du). 
Il  est  un  des  comédiens  du 
duc  d'Epernon,  108,  114, 
117.  —  Il  épouse  Marquise- 
Thérèse    de   Gorla  à    Lyon. 

—  Molière  signe  à  leur  con- 
trat, le  19  février  i653,  129. 

—  Il  se  sépare  de  la  troupe 


538  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


de  Molière,  en  même  temps 
que  sa  femme,  au  temps  de 
Pâques  1669.  —  Son  nom  de 
théâtre  était  Gros-René,  a  10. 

—  Du  Parc  rentre  au  Palais- 
Royal  en  avril  1660,  et  rem- 
place Jodelet  dans  les  Pré- 
cieuses ridicules,  223. 

Parc  (Mlle  du).  Elle  épouse,  à 
Lyon,  René  Berthelot,  dit 
du  Parc,  129.  —  Elle  était 
fille  de  Jacomo  de  Gorla, 
qui  prenait  le  titre  de  pre- 
mier opérateur  du  Roi.  — 
Marquise  était  un  de  ses  pré- 
noms, i3o.  —  Elle  a  été  ai- 
mée de  Corneille  et  de  Ra- 
cine, i3o  et  iSi.  —  On  croit 
que  de  la  troupe  de  Mitallat 
elle  passa  dans  celle  de  Mo- 
lière, en  i653.  —  On  ne  l'y 
trouve  avec  certitude  qu'en 
septembre  et  octobre  de  cette 
année,  i32.  —  On  a  dit  que 
Molière  avait  été  amoureux 
d'elle,  mais  qu'elle  l'avait 
traité  avec  dédain,  141  et 
142.  —  Elle  joue,  dans  la 
troupe  de  Molière,  à  la 
Grange-des-Prés,  où  Sarra- 
zin  est  amoureux  d'elle,  i53. 

—  A  Rouen,  en  i658,  elle 
inspire  de  l'amour  au  grand 
Corneille  et  à  son  frère,  197 
et  198.  —  Elle  quitte,  en 
lôSg,  la  troupe  de  Molière, 
avec  son  mari,  et  passe  dans 
celle  du  Marais,  210.  —  A 
Pâques  1660,  elle  rentre  dans 
la  troupe    de   Molière,  223. 

—  Elle  crée,  en  décembre 
i665,  le  rôle  d'Axiane  dans 
V Alexandre  de  Racine.  —  Boi- 


leau  ne  la  jugeait  pas  bonne 
actrice.  —  Racine  lui  apprit 
à  jouer  les  rôles  tragiques. 
Jusque-là  elle  n'était  char- 
mante que  dans  la  comédie, 
365.  —  Aux  vacances  de  Pâ- 
ques 1667,  elle  passe  de  la 
troupe  de  Molière  dans  celle 
des  Grands  Comédiens,  en- 
gagée sans  doute  à  cette  dé- 
sertion par  Racine,  qui  était 
amoureux  d'elle,  et  lui  fit 
jouer  le  rôle  d'Andromaque 
dans  la  tragédie  de  ce  nom, 
368. 

Pastorale  comique.  Sous  ce  titre, 
Molière  a  composé  quelques 
scènes  très  courtes,  qui  fu- 
rent jouées  en  1667,  dans 
le  Ballet  des  Muses,  874  et 
375.  —  En  1671,  une  autre 
Pastorale  comique,  dont  il  est 
regrettable  que  rien  n'ait  été 
recueilli,  fut  jointe  par  Mo- 
lière à  la  Comtesse  d'Escar- 
bagnas,  dans  le  Ballet  des 
Ballets,  416. 

Paysant,  prêtre  habitué  de 
Saint-Eustache.  Il  fut  appelé 
auprès  de  Molière  mourant. 
Il  arriva  trop  tard,  432. 

PÉEÉFixa  (Hardouin  de),  arche- 
vêque de  Paris.  Il  demande, 
en  1664,  que  le  Tartuffe  ne 
soit  pas  représenté,  3 14.  — 
Il  publie,  le  II  août  1667, 
une  ordonnance  faisant  dé- 
fense, sous  peine  d'excom- 
munication, de  représenter, 
lire,  ou  entendre  réciter  cette 
comédie,  378. 

Petit-Bourbon  (salle  du).  Le 
Roi  la  donne  à  la  troupe  de 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


539 


Molière  et  aux  Italiens.  — 
Les  représentations  de  la 
première  de  ces  deux  trou- 
pes y  commencent  le  2  no- 
vembre i658,  206.  —  Cette 
salle  est  démolie  en  1660 
pour  des  constructions  nou- 
velles jugées  nécessaires  au 
Louvre.  —  La  démolition 
commence  le  11  octobre.  Les 
comédiens  croient  avoir  à 
se  plaindre  de  mauvaises  in- 
tentions de  M.  de  Ratabon, 
surintendant  des  bâtiments 
du  Roi,  225. 
PÉzEXAS.  La  troupe  de  Molière 
y  donne  des  représentations 
pendant  la  session  des  états 
de    i65i    (24    octobre    i65o 

—  14  janvier  i65i),  122. — 
Une  autre  session  des  états 
est  ouverte  à  Pézenas,  le 
17  mars  i653,  par  le  comte 
de  Roure.  Molière  a  pu  s'y 
trouver.  —  Il  est  appelé 
par  le  prince  de  Conti,  en 
présence  de  qui  il  se  re- 
trouve en  septembre  i653, 
au  château  de  la  Grange- 
des-Prés,  résidence  du  prince 
aux  portes  de  Pézenas,    i5o. 

—  La  troupe  de  Cormier 
vient  à  Pézenas  dans  le  même 
temps  que  celle  de  Molière, 
i52.  —  Conti  se  décide  non 
sans  peine  à  congédier  Cor- 
mier, qu'il  a  d'abord  favorisé 
à  l'exclusion  de  Molière,  i52 
et  i53.  —  Il  convoque,  à  Pé- 
zenas, une  session  des  états, 
qui  s'ouvre  le  4  novembre 
i655.  —  Il  loge,  avec  la 
princesse  de  Conti,  dans  l'hô- 


tel d'Alfonce,  où  il  donne 
l'hospitalité  à  la  comédie, 
169.  —  Deux  jours  après  la 
clôture  de  cette  session  des 
états  (22  février  i656),  Mo- 
lière donne,  le  34  février, 
quittance  d'une  somme  de 
24  000  livres,  reçue  du  tré- 
sorier de  la  bourse  des  états, 
178.  —  Une  nouvelle  session 
est  tenue  à  Pézenas  (8  octo- 
bre 1667  —  24fé^Tier  i658), 
ouverte  par  le  duc  d'Arpa- 
jon,  lieutenant  général  de  la 
province.  Une  anecdote  rend 
vraisemblable  que  Molière 
s'y  trouve  avec  sa  troupe,  en 
même  temps  qu'une  autre 
troupe,  190  et  191. 

Philippe  de  Frajxce  (Monsieur, 
frère  du  Roij.  Il  porte  le  ti- 
tre de  duc  d'Anjou  jusqu'à  la 
mort  de  son  oncle  Gaston.  Il 
prend  alors  celui  de  duc  d'Or- 
léans. —  Il  devient  le  pro- 
tecteur de  la  troupe  de  Mo- 
lière et  promet  à  chacun  des 
comédiens  une  pension  de 
trois  cents  livTes,  qui  ne  fut 
point  payée,  200  et  201.  — 
Le  25  septembre  1664,  les 
trois  premiers  actes  de  Tar- 
tuffe sont  joués  pour  lui  à 
Yillers-Cotterets,  817.  — En 
1 665,  il  cède  au  Roi  sa  troupe, 
qui  devient  la  troupe  du  Roi, 
826. — Quand  deux  des  comé- 
diens, qui  lui  avaient  appar- 
tenu, viennent,  en  1667,  au 
camp  devant  Lille,  présenter 
le  placet  de  Molière,  il  les 
protège  à  son  ordinaire,  877. 

Plaisirs   de  l'Ile    enchantée  (les). 


540  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


Célébrité  historique  de  ces 
fêtes  galantes,  données  à 
Versailles  en  mai  1664,  3o3. 

—  La  troupe  de  Molière  y 
figure  dans  plusieurs  diver- 
tissements. —  Ils  sont  une 
dangereuse  occasion  pour  la 
coquetterie  de  Mlle  Molière, 
304. 

Poisson  (Mlle).  Cette  fille  de 
Philibert  du  Croisy  a  fourni 
au  biographe  La  Serre  le  por- 
trait qu'il  nous  a  laissé  de 
Molière  dans  ses  Mémoires, 
35a  et  353. 

PoQUELiN  (Jean),  père  de  Mo- 
lière. Sa  famille,  i  et  2.  — 
Marchand  tapissier,  marié  le 
37  avril  1621  à  Marie  Cressé, 
fille  d'un  tapissier,  2.  —  On 
l'a  nommé  faussement  mar- 
chand fripier,  9.  —  Il  est 
veuf  en  mai  i632,  11.  — Il 
se  remarie  le  3o  mai  r633,  12. 

—  Il  devient  tapissier  ordi- 
naire du  Roi,  un  de  ses  frè- 
res, Nicolas,  s'étant  démis  de 
cet  office  à  son  profit.  —  En 
1637,  il  en  obtient  pour  son 
fils  aîné  (Molière)  la  survi- 
vance, 14.  —  Il  a  tenu  à  lui 
donner  une  instruction  éten- 
due, 63.  —  Il  est  assez  pro- 
bable qu'eu  1642  il  l'envoya 
à  sa  place  comme  survivan- 
cier,  quand  Louis  XIII  fit  le 
voyage  de  Narbonne,  64.  — 
Il  voulut,  suivant  Charles 
Perrault,  faire  opposition  au 
dessein  de  ce  fils  d'entrer 
dans  une  association  de  co- 
médiens, 68.  —  Sa  résis- 
tence  ne  semble  pas  avoir  été 


très  ferme,  70.  —  On  en 
trouve  une  preuve  dès  les 
commencements  de  l'Illustre 
théâtre,  82.  —  En  décembre 
1646,  il  promet  de  payer  à 
Léonard  Auhry  la  dette  de 
son  fils,  si  elle  n'est  point 
payée  par  celui-ci,  loa  et 
io3.  —  En  1649,  il  parfait  le 
payement  de  cette  dette,  et, 
sollicité  par  Molière,  il  paye 
également  un  autre  de  ses 
créanciers,  io3.  —  Dans  un 
acte  daté  de  Rouen,  le  12 
juillet  i658,  Madeleine  Bé- 
jart  élit  domicile  à  Paris, 
dans  la  maison  de  Jean  Po- 
quelin,  ce  qui  paraît  prou- 
ver chez  lui  une  grande  to- 
lérance, tout  au  moins  alors, 
du  genre  de  vie  de  Molière, 
200.  — Aucune  vraisemblance 
que  Molière,  dans  son  Avare^ 
l'ait  pris  pour  modèle  d'Har- 
pagon. —  Il  est  d'ailleurs 
vrai  que  Jean  Poquelin  a  fait 
naître  par  certains  actes  le 
soupçon  d'habitudes  trop 
mercantiles,  393.  —  En  plu- 
sieurs circonstances  il  a  trouvé 
Molière  d'une  conduite  gé- 
néreuse envers  lui.  —  Les 
relations  entre  eux  ne  sem- 
blent pas  toutefois  avoir  été 
très  affectueuses.  —  Jean 
Poquelin  meurt  le  25  février 
1669,  394.  —  Il  reste  débi- 
teur d'une  somme  assez  forte 
qui,  après  sa  mort,  est  payée 
par  Molière,  395  et  396. 
Poquelin  (Nicolas),  oncle  de 
Molière.  —  Il  se  démet,  le 
a  avril  i63i,  de  son  office  de 


DE  LA  NOTICE   BIOGRAPHIQUE. 


5Ai 


tapissier  ordinaire  du  Roi, 
pour  le  céder  à  son  frère 
aîné  Jean  Poquelin,  14. 

PoQUELix  (Jean-Baptiste).  Voyez 
Molière. 

PoQuELijf  (Jean),  dit  le  jeune, 
fils,  comme  Molière,  de  Jean 
Poquelin  et  de  Marie  Cressé, 
12.  —  Son  père  lui  transfère 
la  survivance  à  laquelle  a  re- 
noncé son  aîné.  —  Il  est  dit 
pour  la  première  fois  «  ta- 
pissier et  valet  de  chambre 
ordinaire  du  Roi  »  dans  un 
acte  du  14  septembre  i654, 
par  lequel  sou  père  lui  cède 
son  fonds  de  commerce.  — 
Il  est  légalement  reçu  survi- 
vancier  en  1657  au  plus  tard. 
—  Il  meurt  le  6  avril  1660,  72. 

P0QUEL15  (Nicolas),  frère  de 
Molière,  fils  de  Jean  Poque- 
lin et  de  Marie  Cressé,  12. 

Poquelin  (Marie -Madeleine), 
sœur  de  Molière,  fille  de 
Jean  Poquelin  et  de  Marie 
Cressé,  12.  — Son  mari,  An- 
dré Boudet,  signe  au  contrat 
de  Molière  et  d'Armande  Bé- 
jart  et  est  présent  à  la  célé- 
bration de  leur  mariage,  268. 

PoQUELix  (Catherine),  fille  de 
Jean  Poquelin  et  de  Cathe- 
rine Fleurette.  —  Elle  est 
née  en  i634-  —  Elle  entra 
au  couvent  de  Sainte-Marie 
de  Montargis,  12.  —  Quel- 
ques-uns ont  conjecturé  que 
cette  Religieuse  de  la  Visita- 
tion avait  pu  être  une  des 
quêteuses  venues  à  Paris,  qui 
se  trouvèrent  près  du  lit  de 
Molière  mourant.   —  On    a 


objecté  la  claustration  abso- 
lue des  Visitandines,  433  et 
434. 

Poquelin  (Marguerite),  fille  de 
Jean  Poquelin  et  de  Cathe- 
rine Fleurette.  —  Elle  mou- 
rut en  bas  âge,  peu  de  jours 
après  sa  mère,  en  i636,  12. 

Poquelin  (Louis),  fils  de  Mo- 
lière, né  le  19  janvier  1664, 
levé  sur  les  fonts  le  28  février 
suivant  par  le  duc  de  Créqui 
pour  le  Roi  et  par  la  maré- 
chale du  Plessis  pour  la  du- 
chesse d'Orléans,  269  et  358. 

—  Il  ne  vécut  que  neuf  mois, 
423. 

Poquelin  (Esprit-Madeleine), 
fille  de  Molière,  née  en  i665. 

—  Elle  eut  pour  parrain  Es- 
prit de  Rémond,  marquis  de 
Modène,  pour  marraine  Ma- 
deleine Béjart,  358.  —  Mo- 
lière l'avait  auprès  de  lui  à 
Auteuil  et  prenait  soin  de 
l'élever,  456.  —  Elle  avait 
sept  ans  et  demi  lorsqu'elle 
perdit  son  père.  —  Placée 
sous  la  tutelle  de  sa  mère  et 
de  Guérin,  à  sa  majorité  elle 
prit  contre  eux  des  précau- 
tions qui  marquaient  qu'elle 
se  défiait  de  leur  administra- 
tion, 457.  —  Elle  alla  de- 
meurer, comme  pension- 
naire, au  couvent  des  Reli- 
gieuses de  la  Conception. — 
On  dit  que,  vers  i685,  elle 
avait  été  enlevée  par  Claude- 
Rachel  de  Montalant,  qu'elle 
aimait.  L'enlèvement  estdou- 
teux.  —  Elle  fut  épousée,  le 
5  août  1705,  par  ce  veuf  qui 


542  TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


n'était  ni  jeune,  ni  riche 
comme  elle.  —  Elle  mourut 
quinze  ans  avant  lui,  le 
23  mars  1728,  sans  laisser 
d'enfants,  458  et  459. 

PoQUELiN  (Pierre- Jean -Bap- 
tiste-Armand), fils  de  Molière, 
né  le  i5  septembre  1672.  Il 
vécut  un  peu  moins  d'un 
mois.  —  Pierre  Boileau  Puy- 
morin  fut  son  parrain,  la 
fille  de  Mignard  sa  marraine, 
357.  —  Quoiqu'il  fût  en  si 
bas  âge  quand  il  mourut,  sa 
mort  toucha  profondément 
Molière,  alors  très  souffrant, 
423  et  424. 

Précieuses  ridicules  [les).  Quel- 
ques-uns pensent  que  cette 
comédie  fut  jouée  en  pro- 
vince, avant  le  retour  à  Paris 
de  la  troupe  de  3Iolière.  — 
Examen  de  cette  opinion, 
184-187.  —  Mlle  des  Jardins 
a  écrit  le  Récit  de  la  farce  des 
Précieuses,  186,  187  et  21 4- 
—  La  seconde  représenta- 
tion n'eut  lieu  que  le  2  dé- 
cembre suivant,  un  «  alcô- 
viste  de  qualité  »  ajant  fait 
interdire  ce  spectacle  pen- 
dant quelques  jours,  214  et 
2i5.  —  Dans  la  préface  de 
la  pièce,  imprimée  l'année 
suivante,  Molière  distingue 
les  vraies  précieuses  des  faus- 
ses, 2i5.  —  Succès  de  cette 
comédie,  qui  fut  un  grand 
service  rendu  au  bon  goût, 
216.  —  Le  public  en  raffola. 
La  cour  y  applaudit  comme 
la  ville,  217.  —  Comment 
Molière  jugeait  lui-même  son 


ouvrage.  —  Il  s'y  montra 
excellent  acteur  dans  le  rôle 
de  Mascarille,  218.  —  En 
dépit  de  quelques  détrac- 
teurs, du  nombre  desquels 
fut  Thomas  Corneillle,  l'en- 
thousiasme du  public  fut 
inouï  et    durable,     217-222. 

—  La  pièce  fut  jouée  en 
présence  du  Roi,  le  29  juil- 
let 1660,  à  Vincennes,  et  le 
21  octobre,  au  Louvre,  le  26 
du  même  mois  chez  le  cardi- 
nal Mazarin,  malade,   223. 

Princesse  (T Eitde  (la),  jouée,  le 
8  mai  i6fi4i  à  Versailles.  Le 
sujet  était  tiré  d'une  pièce 
de  Moreto.  —  Commencée 
en  vers,  elle  a  été,  faute  de 
temps,  finie  en  prose,  après 
le  39°  vers  de  la  scène  i  de 
l'acte  II,  3o5  et  3o6. 

Provençal,  surnom  d'un  valet 
de  Molière,  que  celui-ci 
traita,  dit-on,  un  jour  avec 
brusquerie,  352.  —  Sa  cu- 
rieuse biographie  a  été  écrite 
en  1887  par  M.  Monval, 
note  2  de  la  même  page. 

Psyché,  tragédie-ballet  com- 
mandée par  le  Roi,  4o9-  — 
Pressé  parles  ordres  du  Roi, 
Molière  dut  prendre  un  col- 
laborateur. Ce  fut  Corneille. 

—  La  part  de  chacun  des 
deux  poètes  est  belle.  — •  La 
première  représentation  de 
la  pièce  fut  donnée  le  17  jan- 
vier 1G71  dans  une  magni- 
fique salle  desTuileries,  4iOi 

—  Psyché  ne  fut  jouée  au 
Palais-Royal  que  six  mois 
après,  4ï3- 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


543 


R 


RAcrNE  (Jean).  En  1660,  il  des- 
tinait une  pièce  au  Marais, 
une  autre  à  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne, 359.  —  Deux  de  ses 
lettres  de  i663  prouvent  que, 
dès  lors,  il  connaissait  Mo- 
lière assez  familièrement.  — 
Dans  l'une  d'elles  il  parle  de 
la  Requête  de  Montfleury  con- 
tre Molière.  —  On  lui  a  re- 
proché injustement  de  n'a- 
voir pas  témoigné  d'indigna- 
tion, 36o.  — Prétendus  bien- 
faits dont  Racine  serait 
redevable    à    Molière,    36i. 

—  Fausse  légende  de  la  Thé- 
haïde  de  Racine,  corrigée  par 
Molière,  362.  —  Cette  Thé- 
bàide  est  représentée  au  Pa- 
lais-Royal le  20  juin  1664, 
363.  —  Agréables  réunions 
de  poètes  où  Racine  se  trouve. 

—  Aucun  témoignage  ne  fait 
connaître  celles  où  il  se  ren- 
contre avec  3Iolière,  363  et 
354.  —  Dans  la  Psyché  de  la 
Fontaine,  Racine  est  Acante. 
Il  est  certain  que  primitive- 
ment Molière,  sous  le  nom 
de  Gélaste,  j  était  un  des 
quatre  amis  dont  il  est  parlé 
au  début  du  roman.  —  Re- 
présentation de  VAlexandre 
le  Grand  de  Racine,  au  Pa- 
lais-Royal, le  4  décembre 
i665,  364.  —  Acteurs  qui  en 
créèrent  les  rôles.  —  Racine 
est  peu  content  d'eux.    Ses 


amis  lui  conseillent  de  don- 
ner  sa  tragédie  aux   Grands 
Comédiens,  365.  —  Le  i5  dé- 
cembre   i665,    la     comtesse 
d'Armagnac   fait  représenter 
chez   elle    Alexandre    par    la 
troupe  royale  devant  le  Roi, 
3Ionsieur    et    Madame.     — 
Trois  jours  après,  il  est  joué 
à  l'Hôtel  de  Bourgogne,    en 
même    temps    qu'au   Palais- 
Royal.    —    Mécontentement 
de  Molière  et  de  sa   troupe, 
qui  ne  croient  plus  devoir  à 
Racine    ses     parts   d'auteur, 
366.  — Ce  fut  apparemment 
Racine  qui  engagea  Mlle  du 
Parc  à  quitter,    en   1667,  le 
Palais-Royal  pour    passer    à 
IHôtel  de  Bourgogne,   où  il 
lui    fit   jouer   le   personnage 
d'Andromaque  dans  la  tragé- 
die de    ce  nom.  —  Pour  le 
chagriner,   on  représente   la 
Folle    querelle    ou    la     Critique 
d''Andromaque ,      au     Palais - 
Royal,   le  18  mai  1668,  368. 
—  Ses  Plaideurs  sont  défen- 
dus par  Molière  contre  leurs 
mauvais  juges,   36g.   —  Ra- 
cine,  après   la  première   re- 
présentation du   Misanthrope, 
ne  veut  pas  croire    ceux  qui 
cherchent   à   lui    en   donner 
une  idée  défavorable.  —  H  y 
a    toutefois,    dans    VAvis   au 
lecteur  imprimé  à  la  tête  des 
Plaideurs,   une  phrase    déso- 
bligeante pour  l'auteur    co- 
mique ;  et,  si  l'on  en  croit  le 
Boleeana,  Racine  aurait  dit  à 
Boileau  qu'il  l'avait  vu  rire  à 
la  représentation  de  V Avare, 


544  TABLB  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


mais  rire  tout  seul,  870.  — 
Grimarest  ne  peut  être  cru 
lorsque,  dans  un  passage 
étrange  de  sa  Fie  de  M.  de 
Molière,  il  prétend  que  Mo- 
lière allait  jusqu'à  refuser 
toute  estime  à  M.  R...  (évi- 
demment ^ac/«e),  37T  et  372. 

Ragueneau  (Cyprien).  Son  rôle 
dans  Y  Andromède,  où  il  joue 
sous  le  nom  de  L'Estang.  — 
Abrégé  de  ses  aventures,  187 
et  i38. 

Remercîment  au  Roi.  Ce  Remer- 
cîment  en  vers  fut  inspiré  à 
Molière  par  son  inscription 
sur  la  liste  des  pensions  de 
l'année  i663,  286.  —  Il  fut 
avec  raison  jugé  partout  un 
chef-d'œuvi"e  d'esprit.  —  In- 
génieuse idée  de  la  Muse 
trarestie  en  marquis  pour  se 
présenter  au  Louvre,  286  et 
287.  —  Les  gens  d'esprit  de 
la  cour  ne  se  laissaient  pas 
irriter  contre  Molière  par 
ses  ennemis,  qui  raillaient 
leur  humeur  endurante,  287 
et  288. 

RocHEMONT  (sieur  de).  Sous  ce 
pseudonyme,  que  l'on  a  cru 
cacher  le  nom  de  Barbier 
d'Aucourt,  a  été  publiée  en 
i665,  avec  permission  en  date 
du  18  avril,  une  violente  ac- 
cusation contre  Molière,  sous 
ce  titre  :  Observations  sur  une 
comédie  de  Molière,  intitulée 
le  Festin  de  Pierre,  323  et 
324- 

RocHETTE  (Mlle).  Le  prince  de 
Couti,  en  i653,  s'engage  à 
Montpellier  avec  elle  dans  un 


commerce  galant,  qui  la  des- 
tine à  remplacer  Mme  de 
Calvimont.  —  Elle  devint 
par  la  suite  Mme  deCalvière, 
i55. 
RoHAULT  (Jacques),  célèbre  phy- 
sicien.   —  Il  était  cartésien. 

—  Molière  fut  son  ami,  56.  — 
D'après  Grimarest,  Molière 
le  prit  pour  confident  de  ses 
chagrins  domestiques.  —  Ci- 
talion  de  ces  confidences, 
qui,  sans  nul  doute,  ne  sont 
pas    authentiques,    342-344- 

—  11  prête  à  Jean  Poquelin 
dix  mille  livres.  —  Il  n'est 
là  que  le  prête-nom  de  Mo- 
lière, 394. 

RosiMosT,  comédien  auteur.  — 
En  1673,  il  passe  du  Marais, 
dont  il  était  un  des  meilleurs 
acteurs,  dans  |la  troupe  du 
Roi.  —  Il  y  joua  les  rôles 
qu'avait  joués  Molière,    45i. 

Rouen,  Cette  ville  a  vu  les  pre- 
miers débuts  de  l'Illustre 
théâtre,  en  i643,  82-84.  — ■ 
• —  Molière,  en  i658,  y  vient, 
avec  ses  camarades,  afin  de 
se  rapprocher  de  Paris.  — 
Une  partie  de  la  troupe 
était  arrivée  avant  le  19  mai 
i658,  igS.  —  La  troupe 
passa  tout  l'été  à  Rouen.  — 
La  de  Brie  et  la  du  Parc,  qui 
vinrent  plus  tard  que  les  au- 
tres comédiens,  étaient  at- 
tendues avec  impatience  à 
cause  de  leur  réputation  de 
beauté,  196.  —  Rien  ne 
donne  à  croire  que  Corneille 
ait  profité  de  cette  rencon- 
tre  avec  Molière,   à  Rouen, 


DE  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE. 


5/,  5 


pour  le  bien  connaître,  198. 

RouLLÉ  (Pierre),  curé  de  Saint- 
Barthélémy.  —  Il  est  l'au- 
teur d'un  très  violent  écrit, 
le  Roi  glorieux  au  monde,  dans 
lequel  il  dit  que  l'auteur  de 
Tartuffe  mérite  le  feu,  «  avant- 
coureur  de  celui  de  l'enfer  ». 

..  —  Son  libelle  fut  écrit  en 
1664,  pendant  le  séjour  du 
Roi  à  Fontainebleau,  par 
conséquent  avant  le  i3  août. 
—  Louis  XIV  le  réprimanda 
sévèrement,  3i6. 

Rousseau  (Jean-Jacques).  Dans 
sa  Lettre  à  d''Alembert  sur  les 
spectacles,  il  a  parlé  sévère- 
ment de  la  comédie  de  George 
Dandin,  387.  —  H  reproche 
à  Molière,  dans  la  même  Let- 
tre, d'avoir  mis  dans  la  bou- 
che du  Cléante  de  son  Avare 
une  réponse  insolente  à  la 
malédiction  de  son  père,  393. 

R-i-ER  (Pierre  du).  Sa  tragédie 
de  Scévole  est  jouée  par  l'Il- 
lustre théâtre,  en  i644'  87. 


ScARAMOUCHE  (Tibcrio  Fiurelli, 
dit).  On  a  dit  que  Molière 
avait  étudié  son  jeu,  30.  — 
La  comédie  de  Scaramouche 
ermite  était  peut-être  de  Scara- 
mouche lui-même,  32o.  — 
C'est  à  son  théâtre  que  Ra- 
cine avait  d'abord  destiné  sa 

Molière,   x. 


pièce  contre  les  juges,  qui 
devint  la  comédie  des  Plai- 
deurs, 369. 

Sganarelle.  Sur  ce  nouveau  type 
comique,  adopté  par  Mo- 
lière, après  celui  de  Masca~ 
rille,  voyez  Mascarille. 

Sicilien  (le).  Cette  petite  co- 
médie en  un  acte  a  été  jouée 
pour  la  première  fois,  en 
1667,  à  la  fin  des  divertisse- 
ments de  Saint -Germain, 
374  —  Molière  l'a  fait  im- 
primer. —  Elle  a  été  jouée 
au  Palais-Royal  le  10  juin 
1667.  —  Cette  représenta- 
tion y  fut  suivie  de  seize 
autres,  cette  année-là,  376. 


Tallemant  des  Réaux.  Il  parle 
de  Molière  et  de  la  Béjart 
en  anecdotier  très  mal  in- 
formé, 62.  — Ses  Historiettes 
citées  aussi  à  la  page  4°  et  à 
la  page  88,  enfin  aux  pages 
486  et  487  dans  les  Additions 
et  Corrections. 

Tartuffe.  Les  griefs  de  Mo- 
lière contre  le  prince  de 
Conti  ont  pu  lui  conseiller 
cette  comédie.  —  On  a  dit 
qu'il  avait  pris  pour  modèle 
de  son  hypocrite  un  des  do- 
mestiques du  prince,  l'abbé 
de  Roquette,  188  et  189.  — 
Les  trois  premiers  actes  de 
Tartuffe  sont  joués  devant  le 

35 


546  TABLE  ALPHABETIQUE   ET  ANALYTIQUE 


Roi,  dans  les  fêtes  de  m;ii 
1664,  à  Versailles.  —  Beauté 
de  cette  pièce,  Sog.  —  Sa 
hardiesse.  —  Réflexions  sur 
la  portée  de  ce  portrait  de 
l'hypocrisie,  3io.  —  Quelles 
raisons  Molière  avait  de  re- 
garder ce  vice  comme  son 
ennemi  personnel.  —  On  a 
remarqué,  dans  le  Tartuffe, 
des  imitations  de  Scarron, 
de  Barbadillo,  et  de  Charles 
Sorel,  3ii.  —  Par  quels  ac- 
teurs ont  été  créés  les  rôles 
de  la  pièce,  3i3  et  3i4.  — 
Défense  de  la  jouer  en  pu- 
blic, 3 14.  —  Doléances  pré- 
sentées au  Roi  par  Molière, 
3i5.  —  Il  lit  le  Tartuffe  au 
cardinal  Chigi ,  légat  d'A- 
lexandre VII.  — Libelle  vio- 
lent du  curé  de  Saint-Bar- 
thélémy, 3i6.  —  Fréquentes 
lectures  de  la  pièce,  tolérées 
par  le  Roi.  —  Une  seconde 
représentation  des  actes  joués 
à  Versailles  est  donnée  à 
Villers-Cotterets  pour  Mon- 
sieur, 317.  —  La  comédie 
entière,  en  cinq  actes,  est 
jouée  au  Raincj,  le  29  no- 
Tembre  1664,  par  ordre  du 
prince  de  Condé,  et  de  même 
le  8  novembre  i665,  3i8.  — 
Explication  qui  a  été  propo- 
sée de  ces  représentations 
difficiles  d'abord  à  compren- 
dre, 3ig.  —  Pendant  le  sé- 
jour de  la  troupe  à  Saint- 
Germain,  eu  1667,  promesse 
est  probablement  faite  de 
laisser  jouer  le  Tartuffe,  à  la 
condition  de  quelques  chan- 


gements. —  Molière,  ma- 
lade, dut  attendre  sa  conva- 
lescence, et  ne  fut  prêt  qu'au 
mois  d'août,  lorsque  le  Roi 
était  à  l'armée  de  Flandre, 
076.  —  Le  titre  de  la  pièce 
était  changé  :  Vlmposteur,  au 
lieu  de  Tartuffe;  d'autres  cor- 
rections   avaient    été    faites. 

—  Vlmposteur  fut  représenté 
le  5  août  1667,  au  Palais- 
Royal.  —  Le  lendemain,  le 
premier  Président  défendit  la 
pièce,  ordonna  de  fermer  et 
de  garder  la  porte  du  théâ- 
tre. —  3Iolière  fit  porter  au 
Roi,  en  Flandre,  sa  récla- 
mation, qui  est  le  Second 
Placet,  377.  —  Les  comé- 
diens, porteurs  de  la  suppli- 
que, reviennent  après  avoir 
reçu  des  paroles  encoura- 
geantes ;  mais  l'archevêque 
de  Paris  publie,  le  11  août, 
une  défense  de  représenter, 
lire,  ou  entendre  réciter  la 
pièce,  sous  peine  d'excom- 
munication. —  Elle  est  donc 
encore  une  fois  arrêtée,  378. 

—  Deux  représentations  du 
Tartuffe,  en  1668,  chez  le 
grand  Gondé,  l'une  à  Paris, 
l'autre  à  Chantilly,  385.  — 
Permission  est  enfin  obte- 
nue, en  1669,  de  le  jouer  au 
Palais -Royal.  —  Le  jour 
même  de  l'autorisation  (5  fé- 
vrier) la  première  représen- 
tation est  donnée,  396.  Le 
succès  fut  éclatant  et  pro- 
longé. —  Le  21  du  même 
mois  de  février  la  pièce  fut 
jouée  chez  la  Reine,  397. 


DE  LA  >OTICE  BIOGRAPHIQUE. 


547 


ToCLOUSE.  Molière  y  vint  vrai- 
semblablement en  1647,  la 
troupe  du  duc  d'Epernon  s'y 
étant  alors  trouvée,  108  et 
109.  —  Il  y  était  en  1649, 
118  et  1 19. 

Trista>-  l'Hermite.  Sa  tragédie 
de  la  Mort  de  Chrispe  est  jouée 
en  1644,  sur  l'Illustre  théâ- 
tre, 87.  —  Sujet  de  cette 
pièce,  dont  quelques  passa- 
ges ne  sont  pas  à  dédaigner. 

—  Une  autre  tragédie  de 
Tristan,  la  Mort  de  Sénèque, 
est  représentée,  en  1644  éga- 
lement, sur  la   même  scène. 

—  Madeleine  Béjart  y  brillait, 
88  et  89.  —  Tristan  portait 
intérêt  à  la  troupe.  —  Elle 
lui  dut  la  protection  de  Gas- 
ton de  France,  dont  il  était 
gentilhomme   ordinaire,    89. 

. —  Ce  fut  lui  probablement 
qui  recommanda  les  comé- 
diens de  l'Illustre  théâtre  au 
duc  Henri  de  Guise,  à  la 
maison  duquel  il  était  atta- 
ché, 95. 
Troupe     de     V  Illustre       théâtre. 

\'oyez  Illustre  Théâtre. 
Troupe  de  Mollir e  et  des  Bé- 
jart [réunie  à  la  troupe  du  duc 
d'Epernon) .  Aucommencement 
de  1646,  sinon  un  peu  plus 
tôt,  le  duc  d  Epernon  fit  cer- 
tainement entrer  dans  sa 
troupe,  dont  le  chef  était 
Charles  du  Fresne,  les  comé- 
diens de  rillustre  théâtre, 
104-107.  —  On  a  supposé, 
sans  bonnes  raisons,  que  la 
troupe  ainsi  augmentée  s'é- 
tait arrêtée    au   Mans,    avant 


d'arriver  à  Bordeaux,  m  et 
111.    —    Il    n'est    pas    vrai 
qu'elle  ait  joué  plus  souvent 
dans    les    granges  que    dans 
les  châteaux,  11 3.  — Elle  fit 
vraisemblablement    ses     dé- 
buts, non  à  Bordeaux,  mais 
au  château  de  Cadillac  ou  à 
Agen.    —  Venant    de    Tou- 
louse où  il  est  probable,  sans 
preuve  certaine,  que  Molière 
s'était  trouvé    avec  elle,    la 
troupe  est  demandée  à  Albi 
en  juillet  1647,  pour  les  fêtes 
de  l'entrée  du   comte  d'Au- 
bijoux,  II 3.  —  La  ville  d'Albi 
fait  des  difficultés  pour  payer 
les  comédiens.  —  Elle  s'exé- 
cute  sur  une  sommation  du 
comte  de  Breteuil,  intendant 
de  la  province,    ii4    et  ii5. 
—  Après  Albi,  la  troupe  est 
à   Carcassoune,    ii5.    —  Sa 
présence  à  Nantes  est  consta- 
tée en  a^Til  1648,  ii5et  116. 

Là  elle  était  loin   de  son 

gouverneur  qui,  engagé  dans 
de  grandes  difficultés  par  son 
dur  gouvernement,  n'avait 
pas  le  loisir  de  réclamer  son 
service,  117.  —  En  1649, 
elle  est  à  Toulouse,  où  elle 
est  venue  pour  l'arrivée  en 
cette  ville  du  comte  du  Roure. 

Elle  y  reçoit,  le  16  mai, 

une  somme  de  soixante- 
quinze  livres,  118.  —  En  dé- 
cembre 1649,  elle  se  trouvait 
à  Narbonne,  après  avoii-  en 
vain  sollicité  la  permission 
d'un  séjour  à  Poitiers,  119 
et  120.  —  En  février  i65o, 
le  duc  d'Epernon  la  rappelle 


548  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 


à  Agen,  lao.  —  Elle  cesse 
d'être  liée  à  son  service,  lors- 
qu'il doit  quitter  la  Guyenne 
en  juillet  i65o,  pour  ne  plus 
reprendre  son  gouvernement, 

121. 

Troupe  de  Molière  et  des  Bé- 
jart  [depuis  quelle  n  appar- 
tient plus  au  duc  d''Ej)ernon). 
Elle  donne  des  représenta- 
tions à  Pézenas,  pendant  la 
session  des  états  tenue  du 
a4  octobre  i65o  au  i4  jan- 
vier i65i,  122.  —  Elle  joue 
à  Vienne  en  i65i,  ia4  et 
125  ;  —  puis  à  Carcassonne 
pour  la  session  des  états 
(3i  juillet  i65i  —  lo  janvier 
i652),  125-129.  —  Elle  sé- 
journe à  Lyon,  en  i653, 
129.  —  Elle  y  joue  V Andro- 
mède de  Corneille,  i35.  — 
La  distribution  des  rôles  de 
cette  comédie  nous  fait  con- 
naître à  ce  moment-là  une 
composition  de  la  troupe, 
nouvelle  pour  nous,  186-149. 

—  Après  avoir  joué  peut-être 
à  Pézenas  devant  les  états, 
pendant  la  session  de  i653, 
elle  est  appelée  en  septem- 
bre de  cette  année-là  à  la 
Grange-des-Prés,  belle  de- 
meure du  prince  de  Conti, 
i5o.  —  Après  des  hésitations 
du  prince,  elle  est  préférée  à 
la  troupe  de    Cormier,  1S1. 

—  Elle  joue  à  Montpellier 
pendant  une  session  des  états 
(16  décembre  i653  —  3i  mars 
1654),  i56.  —  En  quittant 
Montpellier,  elle  alla  vrai- 
semblablement  à  Lyon,    où 


elle  resta  plusieurs  mois,  en 
1654,  i56  et  157.  — Elle  re- 
tourne à  Montpellier  pour 
une  nouvelle  session  des 
états,  tenue  du  7  décembre 
1654  au  14  mars  i655,  157- 
169.  — Elle  revient  à  Lyon, 
en  i655,  et  y  fait  im  long 
séjour,  i6i-i64-  —  De  Lyon, 
elle  va  à  Avignon,  i65.  — 
Après  y  avoir  demeuré  quel- 
que temps,  elle  reçoit  l'or- 
dre de  se  rendre  à  Pézenas 
pour  la  session  des  états 
convoqués  par  le  prince  de 
Conti  (4  novembre  i655), 
169.  —  De  Pézenas,  elle  va  à 
Narbonne,  en  février  i656, 
176.  —  Elle  se  proposait 
alors  de  se  diriger  sur  Bor- 
deaux, où  elle  avait  reçu 
l'ordre  d'aller  attendre  le 
prince  de  Conti,  177.  — 
Elle  est  dispensée  d'obéir 
à  cet  ordre,  le  protecteur 
n'ayant  pas  donné  suite  à 
ses  intentions,  179.  —  On 
l'appelle  à  Béziers,  pour  la 
session  des  états  qui  y  fut 
tenue  du  17  novembre  i656 
au  i"^  juin  lôSj,  181.  —  Au 
printemps  de  1657,  elle  fait 
un  séjour  à  Lyon.  —  Elle  y 
apprend  alors  que  le  prince 
de  Conti  refuse  de  la  voir  et 
ne  veut  plus  qu'elle  lui  ap- 
partienne, 188. —  De  Lyon, 
elle  va,  en  juin  1657,  à  Di- 
jon, où  elle  porte  encore, 
malgré  la  défense,  le  titre  de 
troupe  du  prince  de  Conti, 
189  et  190.  — Une  anecdote 
recueillie  sur  Molière  donne 


DE  LA   NOTICE   BIOGTxAPHIQUE. 


549 


à  croire  qu'après  Dijon  la 
troupe  se  rend  à  Pézenas 
pendant  la  session  des  états, 
ouverte,  le  8  octobre  1657, 
par  le  duc  d'Arpajon,  190  et 
191.  —  Vers  la  fin  de  1657, 
ou  au  commencement  de 
i658,  elle  fait  un  séjour  à 
Avignon,  191.  —  Elle  va 
ensuite  à  Grenoble,  où  elle 
passe  le  Carnaval,  igS.  — 
De  Grenoble,  elle  vient  à 
Rouen,  dans  les  premiers 
mois  de  i658.  —  Elle  y  passe 
tout  l'été,  igS  et  196.  — 
Elle  y  donne  ses  représenta- 
tions au  jeu  de  paume  des 
Braques,  200. 
Troupe  de  Molière  {^depuis  le 
retour  à  Paris).  Elle  arrive  à 
Paris  en  octobre  i658.  — 
MoNSiEtJR,  frère  du  Roi,  de- 
vient son  protecteur,  200  et 
30I.  — Le  34  octobre  i658, 
elle  joue  devant  le  Roi  et 
toute  la  cour,  201-204.  — 
Elle  obtient  du  Roi  la  salle 
du  Petit-Bourbon  pour  y 
jouer  alternativement  avec 
les  Italiens.  —  Elle  y  com- 
mence ses  représentations  le 
2  novembre  i658.  —  Noms 
des  camarades  de  Molière  à 
cette  date.  —  Les  rivalités 
des  comédiennes  donnent 
en  ces  commencements  de 
grands  tracas  à  Molière,  206. 
—  Au  temps  de  Pâques  1609, 
du  Fresne  sort  de  la  troupe, 
cessant  d'être  comédien. —  La 
du  Parc  et  son  mari  quittent 
leurs  camarades  pour  entrer 
dans  la  troupe  du  Marais.  — 


On  engage  Jodelet  et  son  frère 
l'Epy,  venus  du  Marais,  La 
Grange  et  du  Croisy,  celui- 
ci  avec  sa  femme,  210.  — 
La  troupe,  en  1669  et  1660, 
joue  plusieurs  fois  devant 
le    Roi,    2io-2i3,    et    2a3. 

—  Elle  reçoit  du  Roi  une 
gratification  de  trois  mille 
livres,  libéralité  moins  vrai- 
semblablement attribuée  au 
cardinal  Mazarin,  233  et  224' 

—  Les  représentations  du  ai 
et  du  26  octobre  1660,  en 
présence  du  Roi,  avaient  été 
données  dans  le  temps  où  la 
troupe  demeurait  sans  théâ- 
tre par  suite  de  la  démoli- 
tion de  la  salle  du  Petit- 
Bourbon,  228.  —  Cette  dé- 
molition avait  commencé  le 
II  octobre  1660,  225.  —  Le 
Roi  donne  à  la  troupe  la 
salle  du  Palais-Royal,    226. 

—  Elle  commence  à  y  jouer 
le  20  janvier  1661,  235.  — 
Au  mois  de  juin  1662,  La 
Grange  mentionne  l'entrée 
dans  la  troupe  de  3Ilie  3Io- 
lière,  en  même  temps  que 
celle  de  Brécourt  et  de  La 
Thorillière  venus  du  Marais, 
271.  —  En  août  i665,  la 
troupe  étant  venue  à  Saint- 
Germain,  le  Roi  lui  accorde 
une  pension  de  six  mille  li- 
vres. —  Elle  cesse  d'être  la 
troupe  de  3Ionsieur  et  de- 
vient la  troupe  du  Roi,  826. 

—  Elle  joue  l'Alexandre  de 
Racine  le  4  décembre    i665. 

—  Elle  ne  satisfait  pas  l'au- 
teur,   ni,    dit-on,    le   public, 


55o    TABLE  ALPHABETIQUE  ET  ANALYTIQUE 


365.  —  Elle  apprend,  avec 
surprise,  que  le  i8  décem- 
bre V Alexandre  est  joué  à 
l'Hôtel  de  Bourgogne  en 
même  temps  qu'au  Palais- 
Royal  et  elle  en  marque  à 
Racine  son  mécontentement. 

366.  —  Lorsqu'elle  quitte  le 
château  de  Saint-Germain,  le 
20  février  1667,  le  Roi,  très 
content  de  son  service,  lui 
fait  compter,  outre  le  prix 
du  voyage,  douze  mille  li- 
vres pour  deux  années  de  sa 
pension,  et  donne  de  riches 
mantes  aux  demoiselles  Mo- 
lière et  de  Brie,  375.  —  La 
troupe  du  Roi  est  appelée  à 
Versailles,  en  novembre  1667, 
concurremment  avec  la  troupe 
rivale,  dite  troupe  Royale,  382. 
—  Elle  y  reçoit  six  mille  li- 
vres, pour  une  année  de  sa 
pension,  383.  —  Pour  le  sé- 
jour à  Saint-Germain  (3o  jan- 
vier —  18  février  1670)  où 
elle  avait  joué  les  Amants  ma- 
gnifiques^ et  pour  le  séjour  à 
Chambord  (17  septembre  — 
20  octobre  1669),  où  elle 
avait  joué  Pourceaugnac,  le 
Roi  gratifie  la  troupe  de 
douze  mille  livres,  qui  étaient 
deux  années  de  sa  pension, 
4o3.  —  Après  Pâques  1670, 
Baron  entre  dans  la  troupe, 
dont  il  n'avait  pas,  dans  sa 
première  jeunesse,  fait  réel- 
lement partie,  4o4-  —  Avec 
Baron,  Mlle  Beauval  et  son 
mari,  reçu  à  demi-part,  sont 
admis  dans  la  troupe.  —  Le 
Roi,  d'abord  peu  content  de 


Mlle  Beauval,  la  reçoit  après 
l'avoir  appréciée  dans  le  rôle 
de  Nicole  du  Bourgeois  gen- 
tilhomme, 4o5.  —  Après  la 
mort  de  Molière,  l'existence 
de  la  troupe  est  menacée.  Le 
Roi  pense  à  la  réunir  à  la 
troupe  royale,  449-  —  Elle 
gagne  du  temps.  —  Aux  va- 
cances de  Pâques  1673,  La 
Thorillière,  Baron  et  Mlle 
Beauval  la  quittent  et  pas- 
sent à  l'Hôtel  de  Bourgogne, 
45o.  —  Le  Roi  reprend  à  la 
troupe  la  salle  du  Palais- 
Royal  pour  la  donner  àLulli. 

—  Elle  reçoit  Rosimont,  un 
des  meilleurs  comédiens  du 
Marais,  —  Pour  remplacer 
le  Palais-Royal,  elle  achète 
un  jeu  de  paume,  rue  des 
Fossés-de-Nesle,  en  face  de 
la  rue  Guénégaud.  —  Son 
nouvel  établissement  est  au- 
torisé. —  Défense  de  conti- 
nuer à  jouer  est  faite  aux  co- 
médiens du  Marais,  parmi 
lesquels  elle    fait  des  choix. 

—  Le  titre  de  troupe  du 
Roi  lui  est  conservé,  45 1.  — 
Auxvacances  de  Pâques  1679, 
la  Cbampmeslé  et  son  mari 
se  séparent  de  l'Hôtel  de 
Bourgogne,  et  passent  au 
théâtre  dit  de  V Hôtel  Guéné- 
gaud. —  La  mort  de  La  Tho- 
rillière porte  le  dernier  coup 
à  la  troupe  Royale,  —  La 
jonction  des  deux  seules 
troupes  existant  alors  est  or- 
donnée par  le  Roi,  le  18  août 
1680,  La  Comédie-Française 
est  fondée,  45^. 


DE  LA  NOTICE   BIOGRAPHIQUE. 


55i 


V 


Vatjselle  (Jean-Baptiste  l'Her- 
mite  de),  frère  de  Tristan 
l'Hermitej.Ilest  ami  et  même 
allié  des  Béjart,  89  et  90.  — 
Le  II  juillet  i638,  il  lève  sur 
les  fonts  la  fille  de  Madeleine 
Béjart,  au  nom  du  parrain, 
le  jeune  Gaston  de  Rémond. 
—  Il  est  poète  comme  son 
aîné,  mais  très  inférieur  à  lui 
en  talent.  —  Ses  trahisons  ont 
été  enregistrées  dans  l'his- 
toire de  son  temps,  90.  —  Il 
dédie,  en  lôSg,  à  Esprit  de 
Modène  sa  tragédie  de  la 
Chute  de  Phaéton.  —  Il  souf- 
fre la  liaison  de  ce  gentil- 
homme avec  sa  femme,  et 
plus  tard  lui  fait  épouser  sa 
fille,  91.  —  Il  est,  à  Lyon, 
un  des  acteurs  de  VAndro- 
mède,  dans  la  troupe  de  3Io- 
lière,  iSg. 

Vauselle  (Mlle).  Cette  femme 
de  Jean-Baptiste  l'Hermite 
était  Marie  Courtin  de  la  De- 
hors, belle-sœur  de  Joseph 
Béjart,  90,  note  I.  —  Elle  fut 
chargée,  à  Lyon,  d'un  rôle 
dans  Andromède.  —  Elle  était 
alors  ou  avait  été  la  maîtresse 
d'Esprit  de  Modène.  —  Ce- 
lui-ci, en  i644i  avait  fait 
don,  sous  prétexte  de  vente, 
à  Mlle  Vauselle  et  à  son  mari 
d'une  grange  de  la  Souquette, 
139.  —  Elle  écrit,  le  3  mai 
1673,  une  lettre  à  M.  de  Mo- 


dène, qui  lui  avait  envoyé 
son  épitaphe  de  Molière, 
pour  qu'elle  la  fît  imprimer, 
448.  —  Dans  cette  même  let- 
tre, elle  annonce  que  le 
théâtre  de  Molière  est  «  en- 
tièrement aboli  ».  Elle  attri- 
bue cette  ruine  à  l'insolente 
fierté  de  la  veuve  de  Mo- 
lière, 45o  et  45i. 

Vater  (la  Mothe  le).  La  Reine 
mère  ne  consent  pas  à  le 
choisir  pour  précepteur  du 
jeune  Louis  XIV,  38.  —  Cy- 
rano de  Bergerac  le  fré- 
quente, 49-  —Molière  est  lié 
avec  ce  sceptique,  69.  — 
Lorsqu'il  perd  son  fils,  l'abbé 
le  Vayer,  en  septembre  1664, 
Molière  lui  adresse  un  son- 
net touchant  avec  une  lettre 
de  quelques  lignes,  428. 

ViESSE  (en  Dauphiné).  Molière 
y  joue,  en  i65i,  et  y  est 
traitéavec  honneur  par  Pierre 
Boissat,  de  l'Académie  fran- 
çaise, 124-126. 

ViLLEDiEU  (3Ime  de).  Voyez 
Jardos  (Mlle  des). 

Visé  (Donneau  de),  auteur  des 
Nouvelles  nouvelles,  publiées 
en  i663.  220.  —  H  y  traite 
de  bagatelle  la  comédie  des 
Précieuses  ridicules,  221.  — 
Jugement  qu'il  y  porte  de 
CEcole  des  femmes.  —  Rele- 
vant le  gant  jeté  par  Mo- 
lière, dans  la  Critique  de  l'É- 
cole des  femmes,  il  écrit  la  co- 
médie de  Zéli/ide,  destinée  à 
l'Hôtel  de  Bourgogne. — Elle 
n'y  fut  pas  jouée,  277.  —  H 
s'étaitvoulu  reconnaître  dans 


552  TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE. 


Lysidas,  personnage  de  la 
Critique.  —  Idëe  sommaire  de 
Zélinde,  278  et  27g.  —  Plus 
tard,  il  fait  la  paix  avec  Mo- 
lière. Sa  Lettre  sur  le  Misan- 
thrope, en  1666,  marque  le 
changement  de  ses  senti- 
ments. —  En  i665,  on  avait 
joue',  au  Palais-Royal ,  sa 
Mère  coquette.  —  On  y  joue, 
en  1667,  sa  Veuve  à  la  mode, 
agS.  —  Avant  cette  réconci- 
liation, il  avait  continué  les 
hostilités  par  une  comédie, 
la  Vengeance  des  marquis,  jouée 
à  l'Hôtel  de  Bourgogne,  vers 
la  fin  de  i663,  probablement 
lorsque  V Impromptu  de  rHôtel 
de  Condc  avait  été  déjà  re- 
présenté. —  Dans  la  Ven- 
geance des  marquis,  aussi  bien 
que  dans  la  pièce  de  Mont- 
fleury,  le  jeu  de  Molière 
était  tourné  en  ridicule,  par- 


ticulièrement dans  la  tragé- 
die de  Pompée.  —  De  Visé 
s'est  permis,  dans  sa  comé- 
die, une  raillerie  grossière, 
qui  attaquait  Molière  dans  sa 
vie  privée,  agS-Soo.  Voyez 
aux  Pièces  Justificatives,  464- 
468,  de  nombreux  extraits 
des  Nouvelles  nouvelles,  où 
l'on  trouve  le  plus  ancien 
document  biographique  sur 
Molière. 
Voisin  (l'abbé),  aumônier  du 
prince  de  Conti,  — Dans  son 
livre,  intitulé  Défense  du 
Traité  de  Mgr  le  prince  de 
Conti...,  il  désapprouve  les 
comédies  que  l'on  jouait  dans 
les  collèges,  25.  —  On  trouve, 
dans  ce  même  livre,  un  té- 
moignage intéressant  des  re- 
lations quelque  temps  fami- 
lières entre  le  prince  de  Conti 
et  Molière,  170  et  171. 


PIN    DE    LA    TABLE. 


20  844-  —  Imprimerie  A.  Lahure,  nie  de  Fleurus,  9,  à  Paris;, 


o 


SÊtl     CA    \y/   , 


PQ  Molière,   Jean  Baptiste 

1821  Poquelin 
1873  OEuvres  de  Molière 

1. 10 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


mr*' 


^^^ 

f^^. 


mj0Ê    mT^ 

\ê^'%J^   ^ 

f^éJ^^*^   ^ 

w*Oi..«w 

M  "m. 


i 


ft