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LES
GRANDS ÉCRIVAINS
DE LA FRANCE
NOUVELLES ÉDITIONS
pdbli£es socs la dirictioh
DE M. AD. REGXIER
Membre de l'Institut
ŒUVRES
MOLIERE
TOME X
PARIS. — IMPRIMERIE V LAHURE
Rue de Fleurus, 9
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OEUVRES
DE
MOLIÈRE
NOUVELLE EDlTlOrs
REVUE SUR LES PLUS ANCIENNES IMPRESSIONS
ET AUGMENTÉE
de variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots et locutions remarquables,
d'un portrait, de fac-similc, etc.
PAR MM. imm DESPOIS ET PAUL >1ES\ARD
TOME DIXIEME
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET 0\
BOULEVARD SAINT-G ERM A IK , 79
1889
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NOTICE BIOGRAPHIQUE
S U R M O L I È R E.
Lk nom de Poquelin est celui que le grand poète comique
de lu France a reçu de sa naissance. Au théâtre, il en prit
un autre : Molikrk sera toujours pour la postérité le vrai
uom de ce fils de ses chefs-d'œuvre, le seul qui ne la déso-
riente pas. Derrière Molière toutefois Poquelin n'a pas entiè-
rement disparu, non plus qu'Arouet derrière Voltaire.
C'est grâce au comédien qui a déserté leur boutique héré-
ditaire, que les bons tapissiers Poquelin sont connus. Ils au-
raient pu lui dire, s'ils avaient pai'Ié la langue poétique de
la Fontaine :
Nos noms unis percerouL l'ombre noire.
Cette famille d'honnêtes bourgeois, qui doit à Molière sa
petite place dans le souvenir du monde, a été l'objet de pa-
tientes recherches'.
On l'a trouvée établie dès le quatorzième siècle à Beau-
vais, où elle ne s'éteignit qu'en 1787. Vers la fin du seizième
siècle, des branches s'en étaient détachées, qui devinrent
I. Voyez au lome I, p. lxxiii des Œuvres de Molière (édition
d'Augerj, Paris, 1819, la Gdnéalogie de Molière, dressée d'après les
indications de BefTara : — Jal, Diclionnaire critique de biographie et
d'histoire au nom Poqcelix ; — et deux opuscules de 31. E. Révé-
rend du Mesnil, pu}3liés à Paris, chez Isidore Liseux, 187g : la Fa-
mille de Molière, et les Aïeux de Molière à Beain'ais et à Paris,
'SïoiAr.iiF.. \ 1 «
3 NOTICE BIOGRAPHIQUE
parisiennes. A l'une d'elles, dont la vie fut un peu moins
longue que celle de la tige demeurée à Beauvais, et ne dé-
passa pas l'an i72'3, appartient notre poète.
Un Jean Poquelin, marchand et bourgeois de Beauvais,
qui fut échevin de sa ville en ij6G et en i!)68, eut. entre
autres enfants, un fils de son premier mariage, nommé,
comme lui, Jean, qui alla s'établir à Paris, rue de la Linge-
rie*, près du cimetière des Innocents, Il y fut marchand
tapissier*. Sa boutique avait pour enseigne l'image de Sainte
Véronique. Ayant épouse le ii juillet ijg^ Agnès Mazucl.
fille et sœur de Violons du Roi^, il en eut dix enfants. L'aîné
de ces enfants (encore un Jean Poquelin), né en i jqo, fut le
père de notre Molière.
Ce Jean Poquelin, deuxième du nom, si l'on n'a égard
qu'aux Poquelins de Paris, dont nous venons de parler, fut,
comme son père, marchand tapissier; il est qualifié tel dans
le contrat de son premier mariage, daté du 11 février 1621.
Ce mariage fut célébré le 27 avril 1621*. La femme qu'il
épousait était Marie Cressé, fille d'un tapissier, Louis Cressé,
ou, comme il signait, Louis de Cressé, et de Marie Asselin,
nièce d'un tapissier. Ainsi l'hérédité de cette profession dans
la famille Poquelin était encore renforcée par les alliances,
1. Voyez, dans les Recherches sur Molière, par Eud. Soulié, le
contrat de mariage entre le père de Molière et Marie Cressé,
P- 127.
2. Ibidem. — Dans l'acte de baptême de 3Iolière, son petit-
fils et filleul, il est dit « porteur de grains ». C'était le titre d'une
charge ou office, dont le titulaire faisait exercer le métier de por-
teur par des ouvriers à ses gages.
3. Ibidem, p. 128, et Dissertation sur J.-B. ' Poquelin-MoUcre,
par Beffara (182 1), p. 5. — On a fait remarquer (voyez Molière
inconnu, par Auguste Baluffe, Paris, 18S6, p. 11) que cette aïeule
maternelle de Molière, Agnès Mazuel, morte seulement en i644i
avait pu donner des soins à l'éducation de sou petit-fils lorsqu'il
eut perdu ^a mère. M. Baluffe reconnaît que c'est problématique;
nous n'ajouterons pas comme lui : « quoique probable ». Cathe-
rine Fleurette était là dès i633. C'était à cette seconde mère
qu'il appartenait de gouverner l'enfant.
4. Voyez aux Pièces justificatives^ u° i .
SUR MOLIERE. 3
ce qui était très conforme aux mœurs du temps. Molière
se trouvait enfermé dans un cercle étroit dont il était in-
vraisemblable qu'il sortît jamais.
On s'est beaucoup inquiété de connaître exactement l'em-
placement, dans le vieux Paris, de la maison de ses parents,
à l'époque où il naquit. Il y aurait peut-être malséant
dédain à traiter de vaine une curiosité que le culte de lu
mémoire des hommes illustres rend très naturelle. Il est
seulement permis de dire que savoir 3Iolière né à Paris,
c'est tenir l'essentiel. C'est pour nous autres Parisiens un
honneur auquel nous ne sommes pas indifférents ; c'est
quelque chose de plus encore : il ne semble pas chimérique
de trouver là une explication de quelques traits saillants de
l'esprit de notre poète. Beaucoup l'ont bien senti, entre
autres un récent et très acharné détracteur de sa gloire,
que son parti pris d'hostilité nous dispensera générale-
ment de citer. Mais cette fois M. Louis Veuillot doit être
entendu : « Molière, a-t-il dit^ est le premier en mérite des
écrivains célèbres nés à Paris. Après lui on cite Regnard,
qui vint au monde sous les piliers des halles ; Voltaire, place
du Harlay ; Beaumarchais, près de la rue des Lombards ; Bé-
ranger, rue Montorgueil, et enfin Scribe, rue Saint-Denis :
tous aux environs des halles, tous, à différents degrés, dans
la bourgeoisie active, et tous dans la boutique, ou à peu près.
Il existe entre eux un air de quartier, un air de famille. On
cite encore, parmi les Parisiens, Rutebeuf^ et François Villon,
qui sont si bien de la même lignée. ■> Voltaire, Parisien « ou
à peu près^ », aurait réclamé contre l'autre à peu près, celui
de la boutique. A. part cette inexactitude, que l'on croirait
volontaire et d'un trop grand seigneur, la remarque est
vraie et non sans portée. La lignée à laquelle Molière a été
très justement rattaché par M. Veuillot, était aux yeux de
celui-ci fort peu recommandable; mais il était trop fin lettré
1. Molière e£ Bourdalouc (i volume in-12, 1877), p. 14, à la
note.
2. Rutebeuf est uu Parisien au moins douteux. Ou le croit plu-
tôt Champenois.
3. Il est né à Chàtenay, près Paris.
4 >OTICE BIOGRAPHIQUE
pour ne pas reconnaître chez elle une sorte de quintessence
de l'esprit français, surtout dans sa malice.
Jean Poquelin et Marie Cressé, lorsqu'ils se marièrent,
demeuraient « rue Saint-IIonoré, sur la paroisse Saint-Eus-
tache' '>. Une semblable indication est donnée par l'acte de
baptême de Molière (Jean-Baptiste Poquelin). Dans ce Paris
où tout est instable et se renouvelle incessamment, cette mai-
son de la rue Saint-Honoré, oii naquit Molière, n'existe plus,
et il est même devenu difficile d'en fixer la place. Celle que
l'on a le plus récemment indiquée est encore un sujet de
dispute. On ne peut pas, aujourd'hui du moins, dire plus
certainement : " Ici fut son berceau « que « Voici oîi fut sa
tombe ».
Griraarest donne à entendre quil naquit sous les piliers
des halles^. Cette erreur, si longtemps acceptée et répétée,
a vraisemblablement son origine dans ce fait qu'en i633
Jean Poquelin acheta une maison sous ces piliers, devant
le pilori, à l'image de Saint Christophe^, et qu'il y mourut :
les derniers souvenirs sont les plus sûrs de vivre dans la
mémoire des hommes. La maison à laquelle fut attribué, à
la fin du siècle dernier, l'honneur d'avoir vu naître Molière
sous les piliers, n'est d'ailleurs pas la maison devant le
pilori, mais celle qui était rue de la Tonnellerie, n" 3. Sur
la façade de cette maison le propriétaire et M. Alexandre
Lenoir firent placer, le 28 janvier 1799, le buste de Molière
et cette inscription : « Jean Poquelin de Molière est né dans
cette maison en 1620 y. Aujourd hui, sur l'emplacement que
l'on croit être le même, est une autre maison au n° 3i de la
I . Voyez le Conlral de mariage entre Jean Poquelin et Marie
Cressé, ci-dessus cité.
■.'.. La yie de 31. de Molière, p. 5. — Cette biographie fut pu-
bliée en 1705. Le privilège est daté du onzième jour de janvier.
3. M. Auguste Vitu, dans les Mémoires de la Société de l'histoire
de Paris et de l'île de France, tome XI (i885), où il a fait l'his-
toire de la Maison des Poqucllns (p. 9.49-264)1 a établi que Jean
Poquelin u'a dû prendre possession de la maison à l'image de
Saint Cluislophe qu'après la Saint-Jean i6i3, lorsque Molière
uc demeurait j)!us clie/ lui.
SUR \rOLIERi;. 5
rue (lu Pont-Neuf. On y |)eut voir le buste de Molière, non
plus de Iloudon, mais de Goysevox, et la même inscription
légèrement modifiée.
Beffara a relevé l'erreur de la date de iG-io, acceptée par
Voltaire sur la foi des plus anciens biographes', et que l'on
est étonné de lire encore dans l'inscription de la rue du
Pont-Neuf. Il a fait en outre remarquer que les documents
les plus certains indiquent la demeure des parents de Mo-
lière en 1622 dans la rue Saint-IIonoré, ce qui devait exclure
la maison, tout à l'heure nommée, de la rue de la Tonnelle-
rie. Une maison de la rue Saint-IIonoré qui, au temps où
Beffara écrivait, numérotée 3G, donnait, en retour, sur la
rue de la Tonnellerie et sous les piliers, aurait favorisé jus-
qu'à un certain point l'ancienne tradition; mais, après in-
formations prises, il doutait beaucoup qu'elle eût été habitée
parles Poquelins-. Dans une lettre qu'il adressa en 1828 à
M. de la Chapelle, ollîcicr d'artillerie, il ajouta que Jean
Poquelin, avant d'habiter en iG'jG, i63^ et iGj8,une maison
de la rue Saint-IIonoré, au coin de la rue des Vieilles-Etuves,
paraît avoir demeuré « même rue Saint-Honoré, dans une
maison portant aujourd'hui [en 1828) le n° ',0, à peu près
au milieu entre les rues des Piliers, de la Tonnellerie et
des Prouvaires ». Soulié est d'avis que la maison natale de
Molière est celle qui se trouvait à l'angle des rues Saint-
IIonoré et des Vieilles-Iltuves, aujourd hui n° 9G de la pre-
mière, et n° 2 de la seconde, devenue rue Sauvai'. L'autorité,
qui s'attache justement à ses Recherches , amis fin un moment
I. Briizen de la Martinière, dans sa Vie de T auteur, qui est en
tète des OEuvres de Molière (Amsterdam, 1725), et qui n'est en
très grande partie qu'une reproduction de la biographie de 1703,
dit expressément (p. 10) : « Jean-Baptiste Poquelin naqidt à
Paris lan 1620 », et renvoie à Grimarest, s'y croyant autorisé
par le passage où celui-ci Ip. 293) veut que Molière, lorsqu'il
mourut en 1673, fût âgé de cinquante-trois ans. Perrault, qui
écrivait avant Giimarest, avait déjà dit que Molière était mon,
âgé de cinquante-deux ou cinquante-trois ans, et Bayle, dans sou
Dictionnaire : « Il naquit à Paris environ l'an 1620. d
•>.. Dissertation sur J.-B. Poquelin-MoUîre. p. 8-1 1.
>. lîecherc/tes sur Molière, p. 12.
6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
aux incertitudes ; et sur la maison désignée par lui on a posé en
1876 une plaque de marbre noir, sur laquelle on lit en lettres
d'or' :
CETTE MAISON A ÉTK CONSTRUITE SUR l'eMPLACEMENT
DE CELLE OÙ EST NE
MOLIÈRE
Le i5 janvier 1623.
Acte de baptême de
Molière
i5 janvier 1622.
Inventaire notarié après le décès
Contrat de mariage de
J. Poquelin
et de Marie Cressé
22 février 1621.
Mariés le 27 avril suivant.
(Reg. de Saint-Eustachc.) | ^^ ^arie Cressé
I 19-31 janvier i633.
Il eût mieux valu ne pas signaler comme preuves du
renseignement donné au public, pour son instruction, des
actes qui ne nomment que la rue Saint-Honoré, et ne pré-
cisent pas davantage, ou du moins avertir qu'ils ne justi-
fient que la date de 1622. A l'appui de l'opinion que la
maison natale est celle qui était au coin droit de la rue des
Vieilles-Étuves, on n'a produit que cet extrait de Y État de
a taxe des boues de la Ville de Paris pour Vannée 163^ :
« Maison où pend pour enseigne le pavillon des cinges,
appartenant à M. Moreau et occupée par le sieur Jean
Poquelin, m""^ tapissier, et un autre locataire, consistant
en un corps d'hostel, boutique et court, faisant le coin de
la rue des Etuves. « Beffara, nous lavons vu, n'avait pas
ignoré cette demeure de Jean Poquelin ; il en avait rencon-
tré des traces depuis i6'i6 jusqu'en i638, et regardait
comme possible que sa location remontât à quelques années
i. On a toutefois laissé subsister l'inscription de la rue du
Pout-jS^euf. Les deux inscriptions scmbleraieut par leur désac-
cord nous inviter au scepticisme. Si quelqu'un, par exemple
M. Auguste Vitu, qui met dans l'examen de ces questions con-
troversées tant de patience et de science, et qui jusqu'ici se pro-
nonce en faveur de la maison de la rue des Vieilles-Etuves, par-
vient à lever les doutes, il serait bon de faire disparaître celle
des deux inscriptions qui perpétuerait une erreur.
SUR MOLIERE. 7
avant 1636; mais il n'avait découvert aucun document qui
le pi'ouvât; et même, comme on l'a vu dans la citation
que nous avons faite d'un passage de sa lettre de 1828, il
croyait, apparemment sur quelques indices encore incom-
plets, puisqu'il ne les a pas fait connaître, avoir des rai-
sons d'entrevoir plutôt, dans les années précédentes, une
autre maison de la rue Saint-Honoré. La question ne paraît
donc pas assez décidée, même en faveur de la plus récente
des deux inscriptions. On peut regarder comme insuffisam-
ment prouvé que Molière soit né dans la maison où elle a
été posée, et même qu'il l'ait habitée avant i636, c'est-à-
dire avant sa quinzième année*.
Au reste, n'y eût-il passé que le temps de sa vie d'écolier,
elle se recommande au souvenir. S'il ne nous en est resté
aucune image qui nous la fasse revoir tout entière, nous
avons du moins le dessin du poteau cornier qui, })lacé à l'un
de ses angles, montait jusqu'au toit et auquel elle devait le
nom de maison des singes. En effet ce poteau était orné de
sculptures qui représentaient des singes jouant autour et
au pied d'un oranger. Il existaiL encore à l'époque où de
précieux débris étaient réunis par Alexandre Lenoir dans
son Musée national des monuments français. Il y fit trans-
porter le poteau des singes, et l'on en trouve le dessin au
tome III du grand ouvrage où il a décrit ces monuments^.
Quand on se rappelle que les singes ont été choisis quel-
quefois pour emblèmes de l'imitation comique, on a bien
envie de trouver un air d'horoscope au singulier hasard qui
les a donnés pour décoration à la maison où, s'il est douteux
que soit né le plus grand maître dans cette imitation, se
sont écoulées du moins quelques-unes de ses jeunes an-
nées. Que si, pour représenter l'idée d'un art devenu si
noble dans les « doctes peintures ^> du poète, les singes
allaient faire quelque peine, ce scrupule ferait peut-être voir
un excès de délicatesse dont Molière se serait moqué, lui
1. M. G. Monval, clans le Moliériste d'octobre 1882, p. 514, et
]\I. G. Larroumet, dans la Comédie de Molière (Paris, Hachette,
1887), p. 7 et 8, avaient avant nous proposé les mêmes doutes.
2. Ce dessin sera reproduit dans notre Album. En 1779, le peintre
8 NOTICE r.ior. R M'JIl QUE
qui se plaisait à les faire figurer dans ses armes de fantaisie,
avec les masques et les miroirs, s'il faut en croire son oraison
funèbre dans le Mercure galante
L'auteur à'Élomire hypocnndrc, lo Boulanger de Chalus-
sav, dont il ne faut pas légèrement accepter comme des do-
cuments biographiques les bouffonneries méchantes, s'est
égayé sur le quartier qui vit naître un des plus illustres
enfants de Paris. Un personnage de sa comédie dit à Elo-
mlre (Molière) :
Je vois bien que tu viens de ce riche pays
Où les juifs ramassés demeurèrent jadis.
Élomire répond :
Il dit vrai, je suis né dedans la friperie.
Qu'autrement à Paris l'on nomme Juiveric-.
Le satirique a-t-il, pour le besoin de la plaisanterie, beau-
coup étendu le quartier des fripiers? Il est plus probable
que, dès ce temps, et bien avant Grimarest, on faisait naître
Molière dans la maison achetée par son père en 1633, sous
les piliers des halles. C'est là, dans la rue de la Tonnellerie,
que le Paris ridicule de Claude Le Petit et la Fille de Paris
en vers burlesques de Berthod logent les <c fripiers rabi-
nisés ». JeanPoquelin, qui ne s'établit dans la maison sous
les piliers des halles que dix ans après en avoir fait l'acqui-
F.-A. Vincent a placé la maison des Singes dans son tableau qui
a pour sujet le Président Mole saisi par les factieux près de la croix
(lu Trahoir. Non seulement cette maison avait subi de grands
changements, mais Vincent n'avait pas jugé qu'il dût la peindre
avec exactitude telle qu'il l'avait sous les 3'eux. Nous n'avions
donc pas à faire dessiner, d'après lui, pour l'Album, une r-aison
de fantaisie. Ce tableau est aujourd'hui dans la salle des confé-
rences de Id Chambre des députés.
I. Année 1673, tome IV, p. 3io. — Les masques étaient seuls
marqués sur sa vaisselle d'argent. Voj'^ez le Dictionnaire de Jal,
p. 874, au nom Molièbe.
?.. Élomire liypocondre I1670), acte lî, scène vi, p. jG,
SUR MOLIERE. 9
sition, la loua jusqu'au mois de juin iG\3 à un fripier'.
Longtemps après, ce furent encore des fripiers qui l'occu-
pèrent^. Il n'en a pas fallu davantage à l'auteur à'Élomire
hypncnridre pour faire de Molière le fils d'un fripier,
J6 ne dis pas d'au juif.
Quoique juif et fripier soit quasi inrmc cliosc"".
Il est plus étoiinaut que Voltaire, (jui n'avait pas les
mêmes raisons pour se tromper volontairement, ait recueilli
comme une tradition sérieuse un conte imaginé par la mali-
gnité, et ait fait, lui aussi, de Jean Poquelin un marchand
fripier'^. Sans remarquer la contradiction, il accompagne
cette qualification de celle de (^ valet de chambre, tapissier
chez le roi », donnée par lui prématurément au prétendu
fripier^; mais peut-être pensait-il tpi il ne s'agissait que de
s'entendre sur 1 étendue du sens donné alors à ce mot. Au
surplus, qu'importe ? Si d'un tapissier on veut faire un fri-
pier, Molière, fils de fripier, n'en est pas diminué dans sa
gloire.
Le registre de Saint-Eustache atteste ([u'il fut baptisé le
i5 janvier 1611^. Il est probable que l'acte aurait mentionné
le jour de la naissance, si ce jour n'avait pas été celui
même du baptême. Les neuf mois n'étaient pas encore
tout à fait accomplis depuis le mariage de Jean Poquelin et
de Marie Cressé, qui ne laissèrent pas longtemps attendre
I. Auguste Vitu, dans les Mémoires de la Société de l'Histoire de
Paris, tome XI p. aSô et 257.
•2. Recherclics sur Molicrc. DoctT-ilE:s"TS LVI ri LVII, p. 3i8
et 319.
3. Elomire hypocondre, dans le Divorce comique {Comédie en
comédie), scène 11, p. 82.
4. OEuires de Foliaire (('dition de Loids IMoland), tome XXIII,
p. 88.
5. Voltaire s'en est trop lié à Grimarest, qui dit (p. 5) :
« Il [Molière) étoit fds et petit-fds de tapissiers, valets de chambre
du roi Louis XIII. » Son grand-père ne fut pas valet de chambre
du roi; et son père, comme nous le dirons, n'eut qu'en i63i
l'office de tapissier ordinaire du roi.
G. Voyez son acte de Ijaptêrae ai.x Piïcrs iuuificalicrs., n° 11.
lo NOTICE BIOGRAPHIQUE
au grand siècle ie présent qu'ils lui firent. Molière devait
lui-raème prouver plus d'une fois que, pour donner la vie
à un chef-d'œuvre, « le temps ne fait rien à l'affaire »; mais
les siens ont été de ceux dont la naissance dépend davantage
du talent de l'auteur.
S'il y a quelque vérité dans la croyance, en faveur au-
jourd'hui, que les grands hommes tiennent le jjIus sou-
vent de leur mère, on regrettera plus encore de savoir bien
peu de chose de Marie Cressé. Dans quelques lignes de
l'inventaire fait après sa mort, on a vu se dessiner d'elle
une image qui la représente « digne d'avoir mis au monde
cet inimitable génie* )'. La même vivacité d'imagination
nous manque pour tirer si bon parti des descriptions, sou-
vent instructives, mais à d'autres égards, que l'on doit à la
plume des gardes-notes et des jurés priseurs. Que, parmi
plusieurs livres non désignés, ils aient trouvé dans une
garde-robe de Marie Cressé la Kie des hommes illustres et
une Bible, quand on saurait plus clairement qui les lisait,
la femme ou le mari, et si le gros Plutarque n'était pas
«- à mettre les rabats », nous ne sommes point frappé de ce
qu'il y a là d'assez caractéristique. On comprend un peu
mieux que cet inventaire ait paru donner l'idée d'une mai-
son très bien tenue. Il faut peut-être écarter la comparaison
que, sous ce rapport, on nous a proposée- avec l'autre
inventaire auquel donna lieu la mort de Jean Poquelin. Elle
serait plus significative si. au lieu de se faire avec le mé-
nage d'un homme, veuf pour la seconde fois, depuis vingt-
trois ans, elle mettait l'économie domestique de sa pre-
mière femme en regard de celle delà seconde; mais le.s
éléments de ce parallèle nous fout défaut. Pour le juge-
ment à porter de la mère de Molière, nous ne pouvons
donc demander à l'inventaire de janvier i633 que de nous
laisser entrevoir chez elle, non seulement le mérite de faire
régner dans son intérieur un ordre intelligent, mais aussi
des goûts ù'aimable élégance. Cherchera-t-on là le secret
du caractère de son fils, de son esprit d'une étoffe à la fois
I. Recherches sur Molière, p. i3 et 14.
a. Ibidem, p. i^.
SUR MOLIERE. ii
si solide et si riche ? Nous craindrions que ce ne fût légère-
ment forcé.
Une remarque beaucou[) moins contestable a été faite * ;
elle mérite attention. La plui)art des pères chez Molière
sont veufs; quand ils sont remariés, leur seconde femme,
une Elmire, une Réline, n'est pas la mère de leurs enfants.
Les vraies mères, où sont-elles dans son théâtre ? Citera-
t-on la femme de Sganarelle, dans le Médecin malgré lui ?
Nous apprenons seulement qu'elle a quatre [)auvres petits
enfants sur les bras. Mme de Sotenville ? Si elle ne met que
trop de zèle à défendre sa iille, c'est \)AY le seul souci de
l'honneur de la maison de la Prudoterie. Mme Jourdain, qui
se révolte contre le mariage de Lucile avec le fils du Grand
Turc ? Simple épisode de la lutte de son bon sens contre la
folie de son mari. La comtesse d'Escarbagnas? Elle s'occupe
bien moins de l'élève de M. Robinet que de ses ridicules
amants. Philaminte, celle-ci très vive et très altière dans la
revendication de ses droits maternels ? Mais, plus pédante
que mère, elle ne songe qu'aux intérêts du cuistre dont
l'alliance lui tient au cœur. Nous chercherions en vain dans
tout cela un caractère de mère. C'est pourquoi Saint-Marc
Girardin, dans son Cours de littérature dramatique^ a un
chapitre sur les pères des comédies de Molière, aucun sur
les mères. Il y a là une singularité que l'on nous paraît avoir
bien expliquée. Quoique le génie sache tout deviner, Molière
n'aimait à peindre que ce qu'il avait observé de près. Or,
ce n'était point dans quelques années de son enfance qu'avait
pu s'imprimer dans son esprit l'image assez durable d'une
mère, avec sa tendresse dévouée, sa douce sagesse, ou ses
aimables faiblesses.
Lorsque Molière perdit sa mère au mois de mai i632^,
1. ^'oycz la Comédie de Molière, p. 17 et 18.
2. Dans l'inventaire mentionné ci-dessus, p. 10, il est dit que
Marie Gressé mourut le quinzième joiu- de mai iGoa. ÎM. Tas-
chereau (3° édition, p. 208) donne son acte d'inhumation, que
lui avait communiqué Beffara, et d'après lequel cette inhumation
aurait eu lieu le mardi 11 mai. A-t-on bien lu sur les registres de
Saint-Eustache, et n'y fallait-i! pas lire le mardi 18 mai?
12 NOTICE BIOGRAPHIQUE
il était dans sa onzième année. Il avait deux frères, Jean,
que l'on nomme le jeune, pour le distinguer de son aîné, et
Nicolas ; il avait aussi une sœur, Marie-Madeleine. Deux
autres enfants do Marie Cressé étaient morts avant elle.
Un an après son veuvage, le [)ère de Molière se remaria.
Sa seconde femme fut Catherine Fleurette, fille d'Eustache
Fleurette, marchand et bourgeois de Paris. Les fiançailles
furent célébrées le ii avril i633, le mariage le 3o mai sui-
vant, sur la paroisse Saint-Germain l'A-Uxerrois. Jean
Poquelin eut deux enfants du second lit : Catherine, née
en iG34, qui devait un jour entrer au couvent de Sainte-
Marie de Montargls, et Marguerite, dont la naissance coûta
la vie à sa mère, et qui ne lui survécut que peu de jours.
Ija belle-mère de jMolière mourut le 12 novembre iGjG.
On aime toujours à se trouver d'accord avec l'ingénieux
érudit qui a entrepris, souvent avec succès, de porter la
lumière dans les coins les moins éclairés de la biographie
de notre poète. Mais nous aurions peine à le suivre dans la
conjecture que Catherine Fleurette est peinte sous les traits
odieux de la marâtre Béline du Malade ima^inairc^. La
rancune de Molière, après plus de sept lustres, aurait vrai-
ment été trop durable, lui supposât-on l'excuse des mau-
vais traitements durant les trois années du second mariage.
On cherche trop souvent dans ses comédies des allusions
aux événements de sa vie. Pour nier qu'il y en ait quelques-
unes, il faudrait récuser l'autorité, généralement très grande,
de la Préface de l'édition de 1682. Elle affirme que Molière,
dans ses comédies, « s'est joué le premier sur des affaires de
sa famille et qui regardoient ce qui se passoit dans son domes-
tique-»^. Mais comme les auteurs de cette |)réface n'ont pas
désigné les allusions qu'ils avaient en vue, le champ des
suppositions reste sans limites, et il est imprudent de s'v
hasarder quand on ne trouve pas de quelque autre côté des
indices presque certains pour se guider. Nous n'avons
I. Les Points obscurs de ta rie de Molière, par Jules Loiseleur
(Paris, 1877), P" ^4-
a. Préface de 1682, p. xvi. — Les pages de cette préface
auxfpiclles ucnis renvoyons sont celles de notre tome l.
SUPx MOLIERE. i3
aucun témoignage direct sur le caractère de Catherine
Fleurette et sur sa conduite à l'égard des enfants du pre-
mier lit. Pour l'accuser et la faire détester à la postérité, il
faut donc uniquement aller chercher le noir portrait de la
femme d'Argan, comme si un auteur comique ne pouvait
imaginer une belle-mère méchante sans se souvenir de la
sienne. Et de qui Molière s'est-il souvenu lorsque, dans son
Tartuffe, il a peint, comme la plus aimable et la plus aimée
des belles-mères, celle de Mariane et de Damis ? Sans aller
chercher dans la maison de Jean Poquelin remarié le mo-
dèle de l'hypocrite et perfide Béline. ne serait-il pas plus
naturel de le trouver dans la tragédie de Nicomcde souvent
jouée par Molière? C'est là (ju'Arsinoé, seconde femme de
Prusias. lui dit :
Je n'aime point si mal que de ne vous pas suivre
Sitôt qu'entre mes bras vous cesserez de vivre*,
avec la même fausseté que Béline dit àArgan : « S'il vient
faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde- ".
Il y a des preuves dans Tartuffe aussi que Molière se sou-
venait de la marâtre Arsinoé".
Le père de Molière nous serait aussi peu connu que ses
deux femmes, dans son caractère et dans sa vie. si nous
n'avions pour nous renseigner que la Préface de 1682. Du
I. Nicomède, acte IV, scène 11, vers iis-g-iaS-î-
■},. Le. Malade imaginaire, acte I, scène vu.
3. Comparez la scène qui vient d'être citée de JSicomcde, avec
la scène vi de l'acte III de Tartuffe, particulièrement les vers
ii5o et i-nyi de la tragédie :
.\RSI>OK.
Grâce, grâce. Seigneur!
PRUSIAS.
... Ingrat', que peux-tu dire.'
avec les vers iii5 et 1116 de la comédie :
OUGO>'.
Ingrat 1
TARTUFFE.
Laissez-le en paix. S'il faut à deux genoux.
Vous demander sa grâce
i4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
silence qu'elle a gardé sur lui, il y aurait témérité à con-
clure qu'elle n'avait rien de bon à en dire. Il est plutôt à
croire que les amis de Molière l'avaient fort peu entendu
parler de son enfance et de ses parents, peut-être parce
qu'il trouvait peu séant de satisfaire leur curiosité sur un
temps et sur une famille dont sa profession l'avait tant
éloigné. Perrault et plus tard Grimarest ont moins laissé
dans l'ombre Jean Poquelin et les années où il eut son fils
près de lui. Il n'est pas clair qu'ils aient été très bien in-
formés. Les actes, si utilement recueillis par Soulié, four-
nissent au contraire sur les relations du père et du lils,
soit avant, soit après leur sépai'ation, des renseignements
positifs, plus certains toutefois que toujours faciles à inter-
préter. Nous en ferons usage dan"s notre récit, à mesure que
l'occasion s'en présentera ; mais nous n'avons nulle envie de
torturer des documents d'une clarté insuffisante, afin d'en
tirer des jugements téméraires.
Molière n'avait que neuf ans, et sa mère vivait encore,
lorsque son père devint tapissier ordinaire de la maison du
roi. Nicolas Poquelin, un des frères cadets de Jean Poquelin,
s'était démis de cet office au profit de son aîné le 2 avril
i63i^ Une transaction entre les deux frères régla définiti-
vement, le 29 mars 1687 ^, les droits du cessionnaire, et dès
lors celui-ci se trouva libre de demander pour son fils aîné
la survivance de sa charge. Le fils prêta serment le 18 dé-
cembre de la même année^. La charge qui lui était ainsi
assurée comme survivancier, et à laquelle était attaché par
les lettres de provision le titre de valet de chambre (c'est la
première fois que nous en rencontrons la mention) n'était
pas seulement jugée très honorable, mais procurait des
avantages solides. Elle donnait annuellement au titulaire
trois cents livres de gages, sans compter trente-sept livres
dix sols de récompense, pour un service de trois mois.
]M. Bazin a fait remarquer* que rien n'indique si Jean Po-
I. Recherches sur Molière. DocuMEXT II, p. 146 et 147.
1. Ibidem, DociTSiEXT III, p. i48-i5o.
3. Ibidem. DocujiENT XLV, p. 388.
4. j\'otes historiques sur la vie de Molière, p. [7.
SUR MOLIERE. i5
quelin avait uniquement songé à la faire exercer un jour
par son lils ; il pouvait tout aussi bien s'être rendu compte
que, ce fils venant à y renoncer, il lui resterait permis,
grâce à la survivance, d'en tirer profit en la vendant. Le
plus vraisemblable est cependant que le bon tapissier du
roi entendait préparer le jeune homme à lui succéder, el
que la possibilité qu'il eût jamais la folie de se dérober k
un si bel avenir n'entrait pas dans ses pî»évisions.
L'enfant élevé pour devenir un jour un des plus considé-
rables tapissiers de France, un M. Guillaume de la plus
haute volée, fit de bonne heure sans doute son apprentissage
dans la boutique paternelle. Mais, pour y renfermer son
ambition, le plus sur n'était peut-être pas de le laisser,
pendant quelques années, quitter pour de savantes études
les « belles tentures de tapisserie de verdure, ou à person-
nages », dont il s'est souvenu dans la première scène de son
Amour médecin. Jean Poquelin ne vit pas le danger, ou ne
le crut pas si menaçant qu'il dût l'arrêter dans ses vues sur
l'éducation séante à son successeur dans un office de la
maison roj'ale. Nous ne doutons pas que même dans des
conditions qui justifiaient moins un peu de vanité, plus d'un
bon bourgeois de ce temps n'eût pour ses enfants pareille
ambition. Elle pouvait être légitime, et si M.Jourdain, au lieu
de se faire écolier sur le tard, ne s'était avisé de faire
étudier dans toutes les sciences que son fils, Molière ne l'au-
rait pas dépeint si ridicule.
Quels qu'aient été les motifs de la décision de Jean Poque-
lin, le fait est que son fils entra au collège de Clermont';
et ce dut être avant le temps de la survivance que son père
obtint pour lui, lorsqu'il allait avoir seize ans. Grimaresl.
sans fixer le moment, dit les circonstances de son envoi
dans le célèbre établissement des jésuites. Mais comment
croire qu'il n'ait pas beaucoup arrangé, sinon tout à fait
inventé, sa petite histoire, qui ôte au père l'honneur
d'une résolution devenue si heureuse par ses conséquences
alors imprévues ?
I. Voltaire dit que ce fut comme exloine.
i6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Suivant le récit qu il nous fait'. Molièrr, jusqu'à l'Age de
quatorze ans (si ce n'est pas là un à-pcu-près, sa belle-mère
vivait encore), serait resté dans la boutique, où l'on se con-
tentait de lui faire apprendre à lire et à écrire. Mais,
comme il allait déjà souvent au théâtre, et que son grand-
père maternel-, Louis Cressé, qui l'y menait, souhaitait
de le voir comédien, l'enfant ainsi poussé vers une voca-
tion, qui devait bientôt devenir ii'résistible, avoua à son
père qu'il se résignait difficilement à la jirofession qu'on lui
destinait, et demanda en grâce qu il lui fût permis d'étudier.
Le grand-père appuya la demande. Si ce fut à ces instances
très maladroitement motivées que le père céda, il savait où
aboutirait le chemin dans lequel il laissait entrer son fils.
Une telle complaisance ne s'accorde pas bien avec ce que
Grimarest dit lui-même plus loin du mécontentement de la
famille, lorsque Molière déclara sa résolution de jouer la
comédie. Les scènes développées et dialoguées par l'ancien
biographe sont plus que suspectes; et dès qu'on n'3^ voit
qu'une pure invention, il n'y a plus de raison de faire inter-
venir le grand-père dans ce bienfait de la foile instruc-
tion, qui est assurément ce que nous connaissons de plus
intéressant dans l'histoire de la jeunesse de Molière.
Dans le rôle que Grimarest donne à Louis Cressé, tout
n'est pas également invraisemblable. Il n'est pas impossible
qu'il aimât la comédie, qu'il en procurât volontiers le diver-
tissement à son petit-fils, et qu'il le conduisît à l'hôtel de
Bourgogne, fort en faveur dans le monde des marchands
dont les boutiques étaient peu éloignées de ce théâtre de la
rue Mauconseil. "■ Tout ce que la rue Saint-Denis a de mar-
chands... se rendent régulièrement à l'hôtel de Bourgogne
pour avoir la pi'emière vue de tous ies ouvrages qu'on y
représente », a dit Boursault, au début de sa nouvelle
1. L(i P'ie de M. de MoVicre, p. 6-g.
2. Grimarest ne dit pas s'il s'agit du graud-père maiernel ou
du graud-père palerucl ; mais il n'y a jjas à penser à celui-ci, qui
était mort le 14 avril 1626. Voyez le tableau généalogique donné
par Augcr, dans son édition des OEucres de Molière, et cité ci-
dessus, p. I, note t.
SUR MOLIERE. i;
à'Artemise et Poliante^. La rue Saint-Denis est une façon de
parler pour désigner tout ce quartier du commerce, où se
trouvaient les boutiques des Poquelin et des Cressé. On a
attaché trop d'importance à chercher jusqu'à quel point
on les pouvait dire voisines de la comédie. Indépendam-
ment d'un voisinage plus ou moins immédiat, une circon-
stance particulière rendait facile au tapissier Cressé et au
fils du tapissier Poquelin la fréquentation de l'hôtel de
Bourgogne. Un autre tapissier, qui même était tapissier
ordinaire du roi, tout comme Jean Poquelin, et devait par
conséquent n'être pas sans liaison avec lui, Pierre Dubout,
était le doyen des maîtres de la confrérie de la Passion,
« légitimes propriétaires et acquéreurs de la maison vul-
gairement appelée V Hôtel de Bourgogne"-:'^. Dans le théâtre
qu'ils avaient loué aux comédiens, ces confrères s'étaient
réservé « la loge des anciens Maîtres et le lieu étant au-
dessus de ladite loge, appelé le Paradis..., tant pour eux.
que pour leurs parents et amis"' ».
Nous ne savons s'il n'est pas un peu hasardé de voir, sur
ces indices, le jeune Poquelin à l'une de ces places du para-
dis, près de son grand-père. Ce n'est d'ailleurs qu'un détail
assez indifférent. Il s'agit moins de savoir quelles facilités
on eut à le faire entrer dans la salle des comédiens en re-
nom, que si vraiment II fit là, tout enfant, connaissance avec
les pièces de théâtre. Rien ne défend de l'admettre; mais
attachera-t-on beaucoup d'importance à des impressions
du premier âge, qui décident rarement de la voie que
l'on suivra? Sans vouloir chicaner les biographes de notre
poète, on peut se demander s'ils n'ont pas été naturelle-
ment préoccupés de l'idée qu'il devait y avoir eu de très
bonne heure des circonstances propres à lui donner le goût
I. L'auleur de la comédie do Zclhulc fail dire semMablcmcul à
l'un de ses personnages : « La plupart des marchands de la rue
Saiul-Denis aiment tous la comédie, et nous sommes quarante ou
cinquante qui allons ordinairement aux jireraières représentations
de toutes les pièces. »
1. Recherches sur Molière. Doci'ME>rVI, p. i5t.
3. Ibidem. Docume>'t V, p. i5o,
Molière, x î
i8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
(le la comédie. Désirant en trouver, il était à peu près cer-
tain qu'ils seraient heureux dans leurs recherches. Nous ne
donnerons pas pour très sûres les découvertes qu'ils ont
faites, et le fussent-elles, les conséquences à en tirer le se-
raient moins. On ne saura jamais bien à quelle heure la
Muse comique a fait à Molière son ]ireiiiier signe. Que c'ait
été plus tût ou plus tard, le génie était en lui, et se serait
passé de petites occasions pour s éveiller. ?sous ne devons
pas cependant omettre les vieilles traditions, quoi qu'elles
vaillent. Celle des amusements du théâtre avidement goû-
tés par l'enfant, grâce à la complicité de l'aïeul, douteuse
peut-être dans le détail, ne paraît pas inacceptable.
Au temps, qui n'a phs été assez précisé, où l'on nous dit
que Molière commença à connaître l'Hôtel de Bourgogne,
ce théâtre, qui avait recueilli l'héritage des Sots et des
Enfants sans'souci , gardait bien des vestiges des Pois pi-
lés. Si l'on y jouait probablement encore la Bradamante de
Garnier et les pièces moins anciennes de Hardy, si Mairet
y fil représenter Sophonisbe en 1629 et Corneille Mélite la
même année, une grande place, la plus grande sans doute,
était donnée à la farce, dans la((uelle brillaient Turlupin,
Bruscambille, Gaultier-Garguillc. Gros-Guillaumo. Dans les
grosses facéties de ces fameux bouffons, plus peut-être que
dans les pièces sérieuses du même théâtre, on a voulu nous
faire reconnaître les humbles germes que le génie de Molière
devait un jour développer merveilleusement. Il est vrai que
ses premiers essais ont été des farces; et qu'au temps même
où il eut atteint le sommet de son art, il n'a jamais dédaigné
le rire populaire.
Les spectacles de l'Hôtel de Bourgogne n'ont pas été seuls
nommés parmi ceux qu'on a cru avoir charmé son enfance ;
on a fait remarquer encore que son autre grand-père, son
grand-père paternel, possédait deux loges dans l'enclos de
la célèbre foire Saint-Germain. Ces loges, ou boutiques de
marchand^, appartinrent après sa mort à ses héritiers*.
On a conjecturé qu'elles aussi avaient donné au jeune
I . Recherches sur Molière. Docusient XXXVII, p. 226. Voyez aussi
les Nouvelles piccessur Molière., recueillies par E. Campardon,p. 6.
SUR MOLIERE.
'9
Poquelin l'occasion d'être égayé j)ar les bouffonneries qui
amusaient le peuple de Paris. En effet, la foire Saint-
Germain-des-Prés, où plus tard prit naissance le Théâtre de
la foire, offrait à la foule qui s'y pressait pendant deux mois
environ des représentations données par des troupes d'o-
pérateurs et de bateleurs. La différence n'était sans doute
pas très grande entre ces spectacles forains et les farces
jouées par les enfarinés de la rue Mauconseil. Ceux-ci n'é-
taient pas gens à regarder de haut les charlatans de place
publique; ils les traitaient plutôt en confrères. Dans la
première moitié du dix-septième siècle deux opérateurs
furent en grande vogue, Bary et l'Orviétan ; on a raconté
que Molière aimait à se mêler à la foule attirée par leurs
parades. Si ce n'est qu'une légende, il s'en est accrédité sur
lui de plus invraisemblables. Elle a été de très bonne heure
recueillie, et, comme on peut croire, amplifiée par l'auteur
(^ Elamire hypocondre. Avec sa méchanceté et sa mauvaise
foi ordinaires, le Boulanger de Chalussay passe toute mesure,
lorsqu'il fait non seulement avouer à Elomire qu'il a étudié
des rôles chez les deux charlatans , mais qu'il a brigué une
place sur leurs tréteaux; du moins, s'il le nie pour ceux de
Bary, il en tombe d'accord pour ceux de l'Orviétan. La
Béjart l'en raille, et l'appelle « le mangeur de vipères* ».
L'absurdité de la caricature est évidente. Le proverbe « qui
dit trop ne dit rien » n'est cependant pas toujours vrai. Si
Chalussay n'eût pas connu quelque prétexte à ces grossières
sottises, se fût-il flatté d'y faire trouver le moindre sel aux
contemporains? Probablement, on se souvenait d'un temps
où Molière s'arrêtait volontiers devant les tréteaux de la
foire ou du Pont-Neuf. Quel fut ce temps? Élomire hypn~
condre désigne celui où Molière était liencié en droit. C'est
alors qu'on le représente fréquentant les spectacles des opé-
rateurs. Mais ce put aussi être plus tôt : la comédie-pamphlet
n'est pas une biographie sérieuse, où il y ait à chercher des
dates certaines.
Puisque nous avons interrompu ce que nous commen-
I. Elomire liypocoiidrc, acle 1\ , scène il du Divorce comique,
p. 8i et 83.
20 NOTICE BIOGRAPHIQUE
cions à dire du collège de Clermont, pour parler d'une
bien difTcrente école, de celle des farceurs soit de l'IIôtel de
Bourgogne, soit de la place publique, il faut une fois pour
toutes épuiser le sujet. Si l'on peut croire assez vraisem-
blable que Molière a suivi cette école-là dans son enfance et
avant ses études savantes, il est incontestable que plus tard,
et même étant déjà comédien, il prenait plaisir à la verve
des bouffons, à leur comique, très bas sans doute, mais
parfois plein de sel dans sa naïveté populaire. Il goûta sur-
tout ïiberio Fiurelli, ce fameux Scaramoucbe, dont il est
dit dans Elomire hypncondre qu'Elomire étudiait <f le mi-
roir en main » les contorsions et les postures'. En tête de la
pièce une gravure nous montre « Scaramoucbe enseignant,
Molière estudiant. » On peut citer à l'appui de cette tradition
le quatrain gravé sous le portrait de Scaramoucbe qui orne
sa Fie écrite par Angelo Constantini :
Cet illustre comédien
Atleignil de son art l'agréable manière.
// fut le maître de Molière^
Et la nature fut le sien.
Les témoignages concordent. On remarquera que le
talent de l'acteur est celui qu'ils attribuent aux bouffons
la gloire d'avoir formé chez Molière. Il est toutefois difficile
<le croire qu'il se soit borné à demander aux maîtres de la
farce le secret de leur jeu, et n'ait pas, en même temps, fait
son profit de leurs plus facétieuses idées. Lorsqu'on lit
dans la préface des Véritables Piétieuses de Somaize qu'il
« tire toute sa gloire des Mémoires de Guillot-Gorgeu -,
qu'il a achetés de sa veuve et dont il s'adapte tous les ou-
vrages », on hausse les épaules ; mais cette méprisable accu-
sation ^espérait trouver appui dans l'opinion répandue que
l'auteur, et non pas seulement le comédien, devait quelque
chose aux célèbres farceurs. Au surplus, Molière n'a jamais
I. Acte I, scène m, p. i3.
3. Guillot-Gorju, comédien de l'hôtel de Bourgogne, où Mo-
lière, dans sa treizième année, put commencer à le voir, succéda
à Gaultier-Garguille dans la farce, en i634.
SUR MOLIERE. ii
séparé complètement l'étude de l'art du comédien de celle
de l'art plus élevé de l'auteur comique. Le théâtre tout en-
tier a été sa passion, sans distinction trop marquée des deux
talents d'imitation, dont le concours est nécessaire pour lui
donner la vie.
Nous ne regrettons pas que Grimarest nous ail arrêté sur
le seuil du collège deClermont, avec son anecdote du grand-
père, insistant pour qu'on y laissât entrer l'enfant par l'es-
poir de l'enrôler un jour parmi ces comédiens qu'il lui avait
fait aimer. Si peu digne de foi que soit l'iadiscrùte et dé-
raisonnable intervention de Louis Cressé, nous avons cru
reconnaître l'origine de la petite histoire dans la tradition,
recueillie par le biographe, des spectacles dont l'amuse-
ment aurait été procuré à la jeunesse de Molière. Au mo-
ment de parler de la solide instruction qu'il reçut, il était
bon de ne pas perdre de vue qu'il put y mêler le souvenir de
leçons beaucoup moins sérieuses ; il y aurait eu double in-
fluence sur son esprit de ces peu comparables écoles ; et il se
serait formé dans le magique creuset du génie un singulier,
mais heureux', amalgame.
Pour déveloj)per les dons naturels de ce génie, des maîtres
tels que les Bruscambille et les Gaultier-Garguille auraient
beaucoup laissé à désirer. Heureux fut donc pour les lettres
françaises le jour qui vit Molière admis dans les classes
d'une célèbre maison d'éducation. Le collège de Clermont,
auquel on confiait les enfants des meilleures familles, ceux
mômes de la première noblesse*, s'était acquis une grande
renommée. On y suivait un plan d'études qui, un demi-
I. « Le collège deClermont, que Louis XIII fit rouvrir en 1G18,
a d'ordinaire jusqu'à dix-huit cents élèves. Les lettres y sont
étudiées par de nobles jeunes gens très nombreux, et presque tou-
jours environ quatre cents; parmi eux, des fils de grands et de
différents princes [Nobiles adolescentes, magno numéro, et plerum-
qiie ad quadritigentos, atque in liis Procerum ac Principum vario-
rum filii). » Ainsi parle d'un temps bien voisin de celui des
études de [Molière le Belge Alegambe, dans sa continuation, im-
primée eu 1643, du Catalogue des écrivains de la Société de
Jésus, commencé par Ribadeneira. Voyez la Biblotheca scriptorum
societalis Jesu (Rome, 1676, in-folio), à la page 147.
22 NOTICE BIOGRAPHIQUE
siècle avant le temps du jeune écolier Poquelin, avait été
réglé par la Ratio studiorum, très admirée de Bacon. Bien
plus tard encore, les méthodes d'enseignement n'y avaient
pas changé, lorsque le P. Jouvency les expliqua dans son
livre De ratione disccmli et doceiuli, imprimé en 1692. Dans
l'application du programme, il y avait assurément à décomp-
ter sur quelques points. Peu de place était donnée par les
maîtres de Clermont à l'étude du grec, tout autrement flo-
rissante chez leurs rivauv de Port-Royal, qui, dans leurs
Petites Ecoles, en nourrirent la jeunesse de Racine, comme
le collège des Jésuites ne put faire celle de Molière. Chez
ceux-ci le latin était surtout cultivé, et, il est juste de
l'ajouter, par de savants et souvent ingénieux littérateurs,
qui ne négligeaient pas non plus la langue française. Tels
on les trouve encore dans les premières années du siècle
suivant, lorsqu'ils se nommaient le P. Jouvency, le P. Thoul-
lier, futur membre de l'Académie française, plus célèbre
sous le nom de l'abbé d'Olivet, et le P. Le Jay, et le P. Porée,
ces maîtres de Voltaire. Leur brillant élève, dont la recon-
naissance était sujette à des intermittences, a écrit un jour :
« De mon temps, on n'apprenait que des sottises au collège
dit de Louis-le-Grand * », Mais c'était au moment où les
Pères se trouvaient, suivant son expression, « dans de mau-
vais draps » et où leurs collèges venaient d'être fermés.
Voltaire a répété, avec quelques développements, les mêmes
plaintes contre les leçons de ses professeurs dans le Dic-
tionnaire philosop]iique, au mot Education. Il avait été moins
ingrat dans ce passage d'une des éditions du Temple du
goût : « La vérité est que de tous les Religieux les Jésuites
sont ceux qui entendent le mieux les belles-lettres, et qu'ils
ont toujours réussi dans l'éloquence et dans la poésie. Le
Dieu [du goût) voit de bon œil beaucoup de ces Pères*. » Nous
pouvons, sans craindre de nous tromper, faire remonter
cet éloge au temps des études de Molière. On a nommé
parmi ceux qui les ont dirigées le P. Le Moyne, célèbre
I. Lettre au président de Buffey, 18 avril i"G-2.
1. OEuvres de Voltaire (éditiou de M. Louis Molaud), tome VIII,
p. 593.
SUR MOLIERE. a3
auteur du poème àe Saint Louis^. Des recherclies récenies
l'écartent; un catalogue pour l'an iG'jO désigne comme
professeurs de rliétorique les PP. Briet et Nau, comme
professeur d'humanités le P. de Solleneufve-. Bien qu'il
faille renoncer pour Molière aux leçons du P. Le Moyne, dont
la riche imagination a eu, malgré ses excès, de grands ad-
mirateurs, il n'en est pas moins certain qu'à Clermont ses
maîtres, quels qu'ils aient été, aimaient et faisaient aimer la
poésie, et aussi le théâtre. Ils égayaient leurs distributions
de prix en y faisant jouer des chefs-d'œuvre de la scène
antique, souvent des pièces qu'eux-mêmes composaient,
Chappuzeau, dans son Théâtre français, publié en iGj4. a
écrit un chapitre^ sur les Spectacles qui se donnent au.v col-
lèges.Il y avait vu représenter des ouvrages de Plante, de
ïérence et de Sénèque, Il ne nomme pas le collège de
Clermont, mais il doit l'avoir eu particulièrement en vue.
Ce fut là qu'en 1640, une tragédie latine*, œuvre d'un profès,
fut jouée avec un tel succès que le jeune Louis XIY voulut
qu'elle fût jouée devant lui. Elle lui fit un plaisir qu'il n'a-
vait peut-être pas oublié, lorsque, bien des années après,
dans une visite qu'il fit au même collège (c'était en 1674), il
honora de sa présence la représentation d'une autre tragédie.
Ce jour-là, un spectateur s'écria dans son enthousiasme :
« Tout ici est admirable! » — « Je le crois bien, dit le roi,
c'est mon collège. » Les Pères se crurent autorisés par
cette parole royale à changer désormais le nom de leur col-
lège de Clermont en celui, cju'il porte aujourd'hui en-
core, de collège Louis-le-Grand : patronage d'autant plus
mérité que, depuis 1662, nous trouvons notés, parmi les
1. Les Points obscurs de la fie de Molière, p. 41 •
2. Voyez dans le MoUériste de juillet 188G un article de
M. H. Tivier, aux pages 97-107.
3. Le vi" du livre L
4. Susaiina, dont l'auteur était le P. Adrien Jourdain. Elle a
été publiée en i654, à Paris, chez Cramoisy (in-12). Elle est ainsi
mentionnée dans la Bihliotheca scriplorum societatis Jesii, p. q :
« Susannam tragœdiam actam coram Christianissimo Rege ». —
Cette Susanne était une sainte martyre, et non la chaste Susanne
de la Bible.
a^ NOTICE BIOGRAPHIQUE
divertissements de ce collège, d'assez nombreux ballets.
Comédies et ballets! c'est à se croire au Palais-Ro3'al, cbez
Molière, Mais les ballets dansés sur le tbéâtre des Pères
n'entrèrent pas dans son éducation : ils ne sont pas de son
temps, auquel ne furent pas refusées du moins les pomédies
et tragédies. Il ne put y être chargé quelquefois d'un rôle, que
si les externes, ce que nous ne saurions dire, étaient ad-
mis parmi les acteurs. On aurait aimé à s'imaginer qu'il lui
avait été permis d'essayer son talent dans une tragédie
du P. Etienne Dechamps, Asmandus et Avitus , tableau delà
parfaite omltié^ qui fut représentée par les écoliers de Cler-
mont, dans la salle du Palais cardinal, en présence de Son
Eminence ; mais il ne faut pas s'arrêter à cette séduisante
supposition : outre qu'il est dit que la pièce fut jouée par les
pensionnaires^ la date de son impression, qui est de 1641,
indique à peu près celle de la représentation, donnée sans
doute lorsque les études de Molière étaient depuis quelque
temps achevées.
On comprendra pourquoi nous avons rappelé quelques-
unes des représentations les plus mémorables du collège
de Clermont. Il nous a semblé qu'elles ajoutaient à la phy-
sionomie de la maison où notre jeune écolier fut élevé quel-
ques traits qui donnent à penser sur le fruit qu'il y put
retirer de ses études.
C'est sans intention trop malicieuse que.pai'mi ces souve-
nirs, nous avons donné place aux ballets, qui n'y ont paru que
plus tard. Nous ne doutons pas qu'ils n'eussent une certaine
gravité religieuse. Et quant aux comédies, elles n'étaient
dans la pensée des maîtres que des exercices littéraires,
propres à former le goût.
On n'aura pas de peine à supposer que ces délassements
instructifs, qui répondaient si bien aux inclinations du jeune
écolier, ne lui déplaisaient point. Mais n'exagérons pas la
valeur des leçons que lui offraient les œuvres dramatiques
de ses professeurs. Croire que le dieu rencontré par Voltaire
dans le temple du Goût les écoutait toujours avec plaisir
serait une illusion L'auteur de Voltaire et ses maîtres, Alexis
Pierron, n'avait pas reculé devant le labeur d'en lire plu-
sieurs, la fameuse Siisanne de i65o, entre autres, et aussi le
SUR MOLIERE. al
théâtre du célèbre P. Porée. Comme il n'avait pas l'habitude
d'atténuer les sévérités de son bon et honnête jugement,
il les déclare d'un insupportable ennui'. Nous n'avons
nul désir de reviser le procès. Toutefois les médiocres ou-
vrages de collège que Molière put voir représenter n'avaient
point de peine à égaler en mérite beaucoup de ceux que
jouaient à la même époque les Bellerose et les Montfleury
de l'hôtel de Bourgogne. Chappuzeau d'ailleurs nous a tout
à l'heure appris que sur les théâtres scolaires il y avait place
aussi pour Plante et Térence, un peu expurgés sans aucun
doute. En dehors des représentations réservées pour les fêtes,
ces grands modèles étaient étudiés pour leur latinité. Il y
eut là probablement pour le jeune Poquelin la première
révélation d'un art que n'avaient pu lui faire connaître les
farces de nos tréteaux. Après s'être amusé, enfant, devant
les parades des bouffons barbouillés, il était mis en face de
ces chefs-d'œuvre de l'antiquité qui, tout en se reconnais-
sant sortis du chariot de Thespis, avaient gardé bien peu de
traces de leur rustique origine.
Il semble donc que son temps de collège n'ait pas été seu-
lement profitable à la culture générale de son esprit, mais
ait pu favoriser sa vocation de poète de théâtre. Voilà un
genre de succès que ses maîtres ne cherchaient certaine-
ment pas et qu'il leur aurait déplu de prévoir. Quelque
bonnes que fussent leurs intentions, est-il bien sûr qu'ils
échappent au reproche d'imprudence? Ils l'ont mérité, si
l'on accepte le jugement du prêtre qui a écrit la Défense du
Traite' du prince de Conti. Dans ce livre, imprimé en 1671,
et que nous aurons plus loin à citer de nouveau, l'abbé Voi-
sin s'élève contre les comédies des collèges : « Certes, dit-il,
ce n'est pas un petit mal d'accoutumer ainsi les enfants à se
plaire à la comédie, de sorte que, sortant des écoles avec cette
inclination, ils n'ayent pas moins de passion pour les pièces
de théâtre que pour celles du collège*. » Il y a là quelque
vérité; mais, s'il y avait dans de tels exercices un péril, ce
n'est pas pour Molière qu'on aurait le courage de le regret-
1. Voltaire et ses maîtres (1866), p. 6a-8i.
2. Défense du Traité du orince de Conti, p. 355.
26 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ter. Au reste, les régents de Clermont auraient pu répondre
aux critiques qu'ils n'entendaient faire servir leurs comé-
dies latines qu'à l'étude des humanités; et contre le danger
de recruter ainsi pour de moins innocents théâtres des ac-
teurs ou des auteurs, ils croyaient avoir pris assez de pré-
cautions en fermant l'accès de leur collège aux pièces fran-
çaises. Le P. Jouvency, dans son plan d'enseignement, qu'il
publia, comme nous l'avons déjà dit, vers la fin du dix-sep-
tième siècle, a soin de parler ainsi des exercices dont la
langue nationale était l'objet chez les Pères * : « Rejetons bien
loin ces parties inutiles des livres françois, les fables dan-
gereuses et les comédies Tout cela n'est fait que pour
énerver les esprits ou corrompre les mœurs. Si quelques-
uns soutiennent qu'il faut laisser quelquefois les hommes
goûter à ces bagatelles, ils ne nieront pas qu'elles doivent
être interdites à la jeunesse. » Quand il a prononcé, à la
date de 1692, ce rigoureux arrêt contre les comédies fran-
çaises, le P. Jouvency n'a pas songé à épargner l'élève de
Clermont qui était devenu Molière. Dans notre théâtre,
il ne recommandait que Corneille ^. Plus indulgents, les
PP. Bouhours et Rapin ont donné des éloges au poète co-
mique élevé par leurs anciens.
Sur le profit que Molière retira de l'enseignement du col-
lège de Clermont la Préface de 1C82 dit', avec son habi-
tuelle sobriété, mais en attestant l'essentiel : « Le succès
de ses études fut tel qu'on pouvoit l'attendre d'un génie
aussi heureux que le sien.v S'il fut fort bon humaniste, il de-
vint encore plus grand philosophe. L'inclination qu'il avoit
pour la poésie le fit s'appliquer à lire les poètes avec un
soin tout particulier : il les possédoit parfaitement, et sur-
tout Térence. »
Nous lisons chez les mêmes biographes^ qu' « il eut l'avan-
tage de suivre feu M. le prince de Conty dans toutes ses
1. De rat'ione discendi et docendi, p. 32, à l'article : De verna-
CULA LI^GUA.
2. Ibidem, p. 5o.
3. A la page xiii.
4. Aux pages xii et xiii.
SUR MOLIERE. 27
classes », el qu'il y acquit son estime et ses bonnes grâces.
Ce serait donc à une communauté d'études qu'il aurait dû la
bienveillance et la protection dont ce prince, à les entendre,
l'honora toujours; cependant les bons souvenirs de jeunesse
sont une explication plus que contestable de la faveur de
Conti, qui ne jfut pas d'ailleurs aussi constante que le dit
l'ancienne biographie, et nous voyons là bien plutôt un
banal hommage rendu, à propos du collège de Clermont, à
l'un des grands de la terre, qu'un de ces renseignements
certains que l'on est habitué à puiser à cette excellente
source. Reste simplement ce fait que, dans le même temps,
l'Altesse Sérénissime et le fils du marchand furent écoliers
dans la même maison. Mais comment faut-il entendre que
l'enfant d'humble condition suivit « dans toutes ses classes »
le noble condisciple, né le 11 octobre 162g, par consé-
quent moins âgé que lui de près de huit ans? Ou ce doit
être une erreur, ou l'on a seulement voulu dire que Mo-
lière put suivre des yeux le jeune prince dans sa carrière
d'étudiant, mais à la distance que l'âge mettait entre leurs
classes. Nous n'oublions cependant pas qu'en ce temps-là
les enfants des dieux ou des demi-dieux coui'aient sur le
terrain scolaire, aussi bien que sur tout autre, beaucoup
plus vite que les simples mortels. Si même nous regardons
moins haut que l'Olympe, il |)araît que les fils de grande mai-
son pouvaient franchir rapidement les degrés d'instruction,
cjui s'abaissaient pour eux au collège de Clermont. Bussy
de Rabutin qui, vers la fin de 1629, plus tôt donc que Mo-
lière, y fut mis comme externe, dit dans ses Mcnwires^ :
« J'entrai en seconde que je n'avois pas douze ans, et
j'étois si bon humaniste qu'à treize on me jugea assez fort
pour entrer de là en philosophie sans passer par la rhéto-
rique. » Conti, comme on le pense bien, n'était pas fait pour
marcher à pas plus lents. Nous avons des témoignages qui
nous rassurent sur ce point, en marquant quelques-unes
des époques de sa vie de collège. Ils nous permettent de
I. Mémoires de Roger de Rabutin^ comte de Bussy (édition de
Ludovic Lalanne, 1857), tomel, p. 6.
iS NOTICE BIOGRAPHIQUE
comparer le temps de ses classes avec celui des classes de
Molière.
Gabriel Cossart, jeune professeur de rhétorique au collège
de Clerraont, prononça, à la rentrée du 29 septembre i6',7,
un discours latin pour rendre grâces au prince de Conti d'un
séjour de dix ans dans cette maison^ « Ce jour solennel de
notre académie, disait l'orateur, est le premier depuis qu'elle
a eu l'extrême douleur d'être privée de votre présence après
en avoir joui, sans interruption, durant dix années. » Il
semblerait d'abord que ces dix années de collège ne donnent
pas ridée de classes parcourues à grandes enjambées. Mais
ce qui avait retenu si longtemps à Clermont le prince, en
qui l'on voyait alors un futur cardinal de Bourbon, c'étaient
ses études théologiques. En 1644, le 28 juillet, il y avait
soutenu publiquement, en présence du prince et de la prin-
cesse de Condé et du cardinal Mazarin, des thèses « sur
toute la philosophie 3>, et, nous dit-on. de manière à mon-
trer « sa grande capacité et vivacité d'esprit' ». Quelques
jours après, le 3 août, il reçut le degré de maître ès-arts^ :
il n'avait pas encore quinze ans. L'année suivante, il soutint
deux thèses de théologie au collège de Clermont; et en
1646, le 10 juillet, une autre thèse, également de théologie,
dans la salle de la Sorbonne. C'étaient, dit la Gazette de
1646, « les fruits de son étude de deux ans en théologie,
qu'il continue encore à présent^. » Continua-t-il jusqu'à la
fin de l'année scolaire seulement, en 1G46? Nous croirions
plutôt, d'après le discours du P. Cossart, à la solennité de
la rentrée de 1647, que l'on doit prolonger ses études à
Clermont jusqu'aux vacances de cette dernière année. A.
l'entendre ainsi, il aurait été confié aux Pères à la rentrée
I. Armando Borbonio seren'issimo princlpi de Conly... Gratiarum
actio pro scholis Claromontanis . . . decenni commoratione ornatis, ha-
bita ad earumdem scholarum instaurationem. III Kal. Oct. anno 1647.
Parisiis apiid Seb. et Gabr. Cramoisy, 164-. (Pièce in-4° de 33
pages.)
5. Gazette du 3o juillet i644i P- 60}.
3. Ibidem^ i3 août i644i P- 63i.
4. Ibidem, 14 juillet 164O, p. 6o3.
SUR MOLIERE.
29
de 1637, étant Agé de liuil ans. On peut cependant licsilcr
entre iG^-j cl i63G.
Pour ne pas sortir de notre sujet, auquel le prince n'ap-
partient que par ses relations avec Molière, nous n'avons
point à nous inquiéter de savoir si le précoce théologien de
1645 et 164G ne fut pas soufflé par l'auteur de la tragédie
tout à l'heure mentionnée comme ayant été jouée devant
Mazarin, par le P. Dechamps, qui plus tard imprima comme
siennes les thèses de l'Altesse. Pour être juste, les flatte-
ries, telles que celles du Prince sacant, petit livre écrit en
1644? qui félicitait Conti d'avoir « rendu la science prin-
cesse et la sagesse royale », ne doivent pas, quelque nau-
séabondes qu'en soient les hyperboles, être accusées d'avoir
loué sans vérité son remarquable esprit. Il y a des dons de
race. L'illustre aîné du prince de Conti, le duc d'Enghien,
élevé à Bourges, dans un autre collège des Jésuites, fut un
écolier prodigieux, l'iiétoricien aussi précoce d'esprit que
bon latiniste, à onze ans*. Cet exemple de famille invite à
ne pas rejeter légèrement quelques-uns des témoignages
des maîtres de Conti sur le prompt développement de son
intelligence. Mais nous n'avons fait une digression sur l'his-
toire de ses études que pour y chercher s'il fut dans les
mêmes classes que Molière. On a vu qu'il paraît n'être
sorti de celle de philosophie qu'en 1G44, lorsque Molière
avait quitté le collège depuis plusieurs années, et même com-
mencé sa vie de comédien.
Au reste, ne fût-il pas si bien démontré qu ils ne marchè-
rent pas du même pas dans leurs études, leur camaraderie ne
serait qu une légende inacceptable. Il ne faut pas se laisser
tromper par les souvenirs d'un temps que les moins jeunes
d'entre nous ont vu dans une France bien différente de celle
du dix-septième siècle. Nous ne savons pas si le prince de
I. Voyez Vhistoire des Princes de Condt', par 31. le duc d'Au-
male, tome III, chapitre iv, p. 32i et 322. Le noble historieu
donne, à la fin du volume, dans les Pièces et Documents^ des let-
tres latines du duc d'Enghien à son père, que l'âge où elles ont
été écrites rend bien surprenantes, quand même la plume des
maîtres, comme on ne peut s'empêcher de le croire, aurait prêté
quelque secours à celle de l'enfant.
3<) NOTICE BIOGRAPHIQUE
Conti était, comme le duc d'Enghien, « séparé des autres élèves
par une petite balustrade dorée • » ; mais pour tenir à dis-
tance ses condisciples, ceux môme qui n'étaient pas fils de
tapissiers, les respects de parfaits courtisans, que tout at-
teste lui avoir été rendus par ses maîtres, auraient été une
assez infranchissable balustrade. Il n'est donc pas besoin de
faire remarquer que lorsque nous aurons à raconter la ren-
contre du prince et de Molière au château de la Grange, nous
ne trouverons rien qui donne l'idée d'une affectueuse recon-
naissance entre d'anciens camarades.
Si la même date ne peut sans erreur être donnée aux
dernières classes suivies par l'écolier de Clermont né à l'hô-
tel deCondé, et par son condisciple né dans une boutique,
leur entrée au collège doit être environ du même temps. Il
est vraisemblable que Molière fut, ainsi qu'on l'a supposé',
mis chez les jésuites après la mort de sa belle-mère ^novem-
bre i636). Ce fut peut-être alors, certainement peu après,
comme nous l'avons dit, que le prince fut conlié aux mêmes
maîtres.
Grimarest dit'' que Molière « en cinq années de temps fit
non seulement ses humanités, mais encore sa philosophie ».
Quoiqu'il puisse avoir reçu quelques leçons de logique à
Clermont, il est probable que Grimarest, en parlant de phi-
losophie, n'a pas distingué de l'enseignement du collège
renseignement reçu ailleurs, dont nous allons parler. Quand
on défalque de son compte de cinq années celle de ce der-
nier temps d'études, il en reste quatre que l'on trouve, du
moins à peu près, depuis les derniers mois de iG'iG jusqu'en
1G.4O, qui est l'époque où \ Elomire hypocondic marque la fin
des classes de Molière :
.... Eu quarante, ou quelque ])cu devant,
Je sortis du collège, et j'en sortis savant.
Ou quelque peu devant ne saurait beaucoup nous gêner.
1. Histoire des Princes de Coude, tome III, chapitre iv.j). Jig.
2. \ oyez les Points obscurs de la vie de Moliùre, p. 3i.
3. La fie de M. de Molière, p. 10.
SUR MOLIKRE. 3i
Nous soupçonnons cot hémistichr; d'être venu là pour amener
à la rime l'épithcle savant, dont le satirique avait besoin
pour la faire bien vite changer en celle à'dne par son Angé-
lique (Madeleine Béjart ^
Quand il resterait une légère incertitude sur quelques
mois de plus ou de moins dans les années que Molière passa
au collège, ce ne serait pas une affaire. Le doute serait autre-
ment regrettable sur son admission aux leçons d'un maître
tel que Gassendi.
La connaissance de ce fait, qui de tous les souvenirs de
la jeunesse de Molière est celui dont il serait le plus regret-
tablede n'être pas assuré, a paru ne s'appu} er que sur une tra-
dition et manquer de preuves positives. « Jusqu'à présent,
dit Soulié^, aucune pièce authentique ne vient confirmer ou
démentir la tradition relative au maître et aux condis-
ciples qu'on lui attribue, Gassendi, le prince de Conti, Ber-
nier. Chapelle, Hesnault, etc. >> Nous n'admettrions pas que
ç'aient été là des doutes sérieux dans la pensée de l'auteur
des Recherches . Son langage circonspect était naturel lors-
que, voulant donner une solidité inébranlable aux fondements
qu'il jetait d'une nouvelle biographie de Molière, il avait pris
le parti de ne rien affirmer, si ce n'est pièces en main. Il
n'a donc fait que constater sur ce {)oint l'absence de docu-
ments authentiquement certifiés.
Mais s'il a été dans son plan de ne rien avancer que
d'après des actes signés par des officiers publics, on ne doit
cependant pas refuser confiance à d'autres témoignages
qui, sans avoir cette certitude légale, en ont une à peu j)rès
aussi grande. A vrai dire, ceux que l'on peut citer sur les
leçons données par Gassendi ne sont pas, du moins en ce
qui regarde Molière, aussi anciens qu'on s'y attendrait. En
outre il y a des silences qui étonnent, surtout celui de la
Préface de 1G82. Parlant des études de Molière, elle se
borne à dire qu'ayant été très bon humaniste, il devint
encore plus grand philosophe"'. Où? au collège de Cler-
1. Elomire /ly/'ocondre, scène 11 du Divorce comique, p. 70 et 82.
2. Reclierclies sur Molière, p. ig.
3. Voyez ci-dessus, p. 26.
32 NOTICE BIOGRAPHIQUE
mont? S'agit-il d'uno autre école de philosophie? C'était
bien l'occasion de la nommer. Pour expliquer l'étrange
omission, supposerons-nous une discrétion prudente? Mo-
lière se taisait-il habituellement lui-uiême sur un souve-
nir dont pouvaient s'armer contre lui ceux qui ne deman-
daient qu'à l'attaquer comme Epicurien en religion et en
morale ?
On remarquera la même lacune dans les Hommes illustres
de Perrault; là cependant elle embarrasse moins, les notices
y étant extrêmement brèves.
Le premier des biographes de Molière dont on rencontre
le témoignage sur les leçons de Gassendi est Grimarest. Il
dit* que le jeune Poquelin avait fait au collège la connais-
sance de Chapelle et de Bernier; et que, peu après, le père
de Chapelle, M. Luillier, n'épargna rien pour la belle édu-
cation de ce fils naturel « jusqu'à lui choisir pour précepteur
le célèbre M. de Gassendi ». Celui-ci, « ayant remarqué dans
Molière toute la docilité et la pénétration nécessaires pour
prendre les connoissances de la philosophie, se fit un j)laisir
de la lui enseigner en même temps qu'à MM. de Chapelle
et Bernier ». Grimarest ajoute que Cyrano de Bergerac, qui
avait assez mal commencé ses études en Gascogne, se glissa
dans la société des disciples de Gassendi, et qu'il n'y eut
pas moyen de fermer la porte à ce Gascon, qui était en effet
très insinuant et fort difficile à intimider.
Biographes venus plus tard, Lasserre (1734) et Voltaire
(i^Sg) ne sont pas des autorités à invoquer : ils n'ont été
évidemment que les échos de Grimarest, aussi bien que
Saint-Marc (17 jj) dans ses Mémoires pour la vie de Chapelle.
La Vie de Gassendi par le P. Bougerel (1737) a quelques
lignes aussi sur les leçons données à Molière, dans le même
temps qu'à Chapelle. Mais s'il en avait parlé d'après des
renseignements particuliers, il ne les aurait point placées
sous la date manifestement impossible de iG3o, et, d'ailleurs,
c'est Griraiirest qu'il cite à la marge, comme unique source.
Il n'avait pu citer, l'ayant trouvée muette sur ce point, la
préface que Sorbière, son guide ordinaire, a fait imprimer
I. Aux pages io-i3.
SUR MOLIERE. 33
en i658, en tête de l'édition in-folio des œuvres de Gas-
sendi.
Ce qui n'est attesté que par Grimarest na pas coutume
de paraître assez établi*. Mais ici, à défaut de preuves
tout à fait directes, des faits incontestables se trouvent si
bien d'accord avec son dire qu'ils lui donnent plus que de
la vraisemblance, nous ne craignons pas de dire une entière
certitude. On la trouvera, nous le croyons, dans le tableau
que nous avons à esquisser de la petite école de Gassendi.
Il y a dans la vie de ce philosophe des circonstances par-
faitement connues qui cadrent au juste. Pour ce qui est de
Chapelle et de Bernier, n'y eût-il pas sur eux, comme on le
verra, un témoignage du plus grand poids, les relations
qu'ils ne cessèrent d'entretenir avec lui, comme avec un
maître dont ils s'avouaient les disciples, mettent hors de
doute les leçons particulières qu'il leur donna; et il n'est pas
moins assuré que ce fut chez Luillier.
Gassendi était dans un étroit commerce d'amitié avec ce
maître des comptes, bien avant la naissance de Chapelle.
Luillier fut son compagnon de voyage dans les Pays-Bas,
et plusieurs fois son hôte à Paris, d'abord en 1624, puis
I. Bien qu'on doive toujours contrôler son livre, et malgré le
jugement beaucoup trop sévère que Boileau, un jour de mau-
vaise humeur, en a porté dans une lettre écrite le 12 mars 1706
à Brossette, qui lui en avait parlé plus équitablement, nous ne
voudrions pas laisser croire au parti pris de nous défier toujours
de ce biographe. Ce serait ingratitude pour le grand service qu'il
a rendu en écrivant le premier une /"/e de Molière d'une suffisante
étendue, et cela lorsque vivaient encore des contemporains et
familiers du poète, qu'il a consultés. Il y a chez lui un riche et
souvent solide fonds d'informations que les plus dédaigneux ont
été heureux d'exploiter. Nous sommes d'avis que derrière Gri-
marest il est bon de voir ceux qui l'ont renseigné, et que la
valeur de sa T^ie de M. de Molière repose surtout sur celle des
sources qui lui ont été ouvertes. Nous ne faisons là que repro-
duire la conclusion d'un article àwMolière-Museumàe i883 (tome II,
cahier 5) sur le degré de confiance que mérite Grimarest. On lit
ce travail avec fruit. L'auteur est M. Wilhelm Mangold, un des
écrivains allemands, nombreux de nos jours, qui ont étudié avec
grand soin Molière, sa vie et ses ouvrages.
Molière, x 3
34 NOTICE BIOGRAPHIQUE
en 164 1. Cette dernière date, très certaine, est celle qui nous
regarde ^ étant la seule où aient ])u se placer les leçons
données à Chapelle et, suivant Grimarest, en même temps
à ses jeunes amis. Elle nous fait arriver précisément à la
dernière limite du temps où Molière fut libre de prendre
part à ces leçons. Il en avait alors fini avec les classes du
collège de Clermont, et même depuis un an, au compte de
Chalussay. Si l'on accepte ce compte, l'intervalle qu'il faut
admettre entre la fin de ses études du collège et le commen-
cement de celles dont Gassendi eut la direction, ne saurait
soulever aucune sérieuse objection.
Gassendi nous apprend lui-même dans ses lettres à Louis
d'Angoulême, comte de Provence, qu'il partit en janvier 1641
de la province dont son correspondant était gouverneur,
et arriva à Paris au mois de février. Les prélats d'Embrun
l'ayant présenté pour l'agence du clergé, il venait assister à
l'assemblée convoquée à Mantes. Après un voyage dans
cette ville, où il abandonna à un compétiteur l'agence dont,
en philosophe désintéressé, il se souciait peu, il se fixa chez
Luillier, au commencement de mars. Chapelle, né en 1626,
avait alors environ quinze ans. Son père, en le confiant à
son hôte, à son ami, lui donnait un maître savant entre
tous.
I. Ou ne pourrait la rejeter pour les leçons de Gassendi, mal-
gré tout ce qui la confirme et malgré la nécessité où l'on serait
de rejeter en même temps la présence de Molière à ces leçons, que
si l'on ajoutait foi au renseignement donné par Tallemant des
Réaux, dans une phrase de l'historiette de Luillier (tome IV des
Historiettes, édition Moumerqué et Paulin Paris, p. ig4 et igS),
ou, pour mieux dire, si l'on interprétait celte phrase comme l'ont
fait les commentateurs [Ibid., p. 197). « Il alla, dit Tallemant, en
Provence, trouver son bâtard, qu'il avoit donné à instruire à Gas-
sendi, son intime, qu'il avoit logé ici chez lui si longtemps. »
Tallemant était fort capable de confusion dans ses souvenirs.
Ne peut-on croire d'ailleurs qu'il a dit deux choses distinctes, quoi-
que mêlées avec beaucoup d'équivoque? Dans le premier membre
de phrase, que Luillier alla voir Chapelle en Provence : cela peut
être; mais à quel moment? Dans le second, qu'il l'avait donné
à instruire à Gassendi : on n'est pas forcé d'entendre que c'ait
été en ce lemps-là.
SUR MOLIERE. 35
On aurait pu craindre seulement que tant de science n'eût
trop de peine à se mettre à la portée d'auditeurs novices,
bien que d'un esprit très éveillé, comme l'étaient Chapelle
et les jeunes gens qui se joignirent à lui; et cependant c'est
un fait qu'ils sortirent des mains du maître plus ou moins
profondément pénétrés des principes de sa philosophie,
surtout ayant reçu dans l'esprit une empreinte qui ne s'ef-
faça pas; car, à l'appui du témoignage de Grimarest, ceci
est une preuve morale qui en vaut bien une autre : tous ceux
qu'il nomme, comme élèves de Gassendi, ont, sans en excep-
ter Molière, la marque du maître; chacun l'a conservée à sa
manière et suivant son propre caractère.
L'agrément des entretiens de Gassendi, dans lesquels sa
riche mémoire répandait les trésors de la plus belle littéra-
ture, sa modestie, sans ombre de pédantisme, le rendaient
très insinuant. Son caractère, qui commandait le respect,
lui assurait un puissant ascendant.
Un enseignement, qui dut avoir une grande influence
sur le jeune esprit de Molière, est si important à connaître,
qu'on pourrait nous demander d'essayer d'en déterminer
le caractère. Les historiens de la vie et de la philosophie de
Gassendi, ses écrits surtout, fournissent de nombreux éclair-
cissements sur ses doctrines. Tenter de les exposer ici mè-
nerait loin ; les juger avec autorité n'appartient qu'à de
plus compétents. Contentons-nous de quelques traits de la
remarquable physionomie du maître, de ceux qui sont trop
clairement marqués pour être méconnus. Avant tout, une
grande indépendance de pensée. On sait que le très libre
philosophe a porté des coups redoutables, non pas au vrai
Aristote, mais au faux péripatétisrae, qui régnait alors des-
potiquement dans les écoles. Dans le temps même des leçons
données chez Luillier, il examina la métaphysique de Des-
cartes, le grand instituteur de presque tous les fameux es-
prits du dix-septième siècle, et se prépara à la combattre.
Epicure l'avait séduit; il estimait que depuis longtemps il
était jugé avec beaucoup d'injustice et fort calomnié. Il
saluait en lui le grand physicien de l'antiquité, et ne crai-
gnait pas d'adopter ses atomes, non sans les rendre plus
acceptables à la science moderne. Dès i63 j il avait corn-
36 NOTICE BIOGRAPHIQUE
mencé une apologie de sa vie et de ses mœurs qu'il ne
fit imprimer qu'en 1649. Ces audaces, dont le scandale était
augmenté par ses liaisons d'amitié avec plusieurs esprits
forts, lui attirèrent des accusations d'impiété que Voltaire,
dans sa petite pièce des Systèmes, appuie avec une spiri-
tuelle perfidie, tout en constatant chez Gassendi une pensée
quelque peu flottante :
L'incertain Gassendi, ce bon prêtre de Digne,
, . . proposait à Dieu ses atomes crochus,
Quoique passés de mode et dès longtemps déchus.
Mais il ne disait rien de l'essence suprême.
Le portrait est d'une jolie malice : mais il y manque, tout au
moins dans le dernier vers, l'exacte ressemblance. Au mois
d'avril 1641 (nous citons volontiers cette année-là), lorsque
Gassendi examinait les Me'ditatinns sur la première philoso-
phie, ouvrage de Descartes, dont le P. Mersenne lui avait
communiqué le manuscrit, il écrivait au comte d'Angoulêrae
que, sans y approuver les arguments sur lesquels se fonde
la démonstration de l'auteur, il adoptait les conclusions
« que Dieu existe et que l'esprit vit indépendamment du
corps ». Dans une autre lettre datée du mois d'octobre de
la même année, il l'avertissait, à propos de sa défense
d'Epicure, qu'il aurait soin d'attaquer tout ce qui, chez cet
ancien philosophe, était en désaccord avec la religion; il
rappelait les réserves qu'il avait toujours faites en faveur de
la Providence. Nous les trouvons d'ailleurs dans tous ses
écrits, dans son Syntagma philosophicum et dans la lettre à
Descartes qui précède sa Disquisition contre la métaphysique
de ce philosophe, oîi il déclare professer « l'existence de
Dieu trois fois très grand et l'immortalité de nos âmes ».
On a voulu que ce fût prudence. L'astronome et astro-
logue Morin, en querelle avec lui au sujet du système de
Copernic, l'accusait de dissimuler sa vraie philosophie « par
crainte, disait-il plaisamment, des atomes du feu [metu
atomorum ignis) ». Les doutes sur sa sincérité restent sans
preuves. Gui Patin, qui ne lui en aurait pas voulu d'être
plus téméraire, nous paraît avoir donné de lui une idée très
SUR~MOLIÈRE. 87
juste dans ces quelques mots : « 11 étoit homme sage, savant
et bon, tempéré et habile homme, et en un mot un vrai
Epicurien mitigé* ». Gassendi lui-même laisse prendre une
mesure exacte de son épicurisme, en effet très adouci, lors-
que, fatigué de l'insistance de Descartes à l'appeler chair,
et à se réserver à lui-même le nom d'esprit, il lui écrivait :
« En m'appelant chair, vous ne m'ôtez pas l'esprit; vous
vous a])pelez l'esprit, mais vous ne quittez j)as votre corps
[I suffit qu'avec l'aide de Dieu je ne sois pas tellement chair
que je ne sois encore esprit, et que vous ne soyez pas tel-
lement esprit que vous ne soyez aussi chair ; de sorte que vous
n'êtes pas au-dessus de la condition humaine, ni moi au-
dessous, bien que vous reniiez ce qui est humain et que
moi je ne m'y croie pas étranger^ ». Voilà du bon sens,
n'est-il pas vrai? C'est un peu celui que Molière a prêté à
son Chrysale^, sans doute en l'abaissant, mais pour le pro-
portionner au caractère du bonhomme, et non sans laisser
percer quelque chose de sa propre pensée.
Racine, ou, pour mieux dire, Arnauld, cité par Racine^,
impute à Gassendi d'avoir donné des preuves contre l'im-
mortalité de l'âme dans sa discussion avec Descartes.
Arnauld n'y avait pu rien lire de semblable, mais tout le
contraire. La seule explication de son injuste accusation est
que, se faisant juge des intentions, sans en avoir le droit, il
croyait pouvoir tirer des théories de Gassendi sur l'âme
les conséquences repoussées expressément par le philo-
sophe, lequel avait entendu seulement combattre la manière
dont Descartes argumentait et sa méthode philosophique.
S'il est juste de défendre la philosophie de Gassendi
contre ceux qui l'ont accusée de matérialisme et d'athéisme,
1. Lettres choisies de feu M. Guy Patin (Rotterdam, 1726), tome I,
p. 280.
■2. i" Instance, dans les OEinres de Gassendi, tome III, p. 874
et 875. IS'ous avons légèrement modifié vers la fin la traduction
que le P. Bougerel a donnée de ce passage écrit en latin.
3. Les Femmes savantes, acte II, scène vu, vers 542 et 543, qu'il
faut rapprocher des vers 544-546 du rôle de Bélise.
4. Voyez les Œuvres complètes de Racine, tome V, p. 218.
38 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ce n'est pas qu'il faille hésiter à reconnaître en lui un des
esprits hardis de son siècle. Les Gui Patin, les Saint-Evre-
mond, qui lui ont donné de grands éloges, l'ont souvent un
peu trop tiré à eux ; mais on comprend très bien que sa
grande liberté d'esprit fût de leur goût. Ils ne se trom-
paient pas en saluant en lui un courageux ennemi des pré-
jugés, un de leurs alliés dans le combat pour l'affranchisse-
ment de la pensée. Il restait toutefois bien en deçà de leurs
opinions. Telles étaient la confiance qu'on avait dans la sa-
gesse de ce savant homme et l'estime dont il était entouré,
qu'il fut un de ceux à qui l'on pensa, lorsqu'on eut à donner
un précepteur au jeune Louis XIV. Qu il s'en soit fallu de
peu que Molière et Louis XIV aient reçu les leçons du même
maître, n'y a-t-il pas là matière à des rêves pour l'imagi-
nation? Mais la Reine mère n'avait pas écarté la Mothe le
"Vayer pour accepter le libre philosophe. Le choix pour
l'éducation du Roi s'arrêta en 1644 sur Hardouin de Péré-
fixe, lequel devait un jour, étant archevêque de Paris, con-
damner durement la comédie du Tartuffe. Gassendi, qui
d'ailleurs ne vécut pas assez pour connaître le hardi chef-
d'œuvre, ne s'en serait pas montré scandalisé.
Al côté de lui, il n'est pas sans intérêt de voir les jeunes
gens que Grimarest nous dit avoir été, dans son école, les
condisciples de Molière, et qui ont dû avoir sur un camarade
de cet âge leur part d'influence. Nous aurions bien voulu
faire assister nos lecteurs aux leçons données par Gassendi,
aux entretiens des élèves, à l'échange de pensées qu'il y eut
alors entre eux. Comme il n'en a pas été tenu journal, ce se-
rait œuvre d'imagination. Ne pouvant mettre nos person-
nages en scène, il faut nous contenter de donner, de notre
mieux, une idée de leurs caractères ; et il nous semble
que c'est déjà quelque chose. Nous venons de le faire pour le
maître; faisons-le pour ses élèves. En passant cette revue
des jeunes écoliers, nous rencontrerons plus d'une preuve
en faveur de la tradition qui les rassemble dans la maison
de Luillier.
C'est Chapelle qui se présente d'abord, c'est-à-dire celui
a qui étaient destinées les leçons. Ses biographes nous disent
que son père lui avait fait faire « son cours d'humanités à
SUR MOLIÈRE 39
Paris, chez les jésuites^ ». Do quatre ans moins âgé que Mo-
lière, il put cependant, plusvraisemblablement que le })rince
de Conti, se trouver dans les mêmes classes que lui au col-
lège de Clermont, et en sortir vers le même temps, pour
recevoir bientôt après de l'enseignement de Gassendi un
utile complément de ses études. On a de lui une lettre latine'
qu'il écrivait, le i" janvier 1649, '"^ ^^ maître, « le prince
disait-il, des philosophes du siècle présent ». Elle finit par
ces mots : « Continue d'aimer celui que tu as daigné charger
de tant de bienfaits ». On aurait aimé sans doute qu'au lieu
d'une expression un peu vague de sa reconnaissance, il lui
eût rappelé sans périphrase le temps où il avait suivi ses
leçons ; mais il est difficile de donner à tant de bienfaits
un autre sens. Il y a là tout au moins un commencement de
preuve, suffisamment achevé par le fait bien constaté que
Chapelle, dans sa vie de paresse et d'insouciance, ne re-
nonça jamais à consacrer quelques instants à la philosophie
gassendiste. Nous avons d'ailleurs des paroles décisives de
Boileau, qui nous ont été conservées par Brossette sous la
date d'octobre 1702 : « M. Despréaux m'a dit que M. de
la Chapelle, son ami, étoit fils bâtard de M. Lhuilier,...
qui le mit chez M. Gassendi pour l'élever et en avoir
soin^. »
On doit citer aussi la Notice sur Chapelle qui précède
quelques-unes de ses poésies dans \e Recueil de Barbin \ 1 692) *.
Elle est de Fontenelle. On y lit : « Le célèbre M. de Gassendi
lui enseigna la philosophie. » Voilà donc des témoignages
plus anciens que celui de Grimarest, et qui ne sont pas
récusables. Il est regrettable qu'on ne puisse les alléguer
pour tous les disciples; nous aurons du moins à dire tout
1 . Saiut-3Iarc, Mémoires pour la l'ie de C/iapel/e, dans les OEia-res
de Chapelle et de Bachaumont (i755), p. xxvi.
2. Imprimée à la page 5ai du tome \I des OEuvres de Gas-
sendi.
3. Brossette sur Boileau. manuscrit de la Bibliothèque nationale
(F. Fr., i5275), p. 68.
4- Recueil des plus belles pièces des poètes françois... depuis Villon
luscjuà M. de Bcnserade, 5 vol. in-iM. Voyez au tome V,
4o NOTICE BIOGRAPHIQUE
à l'heure que, dans celui de Boileau, Bernier, en même
temps que Chapelle, est nommé.
Chapelle, enfant gâté, n'était pas, autrement que par la
vivacité de son intelligence, en état de profiter, comme il
l'aurait dû, des leçons d'un maître excellent. Il n'avait à
recevoir de son père ni de sages principes, ni de sages
exemples. L'épicurisme du maître des comptes Luillier
s'écartait beaucoup de celui du philosophe, son ami.
Tallemant des Réaux, qui l'a bien connu, ayant été locataire
dans une de ses maisons, était frappé de sa ressemblance
avec les portraits de Rabelais, et constatait cette ressem-
blance jusque dans son humeur. « Il étoit, dit-il, un peu
cynique* »; et ce cynisme fut poussé terriblement loin, s'il
faut croire, sur la foi de ce même médisant, qu'il initia Cha-
pelle, encore tout jeune, à la débauche. Ce qui n'est point
une de ces méchancetés dont on se défie chez Tallemant,
c'est que l'enfant était un bâtard adultérin, et que Luillier,
donnant un scandale qui accuse aussi son temps, où il ne
fut pas sans autre exemple, le fit légitimer* en 1642. Ce ma-
gistrat peu vénérable était instruit et lettré, avec un tour
d'esprit plaisant. Tallemant dit de Chapelle : « Ce garçon
lui ressemble fort par l'humeur et par l'esprit » ; lui aussi,
par conséquent, très rabelaisien. A vingt ans, son inconduite
le fit enfermer à Saint-Lazare, acte de sévérité dont il paraît
avoir été redevable aux deux sœurs de son père, et qui les
lui a fait maudire dans un sonnet. Ses vers sur sa prison
ont des traits qui sentent le libertinage^ comme en ce temps-
là on nommait l'irréligion. Pour ce qui est de l'esprit, il
fut un des hommes de son époque à qui les meilleurs juges
et l'on sait si les arbitres du goût s'y entendaient alors)
s'accordaient à en reconnaître le plus. Le meilleur de cet
1. Historiettes, tome IV, p. 192- igS.
2. Ménage nous a conservé l'acte de cette légitimation dans
son Dictionnaire étymologique, au mot Chapelle : « Il est fait men-
tion de la bâtardise de ce poète la Chapelle dans les légitima-
tions de la Cour des comptes en ces termes : « Charle Emma-
« nuel Luillier, fils de M' François Luillier, ]\P des comptes, et
« de Marie Chanut, femme mariée et éloignée de son mari. Jan-
« vier 1642. »
SUR MOLIERE. 4i
esprit, (|u'i! prodiguait à fonds perdu dans ses entretiens,
n'a pu lui survivre. Ses petits vers cependant, surtout ceux
de son voyage avec Bachaumont, ont un agrément que l'on
goûte encore, mais dont on ne voit pas bien le rapport avec
ses fortes études. Dernier, dans l'épitaphe* qu'il a écrite sur
« l'aimable philosophe », comme il l'appelait, a fait de lui
un éloge qui n'est pas trop exagéré : « Jamais la nature ne
lit une imagination plus vive, un esprit plus pénétrant, plus
fin, plus délicat, ])lus enjoué, plus agréable. Les Muses et les
Grâces ne l'abandonnèrent jamais. Elles le suivoient jusque
chez les Crenets et lesBoucingaults, où elles savoient attirer
tout l'esprit de Paris.... A l'ombre seule il connoissoit le fat,
et le tournoit en ridicule. L'illustre Molière ne pouvoit vivre
sans Chapelle. Il avoit reconnu de quel secours lui étoit un
critique de si bon goût »
Quelque embarrassé que l'on soit, tout d'abord, pour
trouver dans la verve facile de Chapelle et dans l'épicurisme
tout pratique de ce coureur de cabarets la trace des graves
leçons que sa jeunesse avait reçues, il est certain qu'il
n'avait pas étudié sans fruit. « Il joignit, dit Titon du Tillet-,
à la philosophie que le célèbre Gassendi lui avoit enseignée
une grande connoissance des auteurs grecs et latins. »
Une lettre que Bernier, en juin 1668, lui envoya de Chiraz
en Perse^, est fort curieuse à plus d'un titre, et notamment
parce qu'elle nous fait faire connaissance avec un Chapelle
ressaisi dans certains moments par les souvenirs de son
apprentissage philosophique et par des velléités passagères
de travaux qui attestaient quelles provisions de science sé-
rieuse il avait faites sous Gassendi : « Mon très cher, lui
écrivait-il, j'avois toujours bien cru ce que disoit M. Luil-
lier, que ce ne seroit qu'un emportement de jeunesse, que
vous laisseriez cette vie qui déplaisoit tant à vos amis, et
1. Oq la trouvera dans le Journal des Scavaiu du 7 juin 1688,
p. 35. BerDier l'a adressée à Mme de la Sablière, en la priant de
la montrer à la Fontaine.
2. Description du Parnasse français (1727), p. i38 et iSg.
3. Elle est aux pages 169-305 du tome II des Voyages de Fraii'
vois Bernier, Amsterdam, 169g.
',2 NOTICE BIOGRAPHIQUE
que vous retourneriez enfin à l'étude avec plus de vigueur
que jamais. J'ai appris dès l'Hindoustan, par les dernières
lettres de mes amis, que c'est à présent tout de bon, et qu'on
vous va voir prendre l'essor avec Démocrite et Épicure bien
loin au delà de leurs flamboyantes murailles du monde,
dans leurs espaces infinis, pour voir et nous rapporter vic-
torieux ce qui se peut et ne se peut pas... sur l'existence,
l'unité et la providence de Dieu Je me promets que
vous donnerez bien ceci à ma prière, qui est de repasser
un moment sur ces pensées si ingénieuses et si agréable-
ment tournées qu'on a su tirer de vos Mémoires, sur tant
d'autres fragments de même force que je sais qui y ont
resté. 5)
Ces Mémoires de Chapelle sembleraient avoir été quelques
parties des leçons de Gassendi, soit recueillies au temps
où il les avait entendues, soit écrites plus tard de souvenir,
quand le vent soufflait de ce côté-là, et qu'il était « dans
cette netteté d'esprit et humeur philosophique >> où, comme
le lui disait la même lettre, il se trouvait « quelquefois le
matin » à l'heure où il était encore à jeun. Bernier, avec
sa lettre, donnait un coup d'aiguillon dans l'eau, dans une
eau, qui, remuée un moment, redevenait stagnante. Il nous
a du moins permis de surprendre quelques regards du pa-
resseux jetés en arrière vers les savantes études qu'il avait
été capable de comprendre. Lorsque Voltaire, dans les vers
d'une lettre à Chaulieu', évoque l'ombre de Chapelle, il le
voit approcher
.... sa lyre en main,
Et son Gassendi dans sa poche.
Cette poche sent l'épigramme. Voltaire cependant n'a pas
voulu dire que Gassendi n'en sortît jamais; car il se com-
mente ainsi lui-même dans une note : « ... Toutes les fois
qu'il s'enivrait, il expliquait le système [de son maître) aux
convives ; et lorsqu'ils étaient sortis de table, il continuait
la leçon au maître d'hôtel. >> On connaît la piquante anecdote
contée par Grimarest^ du temps perdu sur un bateau par
1. Ecrite le i5 juillet 1716. — 3. Aux pages 2i5-2ai.
SUR MOLIERE. 43
Chapelle à prendre un Minime, qu'il ne savait pas un simple
frère lai, pour arbitre dans sa discussion avec Molière,
celui-ci se déclarant pour la philosophie de Descartes, Cha-
pelle défendant avec vivacité celle de Gassendi.
Nous retrouverons plus d'une fois Chapelle dans la vie de
Molière; car leur intimité dura jusqu'au dernier jour de
notre poète. Si c'est un reproche à faire à Molière, il ne fau-
drait pas l'épargner davantage, non seulement à la Fontaine,
qui n'était pas un sage, mais à Racine et à Boileau. Tous
ces illustres ont été séduits par le gai causeur, dont l'esprit
naturel, très cultivé aussi, était supérieur à ses légères pro-
ductions. Louis Racine a soin de nous dire qu'ils faisaient
au pécheur de continuelles réprimandes^, dont tout à l'heure
parlait aussi Bernier. Si inutiles qu'elles aient été, elles
les dégagent d'une trop compromettante solidarité avec le
grand enfant incorrigible. Ce n'était pas de sa morale,
mais de ses lumières, comme littérateur, qu'ils marquaient
faire cas, lorsqu'ils lui demandaient ses avis, souvent très
bons, sur leurs ouvrages. Boileau, d'après le Bnlaeana-, lui
reconnaissait « bien du goût tant pour écrire que pour
juger. y> Molière le consultait si volontiers que l'on avait
répandu le bruit d'une collaboration. C était faire beaucoup
trop d'honneur à Chapelle; si fin plaisant qu'il fût, il n'au-
rait jamais su écrire une scène de comédie. Il a peut-être
fourni à Molière quelques traits, et proposé quelques judi-
cieuses critiques : rien de plus.
Bernier est, avec Chapelle, le seul que Boileau, au dire de
Brossette, avait cité comme un des auditeurs, chez Luillier,
des leçons de Gassendi, et il l'avait fait en termes assez sin-
guliers pour que nous les croyions textuellement reproduits :
a Dans le même temps [que Chapelle] Bernier étoit chez
M. Gassendi, comme une espèce de secrétaire ou de valet ^. »
Volet, ce doit être, comme en ce temps-là l'on eût pu s'ex-
1. Mémoires sur la vie de Jean Racine, au tome I des OEuvres de
Racine, p. 235.
2. Page g6.
3. A la suite du passage du manuscrit de Brossette, ci-dessu
cité à la page 39.
44 NOTICE BIOGRAPHIQUE
primer aussi, garçon philosophe, ou, comme nous dirions, le
famulus du maître. Le mol de Boileau, qui ne choque peut-
être qu'aujourd'hui, nous paraît donc avoir été simplement
pour lui synonyme de secrétaire. Plus loin, dans le même
manuscrit, Brossette, revenant sur Bernier, dit qu'il « pre-
noit soin de la Chapelle* », apparemment comme répétiteur.
Le tableau de la petite réunion philosophique devient plus
net, et quelques difficultés nous semblent sécJaircir, parti-
culièrement celle-ci que Boileau n'a pas nommé Molière
comme un des élèves de Gassendi : il n'y en eut qu'un, en
titre, Chapelle. Bernier était là pour faire l'office de mo-
deste auxiliaire du maître, tandis que Molière et Cyrano
avaient leurs entrées, moins comme disciples, à proprement
parler, que comme auditeurs surnuméraires : deux ombres
amenées au festin d Epicure par le véritable invité.
Saint-Marc veut que Bernier se soit, de même que Molière,
lié d'amitié au collège avec Chapelle^. Ce n'est peut-être
qu'une conjecture. Mais que Chapelle, évidemment moins âgé
que le secrétaire, l'ait eu ou non pour camarade à Cler-
mont, ce fut lui qui 1 introduisit près du maître. Sur ce point
nous avons le témoignage de Bernier lui-même. Ecri-
vant à Chapelain le lo juin 1668, il le priait de remettre à
Monsieur Chapelle^ en main propre, la lettre que plus haut
nous avons citée*, et disait, sans aucune allusion d'ailleurs
à leur camaraderie de collège : « C'est lui qui le premier
m'a procuré cette familiarité avec Monsieur Gassendi..., qui
m'a été si avantageuse; ce qui fait que je lui suis extrême-
ment obligé, et que je ne puis que je ne l'aime, et ne me
souvienne de lui, quelque part où je sois*. »
Toute modeste qu'on veuille se représenter la place faite
à Bernier dans le savant cénacle, il resta le disciple le plus
attaché à la doctrine, et de tout temps, comme il le prouva
1. Ms. de Bi'ossette, p. 226. La note sur Bernier se rapporte
aux vers 33 et 34 de l'Epître v. Brossette renvoie à la page 167,
qui est celle des OEuvres de Boileau, dans l'édition de 1701 (in-12).
2. Mémoires pour la vie de Chapelle, p. xxvii.
3. Voyez ci-dessus, p. 41 et 42-
4. Voyages de François Bernier, tome II, p. 167.
SUR MOLIERE. /,5
bien. En iGSa, de Montpellier, où il s'était fait recevoir
docteur de la Faculté de médecine, il était en docte cor-
respondance avec Gassendi sur les célèbres découvertes
physiologiques de Pecquet. Il revint de ses lointains voyages
toujours plein du souvenir du maître, qu'il avait alors perdu,
et publia en 1678 Y Abrège de la philosophie de Gasfe/idi, en
1682 les Doutes sur quelques-uns des principaux chapitres de
cet Abrégé. Mais comme c'est moins cela qu'ici l'on tient à
connaître que le caractère, que les opinions, ou téméraires,
ou sages, des gassendistes avec qui Molière étudia, fut en
contact d'idées et de sentiments en 1641, et demeura lié
depuis, que doit-on penser de Bernier? Il ne faudrait pas
trop se hâter de regarder comme un sérieux brevet de phi-
losophie irréligieuse et de morale épicurienne, au sens le
moins bon, les témoignages de sympathie que l'on trouve
pour lui chez Saint-Evremond. Il y a même un passage d'une
lettre du spirituel sceptique à Ninon de Lenclos, où, si l'on
n'apercevait pas facilement entre les lignes le sourire nar-
quois, on le croirait peu s'en faut scandalisé de la morale
excessivement hardie de ce disciple de Gassendi : « M. Ber-
nier, le plus joli philosophe que j'aie connu {joli philosophe
ne se dit guère ; mais sa figure, sa taille, sa manière, sa
conversation l'ont rendu digne de cette épithète-làs M. Ber-
nier, en parlant de la mortification des sens, me dit un jour :
« Je vais vous faire une confidence que je ne ferois pas \
Mme de la Sablière, à Mlle de Lenclos même, [et] que je
tiens d un ordre supérieur; je vous dirai en conûdence que
\ abstinence des plaisirs me paroit un grand pe'che. » Je fus
surpris de la nouveauté du système : il ne laissa pas de
faire quelque impression sur moi. S'il eût continué son dis-
cours, peut-être m'aurait-il fait goûter sa doctrine*. »
C'était à faire rougir, à moins des développements attendus,
la chasteté de Saint-Évremond et celle de Ninon. Mais y
avait-il donc deux hommes dans Bernier? Le meilleur, le
plus fidèle, nous le crovons, aux leçons de Gassendi, était
celui qui écrivait à Chapelle cette lettre de 1668, dont nous
I. OEuvres de M. de Saint-Evremond (1733], lonie VI, p. 232
et 333.
46 NOTICE BIOGRAPHIQUE
avons déjà tiré quelques citations. En voici d'autres passages
préférables à la confidence révélée par Saint-Evremond et
qui nous paraissent être du vrai gassendisme : « Je vous
dirai ceci sur la nature de notre entendement, ^/w'// me semble
qiî il y a en nous quelque cliosc de plus parfait que tout ce que
nous appelons corps et matière. » S'il admettait les atomes de
Démocrite et d'Épicure, il refusait d'imaginer qu'ils pussent
« former un animal qui soit tel que Thomme dans ses opé-
rations Nous devons prendre une plus haute idée de
nous-mêmes et ne pas faire notre âme de si basse étoffe que
ces grands philosophes, trop corporels en ce point; nous
devons croire pour certain que nous sommes infiniment plus
nobles et plus parfaits qu'ils ne veulent, et soutenir har-
diment que si nous ne pouvons pas bien savoir au vrai ce
que nous sommes, du moins savons-nous très bien ce que
nous ne sommes pas ; que nous ne sommes pas ainsi en-
tièrement de la boue et de la fange, comme ils prétendent. »
Ni matérialiste, ni athée, tel nous pourrions, sans trop d'il-
lusion, ce nous semble, nous le représenter, d'après ces
éloquentes paroles, dès le temps où il aidait le maître à
instruire ses disciples, et dut contribuer, jjour sa part, à
jeter dans l'esprit de Molière les semences d'un certain
scepticisme sans doute et d'une philosophie indépendante .mais
en même temps d'une honnête répugnance à des doctrines
dégradantes. Faut-il croire que plus tard, à l'époque où il
visita Saint-Evremond en Angleterre, Bernier s'était beau-
coup gâté ? La Bruyère, dans son chapitre des Esprits forts,
a dit : « Quelques-uns achèvent de se corrompre par de
longsvoyages, etperdent lepeude religion qui leur restait*. »
M. Servois demande^ si ce n'est point à Bernier qu'il pensait.
Il semble hien. Dans les quelques lignes sur Bernier du Ca-
talogue des e'crivains français dans le Siècle de Louis XI f^ ,
Voltaire lui donne cet éloge : « mort en vrai philosophe. »
Nous n'avons pas de peine à comprendre. La mort du dis-
1. OEuvres de la Bruyère (dans les Grands écrivains de la France)^
tome II, p. 238.
2. Ibidem, p. 427.
3. OF.Ui'res de Voltaire^ lome XIV, p. 40.
SUR MOLIÈRE. 47
ciple aurait donc été différente de celle du maître, que Gui
Patin nous apprend avoir été « confessé et communié more
majorum », et qu'il laissa « mourant entre les mains de deux
prêtres » ; ce qui lui arrache cette exclamation de douleur :
« Sic moriuntur magni homines^. »
Quand il serait certain que Bernier eût été un de ceux que
la Bruyère avait vus se laisser à la lin corrompre par les
longs voyages, si ce n'est plutôt par la fréquentation de Saint-
Évremond et de son monde; n'aurions-nous pas le droit,
que nous réclamions tout à l'heure, de ne pas lui attribuer,
quand Molière l'avait pour compagnon d'études, d'autres
sentiments que ceux de sa belle lettre à Chapelle ? Sans qu'il
soit utile de chercher s'il était resté fidèle à ces sentiments,
lorsque, dans sa maison d'Auteuil, Molière, d'un âge alors
où l'on n'a plus d'influence à subir, revit cet ami de jeunesse
qui, depuis longtemps absent, revenait des Etats du Grand-
Mogol, le récit que Grimarest a fait de leur entrevue^ n'est
pas ici sans intérêt, comme preuve de leur sympathie. Nous
en admettons d'autant plus la vérité qu'évidemment écrit
sous la dictée de Baron, il n'est pas à l'honneur de ce fat,
assez impoli pour montrer au célèbre visiteur combien l'en-
nuyaient ses histoires de voj^ages, et pour se permettre de
lui dire que Molière n'avait que faire des soins qu'amicale-
ment il lui offrait en sa qualité de médecin. L'anecdote ne
constate pas seulement (c'était superflu) l'insolente sottise
de Baron, mais l'affectueux souvenir que Molière avait gardé
de son ancienne liaison avec le gassendiste : « Taisez-vous,
jeune homme, dit-il, vous ne connaissez pas M. Bernier, et
vous ne savez pas que c'est mon ami. ■»
Cyrano de Bergerac est nommé par Grimarest comme un
des auditeurs, avec Chapelle, Bernier et Molière, des leçons
de Gassendi. Sa jeunesse était trop bien connue pour qu'on
le supposât sorti, lui aussi, du collège de Clermont. Il nous
semble d'abord un intrus dans la maison de Luillier; mais
plus sa présence y est inattendue, moins est suspecte la
I. « Ainsi meurent les grands hommes ». — Lettres à Cliarles
Spon du 21 septembre et du 26 octobre i655.
a. La Vie de M. de Molière, p. 210-21 5.
48 NOTICE BIOGRAPHIQUE
tradition qui l'y place parmi les jeunes étudiants. Ce ba-
roque spadassin, cet écri"win burlesque napas, au premier
aspect, le moindre air d'un philosophe; il le fut pourtant à
sa manière; et parmi d'autres fantaisies il eut celle de la
science.
Quelques détails biographiques ont été donnés sur Cyrano
par le Bret*, compagnon de sa jeunesse. Il ne dit pas un
mot de son apprentissage philosophique sous Gassendi
en 164 1, et ce silence serait gênant, n'étaient d'autres
omissions aussi étranges dans ses souvenirs. Si le témoin
fait défaut au moment où l'on aurait compté sur lui, du
moins ce qu'il nous apprend de son ami dans les années qui
ont précédé, nous conduit à un temps qui se prête exacte-
ment à la tradition recueillie par Grimarest. Cyrano, né
en 1619, avait d'abord été en pension avec le Bret chez un
bon curé de campagne. Puis son père l'envoya à Paris. Là,
ce qui est également oublié par le Bret, mais est parfai-
tement établi d'ailleurs, il acheva ses classes au collège de
Beauvais-Dormans, dont il a si bien ridiculisé le principal,
Jean Grangier. Comme il abusait de la liberté qu'il avait à
Paris, on l'arracha aune vie de désordre en le faisant entrer
dans une compagnie des Gardes. Il s'y rendit fameux par
ses duels presque quotidiens, auxquels il trouvait le temps
de mêler des amusements poétiques. Il fut blessé au siège
de Mouzon en lôSg, au siège d'Arras au mois d'août 1640.
Ce fut alors qu'il renonça au métier des armes, et, comme
dit le Bret, « quitta Mars pour se donner à Minerve ». On
voit à quel moment nous le trouvons libre de rencontrer la
savante déesse sous les traits de Gassendi. C'est précisément
celui où le philosophe permettait à quelques jeunes gens de
se joindre à son élève Chapelle.
Que l'audacieux gascon ait jusqu'à un certain point forcé
l'entrée de la maison de Luillier, on l'a dit, et peut-être
avec quelque vérité : il était homme à prendre d'assaut tous
les logis ; mais cette fois les approches lui ont probablement
été facilitées par Chapelle. Celui-ci, à qui de très bonne heure
on avait laissé la bride sur le cou, pouvait avoir eu dans les
I . Dans sa préface sur le Voyage dans la lune.
SUR MOLIERE. 49
joyeuses compagnies des occasions de rencontre avec le
mauvais sujet.
Si jamais Cyrano a été disciple de Gassendi, le seul temps
où il a pu l'être est celui des leçons chez Luillier. Or tout
prouve qu'il a étudié sous ce philosophe. Le Bret, dans la
préface, tout à l'heure citée, où il raconte la vie de son
ami, porte Gassendi aux nues : « Notre divin Gassendi, si
sage, si modeste, si savant en toutes choses. » De telles
louanges données là sont déjà significatives. Il y a plus; il
fait remarquer avec raison que le Voyage dans la Lune, à
propos duquel cet éloge est venu sous sa plume, offre cer-
taines idées dont on trouve quelques traits dans des écrits
de Gassendi. L'auteur lui-même de ce voyage fantastique y a
glissé quelque part un hommage au maître. Un natif du
Soleil, parlant de tous les grands hommes qu'il a visités sur
la terre, dit : « J'ai fréquenté en France la Mothe le Vayer
et Gassendi. Ce second est un homme qui écrit autant en
])hilosophe que ce premier y vit. « On est encore plus frappé
de ceci que les voyages astronomiques où Cyrano, ou-
vrant la voie à l'imagination mieux réglée d'un de nos
contemporains, mêle la science aux jeux de ses rêves,
en outre les fragments, ceux-là sérieux, qu'il a laissés
sur la physique, révèlent un esprit formé par un docte
enseignement. Il serait facile dans ses écrits, dans le dernier
surtout, de noter bien des traces de Gassendi. On a remar-
qué, il est vrai, qu'il suit, comme physicien, Rohault de plus
près encore ; peu importe : ce cartésien-là avait commencé
par être gassendiste. 11 ne faut pas d'ailleurs s'attendre à
trouver invariablement assujetti à un maître un esprit aussi
irrégulier et capricieux que celui de Cyrano. Ce n'est point
pour s'être mis sur quelques points de science du côté de
Rohault qu'il a été le plus infidèle à Gassendi, auquel il
doit son atomisme, mais non pas l'exagération de son sen-
sualisme, ses théories matérialistes. On sait que des vers de
sa tragédie à' Agrippine furent accusés d'impiété, non sans
apparence. Plus qu'aucun de ses condisciples de 1641, il a
eu la réputation d'esprit fort. Nourri du même enseigne-
ment, sa fougueuse déraison en a dénaturé les principes.
Dans la petite réunion il avait probablement une place
Molière, x 4
5o NOTICE BIOGRAPHIQUE
excentriquo. Toutefois, pour de jeunes compagnons d'étude
sa manière de philosopher n'était pas sans danger, bien qu'elle
eût pour contrepoids celle du maître, et que l'esprit juste de
Molière ait pu se défier d'une si bizarre imagination. C'était
sans doute avec plus de curiosité que de sympathie que
celui-ci observait ce demi-fou, qui avait, dans son extrava-
gance, des lueurs d'un génie peu ordinaire. 11 y a lieu de
penser qu'il le trouvait foi't amusant, et il dut y avoir entre
les deux jeunes gens de très gais entretiens. Nous ne dou-
tons pas que Molière ne sût alors gré à Cyrano de ses
excursions dans le pays de la poésie, surtout de son goût
pour le comique. Mais de ce côté même il est assez probable
que, tout jeune qu'il fût, il se tenait sur ses gardes, rien
n'étant plus contraire à l'instinct de son droit jugement que
l'insipide profusion de pointes et la bouffonnerie à outrance.
Quoi qu'il en soit, Brossette rapporte cette parole de Boi-
leau : « Molière aimait Cyrano'. » C'est peut-être l'expli-
cation d'une certaine indulgence de l'auteur de V Art poétique
pour la burlesque audace^ de cette imagination effrénée.
Nous ne pourrions dire jusqu'à quel point Molière et
Cyrano continuèrent leur liaison après leur rencontre de
condisciples philosophes; mais il est certain que Molière
avait gardé souvenir d'une verve comique, très heureuse
parfois, malgré tant de mauvais alliage. Il est remarquable
que dans le canevas de la Jalousie du Barbouillé , quelques
plaisanteries en rappellent de semblables du Pédant joué.
Ces emprunts d'équivoques grossières faits à la pièce de
Cyrano sembleraient démentir ce que nous venons de dire
du bon sens précoce, qui doit lui avoir fait vite reconnaître
chez Cyrano beaucoup de bourbe parmi quelques parcelles
d'or. Mais ses premières farces ne sauraient donner la
mesure de son goût au temps où il les a ébauchées : en ce
temps-là, il fallait vivre avant tout, et la nécessité d'amuser
des spectateurs peu délicats lui faisait ramasser de côté et
d'autre des facéties de leur goût et à leur portée. Ce qui
était vraiment bon dans le Pédant joué \n\ a seul laissé une
1. Ms. de Brossette, p. 88.
2. Art poétique^ chaut IV, vers Sg et 4o.
SUR MOLIERE. 5i
impression durable. Il n'a pas dédaigné d'en mettre à pro-
fil deux scènes dans ses Fourberies de Scapin^ où il en a
enchâssé les meilleurs traits, comme des diamants dégagés
de leur gangue et supérieurement mis en œuvre : c'est à
cette occasion qu'il disait : « Je prends mon bien où je le
trouve. « En le trouvant chez Cyrano, il lui faisait beaucoup
d'honneur. C'est peut-être à son exemple aussi qu'il a fait
parler à ses paysans la langue du village. Avec quelques
autres bagatelles comiques auxquelles s'amusait sans doute
Cyrano, Molière a-t-il connu son Pc'dant joue', dès le temps
de leur camaraderie chez Luillier? C'est le plus probable,
quelques objections qu'on ait tirées d'une allusion dans cette
pièce à un événement de 1645 : l'auteur a pu ajouter
quelque chose, quand il a retouché sa comédie avec le
dessein de la faire jouer; ce fut assez tard en effet qu'elle fut
imprimée, en iG54 seulement: et l'on croit de la même an-
née les premières représentations ; mais lorsqu'on veut que
la composition s'en soit fait attendre jusque-là, on est forcé
de juger étrangement patiente et manquant d'à-propos par
sa date, cette vengeance d'écolier contre le principal Gran-
gier. Si elle n'est pas du temps même du collège de Beauvais,
elle doit être d'un temps très voisin ; on reste dans la vraisem-
blance en la supposant déjà communiquée à Molière en 164 1.
Il est naturel de se représenter les deux condisciples, qu'at-
tirait semblablement la comédie, échangeant, en dehors des
heures philosophiques, des confidences sur leurs projets, et
même sur leurs premiers essais.
En cherchant à nous re|)résenter, autour de Gassendi.
les physionomies de Chapelle, de Bernier et de Cyrano,
c'est à Molière que nous avons pensé. Nous n'avions affaire
ici à ses jeunes camarades que pour l'intérêt qui s'attache
à leurs relations familières avec lui. Ces relations, dès le
temps de la petite réunion philosophique, ne laissent guère
de doutes, quand on en voit plus tard la continuation, avec
un air de camaraderie de vieille date. Déjà donc il y a là un
sérieux indice de la présence de Molière aux leçons du cé-
lèbre maître. Nous allons en recueillir d'autres; et, pour
achever notre visite dans la maison de Luillier, nous nous
placerons plus directement en face de celui dont nous écri-
52 NOTICE BIOGRAPHIQUE
vons la vie, et nous reconnaîtrons que là seulement il put
étudier la philosophie.
Nulle apparence qu'il soit sorti du collège de Clermont
aussi savant, aussi grand philosophe que le dit la Préface
de 1682. Grand philosophe! Qui a mieux mérité ce titre
que cet incomparable scrutateur de la nature humaine ?
Mais il n'avait pas encore cette gloire au temps dont par-
lent les auteurs de la Prc'face. Leur témoignage a un autre
sens. Ce qu'ils ont voulu constater, nous le croyons, c'est
la remarquable connaissance qu'au sortir de ses études iî
avait déjà de la science philosophique. Un don particulier
du génie suffit à la profonde observation des mœurs et des
caractères: mais bien j)osséder les notions spéciales de la
philosophie proprement dite, cela ne s'acquiert qu'en re-
cevant un fort enseignement. Que l'on ait pu dire sans exa-
gération qu'il les possédait, on en rencontre des preuves
dans ses comédies. N'en cherchons pas dans la Jalousie du
Barbouillé, petit canevas oîi il y aurait tout au plus à noter
quelques traits contre Aristote , qui , sans avoir rien de
savant, pourraient sentir l'école de Gassendi, s'ils n'étaient
pas d'ailleurs un lieu commun des farces de ce temps.
Beaucoup plus dignes d'attention sont deux scènes du
Mariage forcé^, liouffonneries en apparence, réellement sa-
tires excellentes, qui trahissent un auteur fort au courant
des disputes philosophiques. Le docteur aristotélicien Pan-
crace, dans son intarissable babil, n'appai'tiendrait pas à la
vraie comédie, s'il ne débitait cpie des non-sens, propres à
provoquer le gros rire ; mais sous cette caricature (on en
])out dire autant de celle de Marphurius le pyrrhonien) il y
a mieux que le Pe'dant, type usé des vieilles farces, il y a un
enragé docteur sachant son affaire, et nourri à fond des
principes de l'école, Il fallait bien que Molière les eût par-
faitement étudiés lui-même; et personne ne croira qu'écri-
vant une petite pièce au pied levé il se soit donné la peine
de les apprendre pour le besoin du moment. On a pu se
tromper quelquefois sur le flux de paroles qui tombe de la
docte bouche de Pancrace et n'y voir que des coqs-à-l'âne.
I. Les scènes iv et. t.
SUR MOLIERE. 53
Un maître d'une grande autorité^ a fort bien expliqué que
les questions, dont le pédant personnage fait un étalage
ridicule, sont très intelligibles pour qui en sait l'histoire.
Qu'on se souvienne aussi des Femmes savantes, où quelques
traits, justes toujours, ont suf(i pour caractériser chacune
des différentes sectes^ : le Platonisme, avec ses abstractions ;
le Péripatétisme, auquel on s'attache pour V ordre; Des-
cartes, et sa matière subtile, ses tourbillons, ses mondes
tombants, sans oublierses dis])Utes sur le vide avec Gassendi,
ni les points de doctrine particulièrement chers à celui-ci.
les dogmes forts d'Epicure, et ses petits corps.
Molière, dans son allusion à cette dernière philoso|)hie,
n'a pas un mot, il faut le dire, qui fasse pencher la balance
de son côté. C'est ailleurs que nous chercherions une
meilleure preuve de l'étude qu il en fit dans sa jeunesse;
c'est dans cette traduction de Lucrèce, malheureusement
perdue, mais dont l'existence est parfaitement attestée^. On
ne trouverait aucune époque où il ait pu avoir le loisir,
disons même le goût, d'y travailler, sinon au temps des
leçons de Gassendi. Le poème De la Nature des choses était
le bréviaire de ce maître, qui le cite continuellement dans
ses lettres, et le savait tout entier par cœur, au témoignage
de Bernier *. Une prédilection si décidée indique par qui fut
conseillée au jeune Molière, comme l'exercice poétique le
moins étranger de tous à ses travaux philosophiques, une
traduction hérissée de tant de difficultés ; il n'est pas à sup-
poser qu'il ait de lui-même choisi cette rude tâche. Il la
simplifia; car on nous appi'end qu'il s'était borné à traduire
en prose et en vers la meilleure partie du poème ^. Il avait
1. M. Paul Janet. Voyez, dans la Rauic politique el lUléraire du
26 octobre 1872, le mémoire qu'il a lu à l'Institut : la Philoso-
phie dans les comédies de Molicre. ^ows y faisons plus d'un emprunt.
2. Les Femmes savantes, acte III, scène 11.
3. Voyez aux pages SSg et 56o de notre tome V.
4. Dans l'avis au lecleur qui prceèdc son id)régé de la philoso-
phie de Gassendi.
5. Voyez le fragment d'une lettre de Chapelain à Bernier,
citée par Sainte-Beuve dans ses Causeries du lundi, tome XIV,
54 NOTICE BIOGRAPHIQUE
apparemment réservé les vers pour les morceaux les moins
arides, tels que celui dont il a placé dans le Misanthrope
une imitation sans aucun doute retouchée, peut-être toute
nouvelle. II est permis de croire qu'il n'aurait pas, même
en prose, abordé les autres, si ce n'avait été pour obéir à
Gassendi.
La date que nous croyons être celle de la traduction de
Lucrèce par Molière pourrait donner lieu à une objection,
dont nous sommes peu touché. L'abbé de Marolles prétend
que Molière avait avoué « plus d'une fois qu'il s'étoit servi
de la version en prose dédiée à la Sérénissime Reine Chris-
tine de Suède. » La version dont il parle est la sienne. Elle
ne fut publiée qu'en i65o. Mais comment croire que celle
de Molière ne soit pas antérieure? Si l'aveu qu'on lui prête
n'est pas une invention de la vanité de Marolles, il faudrait
seulement admettre que, pour corriger quelques passages
de cette étude poétique de sa jeunesse, il n'avait pas dédai-
gné de consulter le très médiocre travail de 1 abbé. Restât-il
des doutes sur l'époque ou Molière traduisit le poète de la
philosophie d'Epicure, nous dirions encore : Gassendi est
là : il n'y a que ses leçons qui aient pu engager Molière,
plus tôt ou plus tard, dans ce commerce avec Lucrèce*.
p. i38, note a. — L'al)bë de Marolles, dans la préface de la se-
conde édition de sa traduction de Lucrèce (lôSg), parle de celle
de Molière, dont il avait vu deux on trois stances du commence-
ment du livre II, qui lui avaient « semblé fort justes et agréables ».
Que n'a-t-il, rendant un meilleur service aux lecteurs que par sa
pauvre version, cité ces stances, où vraisemblablement on recon-
naîtrait, à quelque âge que Molière les ait écrites, la main d'un
poète dans la lutte avec les vers magnifiques : Suave mari magno...?
I. Nous n'aurions eu à revenir plus loin sur cette traduction,
dont la perte est si regrettable, que si nous savions comment
elle a péri. Grimarest (p. 3ii et 3 12) raconte qu'un des domes-
tiques de Molière, le même peut-être qui le chaussait à l'envers,
en ayant trouvé un cahier sous sa main, en fit des papillotes
pour la perruque de son maître, qui, dans sa colère, jeta le reste
au feu. On a tenu assez généralement cette luiecdote pour un
conte. Grimarest avait dit un peu plus haut (p. 309 et 3 10) que
Molière avait laisse' des fragments de pièces inaciiov(>es, et même
SUR MOLIERE. 55
Quoique un tel indice, très frappant à la condition de
n'être pas le seul, ne puisse raisonnablement paraître avoir
la même valeur pour tous ceux qui ont traduit Lucrèce vers
ce temps-là, il n'en a pas fallu d'autre pour que l'on ait cru
voir dans notre petite école gassendiste un homme célèbre
par des vers élégamment traduits du début du même poème.
On lit partout aujourd'hui le nom de Hesnault associé à
ceux que donne Grimarest. N'acceptons pas ce nouveau
disciple, enrôlé arbitrairement et trop tard. Il l'a été pour
la première fois, à notre connaissance, par Auger dans son
édition des Œuvres de Molière (i 819), plus digne ordinaire-
ment de confiance*.
quelques pièces entières (qui le croira?); que sa femme, dans son
insouciance, les donna à La Grange; que celui-ci les conserva
jusqu'à sa mort; mais que Mme La Grange vendit toute la biblio-
thèque de son mari, où apparemment se trouvaient les précieux
manuscrits, non pas toutefois, selon lui, la traduction de Lucrèce,
puisqu'il la croyait brûlée par Molière. Si la veuve de Molière
avait donné à La Grange les manuscrits de 3Iolière, ce ne serait
donc pas chez sa mère que le jeune Guérin les avait eus à sa
disposition, comme il le déclare dans la préface de Mvrtil et Mé-
licerte. Différente est la version de M. Loiseleur, qui n'en fait pas
connaître les preuves. Mme Molière, dit-il, vendit la traduction
six cents livres à Barbin; celui-ci, trouvant l'ouvrage dangereux,
refusa de le publier. On ne sait vraiment que penser de ces ré-
cits, qui ne s'accordent pas. Parmi les points obscurs, celui de la
disjjarition du poème De la Nature ne nous semble pas éclairci.
I. Voyez la T-'ie de Molière au tome I de cette édition, p. lxxxvii
et Lxxxnii. — Plus loin, à la p. cvii, Auger croit avoir constaté
une étroite liaison entre Molière, Chapelle et Hesnault, qui don-
nerait quelque vraisemblance à la présence de ce dernier dans la
maison de Luillier en 1641. Il s'appuie sur l'autorité de Gui
Patin ; il n'aurait dû alléguer que celle du Patiniana (Amsterdam,
1703) ; car c'est là seulement que l'on trouve à la page 80 le pas-
sage qu'il cite : « D'Hénault... voit souvent deux hommes qui
ne sont pas plus chargés d'articles de foi que lui; ce sont Cha-
pelle et Molière. » Soit dit en passant, on ne saurait attacher
d'importance à un certificat d'irréligion donné par Gui Patin.
Mais est-ce bien lui qui parle? N'est-ce pas plutôt celui à qui on
doit cette édition du Patiniana, c'est-à-dire Bayle? Dans le Dic-
tionnaire du même Bayle, au mot P.\tiîj [Guy) on lit cette phrase :
§$ NOTICE BIOGRAPHIQUE
Molière, demandera-t-on, s'est-il donc jamais, comme
Bernier, Cyrano même et Chapelle, montré gassendiste?
A leur manière, non; car ils ont plus ou moins philosophé
sur les atomes et sur les autres théories favorites du maître,
ce que lui n'a pas fait. On a dit' qu'il se laisse reconnaître
pour son disciple dans sa guerre contre la médecine, parce
qu'au témoignage de Sorbière « Gassendi badinoit agréa-
blement et il y avoit j)laisir à l'entendre sur les médecins ».
Mais lorsque Molière, à son tour, donne à ses traits acérés
la Faculté pour cible, il n'est pas besoin de voir du gassen-
disme en cette affaire. En général, le gassendisme de Molière,
celui du moins qui serait doctrinal, on a raison quand on ne
le distingue pas clairement. On croirait même volontiers
notre poète dans un autre camp philosophique, le voyant si
lié avec le cartésien Jacques Rohault ; mais le principal
domaine de Rohault a été la physique, dont sans doute
Molière ne s'est jamais beaucoup occupé. Son schisme s'est
mieux déclaré par cette dispute dans un bateau avec Cha-
pelle, dont nous avons déjà parlé d'après Grimarest^. Nous
y revenons pour citer le langage que le biographe met
dans la bouche de Molière, le jour qu'il s'échauffa si fort
pour Descartes et contre Gassendi : « J'en fais juge le bon
père, si le système de Descartes n'est pas cent fois mieux
imaginé que tout ce que M. de Gassendi nous a ajusté au
théâtre, pour nous faire passer les rêveries d'Epicure. Passe
pour sa morale ; mais le reste ne vaut pas la peine que l'on
« [ses lettres] témoigDeut que le symbole de l'auteur n'etoil pas
chargé de beaucoup d'articles ». Cette expression originale plai-
sait évidemment à Bayle. Il est vraisemblable que c'est à lui seul
qu'elle appartient, et que, la faisant servir deux fois, tantôt il l'a
tournée contre Gui Patin, tantôt il la lui a prêtée. Un témoi-
gnage si peu sérieux ne prouve donc rien, pas même que Molière
ait jamais été dans des relations intimes avec Hesnault.
I. Voyez dans la Biographie générale l'article Gasse>di, qui est
de M. Aube. — Les traces de Gassendi dans les comédies de Mo-
lière y sont cherchées avec soin, et généralement avec une saga-
cité qu'on ne trouve pas en défaut, et qui nous a. plus d'une fois,
mis dans la voie.
a. ^"oyez ci-dessiis. p. 42 et 43.
SUR MOLIÈRE. 57
yfasse attention. » Sainte-Beuve s'est emparé de ces paroles.
Molière, a-t-il dit', « de Gassendi prend surtout l'esprit,
non le système, non les atomes ; et il croit, suivant son propre
aveu, et malgré Chapelle qui prend tout ten glouton qu'il
est), que d'Epicure et de Gassendi il n'y a guère de bon que
la morale ». Il ne resterait plus qu'à confondre cette morale,
ce qui serait d'ailleurs très injuste, avec celle qui fait con-
sister le souverain bien dans le plaisir sensuel, et voilà
Molière compromis. Nous nous hâterons moins de prendre
pour le « propre aveu » de Molière le petit discours que
l'ien ne permet de croire textuellement rapporté. Mais nous
acceptons le fond de l'anecdote. Molière s'est rangé du côté
de Descartes. Il n'y a pas là de quoi le rayer de la liste des
anciens disciples de Gassendi. On ne s'étonne pas qu'un
homme de ce caractère n'ait pas aliéné l'indépendance de
son jugement. Gassendi lui-même l'avait formé à cette
liberté. Au reste, on ne croira pas qu'il ait jamais aimé à se
perdre dans les brouillards métaphysiques. Il lui convenait
surtout de tirer de l'enseignement du maître une philoso-
phie pratique, la philosophie de la vie, et pour laisser parler
M. Janet^, « celle des gens du monde, aussi opposée que
possible aux philosophies subtilisantes et aux extravagances
spéculatives. » Celle-là seule put lui être utile, quand il
amassa son trésor d'observateur moraliste, et dut lui plaire
dès sa jeunesse dans sa vocation particulière. Si c'est là ce
que Grimarest a voulu lui faire dire par les paroles qu'il a
mises dans sa bouche sur la morale de Gassendi, à la bonne
heure. Il faut ajouter que la clairvoyance de Molière était
trop pénétrante pour que dans toute ambitieuse doctrine
formée par un esprit systématique il n'aperçût pas quelque
côté faux. S'il ne manqua pas d'en apercevoir dans celle de
Gassendi, cela n'empêche pas que par sa puissante méthode
elle n'ait été de nature, sinon à créer, du moins à forti-
fier chez lui la rectitude de jugement, l'admirable raison
qui ne lui ont jamais fait défaut. Vraisemblablement aussi
il doit bien à ses études philosophiques quelque chose du
1. Port-Royal, tome III, p. i-jî.
2. Dans récrit déjii ciu-, p. 53.
58 NOTICE BIOGRAPHIQUE
sérieux profond mêlé dans toutes ses pièces à la plus
franche gaieté. Enfin l'on n'accorderait pas trop peut-être à
Gassendi, si l'on pensait que les sages et hautes leçons de ce
maître, homme de bien, ont contribué à solidement établir
dans l'âme de Molière les principes de cette droiture qui
l'a fait estimer et aimer. On n'a jamais pu dire que Molière
ait été épicurien à la façon de Chapelle; qui ne l'était pas à
celle de Gassendi. Quelque intime et durable que soit restée
par la suite la liaison des deux camarades, leur genre de
vie fut très dissemblable. Chapelle, « le grand ivrogne du
Marais », pouvait se nommer, à plus juste titre qu'Horace,
un pourceau du troupeau d'Epicure, dans lequel il préten-
dait faire entrer ses amis. Dans sa lettre en vers au marquis
de Jonsac, célébrant une réunion de buveurs à la Croix de
Lorraine, oîi se trouvait Molière, il s'est amusé à le montrer
ce jour-là aussi peu sage que les autres :
Molière que bien connoissez,
Et qui nous a si bien farcez
Messieurs les coquets et coquettes,
beuvoit assez
Pour vers le soir être en goguettes.
On sait par les Mémoires de Louis Racine et par Grimarest
qu'il s'est également donné le plaisir d'enivrer traîtreuse-
ment Boileau, comme il s'en est vanté :
. . . renversant ta cruche à l'huile,
Je te mis le verre à la main.
Molière, tout comme Boileau, connaissait mieux la cruche
à l'huile que la bouteille aux petits glouglous. Tous deux ne
cessaient d'exhorter leur incorrigible ami à se guérir de
son vice. L'anecdote du souper d'Auteuil nous fait voir
Molière seul raisonnable au milieu de gens mis en péril par
la folie du vin. Non seulement sa faible santé, mais ses goûts
le portaient à la sobriété. On ne doit pas se le figurer non
plus dune morale trop épicurienne en amour. De ce côté sans
doute sa vie fut celle d'un comédien. Cependant Grimarest,
qui parle quelque part de son « penchant pour le sexe* »,
I. La vie de M. de Molière, p. aSo.
SUR MOLTÈRE. Sg
n en dit pas moins ailleurs' qu'il « airaoit les bonnes
mœurs ». Nous ne soupçonnons pas là une banale complai-
sance de biographe. Celui dont le cœur fut toujours plein
de tendresse pour sa femme, quelques sujets de plaintes
qu'elle lui donnât, nous ne le voyons point marqué du ca-
ractère d'un débauché.
On n'a pas davantage découvert sérieusement, malgré la
bonne envie qu'on y a mise, on n'a pas signalé de manière à
nous convaincre, l'impiété dont il a été souvent taxé. C'est
un grief qu'un de ses contemporains, Adrien Baillet, a très
durement développé. Tartuffe ne lui semblait pas la plus
dangereuse de ses comédies. Il trouvait les semences de
l'irréligion « répandues d'une manière si fine et si cachée
dans la plupart de ses autres pièces qu'on peut assurer qu'il
est infiniment plus difficile de s'en défendre que de celle
où il joue pèle et mêle bigots et dévots le masque levé^ ».
L'exagération du zèle avait fait prendre à ce rigoriste des
lunettes grossissantes. Plusieurs, dans l'entraînement d'un
zèle tout contraire, ont également inscrit 3Iolière sur la
liste des incrédules, afin de lui en faire compliment. Il a eu
de grandes hardiesses; mais on n'a pas le droit d'en forcer
les intentions. Inventer un Molière dévot, serait nouveau,
disons ridicule. On ne reconnaîtrait plus l'auteur du Tartuffe,
du Festin de Pierre, même de V École des femmes. Il est cer-
tain qu'entouré, chez Gassendi, de jeunes esprits forts, il
avait respiré là un air de libertinage, au sens dont nous
avons déjà parlé. II est resté l'ami de ces condisciples peu édi-
fiants, et nous le voyons lié aussi avec le sceptique la Mothe
le Vayer, même avec Ninon. Enfin on doit reconnaître que le
poème de Lucrèce pourrait être nommé, non pas seulement
comme nous l'avons fait, le bréviaire de Gassendi, mais
le catéchisme de ses disciples. Il n'était pas le meilleur à
leur recommander. Dans un autre poème, qui, d'autre façon,
n'est pas plus édifiant, on a, parmi les railleries, dit une in-
contestable vérité : « l'irréligion de Lucrèce, trop forte
pour les jeunes estomacs, ne peut leur être une nourriture
1. La T^ie de M. de Molière p. 104 •
2. Jitrremens des Scavans... (1686), lomc IV, S"^ partie, p. 119.
6(i NOTICE BIOGRAPHIQUE
saine'. » Nous uvons vu combien Molière s'était nourri du
poète épicurien. Toutefois Gassendi a toujours fait de son
mieux pour rendre l'aliment moins dangereux, en avertis-
sant d'en rejeter 1 athéisme. Ainsi purgé de son venin, il
risquait beaucoup moins d'égarer Molière. Après tout, on
n'a aucune bonne raison de penser qu'il ait été très éloigné
des sentiments mis par lui dans la bouche du sage de sa
comédie de Tartuffe. Sans pouvoir affirmer qu'il en eût
d'aussi parfaits, et sans tirer parti, plus qu'on ne voudrait
peut-être le trouver juste, du vers de Cléante, qui semble
plutôt la protestation de l'auteur que celle de son person-
nage :
Je suis comme je parle, et le ciel voit mon cœur,
nous avons peine à croire que son esprit sérieux et profond
n'ait pas été frappé des grandes vérités enseignées par
Gassendi, le libre, mais religieux, philosophe.
On a remarqué dans le Festin de Pierre la tirade de Sgana-
relle où, contre le vilain homme qu'il sert, le pauvre valet,
avec sa grosse rectitude d'esprit, défend Dieu par le vieux,
mais toujours bon, argument des causes finales. Otez la
forme risible, appropriée au rôle, vous constaterez une évi-
dente ressemblance de cette réclamation du bon sens avec
des passages d'un écrit de Gassendi^. Molière les a certaine-
ment eus sous les 3 eux ou présents à la mémoire, et ne doit
pas être soupçonné d'avoir voulu s'en railler dans une irres-
pectueuse parodie. Son intention, pour nous très claire, a
été de mettre la vérité dans la bouche d'un simple, la vérité
qui souvent a moins de nuages pour l'ingénuité que pour
la science. Après cela, que Sganarelle s'embrouille plaisam-
ment, et qu'en philosophant il s'évertue si bien qu'il tombe,
la rieuse comédie le voulait; mais Don Juan est seul à croire
1. « Lucretius' irreligion is loo strong
For earlj siomachs, to prove wholesome food. m
[Don Juan de Byron, chant \", stance xLiii.)
2. Le Syniagma philosophicum, au tome 1" des OEucres, p Sag,
et au tome II, p. 234. — Le rapprochement a été indiqué par
M. C. .1. Jeanne! dans sou livre la Morale de Molirre (1867).
SUR MOLIERE. 6i
que le l'aisonnement se soit, avec le raisonneur, cassé le
nez. Notre impression est que Molière, qui jugeait bons, après
la chute du valet prédicateur, les morceaux de l'argumen-
tation, laissait com[)rendre aux spectateurs qu'il la retenait
à son compte. Il a toujours aimé à donner à la raison des
interprètes naïfs, bonnes gens sans culture, et d'autant
moins suspects, Martine, Nicole et le Sganarelle du Festin
de Pierre, un Sancho qui n'avait pas le bonheur de servir
un honnête Don Quichotte.
Plus dun biogra|)he tient pour impeccable celui dont il
raconte la vie. C'est sans cette partialité pour notre auteur
que nous avons repoussé certaines préventions qu'à tort,
selon nous, l'enseignement de Gassendi a fait concevoir
sur sa morale et sur ses sentiments, trop facilement jugés
impies. Nous croyons que l'école du sage maître a déposé
dans son esprit et dans son âme les germes d'heureux
fruits destinés à mûrir; et ces fruits, ils nous ont semblé
reconnaissables dans cette justesse et cet admirable équi-
libre du jugement, dans cette raison parfaite, dans cette
étude si profonde, si vraiment philosophique, des passions
et des mœurs, qui sont, à côté de la verve comique, les
caractères frappants de ses œuvres. Nous n'oublions pas
toutefois que, s'il est permis de chercher quelles circon-
stances de jeunesse et de première éducation ont pu aider
à la formation d'un grand esprit, il ne faut pas trop se flatter
de les déterminer sûrement, ni vouloir, quand on croit en
rencontrer quelques-unes, en exagérer le pouvoir. Le don
du génie reste un mystère, et c'est la main de la nature
surtout que l'on y devine.
On doit reconnaître d'ailleurs que si, par les leçons de
Gassendi, la maison de Luillier a été bonne à Molière, elle
n'était pas sans inconvénients lorsqu'elle le mettait dans
l'intimité des Chapelle et des Cyrano. En quittant de tels
camarades, il est entré dans la vie mal prémuni contre les
entraînements de son Age ; et l'on ne s'étonnera pas de le
trouver tout à l'heure sans répugnance pour la société de
nouveaux amis que ne recommandait pas la régulai^ité de
leur vie.
Rien ne nous ayant paru plus digne d attention dans l'édu-
62 NOTICE BIOGRAPHIQUE
cation de Molière que l'histoire du cénacle gassendiste,
on voudra bien nous pardonner de l'avoir faite un peu longue
et d'avoir, entraîné par elle, touché à quelques points que
doivent ramener, dans l'ordre des temps, d'autres parties
de cette biographie. Nous avons maintenant à suivre Molière
depuis le moment où il en a fini avec ses études philoso-
phiques.
La durée de quelque mois qu'il faut tout au moins don-
ner à ces études nous conduit facilement à la fin de i6'ji.
A partir de cette date, deux ans s'écoulèrent avant l'entrée
de Molière dans la troupe de l'Illustre théâtre, un an seule-
ment jusqu'au jour où sa résolution de se faire comédien
paraît avoir été connue de son père. Cet intervalle de temps
fut rempli par des études de droit. On a parlé aussi d'é-
tudes de théologie : c'est uniquement sur la foi de Tallemant,
qui, dans l'historiette de Mondory, disant quelques mots de
Madeleine Béjart, a écrit cette note : « Un garçon nommé
Molière quitta les bancs de la Sorbonne pour la suivre ; il
en fut longtemps amoureux, donnoit des avis à la troupe,
et enfin s'en mit, et l'épousai » Voilà un homme bien in-
formé ! Une erreur comme celle du mariage avec Made-
leine Béjart suffirait à montrer avec quelle légèreté il se
faisait l'écho de tous les contes qu'il trouvait à ramasser.
On fera donc bien d'être incrédule aux études en Sorbonne.
Pour qu'elles ne fussent pas d'ailleurs invraisemblables, il
eût fallu les placer au sortir du collège de Clermont et
admettre que Molière y avait suivi le cours de philosophie,
lequel y précédait celui de théologie. Il n'a certainement
connu d'autre Sorbonne que la maison de Luillier.
Ses études du droit doivent au contraire être admises.
Elles sont attestées par la Préface de 1682 : « Au sortir des
écoles de droit, il choisit la profession de comédien* .«
Grimarest, qui, dans le doute, n'avait d'abord rien dit de
ces études, s'est ravisé tout à la fin de sa biographie,
ayant été renseigné par la famille même de Molière-'. Il
1. Les Historiettes, tome VII, p. 177.
2. Préface de 1682, p. xiii.
3. La Vie de M. de Molière, p. 3 1 9.-3 1 4-
SUR MOLIERE. 63
suffirait peut-être du témoignage de l'auteur à' Elomirc hyp ;-
condre^, qui n'avait ce semble aucune raison d'inventer les
licences prises à Orléans. Il nous apprend que Molière
les obtint « moyennant finance «. Lorsqu'il fait parler Élo-
mire lui-même, celui-ci se vante d'avoir appris les lois à
fond, de s'être fait avocat et d'avoir suivi le barreau pen-
dant cinq ou six mois. Angélique (Madeleine Béjart) répond
que dans Orléans un âne pouvait acheter la licence, et
qu'Elomire ne fut qu'une fois au Palais. L'ânerie de Molière
n'est pas plus croyable là que dans le passage où Chalussay
l'en a gratifié à sa sortie du collège de Clermont. Eût-il
abordé avec peu de goût l'étude des lois, et n'eût-il fait que
l'effleurer, il n'est pas douteux quelle a, comme toutes les
autres, trouvé son intelligence ouverte. On a remarqué -
avec quelle exactitude il a fait parler la langue du droit
à Scapin dans les Fourberies, au notaire Bonnefoy dans le
Malade irtiaginaire. Le soin de ses affaires avait sans doute
pu, en différentes circonstances, lui rendre la connaissance
du droit plus familière ; mais nous ne doutons pas qu'une
préparation, même superficielle, de sa licence n'ait com-
mencé à l'y initier. Ceci paraît seul vrai dans les railleries
de la médisante comédie, qu'à Orléans on devenait facile-
ment licencié à beaux deniers comptants. Parmi plusieurs
autres témoignages à l'appui, on a souvent cité un très pi-
quant passage des Mémoires de Charles Perrault^.
Ce qui peut être surtout à noter dans le dernier com-
plément des études de Molière, c'est qu'il atteste combien
son père tint à lui donner une instruction étendue. Chalus-
say semble avoir été juste en l'appelant à cette occasion
« ce bon père ». On n'est pas très assuré de ce qu'il espé-
rait alors de son fils, toute autre chose sans doute que le
parti qu'il allait lui voir prendre. Le plus probable n'est
pas qu'il comptât le laisser plaider, mais bien lui faire exer-
cer la profession paternelle, relevée alors par la charge de
I. Scène il du Divorce comique, p. 76 et 82.
a. Voyez la Langue du droit dans le théâtre de Molière, par Eu-
gène Paringault.
3. Voyez ces Mémoires aux pages 20-9.3.
64 NOTICE BIOGRAPHIQUE
valet de chambre du roi. Ce devait être naturellement l'es-
pérance dont il s'était flatté lorsqu'il lui avait fait assurer la
survivance de cette charge par lettres de provision datées
du i4 décembre 163^*.
Grimarest dit qu'après avoir achevé ses études, Molière
« fut obligé, à cause du grand âge de son père, d'exercer
sa charge pendant quelque temps ». Il ajoute : « et même
il fit le voyage de Narbonne à la suite de Louis XIII* ». Le
grand âge du père de Molière est une erreur manifeste qui
a mis en défiance sur tout le passage. Jean Poquelin, ayant
alors quarante-sept ans, n'était ni vieux ni « devenu infirme
et incapable de sei'vir », comme l'a dit Voltaire, par amplifi-
cation du texte de Grimarest. Il n'était pas besoin de cette
mauvaise raison pour expliquer que le père se fût fait rem-
placer par son fils ; il désirait le produire, et aussi l'engager,
le lier solidement. Des documents certains établissent que
Jean Poquelin, en. 1642, ne cessa pas de s'occuper à Paris
de son commerce, et par conséquent ne fit pas son service
auprès du roi^. Il devait pourtant ce service, même en
voyage. Cela rend assez probable l'envoi du survivancier à
sa place. Cette probabilité a fait chercher Molière sur les
pas du roi, pendant les mois d'avril, mai et juin, que l'on
croit avoir été ceux où il devait servir*. On a voulu le
trouver à Sigean, petite ville à quelques lieues de Narbonne,
où la maison d'un certain Melchior Dufort hébergea le ser-
vice^. Or, fait-on remarquer, des relations entre ce Dufort
1. Recherches sur Molière. Document XLV, cote dix, p. 9,88.
2. La Vie de M. de Molière, p. i4.
3. Recherches sur Molière, p. 24.
4- Dans les Recherches sur Molière, p. 146, Document II, cote
vingt-huit, sont inventoriés deux certificats attestant que Jean
Poquelin a servi le Roi durant le quartier d'avril, mai et juin i63i.
Il faudrait pourtant savoir si la distribution des quartiers était la
même tous les ans, si de celle de i63i on a le droit de conclure
à celle de 1642. On verra plus loin qu'en i663 le quartier des
Poquelin commençait au mois de janvier. C'était, il est vrai, sous
un autre règne.
5. Voyez V Histoire des pérégrinations de Molière dans le Langue-
SUR MOLIERE. 65
et la troupe de Molière, à une époque ultérieure, sont con-
statées. Elles nous ])araissent cependant d'un caractère
discutable, et de toute façon l'indice est léger. On ne s'est
pas contenté de tenir pour certaine la présence de Molière
dans la suite royale, on lui a donné dans la terrible affaire
du grand-écuyer Cinq-Mars un rôle qui, malgré le peu de
droit du conspirateur à notre sympathie, a paru touchant.
On s'est appuyé sur nous ne savons trop quelles pièces rela-
tives à l'arrestation du favori, au témoignage desquelles des
perquisitions auraient été faites dans le palais épiscopal de
Narbonne pour mettre la main sur lui, tandis qu'un jeune
valet de chambre le cachait dans un cabinet obscure II n'en
a pas fallu davantage pour reconnaître Molière dans ce
jeune homme secourable. Avant d'accepter comme de l'his-
toire ce joli roman, la critique réclamerait quelque chose
de plus que des inductions forcées, et d'ailleurs tirées de
documents, qu il eût au moins fallu produire et qui ne s'ac-
cordent pas avec les relations officielles. N'ayons ])as trop de
complaisance pour les légendes, même quand elles flattent
l'imagination par un certain air de poésie.
Il doit suffire, lorsque le témoignage de Grimarest fait
au moins supposer une ancienne tradition, de ne pas re-
jeter la probabilité du voyage de Molière à la suite de
Louis XIII. Il n'est pas inconciliable avec ses rapides études
de droit, qui sont incontestablement de la même année
1642, ainsi que la licence prise à Orléans ; il en put trou-
ver le temps, celui même de plaider une fois, comme on
l'a dit, avant] son départ pour le Midi, sinon plutôt encore
au retour.
Quelques-uns pensent que le voyage de 1642 le mit pour
la première fois en relation avec Madeleine Béjart, qu'il au-
rait alors rencontrée dans une troupe comique. On a même
marqué le lieu possible de cette rencontre, qui serait un
village à quelques lieues de Nîmes, Montfrin, où Louis XIII,
retournant à Paris, s'arrêta, pour prendre les eaux, dans la
doc, par Emmanuel Raymond (L. Galibcrl). Paris, i858, p. 11
et 22.
I. Histoire des pérégrinations de Molière dans le Languedoc, p. 2 4-
Molière, x 5
66 NOTICE BIOGRAPHIQUE
seconde quinzaine de juin. La comédie y était jouée tous les
jours ; et l'on veut que la Béjart y ait fait partie de la troupe
des comédiens*. Si ingénieusement que l'on appuie ces con-
jectures par des remarques sur la composition probable de
cette troupe, elles restent des conjectures.
VÉlonï/re hypoco/ulrc, où l'on ])eut trouver quelques infor-
mations en les dégageant des charges grossières dont elles
sont enveloppées, place les liaisons de Molière avec les Béjart
à peu près vers le même temps, lorsque, pendant son appren-
tissage d'avocat, ceux-ci, le voyant faire des parades de l'Or-
viétan et de Bary son école de comédien, l'appelaient « le
mangeur de vipères' )^.
D'après Grimarest, ce fut « en formant sa troupe » qu'il
« lia une forte amitié avec la Béjart^ «. Cette forte amitié, à
quelque moment qu'on la fasse commencer, ne saurait être
mise en doute, et il n'est pas téméraire de lui donner un
autre nom. Boileau devait être bien informé, lorsqu'il disait
à Brossette que Molière avait été amoureux de la Béjart*,
sans donner d'ailleurs de date à cet amour. Ceux qui le ré-
voquent en doute auront peine à faire partager leur indul-
gente confiance ; mais on n'admettra pas facilement non
plus le commérage de Tallemant^. qui fait quitter au jeune
homme ses études pour suivre celle qui l'aurait charmé.
Bayle aussi l'a voulu croire. Il regrette qu'il n'en soit rien
dit dans la Fie du poète par Grimarest : « On n'y a point,
dit-il^, rappelé un fait que bien des gens m'ont assuré, c'est
qu'il ne se lit comédien que pour être auj)rès d'une comé-
dienne dont il étoit fort amoureux. Je laisse à deviner si
l'on s'en est tu parce que cela n'est pas véritable, ou de peur
de lui faire peine. » Ainsi une amourette, beaucoup plus que
I. Voyez .1/. de Jlodène, ses deux femmes^ et Madeleine Bcjurl^ par
3I.HeDri Chardon (un volume grand in-8°, Paris, 1886), p. laS-iuj.
a. Voyez ci-dessus, p. 19.
3. La Vie de M. de Molière, p. 20.
4. Ms. de Brossette, p. 38.
5. Voyez ci-dessus, p. 62.
6. Dictionnaire historique et critique, au nom PoQUEMN (Jean-
Baptiste).
SITU MOI.IKP, E. (57
l;i passion de la comédie, aurait eufraînt'' Moliùre dans sa ha-
sardeuse carrière; et ce serait Madeleine Béjart qui l'aurait
donné au théâtre, et par suite, devrions-nous dire, aux
lettres dont il est devenu la gloire, si l'on croyait que le
comédien seul a pu faii'e le grand poète comique. Cherchez
la femme, a-t-on souvent ré])été; mais on la trouve quel-
quefois où l'on n'en a j)as affaire. Fallût-il croire qu'une ga-
lanterie ait pressé Molière de suivre sa vocation théâtrale,
cette vocation, antérieure sans doute, demeure la seule ex-
plication sérieuse d'une résolution assez forte pour résis-
ter atout ce qui la déconseillait. Nous refuserions même
de penser que l'amour de l'art du comédien, bien qu'il ait
duré chez lui et semble n'avoir fait qu'un dans son esprit
avec l'ambition d'un bien plus grand art. ait été son prin-
cipal mobile. C'est l'appel de ce grand art qui a été invin-
cible. La noble aspiration ne s'est pas. il est vrai, très vite
manifestée; mais bien que Molière se soit d'abord contenté
de fournir sa troupe de bagatelles dont il y avait à attendre
])lus de secours pour vivre que de renommée, il est pro-
bable que de bonne heure il médita des ouvrages plus dignes
de lui: et bien qu'ils se soient fait attendre, une œuvre telle
que l Étourdi n'éclate pas dans le demi-jour d'une ville de
province, sans cjue depuis longtemps son auteur eût songé à
quelque coup de maître, comme mérite d'être nommé ce coup
d'essai. Dès le jour même où il rompit av^ec l'honnête vie
bourgeoise, nous croyons chez lui à l'impatience d'un génie
qui sentait ses forces, et entendait plus ou moins clairement
la voix de sa destinée. Si, dans le choix d'une profession,
cjui pai'aissait le faire déchoir, il y a jiour lui une justifica-
tion, elle est là.
Sa forte instruction de bon humaniste, puis de philosophe,
venait à peine de se compléter par quelque étude du droit,
lorsqu il prit une voie qu'on n'a\ait certainement pas eue
en vue, en lui procurant le bienfait d'une telle culture.
Dès le commencement de iG'/J, sa résolution fut décla-
rée à son père. Il l'avertit, le 6 janvier, qu'il renonçait à
la survivance de la charge de tapissier du roi, le priant et
rec[uérant de faire pourvoir de cette charge tel autre de ses
enfants qu'il lui plairait. Kn même temps il lui donna quit-
68 NOTICE BIOGRAPHIQUE
tance d'une somme de six cent trente livres, reçue « pour
l'employer à l'effet y mentionné », tant sur « ce qui lui
pouvoit appartenir de la succession de sa mère qu'en avan-
cement d hoirie future* «. Si la quittance elle-même nous
avait été conservée, au lieu de l'analyse qu'on en trouve
dans l'inventaire fait après la mort de Jean Poquelin, il est
difficile de mettre en doute que la mention de l'emploi de
la somme y indiquât les dépenses à faire pour une entre-
prise, sinon désignée en termes formels, au moins connue
du père, comme devant être l'établissement d'une troupe
comique. Le démissionnaire de l'avantageuse et honorable
charge n'avait pu expliquer sa renonciation que par l'aveu
du choix de la nouvelle carrière où il se jetait. Grimarest
dit que ses parents essayèrent par toutes sortes de voies de
l'en détourner-. Perrault parle expressément de l'opposi-
tion du père, qui, « fâché du parti que son fds avoit pris, le
lit solliciter par tout ce qu'il avoit d'amis de quitter cette
pensée, promettant, s'il vouloit revenir chez lui, de lui ache-
ter une charge telle qu'il la souhaiteroit, pourvu qu'elle
nexcédàt pas ses forces^. » Cette circonstance dune pro-
messe si engageante, Perrault ne l'avait sans doute pas
inventée. Il est probable qu'il avait recueilli une tradition.
Sans oser dire qu'elle fût entièrement fausse, nous ne l'ac-
cepterions pas sans faire de réserves sur quelques points,
tout particulièrement sur l'anecdote du maître chez qui Mo-
lière avait été mis en pension pendant les premières années
de ses études, et qui, envoyé par Jean Poquelin pour le ser-
monner et le détourner de sa folie, fut au contraire si bien
endoctriné par lui que, passant à l'ennemi, il se laissa enrô-
ler lui-même dans la troupe, pour y jouer le rôle du Pédant.
On ne sait pourquoi Grimarest veut que Perrault ait parlé
de ce maître, devenu comédien, comme d'un ecclésiastique ;
nous sommes du reste de son avis, lorsqu'il croit que l'on
avait fait un conte à Perrault ^ La plaisante scène sent
1. Reclterchessur Molière. Y)ocvMEyr^\}i\ll, cote quatre, p. 227,
2. La Fie de M. de Molière, p. 18.
3. Les Hommes illustres, p. 7g.
4. La Vie de M. de Molière, p. 17 et 18,
SUR MOLIERE. 69
beaucoup trop la comédie. En attendant que nous montrions
plus loin ce qui la rend surtout invraisemblable, conten-
tons-nous de dire ici que, si Molière en avait été vraiment
le témoin et l'un des acteurs, il serait assez étonnant qu'il
ne l'eût mise à profit dans aucune de ses pièces. Reste la
ressource de dire que nous n'avons pas toutes ses farces.
Comme il était habitué à ne rien laisser perdre de ce qui
lui avait fait impression, on veut, à défaut de l'histoire du
convertisseur perverti, reconnaître dans des vers de V É-
toiircli un autre souvenir des orages domestiques soulevés
par la déclaration de son projet*. Ces vers, où l'on a cru en-
tendre retentir quelque chose de sa querelle avec son père,
sont dans la bouche de Mascarille, qui s'égaye très irrespec-
tueusement du courroux du père de Lélie :
Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit
Qu'il peste contre vous d'une belle manière,
Quand vos déporlements lui blessent la visière.
Et s'il vient à savoir
Que de ce fol amour la fatale puissance
Vous soustrait au devoir de votre obéissance,
Dieu sait qtielle tempête alors éclatera
Et de quels beaux sermons on vous régalera.
Moquez-vous des sermons d'un vieux barbon de père,
Poussez votre hidet, vous dis-je, et laissez faire^.
On découvrira dans les pièces de Molière autant d'allu-
sions qu'il plaira d'en imaginer. Celle-ci serait fâcheuse;
mais il est tout à fait arbitraire de la lui imputer. Ceux qui
l'admettraient y pourraient voir confirmée l'explication
qu'on a cherchée de son association avec des comédiens
dans son amour pour une fille de théâtre. Pour nous, ni cet
amour, ni la violente colère de Jean Poquelin, dont son fils
1. Molière, sa vie et ses œuvres {Molière, sein Leben und seine JVerke),
par Ferdinand Lotheissen (Francfort-sur-le-Mein, 1880), p. 4-2
et 43.
2. L'Étourdi, acte I, scène 11.
^o rsOTlCE BIOGRAPHIQUE
se serait moqué, ne sont prouvés par une tirade trop sub-
tilement interprétée.
Quoique Ion ait peine à ne croire à aucun mécontente-
ment du père de Molière, les documents authentiques laissent
à ce sujet des doutes. Ils engagent tout au moins à ne pas
s'imaginer que la résistance paternelle ait été très ferme.
La somme avancée par Jean Poquelin à son fils*, et dont le
refus eût été une tentative sérieuse d'empêchement, dénonce
une assez prompte complaisance; et des transactions ulté-
lûeures auxquelles il se prêta montrent que cette complai-
sance ne fut pas la dernière. Soulié a fait remarquer que
^ï. Molière, en 164^, n'avait que vingt et un ans (et même, le
6 janvier, il s'en fallait de quelques jours , et qu'en ce temps-
là on n'était pas encore majeur à cet âge. Pour la majorité
parfaite, il fallait l'âge de vingt-cinq ans. Molière paraît donc
avoir eu un bonhomme de père indulgent jusqu'à la faiblesse,
on pourrait dire un peu Géronte, à qui auraient suffi quelques
vaines objections et remontrances. On avait eu déjà une
preuve, non pas sans doute de sa faiblesse, mais de sa grande
bonté, dans la forte instruction qu'il fit ou laissa donner à son
fils. Un excès de cette bonté, dans un grave relâchement de
son autorité paternelle, est plus probable que son insouciance
du sort de l'obstiné jeune homme, ou encore nous ne savons
quels vilains calculs d'un homme, qui, pour se consoler du
coup de tête, y aurait trouvé l'occasion d'arrangements pécu-
niaires favorables à ses propres intérêts. S'il eût plus éner-
giquement soutenu son opposition, comme on sait par l'évé-
nement ce que l'avenir réservait à Molière, on pourrait la
trouver regrettable. Rien cependant n'aurait dû lui paraître
plus prudent, plus conforme à son devoir. Entrer dans le tri-
pot comique n'était pas chose bien acceptée par l'opinion,
quoi qu'ait voulu dire Chappuzeau de la bonne position des
comédiens dans le monde de son temps. Il prend soin de
rappeler les déclarations royales en leur faveur, leur facile
accès ce auprès du roi et des princes et de tous les grands
seigneurs, qui leur font caresse* ». Il reconnaît cependant
I. Voyez ci-dessus, p. 67 et 68.
a. Le Théâtre français^ livre III, sectiou iv.
SUR MOLIERE. 71
lui-même qu'ils « sont moins bien (l;uis les esj)rits de certaines
gens ^'. Eugène Despois a regardé comme évident qu'au début
du règne de Louis XIV le préjugé contre eux était moins fort
qu'il ne le fut plus tard*. Nous l'admettons; et cependant il
est certain que même alors, à considérer leur situation sociale,
ils étaient loin d'avoir cause gagnée. Le monde, qui leur
faisait fête, ne les reconnaissait pas pour être des siens. Si
quelque part ils trouvaient la barrière légèrement abaissée,
c'était plutôt du côté des grands seigneurs que des bons bour-
geois. En dépit donc des traces, qui sont restées, de l'in-
dulgence de Jean Poquelin, nous comprendrions mal que la
famille de Molière ne lui en ait pas du tout voulu de son
équipée. C'était vraiment une chute. Le génie qui l'en a re-
levé, et très haut; ne se prévoyait pas. Il est naturel qu'au-
jourd'hui ceux mêmes qui pensent qu'il faisait une faute, soient
portés à dire : heureuse faute ! Et cependant est-on bien sûr
que ses immortels chefs-d'œuvre aient été à ce prix? Pour
le soutenir, le ])lus plausible argument est que, acteur autant
qu'auteur, une de ses forces fut de 's'être préoccupé tout
particulièrement de la représentation de ses comédies, plutôt
faites, comme il l'a toujours pensé, pour être jouées que pour
être lues ; et qu'il n'aurait jamais possédé si bien tous les
secrets de l'art théâtral, si une expérience de chaque jour
ne les lui avait enseignés sur la scène elle-même, dans une
communication continuelle avec les spectateurs. Mais qui
sait? d'excellents poètes dramatiques se sont passés de ce
genre d'instruction. De quelque côté d'ailleurs que ce soit,
les grandes destinées finissent par trouver leur chemin, et
mieux vaut qu'elles ne le cherchent pas d'un côté sujet à
de fortes objections.
Il est probable que Jean Poquelin ne fut pas très satisfait,
et que, s'il céda, ce fut seulement après quelque essai, si peu
énergique qu'il ait été, de résistance à une résolution opi-
niâtre. Ce qui ne devait pas lui coûter le moins, c'était de
renoncer à l'espoir de transmettre à son fils aîné sa charge
dans la maison du roi. Peut-être se flattait-il cependant que
dans la désertion de ce fils il n'y avait rien d'irrévocable. Il
I. Lt Théâtre frawais sou.a Louii XIV ^ p. ii-i.
7a NOTICE BIOGRAPHIQUE
ne paraît pas s'êti'e pressé de transférer à son second fils la
survivance dont l'aîné, tout à ses projets, le ])riait de dispo-
ser pour un autre de ses enfants. La première fois que Jean
Poquelin le jeune est dit « tapissier et valet de chambre or-
dinaire du roi ". c'est en i65'f, dans l'acte du 14 septembre,
par lequel son père lui cède son fonds de commerce; jus-
que-là Molière continua de prendre ce titre dans des actes
publics, dans une obligation, par exemple, du 3i mars 1645*
et dans un baptistaire de Narbonne en date du i o janvier 1 65o *,
où il est inscrit comme parrain, et Mlle de Brie comme
marraine. Il ne pouvait plus s'y regarder comme autorisé
lorsque son frère fut légalement reçu en survivance. Jal
a constaté que ce fut, au plus tard, dès i6j^^. Deux ans
après, ce frère, dans l'acte de baptême d'un de ses enfants,
est qualifié « marchand tapissier ordinaire du roi » ; Molière,
le parrain, y est dit simplement « bourgeois de Paris « ;
et, dans une quittance du i3 du même mois de mai iGSg,
« comédien de la troupe de Monsieur, ci-devant valet de
chambre du roi^ ». Jean Poquelin le jeune étant mort le
6 avril 1660, Molière reprit la survivance de la charge. Il
fut porté sur l'état avec son père, et seul après la mort
de celui-ci. La profession de comédien ne l'exclut pas de
l'honneur de faire son service. Dans l'acte de son inhu-
mation, comme dans l'inventaire fait après sa mort, il n'a
d'autre titre que celui de « tapissier, valet de chambre du
roi ». Une relation de ses obsèques nous apprend que
la bière de bois dans laquelle fut porté son corps était re-
couverte du poêle des tapissiers; dernière preuve qu'il avait
appartenu juscpi'à son heure suprême à l'honorable corpo-
ration.
En attendant que le tapissier reparaisse, et jusque dans
le triste jour où il semblerait qu'il n'était plus guère at-
1. Recherches sur Molière. Docusiest XVII, p. i85.
2. Voyez cet acte âan&V Histoire des pérégrinations de Molière dans
le Languedoc, p. 49- Le Moliériste d'avril 1881 l'a publié plus cor-
rectement.
3. Dictiomiaire critique de biographie..., au nom .volière. J). 876.
4- Rcclivrches sur Molière. DociriVTENT XX^'IIT. p. aoi.
SUR MOLIKRE. 7"?
tendu, il va pour le moment s'effacer et faire place au co-
médien.
L'acte j)ar lequel Jean-Baptiste Poquelin et ses associés se
lièrent pour une entreprise théâtrale fut passé le 3o juin
1643^ Cette pièce, conservée dans les archives d'un des
notaires de Paris, est très curieuse par les renseignements
qu'elle fournit, et parce que le théâtre qui tient à honneur
d'être toujours la maison de Molière pourrait la regarder
comme son plus ancien titre ; sa fondation du moins devait
un jour en sortir. De cette date du 3o juin il résulte que l'as-
sociation ne fut réglée que six mois après la quittance citée
plus haut, qui nous a paru l'annoncer assez clairement, et
qui est des premiers jours de la même année. Cette quit-
tance nous ayant montré l'opposition du père désarmée, de
nouveaux efforts de sa part pour renouveler la lutte ne sont
pas vraisemblables, et mieux vaut essayer, comme on l'a
fait-, d'expliquer le retard de six mois par un événement
qui mit en deuil les Béjart, principaux associés de Molière,
la mort, sans date précise, mais vers ce temps, du chef de
leur famille, Joseph Béjart. On pourrait entrevoir aussi,
comme explication, non pas une mort, mais une naissance,
qui aurait forcé la première comédienne à quelque repos, si
l'on savait mieux la date de cette naissance, et s'il y avait
quelque chose de plus que des conjectures, très contestées,
sur la véritable mère de l'enfant, conjectures dont nous
aurons trop à parler.
I^'acte d'association fut signé dans la maison de la veuve
de Joseph Béjart, Marie Hervé, qui donnait à la troupe
trois de ses enfants, Joseph, Madeleine et Geneviève. Les
autres camarades étaient Denys Beys, Clérin, Bonnenfant,
George Pinel, Madeleine Malingre, Catherine des Urlis. La
troupe prenait le nom à' Illustre théâtre.
1. Eud. Soulié l'a l'ait connaître le premier dans la Corres-
pondance littéraire du 10 janvier i865. Nous le donnons aux Pièces
justificatives^ n" m, d'après le texte plus complet que M. Louis
Moland a inséré dans sa Vie de Molière, au tome I des OEin-rts
cœnplètes du potte (deuxième édition, i885), p. 43-4^-
2. Les Points obscurs de la vie de Molière, p. 11 6- 118.
74 NOTICE BlOCKAFlllOUE
On croit bien reconnaître là une de ces associations de
comédiens qui étaient nombreuses alors; mais on l'a quel-
quefois entendu moins simplement. 'La Préface de 1G82 avait
dit* : « [Molière] tàcba dans ses premières années de s'éta-
blir à Paris avec plusieurs cnfans de famille, qui. par son
exemple, s'engagèrent comme lui dans le parti de la comé-
die, sous le titre de l'Illustre théâtre. » Cette qualification
à'enfants de famille, vraisemblablement donnée à Molière et
à ses camarades pour leur faire honneur, a suggéré l'idée
qu'ils ne furent pas d'abord des acteurs de profession. Per-
rault s'est contenté de constater que Molière « se joignit
avec plusieurs jeunes gens de son âge et de son goût. »
Mais Grimarest a présenté leurs débuts sous un jour qui
lui plaisait mieux ; on ne peut se défendre de le soupçon-
ner d'avoir voulu arranger les choses de manière à justifier
l'expression relevée dont s'étaient sei'vis les biographes
de 1682 : « C'étoit assez la coutume dans ce temps-là,
dit-il, de représenter des pièces entre amis. Quelques bour-
geois de Paris formèrent une troupe dont Molière étoit. Ils
jouèrent plusieurs fois pour se divertir; mais ces bourgeois
ayant suffisamment rempli leurs plaisirs, et s'imaginant
être de bons acteurs, s'avisèrent de tirer du profit de leurs
représentations-. » C'est assurément sur la foi de Grima-
rest, et sans avoir rencontré d'autres témoignages, que, dans
un livre imprimé en 1732, on a dit : « [Molière] s'amusa avec
quelques autres bourgeois, selon le goût de ce temps-là, à
représenter des pièces de théâtre en bourgeoisie, c'est-à-
dire gratis, dans les maisons de quelques particuliers, mais
ses camarades et lui se croyant bons acteurs, ils se mirent
à jouer la comédie pour de l'argent^. ^) On a cru trouver la
confirmation de ces commencements innocemment bour-
geois dans la remarque que les jeunes camarades, avant
d'avoir formé une troupe régulière, paraîtraient avoir déjà
I. A la page xiii.
a. La Vie de M. de Molière, p. 14 el i5.
3. Variétés historiques, physiques et littéraires, tome I, 11' partie,
p. 537. Ce recueil, qui a pour sous-titre Recherches d'un savant,
est attribué au jurisconsulte Boucher d'Argis.
SUR MOLIERE. 75
donné quelque part des repi'ésentations, puisque dans le
contrat d'engagement il est dit qu'ils '^ se lient ensemble
pour l'exercice de la comédie, à fin de conservation de leur
troupe sous le titre de V Illustre théâtre. » Mais, quand il se-
rait certain que déjà ils avaient joué, ce que n'établissent
pas assez les termes de « conservation de la troupe », il res-
terait à savoir si les représentations, où ils s'étaient exercés,
avaient été celles de comc'dieiis de société, suivant l'expres-
sion de M. Taschereau^ Quelques-uns ont conjecturé qu'ils
avaient pris pour premier théâtre un certain tripot de la
Perle, dans le quartier qu'habitaient les associés, comme
nous l'apprend leur contrat du 'jo juin 16 1 3. Aucun témoi-
gnage n'est produit à 1 appui de cette supj)osition. S'il y a eu
un tripot de la Perle, qui soit devenu une salle de comédie,
cette salle pourrait bien, comme on l'a soupçonné, n'être
autre que celle des comédiens du Marais. Fùt-il d'ailleurs
moins douteux que Molière et ses camarades aient commencé
par jouer dans ce tripot si mal connu, est-ce bien là qu'ils
se seraient réunis pour un simple divertissement d' « enfants
de famille » ? Que ion ait ou non des objections à un tripot
quelconque, ce premier dessein de se contenter d'un amu-
sement « entre amis » est tout à fait invraisemblable. Il
n'aurait pas exigé la renonciation de Molière à la survi-
vance de la charge paternelle, ni sa réclamation d'une
somme dont lemploi à faire semble se révéler clairement.
Croira qui voudra aux Béjart simples amateurs des jeux du
théâtre, n'ayant songé dans les commencements qu'à des
passe-temps de bons bourgeois. Dans la comédie de Chalus-
say, dont souvent, nous ne l'avons que trop répété, il suffit
de réduire les exagérations, ils n'ont pas cette physiono-
raie-là. Ce sont pauvres diables, aventuriers de la gent pica-
resque, on dirait aujourd'hui de la bohème, dontElomire n'a
pu s'entourer qu'après avoir décrassé leur misère, et dont
il fait ce portrait :
... Ne pouvant formel- une troupe d'élite,
Je me vis obligé de prendre un tas de gueux
I. Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, p. 8.
;(i NOTICE BIOGRAPHIQUE
Dont le mieux fait était l)ègue, borgne ou boiteux.
des gueux à triple étage,
Des caimans* vagabonds, morts de faim, demi-nus.
Tout le monde s'étonnant qu'ils soient devenus si gras.
Et soient si bien vêtus des pieds jusques au crâne.
Que le moindre de vous porte à présent la paune,
Elomire leur reproche ses bienfaits :
Vous me devez ces biens, ingrats-!
Ils n'avaient mérité sans doute ni cette indignité, ni l'excès
d'honneur que leur fait Grimarest. Il faut essayer de se faire
une idée juste de ce qu'étaient les soi-disant enfants de
famille dont se doit distinguer le fils de l'honorable tapis-
sier du roi. Examinons ceux qui surtout comptaient, les
Béjart. Ils n'étaient pas des caimans : ils avaient quelque
argent; mais ils ressemblaient beaucoup à des aventuriers.
Il est probable qu'ils n'en étaient pas au premier essai de
leur roman comique. Soulié, très sévère dans la critique des
preuves, jugeait « difficile de croire que parmi ces associés
(de l'Illustre théâtre) quelques-uns n'eussent pas déjà figuré
sur la scène^ ». Il conjecturait, avec bien d'autres, que le
chef lui-même de la famille, l'huissier Joseph Béjart, avait
joué dans quelque troupe, le titre de sieur de Belleville,
qu'on lui donne dans des actes, ressemblant fort à un nom
de comédien. Il n'aurait fait qu'indiquer le chemin où s'en-
gagèrent ses enfants. Il ne semble pas que pour le prendre
Madeleine Béjart ait attendu l'année 1643. Le libelle de la
Fameuse come'dienne la dit comédienne de campagne en Lan-
guedoc dès le temps de la naissance de sa fille (i638)*. Le
témoignage est assurément de peu de valeur. Quant à la vrai-
1. Ou quémands, gueux, mendiants.
2. Le Divorce comique, scène 11, p. 76-80.
3. Correspondance littéraire, 9' année, p. 80.
4. La Fameuse Comédienne, p. 6. — Nous citons l'édition de Franc-
fort, 1688, dont le titre est : la Fameuse Comédienne ou Histoire
de la Guérin. auparavant femme et veuve de Molière.
SUR MOLIERE.
77
semblance, dont nous avons parlé, ([ue la Béjart avait fait par-
tie, en 1642, d'une troupe appelée à jouer devant le roi, ceux
qui l'ont proposée n'ont fait qu'une conjecture. Plusieurs,
sans déterminer l'époque, ont paru ne pas douter qu'avant
l'Illustre théâtre elle n'ait été vue sur quelques scènes dans
le Languedoc et le Comtat : c'est encore une supposition,
un peu affaiblie, mais non démentie absolument, par la con-
statation, découverte dans différents actes, de sa présence
à Paris à certaines dates (i636, i638, iGSq et 1640).
.fal a plutôt pensé qu'elle avait pu jouer à Paris, ou dans
les environs, sur quelques théâtres forains'. On a regardé
aussi comme possible qu'elle ait été quelque temps dans la
troupe du Marais, où elle n'aurait pas eu encore une assez
grande place pour qu'on s'étonne de ne pas la trouver sur
les listes des comédiens. Rien, dans tout cela, n'est prouvé;
et cependant les raisons ne manquent pas de tenir pour
vraisemblable que l'Illustre théâtre ne vit pas ses premiers
débuts.
On a d'elle un quatrain en 1 honneur de Rotrou, imprimé
en i636, dans la première édition de V Hercule mourant- de
ce poète. Il y est signé Magd. Bciart (Madeleine Béjart).
Tou Hercule mourant te va rendre immortel ;
Au ciel, comme en la terre, il publiera ta gloire,
Et laissant ici-bas un temple à ta mémoire.
Son bûcher servira pour te faire im autel.
Voilà une jeune fille de dix-huit ans tout au plus^ qui tour-
nait aisément les vers, avec des jeux d'esprit dans le goiît
du temps, et qui portait grand intérêt (c'est surtout ce que
nous voulons faire remarquer) aux pièces de théâtre, glori-
fiant et flattant Rotrou, comme si déjà elle était en mesure
d'espérer de messieurs les auteurs quelque beau rôle, aussi
beau, par exemple, que celui d'Iole dans VHercule mourant.
1. Dictionnaire critique. .. au nom BÉjakd ou Béjart, p. 17g.
2. Hercule mourant. A Paris, Anthoine de Sommaville
M. DC. XXXVI (in-4°). — Achevé d'imprimer le 28 mai i636. —
Privilège du Roi donné à Paris le So" jour du mois d'avril i636.
3. Elle était née en 16 18.
78 XOTICE BIOGRAPHIQUE
Autre indice : la liberté et la hardiesse de la femme de
théâtre ne se dénoncent-elles pas, lorsquen iG'38 elle ne
cache pas, mais laisse publier avec éclat, le témoignagne de
sa vie galante? Enfin, lorsqu'on voit entrer avec elle dans la
nouvelle troupe son frère Joseph et sa sœur Geneviève,
âgée de moins de vingt ans, on est plus porté encore à croire
ces Béjart familiarisés, tout au moins |)ar l'exemple de l'un
d'eux, avec la profession de comédien. Quoi qu'il en soit,
c'était une famille qui ne pouvait en craindre beaucoup la
vie aventureuse. Le père, comédien ou non, ne paraît pas
l'avoir très bien morigénée. Rien ne donne de lui une
haute idée. On lui accorde complaisamment, dans le con-
trat de mariage de Molière, le titre d'écuyer; et, dans
ceux du premier et du second mariage de sa fille Gene-
viève, la qualification de procureur au Châtelet. Nous re-
grettons de ne pas la lui laisser : mais elle parait n'avoir ap-
partenu qu'à son frère. Pour lui. il était simplement huissier
audiencier à la grande maîtrise des eaux et forêts, siégeant
à la tiible de marbre du palais. Quels que pussent être les
profits de cette charge, elle ne faisait de Joseph Béjart
qu'un bas officier de justice. Nous ne présenterons pas sa
femme, Marie Hervé, comme une très respectable matrone.
Elle iigure, du vivant de son mari, qui la laisse faire, dans
l'impudent acte de baptême du 11 juillet i638, où elle est
marraine de la bâtarde de sa fille Madeleine, avec la cir-
constance très aggravante cjue l'enfant, dans ce même acte,
est reconnu par le père, dont la femme légitime était encore
vivante. C'est dans la maison de cette même Marie Hervé,
devenue veuve depuis peu, ({u'un de ses fils et deux de ses
filles, l'une encore mineure, s'engagent dans la vie de théâ-
tre. Il ne faut pas se dissimuler que Molière ne débute pas
en excellente compagnie dans la carrière de son choix.
Il pourrait suffire de savoir ce qu'étaient ces Béjart,
vrais fondateurs de l'Illustre théâtre avec le jeune Poquelin.
et qu'il est d'ailleurs nécessaire de bien connaître, parce
qu'ils occupent une trop grande place dans sa vie, surtout
par l'une des leurs, née vers le temps où se formait l'asso-
ciation des jeunes comédiens. Les autres associés du 3o juin
16', 3 nous intéressent moins. Rien ne fait penser qu'ils
SUR MOLIERE. 79
ne fussent pas dune médiocre condition sociale. Georges
Pinel, qui prit pour le théâtre le nom de la Cousture,
était maître écrivain^ Comme il pouvait avoir donné à
Molière les leçons soit de belle écriture, soit de comptes,
dont les jeunes gens, leurs études terminées, avaient sou-
vent besoin pour leur profession^, on a cru reconnaître
en lui le maître de pension dont Perrault a fait le héros de
la plaisante et peu vraisemblable histoire du négociateur,
mal choisi par Jean Poquelin^. Ce ne serait pas, en tout cas,
un point très important à éclaircir.
Denys Beys est pour quelques-uns le même que Charles
Beys, auteur de pièces de théâtre; celui-ci, poète ivrogne,
était né en 16 lo : il aurait été, avec Georges Pinel, un des
doyens d'âge de la troupe; mais il est probable que l'on a
fait, à tort, une seule personne des deuxBeys, qui étaient pa-
rents. Bonnenfant, jeune clerc de procureur, s'était échappé
de son étude pour se joindre à nos comédiens. On croit
que Clérin était frère de la comédienne du Marais connue
sous le même nom, Catherine des Ui^lis, lille d'un commis
au greffe du conseil privé du roi, entra plus tard dans la
troupe du Marais, où l'on trouve aussi son frère Jean et sa
sœur Étiennette, qui fut mariée au comédien Brécourt. Sa
mère, Françoise Lesguillon, dut signer avec elle l'acte d'as-
sociation de l'Illustre théâtre. Catherine était donc mineure
et dans toute la fleur de sa beauté, que l'on a beaucoup
louée. Madeleine Malingre « était très probablement, dit
Soulié*, la fdle d'un maître menuisier ». La plupart de ces
enfants de famille cherchèrent bientôt fortune ailleurs,
comme nous le dirons plus loin.
Tels furent les premiers camarades réunis i)ar Jean-
Baptiste Pofiuelin, que nous voyons pour la première fois,
1. Recherches sur Molière. Documext XXXMI, p. 21g.
2. M. Auguste Vitu, dans le Jeu de paume des Mestaycrs (Paris,
A. Lemerre, i883), p. 47-49, a très bien établi que de telles leçons
étaient données par les maîtres experts et jurés écrivains arithmé-
ticiens, qui admettaient des pensionnaires internes.
3. Voyez ci- dessus, p. 68 et 69.
4. Recherches sur Molière, p. 87.
8o NOTICE BIOGRAPHIQUE
dans un petit acte notarié du 28 juin 164'», prendre le nom
de Molière^. A part le talent dont Madeleine Béjart avait
déjà peut-être fait connaître les promesses, ce n'était pas là
cette a troupe d'élite » qu'il aurait voulu former; et Cha-
lussay n'avait pas tort, ce semble, de dire qu'il ne l'avait
pu. Le nom d'Illustre théâtre ne paraissait guère justifié.
S'il ne prête pas à rire, c'est que l'Illustre, étant fort à la
mode, n'était pas pris à la lettre: c'est surtout qu'aujour-
d'hui nous ne vovons plus ses humbles commencements que
devenus vraiment illustres par la gloire, très postérieure
en date, de son fondateur.
Molière ne demeurait plus chez son père lorsqu'il signa
le contrat du 3o juin i6j3. Son domicile y est indiqué rue
de Thorigny, dans le très proche voisinage de Madeleine
Béjart, qui, d'après le même acte, demeurait avec sa sœur
rue de la Perle, dans la maison de Marie Hervé. Des
demeures si rapprochées, voire l'habitation sous le même
toit-, sont assez naturelles pour des comédiens, ayant à
se concerter chaque jour, appelés d'ailleurs à vivre dans
une grande familiarité; et il n'en était pas besoin pour
donner à gloser sur les relations qui s'établirent entre
Molière et la principale actrice de la troupe, celle qui en
fut, à côté de lui, la fondatrice. Une périlleuse camaraderie
tourne aisément à la liaison galante. Quoique Chalussay
reproche à Madeleine d'être rousse et de se servir de la
poudre d'alun pour dissimuler un désagrément auquel les
rousses sont sujettes, la vérité est qu'elle était belle, sé-
duisante par son esprit, dangereuse par la liberté de ses
mœurs. Molière, plus jeune qu'elle de quatre ans et dans
l'âge des passions, ne devait pas être fort en garde contre
les entraînemonts. Il ne s'était sans doute pas fait comédien
1. Becherclies sur Molière. DocvMEyr X^. Y>- i;'.
2. Dans le bail du 12 septembre i643 pour la location do la
première salle de l'Illustre théâtre (Voyez le Jeu de paume des Mes -
loyers, p. 65), les Béjart et Molière, ainsi que Beys et Bonnen-
fant, sont dits « demeurants rue de la Ferle «.Toutefois cette élec-
tion de domicile dans la maison de la mère des Béjart ne prouve
pas qu'ils y fussent loges en effet.
SUR MOLIERE 8i
avec le ferme propos de demeurer un Caton. N'exigeons
donc ])as de lui une parfaite sagesse ; mais on voudrait
trouver l'objet de son premier amour plus digne d'une vie
(jui, au témoignage des contemporains, autres que les diffa-
mateurs, fut, dans sa maturité, réglée par des sentiments
élevés. Souvenons-nous, sans chercher une excuse pour Mo-
lière, que l'on ne trouve, hélas! rien de plus délicat dans
les amours de Racine, autrement élevé que le compagnon
de jeunesse des Chai)ellc et des C3 rano, ot qui ne fut exposé
que par les soins donnés à la représentation de ses pièces
aux séductions des comédiennes.
Molière et ses associés se proposaient hardiment de jouer
à Paris, où cependant laissaient peu de place l'Hôtel de
Bourgogne et le théâtre du Marais, dont l'un, fier du titre
de troupe royale, semblait défier les rivaux, et l'autre, grâce
à l'acteur Mondory, à Corneille surtout, avait montré que
toute concurrence avec les Grands Comédiens n'était pas
impossible. Malgré la confiance téméraire de la jeunesse,
il est probable que les nouveaux acteurs espéraient moins
égaler des fortunes si bien établies, que mériter, dès ces
commencements, quelque estime et piquer la curiosité.
Ils avaient à chercher l'emplacement de leur théâtre. Rien
ne convenait mieux qu'un de ces tripots où l'on jouait à la
courte paume. C'était dans de tels tripots que les troupes
ambulantes donnaient volontiers leurs représentations ; et
il y en avait un à Paris, au Marais, qui était devenu le
théâtre de Mondory. Molière et les Béjart s'accommodèrent
d'un jeu de paume sis « sur le fossé et pi'oche la porte de
Nesle. » Une famille de maîtres paumiers, du nom de Mes-
tayer, en avait été propriétaire, d'où l'appellation de
Jeu de paume du Mcstnycr ou des Mestayers. Les associés de
l'Illustre théâtre le louèrent pour trois années, au prix de
dix-neuf cents livres tournois, par un bail en date du 12 sep-
tembre 16 (3*. Marie Hervé se portait principal prenant et
I. La minute, conservée dans les archives des successeurs du
notaire Legay, a été publiée par M. \itu aux pages 64-69 du Jeu
de paume des Mestayers. — Dans l'histoire très étudiée qu'il a faite
de cette maison, il dit (p. i").) qu'elle « occupait remplacement
Molière, x G
8-2 .\OTlCK HIOGIIAPIIIQUE
caution, liypothéquant ses biens personnels, spécialement
sa maison de la rue de la Perle, Bien que tous les associés
fussent engagés solidairement au payement du loyer, on
voit que les Béjart, qui s'étaient rendus caution, étaient
réellement à la tête de l'entreprise.
L'historien du Jeu de paume des Mestayers^ M. Auguste
Vitu, a fait la remarque curieuse* que nos comédiens étaient
tenus à payer le plus tôt possible une somme de cent cin-
quante-huit livres six sols huit deniers, pour le dernier mois
de leur location de trois années, et que Jean Pocjuelin, cinq
semaines avant la signature du bail, avait, le i'"'' août i643,
prêté à Georges Pinel la somme de cent soixante livres^,
qui est, en compte l'ond, celle dont il vient d'être parlé.
Voilà une nouvelle preuve, et elle n'a pas échappé à M. Vitu,
que la résistance du père de Molière à l'engagement de son
fils dans une entreprise théâtrale n'a pas été très forte, tout
au moins très persistante. Cette autre réflexion se présente
que si Georges Pinel était, comme on l'a cru, le maître de
pension qui, dans l'anecdote de Perrault, après s'être chargé
de ramener l'enfant prodigue, trahit sa mission, il devien-
drait inexplicable que Jean Poquelin l'eût choisi entre tous
pour faire passer par ses mains un subside à son fils. Lais-
sant donc de côté le rôle qu'on a fait jouer au maître écri-
vain, il reste seulement ceci, que dans la voie indirecte
prise par le secourable prêt on croit reconnaître la grande
indulgence d'un père qui tint cependant à éviter l'appa-
rence d'un consentement formel et d'une complicité.
Si pressé que l'on fût de faire du tripot une salle de spec-
tacle, la transformation ne pouvait s'improviser; elle de-
manda quelques mois. En attendant, et sans prévoir qu'il
faudrait bientôt se l'ésigner à devenir une troupe de cam-
pagne, on résolut d'essayer ses forces et de se faire connaître
dans une ville peu éloignée. La troupe du Marais avait donné
assez vaste que représentent aujourd'hui les numéros lo, ij, i_î
sur la rue 3Iazariue, les numéros 1 1 et i3 sur la rue de Seine ».
I. Aux pages /[S et 46.
1. InvriUaire fait après le décès de Jean PoqueJiu, cote neuf.
Voyez les Rec/ierc/tcs sur Molivrc. p. i-nj.
SUR MOLIERE. 83
l'exemple de ne pas dédaigner Rouen, où, dit Chappuzeau',
« elle alloit quelquefois })asser l'été ». Mondory l'avait
habituée à en prendre le chemin, depuis qu'il en avait rap-
porté Mélite. Ce fut là que l'Illustre théâtre alluma ses pre-
mières chandelles. La destinée, qui a parfois de ces traits
d'esprit, a placé dans la ville natale de Corneille le début
de Molière.
Charles Perrault avait entendu parler de ce fait intéressant,
qu'ont longtemps omis les autres biographes de notre poète.
« Sa troupe étant formée, dit-il, il alla jouer à Rouen ^. »
On n'avait pas assez pris garde à cette indication, parce
que, sans distinguer les temps, Perrault ajoute : « et de là
à Lyon ». Il va si vite dans sa notice, de deux pages, que,
passant par-dessus le premier établissement de nos comé-
diens à Paris, il ne leur fait faire qu'un saut de Rouen à
Lyon, puis en Languedoc, d'où il les ramène jouer devant le
roi et la cour. Cependant Rouen nommé d'abord ne laisse
j)as douter que l'auteur des Hommes illustres ne connût le
souvenir, conservé par la tradition, du séjour de la troupe
dans cette ville en 1643. La preuve de ce séjour a été décou-
verte par M. Gosselin, archiviste de Rouen, dans un registre
qui y est conservé au greffe du palais de justice. Là se trouve
un acte authentique"', signé, sous la date du 3 novembre
iG.',3, par Jean-Baptiste Poqucliii et par les camarades dont
les noms se lisent, la même année, dans l'acte d'association
du 3o juin et dans le bail du 12 septembre, en outre par
une nouvelle recrue, Catherine Bourgeois, qui paraît avoir
passé plusieurs années dans la troupe, mais ne nous est pas
autrement connue.
Nous ne savons pas quelles pièces les acteurs de l'Illustre
théâtre représentèrent à Rouen, si ce fut Pompée ou Cinna.
qui auraient été là comme chez eux. On aimerait encore
I. Le Théâtre français, livre IH, chapitre xxxvi.
•2. Les Hommes illustres, p. 79.
3. Publié dans le Musée des Archives départementales (Paris, Im-
primerie nationale, M.D. CGC. LXX VIII), p. 872 et 873. — Dans
le Recueil de fac-similés héliofT-aphitfues qui accompagne cette pu-
blication, ou en trouve le fac-biuiile sous le numéro 139, pl.LVIll.
84 NOTICE BIOGRAPHIQUE
laieux imaginer Molière y jouant dans le Menteur ; mais long-
temps il eut le goût des rôles tragiques, où ne fut pas cepen-
dant son plus grand succès. La seule })icce que le registre «lu
greffe a sauvée de l'oubli n'est pas une pièce de théâtre,
mais de plaiderie, qui ne manque pas de couleur locale en
pays normand. C est une procuration à l'effet de presser
l'aclièvement des travaux qui devaient mettre le jeu de
paume du Mestayer en état de se prêter à sa nouvelle des-
tination dès le retour à Paris des jeunes comédiens. Ceux-ci
donnaient pouvoir à un mandataire de contraindre par
toutes voies de justice Noël Gallois, maître du jeu de paume,
le charpentier et le menuisier, à ne pas retarder l'exécution
de leurs engagements. Lorsque cette procuration commi-
natoire fut signée, ainsi que nous venons de le dire, le 3 no-
vembre, il y avait évidemment plusieurs jours que les si-
gnataires étaient à Rouen; et comme la célèbre foire de cette
ville, dite foire du pardon, ou foire de Saint-Romain, com-
mençait le 23 octobre et durait quelque temps, on a fait re-
marquer combien il est probable que Molière et ses cama-
rades avaient trouvé dans ces fêtes, où les jeux du théâtre
tenaient une grande place, l'occasion de leurs premiers
débuts.
La troupe s'arrêta peu à Piouen. Le jour où elle revint à
Paris ne saurait être précisé; mais on constate qu'elle y
était le 28 décembre, date du marché passé entre elle et
Léonard Aubry, paveur des bâtiments du roi, chargé des
travaux de pavage devant le théâtre, et qui devait les avoir
achevés le jeudi 3i, « si le temps le pcrmettoit ». Nous
reti'ouverons ce brave Aubr}', qui n'a pas seulement fait
rouler avec facilité sur ses pavés les carrosses des spec-
tateurs dans les avenues du tripot, mais, en un sens dif-
férent et meilleur encore, a, comme très utile ami, aplani
le chemin à la comédie.
La date que (ixaitle traité fait avec lui indique l'intention
d'inaugurer la salle dès le commencement de l'année sui-
vante, dont on était bien près. Il ne paraît pas douteux que
le mois de janvier 164 i n'ait vu s'ouvrir le petit théâtre qui
portait Molière et sa fortune.
Il grandira, ce petit théâtre, mais plus lardetàune meilleure
;. SUR >!OLIERE. 83
place dans Paris. Les commencements auraient pu décou-
rager; des eml)arras d'argent sont ce qui nous reste surtout
de leur histoire. Dans Êlomire hypocoiulre on trouve de ces
premières diflicultés un tableau, suspect sans doute d'une
médiocre fidélité, mais dont les couleurs, quand le mauvais
succès nous est prouvé par les faits, ne doivent avoir été
que légèrement forcées. Le passage est à citer, d'autant plus
qu'il laisse peu d'incertitude sur le jour de la première des
représentations, un jour de fête, qui disposa le public à la
bonne humeur et à l'indulgence. Quelle serait cette fête,
])uisque nous devons la chercher au commencement de l'an-
née 16 (4, sinon celle des étrennes, par conséquent le ven-
dredi 1" janvier?
.... 3Ia troupe ainsi faite, on me vit à la lêle,
Et, si je m'en souviens, ce fut un jour de fête;
Car jamais le parterre, avec tous ses échos.
Ne fit phis de ah! ah! ni phis mal à propos.
Les jours suivants n'étant ni fêtes, ni dimanches.
L'argent de nos goussets ne blessa point nos hanches;
Car alors, excepté les exempts de payer,
Les parents de la troupe, et quelque batelier,
Nul animal vivant n'entra dans notre saUe*.
La part faite à rh\[)erbole satirique, rinsuffisance des
recettes est certaine, non setilement au temps du jeu de
paume du Mestayer, mais aussi après le changement de
({uartier, et jusqu'au jour oii la résolution fut prise de courir
les provinces. Ce temps a laissé peu d'autres traces que
celles des dettes dont on ne tarda pas <à être accablé.
Cependant, quoique les documents que nous avons soient
des papiers d'affaires, où l'on n'avait à traiter que des ques-
tions d'argent, ils nous fournissent un petit nombre de ren-
seignements d'une autre nature.
On croirait d'abord de peu d'intérêt l'acte d'engagement
d'un danseur de Rouen, Daniel Mallet, que les comédiens,
très vraisemblablement durant leur séjour en cette ville,
avaient assisté dans une maladie, et qui s'obligeait à servir
I. Acte du D'u-orce corniijue, scène II. p. 77 et 78.
86 NOTICE TnOGRAPIlIQUK
chez eux « tant en comédie que ballets ». Mais cet acte est
celui que, par sa date (28 juin ifi'j4), nous avons déjà jugé
digne d'être cité* comme étant le premier où nous trou-
vons notre poète désigné sous le nom de théâtre qu'il a
immortalisé. Il l'a signé : df, Moui;re. La particule de ne
signifiait aucune prétention à la noblesse. Elle était en usage
chez les comédiens devant le nom de leur seigneurie co-
mique. Pourquoi le jeune Poquelin a-t-il donné le nom de
Molière à la sienne? Peut-être a-t-il pris le premier venu.
Si le hasard a été son parrain, il n'a jamais eu un plus
glorieux filleul.
La même convention faite avec le danseur est signée
aussi par un nouveau camarade, Nicolas Desfontaines. Celui-
ci était un auteur, qui avait déjà composé plusieurs tragi-
comédies, dontl l'une éVAiX. Euryme'don, on V Illustre pirate-.
Celles de ses pièces auxquelles les frères Parfait donnent
les dates de 1644 et de 1645 ne peuvent avoir été jouées
que sur le théâtre dont il faisait partie, et il aurait suffi de
leurs titres pour le faire conjecturer. C'étaient Persidc ou
la Suite de l'Illustre jBassa, Saint Alexis ou Clllustre Olym-
pie^ l'une et l'autre de 1644; V Illustre Comédien ou le Mar-
tyre de saint Genest (1645), sujet qui l'année suivante a si
bien inspiré Rotrou. Les fondateurs de l'Illustre théâtre,
lorsqu'ils le nommèrent si pompeusement, avaient-ils pris
conseil de Desfontaines, possédé de la manie de Y Illustre?
Au reste, il n'était pas le seul qui, à cette époque, eu mît
j)artout.
On connaît, sans avoir besoin d'une conjecture, d'autres
pièces jouées par nos comédiens dans ces mêmes années.
J.e titre de VJrtaxerce, tragédie de Magnon, imprimée en
1645^, porte cette indication, qui n'était pas ordinaire alors,
du théâtre sur lequel elle avait paru : « Représentée par
l'Illustre théâtre. » Voici deux autres tragédies, dont la
1. Voyez ci-dessus, p. 79 et 80.
2. Recherches sur 3Iolière, p. 38.
3. A Paris, chez Cardia Besongne, M.DC.XLV. — Achevé
d'imprimer pour la première fois le 20 juillet 1645. — Le Privi-
lège donné à Paris, le 11 jiullct 1645.
SUR MOLTKRE. Sr
troupe put être plus fière : le Sccvoie de du Ryer', et la
Mort de Chrtspc de Tristan-. Si nous savons avec certitude
qu'elles furent jouées par elle, et dès l'année iG^'f, c'est
quelles sont nommées dans la reconnaissance, datée du
9 septembre de cette année, d'un emprunt de onze cents livres
iait à Louis Baulot, conseiller et maître d'hôtel ordinaire
du roi^. On les y mentionne parmi les dépenses, qui, jointes
au loyer du jeu de paume, forçaient à contracter cette dette.
Le prix auquel elles avaient été payées avait été sans doute
un peu élevé pour les faibles ressources des associés ; mais
elles avaient dû leur faire un honneur, dont Molière se
souvenait lorsqu'il les fit représenter de nouveau, en i6jy,
au Petit-Bourbon'^.
Des tragédies, voilà tout ce que nous venons de rencon-
trer. Les renseignements, il est vrai, sont incomplets. Il est
cependant probable que des succès d'acteurs tragiques ont
été d'abord la principale ambition de ce théâtre, dont la
comédie devait un jour faire la fortune et la célébrité. Il
est remarquable que l'acte de fondation de la société donne
une impoi'tance particulière aux rôles de héros. La mention
y est faite d'un accord entre « Clérin, Poquelin et Joseph
Béjart, qui doivent choisir alternativement les héros, sans
préjudice de la prérogative que tous les susdits [tou.<! les asso-
cies] accordent à Magdelaine Béjart de choisir le rôle qui lui
plaira jj. Nous ne croyons pas que les héros puissent simple-
1. Scévole^ tragédie de M. du Ryer, à Paris, chez Antoine de
Sommaville. M.DC.XLVIL — AcheAc d'imprimer pour la pre-
mière fois le 2"= janvier i647- — Le Privilège du roi donné à Pa-
ris le dernier août i6 (0.
2. La Mort de Clirispe ou les malheurs domestiques du grand Cons-
tantin, par le S' Tristan VHermite. A Paris, chez Cardin Besougne.
M.DC.XXXXV, La tragédie est dédiée à la duchesse de Chaulues,
dont la présence à la représentation est constatée par VEpître de
Tristan. — L'achevé d'imprimer est du 20 juillet i645.
3. Voyez la citation de cette reconnaissance dans les Pièces
justificatives des Points obscurs de la vie de Molière, p. S^g.
4- \oyez le Registre de La Grange. — Le Scévole fut encore
joué le jeudi 1" janvier de l'année suivante (1G60). On le joua
ce jour-là avec les Précieuses ridicules.
88 \0TIGK BIOGRAPHIQUE
ment signilier les premiers rôles, comiques aussi bien que
tragiques. ISous avons déjà noté chez Molière la laiblesse
(ju'il eut longtemps d'aimer à représenter des personnages
héroïques. Quant à Madeleine Béjart, on ])araît lui avoir re-
connu dès ce temps un véritable talent de tragédienne. ïal-
lemant des Réaux a dit : « Son chef-d'œuvre, c'étoit le per-
sonnage d'Epicharis, à qui Néron venoit de faire donner la
question ^ » Il suffit de lire la Mort de Séiièque, par Tristan
niermite, pour y reconnaître la tragédie où la Béjart avait
si fort brillé; et comme elle fut certainement représentée
en iG44^, elle est à ajouter à celles que nous savons déjà
avoir été confiées aux comédiens de l'Illustre théâtre, dans
ces années où de sérieux éléments de succès sembleraient
ne leur avoir pas manqué. Le nom de l'auteur de Marianne
.suffisait pour recommander une tragédie. Les moins heureux
de ses ouvrages, ceux qui le laissent le plus loin des maîtres
de notre scène, s'élevaient au-dessus de la médiocrité de la
plupart des pièces de ce temps. Telle fut la Mort de Chrispc
tout à l'heure nommée. Le sujet a de grandes ressem-
blances avec celui de Phèdre. Fauste, marâtre de Chrispe,
est, comme la marâtre dllippoh te, « perfide, incestueuse »,
et jalouse dune rivale. On se demande si Racine n'a jjas
fait l'honneur à Tristan d'avoir gardé quelque souvenir de
sa tragédie, par exemple dans ce beau vers :
Je sentis tout mon corps et transir et brûler'',
que rappelle, malgré sa faiblesse, celui-ci du rôle de Fauste :
Je m'en sens tour à tour el brûler et glacer*.
Il est d'ailleurs trop évident que toute comparaison avec le
chef-d'œuvre de Racine serait écrasante pour la Mort de
I. Historiette de Mondory, au tome Vil des Historiettes., p. 177.
'}.. La Mort de Sénèque, par le sieur Tristan l'Hermile. A Paris,
chez Toussaint Quinet, M.DC.LXV. — L'Achevé d'imprimer est
du 10 janvier i645, le Privilège, du 19 octobre i644- — La pièce
est dédiée au comte de Saint-Aignan.
3. Phèdre, acte I, scène m, Aers 276.
4- La Mort de Chrispe, acte I, scène i.
SUR MOLIÈRE. 89
Chrispc. Et néanmoins, dans cette tragédie, quelques pas-
sages ne sont pas à dédaigner. Le rôle de Fauste dut per-
mettre à Madeleine Béjart de faire preuve de son talent.
Tristan lui en donna une meilleure occasion encore dans
le rôle d'É])icliaris de la Mort de Sénèque, pièce supérieure
de tout point à la Mort de Chrispc. Cette Epicharis, que
nous nous garderons de donner pour l'égale des plus grandes
héroïnes de Corneille, est cependant de leur famille, surtout
lorsque, au sortir de la torture, elle brave Néron et insulte
Sabine [Poppce\ dans la forte scène*, où le jeu de l'actrice
avait frappé Tallemant. On ignore si Molière faisait le per-
sonnage de Lucain, épris des charmes d'Epicharis. Il semble
que Tristan, très galant, soit pour son propre compte, soit
pour celui du jeune comédien, ait voulu rendre un flatteur
hommage à l'interprète du rôle de la séduisante affranchie,
lorsqu'il lui a fait dire par Lucain :
Fille cgalc à Minmvo en beauté de visage,
Divine Epicharis
û beauté sans seconde.
Pour être tout à fait une Minerve, si ce n'était pas le beau
visage, c'était une autre ressemblance avec la sage déesse
qui manquait aussi bien à l'Épicbaris de la troupe de l'Il-
lustre théâtre qu'à celle de l'histoire.
Tristan, qui faisait aux nouveaux comédiens la faveur de
leur confier seslragédies, peut leur avoir rendu encore d'autres
services. Il était gentilhomme ordinaire de la suite de Gaston
de France. Or la troupe fut autorisée en 16 '44 à se dire
« entretenue par Son Altesse Royale « ; le fait est constaté
dans l'acte du 9 septembre, par lequel nous avons appris que
l'Illustre théâtre avait obtenu du ])oète renommé sa Mort
de Chrispe ; ce fut assez vraisemblablement au même poète
qu'il dut la protection du prince. On s'explique l'intérêt que
portait Tristan à la jeune troupe. Son frère, Jean-Baptiste
i'Hermite de Vauselle, était très ami des Béjart, mieux en-
core, comme on le soupçonnait depuis longtemps et qu'on
l'a récemment mis hors de doute, leur parent, plus exac-
I. La scène in de l'acte V.
go NOTICE BIOGRAPHIQUE
tement leur allié ', un allié assez obligeant pour avoir de grands
titres à leur reconnaissance, comme nous l'apprend le i)ap-
tême, dont nous avons déjà dit un mot en passant^, celui
de la fille de Madeleine Béjart. Dans l'acte de ce baptême,
daté du II juillet iG'38'\ les énormltés sont accumulées :
l'enfant reconnu par un bomine marié: la mère de Made-
leine Béjart marraine; comme parrain, Gaston de Rémond,
(ils légitime du père de la bâtarde adultérine*. Il est encore
beureux que cet enfant de sept ans n'ait point paru. Celui
qui, en son nom, leva sur les fonts la petite Françoise, fut
Jean-Baptiste l'Hermite. Un vilain bomme, ce frère de Tris-
tan. Il était poète, comme son aîné, mais avec beaucou|)
moins de talent, et encore plus inférieur à lui par le carac-
tère. Ses trabisons, enregistrées dans l'bistoire de ce temps,
nous feraient sortir de notre sujet. Il suffit de le montrer
dans ses relations avec des personnages qui n'y sont pas
étrangers et avec la troupe de Molière. On vient de voir
comme il avait bien mérité de l'amant de Madeleine Béjart.
1. 31. Henri Chardouafail couuaîlre eu 1887 la noie suivanleqiii
n été découverte jiar M. le vicomte de Poli au cabinet des titres
(le la Bibliothèque nationale : « 3 mars i636, Paris. Mariage de
J.-B. L'Hermite avec Marie Courtin, assistée de Simon Courtin,
son père, et de Joseph Bézard (Bcjart), son beau-frère. » Simou
Coui'tin, le beau-père de L'Hermite, était, en cette même an-
née i636, curateur de Madeleine Béjart, que sa femme, Madeleine
\olles, avait tenue sur les fonts en 1618 avec Charles Béjart, frère
de Joseph. H est assez difficile de dire comment celui-ci était
beau-frère de Marie Courtin. Malgré la difficulté de l'explication,
la pièce authentique ne saurait laisser de doutes. Peut-être Ma-
rie Hervé, femme de Joseph Béjart, était-elle sœur utérine dv
la mariée, comme fille de Madeleine ISolles, que Simon Courliu
aurait épousée veuve. Ou supposerait-on qu'un frère de 3Iarii'
Courtin aurait épousé une Béjart, sœur de Joseph? Ce serait alors
par abus que le frère de la belle-sœur aurait été désigné comme
beau-frère.
2. Voyez ci-dessus, p. 78.
3. Nous le donnons aux Pièces Jus tificatUes, n° IV.
4. n était filleul de Gaston de France. Le nom de ce frère
du roi Louis XIII est dans ce baptistaire, où Modène a parmi ses
titres celui de chambellan de ses affaires.
SUR MOLIERE. (;i
L'année suivante (i63{)) il lui dédia sa tragédie de La Chute
de Phae'ton. Un jour il devait souffrir la liaison galante de
ce seigneur de Modène avec Mme l'Hermite de Vauselle,
sa femme. ])lus tard lui faire épouser sa fille. Parent de la
Béjart et complaisant pour ses amours, on devine sans
peine qu'il a dû solliciter son frère Tristan en faveur du
nouveau théâtre. Si d'abord il n'en fit pas lui-même par-
tie, le temps vint, comme nous le verrons, où, malgré sa
noblesse, lui, sa femme et sa fille, la future comtesse de
Modène, furent engagés dans la troupe ambulante de^lolière
et de la Béjart.
Ce rapide coup d'œil sur le frère de Tristan a donné en
même temps du seigneur de Modène une première idée,
qui ne lui est pas non plus favorable. Mais puisque l'Her-
mite de Vauselle vient d'introduire dans notre récit cet
autre personnage, plus intéressant pour nous l\. connaître
que lui, il nous donne occasion de regarder de plus près
celui que l'on rencontrera dans les questions les plus déli-
cates, comme les plus difficiles à bien éclaircir, que la vie
privée de Molière ne permet pas d'éviter.
Ce gentilhomme du Comtat-Venaissin, Esprit de Rémond
de Mormoiron, dont le père avait pris d une de ses terres
le nom de baron de Modène, était né le 19 novembre ifioS^
Il avait été page de Gaston, dont la maison n'était pas la
meilleure école de morale, puis un de ses chambellans. Dans
sa vie de soldat, il eut des occasions de se signaler, mais
toujours en aventurier. Il ne manquait pas plus d'esprit
que de bravoure, savait tenir la plume, comme l'épée, et
aurait pu dire ainsi que Scudéry : « Ne pensant être que
soldat, je me suis encore trouvé poète*. » Il a eu un jour de
I. Nous avons fait usage des renseignements donnés sur lui par
1\L Henri Chardon dans son livre plein de curieuses recherches
que nous avons déjà cité : M. de Modîne, ses deux femmes et Ma-
deleine Béjart. — II a non seulement complété, mais rectifié sur
des points essentiels ce qu'avaient écrit sur la vie d'Esprit de
Rémond le marquis de Fortia et Hippolvte de la Porte dans leurs
Lettres sur la femme de Molicre, Paris, 1826.
^. Préface du Lrsdamon de Scudérv.
(jos XOTICE BIOO R \P1IIQUE
si étonnante inspiration dans un sonnet sur la mort du
Christ, qu'on a doute s'il en était l'auteur ; ses autres poé-
sies cependant, quoique très inférieures, ne sont pas si
méj)risables qu'elles autorisent cette déliancc. Avec ces
goûts littéraires, il était naturel qu'il aimât le théâtre. Il
est certain tout au moins qu'il a aimé les comédiennes. Ou
en connaît deux qu'il eut pour maîtresses, et une troisième
qu'il fit la folie d'épouser, lorsqu'il était, peu s'en faut, sexa-
génaire : caractère faible, et jouet de ses passions, peu pro-
fondes cependant et qui ne paraissent avoir été que des
caprices, il doit avoir peu étonné le monde le jour de son
étrange mésalliance. Elle fut « la continuation des désordres
de sa vie », dit l'abbé Arnauld dans ses Mémoires^, où il le
juge ainsi : « Le baron de Modène, homme de mérite assu-
rément, s'il n'eût point corrompu par ses débauches les
belles qualités de son esprit. Il faisoit d'aussi beaux vers
qu'homme de France-. »
Nous n'avons pas à raconter en détail la vie de M. de
Modène : elle ne nous appartient ici que ])ar l'histoire de
ses relations avec Madeleine Béjart. On est d'abord tenté
de le croire violemment épris d'elle, lorsqu'on le voit affi-
cher son impudente paternité de i638 du vivant de Mar-
guerite de la Baume de Suze, cette « noble dame de Mali-
corne « qu'en i63o il avait épousée, veuve de Henri de
Beaumanoir, marquis de Lavardin^. Ce serait mal connaître,
ce semble, un homme de si peu de scru])ules que de vouloir,
non pas excuser, mais expliquer son action indigne par la folie
d'une grande passion. En tout cas, on ne sait oii trouver
I. Voyez, dans la collection Michaïul et Poujoulat, l^édilion de
i854), le lome XXIII, p. 5-23.
a. L'abbé Aruauld, pour justifier ce qu'il dit des vers du sei-
gneur de Modène, cite une stauce, très bien tournée eu effet,
d'une ode qu'il lui avait montrée.
3. M. Chardon, dans sa Troupe du Romun com'ujue devoilce (1876).
p. i3, a le premier signalé l'erreiu" de ceux qui ia croyaient morte
au temps du baptême de i638. Payant ])ien cher son imprudence
d'avoir convolé avec un homme beaucoup plus jeune qu'elle, et
de ce caractère, elle vécut jusqu'en février 1O49 dans l'aliandon un
il la laissait.
SUR MOLIERE. i)i
chez lui, quelques années plus tard, la moindre étincelle
de l'ardent amour qu'on aurait pu lui supposer pour la
mère de la |)etite Françoise. Il n'y a pas inutile curiosité à
chercher si l'on en ])eut reconnaître quelques traces au
moment où Madeleine Béjart entra dans l'association comique
de l'Illustre théâtre. Le seigneur de Modène porta-t-il à l'en-
treprise un tendre intérêt? Ou hien encore semble-t-il l'avoir
vue d'un mauvais œil, en avoir pris quelque ombrage ? Etait-
il alors à Paris? Ce serait gênant pour ceux qui n'aimeraient
pas à voir Molière dans un rôle peu glorieux. Il n'est \r,\s
sans intérêt de suivre, autant qu'il se peut, pas à pas le
gentilhomme du Comtat depuis i638 jusqu'à la lin du séjour
de notre troupe à Paris.
Aucune de ses aventures n'est plus certaine, étant dûment
constatée dans l'histoire, que la part qu'il prit à la rébellion
du duc de Bouillon, du comte de Soissons et du duc de
Guise. Celui-ci, au commencement de iG'ig, s'était retiré à
Sedan, où étaient réunis les conspirateurs. Dans le même
temps, M. de Modène avait obtenu la charge de lieutenant
du sieur de Biscarrat, gouverneur de Charleville et du
Mont-Olympe. Il se trouvait assez voisin du foyer de la ré-
volte pour prêter l'oreille à des ouvertures du prince lor-
rain, qui, probablement sans trop de peine, l'engagea pour
la j)remière fois, non pour la dernière, dans une de ses té-
méraires folies. La symj)athie était naturelle entre ces deux
hommes pareillement de caractère aventureux, d'humeur
galante, et gens d'esprit avec peu de sens. Tous deux avaient
essayé, sans y réussir, d'entraîner le frère du roi dans
l'équipée. Nous trouvons Modène à la journée du G juillet
i6}i, à laquelle le bois de la Marfée a donné son nom; il y
fut blessé. Le comte de Soissons y ayant été tué, les rebelles,
tout vainqueurs qu'ils fussent des troupes royales, n'en
avaient pas moins perdu la partie. Guise, qui n'avait pu
être à la bataille, mais en restait responsable, fut condamné
à mort. Il trouva un refuge à Bruxelles. Pour ses domes-
tiques, comme pour ceux du comte de Soissons, il y eut
amnistie. M. de Modène, à qui cette abolition ne suflisait
pas pour rendre sur de quelque tenq^s le séjour de Paris,
se tint coi d'abord à Sedan en iG j r , puis dans le Comtat, où
,J'^ NOTICE BIOGRAPHIQUE
l'on a découvert une j)rcuve peu douteuse de sa présence
en 16 ',a'.
On n'a pas oublié la conjecture suivant laquelle Madeleine
Béjart aurait fait partie de la troupe qui joua la comédie aux
eaux de Montfrin au mois de juin de cette année i6.|2, et
l)ouvait y avoir rencontré son futur camarade, le jeune tapis-
sier du roi*. Une autre, qui n'est pas la plus invraisemblable,
est qu'elle aurait eu l'occasion de revoir M. de Modène dans
ce même temps et dans ce môme village de Montfrin, ti-ès
voisin du Comtat, et dont les seigneurs étaient des la Baume
de Suze^. S'il était plus certain que le hasard eût réuni alors
Molière, Madeleine Béjart et le seigneur de Modène, comme
dans le prologue d'une pièce où tous les trois ont eu leur
rôle, il faudrait reconnaître qu'un poète de théâtre n'eût pas
mieux fait. Il est regrettable que tout se borne à des proba-
bilités, et que de pas un d'eux la présence à Montfrin n'ait
pu jusqu'ici être positivement constatée. Laissons pour
l'instant la supposition de leur rencontre, sur laquelle nous
devrons plus tard revenir.
Modène accompagna-t-il le duc de Guise à Paris, lors-
que celui-ci y rentra en 16^3, profitant de l'oubli dont on
jeta le voile sur la rébellion de Sedan? Plusieurs l'ont cru;
mais on le trouve dans le Comtat en octobre i6i'i, en fé-
vrier 1644 et en janvier 1645^. Il peut être dit sans doute
que les actes et circonstances que l'on a cités ne supposent
sa présence pendant ces années-là qu'à certains moments ; il
y a néanmoins une circonspection peut-être excessive à ne
pas admettre, d'après de si fortes présomptions, que cette ré-
sidence a été continuée durant toute la seconde et prolongée
jusque dans la troisième. Il faut d'ailleurs remarquer qu'un
des actes de février 1644, celui du i3, est relatif à la vente
d'une grange et de terres, faite par le seigneur de Modène
à Jean-Baptiste l'IIermite et à sa femme^. Si cette vente ne
I. 31. de Modène... cl Madeleine Béjart., p. 11 5.
1. Voyez ci-dessus, p. 65 et 66.
3. M. de Modène... et Madeleine Bcjarl, ]). 4 t't i^3-
[. Ibidem, p. 165-167.
5. Recherches sur Molière. Uoclmem A.XIX, p. au2.
SUR MOLIÈRE. . ^5
fut, comme il semble, qu'une libéralité déguisée dont il gra-
tifia une nouvelle maîtresse, il ne vaut vraiment pas la peine
de chercher l'infidèle à Paris, près de la Béjart, au temps
où elle prit une si grande part à l'établissement du théâtre
naissant et eut à lutter avec les diflicultés de l'entreprise. Ce
n'est pas aux bons offices de Modène qu'il faut attribuer la
[)rotection accordée à l'Illustre théâtre par l'Altesse Rovale,
dont s'était d'ailleurs détaché son chambellan depuis les évé-
nements de Sedan; c'est bien plutôt, comme nous l'avons
déjà dit, au crédit du })oète Tristan. Il est probable que ce
fut le même Tristan qui recommanda nos comédiens au duc
de Guise, étant attaché à la maison de ce prince lorrain.
Ils furent compris, avec ceux de l'hôtel de Bourgogne et du
Marais, dans une distribution que fit le duc de ses riches
habits S au printemps soit de i6','f, soit de x6'(j, lorsqu'il
suivit Gaston dans ses campagnes.
Si l'on admet, avec les contemporains de Molière, avec
Boileau lui-même, cité par Brossette, qu'entre le jeune co-
I. Le fait est consigné dans les Stances adressées au duc de Guise
sur les présents qu^il avoit faits aux comédiens de toutes les troupes. Un
acteur, qui ne les a pas signées, y demande ainsi d'être admis au
partage, où il avait été oublié :
Déjà dans la troupe royale
Beaucliâteau, devenu plus vain.
S'impatiente, s'il n'étale
Le présent qu'il a de la main.
La Béjart, Beys et Molière,
Brillants de pareille lumière,
3I'en paroissent plus orgueilleux;
Et depuis cette gloire extrême.
Je n'ose plus m'approcher d'eux
Si ta rare bonté ne me pare de même.
On a cité deux Recueils, impiimés en 1646, qui ont donné ces
vers : Recueil de diverses poésies. Paris, Toussaint du Bray, et -Sou-
veau Recueil des bons vers de ce temps, Paris, Cardia Besongne.
Dans aucune des bibliothèques publiques de Paris nous ne les
avons trouvés. On peut s'en passer pour la date de la libéralité
de Guise, qui est certainement antérieure à celle de ces impres-
sions. Beys, comme Ta fait remarquer Soulié, n'était plus, au
mois d'août i645, un des comédiens de la troupe.
gG NOTICE BIOGRAPHIQUE
médien et Madeleine Béjart il y eut plus que de la cama-
raderie, et si l'on fait commencer leur liaison galante dès
le temps où se forma la troupe, il a été bon de reconnaître
si vraisemblables, en ce même temps, l'absence du seigneur
de Modène, le changement, d'une date antérieure, de son
caprice en indifférence, et ses nouvelles amours. Quelque
peu d'illusion qu'il y ait à se faire sur la vie de théâtre, on
trouverait plus que déplaisant de voir le jeune Molière
s'attacher à une femme que continuerait d'aimer et de pro-
téger un ancien amant, et l'on est heureux de ne guère
douter de l'éloignement du gentilhomme au moment où il
serait de trop. La démonstration de son alibi ne paraîtrait-
elle pas assez convaincante, point de trace du moins d'une
manifestation de sa jalousie, ni dune aide quelconque prê-
tée par lui à l'Illustre théâtre dans ses embarras. Les docu-
ments ne laissent pas ignorer les noms de ceux dont la
bourse s'ouvrit pour des prêts d'argent ou pour des cau-
tions à fournir : il n'est question nulle part de Modène.
Ce fut lui, au contraire, apparemment très besogneux, qui,
plus d'une fois, eut recours aux générosités de Madeleine.
Gêne ou avarice, n'ayant jamais rien donné ni prêté, on ne
le voit pas non plus se montrer inquiet d'avoir un rival.
Il est facile de reconnaître un homme qui, de son côté,
ne s'était point piqué de constance, et ne demandait pas
mieux que d habituer sa comédienne à lui laisser prendre
sa retraite dans la simple amitié. On dii-a qu'il ne faut pas
trop prétendre voir clair dans les amours de Madeleine Bé-
jart, dans cette « galanterie si confuse », dont elle a été
accusée*. Nous croyons cependant n'avoir rien dit que d'à
peu près certain.
On a moins encore à craindre les critiques et la contro-
verse dans une histoire beaucoup plus simple, celle des rudes
épreuves de l'Illustre théâtre. Pour soutenir la troupe dans
sa très lourde entreprise, ce ne put être assez ni des tra-
gédies d'auteurs célèbres, représentées dans leur nouveauté,
ni de l'avantage, probablement plus honorable que lucratif,
I. La Fameuse Comédienne^ i^. 7,
SUR MOLIERE.
97
(l'éti'e entretenue par Gaston. La gêne se fait déjà sentir
dans un acte du i*^"" juillet 16', 4'- H a pour objet de modi-
fier le contrat de société du 3o juin 16', î, dans une de ses
clauses, qui permettait à quiconque voulait se retirer, après
en avoir averti quatre mois d'avance, de se faire rembourser
de sa part de tous les fi*ais « jiour les décorations et autres
choses 5>. Désormais nul ne pouvait prétendre à ces rem-
boursements, « attendu les dettes que la compagnie a con-
tractées ». L'acte du 9 septembre iG'jf, déjà cité ])our la
mention qui s'y trouve des tragédies de du Ryer et de Tris-
tan 2, est, nous l'avons dit, la reconnaissance d'une dette de
onze cents livres, empruntées par la troupe. Marie Hervé
donna pour caution sa maison de la rue de la Perle, caution
])eu rassurante, cette maison étant déjà grevée d'une hypo-
thèque de deux mille quatre cents livres. Par deux obliga-
tions datées du 17 décembre 1644' les comédiens reconnais-
sent devoir deux mille livres à un sieur Pommier, trois cents
par la première, mille sept cents par la seconde. Pour le
}>ayement, les débiteurs consentent que tout ce qui ])eut re-
venir aux créanciers sur les recettes des représentations or-
dinaires et des visites, les frais du théâtre préalablement
payés, soit retenu par eux jusqu'à concurrence de leur du, et
même qu'ils payent desdits deniers la somme de six cents
livres non encore remboursée au sieur Baulot. On devait
donc à ce moment deux mille six cents livres. Marie Hervé
donne de nouveau sa garantie, mais seulement pour ses
lilles et pour Molière, qui ainsi a quelque peu l'air d'être
entré dans la famille. D'autres comédiens ont, de leur côté,
leurs répondants. Le même jour les associés s'engagent à
I. Voj'cz les Polnlx obscurs de la fie de Molicre. p. 078. Cet acte
nous donne le nom d'un nouvel associé, Philippe Millot. L'acte
(lu 9 septembre de la même année, que nous avons phisicurs fois
mentionné, fait connaître une autre recrue, Pierre Duljois, maître
brodeur. Mais il ne sera pas toujours utile de nommer ceux des
camarades de Molière qui n'ont fait que passer dans la troupe, et
n'y ont marqué d'aucune façon.
3. Voyez ci-dessus, p. 87.
3. Recherches sur Molière. Docu.^ients XII et XIII, p. 177-181,
Molière, x 7
98 NOTICE BIOGRAPHIQUE
employer toutes les recettes à l'acquitteraent des dettes
jusqu'à leur entière extinction'.
Voilà un décourageant tableau, où se lit en traits trop
clairs le présage d'une prochaine faillite des belles espéran-
ces. Pour se résigner dès lors sans lutte à cette déception,
Molière était entré dans sa nouvelle carrière avec trop d'ar-
deur et trop de confiance dans ses forces ; et puis l'autre chef
de l'entreprise, Madeleine Béjart, était femme de tête. On ne
se laissa donc pas si vite abattre, mais il fallait aviser. Dans
un quartier qui dépayserait moins le beau monde, la fortune
s'obstinerait peut-être moins à refuser quelques sourires.
Le bail du jeu de paume des Mestayers fut résilié par acte
du i/f décembre- i6', '|. Un autre jeu de paume fut loué, celui
de la Croix-Noire, rue des Barrés, proche l'Ave-Maria, ayant
issue sur le quai des Ormes, au port Saint-Paul.
Chalussay a noté le déménagement, mais sans prendre
plus de souci de faire suivre dans l'ordre vrai le premier
tripot du second, qu'un personnage de Scarron de mettre
dans le nom de Pascal Zapata, Pascal devant ou Pascal der-
rière. Il fait dire à Elomire, qui vient de peindre la détresse
de sa troupe :
Chacun troussa sa malle.
N'accusant que le lieu d'uu si fâcheux destin.
Du port Saint-Paul je passe au faubourg Saint-Germain^.
Ce fut l'inverse.
Le 20 décembre 1644 un marché fut passé entre le maî-
tre charpentier Antoine Girault, qui devait, moyennant le
prix de six cents livres, remonter le théâti'e à la Croix-
Noire et faire les réparations nécessaires au Mestayer que
l'on quittait. Les travaux devaient commencer le 22 dé-
cembre et être achevés le 8 janvier suivante Molière avait
« troussé sa malle « : un acte du 3i mars 164!) nous apprend
I. Reckerches sur 3Iolicre. Document XIV, p. 181 et 182.
3. Le Jeu de paume des Mestayers, p. 69. — Eud. Soulié, dans
la Correspondance littéraire (g* année), p. 84, note 5, donne la date
du 19 décembre.
3. Elomire hypocondrc, dans le Dii'orcc comique, scène II, p. 78.
4. Rccherclies sur Molière. Document XVI, p. i83-i85.
SUR MOLIERE. 99
qu'il est maintenant logé « en la maison oii est demeurant
un mercier, au coin de la rue des Jardins, paroisse de Saint-
Paul* ». Il avait bien fallu emporter avec soi le fardeau des
dettes. Pour les payer en partie, les plus criardes sans
doute, Molière avait emprunté deux cent quatre-vingt-onze
livres tournois à Jeanne Levé, marchande, lui donnant en
nantissement deux rubans en broderie or et argent, que
l'on a supposés avec plus ou moins de vraisemblance être un
des affiquets dus à la libéralité du duc de Guise. Etant un
emprunteur plus honnête que le prêteur de sa comédie,
l'homme à la peau de lézard remplie de foin, il est probable
que son gage n'était pas sans valeur. Comme il dut toutefois
en prévoir l'insuffisance au temps où il eut laissé passer
l'échéance de sa dette sans avoir pu y faire honneur, il
s'obligea, par l'acte du 3i mars tout à l'heure mentionné,
à payer à la volonté de sa créancière la somme qui man-
querait après la vente des rubans. Il ne lui fut possible
de la rembourser, avec les intérêts et tous les frais, que le
i3 mai i6jg-, deux jours après la première représentation
à Paris de t Étourdi^ quand sa fortune venait de prendre
une face nouvelle.
Combien d'autres actes sans nul doute que l'obligation
à Jeanne Levé révéleraient dans le même temps, s'ils étaient
retrouvés, la triste pénurie! Mais la voilà déjà très suffi-
samment attestée. Nous n'avons pas cependant encore tout
dit sur la sévérité de la destinée, qui, dans les difficiles
débuts d'un homme de génie, lui a imposé d'humiliantes
années d'apprentissage. L'ironie du sort a été poussée loin.
Voici qu'un des plus humbles fournisseurs, celui dont les
chandelles éclairaient le théâtre où s'essayait un si magni-
fique avenir, le maître chandelier Fausser, faute du paye-
ment d'une somme, d'ailleurs fcontestée, de cent quarante-
deux livres, fait arrêter Molière et le recommande aux pri-
sons du Châtelet. C'est là que nous le trouvons le 1 août
1645^, demandant sa mise en liberté pour trois mois. Elle
1. Recherches sur Molière. Vioc\Jt\î.yï y^W^ p. l85.
2. Ibidem. Docu.aient XXVIII, p. 201. «
3. Ihidem. Docume>"t XVIII, p. i86.
io(. NOTICE BIOGRAPHIQUE
lui fut accordée pour six, à sa caution juratoire, en cas qu'il
ne fût pas détenu pour autre cause. Mais le même jour, nou-
velle recommandation aux mêmes prisons par le sieur Fran-
çois Pommier pour une somme de deux raille livres, qui
lui était due (il le prétendait du moins), comme s'y étant
obligé à la demande des comédiens, envers Louis Baulot,
leur créancier. Il fut cette fois encore oidonné que Molière
sortirait des prisons, s'il donnait suffisante garantie de payer
par semaine quarante livres pendant deux mois. Il semble
donc que trois cent vingt livres étaient jugées suflire pour
désintéresser Pommier, et que Molière avait affaire à des
usuriers dont il fallait réduire les créances. Le ])aveur des
bâtiments du roi, le bon Léonard Aubry, que nous connais-
sons déjà, se rendit caution jiour les quarante livres à payer
par semaine'. Molière fut-il libre alors, puis, dès le lende-
main, emprisonné de nouveau? ou avait-il été retenu au
moment où il allait sortir du Châtelet? Il est certain que,
malgré la sentence favorable obtenue le 2 août, il eut, le 4,
à présenter au lieutenant civil une requête par laquelle il ré-
clamait encore, pour différents motifs, sa liberté, Dubourg,
linger à Paris, l'ayant fait arrêter pour une dette de cent cin-
quante-cinq livres^. On lui demanda cette fois encore, pour le
mettre hors de prison, sa caution juratoire. On est disposé
à s'indigner contre les exigeants créanciers qui prétendaient
tenir sous les verrous une glorieuse destinée. Il faut être
juste cependant, ils ne pouvaient savoir ce qu'ils faisaient,
à quel génie, alors inconnu, ils s'efforçaient de lier les ailes.
L'auraient-ils su, il est probable qu'en faveur même du Mi-
santhrope^ ils n'auraient pas désarmé leurs droits. L'homme
pratique, l'homme d'argent, est toujours ])rèt à dire :
Je vis de bons écus et non de beau langage.
Que l'on juge naturels ou non leurs duis procédés, voilà
Fausser, le maître chandelier, Pommier, le faiseur d'af-
faires, Dubourg, le linger, parvenus, ou plutôt traînés, à
la postérité pour ce fait, qui ne saurait la laisser de sang-
I. Recherches sur Molière. Docu3IENTS XIX el XX, p. 187 el 188.
a. Ibidem. Docujient XXI, p. 189.
SUR MOLIERE. loi
froid, l'emprisonnement de celui qui sera dans quelques
années le grand Molière.
Il est triste de ne pouvoir (inir l'histoire de l'Illustre
théâtre que par le récit, trop peu littéraire, de ces embar-
ras d'argent. La croissante menace d'une complète ruine avait
sans doute découragé la moitié des comédiens de l'époque
de la fondation. Dans un acte du i3 août 1645, on ne trouve
plus Denys Beys, Pinel, Bonnenfant, Catherine des Urlis,
qui s'étaient retirés à différents moments, ainsi que le co-
médien auteur Desfontaines, venu, comme nous l'avons vu,
un peu plus tard dans l'association : ont seuls signé Molière,
Madeleine Béjart, sa sœur Geneviève, son frère Joseph, Clé-
rin et Catherine Bourgeois, avec eux un nouveau camarade,
du nom de Germain R.abel.
Dans sa l'equête de prisonnier adressée au lieutenant civil,
Molière avait encore pris le titre de « comédien de Son
Altesse Royale ». L'acte du i3 août ne fait plus mention de
la protection de Gaston. Ou l'on avait senti que l'on ne fai-
sait plus assez d'honneur à cette haute protection, ou il avait
paru au protecteur lui-même qu'une troupe devenue insol-
vable compromettait son nom ; et il lui eût été désagréable
d'entendre dire, probablement avec quelque vérité, que ses
comédiens, mis au Châtelet, devaient n'avoir pas été trop
bien entretenus par lui.
Le même acte qui nous avertit de cette déchéance, et qui
est une obligation à Aubry des comédiens restés fidèles à
l'Illustre théâtre S est dans les Recherches de Soulié, le der-
nier qui les dise « assemblés au jeu de paume de la Croix-
Noire ». Il n'est resté de trace dans aucun document relatif
à nos comédiens d'un autre jeu de paume, dit de la Croix-
Blanche, dont a parlé Grimarest, et qu'avec l'espoir opi-
niâtre d'y relever sa fortune, la troupe s'éloignant du port
Saint-Paul, aurait été chercher au faubourg Saint-Germain,
mal recommandé cependant par une première épreuve. Le
contemporain Chappuzeau, dans son Théâtre françois^. ne
nomme que « les fossés de Nesle et le quartier de Saint-
I. Reclierclies sur Molit-re. Document xxii, p. 1S9 et igo.
3. Voyez au livre III, chapitre xxxviii.
loa NOTICE BIOGRAPHIQUE
Paul ». Ce qui, même à première vue, fait croire à une er-
reur de Grimarest, c'est qu'il a passé sous silence le jeu de
paume des Mestayers et celui de la Croix-Noire. 11 était donc
bien mal informé et aura confondu les deux Croix. M. Vitu
dit avoir constaté que la maison de la Croix-Blanche, rue
de Bucy, ne renfermait pas un jeu de paume, mais un jeu
de boules, lequel ne se prêtait pas à l'établissement d'un
théâtre ^ On a voulu donner au témoignage de Grimarest
rap[)ui de celui de Clialussay, qui fait jiasser les comédiens
du port Saint-Paul au faubourg Saint-Germain-. Mais c'est
visiblement, ainsi que nous l'avons déjà dit, un quiproquo
par lequel l'ordre est interverti. En vérité, le moment au-
rait été bien choisi pour faire les frais d'une nouvelle in-
stallation, lorsqu'il était si clair que l'on succombait sous
les dettes, et que la ruine ne pouvait plus, sans miracle,
être conjurée ! Il n'est pas même vraisemblable que l'on ait
trouvé moyen de se soutenir longtemps à la Croix-Noire.
Soulié a pensé que la troupe y avait prolongé jusqu'à la lin
de 16(6^ une vie devenue si difficile. C'est faire singulière-
ment durer l'agonie. Du i3 août 1643 aux derniers jours
de 1646, il y a seize grands mois, pendant lesquels les affai-
res des comédiens avec leurs créanciers et avec leurs prê-
teurs auraient certainement donné lieu à des actes nom-
breux, et il n'eu a pas été découvert un seul de ce temps-là,
qui constate clairement la continuation à Paris de l'exis-
tence de l'Illustre théâtre,
Soulié cite deux documents qui la lui ont fait supposer :
d'abord une quittance de François Pommier à Catherine
Bourgeois, en date du 4 novembre 164G*. La comédienne lui
avait payé cent vingt livres pour sa part dans l'obligation,
souscrite à ce créancier, de dix-sept cents livres, et la quit-
tance, donnée à Paris, porte sa signature avec celle de
Pommier. Puis c'est une promesse, signée le 24 décembre
de la même année, faite par Jean Poquelin à Léonard Aubry
1. Le Jeu de paume des Mestayers, p. 7.
2. Voyez ci-dessus, p. 98.
3. Recherches sur Molière, p. 47-
4. Ibidem. Document XXIII, p. 191.
SUR MOLIERE. io3
de lui payer trois cent vingt livres, si son fils ne les pavait
pas^ Mais de la présence de Catherine Bourgeois à Paris il
n'y a rien à conclure. Elle était probablement alors séparée
de ses associés ; on ne la retrouve plus parmi eux. Quant à
la promesse de Jean Poquelln, Molière a pu la solliciter de
loin, et elle n'est point pour l'année 1646 une meilleure
preuve contre son absence, que pour l'année 1649 le paye-
ment fait par son père au même Aubry de soixante-huit
livres, qui restaient dues sur les trois cent vingt. L'inven-
taire fait après la mort de Jean Poquelin constate ce paye-
ment, ainsi que celui des cent vingt-cinq livres à la femme
de Pommier, sollicité par Molière, suivant la mention écrite
au dos d'une lettre missive de celui-ci-. Il faut le dire en
passant, si nous avions cette lettre, elle nous en apprendrait
beaucoup sur le plus ou moins de cordialité dans les rela-
tions du père et du fils. C'est du reste assez de l'accueil
fait aux demandes de Molière pour autoriser à penser que
ces relations n'étaient pas trop mauvaises.
Nous venons de montrer l'insuffisance des indices qui ont
empêché de croire que l'Illustre théâtre eût fermé ses portes
peu après l'acte passé au jeu de paume de la Croix-Noire le
i3 août 1G45. Tout annonçait alors qu'à bout d'efforts dans
sa lutte contre la mauvaise fortune, la troupe était sur ses
fins. La meute des créanciers avait sonné l'hallali devant les
portes du Grand Châtelet. On n'était plus recommandé par
le nom de l'altesse royale. Si après le i3 août il y eut en-»
core des représentations, elles durent être en très petit
nombre. Notre résistance à la supposition faite par l'auteur
des Recherches, guide d'ordinaire si sûr, nous paraît justifiée
par ce qui suit.
On lit dans les papiers de Trallage^ : « Le S"" Molière
commença à jouer la comédie à Bourdeaux en 164 t ou 1645.
M. d'Epernon étoit pour lors gouverneur de Guienne. Il
estiraoit cet acteur qui lui paroissoit avoir de l'esprit. »
1. Recherches sur Molière. Document XXXVII, cote quatre, p. 227.
2. ibidem, p. 228.
3. Voyez au folio 2 38, recto, du tome IV de ces papiers, con-
servés à la bibliothèque de l'Arsenal.
loi NOTICE BIOGRAPHIQUE
Les faits précédemment exposés rendent la date de i6li\
impossible. Celle de i6/,5 ne l'est pas, mais à condition de
n'admettre que les derniers mois de cette année, comme
l'ont fait les frères Parfait*, dans une citation, d'ailleurs peu
exacte, du renseignement donné par Trallage. Ce rensei-
gnement approchait beaucoup de la vérité, et Trallage, bien
qu il liésitât sur la date précise, n'était pas trop mal informé.
Il avait bien su vers quel temps à peu près la troupe de Mo-
lière et de ses camarades, pei^dant le nom d'Illustre théâtre,
devint celle du duc d'Epernon. Son témoignage confirme
ceux que nous allons rencontrer, de même qu'il est con-
fn'mé par eux. Ceux-ci ont, il est vrai, besoin d'être inter-
prétés ; mais on jugera de l'extrême vraisemblance de l'in-
terprétation, et combien est peu douteuse la réunion de nos
comédiens, vers le commencement de 1646, sinon même un
peu plus tôt, à ceux du duc d'Epernon-.
La dédicace de la tragédie de Josap/iat^ avAt été déjà
beaucoup remarquée. L'auteur était ce Magnon, dont nous
avons cité la tragédie antérieure d'Artaxerce, représentée
par l'Illustre théâtre, auquel il avait ainsi témoigné son bon
vouloir et son estime. Il dédia son Josaphat au duc d'Eper-
non, Bernard de Nogaret, comte de Foix, gouverneur de la
Guyenne. Ce passage de son Epître a été depuis assez long-
temps et souvent cité : « Cette protection et ce secours,
Monseigneur, que vous avez donné à la plus malheureuse
et à l'une des mieux méritantes comédiennes de France,
n'est pas la moindre action de votre vie. Et si j'ose entrer
dans vos sentiments, je veux croire que cette générosité ne
vous déplaît pas ; tout le Parnasse vous en est redevable et
vous rend grâces par ma bouche. Vous avez tiré cette infor-
I. Histoire du théâtre' francois, tome X, p. 74, à la note.
•).. Depuis quelque temps on était sur la A'oie ; mais avaut
M. Chardon, érudit aussi lieureux que persévérant et sagace
dans ses recherches, personne n'avait autant que lui fourni des
éléments à la solution du petit prohlème. Voyez son livre déjà
cité, M. de Modène... et Madeleine liéjart, p. iSG-ltjS.
3. Josaphat^ tragi comédie de M. Magnon. A Paris, chez Antoine
de Sommaville.... M.DC.XLVII.
SUTx MOLIERE. io5
tunée d'un précipice oîi son méxùte l'avoit jetée, et vous
avez remis sur le théâtre un des beaux personnages qu'il
ait jamais portés. Elle n'y est remontée, Monseigneur,
qu'avec cette belle espérance de jouer un jour dignement
son rôle dans cette illustre pièce, où, sous des noms em-
pruntés, on va représenter une partie de votre vie. » On a,
sans grand danger de se tromper, reconnu dans cette comé-
dienne singulièrement distinguée que le duc d'Épernon
avait tirée de l'abîme, celle qui était, puisqu'il ne s'agit pas
de l'autre sexe, la plus brillante épave du naufrage de l'Il-
lustre théâtre, et que l'on ne pouvait secourir plus effica-
cement qu'en la faisant remonter sur la scène. La phrase :
« Si j'ose entrer dans vos sentiments, je veux croire que
cette générosité ne vous déplaît pas », pourrait suggérer
quelques conjectures; on les trouverait d'accord avec ce
que nous savons de la Béjart, dont la coquetterie n'aimait
pas à déroger, et était surtout encourageante pour les gens
de qualité. Il nous semble moins facile d'expliquer le « pré-
cipice où son mérite l'avoit jetée. » Il y a là une allusion,
qui, n'étant pas très claire pour nous, est seule un peu
gênante. Malgré tout, on peut tenir pour évident qu'il s'agit
bien de la Béjai't, et que la voici engagée dans la troupe du
duc d'Epernon, avec l'espérance d'un rôle dans une pièce
toute pleine d'allusions aux aventures du gouverneur de la
Guyane. Dans Josaphat, en efl'et, Bernard de Nogaret est
facile à reconnaître, lorsqu'il n'était encore que duc de la
Valette, et que Louis XIII, après le siège de Fontarabie, le
frappa si durement. La pièce fut imprimée à Paris en 1647.
L'achevé d'imprimer est du 12 octobre 1646, le privilège est
donné à Paris le dernier août précédent. Ces dates méritent
attention. Lorsque Magnon écrivit l'épître où il parle de la
comédienne rendue au théâtre par le duc d'Épernon, non
seulement la pièce n'était pas encore représentée, mais on
n'avait même pas arrêté la distribution des rôles, puisque
la nouvelle recrue n'en était encore qu'à l'espérance d'en ob-
tenir un; or, comme l'impression d'une pièce n'ensuivait pas
immédiatement la première représentation, l'achevé d'im-
primer, daté du mois d'octobre, ne paraît pas permettre de
faire reculer plus tard que vers Pâques 1646 l'admission
io6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
dans la troupe, entretenue par le duc, de l'actrice, sa pro-
tégée.
La dédicace d'une autre tragédie, le Dictateur romain^,
a été signalée par M. Chardon comme faisant faire un nou-
veau pas, un pas décisif, à la question. L'épître, signée
A. Mareschal, est, comme celle de Jo.mphat, adressée au
duc d'Epernou; on y trouve également un remarquable pas-
sage sur sa troupe. Avec respect et crainte, l'auteur lui
dédie sa tragédie, « ])our la faire passer, heureusement, lui
dit-il, de vos mains libérales en la bouche de ces comédiens
destinés seulement aux plaisirs de V. G., et dont la troupe,
que vous avez enrichie par des présents magnifiques autant
que par d'illustres acteurs, se va rendre, sous vos faveurs
et sous l'appui de votre nom, si pompeuse et célèbre qu'on
ne la pourra juger indigne d'être à vous. » Ces auxiliaires
emphatiquement vantés, dont le concours a enrichi la troupe,
Mareschal ne les a sans doute pas nommés au hasard à' il-
lustres acteurs. Il est vrai que l'épithète d'illustre, nous le
savons déjà, était alors prodiguée. On a pu remarquer tout
à l'heure qu'elle est donnée par Magnon à sa tragi-comédie
de Josap/iat, en vue de celui qu'elle célébrait. Mais lorsque
Mareschal l'applique aux acteurs récemment recrutés, a-t-il
voulu marquer seulement qu'ils n'étaient pas les premiers
venus? n'a-t-il pas plutôt désigné clairement les comédiens
de l'Illustre théâtre? L'intention est d'autant plus vraisem-
blable que Mareschal était, au moins autant que Magnon,
un ancien ami de ce théâtre, dont il avait signé l'acte de nais-
sance. En effet, dans le contrat de société du 3o juin 1648,
il est nommé le premier : « Faict et passé à Paris, en
la présence de noble homme André* Mareschal, advocat
en Parlement, etc. 3> C'est la Béjart seule que l'on trouve
dans l'épître de Magnon; dans celle de l'auteur du Dictateur
romain, ce sont, avec elle, ses camarades. Si en examinant
I. Le Dictateur romain. Tragédie dédiée à Monseigneur le duc d'Es'
pernon. A Paris, chez Toussainct Qiiinet, 1647.
3. Il a signé de même qu'à la fin de l'épître du Dictateur ro-
main, A. Mareschal; son prénom n'était pas Antoine, comme on l'a
dit, en accusant d'erreur l'acte de i643, mais bien André.
SUR MOLIERE. 107
à part, pour les interpréter, chacune des deux dédicaces, on
pouvait hésiter sur le sens à leur donner, on prend confiance
lorsqu'on les rapproche et les met en regard. Il serait
étrange qu'elles fussent si bien d'accord pour nous faire la
même illusion sur la réunion, dès 164G, de la troupe de
riUustre théâtre à celle de d'Epernon. Les allusions de
Magnon sont donc éclaircies, s'il en est besoin, par celles de
Mareschal, et réciproquement. Dès que l'on pense ainsi,
l'épître dédicatoire du Dictateur romain est celle qui, par sa
date, fournit le renseignement le plus curieux. L'impression
de cette tragédie a précédé celle du Josaphat. L'achevé
d'imprimer est du 28 avril 1646; mais le privilège avait été
donné à Paris le ig février. La pièce avait donc « passé dans
la bouche d'illustres acteurs ?' avant le mois de février; ce
qui suppose que ceux-ci avaient contracté leur engagement
tout au moins dès le commencement de l'année: la fin même
de 1645, une des années nommées par Trallage, devient assez
probable; et il ne faudrait plus parler, comme nous l'avons
fait tout à l'heure, de Pâques 1646.
On ne sait pas au juste à quelle date Scarron a écrit cette
phrase qu'il met dans la bouche d'un des comédiens de son
Roman comique : « Notre troupe est aussi complète que celle
du prince dOrange et de Son Altesse d'Epernon. » Etait-ce
avant cjue Molière et les Béjart fissent partie de cette der-
nière troupe, ou depuis qu'ils se furent associés à Charles du
Fresne? Nous ignorons aussi quand ce du Fresne, qui avait
donné des représentations à Lyon en 1643 avec Desfon-
taines, devenu, l'année suivante, un des comédiens de l'Il-
lustre théâtre, commença d'être le chef, ou, si l'on veut, le
principal acteur de la troupe entretenue par Bernard de
Nogaret : de bonne heure, à ce qu'il semble; car il faut faire
remonter assez haut la protection dont il fut honoré par les
ducs d'Epernon, dont l'un (nous croyons qu'il s'agit de l'an-
cien, Jean Louis, père de Bernard) le recommanda en 1682
aux échevins de Bordeaux^ Deux documents de 1647, datés,
I. Detcheverry, Histoire des théâtres de Bordeaux, i vol. in-8°
(Bordeaux, 1860), p. 16, note i.
loS NOTICE BIOGRAPHIQUE
l'un du 9, l'autre du 24 octobre*, nous apprennent qu'à ces
dates la troupe du duc d'Epernon était à Albi, venant de
Toulouse, et que cinq cents livres lui ayant été payées, la
quittance fut signée par Charles du Fresne, René Berthelot
(du Parc) et Pierre Revelhon [Réveillon], trois comédiens dont
l'association avec Molière, à différentes époques, est con-
statée. Si nous n'avons pas mal interprété les allusions de
Mareschal et de Magnon, Madeleine Béjart et les autres
« illustres acteurs « que la mauvaise fortune n'avait pas en-
traînés à la désertion, faisaient, eux aussi, partie de la
troupe. Il est regrettable que la quittance ne porte pas leurs
signatures; mais le 18 mai de l'année suivante (i6',8), à
Nantes, parmi les témoins du baptême d'une fille de Pierre
Réveillon, on trouve les mêmes comédiens que tout à l'heure
à Albi, du Fresne et du Parc, en outre Marie Hervé et Ma-
deleine Béjart*. Molière n'est pas nommé; cependant, pour
faire supposer sa présence dans la troupe qui jouait alors à
Nantes, celle des Béjart n'aurait-t-elle pas suffi? Mais nous
la verrons incontestablement attestée dans la même ville le
mois précédent.
A partir de ce moment on s'accorde généralement à ne
plus disputer à Molière sa place dans la troupe de du Fresne;
et dès qu'on n'hésite pas à l'y voir en 1648 à Nantes, il est
très invraisemblable que l'association ne se soit faite que là,
et n'existât pas déjà en 1647 à Albi, ou, pour mieux dire,
avant le séjour des comédiens dans cette ville. Lorsque du
Fresne, Berthelot et Réveillon étaient arrivés à Albi, nous
avons dit qu'ils venaient de Toulouse. Comme il est à croire
que Molière était déjà un des leurs, il n'aurait j)as fallu
traiter de légende peu digne de foi l'ancienne tradition,
persistante parmi les Toulousains, qu'il avait fait amitié
chez eux avec le vieux troubadour Godelin (Goudouli). Si
I. Publiés par M. Jules Rolland dans V Histoire littéraire de la
ville iTAlbi. i vol. in-8°, Toulouse, 1879.
3. L'acte de baptême, extrait des registres de la paroisse Saint-
Léonard de Nantes, a été donné par M. Benjamin Fillon dans
ses Recherches sur le séjour de Molière dans l'ouest de la France en
1648 (Fontenay-le-Comle, 1871), p. 4-
SUR MOLIERE.
109
cette tradition n'est conlirmée par aucun document positif,
elle n'est pas pour cela sans valeur, dès que la date du pas-
sage de la troupe de du Fresne ne lui donne pas de dé-
menti. Il n'en serait pas de même de l'année iG]g, lorsque
Molière revint à Toulouse : alors Goudouli n'était plus à
Toulouse et approchait de son dernier jour. Pellet des Bar-
reaux, auteur d'une comédie en vers intitulée Molière à Tou-
louse, qu'il fit représenter dans cette ville en 1787, dit dans
son Avertissement que Molière y « fit ses premières armes
en 1646 ». Il y a là un peu d'exagération méridionale, s'il
faut entendre que Toulouse aurait la première vu jouer
Molière depuis qu'il courut la province. Par suite de cette
prétention sans doute, des Barreaux, au lieu de la date de
1647, donne celle de 1646, qui n'est pas, comme on l'a cru*,
une faute de l'imprimeur ayant renversé le 6 (1646 pour
1649), ™^iis s'explique par le souvenir perpétué de la véri-
table époque des débuts des comédiens de llllustre théâtre
dans la troupe de du Fresne.
C'est uniquement afin de ne rien omettre de ce qui donne
plus de probabilité aux dates de 1646 ou de 1645 pour ces
débuts, que nous venons de faire voyager Molière un peu trop
vite. Il va falloir retourner en arrière, sans le chercher
d'abord à Bordeaux, où 1 on n'a ])as trouvé trace de repré-
sentations données en 1646 par les comédiens du duc
d Epernon. Ce doit être, ainsi que la remarque en a été
faite-, qu ils ne jouèrent pas dans cette ville, mais vraisem-
blablement dans quelque autre du même gouvernement ou
dans un château du gouverneur.
Avec la réunion, opérée beaucoup plus tôt qu on ne l'avait
longtemps supposé, de la troupe de nos acteurs à celle de
du Fresne, nous sommes entré dans une période de la vie
de Molière qui ne va être que la continuation de ses années
d'apprentissage au jeu de paume des Mestayers et au port
Saint-Paul, mais dans des conditions toutes nouvelles. Elles
lui donnèrent beaucoup à lutter encore, mais avec moins
I. Histoire des pérégi-inations de Molière dans le Laiif^ucdoc, p. 3l.
3. Voyez les OEuvres de Molière, -i.' édition de M. Louis Molaod,
tome I, p. 67, et M. de Modène... et Madeleine Béjart, p. 199.
iio NOTICE BIOGRAPHIQUE
de difficultés, et lui permirent de s'avancer chaque jour plus
près du but oh il devait atteindre.
Ses plus anciens biographes ont extrêmement abrégé l'his-
toire de son odyssée de douze années. Nous avons déjà parlé
de la rapidité avec laquelle Perrault a brûle presque toutes
les étapes de ces longs voyages. Les auteurs de la Préface
de 1682, après avoir dit sommairement que son dessein de
s'établir à Paris « ayant manqué de succès, il fut obligé de
courir par les provinces du royaume, où il commença de
s'acquérir une fort grande réputation », se contentent de
marquer son passage à Lyon en i65j, son Étourdi joué dans
cette ville, l'accueil qui lui fut fait en Languedoc par le
Prince de Conti; la représentation aux états de Béziers
de sa seconde comédie, le Dépit amoureux ; enfin, en i658,
après le carnaval passé à Grenoble, un séjour à Rouen,
d'où il revint se fixer à Paris. Grimarest lui-même, qui,
dans sa biographie, n'a pas imité la brièveté de ses devan-
ciers, n'a ici rien ajouté, si ce n'est quelques détails sur le
moment de faveur auprès de l'altesse et la m'ention des
Précieuses ridicules, qn'ïl met au nombre des comédies repré-
sentées en Languedoc. C'est qu'il suffisait bien, dira-t-on,
de noter les points les plus saillants.
Nous croyons cependant légitime la curiosité d'aujour-
d'hui qui ne se contente pas de si peu. Elle nous invite à
suivre moins rapidement Molière dans ses pérégrinations,
dans les progrès qu'elles ont fait faire à son expérience du
théâtre, surtout à son étude des moeurs et des caractères,
favorisée alors par tant d'occasions d'observations variées.
Souvent un intérêt d'une autre nature s'est attaché à une
connaissance plus exacte de son itinéraire. Toute ville qu'il
a visitée est fière de relever dans ses murs quelque trace de
son passage. De là ces enquêtes faites à l'envi de tous c«)tés.
Nous ne saurions avoir ce genre de préoccupation; il le faut
laisser à l'amour-propre local, qui a souvent rendu le ser-
vice de mettre sur la bonne voie, mais souvent aussi a sou-
levé, sans les résoudre clairement, de petits problèmes, que
nous ne voudrions pas être trop entraîne à discuter. On ap-
prouvera que dans notre voyage à la poursuite de Molière
nous nous bornions à l'essentiel. Il ne faut pas d'ailleurs se
SUR MOLIERE. m
flatter de ne jamais perdre le poète de vue, quelque soin
qu'on ait rais de nos jours à s'informer de toutes ses allées
et venues. Nous proliterons beaucoup sans doute d'un grand
nombre de patientes investigations, en reconnaissant à qui
le mérite en appartient ; mais nous nous défierons de ce qui
n'est pas assez prouvé. Des indices, trop facilement accep-
tés, ont dû plus d'une fois tromper, par exemple lorsqu'on
a oublié que la composition des troupes de comédiens am-
bulants était changeante. Elles se faisaient mutuellement
des emprunts de leurs acteurs. Quelquefois on s'associait
un moment, puis on se quittait. iSous pouvons donc ren-
contrer quelque part tels ou tels comédiens, sans savoir
sûrement à quelle troupe ils appartiennent. En outre la pré-
sence dans une ville d'un camarade non douteux de Molière
n')' rend pas toujours incontestable celle de toute la troupe
au même moment. De là bien des incertitudes, dont il n'y
a pas d'ailleurs à se beaucoup chagriner. Quelques lacunes
qui restent à combler, ce que nous savons aujourd'hui suf-
fit pour que le tableau d'ensemble des voyages de Molière
laisse peu à désirer et puisse au moins être présenté dans
ses grands traits.
Nous l'avons déjà commencé en montrant la troupe de
l'Illustre théâtre réunie à celle de du Fresne sous la protec-
tion du duc d'Épernon, qui la prend à son service dans la
province de Guyenne. Avant qu'elle fût arrivée à Bordeaux,
on a cru qu'elle s'était arrêtée au Mans. Cette supposition
hasardée est une de celles que l'on passerait volontiers sous
silence, si elle n'avait suggéré l'idée que l'on a dans le
Roman comique de Scarron une peinture de notre troupe ;
ce qui vraiment serait très curieux. Mais quand on ne se
rendrait pas aux solides objections que M. Chardon, dans sa
Troupe du Roman comique dci'oilée, a faite à la rencontre de
nos comédiens par Scarron, on chercherait en vain dans la
burlesque épopée ce qu'on nous fait espérer d'y trouver.
On a voulu qu'en dessinant les figures de Destin et de
Mlle de l'Estoile, l'auteur du Roman comique ait eu en vue
Molière et la Béjart. Jamais peintre n'aurait mieux déguisé
ses modèles. Où pouvons-nous reconnaître un seul trait de
leurs caractères, de leurs physionomies ? Aucune aventure du
lia NOTICE BIOGRAPHIQUE
roman ne ressemble à ce que nous savons de leur vie. Tout
dans cette histoire de comédiens nomades paraît bien être
de pure fantaisie. Rappelons d'ailleurs que Scarron, comme
nous l'avons dit un j)eu plus haut, distingue, en un j)assage,
sa troupe ambulante de celle du duc d Épernon'. Si Molière
et les Béjart étaient dès lors de cette dernière troupe, cela
suffit pour les écarter.
L'amusant tableau du spirituel conteur nous donnera-
t-il du moins quckjues indications sur le genre de vie de
nos comédiens de campagne, sur leur manière de voyager?
Tout en tenant compte des traits grossis par le burlesque,
nous croyons bien que Scarron a peint ce qu'il avait à peu
près vu, mais dans des troupes vulgaires. « Il s'en trouve
de faibles, dit Chappuzeau-, et pour le nombre de personnes
et pour la capacité; mais il s'en trouve aussi de raisonnables,
et qui, étant goûtées dans les grandes villes, n'en sortent
qu'avec beaucoup de profit «. Telle fut, par-dessus toutes, la
nôtre, que protégèrent de très grands personnages. Il ne
faut pas se la figurer jouant dans des granges, mais dans
des jeux de paume, comme elle avait fait à Paris, ou bien
encore dans les salles de ville, ou dans les châteaux.
George Sand, dans sa comédie de Molière, fait dire à Pier-
rette Laforêt, dont le maître est devenu « tous les jours
plus riche, plus caressé des jeunes messieurs, plus aimé du
roi, plus fameux dans la cour et dans la ville : Ce n'était
point comme ça du temps que vous n'étiez (piun petit chef
de troupe courant les campagnes et jouant dans les granges
plus souvent que dans les châteaux, y La bonne Laforêt
entend bien l'antithèse, mais connaît mal les faits. Nous ne
disons pas que jouer devant les d'Epernon, les Conti, les
d'Aubijoux, ou devant le roi et sa cour, ce ne fût pas très
différent; mais nous sommes loin de ce contraste d'un subit
passage de l'obscurité des villages à la clarté de la faveur
royale. Qu'il y ait eu des comédiens jouant dans des hangars
rustiques, où leurs tirades, a-t-on dit, étaient coupées par
le braiment d'un âne ou le mugissement d'un bœuf, il se
I. Voyez ci-dessus, p. 107.
a. Le Théâtre françois, livre III, chapitre xtv.
SUR MOLIERE. ii3
peut; mais notre troupe n'en était pas là; et même quand
nous la verrons visiter de petites villes dans les environs
de Pézenas, on peut être assuré qu'un local convenable
était mis à sa disposition. Si Molière en province avait
jamais paru, comme un Tabarin, sur de misérables tré-
teaux, Chalussay n'aurait pas manqué cette occasion de
l'en railler; il aurait plutôt renchéri. Il se borne à plaisan-
ter sur la facile et sotte admiration des provinciaux, sur les
places à cinq sols, sur la caisse à peine assez remplie pour
sufiSre aux besoins de la troupe*. Rien de moins vrai d'ail-
leurs que les petits goussets presque vides. Quand les co-
médiens revinrent à Paris, non seulement ils avaient grandi
en considération, leurs affaires avaient prospéré.
Dès les premiers débuts en province de la troupe de
Molière et des Béjart, réunie à celle de Charles du Fresne,
le service auquel elle était engagée auprès du duc d'Epernon
ne pouvait la laisser confondre avec la plupart des troupes
de campagne. Il est vraisemblable, nous l'avons dit, qu'elle
ne fit pas ce service à Bordeaux même; on présume que ce
fut tantôt au château de Cadillac, vraie demeure royale, tan-
tôt à Agen, où le duc n'étalait pas une moindre magnificence
et donnait, en apparence à la duchesse, mais réellement à
sa maîtresse, la fameuse Nanon de Lartigue, des fêtes très
somptueuses. Nous ignorons jusqu'à quel point ce fastueux
gouverneur de la Guyenne était généreux pour ses comé-
diens; il leur procurait du moins l'avantage déjouer leurs
pièces au milieu de splendeurs dont un théâtre ne se passe
qu'à regret. Le protecteur n'avait pas toujours besoin de
sa troupe, qu'il laissait libre d'aller se montrer dans diffé-
rentes villes, dans celles, par exemple, que nous avons déjà
nommées, Toulouse, puis A.lbi, oii elle eut l'honneur d'être
mandée, pour le 2^ juillet 1647, ^ l'occasion des fêtes de
l'entrée du comte d'Aubijoux, ce lieutenant général pour
le roi en Languedoc, dont Chapelle, dans son voyage, a cé-
lébré l'hospitalité. D'Aubijoux, qui aimait les gens d'es-
prit, a montré dans diverses occasions en quelle estime il
tenait Molière. Ce ne fut sans doute pas sa faute si la ville
I. Elomire kypocondre, scène 11 du Divorce comique, p. ^8.
Molière, x 8
11^, NOTICE BIOGRAPHIQUE
d'Aibi qui le fêtait, et que regardaient par conséquent les
frais des réjouissances publiques, fit beaucoup de difficultés
pour payer les comédiens. Le comte de Breteuil, intendant
de la province, qui trouva ceux-ci à Carcassonne au mois
d'octobre suivant, avertit par cette lettre les consuls d'Albi
de réparer le manque de mémoire qui leur avait fait négli-
ger leur dette :
« Messieurs,
« Etant arrivé en notre ville [de Carcassonne), \'d\ trouvé la
troupe des comédiens de M. le duc d'Epernon, qui m'ont dit
que votre ville les avoit mandés pour donner la comédie
pendant que M. le comte d'Aubijoux y a demeuré, ce qu'ils
ont fait sans qu'on leur ait tenu la promesse qu'on leur avoit
faite, qui est qu'on leur avoit promis une somme de six cents
livres et le port et conduite de leurs bagages. Cette troupe
est remplie de fort honnêtes gens et de très bons artistes,
qui méritent d'être récompensés de leurs peines. Us ont cru
qu'à ma considération ils pourront obtenir votre grâce et
que vous leur ferez donner satisfaction. C'est de quoi je
vous prie, et de faire en sorte qu'ils puissent être payés. Je
vous en aurai obligation en mon particulier, etc.
« Signé : de Breteuil.
« Carcassonne, 9° octobre 1647- "
Sur cette sommation courtoise, les consuls d'Albi ne
purent faire autrement que de s'exécuter, comme le prouve
cet extrait du Compte des frais de V entrée de Monseigneur le
comte d'Aubijoux :
« La troupe de Mgr le duc d'Epernon étant venue exprès
de la ville de Tholoze en cette ville, avec leurs bardes et
meubles, et demeurée pendant le séjour de Mgr le Comte,
il leur fut accordé pour le dédommagement la somme de
cinq cents livres payées et avancées par la susdite ville
d'Alby , résultant par la quittance concédée par sieurs
Charles du Fresne, René Bertlielot et Pierre Rebelhon, re-
SUR MOLIERE. ii5
tenue par M'^ Rernard Bruel, notaire, le 24^ octobre dudit
an 1647*. »
Cette quittance était bien dite cnncc'dée, les consuls ayant
lésiné sur la somme promise. Le consentement de la troupe
était d'ailleurs forcé. En général nous trouverons la magis-
trature urbaine moins empressée à honorer les comédiens
que ne l'ont été les grands seigneurs; mais il se peut bien
que ceux-ci aient quelquefois été prodigues surtout d'égards
et d'affable familiarité, tandis que les villes ne trouvaient
pas très bon qu'ils rejetassent sur elles la charge de leurs
libéralités.
Les documents cités viennent de nous donner la certi-
tude de la présence des comédiens du duc d'Epernon à Tou-
louse, à Albi, à Carcassonne, en 1GJ7; mais plusieurs n'ont
pas cru pouvoir en conclure sans hésitation celle de Molière
dans cette dernière ville, la quittance n'étant pas signée par
lui, non plus que par les Béjart. S'il fallait douter qu'il ait
été plus que tout autre désigné par le comte de Breteuil
comme un de ces très bons artistes, et fort honnêtes gens, on
serait désappointé. Heureusement le scrupule paraît ex-
cessif. Il est difficile de penser que la troupe n'ait pas été
au complet dans une occasion telle que les fêtes de l'entrée
du lieutenant général ; et il n'y a jamais lieu de s'étonner
quand les comédiens ne sont pas tous nommés dans les
quittances, baptistaires et autres pièces.
Molière, comme nous l'avons annoncé, l'est enfin ayantes
en avril 1648; et c'a été longtemps là que pour la première
fois on a constaté qu'il était entré dans la troupe du duc
d'Epernon. Sur le registre des délibérations de l'hôtel de
ville de Nantes, on lit à la date du jeudi 2'i de ce mois d'a-
vril : « Ce jour est venu au Bureau le sieur Morlierre, l'un
des comédiens de la troupe du J'' Dufresne, qui a remontré
que le reste de ladite troupe doit arriver ce jour en cette
ville, et a supplié très humblement Messieurs leur permettre
de monter sur le théâtre pour y représenter leurs comédies.
« Sur quoi, de l'avis commun du Bureau, a été arrêté
I. Le texte de ces pièces a été douué dans Y Histoire littéraire
delà ville (TAlbi, pur M. Jules Rolland, p. -^07 et 208.
ii6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
que la troupe desdits comédiens tardera de monter sur le
théâtre jusques à dimanche prochain' auquel jour il sera
avisé à ce qui sera trouvé à propos. » Le nom de Molière,
défiguré par le scribe, n'est pas sérieusement méconnais-
sable. On craindrait qu'il ne s'agît de quelque autre, si la
troupe de du Fresne n'était pas nommée comme celle à
laquelle ce Morlierre appartenait. Par un hasard curieux,
l'année suivante, à Poitiers, la ])lume d'un autre scribe a
semblablement estropié le nom dont la France et le monde
entier savent aujourd'hui si bien l'orthographe *. Pour que
l'erreur ne mette pas en défiance le jour où on la trouve re-
nouvelée, il est heureux que la première fois elle ait été rec-
tifiée par une qualification qui désigne parfaitement Molière.
On a du reste dans les actes de cette époque de continuels
exemples de noms écrits avec une singulière négligence,
tels qu'ils avaient frappé une oreille inattentive.
Quelques jours avant celui où nous rencontrons Molière à
Nantes, nous avons une preuve que du Fresne y était. C'est
de cette ville que le ig avril il prit à loyer pour trois se-
maines le jeu de paume de Fontenay-le-Comte. On l'apprend
par une requête d'un procureur au siège royal, adressée le
9 juin 1648 au lieutenant particulier de Fontenay, pour rap-
peler le maître paumier à l'exécution de ses engagements^.
La permission de jouer, sollicitée à Nantes le 2 3 avril par
Molière, ne put être accordée sur-le-champ. Le maréchal
de la Meilleraye, qui gouvernait la Bretagne avec le titre de
lieutenant général et des pouvoirs dont l'étendue était parti-
culière au gouvernement de cette province, venait alors de
tomber dangereusement malade. Défenses furent faites, le
dimanche 26 avril, aux comédiens de monter sur le théâtre,
tant que les inquiétudes publiques ne seraient pas calmées^.
On ne sait pas précisément combien de jours dura ce
préjudiciable loisir fait à la troupe. Nous voyons seulement
que le 18 mai elle donna au jeu de paume une représenta-
I. Voyez ci-après, p. 119.
1. Recherches sur le séjour de Molière dans l^ ouest de la France en
1648, par Benjamin Fillon, p. i.
3. Ibidem, p. 3,
SUR MOLIÈRE. 117
tion, qui fut au profit de l'hôpital, condition imposée la
veille à du Fresne par le bureau de la ville*. On voit, et l'on
verra par d'autres exemples, que le droit des pauvres, sou-
vent trouvé lourd par le théâtre, n'est pas d'hier. Le même
jour fut baptisée une fille d'un de nos comédiens, Pierre
Réveillon. Elle eut pour parrain le président au parlement
de Bretagne, et pour marraine la femme d'un conseiller du
Roi, maître des comptes. Il paraît décidément que nos co-
médiens étaient traités en fort honnêtes gens. L'acte de bap-
tême porte, entre autres signatures, celles de Madeleine
Béjart, de Marie Hervé, de du Fresne et de du Parc^. Après
cela, pourra-t-on douter que Molière, quoiqu'il n'ait pas
signé, fût alors à Nantes?
Il n'aura pas échappé que pour trouver la troupe à
Nantes, nous avons eu à franchir une grande distance depuis
Carcassonne, et aussi un assez long temps, d'octobre 1647
à la seconde quinzaine d'avril 1648. Cette lacune dans nos
informations ne serait pas entièrement comblée si l'on ad-
mettait la conjecture, pour laquelle manquent d'ailleurs les
preuves, que les comédiens, lorsqu'ils arrivèrent à Nantes,
venaient de Paris, où ils auraient passé la plus grande par-
tie du carême de 1648, comme faisaient souvent les troupes
de campagne. Il vaut mieux reconnaître que toute indica-
tion fait défaut. Ce qui est certain, c'est que, en 1648, Mo-
lière est loin du duc d'Epernon; il n'y a pas à s'en éton-
ner. Epernon n'avait plus guère le loisir de réclamer le ser-
vice de sa troupe. Les luttes de son insolent despotisme
avec les Bordelais l'avaient engagé dans de moins agréables
distractions. Rien ne retenait donc ses comédiens dans
son gouvernement ou même dans les provinces voisines.
1. Reclierches sur le séjour de Molière dans l'ouest de la France, p. 3
et 4- — Là, dans la transcription de l'ordre du bureau, la date
est : « du dimauclie xvii" jour de mai 1649 "• Evidemment 1649
estime faute d'impression : il est facile de vérifier qu'en 1649 le
17 mai était un lundi, en 1648 un dimanche.
2. Ibidem^ p. 4. — Du Parc est ce René Berthelot (Gros-René).
dont nous avons déjà rencontré la signature dans la quittance du
24 octobre 1647, constatant dès ce temps sa présence dans la
troupe du duc d'Epernon.
1,8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Tout leur conseillait au contraire de s'en tenir éloignés.
La troupe, après la représentation du i8 mai, no s'était
i)roposé de demeurer à Nantes qu'un mois à peine, le maître
paumier de Fontenay-le-Comte s'étant obligé à leur livrer son
tripot le i5 juin; maison n'est pas assuré qu'il ait été fait
droit à la requête de du Fresne pour obtenir l'exécution,
devenue très douteuse, de l'engagement. Si l'on alla à
Fontenay, il se peut que ce n'ait pas été à l'époque fixée,
mais un peu plus tard. Après Nantes ou Fontenay, les ren-
seignements certains nous abandonnent de nouveau, jus-
qu'au jour où la troupe, au printemps de l'année suivante,
est à Toulouse. Il y a une année à peu près entière dont
nous ne savons rien, une année pendant laquelle les agitations
de la Fronde, peu favorables aux amusements du théâtre,
purent souvent contrarier les troupes de comédiens dans la
liberté de leurs mouvements. Les suppositions qui ont été
faites pour tracer à la nôtre un itinéraire de Nantes, ou, si
l'on veut, de Fontenay, à Toulouse, sont arbitraires. On a
nommé Poitiers, Angoulême, Limoges, comme étant sur son
chemin et ayant eu vraisemblablement sa visite. Ces villes ont
certainement vu jouer Molière dans un temps ou dans un
autre ; mais on ne saurait affirmer que c'ait été alors. En tout
cas, on n'y peut imaginer des séjours très prolongés : ils au-
raient laissé plus de souvenirs constatés. Le long intervalle
de temps se trouvant donc, de toute façon, insuffisamment
rempli, comment avoir voulu tracer dans une ligne directe les
étapes du voyage? Allons tout droit à Toulouse, où le séjour
de nos comédiens est le premier dont, après Nantes, un do-
cument certain nous fournisse la preuve. Voici la note trou-
vée par M. Galibert* sur le livre des recettes et dépenses de
cette ville, à la date du i6 mai 1649 : « Payé au sieur Du-
fresne et autres comédiens de sa troupe la somme de soixante-
quinze livres pour avoir, du mandement de messieurs les
Capitouls, joué et fait une comédie à l'arrivée en cette ville
du comte de Roure, lieutenant général pour le Roi en Lan-
guedoc. » On a pu remarquer le mot « fait ». Cette redon-
dance n'est peut-être qu'un synonyme du mot « joué » ;
I, Journal de Toulouse du 6 mars 18G4.
SUR MOLIERE.
119
mais nous supposerions plutôt que Toulouse eut la repré-
sentation d'une de ces petites pièces dont Molière traçait
l'esquisse et qui étaient faites en même temps par tous les
acteurs, brodant, à leur fantaisie, sur le canevas. Le
comte de Roure, à qui les capltouls en voulurent donner
le divertissement, se rendait à Montpellier, où il devait, le
i^' juin 1649, ouvrir les états de Languedoc. Il est assez
vraisemblable qu'il engagea à l'y suivre la troupe dont il
venait d'apprécier les talents, et qu'aux sessions suivantes
nous verrons, avec plus de certitude, presque constamment
appelée à jouer devant les états. Si elle le fut alors, et dès
l'ouverture, il est douteux qu'elle soit restée à Montpellier
tout le temps de la session, c'est-à-dire jusqu'au 23 no-
vembre. Quoi qu'il en soit, elle ne paraît pas s'être éloignée
du Languedoc, car au mois de décembre elle était à Nar-
bonne. Dans le registre de l'église Saint-Paul de cette ville on
a découvert un acte de baptême, en date du vingt et... [six
ou sept) décembre 1649, dans lequel le parrain est Charles
Dufresne, bourgeois d'Argentan (c'est bien le nôtre), et la
marraine Magdelaine de Baisar de Paris, assurément Ma-
deleine Réjart. Nous aurons tout à l'heure la preuve qu'avec
du Fresne et la Réjart, Molière était là.
11 faut croire que l'on ne s'était pas proposé de prolonger
autant le séjour dans le Midi; on avait voulu aller à Poitiers,
projet qui nous semble supposer qu'on y avait déjà fait
l'expérience d'une bonne installation, et donner raison à la
conjecture que cette ville doit être comptée parmi celles où
la troupe s'arrêta en revenant de Toulouse en 1648. Le des-
sein de gagner Poitiers est pour nous bien constaté, si, ren-
contrant une seconde fois le nom de Moiiière, c'est encore
Molière qu'habitués à cette inexacte écriture de son nom
nous ne faisons pas difficulté de reconnaître. Le 8 novem-
bre 1649, ^^ conseil de ville de Poitiers délibéra sur une
demande adressée au maire dans une lettre du « sieur
MurUère, comédien ». Cette lettre sollicitait la permis-
sion de venir en ville avec toute la troupe pour y passer
une couple de mois. Il fut arrêté que le maire s'enten-
drait avec le lieutenant général pour s'opposer à l'arrivée
des comédiens, « attendu la misère du temps et la cherté
,2o NOTICE BIOGRAPHIQUE
des blés* ». Si dans l'état malheureux où étaient alors bien
d'autres provinces que le Poitou, la troupe avait eu la pen-
sée que Poitiers lui serait une ville hospitalière, on voit
qu'elle s'était trompée. Les troubles civils promenaient de
tous côtés leur fléau. Ce que les comédiens ne devaient sur-
tout pas souhaiter, c'était d'être appelés en Guyenne, dont
le gouvernement était un des plus agités. Depuis l'année
précédente, où, comme nous l'avons dit, le duc d'Épernon
avait eu d'autres soucis que celui de la comédie, ses em-
barras s'étaient aggravés, et il devait avoir moins d'objec-
tions encore à l'éloignement de ses acteurs, qui certaine-
ment n'en avaient pas eux-mêmes.
En février i65o cependant, il les appela près de lui, leur
donnant l'ordre de venir à Agen, où il y avait des fêtes
pour la rentrée de la cour des aides, qui y venait repren-
dre son siège. On avait, comme il l'avait prescrit, préparé
le i3 février dans le jeu de paume un théâtre pour les re-
présentations et une galerie pour lui-même. Ces détails
nous sont donnés par un registre de la ville d'Agen, qui les
fait suivre de ces lignes : « Le même jour le sieur du
Fraisne, comédien, est venu dans la maison de ville nous
rendre ses devoirs de la part de leur compagnie et nous
dire qu'il étoit en cette ville par l'ordre de Monseigneur
notre gouverneur*. » La troupe venait de Narbonne, où
nous l'avons laissée dans les derniers jours de décembre
1649, et où nous la fait retrouver le 10 janvier suivant un
baptistaire, dans lequel Molière [Jcan-Baptiste-Poquelin,
valet de chambre du Roi') est le parrain. Le nom de la mar-
raine a lui-même quelque intérêt; c'est celui de « Catherine
du Rosé ■», sous lequel on reconnaît la future demoiselle de
Brie, dont il sera plus d'une fois parlé dans la vie de notre
poète. Du Rosé n'étant qu'un nom de théâtre^, elle était
I. Le texte de rarrêté du Conseil, dont nous avons tiré les
détails que nous venons de donner, a été trouvé par M. Bri-
cauld de Verneuil dans les archives communales de Poitiers.
a. La troupe de Molière à yégen, par Adolphe Magen, "x* édition,
1877, p. 21.
3. Il est ainsi qualifié dans l'acte.
4. Son ATai nom était Catherine Leclerc.
SUR MOLIERE. 121
déjà comédienne, soit qu'elle fût entrée plus tût qu'on ne l'a
dit dans la troupe de Molière, soit qu'elle appartînt à une
autre, rencontrée alors à Narbonne.
Épernon, qui avait fait venir ses comédiens à Agen, les
y retint peut-être longtemps. Il y fit lui-même un séjour
de plusieurs mois. C'est à cette époque que se rapporte
sans doute le passage des Mémoires de Pierre Lenet* où il
est dit que la haine de ceux d'Agen pour le duc augmen-
tait fort; et que, s'il sortait de cette ville, on pensait qu'il
n'y rentrerait jamais. Ce moment d'impopularité croissante
est celui oii les mêmes Mémoires parlent de la folle pas-
sion du gouverneur pour sa Nanon. On nous les repré-
sente alors tous deux dans leur retraite du manoir de Mal-
conte, menacés par les malédictions publiques, et, comme
ils cherchaient dans les plaisirs une distraction à leurs
ennuis, gardant peut-être près d'eux la troupe comique^.
Ceci n'est qu'une conjecture, mais une des plus acceptables.
La cour pressait le duc de s'éloigner de la Guyenne; il
s'y décida le aS juillet, pour ne plus reprendre son gouver-
nement, dont la paix de Bordeaux, conclue le 29 septembre,
promettait aux Bordelais de les débarrasser. On peut re-
garder son départ d'Agen comme ayant mis fin à l'engage-
ment qui liait les comédiens à son service.
La protection d'un homme qui affectait la puissance d'un
prince n'avait pas été inutile, au temps surtout oii, en
pleine détresse des naufragés de l'Illustre théâtre, elle leur
avait donné un titre qui les relevait. L'avantage de pouvoir
s'en parer avait fini par être contestable, lorsque le nom du
Mécène était devenu si justement abhorré dans la province
où il régnait. Et puis être protégés aussi bien par Nanon
de Lartigue que par le duc d'Epernon, pouvait paraître un
médiocre honneur. Il semblerait que Molière dût être homme
à le sentir et à trouver qu'il gagnait quelque chose le jour
où sa troupe cessa d'appartenir à un protecteur si mal
famé. Sa profession cependant rendait peut-être difiBcile
trop de délicatesse, particulièrement sur l'article des scan-
I. Collection Michaud, tome XXVI, p. 267.
a. .V. de Modène... et Madeleine Béjart, p. 275-277.
122 NOTICE BIOGRAPHIQUE
daleuses maîtresses; et d'ailleurs, en ce temps-là, on était
tellement habitué aux désordres, publiquement étalés, des
grands, qu'on ne pensait guère à en être choqué.
Après l'éloignement d'Epernon, nous ne retrouvons Mo-
lière qu'à Pézenas, pendant la session des états du Lan-
guedoc ouverte dans cette ville le 24 octo])re i63o par le
comte de Bieule, lieutenant général pour le roi. Dans les
archives départementales de l'Hérault, parmi les papiers
tirés du fonds de la comptabilité du trésorier de la Bourse,
s'est trouvé ce reçu écrit et signé de la main de Molière * :
K J'ay receu de Monsieur de Penautier* la somme de quatre
mille livres ordonnées aux comédiens par Messieurs des
Estats. Faict à Pezenas ce 17* décembre mil six cent cin-
quante.
« Pour 4000".
« Molière. »
D'accord avec cette quittance, la mention du payement a
été conservée dans l'Etat des sommes fournies et avancées par
M^ Pierre de Reich, trésorier de la Bourse du pays de Lan»
guedoc : « Aux comédiens qui ont servi pendant trois mois
que les Etats ont été sur pied la somme de quatre mille
livres, qui leur ont été payées par délibération des Etats et
par leur quittance. » La durée de la session fut en effet à
peu près de trois mois; il né s'en fallut que de dix jours.
La troupe servit-elle jusqu'à la clôture, qui eut lieu le
14 janvier i65i ? On peut du moins regarder comme cer-
tain qu'elle avait été engagée pour tout le temps des états.
Ils siégeaient depuis un peu moins de deux mois, lors-
qu'elle donna la quittance des quatre mille livres, le 17 dé-
cembre. Il est probable que du jour où elle fut payée, on la
laissa libre, n'ayant plus besoin d'elle, et qu'elle ne fut pas
retenue à Pézenas jusqu'à la fin de son engagement.
1. Il a été découvert par M. de la Fijardière. Voyez le Moliérlste
de novembre i885, p. 235. Ce reçu, d'une authenticité que l'on
n'aurait pas dû contester, et un autre de i656, conservés aux
mêmes archives, sont entièrement de la main de Molière, dont
nous n'aurions, sans eux, que des signatures.
2. Pierre de Reich de Penautier, trésorier de la Bourse.
SUR MOLIERE. i23
Nous avons, on s'en souvient, regardé comme probable
qu'elle avait déjà été appelée à la session de 1649 '^ Mont-
pellier*. La suivante, celle de i65i à Pézenas, est la pre-
mière où nous rencontrions, comme on vient de le voir,
mieux qu'une probabilité. Désormais l'habitude est prise de
faire venir nos comédiens aux états de Languedoc. Il est
visible que la troupe favorite y a été la leur, quoiqu'il y
vînt aussi des troupes concurrentes. Les états n'en atta-
chaient aucune à leur service, comme faisaient les princes
ou les très grands seigneurs ; mais c'était pour eux un con-
stant usage, c'était même, on peut le dire, d'étiquette, de
se donner, durant chacune de leurs sessions, le plaisir de
la comédie. Les lettres de Mme de Sévigné, lorsqu'elles
nous parlent des états de Bretagne, n'oublient pas plus les
comédies que les grands festins et le jeu continuel*.
Trois mois après la clôture de la session de i6ji, à Pé-
zenas, c'est à Paris que voici Molière. Sa présence le
14 avril i65i y est constatée par une reconnaissance des
sommes reçues de son père, qu'il signe par-devant deux
notaires au Châtelet^. Rien n'indique si ses camarades
étaient venus avec lui. Il est plutôt à croire qu'il avait
laissé dans le Midi la plupart au moins d'entre eux. Où les
rejoignit-il? Ne fut-ce pas à Lyon, où peut-être même il s'é-
tait séparé d'eux, lorsqu'il avait pris la route de Paris?
Nous allons voir qu'il parut bientôt avoir établi comme son
quartier général à Lyon, d'où il faisait des excursions dans
les villes voisines.
En l'y cherchant lorsqu'il revint de Paris, nous n'au-
rions fait qu'une conjecture tout à fait arbitraire, s'il
n'y avait de fortes raisons de croire le retrouver de ce
côté-là, entre l'époque de ce retour, qui fut probablement
dans la seconde quinzaine d'avril, et celle de sa rencontre
I. Voyez ci-dessus, p. 11 g.
a. Lettre à Mme de Grignan du 5 août 167 1, tome II des Let-
tres de Mme de Sévtgné^ p. 3 10. — Lettre à la même du 6 no-
vembre 1689, tome IX, p. 299 et 3oo.
3. Recherches sur Molière. DocimEMT XXXVII, cote quatre,
p. 337.
,2'» NOTICE BIOGRAPHIQUE
avec le sieur Dassoucy à Carcassonne au mois de décembre
de la même année.
Le dauphinois Nicolas Chorier nous apprend qu'il eut
l'occasion de se lier avec Molière à Lyon et à Vienne*. Il ne
fixe là aucune date, et Molière a plus d'une fois séjourné
dans ces villes. Mais la mention d'un de ces séjours faite
par le même Chorier dans sa Vie de Pierre de Baissât, y
est accompagnée du souvenir de circonstances* qui, sans
préjudice de l'intérêt qu'elles ont par elles-mêmes, dési-
gnent, si nous ne nous trompons, comme l'année où elles
doivent être placées, i65i, et non pas, comme on l'a dit,
i653 ou 1654. Le champ avait paru ouvert aux conjectures,
Chorier ayant dans son récit nommé l'année i6'ji, ou tout
au moins un temps très voisin, date évidemment impos-
sible. Mettons sous les yeux du lecteur la traduction du pas-
sage de la Fie de Baissât. Chorier venait de dire : « C'était
l'an mil six cent quarante et un^. » Quelques lignes plus
bas il arrive à Molière : « Jean-Baptiste Molière, très excel-
lent acteur et auteur de comédies, était venu vers ce temps
à Vienne. Boissat le traitait avec honneur. Il ne l'anathéma-
tisait pas, à l'exemple de quelques-uns qui affectarent une
sotte et insolente sévérité. Quelques pièces qu'il jouât, Bois-
sat en était le spectateur assidu. Il faisait même asseoir à
sa table cet homme éminent dans son art. Il lui donnait de
somptueux repas. Il ne le mettait pas, comme un excommu-
nié, au nombre des impies et des scélérats, ainsi que le font
d'ordinaire certains animaux farouches.... Il avait loué des
places au théâtre pour lui-même et pour des dames et de-
moiselles de qualité, qu'il se proposait de mener voir une
comédie que Molière avait faite. " Suit l'histoire d'une que-
relle de Boissat avec Vachier de Robillas, qui, ayant le pre-
1. Voyez à la page i3G de ses Adversarla , publiés par
M. H. Gauriel dans les Mémoires de la Société de statistique de Gre-
noble (1847).
2. De Pétri Boessatii... vita amicisque litteratis, Grenoble, 1680
(un volume in-12), p. 71.
3. « Annus quadragesimus primus post millesimum et sexcen-
tesimum agebatur. » {Ibil/em, p. 70.)
SUR MOLIERE. i2j
Tiiier loué les places, se trouva offensé de les voir prises par
lui, voulut l'appeler en duel, mais se laissa apaiser par quel-
ques amis communs.
On a remarqué sans doute qu'après avoir parlé de l'an-
née 164 1, Chorier, passant au récit de la rencontre de
Boissat et de Molière, dit un peu vaguement : « Vers ce
temps-là [sub id tempus) » ; mais nous admettons sans peine
qu'il n'y aurait là qu'un prétexte à chicane, et que l'inten-
tion a vraiment été d'appliquer à la querelle de Boissat la
date qui venait d'être donnée. L'erreur manifeste de cette
date nous paraît trahir bien moins un étrange manque de
mémoire qu'un lapsus de la plume du biographe, ou une
faute de l'imprimeur. Or, rien de moins étonnant que le
changement de quinquagesimus primus en quadragesimus pri-
mus, ou de M.D.G.Ll en M.D.C.XLI, si, dans le manuscrit,
la date était en chiffres. Mais voici qui est incontestable.
A la suite de l'anecdote qui montre Molière si honorable-
ment fêté à Vienne, Chorier raconte * qu'en ces jours-là [his
diebus) « Heinsius et Lagermann étaient venus à Vienne
pour y voir et saluer Boissat. Heinsius allait à Rome pour rem-
plir la mission qu'il avait reçue de Christine, reine de Suède. »
L'époque est certaine. Nicolas Heinsius, parti de Leyde
dans les premiers jours d'août i65i, pour se rendre en
Italie où Christine l'envoyait, passa le mois de septembre
à Paris, arriva le 4 octobre à Lyon, d'où il alla à Vienne;
là il vit Boissat, qui lui donna de magnifiques festins, tels
que ceux qu'il avait donnés à Molière, « et l'y réunit aux
hommes les plus savants de la ville- ». Chorier, qui parle
de ces repas auxquels la riche hospitalité de Boissat invitait
Heinsius et son compagnon de voyage, les place clairement
la même année que ceux dont Molière avait été le convive.
Toutefois Heinsius ne put venir à Vienne qu'un peu après
le départ de Molière, qui avait dû se rendre à Carcassonne,
où l'ouverture de la session des états se fit le 3i juillet
i65i. Si notre troupe fut appelée dès cette ouverture,
I. De Pctri Boessatii vita, p. 74-
1. Voyez aux pages 18-21, de la y'ie de Nicolas Heinsius, en
tête des Adversaria de Heinsius, i vol. in-4°» Harling, 1743'
126 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ce fut entre le mois de mai et la mi-juillet quelle donna
des représentations à Vienne. Ceux qui ont cru pouvoir
substituer l'année i6j4 à celle qu'il était nécessaire de
corriger dans la Fie de Boissat, ont trouvé dans leur date
toute conjecturale une preuve que l'Étourdi fut joué dès
i653. Car Boissat l'acadéraicien, Boissat Vesprit, comme on
l'appelait, n'avait pu, ont-ils dit, être si empressé de voir
et de faire voir à des femmes distinguées une pièce « faite
piir Molière », si cette pièce était quelqu'une de ses pre-
mières farces. Quelque spécieuse que soit cette observation,
on ne peut la reconnaître bien fondée, dès qu'il faut re-
noncer à i654 pour i65i. Il est fort possible que les plus
anciens badinages de Molière, connus d'ailleurs aujourd'hui
d'une manière incomplète, et dont il n'est pas imprt)bable
qu'en les jouant il développât très agréablement le canevas,
n'aient pas, en ce temps-là, médiocrement plu, même à des
esprits délicats. Ceux qui, plus que nous, feraient difficulté
de le croire, ont la ressource de penser avec Despois que
peut-être Molière « n'a attendu ni la date de i655, ni même
celle de i653, pour se révéler à lui-même et au public »,
mais qu'il avait, avant l'Étourdi, ébauché plusieurs des
pièces qui plus tard parurent à Paris sur son théâtre » et les
avait même « représentées pendant ses courses en pro-
vince'». Nous ne disons pas que ce soit impossible; mais on
se passerait ici de cette conjecture. Nous verrons Molière
jouer une de ses farces de province devant Louis XIV, spec-
tateur un peu plus noble que les dames de qualité de Vienne,
et qui ne dédaigna pas d'y prendre plaisir.
Quel que soit le moment de l'année i65i (nous n'avons
pu proposer qu'une date approximative) oîi Molière quitta
le Dauphiné pour le Languedoc, un témoignage, que nous
avons tout à l'heure fait prévoir, ne permet guère de mettre
en doute qu'il ait été à Carcassonne pendant la session des
états ouverte le dernier jour de juillet de cette année. Ce
témoignage est celui de Dassoucy.
Avant qu'on se fût avisé de le signaler dans un petit coin
des œuvres de l'empereur du burlesque, on ne plaçait pas si
I. Tome I de uoUe édiliou, dans la Nolice sur l'Élowdi, p. 86.
SUR MOLIERE. 127
tôt sa première rencontre dans le Midi avec Molière et les
Béjart; on la croyait du temps où il fit le voyage de Turin,
pour y présenter ses services à Leurs Altesses Royales de
Savoie, nous dirons plus loin en quelle année. Il n'attendit
pas jusque-là pour retrouver en province l'agréable société
de Molière, que certainement il avait déjà connu à Paris,
quoique dans une camaraderie moins familière qu'on ne l'a
dit, si l'on en juge par le ton de la lettre que nous allons
citer. L'heureuse chance qu'il eut de le rencontrer avant le
voyage qu'il a longuement raconté dans ses Aventures, nous
l'apprenons par une de ses lettres ; dont l'adresse est « à
Monsieur de Molières ». Cette lettre se lit dans un petit vo-
lume intitulé Poésies et Lettres de M. Dassoucy^ contenant
diverses pièces he'roïques, satiriques et burlesques, et dont le
frontispice gravé porte : Œuvres mesle'es de M. Dassoucj^.
Ce volume est de i653. Le privilège est du 3 avril de la
même année. Voici les passages les plus intéressants pour
nous de la lettre à Molière :
« Monsieur,
« Je vous demande pardon de n'avoir pas pris congé de
vous. Monsieur Fresart, le plus froid en l'art d'obliger
qu'homme qui soit au monde, me fit partir avec trop de
précipitation pour m'acquitter de ce devoir. J'eus bien de
la peine seulement à me sauver des roues, entrant dans son
carrosse, et c'est bien merveille qu'il m'ait pu souffrir, avec
toutes mes bonnes qualités, pour la mauvaise qualité de
mon manteau qui lui sembloit trop lourd; cela vient du
grand amour qu'il a pour ses chevaux, qui doit surpasser
infiniment celui qu'il a pour Dieu, puisqu'il a vu périr deux
de ses plus gentilles créatures -, sans daigner les soulager
d'une lieue Je ne m'étonne pas si la cour l'a député aux
états pour le bien du peuple, le connaissant si ennemi des
charges. Je lui suis pourtant fort obligé de m'avoir souffert
1. A Paris, chez Jean-Baptiste Loyson, i653 (iu-12).
3. Les trop fameux pages.
ia8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
avec mon bonnet de nuit, n'ayant prorais que pour ma
personne. Je remercie Dieu de cette rencontre, et suis,
Monsieur,
C. D. [Coypcau Dassoucy). »
Si le personnage singulier qui, dès le temps de cette lettre,
courait les provinces du Midi avec ses pages, ne nomme
pas la ville où il a quitté 3Iolière, il donne les moyens de la
reconnaître. Il explique la précipitation de son départ par
la hâte de celui qui l'avait emmené dans son carrosse, et
qu'il dit avoir été député aux états par une cour. Sur ces
données, on a pu découvrir, avec une vraisemblance qui ne
permet guère d'hésitation, quel était ce députée Un Frczals
(les noms alors étaient assez habituellement estropiés pour
que Frezcds ou Fresart, ce soit à peu près tout un) fut
envoyé le 20 décembre i65i, par la cour de parlement
de Toulouse aux états siégeant à Carcassonne, afin de s'en-
tendre avec eux sur le règlement d'un conflit d'attributions.
Les délégués de Toulouse revinrent chez eux vers la fin de
la session (10 janvier iGSa). Le date ci-dessus indiquée du
privilège des OEm'ies meslces ne laisse pas songer à la ses-
sion suivante, ouverte à Pézenas le ly mars i6î>3. Si l'on
n'admettait pas la session de i652 à Carcassonne, il n'y
aurait plus à choisir qu'entre une de celles qui l'ont précé-
dée ; mais la circonstance qui fit députer aux états par la
cour de Toulouse, en i65i, une commission, dont Frezals
faisait partie, est trop particulière pour que l'on puisse
croire la rencontrer plus d'une fois. Pour douter que Das-
soucy se soit trouvé avec Molière à Carcassonne pendant la
session dite de 1632, la seule supposition qui resterait à
faire serait que Frezals l'eût pris dans sa voiture non pas
en revenant de sa mission, mais en partant de Toulouse, et
que Molière fût alors resté dans cette ville, où rien ne nous
apprend qu'il ait en ce temps-là fait un séjour. Il est bien
autrement vraisemblable que le comte d'Aubijoux, qui fit
I. L'explication ingénieuse et plausible que uous donnons de la
lettre est tirée d'un article de M. Auguste Baluffe dans le Mo-
liériste de septembre 1884.
SUR MOLIERE.
129
en i6di l'ouverture des états, y appela Molière, très en
faveur auprès de lui.
Depuis le mois de janvier i6j2, qui vit à Carcassonne les
états se séparer, les informations sur les voyages de la
troupe manquent de nouveau jusqu'en décembre de la même
année. Le 19 de ce mois de décembre, un de nos comédiens,
Pierre Réveillon, est parrain dans l'église de Sainte-Croix
à Lyon^ Bien que sa présence dans cette ville n'y prouve
pas absolument celle de ses camarades à la même date, elle
la rend des plus probables, lorsqu'on voit deux mois après
Molière et Joseph Béjart signer là au contrat de mariage de
René Berthelot, dit du Parc, le 19 février i653'.
Molière « vint à Lyon en i653 «, dit la Préface de 1682.
Ce serait donner à son témoignage un sens trop précis que
de s'en armer contre la vraisemblance d'un séjour com-
mencé dès la fin de i652, sinon même quelques mois plus
tôt. La date donnée par les anciens biographes ne doit pas
d'ailleurs faire penser que Molière ait été pour la première
fois à Lyon en i6j3 ou en i652. Il nous a semblé probable
qu'il s'y était arrêté en i65i, lorsque cette année-là nous
l'avons trouvé à Vienne, au témoignage de Chorier^. La
Préface de 1682 s'est attachée de préférence au souvenir
de i653, apparemment comme à celui de l'époque devenue
fameuse par l'Etourdi, que cette comédie ait été alors repré-
sentée, ou seulement préparée sous l'influence d'un théâtre
étranger très en vogue à Lyon.
Le mariage du comédien du Parc, qui, plus clairement
encore que l'acte de baptême du 19 décembre i652, nous a
fait rencontrer Molière à Lyon, aurait par une autre raison
mérité d'être noté. Soit à ce moment même, soit, comme
il est plus problable, quelque temps après, la troupe, grâce
à ce mariage, recruta une nouvelle actrice destinée à la cé-
lébrité par son talent et par des charmes qui ont exercé leur
séduction sur les plus glorieux poètes du théâtre de ce
1. Les Origines du théâtre de Lyon, par C. Brouchoiid, in-S"
(Lyon, 1845), DocujiENT XI, p. 5i.
2. Ibidem, Document XX, p. 56.
3. Voyez ci-dessus, p. laS-iaS.
Molière, x 0
i3o NOTICE BIOGRAPHIQUE
siècle, si bien que devenue, dans la cour de ces vrais rois,
comme la reine de beauté, elle aura toujours une place
poétique dans notre histoire littéraire. Disons quelques mots
d'elle en ces commencements.
A Lyon, où le goût des spectacles s'était depuis longtemps
développé, la troupe de Molière rencontrait d'autres comé-
diens, au nombre desquels il ne semblait alors ni extraor-
dinaire ni choquant de compter des opérateurs. Les plus fa-
meux, les plus huppés de ces charlatans avaient des acteurs,
à l'aide desquels ils donnaient des représentations, et que
les comédiens étrangers à tout commerce d'orviétan ne dé-
daignaient pas de traiter en confrères. Comédiens propre-
ment dits et opérateurs s'empruntaient des associés*. C'était
à une famille d'opérateurs qu'appartenait celle qu'un ca-
marade de Molière prit pour femme et introduisit dans sa
troupe. Le père de la du Parc était Jacomo de Gorla, ou de
Gorle, né au pays des Grisons. Il prenait le titre de premier
opérateur du roi. Deux ans après le temps où nous faisons
sa connaissance à Lyon, les archives municipales de cette
ville enregistrèrent la permission, qui lui fut donnée le
i*"" avril i65j par le consulat, de vendre ses drogues sur la
place des Jacobins et d'y dresser son théâtre-. Ce n'était
certainement pas la première autorisation de ce genre qui
lui avait été accordée. Vingt ans plus tôt, en i635, il était
déjà établi à Lyon^. Sa fille Marquise *-Thérèse, saltimbanque
de naissance, doit avoir fait ses premiers débuts dans les
parades ou comédies de l'opérateur, où probablement elle
avait appris à faire ces belles et peu modestes cabrioles
dont le Mercure de mai 1740 nous a transmis le souvenir.
Ce fut pour ses beaux yeux que du Parc l'épousa; car ses
trois mille livres de dot, ainsi que sa robe et sa cotte nup-
tiale, étaient une libéralité du futur époux. Il est piquant
de connaître l'origine et les commencements de cette « char-
mante Iris » chantée par Corneille, et dont Racine, en 1668,
1. Les Spectacles populaires, par Victor Fournel, p. aSi.
2. Les Origines du théâtre de Lyon, p. 29 et 3o, à la note 3.
3. Voyez le Moliériste d'octobre 1882, p. 218 et aiQ.
4. Marquise était un de ses prénoms.
SUR MOLIERE. i3i
suivait, « à demi trépassé' », le convoi funèbre. N'imagi-
nons pas autre qu'il n'était ce monde comique auquel ap-
partenait Molière, et que sa gloire nous disposerait à gran-
dir. L'heure est proche où par une œuvre brillante s'est
ouverte devant lui une immortelle carrière, et voilà sa
troupe en camaraderie avec des bateleurs, des triacleurs,
qui lui donnent une actrice. Il ne faudrait pas cependant
en être scandalisé; d'abord la beauté est une noblesse, le
talent aussi, qui peut-être s'annonçait déjà; et puis, quel-
que part que la troupe de Molière se recrutât, on aurait
tort de croire qu'elle n'eût pas à côté des autres troupes
une place qui les en fit distinguer. Bien qu'elle fût tou-
jours prête à s'associer des comédiens d'autres bandes,
elle avait dès lors une supériorité reconnue. Chappuzeau.
peu de temps après, écrivait son livre intitulé Lyon dans
son lustre^, où il dit : « Le noble amusement des honnêtes
gens, la digne débauche du beau monde et des bons esprits,
la comédie, pour n'être pas fixe comme à Paris, ne laisse
pas de se jouer ici (à Lyon) à toutes les saisons qui la
demandent, et par une troupe ordinairement qui, tout am-
bulatoire qu'elle est, vaut bien celle de l'hôtel qui demeure
en place^. » Il n'est pas douteux qu'il désigne la troupe de
Molière.
Parmi les troupes qui étaient à Lyon en i653, dans le
même temps que celle-ci, la moins indigne de tenter de riva-
liser avec elle paraît avoir été celle qui se disait « la troupe
de Son Altesse Royale* ». Son titre, qui avait autrefois appar-
tenu aux comédiens de l'Illustre théâtre, donne à croire
qu'elle était jugée digne de quelque estime. Elle avait pour
I. Robinet, Lettre en vers du i5 décembre 1668.
1 Un volume in-4"', imprimé à Lyon en i656. Le Privilège est
donné à Paris, le 10° jour de décembre i655.
3. Lyon dans son lustre, p. 43-
4. Cette Altesse Royale était-elle Gaston, l'ancien protecteur de
l'Illustre théâtre? On penserait plutôt à la troupe du duc de
Savoie, dite aussi « troupe de Son Altesse Royale » ; cependant
elle n'avait permission, suivant Chappuzeau (le Théâtre français,
livre III, chapitre xlviJ, de passer les Alpes que pendant l'été.
i3a NOTICE BIOGRAPHIQUE
chef Abraham Mitallat, dit La Source, qui l'avait établie
en i6i', à Lyon, où il la maintint plusieurs années avec suc-
cès. Un des premiers camarades de iMolière, Georges Pinel
delà Cousture, avait passé dans ses rangs. Ce furent seulement,
dit-on, nos comédiens qui firent perdre la faveur du public
à la troupe de Mitallat*. On a cru savoir que la troupe de
Molière la désorganisa, et, parmi ses transfuges, passés dans
le camp rival, de Brie et sa femme, et Marquise de Gorle,
ont été nommés. Le libelle de la Fameuse come'dienne ^ dont
on ne sait pas jusqu'à quel point les informations peuvent
être sûres, même quand la passion ne le rend point plus
que suspect, dit que Molière et les Béjart, « quand ils furent
arrivés à Lyon, y trouvèrent une autre troupe établie dans
laquelle étoient la du Parc et la de Brie*». Il se peut qu'il ait
voulu parler de la troupe de Mitallat, bien qu'il ne la nomme
pas. L'opinion que Marquise de Gorle vint, en i653, de cette
troupe et non de celle de l'opérateur son père, est bien
hasardée, si elle ne s'appuie pas sur quelque autre témoi-
gnage que sur celui du pamphlet. Quant à Mlle de Brie, nous
l'avons vue, sous le nom de Catherine du Rosé, marraine
avec Molière, et nous avons dit qu'elle appartenait peut-
être alors à une autre troupe que la sienne^. Cette troupe
serait-elle celle de Mitallat, qui, en ce temps-là, aurait été
à Narbonne, et dont la comédienne serait sortie à Lyon avec
Edme Villequin de Brie, devenu son mari? Si tout cela reste
incertain, il importe assez peu.
Il n'est pas d'un intérêt beaucoup plus grand de savoir à
quelle date précise Mlle du Parc fut reçue dans la troupe de
Molière ; nous ne l'y trouvons avec certitude qu'en septembre
ou octobre de cette année i653, lorsque sa présence y est
constatée par Daniel de Cosnac, dans son récit des aventures
des coméd.'ens au château de la Grange-des-Prés.
Ce n'est pas, en tout cas, l'enrôlement de deux jolies
actrices, destinées à de grands succès, qui pouvait rendre
mémorable le séjour de Molière à Lyon en i653. Mais cette
1. Les Origines du théâtre de Lyon, p. 74-
2. La Fameuse Comédienne, p. 7 et 8.
3. Voyez ci-dessus, p. lao et lai.
SUR MOLIERE. i33
époque est celle où l'on a placé la naissance de V Étourdi .
Nous penchons à la reculer de deux ans; nous admettons
cependant comme très probable que l'idée de cette comédie
fut conçue, peut-être même l'exécution ébauchée, dès i653,
dans la ville où plus qu'ailleurs Molière rencontra le goût du
théâtre italien, dont il s'est inspiré dans ses deux brillants
coups d'essai, V Etourdi et le Depit amoureux.
A Lyon, ville si française, il est certain que ce théâtre ne
régnait pas exclusivement, que le nôtre y était apprécié et
aimé. On y voyait toutefois avec faveur les comédiens et les
comédies d'au delà les monts, et cela dès longtemps, avant
même les représentations qu'y donnèrent les Gelosi au com-
mencement du dix-septième siècle. LTn des acteurs de cette
troupe des Gelnsi, Nicolas Barbieri , dit Beltrame, auteur de
Vlnacvertito, dont Molière a tiré l'Etourdi, joua sa comédie
à Paris devant Louis XIII, mais aussi, l'on ne peut en douter,
sur le théâtre de Lyon. Là, Molière eut l'occasion de con-
naître semblablement les comédies de Luigi Grotto et de
Nicolo Secchi, qui furent aussi imitées par lui.
La voie où s'est engagé Molière dans ses premiers ouvrages
ne lui était assurément pas inconnue avant qu'il eût été à
Lyon; mais, dans cette ville, elle lui est devenue plus fami-
lière et plus attirante. Il est donc plus que vraisemblable que
la première idée de son Etourdi, puisée à une source ita-
lienne, lui est venue à Lyon, et même que la composition de
sa pièce y a été commencée. Que l' Étourdi y ait été repré-
senté pour la première fois, c'est un fait sur lequel s'accor-
dent tous les témoignages.
Grimarest n'hésite pas à le dater de i653. « Molière avec
sa troupe, dit-il, eut bien de l'applaudissement en passant
à Lyon en i653, où il donna au public l'Étourdi^. » Il a cru
évidemment ne faire que répéter le témoignage de la Pré-
face de 1682. L'avait-il bien interprété? La critique sévère
d'Eugène Despois y a regardé de près dans la Notice sur
l'Etourdi-. Au premier abord, le passage de la. Préface paraît
net : « Il [Molière] vint à Lyon en 1 65 3, et ce fut là qu'il exposa
r. La Vie de M. de Molière, p. 22.
2. Voyez notre lume I, p. 79-86
i3', NOTICE BIOGRAPHIQUE
au public sa première comédie; c'est celle de l'Etourdi. »
Despois a fait remarquer quelque équivoque dans cette
phrase, qui ne dit pas « ce fut alors », mais « ce fut là ».
Ce là est plus justement matière à procès que le fameux ou
(avec ou sans pâté) de la promesse de Figaro à damoiselle
Marceline. On craindrait cependant d'être accusé do chicane,
si l'on n'avait pas à produire le renseignement, cette fois
exempt de toute ambiguïté, donné dans son Registre par La
Grange, qui est généralement regardé comme un des auteurs
de la Préface de i68a* : « Cette pièce de ihéÀire [l' Étourdi)
a été représentée pour la première fois à Lyon, l'an i655*. »
Pour donner la préférence à i653, on allègue la confiance
que mérite la Préface, écrite plus tard que le Registre, et
où la date a pu être corrigée après mûr examen. L'argument
tombe, si, comme Despois, on doute qu'il y ait manifeste
contradiction entre les deux témoignages. On insistera sur le
vrai sens de celui de 1682, en nous engageant à y lire la
suite : « S'étant trouvé quelque temps après en Languedoc,
il alla offrir ses services à M. le prince de Conti. ■>■> Or c'est
en i653 que ces offres de service furent faites pour la pre-
mière fois.
Par une fatalité, la pleine lumière est à peine entrevue
qu'un petit nuage vient l'obscurcir. Après les mots : « à
M. le prince de Conti », la Préface ajoute : « gouverneur de
cette province [de Languedoc) et vice-roi de Catalogne » . Ce fut
seulement en i654 que le prince eut le commandement de
l'armée de Catalogne et le gouvernement de la Guyenne,
non pas celui du Languedoc, qui ne lui fut donné que six ans
après. Pour nous il est probable que l'inexactitude de cette
mention du gouvernement de Languedoc doit s'expliquer
ainsi : on a eu en vue la commission que reçut Conti de pré-
sider les états de cette province, commission postérieure
en date à sa campagne de i655 dans le Roussillon. Il est
donc permis de croire que l'engagement de Molière au ser-
vice du prince de Conti, « quelque temps après » l'Étourdi
I. Avec Vinot. On l'a aussi attribuée au comédien Marcel.
V^oyez notre tome I, p. xxiii.
3. Registre de La Giange, p. 4-
SUR MOLIÈRE. i35
joué à Lyon, est, dans la pensée de ces biographes, celui qui
fut de nouveau obtenu en i655. Une imparfaite netteté
dans leurs courtes lignes est moins étonnante qu'une erreur
dans le Registre sur une date qui y a été inscrite du vivant
de Molière.
Il y a beaucoup d'apparence que Molière a pris le goût
des pièces italiennes pendant son long séjour à Lyon en 1 65 3.
Mais alors il faut lui donner le temps de faire connaissance
avec elles, puis d'écrire son imitation de Y Inawerlito et de
mettre ses acteurs en état de la jouer. Il est surtout impos-
sible de croire, à moins qu'il n'ait apporté à Lyon sa comédie
déjà toute faite, qu'elle y ait été représentée dès le com-
mencement de i653. Une des raisons, dût-on la juger un
peu faible, qui nous feraient pencher pour i655, c'est qu'il
plaît assez de ne pas éloigner de la première représentation
de V Étourdi celle du Dépit amoureux, où Molière a suivi le
même filon et qui, sans contestation, est de i6!»6. Stimulé
par le succès, et une fois en train d'inspiration comique,
notre poète, dans la première joie de son génie, a-t-il at-
tendu trois ans pour le laisser continuer son élan, et pour
exploiter une seconde fois la veine italienne? Nous ne vou-
drions pourtant pas être plus décisif et tranchant qu'il n'est
juste. Despois nous a donné l'exemple d'une sage réserve :
il a laissé quelque doute entre i655 et i653. Sans vouloir
dire ce doute extrêmement fâcheux, nous aurions mieux
aimé qu'il eût été possible de le lever. Si l'on n'a pas eu
tort d'attacher quelque importance à la vraie date, long-
temps méconnue, de la naissance de Molière dans le berceau
où, comme tout autre enfant, il ne vécut d'abord que de la
vie végétative, cet autre jour dans lequel il a commencé,
sur le théâtre, sa vie de grand poète est également celui
d'une naissance dont il serait, ce nous semble, moins indif-
férent encore de découvrir l'acte dûment certifié.
Les plus récentes études sur la vie de Molière placent
généralement à Lyon, en l'année i653, une représentation
qui, sans avoir un intérêt égal à celle de l'Étourdi, ne laisse
pas d'en offrir un véritable. C'est la représentation de Y An-
dromède de Corneille. Elle a été connue par un exemplaire
de cette tragédie ^édition in-'i" de i63i, regardée comme la
i36 NOTICE BIOGRAPHIQUE
première), provenant de la bibliothèque du comte de Pont-
de-Veyle. Dans ce précieux exemplaire on a écrit, à côté du
nom de chaque personnage, le nom de l'acteur qui le repré-
sentait. L'écriture est ancienne. On a voulu, mais sans avoir
trouvé créance, que ce fût celle de Molière. Il n'y a pas de
doutes sur la distribution des rôles, qui évidemment n'a pas
été inventée. Voici cette distribution; elle nous donne de
curieux renseignements : Jupiter, du Parc; Junon et Andro-
mède, Mlle Béjart; Neptune, de Brie; Mercure et Un page
de Phinée, l'Eguisé [Louis Bejart); le Soleil et Tintante,
Béjart (Joseph); Ve'nus, Cymodoce et Jglante, Mlle de Brie;
Melpomène et Céphalie, Mlle Hervé {Geneviève Be'jart) ; Éole
et Ammon, Vauselle ; Éphyre, Mlle Menou ; Cydippe et
Liriope, Mlle Magdelon ; Huit vents, valets ; Céphée, du Fresne ;
Cassiope, Mlle Vauselle; Phinée, Chasteauneuf ; Perse'e, Mo-
lière ; Chœur du peuple, Lestang.
« Le rôle de P/iine'e, dit M. Marty-Laveaux*, était d'abord
donné à Molière, et celui de Perse'e à Chasteauneuf Le nom
de Phorbas, qui ne figure pas dans la liste imprimée des per-
sonnages, y a été ajouté, et ce rôle a été attribué à Mlle Hervé,
déchargée sans doute de celui de Céphalie, dont le nom a
été remplacé à la main dans le courant de l'ouvrage par
celui d' Aglante. » On ne sait pas en quel temps furent faits
les changements.
Cette distribution nous apprend comment à un certain
moment était composée la troupe de campagne de Molière.
Plusieurs noms appellent l'attention, particulièrement ceux
des Vauselle, et celui de Mlle Menou, qui a donné aux
biographes du poète un intéressant problème à résoudre.
Nous serions tenté (est-ce à tort?) d'être averti par la lec-
ture d'un tel document de ne pas nous exagérer l'excel-
lence de cette troupe, que Chappuzeau ne jugeait pas dès
lors inférieure à celle de l'Hôtel de Bourgogne. Pour jouer
Andromède, pièce, il est vrai, très difficile à monter, elle
était bien incomplète; non seulement le grand nombre des
personnages avait forcé d'en faire jouer plusieurs par le
I. Notice sur Andromède, au tome V des OEuvres de P. Corneille^
p. a55.
SUR MOLIÈRE. i^;
même acteur, mais il avait fallu charger de simples gagistes
de réciter, Dieu sait comme, des vers de Corneille, dignes
de meilleurs luterprètes.
Il n'est guère vraisemblable que la pièce ainsi représentée
par nos comédiens l'ait été ailleurs qu'à Lyon, pour la pre-
mière fois du moins. C'est dans une si grande ville surtout
que l'on put songer d'abord à faire goûter un tel ouvrage,
noble tragédie et grand opéra, avec l'espoir d'y trouver une
scène appropriée, bien que même là il ne faille point pen-
ser aux magnifiques décorations du théâtre où elle fut jouée
par la troupe royale, ni aux machines de Torelli.
Sur la date de la représentation on trouve des indica-
tions dans la liste des acteurs. Le Chœur du peuple se fit
entendre par la bouche de l'Estang (Cyprien Ragueneau).
Le Registre de La Grange, qui épousa sa fille en 1672,
constate' qu'il « mourut à Lyon, le 18 août i654 ». Voilà
donc, pour le temps où il put jouer son rôle dans Andro-
mède, une limite marquée. En i653, Ragjeneau avait fixé
sa résidence à Lyon par un bail de trois ans, qu'il y signa
le i5 octobre. Ce fut, selon toute apparence, en cette
même année i6j3, et à Lyon, comme nous le pensions déjà,
qu'on lui confia un bout de rôle dans la tragédie de Cor-
neille. Ce brave homme, poète et pâtissier, plus pâtissier
que poète, qui parut un moment dans la troupe de Molière,
est une figure originale. Dassoucy l'a célébré avec sa verve
plaisante^. Il le nomme le « père nourricier des Muses ». Ra-
gueneau avait tenu boutique de pâtisserie dans la rue Saint-
Honoré; il prodiguait ses pâtés et son argent à tout le Par-
nasse. Il eut, à ce prix, l'amitié des poètes et des comédiens.
Dans leur commerce il avait contracté la maladie de la rime,
aidé, disait-on, dans ses productions poétiques par Charles
de Beys. L'éloge funèbre, dont le sieur Dassoucy se plut à
réjouir son ombre, fut une manière de le rembourser de
ses prêts et de se mettre en règle avec sa mémoire. Le recon-
naissant débiteur nous apprend que son généreux prêteur.
1. Registre^ au verso de la première page.
3. Les Avantures d'Italie (Antoine de Rafflé, 1677), chapitre xn,
p. 283-293.
i38 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ruiné par les libéralités dont il avait comblé les enfants
d'Apollon, fut contraint de quitter Paris avec femme et en-
fants, et d'entrer dans une troupe de campagne, qui le jugea
bientôt le plus méchant comédien du monde, et lui fit mou-
cher les chandelles. Blessé dans sa fierté de poète, il se
sépara de cette troupe, puis en trouva une autre qui lui
donna encore quelques vers à prononcer, jusqu'au jour oii
elle comprit, elle aussi, que l'emploi jugé humiliant par lui
était décidément celui qui lui convenait le mieux. Cette se-
conde troupe nous semble bien être celle qui dans la tra-
gédie de Corneille l'éleva à la dignité de Chœur du peuple^
et lui donna ainsi une nouvelle occasion de prouver qu'il
méritait une place plus modeste encore. On nous pardonnera
de lui en avoir fait une trop large ici, l'ayant trouvé assez
divertissant. Il eût peut-être suÉB de dire que, pour fixer à
peu près une date à l'intéressante distribution des rôles, son
nom nous venait en aide; l'absence de celui de Mlle du Parc
y peut servir aussi.
Quand il n'y aurait pas eu tant de difficultés pour faire
représenter tous les personnages d'Andromède, il serait im-
possible de comprendre que la du Parc n'y eût rempli au-
cun rôle, si elle eût été déjà dans la troupe. Les Mémoires
de Cosnac, que nous aurons tout à l'heure à citer plus lon-
guement, nous apprennent, comme il a été dit plus haut*,
qu'elle en faisait partie dès i653, mais l'atteste seulement
pour le temps où cette troupe fut admise à jouer devant
le prince de Conti, Il y a là une objection à la conjecture,
assez naturelle d'ailleurs, qu'en i653 la représentation à'Jn-
dromède, au lieu d'être donnée à Lyon, a pu l'être dans le
château de la Grange, Conti étant assez grand prince pour
en faire les frais et mettre à la disposition de Molière un
théâtre qui ne rendît pas la tentative ridicule. Il n'y faut pas
songer, puisque alors on aurait le nom de Mlle du Parc
dans la distribution des rôles.
Andromède fut donc jouée avant l'automne de i653. Mais
ne peut-on pas remonter plus haut? Tout au plus jusqu'à
la fin de j652, où l'on croit déjà trouver Molière à Lyon.
I. Voyez ci-dessus, p. iSa.
SUR MOLIÈRE. iSg
La pièce, jouée à Paris au mois de janvier i65o, ne tomba
dans le domaine public qu'après sa première impression,
dont Y achevé d'imprimer est du i3 août i65i. Il se pourrait
que, vers la fin de cette année i65i, Dassoucy, qui rencon-
tra Molière à Carcassonne, lui eût recommandé cette tra-
gédie, aux vers de laquelle il avait, comme il disait modeste-
ment, « donné l'âme » par sa musique.
Nous avons dit que sur la liste des acteurs A' Andromède
les Vauselle, qui nous sont déjà connus, étaient à remarquer.
Ils y sont trois, Jean-Baptiste de l'Hermite,. sieur de Vau-
selle, sa femme, Marie Cnurtin de la Dehors (Mlle Vauselle),
enfin la fille de ces peu recommandables époux, Mlle Mag-
delon, alors âgée d'environ treize ans.
La présence de ces Vauselle dans une troupe qui n'était
guère moins celle de Madeleine Béjart que de Molière, est un
exemple des singuliers rapprochements de personnes dont
ne s'effarouchaient pas ces sociétés de comédiens. Le sieur
de Vauselle n'est pas le plus étonnant ici, quoique sa gen-
tilhommerie ait dû lui rendre pénible la nécessité de monter
sur un théâtre. Quant à être bien accueilli par les Béjart, il
y avait les plus grands droits par son alliance avec leur fa-
mille et par les services que l'on sait. Mais il amenait avec
lui sa femme qui notoirement était ou avait été la maîtresse
de l'ancien amant de la Béjart. Celle-ci, puissante dans la
troupe, n'y aurait pas laissé entrer Mlle Vauselle, si elle eût
ressenti comme une offense l'admission d'une rivale. Evi-
d-emment nous ne nous sommes pas trompé quand nous
l'avons jugée de bonne composition. C'est ce qu'elle prouva
encore plus tard lorsque, en 1661, elle acheta des Vauselle
la grange de la Souquette^ dont le seigneur de Modène
leur avait fait en 1644 le don significatif sous le prétexte d'une
vente qui était fictive. L'acquisition de la Souquette ne
peut faire croire de la part de Madeleine Béjart à une
spéculation plutôt qu'à un acte d'obligeance, dont on a cher-
ché à donner des explications subtiles. Celle de la parenté
des Courtin et des Béjart pourrait paraître la moins mau-
I. Recherches sur Molière, p, 202 et 2o3. — Voyez ci-dessus,
p. 94 et 95.
i4o NOTICE BIOGRAPHIQUE
vaise; elle est encore bien peu satisfaisante. L'esprit de
famille rend-il suffisamment raison de l'étrange complaisance
d'une femme à qui l'on a pris son amant? Il reste de plus
en plus clair que la Béjart échappe à tout soupçon de jalou-
sie. Elle était fort au-dessus, si l'on n'aime mieux dire fort
au-dessous, de ce sentiment. Dans ce que nous savons de sa
vie on a trop souvent cru rencontrer des énigmes, où il eût
été plus simple de voir qu'elle s'était fait sur l'amour une
philosophie à la ISinon de Lenclos. Prenons pour ce qu'elles
étaient les femmes de théâtre au milieu desquelles Molière a
vécu, et parmi ces comédiennes, celles dont il a été plus que
l'ami; il faut se défendre d'idéaliser naïvement le roman des
amours de sa jeunesse.
Magdelon, fille de ces Vauselle, a, comme eux, son nom
sur la liste. Rien alors ne pouvait faire prévoir que cette en-
fant se trouverait un jour sur le chemin de la Béjart, comme
s'y était trouvée sa mère, et y serait même beaucoup plus
gênante, s'il était vrai comme on l'a cru, mais sans preuves,
que l'ancienne maîtresse du seigneur de Modène n'eût jamais
renoncé à l'espoir d'être épousée par lui. La fille de Marie
Courtin de la Dehors, après un premier mariage qu'elle fit
annuler, en contracta un second avec celui dont la liaison
avec sa mère n'avait pas été un mystère. Elle devint com-
tesse de Modène en décembre 1666*. A cette époque, Mag-
delon (Madeleine de l'Hermite de Souliers) avait environ
vingt-six ans, Esprit de Modène en avait cinquante-huit.
Madeleine Béjart ne paraît pas en avoir voulu à celui-ci de
ce déraisonnable mariage, digne couronnement d'une vie de
désordres. Elle continua de se conduire avec lui en amie,
et l'on ne peut pas dire : en amie jusqu'à la bourse.
Ce n'est pas seulement la distribution des rôles de la tra-
gédie de Corneille qui nous montre les Vauselle enrôlés dans
la troupe de Molière. Un factum écrit en 1674 par Charles
de Rémond, frère du comte de Modène, contre Madeleine
de l'Hermite, nous apprend qu'elle et sa mère, engagées
1. M. Chardon a fait connaître son contrat de mariage, daté
du 26 octobre 1666. Voyez M. de Modène... et Madeleine Béjart,
p. 426.429.
SUR MOLIERE. i4i
dans « la bande du sieur Molière », avaient été vues jouant
a comédie à Avignon '. A quelle date? Est-il probable que
ce n'ait pas été avant le séjour de la troupe dans cette ville,
en i655? Molière, cette année-là, comme il sera dit, ne
s'arrêta pas à Avignon plus tôt qu'au mois d'octobre. Le
1 1 novembre suivant, Magdelon y fut épousée par un écuyer
du prince de Conti, du nom de Le Fuzelier. Il semblerait un
peu étrange que ce prédécesseur du seigneur de Modène
l'eût prise sur les planches du théâtre pour la conduire à
l'autel.
Continuons notre revue de la troupe qui joua V Andro~
mède. On a encore à y remarquer deux comédiennes. L'une,
Mlle de Brie, a déjà été entrevue à Narbonne en i65o,
ensuite à Lyon, où, dans cette année 1 653 dont nous parlons
en ce moment, on dit qu'elle passa d'une troupe concurrente
dans celle de Molière. L'autre, Mlle Menou, est nommée
pour la première fois. Toutes deux ont beaucoup attiré les
regards des biographes de notre poète lorsqu'ils ont eu à
porter leur curiosité du côté de sa vie privée.
Cette curiosité doit, sans doute, en ce qui regarde la
demoiselle de Brie, être en garde contre les bruits qui
ont eu cours chez les contemporains de Molière sur les fai-
blesses de son cœur parmi les tentations des libres moeurs
d'une troupe comique; cependant, le témoignage de Boileau
compte, même, quoi qu'on en ait dit, lorsqu'il ne nous est
connu, comme ici, que par les notes de Brossette. Voici en
quels termes il est rapporté par le commentateur : « M. Des-
préaux m'a dit que Molière avoit été amoureux de la co-
médienne Béjart..., ensuite de Mlle de Brie, aussi comé-
dienne^. » Ainsi averti, nous ne pouvons plus refuser toute
créance à l'auteur de la Fameuse Comédienne ; il est sage seu-
lement de rester en défiance de ce qu'il a pu broder sur un
fond de vérité. Nous avons précédemment cité ce qu'il a dit
de la rencontre faite par Molière à Lyon de la du Parc et de
la de Brie. Lisons la suite du passage : «Molière fut d'abord
1. Nous empruntons cette citation à M. Chardon, pages 3io
et 3ii de M. de Modène... et Madeleine Béjart.
2. M-i. de Brossette. p. 38.
i4a NOTICE BIOGRAPHIQUE
charmé de la bonne mine de la première ; mais leurs senti-
ments ne se trouvèrent pas conformes sur ce chapitre, et
cette femme... traita Molière avec tant de mépris que cela
l'obligea de tourner ses vœux du coté de la de Brie, dont
il fut reçu plus favorablement, ce qui l'engagea si fort que,
ne pouvant plus se résoudre à s'en séparer, il trouva le se-
cret de l'attirer dans sa troupe avec la du Parc. La Béjart
supporta cet engagement avec assez de chagrin; cependant,
comme elle vit que c'étoit un mal sans remède, elle prit le
meilleur parti, qui étoit de s'en consoler, en conservant tou-
jours sur Molière l'autorité qu'elle avoit eue*. » Ce récit
prend un certain air de vraisemblance, quand on y voit
marqué d'un trait si reconnaissable le caractère de Made-
leine Béjart, qui, toujours préoccupée des affaires avant
tout, modère son dépit et se résigne, à la condition que les
droits utiles de son empire lui resteront.
On a voulu trouver dans quelques-unes des comédies de
Molière des indices de sa passion pour Mlle de Brie. Les
rôles désagréables qu'il faisait jouer au sieur de Brie ont
donné le soupçon qu'il avait pris plaisir aux occasions de
le maltraiter sur la scène; par exemple, dans le Tartuffe, où
il lui a fait représenter le déloyal M. Loyal, pendant que
lui-même, qui était Orgon, exprimait le désir
[De] pouvoir, à plaisir, sur ce mufle assener
Le plus grand coup de poing qui se puisse donner*.
On a remarqué aussi que, dans V Ecole des femmes, de Brie
était le Notaire, à qui Arnolphe, représenté par Molière,
fait la grimace, disant tout bas :
La peste soit fait l'homme et sa chienne de face^.
Une fois préoccupé de ces intentions malignes que l'on
n'admettrait pas sans les juger inconvenantes, on aurait
pu supposer que, dans la même scène, deux vers plus haut,
I. La Fameuse Comédienne, p. 8.
a. Acte V, scène iv, v. 1799 et 1800.
3. Acte IV, scène 11, v. 1081.
SUR MOLIÈRE. 143
Molière s'éait permis une cruelle plaisanterie, en se faisant
dire par le Notaire :
Vous, qui me prétendez faire passer pour sot.
Défions-nous de ces conjectures trop ingénieuses. Si Molière
a vraiment eu le tort de s'amuser à marquer son antipathie
pour de Brie, cette antipathie pourrait bien s'expliquer
moins par une excessive sympathie pour sa femme que
par une vengeance innocente à tirer de l'humeur brutale
et querelleuse de cebretteur*, qui était, avec cela, très
médiocre comédien. N'oublions pas, d'ailleurs, la date des
pièces dont on a signalé les passages tout à l'heure cités.
L'École des femmes a été représentée quelques mois après
le mariage de Molière, le Tartuffe encore plus tard. Sup-
pose-t-on que Molière n'avait jamais cessé d'être l'amant
de la de Brie, et cela même au temps où il venait de se
marier? Nous n'ignorons pas l'accusation que le libelle de la
Fameuse Comcdieiine a jugé plus habile de ne pas produire
directement, mais de mettre avec perfidie dans la bouche
de la femme de Molière. Il la fait récriminer contre des re-
proches importuns par celui d'avoir « toujours conservé
des liaisons particulières avec la de Brie, qui demeuroit
dans leur maison et qui n'en étoit point sortie depuis leur
mariage- ». Mlle Molière eût-elle dit tout ce qu'on lui fait
dire, nous n'y verrions qu'une de ces mauvaises excuses
qu'une femme cherche à ses torts. Ceux qui parlent aujour-
d'hui de Mlle de Brie logée sous le même toit que Molière
sembleraient avoir puisé à nous ne savons quelle source
d'information autre que la Fameuse Comédie/me ; car ils ne
disent plus que ce prétendu scandale ait été donné dans les
premiers temps du mariage du poète, mais lorsqu'il logeait
dans une maison de la rue Saint Thomas-du-Louvre, oh
on le trouve en 166^^. Cette maison, qu'il quitta en 1672,
est indiquée dans des actes comme étant aussi le domicile
1. On croit que c'est à lui qu'il avait donné le rôle très court
de la Rapière du Dépit amoureux .
2. La Fameuse Comédienne, p. 21.
3. On a dit qu'il s'y était établi en i665; mais l'acte d'inhu-
i44 NOTICE BIOGRAPHIQUE
des Béjart, de Madeleine, de Geneviève et de Louis*. Il ne
saurait donc être étonnant de trouver, dans le même temps,
Mlle de Brie dans la maison de la rue Saint-ïhomas-du-
Louvre. On était habitué à voir des comédiens et des co-
médiennes de la même troupe vivre ainsi les uns près des
autres. Au reste, on ne veut pas nier, et il n'y a aucune
raison de nier, la durable amitié, très attestée, de Molière
pour sa bonne camarade; mais rien ne donne le droit de
penser qu'au temps où il n'était plus libre, il n'ait pas sim-
plement cherché dans une intimité, qui avait changé de
caractère, un honnête soulagement de son cœur meurtri. Il
y a une page dans Grimarest où l'on aurait tort de voir la
confirmation des méchancetés dont nous nous défions. Il
serait plus juste d'y trouver le contraire. Après une phrase,
qui à la place où elle se trouve est maladroite, la vérité se
fait jour : « Il avoit assez de penchant pour le sexe ; la de ....
[le nom omis ne peut être que la de Brie *) l'amusoit quand
malion de son premier enfant porte que le corps fut pris rue
Saint-Thomas (ii novembre 1664).
I. Voyez, dans les Documents des Recherches sur Molière, l'in-
ventaire fait après le décès de Madeleine Béjart, p. 248, et la
note I de la même page. — Il n'est pas facile de suivre avec cer-
titude notre poète dans ses changements de logis. Les indica-
tions de domicile ne paraissent pas toujours exactement données
dans les actes.
1. On en a douté, ne pouvant, dans le portrait que faisait d'elle,
suivant Grimarest, un des amis de Molière, reconnaître celle que
la Fameuse Comédienne a dite « fort bien faite », et que vante ce
quatrain des Portraits des comédiennes de l'Hôtel de Guénégaud, im-
primé à la suite du libelle (édition de i688j :
Il faut qu'elle ait été charmante,
Puisqu'aujourd'hui, malgré ses ans,
A peine des charmes naissans
Egalent sa beauté mourante.
Dans les OEuvres de Molière de l'édition de 1725, transcrivant
le passage de Grimarest, on n'a pas hésité à remplacer les points,
qui suivent /a, par de Brie. Ce qui nous paraît plus décisif, per-
sonne n'a jamais nommé une autre amie aussi intime de Molière
au temps dont parle le biographe. Il faut croire que celui-ci
SUR MOLIERE. i45
il ne travailloit pas. Un de ses amis, qui étoit surpris qu'un
homme aussi délicat que Molière eût si mal placé son incli-
nation, voulut le dégoûter de cette comédienne. Est-ce la
vertu, la beauté ou l'esprit, lui dit-il, qui vous font aimer
cette femme-là ? Vous savez que La Barre et Florimont '
sont de ses amis; qu'elle n'est point belle, que c'est un vrai
squelette, et qu'elle n'a pas le sens commun. — Je sais tout
cela, Monsieur, lui répondit Molière; mais je suis accou-
tumé à ses défauts, et il faudroit que je prisse trop sur moi
pour m'accommoder aux imperfections d'une autre; je n'en
ai ni le temps, ni la patience. Peut-être aussi qu'une autre
n'aurait pas voulu de l'attachement de Molière ; il traitoit
l'engagement avec négligence, et ses assiduités n'étoient
pas trop fatigantes pour une femme. En huit jours une pe-
tite conversation, c'en étoit assez pour lui, sans qu'il se mît
en peine d'être aimé, excepté de sa femme, dont il auroit
acheté la tendresse pour toute chose au monde-. » C'est à
peu près de cette façon sans doute que la liaison de Molière
avec Mlle de Brie était racontée par Baron à Griinarest.
Garder une grande place dans son amitié à une femme qui
avait été autrefois plus qu'une amie, est chose fort délicate
et qui prête aux interprétations. D'un témoignage cepen-
dant, oii, si l'on suppose une intention d'apologie, elle se-
rait habilement dissimulée, ce qu'il nous semble juste de
retenir, c'est que les amis de Molière ne lui ont connu de
sérieuse passion que pour sa femme.
Avec Mlle de Brie, nous avons nommé une autre ac-
trice de Y Andromède, beaucoup plus intéressante encore à
connaître dans l'histoire de la vie privée du poète. Celle-ci
est Mlle Menou, destinée, si l'on voit en elle Armande Béjart,
avait entendu décrier les charmes de Mlle de Brie et exagérer
sa maigreur par quelque malveillant.
1. Nous ignorons de quel La Barre il est question. Il y avait
alors une famille de musiciens de ce nom. Florimont est sans
doute le comédien dont Chalussay dans Élom'ire hypocondre a fait
un des personnages du Divorce comique. Là, il a pour camarade
Rosidor, comédien du Marais.
2. La Vie de M. de Molière, p. aSo-aSa.
Molière, x io
i/,6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
à se rendre bien autrement maîtresse du cœur de Molière
que la de Brie et à devenir son véritable amour. Le fait que
la très jeune enfant récita dans la représentation de i633
les quatre vers de la néréide Ephyre, nous apprend bien
peu de chose sur elle; mais avançons de quelques années,
et Chapelle va nous donner lieu de croire que nous en sa-
vons plus. Seul des contemporains il a parlé délie, et il l'a
fait délicatement, au temps où, appelée encore de ce petit
nom de Menou^ sa jeunesse charmait Molière. C'est dans
une agréable lettre quil écrivait à son ami en réponse aux
plaintes de celui-ci, tourmenté par les rivalités de ses trois
grandes actrices, Béjart, du Parc et de Brie'. La date est,
à n'en pas douter, celle des premiers jours du printemps
de 1659. L'hiver de i658-i659 a laissé le souvenir d'avoir
été d'une extrême rigueur, et c'est une circonstance mar-
quée dans la lettre. Elle ne saurait, d'ailleurs, avoir été
écrite que depuis le retour de la troupe de Molière à Paris,
et avant que du Parc et sa femme en fussent sortis pour
passer dans celle du Marais, ce qui eut lieu à Pâques lôSg
(i3 avril). Citons ce curieux témoignage. Nous omettrons
seulement quelques vers, dont il suffira d'indiquer le sens :
Lettre écrite de la campw^ne a M. de Molière.
« Votre lettre m'a touché très sensiblement; et dans
l'impossibilité d'aller à Paris de cinq ou six jours, je vous
souhaite de tout mon cœur en repos et dans ce pays. J'y con-
tribuerois de tout mon possible à faire passer votre chagrin,
et je vous ferois assurément connoître que vous avez en moi
une personne qui tâchera toujours à le dissiper, ou pour le
I. Il est étrange, biea qu'on le dise connu dans quelques pro-
vinces. Plusieurs y voient une mauvaise lecture : Menou pour
Manon. Il faudrait alors rectifier le nom et dans la distribution
de V Andromède et dans la lettre de Chapelle. Une erreur ainsi
répétée serait singulière ; elle nous semble d'ailleurs indiffé-
rente.
3. La plus ancienne impression qui nous soit connue de cette
lettre, souvent reproduite depuis, est au tome V, déjà cité, du
Rtcueil de Barbin. Voyez ci-dessus, p. Sg.
SUR MOLIERE. 147
moins à le partager. Ce qui fait que je vous souhaite encore
davantage ici, c'est que dans cette douce révolution de l'an-
née, après le plus terrible hiver que la France ait depuis
longtemps senti, les beaux jours se goûtent mieux que
jamais, et sont tout autrement beaux à la campagne qu'à la
ville, où, quand vous les avez, il vous manque toujours des
endroits pour en prendre tout le plaisir. Je me promène
depuis le matin jusques au soir avec tant de satisfaction et
de contentement d'esprit que je ne saurois croire m'en pou-
voir lasser. En vérité, mon très cher ami, sans vous je ne
songerois guère à Paris de longtemps, et je ne me pourrois
résoudre à la retraite que lorsque le soleil fera la sienne.
Toutes les beautés de la campagne ne vont faire que croître
et embellir, surtout celles du vert, qui nous donnera des
feuilles au premier jour, et que nous commençons à trouver
à redire depuis que le chaud se fait sentir. Ce ne sera pas
néanmoins encore si tôt; et pour ce voyage, il faudra se
contenter de celui qui tapisse la terre, et qui, pour vous le
dire un peu plus noblement,
Jeuue et foible rampe par bas
Dans le fond des prés, el n'a pas
Encor la vigueur et la force
De pénétrer la tendre écorce
Du saule qui lui tend les bras.
La branche amoureuse et fleurie
Pleurant pour ses naissans appas,
Toute en sève et larmes l'en prie,
Et, jalouse de la prairie, / '
Dans cinq ou six jours se promet
De l'attirer à son sommet.
«- Vous montrerez ces beaux vers à Mlle Menou seule-
ment ; aussi bien sont -ils la figure d'elle et de vous.
« Pour les autres, vous verrez bien qu'il est à propos sur-
tout que vos femmes ne les voient pas , et par ce qu'ils
contiennent et parce qu'ils sont, aussi bien que les pre-
miers, tous des plus méchans. Je les ai faits pour répondre
à cet endroit de votre lettre , où vous me particularisez
le déplaisir que vous donnent les partialités de vos trois
i48 NOTICE BIOGRAPHIQUE
grandes actrices pour la distribution de vos rôles. Il faut
être à Paris pour en résoudre ensemble, et, tâchant de
faire réussir l'application de vos rôles à leur caractère,
remédier à ce démêlé qui vous donne tant de peine. En vé-
rité, grand homme, vous avez besoiu de toute votre tête en
conduisant les leurs, et je vous compare à Jupiter pen-
dant la guerre de Troie. La comparaison n'est pas odieuse,
et la fantaisie me prit de la suivre quand elle me vint.
Qu'il vous souvienne donc de l'embarras oij ce maître des
dieux se trouva pendant cette guerre sur les différents in-
térêts de la troupe céleste, pour réduire les trois déesses à
ses volontés. »
Ici, dans des vers que, pour abréger, nous supprimons.
Chapelle fait un tableau plaisant, mais qui ne nous intéresse
par aucune allusion particulière, du tintouin que donnèrent à
Jupiter les trois déesses, Pallas, Junon et Cypris, et il finit
ainsi :
Voilà l'histoire : que t'en semble?
Crois-tu pas qu'un homme avisé
Voit par là qu'il n'est pas aisé
D'accorder trois femmes ensemble?
Fais-en donc ton profit; surtout
Tiens-toi neutre, et, tout plein d'Homère,
Dis-toi bien qu'en vain l'homme espère
Pouvoir jamais venir à bout
De ce qu'un grand Dieu n'a su faire.
Quand il ne serait question dans cette lettre que du trio
de divinités jalouses qui désespéraient le « grand homme »
(Chapelle, c'est fort à remarquer, l'appelait ainsi dès ce
temps), elle aurait bien son prix. Que Molière a eu raison
de s'écrier dans son Impromptu de Versailles : « Ah ! les
étranges animaux à conduire, que les comédiens! » Encore
dans sa plaisanterie n'a-t-il voulu ni pu montrer toute la
plaie. Dans la révélation plus sérieuse, malgré le badinage,
que nous fait Chapelle des tracas d'un chef de troupe, ce
que l'on remarquera surtout, c'est qu'il ne donne à supposer
entre les trois grandes actrices aucune autre discorde que
celle des amours-propres, âpres à se disputer les rôles.
Comme il n'est pas probable qu'il fût incomplètement dans
SUR MOLIERE. 149
les confidences, il faudrait croire qu'il n'attachait pas grande
importance à quelques intrigues galantes, très ordinaires
dans le monde des comédiens, et qui y troublaient moins
la paix que les prétentions inconciliables des vanités d'ar-
tistes. 11 avait sans doute des raisons de penser que Molière
n'était guère inquiet que de ce dernier genre de difficultés,
et que les charmes de ses belles camarades laissaient son
cœur assez libre. Si ce cœur était plus sérieusement tou-
ché, la lettre fait entendre que c'était pour Mlle Menou. Ces
vers où elle est figurée, grandissant comme à l'ombre de
Molière, ne laissent pas, dans leur gentillesse, d'être pré-
cieusement alambiqués, et l'allégorie pourrait être plus
claire. On aurait peine cependant à y trouver seulement
ceci, que Menou, la petite herbe, encore faible et rampante,
est toute jeune ; que Molière, le saule plein de sève, est d'un
âge mûr. Il doit y avoir une autre signification dans cette
image de l'arbre vigoureux, qui tend les bras à la naissante
verdure de la prairie, espère l'attirer bientôt à son sommet,
et l'élever jusqu'à sa branche « amoureuse ''.
De la manière dont Chapelle parle de Menou, on voit
qu'elle n'avait pas alors dépassé l'adolescence. Six ans plus
tôt, elle était doue dans l'enfance, lorsqu'elle représenta
l'Ephyre à^ Andromède, bien moins actrice, à proprement
parler, ce jour-là, que produite, pour un moment, et comme
par simple amusement, sur la scène par nos comédiens,
auxquels visiblement l'attachait quelque lien de famille. On
a eu tort de juger invraisemblable qu'elle ait été si jeune,
lorsqu'elle figura dans la pièce de Corneille. Une néréide
d'une dizaine d'années n'était certainement pas celle qu'avait
imaginée l'auteur; mais qu'importait.' On était bien sûr que
les spectateurs, se prêtant à la gracieuse fantaisie, s'amuse-
raient de la gentille mignonne.
Pour le moment, laissons Menou dans la prairie, au pied
du saule ; nous verrons plus tard si nous ne la retrouvons
pas montant jusqu'à la haute branche qui l'appelle.
A.vec la représentation à! Andromède , qui nous a engagé
dans des digressions de quelque utilité, ce nous semble,
nous avons laissé la troupe à Lyon. Nous n'avons pas épuisé
tout ce que nous avons de mémorable à dire d'elle avant la
i5o NOTICE BI0GRAPHIQ;UE
fin de l'année i653. La durée de son séjour à Lyon ne nous
est pas connue. Lorsqu'elle quitta cette ville, on a pensé
qu'elle avait dû « rayonner dans les villes environnantes du
Forez, de la Bourgogne et du Dauphiné* ». On ne fortifie
pas assez cette conjecture en constatant que « Dijon, Gre-
noble, Montbrison... gardent encore le souvenir du pas-
sage de Molière dans leurs murs* 5) ; il faudrait ne pas nous
laisser dans l'incertitude sur le temps auquel ce souvenir
se rapporte. Une indication plus positive est celle que nous
donne dans ses Mémoires Duniel de Cosnac. D'après son ré-
cit, Molière venait du Languedoc, lorsque lui-même l'appela
à la Grange-des-Prés, où résidait le prince de Conti. Il y
eut en i653 une session des états à Pézenas, ouverte par
le comte de Roure le 17 mars et close le i*""" juin. On a cru
sujette à de grands doutes, sans expliquer pourquoi, la pré-
sence de Molière à cette session^. Peut-être n'y trouve-t-on
de difficulté que pour n'avoir rencontré dans la comptabi-
lité des états aucune trace des représentations de la troupe.
On peut du moins tenir pour certain que si elle avait été à
Pézenas, elle n'y était plus lorsqu'elle répondit à l'invitation
de l'abbé de Cosnac; car au lieu de nommer le Languedoc,
sans préciser davantage, comment Cosnac n'aurait-il pas dit
expressément qu'elle se trouvait déjà dans la ville aux portes
de laquelle était le château de la Grange ?
Ce fut vers les premiers jours de septembre i653 que
Molière revit le prince qu'il avait autrefois connu, très peu
familièrement sans nul doute, et plutôt à distance respec-
tueuse, au collège de Clermont*. Depuis ce temps, Conti,
I, Histoire des pérégrinations de Molière dans le Languedoc, p. 5".
a. ibidem.
3. M. de Modène... et Madeleine Béjart, p. agS, note i.
4. Grimarest, parlant des temps de l'Illustre théâtre, dit (p. 19)
que le prince de Conti fit venir plusieurs fois Molière dans son
Hôtel, où il l'encouragea. Conti avait alors tout au plus quinze
ans. On a cependant soutenu que Molière, dans ces années-là,
avait bien pu jouer en visite à l'hôtel de Condé; et dès lors
pourquoi ne serait-ce pas à la demande de son condisciple de
Clermont? Grimarest veut, au même endroit (p. 19 et 20), qu'alors
le prince lui ait ordonné de venir plus tard le trouver on Lan-
SUR MOLIÈRE. i5i
infidèle à la théologie et à sa vocation pour le cardinalat,
avait passé par de grandes aventures où la Fronde l'avait
jeté : commandant en chef des Parisiens révoltés, puis re-
tenu pendant un an dans une prison, d'où il n'était pas
sorti plus sage. Après avoir été rendu à hi liberté en fé-
vrier i65i, il n'avait pas laissé l'année entière s'écouler
sans de nouveau s'engager dans la guerre civile, dont le
prince de Condé, son frère, lui abandonna, en 1632, la
direction en Guyenne, lorsque lui-même quitta cette pro-
vince. Dès le commencement de i653, Conti, dégoûté d'être à
Bordeaux l'esclave de la faction de Vormee, songeait à faire
sa paix avec la cour; et il ne tarda pas à se prêtera une négo-
ciation. L'accord qui lui permettait de « se retirer dans telle
de ses maisons qu'il lui plairait » ayant été signé le 24 juillet,
il sortit de Bordeaux au commencement d'août, simplement
amnistié, mais non encore réconcilié; et après avoir sé-
journé quelques jours à Cadillac avec sa petite cour, il s'en
alla dans sa belle maison de la Grange. Il avait fait partir
avant lui, pour l'attendre à Pézenas, Mme de Calvimont,
sa maîtresse. Il se décida bientôt à l'appeler près de lui, ne
souhaitant pas moins qu'elle de ne plus avoir à prendre la
peine de l'aller voir à la ville. Peu après Molière et sa troupe
arrivèrent. Quelle peine ils eurent à faire agréer leur service
au prince. Cosnac l'a raconté. Nulle part ailleurs que dans
cette page de ses Mémoires on ne trouve un renseignement
aussi complet sur un épisode des pérégrinations de Mo-
lière. Aussi, quoique souvent citée, nous croyons nécessaire
qu'elle le soit ici. Nous ne faisons d'ailleurs que tenir la
promesse faite par Despois dans sa Notice sur l'Etourdi^.
guedoc pour y donner des représentations. Comment Conti pou-
vait-il deviner, dès cette époque, qu'il vi-vrait un jour retiré dans
cette province? Lorsqu'il y retrouva Molière, on va voir qu'il ne
lui fît pas tout d'abord l'accueil auquel aurait dû s'attendre celui
à qui il avait donné rendez-vous. Ces objections gardent leur va-
leur lorsque, pour trouver un fond de vérité dans le passage de
Grimarest, on recule, comme l'a fait M. Mangold, les représenta-
tions à l'hôtel de Condé jusqu'en i65i, année où l'on constate
un séjour de Molière à Paris.
I. Voyez notre tome I, p. 80, note a. Il y est dit : « On trou-
i5a NOTICE BIOGRAPHIQUE
« Aussitôt que... [Mme de CalviraontJ fut logée dans la
Grange, elle proposa d'envoyer chercher des comédiens.
Comme j'avois l'argent des menus plaisirs de ce prince, il
me donna ce soin. J'appris que la troupe de Molière et de
la Béjart étoit en Languedoc ; je leur mandai qu'ils vinssent
à la Grange. Pendant que cette troupe se disposoit à venir
sur mes ordres, il en arriva une autre à Pézenas, qui étoit
celle de Cormier. L'impatience naturelle de M. le prince de
Conti et les présents que fit cette dernière troupe à Mme de
Calvimont engagèrent à les retenir. Lorsque je voulus re-
présenter à M. le prince de Conti que je m'étois engagé à
Molière sur ses ordres, il me répondit qu'il s'étoit, depuis,
lui-même engagé à la troupe de Cormier, et qu'il étoit plus
juste que je manquasse à ma parole que lui à la sienne. Ce-
pendant Molière arriva et ayant demandé qu'on lui payât au
moins les frais qu'on lui avoit fait faire pour venir, je ne pus
jamais l'obtenir, quoiqu'il y eût beaucoup de justice; mais
M. le prince de Conti avoit trouvé bon de s'opiniâtrer à cette
bagatelle. Ce mauvais procédé me touchant de dépit, je ré-
solus de les faire monter sur le théâtre u Pézenas et de
leur donner mille écus de mon argent, plutôt que de leur
manquer de parole. Comme ils étoient prêts de jouer à la
ville, M. le prince de Conti, un peu piqué d'honneur par ma
manière d'agir et pressé par Sarrasin*, que j'avois intéressé
à me servir, accorda qu'ils viendroient jouer une fois sur le
théâtre de la Grange. Cette troupe ne réussit pas dans sa
première représentation au gré de Mme de Calvimont, ni
par conséquent au gré de M. le prince de Conti, quoique,
au jugement de tout le reste des auditeurs, elle surpassât
infiniment la troupe de Cormier, soit par la bonté des acteurs,
soit par la magnificence des habits. Peu de jours après, ils
représentèrent encore, et Sarrasin, à force de prôner leurs
louanges, fit avouer à M. le prince de Conti qu'il falloit re-
tenir la troupe de Molière à l'exclusion de celle de Cormier.
Il les avoit servis et soutenus dans le commencement à cause
vera tout au long ce passage [des Mémoires de Gosnac] dans notre
Notice biographique.
I. Il était secrétaire du prince.
SUR MOLIERE. i53
de moi; mais alors, étant devenu amoureux de la du Parc,
il songea à se servir lui-même. Il gagna Mme de Calvimont,
et non seulement il lit congédier la troupe de Cormier, mais
il fit donner pension à celle de Molière*. >> En reproduisant
ce récit, nous n'avons pas rempli toute l'intention de Des-
pois, qui se proposait de l'accompagner des réflexions de
Sainte-Beuve-. Le sentiment très vrai qui les a inspirées
les rend en effet bonnes à citer : « Ce passage... nous
touche par la destinée du grand homme qui y est en jeu et
qui s'y agite si indifféremment : on se sent pénétrer d'une
amère pitié. Ainsi une sotte et une femme à cadeaux, Mme de
Calvimont, entre à l'étourdie dans une cabale contre Mo-
lière et va le priver d'un utile protecteur. Tout spirituel
qu'il est, le prince de Conti hésite, et il faut que l'abbé de Cos-
nac, qui prend très peu de part et d'intérêt à ces plaisirs
de la comédie, insiste, par pur esprit de justice et d'exac-
titude, pour faire accorder à Molière et à sa troupe une
suite de représentations promises Si Sarrasin, au lieu
d'être amoureux de la du Parc, l'était aussi bien devenu
d'une des comédiennes de la troupe de Cormier, tout était
manqué. ^
Dans ce que dit Sainte-Beuve de Mme de Calvimont, il
n'y a qu'une juste sévérité. Voici comment Cosnac la jugea,
la première fois que le prince de Conti la lui fit voir : ^ Elle
étoit fort parée et dit d'abord trois ou quatre choses qui
me firent douter laquelle des deux étoit plus surprenante,
ou sa beauté, ou sa sottise^. » Quant à la qualification de
« femme à cadeaux », elle était bien méritée par une femme
qui en acceptait d'un Cormier.
Ce comédien, chef de la troupe préférée d'abord à celle
1. Mémoires de Daniel de Cosnac, publiés par la Société de l'His-
toire de France, Paris, Jules Renouard, 1802. Tome I, p. ia6-
128.
2. Voyez à la page ci-devant citée de sa Notice sur V Etourdi.
Il renvoie là au tome III des Causeries du lundi, p. a4o. Dans
la 3' édition que nous avons sous les yeux, il faut renvoyer au
tome VI, p. 295.
3. Mémoires, tome I, p. 49 et 5o.
i54 NOTICE BIOGRAPHIQUE
de Molière, paraît bien être celui dont parlent les Mazari-
nadex, un opérateur longtemps connu sur le Pont-Neuf.
Une si indigne préférence était des plus blessantes.
L'injurieuse liésitation du prince de Conti ne put venir
d'une erreur de son goût : il était pour cela trop loin d'être
un sot comme sa maîtresse ; il faut l'attribuer à une faiblesse
amoureuse, qui est une insuffisante excuse. Dans tout cela,
on ne voit pas que les études faites ensemble au collège
de Clermont aient été d'aucun poids. Il est clair que Molière
n'eut pas la simplicité d'en invoquer le souvenir, qui n'au-
rait été compté pour rien. Les seuls arguments de Cosnac,
dans sa négociation, adroitement secondée par le spirituel
Normand Sarrasin, furent une promesse à tenir, le talent
des acteurs et la richesse de leurs habits. Du mérite de
Molière, comme auteur, il ne paraît pas avoir été question.
Ce serait plus difficile à comprendre, si un peu avant, dans
cette même année i653, l'Étourdi eût été représenté à Lyon.
N'en aurait-on pas entendu parler à la Grange? Cosnac, pour
justifier ses instances, ne se serait-il pas appuyé sur le bruit
que la pièce avait fait? 11 est surtout invraisemblable que
l'auteur ne l'eût pas choisie pour faire connaître au prince
combien de droits il avait à sa protection. Au lieu de cela,
lorsque Cosnac parle des représentations que Mme de Cal-
vimont, dans l'entêtement de ses préventions, goûta peu,
et que le prince de Conti eut la complaisance pour elle de
ne pas d'abord goûter davantage, pas un mot n'est dit de
l'Étourdi. Voilà donc une nouvelle occasion de croire que
Molière n'avait pas encore, pour se recommander, cette
charmante comédie; et, malgré tout, il finit par se faire
assez apprécier pour obtenir du prince une pension, en
outre le titre, donné à sa troupe, de comédiens du prince
de Conti.
Le protecteur ne demeura pas longtemps à la Grange
en iG53. Il devait se rendre à Paris pour son mariage avec
Anne Martinozzi, nièce de Mazarin. Cette alliance, sur
laquelle il avait été sondé pour la première fois durant son
I. Voyez V Histoire du Pont-Neuf, par Ed. Fournier, tome I,
p. aoj et 5o8, a5i et 262.
SUR MOLIÈRE. i55
séjour à Cadillac, allait changer pour lui une incomplète et
précaire amnistie en réconciliation parfaite avec le ministre.
On peut fixer approximativement à la mi-novembre son
départ de Pézenas. Il alla d'abord à Montpellier, dont le
gouverneur, le comte d'Aubijoux, en grande familiarité avec
lui, l'avait prié de s'y arrêter quelques jours. « Dès le mo-
ment de son arrivée, dit Cosnac*, on ne songea qu'à festins,
bals, ballets et comédies. » Pour ces divertissements, qui
furent magnifiques, il ne se pouvait faire que la troupe du
prince de Conti ne fût pas appelée. Quels autres comédiens
plus dignes d'amuser l'altesse que l'on recevait? Nous sa-
vons d'ailleurs en quelle estime Aubijoux tenait Molière; et
probablement il l'avait revu à la Grange, où l'on dit qu'il
était venu plusieurs fois rendre ses devoirs au prince. En
outre on a la preuve que Molière, au commencement de
i654, était à Montpellier : il est parrain dans cette ville
le 6 janvier, ayant pour commère Madeleine de l'IIermite,
qui n'avait pas encore quitté la troupe. Il est vrai qu'à cette
date Conti n'était plus là ; mais il est peu vraisemblable que
ses comédiens ne fussent venus qu'après son départ, et
seulement pour les états dont il va être parlé. Nous croyons
donc que Molière, qui, à la Grange, avait déjà appris à con-
naître son nouveau protecteur, eut l'occasion, à Montpellier,
d'achever cette connaissance. Ce n'était point pour la lui
faire juger plus respectable qu'à Pézenas. Aubijoux, qui ne
se montra pas alors sous un plus beau jour que Conti, l'en-
gagea dans une nouvelle galanterie avec Mlle Rochette, celle
qui devint Mme de Calvière. L'ami du prince se disait sans
doute qu'il relevait la dignité de l'amant de Mme de Calvi-
mont en lui faisant remplacer une sotte maîtresse par une
femme de beaucoup d'esprit. Que, malgré cet avantage, ce
fut là une singulière préparation au prochain mariage, ap-
paremment il n'en avait souci. La préparation, au témoi-
gnage de Cosnac. fut bien plus scandaleuse encore. Sans
parler des débauches de bonne chère et de vin, il y en eut
de pires auxquelles le prince se livra et qui devaient donner
à la jeune Martinozzi un très dangereux mari. On aurait
I. Mémoires, lome 1, p. i33.
i56 NOTICE BIOGRAPHIQUE
pu demander à Conti une autre façon d'oublier celle qu'il
avait laissée à la Grange, et qu'à la veille de prendre femme
il fallait bien en éloigner. Cosnac fut chargé de signifier son
congé à Mme de Calvimont. Avec le message de la rupture,
il emportait un billet de six cents pistoles, jugé suffisant
par le prince pour consoler la dame ; mais Cosnac prit sur
lui d'aller jusqu'à mille pistoles, qui furent acceptées sans
désespoir. « C'est le seul présent, dit-il S qu'il lui ait fait,
excepté un diamant de deux mille écus qu'il lui avoit donné
à Bordeaux le second jour qu'il l'avoit vue. » Du côté des
largesses du prince, Sainte-Beuve aurait pu l'appeler « femme
à petits cadeaux ». L'altesse, si sagement économe dans ses
amours, ne devait pas être très prodigue pour ses comé-
diens. Nous ne saurions dire jusqu'à quel point ils eurent à
s'en apercevoir et comment la pension leur fut payée. Mo-
lière, lorsqu'il fut rappelé pour le service de Conti, ne re-
gretta sans doute point de ne pas retrouver la belle idole
sans cervelle, qui avait failli lui faire céder la place au char-
latan Cormier.
Nous n'avons à suivre Conti que pour tâcher de nous
rendre compte des mouvements de ses comédiens. Après
être resté une vingtaine de jours à Montpellier, le prince
en partit vers le commencement de décembre pour aller
passer près de trois semaines à Bagnols. Il arriva à Lyon
le dernier jour de i653, et le i6 février i654 à Paris, où il
se maria le 21 du même mois. Lorsqu'il avait quitté Mont-
pellier, la troupe y était sans doute ; on l'y rencontre, nous
l'avons dit, le 6 janvier 1654. Les états du Languedoc
étaient alors assemblés dans cette ville. La session avait été
ouverte par le comte de Bieule le 7 décembre précédent, au
moment où Conti venait de s'éloigner, et dura jusqu'au
3i mars. La présence de nos comédiens à la date que l'on a
constatée ne permet pas de douter qu'ils n'y aient joué
pour Messieurs des états. Un peu avant la fin de la session,
on conjecture qu'ils étaient à Lyon, où le 7 mars fut bap-
tisé un enfant des du Parc et, le 26 du même mois, un autre
I. Mémoires , tome I, p. i36.
SUR MOLIÈRE. 157
enfant qui eut pour marraine Mlle du Parc^ Il est possible
cependant que pour ses couches cette comédienne se fût,
en compagnie de son mari, séparée de ses camarades. En
ce cas même, il est probable qu'elle ne fit que les précé-
der un peu à Lyon, et qu'ils ne tardèrent pas beaucoup à
l'y rejoindre. Le concours de Gros-René, surtout de sa
femme, n'était pas de ceux dont put facilement se priver la
troupe, qui d'ailleurs revenait volontiers dans la ville pré-
férée par elle à toute autre pour s'y fixer quelque temps. Il
est difficile de ne pas croire l'y trouver tout entière en
novembre i65'f, lorsqu'à la date du 3 de ce mois les regis-
tres de l'église Sainte-Croix donnent l'acte d'un baptême
dans lequel non seulement Mlle du Parc fut marraine, mais
un de ses camarades, Pierre Réveillon, fut parrain*. Il y a
donc quelques raisons de penser que Molière passa une
bonne partie de l'année i654 à Lyon. Le mois de novembre
aurait été la fin de ce long séjour. Ce fut en effet très pro-
bablement dès le mois suivant que la troupe revint à Mont-
pellier pour la nouvelle session des états. Elle devait s'y
retrouver près de son protecteur.
Après avoir épousé à Paris la nièce de Mazarin, Conti
avait été chargé du commandement de l'armée de Catalogne,
qu'il avait pris au mois de mai, et dans lequel il s'était fait
honneur. Laissons-le prendre des villes ; il n'appartient de
nouveau à notre sujet que du jour où, son heureuse cam-
pagne finie, il revient de l'armée en novembre et reçoit
la commission d'ouvrir à Montpellier la session des états
dont nous venons de parler, et qui fut tenue du 7 décembre
i65\ au 14 mars 16 55. Pour le rejoindre, la princesse de
Conti partit de Paris le 16 novembre « assez gayment »,
dit Loret^. La présence de sa jeune épouse devait être à
Montpellier la plus belle des occasions de fêtes, et par con-
séquent de comédies, si nécessaires d'ailleurs aux états. Or
aucune troupe n'avait plus de titres à être mandée que
1. Voyez les deux actes de baptême, dans les Origines du
théâtre de Lyon. Documents II et III, p. 46 et 47-
2. Ibidem. Document IV, p. 47-
3. f.a Muse historique. Lettre du 21 novembre i654-
iS« NOTICE BIOGRAPHIQUE
celle du prince. Plus de danger qu'on lui fît céder la place
à quelque Cormier. Galibert accuse d'erreur les biographes
de Molière qui croient à des représentations données par
lui pendant la session de I655^ La Notice de Despois sur
l'Étourdi reconnaît qu'elles sont fort possibles, mais demande
sur quelle preuve repose la certitude-. 11 ne nous semble pas
qu'il y ait lieu de douter. Dans le Ballet des Incompatibles"^,
avec plusieurs acteurs et actrices de la troupe de La Pierre*,
troupe composée surtout de musiciens et de danseurs, ont
figuré Molière et Joseph Béjart. Le livre de ce ballet, im-
primé en i655 à Montpellier, nous apprend, dans son titre,
qu'il a été dansé dans cette ville « en présence de Mgr le
prince et de Mme la princesse de Conti ». La plupart des
seigneurs qui y figuraient à côté des acteurs de profession
siégeaient aux états, remarque à peine nécessaire pour nous
donner l'assurance que ce divertissement est du temps de
la session. Ce fut sans doute un des plaisirs du carnaval.
Dans une des Entrées^, Molière eut à représenter un poète:
Béjart, un peintre; dans une autre ^, Béjart, un ivrogne;
puis, dans une autre encore'', Molière, une harengère,
choisie pour faire contraste avec l'Eloquence, que figurait
le baron de Ferrais. On supposait là que notre poète par-
lait ainsi :
Je fais d'aussi beaux vers que ceux que je récite,
Et souvent leur style m'excite
A donner à ma Muse un glorieux emploi.
Mon esprit de mes pas ne suit pas la cadence;
Loin d'être incompatible avec cette Éloquence,
Tout ce qui n'en a pas l'est toujours avec moi.
I. Histoire des pérégrinations de Molière dans te Languedoc, p. 58,
à la note.
a. Voyez notre tome I, p. 83.
3. Il a été donné dans notre tome I (à l'appendice), p. 525-535.
4. Elle appartenait au maréchal de Schomberg. — Voyez Mo-
lière inconnu d'Auguste BalufTe, p. 741 no ^t m; et M. de Mo-
dène... et Madeleine Béjart, p. 3oo et 3i-2.
5. Première partie, 6" entrée.
6. Seconde partie, a" entrée.
7. Seconde partie, 3* entrée.
SUR MOLIERE. i5g
Nous n'apprendrons à personne que Molière n'a pas eu à
prononcer cet éloge de son talent, et qu'il ne l'avait pas
lui-même composé. Les personnes qui paraissaient dans les
ballets y faisaient un rôle muet, pendant que les vers à
leur louange, rendus parfois plus piquants par un assaison-
nement de traits malins, étaient lus par les spectateurs dans
le livre qu'on leur avait distribuée On a pensé que les vers
de la Harengère pourraient bien être de Joseph Béjart. La
conjecture ne serait pas plus hasardée si on les supposait
de Madeleine. Mais de quelque encensoir que ces vers louan-
geurs soient sortis, de celui, si l'on veut, d'un camarade,
d'un ami, ils attestent que dès ce temps-là il y avait des
admirateurs de l'éloquence de Molière, que l'on connaissait
de lui de beaux vers. Serait-ce donc une preuve qu'il ne
faut pas retarder jusqu'en i655 la représentation de l'É-
tourdi? Elle ne nous semblerait pas décisive. Il n'est pas du
tout dit qu'avant l'Étourdi, et sans parler même de Lucrèce
traduit, on n'eût pas connaissance de quelques-uns de ses
essais poétiques. Une autre explication est possible. Dans
ce glorieux emploi, que le style, devenu familier à sa mémoire
de comédien, l'avait excite' à donner à sa Muse, n'y aurait-il
pas une allusion à quelque compliment en vers adressé par
lui soit à la princesse de Conti, soit au prince revenu dans
le Languedoc avec une moisson de lauriers? Il y eut certai-
nement à l'arrivée des altesses plus d'un hommage de ce
genre ; on en trouve même un exemple dans le Récit de la
Nuit, qui sert de prologue au ballet, et dont on n'a pas cru
invraisemblable que Molière pût être l'auteur.
Ce serait au temps de ces états de i655, à Montpellier,
que semblerait devoir être rapportée, si on la croyait digne
de foi, la proposition faite à Molière par le prince de Conti,
de l'introduire dans sa maison, ou, comme on disait alors,
dans sa domesticité, en qualité de secrétaire. Nous n'avons
là-dessus d'autre témoignage à citer que celui de Grimarest.
Le prince « ayant remarqué en peu de temps, dit-il, toutes les
bonnes qualités de Molière, son estime pour lui alla si loin
qu'il le voulut faire son secrétaire. Mais il aimoit l'indépen-
I. Voyez les Xotes his toriques sur la vie de Molière, p, 90 et 91.
i6o NOTICE BIOGRAPHIQUE
dance, et il étoit si rempli du désir de faire valoir le talent
qu'il se connoissoit, qu'il j)ria M. le prince de Conti de le
laisser continuer la comédie; et la place qu'il auroit rem-
plie fut donnée à Monsieur de Simonie n Comme il aime à
prêter des discours à Molière, il lui en fait tenir un très sage
à ses amis, qui blâmaient son refus. Quelque circonstancié
qu'il soit, le récit n'inspire pas une parfaite confiance. Il offre
quelques difficultés. Le seul moment où nous sachions que
la place de secrétaire ait été vacante dans la maison du
prince de Conti est le commencement de décembre i654,
lorsqu'il arrivait à Montpellier. Il eut alors la nouvelle,
venue de Pézenas, de la mort de Sarrasin, son secrétaire
des commandements. Il fit dès le soir même jouer la co-
médie chez lui, pour se consoler, et le lendemain il des-
tina la place à Guilleragues, en ce temps-là retiré à Bor-
deaux*. La promptitude du nouveau choix est également
attestée par Loret, qui annonce la mort de Sarrasin dans sa
lettre en vers du 19 décembre i65 j, et son remplacement
par Guilleragues dans la lettre suivante, datée du 26. Dans
tout cela, il n'est pas question de Molière, et le temps a
certainement manqué pour que le secrétariat lui ait été
offert, pour qu'il ait pu réfléchir à l'offre et faire agréer
son refus. Est-on absolument en droit cependant de traiter
de conte l'anecdote de Grimarest? On aura fait attention
que dans son récit, la place refusée par Molière fut donnée
non à Guilleragues, mais à ce M. de Simoni, qui ne nous
est pas connu, mais qui ne saurait être un personnage de
son invention. Guilleragues ne paraît pas être entré en fonc-
tion. « S'étant rais dans la tête, dit Cosnac^, que la qualité
de secrétaire n'était pas assez noble pour un Gascon*, je lui
fis donner des provisions ad honores avec quelques fonc-
tions sur les domestiques. « Il ne serait donc pas impos-
I. La Vie de M. de Molière, p. a3 et 24- — Dans le Parnasse fran-
çois (i^Sa), p. 3io, au lieu de Simoni, on lit Simon.
1. Mémoires de Daniel de Cosnac, tome I, p. 190 et 191.
3. Ibidem, p. aoa.
4. C'est assurément ainsi qu'il faut lire. Dans les Mémoires on
lit : « pour un garçon » .
SUR MOLIERE. iGi
sible que seulement .iprès l'arrivée de Guilleragues, invité
à venir de Bordeaux à Montpellier*. Conti, n'ayant trouvé
en lui qu'un secrétaire honoraire, eût pensé à Molière et,
sur son refus, à M. de Simoni. Le silence ici de Cosnac
sur Molière, qu'il estimait beaucoup, resterait étonnant.
Une autre supposition serait qu'il se fût agi d'une place
dans la domesticité du prince, différente de celle qu'avait
eue Sarrasin, d'une espèce de secrétariat inférieur à celui
des commandements. A l'entendre ainsi, on ne saurait plus
à quelle époque l'offre fut faite. Quoi qu'il en soit, Molière
avait trop de constance dans sa vocation, trop pleine con-
science d'un grand avenir, pour accepter un marché de
dupe, qui en eût été la ruine. Et puis comment se mettre
en esclavage chez un prince tellement fantasque et capri-
cieux qu'il n'y aurait même pas eu à compter sur la durée de
sa faveur?
Après la clôture des états, sinon avant, Molière et ses
camarades, libres de quitter Montpellier, allèrent de nou-
veau à Lyon. Leur présence y est attestée à la date du
29 avril par l'acte de mariage de FouUe Martin et d'Anne
Reynis, tous deux de la troupe du prince de Conti, et dont
les témoins furent Pierre Réveillon, Charles du Fresne,
René Berthelot, J.-B. Poquelin « de la même troupe », et
aussi Joseph Béjart^.
Quelques mois plus tard nous verrons que Molière était
encore à Lyon. Il put donc avoir tout le temps d'y préparer
et d'y donner la célèbre représentation que nous croyons
de cette année-là. Nous ne reviendrons pas sur plusieurs
raisons, déjà soumises à l'appréciation du lecteur, de la pla-
cer en i635 plutôt qu'en i6j3.
Si ce fut bien en iG55 que Lyon vit naître l'Étourdi, on
ne saurait songer aux {"jremiers temps de l'arrivée de la
troupe. Il eût fallu pour cela que la pièce fût non seulement
achevée, mais prête à jouer, avant que l'on quittât Mont-
I. Nous savons qu'il y ëlail lorsque fut donné le ballet des In-
compatibles.
1. Le fac-similé de cet acte a été donné dans les Origines du
thédlre de Lyon, Docu.me>t V, p. 48.
Molière, x iï
lirz NOTICE BIOGRAPHIQUE
pellier; et alors c'était là, devant le protecteur, que le de-
voir aurait été de la représenter.
Comme, la première fois que nous l'avons nommée, nous
penchions à en reculer la date jusqu'à ce moment-ci, nous
avons attendu d'y être arrivé pour dire en quelques mots
quel événement littéraire ce fut, même à supposer qu'il
n'ait pas été alors estimé à tout son prix, ce que l'on nous
a laissé ignorer.
On peut le dire, sans craindre d'exagérer, l'Étourdi, par
quelques-unes de ses beautés, promettait à la France lo
poète comique excellent que lui ont donné les pièces sui-
vantes de Molière. Il est vrai que la peinture des mœurs et
des caractères, cette grande gloire de son génie, n'était pas
encore ce qu'il s'était proposé dans son premier ouvrage.
D'après les modèles italiens, il avait fait une comédie d'in-
trigue, où, comme eux, il cherchait surtout un prétexte à
des situations plaisantes, et montrait des masques de théâtre
plutôt que des hommes. Mais son originalité éclate déjà
dans le mouvement animé des scènes, dans l'inépuisable
verve de gaieté, surtout dans un style dont la couleur et le
relief sont admirables. On ne comprend pas que Voltaire ait
reproché à ce style la faiblesse, et y ait vu « beaucoup de
fautes de français ». Tout contraire était le sentiment de
Victor Hugo, si bon juge de la langue des vers ; on regrette
seulement qu'il soit allé trop loin, le jour oîi on l'a entendu
déclarer cette première comédie la mieux écrite de toutes
celles de son auteur*. Il faut bien du moins, pour l'avoir à
ce point charmé, que l'œuvre soit éblouissante.
La Harpe, contre sa coutume, n'a pas juré cette fois sur
la parole de Voltaire. Quelque froides que soient ses louanges,
il reconnaît pourtant que, dans l'Etourdi, Molière a sur ses
contemporains un grand avantage par « un dialogue plus
naturel et plus raisonnable et un style de meilleur goût « ;
et il constate que « ce mérite et la gaieté du rôle de Masca-
l'ille ont soutenu cette pièce au théâtre' ». Elle s'y soutient
pour le moins autant de nos jours, et le rôle de Masca-
1. Voyez notie tome 1, p. loi, à la noie.
2. Cours de littérature, livre I, chapitre vi, section ii.
SUR MOLIERE. i63
rille, si pétillant d'esprit, n'a pas cessé d'y avoir le même
succès.
Parmi les personnages que les acteurs italiens représen-
taient, ils avaient coutume d'en adopter un comme favori et
d'en prendre le nom. C'est ainsi que Molière paraît avoir
dans les premiers temps adopté Mascarillc . et l'on put
croire un moment que ce nom lui resterait. Pour n'avoir
pas de peine à s'en débarbouiller, nous le trouverons bien-
tôt assez grand.
M. Nisard a parfaitement parlé du vers ferme, facile, naïf,
de Molière dans ses premières comédies, et a fait remarquer
comme elles sont écrites dans le génie de notre langue;
mais il a été pour elles au delà de l'admiration de leur
style * ; Après avoir dit que tout en étant dans le même
genre que le Menteur de Corneille, elles « sont plus près
de la comédie de caractère, » il ajoute : « L'aimable créa-
tion de V Étourdi, par exemple, bien qu'elle ne soit pas de
force à porter tout le développement d'une comédie, est
plus vraie que celle du Menteur. » Il la nomme parmi les
premiers ouvrages qui, son auteur en fùt-il resté là, auraient
suffi pour qu'il fût un des plus grands noms de notre scène.
« Il y a, dit-il, un écrivain de génie dans l' Étourdi, le Dépit
amoureux, les Pre'cieuses ridiculey, Sganarelle ; il v a une
comédie parfaite en son genre. » L'excellent critique nous
mène un peu plus loin que V Étourdi, mais il ne l'excepte
pas, le jugeant digne de ce qui va suivre dans la première
manière, à peu près la même du moins, quoique progres-
sivement modifiée. Personne ne lui contestera que l'œuvr-e
de début n'ait fait entrer notre poète dans la carrière avec
la supériorité évidente de ses forces.
Du séjour assez long que Molière fit à Lyon en iG55,
nous avons un témoin : il n'est autre que ce Dassoucy que
nous avons vu en i6!)i faisant la rencontre de la troupe à
Carcassonne, Dans sgs Aventures^, où il a négligé de men-
1. Histoire de la littérature française (ii" édition, i883|, tome III,
p. 87 et 89.
2. Les Aiantiires de Monsieur d^Jssoucr, Paris, chez Cl. Audinet,
1677, 2 vol. in-i3. — Nos cilatious sont tirées de cette édition.
i64 NOTICE BIOGRAPHIQUE
tionner ses précédents voyages dans le Midi , le plaisant
conteur nous a laissé des détails sur l'heureuse occasion
qu'il eut de prendre du bon temps avec les comédiens du
prince de Conti. A quelle époque? Il n'a pas tourmenté sa
mémoire pour y retrouver l'année. « Je ne sais, dit-il, si ce
fut l'an mil six cent cinquante-quatre ou cinquante-cinq que
le grand désir que j'avois de retourner à Turin, auprès de
leurs Altesses Royales, me fit sortir de Paris^ » Nous
pouvons venir au secours de ses souvenirs, et mieux que lui
nous savons que ce fut en i65j : car, après qu'il eut tra-
versé la France, pour se i^endre en Italie, toujours avec ses
trop fameux pages de musique, la fin de cette même année
le vit suivre Molière aux états de Pézenas, dont nous aurons
tout à l'heure à dire la date. S'étant sans doute mis en route
au printemps, son récit nous le montre voyageant avec une
extrême lenteur, et ce fut seulement au commencement de
juillet qu'il dut atteindre Lyon. Il nous dit en effet que
a parmi les jeux, la comédie et les festins », il y demeura
trois mois*, au bout desquels il s'embarqua sur le Rhône en
compagnie de Molière, pour aller à Avignon : tout nous
paraît indiquer que ce dernier voyage se fit vers le mois
d'octobre. Puisqu'il avait alors passé trois mois à Lyon,
Molière qui, depuis le 29 avril, et sans doute un peu plus
tôt, y était déjà, y fit un séjour d'au moins six mois.
Dassoucy trouva « très honnête » le peuple lyonnais, le
beau monde de la ville très accueillant et caressant pour ce
qu'il appelait ses deux Muses, celle du poète et celle du
musicien. « Mais ce qui m'y charma le plus, dit-il ^, ce fut la
rencontre de Molière et de Messieurs les Béjares. Comme
la comédie a des charmes, je ne pus sitôt quitter ces char-
mants amis. » Pour un homme beaucoup plus éloigné d'être
un sot qu'un fou, c'était bien le moment de nous parler de
la nouvelle comédie de Molière, qui nous semblerait avoir
dû être à Lyon le grand événement de cette année. Il n'en
dit pas le traître mot. De sa bizarre omission l'on a tiré
I. Les Avantures, tome I, chapitre i, p. 1 et 3.
5. Ibidem^ chapitre ix, p. 296 et 297.
3. Ibidem, p. 296.
SUR MOLIERE. i65
un argument contre la représentation de l'Etourdi en iG55.
Mais quand on la daterait de i653, comment la pièce n'aurait-
elle pas été reprise pendant le long séjour de i6îïj? La
difficulté resterait donc à peu près la même. Nous penchons
à croire que si l'on faisait déjà grand cas de l'esprit de Mo-
lière, la première révélation de son rare génie ne frappa
point autant qu'elle aurait dû. Au reste, il ne faut peut-être
pas s'étonner plus que de raison qu'un homme du caractère
de Dassoucy, si amusé qu'il ait pu être par les drôleries de
Mascarille, se soit attaché de préférence au souvenir de l'ex-
cellente cuisine et des bons vins de la troupe. D'autres dis-
tractions encore, aussi peu littéraires, furent ses grandes
affaires à Lyon : sa musique à faire entendre, le jeu, dont
il avait la fureur là comme partout, les querelles de ses mi-
sérables pages. Quant aux chefs-d'œuvre poétiques, le seul
dont il ait alors aimé à constater le succès, fut son Ovide en
belle humeur, dont il prétend avoir trouvé des copies dans
tous les couvents des « Religieuses chantantes ». Quelque
maudit témoin qu'il soit, il faut bien, puisqu'il s'est atta-
ché aux pas de Molière, que nous le suivions pour guide au
delà de Lyon.
En quittant cette ville, la troupe se rendit à Avignon.
Alors Dassoucy, nous l'avons dit, s'embarqua sur le Rhône
avec elle, saisissant l'occasion de voyager aux frais d'une si
obligeante société. Cela venait fort à propos, les cartes
ayant, comme d'ordinaire, allégé sa bourse. Dans Avignon
il ne manqua pas de se faire encore dépouiller de quelques
pistoles. Il fut tiré de peine par les comédiens , ce qui prouve
et leur charité et l'état florissant de leur caisse, « Comme un
homme, dit-il, n'est jamais pauvre tant qu'il a des amis,
ayant Molière pour estimateur et toute la maison des Réjards
pour amie, en dépit du diable..., je me vis plus riche et
plus content que jamais^. »
Molière était-il vraiment si estimateur de Dassoucy ? Fai-
sons la part de la vanterie. Nous ne serions cependant pas
étonné qu'il n'ait jamais été aussi sévère que Boileau pour
l'empereur du burlesque, cet original dont l'esprit jetait bien
I. Les jivantures, tome I, chapitre ix, p. 3i4 et 3i5.
i6G NOTICE BIOGRAPHIQUE
des étincelles comiques. Le législateur du Parnasse, dans la
rigidité de son goût, a fait à un genre trivial dont l'extrême
vogue le révoltait, une guerre très utile à son heure; et
si, dans le célèbre passage de son Art poétique, où il a
flagellé « le burlesque effronté », il a, pour cause, effacé le
nom de Scarron, il n'a pas eu les mêmes raisons d'épargner
Dassoucy, qui, depuis, est resté marqué du vers si mépri-
sant :
Et, jusqu'à Dassoucy, tout trouva des lecteurs*.
Faut-il, comme on n'a cessé de le faire, passer condamna-
tion sans quelque réserve? Dassoucy avait une verve très
plaisante, quelque mauvais usage qu'il en ait fait. Ceux qui
ont lu ses Aventures savent qu'il y conte très joliment, qu'il
y sème de fort bons traits. Molière probablement ne dé-
daignait pas tout dans les bouffonneries, parfois singu-
lièrement salées, de ses entretiens, et, quand il l'héber-
geait et lui ouvrait sa bourse, il était d'avis que le spirituel
parasite l'avait bien gagné. Il est à croire que, de vieille
date, il le connaissait plus ou moins. En effet, Dassoucy
nous apprend que Chapelle avait recherché sa société,
n'étant encore qu'un écolier*, probablement chez Gassendi.
Lié dès lors avec Chapelle, il dut plus d'une fois rencon-
trer Molière dans le même temps.
On reprochait malheureusement à Dassoucy une autre
bassesse que celle du burlesque. Les accusations flétrissantes
portées contre lui ne sont que trop connues, ne serait-ce que
par le voyage de Chapelle. Dassoucy, qui a toujours eu la
réplique même contre Boileau, a répondu à Chapelle de
façon à montrer que dans un duel d'esprit il ne se laissait
pas facilement vaincre, mais non qu'il lui était aussi aisé de
se justifier. Avant même l'éclat de Montpellier, postérieur,
mais de peu de temps, à la rencontre avec Molière en i655,
nous ne pensons pas qu'il fût à l'abri des mauvais soupçons.
1. Chant I, vers 90. Longtemj>s après, dans l'édition de] 1713,
Boileau, ne jugeant pas le trait assez acéré, l'a appuyé de cette
note : « Pitoyable auteur qui a composé VOvide en belle humeur. »
2. Les Avantures, tome II, p. 2G1 et 263.
SUR MOLIERE. ,67
On a donc regretté que Molière ait en province souffert sa
compagnie, lui ait même fait si bon accueil. Il ne faut pas se
dissimuler que dans la vie de comédien, surtout de comédien
ambulant , il était difficile d'être délicat sur les hantises et
accointances. Plus tard, Molière s'est beaucoup refroidi
pour Dassoucy, peut-être parce qu'il avait appris à le mieux
connaître. Dassoucy lui a reproché son inconstance, qu'il a
attribuée à l'égoïste orgueil d'un homme enflé par ses suc-
cès et devenu opulent :
J'ai toujours été serviteur
De l'incomparable Molière
Et son plus grand admirateur.
Pour moi, je l'aime et le révère,
Oui sans doute et de tout mon cœur.
Il est vrai qu'il ne m'aime guère.
Que voulez- vous? c'est un malheur :
L'abondance fuit la misère,
Et le petit et pauvre hère
Ne quadre point à gros seigneur*.
Ce que l'on sait du caractère de Molière dément l'explica-
tion, que, probablement sans y croire lui-même, Dassoucy
donne du manque d'amitié dont il se plaint. Il ne désespéra
jamais de retrouver prête à des complaisances pour lui une
bonté dont il n'avait pu perdre la mémoire, et sur laquelle
il comptait encore lorsqu'il sollicita de ce « gros seigneur «
l'honneur d'écrire la musique d'une de ses dernières pièces*.
1. Rîmes redoublées, p. 118 et 119. — Nous citons ces vers
d'après une édition de Cl. Nego (sans date). Ils ne sont pas dans
tous les exemplaires. Nous les avons trouvés dans un de ceux
que possède la Bibliothèque nationale. Les Rimes redoublées y ont
été reliées dans le même volume que les Pensées de Monsieur Das-
soucy (1676) et à la suite de ces Pensées.
2. Il ne la nomme pas. On pense naturellement aux intermèdes
du Malade imaginaire ou de la Comtesse d'Escarbagnas, lorsqu'on
eu prépara la représentation pour le Palais-Royal. Mais la lettre
de Dassoucy parle des beaux vers de la pièce qu'il dit être « une
pièce de machines », Peut-être, depuis que Molière avait perdu
i68 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Ayant appris, après avoir reçu la promesse, dit-il, d'en
être chargé, qu'il était question de s'adresser à un autre,
é\idemment à Charpentier, il écrivit à Molière ne pouvoir
croire à un manque de parole qui ferait « éclater à la vue
de tout le monde une aversion » très injuste chez un homme
qui n'avait point « de plus grand estimateur ni de meilleur
ami que lui* ».
Après avoir transcrit cette lettre, il la fait suivre d'une
note qui exprime la confiance que Molière a fait tout ce qu'il
a pu pour tenir sa promesse et attribue tout le mal à des
comédiennes qu'il n'avait pas voulu encenser. Pas plus que
l'antique musicien Orphée, l'homme aux pages n'avait déci-
dément les femmes pour lui. L'impression lui resta qu'il
n'avait pas eu l'amitié de Molière. Car, après sa mort, écri-
vant à sa louange l'Ombre de Molière et son e'pitaphe, il ter-
mine son opuscule* par des compliments qu'il feint lui être
adressés sur son généreux oubli de l'ingratitude, et qui
commencent ainsi :
A Monsieur cï Assoucy.
Sur l'ombre du deffunt Molière
Que d'Assoucy toujours aima.
Et que l'aimé fort estima,
3Iais que pourtant il n'aima guère.
Nous croyons bien que Molière avait fini par ne pas faire
grand cas d'un homme si décrié. Comme musicien il ne le
dédaignait sans doute pas, et ne devait pas croire sans valeur
celui à qui Corneille avait confié la musique de son Andro-
mède, et dont il avait loué les airs, qu'Apollon « ne peut ouïr
sans envie ^ » . Ce qui est un peu plus compromettant pour Cor-
neille, dans ce même temps où il employait et célébrait son
talent de musicien, il lui adressait un sonnet, dans lequel il
le louait d'avoir paré d'attraits nouveaux le poète des Méta-
Lulli (c'est l'expression de Dassoucy), savait-on qu'il avait des-
sein de faire composer une musique nouvelle pour Psyché.
1. Cette lettre est aux pages iai-i25 des Rimes redoublées.
2. Publié en 1673.
3. OEuvres complètes de P . Corneille, tome X, p. iSî.
SUR MOLIERE. 169
murphoses^. Si Boileau a lu ce sonnet clans l'impression de
iG5o de VOvide en belle humeur, il aura certainement frémi.
Il n'était pas à l'abri de ces contrariétés avec nos grands
poètes; il savait que Racine s'amusait quelquefois à la lec-
ture du Virgile travesti de Scarron ; mais il fallait se cacher
du sévère ami ^. Molière ne pouvait compter sur plus d'appro-
bation de ce côté lorsqu'il gardait quelque ménagement avec
Dassoucy ; et Boileau dut être, on peut le soupçonner, de ceux
qui ne l'encouragèrent pas à choisir pour son musicien l'au-
teur burlesque qui lui inspirait une particulière antipathie.
Tandis que Dassoucy nous a fait nous attarder à cette
digression, afin de nous expliquer sur ses relations avec
Molière, nous avons laissé celui-ci dans Avignon. Le récit
du témoin de son voyage fait supposer que notre troupe
demeura quelque temps dans cette ville, et par conséquent
y donna des représentations. Là, elle reçut l'ordre de se
rendre aux états, convoqués par le prince de Conti pour la
session qui s'ouvrit le 4 novembre 16 jj à Pézenas. Le prince
et la princesse logeaient dans l'hôtel d'Alfonce, grand prévôt
de Guienne. Les appartements y étaient assez vastes pour que
l'on y jouât la comédie. Un des procès-verbaux des archives de
Pézenas, daté du ', novembre, nous en fournit la preuve dans
une note assez piquante, qui nous montre les députés forcés
par l'hospitalité donnée à la comédie de faire le pied de
grue dans le vestibule : « Les évêques de Béziers, d'Uzès et
de Saint-Pons, en rochet et camail; les barons de Castries,
de Villeneuve et de Lanta, députés par les états pour com-
plimenter S. A. R. le prince de Conti, se rendirent en l'hôtel
de M. d'xVlfonce, où logeoit ledit seigneur. Le prince de
Conti les reçut à la porte du vestibule qui regarde la cour,
et, après les avoir fait entrer, leur dit qu'il étoit forcé de
les recevoir en cet endroit, parce que sa chambre étoit en
un extrême désordre à cause de la comédie; sur ce, les com-
pliments furent faits^. m Ce sont probablement Messieurs
I. Œuvres complètes de P. Corneille, tome X, p. 11,^.
:>.. Voyez au tome I des OEuvres de Racine, p. 338.
3. Histoire des pérégrinations de Molière dans le Languedoc , p. 69
et 60. — Cette pièce a été publiée plus complète, en 1887, par
170 NOTICE BIOGRAPHIQUE
(les états qui ont fait enregistrer, dans toutes ses circon-
stances, cette réception cavalière, peu propre à les rendre
bienveillants pour les comédiens, si en faveur à l'hôtel d'Al-
fonce. On n'avait cependant que patience à prendre. Il paraît
bien que le temps de cette session de Pézenas fut celui où
lèvent se mit à tourner contre le théâtre. L'austère évêque
d'Aleth, Nicolas Pavillon, venu aux états, rendit visite au
prince, qu'il trouva malade et dans une favorable disposi-
tion pour écouter de pieuses exhortations à se repentir de
ses égarements*. A ce moment, où l'alarme fut jetée dans la
conscience du pécheur, il y eut certainement de sévères
paroles sur les dangers d'un goût si vif pour la comédie. Le
temps d'une rupture éclatante avec ce profane divertissement
n'était cependant pas encore venu. Mais il est vraisemblable
que Molière trouva dès lors du refroidissement. Aussi
n'est-ce pas à ce moment que nous croirions le voir à l'apo-
gée de sa faveur auprès de Conti. Il y avait été plutôt pen-
dant la session précédente, celle de Montpellier; et c'est
du commencement de i655 que nous daterions ces jours
de grande familiarité du prince avec le comédien, dont le sou-
venir a été recueilli dans un livre écrit avec une tout autre
intention que celle de glorifier le théâtre.
Ce livre est la Défense du traite' de Monseigneur le prince
de Conti touchant la comédie et les spectacles ^. Il est de
l'abbé de Voisin, aumônier du prince, « son domestique, dit
le P. Rapin^, dans le temps où Molière étoit son pension-
naire ». On y lit ce passage* : « Monseigneur le prince de
Conti avoit eu en sa jeunesse tant de passion pour la comé-
die, qu'il entretint longtemps à sa suite une troupe de comé-
diens, afin de goûter avec plus de douceur le plaisir de ce
M. L. de la Fijardière (Molière. Son séjour à Montpellier), p. 12.
Nous l'avons su trop tard ; mais ici l'on a l'essentiel.
1. Port-Royal, tome V, p. 27 et 28.
2. I vol in-4°, Paris, Louis Billaine, 1671. — Notre attention
a été appelée sur ce livre, que nous avons déjà cité à la page 26,
par M. A. Huyot dans le Moliériste de juin 1886, p. 65-72.
3. Mémoires, tome II, p. 196.
4. Défense du traité..., p. 419-
SUR MOLIERE. 171
divertissement ; et ne se contentant pas de voir les repré-
sentations du théâtre, il conféroit souvent avec le chef de
leur troupe, qui est le plus habile comédien de France, de
ce que leur art a de plus excellent et de plus charmant. Et
lisant souvent avec lui les plus beaux endroits et les plus
délicats des comédies tant anciennes que modernes, il pre-
noit plaisir à les lui faire exprimer naïvement; de sorte
qu'il y avoit peu de personnes qui pussent mieux juger d'une
pièce de théâtre que ce prince, «
Ce témoignage, qui n'est pas suspect de partialité pour un
comédien si peu ménagé dans le Traité^ dont l'abbé écrivait
la défense, nous montre quelle place Molière s'était déjà faite
par la distinction de son esprit, et comme il savait donner
des preuves d'une sérieuse étude des meilleurs modèles de
son art, étude bien difficile cependant dans ces années si
remplies par les occupations de son métier. Nous appre-
nons aussi là quelle fut un moment l'intimité de ses rela-
tions avec le prince spirituel et lettré, qui n'y cherchait pas
seulement un amusement frivole.
Une faveur dans laquelle la plus juste estime semblait avoir
solidement établi notre poète, ne pouvait se perdre en un
jour. Nous croyons que les remords éveillés par l'évêque
d'Aleth mirent quelque temps à faire leur œuvre. Il est clair
par le récit de Dassoucy que, durant la session de Pézenas,
la troupe ne s'éloigna pas. Le prince de Conti n'en était pas
encore à se priver de la comédie et à en priver les états. Le
parasite de la troupe parle de « tout un hiver » pendant
lequel il fut régalé par elle. Si les comédiens ne se lassèrent
pas, comme il dit, de le voir à leur table, il s'en lassa lui-
même moins encore.
En cette douce compagnie
Que je repaissois d'harmonie,
, Au milieu de sept ou huit plats,
Exempt de soin et d'embarras,
Je passois doucement la vie. *
Jamais plus gueux ne fut plus gras;
I. Voyez, à la suite de ce Traité, V Avertissement qui précède
les Sentiments des Pères de l'Église^ p, 24.
172 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Et quoi qu'on chante, et quoi qu'on die
De CCS beaux messieurs des états,
Qui tous les jours ont six ducats,
La Musique et la Comédie,
A cette table bien garnie.
Parmi les plus friands muscats,
C'est moi qui souffloit la rôtie
Et qui beuvoit plus d'jpocras'.
Il trouvait de tels amphitryons bien dignes de représen-
ter réellement dans le monde les personnages des princes
qu'ils représentaient tous les jours sur le théâtre. Et vrai-
ment, pour donner de tels festins, il fallait que, sans être
de grands princes, ils fissent assez bien leurs affaires.
Dassoucy se vante d'avoir reçu des présents considéra-
bles « du prince de Conti, du généreux Monsieur de Guille-
ragues et de plusieurs personnes de cette cour ». Ce fut
surtout sans doute à la recommandation de Molière, peut-être
aussi comme musicien et comme joyeux esprit; ce qui pour-
rait confirmer la conjecture que dans l'esprit de Conti le re-
noncement aux amusements était encore en balance, et qu'il
y avait lutte entre l'influence de l'évêque rigoriste et celle
des bons vivants dont le prince était entouré. « Six bons
mois » passés « dans cette cocagne », tel est le compte de
Dassoucy, resté un peu au-dessous de la vérité; car il veut
évidemment y faire entrer les mois de séjour à Lyon, puis à
Avignon. Il nous fait savoir dans quelle ville Molière alla,
lorsqu'il quitta Pézenas. Il raconte qu'il le suivit jusqu'à
Narbonne, 011 lui-même, pour son malheur, ne resta pas,
ayant voulu se rendre à Montpellier, qui lui réservait la
déplorable aventure si malicieusement tympanisée dans le
Voyage de Chapelle.
Avant de trouver la troupe de Molière à Narbonne, comme
Dassoucy vient de nous l'annoncer, quelques mots restent
encore à dire de son séjour à Pézenas pendant la session
des états.
Les députés, qui prenaient très volontiers le divertisse-
I. Les Avanturts de Monsieur d'Assoucy^ chapitre ix , p. 3i6
et 317.
SUR MOLIERE. i-3
ment de la comédie, étaient moins empressés d'en faire les
frais. Ils durent cependant s'exécuter, sous la pression vrai-
semblablement du prince de Conti. Voici le reçu dont l'ori-
ginal, écrit tout entier de la main de Molière', est conservé
aux archives du département de l'Hérault :
« J'ay receu de Monsieur le Secq thrésorier de la bource
des Estats du languedoc la somme de six mille livres a nous
accordez par Messieurs du Bureau des comptes de laquelle
somme je le quitte. Faict à Pézenas ce vingt-quatriesme jour
de feburier i656.
« Molière.
« Quittance de six mille livres. »
Il est à peine de notre sujet de dire qu'à la même date
Joseph Béjart reçut des états quinze cents livres pour son
Recueil des titres, qualités, blasons et armes des seigneurs barons
des Etats généraux de la province du Languedoc. Ces Béjart
entendaient tous les affaires. Ce ne fut pas alors comme
comédien que celui-ci parvint à se faire ouvrir la bourse
des états; mais il est probable qu'il fut beaucoup aidé par
la bienveillance de Conti pour tout ce qui tenait à sa troupe.
Lorsque Dassoucy nous dit que Messieurs des états avaient
tous les jours la comédie^, c'est peut-être une façon de par-
ler. Et puis, il n'y avait pas là qu'une seule troupe de comé-
diens. Les nôtres, pendant un si long séjour, ne purent
manquer d'avoir des intervalles de liberté. Ils en profitaient
pour des excursions dans les villes voisines. Le souvenir en
a été conservé par une tradition, qui ne saurait nous trou-
ver entièrement incrédules ; mais elle est venue jusqu'à
nous toute chargée d'anecdotes très suspectes par leur air
de légendes : n'oublions pas que dans ce Languedoc nous
sommes au pays des bons contes. Quelque amusants que
soient ceux-ci, il suffit dans une biographie sérieuse de les
indiquer très sommairement, et de renvoyer, pour le détail,
à des ouvrages sur la vie de Molière qui sont dans toutes les
mains. On y trouvera le Déjeuner de Mèze, dont Molière, en
1. 31, de la Pijardière, archiviste de ce département, en a pu-
blié en 1873 le fac-similé.
2. Voyez ci-dessus, p. 172.
i;', NOTICE BIOGRAPHIQUE
le contant à Pézenas, faisait une scène réjouissante, l'histo-
riette de la Fontaine de Gignac avec son inscription traduite
par lui en un distique peu flatteur ])Our les habitants, celle de
la Valise perdue près de Montagnac, les amours de Molière
et de la châtelaine de Lavagnac. Ces récits du Languedoc
ont été recueillis par M. Galibert* de la bouche du Lan-
guedocien Cailhava*, qui se proposait de les publier; un
souvenir moins piquant, mais qui aurait droit à plus de
confiance, est celui d'un voyage à Marseillan. On a trouve,
dit-on', dans les archives de cette petite ville, la mention
d'une imposition mise sur elle pour indemniser Molière,
qui y avait donné des représentations. On parle aussi de la
quittance d'un voiturier qui avait reçu trente livres pour
avoir conduit nos comédiens à ce même Marseillan et les
avoir ramenés à Pézenas. Ces deux villes toutefois étant assez
éloignées, il se peut que le petit voyage soit plutôt du temps
du séjour à Béziers en i656.
Ce qui, dans tout cela, nous semble le plus intéressant,
c'est que, une juste part étant faite aux fables qu'est ve-
nue y mêler l'imagination populaire, la mémoire du passage
de Molière est restée dans tout ce pays, et non seulement
celle de ses excursions dans les environs de Pézenas, mais
de son séjour à Pézenas même. La boutique de son perru-
quier-barbier Gély est demeurée célèbre. Dans ce qui en
a été l'aconté, il peut bien y avoir quelques broderies, mais
tout ne paraît pas inventé. Le fauteuil où Molière se tenait
assis dans la boutique, pendant que les gens du pays y ve-
naient jaser en se faisant accommoder, est un témoin que son
ancienneté recommande ; on dit avoir de bonnes preuves
qu'il n'a jamais été perdu de vue^. On pensera d'ailleurs
1 . Voyez VHisto'tre des vérégr'inatioits de Molière dans le Langue-
doc, p. 61-93.
2. Ibidem, p. 81. — M. Taschereau a raconté aussi une partie
des mêmes anecdotes, p. 17 et 18, d'après des notes manuscrites
de M. Astruc, officier de santé à Pézenas.
3. Voyez une lettre de Poitevin (de Saint-Cristol) à Cailhava,
dans les Etudes sur Molière, p. SoS-Soy.
4. 11 est à Paris depuis 1873.
SUR MOLIERE. 1^5
ce qu'on voudra de la petite comédie, pleine de péripéties,
que Molière aurait improvisée chez Gély, lorsqu'il fit à une
jeune tille du pays une fausse lecture de la lettre d'un soldat,
son amoureux*. Il restera toujours quelque chose de très
vraisemblable dans la tradition sur le choix que Molière
avait fait, dit-on, de ce fauteuil, comme d'un très commode
poste d'observation pour prendre des notes sur les naïfs
propos, qui ne tarissaient pas dans la boutique, et recueillir
les traits de caractère, les saillies originales d'un j)euple
expansif dont on sait la singulière vivacité.
On peut être sûr que dans le Languedoc, comme partout
où il a passé, 1' « habile picoreur* » a fait sa moisson. En
signaler des preuves dans ses pièces ne nous semble cepen-
dant pas facile.
La récolte rapportée de la boutique de Gélv serait dis-
tincte des imitations qu'on a cru reconnaître chez lui du
théâtre de Béziers. Pour établir le fait de ces imitations,
quelques rapprochements ont été faits ^, qui sont au moins
assez spécieux pour que l'on hésite à les traiter d'illusions
du patriotisme méridional. Quoi qu'on en pense, personne
n'admettra que Molière ait si longtemps demeuré dans ce
pays sans avoir pris plaisir à le bien connaître. Il a dû en
étudier les mœurs; il a certainement aimé à se familiariser
avec la langue expressive de son peuple. Nous le savons
par la scène de Monsieur de Pourceaugnac'* dans laquelle
Lucette, « feinte Gasconne » ou, plus exactement, sui-
vant la correction de l'édition de 1682, « feinte Languedo-
cienne », parle le dialecte de Pézcnas. Bien que dans ce
rôle Molière n'ait voulu nous donner qu'un Languedoc
simulé, il y a mis beaucoup du caractère du pays, et c^uant
au langage, il l'a reproduit avec une vérité suffisante, pour
montrer qu'après treize ans il en avait gardé la mémoire.
1. Cette anecdote, tout au moius ingénieuse, de la Lettre im-
provisée, est racontée dans VHistoire des pérégrinations de Molière
dans le Languedoc, p. 89-92.
2. C'est l'expression du Ménagiana, tome II, p. 25.
3. Par M. Auguste Baluffe.
4- La scène vu de l'acte II,
176 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Nous noublions pas que dans la même comédie on trouve
des baragouins flamand, picard, suisse; mais ils paraissent
supposer bien moins une véritable connaissance des langages
imités. Monsieur de Pourceaugnac et la Comtesse d' Escarba-
gnas sont les pièces de Molière où sont le plus visibles les
traces des souvenirs rapportés de la province. On croi-
rait volontiers qu'elles ont été faites d'après d'anciennes es-
quisses, sinon d'après de simples notes, longtemps oubliées
dans son portefeuille, ou, comme on disait alors, dans son ca-
binet, pour en être tirées, l'une en 1669, l'autre en 167 1. La
Comtesse cC Escarbagnas est regardée comme une preuve d'un
ou de plusieurs séjours à Angoulème, qui même, sans cette
comédie, auraient été vraisemblables, mais dont les dates
sont incertaines. Pourceaugnac, avec plus d'apparence en-
core, indique un passage de la troupe à Limoges, oh. l'on a
recueilli cette tradition, plus ou moins digne de confiance,
qu'elle avait été sifflée* : ce serait l'explication du ridi-
cule jeté sur les Limousins. Le Languedoc, où nous a laissé
notre récit , ne semblait pas devoir nous amener à Li-
moges et à Angoulème. Mais nous n'avions pas su, en
l'absence de documents, où placer ces villes, que Molière
connaissait bien, comme il l'a prouvé dans deux de ses co-
médies ; et nous ne croyons pas qu'on en trouve la mention
hors de propos au moment où nous cherchons jusqu'à quel
point notre auteur s'est souvenu, pour en tirer parti, de ce
qu'il avait observé dans les mœurs provinciales. Pourceau-
gnac, d'ailleurs, avec le rôle de Lucette, ne nous a pas éloi-
gné du Languedoc, que l'on a cru retrouver aussi dans les
médecins de la même pièce. Ce dernier point toutefois n'est
pas certain : on peut se tromper en cherchant dans l'an-
cienne faculté de Montpellier des modèles qui ont pu tout
aussi bien s'offrir ailleurs.
Lorsque Molière quitta Pézenas, il se rendit à Narbonne,
où Dassoucy nous a appris qu'il s'était séparé de lui. Son
témoignage est confirmé par une délibération du conseil
de cette ville, en date du 26 février i656. En voici le
texte : « Sur ce que M. le premier consul a représenté que
I. Voyez Molicre, sa vie et ses œuvres, par Jules Claretie, p. 48.
SUR MOLIERE. 177
les comédiens de S. A. de Conty, sortant de Pézenas de
jouer pendant la tenue des états, et s'en allant à Bourdeaus
pour attendre Son Altesse, où Elle doit aller à son retour
de Paris, désireroient de passer quinze jours dans cette
ville pour la satisfaction publique ; et, comme il n'y a point
d'autre lieu à représenter que la grand'salle de la maison
consulaire, ils la demandent, et avec eux toutes les hon-
nêtes gens de la ville : à rassemblée d'y délibérer.
« Sur quoi M''^ les consuls ayant conféré, ont été d'avis
de remercier lesdits comédiens et leur donner la salle*. »
La troupe venait d'arriver ; car la quittance de six mille
livres signée par Molière à Pézenas est datée du 24 février'.
Le séjour à ?y'arbonne, qui devait être seulement de quinze
jours, se serait prolongé fort au delà, si la continuation de
la présence des comédiens était absolument prouvée par un
accord passé le 3 mai i656, devant le juge royal de Nar-
bonne, entre Melchior Dufort et Joseph Cassaignes, d'une
part, Molière et Madeleine Béjart, d'autre part^. Cet accord
a piqué la curiosité. Malheureusement il ne nous semble pas
qu'il sorte une clarté parfaite des discussions auxquelles il a
donné lieu. On nous dit qu'après la session des états, le prince
de Conti avait fait remettre à Molière une assignation de cinq
mille livres sur le fonds des étapes de la province*. Molière
dans le même temps avait reçu six mille livres des états ,
leur dette étant ainsi payée, pourquoi donc encore les cinq
mille livres? Etait-ce la dette personnelle du prince, peut-
être la pension dont il avait pris rengagement en i653? Et
faut-il croire que, ne pouvant ou ne voulant trouver la somme
dans sa bourse, il lui aurait été commode de donner un pa-
pier que l'on se serait trouvé dans la nécessité de négocier?
La supposition qu il était le débiteur a été faite, sans que
1 on voulût d'ailleurs admettre que le bon pour cinq mille
livres, qui n'engageait que la signature de Conti, ait été qua-
1. Voyez le Moliériste d'avril 1881, p. 23 et 23.
2. Voyez ci-dessus, p. 173.
3. Voyez V Histoire des pérégrinations de Molière dans le Langue-
doc, p. io5 et 106.
4. Ibidem, p. io3.
Molière 1 3
1^8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
lifié avec raison d'assignation sur le fonds des étapes'. Pour
permettre de se prononcer, il faudrait que l'on eût produit le
texte de l'accord du 3 mai i656, ce que l'on n'a pas fait.
Quelques-uns assurent que bien des dépenses extraordi-
naires, portées par le bureau des états sur ce que l'on appe-
lait le comptereau, étaient, par abus, payées sur le fonds des
étapes. Il y aurait eu là comme un chapitre très irrégulière-
ment complaisant de fonds secrets, qui aurait donné au prince
de Conti la facilité de rejeter sa dette sur les états. S'il était
certain qu'il eût agi avec ce sans-gêne, ce que nous ne
sommes en mesure ni de nier ni d'affirmer, on en conclurait
que le bureau des comptes ne s'était pas alors prêté à une
telle violation des règles, puisque Molière et la Béjart durent
négocier le papier qu'acceptèrent les deux personnages tt)ut
à l'heure nommés, étapiers, dit-on, l'un et l'autre, qui payè-
rent douze cent cinquante livres en espèces, et s'engagèrent
à solder le reste dans un an. A l'échéance, ils refusèrent de
faire honneur à leur signature. Madeleine Béjart n'était pas
femme à lâcher prise et à s'abstenir de faire valoir ses droits.
Elle obtint jugement à Toulouse contre Dufor et Cassaignes,
qui se virent forcés de s'exécuter, et payèrent dans les pre-
miers mois de i658, à Grenoble^. Nous comprenons mal
leur condamnation, s'ils n'étaient jamais parvenus à recevoir
la somme, soit de la bourse des états, soit de celle de Conti.
Toute l'affaire est trop insuffisamment expliquée pour qu'on
ne craigne pas d'être injuste cette fois en faisant peser sur
le protecteur de la troupe le reproche d'une étrange façon
d'être généreux.
La délibération du conseil de ville de Narbonne constate,
on vient de le voir, que les comédiens se proposaient d'al-
ler de Narbonne à Bordeaux, où ils avaient ordre d'at-
tendre le retour du prince de Conti. On a conjecturé que,
obéissant au programme tracé, ils s'étaient en effet dii'igés
sur Bordeaux avant d'arriver à Béziers pour l'ouverture des
états, après quelque séjour à Carcassonne, Castelnaudary,
I. Voyez le Moliériste d'août i885, p. I49 et i5o,
a. Histoire des pérégrinations de Molière dans le Languedoc, p. laS
et ia4-
vSUR MOLIERE.
'79
Toulouse et Agen*; et l'on 'a trouvé l'occasion bonne de
placer en ce temps-là cette représentation d'une tragédie de
la Thebaïde , que Montesquieu, si l'on en croit Cailhava-,
disait avoir été composée par Molière et jouée par lui à
Bordeaux avec un succès malheureux. Ce conte, attribué
sans preuves à Montesquieu, a peut-être son origine dans
un autre conte, le plan des Frères ennemis que Molière
aurait donné beaucoup plus lard à Racine. Pour croire à
un séjour de notre poète à Bordeaux en i656, on ne pour-
rait donc s'appuyer que sur l'indication fournie par les con-
suls de Narbonne du rendez-vous assigné par le prince de
Conti à sa troupe. Ce rendez-vous n'est pas douteux ; mais
il n'y eut pas lieu d'obéir à l'ordre du protecteur, qui ne
donna pas suite à ses intentions. Il était arrivé en mai's i656
à Paris ^. Il y fut retenu toute l'année par l'état de sa santé.
N'eût-il pas eu cet empêchement, il est probable qu'il aurait
manqué de parole aux comédiens; et ceux-ci peuvent bien
avoir été avertis qu'il ne fallait plus compter sur sa faveur,
car il n'est guère à croire que rien n'eût transpiré des scru-
pules qui lui avaient été inspirés pendant la session de i656,
et qui, depuis la direction de M. de Ciron, étaient de plus
en plus en possession de son âme*. Peut-être un contre-ordre
reçu à Narbonne explique-t-il la prolongation du séjour qu'y
fit la troupe. Entre le moment où Molière quitta cette ville
et celui où il vint à Béziers, des représentations données
par lui à Bordeaux et dans les autres villes que la ^Taisem-
1. Histoire des pérégrinations de Molière dans le Languedoc p. 107
et iio.
2. Etudes sur Molière, p. 8 et 9, et p. 107. — Une note ma-
nuscrite de Trallage parle aussi de cette Thebaïde, qui aurait été
jouée devant le duc d'Epernon et fort goûtée par lui. Elle au-
rait donc été représentée beaucoup plus tôt, à Bordeaux, lors-
qu'Épernon était encore gouverneui- de la Guyenne. A quel-
que date que l'on place cette Thébaide de Molière, il y a les plus
fortes raisons de n'y pas croire. La fausse tradition ne viendrait-
elle pas d'une représentation, donnée par Molière, devant Eper-
non, de VAntigone de Rotrou, qui avait paru en i638?
3. La Muse historique. Lettre du 18 mars i656.
4. Mémoires de Cosnac, tome I, p. 246 et 247.
i8o NOTICE BIOGRAPHIQUE
blance de son itinéraire a seule fait nommer, restent des
suppositions sans preuves, et il faut se résigner ici encore
à une lacune dans nos informations.
Si Chapelle, dans son voyage en compagnie de Bachau-
mont , avait, comme l'ont pensé quelques-uns, rencontré
Molière, ce ne pourrait avoir été que dans ce temps où les
renseignements nous manquent sur les mouvements de la
troupe; mais Chapelle est muet sur cette rencontre. On a
voulu trouver dans son égoïsme une explication de son
silence : elle est vraiment trop difficile à accepter. Nous
admettrions moins encore une supposition qui a été faite :
la troupe de Molière ne serait pas si complètement oubliée
dans le Voyage ; ce serait d'elle que parleraient les voya-
geurs, lorsqu'ils racontent avoir été menés par M. de Penau-
tier dans sa maison de campagne, à une lieue de Carcas-
sonne. Là, ils trouvèrent la comédie jouée par une troupe
qui « n'étoit pas mauvaise' ». Ce médiocre et dédaigneux
satisfecit serait une trahison de l'amitié, bien pire encore
que l'omission d'un souvenir si intéressant pour Chapelle. Il
est donc évident que les passables comédiens ne sont pas les
nôtres. Ceux-ci, l'époque du Forçage a seule donné l'idée de
les y chercher. Souvent mal daté, il est certainement de i656,
ainsi que le prouvent les derniers vers écrits à Lyon, où les
deux voyageurs prennent connaissance de l'édit somptuaire
du 26 octobre de cette année ^, et le passage où ils témoi-
gnent leur reconnaissance de l'accueil fort civil de M. le
comte d'Aubijoux, qui les avait reçus à Grouille, peu de
1. Voyage de Chapelle (édition de Saint- Marc lySS), p- 4'-
2. Voyez dans la Muse historique, la lettre du i4 octobre, où
les
.... Défenses expresses.
Expresses défenses à tous
De plus porter chausses Suissesses,
dont parle le Voyage (p. 67), se retrouvent aux vers aoG-208 :
Adieu, chausses, qui par en bas
Paroissiez, même aux fripe-sausses,
Plutôt des jupes que des chausses.
SUR MOLIERE. i8r
temps avant sa mort, advenue le 9 novembre i6j6^ Les
mois où l'on a conjecturé que Molière alla de Narbonne à
Toulouse, à Carcassonne, à Agen, à Bordeaux, sont précisé-
ment ceux où, en sens inverse. Chapelle et Bachaumont visi-
tèrent les mêmes villes. Marchant donc comme au-devant
les uns des autres, ne pas se rencontrer était possible, assez
étonnant, toutefois, pour des amis qui passaient par les mêmes
lieux, à peu de jours sans doute de distance, et qui auraient dû
être avertis de leur voisinage. Nous en conclurions que le
seul itinéraire certain étant celui de Chapelle, il y a forte
présomption d'erreur dans les conjectures qui ont été faites
sur celui de Molière. Il n'est pas invraisemblable qu'après
Aarbonne il ait été, cette année encore, s'établir pour
quelque temps à Lyon.
Quoi qu'il en soit, c'est seulement à Béziers qu'avec cer-
titude nous le retrouvons. Il y fut appelé pour la session
des états, qui s'ouvrit le 17 novembre i656 et dura jusqu'au
i"juin 1657. Sa présence y a laissé un souvenir qui fait
mieux que la certifier, qui l'a rendue célèbre dans l'histoire
de notre théâtre ; car c'est alors que l'auteur de l'Étourdi
a donné un second gage des grandes promesses de son ave-
nir. « Le Dépit amoureux, dit La Grange*, a été représenté
pour la première fois aux états de Languedoc, à Béziers,
l'an i656, M. le comte de Bioule, lieutenant du Roi, prési-
dant aux états ^. »
Béziers n'était pas 1 égal de Lyon, de Lyon dans son lustre,
pour parler comme Chappuzeau; mais c'était une ville let-
trée, oîi s'était produite, souvent avec bonheur, une fleurai-
son méridionale de la comédie. Partout, d'ailleurs, où s'as-
semblaient Messieurs des états, il était permis au théâtre
1. La date du f^oyage de Chapelle a éle, d'après ces preuves,
mise hors de doute par M. F. Brunetière dans ses Etudes critiques
sur VHistoire de la littérature française (Paris 1880), p. 180 et 181.
2. Registre, p. 4-
3. Le comte de Bioule ou de Bleuie ne présidait pas les états,
mais les tenait comme commissaire du roi. L'inexactitude du
Registre sur ce point est sans importance. Voyez notre tome I.
p. 385, note 4.
i8a NOTICE BIOGRAPHIQUE
de compter sur des juges éclairés. Aucun témoignage cepen-
dant ne nous apprend si ces juges reconnurent tout le prix
de l'œuvre charmante; et l'on a été tenté de craindre que
Molière n'ait chanté à des sourds , lorsqu'on a vu ces
états de Béziers traiter la troupe avec une dureté qui pou-
vait paraître offensante. Dans le procès-verbal de leur séance
du i6 décembre ils firent insérer cette délibération : « Sur
les plaintes qui ont été portées aux états par plusieurs
députés de l'assemblée, que la troupe des comédiens qui
est dans la ville de Béziers fait distribuer plusieurs bil-
lets aux députés de cette compagnie, pour les faire entrer à
la comédie sans rien payer, dans l'espérance de retirer
(juelque gratification : a été arrêté qu'il leur sera notifié
par Loyseau, archer des gardes du Pioi en la prévôté de
l'hôtel, de retirer les billets qu'ils ont distribués, et défaire
payer, si bon leur semble, les députés qui iront à la co-
médie, l'Assemblée ayant résolu et arrêté qu'il n'y sera fait
aucune considération, et défendu par exprès à messieurs
du bureau des comptes de, directement ou indirectement,
leur accorder aucunes sommes, ni au trésorier de la bourse
de les payer, à peine de pure perte et d'en répondre en
son propre et privé nom. 5» Mais ne nous hâtons pas d'ac-
cuser de barbarie les députés si décidés à refuser toute
gratification. D'abord, il est peu probable que la pièce nou-
velle fût déjà connue; et puis, dans la pensée des états, il y
avait sans doute moins un parti pris contre les comédiens,
qu'une protestation contre une comptabilité irrégulière. Les
libéralités qu'un bon plaisir trop sans façon leur avait im-
posées dans la session précédente les mettaient de mé-
chante humeur. C'est donc vraisemblablement à ceux qui
prétendaient disposer sans droit de leur bourse qu'ils vou-
laient donner une leçon. Ils étaient las de se laisser tondre,
ainsi qu'ils le montrèrent par un autre acte de sévérité auquel
personne ne contestera l'à-propos, comme on pourrait être
tenté de le contester à celui du i6 décembre. Joseph Béjart,
qui avait reçu en février i656 quinze cents livres pour
son Recueil de titres et blasons, avait pris goût à des hom-
mages si bien payés. Il les renouvela en offrant aux états
un supplément à ce travail lucratif; mais il ne tira d'eux
SUR MOLIERE. i83
cette fois que cinq cents livres, et ils lui donnèrent cet aver-
tissement, consigné dans le procès-verbal du i6 avril lôSy,
qu'à l'avenir on ne prendrait en considération aucun livre
qu'il présenterait, sans avoir reçu de l'assemblée l'ordre
exprès de le composer.
Ne cherchons pas la première représentation à Béziers
du Dépit amoureux au delà de l'année i656, marquée, nous
l'avons dit, dans le Registre de La Grange. Nous la croyons
du mois de décembre, après le i6, étant vraisemblable que
les billets refusés à cette date avaient été distribués pour
cette comédie.
Que tout le mérite en ait été senti ou non à Béziers, il
l'est aujourd'hui unanimement, il le fut même, comme nous
aurons à le dire, dès qu'on la joua à Paris, deux ans après.
Molière y avait, comme dans l'Étourdi, imité un modèle
italien, mais, cette fois, moins bien choisi, l'Intéresse de
Nicolo Secchi. Avoir empêtré son génie dans un mauvais
imbroglio fut une faute, imparfaitement atténuée par le bon
goût qui en corrigea les traits les plus choquants et par
l'élégante facilité du style. L'erreur de Molière lui fut du
rnoins utile, si, lorsqu'il l'eut reconnue, elle le décida à
ne s'inspirer désormais qu'avec une originalité plus libre
d'un théâtre qui l'égarait loin de sa véritable voie. Mais
il y a beaucoup mieux à dire : nous n'avons pas eu tort
d'appeler tout à l'heure sa seconde comédie une « œuvre
charmante « ; elle l'est en effet, en dépit du méchant mo-
dèle. Bien loin que Molière, depuis son premier et bril-
lant essai, eût fait un pas en arrière, le second fut un pro-
grès : on sait grâce à quelle heureuse idée. Pour sortir
de la route ingrate où semblait l'avoir engagé sans issue le
choix du sujet, il s'avisa d'introduire dans la pièce imitée
quelques scènes, qui, tout accessoires qu'elles semblent, se
sont trouvées être, à elles seules, une petite comédie, un
délicieux chef-d'œuvre. Il s'y révèle l'heureux imitateur,
non plus du théâtre italien, mais de Térence et d'Horace,
ces peintres si vrais et si fins des brouilleries et des rac-
commodements de l'amour. Disons ce qui n'appartient qu'à
lui seul. Après le naïf duo de colère jalouse, puis de
tendresse repentante qui rend les armes, il l'a fait répéter
i84 NOTICE BIOGRAPHIQUE
sur un ton bien différent par des bouches populaires,
ignorantes de toute délicatesse dans l'expression de leurs
sentiments. C'est du meilleur comique ; et il n'y a pas là
seulement une plaisante parodie, mais la mise en action de
cette vérité, digne du poète philosophe, que la bassesse même
de l'expression laisse reconnaître les mouvements naturels
de la passion, semblables dans toutes les conditions, qu'en
un mot, comme Molière l'a dit ailleurs, « il est toujours de
l'homme dans tous les cœurs' ». Ce fut vraisemblablement
après avoir achevé sa pièce, rapidement écrite, et peut-être
commencée sans qu'il eût alors pensé à rien ajouter à celle
de l'auteur italien, qu'il se décida à lui donner le titre du
Dépit amoureux, sentant bien dans quelles scènes il avait
mis sa vraie marque, cette marque dont on est là plus frappé
encore que dans l'Étourdi. La Harpe a dit justement que
dans la partie excellente de sa seconde comédie, Molière
« fait voir les premiers traits du talent qui lui était propre »,
et que des scènes si parfaites « annonçaient l'homme qui
allait ramener la comédie à son but, à l'imitation de la
nature* ».
Avec r Etourdi et le Dépit amoureux, Grimarest nomme
les Précieuses ridicules comme représentées avant le retour
de la troupe à Paris. « Cette pièce, dit-il, quoique jouée dans
les provinces pendant longtemps, eut cependant à Paris
tout le mérite de la nouveauté. » Voltaire a dit sembla-
blement dans le sommaire des Précieuses qu'elles avaient
été « faites d'abord pour la province^ »; et dans sa Fie de
Molière, il veut qu'elles aient été représentées, aussi bien
que l'Etourdi et le De'pit amoureux , devant le prince de
Conti*. Des lignes qui précèdent immédiatement on devrait
conclure que ce fut en i656, à Béziers, où Voltaire croyait
que les états de Languedoc avaient été tenus par Conti. Il
ignorait qu'ils avaient été assemblés, non par le prince,
ï. Le Misanthrope, vers lySô.
2. Cours de littérature, livre I, chapitre vi, section H.
3. Vojez notre tome II, p. 45.
4- Œuvres complètes de Voltaire (édit. Moland), tome XXIII,
p. 91.
SUR MOLIERE. i85
mais pas le comte de Bieule. La Serre, dans les Mémoirex
sur la vie et les ouvrages de Molière *, après avoir parlé de
l'Étourdi joué à Lyon, et dit qu'il reparut à Béziers, ajoute
que « le Dépit amoureux et les Précieuses ridicules y entraî-
nèrent tous les suffrages 3>, Voilà trois biographes d'ac-
cord sur ce fait des Précieuses ']0\iées en province. Mais tout
se réduit probablement au témoignage de Grimarest, dont
la Serre et Voltaire se seront contentés. Rœderer, à son
tour, a placé la première représentation des Précieuses à
Béziers. Nous n'aurions pas eu à le citer, s'il n'avait donné
la date de lôS/J, qui mérite quelque attention. La raison la
plus forte de la préférer ne serait pas qu'on se trouve ainsi
plus d'accord avec Grimarest, qui fait jouer la pièce pen-
dant longtemps dans les provinces, mais plutôt que la date
de i6'j( indique Montpellier, où 1 on s'expliquerait mieux
que dans toute autre ville la composition, puis la représen-
tation, des Précieuses. Chapelle nous apprend dans son
Foyage qu'il a vu là (un peu plus tard, il est vrai) une as-
semblée de « précieuses de campagne ». qui « n'imitoient
que faiblement les nôtres de Paris^ ». Et vraiment, les traits
sous lesquels il les a peintes les font si fort ressembler
à celles de Molière qu'il semblerait que celui-ci les a vues
aussi et a pu les prendre pour modèles. Nous n'oserions
donc affirmer que Grimarest ait été mal informé; et peut-
être suffit-il de rester dans le doute. Si Despois ne s'y est
pas tenu, ce n'est pas sans une visible hésitation^. Il montre
fort bien pourquoi les témoignages de l'auteur des Nou-
velles nouvelles et de Somaize, souvent invoqués contre
celui de Grimarest, sont de peu de poids. Quant au Registre
de La Grange , où les Précieuses ridicules, à la date du
i8 novembre i65g, sont nommées « troisième pièce nou-
velle de M. Molière* », il ne lui a pas échappé que les
mots troisième pièce nouvelle semblent désigner comme éga-
lement nouvelles les deux précédentes, l'Étourdi et le Dépit
I. A la page xx.
1. Voyage de Chapelle, p. 47-
3. Voyez au tome II, p. 8-ii la Notice des Précieuses ridicules.
4. Registre, p. i3.
i86 NOTICE BIOGRAPHIQÎTE
amoureux; ce qui ne donne pas à leur nouveauté un sens
absolu. Il ne juge décisif que ce passage de la Préface
de 1682 : a En 1659, M. de Molière fit la comédie des P/e-
cieuses ridicules^. » Mais si l'on a pensé que La Grange,
dans son Registre, a regardé la pièce comme nouvelle, par
la seule raison qu'elle avait été remaniée, la même explica-
tion de la phrase de la Préface serait-elle moins plausible?
Une comédie n'y aurait été tenue pour faite que du jour
où elle avait reçu sa forme définitive. On peut regarder
comme certain que les Prc'cieuses ridicules nont pas été
tout d'abord telles que nous les avons aujourd'hui. Dans
le Récit de la farce écrit par Mlle des Jardins, la mauvaise
réception faite par la fille et la nièce de Gorgibus aux deux
honnêtes hommes, leurs prétendants, est mise en action. Il
est vraisemblable que ce n'est pas une invention de l'auteur
du Récit, non plus que cette particularité des Règles de V amour
débitées en vers par les deux précieuses. La « balle éter-
nuée » et l'expression bouffonne de la soucoupe inférieure sont
évidemment des débris d'un premier état de la pièce. Il
n'est sans doute pas impossible que les changements aient
été faits après les premières représentations à Paris; mais
ils peuvent s'expliquer aussi bienpar l'existence d'une farce
qui aurait été refondue pour le théâtre du Petit-Bourbon,
après avoir été essa3ée, peut-être ébauchée seulement, en
province. Là, Molière était aussi capable que Chapelle d'ob-
server l'étrange maladie. Il fait dire à un de ses person-
nages : « L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il
s'est aussi répandu dans les provinces » ; et il nomme ses
héroïnes « deux pecques provinciales ». Précaution, a-t-on
dit, pour éviter la colère des belles dames de l'hôtel de
Rambouillet, qu'il voulait égratigner sans leur laisser le
droit de crier, et pour faire croire qu'il respectait, comme
il le dit dans sa préface, « les plus excellentes choses, su-
jettes à être copiées par de mauvais singes ». A lui suppo-
ser cette prudence, insuffisante d'ailleurs, puisqu'il fait venir
de Paris la contagion, il lui était aussi facile de donner le
change et de se mettre à l'abri, en faisant de ses « mauvais
I. Préface, p. xv.
SUR MOLIERE. 187
singes « de petites bourgeoises parisiennes. Il reste donc
remarquable qu'elles soient des provinciales. On peut trou-
ver significatif aussi le nom de Mascarille, qu'à Paris, du
moins après cette comédie, Molière a laissa de côté, et qui
peut paraître là une dernière trace de son théâtre de pro-
vince. Mascarille est dans le Récit de Mlle des Jardins. Le
faux vicomte, son ami, n'y est pas nommé, non plus que
les deux amants rebutés. Si, au lieu d"y être anonymes, ces
personnages avaient été désignés par les noms qu'ils ont
portés depuis 1GJ9, il n'}^ aurait plus à douter que le Récit
n'eût été écrit à Paris, puisque c'est à Paris seulement que
La Grange, du Croisy et Jodelet sont entrés dans la troupe.
Le hasard y a mis de la malice, si c'est lui qui nous a pri-
vés, dans le petit écrit, d'un moyen facile de mettre la pro-
vince hors de cause. Puisque nous en sommes sur les noms,
notons encore, sans prétendre toutefois trouver là rien de
décisif, que Cathos et Madelon, suivant l'auteur du Récit,
demandent à leur père d'être appelées ClymèneetPhilimène,
et non, comme plus tard, Polyxène et Aminte. Ces change-
ments de noms ne nous apprennent pas, il est vrai, où et
quand la pièce a subi des transformations. En résumé, l'on a,
ce semble, quelques raisons de regarder comme tout au moins
spécieuse la conjecture d'Edouard Fournier, que le Récit de
Mlle des Jardins a été écrit, non à Paris, mais dans quel-
qu'une des villes où elle rencontra Molière et sa troupe
ambulante. Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il y ait là des
preuves assez fortes pour trancher la question ; elle est une
de celles qui sont en suspens devant le juge.
Les jours qui virent le génie de Molière s'annoncer bril-
lamment en province par deux comédies, peut-être par trois,
étaient comme les avant-coureurs de celui qui bientôt ramè-
nerait le poète à Paris, où il y aurait un théâtre digne de ses
œuvres. Voici donc nos regards déjà tournés vers cette per-
spective. Il faut cependant attendre encore quelque temps
l'occasion favorable qui ouvrira enfin aux fondateurs de
l'Illustre théâtre le retour définitif dans la ville d'où la mau-
vaise fortune les avait exilés.
La troupe n'attendit pas, pour quitter Béziers, la clôture
delà session des états; car il est certain qu'elle était à Lyon
i8<S NOTICE BIOGRAPHIQUE
en mai 1657, un mois avant cette clôture. Avant de s'y rendre,
s'était-elle arrêtée à Nîmes, comme on l'a pensé? La preuve
qui en a été proposée est contestable. Le 12 avril, Madeleine
Béjart, qui poursuivait le jugement d'une obligation de trois
mille deux cents livres souscrite par un certain Antoine Bara-
lier, receveur des tailles, avait obtenu du juge en la cour de
Nîmes une permission de poursuivre l'exécution de cette obli-
gation*. Mais il faudrait savoir si sa présence avait été néces-
saire ; et, même dans ce cas, il a pu suffire d un court voyage,
fait de Béziers à Nîmes par elle seule, tandis que les autres
comédiens continuaient leur route vers Lyon, ou y étaient
déjà arrivés. Au sortir de Béziers, des séjours plus ou moins
longs à Montpellier, à Nîmes, à Avignon, à Orange, ont été
indiqués, sans que l'on ait cité de documents qui les attestent,
si ce n'est pour Nîmes; mais nous venons de faire remar-
quer combien la sentence qui y fut obtenue est peu dé-
cisive. Il en est autrement de la présence de la troupe à
Lyon, au printemps de 1637. C'est le prince de Conti lui-
même qui nous a rendu le service de la constater. De Lyon,
où, après avoir séjourné l'année i656 à Paris, il fut de pas-
sage, pour aller prendre avec le duc de Modène, notre allié,
le commandement de l'armée d'Italie, il écrivait le i5 mai
1637 à l'abbé de Ciron : « Il y a des comédiens ici qui
portaient mon nom autrefois : je leur ai fait dire de le quit-
ter, et vous croyez bien que je n'ai eu garde de les aller
voir-. » Ce ne dut pas être une surprise pour Molière qui,
depuis les entretiens, nullement ignorés, du protecteur
avec l'évêque d'Aleth à Pézenas, en i656, n'avait plus à
attendre que l'beure où la disgrâce serait déclarée. Ce
qu'il en pensa, comment il la ressentit, on ne peut que le
conjecturer; mais il serait peu étonnant que les pieux motifs
de cette rigueur eussent médiocrement édifié un homme
que sa profession, son genre de vie et les leçons reçues
autrefois dans la maison de Luillier n'avaient pas disposé
à la dévotion. On trouverait là, sans trop d'invTaisemblance,
1. Recherches sur Molière^ p. 48, et Document XLII, cote deux,
p. 264.
2. Port-Royal , tome Y, p. 3.
SUR MOLIERE. 189
une des explications des « bigots mis enjeu*. » Le Traité
de la comédie du prince de Conti ne fut imprimé qu'en 1666,
après la mort de son auteur ; le Tartuffe est d'une date
antérieure; mais on voit dès quel temps la sensible blessure
avait été faite. On douterait moins encore que le souvenir de
cette blessure ait été pour beaucoup dans le sanglant coup
de fouet de 1664, si l'on admettait, avec l'abbé de Choisy et
avec Saint-Simon, que Molière ait eu particulièrement en
vue, comme modèle de son hypocrite, un des domestiques
du prince de Conti, le grand vicaire de ses abbayes, l'abbé de
Roquette. Il est difdcile que le bruit qui en courut si géné-
ralement n'ait pas averti le prince que sur le dos d'un de ses
familiers c'était à lui qu'on avait voulu rendre coup pour
coup. Pour Conti, rendons-lui cette justice, il ne fut nullement
lui-même un tartuffe. Quelque étrange que soit le contraste
entre ses anathèmes contre la comédie et le goût si vif qu'il
.avait eu pour elle, entre la vie de désordres qui avait suc-
cédé à sa première vocation ecclésiastique et son zèle final
de converti, sa conversion fut sincère.
Au moment où Molière fut abandonné et renié parle pro-
tecteur de sa troupe, il paraîtrait s'être souvenu de celui
qui l'avait été avant Conti; car après Lyon, il alla à Dijon,
où était Epernon, gouverneur de la Bourgogne depuis le
mois de mai i65i^. Les anciens comédiens de ce duc purent
y retrouver avec lui ISanon de Lartigue, dont il ne s'était
pas séparé. Ils obtinrent, le i5 juin, la permission du con-
seil de ville de Dijon de donner des représentations dans le
tripot de la Poissonnerie^. Le titre de Comédiens du prince
de Contileuv était conservé dans cette permission, soit qu'on
l'eût rédigée sans connaître encore la défense qui leur avait
été faite de continuer à le prendre et peut-être sur une de-
mande adressée de Lyon au conseil avant la signification de
cette défense, soit que la troupe n'ait pas craint de différer
1. Épi'tre vil de Boileau, vers 29.
2. La Muse historique. Lettre du 21 mai i65i.
3. Voyez le Roman comiijue dévoile', p, 72, où M. Chardon a le
premier fait connaître ce fait; et, du même auteur, M. de Mo-
déne... et Madeleine Béjart, p. 378 et 338.
iQo NOTICE BIOGRAPHIQUE
un peu l'obéissance, sachant Conti éloigné par la guerre
qu'il faisait au delà des monts.
On ne suit pas toujours sans quelque étonneraent la troupe
dans SCS grandes enjambées, en un temps où les voyages
n'étaient pas rapides. De Dijon, elle nous ramène loin dans
le Midi, où sa rencontre avec Pierre Mignard va nous con-
duire à Avignon. De telles marches ne pouvaient être ca-
jmcieuses. Celle-ci s'explique, si les comédiens ne s'y sont
décidés que pour aller jouer devant les états, qui, cette an-
née-là (1657), tinrent à Pézenas une session, ouverte le 8 oc-
tobre par le duc d'Arpajon, lieutenant général de la pro-
vince. A une supposition si vraisemblable on fait une ob-
jection. D'autres comédiens, ceux du duc d'Orléans, que le
lieutenant général favorisait et avait fait jouer dans son
château de Séverac, furent appelés à Pézenas. Deux d'entre
eux, Mignot et Dubois, ont signé le 20 septembre 1657 une
quittance constatant que les conseils d'Albi ont fait trans-
porter jusqu'à Castres les bagages de leur troupe qui se ren-
dait aux états'. Mais, comme nous avons déjà eu occasion
de le voir, la présence d'une troupe n'exclut point celle d'une
autre. Leur concurrence dans une même ville, et pendant
une même session des états, était un fait très ordinaire. Disons
plus, la probabilité que Molière vint alors à Pézenas est con-
firmée par la circonstance qui a paru la contrarier. Un récit
de Grimarest, qui le tenait évidemment de Baron, témoin
irrécusable ici, constate la rencontre de Molière et de Mignot
_dans le Languedoc. Nous abrégerons l'anecdote, mais très
peu ; car elle est très honorable pour Molière : « Un homme
dont le nom de famille était Mignot, et Mondorge celui de co-
médien, se trouvant dans une triste situation, prit la résolution
d'aller à Auteuil, où Molière avoit une maison..., pour tâcher
d'en tirer quelque secours. . . Il dit à Baron, qu'il savoit être un
assuré protecteur auprès de Molière, que l'urgente nécessité
où il étoit, lui avoit fait prendre le parti de recourir à lui,
pour le mettre en état de rejoindre quelque troupe avec sa
famille ; qu'il avoit été le camarade de M. de Molière en Lan-
I. Yoyez le Moliériste d'aviùl 1879, p. 18, et d'août 1879, p. 142
el 143.
SUR MOLIERE.
19Ï
g'ue^oc... Earon monta dans l'appartement de Molière et lui
rendit le discours de Mondorge avec peine..., craignant de
rappeler désagréablement à un homme fort riche l'idée d'un
camarade fort gueux. Il est vrai que nous avons joué la comé^
die eiutemble, dit Molière, et c'est un fort honnête homme
Que croyez-vous, ajouta-t-il, que je lui doive donner?...
Baron, ne pouvant s'en défendre, statua sur quatre pistoles,
qu'il croyait suffisantes pour donner à Mondorge la facilité
de joindre une troupe. Hé bien, je vais lui donner quatre
pistoles [)Our moi, ditjMolièreà Baron, puisque vous le jugez
à propos; mais en voilà vingt autres que je lui donnerai pour
vous : je veux qu'il connoisse que c'est à vous qu'il a l'obli-
gation du service que je lui rends. J'ai aussi, ajouta-t-il, un
habit de théâtre dont je crois que je n'aurai plus de besoin ;
qu'on le lui donne ; le pauvre homme y trouvera de la res-
source pour sa profession. Cependant cet habit que Molière
donnoit avec tant de plaisir lui avoit coûté deux mille cinq
cents livres, et il étoit presque tout neuf. Il assaisonna ce
présent d'un bon accueil qu'il fit à Mondorge, qui ne s'étoit
pas attendu à tant de libéralité'. » Quand Mignot, autre-
ment dit Mondorge, avait-il pu être momentanément cama-
rade de Molière en Languedoc, et y jouer avec lui? N'est-ce
pas en lôS;, devant les états?
Si, comme nous le croyons, Molière était à Pézenas en
1657, il n'y resta pas jusqu'à la clôture delà session, qui eut
lieu le 24 février i658. A la fin de 1637, au plus tard au
commencement de i6j8, on le trouve dans Avignon. Ce fut
là, d'après le témoignage de l'abbé de Monville, que Piei're
Mignard et lui se rencontrèrent pour la première fois, et
« ces deux hommes rares eurent bientôt lié une amitié qui
ne finit qu'avec leur vie^ ». Le temps oîi put se former cette
liaison est certain. Mignard était venu à Rome en i636. Les
longues années qu'il y passa, au milieu de fécondes études,
lui ont fait donner le surnom de Romain. S'il s'en éloigna
quelque temps, ce fut pour accompagnerjusqu'à Venise son
ami Charles du Fresnoy, qui retournait en France ; et sans
1. La Vie de M. de Molière^ p. 120-125.
2. La fie de Pierre Mignard, p. 55.
192 NOTICE BIOGRAPHIQUE
avoir touché la terre française, il reprit le chemin de Rome.
Il y épousa une belle romaine en i656, et ne revint au pays
natal que l'année suivante, rappelé par de Lionne, dont il
avait fait le portrait en Italie. Il s'embarqua pour ce retour
le lo octobre 1637, débarqua, après huit jours de navigation,
à Marseille, où il s'arrêta près d'un mois, puis se dirigea
vers Avignon, pour y retrouver son frère Nicolas*. Il n'y
arriva donc qu'à la fin de novembre, sinon même en décembre.
Ainsi est à peu près fixée la date de sa rencontre avec Molière.
Pour avoir eu le temps de nouer dans Avignon ces relations
d'amitié immortalisées dans l'œuvre du peintre par des por-
traits du poète, et, du côté de celui-ci, par le beau poème
de la Gloire du Fal-de-Grâce . il faut que tous deux n'y aient
pas fait ensemble un séjour de trop courte durée. On a pensé
que là fut peint le portrait de Molière couronné de lauriers,
dans le rôle de César de la tragédie de Pompée, vraisembla-
blement une des pièces où Mignard aurait alors vu jouer son
modèle. On comprend sans peine que son noble pinceau ait
mieux aimé représenter le comédien sous les traits héroïques
du grand romain, que sous ceux de Mascarille.
Il ne semble pas d'abord qu'il y ait à chercher bien loin
le trait d'union qui rapprocha le peintre et le poète. La
sympathie n'était -elle pas naturelle entre deux hommes
qui, par des chemins différents, marchaient, dans le même
temps, vers les hauteurs de l'art? L'ami de Mignard, que
nous avons tout à l'heure nommé, Charles du Fresnoy,
au début de son poème latin Sur Van de la peinture^ imité
dans le Val-de-Gràce de Molière, a chanté la fraternité de
la poésie et de la peinture. Avant lui, Plutarque avait
nommé la poésie une peinture parlante , la peinture une
poésie sans parole. Voilà l'explication fort tentante, qui don-
nerait à une liaison devenue si durable la noble origine dont
elle était digue. Cette explication, toutefois, est-elle bien
la seule? A côté d'elle, il est permis d'en entrevoir une
autre plus prosaïque. On a été frappé des preuves d'une
amitié très étroite entre Mignard et les Béjart. En 1662,
le peintre signe, comme ami, au contrat de mariage de
I. La Vie de Pierre ^lignard^ p. 5o-52.
SUR MOLIÈRE. ,93
Geneviève Béjart*. Madeleine, dans son testament, ordonna
que les deniers comptants qui se trouveraient lui appartenir
au jour de son décès fussent remis à Mignard, qu'elle char-
gea de les employer en acquisition d'héritages*. Des témoi-
gnages si particuliers d'affectueuses relations sembleraient
indiquer qu'elles se seraient étendues des Béjart à Molière,
plutôt que de Molière aux Béjart. On croit voir comment
elles s'étaient formées. Nous avons nommé un frère de Pierre
Mignard, Nicolas, peintre distingué lui-même, et connu sous
le nom de Mignard d'Avignon. Ce frère était depuis long-
temps établi et marié dans cette ville, quand Mignard le
Romain vint l'y rejoindre. Esprit de Modène, qui y passait
l'hiver, n'avait pu manquer d'y connaître Nicolas, quand il
n'y aurait pas eu pour eux une occasion de se lier dans
cette circonstance que Modène avait passé, avec le duc de
Guise, l'année 1647 ^ Rome, oii ils avaient trouvé Pierre,
qui fit aloi's le portrait du duc. Nous avons vu dans Avi-
gnon les Béjart et leur troupe en i655. Il est assez probable
qu'ils y rencontrèrent dès lors le comte de Modène, et de
même dans cette fin de l'année 1637, qui réunit les frères
Mignard. Que ce soit donc Modène qui ait recommandé aux
deux peintres Madeleine Béjart et en même temps Molière,
la conjecture n'a rien de forcé. Si le refroidissement, déjà
de vieille date, entre le comte et la Béjart, semblait une ob-
jection, nous y avions d'avance répondu, lorsque nous avons
montré le volage et sa comédienne restés de tout temps
dans les termes d'une bonne amitié, grâce à la tranquille
philosophie de la Béjart, à sa morale facile, qui avait tout
naturellement des trésors d'indulgence et ne lui conseillait
pas de rompre entièrement, pour un accident très ordinaire,
avec un passé dont la qualité de son ancien amant la rendait
encore fière. Quoi que l'on pense de cette explication, les
services qu'elle continua de rendre à Modène ne permettent
pas de s'étonner si elle reçut de lui un bon accueil dans
Avignon et se laissa introduire par ses bons offices dans
l'amitié des Mignard.
I, Rec/ierc/ies sur Molière. DocUMEîîT XXXIII, p. 21^-71 S.
7. Ibidem. Document XL, ]). 244-
Molière, x i3;
194 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Puisque nous rencontrons de nouveau sur notre chemin
ce seigneur de Modène, disons brièvement ce qu'il était
devenu depuis que nous l'avons perdu de vue.
Sa vie avait été fort agitée. On vient de dire qu'il avait
passé l'année 1647 à Rome, où il accompagnait le duc de
Guise. Il était parti avec lui dans les derniers mois de 1646,
s'étant engagé à le suivre dans sa vie de romanesques aven-
tures. A la fin de 1647, ils s'embarquèrent pour l'héroïque
folie de Naples. La brouille ne tarda pas entre les deux
paladins. Bientôt Guise se crut trahi par Modène; il le lit
arrêter le i5 février 1648 et jeter en prison. Il fut lui-même,
peu après, prisonnier à son tour, lorsque Naples tomba au
pouvoir des Espagnols. Ceux-ci retinrent dans le Château-
Neuf son lieutenant, qui ne recouvra sa liberté qu'en iGjo.
Modène revint alors dans le Comtat. Il paraît ne l'avoir plus
quitté avant la mort de Guise, en 1664; et ce fut là que
Madeleine Béjart put le revoir pendant les différents séjours
de la troupe dans Avignon, notamment pendant celui de la
fin de 1637 et des premiers mois de i658, en ce temps oîi,
malgré la liaison connue du gentilhomme comtadin et de la
femme de Jean-Baptiste de l'Hermite, il n'est pas invrai-
semblable que l'accommodante personne lui ait dû l'amitié
de Mignard, qu'elle fit partager à Molière.
On a conjecturé un séjour de notre poète à Lyon, au
commencement de i658. Nous comprendrions mal qu'il eût
sitôt quitté Avignon, où quelques jours lui auraient diffici-
ement suffi pour devenir un des meilleurs amis de Mignard,
bien que cette amitié ait pu être préparée par de bonnes
relations avec le frère du peintre dans des séjours précé-
dents. Sur quoi s'est-on appuyé? Sur une délibération de
l'Aumône générale de Lyon, qui, le 6 janvier i658, accorda
dix-huit cents livres tournois à une veuve « recommandée
par la demoiselle Béjarre, comédienne^ ». Que Béjarre soit
Béjart, on n'y peut voir de difficulté. Mais Madeleine s'était
depuis longtemps assez fait connaître à Lyon pour écrire
d'Avignon une lettre de recommandation à l'Aumône géné-
I. Les Points obscurs de la vie de Molière, Pièces justificatives,
p. 38i.
SUR MOLIÈRE. 195
raie, habituée à mettre largement à contribution la bourse
des comédiens. 11 nous semble peu douteux que d'Avignon
Molière alla directement à Grenoble, où, par un témoignage
certain, nous apprenons qu'il s'arrêta : En i658, « il avoit,
dit la Préface de 1G82, passé le carnaval à Grenoble,
d'où il partit après Pâques, et vint s'établir à Rouen* ».
C'est peut-être sa troupe qui est désignée dans une délibé-
ration du conseil de ville de Grenoble, portant que les
comédiens ont mérité le reproche d'incivilité pour avoir
affiché sans permission, et que leurs affiches seront levées
jusqu'à ce qu'ils se soient mis en règle avec les consuls et
Je conseil^. Ce sévère avertissement est du 2 février i658.
Si c'est à Molière qu'il fut signifié, il marque le moment
de son arrivée à Grenoble.
De cette ville on veut encore qu'il ait été à Lyon, où,
parti de Grenoble après Pâques, qui, cette année, était le
21 avril, il ne serait arrivé que bien peu de jours avant le
baptême d'un enfant des du Parc, baptême inscrit à la date
du i"^"" mai sur le registre de l'église de Sainte-Croix^. Il
est difficile de croire les comédiens alors à Lyon, le baptis-
taire n'étant signé d'aucun d'eux. Ils avaient hâte de se
rendre à Rouen, que Molière regardait comme une dernière
étape sur le chemin de Paris, où dès lors il avait l'espé-
rance et l'ambition de se fixer prochainement. « Ses amis,
dit la Préface de 1682, lui conseillèrent de s'approcher
de Paris, en faisant venir sa troupe dans une ville voisine.
C'étoit le moyen de profiter du crédit que son mérite lui
avoit acquis auprès de plusieurs personnes de considéra-
tion qui, s'intéressant à sa gloire, lui avoient promis de
l'introduire à la cour'. »
Une partie de la troupe était certainement arrivée à Rouen
avant le 19 mai i658, date d'une lettre écrite de cette ville
à l'abbé de Pure par Thomas Corneille. La lettre, après avoir
ionné la nouvelle d'un second mariage de la comédienne
1. Préface de 1682, p. xiv.
•2. archives des missions scientifiques, 7." série, tome 1, p. 385.
3. Les Origines du théâtre de Lyon. Document VI, p. 48 .
4. Préface de 1685., p. xiii et xiv.
rgô NOTICE BIOGRAPHIQUE
Baron, lasse de son veuvage*, continuait ainsi : « Nous at-
tendons ici les deux beautés que vous croyez devoir disputer
cet hiver d'éclat avec la sienne. Au moins ai-je remarqué en
Mlle Béjart^ grande envie de jouer à Paris, et je ne doute
point qu'au sortir d'ici, cette troupe n'y aille passer le reste
de l'année. » Il est clair que les deux comédiennes attendues
encoreàRouen, etdont àParis on commençait à parler comme
de rivales en beauté de cette Baron si admirée par la reine
Anne d'Autriche, étaient la de Brie et la du Parc, celle-ci
restée certainement à Lyon. Lorsque Thomas Corneille écri-
vait, il avait déjà vu les camarades qui les avaient précédées,
puisque c'était dans des entretiens avec la Béjart elle-même
qu'il avait eu connaissance du dessein de la troupe de s'éta-
blir à Paris. Pour en préparer le succès, on eut besoin de
quelques mois; car, au témoignagne de Xa Préface de 1682,
nos comédiens passèrent tout l'été à Rouen. On y vit enfin
arriver les deux belles retardataires. Nous voudrions en
vain nous peu soucier de regarder de ce côté-là. Dans une
ville qui, avant Paris, avait vu en 1643 les premiers début?
de l'Illustre théâtre, et maintenant retrouvait la troupe, son
chef surtout, singulièrement grandis par la renommée, ce qui
paraît avoir fait le plus d'impression, ce furent les charmes
1. Ce second mariage avait été prédit par Loret, dans sa lettre
en vers du 9 octobre i655, où il annonçait la mort de Baron,
père de l'élève et ami de Molière :
Sa moitié, qu'il laisse en ce monde,
Femme de chevelure blonde.
Lorsque son deuil sera tari,
Pourra prendre un autre mari.
2. Au lieu de 3111e Béjart, et, plus haut, de Mlle Le Baron, on a
imprimé « Mlle Rejac et Mlle Le Ravon » dans les OEuvres com-
plètes de. P. Corneille, suivies des OEuvres choisies de Th. Corneille,
édition de Charles Lahure (1857), qui donne aux pages 670 et
suivantes du tome V quatre lettres de Thomas Corneille à l'abbé
de Pure. Pour rectifier les noms des deux comédiennes, on au-
rait pu s'épargner la peine d'une conjecture. Dans l'autographe
qui est à la Bibliothèque nationale [manuscrits français, n° 12763,
Lettres originales), on lit parfaitement Mlle Le Baron et Mlle Beiar.
SUR MOLIERE.
'97
d'une des actrices, de Mlle du Parc. Ils touchèrent le cœur
non seulement de Thomas Corneille, mais de son illustre
aîné, malgré ses cinquante-deux ans. Il n'a pas laissé à de
suspects commérages d'anecdotiers le soin de nous l'ap-
prendre. Dans les vers qu'il a écrits en cette année i658
pour la charmante Marquise^ ce fier génie, dont la figure
est restée si imposante pour la postérité, a immortalisé sa
faiblesse, mais en mettant dans l'aveu qu'il en fait le noble
accent qui lui était naturel ; car la tendresse elle-même pre-
nait chez lui un air de grandeur. Qui ne connaît ses poétiques
adieux à la comédienne?
Allez, belle Marquise, allez en d'autres lieux
Semer les doux périls qui naissent de vos yeux'.
Il la trouva insensible, comme l'avait trouvée Molière. Elle
ne lui fît même pas l'honneur de s'offenser de ses hommages.
Il s'en plaint avec plus d'aimable soumission que d'amer-
tume, reconnaissant combien il est juste que ses cheveux
gris et les rides de son front
Mêlent un triste charme aux plus dignes encens.
J'ai trop longtemps aimé pour être encore aimable.
A la fin de son épître il ajouta quelques vers, lorsque la
raison l'eut guéri :
Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent.
Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui,
Comme la dame ailleurs se divertit sans lia.
Mieux encore que dans cette spirituelle déclaration de
sage indifférence, il est lui-même, et se distingue singuliè-
rement des madrigaliers, des doucereux, dans les stances
qu'à la même époque il adressa à la belle dédaigneuse :
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux...-.
I. OEuvres complètes de P. Corneille, tome X, p. 142-149.
1. Ihidem. p. i65 et ifiô.
igS NOTICE BIOGRAPHIQUE
Elles sont assez connues pour que nous laissions la mémoire
de nos lecteurs en achever la citation. Corneille y fait
échapper au ridicule son amour hors de saison, en oppo-
sant fièrement à l'orgueil d'une heauté d'un jour l'orgueil
d'une gloire bien autrement durable.
Le plus jeune des Corneille, nous l'avons dit, ne fut pas
épargné par le trait qui avait blessé l'aîné. De lui aussi nous
avons le témoignage; et n'eût-il pas, dans une élégie*, où il
resta bien au-dessous de l'épître et des stances de son frère,
confessé une passion qui fut sans triomphe, elle nous aurait
été révélée par l'allusion que ce frère y a faite, ])arlant de
rivaux que généreusement il aurait voulu savoir plus heu-
reux que lui :
J'ea ai, vous le savez, que je ne puis haïr 2.
Cet épisode du séjour de nos comédiens à Rouen nous
laisse à coté de Molière, qui n'y est intéressé que très indi-
rectement ; mais, ayant la bonne fortune de rencontrer le
grand Corneille, il était impossible qu'il ne nous arrêtât pas
un moment; c'est aussi qu'il est piquant de le voir, tout
barbon qu'il était alors, aussi peu sage que Molière, et pris,
sans être comédien comme lui, au même piège des dangereux
attraits d'une femme de théâtre.
Un tel homme, qui fut chez nous, comme le père, non
seulement de la tragédie, mais de la bonne comédie, fit-il
donc plus d'attention à la belle du Parc qu'au poète dont
les premiers essais pouvaient annoncer déjà que le Menteur
serait de loin surpassé? On voudrait trouver la preuve qu'il
n'a pas eu cette occasion de le connaître, sans beaucoup le
remarquer, sans avoir quelque pressentiment d'une pro-
chaine renommée, qui, dans une autre route, devait voler
aussi haut que la sienne. Rien n'indique cependant que, dès
cette rencontre à Rouen, où l'on ne peut guère croire que
Corneille n'ait pas connu l'Etourdi et le De'pit amoureux^ il
ait fait amitié avec leur auteur; et nous le verrons quelques
1. OEuvres complètes de P. Corneille, p. 363-367.
2. Ibidem, p. ijS, au vers 82 de l'épître citée plus haut.
SUR MOLIERE. 199
années plus tard, lorsque le génie de Molière était en plein
éclat, s'exposer au soupçon d'être importuné par ses suc-
cès. Il est tout au moins certain qu'il se laissa entraîner
dans la querelle d'un théâtre dont les intérêts et l'amour-
propre étaient menacés par la troupe concurrente. Cette
troupe, qui, en i658, ne parut pas, tout entière au moins,
à lui et à son frère, dépourvue d'agrément, leur déplut peu
après. Thomas Corneille va tout à l'heure la juger très
médiocre, et bonne seulement pour jouer de pauvres farces,
par exemple les Précieuses ridicules, cette bagatelle ! Plus
regrettables que ses injustices seraient celles du grand
Corneille, que nous trouverons peu douteuses. Nous aurons,
il est vrai, à parler d un temps plus heureux, lorsque les
deux admirables génies associeront fraternellement leurs
muses. Alors sans doute ils avaient oublié toute mésin-
telligence; et il ne leur souvenait peut-être pas davantage
qu'avant d'avoir rivalisé dans une collaboi^ation qui leur a
mérité le partage du prix, ils avaient, avec moins de succès,
été rivaux autrefois dans une fantaisie amoureuse.
Si l'on s'est plus occupé à Rouen d'une séduisante actrice
que du comédien-poète, il semblerait, d'après la lettre de
Thomas Corneille, que pareillement à Paris, lorsqu'on sut
que la troupe des Béjart et de Molière allait revenir, c'était
surtout la de Brie et la du Parc qui étaient attendues avec
impatience. Ayez donc écrit déjà deux comédies qui annon-
çaient un maître, pour que tous les regards se tournent de
préférence vers de jolis visages! Cette légèreté, ce peu de
clairvoyance des contemporains, étonnent la postérité, comme
si elle-même était incapable d'être, à l'occasion, aussi dis-
traite et aveugle.
Molière, qui n'était venu à Rouen qu'en vue de son éta-
blissement à Paris, y fit alors secrètement quelques voyages,
nous disent ses biographes de 1682. Madeleine Béjart, de
son côté, préparait, avec son activité ordinaire, l'installation
projetée. Le 12 juillet i6j8 un acte fut passé à Rouen* entre
I. Voyez le Moliéiiste de janvier 1886, aux pages 3o9. et 3o3,
où il a donné le texte de cet acte, découvert par M. Ch. de Beau-
repaire, archiviste de la Seine-inférieure.
200 NOTICE BIOGRAPHIQUE
elle et le comte Louis de Talhouet, par lequel celui-ci lui
cédait son bail de location du jeu de paume des Marais, à
Paris, avec toutes les loges, décorations de théâtre, etc.
Le premier terme du payement annuel de trois mille livres
était fixé à Noël. La location était faite de la Saint-Michel
(29 septembre) i658 à Pâques 1660.
Le théâtre loué par ce bail était celui de la troupe du
Marais, qui probablement n'avait pas, à ce moment, la for-
tune favorable. Elle n'était sédentaire qu'une partie de l'an-
née et allait quelquefois passer l'été à Rouen, où il est pos-
sible qu'elle se soit rencontrée avec celle de Molière. Ce fut
peut-être le succès des démarches faites par celui-ci dans
ses voyages, où il venait tâter le terrain à Paris, qui empê-
cha de donner suite à la convention du 12 juillet, ou rési-
liée, ou simplement laissée de côté avant son acceptation
définitive. Elle reste un document intéressant, où nous ap-
prenons qu'à sa date on ne comptait pas encore sur l'éta-
blissement meilleur que la troupe allait obtenir. Elle nous
fournit en outre des renseignements de quelque intérêt :
que le domicile de la demoiselle Béjart, à Rouen, était au
jeu de paume des Braques, ce qui marque évidemment le
lieu où furent données les représentations de la troupe;
et, fait plus curieux, que la même Béjart élisait domicile à
Paris « en la maison de Monsieur Poquelin, tapissier, valet
de chambre du roi, demeurant sous les halles ». Il est
difficile de supposer que ce fût à l'insu de celui-ci. Il avait
donc, tout au moins alors, pris son parti du genre de vie
de son fils, qui revenait fort accommodé, comme on disait
alors, et non sans célébrité.
La fortune eut la justice de permettre à Molière, dès son
retour à Paris, de paraître sur un théâtre plus favorable à
ses espérances et mieux fait pour le mettre dignement en
vue que le jeu de paume du Marais. Le Registre de La
Grange, qui désormais va nous donner les annales de la
glorieuse carrière du poète, commence ainsi* : « Le sieur
de Molière et sa troupe arrivèrent à Paris au mois d'oc-
tobre i658, et se donnèrent à Monsieur, frère unique du
I. Registre^ p. 3.
SUR MOLIERE. 201
Roi, qui leur accorda l'honneur de sa protection et le titre
de ses comédiens, avec Soo** de pension pour chaque comé-
dien. » On doit dire qu'ici même, le Registre constate, à la
marge, une petite déception, à laquelle les précédents pro-
tecteurs avaient sans doute habitué plus ou moins la troupe :
« jN" que les 3oo* n'ont pas été payées. » Appartenir au frère
du roi n'en était pas moins un précieux avantage : Monsieur
présenta Molière à la reine mère et au roi, devant qui il le
fit débuter.
Les biographes de 1682 n'ont pas nommé les « personnes
de considération » dont ils nous ont tout à l'heure parlé,
comme ayant, par leur crédit, donné à nos comédiens des
protecteurs à la cour. On a cherché à les connaître. Quelles
qu'elles aient été, il ne leur était pas très difficile de plaider
la cause d'une troupe que le bruit de ses succès en pro-
vince avait précédée à Paris. On a conjecturé que la Mothe
le Vayer, dont le fils devint l'ami de Molière, connaissait
déjà celui-ci comme gassendiste et avait pu le recommander
à Monsieur, son élève^. On a pensé aussi à Mazarin, qui, à
l'exemple de Richelieu, aimait et encourageait le théâtre.
Il avait, nous n'en doutons pas, entendu louer Molière par
Conti, lorsque ce prince était venu épouser la jeune Mar-
tinozzi, ou bien encore plus récemment par Pierre Mi-
gnard. Il se peut donc que le puissant ministre ait parlé
en sa faveur au duc d'Anjou-, auquel il devait paraître
juste, et même exigé par son rang, d'avoir ses comédiens,
suivant la coutume de tous les princes de ce temps, soit
français, soit étrangers. Il faut ajouter que le jeune souve-
rain et son frère, l'un âgé de vingt ans, l'autre de dix-huit,
prenaient grand plaisir au divertissement de la comédie.
Comment ne les aurait-on pas trouvés dans des dispositions
favorables ?
Le 24 octobre i658 est une grande date dans la vie de
1. M. de Modène... et Madeleine BJj'art, p. 352, et note 3 de la
même page.
2. Tel était alors le titre de Philippe de France. Il ne devint
duc d'Orléans qu'en i66o, après la mort de son oncle Gaston, ce
premier protecteur tle l'Illustre théâtre.
202 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Molière. Il parut ce jour-là « devant Leurs Majestés et toute
la cour sur un théâtre que le Roi avoit fait dresser dans la
salle des Gardes du vieux Louvre* ». C'était l'avant-veille
du départ de Louis XIV pour Lyon, où l'appelait un projet
de mariage avec une princesse de Savoie. Si distrait qu'ait
été peut-être, en de telles circonstances, le premier regard
du jeune roi sur Molière, il y eut là comme un signe fait à
la destinée du grand poète. Le voici montré au grand prince,
voici le règne fortuné, qui, personnifié dans son monarque,
rencontre une des plus brillantes gloires appelées à le déco-
rer. Ne laissant voir d'abord qu'une protection honorable,
mais qui paraît avoir été foi't peu effective, la représenta-
tion donnée au Louvre annonce dans un avenir prochain
une protection, non seulement plus haute encore, mais qui
saura défendre le génie contre les jugements du faux goût,
et en assurer la marche dans ses plus périlleuses hardiesses.
Ne lui demandons pas trop rigoureusement compte du
temps qu'elle lui a souvent dérobé hors du vrai chemin,
et saluons, sans chicane, le jour où, pour la première fois,
Molière, de la scène où il jouait, vit la main puissante qui
bientôt devait lui être tendue de si haut.
Nicomède fut la pièce que la troupe représenta devant la
plus imposante des assemblées. Lorsque Molière venait de
quitter Corneille, il ne pouvait mieux choisir qu'une de ses
tragédies ; et celle-ci, où règne si fièrement la grandeur d'une
âme royale, était tout indiquée pour se faire écouter favo-
rablement de l'auguste spectateur. « Ces nouveaux acteurs,
dit la Préface de 1682, ne déplurent point, et on fut sur-
tout fort satisfait de l'agrément et du jeu des femmes*. »
Nous le croyons sans peine, averti que nous sommes de la
curiosité excitée par les belles comédiennes de la troupe
avant même leur arrivée; puis la jeune cour était d'hu-
meur galante, déjà le roi tout le premier.
Le jeu des femmes, approuvé surtout, ferait supposer que
celui de Molière le fut moins dans Nicomède, où il dut avoir
un rôle. Son talent d'acteur était contestable dans le tra-
1. Préface de 1G82, p. xiv.
2. Ibidem.
ST^R '^lOLTERE. 2o3
gique. Toutefois, s'il n'y fut pas sans quelques défauts, un
de ceux qu'on lui reprochait peut bien avoir été ce naturel
qu'il préférait avec tant de raison à l'emphase de son temps.
Fut-ce un souvenir de critiques malveillantes dont avait été
l'objet son début au Louvre, qui, dans l' Impromptu de Fer-
s(iilïes\ lui fit choisir des vers de Nicomède comme le pre-
mier exemple qu'il y cite de la mauvaise récitation des
acteurs de l'Hôtel de Bourgogne? La présence de ces rivaux
à la représentation du ai octobre i658 est attestée par la
Préface de 1682. Cette présence achève de mettre sous nos
veux le tableau complet de l'avenir réservé à Molière. Nous
y voyons le roi déjà favorablement disposé, en attendant
qu'il devienne le plus encourageant et le plus sûr appui du
poète : puis sa cour, où celui-ci devait trouver des appré-
ciateurs et des amis, mais quelques-uns aussi de ses plus
furieux ennemis, parmi ceux que, sous le nom de marquis,
ses railleries n'ont pas ménagés; enfin les comédiens en-
vieux, pour qui leur troupe ne cessa d'être la seule «troupe
royale », et dont il put, dès ce premier jour, constater
l'hostilité. I! paraît certain, en effet, qu'à cette représenta-
tion de Nicomède ils laissèrent tout au moins reconnaître
sur leurs visages qu'ils jugeaient Molière digne -d'être sifflé.
Il ne fut donc pas l'agresseur, lorsque, dès le commence-
ment de l'année suivante, il s'est moqué dans Zes- Pre'cieuses-
de leur déclamation ronflante. Ne fut-ce pas la malveillance
de ces Grande comédiens qui accrédita le bruit du mauvais
succès de la nouvelle trouj)e jouant la tragédie de Corneille
dans la salle des Gardes? Charles Perrault a dit : « Il est
vrai que la troupe ne réussit pas cette première fois^ ".
Est-ce bien certain? Quoi qu'il en soit, Molière, lorsqu'il eut
achevé son rcMe dans. ISicomèdc, s'était réservé une occasion
de se faire plus particulièrement connaître. 11 était, comme
orateur de la troupe, fort exercé à parler, et il le faisait
toujours avec un goût parfait. 11 « vint sur le théâtre,
disent ses premiers biographes, et, après avoir remercié
I. Scène i, tome [II, p. 398 el ^gg.
3. Scène ix, tome II, p. 93.
3. Les Hommes illustres, p. 79.
ao4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Sa Majesté, en des termes très modestes, de la bonté qu'Elle
avoit eue d'excuser ses défauts et ceux de toute sa troupe,
qui n'avoit paru qu'en tremblant devant une assemblée si
auguste, il lui dit que V envie qu ils avoient eue d avoir l'hon-
neur de divertir le plus grand roi du monde leur avnit fait
oublier que Sa Majesté' avoit à son service d'excellents origi-
naux, dont ils n'étoient que de très foibles copies; mais que,
puisqu Elle avoit bien voulu souffrir leurs manières de cam-
pagne, il la supplioit très humblement dt avoir pour agréable
quil lui donnât un de ces petits divertissements qui lui avoient
acquis quelque réputation, et dont il régaloit les provinces^. «
Il est regrettable que nous n'ayons là qu'un abrégé du
petit discours, et qu'on nous en ait seulement donné à peu
près le sens, sans que nous puissions regarder comme tex-
tuelles les paroles mises dans la bouche de Molière. « Le
plus grand roi du monde », déjà! Cette flatterie trop pro-
phétique étonnerait à cette date. Ce que l'on peut tenir pour
sûr, c'est que la harangue fut très spirituelle. Louis XIV,
en l'écoutant, put se dire, avec son droit sens, que l'esprit
de ce comédien de campagne n'était pas sans urbanité ni
de qualité médiocre. Il allait aussi, quoique dans une petite
farce, se faire une idée de la verve plaisante de l'auteur
comique. Laissons encore parler les auteurs de la Préface,
dont le récit continue ainsi : « Ce compliment... fut si agréa-
blement tourné et si favorablement reçu, que toute la cour
y applaudit, et encore plus à la petite comédie, qui fut celle
du Docteur amoureux [Elle] divertit autant qu'elle sur-
prit tout le monde. Monsieur de Molière faisoit le Doc-
teur*. «
Mais quoi ! dans une si grande occasion , n'était-ce pas
l'Étourdi ou le Dépit amoureux qu'il eût fallu représenter?
Molière, n'en doutons pas, savait ce qu'il faisait. Il n'y
avait place que pour un petit acte après Nicomède, et lors-
qu'on paraissait pour la première fois devant des personnes
ro)'ales, une tragédie avait dû sembler de rigueur. Elle pou-
vait seule, d'ailleurs, permettre quelque comparaison entre
1. Préface de i68a, p. xiv.
2. Ibidem.
SUR MOLIERE. 2o5
les ejccellenf! originaux et leurs ambitieuses copies. Et puis
il faut prendre garde de nous tromper sur le plaisir que
faisaient ces légers canevas, à la mode italienne, qui lais-
saient beaucoup à l'improvisation des acteurs, et que Molière,
plus que tous les autres, surtout en les reprenant alors, se-
mait sans nul doute de traits étincelants. Ils avaient assez
plu dans le Languedoc pour permettre d'espérer qu'ils ne
seraient pas dédaignés par la cour elle-même, devant qui
l'auteur du Docteur amoureux ne le produisit, soyons-en cer-
tains, qu'en le purgeant, s'il se trouvait qu'il en fût besoin,
de tout sel grossier. Au reste, la petite pièce, qu'elle ait été
parée ou non d'agréments nouveaux pour la circonstance,
n'est pas venue jusqu'à nous ; elle n'est pas au nombre de
ces juvenilia de Molière qui nous ont été conservés, peut-
être plutôt mal que bien, et sans que nous sachions ce que,
sur la scène, il faisait entrer de spirituelles saillies dans ces
cadres commodément ouverts et toujours faciles à élargir.
Il faut faire attention à la manière assez favorable dont
l'auteur des Nouvelles nouvelles, impartial en apparence
seulement, parle de ces petites farces qu'il avait pu con-
naître mieux que nous : « Il fit [en province) des pièces qui
réussirent un peu plus que des farces, et qui furent un peu
plus estimées dans toutes les villes que celles que les autres
comédiens jouoient'. » Ce Docteur amoureux, choisi entre
toutes pour être représenté devant Louis XIV, peut bien
avoir été celle que Molière estimait la meilleure. S'il est
vrai, comme le dit le Bolxana, que Boileau en regrettât
la perte, était-ce seulement parce qu'il pensait « qu'il y a
toujours quelque chose de saillant et d instructif » dans les
moindres ouvrages de Molière^? N'était-ce pas plutôt qu'il
avait pu le juger ainsi au Petit-Bourbon, dans le temps des
représentations qui y furent données avant que La Grange
eût commencé son Registre 'l 'Slnil^vè tout, il ne pouvait y
1. JVouielles riouvellei , par M. de... [de Fisé) , i663 (in-ial
tome III, p. 220.
2. Bolœana (l'j^'i], p. 3l.
3. Voyez notre tome I, p. 4 et 9- {Notice sur les premières farces,
par E. Despois.)
«o§ NOTICE BIOGRAPHIQUE
avoir là rien à comparer, même de loin, avec ses deux
vraies comédies; mais eût-il été libre de les choisir, pour
paraître, dans son début, avec tous ses avantages, un
joueur prudent ne se hâte pas de montrer tout ce qu'il a
dans les mains pour gagner la partie.
Le roi en vit assez pour être content, puisqu'il fit donner
à la troupe de Monsieur la salle du Petit-Bourbon, où elle
devait jouer alternativement avec les comédiens italiens ^
dont la troupe avait pour chef le fameux Scararaouche.
Cette salle très vaste* communiquait avec le Louvre par de
longues galeries. On y était presque chez le roi. Les repré-
sentations en public des nouveaux comédiens y commen-
cèrent le 2 novembre^ iG58.
Les camarades de Molière étaient, à ce moment-là, Bé-
jart l'aîné (Joseph), Béjart cadet (Louis), du Parc, du Fresne,
de Brie, et les demoiselles Béjart (Madeleine), du Parc, de
Brie, Hervé (Geneviève Béjart). On a vu dans la lettre de
Chapelle* écrite à Molière au commencement du printemps
de l'année suivante, que de peines donna le gouvernement
de cette troupe à son chef, au milieu des rivalités des co-
médiennes. Si l'on trouve, cinq ans plus tard, Molière pes-
1. Elle leiu' payait quinze cents livres, et il était convenu que,
pour ses représentations, elle prendrait les jours exiraordinaires,
les lundis, mercredis, jeudis et samedis. (Registre de La Grange,
p. 3.) — Â-u mois de juillet de l'année suivante (lôSg) les comé-
diens italiens ayant repassé les monts, notre troupe prit les jours
ordinaires, le dimanche, le mardi et le vendredi. (Ibidem, p. 8.)
Ces jours étaient les meilleurs, comme l'explique Cliappuzeau
(le Théâtre français, livre II, chapitre xv).
2. Sur son étendue, sur sa situation, le long de la Seine, entre
le vievix Louvre et Saint-Germain-l'Auxerrois, sur les divertisse-
ments qui y furent donnés, avant qu'elle fût mise à la disposi-
tion de Molière, voyez le Théâtre français sous Lauis XIV d'Eu-
gène Despois, p. 33-20, et p. ^o--'\\o. à la Note première de
V^ppeudice.
3. Le Registre de La Grange dit inexactement le 3 novembre,
qui cette année était un dimanche, un des jours réservés aux Ita-
liens. Le Registre d'ailleurs ajoute : « jour des Trépassés », cor-
rigeant par là son erreur.
4. Ci-dessus, p. 146-148.
SUR MOLIERE. 207
tant encore, dans l'Impromptu de Versailles^, contre ses ac-
teurs, il le fait alors en souriant : tout avait changé; son
autorité était plus fortement établie. S'il n'est pas probable
que la guerre eût cessé entre les femmes, elle était sans
doute moins ouverte. En tout cas, devant le public, il n'au-
rait eu garde de se plaindre de ses camarades autrement
que par manière de badinage.
Dès qu'il fut établi au Petit-Bourbon, il dut songer à la
grande épreuve, qu'il n'avait pu risquer devant le roi. Il
fallait, sans trop différer, connaître le jugement du public de
Paris sur les ouvrages dont le succès intéressait sérieuse-
ment sa réputation personnelle, tout son avenir d'auteur.
Ce fut dans ces commencements qu'il « donna pour nou-
veautés V Étourdi et le De'pit amoureux, qui n'avoient jamais
été joués à Paris-. » Les dates manquent nécessairement
dans le Registre de La Grange, qui, n'étant pas encore entré
dans la troupe, s'est cru dispensé de marquer, sur ouï-dire,
les jours précis où furent jouées pour la première fois, avant
le 28 avril i6jg, les deux comédies si dignes de faire épo-
que. Il s'est contenté de les nommer avant toutes autres, en
homme qui n'en ignorait pas la valeur, et de constater que
« ces deux pièces nouvelles, ou telles, pour Paris 5>, y furent
représentées avec un grand succès, qui ne contribua pas peu
à celui de la troupe''. Grimarest ne laisse pas les dates aussi
indéterminées. L'Étourdi parut, selon lui, dès le premier
mois (novembre i658), le De'pit amoureux au mois de décem-
bre suivant*. L' Élomire kypocondre nous apprend qu'avant
la représentation de l'Étourdi d'autres avaient été données,
celles de cinq des tragédies de Corneille, dans lesquelles on
ne fut pas content des acteurs. Il fait dire à Elomire^:
... Tel étoit déjà le bruit de mon renom
Qu'on nous donna d'abord la salle de Bourbon.
Là par Héraclhis nous ouvrons un théâtre
I. Scène I, tome IIL ]). 089. — y.. Préface de 1G82, p. xv.
3. Registre de La Grange, p. 4- — ^-La f^ie de .1/. de Molière, p. Z^.
5. Scène 11 du Divorce comique, p. 78-80. — On a dit que Cha-
lussay s'était trompé en nommant Héraclius au lieu de Nicomède,
mais il parle du Petit-Bourbon et non du Louvre.
ao8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Où je crois tout charmer et tout rendre idolâtre.
Mais hélas! qui l'eût cru? Par un contraire effet,
Loin que tout fût charmé, tout fui mal satisfait;
Et par ce coup d'essai, que je croyois de maître,
Je me vis en état de n'oser plus paroître.
Je prends cœur toutefois, et, d'un air glorieux.
J'affiche, je harangue, et fais tout de mou mieux.
Mais inutilement je tentai la fortune.
Après Héraclius, on sifQa Rodogune .
Cinna le fut de même, et le Cid, tout charmant,
Reçut avec Pompée un pareil traitement.
Dans ce sensible affront, ne sachant où m'en prendre.
Je me vis mille fois sur le point de me pendre.
Mais d'un coup d'étourdi que causa mon transport.
Où je devois périr, je rencontrai le port :
Je veux dire qu'au lieu des pièces de Corneille,
Je jouai l'Étourdi^ qui fut une merveille;
Car à peine on m'eut vu, la hallebarde au poing,
A peine on eut ouï mon plaisant baragouin ',
Vu mon habit, ma toque, et ma barbe, et ma fraise,
Que tous les spectateurs furent transportés d'aise.
Du parterre au théâtre, et du théâtre aux loges,
La voix de cent échos fait cent fois mes éloges;
Et cette même voix demande incessamment
Pendant trois mois entiers ce divertissement.
Mon Dépit amoureux suivit ce frère aîné
Et ce charmant cadet fut aussi fortuné ;
Ceu" quand du Gros-René l'on aperçut la taille,
Quand on vit sa dondon rompre avec lui la paille,
Quand on m'eut vu sonner mes grelots de mulets-,
Mon bègue ^ dédaigneux déchirer ses poulets,
Et remener chez soi la belle désolée,
Ce ne fut que ah! ah! dans toute l'assemblée;
1. Rôle de Mascarille, acte V, scène m.
2. Acte II, fin de la scène vi. Molière jouait donc le rôle d'Al-
bert, et non celui de Mascarille, qu'il avait sans doute joué en
province.
3. Le personnage du jeune premier Éraste avait donc été donne
à Joseph Béjart, dont le bégayement n'était probablement pas très
choquant.
SUR MOLIÈRE. 209
Et de tous les côtés chacun cria tout haut :
C'est là faire et jouer des pièces comme il faut.
Chalussay, dans ce dernier vers, nous paraît changé,
pour un moment, en un Balaam. Soyons-lui reconnaissant
d'une louange de si grande valeur dans sa bouche, qu'il
n'avait ouverte que pour la raillerie méchante; et pardon-
nons-lui, s'il n'est pas invraisemblable qu'il ait un peu exa-
géré les mésaventures de la troupe dans les pièces de Cor-
neille. Il se peut d'ailleurs que ces représentations tragiques
aient été réellement accueillies par quelques sifflets, qui de-
vaient laisser reconnaître la cabale des tragédiens rivaux ;
mais pour qu'il ait entendu aussi les Ah! ah! soulevés, non
seulement par le jeu des acteurs du Dépit amoureux, mais
par le comique, un comique jugé comme il faut, de la pièce
elle-même, nous devons tenir pour bien prouvé que le pu-
blic avait, à son grand honneur, été plus que content, vrai-
ment transporté. Il est curieux d'avoir à chercher aujour-
d'hui dans une satire le témoignage contemporain des
premières journées triomphantes qui donnèrent courage à
Molière, et de ne pas les rencontrer ailleurs.
Ceux qui s'étonnent, bien qu'il n'y ait pas de quoi, de
trouver la justice si tardive, auront peine à comprendre
que la révélation faite à Paris d'un génie comique sans égal
semble n'avoir pas fait le moindre bruit hors de la salle
où elle fut vivement applaudie. Déjà la représentation du
Louvre, qu'avec ses promesses de la plus haute faveur nous
avons peine à ne pas nous imaginer aujourd'hui comme
une grande fête littéraire, n'avait pas même eu l'honneur
d'une mention dans la Gazette, très exacte d'ordinaire à
nous faire suivre le roi partout où il se montre, et à ne pas
oublier ses moindres divertissements. Loret non plus, dans
sa Muse historique, n'en avait soufflé mot; et lorsque les
deux charmantes comédies, accueillies avec enthousiasme
au Petit-Bourbon, ouvrirent à notre théâtre une ère nou-
velle de chefs-d'œuvre, on interroge en vain chez le gaze-
tier rimeur ses lettres de novembre et de décembre i658.
En fait de spectacles, il n'ouvre les yeux que pour admirer
un géant qui attirait la foule au bout du Pont->"euf. La cé-
cité, trop fréquente chez les messagers de la Renommée,
Molière, x 14
2IO NOTICE BIOGRAPHIQUE
n'explique pas tout peut-être. Il est permis de soupçonner
une conspiration du silence machinée autour de Molière
par l'Hôtel de Bourgogne. En se voyant l'objet de tant de
jalousie, le poète ne se fût pas trompé, s'il eût dit comme
son Alceste :
Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande'.
Nous ne savons si sa philosophie alla jusque-là; mais cer-
tainement il eut assez de confiance dans ses forces pour ne
pas désespérer du jour de l'entière justice.
Ses camarades eux-mêmes, en dépit de la sourde guerre
de l'envie, n'avaient aucun sérieux motif de découragement;
et s'il y eut quelques désertions, ou n'y saurait voir le
sauve-qui-peut de gens qui auraient eu la vision d'une pro-
chaine déroute. Du Fresne sortit de la troupe, parce que,
fatigué, il jugea l'heure venue de la retraite, qu'il alla cher-
cher à Argentan, son pays natal. La du Parc, entraînant
avec elle Gros-René, son mari, passa dans la troupe du
Marais, sans autre raison probablement qu'une de ces piques
féminines comparées dans la lettre de Chapelle à celles des
déesses de l'Olympe. Au reste, la première fuite de la belle
Marquise nQ l'éloignapas pour longtemps. Ces changements,
auxquels il ne faut pas chercher un autre sens, sont placés
par La Grange au temps de Pâques 1659. Ils n'ébranlèrent
point la fortune du théâtre, qui combla heureusement les
vides par l'engagement du vieux Jodelet, le farceur si po-
pulaire, et de son frère l'Épy, l'un et l'autre sortis du Ma-
ltais; par celui aussi de deux excellents acteurs, La Grange
et du Croisy, celui-ci venu avec sa femme.
Quelques jours avant la rentrée de Pâques, qui n'eut lieu
que le 28 avril, la troupe alla en visite au château de Chilly-,
où le maréchal de la Meilleraye, grand-maître de l'artillerie,
recevait le roi, rentré h. Paris à la fin de janvier. Nous ne
devions pas omettre cette visite, qui pour la seconde fois
donna l'occasion à Molière de paraître devant Louis XIV,
non plus alors avec une petite ébauche de pièce, mais avec
I. Le Misanthrope^ vers iio.
3. Près de Longjumeau.
SUR MOLIERE. aii
le Dépit amoureux, ainsi que La Grange en a consigné le
souvenir ^ Voilà donc enfin connue du juge le plus utile à
gagner, une comédie qui put, de ce jour, lui faire appré-
cier plus dignement le talent de Molière. Qui, sans le fidèle
Registre, nous aurait donné cette intéressante information?
Ce n'aurait été ni la Gazette, ni la Mu-^e historique. L'une
nous apprend seulement que trois jours après Pâques, le
i6 avril (nous avons ainsi la date), le roi fut à la prome-
nade à Chilly, avec une très belle troupe de seigneurs et de
dames, que le grand-maître l'y traita somptueusement,
« puis lui donna le divertissement de plusieurs sortes de
chasses, et de la comédie, qui fut encore suivie d'une ma-
gnifique collation- ». La comédie, mentionnée sèchement,
fait là petite figure, et magnifique est l'épithète réservée à
la gloire de la cuisine. C'est ainsi que Dassoucy, plus par-
donnable, avait surtout vanté la grande mangeaille dont on
se crevait à la table de Molière. A la même date que la Ga-
zette, Loret, tout comme elle, célèbre les mets délicieux,
la chasse des chevreuils et des daims :
Que faut-il encor que je die?
Les violons, la comédie.
Pour celle-ci, voilà tout; il ne daigne nommer ni les comé-
diens, ni la pièce qu'ils jouèrent. Nous lui devons cepen-
dant de savoir que parmi les spect'àteurs étaient le frère
du roi, les nièces de Mazarin, la très belle Villeroi^, et une
demi-douzaine de filles d'honneur de la reine, des plus
richement parées. Jusqu'à la fin ce fut une fête éblouissante,
Et chacun s'en revint chez soi,
enchanté très certainement. Mais parmi tout ce beau monde,
qui emportait, en rentrant, le souvenir de tant de magnifi-
cences, on eût peut-être facilement compté ceux qui recon-
1. Registre, p. 5.
2. Gazette du 19 avril 1609.
3. Mlle de Villeroi, fille de Nicolas de Neuf\ille, duc de "Vil-
leroi, maréchal de France, et sœur du marquis de Villeroi {le
Charmant).
ail NOTICE BIOGRAPHIQUE
nurent n'avoir eu sous les yeux rien de plus digne de
mémoire que les charmantes scènes dont l'éclat fut alors
le seul qui ne dût pas rapidement s'éteindre.
L'Étourdi, qu'il restait à faire connaître au roi, tarda peu
à être joué pour lui. Il le fut le lo mai lôSg*, au Louvre.
La représentation ne put avoir tout son agrément. Joseph
Béjart, s'étant trouvé malade, acheva son rôle, probable-
ment celui de Lélie^, mais avec peine. Souvent la scène est
pour les comédiens comme un champ d'honneur où le sol-
dat blessé ne laisse pas tomber son arme, tant qu'il n'est
pas à bout de forces.
Le Registre de La Grange marque une représentation de
l'Étourdi, le même jour, au Petit-Bourbon. On aura beau
trouver un peu singulier que l'on commençât par la ville, au
risque de ne présenter au Louvre que des acteurs fatigués,
il ne saurait y avoir de doutes sur l'ordre des deux repré-
sentations. Le Petit-Bourbon ne jouait que dans la jour-
née; ce fut donc le soir que l'on joua devant le roi^. Il est
d'ailleurs impossible que Béjart ait été en état de remonter
sur la scène du théâtre public après un accident des plus
graves et que la mort suivit bientôt. L'avenir, s'il s'était pu
dévoiler, eût montré Molière, par une destinée semblable,
1. Le Registre dit : « le samedi ii ». Le samedi était le lo. La
Grange a persévéré dans son erreur de dates depuis le jeudi
8 mai jusqu'à la fin du mois.
2. On croit qu'il l'avait créé à Lyon. Dans le Dépit amoureux
il jouait un rôle du même emploi, celui d'Eraste, comme nous
l'apprend VElomire hvpocondre :
Quand on vit
Mon bègue dédaigneux déchirer ses poulets.
3. Diverses mentions que fait Dangeau du divertissement de la
comédie dans les demeures royales marquent le soir. C'était
peut-être le plus ordinaire dès le temps très antérieur à celui
dont il a fait la chronique. On verra ci-après toutefois un nou-
vel exemple d'une comédie de Molière représentée deux fois le
même jour, devant le roi d'abord à Fontainebleau, puis chez le
surintendant le soir. Il n'y avait pas la même difficulté pour une
visite que pour le théâtre public.
SUR MOLIERE. 2i3
emporté expirant de la scène en jouant sa dernière comédie.
Béjart, mis hors de combat dans une représentation de la
première, ne mourut pas tout à fait aussi vite, mais au bout
de quelques jours, dans la seconde quinzaine de mai*. Telle
était dans la troupe la grande place des Béjart qu'à l'oc-
casion de la mort de Joseph (La Grange l'atteste), il y eut
une longue interruption des représentations, depuis le lundi
19 mai jusqu'au lundi 2 juin.
L! Étourdi, s'il avait été joué au Louvre avec moins de
malencontre, était bien fait pour donner au roi une plus
haute idée de Molière que le Docteur amoureux. Une preuve
cependant que, pour faire goûter son talent, la petite pièce
avait suffi, c'est qu'ayant été appelé de nouveau au Louvre,
le 17 mai, il avait fait voir au roi le Médecin volant et Gros-
René écolier, deux farces, dont l'une est maintenant jointe
à ses OEuvres complètes, l'autre, restée inconnue, pourrait
bien aussi être de lui.
Quelques mois plus tard et avant la fin de cette année
1659, il allait sur le théâtre du Petit-Boui'bon donner une
nouvelle farce, s'il est permis de la nommer ainsi, quoi-
qu'elle ne souffre aucune comparaison avec celles de sa
première manière qui nous ont été conservées, et dont on
I. Jal a relevé sur le registre de Saint-Germain-l'Auxerrois la
date de son convoi : 26 mai 1659. — Gui Patin, dans une lettre
écrite le 27 mai, nomme Béjart l'aîné parmi ceux qui étaient
morts « depuis trois jours », Il laissait, dit-il, vingt-quatre mille
écus d'or; ce qui lui remet en mémoire les vers de Juvénal {Sa-
tire ni, v. 58-65) sur la lie asiatique et les vils histrions, eu
grande faveur dans Rome corrompue :
Jam pridem Syrus in Tiherim defluxil Orontes.
Voilà son oraison funèbre. Gui Patiu s'y est mis eu dépense inu-
tile d'indignation. Cette prodigieuse fortune que Joseph Béjart
n'avait pu gagner ni au théâtre ni par son Recueil de titres, est
un conte ridicule. Marie Hervé, sa mère, fit faire, le 10 juillet i65g,
l'inventaire de ses biens meubles, dont elle était héritière, et qui
étaient, suivant sa déclaration, « tout ce qu'elle savait de sa suc-
cession ». Ils furent prisés 848 livres 7 sols. (Voyez le Moltériste
de juillet i885, p. 119-122.)
2i4 NOTICE BIOGRAPHIQUE '
ne sait, il est vrai, jusqu'à quel point le texte a été exacte-
ment recueilli. Lorsque les Précieuses ridicules furent impri-
mées pour la première fois, au commencement de 1660,
elles le furent sous le titre de comédie, qui, depuis, leur a
toujours été donné, et auquel elles ont le plus incontestable
droit. Il n'en est pas moins à remarquer que Mlle Desjar-
dins, dans le Récit qu'elle en a fait, la nomme la Farce des
Précieuses^ et probablement Molière lui-même l'avait ainsi
nommée en province, si, comme il ne nous a pas semblé
impossible, c'est là qu'elle a d'abord été représentée*. Nous
ne serions pas étonné qu'il n'eût pas eu pour elle l'ambition
d'un autre titre, lorsque, le 18 novembre 1839, il la fit jouer
pour la première fois à Paris : le nom de farce n'était pas
pour l'effrayer.
Il n y a, dans la vie de Molière, rien de plus intéressant
que l'histoire de ses ouvrages. Nous voudrions cependant
ne pas trop répéter ce qui en a été dit dans les notices
dont notre édition a fait précéder chacune de ces pièces. Il
est permis de compter un peu sur la différence du point de
vue dans une étude biographique où il convient d'omettre
quelques détails, de donner à quelques autres un peu plus
de développement. D'après la règle que nous nous efforce-
rons d'observer partout, nous ne ferons à la Notice très
complète d'Eugène Despois sur les Précieuses ridicules^ que
les emprunts nécessaires ici.
Il a expliqué pourquoi la première représentation, don-
née le 18 novembre, n'a été suivie de la seconde, comme le
Registre le constate, qu'à la date du 2 décembre. Somaize,
dans le Grand Dictionnaire des Prétieuses'^, prophétise que
celles-ci « intéresseront les galants à prendre leur parti »,
et qu' «: un alcôviste de qualité interdira ce spectacle pour
quelques jours ». La prophétie était sûre, étant faite après
l'événement; car le Grand Dictionnaire ne fut imprimé
qu'en 1661, et ses prédictions n'étaient qu'une forme plus
1. Voyez ci-dessus, p. 184-187.
2. Voyez au tome II, p. 3-44.
3. Aux mots Prédictions touchant V Empire des Prétieuses. Tome I
du Recueil de M. Livet (Bibliothèque eizévirienne), p. 189.
SUR MOLIERE. 2i5
ou moins ingénieuse donnée à des souvenirs de faits accom-
plis. Somaize aurait bien dû prédire le nom de l'alcôviste
assez puissant pour suspendre les représentations de la
pièce. Le roi était absent, aussi bien que son frère, pro-
tecteur de la troupe. Ils étaient partis en octobre pour le
long et important voyage dont ils ne revinrent qu'au mois
de juillet 16G0, après le succès de la négociation du grand
mariage qui l'avait fait entreprendre et qui donna pour
reine à la France l'infante Marie-Thérèse d'Autriche. Nous
ne savons si Molière, opprimé par quelque marquis de Mas-
carille (un vrai marquis, celui-ci), eut le temps d'en appe-
ler aux personnes royales, comme le donnerait à croire la
mention que l'on a faite* d'un envoi de la pièce à la cour,
pendant le voyage des Pyrénées. Ce serait une ressemblance
avec l'histoire du Tartuffe en 1667. Quoi qu'il en ait été,
l'obstacle avait peu tardé à être vaincu, puisque au bout de
deux semaines la pièce fut reprise. On avait affaire à moins
forte partie qu'aux gens déchaînés, huit ans plus tard, contre
le portrait de l'hypocrisie. Le rapprochement des deux dates
de 1639 et 1667, toute proportion gardée, ne s'en présente
pas moins à l'esprit.
Molière fut donc averti, dès ces commencements, du
danger que l'on courait en attaquant des coteries puissantes.
Un moins brave pouvait être à tout jamais gêné par cette
première leçon; niais il n'était pas facile d'intimider son
ferme caractère, ni d'arrêter, dans son irrésistible force, la
marche de son génie. Il fit dès lors reconnaître chez lui ce
mélange d'audace et d'adroite prudence qui mettait en dé-
route ses victimes, celles mêmes dont les cris étaient les
plus redoutables. D'ans sa préface, la première qu'il ait
écrite (il n'en a par la suite écrit que deux autres), il prit
soin de distinguer les vraies et les fausses précieuses, comme
plus tard la vraie et la fausse dévotion. Nous ne sommes
pas de ceux qui voient là un distinguo sans aucune sincérité.
Son esprit était trop juste pour confondre des personnes
d'un mérite reconnu avec ses « pecques provinciales «.Mais,
si l'on plaidait son entière innocence, on rabaisserait son ex-
1. Scgraisiana^ p. ai2 et 2i3.
âfg NOTICE BIOGRAPHIQUE
cellente comédie. Il se rendait bien compte que ses railleries
n'iraient pas toutes à l'adresse de celles qu'il appelle « mau-
vais singes », et qu'à travers la caricature, plus d'un trait,
passant par-dessus leurs têtes, porterait plus loin, plus haut.
C'est par là que l'œuvre était digne de lui, devenait une très
utile correction d'un des travers du siècle. Fût-il vrai que
l'applaudissement, comme le dit le Menagiana, eût été géné-
ral à la première représentation, malgré la présence de « tout
l'hôtel de Rambouillet », ce ne serait là que la bonne conte-
nance de personnes d'esprit, qui ne purent manquer d'ail-
leurs de sentir le coup. La suppression de la pièce est une
preuve certaine que, parmi les intéressés, tout le monde
n'en méconnut pas la portée. Le public ne s'y trompa point
non plus. Sa faveur, si éclatante tout d'abord, ne s'explique
pas uniquement par la gaieté pleine de verve de quelques-
unes des scènes, mais par le sentiment que l'on eut d'un
grand écroulement de ce trop long règne du raffinement
d'esprit, de l'excessive épuration du langage et de la déli-
catesse des sentiments, poussée jusqu'à l'affectation. Il était
temps de le ruiner par le ridicule. Après avoir rendu des
services dans leurs combats contre la vieille grossièreté, les
célèbres cabinets de la société polie, comme on l'a nommée,
avaient fini par mettre en péril le naturel. La victoire de
Molière fut donc celle du bon sens. De tels combats cepen-
dant sont toujours à recommencer. Si le puissant moqueur
revenait parmi nous, il ne trouverait pas de nos jours la
pruderie du temps où l'on prétendait purger les mots fran-
çais des syllabes déshonnêtes, mais est-il aussi certain qu'il
n'aurait pas à nous faire honte de la renaissance, sous une
forme nouvelle, du style alambiqué et des barbarismes pré-
cieux? Appelons un nouveau Molière.
Quand on regarderait comme sorti de l'imagination de
Grimarest le veillard que, dans une représentation des Pré-
cieuses, il fait s'écrier au milieu du parterre : « Courage
courage, Molière! voilà la bonne comédie' », on peut être
sûr que tel fut le jugement prononcé par les connaisseurs,
par Boileau tout le premier, qui, pas plus que Molière, n'ai-
I. La vie de M de :iIotière, p, 36 et 3;.
SUR MOLIERE. 217
mait « la secte façonnière », et qui ne regardait pas comme
une simple farce la pièce que dans ces vers de sa Satire x
il a saluée comme un coup de l'art :
Ces esprits renommés
Que d'un coup de son art Molière a diffamés*.
Le plaisir que l'on avait pris à la première représenta-
tion d'une comédie étincelante d'esprit et de gaieté, le bruit
qu'avait fait sur-le-champ la satire des plus fameux beaux-
esprits, enfin l'intérêt qu'elle inspirait depuis que l'on avait
essayé de la supprimer, assuraient à la reprise du 2 décem-
bre, impatiemment attendue, un rare empressement de
curiosité. On s'y attendait si bien, que cette seconde repré-
sentation fut donnée à l'extraordinaire, comme on disait,
c'est-à-dire que le prix des places fut doublé, ce qui n'était
pas encore l'usage au Petit-Bourbon, même pour les pièces
nouvelles. Depuis ce moment celle-ci alla aux nues, on en
raffola.
Si l'on en croyait le Segraisiana, Molière lui-même aurait
eu de sa comédie une très haute opinion, ce qui n'eût été,
après tout, que se rendre justice. L'approbation de la cour
aurait même enflé à tel point son courage qu'il aurait dit :
« Je n'ai plus que faire d'étudier Plante et Térence, ni
d'éplucher les fragments de Ménandre; je n'ai qu'à étudier
le monde*. » Comment a-t-on pu lui attribuer de telles hâ-
bleries ? Non, même après ses plus grands chefs-d'œuvre,
jamais il n'a prononcé cet ambitieux
Cedite, Romani scriptores, cedite, Grali^.
Pour de si ridicules emportements d'un orgueil qui ne voit
plus rien à apprendre des plus grands maîtres, il avait trop
de jugement et de bon goût. Sa préface, dont nous avons
déjà parlé, est fort modeste, quoique dans cette juste mesure
que n'ont pas les modesties affectées et suspectes : il ne veut
1. Vers 4^9 et 440'
2. Segraisiana, p. 2i3.
3. « Effacez-vous, écrivains romains; Grecs, eÛ'acez-vous ! »
{Properce, livre II, élégie xxxiv, v, 65.)
2i8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
pas démentir tout Paris, qui n'a pu applaudir à une sottise.
Tant de gens, qui ont dit du ijien des Précieu.ies, l'ont forcé
de croire qu'elles valaient quelque chose. Cependant elles n'au-
raient pas été irapinmées (aucun autre ouvrage de lui ne
l'avait encore été, au moins de son consentement), si l'on
ne lui avait fait violence, et s'il n'avait dû ne pas laisser
la place libre à une édition subreptice, déjà préparée. Il
avait eu la main forcée; autrement le succès de la représen-
tation lui aurait suffi, persuadé qu'il était que sa pièce était
faite pour être vue à la chandelle, et que « l'action et le ton
de voix j> lui avaient donné une grande partie de ses grâces.
Telles sont à peu près ses paroles, et telle était, nous n'en
doutons pas, sa pensée sincère. Outre qu'il était supérieur
à la vanité, il est certain que, sans se méconnaître comme
auteur, il attendait toujours beaucoup pour son succès de
l'art du comédien et de la manière dont ses ouvrages étaient
représentés. Pour sa part, il les jouait avec une^verve co-
mique et une perfection qui en faisait mieux sentir le prix.
On se souvient des transports qu'au témoignage de l'Élo-
mire hypocondre^ il avait excités chez les spectateurs dans
son rôle de Mascarille de l'Étourdi. Un autre malveillant
atteste également l'excellence de son jeu dans les Précieuses,
oh il fut encore Mascarille. Somaize, dans sa px'éface des
Précieuses ridicules., nouvellement (il aurait dû ajouter : et
pauvrement") mises en vers par lui-même, dit qu'à la pièce
volée aux Italiens, ainsi qu'il avait l'impudence de le sup-
poser, Mascarille a « ajouté beaucoup sur son jeu, qui a plu
à assez de gens pour lui donner la vanité d'être le premier
farceur de France 3>. "Voilà comme un détracteur était forcé
de mettre au premier rang Molière comédien, avec la vaine
précaution de l'appeler farceur, en même temps qu'il avouait
le mérite de l'auteur en s'appropriant son ouvrage sous le
déguisement des rimes dont il l'habillait. Molière, qui put
s'habituer de bonne heure aux morsures de ses jaloux, a,
dans sa préface, justement dédaigné de se justifier de l'ab-
surde accusation d'avoir volé à l'abbé de Pure sa pièce en
langue italienne, jouée en i656, simple canevas peut-être,
dont il n'est rien resté. Rien n'est plus significatif, comme
l'a très bien fait remarquer Despois, que le silence gardé
SUR MOLIÈRE. 219
sur ce prétendu plagiat par Thomas Corneille dans une lettre
à l'abbé de Pure, où, au lieu de parler avec grand dédain,
comme il fait, de la pièce de Molière, il eût été si naturel
qu'il en fît honneur à l'auteur dépouillé. Cette lettre, qui
maltraite la troupe du Petit-Bourbon, aussi bien que la
comédie des Précieusex ridicules, est très curieuse. Quel
sentiment l'a inspirée? Probablement beaucoup de partialité
pour le Marais, qui jusqu'alors avait joué les ouvrages de
Thomas Corneille, et où était entrée Mlle du Parc, qu'il ne
serait pas trop invraisemblable de le soupçonner d'avoir
encouragée à déserter le théâtre de Molière. Une autre con-
jecture est que les frères Corneille (^les Cléocritcs dans le
Grand dictionnaire de Somaize) ayant fréquenté les fameuses
ruelles, où ils étaient en honneur, et dont ils ont montré
quelquefois (même celui des deux si justement nommé le
Grand] qu'ils avaient respiré l'air, leurs liaisons dans le
monde des précieuses les disposaient mal pour la comédie
qui le ridiculisait. Par ces raisons, ou par une erreur de
goût, Thomas Corneille écrivait ceci, à propos de la pièce
d'un Rouennais, intitulée Pylade et Oreste, dont l'abbé de
Pure paraît avoir écrit beaucoup de bien, mais qui n'avait
pas été heureuse au Petit-Bourbon, par la faute des acteurs ;
c'est du moins ce que les amis de l'auteur se plaisaient à
croire : « J'ai eu bien de la joie de ce que vous avez écrit
à'Oreste et Pylade et suis fâché en même temps que la haute
opinion que M. de la Clérière* avoit du jeu des Messieurs
de Bourbon n'ait pas été remplie avantageusement pour lui.
Tout le monde dit qu'ils ont joué détestablement sa pièce;
et le grand monde qu'ils ont eu à leur farce des Pre'tieuses,
après l'avoir quittée^, fait bien connoître qu'ils ne sont
1. On a imprimé de la Cléville dans lédition de Charles Lahure,
déjà citée à la note 2 de la page 196. Mais dans l'autographe il
y a bien de la Cterier ou de la Clérière. Le Registre de La Grange
nomme l'auteur de Pylade et Oreste « Coqueteau la Clairière, de
Rouen ».
2. Ceci est clair. rSon seulement il n'y aurait guère eu lieu de
raisonner sur « le grand monde qu'ils ont eu », s'il ne s'agissait
que de la première représentation ; mais les mots « après l'avoir
quittée » établissent certainement que la lettre parle des repré-
220 NOTICE BIOGRAPHIQUE
propres qu'à soutenir de semblables bagatelles, et que la
plus forte pièce tomberoit entre leurs mains. »
Ainsi se consolent ceux qui ne peuvent contester l'im-
portun succès d'une pièce. Ils aiment à voir uniquement dans
ce succès celui des comédiens. Comme il ne fallait pas ce-
pendant paraître louer la troupe de Molière, Thomas Cor-
neille ne la reconnaît habile que dans des « bagatelles»; et
la comédie des Précieuses n'est à ses yeux rien de plus.
Bagatelle est bientôt dit, et fut comme le mot d'ordre des
mécontents. On le retrouve en i663 sous la plume de Don-
neau de Visé, dans ses Nouvelles nouvelles, où, malgré des
intentions de dénigrement plus ou moins masquées, il n'a pas
laissé de porter de bonne heure témoignage de la renommée
grandissante de Molière *.
Après avoir soutenu, comme Somaize, que l'auteur des
Précieuses ridicules les avait empruntées aux Italiens « ses
bons amis », n'étant « encore ni assez hardi pour entre-
prendre une satire, ni assez capable pour en venir à bout »,
sentations données après que l'on eut cessé de jouer Pylade et
Oreste. Or, le Registre de La Grange ne saurait s'être trompé sur
la chronologie de l'histoire des deux pièces nouvelles représen-
tées en novembre. Celle de Molière l'a été le i8, celle de la Clai-
rière le 23. Elle a été « quittée » à la troisième représentation,
qui est du a8 novembre. Par conséquent l'affluence des specta-
teurs, que Thomas Corneille cherche à expliquer, est celle que
les Précieuses attirèrent depuis la reprise du 2 décembre. Cepen-
dant la date de la lettre est, sans aucune incertitude de l'écri-
ture : 0 A Rouen, ce i"" de décembre ». Despois en a conclu que
Thomas Corneille n'a parlé que de la première représentation;
ce que nous venons de voir impossible. La lettre est donc mal
datée. Une distraction, il est vrai, paraît bien surprenante quand
c'est du i" du mois que l'on date, et qu'il doit y avoir d'ailleurs
une erreur de plusieurs jours. Nous croyons que la lettre a été
commencée le i"^ décembre, et, par suite de quelque empêche-
ment de la continuer, repi'ise plus tard. Il nous a même semblé
que, deux ou trois lignes avant le passage que nous citons, l'écri-
ture est d'une encre plus blanche, ce qui confirmerait notre sup-
position, la seule que nous imaginions pour lever la difficulté.
I. On pourrait dire que le premier document biographique
sur Molière (il est bien antérieur à celui de ses éditeurs de 1682)
SUR MOLIERE. aai
il ajoute : « il les habille admirablement à la Françoise, et la
réussite qu'elles eurent lui fit connoître que l'on aimoit la
satire et la bagatelle. » Oui, la satire est de tout temps un
élément de succès ; et l'on a quelquefois d roit de s'en plaindre ;
mais ici elle était aussi juste que piquante; et la marque
du vrai génie comique était aussi visible sur cette bagatelle
immortelle que sur cettes où d'utiles batailles littéraires ont
été livrées par Aristophane aux erreurs du goût de son
temps.
On a pu remarquer que si, de plusieurs côtés, on contestait
la bonne qualité du succès de Molière, personne n'essayait
de nier le succès lui-même. Il n'en avait encore eu aucun de
cet éclat. Il n'y eut plus moyen, même pour la Muse his-
torique, de se renfermer dans le silence. Si Loret ne nomme
pas encore l'auteur, il nomme du moins la pièce, avec la pru-
dente précaution d'ignorer si le sujet est « mauvais ou bon »,
le tenant évidemment pour chimérique ; mais sans cacher
combien elle l'a fait rire, et quelle en était la vogue éton-
se trouve dans ces Xouvelles nouvelles, dont l'Achevé d'imprimer
est du 9 février i663. En commençant les pages de quelque
étendue quïl a écrites sur Molière, et qu'il met dans la bouche
des interlocuteurs de sou dialogue, de Visé annonce qu'il va
faire un abrégé de sa vie, et il tient parole. Bien qu'il n'ait pu
alors le suivre au delà des représentations de V Ecole des Femmes,
bien aussi que ses jugements soient souvent malveillants, les
renseignements qu'il donne tirent cependant beaucoup de prix
de leur date, et aussi du caractère de l'écrit, qui se distingue
des purs libelles; car si l'auteur, qui soufflait volontiers le froid
et le chaud, s'est fait l'écho de très injustes critiques, il y
mêle des paroles qui sont d'un admirateur malgré lui, appelant
Molière « le Térence de notre siècle,... grand auteur et grand
comédien lorsqu'il joue ses pièces,... celui dont on s'entretient
presque dans toute l'Europe, et qtu fait si souvent retourner à
l'École tout ce qu'il y a de gens d'esprit à Paris ». Sans renon-
cer donc à citer, dans l'occasion, quelques passages de cet écrit,
nous croyons que nos lecteurs aimeront à avoir sous les yeux de
nombreux extraits, choisis parmi les plus intéressants, du plus
ancien témoignage qui soit venu jusqu'à nous sur les commen-
cements de lu vie de notre poète. On les trouvera aux Pièces
justificatives, n° V.
aaa NOTICE BIOGRAPHIQUE
nante, une vogue qui surpassait celle des plus fameux ou-
vrages des maîtres de la scène. Il avait vu ces Précieuses, à
l'une des représentations où elles venaient d'être reprises,
et le 6 décembre il écrivait que les comédiens de Monsieur
Ont été si fort visités
Par gens de toutes qualités
Qu'on n'en vit jamais tant ensemble
Que ces jours passés, ce me semble,
Dans l'Hôtel du Petit-Bourbon.
Pour luui, j'y portai trente sous;
Mais oyant leurs fines paroles,
J'ai ri pour plus de dix pistoles.
Depuis le 2 décembre iGSg jusqu'à la clôture de Pâques
1660, le Registre de La Grange a eu trente-deux représen-
tations à inscrire, sans compter celles qui, pendant le car-
naval et le commencement du carême, avaient été données
en visite, chez M. le Tellier, chez M. de Guénégaud, chez
Mme Sanguin, pour M. le Prince, chez le chevalier de
Grammont, chez Mme la maréchale de l'Hôpital. L'enthou-
siasme du public est vivement peint dans l'avis Au lecteur
d'une petite pièce de ce temps, composée, comme nous Tal-
ions bientôt dire *, à l'imitation de celle que Molière fit
jouer peu après les Précieuses : « L'on est venu à Paris de
vingt lieues à la ronde..., et ceux qui font profession de
galanterie, et qui n'avoient pas vu les Précieuses, d'abord
qu'elles commencèrent à faire parler d'elles, n'osoient l'a-
vouer sans rougir. »
Il s'en faut que les théâtres fussent alors dans les mêmes
conditions que ceux de nos jours, où le public peut se renou-
veler indéfiniment. Cependant, à la rentrée de Pâques 1660.
le succès inouï n'était pas épuisé, et il y eut encore trois
représentations très suivies au mois d'avril, malgré la cir-
constance défavorable de la mort de l'acteur qui avait donné
son nom au personnage du vicomte-valet dont le rôle était
le plus amusant après celui de son compère Mascarille. Le
I. Voyez ci-après, p. 23o et aSi.
SUR MOLIERE. 228
vieux Jodelet, ce farceur qui nasillait si bien, était mort mal
à propos pendant les vacances, le vendredi saint 26 mars.
La perte cependant n'était pas irréparable. Loret, dans sa
lettre du 3 avril, après s'être amusé à faire l'épitaphe de
« cet homme archiplaisant », ajoute ces vers consolants :
Dudit acteur les compagnons,
Quoiqu'ils se soient frottés d'oignons,
N'ont pas pleuré cette disgrâce ;
Car Gros-René vient à sa place,
Homme trié sur le volet.
Et qui vaut trois fois Jodelet.
Naguère déserteurs du théâtre de Molière, du Parc et sa
femme avaient trouvé le moment bon pour revenir du côté
oii s'était fixée la fortune. Gros-René (c'était du Parc),
chargé des rôles du comédien qu'on avait perdu, le rem-
plaça certainement, malgré son florissant embonpoint, dans
celui du pâle personnage exténué par les fatigues de la guerre.
Il y avait là une disconvenance dont ne s'inquiétait pas sans
doute Molière, toujours habile à tirer parti de ses acteurs
et à faire servir leurs défauts mêmes à des effets plaisants.
En dehors du Petit-Bourbon, /<?,y Précieuses ridicules eurent
dans le second semestre de 1660 l'occasion de recueillir des
applaudissements qui de tous n'étaient pas les moins désira-
bles. Il restait à faire confirmer leur succès par la haute sanc-
tion du roi et de sa cour, de retour après leur longue absence.
Louis XIV n'était revenu que depuis peu de jours, lorsqu'il
voulut voir représenter la comédie si fort à la mode, qu'il
n'avait pu connaître dans son voyage que par une lec-
ture. Le 29 juillet 1660, on la joua pour lui au bois de Vin-
cennes avec l'Étourdi. Le 3o août suivant, elle fut représen-
tée pour Monsieur au Louvre ; et ce fut là aussi que le roi
la vit de nouveau le 21 octobre, dans le temps où la démo-
lition de la salle du Petit-Bourbon laissait la troupe sans
théâtre. Cinq jours après, le 26 du même mois, il assistait
incognito à la représeutation qui en fut donnée, avec celle
de l'Etourdi, chez le cardinal Mazarin, malade dans sa chaise.
Appuyé sur le dossier de cette chaise, le roi resta debout.
11 accorda à la troupe une ^ratification de trois mille livres.
224 NOTICE BIOGRAPHIQUE
C'était un juste dédommagement de l'interruption forcée
des représentations à la ville, mais sans doute aussi une
preuve du goût de plus en plus vif de Louis XIV pour Molière.
Loret, il est vrai, attribue la libéralité au cardinal. Ce léger
désaccord avec le Registre de La Grange vient peut-être de
ce qu'il convenait de respecter l'incognito du roi. C'est à
cette occasion que le gazetier de la Muse historique daigne
pour la première fois mettre dans ses vers le nom de Molière :
De Monsieur la troupe comique
Eut, l'autre jour, bonne pratique;
Car Monseigneur le Cardinal
Qui s'étoit un peu trouvé mal.
Durant un meilleur intervalle
Les fit venir, non dans sa salle.
Mais dans sa chambre justement,
Pour avoir le conteutement
De voir, non pas deux tragédies.
Mais deux plaisantes comédies,
Savoir celle de rEtourdi
Qui m'a plusieurs fois ébaudi,
Et le marquis de Mascarille,
Non vrai marquis, mais marquis drille,
Où l'on reçoit à tous momens
De nouveaux divertissemens.
Jule et plusieurs Grandes Personnes
Trouvèrent ces deux pièces bonnes ;
Et par un soin particulier
D'obliger leur auteur Molier,
Cette généreuse Éminence
Leur fit un don en récompense
Tant pour lui que ses compagnons
De mille beaux écus mignons'.
Bien que cette citation ait déjà été faite dans la Notice de
Despois, nous ne l'avons pas abrégée. Elle a beaucoup d'in-
térêt, nous apprenant sur ce spectacle en chambre ce que
le Registre de la Comédie n'a pu dire, que les deux pièces
plurent au ministre et aux Grandes Personnes (pour ne pas
nommer le roi), qui ne récompensèrent si généreusement
I. La Muse historique, lettre du 3r octobre 1660.
SUR MOLIERE. 2^5
la troupe que pour donner à Molière une marque particu-
lière de faveur. Tout montrait décidément qu'il était entré
en pleine lumière.
Nous avons tout à l'heure mentionné très incidemment
une interruption des représentations. Durant trois mois, en
effet, la troupe, dépossédée du Petit-Bourbon, fut logée à la
belle étoile. C'est ce que La Grange appelle dans son Registre
une de ces bourrasques auxquelles alors elle fut en butte.
Nul n'étant bon juge dans sa propre cause, il se peut bien
qu'il ait crié un peu trop fort contre le surintendant des
bâtiments du roi, et que la démolition du théâtre ait été
une nécessité, non comme l'ont dit les auteurs de la Pré-
face de 1682, et beaucoup d'autres après eux, « pour ce
grand et magnifique portail du Louvre », pour la colonnade
de Claude Perrault, dont il n'était pas encore question, mais
pour d'autres projets, formés depuis quelque temps déjà, de
reconstruction partielle du palais ^ Voici comment La Grange
expose ses griefs : «Le lundi 11™'' octobre, le théâtre du
Petit-Bourbon commença à être démoli par M. de Rata-
bon, surintendant des bâtiments du Roi, sans en avertir la
troupe, qui se trouva fort surprise de demeurer sans théâtre.
On alla se plaindre au Roi, à qui M. de Ratabon dit que
la place de la salle étoit nécessaire pour le bâtiment du
Louvre, et que les dedans de la salle, qui avoient été faits
pour les ballets du Roi, appartenant à Sa Majesté, il n'avoit
pas cru qu'il falloit entrer en considération de la comédie
I. Loret parle déjà de ces projets dans sa lettre en vers du
5 juillet 1659. On devait donc prévoir dès lors le sort réserN'é au
théâtre :
Par ordre de Son Eminence,
On va, dit-on, en diligence
Continuer mieux que jamais
Par une belle architecture
Du Louvre la grande structure ;
Et c'est à présent tout de bon
Que le sage sieur Ratabon,
Comme ayant la surintendance
Des bâtiments royaux de France,
Va, de bon cœtir, s'employer là.
MoLI£R£, \ l5
120 NOTICE BIOGRAPHIQUE
pour avancer le dessein du Louvre. La méchante intention
de M. de Ratabon étoit apparente. « C'était vérital)leraent
une dangereuse épreuve pour !a troupe de Molière. Il n'en
eût pas fallu plus pour la désorganiser, si son chef n'en
avait déjà établi fortement la fortune par la grande renom-
mée qu'il avait conquise, et enchaîné le dévouement en s'y
faisant aimer autant qu'admirer; si d'ailleurs, convient-il
d'ajouter, la protection du roi, qui ne devait plus lui man-
quer, ne lui avait été assurée dès ce temps. C'est ce que
nous apprend le Registre, qui continue ainsi : « Cependant
la troupe, qui avoit le bonheur de plaire au lloi', fut gra-
tifiée par Sa Majesté de la salle du Palais-Royal, Mo.vsieui;
l'ayant demandée pour réparer le tort qu'on avoit fait à ses
comédiens ; et le sieur de Ratabon reçut un ordre exprès
de faire les grosses réparations [de la salle du Palais-
Royal).... La troupe commença, quelques jours après, à faire
travailler au théâtre et demanda au Roi le don et la permis-
sion de faire enlever les loges du Bourbon et autres choses
nécessaires pour leur nouvel établissement ; ce qui fut
accordé, à la réserve des décorations que le sieur de Viga-
rani, machiniste du Roi, nouvellement arrivé à Paris, se
réserva, sous prétexte de les faire servir au palais des Tui-
leries ; mais il les fit brûler jusques à la dernière, afin qu'il
ne restât rien de l'invention de son prédécesseur, qui étoit
le sieur Torelli, dont il vouloit ensevelir la mémoire. La
troupe, en butte à toutes ces bourrasques, eut encore à se
parer de la division que les autres comédiens de l'Hôtel de
Bourgogne et du Marais voulurent semer entre eux, leur
faisant diverses propositions pour en attirer les uns dans
leur parti, les autres dans le leur. Mais toute la troupe de
Monsieur demeura stable; tous les acteurs aimoient le sieur
de Molière, leur chef, qui joignoit à un mérite et une capa-
cité extraordinaires une honnêteté et une manière enga-
geante qui les obligea tous à lui protester qu'ils vouloient
courir sa fortune et qu'ils ne le quitteroient jamais, quelque
I. Nous avons dû corriger un peu la phrase de La Grange qui,
écrivant à la hâte, dit : « Cependant le Roi, à qui la troupe avoit
le bonheur de plaire, fut gratifiée..., »
SUR MOLIERE. 227
proposition qu'on leur fît et quelque avantage qu'ils pussent
trouver ailleurs *. » Nous avons là quelque chose de plus
qu'un des renseignements ordinaires donnés par le Registre.
L'éloge du caractère de Molière y est d'autant plus touchant
qu'on ne s'attendrait pas à le trouver dans un sim|)le livre
de comptabilité, et qu'il est évidemment sorti de l'abondance
du cœur.
Il n'est peut-être pas très sur que le surintendant des
bâtiments ait eu la méchante intention de nuire aux comé-
diens, et qu'il n'y ait pas seulement à lui reprocher une
hâte quelque peu brutale de démolisseur. Quoi qu'il en soit,
les mauvais procédés imputés à Ratabon et à Vigarani, qui,
en jetant bas le théâtre de Molière et brûlant les décora-
tions, n'avaient heureusement pas le pouvoir de ruiner du
même coup un avenir de chefs-d'œuvre, n'ont pas un si
grand intérêt pour la postérité qu'il faille aujourd'hui ouvrir
une enquête sur la question de leur culpabilité. Ce qui nous
importe davantage, c'est que l'embarras oii Molière fut mis
donna au roi l'occasion de marquer d'une manière éclatante
sa volonté de le soutenir. Ce fut encore chez lui qu'il le lo-
gea, dans cet ancien Palais-Cardinal qui, donné à Louis XI\
par Richelieu, prit, sous la régence d'.^nne d'Autriche, le
nom de Palais -Royal, et devint en 1G61 la demeure de
Monsieur. La salle mise à la disposition de Molière était,
comme le dit la Préface de 1682, celle « où M. le cardinal
de Richelieu avoit donné autrefois des spectacles dignes
de sa magnificence ». Il avait voulu qu'elle fût inaugurée
en 1639 par la représentation de sa tragi-comédie de Mi-
I. Registre de La Grange, p. 25 et 26.
a. Sur la salle du Palais-Royal on peut voir Sauvai, Histoire et
Recherches des antiquités de la ville de Paris, tome II, p. 161, et
tome III, p. 47i et l'intoi-essante étude Moliere^s Biihne und ihre
Einrichtung (la scène de Molière et son organisation), que M. H.
Fritsche a mise en tête de son édition de l'Avare (Berlin, 1886).
Elle a été traduite par M. Metzger dans le MoUériste de juin, juil-
let et août 1887. M. Fritsche ne s'est pas borné à décrire la salle
du Palais-Royal; il donne sur la mise en scène de ce temps des
détails qui montrent les nécessités auxquelles était soiunis notre
228 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Nous avions achevé l'histoire des Précieuses ridicules par
quelques mots sur les représentations de cette comédie de-
vant Louis XIV: et comme il avait fallu parler des deux
dernières, données par Molière après son théâtre démoli,
nous n'avons pas voulu tarder à dire ofi un autre lui avait
été ouvert; mais il faut revenir sur nos pas; et, pour nous
établir avec lui au Palais-Royal, nous avons à en finir avec
le Petit-Bourbon. Retournons-y un moment pour y voir,
avant qu'il fût condamné à tomber, une pièce nouvelle de
l'auteur des Précieuses. Elle était intitulée le Cocu imaginaire,
et fut représentée pour la première fois le 28 mai 1660.
Elle plut extrêmement et ne marqua pas le moindre arrêt
dans la renommée chaque jour croissante de son auteur.
Vingt- six représentations suivirent la première, presque
sans interruption. Rien là d'étonnant : les Précieuses ridi-
cules avaient mis Molière à la mode; le vent de la faveur
publique soufflait dans ses voiles ; et puis le vieil esprit
gaulois, que réjouissent particulièrement les plaisanteries
que l'on sait, vivait encore, nous ne croyons même pas que
chez nous il risque jamais de mourir. >«ous n'accorderions
pas que Molière, cette fois, fût en progrès, lui qui venait
de présenter aux mœurs du temps un miroir vrai, tout
grossissant qu'il eût bien compris le devoir faire. On ne
nous imputera pas la sottise d être prévenu contre sa nou-
velle comédie par le gros mot de son titre, qui n étonnait
alors personne; car la langue de la bonne compagnie est
très variable. Nous acceptons et le mot à sa date, et le su-
jet qui, au fond, n'a rien qui puisse scandaliser. Mais où
est la vérité des caractères, et même la vraisemblance des
incidents? En vojant l'auteur des Précieuses s'éloigner de
la voie où il venait d'entrer, on a pu se demander si 1 idée
d'une pièce d'un genre si différent n'avait pas été ancienne-
ment conçue, si même elle n'était pas tirée de quelque farce
ébauchée en province. Si l'on a eu d'assez bonnes raisons
de contester à Riccoboni et à Cailhava qu il y ait eu là imita-
tion d'une comédie des Italiens, il n'en est pas moins diffi-
théâtre du dix-septième .siècle, et qui souvent rendent raison du
système dramatique de ce temps.
SUR MOLIÈRE. 229
cile que celle de Molière ne lasse point penser au temps où
il s'inspirait de leur théâtre. On n'échappe guère à l'impres-
sion que l'on rétrograde, quand Sganarelle, avec sa cuirasse
et sou casque, débite son monologue de poltronnerie et ses
l'odomontades de capitan. Dans les conjectures cependant
(jue ces remarques sembleraient autoriser, il faut craindre
(le se tromper. Molière avait certainement en vue dès ce
temps-là un grand progrès de son art, mais, de ce côté même,
point de système arrêté. Lextrême variété de ses œuvres à
toutes les époques prouve qu'il n'en a jamais eu. Dans sa
facile et rapide production, il s'abandonnait, suivant la pente
du moment, au libre cours de la source abondante qui chez
lui s'épanchait en tout sens. Les genres les plus divers lui
étaient également bons; et il pensait, comme il l'a dit, que
« la règle de toutes les règles est de plaire^ «. Il n'avait sans
doute songé qu'à la suivre dans son Cocu imaginaire, et n'eut
pas lieu de s'en repentir.
On a été ingénieux, mais, ce nous semble, trop subtil, en
découvrant chez lui une intention d'appuyer la critique qu'il
venait de faire de la délicatesse maniérée des ruelles par un
exemple de franchise dans le langage et d'une gaieté sans
pruderie, qui était de tradition bien française. Le contraste
est parfait assurément entre cet esprit gaulois et la précio-
sité; mais il n'avait pas eu besoin d'être prémédité. Il se
rencontre naturellement, bien qu'avec des caractères diffé-
rents, dans tous les ouvrages de Molière. Si donc celui-ci a
été composé, de même qu'il a été représenté, après les Pré-
cieuses, ce doit être sans calcul et sans recherche d'anti-
thèse que Molière, en l'écrivant, a pris plaisir à un comique
dans lequel on retrouve quelque chose de ses anciennes far-
ces, et dont il avait éprouvé le sûr effet non seulement en
province, mais, depuis, à Paris, et même à la cour, où il l'avait
fait goûter. Que l'on croie, ou non, pouvoir rattacher la
pièce jouée en 1660 à quelque idée, ou même à quelque
première esquisse de plus ancienne date, la rédaction en
devait être récente, car on y reconnaît une plume de plus
en plus exercée. Nous n'irions pas comme Voltaire jusqu'à en
I. La Critique de l'École des Femmes, scène vi, tome III, p. 358.
9Ao NOTICE BIOGRAPHIQUE
mettre, pour cela, le style au-dessus de celui des précé-
dentes comédies en vers de Molière. L'explication qu'il donne
de cette prétendue supériorité : « bien moins de fautes de
langage », suffirait pour la rendre suspecte. A'ous connais-
sons déjà ces singuliers scrupules d'une grammaire étroite
et le plus souvent mal informée. Il est seulement incontes-
table que le style de cette troisième pièce en vers est très
coulant, facile, agréable. Nous demandons la permission de
n'y être pas frappé d'un vrai progrès. Il nous offre des
morceaux d'une verve brillante, mais, si on la compare à
celle de l'Étourdi et des meilleures scènes du Dépic amou-
reux, moins originale, à notre sentiment.
On peut trouver sujet à appel notre jugement sur cette
comédie, et n'en pas accepter la sévérité, toute relative d'ail-
leurs. Quoi (ju'il en soit, il est certain que le public fut loin
de s'apercevoir que l'auteur des Précieuses n'eût pas rempli
toute son attente : il se montra de plus en plus satisfait.
Quand nous ne l'aui'ions pas appris dans le Registre de La
Grange, qui a eu à inscrire tant de représentations du nou-
vel ouvrage, un auteur contemporain, du nom de Doneau*,
ne nous aurait pas laissé lignorer, et d'abord par le fait
même qu'il a cru très profitable de chercher à exploiter pour
lui-même l'heureuse veine de succès de la comédie de Mo-
lière, se contentant, à cet effet, de la faire reparaître, sans
plus de façon, sous le déguisement de la Cocue imaginaire,
et de changer le sexe de Sganarelle, en un mot de nen-
lever du plat, qu'il servait réchauffé, rien de moins que le
sel. Mais on lui est redevable d'une constatation plus posi-
tive encore de la brillante fortune de la pièce que le soin
pris par lui de la suivre pas à pas, de scène en scène. Son
maladroit calque est dans l'impression précédé d'un avis
I. Le privilège de sa comédie, intilule'e les Amours d'Alcippe et
(le Céphise ou la Cociic imaginable, le nomme le sieur Doneau. Les
auteurs de V Histoire du théâtre français (tome VIII, p, Sgo, note C)
disent qu'il était parent de M. de Visé. On écrit habituellement
Donneau de Vise; mais l'orthographe d'un même nom était si va-
riable alors qu'une « de plus ou de moins ne ferait pas de diffi-
culté.
\
SUR .M0L1?]RE. xix
Au lecteur'^, dont, à propos dos Précieuses, nous ;ivoiis
déjà tiré une citation-. En voici d'autres passages auxquels
donne quelque intérêt le témoignage que la faveur publique
se maintint aussi haut dans les représentations du Cocu
imaginaire que dans celles de la comédie précédente. Ajirès
avoir rappelé que les malintentionnés s'efforçaient d'ex-
pliquer la vogue de celle-ci par le jeu des acteurs et pas
la célébrité des personnes attaquées, et prédisaient que
Molière, moins aidé par les circonstances, ne serait plus
jamais si heureux, Doneau poursuit ainsi : « Voyons si le
pronostic de ces Messieurs... est véritable, et si le Cwii
imaginaire n'a pas eu tous les applaudissements qu'il pou-
voit attendre Cette pièce u été jouée non seulement en
plein été, oîi pour l'ordinaire chacun quitte Paris..., mais
encore dans le temps du mariage du Roi, oîi la curiosité
avoit attiré tout ce qu'il y a de gens de qualité en cette
ville; elle n'en a toutefois pas moins réussi; et quoique
Paris fût, ce semble, désert, il s'y est néanmoins encore
trouvé assez de personnes de condition pour remplir plus
de quarante fois les loges et le théâtre du Petit-Bourbon.
et assez de bourgeois pour remplir autant de fois le par-
terre. Jugez quelle réussite cette pièce auroit eue, si elle
avoit été jouée dans un temps plus favorable, et si la cour
avoit été à Paris. Elle auroit sans doute été plus admirée que
les Précieuses, puisque, encore que le temps lui fût con-
traire, l'on doute si elle n'a pas eu autant de succès. »
La Fontaine, à qui fait penser la gaie comédie, dont bien
des vers sont à rapprocher de ceux de quelques-uns de ses
contes, rappelait l'année suivante à Maucroix^ qu'il avait
« autrefois .> admiré avec lui Molière, et que c'était « son
1. Il se trouve dans la seule édition que nous ayons rencontrée
de la pièce, celle dont l'Achevé d'imprimer pour la seconde fois
est du 27 mai 1662. On cite souvent une première édition de 1660,
mais il ne nous semble pas certain que ce soit jiour l'avoir vue.
Peut-être n'en a-t-on parlé que d'après le Privilège, donné le
a5 juillet 1660, et dont la date rend assez probable qu'elle fui
publiée vers la fin de cette année.
2. Voj-ez ci-dessus à la page 222.
3. Lettre du 22 août 1661.
232 NOTICE BIOGRAPHIQUE
homme ". Quand Molière avait déjà fait connaître à Paris
les autres ouvrages que l'on sait, on ne doit pas supposer
l'admiration de la Fontaine, surtout dans une lettre où il parle
du bon goût et de Valr de Tere/ice, particulièrement inspirée
par la pièce où se retrouvent, très joliment mises en scène,
les plaisanteries des vieux fabliaux. On ne risque guère de
se tromper cependant en s'imaginant qu'on aperçoit les deux
spirituels amis champenois au Petit-Bourbon, parmi les spec-
tateurs qui donnèrent à celle-ci le plus d'applaudissements
et furent mis le plus en joie tantôt par les colères de Sgana-
relle, tantôt par ses réflexions d'une singulière philosophie
sur ses infortunes imaginaires. S'il est de la plus grande
vraisemblance que le conteur a été un des premiers à voir
une comédie qu'il ne pouvait manquer de trouver si diver-
tissante, il est encore moins douteux qu il fut présent le
jour où elle fut représentée avec l'Étourdi chez Fouquet, au
temps que, la salle du Petit-Bourbon étant ruinée, celle du
Palais-Royal n'était pas encore ouverte.
Le Registre àe\^à. Grange a noté, durant ces mêmes vacances
forcées, plusieurs autres visites, où le Cocu imaginaire fut
joué : chez le maréchal de la Meilleraye, chez la Basinière,
trésorier de l'épargne, chez le duc de Roquelaure, chez le
duc de Mercœur, chez le comte de Vaillac*. Le roi avait moins
attendu pour voir la nouvelle comédie. Le 3i juillet, peu de
jours après son retour, elle fut une des pièces jouées pour
lui à Vincennes, et là encore, une seconde fois, le 21 du mois
suivant. Monsieur la fit représenter au Louvre le 3o août.
Il faut qu'elle ait beaucoup plu à Louis XIV pour qu'elle ait
de nouveau été jouée, toujours à Vincennes, le 23 novembre,
devant lui et devant Mazarin. La remarque a été faite par
Despois que le roi la vit neuf fois, c'est-à-dire plus souvent
que les autres pièces de Molière, les comédies-ballets excep-
tées. A la cour tout aussi bien qu'à la ville, il n'y a pas de
doute sur le plein succès.
En l'égalant à celui des Précieuses ridicules, Doneau a
négligé de dire si le talent des acteurs y contribua autant
qu'au précédent. L'intention où il était de faire jouer sa
I. Ricard de Gourdon-Genouillac, comte de Vaillac.
SUR MOLIÈRE. a^i
mauvaise copie par quelque autre troupe le fait soupçonner
de n'avoir gardé ce silence que dans la crainte de provoquer
une comparaison fâcheuse avec ses comédiens. C'est d'un
autre côté que nous apprenons quelle fut la perfection du
jeu de Molière dans sa transformation de Mascarille en Sga-
narelle, personnage d'un très différent caractère. Comme ce
Sganarelle, dont assez généralement on croit le nom em-
prunté aux Italiens, va reparaître, à partir de ce moment,
dans plusieurs des comédies de Molière, il a donné assez
naturellement l'idée d'un nouveau type adopté par l'auteur-
comédien [repris serait plus juste si l'on tenait compte du
Sganarelle de son Médecin volant), et qui a paru marqué dp
traits plus ou moins faciles à distinguer. Sainte-Beuve, tou-
jours très fin, a vu dans ce personnage « le côté du laid
humain personnifié, le côté vieux, rechigné, morose, inté-
ressé, bas, peureux, tour à tour piètre ou charlatan, bourru
et saugrenu^ «. Il semble y avoir là quelque vérité, mais qu'il
ne faudrait pas trop presser. Il a été besoin d'une définition
bien large pour y faire entrer des Sganarelles, qui n'ont un
air de famille que très éloigné, et pour réduire à une cer-
taine unité une physionomie si complexe. Plus simplement,
Bazin dit : « Mascarille nous représente la jeunesse de Mo-
lière.... A l'âge de trente-huit ans et plus, il lui fallait un
caractère plus mûr, moins pétulant, moins moqueur^. »
Sans choisir entre ces deux vues, nous nous contenterons
de constater que Molière eut, en 1660, à montrer son talent
d'acteur sous un aspect tout nouveau, qui ne le fit point
paraître moins excellent. Nous en avons pour témoin ce
la Neufvillaine ou Neuf-Villenaine, qui, en publiant la pre-
mière édition du Cocu imaginaire, a fait précéder chaque
scène d'arguments où il parle avec enthousiasme du jeu de
Molière : « Il ne s'est jamais rien vu de si agréable, dit-il
dans l'argument de la scène vi, que les postures de Sgana-
relle quand il est derrière sa femme; son visage et ses
gestes expriment si bien la jalousie qu'il ne seroit pas néces-
saire qu'il parlât pour paraître le plus jaloux des hommes. »
1. Portraits littéraires, tome H, p. 20 et 21.
2. Notes historiques sur la 17'e de Molière^ p. 36.
a34 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Arrivé à la scène xii, il ne sait plus dans son admiration
trouver d'expressions assez fortes : « 11 faudroit avoir le
pinceau de Poussin, Le Brun et Mignard, pour vous repré-
senter avec quelle posture Sganarelle se fait admirer dans
cette scène, où il paroît avec un parent de sa femme....
L'on ne doit pas moins admirer l'auteur pour avoir fait cette
pièce que pour la manière dont il la représente. Jamais per-
sonne ne sut si bien démonter son visage, et l'on peut dire
que, dans cette pièce, il en change plus de vingt fois. »
Puisque nous venons de citer comme la première édition
celle de la Neufvillaine, nous ne pouvons omettre la curieuse
histoire de l'étonnant éditeur, qui, sans autorisation de
l'auteur et avec la complicité d'un libraire, publie une pièce
retenue, dit-il, de mémoire, et surprend un privilège pour
son acte de piraterie. Il est bon de savoir comment la pro-
priété de Molière, si parler de propriété littéraire à cette
date ne semble pas un anachronisme, pouvait être mise
effrontément au pillage. L'auteur, avec qui l'on avait pris
cette liberté, la jugea un peu trop forte. II fit ordonner
par le lieutenant civil une saisie; on ne trouva rien chez
l'imprimeur, qui déclara avoir remis tous les exemplaires,
un peu plus de douze cents, au libraire Jean Ribou. Celui-ci
refusa tout simplement de dire ce qu'il en avait fait, et l'on
ne put dans sa boutique saisir que quatre exemplaires.
Molière s'était pourtant pourvu d'un privilège après la pre-
mière représentation. Il songea bien tard à en user, ne
l'ayant fait transporter qu'en octobre 1662 à Claude Barbin
et à Gabriel Quinet. On va d'étonncment en étonnement :
Molière était tellement insouciant de l'impression de ses
ouvrages, qu'après un petit effort pour défendre ses droits,
il laissa faire. L'édition de 1662 S qui paraît être la seconde,
et celle de I665^ faite au nom de Molière, ont les argu-
ments de la Neufvillaine. Dans une édition de 1666, non
celle du Recueil [)ublié cette année, mais l'édition détachée
de 1666, ils n'ont pas été reproduits; mais elle a encore le
privilège donné à la Neufvillaine et a paru, aussi bien
I . Chez Guillaume de Luyues et aussi chez Courbé.
}.. Chez Thomas J0II7.
SUR MOLIERE. 235
qu'une autre de 1666, chez Jean Ribou, dont on a vu le
procédé en 1660. Dans toute cette affaire des éditions il y
a des bizarreries qui peut-être la feront paraître peu claire;
mais il l'est sullisarament que Molière y fut un auteur d'hu-
meur fort accommodante, pour ne pas dire d'une superbe
négligence. 11 ne lit jamais rien changer au texte de l'usur-
pateur de sa pièce, malgré l'aveu de celui-ci, que, dans sa
publication, faite un peu au hasard du souvenir, « il peut
s'être coulé quantité de mots les uns pour les autres ».
Molière réservait donc ses soins pour les représentations.
11 reprit celle de la plus récente de ses comédies, dès qu'eut
cessé la longue interruption, rendue plus supportable, d'ail-
leurs, par les dédommagements recueillis dans les visites,
et qui montèrent à 5ii5 livres. Le Cocu imaginaire reparut
le jeudi 20 janvier 1G61, jour où l'on commença à jouer au
Palais-Royal; on le <lonna trois fois de suite, et, immédia-
tement après, les Précieuses quatre fois. Ainsi le nouveau
théâtre s ouvrit sous les heureux auspices des deux pièces,
grâce auxquelles surtout le Petit-Bourbon s'était fermé en
pleine prospérité. Mais les auspices trompent quelquefois.
Au moment où Molière ne connaissait plus que les sourires
de la fortune, aurait-on cru qu'elle allait lui être infidèle,
et qu'au bout de deux semaines la salle destinée à voir
naître tant de chefs-d'œuvre de son génie semblerait lui
porter malheur ? Comme pour l'inaugurer par un ouvrage
nouveau, le vendredi 4 février il y donna son Don Garde.
La pièce eut sept représentations. A la septième, le 17 fé-
vrier, on dut se décider à la retirer, la recette étant tom-
bée à soixante-dix livres. C'était ce que, dans la langue du
théâtre, comme le Registre de La Grange nous l'apprend, on
appelait dès ce temps « un four ». Bien qu'il soit très vrai-
semblable que les ennemis, les envieux (il n'en manquait
pas chez les Grands comédiens et parmi les auteurs) avaient
tout fait pour amener cette chute, ils eussent perdu leur
peine, si, cabale à part, le public, très favorable alors à Mo-
lière, n'avait pas été mécontent. Celui qui l'avait si bien su
faire rire le déroutait en lui donnant une comédie héroïque.
On ne crut pas l'y retrouver comme auteur, moins encore,
paraît-il, comme acteur, dans le rôle qu'il jouait du Prince
236 NOTICE BIOGRAPHIQUE
jaloux. L'échec dut lui être d'autant plus sensible qu'il ne
s'agissait pas d'une petite pièce à laquelle il lui fût facile
d'attacher une médiocre importance, et que, dans son essai
d'un genre nouveau pour lui, il avait mis de rares qualités
de style et beaucoup de son âme. Comment avait-il fait choix
d'un sujet qui devait tant l'éloigner du chemin où il avait
rencontré de si brillantes victoires ? On lui a prêté encore
l'intention d'une ingénieuse antithèse (ce serait la seconde),
avec son Sganarelle. Don Garde aurait été, dans sa pensée,
une peinture de la jalousie noble, faite immédiatement
après la peinture de la jalousie ridicule*. Cette explication
de sa tentative hardie manque trop de simplicité. Il n'eût
pas d'ailleurs fallu dire que la recherche du contraste lui
fût venue à l'esprit après qu'il eut donné le Cocu imaginaire,
mais plutôt qu'il aurait voulu, dans le même temps, faire,
ici un portrait sérieux, là une caricature, du jaloux; car la
composition de la pièce héroïque doit être au moins aussi
ancienne que celle de la pièce bouffonne. On a des preuves
qu'elle remonte assez haut. Somaize dit* qu'on avait en-
tendu Molière lire Don Garcie le même jour que les Pre'-
cieuses, qui n'étaient pas encore jouées. Il est mentionné
avec V Etourdi, Le Docteur amoureux et le Cocu imaginaire
dans le Privilège daté du 3i mars 1660, trois jours après
la première représentation de la dernière de ces pièces.
Que le sujet de Don Garcie ait été tiré d'une comédie
italienne dont l'auteur est Cicognini, ou, plus directement,
d'une comédie espagnole qui aurait été le véritable original,
il ne s'ensuit pas qu'il ait été besoin de l'occasion de cette
imitation d'un modèle étranger pour engager Molière dans
l'entreprise qui le dépaysait. Il est plus vraisemblable que,
se sentant des dons divers, il a cédé au désir d'en faire
connaître un que jusqu'alors il avait laissé dans l'ombre.
A croire le posséder, il n'y avait pas eu d'illusion ; son
erreur, s'il en avait commis une, fut de ne pas assez bien
voir comment se devait faire l'alliance de ce don et de ceux
1. j\'otes historiques sur la vie de Molière, p. Sg.
2. Dans ses Véritables Prétieuses, scène vu. Voyez le Recueil des
œuvres de Somaize, donné par M. Livet, lome II, p. 27.
SUR MOLIERE. 287
qu'il avait éprouvé être chez lui les plus éminents. Mais,
avant de s'étonner qu'il ait tout à coup voulu changer de
gamme, il ne faut pas oublier que, dans toute l'œuvre de ce
fécond et souple génie, s'est manifestée une puissance illi-
mitée de diversifier ses créations, une richesse inépuisable
d'inventions sans cesse nouvelles. Tel est le privilège de
toutes les grandes imaginations dramatiques.
Si toutefois on y regarde bien, les plus différentes de ses
pièces, qui ont été dignes du nom de chefs-d'œuvre, doctes
peintures ou facéties populaires, ont ceci de commun qu'elles
sont vraiment comiques, soit qu'il élève les unes aussi haut
que la comédie puisse atteindre, soit qu'il mette dans les
autres toute la liberté des gaietés les plus folles. Le jour, au
contraire, où il a composé Don Garde, qui ne donnait pas
de place au comique, il est sorti des véritables conditions
de son talent; et, tout en y restant peintre habile et même
éloquent de la passion, il a perdu ses meilleurs avantages.
Comment ne s'en était-il pas rendu compte, lui, d'un juge-
ment si droit? Qu'est-ce qui avait pu le faire tomber dans
ce piège du genre héroïque? Serait-ce qu'il avait pris goût,
comme acteur, à ces rôles de héros qu'il aimait à jouer? La
Béjart, héroïne avant tout, qui fut chargée du rôle d'Elvire,
avait-elle sollicité de lui une autre occasion de déployer son
talent que celle de la pure comédie? Il est plus probable
qu'il n'y eut ni complaisance pour une actrice, ni fantaisie
de comédien, mais plutôt celle d'un poète, qui, trop sensé
d'ailleurs pour se faire, malgré Minerve, auteur tragique,
ne crut pas trop téméraire d'essayer un moyen terme entre
la comédie et la tragédie, si toutefois ce moyen terme doit
se reconnaître dans des scènes toutes romanesques, aux-
quelles la qualité royale des personnages donne une haute
dignité. D'une œuvre de ce caractère mixte Molière avait
des exemples, et même d'illustres. Onze ans avant Don Gar-
de, Corneille avait fait représenter son Don Sanche d'Ara-
gon, que Molière, dans son Prince de Navarre, nous semble
avoir eu présent à la pensée. Nous n'avons garde de mettre
sur la même ligne les deux comédies héroïques. Celle de
Corneille, bien moins éloignée de la tragédie, est d'une supé-
riorité trop évidente, toutes les fois qu'elle atteint à la gran-
V38 NOTICE BIOGRAPHIQUE
deur des âmes de héros. C'est un fait cependant bon à rap-
peler que le sort de Don Sanche ne différa pas d'abord de
celui de Don Garde. Il eut, dès la quatrième représenta-
tion, si peu de spectateurs, que son auteur le retira et le vit
relégué dans les provinces. Cet exemple aurait pu avertir
Molière du goût de son temps, qui paraît alors n'avoir trouvé
son plaisir que dans des ouvrages ou plus pathétiques ou
plus gais ; en un mot, d'un caractère moins indécis, plus
franchement tranché.
Le préjugé du public, si c'en était un, le rendit certai-
nement injuste pour Corneille; s'il le fut pour Molière, qui
était beaucoup moins sur son terrain, c'est un peu moins
évident. Il y avait toutefois dans son Don Garde des beautés
qui demandaient grâce. A bien des traits on y reconnaît
celui qui avait fait une profonde étude des caractères, pos-
sédait la science de tous les mouvements du cœur, avec le
secret de les faire sentir par la plus juste et la plus frap-
pante expression. L'action même, sans avoir assez d'intérêt,
en manque moins que telles autres alors applaudies. S'il
s'est mépris sur le favorable jour où placer, pour les faire
comprendre, d'éloquentes peintures de la passion, son tra-
vail, tout mal accueilli qu'il eût été, ne se trouva pas lui
avoir été inutile. 11 y avait exercé sa plume au style noble,
qu'il n'eut plus qu'à baisser d'un ton pour l'accommoder à la
comédie et donner à celle-ci la voix la plus élevée qu'elle
eût jamais fait entendre. C'est à quoi il réussit admirable-
ment plus tard, surtout dans le Misanthrope, où l'on sait
qu'il a fait entrer, non par un calcul d'économie qui n'au-
rait jamais dû lui être imputé, mais parce qu'il les savait
dignes d'être sauvés, de beaux passages de Don Garde. Il y
a fait, avec un art suprême, quelques légers changements,
qui, dans le dialogue comique, ont réduit, quand il le fallait,
ses vers héroïques au simple et au naturel.
Quoique trop sage pour être sujet aux entêtements de
l'amour-propre, il eut de la peine à accepter l'échec d'une
pièce qu'il n'avait pas tort de croire trop durement con-
damnée. Espérant que l'arrêt des spectateurs du Palais-
Royal pourrait être cassé par des juges plus sensibles au
langage des héros, à celui de la noble galanterie, il joua
SUR MOLIÈRE. 289
Don Garde pour le roi, en septembre 1662, un an après
pour le grand Condé à Chantilly, et quelques jours plus
tard, en octobre i663, de nouveau pour le roi, qui, dans
les quelques jours que la troupe resta à Versailles, ne trouva
pas que ce fût trop d'en voir deux représentations. Sans
aucun doute les hauts suffrages, auxquels il faisait un con-
liantap])el, furent gagnés. Il reprit courage, et voulut tenter
d'obtenir du Palais-Royal qu'il se déjugeât. Le 4 et le 6 no-
vembre i663, il y fit reparaître sa comédie rebutée, en l'ap-
puyant de son Impromptu de Versailles , oîi il répondait ver-
tement aux critiques sur sa manière trop simple de dire les
vers héroïques ; il avait ces critiques sur le cœur, depuis
qu'elles lui avaient été attirées par son rôle du Prince jaloux,
et qu'elles avaient beaucoup contribué cà la mésaventure de
1661. Mais lorsqu'il vit la condamnation devenue définitive,
il ne put songer à insister; il laissa disparaître de la scène
sa comédie, et ne la fit pas imprimer.
Entre la première et la seconde disgrâce de Don Garde,
Molière, sans perdre temps, avait pris de très consolantes
revanches, qui lui donnèrent l'assurance de n'avoir été
abandonné que pour un jour par la faveur publique. Avec
son étonnante rapidité de travail, il donna, la même an-
née 1G61 , l' Ecole des maris, puis les Fâcheux, en 1GG2 l'Ecole
des femmes. Dans ces nouvelles pièces son génie comique
reprit sa marche ascendante.
L'École des maris^, jouée pour la première fois le 24 juin
1661, fit reparaître plus brillante que jamais sa fortune un
moment éclipsée; ce nouvel ouvrage fit mieux en effet que
regagner le terrain perdu; un grand progrès y est marqué.
Là, pour la première fois, des caractères sont dessinés dans
toute leur vérité; en outre des problèmes moraux sont agi-
tés, où dans le poète comique commence à se montrer un
philosophe, qui même se laisse ouvertement reconnaître dans
un rôle de raisonneur, le premier que Molière ait écrit.
On aime généralement peu les raisonneurs au théâtre, mais
1. « 5" pièce nouvelle de M. Molière », dit le Registre. La
Grange ne tient pas compte du malheureux Don Garde, qu'il n"a
pas mentionné dans la Préface de 1682.
24o NOTICE BIOGRAPHIQUE
celui de i École des maris n'a rien de froid, parce qu'il prend
essentiellement part à l'action.
Cet Ariste, l'homme excellent, le sage, est chargé d'ex-
primer la propre pensée de l'auteur. La comédie dans la-
quelle Molière s'est ainsi proposé de moraliser annonce chez
lui la maturité de 1 âge, mais une maturité qui lui laissait
toute la vivacité et la fleur de son imagination : il était entré
dans sa quarantième année.
Si Térence, dans ses Adelphes, lui avait indiqué les carac-
tères et suggéré le contraste qui les met en relief, Molière
a complété la peinture en y ajoutant bien des traits, et l'a
rendue vraiment sienne par une couleur toute moderne. Ce
qui surtout n'appartient pas à l'auteur latin, c'est de n'être
pas resté sceptiquement impartial entre deux éducations
contraires, et d'avoir montré quels fruits diff'érents elles ont
naturellement portés. L'intérêt est par là plus que doublé.
On appellerait aujourd'hui V École des maris une comédie
ù thèse. Nous ne voyons pas pourquoi l'on attacherait à
cette expression un sens défavorable ; mais il est permis de
se demander si la thèse de Molière, si la leçon qu'elle veut
donner, n'est pas sujette à de très grands doutes, si la mé-
thode de cet Ariste, qui promet à la jeune fille qu'il aime
un mari d'une extrême facilité, est aussi sûre qu'il le croit.
N'oublions pas cependant que le poète comique a besoin
d'exagérer un peu sa pensée pour qu'elle fasse impression
et produise tout son effet dramatique. Et puis si l'éloge de
l'indulgence nous semble, dans cette pièce, aller jusqu'au
paradoxe, combien de vérités y sont semées, qui sont in-
contestables, et très justement passées en proverbes!
Les nécessités de l'art comique mises à pax't, lorsque nous
voyons Molière pousser bien loin les complaisances de l'ai-
mable tuteur pour sa chère pupille, et rendre si haïssable la
sévérité de Sganarelle pour la sienne, sur laquelle un peu
de surveillance n'aurait point paru inutile, nous n'avons pas
besoin de beaucoup de perspicacité pour soupçonner qu'il a
eu ses raisons secrètes. N'est-ce pas une des plus légitimes
occasions de se souvenir qu'il se jouait quelquefois lui-même
dans ses comédies, comme le dit la Préface de 1682?
Les deux frères de l'École des maris sont chargés de la
SUR MOLIERE. 9',i
tutelle et de l'éducation de deux jeunes filles, auxquelles ils
tiennent lieu de leurs parents. Ayant bon nombre d'années
de plus qu'elles, ils les aiment cependant, et les élèvent
avec la pensée d'en faire leurs femmes. La ressemblance est
grande avec l'histoire, que nous aurons à faire tout à l'heure,
du mariage de Molière. Comment, malgré l'inégalité d'âge,
Ariste, quinquagénaire et même un peu plus (car Molière
ne tenait pas à se découvrir tout à fait), jKirviendrait-il à
gagner l'affection d'une enfant que révolterait la cruauté de
lui refuser toute parure et tout amusement? Il se gardera
de lui faire craindre un de ces farouches rabat-joie, de ces
inhumains ennemis des plus innocentes libertés, comme l'est
son frère Sganarelle.
Lorsque la pièce parut, les camarades de Molière n'igno-
raient pas son intention de se marier. Trois mois plus tût,
pendant les vacances de Pâques, La Grange avait écrit dans
son Registre : « Monsieur de Molière demanda deux parts,
au lieu d'une qu'il avoit. La troupe [les] lui accorda pour
lui et pour sa femme, s'il se marioit. » Peut-on se défendre
de conjecturer que plus encore qu'une école pour le public,
la pièce, venue si à propos, était le séduisant programme
d'un futur mari? programme sincère d'ailleurs, car Molière
pensait en amant. Il est piquant de le surprendre ainsi dans
son extrême bonté, dans sa faiblesse ; et en même temps il
est triste de penser à l'épreuve qu'il devait bientôt faire du
danger de sa théorie sur le moyen d'échapper au sort des
époux dignes de compassion.
Quelques-uns de ceux qu'a frappés avant nous, dans
V École des maris, la supposition si vraisemblable à nos veux,
ont eu tort de la croire justifiée par le fait que la jeune fille
élevée par Molière aurait créé le rôle de la pupille d'Ariste.
C'est plus tard que son entrée dans la troupe est notée dans
le Registre de La Grange. Mais, pour reconnaître que sa pen-
sée ait été présente dans la pièce, on n'a pas besoin qu'elle
y ait paru en personne dès 1661. Il n'y a pas non plus d'im-
portance à attribuer au i-Ale que joua Molière, il avait donné
celui d'Ariste au vieux L'Épy, et gardé pour lui-même celui
du tuteur loup-garou. Mais, sans parler du désir qu'il de-
vait avoir de ne pas rendre les applications trop faciles,
Molière, x 16
i\i NOTICE BIOGRAPHIQUE
pouvait-il laisser a un autre le personnage de vSganarelle,
que, depuis avoir quitté celui de Mascarille. il avait adopté
comme sien, le seul d'ailleurs qui, dans l'École des maris, lui
permît de déploNer tout son talent comique? Ses intentions
n y perdaient rien de leui' clarté et du bon effet qu'il en
attendait pour la réalisation de son cher projet. Quand il
eut épousé sa Léonor, qui se trouva plutôt une Isabelle,
que pensa-t-il de l'Ariste de sa comédie? Persista-t-il à le
trouver très prudent ?
Ces réflexions, qui sont loin d'être étrangères à Ihistoire
de sa vie, le sont au jugement littéraire à porter de sa pièce.
Voltaire a rendu pleine justice à ses beautés. Il dit qu'elle
t- affermit pour jamais la réputation de Molière j» ; que
« l'auteur français égale presque la pureté de la diction de
Térence et le passe de bien loin dans l'intrigue, dans le
caractère, dans le dénouement, dans la plaisanterie. » Il dé-
finit l'École des maris une pièce de caractère et une pièce
d "intrigue. Elle est en effet l'une et l'autre.
L'intrigue est fort amusante ; il ne faut pas en chicaner le
dénouement pour quelques invraisemblances, dont l'auteur
ne se souciait guère, sachant qu'au théâtre elles passent sans
difficulté. La ruse d'Isabelle, qui, par ses fausses révélations
des entreprises de Valère, amène Sganarelle à faire lui-
même connaître à son rival qu'il est aimé et trouvera le
champ libre, paraît une idée empruntée à Boccace. La ma-
nière dont elle est mise en scène était faite pour donner
un nouveau régal à la Fontaine, qui, s'emparant, à son
tour, de la nouvelle du Décaméron'^ , en a fait le conte de la
Confidente sans le savoir, petite comédie aussi, et digne de dis-
puter la palme à celle de Molière, si l'intrigue, dans celle-ci,
n'était pas secondaire. Il semble que le conteur se soit in-
spiré de Molière, plus encore que de Boccace. Chez Fouquet,
où, l'année précédente, il avait pu voir le Cocu imaginaire, il
est permis de croire qu'il assista, le ii juillet 1661, à la
représentation de l'École des maris, donnée à Vaux, en pré-
sence, comme Loret nous l'apprend*, de la reine d'Angie-
1. La troisième de la Troisième Journée.
2. La Muse hîstoricjue, lettre du 19 juillet 1661.
SUR MOLIERE. 9y,3
terre, de Monsieur et de iMadarae, mariés depuis quelques
mois. Et puis, autre occasion, si l'on avait des doutes sur la
première, la même comédie fut jouée le surlendemain, i") juil-
let, dans la soirée, chez la surintendante.
Ce même jour, il y en eut aussi une représentation devant
le roi, à Fontainebleau, '- pour Reine et Roi contenter* », et
très évidemment sur le grand récit que l'on avait fait de celle
du II. Nous pouvons omettre plusieurs autres visites où la
pièce fut représentée chez de grands personnages ; il suffit
de dire queLoret parle du <; sujet si riant et si beau » comme
du « charme de tout Paris- ». Du 2', juin au i 1 septembre
1661, il n'y eut pas au Palais-Royal un seul jour de comédie
sans l'École des maris. Une des meilleures preuves que Mo-
lière n'avait reconnu aucune hésitation dans l'approbation
générale, c'est que cette fois, dès les premières représentii-
tions, il ne se montra pas plus inquiet du jugement des lec-
teurs que de celui des spectateurs. L'École des maris est le
pi^emier ouvrage qu'il ait fait imprimer, qu'il ait mis de lui-
même au jour, comme il dit dans son Epître à Monsieur, la
première aussi de ses dédicaces : jusque-là il avait laissé les
libraires, éditeurs de ses pièces, faire ces politesses liminai-
res, il se pourvut d'un privilège qui est daté du 9 juillet 1 66 r .
Comme s'il ne voulait pas laisser languir l'heureuse for-
tune revenue, Molière, deux mois après l' École des maris, eut
une nouvelle pièce toute prête. On l'avait, il est vrai, beau-
coup pressé ; ce qui l'eiit mis en grand danger, s'il n'avait pa.s
été un de ces esprits féconds auxquels ne manquent jamais les
promptes ressources. On ne lui demandait rien moins qu un
ouvrage impromptu. « Jamais, dit-iP, entreprise au théâtre
ne fut si précipitée que celle-ci; et c'est une chose, je crois,
toute nouvelle qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise
et représentée en quinze jours. » Autre péril : il s'agissait
d'un prétexte à ballets, ces amusements favoris de Louis XIV,
qui trop souvent ont dérobé au grand poète comique un
temps précieux. Pour satisfaire aux conditions imposées,
I. La Muse lùstor'ique, lettre du 19 juillet 1O61.
a. Ibidem.
3. Dans rAvanl-propos qu'il mit eu tète des Fdclieu.r.
2^,4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Molière se proposa d'écrii*e quelques scènes légèrement
liées, qui présenteraint sous des formes variées une idée
toujours la même, et développeraient successivement, mais
sans progrès, des tableaux scéniques, au lieu d'une action.
C'est, dans la langue du théâtre, une pièce à tiroir. Mais un
ouvrier tel que Molière ne trouve jamais qu'un ouvrage soit
ingrat. Il voulut n'être pas, malgré la hâte, au-dessous de
lui-même; et puis il avait un grand désir de contenter le
tout-puissant prince, dont il avait déjà éprouvé la bienveil-
lance. Le titre de sa comédie : les Fâcheux, en dit le sujet.
Un amant, qui a besoin de quelques moments d'entretien
avec sa maîtresse, ne fait pas un pas pour la joindre sans
être arrêté par quelque importun qui survient. Il n'a fallu à
Molière que cette très maigre matière pour déployer son
imagination dans les vers les plus spirituels : et pour lui
c'eût été peu que cet agrément du style, s'il n'avait fait bril-
ler, dans ces quelques coups de pinceau, son art sans égal
de peindre des caractères. Quel observateur il s'est montré
dans les portraits de ces originaux qui passent devant nous,
dans leurs physionomies si diverses, mais toutes également
prises sur le vif! Quelque soin qu'il ait pris de ne négliger
aucun des traits qui pouvaient imprimer à ses figures la
marque de leur temps, on a aujourd'hui encore l'illusion
qu'il nous fait rencontrer des connaissances.
Il avait exécuté ce tour de force pour la fête magnifique
et, contre toute prévision, devenue si tragiquement célèbre,
que le surintendant préparait pour le roi. Dans les jardins
de Vaux, éblouissants des plus rares splendeurs, les Fâcheux
furent représentés pour la première fois le 17 août 1661.
La feinte, aisément comprise, des excuses sur l'impossibilité
de s'être trouvé prêt à temps, présentées au roi par Molière
en habit de ville, fut le badinage, presque familier, d'un co-
médien qui savait ce que pouvait lui permettre le degré de
faveur où il était. Quand il eut fini sa harangue, la nymphe
Béjart, sortant d'une coquille, récita le prologue: les Faunes
et les Bacchantes commencèrent le ballet: puis les baladins,
qui devaient reparaître dans chaque entr'acte, firent place
aux acteurs de la comédie.
La Fontaine, que nous retrouvons ici, et, cette fois, plus
SUR MOLIÈRE. 2',5
que vraisemblablement, a dit lui-même', quatre jours après,
combien la pièce était faite pour plaire à la brillante assem-
blée. Les louanges données à Molière par son fi'ère en génie
ne seront jamais trop citées :
Cet écrivain par sa manière
Charme à présent toute la cour.
De la façon que sou nom court.
Il doit être par delà Rome.
J'en suis ravi, car c'est mon homme.
Et jamais il ne lit si bon
Se trouver à la comédie ;
Car ne pense pas qu'on y rie
De maint trait jadis admiré
Et bon in illo tempore.
Nous avons changé de méthode,
Jodelet n'est plus à la mode;
Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d'un pas.
On comprend sans hésitation que dans -la pensée de la
Fontaine les derniers de ces vers ne s'appliquaient pas seu-
lement d'une manière générale à tout ce que Molière avait
jusque-là fait paraître, mais particulièrement àla pièce nou-
velle, où l'excellent juge venait d'admirer la nature suivie
pas à pas.
Nous ne voulons cependant rien exagérer. Si une appa-
rente bagatelle est devenue une bonne comédie, si Molière
y a été peintre d'après nature, il a fait ailleurs des peintures
autrement profondes des caractères; il n'y avait pas ici l'oc-
casion de sonder le cœur humain dans ses replis, mais de
tracer quelques figures dont on pût reconnaîti^e les types.
Les modèles qui avaient posé, à l'exception des deux pau-
vres diables Caritidès et Ormin, ont été pris dans le monde
qui entourait le roi et qui était venu avec lui à la fête de
Vaux. C'était assurément le moyen de mettre et ce monde
et le roi à même déjuger de l'exactitude des peintures. Elles
I. Dans cette lettre à Maucroix, du 22 août, dont nous avons
déjà cité quelque chose ci-dessus, p. 20 1 et 2J2.
346 NOTICE BIOGRAPHIQUE
étaient non seulement vraies, mais piquantes. Par quelque
touche légère et, si l'on veut, inoffensive, qu'aient été indi-
qués les traits plaisants des manies vénielles de ces marquis,
Molière a pris là une liberté, poussée dans la suite plus loin
par lui, mais déjà d'une certaine hardiesse. Elle se montre
tout au début, dans le ridicule jeté sur ces hommes de qua-
lité, ces hommes à grand fracas, qui plantent leur chaise au
milieu de la scène, sans aucun souci des acteurs qu'ils ca-
chent. Ces fâcheux-là n'ont-ils pas trouvé insolente la juste
réclamation? Disons que, dès ce premier essai des fran-
chises de la comédie à l'endroit des extravagants titrés, on
essaya en vain de faire regarder à Louis XIV comme inju-
rieuses pour lui-même les railleries à l'adresse de ceux qui
avaient l'honneur de l'approcher et étaient la décoration
de sa cour : il se voyait tellement au-dessus de toutes les
têtes, qu'il n'était pas fâché que l'on marquât l'infinie dis-
lance en le faisant rire des petites planètes qui emprun-
taient tout leur éclat à son soleil. Il indiqua lui-même, on
ne sait pas au juste à quel moment, mais après la représen-
tation de Vaux, un portrait à ajouter, celui de l'enragé
chasseur, un homme de cour assurément, le marquis de
Soyecourt peut-être, si le Menagiana^ a été bien informé.
Molière ne put dès lors douter que le roi ne lui permît
beaucoup sur les marquis. Aussi les retrouve-t-on bientôt
de plus en plus résolument ridiculisés dans ses comédies.
Dans l'Épître adressée au roi pour lui présenter sa pièce
imprimée, l'adroit auteur n'eut garde de passer sous silence
l'honneur qu'il avait reçu de son auguste coopération, et de
relever la valeur de l'idée qui lui avait été suggérée. Ce ca-
ractère « a été trouvé partout, dit-il, le plus beau morceau
de l'ouvrage 3' ; flatterie tellement obligée ici qu'il serait
peu raisonnable d'y trouver à redire. Compliment de cour-
tisan à part, il est certain que le récit du chasseur brille
entre tous les autres par la rare facilité des vers, dont
l'exactitude technique a été rendue si comiquement agréal^le.
r. Tome III, p. 1^. — Soyecourt n'étail pas alors, comme on
l'a dit quelquefois, le grand-veneur, mais le grand-maître do la
qardc-robe.
SUR MOLIERE. 247
Le Bolxana^ parle d'un collaborateur très différent, à qui
Molière, fort pressé, aurait eu recours pour la scène du pé-
dant Caritidès. C'était son ami Chapelle. On peut avoir beau-
coup d esprit, sans être capable d'écrire pour le théâtre, et
surtout de prêter sa plume à Molière, qui reprit la sienne,
n'a\'ant trouvé dans la scène présentée par Chapelle que la
plus glaciale plaisanterie.
Si les Fucheu.v furent à Vaux une grande victoire pour
Molière, dont ils tirent estimer plus encore le talent par
Louis XIV, tout le monde n'eut pas également à marquer
d'une pierre blanche le jour de la somptueuse fête. Ce fut
elle qui, faisant éclater l'orage encore suspendu, rendit iné-
vitable la disgrâce de Fouquet, par suite celle de Pellisson,
que le prologue de la pièce, écrit par lui, ne mil pas à l'abri
de la foudre. Mais le sombre souvenir, inséparable à jamais
de l'histoire de la gaie comédie, paraît n'avoir jeté dans l'es-
prit du roi aucune ombre sur l'ouvrage de Molière et sur le
|)Iaisir qu'il y avait pris. Faisons comme lui, nous chez qui
cette insensibilité philosophique n'a pas à craindre de
paraître aussi dure ; écartons, comme des fâcheux, Nantes et
Pignerol; et ne nous attardons pas, quoique la Fontaine
nous y invite, à entendre les cris et à recueillir les larmes
de ces Nymphes de Vaux, que Molière avait tant fait rire.
Le surintendant n'était pas encore arrêté, lorsque le roi
voulut entendre de nouveau les amusants Fâcheux^ sans
doute ornés déjà du portrait qu'il avait réclamé. Ce fut
à Fontainebleau qu'il les revit, le aS août, jour de la Saint-
Louis; ils y furent joués deux fois, durant les quelques jours
que l'on garda les comédiens. Là, au témoignage de Loret-,
on n'approu\a pas moins que l'on n'avait fait à Vaux « la
pièce tant et tant louée », que représenta « la troupe co-
mique excellente ».
Il n'est pas cette fois sans intérêt de connaître comment
cette troupe s'était partagé les rôles. Molière en joua plu-
sieurs : celui du chasseur, d'invention royale, celui de Cari-
tidès, celui d'un marquis. Son inventaire désigne, parmi ses
1. Page 96.
2. La yiuse historique, lettre du i-j août 1661.
248 NOTICE BIOGRAPHIQUE
habits de théâtre, les habits de ces personnages'. Il avait
confié à La Grange le rôle d'Eraste. Mais ceux des femmes
méritent plus d'attention. Ils furent sans doute remplis à
Vaux et à Fontainebleau, comme on nous fait connaître
qu'ils l'ont été au Palais-Royal, par la de Brie, la du Parc et
la Béjart. Loret, qui les nomme toutes trois dans sa Lettre
du 19 novembre 1661, dit de la dernière :
L'agréable Nymphe Béjart,
Quittant sa pompeuse coquille,
Y joue en admirable fille.
La Fontaine aussi a parlé d'elle dans sa lettre à Maucroix,
où il la montre sortant tout à coup de sa coquille, puis ré-
citant le prologue de Pellisson : « La Béjart, dit-il,
Nymphe excellente dans son art.
Et que pas une ne surpasse »,
louange qu'il n'aurait pas donnée à une jeune fille sans expé-
rience du théâtre. Quelques-uns cependant ont cru que la
Naïade de la coquille n'était pas Madeleine, mais Armande,
cette autre Béjart, que prochainement Molière devait épou-
ser. C'est la faire entrer dans la troupe un peu moins tôt
que l'ont voulu ceux qui la font jouer dans les premières
représentations de V Ecole des maris, mais trop tôt encore.
Sans parler du Registre de La Grange, irrécusable sur ce
point, un trait peu galant de la comédie de la Vengeance
des Marquis'^ aurait dû sufiBre pour avertir de l'erreur : « Il
me souvient de cette Nymphe : on croyoit tromper nos yeux
en nous la faisant voir, et nous faire trouver beaucoup de
jeunesse dans un vieux poisson. » Il est clair que le vieux
poisson pour lequel on avait compté, justement sans doute,
sur l'illusion du théâtre et sur l'éclat emprunté qui rajeunit,
ne peut avoir été que la comédienne de quarante- trois ans.
1. Recherches sur Molière, p. 276 et 277. — On ne nous apprend
pas quel marcjuis Molière représentait : Lysandre, le danseur?
Alcandre, le duelliste? Alcippe, le joueur? Tous peut-être bien,
comme dit Soidié, p. 88.
2. Scène vu.
SUR MOLIERE. 249
La ville attendit assez longtemps la comédie que son suc-
cès à la cour devait lui donner grande impatience de voir
représenter : depuis l'arrestation du surintendant (5 sep-
tembre), ou l'on eut ordre de différer, ou les convenances
le conseillèrent. On pourrait aussi attribuer le retard à la
difficulté de monter la pièce que, malgré les grands frais, on
voulait donner au Palais-Royal telle qu'on l'avait donnée à
Vaux et à Fontainebleau, avec <= ballets, violons, musique »
et machines '. Elle ne put être jouée que le 4 novembre. Pen-
dant trois mois, elle le fut tous les jours, avec de très fortes
recettes. La nouveauté pour la ville d un divertissement royal
contribua peut-être à piquer la curiosité; mais l'agrément
de la pièce y aurait suffi. Une des représentations, celle du
28 décembre, doit être remarquée. Le Registre note ce
jour-là « les Fâcheux devant le roi ;> avec l' École des maris.
Ce fut évidemment au Palais-Royal, où parut le roi, sans
craindre d'éveiller par sa présence le souvenir du jour de
colère qui avait vu la premièi'e représentation des Fâcheux.
Voulut-il juger par ses propres yeux de l'effet produit sur le
public de la ville par la scène dont il avait donné le sujet?
C'est plaisir de chercher l'histoire de Molière dans celle
de ses ouvrages; car elle y est avant tout, et s'y offre à nous
aussi claire que glorieuse; mais à l'époque oïi nous voici
parvenu, il faut, non sans regret, nous détourner de la bril-
lante route de son génie vers sa vie privée, qui n'est pas
éclairée d une manière aussi évidente, aussi pure non plus :
elle va paraître entourée de quelques nuages inquiétants.
Un écrivain, que l'on aime à écouter, conseille de renoncer
à la manie, qu'on a de nos jours, de confesser indiscrète-
ment les grands hommes. Il pense qu'on ferait mieux d"é-
pargner à la mémoire de Molière toutes ces enquêtes sans
fin sur des misères inutiles à remuer-, et qu'il importe peu
d'éclaircir les obscurités qu'on a cru trouver autour de la
naissance de sa femme, puis encore de forcer le secret du
ménage pour suivre d'un œil curieux la conduite de celle-ci
1. La Muse historique, lettre du 19 novembre 1661.
2. Vojez dans les Études critiques de M. F. Brunelière, les Der-
nières recherclies sur Molière^ p. 184-187.
25o NOTICE BIOGRAPHIQUE
une fois mariée. Cette réserve serait de notre goîit ; mais,
pour qu'elle ne soit pas tardive, elle a depuis longtemps
été trop peu gardée. Nous craindrions d'ailleurs que tant
de scrupule s'accordât mal avec les devoirs d'un biographe.
Comment prétendre retracer une vie, avec la résolution d'y
laisser de si visibles lacunes?
La brièveté de la Préface de 1682 permettait peut-être de
n'y pas même nommer Mlle Molière; et cependant on a
quelque peine à ne pas croire cette omission trop volon-
taire pour n'être pas un jugement sur elle. N'avoir pas dit
un mot de sa naissance, de ses père et mère, semble par-
ticulièrement avoir quelque signification. Si les auteurs de la
préface, bien informés sans doute, s'étaient crus en mesure
de faire une simple mention, qui fût comme une réponse à
des soupçons très répandus, ne pas la négliger était leur
devoir, surtout comme amis.
La Grange, que l'on croit un de ces auteurs, n'a pas été
muet, dans son Registre, sur le mariage du chef de la
troupe. Il l'a plusieurs fois noté, d'abord à l'occasion des
deux parts demandées par Molière avant la rentrée de
Pâques 1661, qui le faisaient dès lors pressentir*, puis,
sous la date du 14 février 1662, quand le projet fut ouver-
tement déclaré, et qu'il y eut peut-être un repas de fian-
çailles^. C'est à la première de ces mentions qu'il a plus
tard ajouté cette petite note : « M. de Molière épousa Ar-
mande-Claire-Elisabeth-Grésinde Béjart le mardi gras de
1662^. » Aucun des prénoms de l'épousée n'est omis; mais
ses pai'ents ne sont pas nommés, quoique La Grange, au
commencement de son Registre, n'ait pas manqué de parler
du père et de la mère de sa propre femme, Marie Ragueneau.
I. Registre^ p. 3i. « La troupe lui accorda [les deux parts]
pour lui ou pour sa femme, s'il se marioit. »
3. Ihid., p. 4i- « Mardi i4" [février 1662], visite chez M^d'Eque-
villy » ; et à la marge : « Mariage de M'^ de Molière au sortir de
la visite. »
3. L'exactitude du Registre est ici légèrement en défaut. Il a
retardé d'un jour le mariage, qui fut célébré à Saint-Germain-
l'Auxerrois le lundi 20 février. Voyez l'acte de mariage aux Pièces
justificatives^ n" \ii.
SUR MOLIERE. 2ji
Que sait-on avec certitude de cette Ariïlande Béjart,
lorsqu'elle se maria? Son Age, à peu près du moins. Le con-
trat de son mariage* la dit « âgée de vingt ans ou environ ».
L'acte de son décès, qui est du 3o novembre 1 700, la fait
mourir à cinquante-cinq ans. Elle serait née en 1645, et aurait
été mariée avant ses dix-sept ans, ce qui est indubitablement
faux, puisqu'elle ne peut être que « une petite non bapti-
sée >> que désigne un acte du 10 mars 164 >• Il est probable
qu'au moment de la signature du contrat elle était entrée
depuis peu dans sa vingtième année. Molière avait plus que
le double de son âge.
Sa naissance (à part la date approximativement connue! a
toujours été sujette à bien des doutes, à de nombreuses con-
troverses. Il y a là des ténèbres qui jamais peut-être ne se-
ront entièi^ement dissipées, quelque bonne foi que l'on mette
à tâcher d'y porter la lumière.
Sur ses premières années du moins on ne saurait craindre
d'être dans une complète ignoranee.il n'y a pas à douter que
Molière n'ait pris soin de son éducation. Tout confirme ce
dire de l'auteur de la Fameuse Comédienne , qu'il avait pour
elle une inclination particulière « comme l'ayant élevée- ».
Chalussay est d'accord dans sa comédie. Son Elomire se
tient assuré de n'être jamais trompé par sa femme :
Qui forge une femme pour soi.
Comme j'ai fait la mienne, en peut jurer sa foi 5.
Dans la réponse que Bary fait à Elomire, il le compare à
Arnolphe, forgeant de la même manière Agnès. La compa-
raison rend parfaitement clair le sens de forger, quoique la
méchanceté du satirique en cherche, quelques vers plus loin,
un tout autre qui est très odieux. Sur cette sorte de tutelle
de Molière nous n'avons pas hésité à citer des libellistes, le
fait dont ils parlent échappant trop au blâme pour qu'ils
l'aient inventé. Mais surtout nous ne nous défions pas
d'eux cette fois, parce que cette page de la vie de Molière
I . Voyez ce contrat aux Pièces justificatives^ u" vi.
•2. Page 9.
3. Acle I, scène m, p, ao.
252 TVOïICE BIOGRAPHIQUE
se trouve comme écrite par lui-même. Il nous a paru impos-
sible qu'on se soit trompé, lorsque l'on a reconnu sa préoc-
cupation de sa propre histoire dans V École des maris, dont les
deux tuteurs ont été charge's du soin d'élever deux jeunes
filles sans parents*, qu'ils ont lini par vouloir épouser. Bien-
tôt après, dans l'École des femmes, Molière, comme obsédé
de la même pensée, a fait paraître sur la scène Arnolphe, à
qui est confiée, dès l'âge de quatre ans, une enfant qu'il
élève, qu'il forge :
Je ne puis faire mieux que d'en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme.
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît^.
Voilà bien son rêve sur Armande. Peu importe qu'Arnolphe
ressemble d'ailleurs si peu à Molière, et que le sujet de sa
pièce ait été trouvé dans une nouvelle de Scarron. S'il l'y a
remarqué et l'a fait sien, c'est qu'il répondait aussi bien que
celui de l'École des maris au grand souci dont il était préoc-
cupé en ce temps : comment résoudre la difficulté d'élever
assez sagement une jeune fille pour l'épouser sans péril à
l'âge qu'il avait? N'aurait-il pas à s'applaudir de n'avoir
pas fait d'elle une esclave, comme Isabelle, ou une sotte,
comme Agnès?
La petite Menou de la lettre de Chapelle^ ne doit pas,
quoi qu'on ait voulu dire, être autre qu' Armande Béjart.
Comment aurait disparu, sans laisser de traces, l'enfant qui,
poétiquement comparée à l'herbe tendre au pied du grand
arbre, grandissait sous les 5'eux de Molière? Après qu'elle
lui avait inspiré le vif et tendre intérêt que Chapelle con-
naissait si bien, on ne s'expliquerait pas qu'il fiit devenu
impossible de la retrouver près de lui, comme si tout à coup
il l'eût entièrement perdue de vue. Et oîi est la vraisem-
blance de supposer sa tendresse pai'tagée, dans le même
temps, entre deux enfants, qu'il se serait également prorais
1. Acte I, scène 11, vers 99-106.
2. Acte III, scène m, vers 808-811.
3. Voyez ci-dessus, p. 146-148.
SUR MOLIERE. ^53
de faire monter jusqu'à lui « dans cinq ou six jours » ? La
séduction exercée sur son cœur par Menou et « ses naissants
appas » ressemble singulièrement à ce qui est dit dans la
fameuse Comédienne de son ^~ inclination particulière » pour
Armande Béjart.
Cette Armande n'était pas sans parents, comme Isabelle
etLéonorde V École des maris. Elle avait une mère vivante,
une des Béjart, celle-ci ou celle-là. L'étroite intimité de
Molière avec cette famille Béjart fait comprendre qu'il ait
pris soin de l'enfant ; mais l'histoire de cette tutelle est mal
connue. On ne trouve quelques détails que dans la Fameuse
Comédienne. Il y est dit qu'Armande « a passé sa plus
tendre jeunesse en Languedoc chez une dame d'un rang
distingué dans la province » : et que Molière, « ayant résolu
d'aller à Lvon [on parle san'; doute des anne'es i652 ou i653),
on la retira de chez cette dame, qui ayant conçu pour elle
une amitié fort tendre, fut fâchée de l'abandonner entre les
mains de sa mère pour aller suivre une troupe de comé-
diens errants' «. La suite donne à entendre qu'Armande
fut alors confiée à Molière. Il était comédien dans cette
troupe errante, mais il s'y faisait distinguer par l'estime qu'il
s'était acquise.
La source de ces informations est suspecte. Il semble
cependant que si l'on réserve, comme une question à exa-
miner, la maternité, affirmée dans le libelle, de Madeleine
Béjart, les autres circonstances brièvement relatées ne sont
pas indignes de confiance. La dame du Languedoc ne paraît
pas une invention ; on ne verrait pas quel intérêt la méchan-
ceté aurait eu à imaginer Molière recevant de ses mains
l'enfant que ses parents n'avaient pas gardée près d'eux.
Voilà donc Armande emmenée à Lyon par celui qui con-
sentait à veiller sur elle; ce serait une nouvelle raison de
l'identifier avec Menou que nous avons trouvée dans cette
ville récitant quelques vers de V Andromède, par manière de
jeu certainement; car nous ne verrons pas Armande comé-
dienne avant son mariage.
Il paraît simple d'abord de connaître sa mère. Son
1. La Fameuse Comédienne^ P- 7-
a54 NOTICE BIOGRAPHIQUE
contrat et son acte de mariage la mettent bien en règle,
comme fille légitime de Joseph Béjain et de Marie Hervé,
conséquemment comme sœur de Madeleine Béjai't. Beau-
coup plus jeune que ses frères et sœurs, tous bien connus,
elle ne saurait être, comme nous l'avons dit, que la « petite
non baptisée « qui dans la renonciation à la succession de
Joseph Béjart, reçue le lo mars 1643^ par un lieutenant
civil, est comptée au nombre des enfants mineurs du défunt.
Comment des actes si authentiques ont-ils pu laisser place
à des doutes? Ce n'est pas aussi inexplicable qu'on l'a quel-
quefois prétendu.
Il est probable que dans tous les actes postérieurs à la
renonciation de 1643, on s'en est rapporté à cet acte pre-
mier en date, dans lequel la déclaration de la veuve Béjart
avait été acceptée comme sincère, et n'avait, depuis, donné
lieu à aucune inscription de faux. Le magistrat qui lavait
reçue doit s'en être contenté, l'acte du baptême qui, aflir-
mait-on, n'avait pas encore été donné, n'ayant pu être pro-
duit.
Cet acte de baptême, que du reste aucune recherche n'a
fait jusqu'ici retrouver, a-t-il été produit pour le mariage ?
Rien ne le dit, et il ne serait pas étonnant que 1 on ne l'eût
pas exigé : tant on passait facilement alors sur les irrégu-
larités. La renonciation à la succession de Joseph Béjart offre
elle-même un exemple de ces négligences. La remarque a
été faite que Marie Hervé avait déclaré tous ses enfants
mineurs, lorsque deux d'eutre eux ne l'étaient pas, Made-
leine qui avait ses vingt-cinq ans accomplis, étant née le
8 janvier 161 8, et Joseph étant plus âgé qu'elle. C'était,
dit-on, sans importance dans une succession qui ne laissait
rien à recueillir; et l'on avait seulement voulu simplifier les
choses. Nous n'en sommes pas si sûr, et quand on l'admet-
trait, quel magistrat, ou quel notaire aujourd'hui fermerait
les yeux sur cette simplification, ou l'ignorerait, faute
d'avoir demandé que l'on justifiât de la minorité des enfants?
Un^tel laisser-aller doanait bien des facilités à toutes les
fraudes. '
I. Voyez celte Retionciat'ioii aux Pièces justificatn-es. n° viii.
SUR MOLIERE. ^V",
Pour faire soupçonner Marie Hervé d'un mensonge sur la
naissance d'Armande, c'est trop peu qu'il ait été possible; il
faut dire pourquoi il est moins improbable qu'on ne voudrait.
11 V a désaccord entre les témoignages des pièces au-
thentiques et ce qu'en dépit de toutes les preuves légales
les contemporains ont cru.
Quand ces contemporains ont été un Montfleur\ , un Cha-
lussay, ou l'auteur de la Fameuse Comédienne ^ trop évidem-
ment il n'y a pas à tenir compte de ce qu'ont dit de tels
ennemis. Mais si leur haine, capable de toutes les calom-
nies, a seule propagé le faux bruit, comment ont-ils trouvé
ouverte au mensonge l'oreille de ceux qui avaient vécu dans
l'intimité de Molière, celle de Boileau lui-même? La phrase
de Brossette, déjà citée plus haut : « M. Despréaux m'a dit
que Molière avoit été amoureux, premièrement de la comé-
dienne Béjart », se continue ainsi : « dont il avoit épousé la
tille* ». Ce témoignage, qu'on a qualifié de vague, est sin-
gulièrement précis; et il a été écrit du vivant de Boileau,
en IIJ02. Reste à objecter la médiocre confiance qu'inspirent
les souvenirs de Brossette; on a signalé chez lui beaucoup
d'erreurs. Celle-ci dépasserait en impardonnable légèreté
toutes celles qu'on a relevées dans son commentaire-. Croira-
t-on que, préoccupé de l'opinion répandue, il s'est imaginé
en avoir recueilli la confirmation de la bouche de Boileau ?
Une pareille infidélité de mémoire serait bien étrange. Elle
le serait plus encore, si l'on supposait que Boileau lui avait
dit le contraire; et il lui a certainement dit quelque chose.
Quand Brossette l'a interrogé sur Molière et la Béjart, il n a
pu négliger de s'informer de ce qu'il pensait d'un bruit qui
n'intéressait pas médiocrement la mémoire d'un si cher
ami.
Grimarest, dont l'autorité a été souvent récusée, paraîtrait
moins embarrassant. Cependant il l'est bien un peu. Il est
in^Taisemblable que sur un point de cette importance il
n'ait pas consulté Baron, qu'il reconnaît lui avoir donné ses
1. Ms. de Brossette, p. 38.
2. Vojez s\ir les erreurs de Brossette, Tédition des OEuvres de
Boileau donnée par Berriat-Saint-Prix, tome III, p. 466-498.
256 NOTICE BIOGRAPHIQUE
mémoires*. Dans son témoignage, il est donc difficile de
croire que nous n'ayons pas celui de Baron, sous la dictée
duquel sans doute il a écrit qu'Arraande était fille de Ma-
deleine. Il n'y avait guère pour Baron de secret dans la
maison de Molière ; s'il avait des raisons de ne pas aimer
Mlle Molière, s'il a pu faire à Griraarest plus d'un conte sur
elle, par celui-ci il l'aurait moins frappée que la veuve Bé-
jart, Madeleine, et surtout son bienfaiteur, livré par lui,
dans cette triste affaire, à des conjectures injurieuses.
Nous avons déjà fait remarquer que La Grange, lorsqu'il
a parlé dans son Registre du mariage de Molière, n'a point
donné les noms du père et de la mère d'Armande Béjart,
quoiqu'il l'eût pu faire naturellement et sans la moindre af-
fectation d'apologie. De même, notant à sa date la mort de
Madeleine Béjart, il n'a pas saisi l'occasion de la dire belle-
sœur de Molière. Que celui-ci n'ait jamais voulu rétablir,
preuves en main, la vérité défigurée par ses ennemis, nous
n'avons rien à dire contre les raisons qu'on en a proposées,
mais on est étonné de la discrétion de La Grange. Il pour-
rait être soupçonné d'avoir évité, soit de lui-même, soit par
le conseil de Molière, de toucher à une question scabreuse,
sur laquelle savaient à quoi s'en tenir ses camarades sous les
yeux desquels il écrivait son Registre.
Un très petit fait, qui n'a nullement la valeur d'un témoi-
gnage, est cependant assez curieux*. Le lo mai 1673, un
arrêt fut rendu sur l'affaire d'une créance de Madeleine
Béjart, dont Mlle Molière avait hérité (affaire Antoine Bara-
tier). Quelques mois avant le jugement, les qualités des
parties avaient été ainsi établies : « Entre messire Anthoine
Hercule, baron de Saint-Victor^..., et Jean-Baptiste Po-
quelin Molière, comédien du Roi, et damoiselle Armande
Grésinde Béjart, sa femme, héritière de défunte Magdelaine
1. Réponse à la critique que Von a faite de la Vie de M, de Mo-
lière. Voyez les QEmres de M. de Molière, Paris, par la Compa-
gnie des libraires associés, 171c, tome I, p. 117 et 118.
2. Il a été découvert et raconté par M. Emile Campardon.
Voyez le Moliériste d'août i883, p. i56et 157.
3. Il était gendre de feu Baratier.
SUR MOLIERE. 257
Béjart, ayant repris l'instance au lieu do ladite défunte Bé-
jart. » Lorsque l'arrêt fut rendu après la mort de Molière,
et qu'il fallut changer la désignation des parties, les noms
et qualités de Molière et de sa femme furent biffés, et l'on y
substitua : « et damoiselle Armande Grésinde Béjart, veuve
du défunt Jean-Baptiste Poquelin, comédien du Roi, héri-
tière de défunte Magdelaine Béjart, ayant repris l'instance
au lieu de ladite défunte Béjart, sa mère, et dudit Molière
son mari ». Dans l'arrêt néanmoins la veuve de Molière était
qualifiée sœur de Madeleine. Il n'y avait donc eu qu'une
distraction* du greffier. Elle ne mériterait pas qu'on en par-
lât, si elle n'était une des nombreuses preuves de la croyance
dont les contemporains avaient l'esprit prévenu.
Cette croyance n'était pas seulement celle d'un petit
nombre, et longtemps elle a persisté. Pour la faire juger
mal fondée, il a fallu la découverte par Befifara de l'acte de
mariage de Molière. Il y a eu, depuis, celle du contrat, et de
la renonciation de 1643. Jusque-là les biographes de Molière,
Grimarest, La Serre, Voltaire, ont été d'accord sur la ma-
ternité de Madeleine, ce qui ne prouve autre chose, il est
vrai, que la persévérante tradition.
Ce qui nous reste à ajouter n'est pas plus nouveau que
ce que nous venons de dire. Quelle considération, qui ne
soit déjà connue, pourra-t-on proposer tant qu'on n'aura
j)as trouvé un témoignage irrécusable, ayant jusqu'ici
échappé aux recherches? Et comment rêver d'en découvrir
jamais un qui, tout revêtu qu'il fût des caractères de la plus
authentique légalité, ne paraîtrait pas d'une autorité dou-
teuse, puisqu'il a pu s'être appuyé sur une première fausse
déclaration?
I. Nous la comprenons d'autant plus facilement que nous-
même avons à nous accuser d "une toute semblable qui a été l'ef-
fet de la même préoccupation. Dans une ligne de la Notice sur /«
Comtesse efEscarl/agnas (tome VIII, p. 538), nous avons nommé
Madeleine Béjart belle-mère de Molière. C'était cependant sans au-
cune intention de prendre parti dans la question controversée;
dont nous entendions réserver l'examen pour la Notice biogra-
phique. A notre sentiment, il n'était pas permis d'être tout à fait
si décisif.
Molière, x 17
a58 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Dans le contrat de mariage', Marie Hervé, comme mère
d'Armande, donne aux futurs époux dix mille livres tour-
nois, que, cinq mois après, le 24 juin 1662, Molière recon-
naît avoir reçues : bien grosse somme pour une veuve, à
qui l'on n'aurait jamais cru tant d'opulence et qui, deux
ans plus tard, ne fut pas si généreuse pour son autre fille,
Geneviève. Lorsque celle-ci épousa, en 1664, Léonard de
Loménie, elle apporta quatre mille livres tournois, dont la
l^lus grande partie (trois mille cinq cents livres) était en
habits, linge et meubles; et les cinq cents livres d'argent
comptant, le contrat ne dit même pas qu'elles étaient don-
nées par la mère. Quant à la fiancée de Molière, qui soup-
çonner dans la famille Béjart de lui avoir fait une belle part,
si ce n'est la riche Madeleine ? En vérité, voilà une sœur
d'une grande libéralité! C'est elle, et non Marie Hervé, qui
se conduit en mère.
Elle ne fut pas moins généreuse pour Armande dans son
testament. Là, commençant par laisser quatre cents livres
de pension viagère à sa sœur Geneviève et à son frère Louis,
aussi bien qu'à sa sœur la plus jeune, au profit de qui
devait s'éteindre la pension des deux premiers, elle charge
ensuite son ami, le peintre Mignard, de recueillir tout l'ar-
gent qui lui appartiendrait au jour de son décès et de
l'employer, jusqu'à vingt ou trente mille livres au plus, en
acquisitions d'héritages, dont les revenus seront reçus par
Armande, après elle par ses descendants, et employés en
œu\Tes pies. Cinq semaines après, étant sur le point de
rendre l'âme, elle ajouta un codicille qui dispensait la léga-
taire de cet emploi de l'usufruit-. On voit de quels intérêts
elle avait pris souci, jusqu'au dernier soupir.
Ce qui nous intéresse en ce moment, c'est tout autre chose
qu'un jugement à porter sur le caractère de Madeleine Bé-
jart. Ne laissons pas cependant passer une occasion d'être
juste pour elle. Lorsqu'on la voit, un pied dans la tombe,
presque aveuglée déjà, comme l'ont constaté les notaires,
I. On trouvera ce contrat aux Pièces justificatives, comme il a
été dit ci-dessus, p. aSi, note i.
?.. Roc'iercnes sur Molière^ p, i^Z-i^^.
SUR MOLIÈRE. aSg
par les ombres de la mort, et capable k peine de signer d'une
main défaillante, rassembler ce qui lui restait de forces pour
donner plus complète satisfaction à une affection dévouée,
amitié de sœur, ou amour maternel, ou encore, si l'on veut,
attachement à Molière, on ne saurait méconnaître chez elle
la bonté du cœur, bonté dont peut-être il eût fallu, dans
les services rendus à Modène, faire la part, à côté de l'in-
dulgence de la femme galante pour des infidélités auxquelles
sa morale la rendait indifférente. Mais ceci est une digres-
sion; elle ne nous fait pas perdre de vue quelles réflexions
inspirent les sentiments si extraordinairement fraternels
révélés par son testament, qui rend encore plus vraisem-
blable qu'Armande devait sa dot à Madeleine. On peut sans
doute penser que si elle a été ainsi favorisée, au détriment
du reste de la famille, ça été comme femme de Molière,
ce grand ami. Il se trouve néanmoins que par tant de par-
tialité pour une sœur, Madeleine Béjart a fourni un spé-
cieux argument à la croyance d'une maternité complaisam-
ment dissimulée par Marie Hervé; et quand on est déjà
embarrassé par la contradiction entre l'opinion très géné-
rale et les actes authentiques, c'est une grande fatalité, si
cette opinion s'est trompée, que des bienfaits excessifs
soient venus tellement fortifier l'erreur. Il faut avouer que
tout a conspiré pour cette erreur, ou tout au moins contre
une parfaite clarté.
On a beaucoup remarqué que ni le contrat ni l'acte de
mariage d'Armande Béjart n'ont été signés par Geneviève,
qui seule de la famille n'est pas nommée parmi les té-
moins. Soulié a demandé' s'il n'est pas possible que ce soit
elle, non Madeleine, qui ait été maîtresse de Molière, et ait
fait à son mariage l'opposition attribuée à sa sœur aînée par
Grimarest. Il montre d'ailleurs ne pas tenir beaucoup à sa
singulière hypothèse, qui aurait, il est vrai, l'avantage de
ne plus faire voir dans Molière l'ancien amant de celle
dont on l'a soupçonné d'avoir épousé la fille. On compren-
drait mal comment, dans l'histoire de ses amours, les con-
temporains auraient ainsi pris le change. Et quelle vraisem»
I. Recherclies sur Molière, p, 58.
26o NOTICE BIOGRAPHIQUE
blancc qu'il se soit attaché à une personne aussi insignifiante
que paraît l'avoir été cette Geneviève? Mlle Hervé (on l'ap-
pelait ainsi) est la plus effacée des cinq actrices que Molière
a fait paraître sous leur nom dans V Impromptu de Versailles.
Elle y est supposée chargée dans la pièce qu'on répète
d'un rôle où elle déclare qu'elle n'aura pas grand'chose à
dire; et quand Molière lui adresse la parole, à elle la der-
nière : <c Pour vous, lui dit-il, vous êtes la soubrette de la
précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la con-
versation, et attrape, comme elle peut, tous les termes de
sa maîtresse, j) Plus que vraisemblablement, c'est une ma-
lice de Molière, qui, sous prétexte de lui expliquer son
rôle, s'est amusé à peindre son vrai caractère, celui d'une
sotte qui ne sait pas dire quatre mots. Est-ce bien à Mo-
lière qu'on a jamais pu dire :
Une femme stupide est donc votre marotte?
Si la bouderie de Mlle Hervé, lors du mariage de sa sœur
Armande, n'a pas eu pour cause quelque querelle de comé-
dienne avec Madeleine, on y pourrait trouver un indice de
l'irrégulier arrangement de famille bien fait pour la bles-
ser. Il lui aurait déplu de se laisser donner une fausse
sœur, tellement favorisée d'ailleurs dans son contrat qu'elle-
même allait paraître dans le sien une aînée mise au-dessous
de sa cadette.
Nous avons laissé en dehors de la question l'âge de la
veuve Béjart, sur lequel on a beaucoup disserté, sans trou-
ver rien de certain à en dire. Le nombre plus ou moins
grand de ses années importe peu d'ailleurs, puisque l'on
cite des exemples de maternité très tardive. Il n'y a rien
de sérieux à conclure du fait que son dernier enfant, avant
la naissance d' Armande, Louis Béjart, était né en novem-
bre i63o.
Bien que nous pensions avoir dit l'essentiel, il ne faut
pas qu'on ait à nous reprocher d'avoir omis une des consi-
dérations que font valoir ceux qui tiennent pour sincère la
déclaration de Marie Hervé. On devrait expliquer, disent-
ils, quel intérêt pouvait avoir Madeleine Béjart, après un
passé nullement dissimulé, à ne pas avouer un nouvel acci-
SUR MOLIERE. 261
dent. Une des réponses qui ont été faites est celle-ci : elle
voulut sans doute cacher sa faute au seigneur de Modène,
n'ayant pas renoncé à l'espoir d'être épousée par lui. Mais
il a été victorieusement objecté qu'alors Modène était en-
core marié; et quant à le ménager comme amant, s'en in-
quiétait-elle beaucoup? Il ne paraît pas avoir eu ces déli-
cates jalousies. C'était lui bien plutôt qui avait à ménager
une femme pour laquelle il ne faisait aucun sacrifice, et qui,
au contraire, l'assistait dans ses embarras d'argent. A défaut
d'une explication qui ne soutient pas l'examen, on en pour-
rait chercher d'autres. Est-ce bien nécessaire? Ignorant
dans quelles circonstances elle aurait donné naissance à
Armande, on ne ferait jamais que bâtir en l'air de petits
romans. Cependant indiquer seulement que l'on en pourrait
trouver plusieurs à imaginer, entre lesquels on donnerait le
choix, ne suffirait-il pas pour que l'on n'eût plus le droit
de dire : « La fausse déclaration supposée aurait été sans
motifs possibles »? On rappellerait, par exemple, qu'en 16 ',2
Modène put revoir la Béjart, soit dans le Comtat, soit en
Languedoc. Si, dans cette rencontre, leur liaison se re-
noua, et eut les mêmes suites qu'en i638, et si le gentil-
homme coupable de récidive ne mit pas alors une semblable
complaisance à déclarer sa paternité, ou trouva des empê-
chements à le faire, comme il en aurait dû trouver la pre-
mière fois, ayant une femme légitime, Madeleine, avertie que
le père de l'enfant ne serait pas nommé, put s'inquiéter d'un
avenir difficile pour un enfant sans père, penser même que
sa naissance serait autrement fâcheuse pour sa gloire que
celle de Françoise, publiquement, solennellement reconnue
par un homme de qualité. Ce n'était plus le cas d'aller le
front levé, en personne fière d'une illustre faiblesse. La sup-
position de la paternité de Modène n'est pas trop arbitraire,
trop invraisemblable. Grimarest y a cru, probablement d'a-
j)rès quelque tradition. Il ne paraît p?.s avoir confondu,
comme la fait plus tard le marquis de Fortia, Armande
avec l'enfant né en i638, confusion impossible, non seule-
ment parce qu'elle vieillirait trop Mlle Molière, mais sur-
tout parce que la veuve Béjart n'aurait jamais fait passer
pour sa fille celle qui l'était notoirement de Madeleine et
26:2 NOTICE BIOGRAPHIQUE
dont on avait l'acte de baptême, où elle-même était nommée
comme marraine. A la paternité que le seigneur avignonnais
n'aurait pas avouée, on objectera la persistance de ses re-
lations amicales avec Madeleine. L'objection tomberait s'il
n'y avait pas eu mauvais vouloir de sa part, si, plus scru-
puleux, ou mieux instruit de l'existence de Mme de Mo-
dène, l'épouse légitime, on n'avait pas accepté cette fois
une reconnaissance interdite. Plusieurs ont estimé signifi-
catif le fait que Modène a tenu sur les fonts le second en-
fant d'Armande. Nous ne prétendons pas toutefois y trou-
ver une preuve certaine. Quant à ce que nous venons de
dire, c'est une simple conjecture ; mais elle n'est pas des
plus invraisemblables et a pour elle de n'être que l'ancienne
tradition, corrigée, comme il était nécessaire.
L'auteur de la Fameuse Comédienne élargit le champ des
suppositions. Il dit que Madeleine « faisoit la bonne fortune
de quantité de jeunes gens du Languedoc dans le temps de
l'heureuse naissance de sa fille ». Il ajoute qu'elle se vantait
de n'avoir souffert, dans son dérèglement, que des gens de
qualité, et assurait que sa fille Armande était d'un sang fort
noble^ Cela expliquerait que l'enfant eût été, comme le ra-
conte le même libelle, retiré par une dame d'un rang dis-
tingué dans le Languedoc, des mains de laquelle Molière la
reçut. Ce détail, nous l'avons déjà fait remarquer, est trop
inofTensif pour inspirer la même défiance que tant de médi-
sances du même auteur. Il donne une certaine force à la
supposition de la paternité du seigneur de Modène. Toute-
fois la Fameuse Comédienne ne le nomme pas et nous aver-
tit que toute conjecture serait difficile « dans une galan-
terie si confuse. » Admettons-le. Que le père ait été Modène
ou tout autre, il ne s'est pas fait connaître; et nous restons
autorisé à dire que la Béjart, habituée, dans l'aveu de ses
fautes, à un peu plus de cérémonie, qui à ses yeux les ano-
blissait, a pu ne pas se soucier de mettre le public dans la
confidence de celle-ci.
Mais sortons de ces dissertations sur de déplaisantes
affaires, condamnées d'ailleurs, par leur nature même, à
I, La Fanieuje ConiJdiennf, p G et "j.
SUR MOLIERE. 263
être difficilement éclaircies. Elles n'auraient pas mérité
d'arrêter un moment notre attention, si Molière, par son
mariage, ne s'y était trouvé mêlé. C'est dans sa biographie
le point le plus délicat à toucher.
Nous n'avons pas accepté comme convaincants les argu-
ments de quelques plaidoyers, qui se sont donnés pour irré-
futables, en faveur de la naissance régulière de sa femme.
Nous ne saurions faire plus que de laisser à la veuve Béjart
et à sa fille Madeleine, accusées d'un grave mensonge, le
bénéfice de quelque incertitude. Pour Molière, de toute
façon il a été en faute dans un mariage qui n'était pas digne
de lui, à moins qu'on n'aille jusqu'à mettre en doute on l'a
fait) sa liaison avec la comédienne Béjart. Autrement, n'eût-il
pas épousé la fille, mais la sœur de sa maîtresse, il n'y a
pas excès de rigorisme à dire que la tache sur son hono-
rable caractère ne serait pas effacée, mais seulement très
atténuée. Avec sa droiture, il était fait pour le sentir, et
nous ne croyons pas qu'il faille parler ici des commodes
doctrines épicuriennes puisées dans son éducation gassen-
diste ; la vérité est plutôt que, vivant dans le monde du
théâtre, il s'y était familiarisé avec une morale très facile
en toute occasion où l'amour est enjeu. Jugeons-le comme
un comédien, quelque coin qu'il eût réservé dans son âme
à d'honnêtes et nobles sentiments.
L'injure, que nous ne lui ferons pas, serait de croire
nécessaire de le défendre contre l'accusation d'un mariage
incestueux. Ceux qui sentent aussi vivement que nous
l'inutilité de la réfuter, ont quelquefois dit que le seul
moyen de ne laisser aucune prise à une telle calomnie était
de rejeter absolument toute possibilité de la maternité de
Madeleine Béjart. Se placer sur ce terrain, qui est loin d'être
ferme, c'est trop risquer. Mieux vaut ne s'appuyer que sur
l'estime dont notre poète a toujours été entouré ; et peut-
être avec cela, si ce n'était pas un soin superflu, faire re-
marquer les difficultés des dates. En effet, « la petite non
baptisée » qui fut présentée au lieutenant civil, comme
mineure, le lo mars 1643, dut naître au commencement de
cette année-là, plus probablement vers la fin de 1642, avant
la mort de Joseph Béjart ; car elle ne fut pas déclarée
iG't NOTICE BIOGRAPHIQUE
enfant posthume. On ferait donc remonter les amours de
Molière et de Madeleine bien haut, sans doute jusqu'au
temps oi!i l'on nous dit que celle-ci parcourait le Languedoc
dans une troupe de campagne.
Il est plus naturel de croire que la première occasion en
a été le projet de la fondation de l'Illustre théâtre. On a
cependant, ainsi que nous l'avons dit, regardé comme vrai-
semblable qu'ils s'étaient vus dans le Midi, pendant ce
voyage que fit Molière à la suite de Louis XIII. Comme on
pense que son service de tapissier dut commencer en avril,
c'est déjà bien tard pour trouver dans leur rencontre ma-
tière à soupçons. On n'a d'ailleurs supposé cette rencontre
que dans la seconde quinzaine de juin, à Montfrin*. Pour
le coup il ne serait plus temps d'avoir aucune inquiétude
pour Molière.
A quoi bon insisterait-on, quand le venin des odieuses
conjectures n'a été semé que par de méprisables ennemis,
et qu'ils n'ont même jamais sérieusement soutenu ce que
leur perfidie se contentait d'insinuer?
C'est ce que l'on peut dire de l'auteur à'Élomlre hypo-
condre, ce méchant digne de la confiance que l'on sait. A la
suite des vers que ci-dessus nous avons cités- sur Elomire
qui a forgé une femme pour lui-même, comme Arnolphe
avait forgé Agnès, c'est-à-dire l'a façonnée à^son gré par
l'éducation, Ghalussay le fait parler ainsi :
Arnolphe commença trop tard à la forger;
C'est avant le berceau qu'il y devoit songer,
Comme quelqu'un l'a fait
Et, lorsqu'on lui répond : « On le dit », Élomire reprend la
parole :
Et ce dire
Est plus vrai que le jour
Pour un pamphlétaire, c'était assez de faire rire par une
cruelle méchanceté ; il n'a pu croire lui-même que son
I. Voyez ci-dessus, p. 65 et 66.
•X. \ oyez ci-dessus, p. sSi,
SUR MOLIERE. 265
odieux trait d'esprit serait pris pour une accusation for-
melle. Mais il espérait qu'une fois lancé, le dard empoisonné
ferait peu à peu son chemin.
La Fameuse Comédienne s'y prend un peu autrement que
la comédie. Son accusation est moins audacieuse, plus sour-
noise : « on l'a crue (Arraande Béjart) fille de Molière, quoi-
qu'il ait été depuis son mari ; cependant on n'en sait pas
bien la vérité* «.Bayle, en y regardant mieux, n'aurait pas
inexactement écrit dans son Dictionnaire, à l'article Poqne-
lin : « Dans ce livre on a dit que sa femme était sa fille. ?>
Le libelle n'avait fait que laisser planer un doute, qui dis-
poserait les esprits à aller plus loin.
Des attaques qui pouvaient être plus dangereuses furent
celles du comédien Montfleury. En i663 il présenta au roi
une requête contre Molière, dans laquelle il dénonçait le
scandale de son mariage; mais là, il paraît n'avoir pas été,
quoiqu'on l'ait souvent dit, jusqu'à l'accuser d'inceste, et
s'être borné à dire qu'après avoir été l'amant de la mère,
il avait épousé la fille. Voilà ce que Racine, dans une lettre
dont nous reparlerons, écrite à son jeune ami l'abbé Le
Vasseur, rapporte en termes très crus, qui n'auraient jamais
signifié rien de plus, si, à bonne intention, mais très mala-
droitement, ils n'avaient été corrigés. Il est du reste assez
vraisemblable que Montfleury espérait faire tirer de sa dé-
nonciation la conséquence sur laquelle il avait la précaution
de ne pas s'expliquer lui-même.
Un intendant de Monsieur, du nom de Guichard, n'y mit
pas tant de façons. Soutenant un procès où la veuve de
Molière fut citée comme témoin, il publia un factum dans
lequel il osa dire, entre autres infamies : « Tout le monde
sait que la naissance de la Molière est obscure et indigne,
que sa mère est très incertaine, que son ])ère n'est que
trop certain, qu'elle est fille de son mari, femme de son
père*. «
Ce furieux n'a pas pris garde que si la mère de Mlle Mo-
I. La Fameuse Comédienne, p. 7.
a. V^oyez VJppendice à la iin de la Fameuse Comédienne, édition
de M. Livet, p. 224.
266 NOTICE BIOGRAPHIQUE
lière est incertaine, on ne voit pas comment, dans une nais-
sance si mystérieuse, le père incestueux est certain. Pour
son dégoûtant factum, Guichard fut condamné à faire amende
honorable, nu-Lête et à genoux.
A la différence de l'opinion très répandue que Madeleine
Béjart était mère de Mlle Molière, l'affreux soupçon insinué,
puis affirmé, par des calomniateurs, connus pour l'être par
habitude et métier, n'a pu trouver créance. Bayle, dans le
passage tout à l'heure cité*, où il prend l'insinuation de la
Fameuse Comc'dienne pour une accusation positive, en fait
justice par ces mots : « ce qui n'est nullement vrai ». Vol-
taire, qui n'a fait que répéter Grimarest sur la naissance
d'Armande Béjart, repousse avec le même mépris que Bayle
la paternité imputée à Molière : « Le soin, dit-il, avec lequel
on avait répandu cette calomnie lit que plusieurs personnes
prirent celui de la réfuter^. » C'était donc à ses yeux une
peine qu'il eût été sage de s'épargner.
Molière a été défendu contre l'horrible outrage par le
caractère de loyauté qui de tout temps s'est fait reconnaître
dans sa vie et sentir dans ses ouvrages. Nous regrettons
qu'il se soit, par exception, rencontré de nos jours un grand
écrivain, qui, fort éloigné d'être un ennemi de Molière,
mais plutôt ayant bien des raisons de l'admirer et de l'aimer,
n'a pas craint cependant d'en croire sur lui les pamphlets.
M. Michelet avait malheureusement fini par les consulter
tous avec confiance, et par prendre goût, lui si parfaite-
ment honnête, à tous les scandales, surtout à ceux d'une
certaine nature. Qu'on lise ses malheureuses pages sur le
mariage de Molière^, on y trouvera l'explication de ses
doutes, très voisins d'une certitude : il saisissait une occa-
sion de flétrir, à travers Molière, Madame et Louis XIV*.
1. Voyez ci-dessus, à la page précédente.
2. Vie de Molière, tome XXIII des Œuvres, p. 93.
3. Histoire de France (édition in-12 de 1879), tome XV, p. 63
et 64.
4. Revenant à la charge sans produire d'arguments nouveaux,
il dit à la page 38a du même volume, dans ses Notes et Éclaircis-
sements : « Molière-Arnolphe ne pouvait-il être le père d'Agnès
SUR MOLIERE. 267
Il n'appuie d'ailleurs la probabilité du mariage incestueux
que sur ces faits entièrement faux : « ce qui est sûr, c'est
que l'année 1645, où naquit la petite, était celle 011 Molière
devint un des amants de la mère '). Nul besoin de signaler
les erreurs de dates. L'histoire de notre grand poète n'était
pas une de celles que l'illustre historien savait bien.
Grimarest peut bien avoir imaginé, comme il s'y plaisait
quelquefois, des scènes de roman, lorsqu'il a parlé des dif-
ficultés qu'aurait éprouvées Molière pour se marier. Il dit
que Madeleine Béjart, voyant qu'il avait de l'amour pour
Armande, et que cet amour prenait le chemin du mariage,
s'efforça de traverser un dessein qui contrariait ses vues ;
car ce elle aimoit mieux être l'amie de Molière que sa belle-
mère. ... Elle le menaçoit souvent en femme furieuse et
extravagante de le perdre, lui, sa fille et elle-même.... Ce-
pendant la jeune fille... se détermina un matin de s'aller
jeter dans l'appartement de Molière, fortement résolue de
n'en point sortir qu'il ne l'eût reconnue pour sa femme, ce
qu'il fut contraint de faire. » L'opiniâtre opposition vaincue
par l'étrange démarche de la hardie pupille a tout l'air
d'uu dénouement de comédie qui n'a pas coûté de grands
frais d'invention, étant à peu près celui de l'École des
maris. Les efforts passionnés de Madeleine Béjart pour
empêcher le mariage ont eux-mêmes été jugés peu vrai-
semblables; on les trouve en désaccord avec la riche
dot qu'elle a donnée à Mlle Molière et avec les bienfaits du
testament. Aussi n'oserions-nous pas donner à ce récit la
valeur d'un sérieux témoignage. Cependant le dépit d'une
femme dépossédée de son amant par de jeunes charmes
serait très naturel; et peut-être comprendrait-on aussi
qu'une fois forcée de se reconnaître vaincue dans la lutte,
elle ait pris galamment son parti; qu'elle n'ait plus écouté
que sa tendresse pour une chère rivale et fait taire sa dou-
leur devant l'intérêt qu'elle avait à laisser du moins Molière
dans des liens étroits avec la famille Béjart. L'histoire, dans
la Fameuse Comédienne, est tout autre, et ne soulèverait
comme le roi [pouvait être] amoureux de sa sœur (belle-sœur, c'est
la même chose au point de vue canonique), w
'268 NOTICE BIOfxRAPHIQUE
])as quelques-unes des mêmes objections. La Béjart, jalouse
de la de Brie, aurait, pour la détruire, favorisé de bonne heure
l'inclination de Molière pour l'enfant confié à ses soins. La
de Brie lutta de toutes ses forces jusqu'au moment où il ne
fut plus possible d'enchaîner la liberté de Molière ; et ce
moment fut celui où, ayant établi sa troupe à Paris, il lui
imposa très facilement ses volontés*. Saura-t-on jamais lu
vérité sur ces scènes d'intérieur, qui échappent aux regards
des curieux, et sur lesquelles probablement Molière ne s'est
expliqué devant personne ?
C'est assez de traditions douteuses et de conjectures sur
ce mariage. Ne cherchons ce qui reste à en dire que dans
un document certain, dans le contrat. Il n'est pas indiffé-
rent d'y remarquer la signature du père de Molière ; il fut
dressé en sa présence et en celle d'André Boudet, beau-frère
du futur époux. Tous deux furent aussi présents à la célé-
bration du mariage. Ainsi, comme d'ailleurs nous l'avions
appris déjà, Jean Poquelin ne demeurait pas étranger à la
vie de son fils, le comédien, et sans doute avec moins de
scrupule que jamais, voj'ant à quelle renommée, à quelle
faveur de la cour le théâtre l'avait élevé. Il acceptait pour
belle-fille celle qui lui était présentée comme sœur d'une
comédienne; mais il est difficile de croire qu'il eût accueilli
cette Béjart dans sa famille s'il l'avait crue d'une naissance
irrégulière, dissimulée par une fausse déclaration; surtout
s'il n'avait pas été certain, lui qui devait savoir bien des
choses, que Molière ne pouvait être soupçonné d'épouser
son propre enfant.
Le nom de Molière n'est pas ajouté à celui de Jean-Bap-
tiste Poquelin dans l'acte du mariage religieux; il l'est dans
le contrat, mais sans la qualification de comédien; le père
seul y est dit « tapissier et valet-de-chambre du Roi»,
quoique Molière, comme nous avons déjà eu occasion de
le dire*, eût repris ce titre après la mort de son frère
cadet, et qu'il ait, dit la Préface de 1682, exercé sa charge
« dans son quartier jusques à sa mort ». Dans l'Etat de la
I. La Fameuse Comédienne, p. 8-12.
■2. Voyez ci-dessus, p. 72.
SUR MOLIERE. 9.69
France et i663, on trouve portés comme tapissiers valets
de chambre M. Poquelin, et son fils à survivance. C'est une
occasion de dire ce qu'il faut penser des avantages que
cette charge procura à Molière. Xous ne croyons pas qu'ils
aient été très grands. Cependant, lorsqu'en 1664 (28 fé-
vrier) son premier enfant fut levé sur les fonts par le duc
de Créqui pour le roi et par la maréchale du Plessis pour
la duchesse d'Orléans, cet honneur*, moins rare, il est vrai,
qu on ne le supposerait, pour ceux qui étaient pourvus d'un
office, même modeste, dans la maison royale, n'aurait pas
convenablement paru accordé au comédien; aussi, dans
l'acte de baptême, a-t-on eu soin de le qualifier valet de
chambre du roi. Voilà donc une faveur que lui permit
d'obtenir son office de cour. Mais réellement pour qui était-
elle? Pour le poète comédien, nous n'en doutons pas. Si
Molière a eu près du roi un bienveillant accès, qui n'a
jamais pu toutefois aller jusqu'à t en-cas de nuit, dont il a
été fait justice par Despois', ce n'est point parce que dans
son service de tapissier il a quelquefois fait l'auguste lit^,
c'est parce qu'il a mieux travaillé pour lui au théâtre et
dans les fêtes de ses palais que dans la chambre à coucher
royale ; c'est parce que Louis XIV n'a pas seulement été
amusé par ses comédies, mais a reconnu dans ce rare esprit
un des ornements de son règne. Enfin, si Molière a vu de
près la cour, avec gi^and profit pour son esprit observateur,
comme pour cette élégante urbanité qu'avaient autrefois
rendue familière à Térence les Scipion et les Lœlius, nous
ne croyons pas qu'il en ait trouvé l'occasion dans son petit
office, quoique la Préface de 1682 le donne à entendre,
mais plutôt que des seigneurs l'admettaient dans une assez
grande familiarité, grâce au goût qu'ils avaient pour la co-
1. Nous donnons lacté de baptême aux Pièces justificatives,
n° IX. On a cru voir dans l'honneur fait à Molière une réponse
aux accusations de Moulfltury, mais il n'est pas probable que
l'on y ait songé.
2. Le Théâtre français sous Louis XIT\ p. 3 1 1-3 18.
3. Voyez la Comédie de Jlolière, par Gustave Larroumet (1887),
p. 266. Rien de plus juste, ce nous semble, que ce quïl a dit à
ce sujet.
270 NOTICE BIOGRAPHIQUE
médie et à leur estime pour l'auteur de tant d'ouvrages
charmants. Cette dernière explication, la plus flatteuse,
comme la plus certaine, est confirmée par de Visé lui-
même, dans ce passage de ses Nouvelles nouvelles, auquel il
veut donner un tour malveillant : « Ces messieurs (il parle
de personnes de qualité) lui donnent souvent à dîner...;
mais, comme ceux qui croient avoir du mérite ne manquent
jamais de vanité, il rend tous les repas qu'il reçoit, son
esprit le faisant aller de pair avec beaucoup de gens qui
sont beaucoup au-dessus de lui^. » Ce fait des dîners don-
nés au comédien par des gens de qualité, qui n'est pas une
légende, comme l'en-cas de nuit de Louis XIV, est attesté
par Saint-Simon^, particulièrement croyable quand il s'agit
d'une telle condescendance des grands. Outre un souper
chez M. de Montausier, il mentionne ce que nous connais-
sons d'ailleurs, les joyeux repas de Molière en compagnie
d'une jeune noblesse. Voici, en l'abrégeant, ce qu'il ra-
conte. M. de Montausier, ayant entendu dire qu'il était
joué dans le Misanthrope, fut très irrité jusqu'au jour oii
lui-môme entendit la pièce à Saint-Germain. Il en fut
charmé; et estimant qu'on lui faisait grand honneur de le
reconnaître dans Alceste, il envoya chercher Molière, qui
vint très effrayé. Montausier courut à lui pour l'embrasser ;
et comme on vint l'avertir que son souper était prêt, il in-
vita Molière à se mettre à table. Celui-ci, dit le narrateur,
« qui avoit soupe en débauche plus d'une fois en sa vie avec
de jeunes seigneurs, n'en étoit pas à manger hors de là
avec cette même jeunesse, combien moins avec un homme
de la dignité, de l'âge, de la place, de l'austérité de M. de
Montausier.... Ce fut une scène charmante pour ceux qui en
furent témoins, qui devint la nouvelle du lendemain. « Ce
récit explique ce qui dans les Nouvelles nouvelles a pu pa-
raître un peu singulier, ces repas que donnaient à Molière
des gens de qualité et qu'il leur rendait. Ils ne s'asseyaient
à la même table ni chez eux, ni chez lui, mais dans quel-
1. Nouvelles nouvelles, tome III, p. 227.
2. Voyez les Ecrits inédits de Saint-Simon, tome VI (Paris, Ha-
cliette, i883), p. 3i8 et Jig.
SUR moli?:re. 271
ques-uns des cabarots à la mode. Il n'y a d'ailleurs rien
là qui détruise ce que nous disions de ses relations fami-
lières avec des personnes de la noblesse.
Revenons au tbéritrc où, le pas difficile du regrettable
mariage une fois francbi, nous nous sentons à l'aise pour
admirer pleinement Molière. Nous le retrouvons poursui-
vant sa brillante carrière avec une ardeur que ne ralentit
pas le grand cbangement qui s'était fait dans sa vie domes-
tique. Un mot seulement de l'entrée de sa femme dans la
troupe comique, où, près d'un an avant son mariage, sa
part fixée nous a fait savoir qu'elle était attendue. Au mois
de juin 1662, le Registre de La Grange la nomme pour la
première fois comme en faisant partie, en même temps
qu'on y reçut Brécourt et la Thorillière, venus du Marais :
trois bonnes acquisitions, dont celle de Mlle Molière ne fut
pas pour le Palais-Royal la moins beureuse. Six mois après,
le 26 décembre 1662, fut représentée une pièce nouvelle
de Molière, l'École des femmes, inspirée par la même idée
qui l'avait préoccupé dans son Ecole des maris : signaler
recueil à éviter par le tuteur qui a résolu d'épouser sa jeune
pupille. Il ne faut pas, comme on l'a fait, parler à'nnMolière-
Arnolphc. Loin de là, l'égoïste qui, « pour n'être pas sot »,
prétend « épouser une sotte », est le caractère absolument
opposé à celui de Molière. S'il est possible de trouver un
peu de lui dans Arnolpbe, c'est seulement lorsque, dans
l'expression de sa passion, quelques traits tragiques (disons
plutôt tragi-comiques), qui le font un moment prendre en
pitié, paraissent avoir été puisés par l'auteur dans la con-
naissance de son propre cœur. Il s'y est toujours pris ainsi
pour mettre quelques traits seulement de lui-même dans
ses comédies.
La nouvelle actrice n'eut pas de rôle dans cette pièce, écrite
cependant, comme la précédente, en pensant à la meilleure
manière de s'assurer son attachement. Elle ne fut pas Agnès,
que représenta Mlle Du Parc. Nous ne saurions dire s'il eût
été désagréable à Molière de faire faire à son Armande le
personnage d'une jeune fdle que ne touche pas l'amour d'un
tuteur d'âge très mûr, tandis qu'elle écoute si volontiers un
blondin. La véritable raison doit être plus simple. Ce rôle,
272 NOTICE BIOGRAPHIQUE
peinture merveilleuse, et qu'on ne surpassera jamais, d'une
ignorance ingénue, éclairée parla nature, demandait trop de
science de la scène pour être un rôle de début. Le premier
que Molière donna à sa femme fut celui d'Elise dans la Cri-
tique de r Ecole des femmes : il est très agréable dans sa fine
et spirituelle ironie ; et c'était bien dans la bouche de Mlle Mo-
lière qu'il était naturel de mettre ces piquantes moqueiùes
des sots et des pédants déchaînés contre son mari.
Si Voltaire, dans son Sommaire de l'École des femmes,
a parlé de cette pièce en homme qui en sentait les beau-
tés, on est étonné qu'il y ait dit cependant sans protester :
« Elle passe pour être inférieure en tout à l'École des maris. »
Elle nous y semble au contraire très supérieure, et fut ainsi
jugée dès les premiers tcmj)s. Despois n'a pas hésité à
la déclarer le plus grand succès dramatique que Molière
ait obtenu pendant toute sa carrière. La Grange, dans son
Registre, fait connaître les extraordinaires recettes des
représentations données sans interruption depuis le jour de
la première jusqu'à la clntui-e de Pâques i663, et, après la
rentrée, jusqu'au 12 août de la même année. Il dit que le
samedi 6 janvier iG6'3 on alla au Louvre. Comment ne pas
croire que c'ait été pour y faire connaître la pièce nou-
velle? Dans le même mois, il marque expressément que le
samedi 20, elle fut jouée devant le roi*. Elle le fut chez
Madame le 3 avril suivant. Molière venait de la lui dédier*
dans une épître où les louanges de l'aimable princesse
1. En l'absence de toute indication de lieu, il semble bien que
ce fut au Palais-Royal. Le lundi 9 juillet suivant, c'est encore
plus clair : « Le Roi nous honora de sa présence en public (pour
la représentation de V École des femmes et de la Critique). » Nous
avons ci-dessus (p. 349I parlé des Fâcheux et de VEcole des maris
joués devant le roi, le mercredi 28 décembre 1661. Dans la men-
tion de ces représentations La Grange n'a pas noté de recettes, et
il faut remarquer aussi qu'elles n'ont pas été données les jours
qui étaient ceux de la troupe. Nous pensons donc, malgré les
mots en public, que le roi en faisait les frais, et que les specta-
teurs étaient triés et admis par faveur.
2. L'Achevé d'imprimer de la première édition est du 17 mars
i663.
SUR MOLIERE. 273
échappent au reproche d'adulation, tant elles étaient celles
mêmes qu'elle méritait. C'était mettre la pièce sous une
puissante protection, qui, de même que celle du roi, ne fut
pas inutile pour la défendre contre de violentes attaques.
11 y en eut en effet beaucoup, et qui ne se firent pas
attendre. Ces voix discordantes, au milieu de l'éclatant
triomphe, ont fait dire à Grimarest : « L'École des femmes
parut en 1662 avec peu de succès. » C'est le contraire de la
vérité; c'est ne compter que les protestations impuissantes
de l'envie, ou, comme le dit Boileau, de l'erreur et de l'igno-
rance. La Martinière, qui, dans sa Nouvelle Fie de l'auteur^, se
contente le plus ordinairement de reproduire celle qu'avait
donnée Grimarest, n'a pas ici copié l'insoutenable assertion.
Il l'a remplacée et corrigée par une de ses Additions. Il
rappelle que si Molière lui-même, dans la Préface de ï École
des femmes, avoue que cette comédie fut frondée par bien
des gens, c'est sans oublier qu il eut, en dépit de ces
clabaudeurs, la satisfaction de voir le public se déclarer en
faveur de sa pièce. Sa préface dit en effet : « Les rieurs ont
été pour elle, et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire
qu'elle n'ait eu un succès dont je me contente. » La Marti-
nière emprunte ensuite au commentaire de Brossette sur les
vers 27 et 28^ de YÉpitre VII de Boileau l'anecdote du
comte du Broussin, qui, pour faire sa cour au commandeur
de Souvré, mécontent de la comédie, sortit au second acte,
disant tout haut qu'il ne savait comment on avait la patience
d'écouter une pièce 011 l'on violait ainsi les règles^. C'est
1. A la tête de l'édition des OEuvres de M. de Molière, Amster-
dam, 1720. — Voyez aux pages aS et 26.
2. Le commandeur vouloit la scène plus exacte,
Le vicomte indigné sortoit au second acte.
3. Un vers du Portrait du Peintre (acte I, scène iv) pourrait
paraître un souvenir de la sotte incartade :
On fit cesser la pièce après le second acte.
Mais il est bon de remarquer que dans la comédie de Boursault
il s'agit d'une représentation « dans une visite ». Ce n'est cer-
tainement pas au Palais-Royal que la pièce fut arrêtée par du
Broussin sortant avec fracas.
Molière, x 18
2^4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
également Brossette qui a fait connaître le spectateur mo-
rose dont Molière lui-même, dans /a Critique, a raconté le plai-
sant dépit, et les exclamations : « Ris donc, parterre, ris
donc! » Il se nommait Plapisson. Il y aurait eu bien d'autres
noms à donner, si, pour être particulièrement remarqués,
les spectateurs qui affichèrent leur hostilité n'avaient pas été
en trop grand nombre. C'étaient, entre autres, des femmes
qui se jugeaient offensées, celles-ci par la satire qu'on avait
faite de l'indiscrétion et de l'extravagance de leur sexe,
jusqu'à les appeler « ces animaux-là* «, celles-là par des
plaisanteries dont l'immodestie les effarouchait.
Belles dames, qui en vouliez à Molière d'avoir mis dans
la bouche d'Arnolphe des invectives contre ces traîtresses
qu'on aime, vous aviez l'esprit mal fait : jamais les plus ten-
dres madrigaux n'ont fait éclater pour vous autant de pas-
sion que les injures oîi s'emporte un cœur révolté, sans
succès, contre la tyrannie de vos attraits. L'autre grief, qui
n'était pas toujours celui de bégueules hypocrites, est plus
sérieux. Certains traits étaient véritablement trop forts ; et
tout ce que l'on peut dire, mais très justement, en faveur de
Molière, c'est que les vives réclamations contre ces hardiesses
sont le meilleur témoignage des progrès que par ses ouvrages
il avait fait faire à la comédie, si habituée depuis longtemps
aux grossières crudités. Le prince de Conti n'a pas manqué,
dans son Traité de la comédie et des spectacles , d accuser
l'Ecole des femmes d'impureté : les précieuses, dans leur
néologisme, comme Molière nous l'apprend-, disaient obscé-
nité. « Il n'y a rien, dit Conti, de plus scandaleux que la
cinquième scène du second acte'. » Ce converti était dur
pour son ancien comédien, qu'il ne se souvenait plus de
n'avoir pas lui-même beaucoup édifié au temps de La Gi'ange-
des-Prés et de Montpellier.
Mais ce ne fut pas la plus dangereuse affaire que fit à Mo-
lière sa comédie. On s'arma contre lui du sermon d'Arnolphe
I. Voyez l'acte V, scène iv, vers 1576-1579.
1. La Critique de l'École des femmes, scène m.
3. Avertissement en tète des Sentiments des Pères de CÉglise,
p. 24.
SUR MOLIÈRE. 275
et des « chaudières bouillantes' ». Le zèle religieux, sin-
cère ou non, mit dans ses plaintes beaucoup d'emporte-
ment. Reconnaissons d'ailleurs que l'auteur de Tartuffe
était déjà là. Une telle scène prédisait la comédie plus
hardie encore, que même elle peut bien avoir inspirée,
comme une réponse au premier déchaînement des pieuses
colères. Elles étaient à prévoir. Ce n'est pas seulement de la
gent irritable des poètes qu'il vaut mieux ne point provo-
quer l'aiguillon. Au reste, il y eut imprudence chez les dé-
vots, perfidie chez ceux qui affectèrent de prendre en main
leur cause; mais s'il faut avoir grande défiance de ceux-ci, il
est clair, et nous en avons déjà dit quelque chose, que Mo-
lière, sans mériter d'être taxé d'impiété, était imbu d'une
philosophie dont la liberté pouvait inquiéter.
Au temps de l'École des femmes, comme au temps du
Tartuffe et an Don Juan, il eut la confiance que cette liberté
serait peu gênée. Il y avait alors un jeune roi et une jeune
cour, qui avaient de bonnes raisons de trouver importuns
les rigoristes, et qui étaient au surplus très disposés à beau-
coup pardonner au rire, surtout lorsqu'un homme d'esprit
savait la limite que ne devaient pas outrepasser ses privi-
lèges. On n'est pas étonné si, malgré le tollé qui s'élevait
de maint côté contre des plaisanteries fortement salées et
contre des irrévérences en matière plus grave, ni le roi ni
Madame ne se sont montrés sévères ponv l' École des femmes ;
loin de là, ils firent connaître qu'ils la goûtaient beaucoup.
Parmi ceux qu'elle charma, et qui étaient les plus nom-
breux, on ne peut oublier de nommer Boileau. Il la pro-
clama le « plus bel ouvrage » de son auteur dans des stances
qu'il lui adressa, et en défendit contre les censeurs la « char-
mante naïveté >>. Ces stances ont été imprimées en i663, et
Brossette dit que Molière les avait reçues comme étrennes
le i" janvier. C'est le plus ancien avertissement qui nous
ait été donné de cette fidèle amitié, destinée à ne se refroi-
dir jamais, entre les deux poètes, Molière était déjà lié avec
la Fontaine, aussi bien que Boileau, on le croit du moins-,
1. Acte III, scène 11,
2. Voyez notre Xotice biographique iur la Fontaine, p. lxx.
2^6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Boileau, qui va l'être avec Racine vers la fin de i663. C'est
alors que celui-ci tarda peu sans doute à devenir le qua-
trième des illustres amis, qu'on a peine à ne pas reconnaître
dans le début du roman de Psyché'^.
Par d'autres raisons encore l'époque de V École des femme. '!
n'est pas une des moins intéressantes dans la vie de Mo-
lière. Il fut alors engagé, sur son théâtre même, dans une
lutte très vive contre ses détracteurs. Les critiques mé-
chantes qui assaillirent le chef-d'œuvre avaient couru le
monde avec assez de retentissement pour être toutes bien
connues de lui avant les pièces satiriques jouées par la
troupe rivale, qui prirent soin d'en multiplier les échos.
Il n'attendit donc pas que les clabauderies eussent pris la
forme de comédies, pour y répondre dans sa Critique de
l'École des femmes.
Elle fut représentée pour la première fois le i^''juin i663.
De ces jolies scènes, qui sont un modèle de polémique,
Molière a su, malgré la difiGculté, faire une comédie par la
vérité des portraits. La précieuse Climène, le Marquis si
amusant avec son refrain de tarte à la crème, le poète Lysi-
das, ce jaloux sournois, sont des figures vivantes. C'est mer-
veille qu'aujourd'hui encore, avec ces personnages dont les
physionomies sont d'un tout autre temps, une pièce de cir-
constance reste si agréable. Pour trouver un autre exemple
d'une raillerie qui, en perdant l'à-propos, n'a rien perdu
de son agrément, il faudrait, si le sujet plus grave, plus
grand, n'interdisait pas toute comparaison, le chercher
dans les petites lettres de Pascal, si souvent aussi parfaite
comédie. Des deux côtés, c'est le même art, qui n'appartient
qu'aux grands peintres, de faire voir sous le costume qui
varie l'homme tel qu'il sera toujours.
La Critique de V École des femmes, qui ne faisait que ré-
pondre à de nombreux murmures, transporta la guerre sur
la scène. Une longue bataille s'ensuivit. Les ennemis de Mo-
lière, dans l'espoir de lui rendre coups pour coups, essayè-
rent de lui dérober ses armes, sans être de force à s'en
servir comme lui. Si leurs pitoyables ripostes ne sont pas
I . Notice biographique sur la Fontaine, p. xciii.
SUR MOLIÈRE. 277
tombées dans l'oubli qu'elles méritaient, c'est la grandeur
de leur adversaire qui les en a sauvées, comme des monu-
ments des haines déchaînées contre lui, et d'utiles commen-
taires des deux pièces où il a fait justice de ces haines.
Lorsque les envieux, comédiens et auteurs, sont entrés
en guerre ouverte contre l'École des femmes, ils n'ont rien
ajouté de sérieux aux attaques déjà repoussées dans la Cri-
tique; et s'ils ont assaisonné leurs diatribes de quelque co-
mique, il leur a fallu l'emprunter à Molière.
De Visé voulut commencer les hostilités à l'Hôtel de
Bourgogne par une comédie, qu'il intitula Zélinde. On ne
la joua pas, soit qu'elle eût paru un froid dialogue, peu fait
pour la scène, soit qu'on se défiât chez de Visé d'un reste
d'impartialité qu'il avait montrée en jugeant Molière dans
les Nouvelles nouvelles . Bien qu'il y eût fait W Ecole des femmes
à peu près les mêmes reproches que dans Zélinde, qu'il en
eût déclaré le sujet « le plus mal conduit qui fût jamais »
et aperçu d'innombrables fautes, on devait être mécontent
de ses concessions. « Je suis, disait-il, obligé d'avouer, pour
rendre justice à ce que son auteur a de mérite, que cette
pièce est un monstre qui a de belles parties, et que jamais
on ne vit tant de si bonnes et de si méchantes choses en-
semble. Il y en a de si naturelles qu'il semble que la nature
ait travaillé elle-même à les faire. Il y a des endroits qui
sont inimitables, et qui sont si bien exprimés, que je man-
que de termes assez forts et assez significatifs pour vous les
bien faire connoître Ce sont des portraits de la nature
qui peuvent passer pour originaux ^ » A l'interlocuteur qui
parle ainsi, un autre répond : « Vous m'avez fait concevoir
beaucoup d'estime pour le peintre ingénieux de tant de
beaux tableaux du siècle. Tout ce que vous avez dit de lui
m'a paru fort sincère ; car vous l'avez dit d'une manière à
me faire croire que tout ce que vous avez dit à sa gloire est
véritable : et les ombres que vous avez placées en quelques
endroits de votre portrait n'ont fait que relever l'éclat de
vos couleurs-. « Parmi ces couleurs flatteuses mêlées aux
1. Ixs Nouvelles nouvelles, tome III, p. 233.
2. Ibidem, p. aSg.
2;8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ombres, il y avait de grands éloges du jeu de tous les acteurs
dans V École des femmes. De cela surtout la troupe rivale
avait dû garder à de Visé quelque rancune, même après
qu'il eut bien racheté dans Zélinde de si grands torts. Com-
ment un homme qui, au milieu de ses chicanes, avait prouve
avoir l'esprit assez bon pour sentir si parfaitement de frap-
pantes beautés, en vint-il à écrire une pièce où il s'est
montré ennemi déclaré ? Etait-ce ambition d'un jeune homme
impatient de faire parler de lui en se mesurant avec un
maître ? Voulait-il se rendre agréable aux Grands comé-
diens, par qui il désirait faire jouer ses pièces? Peut-être
aussi depuis qu'avait été jouée la Critique de V École des
Femmes, dont il ne connaissait encore que la prochaine re-
présentation lorsqu'il écrivit les Nouvelles nouvelles, croyait-il
avoir une vengeance personnelle à exercer. Il s'était voulu
reconnaître dans le rôle de Lysidas, dont le commence-
ment avait été (il le dit du moins dans sa pièce) tiré de
son précédent écrit. Si ce n'est pas à lui seul que Molière
a pensé dans son portrait de l'auteur jaloux et perfidement
circonspect, l'intention d'y mettre quelques-uns de ses traits
n'est pas invraisemblable. De Visé, comme il le marque
dans ce long sous-titre de sa pièce, la Véritable Critique
de V Ecole des femmes, et la Critique de la Critique, s'était
proposé de relever le gant jeté par la Critique jouée le
i^'' juin i663. Il ne le relevait pas très prompteraent, puis-
que le 1 5 juillet seulement il se fît donner le privilège pour
Zélinde, et que l'achevé d'imprimer est du 4 août. Moins de
temps était nécessaire pour faire débiter chez un mar-
chand de dentelles de la rue Saint-Denis, par des per-
sonnages insignifiants et sans caractère, des méchancetés
qui avaient couru partout, et dont Molière s'était déjà
moqué dans sa Critique, telles que nos ravstères choqués
par les Maximes d'Arnolphe, et ce le > impertinent »,
comme le qualifie de Visé, qui le dit tiré d'une vieille chan-
son. Les seuls reproches un peu nouveaux et auxquels
notre poète n'eût pas d avance expressément touché, sont
ceux de plagiats, de méchants vers, de mots impropres,
d'invraisemblances, par exemple les sièges apportés au mi-
lieu des rues : une pure chicane, car la mise en scène de
SUR MOLIERE. 279
ce temps rendait inévitables toutes les singularités de ce
genre, dont on était habitué à ne se pas choquer. Tout cela
est misérable, et de Zélinde il n'y aurait rien à citer, sans
un remarquable passage, qui rappelle les meilleurs des
Nouvelles nouvelles. Dans un accès de demi-sincérité, le
Lysidas s'est oublié un moment ; il y a gagné d'avoir donné
une preuve, l'unique dans Zélirule, qu'il ne tenait pas une
mauvaise plume, qu'il pouvait bien dire et bien peindre.
En cherchant à Molière la querelle que fait son Harpagon
aux voleurs de secrets, aux espions dont les yeux dévorants
furètent dans tous les coins, le satirique est devenu un prô-
neur malgré lui. Il fait exprimer à un de ses personnages
une vive curiosité de voir Élomire, qui se trouve en bas
chez le marchand. Celui-ci s'empresse de l'aller chercher,
et revient dire : - Je suis au désespoir de n'avoir pu vous
satisfaire. Depuis que je suis descendu, Elomire n'a pas dit
une parole. Je l'ai trouvé appuyé sur une boutique, dans la
posture d'un homme qui rêve. Il tenait les yeux collés sur
trois ou quatre personnes de qualité qui marchandoient des
dentelles ; il paroissoit attentif à leurs discours, et il sem-
bloit par le mouvement de ses yeux qu'il regardoit jusques
au fond de leurs âmes pour y voir ce qu'elles ne disoient
pas. Je crois même qu'il avoit des tablettes, et qu'à la faveur
de son manteau, il a écrit, sans être aperçu, ce qu'elles ont
dit de plus remarquable.... C'est un dangereux personnage ;
il y en a qui ne vont point sans leurs mains : mais l'on peut
dire de lui qu'il ne va point sans ses yeux ni sans ses
oreilles'. - C'est bien lui, c'est le Contemplateur, c'est le
Peintre.
Ce nom de Peintre était devenu chez les ennemis de Mo-
lière le sobriquet par lequel on le désignait, sobriquet glo-
rieux et bien mérité. Il lui est donné dans le titre même de
la seconde en date des comédies qui ont prétendu le faire
repentir de sa Critique. L'auteur, Edme Boursault, n'avait,
comme de Visé, que vingt-cinq ans; ce fut donc une témé-
rité de jeunesse; un temps vint où, après quelques autres
imprudentes attaques contre de grandes renommées, il se
I. Zélinde .^ scèue v.
a8o NOTICE BIOGRAPHIQUE
montra plus digne d'estime. Son Portrait du Peintre^ fut
écrit pour l'Hôtel de Bourgogne, et joué sur ce théâtre. Il
était en vers, ce qui n'était pas suffisant pour lui assurer
une grande supériorité sur Zéllnde. Boursault en avait cher-
ché une plus décisive en prenant à celui qu'il se flattait
d'accabler ses personnages plaisants. Cela pourrait s'appe-
ler, en changeant un peu le sens d'une parole des anciens,
« rire avec la bouche d'autrui », et c'est ce qui a fait dire
à Molière que les champions des Grands comédiens profi-
taient de l'agrément de ses pièces, en les retournant comme
un habit'. L'artifice pour faire reparaître les figures créées
par le peintre était naïf. Les ridicules personnages qui,
dans la Critique, le déchirent, furent chargés de le louer en
opiniâtres et aveugles défenseurs. Dans \e Portrait du peintre,
la précieuse l'admire, et non moins entêtés de l'École des
femmes, le comte n'a qu'à dire : admirable, du dernier admi-
rable, au lieu de de'testable, et le chevalier qu'à répéter
vingt fois, mais pour en faire goûter le charme, tarte à la
crème, ensuite qu'à chanter la la lare, quand il ne veut
plus rien entendre. Molière allait, à sa grande confusion,
se trouver avoir fourni lui-même tout le sel qui le piquait.
Cette malice enfantine était le clair aveu que le poète, qu'on
prétendait railler, possédait seul le secret de faire rire. Bour-
sault ne s'était pas aperçu de cette maladresse, non plus que
d'une autre : dans une pièce où, comme ont fait tous ces au-
teurs de comédies pamphlets, il excitait contre Molière les
gens de cour, assez débonnaires pour se laisser jouer par lui,
à son tour il les livre aux risées.
Une sotte idée encore de Boursault fut son Lizidor, qui
n'est autre que Lysidas de la Critique, dans lequel, en con-
currence avec de Visé, il s'était reconnu ; car une peinture
si vraie était un miroir où bien des gens se voyaient. Puis-
qu'il était entendu que Molière lavait peint sous les traits
de Lysidas, il voulut, se contentant toujours de retourner
l'habit, devenir Lizidor. Celui-ci plaide pour t École des
femmes, de manière, on le devine, à la rendre ridicule. Il
I . Ou la Contre-critique de V École des femmes.
a. L Impromptu de Versailles, scène v.
SUR MOLIERE. 281
est donc resté le « méchant diable » (Boursault dit « le fin
diable »),le même pédant plein de dissimulation. S'identifier
avec un tel personnage est tout à fait amusant, mais, par
malheur, d'un comique involontaire.
Molière alla voir à l'Hôtel de Bourgogne la pièce que ce
théâtre avait commandée à Boursault. C'est un fait sur
lequel sont d'accord de nombreux témoignages contempo-
rains. Socrate, qui avait affaire à un plus redoutable railleur,
et était dangereusement dénoncé par lui, eut besoin de plus
de courage pour se montrer à la représentation des Nuées
d'Aristophane. Aussi quand Molière a parlé lui-même du pro-
jet qu'il avait fait de cet acte de sang-froid, ne l'a-t-il pas
donné pour un trait d'héroisme, mais plutôt pour une oc-
casion qu'il aurait de s'égayer*. Dans une des petites comé-
dies que fit naître cette guerre comique, comme on l'a nom-
mée, dans les Amours de Calotin, qui furent joués sur le théâtre
du Marais, et dont l'auteur était Chevalier, comédien de ce
théâtre, on raconte que le jour où Molière se mit hardiment
en face de son Portrait, quelqu'un lui ayant demandé ce qu'il
en pensait,
Lui, répondit d'abord de son ton agréable :
« Admirable, morljleu! du dernier admirable!
Et je me trouve là tellement bien tii-é.
Qu'avant qu'il soit huit jours, certes, j'y répondrai-.
Si Ton était sûr que Molière eût parlé ainsi, on aurait là
une preuve décisive que la pièce de Boursault fut jouée avant
l'Impromptu de Versailles ; mais Chevalier n'a pas donné
comme certaines les paroles prêtées au poète qu'avait joué
le Portrait du peintre, car il fait dire aussitôt par un autre
1. Vlmpromplu de Versailles, scène v. — « Je te promets, dit
Brécourt, qu'il fait dessein d'aller sur le théâtre rire avec tous
les autres du portrait qu'on a fait de lui. »
2. Acte I, scène m. — L'Achevé d'imprimer de cette pièce est
du 7 février 1664. Elle avait donc été jouée un peu plus tôt, on
ne sait pas à quelle date. D'autres comédies de ce même temps
ont aussi parlé de la présence de Molière à une représentation
du Portrait du peintre; ce sont la Vengeance du Marquis (scène lii),
le Panégyrique de l'Ecole des femmes (scène v).
282 NOTICE BIOGRAPHIQUE
de ses personnages que Molière avait seulement répondu par
ce vers de l'Ecole des femmes :
... Moi, j'en ris tout autant que je puis.
Cependant, dès qu'une pièce dune date très voisine des
faits semblait admettre comme possible la première des deux
réponses de Molière, on a vu là un témoignage de l'antério-
rité de la comédie de Boursault. Bazin croyait à celle de
l'Impromptu-. M. Fournel a été d'un avis contraire'. Il a fait
remarquer que si, dans la scène v de V Impromptu, du Croisy
parle du Portrait du peintre annoncé par l'affiche, mais non
encore joué, cela est seulement dit dans la petite pièce
qu'on répète, et qui est censée composée avant cette répé-
tition^. Despois n'a pas autrement résolu la question con-
troversée^ 11 n'est pas douteux que Molière, dans la scène v
de son Impromptu, se plaint de la pièce de Boursault en
homme qui la connaissait très bien; car il en relève avec
indignation les passages qui passaient les bornes. Mais on
doit faire attention à ces paroles : < on me l'a voulu lire^ »,
c'est-à-dire assurément : on me l'a lue . Depuis les argu-
ments que nous venons de citer de M. Fournel, et que Des-
pois a jugés solides, une note intéressante a été découverte
dans les archives royales de Berlin^. On a cru qu'elle ne
permettait plus de donner raison aux remarques qui avaient
frappé deux bons esprits. Voici cette note, une de celles qu'a
écrites dans un de ses journaux Blumenthal, envoyé de
l'électeur de Brandebourg près de la cour de France :
« 19 octobre i663\ à l'Hôtel de Bourgogne : le Nicomède de
M. Corneille; item la pièce nouvelle, le Portrait du peintre,
011 l'École des femmes, en même temps la Critique, ont été
fortement attaquées. ' La pièce nouvelle' ne peut signifier que
1. Notes historiques sur la vie de Molière, p. 5g.
2. Les Contemporains de Molière, tome I, p. 99.
3. Ibidem, p. ^^i, note 3 (continuée à la page 243).
4. Voyez notre tome III, p. i3i, i35 (note 1), et 420 (note i).
5. L' Impromptu de Versailles, scène v, p. 420. — Brécourt dit
aussi dans la même scène, page 4^5 : « On m'a montré la pièce. »
6. Par M. le docteur W. Mangold.
7. « Das neue Stiick. s
SUR MOLIERE. 283
la pièce jouée pour la première fois. L'envoyé brandebour-
geois n'avait pas coutume de se priver de ces nouveautés.
C'est ainsi qu'il assistait, comme nous l'apprend le même
journal, à la représentation du 4 novembre, qui fut la pre-
mière de l'Impromptu, du moins sur le théâtre public, car
la pièce avait été déjà jouée à Versailles. L'édition de 1682,
où elle a été imprimée pour la première fois, dit qu'elle fut
représentée ' pour le Roi le 14 octobre >', cinq jours donc
avant le Portrait du peintre. Voilà qui d'abord semble faire
cesser toute dispute; et cependant il y a encore une diffi-
culté. La date donnée par les éditeurs de 1682 est certaine-
ment une erreur. Le Registre, que n'y exposait pas un loin-
tain souvenir de dix-huit ans, dit simplement' : < Le jeudi
1 1 octobre la troupe est partie par ordre du Roi pour Ver-
sailles. On a joué le Prince jaloux ou D. Garde, Sertorius,
l. École des maris, les Fâcheux, l'Impromptu, dit, à cause de
la nouveauté et du lieu, de Fersailles, le De'pit amoureux, et
encore une fois le Prince jaloux. Pour le tout reçu 33oo francs.
— Le retour a été le mardi 2 3« octobre. > La Grange n'a
pas marqué là plus précisément le jour de la représentation
de chacune des pièces. S'il avait pris ce soin, il n'eût pas
cru plus tard que celle de l' Impromptu eût été donnée le 14.
L'impossibilité en est établie par les témoignages concor-
dants de la Gazette et de la Muse historique. Le roi, qui était
depuis quelque temps à Vincennes, et y avait eu le 12 oc-
tobre le spectacle d'un feu d'artifice et celui d'une grande
revue, n'en partit que le i5, jour où la reine, après s'être
arrêtée à Paris pour ses dévotions, le rejoignit à Versailles'.
Le lundi 22, la cour quitta Versailles et fixa son séjour à
Paris ^. Les comédiens, qui y revinrent le lendemain, étaient
arrivés à Versailles quatre jours avant le roi, afin sans doute
de préparer leurs représentations, surtout celle de la pièce
nouvelle, qu'il était nécessaire, sinon d'achever, au moins
de répéter dans le lieu même où l'auteur en avait placé la
1. Pages 58 et 59.
2. Gazette du 20 octobre i663. — Voyez aussi la Muse histo-
rique, lettres du i3 et du 20 octobre.
3. Gazette du 27 octobre i663, et Muse historique, lettre de
même date.
284 NOTICE BIOGRAPHIQUE
scène. Il est parfaitement clair qu'on ne saurait donner à
la première représentation de V Impromptu une date anté-
rieure au i6 octobre; et si le Registre de La Grange a
nommé les pièces jouées alors à Versailles dans l'ordre où
elles le furent, il est probable que t Impromptu ne parut
pas avant le i8 ou même le 19. Il se pourrait donc que les
deux comédies ennemies, celle de l'Hôtel de Bourgogne et
celle de Versailles, eussent été le même jour représentées
pour la première fois. Ce serait un fait curieux, quoique
nous ne voyions pas bien quelle conséquence on en tirerait.
Le vers que nous avons cité :
Avant qu'il soit huit jours, certes j'y répoudrai,
ne saurait être opposé à ce que nous venons de dire. En
prêtant cette parole à Molière, l'auteur des Amours de Ca-
lotin n'a pas voulu tenir compte de la représentation de
Versailles. On feignait sans doute de ne reconnaître, comme
la première de toutes, que celle du 4 novembre devant le
public. Il plaisait d'ignorer ce qui était si fort à l'avantage
de Molière et aurait été très gênant pour qui voulait criti-
quer son Impromptu.
Si nous sommes entré dans un examen que l'on trouvera
peut-être trop scrupuleux, particulièrement ici, ce n'est pas
seulement pour rectifier la fausse date du 14 octobre, qui de
l'édition de 1682 a passé dans toutes les suivantes, sans en
excepter la nôtre, c'est surtout parce que cette question :
qui de Molière ou de Boursault a frappé le premier ? a donné
lieu à de longues discussions, auxquelles on a attaché une
certaine importance. Elles n'en auraient que s'il s'agissait de
peser le reproche fait à Molière par Bazin de la violence mal
justifiée de ses « représailles anticipées ". Mais alors même
qu'il était encore permis de disputer sur les dates, on ne
devait pas dire qu'il eût anticipe' les représailles , puisqu'il
n'avait pas composé ^Impromptu sans connaître le Portrait
du peintre, auquel des lectures avaient donné une demi-
publicité. Boursault était donc l'agresseur et méritait, quoi
qu'en dise Bazin, d'en être sévèrement puni, n'eût-il écrit
que les vers où dans le sermon d'Arnolphe il dénonce, à
SUR MOLIERE. 285
l'exemple de Donneau de Visé, le mépris de ce que l'on doit
respecter. Mais n'y avait-il que cela? Il faut que Molière ait
voulu parler d'autre chose lorsqu'il a prié « ces honnêtes
messieurs » de ne point toucher à certaines matières'. On
a dit, et nous le cro3'ons vrai, que Boursault s'était permis
des allusions à des chagrins domestiques de Molière, dont on
hasardait déjà la supposition, et que si elles ne se trouvent
plus dans sa pièce, c'est qu'il les en avait fait disparaître
en la livrant à l'impression. Voltaire, que l'on ne se serait
pas attendu à trouver si sévère pour les personnalités, a
blâmé l'auteur de l'Impromptu d'avoir écrit « une satire
cruelle et outrée » etd'avoirnommé Boursault par son nom. La
très claire anagramme d'Élomire ne lavait-elle pas nommé
lui-même dans Ze'linde? Et dans la pièce même de Bour-
sault, le Peintre le désignait-il moins bien qu Élomirc? A.
qui d'abord la faute si notre théâtre paraissait vouloir en-
trer dans la fâcheuse voie de la licence athénienne ? Mo-
lière n'eût pas mieux demandé que de continuer à en suivre
une plus sage. Il appelait « sotte guerre « celle où l'Hôtel
de Bourgogne l'engageait, pour « me détourner, disait-il,
par cet artifice des autres ouvrages que j'ai à faire'". Aussi,
après r Impromptu de Versailles, laissa-t-il le champ libre à
ses obscurs blasphémateurs, qu'il jugeait assez écrasés. Il
ne fit même pas imprimer sa petite comédie, non, comme
l'a dit Voltaire, parce qu'il en sentait la faiblesse, mais
parce que compter parmi ses œuvres une correction infli-
gée, en passant, à de méprisables frelons, eût été leur faire
trop d'honneur. Loin d'être faible, son Impromptu est de
tout point excellent.
A ce plaidoyer pour sa défense, dont il n'était pas moins
difficile que pour sa Critique de faire une pièce de théâtre,
il a donné cette fois encore un cadre très heureux, tel que
n'ont jamais su en imaginer ses adversaires dans leur indi-
gence d'invention. Supposant la répétition d'une pièce qui
doit être jouée devant le roi, il fait paraître, sous leurs
noms, ses acteurs et actrices, recevant ses conseils. Il ca-
1. V Impromptu de Versailles, scène v, p. 429 et 43o.
3. Ibidem, p. 428 et 429-
286 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ractérise chacun d'eux, et nous montre comme il s'appli-
quait à les diriger avec un art et un soin dont les Nouvelles
nouvelles avaient donné une idée', vraie sans doute aussi,
mais moins large : « Chaque acteur sait combien il doit
faire de pas, et toutes ses œillades sont comptées. » Les
agréables scènes de comédiens auxquels Molière explique
leurs rôles sont aujourd'hui le plus intéressant document
pour son histoire comme chef de troupe. Parmi les divers
propos des camarades, plus disposés à causer qu'à répéter
des rôles que, faute de temps, ils ne sauront pas, des ques-
tions viennent très naturellement sur une comédie des
comédiens, dont on lui reproche d'avoir abandonné l'idée.
Vivement pressé de faire connaître en deux mots de quoi il
s'agissait, il esquisse le plan d'une bagatelle où il s'était
proposé quelques imitations des Grands comédiens, et
donne une idée des portraits qu'il aurait essayés d'eux dans
des pièces de Corneille. Il les contrefait, il raille non seule-
ment les défauts particuliers à chacun de ces tragédiens si
vantés, mais l'erreur générale de leur théâtre dans la ma-
nière de comprendre, sans aucun souci du naturel, la dé-
clamation des pièces héroïques. Le coup était rude, et il
avait fallu compter beaucoup sur la faveur du roi pour le
porter, en sa présence, à la troupe royale. Molière rappelle
plusieurs fois dans son Impromptu qu'il l'avait composé par
son ordre. Louis XIV ne jugea pas que dans l'exécution de
cet ordre la mesure eût été outrepassée. Ce fut lorsque la
pièce avait été déjà représentée, que Molière fut porté sur
la liste des pensions de i663 : « Au sieur Molière, excel-
lent poète comique, looo francs. » Inutilement les pièces
jouées à l'Hôtel de Bourgogne l'avaient-elles accusé d'injure
faite à la personne royale par le ridicule jeté sur ses cour-
tisans, et d'outrage à la religion dans une scène de l'Ecole
des femmes. L'honorable pension qui vengeait Molière de ces
charités lui inspira un Remercîment en vers. Dans le Pané-
brique de t Ecole des femmes^, injurieuse satire malgré son
1. Tome III, p. 234-
2. Ou Conversation comique sur les œuvres de M. de Molière, Le
Pririlège est du 3o octobre, l'Achevé d'imprimer du 3o no-
SUR MOLIERE. 287
titre trompeur, qui fut écrite peu de jours après la repré-
sentation de la pièce de Boursault', un des interlocuteurs
du dialogue parle ainsi du Remerciment au Roi : « Avez-vous
vu le Remercîment qu'il a fait sur sa pension de bel-esprit?
Rien n'a été trouvé si galand ni si joli. C'est un ])ortrait de
la cour trait pour trait-. » Nous ne donnons ])as cet éloge
pour sincère dans la bouche d'un faux défenseur de Molière,
qui va déclarer tout à l'heure qu'en feignant de le louer il
n'a voulu que s'amuser'. Là cependant il n'a rien dit que
de vrai, peut-être parce qu'il eût été dangereux de contre-
dire ou même de dissimuler le jugement du roi et de la
cour. Assurément il n'a pas inventé qu'au Louvre on tenait
ces vers de Molière pour -; la plus belle pièce qui se fût
vue >'. Ils avaient assez frappé Perrault pour que dans sa
notice, où il ne dit que peu de mots sur les plus célèbres
ouvrages du poète et même ne les nomme pas tous, il n'ait
pas oublié ce « compliment au Roi, si spirituel, dit-il^, si
délicat et si bien tourné :». C'est une louange que, partout
oti il y avait quelque finesse de goût, on ne put refuser à un
chef-d'œuvre d'esprit, dans lequel se mêlait de si agréable
façon au respect le badinage familier de la Muse comique
souriante. Cette Muse qui, pour se présenter au Louvre, se
travestit en marquis, n'est-ce pas la plus ingénieuse idée
pour tourner le remercîment en une petite comédie, tableau
parfait et digne du peintre ?
Parmi les courtisans, ce n'étaient pas les gens d'esprit
qui pouvaient s'y trouver offensés par de légères plaisan-
teries. Nous savons déjà qu'à l'exemple du roi ils faisaient
fête à Molière, en dépit des manœuvres de ses ennemis, pour
les irriter contre lui. Dans Zélinde, on s'étonne de leur hu-
meur endurante ; on les avertit qu'ils obligent ainsi le fameux
Elomire < à les dépeindre une autre fois avec des traits plus
vembre i663. — L'auteur est Charles Robinet, le même sans
doute qui a écrit les Lettres en vers à Madame.
I. C'est ce qui est dit dans l'avis Au lecteur.
1. Le Panégyrique de C École des femmes, p. 76.
3. Ibidem, p. 94.
4- Les Hommes illustre^, tome L p. "9.
288 NOTICE BIOGRAPHIQUE
forts* ». Zélinde voudrait le faire berner par quatre marquis,
qui tiendraient la couverture. On lui répond : « Les Marquis
l'aiment trop, et se mettroient peut-être à sa place, afin qu'il
les bernât de toutes manières *. » Us l'embrassent quand ils
le rencontrent et prennent plaisir à s'appeler entre eux
turlupins. Boursault s'efforce de leur faire sentir le même
aiguillon. Dans la bouche de son Dorante, qui complaisam-
ment
joue à la paume
Avec le médisant le meilleur du royaume,
il met des vers tels que ceux-ci :
J'en sais vingt trop heureux de se laisser jouer.
Oui, j'en sais de ravis qu'on leur fasse la guerre.
De tous nos turlupins c'est un homme chéri ^.
Quelqu'un cependant venait de dire :
. . . . A la fin craint-il point qu'on s'en choque?
J'en sais un enragé, dnot souvent il se moque.
Ne reconnaît-on pas cet enragé qui se choque au point de
prendre une odieuse vengeance Pet peut-on douter de l'allu-
sion, bien qu'un peu moins transparente qu'elle ne l'est dans
ce passage de Zélinde sur la tarte à la crème : « Je crois
qu'elle lui fera dorénavant bien mal au cœur, et qu'il n'en
entendra jamais parler, ni ne mettra sa perruque sans se
ressouvenir qu'il ne fait pas bon jouer les princes, et qu'ils
ne sont pas aussi insensibles que les marquis turlupins*. »
Ce témoignage de la comédie satirique de i663 permettrait
difficilement de traiter de conte le bien triste récit de la
Martinière^. Ce biographe de i^aS a nommé Y enragé qui
fit subir à Molière le plus brutal outrage. Grimarest s'était
borné à dire qu'un courtisan de distinction, pressé de
1 . zélinde, scène m.
3. ibidem, scène vin.
3. Le Portrait du peintre, scène vi.
4. Zélinde, scène vin.
5. yie de Vauteur, p. 27.
SUR MOLIERE. 289
répondre sur ce qu'il trouvait à redire dans V École des
femmes, avait répondu : « Tarte à la crème, morbleu ! » et
répété ces mots, sans qu'on pût le faire sortir de là. Molière
s'est amusé à mettre cette sottise dans la bouche du mar-
quis ridicule de la Critique. Dans Y Addition de la Martinière
on lit que le « courtisan de distinction j> était la Feuillade.
Peu de difficulté à reconnaître celui à qui l'auteur de Zé-
linde a donné, pour flatter ses prétentions vaniteuses, le
titre de prince : la Feuillade voulait y avoir droit, comme
descendant d'Ebon, prince d'Aubusson au neuvième siècle.
Ne doutant pas que ce ne fût lui-même que l'on eût osé
mettre sur le théâtre, « un jour, dit la Martinière, qu'il vit
passer Molière par un apj)artement où il étoit, il l'aborda
avec des démonstrations d'un homme qui vouloit lui faire
caresse. Molière s'étant incliné, il lui prit la tête, et en lui
disant : Tarte à la crème, Molière l tarte à la crème 1 il lui
frotta le visage contre ses boutons, qui étant fort durs lui
mirent le visage en sang. Le Roi, qui vit Molière le même
jour, apprit la chose avec indignation, et la marqua au Duc,
qui apprit à ses dépens combien Molière étoit dans les
bonnes grâces de Sa Majesté. Je tiens ce fait d'une per-
sonne contemporaine qui m'a assuré l'avoir vu de ses pro-
pres yeux. » Peut-être le fait attesté par le témoin oculaire
est-il seulement celui de la forte réprimande du roi. Quanl
aux détails de l'indigne scène, on ne peut savoir s'ils sont
tous exacts, et si le visage ensanglanté n'est pas une exa-
gération; mais lorsque de Visé nous donne à entendre que
Molière eut sa perruque mise en désordre, il faut bien que,
dans la perfide embrassade, il ait été violemment secoué; et
la révoltante injure, qu'elle ait été plus ou moins poussée
jusqu'à la barbarie, demeure trop avérée. On s'étonnerait
que le « courtisan passant tous les courtisans passés * =>
eût si peu compins cette fois de quel côté le vent soufflait.
Il était facile de prévoir l'indignation du roi, qui protégeait
assez Molière pour ne lui avoir jamais défendu de l'égayer
par ses peintures hardies, même quand elles faisaient rire
I. Lettre de Mme de Sëvigné du ao janvier 1679, tome V,
p. 55i.
MOLIÈKE, X IQ
ago NOTICE BIOGRAPHIQUE
des travers de quelques gens de qualité. Il est vrai que
dans le portrait de l'homme à la tarte à la crème la har-
diesse avait été poussée jusqu'à l'imprudence, puisqu'il pa-
raît certain que l'original en était désigné trop clairement,
s'étant ridiculisé par la fameuse turlupinade.
Brossette avait entendu accuser de l'insulte un autre que
la Feuillade. On racontait, dit-il, « que M. d'Armagnac, le
grand écuyer de France, avait insulté Molière, et lui avait
fait tourner sa perruque sur la tête* ». Il peut donc y avoir
hésitation sur la personne du coupable. Dans le portrait
que Saint-Simon a fait de Louis d'Armagnac, il le peint très
brutal. Molière décoiffé, comme le Chapelain de la parodie du
Cid, c'est justement ce que nous trouvons dans Zéiinde; et
le titre de prince convient encore mieux à M. Le Grand, de
la famille des princes lorrains, qu'à la Feuillade. Brossette,
après les lignes qui viennent d'être citées, ajoute : « Mais
M. Despréaux m'a dit que cela n'étoit pas vrai. » Enten-
dait-il seulement qu'on avait eu tort de nommer M. d'Ar-
magnac? Il semble plutôt qu'il niait la vérité de la honteuse
anecdote. Son démenti, si tel en est le sens, a pu être dicté
par le désir de faire tomber dans l'oubli un aff'ront reçu
par son ami. Si, à une date oîi l'injure était toute récente,
elle n'avait pas été connue, la méchanceté de la Zéiinde
n'aurait pas été comprise. Il n'y a pour nous aucun intérêt
à mettre en doute un fait qui ne déshonore pas Molière,
mais le courtisan, quel qu'il soit, coupable d'un odieux abus
de sa puissance. D'ordinaire, ceux qui, à la cour, avaient
quelque sagesse, ne voyaient aucune raison de se fâcher.
Ils ne pouvaient prendre pour un dessein formé d'hostilité
la raillei-ie de quelques ridicules qu'ils étaient les premiers
à fronder, comme le dit, dans la Critique, le chevalier Do-
rante^. Par la bouche du même personnage, et dans la
même scène ^, Molière a rendu justice au bon et fin juge-
ment de cette cour si polie. Il l'a fait, nous n'en doutons pas,
avec sincérité : les marquis extravagants ne lui cachaient
1. Ms. de Brossette, p. 54°.
2. Scène ti, p, 355.
3. Ibidem, p. 354 et 355.
SUR MOLIERE. 291
pas quelle fleur d'urbanité, quelle intelligence délicate des
choses de l'esprit il y avait dans ce monde de la noble élé-
gance. Beaucoup plus tard, lorsqu'il n'avait pas les mêmes
raisons de se défendre contre ceux qui cherchaient à lui
faire des affaires avec la cour, il a fait parler sur elle, tout
comme Dorante, son aimable personnage du Clitandre des
Femmes savantes . Ceci dit, il est permis de faire la part d'une
sage et politique précaution dans un éloge venant fort à
propos en un temps où l'on excitait les gens de qualité à
ne plus souffrir ses plaisanteries. Il a toujours été dans son
caractère de joindre à une grande liberté une adroite pru-
dence ; il se rendait compte de l'impossibilité de tant oser
sans manœuvrer habilement. C'est ainsi que lorsqu'il fit
imprimer sa Cm/<7«e en i663, il dédia à la très pieuse reine
mère cette apologie d'une comédie dont une scène avait été
accusée d'un manque de respect à la religion. Il ne faudrait
pas comparer son épître dédicatoire à Anne d'Autriche
à la lettre écrite par Voltaire au pape Benoît XIV, pour
mettre sous sa protection la tragédie de Mahomet. Rien,
d'un coté, qu'une tactique prudente; d'un autre, une sin-
gerie malicieuse.
Après C Impromptu de Versailles, si Molière jugea inutile
de continuer la guerre, les comédies n'avaient pas dit leur
dernier mot contre lui. Mais, avant de suivre ses ennemis
jusqu'à la fin de leur campagne, il faut dire quelques mots
d'un très illustre auxiliaire qu'ils se sont toujours flattés
d'avoir dans leur parti et n'avaient certainement rien
épargné pour enrôler.
Ils n'ont jamais alors attaqué Molière sans exalter Cor-
neille, pour écraser sous sa gloire l'auteur de bagatelles
comiques. De Visé, dans une Lettre sur les affaires du théâtre,
déclare qu' « il y a au Parnasse mille places de vides entre
le divin Corneille et le comique Elomire* ». Le Pane'gyrique
de l'Ecole des femmes, qui donne à Molière le nom de Zoïle,
à Corneille celui de grand Ariste, dit de celui-ci - : a Ce
grand homme est assez étonné de se voir sur les talons
I. Les Diversités galantes, p. gS et 94.
a. Page 87.
aga NOTICE BIOGRAPHIQUE
cette fourmilière de grimelins, qui semblent le chasser du
théâtre, où jusqu'ici sa Muse avait eu un si glorieux as-
cendant ; et ce ne lui est pas une petite mortification de
voir son grand cothurne effacé par le ridicule escarpin de
ces demi ou quarts d'auteurs, engendrés de la corruption
du siècle. » Voilà quels appels on faisait à la jalousie du
potier contre le potier. Savait-on Corneille disposé à les
entendre? Comme il serait pénible de trouver un sentiment
indigne d'une grande âme dans celle d'où sont sorties,
comme d'une haute source, tant d'inspirations généreuses,
on aime à croire que ses préventions contre Molière s'ex-
pliquent surtout parla différence des deux génies. La peine
qu'a eue Corneille à comprendre les tragédies de Racine a
eu la même cause. Racine a plutôt cru à l'envie. Il n'a pas
douté que sa jeune célébrité n'offusquât son glorieux pré-
décesseur; on sait qu'avec trop peu de respect il a fait une
allusion très claire à sa malveillance dans une préface*, où
il rappelle Térence forcé de se défendre contre les critiques
« d'un vieux poète malintentionné, qui venoit briguer des
voix contre lui jusqu'aux heures où l'on représentoit ses
comédies «. Ne tirons pas trop de parti contre Corneille de
ces plaintes emportées de Racine. Lorsque le vieux poète le
critiqua, comme lorsqu'il ne garda pas assez la neutralité
dans la guerre faite à Molière, ce ne fut pas que la gloire
des autres lui donnât ce vilain chagrin, qui est le propre de
l'envieux, mais il était inquiet pour la sienne, depuis qu'il
voyait ses nouveaux ouvrages accueillis avec moins de fa-
veur. L'engouement pour « les modernes illustres 3>, comme
il disait, lui fit craindre pour lui-même un injuste oubli.
Déjà en i663, précisément au temps où nous le rencontrons
ici, il ne se sentait pas rassuré contre le déclin, non seu-
lement de sa renommée, mais de son génie, et disait à
Louis XIV dans un Remercîment^ :
Parle, et je reprendrai ma vigueur épuisée,
Jusques à démentir les ans qui l'ont usée.
I. La préface de Britannîcus .
a. OEuvres de Pierre Corneille, tome X, p. i8o et i8i.
SUR MOLIERE. agS
Peu d'années après, en 1667, il se plaignait, dans des vers
Au Roi sur son retour de Flandre, que sa veine ne fût plus
. . . qu'un vieux torrent qu'ont tari douze lustres.
A force de vieillir un auteur perd son rang*.
Pour connaître encore mieux cet état d'âme, qui ne fut
nullement passager, on peut lire tout entière sa belle épître
de 1676, au même prince.
Il avait un autre souci, moins personnel que celui de la
faveur de la génération nouvelle s'éloignant de lui. Il déplo-
rait la grande vogue de la comédie, qui lui paraissait une
erreur du goût public, infidèle à l'élévation héroïque, véri-
table âme du théâtre, à ses yeux. Malgré ses succès dans le
genre comique, l'auteur du Menteur croyait la comédie
plus facile que la tragédie, et très inférieure. Il avait par là
peu de peine à s'entendre avec l'Hôtel de Bourgogne, qui se
flattait d'être le vrai temple de la tragédie, et, avec raison
peut-être, de la mieux jouer que le Palais-Royal, dont la
supériorité dans le comique était évidente. Molière, sachant
d'ailleurs qu'en soulevant un débat, tout littéraire en appa-
rence, entre ce qu'on appelait les seules pièces sérieuses et
celles dont on bornait le mérite à faire rire, plusieurs ne son-
geaient qu'à se venger des succès de ses ouvrages et de sa
troupe, prit la question à cœur, et crut devoir plaider, dans
la Critique de V Ecole des femmes^, pour la comédie, et être
autorisé par la nécessité des représailles à y parler, avec
quelque irrévérence, de la tragédie guindée sur de grands
sentiments et dispensée, dans les caractères de ses héros
imaginaires, de peindre les hommes tels qu'ils sont. Tout le
monde comprit que la verte réponse était, en grande partie,
à l'adresse de Corneille, contre qui il était assez naturelle-
ment irrité; car il lui était difficile de croire qu à l'insu du
grand poète on se fût servi de son nom pour le rabaisser
lui-même. Il était persuadé d'ailleurs que les deux Cor-
neille favorisaient le parti de ceux qui dépréciaient son
ï. Œuvres de Pierre Corneille, tome X, p. 187.
a. Scène vi, p. 35i et 352.
294 NOTICE BIOGRAPHIQUE
théâtre. Rien de plus certain pour Thomas Corneille ; nous
le savons par sa lettre de 1639 à l'abbé de Pure*. Aussi
Molière lui avait-il décoché un trait malin dans les vers de
l'École des femmes, ofi Chrysalde, raillant l'abus de quitter
le nom de ses pères, cite en exemple le paysan Gros-Pierre,
qui possédait un fossé bourbeux.
Et de Monsieur de l'Isle eu prit le nom pompeux*.
Il n'échappa à personne que le trait tombait sur Thomas
Corneille, qui se faisait appeler Corneille de l'Ile; il était
« le spirituel Isole », dont le Panégyrique de l'École des
femmes opposa le Dom Bertrand de Cigaral et le Feint astro-
logue aux comédies de Molière^. Le grand Corneille ne put
être insensible ni au ridicule jeté sur son frère, ni aux rail-
leuses attaques contre la tragédie, qui semblaient viser par-
ticulièrement ses héroïques chefs-d'œuvre. Son méconten-
tement fut si connu qu'il passa pour avoir mis la main à la
pièce de Boursault, avec qui d'ailleurs on le savait en ami-
cales relations. Molière avait entendu dire que « tout le Par-
nasse » s'était uni pour faire le Portrait du peintre, et que
chacun y avait donné un coup de pinceau. Cependant, quand
il parlait ainsi dans l' Impromptu'*, et qu'il y montrait tous
les auteurs animés contre lui, depuis le cèdre jusqu'à
l'hysope^ », est-il croyable, malgré la grande vraisemblance
d'une allusion, que, dans un seul des misérables coups de
pinceau, lui, si bon connaisseur, se soit imaginé reconnaître
le cèdre? Boursault, dans son avis Au lecteur, a revendiqué
pour lui seul l'honneur de son Portrait, mettant hors de
cause tout le Parnasse; et sans nul doute c'est contre la col-
laboration attribuée à Corneille qu'il a protesté par ces pa-
roles : « Croire une pièce digne de ceux qui sont accusés
d'y avoir mis la main, c'est demeurer d'accord de son mé-
rite. » L'extrême médiocrité de l'ouvrage a protesté bien
plus fortement encore.
I. Voyez ci-dessus, p. 219 et 220. — 2. Scène vi, vers 175-183.
3. Le Panégyrique de L'École des femmes, p. 45-
4. Scène v, p. 420 et 421.
5. Ibidem, p. 4^3.
SUR MOLIERE. 295
C'est un spectacle affligeant que celui de la mésintelligence
de deux grands génies. On est heureux de dire qu'elle fut
de courte durée. Elle cessa bien avant le temps de cette
Psyché, qui maria, dans un lyrisme si charmant, la muse
héroïque et la muse comique. La paix pourrait se dater de
la première représentation à' Attila, que Corneille confia,
le \ mars 1677, au Palais-Royal. Un rapprochement avec la
troupe de ce théâtre était alors devenu plus facile par suite
de la brouille entre elle et Racine. On fera remarquer peut-
être que des pièces de Corneille, notamment Sertorius et le
Menteur, n'avaient jamais cessé d'être jouées sur le théâtre
de Molière ; mais il n'y a pas là, comme dans la représenta-
tion d'une pièce nouvelle, la preuve de bonnes relations;
partout en effet on avait le droit de jouer les pièces impri-
mées, sans que la volonté de l'auteur y fût pour rien. Le
théâtre de Molière usait de ce droit en ne se privant pas,
malgré les querelles, d'ouvrages goûtés du public. Agir au-
trement eût été sacrifier ses intérêts au plaisir d'une mes-
quine vengeance.
Un peu plus tôt que Corneille, de Visé fit sa paix. En
octobre i665, il porta au Palais-Royal une pièce nouvelle.
la Mère coquette. Il devait bientôt y faire jouer d'autres ou-
vrages, la Veuve à la mode, par exemple, en mai 1667. Il
avait, l'année précédente, donné un gage du changement de
ses sentiments dans sa Lettre sur le Misanthrope.
Nous n'en sommes pas encore à ces réconciliations. Mo-
lière, qui avait déclaré s'en tenir à sa victoire de t Impromptu
de Versailles et se retirer de la lutte, ne fut pas imité par
ses adversaires ; ils ne voulurent pas lui laisser le dei'nier
mot. L'Hôtel de Bourgogne eut encore des champions, qui
ne désarmèrent pas. ZS'ous trouvons d'abord Antoine Jacob,
dit Montfleury, fils du fameux comédien que C Impromptu
avait appelé un roi « entripaillé » , et qui, ne se trouvant pas
assez vengé par la pièce de son fils, présenta, peu après, au
roi, l'odieuse Requête, dans laquelle il chercha à désho-
norer le mariage de Molière.
La comédie d'Antoine Montfleury est en vers, d'une hon-
nête médiocrité, auxquels on fait bonne mesure de justice
en les disant assez faciles. A l'imitation du titre de la pièce
âge NOTICE BIOGRAPHIQUE
ennemie, celle-ci voulut se nommer V Impromptu de C Hôtel de
Conde'. Pour se permettre d'opposer cet hôtel au royal Ver-
sailles, il fallait y être autorisé et avoir obtenu, on n'en
saurait douter, une première représentation chez les Condé.
Qui donc avait pu, dans cette maison, protéger ainsi un acte
d'hostilité contre Molière ? Non sans doute le grand prince,
très favorable à notre poète ; mais son fils, le bizarre duc
d'Enghien, à qui déjà Boursault, bien vu d'ailleurs, il faut
le dire, par tous les Condé, avait dédié le Portrait du
peintre, lui rappelant, dans sonépître, « les généreux applau-
dissements j) dont il avait honoré son ouvrage.
Il est assez piquant de trouver, à la date du mardi 1 1 dé-
cembre, V Impromptu de Versailles joué aux fêtes du ma-
riage du duc d'Enghien et d'Anne de Bavière*, dans ce
même hôtel de Condé, si hospitalier à la représentation de
l'autre Impromptu, de celui de Montfleury. Fut-ce seulement
une preuve d'impartialité ? On croirait plutôt qu'il plut à
l'illustre père du marié de faire prendre à Molière sa re-
vanche dans une occasion si intéressante pour son fils. La
réparation était éclatante : le roi, les deux reines. Monsieur
et Madame étaient là, entourés d'une cour brillante et nom-
breuse-.
L' Impromptu de Montfleury, oîi l'on chercherait inutile-
ment un semblant d'action, et qui n'a pas même un cadre
tant soit peu comique, n'est qu'un court dialogue devant la
boutique d'une marchande de livres dans le Palais. L'auteur
ne s'est guère attaché qu'à payer en même monnaie les rail-
leries sur la déclamation et le jeu des Grands comédiens. A
son tour, il se moque de la récitation, des gestes, des gri-
maces de Molière dans la comédie. S'il y a eu quelque sel
dans cette caricature, c'est à la seule condition que les acteurs
lui aient su donner quelque ressemblance, ce qui nécessaire-
ment nous échappe. A la lecture, il n'y a pour nous d'un peu
piquant que le portrait de Molière jouant des rôles tragi-
ques, dans lesquels son talent d'acteur était le plus con-
I. Registre de La Grange, p. 60. — On joua en même temps
la Critique de l'Ecole des femmes.
a. La Muse historique, lettre du i5 décenabre i663.
SUR MOLIERE. 297
testable. Ce portrait a été pris dans le rôle de César de la
tragédie de Pompée, où il n'avait point paru depuis plu-
sieurs années. Comme Montfleury ne l'y avait sans doute pas
vu, il est fort probable qu'il l'a peint de fantaisie, tout au
plus d'après une tradition et à l'aide de souvenirs d'autres
rôles. Il le compare aux héi'os de romans dans les tapisse-
ries :
Il est fait tout de même : il vient le nez au vent,
Les pieds en parenthèse, et l'épaule en avant.
Sa perruque, qui suit le côté qu'il avance,
Plus pleine de laurier qu'un jambon de Mayence,
Les mains sur les côtés d'un air peu négligé,
La tête sur le dos comme un mulet chargé,
Les yeux fort égarés, puis débitant ses rôles,
D'un hoquet éternel sépare ses paroles* —
Malgré des négligences de style, le morceau est joli; il a
fait fortune, car il est cité partout. Il n'est probablement pas
sans un peu de vérité. D'autres témoignages, qui ne sont pas
tous suspects de la même malveillance, permettent de croire
qu'au milieu des exagérations il s'y trouve quelques justes
critiques. Voici comment parle La Serre dans le portrait qu'il
a fait de Molière^ en 173 + , lorsque vivaient encore des per-
sonnes qui avaient entendu parler de lui par ses camarades :
« La nature, qui lui avoit été si favorable du côté des ta-
lents de l'esprit, lui avoit refusé ces dons extérieurs si né-
cessaires au théâtre, surtout pour les rôles tragiques. Une
voix sourde, des inflexions dures, une volubilité de langue
qui précipitoit trop sa déclamation, le rendoit, de ce côté,
fort inférieur aux acteurs de l'Hôtel de Bourgogne. II... ne
se corrigea de cette volubilité, si contraire à la belle articu-
lation, que par des efforts continuels, qui lui causèrent un
hoquet qu'il a conservé jusqu'à la mort, et dont il savait tirer
parti en certaines occasions. Pour varier ses inflexions, il
mit le premier en usage certains tons inusités, qui le firent
1. V Impromptu de V Hôtel de Condé, scène IV.
2. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. lvi. — Ce
portrait a été reproduit dans le Mercure de mai 1740, p. 842.
298 NOTICE BIOGRAPHIQUE
accuser d'un peu d'affectation, mais auxquels on s'accou-
tuma. >'
Pi'esque en même temps que Montfleury s'engageait dans
la lice, de Visé y rentra avec sa Vengeance des Marquis, que
l'Hôtel de Bourgogne s'empressa déjouer, l'en jugeant plus
digne que Zélinde, car elle servait mieux ses colères par sa
méchanceté. Voici pourquoi nous ne parlons de cette comé-
die qu'après avoir parlé de l' Impromptu de V Hôtel de Condé :
nous n'avons la date précise de la première représentation
ni de l'une ni de l'autre pièce, mais il nous paraît que celle
de Montfleury a établi sa priorité par ces vers de la scène v :
Avant qu'il soit deux jours on jouera la Réponse.
Et l'on doit finement dessus certain chapitre —
La Réponse ne peut être que la Vengeance des marquis, qui
a pour premier titre : Réponse à l' Impromptu de Versailles,
et qui « sur certain chapitre » plaisante non pas finement,
mais grossièrement. Les deux pièces, réponses l'une et
l'autre à la récente comédie de Molière, doivent avoir
été représentées à peu de jours de distance, probablement
dans la seconde quinzaine de novembre i663*.
Quoique de Visé ait mis dans sa seconde attaque beau-
coup plus de fiel que dans la première, il a cependant com-
mencé par affecter, suivant son habitude de vrai Lysidas,
une disposition d'esprit impartiale. « Quand le Peintre,
fait-il dire à son Alcipe, dans la scène 11, fait quelque chose
de bon, je m'y divertis, et quand on représente quelque
chose de meilleur à l'Hôtel de Bourgogne, je m'y divertis
encore « ; ce qui n'empêche pas ce même homme de qualité,
si exempt de prévention, de ne plus dire un mot, après cela,
qui ne soit un ti'ait de satire contre Molière.
Le titre de la Vengeance des Marquis ne convient pas à la
pièce, et serait plutôt la Vengeance des comédiens, comme
le dit l'auteur lui-même dans sa Lettre sur les affaires du
I. La comédie de Donneau de Visé, à laquelle ou croit que le
comédien de Villiers a eu quelque part, a paru dans les Diversi-
tés galantes, dont l'Achevé d'imprimer est du 7 décembre i663.
Celui de la comédie de Montfleury est du 19 janvier 1664»
SUR MOLIERE. 299
théâtre^. Tout ce qu'il a fait pour venger les marquis, c'a été
de mettre leur éloge dans la bouche d'une jeune damoiselle
de campagne, qui les trouve bien faits et bien aimables, bien
mignons et bien propres, et de faire paraître dans la der-
nière scène, sottement bouffonne, un valet à moitié fou,
qui veut se déguiser en homme de cour, parce que les valets
doivent devenir des marquis, depuis que « le Peintre a dit
qu'il falloit que les marquis prissent la place des valets » ;
interprétation plus que libre d'un passage de l' Impromptu
de Versaille!^-. Il s'agissait bien plutôt de procurer une
revanche à l'Hôtel de Bourgogne, à ses acteurs plaisamment
imités par Molière. De Visé leur offre la même occasion que
Montfleury de contrefaire à leur tour le railleur; et, comme
si le mot d'ordre était donné, c'est encore dans la tragédie
de Pompée. Après lui avoir fait débiter (nous ne savons
pourquoi l'on dit : «; de profil ») quelques vers du rôle de
César, on fait ces remarques sur son jeu^ : « Examinez bien
cette hanche, c'est quelque chose de beau à voir. Il récite
encore quelquefois ainsi, en croisant les bras et en faisant
un hoquet à la fin de chaque vers. >> Il est ensuite imité lors-
qu'il fait l'annonce, et l'on invite à bien regarder comme il
tient son chapeau. Dans l'imitation les acteurs tragiques
de l'Hôtel de Bourgogne, les railleries de Molière, moins
frivoles, avaient touché à une sérieuse question d'art. Si
l'on ne trouvait, dans cette Réponse à l' Impromptu de Ver-
sailles, rien de plus à citer, il suffirait de dire que de toutes
ces comédies satiriques, celle-ci est la plus plate ; mais
nous ne devons point passer sous silence ce qu'elle a
d'odieux. De Visé s'est permis la vilaine plaisanterie, qui
est annoncée comme fine dans V Impromptu de ï Hôtel de
Condé, celle dont on soupçonne Boursault d'avoir risqué le
premier quelque équivalent, puis d'en avoir eu assez de honte
pour l'effacer. Molière, parlant du Portrait du peintre, avait
fait dire à Brécourt^ : « Je réponds de douze marquis, de
1. Page 82.
2. JJ Impromptu de Versailles, scène i, p. 4oi-
3. La Vengeance des Marquis, scène v.
4- Ce comédien, un de ceux qui parurent sous leur nom dans
3oo NOTICE BIOGRAPHIQUE
six précieuses, de vingt coquettes et de trente cocus, qui ne
manqueront pas d'y battre des mains*. » L'Ariste de la Ven-
geance des marquis, se souvenant que Molière avait été voir
la pièce de Boursault, riposte : « Il a plus été de cocus qu'il
ne dit voir le Portrait du peintre : j'y en comptai un jour
jusques à trente et un. Cette représentation ne manqua pas
d'approbateurs : trente de ces cocus applaudirent fort, et
le dernier fit tout ce qu'il put pour rire, mais il n'en avait
pas beaucoup d'envie-. « Sans s'expliquer avec la même
clarté ni se montrer aussi sûrement informé, Montfleury
avait tout au moins préparé la voie à la méchanceté, quand,
après avoir dit que le daubeur allait être daubé « finement
dessus certain chapitre...», et s'être arrêté sur ces derniers
mots, il avait fait répondre à cette réticence par deux vers
tirés de l'École des femmes"^, et très légèrement changés :
Hé, mon Dieu! notre ami, ne te tourmente point.
Bien huppé qui pourra l'attraper sur ce point.
Ce n'est pas plus innocemment que, dans une scène précé-
dente*, rappelant Molière qui, dans le rôle d'Arnolphe, le
doigt sur le front, dit à Agnès : « Là! regardez-moi là », il
fait remarquer que c'est un bien bon endroit.
Après de telles gentillesses, qui raillaient grossière-
ment, non plus le comédien ou l'auteur, mais l'homme dans
sa vie privée, il n'y a pas à pousser plus loin Ihistoire de
cette guerre. Elles la finissent d'une manière digne de
r Impromptu de Fersailles, y joua son rôle pour la dernière fois le
ï6 mars 1664. Le lendemain 17, il signa son engagement dans la
troupe de l'Hôtel de Bourgogne. Hubert, qui venait du Marais,
entra à sa place, et fut sans doute chargé de son rôle dans l'Im-
proniptii. Cette pièce d'ailleurs ne fut pas jouée au Palais-Royal
depuis le 16 mars 1664, mais seulement en visite, quatre fois : au
mois de septembre 1664, chez Monsieur, à Villers-Cotterets ; en
octobre 1664, à Versailles, pour le roi; le i" décembre suivant,
chez Colbert; enfin de nouveau à Versailles, en septembre i665.
1. V Impromptu de Versailles, scène v, p. 42a.
2. La Vengeance des Marquis, scène m.
3. Les vers 78 et 74.
4. V Impromptu de f Hôtel de Condé, scène m.
SUR MOLIERE. 3oi
cette ligue de médiocrités envieuses, « rivaux obscurcis »,
pour parler comme Boileau^ qui croassaient autour d'une
gloire importune.
Ces cruautés marquent pour nous le commencement des
chagrins que le mariage de Molière aurait dû lui faire pré-
voir. Ce mariage était trop récent à la fin de i66'3 pour
qu'une conduite coupable d'Armande Béjart ne soit pas, à
cette date, une invraisemblable invention de la haine; mais
elle s'était présentée facilement à l'esprit de ceux qui, sans
s'inquiéter de la vérité, ne cherchaient qu'à mordre. Ils
n'avaient eu qu'à se souvenir des prédictions de Chrysalde
à Arnolphe :
Comme sur les maris accusés de soufFrance,
De tout temps votre langue a daubé d'importance,
Gare qu'aux carrefours, on ne vous tympanise-.
Mais en faisant rire des maris trompés, suivant la vieille
tradition de nos comédies et contes, Molière n'avait daubé
que sur des personnages de fantaisie, sans jamais désigner
quelqu'un. Il suffisait cependant qu'il eût ridiculisé les
Sganarelles, pour que l'idée vînt de tourner contre lui la
prédiction de Chrysalde; ce n'était certes pas là une légi-
time application de la peine du talion.
Si l'auteur anonvme de la Fameme Comédienne n'était pas
le témoin le plus indigne de foi, les comédies de l'Hôtel de
Bourgogne n'auraient pas beaucoup antidaté les malheurs de
Molière. C'est avant le mois de mai 1664, date des Plaisirs
de l'île enchantée, que le libelle donne pour amant à sa
femme l'abbé de Richelieu, et note même le prix dont il
payait par jour ses faveurs^. Armande se vendant avec cette
impudence, après moins de deux ans de mariage, lorsqu'elle
portait déjà dans son sein le fils, né le 19 janvier 1664*, et
lorsque Molière était assez riche pour ne rien refuser à
1. Epttre VII, vers 12.
2. U Ecole des femmes, acte I, scène i, vers è'j-'^i.
3. La Fameuse Comédienne, p. la et i3.
4. Voyez ci-dessus, p. 269.
3o2 NOTICE BIOGRAPHIQUE
son luxe même, c'est mettre clans la calomnie une absurdité
qui la dénonce.
Nous devrons revenir tout à l'heure, à l'occasion de
la Princesse d'Élide, sur cet abbé de Richelieu, au nom
duquel deux autres ont été joints; et l'on verra que, pour
flétrir la femme de Molière, tous trois ont été pris au
hasard, avec autant d'ignorance que de mauvaise foi, parmi
ceux des gens de la cour les plus fameux par leurs galantes
aventures. Ces fables écartées avec mépris, nous ne refuse-
rons pas de croire que la jeune comédienne tarda peu à se
montrer coquette. Elle était avide d'amoureux hommages
et de plaisirs ; et il semble que Molière s'en doutait un peu
lorsqu'il l'épousa. Sans cette connaissance de son carac-
tère, aurait-il pris soin de la rassurer, dans l'École des
maris, sur les libertés qu'il croyait sage à un mari de
permettre, sur les « mouches et rubans », sur les permis-
sions de courir les bals, et même de recevoir des « visites
muguettes^ » ? Moins tôt venu qu'on ne s'est plu à le dire,
le moment toutefois où la méthode, très exagérée pour le
moins, de son Ariste, eut pour lui un malheureux succès,
ne devait pas se faire beaucoup attendre. Le trouvant en-
core trop lent à venir, les ennemis, nous venons de le voir,
se hâtèrent de faire croire qu'il était arrivé.
Lorsque Molière avertissait la meute aboyante qu'il avait
mieux à faire que de lui faire tête, on ne pouvait le soup-
çonner de reculer devant la lutte. S'il était décidé à ne
pas la continuer, c'est qu'il était assuré d'avoir porté aux
Zoïles de trop rudes coups pour que toutes leurs méchan-
cetés ne fussent pas désormais ridiculement impuissantes.
On allait avoir la preuve qu'il avait réellement, ainsi qu'il
l'avait dit, à employer son temps à tout autre chose qu'à
achever des gens à terre. Si les premiers ouvrages qui
suivirent V Impromptu de Versailles , petites pièces rapide-
ment écrites pour les divertissements de la cour, ne le
montrent pas occupé de soins importants, il n'en est pas
de même du chef-d'œuvre qu'il fit éclater presque en même
temps, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.
I. Acte I, scène ii, vers aaa-aaS.
SUR MOLIERE. 3o3
Toujours obéir aux ordres du roi était une nécessité, un
peu gênante sans doute, mais qui dut être acceptée sans re-
gret. Plus la haine tentait do semer des obstacles sur la
route du poète, plus il avait besoin d'être défendu par la
haute faveur, qui lui offrait de brillantes occasions d'y ac-
quérir de nouveaux titres et de la rendre manifeste.
Le 2g janvier 1664, il fit représenter au Louvre, devant
le roi, dans l'appartement bas de la reine, une comédie-
ballet, qui y fut reprise le surlendemain. C'était le Mariage
forcé. Le ballet, dans lequel le roi figurait en Egyptien,
était du président de Périgny, la musique de LuUi. Lors-
qu'il fut permis à Loret de voir au Louvre la seconde des
représentations, celle du 3i janvier, la comédie de Molière
lui parut <c un exquis divertissement «. Il la nomme un im-
promptu. Elle n'était certainement pas autre chose. Voltaire
y trouvait plus de bouffonnerie que d'art et d'agrément.
C'est un peu trop de dédain. Molière, si pressé qu'il fût,
étant toujours Molière, la main du maître se reconnaît,
dans deux scènes surtout du léger ouvrage, un de ceux
probablement dont il gardait depuis longtemps le canevas
dans son cabinet, et qu'il n'avait plus alors qu'à refaire
avec son art plus expérimenté. Très dignes de lui et,
comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire, du savoir
philosophique dont il avait fait provision chez Gassendi,
sont le docteur aristotélicien Pancrace et le docteur pyr-
rhonien Marphurius, pédants qui n'étaient pas nouveaux au
théâtre, mais dont il a rajeuni et caractérisé, comme on ne
l'avait jamais fait, les figures, en mêlant tant de vérité aux
exagérations des anciennes farces.
Joué chez Madame, le 4 et le 9 février, le Mariage force'
parut pour la première fois, le i3 du même mois, sur le
théâtre du Palais -Royal, « avec le ballet et les orne-
ments ». La douzième représentation fut la dernière, les
frais étant trop onéreux.
Le roi, fort en goût des fêtes, ne tarda pas à mettre de
nouveau à contribution le zèle, toujours prêt, de Molière.
Ce fut pour les fêtes données à Versailles au mois de mai
1664, et connues sous le nom de Plaisirs de l'île enc/iantée.
Elles ont une célébrité que l'on peut dire historique. Vol-
3o4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
taire a jugé que leur souvenir méritait une place dans son
Siècle de Louis XIV ^, où il les vante comme très supé-
rieures à celles qu'on invente dans les romans. Ainsi qu'il
le dit, l'intention du roi était de donner le spectacle de
ces enchantements à la jeune fille de la maison de Madame
qu'il aimait passionnément, Mlle de la Vallière : « La fête
était pour elle seule; elle en jouissait confondue dans la
foule. » Ce n'était un secret pour personne, bien que le
prétexte fût de déployer ces magnificences pour les reines.
Nous ne sortons pas de notre sujet en rappelant, d'après
Voltaire, quel fut le caractère de ces galantes journées de
l'Ile enchante'e, auxquelles Molière fut appelé à prendre une
très grande part.
Sa troupe était partie pour Versailles le 3o a\'ril, et y sé-
journa jusqu'au 22 mai"^ Elle figura dans plusieurs des di-
vertissements. La première journée vit Mlle du Parc sur un
cheval d'Espagne représenter le Printemps, et, dit Loret^,
charmer tout Versailles. Mlle Molière aussi y avait brillé
dans le personnage du Siècle d'or. Elle reparut, dans la troi-
sième journée, comme une des Nymphes de la suite d'Al-
cine. Sans elle, nous n'aurions pas eu à entrer dans de si
petits détails, qui seraient de trop ici, s'ils ne nous mon-
traient le danger que courait Molière en laissant sa jeune
et très coquette femme exposée à l'admiration peu discrète
des courtisans. Ce danger, sur lequel on dit qu'il ouvrit
alors les yeux, fut pour lui le point noir au milieu de l'éclat
que par ses comédies il jeta sur ces fêtes. Ses regrets étaient
tardifs ; il se les était inévitablement préparés en épousant
une femme dont il est évident que l'on avait pensé de bonne
heure à faire une comédienne ; et si ce fut à Versailles que
pour la première fois son bonheur lui parut menacé, il était
aisé à prévoir que sur n'importe quelle scène sa femme, un
jour ou l'autre, inspirerait la fantaisie de le troubler. Pour
un homme qui cherchait honnêtement dans le mariage la
parfaite union de deux existences, il avait été singulière-
1 . Au chapitre xxv.
2. Registre de La Grange, p. 65.
3. Lettre du lo mai 1664.
SUR MOLIERE 3o3
ment imprudent, et lorsqu'il avait voulu s'aveugler sur l'in-
convénient des âges disproportionnés, sur le caractère de
sa pupille, après avoir eu tout le temps de l'observer, et
lorsqu'il avait pris femme dans une famille dont il ne con-
naissait que trop les fâcheux exemples, surtout enfin lors-
qu'il l'avait destinée au théâtre ; car l'y faire monter était
une résolution arrêtée le jour tout au moins où il avait
demandé pour elle une des parts d'acteurs. C'était là sans
doute une fatalité de sa vie de comédien et de son amour
de sa profession, à laquelle il était attaché par trop de liens
pour songer à les rompre. Ainsi engagé, il ne lui était guère
possible de se marier hors d'un monde qui seul était le
sien. Il avait donc fallu y choisir la compagne de sa vie.
Ne pouvait-il cependant, pour la détourner d'entrer dans sa
troupe, user de l'autorité que devait avoir sur elle celui
qui l'avait élevée? Mais outre une complaisance peut-être
que, dans la faiblesse de son affection, il eut pour des goûts
qu'elle avait naturellement pris dans sa famille et près de
lui-même, il dut lui sembler qu'il ne rendrait pas tout com-
mun entre eux, s'il la laissait étrangère à l'art auquel il
s'était entièrement consacré, et qu'il avait fait inséparable
de ses plus glorieux travaux. Tout cela se comprend, mais
le vouait presque infailliblement au supplice de ne pouvoir
jamais fixer chez lui le respectable bonheur dont il était
digne, ni le repos réclamé par ses fatigues.
Voici quelle fut la journée des fêtes royales où l'on veut
qu'il ait entrevu les épreuves qui lui étaient réservées.
Ce fut la seconde, celle du 8 mai^. A huit heures du soir,
on y représenta la Princesse d Èlide, dont le sujet était em-
prunté à une comédie espagnole de Moreto. Il avait dû se
hâter, afin que le roi ne faillît pas attendre. La pièce ce-
pendant avait été commencée en vers, avec l'espérance de
la pouvoir achever; mais le temps manqua; et lorsque les
vers du premier acte et une quarantaine de la scène pre-
mière du second étaient faits, un commandement du roi
pressa le travail; force fut, pour finir vite, de faire changer
1. C'est la vraie date. L'édition de 1682 la donne. Le Registre
de La Grange donne à tort celle du 6 mai, ajoutée en interligne.
MoLlÈKE, X ao
3oG NOTICE BIOGRAPHIQUE
de ton et de couleur au dialogue, continué en prose. Il est
resté en cet état, Molière sentant bien que sa comédie ap-
partenait au roi telle qu'il la lui avait fait entendre à Ver-
sailles, et n'ayant pas d'ailleurs songé cette fois à travailler
pour la gloire. Malgré tout, son léger ouvrage n'était pas
sans agrément, et il y avait mis une galanterie qui ne put
manquer de plaire. Dès la ])remière scène, le gouverneur
du prince, héros de la pièce, donne à son élève, épris de
la princesse d'Elide, les encouragements les plus assurés
d'être bien reçus, et qui n'allaient pas seulement à l'adresse
de l'amoureux Euryale :
Je dirai que l'amour sied bien à vos pareils,
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage
De la beauté d'une âme est un clair témoignage,
Et qu'il est malaisé que sans être amoureux
Un jeune prince soit et grand et généreux,
et autres variations sur ce joli thème. Pour être juste, il
faut se souvenir que, dans une œuvre autrement grave, le
gouverneur du chaste Hippolyte lui conseille d'essayer si
l'amour n'a pas quelque douceur, et de ne pas toujours
écouter un farouche scrupule'. C'était donc le goût du
temps, et si Racine l'a flatté, il ne peut être soupçonné d'un
autre genre de flatterie dans sa ti^agédie de 167^. Une co-
médie n'était pas tenue à plus de sévérité que la moins éloi-
gnée de l'esprit chrétien entre toutes nos tragédies profanes.
Mais nous ne voudrions pas plaider l'innocence de Molière.
On savait Louis XIV amoureux et, comme le dit Voltaire,
« parmi tous les regards attachés sur lui, ne distinguant que
ceux de Mlle de la Vallière «. Les vers qui louent la ten-
dresse de cœur comme « une grande marque » chez un
souverain, avaient donc un à-propos plus adroit que digne
d'approbation. Molière, qui joua dans la pièce le rôle de
Moron, ce plaisant, qui sert avec grand zèle et beaucoup
d'esprit la passion du prince d'Ithaque, risquait de faire
dire qu'il n'était pas sans ressemblance avec son person-
nage. Ce qui seul laisserait, jusqu'à un certain point, hésiter
I. Phèdre^ vers iig-iaS.
SUR MOLIÈRE. 807
sur un jugement sévère, c'est que presque tout le grand
siècle s'est rendu coupable d'indulgence pour les amours
privilégiées du monarque olympien.
Que Molière ait eu des raisons de se demander si les
fêtes, dans l'esprit desquelles il n'était que troi) bien entré,
n'avaient pas été plus galantes qu'il n'eût souhaité, et que
le succès trop vif de sa femme l'ait inquiété, rien de plus
vraisemblable; mais on ne s'est pas contenté de nous ap-
prendre que Mlle Molière, dans ces journées de l'Ile en-
chantée, avait enflammé maint cœur, sans en marquer assez
de déplaisir; nous avons déjà dit un mot d'une tradition
qui, sortie du pamphlet de la Fameuse Comédienne , l'accuse
bien plus gravement, et ne lui donne pas, à ce moment-là,
moins de trois amants. Bazin a fait remarquer' que le libel-
liste a fabriqué son conte avec tant de légèreté qu'il a placé
les célèbres divertissements, non à Versailles, mais à Cham-
bord, et n'a pas pris garde que des trois amants nommés
par lui, Lauzun, Guiche et l'abbé de Richelieu, les deux
derniers étaient hors de France quand furent données les
fêtes royales de mai 166',.
Ceux qui ont contesté l'exactitude de ces alibi ont été
réfutés par la citation de dates certaines-. L'abbé, comte
de Richelieu, était parti au mois de mars 16G', pour guer-
royer contre les Turcs, dans le corps auxiliaire envoyé à
l'empereur par Louis XIV. Il se distingua à la bataille de
Saint-Gothard, livrée le i" août; et, la guerre terminée,
il alla offrir ses services à Venise, où il mourut le 9 janvier
i665. Guiche était en Pologne depuis la fin de iG63, et ne
saurait en être revenu le 8 mai i66'i, jour où la Princesse
cCÉlide fut jouée à Versailles, puisque son arrivée à Var-
sovie est constatée à la date du 2 mai. Mais, a-t-on dit,
on le trouve du moins à Fontainebleau, quand on y repré-
senta quatre fois la même comédie, devant le légat, entre
1. Isoles historiques sur la vie de Molière, p. ()6.
2. Dans un article inséré le 24 m^i 1879, au journal le Gaulois,
sous ce titre : Madame Molière. Il est de M. Auguste Vitu. Nous
ne pouvions faire mieux que de nous laisser guider par ses re-
cherches.
3o8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
le 21 juillet et le i3 août i66',*. C'est en effet de ce séjour
de la cour à Fontainebleau que parle sans doute Mme de la
Fayette*, lorsqu'elle nous montre la jeune belle-sœur du
roi et le comte de Guiche dansant dans une môme entrée
du ballet « le plus agréable qui ait jamais été ». Qu'est-ce
à dire cependant? Nous voyons, dans ce récit, Guiche si
passionnément empressé auprès de Madame que ce pour*
rait bien être un autre genre d'alibi à faire valoir pour
l'écarter, lui aussi, de notre chemin. Au reste le pamphlet
lui attribue beaucoup d'indifférence pour la comédienne; et,
à l'en croire, c'était elle qui était folle de lui, et lui écri-
vait un tendre billet, dans le temps même où, découragée
par ses froideurs, elle s'était jetée dans les bras de Lauzun.
Après les autres mensonges, celui-ci ne nous trouvera pas
crédule. Dans ce tissu de méchancetés, si maladroitement
brodé, le très mince fond de vérité que l'on pourrait trou-
ver est l'éveil donné par les représentations de la Princesse
cTÉlide aux instincts de coquetterie de Mlle Molière, et l'on
risque peu de se tromper en datant de ce moment-là les
inquiétudes jalouses de son mari. Au dire de Grimarest^,
les galants commencèrent de très bonne heure à la pour-
suivre de leurs cajoleries. S'il restait quelques doutes, ce
serait seulement sur le jour où les chagrins de Molière
commencèrent : il est trop certain que son ménage ne fut
pas heureux, et que dans ses peines, bien connues des
contemporains, tout ne peut pas avoir été imaginé.
Si la tradition n'avait pas rendu fameuses les représenta-
tions à la cour de la Princesse d' Elide en y plaçant les pre-
miers symptômes d'un grand trouble dans le ménage de
Molière, cette comédie, improvisée par ordre et dont une
partie est restée à l'état d'ébauche, serait, parmi ses ou-
vrages, un de ceux dont il aurait fallu parler le plus briève-
ment, se contentant de dire que vingt-cinq représentations
en furent données à la ville, et qu'elle y fut jouée pour la
1. Registre de La Grange, p. 66.
2. Hiitoire de Madame Henriette d^ Angleterre (édition in-ia d'Am-
sterdam, 1743)» P- 61 et 6a.
3. La fie de 31. de Molière, p, 68.
SUR MOLIERE. Soq
première fois le 9 novembre 1664, puis, sans interruption,
jusqu'au 4 janvier i665. La musique et la danse l'avaient
soutenue. Par la suite, elle ne fut pas reprise du vivant de
l'auteur.
Ce n'est pas elle qui va nous retenir dans le récit des
brillantes journées de mai 1664, c'est une œuvre d'une va-
leur tout autre, c'est un des plus mémorables événements
littéraires, qui s'est glissé, on aurait pu croire subreptice-
ment, au milieu des divertissements de la cour galante.
Voici comment l'annonce le Registre de La Grange, dans
rénumération des pièces représentées à Versailles pendant
les trois jours des fêtes de mai : « La Princesse d'Elide fit
une journée. — Plus les Fâcheux, [/e] Mariage force'. — Et
trois actes du Tartuffe, qui étoient les trois premiers'. «
Voltaire, dans le chapitre déjà cité du Siècle de Louis XIV ,
où il donne une si haute idée des Plaisirs de l'Ile enchante'e.
a très bien dit : « Ce qu'il y eut de véritablement admirable,
ce fut la première représentation des trois premiers actes
du Tartuffe. Le Roi voulut voir ce chef-d'œuvre avant même
qu'il fût achevé La plupart de ces solennités brillantes ne
sont souvent que pour les yeux et les oreilles. Ce qui n'est
que pompe et magnificence passe en un jour; mais quand
des chefs-d'œuvre de l'art, comme le Tartuffe, font l'orne-
ment de ces fêtes, elles laissent après elles une éternelle
mémoire. «
Si, dans l'immortelle comédie, on ne voulait voir que la
question d'art, ce serait assez pour proclamer très grand
le premier jour où se révéla une partie de ses beautés.
Quoique pour tous, même pour ses ennemis, Molière, avant
son Tartuffe, fût déjà « le Peintre 5-, il n'avait pas encore
dessiné un portrait aussi merveilleusement achevé, poussé
aussi loin une j)rofonde et dramaticjue étude de caractère.
Il n'a même produit, sous ce rapport, rien d'égal dans les
œuvres qui ont suivi, et parmi lesquelles, s'il est certain que
l'on en trouve à citer de non moins admirables, c'est pour
d'autres mérites.
Mais Tartuffe ne marque pas seulement une des plus cé-
I. Registre de La Grange, p. 65.
3io NOTICE BIOGRAPHIQUE
lèbres dates dans les annales de notre littérature théâ-
trale : par sa hardiesse, qui dépassait de beaucoup tout ce
que Molière avait osé jusque-là, il fait époque dans l'histoire
de sa vie, dans celle même du règne.
En s'attaquant à l'hypocrisie de dévotion, Molière, averti
déjà par les colères qu'avait provoquées une de ses comé-
dies précédentes, prévoyait certainement les fureurs puis-
santes qu'il allait soulever, et qui s'efforceraient de lui faire
perdre la faveur et la protection du roi. Sur quels brûlants
charbons il marchait, il le savait trop pour se faire l'illusion
que la vraie piété ne se sentirait pas elle-même offensée ; car,
il ne faut pas le nier, les railleries du théâtre ne peuvent
guère frapper si rudement le masque sans atteindre de quel-
ques coups le visage. Si l'auteur avait dit aux dévots : « ce
n'est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos épau-
les », il aurait été naturel qu'ils répondissent à son excuse,
comme Géronte à celle de Scapin : « Tu devois donc te re-
tirer un peu plus loin, pour m'épargner'. » Nous ne croyons
pas qu'il eût été facile à Molière, dans le sujet qu'il avait
choisi, de frapper avec tant de précaution, et de ne laisser à
quelques-unes des grimaces de Tartuffe aucune ressemblance
avec les pratiques du zèle sincère. On ne touche pas à de
faux semblants sans que le blâme paraisse bien près des
excellentes choses qu'ils contrefont. Personne, il est vrai,
n'oserait se plaindre de ce qui a été écrit contre « les
hypocrites qui aiment à se tenir debout, en priant dans les
synagogues et aux coins des rues- ». Mais un auteur co-
mique, dont la mission n'est pas de prêcher, et qui ne se
sert, pour combattre le vice, que de l'arme peu évangélique
du ridicule, s'expose au soupçon de ne l'avoir pas voulu
tourner contre les seuls pharisiens. Il est peu croyable que
Molière ne s'en soit pas rendu compte.
C'est ici le lieu de répéter ce que nous avons déjà dit,
que rien dans ce que nous savons de lui n'autorise à le
taxer d'impiété et à lui imputer un dessein formé de faire la
1. Les Fourberies de Scapin, acte III, scène ii, tome VIII,
p. 495.
2. Saint Mathieu, chapitre vi. verset 5.
SUR MOLIERE. 3ii
guerre aux croyances chrétiennes. Toutefois, son éducation
philosophique, ses liaisons avec des hommes qui passaient
pour incrédules, ne jjermetlaient guère de douter qu'il ne
fût du moins un esprit très lihre. On lui savait d'ailleurs de
la rancune contre la dévotion, étant un de ces comédiens
que les rigoristes tenaient alors pour des réprouvés. Per-
sonnellement, il avait eu à se plaindre du zèle pieux de son
ancien protecteur, le prince de Conti, et des entours de ce
converti. Les dévots s'étaient déchaînés contre lui à l'occa-
sion de quelques hardiesses de son École des femmes. A plu-
sieurs des attaques que nous avons vues dirigées de bien des
côtés contre cette pièce, l'hypocrisie avait pris part. Mo-
lière regarda dès lors ce vice comme son particulier en-
nemi, et se promit de ne pas le laisser impuni.
Est-il nécessaire, dira-t-on, d'expliquer ainsi son entre-
prise, lorsqu'il put avoir simplement jugé très heureux
pour être mis sur la scène un sujet agréablement traité
déjà dans des Nouvelles, qui n'avaient point paru de dan-
gereux complots? Personne n'ignore qu'il a imité les Hypo-
crites de Scarron, imprimés en i6jj, peut-être plus di-
rectement la Fille de Ce'lestine [la Hjja de Celestina] de
Barbadillo', d'où Scarron avait tiré ses Hypocrites. On a
récemment découvert que Molière avait aussi puisé assez
abondamment dans le roman de Polyandre ^1648), attribué à
Charles Sorel -. Ces imitations, comme toutes celles qu'on
a relevées dans ses autres pièces, ne sauraient faire de ce
génie original un plagiaire ; mais ce qu'on doit surtout remar-
quer ici, c'est que les satires de riiy|)ocrisie qui ont fourni
1. M. Eugène de Roberville, sous le pseudonyme de P. d'A-
glosse, a pul)Ué en i888 une brochure intitulée : Molière, Scarron
et Barbadillo, dans laquelle il a traduit le fragment de la nouvelle
espagnole, dont beaucoup de traits en rappellent de tout sem-
blables dans Tartuffe. Il dit avec raison que [Molière était familier
avec la langue espagnole, et l'a plus d'une fois prouvé, notam-
ment dans la Princesse d'Élide et dans le Festin de Pierre.
2. Voyez, dans le Molicriste de juillet et d'août 1888, deux
articles de M. Georges Monval, qui s'est le premier avisé de cette
source. Les rapprochements qu'il a faits entre Polvandre et Tar-
tuffe sont frappants.
3ia NOTICE BIOGRAPHIQUE
quelques traits à son Tartuffe étaient comme perdues dans
ces légers ouvrages dont elles n'avaient pas été le dessein
principal. Il était au contraire difficile de ne pas recon-
naître que Molière avait voulu faire de sa comédie une ma-
chine de guerre.
Il ne se dissimulait pas que la place attaquée serait trouvée
en défense et toute prête à lui opposer des forces redou-
tables; mais il avait des raisons d'espérer que le coup d'au-
dace par lequel il allait exciter de si grosses tempêtes
n'était pas pour déplaire au roi. Les passions du jeune souve-
rain, dans toute leur effervescence en ce temps-là, souffraient
impatiemment tout ce qui prétendait les gêner. Louis XIV,
toutefois, s'il était alors très loin du zèle religieux que plus
tard il devait si peu modérer, était le roi très chrétien,
gardait au fond du cœur le respect de la religion, et com-
prenait d'ailleurs le devoir de ne pas laisser dans l'Etat
affaiblir ce respect. On comprend donc facilement et qu'il
n'ait pas tout d'abord désapprouvé le Tartuffe, et que
bientôt il ait craint de le trop soutenir, après avoir entendu
tant de voix en dénoncer le danger. Ainsi devint inévitable
la longue lutte où Molière se trouva engagé. Elle eut bien
des péripéties depuis les fêtes de Versailles jusqu'au jour
qui vit son opiniâtreté courageuse faire prendre victorieu-
sement possession de la scène au chef-d'œuvre proscrit.
Il est invraisemblable que la représentation du 12 mai
1664 ait été une surprise, et que, si le roi ne connaissait
point la pièce par une lecture, on ne lui en eût pas du
moins soumis le sujet. Lorsqu'il permit de la représenter,
elle était inachevée, ce qui aurait pu paraître trahir chez
l'auteur le dessein d'abuser de la circonstance saisie à la
hâte, s'il n'avait pas fallu donner à la fête, qui ne devait
pas attendre, tout ce qu'on avait de prêt. Plus de la moitié
des vers de la Princesse d'Élide restés au bout de la plume
expliquent suffisamment le Tartuffe s'arrêtant au milieu de
l'action. Il est probable que Molière ne fut pas fâché de
faire désirer la suite, et de profiter d'une si naturelle occa-
soin de tâter le terrain.
Dans la Relation des Plaisirs de t Ile enchantée [dernières
fournees\ il est dit que la pièce fut « trouvée fort diver-
SUR MOLIERE. 3i3
tissante' » ; et Molière, dans sa Préface, qui est de 1669,
oppose aux diatribes de ses ennemis « le jugement du Roi et
de la Reine, qui l'ont vue* ». Il ne l'eût point osé faire, s'il
n'eût pas reçu des marques de cette haute approbation.
Nous tenons ainsi de lui-même ce que nous avions de plus
intéressant à connaître delà soirée du 12 mai 1664. U n'en
est pas moins regrettable de n'avoir rien appris de plus sur
cette fameuse représentation; mais tout le monde, voyant
s'amasser tout à coup des nuages menaçants, jugea prudent
de rester bouche cousue, et de se faire, comme disait alors
Lorét, « disciple de Pythagoras^ ».
Ce silence discret fait comprendre que nous n'ayons pu
savoir par aucune relation semblable à celle de 166^^ en
quel état furent joués, dans les fêtes, les trois jiremiers actes
du Tartuffe. C'est de quoi l'on ne prend pas facilement son
parti.
Il est fâcheux aussi, quoique beaucoup moins, d'être
privé d'informations tout à fait certaines sur la distribution
des rôles. On a cru qu'elle ne pouvait être l'objet de
doutes^, les acteurs qui jouèrent la pièce en 1667 faisant
déjà partie de la troupe en 1664. La vraisemblance en effet
s'oflVe d'abord à l'esprit que ce sont bien les mêmes qui, à
Versailles, ont créé les rôles. On ne peut avoir d'incertitude
sur ceux d'Orgon et de Tartuffe, joués celui-ci par du
Croisy, celui-là par Molière. Mais fut-ce bien Mlle Molière
qui fit, comme plus tard, celui d'Elmire, pour lequel peut-
être elle était bien jeune, et qui aurait mieux convenu, ce
semble, à Mlle du Parc? Ce rôle demande un art consommé,
et, pour le confier à sa femme, Molière pouvait-il assez
compter déjà sur elle? L'avoir chargée, dans ces mêmes
fêtes, de celui de la princesse d'Elide, on le comprend
mieux. Il est vrai que la grande scène de l'acte IV de Tartuffe
I. Tome IV de notre édition, p. -xZi.
a. Ibidem .^ p. 3^4-
3. Lettre en vers du 24 mai 1664.
4- On la trouve dans la Lettre sur la comédie de Vlmposteur.
5. Nous l'avons dit nous-même, au tome IV, p. 335. U nous
semble maintenant que c'était un peu hasardé.
3i4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
n'était pas encore faite; toutefois la troisième de l'acte III a
certainement un peu de la même difficulté. Ceux qui n'ad-
mettront pas nos doutes pourront sappuyer sur ces vers
de la première scène :
cet état rue blesse
Que vous alliez vêtue ainsi qu'une princesse.
Quiconque à son mari veut plaire seulement.
Ma bru, n'a pas besoin de tant d'ajustement^.
Ils diront que, peu d'accord avec l'idée que le reste de
la pièce donne du caractère d'Elmire, Molière n'a pu les
écrire qu'en vue de sa femme, et pour lui donner une leçon.
La conjecture n'est pas sans quelque vraisemblance; mais,
dans la comédie, que nous n'avons pas telle qu'elle fut
d'abord, ces vers ne peuvent-ils avoir été ajoutés par la
suite?
Pour revenir k ce qui est incontestable, au succès de la
représentation à Versailles, il n'empêcha pas les clameurs
d'éclater sans perdre de temps. Rien ne fut épargné pour
faire sentir au roi qu'on lui avait dissimulé les perfides
intentions de la comédie. On le supplia de protéger la piété,
méchamment enveloppée dans le ridicule qui était jeté sur
sa contrefaçon. Pouvait-il fermer l'oreille aux ardentes ré-
clamations qu'appuyait M. de Péréfixe, son ancien précep-
teur, puis son confesseur, et, ce qui était d'un plus grand
poids, alors archevêque de Paris? Louis XIV, pour leur
accorder quelque satisfaction, dut ne pas donner la per-
mission de produire le Tartuffe en public. Dès le 17 mai,
la Gazette, exagérant les scrupules, peu spontanés, de la
conscience royale, fit l'éloge du souverain qui, en imposant
la signature du formulaire, venait de justifier son glorieux
titre de fils aîné de l'Eglise, et naguère encore avait fait
voir comme il soutenait ce nom, « par ses défenses de re-
présenter une pièce de théâtre, intitulée l'Hypocrite, que
Sa Majesté, pleinement éclairée en toutes choses, juge
absolument injurieuse à la religion, et capable de produire
de très dangereux effets », Pour insérer ces lignes dans la
I. Vers 29-3-2. Voyez aussi les vers 87-9U.
SUR MOLIERE. 3i5
Gazette, on aL\ ait profité de l'éloignement du roi, qui, après la
fête de Versailles, était parti pour Fontainebleau, où il fit
un assez long séjour. Ce fut là que Molière alla lui présen-
ter ses doléances. Pour plaider la cause de sa pièce, il avait
fuit plusieurs voyages à Fontainebleau avant le 24 mai,
comme Loret nous l'apprend dans sa lettre de cette date :
Un quidam m'écrit
Que le come'dicn Molière
Avoit fait quelque plainte au Roi.
Sans m'expliquer trop bien pourquoi,
Sinon que sur son Hypocrite,
' Pièce, dit-on, de grand mérite,
Et très fort au gré de la cour,
Maint censeur daube nuit et jour.
Aûn de repousser l'outrage.
Il a fait coup sur coup voyage,
Et le bon droit représenté
De son travail persécuté.
Il ne faut pas confondre ces doléances avec le premier
placet qu'il adressa au roi peu après, et dont nous parle-
rons tout à l'heure. Loret dit n'avoir pas appris quel fut le
succès des plaintes portées à Fontainebleau, Nous savons
qu'elles n'obtinrent pas la permission sollicitée; mais comme
on va voir le roi tempérer beaucoup la rigueur de l'inter-
diction, il n'est pas douteux qu'il n'ait accueilli Molière avec
bonté, et sans lui refuser de bienveillantes paroles propres
à lui rendre espoir.
Deux mois après, la troupe de Molière fut appelée au pa-
lais de Fontainebleau. Elle y était depuis le 21 juillet ^
lorsqu'y arriva, le 28 -, le cardinal Chigi, légat a latcre.
envoyé par le pape Alexandre VII, son oncle, pour appor-
ter au roi de France les satisfactions qu'il avait exigées au
sujet de l'insulte faite à l'ambassadeur, duc de Créqui. Le
I. Registre de La Grange, \>. 66.
a. La Muse historique, lettre du 1 août 1664, et Gazette de même
date.
3i6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
légat assista, le 3o, à la représentation d'un ballet, qui était
celui de la Princesse d'Élide. La Gazette du 2 août dit qu'il
trouva le spectacle « tout à fait agréable et digne d'une
cour si galante* ». Lui voyant l'esprit si libre, et tant de
complaisance à entrer dans les goûts du roi pour la comé-
die, Molière ne craignit pas de solliciter l'honneur de lui
lire le Tartuffe. C'était comme un adroit appel à Rome de
la condamnation de sa })ièce par des prêtres et des prélats
français. Il fallait être persuadé que ce hardi recours ne
déplairait pas au roi.
Dans le temps même qu'il trouvait à opposer à ses cen-
seurs la tolérance du légat, un curé de Paris, celui de
Saint-Barthélémy, préparait contre lui un très violent écrit,
le Roi glorieux au monde. Il est daté du temps où Louis XIV
était encore à Fontainebleau-. Dans son libelle, Pierre
Roullé (c'était le nom du terrible curé'i appelait Molière
« un démon vêtu de chair et habillé en homme «, qui mé-
ritait un supplice exemplaire, et « le feu même, avant-coureur
de celui de l'enfer «, en punition de sa comédie sacrilège.
Il prétendait que le roi lui avait « ordonné, sous peine de
la vie, d'en supprimer et déchirer, étouffer et brûler tout
ce qui en étoit fait « . C'était se montrer bien mal informé. Loin
d'avoir songé à une pareille rigueur, il paraît bien établi
que, si Louis XIV n'ordonna pas, comme on l'a dit, la sai-
sie et la destruction de l'écrit du curé, il en témoigna sa
désapprobation par une sévère réprimande. Molière, soit
avant de quitter Fontainebleau, soit peu après, lui adressa
le premier de ses placets, où il lui parle des violentes atta-
ques de Pierre Roullé avec une chaleur d'indignation qui
témoigne de sa confiance dans la toute-puissante protec-
tion. Il rappelle la déclaration que Sa Majesté avait faite
qu' « Elle ne trouvoit rien à dire dans cette comédie qu'Elle
lui défendoit de produire en public «.
1. Il est fort possible qu'on lui en ait donné le plaisir quatre
fois, comme le dit le Registre de La Grange (p. 66): car il ne quitta
Fontainebleau que le 6 août.
2. Il en était revenu avant le 16 août. Ce doit avoir été très
peu avant ou après la troupe, qui avait quitté Fontainebleau
le i3.
SUR MOLIERE. 817
La sévérité de la défense fut en effet tempérée par de
remarquables adoucissements. Au défaut des représenta-
tions, interdites au théâtre, il y eut de fréquentes lectures
de la pièce, dont le tout-puissant maître de l'Etat ne s'in-
quiéta pas, comme s'il voulait donner raison au vers :
Il est avec le ciel des accommodements.
Dès le 26 août 1664, l'auteur du Tartuffe (ut invité à faire
une de ces lectures chez une des amies de Port-Royal. Au
moment seulement où elle allait commencer, on s'avisa que
le jour était mal choisi, étant celui qui vit enlever à Port-
Royal de Paris ses mères et ses religieuses.
Plus encore que les lectures tolérées par le roi, des re-
présentations de la pièce données chez les princes, mon-
trèrent qu'on ne voulait pas tenir les yeux trop ouverts.
L'édition de 1682 constate' que « les trois premiers actes
de cette comédie ont été représentés, la deuxième fois, à
Villers-Cotterets, pour S. A. R. Monsieur..., qui régaloit
Leurs Majestés et toute la cour, le aî'^ septembre... 1664. »
La Gazette du 27 septembre a soin de dire que le roi re-
vint de Villers-Cotterets le 24. Loret croit que ce fut seule-
ment le 25 :
Le Roi revint, dit-on, jeudi-.
Si cela était (mais le dit-on marque de l'incertitude),
Louis XIV, à la rigueur, aurait pu revoir, dans la journée,
les trois actes joués à Versailles. Le plus vraisemblable est
qu'il ne voulut pas autoriser par sa présence la hardiesse
qu'on se permettait, à la demande sans doute de Madame.
Laisser la place libre marquait déjà bien assez de connivence.
Il est évident que le frère et la belle-sœur avaient la cer-
titude de ne pas se faire accuser de désobéissance.
Il faut que Condé n'ait pas craint davantage d'être en
faute, lorsque, le 2g novembre de la même année, il de-
t. Voyez aussi le Registre de La Grange, p. 67.
2. La Muse historique, lettre du 27 septembre 1G64. Le jeudi
était le 25 septembre.
3i8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
manda que le Tartuffe fût joué au Raincy, chez la belle-mère
de son fils, la Princesse Palatine, très peu dévote en ce
temps-là. Cette représentation est fameuse, comme une
preuve frappante que l'on ne croyait pas la pièce à jamais
proscrite, et que Molière lui-même n'était pas tant décou-
ragé, puisque la plume, qui avait eu à l'achever, n'était pas
tombée de sa main. Voici le témoignage du Registre de La
Grange : « Le samedi 29'' novembre, la troupe est allée au
Raincy, maison de plaisance de Mme la princesse Palatine,
près Paris, par ordre de Mgr le prince de Condé, pour y
jouer Tartuffe en cinq actes'. >> Le même fait est affirmé
aussi expressément qu'on peut le désirer dans l'édition de
1682 : « Cette comédie parfaite, entière et achevée en cinq
actes, a été représentée, la première et la seconde fois, au
château du Raincy..., pour S. A. S. Monseigneur le Prince,
les içf novembre i66'f et 8^ novembre... i66j, et depuis
encore au château de Chantilly, le 20^ septembre 1G68*. »
Se faire jouer la pièce « parfaite et entière », quand le roi
n'en avait vu à Versailles que trois actes, Condé, qui n'était
plus un frondeur, pouvait-il croire que, sans parler de la
désobéissance, ce ne fût pas blesser le respect, s'il ne s'était
assuré que l'on voudrait bien tout ignorer?
On a plus d une fois la surprise de voir les faits les mieux
attestés être mis en doute par la découverte inattendue de
nouveaux documents. Lorsque se préparait, pour le 8 no-
vembre i665, une seconde représentation de Tartuffe au
Raincy, M. le Duc écrivit en octobre à un homme d'affaires
de son père un billet que Mgr le duc d'Aumale a trouvé
dans les archives de Chantilly, et qu'il a fait connaître le
i" septembre 1881. Ce billet^ avertissait que le prince de
Condé, qui irait au Raincy le lendemain de la Saint-Hubert
(c'est-à-dire le ', novembre^ y voudrait faire jouer les Me'-
1. Registre de La Grange, p. 69.
2. Le Registre, p. 78 et 98, mentionue ces deux représenta-
tions, mais là sans parler des cinq actes. A chacune des trois re-
présentations, la troupe reçut la même somme, cent pistoles d'or
(iioo livres).
3. On en trouvera le texte entier dans le Moliériste d'octobre
1881, p. 199.
SUR MOLIERE. 819
decins et aussi le Tartuffe, et taisait dire à Molière de tenir
prêtes ces deux comédies*. « Si le quatrième acte de Tar-
tuffe étoit fait, demandez-lui s'il ne le pourroit pas jouer.
Et ce qu'il faut lui recommander particulièrement, c'est de
n'en parler à personne, et l'on ne veut point que l'on le
sache devant que cela soit fait. »
Comment donc, en novembre 1664, la pièce, suivant des
témoignages qu'on ne peut pas soupçonner d'erreur, avait-
elle été jouée en cinq actes au Raincy, lorsque, là même,
un an après, on en était encore à demander si le quatrième
acte était achevé et prêt à être joué? Une solution très
vraisemblable a été proposée^ de l'étrange difficulté. D'im-
portants changements avaient sans doute été désirés dans
l'acte IV, le seul dont le duc d'Enghien s'informe dans sa
lettre. C'est dans cet acte que se trouve la fameuse scène''
de la tentative amoureuse de l'hypocrite. Peut-être, dans
la représentation donnée au Raincy l'année précédente,
avait-on remarqué la nécessité de quelques remaniements
pour faire accepter des hardiesses que, dans notre igno-
rance des retouches successives faites à la pièce, il est per-
mis de supposer plus fortes d'abord qu'elles ne l'ont été de-
puis. Sur la scène un peu inquiétante pour les spectateurs,
ou sur d'autres du même acte, Condé aurait donné des con-
seils; et il voulait savoir si le travail de refonte était achevé.
C'est aussi, d'après ses avis, dit-on, que fut ajoutée, dans
le premier acte, la belle tirade sur la comparaison de la
fausse et de la vraie dévotion, que Molière avait d'abord mise
dans la bouche de Dorine, et qui est aujourd hui dans celle
de Cléante. Le prince tenait à prémunir de plus en plus
contre les attaques une comédie dont il s'était fait un des
1. Celle qu'on appelait les Médecins, aujourd'hui connue sous
le titre de V Amour médecin, fut jouée pour la première fois à Ver-
sailles le 14 septembre i665. Vojez ci-après, p. 332.
2. Par M. Régnier, alors retiré du théâtre, après avoir été un
des plus distingués sociétaires de la Comédie Française. C'est
dans le journal le Temps du 8 octobre 1881, qu'il a discuté le cu-
rieux problème. Le Moliériste du mois de novembre suivant a re-
produit son article aux pages 2!J7-a34.
3. Aujourd'Iiui la cinquième.
320 NOTICE BIOGRAPHIQUE
plus chauds défenseurs. Molière dit dans sa Préface que huit
jours après l'interdiction du Tartuffe, comme on avait joué
devant la cour Scaramouche ermite, le roi, en sortant, de-
manda à « un grand prince « jiourquoi les gens qui se scan-
dalisaient si fort de la comédie de Molière ne disaient mot
de celle de Scaramouche. « La raison de cela, répondit le
Prince, c'est que la comédie de Scaramouche* joue le ciel et
la religion, dont ces messieurs ne se soucient point; mais
celle de Molière les joue eux-mêmes : c'est ce qu'ils ne peu-
vent souffrir. » Ce grand prince était le grand Condé. Sa vive
et spirituelle remarque, si Molière l'a exactement datée de
la semaine qui suivit la défense de représenter le Tartuffe,
ne saurait être que de 1664; car, lorsque la pièce fut inter-
dite une seconde fois, le 6 août 1667, le roi, depuis deux
mois, était en Flandre, dont il ne revint que dans les pre-
miers jours de septembre. Ce serait, on le voit, dès la nais-
sance de la pièce que le héros aurait témoigné l'intérêt
qu'il y portait. Sa manière de penser offrit un contraste
complet avec celle de son frère, le prince de Conti.
Entre les deux représentations données au Raincy, l'une
en novembre 1664, l'autre dans le même mois de l'année
suivante, se place, au Palais-Royal, celle du Festin de Pierre,
qui est du i5 février i66j, lorsque Molière n'était pas en-
core venu à bout des entraves qui arrêtaient la représenta-
tion publique du chef-d'œuvre dénoncé comme scandaleux.
Le Festin de Pierre ne put laisser de doutes sur sa ferme
résolution de ne pas désarmer; et par là cette comédie ap-
partient trop à la lutte que nous avons commencé à racon-
ter, pour que nous ne nous y arrêtions pas, avant de suivre
les aventures du Tartuffe jusqu'à leur dénouement éphé-
mère de 1667, puis jusqu'à leur vrai dénouement en 1669.
Une fois rentrés, avec la comédie de 1665, dans l'ordre des
dates, il faudra parler des autres nouvelles œuvres de notre
auteur représentées dans le temps qu'il attendait encore la
délivrance de celle qui restait prisonnière d'Etat, et aussi
I. La comédie, simple canevas probablement, était peut-être
de Scaramouche lui-même. On a eu la sottise de l'attribuer à
Molière.
SUR MOLIERE. Sai
des faits les plus marquants de sa vie qui ont rempli Tassez
long intervalle.
Lorsque Molière fit jouer le Festin de Pierre, neuf mois
s'étaient écoulés depuis la représentation à Versailles du
Tartuffe inachevé, sans qu'il eût prouvé qu'il n'entendait
pas cesser de travailler pour le théâtre. Quelle que soit la
puissante originalité de la pièce, par laquelle il reparut dans
la carrière, nous ne croyons pas qu'elle lui ait demandé beau-
coup de temps. Il s'est contenté de l'écrire en prose : ce
peut être une preuve qu'il la composa rapidement. Bien
qu'il ne faille pas oublier son Tartuffe à terminer, il s'était
ce semble, moins pressé que de coutume de se remettre
au travail. On est porté à se l'expliquer par le découra-
gement dont, au reste, il eut un second accès après sa dé-
ception de 1667, et qu'il n'a pas alors dissimulé dans son
deuxième placet au roi : « Il ne faut plus que je songe à
faire de comédie, si les tartuffes ont l'avantage*. >> Mais s'il
n'est pas sans vraisemblance que dès le premier succès de
ses ennemis il avait un moment pensé à briser sa plume,
jusqu'à ce qu'il eût obtenu satisfaction, persévérer dans ce
dessein n'était pas facile, lorsque son génie lui criait impé-
rieusement : Marche! marche toujours! et lorsque d'ailleurs
le roi, par ses ménagements, laissait la porte ouverte à
l'espérance. Il sut trouver dans un sujet que, dans l'intérêt
de sa troupe, on lui demandait instamment de traiter, l'oc-
casion de faire sa rentrée comme auteur, sans donner lieu
de croire qu'il capitulât. Il ne consentit en effet à mettre à
son tour sur la scène la légende empruntée à Tirso de Mo-
lina, dont s'étaient emparés ses rivaux de l'Hôtel de Bour-
gogne et les comédiens italiens, et qu'ils avaient mis fort
à la mode, qu'en se proposant d'y montrer que, loin d'a-
bandonner le champ de bataille à la ligue formée contre
lui, elle allait le retrouver sur la position dont elle s'était
flattée de l'avoir délogé. A l'auteur espagnol le châtiment
miraculeux de Don Juan avait inspiré un drame d'intention
édifiante. Rien ne pouvait être changé au dénouement sur-
naturel ; mais, ayant à le préparer par la peinture d'un
I. Voyez notre tome IV, p. 394.
Molière, x *t
322 NOTICE BIOGRAPHIQUE
libertin, d'un esprit fort, Molière fit cette peinture avec
une étrange hardiesse, qui éclate dans de terribles paroles
de son incrédule. Il ne manque pas, il est vrai, de charger
de scélératesse celui qui les prononce ; et il semblait juste
de dire qu'après avoir flagellé la dévotion feinte, une des
formes de l'impiété, il avait voulu imprimer une égale flé-
trissure à cette autre impiété plus franche, qui se joue ou-
vertement du ciel. De plus méfiants purent penser que le
langage d'un sceptique ne lui avait pas été assez pénible à
faire entendre. Après tout, ce langage était bien dans le
caractère du personnage, tel à peu près qu'il l'avait trouvé
chez ses devanciers. Molière s'écarte davantage de leurs
traces dans la scène où, pour mettre le comble, comme dit
Sganarelle*, aux abominations de Don Juan, il lui fait pren-
dre devant son père le masque de l'hypocrisie. Ce n'est
chez le pervers qu'une boutade d'ironie, qui ne donne pas
un sérieux démenti à son ordinaire audace, dédaigneuse
des lâches dissimulations. Y eût-il là cependant une petite
violation de la règle, qu'avant Boileau, Molière connaissait
assez :
Conservez à chacun son jiropre caractère-,
il valait la peine de passer outre pour atteindre son but. Il
fallait absolument imaginer un prétexte à un nouvel acte
d'hostilité contre les hypocrites. Les voilà frappés, et cette
fois en plein théâtre, aussi durement que dans la comédie
dont ils s'applaudissaient de s'être débarrassés. Ils durent
reconnaître la difficulté de faire lâcher prise à l'implacable
adversaire, lorsqu'ils entendirent Don Juan expliquer à son
valet tout le profit à tirer de ce qu'il appelle un « vice à la
mode «, un des vices de ce siècle^. Il n'était pas douteux
que cette éloquente tirade retentirait comme un cri de
vengeance.
Les hardiesses ne manquent pas dans ce Festin de Pierre. Il
en est une à distinguer de celles dont nous venons de par-
I. Acte V, scène ii, p. ipS.
a. Art poétique, chant m, vers ii3.
3. Acte V, scène ii, p. ig3-i95.
SUR MOLIERE. 323
1er. Le noble seigneur dont la pièce nous fait le portrait
n'est plus le marquis ridicule qu'on nous avait fait con-
naître. Satire beaucoup plus grave, Molière l'a peint sous
de noires couleurs. C'est sans doute ce qu'avaient fait aussi
Tirso et ses imitateurs ; mais le nouveau Don Juan a cessé
d'être un Espagnol ; dans sa dépravation finement spiri-
tuelle, et revêtue d'élégance, c'est, à ne pas s'y méprendre,
un de ces courtisans français précurseurs des roués de la
Régence; car il y en avait déjà de ce caractère, qui ne pu-
rent facilement se dissimuler qu'ils avaient servi de mo-
dèles : grande liberté que le peintre avait prise avec eux.
Sur cette merveilleuse comédie, qui est d'un caractère unique
dans l'œuvre de Molière, il y aurait bien d'autres choses
à dire; mais ici l'on doit s'attacher surtout à ce qui en a
fait un des épisodes du combat dans lequel, depuis l'année
précédente, son auteur s'était engagé.
Le dénonciateur des criminelles intentions du Festin de
Pierre ne fut pas cette fois un homme d'Église, mais un
avocat au Parlement, dans lequel on a cru découvrir, sur
d'assez forts indices, le janséniste Barbier d'Aucourt, qui
s'était voulu cacher sous le pseudonyme de Rochemont.
Ses Observations sur la comédie jouée le 1 5 février i665
parurent avec une permission datée du i8 avril suivant. Mo-
lière y est accusé comme « un farceur qui fait plaisanterie
de la religion, qui tient école du libertinage, et qui rend la
majesté de Dieu le jouet d'un maître et d'un valet de
théâtre, d'un athée qui s'en rit et d'un valet, plus impie
que son maître, qui en fait rire les autres ». C'était « à la
face du Louvre, dans la maison d'un prince chrétien »
(c'est-à-dire dans le Palais-Royal, apparemment destiné à
donner de plus édifiantes leçons), que l'on venait renverser
tous les fondements de la religion. Le cardinal Chigi, in-
dulgent pour le Tartuffe, n'échappe pas lui-même à une
verte semonce : « Il semble, à entendre Molière, qu'il ait
un bref particulier du Pape pour jouer des pièces ridicules,
et que M. le Légat ne soit venu en France que pour leur
donner son approbation. » Le passage sur le Moine bourru,
un de ceux qui furent retranchés après la première re-
présentation, est particulièrement cité dans les Observa-
32', NOTICE BIOGRAPHIQUE
tions, avec quelques altérations qui l'aggravent, afin de
donner plus de ])oids à l'accusation d'avoir confondu cette
absurde superstition avec la croyance aux mystères. Le
sieur de Rochemont conclut par l'espoir que le bras « qui
est l'appui de la religion abattra tout à fait ce monstre
{t impiété) et confondra à jamais son insolence ».
Le prince de Conti, dans son Traité de la comédie, ne se
montra pas moins scandalisé du Festin de Pierre, ne voyant
nulle part une école d'athéisme plus ouverte'.
La défense de Molière a été présentée dans deux réponses
aux Observations *, assez habilement dans l'une d'elles, où
l'on remarque surtout une parole du roi, disant à ceux qui
appelaient son attention sur les impiétés débitées par Don
Juan : « Il n'est pas récompensé. » L'apologie est courte,
et n'aurait pas été très accablante pour les censeurs, si
elle n'avait pas été prononcée par une bouche dont les ar-
guments ne souffraient ])as alors de discussion.
Aujourd'hui l'on n'est pas obligé de les tenir pour pé-
reraptoires. Nous avons toute liberté de jugement sur les
intentions de Molière. Souvent on les a voulu faire beau-
coup trop noires ; mais elles ont été assurément celles d'un
homme qui s'était promis de braver les persécuteurs du
Tartuffe en leur prouvant qu'ils ne l'avaient pas fait reculer
dans les hardiesses de sa liberté. Il n'y a pas d'apparence
qu'il ait voulu prêcher l'athéisme. Il nous semble évident,
comme nous l'avons déjà dit^, qu'il a entendu adhérer
au « petit sens », au « petit jugement » de Sganarelle,
malgré la forme risible qu'il a donnée à sa philosophie,
pour qu'elle ne le fasse pas sortir de sa simplicité d'esprit.
Il a toutefois beaucoup osé dans le portrait de son incré-
dule, qui, tout coquin qu'il soit représenté, montre jusqu'à
la fin de brillantes qualités d'esprit et d'audace intrépide.
Diaboliquement séduisant, il paraît ainsi plus vrai et vi-
vant. L'art trouve là son comjjte. Mais de moins intolérants
que Rochemont et le prince de Conti purent être d'avis que
I. Sentiments des Pères de rÉgl'ise, à la suite du Traité, p. 34'
a. Nous les avons insert-cs an tome V, p. 33i-a55.
3. Voyez ci-dessus, p. 6o el (li.
SUR MOLIERE. Sîj
le théâtre, malgré le coup de foudre final, ne montrait pas
sans inconvénient une si brillante peinture du dangereux
scepticisme qui dès lors avait envahi beaucoup d'âmes. La
scène du pauvre, dans laquelle d'ailleurs (il est juste de le
reconnaître) l'honnête mendiant paraît seul grand, est sin-
gulièrement hardie ; et après qu'il a refusé de blasphémer
pour obtenir l'aumône sollicitée par sa faim, le louis d'or
donné « pour l'amour de l'humanité « est un trait qui donne
trop à penser. Il a mérité les applaudissements du siècle
suivant, dont Molière semblait avoir d'avance entendu le
langage.
En résumé, reconnaissons dans son œuvre le besoin
qu'avait son génie de sonder jusqu'au fond tout caractère
qui s'offrait à son pinceau; mais ne refusons pas d'y voir en
même temps un acte de guerre, non contre la croyance en
Dieu, mais contre des fanatiques auxquels il a voulu signi-
fier qu'il défendrait jusqu'au bout le libre domaine de la
comédie contre leur prétention de le rétrécir.
A.U milieu des clameurs que le Festin de Pierre soulevait,
Louis XIV se trouva pour la seconde fois dans quelque
embarras, et partagé entre son goût pour Molière et la
nécessité de ne pas rester tout à fait sourd aux voix qui
déclaraient la religion outragée et réclamaient pour elle sa
protection. Il n'interdit pas les représentations de la pièce;
mais, après la première, ce fut certainement lui qui fit
donner avis de supprimer, sinon la pièce tout entière, les
passages du moins signalés comme scandaleux. Même ainsi
corrigée, la comédie, dont le succès est attesté par les belles
recettes, n'eut pas la vie longue, et l'on ne saurait croire sa
mort naturelle. La dernière représentation, qui n'était que
la quinzième, fut donnée le 20 mars. Il faut bien qu'on ait
été invité à ne pas faire reparaître la pièce après les
vacances de Pâques. Baillet, dans ses Jugemens des scavans^,
a dit : « Elle doit passer pour une pièce supprimée. Du
vivant de Molière, elle ne fut plus représentée, elle ne fut
pas même imprimée. »
Il se trompait; elle l'avait été, mais seulement en i68a,
I. Au tome IV, cinquième partie, qui est de 1686, p. 1 1 1 et 1 1 j.
3a6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
dans les OEuvres posthumes. Les retranchements qui
avaient été faits au texte, au temps des représentations, ne
furent plus jugés suffisants; on exigea plusieurs cartons
après l'impression. Mais do tels monuments de l'art défient
toutes les précautions des censeurs. En vain on les a muti-
lés : la postérité avertie sait faire d'heureuses fouilles, finit
par retrouver les parties brisées de ces chefs-d'œuvre, et,
sauf quelques détails peut-être, les restaure pleinement.
En i665, Louis XIV était peu disposé à se scandaliser
d'une comédie et à gêner Molière. Si, pour donner satisfac-
tion aux plaintes, dont il était ennuyé, il avertit, sans faire
de bruit, qu'il valait mieux ne pas laisser trop longtemps
le Festin de Pierre à la scène, il montra d'une manière écla-
tante qu'on s'était efforcé sans succès d'en perdre l'auteur
dans son esprit. Dès le mois d'août de cette même année,
la troupe de Molière était venue à Saint-Germain. Il
lui donna six mille livres de pension. Il fit plus, il de-
manda à son frère de la lui céder, et dit à Molière qu'il
voulait qu'elle lui appartînt désormais. Elle prit alors le
titre de Troupe du Roi, les comédiens de l'Hôtel de Bour-
gogne gardant celui de Troupe royale. S'il n'est pas trop
subtil de chercher entre les deux quelque différence, celui
de Troupe du Roi semblerait le plus honorable, comme
marquant plus particulièrement qu'elle était attachée à la
personne même.
C'était bien l'auteur de Tartuffe et de Doit Juan qui rece-
vait cette faveur très significative, car depuis ces deux
ouvrages il n'avait rien produit qui la pût expliquer.
Nous ne compterons pas comme y ayant eu des droits un
prologue qu'appelé cà Versailles le 12 juin, il avait ajouté au
Favori de Mlle des Jardins', et qui ne nous a pas été con-
servé. Voici ce que nous en savons : « On a joué, dit le
Registre de La Grange, le Favory dans le jardin, sur un
théâtre tout garni d'orangers. M. de Molière fit un prologue
en marquis ridicule, qui vouloit être sur le théâtre malgré
les gardes, et eut une conversation risible avec une marquise
ridicule, placée au milieu de l'assemblée. » La perte du Pro-
I. Registre, p. ^4- — O'i i* aussi le témoignage de Mlle des Jar-
SUR MOLIERE. 827
logue ôte pour nous à cette représentation son principal
intérêt, mais lui laisse toutefois celui-ci, qu'elle montre le
roi aussi décidé que jamais, malgré les criailleries contre
Molière, à ne point se passer de son talent dans les fêtes
galantes qu'il donnait, et toujours prêt à lui donner toute
libei'té de l'amuser aux dépens des marquis, qu'il savait
plus tolérants, ou plus faciles à faire taire que les dévots.
Il est cependant regrettable que la petite scène improvisée
par Molière n'ait pas été recueillie. Ses moindres bagatelles
ne pouvaient manquer d'un sel piquant. Quant à la pièce de
Mlle des Jardins, la Coquette ou le Favori, qui avait été jouée
pour la première fois au Palais-Royal, le 24 avril, elle ne
nous intéresse que par la bonne fortune qu'elle a eue de
paraître à Versailles avec la recommandation du badin pré-
lude dont le grand comique lui fit l'honneur. En ayant ce-
pendant parlé par occasion, il nous sera permis, en souve-
nir des Fâcheux, où plutôt de la fête de Vaux, de dire deux
mots de cette singularité, qu'on y reconnaissait facilement
une continuelle allusion à la disgrâce de Fouquet et à la
cause la plus délicate à rappeler de cette disgrâce, une ja-
lousie du monarque amoureux. Pour que Louis XIV ne se
soit pas offensé de cette indiscrétion, et particulièrement de
la leçon de clémence que l'on semblait lui donner, il fallait
qu'il fût de bien bonne humeur et disposé à une parfaite
tolérance des privilèges de la comédie.
Le premier ouvrage de Molière représenté par la troupe,
depuis qu'elle avait obtenu le titre de troupe du roi, fut
l'Amour médecin. Cette pièce, entremêlée d'entrées de bal-
let, était encore une de ces esquisses rapidement crayon-
dins dans sa Description de la brillante fête, où elle loue ainsi Mo-
lière :
Cet homme si fameux que l'univers admire,
Dont la fine morale instruit en faisant rire,
Du marquis ridicule enrichit le tableau.
Robinet, dans sa lettre en vers du 21 juin iG65, dit que le beau
régale de Versailles, qu'il appelle aussi un cadeau, fut donné dans
la nuit du i3 au 14. Il l'a décrit longuement, mais sans parler du
Prolofrue.
328 NOTICE BIOGRAPHIQUE
nées |>our le divertissement de Louis XIV et de sa cour,
Molière nous avertit dans son avis Au lecteur que de tous les
impromptus commandés j)ar le roi, celui-là « proposé,
fait, appris et représenté en cinq jours «,'a été le plus pré-
cij)ité. Aussi en parle-t-il comme d'une de ces petites pièces
auxquelles le jeu du théâtre, « les airs et les symplionies de
l'incomparable Monsieur Lully, mêlés à la beauté des voix
et à l'adresse des danseurs », donnent des grâces dont elles
ont peine à se passer. A le prendre au mot, il faudrait se
contenter de la simple mention de cet impromptu. Mais,
outre qu'il est plein d'esprit, il se recommande au biographe
de Molière comme étant l'acte le plus fortement marqué
jusque-là de cette hostilité contre la médecine, que, depuis,
il ne s'est pas lassé de continuer, même à la veille de son
dernier jour. Le voici donc bravant de nouveaux ennemis,
comme s'il n'en avait pas d'assez nombreux déjà, et de plus
sérieux. Que lui avait fait la Faculté? On contait une anec-
dote qui, méritât-elle plus de confiance, ne rendrait pas
vraisemblable une implacable rancune. On la trouve chez
le Boulanger de Chalussay* et chez Grimarest, qui l'a
ornée de quelques circonstances un peu différentes dans les-
quelles il mêle la Du Parc*. Dans l'un et 1 autre récit, Molière,
logé chez un médecin, se voit signifier congé. La femme du
désobligeant propriétaire se procure un billet pour aller
voir jouer, sans payer, les comédiens du Palais-Royal. Le
billet est refusé par l'ordre de Mlle Molière, qui fait mettre
la dame à la porte. Le médecin n'endure pas l'affront et ob-
tient un arrêt qui condamne Molière et sa femme. Telles
auraient été les vexations qui engagèrent notre poète dans
une guerre inexpiable contre le docte corps.
Il n'y a là sans doute qu'un bruit sans vraisemblance, ima-
giné parles médecins, qui aimèrent mieux expliquer l'achar-
nement de Molière à les cribler de ses traits par une que-
relle de femmes, que de le laisser attribuer aune indignation
inspirée par leur charlatanisme et par leurs âneries, dont
les preuves ne manquaient pas en ce siècle-là.
I. F.lom'ire hypocondre, acte I, scène m, p. l6 et 17,
a. La Vie de M. de Molière, p. 7 4" 77-
SUR MOLIÈRE. 3ig
Depuis longtemps la médecine était pour la comédie un
sujet de facéties, où Molière savait, à son tour, qu'il trou-
verait un des plus infaillibles moyens de faire rire; mais, en
i665, devenu un maître dans son art, il ne se pouvait plus
contenter des lazzis des anciennes farces, de leurs grosses
caricatures qui ne tiraient pas à conséquence ; à ses fan-
taisies les plus gaies il voulait mêler de sérieuses correc-
tions, et mettre le doigt sur la plaie toutes les fois que,
médecin lui-même, et meilleur médecin que ceux de la Fa-
culté, il soignait quelque maladie des hommes. Alors, sans
être moins amusant, il ne riait plus qu'en philosophe. Aussi,
du jour où il s'empara des médecins, il était inévitable que,
dans les portraits satiriques qu'il fit d'eux, il ne leur épar-
gnât pas de fortes vérités.
Pourquoi, cependant, a-t-il tant insisté, et les a-t-il
frappés sans trêve ? 11 faut bien croire qu'il leur en voulait
tout particulièrement. C'est qu'il y avait chez lui quelque
chose de plus que la révolte du bon sens contre un art,
dont le pédantisme, souvent grotesque alors, ne lui cachait
pas l'insuffisance : ce devait être une colère de malade
devenu, par expérience, défiant de ses vains secours. Son in-
cessant travail l'accablait de fatigues, que les chagrins de son
intérieur aggravaient. Si l'on avait tenu le journal de sa
santé, comme on a fait pour le roi, il pourrait bien se faire
que l'on n'y eût pas trouvé Chalussay en faute, lorsqu'il le
représente comme déjà malade avant d'avoir écrit son Jninur
médecin, et comme livré aux Esculapes qui avaient été
mandés par sa femme et ne pouvaient s'accorder dans leurs
prescriptions. Ce serait alors, d'après Élomirc hypocondrc,
qu'il aurait observé les travers de ses bourreaux pour les
peindre dans sa comédie avec une vérité qui, de l'aveu du
même détracteur, « fait rire jusqu'aux larmes j'. ]Vous sa-
vons du moins avec certitude que, peu après les représen-
tations de sa pièce, soit en cette même année i665, soit
au commencement de la suivante, une dangereuse mala-
die l'obligea de prendre du repos. En effet, Robinet dit,
dans sa lettre du 21 février 1666 :
. . Molière, le dieu du Ris,
33o NOTICE BIOGRAPHIQUE
A si bien fait avec Cloton
Que la Parque au gosier glouton
A permis que sur le théâtre
Tout Paris encor l'idolâtre.
. . Du comique ce grand maître
Dans quelques jours pourra paraître.
Il recommença sans doute à jouer le jour même duquel est
datée cette bonne nouvelle, car, le dimanche 21 février, le
Palais-Royal reprit l'Amour médecin, après avoir interrompu
toutes ses représentations depuis le 27 décembre précé-
dent*.
N'omettons pas une explication difTérente, et très fine, qui
a été ajoutée* à celle que nous venons de donner des atta-
ques de Molière contre la médecine : le disciple de Gassendi
a montré partout qu'il avait le culte de la Nature, et il ne
pardonnait pas aux guérisseurs la témérité de leur lutte
contre elle, comme si par cette lutte ils en violaient les
divins et impénétrables mystères.
L'Amour médecin, intitulé encore dans le Registre : les
Mkdecins, est la première des comédies de Molière dont la
médecine ait été le principal sujet; mais, un peu avant, il
l'avait déjà fort maltraitée, quoiqu'en une scène épisodique^
et comme en passant, dans le Festin de Pierre; et même, il
faut le remarquer, dans cette attaque amenée à toute
force et tant bien que mal par le déguisement de Sgana-
relle en docteur, il y a des paroles qui nient absolument
l'art des médecins, avec une énergie que Molière n'a jamais
dépassée : « Tout leur art est pure grimace C'est une des
grandes erreurs qui soit parmi les hommes. » S'il a chargé
un personnage à « l'âme bien mécréante » de prononcer cet
arrêt tranchant, il n'en était pas moins clair que là c'était
1. R-eg'istre de La Grange, p. 79. — Une des causes de cette
interruption fut la maladie, puis la mort (20 janvier) de la reine
mère. Quant à la maladie de Molière, le Registre ne l'a pas notée,
et nous laisse ignorer quand il avait cessé de jouer.
2. Par M. Brunetière. Voyez le feuilleton du Journal des Débats
du 26 novembre 1888.
3. La scène i de l'acte III, p. i35 et i36.
SUR MOLIERE. 33i
bien lui-même qui parlait; il passait ainsi par-dessus le
danger de prêter le flanc au soupçon d'avoir voulu prendre
partout sur son compte, et jusque dans des matières bien plus
graves, l'incrédulité de Don Juan. Il était donc, comme le
dit Sganarelle de son maître, « impie en médecine ». Il avait
cependant un médecin, pour le fils duquel, un jour, il solli-
cita du roi un des canonicats de sa chapelle royale de Vin-
cennes ' , se disant très content de ce « fort honnête homme 5' ,
jiourvu qu'il s'obligeât de ne le point tuer. De fait, il ne
voyait en lui qu'un ami. Ce peu gênant médecin, qui dans le
gouvernement de la santé de Molière avait une parfaite
sinécure, était le docteur de Mauvillain, un traître à la
Faculté, a-t-on dit, un faux frère bien capable d'avoir donné
des notes pour le dernier intermède du Malade imagi-
naire. On raconte que Molière et lui étant un jour à Ver-
sailles pendant le dîner du roi. Sa Majesté dit à Molière :
« Voilà donc votre médecin ? Que vous fait-il ? — Nous rai-
sonnons ensemble, il m'ordonne des remèdes, je ne les fais
point, et je guéris *. »
Molière, qui ne reculait jamais devant de nouvelles har-
diesses, jugea que, dans sa comédie-ballet, ce n'était pas
assez d'avoir discrédité par ses railleries l'art de guérir. Il
y attaqua les personnes mêmes avec une liberté aristopha-
nesque, et quelles personnes! messieurs les médecins de la
cour, « traités en ridicules devant le roi, qui en a bien ri »,
dit, sans déplaisir. Gui Patin, peu tendre pour les Archia-
trcs auliqucs. \\ nomme deux des victimes du poète comique.
Esprit [Bahys], médecin de Monsieur, et Guenaut [Ma-
crnton), médecin de la reine, avec eux des Fougerais [dex
Fona/idrès\ qui n'était pas delà cour. Quant aux « masques
faits tout exprès » sous lesquels il veut qu'ils aient été
représentés, c'est un conte qu'il n'aurait pas dû se laisser
faire.
Brossette, dans une de ses notes manuscrites, d'accord
I. Voyez au tome IV, p. SgS-Sg^, son troisième placet, pré-
senté au roi le jour même de la résurrection de Tariuffe, en 1669.
a. Menagiaiia (1674), tome II, p. 220. Grimarest, p. 78, a ré-
pété cette anecdote.
332 NOTICE BIOGRAPHIQUE
avec Patin sur les noms d'Esprit et de des Fougerais, dit de
plus que Fillerin était Yvelin, médecin de Madame. C'est
d'après une autre note du même Brossette que Cizeron Rival
ajoute d'Aquin [Tomes), un des médecins du roi servant par
quartier. On a raconté, mais sans preuves, que le roi avait
lui-même indiqué à Molière ces grandes célébrités médicales
sur lesquelles il voulait bien qu'on l'égayât. Il n'a pu du
moins manquer de reconnaître des personnalités rendues
si transparentes par l'imitation de défauts physiques; mais
les comédies de Molière l'amusaient, et ceux qui en dé-
nonçaient les audaces lui paraissaient des importuns. Les
médecins ne l'ignoraient pas, et Molière, dans sa préface du
Tartuffe, publiée en 1669, les met au nombre de ceux qui
« ont souffert doucement qu'on les ait représentés * ». Il les
en a récompensés dans la même préface par une complaisante
palinodie, qui leur aurait mieux donné satisfaction s'il n'y
avait glissé un piquant trait linal, ce qui s'appelle le venin
dans la queue : « La médecine est un art profitable, et cha-
cun la révère comme une des plus excellentes choses que
nous ayons; et cependant il y a eu des temps où elle s'est
rendue odieuse, et souvent on en a fait un art d'empoisonner
les hommes*. y> L'épithète eWe-mème profitable donnée à cet
art révéré, n'est peut-être pas sans malice dans son équi-
voque. Si donc les médecins ont d'abord filé doux, défions-
nous de cette sagesse. Après la mort de Molière, ils mon-
trèrent bien par leurs insultes à sa mémoire qu'ils avaient
prononcé in petto contre le railleur toutes les malédic-
tions de Monsieur Purgon. Ce n'avait été que par nécessité
qu'ils avaient pu feindre d'accepter sans mauvaise humeur
les rires de Versailles, où, du 14 au i^ septembre iGG5, la
pièce qui les tympanisait parut si agréable qu'elle fut repré-
sentée trois fois. Au Palais-Royal elle ne réjouit pas moins le
public de la ville, pour qui elle fut jouée le 22 septembre,
et, après cejour, vingt-sept fois jusqu'à la fin de i6G5, treize
fois jusqu'au 16 mai 1666.
Elle allait faire place aune œuvre d'une tout autre portée,
1. Tome IV de notre édition, p. SjS,
2. Ibidem, p. 38 1.
SUR MOLIERE. 333
où le génie de Molière s'est élevé à une hauteur d'observa-
tion philosophique et de noblesse dans la pensée comme
dans le style, que l'on aurait pu croire inaccessible à la co-
médie.
Le t juin 1666 est la date de la première représentation
du Misanthrope, donnée sur le théâtre du Palais-Royal. Il y
a peut-être à regretter (ju'il n'ait pas été joué d'abord à la
cour, privée par le deuil de la reine mère du divertissement
de la comédie, depuis le 20 janvier. Meilleur juge de la
vérité du tableau, il semble que cette cour eût été moins
étonnée de ses couleurs fines autant que sévères, et que
dans tous les personnages qui y figurent elle eût aimé à
reconnaître ses mœurs et la politesse de son langage.
Ce n'est pas qu'il paraisse y avoir eu de difficultés pour
beaucoup de courtisans à l'aller entendre avec le public.
De Visé, dans sa Lettre sur le Misanthrope, écrite le lende-
main de la première représentation, atteste qu'ils « ont
assez fait voir par leurs applaudissements qu'ils trouvoient
la comédie belle ^ »; c'est ce que confirme le vers de Su-
bligny, dans la Muse dauphine du 1 7 juin :
Toute la cour eu dit du bien.
Elle l'avait d'ailleurs entendu lire par Molière avant qu'elle
fût jouée, à ce que rapporte Grimarest-, qui nomme parti-
culièrement Madame, comme l'ayant ainsi connue, et donne
ce détail qu'elle avait conseillé la suppression du grand
flandrin de vicomte crachant dans un puits trois quarts
d'heure durant pour faire des ronds. Il n'en a pas moins
manqué à la fortune du chef-d'œuvre, dans ces commence-
ments, d'avoir été premièrement représenté devant le roi
et recommandé à la ville par son suffrage. De nombreux
témoignages s'accordent sur ce point que le succès au
Palais-Royal ne fut pas vif et que seuls les connaisseurs sen-
tirent toute la beauté de la pièce. Les recettes baissèrent
bieutôt, surtout après la neuvième représentation. Molière
I. Voyez au tome V, p. 441-
a. La t'ic de M. de Molière^ p. 18S cl 189.
334 NOTICE BIOGRAPHIQUE
s'était trop élevé pour être suivi par le grand nombre, dont
on ne peut savoir si la froideur ne l'a pas écarté d'une voie
où il aurait trouvé d'autres œuvres de la même parfaite
grandeur. Il se garda du moins d'un découragement, dont
aurait suffi pour le préserver l'approbation des juges com-
pétents, des esprits d'élite. S'il était moins bien compris
par le gros du public, s'il n'avait pas, cette fois, un succès
assez général, il sentait qu il n'en serait pas toujours ainsi;
et comme, en attendant,
Il faut fléchir au temps sans obstination,
il ne songea qu'à se préparer des succès moins contestés,
se liant d'ailleurs, pour que sa gloire n'en souffrît pas trop,
aux infinies ressources que trouverait bientôt son génie.
Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit ailleurs*
de la manière différente dont les critiques ont entendu ses
intentions dans les rôles d'Alceste et de Philinte, et de la
part que dans le premier il a faite et à l'admirable élévation
d'une âme inflexiblement droite et à l'exagération qui rend
cette inflexibilité plaisante. Une seule réflexion à ce sujet
n'est pas de trop dans cette biographie. Qu'Alceste, par
moments, donne plus ou moins à rire, la peinture, faite avec
une évidente sympathie, d'une honnêteté toujours digne de
respect jusque dans sa comique raideur, a, dans le juge-
ment à porter de la vie de Molière, le poids d'un incontes-
table témoignage en faveur de son caractère. On n'exprime
pas avec cette éloquence les haines vigoureuses de la vertu
contre toutes les bassesses, contre les complaisances mon-
daines elles-mêmes, que « l'usage demande :», sans avoir
trouvé au fond de son cœur ces protestations d'une m;lle
sincérité; et quant à l'optimisme de Philinte, mélange d'é-
goisme et d'aimable bon sens, il est visible que, par ses meil-
leurs côtés, il ne déplaisait pas non plus à Molière, à sa phi-
losophie, très éclairée sur les iniquités du monde et sur ses
grimaces, mais en même temps sur la sagesse, sur la jus-
tice même qu'il y a de ne pas trop demander à l'imperfection
I. Dans la Notice sur le Misant/irope, tome V, p. 357 ^^ ^"'~
vantes.
SUR MOLIERE. 355
de la nature humaine. Il nous a montré ainsi combien il
aimait et « l'âpre vérité «, comme a dit de lui un poète, et
la raisonnable indulgence. Rien de ce qu'il a écrit ne jette
plus de jour sur sa morale.
On a objecté, nous ne l'ignorons pas, qu'il s'était toujours
proposé de faire une fidèle peinture des caractères et non
de défendre des thèses de morale; mais nous n'admettons
pas qu'il ait si peu songé dans le Misanthrope^ sinon à don-
ner des leçons, du moins à exprimer ses propres sentiments.
Les reconnaître dans une comédie où tant de paroles ne
viennent pas seulement des inspirations de l'art, mais de
plus haut, ne saurait être une illusion.
De telles œuvres ont bien des aspects. Jusque-là Molière
avait fait justice de tel ridicule, de tel vice de la société.
Voici qu'il intente à cette société un procès qui la met tout
entière en cause; il en confie le soin à une fière probité,
que le train du siècle trouve en pleine révolte. Ce n'a pas
été la moindre preuve de son courage ; car, s'il risquait
moins de soulever des inimitiés personnelles par la satire de
tout le monde que par celle d'une coterie ou de quelque
corps puissant, d'un autre côté dénoncer l'iniquité de son
temps pouvait lui mériter le renom de frondeur, et l'on
sait qu'il n'y en avait pas alors de plus dangereux. On a
été toutefois beaucoup trop loin lorsqu'on a dit du Misan-
thrope : a Une pièce infiniment hardie (plus que le Tartuffe
peut-être et plus que Don Juan). Car si Aleste gronde, c'est
sur la cour plus que sur Célimène. Mais qu'est-ce que la
cour, sinon le monde du roi, arrangé pour lui et par lui?
Ces mauvais choix pour les emplois publics qui révoltent
Alceste, qui donc les fait, sinon le roi'.^ » Molière n'était
ni assez ingrat ni assez maladroit pour avoir eu la pensée
d'attaquer le règne et de faire acte de mécontent. Pour de-
meurer dans la mesure, il aurait suffi de dire, que, sans don-
ner à Louis XIV la moindre envie de l'envoyer à la Bastille,
il montra autant que jamais une intrépide confiance dans les
franchises de la comédie, lorsqu'il fit entendre les plaintes
d'un homme de bien contre la justice tournée par l'intrigue
I. Michelet, Histoire, de France, tome XV, p. 85.
336 NOTICE BIOGRAPHIQUE
et laissant écraser le bon droit. II n'était pas non plus sans
courage de faire aux gens de cour une guerre beaucoup
plus sérieuse que celle des plaisanteries sur les ridicules des
marquis, et d'imprimer la flétrissure sur les malhonnêtes
vengeances de leur amour-propre blessé, sur la fausseté de
leurs protestations d'amitié et sur les mensonges de leurs
« baisers flatteurs ». Au surplus, il venait de les épargner
encore moins dans le portrait de son Don Juan, en qui il a
j)prsonnirié leur profonde corruption, sans qu'on pût se
tromper sur le temps et le lieu où il l'avait observée. Plus
tard encore c'est parmi eux qu'il a osé trouver le person-
nage de l'élégant escroc Dorante du Bourgeois gentilhomme.
Il est difficile de parler, même brièvement, du Misan-
thrope, sans rien dire d'un de ses rôles les plus justement
admirés; nous avons d'ailleurs une particulière raison ici de
ne point passer à côté de Célimène sans la voir : elle nous
ramène à Mlle Molière et va nous donner une naturelle occa-
sion d'en dire un peu plus que nous n'avons encore fait sur
son humeur coquette qui a fait le tourment de son mari.
Ce fut elle qui représenta, et avec beaucoup d'éclat, cette
amante d'Alceste, devenue, comme par un invincible sorti-
lège, maîtresse d'un cœur si peu fait pour s'accorder avec
le sien. Nous sommes de ceux à qui la comédienne, chargée
la première de ce rôle, paraît y avoir servi de modèle, au
moins dans ses traits principaux. Si l'auteur du Misanthrope
s'est complu dans la peinture d'une tendresse malheureuse
et désavouée par la sagesse, c'est, nous aurions j^eine à ne
le pas croire, qu'il y reconnaissait sa propre faiblesse.
Il avait en même temps compris que ce combat de la rai-
son et de l'amour dans un cœur serait le plus grand attrait
de son œuvre, dont la philosophie, de quelques brusque-
ries plaisantes qu'elle fût égayée, ne suffirait pas à l'inté-
rêt; et il avait si bien regardé l'amour de son honnête
grondeur comme le principal fondement de cet intérêt,
qu'à sa comédie il donna un moment ce titre : l'Atrabilaire
amoureux.
C'est peut-être de ce côté surtout qu il s'est joué lui-
même dans le portrait d'Alceste, tout en mettant dans
d'autres parties de ce rôle quelques-uns encore de ses pro-
SUR MOLIERE. 337
près traits, quelques autres de Montausier et de Boileau. Il
n'était plus, à cette date, l'Ariste, aveuglément complaisant,
de V École des maris, mais le trop tendre cœur, profondé-
ment blessé, qui, sur un seul mot rassurant, se sentait prêt
à pardonner, si, contre toute espérance, une femme d'un
caractère léger se pouvait enfin résoudre à ne plus vivre
que pour lui, à lui sacrifier les séductions du monde et la
douceur d'être courtisée. Sous le nom de Célimène on
croirait sans doute Mlle Molière un peu trop flattée, si l'on
voulait retrouver chez elle tous les traits de la grande
dame, reine gracieuse des cercles élégants; mais dans les
modèles auxquels Molière pensait en écrivant ses comédies,
il se contentait toujours de prendre ce qui convenait à ses
créations poétiques. Ne nous inquiétons donc pas de ce qui
manquait à la complète ressemblance de son Armande avec
le type merveilleusement observé de la coquette du grand
monde. Il n'en a pas moins donné à celle qui inspire au Misan-
thrope un « attachement terrible « beaucoup de l'agréable
esprit de sa femme, beaucoup aussi de son incurable frivo-
lité, et de l'étrange empire qu'elle avait eu le secret de
prendre sur un esprit frappé cependant, mais en vain, de
ses défauts. 11 n'y a guère à se tromper sur son dessein de
lui faire entendre de la bouche d'Alceste la menace d'une
rupture sans espérance de retour, si elle persistait à re-
pousser les conditions d'un traité de paix.
Lorsque l'on fait remarquer dans l'éloquence de la pas-
sion du Misanthrope un si puissant accent de vérité qu'il eût
été difficile au plus habile peintre des mouvements de l'âme
de l'y mettre, si elle ne lui avait pas été inspirée par les sen-
timents dont il était personnellement agité, on s'expose à
cette objection qu'un grand nombre de vers pleins d'une
flamme que le poète semblerait avoir eue dans le cœur, non
dans la seule imagination, ont été empruntés par lui à son
Don Garcie, représenté dès le commencement de 1661 *. On
nous invite donc à nous délier de la source d'inspiration
où nous sommes porté à les croire puisés. Mais si Molière
a sauvé du naufrage de sa comédie héroïque, comme des
1 .Voyez les Études critiques de M. Brunetière, j). 188.
MOLIÈKK, X au
338 NOTICE BIOGRAPHIQUE
débris auxquels il avait trouvé une meilleure place, ces
belles explosions de souffrance jalouse, ne pourrait-ce être
qu'il a senti avec quelle force elles avaient exprimé d'avance
la violence de son amour pour une ingrate et ses révoltes
contre sa propre déraison? Nous craindrons moins d'être
accusé de parti pris et de subtilité, quand nous ferons re-
marquer que, parmi les vers du Misanthrope, dans lesquels
il nous paraît avoir épanché les amertumes de sa tendresse
trompée, il s'en trouve beaucoup de non moins éloquem-
ment passionnés que ceux du Prince jaloux, et qui ne vien-
nent pas de là.
Parmi les passages des comédies de Molière oii la Préface
de 1682 nous laisse chercher à nos risques et périls les
allusions, dont elle parle, à ses affaires domestiques, on dé-
signerait avec plus d'assurance celles qui peuvent éclaircir
l'histoire de son ménage, si les dates de cette triste histoire
avaient été mieux établies par les anciens témoignages; on
pense bien que nous ne compterons pour rien la date cer-
taine d'une petite querelle de Molière avec sa femme don-
née par lui-même, mais en riant, dans son Impromptu de
Versailles : « Vous deviez, lui dit Mlle Molière, faire une
comédie où vous auriez joué tout seul. — ïaisez-vous, ma
femme, vous êtes une bête. — Grand merci, monsieur mon
mari. Voilà ce que c'est : le mariage change bien les gens,
et vous n'auriez pas dit cela il y a dix-huit mois'. » Ce ne
sont là que de gentilles taquineries qui ne nous apprennent
rien, ou seulement ceci, que les époux étaient alors assez
amis encore pour se les permettre publiquement, sans
craindre qu'on ne s'y trompât. La comédie du Misanthrope
au conti'aire en dit long, si l'on n'y conteste pas l'intention
de Molière d'y décharger son cœur. C'est ici, nous dira-
t-on, qu'il faudrait être exactement informé du temps où l'on
peut faire remonter ses griefs. Mais, quoi que l'on puisse
penser de l'insuffisance de nos renseignements, est-il dou-
teux que la mésintelligence ait commencé d'assez bonne
heure, pour que les allusions conjecturées dans la comé-
die de 1666 ne manquent pas de vraisemblance ?
I. Scène i, p. Sga et SgS du tome III.
SUR MOLIERE. BBg
Au libelle dicté par la plus visible haine contre Mlle Mo-
lière nous n'avons ajouté aucune foi, lorsqu'elle y est accu-
sée des plus honteux désordres avant même la première
représentation de la Princesse <î Élide; mais, venant au temps
où son rôle l'y fit briller dans les fêtes de Versailles, si l'on
nous donne encore des détails, convaincus de mensonge, sur
ses infidélités, on ne dit rien d'improbable en la montrant
exposée par ces fêtes de 1664 aux compromettantes galan-
teries de la jeune cour.
Grimarest, parlant à son tour des premières inquiétudes
de Molière, nous paraît avoir eu en vue la même époque;
et il peut bien avoir puisé à une source plus sûre que celle
du livre calomnieux. Il en contredit les accusations les plus
graves, mais reconnaît, tout en les atténuant, des torts à la
jeune femme : Elle « ne fut pas plutôt, dit-il, Mlle de
Molière, qu'elle crut être au rang d'une duchesse; et elle
ne se fut pas donnée en spectacle à la comédie que le cour-
tisan désoccupé lui en conta Molière s'imagina que
toute la cour, toute la ville en vouloit à son épouse. Elle né-
gligea de l'en désabuser; au contraire, les soins extraordi-
naires qu'elle prenoit de sa parure... ne firent qu'augmen-
ter ses soupçons et sa jalousie. Il avait beau représenter à
sa femme la manière dont elle devoit se conduire pour pas-
ser heureusement la vie ensemble; elle ne profitoit point de
ses leçons, qui lui paroissoient trop sévères pour une jeune
personne, qui d'ailleurs n'avoit rien à se reprocher*. » La
voici donc simplement représentée comme une Célimène
trop curieuse de coquets ajustements et qui sans doute ne
prenait pas un bâton pour mettre dehors ses admirateurs.
Bien que nous n'ayons pas hésité à faire justice des fables
du libelliste, nous ne nous hasarderons pas à garantir
que la vérité tout entière se trouve chez Grimarest. De
la coquetterie qu'il ne dissimule pas à de beaucoup plus
grands écarts de conduite le pas pouvait être aisément
franchi par une comédienne, par une Béjart. Il ne faut pas
cependant céder à la crainte d'être naïvement crédule. Il
est loin d'être prouvé que Molière ait été aussi trompé
I. La vie de M. de Molière, p. 68-70.
340 NOTICE BIOGRAPHIQUE
qu'on l'a dit : il avait beaucoup d'ennemis intéressés à l'en-
rôler parmi les maris dont il avait fait rire. C'était si bien
chez eux un parti pris, que nous les avons vus se hâter, dès
i663, contre toute vraisemblance, de s'en donner la joie
dans leurs comédies.
On peut regarder ceci seulement comme suffisamment
attesté, qu'il ne trouva nullement dans son mariage la douce
union qui eût été la juste récompense de sa tendresse, et
que la paix dont il avait besoin dans sa vie dévorante ne
cessa d'être troublée par des tourments de jalousie. Sa
femme n'eut pas assez de cœur pour se résoudre jamais à
les lui épargner. Nul accord entre ces deux caractères. Il
en fut plus malheureux que bien d'autres, parce qu'il était
plus aimant, et aussi parce que, si gaie qu'ait été le plus
souvent sa verve, il était d'un naturel mélancolique.
C'est surtout lorsqu'on ne rejette pas absolument le juge-
ment modéré de Grimarest sur Mlle Molière que l'on croit
à son portrait dans le Misanthrope, et que les chagrins
d'Alceste prennent une grande ressemblance avec ceux de
Molière. Si Grimarest n'a fait nulle part une comparaison
si naturelle, elle n'a pas échappé à Bruzen de la Martinière,
qui, dans une de ses Addition.'; à la biographie de i^oS*,
cite les vers 1 751-1768 du Misanthrope^, à l'appui de cette
remarque qu'il vient de faire : « Le Misanthrope prêt de
pardonner à Célimène toutes les coquetteries dont elle vient
d'être convaincue, pourvu qu'elle veuille se retirer avec lui,
ressemble assez à Molière, si l'on juge de lui par la conver-
sation que j'ai rapportée. »
La conversation dont il parle est celle dont un peu plus
haut^ il avait emprunté une partie à la Fameuse Comédienne,
celle où les deux amis qui s'entretiennent sont Molière et
Chapelle.
Les confidences douloureuses que Molière fait à son ami,
et les rudes conseils par lesquels celui-ci y répond, ont été
bien souvent cités, et avec de grands éloges, que nous ne
disons pas tout à fait immérités; car une peinture, faite
1. Page 68.
2. Scène dernière. — 3. Pages 58 el 69.
SUR MOLIERE. 341
avec tant d'art, des combats déchirants d'un cœur, n'est
assurément pas d'un écrivain médiocre. Mais, non content
de louer ces pages comme les mieux écrites du vilain pam-
phlet, on les a crues dignes de confiance par l'accord où il
a paru qu'elles étaient avec le caractère des deux amis et
par la vérité d'accent dans les paroles attribuées à Molière.
Pour donner cette impression de vérité, il faut, a-t-on dit,
qu'elles soient authentiques, et peut-être ont-elles été tirées
de lettres dont le libelliste aura eu connaissance. Nous croyons
au contraire qu'il n'y a'qu'un très habile artifice de rhétorique
dans le récit de ce fameux entretien; et quand on suppose-
rait que tout n'y fût pas de pure invention, il serait encore
visible que la conversation a été fort librement chargée
d'interpolations pour faire confirmer, en quelques endroits,
par Molière lui-même ce que le libelle a conté des scanda-
leuses aventures de Mlle Molière. Grimarest, qui aimait,
lui aussi, à imaginer des scènes, a voulu donner à son tour
la sienne, par émulation sans doute, et avec l'intention de
l'opposer à celle de la Fameuse Comédienne. Molière, selon
lui, ne trouvait pas dans Chapelle un ami assez consolant
pour qu'il le fît entrer dans ses peines domestiques; c'était
à deux amis plus sérieux, Rohault et Mignard, qu'il se
livrait sans réserve ; ils sont les confidents avec qui Grima-
rest lui fait épancher son cœur. Dans cet épanchement, les
paroles qui lui sont prêtées viennent, en ce qui touche à la
conduite de sa femme, à l'appui de l'idée que le biographe
a voulu nous en donner; ce qui suffirait pour inspirer le
soupçon d'une scène non moins arrangée que celle du pam-
phlétaire. Dans les deux confidences, si peu authentiques,
il y a toutefois un assez curieux témoignage de ce que l'on
croyait savoir des sentiments de Molière, et l'on est porté
à admettre que ces fictions ont peint l'état de son âme
d'après une tradition certaine, surtout lorsqu'on en rap-
proche maints vers du Misanthrope, où nous avons trouvé
si peu douteux que, sous la figure d'Alceste amoureux, le
poète nous a confié ses propres pensées. Citons quelques
passages de la Fameuse Comédienne *, qui semblent un assez
ï. Pages a7-3o.
342 NOTICE BIOGRAPHIQUE
fidèle écho des paroles que Molière aurait plus d'une fois
fait entendre dans ses entretiens intimes : « Je me fis à moi-
même des reproches sur une délicatesse qui me sembloit
ridicule dans un mari, et j'attribuai à son humeur ce qui
étoit un effet de son peu de tendresse pour moi.... Mes
bontés ne l'ont point changée. Je me suis donc déterminé à
vivre avec elle comme si elle n'étoit point ma femme. Mais
si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi.
Ma passion est venue à un tel point qu'elle va jusqu'à
entrer avec compassion dans ses intérêts. Et quand je con-
sidère combien il m'est impossible de vaincre ce queje sens
pour elle, je me dis en même temps qu'elle a peut-être une
même difficulté à détruire le penchant qu'elle a d'être
coquette, et je me trouve plus de disposition à la plaindre
qu'à la blâmer. Vous me direz qu'il faut être poète' pour
aimer de cette manière; mais, pour moi, je crois qu'il n'y a
qu'une sorte d'amour, et que les gens qui n'ont point senti
de semblables délicatesses n'ont jamais véritablement aimé.
Toutes les choses du monde ont du rapport avec elle dans
mon cœur; mon idée en est si fort occupée que je ne sais
rien en son absence qui me puisse divertir. Quand je la
vois, une émotion et des ti'ansports, qu'on peut sentir, mais
qu'on ne sauroit exprimer, m'ôtent l'usage de la réflexion;
je n'ai plus d'yeux pour ses défauts, il m'en reste seulement
pour tout ce qu'elle a d'aimable. N'est-ce pas le dernier
point de folie? et n'admirez-vous pas que tout ce que j'ai
de raison ne serve qu'à me faire connoître ma foiblesse sans
en pouvoir triompher? »
En beaucoup moins éloquent langage, Grimarest attribue
a Molière une confession, au fond peu différente, de ses
souffrances jalouses et des indulgentes excuses qu'en s'ac-
I. Dans l'édition sans lieu ni date, et dans celle de 1690, on
lit : « qu'il faut être père ». Est-ce la première leçon, ou une va-
riante? Quoi qu'il en soit, nous ne croyons pas à une faute d'im-
pression. Avoir glissé là, dans la bouche de Molière lui-même,
l'aveu de sa paternité, serait bien digne de la perfidie du pam-
phlet. « Je crois qu'il n'y a qu'une sorte d'amour » s'entend
mieux que dans la phrase : « il faut être poète ».
SUR MOLIERE. 3i3
cusant lui-même il cherchait dans son cœur à une incurable
coquettei'ie* : « Avec toutes les précautions dont un homme
peut être capable, je n'ai pas laissé de tomber dans le dés-
ordre, où tous ceux qui se marient sans réflexion ont accou-
tumé de tomber.... Oui, mon cher monsieur Rohault, je suis
le plus malheureux de tous les hommes..., et je n'ai que ce
que je mérite. Je n'ai pas pensé que j'étois trop austère pour
une société domestique. J'ai cru que ma femme devoit assu-
jettir ses manières à sa vertu et à mes intentions ; et je sens
bien que dans la situation où elle est, elle eût encore été
plus malheureuse que je ne le suis, si elle l'avoit fait. Elle a
de l'enjouement, de l'esprit; elle est sensible au plaisir de
le faire valoir; tout cela m'ombrage malgré moi. J'y trouve
à redire, je m'en plains. Cette femme, cent fois plus raison-
nable que je ne le suis, veut jouir agréablement de la vie; elle
va son chemin; et, assurée par son innocence, elle dédaigne
de s'assujettir aux précautions que je lui demande. Je prends
cette négligence pour du mépris; je voudrois des marques
d'amitié, pour croire que l'on en a pour moi; et que l'on
eût plus de justesse dans sa conduite pour que j'eusse l'es-
prit tranquille. Mais ma femme, toujours égale et libre dans
la sienne, qui seroit exempte de tout soupçon pour tout
autre homme moins inquiet que je ne le suis, me laisse
impitoyablement dans mes peines ; et occupée seulement du
désir de plaire en général, comme toutes les femmes, sans
avoir de dessein particulier, elle rit de ma foiblesse «
Grimarest suppose qu'après avoir écouté ces confidences,
« M. Rohault étala à Molière toutes les maximes d'une saine
philosophie, pour lui faire entendre qu'il avoit tort de s'aban-
donner à ses déplaisirs. — Eh! lui répondit Molière, je ne
saurois être philosophe avec une femme aussi aimable que la
mienne ; et peut-être qu'en ma place, vous passeriez encore
de plus mauvais quarts d'heure. » On aura remarqué ce
qui distingue de l'entretien avec Chapelle cet entretien avec
Rohault, dans lequel Grimarest a laissé la marque de son
opinion particulière sur les torts réciproques, insistant
beaucoup plus que le libelle sur les reproches que s'adres-
I. La Fie de M. de Molière, p. i47-l5l.
3^,', NOTICE BIOGRAPHIQUE
sait Molière, et lui faisant exprimer une foi entière dans
l'innocence des coquetteries de sa femme. Cette conviction
du peu de gravité des sujets de plainte qu'elle lui donnait
n'est pas très facile à admettre. S'il l'avait eue, il n'aurait
pas été si cruellement tourmenté, à moins que l'on n'ex-
plique tout par une telle humeur noire, qu'il y aurait peu
d'hyberbole chez les satiriques, lorsqu'ils l'ont nommé hy-
pocondre.
Dans la comédie de Chalussay, l'hypocondrie d'Elomire
est une maladie, une vraie folie, qui est attribuée aux in-
quiétudes que lui donnait sa toux, à ses excès de travail,
aux soucis de la direction de son théâtre, et à ses peines
domestiques. Nous ne prenons pas pour un document
une caricature grossière, à laquelle sont mêlées quelques
vérités sur tout ce qui pouvait porter Molière à la mélan-
colie. Il faut seulement reconnaître qu'il paraît y avoir été
enclin. Avant le temps de son mariage, il avait déjà la répu-
tation de n'avoir pas dans le caractère la gaieté qu'il mettait
dans ses pièces. On faisait dire à Scarron dans sa Pompe
funèbre^, imprimée en 1660, qu'il ne voulait pas choisir
Molière pour son successeur, le jugeant « un bouffon trop
sérieux y ; et dans le Songe du rêveur, qui est de la même
année, on trouve ce petit vers* :
Molière qui n'est pas rieur.
« Médecin^ gue'ris-toi toi-même, ditBayle, Molière, qui diver-
tissez tout le public, divertissez-vous vous-même^. » Ce n'est
pas cependant sans une veine d'imagination vraiment
joyeuse qu'on écrit les scènes les plus plaisantes qui aient
jamais égayé le théâtre comique. Molière avait évidemment
deux contraires dons, celui du franc rire, et celui du sérieux
poussé jusqu'à la tristesse. Non seulement il est dans notre
nature de ne pas échapper aux étranges contrastes des deux
hommes qui sont dans chacun de nous ; mais on les trouve
I. Page 10.
a. Page 35.
3 Dictionnaire historique et critique, à l'article PoQUELIM (édition
de 170a).
SUR MOLIERE. 345
particulièrement dans un grand génie, dont la formation
n'est jamais mieux assurée que par la combinaison de forces
qui sembleraient devoir se repousser. Et puis, sans renoncer
à croire chez Molière à deux prédispositions opposées,
tenons compte aussi de l'amertume philosophique par
laquelle ne saurait guère manquer de se laisser gagner le
railleur qui fait une continuelle étude du cœur humain et de
ses faiblesses. Mme de Staël a dit avec une profonde vé-
rité : tt II y a quelque chose de triste au fond de la plaisan-
terie fondée sur la connaissance des hommes'. »
Si, comme il nous a semblé, Molière s'est peint lui-
même, du moins par de certains côtés, dans son Alceste,
c'était un aveu de l'humeur noire qui faisait de lui un atra-
bilaire amoureux. Avec ce penchant à mettre plus encore
que du sérieux dans ses affections, il dut être bien malheu-
reux lorsqu'il ne rencontra que frivolité chez celle qu'il ne
pouvait se défendre d'aimer. Avoir épousé une Célimène.
s'il est vrai que Mlle Molière n'ait rien été de plus, fut le
tourment de sa vie, qui, au milieu de soins accablants, dut
renoncer à la douceur reposante d'un bon ménage et d'une
affection partagée.
« La grâce » de Célimène-Armande était « la plus forte ».
Quelle idée s'en faire? Sachant que l'amour est le plus sou-
vent inexplicable, Alceste se contente de dire :
Elle a l'art de me plaire.
J'ai beau voir ses défauts, et j'ai beau l'eu blâmer,
En dépit qu'on en ait, elle se fait aimer ^.
C'est nous faire craindre qu'on ne soit en danger de
perdre sa peine lorsqu'on cherche par quel charme Armande
avait touché le cœur de Molière ; on aura toujours cependant
quelque curiosité de demander aux témoignages qu'on peut
recueillir sur elle l'attrait qu'ils lui reconnaissent.
Le plus malveillant de ces témoignages, tout en lui refu-
sant d'avoir jamais été belle, avoue qu'elle ne s'était pas
étudiée en vain à devenir séduisante : a La petite Béjart
I. Corinne, livre VII, chapitre ii.
a. Le Misanthrope, acte I, scène i, vers 23o-23a.
346 NOTICE BIOGRAPHIQUE
n'avoit point encore, dans sa grande jeunesse, ces manières
qui sans aucuns traits de beauté*, l'ont depuis rendue si
aimable au goût de bien des gens*. » La séduction de son
talent de comédienne n'est pas niée par le libelle : « La
Molière représentait Psyché à charmer^. » Parler autrement
eût été maladroitement s'exposer à être démenti par tous les
contemporains. Consultons les gazettes rimées. Loret parle
ainsi d'elle, « avec serment », dit-il, dans le rôle de la Prin-
cesse d'Élide, où non seulement il admire le jeu de l'actrice,
mais, on le remarquera, ne trouve pas ses traits sans agré-
ment :
L'actrice, au joli visage,
Qui joue icelui personnage,
Le représente au gré de tous.
D'un air si charmant et si doux
Que la feue aimable Baronne*,
Actrice si belle et si bonne,
Et qui plaisoit tant à nos yeux,
Jadis ne l'auroit pas fait mieux *.
Robinet, l'année suivante (i665), vante Mlle Molière avec
un enthousiasme plus lyrique encore, après l'avoir vue très
parée, plus brillante toutefois d'attraits que de parure, dans
['Alexandre de Racine, où elle faisait le personnage de Cléo-
file :
G justes Dieux, qu'elle a d'appas!
Et qui pourroit ne l'aimer pas?
Sans rien loucher de sa coilfure
Et de sa belle chevelure,
Sans rien toucher de ses habits
Semés de perles, de rubis.
Rien n'est si beau ni si mignon.
1. L'édition sans lieu ui date va jusqu'à parler de laideur :
« il est sûr que la Guérin [c'est le nom cT Armande Béjart remariée),
quoique fort laide, a été une personne fort touchante, quand
elle a voulu plaire. »
2. La Fameuse Comédienne^ p. 8.
3. Ibidem, p. 33.
. La Baron. Voyez ci-dessus, p. igS et 196.
5. La Muse historique, lettre du 8 novembre 1664.
SUR MOLIÈRE. 347
Et je puis dire tout de bon
Qu'ensemble Amour et la Nature
D'elle ont fait une mignature
Des Appas, des Grâces, des Ris
Qu'on attribuoit à Cjpris'.
Nous eussions eu surtout grand plaisir à apprendre d'un
témoin comment elle jouait Célimène. Robinet l'encense très
galamment dans ce rôle. Il trompe toutefois notre attente
par son admiration banale, également partagée entre la Cé-
limène, l'Arsinoé et l'Eliante, et nous laisse ignorer quelle
spirituelle coquetterie Mlle Molière mettait dans son jeu :
.... On y peut voir les trois Grâces,
Menans les Amours sur leurs traces.
Sous le visage et les attraits
De trois objets jeunes et frais,
Molière, du Parc et de Brie-.
Quoique la date de la naissance de Mlle de Brie ne soit
pas connue, il est certain qu'en 1666, son printemps était
quelque peu loin. En la nommant comme un des « trois ob-
jets jeunes et frais », Robinet nous renseigne imparfaitement
sur la fraîcheur des deux autres, et nous invite à ne pas
prendre à la lettre toutes les louanges qu'il donne aux ac-
trices. Il ne faudrait pas toutefois se hâter de croire le talent
de Mlle Molière exagéré dans les citations que nous avons
faites. Leurs éloges sont confirmés par d'autres témoi-
gnages.
A l'occasion de la leçon de chant, dans la scène y de
l'acte II du Malade imaginaire, que Mlle Molière et La Grange
avaient jouée récemment sur le théâtre Guénégaud, les En-
tretiens galons, opuscule anonyme .imprimé en 1681, font
concevoir une haute idée de l'effet produit par l'un comme
par l'autre et de leur admirable entente du théâtre^ : « Ils
savent toucher le cœur, ils peignent les passions Ils jouent
presque aussi bien quand ils écoutent que quand ils parlent....
1. lettre du 27 décembre i665.
2. Lettre du 12 juin 1666.
3. Les Entretiens galans, VI' Entretien, tome II, p. gi-gS
348 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Ils ont soin de leur parure avant que de se faire voir, et ils
n'y pensent plus quand ils sont sur la scène; et si la Molière
retouche quelquefois à ses cheveux, si elle raccommode ses
nœuds ou ses pierreries, ses petites façons cachent une sa-
tire judicieuse et naturelle. Elle entre par là dans le ridi-
cule des femmes qu'elle veut jouer; mais enfin, avec tous
ces avantages, elle ne plairoit pas tant, si sa voix étoit
moins touchante. »
Mais adressons-nous beaucoup mieux encore pour avoir
de Mlle Molière une image d'une ressemblance qu'on puisse
dire garantie, le peintre ayant été plus à même que qui que
ce fût d'observer le modèle, dont il s'est efforcé d'ailleurs
de ne pas cacher les imperfections. Ce peintre n'est autre
que Molière lui-même. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on
a reconnu sa femme dans cette Lucile d'une de ses comé-
dies, qu'il a peinte avec amour, et toutefois avec la clair-
voyance que rien, pas même sa tendresse, ne pouvait jamais
lui faire perdre. Le portrait que, dans le troisième acte du
Bourgeois gentilhomme, Cléonte fait de celle qu'il aime, tout
en la croyant infidèle, n'est autre, d'après le Mercure de
France de mai 1740*, que celui d'Armande; et, pour le prou-
ver, il nous a donné, à son tour, le portrait suivant, que son
auteur, quel qu'il soit, devait, très vraisemblablement, à des
personnes ayant connu le modèle* : « Elle avoit la taille
médiocre, mais un air engageant, quoique avec de très
petits yeux, une bouche fort grande et fort plate; mais fai-
sant tout avec grâce, jusqu'aux plus petites choses, quoi-
qu'elle se mît très extraordinairement et d'une manière
I. Page 843.
a. On en eût été plus certain encore si les deux lettres de 1740
avaient été écrites par Mlle Poisson, comme on l'a dit très sou-
vent, et même dans notre édition, au tome III, p. SjS-SSo, et au
tome VIII, p. a6. Mais M. Monval, dans la préface de sa récente
édition des Lettres du Mercure sur Molière, a très bien fait remar-
quer que ces lettres avaient presque tout tiré des Mémoires sur la
vie et les ouvrages de Molière par La Serre (1734), et que ces Mé-
moires n'attribuent à une fille de du Croisy que le portrait de
Molière. Il reste infiniment probable que celui de Mlle Molière a
été donné d'après de bons renseignements.
SUR MOLIERE. 3',9
presque toujours opposée à la mode du temps. » Ce signale-
ment offre assez de différences avec celui de la lille de
M. Jourdain pour n'en pas paraître une simple copie; en
même temps assez de ressemblances pour que tous deux
fassent reconnaître la même pei'sonne. On se serait d'ail-
leurs passé de cette preuve pour deviner à qui Molière
avait pensé dans un portrait qu'il a marqué de traits trop
particuliers pour être de pure imagination, et trop char-
mants pour qu'il ne les ait pas pris dans son cœur; il y a
mis toutes les caresses de son pinceau. La scène où le valet
Covielle essaye de le faire, et oîi Cléonte le retouche et le
corrige, en amoureux entraîné à oublier ses griefs, est une
des plus délicieuses que Molière ait écrites.
Si souvent qu'elle ait été citée, et si présente qu'elle
soit à toutes les mémoires, il faut replacer ici sous les yeux
de ceux mêmes à qui elle est le plus familière, cette pein-
ture achevée de la personne sur qui nous rassemblons ici
tous les témoignages : « Elle, Monsieur! dit l'impoli
Covielle, voilà une belle mijaurée, une pimpesouée bien
bâtie, pour vous donner tant d'amour ! Je ne lui vois rien
que de très médiocre, et vous trouverez cent personnes qui
seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux
petits. — Cléoxte. Cela est vrai, elle a les yeux petits; mais
elle les a pleins de feux, les plus brillants, les plus perçants
du monde, les plus touchants qu'on puisse voir. — Covielle.
Elle a la bouche grande. — Cléoxte. Oui; mais on y voit
des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches ; et cette
bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus
attrayante, la plus amoureuse du monde. — Covielle. Pour
sa taille, elle n'est pas grande. — Cléonte. Non ; mais elle
est aisée et bien prise. — Covielle. Elle affecte une non-
chalance dans son parler et dans ses actions. — Cléoxte.
Il est vrai ; mais elle a grâce à tout cela, et ses manières
sont engageantes, ont je ne sais quel charme à s'insinuer
dans les cœurs. — Covielle. Pour de l'esprit,... — Cléonte.
Ah! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat.
[Cléonte s'y connaissait.) — Covielle. Sa conversation —
Cléonte. Sa conversation est charmante. — Covielle. Elle
est toujours sérieuse. — Cléonte. Veux-tu de ces enjoué-
35o NOTICE BIOGRAPHIQUE
ments épanouis, de ces joies toujours ouvertes? et vois-tu
rien do plus impertinent que des femmes qui rient à tout
propos? — CoviKLLE. Mais enfin elle est capricieuse autant
que personne du monde. — Clkoxtk. Oui, elle est capri-
cieuse, j'en demeure d'accord ; mais tout sied bien aux
belles, on souffre tout des belles*. »
On aura sans doute reconnu un des traits qui n'avaient
pas échappé à Robinet : Rien « n'est si mignon C'est une
miniature. « Et ces « manières engageantes 3> qui s'insi-
nuent dans les cœurs, on les a trouvées déjà dans la cita-
tion que tout à l'heure nous avons faite de la Fameuse Co-
médienne.
Dans l'agréable variante du Drpit amoureux, que nous
donne la comédie de 16^0, ce n'est pas seulement en se fai-
sant le peintre de sa femme que Molière nous a laissé une
page de ses Me'moires. Il nous apprend là qu'il n'avait pas
cessé d'être sous le charme à cette date, ou du moins qu'il
s'y laissait toujours ramener comme Horace dans son chant
alterné avec sa Lydie. Quelle touchante déclaration à l'in-
grate ! et qu'il a d'envie, à l'exemple de son Cléonte, de
l'aimer, malgré tout, et de trouver injustes ses soupçons!
Nous pouvons compter l'année oiî fut écrite cette jolie scène
comme une de celles où il se prêta à une réconciliation.
Quand on le voit prendre un extrême plaisir soit à la célé-
brer, soit à mettre tant de bonne grâce à l'offrir, on se
refuse à admettre que jamais, aveuglement ou non, ses cha-
grins aient été au delà d'une crainte mal éclaircie des im-
pardonnables infidélités. Il y a des offenses d'une telle na-
ture, que le pardon serait une lâcheté. C'est assez de croire
qu'ayant si réellement à se plaindre d'une coquetterie et
d'une froideur qui le mettaient au désespoir, Molière n'avait
pas la force de se déprendre.
Un trait de son caractère, qui ne doit pas être oublie,
est l'empire que l'amour avait sur son cœur. Pour ne pas per-
mettre d'en douter, il suffirait des peintures qu'il a faites
de cette passion. Il serait peut-être prescpie aussi juste de
dire le tendre Molière, que le tendre Racine. S'élevant dans
I . Le Bourgeois gentilhomme, acte ITI, scène ix.
SUR MOLIERE. 35i
mainte scène au-dessus des galants lieux communs de la
comédie, il a donné, lui aussi, sa plus véritable éloquence
à l'amour, surtout à l'amour jaloux, non, comme Racine,
chez les amantes, mais plutôt chez les amants. C'est tantôt
Arnolphe, tout ridicule qu'il est, tantôt le singulier, mais
noble Alceste, ouDonGarcie, première épreuve de ce rôle;
c'est encore l'Eraste du Dépit amoureux, ou le Cléonte du
Bourgeois gentilhomme. Celui qui faisait si bien parler à ses
personnages un langage passionné, ne le parlait sans doute
pas plus mal pour son compte. Dans sa galanterie de mari
amant, nous nous le représentons singulièrement aimable. Il
semble donc qu'il lui devait être facile de trouver le chemin
d'un cœur, surtout avec le prestige de sa gloire de poète,
qui rendait sa tendresse très flatteuse. En avoir été peu
touchée fait peu d'honneur à Mlle Molière.
On a cependant réclamé contre la sévérité, même la plus
adoucie, des jugements portés sur elle; on a parlé de torts
réciproques et. pour expliquer les dissensions domestiques,
allégué l'incompatibilité des humeurs. Le caractère inquiet
de Molière, a-t-on dit, et ses emportements jaloux, ont irrité
la fierté de sa femme, qui chercha par des bravades de
coquetterie à se venger d'une fatigante défiance. Cette apo-
logie de Mlle Molière est au moins excessive, et nous ne
croyons pas juste de tenir la balance égale entre les deux
époux; mais nous ne faisons pas difficulté de reconnaître
le désaccord des caractères, et certains côtés de celui de
Molière propres à effrayer une jeune femme frivole. Sans
doute le grand homme lui paraissait bien philosophe, bien
rêveur, souvent trop triste, et, sous le poids d'un incessant
travail, plus tourmenté qu'elle ne l'eût voulu pour son agré-
ment et sa commodité, du besoin d'un intérieur tranquille
et d'une tendresse égale à la sienne. La jalousie qui était
dans sa nature, et que, dans la vie comique, on jugeait une
bizarrerie, faisait de lui pour cette Béjart un importun, un
mari gênant. Elle devait dire comme Célimène dans un de
ses billets : <^ Il est cent moments où je le trouve le ])lus
fâcheux du monde'. « Et puis n'était-il pas facilement irri-
I . Le Misant/trope, acte V, scène dernière.
35a NOTICE BIOGRAPHIQUE
table? N'avait-il pas des brusqueries, des mouvements de
vive impatience? On voudra peut-être citer en preuve une
anecdote contée par Grimarest*, de sa colère contre le valet
qui, par deux fois, lui avait mis un de ses bas à l'envers*.
La preuve est très insuffisante. Un moment d'emportement
ne donne pas le droit de regarder comme imméritée la ré-
putation qu'il a eue de beaucoup de douceur, et d'une bonté
familière pour ceux qui le servaient.
Quand on lui ferait sa petite part dans les causes de la
désunion du ménage, on ne trouverait de son côté rien
d'assez grave pour faire pardonner à sa femme d'avoir si
mal apprécié un tel attachement et de ne s'être pas laissé
désarmer par l'extrême indulgence qui tant de fois lui offrit
des traités de paix. Les défauts de Molière étaient faciles à
supporter, et plus que compensés par les qualités qui le fai-
saient aimer de quiconque vivait dans sa familiarité : « Il
étoit doux, complaisant, généreux », est-il dit dans le por-
trait qu'a donné de lui la fille de son camarade du Croisy^.
Puisque nous faisons un emprunt à ce portrait, n'en ci-
tons pas seulement les traits du caractère de Molière qui le
terminent. Car, bien qu'en ce moment nous ayons plutôt
affaire des peintures de ses qualités morales que de celle de
son extérieur, nous ne voudrions pas que l'on ait vu tout à
l'heure le signalement de la femme sans pouvoir en rappro-
cher celui du mari, où d'ailleurs on cherchera peut-être
quelques indications de caractère, données par la physiono-
mie : « Molière n'était ni trop gras, ni trop maigre; il avoit
la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle.
Il marchoit gravement, avoit l'air très sérieux, le nez gros,
la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sour-
1. La Fie de M. de Molière, p. a53-255.
2. La très curieuse biographie de ce valet, surnommé Provençal,
a été écrite par M. Monval, dans un petit volume publié en 1887,
sous ce titre : le Laquais de Molière.
3. Les objections à l'attribution du portrait de Mlle Molière à
Mlle Poisson n'existent pas pour le portrait de Molière. La Serre,
en le donnant dans ses Mémoires sur la vie et les ouvrages de Mo-
lière, au tome I des OEuvres (^LDCC.XXXIV, in-4''), p. lu, dit
positivement qu'il le doit à Mlle Poisson.
SUR MOLIERE. ' 3j5
cis noirs et forts, et les divers mouvements qu'il leur dou-
noit lui rendoient la physionomie extrêmement comique. »
A côté de l'humeur sérieuse et grave que, dans les scènes
gaies, la mobilité du masque comique pouvait seule cacher,
la bonté n'est-elle [)as marquée là par un certain signe, par
celui des lèvres épaisses, soit dit sans avoir de prétention à
la science d'un Lavater?
Lorsqu'on a parlé du ménage de Molière, on a quelquefois
voulu savoir à quels moments les orages y avaient éclaté, à
quels moments ils s'étaient calmés : on ne l'a pas claire-
ment établi. Il aurait au moins fallu se garder de demander
des renseignements à la Fameuse Cnme'dieniic. rsous avons eu
occasion de dire que ce venimeux roman fait commencer les
scènes douloureuses de très bonne heure, dès le temps où il
a honteusement imaginé les amours tarifées de l'abbé de
Richelieu*. Par les anachronismes, par les mensonges,
dont il a été aisé de le convaincre, le libelle a perdu tout
droit à être cru. On n'a donc pas à l'écouter lorsqu'il ra-
conte ensuite que Mlle Molière ne renonça pas longtemps à
ses galantes intrigues, qu'alors Molière, à qui l'on ouvrit
pour la seconde fois les yeux, la menaça de la faire enfer-
mer, mais, touché par un évanouissement de la femme arti-
ficieuse, se repentit de sa violence, et de nouveau fit grâce,
à la condition d'une meilleure conduite. Elle, cependant, au
lieu d'être reconnaissante de tant de bonté, demande la
séparation, et de ce jour donne à son mari tant de preuves
d'aversion, qu'il accepte enfin la rupture; elle se fait sans
arrêt du Parlement-, on néglige de dire en quel temps ; puis,
immédiatement, pour amener les confidences de Molière à
Chapelle^, on nous transporte à Auteuil, où il paraît con-
staté que Molière ne loua une maison qu'en 1667^. Suit le
récit, toujours sans preuves, des amours de Mlle Molière cl
de Baron, à l'époque de Psjchc, en 1671^. Quelques mois
î. Voyez ci-dessus, p. 3oi. •.,,-(,,
2. La Fameuse Comédienne, p. 2I. ■ , r .. , . .
3. Ibidem, p. 22-3o. ;
4. Les Points obscurs de la vie de Molière, p. jai.
5 La Fameuse Comédienne, p. S'i-Sy.
Molière, x a3
35.', NOTICE BIOGRAPHIQUE
après, Madeleine Béjart meurt, nous sommes bien étonnés
tra])prcndre que c'est de chagrin, tant elle avait été sensible
aux désordres du ménage'. Si, laissant de côté, comme il le
mérite, l'opuscule diffamatoire, on s'adresse à Grimarest, sa
Vie de Molière n'inspire pas la même défiance. Mais, sur le
détail des discordes domestiques et des réconciliations, son
témoignage est court. Il est évident que pour cette jKirtie
de sa biographie il n'avait pu recueillir que des renseigne-
ments incomplets. Il nous fait bien comprendre pourquoi :
« Ayant été, dit-il, malheureux de ce côté-là, [Molicrc'^ avoit
la prudence de n'en parler jamais qu'à ses amis ; encore
falloit-il qu'il y fût indispcnsablemcnt obligé^. « Dans le
petit nombre de passages où Grimarest touche quelques
mots des querelles et des trêves, il semble rarement con-
naître les dates des unes et des autres. On peut croire, sans
que pourtant ce soit d'une parfaite clarté, qu'il rapporte au
temps de la Princesse d'Élide les premiers ombrages de Mo-
lière et ses premiers reproches à la coquette comédienne^.
Plus positive est la date du trouble qu'il raconte avoir été
mis dans le ménage par la faute d'Armande, lorsque, jalouse
des soins presque paternels donnés par Molière au jeune
Baron, elle maltraita cet enfant que son généreux mari avait
recueilli dans sa maison, et comme adopté*. Cette brouille
est du temps où l'on préparait la représentation de Mélicerte,
à la lin de 16G6. Comme c'est au même endroit que Grima-
rest montre Molière très malheureux entre l'une et l'autre
Béjart, Madeleine qui ne l'aimait plus, Arraande qui sem-
blait prête à le haïr, n'est-ce pas également à l'époque de
1. La Fameuse Comédienne, p. 38.
2. La Vie de M. de Molière, p. a 33.
3. Ibidem, p. 69.
4. Ibidem, p. 110-112. — Les pages les plus honteuses de la
Fameuse Comédienne, les phis indignes d'être réfutées, sont celles
où le libelle salit par une infâme calomnie la charitable amitié de
Molière. 11 est remarquable qu'elles ne se trouvent pas dans l'édi-
tion sans lieu ni date. — Grimarest a raconté avec de longs dé-
tails, qui seraient de trop ici, dans quelles circonstances Molière
se chargea du petit comédien destiné à tant de célébrité, com-
ment il prit plaisir à le former et de quelles bontés il le combla.
SUR MOLIEr.E. 35!.
Méliccrtc qu'il place ce doul)]e accablement des tracas de
son intérieur, ou bien, nous reportant à quelques lignes
plus haut, supposerons-nous qu'il a eu en vue l'année 1668,
dont il vient de parler à l'occasion de l'Avare?
Si l'on voit que les informations lui ont manqué pour
suivre Molière dans ses épreuves domestiques avec l'exac-
titude d'un annaliste, son témoignage n'en est pas moins
le seul sur lequel on puisse s'appuyer lorsqu'on veut don-
ner quelque idée de cette triste histoire. Ce qu'il en a
dit de plus intéressant se trouve dans cet entretien que
nous avons cité^ de Molière avec son ami Rohault. La scène
est sans doute imaginaire; mais nous croyons que Grimarest
n'y a pas tout inventé : il y a mis ce qu'il avait entendu ra-
conter des chagrins jaloux de Molière, de sa facilité de
pardon, qui allait jusqu'à s'accuser lui-même, à prendre
parti pour sa femme, à lui chercher du moins des excuses.
II n'a contesté nulle part la mésintelligence des deux époux;
mais s'est indigné contre les mensonges de la Fameuse Co"
mcdienne, qu'il reproche à Bayle d'avoir cités dans son
Dictionnaire. Il ne veut pas laisser croire à un état de
guerre aussi violent qu'on s'était plu à le représenter.
« Molière, dit-il, après avoir essuyé beaucoup de froideurs
et de dissensions domestiques, fit son possible pour se ren-
fermer dans son travail et dans ses amis, sans se mettre en
peine de la conduite de sa femme*. » Et ailleurs : « Il vivoit en
vrai philosophe ; et, toujours occupé de plaire à son Prince
par ses ouvrages, et de s'assurer une réputation d'hon-
nête homme, il se mettoit peu en peine des humeurs de sa
femme, qu'il laissoit vivre à sa fantaisie quoiqu'il conservât
toujours pour elle une véritable tendresse^. » Sans croire
à tant de philosophie, qui aurait paru une indifférence
sans dignité, on entrevoit là quelque vérité. S'il n'est pas
douteux que la femme de Molière ne l'ait cruellement fait
souffrir, et qu'il ne se soit souvent emporté en vifs et justes
reproches, il était trop distrait de ses peines par le travail
1. Voyez ci-dessus, p. 842 et 343.
2. La Vie de M. de Molière^ p. "jO.
3. Ihidein, ji. ^79 et 280.
356 NOTICE BIOGRAPHIQUE
qu'il aimait, en même temps il jugeait avec trop de bon sens
les inévitables inconvénients, dans un mariage, de la vie de
théâtre où il avait engagé sa femme, pour ne pas se résigner
à quelque indulgence. Il n'a jamais cessé de jouer ses co-
médies avec Arraande, d'y choisir pour elle des rôles très
propres à la faire briller. Il a fait plus : dans quelques-unes
de ces pièces, il a laissé éclater l'amour dont les torts de
l'ingrate ne l'avaient pas guéri; et c'est alors surtout qu'on
trouverait à faire les conjectures les plus vraisemblables sur
les moments de ses réconciliations, tout au moins de ses
offres de paix.
Grimarest place dix mois avant la première représenta-
tion du Malade imaginaire (lo février 1673) l'intervention
d'amis qui essayèrent de rétablir l'union entre les époux,
« ou, pour mieux dire, de les faire vivre avec plus de con-
cert* ». Ce serait vers le mois d'avril 1672. Pour une fois
que Grimarest hasarde une date précise, il ne paraît pas
avoir reçu de bons renseignements. Nous ne voudrions pas
lui objecter ce petit fait raconté par Brossette : dans la
I. La Vie de M. de Molière, p. 280 et 283. — On a parlé ail-
leurs de cette réconciliation, la dernière en date, à laquelle au-
raient travaillé des amis, non pas dix mois avant la représentation
du Malade imaginaire, mais lorsque cette comédie venait d'être
achevée. Les officieux amis que l'on nomme sont Chapelle et le
marquis de Jonzac : « Molière..., dans l'intention d'offrir à sa
femme le rôle d'Angélique, et sachant combien la douceur de sa
voix ajoutoit à l'expression des sentiments naturels, avoit su rendre
ce rôle assez aimable pour faire applaudir, d'un bout à l'autre,
l'actrice qu'il en chargeroit. Jonzac fit sentir à Mme Molière le
prix d'un pareil soin de la part d'un mari maltraité. Peut-être
ce motif la touclia-t-il foiblement; mais l'espérance de plaire
dans un rôle écrit pour elle la décida. Le rapprochement eut
lieu dans la soirée même. » Nous ne trouvons cette anecdote
que dans l'écrit assez singulier intitulé : Extrait des Mémoires de
Madame Guériii, veuve de Molière, et qui est en grande partie une
compilation de la Fameuse Comédienne. Cet extrait a été publié
dans la seconde livraison de la Collection des Mémoires dramatitjues
(Paris, 1823). L'anecdote est aux pages i85 et 186, où l'on fait
entendre qu'elle est tirée du libelle; cependant nous ne la lisons
dans aucune des éditions que nous en avons'^ies.
SUR MOLIERE. 357
scène première des Femmes savantes^ les vers 78 cl 74
étaient d'abord ainsi :
QuaucI sur une personne on prétend s'ajuster,
C'est par les beaux côtés qu'il la faut imiter.
Boileau n'en avant pas été content, Molière le pria de les
refaire, « tandis qu'il alloit sortir un moment avec sa
femme* ». On pourrait conclure de là que le ménage n'a-
vait pas alors grand besoin que des amis prissent soin d'y
remettre le bon accord; mais il faudrait savoir quand Boi-
leau proposa la correction qui fut adoptée, si ce fut avant
la première représentation, donnée le 1 1 mars 1672, ou seu-
lement après l'impression, àoïi\.\' Achevé' est du 10 décembre
suivant. Il y a une difficulté plus sérieuse à opposer à Gri-
marest. La naissance d'un troisième enfant de Molière, le
i5 septembre 1672, sept ans après celle du second, aurait
dû l'avertir que bien avant le mois d'avril de la même an-
née la séparation avait cessé. Cet enfant, Pierre- Jean-Bap-
tiste-Armand, qui vécut un peu moins d'un mois, eut pour
parrain Pierre Boileau (Puymorin), frère de Despréaux,
pour marraine la fille de Pierre Mignard^. Il est assez vrai-
semblable que les médiateurs dont l'amitié avait amené une
réconciliation furent principalement Mignard et les Boileau.
Il est à remarquer que, des enfants de Molière, ce dernier
né est le seul à qui l'on ait donné, après le prénom du par-
rain, les prénoms, amicalement rapprochés, du père et de
la mère, comme avec l'intention de constater l'union étroi-
tement rétablie. La distraction de Grimarest, qui n'a pas
tenu compte de la dernière grossesse de Mlle Molière, est
d'autant plus singulière qu'il venait de nous donner d'une
aggravation de l'état valétudinaire de Molière une explica-
tion médicale, aussi peu soucieuse de délicate réserve que
certaines promesses de M. Purgon dont Argan se vante à
sa femme^. Molière, dit-il, « pour rendre l'union plus par-
1. Ms. de Brossette, p. 36.
2. Voyez aux Pièces justificatii-es, n° XI, l'acte de baptême en
date du i"^ octobre 1672.
Le Malade imaginaire, acte 1, scène vu, p. Si".
3Si NOTICE BIOGRAPHIQUE
faite, quitta l'usage du lait, qu'il n'avait pas discontinué
jusqu'alors, et il se mit à la viande. Ce changement d'ali-
ments redoubla sa toux et sa fluxion sur la poitrine'. »
Dans un temps très antérieur, où la désunion dans le
ménage ne pouvait être déjà supposée, on n'a pas eu à cher-
cher dans la naissance d'un enfant l'indication d'un mo-
ment de réconciliation. Le premier né, Louis, celui qui fut
le filleul du roi et de la duchesse d'Orléans*, était venu au
monde le 19 janvier 1664^. Il va sans dire qu'à une époque
si voisine du mariage, on ne vivait pas séparés. Tout au
plus y aurait-il quelque conjecture à tirer de la naissance,
en août i6G5, d'une fille, qui devint en i^oî Mme de Mon-
talant. Si les querelles dont les fêtes de mai 1664 furent,
dit-on, l'occasion, étaient plus certaines, il faudrait croire
qu'elles ne tardèrent pas à s'apaiser. Quelle cjue soit la va-
leur d'une preuve de retour à la concorde, que semblerait
fournir la naissance de l'enfant destiné seul à survivre à ses
parents, c'est plutôt son baptême^ qui offre un fait curieux
de la vie de Molière.
Cet enfant reçut les prénoms d'Esprit-Madeleine, dont
l'un lui était donné par son parrain. Esprit de Rémond,
marquis de Modène, l'autre par sa marraine, Madeleine
Béjart. On ne voit pas sans quelque étonnement reparaître
ce Modène. Lorsqu'on regarde comme vraisemblable que
Madeleine Béjart était la grand'mère de la petite baptisée,
la pensée vient assez naturellement que le parrain pouvait
bien être le grand-père; mais, en l'absence de preuves plus
décisives, nous l'avons déjà dit^, ce ne sera jamais qu'une
conjecture. De quelque manière qu'on cherche à expliquer
le choix comme parrain de l'homme qui avait été avant Mo-
lière l'amant de Madeleine, il ne fait pas bonne figure dans
ce baptême de i665. Tout ce qui est regrettable dans la vie
1. La vie de M. de Molière, p. a8o et 281.
3. Voyez ci-dessus, p. 269.
3. Il mourut quelques mois après, le 11 novembre 1664. Voyez
aux Pièces justificatives, n° X.
4. \oyez aux Pièces justificatives, n" XII, l'acte de ce baptême.
5. Voyez ci-dessus, p. 261 et 262.
SUR MOLIÈRE. Vyg
privée de Molière, tout ce qui a blessé non seulement le
bonheur, mais la dignité de cette vie, est venu des liaisons
avec les Béjart, du mariage qui les a rendues plus étroites
encore. Il n'en est sans doute pas moins resté chez notre
grand poète de nombreuses marques du caractère de l'hon-
nête homme; mais on ne les reconnaît pas toujours au
milieu des mœurs, trop acceptées par lui, de ce monde du
théâtre auquel étaient étrangères les délicatesses d'un cœur
capable de trouver en lui-même l'image du noble Alceste.
De là, entre telles et telles faiblesses de la conduite de Mo-
lière et le sentiment qu'il avait certainement de l'honneur,
un désaccord qui dut être une de ses souffrances.
Il nous tardait de sortir des misères, imparfaitement
connues d'ailleurs, de sa vie domestique, pour le retrou-
ver au milieu de ses brillants travaux, dont, avec lu comédie
du Misanthrope, nous avions conduit l'histoire jusqu'à l'an-
née 1666; mais, avant de la continuer à partir de cette date,
laissons-nous ramener aux deux années précédentes, qui
virent paraître sur la scène du Palais-Royal les premières
tragédies de Racine. Ce n'est pas le théâtre où elles furent
jouées qui les rend surtout intéressantes dans une biogra-
phie de Molière : c'est la déplorable rupture que la seconde
amena entre les deux grands poètes, qui seront à jamais la
gloire de la scène française, et que nous adnnrons et aimons
l'un comme l'autre.
Rien de plus connu que leur brouille. Nous ne nous éton-
nons pas que l'on ait généralement prononcé en faveur de
Molière : la bonne intelligence ne fut pas troublée de son
fait. Il n'était ce[)cndant pas nécessaire d'être aussi dur
pour Racine qu'on l'a été trop souvent, et d'aggraver ses
torts avec une passion qui, chez quelques-uns, semblerait
plutôt une inexplicable antipathie pour lui que beaucoup de
sympathie, très méritée, pour Molière. Nous voudrions
rester dans la justice et l'impartialité.
Dès 1660, Racine, âgé de vingt et un ans, aspirait à faire
jouer par les acteurs du Marais une pièce de sa composi-
tion, l'Aniasie; et l'année suivante, il en destinait une autre,
les Amours d'Ovide, à l'Hôtel de Bourgogne. Ayant de si
bonne heure la vocation du théâtre, il n'avait pu demeurer
36o NOTICE BIOGRAPHIQUE
longtemps sans l'elations, plus ou moins suivies, avec un
comédien qui, mieux encore, était un très célèbre poète.
Une de ses lettres, écrite en novembre i663, avant qu'il
n'eût été introduit auprès de Boileau, prouve qu'il connais-
sait déjà Molière, et sans doute assez familièrement. Il dit
dans cette lettre qu'il l'a trouvé au lever du roi, qui lui « a
donné assez de louanges. Et j'en ai été bien aise pour lui;
il a été bien aise aussi que j'y fusse présent ». Ne nous ar-
rêtons pas au petit trait de malice, qui n'est pas assuré-
ment une grande méchanceté. Nous avons seulement voulu
citer une preuve qu'on ne se voyait pas ce jour-là pour la
première fois. Une autre lettre, écrite quelques jours après,
l'établit plus expressément : « Je n'ai point vu l'Impromptu^
ni son auteur depuis huit jours. » Une semaine sans se ren-
contrer n'était donc pas très oi'dinaire. C'est à la fin de la
même lettre que se trouve un passage vivement reproché à
Racine : « Montfleury a fait une requête contre Molière',
et l'a donnée au Roi. Il l'accuse d'avoir épousé la fille et
d'avoir autrefois couché avec la mère. Mais Montfleury
n'est pas écouté à la cour. » Hé quoi! a-t-on dit, pas un
mot d'indignation contre une dénonciation odieuse! N'est-ce
pas avoir grande envie de faire une querelle à Racine ? Il
donne simplement à son jeune ami, l'abbé Le Vasseur, une
nouvelle très exacte, sans la moindre intention d'approuver
cette lâche requête ; il nous paraît plutôt empressé d'en
constater le mauvais succès à la cour. Une protestation, ce
nous semble, n'aurait été utile que dans un écrit public.
Au reste, n'oublions pas que très vraisemblablement Racine,
comme tout le monde, croyait bien savoir qu'Armande Béjart
était la fille de Madeleine, autrefois maîtresse de Molière;
il n'aurait donc pu flétrir dans l'accusation de Monfleury
qu'une assez probable intention d'insinuation calomnieuse.
Pour trouver Racine décidément criminel, on s'est plu à
supposer que l'autographe conservé à notre Bibliothèque
nationale n'est qu'une copie inexacte, et que Louis Racine
ï. L' Impromptu de T'ersaUles, qui avait été donué pour la pre-
mière fois sur le théâtre public le 4 novembre i663.
3. Voyez ci-dessus, p. aGS,
SUR MOLIERE. 36i
a donné le vrai texte de la lettre originale. A d'autres !
Est-ce qu'il n'est pas clair que le bon fils, scrupuleux jusqu'à
la maladresse, a cru bien faire de corriger des expressions
dont la crudité scandaliserait? Il n'avait pas su prévoir
qu'en aggravant les paroles de l'accusateur, il donnerait
des armes contre celui qui les avait répétées sans récla-
mer. Partant de là, on s'écrie : Racine rapporte une atroce
calomnie froidement et sans prendre la défense d'un ami,
d'un bienfaiteur; car, pour rendre son cas plus mauvais,
on le représente comme ayant été, « dès son adolescence,
l'objet des soins de notre comique, qui guida ses pre-
miers pas dans la carrière littéraire, l'accueillit dans sa
société intime, produisit son talent à la cour et le combla
de ses libéralités ^ » Racine produit à la cour par Molière
est une plaisante imagination. Pour le reste, on s'en est fié
à des autorités, dont il était facile de reconnaître le poids
plus que léger. Voltaire a dit : « C'est peut-être à Molière
que la France doit Racine. Il engagea le jeune Racine, qui
sortait de Port-RoNal, à travailler pour le théâtre dès l'âge
de dix-neuf ans. Il lui fit composer la tragédie de Theagène
et Chariclce; et quoique cette pièce fût trop faible pour
être jouée, il fit présent au jeune auteur de cent louis, et
lui donna le plan des Frères ennemis'^. » Voltaire s'est laissé
conter ces histoires par Grimarest. Dans le récit de celui-ci,
Molière, sachant que l'Hôtel de Bourgogne devait donner
une pièce nouvelle dans deux mois, résolut d'en avoir une
toute prête pour ce même temps, et se souvint d'un jeune
homme qui, l'année précédente, lui avait apporté une tra-
gédie intitulée Theagène et Charicle'e'". Sans en être satis-
fait, il y entrevit des germes de talent; et comme il avait
fait lui-même un dessein des Frères ennemis, il fit chercher,
pour l'exécuter, l'auteur novice, mais de quelque espé-
1. Taschereau, Histoire de la vie et des oui-rages de Molière, p. gq.
2. Œuvres complètes de P^oltaire (édition Moland), tome XXlll,
P-94-
3. Jean-Baptiste Racine parle de ce premier ouvrage de son
père, commencé à Uzès. 11 paraît ne pas croire qu'il l'eit achevé
A'ojez au tome VI de notre édition de Racine, p. 38i, à la note.
36a NOTICE BIOGRAPHIQUE
rance, qu'il avait perdu de vue et ne savait où prendre.
Quand Racine lui apporta sa tragédie, dans laquelle il avait
trop pillé Rotrou, il l'aida à la refaire. Corrigé d'après ses
conseils, l'ouvrage eut du succès. Racine fut encouragé par
les applaudissements du public, et par k le présent que
Molière lui iit^ ». Ce présent est sans doute la double part
d'auteur, qui était d'usage*, et qui est devenue, sous la
plume de Voltaire, l'invraisemblable libéralité de cent louis.
Molière, protecteur du jeune débutant, dont il pressent
le brillant avenir, et son utile conseiller, lorsqu'il lui pro-
pose le sujet de la Thébaïde, puis lui indique les change-
ments à y faire, c'est une légende convaincue de fausseté
par les lettres de Racine^. Si cette tragédie eût été composée
à la demande de Molière, et même dans une sorte de colla-
boration avec lui, ces lettres ne nous apprendraient pas
que l'auteur les destina d'abord à l'Hôtel de Bourgogne.
Pour une pièce précédente, en 1660, il s'était adressé au
théâtre du Marais, non à celui de Molière. Il n'avait donc
pas de préférence marquée pour telle ou telle troupe, et
entendait rester libre. Quand on l'impatientait quelque part
par des lenteurs, il se tournait d'un autre côté. Mécontent
d'être lanterné par les Grands comédiens pour la repré-
sentation de la Thc'baïde, qu'ils ajournaient après celles de
trois autres pièces nouvelles, il aima mieux s'entendre avec
I. La Vie de M. de Molière, p. 57-61.
a. Le Registre de La Grange dit qu'à la première représenta-
tion de la Thébaïde on retira deux parts pour l'auteur. Chaque
part ayant été de dix-huit livres cinq sous. Racine toucha donc
trente-six livres dix sous. Si, dans les représentations qui suivi-
rent, il continua à toucher deux parts, il eut pour la seconde
vingt-trois Uvres, pour la troisième vingt-cinq, pour la quatrième
six. Après celle-ci la Tlu-haïdt ne fut plus représentée seule. L'au-
teur eut donc de moindres parts. Les plus fortes qu'il put tou-
cher furent celles des représentations en visite, particulièrement
celles qui furent données à Fontainebleau par ordre du roi (juil-
.■et iGG-i) et à Villers-Cotterets par ordre de Monsieur (septembre
Qe la même année).
3. Voyez au tome VI des OEinres de Racine les lettres 40 et 4l
de la fin de i663, p. 618 et 5ao.
SUR MOLIÈRE. 363
le Palais-Royal, qui, le 20 juin 1664, joua sa tragédie.
Voilà, ce semble, le plus incontestable service dont Racine
fut redevable à Molière, qui peut-être bien y trouvait son
compte ; car il avait le goût assez sûr pour reconnaître
les promesses de ce début, et ne devait pas être fâché
de ne pas laisser un talent naissant s'attaclier au théâtre
rival. Il est vraisemblable qu'alors seulement devint plus
étroite une liaison, de toute façon inévitable entre deux
poètes de tant d'esprit, qui avaient des amis communs, avant
tous la Fontaine et Boileau.
]\"est-ce pas entre le temps où Molière accueillit les
Frères ennemis et celui de sa brouille avec Racine, qu'on
placerait le mieux les agréables réunions dont le souvenir
nous a été conservé, et dans lesquelles Louis Racine nous
montre, dans la société de son père, Boileau, la Fontaine
et Chapelle*? Suivant l'auteur de la Description du Parnasse
français^, ils s'assemblaient deux ou trois fois par semaine
rue du Colombier, dans un appartement loué par Boileau.
On a nommé aussi des cabarets, alors célèbres, tels que le
Mouton blanc et la Croix de Lorraine, où, le verre en main,
ils s'égayaient ensemble. Mais, pour citer des jours précis
où l'on y vit Racine en compagnie de Molière, les témoi-
gnages nous manquent. Brossette, dans son Commentaire,
de 17 16, des Œuvres de Boileau, parle d'une réunion au
cabaret de la place Saint-Jean, c'est-à-dire au Mouton blanc,
dans lequel fut composé le Chapelain de'coiffc'. Racine prit
part à cette plaisanterie, et rien n'avait pu empêcher Molière
de se trouver auprès de lui, car c'était, croit-on, en 1664.
Cependant, s'il eût été présent, Boileau, dans sa lettre à
Brossette du 10 décembre 1701^, n'aurait pas manqué de le
dire. Il plaçait d'ailleurs ce repas chez Furetière*. Quant à
la Croix de Lorraine, Chapelle, qui en a raconté, dans une
lettre au marquis de Jonzac, une des joyeuses frairies,
I. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean Racine, p. 2 35.
•X. Page i4i de l'editioa in-12 (1727).
3. OEuvres de Boileau (éditiou de Berriat-Saint-Prix), tome IV,
p. 35i.
4. Ibidem, tome I, p. 33.
364 NOTICE BIOGRAPHIQUE
nomme Molière, mais non Racine, parmi les neuf épulons.
Ce n'est pas une raison pour être incrédule à la tradition
qui, dans quelques-unes de ces petites fêtes de spirituels
amis, met nos deux poètes l'un à côte de l'autre.
Dans la Psyché de la Fontaine, ils étaient certainement
deux des quatre amis entre lesquels s'était formée, comme
il est dit au début du roman, une société poétique oîi l'on
causait avec un agrément qui ne sentait pas le bureau d'es-
prit. Racine et Molière y ont les surnoms, l'un d'Acante,
l'autre de Gélaste. Nous avons expliqué dans la Notice bio-
graphique sur la Fontaine* comment il s'est fait qu'après
i665, tout en laissant des traces évidentes de Molière-
Gélaste, notre fiibuliste lui a substitué dans quelques pas-
sages Chapelle, devenu Gélaste à son tour.
Nous tenons donc pour bien établi que si Molière n'a pas,
comme on le prétend, protégé Racine, et ne l'a pas accablé
de bienfaits, tous deux ont été dans une assez grande inti-
mité. C'était assez pour conseiller au jeune auteur des
égards délicats, une abnégation de ses intérêts, qui lui
aurait fait plus d'honneur que le soin qu'il en prit, mais
dont nous craignons que les exemples n'aient été rares en
tout temps chez les poursuivants de la renommée.
Quelque familière que soit à toutes les mémoires l'histoire
de la seconde tragédie de Racine, on ne peut se dispenser
ici de la rappeler, mais d'une façon un peu plus sommaire
que nous ne l'avons fait ailleurs, dans la Notice sur Alexandre
le Grand.
Racine n'était plus un inconnu. De beaux passages de la
Thebaïde, et surtout une lecture faite, à l'hôtel de Nevers,
de trois actes et demi de Y Alexandre , avaient fait pressentir
à de bons juges que l'aurore d'une gloire se levait. C'était
donc une bonne fortune pour le théâtre du Palais-Royal
d'avoir à jouer une pièce dont on disait des merveilles. La
première représentation, dont la date est le 4 décembre i665,
fut honorée de la présence de Monsieur, de Madame, du
grand Condé, de son fils, et de la Princesse Palatine. La
I. Pages cxii et cxiii. Voyez aussi les pages 65 et 66 de la
Notice l'iographique sur Racine, dans notre seconde édition.
SUR MOLIERE. 365
Grange fit le personnage d'Alexandre, La Thoriliière celui
de Porus. L'Axiane fut Mlle du Parc, la Cléofile Mlle Mo-
lière. Les deux comédiennes étalèrent de magnifiques pa-
rures *. Leur jeu fut peut-être moins éblouissant que leurs
habits. Nous ne savons pourquoi Madeleine Béjart, la meil-
leure héroïne de la troupe, ne fut pas chai'gée du rôle
d'Axiane, et si ce fut à la demande de l'auteur que la du Parc
lui fut préférée. On peut douter qu'elle ait soutenu la gran-
deur de son personnage à la satisfaction de Racine, bien
qu'ill'ait plus tard enlevée à son théâtre pour lui confier le
rôle très différent d'Andromaque. Il est probable que ses
attraits de jolie femme l'avaient plus charmé que son talent
de tragédienne. Brossette rapporte sur elle ce jugement de
Boileau : « Grande, bien faite, elle n'étoit pas bonne ac-
trice -. » Si elle fut une touchante Andromaque, le même
Boileau disait que Racine lui avait appris ce rôle comme à
une écolière. Quant à Mlle Molière, c'est dans la comédie
qu'elle était charmante. Ceux qui remplirent les rôles des
deux héros de \ Alexandre, La Grange et La Thoriliière,
étaient l'un et l'autre des comédiens très goûtés, mais ne
paraissent pas avoir pu remplir l'idée qu'on se faisait alors
des personnages tragiques. La Thoriliière, il est vrai, par sa
bonne mine et sa noble prestance, passait pour bien représenter
les rois de théâtre ; il ne dut être cependant qu'un médiocre
Porus, s'il est vrai qu'il montrait « un visage riant dans les
passions les plus sérieuses et les situations les plus tristes^ ».
La critique que, dans V Impromptu de Versailles^ Molière a
faite des emphatiques comédiens de l'Hôtel de Bourgogne,
avait beau être juste, il est de fait que généralement on les
jugeait supérieurs dans la tragédie à ceux du Palais-Royal
Louis Racine dit que son père fut mécontent de ceux-ci*
et Monchesnay qu'ils jouèrent « trop lâchement la pièce »
ce que voyant, « l'auteur se rendit aux avis de ses amis
qui lui conseillèrent... de la donner aux Grands comédiens^»
1. Robinet. Lettre en vers a Madame du 27 decemljre i665.
2. Voyez la Kotice biographique sur Racine^ p. 78,
3. Mercure de mai 1738, p. 833.
4. Mémoires, p. 236. — 5. Bohea/ia, p. 104.
366 NOTICE BIOGRAPHIQUE
L'insuffisance des premiers acteurs de \ Alexandre explique
seule en effet que Racine l'ait portée ailleurs. Il se décida
peut-être après la démonstration qui lui fut faite en haut
lieu de ce que sa tragédie gagnerait à ce changement d'in-
terprètes. Le lendemain de la quatrième représentation,
donnée le 14 décembre au Palais-Royal, la comtesse d'Ar-
magnac, femme du grand écuyer, ayant l'honneur d'offrir
au roi, à Monsieur et à Madame un magnifique repas, le
fit suivre du spectacle de \ Alexandre joué par la troupe
royale. Sur la date nous avons le témoignage de la Gazette
du 19 décembre et ceux des Lettres en vers de la Gravette
de Mayolas, de Robinet et de Subligny, écrites toutes trois
le 20. Subligny nous api)rend que Floridor remplit le rôle
d'Alexandre. On s'était sans doute assuré que les augustes
personnes présentes ne désapprouveraient pas cet essai de
nouveaux interprètes, tout au moins dans une représenta-
tion en visite. Aussi n'y eut-il encore chez Molière aucune
réclamation, aucune plainte. Il avait fallu que les acteurs de
l'Hôtel de Bourgogne, pour être prêts le 14, se fussent hâtés
d'apprendre la pièce et de préparer leur peu scrupuleuse
concurrence, à tout hasard, car il est peu probable que de si
bonne heure Racine les y eût aidés. La tentation fut grande
pour lui lorsqu'il sut quelle valeur nouvelle ils avaient
donnée à sa tragédie. Il les autorisa à la jouer pour le public.
Elle parut chez eux le 18 décembre, en même temps qu'au
Palais-Pvoyal. « Le même jour, dit le Registre de La Grange*,
la troupe fut surprise que la même pièce à' Alexandre fût
jouée sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Comme la
chose s'étoit faite de complot avec M. Racine, la troupe ne
crut pas devoir les parts d'auteur à M. Racine, qui en usoit
si mal que d'avoir donné et fait apprendre la pièce aux
autres comédiens. » Cette note exprime certainement les sen-
timents de Molière lui-même. Il était blessé profondément,
moins sensible, on doit le penser, à des recettes perdues qu'à
l'affront fait à ses acteurs et à ce qu'il regardait comme une
trahison de l'amitié. On serait porté à croire qu'il aurait pu
s'opposer à une violation de ses droits ; mais n'était-ce pas
I. Page 7q.
SUR MOLIERE. 36;
plutôt la violation d'un usage seulement? « L'usage, dit
l'Histoire du théâtre français'^, observé de tout temps entre
tous les comédiens françois, étoit de n'entreprendre point de
jouer, au préjudice d'une troupe, les pièces dont elle étoit
en possession et qu'elle avoit mises au théâtre à ses frais
particuliers, pour en retirer les premiers avantages, jus-
qu'à ce qu'elle fût rendue publique par l'impression, x Rien
de plus équitable; mais la volonté des auteurs, maîtres de
leurs ouvrages, n'était peut-être pas soumise au respect de
cette convention, qui n'obligeait que les troupes, et encore,
semblerait-il, moins comme une loi que comme une simple
coutume. Il serait intéressant de mieux connaître ce qui
s'était passé en 1662 entre le Marais et l'Hôtel de Bour-
gogne pour la tragédie de Sertorius, qui, avant l'impres-
sion, fut jouée sur les deux théâtres. Si ce ne fut pas du
consentement de la troupe du Marais, qui, la première,
avait représenté Sertorius, Corneille ne se serait pas plus
gêné avec elle que ne le fit Racine avec la troupe de Mo-
lière. Ce précédent, fût-il plus clair, n'excuserait pas assez
Racine, qui avait, au Palais-Royal, à garder des ménage-
ments avec un ami, et ne devait pas oublier sa pièce de
début accueillie, ses premiers pas encouragés. Nous avons
seulement entendu écarter tout ce qui a été imaginé pour
aggraver ses torts et exagérer ses devoirs de reconnaissance ;
et, sans absoudre l'égoisme d'un talent impatient de se faire
reconnaître et de ne plus être mis, par la faute de médio-
cres tragédiens, en danger de ne pas se révéler avec éclat,
nous demandons quelque indulgence pour une faiblesse,
au-dessus de laquelle il serait bien héroïque à un poète,
amoureux de gloire, de ne pas hésiter à s'élever.
Il est remarquable que le Palais-Royal, après le jour où
il connut l'offensant procédé, se contenta d'abord de fermer
sa caisse au coupable, et que son dépit n'alla pas jusqu'à
abandonner la pièce à l'Hôtel de Bourgogne; il la joua trois
fois encore, le 20, le 22, enfin le 27 décembre, qui fut, en
i66j, le dernier jour de ses représentations. S'il ne la re-
prit pas, lorsque l'on rouvrit le 21 février 1666, il est per-
I. Tome IX, p. io5.
368 NOTICE BIOGRAPHIQUE
mis de penser qu'il s'était senti vaincu par une troupe tra-
gique plus goûtée.
Quinze mois après (\yi Alexandre avait passé du Palais-
Royalà l'IIAtel de Bourgogne, Mlle du Parc prit, aux vacan-
ces de Pâques 1667, le même chemin, engagée par Racine
à suivre sa fortune. Louis Racine paraît dater de sa déser-
tion le refroidissement entre son père et Molière'; mais il
est antérieur à ce nouveau grief, qui, sans être la première
cause de la mésintelligence, put seulement l'entretenir. Cette
fois, le Registre de La Grange se borne à dire- : « Mlle du
Parc a quitté la troupe, et a passé à l'Hôtel de Bourgogne,
où elle a joué \ Aiidromaque de M. Racine. » Ces derniers
mots seuls semblent marquer que derechef Racine « en
avait mal usé », et laissent entendre que c'était lui qui
avait détourné l'inconstante camarade. Pas un mot de re-
gret pour la transfuge, qui n'en était pas à sa première infi-
délité, et que sans doute quelques-unes des comédiennes,
particulièrement la Béjart, n'étaient pas trop contrariées
de voir s'éloigner. Le mobile du second méfait de Racine
ne fut pas l'ambition de voir son œuvre bien interprétée,
mais l'amour, passion plus puissante encore sur un jeune
cœur. Molière se regarda plus que jamais comme pleine-
ment en droit de donner cours à son ressentiment. Il ou-
vrit son théâtre à une petite pièce par laquelle on espérait
chagriner Racine, très sensible aux moindres piqûres. Elle
était intitulée la Folle querelle ou la critique cV Andromaque .
Subligny en était l'auteur. Le Palais-Royal donna la pre-
mière représentation de cette comédie satirique le 18 mai
1668, six mois après celle ^Andromaque à l'Hôtel de Bour-
gogne. Pour un plat de vengeance, il était servi bien peu
chaud; pauvrement accommodé d'ailleurs, et sans assez de
sel. Pas trop de vinaigre non plus, il le faut reconnaître.
On aime à penser que Molière n'aurait pas voulu une guerre
plus méchante. Pourvu que l'acte d'hostilité ne fût pas trop
cruel, il était juste, comme représaille. Mieux eût valu pour-
tant ne pas donner à son ressentiment cette satisfaction de
1. Mémoires,]). 2 36.
2. Page 87.
SUR MOLIERE. 369
peu d'effet, et ne point prêter son théâtre à une attaque
contre un chef-d'œuvre admiré de tous, et dont assurément
Molière, si bon juge, sentait lui-même la beauté. L'arme
qu'un maladroit était venu lui offrir le blessa tout le premier,
comme il dut s'en apercevoir, lorsqu'on répandit le bruit
ridicule que c'était lui qui, de ses propres mains, l'avait
forgée. On ne comprend guère linjure que lui faisaient quel-
ques-uns : il savait tout autrement railler. Grimarest a fait
preuve de bien peu de jugement, quand il a parlé d'une
attribution si évidemment absurde, comme s'il ne savait trop
qu'en penser. Il prétend que Racine y fut trompé, et déclara
la Folie Querelle un des meilleurs ouvrages de Molière.
S'il était vrai quil se fût amusé à parler ainsi, ce n'eût été
qu'une épigramme de sa malice, à ne pas prendre au mot,
et Grimarest a été bien peu fin de ne pas s'en douter.
Il n'y a rien de plus certain que l'origine du désaccord
entre Molière, non pas ici auteur de comédies, mais chef
de troupe, et Racine, auteur tragique ; on peut donc s'éton-
ner que ïiton du Tillet l'ait cherchée dans « la jalousie du
génie poétique* '>. Les deux poètes étaient engagés sur des
routes trop différentes pour se gêner l'un l'autre. Un jour,
il est vrai, Racine a fait, comme par amusement, une de
nos meilleures comédies; mais elle ne fut jouée que vers la
fin de 1668, longtemps après la rupture; et cette fantaisie
ne se renouvela pas. En essayant un badinage aristopha-
nesque, destiné dabord au théâtre de Scaramouche, il n'avait
nullement songé à disputer le prix à l'inimitable Molière.
Celui-ci, loin de se montrer jaloux, ne refusa pas son suf-
frage à l'excellente satire des juges et des avocats, à son
double mérite de gaieté et de vérité. C'est du moins ce
que croyait savoir Valincour. Après avoir dit que les deux
premières représentations furent presque sifflées, il ra-
conte que Molière, présent à la seconde, « ne se laissa pas
entraîner au jugement de la ville, et dit en sortant que
ceux qui se moquoient de cette pièce, méritoient qu'on
se moquât deux- ». Louis Racine nous apprend que son
1. Parnasse françois, p. 412.
2. Histoirede V Académie françoise[i-jioj], lomeII,p. 33i et 332. —
Molière, x a4
370 NOTICE BIOGRAPHIQUE
père n'avait pas de son côté moins galamment défendu
Molière contre ses détracteurs. Comme, après la première
représentation du Misanthrope, on était venu, pour lui faire
plaisir, lui annoncer que la pièce était tombée, que rien
n'était plus froid, il répondit : « Je n'en crois rien, parce
qu'il est impossible que Molière ait fait une mauvaise pièce.
Retournez-y, et examinez-la mieux*. » Cette justice réci-
proquement rendue en pleine brouille, est si digne de ces
grands esprits, que nous ne voulons pas la révoquer en
doute, malgré une autre petite histoire, qui ne laisserait pas
à Molière l'honneur de son bon goût et de son équité. Dans
la Promenade de Saint-Cloud, écrite en i66g, un des inter-
locuteurs du dialogue dit que Molière avait un moment eu
dessein de dénouer son Tartuffe par une nullité de donation,
mais qu'il y avait renoncé parce que ce dénouement était
un procès ; « et je lui ai ouï dire que les plaideurs ne valoient
rien ». Conte bien suspect, inventé sans doute pour amener
un assez plaisant jeu de mots. Du côté toutefois de Ra-
cine, avouons que, sans être incrédule au témoignage de
son fils qui lui fait rendre hommage à Molière, dans le temps
du Misanthrope mal jugé, une phrase de l'avis Au lecteur,
dont il a fait précéder ses Plaideurs, nous gâte son bon pro-
cédé de 1666 : « Ce n'est pas que j'attende un grand hon-
neur d'avoir assez longtemps réjoui le monde. » Mais, étant
plus que qui que ce soit du genus irritabilc vatum, il s'était cru
sans doute autorisé à lancer contre le domaine de Molière ce
trait de dédain, au moment des représentations de la Folle
Querelle sur le théâtre de celui qui réjouissait le monde. Si
l'on en croit le Bolseana, Boileau aurait eu à relever ce pro-
pos désobligeant de Racine sur la comédie de l'Jvare : « Je
vous vis dernièrement à la pièce de Molière, et vous riiez
tout seul sur le théâtre. » Son ami, qui n'était pas moins
celui du poète comique, lui répondit : « Je vous estime trop
pour croire que vous n'y ayez pas ri intérieurement^. » En
Louis Racine, dans ses Mémoires, p. 247, a emprunté cette anec-
dote à Valincour.
1. Mémoires sur la vie de Jean Racine, p. aSG.
2. Bolœana, p. io5.
SUR MOLIÈRE. ^71
donnant à cette semonce la forme d'un com[)liment sur
l'estime due à son esprit, il lui faisait sentir que c'était
une faiblesse de n'avoir ri qu'in petto. On j)eut être assuré
que Boileau fut de ceux qui s'efforcèrent de rétablir le
bon accord entre les deux poètes. Saint-Marc dit, dans
ses Mémoires pour la vie de Chapelle, que leurs amis com-
muns les réconcilièrent dans la suite, que cependant « ils
n'eurent plus de liaison particulière » ; et ceci paraît le plus
certain.
Grimarest a quelques pages très étranges*, 011, ne nommant
en toutes lettres que Molière, il a remplacé par des initiales^
les noms des autres personnes dont il parle. Elles se ter-
minent ainsi : « J'ai cependant entendu parler à M. R. très
avantageusement de Molière ; et c'est de lui que je tiens une
bonne partie des choses que j'ai rapportées, » On a toujours
compris que M. R. était Racine; il semble bien en effet dé-
signé par la phrase finale qui vient d'être citée. Ce ne serait
pas du moins lui qui aurait communiqué à Grimarest ce que
nous lisons en cet endroit de sa biographie de Molière. Dès
que M. R. y signifie Racine, B, sa pièce de théâtre, est Bri-
tannicus, et M. de P. est Boileau de Pujmorin. C'est l'expli-
cation qui a été donnée. Citons le commencement du pas-
sage, qui est plus que singulier, et s'accorde mal avec une
page du biographe" oîi, ne s'écartant pas de la tradition,
il parle d'un temps de bonne intelligence entre Molière et
Racine : « Bien des gens s'imaginent que Molière a eu un
commerce particulier avec M. R. Je n'ai point trouvé que
cela fût vrai dans la recherche que j en ai faite; au con-
traire, l'âge, le travail et le caractère de ces messieurs
étoient si différents que je ne crois pas qu'ils dussent se
chercher; et je ne pense pas même que Molière estimât R.
J'en juge par ce qui leur arriva à l'occasion de B. « Que
leur arriva-t-il? Le voici, d'après Grimarest : Racine promit
à Molière la tragédie de Britannicus pour son théâtre, où il
I. Pages 2;5-278.
a. La 3Iartinière (OEuvres de Racine, 1723, p. 99 et 100 de la
Fie de raiiteur) les a conservées.
3. Voyez à la page 61 de la Vie de M. de Molicre.
372 NOTICE BIOGRAPHIQUE
la lit même annoncer ; puis il la donna à l'Hôtel de Bour-
gogne. Grande indignation de Molière et de Baron et vive
altercation entre celui-ci et Puymorin, dans laquelle Baron
traite Racine de « malhonnête homme ». Molière alors lui
reproche d'avoir manqué à la politesse en parlant ainsi de
Racine à un de ses amis, mais, en même temps, avoue que
lui-même « répandoit partout la mauvaise foi de Racine et
faisoit voir son indigne caractère à tout le monde ». Voilà de
quoi réjouir ceux qui n'ont pas de s\ mpathie pour Racine.
Son Briiannicus promis à la troupe de Molière, puis confié
à une autre, devient un pendant du mauvais procédé de son
Alexandre^ dont on s'est armé si souvent contre lui ; en
outre on apprend que Molière n'avait cessé de le méses-
timer. Mais l'assertion que l'auteur de Britannicus s'était
engagé à le faire jouer au Palais-Royal est-elle digne de foi?
Supposera-t-on que la pensée de se rapprocher de Mo-
lière ait été inspirée à Racine en 1669 par la mort, à la fin
de l'année précédente, de Mlle du Parc, à qui il avait des-
tiné sans doute le rôle de Junie; et qu'après s'être assuré
qu'à l'Hôtel de Bourgogne Mlle d'Ennebaut le jouerait bien,
il se serait dégagé? Il n'y a pas trace ailleurs de l'anecdote;
elle nous paraît très suspecte. Invraisemblables surtout
sont les dures paroles prêtées à Molièi'e. Ce serait un triste
chapitre qu'il faudrait ajouter, s'il n'était pas si douteux, à
l'histoire de la petite guerre entre les deux grands poètes ;
mais tout conseille de s'en tenir à ce que nous avons raconté
d'incontestable dans cette histoii'e, et qui nous laisse à dire
seulement quelques mots sur une alliance entre Corneille
et Molière, facilitée par la brouille dont \ Alexandre avait
été l'occasion.
Le père de notre tragédie n'avait pas toujours été bien-
veillant pour le poète comique, ni pour sa troupe. Il les
apprécia davantage lorsqu'eut cessé de leur être confiée la
fortune du jeune homme dont la gloire naissante l'inquiétait.
De son côté Molière ne put que se féliciter de trouver à op-
poser au nouvel auteur tragique, dont il avait à se plaindre,
celui dont le nom était depuis longtemps si grand. Trois
mois environ après la représentation de t Alexandre à l'Hô-
tel de Bourgogne, Corneille y avait fait jouer son Agesilas
SUR MOLIERE. "' 378
le 26 février 16GG*. Cet Jgésilas, que Robinet appelle char-
mant, n eut pas de succès et fit dire helasl à Boileau. Cor-
neille ne crut probablement pas qu'il eût été trahi par le
jeu des Grands comédiens; et s'il donna à un autre théâtre
la tragédie dont il le fit suivre, ce fut plutôt pour ne pas
s'exposer à l'inconstance du public sur la scène même où
venait de triomplier son jeune émule. Le 4 mars 1667, la
troupe de Molière représenta X Attila, « pièce nouvelle de
M. de Corneille l'aîné, pour laquelle on lui donna 2000 livres,
prix fait* ». A en juger par les vingt représentations, la
majorité des spectateurs ne se hâta pas de signifier le holal
au roi des Huns, bien soutenu par les acteurs du Palais-
Royal, si toutefois Subligny n'a pas mis trop de complai-
sance à dire qu'ils le jouèrent ...,•..
Avec toute la force et l'art
Dont on crut jusqu'ici capable
Le %&vX Hôtel inimitable'.
C'était quelques mois avant V Androniaque, qui fut au théâtre
de cet hôtel hi seconde victoire de Racine, plus éclatante
encore que celle qu'il avait remportée dans Y Alexandre. La
lutte se prolongea entre les deux poètes tragiques et les
deux troupes. En 1670, il y eut, au signal donné par
Madame, la bataille des deux Bérénice . Corneille et le Palais-
Royal, qui n'avaient pas cessé de combattre en alliés, furent
enveloppés dans la même défaite.
C'est avec ses propres ouvrages que Molière fut toujours
assez fort pour n'avoir à craindre aucune rivalité et, dans la
comédie, maintenir sans contestation sa supériorité. Repre-
nons l'histoire de ses pièces oii nous l'avions laissée.
Au Misanthrope il fit succéder, après la vingt et unième
représentation, une joyeuse comédie, sa veine de gaieté
ayant sans doute besoin de couler à son tour. Il n'avait pas
beaucoup de violence à se faire pour s'accommoder au goût
du grand nombre, qu'il n'avait pas assez réussi à élever, à
sa suite, jusqu'au plus haut comique. Il eut probablement
1. Lettre en vers de la Gravette de Mavolas, du 28 février 1666.
2. Registre de La Grange, p. 86.
3. La Muse Dauphine, du 10 mars 1667.
374 NOTICE BIOGRAPHIQUE
vite fait de refondre une farce, tirée des vieux fabliaux,
qu'il avait fait jouer en 1661 sous le titre du Fagot ici-, et
qu'alors on désignait quelquefois sous celui du Médecin par
force, pjlle devint en 16G6 ic Médecin mcdgré lui, qui fut
représenté pour la première fois le 6 août. Avec quelque
rapidité que Molière lui eût donné une forme nouvelle,
peut-être n'a-t-il jamais rien écrit d'inspiré par une verve
plus plaisante. Il y court d'un bout à l'autre un torrent
d'esprit; et, chose bien rare dans une farce populaire, le
badinage est semé de traits des plus tins. On va trop loin
lorsqu'on dit que Molière eut la pensée de faire soutenir
son Alceste par le fagotier Sganarelle. L'appui d'une farce
était inutile pour maintenir encore quelque temps sur la
scène sa grande comédie; et si! n'y avait pas lieu pour le
moment d'être entièrement satisfait de la fortune du Misan-
thrope, Molière devait compter sur la justice de l'avenir.
Le i" décembre de la même année 1666, commencèrent
au château de Saint-Germain les fêtes royales, qui y retin-
rent la troupe du roi jusqu'au 20 février 1667. Molière avait
reçu l'ordre de préparer quelques nouveautés pour ces di-
vertissements. Sa contribution dans le Ballet des Muses fut
Melicerte, la Pastorale comique et le Sicilien. On peut passer
rapidement sur Melicerte, un de ces petits ouvrages que,
sans demander le consentement de la Muse, le roi comman-
dait pour être prêts à jour et heure fixes, et ne donnait
pas même le temps d'achever. Melicerte ne se présenta
qu'avec ses deux premiers actes, qui ne font qu'engager
l'action. Telle qu'elle était, et qu'elle est restée, elle a des
passages agréables; Molière cependant, à qui il suffisait
d'avoir obéi, ne jugea pas qu'elle valût la peine d'être con-
duite plus loin. Le souvenir qu'a surtout laissé la représen-
tation à Saint-Germain de cette bergerie héroïque est l'in-
cartade de Baron, qui, après y avoir joué le rôle de Myrtil
à côté de Mlle Molière, mais à contre-cœur, ne pouvant lui
pardonner l'injure d'un brutal soufflet, osa solliciter du roi,
avant la fin des fêtes, la permission de se retirer, ne voulut
plus rentrer dans la maison de son bienfaiteur, et se remit
dans la troupe de la Raisin, dont Molière l'avait tiré. La
très courte Pastorale comique mérite encore moins qu'on s'v
SUR MOLIERE. S;^
arrête, malgré quelques vers de ses chansons, qui sont
d'une gentillesse ])iquante. Au contraire, le Sicilien, repré-
senté à la fin des divertissements, sera toujours admiré
comme un précieux bijou. H est vraisemblable que Molière
avait déjà cette comédie sous la main, quand on lui demanda
d'apporter son concours au Ballet des Muses. Voltaire a trop
peu dit, quand il a parlé ainsi du Sicilien : « C'est la seule
petite pièce en un acte où il y ait de la grâce et de la ga-
lanterie. » Non seulement galantes et gracieuses, mais d'une
couleur aussi nouvelle que charmante, ces quelques scènes
ne nous offrent pas une des moins frappantes preuves de
l'étonnante variété de son talent. Et c'est lui qu'on a sou-
vent accusé de ne faire que copier les autres, quand il ne
s'est jamais copié lui-même!
Très content de la troupe de Molière, et surtout de son
chef, dans les amusements de Saint-Germain, le roi ne les
laissa point partir sans leur avoir fait compter, outre le prix
du voyage, deux années de leur pension montant à douze
mille livres'. Aux demoiselles Molière et de Brie, qui avaient
joué dans le Sicilien, il fit présent de deux riches mantes*.
On est un peu étonné que la première de ces deux ac-
trices ait été chargée du personnage de l'esclave Zalde"',
comme l'atteste le livre du ballet, et la seconde de celui de
l'autre esclave, Isidore, qui est le principal l'ôle de femme.
Serait-ce un de ces moments où l'on pourrait soupçonner
que Molière était irrité contre sa femme? Il y aurait plus
de vraisemblance encore dans cette conjecture, s'il était
plus certain que, dans MéUcerte, Mlle du Parc eût représenté
l'amante de Myrtil, et Mlle Molière une des bergères les
moins favorisées par l'amour et par la fortune. Peut-être
aussi Molière, se souvenant de la Princesse d'Élide, ne se
soucia-t-il pas de faire briller à Saint-Germain, comme à
Versailles, la coquetterie de sa femme dans une fête de la
cour. Mais, quoique le plus sûr soit de ne pas toujours
chercher dans ses pièces des allusions à ce qui se passait
1. Registre de La Grange, p. 86.
2. Robinet, Lettre en vers du 19 juin 1667.
j. Dans la pièce imprimée, Climène, sœur d'Jdraste.
376 NOTICE BIOGRAPHIQUE
chez lui, une remarque pourrait être faite sur le rôle de la
comédie du Sicilien, dans lequel Mlle Molière paraît comme
sacrifiée et en pénitence. Si Molière lui en voulait alors,
comment lui a-t-il procuré le })laisir de dire ce qu'elle aurait
voulu dicter elle-même : qu'un jaloux est un monstre haï
de tout le monde...; que c'est le cœur qu'il faut arrêter par
la douceur et par la complaisance*? Pour qu'il n'y ait pas
là de difficulté, il suffit qu'on admette, au moins le plus
souvent, que tout simplement Molière faisait parler ses per-
sonnages comme ses pièces le demandaient.
Il a lui-même jugé que le Sicilien était mieux qu'une de
ces bagatelles improvisées pour une fête royale et destinées
à n'y pas survivre. Il l'a fait jouer sur son théâtre, et livré
à l'impression. S'il ne l'a produit sur la scène du Palais-
Royal que le 10 juin 1667, c'est qu'il avait été quelque
temps fort malade. Plus d'une fois la fatigue de sa poitrine
le contraignit d'interrompre ses travaux. Cette année, dès
le 17 avril. Robinet, dans une de ses lettres en vers, avait
parlé du bruit répandu qu'il était mourant. Celle du 12 juin
suivant annonçait que le public avait enfin vu le Sicilien, et
que Molière, jouant le rôle du jaloux Don Pèdre, avait re-
paru « plus que jamais facétieux « et tout rajeuni par le
lait. Il se mettait fréquemment à ce régime et soignait ainsi
sa grosse toux, sans recourir aux médecins.
La dernière des dix-sept représentations qui furent don-
nées du Sicilien en 1667 allait être suivie de la première
du Tartuffe au Palais-Royal. Depuis 1664, la mise en liberté
du chef-d'œuvre avait été le constant souci de Molière. Il
est vraisemblable qu'à Saint-Germain, après les fêtes, oiî il
s'était acquis de nouveaux titres à la bienveillance du roi,
ses sollicitations renouvelées avaient été favorablement
écoutées, à la condition de quelques prudents changements.
Il importait de se hâter; mais la maladie, que nous venons
de voir constatée en avril, arrêta fort mal à propos la re-
présentation, qui ne se trouva prête qu'au commencement
du mois d'août, lorsque Louis XIV était depuis trois mois
à l'armée de Flandre. Sans attendre son retour, Molière,
I. Le Sicilien, scène xviii.
SUR MOLIERE. 877
qui regardait son Tartuffe comme enfin dégagé de ses liens,
ou jugeait expédient, après une promesse plus ou moins for-
melle, de ne pas paraître douter qu'il ne le fût, le fit jouer
au Palais-Royal le 5 août 1667. « Le lendemain 6«, dit le
Registre de La Grange, un huissier de la cour du Parlement
est venu, de la part du premier président, 3L de la Moi-
gnon, défendre la pièce ^. » En l'absence du roi, la police
de Paris appartenait au Parlement^. Le premier président,
d'après le récit de Brossette^, envoya le guet déchirer les
affiches, et fit même fermer et garder la porte de la comé-
die. Ni la visite que fit JMolière à M. de Lamoignon, ni les
paroles qui furent portées à ce magistrat de la part de Ma-
dame par un de ses officiers, ne purent le fléchir. Il fallut
recourir au roi. Le surlendemain de la défense, Molière
envoya vers lui, dans le camp devant Lille, deux de ses ca-
marades, porteurs de la fière supplique qui, dans l'édition
de 1682 de ses OEuvres, a été imprimée sous le titre de
Second plaçât . « Le 8" (août 1667), dit le Registre'*, le sieur
de la Torillière et moi, de la Grange, sommes partis en
poste de Paris, pour aller trouver le Roi au sujet de ladite
défense — Nous fûmes très bien reçus. Monsieur nous pro-
tégea à son ordinaire, et Sa Majesté nous fit dire qu'à son
l'etour à Paris, il feroit examiner la pièce de Tartuffe et
que nous la jouerions. Après quoi nous sommes revenus.
Le voyage a coûté mille livres à la troupe. » Molière n'avait
pas oublié, dans son placet, d'appeler l'attention du roi sur
les changements qu'il avait faits à son ouvrage, pour ôter
tout prétexte aux plaintes. D'abord, faisant disparaître le
nom de Tartuffe, qui exaspérait ceux auxquels il s'était
comme attaché, il avait nommé sa pièce V Imposteur. On était
ainsi mieux averti que la dévotion menteuse était seule
mise en jeu. Le personnage du fourbe, comme s'il n'était
I. Registre, p. 8g.
1. Notes historiques sur la vie de Molière, p. 146. — M. Léon
Say [Turgot, dans les Grands écrivains français, Paris, 1887, p. iiq
et 120) dit aussi que le Parlement, en 1775, réclama les attribu-
tions de « grande police, quil avait eues de tout temps ».
3. Ms. de Brossette, p. i^j.
4. Page 89.
378 NOTICE BIOGRAPHIQUE
plus tout à fait le même, était devenu Panulphe, et, ce qui
le déguisait un peu plus sérieusement, il se montrait sous
l'ajustement d'un homme portant épée, grand collet et den-
telles. Malheureusement le premier président et beaucoup
d'autres avaient trouvé que, pour avoir reçu une façon nou-
velle, le bâton n'en frappait pas moins au même endroit et
a peu près aussi fort. Des corrections cependant avaient
adouci quelques passages. Molière se flattait que c'était
assez pour oser réclamer la permission qu'on l'avait auto-
risé à espérer. Sachant combien le roi goûtait ses comé-
dies, il eut la hardiesse de lui faire craindre sa retraite,
qu'il disait assurée, « si les Tartuffes ont l'avantage ». Dans
ces paroles, déjà citées plus haut, on peut remarquer qu'il
leur rendait leur nom, déjà passé dans la langue; voilà ce
qu'ils avaient gagné à l'acharnement de leur persécution.
Les bonnes paroles apportées de Lille par les comédiens
ambassadeurs devaient donner confiance. Ce qui arracha
des mains de Molière la victoire qu'il croyait tenir, ce fut
évidemment l'ordonnance publiée le 1 1 août par l'archevêque
de Paris, Hardouin de Péréfixe. Elle faisait défense à toutes
personnes de son diocèse « de représenter, lire ou entendre
réciter ladite comédie, soit publiquement, soit en particu-
lier..., sous peine d'excommunication ». Le roi ne se crut
plus libre de donner suite à ses favorables intentions. L'au-
teur de Tartuffe ne pouvait se dissimuler qu'il avait prédit
son sort en parlant des gens assassinés avec un fer sacré.
Depuis le 6 août, jour où M. de Lamoignon avait fermé le
théâtre à V Imposteur, la troupe, jusqu'au 2 ■) septembre, cessa
de jouer. Le Registre n'explique l'interruption que durant
le voyage de La Grange et de La Thorillière. Il est probable
que, si elle fut plus longue, c'est qu'après le coup dont l'avait
frappé la foudi'e épiscopale, Molière eut un de ces dépits
qui appellent vers la retraite, suivant une expression du Sosie
de son Amp/iitrjnriK Mais Louis XIV était revenu de l'armée
dans la première quinzaine de septembre. Une lettre en
vers de Robinet, datée du 1 1 septembre, dit qu'il était alors
rentré à Saint- Germain. Peut-être Molière fut-il rengagé par
I. Scène I, vers 182 et i83.
SUR MOLIERE. 879
a la faveur d'un coup d'œil caressant* «, mieux que cela,
par des paroles cjui lui rendirent courage, par la perspective
d'un temps prochain qui serait moins contraire. Le théâtre
se rouvrit, et recommença ses représentations par le Mi-
santhrope, joué les 23, 27 et 3o septembre. Robinet annon-
çait le 8 octobre que Molière avait reparu :
J'oubliois une nouveauté
Qui doit charmer notre cité.
Molière reprenant courage,
Malgré la bourrasque et l'orage,
Sur la scène se fait revoir.
Au uom des dieux, qu'on l'aille voir.
On ne doutait donc pas qu'il ne se fût tenu éloigné de la
scène par ressentiment de la nouvelle proscription de sa
comédie. Il devait attendre encore un an et quelques mois
avant ce qu'il a appelé « la grande résurrection de Tar-
tuffe^ ». Nous en parlerons à sa date.
Le temps de fatigue et de découragement pendant lequel
Molière ne reparut pas au théâtre et qui put même faire
craindre de le voir s'en éloigner définitivement (car il était
au-dessus du soupçon de ce cjue l'on appelle dans les comé-
dies une fausse sortie) fut peut-être bien celui où, dans
son besoin de repos, il prit le parti de chercher, comme
Alceste, « un endroit écarté «. On sait du moins que ce fut
à peu près à ce moment-là qu'il alla vivre à Auteuil. Des
pièces ont été publiées^ qui, aux dates des 21 et 22 août
1667, constatent qu'il y était établi dans une maison appar-
tenant à Jacques de Grou, sieur de Beaufort, et donnent à
penser qu'il avait, depuis peu, loué une partie du logis et du
jardin. Ce serait beaucoup exagérer que de le représenter
enseveli là dans une profonde solitude. Chapelle s'était fait
avec lui locataire de la maison. Baron y était aussi, comme
le prouvent des anecdotes contées par Grimarest, entre
1. yimp/diryon, scène i, vers 186.
2. Troisième placet, tome IV, p. 896 et 397.
3. Elles émanent de la jiuidiction seigneuriale d'Auteuil. Voyez
les Points obscurs de la i/e de Molière^ aux Pièces justificatives de ce
livre, p. 389-392.
38o NOTICE BIOGRAPHIQUE
autres celle du comédien Mondorge secouru*, celles de la
visite de Bernier* et du souper d'Autcuil. Il recevait sou-
vent ses amis, Boileau, la Fontaine, Jonzac, Nantouillet,
pour n'en citer que quelques-uns. On a supposé que Mlle Mo-
lière ne venait à Auteuil qu'en visite, parce que dans l'in-
ventaire des meubles de l'appartement^ on ne trouve qu'un
lit, lequel était dans la chambre de Molière, tandis qu'à
Paris sa femme en avait un dans le sien. Nous ne portons
aucun jugement sur la force de cette preuve. Il est du reste
assez vraisemblable que la très mondaine comédienne ne
s'enfermait pas volontiers à la campagne.
Le séjour de Molière à Auteuil est célèbre. Louis Racine
en a parlé dans ses Mémoires'' pour en égayer, dit-il, la pre-
mière partie. Il a raconté, après Grimarest, ce fameux sou-
per d'Auteuil que nous venons de nommer tout à l'heure, et
comment des amis de Molière, Boileau étant du nombre,
fêtèrent si bien la bouteille qu'ils perdirent la raison, et,
dans leur mélancolique ivresse, résolurent de se noyer de
compagnie. La sagesse de Molière, qui les avait laissés souper
sans lui, et s'était contenté de boire son lait, eut l'adresse de
les faire renoncer à leur lugubre folie. Le témoignage de
Louis Racine est bon à recueillir, car il nous avertit de ne
pas croire Grimarest mal informé. « Boileau, dit-il, a raconté
plus d'une fois cette folie de sa jeunesse. y> Si ces derniers
mots sont ceux de Boileau lui-même, il s'excusait un peu
trop sur son âge : l'aventure étant au plus tôt des derniers
mois de i66j, il n'était plus trop jeune. Le plus grave de
cette société se trouvait être le comédien, le célèbre rieur.
A propos de souper, profitons de l'occasion d'en citer un
autre de Molière et de ses amis, qui, sans être aussi amu-
sant, mérite encore mieux d'être rappelé. Mais il ne saurait
être du temps d'Auteuil, puisque, avec Boileau, la Fontaine,
et le musicien Descoteaux, Racine était un des convives.
Boileau et Racine s'amusèrent à se moquer de la Fontaine,
1. Voyez ci-dessus, p. igo et 191.
2. Voyez ci-dessus, p. 47-
3. Soulié, Recherches sur Molière. DoCXJBlENT XLV, p. 282-286.
4. Voyez au tome I des Œinres de J. Racine .^ p. 269 et 270,
SUR MOLIERE. 38i
qui était plougé dans ses rêveries. Leurs railleries parurent
à Molière passer les bornes. « Au sortir de table, dit d'Oli-
vet', il poussa Descoteaux dans l'embrasure d'une fenêtre,
et lui parlant de l'abondance du cœur : « Xos beaux esprits,
« dit-il, ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bon-
« homme. » Louis Racine connaissait l'anecdote, qu'il a ra-
contée dans ses Mémoires et dans ses Réflexions sur la poésie;
mais on lui avait sans doute moins fidèlement rapporté les
paroles de Molière, qui, chez lui, semblables par le sens,
n'ont pas la même vivacité d'expression. Cet éloge de
la Fontaine, qui dans la bouche de Molière a tant de prix,
fait souvenir que notre poète ne fut pas lui-même moins
bien loué par Boileau, le jour où le roi lui demanda quel
était celui des grands écrivains qui avait le plus honoré la
France pendant son règne. Boileau nomma Molière. « Je ne
le croyais pas, répondit le roi, mais vous vous y connaissez
mieux: que moi. » Si Louis Racine n'avait pas tenu le fait
de bonne source, il ne l'aurait pas attesté dans ses Mémoires^,
son père étant mis, dans ce jugement de Boileau, moins
haut que Molière. On pourrait tout au plus le soupçonner
d'avoir imaginé, comme correctif, l'étonnement du roi, qui
néanmoins est très vraisemblable. Quoique l'esprit de Mo-
lière l'eût toujours beaucoup diverti, on comprend qu'il
n'aurait jamais pensé que dans le plus gai des auteurs il
fallût reconnaître celui qui avait jeté sur son siècle le plus
grand éclat littéraire. Si, à l'exemple de Molière, Boileau eût
nommé la Fontaine, la surprise de Louis XIV eût été plus
grande encore, et il est probable qu'il aurait décidément
refusé de se laisser persuader.
?s"ous avons été entraîné loin d'Auteuil. Il nous restait
seulement à en dire que le souvenir de Molière et des plus
illustres de ses amis a rendu poétique le nom de ce joli
village. Tout le monde connaît les vers qu'il a inspirés à
Marie-Joseph Chénier dans une de ses meilleures pièces,
dans 1 éloquente élégie de la Promenade :
Auteiùl, lieu favori! lieu saint pour les poètes!
Que de rivaux de gloire assis sous tes berceaux!
I. Histoire de l'Académie, tome II, p. Sog. — 2. Page 271.
382 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Il nous y fait voir Molière, Boileau, la Fontaine et Racine.
Son tableau a de jolies couleurs, mais n'a pas l'approliation
de la chronologie, avec laquelle on nous dira que les Muses,
excepté celle de l'histoire, ont le droit de prendre des liber-
tés. Quoi qu'il en soit, ceux qui ont présents à la mémoire
les vers de Chénier. ne lui reprocheront pas d'avoir, « maigre
historien, suivi l'ordre des temps ». Qu'il ait aperçu la Fon-
taine, égarant ses douces rêveries le long des prairies d'Au-
teuil ou sous les ombrages de ses bois, il se peut faire. Nous
ne dirons pas non plus qu'il n'y ait pas rencontré Molière
esquissant le portrait de Chrysale, mais celui d'Arnolphe,
non pas : il était depuis longtemps dessiné. Quant à Racine,
lorsque nous voulons le voir à Auteuil, ne l'y cherchons pas
chez Molière, on sait pourquoi, mais chez Boileau ; et celui-ci
n'acheta qu'en i685 la maison que Louis Racine a nommée
le Tibur de l'auteur des satires, et Jean Racine, plus sim-
plement, son hôtellerie. Dans le temps où celui-ci y rece-
vait souvent l'amicale hospitalité, il n'en était plus, comme
le veut Chénier, à évoquer Pyrrhus et Andromaque, à faire
tonner Burrhus contre Néron. S'il a jamais appris aux échos
d' Auteuil quelques-uns de ses vers, ce furent ceux A' Eslher
et à' Athalle. Qu'on pardonne, malgré son air de pédanterie,
ce souci de l'exactitude à un prosaïque biographe. Il nous
était permis de craindre que de cet Auteuil, à qui, dans le
grand siècle, Molière, le premier, a donné la célébrité d'un
nouveau sacré vallon, la poétique Promenade n'eût laissé
dans plus d'une mémoire une trompeuse image.
Nous avons vu Molière, après quelques semaines d'irri-
tation, remonter sur la scène, calmé peut-être par quelques
paroles du roi qui lui avaient rendu confiance. Il ne tarda
pas, ce qui était bien mieux encore, à reparaître comme
auteur de nouvelles comédies. Par l'empressement que le
protecteur mit à les accueillir, à les demander, on put faci-
lement reconnaître que sa faveur restait assurée. En no-
vembre i66- la troupeduPalais-Royal, concurremment avec
celle de l'Hôtel de Bourgogne, avait été appelée àVersailles'.
1. Registre de La Grange, p. 90 et 91. — Voyez aussi la Lettre
en vers de Robinet, du 12 novembre 1667.
SUR MOLIERE. i83
Elle y reçut une année de sa pension (six mille livres).
Beaucoup plus remarquable fut, deux mois après, la part
que prit Molière aux divertissements des Tuileries. Le
\6 janvier 1668 il fit jouer là, devant le roi et sa cour,
la comédie à' Amphitryon^ , déjà représentée deux fois au
Palais-Royal le i3 et le i5 janvier. Le roi la revit, au mois
d'avril, à Versailles, où la troupe arrivée, par son ordre,
le 23, resta jusqu'au 29-.
h' Amphittj'^on a droit à une très belle place dans l'histoire
des ouvrages de Molière. Celle que plusieurs lui ont voulu
donner, beaucoup moins glorieuse, dans l'histoire de la vie
morale du poète, ne soutient pas l'examen. Nous croyons
avoir bien montré ailleurs^, par quelles raisons de dates,
sans parler de l'invraisemblable indiscrétion, on ne saurait
voir dans les amours de Jupiter et d'Alcmène une allusion
à ceux de Louis XIV et de Mme de Montespan. Rotrou, au-
teur des Sosies, en i636, a eu le bonheur qu'il n'y eût pas
alors, à la cour de France, un dieu s'humanisant volontiers
pour des beautés d'un moins sublime étage. L'idée d'une
imitation de X Amphitryon latin est tout naturellement venue
à Molière, soit que le succès qu'avait eu au Marais la pièce
de Rotrou l'eût piqué d'émulation, soit qu'il fit en ce temps-
là ses délices de la lecture de Plante, comme le donnerait
à croire son Avare, tiré, cette même année, de l'Auiulaire.
Tout ce qu'il est permis de dire, c'est qu'il avait trop de
malice pour ne pas se douter, en écrivant sa comédie, qu'il
y avait quelque part un Olympien coureur d'aventures,
d'obligeants Mercures au service de ses galanteries, une
cour prête à s'incliner avec respect, avec éblouissement,
devant les fantaisies du maître souverain. Comment tout le
monde n'y aurait-il pas pensé, lorsque, sous la plume de
1. Ou a peine à comprendre comment La Grange, dans son Re-
gistre, a oublié les représentations données aux Tuileries en jan-
vier 1668, celle du Médecin malgré lui le 6, celle à' Amphitryon le 16.
Elles sont attestées par la Gazette et par les Lettres en vers de Ro-
binet, du 14 et du 21 janvier.
2. Registre de La Grange, p. gS.
3. Voyez la Notice sur VAmpliitryon, au tome VI, p. 3i6-3a3.
384 NOTICE BIOGRAPHIQUE
l'auteur, la pièce, très librement imitée, était devenue (ce
n'est pas un de ses moindres agréments) toute moderne et
française? Nul doute qu'on ne l'ait senti à la cour, oîi l'on
ne s'en est que plus amusé. Si Molière avait pu craindre
quelque chose, ce n'était pas qu'on l'accusât de basse com-
plaisance, mais d'excessive hardiesse. Sosie ose beaucoup
dès le début de la pièce, où il ne se montre pas trop idolâtre
de la grandeur, et murmure contre l'égoïsme dont elle fait
sentir le poids à ses plus zélés serviteurs; mais plus encore
au dénouement, lorsqu'il donne le conseil de ne pas s'arrê-
ter à de longues réflexions sur les brillantes explications du
maître des dieux :
Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire.
C'est en dire quelque chose cependant par ce silence un
peu moins respectueux que prudent. On retrouve donc dans
YAmphitrjon le Molière que l'on avait toujours connu,
passé maître dans la fine insinuation de bonnes vérités, et,
pour les faire entendre aux puissants, sachant user avec une
grande liberté des privilèges de la comédie. Dans le pro-
logue, étincelant d'esprit, dont les personnages sont la Nuit
et Mercure, il y avait de quoi faire rire du bout des dents
de trop nombreux courtisans, disposés à rendre au maître
certains services :
Voilà saus doute un bel emjîloi
Que le grand Jupiter m'apprête ;
Et l'on donne un nom fort honnête
Au service qu'il veut de moi.
A la Nuit, qui fait ainsi la renchérie, Mercure répond :
Un tel emploi n'est bassesse
Que chez les petites gens.
Lorsque dans un haut rang on a l'heur de paroître,
Tout ce qu'on fait est toujours bel et bon ,
Et suivant ce qu'on peut être
Les choses changent de nom.
L'ironie ne manquait pas de clarté. Si quelqu'un la juge
SUR MOLIERE. 385
d'un ruéprisalile flatteur, il entend mal le français. On l'en-
tendait certainement mieux à Versailles.
Il se peut que Boileau ait trouvé dans notre Amphitryon
matière à quelques critiques; mais on doit se délier beau-
coup du Bolvcana, qui, parmi celles qu'il lui prête, en cite
de très pauvres. On ne croira pas l'auteur de cet ana, lors-
qu'il prétend^ qu'un si judicieux aristarque « ne goùtoit que
médiocrement » l'excellent ouvrage. Un rang tout autre
que médiocre lui est assuré et par la charmante adresse
avec laquelle le poète a tiré de dessous le masque antique
des figures familières à son temps, et par le rare exemple
qu'il a donné là d'une imitation où l'esprit, à force d'ai-
sance, semble toujours original, même lorsqu'il se tient
près du modèle, enfin aussi par cette nouveauté des vers
libres, avec entrelacement et redoublement des rimes, vers
si habilement accommodés au dialogue du théâtre qu'on les
en croirait la forme la plus naturelle.
Tout en repoussant l'imputation d'une indigne manœuvre
pour gagner à la cause du Tartuffe le protecteur flatté dans
ses passions, il est permis de croire que le succès des re-
présentations de \ Amphitryon à la cour dut conti'ibuer à
aplanir le chemin vers le but dont Molière ne détournait
pas ses regards. Quoi qu'il en soit, le jour où il montra par
cette rentrée dans sa carrière d'auteur qu'il renonçait à
renfermer dans le silence son génie découragé, il put faix'e
deviner qu'il avait eu quelques raisons de concevoir de
fortes espérances. Dans cette même année 1668, les signes
ne manquèrent pas de l'approche du moment où il obtien-
drait pleine satisfaction. Le moins équivoque fut le Tartuffe
joué deux fois, eu visite, chez Monsieur le Prince, à Paris
d'abord, dès le 4 mars, puis à Chantilly, le 20 septembre'.
Quelque haute que fût la situation du grand Condé, il est
bien peu vraisemblable qu'il se crût assez maître dans sa
1. Page 33.
2. Registre de La Grange, p. 98. — On v lit : « Le jeudi 20'
yseptemljre^ une visite à Chantilly, et [pour] une à Paris, qui
a été jouée le 4' mars du Tartuffe, pour Mgr le Prince, reçu
iioo **. » , ,
Molière, x a5
386 NOTICE BIOGRAPHIQUE
maison pour }• faire re|)résenter la comédie foudroyée par
l'archevêque de Paris, s'il n'avait pas su que le roi, disposé
dès lors à la ressusciter, fermerait les yeux. La représen-
tation du 4 mars est surtout remarquable. A Paris, en effet,
toute désobéissance à l'ordonnance du 1 1 août 1667 tombait
sous le coup de l'excommunication. A Chantilly, on était du
moins hors du diocèse. C'est ce qui explique que dans la
petite notice historique de l'édition de iGSa, la représen-
tation du 20 septembre soit la seule mentionnée, et que le
Rc<j;istre, un peu moins discret, ne nous ait fait connaître
celle du f mars qu'à la date de ce 20 septembre, et dans une
rédaction assez embarrassée. Molière évidemment n'avait
plus qu'un peu de patience à prendre.
En attendant, il donna, la même année que V Amphitryon,
deux autres pièces nouvelles, dont la première fut George
Dandin, représenté à Versailles, dans une pompeuse fête,
au mois de juillet, probablement le 18. Il est à remarquer
comme une preuve de la faveur où l'on savait alors Molière,
que Robinet, décrivant la fête dans sa Lettre en vers à Ma-
dame, en date du 21 juillet, donne à l'auteur de George
Dandin ce nom :
Le Mome cher et glorieux
Du bas Oljmpe de uos Dieux.
C'était une pièce fortement salée, celle que, ce jour-là,
Molière fit jouer devant le roi, la reine, le dauphin, Mon-
sieur et Madame. La relation de la Gazette paraît même ne
pas laisser douter que le nonce du pape et les cardinaux de
Vendôme et de Retz, présents à la fête, ne l'aient été aussi
au spectacle de la comédie.
Molière, conmie il l'a trouvé commode plus d'une fois,
avait eu recours à une de ses anciennes farces. Il avait
pensé qu'à la condition d'une heureuse refonte, il aurait
quelque chose à tirer de sa Jalousie du Barbouillé, dont il
devait la scène la plus plaisante soit à Boccace, soit aux
fabliaux, ou, plus directement peut-être, aux bouffonneries
italiennes. 11 avait maintenant le secret de mettre partout,
fût-ce où l'on pouvait le moins l'attendre, de la vraie, de
l'excellente comédie. Du Barbouillé, une de ces figures qui ne
SUR MOLIERE. '^87
s'élèvent pas au-dessus des tréteaux, il a fait un riche vilain
assez sot pour avoir pris femme dans la gentilhommerie.
C'est ainsi que sa pièce est devenue une sérieuse leçon sur
les dangers de ces alliances de la vanité roturière et de la
noblesse qui ne fait pas fi des écus des vilains. M. et Mme de
Sotenville sont des types immortels, et le caractère de leur
gendre n'est pas d'une vérité moins parfaite. Dans le rôle
particulièrement de cet infortuné, si cruellement puni, on
ne saurait trop admirer la franchise du style.
De tout temps Molière a été inépuisable en plaisanteries
sur les maris trompés. Elles ne scandalisaient jias, ayant
toujours été familières à l'esprit gaulois. C'étaient badinages
qui n'invitaient personne à aller chercher ce qu'on y trou-
verait, en les prenant au sérieux, et à réclamer pour la mo-
rale en péril. Plus de sévérité se justifie le jour où sur le
théâtre il a mis l'adultère à découvert, avec ses plus impu-
dents mensonges et dans toute son effronterie. Pour expli-
quer que cette fois Molière n'ait pas reculé devant des
scènes d'une réalité si crue, dira-t-on qu'il éiait alors de-
venu un peintre de plus en plus hardi de la vie, un mora-
liste de plus en plus amer? Ce serait chercher trop loin. La
coquine sans vergogne était déjà dans la Jalousie du Bar-
bouille et dans les contes d'où elle avait été tirée. Dès que
Molière, pour ne pas laisser perdre une facétieuse idée,
s'était décidé à rajeunir son ancien canevas, il pouvait bien,
comme il l'a fait, le purger d'obscènes équivoques, qui
n'étaient plus à son usage, et même très ingénieusement
rehausser la farce jusqu'à la comédie, mais non changer la
principale donnée. II eût assurément mieux fait de ne pas
reprendre un sujet ti'op scabreux, j)uisqu"il n'y avait aucun
moven de le traiter sans donner le spectacle d'une femme
profondément vicieuse. Il n'aurait pas encouru la grave
censure de Bourdaloue, qui, dans son sermon sur Vimpuretc,
a signalé, par l'allusion la plus claire, la comédie de George
Dandin, comme un de ces sj)ectacles « où l'impudence lève
le masque ". Le prêche philosophique n"a pas été plus in-
dulgent dans la Lettre de Rousseau à d'Alembert. Voltaire
dit que le public même se souleva un peu contre le sujet
de la pièce, et que « quekpies personnes se révoltèrent ».
Sm NOTICE BIOGRAPHIQUE
Nous ne croyons pas que c'ait été du vivant de 1 auteur.
Toutes les apparences sont en faveur de ce témoignage de
Grimarest, que « le George Dandin fut bien reçu à la cour
au mois de juillet 16G8, et à Paris au mois de novembre
suivant* «. La cour, en ce tcraps-là, ne se piquait pas de
rigorisme, et l'on ne pouvait lui reprocher de couvrir d'un
masque de pruderie la liberté de ses mœurs. Les tours joués
au « mari confondu » l'égayèrent beaucoup. Après avoir été
la première à en rire à Versailles en juillet, elle les voulut
revoir à Saint-Germain trois fois de suite, du 3 au 4 no-
vembre, dans les fêtes de Saint-IIubert. George Dandin,
joué au Palais-Royal le 9 du même mois, eut dix repré-
sentations jusqu à la fin de 1668, et d'assez nombreuses les
deux années suivantes.
On est à peu près assuré que dès la première distribution
Mlle Molière fut chargée du rôle d'Angélique, dont on sait
positivement que plus tard elle était en possession. Quel-
ques-uns ont pensé que Molière le lui a donné dans un des
moments de sa plus vive irritation contre elle. Cette idée
d'une pénitence qu'il lui aurait infligée, et qu'elle aurait
acceptée, est des plus étranges. Afficher sa femme comme
une autre Angélique, c'eût été s'afficher lui-même comme
le modèle de Dandin, dont il jouait le personnage. Il avait
trop de bon sens, trop de soin de son honneur, pour étaler
des infortunes qu'un honnête homme cache de son mieux,
pour se bâter et se sangler comme les sots des Aveux indis-
crets. Il est visible qu'il n'eut pas même la pensée que le
public pût le soupçonner de leur ressembler. Au contraire
des conjectures que l'on a faites, il a fallu que Molière se
crût alors dans une assez grande sécurité pour n'avoir pas
la moindre crainte d'une comparaison dans l'esprit des
spectateurs entre l'humeur légère de son Armande et les
« malversations » d'une odieuse femme.
George Dandin, comme il vient d'être dit, ne fut joué au
Palais-Royal que le 9 novembre 1668; mais, comme il faut
tenir compte de ses représentations à la cour, nous avons
dû le mettre à sa véritable place, qui est avant l'Avare.
1. La Vie de M, de Molière, p. 19 5.
SUR MOLIÈRE. 389
Celui-ci fut représenté la pretBière fois le 9 septembre. Il
n'y a pas de doute sérieux sur cette date, que certifie le Re-
gistre de La Grange. Quelques lignes de Grimarest ont à tort
donné à croire à des représentations antérieures, que l'on
a fait remonter tantôt à 1667, tantôt au commencement de
1668 seulement. Partant de cette erreur, on a expliqué pour-
quoi cette pièce avait quelque temps disparu; la prose, nous
dit-on, n'était pas acceptée dans une comédie, dès qu'elle
s'élevait au-dessus d'une farce.
Question de date à part, est-il faux que l'Avare ait été
d'abord mal reçu? On n'a peut-être fait qu'en exagérer le
faible succès, et il paraît bien que le préjugé contre la
prose lui fit rencontrer quelque froideur. Robinet indique
ainsi que « le divertissant Avare » fut diversement jugé :
Il parle en prose et non en vers;
Mais nonobstant les goûts divers,
Cette prose est si théâtrale
Qu'en douceur les vers elle égale*.
La violation d'une prétendue règle qui imposait la langue
des vers à toute vraie comédie ne semble pas, quoi qu'en
aient dit Voltaire et La Harpe, avoir été reprochée également
au Don Juan, mais sans doute parce que l'on n'avait pas
jugé que cette pièce, d'un caractère complexe et difficile à
classer, fût assez décidément une comédie. Aujourd'hui nous
avons peine à comprendre quelle idée l'on avait de faire aux
œuvres vraiment comiques une loi de la versification. Ces
puériles chicanes dont le génie libre de Molière ne se laissait
pas embarrasser, ne nous intéresseraient guère, si elles ne
nous offraient l'occasion d'une petite digression sur certains
jugements qui ont été portés tantôt des vers, tantôt de la
prose de Molière.
Il est plaisant que sa prose, dont l'emploi avait déplu en
1668, ait été un peu plus tard préférée à ses vers, et qu'à
l'appui de cette préférence on ait précisément nommé la
comédie à laquelle cette prose avait nui. Fénelon, en 171',,
trouvait la langue poétique de Molière pleine de métaphores
I. Lettre en vers du i5 septembre 1668.
390 NOTICE BIOGRAPHIQUE
approchant du galimatias. « J'aime bien mieux, dit-il, sa
prose que ses vers. Par exemple, l'Avare est moins mal écrit
que les pièces «jui sont en vers*. » Molière mauvais écrivain
dans ses vers admirables! et c'est un écrivain excellent qui
parle ainsi! Mais il y a d'autres exemples de grands esprits,
à qui, suivant une expression de Mme de Sévigné, certaines
portes sont formées. Nous ne disons pas que dans le style
poétique de Molière il n'y ait aucune tache, qu'on n'y puisse
pas découvrir çà et là quelques négligences, et aussi quel-
ques expressions trop hardiment figurées. Encore, pour ce
qui est de celles-ci, ne faudrait-il pas oublier que, depuis
son temps, il s'est fait dans notre langue des changements
dont beaucoup sont d'une regrettable timidité prosaïque.
Nous voudrions surtout qu'on ne descendît pas à (pielqucs
remarques vétilleuses, et que, se plaçant à un plus liaut
point de vue, on se rendît compte de l'effet produit sur la
scène par les vers du grand poète. Dans le large courant
du style le plus naturel, quelques mots et quelques tours
ne nous arrêtent aucunement par leur audace, parce que,
sans avoir été recherchés, ils se sont offerts à l'émotion dos
personnages ou à la pensée qu'ils ont eu besoin de mettre
eu relief. Trop souvent, dans nos comédies en vers, crai-
gnant de ne pas rester assez simples, on a rimé de la prose,
ou bien le désir de se montrer poètes a fait tomber les uns
dans le lyrisme, les autres dans les élégances de l'épître. On
ne citerait pas facilement ceux qui ont dérobé à Molière le
secret de cette langue poétique, parfaitement distincte,
comme elle doit l'être, de la prose, toujours familière pour-
tant, et si bien appropriée au dialogue comique jusque dans
ses images les plus hardies. Ne nous refusons pas le plaisir
de citer quelques lignes toutes récentes, où le vers co-
mique de Molière a été excellemment jugé. Dans ses comé-
dies de mœurs bourgeoises, a-t-on dit, « pas une fois Molière
ne descend jusqu'au prosaïsme, et il ne saci'ifie rien à la
beauté du style de ce qui peut pousser en avant l'action ou
montrer le fond du cœur de son personnage ». Après avoir
I . Lettre sur les occupations de r Académie française^ au tomu* XXI
des OEiivres (('clition de Versailles^, p. 39.5 et 226.
SUR MOLIERE. Sgi
cité de charmants passages de l'Ecole des femmes, on con-
tinue ainsi : « Voilà certes des vers de théâtre, s'il en fut,
et cependant qui osera dire que ce ne sont point d'admi-
rables vers?... Au dix-septième siècle, tous les termes du
langage possédaient une sorte de plénitude neuve du sens
Rien que par un juste accord de ces termes pleins d'une
force vive, Molière obtenait des effets intenses que les mo-
dernes n'égaleront jamais*. »
On ne saurait croire que Boileau n'ait pas compris toute
la beauté des vers de Molière, quelque critique qu'il ait pu
faire, en puriste, de certaines négligences. Il « avoit souvent
voulu, dit Brossette, obliger Molière à les corriger; mais
Molière ne pouvoit jamais se résoudre à corriger ce qu'il
avoit fait^ ». Ce n'était sans doute pas seulement qu'il n'en
pouvait guère trouver le temps, mais il sentait que des vers
trop remis sur le métier et trop soigneusement limés ne
laisseraient pas au langage assez de naturel.
Brossette va jusqu'à dire que Boileau reprochait à Molière
du jargon. Il est peu vraisemblable qu'il se soit servi d'un mot
si dur. Nous nous défions encore plus du Bolseana, lorsqu'il
nous dit de ce même Boileau qu'il « trouvoit la prose de Mo-
lière plus parfaite que sa poésie, en ce qu'elle étoit plus régu-
lière et plus châtiée », et lorsqu'il lui fait motiver son senti-
ment par cette observation que « la servitude des rimes obli-
geoit souvent Molière à donner de mauvais voisins à des vers
admirables, voisins que les maîtres de l'art appellent des
Frères Chapeaux'^ ». Cette critique, si elle n'a pas été faite sur
un très petit nombre de vers, serait trop surprenante dans
la bouche de celui qui, dès 1662, avait dit à notre poète :
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher*.
Avait-il donc bronché davantage, depuis qu'il avait écrit
le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes sai'antes?
I. Paul Bourget. Études et Portraits (Paris, Alphonse Lemerre,
1889), tome I, p. 33o et33i.
1. Ms. de Brossette, p. 36.
3. Bolaeana, p. 3^.
4. Satire II, vers 8.
3g% NOTICE BIOGRAPHIQUE
A Ménage aussi l'on fait dire que « la prose de Molière
vaut beaucoup mieux que ses vers* ». Il importe peu de
savoir si véritablement il a parlé ainsi. L'autorité de ce Va-
dius n'aurait pas de poids. Sur les paroles qu'on lui prête
on lit cette curieuse note de l'éditeur du Meiiagiana : « C'est
suivant les pièces; mais, généralement parlant, la prose de
Molière est ampoulée, poétique, remplie d'expressions pré-
cieuses, et toute pleine de vers.... Il est vrai que la prose de
théâtre doit avoir son tour particulier ; aussi n'est-ce propre-
ment que les vers trop fréquents qu'on pourroit reprendre
dans celle de Molière. » Malgré quelque rétractation finale
du critique, qui ne sait plus trop ce qu'il doit penser, il a
bonne envie de juger Molière écrivain contestable dans sa
prose aussi bien que dans ses vers. Quoique nous ayons
protesté d'abord contre l'injustice faite à ceux-ci, c'était sa
prose que l'Avare nous invitait à louer. Elle aussi est d'un
incomparable maître dans cette pièce, comme dans toutes
celles où il lui a paru qu'elle convenait. Son mérite est
d'avoir également donné au style comique, dans ses deux
formes, toute sa vérité, toute sa couleur, toute sa force. Le
plus habile rimeur, qui entreprendrait de traduire l'Avare
en vers, ne réussirait qu'à en faire mieux ressortir l'excel-
lente prose, à laquelle il rendrait ainsi l'involontaire service
que Thomas Corneille a rendu à celle du Fextin de Pierre
par l'agréable, mais banale, facilité de sa versification.
Boileau, d'après le Bolseana *, regardait ï Avare comme
« une des meilleures pièces de l'auteur ». N'ajoutons rien à
ce témoignage. Ce n'est point ici la place de le commenter
en dissertant sur les beautés de cette comédie qui, tout en
conservant bien des traits de son modèle latin, la trans-
formé avec tant de bonheur en une peinture moderne. Si
nous n'en avons pas tout à fait fini avec l'Avare, c'est que
nous rentrerons dans une étude beaucoup moins litté-
raire que biographique en parlant du reproche fait à Mo-
lière d'avoir porté atteinte dans cette pièce au respect du
caractère paternel. Saint-Marc Girardin a plaidé contre ce
I. Menagiana (171 5), tome I, p. i44'
1. Page io5.
SUR MOLIERE. 393
blâme avec infiniment d'esprit'. Nous craignons cependant
de nous être trop laissé entraîner à lui donner raison dans
notre Notice'^ sur la pièce. Il est très vrai que pour mettre
en lumière tout ce que l'avaï'ice a de détestable, on ne pou-
vait mieux faire que de montrer quel désordre elle met
dans la famille. Mais pour donner aux pères avares cette
leçon, il n'était pas nécessaire que la révolte du fils s'em-
portât à de si grands excès ; et il faut convenir avec Rous-
seau qu'il n'est pas bon d'avoir mis dans la bouche de Cléante
son insolente réponse à la malédiction d'Harpagon. Rien de
ce qui a trait à la morale de Molière ne doit être omis dans
une histoire de sa vie. Ceci nous intéresse d'ailleurs, qu'en
cette occasion on l'a soupçonné d'une rancune contre son
père, explicable par la ladrerie de celui-ci. C'est beaucoup
se risquer. Les mêmes raisons qui nous ont empêché de
reconnaître dans la marâtre Béline la seconde femme de
Jean Poquelin s'opposent à la conjecture que celui-ci ait
servi de modèle à l'usurier et tyran domestique Harpagon.
Il est difficile toutefois de se défendre de la pensée que
Molière n'aurait pas généralement peint avec si peu de
faveur les pères de son théâtre, s'il eût été avec le sien dans
une plus étroite union. La famille hors de laquelle il s'était
de bonne heure jeté pour suivre la voie qui lui plaisait,
n'avait sans doute pas laissé dans son esprit un très doux
souvenir. Ce n'est pas que, si l'on voulait porter sur son
père un jugement, qui ne fût pas trop hasardé, il n'y eût à
désirer des informations appuyées de preuves plus cer-
taines. Nous avons cru le voir digne de reconnaissance par
l'éducation distinguée qu il avait donnée à son fils, et d'une
bonté très paternelle, quand il s'est résigné à beaucoup d'in-
dulgence parmi le déplaisir qu'avait dû lui causer le coup
de tête du jeune homme. Mais tout n'a pas fait concevoir
de lui une si favorable idée ; des renseignements fournis par
quelques actes ont inspiré certains soupçons d'habitudes
trop mercantiles qui ne le rendaient pas fort aimable. " On
doit se le représenter, dans les dernières années de son
I. Cours de littérature dramatujue {i843), tome I, p. 3^6.
1. Voyez au tome VI, cette Notice^ p. 34 et 35.
394 NOTICE BIOGRAPHIQUE
existence, dit Soulié', comme un vieillard morose, un peu
avare..., rejetant les offres que dut lui faire ce fils à plu-
sieurs reprises et enfin le réduisant à se cacher pour lui
venir en aide. » Quoiqu'il y ait loin de là au type d'Har-
pagon, qui a été dessiné non d'après lui, mais d'après l'Eu-
clion de L' Aululatrc. on ne voudrait pas jurer que, sans en
avoir nettement conscience, Molière n'ait jnis mis à profit
quelques traits observés du caractère de son père. Sa con-
duite avec le bonhomme paraît d'ailleurs avoir été géné-
reuse. Il ne réclama pas de lui ce qu'il restait lui devoir
sur la succession de Marie Cressé ; mieux encore, lorsque
l'argent manqua à Jean Poquelin ])0ur réparer les ruines
de sa maison du pilier des Halles, ce fut son fils qui lui pro-
cura, en 1668, la somme de dix mille livres* dont il avait
besoin, et pour cacher sa main secourable, prit secrètement
pour intermédiaire un de ses intimes amis. Cet ami, Jacques
Rohault, reconnut que le prêt, tout entier des deniers de
Molière, n'était des siens que fictivement, et que la rente
qui lui avait été constituée, en conséquence, par Jean Po-
quelin, appartenait à son fils, lequel déclarait son prête-nom
dégagé de toute garantie du payement^. On se souvient
d'une affaire d'emprunt dans laquelle Harpagon ignore sem-
blablement qu'il traite avec son fils; mais ici Cléante est
l'emprunteur, et il s en faut que son rôle soit honorable
comme celui de Molière. Celui-ci avait rempli en homme
de cœur son devoir filial; mais il ne s'ensuit pas qu'il ait
jamais été avec son père dans les relations vraiment affec-
tueuses, dont laisse douter, comme nous l'avons dit tout
à l'heure, les portraits de la plupart des pères de ses
comédies.
Il aurait été trop tard, après 1668, pour parler encore
une fois de Jean Poquelin. Il mourut le 25 février de l'an-
née suivante* dans cette maison sous les piliers des Halles
1. Recherches sur Molière, ]). 68.
2. Ibidem, DocuaiEKT XXXV, p. ai6-ai8.
3. Ibidem, DocuMEîiTS XXXVI et XXXVII, p. a 18 et 219.
4. Voyez aux Pièces justificatives, n" XIII, l'acte d'iubumatioa
de Jean Poquelin.
SUR MOLIÈRE. SgS
dont il avait eu tout juste le temps d'achever la reconstruc-
tion avec l'argent de Molière. Le jour même de sa mort le
Registre de La Grange note « une visite de l'Imposteur^ »,
que depuis vingt jours, ainsi que nous Talions raconter, on
représentait enfin sur le théâtre public. On ne nous apprend
pas que dans cette visite Molière se soit abstenu de jouer
son rôle d'Orgon. Nous devons, il est vrai, relever dans le
Registre une erreur; mais elle n'infirme pas absolument le
fait d'une représentation du Tartuffe dans un jour triste-
ment inopportun. C'est à la date, non du lundi 25 février
1669, mais du mercredi ai août suivant, que La Grange,
après avoir écrit : a Visite de Tartuffe chez Mademoiselle
[au| Luxembourg », ajoute : « Ce même jour le père de
M. de Molière est mort-. » N'est-il pas vraisemblable qu'il
avait gardé mémoire du Tartuffe joué chez quelque grand
dans un jour de deuil pour son auteur? Son souvenir inexact
de la date d'un événement tel que la mort de Jean Poquelin
ne laisse pas de paraître singulier. Ne serait-ce pas une
preuve que Molière n'avait pas habitué ceux avec qui il
vivait familièrement à s'occuper beaucoup de son père? Il
est aussi à remarquer dans la funèbre note du Registre l'ab-
sence du losange teinté de noir, qui y est ordinairement le
signe des grands deuils. Ce dont on serait tenté de s'éton-
ner le plus, ce serait que Molière n'eût pas demandé qu'on
l'excusât de paraître dans une de ses comédies à l'heure où
il savait son père, sinon déjà mort, au moins expirant. Peut-
être ne faudrait-il pas trop se hâter de juger sévèrement
un si dur assujettissement aux servitudes du devoir profes-
sionnel chez celui qu'on voulut en vain détourner de mon-
ter sur la scène le jour même où, mortellement malade, il
n'acheva la représentation que pour entrer en agonie. Quoi
qu'on en veuille penser, nous n'aimerions pas à rester sur
la triste impression du reproche, plus ou moins juste, d'une
douleur trop légèrement sentie; nous dirons que le 9 août
i66g, quelques mois après la mort de Jean Poquelin, Mo-
lière prit soin de sa mémoire en se chargeant du payement
.. I. Registre, p. 10 2.
2. Ibidem^ p, loG.
396 NOTICE BIOGRAPHIQUE
d'une dette assez forte qu'il avait laissée*. Plus ou moins sen-
sible à la mort de son père, il savait du moins faire son devoir.
Nous avons dit que, lorsqu'il perdit ce père, il était en
plein triomphe des représentations publiques du Tartuffe,
enfin autorisées. Ce fut le 5 février 1669, le jour même, au
témoignage des éditeurs de 1682. où la permission fut ob-
tenue, que cette comédie, sans avoir perdu temps, fut jouée
sur le théâtre du Palais-Royal, comme pièce nom'ellc, quoi-
que déjà si connue par des représentations en visite et par
de fréquentes lectures. Cette prise de possession de la scène
est réellement la première qui compte, n'ayant pas été,
comme en 1667, sans lendemain. Molière, qui devait, ainsi
qu'il l'a dit dans son troisième placet, la résurrection de sa
comédie aux bontés du roi, sentit bien que ses remercie-
ments auraient déplu, s'ils avaient appuyé sur la toute-
puissante protection, dont il fallait se garder de trop se
couvrir. Il les glisse discrètement dans une ligne de son
placet, dont le seul objet apparent était la sollicitation d'un
canonicat dune des chapelles royales pour le lils de son
médecin Mauvillain. L'ennemi de la médecine marquait ainsi
que décidément on était à la paix de tous côtés ; mais
assurément il souriait en écrivant que la faveur royale le
réconciliait aussi avec les dévots. C'était une réconciliation
avec quelques réserves tout bas, comme celle de Martine,
lorsqu'elle pardonne au brutal qui la rudement frappée.
Nous ne soupçonnons pas le « prince ennemi de la fraude »
de n'avoir été gagné à la cause de Molière que par les
louanges qu'il lui a données au dénouement de la pièce. Il
ne serait pas juste de se décharger ainsi de la reconnaissance
qui lui est due pour la liberté accordée au grand poète.
Ce n'était pas chose sans difficultés même pour son autorité
absolue. Il lui a fallu beaucoup de bon vouloir, pour trouver
un prétexte au désarmement des rigueurs ecclésiastiques
dans la Paix de l'Églixc (octobre 1668'. laquelle mettait fin
à une guerre théologique, sans aucune intention de faire
participer à son indulgence les hardiesses du théâtre. L'ar-
I . Recherches sur Molière, Document XLV, Inventaire fait après
le décès de Molière, cote trois, p. 286.
SUR MOLIERE. 397
chevêque de Paris dut penser que l'on avait saisi une sin-
gulière occasion de tenir son ordonnance pour abrogée.
Il y eut assurément des désapprobateurs ; on ne s'en
aperçut pas au théâtre, où le succès fut éclatant et prolongé.
Le Registre de la Comédie dans les années 1G69 et 1670
le prouve assez. Il y en a d'ailleurs de nombreux témoi-
gnages. Celui même des ennemis ne manque pas. Dans une
petite pièce intitulée la Critique du Tartuffe, il est dit :
Je sais que le Tartuffe a passé son espoir,
Que tout Paris en fouie a couru pour le voir.
En vain expliquait-on là cet empressement par la curiosité
que piquait un ouvrage longtemps interdit :
Un si fameux succès ne lui fut jamais dû.
Et s'il a réussi, c'est qu'on l'a défendu.
Après les premières représentations un attrait de ce genre
ne pouvait plus être supposé.
Il est peu étonnant que Robinet, annonçant la vente du
Tartuffe imprimé, ait si hardiment célébré la 'déroute des
dévots dans sa Lettre du 26 avril 1669 à Madame, qu'il
savait ne leur être pas favorable :
Monsieur Tartuffe ou le pauvre homme
(Ce qui les faux dévots assomme)
Devient public plus que jamais.
Comme au théâtre, désormais
II se montre chez le libraire.
(En doive crever tout cagot!)
Il va produire leur peinture,
En belle et fine mignature.
Par tous les lieux de l'univers
Oh! pour eux l'étrange revers!
Ce qui surprend beaucoup plus que ces rudes paroles,
c'est la représentation de Tartuffe chez la reine Marie-Thé-
rèse. Cette visite est notée dans le Registre de La Grange,
à la date du 21 février 1669; mais il est remarquable qu'il
n'y est pas dit chez qui les comédiens allèrent jouer. La
398 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Lettre en verx de Robinet du aS février n'a pas la même
discrétion. On ne saurait croire que la pieuse Majesté n'ait
pas tout simplement obéi à un désir du roi, et qu'elle se
soit autant divertie que le prétend cette gazette rimée :
Luu des soirs de celle semaine,
Notre excellenle souveraine
S'en fît, en sou appartement.
Donner le divertissement,
Et rit bien de voir l'Hypocrite
Ajusté comme il le mérite.
Il devenait difficile de se faire scrupule d'un spectacle au-
quel Marie-Thérèse avait prêté son appartement, et dont
elle était censée s'être beaucoup amusée.
Si Louis XIV n'avait pas voulu laisser plus longtemps en
proie aux persécuteurs le terrible chef-d'œuvre, il dut, nous
n'en doutons pas, maudire souvent les embarras que Molière
lui causait, et il lui était beaucoup plus agréable de n'avoir
qu'à rire de ses comédies innocemment ]ilaisantcs. Il s'y
trouvait moins gêné, peut-être aussi mieux servi selon ses
goûts. En septembre et octobre 1669, il y eut à Chambord
de grands divertissements. On avait fait venir la troupe de
Molière le 17 septembre: on la garda jusqu'au 20 du mois
suivant. Elle avait joué le 6 octobre Monsieur de Pourceau-
gnac, dont ce fut la première représentation. Molière et
Lulli, tous deux en faveur, y avaient mis en commun leur
gaieté, l'un comme auteur comique, l'autre comme musi-
cien. Nous sommes incompétent pour juger s'il y aurait une
part égale à leur faire, à ne voir dans Pourceaugnac (\vi\xwe
très amusante bouffonnerie. Mais quand le vrai comique se
montre dans cette facétieuse comédie, il ne faudrait plus
penser aune comparaison. Lorsque Voltaire disait très jus-
tement que dans toutes les farces de Molière « il y a des
scènes dignes de la haute comédie», c'était à l'occasion de
celle-ci; et sans doute il pensait à la scène du malheureux
Limousin entre les deux médecins appelés pour constater
sa prétendue folie*. C'est une satire égale par sa vérité à
I. La scène vin de l'acte I.
SUR MOLIÈRE. -.99
celle de la grande scène de la consultation médicale dans
l'Amour médecin. Voilà 011 en était l'espérance d'une récon-
ciliation avec la Faculté, dont Molière, dans son placet pour
Mauvillain. venait de faire la plaisanterie. Pour l'avoir jamais
prise au sérieux, il en voulait trop à messieurs les médi-
castres, et les trouvait trop divertissants.
Si parmi beaucoup de traits vraiment comiques, ({u on
ne trouverait pas uniquement dans une des scènes de cette
comédie, la farce cependant domine, ses plus grands folies,
les seringues mêmes des apothicaires et des matassins,
n'étaient pas faites pour déplaire à l'auguste souverain, par
conséquent à sa cour. Robinet nous a[)prend que les <c grands
spectateurs » furent ravis'. La ville le fut également, lorsque
la pièce fut jouée au Palais-Royal le i5 novembre. Elle eut
un grand nombre de représentations.
On n'a pas bien cclairci d'où était venue à Molière 1 idée
de prendre pour sujet de sa comédie les mésaventures d'un
gentilhomme de Limoges. Nous avons déjà rencontré des
exemples de canevas qu'il avait rapportés de province, qu'il
reprenait volontiers, et transformait habilement, lorsqu'il
devait préparer à la hâte quelque nouveauté pour les diver-
tissements du roi. Il serait donc assez naturel de supposer
qu'il avait conserve dans son cabinet une de ces petites
ébauches faites à Limoges même. Il y a dans Pourceau gmic
un souvenir très exact des rues et places de cette ville. On
a dit (ce n'est peut-être qu'une conjecture) que sa troupe
y avait joué^ et avait été mal accueillie, et qu'il a voulu
faire expier leurs sifflets aux Limousins en mettant sur la
scène, comme un échantillon de ces provinciaux, parmi
lesquels il n'a jamais manqué de gens d'espi-it, un sot et
grossier personnage que l'on berne. Très différente est la
version de Griraarest. Il avait entendu raconter qu'un gen-
tillâtre de ce pays avait eu sur le théâtre du Palais-Royal
une querelle avec les comédiens et que la pièce jouée à
Ghambord avait été une punition de ce ridicule esclandre.
Sans avoir trop de confiance dans cette anecdote, il ne faut
1. Lettre en versa Madame, du 12 ocLoJjre i66y.
•i. Voyez ci-dessus, p. 176.
4oo NOTICE BIOGRAPHIQUE
pas omettre qu'au temps même des premières re|)réscnta-
tions de la pièce, les Parisiens croyaient à la présence dans
leur ville d un modèle de Monsieur de Pourceaugnac, auquel
ils donnaient le titre de marquis; c'est ce que nous apprend
Robinet dans sa Lettre en vers du 23 novembre 1669 :
.... A ce qu'on coule,
L'original est à Paris.
Il jure, tempête et s'emporte,
Et veut faire ajourner l'auteur
Eu réparation d'honneur.
Robinet ajoute, il est vrai :
Peut-être est-ce quelque rieur
Qui de ce conte est l'inventeur.
Aucun moyen de sortir des doutes. Il est du moins certain
que Molière, en écrivant sa pièce, avait eu un retour de
mémoire sur ses années de pérégrination, sur Limoges et
Pézenas. Il s'était chargé du rôle de Monsieur de Pour-
ceaugnac, qu'il jouait de la façon la plus comique, tandis que
Lulli, sous le masque du « signor Chiacchiarone », et avec
toutes les singeries dans lesquelles il excellait, représentait
un des deux musiciens, déguisés en médecins grotesques, et
chantait le piglialo-sù.
Le roi demandait habituellement pour ses fêtes des
comédies-ballets. Quand Molière les lui donnait bouffonnes,
il était loin de s'en plaindre, aimant, tout comme le peuple,
à s'y dérider. Mais il les préférait peut-être sous la forme
d'églogues de cour, aussi royales que champêtres et mytholo-
giques. Quatre mois après la représentation de Pourceau-
gnac à Chambord, il fit jouer dans les divertissements de
Saint-Germain les Amants magnifiques . \1 Avant-propos de
Molière, imprimé en tête de cette comédie dans l'édition
posthume de ses OEm'res, nous fait savoir que Sa Majesté
avait elle-même choisi le sujet : « Deux princes rivaux qui,
dans le champêtre séjour de la vallée de Tempe, où l'on
doit célébrer la fête des jeux Pythiens, régalent à l'envi une
jeune Princesse et sa mèi'e de toutes les galanteries dont
SUR MOLIERE. V>i
ils se peuvent aviser. " Avouons que proposer île |)areils
plans à l'auteur du Misanthrope et du Tartuffe, c'était mal
employer son génie, en méconnaître le prix. Mais il était
toujours prêt à tout. Il ne refusa pas même la tâche d'écrire
les vers des intermèdes, entre autres ceux qui ne devaient
pas être récités, mais seulement lus dans le livre du ballet,
et dans lesquels on était censé faire parler les personnages
de la cour qui figuraient dans les entrées, le roi lui-même,
quand il s'y montrait. Les ingénieuses allégories et les fines
allusions de ces vers étaient d'ordinaire confiées au talent
de Bensserade, qui passait pour être sans rival dans ces
gentillesses. Molière imita sa manière à s'y méprendre, soit
qu'il voulût simplement ne pas le faire regretter, soit qu'il
eût une intention de malicieuse parodie, comme Bensserade
paraît l'avoir soupçonné; car, sans avoir à se plaindre d'être
supplanté, ayant lui-même, l'année précédente, annoncé dans
un rondeau la résolution de ne plus travailler aux ballets,
il laissa percer son mécontentement dans une raillerie assez
plaisante de ces deux vers de Molière :
Et tracez sur les herbettes
Les images de vos chansons.
Lorsqu'il les entendit réciter dans le troisième intermède, il
reprit les chanteurs, comme si la langue leur avait fourché,
et dit tout haut :
Et tracez sur les herbettes
Les images de vos chaussons*.
Grimarest, qui avait entendu parler d'une querelle de
Molière avec Bensserade, sans en connaître l'occasion, n'a
rien dit à ce sujet qui mérite attention*. Bazin a cru que la
I. Le trait du spirituel railleur était piquant. Bien des per-
sonnes seront d'avis qu'il frappait juste, la phrase de ."Molière
pouvant paraître recherchée, bizarre et obscure. Elle s'entend
cependant dans sa hardie et poétique concision. Les pas des
danseurs suivaient les mouvements des chansons, eu exprimaient
le caractère.
5. La Vie de M. de Molière, p. 272-275
MOLIÈKK, X 2<j
4o2 NOTICE BIOGRAPHIQUE
rectification moqueuse avait été décochée avant la repré-
sentation de la comédie, et que Molière avait pris sa re-
vanche par la contrefaçon des jiointes de Bensserade*. Ce
n'est })oint ce qui nous ])araît le plus vraisenihlahle. Nous
avons dit ailleurs* les objections cjui se présentent tout
d'abord à l'esprit.
Vers la fin du même troisième intermède, il y a des vers
que Bensserade aurait eu ))eiiie à ridiculiser, et qu'avec tout
son esprit il n'aurait jamais su faire. Sous le titre, familier
à Molière, de Dcpit amoureux, c'est une imitation, pleine
de grâce facile et charmante, du célèbre Dnncc <^ratus crom
d'Horace. La muse de Molière, en se jouant, secouait des
pierreries et laissait tomber des perles jusqu'au milieu des
inévitables fadeurs des lieux communs de ces ballets.
Il regardait si bien sa comédie comme un impromptu de
fêtes, aussi éphémère que leurs fleurs et leurs illuminations,
qu'elle ne fut pas imprimée de son vivant, ni jouée à la
ville. Le Registre ne la nomme pas dans sa mention des
divertissements de Saint-Germain. Elle n'est pourtant pas
à dédaigner. Le rôle de l'astrologue Anaxarque a son prix.
On y reconnaît la philosophie de Molière, qui, en digne dis-
ciple de Gassendi, n'épargnait nulle part l'imposture et les
crédules superstitions. Le personnage de Clitidas est très
agréable ; Molière, qui le jouait, s'est amusé à lui donner
quelques-uns de ses propres traits. La mémoire toute
])leine de Corneille, il a, pour quelques scènes, trouvé son
bien dans la comédie héroïque de Don Sanclie d' Aragon.
Sostrate fait beaucoup penser à Don Sanche, bien qu'on ne
découvre pas à la tin qu'il soit du sang royal ; et la prin-
cesse Eriphile est une autre dona Isabelle. Ce rôle est un
de ceux où Molière a le plus délicatement éclairé les secrets
du cœur des femmes. Ce serait du Marivaux, si ce n'était
beaucoup mieux, c'est-à-dire sans le même abus de la
tinesse et des nuances trop subtile&^u sentiment.
On a été frappé de la ressemblance du roman d'Eriphile
I. Notes historiennes, p. gi et ga.
a. Voyez In JSotice sur les Amants magnifiques^ lome VII, p. 358
et 359.
SUR MOLIÈRE. 4o3
et de Sostrate avec celui de la grande Mademoiselle et de
Lauzun, dont le dénouement seul devait un jour être tout
autre. Cette ressemblance ne saurait être que fortuite. Ni
le respect dû à une illustre princesse, ni même les dates, ne
permettent d'accuser Molière d'indiscrètes allusions.
Dans la note du Registre de La Grange* sur le séjour de
la troupe à Saint-Gei'main, du 3o janvier au i8 février, on
lit que pour ce voyage « et celui de Cliambord, le Roi l'a
gratifiée de la somme de douze mille livres, qui ont été
partagées en douze parts, en comptant une part pour l'au-
teur ». Molière et ses dix camarades ,^on n'était alors que
onze) reçurent donc mille francs chacun, Molière en outre,
comme auteur, mille autres francs, somme modeste pour
récompenser Pourceaugnac et les Amants magnifiques. Quant
aux douze mille livres, si la troupe les avait reçues comme
prix de ses deux voyages, elles paraîtraient une gratifica-
tion très libérale; mais, en étudiant le Registre, on ne doute
pas que la grosse somme ne fût simplement le payement de
deux termes de la pension accordée en i665 ^.
Au temps où notre récit nous a conduit, il y eut dans la
I. Page 109.
•X. D'api'ès le Registre, la troupe reçoit à Saint-Germain , du
i" décembre i666 au 20 février 1667, laooo livres pour deux
années de la pension (p. 86); — à Versailles, du 6 au 9 novem-
bre 1667, 6000 livres pour une année (p. 91); — à la fermeture
de Pâques 1669, 6000 livres pour une année (p. io3); — à Saint-
Germain, du 3o janvier au 18 février 1670, 12000 livres pour deux
années (p. 109); — en avril 1672, la pension ayant été augmen-
tée, 7000 livres pour ime année (p. i3o); — en mars 1678, un
mois après la mort de 3Iolière, 7000 livres pour une année
(p. i4i)-
A cette dernière date, buit années de la pension avaient donc
été payées, et c'est bien le compte. Depuis que la troupe était
devenue troupe du Roi, elle avait reçu 38 000 livres, au titre de
pension. Il y avait eu aussi diverses gratifications et des dons de
costumes. En novembre i6(38, à Saint-Germain, où l'on joua,
pour la première fois, l^ Avare devant le roi, on eut une gratifica-
tion de 3ooo livres (p. 99 du Registre). On croirait que par cet
exemple de générosité, il se fit un plaisir de compléter la leçon
que Molière donnait aux Harpagons.
4oi NOTICE BIOGRAPHIQUE
troupe un changement qui n'est pas sans intérêt. On se sou-
vient que Baron, après avoir joue à Saint-Germain, en
décembre i666, le rôle de Myrtil dans Méliccrtc, avait
demandé au roi la permission de se retirer. Pour se sous-
traire aux mauvais traitements de Mlle Molière, il avait été
rejoindre la troupe de la Raisin, dont Molière l'avait tiré.
Bien que regrettant toujours son protecteur, et regretté par
lui, il n'avait jamais voulu revenir. La troupe de la Raisin
n'ayant pu se soutenir, il s'était engagé dans une autre, qui
jouait également en province. Molière cependant ne le per-
dait pas de vue. « Quelques jours après qu'on eut recom-
mencé après Pâques [1670], dit le Registre^, M. de Molière
manda de la campagne le S"" Baron, qui se rendit à Paris,
après avoir reçu une lettre de cachet, et eut une part. » A
la marge de ces lignes, La Grange a placé l'anneau teinté de
bleu, signe d'heureux événement. Il a certainement voulu
constater la joie de Molière. Voilà la première entrée de
Baron dans la troupe; car au temps de Melicertc, presque
enfant encore, il n'en faisait pas régulièrement partie. Son
admission en 1670 fait honneur à la constance de Molière dans
un attachement presque paternel, et à la sûreté de son juge-
ment, qui ne s'était })as trompé sur de grandes espérances de
talent. Elles furent justifiées d'une manière brillante, et l'on
peut être assuré que ses excellentes leçons contribuèrent
beaucoup à former un des meilleurs comédiens du dix-
septième siècle et du suivant. Les circonstances du retour
de Baron ont quelque chose de touchant. Molière, ayant
appris que le jeune homme parlait toujours de lui avec
reconnaissance, lui envoya à Dijon une lettre d'une extrême
bonté, avec l'ordre qu'il avait obtenu du roi. Le jour de
son arrivée, il alla au-devant de lui à une des portes de la
ville*.
Le récit de Grimarest, dont les détails ont évidemment
été recueillis de la bouche de Baron, est accompagné de
réflexions donnant à penser qu'à ce moment-là les chagrins
de Molière, le vide qui s'était fait dans son intérieur, l'en-
1. Page III.
2. La Vie de M. de. Molière, p. 11 3- il 7.
SUR MOLIERE. 4o5
gagèrent à chercher dans le rappel de son protégé une
consolation assez nécessaire pour le décider à ne pas tenir
compte de l'antipathie de sa femme. Grimarest dit qu'il fit
retrouver près de lui à son jeune ami les mêmes bontés
qu'avant leur séparation. Il ajoute' : « On ne peut s'ima-
giner avec quel soin il s'appliquait à le former dans les
mœurs, comme dans sa profession. » Il est regrettable que
cette sollicitude ait moins réussi à faire de l'élève un
homme de mœurs irréprochables, qu'un auteur de talent
supérieur.
Baron, pour son début, joua, le 28 novembre 1670, le rôle
de Domitien dans la première représentation de Tite et Bé-
rénice, cette tragédie de Corneille par laquelle le Palais-Royal
fit la concurrence, dont nous avons parlé, à l'Hôtel de Bour-
gogne, où fut jouée la Bérénice de Racine.
De la troupe de campagne que Baron avait quittée à
Mâcon, Mlle Beauval, bonne comédienne, fut aussi appelée
à Paris par une lettre de cachet, avec son mari, qui ne fut
reçu qu'à demi-part. La Beauval, que Robinet nomme une
« actrice de choix royal », était réellement du choix de
Molière, à qui sans doute elle avait été recommandée par
Baron. En comptant pour un dans le nombre des comé-
diens Jean Pitel, sieur de Beauval, ce demi-associé, la
troupe se trouva composée de treize comédiens, au lieu de
onze. Ils auraient été quatorze s'ils n'avaient pas vu, quel-
ques jours avant, se retirer un de leurs camarades, Louis
Béjart, le « chien de boiteux « de la comédie de t Avare. Ce
frère de Madeleine n'avait alors que quarante ans. Une déli-
bération de toute la troupe lui vota une pension de mille livres.
C'est le premier exemple d'un pensionnaire dans la maison
de Molière.
Mlle Beauval, qui avait paru à Chambord dans une comé-
die qui y fut jouée avant le Bourgeois gentilhomme, déplut
d'abord au roi, mais il revint de sa prévention en la voyant
dans le rôle de Nicole, oii elle fut excellente. Il dit alors à
Molière : «; Je reçois votre actrice*. »
1. Page lao.
2. Histoire du Théâtre françois, tome XIV, p. 53 1,
4o6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Nous venons de nommer la pièce nouvelle de Molière, qui
fut représentée en iG-o à Chambord, un an après que son
auteur en avait égayé les fêtes par le Pourceaugnac. On re-
marque bien des points de ressemblance entre les deux
rc^gals, comme on disait alors, dont les chasses étaient l'occa-
sion. Pour l'un, de même que pour l'autre, on voulut un spec-
tacle joyeux, où les « deux grands Baptistes » (on nommait
ainsi Molière et Lulli) lâcheraient la bride aux folies. Aux
siennes Molière mêla cette fois encore, et même beaucoup
plus largement, le véritable, l'excellent comique. Voltaire
a très bien reconnu que si le cinquième acte du Bourgeois
gentilhomme est une farce réjouissante, les quatre premiers
« peuvent passer pour une comédie* ». Ce serait pourtant
une trop petite mesure de justice, s'il n'avait commencé
par dire que cette pièce « est un des plus heureux sujets
de comédie que le ridicule des hommes ait jamais pu four-
nir ». Plus encore que le choix du sujet, l'art avec lequel il
a été traité est d'un maître.
Le Registre annonce ainsi- le voyage à Chambord des co-
médiens du roi, qui y ioniranX le Bourgeois gentilhomme :
«Vendredi S** octobre [1670], la troupe est partie pour
Chambord par ordre du Roi. On y a joué, entre plusieurs
comédies, le Bourgeois gentilhomme, pièce nouvelle de M. de
Molière. Le retour a été le 28*' dudit mois. » Ce fut le mardi
\\ octobre que l'on représenta pour la prennère fois cette
comédie-ballet. Elle plut tellement, qu'elle fut redemandée
pour les jeudi, lundi et mardi suivants. Ces quatre repré-
sentations en huit jours donnent un démenti à Grimarest.
Il prétend que «jamais pièce n'a été plus malheureusement
reçue » ; que le roi garda tout d'abord un silence inquié-
tant ; que les courtisans se déchaînèrent si fort contre une
bouffonnerie, jugée par eux extravagante, que Molière, pen-
dant cinq jours (où Grimarest les prenait-il ?), se tint caché
dans sa chambre, et ne reprit courage qu'après la seconde
représentation, lorsque le roi, se prononçant enfin dans les
I. Sommaire du Bourgeois gentilhomme. Voyez au tome VIII
de notre édition, p. 89.
a. Page 116.
SUR MOLIERE. 407
termes les plus flatteurs, donna aux courtisans le signal d'une
palinodie, chantée aussitôt bruyamment par leur docilité*. Si
cette histoire n'a pas été imaginée parle biographe, on l'avait
mal informé. Quand la pièce n'eût pas eu tant de scènes d'un
parfait comique, il est impossible que le roi ait tardé à s'en
montrer satisfait, y ayant trouvé ce qu'il avait principale-
ment voulu que Molière y mît, plus impossible encore que
les gens de cour aient été assez malavisés pour traiter de
pauvretés insupportables les Hmi la ba ha la chou, c'est-à-
dire tout justement les facéties que l'on savait commandées.
S'il y avait des malveillants, ils n'auraient osé critiquer, dans
le Bourgeois gentilhomme, que ce qui était dû au génie co-
mique de Molière. Les turqueries, dans lesquelles il avait
fait rire par ordre, ne couraient aucun danger d'être atta-
quées.
On sait d'où était venue au roi la fantaisie de s'amuser
d'une caricature d'enturbannés. La cour de Saint-Germain
avait été égayée par les récits de Laurent d'Arvieux, récem-
ment revenu d'un long voyage en pays musulman, et truche-
ment, à la fin de 16G9 et au commencement de 1670, d'un
envoyé extraordinaire du Grand Seigneur. Il a raconté lui-
même que cet envoyé de la Porte, reçu par Louis XIV en
grand appareil, tint sa gravité orientale, et affecta de ne se
montrer aucunement étonné par les magnificences dont on
avait voulu l'éblouir. Si l'on en croit Bruzen de la Marti-^
nière, ce fut Colbert qui recommanda à Molière de tourner
les Turcs en ridicule, afin de punir un si insolent dédain*.
Louis XIV ou son ministre, ce nest évidemment qu'un ici.
Ayant eu l'ordre exprès de lier aune action comique la mas-
carade des turbans, Molière, dans cette partie boufTonne de
sa pièce, fut aidé à Auteuil par Lulli et par Laurent d'Arvieux,
Celui-ci dit avoir été chargé de « tout ce qui regardait les
habillements et les manières des Turcs ». Ce ne serait donc
pas sans vraisemblance qu'on le rendrait responsable et des
questions faites à M. Jourdain par le Muphti, et du cérémo-
nial, où l'Alcoran est mis par les derviches sur le dos du
I. La Vie de M. de Molière, p. •i6i-264.
3. f^ie de Vauteur (i 726), p. 93.
/,o8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
nouveau Mamamouchi. On a vu là une intention, qui aurait
été plus qu'indécente, de parodier les cérémonies de la con-
sécration de nos évêques. C'est, à notre avis, fort injuste.
On donnait volontiers, en ce temps-là, aux coutumes étran-
gères la couleur des nôtres. Si c'est d'Arvieux qui a con-
fondu les unes avec les autres, il est probable que, connais-
sant mal les rites musulmans, il les a, sans malice, assimilés
à ceux de notre Eglise. Si c'est Molière, pourquoi le soup-
çonnerait-on de l'avoir fait moins innocemment? Il est bon
de faire remarquer qu'alors personne ne fut scandalisé. La
prétendue impiété est une découverte de nos jours ; elle vient
trop tard pour donner autorité à une grave accusation. On
peut être l'auteur de Tartuffe et de Don Juan sans être ca-
pable d'une farce sacrilège.
Pour donner prétexte aux scènes turques, Molière a dû
imaginer une pièce dont le principal personnage serait un
sot d'une vanité assez extravagante pour devenir la dupe la
plus aisée à mystifier. Il ne pouvait être mieux choisi que
dans cette petite bourgeoisie qui, enrichie parle commerce,
et méconnaissant son incurable ignorance et son manque
d'éducation, a la ridicule ambition de s'élever jusqu'à la
gentilhommerie, de s'enfler, de se travailler
Pour égaler l'auimal en grosseur.
Voilà comme dans une idée bouffonne Molière a trouvé une
bonne comédie. Assurément, pour amener son bourgeois au
plus incroyable excès de crédulité, il a fallu pousser très
loin son imbécile manie. Il n'y en a pas moins dans ce carac-
tère, peint avec l'exagération de la caricature, force traits
d'une admirable vérité. Et quel parfait crayon a dessiné les
figures de Mm3 Jourdain et de la servante Nicole, deux
types de l'honnête simplicité bourgeoise et populaire, dont
le naïf bon sens fait si bien ressortir la prétentieuse sottise
du mari et du maître !
Nous ne quitterions pas cette pièce sans parler, si nous
ne l'avions déjà fait, à l'occasion de Mlle Molière S de ses
I. Voyez ci-dessus, p. 349 ^^ ^^°*
SUR MOLIERE. 409
charmantes scènes de « dépit amoureux' », sujet de prédi-
lection pour Molière, et du portrait de Lucile, qu'il a tracé
avec une délicatesse infinie, sous l'inspiration de son cœur.
Le Bourgeois getitilhomme ïni représenté pour la première
fois au Palais-Royal, le a3 novembre 1670, avec autant de
succès qu'il en avait eu à la cour. Les scènes turques et les
magnificences du ballet y contribuèrent certainement; car
la pièce fut donnée au public
presque tout comme
A Chambord et dans Saint-Germain'.
Le spectacle, les musiciens, qui avaient coûté fort cher au
roi, exigèrent chez les comédiens une dépense, moindre
sans doute, mais d'un chiffre assez élevé encore. Ils la pou-
vaient supporter, et comptaient d'ailleurs sur une vive cu-
riosité du public; le calcul ne fut pas trompé.
De plus grands frais furent imposés, l'année suivante, par
un ouvrage très différent du Bourgeois gentilhomme, par la
tragédie-ballet de Psyc/ic, que le roi avait également com-
mandée et fait d'abord représenter devant lui. Lorsqu'on
la prépara pour le Palais-Royal, ce fut [)Our ce théâtre une
occasion de constructions nouvelles, destinées à le rendre,
comme dit le Registre^, « propre pour les machines ». Ces
dispendieuses transformations, qui permirent de monter
désormais de plus grands spectacles, et, en même temps,
de faire paraître sur la scène les musiciens et musiciennes,
cachés jusque-là dans des loges grillées, prouvaient la pro-
spérité de la troupe et donnaient l'espérance de l'accroître;
mais, quoi qu'elles aient pu faire alors pour attirer la foule,
ce ne sont pas elles qui ont laissé un impérissable souvenir
de cette scène du Palais-Royal, dont la mémoire de la pos-
térité ne cherche plus les traces brillantes que dans les
œuvres du grand poète.
Cette Ps)'c/ie', nouvelle fantaisie royale, était née d'une
circonstance plus frivole encore que celle à laquelle on a dû
I. Acte III, scènes vin, ix et x.
a. Robinet, Lettre en vers à Monsieur, du 2a novembre iGjo.
3. Pages iiî-124.
4io NOTICE BIOGRAPHIQUE
le Bourgeois- gentilhomme, s'il est vrai que la tragédie
mythologique ait été, comme on l'a dit, demandée à Molière
pour ne pas laisser sans emploi un décor des Enfers, con-
servé dans le garde-meuble du roi. Ne serait-il point piquant
qu'un châssis de toile peinte à utiliser ait mis en mouve-
ment les muses, pour cette unique fois associées, de Molière
et de Corneille?
La première représentation fut donnée, le 17 janvier 1G71,
dans une magnifique salle du palais des Tuileries. Les ordres
du roi avaient, comme de coutume, laissé à Molière si peu
de temps, que, pour être prêt au jour fixé, il ne put se
passer d'un collaborateur. 11 n'y en avait alors que deux
parmi les poètes de théâtre qui fussent dignes de travailler
avec lui. Racine et Corneille. Bien que le sujet de cette déli-
cieuse histoire d'amour parût convenir particulièrement au
premier, Molière avait de trop bonnes raisons de ne pou-
voir songer à lui. Avec Corneille, au contraire, il était en ce
temps-là devenu facile de s'entendre, et l'on s'entendit. Point
d'autre exemple dans l'histoire de notre théâtre d'une pièce
à laquelle aient coopéré deux hommes de génie. Leurs talents,
quelque dissemblables qu'ils fussent, se mirent étonnam-
ment d'accord. La part de chacun est sans doute aisée à
distinguer, même sans tenir compte des renseignements
positifs que nous avons ; on n'est toutefois choqué d'aucune
disparate. Le vieux et énergique Corneille a été plein de
grâce souple et de tendresse; de son côté, Molière a très
agréablement badiné dans le premier acte tout rempli de la
ridicule jalousie des deux méchantes sœurs et dans le dia-
logue du Zéphire et de l'Amour qui commence le troisième
acte. Il s'était réservé ce dialogue, se proposant de repré-
senter lui-même le discret confident du divin amant de
Psyché'. Dans ces jolies scènes, et aussi dans le spirituel
prologue, qui est également de lui, il n'a pas fait un moins
heureux emploi du vers libre, du croisement et du redou-
blement des rimes, que dans son Amphitryon. Pour ne rien
oublier de ce qui lui est dû, c'était lui qui avait tracé le
plan de l'œuvre commune.
Mlle Molière fut chargée du rôle de Psyché; nous avons
eu occasion de dire qu'elle y fut jugée très séduisante. Ro-
SUR MOLIERE. 4ii
binet, dans sa Lettre en vers à Monsieur, du i" août i6^i,
vante, en cette occasion, son jeu divin, son air, sa grâce,
son esprit, et « maints autres » de ses attraits. Il la nomme
la belle Psyché
Par qui maint cœur est alléché.
L'auteur de la Fameuse Comédienne ne lui refuse pas les
mêmes louanges ^ » Il est vrai qu'il avait son dessein en lui
rendant cette justice. Lorsqu'il ajoutait que « Baron, dont le
personnage étoit l'Amour, enlevoit les cœurs de tous les
spectateurs «, sa perfidie préparait la vraisemblance d'une
noire accusation. Cette Psyché et cet Amour, admirés tous
deux pour leur charme irrésistible, semblaient faits l'un
pour l'autre et destinés à s'aimer, à se sentir le cœur pé-
nétré de toutes les douceurs qu'ils se disaient dans la pièce.
Après avoir si habilement fait pressentir la scène, il n'y
avait plus qu'cà en imaginer les développements et à racon-
ter avec détails comment Baron avait profité d'une si belle
occasion de trahir son bienfaiteur. Il fallait en vérité que le
libelliste eût été dans la coulisse pour si bien entendre le
galant entretien, dont il nous régale, du jeune comédien et
d'Arraande. Celle-ci, comme on le ])ense bien, nous est re-
présentée comme flattée de sa nouvelle conquête, et con-
quise elle-même, sans faire tant de façons. Mais pour ne pas
s'exposer à des démentis que pouvaient lui faire craindre
les témoins d'une antipathie persistante, le calomniateur a
eu soin de donner une courte durée à la coupable liaison.
Dans son récit, la jalousie inspirée à Mlle Molière par les
infidélités de l'acteur à bonnes fortunes, et le désaccord
difficile à éviter entre gens du même métier, ne tardèrent
pas à faire renaître, plus grande que jamais, l'ancienne
aversion. Tout bien arrangé qu'il est, le conte a trop peu
de vraisemblance. Baron, il est vrai, n'a pas laissé la répu-
tation d'un homme scrupuleux dans ses amours. Est-ce
assez pour que, sur la foi d'un lâche pamphlétaire, on le
croie capable d'une si abominable ingratitude? Et puis s'il
n'est pas sans exemple que deux personnes qui s'étaient
I. Voyez ci-dessus, p. 346.
/jia NOTICE BIOGRAPHIQUE
longtemps détestées aient passé un beau jour de la haine à
l'amour, ce n'est pas une bizarrerie très commune. Aucun
autre témoignage d'ailleurs ne confirme la scandaleuse his-
toire, dans laquelle on reconnaît clairement le parti pris de
flétrir Mlle Molière. Cela doit suffire pour ne pas la faire
accepter; nous n'en aurions même point parlé, si quelques-
uns, avec une confiance trop facile, ne l'étaient allés cher-
cher dans le livre calomnieux.
Bien moins grave, et aussi moins invraisemblable, est le
bruit qui a couru sur les tendres sentiments de Corneille
pour la comédienne qui représentait Psyché avec tant de
charme. Robinet a dit, dans ses vers sur la première repré-
sentation de Pulchéric (novembre 1G72) :
. , . L'auteur a fait ce poème
Par l'efTet d'une estime extrême
Pour la merveilleuse Psyché,...
Ou Mademoiselle Molière*.
Cela pourrait signifier simplement que Corneille avait écrit
la comédie héroïque de 1672 pour donner un nouveau rôle
à l'actrice dont l'excellent jeu l'avait si bien servi dans la
tragédie-ballet. Mais alors comment se ferait-il que sa pièce
n'eût pas été représentée au Palais-Royal, mais au Marais?
La confiance dans un talent, auquel l'auteur de Pulchérie
s'abstint d'avoir recours, ne semble donc pas avoir été,
dans la pensée de Robinet, \' estime extrême dont il parle;
et il est naturel de comprendre que certains vers de cette
Pulchc'rie passaient pour avoir été inspirés par un genre
d'estime très différent. L'insinuation de la Lettre en vers
paraît surtout claire lorsqu'on la rapproche du passage de
la Fie de Corneille, où Fontenelle dit que son oncle « s'est
dépeint lui-même avec bien de la force dans Martian, qui
est un vieillard amoureux ». Il n'y a pas trop de difficulté à
croire à une passion tardive de Corneille. Nous l'avons vu, en
i638, épris, à l'âge de cinquante-deux ans, de la belle Mar-
quise du Parc. Il a bien pu, même douze ans plus tard, se trou-
ver encore le cœur vulnérable. Si c'est Mlle Molière qui a fait
I. Lettre en vers à Monsieur, du 26 novembre 167a.
SUR MOLIERE. 4i3
la blessure, elle n'a pu avoir à souffrir dans sa réputation des
poétiques hommages de l'illustre sexagénaire, dont l'amour
était certainement aussi platonique que celui de Martian,
devenu, à de singulières conditions, l'époux de Pulchérie.
Ce qui pourrait faire hésiter à reconnaître la charmante
Psyché dans la personne aimée par le poète, c'est que sa
Pulchérie, comme nous l'avons dit, ne fut pas confiée à la
troupe qui possédait cette comédienne. Serait-ce que Molière,
ayant appris qui l'on désignait comme l'objet de la passion
de Martian, se serait refusé à faire entendre sur son théâtre
les innocents soupirs adressés indirectement à sa femme?
Cette jalousie est peu croyable. Les admirateurs de Mlle Mo-
lière avaient souvent donné à son mari de plus sérieux su-
jets d'inquiétude.
Entre les représentations de Psyché aux Tuileries et
celles que le Palais-Royal put être prêt, six mois plus tard
seulement, à en donner, Molière fit prendre patience aux
spectateurs de la ville par une nouveauté, les Fourberies de
Scapin. Elles furent jouées le 24 mai 1671. Il est assez vrai-
semblable qu'il les avait tirées, comme le dit Voltaire, d'une
des farces préparées autrefois par lui pour la province.
L'imitation de deux scènes du Pédant joué de Cyrano de
Bergerac semble indiquer un temps peu éloigné de l'étroite
camaraderie des deux disciples de Gassendi. Gor gibus dans
le sac, joué, d'après le Registre, en 1661, i663 et i66'j, et
dont il est à croire que Molière était l'auteur, pourrait bien
être une première reprise, à Paris, du canevas que l'on
conjecture avoir été écrit pour la troupe de campagne. Si
ces indices ne nous trompent pas, en nous faisant croire à
une ébauche remaniée, dont serait sorti le Scapin, nous
aurions là un nouvel exemple de ces anciennes bouffonneries
de Molière, très heureusement transformées par lui, lors-
qu'il lui était devenu impossible d'en tirer parti, sans les
relever comme il convenait au maître reconnu de la scène
comique. On peut être certain que ïérence n'est venu qu'en
1G71 mêler sa fine urbanité aux scènes des plaisantes four-
beries. Les emprunts que Molière lui a faits avec un art
délicat ne sauraient laisser de doute sur leur date.
Boileau a été très sé\ère sur ce qu'il appelait une alliance
,',i4 NOTICE BIOGRAPHIQUE
de Térence avec Tabarin. Elle révoltait son goût ennemi
du vulgaire au point d'en devenir étroit; et la scène où
Géronte est hâtonné le chagrinait jusqu'à lui faire contester
à l'auteur à\x Misanthrope, compromis par ces abaissements,
l'honneur d'avoir remporté le prix de son art. C'était faire
beaucoup de bruit pour quelques coups de gaule, eussent-
ils égayé déjà le Pont-Neuf. Boileau sentait vivement et a
loué mieux que ])ersonne en son temps les beautés des
chefs-d'œuvre de Molière, mais il ne comprenait pas tout
dans ce large esprit, chez qui les libres folies du rire, que
l'aristarque croyait des complaisances pour la foule, étaient
aussi naturelles que la philosophie la plus élevée du comique
sérieux et profond. Plus Boileau admirait Molière, plus il
était porté à ne pas le trouver assez jaloux de la dignité de
son génie. De même qu'il l'eût voulu moins « ami du
peuple », il souffrait de le voir, lui placé au plus haut
de la gloire des lettres, s'obstiner à rester comédien.
C'était encore un point sur lequel les deux amis ne s'en-
tendaient pas. Nous ne croyons pas inventé ce que le
Bolxana rapporte d'un de leurs entretiens à ce sujet. Il est
vrai qu'il le place deux ans avant la mort de Molière, lors-
que le conseil de Boileau lui était inspiré par un état de
santé dont on s'inquiétait trop justement. Mais les réflexions
qu'il fit sur le refus de Molière de lui donner contentement
semblent celles d'un homme qui n'avait pas attendu ce
péril pour juger le grand poète trop diminué par sa pro-
fession. Cette petite querelle amicale est curieuse. Après
avoir représenté au malade combien son extrême fatigue
exigeait qu'il ne montât plus sur la scène, Boileau conti-
nuait ainsi : « Contentez-vous de composer, et laissez
l'action théâtrale à quelqu'un de vos camarades; cela vous
fera plus d'honneur dans le public, qui regardera vos acteurs
comme vos gagistes; et vos acteurs d'ailleurs, qui ne sont
pas des plus souples avec vous, sentiront mieux votre
supériorité. — Ahl Monsieur, répondit Molière, que dites-
vous-là? Il y a un honneur pour moi à ne point quitter. »
Le sage conseiller jugea sans doute inutile, pénible même,
d'insister; mais il dit, à ])art lui : « Plaisant point d'hon-
neur à se noircir tous les jours le visage pour se faire une
SUR MOLIÈRE. 4i5
moustache de Sganarelle, et à dévouer son dos à toutes
les bastonnades de la comédie! Quoi! cet homme le pre-
mier de son temps pour l'esprit et pour les sentiments d'un
vrai philosoi)he, cet ingénieux censeur de toutes les folies
humaines, en avoit une plus extraordinaire que celles dont
il se moquoit tous les jours! Cela montre bien le peu que
sont les hommes*. » Si c'est bien Boileau qui parle (et vrai-
ment il y a là de son accent) , il est clair que sa pensée allait
plus loin qu'une invitation au repos conseillé par la ma-
ladie. Les bastonnades reçues par un tel homme, pour l'a-
musement du public, lui tenaient au cœur. Molière a suf-
fisamment prouvé jusqu'à son dernier jour que le point
d'honneur qui le retenait au théâtre n'était pas celui d'un
comédien lier de montrer le visage qu'il se composait avec
l'art d'un Scaramouche. C'était son bon cœur, Boileau le de-
vait savoir, qui l'attachait, jusqu'à épuisement de ses der-
nières forces, aux intérêts de sa troupe, tout lui disant qu'ils
seraient trahis par sa retraite. Mais, sans rien lui retirer d'un
généreux dévouement, on doit reconnaître aussi qu'il aimait
son métier. De tout temps il avait pensé qu'il manquerait
quelque chose à ses œuvres théâtrales, s'il ne donnait de près
tous ses soins à leur représentation, en dirigeant ses acteurs
comme chef et prenant lui-même des rôles dans ses pièces ;
et il avait de bonnes raisons de croire que son art de poète
avait tiré grand profit de son art de comédien, lequel n'avait
cessé de lui révéler les secrets des effets de scène. Voilà ce
que Boileau n'entendait pas, ou feignait de ne pas entendre,
préoccupé qu'il était de la disproportion entre les mous-
taches dessinées par le charbon et la hauteur de pensée
d'un esprit de premier ordre. Pour ne pas regretter que
Molière n'ait jamais voulu s'avouer cette disproportion, il
est certain que l'on a besoin de quelque effort de réflexion.
Il ne faudrait pas croire à une sévérité, sans exception,
de Boileau, pour les petites pièces de Molière. ]\'e jugeant
indignes de lui que les scènes bouffonnes, où ne se trouvaient
pas, à son avis, « ragréal)le et le fin », il n'hésitait pas à
reconnaître ces qualités dans quelques-uns de ses légers
I. Uulu-ana, pages 35-37.
4i6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
crayons. Il disait à Brossette en quelle estime il tenait non
seulement la Critique de l'école des femmes, cette spirituelle
apologie, dont Molière avait su faire une bonne comédie,
mais aussi la Comtesse d'Escaibai^rias^, qui n'est qu'une es-
quisse tracée à la hâte pour un des divertissements de la
cour. Cette comédie est, après les Fourberies de Scapin, la
première que Molière fit représenter. Voici à quelle occa-
sion. Pour fêter le récent mariage de la Princesse Palatine,
la seconde Madame, célébré le j.ï novembre 1671, le roi
voulut la régaler à Saint-Germain d'un attrayant spectacle,
qui serait composé de tout ce qui avait particulièrement
plu dans les ballets des années précédentes. On nomma ce
pot-pourri le Ballet des ballets. Molière fut chargé de lier
ces divers fragments, et, comme dit Robinet*, de leur donner
l'âme. La troupe, partie le 27 novembre pour Saint-Germain,
y resta jusqu'au ij décembre. On joua le 1 de ce dernier
mois la pièce qui donnait une certaine unité aux emprunts
faits à des intermèdes de différentes comédies ou à des
entrées des plus célèbres ballets, en même temps qu'elle
servait de prétexte aune nouvelle pastorale. Ctlie Pastorale ,
ouvrage aussi de Molière, n'a malheureusement pas été re-
cueillie. Regardant également comme une bagatelle la Com-
tesse d^Escarbagnas, son auteur n'a pas voulu qu'elle fût
imprimée de son vivant. Il n'y manquait cependant que des
développements moins écourtés, auxquels il avait fallu renon-
cer faute de temps, et par la nécessité de laisser assez de
place à la musique et aux danses. La comtesse de province,
avec sa ridicule affectation des grands airs de Paris et de
la cour; ses deux amants, le conseiller Tibaudier, caricature
d'un robin qui orne ses lourdes galanteries du pédantesque
langage de sa profession, surtout le receveur de tailles,
Ilarpin, cette brutale figure de financier, dont Le Sage s'est
souvenu en dessinant son Turcaret, tous ces caractères, il
a suffi à Molière de quelques touches pour les marquer des
traits les plus vrais, comme les plus amusants. Ce sont vrai-
semblablement des personnages que, durant ses périgrina-
I. Ms. de Brossette, p. 38.
"x. Lettre en vers du 20 février 1672.
SUR MOLIERE. \i-
tions, il avait pu observer à Angoulême, où il a placé la
scène de sa comédie : et peut-être, cette fois encore, n'a-
t-il fait que remanier, en raméliorant, une ébauche rappor-
tée de la province.
Lorsqu'on représenta, pour la première fois, la Comtesse
rf'jE'^c«/èag-/ia.y au Palais-Royal, le 8 juillet 1672, ce fut avec
une reprise du Mariage force', que l'on continua à y mêler
dans les treize représentations suivantes, du 10 juillet au
7 août. La comédie-ballet de 1664, avec sa musique et ses
ornemetits , avait été substituée à la Pastorale et au Ballet
des ballets, dont était composé à Saint-Germain le spectacle
donné chez la comtesse. On fit ainsi l'économie d'une trop
forte dépense; on eut de plus cet avantage d'offrir au public
une nouveauté dans la musique du Mariage force'; elle ne fut
plus, en effet, celle de Lulli, que la cour avait entendue,
mais celle de Charpentier, à qui Molière l'avait demandée.
Il était alors brouillé avec le Florentin, et non sans motif,
ayant récemment appris ce qu'il savait faire. Il aurait pu
dire de lui avant la Fontaine :
C'est UQ matin
Qui tout dévore*.
Nous aurons occasion de parler plus loin des faveurs sollici-
tées et obtenues par l'avidité du glouton « au triple gosier »,
qui, par son monopole envahissant, blessa dans leurs inté-
rêts tous les théâtres, sans excepter celui de Molière.
Un peu avant les changements qui rendirent possible de
jouer la Comtesse ctEscarbagnas à la ville, cette comédie,
avec le Ballet des ballets qu'elle encadrait, avait eu à Saint-
Germain, au mois de février 1672, trois nouvelles repré-
sentations en quelques jours. Il n'est pas douteux que les
deux premières, celles du 10 et du 14, virent Molière rem-
plir, comme il l'avait fait d'abord, les rôles du premier
Pâtre et du Turc de la Pastorale^; mais, dans la troisième,
1. Satire du Florentin dans les OEuvres de la Fontaine, vers 10
et II.
2. >'i lui ni sa femme n'en avaient pris aucun dans la Comtesse
lï Escarbagnas .
Molière, x 27
4i8 NOTICE BIOGRAPHIQUE
donnée le 17, Robinet nous apprend qu'il avait dû être
remplacée Ce même jour du 17 février, Madeleine Béjart
était morte. Le Registre de La Grange n'a pas oublié^ cette
fois de marquer du losange noir la mention du grand deuil.
Quoi que l'on pense de la parenté de la défunte et d'Ar-
raande, une amitié très étroite avait uni ces deux Béjart
entre elles, et Molière avec l'une et l'autre. Le testament
de Madeleine^ l'atteste, comme nous l'avons déjà à\V, par
des dispositions si extraordinaires qu'elles ont singulière-
ment confirmé la conviction de ceux qui voient en elle la
mère de Mlle Molièi^e. Il y a d'autres remarques à faire sur
quelques-unes de ses dernières volontés. Après avoir recom-
mandé son âme à Dieu, à l'intercession de la Vierge Marie,
et de tous les saints et saintes, elle prescrivait que son
corps fût inhumé en l'église Saint-Paul. Soit là, soit dans
quelque monastère, elle fondait à perpétuité deux messes
basses de Requiem par chaque semaine. Avant de mourir
elle s'était certainement mise en règle par une renonciation
formelle à la profession de comédienne. Aussi la sépulture
qu'elle avait demandée ne souffrit-elle pas de difficultés.
Son corps fut porté d'abord à Saint-Germain-l'Auxerrois,
et de là, avec permission de l'Archevêque, en carrosse,
à Saint-Paul, où il reposa sous les charniers*, fait auquel
donne de l'intérêt l'inévitable rapprochement avec ce que
nous raconterons bientôt de l'inhumation de Molière, lors-
qu'au bout d'un aB, et, par une singularité frappante, à la
même date du 17 février, il suivit, dans la mort, la comé-
dienne qui avait eu de bonne heure une influence décisive
sur sa destinée. Assurément des deux vies, qui laissèrent
des fautes communes à expier, celle de Molière n'avait pas
été la plus irrégulière, la plus constamment en désaccord
1. Lettre en vers du 20 février 1672.
2. A la page i3i.
3. Soulié adonné ce testament, avec soncodicile, aux pages a43-
247 de ses Recherches sur Molière. Document XL.
4. Voyez ci-dessus, p. 268.
5. Voyez aux Pièces justificatives, n° XIV, les extraits des re-
gistres des deux églises, qu'a fait connaître Beffara, Disserta-
tion sur J.'B. Poquelin'Molière, p. 21 et 22.
SUR MOLIÈRE. /,rg
avec la morale. Nous dirons par quelle fatalité ce fui à lui
que l'Eglise crut ai)plical3les, et peut-être appliqua de fait,
malgré les apparences, les sévérités de ses lois.
Si près qu'il fût, en 1672, de la fin de sa glorieuse car-
rière, nous allons le voir encore la fournir jusqu'au bout,
sans que l'épuisement des forces de son corps ait fait
défaillir celles de son génie ; car il produisit un nouveau
chef-d'œuvre, où la richesse de son pinceau comique, et
l'admirable style de ses vers, furent dignes de l'auteur du
Tartuffe et du Misanthrope. Avant que la comédie, cadre du
Ballet des ballet.';, dont Saint-Germain s'était amusé, fût en
état d'être jouée au Palais-Royal, les Femmes savantes avaient
paru sur ce théâtre, le 11 mars 1672.
Si l'on rapproche cette comédie de celle des Précieuses
ridicules, dont elle reprenait les hostilités contre les admi-
ratrices des sottises du bel esprit, on est frappé de la va-
riété que le plus fécond des peintres a mise dans les deux
tableaux. Ils ne se ressemblent que par l'objet des attaques.
Non seulement le dernier en date nous offre une peinture
beaucoup plus grande que celle de iGjg, mais n'a rien qui
soit à comparer avec elle dans l'invention comique, non
plus que dans les caractères. Ceux des Femmes savantes
ont un bien autre relief que les amusantes caricatures des
Précieuses, quelque parfaite que soit en son genre la petite
comédie. Le bon bourgeois Gorgibus n'était qu'un très léger
crayon de Chrysale; Cathos et Madelon, qui ne se distin-
guent guère l'une de l'autre, ni de toutes les « pecques
provinciales «, mauvais singes de l'hôtel de Rambouillet,
prdissent en regard des trois types si variés de savantes.
Sans être plus amusants que IMascarille et Jodelet, Trisso-
tin et "Vadius sont beaucoup mieux que des personnages de
farce. Ils ont une large et nécessaire place dans le tableau
de la maison livrée au monde pédant. La Grange et du
Croisy ont peu de physionomie à côté de Clitandre. Marotte
avait en traits bien moins marqués que Martine représenté
la naïve servante qui n'est pas infectée du mauvais air.
Quant à la charmante Henriette, rien, dans les Pre'cieuses
ridicules, ne correspond à son rôle, le plus gracieusement
féminin que Molière ait écrit.
$ao NOTICE BIOGRAPHIQUE
Ce rôle surtout rend très claire son intention, qui n'était
pas, comme quelques-uns l'ont dit injustement, de condam-
ner les femmes à l'ignorance. S'il y a, dans son œuvre puis-
sante, quelque chose à regretter, ce n'est point la pensée,
nullement étroite.'qui leur a marqué leur place naturelle au
foyer, mais seulement ceci : les portraits des deux pédants,
si vrais d'une vérité générale, auraient pu et dû dispenser
le peintre d'en montrer au doigt de vivants modèles. Il
avait, il est vrai, l'excuse des provocations de ses victimes,
surtout des injurieuses attaques de Cotin. Harcelé par de
bourdonnants insectes, Molière n'était pas d'humeur à souf-
frir leur insolence. Impatient de les secouer et de les chas-
ser loin de lui, il eut tort d'oublier qu'il s'était autrefois
défendu dans t Impromptu de Versailles contre l'accusation
de toucher aux personnes. Le Mercure calant de mars 1672
raconte qu'à l'occasion des Femmes savantes il renouvela
cette protestation, et que, deux jours avant la première
représentation, il déclara, dans une harangue pi^ononcée
sur le théâtre, qu'il ne fallait pas chercher de personnalités
dans sa pièce. Il savait trop bien qu'on les y trouverait sans
peine, tant il les avait laissé voir à découvert, ce qui écarte
toute idée d'un mensonge, rien n'étant plus facile à com-
prendre qu'une de ces plaisanteries, telles que Voltaire en
a fait plus tard. La faute d'avoir rendu reconnaissables son
Trissotinet sonVadius reste, malgré ce qui l'atténue jusqu'à
un certain point, une petite tache dans un chef-d'œuvre
qui, au point de vue de l'art, n'en offre aucune.
Molière a mis cette fois en scène un homme de cour tout
différent de celui du Bourgeois gentilhomme. Tout ce qu'il
avait observé d'aimable dans le noble monde, qui n'était
pas uniquement celui des marquis ridicules, sa finesse d'es-
prit, sa politesse exquise, Clitandre en est un type accom-
pli, et à cette fleur de bon goût il joint l'extrême délica-
tesse des sentiments. Que l'on n'accuse pas le poète d'avoir
là chanté une palinodie. Il n'a fait que développer dans cet
agréable rôle celui que, bien des années avant, il avait
donné à son chevalier Dorante de la Critique de V École des
femmes. Ils représentent, l'un comme l'autre, le parfait
honnête homme, et opposent, presque dans les mêmes
SUR MOLIERE. 421
termes, le bon jugement de la cour au « savoir enrouillé
des pédants' «. C'était la pensée sincère de Molière. Parmi
ceux qui portaient le point de Venise et des plumes, il avait
des amis, chez qui il appréciait l'élégance de l'esprit,
comme eux-mêmes la reconnaissaient chez lui. Ce sont
ceux-là qu'il a pu louer, sans être soupçonné de flatterie.
Ajoutons qu'ils lui fournissaient, en regard des lourds et
ennuNcux beaux esprits, un de ces contrastes par lesquels
il aimait à éclairer les caractères. Si pourtant on le veut,
il se peut aussi que son habituelle adresse ait trouvé son
compte à gagner les suffrages de la cour dans une comédie
qui avait à se faire pardonner des libertés très hardies. La
plus grande n'était pas de couvrir de ridicule un acadé-
micien aumônier du roi, mais de faire souvenir que le son-
net, porté aux nues par la sotte coterie de la maison de
Philaminte, avait été applaudi, pour sa délicatesse, chez la
cousine de Louis XIV. Il n'avait guère moins osé en faisant
inévitablement reconnaître dans la princesse Uranie, à qui
le sonnet était adressé, la duchesse de Nemours, une des
protectrices de l'abbé Cotin. Voilà un des plus singuliers
exemples de ce que la faveur royale l'encourageait à se per-
mettre.
Les Femmes savantes furent jouées à Versailles le 17 sep-
tembre 1672^, après la dix-neuvième représentation à la
ville. Grimarest, dont le Mercure de l'-ji'i et Voltaire ont
accepté les assertions, prétend que la pièce, mal reçue à la
cour, serait probablement tombée, si elle n'avait été sou-
tenue par la constante bonté du roi pour Molière. Il recom-
mence l'histoire qu'il nous a contée à propos du Bourgeois
gentilhomme, et fait de nouveau parler, suivant son artifice
favori, un marquis et un comte, personnages auxquels il
s'obstinait, on ne sait pourquoi, à prêter d'impertinentvs
critiques. Le roi lui-même, cette première fois qu'il entend
le chef-d'œuvre, n'ouvre pas la bouche, marquant par ce
mutisme sa désapprobation, son ennui. Ce fut seulement
I. Voyez la Critique de V Ecole des Femmes, scène vi, p. 353-355
du tome III.
a. Gazettt du 20 septembre 1673.
422 NOTICE BIOGRAPHIQUE
lorsqu'il revit la pièce à Saint-Cloud, chez Monsieur, qu'il
la déclara très bonne'.
Dans ce récit, de toute façon peu vraisemblable, la moin-
dre attention relève des erreurs, qui suffiraient pour mettre
tout d'abord en défiance de la sûreté des informations du
biographe. Il ne nomme pas Versailles, mais seulement
Saint-Gloud, où il dit que la seconde représentation fut
donnée devant le roi. La vérité est que /<?.y Femmes savantes,
avant de paraître à Versailles en septembre, avaient été
jouées le ii août en visite à Saint-Cloud-, non sans doute en
présence du roi : aurait-on voulu qu'il les vît pour la pre-
mière fois, non dans un de ses palais, mais chez Monsieur?
On aurait mal choisi d'ailleurs, pour lui faire connaître
cette comédie, la représentation du 1 1 août, si Molière ne
put y venir faire son rôle de Chrysale, comme il est assez
probable, le Registre de La Grange ayant noté^ que le 1 1
et le 12 il fut assez indisposé pour que le Palais-Royal fît
relâche. Nous conjecturons que la représentation, mal
accueillie, au dire de Grimarest, était, dans sa pensée, celle
du i^ septembre à Versailles. Or, au témoignage plus
croyable de la Gazette, la pièce, « une des plus agréables,..,
fut admirée d'un chacun ». Si Louis XIV en eut le spectacle
à Saint-Cloud, ce ne put être que plus tard, dans une repré-
sentation, qui y aurait été donnée pour la seconde fois.
Toutefois le Registre n'a marqué chez Monsieur que celle
du II août. Mais il faut dire que l'on n'y trouve pas non
plus celle de septembre à Versailles, si bien attestée. Expli-
quer l'étrange omission par un faible succès, qui aurait
affligé Molière et sa troupe, serait bien hasardé. Elle ne
nous paraît pas assez embarrassante pour que le plus sage
ne soit pas de croire, dans la représentation de Versailles,
à 4'admiration de toute la cour, dont la Gazette n'aurait pas
parlé, si elle avait douté d'y être autorisée.
A la fin de cette année 16^2, au cours de laquelle le
génie de Molière avait jeté un si vif éclat, les inquiétudes
1. La Fie de M. de Molière, p. 270-272.
2. Registre de La Grange, p. i34.
3. Ibidem.
SUR MOLIERE. " 428
que sa santé donnait étaient devenues de plus en plus
sérieuses. Dans l'état de soufiVance contre lequel son cou-
rage luttait, il reçut une nouvelle blessure, et l'on ne doute
pas qu'il ne l'ait sentie cruellement. Son fils, Pierre-Jean-
Baptiste-Armand, né le i5 septembre 1672*, lui fut enlevé
le II octobre, âgé de moins d'un mois. Le bas âge ne rend
pas un père insensible à la perte de son enfant ; et quand
cet enfant est un fils, il trompe, en disparaissant, la chère
espérance du nom qu'il aurait fait vivre. Il ne restait plus à
Molière que sa fille, Esprit-Madeleine.
Il avait déjà vu mourir en 1664 son premier fils, le filleul
du roi, qui n'avait vécu que neuf mois. Quelle était chez lui
la vivacité du sentiment paternel, il l'avait bien montré dans
le sonnet touchant^ qu'il avait, en cette même année 1664,
adressé à son ami la Mothe le Vayer qui venait de perdre
son fils ; c'était environ cinq semaines avant que lui-même
eût besoin, à son tour, d'une semblable condoléance. Il
engageait le Vayer à pleurer sans contrainte :
La sagesse, crois-moi, peut pleurei- elle-même.
Dans quelques lignes, qui suivent le sonnet, il accuse son
peu d'éloquence s'il n'a pu persuader, « ce qu'il sait si
bienfaire^ «. Très probablement, à ce moment-là, le premier
fils de Molière lui laissait déjà peu d'espoir de le conser-
ver, et, dans la prévoyance du coup qui allait le frapper
quelques semaines après, il pleurait, comme le père de
Psyché, sur
. . . ces fatalités sévères
Qui nous enlèvent pour jamais
Les personnes qui nous sont chères.
Si nous trouvons dans la lettre à le Vayer, ces indices,
1. Voyez ci-dessus, p. 35^ et note 2 de la même page. — Oa
n'a plus l'acte de décès de cet enfant. Beffara {Dissertation sur
Molière, p. i6) dit qu'il fut inhumé à Saint-Eustache le 12 octobre
1672, en présence de Boudet et d'Aid^ry, ses oncles.
2. Il en a mis huit vers, avec un léger changement, dans la
bouche du Roi, père de Psyché, à la scène i de l'acte II.
3. Voyez au tome IX, p. 577-580.
424 NOTICE BIOGRAPHIQUE
qui ne sauraient guère tromper, de l'affliction de notre poète
en i66', , on doit penser que, moins jeune en 1672, de plus
en plus valétudinaire, et se sentant peu d'années à vivre,
il fut encore plus profondément touché.
Quand il eut à pleurer le second de ses fils, il ne demeu-
rait plus à Paris, dans la rue Saint-Thomas du Louvre; il
s'était établi avec sa femme dans la maison de la rue de Ri-
chelieu, où il tarda peu à mourir. L'acte de baptême de
Jean-Baptiste-Armand donne même déjà le domicile de ses
parents dans cette maison que leur avait louée, le 26 juillet,
René Baudelet, par un bail, fixant l'entrée en possession
à la Saint-Remy (i" octobre). M. Auguste Vitu, dans son
savant livre intitulé la Maison mortuaire de Molière^, pense
que le domicile, indiqué sur l'acte de baptême, n'était vrai
qu'en droit, et que Molière n'était entré que le ^ octobre
dans sa nouvelle demeure*. Quoi qu'il en soit, il n'est pas
douteux que la maison où il mourut quatre mois après son
fils était celle où il l'avait pleuré. La perte de cet enfant
était bien faite pour aggraver le mal auquel, depuis long-
temps d'ailleurs, il était en proie. D'autres chagrins et
des fatigues excessives n'avaient pu lui laisser le repos qui
1. Un volume in-8°, Paris, A. Lemerre, i883.
2. Page 82. — Soulié, sans doute d'après le bail Baudelet, le-
quel porte que Molière et sa femme demeuraient, à la date du
26 juillet, rue Saint-Honoré, paroisse Saint-Eustache, dit (p. 77
des Recherches...) qu'ils étaient allés loger là provisoirement, en
quittant la rue Saint-Thomas du Louvre. M. Loiseleur (p. 894
des Points obscurs...) croit à une erreur dans la rédaction du
bail, qiu, du reste, en renferme une évidente un peu plus haut.
Il fait remarquer qu'eu tout cas, si Molière, eu 1672, a demeuré
quelque temps rue Saint-Honoré, ce ne peut avoir été que six
mois au plus. Il aurait pu ajouter que lorsqu'on n'admet pas
que Molière ait passé directement de la maison de la rue Saint-
Thomas du Louvre dans celle de la rue de Richelieu, il est diffi-
cile d'expliquer la quittance qui lui a été donnée par la proprié-
taire de la première, le 6 octobre i6ja, d'une somme de sept cent
soixante-quinze livres pour reste dû de son loyer (Recherches...,
p. îBS. Document XLV, cote dix de l'inventaire fait après le
décès de Molière). La question, au surplus, ne nous paraît pas
avoir ici d'importance.
SUR MOLIERE. ',2$
eût été pour sa poitrine malade la plus efficace des méde-
cines, et que la retraite d'Autcuil n'avait pas elle-même suffi à
lui assurer.
La naissance de son fils au mois de septembre 1672 a été
citée comme l'indice d'un rapprochement avec Mlle Molière,
indiqué par Grimarest, qui en recule un peu trop la date.
Il n'était probablement qu'une trêve ; mais, quand on le
supposerait complet et solide, il venait trop tard pour
cicatriser la plaie faite à un cœur torturé par des années de
désunion. L'incessant travail était une distraction à ses
peines, mais, en même temps, un poids trop accablant. Que
l'on songe à tant d'oeuvres, dont la production fut con-
tinuelle, depuis l'établissement de la troupe à Paris, à sa
dépense de forces, comme acteur, quand sa voix avait un
tel besoin d'être ménagée, enfin à ses mille soins et tracas
de directeur de théâtre.
Ce dernier fardeau était sans doute le moindre de ceux
sous lesquels il succombait ; mais, s'ajoutant aux autres, il
devait se faire sentir. Quelque attachement et respect que
ses camarades eussent pour lui, des comédiens ne sont pas
faciles à conduire. Nous avons entendu Chapelle le plaindre
en 1659 des embai'ras de ce gouvernement, et lui-même en
dire quelque chose, tout en plaisantant, dans son Impro/nptu
de Versailles. Souvent aussi il put trouver que non seule-
ment les acteurs, mais les spectateurs, étaient à'e'trangcs
animaux. Le public qui fréquentait les théâtres prenait alors
des libertés très gênantes. Nous avons fait remarquer dans la
première scène des Fâcheux une vive peinture des hommes à
grands canons qui, faisant leur entrée la pièce commencée,
troublaient la représentation, plantaient leurs chaises devant
les acteurs qu'ils cachaient. Avec la multitude moins privilé-
giée, c'étaient de bien autres affaires. Des valets de chambre
et laquais prétendaient entrer à la comédie sans payer, et,
l'épée à la main, ils attaquaient les portiers, qui plus d'une
fois furent blessés. Il y eut un de ces tumultes à la porte du
Palais-Royal en février 1662, un jour qui était celui des co-
médiens italiens. Dans la plainte que ceux-ci adressèrent au
commissaire au Châtelet, Molière et du Croisy intervinrent;
car c'était le feu chez le voisin. Le dimanche 16 octobre 1672,
4a6 NOTICE BIOGRAPHIQUE
jour où l'on joua la Comtesse d' Escarbagnas et l'Amour méde-
cin, des gens de livrée, parmi lesquels on reconnut des pages
du maréchal de Gramont, donnèrent des coups de bâton à un
spectateur, homme d'épée, jetèrent des pierres aux acteurs,
et, dans un moment où Molière était en scène, le gros bout
d'une pipe à fumer*. Ce fut deux jours avant de perdre son
fils que Molière eut sa part de ces insolents outrages.
Malgré tout, il aima toujours le théâtre, et aussi, jusqu'à
la dernière heure, on peut le dire à la lettre, la troupe dont
il avait fait la célébrité et la foi'tune. Nous voici arrivé au
moment où son dévouement pour elle, en même temps que
pour son art, abrégea très probablement une vie depuis
longtemps menacée et chargée de tant de labeurs. Lors-
qu il fut trahi par les forces de son corps, ce fut du moins
en pleine possession de son infatigable et admirable esprit.
Nous avons parlé de l'étonnant mélange de gaieté et de
mélancolie qu'on ne peut méconnaître dans cet esprit. On
en est frappé dans sa dernière comédie, aussi abondante en
traits plaisants que celles où il en avait semé le plus, et qui
cependant de cette source de joyeusetés laisse sortir quel-
que chose d'amer, de sorte qu'elle ne resterait pas sans tris-
tesse, même s'il était possible d'oublier le souvenir lugubre
qu'y a pour toujours attaché l'agonie du grand poète, com-
mencée en la jouant.
Pour que la maladie, avec ses misères de mauvaise odeur
étalées sur la scène, avec son vilain cortège de menaçants
docteurs et d'apothicaires, avec ses notaires appelés pour
recueillir les dernières volontés, puisse être un sujet de
comédie, il faut qu'elle soit imaginaire, ce que Regnard a
trop oublié dans son Légataire universel. Molière avait com-
pris qu'à cette condition seulement rien ne gênerait le rire
devant la chaise où la peur du mal livre Argan à toutes
les drogues de la Faculté. Et cependant voici le côté très
attristant que tant de scènes amusantes n'ont qu'à demi
voilé. L'auteur qui s'égayait avec cette belle humeur sur
l'homme de forte santé tremblant devant les Purgon et les
I. Voyez les Documents inédils sur J.-B. Poquelin Molière^ dé-
couverts et publiés par Emile Campardon (1871), p. 9-47-
SUR MOLIERE. 427
Fleurant, était un trop vrai malade; et il ne l'a pas laissé
ignorer dans sa pièce, que, d'ailleurs, il n'eût pas écrite s'il
n'avait été préoccupé de son mal. Visiblement il jetait là un
déil à ce mal, en raillant ceux qui, n'osant pas regarder en
face l'épouvantail, comptent les battements de leur pouls,
un défi surtout aux médicastres, à qui il fait savoir qu'il veut
mourir sans appeler leur secours. Cette révolte contre eux
était si bien sa pensée, qu'en se nommant lui-même, il la
leur déclare par la bouche de Béralde; et lorsque Argan
souhaite que la médecine abandonne cet impertinent Mo-
lière, en lui criant : Crève ! crève! le même Béralde répond
à son frère qu'il faut laisser recourir aux remèdes les gens
robustes qui ont des forces de reste pour les porter, « mais
que pour lui il n'en a justement assez que pour porter son
mal* ». N'est-ce pas surtout dans cette scène que le mélan-
colique se laisse voir près du rieur, et communique aux
spectateurs, avec beaucoup de sa gaieté, beaucoup de sa
tristesse? Ils sont avertis que, pour les amuser encore une
fois, il a recueilli ce qu'il a encore de vie, et que la joyeuse
Muse, chancelant sur son brodequin, leur fait un dernier
adieu. C'était l'homme accablé de souffrance qui lui-même
parlait dans la plainte de la bergère à la fin d'un des pro-
logues de la pièce :
Votre plus haut savoir n'est que pure chimère,
Vains et peu sages médecins ;
Vous ne pouvez guérir par vos grands mots latins
La douleur qui me désespère-.
Malgré ce cri douloureux et parmi les pressentiments de
sa fin, quelle verve comique dans tant de scènes de sa pièce,
dans celles des deux Diafoirus et des malédictions de Pur-
gon, et dans la cérémonie boufTonne, cette satire gaiement
burlesque, si pleine de traits de vérité au milieu de la
caricature! Et que de grâce, quelle connaissance charmante
de la gentille enfance dans le personnage de la petite Loui-
son ! Comme on admire une fleur si fraîche sortie de cette
âme blessée à mort !
1. Acte III, scène m, tome IX, p. 4o3.
2. Tome IX, p. 272 et 2^3.
428 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Le Malade imaginaire, avec ses entrées de ballet, ses in-
termèdes, sa musique, était destiné à une des fêtes de la
cour. Pourquoi Molière renonça-t-il à le faire représenter
devant le roi ? La très vraisemblable explication est sa rup-
ture avec Lulli, depuis que le Florentin avait obtenu, au
mois de mars 1672, des lettres patentes donnant à son Aca-
démie royale de musique un exorbitant privilège. Dès le
29 mars les comédiens du Palais-Royal avaient fait opposi-
tion à la vérification de ces lettres qui interdisaient aux
autres théâtres les ballets et la musique. Le mois suivant,
une ordonnance leur permit six chanteurs et douze violons :
rien de plus. Justement irrité, Molière ne voulut plus que
Lulli eût quelque part dans ses ouvrages. Nous avons déjà
dit que, lorsqu'au mois de juillet 1672 il fit représenter au
Palais-Royal la Comtesse d' Escarbagnas, il avait remplacé la
musique de Lulli par celle de Charpentier ^ Il confia au
même compositeur la musique du Malade imaginaire. Lulli
fit valoir son privilège pour obliger Charpentier à mutiler
son travail, dans lequel il n'avait pas assez tenu compte des
défenses. Dès lors Molière ne pouvait plus songer à faire
jouer sa comédie dans un des divertissements des palais du
roi, soit qu'il ne la jugeât plus en état d'y paraître digne-
ment, soit que Lulli, abusant de sa faveur, ait empêché
qu'elle n'y fût admise avec une musique qui n'était pas de
lui. Sans trouver sur ce point de suffisants éclaircisse-
ments, il nous paraît peu douteux que Molière se sentit sa-
crifié au trop favorisé Baptiste, et, pour la première fois, plus
froidement protégé que lui par Louis XIV. Ce dut lui être
une peine encore plus sensible alors, au milieu d'autres
souffrances morales et dans l'accablement de la maladie.
Grimarest rapporte de lui des paroles bien significatives,
certainement écrites sous la dictée de Baron, qui les avait
entendues. Elles furent prononcées en sa présence, dit le
biographe, en la présence aussi de sa femme qu'il avait appe-
lée, le jour où l'on avait donné la troisième (il devait dire
la quatrième) représentation du Malade imaginaire : « Tant
que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir,
I. Voyez ci-dessus, p. 417*
SUR MOLIÈRE ',29
je me suis cru heureux; mais aujourd'hui que je suis accablé
de peines sans pouvoir compter sur aucuns moments de sa-
tisfaction et de douceur, je vois bien qu'il me faut quitter
la partie; je ne puis plus tenir contre les douleurs et les dé-
plaisirs, qui ne me donnent ])as un instant de relâche. Mais,
ajouta-t-il en réfléchissant, qu'un homme souffre avant de
mourir ! Cependant je sens bien que je finis *. »
La pièce avait été représentée au Palais-Royal le vendredi
10 février i6-3. pour la première fois, puis le dimanche 12
et le mardi i^. Ce fut avant la représentation suivante, don-
née le vendredi i^, que le poète s'épancha dans ces plaintes
sur les souffrances de son âme et de son corps. Sa femme et
Baron, vivement touchés et inquiets, le supplièrent avec
larmes de ne pas jouer ce jour-là, et de se remettre par quel-
que temps de repos. Il ne faut retrancher aucune des paroles
de sa réponse. Elles n'avaient pu manquer de se graver dans
le souvenir du témoin qui les a répétées à Grimarest. Pleines
d'une sollicitude charitable, qui même pouvait paraître exa-
gérée, elles font descendre jusqu'à nous comme un dernier
rayon de l'âme de Molière, et son caractère en est éclairé
d'un très beau jour : « Comment voulez-vous que je fasse? Il
y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée
pour vivre : que feront-ils si l'on ne joue pas? Je me repro-
cherois d'avoir négligé de leur donner du pain un seul jour,
le pouvant faire absolument*. »
La Grange, avec une simplicité, dont on ne doit pas
reprocher l'excès à un registre de recettes, se contente de
dire : « Ce même jour, après la comédie, sur les dix heures
du soir. Monsieur de Molière mourut dans sa maison, rue de
Richelieu, ayant joué le rôle dudit Malade imaginaire, fort
incommodé d'un rhume et fluxion sur la poitrine qui lui
causoit une grande toux, de sorte que dans les grands efforts
qu'il fit pour cracher, il se rompit une veine dans le corps,
et ne vécut pas demi-heure ou trois quarts d'heure depuis
ladite veine rompue^. »
1. La Vie de M. de Molière, p. 284 et 285.
2. Ibidem, p. 386.
3. Registre de La Grange, p. 140.
43o NOTICE BIOGRAPHIQUE
Pour les émouvants détails, c'est Grimarest encore que
tous les biographes ont nécessairement à citer. Son récit est
naïf, et quelques-uns peut-être le trouveront, par endroits,
un peu trop réaliste, comme on dirait aujourd'hui. Il touche
davantage, cependant, par cette vérité sans apprêt qui ne
laisse pas désirer plus de goût et d'élégance :
« Molière représenta avec beaucoup de difficulté; et la
moitié des spectateurs s'aperçurent qu'en prononçant Juro,
dans la cérémonie du Malade imaginaire, il lui prit une
convulsion. Ayant remarqué lui-même que l'on s'en étoit
aperçu, il se fit un effort, et cacha par un ris forcé ce qui
venoit de lui arriver.
« Quand la pièce fut finie, il prit sa robe de chambre et
fut dans la loge de Baron, et il lui demanda ce que l'on pen-
soit de sa pièce. M. le Baron lui répondit que ses ouvrages
avoient toujours une heureuse réussite à les examiner de
près, et que plus on les représentoit, plus on les goùtoit.
K Mais, ajouta-t-il, vous me paroissez plus mal que tantôt.
« — Cela est vrai, lui répondit Molière, j'ai un froid qui me
« tue. » Baron, après lui avoir touché les mains, qu'il trouva
glacées, les lui mit dans son manchon pour les réchauffer;
il envo3'a chercher ses porteurs pour le porter pi'omptement
chez lui, et il ne quitta point sa chaise, de peur qu'il ne lui
arrivât quelque accident du Palais-Royal dans la rue de
Richelieu, oii il logeoit. Quand il fut dans sa chambre.
Baron voulut lui faire prendre du bouillon, dont la Molière
avoit toujours provision pour elle ; car on ne pouvoit avoir
plus de soin de sa personne qu'elle en avoit. « Eh! non,
« dit-il, les bouillons de ma femme sont de vraie eau-forte
« pour moi; vous savez tous les ingrédients qu'elle y fait
« mettre. Donnez-moi plutôt un petit morceau de fromage
« de Parmesan'. » La Forest lui en apporta; il en mangea
avec un peu de pain, et il se fit mettre au lit. Il n'y eut pas
été un moment qu'il envoya demander à sa femme un oreiller
I. Etrange restaurant pour un moribond! Si c'était un mo-
ment où l'on pût faire des remarques comiques, on penserait au
morceau de fromage que le Médecin malgré lui ordonne de faire
prendre à la paysanne Parette.
SUR MOLIERE. 43i
rempli d'une drogue qu'elle lui avoit promis pour dormir.
« Tout ce qui n'entre point dans le corps, dit-il, je l'éprouve
« volontiers; mais les remèdes qu'il faut prendre, me font
« peur; il ne faut rien pour me faire perdre ce qui me reste
« de vie. » Un instant après, il lui prit une toux extrême-
ment forte, et, après avoir craché, il demanda de la lumière.
« Voici, dit-il, du changement. » Baron, ayant vu le sang
qu'il venoit de rendre, s'écria avec frayeur. « Ne vous épou-
« vantez point, lui dit Molière, vous m'en avez vu rendre
« bien davantage. Cependant, ajouta-t-il, allez dire à ma
« femme qu'elle monte. » Il resta assisté de deux Sœurs
Religieuses, de celles qui viennent ordinairement à Paris
quêter pendant le Carême, et auxquelles il donnoit l'hospita-
lité. Elles lui donnèrent à ce dernier moment de sa vie tout
le secours édifiant que l'on pouvoit attendre de leur charité,
et il leur fit paroître tous les sentiments d'un bon chrétien
et toute la résignation qu'il devoit à la volonté du Seigneur.
Enfin il rendit l'esprit entre les bras de ces deux bonnes
Sœurs; le sang, qui sortoit par sa bouche en abondance,
l'étoufTa. Ainsi, quand sa femme et Baron remontèrent, ils le
trouvèrent mort'. ?>
Le seul reproche à faire ici à Grimarest, c'est de s'être
contenté de parler des sentiments chrétiens manifestés par
Molière, en passant sous silence quelques circonstances, suf-
fisamment attestées, qui ne sont pas d'un médioci'e intérêt.
Mlle Molière, dans la Requête qu'elle adressa, comme nous le
dirons tout à l'heure, à l'archevêque de Paris, va nous les
faire connaître. Le mourant, dit-elle, voulant « témoigner
des marques de repentir de ses fautes et mourir en bon chré-
tien..., avec instances demanda un prêtre pour recevoir
les sacrements, et envoya par plusieurs fois son valet et
[sa] servante à Saint-Eustachc, sa paroisse, lesquels s'adres-
sèrent à Messieurs Lonfant et Lechat, deux prêtres habitués
en ladite paroisse, qui refusèrent plusieurs fois de venir; ce
qui obligea le sieur Jean Aubry^ d'y aller lui-même pour
1. La Vie de M. de Mollùre^ p. 287-292.
2. Le fils de Léonard Aubry, cet ami dont nous avons parlé
plusieurs fois dans cette biographie. Jean Aubry, qui fut, comme
432 NOTICE BIOGRAPHIQUE
en faire venir, et de fait fit lever le nommé Paysant, aussi
prêtre habitué audit lieu ; et toutes ces allées et venues
tardèrent plus d'une heure et demie, pendant lequel temps
ledit Molière décéda, et ledit Paysant arriva comme il venoit
d'expirer. » Comment les démarches tentées à Saint-Eustache,
la mauvaise volonté qu'elles y trouvèrent, seraient-elles
de fausses allégations ? Il était facile à l'archevêque d'en
contrôler l'exactitude. 11 ne s'agit pas de douter si Mo-
lière, qui demanda instamment à faire acte de croyant,
l'avait fait avec conviction ou par bienséance. Il y a des
secrets entre l'homme et Dieu que nul n'a le droit de
chercher à pénétrer. Il est trop invraisemblable que Bossuet
ait pu l'oublier. C'est sans doute parce qu'il savait mal les
derniers moments de Molière qu'il a parlé si cruellement
le jour où sous sa main, armée de toutes ses foudres contre
le théâtre, se sont trouvés l'illustre comédien et sa fin si
digne d'être jugée avec charité. Après avoir condamné avec
une rigueur excessive la morale des comédies de Molière,
le terrible prélat ajoute : « La postérité saura peut-être la
fin de ce poète comédien, qui en jouant son Malade imagi'
nuire ou son Médecin par force, reçut la dernière atteinte
de la maladie dont il mourut peu d'heures après, et passa
des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit
presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit :
Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez!^ »
Le sens de ces paroles ne saurait être que le rieur mis en
cause, sans la moindre mention des intentions témoignées
par lui, fût nécessairement un réprouvé. Bossuet savait trop
bien qu'au chapitre de l'Evangile* cité par lui, il est écrit
aussi : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne con-
damnez pas, et vous ne serez pas condamnés »; et qu'il
son père, très allaché à Molière, avait épousé l'aunée précédente
Geneviève Béjart, veuve de Léonard de Loméuie.
1. Maximes et Réflexions sur la Comédie, chapitre v, p. 19 de
l'édition de 1694 (un volume ia-12, chez Jean Anisson).
2. Saint Luc, chapitre vi. — L'application que fait Bossuet du
verset aS, nous paraît fort détournée du sens de la belle oppo-
sition au verset ai : « Bienheureux vous qui maintenant pleu-
rez. »
SUR MOLIERE. 433
n'appartient, fut-ce au plus grand et plus saint docteur, que
d'avertir de ce qui perd et de ce qui sauve, sans prétendre
lire les noms des condamnés dans le livre, fermé à nos
regards, où le monde est jugé. Il a donc voulu seulement
montrer énergiquement combien est dangereux un si prompt
passage du rire à la dernière heure. Ses éloquentes paroles
restent toutefois trop menaçantes. Il eût sans doute hésité
à les prononcer, si, nous le répétons, il avait été mieux
instruit des faits; mais il n'en avait pas recherché une con-
naissance assez exacte, comme suffirait à le faire croire,
à moins qu'on ne suppose l'intention de marquer là son
dédain, l'hésitation sur le nom de la pièce que le poète
jouait quand il se sentit touché par la main de la mort.
Une inexactitude moins indifférente, c'est d'avoir dit : « peu
d'heures après », donnant ainsi au mourant plus de temps
qu'il n'en eut pour se mettre en règle avec la satisfaction
exigée par l'Eglise. D'après les témoignages, la mort fut
autrement foudroyante. La Grange nous dit qu'après la
veine rompue, Molière « ne vécut pas demi-heure, ou trois
quarts d'heure ". La Requête de sa femme à l'archevêque
de Paris ne s'éloigne guère de ce compte : « Ledit sieur
Molière s'étant trouvé mal de la maladie dont il décéda
environ une heure après — » Ce qui méritait avant tout de
n'être pas ignoré, il n'eut besoin que de ce peu de temps
pour exprimer le désir, qui eut pour témoins deux Reli-
gieuses, de faire une mort chrétienne, et pour demander un
prêtre, dont le retard ne lui est pas imputable.
La présence des deux Sœurs, qui donnèrent à Molière le
secours de leurs édifiantes paroles, n'est pas une légende.
Mlle Molière confirme sur ce point le récit de Grimarest.
Elle dit qu'elles demeuraient en la même maison. Grimarest
nous apprend de j)lus que c'était à Molière qu'elles étaient
redevables de l'hospitalité. On ne saurait le trouver invrai-
semblable. Elles étaient venues à Paris pour des quêtes, et
Molière était connu pour aimer et pratiquer lui-même la
charité. Soulié, remarquant ce fait que Catherine Poquelin,
sœur consanguine de Molière, était au couvent des Visitan-
dines de Montargis, et qu'une cousine de Marie Cressé avait
pris l'habit chez les Bénédictines de la même ville, a supposé
Molière, x 28
434 NOTICE BIOGRAPHIQUE
que les quêteuses pouvaient être les parentes de Molière, ou
des dames de leur couvent*. M. Loiseleur, (jui, pour la reli-
gieuse de la Visitation, objecte la règle absolue de claustra-
tion, dit qu'il a été établi j^ar des documents trouvés à
Annecy que des religieuses Clarisses de cette ville avaient
plusieurs fois reçu l'hospitalité de Molière*. Il importe assez
peu d'ailleurs. Visitandines, Bénédictines, ou Clarisses, deux
servantes de Dieu et des pauvres, en prières près du lit de
mort de Molière et encourageant sa dernière pensée, celle
qui compte, on aimera toujours à se représenter ce tableau
touchant, ne pouvant douter qu'il ne soit vrai.
Le tableau de ses funérailles laisse une impression très
différente. « Mardy, 21 février 16^3, sur les neuf heures du
soir, dit un témoin^, l'on a fait le convoy de Jean-Baptiste-
Pocquelin-Molière, tapissier valet de chambre^, illustre co-
médien, sans autre pompe sinon de trois ecclésiastiques;
quati'e prestres ont porté le corps dans une bière de bois,
couverte du poelle des tapissiers^; six enfants bleus por-
I. Recherches sur Molicre, p. 53 et 54-
a. Les Points obscurs..., p. 341-
3. Dans une lettre adressée « à Monsieur Boyviu, prestre,
docteur en théologie, à saint Joseph ». Elle a été publiée par
Benjamin Fillon, dans ses Considérations historiques et artistiques
sur les monnaies de France (un volume in-8°, Paris, i85o), p. 194.
La lettre n'est pas signée, mais scellée d'un cachet. Elle a tous
les caractères de l'authenticité.
4. L'auteur de la lelti'e n'osait-il ajouter : « du Roi », à cause
du titre de comédien, qui suivait? Cependant, dans l'acte d'in-
humation, Molière est qualifié « valet de chambre ordinaire du
Roy ». Voyez aux Pièces justificatives, n° XV.
5. Ce poêle a choqué, Molière ayant été un peu moins notoi-
rement tapissier que comédien remarquable, hicu mieux encore,
très grand poète. Avec plus de saug-froid que ceux qui ont trop
déclamé à ce sujet, M. Jal a fait observer que, les comédiens,
n'étant pas une corporation, n'avaient point de poêle. Il n'a pas
eu besoin d'ajouter que le poêle des hommes de génie est égale-
ment inconnu. Toutefois, au dix-septième siècle, les savants, ar-
tistes et écrivains renommés étaient déjà organisés en corps; et,
de nos jours, aux obsèques des membres de l'Institut, leurs
particuliers insignes ornent les cercueils. Un semblable honneur,
SUR MOLIÈRE. 435
tans six cierges dans six chandeliers d'argent; plusieurs
laquais portans des flambeaux de cire blanche allumés. >>
On avait donc toléré un peu plus d'honneurs que ne pres-
crivait, ainsi que nous aurons à le dire, l'ordonnance épi-
scopale. Si l'on différa l'inhumation jusqu'au quatrième jour
après la mort, ce fut sans doute à cause des démarches à
faire pour obtenir, comme l'a dit Roileau*, « un peu de
terre par prière » ; il entend : un peu de terre sainte.
La veuve de Molière avait demandé que le défunt fût
inhumé dans le cimetière de l'église Saint-Eustache, sa
paroisse. Le refus du curé d'en accorder la permission
est constaté dans la Requête adressée par Mlle Molière à
M. de Harlay^, qui était supplié d'accorder « par grâce spé-
eût-il été d'usage au temps de Molière, ne lui aurait pas été
applicable, sa profession de comédien fermant, en ce temps-là,
l'entrée à l'Académie française. En 1778, il fut décidé qu'on lui
décernerait une sorte d'admission posthume, et que la salle des
séances serait décorée de son buste, avec celte inscription pro-
posée par Saurin :
Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.
Plus tôt encore, en 1769, la compagnie avait mis son éloge au
concours, ce qui fut déclaré une « adoption éclatante » par
Chamfort, auteur du discours auquel fut donné le prix, presque
un de ces discours comme on en adresse à un récipiendaire.
Pour en revenir au poêle des tapissiers, malgré toutes les justes
explications, il offre à l'imagination quelque chose d'assez bizarre
dans l'enterrement de Molière. Il se peut qu'on ait eu soin de ne
pas l'en priver, par la seule raison qu'il fallait surtout, le jour
de ses funérailles, le faire servir à cacher le comédien.
1. Épitrc VII, vers 19.
2. Voyez aux Pièces justipcatlves^ n° XVI, cette requête, qui fut,
en présence de Jean Aubry, signée par uu notaire, et probable-
ment rédigée par celui-ci, sur les déclarations faites, au nom de
la veuve, par cet ami et allié de 3Iolière. On trouvera à la suite
de la requête le renvoi ordonné le 20 fé\Tier par l'archevêque à
son officiai pour information des faits, et la décision rendue par
M. de Harlay le même jour du 20 février. Ces pièces ont été
données dans le Conservateur, ou Recueil de morceaux inédits d'his-
toire..., tirés des portefeuilles de N. François (de Neufchâteau)
436 NOTICE BIOGRAPHIQUE
ciale » la sépulture à Saint-Eustache. On faisait considérer
que Molière avait fait appeler un confesseur dont l'arrivée
avait trop tardé; et qu'à Pâques dernier un prêtre habitué
de Saint-Germain l'Auxerrois lui avait administré les sacre-
ments. M. de Harlay renvoya la Requête à son ofBcial pour
informer des faits.
Ils ne pouvaient manquer d'être reconnus exacts. Il n'en
fallait pas moins la grâce spéciale demandée. Les rituels de
cette époque étaient positifs sur la loi sévère portée contre
les comédiens. Celui de Paris, publié en 1646 par Jean-
François de Gondi*. prescrivait, au chapitre Du Sacrement
de l'Eucharistie, de ne pas admettre à la communion « les
personnes publiquement indignes, tels que sont les excom-
muniés, interdits et manifestement infâmes, comme pro-
stituées, concubinaires, usuriers, sorciers*.... » Dans une
nouvelle édition de ce rituel, donnée en i654, les comédiens
sont expressément nommés entre les concubinaires et les
usuriers. L'édition de 1646 ne les avait pas oubliés au cha-
pitre de la Communion des Malades : « H faut se garder de
porter le viatique aux indignes, tels que les usuriers, con-
cubinaires, comédiens, s'ils ne se sont d'abord purifiés par
la sainte confession, et n'ont donné satisfaction pour leur
offense publique' jj. Le titre De ceux à qui il n'est pas permis
de donner la se'pulture ecclésiastique dit : « Qu'elle soit refu-
sée aux païens, juifs et à tous les infidèles, hérétiques... et
à ceux contre qui est prononcée l'excommunication ma-
jeure..., aux pécheurs manifestes et publics, qui sont morts
sans pénitence*. » Si les comédiens ne sont pas, cette fois en-
core, nominativement désignés, il est assez clair qu'on
ne les exceptait pas. Ainsi l'entendait l'archevêque Louis-
Antoine de Noailles, dans un temps, il est vrai, où l'Eglise
(au VIII), tome II, p. 384-387- Leur publication tardive a mis
en défiance de leur authenticité. C'est trop de scepticisme.
I. Rltuale Parisieiisc... authoritatc Illtist"" et Jîeverend""... Joannis
Fiancisci de Gondr... editum (Parisiis, M.DC.XLVI).
3. Page 108. — Dans tous les passages cités des Rituels^ nous
donnons une traduction littérale du texte latin.
3. Page ii3.
4- Page a53.
SUR MOLIERE. 437
de Paris faisait aux comédiens une application plus rigou-
reuse des sévérités de l'Eglise. Le rituel, publié par ce pré-
lat en 1697, ajoute au rituel de François de Gondi, après
ces mots du chapitre sur le refus de sépulture : « pécheurs
manifestes et publics, morts sans pénitence », ceux-ci, qui
les expliquent : « au sujet desquels voyez le titre de la com-
munion des malades, article 1 ». Or cet article 2, aussi bien
dans le rituel de 1646 que dans celui de 1697, met, comme
on l'a vu, les comédiens au nombre de ceux qui sont privés
de viatique, s'ils n'ont pas donné la satisfaction exigée. En-
tendons Bossuet, dans ses Maximes et réflexions sur la comé-
die'^ : « La décision en est prise dans les Rituels, la pratique
en est constante : on prive des sacremens à la vie et à la
mort ceux qui jouent la comédie, s'ils ne renoncent à leur
ai't; on les passe à la sainte table, comme des pécheurs pu-
blics; on les exclut des ordres sacrés, comme des personnes
infâmes; par une suite infaillible, la sépulture ecclésiastique
leur est déniée. » On la refusa, en 1686, au comédien Ro-
simont, celui qui, après la mort de Molière, avait eu l'héri-
tage de ses rôles. « Il fut enterré, dit un contemporain*,
sans clergé, sans luminaire, et sans aucunes prières, dans
un endroit du cimetière où l'on met les enfants morts sans
baptême ». La piété cependant de ce paroissien de Saint-
Sulpice n'était pas douteuse: il avait, sous le nom de Du
Mesnil, publié en 1680 de très édifiantes Vies des Saints;
mais il était mort subitement, sans avoir eu le temps de dé-
clarer qu'il renonçait au théâtre.
Tout cela dit, on doit constater que, sur l'indignité des
comédiens, n'y ayant point, au temps surtout de Molière,
accord parfait du sentiment général et des mœurs avec la
loi ecclésiastique, celle-ci était loin d'être toujours appliquée
dans sa rigueur. Les comédiens, comme nous en avons vu
1. Maximes et réflexions^ cliapitre xi, p. 4^ et 46.
2. Voyez les Sentiments de l'Église et des S. S. Pères, pour servir
de décision sur la comédie et les comédiens, p. 87 . Cet opuscule de
Coustel, autrefois maître aux petites écoles de Port-Royal, a été
imprimé en 1694, la même année que les Maximes et réflexions de
Bossuet.
'/i% NOTICE BIOGRAPHIQUE
de continuels exemples dans cette biographie, tenaient des
enfants sur les fonts baptismaux, bien que les rituels deParis,
dont nous venons de parler, défendissent aux curés d'admet-
tre comme parrains et marraines les excommuniés et les
personnes publiquement infâmes, et que, n'hésitant pas à
être entièrement conséquents avec eux-mêmes, les rituels
de plusieurs diocèses, celui de Chrdons-sur-Marne, de l'an-
née 1649, ceux aussi de Sens, deBayeux, de Coutances, fis-
sent application expresse de cette défense aux comédiens*.
Une tolérance plus remarquable encore que celle de leur
parrainage fut leur admission à la communion. Il y a l'exem-
ple de Molière, à qui sa femme, sans paraître craindre un
démenti, dit qu'elle fut donnée en 1G72. Riccoboni, dans
une lettre datée de 1746, écrivait que si la confession et
la communion sont refusées aux comédiens, « par bon-
heur il y a des moines à Paris «. Mais c'était un prêtre de
Saint-Germain-I'Auxerrois, qui avait administré les sacre-
ments à Molière, et non un de ces moines soustraits par
l'exemption à la juridiction de l'Ordinaire. Il n'est pas vrai-
semblable que Molière ait alors communié pour la première
fois, depuis qu'il était au théâtre. On nous dit que les comé-
diens se faisaient relever de l'excommunication, lorsqu'en
se confessant ils déclaraient renoncer à leur profession, et
qu'ils en étaient quittes pour ne pas tenir leur promesse, et
pour la renouveler aussi souvent qu'il leur plaisait. S'il est
vrai que quelques-uns eussent recours à cette fraude aussi
commode que malhonnête, c'était une comédie du Tartuffe
qu'ils jouaient au naturel. jVous ne faisons pas à Molière l'in-
jure de l'en soupçonner capable. Il est plus juste de croire
qu'on laissait parfois dormir la sévérité des rituels. Bien des
considérations gênaient cette sévérité : la déclaration royale
de 1641, qui, prescrivant aux comédiens de donner des repré-
I. Voyez l'opuscule de Coustel, à la page Sj, déjà citée dans
la note précédente. Il y dit aussi que ces rituels les privaient de
la communion, et ajoute : « Aussi est-ce aujourd'hui une pra-
tique ordinaire de Messieurs les curés de Paris de ne pas donner
le viatique à un comédien malade, s'il n'a auparavant renoncé à
sa profession, par un écrit public, et devant deux notaires, et
s'il ne promet de ne plus remonter sur le théâtre, c
SUR MOLIÈRE. 489
sentations exemples d'impureté, voulait que, cette condition
remplie, l'exercice de leur art ne leur fût pas imputé à blâme ;
le plaisir que de bons chrétiens prenaient à la comédie (on se
souvient de la pieuse compagnie d'amis de Port-Royal as-
semblée pour entendre une pièce de IMolière, celle qui de
toutes était la plus attaquée par les dévots*); la familiarité
de très honnêtes, très nobles personnes, avec le plus célè-
bre des comédiens, surtout la protection dont le- couvrait
Louis XIV, et la grande part que, sur son ordre, il prenait
aux divertissements de la cour, en i)résence même des rei-
nes. Tout cela semblait devoir protéger Molière mort. Ce qui
d'ailleurs plaidait surtout pour lui, c'étaient les démarches
réitérées que l'on avait faites, sur sa demande, aflirmait-on,
pour appeler près de sou lit de moui'ant des prêtres dont
les refus seuls étaient responsables de l'arrivée tardive des
secours religieux.
Pendant que l'archevêque ordonnait une information sur
ces circonstances, Mlle Molière, à qui il était permis de ne
se pas tenir assez assurée de ses dispositions favorables,
alla se jeter aux pieds du roi à Saint-Germain. Cizeron-
RivaP a raconté l'accueil que lui fit Louis XIV, d'après cette
note écrite, assure-t-il, par Brossette : « \La suppliante] fit
fort mal sa cour en disant au Roi que, si son mari étoit un
criminel, ses crimes avoient été autorisés par Sa Majesté
même. Pour surcroît de malheur, la Molièi^e avoit mené avec
elle le curé d'Auteuil pour rendre témoignage des bonnes
mœurs du défunt, qui louoit une maison dans ce village. Le
curé, au lieu de parler en faveur de Molière, entreprit mal
à propos de se justifier lui-même d'une accusation de jansé-
nisme dont il croyoit qu'on l'avoit chargé auprès de Sa Ma-
jesté. Ce contretemps acheva de tout gâter. Le Roi les ren-
voya brusquement l'un et l'autre en disant à la Molière que
l'affaire dont elle lui parloit dépendoit du ministère de
M. l'archevêque. » Que la note soit textuellement ou non
de Brossette, il est difficile de la croire exacte, surtout dans
les paroles, plus que maladroites, qu'elle prête à Mlle Mo-
I. Voyez ci-dessus, p. 317.
1. Récréatioiu littéraires^ p. ^3 et 34*
440 NOTICE BIOGRAPHIQUE
Hère, qui ne passait pas pour être une sotte. Tout au plus
pourrait-on croire qu'elle insista, avec quelque imprudence
dans des circonstances si délicates, sur la faveur dont le roi
avait honoré son mari. Il n'est guère croyable non plus que
le roi ait congédié avec brusquerie la veuve qui l'implorait.
Nous avons une note, plus authentique, de Brossette sur
le vers 19 de \ Epître vu de Boileau*. Là, comme dans celle
que lui attribuent les Récréations littéraires^ le commenta-
teur dit que le roi répondit à Mlle Molière de s'adresser à
l'autorité épiscopale, juge de l'affaire; mais il ne parle nul-
lement de brusquerie dans ce renvoi très naturel à l'arche-
vêque; et, ce qui ne laisse guère supposer cette marque de
mauvaise humeur, il ajoute : « Sa Majesté fit dire à ce pré-
lat qu'il fît en sorte d'éviter l'éclat et le scandale. M. l'ar-
chevêque révoqua donc sa défense, à condition que l'entei'-
rement seroit fait sans pompe et sans bruit. »
Louis XIV a été mis en scène tout autrement que dans
la note recueillie par Cizeron-Rival, et avec moins de
vraisemblance encore. On jugera si nous avons tort de ne
pas accepter ce conte : « Le refus que le clergé fit d'enterrer
Molière causa un grand scandale dans Paris. Le roi Louis XIV,
informé de cet abus du pouvoir ecclésiastique, fit venir le
curé de Saint-Eustache..., et lui ordonna d'enterrer le poète.
Lorsque celui-ci s'excusa sur la profession de comédien qu'il
exerçait, ajoutant qu'un tel homme ne pouvait être enterré
en terre sainte : Jusqu'à quelle profondeur la terre est-elle
sainte? demanda ingénument le Roi au curé. — Jusqu'àquatre
pieds. Sire. — Eh ! bien, enterrez-le à six pieds, et qu'il nen
soit plus question, répondit le Roi, et il tourna le dos au curé
de Saint-Eustache^. » Un Louis XIV si ingénu, ou plutôt
si indécemment railleur, est tout à fait nouveau. Ce qui n'a
pas été inventé, c'est que Mlle Molière fit appel à l'inter-
vention du roi, soit en sa présence, soit par écrit, et que
cet appel ne fut pas vain. Le célèbre vers de VEpitre vu de
1. OEuvres de Boileau-Despréaux, édition iu-4° de 1716, tome I,
p. 236.
2. Musée des monuments français, par Alexandre Leuoir, tome V,
p. 198.
SUR MOLIERE. Vii
Boileau, déjà rappelé ici, est un témoignage écrit pour la
postérité, et de la prière qui fut faite, et de la satisfaction
que la volonté royale entendit que l'on y donnât. Il faut
rendre cette justice au grand protecteur du poète, qu'il ne
renia pas, après l'avoir perdu, l'estime qu'il avait eue pour
lui de son vivant. « Aussitôt que Molière fut mort, dit Gri-
marest, Baron fut à Saint-Germain en informer le Roi ; Sa
Majesté en fut touchée et daigna le témoignera » Les faits
prouvent clairement qu'il n'abandonna pas son protégé dans
l'épineuse question des funérailles qui pourraient lui être
accordées. Il est évident qu il lit connaître à larchevèque,
comme Brossette en avait été informé, le déplaisir que lui
ferait un excès de rigueur. C'est la seule explication pos-
sible de la concession à laquelle se résigna l'autorité épi-
scopale, avec une répugnance visible et bien des restric-
tions. Le jour même où M. de Harlay avait annoncé qu'il
déciderait après enquête, il signa un arrêté qui permettait
la sépulture ecclésiastique dans le cimetière de Saint-Eusta-
che,mais sans aucune pompe, avec deux prêtres seulement,
et hors des heures du jour, et interdisait tout service solen-
nel. Cette demi-tolérance était accordée sans préjudice aux
règles du rituel du diocèse, lesquelles étaient maintenues-.
Voilà donc, quoique avec peine, un peu de terre sainte obte-
nue. On ne peut cacher qu'il est resté des doutes si ce ne
fut pas seulement en apparence.
« Le corps, pris rue de Richelieu devant l'hôtel de Crus-
sol, dit le correspondant, déjà cité, de l'abbé Boyvin, a esté
porté au cimetière de Saint-Joseph, et enterré au pied de la
croix. « La tombe préparée à cette place ne saurait être que
celle dont parle le Registre de La Grange : « il y a une tombe
élevée d'un pied hors de terre «. Ces indications précises
paraissent d'abord sans difficulté. On a cependant cru à une
feinte par laquelle on aurait éludé les intentions du roi. Le
respect dû au caractère épiscopal la ferait tenir pour impos-
1. La vie de M. de Molière ., p. agS.
2. Voyez le texte de l'arrêté épiscopal, aux Pièces justificatives^
D." XVI. — La place donnée à celte pièce, après la requête, est
indiquée ci-dessus, p. 4^5, noie 2.
4'f2 NOTICE BIOGRAPHIQUE
sible, si l'archevêque qui gouvernait alors le diocèse de Paris
n'était plutôt connu par l'intolérance de son zèle que par
une vie digne d'un vrai pasteur. Titon du Tillet, dans son
Parnasse français, qu'il écrivait, il est vrai, un peu tard et
publiait en 1732, a jeté de grands doutes sur le lieu de la
sépulture de Molière. Voici le passage : « La femme de Mo-
lière fit porter une grande tombe de pierre, qu'on plaça au
milieu du cimetièi-e Saint-Joseph, où on la voit encore. Cette
pierre est fendue par le milieu, ce qui fut occasionné par
une action très belle ... Deux ou trois ans après la mort de
son mari, il y eut un hiver très froid. Elle fit voiturer cent
voyes de bois dans ledit cimetière, et les fit brûler sur la
tombe de son mari pour chauffer tous les pauvres du quar-
tier; la grande chaleur du feu ouvrit cette pierre en deux.
Voilà ce que j'ai appris, il y a environ vingt ans, d'un an-
cien chapelain de Saint- Joseph, qui me dit avoir assisté à
1 enterrement de Molière, et qu'il n'étoit pas inhumé sous
cette tombe, mais dans un endroit plus éloigné, attenant la
maison du chapelain*. « Lorsque l'on croyait Molière inhumé
au pied delà croix, que pouvait être cet « endroit plus éloi-
gné », sinon la partie du cimetière réservée à ceux qui ne
devaient pas reposer en terre sainte? Autrement, pourquoi
n'aurait-on pas laissé le corps où sa place était désignée et
où il fut ostensiblement porté ? Des objections ont été faites
à la révélation du chapelain^. Il était alors, a-t-on dit, d'un
âge où la mémoire est affaiblie. Mais pour avoir été présent
à l'inhumation en 1678, il ne paraît pas nécessaire d'avoir
été, vers 1712, d'une extrême vieillesse. Le souvenir si
précis d'une circonstance des plus extraordinaires peut
1. Parnasse français, p. 32o.
2. Vojex les Points obscurs de la vie de Molière, p. 36 1-363. —
Depuis, M. Loiseleur, daus uu opuscule intitulé : Molière. Nou-
t-elles controverses sur sa vie et sa famille (1886), p. "j/^-yS, a repro-
duit les mêmes objections. Il reconnaît cependant aux pages sui-
vantes que l'opinion contraire à la sienne a été soutenue par
M. Louis Moland, avec des arguments qui ne sont pas sans valeur.
Nous les croyons très frappants, et l'examen que nous avons fait
de notre côte nous a laissé une impression qui ne s'éloigne pas
de celle de M. Moland.
SUR MOLIÈRE. ',",3
difficilement êti'e attribué au radotage. Mieux vaudrait
encore supposer que le chapelain était un imposteur, ennemi
de l'Église, ou un personnage inventé par du Tillet, que
cependant on n'avait jamais soupçonné d'avoir un intérêt
de philosophe esprit fort à calomnier le clergé.
Il a paru invraisemblable que la veuve de Molière ait
posé une pierre tombale à une place qu'elle savait bien
n'être pas celle où était son mari, s'il était vrai que plus
tard elle y eût fait allumer assez de bois pour n'en pouvoir
mettre en doute l'effet destructeur. Et si elle connaissait le
secret, comment ne fit-elle pas entendre une réclamation
contre la violation clandestine de l'arrêté de l'archevêque ?
Cette objection est plus forte que celle de la sénilité du
chapelain. Elle ne nous semble cependant pas décisive.
Mlle Molière ne fut certainement pas insouciante de la
mémoire de son mari. Quelques reproches que, de son
vivant, elle ait mérités, elle défendit avec zèle cette grande
mémoire contre l'injure qu'on lui voulait faire ; nous
l'avons vue supplier le roi de s'interposer pour qu'elle lui
fût épargnée; et, dans ce temps-là, elle répétait partout,
dit Brossette* : « Quoi ! on refusera la sépulture à un homme
qui mérite des autels! » Mais il est permis de douter qu'en
réclamant pour lui la terre sainte, elle eût pour motif un
sentiment très religieux, et ne s'inquiétât pas surtout de
mettre les illustres restes à l'abri d'un public affront. Elle
avait eu suffisante satisfaction dans la lugubre soirée où,
sans toute la pompe qu'elle aurait souhaitée, mais du moins
en présence de tous les amis de Molière, qui avaient chacun
un flambeau à la main^, le corps avait été porté au pied de la
croix. Si elle finit par apprendre que l'on avait nuitamment
triché les nobles cendres sur la tombe concédée, ne pensa-
t-elle pas que la sépulture sans déshonneur demeurait cer-
taine aux yeux du monde, et que divulguer la triste vérité
par l'inutile scandale d'une protestation serait perdre le
fruit de sa victoire sur la puissante partie qu'elle avait eue à
combattre? On peut blâmer ce point de vue mondain; mais
I. Dans sa Remarque^ déjà citée sur le vers 19 de VÉpitre vii,
a. Voyez la même Remarque de Brossette.
',4', NOTICE BIOGRAPHIQUE
si l'on suppose qu'elle n'en connaissait pas d'autre, ce qui
n'a rien d'improbable, son silence était prudent.
Il eût plus que vraisemblablement déplu au roi qu'on le sol-
licitât d'informer sur la ténébreuse affaire de ces restes mor-
tels soupçonnés d'avoir été déi'obés à la sépulture chrétienne,
donnée d'abord, puis retirée après quelques moments; ma-
nœuvre qui aurait été très grave, et dont on ne saurait
dire si l'on eût trouvé coupable le curé de Saint-Eustache, ou
l'archevêque lui-même. Mieux valait peut-être se contenter
d'une victoire apparente que de fournir aux ennemis une
occasion de rouvrir un injurieux débat, dans lequel on n'es-
pérait peut-être pas être soutenu par l'indignation publique.
Les temps étaient bien changés, un siècle et demi plus tard,
lorsque, les prières chrétiennes ayant été refusées à MlleRau-
court (janvier i8i5), l'impiété força les portes de Saint-
Roch, pour y introduire le cercueil de la comédienne. Si,
le jour oîi l'on vint chercher, pour l'inhumer, le corps de
Molière, les intentions de la foule n'ont pas été mal com-
prises, elle était animée d'un fanatisme tout différent. Gri-
marest raconte qu'elle s'était amassée devant la maison
mortuaire, que Mlle Molière crut à l'hostilité du tumultueux
rassemblement, et, sur le conseil qui lui fut donné, jeta à
ce peuple une centaine de pistoles par les fenêtres, lui de-
mandant par des paroles touchantes des prières pour son
mari. Son éloquence, rendue plus persuasive par son argent,
fut écoutée: mais son impression dut être qu'il serait facile
à d'autres de ramener une multitude mobile au sentiment
qu'un comédien, à qui le temps avait manqué pour faire
amende honorable, n'avait pas eu droit à la tombe d'un
chrétien. C'était donc une question dangereuse à remuer.
Il faut dire cependant que la lettre à l'abbé Boyvin n'est
d'accord avec Grimarest que sur la somme donnée aux
pauvres gens, et n'en parle pas comme d'une largesse arra-
chée à la frayeur, mais comme d'une aumône distribuée par
la charité. Au convoi, « il y avoit, dit cette lettre, grande
foule de peuple, et l'on a fait distribution de mil à douze
cens livres aux pauvres qui s'y sont trouvez, à chacun cinq
sols ».
Cela suppose la présence aux funérailles de plus de
SUR MOLIERE. V',5
quatre mille pauvres. L'illustre mort aurait donc été plus
accompagné que d'autres ne l'ont dit, et il s'en serait fallu
que la centaine d'amis, portant des flambeaux, formassent
seuls le funèbre cortège. La même lettre, rappelant que
l'archevêque avait défendu aux curés et religieux de son
diocèse de faire aucun service pour Molière, atteste que
« néantmoins l'on a ordonné quantité de messes pour le dé-
funct. » Voilà qui conseille de ne pas trop se hâter de grossir
le nombre de ceux qui auraient approuvé la furtive infrac-
tion à l'arrêté épiscopal, si elle avait été connue de tous.
Mais, avant de raisonner dans la supposition qu'elle eût pu
l'être, il faudrait la croire hors de doute : nous ne voudrions
pas aller jusque-là.
Il est certain du moins que de bonne heure le vol fait
à la terre sainte a été soupçonné. Un certain Les Isles le
Bas a écrit un sonnet très injurieux pour Molière, qui a été
imprimé en 1674, et est intitulé : Sur la sépulture de Jean-
Baptiste Poquelin. dit Molière, comédien, au cimetière des
mort-iics à Paris. Il finit par ces deux vers :
Molière, baptisé, perd l'effet du baptême,
El dans sa sépulture il devient un mort-né.
Grimarest donne lui-même beaucoup à penser dans sa ré-
ponse à un reproche qui lui avait été adressé par l'auteur
de la Lettre critique sur sa Fie de Molière. Cette lettre, vers
la fin, lui avait parlé du bruit public qui l'accusait de n'avoir
pas dit tout ce qu'il devait, ou du moins tout ce qu'il pouvait
dire, particulièrement sur l'enterrement du poète, « dont il
auroit eu de quoi faire un volume aussi gros que son livre,
et qui auroit été rempli de faits fort curieux, qu'il sait sans
doute. » Grimarest se défendit ainsi : « Quant à ce qui se
passa, après que Molière fut mort, je laisse à mon censeur
de nous le donner. Apparemment qu'il en est bien informé,
puisqu'il avance qu'il y auroit de quoi f;\ire un livre fort
curieux. J'ai trouvé la matière de cet ouvrage si délicate et
si difficile à traiter que j'avoue franchement que je n'ai osé
l'entreprendre, et je crois que mon critique y auroit été
aussi embarrassé que moi : il le sait bien. y> N'était-ce pas
reconnaître assez clairement qu'il n'ignorait pas des faits
446 NOTICE BIOGRAPHIQUE
dont la gravité commandait encore le silence à tout le
monde? Il ne faut pas oublier que la Lettre critique et la
réponse sont de 1706, lorsqu'on était encore en plein règne
de Louis XIV.
Nous ne pouvons donc méconnaître que de divers côtés
on trouve de fâcheux indices. Ce n'était pas à la fin du
siècle dernier qu'on était disposé à les croire insuffisants.
L'exhumation, le 6 juillet 1792, des restes de Molière, ou
de ce qu'il plut d'accepter pour tels, a été souvent racontée.
Deux commissaires de la section dite alors de Molière et de
la Fontaine furent chargés de faire des fouilles dans le
cimetière Saint-Joseph pour retrouver les corps des deux
poètes. On y mit tant de bonne volonté que le succès était
infaillible. Pour chercher la Fontaine où il ne pouvait être,
on n'avait tenu aucun compte du témoignage du Registre
de Saint-Eustache*, qui donne l'acte de son inhumation au
cimetière des Saints-Innocents, et l'on avait mieux aimé se
laisser tromper par d'Olivet, qui, dans son Histoire de
t Académie, avait dit : « il fut enterré dans le cimetière de
Saint-Joseph à l'endroit même où Molière avoit été mis
vingt-deux ans auparavant ». Au moins aurait-on dû adop-
ter son erreur tout entière, et croire que l'on trouverait
les illustres amis l'un près de l'autre. On supposa qu'il n'y
avait que la Fontaine au pied de la croix. Là un cercueil
de chêne, qui fut rencontré, parut être le sien. On avait
commencé par l'exhumation de Molière*. Les délégués de
la section n'avaient pas douté qu'il n'eût été enterré dans la
terre des mort-nés. Sur quoi reposait leur certitude? Les
procès-verbaux des fouilles nous le disent. On y allègue
« les historiens contemporains et la tradition non suspecte ».
D'ordinaire les procès-verbaux sont plus précis dans les
preuves qu'ils donnent. Dans ceux-ci la crédulité volontaire
s'étale si manifeste, ou plutôt si grotesque, qu'elle donne-
rait la tentation de ne plus rien admettre des tristes bruits
I. Voyez notre Notice biographique sur la Fontaine, p. ccx et
ccxii-ccxrr.
1. Le 6 juillet 1792. L'exhumation de la Fontaine n'eut lieu
que le ai novembre suivant.
SUR MOLIERE. U7
répandus; mais la vraie criticjue doit être plus calme, et
même dans l'histoire d'une exhumation, faite avec une passion
déraisonnahie, elle doit tout examiner. Bien qu'on n'ait pas
trop de confiance dans un prêtre choisi pour commissaire
civil, il faut faire attention que les recherches furent dirigées
par un vicaire de Saint-Eustache, dernier desservant de la
chapelle Saint-Joseph. Son nom était Fleury. Il les fit
faire près d'une petite maison située à l'extrémité du cime-
tière. S'il y a quelque soupçon qu'il suivait, par ordre,
l'indication donnée par Titon du Tillet, il pouvait aussi
avoir connu un secret que se seraient transmis les chape-
lains. Quoi que l'on en pense, il est clair que si Molière a
été inhumé de ce côté, rien ne put indiquer ce qu'étaient
les débris de cercueil et les ossements sur lesquels on mit
la main, évidemment au hasard. Ainsi, lorsque Cailhava,
quelques années plus tard, pressa sur son cœur les têtes
des deux grands poètes et les baisa religieusement \ sa
sensibilité s'était dépensée en pure perte. On ne saurait
voir que des cénota})hes dans les deux mausolées construits
par Alexandre Lenoir, qui en 1799 avait reçu dans son
Elysée (jardin du Musée des ci-devant Petits-Augustins) les
cercueils, ou, suivant l'élégante inscription qu'ils portaient,
les caisses de Molière et de la Fontaine. Les mausolées
furent transportés le 2 mai 18 17 au cimetière du Père-
Lachaise, et restaurés en i8-5. Tels qu'ils sont, ils resteront
du moins comme des monuments du souvenir de la France
et de sa juste admiration pour deux des gloires littéraires
qui lui sont le plus chères.
L'histoire de la sépulture de Molière, sur laquelle nous
avons dû nous étendre, a un caractère extraordinaire, qui
en faisait une nécessaire continuation de celle de sa vie.
On peut parler plus brièvement des nombreuses épitaphes
qui furent écrites les unes pour honorer cette grande mé-
moire, les autres pour l'outrager. Celles des admirateurs du
poète n'étaient pas elles-mêmes destinées à être gravées sur
la pierre qui couvrait, ou passait pour couvrir, ses restes.
Par là elles ont moins de droit à être citées. 11 en est une
1. Etudes sur Molière, p. 355 et deriiière.
40 NOTICE BIOGRAPHIQUE
à laquelle nous aurions voulu donner place ici ; mais il aurait
fallu que, parmi ces pièces anonymes, il ne fût pas impossible
de la reconnaître. Éloquente ou non, le nom de son auteur
doit en faire du moins mentionner l'existence. Cet auteur,
assez inattendu, est M. de Modène, qui devait mourir peu
de temps après notre poète, le premier jour de décembre
de la même année. La pensée qu'il eut de jeter une fleur sur
la tombe de Molière semble une preuve qu'il n'avait jamais
été jaloux de lui, ou, tout au moins, que, depuis longtemps,
il ne se souvenait plus d'une ancienne rivalité. La connais-
sance du fait qu'il avait écrit une épitaplie en son honneur,
nous la devons à une lettre que lui écrivit, le 3 mai 1678, sa
belle-mère, Mme L'Hermite, à qui il avait envoyé l'épitaphe
pour qu'elle la portât à l'imprimeur*. On y lit ces passages :
« Pour l'épitaphe, l'on Ta trouvée fort belle.... Je ne doute
pas que votre ouvrage ne soit fort bien reçu. Je crois que
cela sera fort beau et que cela se vendra fort bien. »
Nous renvoyons pour les autres épitaphes, une exceptée,
aux curieux recueils qui ont été faits de ces louanges et de
ces satires. On y voit d'un côté se déchaîner les implacables
haines qu'avait ameutées contre lui l'immortel railleur et
le poète d'une supériorité écrasante, d'un autre côté ceux
qui reconnaissaient « le prix de sa muse éclipsée » devancer
par leurs hommages la justice de la postérité.
Nous venons de dire que, ne citant pas ces épitaphes, il
en est une pour laquelle nous ferions exception. Il ne nous
serait pas pardonné d'omettre, quelque connus qu'ils soient,
ces charmants vers de la Fontaine :
Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence,
Et cependant le seul Molière y gît.
Leurs trois talents ne formoient qu'un esprit.
Dont le bel art réjouissoit la France.
Ils sont partis! et j'ai peu d'espérance
De les revoir. Malgré tous nos efforts.
Pour un long temps, selon toute apparence,
Térence et Plaute et Molière sont morts.
I. La lettre a été publiée par M. Chardon, à la page 45o de
M. de Modène... et Madeleine Béjart.
SUR MOLIERE.
'♦'.9
Les deux grands auteurs latins n'ont pas à se plaindre de
l'admirateur passionné de l'antiquité qui d'eux et de Molière
ne faisait qu'un. Il est très permis de croire que pour former
cette trinité comique, c'était Molière qui apportait le plus.
Que la Fontaine avait raison de prévoir que pour un long
temps (soit dit sans vouloir contrarier personne, nous
attendons toujours), on ne reverrait rien de pareil dans le
bel art qui avait réjoui la France de son siècle!
Ailleurs que dans une épitaphe, Boileau a parlé, dans le
même sens que la Fontaine, de l'art de Molière enseveli
dans sa tombe :
L'aimable comédie, avec lui terrassée.
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir'.
Ce qu'il voyait tomber, ce qui lui inspirait la crainte
d'une chute sans relèvement, c'était la muse de Xaimahle
comédie, non le théâtre où Molière l'avait logée, et qui
devait, grâce à lui, faire reprendre aux brodequins leur
aplomb. Ce théâtre ne parut ébranlé que dans le temps de
la première secousse. Il faut dire quelques mots de son
existence menacée, après la mort de son chef, puis des
preuves de solidité qu'il donna, comme le faisait facilement
prévoir la force de ses fondations. Sur elles reposèrent
bientôt les fermes assises de la Comédie française. En ne
dépassant pas le jour où, sous ce nom, fut établie la maison
de Molière, il nous semble que nous restons encore dans
l'histoire de celui qui en avait assuré la durée.
La Grange dit, dans son Registre, que la troupe se trouva
dans le désordre après la perte irréparable qu'elle avait
faite, et que le roi eut dessein de la réunir à celle de l'Hôtel
de Bourgogne-. Louis XIV doutait que, privée de son
illustre chef, elle fût en état de se soutenir. Dans cette dé-
fiance de son avenir, il parut vouloir la sacrifier, et comme
s'il n'avait accordé à Molière qu'une faveur toute person-
nelle et viagère, ne pas en faire hériter ses camarades.
I. Épitre VII, vers 36-38.
1. Registre, p. i4o.
MOLIF.RE. X ig
45o NOTICE BIOGRAPHIQUE
Ceux-ci ne purent manquer de voir dans la réunion pro-
jetée l'anéantissement de leur vie propre au profit de leurs
rivaux. Il eût été bien regrettable que le théâtre créé par
Molière eût disparu. Par bonheur, on ne se pressa pas de
donner suite à la fâcheuse pensée. Le temps gagné sauva
nos comédiens, qui sentirent combien il importait de ne
pas laisser croire à leur découragement. Après une courte
interruption, commandée par leur deuil, la réouverture du
théâtre se fit le 2^ février 1673 par une représentation du
Misanthrope. Dès la semaine suivante, le 3 mars, on reprit
le Malade imaginaire, malgré le douloureux souvenir, si
récent qu'on a peine à comprendre ce courage, et qu'on lui
donnerait un autre nom si l'on ne savait quel avait été pour
Molière l'attachement de tous ses camarades. Le public
sans doute n'interpréta pas mal une hâte, qui se pouvait
justifier, car il fut très nombreux à la représentation du
3 mars, aux suivantes aussi, dans lesquelles on continua à
donner le Malade imaginaire jusqu'à la fermeture annuelle.
Malgré l'affluence des spectateurs, elles furent très coû-
teuses, ce qui excluait toute idée d'un calcul de lucre, et
ne permettait de croire qu'à une intention d'hommage.
II y eut bientôt un moment difficile où la troupe eut à
craindre de ne faire pour se maintenir que de vains efforts.
Deux comédiens manquèrent de confiance : celui qui avait
pris dans le Malade imaginaire le rôle de Molière, et celui
que devait, plus que tout autre, enchaîner la reconnaissance,
La Thorillière et Baron. Peut-être celui-ci ne put-il se ré-
signer à la direction, à l'empire de Mlle Molière. Ils déser-
tèrent aux vacances de Pâques 16-3, ainsi que Mlle Beauval
et son mari. Tous quatre passèrent à l'Hôtel de Bourgogne.
« Ainsi, dit La Grange*, la troupe fut rompue. » Ce fut alors
que Mme l'Hermite, dans la lettre à M. de Modène, dont
nous avons cité un passage-, lui écrivit : « Je vous assure
que l'on ne parle non plus du pauvre Molicre que s'il n'avoit
jamais été, et que son théâtre, qui a fait tant de bruit, il y
a si peu de temps, est entièrement aboli. Je crois vous
1. Registre, p. i45.
2. Voyez ci-dessus, p. 448.
SUR MOLIERE. 45i
l'avoir mandé, que tous les comédiens sont dispersés.
Ainsi la veuve a été trompée, parce qu'elle s'attendoit bien
à jouer; mais on ne croit pas que jamais la troupe se
réunisse. Elle [la veuve) a voulu un peu trop faire la fière et
la maîtresse. » Dans sa malveillance, qui se montre assez,
Mme l'Hermite se hâtait trop d'enterrer la fortune du
théâtre. Le jour même dont sa lettre est datée (3 mai), la
troupe, moins pressée de se tenir pour morte, malgré sa
dislocation et la décision du roi, qui lui avait repris la salle
du Palais-Royal pour la donner à Lulli, signa l'engagement
de Rosimont, comédien auteur, et l'un des meilleurs acteurs
du Marais, celui à qui furent donnés les rôles de Molière;
en même temps elle reçut la très jeune tille du camarade
du Croisy- Vingt jours après, le aS mai, pour remplacer le
théâtre, dont le Florentin l'avait dépossédée, elle acheta
celui du marquis de Sourdéac, qui avait été construit en 1670
pour l'Opéra, dans un jeu de paume situé rue des Fossés-de-
Nesle, depuis rue Mazarini, en face de la rue Guénégaud. Le
3 juin, une ordonnance du lieutenant de police, la Reynie,
autorisa son établissement dans le nouveau théâtre, en lui
conservant le titre de troupe du Roi, et fit aux comédiens du
Marais défense de jouer. Il n'y eut donc plus à Paris que
deux troupes françaises, celle de l'Hôtel de Bourgogne et
celle de l'Hôtel Guénégaud, comme il fut appelé. On l'avait
échappé belle; car, dans les jours les plus critiques pour
nos comédiens, si, pour conjurer la ruine, ils faisaient des
voyages à la cour, les Grands comédiens en faisaient de
semblables, le Marais se remuait de son côté, et le bruit
avait couru « que les deux anciennes troupes travailloient à
abattre entièrement la troisième, qui vouloit se relever' ».
Sauvé du naufrage, l'Hôtel Guénégaud fit des choix parmi
les comédiens du Marais, qui n'avaient plus de théâtre. Les
représentations recommencèrent le 9 juillet 1673 par le Tar-
tuffe. Grâce aux pièces surtout de Molière, qui, particulière-
ment dans les premiers temps, furent celles que l'on joua
le plus souvent, la troupe fut hors du danger de sombrer.
N'ayant à craindre d'autre concurrence que celle de l'Hôtel
I. Chappuzeau, le Théâtre français, tome 111, chapitre xL.
452 NOTICE BIOGRAPHIQUE
de Bourgogne, avec qui elle partageait le monopole, elle
passa plusieurs années dans une assez grande sécurité. Elle
allait bientôt voir le sort de son théâtre heureusement fixé.
Aux vacances de Pâques 1679, un coup fut porté à celui
des Grands comédiens. La Champmeslé se sépara, avec son
mari, de la troupe royale, et passa à l'Hôtel Guénégaud, où
elle apporta les tragédies de Racine. C était l'heure de la
décadence qui sonnait pour les rivaux, longtemps si fiers.
Ils firent encore une sensible perte l'année suivante (27 juil-
let 1680), par la mort de La Thorillière, qui acheva leur
désarroi. Cet événement a été noté par La Grange, qui lui
attribue la jonction des deux troupes ^ Cette jonction fut
décidée par le roi. L'ordre fut signé par le duc de Créqui
le 18 août 1680, et signifié le 22 aux deux théâtres, avec
la liste des acteurs que le roi voulait garder à son service.
Dès le dimanche 25, la troupe du Roi, composée comme
il était prescrit par l'ordre de jonction, commença les re-
présentations par Phèdre et les Carrosses d Orléans, petite
pièce du sieur de Champmeslé. Une lettre de cachet, signée
par le roi, à la date du 21 octobre, régla définitivement
l'organisation de l'unique Comédie française, qui se glorifie
aujourd'hui d'être établie sur les fondements qu'avait soli-
dement assis la main de ■Molière.
Si nous n'avons cru ni hors de propos ni sans intérêt ici,
de donner un souvenir aux destinées des héritiers de son
théâtre, qui avaient été comme une famille pour lui, nous
devons dire aussi ce que devint son autre famille, celle qui
ne lui était pas seulement unie par une étroite camaraderie,
mais par les liens du mariage ou du sang. Elle ne comptait
que deux personnes : sa femme et le seul enfant qu'il
laissait.
Dans ce que l'on sait d'Armande Béjart, depuis la mort
de Molière, si rien ne confirme sérieusement les plus graves
des accusations répandues par ses ennemis sur sa conduite
avant son veuvage, rien non plus ne fait voir en elle la
femme de cœur, la veuve digne de porter un illustre nom.
Quand il avait fallu écarter les outrages dont les funérailles
I. Jiegistre, p. 235, à la marge.
SUR MOLIKRE. ' 153
de Molière avaient été menacées, on lui doit accorder
qu'elle avait bien fait son devoir, et nous ne voudrions pas
chercher si le conseil ne lui en avait pas été donné par
son amour-propre, comme par son intérêt personnel, lié à
celui du théâtre qui était devenu son affaire. Mais, laissant
de côté les premiers jours de son deuil, on ne tarde pas à
reconnaître qu'elle ne resta pas fidèle au souvenir de celui
qui l'avait tant aimée, et qui avait fait descendre sur elle
un reflet de sa gloire, parure autrement riche que celles
dont fait étalage la vanité d'une coquette, et la plus magni-
fique de toutes pour un orgueil de quelque grandeur. Ce
qui peut-être était de nature à la toucher davantage, il lui
laissait une brillante fortune, après l'avoir, de son vivant,
entourée de bien-être, de luxe même. Dans la comédie de
Chalussay, Élomire, s'adressant à sa femme Isabelle (nom
donné à Armande en souvenir de la pupille de Sganarelle),
lui parle ainsi de son talent : •
Sans lui nous verrions-nous une chambre si belle?
Ces meubles précieux sous de si beaux lambris, ,,
Ces lustres éclatans, ces cabinets de prix, ^
Ces miroirs, ces tableaux, cette tapisserie
Qui seule épuisa l'art de la Savonnerie,
Enfin tous ces bijoux qui te charment les yeux, ' ' !
Sans ce divin talent seroient-ils en ces lieux*? ''
Cette énumération de richesses est très exacte et se retrouve
dans l'inventaire fait après la mort de Molière. L'actif de la
succession y est de quarante mille livres, somme qu'on a
évaluée à deux ou même trois cent mille francs d'aujour-
d'hui*. Il faudrait avec cela compter ce que promettait l'ex-
ploitation des œuvres du poète, particulièrement fructueuse
pour sa veuve, qui, après sa mort, toucha la part d'auteur.
Dans son opulence, elle ne dédaigna pas de tirer un grand
profit du Festin de Pierre en autorisant Thomas Corneille à
le versifier. La pièce, qui, malgré des vers agréablement
tournés, fut loin de gagner à cette nouvelle forme, fut payée
1. Elomire hypocondre, scène I, p. 8. • '
2. Recherches sur Molière, p. 97.
454 NOTICE BIOGRAPHIQUE
deux mille deux cents livres à partager entre le téméraire
qui avait touche à un chef-d'œuvre, et Mlle Molière, qui
lui en avait vendu le droit. La comédie ainsi refaite, ou plu-
tôt défaite, fut jouée pour la première fois le 12 février 1677,
et le prix d'achat convenu fut ratifié par la troupe le 8 mars.
C'était presque à la veille du second mariage de la veuve; et
lorsque, le 3 juillet 1677, elle donna reçu de la somme*,
depuis un peu plus d'un mois elle n'était plus Mlle Molière.
En obtenant, par son trafic d'une partie de l'héritage du
poète, une pièce au goût du public, elle avait fait pour elle-
même et son théâtre une bonne affaire, mais peu honorable
pour la gardienne naturelle d'une des plus nobles mémoires.
Mais que pouvait-on attendre de celle qui allait renoncer
au nom dont elle aurait dû être si fière? Elle fut épousée le
3i mai 1677 par Guérin d'Estriché ou du Trichet, un des
comédiens qui, en 1673, avaient passé du Marais à l'Hôtel
Guénégaud. C'était, non pour une comédienne, mais pour la
veuve, déchue, suivant l'expression de Virgile, d'un si grand
époux, une mésalliance fâcheuse, comme l'eût été, d'ailleurs,
tout autre choix.
On a dit, pour atténuer sa faute, qu'elle avait besoin
d'êti'e protégée contre les insultes auxquelles elle était ex-
posée. En juillet 1676, un sieur Guichard, intendant des
bâtiments de Monsieur, accusé par Lulli d'un projet d'em-
poisonnement, s'était défendu par un factum*, dans lequel
il avait incidemment accablé Mlle Molière des plus affreuses
injures. Elle avait été l'année précédente traitée comme
une femme perdue par le président au parlement de Gre-
noble, Lescot, qu'avaient trompé d'infâmes intrigantes ^ Nous
n'avons pas à raconter ici l'affaire de ce magistrat, qui rap-
1 . Sa quittance est conservée aux Archives de la Comédie
rançaise. Elle est signée : Armande-Grésinde-Claire-Élisabeth BÉ-
JART.
2. On le trouve dans V appendice de l'édition de la Fameuse
Comédienne [Les Intrigues de Molière et de sa femme), publiée par
M. Livet, comme nous l'avons dit ci-dessus, à la page 265, où
une phrase du factum est citée.
3. Voyez aux pages igô-aoS du petit volume cité à la note
précédente.
SUR MOLIERE. 455
pelle, comme on l'a souvent dit, celle du cardinal de Rohan
et de l'aventurière La Motte-Valois en 1785 et 1786. quelque
répugnance que l'on ait de mettre en regard l'une et l'autre
victime d'odieuses machinations. A celles de la Tourelle dont
avait été dupe le président Lescot, et qui furent déjouées,
Thomas Corneille et de Visé firent allusion dans des vers du
troisième acte de leur comédie de l'Inconnu, représentée
pour la première fois le 17 novembre 167J à l'Hôtel Gué-
négaud, et dans laquelle joua Mlle Molière. Non seulement
les outrages dont elle eut à se plaindre dans les deux cir-
constances que nous avons dites, mais dont justice fut faite
par la condamnation de leurs auteurs, ne lui sauraient faire
aucun tort, mais lui rendent le service de nous mettre
encore plus en défiance de toutes les imputations que nous
trouvons dans les libelles. Il n'en est pas moins à craindre
qu'il n'y ait trop de complaisance à ne voir dans son second
mariage qu'un refuge nécessaire à une femme mal protégée
contre d'injurieuses attaques. Il est plus vraisemblable qu'elle
était lasse de son veuvage et voulait essayer si, dans un ma-
riage prosaïque, elle ne trouverait pas plus de bonheur que
près d'un homme de génie, avec qui sa médiocrité frivole
avait eu trop de peine à s'entendre. Elle ne manquait cer-
tainement pas dagrément et de vivacité d'esprit, mais son
âme était petite. Ce quatrain sur elle, qu'on n'a pas toujours
textuellement cité dans sa forme incorrecte, se lit dans les
Portraits des comédiennes de t Hôtel Gue'négaud imprimés à
la suite de la Fameuse Come'dienne :
Les Grâces et les Ris brillent sur son visage ;
Elle a l'air tout charmant et l'esprit tout de feu.
Elle avoit un mari d'esprit qu'elle aimoit peu;
Elle en a un de chair, qu'elle aime davantage.
Elle paraît n'avoir ];)oint fait parler d'elle au temps de son
second mariage et s'être alors attachée à son ménage, sui-
vant le témoignage de la Fameuse Come'dienne, soit qu'elle
eût trouvé un maître, qui mit « bon ordre à sa conduite »,
comme le dit le libelle*, soit que la sympathie ait été plus
I. La Fameuse Comédienne^ p. 87.
456 NOTICE BIOGRAPHIQUE
facile entre elle et un raari dont l'élévation d'esprit et de
caractère était moins gênante.
Elle se retira du théâtre en 1694 et mourut six ans après,
le 3o novembre 1700. Elle laissait deux enfants, un fils et
une fille. Le fils, Nicolas Guérin, né de son second ma-
riage, s'est fait surtout connaître pour avoir, avant la mort
de sa mère, continué et refondu, sous le titre de Myitil et
Mélicerte, la Mélicerte de Molière, avec la bonne volonté,
malheureusement trahie par l'exécution, de rendre hom-
mage à une mémoire qu'il semblerait avoir été instruit à
respecter. La fille était celle de Molière. Avant de termi-
ner cette notice, nous ne pouvons manquer de donner, en
quelques mots, un souvenir à celle qui fut la dernière de
la famille illustrée par le grand poète'.
Pour ne pas douter que Molière n'aimât sa fille, les té-
moignages ne paraissent pas très nécessaires, moins que
tout autre celui de la Fameuxe Comédienne, dont on sait
quelle est généralement la valeur. Citons-en toutefois deux
lignes qu'aucune intention méchante ne rend suspectes.
Dégoûté de tout dans la vie, « Molière n'avoit point alors de
plus grand plaisir qu'en sa maison d'Auteuil, où il avoit
mis sa fille* ». Dans cette retraite, où sa femme n'aimait
pas à séjourner, il se plaisait sans doute à élever l'enfant,
comme il avait autrefois élevé la mère. On voudrait être
assuré qu'instruit par l'expérience, il s'y prenait mieux cette
fois, et ne destinait pas sa fille au théâtre. On croit, il est
vrai, d'après la mention dans son inventaire d'un habit
d'enfant pour la représentation de Psyché, qu'il la fit figu-
rer, à l'âge de cinq ou six ans, dans cette pièce, comme
un des petits Amours du Prologue'; mais il n'y aurait pas
I. Nous avons dit, au commencement de cette Notice [^. al,
que cette famille s'éteignit en ijaS, c'est-à-dire avec Esprit-3Iade-
leine Poquelin. On aura bien compris qu'il s'agissait de la branche
dont le père de Molière fut l'auteur. Nous n'avions pas à nous
embarrasser des branches collatérales. Lorsqu'on en a tenu
compte, on a dit qu'elles n'ont toutes disparu que vers 1780.
Vojez les Reclterches sur Molière, p. 116.
1. La Fameuse Comédienne, p. 38.
3. Recherches sur Molière, p. 89.
SUR MOLIERE. • 4^7
dans cette fantaisie une preuve sérieuse du dessein de la
préparer à devenir comédienne.
Lorsque Esprit-Madeleine perdit son père, elle avait sept
ans et demi. Elle eut naturellement sa mère pour tutrice;
André Boudet, beau-frère de Molière, fut son subrogé tu-
teur. Elle approchait de ses douze ans à l'époque où la
veuve de son père se remaria. La tutelle fut alors partagée
entre sa mère et Guérin, qui par leur contrat prirent l'en-
gagement de la nourrir, entretenir et faire instruire suivant
sa condition, jusqu'à l'âge de vingt ans*. Il est douteux que
dans leur maison elle ait trouvé, surtout après la naissance
du fils Guérin, en 1678, les tendres soins de la maison pa-
ternelle d'Auteuil; mais on ne doit pas, sur la foi de la
Fameuse Comédienne, regarder comme certain qu'elle avait
eu lieu de remarquer, en beaucoup de rencontres, la haine
de sa mère, qui, pour enrichir le fils du second lit en lui
donnant tout le bien de la lille de Molière, prétendait faire
de celle-ci une religieuse, contrairement ii son inclination-.
Si l'on en croyait X Extrait des Mémoires de Madame Guérin.
que nous avons déjà cité', « Chapelle, qui visitoit rarement
une maison où Molière n'étoit plus, demandant un jour à
Madeleine [ce devait être en 1680 ou 1681) quel âge elle
avoit, elle lui répondit tout bas : quinze ans et demi ; mais,
ajouta-t-elle en souriant, n'en dites rien à ma mère'*. » Joli
mot, qui donnerait à penser qu'elle n'était pas sans malice
héréditaire, mais qu'on ne sait si l'on doit tenir pour
authentique. Ce qui est constaté par des actes, c'est que,
devenue majeure, elle renonça, le 3o juin 1 691, à la commu-
nauté de biens entre son père et sa mère, telle qu'on l'avait
établie du 20 mars 1673 au 3o juillet 1675, ne l'acceptant
qu'en l'état où elle était à la première de ces dates*. Cela
est significatif et fâcheux pour la mémoire de la mère tu-
trice et pour celle du tuteur. Soulié pense que les riches
I. Reclierclies sur Molière, p. 3o2. •/.
1. La Fameuse Comédienne, p. 88 el 8y.
3. Voyez ci-dessus, p. 356, note i. -
4. Extrait des Mémoires de Madame Guerin, p. 208. -.
5. Recherches sur Molière, Docr.MENT LTI, p. 3o3.
458 NOTICE BIOGRAPHIQUE
successions de Madeleine Béjart et de Molière avaient été
mal administrées*. Dans l'acte de sa renonciation, Esprit-
Madeleine est dite « demeurant, comme pensionnaire, au
couvent des Dames religieuses de la Conception. « De là
sans doute est venue l'accusation portée, niais sans que
l'on fournisse de preuves, contre la Guérin, d'avoir voulu
dépouiller sa fille en la forçant d'entrer en religion.
La pensionnaire des religieuses de la rue Saint-Honoré
ne demeurait plus dans leur maison lorsque, après deux
ans de contestations, une transaction fut signée entre elle et
les époux Guérin le 26 septembre i6g3^.
On a dit que vers i68j (la fille de Molière, alors âgée de
vingt ans, était encore mineure) Claude de Rachel de Mon-
talant s'était fait aimer d'elle et l'avait enlevée, qu'il ne put
cependant obtenir, pour l'épouser, le consentement de la
mère, dont il fallut attendre la mort. Bien que la roma-
nesque aventure soit admise par JaP, qui n'avait pas coutume
d'avancer des faits sans examen, rien n'a paru moins cer-
tain à Eudore Soulié*. Il invite à remarquer cet éloge que
fait d'Esprit-Madeleine le biographe de 1705, qui la con-
naissait bien : « Mlle Pocquelin fait connoître par l'arran-
gement de sa conduite et par la solidité et l'agrément de
sa conversation, qu'elle a moins hérité des biens de son
père que de ses bonnes qualités^ ». Il faut ajouter que, i>ers
i685, époque désignée comme celle de l'enlèvement, si le
ravisseur avait déjà pei'du sa première femme, c'était depuis
peu, le dernier de ses enfants étant né le 3o octobre 1684.
Ce qu'on lui impute semble donc surprenant.
Il n'y a peut-être rien de trop complaisant, rien que de
vraisemblable, dans le témoignage de Grimarest, lorsqu'il
parle de la conversation solide et agréable qui rappelait de
quel père Mme de Montalant était née. Titon du Tillet
s'est-il seulement fait l'écho de ce témoignage en disant,
1. Recherches sur Molière^ p. io3.
2. Recherches sur Molière, Document LV, p. 'iii-Zi'].
3. Dictionnaire critique..., p. 833.
4. Recherches sur Molière, p. 107.
5. La T'ie de M, de Molière, p. sgS.
SUR MOLIÈRE. ^59
lui aussi, qu'elle « s'est distinguée par son mérite et par la
beauté et l'agrément de son esprit' ^) ?
Peu de mois après la publication du livre où Grimarest
se porte garant de la conduite bien arrangée de Mlle Po-
quelin, elle se mariait le 5 août 1705 avec M. de Montalant.
S'il était vrai que l'opposition de sa mère eût été un ob-
stacle au mariage, comment avoir attendu cinq ans après
sa mort?
Les époux de 170? n'étaient pas jeunes. Esprit-Madeleine
avait quarante ans; son mari, un veuf avec quatre enfants,
approchait de la soixantaine. Il était d'une fort bonne
famille, mais pauvre, tandis que les biens de sa seconde
femme étaient évalués à un peu plus de soixante-cinq mille
livres.
BefTara dit que M. et Mme de Montalant passèrent leur
vie à Auteuil^. ce qui plairait beaucoup comme un tou-
chant souvenir dans le cœur de la fille de Molière, heu-
reuse d'habiter le village où elle avait passé près de son
père un temps pieusement regretté. Mais Auteuil paraît
être une faute d'impression au lieu à.' Argenteuil. Ce fut là
que les époux vécurent, là que Mme de Montalant mourut,
sans avoir eu d'enfants, le 2'3 mai 1723, quinze ans avant
son vieux mari. Par cette fin d'une vie, qui semble avoir
été assez triste, s'éteignait la postérité de Molière, ses deux
fils lui ayant été enlevés en bas âge. Pour ne pas trop
regretter qu'il ne soit plus resté de ses descendants un
demi-siècle après sa mort, il faut se rappeler cette fière
parole d'un des plus grands hommes de l'antiquité, mou-
rant sans avoir d'autres héritières de son nom que ses vic-
toires : <; Je laisse après moi des filles immortelles. «
P. Mesxard.
I. Parnasse français^ p. 3 18.
1. Dissertation sur J.-B. Poquelin-Molière, p. l5.
ii'.^'.^jioois. 2j:i0'. ^»,-
PIECES JUSTIFICATIVES
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
I. — Page 2.
Acte de mariage de Jean Porjueliii, père de Molière,
et de Marie Cressé.
« Jehan Pocquelin, paro. no. {parocliius tioster). Uxor Marie
Cressé id., affidati 25 aprilis 1621, desponsati 37 ejusdem mensis
et anni. » 'Registre de /a paroisse Saint-Eustache — Vacte a été publié
p ar Jal ' . )
II. — Page 9.
Acte de baptême de Molière.
« Du samedi, i5 janvier 1622, fut baptisé Jean, fils de Jean
Pouguelin, tapissier, et de Marie Cresé, sa femme, demeurant
Tjue Saiut-Honoré ; le parrain Jean Pouguelin, porteur de grains;
la marraine Denise Lescacheux*, veuve de feu Sébastien Asseliu,
vivant marchand tapissier. » {Registre de la paroisse Saint-Eustache.
Acte publié par Beff'ara.)
1. Pour tous les actes des paroisses de Paris, nous citons nos autorités,
les registres de ces paroisses ayant été brûlés en 18-1.
2. Denise Lescacheux, aïeule maternelle de Marie Cressé. Elle était mère
de Marie Asselin, femme de Louis de Cressé, père de Marie de Cressé.
Voyez aux pages l27-l3o des Recherches sur Molière le Contrat de ma-
riage entre Jean Fnquclin et Marie Cressé.
463 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
111. — Page ^3.
Contrat de société entre les comédiens de Vlllustre théâtre.
« Furent présents en leurs personnes : Denis Beys, Germain
Clerin, Jean-Baptiste Poquelin, Joseph Béjart, Nicolas Bonnen-
fant, Georges Piuel, Magdelaine Bëjart, Magdelaine 3Ialingre, Ca-
therine de Surlis et Geneviève Béjart, tous demeurant sçavoir :
« Led. Beis rue de la Perle, paroisse Saint-Gervais; led. Clerin
rue Saint- Antoine, paroisse Saint-Paul; led. Poquelin rue de To-
rigny, paroisse susdite; lesd. Béjart, Magdelaine et Geneviefve
Béjart en lad. rue de la Perle en la maison de madame leur mère,
paroisse susd.; led. Bonnenfant en ladite rue Saint-Paul; led.
Pinel, rue Jeau-de-Lespine, paroisse Saint-Jean en Grève; lad.
Magdelaine Malingre, vieille rue du Temple, paroisse Saint-Jean
en Grève; et lad, de Surlis, rue de Poictou, paroisse Saint-^N'ico-
las des Champs;
« Lesquelz ont faict et accordé volontairement entre eulx les
articles qui ensuivent soubz lesquelz ilz s'unissent et se lient en-
semble pour l'exercice de la comédie, affin de conservation de
leur trouppe soubz le tiltre de l'Illustre théâtre; c'est à sçavoir :
n Que, pour n'oster la liberté raisonnable à personne d'entre
eulx, aucun ne pouira se retirer de la trouppe sans en advertir
quatre mois auparavant, comme pareillement la trouppe n'en
pourra congédier aucun sans luy en donner advis les quatre mois
auparavant.
« Item que les pièces nouvelles de théâtre qui viendront à la
trouppe seront disposées sans contredit par les auteurs, sans
qu'aucun puisse se plaindre du rolle qui lui sera donné ; que les
pièces qui seront imprimées, si l'autheur n'en dispose, seront dis-
posées par la trouppe mesmes à la pluralité des voix, sy l'on ne
s'arreste à l'accord qui en est pour ce faict entre lesd. Clerin,
Pocquelin et Joseph Béjart, qui doivent choisir akernatifvement
les héros, sans préjudice de la prérogative que tous les susd. ac-
cordent à lad.Magdeleine Béjart de choisir le rooUe qui luy plaira.
Item que toutes les choses qui concerneront leur théâtre et les
affaires qui surviendront, tant de celles que l'on prévoit que de
celles qu'on ne prévoit point, la troupe les décidera à la pluralité
des voix, sans que personne d'entre eulx y puisse contredire.
Item que ceulx ou celles qui sortiront de la troupe à l'amiable,
suivant lad. clause des quatre mois, tireront leurs partz contin-
PIECES JUSTIFICATIVES. 463
gentes de tous les fraiz, décorations et autres choses généralement
quelconques qui auront été faictes depuis le jour qu'ilz seront
entrez dans la dicte trouppe jusques à leur sortie, selon l'appré-
ciation de leur valeur présente, qui sera faicte par des gens
expers dont tous conviendront ensemble.
« Item ceulx qui sortiront de la troupe pour vouloir des choses
qu'elle ne voudra, ou que lad. trouppe sera obligée de mettre
dehors faulte de faire leur devoir, en ce cas ilz ne pourront pré-
tendre à aucun partage et desdommagement des frais communs.
« Item que ceulx ou celles qui sortiront de la trouppe et malicieu-
sement ne voudront suivre aucun des articles presens, seront
obligez à tous les desdommagemens des fraiz de lad. trouppe et
pour cet effet seront ypotecquez leurs équipages et généralement
tous et chacuns leurs biens presens et advenir en quelque lieu et
en quelque temps qu'ils puissent estre trouvez.
« A l'entretenement duquel article toutes les parties s'obligent
comme s'ils estoient majeurs pour la nécessité de la société con-
tractée par tous les articles cy dessus.
« Et de plus il a esté accordé entre tous les dessus ditz que,
sy aucun d'eux vouloit auparavant qu'ilz commenceront à mon-
ter leur théâtre se retirer de lad. société, qu'il soit tenu de bail-
ler et payer au proffit des autres de la trouppe la somme de
trois mille livres tournois pour les desdommager incontinent et
dès qu'il se sera retiré de lad. trouppe, sans que lad. somme
puisse estre censée peine comminatoire. Car ainsi a esté accordé
entre lesd. parties promettant, obligeant chacun.
« Faict et passé à Paris en la présence de noble homme André
Mareschal, advocat eu Parlement, Marie Hervé, veuve de feu Jo-
seph Bejart vivant bourgeois de Paris, mcre desd. Bejart, et
Françoise Lesguillou, femme d'Etienne de Surlis, bourgeois de
Paris, père et mère de lad. de Surlis, en la maison de lad. veufve
Bejart devant déclarée. L"an mil six cent quarante trois le tren-
tième et dernier jour de juin après midy, et ont tous signé les
présentes subjectes au scel soubs les peines de l'édict. »
Beys. g. Clekix.
Jean Baptiste Poqxjelix. J. Béiart.
Bo>>ENFAKT. George Pi>'el.
M. Beiart. Magdale Maliscre.
Geneviefve Beiart. Cateri>e Deslrlis.
A. Mareschal. Makie Hervé.
Françoise Lesguillo>'.
Duchesne. — Fiefj'c.
464 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
{Publié par M. Louis Moland, d'avrès l'autographe, conservé en
V étude de M' Biesta.]
IV. — Page 90.
Acte de baptême de Françoise, fille de Madeleine Béjart.
« Du dimanche 11 juillet i638. Fut baptisée Françoise, née du
samedy troisiesme de ce présent moys, fille de Messire Esprit de
Raymond, chevallier seigneur de Modène et aultres lieux, cham-
belan des affaires de Monseigneur frère unique du Roi, et de de-
moyselle Magdeleyne Beiard. La mère demeurant rue Sainl-
Honoré. Le parein, Jehan-Baptiste de l'Ermitte, escuyer, sieur
de Vausel, le tenant lieu de messire Gaston-Jehan Baptiste de
Raymond, aussi chevalier seigneur de Modène. La mareine, Da-
moyselle IMarie Hervé, femme de Joseph Beiard, escuyer. » (£n
marge de Pacte : Françoise illégitime.) — {Registre de la paroisse Saint-
Eustache. — Acte publié en 1825 à la suite de la Lettre du marquis de
Fortia sur la femme de Molière, p. 85.)
V. — Page 221.
Abrégé de la vie de Molière et de l'histoire de ses ouvrages jusquen
i663 (/ire rfe5 Nouvelles nouvelles, troisième partie, p. 218-340
du tome III).
'< Comme' il peut passer pour le Térence de notre siècle,
qu il est grand auteur, et grand comédien lorsqu'il joue ses piè-
ces, et que ceux qui ont excellé dans ces deux choses, ont tou-
jours eu place en l'histoire, je puis bien vous faire ici un abrégé
de l'abrégé de sa vie et vous entretenir de celui dont l'on s'en-
tretient presque dans toute l'Europe, et qui fait si souvent re-
tourner à l'Ecole tout ce qu'il y a de gens d'esprit à Paris.
« Ce fameux auteur de VEcole des Maris, ayant eu dès sa jeu-
nesse une inclination toute particulière pour le théâtre, se jeta
I. C'est Straton, un des interlocuteurs du dialogue, qui parle d'abord.
PIECES JUSTIFICATIVES. ',6j
dans la comédie quoiqu'il se pùl bien passer de celte occupa-
lion et qu'il eût assez de l)iea j)our vivre honorablement dans le
monde. Il fit quelque temps la comédie à la campagne, et quoi-
qu'il jouât fort mal le sérieux, et que dans le comique il ne fût
qu'une copie de Trivelin et de Scaramouche, il ne laissa pas que
de devenir en peu de tera|)s par son adresse et par son esprit le
chef de sa troupe et de l'obliger à porter son nom. Celle troupe,
ayant un chef si spirituel et si adroit, effaça en peu de temps
toutes les troupes de la campagne, et il n'y avoit point de comé-
diens dans les autres qui ne briguassent des places dans la sienne.
Tl fit des farces qui réussirent un peu plus que des farces et qui
furent un peu plus estimées dans toutes les villes que celles que
les autres comédiens jouoieut. Ensuite il voulut faire luie pièce
en cinq actes, et les Italiens ne lui plaisant pas seulement dans
leur jeu, mais encore dans leurs comédies, il en fit une qu'il tira
de plusieurs des leurs, à laquelle il donna pour litre l'Eslourdy
ou les Contretemps. Ensuite il fit le Dépit anwureu.r, qui valoit beau-
coup moins que la première, mais qui réussit toutefois à cause
d'une scène qui plut à tout le monde... ; et après avoir fait jouer
ces deux pièces à la campagne, il voulut les faire voir à Paris, où
il emmena sa troupe. Comme il avoit de l'esprit, et qu'il savoit
ce qu'il falloit faire pour réussir, il n'ouvrit son théâtre qu'après
avoir fait plusieurs visites et brigué quantité d'approbateurs. 11
fut trouvé incapable de jouer aucunes pièces sérieuses; mais l'es-
time que l'on commençoit à avoir pour lui, fut cause que l'on le
souffrit. Après avoir quelque temps joué de vieilles pièces et s'être
en quelque façon établi à Paris, il joua son Eslourdv et son Dé~
pit amoureux, qui réussirent autant par la préoccupation que l'on
commençoit à avoir pour lui que par les applaudissemens qu'il
reçut de ceux qu'il avoit priés de les venir voir. Après le succès
de ces deux pièces, son théâtre commença à se trouver conti-
nuellement rempli de gens de qualité, non pas tant pour le di-
vertissement qu'ils y prenoient (car l'on n'y jouoit que de vieilles
pièces) que parce que le monde ayant pris habitude d'y aller,
ceux qui aimoient la compagnie, et qui aimoient à se faire voir,
y trouvoient amplement de quoi se contenter. Ainsi l'on y ve-
noit par coutume, sans dessein d'écouter la comédie, et sans sa-
voir ce que l'on y jouoit. Pendant cela, notre auteiu- fit réflexion
sur ce qui se passoit dans le monde, et surtout parmi les gens de
qualité, pour en reconnoître les défauts; mais comme il n'étoit
encore ni assez hardi pour entreprendre une satire, ni assez ca-
pable pour en venir à bout, il eut recours aux Italiens, ses amis,
et accommoda les Précieuses au théâtre françois, qui avoienl été
Molière, x 3o
',66 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
jouées sur le leur, et qui leur avoient été données par un abbé
des plus galants. Il les babilla admirablement bien à la Françoise,
et la réussite qu'elles eurent lui fit connoître que l'on aimoit la
satire et la bagatelle — Il apprit que les gens de qualité ne vou-
loient rire qu'à leurs dépens, qu'ils vouloient que l'on fit voir
leurs défauts au public, qu'ils étoient les plus dociles du monde
et qu'ils auroient été bons du temps où l'on faisoit pénitence à
la porte des temples.... Jamais homme ne s'est si bien su servir
de l'occasion ; jamais homme n'a su si naturellement décrire ni
représenter les actions humaines.... Il fit, après les Précieuses, le
Cocu imaginaire, qui est, à mon sentiment et à celui de beaucoup
d'autres, la meilleure de toutes ses pièces et la mieux écrite...
n Notre auteur, après avoir fait cette pièce, reçut des gens de
qualité plus de mémoires que jamais Je le vis bien embarrassé
un soir après la comédie, qui cherchoit partout des tablettes pour
écrire ce que lui disoient plusieurs personnes de condition dont
il étoit environné Ces 3Iessieurs lui donnent souvent à dîner,
pour avoir le temps de l'instruire de tout ce qu'ils veulent
lui faire mettre dans ses pièces ; mais, comme ceux qui croyenl
avoir du mérite, ne manquent jamais de vanité, il rend tous les
repas qu'il reçoit, son esprit le faisant aller de pair avec beaucoup
de gens qui sont beaucoup au-dessus de lui iJ École des maris
fut [/« ^j?t'ce] qui sortit de sa plume après le Cocu imaginaire Les
vers en sont moins bons que ceux du Cocu imaginaire ; mais le su-
jet est tout à fait bien conduit, et si cette pièce avoit eu cinq
actes, elle pourroit tenir rang dans la postérité après le Menteur
et les Visionnaires, Notre auteur, après avoir fait ces deux pièces,
reçut des mémoires en telle confusion que de ceux qui lui res-
toient et de ceux qu'il recevoit tous les jours il en auroit eu de
quoi travailler toute sa vie, s'il ne se fût advisé, pour satisfaire
les gens de qualité et pour les railler, ainsi qu'ils le souhaitoient,
de faire une pièce où il pût mettre quantité de leurs portraits.
Il fit donc la comédie des Fdchcu.v, dont le sujet est autant mé-
chant que Ton puisse imaginer, et qui ne doit pas être appelée
une pièce de théâtre. Ce n'est qu'un amas de portraits détachés,
et tirés de ces mémoires, mais qui sont si naturellement repré-
sentés, si bien touchés et si bien finis, qu'il en a mérité beau-
coup de gloire.... Le peu de succès qu'a eu son Dom Garde ou le
Prince jaloux m'a fait oublier de vous eu parler à son rang; mais
je crois qu'il suffit de vous dire que c'étoit une pièce sérieuse et
qu'il en avoit le premier rôle. ])our vous faire connoître que l'on
ne s'y devoit pas beaucoup divertir.
« La dernière de ses comédies, celle dont ^ ous souhaitez le
PIECES JUSTIFICATIVES. ,67
plus que je vous entretienne, parce que c'est celle qui fait le
plus de bruit, s'appelle VEcole des femmes. Cette pièce a cinq
actes. Tous ceux qui l'ont vue sont demeurés d'accord qu'elle
est mal nommée et que c'est plutôt l'École des maris que CÉcole
des femmes. Mais comme il en a déjà fait une sous ce titre, il n"a
pu lui donner le même nom. Elles ont beaucoup de rapport en-
semble; et dans la première il garde une femme dont il veut f;iire
son épouse, qui, bien qu'il la croye ignorante, en sait plus qu'il
ne croit, ainsi que l'Agnès de la dernière, qui joue, aussi bien
que lui, le même personnage et dans l'École des maris et dans
l'École des femmes; et toute la différence que l'on y trouve, c'est
que l'Agnès de l'Ecole des femmes est un peu plus sotte et plus
ignorante que l'Isabelle de l'Ecole des maris. Le sujet de ces deux
pièces n'est point de son invention : il est tiré de divers endroits,
à savoir de Boccace, des contes de Douville, de la PrJcaution inu-
tile de Scarrou: et ce qu'il y a de plus beau dans la dernière est
tiré d'un livre intitulé les yuits facétieuses du seigneur StraparoUe,
dans une histoire duquel un rival vient tous les jours faire confi-
dence à son ami. sans savoir qu'il est son rival, des faveurs qu'il
obtient de sa maîtresse; ce qui fait tout le sujet et la beauté de
l'École des femmes. Cette pièce a produit des effets tout nouveaux ;
tout le monde l'a trouvée méchante, et tout le monde y a couru.
Les dames l'ont blâmée, et l'ont été voir. Elle a réussi, sans avoir
plu, et elle a plu à plusieurs qui ne l'ont pas trouvée bonne;
mais pour vous en dire mon sentiment, c'est le sujet le plus mal
conduit qui fût jamais, et je suis prêt de soutenir qu'il n'y a pas
de scène où l'on ne puisse faire voir une infinité de fautes. Je
suis toutefois obligé d'avouer, pour rendre justice à ce que sou
auteur a de mérite, que cette pièce est un monstre qui a de
belles parties, et que jamais ou ne vit tant de si bonnes et de
méchantes choses ensemble. Il y en a de si naturelles, qu'il semble
que la nature ait travaillé elle-même à les faire. Il y a des en-
droits qui sont inimitables et qui sout si bien exprimés que je
manque de termes assez forts et assez significatifs pour vous les
bien faire concevoir Ce sout des portraits de la nature qui
peuvent passer pour originaux. Il semble qu'elle y parle elle-
même. Ces endroits ne se rencontrent pas seulement dans ce que
joue Agnès, mais dans les rôles de tous ceux qui jouent à cette
pièce. Jamais comédie ne fut si bien représentée ni avec tant
d'art; chaque acteur sait combien il y doit faire de pas, et toutes
ses œillades sout comptées....
« Tout ce que vous venez de dire est véritable, repartit Clo-
468 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR iMOLIÈRE.
ranle, mais si vous voulez savoir pourquoi, presque dans toutes
ces pièces, il raille tant les cocus, et doj)eint si uaturellemcut les
jaloux, c'est qu'il est du nombre de ces derniers. Ce n'est pas
que je ne doive dire, pour lui rendre justice, qu'il ne témoigne
pas de jalousie hors du théâtre; il a trop de prudence, et ne
voudroit pas s'exposer à la raillerie publique Nous verrons
dans peu, continua le même, une pirce de lui, intitulée la Cri-
tique de V Ecole des femmes, où il dit toutes les fautes que l'on re-
prend dans sa pièce et les excuse en même temps.
« Elle n'est pas de lui, repartit Straton, elle est de l'abbé du
Buisson, qui est un des plus galants hommes du siècle.
« J'avoue, lui répondit Clorante, que cet illustre abbé eu a fait
une, et que l'ayant portée à l'auteur dont nous parlons, il trouva
des raisons pour ne la point jouer, encore qu'il avouât qu'elle fût
bonne.... Il a fait une pièce sur le même sujet, croyant qu'il étoit
seul capable de se donner des louanges....
« Quoique cet auteur soit assez fameux... pour obliger les
personnes d'esprit à parler de lui, c'est assez nous entretenir sur
un même sujet. J'avouerai toutefois que vous m'avez fait conce-
voir beaucoup d'estime pour le Peintre ingénieux de beaux ta-
bleaux du siècle. Tout ce que vous avez dit de lui m'a paru fort
sincère; car vous l'avez dit d'une manière à me faire croire que
tout ce que vous avez dit à sa gloire est véritable; et les ombres
que vous avez placées en quelques endroits de votre portrait
n'ont fait que relever l'éclat de vos couleius. »
VI. — Page 20 1 .
Contrat de mariage entre Molière et Armande Vèjart.
« Furent présents Jean-Baptiste Poquelin de Molière, demeu-
rant à Paris, rue Saint-Thomas-du-Louvrc, paroisse Saint-Ger-
main-de-l'Auxerrois, pour lui en son nom, d'une part; et damoi-
selle Marie Hervé, veuve de feu Joseph Béjard, vivant écuyer,
sieur de Belleville, demeurant à Paris, dans la place du Palais-
Royal, stipulant en cette partie pour damoiselle Armande-Gré-
sinde-Claire-Élisabeth Béjard, sa fîlle et dudit défunt sieur de
Belleville, âgée de vingt ans ou environ, à ce présente de son
vouloir et consentement, d'autre part; lesquelles jiarlies en la
PIÈCES JUSTIFICATIVES. /JGq
présence, par l'avis et conseil de leurs jiarents et amis, savoir,
de la part tludit sieur de Molière : de sieur Jean Poquclin, son
père, tapissier et valet de chambre du Roi, et sieur André Bou-
det, marchand bourgeois de Paris, beau-fière à cause de damoi-
selle Marie-^Iadeleine Poquclin, sa femme; et de la part de la-
dite damoiseile Armande-Grésinde-Claire-Elisabelh Béjard : de
damoiselle Madeleine Béjard, fille usante et jouissante de ses
biens et droits, sœur de ladite damoiselle, et de Louis Béjard,
son frère, demeurant avec ladite damoiselle, leur mère, dans la-
dite place du Palais-Royal, ont fait et accordé entre elles de bonne
foi les traité et conventions de mariage qui ensuivent. C'est à
savoir que lesdits sieur de Molière et damoiselle Armande-Gré-
sinde-Ciaire-Élisabeth Béjard, du consentement susdit, se sont
promis prendre l'un l'autre par nom et loi de mariage, et icelui
solenniser en face de notre mère sainte Eglise, si Dieu et notre
dite mère s'y consentent et accordent.
« Pour être les futurs époux uns et communs en tous biens
meubles et couquéts immeubles, suivant et au désir de la cou-
tume de cette ville, prévôté et vicomte de Paris.
« Ne seront tenus des dettes l'un de l'autre faites et créées
avant la célébration dudit mariage, et s'il y en a, seront payées
par celui qui les aura faites et sur son bien sans que celui de
l'autre en soit tenu.
« En faveur des présentes, ladite damoiselle mère de ladite
damoiselle future épouse, a promis bailler et donner auxdits fu-
turs époux, à cause de ladite damoiselle, sa fille, la veille de leurs
épousailles, la somme de dix mille livres tournois, dont un tiers
entrera en ladite future communauté et les deux autres tiers de-
meureront propres à ladite future épouse, et aux siens de son
côté et ligne.
« Ledit futur époux a doué et doue sadite future épouse de la
somme de quatre mille livres tournois de douaire préllx pour une
fois payé, à l'avoir et prendre, quand il aura lieu, sur tous les
biens dudit futur époux qu'il hypothèque à cet effet.
« Le survivant desquels futurs époux prendra par préciput des
biens de leur communauté, tels qu'il voudra choisir réciproque-
ment jusqu'à la somme de mille livres, suivant la prisée de l'in-
ventaire, et sans crue, ou ladite somme en deniers à son choix.
« Advenant le décès dudit sieur futur époux avant celui de la
future épouse, sera permis à icelle future épouse et aux enfants
qui naîtront dudit mariage, d'accepter la communauté ou y re-
noncer et, en cas de renonciation, reprendre ce qu'elle aura ao-
porté audit mariage, lui sera advenu et échu par succession, du-
47<> NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIERE.
nation ou autrement même, elle, ses douaire et préciput susdit,
le tout franchement et quittement sans être tenue des dettes de
la communauté, encore qu'elle y eût participé.
« S'il est vendu ou aliéné aucuns héritages ou ventes rache-
tées, appartenant à l'un ou à l'autre des futuis époux, les deniers
en provenant seront remplacés en autres héritages ou rentes pour
sortir pareille nature, et si au jour de la dissolution de ladite
communauté ledit remploi ne se trouvoit fait, ce qui s'en défau-
dra sera repris sur ladite communauté, si elle suffit, sinon à
l'égard de ladite future, sur les propres et autres biens dudit
futur époux.
« Car ainsi a été accordé entre les parties, promettant, obli-
geant, etc. Fait et passé à Paris eu la maison de ladite demoi-
selle, l'an mil six cent soixante deux, le vingt-troisième jour de
janvier, et ont signé. »
J. POCQUELIN.
J. B. PoCQUELIN MOLIÈKE. MaRIE HÉRUÉ.
Armande-Grésinde Béjart.
M. BÉJART. A. BoUDET.
Louis BÉJARD.
Og'ier. — Pain.
« Ledit sieur Poquelin de Molière, nommé en son contrat de
mariage ci-dessus, reconnoît et confesse que ladite demoiselle
Marie Hervé, veuve dudit sieur Béjard, aussi y nommée, mère de
ladite damoiselle Armande-Grésinde Béjard, lui a payé et d'elle
confesse avoir reçu ladite somme de dix mille livres que ladite
avoit promis bailler et donner audit sieur de Molière, par ledit
contrat et en faveur d'icelui, dont quittance. Fait et passé es
études le vingt-quatre juin mil six cent soixante-deux et a signé »
J. B. Poquelin 3Iolièke.
Ogier, — Pain.
(Publié par Eud. Soiilié, Recherches sur Molière, p. ao3-ao5,
sur la minute conservée en l'étude de M' A cloque.)
PIECES JUSTIFICATIVES. 471
VII, — Page 200.
,•/(•/(; de mariage de Molière.
« Du luudy vingtiesmc (février 1662) Jean-Baptiste Poquelin,
fils de Jean Poquelin et de feue Marie Cresé, d'une part, et Ar-
mande-Grésinde Béiard, fille de feu Joseph Béiard et de Marie
Herué, d'autre part, tous deux de cette paroisse, vis-à-vis le Pa-
lais-Royal, fiances et mariés tout ensemble, par permission de
M. Comtes, doyen de Xostre-Dame et grand vicaire de ^lonsei-
gneur le cardinal de Retz, archevesque de Paris, en présence de
Jean Poquelin, père du marié, et de André Boudet, beau-frère
dud. marié, et de lad' dame Herué, mère de la mariée, et Louis
Béiard et Magdeleine Béiard, frère et sœur de lad. mariée....
avec dispense de deux bans. Signé : J.-B. Poquelin, Armande Gré-
sinde Bejart, J. Pocquelin, A. Boudet, Marie Hervé, Louys Be-
jart, Beiart. » [Registre de la paroisse Saint'Germain-r Aaxerrois . —
Acte publié par Jal.)
VIII. — Page io.\.
Renonciation de Marie Hervé pour ses enfants à la succession
de Joseph Béjart leur père.
« L'an mil six cent quarante-trois, le mardi dixième mars, par
devant nous Antoine Ferrand, etc., est comparue Marie Hervé,
veuve de feu Georges Béjart, vivant huissier des eaux et forêts
de France à la table de marbre à Paris, au nom et comme tutrice
de Joseph, Madeleine, Geneviève, Louis et une petite non bap-
tisée, mineurs dudit défunt et [d'jelle, laquelle nous a dit et remon-
tré que la succession dudit défunt son mari est chargée de grandes
dettes et que n'y a aucuns biens en icelle pour les acquitter, et
craint que si elle appréhende icelle pour sesdits enfants qu'elle
ne leur soit plus onéreuse que profitable, icelle désireroit de y
renoncer pour sesdits enfants, ce qu'elle doute pouvoir valable-
ment faire sans l'avis de» parents et amis des desdits mineurs
472 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
qu'elle a requis s'assembler pour [le] donner sur ladite renon-
ciation; suivant laquelle requête est comparu Gabriel Renard,
sieur de Siiinte-Marie, M' Pierre Pillon, procureur au Chilelet,
M'.., Berenger, procureur audit Châtelet, M' Pierre Bëjard, pro-
cureur audit Châtelet, oncle paternel, Simon Bedeau, maître sel-
lier lormier à Paris, subrogé-tuteur desdits mineurs, M" Jacques
Buyars[?], Jean Freval, maître tailleur d'habits, Jean Fourault,
bourgeois de Paris, amis, auxquels avons fait faire le serment
de donner bon et fidèle avis sur ladite renonciation, lesquels,
après serment par eux fait, ont dit qu'ils sont d'avis que ladite
veuve renonce pour lesdits mineurs à la succession dudit défunt
leur père, comme leur étant plus onéreuse que profitable.
« Sur quoi nous ordonnons qu'il en sera fait rapport au con-
seil.
« Il sera dit par délibération du conseil qu'il est permis à la-
dite veuve, audit nom de tutrice desdits mineurs, de renoncer
pour eux à la succession dudit défunt leur père, comme leur étant
plus onéreuse que profitable, attendu les dettes dont elle est
chargée, et ce suivant l'avis desdits parents et amis; la renoncia-
tion qui sera faite avons approuvé et homologué. »
A. Ferrakd,
« Et le mercredi x juin audit an i643 est eomparue ladite Hervé,
laquelle, audit nom de tutrice des enfants mineurs dudit défunt
et d'elle, après avoir pris le consentement ci-dessus, a renoncé
à la succession dudit défunt, leur père, comme leur étant icelle
plus onéreuse que profitable. »
Mahie Bervâ.
[Ârclilves nationales. Minutes du Châtelet. — Publié par Eud. Sou-
lié dans les Recherches sur Molière,/?. 17a et i^S.)
IX. — Page 269.
Acte de baptême du fils aine de Molière.
« Du jeudi, a8« féurier 166 [, fut baptisé Louis, fils de Mon-
sieur Jean-Baptiste Molière, valet de chambre du Roy, et de da-
moiselle Armande-Gresinde Béjart, sa femme, vis-à-vis le Palais-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. '473
Royal. Le parrain, haut et puissant seigneur, messire Charles,
duc de Crequy, premier gentilhomme de la chambre du Roy,
ambassadeur, à Rome, tenant pour Louis quatorzième, roy de
France et de Navarre. La marraine, dame Colombe le Charron,
épouse de messire César de Choiseuil, maréchal du Plessy, te-
nante pour Madame Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.
L'enfaut est né le 19° janvier audit an. Signé : Colombet. » — (Ee-
g'istre de la paroisse Saint-Geimaln-VAuxerrois. — Acte publié par
Deffara.)
X. — Page 358.
Acte d'in/iumation du fils aîné de Molière.
« Le mardy, 11° novembre 1664, convoy de 6[prêtres]de Louys,
fils de Jean-Baptiste Molière, comédien de Son Altesse Royale,
pris rue Saint-Thomas » [Registre de la paroisse Saint-Germain-
CAuxerrois. Acte cité par M. Révérend Du Mesnil, dans la Famille de
Molière, p. 68.)
XI. — Page 357.
Acte de baptême du second fils de Molière.
« Du samedi i" octobre 1672 fut baptisé Pierre-Jean-Baptiste-
Armand, né du jeudi i5' du mois passé, fils de Jean-Baptiste
Pocquelin-Molière, valet de chambre et tapissier du Roi, et d'Ar-
mande-Claire-Élizabeth Béjart, sa femme, demeurant rue de Ri-
chelieu. Le parrain, messire Pierre Boileau, conseiller du Roi en
ses conseils, intendant et contrôleur général de l'argenterie et
des menus-plaisirs et affaires de la chambre de S. M. La marraine,
Catherine-Marguerite Mignard, fille de Pierre Mignard, peintre
du Roi. » [Registre de la paroisse Saint- Eus tache. — Cet acte publié
par Beffara, dans sa Dissertation sur Molière, p. i6, y est suivi de
ces lignes : « Cet enfant mourut le 10 octobre 1673 et fut inhumé
le la, dans l'église de Saint- Eiistache, en présence de Boudet
et Aubry, ses oncles. »)
474 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
XII. — Page 358.
Acte de baptême de la fille de Molière.
« Du mardi 4° août i665, fût baptisée Esprit Magdeley ne, fille
de Jean-Baptiste Pauquelin-Maulier, bourgeois, et Armande-Gre-
sinde, sa femme, demeurant rue Saint-Houoré. Le parrain, Mes-
sire Esprit de Remon, marquis de Modène; la marraine, Magdel.
Bezart, fille de Joseph Besart, vivant procureur. » [Registre de la
paroisse Saint-Eustache, — .4cle piihlii! par Beffara.)
XIII. — Page 394.
Acte d'inhumation de Jean Poquelin, père de Molière.
« Mercredi, 27* feurier 1669, convoi de 42, service complet,
assistance de M. le curé, 4 prestres porteurs pour deffunct Jean
Pocquelin, tapissier, valet de chambre du Roy, bourgeois de Pa-
ris, dem' soubz les pilliers des Halles, dcuant la fontaine, a esté
inhumé dans notre églize » {Registre de la paroisse Saint-Eus-
tache. Cite par M. Révérend Du Mesnil dans les Aïeux de Molière,
p. 55 et 56.)
XIV. —Page 418.
Actes de décès de Madeleine Béjart.
« Le 17 février 167a, demoiselle Magdelaine Béjart est décé-
dée paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, de laquelle le corps a
été apporté à l'église Saint-Paul, et ensuite inhumé sous les char-
niers de ladite église, le 19 dudit mois. »
Signé : Béjart l'Eguisé, J. B. P. Molière.
[Registre de la paroisse Saint'Paul.)
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 47^
« Le vendredi 19 février 1672, le corps de feue damoiselle
Marie-Madelaine Béjart, comédieune de la troupe du Roi, prise
hier en cette église, par permission de Monseigneur l'archevêque,
a été portée en carrosse à l'église de Saint-Paul. »
Signé : Carde, exécuteur testamentaire, et De Voulges.
[Rfgistre de la paroisse Salnt-Germain'i' Auxerrois . , — Ces deux actes
ont été publics par Beffara.)
XV. — Page 434.
Acte d'inhumation de Molière.
« Le mardy vingt-uniesme [février 1678] deffunct Jean-Baptiste
Poquelin de Molière, tapissier, valet de chambre ordinaire du
Roi, demeurant rue de Richelieu, proche l'Académie des P[e]in-
tres, décédé le dix-septiesme du présent mois, a esté inhumé dans
le cimetière de Saint-Joseph. » (Registre de la paroisse Saint-Eus'
tache. — Acte publié par Beffara, et cité, avec l' orthographe que nous
donnons, par M. Révérend Du Mesnil.)
XVI. — Page 435.
Requête de la veuve de Molière à Varchevêque de Paris.
Du 17 février 1673.
« A Monseigneur l'illustrissime et révérendissime archevêque de
Paris.
« Supplie humblement Elisabeth-Claire-Grasinde [sic] Bejard,
veufve de feu Jean-Baptiste Pocquelin de Molière, viuant valet de
chambre et tapissier du Roy, et l'un des comédiens de sa trouppe,
et en son absence Jean Aubry, son beau-frère; disant que ven-
dredy dernier, dix-seplieme du présent mois de feburier mil six
cent soixante-treize, sur les neuf heures du soir, ledict feu sieur
Molière s'estant trouué mal de la maladie dont il décéda enuiron
une heure après, il voulut dans le moment témoigner des mar-
476 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
ques de repentir de ses fautes et mourir en bon chrestien, à l'ef-
fect de quoy auecq instances il demanda uu prestre pour recevoir
les sacremens, et envoya par plusieurs fois son valet et semante
à Sainct-Eustache, sa paroisse, lesquels s'adressèrent à messieurs
Lenfant et Lechat, deux prestres habitués en ladicte paroisse, qui
refusèrent plusieurs fois de venir, ce qui obligea le sieur Jean
Aubry d'y aller luy-mesme pour en faire venir, et de faict fit
Icuer le nommé Paysant, aussi prestre habitué audict lieu; et
comme toutes ces allées et venues tardèrent plus d'une heure et
demye pendant lequel temps ledict feu Molière décedda, et ledict
sieur Paysant arriva comme il venoit d'expirer; et comme ledict
feu Molière est décédé sans avoir reçu le sacrement de confession,
dans uu temps où il venoit de représenter la comédie, monsieur
le curé de Sainct-Eustache lui refuse la sépulture, ce qui oblige
la suppliante vous présenter la présente requeste, pour luy estre
sur ce pourveu.
« Ce considéré, Monseigneur, et attendu ce que dessus, et que
ledict défunct a demandé auparavant que de mourir un prestre
pour estre confessé, qu'il est mort dans le sentiment d'un bon
chrestien, ainsy qu'il a témoigné en présence de deux dames reli-
gieuses, demeurant en la mesme maison, d'un gentilhomme nommé
Couion, entre les bras de qui il est mort, et de plusieurs autres
personnes; et que M' [sic] Bernard, prestre habitué en l'église
Sainct-Germain, lui a administré les sacremens à Pasques dernier,
il vous plaise de grâce spécialle accorder à ladicte suppliante que
son dict feu mary soit inhumé et enterré dans ladicte église Sainct-
Eustache, daus les voyes ordinaires et accoutumées, et ladicte
suppliante continuera les prières à Dieu pour voire prospérité et
santé et ont signe. »
Levasseur, et Aubry (avecq paraphe).
Et au-dessouhs est escript ce qui ensttlct :
« Renvoyé au sieur abbé de Benjamin, uostre officiai, pour
informer des faicts contenus en la présente requeste, pour infor-
mation à nous rapportée, estre enfinct [sic] ordonné ce que de
raison. Faict à Paris, dans nostre palais archyepiscopal, le ving-
tiesme feburier mil six cent soixante-treize. »
Signé : Archevesque de Paris.
« Veu ladicte requeste, ayant aucunement esgard aux preuves
résultantes de l'enqueste faicte par mon ordonnance, nous auons
PIECES JUSTIFICATIVES.
• ;7
permis au sieur curé do Sainct-Eustache de donner la sépulture
ecclésiastique au corps du défuncl Molière dans le cimetière de la
paroisse, à condition néantmoins que ce sera sans aucune pompe
et avecq deux prestres seullement, et hors des heures du jour, et
qu'il ne se fera aucun service solemnel pour luy ni dans ladicte
paroisse Sainct-Eustache ny ailleurs, même dans aucune églize
des réguliers, et que nostre présente permission sera sans préju-
dice aux règles du rituel de notre églize, que nous voulons estre
observées selon leur forme et teneur. Donné à Paris, ce vingtie.sme
feburier mil six cent soixante-treize. Ainsi signé : Archevesque
de Paris. Et au'dessous : Pur ^îonseigaeur : ^Iora^ge {oiec paraphe).
Collationné en son original en jjapier, ce faict, rendu par les
notaires au Chastelet de Paris soubsignez, le vingt-uniesme mars
mil six cent soixante-treize. Le Vasskur. » {Publié dans le Recueil
de morceaux: inédits , tirés des portefeuilles de François de yeuf-
clieiteau.)
ADDITIONS ET CORRECTIONS
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 53, uotc 5. Daus cette uole, coutinuée à la page 54, nous
exprimons le regret que l'abbé de Marolles, qui avait connu la
traduction du poème de Lucrèce par Molière, unit pas ciié les
stances du Livre IL dont il fait l'éloge. On a soupçonné qiiil
s'était quelque part servi, sans en avertir, de vers empruntés
à cette traduction. Ce serait dans la préface des Estais et em/>ir«s
du Soleil de Cyrano, publiée en 1662, après sa mort, par un
ami qui a gardé l'anonyme, mais dans lequel on pourrait à la
rigueur reconnaître 3Iarolles ; car il n'était pas sans quelque
liaison avec Cyrano. Au tome III de ses Mémoires (édition in- 12
de 1755), dans le Dénombrement de ceux qui m^ont donné de leurs
livres, ou qui m'ont Itonoré extraordinairement de leur civilité, il dit
aux pages aSo et 260 : « Cyrano, qui navoit que trop de cœur
et d'esprit, parce qu'en effet il le portoit quelquefois dans l'ex-
cès, me donna son livre du Voyage dans la Lune, qui est une
pièce ingénieuse, et sa tragédie à' .^grippine. » Que l'auteur de la
préface des Estais du Soleil soit 3Iarolles ou tout autre, les courts
passages de Lucrèce qu'il donne, traduits en vers d'inégale
mesure et à rimes croisées, peuvent bien lui appartenir et pa-
raissent trop faibles pour que l'on ne craigne pas de les attribuer
à Molière, même dans le temps qu'il étudiait encore sous Gas-
sendi. Nous laissons donc ceux qui voudront les juger eux-mêmes,
les cbercber où nous venons d'indiquer qu'ils se trouvent.
Page 54, note i, continuée à la page 55. A ce que nous y di-
sons des papiers perdus de Molière il y a quelque chose à ajou-
ter. Pour établir le texte de l'édition de 1682, La Grange a eu
sous les yeux les manuscrits de l'auteur, ou des copies faites par
son ordre, approuvées par lui, comme il le fait connaître dans
son Avis au lecteur, lorsqu'il y parle du Malade imaginaire. Outre
ce qu'il a publié, tenait-il de la veuve de Molière les précieux écrits
Moi.lÈKE, X .3i
482 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIERE.
de l'existence desquels Grimarest se croyait informé, des frag-
ments de pièces inachevées, même, ce qui est bien peu vraisem-
blable, des pièces entières inédites? Lui avait-on remis entre les
mains les bouffonnes ébauches jouées en province, que ]\Iolière,
dit-il dans sa Préface, avait supprimées, ce qui ne signifie pas né-
cessairement détruites? Il est très possible que, les possédant, il
ait craint, s'il les publiait, de manquer de respect à la volonté de
l'auteur et de faire tort à sa gloire. Il y a lieu à bien plus de re-
grets si c'est par de semblables scrupules, ou, dans certains cas,
par une prudence forcée, qu'il a cru ne pouvoir nous donner,
sons leurs premières formes, ne fût-ce qu'en indiquant des va-
riantes, qui avaient été probablement conservées, quelques-unes
de ses comédies, particulièrement le Tartuffe. La Grange mourut
en 1693. Sept ans après sa mort, les papiers de Molière étaient,
au moins en partie, dans les mains de ^licolas Guérin, l'auteur
de Mvrtil et Mélicerte. Ou en perd ensuite les traces. Le comédien
Graudmesnil disait, comme on l'avait appris à Taschereau, que
la Comédie française en possédait encore quelques-uns en 1799,
lorsqu'ils furent brûlés, cette année-là, dans l'incendie de son
théâtre, aujourd'hui TOdéori. Le fait paraît douteux (Voyez h
Romnn de Molière par Edouard Fournier, 178 et 179).
Rien n'eût été plus utile pfiur la connaissance du caractère et
de la vie de Molière que sa correspondance avec ses familiers. A
part quelques lignes à la Mothe Le A'^ayer, en lui envoyant le
sonnet sur la mort de son fils, qui ne sont venues jusqu'à nous
que dans ses œuvres imprimées, nous n'avons pas une seule des
lettres écrites par Molière. Ferdinand Lotheissen (Molière. Sein
Leben und seine Werke, p. i^i. et 7./\i) a très bien dit ce que
nous a fait perdre leur disparition. Il a eu raison d'ailleurs de la
trouver plus déplorable qu'étouuante, d'abord parce qu'il n'est
pas probable qu'il ait eu le loisir d'en écrire un grand nombre,
puis aussi parce qu'on ne conservait pas alors avec le même soin
curieux qu'aujourd'hui la correspondance des hommes célèbres,
avec la pensée qu'on y trouverait un jour d'importants docu-
ments. Ce nest pas un ami du caractère de Chapelle qui aurait
eu ce souci. Le biographe allemand fait remarquer combien est
hasardé, il aurait pu dire : absolument dénué de preuves, le
soupçon qu'au siècle dernier il s'était formé solis Finflueuce des
jésuites une association secrète qui avait pris rengagement de
détruire tons les papiers et lettres de l'auteur du Tartuffe.
Page 58, ligne 14. « Jonsac », lisez : « Jcmzac », meilleure or-
thographe que nous avons donnée à la page 363 du nom de ce
bon compagnon, qui est as.surément le De J... cité par Grimarest
ADDITIONS ET CORRECTIONS. ',8'^
(p. i52) comme un des convives, <ivec Xantouillet, du souper
d'Auteuil. Une lettre en vers de Jonzac avait provoqué celle où
Chapelle lui parle de [Molière. Le même Chapelle, dans son f'^oyage,
raconte le bon accueil qu'il avait reçu du joyeux marquis.
Page io5, ligne 23. « Guyane », lisez : « Guyenne ».
Page ii3, lignes 3o-3y. Pour justifier ce que nous disons de
l'estime où d'Aiibijoux tenait Molière, il eût fallu ajouter qu'il
l'avait pu bien connaître à Paris, au temps de l'Illustre théâtre,
étant chambellan de Gaston, protecteur alors de la troupe. Ce
comte d'Aubijoux (François-Jacques d'Amboise) avait été un des
meneurs de la cabale des Importants, a cerveau mal ordonné...,
dit l'Histoire des pritices de Condé, tome V (1889). p. 38,.. grand
duelliste, débauché infatigable ». Les écrits du temps le citent
parmi les amants de Ninon. Rien d'étonnant que nous l'ayons pu
montrer à la page i55, complice des débauches du prince de
Conti.
Page 169, lignes 25-34- Nous avons cité un procès-verbal des
Etats réunis à Pézenas, tiré de P Histoire des pérégrinations de Mo-
lière dans le Languedoc. Voici le texte plus complet et plus exact,
qui a été publié par ]\I. de la Pijardière à la page 12 de Molière,
son séjourà Montpellier..., et dontnous parlonsà la note 3 de notre
même page 169 : « Messieurs les Evesques de Beziers, Uzès et
de Saint-Pons, en rochet et camail, Messieurs les Barons de Cas-
tries, de Villeneuve et de Lanta, les sieurs vicaires généraux de
Narbonne et de Mende, envoyés du Comte d'AUais, et de Poli-
gnac, et autres députés de la part de ceste assemblée pour saluer
3Ionseigneur le Prince de Conty, ont rapporté qu'estant entrés
dans la cour du logis de Monsieur d'Alfonce où ledit seigneur
loge, ils y amoient trouvé les gardes de Son Altesse en aye [en
haie\, les officiers à leur teste, et Monseigneur le prince de Conty
les attendant à la porte du vestibule qiiy regarde ladite cour, le-
quel, après avoir laissé passer les trois ordres, seroit venu à eux
et leur auroit dict qu'il estoit forcé de les recepvoir en cest en-
droit parce que sa chambre estoit dans un extrême désordre à
cauze de la comédie ; et, après les compliments faicts, 3Iessieurs
les députés ayant défîHé par la queue, ils auroientesté reconduits
par son Altesse jusques à la porte de la rue où Messieurs les Pré-
lats ayant quicté leur rochet et camail, ils seroient réentrés en la
cour, eu laquelle étaient les gardes en la mesme porte et seroient
allés complimenter Madame la Princesse qu'ils auroient trouvée
dans le lict, laquelle auroit reçu leur visite avec beaucoup de
civillité. »
Ce texte rétabli fait disparaître cette faute que M. Emma-
484 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIERE.
iiiicl Raymond y avait introduite : « S. A. R. le prince de
Conti. » Les rédacteurs du procès-verbal ne pouvaient ignorer
que le prince de Conti n'était pas Altesse Royale, mais Altesse
Sérrnissime.
Page 178, ligne -lo. « Dufor », lisez : « Dufort ».
Page 2o5, lignes 11 et i3. « La petite pièce {le Docteur yimou-
reux) n'est pas venue jusqu'à nous. » Edouard Fournier, dans le
Roman Je Molière (Paris, Dentu, i863), j). 187 et i38, croit, non
sans vraisemblance, en avoir trouvé quelques traces, mais bien
insufFisantes, dans une petite comédie-ballet, jouée, suivant sa
conjecture, vers i663, et intitulée: la Boutade des Comédiens. Des
personnages de diverses pièces du temps y paraissaient avec le
caractère que leur avaient donné les auteurs, Rotrou, Corneille,
Scarrou, Desmarets, d'Ouville et quelques autres. A la neuvième
Entrée, le Docteur amoureux se présente, avec sa maîtresse, du
nom d'Hélène. Il n'est guère douteux que ce ne soient deux
lîgures de la farce de Molière, laissant entrevoir quelques traits
de leurs rôles, sans que les vers dans lesquels elles s'annoncent
puissent être attribués à notre auteur, dont la petite pièce était
certainement en prose.
Page 214, lignes 6 et 7. « Mlle Desjardins », Usez : 0 Mlle des
Jardins », afin que nous soyons d'accord avec la manière dont
nous avons écrit ce nom aux ])ages 18G et 187, et plus loin, aux
pages 026 et 827. Mlle des Jardins est plus connue peut-être sous
le nom de 3Ime de Villedieu, qu'elle prétendait illégitimement
avoir le droit de porter. Personne n'ignore ses aventures plus que
romanesques ; mais elle n'a pas été seulement célèbre par les sin-
gulières audaces de sa vie galante ; elle l'a été aussi par ses nom-
breux écrits, souvent très spirituels, romans, poésies, pièces de
tbeàtre. Dans son Historiette de 3111e des Jardins, Tallemant des
Réaux raconte une visite que lui fit Molière, et l'indignation de la
dame, qui n'avait pas été d'abord reconnue. « Vous êtes un in-
grat, lui cria-t-elle. Quand vous jouiez à Narbonne, on n'allait à
votre théâtre que pour me voir. » Si l'anecdote est vraie, Mlle des
Jardins avait connu Molière en province; et l'on peut admettre
qu'elle y avait vu jouer les Précieuses ridicules.^ bien qu'elle dise
dans la préface de son Récit ne l'avoir écrit « que sur le rapport
d 'autrui ».
Ihidem^i ligne 12. « 1869 », lisez ; « lôSg ».
Page 256, lignes ig-iS. Nous craignons d'y avoir trop perdu
de vue que le Registre de La Grange, intitulé par lui Extrait des
recettes et des affaires du t/iéàtre..., a été écrit pour son usage par-
ticulier et lui servait comme d'un mémorial. Certaines lacunes
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 485
s'expliqueraient par là. Son silence néanmoins sur le père et
la mère de 3111e Molière méritait, croyons-nous, qu'on le re-
marquât, ainsi que nous l'avons fait.
Page 295, ligne 7. « Le 4 mars 1677 », lisez : « le 4 mars iGfij ».
Page 29g, ligne aï. « Dans l'imitation les auteurs tragiques »,
lisez : « Dans limitation des auteurs tragiques ».
Page 327, ligne 11. « La Coquette ou le Favori. » Le Registre
de La Grange, p. 73, donne ce titre à lu pièce noiu'cl/e de 3111e des
Jardins; mais l'édition de i665 (Paris, Louis Billaiue) simplement
celui-ci : « Le Favory, tragi-comédie par Mademoiselle des Jar-
dins. » Celui de la Coquette fui sans doute abandonné de bonne
heure; il n'était pas assez justifié par la coquetterie du person-
sage d'Elvire. Tallemant rapporte que Mlle des Jardins « querella
Molière de ce qu'il mettoit dans ses affiches le Favori de 3Iadenioi-
selle des Jardins, et qu'elle ctoit bien Madame pour lui, qu'elle
s'appcloit Madame de Villedieu Molière lui répondit douce-
ment qu'il avoit annoncé sa pièce sous le nom de Mlle des Jar-
dins; que de l'annoncer sous le nom de Mme de Villedieu, cela
feroit du galimatias ; qu'il la prioit de trouver bon qu'il l'appelât
3Iadame de Villedieu partout, hormis sur le théâtre et dans ses
affiches. » Il la persuada sans doute, puisque dans l'impression
de i665 le titre de la pièce est celui contre lequel elle avait ré-
clamé. Il fallait que, malgré la petite querelle, Molière fût en
bons termes avec elle lorsqu'il fît représenter sa tragi-comédie à
Versailles sous la protection de son prologue. La pièce d'ailleurs
par ses vers agréablement tournés et par beaucoup de traits ingé-
nieux n'était pas indigne de l'intérêt qu'il témoignait y porter.
ibidem, ligues 19-21. « Une continuelle allusion à la disgrâce de
Foiiquet et à la cause la plus délicate... », Usez : « à la dis-
grâce de Fouquet. On pouvait même eu trouver une à la cause la
plus délicate » C'est seulement dans une tirade du favori Mon-
cade que l'auteur doit être soupçonné de s'être risqué sur ce
terrain brûlant.
Page 395, lignes 12 et i3. « Visite de Tartuffe chez Mademoi-
selle [au] Luxembourg. » Dans le Registre de La Grange (du moins
dans l'impression publiée en 1876), il y a : « Visite de Tartuffe
chez Mad"" de Luxembourg. » La correction que nous avons déjà
adoptée dans la Notice sur le Tartuffe, au tome IX, p. 338, nous
a, sans hésitation, paru nécessaire. Peut-être La Grange a-t-il
écrit, ou voulu écrire, non pas au, mais, comme on disait alors, à
Luxembourg. Mademoiselle, dans ses Mémoires (édition Chéruel,
i858, 1839, tome IV, p. 74I, parlant du séjour du grand-duc de
Toscane à Paris en 1669 et des visites qu'il fît alors au Luxembourg
486 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
(c'était au mois d'août, comme l'atteste la Gazette du lo), dit : « Je
fis jouer la comédie de Tartuffe, qui étoit une pièce nouvelle. »
C'était à l'occasion des fiançailles de la seconde Crcqui et du
comte de Jarnac. Le giand-duc de Toscane était présent à lu
représentation.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 23, ligne 4- « le P. de Solleoeufre », lisez : « le P. Salle-
neufve ». Le nom est ainsi écrit dans l'intéressante Étude sur la
vie et les œuvres du P. Le Moyne par H. Chérot, S. J. (Paris, A. Pi-
card, 1887). Aux pages 463 et 464 [Pièces justificatives], le P. Ché-
rot cite le Catalogue des provinces de France, an 1640, collège de
Paris. On j trouve Philippe Briet et Nicolas Xau, professeurs de
rhétorique, Pierre Salleneufve, professeur d'humanités. Remar-
quons toutefois que là aussi Pierre Le Moyne est nommé comme
un des régents du collège de Clermont. Ne pouvait-il donc avoir
été, dans une des années précédentes, un des maîtres de Mo-
lière ?
Dans l'article du Moliériste que nous avons cité, 3L Tivier
avait profité de la communication de manuscrits du P. Chérot.
Page 53, note 5. Dans cette note, continuée à la page §4, nous
exprimons le regret que l'abbé de Marolles, qui avait connu la
traduction du poème de Lucrèce par Molière, n'ait pas cité les
stances du livre II, dont il fait l'éloge. On a soupçonné qu'il
s'était quelque part servi, sans en avertir, de vers empruntés
à cette traduction. Ce serait dans la préface des Estats et empires
du Soleil de Cyrano, publiée en 1662, après sa mort, par un
ami qui a gardé l'anonyme, mais dans lequel on pourrait à la
rigueur reconnaître 3Iarolles ; car il n'était pas sans quelque
liaison avec Cyrano. Au tome III de ses Mémoires (édition in-ia
de 1755), dans le Dénombrement de ceux qui m'ont donné de leurs
livres.^ ou qui m ont honoré extraordinairement de leur civilité, il dit,
aux pages 260 et 260 : « Cyrano, qui n'avoit que trop de cœur
et d'esprit, parce qu'en effet il le portoit quelquefois dans l'ex-
cès, me donna son livre du f^oyage dans la Lune, qui est une
Molière, x. 3i
482 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
pièce ingénieuse, et sa tragédie à'' Jgrîppine . » Que l'auteur de la
préface des Estais du Soleil soit Marolles ou tout autre, les courts
passages de Lucrèce qu'il donne, traduits en vers d'inégale
mesure et à rimes croisées, peuvent bien lui appartenir et pa-
raissent trop faibles pour que l'on ne craigne pas de les attribuer
à Molière, même dans le temps qu'il étudiait encore sous Gas-
sendi. Nous laissons donc ceux qui voudront les juger eux-mêmes,
les chercher où nous venons d'indiquer qu'ils se trouvent.
Page 54i note i, continuée à la page 55. A ce que nous y di-
sons des papiers perdus de Molière il j a quelque chose à ajou-
ter. Pour établir le texte de l'édition de 1682, La Grange a eu
sous les yeux les manuscrits de l'auteur, ou des copies faites par
son ordre, approuvées par lui, comme il le fait connaître dans
son Avis au lecteur, lorsqu'il y parle du Malade imaginaire. Outre
ce qu'il a publié, tenait-il de la veuve de Molière les précieux écrits
de l'existence desquels Grimarest se croyait informé, des frag-
ments de pièces inachevées, même, ce qui est bien peu vraisem-
blable, des pièces entières inédites? Lui avait-on remis entre les
mains les bouffonnes ébauches jouées en province, que Molière,
dit-il dans sa Préface, avait supprimées, ce qui ne signifie pas né-
cessairement détruites? Il est très possible que, les possédant, il
ait craint, s'il les publiait, de manquer de respect à la volonté de
l'auteur et de faire tort à sa gloire. Il y a lieu à bien plus de re-
grets si c'est par de semblables scrupules, ou, dans certains cas,
par une prudence forcée, qu'il a cru ne pouvoir nous donner,
sous leurs premières formes, ne fût-ce qu'en indiquant des va-
riantes, qui avaient été probablement conservées, quelques-unes
de ses comédies, particulièrement le Tartuffe. La Grange mourut
en lôg-î. Sept ans après sa mort, les papiers de Molière étaient,
au moins en partie, dans les mains de Nicolas Guérin, l'auteur
de Myrtil et Mélicerte. On en perd ensuite les traces. Le comédien
Grandmesnil disait, comme on l'avait appris à Taschereau, que
la Comédie française en possédait encore quelques-uns en 1799,
lorsqu'ils furent brûlés, cette année-là, dans l'incendie de son
théâtre, aujourd'hui l'Odéon. Le fait paraît douteux. Voyez le
Roman de Molière par Edouard Fournier, 178 et 179.
Rien n'eût été plus iitile pour la connaissance du caractère et
de la vie de Molière que sa correspondance avec ses familiers. A
part quelques lignes à La Mothe le Vayer, en lui envoyant le
sonnet sur la mort de son fils, qui ne sont venues jusqu'à nous
que dans ses œuvres imprimées, nous n'avons pas une seule des
lettres écrites par Molière. Ferdinand Lotheissen [Molière. Sein
Leben urid seine JFerke, p. 242 et 343) a très bien dit ce que
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 483
nous a fait perdre leur disparition. Il a eu raison d'ailleurs de la
trouver plus déplorable qu'étonnante : outre qu'il n'est pas pro-
bable que Molière ait eu le loisir d'en écrire un grand nombre,
on ne prenait pas alors le même soin curieux qu'aujourd'hui de
conserver la correspondance des hommes célèbres, avec la pensée
qu'on y trouverait un jour d'importants documents. Ce n'est
pas un ami du caractère de Chapelle qui aurait eu ce souci. Le
biographe allemand fait remarquer combien est hasardé, il aurait
pu dire : absolument dénué de preuves, le soupçon qu'au siècle
dernier il s'était formé sous l'influence des jésuites une associa-
tion secrète qui avait pris l'engagement de détruire tous les
papiers et lettres de l'auteur du Tartuffe.
Page 55, lignes 32 et aS, à la note : « qui n'en fait pas con-
naître les preuves ». On nous a averti que M. Loiseleur a em-
prunté aux Diversités curieuses de Bordelon (i6g8) ce qu'il dit du
refus de Barbin de publier la traduction de Lticrèce. Il est à pro-
pos de citer surtout ce passage des papiers de Trallage, tome IV,
f" 226 v°, où le refus d'imprimer est attribué, non à Barbin, mais
à Thierry : « Le sieur Molière a traduit quelques endroits du
poète Lucrèce en beaux vers françois; on les vouloit joindre à
la nouvelle édition de ses œuvres faite à Paris l'an i683 en huit
volumes in-douze chez Thierry; mais le libraire, les ayant trou-
vés trop forts contre l'immortalité de l'âme, ne les a pas voulu
imprimer. »
Page 58, ligne i4- « Jonsac », Usez : « Jonzac », meilleure or-
thographe que nous avons donnée à la page 363 du nom de ce
bon compagnon, qui est assurément le De J... cité par Grimarest
(p. iSa) comme un des convives, avec Nantouillet, du souper
d'Auteuil. Une lettre en vers de Jonzac avait provoqué celle où
Chapelle luiparle de Molière. Le même Chapelle, dans son Voyage,
raconte le bon accueil qu'il avait reçu du joyeux marquis.
Page 70, ligne 12. « en 1649 », Usez : « en i643 ».
Page 95, note i. Nous y disons n'avoir pu rencontrer le Re-
cueil de 1646 que nous citons. M. Raymond Toinet, avocat à
Tulle, nous a écrit qu'il l'avait dans sa bibliothèque. Il est dédié
à Mme de Hautefort par Pelletier. Le privilège, daté du 3o avril
1645, est donné au libraire Cardin Besongne. L'xichevé d'im-
primer est du 21 juin 1646.
Page io5, ligne 25. « Guyane », Usez : « Guyenne ».
Page ii3, lignes 35-37. Pour justifier ce que nous disons de
l'estime où d'Auhijoux tenait Molière, il eût fallu ajouter qu'il
l'avait pu bien connaître a. Paris, au temps de l'Illustre théâtre,
étant chambellan de Gaston, protecteur alors de la troupe. Ce
484 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIERE.
comte d'Aubijoux (François-Jacques d'Amboise) avait été un des
meneurs de la cabale des Importants^ « cerveau mal ordonné,
dit YHistoire des princes de Coudé, tome V (1889), p. 38, grand
duelliste, débauché infatigable ». Les écrits du temps le citent
parmi les amants de Ninon. Rien d'étonnant que nous l'ayons pu
montrer, à la page i55, complice des débauches du prince de
Conti.
Page 169, lignes a5 34- Nous avons cité un procès-verbal des
étals réunis à Pézenas, tiré de VHistoire des pérégrinations de Mo-
lière dans le Languedoc. Y o'icï le texte, plus complet et plus exact,
qui a été publié par M. de la Pijardière à la page 12 de Molière,
son séjour à Montpellier..., et dont nous parlons à la note 3 de notre
même page 169 : « Messieurs les Evesques de Beziers, Uzès et
de Saint-Pons, en rochet et camail, Messieurs les Barons de Cas-
tries, de Villeneuve et de Lanta, les sieurs vicaires généraux de
Narbonne et de Mende, envoyés du Comte d'Allais, et de Poli-
gnac, et autres députés de la part de ceste assemblée pour saluer
Monseigneur le Prince de Conty, ont rapporté qu'estant entrés
dans la cour du logis de Monsieur d'Alfonce où ledit seigneur
loge, ils y auroient trouvé les gardes de Son Altesse en aye \en
haie\, les officiers à leur teste, et Monseigneur le prince de Conty
les attendant à la porte du vestibule quy regarde ladite cour,
lequel, après avoir laissé passer les trois ordres, seroit venu à eux
et leur auroit dict qu'il estoit forcé de les recepvoir en cest en-
droit parce que sa chambre estoit dans un extrême désordre à
cauze de la comédie ; et, après les compliments faicts. Messieurs
les députés ayant défillé par la queue, ils auroient esté reconduits
par Son Altesse jusques à la porte de la rue où Messieurs les Pré-
lats ayant quicté leur rochet et camail, ils seroient réentrés en la
cour, en laquelle étoient les gardes en la mesme porte, etseroient
allés complimenter Madame la Princesse qu'ils auroient trouvée
dans le lict, laquelle auroit reçu leur visite avec beaucoup de
civilité. »
Ce texte rétabli fait disparaître cette faute que M. Emma-
nuel Raymond y avait introduite : « S. A. R. le prince de
Conti. » Les rédacteurs du procès-verbal ne pouvaient ignorer
que le prince de Conti n'était pas Altesse Royale, mais Altesse
Sérénissime.
Page 171, lignes 22 et 23. « Nous croyons que les remords..,,
mirent quelque temps à faire leur œuvre. » Il paraît que c'est un
peu trop les faire tarder. La remarque est de M. Gazier dans la
Revue critique d'Idstoire et de littérature du 17 février 1890, p. i34
et i35. Il résulte de divers manuscrits cousidtés par lui que la
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 485
conversion du prince de Conti était opérée à la fin de décembre
i655, et qu'il était déjà un pénitent lorsqu'il revint à Paris en
mars i656. « Ces détails, dit-il, ont leur importance; car la
fameuse quittance donnée par Molière, le 34 février i656, aurait
ainsi un caractère tout particulier. Le gouverneur du Langaiedoc,
chassant les comédiens de sa province, était bien obligé de les
payer, et si, en cette occurrence, Conti contraignit les états à
faire les frais, on en voit bien la raison : il se serait reproché
d'employer ainsi une somme de six mille livres qu'il destinait à des
restitutions bien autrement importantes à ses yeux. Il est donc
infiniment probable que la disgrâce de Molière est du commen-
cement de i656 au plus tard. »
Page 178, ligne 20. « Dufor », lisez : « Dufort ».
Page i83, lignes 8 et 9. « Nous la croyons du mois de dé-
cembre. » Il est cependant dit dans le Bulletin archéologique de
Béziers (i883) que dans le discours du président de la société,
M. Ch. Laber, il fut établi, d'après des documents, selon lui
incontestables, que la première représentation du Dépit amoureux
fut donnée le dimanche ig novembre i656.
Page 188, ligne 28. « à Pézenas, en i656 », lisez : « à Pézenas,
en i655 ». La session, dite de i656, ouverte le 4 novembre i655,
dura jusqu'au 22 février i656.
Page 2o5, lignes n et i3. « La petite pièce (le Docteur amou-
reux) n'est pas venue jusqu'à nous. » Edouard Fournier, dans le
Roman de Molière (Paris, Dentu, i863), p. i37 et i38, croit, non
sans vraisemblance, en avoir trouvé quelques traces, mais bien
insuffisantes, dans une petite comédie-ballet, jouée, suivant sa
conjecture, vers i663, et intitulée : la Boutade des Comédiens. Y)es
personnages de diverses pièces du temps y paraissaient avec le
caractère que leur avaient donné les auteurs, Rotrou, Corneille,
Scarron, Desmarets, d'Ouville et quelques autres. A la neuvième
Entrée, le Docteur amoureux se présente, avec sa maîtresse, du
nom d'Hélène. Il n'est guère douteux que ce ne soient deux
figures de la farce de Molière, laissant entrevoir quelques traits
de leurs rôles, sans que les vers dans lesquels elles s'annoncent
puissent être attribués à notre auteur, dont la petite pièce était
certainement en prose.
Page 214, lignes 6 et 7. « Mlle Desjardins », lisez : « Mlle des
Jardins », afin que nous soyons d'accord avec la manière dont
nous avons écrit ce nom aux pages 186 et 187, et plus loin, aux
pages 326 et 327. 3111e des Jardins est plus connue peut-être sous
le nom de Mme de Villedieu, qu'elle prétendait illégitimement
avoir le droit de porter. Personne n'ignore ses aventures plus que
r
486 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
romanesques; mais elle n'a pas été seulement célèbre par les sin-
gulières audaces de sa vie galante; elle l'a été aussi par ses nom-
breux écrits, souvent très spirituels, romans, poésies, pièces de
théâtre. Dans son Historiette de Mlle des Jardins, Tallemant des
Réaux raconte ime visite que lui fit Molière, et l'indignation de la
dame, qui n'avait pas été d'abord reconnue. « Vous êtes un in-
grat, lui cria-t-elle. Quand vous jouiez à Narbonne, on n'allaita
votre théâtre que pour me voir. » Si l'anecdote est vraie, Mlle des
Jardins avait connu Molière en province; et l'on peut admettre
qu'elle y avait vu jouer les Précieuses ridicules, bien qu'elle dise
dans la préface de son Récit ne l'avoir écrit « que sur le rapport
d'autrui ».
Ibidem, ligne la. « iSSg », lisez : « iBSg ».
Page a56, lignes ig-aS. Nous craignons d'y avoir trop perdu
de vue que le Registre de La Grange, intitulé par lui Extrait des
recettes et des affaires du théâtre..., a été écrit pour son usage par-
ticulier et lui servait comme d'un mémorial. Certaines lacunes
s'expliqueraient par là. Son silence néanmoins sur le père et
la mère de Mlle Molière méritait, croyons-nous, qu'on le re-
marquât, ainsi que nous l'avons fait.
Page 171, ligne 35. « Mlle du Parc », lisez : « Mlle de Brie ».
Page 286, lignes ag-SS. « Inutilement les pièces jouées à
l'Hôtel de Bourgogne l'avaient-elles accusé, etc., l'honorable
pension qui vcngeoit Molière » Il y a là une inexactitude. La
liste des pensions de i663 est antérieure aux pièces jouées a
l'Hôtel de Bourgogne. La pension qui mérita le Remerciement au
Roi ne vengea Molière que du déchaînement des haines, provo-
quées par r Ecole des femmes.
Page ag5, ligne 7. « le 4 mars 1677 », lisez : « le 4 mars 1667 ».
Page 2gg, ligne 22. « Dans l'imitation les auteurs tragiques »,
lisez : « Dans l'imitation des auteurs tragiques ».
Page 827, ligne 11. n La Coquette ou le Favori, s Le Registre de
La Grange, p. 78, donne ce titre à la pièce nouvelle de Mlle des
Jardins; mais l'édition de i665 (Paris, Louis Billaine) simplement
celui-ci : « Le Favory, tragi-comédie par Mademoiselle des Jar-
dins. » Celui de la Coquette fut sans doute abandonné de bonne
heure; il n'était pas assez justifié par la coquetterie du person-
nage d'Elvire. Tallemant rapporte que Mlle des Jardins «querella
Molière de ce qu'il mettoit dans ses nfUches le Favori de Mademoi-
selle des Jardins, et qu'elle étoit bien Madame pour lui, qu'elle
s'appeloit Madame de Villedieu.... Molière lui répondit douce-
ment qu'il avoit annoncé sa pièce sous le nom de Mlle des Jar-
dins; que de l'annoncer sous le nom de Mme de Villedieu, cela
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 487
feroit du galimatias; qu'il la prioit de trouver bon qu'il l'appelât
Madame de Villedieu partout, hormis sur le théâtre et dans ses
affiches. » Il la persuada sans doute, puisque dans l'impression
de i665 le titre de la pièce est celui contre lequel elle avait ré-
clamé. Il fallait que, malgré la petite querelle, Molière fût en
bons termes avec elle lorsqu'il fît représenter le Favori à Ver-
sailles sous la protection de son prologue. La pièce d'ailleurs, par
ses vers agréablement tournés et par beaucoup de traits ingénieux,
n'était pas indigne de l'intérêt qu'il témoignait y porter.
Ibidem, lignes 19-21. « Une continuelle allusion à la disgrâce de
Fouquet et à la cause la plus délicate... », Usez: « à la dis-
grâce de Fouquet. On pouvait même en trouver une à la cause la
plus délicate » C'est seulement dans une tirade du favori Mon-
cade que l'auteur doit être soupçonué de s'être risqué sur ce
terrain brûlant.
Page 33i, note 2, « Menagiana (1674) »i Usez : Menagiana
(1694) ».
Page 366, ligne 6. « le 14 décembre «. lisez : a le i3 dé-
cembre » .
Page 388, ligne 10. « Du 3 au 4 novembre », lisez : « du 3 au
G novembre ».
Page 393, note 2, « au tome "VI », lisez : « au tome VII ».
Page 395, lignes 12 et i3. « Visite de Tartuffe chez Mademoi-
selle [au] Luxembourg. » Dans le Registre de La Grange (impres-
sion publiée en 1876), il y a : « Visite de Tartuffe chez Mad"° de
Luxembourg. » La correction que nous avions déjà adoptée dans
la Notice sur le Tartuffe, au tome IX, p. 338, nous avait, sans
hésitation, paru nécessaire; mais il a été constaté que le manu-
scrit original du Registre porte lisiblement : « chez Mad"° à Luxem-
bourg. » Mademoiselle, dans ses Mémoires (édition Chéruel, i858-
18.59, toi^ie IV, p. 74)1 Parlant du séjour du grand-duc de Toscane
à Paris en 1669 et des visites qu'il fit alors au Luxembourg (c'était au
mois d'août, comme l'atteste la Gazette du 10), dit : « Je fis jouer
la comédie de Tartuffe, qui étoit une pièce nouvelle. » C'était à
Toccasion des fiançailles de Mlle de Créqui et du comte de Jarnac.
Le grand-duc de Toscane était présent à la représentation. Marie
Claire de Créqui, qui épousa en 1669 Gui Henri Chabot, comte
de Jarnac, est dans l'édition IMichaud (i854) des Mémoires de
Mademoiselle de Montpensier, tome XXVIII, p. 4o4i ainsi dési-
gnée : « la seconde Créqui ». L'année précédente (1664), « je
mariai, dit Mademoiselle, l'aînée des Créqui au marquis de Lis-
bourg ». Marie Claire était donc la seconde, c'est-à-dire la cadette,
des Créqui, Elle devint dame d'honneur de Mademoiselle. Les
488 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR MOLIÈRE.
deux sœurs Créqui étaient filles d'Adam de Créqui et de Jeanne
Lambert de Lannoy. Ainsi l'a entendu M. Chcruel, bien que le
P. Anselme dise que Marie-Claire était leur fille unique.
Page 428, ligne 35, « le jour où l'on avait donné », Usez : a le
jour que l'on devait donner ».
TABLE ANALYTIQUE
ET ALPHABÉTIQUE
DE LA
NOTICE BIOGRAPHIQUE.
AcEy. Molière y joue vraisem-
blablement avec la troupe de
Charles du Fresne, dans la-
quelle il est entré au service
du duc d'Epernon, ii3. —
Le duc l'y appelle avec sa
troupe en février i65o, 120.
Albi. La troupe du duc d'Eper-
non y est appelée pour les
fêtes de l'entrée du comte
d'Aubijoux (27 juillet 1647)-
— Le comte de Breteuil, in-
tendant de la province, som-
me la ville de tenir sa pro-
messe d'une somme de six
cents livres à payer aux comé-
diens, ii3-ii5.
Amants magnifiques [les), comé-
die de Molière, représentée
au mois de février 1670,
dans les divertissements de
Saint-Germain. — Le roi en
avait choisi le sujet, 400. —
Molière a écrit les vers des
intermèdes, 401. — Dans le
troisième intermède il a imité
avec beaucoup de grâce le
Donec gratus eram d'Horace.
— Il n'a pas fait imprimer sa
pièce, quin'estcependant pas
à dédaigner, et ne l'a pas fait
jouer à la ville. — Elle a
quelque ressemblance avec
Don Sanclte d'Aragon, 4o2.
Amour médecin (/'), comédie de
Molière, entremêlée d'entrées
de ballet, 827 ; de tous les
impromptus commandés par
le Roi, elle fut le plus préci-
pité. — Lulli en a fait la mu-
sique, J28. — EUeélaitconnue
aussi sous ce titre : les Méde-
cins, 33o. — Molière y atta-
qua les médecins de la cour
490 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
avec une liberté aristophanes-
que. — Leurs noms. — Les
acteurs ne portaient point,
comme on l'a conté, des mas-
ques à leur ressemblance,
33 1. — La pièce fut jouée
trois fois à Versailles du i4
au 17 septembre, au Palais-
Royal, pour la première fois,
le 22 septembre, 332.
Amphitryon, comédie de Mo-
lière, imitée de YAmphitryon
de Plante, qui avait égale-
ment servi de modèle aux
Sosies de Rotrou, en i636.
— Elle fut d'abord jouée au
Palais-Royal le i3 et le i5
janvier 1668, puis aux Tui-
leries devant le Roi et sa cour,
le 16 janvier. — On a voulu
y voir une allusion de bas flat-
teur aux amours de Louis XIV
et de Mme de Montespan.
Justice a été faite de cette
charitable conjecture, 383.
— Hardiesses de la pièce, où
Molière fit entendre aux puis-
sants de bonnes vérités, 384-
Andromède, tragédie de Cor-
neille, représentée à Lyon,
en i653 vraisemblablement,
par la troupe de ]\Iolière. —
Distribution des rôles, notée
dans un exemplaire de cette
pièce, i35 et i36.
Akke d'Autriche. La Critique de
l'Ecole des femmes lui est dé-
diée, 291.
AuBiJOux (comte d'), lieutenant
général pour le roi en Lan-
guedoc. — Il estime beau-
coup Molière. — Pour les
fêtes de son entrée, le 27 juil-
let 1647, la troupe du duc
d'Epernon est mandée à Albi,
ii3. — Il fait, en i65i, l'ou-
verture des états à Carcas-
sonne. Il est vraisemblable
qu'alors il appela Molière
pendant la session, 128 et
129. — Gouverneur de Mont-
pellier, il y reçoit, à la fin
de i653, le prince de Conti,
qui s'arrêta une vingtaine de
jours en cette ville, se ren-
dant à Paris, pour son ma-
riage. Il lui donne de belles
fêtes, et se fait le complai-
sant de ses désordres, i55.
— Il meurt le 9 novembre
1 656, — Quelques jours avant
sa mort, Chapelle etBachau-
mont avaient été reçus très
civilement par lui dans sa
maison de Grouille, 180 et
181. — Sur cet ancien cham-
bellan de Gaston de France,
voyez aussi nos Additions et
corrections, /^83 et 4^4-
AuBRY (Léonard). Paveur des
bâtiments du Roi, il est
chargé du pavage devant le
théâtre qui va être ouvert
au jeu de paume des Mé-
tayers, 84. — Il se rend cau-
tion, en 1645, pourune dette
de Molière, 100. — En dé-
cembre 1646, le père de
Molière lui signe une pro-
messe de le payer, si son fils
ne peut le faire, 102 et io3.
AuBRY (Jean), fils de Léonard
Aubry, l'ami dévoué de Mo-
lière. Il ramène, trop tard
par malheur, un prêtre de
Saint-Eustache, pour donner
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
49»
les derniers sacrements à Mo-
lière mourant, 43i et 432. —
II avait épousé, en 1672,
Geneviève Béjart, veuve de
Léonard de Loménie, 4^1,
note 2.
AuTEUiL. Molière y loge en
1667, dans une maison ap-
partenant au sieur de Beau-
fort. — Chapelle y vient
aussi loger, 879. — Des amis
de Molière, notamment Boi-
leau et la Fontaine, l'y visi-
tent souvent. A Auteuil eut
lieu le fameux souper, que
Boileau racontait, 38o. —
Marie-Joseplî Chénier, dans
l'élégie de la Promenade, a
célébré Molière et les illus-
tres poètes de son temps, qui
ont laissé dans Auteuil un
grand souvenir ; il s'est per-
mis des anachronismes dont
il faut se défier, 38i et 382.
Avare (/'), représenté au Palais-
Royal le 9 septembre 1668.
Le préjugé contre les pièces
en prose fait rencontrer à
cette comédie quelque froi-
deur, 389. — La prose de
Vjévare est d'un incompara-
blemaître. — Boileau, dit-on,
jugeait cet ouvrage im des
meilleurs de son auteur. —
La comédie de Plante, qiii
avait servi de modèle à VA-
vare, y a été transformée
très heureusement en ime
peinture moderne. — On y
a reproché à Molière une
atteinte au respect du carac-
tère paternel, 392. — Ré-
flexions à ce sujet, 393.
Avignon. Molière et sa troupe
y font un séjour vers le mois
d'octobre i655, 164, i65 et
169. — Ils y reviennent à la
fin de 1657 ou au commen-
cement de i658. Molière s'y
rencontre et se lie avec Pierre
Mignard, 191.
B
Baron. Recueilli dans la mai-
son de Molière, et comme
adopté par lui, il excite la
jalousie de I\Ille Molière, qui
lemaltraite brutalement, 354.
— Infâmes calomnies par
lesquelles on a voulu désho-
norer l'amitié de Molière pour
le jeune comédien, ibidem,
note 4- — T)ans Mélicerie, re-
présentée à Saint-Germain en
décembre 1666, Baron fait le
personnage de Myrtil; mais,
jouant à contre-cœur à côté
de Mlle Molière, il sollicite
du Roi la permission de se
retirer avant la fin des fêtes
du Ballet des Muses, et rentre
dans la troujie de la Raisin,
374- — Il f'ii'' quelques sé-
jours près de Molière dans
la maison d'Auteuil, 879. —
En 1670, Molière le fait re-
venir de province. Avec de
grandes marques d'amitié et
de joie, il le reçoit dans sa
troupe, dont il n'avait pas
encore fait partie régulière-
ment, 4o4- — Grands soins
492 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
de Molière pour former son
jeune ami comme acteur, et
pour faire de lui un homme
de bien. — Baron, pour son
début, le 28 novembre 1670,
joue le rôle de Domitien,
dans Tlte et Bérénice, 4o5. —
Dans Psyché, il joua celui de
l'Amour. Un libelle l'a accusé
d'avoir alors fait la conquête
de Mlle Molière, puis d'avoir
bientôt rompu cette liaison.
Il faudrait d'autres témoi-
gnages pour croire qu'il ait
si lâchement trahi son bien-
faiteur, 41 !• — Il donne des
soins à Molière mourant, 43o.
— Il se rend à Saint-Ger-
main pour informer le Roi
de la mort de Molière, 44 1-
BÉJART (Joseph), sieur de Bel-
leville. — Son nom de sieur
de Belleville ressemblant fort
à un nom de comédien, on
a pensé qu'il avait joué dans
quelque troupe, 76. — Dans
des actes on lui a donné tan-
tôt le titre d'écuyer, tantôt la
qualification de procureur au
Châtelet, appartenant à sou
frère. Il était simplement
huissier audiencier à la grande
maîtrise des eaux et forêts,
^8. — Sa veuve renonça à sa
succession. Nous avons l'acte
qui le constate, en date du
10 mai 1643. Sa mort, dont
l'acte ne donne pas la date
précise, est probablement du
commencement de i643. —
11 laissait cinq enfants, Jo-
seph, Madeleine, Geneviève,
Louis, et une petite non en-
core baptisée. — Leur mère
les déclara tous mineurs,
quoique Madeleine et Joseph
ne le fussent plus, 254.
BiîjART (Joseph), fils de l'huis-
sier Béjart et de Marie Hervé,
entre dans la troupe de l'Il-
lustre théâtre, dès sa forma-
tion, 78. — Les états tenus
à Pézenas lui donnent, en
i656, quinze cents livres pour
son Recueil des titres des
barons des états généraux du
Languedoc, 173. — Les états
tenus à Béziers ne lui accor-
dent, en 1607, que cinq cents
livres, et l'avertissent qu'ils
ne prendront plus en consi-
dération aucun de ses livres
composés sans ordre, 182 et
i83. — Dans la représenta-
tion de l'Étourdi, au Louvre,
devant le Roi, le 10 mai 1669,
il se trouve malade, et achève
avec peine son rôle, 212. -^
Ilmeurt danslasecondequin-
zaine du même mois. A l'oc-
casion de cette mort, les re-
présentations sont interrom-
pues du 19 mai au 2 juin,
2l3.
BÉJART (Madeleine), fille de
l'huissier Béjart et de 3Iarie
Hervé. — Tallemaut des
Réaux a dit faussement que
Molière l'avait épousée, 62.
— On a fait remonter ses
premières relations avec Mo-
lière au voyage de Narbonne,
en 1642 ; c'est une simple
conjecture, 65 et 66. — H
n'estpas douteux que Molière
n'ait été amoureux d'elle, 66.
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
493
— Fille de l'huissier Béjart,
qui lui-même avait peut-être
jouélacomédie, elleavaitpro-
bablement été comédienne
avant 1643, 76. — Diverses
conjectures sur le temps où
elle avait commencé à pa-
raître sur quelque théâtre.
— Son quatrain en l'honneur
de Rotrou, imprimé en i636
dans la première édition de
V Hercule mourant, 77. — Sa
beauté ; quelles en étaient,
a-t-on dit, les imperfections,
80. — Les comédiens de l'Il-
lustre théâtre lui accordent
la prérogative de choisir ce-
lui d'entre les rôles qui lui
plairait, 87. — Son talent de
tragédienne, surtout dans la
Mort de Sénèque, tragédie de
Tristan, représentée en i644i
où elle jouait avec grand suc-
cès le rôle d'Epicharis, 88.
— En i638, elle avait donné
naissance à une fille adulté-
rine de son amant le baron
de Modène, 90 et 92. — Ce-
lui-ci eut souvent recours à
ses libéralités, 96. — Allusion
à Madeleine Béjart, dans Jo-
saphat, tragédie de 3Iagnon,
représentée, sans doute, en
1646. — Elle est protégée
par le duc d'Epernon, 104-
106. — Elle achète, pro-
bablement par complaisance,
la grange de la Souquette,
que M. de Modène avait
donnée, sous prétexte de
Tente, à la famille de MUeVau-
selle, sa nouvelle maîtresse,
189. — Ses infidélités parais-
sent ne lui avoir jamais inspiré
de jalousie. — Même après
son mariage avec Madeleine
de l'Hermite, elle continua
d'agir avec lui en amie, i4o.
— Etroite amitié entre Pierre
Mignard et elle jusqu'à la fin
de sa vie, 198. — En i658,
elle s'occupe, à Rouen, avec
son activité ordinaire, de
l'installation projetée de la
troupe à Paris. — Le 12 juil-
let, elle signe avec le comte
Louis de Talhouet un acte
par lequel celui-ci lui cède
sa location du jeu de paume
des Marais. — Le bail est
résilié ou laissé de côté, Mo-
lière ayant par ses démar-
clies obtenu un meilleur éta-
blissement, 199 et 200. — Le
domicile de Madeleine Bé-
jart, à Rouen, était au jeu
de paume des Braques ; elle
l'élit à Paris, dans la maison
de « M. Poquelin, tapissier,
valet de chambre du Roi,
demeurant sous les halles » ;
c'est un fait curieux, 300. —
Brillante surtout dans les
rôles d'héroïnes, elle est
chargée de celui d'Elvire dans
Dom Garde de Navarre, ^Z-j.
— Lorsque les Fdclieux sont
joués dans les jardins deVaux,
elle représente la Naïade qui
sort d'une coquille pour ré-
citer le prologue. Une comé-
die satirique la nomme « un
vieux poissou », 248. — Les
contemporains l'ont crue
mère, et non sœur, d'Ar-
mande Béjart, a55 et 266. —
49'* TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
On l'a soupçonnée d'avoir
donné à Armande la riche
dot que celle-ci eut en ma-
riage. Dans son testament
elle fut très généreuse pour
elle. — Quelques réflexions
sur son caractère, 258 et aSg.
— Motifs, qu'on peut lui at-
tribuer, de n'avoir pas re-
connu Armande pour sa fille,
260 et 261. — Ses efforts
passionnés, si l'on en croit
Grimarest, pour empêcher
le mariage de Molière, 267.
— On prétend, au contraire,
dans la Fameuse Comédienne,
que, dans sa lutte jalouse
contre la de Brie, qui s'ef-
forçait d'enchaîner la liberté
de Molière, elle avait favo-
risé l'inclination de Molière
pour la jeune fille élevée par
lui, 268. — Le 17 février
1672, mort de Madeleine
Béjart. — ■ Dans son testa-
ment très pieux, elle prescrit
que son corps soit inhumé
dans l'église Saint-Paul. —
S'étant certainement mise en
règle par sa renonciation au
théâtre, cette sépulture ne
lui est pas refusée, 4i8.
BÉJART (Geneviève), fille de
l'huissier Béjart et de Marie
Hervé. Elle entre, en i643,
dans la troupe de l'Illustre
théâtre à sa formation, en
même temps que Joseph et
Madeleine, 78. — Elle épouse,
en 1664, Léonard de Lomé-
nie. — Modicité de sa dot,
258. — Elle n'a signé ni le
contrat ni l'acte du mariage
d'Armande. — On a cru pos-
sible qu'elle, et non Made-
leine, ait été la maîtresse de
3Iolière, ce qui est sans au-
cune vraisemblance, 269. —
Actrice dans la troupe de
Molière, sous le nom de
Mlle Hervé, elle est la plus
effacée de ses camarades, et
paraît avoir été sans esprit,
260. — Veuve de Léonard
de Loménie, elle épouse, en
1672, Jean Aubry, 43i, à la
note.
BÉJART (Louis), le plus jeune
des fils de l'huissier Béjart
et de Marie Hervé. — Boi-
teux, depuis une blessure,
comme il jouait dans VAi.-are
le rôle de la Flèche, Harpa-
gon l'appelle « ce chien de
boiteux-là ». — A Pâques
1670, il se retire de la troupe
de Molière, à l'âge de qua-
rante ans. La troupe lui vote
une pension de mille livres,
la première qui ait été don-
née dans la maison de Mo-
lière, 4o5.
BÉJART (Armande), crue par
quelques-uns fille de l'huis-
sier Béjart et de Marie Hervé;
par d'autres, fille de Made-
leine Béjart. — Elle n'est pas
nommée dans la Préface de
1682. — Le Registre de La
Grange se tait sur ses pa-
rents. — Il a cette petite
note sur son mariage : « M. de
Molière épousa Armande-
Claire-Elisabeth Béjart , le
mardi-gras de 1662 », date
un peu inexacte, le mariage
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
49^
ayant été célébré à Saint-
Germain l'Auxerrois le lundi
20 fé-vTier, 260. — La date de
sanaissance n'est qu'approxi-
mativement connue. Son con-
trat de mariage la dit « âgée
de vingt ans ou environ ».
— Molière avait certainement
pris soin de son éducation,
35 1. — Dans r École des ma-
ris et dans V Ecole des femmes,
allusions, qui ne semblent
pas douteuses, à la jeune fille
élevée par Molière, qu'il choi-
sit pour femme. — La pe-
tite 3Ienoii de la lettre de
Chapelle ne doit pas être
autre qu'ArmandeBéjart, 262
et 253. — Dans la Fameuse
Comédienne, source d'infor-
mations toujours suspecte,
on donne quelques détails
surses premières années, 253.
— Elle ne peut être que « la
petite non baptisée », dont
il est parlé dans la Renon-
ciation à la succession de
l'huissier Béjart, où elle est
comptée au nombre des en-
fants du défunt. — Dans les
actes postérieirrs, on s'en est
rapporté à cet acte premier
en date, dont quelques dé-
clarations, d'importance, il
est vrai, secondaire, ne sont
pas vraies, 254. — Témoi-
gnages contemiîorains, entre
autres celui de Boileau, en
désaccord avec cet acte sur
la maternité de Marie Hervé,
255. — Dans le contrat de
mariage d'Armande, Marie
Hervé donne aux futurs époux
dix mille livres tournois. —
Madeleine Béjart est éton-
namment généreuse pour sa
sœur dans son testament,
258. — La supposition que
M. de Modène était le père
d'Armande n'est pas tiop
invraisemblable, 261 et 262.
— Entrée d'Armande dans la
troupe du Palais-Royal. —
Le Registre de La Grange la
nomme pour la première fois,
comme en faisant partie, au
mois de juin 1662. — Elle ne
joua pas dans V Ecole des fem-
mes, 271. — Son rôle de dé-
but fut celui d'Élise, dans la
Critique de V Ecole des femmes,
2'j'i. — Les calomnies de la
Fameuse Comédienne écartées,
sa coquetterie n'est pas dou-
teuse, 3oi et 3o2, 307 et 3o8,
et 339. — Elle crée, dans le
Misanthrope, le rôle de Céli-
mène, auquel elle paraît avoir
servi de modèle dans ses
traits principaux, 336 et 337.
— Molière lui fait entendre
par la bouche d Alceste la
menace d'une rupture, si elle
ne se corrige pas, 337. —
Sans admettre les plus gra-
ves accusations portées con-
tre elle, Grimarestlui recon-
naît des torts, 33g. — Les
témoignages les plus mal-
veillants, en lui refusant la
beauté, avouent qu'elle était
séduisante, 345 et 346. —
Les contemporainslouentson
talent d'actrice, 346 et 847.
— Grand effet qu'elle pro-
duisait avec La Grange, dans
496 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
la leçon de chant du Malade
imaginaire, 347 ^^ 348. —
Sou portrait fait par Molière
lui-même dans le Bourgeois
gentilhomme, sous le nom de
la Lucile de cette comédie,
348-35o. — Torts réci-
proques dont on a parlé.
Rien d'assez grave du côté
de Molière pour excuser Ar-
mande. Entre elle et lui il y
eut incompatibilité d'hu-
meurs. Les défauts de Mo-
lière étaient faciles à suppor-
ter, 35i et 352. — Elle met
le trouble dans le ménage
par la brutalité avec laquelle
elle traite le jeune Baron à
la fin de 1666, 354. — Quand
Molière se fut retiré à Au-
teuil, on croit qu'elle n'y
venait qu'en visite, 38o. —
Dans George Dandin, Molière
lui fît jouer le rôle d'Angé-
lique. Nulle raison de pen-
ser que ce pût être dans un
moment de grande irritation
contre elle, 388. — Elle créa
le rôle de Psyché, dans le-
quel elle fut charmante. —
Ses calomniateurs ont conté
qu'elle s'était alors laissé sé-
duire par Baron, chargé du
personnage de l'Amour, 41 1-
— Il est moins difficile de
croire à une passion tardive
et assez innocente du grand
Corneille pour la Psyché
qu'il avait trouvée si tou-
chante. Robinet dit qu'il avait
composé, en 1672, sa Pul-
chérie « par l'effet d'une es-
time extrême » pour Mlle Mo-
lière, 412 et 4i3. — Avant
la dernière représentation du
Malade imaginaire, elle est ap-
pelée par Molière pour l'en-
tendre exhaler ses plaintes
sur les souffrances de son
âme et de son corps, 4^8 et
429. — Elle présente une re-
quête à l'archevêque de Paris
pour obtenir la sépulture de
Molière en terre chrétienne,
43i, 432, 433, 435 et 436.
— Elle se jette aux pieds du
Roi, le suppliant que cette
grâce ne soit pas refusée,
439. — Elle est renvoyée par
le Roi à l'autorité épiscopale,
440. — Pour chauffer les
pauvres du quartier dans un
hiver très froid, elle fit, dit-
on, brûler sur la pierre tom-
bale de Molière cent voies
de bois, dont le feu la brisa,
442- — Elle avait fait à la
foule du peuple, le jour des
funérailles, une distribution
d'argent, racontée différem-
ment par Grimarest et par
l'auteur de la lettre à l'abbé
Boyvin, 444- — Molière avait
laissé à sa veuve une bril-
lante fortune. Elle ne dédai-
gna cependant pas de tirer
un grand profit du Festin de
Pierre, en autorisant Thomas
Corneille à le versifier, 4^3
et 454- — Son mariage avec
le comédien Guérin d'Estri-
ché, le 3i mai 1677. — A^ant
ce mariage elle avait été en
butte, en 1675, aux insultes
du président Lescot, et, en
1675, à celles d'un factum du
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
497
sieurGuichard. intendant des
bâtiments de Monsieur, 454
et 455. — Elle paraît s'être
bien conduite dans son se-
cond ménage, soit qu'elle eût
trouvé un maître cette fois,
soit que Guérin eût été de
son goût plus que Molière,
455 et 456. — Elle se retire
du théâtre en 1694, et meurt
le 3o noA'^mbre 1700, lais-
sant deux enfants, un fils de
Guérin et une fille de Mo-
lière, 456. — Elle avait par-
tagé avec Guérin la tutelle
de safîlle. — On a dit qu'elle
ne l'aimait pas, et voulut la
contraindre à se faire reli-
gieuse ; ce qui n'est point
prouvé, 4^7 et 458.
Bensserade. — Il fut longtemps
chargé d'écrire les vers des
livres de ballets. On y goû-
tait fort les fines allusions de
ses allégories. — ^Molière,
dans les amants magnifiques,
composa les vers des in-
termèdes, dans lesquels il
imita la manière de Bensse-
rade, peut-être avec des in-
tentions de parodie. — Bens-
serade répondit à cette ma-
lice par une raillerie plai-
sante de deux des vers d(
Molière, 40 r.
Berkier (François). — Secré-
taire de Gassendi, au temps
des leçons données à Cha-
pelle, dont on l'a cru cama-
rade au collège de Clermont,
43 et 44- — Il resta le disci-
ple le plus attaché à la doc-
trine du maître, 44- — H
Molière, x.
écrivit V Abrégé de la phlloso'
phie de Gassendi, publiée en
1678. — Saint-Evremond cite
de lui des paroles qui donne-
raient une fâcheuse idée de
sa morale. — Une lettre
qu'il écrivit de Chiraz, ea
Perse, à Chapelle, en 1668,
le ferait juger autrement, et
comme un plus vrai gassen-
diste, comme un philosophe
spiritualiste, 45 et 46. — Mo-
lière, qui le revoit à Auteuil,
après une longue absence,
lorsqu'il revenait desEtats du
Grand 3Iogol, déclare qu'il
est son ami, 47-
Béziers. Molière et sa troupe y
viennent pendant la session
des états de 1657. — Le Dé-
pit amoureux j est joué, pour
la première fois, vers la fin
de i656, 181-183. — Voyez
aussi les Additions et correc-
tions, 485.
Boileau-Despréaux. — Ses stan-
ces sur C Ecole des femmes sonl
envoyées, comme étrennes.
à Molière, le i"' janvier 1 663,
premiertémoignage, quinous
soit connu, d'une amitié de-
meurée si fidèle, 273. — Il
était un des amis qui visi-
taient souvent Molière à Au-
teuil, et fut un des convives
du fameux souper, 38o. — Au
Roi, qui s'en étonne un peu,
il nomme Molière comme
celui des grands écrivains qui
avait fait le plus d'honneur à
son règne, 38i. — Il n'est
pas vraisemblable, quoi qu'eu
dise le Bolœana, qu'il ait mé-
33
498 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
diocrement goûté l'Amphi-
tryon de Molière, 385. — Il
jugeait, dit le Bolœana, PA-
vare comme « une des meil-
leures pièces de l'auteur »,
392. — Trop sévère pour les
Fourberies de Scapin., il ne
comprenait pas tout dans le
génie libre de Molière. — On
a rapporté de lui un entre-
tien dans lequel il voulut en
vain lui persuader de ne plus
être comédien, jugeant un
homme tel que lui diminué
par sa profession, 4i3 et 4i4-
— Quoiqu'il lui reprochât
certaines scènes bouffonnes,
il avait de l'estime pour quel-
ques-unes de ses petites piè-
ces, 4i5 et 416.
BoissAT (Pierre de), de l'Acadé-
mie française. Il se trouve
à Vienne avec Molière, qu'il
traite avec honneur. — Il est
spectateur assidu de toutes
les pièces qu'il joue. — A
l'occasion d'une de ces repré-
sentations, il a une querelle
avec Vachier de Robillas,
124 et 125.
BossuET. Mal informé probable-
ment des derniers moments
de Molière, il parle de lui et
de sa mort avec une exces-
sive sévérité dans ses Maxi-
mes et Réflexions sur la comé-
die, 432. — Il trouve dans
les Rituels et dans l'usage
constant la preuve que la sé-
pulture chrétienne est dé-
niée aux comédiens, 437-
BouRDALouE. Daus le sermon
sur l''Impureté, il signale, par
une claire allusion, la comé-
die de George Dandin comme
un de ces spectacles « où
l'impudence lève le masque»,
387.
Bourgeois gentilhomme {le), comé-
die-ballet, dans laquelle s'é-
gayèrent Molière et Lulli,
celui-ci auteur de la musique.
— Représentée le 14 octobre
1670, à Chambord, elle j est
redemandée trois fois. —
Conte de Grimarest sur le
mauvais succès qu'elle aurait
eu d'abord. — Molière y
avait, par ordre, introduit
une mascarade de Turcs, pour
amuser Louis XIV, mécon-
tent de l'attitude dédaigneuse
d'un envoyé de la Porte. —
Molière reçut à Auteuil quel-
ques indications du truche-
man Laurent d'Arvieux, 4o6
et 407- — Sans vraisemblance
on a accusé Molière d'avoir,
dans la réception du Mama-
mouchi, parodié les cérémo-
nies de la consécration des
évêques, — Avec quel art il
a trouvé dans une bouffon-
nerie le sujet d'une excellente
comédie, 4o8. — Le Bour-
geois gentilhomme fut joue au
Palais-Royal, pour la pre-
mière fois, le 23 novembre
1670, 409.
BouRSAULT (Edme). Il fait jouer,
à l'Hôtel de Bourgogne, le
Portrait du peintre ou la con-
tre-critique de r École des fem-
mes, comédie en vers, où,
pour railler Molière, il ne
suit que s'en approprier les
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
499
plaisanteries, « retourner ses
pièces comme un habit », dit
Molière lui-même. — Il s'é-
tait reconnu dans Lysidas,
dont il fit Lizidor dans sa
pièce, 280. — Elle fut re-
présentée, pour la première
fois, le 19 octobre i663.
Avant cette date, Molière la
connaissait très bien, avec
l'indignité de ses attaques,
282. Boursault avait mérité
les représailles de r Impromptu
de Versailles, où il fut nommé,
285.
Brie (Mlle de). Sous le nom de
théâtre de Catherine du Rosé
(son vrai nom était Cathe-
rine Leclerc), elle est mar-
raine, à Narbonne, dans un
baptême du 10 janvier i65o,
où Molière est parrain, 120.
— Elle passe, en i653, d'une
autre troupe (peut-être de
celle de Mitallat) dans la
troupe de Molière, avec son
mari, Edme Villequin de
Brie, iSa. — Elle est char-
gée de trois rôles dans An-
dromède, jouée à Lyon parla
troupe de 3Iolière, i36. —
On dit qu'elle fut aimée de
Molière, ce que Brosselte
confirme par le témoignage
de Boileau, i4i. — Examen
des bruits qui ont couru sur
la liaison de Molière avec
cette comédienne, i4i-i45-
— A en croire le libelle de
la Fameuse Comédienne, elle
aurait tâché de faire obsta-
cle au mariage de Molière,
268. — Ce fut elle (non
Mlle du Parc, comme un
lapsus nous l'a fait dire) qui
joua le rôle d'Agnès dans VE'
cote des femmes, 271.
Caltimont (Mme de). Maîtresse
du prince de Conti, elle est
appelée par lui dans son châ-
teau de la Grange, i5i. —
Lorsque la troupe de Mo-
lière y est mandée. Cormier,
chef de la troupe rivale, ga-
gne Mme de Calvimont par
des présents, i52. — Beauté
et sottise de cette dame, i53.
— De Montpellier, le prince
de Conti lui fait signifier son
congé, et l'indemnise chiche-
ment, i56.
Carcassonke. Molière y est ap-
pelé pour la session des états
ouverte le 3i juillet i65i. Il
s'y trouve avec Dassoucy,
126-129.
Chalussay (le Boulanger de).
Citations de son Elomire hy-
pocondre, 8, g, 19, 76, 76,
85, 98, 207-209, aSi, 264.
Chapelle, fils naturel de Fran-
çois Luillier. — Il était né en
1626. — Son père le confie
à Gassendi, en 1641, 34. —
Témoignages certains sur l'en-
seignement qu'il reçut de ce
maître, Sg. — Enfant gâté et
mal élevé par son père. —
A vingt ans, son inconduite
le fait enfermer à Saint-La-
5oo TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
zare. — Son irréligion. — Il
a été jugé par ses contempo-
rains un des hommes les plus
spirituels de son temps, ^o.
— Il n'avait pas entendu sans
fruit les leçons de Gassendi,
dont il marqua toujours qu'il
se souvenait, 4i"43. — Let-
tre intéressante qu'il écrit à
Molière au printemps de 1669,
146-149. — Dans son voyage,
en i656, avec Bachaumont,
il ne rencontra pas Molière,
ayant alors passé par les mê-
mes lieux que lui, mais sans
doute à quelques jours de
distance, 180 et 181. — On
a dit que 3Iolière avait eu re-
cours à lui pour la scène de
Caritidès dans ses Fâcheux ;
Molière ne fît aucun usage
de la scène très froide qu'il
lui avait présentée, 247. —
On trouve dans la Fameuse
Comédienne les conûdences
faites par Molière à Cha-
pelle de ses chagrins domes-
tiques et les rudes conseils
de celui-ci : scène remar-
quablement racontée, mais ou
de pure invention, ou tout
au moins fort arrangée, 841 •
— Citation des paroles prê-
tées à Molière dans cet entre-
tien, 342. — Chapelle était
présent auxjoyeuses réunions
de Racine, Boileau et la Fon-
taine, rue du Colombier et
dans les célèbres cabarets. —
Il a raconté, dans une lettre
au marquis de Jonzac, une
de ces frairies de la Croix de
Lorraine, où se trouvait Mo-
lière, 363 et 364. — Dans la
Psyché de la Fontaine, il de-
vint Gélaste, quand sous ce
nom eut cessé de pouvoir fi-
gurer Molière, brouillé avec
Racine, 364- — Chapelle se
fait locataire avec Molière de
la maison du sieur de Beau-
fort à Auteuil, 879.
Charpentier (Marc- Antoine).
En 1672, il fait pour le Ma-
riage forcé une nouvelle mu-
sique qui remplace celle de
Lulli, 417- — Molière lui
confie la musique du Malade
imaginaire, 428.
Chigi (Flavio, cardinal). En-
voyé, comme légat a latere,
par le pape Alexandre VII,
son oncle, pour apporter au
Roi les satisfactions exigées,
il assiste à Fontainebleau, le
3o juillet i644i au ballet de
la Princesse d'Élide. Molière
lui fait une lecture de Tar-
tuffe, 3i5 et 3 16. — Dans les
Observations du sieur de Ro-
chemont, le légat n'échappe
pas à une verte semonce,
323.
Chorier (Nicolas). Dans ses ^^-
versaria, il dit s'être lié avec
Molière à Lyon et à Vienne.
— Il fait dans sa Vie de Pierre
de Baissât le récit de la ren-
contre de cet académicien à
Vienne avec Molière, des
somptueux repas qu'il lui
donnait, et de la querelle
qu'il eut à l'occasion d'une
des comédies que Molière
avait faites, 124 et i25.
Cocu imaginaire (/e). Il est joué
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5oi
pour la première fois, le
28 mai 1660, au Pelit-Bour-
bon. — Songraud succès. —
Observations sur celte comé-
die, 226-a3o. — Le Roi la
goûta tellement qu'il la vit
neuf fois, aSs. — La Neuf-
villaine en publie la première
édition, 233. — Étonnante
histoire de cette édition non
autorisée par Molière, 234 et
235.
Collège de Clermoni. Molière y
est admis vers l'âge de seize
ans, i5. — Grande renommée
de cette maison, 21. — Ses
méthodes d'enseignement, 2 2.
— Régents dont Molière suit
les classes. — Pièces de théâ-
tre jouées dans ce collège.
— Après une visite du Roi,
en 16741 il devint le collège
Louis-le-Grand , 23. — Entre
autres comédies, celles de
Plaute et de Térencey étaient
représentées, étudiées aussi
pour leur latinité, 25.
Comédiens. Considération dont
Chappuzeau a prétendu qu'ils
jouissaient. — Déclarations
royales en leur faveur, 70.
— Le monde cependant, tout
en leur faisant fête, ne les
reconnaissait point pour être
des siens. — Le monde bour-
geois tenait la barrière moins
abaissée que celui des grands
seigneurs, 71. — Sévérité des
Rituels de ce temps contre
les comédiens, 436 et 437- —
Beaucoup d'exemples pour-
tant de tolérance, qu'il s'agît
de baptême, ou même de
confession et de commu-
nion, 437 et 438. — Déclara-
tion royale décidant à quelles
conditions leur art ne sera
pas imputé à blâme, 438 et
439.
Comtesse d^Escarl'agnas [la], ']ouée
à Saint-Germain, dans les di-
vertissements qui fêtèrent le
récent mariage de la Prin-
cesse Palatine, seconde Ma-
dame. — Elle fut compo-
sée pour servir de cadre au
Ballet des ballets, et de pré-
texte à une nouvelle Pasto-
rale de Molière , ouvrage
perdu. — Elle ne fut pas
imprimée du vivant de l'au-
teur, bien qu'il y ait dans
cette courte esquisse de très
bonnes peintures de carac-
tères.— Avant Le Sage, Mo-
lière y a dessiné une brutale
figure de financier, 416.
CoxDÉ (le grand). En mars
1660 les Précieuses ridicules
sont jouées pour lui, chez
Mme Sanguin, 222. — Dom
Garde de Navarre est joué
pour lui à Chantilly, en i663,
239. — Il fait représenter
rimpromptu de Fersailles aux
fêtes du mariage de son fils,
éclatante revanche de la re-
présentation de l'Impromptu
de riiotel de Condé, qu'avait
sans doute voulue ce fils,
296. — Par ordre du grand
Condé, les cinq actes du
Tartuffe, pour la première
fois entier, sont joués, le
29 novembre 1664, auRaincy,
chez la Princesse Palatine,
5o2 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
de nouveau, le 8 novembre
i665, au même Raiucy, 3i8,
— Vive et spirituelle réponse
de Condé à Louis XIV, pour
défendre le Tartuffe contre
ceux qu'il scandalisait, 3ao.
— En 1668, il fait jouer deux
fois le Tartuffe chez lui, d'a-
bord à Paris, le 4 mars, puis
à Chantilly, le 20 septembre.
— A Paris surtout, dans le
diocèse de M. de Harlay,
c'était ne pas tenir compte
de son ordonnance épisco-
pale, 385 et 386.
CoMTi (Armand de Bourbon,
prince de). 11 étudie, au col-
lège de Clermont, dans le
temps où Molière en suivait
encore les classes, 26 et 27.
— Ses dix années d'études
dans ce collège. Il y soutient
des thèses de philosophie,
puis de théologie, 28. — Ses
maîtres le traitent avec des
respects qui le distinguent
de ses camarades, 28-3o. —
Il revoit Molière à la Grange-
des-Prés, où il s'était retiré
après ses grandes aventures
de la Fronde, et où il avait
établi Mme de Cahimont,
i5i. — A l'instigation de
cette maîtresse, il veut rete-
nir la troupe de Cormier et
ne pas recevoir celle de Mo-
lière. — On le décide à tenir
la promesse qu'il avait faite
à celui-ci, 162. — Il lui fait
donner pension. — Il ne pa-
raît pas avoir témoigné qu'il
se souvînt d'avoir été élève
du collège de Clermont dans
le même temps que Molière,
i54. — Vers la mi-novem-
bre i663, il quitte Pézenas
pour aller épouser, à Paris,
Anne 3Iartinozzi, 164. — Il
s'arrête à Montpellier, où il
choisit Mlle Rochette pour
succéder à Mme de Calvi-
mont. Il se livre, dans cette
ville, à toute sorte de débau-
ches, i55. — Il charge Cos-
nac de signifier son congé à
Mme de Calvimont qu'il con-
sole par une très médiocre
somme d'argent. — Il arrive
à Paris en février i654 et se
marie le 21 du même mois,
i56. — Il ouvre, à Montpel-
lier, la session des états, qui
fut tenue du 7 décembre i654
au 14 mars i655. — La prin-
cesse de Conti vient l'y re-
joindre. Sa présence est l'oc-
casion de belles fêtes, iSy.
— Le Ballet des Incompati-
bles est de ce temps-là, i58.
— Après la mort de Sarrasin
(décembre i654), proposition
faite par le prince à Molière
de devenir son secrétaire,
Guillerague, d'abord choisi,
n'ayant accepté qu'un secré-
tariat honoraire, 169 et 160.
— Il donne Tordre àlatroupe
de Molière de venir à Péze-
nas pour la session des états
ouverte en i655. — Il loge
la comédie chez lui, à l'hôtel
d'Alfonce, 169. — Pendant
cette session, Nicolas Pavil-
lon, évêque d'Aleth, visite
le prince malade, et l'exhorte
au repentir, 170. — De pas-
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5o3
sage à Lyon, en 1657, lors-
qu'il était décidément péni-
tent, il signifie à ses comé-
diens quils ont cessé de lui
appartenir, 188. — Le res-
sentiment de cette blessure
peut expliquer en partie la
guerre faite par Molière à la
dévotion dans le Tartuffe,
188 et 189. — Dans le Traité
de la comédie, Conti déclare
scandaleuse au plus haut de-
gré la scène v de l'acte II de
lÉcole des femmes, 274. —
Dans la même Traité, il dit
ne voir nulle part d'école
d'athéisme plus ouverte que
le Festin de Pierre, 324-
CownEK. Il vient à Pézenas avec
sa troupe, en i653. — Le
prince de Conti veut retenir
cette troupe, de préférence
à celle de 3Iolière, mais finit
par se décider à retenir celle-
ci à l'exclusion des acteurs
de Cormier, i52. — Il paraît
que ce Cormier était bien
le même que l'opérateur de
ce nom, longtemps connu sur
le Pont-Neuf, i54'
CoRSEiLLE (Pierre). Sa tragédie
à^ Andromède est jouée à Lyon,
vraisemblablement en i653,
par la troupe de Molière,
i35. — Il eu avait confié la
musique à Dassoucy, dont il
a loué les vers. — Dans le
même temps, un de ses son-
nets louait VOvide en belle
humeur, 168 et 169. — Quand
la troupe de Molière vint à
Rouen, en i658, Corneille,
âgé de cinquante-deux ans,
est touché par les charmes
de la du Parc, et la trouve
insensible à son amour. —
Vers qu'il lui adressa, 197 et
198. — Les ennemis de Mo-
lière, voulant le rabaisser,
exaltèrent Corneille, 291 et
292. — Le grand poète était
déjà, en i663, inquiet du
déclin de sa renommée, 292.
— Il déplorait le goût du
public pour la comédie. —
Elle lui paraissait un genre
inférieur à la tragédie. Mo-
lière soutint l'opinion con-
traire, 293. — Molière pa-
raît s'être imaginé que Cor-
neille avait collaboré au Por-
trait du Peintre. S'il a vrai-
ment commis cette erreur,
elle était étrange, 294. — La
mésintelligence fut de courte
durée, 293. — Après que
IHôtel de Bourgogne eut
joué les tragédies de Racine,
Corneille fit représenter au
Palais-Royal plusieurs des
siennes dans leur nouveauté,
Agésilas en 1666, Attila en
1667, Tite et Bénériceen 1670,
372 et 373. — Il a travaillé
avec Molière à la tragédie-
comédie de Psyché, où il a
été plein de grâce facile. —
Les deux génies si différents
s'y sont merveilleusement
accordés, 4io. — Des bruits
coururent sur de tendres sen-
timents de Corneille sexagé-
naire pour Mlle Molière, qui
l'avait charmé dans le rôle
de Psyché. Robinet prétend
qu'il avait écrit pour elle
5o4 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
Pulcitérie, jouée au Marais,
en 16-2, 412.
Corneille (Thomas). Lettre
qu'il écrit le 19 mai i658 à
l'abbé de Pure. Il lui parle
d'une partie de la troupe de
Molière arrivée à Rouen, et
du désir de 31adeleine Béjart
d'établir cette troupe à Paris,
igS et 196. — En même
temps que Pierre Corneille,
il est amoureux de la du
Parc, 197 et 198. — Dans
une lettre écrite, en lôSg,
au même abbé de Pure, il
parle avec dédain des Pré-
cieuses ridicules, dont le suc-
cès fait connaître, selon lui,
que les comédiens du Petit-
Bourbon ne sont propres
qu'à soutenir de semblables
bagatelles, 219 et 220. —
Molière lui décoche un trait
satirique dans l^Ecole des
femmes, 294. — La veuve de
Molière l'autorise à mettre
en vers le Festin de Pierre,
453. — La comédie de Mo-
lière, versifiée, futjouée,pour
la première fois, le 12 février
1677, 454.
Cos>'AC (Daniel de). Il mande à
la troupe de Molière de ve-
nir au château de la Grange,
sur l'ordre du prince de
Conti. — Le prince voulant
manquer à sa parole, Cosnac
obtient avec peine que la
troupe joue sur le théâtre
de la Grange, x5î. — Il est
chargé par le prince de
Conti de le débarrasser de
Mme de Calvimont, en lui
faisant présent de six cents
pistoles, qu'il prend sur lui
de porter à mille, i36.
CouRTiN DE LA Dehors (Marie).
Voyez Vauselle (Mlle de).
Cressé (Louis), grand-père ma-
ternel de Molière. Il aimait,
dit-on, le théâtre et condui-
sait son petit-fils à l'Hôtel de
Bourgogne, 16.
Cressé (Marie), mariée à Jean
Poquelin, père de Molière,
2. — On sait peu de chose
sur elle, sur son caractère,
10. — Elle meurt au mois de
mai 1682. II.
Critique de P Ecole des femmes [la],
représentée pour la première
fois auPalais-Roval, le l'^juin
i663. — C'est un modèle
charmant de polémique, 276.
— Elle donne lieu à de vives
hostilités de l'Hôtel de Bour-
gogne, 277-281.
Croisy (du). Il entre avec sa
femme dans la troupe de
3Iolière, à Pâques 1609, 210.
Cyrano de Bergerac. Il est un
des auditeurs des leçons de
Gassendi. — Il semble un
intrus dans la maison de
Luillier, 47- — Né en 1619,
il étudie d'abord chez un
curé de campagne, puis est
envoyé à Paris par son père,
et devient un des écoliers du
collège de Beauvais-Dormans.
— Entré dans une compa-
gnie des gardes, il s'y rend
fameux par ses duels. — Il
est blessé au siège de Mou-
zon eu 1639, à celui d'Arras
en 1640, et quitte le métier
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5o5
des armes pour les lettres et
les sciences, 48- — C'est jus-
tement le temps où il put as-
sister aux leçons de Gassendi.
— Ses ouvrages donnent d'ir-
récusables preuves qu'il l'eut
pour maître. Mais il a déna-
turé les principes de son en-
seignement. — Plus qu'aucun
de ses condisciples de 1641,
il a été un esprit fort, 49- —
Demi-fou, il avait des lueurs
de génie. — Son goût pour
la poésie et pour la comédie.
— Sa verve comique parfois
heureuse. — A son Pédant
joué Molière a fait quelques
emprunts dans la Jalousie du
Barbouillé et en a plus heu-
reusement tiré deux scènes
des Fourberies de Scapin. —
Cjnano lui avait vraisembla-
blement fait connaître sa pièce
dès le temps où ils étudiaient
ensemble chez Gassendi, 5o
et 5i.
D
Dassoucy (Charles Coypeau). Sa
rencontre à Carcassonne avec
Molière et les Béjart. — Une
lettre qu'il écrit à Molière
fixe la date de cette rencon-
tre aux années i65i ou i652,
pendant la session des états,
126-129. — Son éloge plai-
sant de Cjprien Ragueneau,
137. — Il arrive à Ljon en
i655 et y trouve Molière et
les Béjart, qui lui paraissent
de charmants amis, i63-i65.
— La même année, quittant
Lyon, il suit à Avignon les
secourables comédiens, i65.
— Jusqu'à quel point Mo-
lière était-il lié avec lui?
i65 et 166. — Il reproche à
Molière un refroidissement
qu'il attribue injustement à
l'orgueil de l'opulence, 167
et 168. — Corneille a fait
l'éloge de sa musique et
même de son Ovide en belle
Iiumeur, 168 et 169. — Pen-
dant la session des états ou-
verte en novembre i655 à
Pézenas, il est dans cette
ville avec la troujJe de Mo-
lière, dont il a célébré la
douce compagnie et la bonne
table, 171 et 172. — En
quittant Pézenas, il se sépare
de Molière qui se rend à
Narbonne, 176.
Dépit fl/woMrewx, représenté pour
la première fois à Béziers
en i656, p. i83. — Pour
la date du mois voyez aux
Additions et corrections^ 485.
— Mérite de cette comédie,
i83 et 184. — Elle est jouée
au Petit-Bourbon en i658
avec un grand succès, qu'at-
teste Chalussay lui-même,
207-209; — et en visite chez
le maréchal de la Meilleraye,
devant le Roi, aux vacances
de Pâques iGSg, aïo et
211.
Duos. La troupe de Molière,
revenant de Lyon, vient à
Dijon en 1637. Le conseil
5o6 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
de ville lui permet de don-
ner des représentations au
tripot de la Poissonnerie,
Docteur amoureux [le) , petite
pièce de Molière, jouée, après
Nicomède, au vieux Louvre,
le a4 octobre i658. — Elle
plut beaucoup à la cour. —
Molière faisait le Docteur,
ao4. — Cette farce est jouée
ensuite au Petit-Bourbon. —
Boileau, dit-on, en a re-
gretté la perte, 2o5. — Sur
le Docteur amoureux voyez
aux Additions et corrections ,
485.
Dom Garde de Navarre. Joué
au Palais Royal le 4 février
1661, il ne réussit pas. —
Molière y déplaît comme au-
teur, plus encore comme ac-
teur. — La pièce est retirée
après la septième représenta-
tion, 235. — Molière y avait
mis de rares qualités de style
et beaucoup de son âme,
a36. — En n'y donnant pas
assez de place au comique il
était sorti des vraies condi-
tions de son talent. — Il
semblait avoir eu présent à
la pensée le DonSanche d'Ara-
gon de Corneille, qui, très
supérieur à Dom Garde, n'eut
pas d'abord un sort très dif-
férent, 337 et 238. — Mo-
lière a plus tard fait entrer
dans le Misanthrope de beaux
passages de Dom Garde, 238.
— Après avoir fait jouer sa
comédie héroïque trois fois
devant le Roi, et une fois à
Chantilly devant le grand
Coudé, il reprend courage
et tente, le 4 et le 6 octo-
bre i663, d'en essayer de
nouveau l'effet au Palais-
Royal; mais, ne la voyant
pas mieux reçue, il la laisse
disparaître de la scène et ne
la fait pas imprimer, 238 et
239.
DoxAU. — On l'a cru parent
de Donneau de Visé, 23o. —
Il a voulu mettre à profit le
succès du Cocu imaginaire en
calquant maladroitement sur
cette comédie de Molière
celle qu'il a intitulée la Co-
cue imaginaire, 23o. — Dans
son Avis au lecteur il a parlé
avec admiration du modèle
dont il s'est fait le plagiaire,
et en a constaté l'heureuse
fortune, 23 1.
DuFORT (Melchior). Des rela-
tions ont été constatées en
divers temps entre lui et la
troupe de Molière. Elles
sont d'un caractère contes-
table, 64 et 65. — Accord
passé entre lui et Joseph Cas-
saigues d'une part, Molière
et Madeleine Béjart d'autre
part, le 3 mai i656, devant
le juge royal de Narbonne,
177. — Madeleine Béjart ob-
tient jugement à Toulouse
contre Dufort et Cassaignes,
qui n'avaient pas tenu leurs
engagements. Forcés de
s'exécuter, ils font dans
les premiers mois de i558,
à Grenoble , le payement
contesté par eux, 178.
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5o7
E
École des maris (/'). Cette co-
médie fut jouëe pour la pre-
mière fois le 24 juin 1661 au
Palais-Royal. — Elle marque
chez le poète comique un
grand progrès, aSg. — Ou
soupçonne sans peine qu'il a
eu ses raisons secrètes pour
y présenter sous un jour fa-
vorable l'extrême indulgence
d'Ariste, 240. — Grande
ressemblance entre l'histoire
des tuteurs voulant épouser
leurs jeunes pupilles et celle
du mariage de 3Iolière. —
Lorsque sa pièce parut, ses
camarades connaissaient son
intention de se marier, i^i.
— Dans l'intrigue de cette
comédie il y a très vraisem-
blablement un emprunt fait
à une Nouvelle de Boccace,
242. — C'est le premier des
" ou'S'rages de Molière qu'il ait
fait imprimer, preuve qu'il
n'avait reconnu aucune hési-
tation dans l'approbation gé-
nérale, 243.
Ecole des femmes (/'), représen-
tée pour la première fois le
26 décembre 1662 au Palais-
Royal. — Elle est inspirée
par la même idée qui avait
préoccupé Molière dans
r Ecole des maris, 271. — On
croit qu'elle a été le plus
grand succès de Molière dans
toute sa cairière. — Elle fut
jouée devant le Roi en jan-
vier i663, deux fois proba-
blement, et le 3 avril suivant
chez Madame, à qui Molière
l'avait dédiée le mois pré-
cédent dans une épître pleine
de justes louanges, 272. —
De bien des côtés il y eut
des frondeurs. — Le comte
du Broussin sort au second
acte, criant qu'il n'a pas la
patience d'en écouter davan-
tage.— Un autre spectateur,
nommé Plapisson, marque
aussi sa mauvaise humeur
par de ridicules exclama-
tions. — Beaucoup de fem-
mes se jugent offensées par
la satire de leur sexe ou par
des plaisanteries immodes-
tes. — Désapprobation du
prince de Conti, 273 et 274.
— On est surtout scandalisé
du sermon d'Alnolphe. —
Cependant ni le Roi ni Ma-
dame ne se montrent sé-
vères. — Boileau, dans des
stances imprimées en i663,
proclame cette comédie le
plus bel ouvrage de son au-
teur, 274 et 275.
Étourdi (/'), représenté d'abord
à Lyon en i653 ou en i655.
i33-i35. — Lorsqu'on a ra-
conté la présence de Molière
à la Grange-des-Prés, dans
l'automne de i653, on n'a
pas dit un mot de F Étourdi,
ce qui rend difficile de croire
qu'il eût été déjà joué à
Lyon, i54. — A quel mo-
ment de i655 il put y être
représenté, 161. — Beautés
5o8 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
de celte comédie, 162 et i63.
— Joué au Petit -Bourbon
en i658 avec im grand suc-
cès attesté dans V È'iomire liy-
pocondre, 207-209. — Joué au
Louvre devant le Roi le 10
mai 1669, 2 12.
Epernon (Bernard de Nogaret,
duc d'). La réunion des co-
médiens de l'Illustre théâtre
à ceux de la troupe de ce
gouverneur de la Guyenne,
au commencement de 1646,
est plus que vraisemblable.
— Magnon dédie son Josa-
pliat au duc d'Epernon, 104.
— André Mareschal lui dédie
son Dictateur romain, imprimé
en 1647. — Cette dédicace
prouve que non seulement
la Béjart,mais ses camarades,
avaient été réunis à la troupe
du duc, 106. — Epernon ap-
pelle sa troupe, ainsi dou-
blée, aux fêtes somptueuses
qu'il donne à Nanon de Lar-
tigue. — Quand il n'a pas be-
soin de ses comédiens, ils
sont libres d'aller jouer dans
différentes villes, 11 3. — Son
insolent despotisme l'engage
dans des luttes qui troublent
sa vie de plaisirs, 117. — Il
appelle, en février i65o, de
Narbonne à Agen sa troupe
pour des fêtes, 120. — Im-
popularité de son gouverne-
ment. — La cour le presse
de quitter la Guyeune ; il s'y
décide le 26 juillet i65o. Ses
comédiens se trouvent déliés
de son service, 121. — De-
venu en mai i65i gouverneur
de la Bourgogne, il réside à
Dijon, où la troupe de Mo-
lière le retrouve en iGSy,
189.
Fâcheux {les].\\s sont joués pour
la première fois à Vaux dans
les fêtes données au Roi. —
Cette pièce à tiroir dut être
faite à la hâte. — On y ad-
mire l'art de peindre les ca-
ractères; les vers sont pleins
d'esprit. — La représenta-
tion dans les jardins de Vaux,
dont la date est le 17 août
1661, fut précédée par une
harangue d'un agréable badi-
nage que Molière fît au Roi
en habit de ville, 244. — Il
a commencé là ses plaisantes
attaques contre les marquis.
— Le Roi a lui-même indi-
qué au poète le portrait de
l'enragé chasseur, 246. ■ —
Les Fâcheux sont pour la se-
conde fois représentés devant
le Roi à Fontainebleau le
25 août 1661, 247- — Ils ne
purent être joués au Palais-
Royal que le 4 novembre sui-
vant, 249.
Femmes savantes [les). Cette co-
médie est jouée pour la pre-
mière fois au Palais-Royal le
II mars 1672. — Compa-
rable à celle des Préeieuses
ridicules par l'objet des atta-
ques, elle lui est supérieure,
419. — Molière n'y a pas eu
le dessein de condamner les
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
509
femmes à l'ignorance. — Il y
a mis sur la scène de vivants
modèles, en représailles d'at-
taques injurieuses. — Aux
portraits des pédants il op-
pose celui de l'honnête
homme de cour, 420. — Les
Femmes savantes furent jouées
à Versailles le 17 septembre
1672. — Grimarest a pré-
tendu, dans un récit peu vrai-
semblable, qu'elles j avaient
été mal accueillies, 421 et
43a.
Festin de Pierre (le). Cette pièce,
jouée pour la première fois,
au Palais-Royal, le i5 février
i665, montra que l'auteur de
Tartuffe ne désarmait pas,
Sao. — De la légende mise
au théâtre espagnol par Tirso
de Molina dans son Combi-
dado de PieJra l'Hôtel de
Bourgogne, puis les Italiens,
s'étaient emparés, et ils l'a-
vaient mise à la mode, Sai.
— Terribles hardiesses de la
pièce de Molière, 822 et 323.
— Les intentions du Festin
de Pierre sont violemment
dénoncéescomme criminelles
dans un libelle du sieur de
Rochemont, SaS et 334- —
La défense de Molière est
présentée dans deux répon-
ses aux Observations du libel-
liste, 324. — Après la pre-
mière représentation de la
pièce on en fait supprimer
les passages particulièrement
incriminés et l'on donne avis
de ne pas la reprendre après
les vacances de Pâques i665.
— Molière ne la fit pas im-
primer. Elle ne fut publiée
qu'en 1682, 325. — Après
l'impression on exigea plu-
sieurs cartons, 326.
Fleurette (Catherine), épousée
le 3o mai i633 par le père
de Molière, Jean Poquelin,
veuf de Marie Cressé. — De
ce second mariage naquirent
deux enfants, Catherine, qui
devait un jour entrer au
couvent de Sainte-Marie à
Montargis, et Marguerite,
morte peu de jours après sa
naissance. — Fleiirette mou-
rut le 12 novembre i636, la.
Fontaine (Jean de la). Maints
vers de ses contes sont à
rapprocher de la comédie du
Cocu imaginaire^ qu'il a dû
voir 'chez Foiiquet lors-
qu'elle y fut jouée en 1660,
23i et 232. — Il fut présent
à la représentation des Fâ-
cheux dans les jardins de
Vaux. Il en a fait l'éloge
dans luie lettre à Maucroix
du 22 août 1661, où il dit
de Molière : « C'est mon
homme », et reconnaît que
« maintenant il ne faut pas
quitter la nature d'un pas »,
244 et 245. — Dans son ro-
man de Psyché, il met d'a-
bord Molière, sous le nom
de Gélaste, au nombre des
quatre amis. Il lui substitue
Chapelle, après la brouille
de Molière avec Racine, 364-
— Il fut un des amis de Mo-
lière qui le visitèrent fré-
quemment à Auteuil, 38o.
5io TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
— A une ëpoque très anté-
rieure, il se trouvait à un
souper avec Molière, Boileau
et Racine. Ces deux derniers
s'amusèrent à se moquer de
lui. Paroles remarquables de
Molière pour le venger de
ces plaisanteries, 38o et 38i.
— On décide en 1792 l'exhu-
mation de ses restes en
même temps que de ceux de
Molière. — On cherche son
corps où il n'avait jamais été
— Son mausolée, aujour-
d'hui au cimetière du Père-la-
Chaise, est, comme celui de
Molière, un cénotaphe, 446
et 447- — Sa charmante épi-
taphe de Molière est citée,
448.
FouQUET. Sa disgrâce et son
arrestation après les somp-
tueuses fêtes de Vaux, où
avaient été joués les Fâcheux,
247.
Fourberies de Scap'ui (les), repré-
sentées le a4 mai 1671 au
Palais-Royal. — Tirées pro-
bablement d'une farce de
Molière jouée autrefois en
province, mais alors trans-
formée et relevée par les em-
prunts faits à Térence. Mo-
lière y a imité deux scènes
du Pédant joué de son ancien
camarade Cyrano. — Boi-
leau a été beaucoup trop sé-
vère sur ce qu'il a appelé
une alliance de Térence avec
Tabarin, 4i3 et 4i4-
Fresne (Charles du), chef de la
troupe du duc d'Epernon.
107. — Il sort de la troupe
de Molière au temps de Pâ-
ques 1659, 210.
G
Gassendi. A la demande de
Luillier il donne à Chapelle
des leçons auxquelles sont
admis quelques autres jeunes
gens, 32. — Son intimité
avec Luillier, 33. — Il est
son hôte à Paris, en 1641»
seule année où l'on puisse
placer l'histoire de son petit
cénacle. — Il arrive à Paris
en février 164 1, et se fixe
dans la maison de Luillier au
mois de mars, 34- — Agré-
ment de ses entretiens. —
Son caractère commande le
respect, 35. — Quelques
mots sur sa philosophie. —
Elle est injustement accu-
sée de matérialisme et d'a-
théisme. — Il est toutefois
un des esprits hardis du siè-
cle. Il est ennemi des préju-
gés, mais avec mesure et sa-
gesse, 35-38. — Il a été sur le
point d'être choisi pour pré-
cepteur du jeune Louis XIV,
38. — Gui Patin nous ap-
prend que mourant il fut
« confessé et communié more
majorum », 47-
Gaston de France, frère de
Louis XIII. La troupe de
l'Illustre théâtre est autorisée
en 1644 à se dire entretenue
par lui, 89. — Il fut plus
honorable que lucratif pour
DE LÀ NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5ii
la troupe d'avoir ce prince
pour protecteur, 96 et 97.
— En 1645, la troupe ne
peut plus faire mention de
sa protection, loi.
George Dandiri, joué d'abord à
Versailles, en juillet 1668,
devant le Roi, la Reine, le
Dauphin, Monsieur et Ma-
dame. — C'était une refonte
d'une ancienne farce de Mo-
lière, la Jalousie du Barbouillé,
dont la scène la plus plai-
sante avait été tirée de nos
vieux fabliaux ou d'une Nou-
velle de Boccace, 386. — Il
y a dans George Dandin une
bonne leçon sur les dangers
pour les roturiers d'une al-
liance avec les nobles, et
elle est développée avec une
admirable vérité dans la pein-
ture des caractères. — Le
sujet toutefois était scabreux ;
il a fort scandalisé Bourda-
loue et J.-J. Rousseau, quel-
quefois même les specta-
teurs de la pièce, 387. — La
cour voulut revoir cette co-
médie trois fois de suite à
Saint-Germain, du 3 au 6 no-
vembre 1668. — Elle ne fut
jouée au Palais-Rojal que
le 9 novembre, 388.
GouDouLi (ou Godelin), poète
languedocien. — Vraisem-
blance de sa rencontre avec
Molière, en 1647, à Tou-
louse, 108 et 109.
Gra^îge (Varlet de la). Il entre
dans la troupe de Molière au
temps de Pâques 1639, 210.
— Il a été admiré, avec
Mlle Molière, dans la leçon
de chant de l'acte II du Ma-
lade imaginaire. 347 et 348.
— Il est envoyé avec La
Thorillière au camp devant
Lille, au mois d'août 1667,
pour présenter au Roi le
second placet de Molière, de-
mandant qu'on levât la dé-
fense de jouer r Imposteur,
377. — Son registre, intitulé :
Extrait des recettes et affaires
du théâtre, n'a été écrit que
pour son usage personnel,
486, aux Additions et correc-
tions.
Gre>-oble. La troupe de Molière
y passe le carnaval de i658,
avant d'aller à Rouen, ig5.
Grimarest (Le Gallois de). Quel
degré de confiance mérite
cet auteur de /a Vie de M. de
Molière, publiée en 1703, et
souvent citée dans notre bio-
graphie, 33, note i.
GrisE (Henri II de Lorraine,
duc de). Il prend part à la
rébellion du duc de Bouillon
et du comte de Soissons.
Après la bataille de la Mar-
fée (1641)5 ii est condamné à
mort etse réfugie à Bruxelles,
puis il est amnistié, gS. —
Dans la distributiou de ses
riches habits en 1644 ^^
1645, il n'oublie pas Molière,
Madeleine Béjart, ni Beys,
95. — Il séjourne en 1647 à
Rome, accompagné de M. de
Modène, et fait faire là son
portrait par Pierre Mignard,
193. — A la fin de cette an-
née 1647» ^^ P^^^ pour la folle
5i2 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
entreprise de Naples avec
M. de Modène. — Il se croit
trahi par lui et le fait empri-
sonner en 1648. — Il est lui-
même fait prisonnier par les
Espagnols. — Il meurt en
1664, 194.
H
Harlay de Chanvallon, arche-
vêque de Paris. Il renvoie à
son officiai la requête de la
veuve Molière, 436. — LeRoi,
dit Brossette, lui fait recom-
mander d'éviter l'éclat et le
scandale, 44o. — Il signe un
arrêté permettant la sépul-
ture de Molière dans le cime-
tière de Saint-Eustache. —
Cette tolérance n'était pas
sans restrictions, 441-
Hervé (Marie) . L'acte d'associa-
tion de 1643 pour jouer la
comédie est signé dans sa
maison. — Elle était alors
veuve de l'huissier Joseph Bé-
jart, 73. — Elle avait été
marraine en i638 de la bâ-
tarde adultérine de Made-
leine Béjart, sa fille, 78. —
La troupe de l'Illustre théâ-
tre était endettée, elle donne
pour caution sa maison de la
rue de la Perle. — Bientôt
après elle donne de nouveau
sa garantie, mais seulement
pour ses filles et pour Mo-
lière, 97, — Dans la renon-
ciation à la succession de Jo-
seph Béjart (mars 1643), elle
compte au nombre des enfants
mineurs du défunt « une pe-
tite non baptisée », qui ne
peut être qu'Armande Béjart.
— Inexactitudes danscetacte,
qui rendent suspectes ses dé-
clarations, 254. — Dans le
contrat de mariage de Molière
elle donne, comme mère
d'Armande, dix mille livres
tournois aux futurs époux.
— Elle est beaucoup moins
généreuse, deux ans après,
pour le mariage de sa fille
Geneviève, aSS.
Hesnault (Jean). On le nomme
parmi les jeunes auditeurs
des leçons de Gassendi. Ce
ne paraît être qu'une conjec-
ture mal fondée, 55 et note i
de cette page.
Hôtel de Bourgogne. Pierre Du-
bout, tapissier ordinaire du
Roi, était le doyen des maî-
tres de la confrérie de la
Passion, propriétaires de
l'Hôtel de Bourgogne, les-
quels l'avaient loué aux co-
médiens et s'étaient réservé
dans leur théâtre la loge des
anciens maîtres et le paradis
pour eux— mêmes et pour
leurs parents et amis. On a
conjecturé de là que le tapis-
sier Louis Cressé avait fré-
quenté ce théâtre et j avait
souventconduit son petit-fils,
le futur Molière, dans les an-
nées de son enfance, 17. —
Les comédiens de l'Hôtel de
Bourgogne (appelés /e5 Grands
Comédiens) assistent dans la
salle des Gardes du vieux
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE. 5i3
Louvre à la représentation
donnée devant le Roi, le
24 octobre i658, pour les
débuts de la troupe de Mo-
lière revenue à Paris. — Ils
laissent voir des marques de
leur malveillance, 2o3. — Ils
commandent à Boursault et
font jouer sur leur théâtre
le Portrait du Peintre, qui ré-
pond à la Critique de C Ecole
des femmes en injuriant Mo-
lière, 280 et 281. — Leur
déclamation est raillée dans
T Impromptu de T'ersailles, 286.
— Ils trouvent pour les ven-
ger deux auteurs, qui se mo-
quent du jeu de Molière co-
médien, Antoine de Mont-
fleury dans V Impromptu de
riiotel de Coudé et de Visé
dans la Vengeance des mar-
quis, oii la personne aussi
de 3Iolière est attaquée, 295-
3oo. — Le i5 décembre i665,
lendemain de la quatrième
représentation de V Alexandre
de Racine au Palais-Royal,
les Grands Comédiens jouent
cette tragédie chez la com-
tesse d'xVrmagnac. — Le iS
décembre ils la jouent chez
eux, en même temps qu'elle
est jouée chez Molière, 366.
— Mlle du Parc passe du
Palais-Royal à l'Hôtel de
Bourgogne après les vacances
de Pâques 1667, 368. — Mo-
lière étant mort, le Roi songe
à fondre sa troupe dans celle
des Grands Comédiens, 449-
— Aux vacances de Pâques
quatre des acteurs du Palais-
MOLIÈBE, X.
Royal passent à l'Hôtel de
Bourgogne, 45o. — Le Roi
décide qu'il n'y aura plus que
deux troupes françaises, celle
de l'Hôtel de Bourgogne
et celle de l'Hôtel Guéné-
gaud (troupe de Molière),
45 1. — Aux vacances de Pâ-
ques 1679, la Champmeslé
déserte l'Hôtel de Bourgogne
pour entrer à l'Hôtel Guéné-
gaud. — Les Grands Comé-
diens perdent aussi La Tho-
rillière, dont la mort achève
leur désorganisation. — La
jonction des deux troupes est
ordonnée le 18 août 1680,
402.
Illustre théâtre. La troupe for-
mée par Jlolière et ses asso-
ciés eu 1643 prend le nom
cVlllustre théâtre. — Noms
des associés, 73. — Quel
était le caractère de la troupe,
et comment il faut entendre
qu'elle était composée d'en-
fants de famille, 74. — Il est
très douteux qu'elle ait pris
pour premier théâtre un cer-
tain tripot de la Perle. —
Idée que donne d'elle VÉlo-
mire liypocondre, 76. — Ce
qu'étaient les Béjart entrés
daus la troupe à sa formation,
76-78. — Courte notice sur
les autres associés, 7g. — Le
12 septembre 1643, les co-
médiens de l'Illustre théâtre
louent le jeu de paume des
33
5i4 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
Métayers, 8i. — Ils vont
d'abord jouer à Rouen, 83 et
84. — Le théâtre du jeu de
paume des Métayers est inau-
guré en janvier i644i très
probablement le premier
jour de ce mois, 84 et 85. —
Un des nouveaux associés de
l'Illustre théâtre, Nicolas Des-
fontaines, avait composé des
tragédies qui sans doute fu-
rent jouées par la troupe eu
1644, 86. — Autres pièces
qu'elle représenta cette
même année, 86-8g. — En
septembre 1644, la troupe fait
un emprunt de onze cents
livres à Louis Baulot, maître
d'hôtel ordinaire du Roi, 87.
— Comment les associés se
partagent les rôles, 87 et 88.
— La troupe est autorisée
en 1644 ^ se ^^^^ entretenue
par Gaston de France, 89. —
Mauvais état des affaires de
l'Illustre théâtre, déjà visible
en i644' Elle contracte
d'assez fortes dettes, 97. —
A leur acquittement les asso-
ciés prennent l'engagement
d'employer toutes les recet-
tes, 97 et 98. — Résiliation
du bail du jeu de paume des
Métayers, 14 décembre i644-
— On loue celui de la Croix-
Noire, 98. — Un acte du
i3 août 1645 n'est signé que
par cinq des premiers asso-
ciés. Les autres, découragés,
s'étaient retirés de la troupe.
— Elle cesse d'être protégée
par Gaston, loi. — Après
le jeu de paume de la Croix-
Noire, quelques-uns ont parlé
de celui de la Croix-Blanche ;
ce paraît être une erreur,
101 et 102. — Evidemment,
après le i3 août i645, la
troupe prolongea peu son
agonie à la Croix-Noire, loa.
— C'est la fin de l'Illustre
théâtre, la troupe ayant été
réunie à celle du duc d'Eper-
non, io4.
Impromptu de T'evsailles (/'). La
date vraisemblable de sa re-
présentation à Versailles, en
i663, n'est pas avant le 18
ou le 19 octobre. — Impor-
tance de cette date pour
l'examen de la question :
qui de Boursault ou de Mo-
lière fut l'agresseur? 284. —
Agréables scènes de cette
petite pièce. — Elle porte
un rude coup aux Grands
Comédiens par les imitations
railleuses de leur déclama-
tion dans les tragédies de
Corneille. — Elle «avait été
composée par l'ordre de
Louis XIV, 285 et 286.
Italiens [les comédiens). Leur
troupe eut, en commun avec
celle de Molière, la salle du
Petit-Bourbon. Ces deux
troupes y devaient jouer al-
ternativement, 206.
Jardins (Mlle des). Elle a fait
le Récit de la farce des Pré-
cieuses, 186 et 187. — En
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5ii
juin i665 on joua dans le
jardin de Versailles son Fa-
vori, dont Molière fit, en
marquis ridicule, le Prologue
aujourd'hui perdu, 826. —
Cette pièce à transparentes
allusions avait été représentée
au Palais-Royal le 24 avril
précédent, 827. — Anecdotes
d'une visite de Molière à
Mlle des Jardins, et de la
querelle qu'elle lui fit pour
n'avoir pas annoncé le Fa-
vori sous le nom de Mme de
A^illedieu, qu'elle prétendait
avoir le droit de 'çovter, Addi-
tions et corrections , 486 et 487.
JoDELET. A la rentrée de Pâques
i65y il entra dans la troupe
de Molière avec son frère
Lépy . Tous deux sortaientdu
Marais, 210. — Dans les Pré-
cieuses ridicules , 3 oàelet donne
son nom au valet-vicomte,
dont il joua le rôle jusqu'à
sa mort, arrivée le 26 mars
ï66o, 222 et 223. — Le per-
sonnage qu'il avait repré-
senté, le fut, après lui, par
du Parc (Gros-René) , aussi
gros que Jodelet était maigre,
223.
LAMOiG>'Oîi (Guillaume de). Le
lendemain de la première re-
présentation de l'Imposteur au
Palais-Royal, il défend, en
l'absence du Roi, d'eu conti-
nuer les représentations, et
refuse de se laisser fléchir
par aucune démarche, 377.
Lartigue (Nanon de), maîtresse
du duc d'Epernon, qui lui
donnait à Agen des fêtes
somptueuses, sous prétexte
de les donner à la duchesse,
ii3. Les Mémoires de Pierre
Lenet parlent de la folle pas-
sion du duc pour celte fa-
meuse ZSanon. — Us étaient
tous deux menacés par la
clameur publique dans la re-
traite du manoir de Malconte,
121. — Elle suivit le duc à
Dijon, lorsqu'il y vint rési-
der comme gouverneur de la
Bourgogne, 189.
Louis XIV. La troupe de Mo-
lière étant arrivée à Paris, le
Roi la fait jouer, le 24 octo-
bre i658, en sa présence,
dans la salle des gardes du
vieux Louvre. C'est le pre-
mier regard du jeune roi sur
le grand poète, 201 et 202.
— Louis XIV, content de la
troupe de Molière, lui fait
donner la salle du Petit-
Bourbon, 206. — Molière eut
une seconde occasion de pa-
raître devant lui dans une
représentation en visite au
château de Chilly, où, le
16 avril 1669, fut joué le Dé-
pit amoureux, 210 et 211. —
Le 10 mai suivant, Louis XIV
vit pour la première fois
V Étourdi, re}3résenté au Lou-
vre, 212. — Le 29 juillet
1660, on le joua pour lui
au bois de Vincennes, avec
5i6 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
les Précieuses ridicules, qu'il
ne connaissait encore que
par la lecture. — Le 3o août
suivant il vit encore les Pré-
cieuses, représentées au Lou-
vre pour 3Ionsieur. — Le
21 octobre suivant, le Roi les
fit jouer au Louvre. — Le
26 du même mois, il les vit
incognito, en même temps
que V Étourdi, chez le cardinal
Mazarin malade. — Il ac-
corda alors à la troupe une
gratification de trois mille
livres, 228. — Le théâtre du
Petit-Bourbon ayant dû être
démoli, le Roi, à qui plai-
sait la troupe de Molière, lui
donne la salle du Palais-
Royal, 226. — Le Cocu ima-
ginaire l'amusa tellement qu'il
voulut le voir plus souvent
que les autres pièces de Mo-
lière, les comédies-ballets
exceptées, 232. — Il désira
voir plusieurs fois Dom Garde
de Nai'arre, que le public avait
mal accueilli. — L'approba-
tion qu'il parut donner à
cette pièce héroïque engagea
3Iolière à la tentative, con-
damnée par l'insuccès, de la
faire reparaître au Palais-
Royal, 289. — En i66i,
Louis XIV commande à Mo-
lière une petite comédie,
prétexte à ballets, lui laissant
quelques jours seulement
pour l'écrire et la tenir prête
à être jouée, 248. — Cette
pièce, intitulée les Fâcheux,
fut représentée devant lui,
le T7 août 16G1, dans les
fêtes que lui donna le surin-
tendant dans les jardins de
Vaux, 244- — Après cette
représentation, le Roi indi-
qua à Molière un portrait à
ajouter à ceux des autres
originaux de cette comédie.
— Dans VÉpitre au Roi, lui
dédiant la pièce imprimée,
Molière n'a pas oublié l'hon-
neur qu'il lui a fait de lui ou-
vrir les idées du caractère
dont la peinture a été « trou-
vée partout le plus beau
morceau de l'ouvrage », 246.
— La disgrâce de Fouquet
et son arrestation, qui suivi-
rent les fêtes de Vaux, ne
jetèrent aucune ombre dans
l'esprit du Roi sur la gaie
comédie, 247. — Il voulut
assister à la représentation
qui en fut donnée au Palais-
Royal le 28 décembre 1661,
249. — Louis XIV, eu 1664,
est parrain du premier enfant
de Molière. — Il est faux que,
s'étant fait servir sou en-cas
de nuit, il ait fait manger
Molière avec lui, 269. —
V Ecole des femmes est jouée
le 20 janvier i663 devant le
Roi, qui, pour cette repré-
sentation, honora les comé-
diens de sa présence en pu-
blic, 272 et note i de cette
page. — V Impromptu de Ver-
sailles fut joué pour la pre-
mière fois à Versailles de-
vant le Roi en octobre i663,
283. — Cette pièce avait été
composée par l'ordre de
Louis XIV, grande preuve
DE L.\. NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5i7
de la faveur qui soutint Mo-
lière dans la guerre que lui
faisait la troupe royale, 286.
— Le Roi venge Molière des
détracteurs de VEcole des
femmes en le faisant porter
sur la liste des pensions de
i663 pour une somme de
mille francs, 286. Voir aussi
les Additions et corrections,
486. — Il apprend le brutal
outrage fait à 3Iolière par un
de ses courtisans, et en mar-
que au coupable son indi-
gnation, 289. — Le 29 jan-
vier 1664, il fait représenter
au Louvre, devant lui, le
Mariage forcé. — Il emploie
aussi le zèle de Molière pour
qu'il contribue aux fêtes des
Plaisirs de Pile enchantée (mai
1664), 3o3. — Ces fêtes
étaient en réalité données
par le Roi à Mlle de la Val-
lière, 3o4. — On j joue de-
vant Louis XIV trois actes
du Tartuffe, 309. — On com-
prend qu'il n'ait pas d'abord
désapprouvé cette comédie,
puis ait hésité à la soute-
nir, 3i2. — 3Iolière s'est
prévalu de son jugement fa-
vorable et de celui de la
Reine. 3i3. — Après d'ar-
dentes réclamations, Louis
XIV ne permet pas de jouer
la pièce en public, 3i4- —
Doléances que Molière lui
présente à Fontainebleau en
1664, 3i5. — Le Roi témoi-
gne en termes très sévères sa
désapprobation du libelle de
PierreRoullé.3i6. — Il tolère
de fréquentes lectures de
Tartuffe faites par Molière,
317. — Parole de Louis XIV
pour répondre à ceux qui
accusaient Molière d'avoir, à
mauvaise intention, mis des
paroles impies dans la bouche
de son Don Juan, 324- — H
n'interdit pas la représenta-
tation du Festin de Pierre;
mais, après la première repré-
sentation, il donne sans bruit
l'avertissement de retrancher
les passages qui ont le plus
scandalisé; et, après la quin-
zième, de ne pas faire repa-
raître la pièce, 325. — Au
mois d'août i665, il donne
six mille livres de pension à
la troupe de Molière. — Il
demande à son frère de la
lui céder, de sorte qu'elle
devient la troupe du Roi, 320.
— Louis XIV ne s'est pas
offensé des personnalités de
r Amour médecin contre les
médecins de la cour. Elles
l'ont beaucoup fait rire, 33i
et 332. — Il donne l'ordre à
^lolière de préparer pour le
Ballet des Muses, joué à Saint-
Germain en 1666 et 1667,
quelques nouveautés, qui fu-
rent Mélicerte, la Pastorale
comique et le Sicilien, Z"]^. —
Très content de la troupe, il
lui fait compter, outre les
frais de voyage et des ca-
deaux aux actrices, douze
mille livres pour deux années
de sa pension, 376. — Les
représentations de V Imposteur
ayant été interdites, en son
5i8 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
absence, au mois d'août 1667,
il reçoit au camp devant Lille
le second placet de Molière.
— Il promet qu'à son retour
la pièce serait examinée et
qu'on la jouerait, 377. —
L'ordonnance publiée par
l'archevêque de Paris ne le
laisse pas libre de donner
suite à ses favorables dispo-
sitions, 378. — Il ferme les
yeux en 1668 sur deux re-
présentations de Tartuffe chez
le prince de Condé, 386. —
Le 5 février 1669, sous le
prétexte de lApaix de V Eglise,
il accorde la permission de
représenter Tartuffe sur le
théâtre public, Sgô. — Il
donne à Molière le sujet, peu
digne de l'occuper, des
Amants magnifiques, pour les
divertissements de Saint-
Germain au commencement
de 1670, 400 et 401. — Il
commande à Molière la tur-
querie du Bourgeois gentil-
homme, 407 i — puis la tra-
gédie-ballet de Psyché, pour
laquelle il lui laisse si peu de
temps qu'un collaborateur
devient nécessaire, 409 et
410. — Il souffre dans les
Femmes savantes des person-
nalités dont quelques-unes
aruraient pu lui paraître trop
hardies, 421. — Les privi-
lèges excessifs qu'il donne
à l'Académie royale de LuUi
blessent les intérêts de Mo-
lière, qui, pour la première
fois, ne se sent pas assez
protégé par lui, 428. — Il
est supplié par la veuve de
Molière de ne pas permettre
que son mari soit privé de la
sépulture ecclésiastique, 439.
— Il la renvoie à l'autorité
épiscopale, mais fait dire à
l'archevêque d'éviter le scan-
dale, 440. — A la nouvelle
de la mort de Molière, il s'en
montre touché, 44 !• — U
paraît d'abord vouloir sacri-
fier la troupe de Molière,
privée de son illustre chef.
— Il a le dessein de la réu-
nir à celle de l'Hôtel de
Bourgogne, 449- — H donne
à LuUi la salle du Palais-
Royal. — Il fait autoriser les
comédiens dépossédés à s'éta-
blir en face de la rue Guéné-
gaud, et signifier à ceux du
Marais défense de continuer
à jouer, 45 1. — H ordonne,
le 18 août 1680, la jonction
des deux seules troupes fran-
çaises, celle de l'Hôtel de
Bourgogne et celle de l'Hô-
tel Guénégaud, 452.
Lucrèce (le poème de). Ce
poème, de Natura rerum, était
le bréviaire de Gassendi. —
Il a été traduit par Molière,
53 et 54. — Cette traduction
est perdue, 54, note i. Voir
aussi les Additions et correc-
tions, 481 et 483.
LuiLLiER (François). Ce maître
des comptes était intime ami
de Gassendi, 33. — H lui
donne Chapelle à instruire
dans la philosophie, 34- —
Il était homme d'esprit, mais
épicurien cynique. — Il ne
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5i9
donna pas de sages exemples
à Chapelle. — En 1642, il
l'avait fait légitimer comme
son fils, quoi qu'il fût bâtard
adultérin, 40, et note 2 de la
même page.
LuLLi (Jean-Baptiste). Il fait la
musique du Mariage forcé,
3o3, — celle de r Amour mé-
decin, 3a8, — celle de Mon-
sieur de Pourceaugnac, 3 98.
— Dans cette dernière co-
médie-ballet il amusait beau-
coup par ses bouffonne-
ries, sous le masque du si-
gnor Chiacchiarone, 400- ■ —
Brouillé avec Molière, sa
musique du Mariage forcé est
remplacée en 1672 par une
nouvelle musique, œuvre de
Charpentier, 417- — H ob-
tient au mois de mars 1672
des lettres patentes, donnant
à son Académie royale de
musique un monopole exor-
bitant, au grand dommage
des autres théâtres. — La
musique du Malade imaginaire
ayant été confiée à Char-
pentier, Lulli l'oblige à mu-
tiler son travail, 428.
Lyon. « Molière vint à Lyon
en i653 », dit la Préface de
1682. Il y a des indices de
séjours antérieurs, en i65i
et i652, 12g. — Eloge de
cette ville par Chappuzeau,
dans son livre intitulé Lyon
dans son lustre, i3i. — La
troupe d'Abraham Mitallat y
brillait, lorsqu'en i653 Mo-
lière et sa troupe lui firent
perdre la faveur du public et
la désorganisèrent, i3i et
i3a. — V Etourdi fut joué
d'abord à Lyon. On en a
daté la première représenta-
tion de i653, p. i33. —
D'autres la datent de i655
i34. — Raisons qui nous
font pencher pour i655. —
On place généralement à
Lyon la représentation de
VAndromède par la troupe de
Molière, i35. — Molière et
toute sa troupe passèrent
probablement à Lyon une
bonne partie de l'année i654,
i56 et 157. — Ils s'y éta-
blirent de nouveau en i655,
année où nous placerions la
première représentation de
r Étourdi, 161. — La troupe
de Molière, en i656, entre
le séjour à Narbonne et le
séjour à Béziers, fut peut-être
quelque temps à Lyon, 181.
— Elle y était certainement
en mai 1657, comme l'atteste
une lettre du prince de Conti
à l'abbé de Ciron, 187 et
M
Madasce (Henriette d'Angle-
terre, duchesse d'Orléans).
Elle est marraine, le 28 fé-
vrier 1664, de Louis, pre-
mier né de Molière, dont
Louis XIV est parrain, 269.
— 3Iolière, dans une épître
pleine de justes louanges
520 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
lui dédie son École des fem-
mes^ qu'il avait jouée chez
elle le 3 avril i663, 272 et
273. — Le Mariage forcé fut
représenté deux fois chez
elle en février 1664, 3o3. —
En août 1667, elle envoie à
M. de Lamoignon un de ses
officiers pour lui demander
de lever la défense de jouer
en public le Tartuffe devenu
V Imposteur, S^y.
Magdelon. C'est sous ce nom
que Madeleine de L'Hermite
de Souliers, fille de Jean-
Baptiste de L'Hermite, sieur
de Vausejle, et de Marie
Courtin de la Dehors, est
inscrite sur la liste des ac-
teurs, dans la distribution des
rôles d^ Andromède, 140. —
A une date incertaine, elle
joue la comédie à Avignon
dans la troupe de Molière,
où elle était engagée avec sa
mère, 140 et i4i. — En no-
vembre i655, elle fut mariée
à un écuyer du prince de
Conti, i4i. — En 1666, elle
fit annuler ce mariage et
devint comtesse de Modène,
épousant l'ancien amant de
sa mère, i4o.
MAGNOîi(Jean). Sa tragédie d'Ar-
taxerce, imprimée en 1646,
avait été jouée sur l'Illustre
théâtre, 86.
Malade imaginaire [le), dernière
comédie de Molière. — Elle
est très gaie et très triste.
— Elle est un défi porté
à la maladie et à la méde-
cine, 4^6. — Destinée à une
des fêtes de la cour, elle n'y
fut pas jouée. — On en
donne la vraisemblable ex-
plication, 4a8. — Elle fut
jouée pour la première fois
au Palais-Royal le 10 février
1673. — Le vendredi 17 fé-
vrier, jour de la quatrième
représentation, fut celui de
la mort de Molière, 429.
Mariage force' {le). Cette comé-
die-ballet fut jouée au Lou-
vre, devant le Roi, le ag jan-
vier i663, au Palais-Royal le
i5 février suivant. — Elle a
deux scènes où la main de
Molière se reconnaît. — Le
ballet était du président de
Périgny, la musique de Lulli,
3o3. — Reprise remarquable
de cette pièce le 8 juillet 1672.
— Molière, alors brouillé
avec Lulli, remplace sa mu-
sique par celle de Charpen-
tier, 417-
Mascarille. Ce nom a été quel-
que temps donné à Molière
et a failli lui rester, i63. —
Molière jouait dans l^ Étourdi
le rôle très gai de Mascarille ;
il y transportait de joie les
spectateurs, ao8. — Il avait
sans doute joué en province
le rôle de Mascarille dans le
Dépit amoureux, 208, note 2.
Il le joua aussi dans les Pré-
cieuses ridicules, où Somaize
lui-même le trouvait si plai-
sant qu'il le disait : « le pre-
mier farceur de France »,
218. — « Mascarille, a-t-on
dit, nous représente la jeu-
nesse de Molière. » — De
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
Mascarille, Molière, après les
Pre'cjeKjef,devieutSganarell(>,
et adopte les rôles du per-
sonnage de ce dernier nom.
Il n'j fut pas moins excel-
lent, 233.
Mauvillain, médecin peu gê-
nant de Molière. — Com-
ment Molière rend compte
au Roi de ce qu'il fait pour
lui. — Ce docteur a passé
pour traître à la Faculté et
a été accusé d'avoir fourni
des notes pour la Cérémonie
du Malade imaginaire. — Mo-
lière, dans son troisième pla-
cet au Roi, sollicite pour le
fils de Mauviilain un cano-
uicat de la chapelle royale
de Vincennes, 33i et Sgô.
Médecin malgré lui [le), joué
pour la première fois au Pa-
lais-Royal le 6 août 1666. —
Le badinage y est semé des
traits les plus fins. — Il ne
paraît pas exact que Molière
ait cru avoir besoin de cette
comédie plaisante pour sou-
tenir son Misanthrope, 374-
Mélicerte, comédie pastorale
héroïque, jouée en décem-
bre 1666 au château de
Saint-Germain dans le Ballet
des Muses. — Commandée
par le Roi, elle ne put, faute
de temps, être continuée au
delà des deux premiers actes ;
ensuite l'auteur n'a pas cru
devoir l'achever, quoique,
dans ce commencement, il y
ait des passages agréables,
374. — Mlle Molière et
Mlle du Parc y jouaient eu
1666. On ne sait pas avec
certitude laquelle des deux
créa le rôle de Mélicerte,375.
Menou (Mlle). Elle récite en
i653 les quatre vers de la
Néréide Ephyre dans Andro-
mède, 145 et 146. — .Une
lettre de Chapelle à Mo-
lière atteste que sa jeunesse
charmait Molière. — Cette
lettre nous apprend qu'à sa
date (1659), elle n'avait pas
dépassé l'adolescence, 146
et 147. Pour la suite voyez
au nom de Béjart (Ar-
mande).
MiGNARD (PieiTe). A la fin de
1667, il revient d'Italie à
Avignon, où demeurait son
frère Nicolas. — Il y trouve
Molière, avec qui il se lie.
— Ce fut alors sans doute
qu'il fit son portrait dans le
rôle de César. — Il devait
être plus tard célébré par
Molière dans le poème de
la Gloire du P'al-de-Grdce,
191 et 192. — Amitié très
étroite entre Pierre Miguard
et les Béjart. — Il signe, en
1662, comme ami, au con-
trat de mariage de Gene-
viève Béjart. — Madeleine
Béjart le choisit pour un de
sesexécuteurs testamentaires,
192 et ig3. — Mignard avait
fait à Rome eu 1647 le por-
trait du duc de Guise, et put
connaître alors Esprit de
Modène, qui accompagnait
le duc. Il n'est donc pas im-
probable que Modène ait
facilité la liaison du peintre
522 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
avec les Béjart et avec Mo-
lière, igS.
MiGNOT (dit Mondorge). 11 avait
joué en Languedoc avec Mo-
lière, sans doute pendant la
session des ëtats de i658, à
Pézenas. — Plus tard il va à
Auteuil, dans l'espoir d'ob-
tenir de son ancien camarade
quelque secours. — Tou-
chante libéralité avec laquelle
Molière lui vient en aide,
190 et 191.
Misanthrope (le). La première
représentation en fut donnée
le 4 juin 1666 au Palais-Royal.
— Le succès ne fut pas très
vif. Les recettes baissèrent
après un petit nombre de
représentations, 333. — Mo-
lière fait concevoir une haute
idée de son caractère élevé
en créant Alceste, de sa mo-
dération et de sa raisonna-
ble indulgence en créant
Philinte, 334 et 335. Cette
comédie, qui dénonçait les
mœurs du temps, était par là
d'une hardiesse, qu'on a
d'ailleurs exagérée, 335. —
Molière a donné un moment
au 3Iisanthrope ce titre :
V Atrabilaire amoureux, 336.
MoDÈNE (Esprit de Rémond de
Mormoiron, seigneur de).
En 1639, L'Hermite de Vau-
selle lui dédie une tragédie.
— Fils du baron de Modène,
il était né le 19 novembre
1608. — Il fut page de Gas-
ton de France, 91. — Son
talent poétique. — Désor-
dres de sa vie. — Jugement
porté sur lui par l'abbé Ar-
nauld. — Son impudente
paternité de i638, du vivant
de Marguerite de la Baume
de Suze, qu'il avait épousée
en i63o, 92. — Ses aventures
depuis i638 jusqu'en 1642,
93. — On a conjecturé qu'il
avait pu rencontrer Made-
leine Béjart aux eaux de
Montfrin en 1642. — Vente,
probablement fictive, d'une
grange et de terres à Jean-
Baptiste L'Hermite et à sa
femme, en 1644, 94 et gS
(et iSg). — Très besogneux,
il fut souvent aidé par les
libéralités de Madeleine Bé-
jart, 96. — Marie Courtiu
de la Dehors, femme de Jean-
Baptiste de L'Hermite, fut
notoirement sa maîtresse,
iSg. — En décembre 1666,
il épouse la fille de cette
maîtresse ; il était âgé de
cinquante-huit ans, i4o. —
Ce fut lui peut-être qui fît
connaître à Pierre Mignard
les Béjart et Molière : il
avait vu à Rome le Romain,
et connoissait beaucoup son
frère Nicolas Mignard, qu'il
fréquentait à Avignon, où
lui-même passait ordinaire-
ment l'hiver, igS. — Quel-
ques circonstances de sa vie
agitée depuis les derniers
mois de 1646 jusqu'à la mort
du duc de Guise en 1664,
194. — La supposition qu'Ar-
mande fût sa fille n'est pas
inadmissible, bien qu'Ar-
mande ne puisse être con-
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
523
fondue avec la petite Fran-
çoise, née en i638, a6i et
262. — Il est en i665 parrain
de la fille de Molière, dont
Madeleine Bëjart est la mar-
raine. A tous deux sont em-
pruntés les prénoms d'Es-
prit-Madeleine , donnés à
cette enfant, 358. — Il écrit
en 1673 une des épitaphes de
Molière, pour honorer sa
mémoire, 448-
MoLiÈBE (Jean-Baptiste Poque-
lin, dit), fils de Jean Poquc-
lin et de Marie Cressé, né à
Paris, 2 et 3. — On n'a pas été
d'accord sur l'emplacement
de sa maison natale, que rien
encore ne désigne avec certi-
tude, 4^6 • — Maison des
Singes, où l'on sait seulement
qu'il a demeuré pendant
quelques-unes de ses jeunes
années, 7. — Il fut baptisé
à Saint-Eustache, le i5 jan-
vier 1622, 9. — Etant dans
sa onzième année, il perd sa
mère (mai i632). — Il avait
deux frères et une sœur, 11
et 12. — Son père obtient
pour lui la survivance de sa
charge de tapissier du Roi, à
laquelle était attaché le titre
de valet de chambre du Roi.
— Le survivancier prête ser-
ment le 18 décembre 1637,
14. — Avant cette date, il
était entré au collège de
Clermont, 1 5. Son grand-père
maternel l'avait, dit-on, con-
duit de bonne heure à la
comédie, 16. — On a con-
jecturé aussi que son grand-
père paternel, mort en 1626,
lui avait fait connaître les
spectacles bouffons de la
foire Saint-Germain, 18 et
19. — Il prit plus tard
plaisir aux farces populaires.
— Scaramouche passe pour
lui avoir donné des leçons,
19 et 20. — Succès de ses
études au collège de Cler-
mont, 26. — Jusqu'à quel
point il y put être cama-
rade du prince de Conti,
26-29. — Son entrée au col-
lège de Clermont est proba-
blement de la fin de i636. Il
en sortit en 1640, « ou quel-
que peu devant », suivant
V Elomlre hypocondre, 3o. —
Il est sans doute qu'il a
suivi les leçons de Gassendi,
en même temps que son ca-
marade Chapelle et quel-
ques autres jeunes gens, 3i-
61. — Sa connaissance des
études philosophiques se
montre dans deux scènes du
Mariage forcé et dans une
scène des Femmes savantes,
52 et 53. — Le choix qu'il
fit dans sa jeunesse du poème
de Lucrèce pour le traduire
est bien d'un disciple de
Gassendi, 53. — Sans adop-
ter le système de Gassendi,
il a surtout tiré de son en-
seignement une philosophie
pratique, 56 et 57. — Il ne
fut pas épicurien à la façon
de Chapelle, 58 et 59. —
On l'a trop facilement taxé
d'irréligion, mais il était
loin d'être un dévot. Il avait
524 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
été entouré chez Gassendi
de jeunes esprits-forts. Il
resta lié avec eux et avec plu-
sieurs sceptiques, 69. — On
trouve d'ailleurs, même dans
son Festin de Pierre, des in-
dices de l'éloignement que
l'enseignement de Gassendi
lui avait inspiré pour l'a-
théisme, 60. — Mais l'inti-
mité avec les Chapelle et les
Cyrano l'avait mal prémuni
contre les entraînements de
son âge, 61. — Au sortir de
l'école de Gassendi, il fit des
études de droit, 62. — Il a
su faire parler avec exacti-
tude la langue du droit à
quelques-uns des personna-
ges de ses comédies, 63. —
Suivant une tradition, il au-
rait fait en 1642 le voyage
de Narboune à la suite de
Louis Xlll, pour remplacer
son père dans son service.
— On a même voulu qu'il
ait joué un rôle dans l'affaire
de Cinq-Mars, 64 et 65. —
Quelques-uns ont supposé
que ce voyage l'avait mis
pour la première fois en re-
lation avec Madeleine Béjart,
65. — Il lia, suivant Grima-
rest, amitié avec elle en for-
mant sa troupe. — Bayle
avait entendu dire qu'il ne se
fît comédien que pour être
auprès d'elle, 66. — Résolu à
se faire comédien, il avertit
son père, le 6 janvier 1643,
qu'il renonce à la survivance
de la charge de tapissier du
roi, 67. — En 1645 et en i65o.
il prend encore le titre de
cette charge. — Il le quitte
quand son frère, Jean Poque-
lin le jeune, est légalement
reçu en survivance. — Il re-
prend la survivance eu 1660,
après la mort de son frère.
— Il conserva toujours de-
puis le titre de tapissier-valet
de chambre du Roi, 72. —
L'acte par lequel il se lie à
quelques associés pour une
entreprise théâtrale est passé
le 3o juin i643, 73. — Son
domicile à ce moment est rue
de Thorigny. — Sa périlleuse
camaraderie avec Madeleine
Béjart, 80. — Il prend pour
la première fois le nom de
Molière dans un acte notarié
du 28 juin i644i 79 et 80, et
86. — Il s'établit avec ses
camarades au jeu de paume
des Métayers, 81. — En
attendant que ce tripot fût
prêt, la petite troupe, dont il
fait partie, va jouer à Rouen,
82-85. — Elle commence à
jouer à Paris en janvier 1644»
84 et 85. — Il quitte à la fin
de 1644 le jeu de paume des
Métayers, où les affaires de
l'Illustre théâtre vont mal, et
celui de la Croix-Noire. —
Il loge alors rue des Jardins,
paroisse de Saint-Paul, 98 et
99. — Pour payer les dettes
les plus criardes du théâtre,
Molière fait des emprunts.
— En 1645, le maître chan-
delier Fausser le fait empri-
sonner au Châtelet, 99. —
Mis en liberté sur sa caution
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
525
juratoire, il est de nouveau
arrêté à la demande d'autres
créanciers, loo. — Il est dit
dans les papiers de Trallage
qu'en 1644 o^ 1643 (1644
est une évidente erreur), Mo-
lière commença à jouer à
Bordeaux , M. d'Épernon
étant alors gouverneur de la
Guyenne, io3. — Il entre
avec ses associés dans la
troupe de ce duc (1646 ou fin
de 1645), 104-107. — Il est
probable qu'en 1647 ^^ ^'^^^''
à Toulouse avec ses camara-
des et y put lier amitié avec
Goudouli, 108 et 109. — Sa
présence à Albi, à Carcas-
sonne, avec la troupe, est
peu douteuse en 1647; mais
elle est positivement consta-
tée à Nantes le 23 avril 1648.
— Là, sur le registre des dé-
libérations de l'hôtel de ville,
son nom écrit Morlierre ne
peut tromper, ii5 et 116. —
En 1649 i^ "^"^ ^ Toulouse,
118; — puis assez probable-
ment à Montpellier, pendant
la session des états, certaine-
ment à Narbonne, 119. — Il
était encore dans cette ville
le 10 janvier i65o. — Dans
un baptême de cette date, il
est parrain sous le nom de
Jean-Baptiste Poquelin, valet
de chambre du Roi. — Appelé
par le duc d'Epernon, il va,
avec ses camarades, à Agen,
en février i65o, 120. — Il
cesse, avec la troupe, d'être
au service du duc d'Eper-
non, qui est obligé, en juillet
i65o, de quitter la Guyenne,
121. — On ne retrouve plus
Molière qu'aux états tenus à
Pézenas {i65o-i65i). — On
a un reçu, écrit et signé
de sa main, le 17 décem-
bre 1640, de 4000 livres
« ordonnées aux comédiens
par Messieurs des états » , 122.
— Le 14 avril i65i, la pré-
sence de Molière à Paris est
constatée, 128. — La même
année i65i, il donne des
représentations à Vienne,
124. — 126. — Au témoi-
gnage de Dassoucy, il est
à Carcassonne pendant la
session des états de i652
(3i juillet i65i, — 10 janvier
1662), 129. — Il fait à Lyon
représenter pour la première
fois son Étourdi, soit en i653,
soit en i655, i33-i35. — Il
passepouravoir été l'amant de
Mlle de Brie, 1 41-145. — Il
a dans sa troupe la du Parc
et la de Brie, qui avec la Bé-
jart le tourmenteront par
leurs rivalités, quand cette
troupe sera revenue à Paris,
i46 et 148. — Peut-être, en
quittant Lyon après son sé-
jour de i653, alla-t-il à Pé-
zenas, pendant la session des
états, qui s'y tint du 17 mars
au i"" juin de cette année.
— Ce qui est certain, c'est
que, dans l'automne de i653,
Daniel de Cosnac l'appela à
la Grange-des-Prés, résidence
du prince de Conti, qu'il
revit en septembre, i5o. —
Il troure d'abord à Pézenas
526 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
une troupe rivale que le
prince veut retenir à l'ex-
clusion de la sienne, iSa. —
Il est enfin préféré et reçoit
pension, i52 et i53. — Au
commencement de i654, il
était à Montpellier, où il
était arrivé vraisemblable-
ment avant le départ de
Conti. — Il y avait sans
doute joué pour ^Messieurs
des états, dont la session,
ouverte par le comte de
Bieule, dura du 7 décembre
i653 au 3i mars i654, i55 et
i56. — Il est probable qu'il
passa une bonne partie de
i65a à Lyon, 157. — Il re-
vient à Montpellier pour la
nouvelle session des états,
ouverte par le prince de
Conti le 7 décembre i654i
qui dura jusqu'au i4 mars
i655, 157. — Dans des fêtes
données alors pour le prince
et la j)rincesse de Conti, il
figure dans le ballet des In-
compatibles, i58. — On rap-
porte à ce temps l'offre qui
aurait été faite à Molière de
la place de secrétaire du
prince. — Elle ne fut pas
acceptée, s'il est vrai qu'on
la lui offrit, iSg-iôi. — Après
la clôture des états tenus à
Montpellier, il fait à Lyon,
en i655, un nouvel et long
séjour, au temps duquel nous
penchons à placer la pre-
mière représentation de VÉ-
tourdi, 161. — En quittant
Lyon, il se rend, avec la
troupe, à Avignon, 164 et
i65. — Là il reçoit l'ordre
de venir à Pézenas, pendant
qu'y siègent les états, convo-
qués par le prince de Conti.
La session s'ouvrit le 4 QO~
vembre i655, 1G9. — Il re-
çoit à Pézenas, le 24 février
i656, du trésorier de la
bourse des états, 6000 li-
vres. — Son reçu, qui s'est
conservé, est écrit tout en-
tier de sa main, 178. — Ce
paraît être surtout pendant
la session des états à Mont-
pellier et dans les premiers
temps de la session suivante
à Pézenas que Molière fut
en grande faveur auprès du
prince de Conti, et honoré
de sa familiarité, 170 et 171.
— Pendant la session de Pé-
zenas il dut trouver quel-
que refroidissement, l'évêque
d'Aleth ayant exhorté le
prince à faire pénitence, 170.
— Dans des intervalles de
liberté à Pézenas, Molière et
sa troupe purent faire dans
les villes voisines des excur-
sions qui ont donné lieu à
des traditions plus ou moins
légendaires. — La plus célè-
bre et la plus intéressante
est celle du fauteuil de la
boutique du perruquier-bar-
bier Gély, dont Molière avait
fait un poste d'observation,
178-173. — De Pézenas, Mo-
lière va à Narbonne. — Il
demande la permission d'y
séjourner quinze jours. —
Le conseil de cette ville lui
accorde pour ses représenta-
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
527
lions la grande salle de la
maison consulaire, 176 et
177. — Entre le moment où
il quitta Narbonne et celui
où il \int à Bëziers, il n'est
pas certain qu'il ait donné
des représentations dans quel-
ques villes qu'on a nommées,
178-180. — Il est appelé à
Béziers pour la session des
états tenus du 17 novembre
i656 au 1°"^ juin lôSj. Là, il
fit jouer pour la première
fois le Dépit amoureux, 181.
— Quelques-uns veulent qu'il
ait fait jouer en province,
outre r Etourdi et Dépit amou-
reux, les Précieuses ridicules,
184-187. — Il est à Lyon
en 1657 avec sa troupe à
qui le prince de Conti or-
donne de ne plus se recom-
mander de son nom, 187 et
188. — De Lyon, Molière se
rend à Dijon, où résidait le
duc d'Epernon, devenu gou-
verneur de la Bourgogne. —
Il y donne des représenta-
tions, 189. ■ — Après Dijon,
il retourne probablement à
Pézenas, pendant la session
des états, ouverte le 8 octo-
bre 1657; car on ne voit pas
dans quelle autre circonstance
il aurait pu se trouver en
Languedoc avec Mignot, dit
Mondorge, que plus tard il
reconnut, se souvenant d'a-
voir joué avec lui. — Pen-
dant cette session de i658 à
Pézenas, la lrouj)e à laquelle
appartenait Mignot était ve-
nue jouer pour les états. —
Ce Mignot fut très généreu-
sement secouru par Molière
à Auteuil, 190 et 191. — A
la fin de lôSj, au plus tard
au commencement de i658,
Molière est à Avignon, où il
se lie d'amitié avec Pierre
Mignard, 191-193. — D'Avi-
gnon il va directement à Gre-
noble, où il arrive en février
i658 et passe le carnaval. —
De Grenoble, pour s'appro-
cber de Paris, il se rend à
Rouen, ig5. - — Pendant son
séjour dans cette ville, il fait
secrètement quelques voya-
ges à Paris. — Ce fut peut-
être le succès de ces voyages
qui fit renoncer à la location
du jeu de paume des Marais,
signée par Madeleine Bé-
jart, 199 et 200. — Molière
revient en octobre s'établir à
Paris, où Monsieur, frère du
Roi, prend la troupe sous sa
protection, 200 et 201. —
Le 24 octobre i658, il paraît
devant le Roi et toute la cour
dans la salle des gardes du
Vieux Louvre, 301 et 202.
— Il y f'iit représenter le
Nicomède de Corneille, et,
après, un compliment adressé
au Roi, il termine le spectacle
par son Docteur amoureux,
202-2o5. — Le Roi lui donne
la salle du Petit-Bourbon, où
la troupe commence à jouer le
2 novembre i658. — Avant
la fin de l'année, Molière y
fait représenter son Etourdi
et son Dépit amoureux, 206 et
207. — Ces deux comédies
528 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
sont jouées devant le Roi en
1659, la seconde en visite au
château de Chilly , le 28 avril,
sio et 211, — la première le
10 mai, au Louvre, 212. —
Appelé de nouveau au Lou-
vre, le 17 mai, il fait repré-
senter devant le Roi le Mé-
decin volant^ une de ses far-
ces, et Gros-René écolier, 21 3.
Le 18 novembre 1669, il fait
paraître sur le théâtre du
Petit-Bourbon les Précieuses
ridicules, 2i3 et 214. — H
donne sur ce même théâtre
lacomédiedu Cocu imaginaire,
qui plut extrêmement, 228.
— Sans son autorisation, la
première édition de cette
pièce est publiée en 1660,
233 et 234- — Singulière his-
toire de cette édition et des
suivantes faites au nom de
3Iolière, qui se soucie peu de
défendre ses droits de pro-
priété. Il réservait ses soins
pour les représentations, 234
et 235. — Il fait jouer le 4
février 1661 au Palais-Royal
son Dom Garde de Navarre,
qui ne plut pas, et qu'il fallut
retirer après le 17 février,
date de la septième repré-
sentation, 235. — Encouragé
par des représentations don-
nées devant le Roi, il tente
en i663 de remettre Dom
Garde à la scène. — Cette
nouvelle tentative n'ayant
pas réussi, il laisse la pièce
disparaître du théâtre, et ne
la fait pas imprimer, 239. —
Le 24 juin 1661, il fait jouer
l'École des maris, pièce nou-
velle, 239. — Elle n'est pas
sans de frappants rapports
avec son projet de mariage,
déjà connu en cette année
1661 par ses camarades, 241-
— Deux mois après l'École
des maris, il eut une nouvelle
pièce toute prêle, les Fâ-
cheux, qui fut représentée
pour la première fois dans
les jardins de Vaux, le 17
août 1661, 243 et 244- — II
joua plusieurs rôles dans
cette comédie, 247' — H
épousa, le lundi 20 février
1663, Armande Béjart, 25o,
à la note. — Il avait pris soin
de son éducation, 25 1 et 252.
— La calomnie qui l'a accusé
d'avoir épousé sa fille ne
mérite pas d'être discutée,
263 et 264. — La requête,
présentée au Roi par le co-
médien Montfleury en i663,
disait seulement que la femme
de Molière était fîUe de sa
maîtresse, sans aller au delà
d'une insinuation perfide,
265. — Le contrat des deux
époux fut signé par le père
de Molière, qui fut présenta
la célébration du mariage,
268. — Les avantages que
procura à Molière sa charge
de valet de chambre du Roi
ne doivent pas être exagérés.
— \j'en-cas de nuit est une
légende dont on a eu raison
de faire justice. — Ce ne fut
point en considération de
son petit office que des sei-
gneurs l'admirent dans une
DE LA. NOTICE BIOGRAPHIQUE.
529
assez grande familiarité, 269.
— IMontausier veut que Mo-
lière soupe avec lui, 270. —
Molière fait représenter, le
aG décembre 1662, son École
des femmes. — Il y joua le
rôle d'Arnolplie , caractère
opposé au sien. — 11 n'y
donna pas de rôle à sa femme,
271. — Sa Critique de V Ecole
des femmes, réponse aux dé-
tracteurs de sa précédente
comédie, est représentée pour
la première fois le i"" juin
i663. — Elle donne le signal
d'une guerre très méchante
qu'on lui fait, 276. — De
Visé écrit contre lui la comé-
die de Zélinde, destinée à
l'Hôtel de Bourgogne, et
Boursault celle du Portrait du
Peintre, qui j fut jouée, 277-
281. — Le surnom de Peintre
par lequel ses ennemis le dé-
signaient était bien mérité,
279. — 11 va voir à l'Hôtel
de Bourgogne le Portrait du
Peintre, et l'écoute avec sang-
froid, 281. — 11 riposte par
V Impromptu de Versailles, re-
présenté à Versailles pour le
Roi, au mois d'octobre i663,
283. — Il y flagelle Bour-
sault, qu'il nomme, 285. —
Il y contrefait les Grands
Comédiens, et raille leur
déclamation dans les tragé-
dies, 286. — • Sur la liste des
pensions de i663 il est in-
scrit pour une pension de
mille livres, comme « excel-
lent poète comique ». — Il
reconnaît ce bienfait par le
Molière, x.
charmant Remerciment au Roi,
286 et 287. — Un brutal ou-
trage est fait à Molière par
im courtisan qui s'est re-
connu dans le « Tarte à la
crème » du marquis de la
Critique. — Les uns impu-
tent l'indigne vengeance à la
Feuillade, les autres au comte
d'Armagnac, grand écuyer de
France, 288-290. — Molière,
quoiqu'il se soit moqué des
marquis extravagants, arendu
justice au bon et fin juge-
ment de la cour, 290 et 291.
On cherche à l'écraser sous
la gloire de Corneille, 291
et 292. — Sachant que ce-
lui-ci estime inférieur le
genre comique, il prend sa
revanche contre le tragique,
dont il parle avec irrévérence
dans la Critique de V Ecole des
femmes, 2g3. — 11 avait fait
dans l'Ecole des femmes une
allusion moqueuse à Thomas
Corneille de l'isle. — Un
passage de V Impromptu ferait
croire qu'il soupçonnait le
grand Corneille d'avoir mis
quelques traits de son pin-
ceau dans le Portrait du pein-
tre, 294' — Antoine Mont-
fleury continue la guerre
contre Molière par une co-
médie intitulée : l" Impromptu
de rHdtel de Condé, où il se
venge de ses railleries sur
les Grands Comédiens, en se
moquant à son tour de sa
récitation, 296 et 296. —
Citation des vers assez jolis
où il fait un portrait de Mo-
34
53o TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
Hère. — Comparaison de ce
portrait avec celui que l'on
trouve dans les Mémoires de
La Serre, 297 et 298. — De
Visé attaque de nouveau
Molière dans la Vengeance
des marquis, où il ne s'atta-
que pas seulement au comé-
dien, mais à l'homme dans sa
■vie privée, 298-300. — Ab-
surdes contes de l'auteur de
la Fameuse Comédienne sur les
infortunes domestiques de
Molière, 3oi et 3o2. — 3Io-
lière fait représenter au Lou-
vre, le 2g janvier 1664, le
Mariage forcé, comédie-ballet.
— Au mois de mai de la
même année, le Roi met le
zèle de Molière à contribu-
tion pour les Plaisirs de Vile
enchantée, 3o3. — Ces fêtes
furent un danger pour son
bonheur conjugal, 3o4. —
Ce fut alors que, le 4 mai,
on représenta sa Princesse
d'Elide, — Il y jouait le rôle
de Moron, 3o5 et 3o6. —
Dans ces mêmes fêtes de
mai 16G4, il fait représenter
devant le Roi trois actes du
Tartuffe, Sog. — Rien n'au-
torise à supposer dans cette
comédie un parti pris d'hos-
tilité contre les croyances
chrétiennes, 3io et 3ii. —
Elle soulève de puissantes
réclamations qui décident le
Roi à ne point la laisser jouer
en public, 3i4. — Molière,
en mai 1664, va plaider à
Fontainebleau, auprès du
Roi, la cause de son ou^Tage,
3i5. — Appelé à Fontaine-
bleau, avec sa troupe, au
mois d'août 1664, il fait une
lecture du Tartuffe au cardi-
nal Chigi, 3i5 et 3i6. —
Dans un premier placet au
Roi, il se plaint des violentes
attaques du curé de Saint-
Barthélémy, 3 16. — Il fait
jouer, le i5 février i665, au
Palais-Royal, son Festin de
Pierre, qui marque sa réso-
lution de ne pas se laisser
désarmer par la guerre faite
au Tartuffe, 320. — Sa nou-
velle comédie est singulière-
ment hardie. — Il y intro-
duit une scène dans laquelle
il recommence les hostilités
contre l'hypocrisie, 322. —
Ses hardiesses sont dénon-
cées dans le libelle d'un soi-
disant Rochemont, avocat au
Parlement, 323 et 324- —
Le Festin de Pierre jugé plus
que sévèrement par le prince
de Conti. Molière n'a pas
voulu prêcher l'athéisme
dans sa pièce, qui n'est ce-
pendant pas sans danger,
324 et 325. — Il fut évidem-
ment invité à ne pas la faire
reparaître après la quinzième
représentation. — Il ne la
fit pas imprimer, 325. — De
grandes marques de la faveur
royale lui sont données au
mois d'août i665. — Le 12 juin
précédent, dans le Favori de
Mlle des Jardins, joué à Ver-
sailles, il avait fait le Prologue
en marquis ridicule. — La
perte de ce prologue est re-
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
53i
grettable, 326. — Après que
sa troupe fut devenue la
troupe du Roi, le premier
ouvrage de Molière qu'elle
joue est r Amour médecin (sep-
tembre i665), 827. — Expli-
cation qu'on a prétendu don-
ner de ses hostilités contre
la médecine, 828. — Ce qu'il
est plus juste d'en penser,
329 et 33o. — Le docteur
Mauvillain était chargé de le
soigner: c'était une sinécure.
— Personnalités contre les
médecins de la cour dans
V Amour médecin, 33 1. — Ce
qu'il dit, dans la préface de
Tartuffe (1669), des médecins
qui ont pris doucement ses
plaisanteries. — Cette douceur
était feinte ; ils l'ont montré
après la mort de Molière,
332. — Le 4 jan'^'ier 1666,
il fait représenter au Palais-
Rojal la pièce nouvelle du
Misanthrope, 333. — Le fai-
ble succès de ce chef-d'œuvre
ne le décourage pas. — Un
tel ouvrage porte témoignage
de l'élévation d'âme de son
auteur, 334 et 335. — Il
donne un moment à son
Misantlirope ce titre : V Atra-
bilaire amoureux . — C'est sur-
tout du côté de l'amour d'Al-
ceste qu'il paraît s'être joué
lui-même dans le rôle de ce
personnage, 336. — L'élo-
quence de la passion d'Al-
ceste lui a été inspirée par
les agitations de son propre
cœur, 337. — Sur les dates
de l'histoire de son ménage
on manque de renseigne-
ments suffisants. 338. — II
est loin d'être prouvé qu'il
ait été aussi trompé qu'on l'a
dit, 339 et 340. — Il fut tou-
tefoismal récompensé dans sa
tendresse. — Ses confidences
douloureuses à Chapelle ra-
contées dans la Fameuse Co-
médienne, 340. — Ces confi-
dences sontpeu authentiques,
341. — Quelques passages en
sont cités, 342- — Grimarest
rapporte une confidence peu
différente faite par Molière à
Rohault, 341-343. — Les
satiriques, tels que Chalus-
say, ont donné à Molière le
nom d'hypocondre. — Sur
sa tristesse divers témoigna-
ges sont d'accord, 344- — •
Sa continuelle étude du cœur
humain dut le disposer à
une philosophie un peu
amère, 345- — Sous le nom
de Lucile, personnage du
Bourgeois gentilhomme, il a
fait de sa femme un char-
mant portrait, 348-35o. —
Aux peintures qu"il a faites,
dans ses comédies, de la pas-
sion des amants, plus encore
que des amantes, on recon-
naît qu'il avait le cœur ten-
dre, 35o et 35i. — Portrait
de Molière tracé par la Serre,
d'après Mlle Poisson, 352 et
353. — Les dates des brouilles
et celles des raccommode-
ments dans son ménage n'ont
pas été exactement fixées,
353-355. — Dans l'histoire
de ses dissensions domesti-
53a TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
ques, Grimarest lui prête,
avec invraisemblance, une
philosophie trop indifférente,
355. — Une des réconcilia-
tions des deux époux est évi-
demment mal datée par Gri-
marest, 356-358. — Nais-
sance d'un fils de Molière, le
i5 septembre 1672, 357. —
Son premier enfant, qui avait
aussi été un fils, était né le
19 janvier 1664. — En août
i665 était née sa fille Esprit-
Madeleine, 358. — Molière
et Racine se connaissaient
assez familièrement dès )663.
— Molière ne protégea pas,
autant qu'on l'a dit, le jeune
Racine, et jamais ne l'accabla
de bienfaits, 36i et 362. —
Il fait jouer sur son théâtre
VAlexandre le Grand de Ra-
cine (4 décembre i665), 364-
— Il est très blessé lorsque,
le 18 du même mois, cette
tragédie est jouée à l'Hôtel
de Bourgogne en même temps
qu'au Palais-Royal, 366. —
Il ouvre son théâtre à la
Folle querelle ou la Critique
£ Andromaque^ comédie sati-
rique de Subligny, 368. —
On répandit le bruit ridicule
qu'il en était l'auteur. — Il a
défendu les Plaideurs de Ra-
cine contre ceux qui en di-
saient du mal, 369. — A
l'occasion du Misanthrope,
Racine a parlé avec justice
du talent de Molière, 370. —
Refondant le Fagotier, farce
tirée des vieux fabliaux, et
jouée sur son théâtre en
1661, il en fait le Médecin
malgré lui, représenté pour
la première fois le 6 août
1666, 374. — Au Ballet des
Muses, donné à Saint-Ger-
main, Molière contribue par
Mélicerte, la Pastorale comique
et le Sicilien. Ce dernier ou-
vrage est représenté à la fin
des fêtes (1667), ^74 et 375.
— Cette année 1667, il fut
pendant quelques mois très
malade; le bruit courait qu'il
était mourant. — Il ne repa-
rut au théâtre qu'en juin. —
Il s'était rétabli en buvant du
lait. Il se mettait d'ordinaire
à ce régime pour soigner sa
toux, 876. — Il fait jouer au
Palais-Royal Tartuffe, sous
le titre de Vlmposteur, le
5 août 1667. — Le premier
Président en ayant défendu
les représentations, Molière
envoie au camp devant Lille
\ine supplique au Roi (c'est
le Second Placet), dans la-
quelle il ose dire qu'il renon-
cera certainement au théâtre,
« si les Tartuffes ont l'avan-
tage », — Les comédiens,
porteurs du placet, revien-
nent avec de bonnes paroles;
mais une ordonnance de l'ar-
chevêque de Paris étant in-
tervenue, la défense n'est
pas levée. — Molière décou-
ragé songe probablement à
se retirer. Son dépit expli-
que les représentations in-
terrompues du 6 août 1667
jusqu'au aS septembre, 377
et 378. — Ce fut à peu près
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE. 533
à ce moment-là que Molière
alla vivre à Aulcuil, 379. —
Noms de quelques amis qu'il
y recevait. — Anecdote du
souper d'Auteuil, 38o. —
Dans un souper très anté-
rieur, il avait exalté par une
parole charmante le talent
de la Fontaine, sur qui ses
amis s'étaient permis des
railleries. — Lui-même un
jour fut déclaré par Boileau,
répondant à une question du
Roi, celui des grands écri-
vains qui avait le plus illus-
tré le règne, 38 1. — Il fait
représenter sa comédie à^ Am-
phitryon au Palais-Royal le
i3 et le i5 janvier 1668, et
le 16 du même mois aux Tui-
leries, devant le Roi. — Il
est faux que dans cette pièce
il ait bassement flatté les
passions de Louis XIV, 383.
— Il y a été très hardi con-
tre les puissants, 384- —
En 1668, il fait jouer deux
fois le Tartuffe chez le grand
Condé, 385 et 386. — La
même année, au mois de
juillet, sou George Dandin est
joué à Versailles, puis en
novembre trois fois à Saint-
Germain, du 3 au 6, enfin au
Palais-Royal le 9 novembre,
388. — Il fait représenter, le
9 septembre 1668, sa comé-
die de l'Avare au Palais-Royal.
— Elle fut moins goûtée,
parce qu'elle était eu prose,
389. — Plus tard Fénelon,
Ménage, Boileau même, à ce
qu'on prétend, mettaient sa
prose au-dessus de ses vers.
— Fausseté de quelques ju-
gements portés sur ses vers,
389-392. — Sa conduite gé-
néreuse avec son père, par
devoir, croit-on, plutôt que
par véritable tendresse, 394.
— Le fait qu'il aurait joué
Tartuffe en visite le jour de
la mort de son père est dé-
menti par les dates. — Le
9 août 1669, il prend soin
de la mémoire de son père
en payant une dette assez
forte qu'il a laissée, SgS et
396. — Il obtient enfin la
permission, le 5 février 1669,
de faire représenter au
Palais-Royal le Tartuffe, qui
y fut joué ce jour-là même,
comme pièce nouvelle. C'était
la seule représentation qui
comptât, celle de 1667 ayant
été sans lendemain. — Il en
remercie le Roi, dans son
troisième placet, par lequel il
sollicite un canonicat pour le
fils de son médecin, 396. —
Le 6 octobre i668, on joue
pour la première fois son
Pourceaugnac, dans les diver-
tissements de Chambord,
3g8. — Ses Amants magnifi-
ques sont joués à Saint-Ger-
main en février 1670, 4oo-
— Dans les vers des Inter-
mèdes, qu'il avait écrits, il
avait imité la manière de
Bensserade, peut-être pour
s'en moquer. B'^nsserade prit
sa revanche assez plaisam-
ment, 401. — Dans le rôle
de l'astrologue Anaxarque,
534 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
Molière fait reconnaître qu'il
a été disciple de Gassendi. —
Il jouait le rôle de Clitidas,
auquel il a donné quelques-
uns de ses propres traits,
4oa. • — Il fait venir Baron
de province pour lui donner
place dans sa troupe, et le
reçoit avec de touchantes
marques d'amitié, 4o4- —
Son Bourgeois gentilhomme est
joué à Chambord le i3 octo-
bre 1670, 406, — au Palais-
Royal le a3 novembre sui-
vant, 4o9' — Le Roi lui
commande la tragédie-bai];,t
de Psyché, — Les ordres lui
laissent si peu de temps qu'il
doit prendre un collabora-
teur, qui fut Corneille. — Le
plan tout entier est de Mo-
lière. — La première repré-
sentation est donnée, le 17
janvier 1671, aux Tuileries,
409 et ^\o. — Le 24 niai
1671, Molière fait jouer ses
Fourberies deScapin. — Boileau
y trouve trop de bouffonne-
rie, 4i3 et 4i4- — Jaloux du
soin de la santé de Molière
et aussi de la dignité de son
génie, Boileau, d'après le
Bolxana, cherche à lui per-
suader de ne plus paraître
sur la scène. — Molière sou-
tient qu'il y a un point
d'honneur pour lui à ne point
quitter ses camarades, 4i4-
— Le 2 décembre 1671, il
fait représenter à Saint-Ger-
main sa Comtesse d! Escarba-
gnas, destinée à lier divers
fragments des ballets des
années précédentes, dont
était composé le Ballet des
Ballets, 416. — Lorsque, le
8 juillet 167a, la Comtesse
d'Escarbagnas est jouée avec
le Mariage forcé, Molière fait
remplacer dans la comédie-
ballet de 1664 la musique de
Lulli, avec qui il est brouillé,
par celle de Charpentier,
417. — Il renouvelle la
guerre contre les sottises du
bel esprit par les Femmes sa-
vantes, jouées au Palais-Royal
le 1 1 mars 1672, 419- — Pro-
voqué par des attaques in-
jurieuses, il met dans cette
comédie des modèles vivants
sur la scène. — Deux jours
avant la représentation, il
déclare dans une harangue
au public qu'il ne faut pas
chercher de personnalités
dans sa pièce. Elles étaient
si évidentes que ce fut plu-
tôt plaisanter que mentir,
420. — Dans cette comédie il
rend encore une fois justice
à la politesse et à l'agréable
esprit de la cour, 420 et 421.
— A la fin de 1672, sa santé
donne des inquiétudes de
plus en plus sérieuses, 4^2
et 4^3. — Il perd, le ir oc-
tobre 1672, son dernier fils,
âgé de moins d'un mois. —
Cette mort lui cause un cha-
grin qui aggrave ses souf-
frances. — Il était père ten-
dre. Dans le sonnet touchant
qu'en 1664 il adressa à son
ami La Mothe le Vayer,
qui venait de perdre son fils,
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
535
on trouve, ainsi que dans les
lignes dont il l'a fait sui-sTe,
la preuve de la douleur que
lui causait à lui-même la
prévision d'une fin prochaine
de son premier fils, 4^3 et
424. — Aux tortures infligées
à son cœur par la désunion
dans son ménage se joi-
gnaient les fatigues accablan-
tes de l'incessante produc-
tion de ses comédies, de sa
dépense de forces comme
acteur, de ses travaux de di-
recteur de théâtre, 425. —
Il avait affaire à un public
souvent peu commode, à des
classes privilégiées qui gê-
naient les acteurs sur le théâ-
tre, à un populaire se li%Tant
souvent à de graves désor-
dres, 425 et 426. — Eton-
nant mélange de gaieté et de
mélancolie dans sa dernière
comédie. — Quel en est le
côté triste, 426. — Molière
y jette un défi à son mal, un
cri de révolte contre la mé-
decine, 427- — I^ Malade
imaginaire, composé pour la
cour, n'y est pas joué : con-
séquence sans doute de sa
brouille avec LuUi. — Mo-
tifs de cette brouille. — La
faveur du Roi est devenue
moindre, 428. — Molière
épanche ses douleurs, en
présence de sa femme et de
Baron, avant la dernière re-
présentation de sa pièce. —
Par des raisons d'une bonté
touchante il se refuse à ne
pas jouer ce jour-là, 428 et
429. — Dans la cérémonie du
Malade imaginaire il a une
convulsion. — On le trans-
porte dans sa maison de la
rue de Richelieu, 43o. — II
est assisté par deux reli-
gieuses. — Il meurt étouffé.
— Il avait envoyé demander
un prêtre, 43 1. — Celui qui
vint, après d'assez longs dé-
lais, arriva trop tard, 432. —
La mort avait été prompte.
Après la comédie jouée le
17 février 1673, Molièrevécut
une heure tout au plus. —
Les deux sœurs qui l'assis-
tèrent, venues à Paris pour
leurs quêtes, avaient reçu de
lui riiospitalité dans sa mai-
son, 433. — Ses funérailles,
le soir du 21 février 1673,
sont racontées par un témoin
dans une lettre à M. Boyvin,
docteur en théologie. — Son
corps est porté dans une
bière de bois recouverte du
poêle des tapissiers, 434- —
Le curé de Saint-Eustache
avait refusé de permettre son
inhumation dans le cimetière
de sa paroisse, 435. — L'ar-
chevêque de Paris, à qui le
Roi a recommandé d'éviter le
scandale, permet la sépul-
ture sainte, avec bien des
restrictions, 44^ et 44i- —
Le corps est porté au cime-
tière Saint-Joseph et enterré
au pied de la croix, 44i' —
On croit qu'il fut nuitamment
exhumé, et transporté dans
une partie du cimetière ré-
servée à ceux qui n'avaient
536 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
pas droit à la terre sainte. —
De cette clandestine viola-
tion de sépulture il n'y a pas
certitude,mais quelques appa-
rences, 441-446- — Exhuma-
tion des restes de Molière
ordonnée en 1792, 446- —
Débris de cercueil et d'osse-
ments recueillis au hasard.
— Le mausolée, construit en
IJ99, transporté au Père-La-
chaise en 1817, et restauré en
1876, n'est qu'un cénotaphe,
447. — Les épitaphes de
Molière, 447 et 448.
Molière (Mlle). Voyez Béjart
(Armande).
Monsieur. Voyez Philippe de
France.
Monsieur de Pourceaugnac, co-
médie-ballet, jouée le 6 oc-
tobre 1669 dans les fêtes de
Chambord. La comédie est
de Molière, la musique de
LuUi. — Vrai comique dans
cette bouffonnerie, 898. —
La cour en fut ravie, comme
les spectateurs du Palais-
Royal, où elle fut représen-
tée le i5 novembre 1669. —
Tirée peut-être d'un de ces
canevas de farces rapportés
de province. — On y trou-
vait un souvenir exact des
rues et places de Limoges,
399. — Conjectures diverses
et toutes incertaines, sur les
raisons du choix d'un Li-
mousin pour être le provin-
cial ridicule, 899 et 400.
MoxTALANT (Mme de). Voyez
PoQtJELiN (Esprit-Madeleine).
M0NTAUSIER (duc de). Appre-
nant qu'on l'avait reconnu
dans l'Alceste du Misanthrope,
il envoie chercher Molière,
l'embrasse et le fait souper
avec lui, 270.
Montfleury (Zacharie Jacob,
dit). Il présente au Roi une
requête contre Molière, dans
laquelle il l'accuse d'avoir
épousé la fille de celle dont
il a été l'amant. — Comment
cette requête est rapportée
par Racine dans une lettre à
un ami, 265 et 36o.
MontfleuryI Antoine Jacob, dit) ,
fils du comédien Zacharie
Jacob Montfleury. Il est au-
teur de r Impromptu de l'Hôtel
de Condé, comédie en vers.
— Pour venger les Grands
Comédiens et particulière-
ment son père, dont la dé-
clamation a été raillée dans
^Impromptu de Versailles, il
fait dans sa comédie une ca-
ricature du jeu de Molière,
295 et 296.
Montpellier. — Molière et ses
camarades furent probable-
ment appelés dans cette ville
pendant la session des états
de 1649 (du i" juin au
aS novembre), 119 et laS.
— Le comte d'Aubijoux était
gouverneur de Montpellier
lorsque le prince de Conti
s'y arrêta pendant une ving-
taine de jours en novembre
et décembre i653. — Mo-
lière et sa troupe étaient au
commencement de i654 à
Montpellier pendant la ses-
sion des états, qui y fut ou-
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
537
▼erte le 16 (non le 7, comme
nous l'avons dit par erreur)
décembre i653, close le 3i
mars suivant, i55 et i56. —
Le prince de Conti ouvre à
Montpellier, le 7 décembre
1654, une nouvelle session
des états, pendant laquelle
Molière revient dans cette
■ville. — Il y figure dans le
ballet des Incompatibles, ib']
et i58.
MoNTPENSiER (Mlle de). Le ai
août 1669, Tartuffe est joué
chez elle en visite, SgS. —
Entre l'histoire de cette
grande Mademoiselle et de
Lauzun, et le roman d'Eri-
phile et de Sostrate dans les
Amants magnifiques, on a re-
marqué une singulière res-
semblance. Elle ne peut être
que fortuite, 40^ et 4o3.
N
Nawtes. C'est à Nantes, le
a3 avril 1648, qu'est consta-
tée, pour la première fois, la
présence de Molière dans la
troupe du duc d'Epernon,
ii5 et 116.
Narbonne. Molière y était avec
ses camarades, en décembre
1649, ^ ^9- — Il y estparrain
le 10 janvier i65o, 120. —
Il y revient, avec sa troupe,
en i656, sortant de Pézenas
où il avait joué pendant la
tenue des états. — Le con-
seil de la ville lui accorde, le
a6 février, la grand'salle de
la maison consulaire pour
ses représentations, 176 et
Xicomède. Cette tragédie de
Corneille est représentée par
Molière et ses comédiens de-
vant le Roi, le 24 octobre
i658. C'est leur première re-
présentation, lorsqu'ils sont
revenus à Paris, aoa.
Palais-Royal. La salle du Pa-
lais-Royal est donnée à la
troupe de Molière après la
démolition du Petit-Bourbon,
226. — C'était dans cette
salle que Mazarin avait donné
de brillants spectacles, lors-
que le Palais-Royal était le
Palais -Cardinal. Il l'avait
inaugurée par la représenta-
tion de Mirame, en 1639,
227. — La troupe de Mo-
lière y commence ses repré-
sentations le2i janvier 1661,
235.
Parc (René Berthelot, dit du).
Il est un des comédiens du
duc d'Epernon, 108, 114,
117. — Il épouse Marquise-
Thérèse de Gorla à Lyon.
— Molière signe à leur con-
trat, le 19 février i653, 129.
— Il se sépare de la troupe
538 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
de Molière, en même temps
que sa femme, au temps de
Pâques 1669. — Son nom de
théâtre était Gros-René, a 10.
— Du Parc rentre au Palais-
Royal en avril 1660, et rem-
place Jodelet dans les Pré-
cieuses ridicules, 223.
Parc (Mlle du). Elle épouse, à
Lyon, René Berthelot, dit
du Parc, 129. — Elle était
fille de Jacomo de Gorla,
qui prenait le titre de pre-
mier opérateur du Roi. —
Marquise était un de ses pré-
noms, i3o. — Elle a été ai-
mée de Corneille et de Ra-
cine, i3o et iSi. — On croit
que de la troupe de Mitallat
elle passa dans celle de Mo-
lière, en i653. — On ne l'y
trouve avec certitude qu'en
septembre et octobre de cette
année, i32. — On a dit que
Molière avait été amoureux
d'elle, mais qu'elle l'avait
traité avec dédain, 141 et
142. — Elle joue, dans la
troupe de Molière, à la
Grange-des-Prés, où Sarra-
zin est amoureux d'elle, i53.
— A Rouen, en i658, elle
inspire de l'amour au grand
Corneille et à son frère, 197
et 198. — Elle quitte, en
lôSg, la troupe de Molière,
avec son mari, et passe dans
celle du Marais, 210. — A
Pâques 1660, elle rentre dans
la troupe de Molière, 223.
— Elle crée, en décembre
i665, le rôle d'Axiane dans
V Alexandre de Racine. — Boi-
leau ne la jugeait pas bonne
actrice. — Racine lui apprit
à jouer les rôles tragiques.
Jusque-là elle n'était char-
mante que dans la comédie,
365. — Aux vacances de Pâ-
ques 1667, elle passe de la
troupe de Molière dans celle
des Grands Comédiens, en-
gagée sans doute à cette dé-
sertion par Racine, qui était
amoureux d'elle, et lui fit
jouer le rôle d'Andromaque
dans la tragédie de ce nom,
368.
Pastorale comique. Sous ce titre,
Molière a composé quelques
scènes très courtes, qui fu-
rent jouées en 1667, dans
le Ballet des Muses, 874 et
375. — En 1671, une autre
Pastorale comique, dont il est
regrettable que rien n'ait été
recueilli, fut jointe par Mo-
lière à la Comtesse d'Escar-
bagnas, dans le Ballet des
Ballets, 416.
Paysant, prêtre habitué de
Saint-Eustache. Il fut appelé
auprès de Molière mourant.
Il arriva trop tard, 432.
PÉEÉFixa (Hardouin de), arche-
vêque de Paris. Il demande,
en 1664, que le Tartuffe ne
soit pas représenté, 3 14. —
Il publie, le II août 1667,
une ordonnance faisant dé-
fense, sous peine d'excom-
munication, de représenter,
lire, ou entendre réciter cette
comédie, 378.
Petit-Bourbon (salle du). Le
Roi la donne à la troupe de
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
539
Molière et aux Italiens. —
Les représentations de la
première de ces deux trou-
pes y commencent le 2 no-
vembre i658, 206. — Cette
salle est démolie en 1660
pour des constructions nou-
velles jugées nécessaires au
Louvre. — La démolition
commence le 11 octobre. Les
comédiens croient avoir à
se plaindre de mauvaises in-
tentions de M. de Ratabon,
surintendant des bâtiments
du Roi, 225.
PÉzEXAS. La troupe de Molière
y donne des représentations
pendant la session des états
de i65i (24 octobre i65o
— 14 janvier i65i), 122. —
Une autre session des états
est ouverte à Pézenas, le
17 mars i653, par le comte
de Roure. Molière a pu s'y
trouver. — Il est appelé
par le prince de Conti, en
présence de qui il se re-
trouve en septembre i653,
au château de la Grange-
des-Prés, résidence du prince
aux portes de Pézenas, i5o.
— La troupe de Cormier
vient à Pézenas dans le même
temps que celle de Molière,
i52. — Conti se décide non
sans peine à congédier Cor-
mier, qu'il a d'abord favorisé
à l'exclusion de Molière, i52
et i53. — Il convoque, à Pé-
zenas, une session des états,
qui s'ouvre le 4 novembre
i655. — Il loge, avec la
princesse de Conti, dans l'hô-
tel d'Alfonce, où il donne
l'hospitalité à la comédie,
169. — Deux jours après la
clôture de cette session des
états (22 février i656), Mo-
lière donne, le 34 février,
quittance d'une somme de
24 000 livres, reçue du tré-
sorier de la bourse des états,
178. — Une nouvelle session
est tenue à Pézenas (8 octo-
bre 1667 — 24fé^Tier i658),
ouverte par le duc d'Arpa-
jon, lieutenant général de la
province. Une anecdote rend
vraisemblable que Molière
s'y trouve avec sa troupe, en
même temps qu'une autre
troupe, 190 et 191.
Philippe de Frajxce (Monsieur,
frère du Roij. Il porte le ti-
tre de duc d'Anjou jusqu'à la
mort de son oncle Gaston. Il
prend alors celui de duc d'Or-
léans. — Il devient le pro-
tecteur de la troupe de Mo-
lière et promet à chacun des
comédiens une pension de
trois cents livTes, qui ne fut
point payée, 200 et 201. —
Le 25 septembre 1664, les
trois premiers actes de Tar-
tuffe sont joués pour lui à
Yillers-Cotterets, 817. — En
1 665, il cède au Roi sa troupe,
qui devient la troupe du Roi,
826. — Quand deux des comé-
diens, qui lui avaient appar-
tenu, viennent, en 1667, au
camp devant Lille, présenter
le placet de Molière, il les
protège à son ordinaire, 877.
Plaisirs de l'Ile enchantée (les).
540 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
Célébrité historique de ces
fêtes galantes, données à
Versailles en mai 1664, 3o3.
— La troupe de Molière y
figure dans plusieurs diver-
tissements. — Ils sont une
dangereuse occasion pour la
coquetterie de Mlle Molière,
304.
Poisson (Mlle). Cette fille de
Philibert du Croisy a fourni
au biographe La Serre le por-
trait qu'il nous a laissé de
Molière dans ses Mémoires,
35a et 353.
PoQUELiN (Jean), père de Mo-
lière. Sa famille, i et 2. —
Marchand tapissier, marié le
37 avril 1621 à Marie Cressé,
fille d'un tapissier, 2. — On
l'a nommé faussement mar-
chand fripier, 9. — Il est
veuf en mai i632, 11. — Il
se remarie le 3o mai r633, 12.
— Il devient tapissier ordi-
naire du Roi, un de ses frè-
res, Nicolas, s'étant démis de
cet office à son profit. — En
1637, il en obtient pour son
fils aîné (Molière) la survi-
vance, 14. — Il a tenu à lui
donner une instruction éten-
due, 63. — Il est assez pro-
bable qu'eu 1642 il l'envoya
à sa place comme survivan-
cier, quand Louis XIII fit le
voyage de Narbonne, 64. —
Il voulut, suivant Charles
Perrault, faire opposition au
dessein de ce fils d'entrer
dans une association de co-
médiens, 68. — Sa résis-
tence ne semble pas avoir été
très ferme, 70. — On en
trouve une preuve dès les
commencements de l'Illustre
théâtre, 82. — En décembre
1646, il promet de payer à
Léonard Auhry la dette de
son fils, si elle n'est point
payée par celui-ci, loa et
io3. — En 1649, il parfait le
payement de cette dette, et,
sollicité par Molière, il paye
également un autre de ses
créanciers, io3. — Dans un
acte daté de Rouen, le 12
juillet i658, Madeleine Bé-
jart élit domicile à Paris,
dans la maison de Jean Po-
quelin, ce qui paraît prou-
ver chez lui une grande to-
lérance, tout au moins alors,
du genre de vie de Molière,
200. — Aucune vraisemblance
que Molière, dans son Avare^
l'ait pris pour modèle d'Har-
pagon. — Il est d'ailleurs
vrai que Jean Poquelin a fait
naître par certains actes le
soupçon d'habitudes trop
mercantiles, 393. — En plu-
sieurs circonstances il a trouvé
Molière d'une conduite gé-
néreuse envers lui. — Les
relations entre eux ne sem-
blent pas toutefois avoir été
très affectueuses. — Jean
Poquelin meurt le 25 février
1669, 394. — Il reste débi-
teur d'une somme assez forte
qui, après sa mort, est payée
par Molière, 395 et 396.
Poquelin (Nicolas), oncle de
Molière. — Il se démet, le
a avril i63i, de son office de
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5Ai
tapissier ordinaire du Roi,
pour le céder à son frère
aîné Jean Poquelin, 14.
PoQUELix (Jean-Baptiste). Voyez
Molière.
PoQuELijf (Jean), dit le jeune,
fils, comme Molière, de Jean
Poquelin et de Marie Cressé,
12. — Son père lui transfère
la survivance à laquelle a re-
noncé son aîné. — Il est dit
pour la première fois « ta-
pissier et valet de chambre
ordinaire du Roi » dans un
acte du 14 septembre i654,
par lequel sou père lui cède
son fonds de commerce. —
Il est légalement reçu survi-
vancier en 1657 au plus tard.
— Il meurt le 6 avril 1660, 72.
P0QUEL15 (Nicolas), frère de
Molière, fils de Jean Poque-
lin et de Marie Cressé, 12.
Poquelin (Marie -Madeleine),
sœur de Molière, fille de
Jean Poquelin et de Marie
Cressé, 12. — Son mari, An-
dré Boudet, signe au contrat
de Molière et d'Armande Bé-
jart et est présent à la célé-
bration de leur mariage, 268.
PoQUELix (Catherine), fille de
Jean Poquelin et de Cathe-
rine Fleurette. — Elle est
née en i634- — Elle entra
au couvent de Sainte-Marie
de Montargis, 12. — Quel-
ques-uns ont conjecturé que
cette Religieuse de la Visita-
tion avait pu être une des
quêteuses venues à Paris, qui
se trouvèrent près du lit de
Molière mourant. — On a
objecté la claustration abso-
lue des Visitandines, 433 et
434.
Poquelin (Marguerite), fille de
Jean Poquelin et de Cathe-
rine Fleurette. — Elle mou-
rut en bas âge, peu de jours
après sa mère, en i636, 12.
Poquelin (Louis), fils de Mo-
lière, né le 19 janvier 1664,
levé sur les fonts le 28 février
suivant par le duc de Créqui
pour le Roi et par la maré-
chale du Plessis pour la du-
chesse d'Orléans, 269 et 358.
— Il ne vécut que neuf mois,
423.
Poquelin (Esprit-Madeleine),
fille de Molière, née en i665.
— Elle eut pour parrain Es-
prit de Rémond, marquis de
Modène, pour marraine Ma-
deleine Béjart, 358. — Mo-
lière l'avait auprès de lui à
Auteuil et prenait soin de
l'élever, 456. — Elle avait
sept ans et demi lorsqu'elle
perdit son père. — Placée
sous la tutelle de sa mère et
de Guérin, à sa majorité elle
prit contre eux des précau-
tions qui marquaient qu'elle
se défiait de leur administra-
tion, 457. — Elle alla de-
meurer, comme pension-
naire, au couvent des Reli-
gieuses de la Conception. —
On dit que, vers i685, elle
avait été enlevée par Claude-
Rachel de Montalant, qu'elle
aimait. L'enlèvement estdou-
teux. — Elle fut épousée, le
5 août 1705, par ce veuf qui
542 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
n'était ni jeune, ni riche
comme elle. — Elle mourut
quinze ans avant lui, le
23 mars 1728, sans laisser
d'enfants, 458 et 459.
PoQUELiN (Pierre- Jean -Bap-
tiste-Armand), fils de Molière,
né le i5 septembre 1672. Il
vécut un peu moins d'un
mois. — Pierre Boileau Puy-
morin fut son parrain, la
fille de Mignard sa marraine,
357. — Quoiqu'il fût en si
bas âge quand il mourut, sa
mort toucha profondément
Molière, alors très souffrant,
423 et 424.
Précieuses ridicules [les). Quel-
ques-uns pensent que cette
comédie fut jouée en pro-
vince, avant le retour à Paris
de la troupe de 3Iolière. —
Examen de cette opinion,
184-187. — Mlle des Jardins
a écrit le Récit de la farce des
Précieuses, 186, 187 et 21 4-
— La seconde représenta-
tion n'eut lieu que le 2 dé-
cembre suivant, un « alcô-
viste de qualité » ajant fait
interdire ce spectacle pen-
dant quelques jours, 214 et
2i5. — Dans la préface de
la pièce, imprimée l'année
suivante, Molière distingue
les vraies précieuses des faus-
ses, 2i5. — Succès de cette
comédie, qui fut un grand
service rendu au bon goût,
216. — Le public en raffola.
La cour y applaudit comme
la ville, 217. — Comment
Molière jugeait lui-même son
ouvrage. — Il s'y montra
excellent acteur dans le rôle
de Mascarille, 218. — En
dépit de quelques détrac-
teurs, du nombre desquels
fut Thomas Corneillle, l'en-
thousiasme du public fut
inouï et durable, 217-222.
— La pièce fut jouée en
présence du Roi, le 29 juil-
let 1660, à Vincennes, et le
21 octobre, au Louvre, le 26
du même mois chez le cardi-
nal Mazarin, malade, 223.
Princesse (T Eitde (la), jouée, le
8 mai i6fi4i à Versailles. Le
sujet était tiré d'une pièce
de Moreto. — Commencée
en vers, elle a été, faute de
temps, finie en prose, après
le 39° vers de la scène i de
l'acte II, 3o5 et 3o6.
Provençal, surnom d'un valet
de Molière, que celui-ci
traita, dit-on, un jour avec
brusquerie, 352. — Sa cu-
rieuse biographie a été écrite
en 1887 par M. Monval,
note 2 de la même page.
Psyché, tragédie-ballet com-
mandée par le Roi, 4o9- —
Pressé parles ordres du Roi,
Molière dut prendre un col-
laborateur. Ce fut Corneille.
— La part de chacun des
deux poètes est belle. — • La
première représentation de
la pièce fut donnée le 17 jan-
vier 1G71 dans une magni-
fique salle desTuileries, 4iOi
— Psyché ne fut jouée au
Palais-Royal que six mois
après, 4ï3-
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
543
R
RAcrNE (Jean). En 1660, il des-
tinait une pièce au Marais,
une autre à l'Hôtel de Bour-
gogne, 359. — Deux de ses
lettres de i663 prouvent que,
dès lors, il connaissait Mo-
lière assez familièrement. —
Dans l'une d'elles il parle de
la Requête de Montfleury con-
tre Molière. — On lui a re-
proché injustement de n'a-
voir pas témoigné d'indigna-
tion, 36o. — Prétendus bien-
faits dont Racine serait
redevable à Molière, 36i.
— Fausse légende de la Thé-
haïde de Racine, corrigée par
Molière, 362. — Cette Thé-
bàide est représentée au Pa-
lais-Royal le 20 juin 1664,
363. — Agréables réunions
de poètes où Racine se trouve.
— Aucun témoignage ne fait
connaître celles où il se ren-
contre avec 3Iolière, 363 et
354. — Dans la Psyché de la
Fontaine, Racine est Acante.
Il est certain que primitive-
ment Molière, sous le nom
de Gélaste, j était un des
quatre amis dont il est parlé
au début du roman. — Re-
présentation de VAlexandre
le Grand de Racine, au Pa-
lais-Royal, le 4 décembre
i665, 364. — Acteurs qui en
créèrent les rôles. — Racine
est peu content d'eux. Ses
amis lui conseillent de don-
ner sa tragédie aux Grands
Comédiens, 365. — Le i5 dé-
cembre i665, la comtesse
d'Armagnac fait représenter
chez elle Alexandre par la
troupe royale devant le Roi,
3Ionsieur et Madame. —
Trois jours après, il est joué
à l'Hôtel de Bourgogne, en
même temps qu'au Palais-
Royal. — Mécontentement
de Molière et de sa troupe,
qui ne croient plus devoir à
Racine ses parts d'auteur,
366. — Ce fut apparemment
Racine qui engagea Mlle du
Parc à quitter, en 1667, le
Palais-Royal pour passer à
IHôtel de Bourgogne, où il
lui fit jouer le personnage
d'Andromaque dans la tragé-
die de ce nom. — Pour le
chagriner, on représente la
Folle querelle ou la Critique
d''Andromaque , au Palais -
Royal, le 18 mai 1668, 368.
— Ses Plaideurs sont défen-
dus par Molière contre leurs
mauvais juges, 36g. — Ra-
cine, après la première re-
présentation du Misanthrope,
ne veut pas croire ceux qui
cherchent à lui en donner
une idée défavorable. — H y
a toutefois, dans VAvis au
lecteur imprimé à la tête des
Plaideurs, une phrase déso-
bligeante pour l'auteur co-
mique ; et, si l'on en croit le
Boleeana, Racine aurait dit à
Boileau qu'il l'avait vu rire à
la représentation de V Avare,
544 TABLB ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
mais rire tout seul, 870. —
Grimarest ne peut être cru
lorsque, dans un passage
étrange de sa Fie de M. de
Molière, il prétend que Mo-
lière allait jusqu'à refuser
toute estime à M. R... (évi-
demment ^ac/«e), 37T et 372.
Ragueneau (Cyprien). Son rôle
dans Y Andromède, où il joue
sous le nom de L'Estang. —
Abrégé de ses aventures, 187
et i38.
Remercîment au Roi. Ce Remer-
cîment en vers fut inspiré à
Molière par son inscription
sur la liste des pensions de
l'année i663, 286. — Il fut
avec raison jugé partout un
chef-d'œuvi"e d'esprit. — In-
génieuse idée de la Muse
trarestie en marquis pour se
présenter au Louvre, 286 et
287. — Les gens d'esprit de
la cour ne se laissaient pas
irriter contre Molière par
ses ennemis, qui raillaient
leur humeur endurante, 287
et 288.
RocHEMONT (sieur de). Sous ce
pseudonyme, que l'on a cru
cacher le nom de Barbier
d'Aucourt, a été publiée en
i665, avec permission en date
du 18 avril, une violente ac-
cusation contre Molière, sous
ce titre : Observations sur une
comédie de Molière, intitulée
le Festin de Pierre, 323 et
324-
RocHETTE (Mlle). Le prince de
Couti, en i653, s'engage à
Montpellier avec elle dans un
commerce galant, qui la des-
tine à remplacer Mme de
Calvimont. — Elle devint
par la suite Mme deCalvière,
i55.
RoHAULT (Jacques), célèbre phy-
sicien. — Il était cartésien.
— Molière fut son ami, 56. —
D'après Grimarest, Molière
le prit pour confident de ses
chagrins domestiques. — Ci-
talion de ces confidences,
qui, sans nul doute, ne sont
pas authentiques, 342-344-
— 11 prête à Jean Poquelin
dix mille livres. — Il n'est
là que le prête-nom de Mo-
lière, 394.
RosiMosT, comédien auteur. —
En 1673, il passe du Marais,
dont il était un des meilleurs
acteurs, dans |la troupe du
Roi. — Il y joua les rôles
qu'avait joués Molière, 45i.
Rouen, Cette ville a vu les pre-
miers débuts de l'Illustre
théâtre, en i643, 82-84. — ■
• — Molière, en i658, y vient,
avec ses camarades, afin de
se rapprocher de Paris. —
Une partie de la troupe
était arrivée avant le 19 mai
i658, igS. — La troupe
passa tout l'été à Rouen. —
La de Brie et la du Parc, qui
vinrent plus tard que les au-
tres comédiens, étaient at-
tendues avec impatience à
cause de leur réputation de
beauté, 196. — Rien ne
donne à croire que Corneille
ait profité de cette rencon-
tre avec Molière, à Rouen,
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
5/, 5
pour le bien connaître, 198.
RouLLÉ (Pierre), curé de Saint-
Barthélémy. — Il est l'au-
teur d'un très violent écrit,
le Roi glorieux au monde, dans
lequel il dit que l'auteur de
Tartuffe mérite le feu, « avant-
coureur de celui de l'enfer ».
.. — Son libelle fut écrit en
1664, pendant le séjour du
Roi à Fontainebleau, par
conséquent avant le i3 août.
— Louis XIV le réprimanda
sévèrement, 3i6.
Rousseau (Jean-Jacques). Dans
sa Lettre à d''Alembert sur les
spectacles, il a parlé sévère-
ment de la comédie de George
Dandin, 387. — H reproche
à Molière, dans la même Let-
tre, d'avoir mis dans la bou-
che du Cléante de son Avare
une réponse insolente à la
malédiction de son père, 393.
R-i-ER (Pierre du). Sa tragédie
de Scévole est jouée par l'Il-
lustre théâtre, en i644' 87.
ScARAMOUCHE (Tibcrio Fiurelli,
dit). On a dit que Molière
avait étudié son jeu, 30. —
La comédie de Scaramouche
ermite était peut-être de Scara-
mouche lui-même, 32o. —
C'est à son théâtre que Ra-
cine avait d'abord destiné sa
Molière, x.
pièce contre les juges, qui
devint la comédie des Plai-
deurs, 369.
Sganarelle. Sur ce nouveau type
comique, adopté par Mo-
lière, après celui de Masca~
rille, voyez Mascarille.
Sicilien (le). Cette petite co-
médie en un acte a été jouée
pour la première fois, en
1667, à la fin des divertisse-
ments de Saint -Germain,
374 — Molière l'a fait im-
primer. — Elle a été jouée
au Palais-Royal le 10 juin
1667. — Cette représenta-
tion y fut suivie de seize
autres, cette année-là, 376.
Tallemant des Réaux. Il parle
de Molière et de la Béjart
en anecdotier très mal in-
formé, 62. — Ses Historiettes
citées aussi à la page 4° et à
la page 88, enfin aux pages
486 et 487 dans les Additions
et Corrections.
Tartuffe. Les griefs de Mo-
lière contre le prince de
Conti ont pu lui conseiller
cette comédie. — On a dit
qu'il avait pris pour modèle
de son hypocrite un des do-
mestiques du prince, l'abbé
de Roquette, 188 et 189. —
Les trois premiers actes de
Tartuffe sont joués devant le
35
546 TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
Roi, dans les fêtes de m;ii
1664, à Versailles. — Beauté
de cette pièce, Sog. — Sa
hardiesse. — Réflexions sur
la portée de ce portrait de
l'hypocrisie, 3io. — Quelles
raisons Molière avait de re-
garder ce vice comme son
ennemi personnel. — On a
remarqué, dans le Tartuffe,
des imitations de Scarron,
de Barbadillo, et de Charles
Sorel, 3ii. — Par quels ac-
teurs ont été créés les rôles
de la pièce, 3i3 et 3i4. —
Défense de la jouer en pu-
blic, 3 14. — Doléances pré-
sentées au Roi par Molière,
3i5. — Il lit le Tartuffe au
cardinal Chigi , légat d'A-
lexandre VII. — Libelle vio-
lent du curé de Saint-Bar-
thélémy, 3i6. — Fréquentes
lectures de la pièce, tolérées
par le Roi. — Une seconde
représentation des actes joués
à Versailles est donnée à
Villers-Cotterets pour Mon-
sieur, 317. — La comédie
entière, en cinq actes, est
jouée au Raincj, le 29 no-
Tembre 1664, par ordre du
prince de Condé, et de même
le 8 novembre i665, 3i8. —
Explication qui a été propo-
sée de ces représentations
difficiles d'abord à compren-
dre, 3ig. — Pendant le sé-
jour de la troupe à Saint-
Germain, eu 1667, promesse
est probablement faite de
laisser jouer le Tartuffe, à la
condition de quelques chan-
gements. — Molière, ma-
lade, dut attendre sa conva-
lescence, et ne fut prêt qu'au
mois d'août, lorsque le Roi
était à l'armée de Flandre,
076. — Le titre de la pièce
était changé : Vlmposteur, au
lieu de Tartuffe; d'autres cor-
rections avaient été faites.
— Vlmposteur fut représenté
le 5 août 1667, au Palais-
Royal. — Le lendemain, le
premier Président défendit la
pièce, ordonna de fermer et
de garder la porte du théâ-
tre. — 3Iolière fit porter au
Roi, en Flandre, sa récla-
mation, qui est le Second
Placet, 377. — Les comé-
diens, porteurs de la suppli-
que, reviennent après avoir
reçu des paroles encoura-
geantes ; mais l'archevêque
de Paris publie, le 11 août,
une défense de représenter,
lire, ou entendre réciter la
pièce, sous peine d'excom-
munication. — Elle est donc
encore une fois arrêtée, 378.
— Deux représentations du
Tartuffe, en 1668, chez le
grand Gondé, l'une à Paris,
l'autre à Chantilly, 385. —
Permission est enfin obte-
nue, en 1669, de le jouer au
Palais -Royal. — Le jour
même de l'autorisation (5 fé-
vrier) la première représen-
tation est donnée, 396. Le
succès fut éclatant et pro-
longé. — Le 21 du même
mois de février la pièce fut
jouée chez la Reine, 397.
DE LA >OTICE BIOGRAPHIQUE.
547
ToCLOUSE. Molière y vint vrai-
semblablement en 1647, la
troupe du duc d'Epernon s'y
étant alors trouvée, 108 et
109. — Il y était en 1649,
118 et 1 19.
Trista>- l'Hermite. Sa tragédie
de la Mort de Chrispe est jouée
en 1644, sur l'Illustre théâ-
tre, 87. — Sujet de cette
pièce, dont quelques passa-
ges ne sont pas à dédaigner.
— Une autre tragédie de
Tristan, la Mort de Sénèque,
est représentée, en 1644 éga-
lement, sur la même scène.
— Madeleine Béjart y brillait,
88 et 89. — Tristan portait
intérêt à la troupe. — Elle
lui dut la protection de Gas-
ton de France, dont il était
gentilhomme ordinaire, 89.
. — Ce fut lui probablement
qui recommanda les comé-
diens de l'Illustre théâtre au
duc Henri de Guise, à la
maison duquel il était atta-
ché, 95.
Troupe de V Illustre théâtre.
\'oyez Illustre Théâtre.
Troupe de Mollir e et des Bé-
jart [réunie à la troupe du duc
d'Epernon) . Aucommencement
de 1646, sinon un peu plus
tôt, le duc d Epernon fit cer-
tainement entrer dans sa
troupe, dont le chef était
Charles du Fresne, les comé-
diens de rillustre théâtre,
104-107. — On a supposé,
sans bonnes raisons, que la
troupe ainsi augmentée s'é-
tait arrêtée au Mans, avant
d'arriver à Bordeaux, m et
111. — Il n'est pas vrai
qu'elle ait joué plus souvent
dans les granges que dans
les châteaux, 11 3. — Elle fit
vraisemblablement ses dé-
buts, non à Bordeaux, mais
au château de Cadillac ou à
Agen. — Venant de Tou-
louse où il est probable, sans
preuve certaine, que Molière
s'était trouvé avec elle, la
troupe est demandée à Albi
en juillet 1647, pour les fêtes
de l'entrée du comte d'Au-
bijoux, II 3. — La ville d'Albi
fait des difficultés pour payer
les comédiens. — Elle s'exé-
cute sur une sommation du
comte de Breteuil, intendant
de la province, ii4 et ii5.
— Après Albi, la troupe est
à Carcassoune, ii5. — Sa
présence à Nantes est consta-
tée en a^Til 1648, ii5et 116.
Là elle était loin de son
gouverneur qui, engagé dans
de grandes difficultés par son
dur gouvernement, n'avait
pas le loisir de réclamer son
service, 117. — En 1649,
elle est à Toulouse, où elle
est venue pour l'arrivée en
cette ville du comte du Roure.
Elle y reçoit, le 16 mai,
une somme de soixante-
quinze livres, 118. — En dé-
cembre 1649, elle se trouvait
à Narbonne, après avoii- en
vain sollicité la permission
d'un séjour à Poitiers, 119
et 120. — En février i65o,
le duc d'Epernon la rappelle
548 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
à Agen, lao. — Elle cesse
d'être liée à son service, lors-
qu'il doit quitter la Guyenne
en juillet i65o, pour ne plus
reprendre son gouvernement,
121.
Troupe de Molière et des Bé-
jart [depuis quelle n appar-
tient plus au duc d''Ej)ernon).
Elle donne des représenta-
tions à Pézenas, pendant la
session des états tenue du
a4 octobre i65o au i4 jan-
vier i65i, 122. — Elle joue
à Vienne en i65i, ia4 et
125 ; — puis à Carcassonne
pour la session des états
(3i juillet i65i — lo janvier
i652), 125-129. — Elle sé-
journe à Lyon, en i653,
129. — Elle y joue V Andro-
mède de Corneille, i35. —
La distribution des rôles de
cette comédie nous fait con-
naître à ce moment-là une
composition de la troupe,
nouvelle pour nous, 186-149.
— Après avoir joué peut-être
à Pézenas devant les états,
pendant la session de i653,
elle est appelée en septem-
bre de cette année-là à la
Grange-des-Prés, belle de-
meure du prince de Conti,
i5o. — Après des hésitations
du prince, elle est préférée à
la troupe de Cormier, 1S1.
— Elle joue à Montpellier
pendant une session des états
(16 décembre i653 — 3i mars
1654), i56. — En quittant
Montpellier, elle alla vrai-
semblablement à Lyon, où
elle resta plusieurs mois, en
1654, i56 et 157. — Elle re-
tourne à Montpellier pour
une nouvelle session des
états, tenue du 7 décembre
1654 au 14 mars i655, 157-
169. — Elle revient à Lyon,
en i655, et y fait im long
séjour, i6i-i64- — De Lyon,
elle va à Avignon, i65. —
Après y avoir demeuré quel-
que temps, elle reçoit l'or-
dre de se rendre à Pézenas
pour la session des états
convoqués par le prince de
Conti (4 novembre i655),
169. — De Pézenas, elle va à
Narbonne, en février i656,
176. — Elle se proposait
alors de se diriger sur Bor-
deaux, où elle avait reçu
l'ordre d'aller attendre le
prince de Conti, 177. —
Elle est dispensée d'obéir
à cet ordre, le protecteur
n'ayant pas donné suite à
ses intentions, 179. — On
l'appelle à Béziers, pour la
session des états qui y fut
tenue du 17 novembre i656
au i"^ juin lôSj, 181. — Au
printemps de 1657, elle fait
un séjour à Lyon. — Elle y
apprend alors que le prince
de Conti refuse de la voir et
ne veut plus qu'elle lui ap-
partienne, 188. — De Lyon,
elle va, en juin 1657, à Di-
jon, où elle porte encore,
malgré la défense, le titre de
troupe du prince de Conti,
189 et 190. — Une anecdote
recueillie sur Molière donne
DE LA NOTICE BIOGTxAPHIQUE.
549
à croire qu'après Dijon la
troupe se rend à Pézenas
pendant la session des états,
ouverte, le 8 octobre 1657,
par le duc d'Arpajon, 190 et
191. — Vers la fin de 1657,
ou au commencement de
i658, elle fait un séjour à
Avignon, 191. — Elle va
ensuite à Grenoble, où elle
passe le Carnaval, igS. —
De Grenoble, elle vient à
Rouen, dans les premiers
mois de i658. — Elle y passe
tout l'été, igS et 196. —
Elle y donne ses représenta-
tions au jeu de paume des
Braques, 200.
Troupe de Molière {^depuis le
retour à Paris). Elle arrive à
Paris en octobre i658. —
MoNSiEtJR, frère du Roi, de-
vient son protecteur, 200 et
30I. — Le 34 octobre i658,
elle joue devant le Roi et
toute la cour, 201-204. —
Elle obtient du Roi la salle
du Petit-Bourbon pour y
jouer alternativement avec
les Italiens. — Elle y com-
mence ses représentations le
2 novembre i658. — Noms
des camarades de Molière à
cette date. — Les rivalités
des comédiennes donnent
en ces commencements de
grands tracas à Molière, 206.
— Au temps de Pâques 1609,
du Fresne sort de la troupe,
cessant d'être comédien. — La
du Parc et son mari quittent
leurs camarades pour entrer
dans la troupe du Marais. —
On engage Jodelet et son frère
l'Epy, venus du Marais, La
Grange et du Croisy, celui-
ci avec sa femme, 210. —
La troupe, en 1669 et 1660,
joue plusieurs fois devant
le Roi, 2io-2i3, et 2a3.
— Elle reçoit du Roi une
gratification de trois mille
livres, libéralité moins vrai-
semblablement attribuée au
cardinal Mazarin, 233 et 224'
— Les représentations du ai
et du 26 octobre 1660, en
présence du Roi, avaient été
données dans le temps où la
troupe demeurait sans théâ-
tre par suite de la démoli-
tion de la salle du Petit-
Bourbon, 228. — Cette dé-
molition avait commencé le
II octobre 1660, 225. — Le
Roi donne à la troupe la
salle du Palais-Royal, 226.
— Elle commence à y jouer
le 20 janvier 1661, 235. —
Au mois de juin 1662, La
Grange mentionne l'entrée
dans la troupe de 3Ilie 3Io-
lière, en même temps que
celle de Brécourt et de La
Thorillière venus du Marais,
271. — En août i665, la
troupe étant venue à Saint-
Germain, le Roi lui accorde
une pension de six mille li-
vres. — Elle cesse d'être la
troupe de 3Ionsieur et de-
vient la troupe du Roi, 826.
— Elle joue l'Alexandre de
Racine le 4 décembre i665.
— Elle ne satisfait pas l'au-
teur, ni, dit-on, le public,
55o TABLE ALPHABETIQUE ET ANALYTIQUE
365. — Elle apprend, avec
surprise, que le i8 décem-
bre V Alexandre est joué à
l'Hôtel de Bourgogne en
même temps qu'au Palais-
Royal et elle en marque à
Racine son mécontentement.
366. — Lorsqu'elle quitte le
château de Saint-Germain, le
20 février 1667, le Roi, très
content de son service, lui
fait compter, outre le prix
du voyage, douze mille li-
vres pour deux années de sa
pension, et donne de riches
mantes aux demoiselles Mo-
lière et de Brie, 375. — La
troupe du Roi est appelée à
Versailles, en novembre 1667,
concurremment avec la troupe
rivale, dite troupe Royale, 382.
— Elle y reçoit six mille li-
vres, pour une année de sa
pension, 383. — Pour le sé-
jour à Saint-Germain (3o jan-
vier — 18 février 1670) où
elle avait joué les Amants ma-
gnifiques^ et pour le séjour à
Chambord (17 septembre —
20 octobre 1669), où elle
avait joué Pourceaugnac, le
Roi gratifie la troupe de
douze mille livres, qui étaient
deux années de sa pension,
4o3. — Après Pâques 1670,
Baron entre dans la troupe,
dont il n'avait pas, dans sa
première jeunesse, fait réel-
lement partie, 4o4- — Avec
Baron, Mlle Beauval et son
mari, reçu à demi-part, sont
admis dans la troupe. — Le
Roi, d'abord peu content de
Mlle Beauval, la reçoit après
l'avoir appréciée dans le rôle
de Nicole du Bourgeois gen-
tilhomme, 4o5. — Après la
mort de Molière, l'existence
de la troupe est menacée. Le
Roi pense à la réunir à la
troupe royale, 449- — Elle
gagne du temps. — Aux va-
cances de Pâques 1673, La
Thorillière, Baron et Mlle
Beauval la quittent et pas-
sent à l'Hôtel de Bourgogne,
45o. — Le Roi reprend à la
troupe la salle du Palais-
Royal pour la donner àLulli.
— Elle reçoit Rosimont, un
des meilleurs comédiens du
Marais, — Pour remplacer
le Palais-Royal, elle achète
un jeu de paume, rue des
Fossés-de-Nesle, en face de
la rue Guénégaud. — Son
nouvel établissement est au-
torisé. — Défense de conti-
nuer à jouer est faite aux co-
médiens du Marais, parmi
lesquels elle fait des choix.
— Le titre de troupe du
Roi lui est conservé, 45 1. —
Auxvacances de Pâques 1679,
la Cbampmeslé et son mari
se séparent de l'Hôtel de
Bourgogne, et passent au
théâtre dit de V Hôtel Guéné-
gaud. — La mort de La Tho-
rillière porte le dernier coup
à la troupe Royale, — La
jonction des deux seules
troupes existant alors est or-
donnée par le Roi, le 18 août
1680, La Comédie-Française
est fondée, 45^.
DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.
55i
V
Vatjselle (Jean-Baptiste l'Her-
mite de), frère de Tristan
l'Hermitej.Ilest ami et même
allié des Béjart, 89 et 90. —
Le II juillet i638, il lève sur
les fonts la fille de Madeleine
Béjart, au nom du parrain,
le jeune Gaston de Rémond.
— Il est poète comme son
aîné, mais très inférieur à lui
en talent. — Ses trahisons ont
été enregistrées dans l'his-
toire de son temps, 90. — Il
dédie, en lôSg, à Esprit de
Modène sa tragédie de la
Chute de Phaéton. — Il souf-
fre la liaison de ce gentil-
homme avec sa femme, et
plus tard lui fait épouser sa
fille, 91. — Il est, à Lyon,
un des acteurs de VAndro-
mède, dans la troupe de 3Io-
lière, iSg.
Vauselle (Mlle). Cette femme
de Jean-Baptiste l'Hermite
était Marie Courtin de la De-
hors, belle-sœur de Joseph
Béjart, 90, note I. — Elle fut
chargée, à Lyon, d'un rôle
dans Andromède. — Elle était
alors ou avait été la maîtresse
d'Esprit de Modène. — Ce-
lui-ci, en i644i avait fait
don, sous prétexte de vente,
à Mlle Vauselle et à son mari
d'une grange de la Souquette,
139. — Elle écrit, le 3 mai
1673, une lettre à M. de Mo-
dène, qui lui avait envoyé
son épitaphe de Molière,
pour qu'elle la fît imprimer,
448. — Dans cette même let-
tre, elle annonce que le
théâtre de Molière est « en-
tièrement aboli ». Elle attri-
bue cette ruine à l'insolente
fierté de la veuve de Mo-
lière, 45o et 45i.
Vater (la Mothe le). La Reine
mère ne consent pas à le
choisir pour précepteur du
jeune Louis XIV, 38. — Cy-
rano de Bergerac le fré-
quente, 49- —Molière est lié
avec ce sceptique, 69. —
Lorsqu'il perd son fils, l'abbé
le Vayer, en septembre 1664,
Molière lui adresse un son-
net touchant avec une lettre
de quelques lignes, 428.
ViESSE (en Dauphiné). Molière
y joue, en i65i, et y est
traitéavec honneur par Pierre
Boissat, de l'Académie fran-
çaise, 124-126.
ViLLEDiEU (3Ime de). Voyez
Jardos (Mlle des).
Visé (Donneau de), auteur des
Nouvelles nouvelles, publiées
en i663. 220. — H y traite
de bagatelle la comédie des
Précieuses ridicules, 221. —
Jugement qu'il y porte de
CEcole des femmes. — Rele-
vant le gant jeté par Mo-
lière, dans la Critique de l'É-
cole des femmes, il écrit la co-
médie de Zéli/ide, destinée à
l'Hôtel de Bourgogne. — Elle
n'y fut pas jouée, 277. — H
s'étaitvoulu reconnaître dans
552 TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE.
Lysidas, personnage de la
Critique. — Idëe sommaire de
Zélinde, 278 et 27g. — Plus
tard, il fait la paix avec Mo-
lière. Sa Lettre sur le Misan-
thrope, en 1666, marque le
changement de ses senti-
ments. — En i665, on avait
joue', au Palais-Royal , sa
Mère coquette. — On y joue,
en 1667, sa Veuve à la mode,
agS. — Avant cette réconci-
liation, il avait continué les
hostilités par une comédie,
la Vengeance des marquis, jouée
à l'Hôtel de Bourgogne, vers
la fin de i663, probablement
lorsque V Impromptu de rHôtel
de Condc avait été déjà re-
présenté. — Dans la Ven-
geance des marquis, aussi bien
que dans la pièce de Mont-
fleury, le jeu de Molière
était tourné en ridicule, par-
ticulièrement dans la tragé-
die de Pompée. — De Visé
s'est permis, dans sa comé-
die, une raillerie grossière,
qui attaquait Molière dans sa
vie privée, agS-Soo. Voyez
aux Pièces Justificatives, 464-
468, de nombreux extraits
des Nouvelles nouvelles, où
l'on trouve le plus ancien
document biographique sur
Molière.
Voisin (l'abbé), aumônier du
prince de Conti, — Dans son
livre, intitulé Défense du
Traité de Mgr le prince de
Conti..., il désapprouve les
comédies que l'on jouait dans
les collèges, 25. — On trouve,
dans ce même livre, un té-
moignage intéressant des re-
lations quelque temps fami-
lières entre le prince de Conti
et Molière, 170 et 171.
PIN DE LA TABLE.
20 844- — Imprimerie A. Lahure, nie de Fleurus, 9, à Paris;,
o
SÊtl CA \y/ ,
PQ Molière, Jean Baptiste
1821 Poquelin
1873 OEuvres de Molière
1. 10
PLEASE DO NOT REMOVE
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