Skip to main content

Full text of "Oeuvres de Pasteur"

See other formats


UNIVERSITY OF 
TORONTO LIBRARY 


The 


Jason À.Hannah 


Collection 
in the History 
of Medical 
and Related 


Sciences 


Digitized by the Internet Archive 
in 2010 with funding from 
University of Ottawa 


http://www.archive.org/details/oeuvresdepasteu02past 


DE 


OEUVRES 


PASTEUR 


OEUVRES 


DE 


PASTEUR 


RÉUNIES 


PAR 


PASTEUR VALLERY-RADOT 


MÉDECIN DES HÔPITAUX DE PARIS 


TOME II 


FERMENTATIONS 
ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


PARIS 
MASSON ET C*", ÉDITEURS 
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 


120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 


1922 


Nous avons reproduit intégralement le texte de Pasteur. Cependant des ponctuations 
et des fautes typographiques ont été rectifiées. Quand une faute de cet ordre a déterminé 
une correction importante du texte, nous avons mentionné en note la correction que nous 
avons dû faire subir au texte. 

Les { ] qui entourent certains mots indiquent que ces mots ne figurent pas dans le 
texte original. 

Les indications bibliographiques ont été vérifiées; un grand nombre ont été rectifiées 
ou complétées. 

Les notes suivies de ces mots : Note de l'Édition sont celles que nous ayons ajoutées 
au texte. Les notes qui ne sont accompagnées d'aucune mention sont celles du texte 
original. 

Parfois un même mémoire fut publié par Pasteur dans divers bulletins avec des 
variantes. Nous avons, soit reproduit les différents textes, soit mentionné en notes les 
variantes. 


Tous droits de reproduction, de traduction et d adaptation réservés pour tous pays, 
y compris la Russie. 
Copyright 1922 by PASTEUR VALLERY-RADOT, 


INTRODUCTION 


DU TOME II 


L'œuvre de Pasteur est tout unité. « Entraîné, enchainé devrais-je 
dire, par une logique presque inflexible de mes études j'ai passé, écri- 
vait-il en 1883, des recherches de cristallographie et de chimie mole- 
culaire à l'étude des ferments. » 

Pasteur fut conduit aux recherches sur la fermentation en étudiant 
en 1855 l'alcool amylique. 

Les deux alcools distincts dont est constitué l’alcool amylique brut, 
l'un actif, l’autre inactif sur la lumière polarisée, s’offrirent à lui comme 
la première exception qu’il eût jusqu'alors observée à la loi de corré- 
lation de l'hémiédrie et du phénomène rotatoire moléculaire. I voulut 
déceler leur véritable origine. Ces alcools prenant naissance dans 
l'opération de la fermentation, il fut amené à étudier l'influence du 
ferment dans leur production. Peut-être, pensait Pasteur, le ferment 
intervient-il dans la constitution moléculaire des corps issus de la 
fermentation. Par ses recherches antérieures il était tout à la pensée 
de la corrélation entre la dissymétrie moléculaire et la vie. N’y aurait-il 
pas, dans la fermentation, participation d’un acte vital ? D'emblée, 
son travail s'agrandit et « dévia de sa première direction », car, au 
delà du fait particulier des alcools amyliques, il avait reconnu limpor- 
tance considérable qu'il y aurait à dégager la véritable nature des 
phénomènes de fermentation. 

Ainsi, par la suite logique de ses études antérieures, Pasteur fut 
amené à l’étude des ferments. Il était alors doyen de la Faculté des 
sciences de Lille. Le souci du service à rendre aux industriels du 
nord de la France l’engagea plus avant encore dans cette voie. 

En 1856, il consacra son cours de chimie appliquée à « l’industrie 
des alcools de betteraves ». C’est durant l’automne de cette année 
qu'un industriel de Lille, M. Bigo, lui demanda de venir dans son 
usine étudier la cause des fermentations défectueuses. Dès novembre, 


vi ŒUVRES DE PASTEUR 


comme en témoignent ses cahiers d'expériences, Pasteur y entreprit 
des recherches sur la fermentation alcoolique. A partir d’avril 1857, il 
s’occupa à la fois des fermentations lactique et alcoolique et de celle de 
l'acide tartrique. 

Son premier mémoire, lu le 3 août 1857 devant la Société des 
sciences de Lille, fut consacré à la fermentation lactique. Ce mémoire 
est annonciateur de la doctrine nouvelle : les fermentations sont cor- 
rélatives d’un acte vital; Pasteur le proclame avec cet enthousiasme 
contenu qui anime toutes ses notes scientifiques. Sa méthode d’expé- 
rimentation est créée, il s’y soumettra désormais sans un fléchissement 
pendant les trente années qui vont suivre. Mais, dans ce mémoire, sa 
pensée est dominée par ses travaux antérieurs sur la dissymétrie 
moléculaire ; il ne veut pas que ses études sur les fermentations, qui 
déjà l'entraînent vers un monde nouveau, l’éloignent de ses recherches 
de cristallographie. « J'espère, dit-il, pouvoir ultérieurement mettre 
en rapport les phénomènes de la fermentation et le caractère de dis- 
symétrie moléculaire propre aux substances organiques. » Il ne tardera 
pas. Quelques jours après, le 27 août 1857, il met en train l’expérience 
qui va démontrer qu'en faisant fermenter le racémate d’ammoniaque, 
le tartrate gauche apparaît, le droit se décompose. Avec un corps 
inactif, la dissymétrie peut se manifester, « parce que le petit ferment 
est un corps vivant formé, comme tous les grands êtres, d’un ensemble 
de produits dissymétriques et que, pour sa nutrition, ce petit être 
s’accommode mieux du groupe tartrique droit que du groupe tartrique 
gauche ». Le 30 novembre, dans le mémoire sur la fermentation lac- 
tique lu à l'Académie des sciences, Pasteur fait prévoir qu'il présen- 
tera ultérieurement à l’Académie « des observations qui offriront une 
liaison inattendue entre les phénomènes de la fermentation et le ca- 
ractère de dissymétrie moléculaire propre aux substances organiques 
naturelles ». Le 21 décembre, à la fin d’un mémoire sur la fermentation 
alcoolique, il annonce en quelques mots cette découverte du dédouble- 
ment de lacide racémique par la fermentation. Mais ce n’est que le 
29 mars 1858, après plusieurs expériences confirmatives, qu'il publie 
le mémoire sur la fermentation de l'acide tartrique et de l'acide racé- 
mique. Ce mémoire établit le lien le plus étroit entre ses travaux sur 
la cristallographie et ceux sur la fermentation. 

Ainsi s’enchainent les deux premières étapes de l’œuvre pasto- 
rienne : dissymétrie moléculaire et fermentations. 


De 1857 à 1863 se succédérent les notes et les mémoires sur les 
fermentations lactique, alcoolique, butyrique, sur la fermentation de 


INTRODUCTION vil 


l'acide tartrique, sur la putréfaction, sur la vie sans air... Dans la 
première partie de ce volume, nous avons réuni ces travaux en con- 
servant l’ordre chronologique de leur publication pour qu’à la lecture 
ne fût pas rompu l’enchaîinement des expériences et des idées de 
Pasteur (!!. 


Dès février 1859, il est amené à se demander d’où proviennent ces 
ferments organisés. L'expérience semble montrer qu’ils prennent nais- 
sance par le fait du contact des matières albuminoïdes et de l’oxygène 
de l’air. « Dès lors, de deux choses l’une, écrira Pasteur plus tard : ces 
ferments organisés étaient des générations spontanées, si l'oxygène 
seul, en tant qu'oxygène, leur donnait naissance par son contact avec 
les matières organisées; ou bien ces ferments organisés n’élaient pas 
des générations spontanées, et alors ce n’était pas en tant qu'oxygène 
seul que ce gaz agissait, mais comme excitant d’un germe apporté en 
même temps que lui ou existant dans les matières. Voilà comment il 
était indispensable, au point où je me trouvais de mes études sur les 
fermentations, que je résolusse, s’il était possible, la question des 
générations spontanées. » Ces recherches « n’ont été, dit:l, qu'une 
digression, mais une digression obligée de mes travaux sur les fer- 
mentations ». 

Les notes à l’Académie des sciences, le mémoire et les lecons sur 
les générations dites spontanées, les discussions avec Pouchet, qui 
s’échelonnent de 1860 à 1866, ont été réunis dans la deuxième partie 
de ce volume. 


Les travaux sur les fermentations furent interrompus de 1866 à 
1870 par l’étude de la maladie des vers à soie. Pasteur les reprit 
eu 1871. Par d’ardentes controverses avec ses contradicteurs, par des 
recherches nouvelles, il défendit et confirma de 1871 à 1879 ses expé- 
riences antérieures sur la fermentation et l’origine des ferments. Les 
mémoires de cette époque et les diseussions avec Fremy et Tréeul, 


avec Bastian constituent la troisième partie 2. 


1. Les éludes sur la fermentation acélique el le vinaigre, les études sur le vin conslilueront 
le tome III des Œuvres de Pasteur : « Études sur le vinaigre el sur le vin ». 

2. Dans le tome V des Œuvres de Pasteur : « Études sur la bière », on trouvera la com- 
munication de 1873 sur la maladie de la bière et sur un nouveau procédé de fabrication pour 
la rendre inaltérable, ainsi que l'ouvrage publié en 1876 sous le litre : « Etudes sur la 


bière, ses maladies, causes qui les provoquent. procédé pour la rendre inaltérable, avec une 
théorie nouvelle de la fermentation ». 

Dans le tome VI : « Maladies virulentes », seront placées les notes sur la fermentation de 
l'urine et les discussions qui s’élevérent à l'Académie de médecine sur la fermentation et les 
générations dites spontanées à propos de la présence des vibrions dans Je pus des ahcës, 


VIT ŒUVRES DE PASTEUR 


La dernière partie est consacrée à l « Examen critique d’un écril 
posthume de Claude Bernard sur la fermentation », opuscule publié 
en 1879, 


A la lecture des pages de ce volume, on reste confondu devant la 
puissance d’induction et de déduction qui est le propre du génie de 
Pasteur. Tout en lui est enthousiasme et foi en la méthode expérimen- 
tale qu'il sait ne pouvoir le tromper. L'imagination est sans cesse 
contrôlée par lexpérience. Une méthode impeccable, après les obs- 
tacles tour à tour vaincus, le fait parvenir avec une logique rigoureuse 
à la certitude. I lui suffit d'aborder un terrain où tout n'était qu'obseu- 
rilé pour que jaillisse la lumière. 


PASTEUR VALLERY-RADOT. 


ts 


FERMENTATIONS 
FERMENTATIONS LACTIQUE, ALCOOLIQUE, BUTYRIQUE, ETC. 


(1857-1863) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 1 


MÉMOIRE SUR LA FERMENTATION APPELÉE LACTIQUE (!) 


I. — Avant-propos. 


Je crois devoir indiquer en quelques mots comment j'ai été conduit 
à m'occuper de recherches sur les fermentations. Ayant appliqué 
jusqu’à présent tous mes efforts à essayer de découvrir les liens qui 
existent entre les propriétés chimiques, optiques et cristallographiques 
de certains corps dans le but d'éclairer leur constitution moléculaire, 
on s'étonnera peut-être de me voir aborder un sujet de chimie physio- 
logique bien éloigné en apparence de mes premiers travaux. Il s’y 
rattache néanmoins très directement. 

Dans l’une de mes dernières communications à l’Académie (?), j'ai 
établi que lalcool amylique, contrairement à ce que l’on avait cru 
jusqu'alors, était une matière complexe formée de deux alcools 
distincts, isomères, l’un déviant à gauche le plan de polarisation de la 
lumière, l’autre dépourvu de toute action. La similitude des propriétés 
de ces alcools est extrême. Mais ce qui leur donne une valeur parti- 
culière dans la direction d’études que j'ai adoptée, c’est qu’ils ont offert 
la première exception connue à la loi de corrélation de l'hémiédrie et 
du phénomène rotatoire moléculaire. Je résolus dès lors de faire une 
étude approfondie des deux alcools amyliques, de déterminer, s’il était 
possible, les causes de leur production simultanée et leur véritable 
origine, sur laquelle certaines idées préconçues me portaient à ne point 
partager l'opinion commune. La constitution moléculaire des sucres 
me paraît très différente de celle de l'alcool amylique. Si cet alcool, 
lorsqu'il est actif, avait le sucre pour origine, comme tous les chimistes 
l’admettent, son action optique serait empruntée à celle du sucre. 


1. Mémoires de la Société des sciences, de l'agriculture et des arts de Lille, séance 
du 3 août 1857, 2 sér., V, 1858, p. 13-26. — Annales de chimie et de physique, 3 sér., LIT, 
1858, p. 404-418. 

2. Voir Pasreur. Mémoire sur l'alcool amylique. Comptes rendus de l'Académie des 
sciences, XLI, 1855, p. 296-800, et p. 279-279 du tome I des Œuvres de Pasteur. (Note de 
l'Édition.) 


& ŒUVRES DE PASTEUR 


C’est ce que je répugne à croire dans l’état actuel de nos connais- 
sances, parce que toutes les fois que l’on essaye de suivre la propriété 
rotatoire d’un corps dans ses dérivés, on la voit disparaître promp- 
tement. Il faut que le groupe moléculaire primitif se conserve en 
quelque sorte intact dans le dérivé pour que ce dernier continue d’être 
actif, résultat que mes recherches permettent de prévoir, puisque la 
propriété optique est tout entière dans une disposition dissymétrique 
des atomes élémentaires. Or je trouve que le groupe moléculaire de 
l'alcool amylique est trop distant de celui du sucre pour que, s’il en 
dérive, il en retienne une dissymétrie d’arrangement de ses atomes. Je 
le répète, ce sont là des idées préconçcues. Elles suffisaient cependant 
pour me déterminer à étudier quelle pouvait être l'influence du 
ferment dans la production des deux alcools amyliques. Car on voit 
toujours ces alcools prendre naissance dans l'opération de la fermen- 
tation, et c'était là encore une invitation de plus à persévérer dans la 
solution de ces questions. Je dois avouer en effet que mes recherches 
sont dominées depuis longtemps par cette pensée que la constitution 
des corps. en tant qu'on l’envisage au point de vue de sa dissymétrie 
ou de sa non-dissymétrie moléculaire, toutes choses égales d’ailleurs, 
joue un rôle considérable dans les lois les plus intimes de l’organisation 
des êtres vivants et intervient dans leurs propriétés physiologiques les 
plus cachées. 

Tels ont été pour moi l’occasion et le motif d'expériences nouvelles 
sur les fermentations. Mais, comme il arrive souvent en pareille 
circonstance, mon travail s’est agrandi peu à peu et a dévié de sa 
première direction; de telle sorte que les résultats que je publie 
aujourd’hui paraissent étrangers à mes études antérieures. La liaison 
se montrera plus évidente dans ceux qui suivront. J’espère pouvoir 
ultérieurement mettre en rapport les phénomènes de la fermentation 
et le caractère de dissymétrie moléculaire propre aux substances 
1) 


organiques 


Il. — Jistorique. 


L'acide lactique a été découvert par Scheele, en 1780, dans le petit- 
lait aigri. Son procédé pour le retirer de cette matière serait encore 
aujourd’hui le meilleur que l’on puisse suivre ®). Bouillon-Lagrange et 


1. Voir Pasreur. Mémoire sur la fermentation de l'acide tartrique. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, XLVI, 1858, p. 615-618, et p. 25-28 du présent volume. (Note de 
l'Édition.) 

2, Il fit réduire d'abord le petit-lait au huitième par l'évaporation. I le filtra, le satura par 
la chaux pour précipiter le phosphate’de chaux. La liqueur fut filtrée et délayée dans trois 
fois son poids d'eau; il y versa goutte à goutte de l'acide oxalique pour précipiter toute la 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 6) 


plusieurs autres, par des recherches inexactes, obscurcirent l'étude de 
ses propriétés, ce qui fut cause que Braconnot décrivit en 1813 comme 
nouveau, et sous le nom bizarre d’acide de Nancy ou acide nancéique, 
un produit qui n’était autre que l’acide lactique de Scheele. Quoi qu’il 
en soit, le travail de Braconnot est l’un des mieux faits parmi les 
nombreux Mémoires auxquels cet acide a donné lieu. Il le rencontra 
dans le riz abandonné sous l’eau en fermentation; dans le jus de 
betterave qui, après avoir éprouvé la fermentation visqueuse et un 
mouvement de fermentation alcoolique, s’aigrit et donne de lacide 
lactique et de la mannite; dans des haricots et des pois bouillis à Peau 
fermentée ; dans une eau sûre faite avec du levain de boulanger; enfin 
dans le lait aigri et dans l’acide lactique de Scheele (1). 

La composition de l'acide lactique fut établie par MM. Pelouze et 
J. Gay-Lussac, en 1833 (2). Plus tard, en 1841, MM. Fremy et Boutron (3) 
publièrent un travail qui mérite une mention spéciale dans l’histoire 
de ce corps, parce qu'ils y font connaître le moyen de prolonger 
l’action des matières organiques azotées sur les sucres, de façon à 
transformer plus complètement ces derniers en acide lactique. Ils ont 
remarqué que l’action du caséum était arrêtée par l'acide lactique 
lui-même, et en saturant le liquide de temps à autre par le bicarbonate 
de soude, ils ont pu transformer tout le sucre du lait. MM. Pelouze et 
Gélis (*) ont fait mieux : ils ont ajouté de la craie à l’eau sucrée et au 
ferment. La craie maintient constamment la neutralité, sans que 
l'opérateur ait à exercer aucune surveillance. Alors on a pu, en 
reprenant les expériences de Braconnot et imitant celles de M. Colin 
sur la fermentation alcoolique, faire fermenter lactiquement le sucre à 
l’aide de toutes les matières plastiques azotées. Aussi les conditions 
matérielles de la préparation et de la production de lacide lactique 
sont bien connues des chimistes. Tout le monde sait aujourd'hui qu'en 


chaux. 11 évapora la liqueur en consistance de miel. L'acide épaissi fut redissous dans l'alcool 
rectifié, ce qui élimina le sucre de lait et beaucoup d'autres matières étrangères. La distil- 
lation chassa l'alcool. [Bourzcon-LaGuance. Annales de chimie, an XII, L, p. 288 ; d'après 
ScHeELE, Mémoire sur le lait ou son acide, ou acide galactique, à : Mémoires de chimie, 
Dijon et Paris, 1789, in-12, seconde partie, p. 91-68]. 

1. Braconor. [Expériences sur un acide particulier qui se développe dans les matières 
acescentes]. Annales de chimie, LXXXNI, 1813, p. 84-100; — Vocæc. [Note sur la formation 
de l'acide lactique pendant la lement Journal de pharmacie, II, 1817, p. 491-495 
Berzeuus. [Sur l'acide lactique]. Annales de chimie et de physique, XLVI, 1846, p. 420- 
ont reconnu que l'acide lactique était un acide particulier. 

2. Gay-Lussac et PEeLouze. [Sur l'acide lactique]. Annales de chimie et de physique, 
2e sér., LIT, 1833, p. 410-424. 

3. Bourrox et Fremvy. [Recherches sur la fermentation lactique]. Aznales de chimie et de 
physique, & sér., IT, 1841, p. 297-274. 

4. PeLouze (J.) et Géis (A.). Mémoire sur l’acide butyrique. Comptes rendus «le l'Académie 

des sciences, XNI, 1843, p. 1262-1271. (Note de l'Édition.) 


6 ŒUVRES DE PASTEUR 


ajoutant à de l’eau sucrée de la craie, plus une matière azotée telle que 
le caséum, le gluten, les membranes animales, la fibrine, lalbu- 
mine, elc., le sucre se transforme en acide lactique. Mais l'explication 
des phénomènes est très obscure. On ignore tout à fait le mode d’action 
de la matière plastique azotée. Son poids ne change pas d’une 
manière sensible. Elle ne devient pas putride. Elle se modifie 
cependant et elle est continuellement dans un état d’altération 
évidente, bien qu'il soit difficile de dire en quoi il consiste. Des 
recherches minutieuses n’ont pu jusqu’à présent faire découvrir le 
développement d'êtres organisés. Les observateurs qui en ont reconnu 
ont établi, en même temps, qu'ils étaient accidentels et nuisaient au 
phénomène. 

Les faits paraissent donc très favorables aux idées de M. Liebig ou 
à celles de Berzelius. Aux yeux du premier, le ferment est une 
substance excessivement altérable qui se décompose et qui excite la 
fermentation par suite de l’altération qu’elle éprouve elle-même en 
ébranlant par communication et désassemblant le groupe moléculaire 
de la matière fermentescible. Là, selon M. Liebig, est la cause 
première de toutes les fermentations et l’origine de la plupart des 
maladies contagieuses. Pour Berzelius, l'acte chimique de la fermen- 
tation rentre dans les actions de contact. Ces opinions obtiennent 
‘chaque jour un nouveau crédit. On peut, à cet égard, consulter le 
Mémoire de MM. Fremy et Boutron sur la fermentation lactique, les 
pages qui traitent de la fermentation et des ferments dans le bel 
ouvrage que M. Gerhardt (1) a laissé en mourant, enfin le Mémoire tout 
récent de M. Berthelot sur la fermentation alcoolique (?). Ces travaux 
s'accordent à rejeter l’idée d’une influence quelconque de l’organisation 
et de la vie dans la cause des phénomènes qui nous occupent. Je suis 
conduit à une manière de voir entièrement différente. 

Je me propose d'établir dans la première partie de ce travail que, 
de même qu'il existe un ferment alcoolique, la levûre de bière, que 
l’on trouve partout où il y a du sucre qui se dédouble en alcool et en 
acide carbonique, de même il y a un ferment particulier, une levûre 
lactique, toujours présente quand du sucre devient acide lactique, et 
que, si toute matière plastique azotée peut transformer le sucre en 
cet acide, c’est qu’elle est pour le développement de ce ferment un 
aliment convenable. 


1. Germarpr. Traité de chimie organique. Paris, 1856, 4 vol, in-80. 
9, BerraeLor. Sur la fermentation alcoolique. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
XLIV, 1857, p. 702-706. (Notes de l’'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 7 


III. — Nouvelle levure. — Sa préparation. — Ses propriétés. — 
Ses analogies et ses différences avec la levure de bière. 


Si l’on examine avec attention une fermentation lactique ordinaire, 
il y a des cas où l’on peut reconnaitre au-dessus du dépôt de la craie 
et de la matière azotée des taches d’une substance grise formant 
quelquefois zone à la surface du dépôt. Cette matière se trouve 
d’autres fois collée aux parois supérieures du vase, où elle a été 
emportée par le mouvement gazeux. Son examen au microscope ne 
permet guère, lorsqu'on n’est pas prévenu, de la distinguer du 
caséum, du gluten désagrégés, etc...; de telle sorte que rien n'indique 
que ce soit une matière spéciale, ni qu'elle ait pris naissance pendant 
la fermentation. Son poids apparent est toujours très faible, comparé à 
celui de la matière azotée primitivement nécessaire à l’accomplis- 
sement du phénomène. Enfin très souvent elle est tellement mélangée 
à la masse de caséum et de craie, qu'il n’y aurait pas lieu de croire à 
son existence. C’est elle néanmoins qui joue le principal rôle. Je vais 
tout d’abord indiquer le moyen de l’isoler, de la préparer à l’état de 
pureté. 

J’extrais de la levüre de bière sa partie soluble, en la maintenant 
quelque temps à la température de l’eau bouillante avec quinze à vingt 
fois son poids d’eau. La liqueur, solution complexe de matière 
albuminoïde et minérale, est filtrée avec soin (!). On y fait dissoudre 
environ 90 à 100 grammes de sucre par litre, on ajoute de la craie et 
l’on sème une trace de cette matière grise dont j'ai parlé tout à l'heure, 
extraite d’une bonne fermentation lactique ordinaire; puis on porte 
à l’étuve à 30 ou 35. Il est bon également de faire passer un 
courant d’acide carbonique pour chasser l’air du flacon, auquel on 
adapte un tube courbé plongeant dans l’eau. Dès le lendemain, une 
fermentation vive et régulière se manifeste. Le liquide, très limpide à 
l’origine, se trouble; la craie disparait peu à peu, en même temps 
qu'un dépôt s'effectue et augmente continüment et progressivement 
au fur et à mesure de la dissolution de la craie. Le gaz qui se dégage 
est de l’acide carbonique pur ou un mélange en proportions variables 
d’acide carbonique et d'hydrogène. Lorsque la craie a disparu, si lon 


1. Si elle ne passait pas claire, on pourrait facilement la rendre limpide en la faisant 
bouillir avec un peu de craie ou en lui ajoutant une très petite quantité d’eau de chaux ou de 
sucrate de chaux qui la précipitent abondamment. Cette précaution est presque toujours 
nécessaire quand l’eau de levûüre a été préparée avec de la levûre qui est en lavage depuis 
quelques jours. La levûre fraiche, ou qui n'a subi qu'un ou deux lavages par décantation à 
froid, donne une eau de levûre qui passe très limpide au filtre. L 


8 ŒUVRES DE PASTEUR 


évapore le liquide, du jour au lendemain il fournit une cristallisation 
abondante de lactate de chaux, et l’eau mère contient des quantités 
variables de butyrate de cette base. Si les proportions de craie et de 
sucre sont convenables, le lactate cristallise en masse volumineuse au 
sein même du liquide pendant le cours de l'opération. Quelquefois la 
liqueur prend une viscosité très grande. En un mot, on a sous les yeux 
une fermentation lactique des mieux caractérisées, avec tous les 
accidents et toute la complication habituelle de ce phénomène, bien 
connu des chimistes dans ses manifestations extérieures. 

On peut remplacer, dans cette expérience, la décoction de levûre 
par celle de toute matière plastique azotée, fraîche ou altérée, selon les 
cas. Ce liquide limpide, tenant en dissolution une matière azotée, 
n’est qu'un aliment, et à ce titre son origine importe peu, pourvu que 
sa nature se prête au développement du corps organisé qui se produit 
et se dépose successivement. 

Voyons maintenant quels sont les caractères de cette substance, 
dont la production est corrélative des phénomènes compris sous la 
dénomination de fermentation lactique. Prise en masse, elle ressemble 
tout à fait à de la levûre ordinaire égouttée ou pressée. Elle est un 
peu visqueuse, de couleur grise. Au microscope, elle est formée de 
petits globules ou d'articles très courts, isolés ou en amas, constituant 
des flocons irréguliers ressemblant à ceux de certains précipités 
amorphes. Les globules, beaucoup plus petits que ceux de la levûre de 
bière, sont agités vivement, lorsqu'ils sont isolés, du mouvement 
brownien, c’est-à dire du mouvement qu’affecte toujours la matière 
solide en suspension dans un liquide lorsqu'elle est amenée à un état 
suffisant de division{t). Lavée à grande eau par décantation, puis 
délayée dans de leau sucrée pure, elle lacidifie immédiatement, 
progressivement, mais avec une grande lenteur, parce que l'acidité 
gène beaucoup son action sur le sucre. Si l’on fait intervenir la craie, 
qui maintient la neutralité du milieu, la transformation du sucre est 
sensiblement accélérée, et en moins d’une heure le dégagement du 
gaz est manifeste et la liqueur se charge de lactate et de butyrate de 
chaux en quantités variables. Lorsque, d’autre part, il y a une matière 
albuminoïde présente propre à la nourriture de la substance, elle se 
développe et l’on en recueille des quantités qui n’ont de limites que 
dans le poids de sucre employé et le poids de matière albuminoïde. 

1. Je n’assigne pas la grosseur des petits globules. Je crois qu'à cet état de ténuité de la 
matière, l'illusion produite par le jeu de la lumière sur les bords des globules entraîne à des 
erreurs de l'ordre de grandeur des mesures elles-mêmes. C’est cependant un point que des 


personnes plus versées que moi dans les recherches microscopiques pourront résoudre avec 
plus de certitude. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9 


Elle peut être recueillie et transportée au loin sans perdre son énergie. 
Son activité n’est qu'aflaiblie quand on la dessèche ou qu’on la fait 
bouillir avec de l’eau. Enfin il faut très peu de cette levüre pour 
transformer un poids considérable de sucre, Ces fermentations doivent 
s'effectuer de préférence à l'abri de l'air, afin qu’elles ne soient pas 
génées par des végétations ou des infusoires étrangers. 

Nous retrouvons là tous les caractères généraux de la levüre de 
bière, et ces substances ont probablement des organisations qui, dans 
une classification naturelle, doivent occuper deux genres voisins ou 
deux familles rapprochées. 

Pour ce qui est de la rapidité et de la régularité de la fermentation 
lactique dans les conditions que j'ai assignées, lorsque le ferment 
lactique se développe seul, tous les chimistes en seront surpris : elle 
est souvent plus rapide, à quantité de matière égale, que la fermen- 
tation alcoolique. La fermentation lactique, telle qu'on la pratique 
ordinairement, est beaucoup plus longue; cela se conçoit très bien. Le 
gluten, le caséum, la fibrine, les membranes, les tissus, que l’on 
emploie renferment énormément de matières inutiles. Le plus souvent 
elles ne deviennent un aliment pour le ferment lactique qu'après s'être 
putréfiées, altérées au contact de végétations ou d’animalcules qui ont 
rendu leurs éléments solubles et assimilables. 

Voici un autre caractère qui permet de rapprocher encore le 
nouveau ferment de la levûre de bière : Si l’on sème dans le liquide 
sucré albumineux limpide de la levûre de bière et non de la levüre 
lactique, c’est de la levüre de bière qui se développera, et avec elle la 
fermentation alcoolique, bien qu’il n’y ait rien de changé aux autres 
conditions de l’opération. Il ne faudrait pas en conclure qu'il y aura 
identité de composition chimique entre les deux levûres, pas plus que 
la composition chimique de deux végétaux n’est la même parce qu'ils 
ont vécu dans le même sol. 

Enfin, il y a une dernière analogie que je ne dois pas omettre; c'est 
qu'il n’est pas nécessaire d’avoir déjà de la levüre lactique pour en 
préparer : elle prend naissance spontanément{!), avec autant de 
facilité que la levûre de bière, toutes les fois que les conditions sont 
favorables. 


1. Je me sers de ce mot comme expression du fait, en réservant complètement la question 
de la génération spontanée. Au contact de l’air commun la levüre lactique prend naissance si 
les conditions de nature du milieu ef de température s'y prêtent. Si l'on opère à l'abri de l'air 
ou avec de l'air préalablement chauffé, les choses se passent comme il arrive pour la levüre de 
bière ou les infusoires, et l'on peut reproduire dans ces conditions les expériences bien connues 
de divers physiologistes qui ont répété et précisé celles d'Appert et de Gay-Lussac sur 
l'influence de l'air dans les phénomènes dont il est ici question. 


10 ŒUVRES DE PASTEUR 


Que l’on dissolve du sucre dans de l’eau de levûre limpide, et qu'on 
ajoute de la craie, la fermentation s'y établira dès le lendemain ou le 
surlendemain, et, parce que le milieu est neutre, elle aura une 
tendance à être exclusivement lactique. On aura beau empêcher le 
contact de lair; il suffira que dans les transvasements ce contact ait 
eu lieu, et, à moins de précautions toutes particulières, que je ne 
suppose pas, cela arrivera infailliblement. Néanmoins, il est bien 
préférable de semer dans le liquide un peu de ferment lactique, 
parce que, dans le cas contraire, on s'expose à avoir le développement 
simultané de plusieurs fermentations et celui d’animalcules qui 
nuisent beaucoup. 

Toutes les fois qu'un liquide albumineux de nature convenable 
renferme un corps tel que le sucre pouvant éprouver des transfor- 
mations chimiques diverses et dépendantes de la nature de tel ou tel 
ferment, les germes de ces ferments tendent tous à se propager à la 
fois, et le plus ordinairement leur développement simultané se 
présente, à moins que l’un des ferments n’envahisse le terrain plus 
promptement que les autres. Or, c’est précisément cette dernière 
circonstance que l’on détermine quand on suit cette méthode de: 
lensemencement d’un être déjà formé et prêt à se reproduire. Si l’on 
ne sème aucun ferment dans un mélange d’eau sucrée, de matière 
albuminoïde et de craie, on a généralement plusieurs fermentations 
parallèles avec leurs ferments respectifs, et des animalcules qui 
paraissent dévorer les petits globules de ces ferments. L’addition 
préalable d'un ferment déterminé et pur favorise beaucoup la 
production d’une fermentation unique et correspondante, sans l’assurer 
dans tous les cas. On peut comparer ce qui se passe dans les fermen- 
tations à ce que nous offre un terrain daus lequel on ne place aucune 
semence. On le voit bientôt chargé de plantes et d'insectes divers qui 
se nuisent mutuellement. 

La pureté d’un ferment, son homogénéité, son développement 
libre, sans aucune gêne, à l’aide d’une nourriture très bien appropriée: 
à sa nature individuelle, voilà l’une des conditions essentielles des 
bonnes fermentations. Or, à cet égard, il faut savoir que les circon- 
stances de neutralité, d’alcalinité, d’acidité ou de composition chimique 
des liqueurs ont une grande part dans le développement prédominant 
de tels ou tels ferments, parce que leur vie ne s’accommode pas au 
même degré des divers états des milieux. Que l’on fasse dissoudre, 
par exemple, du sucre dans de l’eau de levüre très limpide sans ajouter 
de craie et sans rien semer, on peut être assuré que le surlendemain 
la fermentation sera alcoolique, avec levüre déposée au fond du vase. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 11 


Dans des cas très rares, dont j'ai eu cependant la preuve à diverses 
reprises dans mes nombreux essais, le ferment développé sera le 
ferment lactique. Je le répète, c’est une exception si les choses se 
passent ainsi, et lors même qu'on aurait préalablement semé du 
ferment lactique. C’est que, dans ces conditions, la liqueur peut 
devenir acide et que l’acidité paraît affaiblir et contrarier le ferment 
lactique plus que le ferment alcoolique. Bien des recherches sont 
encore à faire dans cette direction. 

Que l’on rende au contraire le milieu neutre ou un peu alcalin, le 
ferment lactique aura une grande tendance à se montrer et à se multi- 
plier. Je vais en donner des preuves certaines. Si l’on ajoute à de l’eau 
sucrée et à de la levûre de bière de la magnésie dont la réaction est 
alcaline, il y aura à la fois fermentation alcoolique et fermentation 
lactique avec précipitation de lactate de magnésie cristallisé; et si l’on 
étudie le liquide au microscope, on verra, mélés aux globules de 
levûre, une quantité considérable de petits globules de ferment 
lactique. Ces globules prennent naissance spontanément au sein du 
liquide albuminoïde fourni par la partie soluble de la levüre, alors que 
l’alcalinité du liquide diminue beaucoup l’activité de la levüre comme 
ferment alcoolique. Un milieu légèrement alcalin convient donc tres 
bien au développement de la nouvelle levüre, mais aussi il est éminem- 
ment favorable aux infusoires, qui, en dévorant les jeunes globules, 
ou tout au moins en leur enlevant leur nourriture, mettent une entrave 
souvent insurmontable à ce genre de phénomènes. 

La levüre de bière offre des particularités de même nature. Elle 
agit fort mal au milieu d’une liqueur alcaline ; le plus souvent elle y 
est arrêtée. Elle est également génée par une acidité même tres 
minime, contrairement à ce qui est admis généralement. C’est d’un 
milieu neutre qu'elle s’accommode le mieux, et, comme dans toute 
fermentation alcoolique ordinaire il se forme des acides, il y a une 
cause permanente de ralentissement de son action. Et, en effet, j'ai 
reconnu que l'addition de la craie à la levûre de bière favorise singu- 
lièrement le dédoublement du sucre en alcool et en acide carbonique. 
Et quand rien n’entrave ce mode de fermentation alcoolique, lorsque 
celle-ci a toute la rapidité qu'elle peut acquérir, la quantité d’acide 
formée dépasse très peu ou n’atteint pas celle qui se serait produite 
sans addition de craie. Il faudrait donc théoriquement maintenir le 
milieu neutre dans la fermentation alcoolique; elle serait incompara- 
blement plus prompte. Ce procédé néanmoins n’est point pratique ; 
il amènerait de graves accidents, parce que la neutralité du milieu 
favorisant le développement de la levüre lactique et des animalcules 


12 ŒUVRES DE PASTEUR 


aux dépens de la partie soluble de la levûre de bière qui leur sert 
d’aliment, il arriverait le plus souvent que beaucoup de sucre se trans- 
formerait en acide lactique ou que les animalcules enlèveraient à la 
levüre sa propre nourriture. 

Les détails dans lesquels je viens d'entrer permettent de prévoir 
toutes les variations auxquelles sont sujettes les fermentations, et en 
particulier la fermentation lactique, qui exige un milieu dont la 
neutralité convient également à d’autres végétaux et à des infusoires. 
Lors même que l’on suit toutes les précautions que j'ai indiquées, il 
arrive encore souvent qu'il y a complication et coïncidence de phéno- 
mènes divers. J'ai dû rechercher dès lors les circonstances les mieux 
appropriées à la production de la levüre lactique seule. On a vu que 
c'était la levüre de bière et les infusoires qui gênaient le plus. Il faut 
donc des conditions propres à en arrêter le développement sans influer 
notablement sur celui de la levüre lactique. J'espère y arriver par 
emploi du jus d’oignon brut comme milieu albumineux. L'huile 
essentielle de ce jus s'oppose complètement à la formation de la levûüre 
de biere; elle paraît nuire également aux infusoires. Je reviendrai 
donc, dans un travail spécial, sur lutilité de l'emploi de ce jus 
naturel. 

Lors même que par l'emploi de ce jus d’oignon on n’arriverait pas 
a résoudre complètement la difficulté, c’est-à-dire à déterminer cons- 
tamment et facilement la fermentation lactique sans complication de 
ferments ou d’infusoires étrangers aux phénomènes, tous les faits que 
j'ai recueillis me portent à croire que le moyen le plus efficace pour 
alteindre ce résultat est de chercher à nuire à la production des 
ferments parasites au moyen de substances particulières (1). Que lon 
sème, par exemple, des globules frais de levûre de bière dans le jus 
d'oignon brut, et jamais ces globules ne se développent. Ils ne 
provoquent aucunement la fermentation alcoolique. Au contraire, que 
l’on fasse préalablement bouillir le jus d’oignon, ce qui a pour effet de 
chasser l'huile essentielle sulfurée, et peut-être de modifier les prin- 
cipes albumineux, la levûre de bière se développera dans le liquide 
refroidi avec une efficacité remarquable, et le sucre du jus ou celui 
que l’on pourrait avoir ajouté se changera en alcool et en acide carbo- 
nique. Aussi jamais la fermentation alcoolique ne se déclare sponta- 
nément dans le jus d’oignon brut naturel, bien que ce jus soit 
acide à la manière du jus de raisin, tandis qu’il éprouve toujours la 


1. Ou par le choix de la matière azotée qui doit servir au développement de l'espèce de 
levûre que l'on a intérêt de faire naïtre à l'exclusion d'autres. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 142 


fermentation lactique jointe ou non à diverses particularités, sur 
lesquelles j'appellerai ultérieurement lattention (1). 

Dans tout le cours de ce Mémoire, j'ai raisonné dans l'hypothèse 
que la nouvelle levûre est organisée, que c’est un être vivant et que 
son action chimique sur le sucre est corrélative de son développement 
et de son organisation. Si l’on venait me dire que dans ces conclu- 
sions je vais au delà des faits, je répondrais que cela est vrai, en ce 
sens que je me place franchement dans un ordre d'idées qui, pour 
parler rigoureusement, ne peuvent être irréfutablement démontrées. 
Voici ma manière de voir. Toutes les fois qu'un chimiste s’occupera 
de ces mystérieux phénomènes, et qu'il aura le bonheur de leur faire 
faire un pas important, il sera instinctivement porté à placer leur cause 
première dans un ordre de réactions en rapport avec les résultats 
généraux de ses propres recherches. C’est la marche logique de l'esprit 
humain dans toutes les questions controversées. Or il m'est avis, au 
point où je me trouve de mes connaissances sur le sujet, que quiconque 
jugera avec impartialité les résultats de ce travail et ceux que je 
publierai prochainement reconnaîtra avec moi que la fermentation s’y 
montre corrélative de la vie, de l’organisation de globules, non de la 
mort ou de la putréfaction de ces globules, pas plus qu’elle n’y appa- 
raît comme un phénomène de contact, où la transformation du sucre 
s’accomplirait en présence du ferment sans lui rien donner, sans lui 
rien prendre. Ces derniers faits, on le verra bientôt, sont contredits 
par l'expérience. 

Dans un prochain travail je m'occuperai de l’action chimique de la 
nouvelle levûre sur les matières sucrées (2). 


1. C'est en étudiant du jus d'oignon qui, abandonné à lui-même, était devenu très acide que 
Foureroy et Vauquelin ont découvert pour la première fois dans les liquides naturels fermentés 
un principe cristallisable identique avec celui de la manne. C'est Vauquelin qui remarqua la 
production de cristaux dans ce jus d’oignon évaporé, et c'est M. Chevreul qui fit l'étude de ces 
cristaux «{ reconnut leur identité avec la mannite. 

Le travail de Foureroy et Vauquelin [intitulé : Sur l'analyse chimique de l'oignon (allium 
cepa)] est imprimé par extraits dans les Annales de chimie, LXV, 1808, p. 161-174. 

2. Pasreur. Nouveaux faits pour servir à l'histoire de la levûre lactique. Comptes rendus 
de l’Académie des sciences, XLNIII, 1859, p. 237-388, et p. 34-86 du présent volume. (Note 
de l'Édition.) 


MÉMOIRE SUR LA FERMENTATION APPELÉE LACTIQUE 


(EXTRAIT PAR L'AUTEUR) [{]. 


J'ai été conduit à m'occuper de la fermentation à la suite de mes 
recherches sur les propriétés des alcools amyliques et sur les parti- 
cularités cristallographiques fort remarquables de leurs dérivés. 
J'aurai l'honneur de présenter ultérieurement à l’Académie des obser- 
vations qui offriront une liaison inattendue entre les phénomènes de 
la fermentation et le caractère de dissymétrie moléculaire propre aux 
substances organiques naturelles... 

Les conditions matérielles de la préparation et de la production 
de l'acide lactique sont bien connues des chimistes. On sait qu'il 
suffit d'ajouter à de l’eau sucrée de la craie, qui maintient le milieu 
neutre, plus une matière azotée, telle que le caséum, le gluten, les 
membranes animales, etc., pour que le sucre se transforme en acide 
lactique. Mais l'explication des phénomènes est très obscure; on 
ignore tout à fait le mode d’action de la matière plastique azotée. 
Son poids ne change pas d’une manière sensible. Elle ne devient 
pas putride. Elle se modifie cependant et elle est continuellement 
dans un état d’altération évidente, bien qu'il serait difficile de dire 
en quoi il consiste. 

Des recherches minutieuses n’ont pu jusqu’à présent faire découvrir 
dans ces opérations le développement d'êtres organisés. Les obser- 
vateurs qui en ont reconnu ont établi en même temps qu'ils étaient 
accidentels et nuisaient au phénomène. 

Les faits paraissent donc très favorables aux idées de M. Liebig (2). 
A ses yeux, le ferment est une substance excessivement altérable qui 
se décompose et qui excite la fermentation par suite de l’altération 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 30 novembre 1857, XL, 
p. 913-916. 

9. Il résulte des recherches historiques récentes de M. Chevreul, insérées au Journal des 
savants (1856, p. 94-105], que Stahl avait déjà émis des idées analogues à celles de M. Licbig 
sur les causes de la fermentation alcoolique. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 15 


qu'elle éprouve elle-même, en ébranlant par communication et désas- 
semblant le groupe moléculaire de la matière fermentescible. La, 
selon M. Liebig, est la cause première de toutes les fermentations 
et l’origine de la plupart des maladies contagieuses. Cette opinion 
obtient chaque jour un nouveau crédit. On peut à cet égard consulter 
le Mémoire de MM. Fremy et Boutron sur la fermentation lactique, 
les pages qui traitent de la fermentation et des ferments dans le bel 
ouvrage que M. Gerhardt a laissé en mourant, enfin le Mémoire tout 
récent de M. Berthelot sur la fermentation alcoolique. Ces travaux 
s'accordent à rejeter l’idée d’une influence quelconque de l’organi- 
sation et de la vie dans la cause des phénomènes qui nous occupent. 
Je suis conduit à une manière de voir entièrement différente. 

Je me propose d'établir dans la première partie de ce travail que, 
de même qu'il existe un ferment alcoolique, la levüre de bière, que 
l’on trouve partout où il y a du sucre qui se dédouble en alcool et en 
acide carbonique, de même il y a un ferment particulier, une levûre 
lactique, toujours présente quand du sucre devient acide lactique, et 
que, si toute matière plastique azotée peut transformer le sucre en 
cet acide, c’est qu’elle est pour le développement de ce ferment un 
aliment convenable. 

Il y a des cas où l’on peut reconnaître dans les fermentations 
lactiques ordinaires, au-dessus du dépôt de la craie et de la matière 
azotée, des portions d’une substance grise formant quelquefois zone 
à la surface du dépôt. Son examen au microscope ne permet guère 
de le distinguer du caséum, du gluten désagrégés, etc., de telle 
sorte que rien n'indique que ce soit une matière spéciale, ni qu'elle 
ait pris naissance pendant la fermentation. C’est elle néanmoins qui 
joue le principal rôle. Je vais tout d’abord indiquer le moyen de 
l'isoler, de la préparer à l’état de pureté. 

J'extrais de la levüre de bière sa partie soluble en la maintenant 
quelque temps à la température de l’eau bouillante avec quinze à 
vingt fois son poids d’eau. La liqueur est filtrée avec soin. On y fait 
dissoudre environ 50 grammes de sucre par litre, on ajoute de la 
craie et l’on sème dans le milieu une trace de la matière grise dont 
jai parlé tout à l'heure, en la retirant d’une bonne fermentation 
lactique ordinaire. Dès le lendemain, il se manifeste une fermen- 
tation vive et régulière. Le liquide, parfaitement limpide à l'origine, 
se trouble, la craie disparaît peu à peu, en même temps qu'un dépôt 
s'effectue et augmente continûment et progressivement au fur, et à 
mesure de la dissolution de la craie. En outre, on observe tous les 
caractères et tous les accidents bien connus de la fermentation 


16 ŒUVRES DE PASTEUR 


lactique. On peut remplacer dans cette expérience l’eau de levüre par 
la décoction de toute matière plastique azotée, fraiche ou altérée 
selon les cas. Voyons maintenant les caractères de cette substance 
dont la production est corrélative des phénomènes compris sous la 
dénomination de fermentation lactique. Son aspect rappelle celui de 
la levûre de bière quand on létudie en masse et égouttée ou pressée. 
Au microscope, elle est formée de petits globules ou de petits articles 
très courts, isolés ou en amas constituant des flocons irréguliers. Ses 
globules, beaucoup plus petits que ceux de la levûre de bière, sont 
agités vivement du mouvement brownien. Lavée à grande eau par 
décantation, puis délayée dans de l’eau sucrée pure, elle lacidifie 
immédiatement, progressivement, mais avec une grande lenteur, parce 
que l'acidité gène beaucoup son action sur le sucre. Si l’on fait inter- 
venir la craie qui maintient la neutralité du milieu, la transformation 
du sucre est fort accélérée; et lors même qu’on opère sur très peu de 
matière, en moins d’une heure le dégagement du gaz est manifeste 
et la liqueur se charge de lactate et de butyrate de chaux. Il faut très 
peu de cette levüre pour transformer beaucoup de sucre. Ces fermen- 
tations doivent s'effectuer de préférence à l'abri de l'air, sans quoi 
elles sont gênées par des végétations ou des infusoires parasites. 

La fermentation lactique est donc aussi bien que la fermentation 
alcoolique ordinaire un acte corrélatif de la production d’une matière 
azotée qui a toutes les allures d’un corps organisé mycodermique 
probablement très voisin de la levüre de bière. Mais les difficultés 
du sujet ne sont qu'à moitié résolues. Sa complication est extrême. 
L'acide lactique est bien le produit principal de la fermentation à 
laquelle il a donné son nom. Il est loin d’être le seul. On le trouve 
constamment accompagné d'acide butyrique, d'alcool, de mannite, de 
matière visqueuse. La proportion de ces matières est soumise aux 
plus capricieuses variations. Il Y à une circonstance mystérieuse rela- 
tive à la mannite. Non seulement la proportion qui s'en forme est 
sujette aux plus grandes variations; M. Berthelot vient d'établir, en 
oùtre, que si l’on remplace le sucre par la mannite dans la fermen- 
tation lactique, toutes les autres conditions demeurant sensiblement 
les mêmes, la mannite fermente en donnant de l'alcool, de l'acide 
lactique et de l'acide butyrique (1). Comment dès lors concevoir qu’il 
puisse y avoir formation de mannite dans des cas de fermentation 
lactique, puisque, peut-on croire, elle devrait se détruire au fur et 
à mesure de sa production ? 


1. BerrmeLor. Transformation de la mannite et de la glycérine en un sucre proprement dit. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLIV, 1857, p. 1002-1006. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 17 


Étudions avec plus de soins que nous ne l'avons fait les propriétés 
chimiques de la nouvelle levüre. J'ai dit que lavée à grande eau et 
placée dans de l’eau sucrée pure, elle acidifiait progressivement la 
liqueur. La transformation du sucre devient, dans ces conditions, de 
plus en plus pénible, à mesure que le liquide prend lui-même une plus 
grande acidité. Or, si l’on analyse la liqueur, ce qui ne peut être 
accompli avec succès qu'après la saturation des acides par la craie et 
la destruction ultérieure du sucre en excès par la levüre de bière, on 
trouve dans le liquide évaporé, et en proportion variable, la mannite 
d’une part, de l’autre la matière visqueuse. Ainsi donc la levüre lac- 
tique lavée mise en présence du sucre le transforme en divers produits 
parmi lesquels il y a toujours de la mannite, mais c'est à la condition 
que le liquide puisse devenir promptement acide; car si l’on répète 
exactement la même expérience avec la précaution d'ajouter un peu de 
craie afin que le milieu reste constamment neutre, ni gomme, ni 
mannite ne prennent naissance, ou mieux ne peuvent persister, parce 
que, on va le voir, les conditions de leur propre transformation se 
trouvent réunies. 

J'ai rappelé tout à l'heure que M. Berthelot avait prouvé qu'en 
substituant la mannite au sucre dans la fermentation lactique, cette 
matière fermentait. Or il est facile de se convaincre que dans les cas 
nombreux de fermentation de la mannite, c’est la levüre lactique qui 
prend naissance et produit le phénomène. Si l’on mêle à une solution 
de mannite pure de la craie en poudre et de la levûre lactique fraiche 
et lavée, au bout d’une heure déjà le dégagement gazeux et la trans- 
formation chimique de la mannite commenceront. Il se forme de 
l'acide carbonique, de l'hydrogène, et la liqueur renferme de l'alcool, 
de l'acide lactique, de l'acide butyrique, tous les produits de la 
fermentation de la mannite. 

Quant à l'acide butyrique, l'expérience prouve que la levûre 
lactique agit directement sur le lactate de chaux en donnant du carbo- 
nate de chaux et du butyrate de chaux. Mais l’action s'exerce d’abord 
sur le sucre, et tant qu'il y en a dans la liqueur, la levüre le fait 
fermenter de préférence à l'acide lactique. 

Dans des communications très prochaines, j'aurai lhonneur de 
présenter à l’Académie l'application des idées générales et des 
nouvelles méthodes d’expérimentation de ce travail à d’autres fermen- 
lations. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. - 2 


MÉMOIRE SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE 


(EXTRAIT PAR L'AUTEUR) [!}. 


J'ai soumis la fermentation alcoolique à la méthode d’expérimen- 
tation indiquée dans le Mémoire que j'ai eu l'honneur de présenter 
récemment à l’Académie (2). Les résultats de ces travaux demandent à 
être rapprochés, parce qu'ils s’éclairent et se complètent mutuel- 
lement. 

On sait qu'il y a deux cas principaux à distinguer dans la fermen- 
tation alcoolique. La levüre agit dans de l’eau sucrée pure ou en 
présence de matières albuminoïdes. Dans le premier cas, la levüre 
s’épuise et devient impropre à exciter de nouveau la fermentation. 
Dans le deuxième, elle reste active. On en recueille plus qu’on n’en a 
employé. Elle se régénère ou mieux il s’en détruit autant que dans 
le premier cas; mais comme il s’en reforme une nouvelle proportion, 
le poids de celle qui a disparu est masqué par l'augmentation de poids 
due à celle qui s’est régénérée. Quant au poids de levûre qui disparaît, 
les auteurs l’évaluent à 1 partie et demie environ de levüre sèche : 
pour 100 de sucre. 

La décomposition de la levûre dans le cas où le ferment s’épuise 
au contact de l’eau sucrée pure est un des faits qui importent le plus 
à la théorie de M. Liebig : « Si la fermentation, dit-il, était une 
conséquence du développement et de la multiplication des globules, 
ils n’exciteraient pas la fermentation dans de l’eau sucrée pure qui 
manque des autres conditions essentielles à la manifestation de 
l’activité vitale; cette eau ne renferme pas la matière azotée nécessaire 
à la production de la partie azotée des globules. » 

On ne peut méconnaitre que si la levüre bien lavée, mise au contact 
de l’eau sucrée pure, ne fait que s’altérer et se détruire, il n’est pas 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 21 décembre 1857, XBYE 
p. 1032-1086. 
2. Toir le Mémoire précédent. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 19 


possible de prétendre que la fermentation alcoolique est un acte 
corrélatif d’un développement de globules. 

L'expérience va nous apprendre que les faits sur lesquels s'appuie 
M. Liebig n’ont pas l'exactitude qu'il leur suppose, et que dans la 
fermentation avec eau sucrée pure, il y a une somme de vie et d’orga- 
nisation égale à celle qui se manifeste dans le cas général. 

Je prends deux quantités égales de levûre fraiche, lavée à grande 
eau. Je place l’une en fermentation avec de l’eau sucrée pure, et, après 
avoir extrait de l’autre toute sa partie soluble en la faisant bouillir 
avec beaucoup d’eau et filtrant pour éloigner les globules, j'ajoute à la 
liqueur limpide autant de sucre que j'en ai employé dans la première 
fermentation, plus une trace de levüre fraiche qui ne peut apporter, 
comme poids de matière, aucun trouble dans les résultats de l’expé- 
rience. Les globules semés bourgeonnent, le liquide se trouble, un 
dépôt de levüre se forme peu à peu, et parallèlement s'effectue le 
dédoublement du sucre qui est déjà sensible après quelques heures. 
Ces résultats étaient faciles à prévoir; mais voici le fait qu’il importe 
de noter. En déterminant par cet artifice l’organisation en globules de 
la partie soluble de la deuxième portion de levûre, on dédouble un 
poids de sucre considérable. Je rapporterai les résultats d’une 
expérience : > grammes de levüre ont fait fermenter en six jours 
12,9 grammes de sucre, et étaient épuisés. La partie soluble d’une 
égale portion de 5 grammes de la même levûre a fait fermenter 
10,0 grammes de sucre en neuf jours, et la levûre développée par la 
semence élait également épuisée. 

En résumé, lorsque l’on provoque l’organisation en globules de la 
partie azotée soluble de la levüre de bière, elle dédouble une quantité 
de sucre qui approche du poids total de sucre que peut dédoubler une 
portion de levûre brute égale à celle qui a servi à l'extraction de cette 
partie soluble. La différence entre les deux poids de sucre fermenté 
parait d’ailleurs bien facile à comprendre. Le développement des 
globules doit être pénible dans l’eau de levûüre très diluée, et d'autre 
part l’ébullition avec l’eau enlève difficilement à la levûre toute sa 
partie soluble, probablement emprisonnée à l’intérieur des globules. 

A ces résultats se rattache directement l’explication de phénomènes 
qui ont toujours paru extraordinaires dans l’histoire de la fermen- 
tation. M. Thenard a observé depuis longtemps que la levûre pouvait 
être desséchée à 100°, ou portée à l’ébullition sans perdre sensiblement 
de son énergie. La particularité de son action dans ces conditions 
spéciales consiste en ce que la fermentation se déclare plus lentement 
qu'en opérant sur la même levüre fraiche et qu’elle a une plus longue 


20 ŒUVRES DE PASTEUR 


durée Ces faits curieux sont encore invoqués par les chimistes qui 
partagent les idées de Liebig et Berzelius et éloignent l'influence de 
l’organisation dans la cause des phénomènes qui nous occupent. Car 
une température de 100° doit détruire tout principe de vie dans la 
levüre de bière, et néanmoins elle agit après avoir subi cette tempé- 
rature élevée, jointe ou non à une dessiccation prolongée. 

L’explication de ces phénomènes me paraît très naturelle. Je viens 
d'établir que dans la levûre de bière, ce ne sont point les globules qui 
jouent le principal rôle, mais bien la mise en globules de leur partie 
soluble; car je prouve que l’on peut supprimer les globules formés, et 
l’effet total sur le sucre est sensiblement le même. Or, assurément, il 
importe peu qu'on les supprime de fait par une filtration avec sépa- 
ration de leur partie soluble, ou qu'on les tue par une température 
de 100°, en les laissant mélés à cette partie soluble. C’est ce dernier 
cas que l’on réalise quand on emploie de la levûre desséchée à 1009. 
C’est également le cas de la levüre portée à l’ébullition dans de l’eau. 
pourvu toutefois qu'on n'éloigne pas par une filtration la partie 
dissoute. Car si la levûüre mise en ébullition est filtrée, et que l’on 
recueille les globules restés sur le filtre, ils seront à peu près complè- 
tement inertes, parce qu'ils auront été séparés de leur partie soluble. 

Mais, dira-t-on, comment la fermentation du sucre peut-elle 
s'établir lorsque l’on emploie de la levûre portée à 100°, si elle n’est 
due qu’à l'organisation de la partie soluble des globules, et que ceux-ci 
aient été tous paralysés par la température de 100°? La fermentation 
s'établit alors tout comme elle s'établit dans un liquide sucré naturel, 
jus de raisin, de canne à sucre, etc., c’est-à-dire spontanément, et 
c'est là ce qui rend compte de la particularité que j'ai signalée du 
retard apporté à la fermentation quand on dessèche préalablement la 
levûre à 100°, aussi bien que cela explique la plus longue durée de 
l’action de la levûre dans ces conditions. On le voit, dans tous les 
cas, même les plus propres en apparence à nous éloigner de croire à 
l'influence de l’organisation dans les phénomènes de fermentation, 
l’acte chimique qui les caractérise est toujours corrélatif d’une 
formation de globules lente et progressive à la manière de l'acte 
chimique lui-même. 

Les observations suivantes, tout en confirmant les données qui 
précèdent, jetteront un jour nouveau sur les fermentations. Les 
théories de la fermentation partent de ce principe que le ferment ne 
cède rien et ne prend rien à la matière fermentescible. Je vais 
démontrer au contraire que la levûre emprunte quelque chose au 
sucre, que le sucre est un de ses aliments, qu'il n'y a pas équation 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 21 


entre les quantités d'alcool, d’acide carbonique (d'acide lactique , et le 
poids total du sucre devenu incristallisable. Ces résultats peuvent être 
facilement établis. Il suffit de prendre deux quantités égales de levûre 
fraîche lavée, de dessécher l’une dans sa capsule de pesée, et de 
prendre alors son poids exact à 100°. Ce poids sera dans tous les cas 
inférieur à celui de l’autre portion également desséchée à 100°, et 
recueillie seulement après qu'on l'aura épuisée en présence d’un 
excès de sucre. La différence des poids est variable, mais elle est 
toujours fort sensible. Il faut remarquer d’ailleurs que des causes de 
pertes importantes sont placées du côté de la portion de levûre qui 
pèse le plus. Ce résultat curieux et inattendu permet de rendre 
compte d’un fait qui, au début de ces études, m'avait beaucoup 
surpris. Lorsque la levüre s'épuise dans l’eau sucrée pure, on admet 
que tout son azote passe à l’état de sel d’ammoniaque. En réalité, la 
quantité d’ammoniaque formée pendant la fermentation est excessi- 
vement faible et bien inférieure à celle qui devrait prendre naissance 
pour que lon pût expliquer par elle la diminution de la teneur en 
azote de la levüre. La perte d’azote de la levüre n’est qu'apparente. 
Elle est due principalement à son augmentation de poids par assimi- 
lation du sucre, matière privée d’azote. 

Les conclusions à déduire des faits qui précèdent seront évidentes 
pour tout le monde. Le dédoublement du sucre en alcool et en acide 
carbonique est un acte corrélatif d'un phénomène vital, d’une organi- 
sation de globules, organisation à laquelle le sucre prend une part 
directe, en fournissant une portion des éléments de la substance de 
ces globules. 

Avant de terminer, je demande à l’Académie la permission de lui 
annoncer un résultat auquel j'attache une grande importance. J'ai 
découvert un mode de fermentation de l'acide tartrique, qui s'applique 
très facilement à l’acide tartrique droit ordinaire, et très mal ou pas 
du tout à l’acide tartrique gauche. Or, chose singulière, mais que le 
fait précédent permet de prévoir, lorsque l’on soumet l’acide para- 
tartrique formé par la combinaison, molécule à molécule, des deux 
acides tartriques, droit et gauche, à ce même mode de fermentation, 
l'acide paratartrique se dédouble en acide droit qui fermente et en 
acide gauche qui reste intact, de telle sorte que le meilleur moyen que 
je connaisse aujourd’hui pour isoler l'acide tartrique gauche consiste 


à dédoubler l'acide paratartrique par la fermentation (1. 


1. Vo: Pasreur. Mémoire sur la fermentation de l'acide tartrique. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, XLVI, 1858, p. 615-618, et p. 25-28 du présent, volume. {Note «le 
l'Édition.) 


29 ŒUVRES DE PASTEUR 


Je dois ajouter que la nature des produits de la fermentation de 
l'acide tartrique, comparée à celle de nouveaux acides que jai 
rencontrés dans la fermentation du sucre ordinaire et jointe à des 
relations curieuses entre les formes cristallines du sucre candi et de 
l'acide tartrique droit, m’autorise à penser que le sucre candi a 
probablement la même constitution moléculaire que cet acide. 

Ainsi se trouvent agrandies mes études antérieures, par ces phéno- 
mènes mystérieux de la fermentation, qui semblaient tout d’abord 
devoir m'en éloigner. 


SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


Lettre à M. Dumas. 


Permettez-moi de vous faire connaître quelques résultats nouveaux 
sur la fermentation alcoolique. Ils se joignent à ceux que j'ai déjà eu 
l'honneur d'annoncer à l’Académie pour porter à voir dans le phéno- 
mène de la fermentation une complication bien différente de celle que 
nous avions l'habitude d’y admettre. Les uns et les autres témoignent 
du peu de rigueur de l'équation pondérale dont on avait supposé 
l'existence entre la quantité de sucre et la somme des poids de l’acide 
carbonique et de lalcool. 

En poursuivant mes études antérieures, j'ai trouvé que l'acide 
succinique était un des acides normaux de la fermentation alcoolique, 
c’est-à-dire que jamais il n’y avait fermentation alcoolique sans qu'il y 
eût production aux dépens du sucre d’une quantité d'acide succinique 
très notable, car elle s’élève au moins à ; pour 100 du poids du sucre 
fermenté. 

Rien de plus facile, lorsqu'on est prévenu, que de la mettre en 
évidence, n’eût-on opéré que sur quelques grammes de matière 
fermentescible, Par exemple, que l’on évapore le liquide fermenté, 
qu’on le ramène à la neutralité et qu’on le précipite par un sel d'argent, 
le succinate lavé et décomposé par l’hydrogène sulfuré donne par 
évaporation des cristaux d’acide succinique. Plus simplement, que l’on 
traite à diverses reprises par l’éther l’extrait du liquide fermenté, et 
pendant l’évaporation de l’éther on verra sur les parois du vase des 
cristaux d'acide succinique se déposer peu à peu. Lorsque la cristalli- 
sation n’a pas lieu, c’est-à-dire lorsque l’acide succinique reste dissous 
dans le sirop d’acide lactique que laisse l’éther après son évaporation, 
il suffit de saturer les deux acides par la chaux. Le succinate de chaux 
insoluble dans l'alcool faible est facile à séparer du lactate. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 25 janvier 1858, XL VI, p. 179-180. 


LA 
Æ 


ŒUVRES DE PASTEUR 


Si la thérapeutique venait jamais à trouver un emploi à cet acide 
dont la saveur a quelque chose d’individuellement étrange et dont la 
vapeur me paraît avoir sur l’économie une action des plus vives, je 
crois qu'il ne serait pas difficile d’aller le recueillir à peu de frais dans 
les résidus rejetés des distilleries. 

J’ajouterai une dernière observation. 

Si l'acide succinique est bien, comme je l’affirme, un produit 
normal, nécessaire, de la fermentation alcoolique, je devais le retrouver 
partout où cette fermentation s’est produite, par exemple dans le vin. 
Et en effet, ayant pris le vin naturel dont je me sers habituellement 
et qui est un vin du Jura, en ayant évaporé un litre, repris par l’éther, 
il se déposa, après vingt-quatre heures, dans le sirop d’acide lactique 
que l’évaporation de l’éther laissa pour résidu, une quantité très 
appréciable de cristaux d’acide succinique. | 


MÉMOIRE SUR LA FERMENTATION DE L'ACIDE TARTRIQUE (1) 


Première partie. — De mème qu'il existe un ferment alcoolique, 
la levûre de bière, que l’on trouve partout où il y a du sucre qui se 
dédouble en alcool et en acide carbonique, et qui est organisé d’après 
les observations de M. Cagniard de Latour, de même il y a une levüre 
lactique toujours présente quand du sucre devient acide lactique, et 
si toute matière plastique azotée peut transformer le sucre en cet 
acide, c’est qu'elle est pour le développement de ce ferment un 
aliment approprié à sa nature. Tel est le résultat d’un travail que j'ai 
eu l'honneur de communiquer à lAcadémie dans la séance du 
30 novembre dernier (?). Je vais montrer que la fermentation de l'acide 
tartrique donne lieu à des conclusions tout à fait analogues. 

On savait depuis longtemps, par des accidents de fabrication, que 
le tartrate de chaux brut, encore mêlé à des matières organiques et 
abandonné sous l’eau, pouvait fermenter. Un chimiste manufacturier, 
M. Nœllner, étudia les produits de cette fermentation, et y reconnut 
l'existence d’un acide qu’il crut nouveau, dont M. Nicklès (3) donna la 
composition exacte, et que MM. Dumas, Malaguti et Leblanc(‘), dans 
leur beau travail sur les éthers cyanhydriques, trouvèrent identique 
avec l’acide métacétonique que M. Gottlieb avait obtenu en faisant 
agir la potasse sur le sucre. 

Je ne m'occuperai pas aujourd'hui des substances qui résultent de 
la fermentation de l'acide tartrique. J'y reviendrai bientôt dans un 
travail spécial. Je dirai seulement que mes expériences ont porté sur 
le tartrate d’ammoniaque, et non sur le tartrate de chaux, et que ce 
changement dans la nature de la base en a amené dans la compo- 
sition des produits, avec d’autres particularités fort curieuses, mais 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 29 mars 1858, XLVI, p. 619-618. 

2. Voir p. 14-17 du présent volume : Mémoire sur la fermentation appelée lactique. 

3. Nrecës (J.). Sur un acide particulier résultant du tartre brut sous l'influence de la 
chaux et des ferments. Comptes rendus de l'Academie des sciences, XXIIT, 1846, p. 419-421. 

4. Dumas, Maraqurr et LeBLanc. Sur l'identité des acides métacétonique et butyro-acétique. 
1bid., XXV, 1847, p. 781-784. (Notes de l'Édition.) 


26 ŒUVRES DE PASTEUR 


dont le détail compliquerait l'étude de la cause du phénomène, à 
laquelle je veux m'attacher principalement dans la première partie de 
cette communication. 

Voici comment j'opère : 

Le tartrate d’ammoniaque pur est dissous dans de l’eau distillée 
à laquelle j'ajoute une matière albuminoïde azotée soluble dans l’eau, 
l'extrait d’un jus de plante, d’une humeur quelconque de l’économie 
animale, ou la partie soluble de la levûre de bière ordinaire. Il suffit 
que la solution tartrique en renferme 2 à 3 millièmes de son poids 
total. La liqueur, parfaitement limpide, est placée très chaude dans 
un flacon qu’elle remplit jusqu'au col, et, lorsque sa température est 
descendue à 30° environ, on ajoute quelques centimètres cubes du 
liquide trouble d’une bonne fermentation de tartrate en train depuis 
quelques jours, et provoquée, si l’on veut, à la manière ordinaire. La 
quantité de matière solide que l’on sème par cet artifice est tout à 
fait impondérable. Elle a pourtant une très grande influence. Si les 
conditions de température et de neutralité ou d’alcalinité légère du 
milieu sont bien observées, en quelques heures tout le liquide sera 
troublé, et la fermentation s'’annoncera dès le lendemain par un déga- 
gement gazeux. 

Voici quelques caractères de la fermentation disposée comme je 
viens de le dire. 

Le trouble de la liqueur et le dégagement de gaz augmentent peu 
à peu, et l’on voit un dépôt se former progressivement au fond du 
vase. Ce dépôt est excessivement minime par rapport au poids de 
tartrate. Comme dans toutes les fermentations, le dégagement gazeux 
diminue après avoir atteint un maximum. Il est d’ailleurs très facile 
de suivre, par l'examen optique de la liqueur, la transformation 
graduelle de l'acide tartrique en produits inactifs sur la lumière 
polarisée. La matière qui se dépose pendant la fermentation se 
montre au microscope formée de petites tiges ou de granulations d’un 
très petit diamètre, réunies en amas, en lambeaux irréguliers, et 
comme soudées par une substance glutineuse. Mais un examen plus 
attentif montre que cette réunion des granules est due probablement 
à un enchevétrement de petits filaments constitués par les granu- 
lations disposées comme des grains de chapelet. Le diamètre des 
petites granulations ou globules est sensiblement le même que dans 
la levûre lactique et l'aspect général au microscope de ces deux 
productions offre de grandes analogies. Le dépôt dont il est ici ques- 
tion, lavé à grande eau et placé dans une solution de tartrate d’ammo- 
niaque dans l’eau pure, en détermine la fermentation. Après quelques 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 27 


heures de contact, on peut prouver qu'il y a du tartrate transformé, 
c’est-à-dire que la fermentation est à peu près immédiate. 

Deuxième partie. — L'Académie se rappelle la constitution singu- 
lière de l'acide racémique. Elle sait qu'il est formé par la combinaison 
d’une molécule d’acide tartrique droit, qui est l'acide tartrique ordi- 
naire, et d’une molécule d’acide tartrique gauche, qui ne diffère du 
droit que par l'impossibilité de superposer leurs formes, d’ailleurs 
identiques, et par le pouvoir rotatoire qui s'exerce à droite dans le 
premier, à gauche dans le second, exactement de la même quantité 
en valeur absolue. L'Académie sait, de plus, qu'il y a entre les 
propriétés chimiques de ces deux acides une identité telle qu'il est 
matériellement impossible de les distinguer, à moins toutefois qu'on 
ne les mette en présence de substances actives sur la Ilumière pola- 
risée. Car alors toutes leurs manières d’être diffèrent essentiellement. 

Il y avait donc un intérêt très grand à rechercher si l'acide racé- 
mique éprouverait la même fermentation que l'acide tartrique droit, 
en d’autres termes, si la levûre dont j'ai donné plus haut le mode de 
production transformerait l'acide tartrique gauche aussi facilement et 
de la même façon que l'acide tartrique droit. Le racémate d’ammo- 
niaque fut mis en fermentation en suivant les indications que j'ai 
indiquées tout à l'heure pour le tartrate droit. La fermentation se 
déclara avec la même facilité, les mêmes caractères et dépôt de la 
méme levûre. Mais en étudiant la marche du phénomène à l’aide de 
l'appareil de polarisation, on voit que les choses se passent tout 
autrement. Après quelques jours de fermentation, le liquide primiti- 
vement inactif possède un pouvoir rotatoire à gauche sensible, et ce 
pouvoir augmente progressivement à mesure que la fermentation se 
continue, de manière à atteindre un maximum. La fermentation est 
alors suspendue. Il n’y a plus trace d’acide droit dans la liqueur, qui, 
évaporée et mêlée à son volume d'alcool, donne immédiatement une 
abondante cristallisation de tartrate gauche d’ammoniaque. 

Voilà sans doute un excellent moyen de préparer l’acide tartrique 
gauche. Mais tout l'intérêt du fait qui précède me parait se rattacher 
au rôle physiologique de la fermentation qui se présente dans mes 
expériences comme un phénomène de l’ordre vital. En effet, nous 
voyons ici le caractère de dissymétrie moléculaire propre aux matières 
organiques intervenir dans un phénomène physiologique comme 
modificateur de l’affinité. Il n'est pas douteux que c’est le genre de 
dissymétrie propre à l’arrangement moléculaire de l'acide tartrique 
gauche qui est la cause unique, exclusive, de la non-fermentation de 


cet acide dans les conditions où l'acide inverse est détruit. 


28 ŒUVRES DE PASTEUR 


Assurément certaines idées philosophiques sur le concours néces- 
saire de toute chose à l’harmonie de l’univers permettent d’affirmer 
que le caractère si général de dissymétrie des produits organiques 
naturels joue un rôle dans l’économie végétale et animale. Mais la 
science veut autre chose que des vues à priori. Or, je remarque que, 
pour la première fois, dans le phénomène que je viens de faire 
connaître, le caractère de dissymétrie droite ou gauche des produits 
organiques intervient manifestement comme modificateur de réactions 
chimiques d’un ordre physiologique (1). 

Quant à la cause intime de la différence que j'ai signalée entre la 
fermentation des deux acides tartriques, il me paraît vraisemblable 
de l’attribuer au pouvoir rotatoire des matières qui entrent dans 
la constitution de la levüre. On comprend que, si la levûre est 
naturellement constituée par des matières dissymétriques, elle ne 
s’accommodera pas à un degré égal d’un aliment qui lui-même sera 
dissymétrique dans le même sens ou en sens inverse: à peu près 
comme on a vu dans mes recherches antérieures le tartrate droit de 
quinine différer essentiellement du tartrate gauche de cette base qui 
est active, tandis que les tartrates droit et gauche de potasse ou de 
toute autre base inactive sont chimiquement identiques. 


1. Pour: à la fin du présent volume, Document I : Lettre manuscrite adressée par Pasteur 
à MM. Milne Edwards, Serres, Rayer, Flourens et Claude Bernard. (Note de l'Édition.) 


PRODUCTION CONSTANTE DE GLYCÉRINE 
DANS LA FERMENTATION ALCOOLIQUE ({) 


Lettre à M. Dumas. 


Je vous prie de vouloir bien annoncer à l’Académie un résultat 
curieux et très inattendu. C’est la présence constante de la glycérine 
parmi les produits de la fermentation alcoolique. Ce n’est pas sans 
quelque réserve que j'indiquerai la proportion suivant laquelle elle y 
figure. Mieux que personne vous comprendrez qu’il n’est pas facile 
d'isoler entièrement cette matière à l’état de pureté. Cependant je 
crois pouvoir la fixer dès aujourd’hui à 3 pour 100 environ du poids du 
sucre. Cette proportion de glycérine dans les liquides fermentés, 
notamment dans le vin, surprendra tout le monde, autant peut-être 
que le fait lui-même de la présence de cette matière parmi les 
produits de la fermentation alcoolique. Aïnsi que je vous le disais 
dans ma Lettre du 25 janvier (2), lorsque j'ai eu l'honneur de vous faire 
savoir que l’acide succinique est également un produit normal de la 
fermentation, il faut voir dans ce phénomène une complication bien 
différente de celle que nous avions l'habitude d’y admettre. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 mai 1858, XLVI, p. 857. 
2. Voir p. 3-24 du présent volume. (Note de l'Edition.) 


NOUVELLES RECHERCHES SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (th 


Contrairement à l'opinion généralement admise, je puis affirmer 
qu'il ne se forme pas la plus petite quantité d’acide lactique dans la 
fermentation alcoolique ; et toutes les fois qu’on y rencontre cet acide, 
il s’est accompli deux fermentations simultanées très distinctes. La 
fermentation alcoolique n’est accompagnée d’acide lactique que dans des. 
circonstances rares et exceptionnelles, et lorsque des conditions parti- 
culières, susceptibles d’être reproduites à volonté, ont donné naissance 
à la levûre que j'ai fait connaître sous le nom de levüre lactique. 

Cette nouvelle levüre étant formée de globules beaucoup plus 
petits que ceux de la levûre de bière, il est facile de savoir, à laide 
du microscope, s’il y a mélange des deux levüres, et par là même de 
prévoir la présence ou l’absence de l'acide lactique. 

Une question s’offre naturellement : on sait, depuis Lavoisier, que 
dans la fermentation alcoolique, la liqueur prend toujours une réac- 
tion acide. Si l'acide lactique se forme exceptionnellement par le 
moyen que je viens d'indiquer, quelle est la cause de Pacidité 
constante de la liqueur ? 

Des expériences multipliées me permettent d'assurer que c’est à 
l'acide succinique seul qu'est due lacidité de la liqueur dans la 
fermentation alcoolique. La présence de cet acide n’est point acci- 
dentelle, mais constante, et si on laisse de côté les acides volatils 
qui se forment en quantités pour ainsi dire infiniment petites, on 
peut dire que l'acide succinique est le seul acide normal de la fermen- 
tation alcoolique. Quelles que soient les conditions dans lesquelles 
je me suis placé jusqu’à présent, j'ai trouvé l’acide succinique et la 
glycérine aussi constants que l’acide carbonique et l’alcool en ce qui a 
rapport à leur existence comme produits de la fermentation alcoolique. 

Tout le monde comprendra les conséquences prochaines de ces 
résultats. Mais je dois être plus réservé que personne dans leur 


discussion. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du ? août 1858, XLVIT, p. 224. 


Es 


NOUVEAUX FAITS CONCERNANT L'HISTOIRE 
DE LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


Lettre à M. Dumas. 


J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien communiquer à 
l'Académie un résultat nouveau auquel je suis arrivé en poursuivant 
mes recherches sur la fermentation alcoolique. 

Tous les chimistes admettent que dans la rauon alcoolique 
une partie de la levüre se détruit et donne naissance à de l’ammo- 
niaque. M. Liebig s’autorise de ce fait pour asseoir son opinion sur 
la véritable cause de la fermentation. En étudiant cette question avec 
tous les soins qu'elle mérite, à l’aide des méthodes si précises que 
M. Boussingault à appliquées au dosage de très petites quantités 
d’ammoniaque, j'ai reconnu, contrairement à l’assertion que je viens 
de rappeler, que non seulement il ne se formait pas d’ammoniaque 
dans la fermentation alcoolique, mais que la très faible proportion de 
ce corps qui existe accidentellement à l’origine, dans les liqueur: 
disparaissait pendant l'opération. Cette dernière circonstance me 
surprit, et comme l’ammoniaque accidentelle de la liqueur primitive 
était en quantité très minime, j'en ajoutai directement afin de mieux 
étudier le phénomène. Je vis que l’ammoniaque ajoutée à l’état de sel 
d’ammoniaque pouvait disparaître également, et ne retrouvant pas 
l'azote de cette ammoniaque ajoutée parmi les divers produits de la 
fermentation, je cherchai naturellement si l’ammoniaque n’avait pas 
servi à former de la levûre 

C’est ainsi que je fus conduit aux résultats suivants, qui montrent 
toute la puissance d'organisation de la levûüre et qui mettront fin, ce 
me semble, aux discussions sur sa nature. 

Dans une solution de sucre pur, je place d’une part un sel d’ammo- 
niaque, par exemple du tartrate d’ammoniaque, d'autre part la matière 


1. Comptes rendus de v Académie des sciences, séance du 20 décembre 1858, XLVII, 
p. 1011-1013. 


32 ŒUVRES DE PASTEUR 


minérale qui entre dans la composition de la levüre de bière, puis 
une quantité pour ainsi dire impondérable de globules de levûre frais. 
Chose remarquable, les globules semés dans ces conditions se déve- 
loppent, se multiplient et le sucre fermente, tandis que la matière 
minérale se dissout peu à peu et que l’ammoniaque disparaît. En 
d’autres termes, lammoniaque se transforme dans la matière albu- 
minoïde complexe qui entre dans la constitution de la levûre, en 
même temps que les phosphates donnent aux globules nouveaux 
leurs principes minéraux. Quant au carbone, il est évidemment 
fourni par le sucre. 

Vient-on à supprimer dans la composition du milieu, soit la matière 
minérale, soit le sel d’ammoniaque, soit ces deux principes à la fois, 
les globules semés ne se multiplient pas du tout, et il ne se manifeste 
aucun mouvement de fermentation. On peut se servir de sels d’ammo- 
niaque à acides minéraux où organiques. Les phosphates peuvent être 
empruntés aux cendres de la levüre ordinaire, ou à des précipités 
ayant une origine purement minérale. Le phosphate double de 
magnésie et d’ammoniaque peut servir et comme source de matière 
minérale de la levûre et comme source de matière albuminoïde. 
Cependant on observe des différences d'énergie très sensibles dans 
la levûre formée, suivant qu’on lui donne un aliment plus ou moins 
bien approprié à sa véritable nature. Je suivrai tous ces faits avec 
beaucoup d'attention. 


[SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE|(!) 


M. Pasteur entretient la Société des recherches qu'il poursuit sur la 
fermentation alcoolique. Il rappelle les résultats auxquels il est arrivé en 
semant des globules de levüre frais dans de l’eau sucrée à laquelle on avait 
ajouté préalablement un peu d’un sel neutre d’ammoniaque et des phos- 
phates. L'influence et le rôle séparés du sucre, de l’ammoniaque et des 
phosphates, dans ces expériences, sont bien nettement accusés par le fait de 
l'entrave absolue apportée à l’accomplissement des phénomènes, lorsque 
l'on vient à supprimer, dans la composition du milieu, soit le sucre, soit 
l’ammoniaque, soit la matière minérale. 

Mais quel est au juste le rôle de la semence? Lors même qu’en la 
supprimant on aurait vu de la levüre se former spontanément et le sucre 
fermenter, il n'y aurait eu là rien qui dût surprendre. Tout le monde sait, 
par exemple, que du moût de raisin filtré se trouble en quelques heures 
avec dépôt de levûre et que la fermentation se produit. 

Mais dans les expériences de M. Pasteur les choses se sont passées 
différemment. 

En abandonnant à une température convenable de l’eau sucrée mêlée 
d'un sel d'ammoniaque et de phosphates, le liquide se trouble; en vingt- 
quatre heures, une ou plusieurs fermentations corrélatives se manifestent, 
et il y a dépôt d’une ou plusieurs levüres, parmi lesquelles notamment la 
levüre lactique. Mais il ne s’est pas formé du tout de levüre de bière, et il 
n'y à pas eu fermentation alcoolique. La fermentation se ralentit peu à peu, 
sans doute à cause de l’acidité que prend la liqueur. 

M. Pasteur a rendu le milieu neutre par du carbonate de chaux, et il a vu 
alors la fermentation continuer et s'achever avec tous les caractères des 
fermentations lactique et butyrique. 

Une circonstance particulière mérite de fixer l'attention sur ces expi- 
riences, c'est que des infusoires se forment souvent en grande quantité ct 
dès l’origine, à tel point qu'il y a lieu de se demander si ces infusoires ne 
se nourrissent pas directement d’ammoniaque et de phosphates, question 
très délicate, sur laquelle M. Pasteur ne veut pas se prononcer encore. 
Quoi qu'il en soit, ce n’esl pas sans un vif étonnement que l'on voit, après 
quelques jours, un abondant dépôt de matière végétale et animale formé au 
sein d'un milieu sucré mélangé de quelques millièmes de phosphates et 
d'ammoniaque. 


1. Bulletin de la Sociéte chimique de Paris, 1858-1860, séance du 11 janvier 1859, p. 8-9. 
(Résumé.) j 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, à] 


NOUVEAUX FAITS POUR SERVIR 
À L'HISTOIRE DE LA LEVURE LACTIQUE (!) 


[Lettre à M. Dumas.] 


Dans un Mémoire que j'ai eu l'honneur de communiquer il y a 
quelques mois à l’Académie (2), je suis arrivé à cette conclusion que, de 
même qu'il existe un ferment alcoolique, la levûre de bière, que l’on 
trouve partout où il y a du sucre qui se dédouble en alcool et en acide 
carbonique, de même il y a un ferment particulier, une levûre lactique, 
toujours présente quand du sucre devient acide lactique, et que si 
toute matière plastique azotée peut transformer le sucre en cet acide, 
c'est qu'elle est pour le développement de ce ferment un aliment 
convenable (3). 

Cette nouvelle levûüre, constituée par des globules ou mieux par des 
articles très courts, un peu renflés aux extrémités, de an de milli- 
mètre de diamètre environ, a tous les caractères généraux de la levûre 
de bière, mais dans aucun cas elle ne dédouble le sucre en alcool et 
en acide carbonique. Le principal produit de son action est l’acide 
lactique, et je vous ai annoncé depuis longtemps que dans la fermen- 
tation par la levüre de biere il ne se formait pas la plus petite quantité 
de cet acide. 

Cette levûre lactique est-elle organisée à la façon de la levüre de 
bière? Ne serait-elle pas un précipité de matière azotée ayant la 
propriété d'agir sur le sucre par sa nature chimique, par son contact, 
comme l'aurait dit Berzelius, ou par un phénomène de mouvement 
communiqué, comme s’exprimerait M. Liebig? Assurément rien ne 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 14 février 1859, XLVIII, 


2, Pasreur. Mémoire sur la fermentation appelée lactique. Comptes rendus de l'Académie 
des sciences, XLN, 1857, p. 913-916 et p. 14-17 du présent volume. (Note de l'Édition.) 

3. Non seulement mes recherches ultérieures ont confirmé l'exactitude de ces conclusions 
de mon premier travail, mais j'ai reconnu qu'il existait un grand nombre de levüres distinctes 
ayant toutes leur spécialité d'action. La grande difficulté est de les isoler et de trouver les 
conditions appropriées au développement exclusif de chacune d'elles. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 39 


démontre mieux l’organisation de la levûre de bière que les expé- 
riences sur la multiplication des globules de levüre dans une eau 
sucrée mélée à une petite quantité d’ammoniaque et de phosphates 
alcalins et terreux, expériences que vous avez bien voulu faire 
connaître récemment à l’Académie (1). 

Il résulte de là que si les mêmes essais pouvaient réussir avec la 
levûre lactique, il serait également bien difficile de mettre en doute le 
fait de son organisation déjà si vraisemblable, et par l’aspect micros- 
copique de cette levûre, et par ses frappantes analogies avec la levûre 
de bière. 

Tels sont précisément les résultats que j'ai Phonneur de vous prier 
de communiquer à l’Académie, ainsi que les particularités remar- 
quables qui les accompagnent. 

Je mêle à de l’eau sucrée pure une petite quantité d’un sel d’ammo- 
niaque, des phosphates et du carbonate de chaux précipité. Après 
vingt-quatre heures, la liqueur commence à se troubler et un déga- 
gement de gaz a lieu; la fermentation continue les jours suivants, 
l’'ammoniaque disparaît, les phosphates et le sel calcaire se dissolvent, 
du lactate de chaux prend naissance, et corrélativement on voit se 
déposer de la levûre lactique, le plus ordinairement associée à des 
infusoires. Souvent aussi la liqueur se charge de butyrate de chaux. En 
un mot, on a tous les caractères de la fermentation lactique, bien 
définie autrefois par M. Fremy, dans les conditions générales de son 
existence; et ce n’est pas sans surprise que l’on voit un abondant 
dépôt de matière végétale et animale dans une liqueur qui ne ren- 
fermait primitivement d’autre produit azoté qu'un sel d’ammoniaque. 

Si l’on supprime le carbonate de chaux, les choses se passent de la 
même manière, sans qu'il se forme la moindre quantité de levüre de 
bière, mais seulement de la levûre lactique et quelques infusoires, que 
l'acidité croissante du milieu fait périr promptement. D'ailleurs la 
fermentation est très pénible dans ces conditions et ne tarde pas à 
s'achever, probablement aussi par suite de l’acidité que prend la 
liqueur. 

Quant à l’origine de la levûre lactique, dans ces expériences, elle 
est due uniquement à l’air atmosphérique; nous retombons ici dans les 
faits de générations spontanées. Si l’on supprime tout contact avec 
l'air commun, ou si l’on porte à l’ébullition le mélange de sucre, de 
sel d’ammoniaque, de phosphates et de craie pour n’y laisser rentrer 


1. Pasreur. Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation alcoolique; lettre à 
M. Dumas. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 décembre 185$, 
XLVII, p. 1011-1018 et p. 31-32 du présent volume. (Note de l'Édition. 


36 ŒUVRES DE PASTEUR 


que de l’air chauffé au rouge, il ne se forme ni levüre lactique, ni 
infusoires, ni fermentation quelconque. 

Vous remarquerez, Monsieur, que dans les expériences précédentes 
la vie végétale et animale a pris naissance dans du sucre candi pur, 
substance cristallisable, mélée à un sel d’ammoniaque et à de la 
matière minérale, c’est-à-dire dans un milieu où il n’y avait aucun 
produit ayant eu antérieurement une organisation quelconque. 

Sur ce point la question de la génération spontanée a fait un 
progrès (1). 


1. Voir, à la fin du présent volume, Document IIL : Lettre manuscrite de Pasteur à 
Pouchet, en réponse à une lettre de Pouchet au sujet de celte Note à l'Académie des sciences. 
Note de l'Édition.) 


[NOTE SUR LA FERMENTATION NITREUSE](!) 


Dans les fabriques d'alcool par la distillation des jus fermentés de la 
betterave, on observe quelquefois un phénomène particulier appelé par les 
distillateurs fermentation nitreuse. Les nitrates que renferme naturel- 
lement le jus de la betterave se décomposent, et il se forme de grandes 
quantités de vapeur nitreuse à la surface des cuves. 

Il résulte de la communication de M. Pasteur qu'il n'existe pas de 
fermentation nitreuse proprement dite, et que ce phénomène est occasionné 
par la production accidentelle d’une levüre identique à la nouvelle levüre 
que M. Pasteur a fait connaître sous la dénomination de levüûre lactique dans 
plusieurs communications à l’Académie. 

M. Pasteur dépose sur le bureau de la Société un flacon renfermant de 
la levüre d'une cuve à fermentation nitreuse, dans laquelle on vait de la 
manière la plus nette le mélange des deux levüres alcoolique et lactique. 

Parmi les produits de l’action de la levüre lactique sur les sucres se 
trouve ordinairement l'hydrogène. Il n'est donc guère possible de douter 
que la vapeur nitreuse ait pour origine la réduction par l'hydrogène des 
nitrates de la betterave. 

La cause que M. Pasteur assigne à la fermentation nitreuse laisse peu 
d'espoir de trouver un agent [qui ne soit pas] capable d’entraver en même 
temps la marche de la fermentation alcoolique. Tant que la levüre lactique 
existera dans le liquide, elle y vivra si la levüre de bière peut y vivre 
elle-même, et elle y produira les phénomènes qui sont corrélatifs de son 
développement et de sa multiplication. 

La meilleure précaution, d’après M. Pasteur, consistera à détruire 
l'action de la levüre lactique dès la première apparition du phénomène, en 
portant le liquide de la cuve à l’ébullition : c’est-à-dire qu'il faudra le 
distiller pour le faire rentrer ensuite comme jus sucré dans le travail. La 
levüre alcoolique et la levüre lactique qu'il renferme en suspension, 
détruites par cette élévation de température, ne s'opposeront pas à l'emploi 
renouvelé du liquide sucré. 


1. Bulletin de la Société chimique de Paris, 1858-1860, séance du 11 mars 1859, p. 22-23. 


NOUVEAUX FAITS 
CONCERNANT LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


Lettre à M. Dumas. 


En continuant mes recherches sur la fermentation alcoolique, je 
suis arrivé à des faits inattendus qui me paraissent jeter une vive 
clarté sur les causes intimes de ce mystérieux phénomène. Tout le 
monde sait qu’il faut très peu de levüre de bière pour faire fermenter 
un poids de sucre relativement considérable. Augmente-t-on la dose de 
la levûre, rien n’est changé si ce n’est la rapidité de la transformation 
du sucre, J'ai reconnu que l’on pouvait accroître beaucoup la quantité 
de levüre strictement nécessaire sans troubler les rapports qui existent 
entre les poids d’alcool, d’acide carbonique, de glycérine et d’acide 
succinique. 

Mais si l’on va bien au delà de ces doses que je ne puis indiquer ici 
que d’une manière générale, par exemple, si lon emploie 50, 100, 
200 fois. la proportion de levüre minimum, on observe des résultats 
remarquables. Le sucre disparait d’abord avec une rapidité surpre- 
nante, ce qu’il était facile de prévoir; puis, lorsqu'il est entièrement 
détruit, la fermentation ne s'arrête pas, le dégagement d’acide carbo- 
nique continue avec une grande activité et en même temps la formation 
de l'alcool. L'intensité de cette fermentation secondaire augmente avec 
l'excès de la levûre employée, et par elle il est facile de porter le 
volume d’acide carbonique à deux et trois fois le volume total de gaz 
que peut fournir le poids de sucre mis en expérience. 

Permettez-moi d’entrer ici dans quelques détails. 

J'ai dû renoncer provisoirement, pour les expériences de mesure 
principalement, à opérer sur de grandes quantités de sucre. La vio- 
lence de la fermentation est telle, qu'il faudrait, pour contenir la 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 28 mars 1859, XLVIIT, 
p. 640-642. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 39 


mousse, des vases d'une dimension exagérée. Je me suis servi de 
ballons renversés, pleins de mercure, dans lesquels j'introduisais 
successivement le sucre, la levûre et l’eau. Voici deux expériences 
extrêmes : 

I. 1 gr. 442 de sucre candi sont mis à fermenter avec 2 grammes de 
levûre (poids de matière sèche). Cinq jours après, le volume total du 
gaz ramené à 0° et à 76 centimètres de pression est égal à 387 ce. 5. 
La quantité théorique est 375 ce. 5. L’excès est donc de 12 centimètres 
cubes, auxquels il faut ajouter le volume,d’acide carbonique corres- 
pondant à la glycérine et à l’acide succinique..…. L'excès réel est de 
30 centimètres cubes environ. 

II. Ogr. 424 de sucre candi sont mis à fermenter avec 10 grammes 
de levüre (poids de matière sèche). Le surlendemain, le volume total du 
gaz acide carbonique (lequel est complètement absorbable par les 
alcalis) s’élève à 300 centimètres cubes, près de trois fois supérieur au 
volume théorique qui n’est que de 110 centimètres cubes pour 
0 gr. 424 de sucre. J'ai en outre recueilli par distillation plus de 
0 gr. 6 d’alcool. 

L'interprétation de ces résultats ne me parait guère douteuse. La 
levûre, formée à peu près exclusivement de globules arrivés à leur 
développement normal, adultes, si je puis m'exprimer ainsi, est mise 
en présence du sucre : sa vie recommence, elle donne des bourgeons. 
S'il y a assez de sucre dans la liqueur, les bourgeons se développent, 
assimilent du sucre et la matière albuminoïde soluble des globules 
mères. Ils arrivent ainsi peu à peu au volume que nous leur con- 
naissOns. 

Voilà ce qui se passe dans les fermentations lentes ordinaires. Y 
a-t-il au contraire un poids de sucre de beaucoup insuffisant pour 
amener les premiers bourgeonnements à l’état de globules complets, 
on se trouve alors dans le cas des expériences que je viens de rap- 
porter, et l’on a affaire à une levüre dont les globules sont, en quelque 
sorte, des globules mères ayant tous de très jeunes petits. La nour- 
riture extérieure venant à manquer, les jeunes bourgeons vivent alors 
aux dépens des globules mères. 

J'ai peine à me représenter autrement ces curieux phénomènes, et 
rien ne saurait mieux établir, ce me semble, non seulement que la 
levûre est organisée, mais que le dédoublement du sucre est inti- 
mement lié à la vie des globules; ou, pour préciser ma pensée, la 
fonction physiologique des globules de levüre, véritables cellules 
vivantes, est de donner de l'acide carbonique, de lalcool, de la 
glycérine et de l'acide succinique, au fur et à mesure qu'ils se repro- 


40 ŒUVRES DE PASTEUR 


duisent eux-mêmes, et que s’accomplissent les diverses phases de leur 
existence. 

Mais je me hâte de rentrer dans l’exposition pure et simple des 
faits. Puisque la fermentation alcoolique dans les expériences précé- 
dentes continue, très active, alors même qu'il n'y a plus la moindre 
quantité de sucre employé, quelle est donc, dans la levûre, la matière 
glycogène qui se transforme progressivement en sucre aussitôt 
dédoublé qu'il est produit? Tout le monde répondra, en s'appuyant 
sur les conclusions acquises autrefois à la science par les belles 
recherches de M. Payen, que la matière glycogène est très proba- 
blement la cellulose des globules. L'expérience a vérifié ces prévisions 
au delà de mes espérances. J’ai reconnu, en effet, qu'il suffisait de faire 
bouillir pendant quelques heures seulement la levûre de bière ordi- 
naire avec de l'acide sulfurique très étendu d’eau, suivant les indica- 
tions de M. Pelouze, pour transformer en sucre immédiatement et 
facilement fermentescible plus de 20 pour 100 du poids de la levüre prise 
à l’état sec. Ici même se’placent des faits remarquables. Cependant, pour 
ne pas compliquer sans utilité immédiate cette communication, je vous 
demande la liberté de vous en faire part ultérieurement. 


NOUVEAUX FAITS 
RELATIFS A LA FERMENTATION ALCOOLIQUE ; 
CELLULOSE ET MATIÈRES GRASSES DE LA LEVURE 
‘CONSTITUÉES AUX DÉPENS DU SUCRE (!) 


Lettre à M. Dumas. 


Permettez-moi de vous faire connaître quelques résultats nouveaux 
sur la fermentation alcoolique, en vous priant de vouloir bien les 
communiquer à l’Académie. 

Je prends deux poids égaux d’une même levüre. Je détermine la 
quantité totale de matière hydrocarbonée que renferme l’une des 
portions. Je fais de même pour l’autre, mais seulement apres lavoir 
mise à fermenter avec un poids de sucre convenable, dans les rapports 
ordinaires de la fermentation alcoolique. Le résultat est celui-ci : Le 
poids total de cellulose est sensiblement plus considérable après 
qu'avant la fermentation. Voici une expérience : 

2 gr. 626 de levüre brute, renfermant 0 gr. 532 de matière hydro- 
carbonée, transformable en sucre fermentescible, ont donné, apres 
avoir dédoublé 100 grammes de sucre, 0 gr. 918 d’une pareille 
substance. 

L’excès, qui est variable avec les proportions des matières dont on 
se sert, est ici de Ogr. 386 pour une fermentation de 100 grammes de 
sucre. 

En conséquence, il est prouvé que, dans la fermentation alcoolique 
ordinaire, une partie du sucre se fixe sur la levüre sous forme de 
matière hydrocarbonée. Tout le monde devait être porté à croire qu'il 
en était ainsi, mais aucune expérience, même éloignée, ne lavait 
établi, sinon celles que j'ai publiées sur la multiplication de la levüre 
dans un milieu formé uniquement de sucre, d’ammoniaque et de 


phosphates. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 11 avril 1859, XLVIII, 
p. 799-737. 


42 ŒUVRES DE PASTEUR 


En rapprochant ces dernières expériences de celles que je viens de 
vous faire connaître, il est permis de conclure que toute la cellulose 
de la levûre a pour origine le sucre, quelles que soient les conditions 
de la fermentation. Ainsi, de même que dans la germination nous 
voyons le sucre fournir la cellulose des organes en voie de formation, 
de même la partie ligneuse des cellules de levûre se constitue avec du 
sucre, dont elles transforment la plus grande partie en divers produits 
corrélativement à l'élaboration de leurs nouveaux tissus, 

N’est-il pas très curieux, lorsque l’on considère la grande analogie 
de composition des cellules de levûre et des cellules de tous les jeunes 
organes des plantes, de voir que les cellules de levüre peuvent se 
former entierement avec du sucre, de l’ammoniaque et des phosphates, 
trois sortes de matériaux que l’on trouve dans toutes les sèves des 
plantes. 

J'ai cru devoir insister sur ces faits et ces rapprochements, parce 
qu'ils tendent à nous convaincre de plus en plus de l’analogie offerte 
par les plus jeunes cellules des plantes avec les cellules de levüre, et à 
faire croire à l'existence dans ces dernières d’une fonction physio- 
logique déterminée. Le résultat suivant vient encore à l'appui de ces 
considérations. 

Vous savez que depuis longtemps on a constaté la présence de 
matières grasses dans la levüre. Chacun pense qu’elles sont emprun- 
tées aux substances grasses de l’orge ou des autres corps qui servent 
à préparer la levüre. Les jeunes cellules des plantes renferment aussi 
des matières grasses. Or, j'ai reconnu par une expérience directe, très 
facile à reproduire, que, pendant la fermentation, la levüre forme elle- 
même sa graisse à l’aide des éléments du sucre. Je mêle à de l’eau 
sucrée, préparée avec du sucre candi très pur, une matière albumi- 
noïde traitée à plusieurs reprises par l’alcool et l’éther; à la solution 
mixte j'ajoute, comme semence, une quantité, pour ainsi dire impon- 
dérable, de globules de levüre frais. Ils se multiplient, le sucre fer- 
mente et j'arrive de cette façon à préparer quelques grammes de levüre 
au moyen de substances ne contenant pas la plus petite quantité de 
matières grasses. Or, je trouve que la levûre formée dans ces condi- 
tions renferme néanmoins plus de 1 pour 100 de son poids de corps 
gras. Ces derniers ne peuvent provenir que des éléments du sucre ou des 
éléments de la matière albuminoïde; mais j'ai constaté d’autre part que 
la levûre préparée avec du sucre, de l’ammoniaque et des phosphates 
renferme également de la matière grasse. C’est donc aux éléments du 
sucre que la matière grasse de la levûre est empruntée. 

Ces expériences rappellent, par leur disposition, celles que vous. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 43 


avez autrefois instituées en commun avec M. Milne Edwards pour 
vérifier les observations de Huber sur l’origine de la cire des abeilles. 

Quant au résultat définitif, je pense qu’il aura pour vous un intérét 
particulier, par la confirmation qu’il apporte à des vues que vous avez 
émises depuis longtemps sur la formation de la graisse chez les 


_ végétaux. 


NOTE (1) 
[A PROPOS DES « REMARQUES SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE 
DE LA LEVURE DE BIÈRE » 
PRÉSENTÉES PAR M. BERTHELOT] (2) 


M. Berthelot a publié sur la fermentation un Mémoire où il a 
donné de nouvelles preuves de sa sagacité habituelle. De mon côté, 
depuis trois années, j'ai fait de ce beau sujet l’objet constant de mes 
études. Suivant la même route, M. Berthelot et moi nous aurions pu 
nous rencontrer. On le croirait bien, à lire la réclamation qu’il vient 
de présenter à l'Académie sur la Note que j'ai eu l’honneur de com- 
muniquer à ce corps savant dans sa séance du 28 mars (*); car cette 
réclamation commence ainsi : « M. Pasteur a décrit des observations 
d'apres lesquelles la levüre de bière peut fermenter et fournir de 
l'alcool; il a rattaché cette formation d’alcool à la présence dans la 
levüre d’un principe transformable en sucre par laction des acides; 
ce sont là deux résultats que j'avais déjà obtenus (Comptes rendus, 
XLIIIT, 1856, p. 238, et Annales de chimie et de physique, 3° série, L, 
1857, p. 368). » 

Nous verrons tout à l'heure si tel est le résumé de mes expériences. 

teportons-nous d’abord aux pages de ces recherches auxquelles 
M. Berthelot nous renvoie. Ce que M. Berthelot a écrit sur la levüre 
étant très court, je puis le reproduire textuellement sans allonger trop 
ma réponse. 

« Ayant essayé, dit-il, si les diverses matières azotées, telles que : 
albumine, fibrine, caséine, gluten, tissu pancréatique, gélatine, colle 
de poisson, levûre de bière, abandonnées soit avec de l’eau et de la 


craie, soit avec de l’eau, de la craie et du tissu pancréatique ou testi- 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 11 avril 1859, XLVIII, 
p. 737-740. 

2. BerrHeLor. Remarques sur la fermentation alcoolique de la levüre de biëre. Ibid., 
séance du 4 avril 1859, XLVITI, p. 691-692. 

3. Pasreur. Nouveaux faits concernant la fermentation alcoolique. Zbid., XLVTIIT, p. 640-642, 
et p. 38-40 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


a 


culaire, à la température de 40°, pouvaient fournir de l'alcool, j'ai 
obtenu des résultats négatifs avec la fibrine, les tissus pancréatique 
et testiculaire, la gélatine, la colle de poisson et l’albumine coagulée. 

« L’albumine brute, la caséine, le gluten et la levûre de bière ont 
quelquefois fourni un peu d’alcool; mais la formation de cet alcool ne 
paraît pas due aux principes azotés eux-mêmes, mais aux matières 
sucrées, amylacées ou ligneuses dont ils se trouvent mélangés par 
accident ou par nécessité. 

« Quant à la levüre de bière, elle renferme une matière non colo- 
rable par l’iode, probablement de nature ligneuse, transformable en 
sucre sous l'influence des acides, et en alcool sous les influences que 
j'ai définies : la proportion de cet alcool peut s'élever à plus de 
{ centième du poids de la levûre (1. » 

Afin de bien apprécier la nouveauté de ces résultats de M. Ber- 
thelot, il est indispensable de rappeler ce qui était du domaine public 
depuis nombre d'années. 


Payen, 1839, Mémoires des savants étrangers (?. — La levûre ren- 
ferme : 
Matièreshazotéesi@) ee Me 62073 
Enveloppes de cellulose … -. . . . . . . . . 29,37 
SUDSTANCESERTAS SES SP ne ee 2,10 
Matières minérales: 00 00 oi. 5,80 
100,00. 


Schlossberger, Annales allemandes de chimie et de pharmacie (. 
— M. Payen avait donné l’analyse que je viens de rapporter et avait 
montré que la potasse pouvait facilement dissoudre les matières 
azotées des jeunes organes des végétaux. M. Schlossherger utilise 
cette action de la potasse, isole les 29 pour 100 de cellulose indiqués par 
M. Payen, analyse le résidu, montre que par l’acide sulfurique il 
donne du sucre, que ce sucre fermente, etc. 

En résumé, depuis plus de quinze et vingt ans, la science est en 
possession de ce résultat que la levûre de bière, purifiée par des 
lavages, renferme de la cellulose qui a été isolée et transformée en 
sucre fermentescible. 

Le progrès dù à M. Berthelot serait donc d’avoir montré que la 
levûre, que l’on savait depuis 1839 renfermer 29 pour 100 de cellulose, 


1. Annales de chimie et de physique,  sér., L, 1857, p. 366-367 et p. 368. 

2. Payxex. Mémoires sur les développements des végétaux. 3° Mémoire : Cellulose (Lu 
en 1839). Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des sciences, IX, 1846, p. 32. 

3. Dans le mémoire de Payen : « Matières azotées et traces de soufre... » 

4. SCHLOSSBERGER (J.). Ueber die Natur der Hefe, mit Rücksicht auf die Gährungserschei- 
nungen. dnalen der Chemie und Pharmacie, LI, 1844, p. 200. (Notes de l'Édition.) 


16 ŒUVRES DE PASTEUR 


transformable en sucre fermentescible, abandonnée plusieurs semaines 
sous l’eau à 40° avec son poids de craie, donne, par le fait de la 
présence de cette cellulose, 1 pour 100 de son poids d'alcool. 

Je reviendrai tout à l’heure sur la valeur de ce résultat. 

Comparons-le auparavant à l'expérience de ma Note du 28 mars 
qui a soulevé la réclamation de M. Berthelot. 

Que l’on prenne 10 grammes de levüre lavée (poids de matière 
sèche), et très peu de sucre, par exemple 3 à 4 décigrammes, que l’on 
introduise ces matières dans un vase sous le mercure à la tempé- 
rature de 25 à 30°. Après douze ou vingt-quatre heures, il n’y aura 
plus trace de sucre, et cependant la fermentation alcoolique conti- 
nuera avec une telle rapidité que, dans les douze ou vingt-quatre 
heures suivantes, il se fera deux et trois fois plus d'acide carbonique 
et d'alcool qu'il ne s’en est formé dans les premières heures, alors que 
la levûre vivait avec du sucre. 

En d’autres termes, mêlez à de la levüre, non pas une quantité de 
sucre qui puisse l’épuiser, mais un poids de sucre proportionnellement 
faible, et après que la levûre aura dédoublé ce sucre, son activité 
continuera, s'exerçant sur ses propres tissus avec une énergie et une 
rapidité extraordinaires qui vont se ralentissant de plus en plus. Il ne 
se forme ni levüre lactique, ni infusoires ; l'acide carbonique est pur, 
sans mélange d'hydrogène. 

Quel est donc le rapport entre mon expérience dont les résultats 
et les conditions me paraissent si nouveaux, et le fait brut de la pro- 
duction d’un peu d’alcool dans un mélange de craie et de levüre de 
bière abandonné pendant plusieurs semaines, sous l’eau, à la tempé- 
rature de 40°, dans des conditions d’altération et sans doute de putré- 
faction que M. Berthelot ne spécifie aucunement ? 

Bien plus : je cherche même où est la nouveauté du résultat de 
M. Berthelot. M. Payen, en effet, nous apprend que la levüre est 
formée de 29 parties de cellulose contre 62 de matières azotées. Quoi 
de plus simple qu'un tel mélange, abandonné à lui-même pendant 
plusieurs semaines, puisse fournir de lalcool ? N’y a-t-il pas dans tous 
les ouvrages un procédé de Chaptal pour faire de l'alcool et du 
vinaigre, qui consiste à abandonner quelques jours avec de l’eau un 
mélange de levüre et d’une matière hydrocarbonée  insoluble, 
l’amidon? La levûre, d’après l'analyse de M. Payen, ne porte-t-elle 
pas avec elle un mélange de cette nature? 

Après avoir découvert le fait qui résume ma Note du 28 mars, je 
me suis demandé comment il était possible d'expliquer qu’une fermen- 
lation alcoolique pût se produire postérieurement à la disparition 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


ES 
3 


complète du sucre. Jai répondu qu’il fallait en reporter le mérite 
à M. Payen, qui, le premier, a annoncé la présence de la cellulose 
dans la levûre et qui même en a donné la proportion à peu près 
exacte, ainsi que je le montrerai par des recherches ultérieures. 

M. Berthelot termine ainsi sa Note : « Quant aux opinions vita- 
listes adoptées par M. Pasteur sur les causes réelles des changements 
chimiques opérés dans la fermentation alcoolique, je ne crois pas 
le moment venu de les discuter avec le développement qu'elles 
méritent. » 

Je suis, sur ce point, entièrement de lavis de M. Berthelot. Nos 
écrits et nos conversations particulières nous ont assez appris com- 
bien nous différions sur l'interprétation des faits, et, sil croyait 
le moment venu de discuter les vues qui m'inspirent, il sait bien 
qu’il ne me convaincrait pas. Je n'aurais pas davantage la prétention 
de lui faire abandonner ses principes. Conservons done chacun 
l'indépendance de nos vues, et, en attendant le moment de la 
discussion, suivons le précepte de Buffon : Amassons des faits pour 
avoir des idées. 


MÉMOIRE SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE 


(EXTRAIT PAR L'AUTEUR) [!] 


Lorsque les analyses exactes de Gay-Lussac et Thenard et celles de 
de Saussure eurent fixé définitivement la composition du sucre et 
de l’alcool, il devint facile de voir théoriquement qu’en ajoutant de 
l'alcool et de l’acide carbonique on pouvait reproduire la composition 
du sucre; c’est ce que Gay-Lussac fit remarquer dans une lettre très 
instructive qu’il adressa à M. Clément en 1815, lettre qui se termine 
ainsi : « Si l’on suppose maintenant que les produits que fournit le 
ferment puissent être négligés relativement à l’alcool et à l’acide carbo- 
nique, qui sont les seuls résultats sensibles de la fermentation, on 
trouvera qu’étant données 100 parties de sucre, il s’en convertit, 
pendant la fermentation, 51,34 en alcool et 48,66 en acide carbo- 
nique (?) ». Cette déduction théorique de Gay-Lussac coïncidait avec 
les vues que Lavoisier avait publiées vingt-cinq ans auparavant sur 
la fermentation alcoolique, et elle éloigna tous les doutes que 
n'auraient pas manqué de soulever tôt ou tard les expériences 
inexactes de cet illustre chimiste. 

On admettait cependant que l'expérience ne pouvait justifier en 
tout point les théories de Gay-Lussac, car Lavoisier avait justement 
indiqué qu'une petite portion du sucre se transformait en un acide 
organique qu’il croyait être de l'acide acétique, mais que l’on s’accor- 
dait depuis longues années à identifier avec l'acide lactique. 

Les résultats de mes recherches sont en désaccord sensible avec 
les opinions généralement admises sur les produits de la fermen- 
tation : 

1°. L’acide de la fermentation alcoolique n’est dans aucun cas de 
l'acide acétique ou de l'acide lactique. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 27 juin 1899, XLVIII, 
p. 1149-1152. 

2. Gay-Lussac. Lettre à M. Clément sur l'analyse de l'alcool et de l'éther sulfurique, et sur 
les produits de la fermentation. Annales de chimie, XCV, 1815, p. 318. 


FERMENTATIONS ET GÉNERATIONS DITES SPONTANÉES 49 

2, L'alcool et l'acide carbonique ne sont pas les seuls produits du 
dédoublement du sucre. Il s’y joint constamment de l’acide succinique 
et de la glycérine. Les proportions de l'acide succinique varient 
entre 5 et 7 millièmes, celles de la glycérine entre 25 et 36 millièmes 
du poids du sucre mis en fermentation. 

3, L'alcool et Pacide carbonique ne forment pas équation avec un 
poids déterminé de sucre; c’est-à-dire que lPalcool et lacide carbo- 
nique ne sont pas dans les rapports indiqués par l’équation théorique : 
il se dégage plus d’acide carbonique que n’en exige le poids d'alcool 
produit. 

4. Plus de 1 pour 100 du poids du sucre (1,2 à 1,5) se fixe sur la levüre 
à l’état de matières diverses parmi lesquelles j'ai reconnu la cellulose 
et les substances grasses. 

En résumé, sur 100 grammes de sucre qui fermentent, 5 à 
6 grammes ne suivent pas l’équation de Lavoisier et de Gay-Lussac, 
et cette portion du sucre se transforme en assimilant de leau, de 
manière à fournir dans les cas les plus ordinaires : 


gr. gr. 


ATIdERSUCCINIQUE EU O2 07 

GIVCÉDIN CRE EE ei te 00; 21h, 0 

ACITERCATDONIQUE RE RS 0 OA 07 

Cellulose, matières grasses et autres produits encore 

In dé LE LININ ESA ee Re Ra RS 
HROLA RE ER mue LD: 0VAN 0, D: 


Le reste du sucre paraît former équation avec tout l'alcool et le 
surplus de lacide carbonique suivant les rapports de légalité de 
Lavoisier et de Gay-Lussac. 

Il se présente ici une question pleine d'intérêt. Nous venons de 
voir que Pacte chimique de la fermentation n’a pas la simplicité qu'on 
lui avait accordée jusqu’à présent. L’équation possible entre le sucre 
d’une part, l'alcool et l’acide carbonique de l’autre, avait fait illusion; 
mais la complication apportée par les résultats de mon travail n’est- 
elle pas plus apparente que réelle? Ne peut-on pas admettre que 
l'acide succinique, la glycérine et l'acide carbonique qui les accom- 
pagne sont les résultats d’une action secondaire, accidentelle ? 

L’habitude que nous avons d’envisager le phénomène de la fermen- 
lation alcoolique avec une grande simplicité portera beaucoup de 
personnes à croire que la glycérine et l'acide succinique sont des 
produits accessoires de la fermentation alcoolique, peut-être corré- 
latifs d’une autre fermentation parallèle accomplie sous une influence 
particulière et inconnue; que le phénomène principal reste le même, 
et que l’on peut continuer à regarder le sucre comme se dédoublant 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. / 


50 ŒUVRES DE PASTEUR 


réellement pour la meilleure part en alcool et en acide carbonique, 
d’après les rapports simples de l'équation de Lavoisier et de Gay- 
Lussac. 

Sans nul doute je m’arrêterais à cette manière de voir si j'avais pu 
dans quelques cas particuliers faire fermenter un sucre sans qu’il y 
eût production d’acide succinique et de glycérine. Mais dans plus de 
cent analyses de fermentations effectuées dans les conditions les plus 
différentes, je n’ai jamais obtenu ce résultat; j'ai vu quelquefois dimi- 
nuer ou augmenter les proportions de ces deux produits sans que leur 
rapport change dans la limite d’exactitude de mes procédés analy- 
tiques, mais dans aucun cas ils n’ont disparu. 

Je suis donc très porté à voir dans l’acte de la fermentation alcoo- 
lique un phénomène simple, unique, mais très complexe comme peut 
l'être un phénomène corrélatif de la vie, donnant lieu à des produits 
multiples tous nécessaires. 

L'Académie apprendra peut-être avec intérêt l'application que j'ai 
faite des résultats qui précèdent à l'analyse des vins. Comme chacun 
le sait, le vin est le moût sucré du raisin qui a subi la fermentation 
alcoolique. L’acide succinique et la glycérine étant des produits 
constants de cette fermentation, je devais les retrouver dans le vin. 
Ils y existent, en effet, dans une proportion notable. On sera surpris 
d'apprendre qu'un litre de vin renferme 6 à 8 grammes de glycérine 
et 1 gramme à 1 gr. 5 d’acide succinique. 

Le résidu solide de l’évaporation d’un litre de vin étant, d’après 
les auteurs, de 15 à 25 grammes, on voit que plus du tiers, souvent 
plus de la moitié des matériaux solides du vin sont restés inconnus 
jusqu’à ce jour. 

Dans la deuxième partie de mon travail, je m'occupe plus spé- 
cialement du ferment, de sa nature et des transformations qu'il 
éprouve. Mais l'espace me manque pour donner un résumé de cette 


partie de mon Mémoire. 


MÉMOIRE SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


INTRODUCTION. 


J’appelle fermentation alcoolique la fermentation qu’éprouve le 
sucre sous l'influence du ferment qui porte le nom de levüre de bière. 

C’est la fermentation qui donne le vin et toutes les boissons alcoo- 
liques. C’est elle également qui a servi de type à une multitude de 
phénomènes analogues que l’on désigne, suivant un usage général, par 
le mot générique de fermentation suivi de la dénomination de lun des 
produits essentiels du phénomène particulier que l’on envisage. 

De cette convention relative à la nomenclature adoptée, il résulte 
que l’expression de fermentation alcoolique ne peut pas désigner tout 
phénomène de fermentation où il se produirait de lalcool; car il peut y 
en avoir de diverses sortes ayant ce caractère commun. 

Si l’on ne s’entendait à l’avance sur celui de ces phénomènes fort 
distincts qui devra porter à l’exclusion des autres le nom de /ermen- 
tation alcoolique, on donnerait lieu inévitablement à une confusion de 
langage qui passerait bien vite des mots aux idées, et jetterait le 
trouble dans des études déjà par elles-mêmes assez obscures pour que 
l'on évite avec des soins scrupuleux une complication artificielle. 

Toute hésitation sur les mots fermentation alcoolique et leur véri- 
table sens m'a d’ailleurs paru impossible, puisqu'ils ont été appliqués 
par Lavoisier, Gay-Lussac et Thenard à la fermentation du sucre par la 
levûre de bière. Il y aurait danger sans profit à ne pas suivre l’exemple 
de ces maîtres illustres qui ont fondé nos premières connaissances sur 
ce sujet (?). 

1. Annales de chimie et de physique, 3 série, LVIIT, 1860, p. 323-496 (avec 9 figures). 
— Paris, 1860, Imprimerie de Mallet-Bachelier, brochure de 106 p. in-8 (9 fig.). 

2, M. Berthelot a appliqué la dénomination de fermentation alcoolique à des phénomènes 
qui, selon moi, appartiennent tous sans exception à la fermentation lactique. (Annales de 
chimie et de physique, 8e série, L, 1852, p. 322-360). 

N. B. Il y aurait avantage à remplacer les expressions levure de bière par celles de levwre 
alcoolique. Le mot bière y rappelle une origine trop particulière. On dirait avec plus de 
convenance levure alcoolique de bière, leviure alcoolique de ruisin, levure alcoolique de 


betterave.., pour désigner la levûre propre à la fermentation alcoolique, selon qu'elle aurail 
I 8 PrOT 5 
pour origine l'orge, le raisin, la betterave. 


52 ŒUVRES DE PASTEUR 


Dans la première partie de mon travail, j’étudie ce que devient le 
sucre par la fermentation alcoolique, et dans la deuxième je m'occupe 
plus spécialement du ferment, de sa nature et des transformations qu’il 
éprouve. Afin de mieux marquer le progrès dû à mes recherches, j'ai 
fait précéder chaque partie d’un résumé historique de l’état de la 
science à l’époque où j'ai commencé à m'occuper de la fermentation 
alcoolique. 


PREMIÈRE PARTIE 


CE QUE DEVIENT LE SUCRE DANS LA FERMENTATION ALCOOLIQUE. 


$ 1. — Historique de l'état actuel de la science 
sur les produits de la fermentation alcoolique. 


Lavoisier exposa le premier les vues les plus judicieuses sur les 
produits de la fermentation alcoolique. Le Mémoire inséré dans ses 
Éléments de Chimie sur cet objet est singulièrement curieux. Défec- 
tueux à l'excès dans les déterminations numériques, il est admirable 
si on le considère au point de vue des idées générales et philoso- 
phiques. C’est là qu’on trouve ces belles paroles : « Rien ne se crée ni 
dans les opérations de l’art ni dans celles de la nature, et l’on peut 
poser ce principe, que dans toute opération il y a une égale quantité 
de matière avant et après l'opération, que la qualité et la quantité des 
principes est la même et qu'il n’y a que des changements, des modifi- 
cations. C’est sur ce principe qu'est fondé tout l’art de faire des expé- 
riences en chimie (f) ». 

Quoi qu’il en soit, les opérations que rapporte Lavoisier ne con- 
firment ses vues préconçues que par suite de compensations d'erreurs 
considérables. Sans entrer dans les détails, je me contenterai de dire 
que Lavoisier part de la composition du sucre suivante () : 


\ 


Hydrogène a ENS er es RE 8) 
OXYRÉDE RE RC TOUS 
Carbone . - 28 | 


où le carbone est en erreur de 14 pour 100. Quelques pages plus loin, 
Lavoisier donne un tableau complet de ses résultats numériques, dans 
lequel on trouve, comme il le fait remarquer, que la somme des poids 


1. Lavorsrer. Traité élémentaire de chimie, seconde édition, Paris, 1793, 2 vol. in-8°. 
Tome Ier, p. 148-149. 
2. Loc. cit. p. 142. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 53 


de l’alcool et de l'acide carbonique produits pendant la fermentation est 
à très peu près égale au poids du sucre qui a fermenté, et que 
l'équation se vérifie pour chacun des éléments séparés. L'erreur en 
moins sur l'acide carbonique est très grande et elle est compensée par 
une erreur en plus et équivalente pour lalcool. , 

Mais, quoi qu'il en soit et dans la limite d’exactitude des analyses 
de l’époque sur ces matières, tous les chimistes contemporains de 
Lavoisier devaient penser que le sucre, sous l'influence de la levûre de 
la bière, se dédoublait en alcool et en acide carbonique. 

Lavoisier résume ainsi les conclusions de ses recherches : 

« Les effets de la fermentation vineuse se réduisent donc à séparer 
en deux portions le sucre qui est un oxyde; à oxygéner l’une aux 
dépens de l’autre pour en former de l’acide carbonique; à désoxygéner 
l’autre en faveur de la première pour en former une substance combus- 
tible qui est l'alcool ; en sorte que s’il était possible de recombiner ces 
deux substances, l'alcool et l'acide carbonique, on reformerait du 
sucre » (!). 

Vingt années plus tard, les analyses de Gay-Lussac et Thenard et 
celles de de Saussure fixèrent définitivement la composition du sucre 
et de l'alcool. Si les conclusions du travail de Lavoisier n'avaient pu 
concorder avec ces nouvelles analyses, nul doute qu’elles eussent été 
revisées par l'expérience et que l’on eût été frappé davantage de la 
grande inexactitude des mesures de Lavoisier; mais bien au contraire 
il devint alors facile de faire voir théoriquement qu’en ajoutant de 
l'alcool et de l'acide carbonique on pouvait reproduire la composition 
du sucre (2). 

C'est ce que Gay-Lussac fit bientôt remarquer. 

Dans une lettre à M. Clément, insérée dans les Annales de chimie 
pour 1815, Gay-Lussac, après avoir discuté les analyses récentes sur le 


1. Loc. cit., p. 150. (Note de l'Édition.) 

2. Il se passa alors quelque chose de singulier en ce qui concerne les résultats du travai 
de Lavoisier. On s'efforça de mettre en rapport les données de ses expériences avec les nombres 
théoriques de la lettre de Gay-Lussac, et l'on profita dans ce but d’une omission de son 
Mémoire relative à la densité de l'alcool qui figure au tableau résumé de ses résultats. Voir à 
ce sujet l’article FERMENTATION dans le Dictionnaire de chimie de Ure, traduit par Riffault, 
1823 [tome III, p. 282-244]. Le poids de l'alcool trouvé par Lavoisier étant trop élevé, il était 
facile, en le supposant mêlé d’eau dans une certaine proportion, de retomber sur les chiffres de 
Gay-Lussac; mais on aurait dù remarquer que cette modification au poids de l’un des deux 
produits obtenus par Lavoisier dans la fermentation mettait en défaut l'équation mème par 
laquelle cet illustre chimiste avait représenté le phénomène. Je n'aurais pas de peine à croire 
que Lavoisier ne connaissait pas l'alcool absolu d'aujourd'hui, mais c'est bien avec des 
nombres tels qu'il les donne que la somme des poids de l'acide carbonique et de l'alcool repro- 
duisait le poids du sucre fermenté, et toucher à l'un des termes de l'équation, c'était nier 
implicitement son exactitude et la mettre par un autre côté en désaccord avec la théorie de 
Gay-Lussac. 


ŒUVRES DE PASTEUR 


en 
S 


gaz oléifiant, l’alcool, l’éther et le sucre, arrive à cette déduction 
théorique : 

« Si l’on suppose maintenant que les produits que fournit le 
ferment puissent être négligés relativement à l'alcool et à l'acide 
carbonique qui sont les seuls résultats sensibles de la fermentation, … 
on trouvera qu’étant données 100 parties de sucre, il s’en convertit 
pendant la fermentation 51,34 en alcool et 48,66 en acide carbo- 
nique (1) ». 

Ces quelques lignes de Gay-Lussac fixèrent l'opinion des chimistes. 
Néanmoins il s’y cache une erreur qui fut très judicieusement mise en 
lumière par MM. Dumas et Boullay en 1828. Ces habiles chimistes 
firent voir que les nombres de Gay-Lussac ne sont vrais que pour les 


sucres de formule 
C12 H12 O12, 


tandis que Gay-Lussac les appliquait au sucre de canne. De là cette 
conséquence très bien indiquée par MM. Dumas et Boullay que le 
sucre de canne ne peut fermenter sans assimiler les éléments d’une 
molécule d’eau (?). Deux années après, M. Dubrunfaut alla plus loin, et 
reconnut expérimentalement que le sucre de canne avant de fermenter 
se transformait en sucre incristallisable. 

Quoi qu’il en soit, il est facile de reconnaître par la lecture des 
ouvrages contemporains qu'à dater de la lettre de Gay-Lussac il n’y eut 
plus de doutes dans les esprits; et, lorsque l'usage des formules chi- 
miques se fut définitivement introduit dans la science, chacun exprima 
la fermentation alcoolique des sucres sous l'influence de la levûre de 
bière par léquation : 


C2 H1 O12— 2 (C4 H6 02) + 4 CO?, 


1. Gay-Lussac. [Lettre à M. CLÉMENT sur l'analyse de l'alcool et de l'acide sulfurique, et 
sur les produits de la fermentation]. Annales de chimie, XCV, 1815, p. 818. Voir à la 
page 317, ligne 5, comment Gay-Lussac introduit à son insu par une hypothèse toute gratuite 
l'erreur qui fut relevée plus tard par MM. Dumas et Boullay. Après avoir rappelé les résultats 
de l'excellente analyse du sucre de canne qu'il avait faite antérieurement avec M. Thenard, 
Gay-Lussac les modifie sans raison de ? à 3 pour 100, et il trouve alors que le sucre de canne est 
formé de 6 volumes de vapeur de carbone contre 6 de vapeur d'eau, tandis que l'analyse exacte 
donnait 6 volumes de vapeur de carbone contre 5 + de vapeur d'eau. C’est ainsi que dans les 
sciences d'observation les meilleurs esprits peuvent être conduits à des résultats erronés par 
la séduction d'une simplicité plus apparente que réelle. 

2. Dumas et BouLrray fils. [Mémoire sur les éthers composés]. Annales de chimie et de phy- 
sique, XXX VIT, 1828, p. 46 et 47. « La théorie de la fermentation établie par Gay-Lussac laisse 
donc quelque chose à souhaiter; mais il n'en est plus ainsi dès qu'on substitue l'éther à 
l'alcool dans la composition théorique du sucre. L'accord le plus parfait se rétablit alors entre 
la théorie et l'expérience... 

« Les sucres de raisin et d'amidon paraissent différer surtout du sucre de canne en ce 
qu'ils sont composés de telle manière qu'on peut réellement les représenter par de l'acide 
carbonique et de l'alcool. » 


éd £ 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 59 


Mais qu'on le remarque bien, Gay-Lussac n’a pas fait d'expériences : 
et en tout ceci ce que je vois de plus réel est l'illusion produite par 
l'équation possible entre le sucre d’une part, l'alcool et l'acide earbo- 
nique de l’autre. 

Je tenais à montrer par ces détails historiques que l'étude de la 
fermentation alcoolique, malgré l'importance du sujet, n'avait pas 
encore été établie sur une base scientifique assurée et que l'équation 
généralement admise n'était que l'expression d’une théorie qui n'avait 
pour appui aucune mesure précise. 

Le travail de Lavoisier renferme un résultat précieux sur la 
formation d’une petite quantité d’un acide organique pendant la fer- 
mentation alcoolique, fait confirmé par M. Thenard et par tous les 
observateurs qui se sont occupés de cette fermentation. La nature de 
cet acide est mal connue. Lavoisier dit que c’est de l'acide acétique, et 
les auteurs modernes affirment que c’est de lacide lactique. Sur ce 
point on ne rencontre encore dans les ouvrages aucun travail suivi. 
L’assertion relative à l'acide lactique s’est probablement introduite 
dans la science lorsque l’on apprit que M. Dubrunfaut avait obtenu 
beaucoup d’acide lactique dans certaines fermentations alcooliques (1). 
Les propositions suivantes résument donc les connaissances actuelles 
sur les produits de transformation du sucre dans la fermentation 
alcoolique : 

1°. Le sucre de canne, CEHMOM, après s’être modifié en sucre des 
fruits acides, de composition CEH2OR, fermente et se dédouble en 
alcool et en acide carbonique. La somme des poids de lalcool et de 
l’acide carbonique représente à peu de chose près le poids du sucre (2). 


1. Voici comment s'exprime cet habile chimiste industriel dans une Notice historique sur 
la distillation de la betterave, imprimée en 1856 : « Dans nos travaux de distillation de fécules, 
à Versailles, de 1831 à 1825, nous faisions rentrer indéfiniment les vinasses en fermentation, 
faute d’eau, et nous les saturions préalablement avec de la craie. Ces vinasses, après un 
certain temps, avaient acquis une densité de 12 à 14° Baumé. Étonné d'un pareil fait, nous en 
fimes concentrer quelques milliers de litres à consistance sirupeuse et nous en déposâmes le 
produit dans de grandes formes à sucre. Nous ne fûmes pas peu surpris d'y trouver, quelques 
jours après, une abondante cristallisation qui se présentait avec l'aspect du glucose mamelonné 
de raisin, et qui n’était autre chose que du lactate de chaux. En répétant les expériences de 
Vauquelin sur les eaux sûres des amidonniers, nous reconnümes à la même époque que 
l'acide libre de ces eaux était en très grande partie de l'acide lactique. Jusqu'en 1841 ou 1842 
nous avons été en possession presque exclusive de livrer aux pharmaciens le lactate de chaux 
utile à leurs besoins. » 

2. La transformation du sucre de canne en sucre incristallisable par la fermentation a été 
découverte vers 1830 par M. Dubrunfaut. [Note sur quelques phénomènes rotatoires et sur 
quelques propriétés des sucres. Annales de chimie et de physique, 8° sér., XVIII, 1846, 
p. 99-108]. En 1828, MM. Dumas et Boullay fils avaient montré qu'il n’était pas possible que le 
sucre de canne fermentât sans assimiler les éléments de 1 équivalent d'eau. [Mémoire sur les 
éthers composés]. (Annales de chimie et de physique, XXXVII, 1828, p. 46). C'est M. Persoz 
qui le premier a observé que le sucre incristallisable de la fermentation déviait à gauche et se 


56 ŒUVRES DE PASTEUR 

2, Une très petite quantité de sucre se transforme isomériquement 
en acide lactique de même composition que le sucre. 

Je montrerai tout à l'heure que la première proposition n’est 
jamais exacte, qu’elle n’est qu'une approximation assez grossière de la 
vérité; et quant à la seconde, elle est tout à fait erronée en ce qui 
touche à la nature de l’acide de la fermentation, lequel n’est dans 
aucun cas de lacide lactique, à moins que la fermentation ne se 
complique fortuitement d’une fermentation tout autre, la fermen- 
tation lactique. 

Je vais maintenant exposer successivement avec tous les détails 
convenables les résultats nouveaux de mes recherches. 

Je les présente avec confiance aux chimistes, parce que j'ai donné 
à leur étude des soins minutieux et surtout qu'ayant répété nombre de 
fois mes expériences dans des conditions variées, je crois être arrivé 
à faire la part des lois générales des phénomènes en les dégageant 
dés complications accidentelles qui ont jeté beaucoup d’obscurité dans 
l’histoire de la fermentation alcoolique (1). 


S II. — La glycérine et l'acide succinique 
sont des produits de la fermentation alcoolique (?). 
Leur séparation et leur dosage. 


On peut par des moyens très divers mettre en évidence la forma- 
tion de l’acide succinique dans la fermentation. L'un des plus simples 
consiste à évaporer le liquide fermenté après l’avoir filtré pour séparer 
la levûre. Le résidu est traité à diverses reprises par de léther que 
l’on abandonne ensuite dans un verre à une évaporation spontanée. 
Le lendemain, toutes les parois sont couvertes de cristaux d’acide 


trouvait ainsi analogue au sucre de raisin non solidifié. A la même époque, M. Biot découvrit 
l'inversion du sucre de canne par les acides. [Bror et Persoz. Mémoire sur les modifications 
que la fécule et la gomme subissent sous l'influence des acides. Nouvelles Annales du Muséum 
d'histoire naturelle, 1, 1833, p. 109-125. — Bior. Remarques sur la fermentation des sucres. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, XVII, 1843, p. 75. — DugrunraurT. Note sur 
quelques phénomènes rotatoires et sur quelques propriétés des sucres. Annales de chimie et de 
physique, 8 sér., XVIII, 1846, p. 102.] 

1. Ces recherches ont duré trois années, sans interruption, de 1856 à 1859. 

2, J'ai découvert la présence de l'acide succinique parmi les produits de la fermentation 
alcoolique au commencement de l’année 1857. J'ai communiqué ce fait peu de temps après à 
la Société des seiences de Lille, notamment dans les séances du 16 avril et du 1er mai 1857, 
et à l'Académie des sciences dans sa séance du %5 janvier 1858. Quant à la glycérine, je ne 
l'ai reconnue dans les produits de la fermentation qu'au commencement de l’année 1858. La 
première annonce que j'en ai faite à l'Académie des sciences est à la date du 3 mai 1858. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLNI, 1858, p. 857) [p. 29 du présent volume.] 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 57 


succinique (1). Au fond se trouve un sirop rempli de pareils cristaux 
et formé à peu près exclusivement par de la glycérine saturée d’acide 
succinique. L’éther dissout toujours partiellement la glycérine dans 
ces conditions. 

Ce procédé, qui ne conviendrait pas pour extraire et doser l'acide 
succinique, peut très bien servir à le mettre en évidence dans tous les 
liquides fermentés, quelles que soient leur nature et leur origine. 

Quant à la glycérine, on opère à peu près comme il vient d’être 
dit; seulement, au lieu de reprendre le résidu de lévaporation du 
liquide fermenté par l’éther, on se sert d’éther mêlé d'alcool. Ce 
mélange dissout l’acide succinique et la glycérine et laisse les matières 
extractives azotées. On évapore, on sature par l’eau de chaux, on 
évapore de nouveau à siccité et on reprend par le même mélange 
d’alcool et d’éther qui ne dissout que la glycérine sans toucher au 
succinate de chaux. 

Mais lorsqu'il s’agit de déterminer quantitativement l'acide succi- 
nique et la glycérine et de les isoler entièrement de tous les autres 
produits de la fermentation, il faut prendre des précautions particu- 
lières sur lesquelles il est indispensable que j'insiste. 

La difficulté principale de l'analyse du liquide fermenté tient aux 
produits solubles que la levûre de bière apporte dans ce liquide ou 
qui résultent de ses transformations, auxquelles le sucre ne reste pas 
étranger. La nature de ces produits est toujours la même sensible- 
ment, mais leur proportion varie avec les quantités de levüre et de 
sucre que l’on emploie. 

Dès que la levûre de bière est délayée dans l’eau sucrée, elle cède 
à la liqueur une partie de ses principes solubles emprisonnés à linté- 
rieur de ses globules. Des matières salines, principalement des phos- 
phates, et des matières azotées albuminoïdes entrent en dissolution, 
et les globules, puisant une partie de 1eur nourriture dans ces deux 
sortes de substances, vivent, bourgeonnent, se multiplient. 

Les mutations des tissus et des aliments donnent lieu à des modi- 
fications des produits primitifs ou à des corps nouveaux, les uns 
solides et insolubles, Les autres liquides et solubles, qui restent dans 
la liqueur et que nous y retrouvons après l’achèvement de la fermen- 
tation, mélangés avec les produits de dédoublement du sucre. 

Ces considérations générales étant posées, occupons-nous de la 
séparation et du dosage de quelques-uns des produits de la fermen- 


tation alcoolique. 


1. Quelquefois la cristallisation exige plusieurs jours avant de se montrer. 


58 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le poids de la levüre employée est déterminé avec soin. Une autre 
portion également déterminée de la même levüre est pesée après 
dessiccation dans une étuve à eau bouillante, afin de connaître le poids 
total de matière sèche que renferme cette levûre. 

Lorsqu'en examinant avec attention pendant quelques minutes la 
liqueur qui fermente, on ne voit plus s’élever du fond du vase aucune 
bulle de gaz, la fermentation est achevée (1). Dans le cas contraire et 
lors même qu’il ne se dégagerait qu’une bulle microscopique après un 
intervalle de plusieurs minutes, nul doute qu’il existe encore du sucre 
non décomposé. Il y a un moyen plus certain, qui consiste à essayer 
une petite quantité du liquide avec la liqueur cuivrique de Fehling. Si 
la réduction est nulle, c'est qu'il n’y a plus du tout de sucre. Mais il 
faut être sobre dans l'emploi de ce moyen et ne l'appliquer que comme 
contrôle du précédent, quand on juge que la fermentation est arrivée 
à son terme, parce que l’on donne de cette manière accès à l’air 
atmosphérique, ce qui peut avoir des inconvénients pour la suite de 
l'analyse. Je suppose donc le cas ‘ordinaire, celui d’une [bonne fermen- 
tation alcoolique entièrement terminée (?). 

Le liquide ‘fermenté est filtré sur un filtre dont la tare a été faite 
avec un autre filtre de même papier. Après dessiccation à 100, 
une pesée donne le poids à létat sec du dépôt de levûre qui s’est 
rassemblée peu à peu au fond du vase où s’est opérée la fermentation. 

Le liquide filtré est soumis à une évaporation très lente dont je 
donnerai à peu près la mesure en disant qu’il faut douze à vingt heures 


1. Cela suppose toutefois que la fermentation a été seulement alcoolique. Si elle était 
devenue accidentellement lactique, tout dégagement de gaz pourrait cesser lors même qu'il y 
aurait encore beaucoup de sucre dans la liqueur. Mais c'est un cas tout à fait exceptionnel et 
qui ne se présente guère que si la levûre de bière employée n'est pas fraiche et renferme déjà 
de la levûre lactique. 

N.B. J'ai observé un fait bien singulier relativement au dégagement des bulles de gaz 
acide carbonique. C'est que jamais les bulles de gaz carbonique ne partent des globules de 
levûre, mais uniquement des poussières ou corps étrangers qui existent dans la levüre ou le 
liquide, et qu'il est bien difficile, pour ne {pas dire impossible, d’éloigner tout à fait. On ne 
saurait vraiment prévoir comment les choses se passeraient si l’on parvenait à les isoler 
complètement. Le liquide se sature d'une manière invisible de gaz carbonique, et l'excès va se 
dégager là où se trouvent des corps microscopiques étrangers, différents des globules de 
levûre. Il est assez étrange que la production du gaz carbonique ait lieu par le fait des 
slobules, qui sont des corps solides, et que néanmoins ces derniers ne puissent provoquer le 
dégagement du gaz à la maniére des corps solides ordinaires inorganisés. 

2. Au commencement de mes recherches j'étais porté à croire, avec beaucoup de personnes, 
que dans les essais en petit les fermentations alcooliques ne; s'achèvent que fort rarement. 
C’est une erreur. Quinze jours, trois semaines suffisent en général si la fermentation ne 
devient pas partiellement lactique. Mais il y a une circonstance assez importante qui na 
pas élé remarquée, ce me semble, dans laquelle les fermentations alcooliques ont une durée 
pour ainsi dire illimitée. Cela se présente invariablement toutes les fois que l'on emploie un 
excès de sucre. J'ai lieu de croire qu'une fermentation de ce genre peut} durer des années 
entières. Dans tous les cas, je puis assurer que j'en ai suivi un grand nombre pendant quatre, 


D. tt ed bèes à 


\ 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 5 


59 


pour évaporer : litre d’eau. Lorsqu'il reste environ 10 à 20 centi- 
mètres cubes de liquide, on achève lévaporation dans le vide sec. 

Si l’évaporation est plus rapide et se termine à feu nu, on perd 
infailliblement une quantité très sensible d’acide succinique et de 
glycérine. Après vingt-quatre heures de vide sec, le résidu sirupeux 
de la capsule est traité à diverses reprises par un mélange d’alcool et 
d'éther formé de 1 partie d'alcool à 90 ou 92, et de 1 3 partie d’éther 
rectifié. Pour plus de sûreté, on jette chaque portion de ce mélange 
éthéré sur un filtre, bien que généralement le résidu insoluble reste 
en une masse plastique au fond de la capsule; mais, à mesure que les 
lavages se répètent, le résidu, perdant son eau de plus en plus, devient 
dur et quelquefois se divise en grumeaux, ce qui peut souiller le 
liquide de lavage de matières solides en suspension. Quoi que l’on 
fasse, le résidu insoluble offre une très faible réaction acide au papier 
de tournesol bleu. C’est sa nature. Après sept ou huit lavages, il n’y 
reste plus d'acide succinique ni de glycérine. 

Je reviendrai sur la composition de ce résidu insoluble dans le 
mélange alcoolique éthéré. Je me contenterai de dire ici que pour en 
déterminer le poids total il suffit de le reprendre par l’eau et de Péva- 
porer dans une capsule tarée au bain-marie, puis dans l’étuve à eau, 
à 100°, jusqu'à ce que son poids soit invariable. 

Occupons-nous maintenant du liquide alcoolique éthéré. Le flacon 
même où on l’a recueilli est placé dans un bain-marie tiède pour 
chasser la plus grande partie de l’éther. On peut alors, en ajoutant 
de l’eau, évaporer dans une capsule de porcelaine sans craindre que 
le grimpement du liquide éthéré donne lieu à des pertes. Cette évapo- 
ration doit se faire également à un feu très doux et se terminer dans 
le vide sec. 

Alors on ajoute de leau de chaux {pure bien limpide jusqu'à 
neutralité aussi exacte qu’il est possible de l’atteindre. On évapore 


de nouveau avec les mêmes précautions, et on reprend le résidu par 


le mélange alcoolique éthéré qui ne dissout que la glycérine. Le 
8 Ï gl) 


cinq, six mois, et elles continuaient encore, toujours avec une excessive lenteur dés la fin du 
premier mois. Je reviens sur ces faits dans le cours du Mémoiré. Leur explication se 
présentera naturellement. 

L'une des principales causes de la lenteur progressive de la fermentation a été fort bien 
indiquée par M. Chevreul, 28 lecon de son Traité de chimie appliquée à la ternture, 
Il est certain que le changement de nature qui s'opére dans le liquide par la transformation 
du sucre en divers produits influe beaucoup sur la marche du phénomène. J'ai reconnu, par 
exemple, que la levûre la plus active paraît pour ainsi dire inerte si on l'ajoute à de l'eau 
sucrée additionnée préalablement des quantités d'alcool et d'acide succinique qu'elle serait 
capable de développer dans une eau sucrée pure, .et où elle provoquerait durant plusieurs 


jours une vive fermentation. 


60 ŒUVRES DE PASTEUR 


succinate de chaux reste à l’état cristallin souillé d’une petite quantité 
de matière extractive ou d’un sel de chaux à acide incristallisable. 
Il est facile de débarrasser le succinate de chaux de cette impureté 
en le faisant digérer dans la capsule même où il se trouve avec de 
l'alcool à 80°, durant vingt-quatre heures; l'alcool dissout les matières 
étrangères et laisse intact, cristallisé, presque incolore, le suecinate 
de chaux, qui peut être regardé alors comme suffisamment pur. 
Recueilli ensuite sur un filtre taré, il est desséché et pesé. 

Quant à la glycérine, elle est également pesée après avoir évaporé 
très doucement dans une capsule tarée le liquide alcoolique qui la 
tient en dissolution. Cette évaporation s'achève encore dans le vide 
sec où la glycérine ne doit être maintenue que deux ou trois jours, car 
elle ‘y diminue de poids, même à la température ordinaire, lorsqu'elle 
est privée d’eau (1. 

On obtient ainsi toute la glycérine du liquide fermenté sans perte 
sensible, et elle peut être regardée comme pure si elle provient d’un 
liquide fermenté sous l'influence d’une quantité suffisante et non exa- 
gérée de levüre de bière ?). Lorsque l’on emploie trop de levüre, beau- 
coup plus qu'il n’en faut pour la proportion de sucre mise en expé- 
rience, la pureté de la glycérine s’en ressent, parce que la levûre 
renferme une très petite quantité de principes qui sont solubles dans 
le mélange d’alcool et d’éther %). La saveur de la glycérine en avertit 
bien vite. Il faut extrêmement peu de ces produits étrangers pour lui 
donner une saveur amère et piquante. Elle doit également se dissoudre 


1. Lorsque la glycérine s'est desséchée dans le vide, si on l'y maintient elle diminue 


encore de poids. En la pesant chaque jour à partir de ce moment, on trouve qu'elle diminue : 


sensiblement de la même quantité pour un même temps de séjour dans le vide. Cette perte 
s'élève en été à 12 ou 15 milligrammes par vingt-quatre heures pour un poids de 3 grammes. 
environ de glycérine. L 

2. Si la fermentation n'a pas été complète, la glycérine renferme une très minime quantité 
de sucre incristallisable dissous par le mélange d'alcool et d'éther. On le reconnaît facilement 
par la liqueur de cuivre de Fehling. 

3. 250 grammes de levüre en pâte (renfermant 40 grammes de matière sèche à 100) ont été: 
mis à bouillir avec un litre d’eau pendant plusieurs heures. On à filtré, évaporé la liqueur 
limpide et traité l'extrait séché dans le vide par le mélange d'alcool et d'éther. Le résidu du 
liquide alcoolique éthéré a été de 0 gr. 739, soit 1 gr. 847 pour 100 grammes de levûre sèche. 
Or on peut faire fermenter à la rigueur 100 grammes de sucre en n'employant que 1 gramme de 
levûre supposée sèche. La levûüre n'introduit donc par elle-méme dans la liqueur qu'une quan- 
tité de matière très minime, capable de souiller ultérieurement la glycérine recueillie suivant 
la méthode que j'ai indiquée. Bien plus, la matière dont je parle ne se redissout pas à beau- 
coup près totalement dans un traitement nouveau par le mélange d'alcool et d’éther. Or dans. 
la méthode que j'ai donnée pour extraire la glycérine il y a deux traitements successifs par le: 
mélange d’alcoo! et d'éther. 

Cette matière, que le mélange alcoolique éthéré sépare de l'extrait de levûre, est très com 
plexe. Elle contient de petites quantités de glycérine et d'acide succinique, parce que la levûre 
sort toujours d'un liquide fermenté. Son aspect est celui d’une substance cireuse, jaune; elle a 
une odeur particulière qu'elle communique à la glycérine des fermentations, ou plutôt à l'at- 


D, PR 


sc méinses no. du ES SE et Dan nn à 


7 


teen pd Éd en 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 61 


sans résidu dans lalcool absolu ou dans un mélange d’alcool et 
d’éther. Je le répète, limpureté ne provient que des matières dont 
je viens de parler et on est en quelque sorte maître de les diminuer 
autant que l’on veut, et dans tous les cas de les doser à part pour les 
défalquer du poids total de glycérine obtenue. La fermentation ne 
donne par elle-même aucun produit qui puisse altérer la pureté de la 
glycérine extraite comme je viens de le dire (1). 


$ IT. — Application de la méthode danalyse précédente 
à un exemple particulier. 


Je mets à fermenter dans un flacon muni d’un tube à gaz plon- 
geant dans l’eau : 


DUC ICAD OT re le ee ee 100,000 
DATA © où 60 © 00 à 06 à à ATOM) 
Bevurehimides 2 6,254. 


La fermentation dure très longtemps, parce qu’il y a très peu de 
levüre. 

Une autre portion de la même levüre pesant 8 gr. 254, desséchée 
à 100, laisse un résidu de 1 gr. 582. 

Les 6 gr. 254 de levüre employée ne renfermaient done que 1 gr. 198 
de maière sèche. 

Lorsque la cessation de tout dégagement de gaz et lessai à la 
liqueur cuivrique eurent indiqué que tout le sucre avait disparu, le 
liquide fut filtré et le dépôt de levûre recueilli sur un filtre taré, puis 
pesé après dessiccation à 100. 


mosphère des cloches dans lesquelles on la dessèche. Sa saveur est très piquante, et dès qu'elle 
entre dans la glycérine en quantité un peu sensible, elle lui donne une saveur désagréable et 
augmente sa viscosité. Elle boursoufle et se charbonne beaucoup par la calcination en laissant 
très peu de cendres alcalines solubles. 

Enfin cette substance est très soluble dans l’eau, à l'exception d'une très petite quantité 
de matière grasse qui se dépose sous forme de vernis invisible sur toute la hauteur des parois 
des capsules pendant l’évaporation des liqueurs. Cet effet est dû à ce que la matière grasse 
forme une mince pellicule à la surface de l'eau, qui se dépose peu à peu durant l'évaporation 
sur les parois des capsules au niveau qu'occupe successivement le liquide. 

1. Lorsque j'ai reconnu pour la première fois la glycérine parmi les produits de la fermen- 
tation alcoolique, je n'avais d'autre moyen de l'obtenir pure que de distiller dans le vide, 
vers 200°, le résidu de l’'évaporation des liquides fermentés. Voici une analyse de la glycérine 
préparée de cette manière, ayant une saveur franchement sucrée avec un arriére-goût empy- 
reumatique : 


ONE TEEN SON M I EE 0,421 
ECC ON OS HP OO MES 0,605 
INA © à € 0 à d'A D No one DO CT MARQUE 0,336 
d'où l'on déduit : 
TROUVÉ CALCULÉ 
(CHE. 50 Eo 6 0020 06 0 39,21 39,13 
ERGRMUC « 50 Do ommo déc D 8,86 S,69 


62 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le liquide, évaporé avec les ménagements que j'ai indiqués, devient 
sirupeux et se remplit de longs cristaux feuilletés d'acide succinique. 
La cristallisation de cet acide n’a lieu que dans des cas exceptionnels, 
lorsque l’on a employé très peu de levüre. C’est qu'alors les matières 
albuminoïdes cédées par la levûre au liquide fermenté sont en quan- 
tité relativement faible. La cristallisation de lPacide succinique n’a 
pas lieu si la levûre a fourni beaucoup de matières solubles. 

Le résidu de l’évaporation dans le vide sec est traité par le 
mélange d'alcool et d’éther à diverses reprises. Il laisse une masse 
brune, plastique, qui, reprise par l’eau et desséchée, constitue une 
matière très complexe, dont la teneur en azote était dans le cas 
actuel de 3,8 pour 100. 

Dissoute dans de l’eau sucrée, elle peut y produire un commen- 
cement de fermentation alcoolique si l’on y sème quelques globules 
de levûre frais. Elle a les propriétés générales de lextrait d’eau de 
levûre et une composition analogue (1). 

Le liquide alcoolique éthéré évaporé a été neutralisé par l’eau de 


chaux, il a exigé pour la saturation 0,350 de cette base. S'il n’y avait 


que de l'acide succinique, cette proportion de chaux en accuserait 
0 gr. 737. 

Le liquide saturé, évaporé avec les ménagements déjà décrits, 
est traité de nouveau par le mélange d’alcool et d’éther, qui cette 
fois ne dissout que la glycérine et ne touche pas au succinate de 
chaux. Ce sel est tout à fait insoluble dans le mélange alcoolique 
éthéré. Le nouveau liquide tenant en solution la glycérine est évaporé 
avec les mêmes soins. Après plusieurs jours de dessiccation dans le 
vide, la glycérine pèse 3,640. Analysée dans cet état sans autre purifi- 
cation, elle a donné les résultats suivants : 

0 gr. 410 de matière ont fourni 0,583 d'acide carbonique et 


0,321 d’eau, nombres qui correspondent à 


TROUVÉ CALCULÉ 
Carbone T0 S 10 39,13 
ÉNGIRIGÈME, © à SAM ec A0 8,09. 


1. Get extrait du liquide fermenté est hygrométrique, a souvent une odeur de caramel ou 
de pain grillé. Ses propriétés physiques et chimiques se rapprochent de celles de l'extrait de 
l'eau de lavage de la levûre ordinaire, mais elles s'en éloignent d'autant plus que la fermen- 
tation a plus épuisé la levüre, qu'il y avait moins de levüre et plus de sucre en présence. C’est 
qu'il y a pendant la fermentation échange continuel entre les parties solubles et insolubles de 
la levüre. L'extrait du liquide fermenté renferme de moins en moins de phosphate de 
magnésie. Ce sel fait peu à peu partie de la levûre nouvelle sous l'influence de laquelle 
s'effectue Ja fermentation. Enfin l'extrait du liquide fermenté est d'autant moins propre à la 
fermentation qu'il provient d’une fermentation où la levüre a été plus épuisée. 


mails fie di 


hante ess 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 63 


Quant au résidu laissé insoluble dans le dernier traitement par 
l'alcool et l’éther, il est grenu, cristallin et souillé par places d’une 
malière cornée hygrométrique, qu'il est facile d'enlever en laissant 
digérer le sel sec avec de l'alcool à 80° pendant une nuit à la température 
ordinaire. Il est inutile d’agiter. On recouvre seulement la capsule 
d’une lame de verre. 

Il reste alors du succinate de chaux cristallisé, à peine coloré, et 
offrant exactement, après dessiccation dans l’étuve à huile, la compo- 
sition du succinate de chaux, CSH*06,2Ca0/1). Son poids était égal 
à 0,890, ce qui correspond à 0,673 d'acide succinique. Le poids de 
chaux nécessaire pour la saturation correspondait au contraire, ainsi 
que je l'ai fait remarquer, à 0,737 d’acide succinique. La différence 
tient à ce qu'une petite quantité de la chaux est employée à saturer, 
outre l'acide succinique, cette matière incristallisable (jouant le rôle 
d'acide à équivalent élevé) qui souille le suceinate de chaux et que 
l'on enlève par l'alcool à 80°, C’est une substance qui prend naissance 
pendant la fermentation par suite des mutations qui s’accomplissent 
dans les principes de la levüre. Son poids n'atteint que 1 à 2 déci- 
grammes à l'ordinaire pour une fermentation de 100 grammes de 
sucre; mais sa proportion varie avec le poids de levüre employé, et 
il y en a d'autant plus que l’on a employé moins de levüre. Ainsi 
dans le cas actuel son poids s’est élevé jusqu’à 0 gr. 500. Cette circon- 
stance est remarquable parce qu’elle tend à faire croire que la matière 
qui souille le succinate de chaux est le produit de l’altération des 
globules de levûre. Moins on emploie de levüre, plus il y a de désor- 
ganisation dans les globules, et plus augmente le poids des matières 
qui sont le produit de cette désorganisation. 


1. Le succinate de chaux, traité par un peu d'acide sulfurique et repris par l'alcool, cède 
facilement son acide. 

Cristallisé et desséché dans l'air sec, cet acide, qui offre toutes les propriétés physiques et 
chimiques de l'acide succinique ordinaire, a donné les résultats suivants à l'analyse : 


PAR IAE MHUBTE AS 2 eee elles le te late ae) « 0,5315 

RCMOTCAEDONIQUER SEE Le 00e latese amy ele 0,793 

RUE ee = reel e lee ee cie 0,254 

d'où l'on déduit : 

(NS PTS ALES OT SET MENNEME SERRE PRET TE 40,45 

ENT O RER RE RS en Tone le bel di ets cou 5,27 

OSFRÉDOR RE I RENE e a ele 54,28 
100,00. 

La formule 
C°H‘0° 


de l'acide succinique cristallisé exige : 


COUT 0 50.5 Mo octo o 0 RD ONE 10,68 
ÉVORETET oo n'oNONOENe CO MEN NE n 5,08 
ONE 0) CT COIN M ON DEEE EE 54,24 


100,00. 


64% ŒUVRES DE PASTEUR 


En résumé, nous avons employé à 
100 grammes de sucre et 1,198 de levûre, et nous avons obtenu 
après la fermentation 


Acidelsuccmique CSHEOS ET EP 0 07 
CIVCÉLIN EEE EL, NE ce CCE 00 
Jr EE Do dune  Ziplle 


Nous verrons bientôt que la proportion de sucre qui échappe à 
l'équation de Lavoisier et de Gay-Lussac est sensiblement plus élevée 
que ne l'indique ce résultat. Un poids de sucre assez notable se 
transforme encore en d’autres produits différents de l'acide succinique 
et de la glycérine. 

Mais auparavant recherchons si la levüre prend part à la formation 
des nouvelles substances que nous venons de reconnaître parmi les 
matériaux ordinaires de la fermentation alcoolique. 


$ IV. — Les éléments de l'acide succinique et de la glycérine 
sont empruntés au sucre. La levüre n'y prend aucune part. 


Que les éléments de la glycérine soient fournis par ceux du sucre 
et que la levüre n’y ait point de part, la chose est assez prouvée par 
la comparaison des poids de glycérine et de levüre dans lPexpérience 
précédente. On n'avait employé que 1,198 de levûre et on a recueilli 
3,6 de glycérine. 

Mais pour l’acide succinique cela est moins évident. L'expérience 
suivante a été disposée de manière à fournir un poids d’acide succi- 
nique supérieur au poids total des principes du ferment. Elle est tout 
à fait décisive. 

A une solution de 100 grammes de sucre candi pur j'ai ajouté un 
poids total de matières albuminoïdes et minérales égal à 0 gr. 355, 
propres à la multiplication des globules de levüre. Il suffit, pour se 
procurer de telles matières et en connaître le poids, de faire bouillir 
de la levûre fraiche avec de l’eau distillée, de filtrer la liqueur que 
l'on partage en deux portions, dont l’une est évaporée à siceité et 
desséchée à 100°, afin de connaître la quantité totale de matière que 
renferme la liqueur sous un volume déterminé. 

Cette matière soluble est on ne peut plus propre à la multiplication 
des globules de levûre, si elle est mélée préalablement à de l'eau 
sucrée et qu'on y sème ensuite quelques globules de levûüre frais (!). 


1. M. Colin est, je crois, le premier chimiste qui ait remarqué que l’eau de lavage de la 
levûre était une très bonne source de ferment. Dans un travail fort intéressant, qui fut un 


sédiéatenr. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 65 


A la liqueur formée de 100 grammes de sucre et de Ogr.385 de 
matières albuminoïdes et minérales, j'ai ajouté, suivant ces prescrip- 
tions, une quantité très minime et pour ainsi dire impondérable de 
levûre fraîche. Les globules se sont multipliés en assimilant du sucre 
et des matières minérales et albuminoïdes, et corrélativement le sucre 
a fermenté. 

Le sucre étant en grand excès, la fermentation a duré plusieurs 
mois sans être achevée. J’y ai mis fin lorsqu'elle était assez avancée 
pour le but que je me proposais d'atteindre. 

Par un dosage effectué à l’aide de la liqueur cuivrique, j'ai vu qu'il 
restait encore dans la liqueur 30 gr. 941 de sucre. J'ai reconnu ensuite 
qu'il s'était formé 0,47 d'acide succinique : c’est-à-dire que le poids 
d'acide succinique surpassait le poids total de matière soluble de 
levüre employée. 

D'autre part, le dépôt de levûre pesait 0 gr. 400 après dessiccation 
à 100. 

L’acide succinique vient donc du sucre aussi bien que la glycérine. 

Les éléments de la levüre ne prennent aucune part à la formation 
de ces produits. 


S V. — La glycérine, l'acide succinique, 
l'alcool et l'acide carbonique ne sont pas les seuls produits 
de la fermentation alcoolique. 


Revenons au dosage des différentes matières de la fermentation 
déjà étudiée précédemment au { IT, et occupons-nous principalement 


complément indispensable de l'hypothèse de Fabroni et du Mémoire de M. Thenard [Mémoire 
sur la fermentation vineuse. Annales de chimie, XLNI, an XI, p. 294-320], M. Colin [Mémoire 
sur la fermentation du sucre. Annales de chimie et de physique, ® sér., XXVIII, 18%5, 
p. 128-142. — Mémoire sur la fermentation (2° partie). Zbi4., XXX, 18%, p. 42-64], partant de 
faits isolés alors dans la science, fit voir que l’on pouvait alcooliser des liqueurs sucrées en 
employant de la pâte de farine, du gluten, de la viande de bœuf, du blanc d'œuf, du fromage, 
de l'urine, de la colle de poisson, du sang, Mais, des diverses substances employées par 
M. Colin, c'est l’eau de lavage des levüres de bière ou de raisin, ou leur extrait, qui convenait le 
mieux à la fermentation, 

C’est probablement en s'appuyant sur ces derniers résultats que beaucoup de personnes ont 
pensé que c'était dans la partie liquide des globules de levûre que résidait leur pouvoir 
fermentant. Il est bien facile de se convaincre qu'il n’en est rien. La fermentation ne commence 
à se montrer qu'au moment où il y a des globules de levüre tout formés. La partie liquide des 
globules n'est qu'un aliment propre au développement de ces globules, au même titre qu'une 
foule de matières albuminoïdes. Il n'y a pas une seule de ces matières qui ne puisse, si par 
elle-même elle n'y est déjà propre, se modifier spontanément par la production de champignons 
microscopiques ou d'infusoires de manière à devenir apte à servir d’aliment à la levûre de 
bière. Toutes les substances à l'aide desquelles M. Colin a réussi à provoquer la fermentation 
alcoolique du sucre n'ont été dans ses expériences que l'aliment azoté de la levüre qui avail 
pris naissance spontanément. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. di] 


66 ŒUVRES DE PASTEUR 


des matériaux de la levûre et de la part que le sucre peut avoir dans 
les mutations de ses tissus. 

Le poids total de la levüre employée était 1,198. 

Or, en déterminant : 1° le poids de levüre déposée après lavoir 
recueillie sur un filtre taré et l'avoir desséchée à 100°; 2° le poids de 
matière extractive insoluble dans le premier traitement par l'alcool et 
l'éther; 3° le poids de matière qui souillait le succinate de chaux et 
que nous avons enlevé par l'alcool à 80°, j'ai trouvé (toutes les pesées 
ayant été faites à 100° dans les mêmes conditions jusqu'a ce que les 
poids soient devenus invariables) : 


Levüre, — dépôt après la fermentation . . . . 1,700 
Extrait insoluble dans l'alcool et l’éther . . . . 0,631 
Matière souillant le succinate de chaux. . . . . 0,500 

2,831. 


Si l'on défalque le poids primitif de la levüre, 1 gr. 198, on trouve 


1gr.633 qui est l’excès du poids de la levûre et de ses matières 
solubles après la fermentation sur ce qu'ils étaient auparavant. 
100 grammes de sucre ont donc cédé plus de 1 5 gramme à la levüre (1). 
Nous verrons que dans ce poids entre pour une bonne part la cellu- 
lose des nouveaux globules qui se sont formés pendant la fermen- 
tation elle-même. Quoi qu'il en soit, nous voyons que la levûre prend 
quelque chose au sucre, et si nous ajoutons ce que le sucre cède de ce 
côté aux poids de glycérine et d’acide suceinique, nous trouvons : 


(CIRE DONS NOR à © © 00 p 5 0 © (A 
ATITESUCCIDIQUES EC UN OH 
Cellulose et matières indéterminées (2). . . . . 1,633 

5,946. 


1. Il est rare que le sucre cède à la levûre un poids de matière aussi élevé. 

Cela n’arrive que dans les cas de fermentation avec excès de sucre. Ordinairement le résultat 
oscille de 1,0 à 1,5 et il peut descendre un peu au-dessous de 1,0 pour 100 du poids du sucre, 
dans les fermentations en présence des matières albuminoïdes, sans autre emploi de levûre que 
celle qui est nécessaire pour provoquer une fermentation alcoolique régulière. 

9, Dans les nombreuses analyses que j'ai faites des liquides de fermentations du sucre de 
canne, le rapport des poids de l'acide suceinique et de la glycérine à été assez égal pour que 
j'attribue les divergences des résultats aux erreurs inévitables du mode d'analyse. Cependant 
il m'est arrivé, une seule fois il est vrai, de trouver une proportion d'acide suceinique qui était 
très sensiblement différente du rapport ordinaire avec la glycérine. Voici le détail de l'analyse 
de cette fermentation : 100 grammes de sucre candi ont été mis à fermenter avec 10 grammes 
de levûre lavée en pâte. Le liquide fermenté filtré, évaporé avec les soins nécessaires, à exigé 
pour sa saturation 180 centimètres cubes d'une eau de chaux dont 88 cc. 9 correspondaient à 
0,061 d'acide sulfurique. Le succinate de chaux cristallisé et purifié a été recueilli plus tard 
et a donné 0,427 d'acide suecinique. Le poids de glycérine s'est élevé au contraire à 3 gr. 20. 
Si le rapport ordinaire de l'acide suecinique à la glycérine eût été réalisé dans cette fermen- 
lation, le poids d'acide succinique eût été de Ogr.6 environ, au lieu de Ogr. 4. Je n'ai pu me 


Le 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 67 


Nous n'avons pas fini encore avec cette étude des transformations 
que le sucre éprouve en dehors de léquation théorique, C2H202 
—4CO2+ 2C:H60?. Poursuivons-la dans une autre direction fort 
intéressante. 


S VI. — De l'équation de la fermentation alcoolique. 


Un examen attentif des résultats qui précèdent conduit bien vite à 
une réflexion importante. Comparons les formules du sucre, de l'acide 
succinique et de la glycérine. 


Sucre fermenteseible C12 H12 O2 — 180 ) 
Acide succinique CEE QE UN À CS ii, D: 
Glycérine CS HS O6 — 92 


On voit immédiatement que l’acide succinique est moins hydrogéné 
que le sucre et que la glycérine l’est davantage, et qu'en faisant la 
somme des équivalents de l'acide succinique et de la glycérine, le 
carbone, l'hydrogène et l'oxygène se trouvent dans les rapports où ils 
existent dans le sucre. 

En d’autres termes, si l'analyse des produits de la fermentation 
alcoolique nous avait donné des poids de glycérine et d’acide sucei- 
nique qui fussent dans le rapport de 92 glycérine et 118 acide succi- 
nique, il serait facile de comprendre que le sucre peut être la source 
de ces deux produits. Mais, tout au contraire, le rapport des poids de 


< 


7 Ne _. : 92 
la glycérine et de l'acide succinique, au \lieu d’être TE < 1, est à peu 
È ,9 = 
a — D) 
0,7 


Il est donc matériellement impossible que le sucre donne de lacide 


près 


succinique et de la glycérine dans les proportions précédentes sans 
fournir en méme lemps un autre produit soit beaucoup moins 
hydrogéné, soit beaucoup plus oxygéné que le sucre lui-même. Mais 
où rencontrer ce produit très oxygéné? Son poids sera relativement 
considérable à cause de la grande différence entre les proportions de 
la glycérine et de l’acide succinique. Il est facile de voir par la compa- 
raison des formules du sucre, de la glycérine, de lacide suceinique 
que le poids du corps, dont l'existence est commandée par les propor- 


rendre compte de ce résultat exceptionnel. Aucune circonstance ne m'en a donné l'explication. 
Le poids de matière souillant le succinate de chaux avant sa pesée, et qui avait été enlevée 
par l'alcool à 80°, a été de Ogr. 165, et le poids d'extrait du liquide fermenté insoluble dans le 
mélange d'alcool et d’éther, de O gr. 874. 
L'examen microscopique de la levûre n'a accusé la formation d'aucune levûre étrangère. 


68 ŒUVRES DE PASTEUR 


tions relatives de ces deux derniers produits, doit s'élever à plus de 
Î gramme, à moins que ce ne soit de l’acide carbonique, auquel cas 
son poids pourrait être moindre. 

Ces réflexions, jointes aux résultats de mes analyses des produits 
solides de la fermentation, me portèrent à croire que l’équilibre entre 
l'acide succinique et ia glycérine devait être rétabli par les substances 
volatiles de la fermentation, et celles-ci étant formées d’eau, d’alcoo!l et 
d'acide carbonique, la compensation cherchée ne pourrait être due qu’à 
l'acide carbonique. Le dosage exact de ce gaz offrait done un intérêt 
particulier. 

Bien plus qu’on ne serait disposé à le croire, ce dosage rigoureux 
est fort difficile (1). 

J’ai essayé bien des méthodes : une seule, la plus simple de toutes, 


(1) Bien que je ne donne pas dans le cours de ce Mémoire de dosages d'alcool des fermen- 
tations, j'en ai effectué plusieurs avec de très grands soins et j'ai toujours trouvé par leurs 
indications une perte de 6 pour 100 de sucre, c’est-à-dire que 6 pour 100 du poids du sucre ne 
donnaient pas d'alcool. 

J'ai essayé vainement de doser l'alcool des fermentations par une analyse organique. Le 
procédé ordinaire de la distillation du liquide fermenté m'a paru, à défaut d’autres, le meilleur 
et assez exact. Il faut seulement avoir soin de placer deux ou trois flacons laveurs à la suite du 
vase de fermentation, pour retenir autant que possible la vapeur d'alcool emportée par l'acide 
carbonique. Afin de chasser l'acide carbonique dissous dans le liquide fermenté, j'opérais la 
distillation après addition d’un excès d'eau de baryte. Quant à la détermination de la quantité 
d'alcool du liquide distillé, voici un moyen qui m'a paru extrêmement sensible. Connaissant 
d’une manière approchée, d'après le poids du sucre mis en fermentation, la quantité d'alcool 
formée, je pèse deux portions d'alcool absolu aussi voisines que possible et comprenant entre 
elles le poids présumé d'alcool à trouver. Je porte ces deux poids d'alcool chacun au volume 
total du liquide fermenté; puis, à la même température, je place alternativement et par compa- 
raison un alcoomètre quelconque, bon ou mauvais, pourvu qu'il soit sensible, dans les trois 
liqueurs. Le dosage est terminé quand je trouve que l’un des liquides artificiels donne la même 
indication que le liquide distillé. Voici une fermentation dans laquelle on a déterminé l'alcool 
et les autres produits. Le 21 mai, on place à l’étuve 9gr.998 de sucre candi avec 2 gr. 026 de 
levûre en pâte et 100 grammes d'eau. Le 1er juin, la liqueur de cuivre n’accuse plus trace de 
sucre. Au microscope, pas de levüre lactique ou autre. En opérant comme je l'ai dit tout à 
l'heure, on a trouvé 5 gr. 100 d'alcool. L'acide carbonique n’a pu être recueilli. Calculé d'après 
les résultats de la fermentation de la page [69], effectuée sur 1,440 de sucre, on en déduit que 
les 9 gr. 998 ont dû fournir 4gr. 911 d'acide carbonique. On a recueilli en outre 0,34 de glycé- 
rine, 0,065 d'acide succinique et 0,13 de cellulose et de matières indéterminées. En résumé, 
9 gr. 998 de sucre candi ont donné : 


AlchOAbEOl0 RE CRT CEE 5,100 
Aeidoloathonique. 1 CAE CIE 4.911 
(CIN CS OO D OS dr ot 0-0 0 © 0,34 
ACIUOIENCENIQUE. re CET 0,065 
Cellulose et matières indéterminées . . . . . . . . 0,13 
Moto tete DB nant . 10,546 


Or, 9,998 sucre candi de formule 

C2"! Oo" 
fournissent 10,524 de sucre, C**H!*02?. La différence 10,546 — 10,524 — 0,022 est très faible et 
dans le sens des résultats généraux de mon travail, parce que la portion de sucre candi qui se 
transforme en acide succinique, glycérine et acide carbonique fixe bien plus d’eau que si elle 
passait à l’état de sucre, C* HO, pour obéir ensuite à l'équation théorique de Lavoisier et 
Gay-Lussac. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 69 


m'a réussi, et je la crois seule praticable avec succès. C’est celle qui 
consiste à faire fermenter le sucre dans un vase jaugé, primitivement 
plein de mercure, où l’on introduit successivement les matériaux de 
la fermentation. Malheureusement elle exige que lon opère sur un 
poids de sucre assez minime, par la difficulté de manier sur le 
mercure des vases d’une grande capacité. Ceux dont je me suis servi 
avaient un volume de 350 à 450 centimètres cubes, le col compris. Voici 
les détails d’une expérience : 

Un ballon à long col gradué est renversé, sur le mercure. J’y fais 
passer en premier lieu 1 gr. 440 de sucre candi; puis, à l’état de pâte 
un peu ferme et sous forme de boulette, 0 gr. 3 de levûre lavée fraîche. 
Enfin j'introduis dans le ballon 8 gr. 980 d’eau à 15°, puis je porte à 
l’'étuve de 25 à 33°. 

Quinze jours après, la fermentation est terminée, et je me suis 
assuré en effet ultérieurement par la liqueur de cuivre qu’il n’y avait 
plus traces de sucre. Si l'équation 


C2HM ON -E HO — 2 CH6 0? + 4 CO? 


était celle de la fermentation alcoolique, 1,440 de sucre candi devraient 
donner 374 cc.8 de gaz carbonique à 0° et 760 de pression. Or, après 
toutes les corrections de température et de pression, j'ai trouvé, pour 
le volume du gaz à 0° et à 760, un volume égal à 358 ce. 0. 

La différence avec le volume théorique est de 16 cc.8. 16 cc. 8 
d'acide carbonique pèsent 0 gr. 0332 et correspondent à 0 gr. 0645 de 
sucre candi. De telle sorte qu’en partant du dosage de l'acide carbo- 
nique on trouve que, sur les 1 gr. 440 de sucre candi employé, il ÿ en a 
Ogr. 0645 qui ont disparu sans obéir à l'équation théorique. Cela corres- 
pond à une perte de 4,4 pour 100 du poids du sucre mis en expérience (1). 


1. Ces expériences sont fort délicates. Il faut en faire les mesures en hiver lorsque la tempé- 
rature est voisine de zéro, afin que les corrections aient la plus faible valeur. 
Mieux encore et en toute saison, on se sert d'un manchon de fer-blanc qui 
permet d’entourer de glace le ballon. On commence par mastiquer une large 
rondelle de liège sur le col du ballon renversé. Le manchon est alors adapté 
sur ce liège. Un tube de verre fixé dans le liège donne issue à l’eau de fusion 
de la glace. 

Il est bon de disposer le lièse à une telle hauteur que toute la partie du 
ballon occupée par le gaz soit entièrement plongée dans la glace, et que le 
liquide fermenté soit logé dans la portion du goulot située entre le liège et 
le niveau du mercure dans l’éprouvette, lorsque le niveau du mereure est le 
mème à l'intérieur du ballon et à l'extérieur dans l'éprouvette. 

Si le liquide fermenté était en partie plongé dans la glace on ne connai- 
trait pas sa température et il y aurait incertitude sur la correction relative 
à la solubilité de l'acide carbonique dans ce liquide. Frc 1. 

Cette dernière correction est la plus délicate. Pour la faire, j'ai toujours 
employé un liquide ayant la composition présumée du liquide fermenté et obtenu par mélange 


70 ŒUVRES DE PASTEUR 


Cela posé, voyons si ce résultat s'accorde avec l’analyse du liquide 
fermenté qu’il est facile de recueillir sans perte. Je me suis d’abord 
assuré qu’il n’y restait pas traces de sucre. Après filtration et évapo- 
ration ménagée, je l’ai saturé par l’eau de chaux. Il a fallu 4 ce. 3 d’une 
eau de chaux dont 28 centimètres cubes neutralisent 0,06125 d’acide 
sulfurique, SO$,HO. On déduit de ces données et en ramenant à 100 
de sucre, qu’il s’est formé 0,784 d’acide succinique, nombre qui doit 
être un peu élevé, comme nous le savons, parce qu’une petite quantité 
de la chaux est saturée par un autre acide que l'acide succinique. La 
levûre elle-même apporte un peu d’acide. Il a fallu Occ.3 d’eau de 
chaux pour saturer les acides d’un poids de levûre égal à celui de la 
levûre employée. Tout cela réduit la proportion d’acide succinique 
à 0,7 pour 100 du poids du sucre. 

La glycérine a été déterminée avec soin, elle pesait 0 gr. 0505, ce 
qui correspond à 3,5 pour 100 du poids du sucre. 

Les proportions des différents produits de la fermentation sont ici, à 
peu de chose près, ce qu’ils étaient dans la fermentation de 100 grammes 
de sucre dont nous avons détaillé précédemment l’analyse. 

Ce n’est donc pas une perte de 4,4 pour 100 du poids de sucre que 
nous devrions trouver par le dosage de l’acide carbonique, mais une 
perte de 6 pour 100 environ, parce qu’il faut ajouter à la glycérine et à 
l'acide succinique, d’une part laugmentation du poids de la levüre, de 
l'autre les matières destinées à rétablir l’équation entre le sucre, Pacide 
succinique et la glycérine. La différence entre le résultat théorique et 
le résultat expérimental aurait dû être de 22 ce. 2 au lieu de 16 cc. 8. 


Différence — 5 cc. 4. L'erreur sur le volume de l'acide carbonique ne 
pouvant être, à beaucoup près, de cet ordre, il faut admettre néces- 


sairement qu'il y a plus d’acide carbonique formé que n’en exige 
l'équation 
C2HHO!N LE HO — 2C#H60? + 4CO?, 

appliquée au poids total de sucre 1gr.440 diminué des + de ce 
poids. En d’autres termes, la réaction qui donne Pacide succinique et 
la glycérine fournirait, prise à part, une certaine proportion d’acide 
carbonique. Nul doute que l’équilibre entre l'acide succinique et la 
glycérine d’une part, et le sucre de l’autre, ne soit rétabli par cet 


direct d’eau, d'alcool, d'acide succinique et de glycérine, sur lequel j'étudiais à part la solu- 
bilité de l'acide carbonique dans les conditions de température où se trouvait le liquide du 
ballon. La solubilité a toujours été plus faible que dans l'eau pure. 

Pour la correction de la tension de la vapeur aqueuse ou alcoolique, je me suis contenté de 
celle donnée dans les tables pour la vapeur d'eau. En opérant à zéro, elle est toujours assez 
faible pour qu'il n’en résulte pas une erreur sensible, bien que le liquide ne soit pas de l'eau 


pure. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 71 


excès de gaz carbonique. Non seulement nous pouvions pressentir ce 
résultat par la différence des proportions de glycérine et d’acide succi- 
nique et l’absence de toute matière solide fort oxygénée parmi les 
autres produits de la fermentation, mais le dosage de l’acide carbo- 
nique seul établit matériellement qu’il se forme un volume de ce gaz 
supérieur à celui qu'exige l'équation de Lavoisier et de Gay-Lussac 
appliquée à tout le sucre qui peut la subir. 

Il reste néanmoins à chercher entre les éléments du sucre et ceux 
de l’acide succinique, de la glycérine et de lacide carbonique, une 
équation qui puisse être regardée, sinon comme lexpression rigou- 
reuse des faits, au moins comme leur expression très approchée. Je 
me suis fait une loi, dit M. Chevreul, dans mes analyses immédiates 
de reconnaître, d’une manière aussi rigoureuse que le permet l’état 
actuel de la science, la composition des corps séparés par l'analyse. 
On ne saurait trop répéter, ajoute l’illustre chimiste, qu’une analyse 
n'est satisfaisante qu'autant que l’on a séparé d’une quantité donnée de 
matière tout ce qu'il est possible d’en isoler, et que les produits 
séparés, réduits à des espèces chimiques déterminées, représentent 
par leurs poids respectifs le poids de la matière analysée (1). Je me suis 
efforcé de suivre ces sages préceptes. IT est aussi utile que nécessaire 
de se persuader que lesprit n’est satisfait, ainsi que le dit M. Che- 
vreul, qu'à la condition de leur application sévère dans toutes les 
recherches analytiques. 

L’équation suivante concorde avec les résultats des analyses. Je 
n'oserais cependant la donner comme exacte ; mais il est probable 
qu'elle est peu éloignée de la vérité et qu'elle se simplifierait si l’on 
pouvait y faire entrer plus complètement les détails du phénomène. 
Je n'ai pas la confiance de croire que j'ai réussi à mettre en évidence 
tous les produits de la fermentation alcoolique dans des rapports 
rigoureux. Je n'ai pu m'occuper que de ceux qui interviennent pour 
une part appréciable à la balance ou aux mesures de volumes. 

Ce qui importe surtout ici est l'équation de fait, matérielle, entre 
le sucre et la somme des principaux produits. Quant à l’équation 
chimique formulée en équivalents, est-il bien possible de létablir 
pour un acte aussi compliqué ? Au moment où il se fait de l'alcool, il 
se forme simultanément de l'acide carbonique, de l'acide succinique, 
de la glycérine, de la cellulose, de la matière grasse, et sans doute 
beaucoup d’autres substances peut-être aussi essentielles que ces 
deux dernières à la vie des globules et par suite au phénomène de 


1. CHevreuz. Considérations générales sur l'analyse organique et sur ses applications. 
Paris, 1824, in-80. (Note de l'Édition.) 


ŒUVRES DE PASTEUR 


En] 
t> 


transformation chimique du sucre, bien que leur poids total doive être 
extrêmement minime. 

La science est trop peu avancée pour espérer mettre en équation 
riscoureuse un acte chimique 'corrélatif d’un phénomène vital. 

Cependant je reconnais que des doutes s’élèveraient sur l’exactitude 
de mes résultats, s’il n’était pas possible d'établir une équation entre 
le sucre et les principales matières qui accompagnent l'acide carbo- 
nique et l’alcool, puisque de leur côté ces deux derniers produits 
paraissent former équation avec une portion du sucre. C’est à ce point 
de vue et avec ces réserves que l'équation suivante mérite d’être 
mentionnée. 

On trouve que 4,5 de sucre candi en se détruisant selon l’équation 


49 CHU OM 109H0 = 12CSH60$ + 72 C6HS06 EL 60 COZ (1) 


nn DR. PT D. St 
Sucre. Eau. Ac. succinique. Glycérine. Ac. carbon. 
fournissent 
Acidelsuccinique "CCE 0 O0 
GIVCÉENE EN SRE UN 
Acide Car bOnIQue RER EEE ONDES 
Total. 20. CRE OO DIE 


Ces nombres, en ce qui concerne la glycérine et l'acide succinique, 
diffèrent peu de ceux de lexpérience, pour une fermentation de 
100 grammes de sucre. Quant à la proportion de l'acide carbonique, 
c'est bien également celle qui est exigée. En effet, si lon prend les 
0,708 centièmes de 1 gr. 440 qui est le poids de sucre de la fermenta- 
tion que nous avons examinée tout à l'heure, on trouve 0 gr.010. Or 
0 gr. 010 d’acide carbonique représentent 5 centimètres cubes de gaz 
carbonique. C’est précisément l’excès de volume de ce gaz dans cette 
fermentation, calculé d’après les poids des matières autres que l'alcool 
et l'acide carbonique qui lui correspond. 

Tout s'accorde done pour nous faire admettre qu'indépendamment 
de l'acide succinique, de la glycérine et des autres produits que nous 
examinerons ultérieurement, et au nombre desquels se trouve la cellu- 


1. Cette équation peut s’écrire : 
C'H"20" + 48 C'H'20"° + 60HO = 12C'H°0* + 72C*H'0* + 60C0*. 
Sous cette forme, en divisant tous les termes par 12, on a 
C'H'0!' + 4C°H"0" + 5H0 = CH°0* + 6C*H'0* + 5C0*. 


Ne se pourrait-il pas qu'une petite quantité de cellulose et d'eau, représentée par le poids 
C'H!O!, intervint avec un poids de sucre égal à 4 C#H#*0% pour former, en assimilant 
5 HO, les proportions d'acide succinique, de glycérine et d'acide carbonique indiquées dans le 
second membre de cette dernière équation ? 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 73 


lose, il se forme de l'acide carbonique intimement lié à lexistence de 
l'acide succinique et de la glycérine, et rétablissant l'équation entre 


ces produits et le sucre. 


S VII. — Addition au paragraphe précédent. 


J'avais terminé les dosages du gaz acide carbonique produit 
pendant la fermentation, et dont il vient d’être parlé, lorsque je 
reconnus un fait très inattendu qui m'inspira quelques doutes sur les 
mesures et les conséquences du paragraphe précédent. Parrivai à ce 
résultat que la levüre mise en excès en présence d’une très petite 
quantité de sucre, après l'avoir transformé à la manière ordinaire, 
exerce son activité sur ses propres tissus avec une grande énergie et 
fournit ainsi des quantités relativement considérables d'acide carbo- 
nique et d'alcool. Je me demandai naturellement si l'excès de gaz 
carbonique trouvé dans les expériences analogues à celles du para- 
graphe précédent ne pourrait pas être attribué à ce phénomène de 
fermentation des matières hydrocarbonées de la levüre postérieure- 
ment à la disparition du sucre. 

Il y avait un moyen très sûr de s’en rendre compte. C'était de 
produire la fermentation du sucre à l’aide d’une matière albuminoïde 
et d’une quantité en quelque sorte impondérable de levûre employée 
seulement comme semence. Il ne pourrait se former de cette manière 
que la quantité de levüre nécessaire au dédoublement du sucre; et 
dans tous les cas, comme la cellulose de la levüre qui prendrait nais- 
sance serait constituée par une portion du sucre, si elle venait à se 
décomposer elle-même partiellement, les produits de cette décompo- 
sition seraient en définitive originaires du sucre mis en fermentation. 

Je refis donc une expérience semblable à celle décrite au para- 
graphe précédent sans employer de levüre ordinaire, mais seulement 
les substances propres à la faire développer sous l'influence de 
quelques globules frais et adultes. 

Dans un ballon de 400 centimètres cubes gradué sur son col, 
j'introduisis en premier lieu 1 gr. 498 de sucre; puis 0 gr. 165 de 
matière albuminoïde et minérale dissoute dans 10 ce. 2 d’eau pure 
mêlée d’une quantité extrêmement petite de levüre fraîche. La fermen- 
tation fut achevée au bout de huit jours. Toutes corrections faites, le 
volume total du gaz carbonique à 0° et 760 de pression s’est trouvé 
égal à 372 cc. 8. 

D’après l'équation théorique, 1,498 de sucre candi devraient fournir 
389 cc. 9; différence 17 ce. 1 de gaz. carbonique. Cette différence 


74 ŒUVRES DE PASTEUR 


correspond à 4,38 pour 100 de perte sur le poids du sucre. C’est le même 
résultat qu'au paragraphe précédent. La perte du sucre, calculée 
d’après le dosage de l'acide carbonique, est trop faible de 1,5 pour 100. 

La cause d’erreur que je craignais n'existe donc pas, et nous 
pouvons admettre en toute sécurité que si l’on se sert d’une quantité 
de levûre qui n’est pas trop grande, après avoir fait fermenter le sucre, 
elle a assez perdu de son activité pour ne plus pouvoir se détruire 
partiellement elle-même, et tout l’acide carbonique dégagé dans ces 
conditions provient exclusivement du sucre mis en fermentation. Je 
reviendrai dans la deuxième partie de ce Mémoire sur ces faits 
remarquables, destinés à jeter une vive lumière sur la nature et la 
manière d'agir de la levüre de bière. 


$ VIII. — L’acide succinique et la glycérine 
sont des produits constants de la fermentation alcoolique. 


En suivant les méthodes que j'ai précédemment indiquées, jai 
analysé un nombre considérable de fermentations alcooliques effec- 
tuées dans les conditions les plus diverses. J'ai fait varier la tempéra- 
ture, la pression, les poids de levûre, les poids de sucre, la nature des 
sucres, l’origine et la nature des levûres, l’état de neutralité et d’acidité 
du milieu. Je me suis servi de levûres tout organisées, d'autres fois 
je les ai fait naître spontanément par le contact de l’air à l’origine ou 
par la semence de globules frais de levûre adulte. Dans toutes ces 
circonstances si multipliées et si diverses, je n’ai jamais pu m’opposer 
à la formation soit de la glycérine, soit de l’acide succinique. Ce sont 
des produits constants de la fermentation alcoolique au même titre 
que l’acide carbonique et l'alcool (1). Nous verrons qu’il faut y joindre 


1. Le tableau suivant donne quelques résultats relatifs aux fermentations des principaux 
sucres fermentescibles. 

Il faut voir dans les résultats de ce tableau la preuve que tous les sucres donnent par la 
fermentation de l'acide succinique et de la glycérine, 

Il serait nécessaire d'opérer sur des poids de sucre plus considérables si l'on voulait déter- 
miner les variations des proportions d'acide sucecinique et de glycérine pour les divers sucres. 
Néanmoins, comme les conditions des fermentations de ce tableau ont été rigoureusement les 
mêmes, je crois que l'on peut conclure : 1° que ce sont le sucre incristallisable et le lactose 
qui donnent le plus de glycérine et d'acide succinique ; 2 que le sucre candi est celui qui 
exige la moindre formation de levûre pour sa fermentation complète; 3° que le glucose est 
celui qui met le moins de temps à fermenter. 

Je crois devoir ajouter ici que M. H. Rose a publié, sur la fermentation comparée du 
slucose et du sucre de canne et les proportions de levûre nécessaires à la fermentation de ces 
sucres, des résultats qui sont en désaccord évident avec plusieurs observations de mon travail, 
et que je regarde comme tout à fait exagérés. (Rose. Ueber die Gährungsfähigkeit der Zucker- 
arten. Annalen der Physik u. Chemie, LIT, 1841, p. 293-297.] D'après M. H. Rose, il faudrait 
huit fois plus de ferment avec le sucre de canne qu'avec le glucose pour y exciter la même 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 75 


une portion sensible de cellulose provenant du sucre, et de la matière 
grasse, qui se fixent sur les globules dont l’organisation et le dévelop- 
pement sont corrélatifs de toute fermentation alcoolique. 

Il se présente ici une question délicate dont la solution définitive 
est bien difficile. L’habitude que nous avons d'envisager le phénomène 


fermentation, et avec des quantités égales mais faibles de levüre, la fermentation du glucose 
peut être achevée en quelques jours, tandis que celle du sucre de canne serail nulle, même 
après plusieurs mois. Le glucose fermente un peu mieux et plus promptement que le sucre de 
canne, mais la différence n’a rien d'excessif et les proportigns de levüre exigées pour la fermen- 
tation complète des deux sucres sont tout à fait du même ordre. 


: à 9 gr. 976 

9 gr. 873 9 gr. 948 9 cr. 814 fe 2e Re 9 gr. 899 

de lactose. de lactose. de glucose. sy D ‘de sucre candi. 
20 cent. cubes | 20 cent. cubes | 20 cent. cubes 90 cent AE 20 ceut. cubes 
d’eau de levüre.|d'eau de levüre.|d’eau de levüre.|,5. * ,",""" [d'eau de levüre. 

à m d’eau de levure. S 
Traces Traces Traces MEncen Traces 
de levure. de levure. de levüre. HEMESRre de levûre. 


Poids de levure formée 0,191 0,170 0,136 0,152 
Poids d'extrait res- 
tant dans le liquide 
fermenté . . . . . 0,295 » 0,260 
Poids d'acide succi- 
nique 0,075 0,066 0,058 0,68 
Poids de glycérine . 0,338 0,297 0,28 0,288 
Durée de la fermen- 
tation. . jours.|Quatorze jours.| Dix jours. Treize jours. Onze jours. 


Les poids d'acide succinique sont un peu forts, parce qu'ils ont été calculés d’après le poids de 
chaux nécessaire pour la saturation. 

Les poids d'extrait du liquide fermenté sont au contraire un peu faibles, parce qu’ils ne com- 
prennent pas la portion qui se retrouve fixée sur le succinate. 

J'appelle Lacrose le sucre qui se forme par l’action des acides sur le sucre de lait. Celui-ci était 
cristallisé et perdait 2,8 pour 100 à 100e. 

Le glucose provenait du sucre de canne interverti par les acides. Il était bien cristallisé et a perdu 
9,03 pour 100 après quatre jours à 100. 

Le sucre incristallisable provenait du sucre de canne interverti par les acides. Le sucre abandonné 
deux années en sirop, après avoir éliminé l'acide, a donné du glucose cristallisé déviant à droite et du 
sirop incristallisable déviant à gauche. Les 9,976 de sirop renfermaient 6,98 de sucre C'*H'*0", déter- 
minés par la liqueur de cuivre et la dessication à 100, 

Les 20 centimètres cubes de levüre renfermaient 0 gr. 334 de matière albuminoïde et minérale. 


On a beaucoup discuté sur la transformation préalable du sucre de canne en sucre de 
raisin dans la fermentation alcoolique. Le sucre, dit-on, n’est pas directement fermentescible ; 
il doit se transformer d'abord en sucre de raisin, et c’est dans la partie soluble de la levüre 
de bière que résiderait laffacultéide transformation du sucre de canne. 

Tout ce que l’on a écrit à ce sujet manque de preuves solides. Pour moi, je pense que la 
formation du sucre de raisin tient tout simplement à la production constante de l'acide succi- 
nique, que ce n'est qu’un phénomène accessoire et qu'il n’est nullement nécessaire que le sucre 
de canne devienne d'abord sucre de raisin pour éprouver la fermentation, à moins que l'on 
entende par là que le sucre de canne ne peut se dédoubler en alcool et en acide carbonique 
qu'après avoir assimilé 1 équivalent d’eau. 

En d’autres termes, je ne pense pas qu'il y ait dans les globules de levûre aucun pouvoir 
particulier de transformation du sucre de canne en sucre de raisin. Mais l'acide succinique 
étant un produit constant de la fermentation alcoolique, le sucre doit éprouver en sa présence 
l'effet qu’il éprouve en général par l'action des acides. 

Il seralutile de rechercher si le mélitose, le tréhalose et le mélézitose, sucres fermentes- 
cibles signalés dans ces derniers temps par M. Berthelot, [Sur le tréhalose, nouvelle espèce 
de sucre. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLVI, 188, p. 1276-1279. — Sur le 
mélézitose, nouvelle espèce de sucre. Zbid., XLVII, 1858, p. 224-227] donnent également de 
l'acide .succinique et de la glycérine. Cela est extrèmement probable. 


76 ŒUVRES DE PASTEUR L£ 


de la fermentation alcoolique avec une grande simplicité portera beau- 
coup de personnes à croire que la glycérine et l’acide succinique sont 
des produits accessoires de la fermentation alcoolique, peut-être corré- 
latifs d’une autre fermentation parallèle, accomplie sous une influence 
particulière et inconnue; et qu'il faudrait faire deux parts dans le 
sucre, l’une se dédoublant en alcool et acide carbonique, l’autre qui 
donnerait de la glycérine, de l’acide succinique et de l'acide carbo- 
nique. Le dédoublement du sucre en alcool et acide carbonique 
resterait donc non seulement possible théoriquement, mais serait 
encore réalisé dans l’acte de la fermentation alcoolique, où nous trou- 
verions l’exemple de deux réactions chimiques simultanées s’accom- 
plissant en vertu de forces distinctes (1). 

Sans nul doute je m’arréterais à cette manière de voir, si j'avais 
pu dans quelques cas particuliers faire fermenter un sucre sans qu'il 
y eût production d'acide suceinique et de glycérine. Mais, dans plus de 
cent analyses de fermentations effectuées dans les conditions les plus 
différentes, je n’ai jamais obtenu ce résultat. J’ai vu quelquefois 
diminuer ou augmenter les proportions de ces deux produits, sans 
que leur rapport fût modifié sensiblement dans la limite d’exactitude 
. de mes procédés analytiques; mais dans aucun cas ils n’ont disparu. 

Les variations dans les proportions de l’acide succinique, de la 
glycérine et, par suite, des autres produits de la fermentation ne 
doivent pas surprendre dans un phénomène où les conditions 
apportées par le ferment paraissent devoir être si changeantes. Ce 
qui m'a surpris au contraire, c’est la constance habituelle des 
résultats. Les diverses analyses de ce Mémoire nous en offrent assez 
de preuves. 

Je suis donc très porté à voir dans l’acte de la fermentation alcoo- 
lique un phénomène simple, unique, mais très complexe comme peut 
l'être un phénomène corrélatif de la vie, donnant lieu à des produits 
multiples, tous nécessaires. 

Les globules de levûre, véritables cellules vivantes, auraient pour 


1. Si la glycérine et l'acide suceinique étaient des produits d’une fermentation parallèle à la 
fermentation alcoolique, la levûre de bière, selon toute probabilité, se trouverait mélangée à 
quelque autre levère pendant la fermentation. Mais les études microscopiques les plus multi- 
pliées m'ont appris que la levûre reste parfaitement homogène, sans aucun mélange, et que 
l'on n’y observe que des altérations dans la structure intérieure de ses globules. Si le micro- 
scope accuse autre chose que des globules de levûre de bière, on peut être assuré que c’est 
quelque nouvelle levüre qui a pris naissance par l'effet de circonstances accidentelles et 
anormales. La composition du milieu en avertit aussitôt. Les produits propres à ces levûres 
particulières se retrouvent en dissolution dans la liqueur. Mais l'acide succinique et la glycé- 
rine existent dans toutes les fermentations normales sans qu'aucune matière, différente de la 
levûre alcoolique, puisse expliquer leur formation. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


SJ 


fonction physiologique corrélative de leur vie la transformation du 
sucre, à peu près comme les cellules de la glande mammaire trans- 
forment les éléments du sang dans les divers matériaux du lait, corré- 
lativement à leur vie et aux mutations de leurs tissus. 

Mon opinion présente la plus arrêtée sur la nature de la fermen- 
tation alcoolique est celle-ci : L’acte chimique de la fermentation est 
essentiellement un phénomène corrélatif d’un acte vital, commencant 
et s’arrêtant avec ce dernier. Je pense qu’il n’y a jamais fermentation 
alcoolique sans qu'il y ait simultanément organisation, dévelop- 
pement, multiplication de globules, ou vie poursuivie, continuée, 
de globules déjà formés. L’ensemble des résultats de ce Mémoire 
me parait en opposition complète avec les opinions de MM. Liebig 
et Berzelius. 

Je professe les mêmes idées au sujet de la fermentation lactique, 
de la fermentation butyrique, de la fermentation de l’acide tartrique 
et de beaucoup d’autres fermentations proprement dites que j'étu- 
dierai successivement. 

Maintenant, en quoi consiste pour moi l’acte chimique du dédou- 
blement du sucre et quelle est sa cause intime ? J’avoue que je l’ignore 
complètement. 

Dira-t-on que la levûre se nourrit de sucre pour le rendre ensuite 
comme un excrément sous forme d'alcool et d’acide carbonique ? 
Dira-t-on au contraire que la levüre produit en se développant une 
matière telle que la pepsine, qui agit sur le sucre et disparaît aussitôt 
épuisée, car on ne trouve aucune substance de cette nature dans les 
liqueurs ? Je n’ai rien à répondre au sujet de ces hypothèses. Je ne 
les admets ni ne les repousse et veux m’efforcer toujours de ne pas 
aller au delà des faits. Et les faits me disent seulement que toutes 
les fermentations proprement dites sont corrélatives de phénomènes 
physiologiques. 


$ IX. — De la production accidentelle de l'acide lactique 
dans la fermentation alcoolique. 


J'ai rappelé au commencement de ce Mémoire l'opinion commune 
des chimistes sur la nature de l'acide que Lavoisier signala le premier 
parmi les produits de la fermentation alcoolique. Lavoisier croyait 
que c'était de l’acide acétique. Plus tard on le prit pour de Pacide 
lactique. 

La vérité est que l’acide lactique pas plus que l'acide acétique ne 
sont des produits de la fermentation alcoolique. Lorsque l’on trouve 


78 ŒUVRES DE PASTEUR 


de l'acide acétique, c'est que le liquide fermenté a eu le contact de 
l'air dans des conditions toutes particulières; quant à l’acide lactique, 
c'est un produit également accidentel. 

Les expériences les plus précises et les plus multipliées m'ont 
prouvé qu’il ne se forme pas la plus petite quantité d'acide lactique 
dans la fermentation alcoolique 1). 

Toutes les fois qu'il y apparaît, et le cas est des plus rares, à 
moins que l’on ne choisisse les conditions favorables, on peut être 
assuré que la levûre de bière est mêlée de levüre lactique. Les deux 
levûres vivant chacune pour son propre compte déterminent les 
transformations qui leur sont habituelles, et alors on trouve constam- 
ment dans le liquide fermenté, outre la glycérine et l'acide sucei- 
nique, de l’acide lactique et de la mannite, ainsi qu'un nouvel acide 
sur lequel j’appellerai bientôt l'attention des chimistes. 

D'ailleurs rien n’est plus facile que de reconnaitre par le micro- 
scope, après que la fermentation est terminée ou pendant qu’elle 
s’accomplit, si la levûre de bière est mêlée à de la levüre lactique. 
Celle-ci par sa forme, son volume, son fourmillement est tellement 
différente de la levüre de bière, qu'on la distingue aisément. On 
n'aurait de peine que dans le cas où l’on se serait servi de levûüre de 
bière brute, salie par des poussières ou des corps étrangers de la 
dimension des petits articles de la levüre lactique. Il faut alors une 
certaine habitude pour la reconnaître. Mais il est facile d'opérer avec 
de la levûre préalablement lavée; les poussières ou petits corps 
étrangers dont elle est mélangée sont éloignés par la décantation de 
l’eau de lavage ou se déposent les premiers au fond du vase. 

Le moyen chimique le plus exact de s'assurer de la présence ou 
de l’absence de l’acide lactique consiste à faire l’analyse complète du 
liquide fermenté. Cette analyse diffère peu de celle que l’on effectue 
pour séparer lacide succinique de la glycérine. Je vais l’exposer 
sommairement : j'y reviendrai dans un Mémoire détaillé sur les pro- 
duits de la fermentation lactique. 

Le liquide fermenté, évaporé avec soin, est traité par le mélange 
d’alcool et d’éther qui dissout la glycérine, l’acide succinique, l'acide 
lactique et le nouvel acide auquel j'ai fait allusion tout à l'heure. La 
mannite et les matières albuminoïdes restent insolubles. 


1. Les expériences de l'un des paragraphes précédents sur le dosage de l'acide carbonique 
dans la fermentation alcoolique suffisent pour établir qu'il ne se forme pas du tout d'acide 
lactique quand on les rapproche des dosages de l'acide succinique et de la glycérine. La plus 
faible production d'acide lactique serait accusée par une diminution sensible dans le volume 
de l'acide carbonique. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 79 


Cette solution complexe est évaporée et saturée par de l’eau de 
chaux pure. Après nouvelle évaporation, on reprend par le mélange 
éthéré qui dissout la glycérine. Le résidu insoluble est mis à bouillir 
avec de l’alcool à 90 ou 95° qui enlève le lactate de chaux et ne touche 
ni au succinate, ni à l’autre sel de chaux, tous deux insolubles dans 
l'alcool fort. 


$ X. — Des variations que l’on observe dans les proportions 
des produits de la fermentation. 


Dans les fermentations de sucre de canne, sous l'influence de la 
levûre de bière, les proportions de la glycérine peuvent varier 
de 2,5 à 3,6 pour 100 du poids du sucre ; celles de l’acide succinique 
de 0,5 à 0,7. Excepté le vin, où la proportion de ces substances 
paraît beaucoup augmentée, je n'ai jamais trouvé des nombres infé- 
rieurs Où supérieurs à ceux qui précèdent, Quant à la perte de sucre, 
je veux dire la quantité de sucre qui ne suit pas l’équation théorique, 
elle se trouve comprise entre 4,5 et 6 pour 100. 

Ces variations dans les proportions de glycérine, d’acide succi- 
nique,.…, qui en entraînent de correspondantes pour l'alcool et l'acide 
carbonique, soulèvent une question très importante que je regrette 
de ne pouvoir qu'effleurer, celle des causes de ces variations. Tout 
ce que je puis dire de général se résume dans les quelques propo- 
sitions suivantes 

Il se forme d’autant plus de glycérine et d’acide succinique, et 
d'autant moins d’alcool, que la fermentation est plus longue, qu'elle 
se fait avec de la levûre plus épuisée, moins jeune, ayant peu d’ali- 
ments et des aliments mal appropriés à la multiplication de ses 
globules, 

Les fermentations par ensemencement en présence d’une quantité 
plus que suffisante de matières albuminoïdes et minérales appro- 
priées à la nature des globules fournissent moins de glycérine et 
d’acide succinique et plus d’alcool. 

Une faible acidité de la liqueur m'a paru diminuer également les 
proportions de glycérine et d’acide succinique; cela se présente, par 
exemple, dans les cas où il prend naissance un peu de levüre lactique. 
Le contraire arrive si le milieu est neutre (1). 

Je dois dire cependant qu'il m'est arrivé de rencontrer dans 


1. Je donnerai ultérieurement les proportions d'acide suceinique et de glycérine formées 
dans la fermentation alcoolique en présence de la craie ou des alcalis. 


80 ŒUVRES DE PASTEUR 


certains cas, et sans que j'aie pu en deviner la cause, des exceptions 
à ces résultats généraux de mes analyses. Mais ce qui montre mieux 
que je n’ai saisi encore que par quelques côtés l’origine des chan- 
gements qui surviennent dans les proportions des divers produits 
de la fermentation, ce sont les résultats que j'ai obtenus dans l’étude 
du vin, où l’on trouve ordinairement de très fortes proportions de 
glycérine et d'acide succinique ; et pourtant la fermentation du moût 
de raisin s’accomplit dans un milieu acide, en présence de matières 
albuminoïdes et minérales qui paraissent on ne peut mieux appro- 
priées à la nature de la levüre alcoolique. - 


DEUXIÈME PARTIE 


CE QUE DEVIENT LA LEVURE DE BIÈRE 
DANS LA FERMENTATION ALCOOLIQUE. 


S 1. — Historique de l’état actuel de la science sur la levüre de bière 
et ses modifications pendant la fermentation alcoolique. 


Leeuwenhoek (!) en 1680 étudie la levûre de bière au microscope et la 
trouve formée de très petits globules sphériques ou ovoïdes. Mais la 
nature chimique de cette substance est inconnue. Dans un Mémoire 
sur les fermentations couronné en 1787 par l’Académie de Florence, 
et lu à la Société philomatique de Paris en 1799, Fabroni, savant 
italien, au milieu de beaucoup de vues et de faits erronés, rapproche 
et identifie même la levûre avec le gluten. C'était un progrès. Cela 
donnait une indication sur la place que doit occuper la levüre parmi 
les produits organiques. C'était l’assimiler aux matières dites alors 
animales, c’est-à-dire qui fournissent de l’ammoniaque à la distilla- 


tion (?). 


1. LEEUWENHOEK (A. van). Arcana naturæ detecta. Experimenta et contemplationes. 
Delphis Batavorum, 1695, 568 p. in-& (fig.). P. 6-16. (Note de l'Édition.) 

2. Voir le résumé critique du travail de Fabroni par Foureroy [Notice d'un Mémoire du 
cit. Fabroni sur la fermentalion vineuse, putride, acéteuse, et sur l’éthérification, lu à la 
Société philomatique le 3 fructidor, an VIT; et réflexions sur la nature et les produits de ces 
phénomènes]. Annales de chimie, XXXI, an VII, p. 299-327. 

« La fermentation n'est qu'une décomposition d’une substance par une autre, comme celle 
d'un carbonate par un acide, ou du sucre par l’acide nitrique... La matière qui décompose le 
sucre [dans l’effervescence vineuse] est la substance végéto-animale ; elle siège dans des utri- 
cules particulières, dans le raisin comme dans le blé. En écrasant le raisin, on mêle cette 
matière glutineuse avec le sucre, comme si on versait un acide et un carbonate dans un vase; 
dès que les deux matières sont en contact, l'effervescence ou la fermentation y commence, 
comme cela a lieu dans toute autre opération de chimie. » Fagroxt [p. 301-302]. 

Voici les réflexions de Foureroy sur la proposition de Fabroni relative au gluten : 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 81 


Cette assertion de Fabroni mit en quelque sorte à l'ordre du jour 
la question de la nature du ferment. 

On jugeait que Lavoisier avait résolu les difficultés de la fermen- 
tation pour ce qui regardait la matière fermentescible, mais on n'avait 
aucune idée sur la nature du corps qui provoquait le dédoublement du 
sucre. Aussi, en l’an VIII, une année après la publication en France 
du travail de Fabroni, la classe des sciences physiques et mathéma- 
tiques de l’Institut proposa pour sujet de prix la question suivante : 
« Quels sont les caractères qui distinguent dans les matières végétales 
et animales celles qui servent de ferment de telles auxquelles elles font 
subir la fermentation ? » Encouragé par cette proposition de l’Institut, 
M. Thenard essaya de résoudre le problème, et il publia en lan XI 
un Mémoire remarquable (!) dans lequel il s’occupe principalement de la 
nature du ferment, de son origine, de son altération pendant l’acte 
de la fermentation. En voici le résumé : 

Tous les jus sucrés naturels, mis en fermentation spontanée, 
donnent un dépôt qui a l'aspect de la levûüre de bière et, comme elle, le 
pouvoir de faire fermenter l’eau sucrée pure. Cette levüre est de 
nature animale, c’est-à-dire qu’elle est azotée et qu’elle donne beau- 
coup d’ammoniaque à la distillation. 

Pendant l'acte de la fermentation la levüre perd progressivement son 
azote et disparaît pour une partie se transformant en produits solubles. 

En réduisant les nombres de la seule expérience que rapporte 
M. Thenard à 100 parties, 20 parties de levûre de bière fraîche et 
100 parties de sucre ont laissé, après avoir fermenté complètement, 
13,7 parties d’un résidu insoluble, encore actif, et qui, épuisé par le 
contact d’une nouvelle quantité de sucre, s’est réduit à 10 parties. 
« Ce dernier résidu était blanc, présentait toutes les propriétés du 


« Je ferai remarquer que la substance glutineuse que le citoyen Fabroni regarde comme 
l'espèce de ferment constant du sucre ne paraît pas être la seule matière susceptible de cet 
effet; puisqu'il semble que la fécule, le mucilage, l’extractif même en petite proportion, sont 
également capables de faire fermenter le corps sucré, comme on le voit dans les sirops, les 
miels pharmaceutiques. Il est vrai que le citoyen Fabroni peut dire qu'il y a toujours plus ou 
moins de matière végéto-animale dans ces diverses substances, mais il manque à sa théorie 
d'avoir prouvé la présence de cette matière dans le moût de raisin et dans les sucres fermen- 
tescibles divers » [p. 317-318]. 

Dans ce travail de Fourcroy, je trouve le passage suivant : 

« Depuis l'époque de la nouvelle nomenclature, établie à la fin de l'été 1787, je m'étais 
élevé contre l'expression, de fermentation spéritueuse, puisque le mot d'esprit devait être 
désormais banni de la science. J'avais proposé les noms de fermentation vineuse ou de 
fermentation alcoolique » [p. 309]. 

L'expression de fermentation alcoolique aurait done été introduite dans la science par 
Foureroy en 1787. 

1. THexarp [Mémoire sur la fermentation vineuse]. Annales de chimie, XLVI, an XI, 
p. 294-320. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. | 6 


82 ŒUVRES DE PASTEUR 


ligneux et n’exerçait aucune action sur une nouvelle quantité d’eau 
sucrée. » Ces résultats, sur lesquels je reviendrai bientôt, ont passé 
dans tous les ouvrages et ont servi de base à toutes les discussions 
sur la théorie de la fermentation. Je dois ajouter tout de suite qu'il 
y à dans le Mémoire de M. Thenard et jusque dans la dernière édition 
de son Traité de chimie un passage curieux sur l’azote du ferment. 
« De nouvelles recherches, dit-il, dignes de toute l'attention des 
chimistes, doivent être faites sur la décomposition qu’éprouve le 
ferment. Il faudra voir ce que peut devenir l'azote du ferment 
décomposé. Il ne se trouve point mêlé au gaz carbonique; il n’entre 
point dans la composition de la matière blanche insoluble; il ne fait 
point partie d’une très petite quantité de matière très soluble que 
l’on trouve dans la liqueur avec lalcool. L'alcool n’en renferme pas; 
de sorte que la question de savoir ce que devient l’azote du ferment 
est encore à résoudre (1). » 

Bien que ce passage, ainsi que je le montrerai, renferme plusieurs 
erreurs, il témoigne de la préoccupation de M. Thenard sur l’azote 
du ferment, et de plus que cet éminent chimiste, qui avait fait une 
étude particulière du sujet, n’acceptait pas les opinions des auteurs 
sur la transformation de l’azote de la levüre en ammoniaque. 

C'est, à ce qu'il paraît, Dœbereiner (?) qui annonça le premier que 
l’azote de la levüre se trouvait dans la liqueur à l’état de sel d’ammo- 
niaque, assertion qui fut acceptée par tous les chimistes. Elle s’intro- 
duisit peu à peu dans les ouvrages élémentaires, celui de M. Thenard 
excepté. 

Quelques années après la publication du Mémoire de M. Thenard, 
Gay-Lussac fit connaître un résultat fort extraordinaire. En examinant 
les procédés de M. Appert pour la conservation des substances végé- 
tales et animales (*), il remarqua que du moût de raisin qui avait été 
conservé sans altération pendant une année entière entrait en fermen- 
tation quelques jours après avoir été transvasé. Ce fait, dû à Appert, 
conduisit Gay-Lussac aux expériences que tout le monde connaît, et 
desquelles il résulte « que l'oxygène est nécessaire pour commencer la 
fermentation, qu'il ne l’est point pour la continuer (#) ». 


Pour rencontrer un nouveau progrès digne d’être mentionné dans 


1. Tuexarp. Traité de chimie élémentaire, 6e édition. Paris, 1836, 5 vol. in-8. T. V, p. 65. 
2. DœBEREINER. Versuche über die Gährung. Journal für Chemie u. Physik, XX, 1817, 
) 


p. 213-214. 
3. ArperT. L'art de conserver, pendant plusivurs années, toutes‘les substances animales et 
végétales. Paris, 1810, in-8° (fig.). (Notes de l'Édition.) 


4. Gay-Lussac. Extrait d'un Mémoire sur la fermentation. Annales de chimie, LXXNI, 


1810, p. 246. 


TS 


‘ 


à RS Sn 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 83 


l’histoire de la fermentation, après les travaux qui précèdent, et celui 
de M. Colin que j'ai déjà mentionné, il faut arriver jusqu’en 1835 et 
1837, à M. Cagniard de Latour(!). Reprenant les anciennes observations 
microscopiques de Leeuwenhoek, très incomplètes et que d’ailleurs ilne 
connaissait pas, M. Cagniard de Latour introduisit dans les études qui 
nous occupent une idée nouvelle. Avant lui ?) la levüre avait été regar- 
dée comme un principe immédiat des végétaux, qui avait la propriété 
de se précipiter en présence des sucres fermentescibles. M. Cagniard 
de Latour reconnut « que la levûre était un amas de globules suscep- 
tibles de se reproduire par bourgeonnement, et non une matière 
simplement organique ou chimique, comme on le supposait ». 

De ses observations M. Cagniard de Latour avait conclu « que 
c’est très probablement par quelque effet de leur végétation que les 
globules de levüre dégagent de l'acide carbonique de la liqueur sucrée 
et la convertissent en liqueur spiritueuse (?) ». 


1. CaGnrARD DE Larour. Observations sur la fermentation du moût de bière. L'Institut, 
23 novembre 1836, IV, p. 289-390. — Mémoire sur la fermentation vineuse. Annales de chimie 
et de physique, 2: sér., LXVIII, 1838, p. 206-222. (Note de l'Édition.) 

2. Il serait injuste de ne pas rappeler, dans un historique sur la fermentation et à propos 
même des observations de M. Cagniard de Latour, les recherches microscopiques antérieures 
dues à M. Desmazières [Recherches microscopiques et physiologiques sur le genre Myco- 
derma. Annales des sciences naturelles, X, 1827, p. 42-67], et publiées dix années avant les 
travaux de M. Cagniard de Latour, dans les Annales des sciences naturelles. Il est vrai 
que M. Desmazières ne s’est pas occupé de la levûre proprement dite, mais il a le mérite 
d'avoir étudié au microscope et bien décrit la constitution de la pellicule qui se forme à la 
surface de la bière et que Persoon en 1822 avait appelée Mycoderma cervisiae. Le travail de 
M. Desmazières a dû mettre sur la voie de l'étude microscopique de la levüre de bière et 
aider à mieux voir et mieux comprendre sa struclure. À cette époque les recherches micros- 
copiques étaient bien plus difficiles qu'aujourd'hui, et M. Cagniard de Latour rapporte lui- 
même qu'en 1810, s'étant servi d’un microscope très imparfait, il avait cru que la levüre était 
comme un sable très fin composé de grains cristalloïides (Mémoire cité, p. 208, note 1). 
M. Desmazières reconnut que la pellicule en question était formée d’une multitude de capsules 
hyalines, ovoïdes, qui, d’après lui, peuvent se souder bout à bout pour former des tubes plus 
ou moins rameux, etc. Il reconnut de plus que ces globules sont doués de mouvements parti- 
euliers ; il est convaincu de leur vie animale et les range parmi les infusoires. Il est évident 
que M. Desmazières a confondu le mouvement brownien avec un mouvement vital réel. Les 
recherches de R. Brown n'ont été publiées qu’en 1828 [et 1830] : [Exposé sommaire des obser- 
vations microscopiques faites. sur les particules contenues dans le pollen des plantes, et sur 
l'existence générale de molécules actives dans les corps organisés et inorganisés. Annales des 
sciences naturelles, XIV, 1828, p. 341-362. — Remarques additionnelles sur les molécules 
actives. Zbid., XIX, 1830, p. 104-110]. C’est dans ses Remarques additionnelles que R. Brown 
rectifie ses premières impressions et s'arrête à l'opinion suivante : « Les particules extrème- 
ment délicates de la matière solide, soit qu'on les oblienne de substances organiques ou inor- 
ganiques, lorsqu'elles sont suspendues dans l'eau ou dans quelque autre fluide aqueux, 
présentent des mouvements qui, d'après leur irrégularité et leur indépendance apparente, 
ressemblent à un degré remarquable aux mouvements les moins rapides de quelques-uns des 
animalcules infusoires les plus simples » [p. 104]. Tel est le mouvement qu'offrent les globules 
de levûre, ou ceux plus petits qui les accompagnent quelquefois. Ce sont ces mouvements qui 
avaient induit en erreur M. Desmazières et plusieurs naturalistes avant lui. 

M. R. Brown lui-même est revenu à deux fois sur ces observations pour les bien 
comprendre. Ses premières impressions avaient été tout à fait erronées. 

3. CaGnraRD pe Larour. Mémoire sur la fermentation vineuse, p. 221. ” 


8% ŒUVRES DE PASTEUR 


Cette opinion trouva immédiatement dans M. Liebig un puissant 
contradicteur. 

A ses yeux, le ferment est une substance excessivement altérable, 
qui se décompose et qui excite la fermentation par suite de laltération 
qu'elle éprouve elle-même, en ébranlant par communication et désas- 
semblant le groupe moléculaire de la matière fermentescible. Après 
avoir rappelé les propriétés de la levüre, il s'exprime ainsi : « Les faits 
que nous venons d'exposer démontrent l'existence d’une cause nouvelle 
qui engendre des décompositions et des combinaisons. Cette cause 
n'est autre chose que le mouvement qu’un corps en décomposition 
communique à d’autres matières dans lesquelles les éléments sont 
maintenus avec une très faible affinité... La levüre de bière et en 
général toutes les matières animales et végétales en putréfaction 
reportent sur d’autres corps l’état de décomposition dans lequel 
elles se trouvent elles-mêmes ; le mouvement qui par la perturbation 
de léquilibre s’imprime à leurs propres éléments se communique 
également aux éléments des corps qui se trouvent en contact avec 
elle e 0) 


1. Lræe1c. [Sur les phénomènes de la fermentation et de la putréfaction, et sur les causes 
qui les provoquent]. Annales de chimie et de physique, ? sér., LXXI, 1839, p. 178. 

Liegic. Lettres sur la chimie, traduction française. Paris, 1845, in-16. 16° lettre. 

Liegrc. Nouvelles lettres sur la chimie. Paris, 1852, in-16. 28e lettre. 

Lue816. Traité de chimie organique. Paris, 1841-1843, 3 vol. in-&. Introduction, p. 29. 


Note sur le mémoire de M. Cagniard de Latour et l'observation de Gay-Lussac 
sur l'influence de l'oxygène dans la fermentation. 


Lorsque M. Cagniard de Latour eut fait connaître ses premières observations, quelques 
personnes, comme cela n'arrive que trop souvent, essayèrent d'en diminuer le mérite et répan- 
dirent le bruit que ces résultats avaient été déjà publiés en Allemagne par le docteur Schwann. 
Il est bien avéré, en effet, que MM. Cagniard de Latour et Schwann arrivèrent chacun de 
son côté presque à la même époque aux mêmes conséquences sur la nature de la levüre. Mais 
il n'est pas moins certain que la priorité de publication appartient à M. Cagniard de Latour. 
Voici un passage extrait du Mémoire de M. Schwann [Vorläufige Mitteilung betreffend 
Versuche über die Weingährung und Fäulniss. Annalen der Physik u. Chemie, XLI, 1837, 
p. 184-193] : « Cette dissertation est la reproduction sans changements de celle qui fut lue dans 
les premiers jours de février de cette année (1837) en mon nom par le professeur Müller à Ja 
réunion de la Société des Amis des sciences naturelles à Iéna. Bientôt après je reçus l’Institut 
du 23 novembre 1836 où je vis que M. Cagniard de Latour avait fait des observations 
analogues sur la fermentation [du moût] de bière qui m'étaient restées inconnues jusqu'alors. » 

Mais le travail de Schwann renferme des observations précieuses qui jettent beaucoup de 
jour sur l'origine des fermentations spontanées et qui permettent d'interpréter autrement que 
ne l’a fait Gay-Lussac les expériences d'Appert. 

M. Schwann répète les expériences d'Appert en modifiant le procédé sur un point essentiel. 
Au lieu de se borner à chauffer en vases elos à la température de 100 des liquides fermentes- 
cibles, il les place en contact avec de l'air ordinaire préalablement calciné. Même après 
plusieurs semaines, il ne s'y développe aucune fermentation ou putréfaction. On pouvait 
croire, et l'on croyait en effet, que dans l'expérience d’Appert l'oxygène de l'air des vases se 
concrétait, se combinait avec la matière organique. D'autre part, si l'on admet que l'oxygène 
est nécessaire pour provoquer la fermentation ou la putréfaction, il est facile de se rendre 
compte de la conservation des matières organiques par la méthode d’Appert. Il suffisait de 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 85 


Il résulte des études historiques récentes insérées par M. Chevreul 
au Journal des savants, cahier de février 1856 [p. 99], que Stahl avait 
déjà émis des idées analogues à celles de M. Liebig sur les causes de 
la fermentation. 

M. Liebig a développé ses opinions dans la plupart de ses ouvrages 
avec une persistance et une conviction qui peu à peu les ont fait 
triompher. Aujourd’hui elles sont admises généralement en Allemagne 
et en France. MM. Fremy et Boutron les ont appliquées à la fermen- 
tation lactique avec une modification qui a été généralement adoptée. 
L'idée dominante de leur travail est celle-ci : Dans les matières 
capables d’agir comme ferment, le caractère de fermentation varie 
avec le degré d’altération de la substance. Elle est à diverses époques 
de sa décomposition ferment alcoolique, ferment lactique..., suivant 
l’état plus ou moins avancé de son altération. 

Les idées de M. Liebig ont été également développées et soutenues 
d’une manière exclusive dans le bel ouvrage que M. Gerhardt a laissé 
en mourant (!. 

A mon sens, voici surtout la cause du succès graduel que les idées 
de M. Liebig ont acquis auprès des chimistes. Depuis vingt ans on a 


dire que ce procédé a pour résultat de faire disparaitre tout l'oxygène de l'air par combinaison 
avec la matière organique. C'était bien là, en effet, l'explication de Gay-Lussac : «€ Quoi qu'il 
en soit, dit-il, il me semble que l'on peut parfaitement concevoir la conservation des substances 
animales et végétales par le procédé de M. Appert. Ces substances, par leur contact avec l'air, 
acquièrent promptement une disposition à la putréfaclion ou à la fermentation; mais en les 
exposant à la température de l'eau bouillante dans des vases bien fermés, l'oxygène est 
absorbé, produit une nouvelle combinaison qui n’est plus propre à exciter la fermentation et 
la putréfaction ou qui devient concrète par la chaleur de la même manière que l'albumine. » 
[Gav-Lussac. Extrait d’un Mémoire sur la fermentation. Annales de chimie, LXXVT, 
1810, p. 255.] 

La modification apportée par Schwann à l'expérience d’Appert rend inadmissible l'expli- 
cation de Gay-Lussac, puisque dans l'expérience de Schwann il y a une quantité quelconque 
d'oxygène en contact avec la matière animale ou végétale; seulement cet oxygène appartient 
à de l'air calciné. Dès lors la théorie la plus naturelle paraît être celle-ci : L'air renferme 
quelque chose qui provoque la fermentation ou la putréfaction. Ce quelque chose, germes, 
ozone, particules solides, fluides..., est détruit par la chaleur. Voilà pourquoi par la méthode 
d'Appert ou par celle de Schwann on préserve de toute altération les matières fermentescibles 
ou putrescibles. De même il est présumable que si l'expérience de Gay-Lussac sur les grains 
de raisin a réussi, c'est que Gay-Lussac en introduisant la bulle d'air ou d'oxygène a mis 
en contact avec le moût ce quelque chose dont nous parlons, et c’est ce quelque chose qui 
a fait naître la fermentation, et non l'oxygène comme il le croyait. 

Le docteur Schwann ne cite pas les expériences d’Appert. J'ai dû réparer cet oubli. Les 
expériences de ce savant physiologiste ne sont que la reproduction de celles d’'Appert et de 
Spallanzani (*), modifiées d’une manière ingénieuse et décisive, 

Toutes les fois qu'on le peut faire, il est utile de montrer la liaison des faits nouveaux avec 
les faits antérieurs de même ordre. Rien de plus satisfaisant pour l'esprit que de pouvoir 
suivre une découverte dès son origine jusqu'à ses derniers développements. 

(*) Dans le texte des Annales de chimie et de physique, Pasteur ne mentionne pas Spallanzani. (Note 
de l'Édition.) 


+ 


1. Germanpr (Ch.). [Traité de chimie organique. Paris, 1856, 4 vol. in-8?]. Tome IV, p. 537. 


86 ŒUVRES DE PASTEUR 


découvert un grand nombre de phénomènes que l’on range à côté de 
la fermentation alcoolique proprement dite et dans lesquels il a paru 
impossible de reconnaitre l’existence de végétations cryptogamiques 
particulières, mais dans toutes il y avait une matière, ayant eu vie, en 
voie d’altération. Et, par exemple, qu’on place du sucre dissous addi- 
tionné de craie avec une matière animale azotée quelconque, le 
caséum, le gluten, la fibrine, la gélatine, la présure, une membrane 
animale..…., on voit peu à peu le sucre devenir acide lactique. Or 
ces matières animales sont de structure, de nature, de formes très 
diverses, et l'effet définitif sur le sucre est le même. Il n’y a qu’une 
chose qui paraît être semblable dans ces matières azotées, c’est leur 
décomposition graduelle. La corrélation se montre donc entre la 
transformation du sucre en acide lactique et une altération, un mou- 
vement de décomposition. 

Des recherches de M. Colin sur la fermentation alcoolique, et qui 
datent de 1825, avaient déjà établi des faits analogues sur la fermen- 
tation alcoolique. Ce chimiste avait reconnu que les matières animales 
les plus diverses pouvaient provoquer le dédoublement du sucre en 
alcool et en acide carbonique (11. 

Cependant une circonstance remarquable aurait dù éveiller latten- 
tion et commander la prudence, au moins en ce qui concerne la fermen- 
tation alcoolique. En effet, apres la publication des observations de 
M. Cagniard de Latour, M. Turpin, qui avait été chargé d’en faire un 
rapport à l'Académie }, étudia, sur la demande de M. Thenard, le dépôt 
qui se forme dans la fermentation alcoolique du sucre par la décoction 
du blanc d'œuf, et trouva qu'il était constitué uniquement par des 
globules de levüre de bière. 

Si l’une des matières employées par M, Colin, l’albumine, ne provo- 
quait la fermentation alcoolique qu’en donnant naissance à de la levûre, 
il était présumable que toutes les autres substances azotées se compor- 
taient de même, et dès lors leur diversité ne prouvait rien quant à la 
théorie de M. Liebig. 

Mais je me hâte d'ajouter que rien de pareil n'existait, on le croyait 
du moins, dans les cas très divers et très nombreux de fermentation 
lactique. Tous les observateurs s'accordent à dire qu'il n’y a qu'une 
altération chimique de la matière animale. Les faits relatifs à cette 
fermentation et à plusieurs autres phénomènes du même ordre eurent 


dès lors une influence décisive sur la théorie. 


1. Gouin. Mémoire sur ka fermentation du sucre. Annales de chimie et de physique, 2 sûr., 
XXVIII, 1825, p. 128-142. — Mémoire sur la fermentation. 1bid., XXX, 18%, p. 42-64. 
2, Comptes rendus de l’Académie des sciences, VIT, 1838, p. 227-2392. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 87 


C'est ainsi que l’idée de M. Cagniard de Latour qui avait eu d’abord 
un certain crédit fut abandonnée peu à peu. On ne contestait pas, 
beaucoup de personnes du moins, que la levûre de bière fût organisée, 
mais on croyait qu'elle se détruisait en partie par la fermentation, 
comme l'avait dit M. Thenard, et que, ressemblant en cela à toutes les 
autres matières azotées jouant le rôle’ de ferment, c'était à cette 
propriété qu'elle devait son action sur le sucre. Telle est la pensée de 
M. Liebig. 

Berzelius ne partageait pas les idées de M. Liebig, tout en rejetant 
celles de MM. Cagniard de Latour et de Schwann. Pour lui la fermen- 
tation était une action de contact. Il ne croyait même pas à l'existence 
d’un organisme vivant dans la levüre. « Celle-ci n’était qu'un produit 
chimique qui se précipitait dans la fermentation de la bière et qui 
prenait la forme ordinaire des précipités non cristallins, même inor- 
ganiques, de petites boules qui se groupent les unes à la suite des 
autres en forme d’une chaîne de perles (1). » 

Aïlleurs il s'exprime ainsi : « Il est clair que, lorsque des produits 
de corps organisés se décomposent dans l’eau et que des matières 
dissoutes se précipitent, ces dernières doivent affecter une forme, et 
que, comme plusieurs d’entre elles n’affectent pas de formes géomé- 
triques régulières, il doit en résulter d’autres formes dépendantes de 
la nature de ces corps qui influent aussi dans la nature vivante à l'égard 
de la détermination de ces formes, d’où il est tout naturel qu'elles 
imitent les formes les plus simples des productions de la vie végétale. 
Cependant la forme seule ne constitue pas encore la vie (°).» 

Disons maintenant quelques mots de la composition chimique de la 
levûre. Dans le bel ensemble de travaux qu'il publia sur le dévelop- 
pement des végétaux, M. Payen donna pour composition immédiate de 


la levüre : 


1. BerzeLius. Rapport annuel sur les progrès de la chimie. Traduction par Ph. Plantamour, 
Paris, 1845, in-8°, p. 277. 

Dans ses importants écrits sur la fermentation, M. Mitscherlich n'hésite pas à admettre que 
la levûre soit réellement organisée. Néanmoins il partage les vues de Berzelius sur la manitre 
d'agir de la levüûre vis-à-vis du sucre. M. Mitscherlich [Sur les réactions chimiques produites 
par les corps qui n'interviennent que par leur contact. Annales de chimie et de physique, 
3e sér., VII, 1843, p. 30-31] s'exprime ainsi: « Les globules de ferment se comportent 
donc vis-à-vis du sucre ou vis-à-vis du sucre et de l’eau, qui contiennent les éléments de 
l'acide carbonique et de l’alcool, absolument comme l'éponge de platine à l'égard de l'eau 
oxygénée. » 

Cette opinion a été plus récemment émise par M. Berthelot, qui l’a en outre, ce me semble, 
quelque peu associée aux idées de M. Liebig. Je montre dans la seconde partie de mon travail 
que les faits sur lesquels s'appuie M. Mitscherlich sont entiérement controuvés. 

2. BerzeLius. Rapport annuel sur les progrès de la chimie. Traduction par Ph. Plantamour. 
Paris, 1845, in-8°, p. 304. ; 


88 ŒUVRES DE- PASTEUR 


Matière azotée [et traces de soufre]. . . . . . 62,73 
Enveloppes de cellulose. . . . . Se ee ce 29,37 
DUDSIANCES IP TASSES 2,10 
Matières minérales . . . . . . SCORE. 5,80 


100,00 (1). 


L'analyse élémentaire a fourni, comme on devait s’y attendre, des 
résultats qui ont varié avec les différents observateurs, suivant les 
modes de lavage et de purification qu'ils ont employés et avec l’origine 
de la levûre soumise à leurs analyses, , 


Dumas (Traité de Chimie) [?|. 


Carbone 5 ANSE “00500 
Hydrogène: F1 NE MCE EE TE 123 
AZOE, ss LAN M PR CRE Pete 15,0 
ORNE PER CRE EE RE l 
DOUTE Abu tree so ee let Me D DTA 
Phosphorens: CENTRE Sec in \ 
100,0 
MirscuerLicn (Eléments de Chimie) [3]. 
Carbone SERRE MES SR OT (1) 
ÉYUPODÈNE SR CC CT EEE 6,6 
ATOS : à Da La à etes UD DENON CNE 10,0 
SOUITE : LU  T  R ET 0,6 
Un peu de phosphore 
Oxyrene OR R ER 35,8 
100.0. 
SCHLOSSBERGER ({). 
LEVURE SUPÉRIEURE LEVURE INFÉRIEURE 
CR. CS RS CR  — 
Carbone RE 50:05 49,84 48,03 47,93 
KHVALOPEDEER EEE 6,52 6,70 6,25 6,69 
AZOTE EN ORNE 31,59 31,02 35,92 35,61 
(DEFENSE à he PAARS 12,44 9,80 9,77 
100,00 100,00 100,00 100,00. 


Dans les analyses de MM. Dumas et Schlossberger les cendres 
sont déduites. Le travail de M. Schlossberger sur la composition de 
la levûre est très soigné et forme un complément indispensable de 
l'analyse de M. Payen. Car, en profitant de l’action de la potasse pour 


1. Payex. Mémoires sur les développements des végétaux. 3° mémoire : Cellulose. (Eu 
en 1839). Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des sciences, IX, 1846, p. 82. 

2. Dumas. Traité de chimie appliquée aux arts. Paris, 1828-1846, 8 vol. in-8°. Tome VI, 
p. 316. 

3. Mrrscnercicu. Éléments de chimie, traduits par B. Valérius. Bruzelles. 1835, 2 vol. 
in-8°. (Notes de l'Édition.) 

4. ScHLOSsBERGER (J.). [Ueber die Natur der Hefe, mit Rücksicht auf die Gährungs- 
erscheinungen]. Annalen der Chemie u. Pharmacie, LI, 1844, p. 193-212. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 89 


dissoudre les matières azotées de la levûre, il parvient à les séparer 
presque entièrement et à isoler ainsi la cellulose qu'il transforme par 
les acides en sucre fermentescible; puis, précipitant par les acides les 
matières enlevées par la potasse, il fait voir par l'analyse qu’elles se 
rapprochent beaucoup plus que la levûre de la composition moyenne 
des matières dites albuminoïdes; qu’elles sont plus riches que la 
levûre en carbone, en azote et en hydrogène. J'ai vérifié l’exactitude 
des résultats de M. Schlossberger. 

M. Mitscherlich(!) a donné de très bonnes analyses des cendres de 
la levüre : 


LEVURE LEVURE 

supérieure inférieure 
Acide in ee te co SG 39,5 
Bofasses RE D a Does lt an NO 28,3 
SOU se Re JPÉUONETE » » 
Phosphate de magnésie (2MgO, PhOï) SC 1109 22,6 
Phosphate de chaux BICAONPRO) EEE DS 9,7 

100,7 100,1 
Proportion pour 100 de cendres, . . . . . . . . 7,65 7,51: 


Il faut noter l'excellente méthode que M. Mitscherlich a mise en 
œuvre pour brûler la levûre. La matière était placée dans une nacelle 
d'argent, laquelle était introduite dans un tube de verre et chauffée . 
dans un courant d'oxygène. Mais, comme au contact du verre l'argent 
s’oxyde, la nacelle d’argent reposait sur une autre nacelle de platine. 
Tant qu’il se dégage des produits de distillation, on fait passer du gaz 
acide carbonique, on termine par le courant d’oxygène. 

Je vais maintenant présenter les résultats de mes propres recherches 
sur la nature de la levüre et les transformations qu’elle éprouve 
pendant la fermentation alcoolique. 


II. — L'azote de la levûre ne se transforme jamais en ammontiaque 

s dj 1} 
pendant la fermentation alcoolique. Loin qu'il se forme de l’ammo- 
niaque, celle que l’on ajoute peut même disparaitre. 


J'ai rappelé les observations de M. Thenard sur la levüre. Entre 
autres résultats, il reconnut : 1° qu’une partie de la levûre disparaissait 
pendant la fermentation, c’est-à-dire que M. Thenard a recueilli après 
la fermentation moins de levûre qu'il n’en avait employé. Ce fait est 
exact dans les conditions de son expérience, mais sa signification 
n'aura de valeur et ne sera comprise que par les explications dont je 
l’accompagnerai bientôt. 2° M. Thenard ne trouva pas d’azote dans la 


1. Mrrscnerzicx. [Asche der Hefe und des Biers]. 1bid., LVI, 1845, p. 556. 


90 ŒUVRES DE PASTEUR 


levûre après la fermentation; ceci est une erreur grave, et on pourrait 
s'étonner à juste titre qu'elle eût échappé à un expérimentateur de 
l’habileté de M. Thenard. Mais il faut se rappeler l’état de la science à 
l’époque où M. Thenard publia ses recherches. Alors on constatait la 
présence ou l’absence de l’azote dans les matières organiques par la 
distillation de la substance, et on répondait aflirmativement sur l’exis- 
tence de cet élément quand la distillation avait fourni de lammoniaque. 
La levûre épuisée n’en donna pas. Le résidu du liquide fermenté 
évaporé n’en donna pas davantage, et M. Thenard, fort surpris de ces 
résultats, se demande où peut être l’azote de la levüre. Il le cherche 
dans l’acide carbonique dégagé; mais, comme Pavait déjà vu Lavoisier, 
ce gaz est complètement absorbable par la potasse. Il le cherche dans 
l’alcool sans plus de succès. Qu'est-il donc devenu? Et d’après un 
passage que j'ai rapporté précédemment, ces préoccupations de 
M. Thenard le poursuivent jusque dans les dernières éditions de son 
Traité de chimie. 

L’explication me paraît assez simple. Nous verrons dans un para- 
graphe suivant, par l’examen détaillé de la levüre solide et de ses 
parties solubles après la fermentation, que les éléments du sucre se 
fixent en proportion notable sur la levüre et les principes solubles du 
résidu du liquide fermenté. D'autre part, nous savons que Pextrait du 
liquide fermenté renferme de la glycérine et de l’acide succinique. IL 
est très probable que dans les expériences de M. Thenard les acides 
formés par la glycérine et les autres matières provenant du sucre, 
pendant la distillation même, ont saturé l’ammoniaque et masqué sa 
présence. 5 

M. Thenard fut bien près de sortir d’embarras. Car il ajoute une 
phrase qui trahissait ses doutes et indiquait la manière dont ils 
auraient pu être levés. 

« J'ai fait cependant, ajoute-t-il, plusieurs autres expériences qui 
jusqu'ici tendent à prouver que l’azote peut exister dans une matière 
sans qu’on puisse le reconnaître en la distillant; que, par conséquent, 
il peut se faire que ce soit un principe constituant des végétaux, 
quoiqu’ils ne donnent pas en général d’ammoniaque par la distillation. 
Mais je n’ai point encore répété ces expériences, et l’on ne saurait 
mettre trop de réserve dans leur annonce (1). » 

Dæœbereiner (?) écarta, mais par des expériences inexactes, les diffi- 


1. THexarp. Mémoire sur la fermentation vineuse. Aznales de chimie, XLVI, an XL 
p. 314. 

2. DœnrereNEr. Versuche über die Gährung. Journal fur Chemie uw, Physik, XX, 1817, 
p. 213-214. (Notes de l'Édition.) 


nn 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 91 


cultés soulevées par le Mémoire de M. Thenard. Il annonça que sur un 
point ce chimiste s’était trompé et que le résidu soluble du liquide 
fermenté renfermait l'azote du ferment à l’état d’ammoniaque. À partir 
de cette indication, tous les ouvrages répétèrent à l’envi que l’azote 
de la levüre disparaissait peu à peu durant la fermentation, que la 
levûre, comme l'avait dit M. Thenard, devenait semblable au ligneux, 
et que la portion altérée et soluble renfermait tout l’azote à l’état de 
sel d’ammoniaque, d’où les alcalis pouvaient facilement la séparer. 

Les résultats de Dœbereiner sont erronés. Le résidu soluble du 
liquide fermenté ne renferme pas la plus petite quantité d’ammoniaque 
provenant de l’azote de la levüre. L’azote qu'il renferme est entie- 
rement sous la forme de matière albuminoïde très altérable par les 
alcalis, et dégageant même à froid de lammoniaque par la potasse, la 
chaux, la baryte. C’est là ce qui a trompé Dœbereiner. 

Mes propres expériences sur l'azote du ferment n’ont acquis toute 
la précision désirable que lorsque j’eus connaissance des excellents 
procédés de dosage de l’ammoniaque exposés par M. Boussingault 
dans ses Mémoires et dans ses remarquables leçons du Conservatoire 
des Arts et Métiers où j'ai pu assister à tous les détails des opérations. 
L'indication la plus précieuse de M. Boussingault pour les recherches 
que j'avais entreprises est la suivante : la magnésie calcinée décom- 
pose à l’ébullition les sels d’ammoniaque, et ne dégage pas d’ammo- 
niaque des matières organiques azolées les plus altérables par la 
chaux, la potasse ou la baryte. Dans les conditions de mes études ce 
résultat est d’une exactitude irréprochable. 

Cela posé, voici quelques analyses des liquides de fermentation. 
Elles montrent clairement qu'il ne se forme pas la plus petite quantité 
d’ammoniaque pendant l’action de la levûre. 

Le 18 janvier 1858, je mets à fermenter 100 grammes de sucre avec 
un litre d’eau tenant en dissolution les principes solubles de la levüre 
de bière et une quantité à peine sensible de globules de levüre frais. 
Un dosage fait à part sur une autre portion d’un litre de ce liquide 
apprend qu'il renferme 0 gr. 038 d'ammoniaque. Le 5 février, la 
fermentation est terminée. L’ammoniaque est dosée, en opérant sur 
tout le liquide; il ne reste plus que 0 gr. 020 d’ammoniaque, c'est-à- 
dire moins d’ammoniaque qu'à l’origine. 

Le 30 avril, je mets également à fermenter 100 grammes de sucre, 
mais cette fois avec de la levûre ordinaire employée en très petite 
quantité, afin que la fermentation dure longtemps et de maniere à me 
placer dans des conditions différentes de celles de l'expérience précé- 
dente. J'ajoute seulement 1 gr. 037 de levüre (poids de matière desseé- 


92 ŒUVRES DE PASTEUR 


chée à 100°), Le 30 août, la fermentation est encore sensible. Un tube 
abducteur adapté au flacon de fermentation a toujours plongé dans 
l’eau. Le liquide fermenté n’est étudié que le 27 novembre. On trouve 
que tout le liquide ne renferme que 0 gr. 0008 d’ammoniaque, et il est 
très probable qu'il n’y en avait pas du tout, et que cette quantité si 
minime d’ammoniaque provient d’une erreur de dosage ou d’une faible 
réaction de la magnésie sur les matières albuminoïdes du liquide 
fermenté. : 


10 grammes de sucre ont été mis à fermenter avec 
200 centimètres cubes d’eau de levûre limpide renfermant 
0 gr. 0075 d’ammoniaque et une trace de levüre fraiche. 


Six jours après on trouve, en opérant sur toute la liqueur, qu’elle 
renferme 0 gr. 0005 d’ammoniaque. 

La constance des résultats de ces expériences et de beaucoup 
d’autres semblables ne laisse pas de doutes sur le fait principal. Il ne 
se forme pas la moindre quantité d’ammoniaque, dans la fermentation 
alcoolique, aux dépens de la levûre. Mais ces résultats vont plus loin : 
ils accusent une disparition d’une portion de l’'ammoniaque existant 
dans la liqueur primitive. Cette dernière circonstance m'engagea à 
ajouter directement de l’ammoniaque, afin de mieux étudier le phéno- 
mène. Les expériences suivantes ont été faites dans cette direction : 


100 grammes de sucre, 


10 grammes de levûre lavée en pâte, 
Ogr.200 tartrate d’ammoniaque (gauche), renfermant 
O gr. 0185 d'ammoniaque. 


La fermentation dure très longtemps. Lorsqu'il n’y a plus du tout 
de sucre à l'essai par la liqueur cuivrique, le liquide est étudié. Il ne 
renferme que 0 gr. 0015 d’ammoniaque. 

J’ai retrouvé d’ailleurs l'acide tartrique gauche libre dans la liqueur 
avec tous ses caractères. Ainsi presque toute l’ammoniaque ajoutée à 
l’état de tartrate d’ammoniaque a disparu, et, en outre, celle qui 
existait dans les 10 grammes de levûre. 

Dans l'expérience suivante, je me suis servi de tartrate droit 
d’ammoniaque : 


19 gr. 979 sucre sont mis à fermenter avec 
200 grammes eau, 
O gr. 523 levüre, contenant 0 or. 179 de matière sèche. 


J'ajoute d’autre part 0 gr. 475 tartrate droit d’ammoniaque repré- 
sentant 0 gr. 088 d’ammoniaque. 


I NO it 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 93 


Un mois après, la fermentation est terminée. Il reste 0 gr. 071 
d’ammoniaque; Ogr.017 ont donc disparu, c’est-à-dire le cinquième 
de la quantité totale employée. 

En résumé, nous voyons que, bien loin qu’il se forme de l’ammo- 
niaque dans la fermentation alcoolique, celle que l’on ajoute peut 
disparaître, dans les cas surtout où il y a insuffisance de principes 
albuminoïdes solubles par emploi d’une petite quantité de levüre de 
bière. 

Les études du paragraphe suivant vont nous apprendre que l’ammo- 
niaque qui disparaît ainsi entre dans la constitution de la levûre à 
l’état de matières albuminoïdes. 


$ III. — Production de levüre dans un milieu formé de sucre, 
dun sel lammoniaque et de phosphates. 


Des expériences inédites faites à l’origine de mes recherches sur 
les produits gazeux de la fermentation, dans des distilleries de grains 
et de betteraves, m’avaient prouvé que l’acide carbonique des cuves 
est à peu de chose près complètement absorbable par la potasse. Dans 
plusieurs essais où j'avais recueilli chaque fois de 60 à 70 litres de gaz 
en quelques heures à l’aide d’un appareil à potasse qui dissolvait le 
gaz au fur et à mesure de son dégagement, j'ai trouvé que le gaz 
carbonique de ces grandes fermentations industrielles, accomplies en 
présence des sels ammoniacaux naturellement contenus dans les 
liqueurs, renfermait un dix-millième environ de son volume d’azote (1). 


1. La description de l'appareil qui m'a servi dans cette occasion pourra peut-être avoir 
quelque utilité. 
B. Ballon rempli d’une solution très concentrée de potasse caustique et 


de la capacité de 2 litre à 1 litre. 

F. Flacon servant à recevoir la potasse de B pendant l'arrivée des bulles 
d'acide carbonique dont la dissolution n'est pas immédiate. 

E. Entonnoir renversé dans la euve de fermentation et qui conduit le gaz 
carbonique dans le vase B par le tube de caoutchouc abe et 
le tube de verre def. 

R. Robinet de sûreté pour le maniement de l'appareil. 

On adapte le caoutchouc au robinet lorsque 
la potasse remplit le tube fed et après que 
tout l'air a été chassé de l'entonnoir et du 
tube abc. 

La quantité d'acide carbonique est déterminée 
très exactement par la différence de poids de 
tout l'appareil avant et après l'expérience. 

Cet appareil ne peut guère être utilisé pour Fic. 2. 
des fermentations en petit, parce que le déga- 
gement et la pression du gaz sont trop faibles pour empêcher tout passage de la potasse de 4 
vers € à travers le robinet. 3 


9% ŒUVRES DE PASTEUR 


+ 


60 à 70 litres du gaz laissent un résidu de 7 à 8 centimètres cubes 
non absorbables par la potasse. Ces expériences mériteraient d’être 
reprises dans les conditions des expériences du paragraphe précédent. 
Je crus néanmoins pouvoir inférer de leurs résultats, sans autre véri- 
fication, que l’azote de lPammoniaque qui disparaît dans la fermen- 
tation alcoolique ne se dégage pas à l’état gazeux. 

Guidé par ces indications, je me demandai, quelque peu fondée que 
pouvait paraître cette présomption, si dans les conditions de la fermen- 
tation l’'ammoniaque ne formerait pas de la matière albuminoïde par 
une sorte de copulation avec le sucre, de manière à entrer dans la 
composition de la levüre, ce qui expliquerait le fait de sa disparition 
en tant qu'ammoniaque. 

C’est ainsi que je fus conduit aux résultats suivants, qui montre- 
ront toute la puissance d'organisation de la levüre et qui mettront 
fin, ce me semble, aux discussions sur sa nature : 

Dans une solution de sucre candi pur, je place d’une part un sel 
d’ammoniaque, par exemple du tartrate d’ammoniaque, d’autre part la 
matière minérale qui entre dans la composition de la levûre de bière, 
puis une quantité pour ainsi dire impondérable de globules de levüre 
frais. Chose remarquable, les globules semés dans ces conditions se 
développent, se multiplient et le sucre fermente, tandis que la matière 
minérale se dissout peu à peu et que l’ammoniaque disparaît. En 
d’autres termes, l’'ammoniaque se transforme dans la matière albumi- 
noïde complexe qui entre dans la constitution de la levüre, en même 
temps que les phosphates donnent aux globules nouveaux leurs prin- 
cipes minéraux. Quant au carbone, il est évidemment fourni par le 


sucre. 
Voici, par exemple, la composition d’une des liqueurs employées : 


10 grammes sucre candi pur. 
Cendres de 1 gramme de levüre obtenues au moufle d’un fourneau 


de coupelle. 

0 gr. 100 tartrate droit d’'ammoniaque. 

Traces de levüre de bière fraiche, lavée, de la grosseur d’une tête 
d’épingle, à l’état frais, humide, perdant 80 pour 100 d’eau à 100e. 


Dans un pareil mélange, le vase étant rempli jusque dans le goulot 
et bien bouché, ou muni d’un tube à gaz plongeant dans l’eau pure, 
la fermentation se déclare. Après vingt-quatre à trente-six heures, la 
liqueur commence à donner des signes sensibles de fermentation par 
un dégagement de bulles microscopiques, qui annoncent que le liquide 


Rome) 
est déjà saturé d'acide carbonique. Car je ne crois pas que la fermen- 


D UE 


e 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9 


tation se manifeste par un dégagement de gaz apparent avant que cette 
condition de saturation soit remplie. 

Les jours suivants, le trouble de la liqueur augmente progressi- 
vement, ainsi que le dégagement de gaz qui devient assez sensible pour 
que la mousse remplisse le goulot du flacon. Un dépôt couvre peu à 
peu le fond du vase. Observée au microscope, une goutte de ce dépôt 
offre une belle levüre très ramifiée, extrêmement jeune d’aspect, 
c’est-à-dire que les globules sont gonflés, translucides, non granuleux, 
et l’on distingue parmi eux, avec une facilité surprenante, chaque 
globule de la petite quantité de levüre semée à l’origine. Ces globules 
sont à enveloppe épaisse, se détachant en cercle plus noir; leur contenu 
est jaunâtre et tout granuleux ; mais la manière dont ils sont quelque- 
fois entourés par les globules jeunes indique bien nettement qu’ils 
ont donné naissance à ceux de ces derniers qui forment les têtes 
des chapelets. 

C’est dans les premiers jours qu’il faut faire ces observations inté- 
ressantes : le soir, à la lumière vive du gaz, les vieux globules se 
distinguent des jeunes infiniment plus nombreux, comme on distin- 
guerait une bille noire au milieu de beaucoup de billes blanches. 

Peu à peu les différences s’effacent et les globules nouveaux 
dissociés ont perdu toute apparence ramifiée; on ne voit plus de 
bourgeons. Les globules sont très granuleux à la manière de la levûre 
de bière adulte ou épuisée. 

Il ne faudrait pas croire néanmoins que la fermentation devienne 
jamais aussi active que si, au lieu d’ammoniaque pour aliment azoté 
des globules’ semés, on se servait d’une matière albuminoïde appro- 
priée, comme celle du raisin, du jus de betteraves, ou la partie soluble 
de la levûre de bière ordinaire. Sème-t-on dans de l’eau sucrée, mêlée 
d’un peu de ces matières albuminoïdes, des globules de levûüre frais, 
les phénomènes généraux seront en tous points les mêmes que ceux 
que je viens de décrire, mais la fermentation sera très sensiblement 
plus active. Par exemple, au lieu de se déclarer après trente-six à 
quarante-huit heures, les premières petites bulles d’acide carbonique 
apparaissent déjà au bout de douze à vingt-quatre heures. En outre, la 
quantité de levûre formée et déposée dans le même temps est bien 
supérieure; mais, je le répète, tout est pareil avec une énergie plus 
grande, et les produits formés sont rigoureusement les mêmes. 

Rien n’est curieux comme cette influence de la nature azotée et 
minérale du milieu sur l’activité de la fermentation. J'ai fait à cet 
égard des expériences multipliées dont je rapporterai quelques 
résultats. L'un des plus intéressants est relatif à l'emploi de lalbu- 


96 ŒUVRES DE PASTEUR 


mine du blanc d'œuf. J'ai été fort surpris de trouver cette matière 
tout à fait impropre à nourrir les globules de levûre de bière. Que 
l’on dissolve du sucre dans de l’albumine d’œufs frais délayée dans 
l’eau et filtrée, rendue où non très peu acide, que l’on ajoute une très 
petite quantité de levüre de bière, les globules semés ne se dévelop-. 
peront pas du tout; il n’y aura pas trace de fermentation (!). 

On sait pourtant par les expériences de M. Colin et de M. Thenard 
qu'une décoction d’albumine sucrée et abandonnée à elle-même 
fermente et qu’il s’y forme, d’après M. Turpin, de la levüre alcoolique 
ordinaire; mais, comme l’ont bien remarqué MM. Thenard et Colin, 
cet effet ne se produit qu'au bout de trois semaines ou un mois à une 
température de 30 à 35°, et à partir de ce moment la fermentation 
est toujours fort lente. Or, en étudiant la liqueur pendant linter- 
valle de temps qui précède la fermentation alcoolique, il est facile de 
reconnaître qu'il s’y forme des productions diverses, infusoires ou 
mucédinées, et je ne doute pas que l’albumine, modifiée quelque peu 
dans sa nature par ces matières, ne devienne peu à peu apte à nourrir 
de la levûre de bière. 

Les choses se passent bien différemment avec le sérum du sang 
ou les liquides exprimés des muscles. Le sérum limpide, incolore, 
étant additionné de sucre et de quelques globules de levûre, permet 
à ceux-ci de se développer avec une merveilleuse facilité, et le sucre 
fermente presque aussi facilement que si l’on se servait d’un jus sucré 
naturel ou d’eau de levûre limpide. Ce n’est pas, je pense, que l’albu- 
mine du sérum ait une nature différente de celle du blanc d'œuf; je 
crois que cela tient à d’autres matières albuminoïdes qui accompagnent 
l'albumine dans le sang et qui sont par leur nature individuelle propres 
à la nourriture des globules de levüre. Voici ce qui m'engage à adopter 
cette opinion. 

J'ai fait coaguler du sérum incolore, puis je l'ai mis à bouillir avec 
de l’eau, et après filtration, à limpidité parfaite, pour séparer l’albumine 
coagulée, j'ai dissous du sucre dans le liquide filtré et ajouté quelques 
globules frais. Ceux-ci se sont multipliés et il y a eu fermentation 
alcoolique très bien caractérisée. 

J'ai fait la même expérience avec de l’eau bouillie sur du blanc 
d'œuf et je n’ai pas obtenu du tout de fermentation. 

Ces expériences ont été répétées maintes fois et ont donné toujours 
les mêmes résultats. 

Quoi qu'il en soit, n'est-il pas bien remarquable de voir un sel 


1. Voir des expériences analogues de M. Boucrarpar [Mémoire sur les ferments alcooliques: 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, XVIII, 1844, p. 1120]. 


à 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 97 


d’ammoniaque capable de servir à la nourriture des globules de levûre, 
leur fournir leurs principes albuminoïdes, et l’albumine pure du blanc 
d'œuf y être entièrement impropre ? On comprend ainsi que la distance 
peut être grande entre les diverses espèces de ce groupe générique 
désigné par l'expression de matières albuminoïdes ou protéiques. J'ai 
remarqué également que certaines matières protéiques sont bien plus 
que d’autres favorables au développement de la levüre lactique : par 
exemple, les parties solubles du gluten, de la caséine, le résidu azoté 
des liquides qui ont subi la fermentation alcoolique. ............. 
Lors même que l'on sème des globules de levüre de bière dans les 
solutions aqueuses de ces produits, où lon a préalablement fait 
dissoudre du sucre, il n’est pas rare de voir la fermentation alcoolique 
s'accompagner de fermentation lactique, c’est-à-dire qu'il se déve- 
loppe spontanément (par l'effet du contact de l'air à l’origine) de la 
levüre lactique qui agit pour son propre compte sur le sucre, paralle- 
lement à la levûre alcoolique. 

L'influence du milieu, de l’appropriation de la matière azotée et des 
matières minérales à la vie de la levûre se manifeste encore d’une autre 
manière qui n’est pas moins démonstrative ; je veux parler de la 
fermentation spontanée des liquides sucrés sans addition préalable 
d’une levûre déterminée. 

Tout le monde sait que le jus de raisin abandonné à lui-même 
éprouve après quelques heures la fermentation alcoolique, et il est 
excessivement rare qu'elle soit compliquée d’une autre fermentation, 
par exemple, de la fermentation lactique. La même chose arrive au jus 
de betteraves, s’il a été rendu acide, suivant la pratique de 
M. Dubrunfaut, à la manière des jus des fruits acides. Mais ici déja 
on rencontrerait assez fréquemment, j'en ai beaucoup de preuves, la 
production de fermentations parallèles et simultanées avec leurs 
levüres spéciales. 

Se sert-on d’eau de levûüre, c’est-à-dire de la partie soluble de la 
levüre de bière filtrée à limpidité parfaite, puis additionnée de sucre 
et abandonnée à elle-même, il y aura presque toujours fermentation 
alcoolique, c’est-à-dire formation spontanée de levüre de bière, s'il y 
a eu contact de l’air à l’origine. Très rarement, quoique j'en aie vu 
plusieurs exemples dans le cours de mes recherches, il ne se produira 
que des levûres lactique, butyrique,.…; mais ce qui est fréquent dans 
ces conditions, c’est la formation simultanée de la levûre alcoolique et 
de la levûüre lactique, et l’on peut même en quelque sorte faire prédo- 
miner telle ou telle de ces levüres, selon qu’on emploie de l’eau de 
levûüre fraîche ou de l’eau de levûre altérée. L'eau de la levüre altérée, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. { 


98 ŒUVRES DE PAS!REUR 


quoique parfaitement limpide et obtenue après ébullition, sera bien 
plus propre à la formation de la levûre lactique. 

Ces résultats seraient bien plus saillants encore si l’on faisait 
intervenir des changements dans les conditions, soit primordiales, 
soit permanentes, de neutralité ou d’alcalinité des milieux. 

On aurait pu croire que dans ces phénomènes la nature de la 
matière albuminoïde, indépendamment de son association ou de sa 
combinaison avec les substances minérales, jouait le principal rôle. 
Mais voici des faits qui montrent clairement que la présence et la 
qualité des éléments minéraux ne sont pas moins essentielles que 
celles qui concernent les éléments organiques. Vient-on, en effet, à 
supprimer la matière minérale dans la composition du milieu formé 
d’eau sucrée, d’un sel d’ammoniaque et de cendres de levüre, les 
globules semés ne se multiplient pas du tout, et il ne se manifeste 
aucun mouvement de fermentation. Bien plus, si l’on modifie la nature 
des principes minéraux, que l’on enlève, par exemple, les phosphates 
alcalins, la marche de la fermentation est très sensiblement modifiée 
et ralentie. 

Le phosphate de magnésie employé seul ne donne pas les mêmes 
résultats que les cendres de levüre brute. Des changements se mani- 
festent lorsqu'on se sert de cendres de levûre fondues au rouge blane 
(ce qui a chassé en partie les alcalis) ou simplement frittées par une 
chaleur modérée. C’est dans ces dernières conditions que la marche 
de la fermentation est la plus rapide et la plus régulière. 

On peut s'assurer par des essais du même genre que le sel 
d’ammoniaque est indispensable. Les globules de levûre semés dans 
de l’eau sucrée mêlée de cendres de levûre ne donnent lieu à aucune 
fermentation sensible. Elle n’est pas cependant tout à fait nulle; elle 
donne quelquefois une fraction de centimètre cube de gaz, ce qui doit 
tenir à l’ammoniaque de l’eau distillée ou à la proportion infiniment 
petite de matière albuminoïde qu'apporte la semence. 

L'intervention nécessaire du sucre, qui seul peut fournir le 
carbone des globules de levüre, est assez prouvée dans ces expé- 
riences pour que je ne m'y arrête pas. Ainsi tout concourt à l’accom- 
plissement du phénomène de la fermentation: le sucre, la matière 
azotée, la matière minérale. 

L'influence de la semence n’est pas moins certaine. C’est à tel 
point que, si elle est supprimée, il y a fermentation également, mais 
jamais je n’ai vu un seul globule de levüre de bière prendre naissance, et 
seulement des infusoires, les plus petits de tous, et de la levüre lactique 
avec la fermentation qui est corrélative de son développement. 


nb. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 99 


D’où vient cette absence complète de levûre de bière dans ces 
dernières dispositions des expériences ? Tous les faits que j'ai 
rapportés précédemment le disent assez. C’est que le milieu ne 
convient pas suffisamment à la propagation de cette levüre. Il n’y à 
aucune impossibilité matérielle à ce que la levûre de bière se forme. 
bien qu'on n’en sème pas. Elle apparaît en effet spontanément par le 
contact de l’air dans le moût de raisin, dans le jus de betteraves, etc. ; 
mais le milieu formé de sucre, de phosphates et de sel d’ammoniaque 
lui convient assez peu, pour que sa production spontanée soit impos- 
sible, bien que ce même milieu puisse entretenir la vie et le dévelop- 
pement de la levüre adulte que lon y sème. Plus approprié, au 
contraire, paraît-il, à la levüre lactique et aux infusoires, ce milieu 
particulier et presque tout minéral permet la formation de ces 
dernières productions, si la liqueur a eu le contact de l’air commun. 

Fait-on bouillir quelques minutes le mélange et y laisse-t-on 
rentrer de l’air calciné, il ne surgit aucun organisme, aucun mouve- 
ment de fermentation d'aucun genre. 

Tous ces faits, qui éclairent, ce me semble, d’un jour nouveau les 
phénomènes des fermentations serviront à comprendre une parti- 
cularité fort ordinaire dans les fermentations qui s'effectuent au sein 
d’un milieu formé d’eau sucrée, de sel d’ammoniaque, de phosphates 
et de semences de levûre de bière: c’est la naissance fortuite de la 
levüre lactique et d’infusoires. Ces derniers disparaissent prompte- 
ment, on ne les voit que dans les premiers jours; mais la levûre 
lactique persiste et se multiplie, et souvent même elle finit par agir à 
peu près seule, parce que l'acidité croissante qu’elle apporte dans la 
liqueur nuit beaucoup à la levûre de bière. Le fait du mélange des 
deux levüres, bien qu’on n’ait semé que de la levûre de bière, tient à 
la nature du milieu, plus propre au développement de la levüre lactique 
qu'à celui de la levüre alcoolique, puisque, dans le cas de fermentation 
spontanée, la levüre alcoolique n’y apparaît jamais. 

Cela posé, je vais donner l’analyse détaillée d’une fermentation 
accomplie dans un milieu composé d’eau, de sucre candi pur, de 
tartrate d’ammoniaque et de cendres de levüre, blanches, fondues et 
pulvérisées. 

Le 10 décembre 1858, à midi, on place à l’étuve : 


10 grammes de sucre, 

100 centimètres cubes d’eau, 

0 gr. 100 de tartrate droit d'ammoniaque, 

Cendres de 1 gramme de levüre, 

Traces de levüre fraîche (de la grosseur d'une tête d'épingle). 


Le 
\ D 


100 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le 11, à 4 heures du soir, en observant attentivement sur le fond du 
vase la place où est tombé le petit fragment de levüre ajoutée, on voit 
Sélever continuellement des bulles gazeuses d’une ténuité extrême. 
Le phénomène est continu en cet endroit. Ailleurs, sur le fond du 
flacon, de temps à autre seulement une bulle de gaz s'élève très petite 
et très rare. En outre, dans la masse du liquide, quelques petits flocons 
nagent suspendus à diverses hauteurs par de très petites bulles de gaz 
adhérentes. 

À 7 heures du soir, le même jour, fermentation bien plus sensible, 
quoique toujours des plus faibles. Déja un peu de mousse dans le 
goulot au niveau du liquide. Des bulles partent des divers points du 
fond du vase. Le 12, fermentation très sensible : beaucoup de mousse 
et déjà un dépôt sensible sur le fond ; liquide troublé par la levüre 
en suspension qui est très belle et offre les caractères que j'ai déjà 
décrits. 

Le 13. le 14, le 15; fermentation active, mais les jours suivants elle 
se ralentit peu à peu, bien qu’elle soit toujours continue. 

En examinant le liquide de temps à autre, en janvier, il est visible 
que de la levüre lactique a pris naissance et qu’elle va en augmentant 
ainsi que l'acidité de la liqueur. 

Voyant que la fermentation lactique nuit à la fermentation alcoolique, 
je mets fin à l'expérience et j'étudie la liqueur. Une portion a fourni 
une quantité très sensible d'alcool qui n’a pas été dosée. 

L'analyse, par la liqueur de cuivre, de la quantité de sucre restant, 
a montré que 4gr. 5 de sucre avaient fermenté, c'est-à-dire qu'il en 
restait 5 gr. 9. 

En saturant 10 centimètres cubes par l'eau de chaux titrée, 
on a trouvé qu'il s'était formé une quantité d’acide équivalente à 
0.597 d'acide sulfurique, ce qui fait à peu près 1 gramme d'acides orga- 
niques ; quantité considérable, qui montre bien que la fermentation 
alcoolique avait dévié de sa direction première. 

J'ai déterminé la quantité d’ammoniaque en opérant sur 90 centi- 
mètres cubes du liquide fermenté. J'ai trouvé de cette manière qu'il 
avait disparu 0 gr. 0062 d'ammoniaque. La levüre recueillie tout 
d’abord sur un filtre taré et desséché à 100° pesait 0 gr. 043. Je me suis 
assuré que toute la cendre de levüre employée avait été dissoute 
pendant l'opération. Le poids 0,043 est donc le poids réel de levûre 
formée prise à l'état sec. 

Afin de reconnaître la nature de l'acide, une portion du liquide 
fermenté est évaporée, reprise par de l’éther à plusieurs fois, évaporée 
de nouveau, saturée par l’eau de chaux, évaporée encore et traitée par 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 1401 


l’alcool, qui a donné un précipité très faible, cristallin, mais non 
douteux, de succinate de chaux dont j'ai retiré de l’acide succinique 
cristallisé, si facile à reconnaitre, même en opérant sur une quantité 
très minime de ce produit. 

Le liquide alcoolique a donné une cristallisation abondante de 
lactate de chaux mélangé d’une petite quantité du sel de chaux auquel 
j'ai déjà fait allusion précédemment; il n’était pas douteux, par le 
volume de la cristallisation du lactate de chaux, que la plus grande 
partie de l’acide de la liqueur était de l’açide lactique. 

J'ai transformé une portion de ce sel en lactate de zinc facile à 
caractériser par sa forme cristalline. 

Enfin, dans le résidu traité par l’éther et laissé insoluble par ce 
liquide, j'ai très nettement distingué au microscope un précipité 
cristallin ayant exactement la forme de la mannite et une saveur 
sucrée, ce qui éloignait le doute pouvant provenir de la présence de 
l'acide tartrique dans le résidu. Quant à la glycérine, elle a été mise 
en évidence dans ce résidu après un traitement par le mélange 
d’alcool et d’éther. 

Tous ces résultats, de la plus rigoureuse exactitude, bien que la 
plupart aient été obtenus en agissant sur des poids de matière très 
faibles, établissent la production des levûres alcoolique et lactique et 
des fermentations particulières qui leur correspondent dans un milieu 
formé uniquement de sucre, d’un sel d’ammoniaque et d'éléments 
minéraux. 

Dans ce Mémoire, je n’ai voulu mettre en évidence que ce résultat. 

Je publierai ultérieurement un travail spécial sur la fermentation 
alcoolique accomplie dans ces conditions, et j’étudierai alors parti- 
culièrement la nature des matières albuminoïdes de la levüre formées 
à l’aide du sucre et de l’ammoniaque (!). 


1. M. Dumas, lorsque j'eus l'honneur de lui communiquer de vive voix la première annonce 
des faits dont il a été question dans ce chapitre, fut très frappé du rôle individuellement 
nécessaire des sels d'ammoniaque, des phosphates et des matières hydrocarbonées pour la vie 
et la multiplication des globules de levûre. Et rapprochant de la levûre les plus jeunes tissus 
des végétaux : « Je comprends, me dit-il, qu'il y ait toujours réunis, dans les sèves des végé- 
taux, du sucre, des sels d'ammoniaque et des phosphates. Ce doit être à leur aide que se forme 
la cellule. » J'ai eu l’occasion de relire dans le cours de mes recherches les remarquables 
travaux de M. Payen [Loc. cit.] sur la composition des végétaux, et je dois avouer que les 
nombreux rapports que l'on peut établir entre la levûre et les cellules des jeunes organes des 
plantes se présentaient à chaque instant à mon esprit. 

Le lecteur fera bien de rapprocher aussi des recherches qui précèdent les travaux de 
M. Mirbel sur le cambium et les écrits plus récents sur le rôle des phosphates dans la vie des 
plantes. - 


102 ŒUNRES DE PASTEUR 


$ IV. — Ætude des rapports de la levure et du sucre. 
Ce que devient l'azote de la levûre pendant la fermentation alcoolique. 


Nous voici arrivés à un point très délicat de ces recherches, je veux 
parler des rapports qui s’établissent entre le sucre et la levüre. 

Il ne sera guère question ici que des rapports matériels, mais ce 
sont ceux-là qu'il faut évidemment consulter avant d’aborder les 
rapports plus intimes, les rapports physiologiques. 

Je donnerai en premier lieu quelques détails sur la structure des 
globules de levûre de bière. 

Les globules de levüre sont formés, à n’en pas douter, de petites 
vésicules à parois élastiques, pleines d’un liquide qui est associé à 
une matière molle plus ou moins granuleuse et vacuolaire logée de 
préférence immédiatement au-dessous de la paroi; mais elle gagne 
peu à peu le centre à mesure que le globule vieillit. 

La paroi de la cellule est élastique. En effet, quand une goutte 
d’eau remplie de jeunes globules de levüre se dessèche sur une lame 
de verre posée sur le porte-objet du microscope, le retrait de la goutte 
qui se divise par l'introduction de l'air amène des pressions des 
globules les uns contre les autres, et on les voit alors se déformer et 
devenir plus ou moins polyédriques. 

Le contenu des globules, surtout le contenu central, est liquide : 
cela est prouvé par la présence dans la plupart des globules adultes 
d’une ou de plusieurs granulations intérieures, agitées du fourmil- 
lement propre au mouvement brownien. Il serait assez difficile de 
dire si c’est un mouvement brownien réel. La cause de ce mouvement, 
probablement toute physique, est trop peu connue encore pour que 
l’on sache si elle peut agir ou non à travers l'enveloppe des globules 
sur les granulations les plus libres du centre de ces globules. Quoi 
qu'il en soit, le fait que je signale ne permet pas de douter de l’état 
plus ou moins liquide de l’intérieur des globules. 

Le bourgeonnement des globules, qui constitue l’importante 
découverte de M. Cagniard de Latour, se fait, d’après M. Mitscherlich, 
comme le représente le passage de la figure 3 à la figure 4, c’est-à-dire 
que le nouveau globule débute par une simple proéminence. Mes 
propres observations m'ont convaincu de l’exactitude de cette opinion 
de M. Mitscherlich. J'ai vu cela maintes fois de la façon la plus nette. 
Bientôt le petit bourgeon, tout en restant attaché, soudé au gros, 
parait avoir son enveloppe propre et constituer à lui seul un globule 
réel. Les mouvements du liquide ne peuvent le détacher que quand il 


Te 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 103 


a pris à peu près le volume du globule-mère. Jusque-là sa soudure est 
assez intime et résistante. 

Le bourgeon est-il né, comme quelques personnes le prétendent, 
par l'effet du contact, de la pression contre la paroi interne d’une des 
granulations du globule ? Je n’ai rien vu qui autorise cette opinion, et 
je la crois inexacte. 

D'une part, les globules translucides, sans granulations appa- 
rentes, sont de tous les globules les plus propres au bourgeonnement ; 
d’autre part, le développement des granulations paraît lié à l’âge plus 


RiGue: Frc. 4. Fr. 5. Fi. 6 (1). 


ou moins avancé des globules, et il y en a d'autant plus que le globule 
est plus vieux, moins actif, moins capable de bourgeonner. 

Je ne crois pas davantage à un fait admis par M. Mitscherlich, et 
déjà avancé par MM. Cagniard de Latour et Turpin, à savoir que les 
globules de levüre crèvent souvent et épanchent leur contenu granu- 
liforme qui répand dans le liquide des séminules, lesquelles gros- 
sissent et deviennent des globules de levüre ordinaire. 

Je puis affirmer que jamais dans le cours de trois années des 
observations les plus assidues et les plus multipliées sur la levüre de 
bière, dans les conditions les plus extrêmes de son développement, je 
n'ai une seule fois rencontré ce fait. I y a une circonstance bien déci- 
sive contre lui, c’est le volume uniforme des globules d'une levüre en 
voie d'action sur le sucre. Ceux qui sont de taille inférieure à la 
moyenne ne sont pas libres, mais fixés à des globules plus gros sous 
forme de bourgeons. Or il est clair que, si la levüre se reproduisait 
par les granulations épanchées des gros globules, on aurait toutes les 
tailles des globules parmi ceux qui sont libres. 

Les auteurs allemands, M. Mitscherlich entre autres, distinguent 
deux espèces de levüre. Ils appellent l’une levüre supérieure, l'autre 
levûre inférieure, cette dernière, servant à la fabrication de la bière 
de Bavière, se produisant et agissant à une plus basse température 


1. La figure 6 représente un globule de levûre dans lequel les granulations intérieures se 
sont amassées vers la paroi centrale de l'enveloppe de manière à laisser en quelque sorte deux 
cavités libres. On a figuré dans chacune de ces cavités une petite granulation isolée. Quand 
les choses se présentent ainsi, et cela est très fréquent, les petites granulations libres sont 
agitées vivement d’un mouvement de fourmillement pareil au mouvement brownien. Il n'y à 
souvent qu'une cavité. C’est ce mouvement de la granulation qui me parait prouver que la 
cavité est pleine d’un liquide assez fluide. - 


10% ŒUVRES DE PASTEUR 


que l’autre. La levüre supérieure serait plus active. Les chimistes 
allemands disent que cette seconde espèce de levûre bourgeonne, et 
que c’est ainsi qu'elle se reproduit; mais la levüre inférieure se déve- 
lopperait, suivant eux, par les granulations épanchées des globules 
arrivés à maturité (1). = 

Je n’oserais aller trop loin dans mon opinion sur des faits que je 
n'ai peut-être pas été à même de rencontrer dans mes recherches, 
avec les caractères particuliers sous lesquels on a pu les étudier en 
Allemagne. Cependant je ne puis m'empêcher d'émettre des doutes 
sur l'existence de ces deux espèces de levûre de bière. 

La levüre est quelquefois plus légère, quelquefois plus lourde. 
Elle est plus légère quand elle est jeune. La vieille est plus 
lourde et plus portée à se tasser. Elle ne contient presque pas de 
liquide à l’intérieur de ses globules tout remplis de granulations. 
La différence m'a paru toujours très marquée entre la densité de 
la levüre jeune et [celle] de la levüre vieille plus ou moins épuisée, et 
nul doute que par le mouvement gazeux des cuves il n’y ait, à la 
surface de la levüre jeune, active, propre au bourgeonnement, et au 
fond de la levüre vieille, de plus lente action sur le sucre ; mais ce 
sont là deux levüres identiques, à deux époques différentes de leur 
vie et de leur action. 

Toutes les études que j'ai faites m’obligent à rejeter l'opinion de 
l'existence de deux levüres ayant des modes de reproduction diffé- 
rents, et j'ai la confiance qu’en reprenant l’examen attentif des levres 
supérieure et inférieure, on arrivera à partager mon sentiment. 

Je ne nie d’ailleurs aucun des effets propres attribués aux 
levres supérieure et inférieure. Mes recherches servent plutôt à les 
expliquer ©). 

Suivons maintenant la levûre depuis le moment où elle est mise 
en présence du sucre. 

Placée dans l’eau pure ou dans l’eau sucrée, la levûre cède une 
partie de ses principes liquides ou solubles qui se répandent dans la 
liqueur. Il est bien facile de s’en convaincre. Si la levûre est délayée 
avec de l’eau froide ou chaude, que l’on filtre, il y aura des matières 


1. Mirscuerzicx. Sur la fermentation. [Journal de pharmacie, IN, 1843, p. 216-221, et 
Annalen der Physik u. Chemie, LIX, 1843, p. 94-101.] 

2, J'ai déjà fait remarquer qu'il résultait de mes analyses des fermentations alcooliques que 
la levûre de bière âgée, granuleuse, qui a perdu de son activité par un commencement d'épui- 
sement, soit en dédoublant du sucre, soit en transformant ses propres tissus comme je l'expli- 
querai plus loin, fournit plus de glycérine et d'acide succinique et moins d'alcool que la levüre 
jeune, turgide, translucide, peu granuleuse. On comprend facilement qu'à ses divers âges, la 
levûre ait des manières de vivre un peu différentes, indépendamment des modifications que la 
nature du milieu et les conditions extérieures peuvent provoquer. 


La 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 105 


albuminoïdes et minérales dans la liqueur filtrée. Or nous savons que, 
prises à part, ces matières mélées avec du sucre et à une trace de 
levüre fraiche font développer et multiplier celle-ci, et que le sucre 
fermente. Le même effet se produira évidemment avec plus d'intensité 
et d'énergie quand on laissera dans la liqueur toute la levûre. 

L'expérience de production de la levûre et de fermentation , du 
sucre dans un milieu formé de sucre, de sel d’ammoniaque, de phos- 
phates nous a montré clairement que la levûre vivait et faisait 
fermenter le sucre dès qu'elle était en présence : 

1° Du sucre, 

2° D'une matière azotée, 

3 De matières minérales phosphatées. 

Or la levûre porte en elle-même ces principes azotés et minéraux 
immédiatement solubles, au moins partiellement, de telle sorte qu’au 
moment où elle est ajoutée à de l’eau sucrée, elle a exactement tout 
ce qu'il lui faut pour vivre. 

Jamais le sucre n'éprouve la fermentation alcoolique sans que des 
globules de levüre soient présents et vivants; et réciproquement il ne 
se forme de globules de levûre de bière sans qu'il y ait présence de 
sucre où d’une matière hydrocarbonée et sans qu'il y ait fermentation 
de ces matières. Ce que l’on a écrit de contraire à ces principes repose 
sur des expériences inexactes ou incomplètes. 

Tous les ouvrages de chimie présentent la fermentation alcoolique 
comme pouvant s'accomplir dans deux circonstances très distinctes, 
suivant que la levûre est ajoutée à de l’eau sucrée pure ou à de 
l'eau sucrée mélangée de matières albuminoïdes : dans le premier 
cas, dit-on, le ferment agit, mais ne se reproduit pas ; dans le second 
il agit, mais se reproduit : c’est le cas de la fabrication de la bière. 

« Si la fermentation, dit M. Liebig, était une conséquence du déve- 
loppement et de la multiplication des globules, ils n’exciteraient pas 
la fermentation dans l’eau sucrée pure, qui manque des conditions 
essentielles à la manifestation de l’activité vitale. Cette eau ne ren- 
ferme pas la matière azotée nécessaire à la production de la partie 
azotée des globules. Dans ce cas, ajoute-t-il, les globules déterminent 
la fermentation, non parce qu’ils continuent de se développer, mais 
par suite de métamorphoses de leur partie interne azotée qui se 
décompose en ammoniaque et en d’autres produits, c’est-à-dire par 
suite d’une décomposition chimique qui est tout l'opposé d’un acte 
organique (!l). » 


1. Lixpre. Nouvelles lettres sur la chimie. Paris, 1852, in-16, 28e lettre, p. 31-32. (Note de 
l'Édition.) " 


106 ŒUVRES DE PASTEUR 


Les faits que j'ai rapportés tout à l'heure sont en opposition évi- 
dente avec cette manière de voir, et j'ai la certitude que les phéno- 
mènes sont à peu de chose près les mêmes, que la levûre soit employée 
dans l’eau sucrée pure ou dans l’eau sucrée mêlée de matières albu- 
minoides. Dans les deux cas la levûre s'organise et se multiplie : 
seulement dans le premier, lorsque la fermentation est terminée, tous 
les globules, jeunes et vieux, sont privés de matière azotée soluble. 
Ce qu'il y avait d’aliment azoté sous cette forme s’est fixé à l’état inso- 
luble sur les globules de formation nouvelle. L'ensemble de ces 
globules n'a donc pas d’action possible sur de l’eau sucrée pure. IL 
ny a plus d’aliment azoté pour les globules qui seraient assez jeunes 
pour agir et se multiplier encore. Au contraire, dans le cas de la 
fermentation en présence d’une matière albuminoïde, il y a bien des 
globules qui s’épuisent, mais la plupart des nouveaux sortent du 
liquide remplis de matières azotées et minérales et tous propres à 
vivre à l’aide de ces aliments dans de nouvelle eau sucrée. 

D’autres observations, dont on a exagéré l'importance sans en 
vérifier l'exactitude, ont contribué à jeter dans ces études une grande 
obscurité. On trouve dans le Mémoire de M. Thenard que 20 parties 
de levüre de bière et 100 de sucre ont laissé, après avoir complè- 
tement fermenté, 13,7 parties d’un résidu insoluble qui, mis en 
contact d’une nouvelle quantité de sucre, s’est réduit à 10 parties (1). 
Nous verrons tout à l'heure combien cette observation est incomplète 
et erronée, prise dans ces termes exclusifs. 

Quoi qu'il en soit, tout le monde pensait que, dans la fermen- 
tation avec levûre et eau sucrée, une partie de la levüre se détruit, 
et l’on ajoutait : Combien n'est-ce pas différent de ce qui se passe 
lorsque la levüre est placée dans de l’eau sucrée mêlée de matières 
azotées? Par exemple, dans la fabrication de la bière « le ferment, 
loin de se détruire, se développe par bourgeonnement et augmente 
considérablement en proportion. C’est que les matières albuminoïdes 
de la liqueur sont propres à la nutrition des globules et le brasseur 
retrouve six à sept fois plus de levüre qu'il n’en a mis ». 

Tout cela a été bien mal interprété. Pour ce qui est de la quantité 
de levûre que le brasseur retrouve à la fin de l'opération, on aurait 
pu dire tout aussi bien qu'il en recueille un nombre quelconque 
de fois plus qu'il n’en a employé; car si le brasseur n’ajoutait que 
quelques globules de levüre, il y aurait fermentation, dépôt de levûre 


1. Cette dernière phrase se trouve dans LreriG : Sur les phénomènes de la fermentation et 
de la putréfaction, et sur les causes qui les provoquent. Annales de physique et de chimie, 
2e série, LXXI, 1839, p. 178. (Note de l'Édition.) 


107 


S 


l 


SPONTAN 


DITES 


ENERATIONS 


RMENTATIONS ET 


FI 


aUU009 BJ 8P S91QUIOU 80 ‘III 10 II SS ‘OrJd oif ILO A ‘XUEUO 9PeJEUTDONS O[ ANS 29XH 2A1JOUIXO o1@17eu op sprod e7 sed puerdi 


££T'I 


£0£ 


‘UOTJEJUATIOF Ua 
ASTUL 
91NA9T 9p 
sprod oç ans 


OtIMOS 97799 9p 


MEILEIUHEE): 
anonbi] 2] SUBp JuBsa 
9A1J9BAYX9 
açqnjos orjaed ®7 ep 79 
uOtJeJUaue; EL soie 
aysodop 
91NA90[ E[ 0p sprod sop 
HWNOS 


IA 


(,) ger'o 
‘PI 
‘QUIUI9IPP UON 
189°0 
96 ‘0 
080 
‘QUHHAIIPP UON 
618°0 


02€ & 


‘18 


‘10419,p 79 
1009[8,Pp 2SuUBIQUI 0[ SUEP 
o[quIosut Ja 
gquomiop eprnbry 91 surp 
jurJsax 


21NA9I EL 0p e[quios orqavd 


‘J1U1)X9,1 0p 
SUIOd 


A 


066 ‘0 


c£e ‘0 


gge ‘y 
100 & 


‘ge 


06& 


15 


“001 © 29499sSap 


uotjv}ueurtey 1 soude 


29S0(19p 


91NA9[ EI 9P 


SdiOd 


AI 


93£ 0 
6690 
867 I 


“0007 e 


AITNAOT EI 9P 


11[99SS0p 


SuI0d 


00L‘8T 
000'07 
000 ‘91 
00001 


000 08 
‘18 


“a[[our sujou no snd 
“and 39 
oyed ue 


9SIJ[UJSLIO OI 
SILAIF 109,1 
Ipuvo o1ons 0p 
99AUI 91NAT 9p 
Sdi0d 
SGIOd 


IL 


108 ŒUVRES DE PASTEUR 


aussi bien que dans le cas où il en met une assez forte proportion. 
Seulement la fermentation serait plus lente et pourrait devenir 
lactique, ce qui a conduit à la pratique de l'addition de ë ou : de 
la levüre qui peut se former. 

Mais examinons les choses de plus près, et nous arrriverons à 
nous convaincre que dans la fermentation des sucres en présence des 
matières albuminoïdes ti ne se fait pas plus et même moins de levüre 
que dans le cas où l’on effectue la fermentation avec de l’eau sucrée 
pure. 

Je citerai d’abord quelques observations sur des fermentations 
avec levûre et eau sucrée pure, dans lesquelles on a pesé la levûre 
employée, la levûre recueillie et la partie soluble de la levûre restant 
après l'opération. Je rapporterai ensuite des résultats relatifs aux 
fermentations en présence de matières albuminoïdes. 

Il résulte des nombres de ce tableau [page 107] que dans le cas où 
l’on emploie une quantité de levûre en pâte s’élevant, par exemple, de 
15 à 20 pour 100 du poids du sucre, on recueille après la fermentation 
moins de levûre qu'on en avait mis : A,B,C. Or c’est précisément dans 
ces conditions que M. Thenard s’était placé ; il avait employé 20 parties 
de levüre en pâte pour 100 de sucre. Ce sont aussi les proportions 
qu'il recommande dans son Traité de Chimie (1). 

Mais lorsqu'on descend à un poids de levûre en pâte qui n’est plus 
que 10 pour 100 et au-dessous du poids du sucre, alors on recueille 
plus de levûre qu’on n’en a employé : D,E,F,G,H,1I. 

Et, dans tous les cas, si l’on a soin de déterminer le poids de 
matière extractive azotée, provenant de la levüre, qui est en disso- 
lution dans la liqueur fermentée, on trouve qu'ajouté au poids de 
levüre après la fermentation il dépasse très sensiblement le poids 
total de levûre primitif. L'augmentation s'élève environ de 1,2 ou 
1,5 pour 100 du poids du sucre. 

La disparition de la levüre dans l’expérience de M. Thenard n’est 
donc qu'apparente. On a recueilli moins de levûre, parce qu’on en 
avait employé beaucoup pour la fermentation, et que ce qui s’en était 
dissous avait été supérieur au poids des nouveaux globules formés (2). 


1. M. Regnault, sans insister autrement, s'exprime ainsi dans son Traité de Chimie, 
tome IV, p. 185, 4° édition : « On a reconnu que la levûre augmente d'environ le quart de son 
poids. » J'ignore à quelle source M. Regnault a puisé cette indication, contraire à l’assertion 
de M. Thenard, mais vraie d'une manière générale, dans certaines circonstances, comme l’est 
dans d’autres le résultat de M. Thenard. 

2. Sur un exemplaire de son Mémoire, Pasteur a souligné « au poids des nouveaux glo= 
bules formés » et a noté en marge au crayon ces mots : « ou mieux au poids des globules, 
car mème sans formation nouvelle de globules les anciens peuvent augmenter de poids. » 
(Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 109 


De là, et ne tenant aucun compte de la matière dissoute, il y a eu 
une diminution apparente dans le poids de la levüre. 

Les principes que la levüre cède à la liqueur dépendent et de sa 
solubilité naturelle et de la solubilité des matériaux qu'isole en elle 
le travail de la fermentation (1). 

Voyons maintenant ce qui se passe lorsqu'il y a présence et excès 
de matières albuminoïdes étrangères. 

Je fais dissoudre 9 gr. 899 de sucre candi pur, et j'ajoute à la 
liqueur 20 centimètres cubes d’un liquide limpide préparé en faisant 
bouillir de la levûre de bière fraiche avec de l’eau distillée et filtrant 
la liqueur. Ces 20 centimètres cubes de liquide renfermaient 0 gr. 334 
de matière albuminoïde et minérale très propre à la vie des globules 
de levüre. Puis je dépose, après avoir porté le volume à 100 centi- 
mètres cubes, une trace de levûre fraiche qui se multiplie et provoque 
la fermentation totale du sucre, laquelle a été complète onze jours 
après. 

Je recueille alors toute la levûre formée. Elle pèse sèche 0 gr. 152. 

Le liquide fermenté, évaporé, traité par le mélange d’alcool et 
d’éther pour enlever la glycérine et lacide suceinique, laisse un 
résidu insoluble, azoté, capable de servir à de nouvelles fermen- 
tations. Il pèse 0 gr. 260. 

Ainsi on a employé Ogr.334 de substances albuminoïdes et miné- 
rales, et on a recueilli Ogr. 152 de levüre + 0 gr. 260 de matière 
azotée et minérale non utilisée par la fermentation ou cédée par elle, 
ce qui donne un total de Ogr. 412 dont la différence à Ügr. 33% est 
de 0 gr. 078. 

Pour une fermentation de 100 grammes, cela ferait environ 0 gr. 8 
d'augmentation, auxquels il faudrait ajouter une petite quantité de 
matière extractive enlevée par le mélange alcoolique éthéré, et qui, 
ainsi que nous l'avons vu, se trouve pour une part insignifiante dans la 


1. La levûre renferme des matières azotées diverses et également des matières non azotées 
distinctes les unes des autres. Il y aurait une étude très intéressante à faire sur ce sujet. J'ai 
yu qu'on parviendrait à des résultats utiles en examinant séparément l'action de l'eau, de 
l'acide sulfurique étendu et de la potasse. Je crois qu’un examen de la levûre fait à ce point 
de vue des divers matériaux qui la composent pourrait donner le secret de certains change- 
ments qui s’observent dans la nature de l'extrait du liquide fermenté. En effet, en même temps 
que la levûre assimile une portion de sa matière soluble azotée et minérale, ce qui diminue 
son poids très sensiblement, elle augmente au contraire par l'introduction dans la liqueur des 
principes solubles qu'isolent les mutations qui s'accomplissent à l'intérieur de ses globules. 

Si l'on fait bouillir la levûre avec de l'acide sulfurique plus ou moins étendu, que l'on 
filtre, que l'on évapore après saturation par le carbonate de baryte, et que l'on précipite par 
l'alcool de densités variables, on isole trés distinetemenl des matières fort différentes les unes 
des autres par leurs propriétés et leur composition. Nul doute que ces matières prennent part 
aux mutalions de la levüre pendant la vie de ses globules. 


110 ŒUVRES DE PASTEUR 


glycérine et, pour le reste, fixé sur le succinate de chaux dans la 
méthode d'analyse que j'ai donnée des liquides fermentés. 

J'ai répété bien souvent l'expérience qui précède et toujours avec les 
mêmes résultats sensiblement; c'est-à-dire que dans la fermentation du 
sucre en présence des matières albuminoïdes il se forme à peu près 
1 pour 100 (du poids du sucre) de levüre et produits solubles, un peu 
moins par conséquent que lorsqu'on opère avec de la levüre toute 
formée et de l’eau sucrée pure : nouvelle preuve que les choses se 
passent de la même manière dans les fermentations avec levûre et eau 
sucrée pure, ou avec levüre, eau sucrée et matières albuminoïdes (1). 

La petite différence observée dans ces deux circonstances tient sans 
doute à ce que les globules, qui se forment au sein d’un milieu où 
l'aliment azoté est en excès, ont plus d’activité et sous un même poids 
décomposent plus de sucre que ceux qui prennent naissance dans un 
milieu appauvri en aliments minéraux ou azotés. 

Elle pourrait être due également à des variations dans les conditions 
de l'assimilation pour des globules parfaits et pour des globules- 
bourgeons. 

L'importance des résultats que j'essaye de faire prévaloir, consi- 
dérés dans leurs rapports avec la théorie générale des phénomènes de 
la fermentation, m'a engagé à chercher une confirmation de plus de 
leur exactitude dans des expériences qui me paraissent aussi décisives 
que celles qui précèdent. Je viens d’essayer de prouver que la levüre de 
bière placée dans de l’eau sucrée vit aux dépens du sucre et de sa 
matière azotée et minérale, soluble où pouvant le devenir par le fait 
des mutations qui s'effectuent entre les principes qu’elle renferme 
durant la fermentation. 

S'il en est ainsi, et pour le vérifier autant qu'il est possible, déter- 
minons les poids de sucre que peuvent décomposer : 1° un poids connu 
de levüre de bière; 2° la partie soluble d’un poids égal de la même 
levûre. 

J'ai pris deux poids de levûre, égaux chacun à 6 gr. 254. L’une des 
portions a été mise à fermenter avec 100 grammes de sucre, autre 
portion a été entretenue à l’ébullition avec de l’eau pure pendant une 
heure, puis filtrée, et la liqueur limpide entièrement débarrassée des 
globules a été mêlée à 100 grammes de sucre et à une trace impondé- 
rable de levüre fraîche pour semence. 


1. Lorsque je parle du poids de la levûre nouvelle qui se forme pendant la fermentation de 
l'eau sucrée pure sous l'influence de la levüre de bière, j'entends parler et du poids des nouveaux 
globules qui se forment réellement et du poids qui s'ajoute aux anciens pendant la continuation 
de leur vie. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 41! 


Un essai pareil fait sur une troisième portion de la même levüre a 
montré que les Ggr. 254 de la levüre cédaient à l’eau bouillante 
Ogr.325 de matière azotée et minérale avec un reste de O gr. 873 de 
produits insolubles. 

Les fermentations ont eu, pour ainsi dire, une durée illimitée. 
Commencées le 1° juin 1858, elles continuaient encore dans les pre- 
miers jours de septembre, époque à partir de laquelle je n'ai pu les 
suivre davantage. 

J'ai déja appelé l'attention du lecteur sur cette durée indéfinie des 
fermentations lorsqu'il y a un excès de sucré, fait remarquable et assez 
facile, ce me semble, à expliquer aujourd’hui. Nous savons, en effet. 
que les matières azotées de la levûre ne se détruisent pas. Il n’y a que 
des déplacements ou des modifications de ces matières, mais elles 
restent dans l’état complexe que nous sommes habitués à rencontrer 
dans ces produits. Celles qui sont solubles se fixent, il est vrai, en 
partie à l’état insoluble sur les globules, mais la puissance d’organi- 
sation des globules est telle, que l’on comprend que les globules 
anciens puissent céder à l’état soluble leurs matières azotées solides, 
pour servir d’aliment aux globules récents (1). 

La durée interminable en quelque sorte de ces fermentations avec 
excès de sucre rend les expériences du genre de celles que je décris 
extrèémement difficiles et délicates. 

Quoi qu'il en soit, après plusieurs mois j’étudiai les liqueurs et je 
trouvai que dans celle où la levûre avait été employée en nature la 
fermentation était à peu près terminée, et que dans l’autre avec prin- 
cipes solubles de la levüre près de 70 grammes de sucre avaient 
disparu. Mais il restait encore de la matière azotée dans le liquide, 
et nul doute qu’on aurait pu aller au delà de 70 grammes, surtout 
en la recueillant à part pour la faire servir à une nouvelle fermen- 
tation du même ordre. On comprend en effet toute la gène que doit 
apporter à la vie des globules un aliment dilué à ce point d’être 
contenu dans 750 centimètres cubes d’eau, sous le poids de quelques 
centigrammes. 

Je ne voudrais pas soutenir cependant qu'un poids donné de la 
partie soluble de la levûre de bière puisse faire fermenter exactement 
autant de sucre que le poids brut de levûre qui aurait servi à fournir 
cette matière soluble. 

Tout me porte à croire, en effet, qu'une certaine quantité de la 
portion des globules insoluble dans l’eau bouillante est capable de 


1. Sur un exemplaire de son Mémoire, Pasteur a souligné « aux globules récents » et a 
noté en marge au crayon : « IL peut ne pas y avoir de globules récents. » (Note de l'Edition.) 


142 ŒUVRES DE PASTEUR 


céder à la liqueur un poids sensible de sa matière azotée pendant l’acte 
même de la fermentation. Néanmoins on voit, par l'expérience que je 
viens de rapporter et que j'ai souvent répétée avec le même résultat, 
quelle énorme proportion du sucre fermente par le fait seul de l’orga- 
nisation des matières azotées et minérales immédiatement solubles, 
organisation provoquée par les globules eux-mêmes. Personne, je 
crois, ne pourra plus douter que la fermentation de l’eau sucrée pure 
ne soit réellement une fermentation qui s'effectue en présence de 
matières albuminoïdes et minérales (1). 

Je donnerai, en terminant ce chapitre, les dosages d'azote des divers 
matériaux azotés d’une fermentation alcoolique où la levûre était aussi 
épuisée qu'il est possible. 

Dans une fermentation où l’on avait employé, pour faire fermenter 
100 grammes de sucre, 1gr.198 de levûre lavée (poids de matière 
sèche, la proportion d’azote de cette levûre étant de 9,77 pour 100), 
on a recueilli 1,745 de levüre après la fermentation. Cette levüre ren- 
fermait 5,5 pour 100 d'azote. Le résidu extractif du liquide fermenté 
insoluble dans le mélange d'alcool et d’éther pesait 0,600 et contenait 
3,8 pour 100 d'azote. 

La matière extractive souillant le succinate de chaux pesait 0,500 et 
ne contenait que = pour 100 d’azote. Purifiée, elle n’en contient pas. 

Ces dosages d’azote ont été effectués sur les produits de la fermen- 
tation où j'ai le plus épuisé la levûre, et l’on voit que la levûre après la 
fermentation contenait encore une forte proportion d'azote. D'ailleurs 
sa diminution, comparée à celle de la levüre brute employée, s'explique 
immédiatement en remarquant, d’une part, que 1,198 sont devenus 1,700 
aux dépens du sucre, matière dépourvue d’azote; et, de l’autre, que ce 
même poids de levûre 1,198 a diminué en cédant au liquide de la 
matière azotée soluble, puisqu'on retrouve 0,600 de produits solubles ; 
s'ils ne viennent pas entièrement de la levüre, ils sont fournis par elle 
en bonne part, puisqu'ils sont azotés. C’est là la double cause de la 
diminution de l’azote de la levûre pendant la fermentation : 1° augmen- 


1. Les faits qui précèdent soulèvent la question intéressante de savoir s’il se fait autant de 
globules nouveaux avec un poids donné de levüre qu'avec la partie immédiatement soluble 


d'un poids égal de cette levûre, agissant tous deux respectivement sur une même quantité der 


sucre. 

Il n’est pas douteux que les globules adultes peuvent continuer leur vie pendant un certain 
temps et décomposer du sucre sans bourgeonner et sans se multiplier. Mais il nest pas 
moins certain qu'il s'en forme beaucoup de nouveaux et que c'est à*ces derniers qu'est due 
pour une bonne part, la transformation du sucre. Ainsi il est facile de voir, fixée sur les parois 
verticales du vase de verre où s'effectue une fermentation, beaucoup de cette levûre nouvelle 
formée pendant la fermentation même aux dépens de la partie minérale et azotée soluble de la 
levûre, primitivement ajoutée à la liqueur. 


| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 
| 


D és tt ne à 0 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 113 


tation de poids par le fait du sucre; 2 diminution de poids pur le fait 
de la solubilité de certains principes azotés de la levüre (1). 


Ÿ V. — Dans toute fermentation alcoolique une partie du sucre 


se fire sur la levûre à l’état de cellulose. 


Le fait de la production de la levüre alcoolique dans un milieu 
composé de sucre pur et de phosphates montre toute la part que le 
sucre prend à la formation de la levüre, au moins d 
particulières. 

Il ne peut être douteux : 1° que la cellulose de la levüre soit consti- 
tuée par les éléments du sucre; 2° que l’'ammoniaque 


ans ces conditions 


se combine avec 
une autre partie du sucre pour former les matières albuminoïdes 
solubles et insolubles des globules. 


Les choses se passent-elles d’une manière analogue dans le cas de 


la fermentation du sucre en présence des matières albuminoïdes ? 


Les expériences dans le détail desquelles j’entrerai tout à l'heure ne 
laisseront à cet égard aucun doute. Elles établissent en effet qu’il y a 


1. Les figures ci-contre représentent : 

La figure 7, de la levûre en voie de formation rapide dans de l’eau sucrée mêlée de matières 
albuminoïdes et minérales. Les globules sont translucides, peu ou point granuleux, à contours 
très nets. Les bourgeonnements sont nombreux. Il n'y a presque pas de globules isolés. On ne 
voit guère que des paquets rameux de globules en chapelets. 

La figure 8, de la levûre fraiche sortant de la brasserie, à contours très accusés, se dessinant 
en noir dans le champ du microscope. Les granulations sont encore peu distinctes. Il n'y a 
pas de bourgeons. Les globules sont presque tous disjoints et libres. 

La figure 9, de la levüre à peu près épuisée. Beaucoup de globules tré 
contours sont à peine sensibles. Il y a en apparence 
existent réellement, ou s'il n'y en a qu'une seule tr 
interne et la paroi externe. 

M. Mitscherlich s'exprime ainsi dans son Mémoire [Sur les réactions chimiques produites 
par les corps qui n’interviennent que par leur,contact. Annales de chimie et de Physique, 
3e sér., VII, 1843, p. 30] que j'ai déjà cité : « Quand on prend des globules parfaitement 
organisés, ils ne subissent presque pas de changement pendant la fermentation. » 


S granuleux dont les 
deux enveloppes. On ne peut dire si elles 
ès épaisse, dont on distinguerait la paroi 


es o 6° - 

Éœ © 0° © oeee 
œ 7% ACC son 'er 
© (es) os e ® 
Fic. 7. Frc, 8. FiG. 9. 


Plus loin, à la page 31, il ajoute : « En employant des globules de ferment parfaits pour 
provoquer la fermentation du sucre, je n'ai Pas remarqué qu'ils se développassent. » 

Ces observations de M. Mitscherlich sont complètement en désaccord avec les miennes : 
1° les globules adultes parfaitement organisés s'altérent profondément pendant la fermentation ; 
2° les globules parfaits se développent, se multiplient pendant la fermentation de l'eau sucrée 
pure ou dans l'eau suerée mêlée aux matières albuminoïdes. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉTATIONS SPONTANÉES. 8 


114 ŒUVRES DE PASTEUR 


plus de cellulose dans la levüre après qu'avant la fermentation. De telle 
sorte qu'en les rapprochant de celles dont je viens de rappeler les 
résultats, elles rendent extrêmement probable, sinon certain, que toute 
la cellulose des globules de levüre est constituée par les éléments du 
sucre (1). 

Que se passe-t-il, d'autre part, entre le sucre et les matières albumi- 
noides, quand le sucre fermente en présence de ces matières? Y al 
encore une fixation du sucre comme cela avait lieu indubitablement 
avec l’ammoniaque? Les matières albuminoïdes solubles des globules 
ne sont-elles pas par elles-mêmes aptes à entrer dans la constitution 
des globules, à s’y fixer à l’état solide, uniquement par une sorte de 
changement isomérique? Faut-il, comme dans le cas de l’ammoniaque, 
que le sucre intervienne, les modifie en leur cédant tout ou partie de 
ses éléments ? C’est là un des points les plus délicats de ces études. Il 
y aurait témérité à assimiler & priori les deux modes de fermentation 
avec ammoniaque et avec matières azotées complexes, et d'affirmer par 
analogie que le sucre doit intervenir aussi dans le second cas pour 
modifier les matières albuminoïdes et les rendre propres à la nour- 
riture des globules. Nous verrons cependant que laugmentation de 
poids de la levüre due à la cellulose fixée ne suffit pas pour rendre 
compte de l'augmentation de poids totale de la levûre pendant la 
fermentation; c’est-à-dire que, si l’on ajoute au poids de la levüre 
employée tout le poids de cellulose fixée pendant la fermentation, on 
n’atteint pas le poids total de la levûüre et de sa partie soluble tel qu’on 
le trouve après que la fermentation est achevée. 

Il n’est donc pas possible de douter qu’en dehors de la formation 
de la cellulose une partie sensible du sucre se fixe sur la levüre. Mais 
s’y fixe-t-elle en modifiant la matière azotée, comme dans le premier 
cas elle se fixe sur l’ammoniaque pour la rendre apte à entrer dans le 
corps des globules ? L 

Je suis porté à le croire, mais il y aurait imprudence à Paffirmer. 
Je n’ai pas de preuves décisives. Ainsi la différence entre l’augmen- 
tation totale du poids de la levûre et le poids de cellulose fixé pourrait 
s'expliquer par la production d’un ou plusieurs corps particuliers dont 


1. J'ai reconnu dans le cours de mes recherches un genre de fraude que je crois récent, 
employé par quelques marchands de levûre, et contre lequel il faut se prémunir. Il consiste 
dans une addition quelquefois considérable de fécule de pommes de terre dans la levûre de 
bière destinée aux boulangers. Un examen microscopique de la levûre en avertit bien faci- 
lement. Les grains de fécule se dissolvent pendant la fermentation, mais en quantité très 
minime, contrairement à ce que l'on aurait pu présumer, puisque le liquide s'acidifie progres- 
sivement. Dans les fermentations de longue durée on voit nettement beaucoup de globules de 
fécule rongés à la surface et en partie dissous et désagrégés. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 115 


aucun n'interviendrait dans les modifications que subissent les 
matières azotées. 

Cette étude de l'influence des matières hydrocarbonées dans la 
formation des substances albuminoïdes offre un grand intérêt; mais 
elle est bien délicate et les faits demandent à être interprétés avec 
beaucoup de prudence. 

Ces conditions générales étant posées, étudions la proportion de 
cellulose de la levûüre avant et après la fermentation. 

J'ai mis en fermentation : 


IU0 grammes de sucre, 
750 centimètres cubes d’eau environ, 
2,626 levüre (poids de matière sèche). 


, 


Après la fermentation, qui a duré vingt jours, j'ai recueilli 
2 gr. 965 de levüre (poids de matière sèche). J’ai alors fait bouillir 
avec de l'acide sulfurique étendu de 20 fois son poids d’eau pendant 
plusieurs heures (de six à huit heures) deux poids déterminés de la 
levûre fermentée et de la même levüre avant la fermentation. 

Le poids de la levûre fermentée était de 1,707 et le poids de la 
levüre non fermentée de 1,730 pris à 100. 

Les résidus insolubles dans l’acide sulfurique ont été recueillis sur 
des filtres tarés et desséchés à 100°. Quant aux liqueurs, après avoir 
saturé leur acide par le carbonate de baryte à l’ébullition, j'ai déterminé 
la proportion de sucre qu'elles contenaient, tant par la liqueur de 
Fehling que par la quantité d’acide carbonique fourni par la fermen- 
tation. 

En réduisant les résultats obtenus au poids de levûre 2,626 et 
2,965, on trouve que 2,626 de levüre brute donnent un résidu insoluble 
azoté égal à 0,391 (soit 14,8 pour 100) et 0,532 de sucre fermentescible ; 
tandis que les 2,965 fournissent un résidu azoté de 0,634 (soit 21,4 
pour 100) et 0,918 de sucre fermentescible. Il résulte de là : 

1°. Que dans la fermentation de 100 grammes de sucre opérée par 
2.626 de levüre de bière, il s’est fixé environ 0,4 de matière hydro- 
carbonée transformable par l’acide sulfurique étendu en sucre fermen- 
tescible ; 

2°. Qu'il y a une augmentation sensible de celles des matières azotées 
qui sont insolubles dans l'acide sulfurique étendu. 

Ce dernier résultat est une preuve nouvelle que pendant la fermen- 
tation il y a fixation à l’état insoluble des matières albuminoïdes 
solubles que renferme la levüre active. j 

Il restait à savoir si par l’ébullition avec l'acide sulfurique étendu 


116 ŒUVRES DE PASTEUR 


2) 


javais bien dissous toute la cellulose. Afin de le reconnaître, j'ai 
déterminé la proportion de cellulose de la levüre brute par la méthode 
de M. Schlossberger. J'ai dit que M. Schlossberger utilisant la potasse, 
réactif si souvent employé par M. Payen dans ses recherches pour 
dissoudre les matières albuminoïdes, avait réussi à enlever celles de la 
levüre à peu près complètement en laissant pour résidu une matière 
de la composition de la cellulose et transformable par l'acide sulfu- 
rique en sucre fermentescible. 

J'ai traité par la potasse trois portions de levûre lavée pesant 
chacune 4 gr. 757 après dessiccation à 100°. 

La première a été mise en digestion avec de la potasse concentrée 
de densité égale à 1,25; la deuxième avec une solution à 10 pour 
100 ; la troisième avec une solution à 5 pour 100 de potasse caustique. 

Le contact a duré huit jours, et tous les jours on plaçait les flacons 
pendant deux heures au bain-marie. 

On a ensuite filtré et lavé à l'acide acétique, puis desséché les 
filtres à 100. 

Les résidus insolubles, formés de matière hydrocarbonée transfor- 
mable en sucre par l’ébullition avec l'acide sulfurique étendu et ne 
laissant après ce traitement qu'une quantité de matière à peine 
sensible, ont été dans les trois essais de 17,77, 19,29 et 19,21 pour 
100 du poids de levüre sèche. 

Or les 0,532 de sucre fournis sans l'intermédiaire de l’action de la 
potasse par 2 gr. 626 de levüre correspondent à 20,2 pour 100 du 
poids de la levûre. L’ébullition avec l'acide sulfurique étendu avait 
donc bien enlevé toute la cellulose. 

Les résultats qui précèdent accusent une proportion de cellulose 
dans la levûre moindre que celle donnée par M. Payen [/oc. cit.]; 
mais je ferai observer, d’une part, que le dosage effectué par M. Payen 
paraît avoir été indirect, et il est bien évident d’autre part, d’après tout 
ce que nous venons de dire, que la proportion de cellulose de la levüre 
varie avec son âge et son action plus ou moins prolongée sur le sucre. 
Ainsi nous venons de reconnaître que la levûre recueillie après la 
fermentation avait fourni 0,918 de sucre pour un poids de matière 
égal à 2,965, ce qui indique 31,9 pour 100 de cellulose, nombre plus 
élevé de 11 pour 100 qu'il n’était avant la fermentation. 

Je n'ai pas besoin de faire remarquer que celte augmentation consi- 
dérable du poids de la cellulose dans la levûüre, pendant qu'elle exerce 
son action sur le sucre, est encore une preuve à ajouter à toutes celles 
que j'ai données de la vie de la levûre pendant la fermentation 


alcoolique. 


;. 
4 
L 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 117 


$ VI. — Dans toute fermentation alcoolique 
une partie du sucre se fixe sur la levüre à l'état de matières grasses. 


Depuis longtemps Braconnot a signalé la présence de matieres 
grasses dans la lie, qui n’est autre chose, pour une bonne partie, que 
de la levüre de vin. L'analyse précédemment citée de M. Payen donne 
2 pour 100 de matières grasses dans la levüre de bière. 

On croit généralement que les substances grasses de la levüre 
sont empruntées aux substances grasses de l'orge ou des autres corps 
qui servent à préparer la levüre. J'ai reconnu par une expérience 
directe, très facile à reproduire, que pendant la fermentation la levûre 
forme elle-même sa graisse à l’aide des éléments du sucre. 

Je mêle à de l’eau sucrée, préparée avec du sucre candi très pur, 
de l'extrait d’eau de levüre limpide traité à plusieurs reprises par 
l'alcool et l’éther. A la solution mixte j'ajoute comme semence une 
quantité pour ainsi dire impondérable de globules frais de levûre. Ils 
se multiplient, le sucre fermente, et j'arrive de cette façon à préparer 
quelques grammes de levüre au moyen de substances ne contenant pas 
la plus petite quantité de matières grasses. Or je trouve que la levüre 
formée dans ces conditions renferme néanmoins de 1 à 2 pour 100 de son 
poids de corps gras facilement saponifiables et à acides gras cristalli- 
sables. Cette graisse ne peut provenir que des éléments du sucre ou 
des éléments de la matière albuminoïde; mais j'ai constaté d’autre 
part que la levûre préparée dans un milieu formé d’eau, de sucre, 
d’ammoniaque et de phosphates renferme également de la matière 
grasse. C’est donc aux éléments du sucre que la matière grasse de la 
levüre est empruntée. 

Ces expériences rappellent par leurs dispositions celles que 
MM. Dumas et Milne Edwards (!) ont exécutées en commun pour vérifier 
les observations de Huber sur l’origine de la cire des abeilles. Elles 
apportent une confirmation aux vues que M. Dumas a depuis longtemps 
émises sur la formation possible des matières grasses à l’aide des 
sucres (?). 


1. Dumas et MrexE Epwarps. Sur la composition de la cire des abeïlles. Annales de 
chimie et de physique, 3° sèr., XIV, 1844, p. 400-408. (Note de l'Édition. 
2. Voir à ce sujet [Duuas, BoussnNGauzr et Paye. Recherches sur l’engraissement des 


bestiaux et la formation du lait]. Annales de chimie et de physique, 3° sèr., VIIT, 1843, 
p. 70 et suivantes. 


118 ŒUVRES DE PASTEUR 


$ VII. — Vitalité permanente des globules de levüre. 


Lorsque j'ai voulu, suivant l'exposition que j'en ai faite dans l’un 
des précédents chapitres, confirmer les résultats que j'avais obtenus 
sur la présence de l'acide succinique et de la glycérine dans les 
liqueurs fermentées par le dosage exact de l’acide carbonique, j'ai 
rencontré des difficultés singulières. Tantôt j'arrivais à des nombres 
satsfaisants, tantôt le volume de l'acide carbonique dépassait le résultat 
calculé, sans qu'aucune explication légitime en püût ètre trouvée. 

Peu à peu, je reconnus que la cause des divergences dans les 
résultats pourrait bien être due à l’emploi de trop fortes proportions 
de levüre, que l’on est toujours enclin à exagérer dans les opérations 
sur de petites quantités de sucre. Je fus mis sur, la voie de la vérité 
par le fait suivant: Dans un but particulier, qu’il est inutile d'indiquer 
ici, j'avais mis à fermenter 5 grammes de sucre avec 10 grammes de 
levûre en pâte équivalant à 2 gr. 155 de matière sèche, poids de levûre 
bien supérieur à ce qui est nécessaire pour transformer 5 grammes de 
sucre. Or je fus très surpris de véir que cette fermentation ne s’ache- 
vait pas très franchement, et qu’elle avait une tendance à se prolonger 
par un dégagement de gaz très faible, comme il arrive quand le sucre 
est au contraire en grand excès par rapport à la levûre. En outre, la 
liqueur, étudiée par le réactif cuivrique de Fehling, ne renfermait pas 
la moindre quantité de sucre, malgré l'indication contraire donnée par 
le dégagement de gaz carbonique. 

Je disposai alors dans des ballons renversés sur le mercure les 
fermentations suivantes : 


T'ASuere candit4e 07 D = en O1l.3ile 
Levüre de vin dépôt Le tonneaux soutirés. ... 4... OI ODI 
Eau pure. "54:02 202 CR RS TR RE CET IE 
ITHSucre canin .…. 45:45 
Levüre de bière (contenant 2 450, poids + matière A ecte) . 410,000 
Bau-pure: 26 6 2 OR 9,210. 


Deux jours après, le dégagement de gaz est encore sensible dans 
les ballons, et cependant le premier renferme 360 centimètres cubes 
de gaz et le second 387 ce. 5 à 0° et 760 millimètres. 

Les quantités théoriques, même abstraction faite de l'acide sucei- 
nique et de la glycérine, sont 341 ce.8 et 375 ce. 5. 

Le gaz, malgré cet excès de volume, était complètement absorbable 
par la potasse. C'était de l'acide carbonique pur. 


ns. | 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONVANÉES 1419 


Il n'était done pas possible de douter que dans le cas où l’on 
emploie une forte proportion de levûre on obtienne un volume de gaz 
carbonique pur bien supérieur à celui qu'indique l'équation théorique 
de Lavoisier, qui pêche déjà par excès. Afin de mieux étudier cephéno- 
mène très inattendu, j'exagérai encore davantage le poids de la levüre. 
Le résultat des essais que j’entrepris dans cette direction ayant toujours 
été le même, je ne rapporterai qu'une expérience : 0 gr. 424 de sucre 
candi ont été mis à fermenter avec 10 grammes de levûre (poids de 
matière sèche). Le surlendemain le volume total du gaz acide carbo- 
nique s'élève à 300 centimètres cubes, près de 3 fois supérieur au 
volume théorique, qui n’est que de 110 centimètres cubes. 

Il y avait un grand intérêt à savoir si cet acide carbonique en excès 
était le résultat d’une véritable fermentation alcoolique s’exerçant sur 
les matières hydrocarbonées de la levûre. A cet effet, j'ai recueilli et 
distillé tout le liquide mêlé à la levûre et à une certaine quantité d’eau 
de baryte qui avait servi à reconnaître que le gaz formé était de l'acide 
carbonique sans mélange d'hydrogène ou d'autre gaz. 50 centimètres 
cubes de liquide alcoolique ont été recueillis et ont été distillés une 
seconde fois, et le nouveau liquide étudié à l’aide d’un très petit alcoo- 
mètre. Afin d’être bien sûr des indications de cet aleoomètre, j'ai composé 
plusieurs liquides avec des mélanges d’eau et d'alcool absolu en poids 
connus, et j'ai étudié par comparaison ces divers mélanges et le liquide 
distillé de manière à comprendre celui-ci entre deux liquides de com- 
position connue, 

Jai trouvé ainsi dans le cas présent un peu plus de O gr. 6 d'alcool 
absolu. 

Il s’est donc formé beaucoup plus d’alcool que le sucre employé ne 
pouvait en fournir et une quantité en rapport avec le volume de gaz 
carbonique total. 

Nous avons bien affaire à une véritable fermentation alcoolique. 

Ainsi, lorsque l’on mêle à de la levûre un poids de sucre proportion- 
nellement très faible, après qu'il a été décomposé, l’activité de la levûre 
continue, s’exerçant sur ses propres tissus avec une énergie et une 
rapidité extraordinaires, qui vont se ralentissant de plus en plus. 

Ce phénomène offre plusieurs particularités très dignes d’intérêt : 

1°. Si l’on met fin à la fermentation au moment où il y a un volume 
d'acide carbonique formé égal ou très peu supérieur à celui qui corres- 
pond au poids du sucre employé, on ne trouve plus de sucre dans la 
liqueur. Il résulte de là que la levûre exerce son action sur le sucre 
avant de l’exercer sur elle-même. Elle se nourrit de sucre tant qu'il y 
en a, et lorsqu'il est épuisé, sa vie ne peut s’arrêter subitement et elle 


120 ŒUVRES DE PASTEUR 


continue aux dépens des matériaux qu’elle trouve dans ses propres 
tissus. 

2°, I] faut noter l’activité considérable de la fermentation secondaire 
succédant à celle du sucre. 

3. L'effet produit par la levüre sur elle-même n’est pas du tout 
proportionnel au poids de levüre. Il croît bien plus rapidement. Je 
vais entrer dans quelques détails sur ce point qui a beaucoup d’impor- 
tance. M. Thenard et tous les auteurs avec lui recommandent pour 
obtenir une bonne fermentation alcoolique l'emploi d’une quantité de 
levüre égale à 20 pour 100 du poids du sucre, soit 5 pour 100 environ 
si la levûüre est prise à l’état sec. On peut augmenter ou diminuer cette 
proportion de levüre sans qu'il se présente rien de particulier, si ce 
n’est une durée moindre ou plus grande du phénomène. Il n'est arrivé 
souvent de faire fermenter le sucre avec 1 pour 100 de son poids de 
levüre (poids de matière sèche), et encore cette levûre avait été lavée, 
ce qui diminue son activité. On peut même descendre au-dessous 
de ce chiffre. 

Il semblerait dès lors que, dans tous les cas où l’on dépasse ces 
doses minima de levûre, une portion de celle-ci restant active et capable 
d'agir sur de nouveau sucre devrait exercer sur elle-même ce reste de 
vie, et que la proportion d’acide carbonique et d'alcool en serait accrue. 
Il n’en est rien. J'ai porté le poids de levûre jusqu’à 8 pour 100 (poids de 
matière sèche) ou 40 pour 100 (poids de matière en pâte), et je n'ai 
pas obtenu un volume d’acide carbonique supérieur à celui qu'indique 
un calcul rigoureux, c’est-à-dire en tenant compte de l'acide succinique 
et de la glycérine formés pendant la fermentation. Je n’ai pas fait assez 
d'expériences pour connaître la limite à partir de laquelle la levüre 
agirait sur elle-même ; je crois qu’il faudrait bien aller jusqu'à employer 
autant de levûre en pâte que de sucre, et qu'avec celte proportion 
même de levûre il n'y aurait pas sensiblement de différence pour le 
volume d’acide carbonique (si même il y en avait) avec ce qui se passe 
dans les cas ordinaires(!). Il résulte de ces observations qu'un épuise- 
ment ‘même faible de la levûre en présence du sucre lui ôte cette 
activité capable de s'exercer sur les matières hydrocarbonées de ses 
propres tissus ; et elle peut encore transformer du sucre alors qu’elle 
ne peut plus rendre soluble et transformer la cellulose de ses enve- 
loppes. 

Je suis très porté à interpréter les faits qui précèdent de la manière 
suivante : La levüre de bière formée à peu près exclusivement de 


1. Cependant ces proportions doivent varier beaucoup avec l'activité de la levüre. 


mie mm mme ml NÉ Î S É EE SEELELEELEZEZELEL ELLE CS ÉS n d  ttn. d 


PO PV 


-u 


si: 2) 


TT Em 


li 2 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 121 


globules arrivés à leur développement normal, adultes si l'on peut 
s'exprimer ainsi, est mise en présence du sucre. Sa vie recommence. 
Elle donne des bourgeons. C’est un fait avéré. Y a-t-il assez de sucre 
dans la liqueur, les bourgeons se développent, assimilent du sucre et 
la matière albuminoïde des globules mères. Ils arrivent ainsi peu à peu 
au volume que nous leur connaissons. Voilà l’image fidèle des fermen- 
tations lentes ordinaires. Supposons au contraire un poids de sucre de 
beaucoup insuffisant pour amener les premiers développements à l'état 
de globules complets ou même de globules formés et visibles, on se 
trouvera alors dans le cas des expériences que je viens de rapporter, 
et l’on aura affaire en quelque sorte à des globules mères ayant tous de 
très jeunes petits. La nourriture extérieure venant à manquer, les tres 
jeunes bourgeons vivent alors aux dépens des globules mères. 

Les faits qui précèdent ont appelé mon attention sur une circon- 
stance relative à la levûre depuis bien longtemps remarquée, et qui, par 
sa liaison avec ce que nous venons de dire, prend une importance tout 
autre que celle qu’on lui avait attribuée jusqu'à ce jour. Chacun sait 
que la levûre délayée dans l’eau pure, surtout en été, laisse dégager 
des bulles de gaz qui partent des divers points de la masse et viennent 
crever à la surface du liquide en soulevant avec elles un peu de la 
levûre déposée. On expliquait ce phénomène, comme tous ceux du 
même genre, en disant que par l'effet du contact de l’air un mouvement 
de décomposition commençait dans la levüre, que la levûre s’altérait. 
On paraissait d'autant plus autorisé à porter ce jugement qu'au bout 
de quelques jours la levûre répand une odeur très désagréable, que les 
gaz dégagés renferment beaucoup d'hydrogène, de l'hydrogène sulfuré 
en petite quantité, et qu’au microscope une goutte du liquide ou du 
dépôt se montre remplie d’infusoires, de vibrions, etc., qu'enfin la 
levüre perd beaucoup de son énergie. 

L’explication que l’on donne de ces phénomènes est loin d’être 
exacte. Il est bien vrai que la levûre ainsi abandonnée sous l’eau finit 
par entrer en putréfaction. Mais le premier mouvement gazeux n'est 
point du tout le commencement de cette putréfaction subséquente. La 
levüre très active que l’on délaye dans l’eau porte son activité sur ses 
propres tissus, et c’est une véritable fermentation qui s’accomplit. Il se 
produit de l'alcool en quantité extrêmement sensible et du gaz acide car- 
bonique parfaitement pur, et l’on voit les globules s’altérer absolument 
comme il arrive dans le cas des fermentations alcooliques ordinaires. 
Que le gaz carbonique soit pur, rien de plus facile que de le recon- 
naître en plaçant la bouillie dans un tube renversé plein de mercure; 
pour l'alcool, il suffit de déterminer la quantité d'alcool de la levüre le 


122 ŒUVRES DE PASTEUR 


premier, le deuxième, le troisième, le quatrième jour. La proportion 
d’alcool presque insignifiante le premier jour, si l’on a lavé la levûre et 
rejeté les eaux de lavage, augmente progressivement, et tant que le 
microscope n’accuse que la présence de la levüre de bière, c’est une 
véritable fermentation alcoolique qui s'opère. Le gaz hydrogène 
n'apparaît, la formation de l’alcool ne s’arrête qu'après les premiers 
jours, alors que le microscope fait voir diverses levüres, notamment 
la levüre lactique, et des infusoires. 

C'est la précisément le phénomène que nous avons étudié tout à 
l'heure, mais dans des conditions où il était exagéré par l'effet de la 
fermentation de la petite quantité de sucre qui l’avait précédé. 

Ces observations me paraissent avoir une utilité réelle. Non seule- 
ment elles nous donnent la clef des altérations spontanées de la levüre, 
en dehors de toute putréfaction, elles montrent en outre que la vie de 
cette espèce de mycoderme se déclare dès que les conditions de tem- 
pérature et d'humidité sont convenables. Comme une graine toujours 
prête à germer, la levûre, si elle a la température et l’eau nécessaires, 
vit aux dépens de sa propre substance, et sa vie se manifeste par 
l'acte physiologique qui la caractérise : la formation de l’acide carbo- 
nique, de l'alcool, de l'acide succinique et de la glycérine (1). Vient-on 
à placer cette levüre en présence du sucre, elle ne fait que continuer 
cette vie qui n’est jamais suspendue, mais alors elle en accomplit 
toutes les phases avec une bien plus grande énergie apparente, parce 
que dans le même temps la somme de vie et d'organisation est 
incomparablement accrue. 


$ VIII. — Application de quelques-uns des résultats de ce Mémotre 
à la composition des liquides fermentés. Etudes particulières sur 
le vin. 


Nous avons reconnu que la glycérine et l'acide succinique étaient 
des produits constants de la fermentation alcoolique. Ils doivent done 
exister dans tous les liquides qui ont subi cette fermentation, tels que 
le vin, la bière, le cidre, etc..., et on les y trouve en effet, bien que 
jusqu'ici les nombreuses analyses de ces liqueurs fermentées ne les 


1. Sil'on place sur le porte-objet du microscope une très petite cuve de verre renfermant 
de la levûre jeune translucide, peu ou point granuleuse intérieurement, délayée dans l'eau 
pure, sans la moindre addition de sucre, on la voit, dans l’espace de quelques heures, devenir 
progressivement granuleuse et dégager du gaz acide carbonique pur. Il s’y forme des vacuoles 
internes et des granulations pareilles à celles qui s’y produisent lorsqu'elle agit directement 
sur les sucres. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 123 


aient pas encore signalés. Les matières extractives, incristallisables, 
que ces liqueurs renferment toujours, ont masqué leur présence. 

Je n’ai fait d’études particulières que sur le vin, la plus utile et la 
plus répandue en France des boissons alcooliques. 

Voici le procédé dont je me suis servi pour extraire la glycérine 
et l'acide suceinique du vin : 250 centimètres cubes du vin sont déco- 
lorés par 20 grammes de charbon animal ; on filtre et on lave bien le 
charbon sur le filtre. Le liquide filtré est évaporé doucement, et 
lorsque son volume est réduit à 100 centimètres cubes environ, on le 
traite par quelques grammes de chaux éteinte pour saturer tous les 
acides. On achève l’évaporation dans le vide sec. La masse qui reste 
est traitée dans la capsule même où elle se trouve, où mieux encore 
dans un mortier, par le mélange d’alcool et d’éther dont il a été 
question dans le cours du Mémoire, formé de 1 partie d'alcool à 90 ou 
92°, et 1 : partie d’éther rectifié à 62°. 

Ce traitement est assez difficile, parce qu'une partie du résidu est 
plastique ; mais peu à peu il se grumelle et on peut broyer le tout. 
Chaque portion du lavage est jetée sur le filtre, et le liquide éthéré est 
évaporé avec les précautions que j'ai indiquées, dans une capsule tarée 
dont la dessiccation s'achève dans le vide sec. 

La glycérine ainsi préparée est à peu de chose près pure, ainsi que 
le prouvent son analyse et sa saveur (elle ne renferme pas plus de 1 à 
1 3 pour 100 de matières étrangères). 

Voici un tableau de quelques analyses faites en suivant ces indica- 
tions. 


QUANTITÉ QUANTITÉ 
de glycérine d'acide succinique 
par litre, par litre, 
déduite de l'analyse] calculée d’après 
faite les proportions 
sur 1/4 de litre. de glycérine. 


QUANTITÉ 
d'alcool. 
Poids pour 
100 cent. cubes 
de vin. 


Vin vieux de Bordeaux (Bonne 
qualité). SP ; 

Vin de Bordeaux ordinaire À 

Vin de Bourgogne vieux (Bonne 
qualité). 

Vin de Bourgogne ‘ordinaire e 

Vin d' ASIE vieux (Bonne qualité \. 


La proportion de glycérine trouvée dans le bourgogne ordinaire est très faible. Je serais porté a 
croire que ce vin avait été additionné d’eau et d'alcool, ce qui diminue les proportions de la glyeérine 


et de l’acide succinique. 


Les nombres donnés pour l'acide succinique ont été déduits par le 
calcul de ceux de la glycérine, en prenant pour rapport de ces deux 


124% ŒUVRES DE PASTEUR 


produits celui qui a été le plus ordinaire dans toutes les fermentations 
que j'ai analysées : 3,5 de glycérine pour 0,7 d'acide succinique 
environ. 

J'ai retiré, de chacun des vins inserits au tableau, de l'acide sucei- 
nique cristallisé et pur; mais, dans le dosage exact de cet acide, j'ai 
trouvé des difficultés que je n’ai pas encore levées entièrement pour le 
séparer sans perte de tous les autres matériaux du vin. J'aurai l’occa- 
sion de revenir sur ce détail intéressant. 

Les vins dont la fermentation a enlevé tout le sucre donnent une 
quantité d'extrait qui varie, suivant les auteurs, de 15 à 25 grammes 
par litre. Plus du tiers, souvent près de la moitié des matériaux solides 
du vin étaient donc inconnus jusqu’à ce jour, et les plus importants 
sans contredit. Tout le monde sera porté à attribuer à la glycérine, 
principe essentiel des matières grasses, une part utile dans les pro- 
priétés bienfaisantes du vin. La présence de la glycérine dans le vin, 
où elle est associée à des matières albuminoïdes et à des phosphates, 
mérite l’attention sérieuse des physiologistes. L'acide succinique, 
malgré sa proportion relativement faible, est loin d’être négligeable. 
La saveur de cet acide a quelque chose d’étrange, et en mélangeant de 
l’eau, de l'alcool, de la glycérine et de l’acide succinique dans les 
proportions de la fermentation, on est surpris de sentir à quel degré 
ces mélanges rappellent le vin. On acquiert ainsi la conviction que la 
saveur propre à cette boisson, dans ce qu’elle a de plus sur generts, 
est due pour une part essentielle à l’acide succinique. 

La proportion de glycérine trouvée dans ces diverses espèces de 
vin, mise en rapport avec la teneur en alcool de laquelle on peut 
déduire approximativement le poids primitif de sucre du moût de 
raisin, paraît indiquer que dans la fermentation du moût de raisin il se 
forme bien plus de glycérine et d’acide'succinique que dans les fermen- 
tations ordinaires. Cette circonstance peut tenir à diverses causes. On 
aurait pu croire, par exemple, que la levûre du raisin était une variété 
particulière de levûre alcoolique, ayant son action spéciale et un peu 
différente des variétés d’une autre origine. Afin de vérifier cette 
présomption, j'ai fait venir d’un vignoble du Jura de la levüre de vin 
de la récolte de 1858. Cette levûre n’était autre que le dépôt resté dans 
un tonneau de vin blanc après le soutirage dans les premiers jours de 
mars. J'ai lavé cette lie sur un filtre. Elle avait au microscope l’aspect 
de la levûre de bière. Ses globules étaient très granuleux. Elle différait 
un peu de la levûre de bière ordinaire par la grosseur inégale de ses 
grains. Mais il n’y avait pas du tout de globules très petits, et aucune 
trace de levûüre lactique ni de corps étrangers. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 125 


L'activité de cette levûre était de force moyenne. 

50 grammes de sucre candi ont été mis à fermenter avec 10 granmes 
de cette levûre renfermant à l’état sec 3 gr. 785 de matière. 

Le 7 et le 9 avril, la fermentation fut terminée. Plus du tout de sucre 
à la liqueur cuivrique. Au microscope, ni levüre lactique, ni levüre 
quelconque étrangère. La fermentation à done été franchement et 
entièrement alcoolique. 

J'ai recueilli après la fermentation : 

1°. 2 gr. 750 de levûre desséchée à 100°. 

2%, gr. 576 de matières extractives, insolubles dans le mélange 
éthéré, celle qui accompagne le succinate de chaux comprise. 

La somme 2,750 + 1,576 est égale à 4,326. Si on soustrait les 
3,875 de levüre sèche employée, on trouve 0,541 de différence. Ainsi 
pour 50 grammes de sucre il s’est fixé sur cette levüre de vin 0,541 de 
cellulose et d’autres matières, soit 1,182 pour 100 de sucre. Ce résultat 
s'accorde très bien avec ceux des fermentations avec levüre de bière 
ordinaire, bien qu'il y ait des différences sensibles dans la proportion 
des matières solubles et insolubles de ces levûres de bière et de vin. 
Cela ressort des nombres mêmes que j'ai donnés. Quant à l'acide 
succinique, j'en ai trouvé 0 gr. 433, calculé d’après le poids de chaux 
nécessaire à la saturation. Enfin le poids de glycérine déterminé avec 
de grands soins à été égal à 1,833. 

Ces nombres correspondent en les doublant à 0,866 d’acide sueci- 
nique et 3,666 de glycérine pour 100 de sucre. Ils se rapprochent 
beaucoup de ceux que l’on trouve dans les fermentations lentes avec 
levüre’des’ brasseries, et ils sont un peu supérieurs au contraire à ceux 
des fermentations rapides. 

Ainsi, la levüre de vin fournit les mêmes résultats que la levûre 
de bière. Ce serait donc plutôt aux conditions particulières du milieu 
pendant la fermentation du moût de raisin qu'il faudrait attribuer la 
forte proportion de glycérine et d'acide succinique que nous avons 
trouvée dans le vin, ou à quelque autre circonstance inconnue. 

Quoi qu’il en soit, l’étude que nous venons de faire de certaines 
variétés de vin et des produits de la fermentation par la levüre du 
raisin apporte une confirmation précieuse de la vérité de quelques- 
uns des principaux résultats de ce Mémoire. 

Quant à l'interprétation de l’ensemble des faits nouveaux que j'ai 
rencontrés dans le cours de ces recherches, j'ai la confiance que 
quiconque les jugera avec impartialité reconnaitra que la fermentation 
alcoolique est un acte corrélatif de la vie, de l’organisation de 
globules, non de la mort ou de la putréfaction de ces globules, pas 


126 ŒUVRES DE PASTEUR 


plus qu’elle n'apparaît comme un phénomène de contact où la trans- 
formation du sucre s'accomplirait en présence du ferment sans lui 
rien donner ni lui rien prendre. 

C'est par ces lignes que je terminais déja mon Mémoire relatif à 
la découverte de la levüre lactique, production organisée entièrement 
comparable à la levre alcoolique, et à la présence de laquelle sont dus 
tous les phénomènes de fermentation lactique, comme à la levûre 
ordinaire doivent être rapportés les divers phénomènes de fermen- 
tation alcoolique. 


NOTE SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


M. Berthelot a soumis à l’Académie dans sa séance du 28 mai 
dernier une Note intitulée : Sur la fermentation glucosique du sucre 
de canne ®), au sujet de laquelle j'ai besoin de présenter quelques 
observations. 

Chacun sait que le sucre de canne mélé à de la levüre de bière 
éprouve deux modifications : l’une qui le change en sucre déviant à 
gauche la lumière polarisée, c’est ce qu’on appelle l'inversion du sucre; 
l’autre qui est la fermentation proprement dite, c'est-à-dire la produc- 
tion de l’alcool, de l'acide carbonique, de la glycérine, etc. 

La Note de M. Berthelot a pour objet de montrer que l'extrait liquide 
de la levûre peut intervertir le sucre sans lui faire éprouver la fermen- 
tation proprement dite. 

« L'extrait de levûre, dit-il, se borne à intervertir le sucre sans lui 
faire éprouver la fermentation alcoolique, et sans donner lieu au 
développement immédiat d'êtres organisés. » 

Puis il ajoute : 

« L’extrait de la levüre renferme donc un ferment particulier, soluble 
dans l’eau et capable de changer le sucre de canne en sucre interverti. » 

Je rapporte les résultats de M. Berthelot tels qu’il les donne, sans 
en répondre autrement. 

On voit, dans tous les cas, par les paroles mêmes de M. Berthelot, 
qu'il appelle ici ferment des substances solubles dans l’eau, capables 
d'intervertir le sucre. Or tout le monde sait qu'il y a une foule de 
substances jouissant de cette propriété, par exemple tous les acides. 

Pour moi, lorsqu'il s'agit de sucre de canne et de levûre de bière, 
je n’appelle ferment que ce qui fait fermenter le sucre, c'est-à-dire ce 
qui produit de l'alcool, de l'acide carbonique, ete. Quant à l’inversion, 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 11 juin 1860, L, p. 1083-1084. — 
Bulletin de la Société chimique de Paris, 1858-1860, séance du 8 juin 1860, p. 183-184. 

2, BerTHELOr. Comptes rendus de l'Académie des sciences, L, 1860, p. 980-984. (Note de 
l'Édition.) 


128 ŒUVRES DE PASTEUR 


je ne m'en suis pas occupé. Relativement à la cause qui la déterminé, 
je n'ai fait que proposer un doute en passant, dans une note du 
Mémoire où je viens de résumer trois années d'observations sur la 
fermentalion alcoolique. 
Par conséquent, l'opposition que M. Berthelot croit trouver entre 
mes énoncés et les faits réels tient seulement à l’extension qu’il donne 
au mot ferment, tandis que je l’ai toujours et uniquement appliqué 
aux substances qui produisent les fermentations proprement dites. 


NOTE RELATIVE AU PENICILLIUM GLAUCUM 
ET À LA DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 
DES PRODUITS ORGANIQUES NATURELS (1) 


J'ai l'honneur de communiquer à l'Académie un fait nouveau qui 
. me paraît offrir beaucoup d'intérêt. 

Je dissous dans de l’eau du paratartrate acide d’ammoniaque pur et 
des quantités fort minimes de phosphates ; puis je sème dans la liqueur 
quelques spores de penicillium glaucum. Ces spores se développent, 
et reproduisent la plante mere, dont le poids augmente peu à peu 
d’une manière notable, empruntant sa nourriture à l'oxygène de Pair 
et aux éléments minéraux et organiques de la solution. En même 
temps que la plante grandit, l'acide tartrique droit disparait et l’acide 
tartrique gauche reste dans la liqueur, d’où il est facile de l’isoler (2. 

Je rappellerai cette curieuse expérience que j'ai publiée l'an der- 
nier, où de la levûre de bière, semée dans de l’eau sucrée en présence 
de phosphates et de sels d’ammoniaque, se multipliait et faisait 
fermenter le sucre (3). 

Les résultats que j'ai l'honneur de faire connaître aujourd’hui 
offrent avec ceux-ci quelque analogie. La mucédinée remplace le fer- 
ment, l’acide paratartrique remplace le sucre. Avec le sucre et la 
levûre de bière, tout le sucre se transforme, ou, pour emprunter le 
langage ordinaire, tout le sucre fermente. Le penicillium fait un choix. 
Mais je rappellerai également cette fermentation singulière du para- 
tartrate d’ammoniaque, où j'ai vu une levûre spéciale décomposer 
l'acide tartrique droit, en respectant l'acide gauche (#). Ici l’analogie va 
plus loin que tout à l'heure entre le penicillium et le ferment, et tous 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 août 1860, LI, p. 298-299. 

2. Si l’on se sert de sucre de canne au lieu d'acide paratartrique, le sucre se transforme 
tout entier. 

3. Pasreur. Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation alcoolique. Comptes 
rendus de l'Académie des sciences, XLNII, 1858, p. 1011-1013, et p. 31-32 du présent volume. 
(Note de l'Édition.) 

4. Pasreur. Mémoire sur la fermentation de l'acide tartrique. Comptes rendus de l'Aca- 
démie des sciences, XLVI, 1858, p. 615-618, et p. 25-28 du présent volume. (Note de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 9 


130 ŒUNRES DE PASTEUR 


deux, pour se développer, préfèrent le corps droit au corps gauche. 

Je ne crois pas devoir entrer pour le moment dans plus de détails. 
J'ajouterai seulement que, outre les vues que ces résultats suggèrent 
à la physiologie végétale, et les idées qu'elles laissent pressentir sur 
la cause des fermentations, ils s'offrent comme un moyen d’application, 
probablement très générale, au dédoublement des corps organiques 
chez lesquels il y aurait lieu de supposer une constitution moléculaire 
de même ordre que celle de l'acide paratartrique. 

Tout le monde sera frappé d’ailleurs de voir, d’un côté les ferments 
se rapprocher de plus en plus des végétaux inférieurs, et de l’autre 
la dissymétrie moléculaire, exclusivement propre aux substances 
organiques naturelles, intervenir dans les phénomènes de la vie, 
comme modificateur puissant des affinités chimiques. - 


RECHERCHES SUR LE MODE DE NUTRITION DES MUCÉDINÉES {1 


L'Académie se rappellera peut-être qu'il ÿ a maintenant dix-huit 
mois j'ai eu l'honneur de lui communiquer une expérience relative à 
la levüre de bière qui fixa d’une manière particulière l’attention des 
physiologistes. En semant une trace presque impondérable de ce 
champignon microscopique dans l’eau pure tenant en dissolution des 
principes cristallisables et pour ainsi dire inorganiques, à savoir du 
sucre candi, un sel d’ammoniaque et des phosphates, j'ai vu les petits 
globules de levûre se multiplier, empruntant leur azote au sel d’ammo- 
niaque, leur carbone au sucre, leur matière minérale aux phosphates, 
et en même temps le sucre fermentait 2). La suppression de l’un 
quelconque des trois aliments empéchait le développement de la 
levüre. Plus tard j'ai étendu ces mêmes résultats à la levüre lactique (3). 

L'expérience précédente mettait un terme aux discussions sur la 
nature organisée de la levûre de bière, que Berzelius, jusque dans ses 
derniers écrits, considéra toujours comme un précipité chimique de 
forme globuleuse. Elle donnait en outre la preuve manifeste des rela- 
tions cachées qui existent entre les ferments et les végétaux supé- 
rieurs. 

L'Académie sait d’ailleurs que toutes les études que j'ai eu lhon- 
neur de lui présenter depuis quelques années concourent à établir ce 
principe, que ce sont des végétaux mycodermiques, les plus bas 
placés dans l’échelle des êtres, qui sont l’origine de toutes les fermen- 
tations proprement dites. Les résultats que je publie aujourd'hui 
ajouteront un nouvel appui à cette opinion. En les rapprochant de 
ceux que j'ai rappelés tout à l'heure, propres à la levûre de bière, ils 
montreront une grande analogie entre les ferments et les espèces 
végétales les plus inférieures, comme les plus élevées. J'ai aussi 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 12 novembre 1860, LI, 
p. 709-711. 
2. Pasteur. Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation alcoolique. /b/d., 


XBVII, 1858, p. 1011-1013, et p. 31-32 du présent volume. 
3. Pasreur. Nouveaux faits pour servir à l'histoire de la levüre lactique. Zbèd., XLVITI, 
1859, p. 337-388, et p. 34-36 du présent volume. (Notes de l'Édition. ; 


132 ŒUVRES DE PASTEUR 


l'espérance que les physiologistes y verront une méthode nouvelle 
propre à l'examen rigoureux et facile de diverses questions se ratta- 
chant à la nutrition des végétaux. 

Dans de l’eau distillée pure, je dissous un sel acide d’ammoniaque 
cristallisé, du sucre candi et des phosphates provenant de la calci- 
nation de la levüre de bière. Puis je sème dans le liquide quelques 
spores de penicillium ou d’une mucédinée quelconque. Ces spores 
germent facilement, et bientôt, en deux ou trois jours seulement, le 
liquide est rempli de flocons de mycelium, dont un grand nombre ne 
tardent pas à s’étaler à la surface de la liqueur, où ils fructifient. La 
végétation n’a rien de languissant. Par la précaution de l'emploi d’un 
sel acide d’ammoniaque, on empêche le développement des infusoires 
qui par leur présence arréteraient bientôt les progrès de la petite 
plante, en absorbant l’oxygène de l'air, dont la mucédinée ne peut se 
passer. Tout le carbone de la plante est emprunté au sucre, son azote 
à l’ammoniaque, sa matière minérale aux phosphates. Il y a done sur 
ce point de l'assimilation de lazote et des phosphates une complète : 
analogie entre les ferments, les mucédinées et les plantes d’un orga- 
nisme compliqué. C’est ce que les faits suivants achèveront de prouver 
d’une manière décisive. 

Si, dans l'expérience que je viens de rapporter, je supprime lPun 
quelconque des principes en dissolution, la végétation est arrêtée. 
Par exemple, la matière minérale est celle qui paraîtrait la moins 
indispensable pour des êtres de cette nature. Or si la liqueur est 
privée de phosphates, il n’y a plus de végétation possible, quelle que 
soit la proportion du sucre et des sels ammoniacaux. C’est à peine 
si la germination des spores commence par l'influence des phosphates 
que les spores elles-mêmes que lon a semées introduisent en quantité 
infiniment petite. Supprime-t-on de même le sel d’ammoniaque, la 
plante n’éprouve aucun développement. Il n’y à qu'un commencement 
de germination très chétive par l'effet de la présence de la matière albu- 
minoïde des spores semées, bien qu'il y ait surabondance d’azote libre 
dans l'air ambiant, ou en dissolution dans le liquide. Enfin il en est 
encore de même si l’on supprime le sucre, l'aliment carboné, alors 
méme qu'il y aurait dans l'air ou dans le liquide des proportions quel- 
conques d'acide carbonique. J’ai reconnu en effet que, sous le rapport 
de l’origine du carbone, les mucédinées different essentiellement des 
plantes phanérogames. Elles ne décomposent pas l'acide carbonique ; 
elles ne dégagent pas d'oxygène. L’absorption de l’oxygène et le déga- 
gement de l'acide carbonique sont au contraire des actes nécessaires 
et permanents de leur vie. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 133 


Quelles sont maintenant les conséquences des résultats qui pré- 
cèdent? En premier lieu, ils nous donnent des idées précises sur le 
mode de nutrition des mucédinées, à l’égard duquel la science ne 
possédait que l'observation de M. Bineau rappelée par M. Boussin- 
gault dans la dernière séance de l’Académie (1). D'autre part, et c’est là 
peut-être ce qu'il faut remarquer de préférence, ils nous découvrent 
une méthode à l’aide de laquelle la physiologie végétale pourra aborder 
sans peine les questions les plus délicates de la vie de ces petites 
plantes, de manière à préparer sûrement la voie pour l'étude des 
mêmes problèmes chez les végétaux supérieurs. 

Lors même que l’on craindrait de ne pouvoir appliquer aux grands 
végétaux les résultats fournis par ces organismes d'apparence si 
infime, il n’y aurait pas moins un grand intérêt à résoudre les diffi- 
cultés que soulève l'étude de la vie des plantes, en commençant par 
celles où la moindre complication d'organisation rend les conclusions 
plus faciles et plus sûres. La plante est réduite ici en quelque sorte à 
l’état cellulaire, et les progrès de la science montrent de plus en plus 
que l'étude des actes accomplis sous l’influence de la vie végétale ou 
animale, dans leurs manifestations les plus compliquées, se ramène, en 
dernière analyse, à la découverte des phénomènes propres à la cellule. 


1. BoussnGauzr. Observations relatives au développement des mycodermes. Comptes 
rendus de l'Academie des sciences, séance du 5 novembre 1860, LI, p. 671-675. (Note de 
l'Édition.) 


SUR LA FERMENTATION VISQUEUSE 
ET LA FERMENTATION BUTYRIQUE (1 


M. Pasteur communique les résultats de ses recherches sur la fermen- 
tation visqueuse et sur la fermentation butyrique. 

M. Favre, ingénieur des tabacs, avait annoncé que l’eau d'orge, de riz, de 
froment contenait une matière capable de translormer le sucre en une 
matière visqueuse sans dégagement de gaz. M. Desfosses ax ait annoncé plus 
anciennement que dans la fermentation visqueuse le sucre fournissait une 
quantité de matière visqueuse supérieure à son propre poids et qu'il se 
dégageait de l'acide carbonique et de l'hydrogène. 

MM. Pelouze et Jules Gay-Lussac (2), ayant déterminé la fermentation 
visqueuse du jus de betterave, ont constaté dans le liquide obtenu la 
présence de la mannite et de l'acide lactique. 

M. Pasteur est parvenu à isoler le ferment végétal produisant la fermen- 
tation visqueuse; ce ferment est constitué par des petits globules réunis en 
chapelet. Le diamètre de ces globules varie de 0"®,0012 à 0%%,0014. 
Lorsqu'on les sème dans un liquide sucré et contenant de l’albumine en 
dissolution, on obtient toujours la fermentation visqueuse. 100 de sucre 
fournissent approximativement 51,09 de mannite et 45,5 de gomme; de 
plus il se dégage de l'acide carbonique. 

On a approximativement l’équation : 


25 (CI2HH OU) 25 HO — 12 (CI2H10010) EL 12(C2H4 08) + 12C02 + 12H0. 
 — Ne — 
Sucre. Gomme. Mannite. 


Ce qui correspond, pour 100 de sucre, à : 


Mannitess 0 Ce 051 09IPOnrAUU 
Gomme 7 SN CR EN ETS 
AGidetcarbonique REP CG 10 


Ce sont là les rapports sensiblement constatés par l'expérience lorsqu'on 
opère exclusivement avec le ferment constitué par les petits globules en 
chapelet. Lorsque les proportions de gomme sont supérieures à celles de la 
mannite, on s'aperçoit qu'il y a dans le liquide de plus gros globules et 


1. Bulletin de la Société chimique de Paris, séance du 8 février 1861, p. 30-31. (Résurné.) 
2. Gay-Lussac (J.) et Pecouze (J.). Sur l'acide lactique. Annales de chimie et de physique, 
LII, 1833, p. 410-424. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 135 


d’une nature différente. Il serait possible que ce second ferment transformât 
le sucre en gomme seulement, sans qu'il y eût alors formation de mannite. 
M. Pasteur n’a pas réussi encore à isoler ce second ferment du premier, 
qui toujours s'accompagne de la formation de la mannite. 

Le liquide le plus fréquemment apte à produire la fermentation visqueuse 
peut aussi produire la fermentation lactique ou butyrique. Mais dans ce 
cas, les êtres organisés qui se développent dans le liquide sont de nature 
différente. 

L'auteur s’est assuré que les fermentations visqueuse, lactique, buty- 
rique, etc., sont toujours coexistantes avec le développement d'êtres 
organisés. 

L'auteur a déjà décrit antérieurement le ferment lactique. 

Ces divers ferments végétaux ou ces infusoires n’ont pas besoin 
d'oxygène pour se developper, tandis que les mucédinées qui se produisent 
dans les liquides albumineux exigent pour leur développement le concours 
de l'oxygène libre comme les végétaux supérieurs. 

En ce qui concerne la fermentation butyrique, M. Pasteur s’est assuré 
qu'elle est toujours coexistante avec le développement d'infusoires qui se 
multiplient. La vie de ces infusoires n’exige pas le concours de l'oxygène 
libre ; l'expérience prouve mème que la présence de l'oxygène les prive de 
vie ou de mouvement. Ces infusoires qui se développent dans une atmosphère 


exempte d'oxygène ne vivraient-ils pas aux.dépens de l'oxygène combiné ?(1) 


1. Le 9 mai 1862, Pasteur rapporta à la Société chimique de Paris de nouvelles 
recherches sur la fermentation butyrique, en même temps que des résultats relatifs à la 
fermentation acétique. Le résumé de sa communication, paru dans le Bulletin de la Société 
chimique de Paris, a été placé au tome III des Œuvres de Pasteur, « Études sur le vinaigre 
et sur le vin. » (Note de l'Édition.) 


ANIMALCULES INFUSOIRES VIVANT SANS GAZ OXYGÈNE LIBRE 
ET DÉTERMINANT DES FERMENTATIONS (1) 


On sait combien sont variés les produits qui se forment dans la 
fermentation appelée lactique. L'acide lactique, une gomme, la man- 
nite, l'acide butyrique, l'alcool, l'acide carbonique et l'hydrogène 
apparaissent simultanément ou successivement en proportions extré- 
mement variables et tout à fait capricieuses. Jai été conduit peu à peu 
à reconnaître que le végétal-ferment qui transforme le sucre en acide 
lactique est différent de celui ou de ceux (car il en existe deux) qui 
déterminent la production de la matière gommeuse, et que ces derniers 
à leur tour n’engendrent pas d’acide lactique. D'autre part j'ai également 
reconnu que ces divers végétaux-ferments ne pouvaient dans aucune 
circonstance, s'ils étaient bien purs, donner naissance à l'acide 
butyrique. 

Il devait done y avoir un ferment butyrique propre. C’est sur ce 
point que j'ai arrêté depuis longtemps toute mon attention. La commu 
nication que j'ai l'honneur d'adresser aujourd’hui à l’Académie se 
rapporte précisément à l’origine de l'acide butyrique dans la fermen- 
tation appelée lactique. 

Je n’entrerai pas ici dans tous les détails de cette recherche. Je me 
bornerai d’abord à énoncer l’une des conclusions de mon travail : c’est 
que le ferment butyrique est un infusotre. 

J'étais bien éloigné de m'attendre à ce résultat, à tel point que 
pendant longtemps j'ai eru devoir appliquer mes efforts à écarter 
l'apparition de ces petits animaux, par la crainte où j'étais qu'ils ne se 
nourrissent du ferment végétal que je supposais être le ferment buty- 
rique et que je cherchais à découvrir dans les milieux liquides que 
j'employais. Mais n’arrivant pas à saisir la cause de l’origine de lacide 
butyrique, je finis par être frappé de la coïncidence, que mes analyses 
me montraient inévitable, entre cet acide et les infusoires, et inver- 
sement entre les infusoires et la production de cet acide, circonstance 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du %5 février 1861, LIT, p. 344-347. 
,: 


a 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 137 


que j'avais attribuée jusque-là à l'utilité ou à la convenance que l’acide 
butyrique offrait à la vie de ces animaleules. 

Depuis lors, les essais les plus multipliés m'ont convaincu que la 
transformation du sucre, de la mannite et de l’acide lactique en acide 
butyrique est due exclusivement à ces infusoires, et qu'il faut les 
considérer comme le véritable ferment butyrique. 

Voici leur description : Ce sont de petites baguettes cylindriques, 
arrondies à leurs extrémités, ordinairement droites, isolées ou réunies 
par chaînes de deux, de trois, de quatre articles et quelquefois même 
davantage. Leur largeur est de 0"",002 en moyenne. La longueur des 
articles isolés varie de 0,002 jusqu’à 0°%,015 ou 0"",02. Ces infu- 
soires s’avancent en glissant. Pendant ce mouvement, leur corps reste 
rigide ou éprouve de légères ondulations. Ils pirouettent, se balancent 
ou font trembler vivement la partie antérieure et postérieure de leur 
corps. Les ondulations de leurs mouvements deviennent très évidentes 
dès que leur longueur atteint 0m 015. Souvent ils sont recourbés à 
une de leurs extrémités, quelquefois à toutes deux. Cette particularité 
est rare au commencement de leur vie. 

Ils se reproduisent par fissiparité. C’est évidemment à ce mode de 
génération qu'est due la disposition en chaînes d'articles qu'affecte le 
corps de quelques-uns. L'article qui en traîne d’autres après lui s’agite 
._ quelquefois vivement comme pour s’en détacher. 

Bien que les corps de ces vibrions aient une apparence cylindrique, 
on les dirait souvent formés d’une suite de grains ou d’articles très 
courts à peine ébauchés. Ce sont sans nul doute les premiers rudi- 
ments de ces petits animaux. 

On peut semer ces infusoires comme on sèmerait de la levûre de 
bière. Ils se multiplient si le milieu est approprié à leur nourriture. 
Mais ce qui est bien essentiel à remarquer, on peut les semer dans un 
liquide ne renfermant que du sucre, de l'ammoniaque et des phosphates, 
c'est-à-dire des substances cristallisables et pour ainsi dire toutes 
minérales, et ils se reproduisent corrélativement à la fermentation 
butyrique qui apparaît très manifeste. Le poids qui s'en forme est 
notable, bien que toujours minime, comparé à la quantité totale d'acide 
butyrique produit, comme cela se passe pour tous les ferments. 

L'existence d’infusoires possédant le caractère des ferments est déjà 
un fait qui semble bien digne d'attention ; mais une particularité singu- 
lière qui l'accompagne, c’est que ces animalcules infusoires vivent et se 
multiplient à l'infini sans qu'il soit nécessaire de leur fournir la plus 
petite quantité d’air ou d'oxygène libre. 

11 serait trop long de dire ici comment je me suis arrangé pour que 


138 ŒUVRES DE PASTEUR 


les milieux liquides où ces infusoires vivent et pullulent par myriades 
ne renferment absolument pas d'oxygène libre dans leur intérieur ou à 
leur surface, ce que j'ai d’ailleurs soigneusement constaté. J’ajouterai 
seulement que je n’ai pas voulu présenter mes résultats à l’Académie 
sans en avoir rendu témoins plusieurs de ses membres, qui m'ont paru 
reconnaître la rigueur des preuves expérimentales que j'ai mises sous 
leurs yeux. 

Non seulement ces infusoires vivent sans air, mais l’air les tue. Que 
l’on fasse passer dans la liqueur où ils se multiplient un courant 
d'acide carbonique pur pendant un temps quelconque, leur vie et leur 
reproduction n’en sont aucunement affectées. Si, au contraire, dans des 
conditions exactement pareilles, on substitue au courant d'acide carbo- 
nique un courant d'air atmosphérique, pendant une ou deux heures 
seulement, tous périssent, et la fermentation butyrique liée à leur 
existence est aussitôt arrêtée. 

Nous arrivons donc à cette double proposition : 

1° Le ferment butyrique est un infusotre. 

2% Cet infusoire vit sans gaz oxygène libre. 

C'est, je crois, le premier exemple connu de ferments animaux, et 
aussi d'animaux vivant sans gaz oxygène libre. 

Le rapprochement du mode de vie et des propriétés de ces animal- 
cules avec le mode de vie et les propriétés des ferments végétaux qui 
vivent également sans le concours du gaz oxygène libre se présente 
de lui-même, aussi bien que les conséquences qu'il est permis d’en 
déduire, relativement à la cause des fermentations. Cependant je veux 
réserver les idées que ces faits nouveaux suggèrent jusqu'à ce que j'aie 
pu les soumettre à la lumière de l'expérience. 


Fr 


SUR LES PRÉTENDUS CHANGEMENTS DE FORME 
ET DE VÉGÉTATION DES CELLULES DE LEVURE DE BIÈRE 
SUIVANT LES CONDITIONS EXTÉRIEURES 
DE LEUR DÉVELOPPEMENT (1) 


On sait que Leeuwenhoek a décrit le premier les globules de levûüre 
de bière et que M. Cagniard de Latour a découvert leur faculté de se 
multiplier par leur bourgeonnement. 

Cette production végétale si intéressante a été le sujet d’une foule 
de travaux de la part des chimistes et des botanistes. Ces derniers, 
depuis MM. Turpin et Kützing, ont été à peu près unanimes à regarder 
la levüre de bière comme une forme de développement de divers végé- 
taux inférieurs, notamment du penicillium glaucum. Les études à ce 
sujet qui paraissent avoir eu le plus de faveur dans ces dernières 
années appartiennent à MM. Wagner, Bail, Berkeley, Hoffmann. Les 
recherches de ces habiles botanistes ont agrandi et confirmé les obser- 
vations anciennes de MM. Turpin et Kützing. Tout récemment, 
M. Pouchet a émis les mêmes idées en les précisant encore sur certains 
points. 

Je me suis préoccupé depuis longtemps de cette importante question 
qui touche de si près à la nature intime de la levûre de bière et à ces 
phénomènes de polymorphie des végétaux inférieurs auxquels se 
rattachent la plupart des travaux remarquables de M. Tulasne. Mais je 
suis arrivé à des résultats tout à fait négatifs, je veux dire qu’il m'a été 
impossible de voir la lévüre de bière se transformer en une mucédinée 
quelconque, et réciproquement je n'ai pu arriver à faire produire aux 
mucédinées vulgaires la plus petite quantité de levüre de bière. 


1. Société philomathique de Paris, séance du 30 mars 1861, p. 47-48. 


SUR LES FERMENTS (1) 


M. Pasteur fait une communication sur les prétendus changements de 
forme des cellules de levüre de bière suivant les conditions extérieures de 
leur développement. Dans une critique des travaux des botanistes sur ce 
sujet, M Pasteur indique les causes d’erreur de leurs expériences. Elles sont 
telles, suivant lui, qu'alors même que les conclusions auxquelles ils sont 
conduits seraient vraies, il faudrait en donner des preuves toutes nouvelles. 

Jusqu'à ce jour M. Pasteur, qui poursuit encore ses études, n’a pu faire 
produire des mucédinées à la levüre de bière, ni transformer en levüûre les 
spores des mucédinées. 

M. Pasteur communique ensuite à la Société de nouvelles observations 
au sujet de la levüre de bière et des rapports qu'elle offre ertre son mode 
d'accroissement et ses propriétés, selon qu'elle est mise en contact avec le 
gaz oxygène de l'air ou le gaz acide carbonique dès le commencement de la 
fermentation. 

La levüre, semée dans une liqueur sucrée albumineuse entièrement 
privée des plus faibles quantités d’air, se multiphe, augmente de poids, et 
détermine la fermentation du sucre. La levûre peut done vivre et provoquer 
la fermentation, bien que les liqueurs où elle a été semée ne renferment pas 
la moindre trace de gaz oxygène libre. 

M. Pasteur a reconnu, d'autre part, que néanmoins, s'il y avait de l'air 
à l’origine dans les liqueurs ou à leur surface, la levûre se multipliait encore 
et même beaucoup mieux que dans le premier cas; c’est-à-dire que dans le 
même temps, et toutes choses égales d’ailleurs, il s’en forme une plus 
grande quantité; mais cette levûre, pendant son développement, n’a qu'une 
activité très faible comme ferment, bien qu'elle agisse énergiquement sur le 
sucre si on la met ultérieurement en contact avec de l’eau sucrée à l'abri du 
gaz oxygène. 

M. Pasteur a déja réussi à enlever à la levüre son caractère de ferment 
dans la proportion des neuf dixièmes, mais ce qu'il importe de remarquer, 
c'est que dans ces circonstances particulières les globules de levüre, d'après 
les expériences de M. Pasteur, absorbent l'oxygène de l’air et dégagent de 
l'acide carbonique, vivant dès lors à la manière de toutes les petites plantes 
inférieures. 

M. Pasteur avait déjà signalé toute l’analogie qui existe entre le mode 
de vie de la levüre de bière et des torulacées ou des mucédinées ordinaires, 


1. Bulletin de la Société chimique de Paris, séance du 12 avril 1861, p. 61-63. (Résumé.) 


TT 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 141 


en montrant que ces productions diverses pouvaient se développer dans des 
liqueurs qui ne renferment que du sucre, de l’ammoniaque et des phos- 
phates. Mais la levûre de bière restait toujours séparée des végétaux infé- 
rieurs par la double propriété de pouvoir vivre sans gaz oxygène libre et 
d'être ferment. Les nouveaux faits qui viennent d’être énoncés établissent 
que la levüre de bière peut vivre à l’aide du gaz oxygène libre, et que, 
par son influence, elle se multiplie même avec une activité extraordinaire. 
Sous le rapport du développement organique, il n’y a plus de différence, 
dans ces conditions spéciales, entre la levüre et les plantes les plus infé- 
rieures. Or, à ce moment, la différence s’efface également au point de vue 
des propriétés de fermentation. Le caractère ferment tend à disparaitre 
pour faire place aux seuls phénomènes de nutrition, ainsi que cela a lieu 
chez les plantes inférieures ordinaires. 

Il parait donc y avoir corrélation entre le caractère ferment et le fait de 
la vie sans gaz oxygène libre. Cela posé, faut-il admettre que la levüre de 
bière, si avide d'oxygène qu'elle se multiplie avec une énergie tout à fait 
inconnue Jusqu'ici, dit M. Pasteur, lorsqu'on lui fournit du gaz oxygène 
libre, n'en utilise plus aucune trace pour son développement dès qu'on lui 
refuse ce gaz sous forme libre, sans le lui refuser sous forme de combi- 
naison? N'’est-il pas vraisemblable que le mode de vie de la plante est le 
mème dans les deux cas, sauf que dans le second elle respire avec l'oxygène 
emprunté à la matière fermentescible? Ce serait par conséquent dans cet 
acte physiologique qu'il faudrait placer l’origine du caractère ferment. 

Telle est la théorie nouvelle de la fermentation que M. Pasteur soumet à 
l'attention des physiologistes. 


EXPÉRIENCES ET VUES NOUVELLES 
SUR LA NATURE DES FERMENTATIONS ({) 


Dans les diverses communications que j'ai eu l’honneur d'adresser 
à l'Académie au sujet des fermentations proprement dites, encore bien 
que j'eusse appliqué tous mes efforts à démontrer qu’elles étaient 
corrélatives de la présence et de la multiplication d’êtres organisés, 
distincts pour chaque fermentation, je m'étais gardé de toute opinion 
sur la cause de ces mystérieux phénomènes. Mieux étudier qu’on ne 
l'avait fait les produits de ces fermentations, isoler Les ferments, 
découvrir des preuves expérimentales de leur organisation, tel a été 
jusqu'ici le but de mes recherches. En ce qui concerne l’idée princi- 
pale que les ferments sont organisés, si des doutes pouvaient exister 
encore dans lesprit de quelques personnes, ils ont dû être levés par 
les résultats que j'ai eu l'honneur de faire connaître récemment à 
l’Académie au sujet de la fermentation butyrique (2). J'ai annoncé, en 
effet, que le ferment butyrique était un animalcule infusoire, ou, si 
l’on ne veut pas préjuger la question de la limite des deux règnes 
organiques, que le ferment butyrique était un être organisé, se mou- 
vant et se reproduisant à la manière de ceux que les naturalistes 
appellent des vibrions. Mais ce que je veux faire remarquer en ce 
moment, c'est que ce ferment butyrique porte en lui-même dans ses 
mouvements et dans son mode de génération la preuve évidente de 
son Organisalion. 

Il y a donc, à côté de la levüre de bière, des ferments organisés. 
Malgré l'opposition que cette idée rencontra au début, j'ose espérer 
qu'on peut la regarder aujourd’hui comme acquise à la science. 

Il se présente maintenant une question non moins importante à 
résoudre : Comment agissent les êtres organisés dans la fermentation ? 

Je viens de rappeler que le ferment butyrique est un étre organisé 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 juin 1861, LII, p. 1260-1264. 

2. Pasreur. Animalcules infusoires vivant sans gaz oxygène libre et déterminant des fer- 
mentations. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LIT, 1861, p. 344-347, et p. 126-138 
du présent volume. (Note de l'Édition.) 


PS 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 1 


43 


du genre vibrion. Si l’on étudie, comme je l’ai fait par des expériences 
directes, le mode de vie des vibrions décrits jusqu’à ce jour par les 
naturalistes, on reconnaît qu'ils enlèvent à l’air atmosphérique des 
quantités considérables de gaz oxygène et qu'ils dégagent de l'acide 
carbonique. Il en est exactement de même, d’après mes expériences, 
des mucédinées, des torulacées, des mucors. Ces petites plantes ne 
peuvent pas plus se passer de gaz oxygène que les animalcules infu- 
soires. En outre, de même que les animalcules infusoires ordinaires, 
ces plantes n’ont pas le caractère ferment, c’est-à-dire que les phéno- 
mènes chimiques qu’elles déterminent dans leurs aliments sont de 
l’ordre des phénomènes de nutrition, où le poids de l'aliment assimilé 
correspond au poids des tissus transformés par son influence. Les 
choses se passent bien différemment pour le vibrion de la fermentation 
butyrique, car j'ai constaté que ce vibrion, d'une part, vivait sans gaz 
oxygène libre et, d'autre part, était ferment. Que le progrès de la 
science, en ce qui touche la limite des deux règnes, fasse de ce vibrion 
une plante ou un animal, peu importe présentement: vivre sans air et 
être ferment sont deux propriétés qui le séparent de tous les êtres 
inférieurs ordinaires des deux règnes. C’est un point essentiel qu’il 
faut bien comprendre. 

Le rapprochement de ces faits conduit à se demander s’il n’existe 
pas une relation cachée entre la propriété d’être ferment et la faculté 
de vivre sans l'intervention de l'air atmosphérique, puisque nous 
voyons le caractère ferment exister chez le vibrion butyrique qui vit 
sans gaz oxygène, landis que ce même caractère est absent chez les 
vibrions et les mucorées ordinaires, où la vie n’est pas possible en 
l'absence de ce gaz. 

Je viens d'exposer fidèlement la suite des faits qui m'ont suggéré 
les expériences et les vues nouvelles dont il me reste à parler. 

Dans un ballon de verre de la capacité d’un quart de litre, je place 
environ 100 centimètres cubes d’une eau sucrée mêlée à des matières 
albuminoïdes. J’étire à la lampe le col du ballon, dont l’extrémité 
effilée ouverte est introduite sous le mercure; puis, je fais bouillir le 
liquide du ballon, de manière à chasser totalement l'air qu'il renferme 
et celui que dissout le liquide. Pendant le refroidissement, le mercure 
rentre dans le ballon. Alors, après avoir brisé par un choc au fond 
de la cuve à mercure la partie étirée du col, sans laisser rentrer la 
moindre parcelle d’air, je fais arriver dans le ballon une très petite 
quantité de levüre de bière fraiche. L'expérience montre que les 
globules semés se multiplient, quoique d’une maniere pénible, et 


le sucre fermente. Dans ces conditions, 1 partie en poids de levûre 


154 ŒUVRES DE PASTEUR 


décompose 60, 80 et 100 parties de sucre. En conséquence, la levüre 
de bière peut se multiplier en l'absence absolue du gaz oxygène libre, 
et elle jouit alors à un haut degré du caractère ferment (1). Cela posé, 
reproduisons la même expérience, cette fois en présence de beaucoup 
d'air, comme source d'oxygène. À cet effet, dans une cuve de verre 
peu profonde et d’une grande surface, je place de l’eau sucrée 
albumineuse en couche d’une faible épaisseur, puis j'y sème une 
petite quantité de levüre de bière, la cuve étant à peu près décou- 
verte et librement exposée à l'air atmosphérique. Dans le cas où l’on 
veut analyser les gaz et étudier l’altération de l’air, il faut opérer dans 
une grande fiole à fond plat, dont on ferme le col à la lampe, en l’étirant, 
de manière à pouvoir briser ultérieurement la pointe sous le mercure 
et recueillir le gaz qui s'échappe pour y déterminer le rapport des 
volumes de l’oxygène et de l'azote. 

On observe dans les expériences ainsi conduites que la levüre se 
multiplie avec une activité des plus remarquables, inconnue jusqu'à 
présent dans la vie de cette petite plante. L'expérience dans la fiole 
prouve, en outre, qu'en se multipliant les globules de levüre enlèvent 
à l'air une quantité considérable d'oxygène. Il n’y a aucune compa- 
raison à établir entre la rapidité du développement des cellules de 
levûre dans ces conditions particulières: et dans les circonstances 
examinées en premier lieu où le gaz oxygène libre est absent. Il n'y 
aurait pas d’exagération à dire qu’elles se multiplient cent fois plus 
vite dans un cas que dans l’autre. 

Il résulte de là que la levûre de bière a deux manières de vivre 
essentiellement distinctes. Le gaz oxygène libre peut être totalement 
absent, comme il peut ètre présent en volume quelconque. Dans le 
second cas, il est utilisé par la plante dont la vie est singulièrement 
exaltée. La petite plante vit donc alors à la façon des plantes infé- 
rieures; et, comme j'ai reconnu antérieurement que, sous le rapport 
de l'assimilation du carbone, des phosphates et de l'azote, la levüre de 
bière n’offrait pas de différences essentielles avec les mucédinées, il est 
bien établi que la levûre, placée dans les circonstances où elle respire 
le gaz oxygène libre, a un mode de vie de tout point comparable à 
celui des plantes et des animalcules inférieurs. Or l'expérience prouve 
que l’analogie va plus loin et qu’elle s'étend au caractère ferment. En 


1. Foër Pasreur [Nouvelles observations sur la nature de la fermentation alcoolique]. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXX, 18%, p. 452-457 ou mes « Etudes sur 
la bière », 1876, [tome V des Œuvres de Pasteur] un meilleur dispositif pour répéter cette 
expérience. [Note ajoutée par Pasteur en 1879 dans son « Examen critique d'un écrit 
posthume de Claude Bernard Sur la fermentation ».] 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 145 


effet, si l’on détermine le pouvoir fermentant de la levüre, alors qu'elle 
assimile du gaz oxygène libre, on trouve que ce pouvoir fermentant de 
la levüre a presque complètement disparu. 

Je ne doute pas que je n'arrive à le supprimer entièrement ; mais ce 
qui est certain, c'est que je l’ai déjà rendu près de vingt fois moindre 
qu'il n'est dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire que, pour un 
développemeut de levûüre égal à 1 partie, il n’y a que 6 à 8 parties de 
sucre transformé. Remarquons, en outre, que la levüre de bière qui 
vient de se développer au contact de l'air en absorbant du gaz oxygène, 
et qui, sous cette influence et par ce modé de vie spécial, perd son 
caractère ferment, n'a pas pour autant changé de nature. Bien au 
contraire : car si on la transporte dans de l’eau sucrée, à l'abri de l'air, 
elle y provoque aussitôt la fermentation la plus énergique. Je n'ai 
jamais connu de levûre alcoolique plus active, sans doute parce que 
tous les globules sont bourgeonnés et turgescents. Il est impossible de 
voir une levüre plus homogène et plus remarquable de formes, et de 
santé, si je puis m'exprimer ainsi (!). 

En résumé, la petite plante cellulaire, appelée vulgairement levûre 
de bière, peut se développer sans gaz oxygène libre, et elle est ferment : 
double propriété qui la sépare alors de tous les êtres inférieurs ; ou 
bien, elle peut se développer en assimilant du gaz oxygène libre, et 
avec une telle activité que l’on peut dire que c’est sa vie normale, et 
elle perd son caractère ferment : double propriété qui la rapproche au 
contraire alors de tous les êtres inférieurs. Mais n'oublions pas de 
remarquer que si la levüre perd son caractère ferment pendant qu'elle 
se multiplie sous l'influence de l'oxygène de l'air, elle se constitue 
néanmoins dans l’état le plus propre à agir comme ferment si l’on 
vient à supprimer le gaz oxygène libre. 

Voilà les faits dans toute leur simplicité. Maintenant quelle est 
leur conséquence prochaine ? Faut-il admettre que la levûre, si avide 
d'oxygène qu’elle l’enlève à l’air atmosphérique avec une grande acti- 
vité, n’en a plus besoin et s’en passe lorsqu'on lui refuse ce gaz à 
l’état libre, tandis qu'on le lui présente à profusion sous forme de 
combinaison dans la matière fermentescible ? Là, est tout le mystère de 
la fermentation. Car si l’on répond à la question que je viens de poser 
en disant : Puisque la levûre de bière assimile le gaz oxygène avec 
énergie lorsqu'il est libre, cela prouve qu’elle en a besoin pour vivre, 
et elle doit conséquemment en prendre à la matière fermentescible si 


1. Dans cet état, la levûre est très propre à se multiplier à l'abri de l'air, en présence des 
matières azotées et du sucre, qu'elle fait alors fermenter avec énergie. [Note ajoutée 
par Pasteur en 1879.] 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 10 


116 ŒUVRES DE PASTEUR 


on lui refuse ce gaz à l’état de liberté ; aussitôt la plante nous 
apparaît comme un agent de décomposition du sucre. Lors de chaque 
mouvement de respiration de ses cellules, il y aura des molécules de 
sucre dont l'équilibre sera détruit par la soustraction d’une partie de 
leur oxygène. Un phénomène de décomposition s’ensuivra, et de là le 
caractere ferment, qui, au contraire, fera défaut lorsque la plante assi- 
milera du gaz oxygène libre. 

En résumé, à côté de tous les êtres connus jusqu'à ce jour, et qui, 
sans exceplion au moins on le croit), ne peuvent respirer et se nourrir 
qu'en assimilant du gaz oxygène libre, il y aurait une classe d’êtres 
dont la respiration serait assez active pour qu'ils puissent vivre hors 
de l'influence de l'air en s’emparant de l'oxygène de certaines combi- 
naisons, d’où résulterait pour celles-ci une décomposition lente et 
progressive. Cette deuxième classe d’êtres organisés serait constituée 
par les ferments, de tout point semblables aux êtres de la première 
classe, vivant comme eux, assimilant à leur man'ère le carbone, l’azote 
et les phosphates, et comme eux ayant besoin d'oxygène, mais différant 
d'eux en ce qu'ils pourraient, à défaut de gaz oxygène libre, respirer 
avec du gaz oxygène enlevé à des combinaisons peu stables. ; 

Tels sont les faits et la théorie qui paraît en être l'expression 
naturelle, que j'ai l'honneur de soumettre au jugement de l’Académie, 
avec l'espoir d’y joindre bientôt de nouvelles preuves expérimen- 
tales (1). 


1. Dans des travaux récents sur la fermentation alcoolique et sur les propriétés de la 
levûre, je remarque une tendance à admettre que la levûre ne peut se passer de gaz oxygène 
libre pour vivre, surtout pour se multiplier, quoique, après une discussion contradictoire 
approfondie, j'aie déjà réfuté les objections qui ont été produites antérieurement sur ce point 
délicat de la vie de la levûre et de l'histoire de la fermentation. On paraît revenir à l'opinion 
que la fermentation peut se produire en dehors de la vie des cellules par la décomposition de 
la levüre, que le sucre pourrait même fermenter en ne faisant que traverser, pour ainsi dire, 
les cellules. Ces théories nous raméneraient aux opinions de Liebig. Liebig savait fort bien 
que la levüre est une production cellulaire vivante, mais il ne voulait pas que la propriété 
qu’elle possède de provoquer la fermentation fût liée à son organisation. Entre autres argu- 
ments, il invoquait la possibilité de la fermentation de l’eau sucrée pure. « Si la fermentation, 
disait Liebig [Nouvelles lettres sur la chimie, traduction Gerhardt. Paris, 1852, in-16. 
Lettre xxvur), était une conséquence du développement et de la multiplication des globules, ils 
n'exciteraient pas la fermentation dans l’eau sucrée pure, qui manque des conditions essen- 
tielles à la manifestation de l'activité vitale. Cette eau ne renferme pas la matière azotée 
nécessaire à la production de la partie azotée des globules. Dans ce cas les globules déter- 
minent la fermentation, non parce qu'ils continuent de se développer, mais par suite de méta- 
morphoses de leur partie interne azotée, qui se décompose en ammoniaque et en d’autres 
produits, c'est-à-dire par suite d’une décomposition chimique qui est tout l'opposé d'un acte 
organique. » 

Dés l'année 1857 (Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLV, p. 1032-1036), j'ai 
fait observer que Liebig se rendait un compte très inexact de ce qui se passe dans l'expérience 
précédente de la fermentation de l’eau sucrée pure par la levûre lavée. J'ai montré que la 
levûre augmentait de poids, qu'elle assimilait les éléments du sucre, que l'azote de la levüre 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 147 


ne passe pas à l'état de sel ammoniacal, que les globules de la levre peuvent se multiplier el 
vivre à l’aide de leur propre matière azotée, à tel point qu'en provoquant l'organisation, en 
présence du sucre, de la partie soluble d'une certaine portion de levûre, on peut faire fermenter 
un poids de ce sucre qui approche du poids de sucre que peut faire fermenter une égale 
portion de cette levûre. Aujourd'hui j'interpréterais mieux encore ces résultats, en montrant la 
part que l'oxygène peut prendre dans ces phénomènes. Avec la levûre des brasseries et l'eau 
sucrée pure, l'oxygène n'intervient qu'au début et dans de faibles limites, et la levûre n'est pas 
assez jeune pour bourgeonner et se multiplier beaucoup. Dans ces conditions, la vie de la 
levûre consiste principalement en une vie poursuivie des globules, les plus jeunes, aux 
dépens de leurs propres matériaux ou des matériaux des globules plus épuisés. Dans le 
cas, au contraire, où l'on sème une trace de globules dans une eau sucrée tenant en solution 
la partie soluble de la levûre, comme dans l'une de mes expériences de 1857 que je rappelais 
tout à l'heure, l'oxygène dissous à l’origine dans la liqueur sucrée intervient puissamment 
dans l'organisation et la multiplication des nouveaux globules, dont le poids est notable, ainsi 
qu'on peut s'en assurer par les nombres que j'ai donnés, notamment dans mon Mémoire sur la 
fermentation alcoolique (Annales de chimie et de physique, % sér., LVIIT, 1860, p. 323-426). 
[Note ajoutée par Pasteur en 1879.] 


INFLUENCE DE L'OXYGÈNE 
SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA LEVURE 
ET LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (!) 


M. Pasteur expose les résultats de ses recherches sur la fermentation du 
sucre et le développement des globules de levüre, suivant que cette fermen- 
tation s'opère à l'abri ou au contact du gaz oxygène libre. Ces expériences 
n'ont d’ailleurs rien de commun avec celle de Gay-Lussac sur le moût de 
raisin écrasé à l'abri de l'air, puis amené au contact de l'oxygène. 

La levüre toute formée peut bourgeonner et se développer dans un 
liquide sucré et albumineux en l'absence complète d'oxygène ou d'air. Il se 
forme peu de levûre dans ce cas, et il disparait comparativement une grande 
quantité de sucre, 60 ou 80 parties pour 1 de levüre formée. La fermentation 
est très lente dans ces conditions. 

Si l’expérience est faite au contact de l'air et sur une grande surface, 
la fermentation est rapide. Pour la même quantité de sucre disparu, il se 
fait beaucoup plus de levüre. L'air en contact cède de l'oxygène qui est 
absorbé par la levüre. Celle-ci se développe énergiquement, mais son carac- 
tère de ferment tend à disparaître dans ces conditions. On trouve en effet 
que, pour 1 partie de levüre formée, il n'y aura que 4 à 10 parties de sucre 
transformé. Le rôle de ferment de cette levüre subsiste néanmoins et se 
montre même fort exalté si l’on vient à la faire agir sur le sucre en dehors 
de l'influence du gaz oxygène libre. 

Il parait dès lors naturel d'admettre que lorsque la levûre est ferment, 
agissant à l'abri de l'air, elle prend de l’oxygène au sucre, et que c’est là 
l’origine de son caractère de ferment. 

M. Pasteur explique le fait d’une activité tumultueuse à l’origine des 
fermentations par l'influence de l'oxygène de l'air qui est en dissolution 
dans les liquides quand l’action commence. L'auteur a reconnu, en outre, 
que la levüre de bière, semée dans un liquide albumineux, tel que l’eau de 
levûre de bière, se multiplie encore lorsqu'il n’y a pas trace de sucre dans 
la liqueur, pourvu toutefois que l'oxygène de l'air soit présent en grande 
quantité. À l'abri de l'air et dans ces conditions, la levüre ne bourgeonne 
pas du tout. Les mêmes expériences peuvent être répétées avec un liquide 
albumineux mêlé à une dissolution de sucre non fermenteseible comme Île 
sucre de lait cristallisé ordinaire. Les résultats sont du même ordre. 

La levüre formée ainsi en l’absence du sucre n’a pas changé de nature; 


1. Bulletin de la Société chimique de Paris, séance du 98 juin 1861, p. 79-80. (Résumé.) 


| 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTIANÉES 149 


elle fait fermenter le sucre si on la fait agir sur ce corps à l’abri de l'air. 
Il faut remarquer toutefois que le développement de la levüre est très 
pénible lorsqu'elle n’a pas pour aliment une matière fermentescible. 

En résumé la levüre de bière se comporte absolument comme une plante 
ordinaire, et l’analogie serait complète si les plantes ordinaires avaient 
pour l'oxygène une affinité qui leur permit de respirer à l'aide de cet 
élément enlevé à des composés peu stables, auquel cas, suivant M. Pasteur, 
on les verrait être ferments pour ces matières. 

M. Pasteur annonce qu'il espère réaliser ce résultat, c'est-à-dire ren- 
contrer des conditions dans lesquelles certaines plantes inférieures vivraient 
à l'abri de l’air en présence du sucre, en provoquant alors la fermentation 
de cette substance à la manière de la levüre de bière. 


QUELQUES FAITS NOUVEAUX 
AU SUJET DES LEVURES ALCOOLIQUES (1) 


J'appelle levüres alcooliques les productions cellulaires ou ferments 
organisés qui se développent dans les liquides sucrés neutres ou légè- 
rement acides, tels que le moût de bière, le moût de raisin, les jus 
sucrés de la poire, de la pomme, ete. Ces productions, qui déterminent 
la fermentation alcoolique du sucre dissous dans ces liquides, varient 
assez sensiblement de volume, de forme, de structure, suivant la 
composition du liquide naturel ou artificiel qui leur a donné naissance. 
C’est une question de savoir si ces ferments sont des variétés d’une 
même levûre, ou bien s’il existe plusieurs levûres alcooliques distinctes 
spécifiquement. L’incertitude est plus grande encore, malgré les affir- 
mations anciennes et récentes de divers auteurs, lorsqu'il faut se 
prononcer sur l’origine de ces productions. Les uns n'hésitent pas à 
dire que les spores de diverses mucédinées peuvent se transformer en 
levüre, et réciproquement que celle-ci peut passer à l’état de mucé- 
dinées ordinaires. D’autres, au nombre desquels, je crois, il faut placer 
Mitscherlich, pensent que les petits infusoires du genre bacterium 
précèdent toujours l'apparition de la levûre. Pour M. Turpin, les 
granulations de la farine d'orge étaient des globulins-séminules de la 
levüre de bière, et tous les jus des végétaux, même l’albumine de 
l'œuf, renfermaient des globulins punctiformes, premiers termes de 
toutes les levûres alcooliques. Ceci est l’une des formes de la théorie 
encore fort répandue de la génération spontanée de la levûre. 

Je désirerais prendre date pour quelques observations nouvelles 
propres à éclairer certains points de ce sujet difficile dont je continue 
l'étude. 


1. Bulletin de la Société chimique de Paris, séance du 13 juin 1862, p. 65-74 (12 fig.). 


FERMENTATIONS EX GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 1451 


Existe-t-il une relation d'origine entre les bacteriums 
et les levures alcooliques? — Leotüres du raisin. 


Si l’on abandonne à une fermentation spontanée des jus sucrés 
naturels ou artificiels, neutres, ou très peu acides, les bacteriums appa- 
raissent presque constamment les premiers ; puis à leur suite ou simul- 
tanément se montrent les cellules de telle ou telle levüre alcoolique. 
Les auteurs dont lattention n’a pas été appelée sur l'influence des 
conditions d’acidité ou de neutralité des liqueurs, dans le dévelop- 
pement de ces productions diverses, et qui n’ont eu l’occasion d'étudier 
la formation des levüres alcooliques que dans des cas particuliers, ont 
pu voir des bacteriums toujours mêlés aux cellules de levüre et 
précéder celle-ci, et croire dès lors à une relation d’origine entre ces 
êtres. De même, ceux qui, à l'exemple de M. Turpin, ont étudié des 
liquides naturels remplis de granulations punctiformes, ont pu croire 
que les levûres provenaient de ces granulations. Il y a même des 
auteurs qui, n'ayant observé sans doute la formation des levûres que 
dans des jus troubles remplis de cellules arrachées aux pulpes des 
fruits, ont affirmé que ces cellules parenchymateuses se transformaient 
en cellules de levüre. 

Pour se convaincre que l'apparition des cellules de levüre n’a rien 
de commun avec les bacteriums, les granulations ou les cellules de la 
pulpe des fruits, il suffit de provoquer la formation spontanée (par là 
j'entends la formation des levûres sans semence ajoutée directement) 
des levûres dans des liquides sucrés assez acides pour qu'ils ne 
donnent pas naissance aux bacteriums, et d’ailleurs filtrés à limpidité 
parfaite. Le jus des raisins mûrs est très propre à ce genre d'essais. 
Son acidité naturelle s'oppose entièrement à la production des bacte- 
riums; il convient d’ailleurs très bien à la formation spontanée des 
levûres. Enfin la filtration peut l’amener à un état de limpidité aussi 
grand que celui de l’eau distillée. Or le moût de raisin donne lieu dans 
ces conditions à des cellules de levüre qui n’offrent de mélange avec 
quoi que ce soit d’étranger à leur nature, si ce n’est dans certains cas 
à de petits cristaux limpides, brillants, de tartrate de chaux. Cette 
observation si simple et si facile à reproduire ne démontre-t-elle pas 
que l’on n’a pas de motifs sérieux de penser que l'apparition des 
levûres est liée à la présence des bacteriums? Pour moi, l'existence 
simultanée de ces productions dans les liquides sucrés n’est qu'une 
coïncidence fortuite, occasionnée par la facilité avec laquelle ces 
productions peuvent naître dans de tels milieux lorsqu'ils sont neutres 


152 ŒUVRES DE PASTEUR 


. 
ou d’une acidité à peine sensible. Le jus sucré des poires, par 
exemple, donnera toujours des bacteriums mêlés à la levûre, mais il 
ne fournira que de la levüre si l’on a soin de le rendre préalablement 
un peu acide par l'addition de quelques millièmes d’acide tartrique. 

Si l’on remarque d’ailleurs que la levüre formée dans le jus de raisin 
filtré ne présente pas toutes les tailles de globules depuis le point 


Lo) 
Es 0.0 3 “ 
o LA € F4 
8 
o #P 
Fic. 1. 


apercevable, qu’au contraire il n’y a jamais de très petits globules 
isolés, on acquerra bien vite la conviction que tous ces globules 
naissent les uns des autres, et non à même les matières en dissolution. 

La fig. 1 représente une levüre alcoolique développée spontanément 
en vingt-quatre heures dans du moût de raisin (Pulsard-Arboiïs) [1] filtré 
à limpidité parfaite. Cette levûre est très différente d’aspect de la levüre 
de bière ordinaire. 

Les fig. 2 et 3 représentent, dessinées à la chambre claire, cette 
petite levûre mêlée aux cellules de la levüre de bière ordinaire, afin de 
mieux indiquer leurs dissemblances. 


Le moût du raisin donne ordinairement une autre levüre plus volu- 


E 
(@) Ées CA? 
to 0 dette 
09 » Me pére ef 
[®) (0) ® U $ 9 & © E) 
c&3 & À ES 
© e° : 
0) &, 
(®) 
Fic. 2. Fr. 8. 


mineuse, en articles plus ou moins allongés, qui est même, à propre- 
ment parler, la véritable levûre du raisin. La fig. 4 la représente 
mêlée à quelques rares articles de la précédente. ; 

La fig. 5 représente de la levüre de vendange observée le 
8 octobre 1861, et qui avait été amenée la veille de la vigne. On voit 
nettement le mélange des deux levûres. 


1. Pulsard, plant spécial à la région d’Arbois. (Note de l'Édition.) 


HERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 1 


ot 


La fig. 6 représente la levûre du même tonneau, observée le 
9 octobre. La petite espèce a presque entièrement disparu, où mieux 


les premiers articles formés ne sont plus délayés qu’en si petite quan- 


tité parmi les articles de l’autre espèce ou variété, qu’elle ne se montre 
dans le champ que par quelques articles. 

A mesure que la fermentation de la vendange poursuit son cours, 
la levüre change peu à peu d'aspect; elle perd sa structure allongée. Il 
faut entendre par là que les nouveaux articles qui prennent naissance 
sont plus globuleux, plus sphériques et aussi plus granuleux. Cet effet 
est dû à la soustraction de l’air. J'ai reconnu que toutes les levüres 
alcooliques sont plus translucides, plus allongées dans un sens, mieux 


0 
© @ æ 2 
S p æ © 6 CS 
: FR D 
ne?) Hire © D 
e) [e} La] 
© & œ © æ 
@ cr © © & °° Po Re © 
+ A NE It P 
2 o @ $ & 
“4 © Me D o S 
S 5» ab A” 
ES 5 => (| ® 
ce 2 Ÿ 
FiG. 5. FiG. G. 


portantes, si je puis ainsi dire, plus actives, lorsqu'elles se forment 
sous l'influence de l'air qui est en dissolution dans les liquides à 
l'origine de la fermentation. (Voir ma Note des Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, séance du 17 juin 1861, LIT, p. 1260-126%.) 
[P. 142-147 du présent volume.] 

La fig. 7 nous montre la levûre du même tonneau dont je viens de 
parler, mais étudiée le 10 octobre. On voit qu’elle a changé déjà beau- 


154 ŒUVRES DE PASTEUR 


coup de caractère. La petite levûüre de la fig. Î parait avoir complè- 
tement disparu. Son développement s'est arrêté, et ses premiers 
globules ou articles sont maintenant délayés dans une si grande 
quantité de cellules de l’autre qu’on n’en voit plus dans le champ. Il 
faudrait la rechercher avec des soins particuliers pour la retrouver dans 
la masse du liquide. Malheureusement, la figure rend mal ce que 
javance. 

Un mot en passant sur le bourgeonnement de la levüre. Je ne sache 
pas que personne l'ait suivi de visu. Voici comment les premiers 
observateurs se sont assurés de l’existence réelle du mode de multipli- 
cation de la levûre par gemmation. Que lon étudie au microscope un 


échantillon de globules de levüre de bière ordinaire des brasseries : les 


0$ Se 
0 à 
où 
S o 
Se 
Fi 0 


globules sont en général isolés, disjoints et ne portent pas de bour- 
geons. Semons alors ces globules dans un liquide sucré albumineux et 
observons-les de nouveau le lendemain. On les verra couverts de 
bourgeons ou ayant déjà fourni des chapelets de cellules, qui seront 
elles-mêmes en voie de propagation par gemmation. Est-il possible dès 
lors de se refuser à admettre que les globules semés ont bourgeonné, 
que les bourgeons ont grossi, sont devenus des cellules mères qui en 
ont donné d’autres plus jeunes, et ainsi de suite? Les partisans de la 
génération spontanée de la levüre ont cependant imaginé que tout ceei 
n'était qu'illusion et que les cellules nouvelles, après avoir apparu tout 
à fait spontanément dans le liquide sous forme de granulations très 
ténues, sont venues aussitôt se fixer sur les cellules plus grosses pour 
vivre par association. Donnons-nous donc la satisfaction de voir bour- 
geonner la levüre. 

Le 12 octobre 1861, à 10 heures du matin, j'écrase des grains de 
raisin sans filtrer le jus qui s’en écoule. Puis, de temps à autre, dans la 
journée, j'étudie ce jus au microscope jusqu’au moment où je distingue 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 1! 


ex 
ot 


un couple de cellules de la petite espèce de levûre de la fig. 1. A 
7 heures du soir seulement j'en découvre un que j'ai représenté fig. 8, a. 
Dès ce moment je ne quitte plus de l'œil ces cellules soudées. A 
7 heures et 10 minutes je les vois séparées et un peu éloignées l’une 
de l’autre, fig. 8, b. De 7 heures à 7 heures 1/2 je vois naître et grossir 
peu à peu sur chacune de ces cellules un très petit bourgeon. Ces 
bourgeons se sont développés à très peu près au point de suture, là où 
la disjonction venait d’avoir lieu. À 7 heures 3/4 les bourgeons sont 
beaucoup plus volumineux, fig. 8, c. A 8 heures ils ont atteint le volume 
des cellules mères. À 9 heures chaque cellule de chaque couple a 


& 
g 


% 
() 


IÀ © 
1% 00 
ISQ æ 
RAR % 


FiG. 8. 


poussé un bourgeon nouveau, fig. 8, d. À partir de ce moment je n'ai 
plus suivi la multiplication des cellules. On voit qu'en deux heures 


2 globules en avaient fourni 8, en y comprenant les 2 globules mères. 


La levüre alcoolique de la bière est-elle identique 
avec les levüres alcooliques du raisin? 


Je ne suis pas encore en mesure de résoudre définitivement cette 
question. J'ai à réunir des faits plus nombreux, mieux étudiés dans 
toutes leurs circonstances. Ceux dont je vais parler méritent cependant: 
une attention sérieuse, comme indices de différences peut-être plus 
profondes et plus radicales qu’on ne serait porté à le croire. 

J'ai semé dans du jus de raisin filtré quelques milligrammes de 
globules de levûre de bière très fraiche. Je m'attendais à voir ces 
globules de levüre se développer rapidement en déterminant une active 
fermentation. À côté du flacon s’en trouvait un autre identique, mais 

‘sans semence de levüre. 

Le lendemain, aucun trouble dans le liquide des deux flacons ; pas 
de fermentation ; température extérieure 12,5. Le surlendemain, le jus 
sans semence est tout trouble par la présence de la levûre fig. L, et la 
fermentation s'annonce par des bulles microscopiques. Chose singu- 
lière, le liquide de l’autre flacon n’est pas trouble, la levüre semée ne 
s’est pas développée d’une manière sensible à l'œil, et il n'y a aucune 
trace de fermentation apparente. 

J'étudie au microscope le dépôt de ce flacon, dépôt à peine appré- 


156 ŒUVRES DE PASTEUR 


ciable, et seulement près du point où est tombé le petit fragment de 
levüre de bière. La fig. 3 représente fidèlement l'aspect de ce dépôt. 
Les globules semés sont tout granuleux, paraissent tout à fait morts, 
très colorés en brun parce qu'ils se sont teints de la matière colorante 
du jus, et plusieurs sont comme vidés par un effet d'endosmose. A côté 
d'eux il y a des globules pareils, mais translucides ou à peine ombrés, 
à contours peu accusés, en voie de bourgeonnement et évidemment 
nés des globules semés. Il y en a très peu. Enfin on voit bon nombre 
d'articles de la petite levüre, fig. 1, formés spontanément comme ceux 
du vase voisin privé de semence, et où les cellules ont apparu plus tôt 
et plus nombreuses, précisément parce qu'il n’y avait pas de semence. 

Celle-ci en effet s'empare de l'oxygène de l'air en dissolution et 
retarde ainsi l'apparition et le développement de la petite levüre 
spontanée. 

Mais ce qui doit surprendre, c’est le développement si pénible de la 
levüre ensemencée. Que l’on sème au contraire de la levûre de raisin 
dans du moût de raisin, le développement sera facile et la fermentation 
très prompte à se déclarer. N'’est-on pas porté à croire dès lors à 
l'existence de différences peut-être spécifiques entre les levüres alcoo- 
liques du raisin et de la bière ? 

On gagne quelque chose pour la facilité du développement de la 
levüre de bière dans le jus de raisin, lorsque préalablement on étend 
d’eau ce liquide sucré. Les conditions d’acidité et de densité du jus, 
par suite d'endosmose, paraissent donc jouer un rôle dans ces 
phénomènes. 

Les faits suivants accusent encore une différence possible entre la 
levüre de bière et la deuxième levûre du raisin, celle qui est repré- 
sentée fig. 4, 5, 6. 

Je filtre, après ébullition, du moût d’orge d’une brasserie dans 
lequel le houblon n’a pas encore été ajouté. Le lendemain, dans deux 
portions égales du liquide limpide, je sème d’une part quelques 
globules ou articles de la levûre du raisin, et de l’autre des globules de 
levüre de bière fraiche. Vingt-quatre heures après j'observe un déve- 
loppement considérable de la levûre du raisin avec commencement de 
fermentation. 

La fig. 9 représente la levüre du dépôt de ce flacon, levüre toute 
rameuse en articles allongés, comme il arrive lorsque cette levüre se 
multiplie dans des liquides sucrés aérés à l’origine. 

Son développement a été, pour le moins, aussi facile que si l’on avait 
ajouté la semence à du jus de raisin. La levüre de bière s’est également 
développée dans l’autre flacon, en conservant son caractère habituel ; 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


157 


mais, quoique semée dans du moût d'orge, elle s’est multipliée moins 
‘apidement que la levûre de raisin. Le dépôt est sensiblement moindre, 
et la fermentation n’a pas encore commencé dans ce flacon. 

On voit donc que la levûre de raisin semée dans le moût d'orge, 


Fr. 9. Frc. 10. 


c’est-à-dire dans le liquide propre par excellence au développement de 
la levûre de bière, s'y multiplie très bien, mieux même que ne fait la 
levûre de bière, et qu'elle y conserve son aspect et sa manière d’être 
habituels. 

La fig. 10 représente la levüre de bière du deuxième flacon. On 
distingue nettement les globules nouveaux des globules semés, plus 
granuleux, plus colorés, moins bourgeonnés. 


Sur le mycoderma vini ou cervisiæ. 


Je terminerai par une observation qui corrobore les vues nouvelles 
que j'ai fait connaître à l’Académie des sciences dans sa séance du 
17 juin 1861{1). On connaît la fleur du vin, le mycoderma vini ou 


Q 


(RAM 
(Lo 0 & & 
nn 
NS @ n) 
Brel 


cervisiæ, plante cellulaire qui se rapproche beaucoup de la levüre de 
bière, et mieux encore de la levüre du raisin par sa forme et par son 
mode de propagation. Elle a besoin de gaz oxygène pour vivre et elle 
dégage de l'acide carbonique. En même temps qu'elle se multiplie, 

1. Pasreur. Expériences et vues nouvelles sur la nature des fermentations. Comptes rendus 


de l'Académie des sciences, LIT, 1861, p. 1260-1264, et p. 142-147 du présent volume. (Note de 
l'Édition.) 


158 ŒUVRES DE PASTEUR 


elle détermine des phénomènes de combustion souvent très énergiques 
en portant l'oxygène de l'air sur les substances qui se trouvent en 
dissolution dans le liquide à la surface duquel elle se développe (1). 

J'ajoute une certaine quantité de cette plante, dont une des formes 
est représentée fig. 11, à une solution de sucre à l'abri de Pair. Les 
articles du mycoderme changent de mode de vie et de propriétés. Tout 
à l'heure, placés à la surface du liquide qui leur avait donné naissance, 
ils absorbaient l'oxygène de l'air pour le rendre à l’état d'acide carbo- 
nique; maintenant ils vivent aux dépens du sucre sans gaz oxygène 
libre, et, chose curieuse, ils deviennent ferment, levûre alcoolique pour 
ce sucre. La levûüre ainsi produite se rapproche beaucoup de celle du 
jus de raisin, qui affecte la forme d'articles allongés. 


Ÿ D) L 
À 5 ,P f 
Ni à $ 
SS Q () S 
CS ÿ 
DO 
Ed “ 
Fi. 12 


La fig. 12 représente cette levûre de transformation des articles de 
mycoderma vini. Comme on le voit d’ailleurs par ce dessin, la plante 
affecte dans cette nouvelle condition (où sans doute elle vit aux dépens 
de l'oxygène du sucre, circonstance qui la rend ferment pour ce sucre) 
un volume, une structure, enfin une manière d’être et des propriétés 
physiologiques qui la distinguent essentiellement en apparence des 
articles plus grêles de mycoderma vini. Elle se distingue encore de la 
levüre de bière par une plus grande durée dans la fermentation, et je 
crois par les proportions des substances qui prennent naissance. Ceci 
est un point intéressant sur lequel je reviendrai, et qu'il est nécessaire 
de suivre avec attention si l’on veut arriver à quelques conclusion; 
certaines au sujet de l'identité ou de la différence des diverses levüres 
alcooliques. 


1. Pasreur. Études sur les mycodermes. Rôle de ces plantes dans la fermentation acétique. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, IIV, 1862, p. 265-270. Voir tome IIL des 
Œuvres de Pasteur. (Note de l'Édition.) 


NOUVEL EXEMPLE DE FERMENTATION 
DÉTERMINÉE PAR DES ANIMALCULES INFUSOIRES POUVANT VIVRE 
SANS GAZ OXYGÈNE LIBRE, 

ET EN DEHORS DE TOUT CONTACT AVEC L'AIR 
DE L'ATMOSPHÈRE (1) 


L'Académie se rappellera peut-être qu'il y a dix-huit mois environ, 
j'ai eu l'honneur de lui soumettre une Note sur l'existence d’animal- 
cules infusoires jouissant de la double faculté de pouvoir vivre sans gaz 
oxygène libre et d’être ferments (?). C'était le premier exemple connu 
de ferments animaux, et aussi d'animaux pouvant vivre et se mulli- 
plier indéfiniment, en dehors de tout contact avec l'air de l'atmosphère, 
considéré à l’état gazeux ou en dissolution dans un liquide. 

Les animalcules infusoires dont je parle constituent le ferment 
de la fermentation butyrique, fermentation que l’on avait expliquée 
jusque-là de la manière suivante. Toutes les fois, disait-on, que le 
sucre ou l'acide lactique éprouvent la transformation qui caractérise la 
fermentation butyrique, sous l'influence de matières plastiques azotées, 
ces matières, altérées plus ou moins au contact de l'air, communiquent 
au sucre ou à l'acide lactique un ébranlement moléculaire intestin qui 
leur est propre, d’où résulte la fermentation. 

Je crois avoir démontré que cette théorie, qui était appliquée à 
tous les cas de fermentations proprement dites, est inadmissible, 
qu'une substance albuminoïde quelconque ne devient jamais ferment, 
que le véritable ferment butyrique, par exemple, est un être organisé 
du genre des vibrions, dont le germe est apporté par lair, ou par les 
poussières de l'air répandues dans les matériaux de la fermentation. 

Je viens faire connaître aujourd'hui un nouvel exemple de fermen- 
tation, la fermentation du tartrate de chaux, déterminée également par 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 mars 1863, LVI, p. 416-421. 

2. Pasreur. Animalcules infusoires vivant sans gaz oxygène libre et déterminant des fer- 
mentations. Ibid., séance du 25 février 1861, LLI, p. 344-347, et p. 136-138 du présent volume. 
(Note de l'Édition.) 


160 ŒUVRES DE PASTEUR 


un animalcule infusoire vivant sans gaz oxygène libre, et appartenant 
aussi au genre vibrion, mais très différent, en apparence du moins, 
de l’animalcule de la fermentation butyrique. 

Afin d’abréger, j'indiquerai tout de suite une expérience décisive. 
Je place sous l’eau du tartrate de chaux, mêlé de quelques millièmes 
de phosphate d’ammoniaque et de phosphates alcalins et terreux, soit 
artificiels, soit provenant de cendres de levüre de bière, ou de cendres 
d’infusoires (1). 

Le vase est une fiole de verre à fond plat, dont le col effilé est 
soudé à un tube de verre recourbé. La fiole est remplie d’eau pure, 
après avoir reçu le tartrate, puis portée à l’ébullition, au moyen d’un 
bain de chlorure de calcium, pendant que le tube recourbé plonge par 
son extrémité dans un vase contenant de l’eau distillée soumise elle- 
même à l’ébullition. Par ce moyen tout lair qui est en dissolution est 
expulsé. Je couvre alors d’une épaisse couche d'huile la surface de l’eau 
du vase dans lequel plonge le tube recourbé, et j’abandonne l'appareil 
au refroidissement pendant vingt-quatre heures. Dans ces conditions, 
le tartrate ne peut offrir le moindre indice de fermentation. Mais si 
l’on vient à semer rapidement dans la fiole une très petite quantité 
d'infusoires provenant d’une fermentation spontanée de tartrate de 
chaux, en substituant immédiatement, à la petite quantité d’eau que 
cet ensemencement déplace, de l’eau désaérée par ébullition, voici ce 
qui se passe : les infusoires semés se multiplient peu à peu dans le 
dépôt de tartrate, qui disparaît progressivement sans qu'il en reste la 
plus petite quantité, et sans que l’intérieur du vase ait à aucun moment 
le contact de l’air extérieur, ce qui est facile à réaliser, si l’on a eu le 
soin de plonger le tube recourbé dans le mercure aussitôt après l’ense- 
mencement 2). 

Le tartrate fait place à un dépôt uniquement formé de cadavres de 
vibrions qui ont environ un millième de millimètre de diamètre, mais 
dont la longueur très variable a atteint dans certains cas un vingtième 
de millimètre. Comme tous les vibrions, ils se reproduisent par fissi- 
parité, et pendant toute la durée de la fermentation la plus petite 
quantité du dépôt en offre une foule à mouvements plus ou moins 


rapides et flexueux. 


1. Je préfère les cendres provenant de la combustion d'êtres analogues à ceux qui doivent 
prendre naissance, afin d'être plus sûr de ne pas omettre quelque principe utile, connu 
ou inconnu. Il est peut-être bon d'ajouter aussi des traces de sulfate de chaux ou d’ammo- 
niaque. 

2, Je reviendrai sur les produits de la fermentation du tartrate et du lactate de chaux, 
sur la composition chimique des infusoires et sur une sorte de fibrine qui les accompagne 
toujours, ainsi que certaines matières colorantes. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 1461 


La fermentation du tartrate de chaux, quelle qu’en soit d’ailleurs 
la cause intime, est donc déterminée par la présence d’un infusoire 
jouissant de la faculté de vivre sans gaz oxygène libre, en dehors de 
tout contact avec l’air atmosphérique. 

Sans doute, on pourra dire qu'il y a un moment, celui de l’ense- 
mencement, où je ne puis soustraire la liqueur au contact de l'air. 
Mais je vais démontrer que les précautions de plus en plus parfaites 
auxquelles j'avais cru nécessaire de recourir jusqu’à présent, pour 
éliminer le contact de l'oxygène ou de l'air, et dont je viens de donner 
un exemple, sont complètement inutiles et exagérées. Les obser- 
vations qui suivent serviront en outre de réponse à la question de 
savoir comment des germes d’infusoires, qui non seulement vivent 
sans air, mais que l’air fait périr, car ils partagent cette propriété avec 
les infusoires butyriques, peuvent prendre naissance d'eux-mêmes 
dans des liquides qui, après tout, sont exposés à l'air, dans tous les 
cas de fermentations spontanées ordinaires. 

Reprenons notre fiole pleine d’eau, avec le tartrate de chaux déposé 
et les phosphates qui y ont été ajoutés. Le tube soudé au col de la 
fiole est rempli d’eau lui-même et plonge dans le mercure. L'eau est 
de l’eau distillée aérée. Je suppose cette fois qu'on ne la fasse pas 
bouillir. L'expérience démontre que dans ce cas d'aération de la 
liqueur, et sans y rien semer, le tartrate de chaux fermente néanmoins 
spontanément au bout de très peu de jours, et qu'il est alors mêlé à 
une foule d’animalcules vivant sans gaz oxygène libre. 

Comment cela peut-il avoir lieu? Rien n’est plus simple ni plus 
facile à concevoir. Voici, en effet, ce que l’on observe dans tous les 
cas. Les plus petits des infusoires, le monas, le bacterium termo.…., 
se développent dans cette eau distillée aérée, parce qu’elle renferme 
en dissolution des traces d’ammoniaque, de phosphate et de tartrate 
de chaux, et ces petits êtres lui enlèvent intégralement, avec une rapi- 
dité incroyable, jusqu'aux dernières proportions, le gaz oxygène 
qu'elle renferme, en le remplaçant par un volume un peu supérieur 
de gaz acide carbonique. Cet effet s’accomplit dans l’espace de vingt- 
quatre ou trente-six heures au plus, à la température de 25 à 30. 
Alors seulement apparaissent les infusoires-ferments qui n'ont pas 
besoin de gaz oxygène pour vivre. À cette question, par conséquent, 
comment peuvent prendre naissance des êtres qui vivent sans gaz 
oxygène, et que l'air fait périr? la réponse est naturelle. Ils naissent 
à la suite d’une première génération d'êtres qui détruisent en peu de 
temps des quantités relativement considérables de gaz oxygène et en 
privent absolument les liqueurs. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 11 


162 ŒUVRES DE PASTEUR 


Je reviendrai bientôt sur ce fait très général de la succession d'êtres 
qui consomment de l’oxygène et d'êtres qui n’en consomment pas, du 
moins à l'état libre. 

Dans le cas actuel, il nous permet de comprendre avec quelle 
facilité peut se produire une fermentation spontanée de tartrate de 
chaux, toutes les fois que l’on ne prend pas des précautions spéciales 
pour éloigner les germes disséminés dans lair, ou dans les poussières 
que cet air dépose sur tous les objets. Il nous permet de comprendre 
également la fermentation du tartrate de chaux dans des liqueurs 
librement exposées au contact de l'air, pourvu que l'épaisseur de la 
couche liquide soit suffisante. On constate alors qu'a la surface se 
multiplient les infusoires qui consomment du gaz oxygène, tandis que 
dans le dépôt et au sein de la liqueur se développent ceux qui n'ont 
pas besoin de ce gaz pour vivre, et qui sont préservés par les premiers 
de son contact nuisible. 

En résumé, il n’y a nul besoin de recourir à des artifices pour 
priver les liqueurs de gaz oxygène. Toutes les précautions que je 
m'étais eflorcé de mettre en pratique sont complètement superflues. 
La soustraction du gaz oxygène se fait par la nature même des choses, 
avant que la fermentation commence, dans tous les cas de fermen- 
tation spontanée. 

La disposition des expériences que je viens de faire connaître, et 
la composition des matériaux qui y concourent, méritent une mention 
particulière lorsque l’on envisage quelle peut être la cause première 
de la fermentation. J'ai rappelé que les anciennes théories jugeaient 
indispensable à l’accomplissement de toute fermentation le concours 
des substances albuminoïdes; d’autant plus indispensable qu'on les 
croyait être les ferments eux-mêmes. Pour moi, je rends compte, non 
de la nécessité, mais de l'utilité de leur emploi, en disant qu’elles 
apportent certains aliments du ferment, qui est un être organisé dont 
le germe ne peut évidemment se développer ni se reproduire s’il n’a 
à sa disposition de l’azote et des phosphates. Ce sont là surtout les 
deux sortes d'aliments que les ferments trouvent dans les substances 
albuminoïdes. Cette théorie est si vraie, que nous venons de recon- 
naître, une fois de plus, que l’on peut supprimer complètement la 
matière plastique azotée et la remplacer par un sel d’ammoniaque 
mélé à des phosphates alcalins et terreux. 

Mais il résulte en outre de la composition de la liqueur tartrique 
dont nous parlions tout à l'heure que, dans le cas actuel, le seul aliment 
carboné possible pour le ferment est l’acide tartrique, qui est le corps 
fermentant. On arrive dès lors à cette autre conséquence que, pour le 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


163 


moins que l’animalcule emprunte à la matière fermentescible, c'est 
d’abord tout son carbone. 

Il n'est pas douteux, abstraction faite de toute idée préconçue sur 
la cause de la fermentation, que, dans les conditions où nous sommes 
placés, il y a nutrition du ferment aux dépens de la matière fermen- 
tante, et qu'aussi longtemps que dure la vie de l’infusoire, aussi long- 
temps dure un transport de matière de la substance qui fermente à 
celle qui provoque sa transformation. L'hypothèse d’un phénomène 
purement catalytique ou de contact n’est donc pas plus admissible que 
l'opinion que je combattais tout à l'heure, et qui place exclusivement 
le caractère ferment dans des matières albuminoïdes mortes. 

Assurément le fait de la nutrition du ferment aux dépens de la 
matière fermentescible n’explique pas pourquoi le vibrion est ferment. 
Nous savons même que le mode habituel d'action des végétaux et des 
animaux sur les principes immédiats dont ils se nourrissent n’est pas 
lié à des actes de fermentation proprement dite de ces principes. Mais 
ce qu'il faut bien considérer dans cette comparaison des êtres qui 
étaient connus antérieurement avec les êtres nouveaux dont je parle, 
c'est que ces animalcules-ferments offrent une particularité physio- 
logique ignorée jusqu’à ce jour, puisqu'ils vivent et se multiplient en 
dehors de la présence du gaz oxygène libre. 

Nous sommes donc conduits à rattacher le fait de la nutrition accom- 
pagnée de fermentation à celui de la nutrition sans consommation de 
gaz oxygène libre. La certainement est le secret du mystère de toutes 
les fermentations proprement dites, et peut-être de bien des actes, 
normaux ou anormaux, de l'organisme des êtres vivants. S'il pouvait y 
avoir encore quelques incertitudes dans l'esprit, elles seront levées, 
je l'espère, par les résultats qu’il me reste à soumettre ultérieurement 
à l'Académie. 

Dès aujourd’hui, on peut affirmer que l’on rencontre deux genres 
de vie parmi les êtres inférieurs, l’un qui exige la présence du gaz 
oxygène libre, l’autre qui s'effectue en dehors du contact de ce gaz el 
que le caractère ferment accompagne toujours. 

Quant au nombre des êtres pouvant vivre sans air, et déterminer 
des actes de fermentation, je le crois considérable, qu'il s'agisse de 
végétaux, c’est-à-dire d'organismes qui n’ont pas de mouvement 
propre, ou qu'il s’agisse d'animaux, c’est-à-dire d'organismes qui ont 
un mouvement en apparence volontaire. 

J'espère démontrer, en effet, dans une prochaine communication, 
que les animalcules infusoires, vivant sans gaz oxygène libre, sont les 
ferments de la putréfaction, quand cet acte s'effectue à l'abri de l'air, 


164 ŒUVRES DE PASTEUR 


et que ce sont aussi les ferments de la putréfaction au contact de Pair, 
mais alors associés à des infusoires ou à des mucors qui consomment 
de l'oxygène libre, et qui remplissent le double rôle d'agents de com- 
bustion pour la matière organique et d'agents préservateurs de l’action 
directe de l'oxygène de l'air pour les infusoires-ferments (1). 

Les résultats que j'ai fait connaître s'appliquent exclusivement au 
tartrate de chaux ordinaire, le tartrate droit. J'aurai l'honneur de pré- 
senter ultérieurement à l'Académie l'étude de la fermentation des trois 
autres tartrates de chaux, le gauche, l’inactif et le paratartrique (?). Cela 
me donnera l’occasion de revenir sur mes recherches cristallogra- 
phiques d'autrefois, que je sais être encore très mal comprises par 
quelques personnes, ce qui est regrettable, car les résultats de ces 
recherches ont conservé rigoureusement le même degré d’exactitude, 
et rigoureusement aussi le même degré de généralité que mes 
Mémoires leur attribuent, et qui leur ont été également attribués dans 
les Rapports académiques de MM. Biot et de Senarmont (*). 


1. Les êtres inférieurs qui peuvent vivre en dehors de toute influence du gaz oxygène libre 
n'ont-ils pas la faculté de pouvoir passer au genre de vie des autres et inversement? C'est 
une question difficile que je réserve. Je ne l'ai encore étudiée que dans un cas particulier. 

2. Cette étude n’a pas paru. (Note de l'Édition.) 

3. Voir les Documents I, II, III, p. 415-444 du tome Ier des Œuvres de Pasteur. (Note de 
l'Édition.) 


EXAMEN DU RÔLE ATTRIBUÉ AU GAZ OXYGÈNE ATMOSPHÉRIQUE 
DANS LA DESTRUCTION 
DES MATIÈRES ANIMALES ET VÉGÉTALES APRÈS LA MORT({!) 


L'observation la plus vulgaire a montré de tout temps que les 
matières animales et végétales, exposées après la mort au contact de 
l'air, ou enfouies sous la terre, disparaissent à la suite de transfor- 
mations diverses. 

La fermentation, la putréfaction et la combustion lente sont les trois 
phénomènes naturels qui concourent à l’accomplissement de ce grand 
fait de destruction de la matière organisée, condition nécessaire de la 
perpétuité de la vie à la surface du globe. 

Dans mes travaux de ces dernières années, et plus particulièrement 
dans une communication récente (?), j'ai indiqué avec précision quelles 
étaient, suivant moi, les vraies causes des fermentations, et j'ai annoncé 
le principal résultat de recherches que je poursuis sur la putréfaction 
proprement dite. 

Partout la vie, se manifestant chez les productions organisées les 
plus infimes, m'apparaîit comme l’une des conditions essentielles de 
ces phénomènes, mais la vie avec une manière d’être inconnue jusqu'à 
ce jour, c'est-à-dire sans consommation d’air ou de gaz oxygène libre. 

La matière morte qui fermente ou qui se putréfie ne cède donc 
pas, uniquement du moins, à des forces d’un ordre purement physique 
ou chimique. Il faut} bannir de la science cet ensemble de vues 
préconçues qui consistaient à admettre que toute une classe de 
matières organiques, les matières plastiques azotées, peuvent acquérir, 
par l'influence hypothétique d’une oxydation directe, une force occulte, 
caractérisée par un mouvement intestin, prêt à se communiquer à des 
substances organiques prétendues peu stables. 

Je vais essayer d'établir aujourd’hui expérimentalement que les 
combustions lentes dont les matières organiques mortes sont le siège, 
lorsqu'elles sont exposées au contact de l'air, ont également, dans la 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 avril 1863, LVI, p. 734-740. 


2. Voir la communication précédente, faite le 9 mars 1863, à l'Académie des sciences. (Note 
de l'Édition.) 


166 ŒUVRES DE PASTEUR 


plupart des cas, une étroite liaison avec la présence des êtres les plus 
inférieurs. Nous arriverons ainsi à cette conséquence générale, que la 
vie préside au travail de la mort dans toutes ses phases, et que les trois 
termes, dont je parlais tout à l'heure, de ce retour perpétuel à l’air de 
l'atmosphère et au règne minéral des principes que les végétaux et les 
animaux en ont empruntés, sont des actes corrélatifs du développement 
et de la multiplication d'êtres organisés. 

L'exposition de quelques expériences et analyses suffira pour faire 
comprendre à l’Académie les faits et les conséquences dont je me 
propose de l’entretenir. 

Le 25 mai 1860, j'ai brisé en plein air, dans un jardin, la pointe 
effilée et fermée d’un ballon de 250 centimètres cubes, vide d'air, 
renfermant 80 centimètres cubes d’eau de levüre sucrée qui avait été 
portée à l’ébullition. Aussitôt après la rentrée de l'air, j'ai refermé la 
pointe du ballon à la lampe. Si l’on se rappelle l’un des procédés d’expé- 
rimentation de mon Mémoire sur les générations dites spontanées (!), on 
verra que cet essai est l’un de ceux que j'ai employés pour démontrer 
qu'il n'y a pas continuité dans l'atmosphère de la cause de ces géné- 
rations. Il arrive, par exemple, très souvent, que le liquide du ballon 
ne donne naissance ultérieurement ni à des infusoires, ni à des 
mucédinées, et qu'il conserve toute sa limpidité première, bien que le 
ballon ait reçu, au moment de son ouverture, de l’air commun ordinaire. 
Tel a été précisément le cas, en ce qui concerne le ballon dont je viens 
de parler. Son liquide était encore intact le 5 février 1863, jour où j'ai 
analysé l’air qu'il renfermait. Cet air contenait : 


OsygÈne NP 
Acide carbonique Le CR CCE 1,4 
Azotelpar différence RCE CC Ole 

100,0 


On voit donc que, dans l’espace de trois années, les matières albu- 
minoïdes de l’eau de levüre de bière, associées à de l’eau sucrée et 
exposées à l'air ordinaire, mais dans des conditions où il ne s’est pas 
développé d’animalcules ou de mucédinées, ont absorbé 2,7 pour 100 
de gaz oxygène qu'elles ont rendu en partie à l’état d'acide carbonique. 
L'oxydation directe, la combustion lente de ces matières organiques a 
done été à peine sensible. Néanmoins, sur les trois années, le ballon 
avait été pendant dix-huit mois dans une étuve chauffée de 25° à 30°. 


1. Pasreur. Mémoire sur les corpuseules organisés qui existent dans l'atmosphère: 
Examen de la doctrine des géntrations spontanées. Annales de chimie et de physique, 
3e sér., LXIV, 1862, p. 5-110 (avec 32 fig.). Voër p. 210-294 du présent volume. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 167 


Le 22 mars 1860 j'ai rempli d'air, privé de germes par une tempé- 
rature élevée, un ballon de 250 centimètres cubes, renfermant 60 à 
80 centimètres cubes d'urine bouillie en suivant la méthode indiquée 
au chapitre IT (fig. 10) de mon Mémoire sur les générations dites 
spontanées. Le liquide avait encore une parfaite limpidité au mois 
de janvier 1863. Sa couleur tirait un peu sur le rouge brun très clair. 
Une poussière cristalline, sablonneuse, formée d'acide urique, s'était 
déposée en très petite quantité sur les parois du ballon. Il y avait en 
outre quelques groupes aiguillés que j'ai reconnus être du phosphate 
de chaux cristallisé. L’urine était encore acide, mais cette acidité avait 
plutôt diminué qu'augmenté. Son odeur rappelait exactement celle de 
l'urine fraîche après ébullition. L'air du ballon renfermait 


OVER ET lle de le sens se à AIRE 
ACUERCARDONIQUE FR RE UT 1485 
AZotespandiierenceN NERF UE rit 

100,0. 


Ainsi, après trois années environ, il restait encore 11 à 12 pour 100 
de gaz oxygène. En outre, tout l'oxygène qui a été absorbé se retrouve 
exactement dans l'acide carbonique produit, moins la différence toute- 
fois qui peut résulter des coefficients de solubilité des deux gaz dans le 
liquide en expérience. 

Quoi qu’il en soit, on voit combien est lente et difficile l'oxydation 
directe des matériaux de lPurine par l'air atmosphérique, lorsque cet 
air a été placé dans des conditions où il est impropre à provoquer le 
développement des êtres organisés inférieurs. 

Le 17 juin 1860, j'ai rempli d'air porté à une température rouge 
un ballon de 250 centimètres cubes, renfermant 60 centimètres cubes 
de lait qui avait été tenu en ébullition deux ou trois minutes à 108. 
J'ai étudié le lait de ce ballon et analysé l'air en contact le 
8 février 1863. Le lait était presque neutre aux papiers réactifs, avec 
tendance non douteuse à l’alcalinité. 11 avait la saveur du lait ordinaire, 
mais rappelant un peu celle du suif. Par le repos, sa matière grasse 
se séparait sous forme de grumeaux. Il fallait agiter le lait dans le 
ballon pendant quelques instants pour qu’il reprit l'aspect du lait frais. 
Du reste, ce lait n’était nullement caillé. L'air du ballon renfermait : 


DEN ANR RE sl 
AGIdEICARDONIQUES M M e . -- 2,8 
AZotemparmditérencele re Oil 

100,0. 


Cette analyse nous montre que la matière grasse du lait a absorbé 


168 ŒUVRES DE PASTEUR 


une forte proportion d'oxygène, comme dans les expériences de 
de Saussure sur les huiles (‘). Mais, malgré cette oxydation directe, et 
réputée très facile, des matières grasses, on voit qu'il reste encore, 
après un intervalle de trois années environ, plusieurs centièmes de gaz 
oxygène dans l'air du ballon. 

Si l’on répète, au contraire, toutes les expériences précédentes, dans 
les mêmes conditions, mais sous l'influence du développement des 
germes des organismes les plus inférieurs, de nature végétale ou 
animale, tout l'oxygène de l'air des ballons est absorbé dans l’espace 
de quelques jours seulement, avec dégagement simultané en propor- 
tions variables de gaz acide carbonique. 

Je citerai encore deux expériences comparatives très dignes 
d'attention. Le 26 février dernier j'ai rempli d'air, privé de ses germes 
par une température rouge, un ballon de 250 centimètres cubes, 
renfermant 10 grammes de sciure de bois de chêne, qui avait été 
portée à la température de l’ébullition avec quelques centimètres cubes 
d’eau. Un mois après, le 27 mars, l'air du ballon renfermait : 


OXVRÉDER EEE CEE MIE 
Acide Car bOnIqUe CRT CR CRE DS 
AZOtE DAT ITIHÉTENCE EE ET 81.5 

100,0. 


Par conséquent, dans l’espace d’un mois {à la température constante 
de 30°), de la sciure de bois de chêne exposée au contact de l'air n’a 
absorbé que quelques centimètres cubes de gaz oxygène. 

Au contraire, ayant placé, le 21 février 1863, 20 grammes de sciure 
de bois de chêne humide dans un grand ballon de 4 litres, sans prendre 
aucune précaution pour éloigner les germes disséminés dans lair ou 
dans la sciure, et ayant analysé l’air du ballon quatorze jours après, 
j'ai trouvé qu'il renfermait déja 7,2 pour 100 d'acide carbonique, et que 
près de 300 centimètres cubes de gaz oxygène avaient été consommés. 
Cette combustion facile de la sciure de bois exposée au contact de 
l'air atmosphérique ordinaire a été signalée depuis longtemps par 
Th. de Saussure, dans des essais bien connus sur la formation du 
terreau (?). 

D'où provient la différence considérable entre les résultats des 
deux expériences que je viens de rapporter? Au premier aperçu, rien 
ne met sur la voie. Mais si l’on examine à la loupe et au microscope 
la surface de la sciure de bois dans le cas où l’on n’a pris aucune 


1 et 2. Saussure (Th. de). Recherches chimiques sur la végétation. Paris, an XII, in-8° 
(fig.). (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 169 


précaution pour éloigner les germes des mucédinées, c’est-à-dire dans 
l'essai fait à la manière de de Saussure, on voit que la seiure est couverte 
d’un duvet léger et à peine sensible de sporanges et de myceliums de 
mucédinées diverses. 

En résumé, si l’on étudie la combustion lente des matières orga- 
niques mortes sous l'influence seule de l’oxygène de l'air atmosphé- 
rique, on trouve que cette combustion n’est pas douteuse et qu’elle 
varie d'intensité et de manière d’être suivant la nature des substances 
organiques, à peu près comme on rencontre des métaux que Pair 
n'oxyde pas, tels que lor et le platine, d’autres médiocrement 
oxydables, tels que le cuivre et le plomb, d’autres enfin très oxydables, 
tels que le potassium et le sodium. 

Mais ce qui est digne de remarque, et c’est précisément le fait prin- 
cipal sur lequel je désire aujourd’hui appeler l'attention de l’Académie, 
la combustion lente des matières organiques après la mort, quoique 
réelle, est à peine sensible lorsque Pair est privé des germes des orga- 
nismes inférieurs. Elle devient rapide, considérable, sans comparaison 
avec ce qu'elle est dans le premier cas, si les matières organiques 
peuvent se couvrir de mucédinées, de mucors, de bactéries, de 
monades. Ces petits êtres sont des agents de combustion dont 
l'énergie, variable avec leur nature spécifique, est quelquefois extraor- 
dinaire, témoin l'exemple saisissant de la combustion de l'alcool, de 
l'acide acétique, du sucre par les mycodermes que j'ai fait connaître il 
y a une année à l’Académie (1). 

Les principes immédiats des corps vivants seraient, en quelque sorte, 
indestructibles si l’on supprimait de l’ensemble des êtres que Dieu à 
créés les plus petits, les plus inutiles en apparence. Et la vie devien- 
drait impossible, parce que le retour à l'atmosphère et au règne 
minéral de tout ce qui a cessé de vivre serait tout à coup suspendu (?.. 

Cependant, si je m'étais borné aux expériences précédentes, une 
objection sérieuse aurait pu m'être présentée. Dans les essais dont je 
viens d'entretenir l’Académie, j'ai opéré constamment sur des matières 
organiques non seulement mortes, mais qui avaient été en outre préa- 
lablement portées à la température de lébullition. Or il n’est pas 
douteux que les matières organiques sont profondément modifiées par 
une température de 100°. Il fallait donc étudier, s’il était possible, la 


1. Pasteur. Études sur les mycodermes. Rôle de ces plantes dans la fermentation acétique, 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LIV, 1862, p. 265-270. Voir tome III des 
Œuvres de Pasteur. 

2. Voir, à la fin du présent volume, Document VII : Des fermentations ou du rôle de 
quelques êtres microscopiques dans la nature (Résumé par M. Danicourt d'une conférence 
faite aux « Soirées scientifiques de la Sorbonne »}. [Notes de l'Édition.] 


170 ŒUVRES DE PASTEUR 


combustion lente des matières organiques naturelles, non chauffées 
préalablement, telles, en un mot, que la vie les constitue. 

Par un procédé expérimental assez simple, mais dont la description 
allongerait outre mesure cette communication (1), j'ai réussi à exposer 
au contact de l'air, privé de ses germes, des liquides frais, putrescibles 
à un très haut degré, je veux parler du sang et de l'urine (2). 

J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie des ballons 
renfermant de l'air pur et du sang veineux (ou artériel) recueilli sur 
un chien en bonne santé le 3 mars dernier. Ces ballons ont été exposés 
depuis le 3 mars dans une étuve constamment chauffée à 30°. Le sang 
n'a éprouvé aucun genre de putréfaction. Son odeur est celle du sang 
frais. 

Mais ce que je veux surtout faire observer présentement, c'est le 
peu d'activité de la combustion lente, de l'oxydation directe des prin- 
cipes du sang. Si l’on analyse l'air des ballons après une exposition 
d'un mois à six semaines à l’étuve, on ne constate encore qu’une 
absorption de 2 à 3 pour 100 de gaz oxygène, qui est remplacé par un 
volume égal de gaz acide carbonique. 

Je dépose également sur le bureau de l'Académie des ballons pareils 
aux précédents, mais renfermant de l'urine fraiche, naturelle, telle 
qu’elle existe dans la vessie. Elle est intacte. Sa coloration s’est un peu 
avivée, et quelques cristaux lenticulaires, probablement d’acide urique, 
se sont déposés. L'oxydation directe des matériaux de lurine est 
également insensible. Après quarante jours, j'ai trouvé dans un des 


ballons : 


(OPA e C ont Oo ac ce on 0 ce à bo 1872 
AcidetcarboniQue ECC CC CCE 0,8 
AZOtE à ete ILE ee et CC CC CE OU) 

100,0. 


Les conclusions auxquelles j'ai été conduit par la première série de 
mes expériences sont donc applicables dans tous les cas aux substances 
organiques, quelles que soient les conditions de leur structure. 

Je ne puis passer sous silence en terminant un résultat bien 
curieux, qui est relatif à ces cristaux du sang dont on a fait le sujet de 
beaucoup de travaux dans ces dernières années, particulièrement en 
Allemagne. 

Dans les circonstances dont je viens de parler, où le sang exposé 


1. Je dirai seulement, afin que l’on soit bien assuré des bonnes dispositions des expériences, 
que M. Claude Bernard a eu l'extrême obligeance de présider lui-même à la prise du sang. 
2. Voir, plus loin, dans la Note intitulée : Observations verbales présentées après la lecture 


de la Note de M. Donné (Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 13 août 1866, 
LXIII, p. 305-308), le procédé expérimental qui servit à Pasteur. (Note de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 171 


au contact de l'air pur ne se putréfie pas du tout, les cristaux du sang 
se forment avec une remarquable facilité. Dès les premiers jours de 
son exposition à l’étuve, plus lentement à la température ordinaire, le 
sérum se colore peu à peu en brun foncé. Au fur et à mesure que cet 
effet se produit, les globules du sang disparaissent, et le sérum et le 
caillot se remplissent de cristaux aiguillés très nets, teints en brun ou 
en rouge. Au bout de quelques semaines, il ne reste pas un seul globule 
sanguin ni dans le sérum ni dans le caillot. Chaque goutte de sérum 
renferme par milliers ces cristaux, et la plus petite parcelle de caillot 
écrasée sous la lame de verre offre de la fibrine incolore, très élastique, 
associée à des amas de cristaux en nombre incalculable, sans que lon 
puisse nulle part découvrir la moindre trace des globules du sang. 

Il sera superflu sans doute de faire remarquer que les expériences 
dont je viens d’entretenir l’Académie au sujet du sang et de l'urine 
portent un dernier coup à la doctrine des générations spontanées, 
aussi bien qu’à la théorie moderne des ferments. 


NOTE SUR LA PRÉSENCE DE L'ACIDE ACÉTIQUE 
PARMI LES PRODUITS DE LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


Je lis dans le Compte rendu de la dernière séance de l’Académie 
que M. Béchamp signale, parmi les produits de la fermentation 
alcoolique, la présence de l'acide acétique et d'acides gras volatils ®). 

Cette observation est exacte. Les liquides sucrés qui ont éprouvé ce 
genre de fermentation donnent, lorsqu'ils sont soumis à la distillation, 
un alcool très légèrement acide. En saturant par la chaux le liquide 
distillé, évaporant et décomposant par lacide phosphorique, on 
développe l'odeur des acides de la série acétique. Je crois que ce fait 
est connu depuis longtemps, du moins en ce qui concerne lacidité 
faible des produits de la distillation des liqueurs fermentées. Si je ne 
l'ai pas rappelé dans mon Mémoire sur la fermentation alcoolique, et 
surtout si je n’ai pas fait figurer une très petite quantité d'acides de la 
série acétique au nombre des produits de la fermentation du sucre, 
c'est que je pensais que ces acides volatils proviennent non du sucre, 
mais de l’altération de la levüre. D'autre part, je n'étais pas assez sûr 
des preuves qui motivaient cette dernière opinion pour oser les 
publier. C’est un point qui mérite encore d’être éclairci, et qui était 
parmi les nombreux desiderata de mes études sur la fermentation 
alcoolique. 

Quant au reproche que m'adresse M. Béchamp, d’avoir à tort 
contredit l’assertion de Lavoisier sur la production de l'acide acétique 
dans la fermentation alcoolique, je ne puis l’accepter. Lavoisier (), 
en effet, a constaté la présence de 3 parties environ d’acide acétique 
pour 100 de sucre dans la fermentation alcoolique (21*8onces sur 
95liv {4onces gros GOcrains de sucre). Assurément Lavoisier ne s’est pas 


trompé sur la nature de l'acide qu'il a eu entre les mains, mais 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 25 mai 1863, LVI, p. 989-990. 

2. Bécuame. Sur l'acide acétique et les acides gras volatils de la fermentation alcoolique. 
Ibid., p. 969-972. 

3. Lavorster. Traité élémentaire de chimie. (2° édition), Paris, 1793, 2 vol. in-12. Tome Ier, 
p. 139-152. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 173 


ce qui est certain pour moi, c'est que l’acide acétique obtenu par 
Lavoisier était presque exclusivement, pour plus des 5 peut-être, un 
acide acétique formé accidentellement dans la fermentation, soit par 
l'action de l'air dans des conditions particulières que nous savons 
aujourd'hui être déterminées par la production d’un mycoderme, soit 
par des levûres spéciales autres que la levûre alcoolique. 

Beaucoup d'auteurs ont parlé de l'acide acétique du vin et des 
liquides fermentés. Mais il y a trop peu d’acides volatils à l’état normal, 
pour que l’on n’admette pas que ces auteurs ont eu affaire, ainsi que 
Lavoisier, à de l'acide acétique accidentel. Il faut une étude spéciale 
du genre de celle que vient de faire M. Béchamp, pour reconnaitre 
l'acide acétique dans les produits de la distillation des liquides 
fermentés. Au contraire, l'acide acétique accidentel, provenant de 
levûres spéciales (mycoderme ou autres), est toujours en assez 
grande quantité pour que sa présence soit accusée facilement par son 
odeur, pendant une évaporation rapide et à feu nu du liquide 
alcoolique. L’odeur de l'acide acétique et des acides plus élevés dans 
la série, s'il y en a, se fait sentir vers la fin de l’évaporation, 
bien avant celle de l’acide succinique qui est en outre très différente, 
et qui provoque la toux d’une manière irrésistible. Rien de pareil ne 
se présente avec les liquides fermentés qui n’ont éprouvé que l’action 
des levûres alcooliques pures. L’évaporation la plus ménagée ne 
permet pas alors de reconnaître par l’odorat la présence des acides 
volatils, bien que néanmoins la vapeur ait toujours une réaction très 
faiblement acide aux papiers réactifs, ce qui, je le répète, était géné- 


ralement connu. 


NOTE (1) 
RELATIVE A UNE COMMUNICATION DE M. BÉCHAMP(? 


La première Note de M. Béchamp (#) relative à la présence de l'acide 
acétique parmi les produits de la fermentation alcoolique soulevait 
deux objections très sérieuses. Il n’est plus possible aujourd’hui de ne 
pas tenir compte, dans toutes les recherches sur cette fermentation, 
des nombreuses levûres filiformes qui accompagnent très souvent la 


l. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 15 juin 1863, LVI, p. 1109-1110. 

2. Bécæamp. Note sur l'acide acétique de la fermentation alcoolique. Zbid., séance du 
8 juin 1863, LVI, p. 1086-1088. 

3. BécHamr. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LVI, p. 969-972. (Notes de 
l'Édition.) 


174 ŒUVRES DE PASTEUR 


levûre de bière dans son action sur le sucre. Ce sont ces levûres qui 
donnent lieu à la plupart des maladies des vins, qui provoquent la 
formation de l’acide lactique et des divers actes de la série acétique 
que l’on observe fréquemment dans les liquides fermentés. Or, 
M. Béchamp ne s’est nullement préoccupé de la présence possible de 
ces levüres. Sa Note ne fait aucune mention d'observations micros- 
copiques de la levûre de bière qu'il a employée, soit avant, soit après 
les opérations. 

En confirmant l'exactitude de son observation, j'ai donc rendu à 
M. Béchamp le grand service d’éloigner l’objection que je viens de 
développer et qui se présentait immédiatement à l'esprit d’un lecteur 
attentif. 

En second lieu, la première Note de M. Béchamp laissait supposer 
que les acides volatils dont il parle proviennent du sucre. Cela est 
possible, mais rien ne le démontre dans la Note de M. Béchamp. Je le 
répèle, c'est un point essentiel qui reste à éclaircir. 

M. Béchamp cite des passages de mon Mémoire (!) établissant, ce 
qui est très vrai, que je croyais que le sucre ne fournit pas du tout 
d'acide acétique dans la fermentation alcoolique. Je dis le sucre, car 
M. Béchamp aurait dû remarquer que ces passages sont extraits de 
la première partie de mon travail, intitulée : Ce que devient le sucre 
dans la fermentation alcoolique. Tous les paragraphes de cette pre- 
mière partie s'appliquent à cet objet spécial. Or, M. Béchamp, à l'heure 
qu'il est, n'est pas du tout autorisé à affirmer que mes assertions sont 
erronées et que Lavoisier avait bien vu. 

En résumé, je crois qu'il n’est plus permis de s'occuper des fermen- 
tations sans apporter dans ce sujet un peu plus de rigueur que par le 
passé. En agissant autrement, on continuerait de rassembler des faits 
isolés, sans signification bien nette, n’ayant aucune place déterminée, 
et qui donnent lieu à toutes sortes de vues préconçues, ou d’hypo- 
thèses plus ou moins erronées. Je ne parle pas ici de cette rigueur 
absolue vers laquelle nous marchons toujours sans jamais l’atteindre, 
mais de cette rigueur relative qui est exigée et indiquée par l’état de 
la science sur le sujet dont on s'occupe. J’ai déjà consacré et je consa- 
crerai encore tant de temps à la révision des travaux anciens sur les 
fermentations, que je me crois autorisé à donner ce conseil. 

Quant aux travaux sur cette matière, je les appelle de tous mes 


vœux. Il y a longtemps que j'ai senti qu'elle forme un fardeau trop 
lourd pour être porté par moi seul. 


1. Voir Pasreur. Mémoire sur la fermentation alcoolique, p. 51-126 du présent volume. 
(Note de l'Édition. 


RECHERCHES SUR LA PUTRÉFACTION (1) 


Toutes les fois que les matières animales ou végétales s’altèrent 
spontanément en développant des gaz fétides, on dit qu'il y a putré- 
faction. Nous verrons dans le cours de ce travail que cette définition a 
deux défauts opposés : elle est trop générale, parce qu’elle rapproche 
des phénomènes essentiellement distincts; elle est trop restreinte, 
parce qu'elle en éloigne d’autres qui ont même nature et même origine. 

L'intérêt et l'utilité qu'offrirait une étude exacte de la putréfaction 
n'ont jamais été méconnus. Depuis longtemps on a espéré en déduire 
des conséquences pratiques pour la connaissance des maladies, parti- 
culièrement de celles que les anciens médecins appelaient maladies 
putrides. Telle est la pensée qui guidait le célèbre médecin anglais 
Pringle, lorsqu'il se livrait, au milieu du siècle dernier, à des expé- 
riences sur les matières septiques et antiseptiques, afin d'éclairer les 
observations qu'il avait faites sur les maladies des armées (2). Malheu- 
reusement, le dégoût inhérent à ce genre de travaux, joint à leur com- 
plication évidente, a arrêté jusqu'ici la plupart des expérimentateurs, 
et, au demeurant, presque tout est à faire sur ce sujet. 

Mes recherches sur les fermentations m'ont conduit naturellement 
vers cette étude, à laquelle j'ai résolu de me livrer, sans trop de préoc- 
cupation du danger ou de la répugnance qu’elle inspire. 

Si javais besoin d’être encouragé à suivre ces recherches, je me 
reporterais à ces paroles que Lavoisier prononçait devant l'Académie 
dans une circonstance semblable : « L’utilité publique et l'intérêt de 
l'humanité ennoblissent le travail le plus rebutant, et ne laissent voir 
aux hommes éclairés que le zèle avec lequel il a fallu surmonter le 
dégoût et les obstacles. » 

Les résultats que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui à l’Aca- 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 29 juin 1863, LVI, p. 1189-1194. 
2. PRINGLE (J.). Observations on the diseases of the army in camp and garrison. Zondon, 
1752, in-8o, (Note de l'Édition.) 


176 ŒUVRES, DE PASTEUR 


démie se rapportent exclusivement à la cause des phénomènes. C'était 
là le point à élucider tout d’abord, et je crois y être parvenu. Cepen- 
dant, c'est un si vaste sujet, que je me persuade que j'aurai peut-être 
à ajouter beaucoup par la suite à mes premiers aperçus. Je réclame 
donc toute l’indulgence de l'Académie. 

La conséquence la plus générale de mes expériences est fort simple, 
c'est que la putréfaction est déterminée par des ferments organisés du 
genre vibrion. 

Ehrenberg a décrit six espèces de vibrions, auxquels il a donné les 
noms suivants : 


l. Vibrio lineola. Vibrio rugula. 


or À 


2. Vibrio tremulans. Vibrio prolifer. 
3. Vibrio subtilis. 6. Vibrio bacillus (1). 

Ces six espèces, déjà en partie reconnues par les premiers micro- 
graphes des derniers siècles, ont été vues depuis par tous ceux qui se 
sont occupés des infusoires. Je réserve, en ce qui me concerne, la 
question de l'identité ou de la différence de ces espèces, de leurs 
variétés de formes subordonnées aux changements des conditions du 
milieu où elles vivent. Je les accepte provisoirement telles qu’elles ont 
été décrites. Quoi qu'il en soit, j'arrive à ce résultat, que ces six 
espèces de vibrions sont six espèces de ferments animaux, et que ce 
sont les ferments de la putréfaction. En outre, j'ai reconnu que tous 
ces vibrions peuvent vivre sans gaz oxygène libre, et qu’ils périssent 
au contact de ce gaz, si rien ne les préserve de son action directe. 

Le fait que j'ai annoncé à l'Académie pour la première fois il y a 
deux années, et dont j'ai indiqué tout récemment un second exemple, 
à savoir, qu'il existait des animalcules-ferments du genre vibrion 
pouvant vivre sans gaz oxygène libre, n’était donc qu'un cas particulier 
se rattachant au mode de fermentation qui est peut-être le plus 
répandu dans la nature (?). 

Les conditions dans lesquelles se manifeste la putréfaction peuvent 
varier beaucoup. Supposons, en premier lieu, qu'il s'agisse d’un 
liquide, c’est-à-dire d’une matière putrescible dont toutes les parties 
ont été exposées au contact de l'air. De deux choses l’une : ce liquide 
aéré sera renfermé dans un vase à l'abri de l'air, ou il sera placé dans 


1. EnREx8ERG (Chr.-G.). Die [nfusionsthierchen als vollkommene Organismen. Leipzig, 
1838, fol. (64 col. Taf.). Vibrio : p. 77-83 et fig. 1v-1x, Tab. V. 

2. Pasreur. Animalcules infusoires vivant sans gaz oxygène libre et déterminant des 
fermentations. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LIT, 1861, p. 344-347. — Nouvel 
exemple de fermentation déterminée par des animalcules infusoires pouvant vivre sans gaz 
oxygène libre, et en dehors de tout contact avec l'air de l'atmosphère. Zbid., LVTI, 1863, p. 416-421. 
Voir p. 186-138 et p. 159-164 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


iii dm ctittis SA di 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 177 


un vase non bouché, à ouverture plus ou moins large. J’examinerai 
successivement ce qui se passe dans ces deux cas. 

Il est de connaissance vulgaire que la putréfaction met un certain 
temps à se déclarer, temps variable suivant les circonstances de tempé- 
rature, de neutralité, d’acidité ou d’alcalinité du liquide. Dans les 
circonstances les plus favorables, il faut au minimum environ vingt- 
quatre heures pour que le phénomène commence à être accusé par des 
signes extérieurs. Pendant cette première période, un mouvement 
intestin s'effectue dans le liquide, mouvement dont l'effet est de sou- 
straire entièrement l'oxygène de Pair qui est en dissolution, et de le 
remplacer par du gaz acide carbonique. La disparition totale du gaz 
oxygène, lorsque le milieu est neutre ou légèrement alcalin, est due en 
général au développement des plus petits des infusoires, notamment le 
monas crepusculum et le bacterium termo. Un très léger trouble se 
manifeste, parce que ces petits êtres voyagent dans toutes les direc- 
tions. Lorsque ce premier effet de soustraction de l'oxygène en disso- 
lution est accompli, ils périssent et tombent à la longue au fond du 
vase, comme ferait un précipité; et si, par hasard, le liquide ne renferme 
pas de germes féconds des ferments dont je vais parler, il reste indéfi- 
niment dans cet état sans se putréfier, sans fermenter d'aucune façon. 
Ce cas est rare, mais j'en ai rencontré cependant plusieurs exemples. 
Le plus souvent, lorsque l’oxygène qui était en dissolution dans le 
liquide a disparu, les vibrions-ferments qui n'ont pas besoin de ce gaz 
pour vivre commencent à se montrer, et la putréfaction se déclare 
aussitôt. Elle s'accélère peu à peu, en suivant la marche progressive 
du développement des vibrions. Quant à la putridité, elle devient si 
intense que l'examen au microscope d’une seule goutte du liquide est 
chose très pénible, pour peu que cet examen dure quelques minutes. 
Mais je me hâte de faire remarquer que la fétidité de la liqueur et des 
gaz dépend surtout de la proportion de soufre qui entre dans la matière 
en putréfaction. L’odeur est peu sensible si la substance n’est pas 
sulfurée. Tel est, par exemple, le cas de la fermentation des matières 
albuminoïdes que l’eau peut enlever à la levüre de bière. Tel est aussi 
le cas de la fermentation butyrique; car, d’après les résultats mêmes 
que j'expose, rapprochés de mes études antérieures (!), la fermentation 
butyrique est, par la nature de son ferment, un phénomène exactement 
du même ordre que la putréfaction proprement dite. Voila pourquoi la 
manière dont on envisage la putréfaction est en quelque chose trop 
restreinte. 


1. Loc. cit. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 12 


78 ŒUVRES DE PASTEUR 


Il résulte de ce qui précède que le contact de l'air n’est aucunement 
nécessaire au développement de la putréfaction. Bien au contraire, si 
l'oxygène dissous dans un liquide putrescible n'était pas tout d’abord 
soustrait par l’action d'êtres spéciaux, la putréfaction n'aurait pas lieu. 
L'oxygène ferait périr les vibrions qui tenteraient de se développer à 
l’origine. 

Je vais examiner maintenant le cas de la putréfaction au libre 
contact de l'air. Ce que je viens de dire pourrait faire croire qu’elle 
ne saurait s'y établir, puisque le gaz oxygène fait périr les vibrions 
qui la provoquent. Il n’en est rien, et je vais même démontrer, ce 
qui est d'accord avec les faits, que la putréfaction au contact de Pair 
est un phénomène toujours plus complet, plus achevé qu’à lPabri de 
Pair. 

Reprenons notre liquide aéré, cette fois exposé au contact de l'air, 
par exemple dans un vase largement ouvert. L'effet dont j'ai parlé tout 
à l'heure, à savoir, la soustraction du gaz oxygène dissous, se produit 
comme dans le premier cas. La seule différence consiste en ce que les 
bacteriums, etc.….., ne périssent, après la soustraction de l’oxygène, que 
dans la masse du liquide, en continuant de se propager, au contraire, 
à l'infini à la surface, parce que celle-ci est en contact avec l'air. Ils y 
provoquent la formation d'une mince pellicule qui va s’épaississant peu 
à peu, puis tombe en lambeaux au fond du vase, pour se reformer, 
tomber encore, et ainsi de suite. Cette pellicule, à laquelle s'associent 
d'ordinaire divers mucors et des mucédinées, empêche la dissolution 
du gaz oxygène dans le liquide, et permet par conséquent le dévelop- 
pement des vibrions-ferments. Pour ces derniers, le vase est comme 
fermé à l'introduction de l'air. Ils peuvent même alors se multiplier 
dans la pellicule de la surface, parce qu'ils s'y trouvent protégés par les 
bacteriums et les mucors contre une action trop directe de l’air atmo- 
sphérique (1). 

Le liquide putrescible devient alors le siège de deux genres 
d'actions chimiques fort distinctes qui sont en rapport avec les fonctions 
physiologiques des deux sortes d'êtres qui s'y nourrissent. Les 
vibrions, d’une part, vivant sans la coopération du gaz oxygène de l'air, 


1. Je réserve toujours néanmoins, ainsi que je l'ai fait antérieurement, la question de savoir 
si les ferments, notamment les vibrions, ne deviennent pas aérobies dans certaines circon- 
stances, d'anaérobies qu'ils sont lorsqu'ils agissent comme ferments. Je propose avec toute 
sorte de serupules ces mots nouveaux aérobies et anaérobies, pour indiquer l'existence de 
deux classes d'êtres inférieurs, les uns incapables de vivre en dehors de la présence du gaz 


oxygène libre, les autres pouvant se multiplier à l'infini en dehors du contact de ce gaz. 
La classe nouvelle des anaérobies pourrait être appelée la classe des symiques (Cum, 
levain, ferment), c'est-à-dire des ferments. Les aérobies constitueraient par opposition la elasse 


des asymiques. 


FERMENTATIONS EL GÉNERATIONS DITES SPONTANÉES 179 


déterminent dans l’intérieur du liquide des actes de fermentation, 
c'est-à-dire qu'ils transforment les matières azotées en produits plus 
simples, mais encore complexes. Les bacteriums (ou les mucors..… 

d'autre part, comburent ces mêmes produits et les ramènent à l’état 
des plus simples combinaisons binaires, l’eau, lammoniaque et l'acide 
carbonique. 

Il y a encore à distinguer le cas très remarquable où le liquide 
putrescible est en couche de peu d'épaisseur, avec accès facile de lair 
atmosphérique. Je démontrerai expérimentalement que la fermentation 
et la putréfaction peuvent être alors absolument empêchées et que la 
matière organique peut céder uniquement à des phénomènes de 
combustion. 

Tels sont les résultats de la putréfaction s'effectuant au libre contact 
de l'atmosphère. Au contraire, dans le cas de la putréfaction à l'abri de 
l'air, les produits de dédoublement de la matière putrescible restent 
inaltérés. C’est ce que j'exprimais tout à l'heure en disant que la putré- 
faction au contact de l'air est un phénomène, sinon toujours plus 
rapide, du moins plus achevé, plus destructeur de la matière organique 
que la putréfaction à l'abri de Pair. Afin d’être mieux compris, je 
citérai quelques exemples. Faisons putréfier, j'emploie ce mot à 
dessein, dans cette circonstance, comme synonyme de fermenter, 
faisons putréfier du lactate de chaux à l'abri de lair. Les vibrions- 
ferments transformeront le lactate en divers produits au nombre 
desquels figure toujours le butyrate de chaux. Cette combinaison nou- 
velle, indécomposable par le vibrion qui en a provoqué la formation, 
restera indéfiniment dans la liqueur sans altération quelconque. Mais 
répétons l’opération au contact de l'air. Au fur et à mesure que les 
vibrions-ferments agissent dans l’intérieur du liquide, la pellicule de la 
surface brûle peu à peu et complètement le butyrate. Si la fermen- 
tation est très active, le phénomène de combustion de la surface s'arrête, 
mais uniquement parce que l’acide carbonique qui se dégage empêche 
l’arrivée de l’air atmosphérique. Le phénomène recommence dès que la 
fermentation est achevée ou ralentie. C’est ainsi également que, si l’on 
fait fermenter un liquide sucré naturel à l'abri de Pair, le liquide se 
charge d’alcool tout à fait indestructible, tandis que, si l’on opère au 
contact de l'air, l'alcool, après s’être acétifié, se brûle et se transforme 
entièrement en eau et en acide carbonique; puis les vibrions apparais- 
sent, et à leur suite la putréfaction lorsque le liquide ne renferme plus 
que de l’eau et des matières azotées. Enfin à leur tour les vibrions et 
les produits de la putréfaction sont brûlés par des bacteriums ou des 


mucors dont les derniers survivants provoquent la combustion de ceux 


180 ŒUVRES DE PASTEUR 


qui les ont précédés, et ainsi se trouve accompli le retour intégral à 
l'atmosphère et au règne minéral de la matière organisée. 

Considérons à présent la putréfaction des substances solides. 

J'ai prouvé récemment que le corps des animaux est fermé, dans 
les cas ordinaires, à l'introduction des germes des êtres inférieurs; par 
conséquent, la putréfaction s’établira d’abord à la surface, puis elle 
gagnera peu à peu l'intérieur de la masse solide. 

En ce qui concerne un animal entier abandonné après la mort, soit 
au contact, soit à l'abri de l'air, toute la surface de son corps est 
couverte des poussières que l'air charrie, c’est-à-dire de germes d’orga- 
nismes inférieurs. Son canal intestinal, là surtout où se forment les 
matières fécales, est rempli, non plus seulement de germes, mais de 
vibrions tout développés que Leeuwenhoek avait déjà aperçus. Ces 
vibrions ont une grande avance sur les germes de la surface du corps. 
Ils sont à l’état d'individus adultes, privés d'air, baignés de liquides, 
en voie de multiplication et de fonctionnement. C’est par eux que 
commencera la putréfaction du corps, qui n’a été préservé jusque-là 
que par la vie et la nutrition des organes. 

Telle est, dans les divers cas, la marche de la putréfaction. 
L'ensemble des faits que j'ai énumérés sera présenté dans les Mémoires 
que je publierai ultérieurement avec toutes les preuves expérimentales 
qu'ils comportent, mais ces faits pourraient être mal compris ou mal 
interprétés, si je n’ajoutais quelques développements que l'Académie 
excusera sans doute. 

Considérons, pour fixer les idées, une masse volumineuse de chair 
musculaire : qu'arrivera-t-il si lon empêche la putréfaction extérieure ? 
La viande conservera-t-elle son état, sa structure et ses qualités des 
premières heures? On ne saurait espérer un pareil résultat. En effet, il 
est impossible aux températures ordinaires de soustraire l’intérieur de 
cette chair à la réaction des solides et des liquides les uns sur les 
autres. Il y aura toujours et forcément des actions dites de contact, 
des actions de diastases (que l’on me permette cette expression), qui 
développent dans l’intérieur du morceau de viande de petites quantités 
de substances nouvelles, lesquelles ajouteront à la saveur de la viande 
leur saveur propre. Bien des moyens peuvent s'opposer à la putré- 
faction des couches superficielles. IT suffit, par exemple, d’envelopper 
la viande d’un linge imbibé d'alcool et de la placer ensuite dans un 
vase fermé {avec ou sans air, peu importe), pour que l’évaporation des 
vapeurs d'alcool ne puisse avoir lieu. Il n’y aura pas de putréfaction, 
soit à l’intérieur parce que les germes des vibrions sont absents, soit 


à l'extérieur parce que les vapeurs d’alcook s'opposent au dévelop- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 181 


pement des germes de la surface; mais j'ai constaté que la viande se 
faisande d’une manière prononcée si elle est en petite quantité, et 
qu'elle se gangrène si elle est en masses plus considérables. 

A mon avis, et c’est ici un des exemples où pèche par trop d’étendue 
la définition ordinaire de la putréfaction, il n’y a aucune similitude 
de nature ni d'origine entre la putréfaction et la gangrène. 

Loin d’être la putréfaction proprement dite, la gangrène me parait 
être l’état d’un organe ou d’une partie d’organe conservé, malgré la 
mort, à l'abri de la putréfaction, et dont les liquides et les solides 
réagissent chimiquement et physiquement en dehors des actes normaux 
de la nutrition (1). 


1. La mort, en d’autres termes, ne supprime pas la réaction des liquides et des solides 
dans l'organisme. Une sorte de vie physique et chimique, si je puis ainsi parler, continue 
d'agir. J'oserais dire que la gangrène est un phénomène de même ordre que celui que nous 
offre un fruit qui mürit en dehors de l'arbre qui l’a porté. 


REMARQUES (1) 
SUR UNE CLASSE DE PHÉNOMÈNES DE DÉCOMPOSITION 
S'EFFECTUANT AVEC DÉGAGEMENT DE CHALEUR] 


A l’occasion des remarques précédentes de M.H. Sainte-Claire Deville (?), 
M. Pasteur croit devoir appeler l'attention ce l'Académie sur une classe 
de phénomènes de décomposition s’effectuant avec dégagement de chaleur. 
Ce sont les phénomènes des fermentations proprement dites. Les décom- 
positions de cette nature offrent, sous ce rapport, une certaine analogie 
avec les corps explosifs, et néanmoins l’un des caractères remarquables 
des décompositions par fermentation est celui de leur durée prolongée. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 24 octobre 1864, LIX, p. 689. 

2, Sanre-CLaire Device. Remarques [à propos des « Recherches sur les changements de 
tempéralure produits par le mélange des liquides de nature différente » par MM. Bussy et 
Buicxer]. Zbid., p. 688-689. (Note de l'Edition.) 


ETUDES SUR LE VINAIGRE 
FERMENTATION ACÉTIQUE 


Pasteur fit à l’Académie des sciences, le 10 février 1862, une communi- 
cation, intitulée : « Études sur les mycodermes. Rôle de ces plantes dans la 
fermentation acétique». Le 7 juillet 1862, il fit une nouvelle communication 
intitulée : « Suite à une précédente communication sur les mycodermes. 
Nouveau procédé industriel de fabrication du vinaigre». En 1864, paraissait 
dans les Annales scientifiques de l’École normale supérieure son Mémoire 
sur la fermentation acétique. Ces travaux ont été placés dans le tome IT des 
Œuvres de Pasteur : « Études sur le vinaigre et sur le vin ». (Note de l'Édition. 


ÉTUDES SUR LE VIN 


Pasteur fit le 7 décembre 1863 et le 18 janvier 1864 deux communi- 
cations à l'Académie des sciences, intitulées : Etudes sur les vins. La première 
traite de l'influence de l'oxygène de l'air sur la vinification. La seconde, 
des maladies des vins. 

Le 1% mai et le 14 août 1865, Pasteur fit à l'Académie des sciences deux 
nouvelles communications. Elles traitent d’un procédé pratique de conser- 
vation et d'amélioration des vins. 

Ces communications et les autres sur le vin ont été placées dans le 
tome III des Œuvres de Pasteur : « Études sur le vinaigre et sur le vin ». 


(Note de l'Édition.) 


IT 


GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


(1860-1866) 


ve 


EXPÉRIENCES RELATIVES AUX GÉNÉRATIONS 
DITES SPONTANÉES !!) 


Les recherches dont j'ai l'honneur de communiquer les résultats à 
l’Académie ne s'appliquent encore qu'à une seule liqueur, mais des 
plus altérables. Elles ont paru si démonstratives aux personnes très 
compétentes qui ont bien voulu les examiner, que j'ai cru pouvoir 
prendre date en les soumettant dès à présent au jugement de 
l'Académie. 

Dans la première partie de mon travail, je m'attache à l'étude 
microscopique de Pair. Au moyen d’un aspirateur à eau continu, je fais 
passer de l'air extérieur dans un tube où se trouve une petite bourre 
de coton-poudre, de la modification de ce coton qui est soluble dans le 
mélange d'alcool et d’éther. Le coton arrête une partie des corpuscules 
solides que l'air renferme. En le dissolvant dans un petit tube avec le 
mélange alcoolique éthéré et laissant reposer vingt-quatre heures, 
toutes les poussières se rassemblent au fond du tube où il est facile 
de les laver par décantation, sans aucune perte, si l’on a soin de 
séparer chaque lavage par un repos de douze à vingt heures. On fait 
alors tomber les poussières dans un verre de montre où le restant du 
liquide s’évapore promptement. Il est facile d'examiner au microscope 
les poussières ainsi recueillies et de les soumettre à divers réactifs. 
Cette méthode permet d'isoler les poussières de l'air tous les jours, à 
toutes les époques de l’année. Je me propose de l’appliquer à lexamen 
des poussières de l'air de plusieurs localités, et comparativement à des 
hauteurs diverses. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 6 février 1860, L, p. 303-307. 

Cette communication, les quatre suivantes (p. 192-209) et celle du 12 novembre 1860 (p. 181- 
133 du présent volume) renferment les principaux résultats des recherches exposées dans le 
« Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère. Examen de la doctrine 
des générations spontanées » (p. 210-294 du présent volume). 

Voir, à la fin du présent volume, Document IL, la lettre de Pasteur à Pouchet, au sujet des 
générations dites spontanées, antérieure d’une année à cette première communication faite à 
l'Académie des sciences. (Note de l'Édition.) 


188 ŒUVRES DE PASTEUR 


On reconnait de cette manière qu'il y a constamment dans l'air 
commun, en quantités variables, des corpuscules dont la forme et la 
structure annoncent qu'ils sont organisés. Ce sont des corpuscules 
analogues à ceux que divers micrographes ont signalés dans la pous- 
sière déposée à la surface des objets extérieurs. Il est très vrai, ainsi 
que M. Pouchet l’a reconnu pour la poussière ordinaire, que parmi ces 
corpuscules il y a des granules d’amidon, mais il y en a comparati- 
vement un très petit nombre. Il est bien facile de le prouver, en 
délayant dans une goutte d'acide sulfurique concentré la poussière de 
l'air recueillie comme je l’ai indiqué tout à l'heure. Les granules 
d’arwidon se dissolvent en quelques instants, et la plupart des autres 
corpuscules ne sont nullement altérés dans leurs formes et leurs 
volumes. Beaucoup même résistent plusieurs jours à l’action de l’acide 
sulfurique concentré. Ceux-ci sont probablement les spores des mucé- 
dinées, car j'ai constaté la même résistance sur des spores qui 
s'étaient développées dans les conditions ordinaires. 

Il y a donc dans l’air, à toutes les époques de l’année, des corpus- 
cules organisés. Sont-ce des germes féconds de productions végétales 
ou d'infusoires ? Voilà bien la question à résoudre. 

J'ai eu recours à trois méthodes distinctes. La première, qui 
nécessite l'emploi de la cuve à mercure, laisse des doutes dans l'esprit. 
Les expériences à blanc réussissent quelquefois. Cependant elle est 
assez instructive et rend compte de beaucoup d'expériences mal inter- 
prétées jusqu’à ce jour. Je l'exposerai dans mon Mémoire avec tous les 
détails convenables. Je ne m'y arrêterai pas ici. 

La deuxième méthode parait inattaquable et tout à fait démonstra- 
tive. Dans un ballon de 300 centimètres cubes environ, j'introduis 
100 à 150 centimètres cubes d’une eau sucrée albumineuse, formée 
dans les proportions suivantes : 


PAaLe 2085 echec ET UE 1 DCI 
SUCTE + RUN EN ENT CRE RETIRE NP AISAUR 10 
Matières albuminoïdes et minérales provenant de 

la lévüre de bière PRET D 20H 


Le col effilé du ballon communique avec un tube de platine chauffé 
au rouge. On fait bouillir le liquide pendant deux à trois minutes, puis 
on le laisse refroidir complètement. I1 se remplit d’air brûlé à la 
pression ordinaire. Puis on ferme à la lampe le col du ballon. 

Le ballon, placé dans une étuve à une température constante de 
28 à 32°, peut y demeurer indéfiniment sans que son liquide éprouve la 
moindre altération. Après un séjour d’un mois à six semaines à l’étuve, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 189 


je l'adapte au moyen d’un caoutchouc, sa pointe étant toujours fermée, 
à un appareil disposé comme il suit : 1° un gros tube de verre dans 
lequel j'ai placé un bout de tube de petit diamètre, ouvert à ses extré- 
mités, libre de glisser dans le gros tube et renfermant une portion 
d'une des petites bourres de coton chargée des poussières de l'air: 
2° un tube en T muni de trois robinets; l’un des robinets communique 
avec la machine pneumatique, un autre avec un tube de platine chauffé 
au rouge, le troisième avec le gros tube dont je viens de parler. 

Alors, après avoir fermé le robinet qui communique au tube de 
platine, je fais le vide. Le robinet est ensuite ouvert de façon à laisser 
rentrer peu à peu dans l'appareil de l'air calciné. Le vide et la rentrée 
de l'air calciné sont répétés alternativement dix à douze fois. Le petit 
tube à coton se trouve ainsi rempli d'air brülé jusque dans les 
moindres interstices du coton, mais il a gardé ses poussières. Cela fait, 
je brise la pointe du ballon à travers le caoutchouc, sans dénouer les 
cordonnets, puis je fais couler le petit tube à coton dans le ballon. 
Enfin je referme à la lampe le col du ballon qui est de nouveau reporté 
à l’étuve. Or, il arrive constamment que des productions apparaissent 
dans le ballon. Voici les particularités de l'expérience qu’il importe le 
plus de remarquer. 

1°. Les productions organisées commencent toujours à se montrer 
au bout de vingt-quatre à trente-six heures. C’est précisément le temps 
nécessaire pour que ces mêmes productions apparaissent dans cette 
même liqueur lorsqu'elle est exposée au contact de l'air commun. 

2°, Les moisissures naissent le plus ordinairement dans le petit tube 
à coton, dont elles remplissent bientôt les extrémités. 

3°, Il se forme les mêmes productions qu’à l'air ordinaire. Pour les 
infusoires, c’est le bacterium. Pour les mucédinées, ce sont des pent- 
cillium, des ascophora, des aspergillus, et bien d’autres genres encore. 

4. De même qu’à l'air ordinaire, la liqueur fournit tantôt un genre 
de mucédinée, tantôt un autre, de même dans Pexpérience il y a déve- 
loppement de moisissures diverses. 

En résumé, nous voyons d’une part qu'il y a toujours, parmi les 
poussières en suspension dans l’air commun, des corpuscules orga- 
nisés, et d'autre part que les poussières de lair mises en présence 
d’une liqueur appropriée, dans une atmosphère par elle-même tout à 
fait inactive, donnent lieu à des productions diverses, le bacterium 
termo et plusieurs mucédinées, celles-la même que fournirait la liqueur 
après le même temps, si elle était librement exposée à l'air ordinaire. 

Cependant le coton, en tant que coton et matière organique, 


n’entre-t-il pour rien dans l'expérience? Et qu'arriverait-il d’ailleurs en 


190 ŒUVRES DE PASTEUR 


répétant la manipulation sur un ballon préparé comme il vient d’être 
dit, en éloignant les poussières de lair? 

J'ai alors remplacé le coton par de l'amiante, substance minérale. 
Les bourres d'amiante, après une exposition de quelques heures au 
courant d'air de l'aspirateur, ont été introduites dans les ballons 
comme je l'ai expliqué précédemment, et elles ont donné les mêmes 
résultats que les bourres de coton ; mais avec une bourre d’amiante 
préalablement calcinée et non chargée des poussières de l'air, il ne 
s'est produit ni trouble, ni bacterium, ni mucédinée quelconque. Le 
liquide a conservé une limpidité parfaite. 

La méthode suivante confirme et agrandit ces premiers résultats. 

Je prends un certain nombre de ballons dans lesquels j'introduis 
le même liquide fermentescible, en même quantité. J’étire leurs cols à 
la lampe en les recourbant de diverses manières, mais je les laisse tous 
ouverts, avec une ouverture de 1 à 2 millimètres carrés de surface ou 
davantage. Je fais bouillir le liquide pendant quelques minutes dans le 
plus grand nombre de ces ballons. Je n’en laisse que trois ou quatre 
que je ne porte pas à l’ébullition. Puis j'abandonne tous ces ballons 
dans un lieu où l'air est calme. 

Après vingt-quatre ou quarante-huit heures, suivant la température, 
le liquide des ballons qui n’a subi aucune ébullition dans ces ballons 
(mais qui avait été porté à 100° au moment de sa préparation) se trouble 
et se couvre peu à peu de mucors divers. Le liquide des autres 
ballons reste limpide, non pas seulement quelques jours, mais durant 
des mois entiers. Cependant tous les ballons sont ouverts; sans nul 


doute ce sont les sinuosités et les inclinaisons de leurs cols qui garan- - 


tissent leur liquide de la chute des germes. L'air commun, il est vrai, 
est entré brusquement à l’origine, mais pendant toute la durée de sa 
rentrée brusque le liquide, très chaud et lent à se refroidir, faisait 
périr les germes apportés par l’air, puis, quand le liquide est revenu à 
une température assez basse pour rendre possible le développement de 
ces germes, l'air rentrant très lentement laissait tomber ses poussières 
à l'ouverture du col, ou les déposait en route sur les parois intérieures. 
Aussi vient-on à détacher le col de l’un des ballons par un trait de 
lime et place-t-on verticalement la portion restante, après un jour ou 
deux, le liquide donne des moisissures ou se remplit de bacteriums. 

M. Chevreul a déjà fait autrefois dans ses cours des expériences 
analogues. 

Cette méthode, si facile à mettre en pratique et qu'explique si bien 
la précédente, portera la conviction dans les esprits les plus prévenus. 
Elle offre en outre, à mon avis, un intérêt tout particulier par la preuve 


PERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 191 


qu'elle nous donne que dans l’air il n’y a rien, en dehors de ses pous- 
sières, qui soit une condition de l’organisation. L’oxygène n'intervient 
que pour entretenir la vie des êtres fournis par les germes. Gaz, fluide, 
électricité, magnétisme, ozone, choses connues ou choses occultes, il 
n'y a quoi que ce soit dans Pair, hormis les germes qu'il charrie, qui 
soit une condition de la vie. 

Je vais étudier d’autres liqueurs, la production d’autres plantes et 
d’autres infusoires. J'espère arriver, en outre, à pouvoir suivre direc- 
tement les rapports de la graine au végétal, de l'œuf à l’animal, dans 
plusieurs circonstances particulières. Je m'empresserai de commu- 
niquer à l’Académie tous les résultats qui me paraîtront dignes de fixer 
son attention. 


DE L'ORIGINE DES FERMENTS. 
NOUVELLES EXPÉRIENCES RELATIVES AUX GÉNÉRATIONS 
DITES SPONTANÉES (!) 


Parmi les questions que soulèvent les recherches que j'ai entre- 
prises sur les fermentations proprement dites, il n’en est pas de plus 
digne d'attention que celle qui se rapporte à l’origine des ferments. 
D'où viennent ces agents mystérieux, si faibles en apparence, si 
puissants dans la réalité, qui sous un poids très minime, avec des 
caractères chimiques extérieurs insignifiants, possèdent une énergie 
exceptionnelle ? Tel est le problème qui m'a conduit à l’étude des géné- 
rations dites spontanées. 

La communication que j'ai eu l'honneur de soumettre à l'Académie 
dans sa séance du 6 février dernier ne faisait mention que d’une seule 
liqueur propre au développement des infusoires et des mucédinées, 
mais je donnais une méthode applicable à tous les liquides. 

J'ai prouvé alors avec une rigueur qui n’a été l’objet que de contes- 
tations apparentes (?) : 1° que les particules solides charriées par l'air 
atmosphérique étaient l’origine de toutes les productions végétales et 
animales propres à la liqueur en question; 2° que ces particules 
examinées au microscope sont des poussières amorphes constamment 
associées à des corpuscules dont la forme, le volume et la structure 
annoncent qu'ils sont organisés à la manière des œufs des infusoires 
ou des spores des mucédinées. 

Je puis aujourd’hui étendre les assertions de ma communication du 
6 février à deux substances encore plus altérables que cette infusion 
d’eau sucrée mélée de matières albumineuses, qui avait été plus parti- 
culièrement le sujet de mes premiers essais. Je veux parler du lait et 
de l'urine. Les détails des résultats propres à ces deux liqueurs 
montreront, je l'espère, tout l'avenir réservé à ce genre d’études. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 mai 1860, L, p. 849-854. 
2. Voir les publications récentes de MM. Pouchet et Joly, insérées aux Comptes rendus 


de l'Académie des sciences, L, 1860, p. 532, 572 et 748. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 193 


J'introduis 100 centimètres cubes environ d'urine fraîche dans un 
ballon de 250 centimètres cubes. Le col effilé du ballon communique 
avec un tube de platine chauffé au rouge. On fait bouillir le liquide 
pendant deux à trois minutes, puis on le laisse refroidir. Lorsqu'il est 
rempli d'air ayant subi la température rouge, on ferme son col à la 
lampe. 

Ce ballon ainsi disposé peut demeurer indéfiniment dans une étuve 
à une température de 30° sans éprouver d’altération. Après un séjour d’un 
mois à six semaines, je fais tomber dans ce ballon un peu d'amiante 
chargée des poussières de l'air, en suivant exactement la méthode 
que j'ai décrite aux Comples rendus de la séance du 6 février. Puis, le 
col du ballon étant refermé à la lampe, je le porte de nouveau à l’étuve. 

Afin de m'’assurer que la manipulation à laquelle je soumets ce 
ballon pour y introduire les poussières de l'air n’a par elle-même 
aucun eflet quelconque sur le résultat de l'expérience, je prépare un 
deuxième ballon pareil au précédent; seulement, au lieu d’y laisser 
tomber de l'amiante chargée des poussières de l'air, jy place cette 
même amiante préalablement calcinée quelques instants avant son 
introduction dans le ballon. Voici les résultats constants des expé- 
riences : Le liquide du ballon qui a reçu l'amiante privée des poussières 
de l’air reste inaltéré à la température de 30°, quelle que soit la durée 
de son exposition à cette température, si favorable à la putréfaction de 
l'urine. Au contraire, après trente-six heures, l'urine qui a reçu les 
poussières de l'air renferme des productions organisées, mucédinées 
ou infusoires. Parmi ces derniers, j'ai reconnu principalement des 
bacteriums, de très petits vibrions et des monades, enfin les mêmes 
infusoires que je découvrais dans la même urine exposée au contact 
de l'air commun à la température de 30°. Les jours suivants, on voit 
se déposer en abondance des cristaux de phosphate ammoniaco- 
magnésien et des cristaux d’urates alcalins. L’urine devient de plus 
en plus ammoniacale. Son urée disparait sous l'influence du véritable 
ferment de l'urine, ferment que je prouverai être organisé, et dont le 
germe ne peut avoir été apporté que par les poussières de Pair, aussi 
bien que celui des infusoires ou des mucédinées. 

Le lait va nous offrir des particularités encore plus intéressantes. 
J'ai dit qu'avant de remplir le ballon d’air ayant subi la température 
rouge et de le fermer à la lampe, je faisais bouillir lPurine deux à 
trois minutes. Cette durée d’ébullition est suffisante et tout me porte 
à croire que l’on pourrait même prendre moins de précautions pour 
priver de vie ultérieure dans l'urine les germes qui y sont tombés 
depuis le moment où elle a été émise. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 15 


193 ŒUVRES DE PASTEUR 


Cela posé, répétons sans changement ces opérations, non plus sur 
l'urine, mais sur le lait frais; c’est-à-dire qu'après avoir fait bouillir ce 
liquide deux à trois minutes et avoir rempli le ballon d'air rougi, nous 
le maintiendrons fermé à la température de 30°. 

Après un temps variable, ordinairement de trois à dix jours, le lait 
de tous les ballons ainsi préparés se trouvera caillé. Dans les idées qui 
ont cours sur le phénomène de la coagulation du lait, il semble qu’il 
n'y ait rien là qui doive surprendre. Lorsque le lait, dit-on, est exposé 
au contact de l’oxygène de l'air, la matière albumineuse s’altère et 
devient ferment. Ce ferment réagit sur le sucre du lait, le transforme 
en acide lactique qui précipite alors la caséine. De là la coagulation. En 
réalité, les choses se passent tout différemment. Car si l’on ouvre l’un 
de ces ballons où Le lait s’est caillé, on constate d’une part que ce lait 
est aussi alcalin que le lait frais, et d'autre part, ce qui ferait croire 
aux générations spontanées, que ce lait est rempli d’infusoires, le plus 
souvent de vibrions ayant jusqu’à 3 de millimètre de longueur. Je n°y 
ai rencontré jusqu'à présent aucune production végétale. 

Ces faits nous obligent à admettre : 1° que le phénomène de la 
coagulation du lait, ainsi que j'espère le montrer bientôt avec plus de 
clarté, est un phénomène sur lequel nous n'avions que des notions 
très incomplètes ; 2° que des vibrions peuvent naître dans un liquide de 
la nature du lait qui a subi une ébullition de plusieurs minutes à la 
température de 100°, bien que cela n'arrive pas pour l'urine ni pour 
l’eau sucrée albumineuse (1). 

Est-ce donc qu’il y aurait dans des conditions particulières des 
générations spontanées ? Nous allons voir combien cette conclusion 
serait erronée. Que l’on fasse bouillir le lait, non plus deux minutes, 
mais trois, quatre, cinq minutes, on verra le nombre des ballons où le 
lait se caille par le fait de la présence ‘des infusoires diminuer progres- 
sivement au fur et à mesure que l’ébullition aura été plus prolongée. 


1. J'ai reconnu qu'il était facile de communiquer à l'eau sucrée albumineuse la propriété 
que possède le lait de donner des infusoires en présence de l'air rougi et après une ébullition 
à 100. I1 suffit d'ajouter un peu de craie à la liqueur. Au bout de quelques jours elle se 
trouble et se trouve remplie d'infusoires. L'altération est tout à fait nulle si l’ébullition a été 
faite à 110°. Lorsque la craie est supprimée, une seule minute d'ébullition est bien suffisante 
pour empêcher toute production d’infusoires. 

Ces faits nous montrent que si le lait ne se comporte pas comme l'urine sous tous les 
rapports, il ne faut pas en attribuer la cause à quelque circonstance mystérieuse, mais plutôt 
accessoire, très probablement à son alcalinité. 

Néanmoins il est fort curieux qu'une ébullition de 100, pendant une minute ou deux, prive 
de vie et de fécondité certains germes, parce que la liqueur est très faiblement acide, comme le 
sont en effet l'urine et l’eau de levüre de bière où l’on a fait dissoudre du sucre; tandis que 
cette ébullition à 100°, maintenue même un peu plus longtemps, n'enlève pas à ces germes leur 
fécondité, lorsque les liqueurs sont neutres ou légèrement alcalines. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 195 


Et enfin, si l’on pratique l’ébullition de 110 à 112 sous la pression 
d’une atmosphère et demie, jamais le lait ne donnera d'infusoires (1). 
Par conséquent, s'ils prennent naissance dans la première disposition 
des expériences, c’est évidemment que la fécondité des germes des 
vibrions n’est pas entièrement détruite, méme au sein de l'eau, à 
une température de 100° qui dure quelques minutes, et qu'elle l’est 
davantage par une ébullition plus prolongée à cette température, et 
supprimée entièrement à la température de 110 à 112. 

Mais qu'advient-il en ce qui concerne le phénomène de la coagu- 
lation dans ces conditions spéciales d’ébullition où le lait au contact 
de l'air calciné ne donne jamais d’infusoires? Chose remarquable, le 
lait ne se caille pas. Il reste alcalin, et conserve, j'oserais dire intégra- 
lement, toutes les propriétés du lait frais (2). Puis, fait-on passer dans 
ce lait resté pur les poussières de l'air, il s’altère, se caille, et le 
microscope y montre des productions diverses, animales et végétales. 

Il y aurait un grand intérêt à savoir si les liquides de l’économie, 
tels que le lait et l'urine, renferment normalement ou accidentellement, 
avant tout contact de l’air commun, les germes de productions orga- 
nisées. C’est une question que j'espère résoudre dans une commu- 
nication ultérieure, 

La théorie des ferments généralement admise et qui, dans ces 
dernières années, avait reçu un nouvel appui par les écrits ou les 
travaux de divers chimistes, me paraît donc de plus en plus en désac- 
cord avec l’expérience. Le ferment n’est pas une substance morte, 
sans propriétés spécifiques déterminées. C’est un être dont le germe 
vient de l'air. Ce n’est pas une matière albumineuse que l’oxygène a 
altérée. La présence des matières albumineuses est une condition 
indispensable de toute fermentation, parce que le ferment a besoin 
d'elles pour vivre. Elles sont nécessaires à titre d’aliment du ferment. 
Le contact de l'air commun à l’origine est également une condition 
indispensable des fermentations, mais c’est à titre de véhicule des 
germes des ferments. 

Quelle est la nature propre de ces germes? N’ont-ils pas besoin 
d'oxygène pour passer de l’état de germes à l’état de ferments adultes, 

1. La durée de mes expériences est en ce moment de quarante jours pour le lait, de 
plusieurs mois pour l'urine. 
2. Il éprouve seulement une légère oxydation directe de sa matière grasse qui se grumelle 


et communique au lait une faible saveur de suif. Voici l'analyse de l’air d’un ballon qui est 
resté quarante jours à l’étuve : 


CEEUNG 25 AMAR ENT EP SSSR RS 18,37 
Aote . : D fe es ee Te ER PL ne APS CE NS 1147 


ACIdElCATDONIqUE AR ELEES RU LO 


100,00, 


196 ŒUVRES DE PAS'PEUR 


tels qu'ils se trouvent dans les produits en voie de fermentation ? Je 
ne suis pas encore fixé sur ces graves questions. Je m’efforce de les 
suivre avec toute l'attention qu'elles méritent. Mais la difficulté vrai- 
ment capitale de ces études consiste dans la production isolée, indivi- 
duelle des divers ferments. Je puis affirmer qu’il existe un grand 
nombre de levûres organisées distinctes, provoquant des transfor- 
mations chimiques variables suivant leur nature et leur organisation. 
Mais le plus souvent l’aliment qui convient aux unes permet le déve- 
loppement des autres. De là les phénomènes les plus compliqués, les 
plus changeants. Réussit-on à dégager l’un de ces ferments, à le faire 
développer seul, la transformation chimique qui lui correspond 
s’accomplit alors avec une netteté et une simplicité remarquables. 
Jen donnerai bientôt un nouvel exemple en faisant connaître la 
levüre organisée propre à la fermentation que l’on appelle visqueuse (*). 


1. Pasreur. Sur la fermentation visqueuse et la fermentation butyrique. Bulletin de la 
Sociète chimique de Paris, Séance du 8 février 1861, p. 80-31, et p. 134-135 du présent volume. 
(Note de l'Édition.) 


NOUVELLES EXPÉRIENCES RELATIVES AUX GÉNÉRATIONS 
DITES SPONTANÉES (1) 


Depuis les dernières communications que j'ai eu l’honneur 
d'adresser à l’Académie au sujet de l’origine des ferments et des 
générations dites spontanées, mon attention s’est portée sur divers 
points qui intéressent particulièrement le débat, et qui aujourd’hui 
encore soulèvent de graves difficultés, bien que leur explication se 
trouve implicitement comprise dans mes travaux antérieurs. Or, tant 
que la doctrine des générations spontanées pourra opposer à la doc- 
trine contraire une seule objection sérieuse, on peut s’attendre à la 
voir reparaître. Car elle s’étaye, à notre insu, de ses affinités avec 
l’impénétrable mystère de l’origine de la vie à la surface du globe. 
C’est une de ces questions que l’on peut comparer au monstre de la 
Fable, à plusieurs têtes sans cesse renaissantes. Il faut les détruire 
toutes. 

Un travail célèbre de Gay-Lussac, devenu entièrement classique, a 
singulièrement influé sur les esprits dans le sujet qui nous occupe. 
Chargé de l'examen des procédés de conserves d’Appert, qui n'étaient 
que l'application industrielle des expériences de Needham et de 
Spallanzani sur les générations dites spontanées, Gay-Lussac s'exprime 
ainsi : 

« On peut se convaincre en analysant l’air des bouteilles dans 
lesquelles les substances ont été bien conservées qu’il ne contient plus 
d'oxygène, et que l’absence de ce gaz est par conséquent une con- 
dition nécessaire pour la conservation des substances animales et 
végétales (2). » 

Dans le même travail, Gay-Lussac rapporte l'expérience, si souvent 
mentionnée depuis, des grains de raisin qui, écrasés sous le mercure, 
ne subissent la fermentation qu’autant qu'ils ont le contact de 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 septembre 1860, LI, 
p. 348-3952. 

2. Gay-Lussac. Extrait d’un Mémoire sur la fermentation. Annales de chimie, LXXVI, 
1810, p. 252. (Note de l'Édition.) 


198 ŒUVRES DE PASTEUR 


l'oxygène pur ou de l’air en proportion même à peine sensible [p. 250]. 

Ces expériences, qui n’ont qu'une exactitude relative, n’ont jamais 
été contestées. Peu à peu, sans apporter dans ces délicates recherches 
une critique aussi sévère qu'il eût fallu l’exiger, les auteurs éten- 
dirent les principes du savant physicien aux productions des infusions. 
Et aujourd’hui encore, partisans et adversaires des générations spon- 
tanées, tout le monde admet que la plus petite quantité d’air commun, 
mise au contact d’une infusion, y détermine en peu de temps la nais- 
sance de mucédinées ou d’infusoires. 

Cette manière de voir a toujours eu pour appui, au moins indirect, 
l'habitude prise et jugée indispensable par les observateurs d’éloigner 
avec des précautions infinies dans leurs expériences l'accès de Pair 
ordinaire. Tantôt ils recommandent de calciner l'air commun, tantôt 
ils le soumettent aux agents chimiques les plus énergiques ; souvent 
ils placent préalablement toutes ses parties au contact de la vapeur 
d’eau à 100°; enfin ils opèrent d’autres fois avec de l'air artificiel, et 
s’il arrive, dans l’une de ces conditions diverses, que l’expérience 
donne lieu à des productions organisées, on n'hésite pas à affirmer 
que l’opérateur n’a pas su éviter complètement l'introduction d’une 
petite portion d’air ordinaire, si petite soit-elle. Dès lors les partisans 
des générations spontanées s’empressent de faire remarquer avec 
raison que, si la plus minime portion d’air ordinaire développe des 
organismes dans une infusion quelconque, il faut de toute nécessité, 
au cas où ces organismes ne sont pas spontanés, que dans cette por- 
tion si petite d’air commun il y ait les germes d’une multitude de 
productions diverses ; et qu’enfin, si les choses sont telles, l'air ordi- 
naire, selon les expressions de M. Pouchet, doit être encombré de 
matière organique : elle y formerait brouillard. 

Ce raisonnement est assurément fort sensé, d'autant plus que 
toutes les espèces inférieures qui se montrent distinctes semblent 
l'être réellement et provenir par conséquent de germes différents. 

Il y a donc là une difficulté sérieuse et en apparence très réelle. 
Mais n'est-elle pas le fruit d’exagération et de faits plus ou moms 
erronés? Est-il vrai, comme on l’admet depuis Gay-Lussac, qu'il y a 
continuité de la cause des générations dites spontanées dans l’atmo- 
sphère terrestre? Est-il bien sûr que la plus petite quantité d’air 
ordinaire suffise à développer dans une infusion quelconque des pro- 
ductions organisées ? Quel est enfin le degré de confiance qu’inspirent 
les résultats dus à Gay-Lussac, ou mieux l'interprétation qu’il leur a 
donnée, et qui a été non seulement acceptée, mais exagérée ? 

Les expériences suivantes répondent à toutes ces questions. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 199 


Dans une série de ballons de 250 centimètres cubes, j'introduis la 
même liqueur putrescible (!), de manière qu’elle occupe le tiers environ 
du volume total. J’effile les cols à la lampe, puis je fais bouillir la 
liqueur et je ferme l’extrémité effilée pendant l’ébullition. Le vide se 
trouve fait dans les ballons. Alors je brise leurs pointes dans un lieu 
déterminé. L'air ordinaire s’y précipite avec violence, entraînant avec 
lui toutes les poussières qu’il tient en suspension et tous les principes 
connus ou inconnus qui lui sont associés. Je referme alors immédia- 
tement les ballons par un trait de flamme ét je les transporte dans une 
étuve à 25 ou 30°, c’est-à-dire dans les meilleures conditions de tempé- 
rature pour le développement des animalcules et des mucors. 

Voici les résultats de ces expériences, qui sont en désaccord avec 
les principes généralement admis, et parfaitement conformes, au 
contraire, avec l’idée d’une dissémination des germes. 

Le plus souvent, en très peu de jours, la liqueur s’altère, et lon 
voit naître dans les ballons, bien qu'ils soient placés dans des condi- 
tions identiques, les êtres les plus variés; beaucoup plus variés même, 
surtout en ce qui regarde les mucédinées et les torulacées, que si 
les liqueurs avaient été librement exposées à l'air ordinaire. Mais, 
d'autre part, il arrive fréquemment, plusieurs fois dans chaque série 
d'essais, que la liqueur reste absolument intacte, quelle que soit la 
durée de son exposition à l’étuve, comme si elle avait reçu de Pair 
calciné. 

Ce mode d’expérimentation me paraît aussi simple qu'irrépro- 
chable pour démontrer que l'air ambiant n'offre pas, à beaucoup près, 
avec continuité la cause des générations dites spontanées et qu’il est 
toujours possible de prélever dans un lieu et à un instant donnés un 
volume considérable d’air ordinaire, n'ayant subi aucune espèce d’alté- 
ration physique ou chimique, et néanmoins tout à fait impropre à 
donner naissance à des infusoires ou à des mucédinées, dans une 
liqueur qui s’altère très vite et constamment au libre contact de Pair. 
Le succès partiel de ces expériences nous dit assez d’ailleurs que, par 
l'effet des mouvements de l’atmosphère, il passera toujours à la sur- 
face d’une liqueur, qui aura été placée bouillante dans un vase décou- 
vert, une quantité d’air suffisante pour qu'elle en reçoive des germes 
propres à s’y développer dans l’espace de deux ou trois jours. 

J'ai dit que les productions sont plus variées dans les ballons que 
si le contact avec l'air était libre. Rien de plus naturel. Car, en limitant 
la prise d’air et en la répétant nombre de fois, on saisit en quelque 


1. Lau albumineuse provenant de la levûre de bière, eau albumineuse sucrée, urine, etc. 


200 ŒUVRES DE PASTEUR 


sorte les germes de lair avec toute la variété sous laquelle ils s’y 
trouvent. 

Les germes en petit nombre d’un volume limité d’air ne sont pas 
gènés dans leur développement par des germes plus nombreux ou 
d'une fécondité plus précoce, capables d’envahir le terrain, en ne lais- 
sant place que pour eux. C’est ainsi que le penicillium glaucum, dont 
les spores sont vivaces et fort répandues, se montre seul au bout de 
tres peu de jours dans les liqueurs non renfermées, qui offrent au 
contraire des productions extrêmement diverses lorsqu'on les soumet 
à des quantités limitées d’air. 

Enfin je ne dois pas omettre de signaler les différences que l’on 
observe dans le nombre des résultats négatifs de ces expériences sui- 
vant les conditions atmosphériques. Ici encore nous trouvons une 
confirmation frappante de Popinion que je défends. 

Rien de plus facile en effet que d’élever ou de réduire soit le 
nombre des ballons où il naîtra des productions, soit le nombre des 
ballons où elles seront totalement absentes. 

Je me bornerai à parler ici des expériences que j'ai pu entre- 
prendre dans les caves de l'Observatoire de Paris, grâce à l’obligeance 
de M. Le Verrier. 

Dans celte partie des caves situées dans la zone de température 
invariable, l'air parfaitement calme doit évidemment laisser tomber ses 
poussières à la surface du sol, dans l'intervalle des agitations qu'un 
observateur peut y provoquer par ses mouvements ou par les objets 
qu'il transporte. Et en multipliant par conséquent les précautions, lors- 
qu'on y descend, pour y faire des prises d’air, les ballons qui ultérieu- 
rement se montreront sans productions organisées devront être consi- 
dérablement plus nombreux que dans le cas où ils auront été, par 
exemple, remplis d’air dans la cour de l'établissement. C’est en effet 
ce qui arrive, et le sens des résultats, par l'accord qu'il présente avec 
la nature ou la multiplicité plus où moins grande des précautions dont 
on s’entoure, afin d'éviter l'introduction accidentelle des poussières 
étrangères, oblige d'admettre que, si les ballons étaient ouverts et fer- 
més dans les caves sans que l'opérateur fût tenu de s’y transporter, l'air 
de ces caves se montrerait constamment aussi inactif que de Pair 
porté au rouge. Ce n’est pas cependant qu'il ait par lui-même, et vu les 
conditions où il est placé, une inactivité propre. Tout au contraire, se 
trouvant saturé d'humidité et la plupart des organismes inférieurs 
n'ayant nul besoin de lumière pour vivre, cet air m'a toujours paru 
plus propre que celui de la surface du sol au développement de ces 


organismes. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 21 


En résumé, nous voyons que l'air ordinaire ne renferme que çà et 
là, sans aucune continuité, la condition de l’existence première des 
générations dites spontanées. Ici il y a des germes, à côté il n’y en a 
pas. Plus loin il y en a de différents. Il y en a peu ou beaucoup selon 
les localités. La pluie en diminue le nombre. Pendant l’été, après une 
succession de beaux jours, il y en a considérablement. Et là où il y a 
un grand calme prolongé de l'atmosphère, les germes sont tout à fait 
absents et la putréfaction n’existe pas, du moins pour les liquides sur 
lesquels j'ai opéré. 

Mais comment se fait-il que dans l’expérience des grains de raisin 
de Gay-Lussac la levüre de bière prenne naissance à la suite de lintro- 
duction d’une très petite portion d'air; et que si lon répète cette 
même expérience sur des infusions diverses, on voie celles-ci s’altérer 
sous l'influence de quantités d’air minimes, bien plus, par lintro- 
duction d'air calciné ou d’air artificiel? car les expériences de M. Pou- 
chet effectuées sur la cuve à mercure sont exactes, tandis que celles 
de Schwann y sont presque constamment erronées. C’est tout simple- 
ment que le mercure est à profusion rempli de germes. Je lai déjà dit à 
propos d'expériences qui seront exposées dans mon Mémoire, mais Je 
vais aujourd’hui en donner des preuves qui étonneront tout le monde. 

Je prends du mercure, puisé sans précautions particulières, dans la 
cuve d’un laboratoire quelconque, et, à l’aide de la méthode que jai 
décrite antérieurement, au sein d’une atmosphère d’air caleiné, je 
dépose un seul globule de ce mercure, de la grosseur d’un pois, dans 
une liqueur altérable. Deux jours après, dans toutes les expériences 
que j'ai faites, il y a eu des productions variées; et en répétant au 
même moment, par la même méthode, sans rien changer à la mani- 
pulation, les mêmes essais, sur du mercure de même provenance, 
mais préalablement chauffé, il n’y a pas eu la moindre production. 


SUITE A UNE PRÉCÉDENTE COMMUNICATION 
RELATIVE AUX GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES (1) 


Dans une communication soumise récemment au jugement de 
l’Académie, j'ai établi, par des expériences nombreuses, qu’il n’y a pas 
dans l'atmosphère continuité de la cause des générations dites spon- 
tanées, c'est-à-dire qu’il est toujours possible de prélever en un lieu 
déterminé un volume notable, mais limité, d’air ordinaire, n'ayant 
subi aucune espèce de modification physique ou chimique, et tout à fait 
impropre néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une 
liqueur éminemment putrescible. De là ce principe, que la condition 
première de l’apparition des êtres vivants dans les infusions, ou dans 
les liquides fermentescibles, n'existe pas dans l'air considéré comme 
fluide, mais qu'elle s’y trouve çà et la, par places, offrant des solutions 
de continuité nombreuses et variées, comme on doit le prévoir dans 
l'hypothèse d’une dissémination des germes. 

Il m'a paru très intéressant de suivre les idées que suggèrent les 
résultats qui précèdent, en soumettant l'air, pris à des hauteurs 
diverses, au mode d’expérimentation que j'ai fait connaître. J'aurais 
pu m’élever en aérostat; mais, pour des études d'essai, préliminaires 
en quelque sorte, j'ai pensé qu'il serait plus commode, et peut-être 
plus utile, d'opérer comparativement dans la plaine et sur les mon- 
tagnes. 

J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l’Académie soixante- 
treize ballons, chacun de ? de litre de capacité, préparés comme je 
l'ai dit dans ma communication du 3 septembre dernier; c’est-à-dire 
qu'ils étaient primitivement vides d’air, et remplis au tiers d’eau de 
levûre de bière, filtrée limpide, liqueur fort altérable, comme on le 
sait, car il suffit de l’exposer deux ou trois jours au plus à l'air ordi- 
naire pour la voir donner naissance aux petits infusoires ou à des 
mucédinées diverses. 

Vingt de ces ballons ont reçu de l’air dans la campagne, assez loin 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 5 novembre 1860, LT, p. 679-678. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 203 


de toute habitation, au pied des hauteurs qui forment le premier 
plateau du Jura(t}. Vingt autres ont été ouverts (2) sur l’une des 
montagnes du Jura, à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer ©). 
Enfin une autre série de vingt de ces mêmes ballons a été transportée 
au Montanvert, près de la Mer de Glace, à 2000 mètres d’élévation. 

Les résultats offerts par ces trois séries de ballons n'ont paru assez 
remarquables pour étre mis sous les yeux de l'Académie. 

En effet, des vingt ballons ouverts dans la campagne, huit ren- 
ferment des productions organisées. Des ,vingt ballons ouverts sur 
le Jura, cinq seulement en contiennent, et enfin des vingt ballons 
remplis au Montanvert, par un vent assez fort, soufflant des gorges 
les plus profondes du glacier des Bois, un seul est altéré. Il faudrait 
sans doute multiplier beaucoup ces expériences. Mais, telles qu’elles 
sont, elles tendent à prouver déjà qu’à mesure que l’on s'élève, le 
nombre des germes en suspension dans l'air diminue considéra- 
blement. Elles montrent surtout la pureté, au point de vue qui nous 
occupe, de l'air des hautes cimes couvertes de glace, puisqu’un seul 
des vases remplis au Montanvert a donné naissance à une mucédinée. 

La prise d’air exige quelques précautions que j'avais reconnues 
indispensables depuis longtemps pour éloigner autant qu'il est possible 
l'intervention des poussières que l’opérateur porte avec lui, et de celles 
qui sont répandues à la surface des ballons ou des outils dont il faut 
se servir. Je chauffe d’abord assez fortement le col du ballon et sa 
pointe effilée dans la flamme d’une lampe à alcool. Puis je fais un trait 
sur le verre à l’aide d’une lame d’acier. Alors, élevant le ballon 
au-dessus de ma tête, dans une direction opposée au vent, je brise la 
pointe avec une pince en fer, dont les longues branches viennent de 
passer dans la flamme, afin de brûler les poussières qui pourraient 
être à leur surface, et qui ne manqueraient pas d’être chassées en 
partie dans le ballon, par la rentrée brusque de Pair. 

J'avais été fort préoccupé, durant mon voyage, de la crainte que 
lagitation du liquide dans les vases pendant le transport n’ait quelque 
influence fâcheuse sur les premiers développements des infusoires ou 
des mucors. Les résultats suivants éloignent ces scrupules. Ils vont 
nous permettre en outre de reconnaître toute la différence qui existe 
entre l’air de la plaine ou des hauteurs et celui des lieux habités. 

Mes premières expériences sur le glacier des Bois furent inter- 
rompues par une circonstance que je n'avais nullement prévue. J'avais 

1. Près d'Arbois, sur la route de Dôle. 


2. Le texte original porte une erreur typographique qui a été reclifiée. 
3. Mont Poupet, près de Salins. (Notes de l'Édition.) i 


20% ŒUVRES DE PASTEUR 


emporté, pour refermer la pointe des ballons après la prise d’air, une 
lampe éolipyle alimentée par de l'alcool. Or la blancheur de la glace 
frappée par le soleil était si grande, qu’il me fut impossible de 
distinguer le jet de vapeur d'alcool enflammé, et comme ce jet de 
flamme était d’ailleurs un peu agité par le vent, il ne restait jamais 
sur le verre brisé assez de temps pour fondre la pointe et referner 
hermétiquement le ballon. Tous les moyens que j'aurais pu avoir alors 
à ma disposition pour rendre la flamme visible, et par suite dirigeable, 
auraient inévitablement donné lieu à des causes d'erreur, en répandant 
dans l’air des poussières étrangères. 

Je fus donc obligé de rapporter à la petite auberge du Montanvert, 
non refermés, les ballons que j'avais ouverts sur le glacier, et d'y 
passer la nuit, afin d'opérer dans de meilleures conditions, le lende- 
main matin, avec d’autres ballons. Ce sont les résultats de cette 
deuxième série d'expériences que j'ai indiqués tout à l'heure. 

Quant aux treize ballons ouverts la veille sur le glacier, je ne les 
refermai que le lendemain matin, après qu’ils eurent été exposés toute 
la nuit aux poussières de la chambre dans laquelle j'avais couché. Or, 
de ces treize ballons, il y en a dix qui renferment des infusoires ou 
des moisissures. 

Puisque le nombre des ballons altérés dans ces premiers essais est 
plus grand que dans ceux qui ont suivi, l'agitation du liquide pendant 
le voyage n’a pas l'influence que je redoutais sur le développement 
des germes. En outre, la proportion des ballons qui, dans ces premières 
expériences, offrent des productions organisées, nous donne la preuve 
indubitable que les lieux habités renferment un nombre relativement 
considérable de germes féconds. 

En résumé, et si l’on rapproche tous les résultats auxquels je 
suis arrivé jusqu'à présent, on peut affirmer, ce me semble, que 
les poussières en suspension dans l'air sont l'origine exclusive, 
la condition première et nécessaire de la vie dans les infusions, 
dans les corps putrescibles et dans toutes les liqueurs capables de 
fermenter (!). 

D'autre part, j'ai montré qu'il est facile de recueillir et d'observer 
au microscope ces poussières de Pair, et qu'on y voit toujours, au 
milieu de débris amorphes très divers, un grand nombre de corpus- 


1. Voir mes communications précédentes, insérées aux Comptes rendus de l'Académie 
des sciences, séances des 6 février, 7 mai et 3 septembre 1860 [p. 187-201 du présent volume]. 
Il est entendu qu'il s'agit ici des liqueurs portées à l'ébullition. Je réserve évidemment dans 
mes conclusions le fait possible et très fréquent des germes introduits par les matières 
mêmes qui servent à préparer les liqueurs. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 205 


cules organisés, que le plus habile naturaliste ne saurait distinguer 
des germes des organismes inférieurs. 

Je n'ai pas fini cependant avec toutes ces études. Ce qu’il y aurait 
de ‘plus désirable serait de les conduire assez loin pour préparer la 
voie à une recherche sérieuse de l’origine de diverses maladies. Aussi 
j'espère que l'Académie voudra bien me permettre de lui soumettre 
encore prochainement de nouvelles observations sur les générations 
dites spontanées. Dans un tel sujet, qui touche à tant de choses, et des 
plus obscures, il ne saurait v avoir surabondance de preuves expéri- 


mentales. 


DE L'INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA FÉCONDITE 
DES SPORES DES MUCÉDINÉES (1) 


Duhamel rapporte dans un de ses ouvrages qu'il a pu faire germer 
du froment qui avait supporté une température de 110° (2). Cette obser- 
vation du savant agronome devint l’origine de quelques recherches de 
Spallanzani sur le degré de chaleur auquel on peut soumettre les 
graines sans leur faire perdre la faculté de germer (3). Parmi les 
plantes supérieures, cinq espèces de graines furent étudiées par lui : ce 
sont le pois chiche, la lentille, l'épeautre, la graine de lin et celle du 
trèfle. Spallanzani s’occupa en outre de l'influence de la température 
sur les spores des mucédinées. Pour ce qui est des graines des plantes 
supérieures, les résultats de Spallanzani, encore bien que très curieux, 
n’ont rien qui doive nous surprendre dans l’état présent de nos con- 
naissances. La graine de trèfle, moins impressionnable que toutes les 
autres, a pu supporter une température voisine de 100°. Mais pour les 
graines des moisissures, Spallanzani fut conduit à des conséquences 
singulières. Il admet, en effet, que non seulement les spores des mucé- 
dinées peuvent supporter la température de 100° quand elles sont 
plongées dans l’eau, mais qu’elles peuvent même résister à la chaleur 
d’un brasier ardent lorsqu'elles sont sèches. D’ailleurs dans ce dernier 
cas il n’assigne pas la limite de température d’une manière précise. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 janvier 1861, LII, p. 16-19. 

Avant cette communication, Pasteur en avait fait une le 12 novembre 1860 (Voir p. 131- 
133 du présent volume), intitulée : Recherches sur le mode de nutrition des mucédinées. Ce 
travail, démontrant que les organismes inférieurs peuvent apparaître sans qu’il y ait présence 
de matières albuminoïdes, apportait un argument capital contre la doctrine des générations 
spontanées, doctrine qui faisait jouer un rôle essentiel à la matière organique des infusions. 

Cette communication du 12 novembre 1860 qui, d'autre part, avait pour but de montrer 
l'analogie entre les ferments et les espèces végétales inférieures, a été placée au chapitre I, 
FERMENTATIONS (p. 131-133 du présent volume). 

2. Dunamez pu Monceau. Supplément au Traité de la conservation des grains. Paris, 1965, 
in-12 (4 pl.). 

3. SPALLANZANI. Opuscules de physique, animale et végétale, traduits de l'italien par Jean 
Sexegrer. Genève, 1777, 2 vol. in-12. Tome [+ : Observations et expériences sur les animalecules 
des infusions. (Notes de l'Édition.) 


__. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 207 


On aurait peine à comprendre que ces résultats de Spallanzani sur 
les graines des mucédinées n'aient pas été soumis à de nouvelles 
épreuves, si les expériences n'offraient ici des difficultés particulières. 
Celles que j'ai lhonneur de présenter aujourd’hui à l’Académie éta- 
blissent bien que les spores des mucédinées peuvent rester fécondes 
après avoir été portées à de hautes températures, mais les limites 
supérieures ne sont pas, à beaucoup près, aussi élevées que lavait 
indiqué Spallanzani. 

Toute la difficulté du sujet consiste à trouver une méthode d’expé- 
rimentation rigoureuse. Rien de plus simple pour les plantes supé- 
rieures que d'essayer si leurs graines sont encore capables de germer 
lorsqu'elles ont été chauffées à une température déterminée : il ne 
pousse du blé que là où l’on en a semé; mais pour les mucédinées, elles 
se développent partout où elles rencontrent des conditions favorables. 
IL est donc indispensable de recourir à une disposition qui permette 
d'affirmer sûrement que la petite plante a été reproduite par les spores 
que l’on a semées, et non additionnellement par les spores qui sont en 
suspension dans l'air, ou déposées à la surface des objets mis en 
expérience. 

Il ne me paraît pas douteux que les inexactitudes de Spallanzani 
dans la question qui nous occupe n'aient eu pour cause les difficultés 
qu'il a éprouvées à réaliser les conditions que j'indique, malgré son 
habileté bien reconnue. 

Voici la méthode que j'ai suivie et qui me semble irréprochable. 
Je passe un peu d’amiante dans les petites têtes de la moisissure que 
je veux étudier; puis je place cette amiante couverte de spores dans un 
très petit tube de verre que j'introduis dans un tube en U de plus 
gros diamètre, où le petit tube peut se mouvoir librement. L'une des 
extrémités du tube en U se relie par un caoutchouc à un tube de métal 
à robinets, en forme de T. Un des robinets communique à la machine 
pneumatique, un autre à un tube de platine chauffé au rouge. L'autre 
extrémité porte un caoutchouc qui reçoit également le ballon où l’on 
doit semer les spores, ballon fermé à la lampe, rempli d’air calciné et 
du liquide préalablement porté à l’ébullition, devant servir d’aliment 
à la jeune plante. Enfin le tube en U plonge dans un bain d’huile, 
d’eau ordinaire ou d’eau saturée de divers sels, selon que l’on veut 
porter les spores à telle ou telle température. Entre le tube en U et le 
tube de platine il y a un tube desséchant à ponce sulfurique. Lorsque 
tout l'appareil qui précède le tube de platine a été rempli d’air calciné 
et que les spores ont été maintenues à la température voulue un temps 
suffisant que l’on peut faire varier, on brise la pointe du ballon par 


ŒUVRES DE PASTEUR 


12 
= 


un coup de marteau, sans dénouer les cordonnets du caoutchouc qui 
réunit le ballon au tube en U; puis, inclinant convenablement ce 
dernier tube éloigné de son bain, on fait glisser dans le ballon 
l'amiante et ses spores. Enfin, l’on referme le ballon à la lampe par 
un trait de flamme sur l’un des étranglements ménagés sur son col. 
On le porte alors à l’étuve à une température de 20 à 30°, qui est la 
plus favorable au développement des mucédinées. 

C’est en appliquant la méthode que je viens de décrire, et qui m'a 
paru répondre à toutes les difficultés de l’étude que j'avais en vue, 
que je suis arrivé aux conséquences suivantes : 

Les spores des mucédinées, chauffées dans le vide ou dans Pair 
sec, restent fécondes après avoir été portées à une température de 120 
à 1259. La durée de l'exposition à cette température a été, dans mes 
expériences, d’un quart d'heure, puis d’une demi-heure, trois quarts 
d'heure et une heure. Je n'ai pas été au delà, mais tout annonce que 
la durée de l'exposition à 120° peut être dépassée. Une exposition de 
vingt minutes ou d’une demi-heure de 127 à 130° suffit au contraire 
pour enlever complètement leur fécondité aux spores les moins 
impressionnables (1. 

Des conditions nouvelles de milieu, de chaleur, d’électricité.…, 
pourront-elles la leur rendre? C’est ce que je rechercherai, et ce que 
mes premiers essais dans celle direction me permettent déjà d'espérer. 
Certains faits, sur lesquels je reviendrai avec toute l'attention qu'ils 
méritent, m'autorisent à penser que des spores, et en général des 
germes, morts apparemment pour certaines conditions déterminées, 
ne le sont plus pour d’autres conditions nouvelles. Mais ce sujet est 
trop délicat pour que je l’aborde ici par des expériences encore incom- 
plètes. Je rappellerai seulement que j'ai déja eu l’occasion de montrer 
qu'en changeant la nature des liquides on peut faire varier les limites 
de température au delà desquelles la fécondité des germes disparaît. 

Lorsque les spores sont chauffées dans l’eau, j'ai reconnu qu'il n'y 
en avait d'aucune sorte qui pût supporter, même pendant quelques 
minutes seulement, la température de 100. 

J'arrive maintenant à des résultats qui se lient étroitement à ceux 
qui précèdent : je veux parler de l’action de la température sur les 
poussières qui existent disséminées dans l'air libre. Mes recherches 
antérieures ont prouvé que ces poussières contiennent beaucoup de 
spores de mucédinées. Le microscope les fait voir, et elles germent 


1. M. Payen a reconnu déjà depuis longtemps que les svorules de l’oidium aurantiacum 
conservaient leur faculté de développement après avoir été portées à 120°. (Comptes rendus 


de l'Académie des sciences, XLNIII, 1859, p. 30. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 209 


quand on sème les poussières dans des liqueurs appropriées. Or il 
arrive précisément, comme on devait s’y attendre, que si l’on sème ces 
poussières après les avoir portées de 120 à 125°, elles donnent des 
mucédinées, mais qu’elles cessent d’en produire si elles ont atteint 
la température de 125 à 130. J'ai reconnu également que les pous- 
sières qui existent dans l’air sont incapables de donner naissance à 
des mucédinées quelconques après avoir été portées dans l’eau à la 
température de 100°. On remarquera la correspondance parfaite de ces 
résultats avec ceux qui se rapportent aux spores des mucédinées 
prises sur les plantes dans leur état naturel. 

En résumé, les expériences que j'ai l'honneur de présenter à l’Aca- 
démie précisent nos connaissances sur l’origine des mucédinées, et 
rectifient diverses erreurs de Spallanzani, que l’état de la science à 
l’époque où il vivait ne lui avait pas permis d'éviter. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 1 


MÉMOIRE SUR LES CORPUSCULES ORGANISÉS 
QUI EXISTENT DANS L'ATMOSPHÈRE. 
EXAMEN DE LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES (1). 


CHAPITRE PREMIER 


HISTORIQUE (?). 


Dans l’antiquité et jusqu’à la fin du moyen âge tout le monde croyait 
à l'existence des générations spontanées. Aristote dit que tout corps 
sec qui devient humide et tout corps humide qui se sèche engendrent 
des animaux. 


1. Annales des sciences naturelles (partie zoologique), 4e sér., XVI, 1851, p. 5-98 (avec 
33 fig. sur PI. I), et Annales de chimie et de physique, 3° sér., LXIV, janvier 1862, p. 5-110 
{avec 33 fig. sur PI. I et Il). — Paris, 1862, Imprimerie de Mallet-Bachelier, 110 p., in-8° 
(33 fig. sur PL I et IT). 

Les principaux résultats de ce Mémoire ont été présentés à l'Académie des sciences, dans 
ses séances des 6 février, 7 mai, 3 septembre, 5 novembre 1860. J'ai fait connaître ceux du 
chapitre II à la Société chimique de Paris le 19 mai 1861”. (Note de Pasteur.) 

Le 3 juin 1861 Pasteur déposa à l'Académie des sciences cette Note : « J'ai l'honneur de 
présenter à l'Académie le résumé détaillé des diverses méthodes d'expérimentation et des 
résultats d'expériences que je n'avais fait connaître que sommairement dans plusieurs com- 
munications successives, au sujet de l’importante question des générations dites spontanées. 
Ce Mémoire devant paraitre très prochainement 2x2 extenso dans les Annales des sciences 
naturelles, je me bornerai à reproduire ici les titres des neuf chapitres qui le composent. » 
Suivent les titres de ces chapitres. 

Ce mémoire a fait l'objet d'un rapport, par Claude Bernard, sur le concours pour le prix 
Alhumbert, année 1862. On le trouvera à la fin de ce volume : Document V. 

Il a été traduit en allemand sous le titre: Die in der Atmosphäre vorhandenen organi- 
sierten Kôrperchen. Prüfung der Lehre von der Urzeugung. Abhandlung von L. Pasteur, 
übersetzt von Dr A. Wieler. Leipzig, 1892, Engelmann, 98 p. 2 Taf., in-16 (Ostwald’'s Klas-. 
siker der exakten Wissenschaften, n° 39). [Notes de l'Édition.] 

2. Le lecteur pourra remarquer que l'une de mes préoccupations dans ce chapitre histo- 
rique a été de rendre à chaque expérimentateur la part de progrès qui lui est due. Mais j'ai 
mis le même soin à ne pas confondre un progrès véritable, soit avec les nombreuses disser- 
tations auxquelles le sujet a donné lieu, soit avec ces expériences d'une exactitude équivoque 
qui embarrassent au lieu d'aplanir la marche de la science. Dans ces sortes de questions 
ressassées par tant d’esprits depuis des siècles, toutes les vues a priori, tous les arguments 
que peuvent fournir l'analogie ou les faits indirects, toutes les hypothèses se sont fait jour. 
Ce qui importe, c’est de prouver rigoureusement, c’est d’instituer des expériences dégagées de 
toute confusion née des expériences mêmes. 


+ Voir la Leçon professée à la Société chimique de Paris, le 19 mai 1861, p. 295-316 du présent volume. 
Cette Leçon, bien qu’antérieure de quelques mois au Mémoire, a été placée à sa suite parce qu’elle en 
est le résumé. (Note de l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 211 


Van Helmont décrit le moyen de faire naître des souris. 

Beaucoup d’auteurs indiquaient encore au xvu* siècle la manière 
de faire produire des grenouilles au limon des marais, ou des anguilles 
à l’eau de nos rivières (!). 

De pareilles erreurs ne pouvaient supporter longtemps lesprit 
d’examen qui s’empara de l’Europe au xvif et au xvui siècle. 

Redi, membre célèbre de l’Académie del Cimento, fit voir que les 
vers de la chair en putréfaction étaient des larves d’œufs de mouches. 
Ses preuves étaient aussi simples que décisives, car il montra qu'il 
suffisait d’entourer d’une gaze fine la chair en putréfaction pour 
empécher d’une manière absolue la naissance de ces larves. 

Le premier également, Redi reconnut, dans les animaux qui vivent 
dans d’autres animaux, des mâles, des femelles, des œufs (?). 

On surprit dans leur opération, disait plus tard Réaumur, ces 
mouches qui déposent leurs œufs dans les fruits, et l’on sut, lorsqu'on 
voyait un ver dans une pomme, que ce n’était pas la corruption qui 
l'avait engendré, mais au contraire que le ver est la cause de la corrup- 
tion du fruit (%). 

Mais bientôt, dans la seconde partie du xvn* siècle et la première 
moitié du xvin‘, se multiplièrent à lenvi les observations micro- 
scopiques. La doctrine des générations spontanées reparut alors. Les 
uns ne pouvant s'expliquer l’origine de ces êtres si variés que le micro- 
scope faisait apercevoir dans les infusions des matières végétales ou 
animales, et ne voyant chez eux rien qui ressemblât à une génération 
sexuelle, furent portés à admettre que la matière qui avait eu vie 
conservait après la mort une vitalité propre, sous l’influence de laquelle 
ses parties disjointes se réunissaient de nouveau, dans certaines condi- 
tions favorables, avec des variétés de structure et d'organisation que 
ces conditions mêmes déterminaient. 

D’autres, au contraire, ajoutant par l'imagination aux résultats 
merveilleux que le microscope leur faisait découvrir, croyaient voir 
des accouplements dans ces infusoires, des mâles, des femelles, des 
œufs, et se posaient en adversaires déclarés de la génération spontanée. 

Il faut le reconnaître, les preuves à l’appui de l’une ou de l'autre de 
ces opinions ne soutenaient guère l'examen. 

La question en était là lorsque parut à Londres, en 1745, un ouvrage 


1. Voir : Epistola 75 (1692) èn : LEEUWENHOEK. Arcana naturæ detecta. Lugdunt Bata- 
vorum, 1722, in-8° (fig.). 

2. Rept (Er.). Experimenta circa res diversas naturae. Amsterdam, 167, in-12. Notes de 
l'Édition.) : 

3. Frourexs. Buffon. Histoire de ses travaux et de ses idées. Paris, 184%, in-8°, p. 78 


212 ŒUVRES DE PASTEUR 


de Needham 1, observateur habile et prêtre catholique d’une foi vive, 
circonstance qui, dans un tel sujet, s’offrait comme un garant de la 
sincérité de ses convictions. 

La doctrine des générations spontanées était appuyée, dans cet 
ouvrage, sur des faits d’un ordre tout nouveau, je veux parler des 
expériences sur les vaisseaux hermétiquement clos, préalablement 
exposés à l’action de la température. C’est Needham, en effet, qui eut 
le premier l'idée de pareils essais. 

Deux années ne s'étaient pas écoulées depuis la publication des 
recherches de Needham, que la Société Royale de Londres l’admettait 
au nombre de ses membres. Plus tard, il devint l’un des huit associés 
de l’Académie des sciences. 

Mais ce fut surtout par l'appui qu'il reçut du système de Buffon sur 
la génération, que l'ouvrage de Needham eut un grand retentissement. 

Les trois premiers volumes de Buffon de l'édition in-4° publiée de 
son vivant parurent en 1749. C’est dans le second volume de cette 
édition, quatre années après le livre de Needham, que Buffon expose 
son système des molécules organiques, et qu'il défend hypothèse des 
générations spontanées. Il est présumable que les résultats de 
Needham eurent une grande influence sur les vues de Buffon, car c’est 
à l’époque même où lillustre naturaliste rédigeait les premiers 
volumes de son ouvrage, que Needham fit un voyage à Paris, durant 
lequel il fut le commensal de Buffon et pour ainsi dire son collabora- 
teur. 

Les idées de Needham et de Buffon eurent leurs partisans et leurs 
détracteurs. Elles se trouvaient en opposition avec un autre système 
fameux, celui de Bonnet, sur la préexistence des germes. La lutte 
était d'autant plus vive qu’elle pouvait paraître plus légitime aux deux 
partis. Nous savons aujourd'hui que la vérité n’était ni d’un côté ni de 
l’autre. Et puis, c'était encore le temps où l’on dissertait volontiers à 
perdre haleine sur des systèmes, sur des vues spéculatives. 

Il y avait en quelque sorte deux hommes d’un esprit opposé dans 
Buffon, l’un qui aujourd’hui avouera sans détours qu'il cherche une 
hypothèse pour ériger un système, et [l'autre] qui le lendemain écrira 
la belle préface de sa traduction de la Statique des végétaux de Hales (2), 
où la nécessité de l'expérience est placée à la hauteur qui convient. 


1. NeepHau (J-T.). An account of some new microscopical discoveries. London, 1745, 
in-8. — Nouvelles observations microscopiques avec des découvertes intéressantes sur la com- 
position et la décomposition des corps organisés (traduites par L. A. Lavirotte). Paris, 180, 
924 p., in-12. 

2. Hazes. La statique des végétaux et l'analyse de l'air. Ouvrage traduit de l'anglais par 
M. de Buffon. Paris, 1785, in-4° (fig.). [Notes de l'Édition.] 


| 
| 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 218 


Ces deux côtés du génie de Buffon se retrouvent à des degrés divers 
dans tous les savants de son époque. 

Mais les conclusions de Needham ne lardèrent pas à être soumises 
à une vérification expérimentale. Il y avait alors en Italie l’un des plus 
habiles physiologistes dont la science puisse s’honorer, le plus ingé- 
nieux, le plus difficile à satisfaire, l'abbé Spallanzani. 

Needham, ainsi que je le rappelais tout à l’heure, avait appuyé la 
doctrine des générations spontanées sur des expériences directes fort 
bien imaginées. L'expérience seule pouvait condamner ou absoudre 
ses opinions. C'est ce que Spallanzani comprit très bien. © Dans 
plusieurs villes d'Italie, dit-il, on a vu des partis formés contre 
l'opinion de M. de Needham ; mais je ne crois pas que personne ait 
jamais songé à l’examiner par la voie de l'expérience. » 

Spallanzani publia à Modène, en 1765, une dissertation dans 
laquelle il réfutait les systèmes de Needham et de Buffon. Cet ouvrage 
fut traduit en français, probablement à la demande de Needham, car 
l'édition qui en fut donnée en 1769 est accompagnée de notes rédigées 
par lui, où il répond à toutes les objections de Spallanzani (1). 

Ce dernier, frappé sans doute de la justesse des critiques de 
Needham, se remit à l’œuvre de nouveau, et fit bientôt paraître ce bel 
ensemble de travaux dont il nous a transmis les détails dans ses 
Opuscules physiques (?). 

Il serait sans utilité de présenter un historique complet de la que- 
relle des deux savants naturalistes. Mais il importe de bien préciser 
la difficulté expérimentale à laquelle ils appliquerent plus particulière- 
ment leurs efforts, et de rechercher si ce long débat avait éloigné tous 
les doutes. C’est ce que lon croit généralement. Spallanzani est 
volontiers regardé comme l'adversaire victorieux de Needham. Si ce 
jugement était fondé, n’y aurait-il pas lieu de s'étonner qu'il y eût 
encore de nos jours de si nombreux partisans de la doctrine des géné- 
rations spontanées? Dans les sciences, l'erreur n'est-elle pas plus 
prompte à s’effacer, même dans des questions de cet ordre, lorsqu'elle 
a été bien réellement démasquée par l’expérience ? N'’est-il pas à 
craindre, si on la voit renaître de bonne foi, que sa défaite n'ait été 
qu'apparente? Un examen impartial des observations contradictoires 
de Spallanzani et de Needham sur le point le plus délicat du sujet va 


1. Nouvelles recherches sur les découvertes microscopiques et la génération des corps 
organisés, ouvrage traduit de l'italien de M. l’abbé SpazLanzanr, avec des notes par M. de 
NeepxaM. Londres et Paris, 1769, in-12. (Note de l'Édition.) 

2. SPALLANZANI. Opuscules de physique, animale et végétale, traduits de l'italien par Jean 
SENEBIER. Genève, 1117, 2 vol., in-12 (fig.). 


214 ŒUVRES DE PASTEUR 


nous montrer, en effet, contrairement à l'opinion généralement 
admise, que Needham ne pouvait en toute justice abandonner sa 
doctrine en présence des travaux de Spallanzani. 

J'ai dit que Needham était l’auteur des expériences relatives à ce 
que l’on observe dans les vases clos, exposés préalablement à l’action 
du feu. 

« M. de Needham, dit Spallanzani, nous assure que les expériences 
ainsi disposées ont toujours réussi fort heureusement entre ses mains, 
c’est-à-dire que les infusions ont montré des infusoires, et que c’est là 
ce qui a mis le sceau à son système. 

« Si, après avoir purgé, ajoute Spallanzani, par le moyen du feu, 
et les substances que l’on met dans les vases et l'air contenu dans ces 
mêmes vases, on porte encore la précaution jusqu’à leur ôter toute 
communication avec l'air ambiant, et que, malgré cela, à l'ouverture 
des fioles, on y trouve encore des animaux vivants, cela deviendra une 
forte preuve contre le système des ovaires; j'ignore même ce que ses 
partisans pourront y répondre. » 

Je souligne ces derniers mots afin de montrer que Spallanzani 
plaçait dans le résultat des expériences ainsi conduites le criterium de 
la vérité ou de l'erreur. Or nous allons voir par la citation suivante, 
extraite des notes de Needham, que tel était également l'avis de ce 
dernier. Voici en effet un passage des remarques de Needham sur 
le chapitre X de la première dissertation de Spallanzani : 

« Il ne me reste plus, dit Needham, qu’à parler de la dernière 
expérience de Spallanzani, qu’il regarde lui-même comme la seule de 
toute sa dissertation qui paraît avoir quelque force contre mes prin- 
cipes. 

« Il a scellé hermétiquement dix-neuf vases remplis de différentes 
substances végétales, et il les a fait bouillir, ainsi fermés, pendant 
l’espace d’une heure. Mais de la façon qu'il a traité et mis à la torture 
ses dix-neuf infusions végétales, il est visible que non seulement il a 
beaucoup affaibli, ou peut-être totalement anéanti la force végétative 
des substances infusées, mais aussi qu'il a entièrement corrompu, par 
les exhalaisons et par l’ardeur du feu, la petite portion d’air qui restait 
dans la partie vide de ses fioles. Il n’est pas étonnant par conséquent 
que ses infusions ainsi traitées n'aient donné aucun signe de vie. Ilen 
devait être ainsi. 

« Voici donc ma dernière proposition et le résultat de tout mon 
travail en peu de mots: Qu'il se serve, en renouvelant ses expériences, 
de substances suffisamment cuites pour détruire tous les prétendus 
germes qu’on croit attachés ou aux substances mêmes ou aux parois 


tt ét tt 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 215 


intérieures, ou flottant dans l’air du vase; qu’il scelle ses vases hermé- 
tiquement, en y laissant une certaine portion d’air sans le bouleverser ; 
qu'il les plonge ensuite dans l’eau bouillante pendant quelques 
minutes, le temps seulement qu'il faut pour durcir un œuf de poule 
et pour faire périr les germes ; en un mot, qu'il prenne toutes les pré- 
cautions qu'il voudra, pourvu qu'il ne cherche qu'à détruire les 
prétendus germes étrangers qui viennent du dehors, et je réponds 
qu'il trouvera toujours de ces êtres vitaux microscopiques en nombre 
suffisant pour prouver mes principes. S'il ne trouve à l'ouverture de 
ses vases, après les avoir laissés reposer le temps nécessaire à la 
génération de ces corps, rien de vital ni aucun signe de vie, en se 
conformant à ces conditions, j’abandonne mon système et je renonce 
à mes idées. C’est, je crois, tout ce qu'un adversaire judicieux peut 
exiger de moi (1). » 

Voilà certes la discussion bien nettement limitée entre Needham et 
Spallanzani. C’est dans le chapitre IT du tome I‘ de ses Opuscules que 
Spallanzani aborde la difficulté décisive. Et quelle est sa conclusion ? 
Pour supprimer toute production d’infusoires, il est nécessaire de 
maintenir trois quarts d'heure les infusions à la chaleur de Peau 
bouillante (*). Or cette durée obligée d’une température de 100° pen- 
dant trois quarts d'heure ne justifiait-elle pas les craintes de Needham 
sur une altération possible de l’air des vases ? Il aurait fallu tout au 
moins que Spallanzani joignit à ses expériences une analyse de cet 
air. Mais la science n’était pas encore assez avancée ; l’eudiométrie 
n'était pas encore créée, La composition de l'air atmosphérique était à 
peine connue (3). 

Les résultats des expériences de Spallanzani sur le point le plus 
délicat de la question conservaient donc aux objections de Needham 
toute leur valeur. Bien plus, celles-ci se trouvèrent légitimées, au moins 
en apparence, par les progrès ultérieurs de la science. 


1. Note de M. de Nerpnam #7 : Nouvelles recherches sur les découvertes microsco- 
piques, etc., p. 216-218. (Note de l'Édition.) 

2. « Je réussis, dit Spallanzani, à me procurer ensuite des vases qui résistèrent mieux à 
l'action du feu, et je parvins à leur faire éprouver une ébullition plus longue, en n'y meltant 
qu'une petite dose des infusions dont j'ai parlé; sans cette précaution, j'étais encore sûr de 
voir sauter tous mes vases. Mais, pour ne pas perdre un temps précieux dans de trop petits 
détails, je rapporterai seulement le résultat de mes observations. L'ébullition d’une demi- 
heure ne fut pas un obstacle à la naissance des animaleules du dernier ordre qui peuplèrent 
toujours plus ou moins tous les vases exposés à son action pendant tout ce temps-là ; mais 
l'ébullition pendant trois quarts d'heure ou même pendant un temps un peu moindre eut la 
force de priver entièrement d’animaleules les six infusions. » (SPALLANZANI. Opuseules de phy- 
sique, animale et végétale, t. I, p. 39-40.) 

3. La première dissertation de Spallanzani est de 1763. Ses Opuscules parurent pour la 
première fois en 1776. La découverte de la composition de l'air par Lavoisier est de 1774. 


216 ŒUVRES DE PASTEUR 


Appert (1) appliqua à l'économie domestique les résultats des expé- 
riences de Spallanzani effectuées selon la méthode de Needham. Par 
exemple, l’une des expériences du savant Italien consiste à introduire 
des petits pois avec de l’eau dans un vase de verre que l’on ferme 
ensuite hermétiquement, après quoi on le maintient dans l’eau bouil- 
lante pendant trois quarts d'heure. C’est bien le procédé d’Appert. 
Or Gay-Lussac, voulant se rendre compte de ce procédé, le soumit à 
divers essais dont il consigna les résultats dans l’un de ses Mémoires 


2 


le plus fréquemment cités (2). 

Les extraits suivants du travail de Gay-Lussac ne laissent aucun 
doute sur l’une des opinions de l’illustre physicien, opinion qui a passé 
dans la science entière et incontestée. 

« On peut se convaincre, dit Gay-Lussac, en analysant l'air des 
bouteilles dans lesquelles les substances (bœuf, mouton, poisson, 
champignons, moût de raisin) ont été bien conservées, qu’il ne contient 
plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est par conséquent une 
condition nécessaire pour la conservation des substances animales et 
végétales (3). » 

Les craintes de Needham sur une altération de l'air des vases dans 
les expériences de Spallanzani se trouvaient justifiées par ce fait de 
l'absence de l’oxygène dans les conserves d’Appert. 

Mais une expérience du D° Schwann vint apporter dans la question 


1. Appert. L'art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et 
végétales. Paris, 1810, in-8° (fig.). 

2. Gay-Lusssac. Extrait d'un mémoire sur la fermentation. Annales de chimie, LXXNI, 
1810, p. 245-259. (Notes de l'Édition.) 

3. Gay-Lussac ajoute plus loin : « Lorsqu'on laisse l'urine en contact avec une petite quan- 
tité d'air, elle en absorbe l'oxygène assez promptement, et sa décomposition s'arrête ensuite; 
mais si on lui en donne une quantité suffisante, il se forme beaucoup de carbonate d'ammo- 
niaque, et il se dépose presque toujours, avec le phosphate de chaux, du phosphate ammo- 
niaco-magnésien. » [p. 253.] 

C'est encore dans ce Mémoire de Gay-Lussac que l'on trouve l'expérience suivante, si 
souvent rappelée. 

« J'ai pris du lait de vache et je l'ai exposé tous les jours ensuite à la température 
de l’ébullition de l'eau saturée de sel. Deux mois après, il était parfaitement conservé. » 
|p. 252.] 

Ce travail de Gay-Lussac a exercé sur les esprits, dans la question qui nous occupe, une 
influence considérable. 

Gay-Lussac trouve que l'air des conserves d'Appert est privé d'oxygène. Cela peut être après 
une longue durée de conservation des matières, ou lorsque la quantité des substances orga- 
niques est très grande par rapport au volume de l'air. Mes propres expériences serviront 
même à expliquer ce résultat. Mais certainement il n'est pas général, et dans tous les cas 
l'interprétation que Gay-Lussac donna à ce fait est erronée. L'absence d'oxygène, dit-il, est 
une condition nécessaire pour la conservation des substances animales et végétales. Gette 
opinion, qui eut une influence particulière sur les théories de la fermentation et des générations 
spontanées, n'était pas une conséquence obligée, comme le pensait Gay-Lussac, de ses obser- 
vations sur la composition de l'air des conserves d'Appert. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 217 


un progrès très notable. Dans le mois de février 1837, M. Schwann (1 
publia les faits suivants : Une infusion de chair musculaire est mise 
dans un ballon de verre; on ferme ensuite le ballon à la lampe, puis on 
l’'expose tout entier à la température de l’eau bouillante, et, après son 
refroidissement, on l’abandonne à lui-même. Le liquide ne se putréfie 
pas. Jusque-là rien de bien nouveau. C’est l’une des expériences de 
Spallanzani, ou mieux une conserve d’Appert. Mais il était désirable, 
ajoute M. Schwann, de modifier l'essai de telle manière qu'un renou- 
vellement de l'air devint possible, avec cette condition toutefois que le 
nouvel air fût préalablément chauffé comme l’est celui du ballon à 
l’origine. Alors M. Schwann répète l'expérience précédente en adap- 
tant au col du ballon un bouchon percé de deux trous traversés 
par des tubes de verre coudés et recourbés, de manière que leurs 
courbures soient plongées dans des bains d’alliage fusible entretenus 
à une température voisine de celle de lébullition du mercure. A 
l’aide d’un aspirateur on renouvelle Pair, qui arrive froid dans le 
ballon, mais après avoir été chauffé en passant dans la portion 
des tubes entourés d’alliage fusible. On commence l’expérience en 
faisant bouillir le liquide. Le résultat est le même que dans les 
expériences de Spallanzani et d’Appert. Il n'y a pas d’altération du 
liquide organique. 

L'air chauffé, puis refroidi, laisse donc intact du jus de viande qui 
a été porté à l’ébullition. C'était là un grand progrès, parce que cela 
donnait gain de cause à Spallanzani contre Needham. Cela répondait à 
toutes les craintes de ce dernier sur laltération possible de Pair dans 
les expériences de Spallanzani; cela détruisait enfin l’assertion de 
Gay-Lussac sur le rôle de l'oxygène dans les procédés de conserves 
d’Appert et dans la fermentation alcoolique. 

- Cependant sur ce dernier point il y avait des doutes à garder; en 
effet, dans ce même travail du D' Schwann, outre l’expérience sur 
le bouillon de viande, laquelle touchait à la cause de la putréfaction, 
il y en à une autre relative à la fermentation alcoolique, et qu'il 
faut rappeler. L'auteur remplit quatre flacons d’une solution de 
sucre de canne mélée à de la levüre de bière; puis, après les avoir 
bien bouchés, il les place dans l’eau bouillante, et les renverse 
ensuite sur la cuve à mercure. Après leur refroidissement, il y 
fait arriver de l'air, de l'air ordinaire dans deux d’entre eux, de 
l'air calciné dans les deux autres. Au bout d’un mois, il y eut fermen- 


1. Scawaxx (Th). Vorläufige Mitteilung betreffend Versuche über Weingährung und 
Fäulniss. Annalen der Physik u. Chemie, XLI, 1837, p. 184-193. (Note de Édition.) 


218 ŒUVRES DE PASTEUR 


tation dans les flacons qui avaient reçu l'air ordinaire; elle ne 
s'était pas encore manifestée dans les deux autres après deux mois 
d'attente. Mais en répétant ces expériences, je trouvai, dit-il, qu’elles 
ne réussissent pas toujours aussi bien, et que quelquefois la fermen- 
tation ne se déclare dans aucun des flacons, par exemple lorsqu'on 
les a maintenus trop longtemps dans l’eau bouillante, et quelquefois 
d'autre part le liquide fermente dans les flacons qui ont reçu de Pair 
calciné. 

En résumé, l'expérience du D° Schwann relative à la putréfaction 
du bouillon est très nette. Mais en ce qui concerne la fermentation 
alcoolique, la seule fermentation qui fût assez bien connue en 1837, 
à l’époque du travail de M. Schwann, les expériences du savant phy- 
siologiste étaient contradictoires, et cependant on venait d'apprendre, 
par les observations de M. Cagniard de Latour et par celles de 
M. Schwann lui-même, que la fermentation vineuse était déterminée 
par un ferment organisé. 

Combien plus ces obscurités de la question, en ce qui touche la 
fermentation alcoolique, ne furent-elles pas accrues, lorsque, posté- 
rieurement, les chimistes étudièrent un grand nombre de fermentations 
où l’on n'avait pu découvrir aucun ferment organisé, et dont la cause 
était universellement attribuée à des actions de contact, à des phéno- 
mènes d'entraînement ou de mouvement communiqué produits par des 
matières azotées mortes en voie d’altération. 

Quoi qu'il en soit, voici quelle fut la conclusion que le D° Schwann 
déduisit des expériences que je viens de rapporter : « Pour la 
fermentation alcoolique, dit-il, comme pour la putréfaction, ce n’est 
pas l’oxygène, du moins l’oxygène seul de l'air atmosphérique, qui les 
occasionne, mais un principe renfermé dans lair ordinaire, et que la 
chaleur peut détruire. » 

La réserve de cette conclusion mérite d’être remarquée. On voit 
bien, par certains passages de son travail, que le docteur Schwann 
penchait à croire que, par la chaleur, il détruisait des germes; mais sa 
conclusion définitive ne pouvait aller et ne va pas jusque-là. Souvent, 
en rapportant ses expériences, les adversaires de la doctrine des géné- 
rations spontanées ont affirmé que l'emploi de la chaleur n'avait d'autre 
but que de tuer des germes; mais ce n'était là qu’une hypothèse. 
Ainsi que le dit très bien le docteur Schwann, ces expériences prouvent 
seulement que ce n’est pas l'oxygène, ou du moins l'oxygène seul, 
qui est la cause de la putréfaction et de la fermentation vineuse, mais 
quelque chose d’inconnu que la chaleur détruit. Et encore pour la 
fermentation vineuse, il était mal établi qu'il fût indispensable de 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 219 


recourir à une autre cause que celle qu'avait indiquée Gay-Lussae, 
savoir l'oxygène seul de l'air (!). 

Les expériences du docteur Schwann ont été répétées et modifiées 
par plusieurs observateurs. MM. Ure et Helmholtz (?) ont confirmé ses 
résultats par des expériences analogues aux siennes. M. Schulze (), au 
lieu de calciner l’air avant de le mettre au contact des conserves 
d’Appert, le fit passer à travers des réactifs chimiques : potasse et 
acide sulfurique concentrés. MM. Schræder et von Dusch imaginèrent 
de filtrer l’air à travers du coton, au lieu de le modifier par une tempé- 
rature élevée à la manière du docteur Schwann, ou par les réactifs 
chimiques énergiques, selon le procédé de M. Schulze (*). 

Le premier mémoire de MM. Schrœder et von Dusch a paru 
en 1854, le second en 1859. Ce sont d’excellents travaux, qui ont, en 
outre, le mérite historique de montrer l’état de la question qui nous 
occupe à la date de 1859. 

On savait depuis longtemps, et dès les premières discussions sur 
la génération spontanée, qu'une gaze fine, déja employée avec tant de 
succès par Redi dans ses recherches sur l’origine des larves de la 


1. Voir la Note de mon Mémoire sur la fermentation alcoolique, relative aux expériences 
de Gay-Lussac et de M. Schwann. Annales de chimie et de physique, 3° sér., LVITII, 1860, 
p. 369 [p. 84-85 du présent volume]. 

2. Ure. Versuche über die Gährung. Journal fi praktische Chemie, XIX, 1840, p. 183- 
187. — Hezmaozrz. Ueber das Wesen der Fäulniss und Gährung. Zbid., XXXI, 1844, p. 429-437. 
(Note de l'Édition.) 

8. Scauze (Fr.). Vorläufige Mittheilung der Resultate einer experimentellen Beobachtung 
über Generatio æquivoca. Annalen der Physik u. Chemie, XXXIX, 1836, p. 487-489. (Note 
de l'Édition.) 

4. Voici l'extrait publié dans les Annales des sciences naturelles [2 sér., VIII (partie 
zoologique), 1837, p. 320] sur les expériences de M. Schulze : « L'auteur remplit à moitié un 
flacon de cristal avec de l’eau distillée contenant diverses substances animales et végétales, puis 
boucha le vase à l'aide d’un bouchon traversé par deux tubes coudés, et soumit l'appareil ainsi 
disposé à la température de l'eau bouillante. Enfin, pendant que la vapeur s’échappait encore 
à travers les tubes dont nous venons de parler, il adapta à chacun d'eux un de ces petits 
appareils de Liebig, employés par les chimistes dans les analyses élémentaires des substances 
organiques, il remplit l'un d'acide sulfurique concentré, l'autre d’une solution concentrée de 
potasse. La température élevée avait dû nécessairement détruire tout ce qui était vivant, el 
tous les germes qui pouvaient se trouver dans l’intérieur du vase ou de ses ajustages, et la 
communication du dehors en dedans était interceptée par l'acide sulfurique d'un côté, la 
potasse de l'autre; néanmoins, en aspirant par l'extrémité de l'appareil où se trouvait 
la solution de potasse, il était facile de renouveler l'air ainsi enfermé, et les nouvelles 
quantités de ce fluide qui s'introduisaient ne pouvaient porter avec elles aucun germe vivant, 
car elles étaient forcées de passer dans un bain d'acide sulfurique concentré. M. Schulze plaça 
l'appareil ainsi disposé sur une fenêtre, bien éclairé, à côté d’un vase ouvert, dans lequel il avait 
mis en infusion les mêmes substances organiques, puis il eut soin de renouveler l'air de son 
appareil plusieurs fois par jour pendant plus de deux mois, et d'examiner au microscope ce 
qui se passait dans l'infusion. Le vase ouvert se trouva bientôt rempli de vibrions et de 
monades auxquels s’ajoutèrent bientôt des infusoires polygastriques d’un plus grand volume, 
et même des rotateurs ; mais l'observation la plus attentive ne put faire découvrir la moindre 
trace d'infusoires, de conserves ou de moisissures dans l’infusion de l’apparejl. » 


220 ŒUVRES DE PASTEUR 


viande en putréfaction, suffisait pour empêcher, ou tout au moins pour 
modifier singulièrement l’altération des infusions. Ce fait même était 
au nombre de ceux qu'invoquaient alors de préférence les adversaires 
de la doctrine de la spontéparité (1). 

Guidés sans doute par ces faits, et surtout, comme ils le disent 
expressément, par les expériences ingénieuses de M. Læœwel (2) qui 
reconnut que l'air ordinaire était impropre à provoquer la cristalli- 
sation du sulfate de soude lorsqu'il avait été filtré sur du coton, 
MM. Schræder et von Dusch (3) ont procédé de la manière suivante : 

Un ballon de verre reçoit la matière organique. Le bouchon du 
ballon est traversé par deux tubes recourbés à angle droit : l’un de 
ces tubes communique avec un aspirateur à eau, l’autre avec un large 
tube de 1 pouce de diamètre et de 20 pouces de longueur rempli de 
coton. Lorsque les communications étaient bien établies, le robinet 
de l'aspirateur fermé, et la matière organique placée dans le ballon, 
on chauffait celle-ci jusqu'a cuisson, en maintenant l’ébullition un 
temps suffisant, pour que tous les tubes de communication fussent 
échauffés fortement par la vapeur d’eau; alors on ouvrait le robinet 
de l'aspirateur que l’on entretenait jour et nuit. 

Voici les résultats des premiers essais conduits de cette manière : 

MM. Schræder et von Dusch ont opéré : 

1° Sur la viande avec addition d’eau, 

2° Sur le moût de biere, 

3° Sur le lait, 

4° Sur la viande sans addition d’eau. 

Dans les deux premiers cas, l'air filtré à travers le coton a laissé 
les liqueurs intactes, même après plusieurs semaines. Mais le lait s’est 


1. Extrait d'un passage de l'ouvrage de Baker, membre de la Société Royale de Londres, 
ouvrage intitulé : « Le Microscope à la portée de tout le monde », traduit de l'anglais sur 
l'édition de 1743. Paris, 1754, in-80. 

« J'ai trouvé constamment que si l'infusion (de poivre, de foin) est couverte d’une mousse- 
line où d'une autre loile fine, il ne s'y produit que très peu d'animaux, mais que si l’on ôte 
cette couverture, elle est dans peu de jours pleine de vie. Comme les œufs de ces petites 
créatures sont moins pesants que l'air, il peut se faire qu'il en flolte continuellement des 
millions dans l'air, et que, étant portés indifféremment de tous les côtés, il en périsse un grand 
nombre dans les endroits qui ne conviennent pas à leur nature... Il y a des gens qui s’imaginent 
que les œufs de ces petits animaux sont logés dans le poivre, dans le foin, ou dans toutes les 
autres matières que l'on met dans l’eau; mais si cela était, je ne saurais comprendre comment 
une si petite couverture d'une toile fine, qui n'empêche pas l'air de pénétrer, pourrait empê- 
cher ces œufs d’éclore : on doit conclure que c'est là une illusion. » [p. 78.] 

2. LœweL (H.). Observations sur la sursaturation des dissolutions salines (Sulfate de 
soude). Annales de chimie et de physique, XXIX, 1850, p. 62-127 ; XXXIII, 1851, p. 334-390: 
et XXXVII, 1855, p. 155-180. 

3. Scurœper (H.) et vox Duscex (Th.). Ueber Filtration der Luft in Beziehung auf Fäulniss 
und Gährung. Annalen der Chemie u. Pharmacie, LXXXIX, 1854, p. 232-243, et Annales de 
chimie et de physique, 8° sèr., XLI, 1854, p. 189-191. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 221 


caillé et pourri aussi promptement que dans l’air ordinaire, et la viande 
sans eau est entrée promptement en putréfaction. 

« IL semble donc résulter de ces expériences, disent MM. Schræder 
et von Dusch, qu’il y a des décompositions spontanées de substances 
organiques qui n'ont besoin pour commencer que de la présence du 
gaz oxygène ; par exemple, la putréfaction de la viande sans eau, la 
putréfaction de la caséine du lait et la transformation du sucre de lait 
en acide lactique (fermentation lactique). Mais à côté il y aurait d’autres 
phénomènes de putréfaction et de fermentation placés, à tort, dans la 
même catégorie que les précédents, tels que la putréfaction du jus de 
viande et la fermentation alcoolique, qui exigeraient pour commencer, 
outre l'oxygène, ces choses inconnues mêlées à l'air atmosphérique, 
qui sont détruites par la chaleur d’après les expériences de Schwann, 
et d’après les nôtres par la filtration de cet air à travers le coton... 
Comme il reste ici encore tant de questions à décider par la voie de 
l'expérience, nous nous abstiendrons de déduire aucune conclusion 
théorique de nos expériences (!). » 

M. Schræder revint seul sur ce sujet, en 1859, dans un Mémoire ©) 
qui traite, en outre, de la cause de la cristallisation. Ce nouveau travail 
ne conduisit pas davantage son auteur à des conclusions dégagées de 
toute incertitude; il y fait connaître de nouveaux liquides organiques 
qui ne se putréfient pas lorsqu'on les met au contact de Pair filtré, tels 
que l'urine, la colle d’amidon et les divers matériaux du lait pris isolé- 
ment; mais il ajoute le jaune d’œuf à la liste des corps qui, comme le 
lait et la viande sans eau, se putréfient dans l'air filtré sur le coton. 

« Je ne hasarderai pas, dit M. Schrœder, d'essayer lexplication 
théorique de ces faits. On pourrait admettre que Pair frais renferme 
une substance active qui provoque les phénomènes de fermentation 
alcoolique et de putréfaction, substance que la chaleur détruirait, ou 
que le coton arrêterait. » Puis il ajoute : « Faut-il regarder cette 
substance active comme formée de germes organisés microscopiques 
disséminés dans l'air? Ou bien est-ce une substance chimique encore 
inconnue? Je l’ignore. » 

Puis il arrive aux phénomènes de cristallisation par l'air libre, par 
l'air chauffé ou par l'air filtré sur le coton, qui présentent de telles 
analogies, selon lui, avec les phénomènes de putréfaction, qu'il ne peut 
s'empêcher de les attribuer à une cause cammune jusqu'ici entière- 
ment inconnue. 


1. ScHRŒDER (H.) et vox Duscn (Th.), p. 242-244. 
2. ScmrœpEer (H.). Ueber Filtration der Luft in Beziehung auf Fäulniss, Gäbrung und 
Kristallisation. Annalen der Chemie u. Pharmacie, CIX, 1859, p. 35-52. (Notes de l'Edition. 


222 ŒUVRES DE PASTEUR 


« En ce qui concerne les cristallisations, dit-il encore. l’action 
inductive de l'air semble n'être pas complètement arrêtée par le coton, 
mais seulement affaiblie. Elle ne peut alors empêcher la cristallisation 
que de certaines dissolutions sursaturées; mais il en est d’autres qui 
ne peuvent lui résister (1). » Puis il remarque que les résultats qu’il a 
obtenus sur la putréfaction et la fermentation sont parallèles à ceux de 
la cristallisation, puisqu'il y a des corps qui résistent à l’air filtré, 
tandis que d’autres, tels que le lait, entrent en décomposition. L’air 
filtré sur le coton ne fait donc que perdre partiellement sa force 
inductive de putréfaction ou de fermentation. 

J'ai, à dessein, résumé avec détails ces travaux très judicieux, parce 
qu'ils donnent l'expression exacte des difficultés qui, à la date de 1859, 
devaient assiéger tout esprit impartial, libre d'idées préconçues, et 
désireux de se former une opinion dûment motivée sur cette grave 
question des générations spontanées. On peut affirmer qu’à cette date 
tous ceux qui la croyaient résolue en connaissaient mal l’histoire. 

Spallanzani n’avait pas triomphé des objections de Needham, et 
MM. Schwann, Schulze et Schræder n'avaient fait que démontrer 
l'existence dans l'air atmosphérique d’un principe inconnu qui était la 
condition de la vie dans les infusions. Ceux qui affirmaient que ce 
principe n'était autre chose que des germes, n’avaient pas plus de 
preuves à l'appui de leur opinion, que ceux qui pensaient que cela 
pouvait être un gaz, un fluide, des miasmes, etc., et qui, par 
conséquent, inclinaient à croire aux générations spontanées. Les con- 
clusions de MM. Schwann et Schræder ne peuvent à cet égard laisser 
le moindre doute dans l'esprit du lecteur. Les termes mêmes de ces 
conclusions provoquaient au doute, et servaient la doctrine des géné- 
rations spontanées. Et puis, les expériences de MM. Schwann, Schulze 
et Schræœder ne réussissaient que pour certains liquides. Bien plus, 
elles échouaient presque constamment et pour tous les liquides, comme 
je le dirai bientôt, lorsqu'on les pratiquait sur la cuve à mercure, sans 
que personne connût le motif de cet insuccès, ou pût y démêéler quelque 
cause d'erreur. 

Aussi lorsque (?), postérieurement aux travaux dont je viens de 
parler, un habile naturaliste de Rouen, M. Pouchet, membre corres- 


1. SCHRŒDER, p. 44 et 49. 
?. Poucaer [Note sur des proto-organismes végétaux et animaux, nés spontanément dans 
de l'air artificiel et dans le gaz oxygène]. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLNII, 


1858, p. 979-982. — Poucaer et Houzeau [Expériences sur les générations dites spontanées. 
Deuxième partie : Développement de certains proto-organismes dans de l'air artificiel]. 1bi@., 
p. 982-984. 


Muxe Eowarps [Remarques sur la valeur des faits qui sont considérés par quelques natu- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 2923 


20 


pondant de l’Académie des sciences, vint annoncer à l’Académie des 
résultats sur lesquels il croyait pouvoir asseoir d’une manière définitive 
les principes de l’hétérogénie, personne ne sut indiquer la véritable 
cause d’erreur de ses expériences, et bientôt l’Académie, comprenant 
tout ce qui restait encore à faire, proposa pour sujet de prix la question 
suivante : 

Essayer, par des expériences bien faites, de jeter un jour nouveau 
sur la question des générations spontanées (1). 

La question paraissait alors si obscure que M. Biot, dont la bienveil- 
lance n’a jamais fait défaut à mes études, me voyait avec peine engagé 
dans ces recherches, et réclamait, de ma déférence à ses conseils, 
l'acceptation d’une limite de temps, au delà de laquelle j’abandonnerais 
ce sujet, si je n'étais pas maître des difficultés qui m’arrétaient. 
M. Dumas, dont la bienveillance a souvent conspiré en ce qui me 
touche avec celle de M. Biot, me disait à la même époque : « Je ne 
conseillerais à personne de rester trop longtemps dans ce sujet. » 

Quel besoin avais-je de m'y attacher? 

Les chimistes ont découvert depuis vingt ans un ensemble de 
phénomènes vraiment extraordinaires, désignés sous le nom générique 
de fermentations. Tous exigent le concours de deux matières : l’une 
dite /ermentescible, telle que le sucre; l’autre azotée, qui est toujours 
une substance albuminoïde. Or voici la théorie qui était universel- 
lement admise : les matières albuminoïdes éprouvent, lorsqu'elles ont 
été exposées au contact de l'air, une altération, une oxydation parti- 
culière, de nature inconnue, qui leur donne le caractère ferment, 
c’est-à-dire la propriété d’agir ensuite; par leur contact, sur les 
substances fermentescibles. 

Il y avait bien un ferment, le plus ancien, le plus remarquable de 
tous, que l’on savait être organisé : la levûre de bière. Mais, comme 
dans toutes les fermentations de découverte plus moderne que la 
connaissance du fait de l’organisation de la levûre de bière (1836) on 
n'avait pu reconnaitre l'existence d'êtres organisés, même en les y 
ralistes comme étant propres à prouver l'existence de la génération spontanée des animaux}. 
Tbid., XLVIII, 1859, p. 23-29; suivies d'observations par M. PAyEN, p. 80; par M. DE QUATRE- 
FAGES, p. 30-33; par M. Craupe BEerxARD, p. 33-84; et par M. Dumas, p. 35-36. 

Poucxer. Zbid., XLVILI, 1859, p. 148, 220, 546; L, 1860, p. 582, 572, 748, 1121. 

1. La Commission était composée de MM. Geoffroy-Saint-Hilaire, Brongniart, Milne 
Edwards, Serres, Flourens rapporteur. 

« La Commission demande des expériences précises, rigoureuses, également étudiées dans 
toutes leurs circonstances, et telles, en un mot, qu'il puisse en être déduit quelque résultat 
dégagé de toute confusion née des expériences mêmes. » [1bid., séance du 30 janvier 1860, L, 
p: 248.] 

Tel était le programme de la Commission. On ne pouvait mieux indiquer les difficultés du 
sujet. 


224 ŒUVRES DE PASTEUR 


recherchant avec soin, les physiologistes avaient abandonné peu à peu, 
plusieurs bien à regret, l'hypothèse de M. Cagniard de Latour d’une 
relation probable entre l’organisation de ce ferment et sa propriété d’être 
ferment, et l’on appliquait à la levûre de bière la théorie générale en 
disant : « Ce n’est pas parce qu'elle est organisée, que la levüre de 
bière est active, c’est parce qu'elle a été au contact de l'air. C’est la 
portion morte de la levüre, celle qui a vécu et qui est en voie d’alté- 
ration qui agit sur le sucre. » 

Mes études me conduisaient à des conclusions entièrement diffé- 
rentes. Je trouvais que toutes les fermentations proprement dites, 
visqueuse, lactique, butyrique, la fermentation de l’acide tartrique, de 
l'acide malique, de lurée..…., étaient toujours corrélatives de la 
présence et de la multiplication d'êtres organisés. Et, loin que l’orga- 
nisation de la levüre de bière fût une chose génante pour la théorie 
de la fermentation, c'était par là, au contraire, qu'elle rentrait dans la 
loi commune, et qu’elle était le type de tous les ferments proprement 
dits. Selon moi, les matières albuminoïdes n'étaient jamais des 
ferments, mais l'aliment des ferments. Les vrais ferments étaient des 
êtres organisés. 

Cela posé, Les ferments prennent naissance, on le savait, par le fait 
du contact des matières albuminoïdes et du gaz oxygène. Dès lors, 
de deux choses l’une, me disais-je : les ferments des fermentations 
proprement dites étant organisés, si l’oxygène seul, en tant qu'oxygène, 
leur donne naissance, par son contact avec les matières azotées, ces 
ferments sont des générations spontanées ; si ces ferments ne sont pas 
des êtres spontanés, ce n’est pas en lant qu'oxygène seul que ce gaz 
intervient dans leur formation, mais comme excitant d'un germe 
apporté en même temps que lui, ou existant dans les matières azotées 
ou fermentescibles. Au point où je me trouvais de mes études sur les 
fermentations, je devais donc me former une opinion sur la question 
des générations spontanées. J'y rencontrerais peut-être une arme puis- 
sante en faveur de mes idées sur les fermentations proprement dites. 

Les recherches dont j'ai maintenant à rendre compte n’ont été par 
conséquent qu'une digression obligée de mes études sur les fermen- 
tations. 

C’est ainsi que je fus conduit à m'occuper d’un sujet qui jusque-là 


n'avait exercé que la sagacilé des naturalistes. 


—…. cm cmmmte estate donnes 2" 


re 


éétont L 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES : 


k 
7 
[31 


CHAPITRE II 


EXAMEN AU MICROSCOPE DES PARTICULES SOLIDES 
DISSÉMINÉES DANS L'AIR ATMOSPHÉRIQUE. 


Mon premier soin fut de rechercher une méthode qui permit de 
recueillir en toute saison les particules solides qui flottent dans l'air et 
de les étudier au microscope. Il fallait s’attâcher d’abord à lever, s’il 
était possible, les objections que les partisans de la génération spon- 
tanée opposent à l’ancienne hypothèse de la dissémination aérienne des 
germes (1). 

Lorsque les matières organiques des infusions ont été chauffées, 
elles se peuplent d’infusoires ou de moisissures. Ces productions orga- 
nisées ne sont en général ni aussi nombreuses, ni aussi variées que si 
l’on n’avait pas préalablement porté les liqueurs à l’ébullition, mais il 
s’en forme toujours. Or, leurs germes, dans ces conditions, ne peuvent 
venir que de l'air, parce que l’ébullition détruit ceux que les vases ou 
les matières de l’infusion ont apportés dans la liqueur. Les premières 
questions expérimentales à résoudre sont donc celles-ci : Y a-t-il des 
germes dans l'air? Y en at-il en assez grand nombre pour expliquer 
l'apparition des productions organisées des infusions qui ont été 
chauffées préalablement? Peut-on se faire une idée approchée du 
rapport à établir entre un volume déterminé d’air ordinaire et le 
nombre des germes que ce volume d'air peut renfermer ? 

Et d’abord existe-t-il des germes dans l'air? Personne ne le nie, 
parce que l’on comprend qu'il ne peut pas en être autrement. L'un des 
partisans les plus déclarés de la doctrine des générations spontanées, 
M. Pouchet, s'exprime de la manière suivante (2) : 

« On rencontre parfois dans la poussière quelques œufs de 
microzoaires, comme on y rencontre une foule de corpuscules légers, 
mais c'est une véritable exception. » 

Plus loin, M. Pouchet s'exprime ainsi : 

« Parmi les corpuscules de poussière qui appartiennent au règne 
végétal, il y a des spores de cryptogames, mais en fort petit nombre. 
Enfin j'ai constamment rencontré une certaine quantité de fécule de 
blé mêlée à la poussière soit récente, soit ancienne... Il est évident 


1. Cette hypothèse est en effet très ancienne. Elle forme le sujet ordinaire des discussions 
relatives à la génération spontanée depuis le xvrr siècle. 

2. Poucuer. Hétérogénie, ou Traité de la génération spontanée. Paris, 1859, in-8°, p. 432 
et p. 439. ; 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 15 


226 ŒUVRES DE PASTEUR 


que c’est cette fécule, parfaitement caractérisée physiquement et chimi- 
quement, ou que ce sont des grains de silice que l’on a pris pour des 
œufs de microzoaires » (1). 

Il y a donc dans la poussière de l'air des œufs d’infusoires et des 
spores de moisissures; les partisans de la doctrine de lhétérogénie 
l’affirment; mais ils ajoutent qu'il n’y en a qu'exceptionnellement, en 
nombre excessivement restreint, et ceux qui, disent-ils, ont cru en voir 
davantage se sont trompés. Ils ignoraient un fait récent, à savoir qu’il 
y a des grains de fécule de diverses tailles dans la poussière (?). Ces 
observateurs ont pris pour des œufs ou des spores ces grains de fécule, 
qui souvent leur ressemblent tant. 

Telle est l'opinion de M. Pouchet. Je n’ai pas fait assez d’observa- 
tions sur la poussière ordinaire déposée à la surface des objets, pour 
que je puisse infirmer cette manière de voir au sujet de la poussière 
au repos. Je puis même ajouter qu’à l’époque où je fis mes premières 
expériences, diverses personnes très autorisées étaient désireuses de 
constater par elles-mêmes l'exactitude de mes résultats, parce que, 
me disaient-elles, ayant eu l’occasion assez fréquente d'étudier des 
poussières, elles n’y avaient pas vu de spores. Mais ici se présente une 
remarque : la poussière que l’on trouve à la surface de tous les corps 
est soumise constamment à des courants d’air qui doivent soulever ses 
particules les plus légères, au nombre desquelles se trouvent, sans 
doute, de préférence les corpuscules organisés, œufs ou spores, moins 
lourds généralement que les particules minérales. En outre, en ce qui 
concerne la poussière ordinaire au repos, il n’est pas possible d’avoir 
une indication sur le rapport approché qui peut exister entre un volume 
donné de cette poussière et le volume d’air qui l’a fournie. Ce n’est 
donc pas la poussière au repos qu’il faut observer, mais bien celle qui 
est en suspension dans lair. 

Voyons si cela est réalisable, et s’il est vrai que cette poussière flot- 
tante ne renferme qu'exceptionnellement des germes d'organismes 
inférieurs, ainsi que cela arrive, d’après M. Pouchet, pour la poussière 
au repos. 

Le procédé que j'ai suivi pour recueillir la poussière en suspension 
dans l'air et l’examiner au microscope est d’une grande simplicité ; il 
consiste à filtrer un volume d'air déterminé sur du coton-poudre, 
soluble dans un mélange d’alcool et d’éther. Les fibres du coton 


1. Voir DE QUATREFAGES. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLVIII, 1859, 
p- 30-33. Et Dictionnaire de Nysten, par Littré et Ch. Robin, article PoussiÈRE, onzième 
édition, 1858. 
2, Ce fait, reconnu pour la première fois, je pense, par M. Pouchet, est très exact. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 227 


arrêtent les particules solides. On traite alors le coton par son dissol- 
vant. Après un repos suffisamment prolongé, toutes les particules 
solides tombent au fond de la liqueur ; on les soumet à quelques lavages, 
puis on les dépose sur le porte-objet du microscope, où leur étude 
devient facile. 

Je vais entrer dans les détails de l'expérience : FF, fig. 1, est 
un châssis de fenêtre, dans lequel j'avais pratiqué, à une distance de 


Fi. 1. 


plusieurs mètres du sol, une ouverture donnant passage au tube de 
verre T. Ce tube n'avait dans mes expériences qu’un demi-centimètre 
de diamètre. En à se trouve une bourre de coton soluble, sur une 
longueur d’un centimètre environ, retenue par une petite spirale en fil 
de platine. L'air, qui était ordinairement aspiré du côté de la rue d’'Ulm 
ou du côté du jardin de l’École normale, se trouvait appelé par l’aspi- 
rateur R. C’est un tube de laiton en forme de T, dans lequel s’écoule 
constamment de l’eau qui, par succion, entraîne l'air du tube #7, un 
peu recourbé à son extrémité #7, comme l'indique la figure. Le tube 727 
communique d’ailleurs par un tube de caoutchouc au tube T renfer- 


228 ŒUVRES DE PASTEUR 


mant la bourre de coton soluble. Si l’on veut déterminer le volume 
d’air entraîné par l’écoulement de l’eau, il suffit d'engager l'extrémité / 
du tube Æ{ sous un grand flacon renversé plein d’eau, jaugé à l’avance, 
et de mesurer le temps que ce flacon, d’un volume de 10 litres par 
exemple, mettra à se remplir. 

Ce mode d'aspiration continue est très commode et m'a rendu 
beaucoup de services. 

Lorsque lair a passé pendant un temps suffisant, la bourre de 
coton, plus ou moins salie par les poussières qu’elle a arrêtées, est 
déposée dans un petit tube avec le mélange alcoolique éthéré qui 
dissout le coton. On laisse reposer pendant un jour. Toutes les pous- 
sières se rassemblent au fond du tube, où il est facile de les laver par 
décantation, sans aucune perte, si l’on a soin de séparer chaque lavage 
par un repos de douze à vingt heures. Pour décanter le liquide, il est 
bon de se servir d’un siphon formé par un tube de très petit diamètre, 
et pouvant s’amorcer par aspiration. 

Lorsque le lavage des poussières est suffisant, on les rassemble 
dans un verre de montre où le restant du liquide qui les baigne 
s'évapore promptement(!); alors on les délaye dans un peu d’eau, et 
on les examine au microscope. 

On peut faire agir sur elles, suivant les méthodes ordinaires, diffé- 
rents réactifs : l’eau d’iode, la potasse, l'acide sulfurique, les matières 
colorantes. 

Ces manipulations fort simples permettent de reconnaître qu'il y a 
constamment dans l'air commun un nombre variable de corpuscules, 
dont la forme et la structure annoncent qu'ils sont organisés. Leurs 

: ER Es LS NUE ; > RES 
dimensions s'élèvent depuis les plus petits diamètres jusqu'à + à & et 
davantage de millimètre. Les uns sont parfaitement sphériques, les 
autres ovoides. Leurs contours sont plus ou moins nettement accusés. 
Beaucoup sont tout à fait translucides, mais il y en a aussi d’opaques avec 
granulations à l’intérieur. Ceux qui sont translucides, à contours nets, 
ressemblent tellement aux spores des moisissures les plus communes, 
que le plus habile micrographe ne pourrait y voir de différence. C’est 
tout ce que lon peut en dire, comme on peut affirmer seulement que, 
parmi les autres, il y en a qui ressemblent à des infusoires en boule, 
enkystés, et généralement aux globules que l’on regarde comme étant 
les œufs de ces petits êtres. Mais quant à affirmer que ceci est une spore, 
bien plus, la spore de telle espèce déterminée, et que cela est un œuf et 
l'œuf de tel microzoaire, je crois que cela n’est pas possible. Je me 


1. Le lavage est suffisant après cinq ou six décantations. Il faut se servir de coton-poudre 
dont la solubilité soit aussi parfaite que possible. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 229 


borne, en ce qui me concerne, à déclarer que ces corpuscules sont évi- 
demment organisés, ressemblant de tout point aux germes des orga- 
nismes les plus inférieurs, et si divers de volume et de structure qu’ils 
appartiennent sans conteste à des espèces fort nombreuses. 

L'emploi de l’eau d’iode montre de la manière la moins équivoque 
que, parmi ces corpuscules, il y a toujours des granules d’amidon. Mais 
il est bien facile d'éliminer tous les globules de cette sorte en délayant 
la poussière dans l’acide sulfurique ordinaire, qui dissout en quelques 
instants tout ce qui est amidon. Sans doute, l'acide sulfurique altère 
et dissout peut-être d’autres globules ; mais il en reste encore un grand 
nombre, et quelquefois même on en distingue davantage après Paction 
de l’acide sulfurique, parce que cet acide dissout le carbonate de chaux 
et délaye les autres particules de poussière, de façon que beaucoup de 
corpuscules organisés se trouvent dégagés des débris amorphes qui 
empêchent souvent de les bien voir. Il est bon d'observer aussitôt après 
que les petites bulles d'acide carbonique se sont dissipées, et avant que 
les aiguilles de sulfate de chaux se soient déposées 1). 

En opérant sur la poussière d’une bourre de 1 centimètre de lon- 
gueur sur ! centimètre de diamètre exposée au courant d'air pendant 
vingt-quatre heures, avec un écoulement d’un litre par minute, on 
découvre et on peut dessiner facilement vingt à trente corpuscules 
organisés en un quart d'heure. Il y en a ordinairement plusieurs dans 
le champ. Notons que la goutte d’acide mêlée de poussière, que lon 
place sur le porte-objet du microscope, ne représente qu'une fraction 
de celle qui est dans le verre de montre. 

D'autre part, il faudrait évidemment plusieurs heures pour recher- 
cher et dessiner au fur et à mesure tous les corpuscules organisés de 
cette goutte. On voit donc que le nombre des corpuscules organisés 
que l’on fixe par cette méthode sur les filaments de coton est fort 
sensible comparativement au volume d’air 2); sans doute, il n’est pas 
suffisant, pour justifier cette assertion généralement admise, que la plus 
petite bulle d’air commun est capable de faire naître dans une infusion 
toutes les espèces d’infusoires et toutes les cryptogames propres à cette 
infusion. Mais nous verrons dans un chapitre subséquent que cette 


1. J'ai reconnu, par des épreuves directes, que l’acide sulfurique concentré ordinaire ne 
dissolvait pas les spores des moisissures communes, même par un contact prolongé. 
2. Je n'ai pas besoin de dire que je me suis assuré que le coton que j'employais ne 


renfermait pas du tout de corpuscules organisés, et que sa dissolution dans le mélange alcoo- 
lique ne laissait d'autre résidu que quelques fibres non dissoutes. 


Je dois faire observer en outre que, sous une épaisseur d'un centimètre, une bourre de 
coton est loin d’arrèter tous les corpuscules de l'air. Si l'on place plusieurs bourres à la suite 
les unes des autres, la seconde, la troisième... se couvrent de poussière; seulement, il faut, 


pour les charger à légal de la première, d'autant plus de temps qu'elles en sont-plus éloignées. 


230 ŒUVRES DE PASTEUR 


opinion est fort exagérée, et que l’on peut toujours mettre en contact 
avec une infusion qui a été portée à l’ébullition un volume d’air ordi- 
naire considérable, sans qu'il sy développe la moindre production 
organisée. 

Je vais entrer dans quelques détails, afin que l’on! ait une idée un 
peu plus nette du nombre des corpuscules organisés que l’on découvre 
dans la poussière recueillie comme je viens de le dire. 

Les figures 2, 3 et 4 représentent quelques corpuscules organisés 
d’un échantillon de poussière recueillie en vingt-quatre heures, du 


3 = [æ) 
Ô 0) 9 
J œ 2 C0 RE 
o 
6 0 & 
° 
: UT è 
à ? 
> Solution 2 - Ténture ugueuge 5 Ê 
“ 1 Le o° 
potasse à JE & 0 d'ivute 3 o 
0 [eo] ‘ 
S 
(e] 
o) . e © Le) 
0 Oo 
108 
Fic. 2 Fic. 8. 
o 
= le) 2 


Acide sulfurique 7. 


ancentré ordéna#r- 


FrG. 4. 


16 au 17 novembre 1859. Voici comment ces dessins rapides, qui ne 
donnent que le volume et le contour des corpuscules, ont été faits : 

Après que le lavage de la poussière eut été effectué comme je Pai 
indiqué tout à l'heure, j'ai pris dans le verre de montre une partie de 
la poussière, et je l'ai délayée dans une goutte de solution de potasse, 
renfermant 5 parties de potasse pour 100 d’eau. Au fur et à mesure 
que je déplaçais la lame de verre sous l'objectif, et que j’apercevais un 
globule évidemment organisé, je le dessinais. C’est ainsi que la figure 2 
a été obtenue. Il en a été de même pour les suivantes. 

J'ai alors remplacé la potasse par de la teinture aqueuse d’iode. Il 
suffit pour cela de placer au contact avec le bord de la lame de verre 
un petit carré de papier buvard, que l’on recouvre d’un second, d’un 
troisième papier semblable, et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la 
solution de potasse soit absorbée. On la remplace alors par une goutte 
d’eau iodée, que l’on enlève par le même moyen pour y substituer une | 
nouvelle goutte de cette teinture. On continue ainsi jusqu’à ce que la 
potasse restant sous la lame de verre soit entierement neutralisée. 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 23! 


La figure 3 représente une partie des globules en contact de la 
teinture aqueuse d’iode. Enfin la figure 4 donne le dessin des globules 
examinés, après que l’eau d’iode fut remplacée par l'acide sulfurique 
ordinaire. 


La distance des deux parallèles de la figure 5 représente + de 


ne 
100 
millimètre au grossissement employé dans l'expérience. 
J'ajouterai que j'ai mis une heure et demie à faire les dessins des 
globules et les expériences de substitutions de réactifs les uns aux 
autres. Cela donnera au lecteur une premiere indication sur le nombre 
des corpuscules organisés que l’on peut arrêter en vingt-quatre heures 
en faisant passer sur une petite bourre de coton environ 1500 litres 
d'air pris dans une rue de Paris peu fréquentée, et à une distance de 
3 à 4 mètres au-dessus de la surface du sol(!). On peut avoir une idée 
bien plus exacte du nombre des corpuscules, que leur forme et leur 
volume permettent de dire organisés, par la détermination du nombre 
moyen de ces corpuscules contenus dans le champ du microscope, et 
par la connaissance du rapport des surfaces de la goutte étalée sous la 
petite lame de verre qui la recouvre, et du champ du microscope, pour 
le grossissement que l’on emploie. Le nombre total des corpuscules de 
la goutte sera égal au rapport dont nous parlons, multiplié par le 
nombre moyen des corpuscules compris dans un champ quelconque. 
On arrive ainsi à reconnaître qu'une petite bourre de coton exposée 
pendant vingt-quatre heures au courant d’air de la rue d’Ulm, pris à 
quelques mètres du sol, pendant l'été, après une succession de beaux 
jours, rassemble plusieurs milliers de corpuscules organisés pour une 
aspiration d’un litre d’air environ par minute. Du reste, ce résultat 
varie infiniment avec l’état de l’atmosphere, si l’on opère avant ou 
après la pluie, par un temps calme ou agité, de jour ou pendant la nuit, 
à une petite ou à une grande distance du sol. Enfin que l’on imagine 
toutes les mille et une causes qui peuvent augmenter ou diminuer le 
nombre de ces particules solides que tout le monde a aperçues dans un 
rayon de soleil qui pénètre dans une chambre obscure, et l’on com- 


1. Postérieurement à l'emploi de la méthode que je viens de décrire et dans le but de 
réfuter les résultats que j'en avais obtenus, M. Pouchet a examiné la poussière que la neige 
abandonne aprés sa fusion, moyen déjà mis en pratique par M. de Quatrefages el par 


M. Boussingault (Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLVIII, 1859, p. 31}. « La 
neige, dit M. Pouchet, fut recueillie dans une grande cour carrée. On en prit seulement la 
couche superficielle dans une épaisseur de 5 centimètres environ, et sur une étendue de 
4 mètres carrés. » [Corps organisés recueillis dans l'air par la neige. Zb1d., L, 1860, p. 932.] 
Je n'ai pas étudié la poussière de l'air en faisant fondre de la neige, et j'ignore si cette 
méthode vaut celle que j'ai suivie. Dans tous les cas, il est évident qu'il faudrait étudier la 


première neige tombée, la couche du fond et non la couche de la surface. Car si la neige peut 
entrainer les poussières de l'air, c'est la première tombée qui se chargera de.cet office. 


232 ŒUVRES DE PASTEUR 


prendra tout ce qu'il doit y avoir de changements dans les résultats qui 
précèdent. 

La méthode dont je viens de parler pour recueillir les poussières 
qui sont en suspension dans l’air ordinaire, et les examiner ensuite au 
microscope, est évidemment susceptible d'être modifiée utilement (!). 

Je crois qu'il y aurait un grand intérêt à multiplier les études sur ce 
sujet, et à comparer dans un même lieu avec les saisons, dans des 
lieux différents à une même époque, les corpuscules organisés dissé- 
minés dans l’atmosphère. Il semble que les phénomènes de contagion 


Fc. 6. Fic. 7 
 Ÿ- , 
el hs 

=, > _ = Le à 

ES: DEN o - BE 

x 9 es D 
DE dre SN) 
ER. + vw%- 

Fic. 8. Fra. 9: 


morbide, surtout aux époques où sévissent des maladies épidémiques, 
gagneraient à des travaux poursuivis dans cette direction. 
Les figures 6, 7,8, 9 représentent des corpuscules organisés associés 
à des particules amorphes, tels qu'ils s'offrent au microscope pour un 
grossissement de 350 diamètres ; le liquide délayant était l'acide sulfu- 
rique ordinaire. 
La figure 6 s'applique à des poussières recueillies du 25 au 
26 juin 1860 ; la figure 7 à des poussières du brouillard très intense du 
mois de février 1861; la figure 8 à des poussières recueillies du 17 au 
1. Ne serait-il pas possible de remplacer le coton par une bourre de fils formés par un 
borate soluble, étiré à chaud, voire même par du sucre d'orge réduit en fils soyeux? 
J'essaye en ce moment l'emploi d'un tube thermométrique de gros calibre où l’on a soufflé 
à des distances rapprochées une suite de renflements. En introduisant dans ce tube quelques 
gouttes d'un liquide visqueux ou d'huile, le liquide s'arrête dans les étranglements, et si l'on 
fait passer de l'air, les ménisques des étranglements se reforment après le passage de chaque 
bulle de gaz, qui se trouve ainsi lavé un grand nombre de fois par une quantité de liquide 
adhésif très minime. M. Jamin a utilisé des tubes de cette nature dans quelques-unes de ses 
curieuses expériences sur la capillarité. C'est ce qui m'a suggéré l’idée de l'emploi de pareils 
tubes, dont je ne peux cependant pas juger encore l'efficacité. h 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 233 


19 décembre 1859 par un froid de —9 à — 14; enfin la figure 9 à des 
poussières d’une bourre qui était précédée d’une autre, afin de montrer 
qu'une première bourre n’arrête pas toutes les poussières qui sont en 
suspension dans l'air. Cependant il faut remarquer que les poussières 
étaient ici en très petit nombre, et qu'il fallait plusieurs fois changer 
de champ pour apercevoir un corpuscule organisé, tandis que dans 
les cas ordinaires il y a le plus souvent un ou plusieurs corpuscules 
organisés dans un champ quelconque. 


CHAPITRE II 


DES EXPÉRIENCES AVEC L'AIR CALCINE. 


Nous venons de voir qu'il y a toujours en suspension dans l’air des 
corpuscules organisés, qui, par leur forme, leur volume et leur struc- 
ture apparente, ne sauraient être distingués des germes des orga- 
nismes inférieurs, et le nombre en est grand sans avoir rien d’exagéré. 
Y a-t-il réellement parmi eux des germes féconds(f)? Voilà la question 
vraiment intéressante; je crois être arrivé à le démontrer d’une maniere 
certaine. Mais avant d'exposer les expériences qui se rapportent plus 
particulièrement à cette partie du sujet, il est indispensable de 
rechercher premièrement si les faits annoncés par le D' Schwann sur 
l'inactivité de l’air qui a été rougi sont exacts. MM. Pouchet, Mante- 
gazza, Joly et Musset le contestent. Essayons de voir de quel côté est 
la vérité ; aussi bien ce sera la base de nos recherches ultérieures. 

Dans un ballon de 250 à 300 centimètres cubes, j'introduis 100 à 
150 centimètres cubes d’une eau sucrée albumineuse, formée dans les 
proportions suivantes : 


BE SP a ct. 2 OÙ 
SULO EE ER E E  R  ecle tell 
Matières albuminoïdes et minérales provenant de 

eee RE EE RS EEE 0,2 à 0,7. 


1. Ce qu'il y aurait de mieux à faire et de plus direct consisterait à suivre au microscope 
le développement de ces germes. Tel était mon projet; mais l'appareil que j'avais fait 
construire pour cet objet ne m'ayant pas été livré en temps opportun, j'ai été éloigné de cette 
étude par d’autres travaux. Du reste, il ne faut pas se dissimuler la difficulté de cette méthode 
d'observation. Rien de plus simple que de déposer les spores d’une mucédinée dans un 
liquide propre à les nourrir, d'en prélever quelques-unes le lendemain ou le surlendemain, el 
de voir que plusieurs ont germé et ont déjà poussé de longs appendices. Mais autre chose esl 
d'opérer sur une seule spore, qu’il faudra retrouver sous le microscope à une place déterminée, 
tout en lui fournissant de l'eau pour remplacer celle qui s'évapore sur les bords de la lame 
derverre, ete... Et puis les très petits infusoires, bacteriums et monades, se montrent promp- 
tement, prennent l'air, et la spore privée d'un de ses aliments essentiels ne se développe pas. 
J'espère revenir prochainement sur cette partie de mon travail. d 


23% ŒUVRES DE PASTEUR 


Le col effilé du ballon communique avec un tube de platine chauffé 
au rouge, comme l'indique la figure 10. On fait bouillir le liquide 
pendant deux à trois minutes, puis on le laisse refroidir complètement. 
Il se remplit d'air ordinaire à la pression de l’atmosphère, mais dont 
toutes les parties ont été portées au rouge; puis on ferme à la lampe 
le col du ballon, qui a alors la forme indiquée par la figure 11. 

Le ballon ainsi préparé est placé dans une étuve à une température 
constante voisine de 30°; il peut s’y conserver indéfiniment, sans que le 
liquide qu'il renferme éprouve la moindre altération. Sa limpidité, son 


Fi. 10. 


odeur, son caractère d’acidité très faible, à peine appréciable au papier 
de tournesol bleu, persistent sans changement appréciable. Sa couleur 
se fonce légèrement avec le temps, sans doute sous l'influence d’une 
oxydation directe de la matière albuminoïde ou du sucre (1). 

J'affirme avec la plus parfaite sincérité que jamais il ne m'est arrivé 
d’avoir une seule expérience, disposée comme je viens de le dire, qui 
m'ait donné un résultat douteux. L'eau de levüre sucrée portée à 


1. Cette oxydation directe est indiquée par l'analyse suivante, effectuée sur l’air d'un ballon 


2 y x A see PR A FE c 
rempli aux + d'eau de levûre sucrée, et qui était resté à l'étuve du 12 février au 18 avril 1860. 


Neide parbonquer nee PU re DS CRE ER E LARENTETE 0,9 
Oxygène...» Re OA ce cs en loe à 19,5 
AZOt6 pArITIÉérENCE RE LE CR RE 22100 

100,0. 


Le volume de l'acide carbonique est moindre que le volume d'oxygène qui a disparu. Cela 
peut tenir aux différences des coefficients de solubilité de ces gaz. Quant à la limpidité du 
liquide, elle était parfaite. 

Toutes les analyses de gaz contenues dans ce Mémoire ont été faites avec l'eudiomètre de 
M. Regnault. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 235 
l’ébullition pendant deux ou trois minutes, puis mise en présence de 
l'air qui a été rougi, ne s’altère donc pas du tout{t)}, même après dix- 
huit mois de séjour à une température de 25° à 30°, tandis que si on 
l’'abandonne à l'air ordinaire, après un jour ou deux, elle est en voie 
d’altération manifeste, et se trouve remplie de bacteriums, de vibrions, 
ou couverte de mucors. 

L'expérience du D° Schwann appliquée à l’eau de levüre sucrée est 
par conséquent d’une exactitude irréprochable. 

Comment se fait-il néanmoins que plusieurs observateurs, MM. Pou- 
chet, Mantegazza et Schwann lui-même, soient arrivés à des résultats 
contradictoires ? J'ajoute que le D‘ Schwann lui-même n’a pas toujours 
réussi dans ses expériences sur l’inactivité de l'air calciné ; en effet, nous 


Fig. 11. 


avons vu dans la première partie du présent Mémoire, où j'ai résumé le 
travail de ce savant, que ses expériences sur la fermentation alcoolique 
avaient souvent donné des résultats opposés à ceux qu'il espérait, sans 
qu'il eût pu d’ailleurs reconnaitre les causes d’erreur présumées de ces 
résultats. 

Moi-même, dans des expériences inédites, j'étais arrivé à cette 
conséquence, que les expériences faites avec l'air calciné ne réussis- 
saient qu'exceptionnellement. Je vais en rapporter quelques-unes. 

Le 9 août 1857, je prépare comme il suit plusieurs ballons d’un 
quart de litre de capacité. Dans chacun d’eux, je place 80 centimètres 
cubes d’eau de levüre de bière sucrée très limpide, renfermant par 
litre 100 grammes de sucre et 3 grammes de matières azotée et miné- 
rale empruntées aux principes solubles de la levüre. J’étire à la lampe 
le col des ballons, puis je porte le liquide à l’ébullition, et je ferme 
ensuite la pointe effilée par un trait de chalumeau pendant l’ébullition, 


maintenue préalablement de deux à quatre minutes. Je renverse ensuite 


1. J'ai certainement eu l’occasion de répéter plus de cinquante fois l'expérience, et, dans 
aucun cas, cette liqueur, si altérable, n’a donné vestige de productions organisées, en présence 
de l'air calciné. 


236 ŒUVRES DE PASTEUR 


successivement chaque ballon dans la cuve à mercure, au fond de 
laquelle je brise leurs pointes ; alors jintroduis dans le premier ballon 
environ 70 centimètres cubes d'oxygène préparé avec le chlorate de 
potasse, et conduit dans un tube de porcelaine chauffé au rouge avant 
d'entrer dans le ballon. Dans le deuxième ballon, je fais arriver 
50 centimètres cubes d'oxygène provenant de la décomposition de 
l'eau par la pile, et de production toute récente. Dans le troisième et le 
quatrième ballons, je fais passer de 50 à 60 centimètres cubes d’air 
ordinaire sortant d’un tube de porcelaine chauffé au rouge. Enfin, dans 
un cinquième ballon, j'introduis 50 centimètres cubes d’air ordinaire 
non chauflé. Je porte ensuite les cinq ballons dans une étuve à la tem- 
pérature constante de 25° à 30°, renversés sur le mercure dans des 
verres à pied. 

Le 13 août, il y a des productions organisées dans tous les ballons. 
Le liquide du premier était tout trouble, laiteux, par la présence 
d’une torulacée en granulations très ténues réunies en chapelets. Le 
deuxième ballon est tombé dans la nuit du 15 au 16 août, parce qu'il 
s’est rempli de gaz par fermentation. Une étude microscopique des 
portions de liquide restées dans le verre y a fait reconnaître des 
globules de levüre de bière. Les ballons 3, 4 et 5 offraient des touffes 
de moisissure flottant dans un liquide limpide. 

En résumé, j'obtenais des résultats directement contraires à ceux 
du D° Schwann. Des mucédinées, des torulacées pouvaient naître en 
présence de l'air calciné, dans des liquides qui avaient été soumis à 
l’ébullition. 

Je ne publiai pas ces expériences; les conséquences qu’il fallait en 
déduire étaient trop graves pour que je n’eusse pas la crainte de 
quelque cause d’erreur cachée, malgré le soin que j'avais mis à les 
rendre irréprochables. J'ai réussi, en effet, plus tard à reconnaître cette 
cause d'erreur. 

Quoi qu'il en soit, les choses étaient telles, à cette époque, qu'un 
observateur, répétant de bonne foi sur la cuve à mercure les expériences 
de Needham, de Spallanzani et d’Appert, avec la modification indiquée 
par le D' Schwann, arrivait à des conséquences tout à fait favorables à 
la doctrine des générations spontanées, sans qu'il fût possible de 
signaler la véritable cause d'erreur de ces expériences. On pouvait 
croire seulement qu'il était très difficile de ne pas laisser s’introduire 
dans les vases une petite quantité d’air ordinaire. Mais, outre que 
cette crainte était exagérée, on verra par la suite que ce n’est pas du 
tout en cela que consistait l’inexactitude de la méthode. 


Dans toutes ces expériences, comme dans celles du D° Schwann qui 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 237 


avaient été contraires au résultat de sa première expérience sur le 
bouillon de viande, c’est le mercure qui avait introduit les germes dans 
les liqueurs. J’en donnerai ultérieurement des preuves convaincantes. 
Mais nous pouvons remarquer dès à présent que le mercure d’une 
cuve de laboratoire est constamment exposé à recevoir les poussières 
de l'air, et que ce liquide doit recéler par conséquent une multitude de 
ces corpuscules organisés, que nous avons appris à étudier dans le 
chapitre précédent. Leur légèreté spécifique ne serait suffisante pour 
les amener à la surface que s'ils avaient un volume sensible. D'ailleurs, 
n'y aurait-il de ces corpuscules qu'à la surface du mercure, il ne serait 
pas possible de les éviter dans les manipulations. Que l’on dépose, en 
effet, des poussières sur le mercure et qu'on y enfonce ensuite un tube 
de verre, une éprouvette, un vase quelconque, on verra les poussières 
de la surface s'engager peu à peu dans la gaine que le corps solide 
laisse entre lui et le mercure. Si le corps est enfoncé d’un décimètre ou 
davantage, les poussières le suivront jusqu'à cette profondeur, et les 
dernières arrivées seront appelées d’une grande distance du point où 
le corps aura été plongé. 

Nous pouvons résumer comme il suit les expériences de ce chapitre. 
L'eau de levûre sucrée, liqueur excessivement altérable au contact de 
l'air ordinaire, peut être conservée intacte pendant des années entières 
lorsqu'elle est exposée à l’action de lair caleiné, après avoir été 
soumise à l’ébullition pendant deux ou trois minutes. Mais l'expérience 
a besoin d’être faite convenablement. Effectuée sur la cuve à mercure 
avec tous les soins imaginables, elle ne réussit qu'exceptionnellement, 
si tant est qu'elle réussisse quelquefois. La liqueur s’altère presque 
aussi facilement qu'à l'air ordinaire, parce qu'il est impossible que la 
manipulation, de quelque manière qu'elle soit dirigée, n’introduise pas 
des germes provenant de l’intérieur ou de la surface du mereure ou des 
parois de la cuve. 

L'insuccès des expériences avec l'air calciné, toutes les fois qu’on 
venait à les pratiquer sur la cuve à mercure, n’était pas la seule cause 
d'incertitude et d’embarras dans cette grave question de la génération 
des êtres les plus inférieurs. 

Remplace-t-on, en effet, dans les essais précédents l’eau de levûre 
sucrée par le lait, ou tel autre liquide que nous apprendrons à connaitre, 
et de quelque manière que l'expérience soit conduite, que l’on opère 
sur la cuve à mercure, ou que l’on opère avec l'appareil déjà décrit, 
représenté figure 10, et qui donne des résultats si constants pour l’eau 
de levüre sucrée, le lait se putréfie et montre des organismes. 


Ces résultats si divers, contradictoires en apparence, trouveront 


238 ŒUVRES DE PASTEUR 


leur explication naturelle dans un des chapitres suivants. Mais jusque-là 
ils étaient bien faits pour jeter le trouble dans les esprits, ainsi que j'ai 
déjà essayé de le montrer dans le chapitre historique placé en tête de 
ce travail. 


CHAPITRE IV 


ENSEMENCEMENT DES POUSSIÈRES, QUI EXISTENT EN SUSPENSION DANS L'AIR, 
DANS DES LIQUEURS PROPRES AU DÉVELOPPEMENT 
DES ORGANISMES INFÉRIEURS. 


Les résultats des expériences des deux chapitres qui précèdent nous 
ont appris : 

1° Qu'il y a toujours en suspension dans Pair ordinaire des corpus- 
cules organisés tout à fait semblables à des germes d'organismes 
inférieurs ; 

2° Que l’eau de levûre de bière sucrée, liqueur éminemment alté- 
rable à l'air ordinaire, demeure intacte, limpide, sans donner jamais 
naissance à des infusoires ou à des moisissures, lorsqu'elle est aban- 
donnée au contact de l’air qui a été préalablement chauffé. 

Cela posé, essayons de rechercher ce qui arriverait au contact de 
ce même air, en ensemençant dans cette eau sucrée albumineuse les 
poussières que nous avons appris à recueillir au chapitre IT, sans 
introduire autre chose que ces poussières. 

Quelle que soit la méthode d’expérimentation, il faut qu’elle éloigne 
complètement la cuve à mercure, parce que tous les résultats en 
seraient troublés. Je l'ai constaté directement pour ce point de la 
question par des expériences particulières que je crois sans grande 
utilité de rapporter ici. J'aurai d’ailleurs l’occasion de revenir encore 
sur les inconvénients d'utiliser le mercure dans ces sortes d’expé- 
riences. 

Voici les dispositions que j'ai adoptées pour déposer les poussières 
de l'air dans les liqueurs putrescibles ou fermentescibles, en présence 
de l'air chauffé. 

Reprenons notre ballon renfermant de l’eau de levûre sucrée et de 
l'air calciné, figure 11. Je supposerai que le ballon soit à l’étuve à 25° 
ou 30°, depuis un ou deux mois, sans y avoir éprouvé d’altération 
sensible, preuve manifeste de linactivité de l'air chauffé dont il a été 
rempli sous la pression atmosphérique ordinaire. 

La pointe du ballon étant toujours fermée, je l’adapte, au moyen 
d’un tube de caoutchouc, à un appareil disposé comme il suit, figure 12 : 


> D pie ns 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9239 


T est un tube de verre fort, de 10 à 12 millimètres de diamètre inté- 
rieur, dans lequel j'ai placé un bout de tube de petit diamètre «, ouvert 
à ses extrémités, libre de glisser dans le gros tube et renfermant une 
portion d’une des petites bourres de coton chargées de poussières ; 
R est un tube de laiton en forme de T, muni de robinets, l’un de ces 
robinets communique avec la machine pneumatique, un autre avec un 
tube de platine chauffé au rouge, le troisième avec le tube T; cc repré- 
sente le caoutchouc qui réunit le ballon B au tube T. 

Lorsque toutes les parties de l'appareil sont disposées et que le 


ErG- 12; 


tube de platine est porté au rouge par le calorifère à gaz figuré en G, 
on fait le vide, après avoir fermé le robinet qui conduit au tube de 
platine. Ce robinet est ensuite ouvert de façon à laisser rentrer peu à 
peu dans l'appareil de l’air calciné. Le vide et la rentrée de l'air calciné 
sont répétés alternativement dix à douze fois. Le petit tube à coton se 
trouve ainsi rempli d’air brûlé jusque dans les moindres interstices du 
coton, mais il a gardé ses poussières. Cela fait, je brise la pointe du 
ballon B, à travers le caoutchouc ce, sans dénouer les cordonnets, puis 
je fais couler le petit tube aux poussières dans le ballon. Enfin, je 
referme à la lampe le col du ballon qui est de nouveau reporté à 
l'étuve. Or, il arrive constamment que des productions commencent 
a apparaître dans le ballon après vingt-quatre, trente-six ou quarante- 
huit heures au plus. 


210 ŒUVRES DE PASTEUR 


C’est précisément le temps nécessaire pour que ces mêmes produc- 
tions apparaissent dans l’eau de levûre sucrée lorsqu'elle est exposée 
au contact de l’air commun. 

Voici le détail de quelques expériences : 

Dans les premiers jours de novembre 1859, j'ai préparé, suivant la 
méthode de la figure 10, plusieurs ballons de 250 centimètres cubes 
de capacité, renfermant 100 centimètres cubes d’eau de levûre sucrée 
et 150 centimètres cubes d’air chauffé. Ils sont restés à l’étuve à une 
température voisine de 30° jusqu'au 8 janvier 1860. Ce jour-là, vers 
neuf heures du matin, j'ai introduit dans l’un de ces ballons, à l’aide de 
l'appareil de la figure 12, une portion de bourre de coton chargée de 
poussières, recueillies comme cela a été expliqué au chapitre I. 

Le 9 janvier, à neuf heures du matin, le liquide du ballon n'offre 


rien de particulier. Le même jour, à six heures du soir, on voit très 
distinctement de petites touffes de moisissures sortir du tube aux pous- 
sières. Limpidité parfaite du liquide. 

Le 10 janvier, à cinq heures du soir, outre les touffes soyeuses de 
moisissures, le liquide ayant toujours conservé une limpidité parfaite, 
j'apercois sur les parois du ballon un grand nombre de traînées 
blanches, irisées de diverses couleurs lorsqu'on place le ballon entre 
l'œil et la lumière. 

Le 11 janvier, le liquide a perdu sa limpidité. Il est tout trouble, à 
tel point qu'on ne distingue plus les touffes de mycelium. 

Alors j'ouvre le ballon par un trait de lime et j'étudie au microscope 
les diverses productions qui y ont pris naissance. 

Le trouble du liquide est dû à une foule de petits bacteriums, de la 
plus petite dimension, très rapides dans leurs mouvements, pirouet- 
tant vivement ou se balançant, etc..., fig. 13. 

Les touffles soyeuses sont formées par un mycelium en tubes 
rameux, fig. 14. 

Enlin, cette espèce de précipité pulvérulent sous forme de traînées 
blanches, qui s’est montré le 10 janvier, est constitué par une toru- 
lacée très élégante, représentée fig. 15. C’est une torulacée très 


fréquente dans les liqueurs albumineuses sucrées, qui se développe, 


on 


PET 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 241 


par exemple, dans les jus de betteraves rendus un peu acides, dans 
les urines des diabétiques, et que l’on pourrait confondre avec la levûre 
de bière, à laquelle elle ressemble beaucoup par son mode de déve- 
loppement, si le diamètre de ses globules n’était sensiblement plus 
petit que celui des cellules de la levüre, plus petit d’un tiers où même 


Diamétre moyen = 0 "s0r 


FrG. 14. 


de la moitié. Les globules de cette torulacée sont peu granuleux, plus 
translucides que les globules de la levüre de bière. Le noyau, quand 
il est visible, est unique et très net. Ces globules se multiplient par 
bourgeonnement et affectent la forme rameuse de la levüre de bière 
en voie de multiplication. 

Ainsi, voilà trois productions nées sous l'influence des poussières 
que l’on a semées, productions de même ordre que celles qu'on voit 


E Le] 
> Ps 
D 6 
ge ds MS 
Fa LR 


Fic. 15. 


naître dans ces mêmes liqueurs sucrées albumineuses quand on les 
abandonne au contact de l’air ordinaire. 


.) 


Le 17 janvier, j'ai introduit des poussières dans deux autres de ces 
ballons d’eau de levüre sucrée demeurés sans altération depuis le 
mois de novembre. 

Le 19 au matin, un des liquides est tout trouble. Il n'offre d’ailleurs 
aucune apparence de mycelium. Le liquide de l’autre ballon est encore 
très limpide. Aucune apparence de production organisée. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 16 


242 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le même jour, à cinq heures du soir, le premier ballon est dans le 
même état; Le trouble est seulement accru; quant à l’autre, la limpidité 
de son liquide est toujours parfaite, mais une touffe de mycelium sort 
du petit tube aux poussières et en garnit toute une extrémité. 

Le 20, l’état du premier ballon n’a pas changé sensiblement. La 
moisissure du second s’est beaucoup développée, et il s’en est formé 
une nouvelle dans l’intérieur du liquide. En outre, la limpidité du 
liquide paraît légèrement altérée. 

Le 21, le liquide du second ballon est presque aussi trouble que 
celui du premier, et les touffes de mycelium n’ont pris aucun accrois- 
sement depuis la veille, c’est-à-dire depuis que le trouble s’est mani- 
festé dans toute la masse du liquide. 

Le 22 et le 23 janvier, les touffes de mycelium restent toujours 
slationnaires, et il n’est pas douteux, comme on vale voir, qu'il faille 


attribuer l’arrêt de leur développement à la présence des infusoires 
qui troublent le liquide, et qui, en s’emparant de l'oxygène dissous, 
privent la plante d’un de ses aliments les plus essentiels. Ce résultat 
est constant, et c’est là ce qui explique pourquoi dans le premier ballon, 
la production développée en premier lieu ayant été formée par des 
infusoires, on n'a vu naître aucune autre production organisée. 

Voici la confirmation remarquable de cette opinion : 

Le 23 janvier, voyant que les touffes du mycelium du deuxième 
ballon sont stationnaires depuis le 20, je fais tomber le petit tube aux 
poussières dans le goulot du ballon, comme le représente la figure 16, 
afin de placer la touffe de moisissures, qui garnit l’une des extrémités 
de ce petit tube, en contact avec l'atmosphère du ballon, et éloigner 
ainsi l'influence des infusoires. 

Or, dix-huit heures après, dès le 24 janvier au matin, la moisissure 
a poussé des filaments dans toutes les directions, qui tapissent le petit 
tube et le goulot du ballon. Le 25, elle a fructifié. Le 27, elle s'étend 
en partie à la surface du liquide du ballon. A partir de ce jour elle ne 
s’est plus agrandie et est restée tout à fait stationnaire, parce que tout 
l'oxygène de l'air du ballon avait disparu et avait été remplacé par de 


l'acide carbonique. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 2 


Ces faits, que j'ai eu l’occasion de constater bien souvent dans des 
circonstances analogues, montrent toute l'influence que peuvent avoir 
les unes sur les autres des productions se développant simultanément, 
comment elles peuvent se nuire et comment il arrive qu'une liqueur 
peut offrir des organismes variés, mais bien moins nombreux, dans 
chaque cas particulier, qu'il n'y a de germes semés, et qu'il ne pour- 
rait s'en développer à la rigueur. Les premiers qui sont en voie de 
multiplication étouffent les autres (1). 

Toutes les personnes qui ont étudié les productions organisées des 
infusions ont pu faire la remarque qu'une infusion est privée plus ou 
moins complètement d’infusoires, s’il arrive qu'elle se couvre de mucé- 
dinées, dans les premiers jours de son exposition à l'air. Et, inver- 
sement, lorsqu'elle débute par des infusoires. elle a peine à montrer 
des moisissures. La cause de ce fait est du même ordre que celle dont 
je viens de parler. Dans le premier cas, l'oxygène est absorbé par les 
mucédinées, dans le second par les infusoires. Ce que je dis de l’oxy- 
gène peut s'appliquer sans doute aux autres aliments de ces petits 
êtres. 

J'ai représenté, fig. 17, la mucédinée développée dans le goulot du 
ballon, lequel a été ouvert le 31 janvier, afin de pouvoir étudier les 
productions auxquelles il avait donné lieu. 

Au fond du liquide qui s’était éclairei depuis plusieurs jours, parce 
que la moisissure avait à son tour nui au développement des infusoires, 
il y avait un dépôt sensible, blanc-jaunâtre, formé uniquement de 
cadavres de petits bacteriums et de petits vibrions. Tous, sans excep- 
ton, étaient sans mouvement autre que lé mouvement brownien. 

Quant à la mucédinée, son mycelium avait poussé des tubes verti- 
caux, translucides, incolores, non ramifiés, portant à leur extrémité 
de petites boules colorées en brun foncé dans les individus les plus 
âgés. Ces sporanges s’écrasent facilement sous la lame de verre, en 
laissant voir des spores dans leur intérieur. On reconnaît alors très 
nettement que ces sporanges ont une enveloppe membraneuse, car 
celle-ci se déchire par la pression. Si alors on fait arriver une goutte 


1. C'est donc à tort, selon moi, que M. Pouchet donne comme une immense objection que 
les poussières qu’il a semées ne lui ont pas fourni plus de mucédinées qu'il n'en apparait sans 
semence. Qu'il veuille bien les semer, par exemple, sur une même liqueur, placée dans un 
vase divisé en compartiments, et il verra que les corpuscules de l'air semés dans ces compar- 
timents lui fourniront des productions très diverses. C'est en définitive ce que je fais quand 
j'opère sur plusieurs ballons séparément. 

Toutes les conditions seront pareilles, mais dans chaque petit compartiment les premières 
productions qui auront poussé ne nuiront en rien à celles des cases voisines. Seulement la 
variété des productions ne sera pas indéfinie parce qu’elle est limitée, comme on le sail, par 
la nature de l'infusion. ÿ 


ŒUVRES DE PASTEUR 


12 
re 


d’eau sous la lame de verre, instantanément la petite sphère se vide, 
et il en sort par courants rapides des amas de spores ovoïdes, d’une 
translucidité parfaite et d’une grande netteté de contours. Leur 
diamètre varie de 0,006 à 0,008 de millimètre. Ce sont tous les carac- 
tères de l'espèce la plus commune du genre ascophora. Mais en outre, 
à côté de cette mucédinée, j'en ai rencontré une très différente appar- 
tenant au genre penicillium, représentée fig. 18; et dans l’intérieur 
même du petit tube à poussières, mélée aux fibres. du coton, se trou- 
vait une /orula en grosses cellules de 0,02 à 0,04 de millimètre de 


Ru 
LSEN ' 


F1G. 17, A. 


Diamètre des spores oprès Carton de. Mean = 07006 à o7"or 


FiG. 17 B Fi. 17 GC: 


diamètre, jointe à des articles beaucoup plus longs provenant d’un 
développement de ces cellules généralement très granuleuses. Elle est 
représentée fig. 19. 

Je pourrais multiplier beaucoup les exemples de productions nées 
dans l’eau de levûre sucrée par le fait de lensemencement des pous- 
sières de l’air, au sein d’une atmosphère d'air chauffé préalablement et 
par elle-même tout à fait inactive. J'ai choisi de préférence pour les 
décrire les essais qui m'avaient montré des productions organisées 
très communes, et qui apparaissent fréquemment sur les liquides de 
la nature de ceux que j'employais. Mais les mucorées, les torulacées, 
les mucédinées les plus diverses prennent naissance. Quant aux infu- 
soires, ce sont toujours, pour ce genre de liquides, de petits bacte- 
riums, les plus petites monades ou les plus petits des vibrions. 


Le 
— 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONMANÉES 245 


Or toutes ces productions sont précisément de la nature de celles 
que l’on voit apparaître dans la liqueur dont il s’agit, lorsqu'elle est 
librement exposée au contact de l'air ordinaire. En ce qui concerne les 
infusoires, je puis affirmer que jamais dans aucune circonstance je n'ai 
vu l’eau de levüre sucrée donner naissance à des infusoires autres que 
les bacteriums et les plus petits des vibrions. L’infusoire le plus gros 
que j'aie rencontré est le monas lens de 0®*,004 de diamètre, et encore 
je ne l'ai vu que fort rarement, soit à l'air libre, soit dans les ballons 


pures an peu voulez Leur \\ 
baume Le ph girl itasèr Le ectex\ 
de hagieter, act ass. er ur rs À 


\\ 


ere ane lets rat mrturet \ 


\ 


K 
\ 


Fr. 18. Fire. 19. 


fermés. Quant aux végétaux, ce sont des mucors, des mucédinées 
ordinaires ou des torulacées (1). 

On pourrait peut-être se demander si, dans les expériences qui 
précèdent, le coton, en tant que matière organique, n’a pas eu quelque 
influence sur les résultats. Il est surtout utile de savoir ce qui arri- 
verait si l’on répétait les manipulations sur des ballons préparés comme 
on l’a dit, et en éloignant les poussières de l'air. En d’autres termes, 
la manipulation à laquelle il faut recourir pour lintroduction des 


1. Je dois dire ici, une fois pour toutes, que j'appelle mucors les productions organisées 
végétales qui se développent de préférence à la surface des liquides, et qui offrent un aspect 
plus où moins gras où gélalineux, en pellicules minces ou épaisses, humides ou sèches, et 
quelquefois chagrinées; mucédinées, les moisissures proprement dites dont le mycelium, est 
formé de tubes diversement ramifiés, et qui offrent à la surface du liquide des organes de 
fructification ordinairement colorés sous la forme de poussières et quelquefois des tubes visibles 
à l'œil nu, terminés par des sporanges comme dans les moisissures les plus vulgaires: et enfin 
torulacées les petites plantes cellulaires non tubulées, qui se montrent au fond du liquide où 
elles se multiplient par bourgeonnement, en affectant la forme de précipités, à la manière de 


la levûre de bière. 


216 ŒUVRES DE PASTPTEUR 


poussières n'a-t-elle par elle-même aucune influence ? Il est indispen- 
sable de s’en assurer. 


.) 


Afin de répondre à ces questions, j'ai remplacé le coton par de 


l'amiante. Les bourres d'amiante, après une exposition de quelques 
heures au courant d’air de l'aspirateur, fig. 1, ont été introduites dans 
les ballons en suivant les indications qui précèdent, et elles ont donné 
des résultats tout à fait de même ordre que ceux que nous venons de 
rapporter. Mais avec des bourres d'amiante préalablement calcinées 
et non chargées de poussière, ou chargées de poussière mais chauffées 
ultérieurement, il ne s’est produit ni trouble, ni infusoires, ni plantes 
d'aucune sorte. Les liquides ont conservé une parfaite limpidité. Jai 
répété un grand nombre de fois ces expériences comparatives, et j'ai 
toujours été surpris de leur netteté, de leur constance parfaite. Il sem- 
blerait, en effet, que des expériences de cette délicatesse devraient 
offrir quelquefois des résultats contradictoires amenés par des causes 
d'erreur accidentelles. Or il ne m'est pas arrivé une seule fois de voir 
réussir les expériences & blanc, comme je n’ai jamais vu l’ensemen- 
cement des poussières ne pas fournir des productions organisées. 

En présence de tels résultats, confirmés et agrandis par ceux des 
chapitres suivants, je regarde, comme mathématiquement démontré, 
que toutes les productions organisées, qui se forment à l’air ordinaire 
dans de l’eau sucrée albumineuse, préalablement portée à l’ébullition, 
ont pour origine les particules solides qui sonten suspension dans l'air. 

Mais, d'autre part, nous avons vu au chapitre Il que ces particules 
solides renferment, au milieu d’une foule de débris amorphes : carbo- 
nate de chaux, silice, suie, brins de laine, etc., des corpuscules organisés 
qui ressemblent, à s’y méprendre, aux petites graines des productions 
dont nous avons reconnu la formation dans cette liqueur. Ces corpus- 
cules sont donc les germes féconds de ces productions. 

Concluons, en outre, que si l’air chauffé mis en présence d’une 
conserve d’Appert formée par de l’eau sucrée albumineuse, telle que 
du moût de raisin, ne s’altère pas, ainsi que la trouvé le premier le 
D' Schwann, c’est que la chaleur a détruit les germes que cet air char- 
riait. C’est ce que prévoyaient tous les adversaires de l'hétérogénie. 
Je n’ai fait qu'en donner des preuves solides et décisives, et obliger 
les esprits non prévenus à rejeter bien loin toute idée de l’existence 
dans lair d’un principe plus ou moins mystérieux, gaz, fluide, 
ozone, etc., avant la propriété de provoquer une organisation quel- 
conque dans les infusions. 

Il y aurait ici à traiter une question bien intéressante, sur laquelle 
je reviendrai dans une publication spéciale, et qui ne manquera pas de 


he à dy 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONMANÉES 247 


surprendre le lecteur. Rien n’est plus propre que la liqueur étudiée 
dans les pages précédentes à donner naissance à la fermentation alcoo- 
lique. L'eau de levûre sucrée est constituée à la manière du moût de 
raisin, du moût de bière, du jus de betterave, etc., liquides qui, 
exposés au contact de l’air ordinaire, entrent facilement en fermen- 
tation. Or, dans un nombre considérable d’expériences disposées 
comme je l’ai dit précédemment, et où j'ai semé des poussières de l'air 
dans de l’eau de levüre sucrée, il ne m'est jamais arrivé d'obtenir la 
fermentation du liquide sucré (1). < 

C’est ici le lieu de faire remarquer qu'il n’y a rien de plus contraire 
à la vérité que cette assertion souvent reproduite par les partisans de 
la doctrine des générations spontanées, « que l'apparition des premiers 
organismes est toujours précédée par des phénomènes de fermentation 
ou de putréfaction,… et que la formation des animalcules dans les 
macérations vient à la suite d’un dégagement de gaz divers dus à la 
décomposition des substances que l’on a employées, et que c’est après 
la manifestation de ces phénomènes qu’il se forme à la surface des 
liquides une pellicule particulière » (2). Aussi, lorsque l’on me parle 
de mouvement fermentescible, que je détermine dans mes liqueurs 
en y semant les poussières, mouvement fermentescible nécessaire pour 
l’évolution des forces génésiques, je ne vois là que des mots vagues, 
auxquels l'expérience m’apprend à ne prêter aucun sens raisonnable. 


CHAPITREN 


EXTENSION DES RÉSULTATS QUI PRÉCÉDENT À DE NOUVEAUX LIQUIDES TRES 
ALTÉRABLES. — URINE. — LaAir. — EAU SUGRÉE ALBUMINEUSE MÈLEÉE 


DE CARBONATE DE CHAUX. 


$S 1: — Urine. 


On sait avec quelle facilité l'urine fraîche s’altère au contact de l'air 
atmosphérique. Le plus ordinairement elle perd son acidité, se trouble, 
répand une forte odeur ammoniacale, et dépose des cristaux de diverses 
natures. Une étude microscopique attentive permet de reconnaitre que 
le trouble de la liqueur, le dépôt qui se forme au fond du vase, la pelli- 
cule qui souvent recouvre peu à peu toute la surface du liquide, sont 


1. Je montrerai ultérieurement que cette particularité tient au rapport qui existait dans 
mes expériences entre les volumes de l'air et du liquide. 
2, Poucaet. Hétérogénie ou Traité de la génération spontanée. Paris, 1859, p. 292 et 393. 


248 ŒUVRES DE PASTEUR 


constitués par des productions organisées (1). Voici les plus fréquentes : 
la pellicule de la surface du liquide est souvent une membrane mucorée, 
formée de granulations ou mieux d’artieles d’une extrême ténuité; on 
dirait des amas de bacterium termo sans mouvement. Cela paraît d’au- 
tant plus probable que, dans cette même pellicule, fourmille cet infu- 
soire, outre de très petites monades se mouvant circulairement avec 
rapidité. Cette pellicule membraneuse tombe en tout ou en partie au 
fond du vase, dès qu’elle devient assez lourde en quélques points, puis 
une nouvelle se reforme, laquelle tombe à son tour; de là l'origine de 
certains dépôts de l'urine en voie d’altération. 

D'autres fois il se développe à la surface de lurine des îlots de 
mucédinées, surtout le penicillium glaucum, qui ne s'y propage 
cependant que péniblement, sans y prendre sa couleur vert-bleuâtre 


bien franche. 


Enfin, lorsque la température ambiante ne s'élève pas à plus de 15°, 


RE TE rec 
& g À — ‘ 
oora se CEA Lg TARA 
29 > 9 o, ° tenons 
D a 10 0 2 g UE TER 
00 PQ ue, æ +7 Ne) 
4 © > + <g 4 Sa 
LA 
— 
Fi. 20. FiG. 21. 


l'urine se couvre assez fréquemment d’une pellicule continue, difficile 
à déchirer, et qui se reforme aussitôt sans solution de continuité, dès 
que l’on retire la baguette de verre avec laquelle on essaye de 
disjoindre ses parties. Lorsque cette pellicule prend naissance, il 
arrive assez souvent que l'urine reste acide et ne se trouble pas 
sensiblement. 

Cette pellicule est formée par une mucorée remarquable, fort 
analogue à la torulacée, fig. 15, mais que je crois néanmoins diffé- 
rente spécifiquement. Elle est représentée fig. 20. Ce sont des cellules 
translucides où le noyau est rarement apparent, se multipliant par 
bourgeonnement. Le diamètre des cellules varie de 0%,0045 à 0"®,0065, 
sensiblement plus petit que celui des globules de levüre de bière. 

Quant au dépôt qui prend naissance au fond et sur les parois d'un 
vase d'urine exposée à l'air, il renferme, outre les productions tombées 
de la surface, des cristaux de nature variable. Mais ce que je veux 
surtout faire remarquer, c’est l'existence d’une torulacée en chapelets 
de très petits grains, fig. 21, toutes les fois que la liqueur est devenue 


1. Je laisse de côté, bien entendu, les dépôts muqueux, amorphes, qui prennent naissance 
dans l'urine par son refroidissement. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DIJES SPONTANÉES 249 


ammoniacale par la transformation de l’urée. Je suis très porté à croire 
que cette production constitue un ferment organisé, et qu'il n'y a 
jamais transformation de l’urée en carbonate d’ammoniaque, sans la 
présence et le développement de ce petit végétal. Cependant mes 
expériences sur ce point n'étant pas encore achevées, je dois mettre 
quelque réserve dans mon opinion. Ce que je puis affirmer dans tous 
les cas, c’est l’inexactitude d’un fait qui a été souvent cité dans les 
discussions auxquelles ont donné lieu les théories relatives à l’origine 
des fermentations. Ce fait bien connu consisterait dans la décomposi- 
tion de l’urée, sous l'influence de la fermentation alcoolique du sucre. 
Toutes les fois que j'ai vu l'expérience réussir, la levüre de biere s'est 
trouvée mêlée à la torulacée en chapelets dont je viens de parler, et 
lorsque la levüre de bière restait homogène, sans mélange d'aucune 
autre production particulière, l’urée n'avait éprouvé aucune altération. 
Le fait qui précède, mieux étudié, concorde donc avec les idées nou- 
velles que j'ai émises dans ces dernières années au sujet de l’origine 
des fermentations proprement dites. 

Nous venons de reconnaitre les productions les plus ordinaires de 
l'urine exposée au contact de l'air, et qui s’y montrent simultanément 
ou séparément. Étudions maintenant ce qui se passe lorsque l'urine 
est soumise à l’action de l'air qui a été chauffé. Pour cela, reprenons 
l'appareil de la figure 10. 

De l'urine fraiche filtrée est mise à bouillir pendant deux à trois 
minutes dans le ballon, communiquant avec le tube de platine chauffé 
au rouge. On cesse alors l’ébullition, de manière que le ballon, refroidi, 
soit rempli d’air calciné sous la pression et à la température ordinaires; 
puis on le ferme à la lampe, à la naissance de la partie effilée de son 
col. On porte alors le ballon, tel qu'il est représenté fig. 11, à l’étuve, 
à la température de 25 à 30°, température si favorable à la putréfaction 
de l'urine. Il peut y séjourner indéfiniment, sans éprouver d'autre 
altération qu'une oxydation lente de la matière albumineuse de Purine; 
du moins l’urine se fonce un peu en couleur avec Le temps, et l'analyse 
de l’air du ballon accuse une perte d’oxygène et un gain d'acide ear- 
bonique. 

Le 14 avril 1860, j'ai analysé l’air d’un ballon préparé comme je 
viens de le dire, et qui était à l’étuve depuis le 13 février de la même 
année. L’air renfermait alors : 


Azote par différence 76,8 
OP CRORR e ee s. « & 119,3 
AGE CATDOTIGUNE à. 500 à. 0° 0 oo 0.0 MONO 3,9 


2 


50 ŒUMRES' DE PASTEUR 


Mais la limpidité de lPurine reste parfaite, même après dix-huit 
mois, et il n’y apparaît pas la plus petite production animale ou végé- 
tale ; elle conserve également son acidité et son odeur premières. 

L’urine, qui a été portée à la température de l’ébullition, n’éprouve 
donc aucune putréfaction ou fermentation en présence de lair 
chauffé (1). 

Voyons maintenant ce qui arrive à ce liquide, lorsque toutes les 
conditions précédentes sont remplies, et que l’on y dépose les pous- 
sières qui existent en suspension dans Pair. 

Le 16 mars 1860, j'introduis dans un ballon contenant de l’urine et 
de Pair chauffé une petite bourre d'amiante qui avait été exposée 
pendant quelques heures à un courant d’air ordinaire. 

L'introduction des poussières fut pratiquée en suivant la méthode 
de la figure 12, avec toutes les précautions déjà indiquées au précédent 
chapitre. 

Le 17 mars, il n’y a ni trouble, ni moisissure, ni torulacée. Pas 
de cristaux déposés. 

Le 18, pas de moisissure apparente, ni dans le tube, ni ailleurs, 
mais le liquide est trouble, comme cela arrive toutes les fois qu'il y a 
développement d’infusoires. Ainsi que je l'ai fait observer, c’est le 
mouvement même de ces petits êtres qui est la cause du trouble de la 


1. Mais il ne sera pas inutile de faire remarquer encore ici que cette expérience, effectuée 
avec l’aide de la cuve à mercure, donne des résultats positifs, sans que l'on introduise en 
apparence rien qui puisse contenir des germes. Que l'on prenne, par exemple, le ballon de la 
figure 11, et que l'on brise sa pointe au fond de la cuve à mercure, puis que l’on fasse sortir 
du gaz afin que le mercure puisse rentrer ensuite dans le ballon ; il arrivera au moins neuf fois 
sur dix, sinon toujours, que des moisissures ou de petits infusoires apparaitront dans la 
liqueur. C'est le mercure qui en apporte les germes. 

Je ue rapporterai qu'une expérience de ce genre. 

Le ballon dont il est question dans le texte a été reporté à l’étuve le 14 avril, après qu'on 
eut prélevé sur la cuve à mercure le volume d'air nécessaire à l'analyse. Ce ballon était 
renversé dans un verre à pied sur le mercure. Or, voici ce qui se passa : le 16 avril, il y avait 
au fond de l'urine, à la surface de séparation de l'urine et du mercure, douze petites touffes de 
mycelium. Le liquide avait conservé une limpidité parfaite, preuve de l'absence absolue des 
infusoires. Le 21 avril, plusieurs des petites touffes réunies par juxtaposition se sont telle- 
ment accrues, qu'elles ont atteint la surface de l’urine et que leurs tubes se trouvent ainsi en 
contact avec l'air. Le liquide est toujours d'une parfaite limpidité. Dès le 21 avril au soir, un 
ilot est constitué à la surface du liquide, avec sporanges visibles, de couleur verte et rappelant 
tout à fait le penicillium glaucum. 

Qnelques jours après, la mucédinée occupait plus de la moitié de la surface du liquide. 
J'analyse alors de nouveau le gaz du ballon. Il renfermait : 


ACIABICATDOTIQUE «le eu Cr EE CR TU 
Azote par ditérence et. 0e te RC CICR - . 80,5 
OXYPÈNE CE SRE CCE OR Mn D na eg pe à 6 à 0,0 

100,0. 


Remarquons en passant que, d'après cette analyse, une mucédinée épuise par sa végétation 
jusqu'aux plus petites quantités d'oxygène libre de l'air d'un ballon fermé. 


| 
| 
| 
| 
| 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 251 


liqueur. Dès qu'ils périssent par privation d’air, ils se rassemblent au 
fond du vase, comme ferait un précipité, et le liquide s’éclaircit. 

Le 19 mars, le trouble existe encore et a déjà formé un dépôt très 
sensible au fond du ballon, dépôt blanc, un peu visqueux. 

Le 20 et le 21 mars, toujours même état. 

Le 21 au soir, beaucoup de petits cristaux sont déposés à la surface 
du liquide et tapissent toutes les parois du ballon. Ce dépôt de cristaux 
annonce que le liquide doit être ammoniacal et qu’il s’est altéré suivant 
un des modes ordinaires de putréfaction ,de lurine, au contact de 
l’air ordinaire. 

Le 23 mars, j'ouvre le ballon sur le mercure. Il n’y a pas de pres- 
sion qui annonce qu'il y ait eu dégagement de gaz. Le liquide est très 
sensiblement alcalin au papier de tournesol rouge, cependant la 


réaction alcaline, aussi bien que l’action de l'acide chlorhydrique, 
indique qu'il ne s’est pas encore formé beaucoup de carbonate d’ammo- 
niaque. L'examen au microscope accuse la formation de trois sortes 
de cristaux, d’une foule de petits bacteriums dont plusieurs encore 
très agiles, et de monades très petites qui se déplacent suivant des 
courbes. Il y avait en outre la torulacée (fig. 21) en petits grains réunis 
sous forme de courts chapelets. Le résultat de cet examen au micro- 
scope est représenté figure 22; on a seulement figuré à part les 
cristaux et les productions organisées. 

Le diamètre des grains de la torulacée en petits chapelets était 
de 0®?,0015 environ. C’est le ferment organisé que je regarde comme 
le ferment de l'urine, c’est-à-dire celui qui provoque la transformation 
de l’urée en carbonate d’ammoniaque, et qui, ultérieurement par le 
fait de l’alcalinité qui en résulte, amène le dépôt des urates alcalins 
et du phosphate ammoniaco-magnésien. 

L’urine, abandonnée à elle-même et qui reste acide, laisse bien 
déposer des cristaux, mais ce sont des cristaux d'acide urique. J'ai 
dessiné, fig. 23, des cristaux de cet acide, déposés dans de l’urine qui 
était restée acide pendant quinze jours, à la température de 11°, et à la 


252 ŒUVRES DE PASTEUR 


surface de laquelle n’avait pris naissance que la mucorée déjà repré- 
sentée figure 20. 

Je pourrais multiplier beaucoup les exemples d’altération de l'urine 
en présence de l'air chauffé, sous linfluence des poussières qui 
existent dans l’air ordinaire, mais cela aurait peu d’utilité (!): bacte- 
riums, monades, mucédinées, torulacées diverses, voilà toujours ce 
que l’on observe. Cependant les mucédinées sont en général moins 
fréquentes que dans les expériences avec l’eau sucrée albumineuse. Ce 
qu'il faut surtout remarquer, c’est qu'il n'y a pas plus de variété dans 
les productions qu'offre l’urine exposée à l'air ordinaire, qu’il n’y en a 
dans celles de l'urine exposée à l’air chauffé, sous l'influence des pous- 
sières qui flottent dans Pair. 

La différence, si elle existe, est plutôt en faveur du second mode 
d’expérimentation. 

Notre conclusion sera donc que, toutes les fois que l’urine s’altère 
au contact de lair ordinaire, c’est par le fait des poussières solides 
que l'air charrie et qui tombent dans le liquide. 

Nous pouvons déjà remarquer, par les détails des expériences que 
j'ai rapportées jusqu'ici, combien est fréquente la formation des plus 
petits des infusoires et surtout du bacterium termo, qui se montre 
dans toutes sortes d’infusions et qui apparaît presque toujours avant 
les autres infusoires. Cet infusoire est si petit, qu'on ne saurait distin- 
guer son germe et encore moins assigner la présence de ce germe, 
s'il était connu, parmi les corpuscules organisés des poussières en 
suspension dans lair. Mais comment n'’existerait-il pas dans Pair, lui 
qui est partout à profusion ? Je n’en veux d’autres preuves que celles 
que l’on peut déduire de l'examen microscopique d’une foule de sub- 
stances en putréfaction. Que l’on se rappelle également les obser- 
vations de Leeuwenhoek sur les infusoires de la matière blanche qui 
s’amasse entre les dents, et qui ne fait défaut dans la bouche de 
personne, quel que soit le soin que l’on prenne à tenir ses dents dans 
un état de propreté aussi parfait que possible. Les bacteriums four- 

1. Je citerai cependant encore une expérience choisie parmi celles qui ont donné en premier 
lieu des mucédinées, avant toute formation d’infusoires. 

Le 2 mai 1860, je dépose dans un ballon, conservé à l'aide de la méthode indiquée fig. 12, 
une très petite portion de bourre de coton chargée de poussières de l'air. 

Le 4 mai, à huit heures du matin, une touffe de mycelium en tubes très lâches flotte dans 
le liquide, qui a conservé toute sa limpidité. Lemème jour, à sept heures du soir, apparaissent 


en outre trois trainées d'un blanc opaque, sur les parois du fond du ballon. 

Le 5 mai, le développement des productions de Ja veille continue. Le liquide est toujours 
d'une parfaite limpidité. Même état le 6 et le 7 mai. Du 7 au 8, le liquide se trouble unifor- 
mément par l'apparition de petits bacteriums, et les moisissures restent stationnaires à partir 
de ce moment par privation d'oxygène. Le 9 et les jours suivants, des cristaux commencent 
à se déposer sur les parois du ballon. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 253 


millent dans la plus petite parcelle de cette matière. On les retrouve 
en grande quantité dans le canal intestinal et les matières des excré- 
ments (1). 


$ II. — Lait. — Eau sucrée albumineuse avec carbonate de chaux. 


L'étude du lait et de quelques autres liquides va nous offrir des 
résultats qui paraîtront au premier abord singulièrement embarras- 
sants. Lorsqu'il s’est agi dans les chapitres précédents de l’eau de 
levûre sucrée et de l'urine, nous avons reconnu que ces liquides, 
portés à la température de l’ébullition à 100° pendant deux ou trois 
minutes, puis exposés au contact de lair qui a subi la température 
rouge, n'éprouvent aucune altération. L'expérience, conduite comme je 
l'ai décrite en se servant de l'appareil figure 10, n’est jamais en défaut. 

Cela posé, si l’on répète cette même expérience sur le lait ordinaire, 
on peut être assuré que le lait se caillera et se putréfiera constamment. 

Le 10 avril 1860, je prépare un ballon de lait avec l'appareil de la 
figure 10. L’ébullition a duré deux minutes, depuis le moment où la 
vapeur d’eau avait déjà assez échauffé la partie effilée du col pour que 
l’on ne puisse y tenir la main. Après le refroidissement du liquide, on 
ferme à la lampe le col du ballon comme à l'ordinaire, et on le porte 
dans une étuve à la température de 25° à 30°. 

Le 17 avril, le lait de ce ballon est caillé. Aucune apparence de 
dégagement de gaz. Je détache le col par un trait de lime. Faible odeur 
de lait caillé. Le petit-lait est alcalin autant que le lait frais. Examiné 


1. M. Pouchet a souvent rappelé, sous forme d’objection aux idées que je défends dans ce 
Mémoire, que dans les vaisseaux clos, ce sont toujours les plus petits infusoires qui prennent 
naissance. Cela est vrai, et cette remarque mériterait un examen sérieux, s’il était prouvé 
qu'une même liqueur donne au contact de l'air ordinaire de gros infusoires, tandis qu'elle en 
fournit seulement de très petits dans un ballon, en présence de l’air chauffé. Mais cela n’est 
pas. Et si M. Pouchet connaît une liqueur qui, après avoir subi la température de l'ébulli- 
tion à 100°, donne naissance, après deux ou trois jours seulement, à de gros infusoires, 
lorsqu'elle est exposée à l'air libre, j'affirme que je pourrai y faire naître ces mêmes 
gros infusoires, en opérant dans des ballons, au contact de l'air chauffé, et par l'influence 
seule des poussières qui sont en suspension dans l'air. Si, au contraire, cette liqueur ne 
donne de gros infusoires qu'après un temps assez long, et après qu'il y aura eu succession 
dans la liqueur de plusieurs générations des petits infusoires, la difficulté de faire naïtre les 
gros dans un volume limité d'air tiendra simplement à ce que l'air altéré par le développe- 
ment des premiers et très petits infusoires, et ayant perdu tout son oxygène, l'éclosion des 
germes des gros infusoires ne pourra plus avoir lieu. Mais la difficulté pourra être levée 
facilement, dans ce cas, si l’on s'arrange de manière à renouveler l'air chauffé dans le ballon. 

En opérant comme je lai dit, je n'ai pas vu naître de gros infusoires dans l'eau sucrée 
albumineuse, ou dans l’urine, préalablement portées à l'ébullition. Je n'ai vu ni kolpodes, ni 
vorticelles, ni paraméecies..….. Mais je n'ai pas davantage apercu ces infusoires dans ces mêmes 
liqueurs, lorsqu'elles étaient exposées au libre contact de l'air, et il est juste que l'on ne 
m'invite pas à faire apparaître dans mes expériences des infusoires de nature plus diverse 
que celle que l’on observe dans les essais à l’air libre, toutes choses égales d’ailleurs. 


25 ŒUVRES DE PASTEUR 


au microscope, je le trouve rempli de vibrions d’une même espèce, 
mais de longueurs très variables. Ils ont un mouvement lent, flexueux ; 
il n'y a pas du tout de bacterium termo, ni aucune autre production 
animale ou végétale. Il n’est donc pas douteux que le lait s’est caillé 
sous l'influence de la vie de ces vibrions, peut-être par le fait de la 
production d’un liquide analogue à la présure. Une foule de ces 
vibrions avaient jusqu’à 0,05; les plus petits avaient 0,004 de 
longueur. Beaucoup étaient sans mouvements. 
L'analyse de l'air du ballon a donné : 


OxyeÈne EE ss OPEN MCE TER 0,8 
ACITENCARDORIMIERSS. CC AA 
ÉYALOSÉDE RER TE ES ER TENAT 0,2 
AZOtE DATA iHÉTENCe. CE ES S1,8S 

100,0. 


Il résulte de cette analyse que l'oxygène avait en grande partie 
disparu, et avait été remplacé par de l'acide carbonique, sans nul 


FIG. 24. 


doute sous l’influence de la respiration des vibrions. Le fait de l’exis- 
tence des vibrions encore vivants à l'ouverture du ballon, bien qu'il 
_ d'oxygène, montre que la vie de ces petits êtres se 
poursuit tant qu'il y a de l'oxygène, et lors même que la proportion 


n'y eût pas 


d'acide carbonique est considérable. Nous avons déjà constaté un fait 
de même ordre pour les mucédinées [p. 250]. 

Bien que le lait de ce ballon ait mis sept jours à se cailler, du 10 au 
17 avril, il ne faut pas en conclure que le phénomène ne s’est manifesté 
qu'après sept jours. Si l’on avait ouvert le ballon le 12, le 13 avril on 
aurait reconnu déjà la présence des infusoires et un commencement 
tres faible de coagulation. 

La coagulation se manifeste en général [au bout] de trois à dix 
jours; mais je l'ai vue dans un cas ne se déclarer qu'après un mois de 
séjour à l’étuve, du 11 mars au 16 avril. Cela indique seulement que 
les infusoires se sont multipliés péniblement et lentement. 

Les expériences dont nous venons de parler m'ont toujours offert 
des résultats analogues. Le lait soumis à l’ébullition à 100° et, aban- 


à és” 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 255 


donné au contact de l’air chauffé, se remplit après quelques jours de 
petits infusoires, le plus souvent d’une variété de vibrio lineola 
(fig. 24) et de bacteriums, et, tout en conservant son alcalinité, il se 
caille. 

Je n’ai jamais vu se former dans le lait ainsi traité autre chose que 
des vibrions et des bacteriums, aucune mucédinée, 
aucune torulacée, aucun ferment végétal. Il n'y a 
pas de doute que cela tient à ce que les germes de 
ces dernières productions ne peuvent résister à 1009 
au sein de l’eau, ce que j'ai d’ailleurs constaté par 
des expériences directes. Et, de même, nous allons 
reconnaître que, si le lait se putréfie dans les cir- 


constances précédentes, c’est que les germes des 
infusoires dont nous venons de parler peuvent 
résister à la température humide de 100°, lorsque le 
liquide où on les chauffe jouit de certaines pro- 
priétés. 

Pour ce qui est de la coagulation du lait, nous 
voyons par ces expériences que le lait abandonné 
au contact de l’air se caille sous deux influences 
très différentes. Il peut se cailler par le fait du 
développement d’infusoires, phénomène qui rentre 
probablement dans les cas de coagulation du {lait 


par la présure. Il y a lieu de rechercher si, par 


suite de la vie des infusoires, il prend naissance 
un liquide analogue à celui des présures naturelles 
ou artificielles, qui peuvent, elles aussi, produire la 


coagulation sans acidité. Il y a, d'autre part, la 
coagulation du lait sous l'influence de l'acide lac- 


tique. Lorsque le lait frais, non bouilli, est aban- 
donné au contact de Pair, la coagulation est due le | 


plus souvent à cette seconde cause. Quant à l’aci- n . 
= FiG. 10 bis. 

dité elle-même, elle est occasionnée par le dévelop- 
pement de ferments végétaux, particulièrement le ferment lactique, 
qui transforment le sucre de lait en acide lactique ou en d’autres acides, 
ferments qui ne peuvent prendre naissance lorsque le lait a été bouilli 
et qu'il est exposé à l’air chauffé, parce que les germes de ces ferments 
ne résistent pas à 100°. 

Jai dit que la putréfaction du lait qui a été chauffé à 1009, et qui se 
trouve exposé à l'air calciné, était due à ce que, dans certains cas, les 
germes des vibrions résistaient à la température de 100°, Il est facile 


256 ŒUVRES DE PASTEUR 


de s’en convaincre. Reprenons, en effet, l’appareil de la figure 10, et 
faisons bouillir le lait à une température un peu supérieure à 100p, 
110° au maximum, en adaptant à l'extrémité gauche du tube de 
platine le tube de verre de la figure 10 bis, plongeant de 40 à 50 centi- 
mètres cubes dans le mercure de la longue cuvette que représente 
cette même figure. Détachons ce tube de verre lorsque l’ébullition 
du lait aura duré seulement une minute ou deux; puis fermons à la 
lampe le col du ballon comme nous l’avons toujours fait. Ces ballons 
ainsi préparés pourront alors rester indéfiniment à l’étuve, sans 
jamais donner lieu à la moindre production, moisissure ou infusoire 
quelconques. 

Le lait conserve sa saveur, son odeur et toutes ses qualités. Il est 
surprenant que sa matière grasse ne s’oxyde pas plus rapidement en 
présence d’un volume d’air aussi considérable. Cette oxydation existe 
cependant, mais elle est très faible. Voici l'analyse de l’air d’un ballon 
qui était resté quarante jours à l’étuve : 


Oxyrénenttir ts: +: Micra CCR En 
ACIde CATbOTIME ET 0,16 
AZoteiparidifiérence. - FRET COTE CUl 

100,00. 


Sous l'influence de cette oxydation directe, la crème se grumelle 
un peu et communique au lait une légère saveur de suif. 

Ainsi donc, la putréfaction du lait, bouilli à 100° et exposé à l'air 
chauffé, n’était qu'un accident provoqué par ce fait, que la tempé- 
rature de l’ébullition n'avait pas été assez élevée. Il suffit de la 
pratiquer à 100 et quelques degrés, et même de la prolonger à 100°, 
pour que les résultats aient toute la netteté et toute la précision de 
ceux que nous avons déjà obtenus en opérant sur l’eau de levûre 
sucrée et sur l'urine. 

Mais, dira-t-on, comment se fait-il que l’eau de levûre sucrée et 
l'urine n'aient besoin de subir qu'une ébullition à 100°, pour que 
jamais on n’y voie apparaître des vibrions au contact de Pair chauffé? 
Nous allons reconnaître que cela est dù vraisemblablement à ce que 
ces liquides sont très faiblement acides, tandis que le lait est alcalin. 
En effet, j'ai reconnu que l'on peut faire produire des vibrions, à 
l'aide de l’eau de levûüre sucrée, au contact de l'air caleiné. Il suffit 
de faire bouillir la liqueur à 100° en présence d’un peu de carbonate 
de chaux, qui rend la liqueur neutre ou légerement alcaline. 

Le 21 mars 1860, je prépare six ballons à l’aide de l'appareil fig. 10. 


Chacun d'eux renferme : 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 257 


29 / 


10 grammes de sucre. 
100 centimètres cubes d’eau de levüre de bière (0,5 de matière solide). 
l gramme de carbonate de chaux. 

Après les avoir remplis d'air calciné, je les ferme à la lampe 
d'émailleur, et je les dépose à l’étuve. 

Le 25 mars, le liquide de ces ballons est trouble, et tout annonce 
qu'ils renferment des infusoires. Le trouble à commencé pour trois 
d’entre eux dès le 23 mars. 

J'ouvre un de ces ballons le 25 mars, et je trouve, en effet, le 
liquide rempli de très petits vibrions dont plusieurs se meuvent 
visiblement, quoique avec beaucoup de lenteur; ils sont comme 
malades. Le 5 avril, les quatre ballons qui n’ont pas été ouverts 
montrent à leur surface un mucor gélatineux, épais, chagriné et de 
couleur rougeâtre. Au microscope, ce mucor est constitué par un 
amas de granulations d’une extrême ténuité. Au fond du liquide se 
trouve un dépôt de cadavres de petits vibrions. Je pense que ce mucor 
est une espèce cryptogamique végétale indépendante de la production 
des vibrions, et que, conséquemment, le germe de ce mucor parti- 
culier, aussi bien que le germe des vibrions, a résisté, dans ces 
conditions particulières, à la température de 100° pendant deux à 
trois minutes. 

Si maintenant nous répétons ces mêmes essais en faisant bouillir 
le liquide à 105° seulement, comme nous l'avons fait tout à l'heure 
pour le lait, dans aucun cas on ne verra se former le moindre trouble. 
ni mucorée quelconque. Dès lors, il n’est pas douteux que, si le lait 
s’altère en présence de l’air calciné, lorsqu'il n’a subi qu'une ébullition 
à 1009, c’est qu'il est légèrement alcalin, puisqu'il suffit d'ajouter un 
peu de craie à l’eau de levûre sucrée pour lui communiquer les mêmes 
propriétés, propriétés qu'elle n’a jamais si elle est mise à bouillir sans 
addition de craie. 

Mais poursuivons ces études, et voyons ce qui arrive en présence 
de Pair calciné, lorsque l’on sème les poussières de l'air dans du lait 
conservé intact par une ébullition à 100 et quelques degrés. 

Le 7 avril 1860, je fais passer dans un ballon, dont le lait, bouilli à 
10%, est resté sans altération depuis deux mois, une portion d’une 
petite bourre d'amiante chargée des poussières en suspension dans 
l'air. 

Le 9 et le 10 avril, le lait paraît intact. Mais déjà le 10 avril au soir, 


) 


la couche crémeuse de la surface emprisonne des bulles de gaz. J’agite 


pour les faire disparaître ; deux heures après, de nouvelles bulles sont 


0" 
D 


déjà reformées. Le 11, la fermentation continue à se manifester par 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 17 


258 ŒUVRES DE PASTEUR 


des bulles de gaz; mais le lait n’est pas caillé. Le 12, même état que 
la veille. 

Le 15 avril, le lait, sans être caillé, paraît éclairci. J’ouvre le ballon 
sur la cuve à mercure, afin d'en étudier le contenu. Une quantité 
notable de gaz sort avec force du ballon; il est done certain qu'il y a 
eu fermentation. Cependant le liquide n’est pas acide; il a même 
encore au papier de tournesol rouge un soupçon d’alcalinité. Son 
odeur est faible, quoique sensible et toute particulière; c’est l'odeur 
du lait aigre, ou plus exactement l'odeur des petits enfants à la 
mamelle lorsqu'ils sont mal soignés. La saveur du lait est douce en 
premier lieu, puis elle fait bientôt place à une autre saveur très désa- 
gréable qui a quelque chose d’amer et de poivré. Exposé pendant 
quelques instants au bain-marie, le lait se caille aussitôt en donnant 
un peltit-lait tout opaque. Au microscope, on voit mélés aux globules 
de beurre une foule de petits articles souvent étranglés au milieu 
c'est la variété allongée du bacterium termo, qui était mélée, en outre, 
au vibrio lineola de petite dimension. Tous sont sans mouvement. On 
voit, d'autre part, une foule d'articles d’un diamètre presque double, 
caractérisés par une espèce de tête sphérique à une extrémité. Leur 
nombre est au moins égal à celui des bacteriums et des vibrions. 
Comme eux, ils sont sans mouvements apparents. 

Voici l’analyse du gaz : 


OS YEAR 2,3 
Acide carbonique. 28,6 
Hydrogène 18e 11,0 
Azote par différence . 58,1 

100,0 


J'ai répété cette expérience à diverses reprises sur le lait ou sur 
l’eau de levüre sucrée mêlée de carbonate de chaux; elle a toujours 
donné des résultats analogues, c’est-à-dire qu’il ne m'est jamais arrivé 
de semer les poussières de l’air, dans des liqueurs conservées intactes 
par le moyen que j'ai indiqué, sans voir apparaître au bout de très peu 
de jours, soit des mucors ou mucédinées diverses, soit des infu- 
soires. Il résulte de là que si le lait bouilli à 100 et quelques degrés ne 
s’altère ni ne se caille au contact de l’air chauffé, ce n’est pas qu’il en 
ait perdu la propriété, puisqu'il suffit d'y déposer des poussières 
recueillies dans l'air ordinaire pour le voir donner lieu à des pro- 
ductions organisées de même ordre que celles que le lait frais montre, 
au bout de quelques jours, quand on l’expose à l’air ordinaire. Consé- 
quemment, s'il se putréfie et présente des infusoires au contact de. 
l'air chauffé, lorsqu'il n’a été bouilli qu’à 100°, c'est évidemment que 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9259 


les germes de ces infusoires résistent à la température de 100 
pendant quelques minutes. L'expérience suivante achèvera d’en donner 
une preuve directe. 

Un ballon de lait est conservé intact depuis deux mois en présence 
de l'air calciné. J’y dépose des poussières de l'air en suivant la 
méthode indiquée fig. 12, et décrite au chapitre IV. Je referme immé- 
diatement le ballon à la lampe, et je le porte tout entier dans une 
marmite pleine d’eau en ébullition vive. Je l’y ai laissé cinq minutes, 
et je l’ai retiré alors pour le porter à l’étuve : c'était le 24 juillet 1860. 
Le 30 juillet, il commence visiblement à se cailler; le 31, il l’est 
complètement. Je l’ouvre alors pour étudier je liquide au microscope ; 
jy découvre une foule de bacteriums et de vibrions très agiles. Au 
papier de tournesol rouge, le petit-lait a conservé toute son alcalinité 
première. 

J'aurais bien désiré rechercher quelle est la véritable origine des 
germes des vibrions qui apparaissent dans le lait bouilli à 100°, puis 
exposé à l’air calciné. Ces germes existent-ils dans le lait naturel? Cela 
n'est pas impossible. Cependant je suis plus porté à croire qu'ils 
appartiennent simplement aux poussières qui tombent dans le lait 
pendant et après la traite, ou qui se trouvent toujours dans les vases 
employés pour recueillir le lait. J’ai rencontré des difficultés que je 
n’ai pas encore levées, pour introduire dans mes ballons, en présence 
de l'air chauffé, du lait naturel, n'ayant eu aucun contact avec l'air 
ordinaire. J’ai pu réaliser convenablement l’expérience avec l'urine, et 
j'ai vu que cette liqueur restait tout à fait sans altération au contact de 
l'air calciné, bien qu'elle n’eût subi aucune élévation de température. 
Néanmoins, ce sont des expériences que je me propose de reprendre et 
de suivre avec des soins particuliers. Tout le monde en comprendra 
l’importance. 


CHAPITRE VI 


AUTRE MÉTHODE TRÈS SIMPLE POUR DÉMONTRER QUE TOUTES LES PRODUC- 
TIONS ORGANISÉES DES INFUSIONS (PRÉALABLEMENT CHAUFFÉES) ONT POUR 
ORIGINE LES CORPUSCULES QUI EXISTENT EN SUSPENSION DANS L'AIR 
ATMOSPHÉRIQUE. 


Je crois avoir établi rigoureusement dans les chapitres précédents 
que toutes les productions organisées des infusions, préalablement 
chauffées, n’ont d’autre origine que les particules solides que Pair 
charrie toujours et qu'il laisse constamment ‘déposer sûr tous les 


260 ŒUVRES DE PASTEUR 


objets. S'il pouvait rester encore le moindre doute à cet égard dans 
l'esprit du lecteur, il serait levé par les expériences dont je vais 
parler. 

Je place dans un ballon de verre une des liqueurs suivantes, toutes 
fort altérables au contact de l'air ordinaire, eau de levüre de bière, 


Fic. 35 B. 


Fire. %5 C. F16. %5 D. 


eau de levüre de bière sucrée, urine, jus de betteraves, eau de poivre; 

puis j'étire à la lampe le col du ballon de manière à lui donner 
diverses courbures, comme lindiquent les figures 25. Je porte ensuite 
le liquide à l’ébullition pendant quelques minutes jusqu'à ce que la. 
vapeur d’eau sorte abondamment par l’extrémité du col eflilé restée 
ouverte, sans autre précaution. Je laisse alors refroidir le ballon. 
Chose singulière, bien faite pour étonner toute personne habituée à la 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 261 


délicatesse des expériences relatives aux générations dites spontanées, 
le liquide de ce ballon restera indéfiniment sans altération. On peut 
le manier sans aucune crainte, le transporter d’un lieu à un autre, lui 
laisser subir toutes les variations de température des saisons, et son 
liquide n’éprouve pas la plus légère altération et conserve son odeur 
et sa saveur; c'est une conserve d’Appert excellente. Il n'y aura d’autre 
changement dans sa nature que celui que peut apporter, dans certains 
cas, une oxydation directe, purement chimique, de la matière. Mais 
nous avons vu, par les analyses que j'ai fait connaître dans ce 
Mémoire, combien cette action de l’oxygène était bornée, toutes les 
fois qu'il n'y avait pas de productions organisées développées dans 
les liqueurs (!). 

Il semble que lair ordinaire, rentrant avec force dans les premiers 


F1G. 26. 


moments, doit arriver tout brut dans le ballon. Cela est vrai, mais il 
rencontre un liquide encore voisin de la température de l’ébullition. 
La rentrée de l’air se fait ensuite avec plus de lenteur, et lorsque le 
liquide est assez refroidi pour ne plus pouvoir enlever aux germes leur 
vitalité, la rentrée de l’air est assez ralentie pour qu'il abandonne dans 
les courbures humides du col toutes les poussières capables d'agir sur 
les infusions et d’y déterminer des productions organisées. Du moins, 
je ne vois pas d'autre explication possible à ces curieuses expériences. 
Que si, après un ou plusieurs mois de séjour à l’étuve, on détache le 
col du ballon par un trait de lime, sans toucher autrement au ballon 
(fig. 26), et après vingt-quatre, trente-six ou quarante-huit heures, les 


1. Je montrerai, dans des travaux ultérieurs, l'importance de cette dernière remarque. Je 
ferai voir que beaucoup d'êtres inférieurs ont la propriété de transporter l'oxygène de l'air, en 
quantité considérable, sur les matières organiques complexes, et que c'est un des moyens dont 
se sert la nature pour transformer en eau, acide carbonique, oxyde de carbone, azote, acide ni- 
trique, ammoniaque, les éléments des substances organiques, élaborées sous l'influence de la vie. 

On peut par exemple, à l'aide des mycodermes, réduire en eau et en acide carbonique des 
masses énormes d'alcool ou d'acide acétique; et par le développement, relativement faible, d'une 
mucédinée quelconque, brûler un poids très élevé de sucre, d'acide tartrique, d'acide citrique, 
de matière albuminoïde.…. 


262 ŒUVRES DE PASTEUR 


moisissures et les infusoires commenceront à se montrer absolument 
comme à l'ordinaire, ou comme si l’on avait semé dans le ballon les 
poussières de l'air, suivant la méthode de la figure 12. 

Les mêmes expériences peuvent se répéter sur le lait, pourvu qu’on 
ait la précaution de produire l’ébullition sous pression à la tempé- 
rature de 100 et quelques degrés, à l’aide de l'appareil (fig. 10 
et fig. 10 brs), et de laisser le ballon se refroidir pendant qu’il y rentre 
de l’air calciné. On peut alors abandonner à lui-même le ballon ouvert. 
Le lait se conserve sans altération. J’ai pu laisser plusieurs mois. à 
l’étuve de 25 à 30°, du lait préparé de cette manière, sans qu'il s’altère. 
On constate seulement un léger épaississement de la crème dû à une 
oxydation chimique directe. 

Je ne connais rien de plus probant que ces expériences si faciles à 
répéter et que l’on peut varier de mille façons. 

Je croyais à l’origine qu'il était indispensable, soit de faire rentrer 
de l’air calciné, une première fois, pendant le refroidissement du liquide 
du ballon, soit de maintenir le ballon constamment à la même tempé- 
rature afin que l’air extérieur ordinaire ne pût en quelque sorte rentrer 
dans le ballon que par diffusion lente; mais j'ai reconnu ensuite que 
toutes ces précautions étaient exagérées. Dans les changements de 
température, le mouvement de l’air ne se fait sentir que dans le col 
avec quelque intensité, et c’est là seulement qu'il peut y avoir dépôt 
des germes que lair transporte. On n'arrive à provoquer des produc- 
tions organisées dans le liquide que par une très brusque agitation du 
liquide. Un autre moyen, qui réussit le plus souvent, pour déterminer 
l'apparition des productions, consiste à fermer l’extrémité effilée du 
ballon aussitôt après, ou mieux, pendant l’ébullition. Le vide se fait 
ensuite par la condensation de la vapeur d’eau. Alors on débouche 
l'extrémité fermée du col recourbé, l'air extérieur rentre avec force, 
emportant avec lui toutes ses poussières jusqu’au contact du liquide. 
Dans ce cas une altération du liquide se manifeste le plus souvent au 
bout de quelques jours. 

Je dois ajouter que j'ai en ce moment dans mon laboratoire plusieurs 
liqueurs très altérables conservées depuis dix-huit mois (!) dans des 
vases ouverts à cols recourbés et inclinés, notamment plusieurs de 
ceux qui ont été déposés sur le bureau de l’Académie des sciences, 
dans sa séance du 6 février 1860, lorsque j'ai eu l'honneur de lui faire 
connaître ces nouveaux résultats (?). 


Aujourd'hui encore, après 62 ans, les liquides de ces ballons sont restés inaltérés. 
Pasreur. Expériences relatives aux générations dites spontanées. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, L, 1860, p. 303-307, et p.187-191 du présent volume. {Notes de l'Édition.) 


1. 
2: 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 263 


Le grand intérêt de cette méthode, c’est qu’elle achève de prouver 
sans réplique que l’origine de la vie, dans les infusions qui ont été 
portées à l’ébullition, est uniquement due aux particules solides en 
suspension dans l'air. Gaz, fluides divers, électricité, magnétisme, 
ozone, choses connues ou choses occultes, il n y à absolument rien dans 
l'air atmosphérique ordinaire qui, en dehors de ses particules solides, 
soit la condition de la putréfaction ou de la fermentation des liquides 
que nous avons étudiés. 

Le D' Schwann, et ceux qui ont répété on modifié ses expériences, 
ainsi que je l’ai déjà dit, avaient établi que ce n’est pas l'oxygène, ou 
du moins l'oxygène seul, qui est la condition de la vie dans les infu- 
sions, mais quelque chose, un principe inconnu, que la chaleur détruit 
(Schwann), que le coton détruit (Schræder et von Dusch), que 
détruisent les réactifs chimiques énergiques (Schulze). Là s’arrêtait 
l'expérience. Ces incertitudes et ces hésitations, dont nous trou- 
vons la trace dans le Mémoire de M. Schwann, et surtout dans les 
travaux de M. Schrœæder, autorisaient, soit l'hypothèse des germes 
disséminés, soit l'hypothèse de l'existence dans l'air d’un principe 
chimique ou physique, conclusion à laquelle M. Schræder s'était 
arrêté. 

Dans des recherches de cette nature, où l’esprit est dominé à son 
insu par le mystère impénétrable de l’origine de la vie à la surface du 
globe, je ne crois pas qu'il puisse y avoir d’hypothèses, si étranges 
soient-elles, qui ne trouvent crédit. On ne peut parvenir à les éloigner 
que par des faits bien étudiés et rigoureusement démontrés. Il faut 
instituer, comme le dit avec autant dé justesse que d’autorité la 
Commission du prix proposé par l’Académie, « instituer des expé- 
riences précises, rigoureuses, également étudiées dans toutes leurs 
circonstances, et telles en un mot qu'il puisse en être déduit quelque 
résultat dégagé de toute confusion née des expériences mêmes ». 

Je me suis efforcé de donner ce caractère à mes expériences. Si je 
ne me trompe, celles que j'ai fait connaître dans les chapitres précédents 
prouvent réellement ce qu'elles ont la prétention de prouver et qui se 
résume dans cette double proposition : 

1°. Il y a constamment dans l’air des corpuscules organisés qu’on 
ne peut distinguer des véritables germes des organismes des infu- 
sions. 

Lorsqu'on sème les corpuscules, et les débris amorphes qui leur 
sont associés, dans des liqueurs qui ont été soumises à l’ébullition et 
qui resteraient intactes dans l'air préalablement chauffé si l'on n'y 
pratiquait pas cet ensemencement, on voit apparaître dans ces liqueurs 


264 ŒUVRES DE PASTEUR 


exactement les mêmes êtres qu'elles développent à l'air libre (1). 

Cela posé, un partisan des générations spontanées veut-il continuer 
à soutenir ses principes, même en présence de cette double propo- 
sition? II le peut encore; mais alors son raisonnement sera forcément 
celui-ci, et j'en laisse juge le lecteur : 

QI y a dans l'air, dira-til, des particules solides, telles que car- 
bonate de chaux, silice, suie, brins de laine, de coton, fécule, .…, et à 
côté des corpuscules organisés d’une parfaite ressemblance avec les 
spores des mucédinées où avec les œufs des infusoires. Eh bien, je 
préfère placer l’origine des mucédinées et des infusoires dans les 
premiers corpuscules amorphes plutôt que dans les seconds. » 

A mon avis, l’inconséquence d’un pareil raisonnement ressort 
d'elle-même. Tout le progrès de mes recherches consiste à y avoir 
acculé les partisans de la doctrine de l’hétérogénie. 


CHAPITRE VII 


ÎL N’EST PAS EXACT QUE LA PLUS PETITE QUANTITÉ D'AIR ORDINAIRE SUFFISE 
POUR FAIRE NAÎTRE DANS UNE INFUSION LES PRODUCTIONS ORGANISÉES 


PROPRES A CETTE INFUSION. — EXPÉRIENCES SUR L'AIR DE LOCALITÉS 
DIVERSES. — JNCONVÉNIENTS DE L'EMPLOI DE LA CUVE A MERCURE DANS 


LES EXPÉRIENCES RELATIVES AUX GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES. 


J'ai déjà indiqué dans la partie historique de ce Mémoire 
l'influence qu'avait eue, dans le sujet qui nous occupe, un travail 
célebre de Gay-Lussac relatif à l'air des conserves d’Appert, et l’inter- 
prétation que l'illustre physicien avait déduite de ses expériences. 
Voici ses propres expressions : 

« On peut se convaincre, en analysant l’air des bouteilles dans 
lesquelles les substances ont été bien conservées, qu'il ne contient 
plus d'oxygène, et que l'absence de ce gaz est, par conséquent, une 


1. Le lecteur remarquera le soin que je mets à indiquer toujours qu'il s'agit dans mes 
expériences d'infusions qui ont été portées à l'ébullition. J'espère pouvoir rechercher bientôt les 
effets de l'air calciné sur les liquides bruts de l'économie animale, tels que le sang, le lait, 
l'urine, où sur les jus bruts des végétaux *. On sait que la plupart des substances solubles ou 
insolubles qu'élaborent les animaux et les végétaux, possèdent certaines propriétés spéciales, 
qu'elles perdent sous l'influence d'une température plus ou moins élevée. Ces matières, au 
nombre desquelles se trouvent les produits du genre de la pepsine, de la diastase..., n’inter- 
viennent-elles pas dans le développement ou dans les modifications morphologiques des 
êtres inférieurs? C'est une question qu'il me paraît utile d'examiner, et que j'aborderai 
prochainement. 


* Pasteur donna quelques mois plus tard le résultat de ces recherches. Voir, p. 170 du présent volume 
Note de l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 265 


condition nécessaire pour la conservation des substances animales et 
végétales (1). » 

Que l’air des conserves étudiées par Gay-Lussac fût privé d'oxygène, 
il n’y a pas à en douter. Personne n’oserait suspecter l’exactitude d’une 
analyse d’air faite par Gay-Lussac. Cependant il n’est pas douteux 
aujourd'hui, bien que personne, à ma connaissance, n'ait repris avec 
suite ces expériences de Gay-Lussac, que les conserves d’Appert 
peuvent renfermer de l’oxygène, surtout lorsqu'elles sont de nou- 
velle préparation. Il résulte des analyses d’air que j'ai rapportées 
[pages 234, 249, 256], que l'oxygène de l'air rendu inactif par la 
chaleur, selon la méthode de Schwann, se combine directement avec 
les matières organiques, et en dégage de l'acide carbonique, mais c’est 
une action très lente. Néanmoins le fait d’oxydation directe existe, 
il n’y a pas à le nier. Cette oxydation peut être plus sensible dans 
les conserves d’Appert au moment où on les prépare, à cause de 
l'élévation de la température. Dans tous les cas, si la préparation y 
laisse de l'oxygène, ce gaz disparaîtra peu à peu par l'effet de cette 
oxydation directe dont je viens de parler. Il y a une circonstance qui 
doit contribuer beaucoup à rendre très faible ou nulle la quantité 
d'oxygène restant dans les conserves d’Appert : c’est le rapport des 
volumes d’air et de matière organique. Elles contiennent toujours peu 
d’air et beaucoup de matière, circonstance très favorable pour que le 
phénomène d’oxydation s'achève. Mais, je le rèpète, rien ne serait 
plus facile que de préparer des conserves en y laissant de l'oxygène, 
et 1l y a lieu de croire que souvent elles en renferment. L'expérience 
de Schwann ne laisse aucun doute à cet égard. 

C’est pourquoi l'interprétation donnée par Gay-Lussac aux résultats 
de ses analyses, à savoir que l'absence de l'oxygène est une condition 
de la conservation, est tout à fait erronée. Tout le monde n’a pas su 
faire ce départ entre la vérité des faits observés par Gay-Lussac el 
l'erreur de son interprétation. Le D' Schwann doit être regardé à juste 
titre comme l’auteur de la véritable théorie des procédés d’Appert. Les 
conserves d’Appert continuent de se conserver en présence de l'air 
chauffé : voilà sa découverte. Le secret de leur conservation est done 
dans la destruction par la chaleur d’un principe que l'air ordinaire 
renferme, et non dans l’absence de l'oxygène (?). 


1. Gay-Lussac. Extrait d’un Mémoire sur la fermentation. Annales de chimie, LXXVI, 
1810, p. 252. (Note de l'Édition.) 

2. Bien que le fait de l'absence du gaz oxygène n'ait pas à intervenir dans l'explication du 
procédé, ii ne faudrait pas en conclure que l’on pourrait dans la pratique laisser sans danger 
beaucoup d’air dans les conserves. Car si la chaleur n’a pas détruit tous les germes d’infu- 
soires et de mucédinées apportés par l'air oules matières, ces germes encore féconds pourront 


266 ŒUVRES DE PASTEUR 


Mais il y a une extension des expériences de Gay-Lussac, à laquelle 
la découverte de Schwann n'avait porté aucune atteinte, qu’elle aurait 
servi plutôt à confirmer, extension que les adversaires de la doctrine 
des générations spontanées n'ont pas contestée, et sur laquelle les 
partisans de cette doctrine appuient à juste titre une de leurs princi- 
pales objections. C’est à savoir que la plus petite quantité d’air commun, 
mise en contact d’une infusion, y détermine en peu de temps la nais- 
sance des mucédinées et des infusoires habituellement propres à cette 
infusion. 

Cette manière de voir a toujours eu pour appui, au moins indirect, 
l'habitude prise et jugée indispensable par les observateurs d’éloigner 
avec des précautions infinies, dans leurs expériences, l’accès de l’air 
ordinaire. Nous l'avons vu, tantôt ils recommandent de caleciner Pair 
commun, tantôt ils le soumettent aux agents chimiques énergiques ; 
souvent ils placent préalablement toutes ses parties au contact de la 
vapeur d’eau à 100° {expérience de Spallanzani); enfin ils opèrent 
d’autres fois avec de l'air artificiel, et, s’il arrive, dans une de ces 
conditions diverses, que l’expérience donne lieu à des productions 
organisées, ils n'hésitent pas à affirmer que l'opérateur n’a pas su 
éviter complètement l'influence cachée d’une petite portion d’air ordi- 
naire, si petite soit-elle. 

Dès lors les partisans des générations spontanées s’empressent de 
faire remarquer avec raison que, si la plus minime portion d’air ordi- 
naire développe des organismes dans une infusion quelconque, il faut 
de toute nécessité, au cas où ces organismes ne sont pas spontanés, 
que, dans cette portion si petite d’air commun, il y ait les germes d’une 
multitude de productions diverses; et qu’enfin, si les choses sont telles, 
l'air ordinaire, selon les expressions de M. Pouchet, doit être encombré 
de matière organique ; elle y formerait un épais brouillard. 

Ce raisonnement est assurément fort sensé. Il le serait davantage 
encore s’il était bien établi que les espèces inférieures, qui se montrent 
fort distinctes, le sont réellement, et proviennent par conséquent 
de germes différents. Cela est vraisemblable, mais cela n’est pas 
prouvé. 


se développer s'il y a de l'oxygène, tandis que, si ce gaz est absent, ils ne se développeront pas 
plus que s'ils avaient été réellement privés de vie. Mais je pense que, ce qui est toujours à 
craindre et surtout dans les cas où il y a peu d'oxygène, ce sont les germes des ferments 
végétaux ou animaux, ferments qui n'ont pas besoin d'air pour vivre, et dont les germes 
doivent être nécessairement tués par la chaleur. Je suis persuadé que c'est là le danger que le 
fabricant doit le plus redouter, et je suis porté à croire, par exemple, que les animaleules 
infusoires butyriques, que j'ai fait connaître récemment [votr, p. 136-138 du présent volume], 
se développent dans certaines conserves mal préparées. 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9267 


Il y a donc là une difficulté sérieuse, en apparence très fondée. Mais 
n'est-elle pas le fruit d’exagérations et de faits plus ou moins erronés ? 
Est-il vrai, comme on l’admet, qu'il y a continuité de la cause des géné- 
rations dites spontanées dans l'atmosphère terrestre? Est-il bien sûr 
que la plus petite quantité d’air ordinaire suffise à développer dans 
une infusion quelconque des productions organisées ? 

Les expériences suivantes répondent à toutes ces questions. 

Dans une série de ballons de 250 centimètres cubes, j'introduis la 
mème liqueur putrescible (eau albumineuse provenant de la levüre de 
bière ; la même, sucrée; urine, etc.), de manière qu’elle occupe le tiers 
environ du volume total. J’effile Les cols à la lampe, puis je fais bouillir 
la liqueur, et je ferme l'extrémité effilée pendant l’ébullition. Le vide 
se trouve fait dans les ballons; alors je brise leurs pointes dans un lieu 
déterminé. L'air ordinaire s'y précipite avec violence, entraînant avec 
lui toutes les poussières qu'il tient en suspension, et tous les principes 
connus ou inconnus qui lui sont associés. Je referme alors immédia- 
tement les ballons par un trait de flamme, et je les transporte dans une 
étuve à 25 ou 30°, c'est-à-dire dans les meilleures conditions de tempé- 
ralure pour le développement des animalcules et des mucors. 

Voici les résultats de ces expériences, qui sont en désaccord avec 
les principes généralement admis et parfaitement conformes, au 
contraire, avec l’idée d’une dissémination des germes. 

Le plus souvent, en très peu de jours, la liqueur s’altère, et lon 
voit naître dans les ballons, bien qu'ils soient placés dans des condi- 
tions identiques, les êtres les plus variés, beaucoup plus variés même, 
surtout en ce qui regarde les mucédinées et les torulacées, que si les 
liqueurs avaient été librement exposées à l’air ordinaire. Mais, d’autre 
part, il arrive fréquemment, plusieurs fois dans chaque série d'essais, 
que la liqueur reste absolument intacte, quelle que soit la durée de son 
exposition à l’étuve, comme si elle avait reçu de Pair caleiné. 

Ce mode d’expérimentation me paraît aussi simple qu'irréprochable 
pour démontrer que l’air ambiant n'offre pas, à beaucoup près, avec 
continuité, la cause des générations dites spontanées, et qu'il est 
toujours possible de prélever dans un lieu et à un instant donnés un 
volume considérable d’air ordinaire, n'ayant subi aucune espèce d’alté- 
ration physique ou chimique, et néanmoins tout à fait impropre à 
donner naissance à des infusoires ou à des mucédinées dans une 
liqueur qui s’altère très vite et constamment au libre contact de l'air. 
Le succès partiel de ces expériences nous dit assez d’ailleurs que, par 
l'effet des mouvements de l'atmosphère, il passera toujours, à la surface 
d’une liqueur qui aura été placée bouillante dans un vase découvert, 


268 ŒUVRES DE PASTEUR 


une quantité d'air suffisante pour qu'elle en reçoive des germes propres 
à s’y développer dans l’espace de deux ou trois jours. 

J'ai dit que les productions sont plus variées dans les ballons que 
si le contact avec l’air était libre. Rien de plus naturel, car, en limitant 
la prise d’air et en la répétant nombre de fois, on saisit en quelque 
sorte les germes de l'air avec toute la variété sous laquelle ils sy 
trouvent. Les germes, en petit nombre, d’un volume limité d’air, ne 
sont pas gênés dans leur développement par des germes plus nom- 
breux ou d’une fécondité plus précoce, capables d’envahir le terrain, en 
ne laissant place que pour eux. C’est ainsi que le penicillium glaucum, 
dont les spores sont vivaces et fort répandues, se montre seul au bout 
de très peu de jours dans des liqueurs non renfermées, qui offrent au 
contraire des productions très diverses lorsqu'on les soumet à des 
quantités d’air limitées. 

Enfin il est très intéressant de signaler les différences que l’on 
observe dans le nombre des résultats négatifs de ces expériences, 
suivant les conditions atmosphériques. Ici encore nous trouvons une 
confirmation frappante de l'opinion que je défends. 

Rien de plus facile, en effet, que d'élever ou de réduire soit le 
nombre des ballons qui s’altèrent, soit le nombre des ballons qui 
restent intacts. C’est ce qui ressortira des détails dans lesquels je vais 
entrer. 


A. — Expériences préliminaires propres à mettre en évidence 
le fait de la non-continuité de la cause des générations 
dites spontanées. 


Le 26 mai 1860, j'ouvre et je referme aussitôt après, sur une terrasse 
en plein air, à quelques mètres au-dessus du sol, deux ballons renfer- 
mant l’un de l’eau de levüre, l’autre la même liqueur sucrée au &- 
C'était quelques instants après une pluie légère et de très courte 
durée. 

Le 1° juin, il n’y a aucune apparence de productions organisées. 

Le 2, tres petite touffe de moisissure dans un des ballons, celui 
d’eau de levüre sucrée. 

Le 8, le deuxième ballon offre également une petite touffe de 
moisissure. 

Les deux liquides sont parfaitement limpides, et restent tels pen- 
dant l'accroissement des myceliums (1). 

1. Je signalerai ici un fait instructif qui me parait bien en harmonie avec les résultats 
généraux de ce travail. En se reportant aux détails des expériences des chapitres IV et suivants. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 269 


Le 28 mai 1860, j'ouvre et je referme quatre ballons sur la même 
terrasse, après une violente ondée à très grosses gouttes de pluie. 

Le 4 juin, aucune apparence de production. 

Le 5, petite touffe de moisissure dans l’un des ballons. Liquide très 
limpide. 

Le 6, autre touffe de moisissure dans un deuxième ballon. Liquide 
très limpide. 

Les deux autres ballons sont restés intacts, très limpides. Même 
état en 1561. 

Le 20 juillet 1860, j'ouvre et je referme ‘six ballons renfermant de 
l'eau de levûre, dans une des pièces de mon laboratoire. Aujourd’hui 
encore (avril 1861), le liquide de quatre de ces ballons est parfaitement 
limpide, sans la moindre apparence de productions organisées. Les 
deux autres ont offert promptement des productions, le 22 juillet et le 
1° août. Dans l’un, infusoires et torulacées; dans l’autre, mycelium en 
boule soyeuse. 

Le 30 juin, j'ai ouvert et refermé un grand nombre de ballons 
contenant de l’eau de levüre non sucrée, dans le but d'étudier au 
microscope les productions qui prendraient naissance, afin d’avoir une 
idée de la variété sous laquelle elles se présentent. J'ai reproduit, 
ñg 27, B, C; D; E, EF, G, H, K, L, M, un certain nombre de mes 
dessins. 

A. Bacteriums de 0%",0006 de diamètre, et 0%",005 pour la plus 
grande longueur (1). 


on verra qu'il n’est jamais arrivé qu'en semant des bourres de coton ou d'amiante, chargées 
des poussières d’un grand volume d'air, dans des infusions diverses, les productions organisées 
ne s’y soient montrées dès le lendemain ou le surlendemain. Dans les expériences du présent 
chapitre, au contraire, on reconnait que la vie met quelquefois un temps considérable à se 
manifester, huit, douze, quinze jours. Cela se concoit très bien. Dans le premier cas, il y a 
tant de germes semés, qu'il en existe toujours dont la fécondité est presque aussi précoce que 
celle des germes les plus sains de ce genre de productions. Dans le second cas, où l’on sème 
en définitive les germes d’un volume très limité d’air, il doit arriver souvent que ceux qui 
pénètrent dans le ballon sont en mauvais état, et d'un développement rendu pénible par toutes 
les causes d’altération auxquelles ils ont dû être exposés dans l'atmosphère. 

1. Ces bacteriums, mêlés peut-être à de très petits vibrions, ont apparu dans le ballon le 
? juillet, sans aucune autre production quelconque. Le 4 juillet, j'ai analysé l'air du ballon, au 
moment où l'étude du liquide trouble venait de me montrer qu'il était rempli de ces petits 
infusoires très fragiles. Or l'air renfermait : 


CESSE SR NE No D dE CR PONT RE 4,3 
MCE COTE Er one 0 ol ter MT ON on I OT 14,3 
RON poto. HS 2 Et 'oebiD dr gd CUS PU DD CONTRER CCR 0,0 
AA CRETE SE 0 ONE ENT NO PO PE 81,4 

190,0 


Cette analyse nous indique combien est grande la proportion d'oxygène absorbée par ces 
très petits infusoires, et transformée en acide carbonique. Ils ont commencé à se montrer le 
2 juillet, s'annonçant comme à l'ordinaire par un léger trouble du liquide. Le 8 et le 4 juillet, 


Cr 4 


270 ŒUVRES DE PASTEUR 


B. Torulacée en très petits globules, d’une sphéricité parfaite, de 
0%,0015 de diamètre, et réunis en petits chapelets. 

C. Mucor et vibrions. 

D. Torulacée, dont les cellules ont un diamètre de 0%*,004 à 


A B (a D 
tn A -. «, CMD 
AETCA ue AA se MR © > 5 
ENTRE ee PAR Ve Fr æ 
\ “i AE: 7 Le œ 
Ji \,7 SE 
MA 
Re 
FE ‘3 G 


0®%,007. Elle est assez fréquente, comme j'ai déjà eu l’occasion de le 
dire. 

E. Mycoderma pareil à celui de la bière, du vin, etc., en articles de 
toutes les dimensions, et plus ou moins rameux. 

F. Infusoires d’une petitesse infinie. La plus petite des monades 
se mouvant avec une agilité extraordinaire. Ce sont des points à peine 
perceptibles. 

G. Torulacée en beaux globules bourgeonnés, un peu granuleux 
dans leur intérieur, dont le diamètre varie de 0"",006 à 0"",009. Elle 


ils ont continué à se multiplier, et après quarante-huit heures environ, ils avaient déjà utilisé. 
un volume considérable d'oxygène. 

Le ballon renfermait 80 centimètres cubes de liquide et 160 centimètres cubes d'air. 

11 eût été impossible de recueillir les bacteriums sur un filtre et d'en prendre le poids, 
parce qu'ils passent à travers les pores du filtre; mais ce poids à ‘état sec devait être fort 
minime, tout au plus de quelques milligrammes. Par conséquent, le poids d'oxygène, trans- 
formé en acide carbonique par la vie de ces petits êtres, était ici supérieur au poids total de 
leur substance. I] serait possible que cela ne fût pas un effet de respiration pure. Consulter à 
cet égard la note page [261]. 


FERMENTATIONS ET GÉNERATIONS DITES SPONTANÉES 271 


ressemble parfaitement à la levüre de biere; elle ressemble beaucoup 
également à la torulacée D, mais elle est un peu plus grosse et un peu 
plus granuleuse (1. 

H. Torulacée en granulations visqueuses, qui s'attachent fortement 
aux parois du ballon, qu’on a peine à en détacher, et où elles forment 
une couche continue. 

Le diamètre des granulations est exactement celui de la torulacée B; 
mais celle-ci est sous forme de chapelets, et n’adhère pas aux vases. Je 
crois que ce sont des espèces distinctes, malgré leur ressemblance. 

K. Algue formée de cellules quaternaires, déposée sous forme de 
précipité sur les parois du ballon; on dirait au microscope des assises 
de pierre. Sous l'influence de l'acide chlorhydrique étendu d’eau, les 
amas de cellules se disjoignent par petits groupes de quatre cellules. 

L. Mucorée en pellicule rougeâtre s'étendant à la surface du liquide, 
se déchirant très facilement, et tombant en lambeaux au fond du 
liquide où elle a l’aspect d’un chiffon. Écrasée sous la petite lame de 
verre, au microscope elle offre des amas des plus fines granulations, 
qui fourmillent dans les canaux qui séparent ces amas. 

M. Mucor en granulations très ténues, mêlées à des vibrions de 
longueur variable, à mouvements flexueux. 


1. De toutes les productions organisées inférieures, la levûre de bière est celle qui a été, le 
plus souvent, l'objet des contestations des partisans et des adversaires de la doctrine des géné- 
rations spontanées. Son apparition, si rapide et si facile dans certains liquides fermentescibles, 
à toujours été invoquée par les hétérogénistes comme un de leurs arguments favoris. Il est 
certain que l’origine de cette plante offre un sujet d'étude fort intéressant et enveloppé 
d'obscurités. 

Quelques botanistes allemands, M. Bail entre autres [Ueber Hefe, Flora, XL, 1857, 
p. 417-430 et 433-434], ont cherché à tourner la difficulté en essayant de prouver, comme l'avait 
déjà tenté en France M. Turpin, que la levüre de bière n'était qu'une forme de spores des 
mucédinées vulgaires, telles que le penicillium glaucum, l'ascophora elegans… 

Cette thèse a été reproduite récemment par M. Hoffmann [Mykologische Studien über die 
Gährung. Botanische Zeitung, XVIII, 1860, p. 41-46 et 49-54] et par MM. Pouchet et Joly 
[Recherches sur l'origine, la germination et la fructification de la levüre de bière. Comptes 
rendus de l'Académie des sciences, LIIT, 1861, p. 368-371], qui l'ont mise en harmonie avec 
leurs idées favorites. 

J'espère publier très prochainement l’ensemble de mes observations sur ce sujet. [ Vo, 
p. 150-158 du présent volume.] 

Si la levûre était d'origine spontanée, & y aurait forcément dans la liqueur o% elle 
prend naissance toutes les dimensions de globules depuis le point apercevable, ce qui 
n'arrive jamais. En outre, rien n’est plus facile, en maintenant l'œil assez longtemps au 
microscope, que d'assister au bourgeonnement des cellules et à la séparation des globules 
adultes. 

Lorsqu'on représente la levûre de bière, c'est une grave erreur de figurer des globules de 
toutes les tailles depuis les plus fines granulations, comme l'a fait M. Pouchet dans la fig. 14. 
PI. II, de « Hétérogénie, ou Traité de la génération spontanée » [ Paris, 1859, in-8°]. M. Turpin 
avait déjà commis cette faute, qui était nécessaire à sa « Théorie des globulins » *. 


* Ces deux derniers alinéas ne figurent pas dans les Annales des sciences naturelles. (Note de 


l'Edition.) 


272 ŒUVRES DE PASTEUR 


Que l’on ajoute à ces figures, où j'ai de préférence représenté les 
mucors, les torulacées et les infusoires les plus fréquents, des dessins 
d'une foule de myceliums en tubes cloisonnés qui viennent s’étaler 
ensuite à la surface du liquide en membranes gélatineuses humides, 
épaisses, ou en membranes composées de lacis de tubes et couvertes 
de sporanges de couleur verte, rouge-orangé, jaune-verdâtre, brun- 
noirâtre, etc..., offrant les espèces les plus variées, et l’on aura une 
idée de ce que peut donner d'espèces distinctes l’eau de levüre placée 
sous l'influence de quantités limitées d’air ordinaire dans une série de 
ballons préparés comme je l'ai indiqué. 

Ce sont ces mêmes espèces que la même liqueur fournirait au libre 
contact de l'air; mais, pour les retrouver toutes, il faudrait multiplier 
davantage les essais, parce que des prises d’air limitées ont bien plus 
de chances, comme je l'ai déjà dit, de saisir les germes de l'air avec 
toute la variété qui leur est habituelle. 

Aussi je suis toujours fort surpris quand M. Pouchet, dans ses 
habiles plaidoyers en faveur de la doctrine de l’hétérogénie, revient 
sur cette vague objection des facultés génésiques des infusions étouffées 
par les conditions matérielles des expériences in vitro. Ces facultés 
génésiques, pour me servir des expressions de M. Pouchet, je les vois 
plutôt exaltées que détruites. Si cette objection avait quelque chose 
de fondé, c’est aux expériences de Schwann, dont les résultats ont 
essentiellement un caractère négatif, et nullement aux miennes, qu'il 
faudrait Padresser: car l’un des progrès de mes recherches est d’avoir 
institué des expériences qui ont, à la volonté de l’opérateur (comme 
on l’a vu au chapitre IV), des résultats positifs ou négatifs (1). 


1. Quant à opérer en plein air pour interpréter ensuite les résultats, comme M. Pouchet 
m'a si souvent recommandé de le faire, je m'en garderai soigneusement. Il est si rare de 
deviner juste quand on étudie la nature ! Et puis, est-ce que les idées préconçues ne sont pas 
toujours là pour placer un bandeau sur nos yeux ? 

Voici, par exemple, l’une des expériences en plein air de M. Pouchet. « On fit macérer 
[deux heuresl, dit-il, des tiges d’asperges dans de l’eau. Celle-ci ayant été filtrée, on en fit deux 
parts : l’une fut conservée sans autre préparation: l'autre fut portée à l’ébullition pendant 
deux minutes. Le lendemain, la macération simple était remplie d’une immense quantité de 
bacteriums et de vibrions. Au contraire, la macération bouillie n'en offrait pas un seul. » 
(Pouchet. Moniteur scientifique, III, 1861, p. 163. 

« Les vibrions n'apparaissent que plus tard dans une décoction, parce que {l'action de] la 
chaleur en retarde la fermentation. Qui ne sait cela? Est-il possible de présenter rien de 
plus simple et de plus saisissant que cette expérience? » (Pouchet. Moniteur scientifique, II, 
1860, p. 1082. 

Mais, en vérité, qu'y a-t-il de plus facile à concevoir qu'une différence dans les époques 
d'apparition des vibrions de deux macérations pareilles, dont l'une a été bouillie, tandis que 
l'autre ne l'a pas été? Est-ce que la nature des liquides est la même? Est-ce que celle qui a 
été chauffée n'est pas profondément modifiée? Est-ce que dans celle-ci les germes des vibrions 
ne sont pas tués? S'ils ne le sont pas, comme j'ai montré que cela arrivait pour le laït et pour 
d’autres liqueurs, est-ce qu'il ne peut pas y avoir des modifications dans leur faculté de déve- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9273 

Mais sous ce rapport de la variété des productions je reconnais 
qu'il y a une différence très grande entre celles de nature végétale et 
les autres. Les premières sont très multiples, tandis que pour les infu- 
soires cela se borne aux monades, aux bacteriums et aux vibrions. 
Sans vouloir préjuger ici la question de l’origine des gros infusoires, 
sur laquelle j'espère publier un travail spécial, on n’ignore pas que 
jamais une infusion ne donne de gros infusoires de prime saut, que 
jamais les paramécies, les kolpodes, les vorticelles,.... ne précèdent 
les bacteriums et les vibrions. Dès lors, que l’on se reporte aux ana- 
lyses d’air que je donne dans ce Mémoire, alors que les plus petits 
des infusoires ont apparu dans les ballons, et on verra avec quelle 
rapidité ils altèrent l’air et le chargent d’acide carbonique. 

Tant qu'il y a de l'humidité, la vie est sans fin, dans une infusion 
exposée au contact de l'air libre, parce que l'oxygène, l’un des aliments 
essentiels des mucédinées et des infusoires, ne leur fait jamais défaut. 
Mais dans une atmosphère limitée, la vie s’arrête forcément au bout de 
quelques jours. Les gros infusoires ne se montreront donc pas, puisqu'il 
est reconnu que ce n’est point par eux que la vie commence dans les 
infusions (!). Leur apparition serait une difficulté nouvelle à résoudre. 

Mais cela n’infirme en rien les conclusions auxquelles je suis con- 
duit sur l’origine des mucorées, des mucédinées, des torulacées et des 
plus petits des infusoires, dans les infusions qui ont été portées préa- 
lablement à l’ébullition. Sur ce point, le seul dont je traite aujourd’hui, 
je juge que les résultats de mon travail sont inattaquables. 


B. — Expériences sur un air non agité. 


Grâce à l’obligeance de M. Le Verrier, j'ai pu faire quelques expé- 
riences sur l'air des caves de l'Observatoire. Dans cette partie des 
caves, situées dans la zone de température invariable, l'air parfai- 
tement calme doit évidemment laisser tomber ses poussières à la sur- 


face du sol, dans l'intervalle des agitations qu’un observateur peut y 


loppement, comme cela est si manifeste, par exemple au chap. VIII, pour les spores du peni. 
cillium glaucum chauffé à 120°, dont la germination est retardée de plusieurs jours ? Qui sait 
si le fait de la modification du liquide ne suffit pas seul à rendre compte d'un retard dans 
l'apparition des mêmes organismes, et je dirai plus, d'une différence dans la nature des 
organismes, puisque l’on sait que ceux-ci changent avec la nature des infusions ? 

1. À tel point que M. Pouchet fait naître spontanément les gros infusoires et les mucé- 
dinées dans une pellicule dite proligère, formée par des amas de bacteriums ou de vibrions- 
(Voir, page 352 de son Traité de la génération spontanée, le chapitre intitulé : Formation 
de la pellicule proligère.) J'ai cependant rencontré, à deux ou trois reprises, des infusoires 
qui m'ont paru être le monas lens, dans des liqueurs sucrées où il ne s'était formé ni bacte- 
riums, ni vibrions. 


FERMENTATIONS ET G£NÉRATIONS SPONTANÉES. 15 


274 ŒUVRES DE PASTEUR 


provoquer par ses mouvements ou par les objets qu'il y transporte. Et 
en multipliant par conséquent les précautions, lorsque l’on y descend 
pour y faire des prises d’air, les ballons qui ultérieurement se montre- 
ront sans productions organisées devront être considérablement plus 
nombreux que dans le cas où ils auront été, par exemple, remplis d’air 
dans la cour de l'établissement. C’est en effet ce qui arrive, et le sens 
des résultats, par l'accord qu'il présente avec la nature ou la multi- 
plicité plus où moins grande des précautions dont on s’entoure, afin 
d'éviter l'introduction accidentelle des poussières étrangères, oblige 
d'admettre que si les ballons étaient ouverts et fermés dans les caves 
sans que l’opérateur fût tenu de s’y transporter, l’air de ces caves se 
montrerait constamment aussi inactif que de l'air porté au rouge. Ce 
n'est pas cependant qu'il ait par lui-même, et vu les conditions où il 
est placé, une inactivité propre. Tout au contraire, se trouvant saturé 
d'humidité et la plupart des organismes inférieurs n'ayant nul besoin 
de lumière pour vivre, cet air m'a toujours paru plus propre que celui 
de la surface du sol au développement de ces organismes. 

Je ne rapporterai qu'une des séries d'expériences. Le 14 août 1860, 
j'ai ouvert et refermé dans les caves de l'Observatoire dix ballons con- 
tenant de l’eau de levûre de bière, et onze autres ballons de la même 
préparation dans la cour de l'établissement, à 50 centimètres du sol, 
par un vent léger. Tous ont été rapportés le même jour dans lPétuve 
de mon laboratoire, dont la température est de 25° à 30°. J'ai conservé 
jusqu'à ce jour tous ces ballons. Un seul de ceux ouverts dans les caves 
renferme une production végétale. Les onze ballons ouverts dans la 
cour ont tous fourni des infusoires ou des végétaux du genre de ceux 


que j'ai déjà décrits. 


C. — Expériences sur l'air à diverses hauteurs. 


Les expériences relatées dans les paragraphes précédents éta- 
blissent suffisamment qu'il n’y a pas dans l'atmosphère continuité de la 
cause des générations dites spontanées, c’est-à-dire qu'il est toujours 
possible de prélever en un lieu déterminé un volume notable, mais 
limité, d’air ordinaire, n'ayant subi aucune espèce de modification phy- 
sique ou chimique, et tout à fait impropre néanmoins à provoquer une 
altération quelconque dans une liqueur éminemment putrescible. De là 
ce principe que la condition première de l’apparition des êtres vivants 
dans les infusions ou dans les liquides fermentescibles n'existe pas 
dans l’air considéré comme fluide, mais qu’elle s’y trouve çà et là, par 
places, offrant des solutions de continuité nombreuses et variées, comme 


ff lle 


dde: 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 275 


on doit le prévoir dans l'hypothèse d’une dissémination des germes. 

IL m'a paru très intéressant de suivre les idées que suggèrent les 
résultats qui précèdent, en soumettant l'air pris à des hauteurs diverses 
au mode d’expérimentation que j'ai fait connaître. J'aurais pu n'élever 
en aéroslat; mais pour des études d'essai, préliminaires en quelque 
sorte, j'ai pensé qu'il serait plus commode et peut-être plus utile 
d'opérer comparativement dans la plaine et sur les montagnes. 

J'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie, dans sa 
séance du 5 novembre 1860, soixante-treize ballons, chacun de : de 
litre de capacité, préparés comme je l'ai dit au commencement de ce 
chapitre, c’est-à-dire qu'ils étaient primitivement vides d’air et remplis 
au tiers d’eau de levüre de bière, filtrée à limpidité parfaite. 

Vingt de ces ballons ont reçu de l'air dans la campagne, assez loin 
de toute habitation, au pied des hauteurs qui forment le premier pla- 
teau du Jura; vingt autres ont été ouverts (!) sur l’une des montagnes 
du Jura, à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer; enfin une autre 
série de vingt de ces mêmes ballons a été transportée au Montanvert, 
près de la Mer de Glace, à 2000 mètres d’élévation (?). 

Voici les résultats qu’ils ont offerts : 

Des vingt ballons ouverts dans la campagne, huit renferment des 
productions organisées ; des vingt ballons ouverts sur le Jura, cinq 
seulement en contiennent; et enfin des vingt ballons remplis au Mon- 
tanvert, par un vent assez fort, soufflant des gorges les plus profondes 
du glacier des Bois, un seul est altéré. Il faudrait sans doute multi- 
plier beaucoup ces expériences. Mais telles qu’elles sont, elles tendent 
à prouver déjà qu'a mesure que l’on s’élève, le nombre des germes en 
suspension dans l’air diminue notablement. Elles montrent surtout la 
pureté, au point de vue qui nous occupe, de l’air des hautes cimes 
couvertes de glace, puisqu'un seul des vases remplis au Montanvert 
a donné naissance à une mucédinée. 

La prise d’air exige quelques précautions que j'avais reconnues 
indispensables depuis longtemps pour éloigner, autant qu'il est pos- 
sible, l'intervention des poussières que l’opérateur porte avec lui, et 
de celles qui sont répandues à la surface des ballons ou des outils 
dont il faut se servir. Je chauffe d’abord assez fortement le col du 
ballon et sa pointe effilée dans la flamme d’une lampe à alcool, puis 
je fais un trait sur le verre à l’aide d’une lame d’acier; alors, élevant 
le ballon au-dessus de ma tête, dans une direction opposée au vent, je 
brise la pointe avec une pince de fer, dont les longues branches 


1. Le texte original porte une erreur typographique qui a été corrigée. 


?. Voir, p. 203 du présent volume. (Notes de l’'Édition.) 


276 ŒUVRES DE PASTEUR 


viennent de passer dans la flamme, afin de brüler les poussières qui 
pourraient être à leur surface, et qui ne manqueraient pas d’être 
chassées en partie dans le ballon par la rentrée brusque de l'air. 

J'avais été fort préoccupé, durant mon voyage, de la crainte que 
l'agitation du liquide dans les vases pendant le transport n’ait quelque 
influence fâcheuse sur les premiers développements des infusoires ou 
des mucors. Les résultats suivants éloignent ces scrupules. Ils vont 
nous permettre, en outre, de reconnaître toute la différence qui existe 
entre l'air de la plaine ou des hauteurs et celui des lieux habités. 

Mes premières expériences sur le glacier des Bois furent inter- 
rompues par une circonstance que je n'avais nullement prévue. J'avais 
emporté, pour refermer la pointe des ballons après la prise de l'air, 
une lampe éolipyle alimentée par de l'alcool; or, la blancheur de la 
glace frappée par le soleil était si grande, qu'il me fut impossible de 
distinguer le jet de vapeur d’alcool enflammé, et comme ce jet de 
flamme était d’ailleurs un peu agité par le vent, il ne restait jamais sur 
le verre brisé assez de temps pour fondre la pointe et refermer hermé- 
tiquement le ballon. Tous les moyens que j'aurais pu avoir alors à ma 
disposition pour rendre la flamme visible, et par suite dirigeable, 
auraient inévitablement donné lieu à des causes d’erreur, en répandant 
dans l’air des poussières étrangères. 

Je fus donc obligé de rapporter à la petite auberge du Montanvert, 
aon refermés, les ballons que j'avais ouverts sur le glacier, et d'y 
passer la nuit, afin d'opérer dans de meilleures conditions le lendemain 
matin avec d’autres ballons. Ce sont les résultats de cette deuxième 
série d'expériences que j'ai indiqués tout à l'heure. 

Quant aux treize ballons ouverts la veille sur le glacier, je ne les 
refermai que le lendemain matin, après qu'ils eurent été exposés toute 
la nuit aux poussières de la chambre dans laquelle j'avais couché. Or, 
de ces treize ballons, il y en a dix qui renferment des infusoires ou des 
moisissures. 

Puisque le nombre des ballons altérés dans ces premiers essais est 
plus grand que dans ceux qui ont suivi, l’agitation du liquide pendant 
le voyage n’a pas l'influence que je redoutais sur le développement des 
germes. En outre, la proportion des ballons qui, dans ces premières 
expériences, offrent des productions organisées nous donne la preuve 
indubitable que les lieux habités renferment un nombre relativement con- 
sidérable de germes féconds, à cause des poussières qui sont à la surface 
de tous les objets. Dans cette petite auberge du Montanvert, par exemple, 
il y a certainement des poussières et, par suite, des germes venant de 
tous les pays du monde, apportés par les effets des voyageurs. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 277 


D. — Expériences sur le mercure. 


J'ai déjà rappelé au chapitre VIT et dans la partie historique de ce 
Mémoire comment l'expérience du D° Schwann avait écarté l'hypothèse 
de Gay-Lussac sur le rôle de l'air dans l'explication des procédés de 
conserves d’Appert. Mais d’où vient que dans l’expérience sur le moût 
de raisin du célèbre chimiste, expérience si souvent citée, la levüre de 
bière prenne naissance à la suite de l'introduction d’une très petite 
portion d’air, et que, si l’on répète cette même expérience sur des 
infusions diverses, on voie celles-ci s’altérer sous l'influence de quan- 
tités d’air minimes, bien plus, par l'introduction d’air calciné ou d’air 
artificiel ? car les expériences de M. Pouchet, effectuées sur la cuve à 
mercure, sont exactes, tandis que celles de Schwann y sont presque 
constamment erronées. C’est tout simplement que le mercure de nos 
cuves, qui ne subit que de loin en loin des lavages aux acides éner- 
giques, est habituellement rempli de germes apportés par les pous- 
sières qui sont en suspension dans l'air, lesquelles y tombent toutes 
les fois que la cuve est exposée à l'air, et qui pénètrent dans l’intérieur 
du mercure par les manipulations qu’on y pratique, sans que leur 
légèreté spécifique puisse les ramener toutes à la surface à cause de 
leur volume microscopique (1). 

Voici une expérience bien simple et bien démonstrative qui réussit 
presque constamment. 

Que l’on prenne un de ces ballons préparés comme je lai dit au 
commencement du chapitre VIT, vides d’air et remplis en partie d’un 
liquide putrescible, soumis à l’ébullition préalablement, qu’on plonge 
sa pointe fermée au fond d’une cuve à mercure quelconque, et que par 
un choc on brise sa pointe au fond de la cuve, il naîtra dans le liquide 
de ce ballon des productions organisées, peut-être neuf fois sur dix, 
après qu'on y aura fait arriver soit de l’air calciné, soit de Pair artificiel. 

Il n'y a évidemment que le mercure qui ait pu fournir les germes, 
à moins qu'il n'y ait génération spontanée, mais cette hypothèse est 
écartée par ce fait que, si l’expérience est répétée sans emploi de la 
cuve à mercure, comme au chapitre INT, en suivant la méthode de la 
figure 10, il n’y a pas de productions. 

Les expériences suivantes sont encore plus directes et plus pro- 
bantes. 


1. Il est clair que dans l'expérience particulière de Gay-Lussae, où les éprouvettes dont il 
se servait n'étaient pas préalablement chauffées, les germes ont pu être apportés par les pous- 
sières de la surface du verre des éprouvettes, ou par les grains de raisin qui, comme tous les 
corps, sont couverts de poussière et, par suite, de germes. 


278 ŒUVRES DE PASTEUR 


Je prends du mercure, puisé sans précautions particulières, dans la 
cuve d’un laboratoire quelconque, et, à l’aide de la méthode que j'ai 
décrite antérieurement, chapitre IV, au sein d’une atmosphère d’air 
calciné, je dépose un seul globule de ce mercure, de la grosseur d’un 
pois, dans une liqueur altérable. Deux jours après, dans toutes les 
expériences que j'ai faites (1) il y a eu des productions variées; et en 
répélant au même moment, par la même méthode, sans rien changer 
à la manipulation, les mêmes essais sur du mercure de même prove- 
nance, mais qui avait été chauflé, il n’y a pas eu la moindre production. 

Il ne faut pas exagérer les conséquences que l’on peut déduire de 
ces expériences. Voyons bien, en effet, ce qui se passe. On puise dans 
un verre à pied du mercure d’une cuve; on prélève toujours ainsi, à 
moins de précautions que je ne suppose pas avoir été prises, une partie 
du mercure qui est à la surface de la cuve où il y a des poussières; 
ensuite on verse une goutte de ce mercure dans un petit tube. L’expé- 
rience montre que cette goutte en tombant emporte à sa surface une 
portion notable des poussières de la surface même du mercure du 
verre. La goutte prélevée renferme donc toujours une partie des pous- 
sières de la surface de la cuve. Je serai mieux compris encore en 
remarquant que, si l’on faisait écouler d’un verre à pied une goutte du 
mercure que l’on aurait couvert à sa surface d’une couche d’une pous- 
sière quelconque, toute la goutte en tombant serait enveloppée par 
une couche de cette poussière, par un effet de capillarité. Mais rien ne 
serait plus simple que de refaire l'expérience sur un globule de mer- 
cure puisé avec des précautions spéciales au sein de la masse du liquide. 
Je ne doute pas que l'expérience ne réussisse encore le plus ordinai- 
rement, même dans ces conditions particulières. 


CHAPITRE VII 


DE L'ACTION COMPARÉE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA FÉCONDITÉ DES SPORES 
DES MUCÉDINÉES ET DES GERMES QUI EXISTENT EN SUSPENSION DANS 
L'ATMOSPHÈRE. 


Les expériences que je vais faire connaître ajoutent aux conclusions 
définitives de ce Mémoire une confirmation nouvelle. 
Ce que lon sait de la résistance à la mort des anguilles du blé 


1. Au nombre de quatre, deux avec le mercure de mon laboratoire, une avec le mercure du 
laboratoire de chimie de l'École normale, une autre avec le mercure du laboratoire de phy- 
sique du même établissement. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 279 


niellé, des rotifères et aussi des graines des plantes supérieures après 
des dessiccations préalables, nous dit assez que les spores des mucé- 
dinées doivent pouvoir conserver leur fécondité à des températures 
assez élevées lorsqu'elles sont sèches (1. 

Supposons pour un instant que l’on détermine les limites de tem- 
pérature que les spores des mucédinées vulgaires peuvent supporter 
sans se détruire, et les limites au delà desquelles toute vitalité cesse 
dans ces petites graines. Si les corpuscules organisés qui existent 
constamment en suspension dans l'air et parmi lesquels il en est tou- 
jours en grand nombre qui ont une parfaite ressemblance avec des 
spores de mucédinées, si, dis-je, ces corpuscules sont bien réellement 
des spores, l'expérience devra nous conduire à ce résultat curieux, que 
les poussières de l'air semées dans des conserves d’Appert, suivant la 
méthode représentée fig. 12, seront encore fécondes après qu’elles 
auront subi la plus haute température que peuvent supporter les spores 
des mucédinées vulgaires, et qu’elles seront sans effet sur ces mêmes 
conserves, si elles ont élé préalablement soumises à la température 
qui tue ces spores. 

Voyons d’abord ce que lon sait sur ce sujet. 

Duhamel rapporte dans un de ses ouvrages qu'il a pu faire germer 
du froment qui avait supporté une température de 110° centigrades. 
Cette observation du savant agronome devint l’origine de quelques 
recherches de Spallanzani sur le degré de chaleur auquel on peut 
soumettre les graines, sans leur faire perdre la faculté de germer. 
Parmi les plantes supérieures, cinq espèces de graines furent étudiées 
par lui : c’est le pois chiche, la lentille, lépeautre, la graine de lin et 
celle du trèfle. Spallanzani s’occupa, en outre, de l'influence de la 
température sur les spores des mucédinées. Pour ce qui est des graines 
des plantes supérieures, les résultats de Spallanzani, encore bien que 
très curieux, n'ont rien qui doive nous surprendre dans l’état présent 
de nos connaissances. La graine de trèfle, moins impressionnable que 
toutes les autres, a pu supporter une température voisine de 100° centi- 
grades. Mais pour les graines des moisissures, Spallanzani fut conduit 
à des conséquences singulières. Il admet, en effet, que non seulement 
les spores des mucédinées peuvent supporter la température de 100° 
quand elles sont plongées dans l’eau, mais qu’elles peuvent même 


1. M. Payen [Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLVIII, 1859, p. 30] a reconnu 
depuis longtemps que les sporules de l’oidium aurantiacum conservent leur faculté de déve- 
loppement après avoir été portées à 120°. Je pense qu'il s’agit d'une épreuve dans l'air ou dans 
le vide sec. Dans le cas contraire, je serais porté à croire que la température n’a pu être 
déterminée exactement, et qu’elle est trop élevée. 


280 ŒUVRES DE PASTEUR 


résister à la chaleur d’un brasier ardent lorsqu'elles sont sèches. 


D'ailleurs, dans ce dernier cas, il n’assigne pas la température d’une 
manière précise (1). 

On aurait peine à comprendre que ces résultats de Spallanzani sur 
les graines des mucédinées n'aient pas été soumis à de nouvelles 
épreuves si les expériences n’offraient ici des difficultés particulières, 
consistant surtout à trouver une méthode d’expérimentation rigou- 
reuse. Rien de plus simple pour les plantes supérieures d’essayer si 
leurs graines sont encore capables de germer lorsqu'elles ont été 
chauffées à une température déterminée : il ne pousse du blé que là où 
l’on en a semé; mais pour les mucédinées, elles se développent partout 
où elles rencontrent des conditions favorables. Il est donc indispen- 
sable de recourir, en ce qui concerne les mucédinées vulgaires, à une 
disposition qui permette d’affirmer sûrement que la petite plante a été 
reproduite par les spores que l’on a semées, et non additionnellement 
par les spores qui sont en suspension dans l'air, ou déposées à la 
surface des objets mis en expérience. 


Voici la méthode que j'ai suivie et qui me semble irréprochable : Je 
passe un peu d'amiante dans les petites têtes de la moisissure que je 
veux étudier; puis je place cette amiante couverte de spores dans un 
très petit tube de verre que j'introduis dans un tube en U de plus 
gros diamètre, où le petit tube peut se mouvoir librement, fig. 28 (?). 
L'une des extrémités du tube en U se relie par un caoutchouc à un tube 


1. Le passage suivant des œuvres de Spallanzani est extrait d’un chapitre [intitulé : Sur 
l'origine des petites plantes des moisissures], tome II de ses Opuscules, dans lequel il a prin- 
cipalement pour but de prouver que Michelli avait eu raison de regarder la poussière qui 
tombe des moisissures, lorsqu'elles sont mûres, comme étant bien la semence de ces plantes. 

« Les petits grains qui sortent des têtes des moisissures mûres, et qui sont les vraies 
semences de ces végétaux, ont la singularité de résister à un degré de chaleur qu'aucune autre 
graine ne peut supporter sans perdre la faculté de germer. Après avoir fait bouillir ces petits 
grains dans l’eau, j'ai versé l'eau qui en avait pris une couleur noire sur les corps capables 
de moisir, et suivant les résultats habituels de ces sortes d'expériences, la moisissure a poussé 
plus épaisse que sur ces mêmes corps qui n’en avaient pas été mouillés. J'ai fait la même 
chose avec des poussières exposées à un feu beaucoup plus fort, tel que celui d’un brasier 


ardent, et j'ai trouvé que cette chaleur n’ôte pas à ces graines la faculté de se reproduire. » 
[p. 398-399. 


Plus loin, Spallanzani s'exprime ainsi : 

« L'hypothèse qui établit que cette poussière est invisiblement répandue partout, et quelle 
donne naissance à la multitude des moisissures naturelles, est une des hypothèses les plus 
raisonnables de la physique. » [p. 899.] 

2. Lorsque, dans un ballon préparé comme je l'ai dit au chapitre VII [p. 267], il ne 
se développe qu'une seule moisissure, ce qui est fréquent, il est évident que les spores en sont 
parfaitement pures. C'est dans les sporanges de pareilles moisissures que je passais le petit 
pinceau d'amiante, après avoir détaché la partie supérieure du ballon. Il n'y avait chance 
d'introduire des germes étrangers que pendant le temps très court où je prélevais les spores 
de la moisissure pour les transporter dans le tube en U. On chauffait d’ailleurs fortement 


l'amiante avant de la couvrir de spores, et aussi le tube en U. Dès qu'il était refroidi, on y 
introduisait le petit tube et ses spores. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 981 


de niétal à robinets, en forme de T. Un des robinets communique à la 


28 bis. 


Fra. 


D} 


Fra. 


machine pneumatique, un autre à un tube de platine chauffé au rouge. 
L'autre extrémité porte un caoutchouc qui reçoit également le ballon 


282 ŒUVRES DE PASTEUR 


où l’on doit semer les spores, ballon fermé à la lampe, rempli d’air 
calciné et d’un liquide préalablement porté à l’ébullition, devant servir 
d’aliment à la jeune plante. Enfin, le tube en U plonge dans un bain 
d'huile, d’eau ordinaire ou d’eau saturée de divers sels, selon que l’on 
veut porter les spores à telle ou telle température. Entre le tube en U 
et le tube de platine, il y a un tube desséchant à ponce sulfurique. 
Lorsque tout l'appareil qui précède le tube de platine a été rempli d’air 
calciné et que les spores ont été maintenues à la température voulue 
un temps suffisant que l’on peut faire varier, on brise la pointe du 
ballon par un coup de marteau, sans dénouer les cordonnets du caout- 
chouc qui réunit le ballon au tube en U; puis, inclinant convena- 
blement ce dernier tube éloigné de son bain, on fait glisser dans le 
ballon l'amiante et ses spores. Enfin, on referme le ballon à la lampe 


Fire. 29. 


par un trait de flamme sur l’un des étranglements ménagés sur son col. 
On le porte alors à l’étuve à une température de 20° à 30°, qui est très 
favorable au développement rapide des mucédinées. 

L'expérience sur les poussières de l’air se fait de la même manière 
avec de l’amiante qui a été exposée à un courant d’air ordinaire, 
suivant les indications de la méthode du chapitre II. 

Je vais entrer maintenant dans le détail des résultats de quelques 
expériences particulières. 

Le 1° juin 1860, je fais passer dans un ballon renfermant, depuis 
le 19 mars, de l’eau de levüre et de l’air calciné, sans avoir éprouvé la 
moindre altération, une portion de bourre de coton chargée des pous- 
sières de l’air ordinaire après qu’elle eut été maintenue une heure à 
100° (bain d’eau bouillante. 

Dans la nuit du 4 au 5 juin, une espèce de dépôt pulvérulent 
commence à se montrer sur les parois du ballon, et envahit rapide- 
ment les jours suivants la surface du liquide. C’est une mucorée 
incolore, en pellicule un peu chagrinée, en petits amas confusément 
circulaires comme s'ils étaient soulevés par des bulles de gaz, ce qui 
n'est qu'une illusion. Dès le 9 ou le 10 juin, tout développement cesse 
et la pellicule tombe en lambeaux au fond du vase. A la fin de juin, j'ai 
ouvert le ballon, pour étudier cette mucorée au microscope. Elle est 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 283 


formée de granulations comme le sont en général toutes les mucorées, 
mais ici les granulations sont relativement volumineuses. Leur 
diamètre est de 0"®,002. Ces granulations étaient isolées ou en paquets, 
brillantes à leur centre, à contours nettement limités. La figure 29 
les représente associées à quelques vibrions très ténus, à peine 
visibles, et qui n'avaient plus de mouvements lorsque le ballon a été 
ouvert. Ils étaient en fort petit nombre. 3 

Cette expérience montre que les germes desséchés de ces deux 
productions résistent à la température de 100° pendant une heure. 

Le 2 juin 1860, je fais passer dans du lait conservé depuis le 10 avril, 
en présence de l’air calciné, sans altération aucune, une petite bourre 


d'amiante chargée des poussières de l'air après l'avoir exposée un 
quart d'heure à 100° (bain d’eau bouillante). 

Le 4 juin, le lait n’est pas caillé, mais on voit à sa surface une 
couche de sérum presque translucide, qui indique une altération. 

Le 5 et le 6 juin, il est visible que le lait s’altère. Il y a au fond du 
ballon un dépôt jaunâtre, caséeux; aucune apparence de dégagement 
de gaz. Je n'avais pas encore rencontré des caractères d’altération du 
lait de l’ordre de ceux-ci exactement. 

Le 7 juin, j'ouvre le ballon et j'étudie le liquide au microscope. 
Il se trouve rempli d’une multitude d’infusoires de deux natures 
bien distinctes. Les uns sont des vibrions filiformes très agiles, qui 
courent rapidement en faisant trembler vivement la seconde moitié 
de leur corps. Ils ont de 0"%,006 à 0"%,009 de longueur et 0**,0007 de 
largeur. Les autres sont courts, beaucoup plus larges, un peu étranglés, 
souvent réunis par chaînes de deux et trois articles. La longueur des 
articles est de 0"*,003 à 0m 004 et le diamètre de 0",002 à 0®",003. La 
figure 30 représente ces deux sortes d’infusoires entre les globules de 
beurre. 

Il ne s’est pas dégagé de gaz lorsque j'ai ouvert le ballon sur la cuve 
à mercure. 

Le 6 juillet, je fais passer dans un ballon d’eau de levüre sucrée, 
mêlée de craie, conservée sans altération depuis le 11 avril en présence 
de l’air calciné, une bourre d'amiante avec poussières, chauffée pen- 
dant une demi-heure à 1002 (bain d’eau bouillante). 


284 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le 8 juillet, trouble sensible, avec pellicule mince sur toutes les 
parois. Le 10 juillet, trouble laiteux, avec lambeaux chiffonnés dans la 
masse du liquide et au fond. Apparence de dégagement de gaz. 

Le 10 juillet, j'ouvre ce ballon, sortie brusque et violente de gaz. Il 
est évident qu'il y a eu fermentation. Au microscope, il y a deux 
espèces de vibrions, différant surtout par le diamètre de leurs articles. 
Les uns ont 0%%,0006 à 0%%,0008 de diamètre; Les autres ont 0"",0015 à 
0"",002 de diamètre et jusqu'à 0**,01 et plus de longueur(). 

Le 9 novembre 1860, je fais passer une bourre d'amiante, chargée 
des poussières de Pair, dans un ballon renfermant de l’eau de levüre, 


L'urmtre des lubrs un uflement = 0° 


Zrores Sdetut | lononrur = 


mitund sans vou À largeur = 27006 à n°707 


FiG. 31. 


el une autre bourre pareille dans un deuxième ballon renfermant de 
l'urine. Ces ballons étaient conservés depuis le 25 juin. Avant d’intro- 
duire les bourres, on les avait maintenues pendant une demi-heure 
à 121° (bain d'huile). 

Le 11 novembre, le ballon d’eau de levûre a commencé à montrer une 
touffe de mycelium en tubes très lâches, qui a poussé avec une rapidité 
extraordinaire. Il à atteint en quatre jours le niveau du liquide, et a 
poussé partout de longs tubes cotonneux d’une grande blancheur qui 
se sont rapidement étendus sur les parois du ballon. Les spores et les 
tubes qui les portaient sont représentés fig. 31. 

Le ballon d'urine n’a commencé que le 16 novembre à montrer une 


1. Je ne doute pas que la fermentation du liquide de ce ballon n'ait été provoquée par ces 
derniers infusoires, préservés du contact de l'air par ceux de la première espèce qui n'étaient 
que des vibrions ordinaires, ayant besoin d'air pour vivre. Voir ma communication du 
25 février 1861 à l'Académie des sciences sur la découverte de l’animalcule infusoire qui 
produit la fermentation butyrique. [Comptes rendus de l'Académie des sciences, LII, 1861, 
p. 344-347, et p. 136-138 du présent volume.] 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 265 


petite touffe de moisissure en tubes très serrés, sous forme de petite 
boule soyeuse. Cette mucédinée s’est développée avec une si grande 
lenteur que le 22 novembre elle n'avait pas encore la grosseur d’un 
pois. 

Ce même jour, 22 novembre, a apparu un autre mycelium en tubes 
lâches qui a étouffé le premier en peu de jours. 

Pas du tout d’infusoires, ni dans un cas, ni dans l’autre. 

Le 12 août 1860, même expérience, avec eau de levüre et poussières 
de l'air qui avaient été préalablement chauffées pendant une demi- 
heure au bain d'huile à 129%. Aujourd'hui (avril 1861), pas encore la 
moindre apparence de productions organisées. 

Passons maintenant en revue quelques expériences sur les spores 
des mucédinées vulgaires. 

Le 21 juillet 1860, je fais passer dans un ballon, renfermant de l’eau 
de levüre et de l'air calciné, sans altération depuis le 26 juin, une 
petite bourre d'amiante chargée de spores de penicillium, préalable- 
ment chauflées pendant une demi-heure au bain d’huile de 119° à 1210. 

Le 22, le 23, le 24 juillet, aucune apparence de développement. Le 
25 juillet, une multitude de très petites touffes de mycelium couvrent 
les parois du ballon. Mais, chose assez singulière, il n’y a que les spores 
du fond qui se soient développées. Celles qui, au moment de l’intro- 
duction de la bourre d'amiante, étaient venues à la surface former des 
amas, des espèces de taches, n'ont pas germé du tout; elles n’ont pas 
poussé de tubes germinatifs. 

Le 26 juillet, développement sensible, bien qu’un peu faible et 
comme pénible, des touffes du fond. Les spores de la surface du 
liquide n’ont pas encore germé. 

Le 28 juillet, plusieurs ilots sont développés à la surface, mais ils 
proviennent de touffes du fond et non des spores de la surface. Ces 
ilots commencent à fructifier et à verdir à leur centre. On voit toujours 
çà et là, à la surface, des taches de spores qui n’ont pas germé. 

Le 3 août, toute la surface est couverte par un beau penicillium 
vert-bleuâtre, vigoureux. Rien n'indique qu'il soit malade ; cependant 
il faut remarquer que : 1° les spores, semées le 21 juillet, n’ont 
commencé à germer que dans la nuit du 24 au 25 juillet, tandis que, si 
on ne les avait pas chauffées où même si on les avait chauffées à 100, 
elles auraient commencé à montrer des touffes de tubes germinatifs 
visibles à l'œil nu dès le lendemain; je l’ai constaté souvent par des 
épreuves directes; 2° beaucoup de spores avaient été évidemment 
privées de vie, et, plus légères, dirait-on, que les autres, elles étaient 
venues à la surface où elles n’ont pas germé. 


286 ŒUVRES DE PASTEUR 


Voici une expérience qui prouvera qu’en élevant la température des 
spores à 108°,4, au lieu de 120°, la germination se montre déjà après 
quarante-huit heures. k 

Le 23 juillet, j'ai semé, dans un des ballons d’eau de levûre conservé 
depuis le 26 juin sans altération, une bourre d'amiante chargée de 
spores de penicillium, chauffées préalablement à sec, comme dans 
toutes ces expériences, pendant une demi-heure à 108,4 (bain d’eau 
saturée de sel et bouillante). 

L'’ensemencement a eu lieu à midi, le 23 juillet. 

Des le 25, à cinq heures du soir, on voyait une infinité de touffes de 
mycelium au fond du liquide. 

Il n’est donc pas douteux que, par l’action d’une température élevée, 
en dehors de toute humidité, la fécondité des spores du penicillium 
glaucum se conserve jusqu'à 120° et même un peu plus; et qu’elles 
reproduisent une plante toute pareille à la plante mère, et dont les 
spores sont fécondes (je l’ai constaté par des épreuves directes). Mais 
il n'est pas moins vrai que la vitalité du germe est un peu atteinte, et 
que les spores en éprouvent un retard sensible dans leur faculté germi- 
native. 

Le 12 août 1860, je répète les expériences précédentes sur deux 
ballons d’eau de levüre conservés depuis longtemps, et avec des spores 
de penicillium glaucum et des spores d’ascophora elegans, chauffées 
pendant une demi-heure de 127° à 132° (bain d'huile). 

Il n'y a eu aucun développement quelconque des spores ni dans 
lun ni dans l’autre ballon. 

En résumé, je crois pouvoir conclure de mes expériences que les 
spores des mucédinées vulgaires, chauffées dans le vide ou dans Pair 
sec, restent fécondes après avoir été portées à une température de 120. 
On trouverait probablement qu'on peut même aller un peu au delà, peut- 
être à 125°, Au contraire, il suffit d’une exposition d’assez courte durée 
à 130° pour enlever leur fécondité aux spores de ces mêmes mucé- 
dinées, qui paraissent être les plus vivaces et les moins impression- 
nables (1). D'autre part, nous trouvons que les limites sont les mêmes 


1. Je dois cependant remarquer qu'au nombre des mucédinées qui ont pris naissance dans 
les expériences, en petit nombre, il est vrai, où j'avais semé les poussières de l'air chauffées à 
1209, le penicèllium glaucum ne s'est pas montré. C'a été, entre autres, cette mucédinée d'un 
développement si rapide dont j'ai parlé {[p. 284], et dont les sporanges formaient des amas 
cotonneux à long tubes, d'une grande blancheur, à la surface du liquide. Il eût été intéressant 
de voir si les spores de cette moisissure ne résistaient pas un peu mieux que le penicillèum à 
une température élevée. 

Dans le cours de mes expériences, j'ai eu l'occasion de constater des différences considé- 
rables dans la rapidité du développement des moisissures. J'ai vu des myceliums mettre 
plusieurs mois à atteindre la grosseur d'une noisette. J'en ai vu d'autres remplir le liquide en 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9287 


pour la fécondité des poussières de l'air, c’est-à-dire qu’elles donnent 
des mucédinées même après avoir été portées à 1209, et qu’elles n’en 
donnent plus si on leur fait subir la température de 130. 

La correspondance de ces résultats est une preuve nouvelle de 
l'existence des spores des mucédinées parmi les corpuseules organisés 
que le microscope permet de reconnaître si facilement dans les pous- 
sières qui sont en suspension dans l'air ordinaire. 


CHAPITRE IX 


SUR LE MODE DE NUTRITION DES FERMENTS PROPREMENT DITS, 
DES MUCÉDINÉES ET DES VIBRIONIENS. 


Il est essentiel de remarquer que jusqu'a ce jour toutes les expé- 
riences de générations spontanées ont porté sur des infusions de 
matières végétales ou animales, en un mot sur des liquides renfermant 
des substances qui avaient appartenu antérieurement à l'organisme. 
Quelles que soient les conditions préalables de température et d’ébulli- 
tion qu'on leur fasse subir, ces matières ont une constitution et des 
propriétés acquises sous l'influence de la vie. 

Ce fait a servi de thème à toutes les théories sur la génération spon- 
tanée. Or, je vais démontrer dans ce chapitre que l'apparition des 
organismes inférieurs ne présuppose pas nécessairement la présence 
de matières organiques plastiques, de ces matières albuminoïdes que 
le chimiste n’a jamais pu produire, et qui dans leur formation exigent 
le concours des forces vitales. 

Les nouvelles expériences que je vais faire connaître montreront le 
peu de fondement de toutes les théories sur la formation spontanée 
des organismes inférieurs. Passons d’abord en revue ces théories où 
l'imagination a tant de part, où les vrais principes de la méthode expé- 
rimentale en ont si peu. 

Needham admettait l’existence dans la matière organique d’une 
force particulière qu'il appelait force végétative, et qui survivait à la 
mort des végétaux et des animaux. Spécifiquement déterminée dans un 
individu, elle lui conservait sa forme et ses propriétés pendant sa vie. 
Mais à sa mort elle devenait libre, et ses manifestations dépendaient 
des conditions particulières où se trouvaient placées les parties 


quelques jours. 11 peut y avoir à cela des causes diverses, notamment la nature du liquide. Il 
se pourrait qu'en la faisant varier, les rôles changeassent. J'ai été frappé bien souvent de la 
multitude d’études diverses que suggère à l'esprit le mode de vie de ces petits êtres. Celle-ci 
en est une entre mille autres, autant et plus intéressantes. 


288 ŒUVRES DE PASTEUR 


disjointes du corps de l’individu. Et c’est ainsi que cette force, persis- 
tant dans la matière organique des infusions, organisait de nouveau 
cette matière suivant des modes qui ne dépendaient plus que des con- 
ditions propres à l’infusion (1). 

Le système des molécules organiques de Buffon a beaucoup de 
rapport avec les idées de Needham. Je reproduirai textuellement les 
vues du grand naturaliste sur la génération spontanée (?). 

« Mes recherches et mes expériences, dit Buffon, sur les molécules 
organiques démontrent qu'il n’y a point de germes préexistants, et en 
même temps elles prouvent que la génération des animaux et des 
végétaux n’est pas univoque ; qu'il y a peut-être autant d'êtres, soit 
vivants soit végétaux, qui se reproduisent par l'assemblage fortuit des 
molécules organiques, qu'il y a d'animaux ou végétaux qui peuvent se 
reproduire par une succession constante de générations. 

« Les molécules organiques, toujours actives, toujours subsistantes, 
appartiennent également aux végétaux comme aux animaux; elles 
pénètrent la matière brute, la travaillent, la remuent dans toutes ses 
dimensions, et la font servir de base au tissu de l’organisation, de 
laquelle ces molécules vivantes sont les seuls principes et les seuls 
instruments ; elles ne sont soumises qu’à une seule puissance qui, 
quoique passive, dirige leur mouvement et fixe leur position. Cette 
puissance est le moule intérieur du corps organisé; les molécules 
vivantes que l'animal ou le végétal tire des aliments ou de la sève 
s’assimilent à toutes les parties du moule intérieur de leur corps, elles 
le pénètrent dans toutes ses dimensions, elles y portent la végétation 
et la vie, elles rendent ce moule vivant et croissant dans toutes ses 
parties; la forme intérieure du moule détermine seulement leur mou- 
vement et leur position pour la nutrition et le développement dans 
tous les êtres organisés. 

« Et lorsque la mort fait cesser le jeu de l’organisation, c’est-à-dire 
la puissance de ce moule, la décomposition du corps suit, et les molé- 
cules organiques qui toutes survivent, se retrouvant en liberté dans la 
dissolution et la putréfaction des corps, passent dans d’autres corps 
aussitôt qu’elles sont pompées par la puissance de quelque autre 
moule, en sorte qu'elles peuvent passer de l’animal au végétal et du 
végétal-à l’animal, sans altération et avec la propriété permanente et 
constante de leur porter la nutrition et la vie; seulement il arrive une 

1. Voir SpaLLANzant. Exposition des nouvelles idées de M. de Needham sur le système de 
la génération. [In : Opuscules de physique, animale et végétale.] Tome I, chap. 1®. 

2, Burrox. Histoire naturelle de l'homme. Supplément, tome IV, Paris, 1777, in-4. [Addi- 


tion à l'article des Variétés dans la génération et aux articles où ilest question de la génération 


spontanée, p. 399, et p. 338-241.) 


nés sc Pi 


RERMENTAMIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 289 


infinité de générations spontanées dans cet intermède, où la puissance 
du moule est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle de temps 
pendant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans 
la matière des corps morts et décomposés, dès qu’elles ne sont point 
absorbées par le moule intérieur des êtres organisés qui composent 
les espèces ordinaires de la nature vivante ou végétante ; ces molé- 
cules organiques, toujours actives, travaillent à remuer la matière 
putréfiée, elles s'en approprient quelques particules brutes et forment, 
par leur réunion, une multitude de petits corps organisés, dont les 
uns, comme les vers de terre, les champignons, ete., paraissent être 
des animaux ou des végétaux assez grands, mais dont les autres, en 
nombre presque infini, ne se voient qu'au microscope. Tous ces Corps 
n'existent que par une génération spontanée, et ils remplissent l’inter- 
valle que la nature a mis entre la simple molécule organique vivante 
et l'animal ou le végétal; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes les 
nuances imaginables dans cette suite, dans cette chaîne d'êtres qui 
descend de l'animal le mieux organisé à la molécule simplement orga- 
nique ; prise seule, cette molécule est fort éloignée de la nature de 
l'animal. Prises plusieurs ensemble, ces molécules vivantes en seraient 
encore tout aussi loin, si elles ne s’appropriaient pas des particules 
brutes, et si elles ne les disposaient pas dans une certaine forme, 
approchant de celle du moule intérieur des animaux ou des végétaux. 
Et comme cette disposition de forme doit varier à l'infini, tant pour le 
nombre que par la différente action des molécules vivantes contre la 
matière brute, il doit en résulter, et il en résulte en effet, des êtres de 
tous degrés d’animalité. Et cette génération spontanée, à laquelle tous 
ces êtres doivent également leur existence, s'exerce et se manifeste 
toutes les fois que les êtres organisés se décomposent ; elle s'exerce 
constamment et universellement après la mort et quelquefois aussi 
pendant leur vie, lorsqu'il y a quelques défauts dans l’organisation du 
corps qui empêchent le moule intérieur d’absorber et d’assimiler toutes 
les molécules organiques contenues dans les aliments. Ces molécules 
organiques surabondantes, qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur 
de l’animal pour sa nutrition, cherchent à se réunir avec quelques par- 
ticules de la matière brute des aliments et forment, comme dans la 
putréfaction, des corps organisés; c’est là l’origine des ténias, des 
ascarides, des douves...… » 

Un botaniste, M. Turpin (!), a reproduit de nos jours un système 


1. Turpix. Mémoire sur la cause et les effets de la fermentation alcoolique el acéteuse. 
Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, XVII, 1840, p. 93-153. (Note 
de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. ï 19 


290 ŒUVRES DE PASTEUR 


qui avait beaucoup d’analogie avec celui des molécules organiques de 
Bufton. 

J'arrive maintenant au système de M. Pouchet(f.. 

« On peut considérer, dit-il, comme une loi fondamentale que des 
phénomènes de fermentation ou de dédoublement catalytique précèdent 
ou accompagnent toute génération spontanée... 

« Les organismes ne se produisent qu'à même la nature expirante, 
el au moment où les éléments des êtres sur lesquels ils s’engendrent 
entrent dans de nouvelles combinaisons chimiques, et éprouvent tous 
les phénomènes de la fermentation où de la putréfaction. 

« Il résulte de là qu'il ne se manifeste de générations primaires 
qu'après que les corps dont elles dérivent commencent à subir les 
premiers phénomènes de décomposition ; comme si, pour s'organiser, 
les êtres nouveaux attendaient la désagrégation des autres, afin de 
s'emparer des molécules de la substance expirante, à mesure qu’elles 
se trouvent mises en liberté. Il est évident que l’organisme ne puise 
ses éléments matériels qu'a méme les cadavres des anciennes géné- 
rations... 

« Ainsi donc, sous l'empire de la fermentation ou de la putréfaelion, 
les corps organisés se décomposent et dissocient leurs molécules 
organiques ; puis, après avoir erré en liberté pendant un temps illi- 
mité, lorsque les circonstances plastiques viennent à se manifester, 
ces molécules se groupent de nouveau pour constituer un nouvel 
étre... 

« Bientôt après la manifestation des phénomènes de fermentation 
et de putréfaction, on reconnait qu'il se forme, à la surface des liquides 
en expérience, une pellicule d’abord inapparente, et que le micro- 
scope découvre à peine; puis celle-ci s’épaissit successivement, et 
finit même parfois par devenir assez tenace. Cette pellicule est évi- 
demment composée par des débris d’animalcules, d’abord de l’ordre 
le plus infime, et ensuite par ceux d’espèces de plus en plus élevées 
dans la série des microzoaires. C’est cette même pseudo-membrane 
que j'ai nommée pellicule proligère, parce qu’il est évident que c’est 
elle qui, à l'instar d’un ovaire improvisé, produit les animalcules. On 
peut y suivre leur développement à l’aide de nos instruments, et recon- 
naître qu'ils s’'engendrent à même les débris organiques dont elle se 


compose. 
« Les protozoaires, qui forment d’abord la pellicule proligère, sont 


1. Poucuer. Hétérogénie ou Traité de la génération spontanée. Paris, 1859, in-80, p. 337 el 


suivantes. 


lisse 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPON NÉES 291 


des monades, des bacteriums et des vibrions. Comment ces animal- 
cules sont-ils produits? Nous ne pouvons le dire, leur extrême petitesse 
les dérobant à toute espèce d’investigation..…. 
Lorsque ce sont des végétaux qui apparaissent à la surface des 
macérations, la pseudo-membrane proligère est alors formée presque 
uniquement par l’enchevétrement des myceliums, des champignons 
rudimentaires, qu'on observe à sa surface... On pourrait done ajouter 
qu'il y a une pellicule proligère cryptogamique. » 

Par la réunion des parties des pellicules proligères se forment 
spontanément les ovules des êtres inférieurs. M. Pouchet décrit toutes 
les phases du phénomène. 

Voilà le système du savant naturaliste de Rouen, œuvre d’une ima- 
gination féconde guidée par des observations erronées (1. 

En rapportant ici les principes des systèmes sur la génération 
spontanée qui ont eu le plus de retentissement, mon but principal 
est de montrer que, dans tous, on fait jouer un rôle essentiel à la 
matière organique des infusions. Par elle-même, elle jouirait de pro- 
priétés spéciales acquises dans l'acte de sa formation antérieure sous 
l'influence de la vie. 

Les matières albuminoïdes conserveraient en quelque sorte un reste 
de vitalité, qui leur permettrait de s'organiser au contact de l’oxygène, 
lorsque les conditions de température et d'humidité sont favorables. 

Nous allons reconnaître que ces opinions sont tout à fait erronées, 
et que les matières albuminoïdes ne sont qu’un aliment pour les germes 
des infusoires et des mucédinées ; qu’elles n’ont pas d’autre rôle dans 
les infusions, car on peut les remplacer par des matières cristalli- 
sables, telles que des sels d’ammoniaque et des phosphates. 

Ainsi se trouvent privées d’une de leurs bases essentielles toutes les 
théories relatives à la formation spontanée des êtres les plus inférieurs. 

L'expérience m'a montré, en effet, que l’on pouvait remplacer, dans 
les essais des chapitres IV, V, VI, l’eau de levüre de bière sucrée, 
urine, le lait, etc., par une infusion composée de la manière suivante : 


AUS DULO RE ie ie «10 LOU 
SUCRES CAN ie AS M: 10 
Tartrate d'ammoniaque. . . . RTE 02%à1075 
Cendres fondues de levüre de De OU MER RE 0,1. 


1. On peut lire dansles Annales des sciences naturelles, 3° sér., III (z0ol.), 1845, p. 182-181, 
des assertions non moins nettement formulées de M. le docteur Pineau sur la génération 
spontanée des infusoires, des cryptogames. 

Voir aussi un ouvrage intitulé : Etudes physiologiques sur les animaleules des infusions 
végétales, comparés aux organes élémentaires des végétaux, par M. Paul Laurent, ancien 
élève de l'Ecole Polytechnique. Nancy, 1854-1858, 2 vol. in-4° (46 pl.). 


292 ŒUVRES DE PASTEUR 


Si l’on sème dans cette liqueur, en présence de l'air calciné, les 
poussières qui existent en suspension dans l'air, on y voit naître les 
bacteriums, les vibrions, les mucédinées, etc. Les matières azotées 
albumineuses, les matières grasses, les huiles essentielles, les sub- 
stances colorantes propres à ces organismes, se forment de toutes 
pièces à l’aide des éléments de l’ammoniaque, des phosphates et du 
sucre. 


Composons la liqueur de la même manière avec addition de craie : 


au PURE EE... Se PCR NP Er OT 
SUCTEICANTERS EL 2. PE RENE TD) 
Tartrate d'ammoniaque. RL  dlo.c 0,2 à 0,5 
Cendres fondues de levüre de bière . . . . . . . 0,1 
Garbonate delchaux pur PERMETTRE 3 à 5 gr. 


et les mêmes phénomènes se produiront, mais avec une tendance plus 
marquée vers les fermentations appelées lactique, visqueuse, buty- 
rique, et tous les ferments végétaux ou animaux propres à ces fermen- 
tations prendront naissance simultanément ou successivement. 

Je publierai prochainement un travail détaillé sur les résulats que 
j'ai obtenus dans ces études, qui m'ont toujours paru offrir un grand 
intérêt pour la question des générations dites spontanées. 

C’est par elles que j'ai été conduit à entreprendre les expériences 
suivantes dont le succès a dépassé mon attente. 

Dans de l’eau distillée pure je dissous un sel d’ammoniaque ceris- 
tallisé, du sucre candi et des phosphates provenant de la calcination 
de la levüre de bière; puis je sème dans le liquide quelques spores de 
penicillium ou d’une mucédinée quelconque (1). Ces spores germent 
facilement, et bientôt, en deux ou trois jours seulement, le liquide est 
rempli de flocons de myceliums, dont un grand nombre ne tarde pas 
à s’étaler à la surface de la liqueur où ils fructifient. La végétation n’a 


1. Voici la composition de quelques-unes des liqueurs qui m'ont servi : 


LU] 


20 gr. sucre candi, 
gr. bitartrate d'ammoniaque, 
0 gr. 5 cendres de levüre de bière, 
1 litre d'eau pure. 
20 gr. sucre candi, 
\ 1 gr. acide tartrique, 
1 gr. nitrate de potasse, 
/ 0 gr. 5 cendres de levüre, 
\ 1 litre d'eau pure. 


C'est à la surface de ces liqueurs ou d'autres analogues que je semais les spores des mucé= 
dinées, 

On peut remplacer le sel d'ammoniaque par un sel d'éthylamine. Mais je n'ai pas eu de déve- 
loppement des petites plantes en substituant les arséniates aux phosphates. J'ai mis sous les 
yeux de l’Académie, dans sa séance du 12 novembre 1869, des exemples variés de ces résultats *. 


* Cette note ne figure pas dans les Annales des sciences naturelles. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 293 


rien de languissant. Par la précaution de l'emploi d’un sel acide 
d’ammoniaque, on empêche le développement des infusoires, qui, par 
leur présence, arrêteraient bientôt le progrès de la petite plante, en 
absorbant l'oxygène de l'air, dont la mucédinée ne peut se passer. 
Tout le carbone de la plante est emprunté au sucre qui disparaît peu 
à peu complètement, son azote à l’'ammoniaque, sa matière minérale 
aux phosphates. Il y a donc sur ce point de l'assimilation de Pazote et 
des phosphates une complète analogie entre les ferments, les mucé- 
dinées et les plantes d’un organisme compliqué. C’est ce que les faits 
suivants achèveront de prouver d’une manière définitive. 

Si, dans l’expérience que je viens de rapporter, je supprime lun 
quelconque des principes en dissolution, la végétation est arrêtée. Par 
exemple, la matière minérale est celle qui paraîtrait la moins indis- 
pensable pour des êtres de cette nature. Or, si la liqueur est privée 
de phosphates, il n’y a plus de végétation possible, quelle que soit la 
proportion du sucre et des sels ammoniacaux. C’est à peine si la germi- 
nation des spores commence par l'influence des phosphates que les 
spores elles-mêmes, que l’on a semées, introduisent en quantité infini- 
ment petite. Supprime-t-on de même le sel d’ammoniaque, la plante 
n’éprouve aucun développement. Il n’y a qu’un commencement de 
germination très chétive par l'effet de la présence de la matière albu- 
minoïde des spores semées, bien qu'il y ait surabondance d’azote libre 
dans l’air ambiant ou en dissolution dans le liquide. Enfin, il en est 
encore de même si l’on supprime le sucre, l’aliment carboné, alors 
même qu'il y aurait dans l'air ou dans le liquide des proportions quel- 
conques d'acide carbonique. Tout annonce-en effet que, sous le rapport 
de l’origine du carbone, les mucédinées diffèrent essentiellement des 
plantes phanérogames. Elles ne décomposent pas l'acide carbonique ; 
elles ne dégagent pas d'oxygène. L’absorption de l’oxygène et le déga- 
gement de l’acide carbonique sont au contraire des actes nécessaires 
et permanents de leur vie. 

Ces faits nous donnent des idées précises sur le mode de nutrition 
des mucédinées, à l’égard duquel la science ne possède pas encore 
d'observations suivies (!). 


1. Un excellent observateur, M. Bineau, nous a laissé sur les algues vulgaires, plantes un 
peu supérieures aux mucédinées, et qui en différent surtout par la présence de la matière 
verte, les résultats suivants, qui montrent que les algues peuvent décomposer l'ammoniaque. 

« M. Lortet a, depuis plusieurs mois, la complaisance de faire pour moi la récolte des eaux 
pluviales recueillies à Oullins, et de me l'expédier tous les huit ou quinze jours. A partir du 
commencement de mai, un brusque changement eut lieu dans la composition de ces eaux. 
L'ammoniaque y disparut totalement. J'en fis la remarque à M. Lortet, qui m'apprit alors que 
le flacon servant de récipient pour nos eaux avait commencé à présenter de ces produits orga- 


294 | ŒUVRES DE PASTEUR 


D'autre part, et c’est là peut-être ce qu’il faut remarquer de préfé- 
rence, ils nous découvrent une méthode à l’aide de laquelle la physio- 
logie végétale pourra aborder sans peine les questions les plus délicates 
de la vie de ces petites plantes, de manière à préparer sûrement la voie 
pour l’étude des mêmes problèmes chez les végétaux supérieurs. 

Lors même que l’on craindrait de ne pouvoir appliquer aux grands 
végétaux les résultats fournis par ces organismes d'apparence si infime, 
il n'y aurail pas moins un grand intérêt à résoudre les difficultés que 
soulève l’étude de la vie des plantes, en commençant par celles où la 
moindre complication d'organisation rend les conclusions plus faciles 
et plus sûres : la plante est réduite ici en quelque sorte à l’état cellu- 
laire, et les progrès de la science montrent de plus en plus que l'étude 
des actes accomplis sous l'influence de la vie végétale ou animale, dans 
leurs manifestations les plus compliquées, se ramène en dernière ana- 
lysé à la découverte des phénomènes propres à la cellule. 


nisés verdâtres, dont le développement devient si fréquent sous l'influence de Ja température 
des saisons chaudes et de la lumière. 

« J'ai fait alors des études spéciales au sujet de l'action des algues sur les sels ammonia- 
‘caux et sur les azotates tenus en dissolution dans l’eau environnante. J'ai opéré, d'une part, 
sur l’algue que sa singulière texture réticulaire m'a fait aisément reconnaître pour l’hydro- 
dictyon pentagonale, et, d'une autre part, sur une conferve aux longs filaments verts, qui 
paraît être la conferva vulgaris. 0 

« Des quantités jugées à l'œil égales entre elles de chacune des deux espèces d'algues men- 
tionnées furent enfermées dans des flacons à l’'émeri bien bouchés, d’un peu plus d’un demi-litre, 
avec 250 centimètres cubes d’eau contenant 12 millionièmes d'ammoniaque ajoutée à l’état de 
chlorhydrate et une quantité un peu moindre d’azotate de chaux. Les flacons furent ensuite 
exposés, les uns sur une fenêtre où ils recevaient les rayons du soleil, les autres dans le voisi- 
nage, mais dans l'obscurité. 

« Après dix jours, le liquide de chaque flacon fut filtré et soumis à un essai ammonimé- 
trique. 

« On a trouvé que l’hydrodictyon avait fait disparaitre au soleil presque les trois quarts 
de l’ammoniaque, et la conferva vulgaris près de la moitié. A l'obscurité, l'absorption de 
l'ammoniaque fut environ moitié moindre. ; 

« Dans aucun des liquides des flacons il ne resta la moindre trace appréciable d'azote. 

« Un dégagement notable de bulles gazeuses s'était, comme d'habitude, manifesté sous 
l'influence des rayons solaires autour des plantes mises en expérience. » (Mémoires de l'Aca= 
déinie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, nouv. sér., III, 1853, p. 869.) 


SUR LES CORPUSCULES ORGANISÉS 
QUI EXISTENT DANS L'ATMOSPHÈRE. 
EXAMEN DE LA DOCTRINE DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES (1) 


Lecon professée à la Société chimique de Paris, le 19 mai 1861. 


MESSIEURS, 


Existe-t-il des circonstances dans lesquelles on ait vu se produire 
des générations spontanées, dans lesquelles on ait vu la matière 
avant appartenu à des êtres vivants conserver en quelque sorte un 
reste de vie et s'organiser d'elle-même? Voilà la question à résoudre. 
Il ne s’agit ici ni de religion, ni de philosophie, ni de systèmes quel- 
conques. Peu importent les affirmations ou les vues à priori. C’est 
une question de fait. Et, vous le remarquerez, je n’ai pas la prétention 
d'établir que jamais il n'existe de générations spontanées. Dans les 
sujets de cet ordre on ne peut pas prouver la négative. Mais j'ai la 
prétention de démontrer avec rigueur que dans toutes les expériences 
où l’on a cru reconnaître l'existence de générations spontanées, chez 
les êtres les plus inférieurs, où le débat se trouve aujourd’hui relégué, 
l'observateur a été victime ‘d'illusions ou de causes d'erreur qu’il n’a 
pas aperçues ou qu'il n'a pas su éviter. 

Faisons d’abord l’histoire rapide de notre sujet. 

Dans l'antiquité et jusqu’à la fin du moyen âge tout le monde croyait 
aux générations spontanées. Aristote dit que tout corps sec qui 
devient humide et tout corps humide qui se sèche engendrent des 
animaux. Van Helmont décrit le moyen de faire naître des souris. 

De pareilles erreurs ne pouvaient supporter longtemps lesprit 


1. /n ; Leçons de chimie et de physique professées en 1861 (à la Société chimique de Paris). 
Paris, 1862, L. Hachette et Cie, in-80, p. 219-254. 

Cette Leçon, antérieure de quelques mois au Mémoire qui précède, est un résumé de ce 
Mémoire. Les textes de la Lecon et du Mémoire sont souvent identiques. (Note de l'Édition.) 


296 ŒUVRES DE PASTEUR 


d'examen qui s'empara de l'Europe au seizième et au dix-septième 
siècle. 

Redi, membre célèbre de l’Académie del Cimento, fit voir que les 
vers de la chair en putréfaction étaient des larves d’œufs de mouches. 
Ses preuves étaient aussi simples que décisives, car il montra qu'il 
suffisait d’entourer d’une gaze fine la matière en putréfaction pour 
empêcher d’une manière absolue la naissance de ces larves. 

Mais bientôt dans la seconde partie du dix-septième siècle et la 
première moitié du dix-huitième, les observations se multiplièrent à 
l'envi, à l’aide du précieux et nouvel instrument que l’on venait de 
découvrir et auquel on avait donné le nom de microscope. La doctrine 
des générations spontanées reparut alors. Les uns, ne pouvant s’expli- 
quer l’origine de ces êtres si variés que le microscope faisait aper- 
cevoir dans les infusions des matières végétales et animales, et ne 
voyant chez eux rien qui ressemblât à une génération sexuelle, furent 
portés à admettre que la matière qui avait eu vie conservait une 
vitalité propre, sous l’influence de laquelle ses parties disjointes se 
réunissaient de nouveau, dans certaines conditions favorables, et avec 
des variétés de structure et d'organisation que ces conditions mêmes 
déterminaient. 

D’autres au contraire, ajoutant par limagination aux résultats 
merveilleux que lobservation leur faisait découvrir, croyaient voir des 
accouplements dans ces infusoires, des mâles, des femelles, des œufs, 
et se posaient en adversaires déclarés de la génération spontanée. 

Il faut bien le reconnaitre, les preuves à l'appui de l’une ou de 
l’autre opinion ne soutenaient guère l'examen. 

La question en était là lorsque parut à Londres, en 1745, un ouvrage 
de Needham, observateur habile et prêtre catholique d’une foi vive, 
circonstance qui, dans un tel sujet, s’offrait comme un sûr garant de 
la sincérité de ses convictions. 

Dans cet ouvrage, la doctrine des générations spontanées était 
appuyée par des expériences directes d’un genre tout nouveau. 

L'ouvrage de Needham eut un grand retentissement. 

Deux années ne s'étaient pas écoulées depuis sa publication que la 
Société royale de Londres admettait son auteur au nombre de ses 
membres. Plus tard il devint l’un des huit associés de l'Académie des 
sciences. 

D'ailleurs Buffon prêta aux idées de Needham, sur la génération 
spontanée, l'appui de son beau langage. Son système des molécules 
organiques n'est qu'une variante des idées de Needham sur la force 
végétative. 'est présumable que les résultats de Needham eurent une 


FERMENTATIONS ET GÉNERATIONS DITES SPONTANÉES 297 


grande influence sur les vues de Buffon, car c’est à l’époque même où 
cet illustre naturaliste rédigeait son ouvrage que Needham fit un 
voyage à Paris, durant lequel il fut le commensal de Buffon. 

Mais les conclusions de Needham ne tardèrent pas à être soumises 
à une vérification expérimentale. Il y avait alors en Italie lun des plus 
habiles physiologistes dont la science puisse s’honorer, le plus ingé- 
nieux, le plus difficile à satisfaire, abbé Spallanzani. 

L'expérience seule pouvait condamner ou absoudre les opinions de 
Needham. C’est ce que Spallanzani comprit très bien. « Dans plusieurs 
villes d'Italie, dit-il, on a vu des partis formés contre l’opinion de 
M. de Needham ; mais je ne crois pas que personne ait jamais songé à 
l’examiner par la voie de l'expérience. » 

Il serait sans utilité de présenter un historique complet de la que- 
relle des deux savants naturalistes. Mais il importe de bien préciser 
la difficulté expérimentale à laquelle ils appliquèrent plus particulière- 
ment leurs efforts, et de rechercher si ce long débat avait éloigné tous 
les doutes. C’est ce que l’on croit généralement. Spallanzani est volon- 
tiers regardé comme l'adversaire victorieux de Needham. Un examen 
impartial de leurs observations contradictoires sur le point le plus 
délicat du sujet va nous montrer que Needham ne pouvait, en toute 
justice, abandonner sa doctrine en présence des travaux de Spal- 
lanzani. 

J'ai dit que Needham avait appuyé la doctrine des générations 
spontanées sur des expériences directes. C’est lui, en effet, qui est 
l’auteur de la méthode des expériences en vases clos exposés préala- 
blement à l’action du feu. 

« M. de Needham, dit Spallanzani, nous assure que les expériences 
ainsi disposées ont toujours réussi fort heureusement entre ses mains, 
c'est-à-dire que les infusions ont montré des infusoires et que c’est là 
ce quia mis le sceau à son système. 

« Si, après avoir purgé, ajoute Spallanzani, par le moyen du feu, 
et les substances que l’on met dans les vases et l’air contenu dans ces 
mêmes vases, on porte encore la précaution jusqu'à leur ôter toute 
communication avec lair ambiant, et que, malgré cela, à l'ouverture 
des fioles, on y trouve encore des animaux vivants, cela deviendra une 
forte preuve contre le système des ovaires; j'ignore méme ce que ses 
partisans pourront y répondre. » 

Notez bien ces derniers mots. Ils prouvent que Spallanzani plaçait 
dans le résultat des expériences ainsi conduites le criterium de la 
vérité ou de l'erreur. Or, nous allons voir que tel était également l'avis 


de Needham, par la citation suivante, extraite des notes de Needham : 


298 ŒUVRES DE PASTEUR 


« Il ne me reste plus, dit Needham, qu’à parler de la dernière 
expérience de Spallanzani, qu'il regarde lui-même comme la seule de 
toute sa dissertation qui paraît avoir quelque force contre mes prin- 
cipes. 

« Il a scellé hermétiquement dix-neuf vases remplis de différentes 
substances végétales, et il les à fait bouillir, ainsi fermés, pendant 
l'espace d’une heure. Mais de la façon qu’il a traité et mis à la torture 
ses dix-neuf infusions végétales, il est visible que non seulement il à 
beaucoup affaibli, ou peut-être totalement anéanti la force végétative 
des substances infusées, mais aussi qu’il a entièrement corrompu, par 
les exhalaisons et par Pardeur du feu, la petite portion d’air qui restait 
dans la partie vide de ses fioles..…. 

« Voici donc ma dernière proposition et le résultat de tout mon 
travail en peu de mots : Qu'il se serve, en renouvelant ses expériences, 
de substances suffisamment cuites pour détruire tous les prétendus 
germes qu'on croit attachés ou aux substances mêmes ou aux parois 
intérieures, ou flottant dans l'air du vase; .. qu'il plonge ensuite ses 
vases, scellés hermétiquement, dans l’eau bouillante pendant quelques 
minutes, le temps seulement qu'il faut pour durcir un œuf de poule et 
pour faire périr les germes, ... et je réponds qu'il trouvera toujours de 
ces êtres vitaux microscopiques en nombre suffisant pour prouver mes 
principes. S'il ne trouve, à l'ouverture de ses vases, après les avoir 
laissés reposer le temps nécessaire à la génération de ces corps, rien 
de vital ni aucun signe de vie, en se conformant à ces conditions, 
j'abandonne mon système et je renonce à mes idées. C’est, je crois, 
tout ce qu'un adversaire judicieux peut exiger de moi. » 

Voilà certes le débat bien nettément limité entre les deux observa- 
teurs. C’est dans le chapitre IT du tome premier de ses Opuscules que 
Spallanzani aborde cette difficulté décisive. Et quelle est sa conclusion ? 
Pour supprimer toute production d’infusoires il est nécessaire de 
maintenir trois quarts d'heure les infusions à la température de leau 
bouillante. 

Or, cette durée obligée d’une température de 100° pendant trois 
quarts d'heure ne justifiait-elle pas les craintes de Needham sur une 
altération possible de l'air des vases? Il aurait fallu tout au moins 
que Spallanzani joignit à ses expériences une analyse de cet air, mais 
la science n’était pas encore assez avancée. L’eudiométrie n'était pas 
créée. La composition de Pair était à peine connue. 

Mais bien plus, nous allons voir les objections de Needham légi- 
limées, au moins en apparence, par les progrès ultérieurs de la 


science. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 299 


Appert appliqua à l’économie domestique les résultats des expé- 
riences de Spallanzani effectuées selon la méthode de Needham. Par 
exemple, lune des expériences du savant italien consiste à introduire 
des petits pois avec de l’eau dans un vase de verre que l’on ferme 
ensuite hermétiquement, après quoi on le maintient dans l’eau bouil- 
lante pendant trois quarts d'heure. C’est bien le procédé d’Appert. Or, 
Gay-Lussae, voulant se rendre compte de ce procédé, le soumit à divers 
essais el arriva au résultat suivant : 

« On peut se convaincre, dit Gay-Lussac, en analysant l'air des 
bouteilles dans lesquelles les substances (bœuf, mouton, poisson, 
champignons, moût de raisin ont été bien conservées, qu'il ne contient 
plus d'oxygène, e{ que l'absence de ce gaz est par conséquent une 
condition nécessaire pour la conservation des substances animales et 
végétales. » 

Ne prenons que la premiere partie de cette assertion de Gay- 
Lussac, à savoir, qu'il n'y a plus d'oxygène dans les conserves 
d’Appert. Ne voyez-vous pas qu'elle justifie les craintes de Needham 
sur une altération de l'air des vases dans les expériences de Spal- 
lanzani? Comme je le disais tout à l’heure, par conséquent, Spal- 
lanzani n'avait pas triomphé des objections de Needhaim. 

Mais vous allez reconnaître que ceci n’est que la surface des 
choses. 

Au mois de février 1837, le D'° Schwann, de Berlin, ajouta un 
progrès notable dans la question qui nous occupe. Il publia le fait 
suivant : Une infusion de chair est mise dans un ballon de verre. On 
ferme ensuite le ballon à la lampe, puis on l’expose tout entier à la 
température de leau bouillante, et après son refroidissement on 
l’'abandonne à lui-même. Le liquide ne se putréfie pas. Jusque-là rien 
de bien nouveau. C’est une conserve d’Appert. Le D' Schwann ne 
parle pas des expériences d’Appert, de Gay-Lussac, de Spallanzani. 
(Je répare cet oubli, parce que l’une de mes préoccupations dans cette 
Leçon sera de chercher à rendre à chaque expérimentateur la part de 
progrès qui lui est due.) Mais il était désirable, ajoute M. Schwann, de 
modifier l’essai de telle manière qu'un renouvellement de l'air devint 
possible, avec cette condition toutefois, que le nouvel air fût préala- 
blement chauffé comme l’est celui du ballon à l’origine. Alors 
M. Schwann répète l'expérience précédente, en faisant arriver dans le 
ballon, aussitôt après l’ébullition, de l'air froid, mais qui passait 
préalablement dans des tubes de verre entourés de bains d’alliage 
fusible. Le résultat fut le même, il n’y eut pas d’altération du liquide 


organique. 


300 ŒUVRES DE PASTEUR 


C'était là un grand progrès. En effet, cela montrait l’erreur de 
l'interprétation de Gay-Lussac, relative à l'influence du gaz oxygène 
dans l’altération des conserves. Non, l'absence de l'oxygène n’est pas, 
comme le pensait Gay-Lussac, une condition nécessaire de l’inaltéra- 
bilité des conserves d’Appert. 

Voilà le progrès du D' Schwann. Il a montré que les conserves 
d'Appert continuaient de se conserver en présence de l'air, pourvu 
que l'air eût été chauffé. Et il a donné raison à Spallanzani contre 
Needham. 

Quelle fut, messieurs, la conclusion que le D' Schwann déduisit 
de son expérience? Que ce n’est pas l'oxygène seul qui occasionne 
la putréfaction, mais un principe renfermé dans l'air ordinaire, que 
la chaleur peut détruire. — La réserve de cette conclusion mérite 
d'être remarquée. Il ne dit pas que par la chaleur il détruit des germes. 
C'eût été aller au delà des faits. C’eût été ajouter une hypothèse à son 
travail, bien que l’on voie qu’il penche à croire que ses résultats sont 
favorables à la vieille hypothèse de la dissémination des germes. 

Les expériences du D Schwann ont été répétées et modifiées 
par divers observateurs. MM. Ure et Helmholtz ont confirmé ses 
résultats par des expériences analogues aux siennes. M. Schulze, au 
lieu de calciner l'air avant de le mettre au contact des conserves 
d’Appert, le fit passer à travers des réactifs chimiques énergiques, 
potasse et acide sulfurique concentrés. MM. Schræœder et von Dusch 
imaginèrent de filtrer l'air à travers du coton au lieu de le modifier par 
une température élevée ou par les réactifs chimiques. Le premier 
mémoire de M. Schræder a paru en 1854, le second en 1859. Ce sont 
d'excellents travaux, qui ont en outre le mérite historique de montrer 
l’état de la question qui nous occupe à la date de 1859. Je vais en 
présenter le résumé rapide. 

On savait depuis longtemps, et dès les premières discussions sur la 
génération spontanée, qu’une gaze fine, déja employée avec tant de 
succès par Redi, suffisait pour empêcher ou tout au moins pour 
modifier singulièrement laltération des infusions. Ce fait même était 
au nombre de ceux qu'invoquaient alors de préférence les adversaires 
de la doctrine des générations spontanées. 

Voici, par exemple, un passage d’un ouvrage bien connu sur le 
microscope, par Baker, membre de la Société royale de Londres, dont 
la traduction française parut en 1754. 

« J'ai trouvé constamment, dit Baker, que si linfusion (de poivre, 
de foin) est couverte d’une mousseline ou d’une autre toile fine, il ne 
s'y produit que très peu d'animaux, mais que si l’on ôte cette couver- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 301 


ture, elle est dans peu de jours pleine de vie... Comme les œufs de ces 
petites créatures sont moins pesants que l'air, il peut se faire qu'il en 
flotte continuellement des millions dans Pair, et qu'étant portés indif- 
féremment de tous les côtés, il en périsse un grand nombre dans les 
endroits qui ne conviennent pas à leur nature... Il y a des gens qui 
s’imaginent que les œufs de ces petits animaux sont logés dans le 
poivre, dans le foin, ou dans toutes les autres matières que l’on met 
dans l’eau ; mais, si cela était, je ne saurais comprendre comment une 
petite couverture d’une toile fine, qui n'empéche pas l’air de pénétrer, 
pourrait empécher ces œufs d’éclore. » 

Guidés sans doute par ces faits, et surtout, comme ils le disent 
expressément, par les expériences ingénieuses de M. Læœvwel, qui 
reconnut que l'air ordinaire était impropre à provoquer la cristallisa- 
tion du sulfate de soude, lorsqu'il avait été filtré sur du coton, 
MM. Schræder et von Dusch ont procédé de la manière suivante : 

Un ballon de verre reçoit la matière organique. Le bouchon du 
ballon est traversé par deux tubes recourbés à angle droit. L'un de ces 
tubes communique avec un aspirateur à eau; l’autre avec un large 
tube d'un pouce de diamètre et de vingt pouces de longueur, rempli 
de coton. On chauffait alors la matière organique en maintenant lébul- 
lition un temps suffisant pour que tous les tubes de communication 
fussent échauffés fortement par la vapeur d’eau. Alors on ouvrait le 
robinet de l'aspirateur. 

Dans leur premier travail, MM. Schræder et von Dusch ont opéré : 

1° Sur de la viande avec addition d’eau ; 

2° Sur le moût de bière : 

3° Sur le lait ; 

4° Sur la viande sans addition d’eau. 

Dans les deux premiers cas, l'air filtré à travers le coton a laissé 
intactes les liqueurs. Mais le lait s’est caillé et la viande sans eau est 
entrée en putréfaction. 

« Il semble donc résulter de ces expériences, disent MM. Schræder 
et von Dusch, qu'il y a des décompositions spontanées de substances 
organiques qui n'ont besoin pour commencer que de la présence du 
gaz oxygène; par exemple, la putréfaction de la viande sans eau, la 
putréfaction de la caséine du lait et la transformation du sucre de 
lait en acide lactique. Mais à côté il y aurait d’autres phénomènes de 
putréfaction et de fermentation placés, à tort, dans la même catégorie 
que les précédents, tels que la putréfaction du jus de viande et la 
fermentation alcoolique, qui exigeraient pour commencer, outre 


l’oxygène, ces choses inconnues mélées à l'air atmosphérique, qui sont 


302 ŒUVRES DE PASTEUR 


détruites par la chaleur d’après les expériences de Schwann, et d'apres 
les nôtres par la filtration de cet air à travers le coton... Comme il 
reste ici encore tant de questions à décider par la voie de l'expérience, 
nous nous abstiendrons de déduire aucune conclusion théorique de 
nos expériences. » 

M. Schrœder revint seul sur le sujet en 1859, dans un mémoire qui 
traite en outre de la cause de la cristallisation. Ce nouveau travail ne 
conduisit pas davantage son auteur à des conclusions dégagées de toute 
incertitude. Il y fait connaître de nouveaux liquides organiques qui ne 
se putréfient pas lorsqu'on les met au contact de l'air filtré, et il ajoute 
le jaune d’œuf à la liste de ceux qui, comme le lait et la viande sans 
eau, se putréfient dans l’air filtré sur le coton. 

« On pourrait admettre, dit-il, que l’air frais renferme une sub- 
stance active qui provoque les phénomènes de fermentation alcoolique 
et de putréfaction, substance que la chaleur détruirait, ou que le coton 
arrêterail. Faut-il regarder cette substance active comme formée de 
germes organisés microscopiques disséminés dans l'air? Ou bien 
est-ce une substance chimique encore inconnue? je l’ignore. » 

Puis il arrive aux phénomènes de cristallisation par l'air libre, ou 
par l’air filtré à la manière de Lœwel, et il finit par identifier comple- 
tement la cause de la cristallisation et de la putréfaction. 

Remarquez-le bien, messieurs, ce travail est de 1859. Vous com- 
prendrez maintenant les difficultés qui, à cette date, devaient assiéger 
tout esprit impartial, libre d'idées préconçues et désireux de se former 
une opinion dûment motivée sur cette grave question des générations 
spontanées. Tous ceux qui la croyaient résolue en connaissaient mal 
l’histoire. 

Spallanzani n'avait pas triomphé des objections de Needham, et 
MM. Schwann, Schulze et Schræder n'avaient fait que démontrer 
l'existence dans l'air d’un principe inconnu, comme ils le disent 
expressément, qui était la condition de la vie dans les infusions. 

Et puis, les expériences de Schwann, de Schulze, de Schræder 
échouaient quand on les répétait sur certains liquides. Bien plus, elles 
échouaient constamment et pour tous les liquides lorsqu'on employait 
la cuve à mercure. 

Aussi lorsque, postérieurement aux travaux dont je viens de parler, 
à la fin de l’année 1859, un habile naturaliste de Rouen, M. Pouchet, 
membre correspondant de lPAcadémie, vint annoncer des résultats 
sur lesquels il croyait asseoir d’une manière définitive la doctrine des 
générations spontanées, personne ne sut indiquer la véritable cause 


d'erreur de ses expériences. Et bientôt l’Académie des sciences, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 303 


malgré les protestations qui avaient accueilli dans son sein les com- 
munications de M. Pouchet, comprenant tout ce qui restait encore à 
faire, proposa pour sujet de prix la question suivante : 

« Essayer, par des expériences bien faites, précises, rigoureuses, 
également étudiées dans toutes leurs circonstances, de jeter un jour 
nouveau sur la question des générations spontanées. » 

La question paraissait alors si obscure que M. Biot, dont la bien- 
veillance n’a jamais fait défaut à mes études, me voyait avec peine 
engagé dans ces recherches, et réclamait de ma déférence à ses conseils 
l'acceptation d’une limite de temps au delà de laquelle j'abandonnerais 
ce sujet, si je n'avais pas vaincu les difficultés qui n'arrêtaient. Notre 
illustre président, M. Dumas, dont la bienveillance a souvent conspiré 
en ce qui me touche avec celle de M. Biot, se rappellera peut-être qu'a 
la même époque il me disait : « Je ne conseillerais à personne de 
rester trop longtemps dans ce sujet. » 

Mais quel besoin avais-je donc de m'attacher à cette étude? Un 
besoin impérieux que vous allez comprendre. 

Les chimistes ont découvert depuis vingt ans une foule de phéno- 
mènes vraiment extraordinaires, désignés sous le nom générique et 
déjà bien ancien de fermentations. Tous ces phénomènes exigent le 
concours de deux matières, l’une dite fermentescible, telle que le 
sucre, l’autre azotée, appelée ferment, qui est toujours une matière 
albuminoïde. Or voici la théorie qui était universellement admise : Les 
matières albuminoïdes exposées au contact de l’air éprouvent une 
altération, une oxydation particulière, de nature inconnue, qui leur 
donne le caractère de ferment, c’est-à-dire la propriété d’agir ensuite 
par leur contact sur les substances fermentescibles. 

Il y avait bien une fermentation, la plus ancienne et la plus remar- 
quable de toutes, la fermentation alcoolique, où le ferment était un 
végétal microscopique. Mais, comme dans toutes les fermentations de 
découverte plus moderne on n'avait pu reconnaître des êtres orga- 
nisés, On avait abandonné peu à peu, bien à regret sans doute, l’hypo- 
thèse d’une relation probable entre l’organisation de ce ferment et sa 
propriété d’être ferment, et l’on appliquait à la levüre de bière la 
théorie générale, et l’on disait : ce n’est pas parce qu’elle est organisée 
qu'elle agit, c’est parce qu’elle a été au contact de l’air, et c'est la por- 
tion de la levüre qui est morte, qui est en voie de putréfaction, qui 
agit sur le sucre. 

Dans des études persévérantes et qui sont bien loin de leur terme, 
j'arrivai à des conclusions entièrement différentes et je reconnus que 
toutes les fermentations proprement dites, visqueuse, lactique, buty- 


30% ŒUVRES DE PASTEUR 


rique, la fermentation de lacide tartrique, de l'acide malique..…. étaient 
toujours coexistantes avec la présence d'êtres organisés, et que loin que 
l’organisation de la levüre de bière fût une chose gênante pour la 
théorie, c'était par là au contraire qu’elle rentrait dans la loi com- 
mune et qu'elle était le type de tous les ferments proprement dits. 
En d'autres termes, je trouvais que les matières albuminoïdes, dans 
les fermentations proprement dites, n'étaient jamais des ferments, 
mais l'aliment des ferments, et que les vrais ferments étaient des êtres 
organisés. Or ils prennent naissance, on le savait, par le fait du 
contact des matières albuminoïdes et de l’oxygène. Dès lors, de deux 
choses l’une : ces ferments organisés étaient des générations spon- 
tanées, si l'oxygène seul, en tant qu'oxygène, leur donnait naissance 
par son contact avec les matières organisées ; ou bien ces ferments 
organisés n'étaient pas des générations spontanées, et alors ce n’était 
pas en tant qu'oxygène seul que ce gaz agissait, mais comme excitant 
d'un germe apporté en même temps que lui ou existant dans les 
matières. Voila comment il était indispensable, au point où je me 
trouvais de mes études sur les fermentations, que je résolusse, s’il 
était possible, la question des générations spontanées. Les recherches 
dont j'ai maintenant à vous rendre compte n’ont donc été qu’une 
digression, mais une digression obligée de mes travaux sur les fer- 
mentalions. 

Et c'est ainsi que j'ai été conduit à m'occuper d’un sujet qui jus- 
que-là n'avait exercé que la sagacité des naturalistes. 

Si je ne me trompe, messieurs, l'analyse des travaux que je viens 
de vous présenter et qui nous conduit jusqu'à l’année 1859 posait le 
débat en termes très nets. La plupart des naturalistes, forts de l’ana- 
logie et de la restriction chaque jour plus grande apportée au nombre 
des faits de génération prétendue spontanée, admettaient l’ancienne 
hypothèse de la dissémination aérienne des germes, et affirmaient que 
c'étaient ces germes que lon arrêtait ou que l’on détruisait dans les 
expériences de Schwann, de Schulze et de Schræder. Les partisans de 
la génération spontanée, au contraire, affirmaient que dans ces expé- 
riences on détruisait un principe inconnu, peut-être un gaz analogue 
à l'ozone, peut-être un fluide... enfin quelque chose sans vie qui était 
le primum movens de la vie dans les infusions, ainsi que M. Schræder 
et M. Schwann lui-même le laissaient supposer. Si ce sont des germes, 
ajoutaient-ils, montrez-les. Ce sont choses visibles et reconnaissables 
au microscope. On ne peut pas nier, disaient-ils encore, que, dans la 
poussière déposée à la surface des objets ou des monuments les plus 
anciens, il n'y ait quelquefois des spores ou des œufs de microzoaires, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 30 


ox 


mais il yenaen nombre excessivement restreint, comme il y a partout 
des semences voyageuses. 

L'un des partisans les plus déclarés de la doctrine des générations 
spontanées, M. Pouchet, s'exprime ainsi : 

« On rencontre parfois dans la poussière quelques œufs de micro- 
zoaires, mais c’est une véritable exception. » 

Plus loin il dit : 

« Parmi les corpuscules de poussière qui appartiennent au règne 
végétal, il y a des spores de cryptogames, mais en fort petit nombre. » 
Et il ajoute : « J'ai constamment rencontré une certaine quantité de 
fécule de blé... Il est évident que c’est cette fécule ou que ce sont des 
grains de silice que l’on a pris pour des œufs de microzoaires. » 

Voilà exactement le point où j'ai pris la question. 

Remarquons d’abord qu'il ne sert pas à grand’chose d’étudier la 
poussière au repos. Quel volume d’air l’a fournie ? Il est impossible de 
le dire. Et puis, des corpuscules en suspension dans l’air quels sont 
ceux qui se déposent? Les plus lourds, c’est-à-dire les corpuscules 
minéraux ou les corpuscules organiques du plus grand volume, et ce 
sont au contraire les plus légers que nous aurions intérêt à recueillir 
et à étudier. 

Or voici un moyen simple de rassembler les corpuscules qui sont 
en suspension dans l'air, et de les examiner au microscope. Plaçons 
dans un tube de verre une petite bourre de coton-poudre, de la variété 
de ce coton qui est soluble dans l’éther acétique ou dans un mélange 
d'alcool et d’éther. Puis, à l’aide d’un aspirateur à eau, faisons passer 
dans le tube un volume d’air déterminé. Les particules de poussière 
seront arrèlées, au moins en très grande partie, par les fibres du 
coton. Alors dissolvons le coton dans le mélange éthéré. Par un repos 
de vingt-quatre heures toutes les poussières tomberont au fond du 
tube, où il sera facile de les laver plusieurs fois par décantation. On 
les transporte alors dans un verre de montre, où le restant du liquide 
s’évapore; puis on les soumet sur le porte-objets du microscope à 
divers réactifs propres à déceler leur nature. Le mieux est de les 
délayer dans l'acide sulfurique concentré, qui dissout sur-le-champ la 
fécule, et qui n’altère pas la forme de beaucoup de germes des moisis- 
sures ou des infusoires, et c’est la forme surtout qui sert à les recon- 
naître. L’acide sulfurique a, en outre, l'avantage de disjoindre les 
corpuscules de nature diverse, de les isoler et de permettre ainsi de 
mieux reconnaître ceux qui sont organisés; car ces derniers se 
trouvent souvent englobés par des poussières amorphes qui empêchent 
de bien distinguer leurs contours. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 20 


306 ŒUVRES DE PASTEUR 


Cela posé, voici le résultat auquel on arrive. Aux poussières 
amorphes se trouvent constamment associés des corpuscules évidem- 
ment organisés, de volume, de forme et de structure très variables. 
J'ai l'honneur de faire passer sous vos yeux quelques dessins qui les 
représentent. Imaginez de petits globules d’une sphéricité parfaite ou 
légerement ovoïdes, translucides ou remplis de granulations, quel- 
quefois avec de petites sphères intérieures qui rappellent tout à fait 
des nucléus ou des nucléoles de cellules..…., et vous aurez une idée de 
ces corpuscules. Peut-on dire : celui-ci est une spore, celui-là est un 
œuf? et bien plus, car M. Pouchet voudrait que j'allasse jusque-là, la 
spore de telle moisissure et l’œuf de tel infusoire? vraiment je ne le 
crois pas. On peut affirmer la ressemblance parfaite avec des germes 
d'organismes inférieurs, mais voilà tout. 

Et quel en est le nombre? Il est très variable, suivant les condi- 
tions atmosphériques. Ainsi je ne doute pas, d’après ce que j'ai con- 
staté dans ce genre d’études qu'il serait si utile de poursuivre, 
d'étendre et de perfectionner, que la transparence de l'air après la 
pluie est due en grande partie à l'entraînement des poussières à la 
surface du sol par les gouttes de pluie. Je ne doute pas davantage que 
le brouillard ne doive une partie de son opacité aux nombreux corpus- 
cules amorphes et organisés qu'il renferme. 

Quoi qu'il en soit, voici un résultat qui vous donnera une idée du 
nombre vraiment notable des corpuscules organisés qui existent en 
suspension dans l'air d’une rue de Paris peu fréquentée, la rue d’Ulm. 
Faites passer pendant vingt-quatre heures, après une succession de 
beaux jours, un courant d’air assez rapide sur une petite bourre de 
coton d’un centimètre de long sur un demi-centimètre de large (qui 
n'arréte pas toutes les poussières, car on en retrouve sur une 
deuxième, sur une troisième... si on en place plusieurs à la suite 
dans le même tube), et il sera facile de compter dans la poussière 
recueillie et délayée dans l'acide sulfurique concentré plusieurs 
milliers de corpuscules organisés. Le calcul est bien simple en con- 
naissant le rapport des surfaces réelles du champ et de la goutte de 
liquide étalée, et le nombre moyen de corpuscules que l’on aperçoit 
dans chaque champ que l’on considère. 

M. Pouchet, pour réfuter ces expériences, a opéré sur de la neige 
fondue. J'ignore si ce moyen vaut le mien. Mais dans tous les cas il 
aurait fallu faire fondre la première neige tombée, et non la dernière. 
M. Pouchet dit qu'il s’est servi de la dernière. 

Voilà qui est bien acquis : l'air charrie constamment, et, par suite, 
laisse déposer sans cesse, à la surface des objets, des corpuscules 


à ils TT 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 307 


organisés dont la forme et la structure ne permettent pas de les distin- 
guer des germes des organismes les plus inférieurs. Ces corpuscules 
sont-ils des germes féconds? C’est ce qu’il faut essayer de rechercher 
par l'expérience. L'expérience est naturellement indiquée : il faut les 
semer dans une liqueur putrescible propre à la nourriture des infusoires 
et des cryptogames, et voir ce qui en résultera, avec cette précaution, 
d’ailleurs indispensable, d'éloigner complètement lPaccès de Pair ordi- 
naire, que nous savons être actif sans en connaître la cause, et, d’une 
manière non moins absolue, toute manipulation sur la cuve à mer- 
cure. Son emploi, je le dirai tout à l'heure, troublerait tous les résultats. 

Dans un ballon de 250 centimètres cubes j'introduis 100 centi- 
mètres cubes d’eau de levûre sucrée ou non sucrée; j’adapte l’extrémité 
étirée du col à un tube de platine entouré d’un manchon que l’on 
chauffe au gaz à une température rouge. Je fais bouillir le liquide, de 
manière à chasser l'air ordinaire par la vapeur d’eau. Après le refroi- 
dissement, le ballon se trouve rempli d’air à la pression ordinaire, et 
qui a été porté au rouge ; on ferme le col à la lampe. Le ballon peut être 
alors abandonné à lui-même indéfiniment sans éprouver aucune alté- 
ration. 

C’est dans ce ballon que nous allons suivre les effets de l’intro- 
duction des poussières de l'air, mais il nous faut une méthode irré- 
prochable, qui éloigne toute cause d’erreur. Supposez pour un instant 
que nous puissions remplir cette salle d’air calciné. L'opération serait 
bien simple : nous savons que cet air est inactif sur ce liquide. Nous 
briserions le [col du] ballon et nous introduirions nos poussières. Si un 
effet quelconque se produisait, il serait dû aux poussières déposées. 
On ne pourrait l’attribuer à rien autre chose. Eh bien, c’est préci- 
sément la condition que nous allons réaliser à l’aide de cet appareil. 

Un tube de platine avec son manchon de terre cuite et son appareil 
à gaz, un tube en T muni de robinets. L'une des branches commu- 
nique au tube de platine, la deuxième à la machine pneumatique, et 
la troisième à un gros tube de verre. 

Dans ce gros tube plaçons un fragment de l’une de nos bourres 
de coton chargées de poussières de l'air, à l’aide d’un tube de verre 
de petit diamètre. Enfin adaptons le ballon à l’aide d’un caoutchouc, 
ballon que je supposerai être à létuve depuis deux mois par exemple. 
Cela posé, faisons le vide dans l’appareil, après avoir fermé le robinet 
qui communique au tube de platine; laissons rentrer l'air calciné ; et 
répétons cette manœuvre dix à douze fois. Le petit tube à coton sera 
entouré d'air calciné, c’est-à-dire inactif, puisque le ballon en est 


rempli depuis deux mois sans que son liquide ait éprouvé d’altération. 


308 ŒUVRES DE PASTEUR 


Alors je brise la pointe du ballon à travers le caoutchouc et je 
laisse glisser le petit tube dans le ballon, que je referme à la lampe 
et que je reporte à l’étuve, dans la même situation qu'auparavant. 
Qu'y a-t1l dans ce ballon de plus que tout à l'heure? Les poussières 
qui existent dans l'air : rien de plus. 

Voyons maintenant les résultats. Après vingt-quatre, trente-six ou 
quarante-huit heures au plus, on voit toujours des productions orga- 
nisées apparaître. En plaçant le ballon entre l'œil et la lumière, on les 
distingue dès leur premier commencement, à cause de la limpidité 
parfaite du liquide. Cette limpidité n’est troublée que s’il y a forma- 
tion d'infusoires, et c’est là un excellent indice pour savoir que les 
infusoires ont pris naissance. Comme ils voyagent partout dans la 
masse du liquide, ils en troublent promptement la transparence. Les 
moisissures s'annoncent par des touffes de mycelium plus ou moins 
serrées, plus ou moins soyeuses, suivant les espèces qui sont nées. 
Les torulacées s’annoncent de leur côté par des traînées blanches, 
sous forme de précipités sur les parois du ballon. 

Comme on voit bien, en suivant pas à pas ce genre d’expérience, 
tout ce qu'il y a de faux dans cette assertion des partisans des géné- 
rations spontanées, à savoir que l’apparition des premiers organismes 
est toujours précédée par des phénomènes de fermentation ou de 
putréfaction, et que la formation des animalcules dans les macérations 
est précédée d’un dégagement de gaz divers dus à la décomposition 
des substances qu’on a employées, après quoi il se forme à la surface 
des liquides une pellicule particulière ! 

Aussi, lorsqu'on me parle de mouvement fermentescible que je 
détermine dans mes liqueurs en y déposant les poussières, mouvement 
fermentescible nécessaire pour l’évolution des forces génésiques, je ne 
vois là que des mots vagues auxquels l'expérience m'’apprend à ne 
prêter aucun sens raisonnable. 

Mais il y a une contre-épreuve nécessaire. Il faut répéter la même 
expérience à blanc, afin de voir si la manipulation n’a pas par elle- 
même une influence sur le résultat. A cet effet, chargeons des pous- 
sières qui sont en suspension dans l'air, non plus du coton, mais de 
l'amiante. L'expérience d’ensemencement réussit tout aussi bien 
qu'avec le coton. Mais faisons l’essai en passant l’amiante dans la 
flamme avant de lintroduire dans le petit tube, de manière à détruire 
tous les germes. On ne verra aucune production d’aucune sorte appa- 
raître dans le ballon à la suite de l'introduction dans le ballon de cette 
amiante calcinée. 

Il est très curieux d'étudier dans ces expériences l'influence que 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 309 


le développement d'une production peut avoir sur une production 
voisine. Il n’est pas rare, par exemple, de voir un mycelium dont 
l'accroissement de volume était chaque jour plus sensible s'arrêter 
tout à coup parce que le liquide est devenu trouble et que des infu- 
soires ont pris naissance. Cela tient uniquement à ce que les infu- 
soires s'emparent de Pair en dissolution, air nécessaire à la vie de la 
plante. Pareil effet peut avoir lieu sous l'influence du développement 
d’un mycelium nouveau plus vivace que le premier. Et, la preuve que 
c'est simplement l'air qui manque à la plante, c'est que si vous ren- 
versez le ballon de manière à amener la plânte dans le goulot, et que 
vous la laissiez là, le goulot incliné, librement exposée à l'air du 
ballon, vous la voyez en quelques heures reprendre sa marche et, le 
lendemain, offrir un développement des plus marqués qui, bientôt 
mème enlevant tout l'air, s'oppose au développement des autres pro- 
ductions qui sont dans le liquide du ballon. Si ce sont des infusoires, 
le liquide s’éclaircit. Ils meurent tous et viennent se déposer au fond 
du ballon, comme ferait un précipité. Dès qu'il n’y a plus d'oxygène, 
la vie est suspendue. Les choses restent telles quelles indéfiniment. 

La rapidité de l'absorption du gaz oxygène, qui se trouve toujours 
remplacé par de lacide carbonique en proportions variables, est 
souvent considérable. Il suffit quelquefois de deux ou trois jours pour 
que tout l'oxygène disparaisse. 

N'’abandonnons pas ce genre d'expérience sans lui faire donner un 
résultat nouveau bien digne d'intérêt dans le sujet qui nous occupe. 
On voit que l'appareil est disposé de telle façon qu'il est bien facile de 
soumettre les poussières à l’action d’une température plus où moins 
élevée à l’état sec, avant de les semer dans la liqueur organique. Il 
suffira de faire plonger le tube en U dans un bain d’eau pure, d’eau 
saturée de divers sels ou d'huile. Un thermomètre donnera la tempé- 
rature exacte du bain. 

Cela posé, il sera facile, d'autre part, de comparer l’action de la 
température sur la fécondité des poussières avec l’action de la tempé- 
rature sur la fécondité des véritables spores des moisissures les plus 
vulgaires. 

Eh bien, on arrive à ce résultat, c’est que les poussières qui sont 
en suspension dans l'air conservent leur fécondité jusqu'a la tempeé- 
rature de 120° environ. Si l’on élève la température à 130°, les pous- 
sières ne donnent plus de productions. Or les spores des moisissures 
vulgaires sont dans le même cas. Chauffées à l’abri de toute humidité, 
elles restent fécondes jusqu’à 120°; mais si la température atteint 130°, 


? 


elles ne germent plus. 


310 ŒUVRES DE PASTEUR 


Cette correspondance n'est-elle pas une preuve nouvelle que parmi 
les corpuscules organisés qui existent dans l'air il y a des spores de 
cryptogames ? 

Les expériences que je viens de rapporter me paraissent mettre 
hors de doute que l’origine des productions organisées des infusions 
qui ont été portées à l’ébullition est due exclusivement aux poussières 
qui existent en suspension dans l’atmosphere. 

Voici une autre méthode d’expérimentation qui achèvera de le 
démontrer. 

Je place dans un ballon une liqueur putrescible, et j'étire ensuite le 
col en le recourbant et le contournant de diverses manières, puis je fais 
bouillir le liquide pendant deux à trois minutes. Le liquide reste intact. 
Je croyais d’abord qu'il fallait placer le ballon dans un lieu tranquille, 
où l'air ne serait pas agité du tout. C’est inutile. Tout se passe à 
l'entrée. L'air intérieur fait coussin. Les mouvements ne s’y propagent 
pas, ou avec tant de lenteur que les poussières entraînées ont le temps 
de tomber et de s'arrêter en route. 

Vient-on, au contraire, à donner un trait de lime au col et à le 
détacher, au bout de un à deux jours les productions commencent à se 
montrer. 

Vient-on même à donner au liquide des secousses violentes, de 
manière à déterminer des mouvements brusques de Pair, on peut être 
sûr de provoquer la naissance des moisissures ou des infusoires. 

L'ensemble de ces résultats montre, ce me semble, avec la dernière 
évidence que toutes les productions des infusions qui ont été chauffées 
sont dues exclusivement aux poussières qui sont en suspension dans 
l'air; que toute idée de principes mystérieux, fluides, gaz connus ou 
inconnus, ozone... doit être écartée. 

Il n’y a quoi que ce soit dans l’air, hormis les particules solides qu'il 
charrie, qui soit une condition de la vie dans les infusions. 

Ce résultat est certain. Tout le progrès de mon travail est là. Ne 
l’exagérons pas, ne le restreignons pas. Soit une infusion organique 
qui a subi l’ébullition. Exposée à Pair, elle s’altère, elle montre en très 
peu de jours des cryptogames et des infusoires. Eh bien, il est prouvé 
par mes expériences que son altération est uniquement due à la chute 
des particules solides que l'air charrie toujours. Rien, rien autre n’est 
la cause de la vie dans les infusions qui ont été portées à l’ébullition. 
En outre, je recueille ces particules et je vous les montre au microscope 
formées de débris amorphes associés à des corpuscules organisés qui 
ressemblent complètement à des œufs d’infusoires ou à des spores de 
cryplogames. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 311 


Voulez-vous, vous, partisans de la génération spontanée, soutenir 


encore vos principes en présence de ces faits? vous le pouvez. Mais il 
faudra que vous disiez que vous préférez placer l'origine des produc- 
tions organisées dans les débris amorphes, la suie, le carbonate de 
chaux, la silice, les brins de laine... plutôt que dans les corpuscules, qui 
ressemblent tant aux germes de ces mêmes productions. L’inconsé- 
quence d’un pareil raisonnement ressort d'elle-même. C’est Le progres 
de mes expériences d’y avoir acculé les partisans de la doctrine de la 
génération spontanée, qui jusque-là pouvaient invoquer lPexistence 
possible dans l'atmosphère de je ne sais qu'el principe mystérieux, gaz 
ou fluide, capable de provoquer la naissance des générations dites 
spontanées. 

M. Pouchet présente comme une immense objection, ce sont ses 
expressions, que dans mes ballons je ne vois pas naître de gros infu- 
soires ciliés, des kolpodes, des vorticelles.... Mais je vois naître dans 
mes ballons ce que j'y vois naître quand je les expose librement au 
contact de l’air pendant quelques jours. 

Si M. Pouchet venait me dire : voici une infusion qui a subi lébulli- 
tion et qui, dans l’espace de deux ou trois jours, va fournir, à Pair libre, 
des gros infusoires ciliés; et que je ne pusse pas les faire naître dans 
mes ballons, sous l'influence de l’ensemencement des poussières en 
suspension dans l'air, ce serait là une grave objection. Mais je ne 
connais rien de pareil et je vois toujours le liquide de mes ballons 
s’altérer comme il s’altère à l'air. Ce sont tout à fait des productions de 
même ordre. 

Ce qui trompe ici M. Pouchet, c’est la différence bien réelle qui 
existe entre les infusions qui ont été portées à l’ébullition et celles qui 
n'ont pas été chauffées, sous le rapport du nombre et de la variété des 
infusoires. Il est certain, par exemple, que si lon fait une infusion de 
foin à froid, elle offrira quelques jours après des infusoires bien plus 
variés, de bien plus grande dimension, que la même infusion préparée 
à la température de l’ébullition. Je ne saurais dire exactement la cause 
de cette différence. Doit-elle être attribuée à des germes que le foin 
brut, que le poivre brut... renfermeraient, et que l’ébullition ferait 
périr, ou bien à la nature et à la qualité des substances des organes des 
êtres vivants, lesquelles jouissent de propriétés spéciales que la chaleur 
modifie profondément? Je lignore; c’est à rechercher. 

Que dans un ballon librement exposé à lair on voie appa- 
raitre, au bout de quelques semaines, de gros infusoires qui ne se 
montreraient pas dans mes ballons après quelques jours, je ne trou- 
verais à cela rien que de très naturel. En effet, tout le monde sait que 


312 ŒUVRES DE PASTEUR 


les premiers infusoires des infusions sont toujours les plus petits; 
Jamais la vie ne débute par de gros infusoires. Or ces petits infusoires 
altérent l'air promptement, lorsque l'air est en quantité limitée dans 
un ballon fermé. Les gros infusoires ne peuvent donc se montrer. 
Lorsqu'ils pourraient apparaître, il n’y a plus d’air pour les faire vivre. 

Voulez-vous savoir avec quelle rapidité loxygène peut disparaître 
dans un de nos ballons, sous l’influence de la vie des petits infusoires ? 

Le 2 juillet 1860, j'ai vu apparaître de petits bacteriums dans un 
ballon de 250 centimètres cubes, renfermant 80 centimètres cubes de 
liquide. Le 4 juillet, j'ai analysé l'air du ballon. Il renfermait : 


OXYRER 4,3 
ACIde CAR BOTIQUE. RTE LES 
AZOLENPATATÉTENCe.. RE CN IC PE 

100,0. 


Quoi qu’il en soit, je le reconnais, l'origine des gros infusoires est 
une question à examiner, qui exige des recherches particulières. Mais 
ne confondons pas des difficultés, qu’un travail approprié résoudra 
facilement, avec des impossibilités, des objections radicales pouvant 
renverser toute une théorie. 

Il y a dans le sujet une véritable objection, grave, sérieuse, capitale, 
à laquelle j'ai hâte d’arriver. Partisans et adversaires des générations 
spontanées, tout le monde admet que la plus petite quantité d’air 
commun mise au contact d’une infusion quelconque y détermine en peu 
de temps la naissance des mucédinées et des infusoires propres à cette 
infusion. 

Cette manière de voir a toujours eu pour appui, au moins indirect, 
l'habitude prise, et jugée indispensable par les observateurs, d’éloigner 
avec des précautions infinies, dans leurs expériences, l'accès de l’air 
ordinaire. 

Dès lors les partisans des générations spontanées s’empressent de 
faire remarquer que si la plus minime portion d’air ordinaire développe 
des organismes dans une infusion bouillie quelconque, il faut de toute 
nécessité, au cas où ces organismes ne sont pas spontanés, que dans 
celte portion si petite d’air commun il y ait les germes d’une multitude 
de productions diverses ; et qu'enfin, si les choses sont telles, Pair 
ordinaire doit être encombré de matière organique. Elle y formerait 
un épais brouillard. 

Voilà la grande objection des partisans de la génération spontanée, 
appuyée, comme on le voit, sur une assertion proclamée vraie par les 
deux partis, assertion qui peut en quelque sorte se résumer ainsi : 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 9313 


Dans l'atmosphère il y a continuité de la cause des générations dites 
spontanées. 

Il est assez curieux de rechercher quelle est la source de cette 
assertion généralement admise. Si vous voulez des preuves directes, 
vous n’en trouverez pas. Ce sont de ces notions que l’on rencontre 
partout, partout regardées comme des principes bien établis, mais dont 
les preuves ne sont nulle part. Je crois que celle-ci a eu pour origine 
ce fameux mémoire de Gay-Lussac sur les conserves d’Appert, dont j'ai 
déjà parlé. C’est dans ce mémoire, remarquez-le bien, que Gay-Lussac, 
trouvant qu'il n’y a plus d'oxygène dans l'air des conserves, affirme que 
l'absence de l'oxygène est nécessaire pour l’inaltérabilité des conserves; 
c'est dans ce mémoire qu'il conserve du lait pendant deux mois en le 
faisant bouillir quelques instants chaque jour, pour chasser, ditil, Pair 
dissous ; c’est dans ce mémoire enfin que vous trouvez cette expérience 
classique sur le moût de raisin qui entre en fermentation après qu'il a 
été mis au contact de quelques bulles d'oxygène, bulles infiniment 
petites, a-t-on dit et répété. En confondant toutes ces choses, faits et 
interprétations, un peu comme elles l’étaient dans le mémoire de Gay- 
Lussac, on en est venu à affirmer que la plus petite quantité d’air 
commun suffisait pour provoquer la fermentation et pour altérer les 
conserves d’Appert. Et de là, comme je Pai dit, l’objection très judi- 
cieuse faite par les partisans de la doctrine de l’hétérogénie. 

Mais nous allons reconnaître que l’assertion dont il s’agit est une 
grosse exagération, et que, comme on devait s’y attendre dans l’hypo- 
thèse de la dissémination des germes, il n’y a pas du tout dans l’atmo- 
sphère continuité de la cause des générations dites spontanées. 

Les expériences suivantes me paraissent aussi simples que démons- 
tratives. 

Dans un ballon de 250 centimètres cubes environ je place 80 à 
100 centimètres cubes d’une liqueur putrescible, par exemple de Peau 
de levüre de bière. J’effile le col du ballon, puis je fais bouillir la liqueur 
pendant deux à trois minutes, et je ferme la pointe effilée à la lampe 
pendant l’ébullition, de manière à pratiquer un vide dans le ballon par 
le refroidissement. Si dans un tel ballon on fait arriver de l'air calciné, 
il ne provoque aucune altération. 

Cela posé, ouvrons ce ballon dans un lieu déterminé. L'air s’y préci- 
pitera avec force, emportant avec lui toutes ses particules en suspen- 
sion. Refermons alors la pointe à la lampe et abandonnons le ballon à 
lui-même. S'il n’y a pas d’altération du liquide, c’est évidemment que le 
volume d’air introduit ne renfermait rien qui pût amener l’altération de 
la liqueur. Et si l’on répète plusieurs fois l'expérience, on saisira en 


314 ŒUVRES DE PASTEUR 


quelque sorte dans leur variété les germes disséminés dans le lieu où 
l’on aura fait les prises d’air. 

Or on s'assure facilement, à l’aide de pareils essais, que l’on peut 
toujours prélever dans un lieu quelconque un volume notable d’air 
ordinaire, n'ayant subi aucune sorte de modification physique ou 
chimique, tout à fait impropre à déterminer des productions orga- 
nisées quelconques dans un liquide éminemment putrescible. 

On reconnait également, en choisissant les époques pour un même 
lieu, ou des localités diverses à une même époque, que l’on peut à 
volonté augmenter ou diminuer le nombre des ballons qui s’altérent. 
Que l’on ouvre, par exemple, deux séries de ballons, lune dans la cour 
de l'Observatoire de Paris, l’autre dans les caves de cet établissement, 
dans la zone de température invariable où l’air est très calme, il y aura 
toujours beaucoup plus de ballons qui resteront intacts parmi ceux qui 
auront élé remplis dans les caves; et tout annonce que la totalité des 
ballons resterait sans altération si l'opérateur ne transportait avec lui 
des poussières et, par suite, des germes. 

Voici des ballons qui ont été ouverts au mois de septembre 1860 sur 
la Mer de Glace, au Montanvert, à 2000 mètres de hauteur. Sur vingt 
ballons, un seul a donné une production. 

A la méme époque j'ai ouvert sur le Jura, à 850 mètres d’élévation, 
vingt autres ballons pareils; cinq ont donné des productions organisées, 
et huit sur vingt en ont fourni dans la campagne, loin de toute habita- 
tion, au pied du premier plateau du Jura. 

Il faudrait sans doute multiplier beaucoup ces essais. Mais enfin il 
est arrivé dans ces études préliminaires que la diminution des germes en 
suspension dans l'air a été en correspondance évidente avec la hauteur 
plus ou moins grande à laquelle on avait opéré. 

Il en doit être ainsi. Ne voyons-nous pas, lorsqu'un nuage de pous- 
sière se forme, ce nuage avoir des limites peu éloignées. Sans doute, 
une partie des corpuscules va plus haut, mais le nombre de ceux qui 
dépassent les limites visibles doit singulièrement diminuer avec la 
hauteur. 

J'ai la conviction que des prises d'air faites à quelques mille mètres, 
avec un aérostat, établiraient que l'air est à ces hauteurs d’une pureté 
parfaite. Seulement il faudrait de grandes précautions pour éloigner les 
poussières des vêtements de l’opérateur ou des objets qu'il emporte 
avec lui. 

Vous voyez, messieurs, par les expériences que je viens de mettre 
sous vos yeux, toute l’exagération de cette assertion que la plus petite 
quantité d'air commun suffit pour déterminer dans une infusion la naïis- 


ss ds 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 515 


sance des infusoires et des cryptogames propres à cette infusion. 
Ainsi dans ces expériences au Montanvert j'ai mis plusieurs litres d’air 
en contact avec la liqueur putrescible, et ce volume d'air relativement 
considérable n’a pas plus agi que de l'air qui aurait été caleiné. 

Mais, direz-vous, l'expérience de Gay-Lussac sur les grains de 
raisin, comment l'expliquer? Pourquoi réussit-elle ? Il y a beaucoup à 
dire sur cette expérience. Elle me préoccupe depuis longtemps à 
divers points de vue, et j'espère me rendre tout à fait maître de lexpli- 
cation qu’elle doit recevoir. Dès à présent nous pouvons remarquer la 
différence qui existe entre cette expérience et des essais de la nature 
de ceux que je viens de rapporter. 

Dans l'expérience de Gay-Lussac les vases et les liquides n’ont pas 
été chauffés préalablement. L'éprouvette dont on se sert est toujours 
plus ou moins couverte de poussières, les grains de raisin également, 
le mercure lui-même en est chargé. La bulle d'oxygène que l’on intro- 
duit rencontre donc des germes de toutes sortes, et, comme l’une des 
productions qui se forment le plus facilement dans du moût de raisin 
est la levüre de bière, on comprend que ce soit le germe de la levûüre 
de bière qui se développe de préférence, et de là la fermentation. 

C’est iei le lieu de parler des inconvénients de l'emploi de la cuve à 
mercure dans les expériences relatives aux générations dites spon- 
tanées. Dans mes premiers essais d’ensemencement des poussières, qui 
sont en suspension dans l'air, dans des liqueurs putrescibles, en pré- 
sence de lair calciné, j’opérai sur la cuve à mercure. Or toutes mes 
expériences 4 blanc réussissaient aussi bien que les autres. C’est qu'il 
est impossible de manipuler sur le mercure sans introduire dans les 
vases une partie des poussières qui sont à la surface du mercure ou 
sur les parois de la cuve, et jusque dans la masse même du liquide. Du 
jour où le mercure est sorti de la mine il est exposé aux poussières qui 
sont en suspension dans l'air et qui tombent à sa surface. Avez-vous 
jamais remarqué comment les choses se passent lorsque l’on enfonce 
dans le mercure un objet quelconque, par exemple un tube de verre, et 
qu'il y a à la surface du mercure une couche de poussière? Les pous- 
sières de la surface viennent se loger dans la gaine comprise entre le 
mercure et le tube, et elles y viennent d’une distance d’un décimètre 
si on enfonce le tube d’un décimètre. De sorte que quand vous faites 
passer dans un ballon préparé avec beaucoup de soin, rempli d’un 
liquide qui a subi l’ébullition, un tube de verre dans certaines condi- 
tions, si vous croyez être à l’abri des germes étrangers, vous vous 
trompez, vous en introduisez un très grand nombre. 

Mais dans l’intérieur même du mercure il y en a toujours. Il n'y à 


316 ŒUVRES DE PASIEUR 


pas de liquide plus propre à les cacher et à les retenir. Voici une 
expérience facile à répéter. On prend un ballon contenant un liquide 
organique qui a bouilli et vide d’air. On brise sa pointe au fond de la 
cuve. Le mercure rentre dans le ballon; on y fait arriver alors de l'air 
calciné ou de lair artificiel. Eh bien, j'ai toujours vu, au bout de peu de 
jours, des moisissures apparaître dans le liquide. Il est évident que 
c'est le mercure qui en avait apporté les germes. 

Or c'est précisément là une des expériences de même ordre que 
celles que M. Pouchet avait produites lorsqu'il a soulevé de nouveau le 
débat sur la question des générations spontanées. Il renversait sur le 
mercure un ballon plein d’eau bouillante, y faisait passer un peu de 
foin qui avait été chauffé, puis de l’air calciné ou de Pair artificiel. IL 
avait des productions. C’est que le foin, lui dit-on, n’a pas été assez 
chauffé. Alors il le cheuffa jusqu'à le carboniser. Il eut le même 
résultat. C’est, lui dit-on, que vous laissez rentrer de l'air ordinaire. 
Non. Là n'étaient pas les causes d’erreur. C’est le mercure qui appor- 
tait les germes, à son insu, et à l’insu de tout le monde. Supprimez en 
effet la cuve à mercure, et toutes les expériences prennent une netteté 
parfaite. Celles qui doivent réussir réussissent. Celles qui doivent 
échouer échouent. Il n’y a jamais d’exceptions, d'accidents quelconques, 
d'incertitudes d'aucune sorte. 

Je m'aperçois, messieurs, que je me laisse trop aller au plaisir de 
répondre à l'intérêt que vous paraissez prendre à ces études. Le temps 
me presse, et j'avais encore plusieurs séries d'expériences à mettre 
sous vos yeux. J'aurais désiré vous parler de mes expériences sur 
le lait et en général sur les liquides légèrement alcalins. Vous auriez 
vu que dans ce cas une ébullition à 100° de deux à trois minutes ne 
suffit pas pour tuer les germes des infusoires-vibrions, ce qui fait que 
ces liquides se putréfient même en présence de l'air calciné. Mais il 
suffit d'élever de quelques degrés seulement la température de l’ébulli- 
üon, pour que ces liquides se conservent intacts comme tous les autres 
en présence de l'air qui a été chauffé. 

J'aurais désiré également vous parler des expériences de produc- 
tion d’infusoires et de cryptogames dans des liquides formés de prin- 
cipes en quelque sorte purement minéraux, tels que le sucre candi, les 
phosphates et les sels d’ammoniaque. Les théories sur l’origine des 
générations spontanées ne sont plus applicables ici. On ne peut plus 
invoquer les forces génésiques des matières albuminoïdes qui ont eu 
vie, puisque ces matières albuminoïdes sont supprimées. 

Quoi qu'il en soit, messieurs, n’exagérons rien. Dans des sujets 
aussi délicats, sachons nous arrêter là où s’arrête l'expérience. Mon 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 317 


travail ne s'applique qu'à des infusions qui ont subi préalablement la 
température de l’ébullition. En ce qui concerne de semblables infu- 
sions, je regarde comme rigoureusement démontré par mes expé- 
riences que tous les infusoires et toutes les cryptogames qui 5; 
développent proviennent de germes qui sont en suspension dans l'air. 
Qu'un partisan de la doctrine des générations spontanées fasse telle 
supposition qu'il voudra au sujet des infusions qui n’ont pas été 
bouillies, je ne le suivrai pas, parce que je n'aurais plus l'expérience 
pour guide. Je suis, en outre, le premier à reconnaître que dans le sujet 
qui nous occupe il y a encore nombre dé problèmes à résoudre, et, 
pour n’en citer que quelques-uns : Quelle est Porigine des gros infu- 
soires? D'où vient la différence que l’on remarque entre les infusions 
qui ont été bouillies et celles qui ne l’ont pas été, sous le rapport de la 
variété des productions organisées, notamment des gros infusoires ? 
Qu’arriverait-il si l’on plaçait au contact de l'air caleiné les liquides 
bruts de l’économie, non chauflés préalablement, tels que l'urine, le 
lait, le sang ? (1) 

Ces questions méritent toute l'attention des naturalistes. 

A côté d'elles, combien d’autres sujets d’études pleins d'intérêt 
soulève le mode de vie de ces petits êtres réunis sous l’expression de 
générations spontanées ! Je suis au milieu d’eux depuis plusieurs 
années, et il me semble que ma vie serait trop courte si je voulais 
aborder toutes les questions qui se pressent devant moi. 

Aussi combien je m'étonne quand je vois l’histoire naturelle ne 
pas tendre la main à l'expérience, ne pas s’efforcer de transporter 
chez elle les vrais principes de la méthode expérimentale, qui a renou- 
velé dans l’espace de soixante à quatre-vingts ans les sciences phy- 
siques et chimiques, et par elles transformé pour ainsi dire toutes les 
conditions matérielles des sociétés modernes! 

J'ai la persuasion que l’on ferait passer dans toutes les branches de 
l'histoire naturelle une sève nouvelle en y introduisant l'expérience, 
l'expérience vraie, celle qui mérite ce nom, l'expérience à la hauteur de 
l’état présent des sciences physiques et chimiques. 

Plus j'avance dans ces études des êtres inférieurs, plus je suis 
frappé de l'insuffisance de la description pour arriver à la connaissance, 
je ne dirai pas seulement de leurs propriétés physiologiques et de leur 
rôle dans l’économie de la nature, — ceci pourra paraître évident, - 
mais bien plus, de leur place dans les classifications et même de la 
dénomination qu'il faut leur attribuer. 


1. Voir p. 170 du présent volume. (Note de l'Édition.) 


RECTIFICATION (1; 
D'UN PASSAGE D'UNE NOTE PRÉSENTÉE A L'ACADÉMIE 
PAR MM. JOLY ET MUSSET (? 


Je lis, dans une Note présentée lundi dernier à l'Académie par 
MM. Joly et Musset, que j'admettais autrefois l’origine spontanée de la 
levüre de bière, et que j'ai même proclamé cette opinion, en termes 
tres explicites, dans mon Mémoire sur la fermentation alcoolique. 

M. Pouchet m'a déjà adressé un pareil reproche de contradiction 
avec moi-même. 

Je suis bien surpris, je l'avoue, de ces assertions de mes savants 
antagonistes. Non, pas plus autrefois qu'aujourd'hui, je n’ai admis la 
génération spontanée de la levüre de bière, dans le sens propre du 
mot. Mais il m'est arrivé, comme à tout le monde, de dire que la levüre 
se forme spontanément dans le jus de raisin, dans le moût de bière..., 
lorsque ces liquides sont exposés au contact de l’air ordinaire, voulant 
par là exprimer le fait brut de l'apparition d’une plante dans un milieu 
où la plante n'avait pas été semée directement. N’arrive-t-il pas, de 
même, tous les jours aux naturalistes de dire que telle plante croît 
spontanément dans telle contrée, et quelqu'un se méprend-il, pour 
autant, sur l'opinion que ces naturalistes professent à l'égard de la 
véritable origine de cette plante ? 

D'ailleurs on va juger du soin avec lequel j'ai cherché à éviter toute 
confusion de langage. Voici, en effet, la phrase du Mémoire où j'ai 
employé, pour la première fois, le mot spontané en parlant de la levûre 
de bière : 

« Enfin, il y a une dernière analogie que je ne dois pas omettre; c’est 
qu'il n’est pas nécessaire d’avoir déjà de la levüre lactique pour en 
préparer : elle prend naissance spontanément, avec autant de facilité 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 septembre 1861, LIIT, 
p. 403-404. 

2. Jozy et Musser. Recherches sur l'origine, la germination et la fructification de la levüre 
de bière (torula cerevisiæ., Turpin). Ibid., séance du 26 août 1861, LIIT, p. 368-371. (Notes de 
l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 319 


que la levûre de bière, toutes les fois que les conditions sont favo- 
rables. » Et puis, j'ajoute aussitôt en note : « Je me sers de ce mot, 
spontanément, comme expression du fait, en réservant complètement 
la question de la génération spontanée. » [Annales de chimie et de 
physique, 3° série, LIT, 1858, p. 413] (1 

En lisant ce passage si explicite, MM. Pouchet, Joly et Musset 
regrelteront, je n'en doute pas, l'interprétation très erronée qu'ils ont 
donnée à ma pensée. 

Quant à leurs autres opinions au sujet de la levüre de bière, j'espère 
publier bientôt des observations qui les éclafreront, si je ne me trompe, 
sur la cause de leurs erreurs et de celles des botanistes qui les ont 


précédés. 


1. Voir p. 9 du présent volume. (Note de l'Édition. 


EXAMEN DU RÔLE ATTRIBUÉ AU GAZ OXYGÈNE ATMOSPHÉRIQUE 
DANS LA DESTRUCTION 
DES MATIÈRES ANIMALES ET VÉGÉTALES APRÈS LA MORT (!) 


Cette communication a été reproduite p. 165-171 du présent volume. 
Pasteur annonce, à la fin de cette communication, qu’il a réussi « à exposer 
au contact de l'air, privé de ses germes, des liquides frais, putrescibles à 
un très haut degré », le sang et l'urine. Ces expériences « portent, dit 
Pasteur, un dernier coup à la doctrine des générations spontanées, aussi 
bien qu’à la théorie moderne des ferments ». (Note de l'Edition.) 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 avril 1863, LVI, p. 734-740. 


DISCUSSION AVEC MM. POUCHET, JOLY ET MUSSET 


NOTE (1) 
EN RÉPONSE A DES OBSERVATIONS CRITIQUES 
PRÉSENTÉES A L'ACADÉMIE PAR MM. POUCHET, JOLY ET MUSSET, 


DANS LA SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE DERNIER (2) 


Dans mon Mémoire sur la doctrine des générations spontanées (?) 


1 


.) 


j'affirme « qu'il est toujours possible de prélever, en un lieu déterminé, 
un volume notable, mais limité, d’air ordinaire n’ayant subi aucune 
espèce de modification physique ou chimique, et tout à fait impropre 
néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une liqueur 
éminemment putrescible ». 

Je croyais avoir donné de cette assertion une démonstration en 
quelque sorte mathématique. Je trouve cependant aux Comptes rendus 
de la séance du 21 septembre dernier une relation d'expériences 
exécutées dans l'intérieur [des glaciers] de la Maladetta (Pyrénées 
d'Espagne), par MM. Pouchet, Joly et Musset, qui réfute, au dire de 
mes persévérants contradicteurs, l'opinion que je viens de rappeler 

Ces expériences sont de tout point pareilles à celles que jai 
exécutées moi-même sur la Mer de Glace, sur le Jura, et au pied du 
premier plateau du Jura, au mois de septembre 1860. 

Je me félicite que ces habiles naturalistes aient pris la peine d'aller 
faire à la Rencluse et à la Maladetta ce que j'avais fait au mont Blanc 
et sur un des plateaux du Jura, et qu'a mon exemple, comme ils le 
disent expressément, ils aient éloigné leurs guides, l’influence de leurs 
vêtements autant que possible, élevé les ballons au-dessus de leurs 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 novembre 1863, LVII, 
p. 724-726. 

2. Poucner, Jozy et Musser. Expériences sur l'hétérogénie exécutées dans l'intérieur des 
glaciers de la Maladetta (Pyrénées d'Espagne). Jbid., séance du 21 septembre 1863, LVII, 
p- 998-561. 

3. Pasteur. Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère, Examen 
de la doctrine des générations spontanées. Annales de chimie et de physique, 3e sér., LXIV, 
1862, p. 5-110, et p. 210-294 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. ÿ 21 


322 ŒUVRES DE PASTEUR 


têtes, et chauffé la pointe avant de la briser. Tout ceci est extrait de la 
Note à laquelle je réponds. Cependant j'ai regretté que ces messieurs 
aient brisé la pointe des ballons à l’aide d’une lime chauffée préala- 
blement, au lieu d’une pince. Dans ce détail important ils se sont 
séparés de ma manière d'opérer. Mon Mémoire dit que j'ai brisé la 
pointe effilée des ballons « à l’aide d’une pince de fer dont les longues 
branches venaient d’être passées dans la flamme, afin de brûler les 
poussières qui pourraient se trouver à leur surface et qui ne manque- 
raient pas d’être chassées en partie dans le ballon par la rentrée 
brusque de lair ». Pour que la lime fasse l'office de la pince dont je 
parle, il faut de toute nécessité que la lime seule touche et brise la 
pointe du ballon, que le pouce et la main n’interviennent qu’à distance 
parce que la main, elle, ne peut évidemment être chauffée préala- 
blement comme la lime ou la pinee (1. 

Quoi qu'il en soit, on voit bien qu'à tout prendre mes savants 
adversaires ont apporté des soins particuliers dans leurs essais, et 
qu'ils ont été guidés par le ferme désir de répéter minutieusement 
mes expériences. 

Mais ce qu'ils ont omis d'appliquer, et ce n’est pas devant l’Aca- 
démie des sciences qu'il sera utile de faire remarquer l’énormité de la 
lacune, c’est la méthode même que j'ai mise en pratique. 

Et, en effet, MM. Pouchet, Joly et Musset ont ouvert quatre ballons 
à la Rencluse et quatre à la Maladetta. Or, j'en avais ouvert vingt à la 
Mer de Glace, vingt sur le Jura, vingt au pied du Jura, ainsi que mon 
Mémoire en témoigne; et, s'il n’y avait pas eu une grande difficulté à 
transporter une multitude de ballons vides d’air, à pointe effilée, depuis 
Paris jusque dans ces trois localités, j'en aurais ouvert cinquante ou 
cent à chacune des stations. . 

Qui ne voit, en effet, que toute la méthode est là? Que voulais-je 
démontrer? Entre autres choses, que dans l’air atmosphérique d’une 
localité quelconque, ici il y a des germes, à côté il n’y en a pas, plus 
loin il y en a encore; qu'il n’y a donc pas dans l'atmosphère continuité 
de la cause des générations dites spontanées, et qu’enfin c’est une 
opinion entièrement erronée que la plus petite quantité d’air commun 


1. J'ai regretté également de trouver, dans la Note de MM. Pouchet, Joly et Musset, l'indi- 
cation suivante : « Nous primes le soin d’agiter les ballons de manière à rendre mousseuse la 
décoction de foin qui s'y trouvait contenue. Puis ces matras furent immédiatement refermés 
à la lampe. » 

C'est bien faire que d’agiter, quoique, pendant le retour, les ballons soient assez secoués. 
Mais il faudrait agiter après avoir fermé les ballons, parce que les agitations brusques opêrent 
‘des déplacements et des rentrées d'air qui, s'ils se font à petite distance des mains et des 
vêtements des opérateurs, peuvent donner lieu à des causes d'erreurs dont j'ai pu apprécier 


l'influence non douteuse. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 323 


29 


soit capable de déterminer dans des infusions le développement de 
toutes sortes de mucédinées et d’infusoires. Pour établir ces faits, si 
durs à la doctrine des générations spontanées, et qui viennent de 
conduire ses partisans à la Maladetta dans le vain espoir de les réfuter, 
ma méthode consiste à prélever dans une localité quelconque un 
certain nombre de volumes d’air et à en étudier l’action sur des infu- 
sions. Mais une conclusion de quelque valeur n’est possible qu'à la 
condition de répéter l'expérience un assez grand nombre de fois pour 
que le hasard n’amène pas des résultats, soit tous négatifs, soit tous 
positifs. J'ai ouvert vingt ballons sur le Jura, et cinq m'ont présenté 
des productions organisées. Supposons que j'aie commis la faute de 
MM. Pouchet, Joly et Musset, de n’en ouvrir que quatre, j'aurais pu 
tomber sur quatre de ces cinq ballons qui m'ont offert des productions, 
et conséquemment être porté à penser que lair sur le Jura est toujours 
fécond, tandis qu'ayant eu quinze ballons qui n’ont rien donné d’orga- 
nisé, et cinq avec moisissures ou infusoires, j'ai pu dire avec une 
certitude ne laissant pas la moindre place au doute : « que lon peut 
prélever sur le Jura des volumes notables, mais limités d’air n'ayant 
subi aucune espèce de modification physique ou chimique, et tout à fait 
impropre néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une 
liqueur éminemment putrescible ». . 

Le lecteur attentif verra que je ne profite même pas dans cette 
discussion de l'avantage que me donnent mes contradicteurs, en ne 
parlant de mucédinées et d’infusoires que pour quatre de leurs ballons 
sur huit, circonstance qui établit que les résultats que l’on m'oppose 
confirment les miens. Tant que MM. Pouchet, Joly et Musset ne pour- 
ront pas affirmer qu’en ouvrant dans une localité quelconque un grand 
nombre de matras, préparés exactement selon les prescriptions de mon 
Mémoire, il n'y en «a pas qui se conservent intacts, et que tous s’altèrent, 
ils ne feront que confirmer l'exactitude parfaite de l’assertion de mon 
Mémoire qu'ils prétendent réfuter. Or, je mets au défi que l’on produise 
un pareil résultat. 

En résumé, voila un exemple nouveau à ajouter à tant d’autres dans 
la liste des causes des erreurs scientifiques, où nous voyons que, tout 
en s’efforçant de reproduire et de critiquer les expériences d’un auteur, 
on peut ne pas comprendre du tout sa méthode d’expérimentation et 
croire même qu'on le réfute quand on ne fait que confirmer les prin- 
cipes qu'il a établis. 


324 ŒUVRES DE PASTEUR 


REMARQUES (1) 
A L'OCCASION D'UNE RÉPONSE DE MM. JOLY ET MUSSET 
A LA NOTE PRÉCÉDENTE] 


M. Pasteur remarque, à l’occasion de la récrimination de MM. Joly et 
Musset, que l'erreur qu'il a commise était presque inévitable; en ne parlant, 
en effet. de mucédinées et d’infusoires que pour quatre des huit ballons 
ouverts par eux, MM. Pouchet, Joly et Musset semblaient indiquer que 
les quatre autres n'en contenaient point. Cependant, pour plus de sûreté, 
M. Pasteur a voulu se renseigner près de M. Pouchet lui-même; mais ce 
savant lui ayant fait savoir qu'il ne pourrait donner une réponse définitive 
qu'après s'être entendu avec ses collaborateurs, on n'a pas cru devoir 
différer davantage une communication attendue par plusieurs Membres 
de l’Académie. 

M. Pasteur donne ensuite de vive voix quelques renseignements sur les 
résultats d’une expérience qu'il a faite tout récemment dans une des salles 
mème de l'Institut à la demande de M. Fremy, résultats qui confirment 
encore les conclusions qu'il avait tirées de ses expériences précédentes. 


NOTE 
SUR LES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES (3) 


Dans le Mémoire que j'ai publié au sujet de la doctrine des géné- 
ralions dites spontanées, j'ai annoncé, sur la foi de nombreuses 
expériences, « qu'il est toujours possible de prélever, en un lieu 
déterminé, un volume notable, mais limité, d’air ordinaire n'ayant 


subi aucune modification physique ou chimique, et tout à fait impropre 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 16 novembre 1863, LVII, p. 86. 

2. Réponse de MM. N. Jozx et Ch. Musser aux observations critiques de M. Pasteur, rela- 
tives aux expériences exécutées par eux dans les glaciers de la Maladetta. Jbid., p. 842-845. 
« ... Bien que nous ayons dit ou voulu dire précisément tout le contraire, l'habile chimiste 
[Pasteur] a cru pouvoir affirmer que des huit ballons ouverts par nous sur les hautes cimes 
des Pyrénées, quatre seulement s'étaient montrés féconds. » (Note de Édition.) 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 janvier 1864, LVIIT, p. 21-22: 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONLANÉES 325 


néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une liqueur 
éminemment putrescible ». 

MM. Pouchet et Joly affirment que ce résultat est erroné (1). 

Je leur ai porté le défi d’en donner la preuve expérimentale (?). 

Ce défi a été accepté par MM. Joly et Musset dans les termes sui- 
vants : « Si un seul de nos matras demeure inaltéré, nous avouerons 
loyalement notre défaite. » (Comptes rendus de l’Académie des sciences, 
16 novembre 1863, LVIT, p. 845.) 

M. Pouchet, de son côté, a accepté le défi dans ces termes : « J’at- 
teste que sur quelque lieu du globe où je ‘prendrai un décimètre cube 
d'air, dès que je mettrai celui-ci en contact avec une liqueur putrescible 
renfermée dans des matras hermétiquement clos, constamment ceux-ci 
se rempliront d'organismes vivants.» (Comptes rendus de l'Académie des 
sciences, 30 novembre 1863, LVITI, p. 902-903.) 

Voilà un débat nettement défini. 

Quels en seront les juges? En ce qui me concerne, je ferais injure à 
l'Académie d’en accepter d’autres qu’elle-même. Telle est aussi, fort 
heureusement, l’opinion de mes honorables adversaires, comme on 
peut le voir au numéro des Comptes rendus du 16 novembre dernier, 
LVII, p. 845. 

« Il y aurait un moyen bien simple, ont-ils écrit à l'Académie, de 
terminer ce débat : ce serait que l’Académie voulüt bien nommer une 
Commission devant laquelle M. Pasteur et nous répéterions les princi- 
pales expériences sur lesquelles s'appuient de part et d'autre des 
conclusions contradictoires. Nous serions heureux de voir lillustre 
Compagnie prendre en sérieuse considération le vœu que nous osons 
formuler devant elle. » 

En résumé, j'ai porté un défi à MM. Pouchet, Joly et Musset. Mes 
savants antagonistes ne le déclinent pas. La compétence des juges est 
incontestable et incontestée. Je prie donc l’Académie de vouloir bien 
nommer une Commission ($). 


1. Poucrer, Joy et Musser. Expériences sur l’hétérogénie exécutées dans l'intérieur des 
glaciers de la Maladetta (Pyrénées d'Espagne). Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
LVII, 1863, p. 558-561. 

2. Pasreur. Zbid., p. 724-726, et p. 321-323 du présent volume. 

3. « Conformément à la demande de MM. Pouchet, Joly et Musset [Comptes rendus de l'Aca- 
démie des sciences, LVIL, 1863, p. 845], et à l'acceptation de M. Pasteur, l'Académie charge 
une Commission, composée de MM. Flourens, Dumas, Brongniart, Milne Edwards et Balard, 
de faire répéter, en sa présence, les expériences dont les résultats sont invoqués comme favo- 
rables ou comme contraires à la doctrine des générations spontanées. » (Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, séance du 4 janvier 1864, LVIII, p. 22). Voir la suite p. 326 et 
327 et Document VI à la fin du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


326 ŒUVRES DE PASTEUR 


NOTE (1) 
SUR UNE FAUSSE ALLÉGATION D'UN OUVRAGE RÉCENT 
DE M. POUCHET 


Cet ouvrage a pour titre : Nouvelles expériences sur la génération 
spontanée, elc., Paris, 1864. 

En l’ouvrant à la page xr1 de la préface, jy trouve cette phrase : 
« Nous avons vu, à diverses reprises, M. Pasteur présenter ses ballons 
comme l’ullimatum de la science, appelés par leurs résultats « à 
élonner le monde. » Ce sont ses expressions. 

Les mots, éfonner le monde, sont en outre soulignés et entre guil- 
lemets. 

Cette assertion est fausse. Je proteste que jamais je n’ai prononcé 
ni écrit ces ridicules paroles, et j'attends de la loyauté de M. Pouchet 
une rectification publique. 


NOTE (?) 
[EN RÉPONSE A UNE LETTRE DE M. POUCHET, 
EN DATE DU 17 JANVIER 1864] () 


M. Pouchet se fait illusion. Il ne s’agit pas de savoir si j'ai eu tort 
ou raison de porter devant l’Académie un incident du débat relatif à la 
question des générations dites spontanées. Le jugement sur ce point 
appartient à l'Académie. 

M. Pouchet a-t-il été autorisé à écrire la fausse allégation que j'ai 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 janvier 1864, LVTIT. p. 22. 

2. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 janvier 1864, LVITII, p. 192. 

3. M. Pouchet, à l’occasion de la réclamation précédente de Pasteur, avait adressé, le 
17 janvier 1864, une lettre à M. Flourens, de l’Académie des sciences, où il disait : « ... Comme 
le fait dont il est question est absolument personnel, il me semble qu'il n'y a nullement lieu 
de le porter à l’ordre du jour dans le sein de l'Académie... Si le savant professeur de l'École 
normale tient à une rectification, je la lui donnerai, qu'il s'adresse à moi... » 1bid., p. 191-192. 
Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 3: 


12 
SJ 


reproduite (Comptes rendus de l'Académie des sciences, LVIIT, 1864, 
p. 22), et que j'ai extraite textuellement de la page xu1 de la préface de 
l'ouvrage qu'il vient de publier sous ce titre : Nouvelles expé- 
riences, etc., Paris, Victor Masson, 1864? 

Voilà la question. 

Je proteste de nouveau que je n’ai jamais prononcé ni écrit les 
expressions que M. Pouchet m'attribue d’après une citation qu'il affirme 
être textuelle, et je répète que j'attends de sa loyauté une rectification, 
non privée, mais publique, c'est-à-dire ayant la forme de publicité qu'a 
reçue l’allégation contre laquelle je proteste. 

Seulement, comme je serais heureux d’épargner à M. Pouchet le 
désagrément d’une rectification, je veux bien admettre que si mon 
savant antagoniste n'a pas répondu ou ne répond pas à ma réclamation, 
c'est qu'il convient de son erreur. C’est la seule concession que je 
puisse faire à l’urbanité dans cette discussion. 


REMARQUES (1) 
[A L'OCCASION D'UNE LETTRE DE MM. POUCHET, MUSSET ET JOLY 
PRIANT L'ACADÉMIE 
D'AJOURNER JUSQU'’A L'ÉTÉ PROCHAIN LES EXPÉRIENCES 
QU'ILS DOIVENT RÉPÉTER DEVANT ELLE] (?) 


Je suis bien surpris de ce retard apporté par MM. Pouchet, Musset 
et Joly aux opérations de la Commission. A laide d’une étuve il eût été 
facile d'élever la température au degré désiré par ces messieurs. Quant 
à moi, je m'empresse de déclarer que je suis à la disposition de l'Aca- 
démie, et qu'en été comme au printemps et en toute saison, je serai 
prêt à répéter mes expériences (3). 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 mars 1864, LVIIT, p. 471. 

2. Ibid., p. 470-471. — La Commission, nommée par l'Académie dans la séance du 4 janvier, 
avait décidé que les expériences de MM. Pouchet, Musset et Joly sur l'hétérogénie pourraient 
être répétées en sa présence dans la première quinzaine de mars. « Ce serait, répondirent 
MM. Pouchet, Musset et Joly, compromettre nos résultats, et peut-être n'en obtenir aucun, 
que d'opérer par une température qui, même au printemps, est souvent de plusieurs degrès 
au-dessous de zéro dans le midi de la France. Qui peut donc nous assurer que, dans l'inter- 
valle du 1% au 15 mars, il ne gèlera pas à Paris? » 

3. Les expériences furent ajournées au mois de juin. Vo le Rapport de la Commission : 
Document VI, à la fin du présent volume. « Les faits observés par M. Pasteur, conclut le 
Rapporteur, sont de la plus parfaite exactitude. » (Notes de l'Édition.) 


DES GÉNÉRATIONS SPONTANÉES 


Conférence faite aux ‘‘ Soirées scientifiques de la Sorbonne ?”, 
le 7 avril 1864 (1). 


Messieurs, 


De bien grands problèmes s’agitent aujourd’hui et tiennent tous les 
esprits en éveil : unité ou multiplicité des races humaines; création de 
l'homme depuis quelques mille ans ou depuis quelques mille siècles ; 
fixité des espèces, ou transformation lente et progressive des espèces 
les unes dans les autres; la matière réputée éternelle, en dehors d’elle 
le néant; l’idée de Dieu inutile : voilà quelques-unes des questions 
livrées de nos jours aux disputes des hommes. 

Ne craignez pas que je vienne ici avec la prétention de résoudre 
l’un quelconque de ces graves sujets; mais à côté, dans le voisinage de 
ces mystères, il y a une question qui leur est directement ou indirec- 
tement associée, et dont je puis oser peut-être vous entretenir, parce 
qu’elle est accessible à l'expérience, et qu’à ce point de vue j'en ai fait 
l’objet d’études sévères et consciencieuses. 

C’est la question des générations dites spontanées. 

La matière peut-elle s’organiser d'elle-même? En d’autres termes, 
des êtres peuvent-ils venir au monde sans parents, sans aïeux? Voïlà 
la question à résoudre. 

Il faut bien le dire, la croyance aux générations spontanées a été 
une croyance de tous les âges; universellement acceptée dans lanti- 
quité, plus discutée dans les temps modernes, et surtout de nos jours. 
C’est cette croyance que je viens combattre. 

Sa durée pour ainsi dire indéfinie à travers les âges m'inquiète fort 

1. Revue des cours scientifiques, 33 avril 1864, I, 1863-1864, p. 257-269. 
Sur un numéro de la Revue des cours scientifiques, Pasteur a fait quelques corrections 


de mots à la plume. C’est ce texte corrigé de la main de Pasteur que nous donnons ici. (Note 
de l'Édition.) 


LA 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 329 


peu, car vous savez sans doute que les plus grandes erreurs peuvent 
compter par siècles leur existence; et d’ailleurs, si cette durée pouvait 
vous paraître un argument, il me suffirait de rappeler ici la puérilité 
des motifs allégués autrefois en faveur de la doctrine. 

Voici, par exemple, ce qu'écrivait encore au xvii* siècle un célèbre 
médecin alchimiste, Van Helmont (1) : 

« L'eau de fontaine la plus pure, mise dans un vase imprégné de 
l'odeur d’un ferment, se moisit et engendre des vers. Les odeurs qui 
s'élèvent du fond des marais produisent des grenouilles, des limaces, 
des sangsues, des herbes... (?) Creusez un trou dans une brique, 
mettez-y de l'herbe de basilic pilée, appliquez une seconde brique 
sur la première, de façon que le trou soit parfaitement couvert, expo- 
sez les deux briques au soleil, et au bout de quelques jours, l'odeur 
de basilic, agissant comme ferment, changera l'herbe en véritables 
scorpions (). » 

Et ailleurs — et notez bien que l'expérience dont je vais parler, Van 
Helmont affirme l'avoir faite : ce sera dans cette lecon la première 
preuve qu’il est aisé de faire des expériences, mais très malaisé d'en 
faire d’irréprochables — : 

« Si l’on comprime une chemise sale dans l’orifice d’un vaisseau 
contenant des grains de froment, le ferment sorti de la chemise sale, 
modifié par l'odeur du grain, donne lieu à la transmutation du froment 
en souris après vingt et un jours environ. » Et Van Helmont ajoute 
que les souris sont adultes; qu’il en est de mâles et de femelles, et 
qu'elles peuvent reproduire l'espèce en s’accouplant (*). 

Voilà, messieurs, les expériences qui, au xvnr° siècle, appuyaient la 
doctrine de la génération spontanée. 

Puisque, il y a deux siècles seulement, on pouvait écrire sur ce 


1. Les œuvres de Jean-Baptiste Van HELMoNT, traduction de Jean Le Conte. Lyon, 1671. 
in-4. Première partie. Chap. XVI : La nécessité des ferments pour les transmutations, 
p- 103-109. 

2. La traduction de Jean Le Conte porte : « L'eau très pure se moisit par l'odeur d'un 
vaisseau punais, se croûte et se corrompt jusqu'à produire des vers. Les grenouilles, les lima- 
cons, poissons à coquilles, les sang-sues et plusieurs herbes sont produites par les odeurs 
moisies du fond des marêts. » (p. 105-106). 

3. La traduction de Jean Le Conte porte : « L'odeur enfermée dans la semence du basilique 
produit l'herbe basilique, avec l'esprit qui est dedans. Si elle se moisit en quelque endroit, 
elle change de nature, et proûuit des véritables scorpions. Ce que les incrédules pourront 
apprendre en mettant l'herbe coninse dans un trou qu'ils auront fait au milieu d’une brique, 
puis qu'ils joignent exactement une autre à celle-là, et qu'ils l’exposent au soleil. » (p. 105). 

4. La traduction de Jean Le Conte norte : « Si on comprime une chemise sale en la bouche 
d'un vaisseau, où il y ait du froment , dans une vingtaine de jours ou environ, le ferment 
sorti de la chemise est altéré par l'odeur à?s grains, transmue le bled revêtu de son écorce en 
Souris, qui sont différentiées par une diversité de sexe, qui en après multiplient leur espèce, 
en habitant les unes avec les autres. » (p.104). [Notes de l'Édition.| 


330 ŒUVRES DE PASTEUR 


sujet de pareilles énormités, que nous importe la durée de cette 
croyance à travers les âges ? que nous importent les noms de ceux qui 
l'ont défendue de leur parole ou de leurs écrits, qu’ils s'appellent 
Épicure, Aristote ou Van Helmont? 

Tout au contraire, si je me place au point de vue historique, je 
pourrai remarquer que cette doctrine a suivi le développement de 
toutes les idées fausses; qu'au lieu de grandir avec le temps, ce qui 
est le propre de la vérité, elle a toujours été s’amoindrissant et se 
circonscrivant sans cesse. Aujourd'hui il n'est pas un seul naturaliste 
qui croit à la génération spontanée d’un insecte, d’un mollusque et 
encore moins d’un animal vertébré. 

Mais à la fin du xvr° siècle, une immense découverte, celle du 
microscope, vint révéler à l’homme tout un monde nouveau, le monde 
des infiniment petits. À peine vaincue en ce qui concerne les êtres 
supérieurs, la doctrine de la génération spontanée reparut, disant avec 
audace : Voici mon domaine. C’est vrai, je m'étais trompée, les condi- 
tions actuelles ne sont plus celles qui conviennent aux êtres supérieurs, 
mais elles s'appliquent encore aux êtres microscopiques; c’est chez 
eux qu'il existe des générations spontanées. — Et, en effet, chose 
étrange, dans l’espace de quelques heures, on voyait apparaître, sur le 
porte-objet du nouvel et merveilleux instrument, des animaleules à 
l'infini, d’une simplicité d'organisation quelquefois si grande qu’elle 
excluait toute possibilité de génération sexuelle. Et ces êtres étaient 
si nombreux, si divers, si bizarres de formes, leur origine était telle- 
ment liée à la présence de toute matière animale ou végétale morte, en 
voie de désorganisation, qu'on en vint à cette théorie spécieuse, 
d'autant plus séduisante qu’elle avait à son service le style souple, 
brillant, imagé et très autorisé de illustre naturaliste Buffon : 

« La matière des êtres vivants conserve après la mort un reste de 
vitalité. La vie réside essentiellement dans les dernières molécules des 
corps. Ces molécules sont arrangées comme dans un moule. Autant 
d'êtres, autant de moules différents, et, lorsque la mort fait cesser le 
jeu de l’organisation, c’est-à-dire la puissance de ce moule, la décom- 
position du corps suit, et les molécules organiques qui toutes sur- 
vivent, se retrouvant en liberté dans la dissolution et la putréfaction 
des corps, passent dans d’autres corps aussitôt qu'elles sont pompées 
par la puissance de quelque autre moule; seulement il arrive une 
infinité de générations spontanées dans cet intermède, où la puissance 
du moule est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle de temps 
pendant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans la 

Le 


matière des corps morts et décomposés;... ces molécules organiques, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 3: 


C2 


toujours actives, travaillent à remuer la matière putréfiée, elles s’en 
approprient quelques particules brutes et forment, par leur réunion, 
une multitude de petits corps organisés, dont les uns, comme les vers 
de terre, les champignons, etc., paraissent être des animaux ou des 
végétaux assez grands, mais dont les autres, en nombre presque infini, 
ne se voient qu'au microscope. Tous ces corps n'existent que par une 
génération spontanée, et ils remplissent l'intervalle que la nature a 
mis entre la simple molécule organique vivante et l'animal ou le 
végétal; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes les nuances imagi- 
nables dans cette suite, dans cette chaîne d'êtres qui descend de 
l'animal le mieux organisé à la molécule simplement organique... (1) » 

Voilà, messieurs, pour Buffon la doctrine de la génération spon- 


tanée, ou, comme on l'appelle souvent quand il s’agit de ce grand 


9 
naturaliste, LA THÉORIE DES MOLÉCULES ORGANIQUES de Buffon. Je n'irai 
pas plus loin sans placer sous vos yeux quelques-unes de ces généra- 
tons que Buffon disait spontanées. Je ne vous montrerai cependant ni 
des vers de terre ni des champignons. Vous venez de l'entendre, 
Buffon croyait encore que ces êtres-là venaient au monde sans parents. 
On ne le croit plus aujourd'hui. Ce qu'il faut que je vous montre, ce 
sont des êtres microscopiques, parce que c’est là, dit-on, que la géné- 
ration spontanée est reléguée de nos jours, là où il est plus difficile, 
en effet, de porter la lumière de l’expérience. Mais ayez confiance, je 
l'y ferai pénétrer tout à l'heure, et vous ne sortirez pas d’ici sans être 
convaincus que la génération spontanée des êtres microscopiques est 
une chimère à l’égal de la génération spontanée des vers de terre et des 
champignons de Buffon, à légal de la génération spontanée des 
scorpions et des souris de Van Helmont. 


A ce moment, M. Pasteur fait projeter sur le tableau quelques-unes de 
ces petites générations dites spontanées. 


Voici, en premier lieu, de toutes les productions végétales l’une 
des plus simples qui existent : c’est la levûre de bière. 

Vous voyez qu'elle se compose de cellules renfermant quelquefois 
un noyau, un ?ucleus, comme disent les botanistes. Cette végétation 
microscopique se reproduit de la façon suivante : 

Chaque cellule pousse un petit bourgeon, un petit bourrelet. Ce 
bourrelet grandit et, quand il à atteint les dimensions de la cellule 
mère, il s’en détache et il va à côté bourgeonner à son tour. 


1. Burrox. Histoire naturelle de l'homme. Supplément, tome IV. Paris, 1777, in-4. Addi- 
tion à l’article des Variétés dans la génération et aux articles où il est question de la géné- 
ration spontanée, p. 339. (Note de l'Édition.) 


332 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le n° 2 est une végétation tout à fait du même ordre. On y distingue 
mieux le bourgeonnement. 

Le n° 3 montre comment prennent naissance toutes les moisis- 
sures. Elles ont pour graine, pour spore, c’est le terme consacré en 
botanique, des globules comme celui-ci. Placées dans un milieu conve- 
nable, dans une infusion de matières organiques pouvant leur fournir 
les éléments nutritifs dont ces graines ont besoin, elles grossissent 
d’abord sensiblement, puis elles s’allongent en tubes qui prennent un 
très grand développement. Très souvent, le plus ordinairement même, 
ces tubes se ramifient, et lorsque leurs extrémités arrivent au contact 
de l'air, que ces tubes ne sont plus dans l’intérieur du liquide, ils se 
couvrent de diverses façons, à leurs extrémités. de cellules pareilles à 
celles-ci, c'est-à-dire de graines capables de reproduire l’espèce. 

Je vais placer maintenant sous vos yeux quelques animalcules. 

Si l’on fait une infusion de matière organique, si l’on place, par 
exemple, dans de l’eau un peu de foin, certains principes du foin se 
dissolvent et fournissent des aliments appropriés au développement des 
êtres microscopiques. 


Des infusoires de l’eau de foin sont projetés sur le tableau : ce sont de 
petites cellules qui s'agitent très vivement, qui courent, vont et viennent. 


Ces petits êtres ont environ cinq millièmes de millimètre de dia- 
mètre, c'est-à-dire que, si vous divisiez un millimètre en mille parties 
et que vous prissiez cinq de ces parties, vous auriez le diamètre de ces 
globules. 


Puis des anguillules sont projetées sur le tableau. Leur mouvement, 
analogue à celui des serpents, est très rapide, d'autant plus rapide qu'elles 
sont en proie aux convulsions de la mort. Elles périssent au bout de 
quelques instants, à cause de la haute température développée au foyer du 
microscope. 


Telles sont, messieurs, quelques-unes des générations que Buffon 
disait et qu'on dit encore spontanées de nos jours. 

Des controverses très animées s’élevèrent alors comme aujourd'hui 
entre les savants, controverses d’autant plus vives, d’autant plus 
passionnées, qu’elles avaient leur contre-coup dans l’opinion publique, 
toujours partagée, vous le savez, entre deux grands courants d'idées, 
aussi vieilles que le monde, et qui, de nos jours, s’appellent le maté- 
rialisme et le spiritualisme. Quelle conquête, messieurs, pour le 
matérialisme s’il pouvait protester qu'il s'appuie sur le fait avéré de la 
matière s'organisant d'elle-même, prenant vie d'elle-même; la matière, 


ES 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 333 


29 


qui a en elle déjà toutes les forces connues ! La voyez-vous encore 
dans la première de ces Soirées, dans cette exhibition des plus beaux 
phénomènes de la nature? La voyez-vous encore si puissante et si 
faible, obéissant à merci à toutes les volontés du savant? Ah! si nous 
pouvions lui ajouter cette autre force qui s'appelle la vie, et la vie 
rariable dans ses manifestations avec les conditions de nos expé- 
riences, quoi de plus naturel alors que de la déifier, cette matière? A 
quoi bon recourir à l’idée d’une création primordiale, devant le mystère 
de laquelle il faut bien s’incliner? À quoi bon l’idée d’un Dieu créateur? 
Écoutez plutôt, c’est un des adeptes de la-doctrine qui va parler : 

« Assistons à l’œuvre divine, dit un écrivain éminent : prenons une 
goutte d’eau dans la mer, nous y verrons recommencer la primitive 
création. Dieu n’opère pas de telle façon aujourd’hui et d'autre demain. 
Ma goutte d’eau, je n’en fais pas doute, va dans ses transformations 
me raconter l'univers. Attendons et observons. Qui peut prévoir, 
deviner l’histoire de cette goutte d’eau? Plante-animal, animal-plante, 
qui le premier doit en sortir? Cette goutte, sera-ce l’infusoire, la 
monade primitive, qui, s’agitant et vibrant, se fait bientôt vibrion; qui, 
montant de rang en rang, polype, corail ou perle, arrivera peut-être en 
dix mille ans à la dignité d’insecte? 

« Cette goutte, ce qui va en venir, sera-ce le fil végétal, le léger 
duvet soyeux qu'on ne prendrait pas pour un être, et qui déjà n'est 
pas moins que le cheveu premier-né d’une jeune déesse, cheveu 
sensible, amoureux, dit si bien cheveu de Vénus? Ceci n’est point 
de la fable, c’est de l’histoire naturelle. Ce cheveu de deux natures 
(végétale et animale), où s’épaissit la goutte d’eau, c’est bien l'aîné 
de la vie. 

« Ces conferves, comme on les appelle, se trouvent universellement 
dans l’eau douce et dans l’eau salée quand elle est tranquille. Elles 
commencent la double série des plantes originaires de la mer et de 
celles qui sont devenues terrestres quand la mer a émergé. Hors de 
l’eau monte la famille des innombrables champignons, dans l’eau celle 
des conferves, algues et autres plantes analogues (1. » 

Ainsi, messieurs, la doctrine de la génération spontanée est-elle 
admise, et l’histoire de la création et de l’origine du monde organique 
n'est pas plus difficile que cela. On prend une goutte d’eau dans la 
mer, de cette eau (M. Michelet l’a développé dans de belles pages) qui 
renferme un peu de matière azotée, de mucus de la mer, de gelée 
féconde comme il l’appelle, et, au sein de cette matière inanimée, les 


1. MreneLer. La mer. Paris, IS61 (2e édition), in-12, p. 116-117. (Note de l'Édition.) 


334 ŒUVRES DE PASTEUR 


premiers êtres de la création prennent naissance spontanément, puis 
peu à peu ils se transforment et montent de rang en rang, par exemple 
en dix mille ans, à l'état d'insectes, et au bout de cent mille ans sans 
doute à l’état de singes et d'hommes. 

Comprenez-vous maintenant le lien qui existe entre la question des 
générations spontanées et ces grands problèmes que j'ai énumérés en 
commençant? Mais, messieurs, dans un pareil sujet, assez de poésie 
comme cela, assez de fantaisie et de solutions instinctives: il est temps 
que la science, la vraie méthode reprenne ses droits et les exerce. 

I n’y a ici ni religion, ni philosophie, ni athéisme, ni matérialisme, 
ni spiritualisme qui tienne. Je pourrais même ajouter : Comme 
savant, peu m'importe. C’est une question de fait; je l’ai abordée sans 
idée préconçue, aussi prêt à déclarer, si l'expérience m'en avait imposé 
l'aveu, qu'il existe des générations spontanées, que je suis persuadé 
aujourd'hui que ceux qui les affirment ont un bandeau sur les yeux. 

Je prends pour guide ces paroles de Buffon, si vrai et si bien 
inspiré cette fois : 

« J'avoue, dit Buffon, que rien ne serait si beau que d'établir d’abord 
un seul principe pour ensuite expliquer l'univers, et je conviens que, 
si l’on était assez heureux pour deviner, toute la peine que l’on se 
donne à faire des expériences serait bien inutile. Mais les gens sensés 
voient assez combien cette idée est vaine et chimérique... C’est par des 
expériences fines, raisonnées et suivies, que l’on force la nature à 
découvrir son secret. Toutes les autres méthodes n’ont jamais réussi. 
Il ne s’agit pas, [pour être physicien,] de savoir ce qui arriverait dans 
telle ou telle hypothèse... Il s’agit de bien savoir ce qui arrive et de 
bien connaître ce qui se présente à nos yeux (!). » 

Est-ce donc à dire que, dans ce débat relatif aux générations spon- 
tanées, partisans et adversaires n’expérimentent pas à l’envi? Pensez- 
vous que d’un côté il y ait seulement des poëtes, des romanciers, des 
savants à systèmes; de l’autre, des gens prudents qui ne veulent croire 
qu'aux résultats de l'expérience? Non, non; Dieu merci, nous sommes 
plus avancés que cela; la philosophie des sciences est plus avant que 
cela dans nos mœurs, dans nos habitudes de penser, et des deux côtés 
personne ne veut croire qu'à l'expérience. En voulez-vous la preuve? 
L’éminent historien que je citais tout à l'heure s'exprime ainsi : « La 
mort fait la vie. » Harvey lui-même n’osa pas démentir cette croyance 
antique. En disant : « Tout vient de l’œuf », il ajouta : « ou des éléments 
dissous de la vie précédente. » Puis M. Michelet continue ainsi : 


1. Burrox. Préface de la « Statique des végétaux » de Hales. Paris, 1735, in-49, p. 1v et v. 
Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANEES 335 


« C’est justement la théorie qui vient de renaître avec tant d'éclat 
par les expériences de M. Pouchet. » 

Cette phrase, messieurs, placée dans un livre d'imagination qui n’a 
aucune prétention à la science, qui n’a d'autre prétention que celle de 
nous émouvoir par le spectacle de la fécondité de la vie au sein des 
mers, me paraît un des plus beaux hommages que l’on puisse rendre à 
la puissance de la méthode expérimentale. Qu'importe que M. Michelet 
ne prenne dans la science que ce qui convient à ses idées préconçues, 
et qu'importe aussi qu'à côté du nom de M. Pouchet il ne place pas le 
nom de celui qui le combat; ce que j'adnrire, c’est qu'il proclame que 
sa pensée est enchaïînée aux résultats de l'expérience. 

Si je vous disais que vous trouveriez encore dans Buflon, dans 
Buffon, un naturaliste de génie qui avait débuté dans la carrière des 
sciences par de mémorables expériences de physique, habitué en 
quelque chose par conséquent à la méthode expérimentale et qui en 
parlait tout à l'heure en termes si magnifiques, si je vous disais que 
vous trouveriez encore dans Buffon des phrases comme celle-ci : 
« Cherchons une hypothèse pour ériger un système. » Comprenez-vous 
le progrès maintenant, lorsque, de nos jours, un romancier se croit 
tenu de nous dire : « L'expérience est mon guide. » C’est là ce que 
j'admire et ce qui me fait dire que la philosophie des sciences fait partie 
intégrante du sens commun. Vous en avez une autre preuve : trouvez 
done de notre temps un système philosophique qui ne soit pas plus ou 
moins frotté de science, pardonnez-moi la vulgarité de cette expression. 
C'est le même hommage sous une autre forme, c’est le même signe du 
temps; seulement il ne faut pas croire à l’intelligence de la science 
chez tous ceux qui en empruntent le langage. 

Quoi qu'il en soit, dans ce débat, des deux côtés il y a des expé- 
riences, des deux côtés il y a des expérimentateurs. Par conséquent, la 
question est réduite à ces termes : Qui est-ce qui se trompe? qui est-ce 
qui expérimente à la Van Helmont? qui est-ce qui laisse rentrer les 
souris dans le pot de linge sale, à son insu, et les proclame ensuite 
des générations spontanées? Est-ce vous, partisans de la doctrine? 
est-ce moi, son adversaire? C’est ce qu'il s’agit de déterminer main- 
tenant avec précision. 

Vous n’attendez pas sans doute de moi, messieurs, que je rapporte 
toutes les expériences en litige; ce serait fatiguer inutilement votre 
attention. Je choisirai parmi les plus importantes. 

Assurément, s’il existe des faits que les partisans de la doctrine de 
la génération spontanée doivent tenir pour vrais, ce sont ceux-là pour 


lesquels ils se sont crus autorisés à relever le drapeau de leur doctrine, 


355 ŒUVRES DE PASTEUR 


tant soit peu oubliée et vaincue depuis la fin du dernier siècle. Ce fut 
en 1858 que M. Pouchet, directeur du Muséum d'histoire naturelle de 
Rouen, membre correspondant de l’Académie des sciences, vint 
déclarer à cette Académie qu'il avait réussi à instituer des expériences 
qui démontraient péremptoirement l’existence d’êtres microscopiques 
venus au monde sans germes, par conséquent sans parents semblables 
à eux (!). 

Voici les expressions et les expériences de ce savant naturaliste : 
« L'air atmosphérique ne peut être et n’est pas le véhicule des germes 
des proto-organismes. J'ai pensé que ce serait ne laisser aucune prise 
à la critique, si je parvenais à déterminer l’évolution de quelque être 
organisé en substituant de l'air artificiel à celui de l'atmosphère. » 

Voyez bien ce que l’auteur veut établir. L'air, dit-il, ne peut pas 
être, n'est pas le véhicule des germes des premiers organismes. C’est 
qu’en effet les naturalistes qui ne croient pas à la génération spontanée 
prétendent que les germes des êtres microscopiques existent dans l'air; 
que l'air les charrie, les transporte à distance, après les avoir soulevés 
dans les lieux où pullulent ces petits êtres. Voilà l'hypothèse des 
adversaires de la génération spontanée, et M. Pouchet, qui veut la 
combattre, ajoute avec pleine raison : « Je ne laisserai aucune prise à 
la critique si je parviens à déterminer la génération de quelque être 
organisé en substituant un air artificiel à celui de l’atmosphère. » 
C’est vrai et logique; voyons comment M. Pouchet va s’y prendre. 
L'expérience est ainsi racontée dans son Mémoire : 

« Un flacon d’un litre de capacité fut rempli d’eau bouillante, et, 
ayant été bouché hermétiquement avec la plus grande précaution, 
immédiatement on le renversa sur une cuve à mercure; lorsque l’eau 
fut totalement refroidie, on le déboucha sous le métal et on y intro- 
duisit un demi-litre de gaz oxygène pur », de ce gaz, qui est la partie 
vitale et salubre de l’air, aussi nécessaire à la vie des êtres microsco- 
piques qu'il l'est à la vie des grands animaux et des grands végétaux. 
Jusqu'ici il n'y a encore que de l’eau pure et du gaz oxygène dans le 
vase ; achevons l’infusion. 

« Aussitôt après, dit M. Pouchet, on y mit, sous le mercure, une 
petite botte de foin pesant 10 grammes, renfermée dans un flacon 
bouché à l’émeri et sortant d’une étuve chauffée à 100°, où elle était 
restée trente minutes. » 

1. Poucxer (F.). Note sur des proto-organismes végétaux et animaux, nés spontanément 
dans de l'air artificiel et dans le gaz oxygène. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
XLVII, 1858, p. 979-982. — Poucuer et Houzeau. Expériences sur les générations spontanées. 


Deuxième partie : Développement de certains proto-organismes dans de l'air artificiel. Zb24., 
p. 982-984. (Note de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


S 


on 


M. Pasteur figure alors cette expérience. Il place le flacon sous le 
mercure, le débouche et fait passer le foin dans le ballon déjà disposé à 
l'avance sur la euve à mercure. 


Voila, messieurs, l'expérience qui a remis en question la doctrine 
des générations spontanées. 

Voici son résultat : au bout de huit jours il y avait dans linfusion 
une moisissure développée. Quelle est la conclusion de M. Pouchet? 
C'est que l'air atmosphérique n’est pas le véhicule des germes, des 
êtres microscopiques. 

En effet, que voulez-vous objecter à M, Pouchet? Lui direz-vous : 
L'oxygène que vous avez employé renfermait peut-être des germes. — 


Mais non, répondra-t-il, car je lai fait sortir d’une combinaison 


chimique. — C’est vrai ; il ne pouvait renfermer des germes. Lui direz- 
vous : L'eau que vous avez employée renfermait des germes. — Mais 


il vous répondra : Celte eau, qui avait été exposée au contact de Pair, 
aurait pu en recevoir, mais jai eu soin de la placer bouillante dans le 
vase, et à cette température, si des germes avaient existé, ils auraient 
perdu leur fécondité. Lui direz-vous : C’est le foin. — Mais non : le foin 
sortait d’une étuve chauffée à 100°. On lui fit cependant cette dernière 
objection, car il y a de singuliers êtres qui, chauffés à 100°, ne périssent 
pas; mais il répondit : Qu’à cela ne tienne! Et il chauffa le foin 
à 200, 300°... II dit même, je crois, qu'il a été jusqu’à la carbonisation. 
Eh bien, je l’admets, l'expérience ainsi conduite est irréprochable, 
mais seulement sur tous les points qui ont appelé l'attention de l’auteur. 
Je vais démontrer qu'il y a une cause d'erreur que M. Pouchet n’a pas 
aperçue, dont il ne s’est pas le moins du monde douté, dont personne 
ne s'était douté avant lui, et cette cause d’erreur rend son expérience 
complètement illusoire, aussi mauvaise que celle du pot de linge sale 
de Van Helmont; je vais vous montrer par où les souris sont entrées. 
Je vais démontrer que, dans toute expérience du genre de celle qui 
nous occupe, il faut absolument proscrire l'emploi de la cuve à mercure. 
Je vais vous démontrer, cela paraît bien extraordinaire au premier 
abord, que c’est le mercure qui, dans toutes les expériences de cette 
nature, apporte dans les vases les germes, ou mieux, pour que mon 
expression n'aille pas présentement au dela du fait démontré, les 
poussières qui sont en suspension dans l'air. 

Il n’est personne parmi vous, messieurs, qui ne sache qu'il y a 
toujours des poussières en suspension dans l'air. La poussière est un 
ennemi domestique que tout le monde connaît. Qui d’entre vous n’a 
vu un rayon de soleil pénétrant par la jointure d’un volet ou d’une 
persienne dans une chambre mal éclairée? Qui d’entre vous ne s’est 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. y 


338 ŒUVRES DE PASTEUR 


amusé à suivre de l’œil les mouvements capricieux de ces mille petits 
corps, d’un si petit volume, d’un si petit poids, que l'air peut les porter 
comme :l porte la fumée ? L'air de cette salle est tout rempli de ces 
petits brins de poussière, de ces mille petits riens, qu'il ne faut pas 
dédaigner toutefois, car ils portent quelquefois avec eux la maladie ou 
la mort : le typhus, le choléra, la fièvre jaune et tant d’autres fléaux. 
L'air de cette salle en est rempli. Pourquoi ne les voyons-nous pas ? Ils 
sont éclairés cependant. Nous ne les voyons pas parce qu’ils sont si 
petits, d’un si faible volume, que les quelques rayons de lumière que 
chacun d'eux envoie à notre œil sont perdus, confondus dans le très 
grand nombre de rayons que nous envoient même les plus petits objets 
de cette salle, qui sont toujours d’une grosseur considérable par rapport 
à chacun de ces petits corps. Nous ne les voyons pas par la même raison 
que le jour nous ne voyons pas les étoiles à la voûte du ciel. Mais faisons 
la nuit autour de nous, rendons tout obseur, et éclairons seulement ces 
petits corps, alors nous les verrons comme le soir on voit les étoiles. 

Nous allons produire l'obscurité dans la salle et lancer un faisceau 
de lumière. 

Vous pouvez voir, messieurs, s'agiter bien des poussières dans ce 
faisceau lumineux. Du reste, ce faisceau de lumière, vous ne le voyez 
lui-même que parce qu'il y a des brins de poussière dans l'air de la 
salle. Si vous les supprimiez, vous ne verriez rien, car ce n’est pas la 
lumière elle-même qui est visible. 

Ainsi, messieurs, il y a de la poussière partout dans cette salle. Si 
j'avais eu quelques instants de plus, je vous aurais dit : Regardez bien 
dans ce faisceau de lumière, approchez-vous, et vous verrez que ces 
petits brins de poussière, quoique agités de mouvements divers, 
tombent toujours plus ou moins vite; vous en distinguez quelques-uns, 
et l'instant d’après ils sont un peu plus bas, bien qu'ils flottent dans 
l'air. Tout en flottant, ils tombent. C’est ainsi que se couvrent de pous- 
sière tous les objets, nos meubles, nos vêtements. Il tombe donc en 
ce moment de la poussière sur tous ces objets, sur ces livres, sur ces 
papiers, sur cette table, sur le mercure de cette cuve. 

Il en tombait tout à l’heure, il y a une heure, deux heures, ce matin, 
hier. Depuis que ce mercure est sorti de sa mine, il reçoit des pous- 
sières, indépendamment de celles qui s’incorporent dans l’intérieur du 
métal par l'effet des manipulations nombreuses auxquelles on le soumet 
dans nos laboratoires. Eh bien, je vais vous démontrer qu'il n’est pas 
possible de toucher à ce mercure, d'effectuer une manipulation quel- 
conque sur ce mercure, d'y placer la main, un flacon, sans introduire 


dans l’intérieur de la cuve les poussières qui sont à la surface. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 339 


Afin de rendre visible l'épreuve à laquelle je vais soumettre la 
surface de cette cuve à mercure, je vais produire l'obscurité, et éclairer 
seulement la cuve, puis saupoudrer de la poussière en assez grande 
quantité. Cela fait, j'enfonce un objet quelconque dans le mercure de 
la cuve, un bâton de verre par exemple ; aussitôt vous voyez les pous- 
sières cheminer et se diriger toutes du côté de l'endroit où j'enfonce le 
bâton de verre, et pénétrer dans l’espace entre le verre et le mercure, 
parce que le mercure ne mouille pas le verre. 

Voici, messieurs, une cuve beaucoup plus profonde, où l'expérience 
se fera d’une manière plus saisissante. Elle se compose d’un tube de 
fer d’un mètre de profondeur, surmonté d’une cuvette. Toute la 
surface du mercure contenu dans ce vase est couverte de poussière. 
J'y enfonce le bâton de verre, et peu à peu la surface du mercure se 
découvre complètement et prend un aspect métallique, de terne qu’elle 
était auparavant. Toutes les poussières sont dans l’intérieur, à la partie 
inférieure de la cuve, et la surface se couvrira de nouveau de poussière 
quand je retirerai le bâton de verre. 

Quelle est la conséquence, messieurs, de cette épreuve si simple, 
mais si grave pour le point qui nous occupe ? C’est qu'il n'est pas 
possible de manipuler sur la cuve à mercure sans faire pénétrer dans 
l’intérieur du vase les poussières qui sont à sa surface. C’est vrai, 
M. Pouchet a éloigné les poussières en se servant de gaz oxygène, d’air 
artificiel ; il a éloigné les germes qui pouvaient être dans l’eau, dans 
le foin; mais ce qu'il n’a pas éloigné, ce sont les poussières et, par 
suite, les germes qui sont à la surface du mercure. 

Mais je vais cependant au delà de l’expérience. Je viens de démon- 
trer qu'il est impossible de manipuler sur la cuve à mercure sans 
introduire dans le vase les poussières qui sont à la surface. Mais quand 
je dis les poussières et que j'ajoute par conséquent les germes, je vais 
plus loin que l'expérience. Que reste-t-1l donc à faire? Il faut que 
j'arrive à établir que les poussières qui flottent dans l’air renferment 
des germes d'organismes inférieurs. Eh bien, messieurs, il n'y a rien 
de plus simple, quel que soit le lieu du globe où l’on opère, que de 
réunir les poussières qui sont dans l'air, de les examiner au micro- 
scope, d'étudier leur composition et de voir ce qu’elles renferment. 

Voici un tube de verre qui est ouvert à ses deux extrémités. 

Vous avez vu tout à l'heure qu'il y avait de la poussière dans cette 
salle, qu'il y en a partout. Je suppose que je place l'extrémité du tube 
de verre à ma bouche et que j'aspire. En aspirant, je fais entrer dans 
ma bouche, dans l'intérieur de mes poumons, les poussières qui sont 
en suspension dans l'air. Si je veux prolonger cette aspiration, je n'aurai 


340 ŒUVRES DE PASTEUR 


qu'a mettre en communication l'extrémité du tube avec un vase rempli 
d’eau. 

On entend aussitôt le bruit de l'aspiration. Par conséquent, il est 
évident que la poussière passe dans l’intérieur du tube. 

Or, si je place dans ce tube une petite bourre de coton, il est bien 
clair que, si la bourre de coton n’est pas trop tassée de manière à inter- 
cepter le passage de l’air, la poussière va rester en grande partie, en 
presque totalité sur le coton. Je suppose que l’expérience soit faite 
voici une de ces bourres ainsi chargées. Les personnes qui sont à petite 
distance peuvent voir qu'elle en est presque noire. Quoi de plus simple 
que de mettre un peu d’eau dans ce verre de montre, où je dépose 
cette bourre de coton, de la malaxer entre les doigts et de faire tomber 
sur une lame de verre une goutte de cette eau qui tient en suspension 
la poussière, de laisser l’eau s'évaporer, de rajouter une seconde, puis 
une troisième goutte et ainsi de suite. On accumulera ainsi sur cette 
lame de verre une grande quantité de la poussière qui était sur la 
bourre de coton, alors on observera au microscope. Or, en agissant 
ainsi où par un moyen un peu plus compliqué, dans le détail duquel je 
n'entre pas, voici ce que l’on observe. — M. Duboscq va projeter sur le 
tableau l’image des poussières recueillies dans l'atmosphère. 

Vous y voyez beaucoup de choses amorphes, de la suie, du carbonate 
de chaux, peut-être de petits fragments de laine, de soie, de coton, 
enlevés à vos vêtements. Mais au milieu de ces choses amorphes, vous 
apercevez des corpuscules tels que ceux-ci, qui sont évidemment des 
corpuscules organisés. Vous voyez donc qu'il y a toujours associés aux 
poussières amorphes qui flottent dans l’air des corpuscules organisés. 
Si vous preniez la dimension de ces corpuscules, que vous placiez à 
côté une de ces graines de moisissure dont je vous ai montré le mode 
de germination, il serait impossible au plus habile naturaliste d'établir 
la moindre différence entre ces objets. Ce sont là. messieurs, les 
germes des êtres microscopiques. 

Je pourrais maintenant par un artifice particulier, en brisant d’une 
certaine façon l'extrémité de ces vases dans lesquels il y a des infusions 
organiques très altérables au contact de l'air atmosphérique ordinaire, 
mais qui ne s’alterent pas ici parce que l’air renfermé dans ces vases 
a été porté à une température très élevée et a été ainsi rendu impropre 
à provoquer l'apparition des êtres microscopiques, vous montrer qu'on 
peut semer dans l’intérieur de ces vases les corpuscules qui sont en 
suspension dans l’air, et reconnaître au bout de deux ou trois jours 
que les vases ainsi ensemencés donnent lieu à des êtres microsco- 


piques. Je pourrais, d'autre part, recueillir les corpuseules de lair sur 


ee 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 341 


de l'amiante, et ensemencer celle-ci après lavoir fait brûler dans la 
flamme pour détruire les corpuseules. Dans ce cas, l'infusion reste 
parfaitement intacte, comme si l’on n'avait rien semé. Donc, ces 
corpuscules sont bien évidemment des germes, et vous en aurez encore 
tout à l'heure d’autres preuves non moins convaincantes. 

Mais, messieurs, j'ai hâte d'arriver à des expériences, à des démon- 
strations si saisissantes, que vous ne voudrez retenir que celles-là. 

Nous avons prouvé tout à l'heure que M. Pouchet s'était trompé, 
parce qu'il avait employé dans ses premières expériences une cuve à 
mercure. 

Supprimons l'emploi de la euve à mercure, puisque nous avons 
reconnu qu’elle donnait lieu à des erreurs inévitables. Voici, messieurs, 
une infusion de matière organique d’une limpidité parfaite, limpide 
comme de l’eau distillée, et qui est extrêmement altérable. Elle a été 
préparée aujourd’hui. Demain déjà elle contiendra des animalcules, de 
petits infusoires ou des flocons de moisissures. 

Je place une portion de cette infusion de matière organique dans 
un vase à long col, tel que celui-ci. Je suppose que je fasse bouillir le 
liquide et qu'ensuite je laisse refroidir. Au bout de quelques jours, il 
y aura des moisissures ou des animalcules infusoires développés dans 
le liquide. En faisant bouillir, j'ai détruit les germes qui pouvaient 
exister dans le liquide et à la surface des parois du vase. Mais comme 
cette infusion se trouve remise au contact de l'air, elle s’altère comme 
toutes les infusions. 

Maintenant je suppose que je répète cette expérience, mais qu'avant 
de faire bouillir le liquide, j'étire à la lampe d’émailleur le col du 
ballon, de manière à l’effiler, en laissant toutefois son extrémité ouverte. 
Cela fait, je porte le liquide du ballon à l’ébullition, puis je le laisse 
refroidir. Or, le liquide de ce deuxième ballon restera complètement 
inaltéré, non pas deux jours, non pas trois, quatre, non pas un mois, 
une année, mais trois el quatre années, car l'expérience dont je vous 
parle a déjà cette durée. Le liquide reste parfaitement limpide, limpide 
comme de l’eau distillée. Quelle différence y a-t-il donc entre ces deux 
vases ? Ils renferment le même liquide, ils renferment tous deux de 
l'air, tous les deux sont ouverts. Pourquoi donc celui-ci s’altère-t-1l, 
tandis que celui-là ne s’altère pas? La seule différence, messieurs, qui 
existe entre les deux vases, la voici : Dans celui-ci, les poussières qui 
sont en suspension dans l’air et leurs germes peuvent tomber par le 
goulot du vase et arriver au contact du liquide où ils trouvent un 
aliment approprié, et se développent. De là, les êtres microscopiques. 
Ici, au contraire, 1l n’est pas possible, ou du moins il est très difficile, 


342 ŒUVRES DE PASTEUR 


à moins que Pair ne soit vivement agité, que les poussières en suspen- 
sion dans l'air puissent entrer dans ce vase. Où vont-elles? Elles 
tombent sur le col recourbé. Quand l’air rentre dans le vase par les lois 
de la diffusion et les variations de température, celles-ci n’étant jamais 
brusques, l'air rentre lentement et assez lentement pour que ses pous- 
sières et toutes les particules solides qu’il charrie tombent à l'ouverture 
du col, ou s'arrêtent dans les premières parties de la courbure. 

Cette expérience, messieurs, est pleine d’enseignements. Car 
remarquez bien que tout ce qu'il y a dans l'air, tout, hormis ses pous- 
sières, peut entrer très facilement dans l’intérieur du vase et arriver au 
contact du liquide. Imaginez ce que vous voudrez dans l’air, électricité, 
magnétisme, ozone, et même ce que nous n'y COnnaissons pas encore, 
tout peut entrer et venir au contact de l’infusion. Il n’y a qu'une chose 
qui ne puisse pas rentrer facilement, ce sont les poussières en suspension 
dans l'air, et la preuve que c’est bien cela, c’est que si j'agite vivement 
le vase deux ou trois fois, dans deux ou trois jours il renfermera des 
animalcules et des moisissures. Pourquoi? Parce que la rentrée de l'air 
a eu lieu brusquement et a entraîné avec lui des poussières. 

Et par conséquent, messieurs, moi aussi, pourrais-je dire, en vous 
montrant ce liquide : J’ai pris dans l’immensité de la création ma goutte 
d’eau, et je l'ai prise toute pleine de la gelée féconde, c’est-à-dire, pour 
parler le langage de la science, toute pleine des éléments appropriés 
au développement des êtres inférieurs. Et j'attends, et j’observe, et je 
l'interroge, et je lui demande de vouloir bien recommencer pour moi 
la primitive création; ce serait un si beau spectacle! Mais elle est 
muette! Elle est muette depuis plusieurs années que ces expériences 
sont commencées. Ah! c’est que j'ai éloigné d’elle, et que j’éloigne 
encore en ce moment, la seule chose qu'il n’ait pas été donné à l’homme 
de produire, j'ai éloigné d'elle les germes qui flottent dans Pair, j'ai 
éloigné d’elle la vie, car la vie c’est le germe et le germe c’est la vie. 
Jamais la doctrine de la génération spontanée ne se relèvera du coup 
mortel que cette simple expérience lui porte. 

Cependant, messieurs, on peut encore aller plus loin. 

Il y a une circonstance qui a singulièrement obscurcei le sujet qui 
nous occupe. Vous savez tous que le jus de raisin ne s’altère pas, ne 
fermente pas, tant qu'il n’a pas eu le contact de l'air. Tant que le grain 
est attaché à la grappe, le jus qui est dans l’intérieur du grain ne 
fermente pas. Mais dès que le grain se trouve déchiré et que le jus est 
exposé à l’air, il s’altère, et si vous examinez alors ce jus au micro- 
scope, vous y voyez une petite végétation, c’est celle que je vous ai 
montrée tout à l’heure. 


sta 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 343 


Gay-Lussac le premier a reconnu qu'il suffisait de mettre au contact 
d’une grande quantité de jus de raisin une bulle d’air pour provoquer 
la fermentation, et, par conséquent, la production de cette végétation 
cryptogamique. Ce fait a été peu à peu, sans preuves bien étudiées, 
étendu à toutes les infusions de matières organiques; par exemple, on 
disait : Prenez une conserve d’Appert et mettez-la au contact de Pair, 
ou seulement introduisez dans l’intérieur de la conserve une très petite 
quantité d’air, la conserve s’altérera, et si vous l’examinez au micro- 
scope, vous y trouverez des animalcules infusoires et des moisissures. 
Alors les partisans de la génération spoñtanée ont fait lobjection 
suivante : ils ont dit à leurs adversaires : Mais comment voulez-vous 
qu'il y ait dans l’air atmosphérique assez de germes d’êtres microsco- 
piques pour que la plus petite bulle d’air renferme les germes qui 
peuvent se développer dans toutes les infusions organiques, cela n’est 
pas possible. S'il en était ainsi, il y aurait dans l'air encombrement de 
matière organique, elle y formerait un brouillard épais. Je crois même 
que M. Pouchet a dit : « Cela formerait un brouillard dense comme 
du fer. » 

Je me rappelle qu'au moment où j'ai commencé à m'occuper de ces 
études, cette objection me paraissait difficile à résoudre. Je ne 
comprenais pas que chaque petite bulle d’air pût fournir à chaque 
infusion les germes propres à cette infusion. Cette objection est done 
sérieuse, mais à quelle condition ? c’est que la base sur laquelle elle 
s'appuie soit une base solide. Eh bien, je vais vous démontrer qu’il est 
absolument faux qu’une petite quantité d’air, prise en n'importe quel 
point de la surface du globe, soit capable de provoquer le dévelop- 
pement d'organismes microscopiques dans une infusion quelle qu’elle 
soit. 

Je prends une matière organique parfaitement limpide, tellement 
altérable que demain vous la verriez toute trouble, pourvu que la 
température soit de 15 à 25°. 

Je place dans un vase une certaine quantité de cette infusion très 
putrescible, j'étire le col, puis je fais bouillir le liquide. L'air qui était 
dans le ballon est forcé d’en sortir par le dégagement de la vapeur 
d’eau. D'ailleurs, en chauffant le liquide jusqu'à 100, je détruis la 
fécondité des germes que l’air a pu y apporter. 

Au moment où le liquide est en ébullition depuis quelques minutes, 
je ferme, à l’aide d’une lampe d’émailleur, l'extrémité du tube, en 
faisant fondre le verre, puis je laisse refroidir. (Voici des vases préparés 
de cette manière.) Ces vases, par conséquent, sont vides d’air, et, au 
point de vue de la génération spontanée, tout aussi bien qu'a celui de 


3% ŒUNRES DE PASTEUR 


la doctrine contraire, il n’est pas possible que le liquide qu'ils 
contiennent s’altère. Je suppose maintenant que je brise leur col; vous 
entendez un sifflement : c’est l'air qui est entré avec force dans le 
ballon, parce que le vide y existait. Je le referme alors. Qu’y a-t-il 
dans ce vase? Une infusion de matière organique très altérable, 
putrescible ; et quoi encore? De l’air ordinaire, de l'air de cette salle, 
qui est entré avec force, entraînant avec lui toutes les poussières qu'il 
tient en suspension. 

Si la génération spontanée existe, le liquide va s’altérer, il n’est pas 
possible qu'il en soit autrement. En effet, cela arrive ainsi; mais il 
s’altère seulement dans certains cas, c’est-à-dire que si je prends, par 
exemple, vingt ballons tels que celui-ci, préparés comme je Pai indiqué 
il y à un instant, que j'ouvre, ainsi que je l’ai fait tout à l'heure, ces 
vingt ballons, que je les referme ensuite, et que j’abandonne ces vases 
dans une étuve, il arrive constamment, c'est l'expérience qui le 
démontre, et rien au monde ne peut détruire la puissance de ce fait, il 
arrive constamment qu'un certain nombre de ces ballons restent entié- 
rement inaltérés, sans qu'il sy développe le moindre animaleule;, la 
moindre moisissure. Par conséquent, messieurs, la génération spon- 
tanée n'existe pas. Quoi de plus impossible, en effet, qu'un tel résultat 
dans l'hypothèse de la génération spontanée! Au contraire, quoi de 
plus naturel, je dis plus, quoi de plus nécessaire, dans la doctrine 
adverse ! En effet, s’il est vrai qu'il existe des germes dans l'air, il y à 
évidemment dissémination de ces germes, il est clair qu’il y en a ici, 
et que là il n’y en a pas. Qui dit dissémination aérienne des germes dit 
absence de continuité de la cause des générations spontanées. Aussi 
savez-vous ce qui est arrivé? Les partisans de la génération spontanée 
disent : Cela n’est pas vrai. C'est-à-dire qu'ils nient l'évidence. Et 
quand est-ce que le nombre des ballons qui ne s’altèrent pas sera le 
plus considérable? C’est évidemment quand on s’éloignera des lieux 
habités, où il y a beaucoup de poussière, des lieux bas, humides, maré- 
cageux, quand on s’élèvera sur des montagnes ou qu'on descendra dans 
les profondeurs de la terre. Allez, par exemple, sur un glacier, sur la 
Mer de Glace, il est bien clair que lair, quoique renfermant encore des 
poussières, en renferme moins que dans cette salle. 

J'ai fait, messieurs, toutes ces expériences. Parmi les vases que je 
vous présente, il en est qui ont été ouverts dans un appartement, dans 
un laboratoire, dans un jardin; sur le Jura, à huit cent et tant de mètres 
d’élévation ; d’autres qui ont été ouverts sur la Mer de Glace. Sur la 
Mer de Glace, j'en ai ouvert vingt. Un seul s’est altéré. C’est le 
22 septembre 1860 que j'ai fait cette expérience. Et croyez-vous par 


FERMENTATIONS ET GÉNERATIONS DITES SPONTANÉES 345 


hasard qu'il y ait quelque chose dans ces liquides qui les ait empêchés 
de s’altérer? Brisez le col de ces ballons: demain, après-demain au 
plus tard, il y aura des organismes si la température des ballons est 
de 20 à 25°. Dix-neuf ballons sur vingt sont restés intacts parmi ceux 
du Montanvert [près de la Mer de Glace], quinze sur vingt parmi 
ceux du Jura, et douze sur vingt parmi ceux qui ont été ouverts dans 
la campagne au pied du Jura (1). 

Je vous disais tout à l'heure que, plus on s’éloignait des habitations, 
moins il y a de germes dans Pair, et plus grand est le nombre des 
ballons qui ne s’altérent pas. 

Inversement, plus on se rapproche des habitations, et plus grand 
est le nombre des ballons qui s’altèrent. J'en ai eu une preuve intéres- 
sante et que je dois vous raconter. J’avais emporté, pour refermer mes 
ballons sur la Mer de Glace, une lampe à jet d’alcool. J’ouvre mes 
ballons, et me mets en mesure de les refermer. Chose singulière ! le 
soleil donnant sur la glace, la blancheur de la glace était telle qu’il me 
fut impossible de distinguer le jet d'alcool enflammé, que le vent 
rendait d’ailleurs un peu mobile. Je ne suis pas parvenu à maintenir 
sur l'extrémité effilée du col le jet de la flamme assez longtemps pour 
pouvoir en fermer l’ouverture : je ne la voyais pas. Vous me direz : 
Vous auriez pu faire ombre autour de votre lampe avec vos vêtements. 
Oui; mais les vêtements auraient été une source de poussière, et 
j'aurais couru risque d'introduire, dans Pair que je voulais recueillir, 
précisément ce que j'avais intérêt à éloigner. Je fus obligé de passer 
la nuit à la petite auberge du Montanvert, et de recommencer l’expé- 
rience le lendemain avant le lever du soleil, avec une autre série de 
vingt ballons. 

Je ne refermai que le lendemain les treize ballons rapportés à 
l'auberge, qui avaient donc été exposés une nuit, ouverts, aux pous- 
sières de la chambre que j’occupais. Eh bien! savez-vous combien il y 
en eut qui s’altérèrent? Dix sur treize (?). 

Messieurs, si l'heure avancée ne n'obligeait de finir, j'aurais pu 
vous montrer en terminant les liquides les plus altérables qu'il y ait au 
monde, au moins ceux qui ont cette réputation, le sang et l’urine, 
prélevés par un artifice particulier dans les veines ou dans la vessie 
d'animaux vivants en pleine santé, exposés ensuite au contact de Pair, 


1. Le texte publié dans la Revue des cours scientifiques comporte des erreurs de nombres 
qui ont été corrigées d’après le manuscrit de Pasteur, d’après la communication à l’Académie 
des sciences sur le même sujet (p. 202-205 du présent volume), d’après le « Mémoire sur les 
corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère » (p. 210-294 du présent volume) et 
d'après la Lecon à la Société chimique (p. 295-317 du présent volume). 

2. Ibid. (Notes de l'Édition.) 


316 ŒUVRES DE PASTEUR 


mais de l'air privé de ses germes, de ses poussières, et je vous aurais 
fait voir que ces liquides ne sont pas le moins du monde altérés. Cette 
expérience date du mois de mars 1863. L’urine conserve jusqu’à son 
odeur ; il n'y a aucune espèce de putréfaction. Il en est de même du 
sang. Et remarquez qu'il s’agit de liquides qui n’ont subi aucune 
élévation de température. Jusqu'à présent j'avais toujours fait bouillir 
les liquides; mais ce sang et ces urines sont tels qu’ils étaient quand 
on les a pris sur des animaux vivants. Donc, encore une fois, la géné- 
ration spontanée des êtres microscopiques est une chimère. 

Non, il n’y a aucune circonstance aujourd’hui connue dans laquelle 
on puisse affirmer que des êtres microscopiques sont venus au monde 
sans germes, sans parents semblables à eux. Ceux qui le prétendent 
ont été le jouet d'illusions, d'expériences mal faites, entachées d’erreurs 
qu'ils n'ont pas su apercevoir ou qu'ils n’ont pas su éviter. 

Maintenant, messieurs, il y aurait un beau sujet à traiter : c’est 
celui du rôle, dans l’économie générale de la création, de quelques-uns 
de ces petits êtres qui sont les agents de la fermentation, les agents 
de la putréfaction, de la désorganisation de tout ce qui a eu vie à la 
surface du globe. Ce rôle est immense, merveilleux, vraiment 
émouvant. Un jour peut-être me sera-t-il donné de vous exposer ici 
quelques-uns de ces résultats. Dieu veuille que ce soit encore en 
présence d’une aussi brillante assemblée! 


NOTE 
RELATIVE A DES RÉCLAMATIONS DE PRIORITÉ 
SOULEVÉES PAR M. BÉCHAMP, 

AU SUJET DE MES TRAVAUX SUR LES FERMENTATIONS 
ET LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES (1) 


M. Béchamp a publié dans ces derniers temps une suite d’articles (2) 
au sujet des fermentations et des générations dites spontanées, dans 
lesquels un œil attentif découvre facilement des réclamations de priorité 
s'adressant à mes travaux sur ces mêmes matières, jointes à des appré- 
ciations historiques erronées. Ce savant s'appuie exclusivement sur 
une Note qu'il a insérée dans les Annales de chimie et de physique pour 
l’année 1858 [3° sér., LIV, p. 28-42], et qui est intitulée : De l'influence 
que l’eau pure, ou chargée de divers sels, exerce, à froid, sur le sucre 
de canne. 

Cette Note établit : 1° que l’eau pure n’intervertit le sucre de canne 
qu'autant que des moisissures ont pu prendre naissance; 2° que la 
créosote empêche le développement de ces moisissures ; 3° que si lon 
fait bouillir de l’eau sucrée en laissant rentrer dans le vase de l'air qui 
a passé dans de l’acide sulfurique, il n’y a pas davantage de moisissures 
formées. 

Ces faits n'ont aucun rapport avec les expériences qui me sont 
personnelles (3). 

A un point de vue général, ont-ils servi la question des générations 
dites spontanées ou celle des fermentations? Pas le moins du monde. 
En effet, en ce qui concerne les générations dites spontanées, M. Béchamp 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 14 décembre 1863, LVIT, 
p. 967-969. 
2. BécHamP. [Sur l'acide acétique de la fermentation alcoolique.] b:d., LVI, 1863, p. 1231- 


1234. — [Sur l'utilité et les inconvénients des cuvages prolongés dans la fabrication du vin. 
Sur lafermentation alcoolique dans cette fabrication.] Zbëa., LVII, 1863, p. 674-679. — [Sur les 
générations dites spontanées.] 1b2d., p. 958-960. — Et un ouvrage ayant pour titre : « Leçons 


sur la fermentation vineuse ». Montpellier, 1863, in-12. 

3. Je n’ai point étudié l’interversion du sucre de canne, et tous ceux qui connaissent mes 
travaux savent bien que, si je l'avais fait, j'aurais commencé par distinguer essentiellement ce 
phénomène des fermentations proprement dites qui, seules, ont fait l’objet de mes recherches. 


318 ŒUVRES DE PASTEUR 


n'a rien ajouté, soit aux expériences nombreuses et anciennes sur 
l'absence de développement des êtres organisés inférieurs sous lPin- 
fluence des antiseptiques, soit à lexpérience de M. Schulze, que 
M. Béchamp a reproduite avec de l’eau sucrée. (Voir l'expérience de 
Schulze dans mon Mémoire sur les générations dites spontanées.) [1] 

En ce qui concerne la théorie des fermentations, M. Béchamp n’a 
rien ajouté aux conséquences des observations par lesquelles 
MM. Dubrunfaut (2) et Mitscherlich (#) ont démontré que la végétation 
cellulaire levûre de bière intervertit le sucre. M. Mitscherlich a même 
été plus loin que M. Béchamp, puisqu'il a montré que c'était la partie 
soluble de la levûre qui intervertissait le sucre, ce que M. Béchamp 
n'a pas encore fait pour les moisissures. (Voir : Berzelius. Rapport 
annuel sur les progrès de la chimie. Paris, 1843.) Il n’en a pas moins été 
utile, et c’est le service que M. Béchamp a rendu, de démontrer que 
l’eau sucrée ne s’intervertissait que dans les cas où l'introduction de 
l’air et l’absence des antiseptiques avaient permis la formation de 
moisissures. Si M. Béchamp avait pris soin de rappeler l'expérience de 
Schulze, les expériences sur les antiseptiques, et l’action de la levüre 
de bière si bien étudiée par M. Mitscherlich, il verrait mieux aujour- 
d'hui sans doute que sa Note n’a rien à faire avec les progrès accomplis 
ultérieurement dans l’étude des fermentations ou des générations 
dites spontanées. 

Le lecteur qui désirerait se rendre compte de l'étendue des préten- 
tions et des erreurs historiques de M. Béchamp fera bien de lire la 
préface que ce chimiste a placée en tête d’un petit volume qu'il vient 
de publier à Montpellier, sous ce titre : Lecons sur la fermentation 


vineuse. J'aurai l’occasion d'en parler ailleurs. 


1. Pasreur. Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère. Examen 
de la doctrine des générations spontanées. Annales de chimue et de physique, 3 sér., LXIV, 
1862, p. 5-110, et p. 210-294 du présent volume. 

2. DuBRUNFAUT. Loc. cit. 

3. MrrseuerLicH. Loc. cit. (Notes de l'Édition.) 


OBSERVATIONS VERBALES (1) 
RELATIVES À DES NOTES COMMUNIQUÉES A L'ACADEMIE 
PAR M. VICTOR MEUNIER 
DANS LES SÉANCES DES 28 AOÛT, 11 SEPTEMBRE 
ET 11 DÉCEMBRE 41865 
[SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES] (2) 


Mon intention n’était pas de répondre à ces Notes, mais quelques-uns 
de mes confrères m’ayant fait observer obligeamment tout à l'heure 
que mon silence pourrait être mal interprété par quelques personnes, 
je me rends à leur bienveillant avis. 

Puisque l’occasion m'en est offerte, je regretterai tout d’abord que 
ces Notes, lorsqu'elles ont été adressées à l’Académie, ne m'’aient pas 
élé communiquées, séance lenante, par les Membres qui les ont 
présentées, ou tout au moins qu'elles n'aient pas été lues intégra- 
lement, afin que je susse à quoi m'en tenir sur l'opportunité d’une 
réponse immédiate. 

M. Victor Meunier essaye de contredire les résultats des expériences 
que j'ai faites avec des matras à cols recourbés et sinueux, et, dans 
ses Notes des 28 août et 11 septembre, au lieu de se servir, comme je 
l'avais fait, d’un vase à un seul col, il adapte au même matras neuf cols 
sinueux, en faisant ce raisonnement puéril que neuf cols sinueux 
devront mieux arrêter les germes qu'un seul. Ai-je besoin de dire 
qu'en adoptant cette disposition et d’autres que je passe sous silence, 
M. V. Meunier introduit comme à plaisir des causes d’erreur évidentes ? 
Lorsqu'on veut avoir dans un appartement un libre courant d’air, on 
n'ouvre pas seulement une fenêtre, mais deux, et de préférence pla- 
cées à peu près vis-à-vis l’une de l’autre. Comment M. V. Meunier 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 18 décembre 1869, 1.XI, 
p. 1091-1093. 
2. Meunier (V.). Expérience relative à la question des générations spontanées. 1bid., 


28 août 1865, LXI, p. 377. — Nouvelle expérience relalive à la question des générations spon- 
tanées. Zbid., 11 septembre 1865, LXI, p. 449. — Expériences sur le développement de la vie 


dans les ballons à cols recourbés. Zbëd., 11 décembre 1865, LXI, p. 1060. (Note de l'Édition.) 


350 ŒUVRES DE PASTEUR 


n'a-t-il pas vu qu'avec deux ou neuf ouvertures, le moindre mouve- 
ment de l'air, dans la pièce où sont conservés ses matras, aura inévi- 
tablement son contre-coup jusque dans l’intérieur de ces matras, et 
que l'air extérieur pourra y pénétrer en nature avec toutes ses pous- 
sières! Un seul col agit d’une manière absolument différente. L'air 
intérieur fait coussin ou ressort, et le mouvement du gaz n’a de vitesse 
sensible que dans les premières parties de la courbure. La preuve 
évidente que les particules solides, germes, poussières minérales, etc., 
ne pénètrent pas dans le matras à un seul col, c’est que je possède 
des liqueurs putrescibles qui se conservent sans altération dans des 
vases à cols sinueux depuis plusieurs années, et à la surface desquels 
liquides il n’y a pas la moindre trace de poussière, tandis que, sur les 
parois extérieures des matras, la couche de poussière est énorme. La 
disposition adoptée préserve donc le liquide de la chute des parti- 
cules solides qui sont en suspension dans l'air. Cela saute aux yeux. 

M. V. Meunier dit que les résultats de mes expériences peuvent 
tenir à ce que je chauffe plus ou moins longtemps. C’est absolument 
erroné, et M. V. Meunier peut, s’il le désire, régler l’ébullition, un 
chronomètre à la main, et il verra que les résultats généraux sont les 
mêmes. N’ai-je pas insisté d’ailleurs sur ce fait que, quel que soit le 
mode de préparation de la liqueur, pourvu que l’on satisfasse, bien 
entendu, aux conditions indispensables d’une bonne expérience, et quel 
que soit le temps qui s’est écoulé depuis le moment où celle-ci a été 
mise en train, si l’on vient à détacher le col du ballon par un trait de 
lime, le lendemain ou le surlendemain le liquide est envahi par des 
organismes inférieurs ? Ce liquide demeure donc éminemment propre 
dans tous les cas au développement de ces organismes. Je n'ai altéré 
en quoi que ce soit la fameuse faculté génésique des infusions, qui est 
un mot vide de sens. 

M.V. Meunier dit encore que les résultats des expériences 
s'expliquent par la nature des infusions. Je le crois bien : c’est là un 
résultat qui n'appartient et que je revendique. N’ai-je pas fait observer 
que mes expériences des matras à cols sinueux ne réussissent pas avec 
le lait, qu'il faut dans ce cas chauffer à 100 et quelques degrés? J'ai 
même donné une formule générale à l’aide de laquelle on peut constituer 
les liqueurs les plus variées offrant des résultats du même genre. Il 
suffit de se souvenir de la différence des essais avec l’eau de levüre 
pure, et l’eau de levüre mise préalablement à bouillir avec du carbonate 
de chaux. Il résulte de mes expériences que l’on peut admettre d’une 
manière à peu près générale, sans que je veuille toutefois sortur du 
domaine des faits que j'ai observés, que les infusions à réaction légè- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 351 


rement acide n’exigent qu'une température de 100°, ou inférieure à 
100, et que les liquides neutres, ou mieux très légèrement alcalins, 
doivent être portés, comme le lait, à plus de 100. 

L'influence de la composition des liqueurs ne ressort-elle pas 
encore de mes recherches sur les maladies des vins, où je démontre 
que ce liquide acide et alcoolique n’a besoin que d’être porté à 50 ou 
60° pour que les germes des parasites qui sont la source de ses 
maladies perdent leur vitalité, germes (ou mieux articles, déjà de la 
nature de l'être parfait) que l’on peut voir et pour ainsi dire compter 
dans le dépôt d’une bouteille de vin rouge quelconque. 

J’ajouterai que je n'ai jamais dit que dans la série de mes expé- 
riences avec matras à cols recourbés ou sinueux, cent expériences sur 
cent réussissent. Ce qui doit étonner, ce qui a profondément surpris 
à l’origine toutes les personnes qui ont vu ces expériences et moi- 
même, c’est leur succès à peu près constant. Ce succès, n’existerait-il 
qu'une fois sur mille, serait à mes yeux tout aussi probant, parce que 
l’on pourrait appliquer encore à ce cas particulier, et avec autant 
de force, ce jugement si clair porté par M. Flourens, rappelé par 
M. V. Meunier dans sa dernière communication, et que je prends la 
liberté de reproduire à mon tour : 

« Pour avoir des animalcules, que faut-il, dit M. Flourens, si la 
génération spontanée est réelle ? De l’air et des substances putrescibles. 
Or, M. Pasteur met ensemble de l’air et des liqueurs putrescibles et 
il ne se fait rien. La génération spontanée n’est donc pas. Ce n’est 
pas comprendre la question que de douter encore. » 


OBSERVATIONS VERBALES {1 
PRÉSENTÉES APRÈS LA LECTURE DE LA NOTE DE M. DONNÉ 
[SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES] (?) 


Les expériences que M. Donné soumet au jugement de l'Académie, 
autant que j'en puis juger sur la simple lecture qui vient d’en être 
faite, sont loin d’avoir, à mon avis, la rigueur qu'il leur attribue. 
Celles qu'il rappelle dans sa Note et qu'il avait faites en 1863 (3), m’avaient 
paru, au contraire, et me paraissent encore irréprochables. Elles 
reposaient sur le raisonnement le plus judicieux, et nulle cause 
d'erreur ne les affectait. M. Donné s'était dit: La matière de l'œuf 
doit être éminemment propre à une organisation primitive. Je vais 
abandonner des œufs à eux-mêmes, entiers, sans briser leurs coques, 
et, lorsque l’altération de leur contenu sera bien accusée, j’examinerai 
la substance intérieure au microscope. Si la génération spontanée est 
possible, je dois y rencontrer des êtres organisés. 

Le résultat a été négatif. M. Donné n’a trouvé dans les œufs altérés 
ni moisissures ni infusoires. 

Telles sont les expériences que M. Donné a publiées en 1863. Elles 
sont, à mon avis, irréprochables. Alors comme aujourd'hui je n’y 
entrevois pas de cause d’erreur, et les idées qui leur servent de point 
de départ sont exactes. 

Tout est contestable, au contraire, dans les nouvelles expériences 
de M. Donné. Le raisonnement qui le guide est une hypothèse, et les 
dispositions expérimentales qu'il emploie sont d’une efficacité très 
douteuse pour écarter les causes d'erreur. 

« La petite quantité d'air renfermée dans l’œuf, non renouvelée, 
n’était peut-être pas suffisante, dit M. Donné, pour déterminer le 
grand phénomène d’une génération spontanée, c’est-à-dire pour 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 13 août 1866, LXITI, p. 30508. 

2. Doxxé (A.). De la génération spontanée des moisissures végétales et des animaleules 
infusoires. 1bid., p. 301-309. 

3. Doxxé. Expériences sur l'altération spontanée des œufs. Zbid., LNII, 1863, p. 448-452, 
Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 353 


donner la vie à un certain arrangement moléculaire de la matière 
organique. » 

Voilà l'hypothèse dans le raisonnement. Nous savons que la vie du 
jeune poulet s’accommode très bien de loxygène qui pénètre à travers 
les parois de la coque. 

Considérons maintenant les dispositions des expériences. 

« Des œufs sont lavés avec soin, bien essuyés et aussitôt enveloppés 
d’une épaisse couche de coton cardé sortant d’une étuve chauffée 
à 150°. Le coton est bien collé tout autour de l’œuf, afin qu’il ne se 
déplace pas. Un stylet fin, préalablement rougi au feu, afin de détruire 
les germes qui pourraient y adhérer, est introduit obliquement sous le 
coton, et le sommet de l’œuf est percé d’un trou. Tous les œufs, ainsi 
préparés, sont rangés debout dans une terrine remplie de cendres 
retirées toutes chaudes du foyer ; le tout est recouvert d’une eloche en 
verre. Ayant toujours voulu opérer à la température de l’air extérieur, 
sans avoir recours à la chaleur artificielle d’une étuve, mes expé- 
riences ont été faites pendant les mois d’été à Montpellier. » 

Les causes d'erreur sont multiples. Je n’en signalerai qu’une. Du 
coton sort d’une étuve à 150, et il est appliqué sur l’œuf. Mais quand 
l’opérateur l’applique et le colle à la surface de l’œuf, toute la mani- 
pulation est faite à la température ordinaire et au libre contact de l’air. 
Les poussières en suspension dans cet air, celles de la surface de 
l'œuf, celles de la surface des mains de l'opérateur, qui les éloigne, 
quelle précaution est prise pour supprimer la vitalité des germes 
qu’elles peuvent renfermer? Je ne le vois pas, et l’auteur n’en dit rien. 
Dans les premières expériences de M. Donné, la coquille de l'œuf 
laissée intacte rendait tous ces soins superflus. 

Ce que j'avais loué principalement dans les anciennes expériences 
de M. Donné en 1863, c'était, ainsi qu'il le rappelle dans l'extrait qu'il 
publie de la lettre que je lui ai adressée à cette époque, lorsqu'il 
m'avait chargé de présenter ses résultats à l’Académie, c'était la 
pensée excellente d’avoir opéré sur des matières organiques dans leur 
état naturel, n'ayant point subi préalablement l’action de la chaleur. 

Déjà antérieurement, j'avais fait connaître des expériences qui 
avaient porté précisément sur de telles matières, le sang et l’urine à 
l’état frais, et j'avais obtenu des résultats que les expériences de 
M. Donné sur les œufs venaient confirmer. (Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LVI, 1863, p. 738-739) [1]. 

J'avais réussi à maintenir durant des mois et des années du sang et 

1. Voir p. 165-171 du présent volume : Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphé- 
rique dans la destruction des matières animales et végétales après la mort. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 23 


ŒUVRES DE PASTEUR 


Q2 
er 
ro 


de l'urine au contact de l’air privé de ses germes dans un ballon de 
verre, Sans que ces substances éprouvassent d’autres altérations que 
celles qui résultent d’une oxydation directe de quelques-uns de leurs 
principes au contact du gaz oxygène de l'air des ballons. J'avais adopté 
les dispositions suivantes : 

Un ballon de verre de ; litre de capacité est joint par un caout- 
chouc à un robinet de cuivre à branches un peu allongées, lequel est 
joint lui-même à un tube de platine chauffé au rouge. Quelques centi- 
mètres cubes d’eau ont été laissés dans le ballon. On fait bouillir cette 
eau, dont la vapeur chasse l'air du ballon, du robinet, des tubes, et 
détruit la vitalité des germes qui peuvent se trouver à la surface 
intérieure de ces objets. On laisse refroidir le ballon. Quand sa tempé- 
rature est descendue à 30 ou 40°, on ferme le robinet et on sépare 
l'appareil du tube de platine. 

Cela fait, on ouvre la veine ou l'artère d’un chien et on y introduit 
l’appendice tubulaire du robinet, en liant aussitôt la paroi du vaisseau 
sur le tube de cuivre. On ouvre alors doucement le robinet. Comme il 
a été fermé lorsque l'air du ballon était à la température de 30 à 40°, 
et que la prise du sang n'a lieu qu’à la température ordinaire, par 
l'effet du vide partiel qui est dans le ballon, le sang de l'animal est 
appelé dans le ballon. On ferme le robinet lorsqu'il en est entré 
quelques centimètres cubes. Dans ces conditions, et malgré la petite 
cause d'erreur apportée par le libre contact de l'air dans l'instant où le 
tube-canule du robinet pénètre dans le vaisseau, presque toutes les 
expériences ont le résultat suivant: le sang ne se putréfie pas, et, 
dans l'intervalle de quelques jours, tous les globules ont disparu, 
remplacés par ces cristaux du sang qui ont été si difficiles à préparer 
jusqu’à ce jour en grande quantité; il n’y a production ni d’animalcules 
ni d’infusoires. Les vases sont clos, mais la cloche qui recouvre les 
œufs de M. Donné forme également un espace clos. 

Les expériences avec l'urine extraite directement de la vessie sur 
le vivant ont toutes donné un résultat de même ordre. Plusieurs des 
vases qui m'ont servi sont encore dans mon laboratoire, sans présenter 


la moindre putréfaction. 
Telles sont les observations que me suggère la lecture de la Note 


que l’Académie vient d'entendre. 

Toutefois, je m'empresse de répéter ici ce’que j'ai dit souvent : On 
ne peut pas prouver à priori qu'il n'existe pas de générations spon- 
tanées. Tout ce que l’on peut faire, c’est de démontrer : 1° qu'il y a eu 
des causes d’erreur inaperçues dans les expériences ; 2° qu’en écartant 
ces causes d'erreur sans toucher aux conditions fondamentales des 


pe 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 355 


essais, toute apparition d'êtres inférieurs cesse d’avoir lieu. Ce double 
examen sera nécessaire chaque fois qu’un expérimentateur conscien- 
cieux viendra saisir l’Académie de résultats nouveaux qu'il jugera 
favorables à la doctrine des générations spontanées. Aujourd’hui, 
M. Donné, qui s’est montré maintes fois observateur habile et plein 
de sagacité et qui cherche la vérité sans parti pris, indique à l’Aca- 
démie un dispositif nouveau d'expériences dont il interprète les 
résultats en faveur de cette doctrine. Le rôle de l’Académie est tout 
tracé. Il faut examiner avec soin ces expériences, il faut éclairer 
l’auteur, le prier d’écarter les causes d’erreur qu'il à négligées, 
celles, par exemple, que je signalais tout à l'heure, et chercher avec 
lui la vérité. Pour ma part, je suis tout prêt à donner mon concours 
à la Commission qui sera chargée de porter un jugement sur le travail 
de M. Donné. 


OBSERVATIONS VERBALES (1) 
PRÉSENTÉES APRÈS LA LECTURE DE LA NOTE DE M. DONNÉ 
[SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES] (?) 


L'Académie me permettra, et M. Donné également, de témoigner 
de la surprise que je viens d’éprouver en entendant la lecture de la Note 
du savant recteur de l'Académie de Montpellier. 

Je me félicite assurément que M. Donné ait senti la nécessité 
d’écarter de ses premières expériences les causes d’erreur dont elles 
étaient si évidemment entachées. On se rappelle que M. Donné collait 
du coton à froid et au libre contact de Pair sur des œufs avant de percer 
leur coque, et qu’il concluait, de la présence ultérieure de moisissures 
à l'endroit percé, que celles-ci étaient d’origine spontanée. 

Que fait aujourd’hui M. Donné? Sur des œufs ouverts dont il a 
laissé échapper une partie de leur contenu, il jette de l’eau bouillante, 
et, de la présence de vibrions là où ils ont été brisés, il conclut que la 
matière de l'œuf s’est organisée d’elle-même en vibrions agiles, par 
un simple jeu des molécules. 

Pourquoi M. Donné verse-t-il de l’eau chaude sur ses œufs? C’est 
apparemment, et il le dit expressément, pour tuer les germes qu’il a pu 
laisser s’introduire dans ses œufs en les brisant. Mais où donc, je le 
demande, M. Donné a-t-il lu dans mes Mémoires que j'admettais 
qu'une température de 75° tuait tous les germes? N’ai-je pas fait au 
contraire de nombreuses et précises expériences pour prouver le 
contraire ? N’ai-je pas démontré que le lait offrait des vibrions après 
avoir été porté à 100°? N’ai-je pas donné une méthode générale pour 
obtenir des liquides présentant exactement la propriété du lait? 
N'ai-je pas établi expérimentalement que pour cette nature de liquides 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 décembre 1866, LXILI, 


p. 1073-1079. 
2. Doxxé (A.). Sur la génération spontanée des animaleules infusoires, Ibid, p. 1072-1073: 


(Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 357 


il fallait une température supérieure à 100°? Et comment M. Donné, 
s’il ignore celles de mes expériences qu'il prétend réfuter, ne connaïit-il 
pas ces résultats, très précis cette fois, et irréprochables, que M. Pou- 
chet vient de communiquer à l’Académie, il y a quelques jours seule- 
ment (1)? Je m'étonne que les partisans de la génération spontanée, parmi 
lesquels se range aujourd’hui M. Donné, n'aient pas prêté à ces expé- 
riences toute l’attention qu’elles méritent. Elles démontrent, en effet : 
1 qu'il y a des graines dont l'embryon perd toute vitalité lorsqu'on 
les chauffe à 100° dans l’eau bouillante; 2° qu’il en est d’autres, au 
contraire, que l’on peut chauffer à 100° dans l’eau bouillante durant 
quatre heures sans leur enlever la faculté de germer. En d’autres 
termes, il y a des espèces de graines qui ne perdent leur vitalité que 
lorsqu'on a porté leur température au delà de 100° au sein de l’eau. 

Que M. Donné reprenne donc ses expériences en éloignant les 
causes d'erreur qu'il y a de nouveau manifestement introduites. Les 
données antérieures de la science proclament que, si un auteur désire 
rechercher ce qui se passe dans la matière des œufs exposés à Pair 
et y détruire les germes des vibrions, bacteriums, etc., qu’elle en 
a reçus ou qu’elle a reçus des poussières des objets qu’elle a touchés, 
il faut, non pas se contenter de jeter sur cette matière de l’eau à 75°, 
mais la placer à 100 et quelques degrés. 100° ne suffisent à l’ordinaire 
qu'autant que le liquide serait à réaction faiblement acide. S'il est 
neutre, et mieux encore un peu alcalin, comme il arrive pour la 
substance intérieure de l'œuf, il est indispensable de dépasser 100. 
Voilà ce qui résulte clairement de mes expériences, notamment de 
celles du $ II du chapitre V de mon Mémoire sur les corpuscules 
organisés qui existent dans l’atmosphère (?), et, je puis ajouter, des 
expériences nouvelles de M. Pouchet que je viens de mentionner. 

C’est seulement après que M. Donné aura fait ces expériences qu’il 
pourra se croire autorisé, sur la foi de leurs résultats, à tirer des 
conclusions favorables ou défavorables à la doctrine des générations 
dites spontanées. 

Ces expériences, je les ai faites, en ce qui me concerne, et mille 
autres très variées, et ce sont leurs résultats décisifs qui m'ont fait dire 
et répéter que, dans l’état actuel de la science, l’hétérogénie est une 
chimère. 


1. Poucxer. Expériences comparées sur la résistance vitale de certains embryons végétaux. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXIII, 1866, p. 989-941. 
2. Voir ce Mémoire p. 210-294 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


> 
en 
C2] 


ŒUVRES DE PASTEUR 


OBSERVATIONS (1) 
[AU SUJET DE LA NOTE DE M. POUCHET : 
SUR LA RÉSISTANCE VITALE (2 


M. Pouchet paraît me reprocher d’avoir cité son nom et le dernier 
travail qu'il a communiqué à l’Académie, dans ma réponse à une Note de 
M. Donné , et il prend occasion de ce fait pour reproduire une de ses 
dissertations bien connues au sujet de sa thèse favorite. Voici la vérité : 
je me suis donné la satisfaction de mettre en présence et d’opposer les 
résultats d'expériences que deux partisans de l’hétérogénie ont adressés 
à l’Académie à quelques jours d'intervalle, ceux de M. Donné faisant 
reposer la valeur de ses conclusions sur l’assertion qu’il suffit de porter 
tous les germes à 75° pour les tuer, et ceux de M. Pouchet affirmant 
qu'on peut laisser certaines graines pendant quatre heures dans l’eau 
bouillante sans les priver de leur faculté germinative. Que MM. Pou- 
chet et Donné se mettent d'accord! C’est affaire entre eux. C’est 
M. Pouchet, selon moi, qui est dans le vrai. N’avais-je pas le droit et 
même le devoir de le dire? Il est si rare que M. Pouchet et moi soyons 
de la même opinion! Mais voilà que l'honorable correspondant de 
l'Académie, dans la dernière phrase de sa Note, voudrait tirer profit 
de l’approbation que j'ai donnée à son expérience récente (expérience 
qui est encore bien plus, comme il nous l’a appris lui-même, l’expé- 
rience des ouvriers de Rouen (* que la sienne propre), pour faire croire 
que toutes ses expériences antérieures n’ont pas été moins exactes. 
C’est une manière de raisonner dont le lecteur a fait justice avant moi. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 31 décembre 1866, LXIII, 
p. 1139. 

2. Ibid., p. 1137-1189. 

3. Voir la communication précédente. 

4. « Elbeuf », dans le texte de Pouchet publié dans les Comptes rendus de l'Académe 
des sciences, LXIIT, 1866, p. 939. (Notes de l'Édition.) 


[II 


NOUVELLES RECHERCHES 
SUR LES FERMENTATIONS 


DISCUSSIONS 
SUR L'ORIGINE ET LA NATURE DES FERMENTS 


(1871-1879) 


T<r> 


NOTE SUR UN MÉMOIRE DE M. LIEBIG, 
RELATIF AUX FERMENTATIONS (1) 


M. Liebig a publié, en 1870 [1869,, un grand Mémoire sur les 
fermentations qui vient d’être traduit dans les Annales de chimie 
et de physique (©). C’est une critique très approfondie, en apparence, de 
quelques-unes de mes études sur le même sujet. 

Le travail du savant chimiste de Munich est très soigné, rempli des 
discussions les plus habiles, et l’auteur nous apprend qu'avant de le 
produire, il y a songé pendant près de dix années. Si je voulais en 
faire, à mon tour, une critique détaillée, il me faudrait suivre M. Liebig, 
pas à pas, et écrire un Mémoire presque aussi long que le sien. Je 
n'en ai pas le loisir; mais si j'entends aujourd’hui laisser de côté tout 
le menu de la question, je m'empresse d’ajouter que c’est pour aller 
droit aux deux négations dans lesquelles se concentrent toutes les 
objections du chimiste allemand, et qui d’ailleurs résument le fond du 
débat. 

Dans la première de ces deux négations, M. Liebig conteste formel- 
lement que j'aie pu produire de la levüre de bière et la fermentation 
alcoolique dans un milieu minéral sucré où j'avais semé une quantité 
extrêmement petite de levûre. La, en effet, est la pierre de touche de 
la vérité ou de l'erreur. Pour M. Liebig, on le sait, la fermentation est 
un phénomène corrélatif de la mort, si je puis ainsi parler. Toute 
substance, quelle qu’elle soit, et notamment celles que l’on désigne 
sous le nom de matières albuminoïides, V'albumine, la fibrine, la 
caséine, etc., ou des liquides organiques qui les renferment, le lait, le 
sang, l’urine, etc., ont la propriété de communiquer le mouvement, que 
l'exposition à l’air y détermine, aux molécules d’une matière fermen- 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 18 décembre 1571, LXXIII, 
p. 1419-1424. — Annales de chimie et de physique, 4° sér., XXV, 1872, p. 145-151. 

2, LrepiG (J. von). Sur la fermentation et la source de la force musculaire. (Lu aux séances 
de l'Académie royale des sciences de Munich, les 9 mai 1858 et 5 novembre 1869). Aznales de 
chimie et de physique, 4e sér., XXIII, 1871, p. 5-49. (Note de l'Édition.) 


362 ŒUVRES DE PASTEUR 


tescible. Celle-ci se résout alors en des produits nouveaux, sans rien 
prendre à ces substances et sans leur rien fournir de ses propres 
matériaux. Selon moi, au contraire, les fermentalions proprement dites 
sont toutes corrélatives de la vie, et je crois avoir démontré par des 
preuves péremptoires qu'une matière fermentescible n’éprouve jamais 
la fermentation, sans qu'il y ait un échange incessant entre des cellules 
vivantes qui grandissent ou se multiplient en s’assimilant une partie 
de la matière fermentescible elle-même. 

La doctrine de M. Liebig était en pleine faveur lorsque j'ai démontré 
en premier lieu que, dans toute fermentation proprement dite, on 
trouve, d’une manière nécessaire, des organismes spéciaux et que, là 
où l’on croyait n'avoir affaire qu'à des matières albuminoïdes mortes, 
la vie apparaît corrélative de la fermentation, les deux phénomènes 
commençant et finissant en même temps. J'ai démontré, d’autre part, 
que toutes ces fermentations deviennent impossibles au libre contact 
de l'air, à la seule condition que l'air ne puisse apporter, dans les 
matières en présence, les germes organisés que cet air charrie sans 
cesse au voisinage de la surface de la terre(!). Néanmoins, et c’est 
encore un des faits que j'ai établis avec rigueur, ces mélanges fermen- 
tescibles dont la fermentation est rendue impossible par l’absence des 
germes en suspension dans l’air éprouvent une oxydation et une alté- 
ration chimique sensibles au contact de cet air pur. Ces faits si probants 
parurent encore laisser des doutes dans quelques esprits prévenus; 
car rien n'est plus subtil que l'argumentation d’une théorie qui 
succombe. 

Je constituai alors des milieux fermentescibles, dans lesquels il 
n'existait que trois sortes de substances : la matière pouvant fermenter, 
des sels minéraux convenablement choisis, en troisième lieu des 
germes du ferment. Par exemple, j'ai reconnu que le ferment du 
lactate de chaux était un vibrion. Eh bien! dans une solution de 
lactate de chaux cristallisé et très pur, j'ajoute des phosphates d’ammo- 
niaque, de magnésie et de potasse, de petites quantités de sulfate 


1. L'Académie ne reverra peut-être pas sans intérêt un vase ouvert dans lequel se trouve 
de l’eau de foin vert depuis le 24 juin 1864, paraphé sur son étiquette par un Membre de cette 
Académie (M. Balard), et qui est resté limpide sans donner trace de fermentation ni de putré- 
faction, uniquement parce que le col du vase a été recourbé et que l'ouverture est placée de 
telle sorte que les poussières en suspension dans l'air ne peuvent tomber dans le liquide. La 
poussière s'est amassée sur les parois extérieures, mais elle n’a pu arriver jusqu'au liquide. 
Que l'on remplace l’eau de foin par tous les mélanges fermentescibles, et le résultat est le 
même; mais vient-on à déposer dans ces liquides une parcelle des poussières qui recouvrent 
les parois extérieures, dans l'intervalle de quelques jours altérations ou fermentations diverses 
apparaissent toujours à la suite de cellules vivantes provenant de germes que la poussière à 
apportés avec elle. 


du 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 363 


d'ammoniaque, et enfin le germe de ce vibrion ou ce vibrion tout 
formé (1). Dans l'intervalle de quelques jours, le lactate a intégralement 
disparu, et une multitude infinie de vibrions nouveaux ont pris nais- 
sance. Tant qu’il existe du lactate de chaux, les vibrions se multiplient 
et s’agitent dans la liqueur. Une fois que tout le lactate est décomposé, 
les vibrions tombent comme des cadavres au fond du vase. Les autres 
fermentations et toutes les levüres qui leur sont propres donnent lieu 
au mème résultat, notamment la levüre de bière, par laquelle j'avais 
débuté dans cet ordre d’études (2). Toutefois, avec celle-ci, comme je lai 
expliqué longuement dans le Mémoire original ), l'expérience est beau- 
coup plus délicate. Il faut multiplier les essais, parce que d’autres 
organismes peuvent intervenir et gêner le développement de la levûre 
que l’on a semée. Certains infusoires, la levûre lactique, des mucé- 
dinées diverses, trouvent aussi des aliments appropriés à leur vie dans 
le milieu minéral, et peuvent empêcher plus ou moins la multiplica- 
tion du ferment alcoolique. Ce sont ces difficultés qui auront arrêté 
M. Liebig et qu'il n'aura pas su lever. Mais comment M. Liebig n’a-t-il 
pas remarqué que ces obstacles mêmes sont une preuve nouvelle de la 
vérité qu'il conteste? Est-ce que la naissance de la levûre lactique dans 
le milieu minéral sucré n’a pas, au point de vue général, la même 
signification que celle de la levûre de bière? Sans doute, le milieu 
minéral que j'emploie dans cette expérience ne donne pas un dévelop- 
pement de levûre de bière comparable, à beaucoup près, avec ce que 
l’on obtient en semant de la levüre dans du moût de bière, ou dans 
l’eau sucrée à laquelle on a ajouté des matières albuminoïdes, mais je 
n'ai pas eu la prétention, comme le voudrait M. Liebig, de donner à 
l'industrie un moyen pratique de fabriquer en grand la levûre de bière, 
quoique je sois loin de penser que j'échouerais dans cette entreprise 
d'une manière nécessaire, si je la tentais, surtout depuis la publication 
du beau Mémoire de M. Raulin sur la nutrition des mucédinées (#. Je 
maintiens, en un mot, la rigoureuse exactitude de mon expérience. 

J'arrive maintenant à la seconde négation de M. Liebig. Elle est 
relative à la fermentation acétique. 

L'Académie se rappelle, sans doute, que j'ai établi le premier la 


1. Voir p. 34-36 du présent volume : Nouveaux faits pour servir à l'histoire de la levüre 
lactique. 

2. Voir p. 31-32 du présent volume : Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation 
alcoolique. 

3. Voir p. 51-126 du présent volume : Mémoire sur la fermentation alcoolique. 

4. RauuN (J.). Recherches sur le développement d'une mucédinée dans un milieu artificiel. 
In : Études chimiques sur la végétation. Parts, 1870, in-8e (Thèse pour le doctorat ès sciences 
physiques). [Notes de l'Édition.] 


364 ŒUVRES DE PASTEUR 


théorie complète de l’acétification, et qu’il est résulté de mon travail un 
procédé industriel nouveau de fabrication du vinaigre, appliqué 
aujourd’hui sur la plus grande échelle. Ses avantages sont considé- 
rables, sous le rapport de la rapidité et de l’économie, et la Société 
d'encouragement pour l'Industrie nationale a décerné récemment un 
de ses prix à l'industriel qui a monté la première fabrique de vinaigre 
par ce procédé. 

Le principe en est très simple : toutes les fois que du vin se trans- 
forme en vinaigre, c’est par l’action d’un voile de mycoderma aceti 
développé à sa surface. Il n'existe pas, selon moi, dans un pays quel- 
conque, une goutte de vin, aigri spontanément, au contact de Pair, 
sans que le mycoderma aceli n'ait été présent au préalable. Ce petit 
végétal microscopique a la faculté de condenser l’oxygène de l'air à la 
manière du noir de platine ou des globules du sang, et de porter cet 
oxygène sur les matières sous-jacentes. Je crois avoir établi, d’autre 

part, que dans le procédé de fabrication désigné sous le nom de pro- 

cédé allemand, les copeaux de bois ou les morceaux de charbon placés 
dans les tonneaux d’acétification ne sont que des supports pour le 
mycoderma aceti, et qu'ils n’interviennent pas dans le phénomène 
chimique par leur porosité, comme on le croyait avant la publication 
de mon Mémoire (!). 

M. Liebig nie formellement l'exactitude de ces assertions : « Avec 
l'alcool dilué, qui sert à la fabrication rapide du vinaigre, dit M. Liebig. 
les éléments de nutrition du »7ycoderma sont exclus et le vinaigre se 
fait sans leur intervention ?,. » M. Liebig nous apprend, en outre, qu’il 
a consulté le chef d’une des plus grandes fabriques d’acide acétique et 
des mieux conduites qui soient en Allemagne, M. Riemerschmied ; 
que, dans sa fabrique, l’alcool dilué ne reçoit, pendant tout le cours 
de sa transformation, aucune addition étrangère, et qu’en dehors de 
l'air et des surfaces de bois et de charbon, rien ne peut agir sur cet 
alcool; que M. Riemerschmied ne croit pas à la présence du mycoderma 
aceti; enfin, M. Liebig n’a vu aucune trace de mycoderme sur des 
copeaux de bois qui servent depuis vingt-cinq ans dans la fabrique 
dont il s’agit. Certes, voilà une argumentation qui paraît bien déci- 
sive; on ne comprend pas, en effet, la naissance d’une plante renfermant 
nécessairement, selon moi, des éléments minéraux, et qui serait 


1. Pasreur. Mémoire sur la fermentation acétique. Annales scientifiques de l'École nor- 
male supérieure, I, 1864, p. 113-158 (5 fig.). — Voir tome III des Œuvres de Pasleur : 
« Études sur le vinaigre et sur le vin. » 

2. LreriG (J. von). La fermentation acétique. Annales de chimie et de physique, 4° sér., 
XXII, 1871, p. 194-212. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 365 


produite, comme l’affirme M. Liebig, avec des substances qui n’en 
contiennent pas. Déjà, dans la discussion relative à la levûre de bière, 
dans la première partie de son Mémoire, M. Liebig prétend que je 
crois faire de la levüre de bière, qui renferme du soufre, en dehors de 
la présence d’une combinaison où ce corps simple se trouve engagé. 
Dans l’un et l’autre cas, M. Liebig se trompe; les cendres de levûre, 
qui me servent comme milieu minéral, contiennent des sulfates, et 
quant à lalcool dilué dont parle M. Liebig, comment na-t-il pas 
remarqué que cet alcool est dilué avec de l’eau ordinaire, qui renferme 
tous les éléments minéraux nécessaires à la vie du mycoderma aceti? 
Je maintiens donc encore l'exactitude rigoureuse de mes expériences 
sur la fermentation acétique. Mais comment éclairer le public? Com- 
ment sortir de l’embarras que soulèvent ces affirmations contradic- 
toires également honorables? Voici le moyen que j'offre à M. Liebig. II 
choisira officieusement, dans le sein de l’Académie, un ou plusieurs de 
ses Membres, en leur demandant de se prononcer entre lui et moi, En 
leur présence, et avec des substances que M. Liebig pourra fournir 
lui-même, je reproduirai les deux expériences capitales dont M. Liebig 
conteste la vérité. Je préparerai, dans un milieu minéral, autant de 
levûre de bière que M. Liebig pourra raisonnablement en demander, à 
la condition toutefois qu'il veuille bien faire la dépense des expé- 
riences. S'il le désire même, et toujours à cette condition, je pourrai 
préparer quelques kilogrammes de chair de vibrions, dont tout le 
carbone, tout l'azote, tout le soufre, tout le phosphore, toutes les 
matières grasses, cellulosiques et autres, sortiront exclusivement d’un 
milieu à principes minéraux cristallisables et de la matière organique 
fermentescible. Quant à la présence du #mycoderma aceti sur les 
copeaux de hêtre, je propose à M. Liebig de prélever, dans la fabrique 
de Munich précitée, quelques copeaux de bois, de les faire sécher 
rapidement dans une étuve et de les envoyer tels quels à Paris, à la 
Commission dont il s’agit. Je me charge de montrer à ses Membres, à 
la surface de ces copeaux, la présence du mycoderme. 

Il y aurait encore un moyen plus simple peut-être de convaincre 
M. Liebig de la vérité sur ce dernier point. Pour ma part, je n'ai 
jamais fait l’expérience, mais c’est le propre des théories vraies de 
donner lieu à des déductions logiques dont la vérité peut être affirmée 
a priori. Que M. Liebig prie M. Riemerschmied de vouloir bien 
remplir un de ses tonneaux en activité depuis longtemps, et qui 
donnent lieu chaque jour, comme il nous l’apprend, à l'équivalent 
en acide acétique de 3 litres d’alcool absolu, de vouloir bien, dis-je, 
remplir ce tonneau d’eau bouillante pendant une demi-heure au plus; 


366 ŒUVRES DE PASTEUR 


puis, après avoir fait écouler cette eau au dehors, de remettre en 
marche le tonneau. 

D’après la théorie de M. Liebig, le tonneau devra fonctionner tout 
comme auparavant, el moi j'affirme qu'il ne fera plus du tout de 
vinaigre, au moins pendant très longtemps, et jusqu’à ce que de nou- 
veaux mycodermes aient pris naissance à la surface des copeaux. L’eau 
bouillante aura tué l’ancien champignon. 


M. le Président propose à l'Académie de s'engager à supporter la dépense 
des expériences que pourra nécessiter la solution des questions soulevées 


par cette discussion. L'Académie adopte la proposition de M. le Président. 
(Note des Comptes rendus) [1]. 


1. Liebig ne répondit pas aux propositions de Pasteur et de l’Académie. (Note de l'Édition.) 


DISCUSSION AVEC MM. FREMY ET TRÉCUL 
SUR L'ORIGINE ET LA NATURE DES FERMENTS 


[RÉPONSE (1) A M. FREMY &) 


Je viens de dire à M. Liebig que c’est déjà une expérience tres 
délicate que de faire développer la levûre de bière dans un milieu 
minéral sucré que l’on ensemence directement, parce que le milieu 
dont il s’agit est bien plus propre, plus fertile pour diverses productions 
organisées que pour la levûre de bière elle-même. Ces productions 
envahissent les premières le terrain, et la levûre ne peut plus se 
former commodément. M. Fremy, plus difficile encore que la nature, 
veut que je répète l'expérience sans rien semer directement dans la 
liqueur. M. Fremy sait-il ce qu'il demande? C’est, à peu près, de faire 
pousser du blé sur un terrain couvert d’autres plantes, ce terrain étant 
fertile pour ces plantes et ne l’étant pas pour le blé. La question posée 
par M. Fremy n’est pas une objection. Elle ne dit rien qui soutienne la 
théorie de M. Liebig, qui est celle que M. Fremy a exposée et accrue 
dans son ancien Mémoire sur la fermentation lactique (#). M. Fremy 
demande la solution d’un problème dont j'ai indiqué le premier la 
difficulté, et qu’on peut énoncer en ces termes : « Trouver un milieu 
minéral sucré qui soit tout aussi propre à la naissance et au dévelop- 
pement des levüres alcooliques que le moût naturel du raisin lui- 
même. » 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 18 décembre 1871, LXXIIT, 
p. 1427-1428. 

2. Après avoir entendu la lecture de la Note précédente, M. Fremy présenta, sur l’origine 
des ferments, des observations qui se terminaient ainsi: « Il faut savoir enfin si, comme le 
pense M. Pasteur, l'air atmosphérique contient réellement les germes de tous les ferments, et 
si, en les semant dans les liqueurs fermentescibles, ils deviennent la cause des fermentations: 
quant à moi, tout en admettant dans l'air la présence des corps solides qu'un rayon de soleil 
m'y fait voir, je suis loin de lui attribuer la fécondité que M. Pasteur lui suppose. » (1b24., 
p. 1424-1427.) 

3. Bourrox et FREMyY. Recherches sur la fermentation lactique. Annales de chimie et de 
physique, & sér., IT, 1841, p. 257-274. (Notes de l'Édition.) 


368 ŒUVRES DE PASTEUR 


Ce problème n’est pas insoluble, mais il exige de longues 
recherches. En effet, M. Fremy ne peut ignorer qu'avec le jus naturel 
de la betterave elle-même, ce qu’il me demande serait difficile à faire. 
Ne sait-il pas, d’ailleurs, qu'il a fallu à M. Raulin (!) six années de 
recherches les plus assidues pour arriver à constituer un milieu 
minéral sucré, qui fût autant et même plus fertile pour une moisis- 
sure que les milieux organiques naturels ? 

Voilà ce que j'ai à répondre, sous le rapport pratique, à la difficulté 
soulevée par M. Fremy. Quant au point de vue général de notre sujet, 
cette question de M. Fremy est absolument sans valeur. Une levûre 
en vaut une autre à l’égard des principes et de la théorie. Il doit lui 
suffire que je puisse faire l'expérience qu’il réclame, pour la fermen- 
tation et la levûre lactique, pour la fermentation et la levüre butyrique, 
et pour diverses autres levüres et fermentations. 

Je regrette de trouver dans la Note de M. Fremy certaines hérésies 
qu'il me prête gratuitement. Je n'ai jamais dit que « l’air atmosphé- 
rique contient en si grande quantité des germes de levüre, que dans 
toutes les localités, et probablement à toutes les hauteurs, au moment 
où un suc de fruit est exposé à l'air, il y tombe un germe de levüre 
qui le fait fermenter ». J'ai démontré le contraire avec une rigueur qui 
n’a jamais été contestée; mais je répète que dans une cuve de vendange 
on introduit forcément dans le jus tous les germes, soit de levre, 
soit d’autres productions qui se trouvent à la surface des grains de 
raisin ou du bois de la grappe ou dans l'air qui est présent pendant 
la manipulation, et enfin tous les germes qui se trouvent sur les parois 
des vases employés. 

Je termine en ajoutant que je considère comme erronées, autant 
qu'il est possible de le dire, les assertions suivantes de M. Fremy: 

1° Le caséum produit tantôt du ferment alcoolique, tantôt du 
ferment lactique, tantôt du ferment butyrique. 

2° Dans la production du vin, c’est le suc du fruit qui, au contact 
de l’air, produit les grains de levûre. 

Jamais M. Fremy n’a donné la moindre preuve de ces assertions, 
et toutes mes expériences protestent contre leur exactitude. 


1. RauziN (J.). Loc. cit. (Note de l'Edition.) 


à à ci 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 369 


OBSERVATIONS (1) 
[A PROPOS D'UNE NOTE DE M. TRÉCUL 
SUR L'ORIGINE DES LEVURES LACTIQUE ET ALCOOLIQUE (?)] 


M. Trécul touche à tant de faits dans la Note qui précède, que 
jattendrai leur publication au Compte rendu pour les discuter. Dès à 
présent, je puis assurer notre savant confrère qu’il eût trouvé dans les 
Mémoires que j'ai publiés des réponses décisives sur la plupart des 
questions qu'il vient de soulever. 

Je suis vraiment surpris de le voir aborder la question des généra- 
tions dites spontanées, en n'ayant à son service que des faits aussi 
douteux et des observations aussi incomplètes. Mon étonnement n’a 
pas été moindre qu'a la dernière séance, lorsque M. Fremy s’est 
engagé dans le même débat, n'ayant à produire que des opinions 
surannées, sans le moindre fait positif nouveau. Aussi m'attendais-je à 
ce que M. Fremy prit la parole aujourd'hui pour appuyer au moins 
de quelques considérations les assertions de sa dernière Note, asser- 
tions que j'ai si explicitement condamnées dans la courte réponse que 
je lui ai faite. Qu'il me permette, en attendant, de lui poser une 
question, puisqu'il a bien voulu m'assurer, lundi dernier, qu'il n'avait 
aucun parti pris. 

M. Fremy confesserait-il ses erreurs, si je pouvais lui démontrer 
que le suc naturel du raisin, exposé au contact de l'air, privé de ses 
germes, ne peut ni fermenter, ni donner naissance à des levüres 
organisées ? 

Afin que M. Fremycomprenne bien ma question, d’ailleurs fort claire, 
et surtout pour qu'il ne me réponde pas qu'il est difficile de juger 
une expérience lorsqu'elle n’est pas encore publiée, je lui dirai que 
l'expérience dont il s’agit serait identique au fond à celles que j'ai déjà 
produites antérieurement sur le sang et l'urine naturels, ainsi qu'il 
peut s’en convaincre en lisant la page 739 du tome LVI de nos 
Comptes rendus (?), expériences dont M. Fremy, je le crains, ignore 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 26 décembre 1871, LXXIII, 
p. 1461. 

2. Trécuz (A.). Recherches sur l'origine des levûres lactique et alcoolique. Zbid., p. 1453-1460. 

3. Voir p. 165-171 du présent volume : Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphé- 
rique dans la destruction des matières animales et végétales après la mort. (Notes de 
l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES, 


22 
nid 


370 ŒUVRES DE PASTEUR 


l'existence, puisqu'il est impossible de les concilier avec ses opinions. 
Là, il pourra reconnaître que j'ai démontré, avec certitude, que ces 
deux liquides, si altérables, peuvent être exposés au contact de Pair 
privé de ses germes, sans éprouver la moindre fermentation ou putré- 
faction; qu'en d’autres termes, le corps humain, hormis le canal 
intestinal et le poumon, est fermé à l'introduction des germes 
extérieurs, fait important, sur lequel, parmi d’autres du même ordre, 
le célèbre docteur Lister a fondé sa merveilleuse méthode chirurgicale. 
C'est la même expérience et la même déduction logique que j'offre de 
démontrer à M. Fremy pour les organes des végétaux. 


NOTE (1) 
[A PROPOS DE LA MÈME NOTE DE M. TRÉCUL (?)] 


J'ai pris connaissance du travail que M. Trécul a lu à l'Académie 
lundi dernier. 

Je dois déclarer que je n’y ai rien trouvé qui pût atteindre: en quoi 
que ce soit l'exactitude de mes expériences antérieures, non plus que 


les conclusions que j'en ai déduites. 


SUR LA NATURE ET L'ORIGINE DES FERMENTS 
RÉPONSE A LA NOTE DE M. FREMY 
INSÉRÉE AU DERNIER COMPTE RENDU (?) 


Il y a dans la Note de M. Fremy (‘) deux parties très distinctes, l’une 
qu'on peut appeler plus ou moins dramatique, pour employer une 
expression de M. Fremy; elle occupe presque toute l’étendue de la 
Note de notre confrère, mais elle n’a rien de scientifique, et je n’en 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 janvier 1872, LXXIV, p. 3: 

2. Trécuz (A.). Recherches sur l'origine des levûres lactique et alcoolique. Ibid., séance 
du 26 décembre 1871, LXXIII, p. 1453-1460. 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 22 janvier 1872, LXXIV, 
p- 299-212. 

%. FREMY. 1bid., séance du 15 janvier 1872, LXXIV, p. 164-167. (Notes de T'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 371 


parlerai pas. Je passe donc sous silence {« protestation contre les 
paroles si justes de M. Balard, la douloureuse surprise qu’en a éprouvée 
M. Fremy, la révélation qui nous est faite que la science expérimentale 
est appelée encore à jeter de vives lumières sur l'origine et le rôle des 
ferments, l'exhortation adressée aux savants qui étudient les fermen- 
tations de n'éprouver aucun découragement, de continuer et de com- 
pléter leurs recherches, et encore cette étrange déclaration, que leur 
fait parvenir M. Fremy par la voie des Comptes rendus, qu'ils trou- 
veront toujours à l’Académie des sympathies pour leurs travaux et 
des voix indépendantes pour en faire ressortir l'importance. Tout cela 
est un peu de la mise en scène qui ne mérite pas qu'on s’y arrête. Je 
vais donc droit aux propositions de M. Fremy qui intéressent le fond 
du débat. 

M. Fremy commence par déclarer qu'il ne veut pas entendre parler 
de l’origine des moisissures, mais seulement des ferments et de leur 
rèle : soit. M. Fremy, il est vrai, ne donne aucune raison sérieuse de 
sa préférence, et quant à moi, je ne veux pas profiter de tout ce que 
m'accorde ce silence obligé. M. Fremy verra tout à l'heure ce que 
valent ces réticences quand elles ne s'appuient que sur de simples 
opinions. 

Conformément au désir déja plusieurs fois exprimé de M. Fremy, 
je ne parlerai que des ferments, et, pour mieux fixer les idées, de la 
fermentation à laquelle M. Fremy a fait le plus souvent allusion, 
c'est-à-dire de la fermentation alcoolique du moût de raisin. 

M. Fremy s'exprime ainsi (séance du 18 décembre) : 

« Pour ne parler ici que de la fermentation alcoolique, j'admets que, 
dans la production du vin, c’est le suc même du fruit qui, au contact 
de l’air, donne naissance aux grains de levüre par la transformation de 
la matière albumineuse, tandis que M. Pasteur soutient que les grains 
de levüre ont été produits par des germes (1). » 

Dans sa Note du dernier Compte rendu, M. Fremy précise un peu 
plus sa pensée et il dit que « les grains de levüre sont de véritables 
cellules qui se produisent sous linfluence de l'organisme même, 
comme toutes les cellules organisées, comme le pollen, comme les 
grains aleuriques, etc., sans dériver de germes atmosphériques, et 
cependant leur développement exige le concours de l'air » (2). 

Telles sont les propositions de M. Fremy, hypothèses purement 
gratuites, on le voit. Nulle part, M. Fremy n’a donné la moindre preuve 
de ses opinions; il y a même dans leur expression quelque incertitude ; 


1. Freuy. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXIII, 1871, p. 1425. 
2. Frey. 1b1d., LXXIV, 187, p. 165. (Notes de l'Édition.) 


372 ŒUVRES DE PASTEUR 


ainsi, on vient de voir par les deux citations précédentes, que, pour 
M. Fremy, la matière albumineuse se transforme directement en levûre 
(première citation), ou bien les cellules de levüre se produisent direc- 
tement sous l’influence de l'organisme (deuxième citation). Comme il 
importe extrêmement qu'il n’y ait pas d’équivoque, je vais poser la 
question à mon tour. 

Si les cellules de levûre viennent du jus du raisin après qu'il a été 
exposé à l'air, et non des germes qui sont en suspension dans l'air ou 
à la surface des grains, ce qui est ma maniere de voir, il faut qu’en 
écrasant des grains de raisin au contact de l’air privé de germes quel- 
conques, il faut, dis-je, dans l'hypothèse de M. Fremy, que la bouillie 
de ces grains écrasés fermente, ou donne tout au moins naissance à 
des productions organisées. Est-ce bien là ce que pense M. Fremy? 
Quant à moi, je n'ai pas besoin d'ajouter que, dans mon opinion, il est 
impossible qu’il y ait fermentation où formation de productions orga- 
nisées dans les conditions que j'indique. Avant d’aller plus loin, 
j'attends le jugement de M. Fremy. 

M. Fremy ne voulant pas me répondre, séance tenante, j'ajoute 
que l'expérience dont je parle est faite et qu’elle donne le résultat que 
j'indique. 

Ma réponse aux Notes de M. Fremy pourrait se borner à cette réfu- 
tation péremptoire de son hypothèse; car s’il est impossible à notre 
savant confrère, en présence de l'expérience que j'invoque, de main- 
tenir plus longtemps sa manière de voir, quoi de plus évident que la 
théorie des germes pour expliquer l’origine des êtres microscopiques, 
puisque M. Fremy ne nie plus aujourd’hui et ne saurait nier l’existence 
des germes organisés en suspension dans l'air ou répandus à la surface 
des objets? Mais je veux aller plus loin. Je veux prendre sur la pelli- 
cule du grain de raisin ou dans l’air le germe organisé de la levüre, le 
placer dans le jus de raisin, sous le microscope, et le voir s'organiser 
en levûre alcoolique du raisin. Rien n’est plus simple aujourd’hui, et 
je puis ajouter que je l’ai fait et publié depuis l’année 1862 (1) et que mon 
élève et ami, M. Duclaux, l’a fait avec un grand succès, en 1863, pour 
une foule de germes en suspension dans l'atmosphère (). Toutefois, 1l 
était resté dans mon esprit une légère incertitude. 

Les cellules que j'avais vues se multiplier sous mes yeux étaient- 


1. Voir p. 150-158 du présent volume : Quelques faits nouveaux au sujet des levûres 
alcooliques. 

2. Ducraux. Sur la germination des corpuscules organisés qui existent en suspension dans 
l'atmosphère. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LNI, 1863, p. 1225-1227. (Notes 
de l'Edition.) 


pe æ 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 373 


elles bien réellement la levûre propre désignée sous le nom de levûre 
de bière, c’est-à-dire celle qui a servi jadis aux mémorables expé- 
riences de Lavoisier? Mes doutes étaient fondés. Je sais aujourd'hui, 
avec une entière certitude, qu'il n’existe pas dans le moût de raisin 
en fermentation une seule cellule de la levûre de bière proprement 
dite. 

Je puis démontrer avec rigueur les quatre propositions suivantes : 

1° Le germe de la levûre du raisin est le gérme du #ycoderma vini: 

2 La levüre du raisin diffère de la levüre de bière proprement 
dite (celle qu'ont eue entre les mains Lavoisier, Gay-Lussac, Thenard, 
Cagniard de Latour), à tel point qu'il n’y a pas une seule cellule de 
cette levüre de bière dans la cuve de vendange; 

3 La levüre du raisin est identique à la levüre de bière à fermen- 
tation basse des bières dites allemandes; 

4% Le germe du mycoderma vini est un des germes les plus 
répandus dans l'atmosphère, particulièrement au printemps et dans 
l’été. Ce mycoderme a deux modes de vie essentiellement distincts : 
MOISISSURE, il s'empare de l’oxygène de l'air, le fait servir à l’assimi- 
lation des matériaux de sa nutrition, et le rend à l’état d’acide carbo- 
nique; FERMENT, il se développe à l'abri de l'air et devient la levûüre 
alcoolique du raisin. 

Et, pour le dire en passant, voilà que M. Fremy, qui ne voulait pas 
entendre parler de moisissures, s’y trouve ramené forcément par moi, 
ou mieux par la puissance des faits contre laquelle ne peuvent préva- 
loir nos faibles conceptions. 

Avais-je donc besoin de la nouvelle expérience sur le jus naturel du 
raisin dont je viens de parler pour corroborer l’exactitude de mes tra- 
vaux antérieurs et des conclusions que j'en ai déduites? Pas le moins 
du monde; car cette même expérience, je l’ai faite en 1863 sur les 
liquides les plus fermentescibles et les plus propres à nourrir certains 
organismes microscopiques, le sang et l’urine (1). Voici un vase dans 
lequel j'ai introduit, au contact de l’air pur privé de ses germes, du 
Sang, pris directement sur un chien en pleine santé. C'était le 
3 mars 1863. Or ce sang n’a éprouvé aucune putréfaction quelconque 
et n'a fourni aucune production organisée microscopique. 

Ni M. Fremy, ni M. Trécul ne paraissent avoir connaissance de mes 
observations de 1862 et de 1863 que je viens de rappeler. 


1. Voir p. 165-171 du présent volume : Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphé- 
rique dans la destruction des matières animales et végétales après la mort. (Note de 
l'Édition.) 


374 ŒUNRES DE PASTEUR 


RÉPONSE (!) A M. FREMY (?) 


Je commence par déclarer à l'Académie que j'accepte, sans réserve, 
L 

la proposition faite par M. Dumas (*) dans la dernière séance. Déjà, à 
deux reprises, j'ai sollicité le jugement direct de l’Académie : une 
première fois, lorsqu'il s’est agi des contradictions de MM. Pouchet et 
Joly, et, tout récemment, lors de ma réponse aux critiques de 
M. Liebig. Je suis d'accord avec ces précédents, en soumettant de 
nouveau mes expériences à lexamen d’une Commission, dans la 
forme indiquée par M. Dumas ou dans telle forme qu'il plaira à 
l’Académie de déterminer. 

M. Fremy, je regrette d’être obligé d’en faire la remarque dès 
l’abord, débute dans sa discussion par une suite de pétitions de prin- 
cipes. Exemple : 

« Ces transformations, dit M. Fremy, si variées et si nombreuses, 
produites par les fermentations, ne s’opérent pas spontanément; elles 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 12 février 1872, LXXIV, 
p. 403-409. 

2. Fremy. Recherches sur les fermentations (1re Communication). Zbid., séance du 29 jan- 
vier 1872, LXXIV, p. 276-289. — Recherches sur les fermentations (2e Communication). Ibid, 
séance du 5 février 1872, LXXIV, p. 395-366. 

3. A la suite de la seconde communication de M. Fremy (9 février 1872), M. Dumas (Zbia., 
p. 366) avait fait les remarques et la proposition suivantes : 


« Après avoir écouté avec grande attention le Mémoire de notre excellent confrère, je ne 
puis que réserver mon opinion. 


« Les appareils que M. Fremy place sous les yeux de l'Académie ne reproduisent pas ceux 
dont M. Pasteur s'est servi; je ne retrouve pas non plus, je l'avoue, dans l'exposé de ses 
expériences, du moins tel qu'il a été lu devant nous, l'indication des soins délicats et minu- 
tieux, indispensables à leur succès. 

« J'ai fait partie de la Commission [de 1864] devant laquelle ont été répétées les expériences 
de M. Pasteur : je sais de quelles précautions elle s’est entourée dans ses propres épreuves, et 
je suis, pour une part du moins, garant des conclusions qu'elle en a tirées. Il m'est donc 
permis, en toute courtoisie, d'exprimer un vœu et de faire une proposition qui me semblent 
de nature à permettre que la vérité se fasse jour. 

« Voici mon vœu : Je voudrais écarter de ce débat les personnes. les opinions, les interpréta- F 
tions, les doctrines. 

« Voici ma proposition : Il s'agit d’un fait; car lout peut se résumer en un fait. M. Pasteur. 
l’affirme; la Commission l'a confirmé; M. Fremy le nie-t-il ? Eh bien! que l'expérience Soit 
répétée par nos deux confrères, devant tels membres de l'Académie qu’elle voudra désigner, 
mais répétée contradictoirement, et chacun d'eux ayant le droit d'en discuter les détails, en 
pleine liberté. 

« Jusque-là, comme je ne retrouve, et je suis prêt à m'en expliquer, ni dans les conditions 
où notre confrère M. Fremy s’est placé, ni dans les appareils qu'il met sous nos yeux, les 
conditions et les appareils dont M. Pasteur et la Commission ont fait usage, je ne puis me 
décider à accepter ses conclusions. » (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 375 


exigent l'intervention d'agents spéciaux CRÉÉS PAR L'ORGANISME el que 
l’on désigne sous le nom de ferments. » 

Mais, ce qui est en discussion, est précisément de savoir si les 
ferments sont CRÉÉS PAR L'ORGANISME ! M. Fremy affirme donc dans sa 
définition le principe même qui est en question. Autre exemple : 

« Lorsque les corps hémiorganisés, dit M. Fremy, restent dans les 
conditions normales, c’est-à-dire à l’abri de l’air et dans l’intérieur des 
tissus, ils concourent naturellement au développement des organes. 
Mais, dès qu'ils reçoivent l'influence de l'air, leurs fonctions changent ; 
et d'éléments de nutrition qu'ils étaient d’abord, ils deviennent des 
agents de décomposition; en un mot, ils se changent en ferments. » 

Mais nous discutons sur la question de savoir si les corps albumi- 
neux se changent en ferments organisés. M. Fremy dit our ; moi, je 
dis zon; sa définition comprend donc encore le principe même qui est 
en question. 

Je pourrais citer bien d’autres exemples de ce qu’on appelle, selon 
la logique, un faux raisonnement, dans les communications de 
M. Fremy, qui n’en condamne pas moins mes opinions parce qu'elles 
ne s'accordent pas avec ses définitions. 

« Qu'est-ce que notre confrère entend donc, s’écrie M. Fremy, par 
cette expression si vague et si élastique de fermentation proprement 
dite? » 

Je le crois bien, M. Fremy a adopté une définition des ferments qui 
exclut ceux dont je me suis occupé, quoiqu'ils soient seuls en cause, 
car je n'ai jamais écrit une seule ligne] sur la diastase, la pectase, 
la synaptase, etc. J’appelle /ermentations proprement dites (M. Fremy 
doit le savoir mieux que personne) les fermentations que j'ai étudiées 
et qui comprennent toutes les fermentations les mieux caractérisées, 
celles qui sont vieilles comme le monde, celles qui donnent le pain, 
le vin, la bière, le lait aigri, l'urine ammoniacale, etc., etc., celles dont 
les ferments sont, d’après mes recherches, des êtres vivants qui 
naissent et se multiplient pendant l’acte de la fermentation. 

Ai-je donc été un novateur bien hardi pour avoir ajouté au mot /er- 
mentations la qualification de proprement dites, lorsque j'ai eu à 
caractériser, en le circonscrivant, le progrès dû à mes recherches, 
progrès consistant dans la découverte remarquable d'êtres vivants 
dans toutes les fermentations qui m'ont occupé? Et ce reproche me 
vient d’un confrère qui a inventé, lui, tant de mots nouveaux pour 
représenter des choses tout à fait indéterminées, la pectase, la pectose, 
la parapectine, la métapectine, l’acide pectosique, l’osséine, la conchio- 
line, l’ichtine, l’ichtidine, l’ichtuline, l'acide gommique, etc., etc. 


376 ŒUVRES DE PASTEUR 


Considérons la fermentation lactique, puisque M. Fremy a déclaré 
que c'était une de celles qui avaient ses préférences. Une des hypo- 
thèses de M. Fremy est que le caséum est le ferment qui produit la 
fermentation lactique du lait. 

M'étant occupé, après lui, de cette fermentation, j'ai trouvé, contrai- 
rement à son opinion, que le caséum n’est pas du tout le ferment de 
cette fermentation, qu'il est tout au plus l’aliment azoté de ce ferment, 
lequel est un petit végétal microscopique naissant dans le lait après sa 
sortie du pis de la vache, s’y nourrissant, s’y multipliant, et que c’est 
parallèlement à la vie de ce champignon qu'il y a fermentation 
lactique ; qu’enfin, le germe de cet être vient des poussières sur les 
objets ou en suspension dans l’air. C’est si peu le caséum qui est le 
ferment du lait, que j'ai produit la fermentation lactique en suppri- 
mant tout à fait le caséum et en le remplaçant simplement par un sel 
d’ammoniaque cristallisé. Avant tous ces progrès dus à mes recherches, 
M. Fremy était excusable de confondre la fermentation lactique avec la 
fermentation diastasique, mais aujourd’hui ! 

M. Fremy me dit : « M. Pasteur voudrait-il établir une différence 
entre la fermentation lactique et la fermentation diastasique ? » 

Et comment pourrais-je faire autrement, puisque, indépendamment 
d’autres différences profondes, la diastase n’est pas un être vivant, et 
que le ferment lactique en est un. D’ailleurs, qu'importe tout ceci! La 
diastase n’est pas en cause ; nous avons à déterminer si le ferment 
lactique, être vivant, a pour origine le caséum du lait ou un germe 
venant des poussières de lair. 

M. Fremy parle de mes théories ; mais mes opinions ne sont que 
l'expression même des faits que j'ai observés. Je ne fais pas d’hype- 
thèses, On disait, avant mes recherches, et M. Fremy a répété encore, 
il y a quelques jours: « Le caséum, les matières albuminoïdes sont 
tantôt ferment alcoolique, tantôt ferment lactique, tantôt ferment 
butyrique. » Pourquoi affirmé-je que c’est une erreur? Pour me borner 
à une seule preuve, c’est que je produis les fermentations dont je viens 
de nommer les ferments sans emploi quelconque de matières albumi- 
noïdes, tout au moins les deux dernières de ces fermentations, et j'ai 
rendu compte de la difficulté qu’on rencontre pour obtenir la première 
dans les conditions dont il s’agit. 

Je soutiens aussi que les ferments précédents ont leurs germes 
dans les poussières de l'air. Mais, n'est-ce pas une conclusion forcée 
de mes expériences, puisque, quand je supprime ces poussières, toutes 
ces fermentations n'apparaissent plus, et que, d’autre part, si je 
laisse tomber dans des matières fermentescibles ces mêmes poussières, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


n 
/ 


Q9 
= | 


recueillies, par exemple, sur une bourre d'amiante, la fermentation 
se déclare absolument comme dans les conditions naturelles. 

Il y a des caractères très simples auxquels on reconnait les théories 
erronées. Généralement elles ne peuvent prévoir aucun fait nouveau, 
et, toutes les fois qu'un fait de cette nature est découvert, ces théories 
sont obligées, pour en rendre compte, de grefler une hypothèse nou- 
velle sur les hypothèses anciennes. Ainsi, je trouve que le ferment 
lactique n’est pas du caséum, que c’est un être vivant. Comment 
vais-je accommoder, se dit M. Fremy, la théorie de M. Liebig, que j'ai 
suivie pas à pas dans mon ancien Mémoire sur la fermentation lac- 
tique (1), avec ce fait nouveau? M. Fremy est sorti d’embarras en ajoutant 
une hypothèse nouvelle à celle qui fait le fond de la théorie de Liebig. 
Il ne dit plus, comme autrefois : le caséum est le ferment lactique : 
il dit : le caséum est un corps hémiorganisé qui a la propriété de 
s'organiser à l'air pour former le petit champignon lactique de 
M. Pasteur. : 

Poursuivons : je découvre un autre fait nouveau, à savoir, que le 
ferment butyrique est un vibrion. Vite, une nouvelle hypothèse : le 
caséum hémiorganisé, dit M. Fremy, peut également s'organiser en 
vibrion. Je découvre encore un autre fait nouveau : l’alcool se trans- 
forme à l’air en acide acétique, par l’influence du mycoderma aceti. Eh 
bien, dit M. Fremy, qu'a cela ne tienne : mon caséum hémiorganisé 
aura la complaisance de s'organiser en mycoderma aceti. Et M. Fremy 
est si bien la dupe inconsciente de toute cette logomachie, que lAca- 
démie a pu voir avec quelle bonne foi notre confrère a repoussé 
l'observation si vraie de M. Wurtz (2). Quoi, dit-il, moi le plagiaire de 
Liebig ? Mais, n’ai-je pas couronné la théorie de Liebig de l'hypothèse 
de l’hémiorganisme ? 

Le propre des théories vraies, au contraire, c’est d’être l'expression 
même des faits, d’être commandées et dominées par eux, et de prévoir 
sûrement des faits nouveaux parce qu'ils sont enchaînés aux premiers. 
En un mot, le propre de ces théories est la fécondité. C’est le carac- 
tère que M. Balard, avec sa bienveillance toute paternelle à mon 
égard, a voulu faire ressortir en parlant de mes recherches (*). Il 


1. Bourrox et Fremy. Recherches sur la fermentation lactique. Annales de chimie et de 
physique, 3 sér., II, 1841, p. 257-274. 

2. Voir Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXIV, 1872, p. 292-293. 

3. Dans la séance du 5 février 1872, M. Balard, après Ja Note de M. Fremy, avait fait 
ces remarques (Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXIV, 1872, p. 366-367) : 

« … Je n'ai pas publié d'expériences sur les fermentations, mais j'en ai fait et j'ai appris 
de M. Pasteur de quelles précautions il faut s’entourer, pour qu'elles soient concluantes. Aussi, 
en entendant décrire celles dont notre confrère vient de nous entretenir, il s'est présenté, à 


378 ŒUVRES DE PASTEUR 


s'agissait bien, dans la parole convaincue de M. Balard, de vains éloges 
à M. Pasteur! C’est la fécondité des idées qui me servent de guide, 
opposée à la stérilité de la doctrine allemande défendue par M. Fremy, 
que M. Balard a proclamée justement comme une preuve de la vérité 
et une lumière dans cette discussion. 

J'en aurais fini avec la première communication de M. Fremy, si je 
n'y trouvais quelques propositions expérimentales auxquelles M. Fremy 
paraît attacher une grande importance. Voici une de ces propositions : 

« Les phénomènes véritables de fermentation se manifestent done 
toujours avant l'apparition des moisissures. » 

J'oppose à cette proposition la dénégation la plus absolue, et si 
M. Fremy le désire, je lui indiquerai le moyen très simple d’avoir 
toujours des moisissures avant l’apparition des fermentations. 

Voici une autre assertion de M. Fremy : 

« La fermentation alcoolique peut se produire avec les substances 
azoltées les plus diverses, et notamment avec la gélatine, composé 
artificiel (sic) soluble dans l’eau et dénué par conséquent de toute 
structure organique proprement dite. » 

J’oppose encore à cette proposition une dénégation absolue. 

Je ne puis pas abandonner cette première communication de 
M. Fremy sans faire remarquer qu'elle contient une page beaucoup 
plus sérieuse que toutes les autres. On comprend, à sa lecture, combien 
M. Fremy était préoccupé en la rédigeant, et quel trouble il y avait 
alors dans son esprit. Cette page commence ainsi : 

« La réponse qui m'a été faite dans la dernière séance, par 
M. Pasteur, est beaucoup plus importante que les précédentes; je me 
réserve de la discuter longuement dans la suite de ce débat... » 

Il s’agit, en effet, de l'expérience sur le jus naturel de raisin, qui, 
mis au contact de l'air privé de germes, doit forcément, dans l’opinion 
de M. Fremy, entrer en fermentation et, au contraire, ne pas fermenter 
du tout, dans la théorie des germes extérieurs. La vraie question était 
là, et l’on s'étonne à bon droit que M. Fremy ait écrit douze pages 
d'explications avant d’en venir à cette expérience décisive. M. Fremy 
me répond : je ne puis discuter cette expérience : vous n’avez pas dit 
comment vous la faisiez. Sur ce point, je veux encore me taire : 
M. Fremy me permettra de choisir mon heure. Mais voici une autre 


moi, comme à M. Dumas, une foule d'objections graves. Mais je ne veux pas entrer dans le 
débat. M. Pasteur, rétabli, le fera lui-même, s'il le juge nécessaire, et certes, il n'a pas besoin 
de défenseur, comme le dit très bien M. Fremy. Il n'aurait pas non plus besoin de panégy- 
ristes, s'il ne rencontrait quelquefois des contradicteurs disposés à nier ou à amoindrir ce 
qu'il a fait de grand pour la science et d’utile pour le pays. » (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 379 


expérience identique, faite sur le sang. Assurément, M. Fremy ne dira 
pas que l’altération du sang au contact de l'air ne rentre pas dans sa 
définition générale des fermentations. 

D'un autre côté, si l’hémiorganisation existe quelque part, ce doit 
être à coup sûr dans le sang naturel pris sur l'animal vivant en pleine 
santé. 


M. Pasteur décrit ici les dispositions de ses expériences de 1863 sur le 
sang frais (!); puis il continue ainsi : 


Dans la prochaine séance, je discuterai les huit expériences de la 
dernière communication de M. Fremy. 

En terminant, j'adresse mes remerciements à ceux de nos con- 
frères qui, en mon absence, ont bien voulu me prêter l'appui de leurs 
convictions. Devant leurs manifestations et les miennes, M. Fremy se 
pose en victime. Cependant, il ne devrait pas oublier que, si nos 
répliques le troublent, c’est lui qui les a provoquées. 

Au moment où je prenais ici, contre M. Liebig, la défense d’une 
opinion qui, après tout, appartient à la science française, pourquoi 
M. Fremy s'est-il fait, d’une manière au moins inopportune, le cham- 
pion de la science allemande, avec laquelle j’ai hâte de reprendre un 
débat dont je me suis distrait à regret ? 

En attendant, je me mets de nouveau à la complète disposition 
de l’Académie. Je suis prêt à répéter devant mes confrères toutes mes 
expériences. Ma situation est pourtant bien autre que celle de 
M. Fremy. Pour notre confrère, qui prétend que les matières fermen- 
tescibles trouvent en elles-mêmes leurs ferments, chaque cause d'erreur 
bénéficie à son opinion. Pour moi, qui soutiens qu'il n’y a pas de fer- 
mentations spontanées, je suis tenu d’éloigner toute cause d'erreur et 
toute influence perturbatrice. Je ne puis maintenir mon sentiment qu'au 
moyen des expériences les plus irréprochables ; le sien, au contraire, 
profite de toute expérience insuffisante, et c’est là seulement qu'il à 
trouvé son appui. C’est ce que j'espère démontrer d’une manière pal- 
pable dans une des prochaines séances. 


M. Le Verrier prie M. Pasteur de vouloir bien compléter sa démonstra- 
tion en disant ce qui arrive quand on brise le col d’un des ballons dans 
lequel le sang est resté intact. 

M. Pasteur répond à M. Le Verrier que, dans tous les cas, il y a com- 


1. Voir p. 165-171 du présent volume : Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphé- 
rique dans la destruction des matières animales et végétales après la mort. (Note de l'Edition.) 


380 ŒUVRES DE PASTEUR 


mencement d’altération du sang dans l'intervalle de vingt-quatre ou qua- 
rante-huit heures. 


M. Pasteur ajoute en outre ce qui suit: 


L'expérience sur le sang frais sortant de l'artère ou de la veine de 
l'animal vivant peut être répétée avec le même succès sur l'urine 
naturelle. M. Fremy objecte que l’expérience sur le sang n’est pas 
démonstrative ; bien entendu, il ne peut en donner aucune raison 
sérieuse. Mais, pour l'urine, il ne peut soutenir que ce n’est pas un 
liquide fermentescible proprement dit, puisqu'il est démontré que c’est 
un ferment organisé vivant qui provoque la fermentation ammoniacale. 
Mais je veux aller plus loin. Quoique je n’en aie jamais fait l’épreuve, 
je déclare ici à M. Fremy que, quand il le voudra, je répéterai l’expé- 
rience que je viens de décrire pour le sang et l’urine, EN ME SERVANT 
DU LAIT NATUREL PRIS DANS LE PIS DE LA VACHE, et voici ce que j'affirme 
par avance : ce lait gardera indéfiniment son alcalinité au contact de 
l'air pur, et ne donnera lieu à aucune fermentation quelconque ; il 
éprouvera simplement une oxydation chimique directe qui donnera un 
léger goût et une odeur faible de suif à la matière grasse. 

En résumé, j'affirme que les quatre liquides les plus altérables de 
l’économie animale et végétale, à savoir: le sang, l’urine, le lait, le jus 
de raisin, sont incapables d’éprouver aucune fermentation au contact 
de l'air pur, parce que le corps des animaux et des végétaux est fermé 
à l'introduction des germes extérieurs de ferments, dans les conditions 
de santé et de vie normales. Lorsque cette introduction est possible, 
il en résulte le plus souvent des états maladifs, parfois terribles. 

Je pourrais donc reproduire la question que j'ai faite antérieurement 
à M. Fremy, sous cette nouvelle forme : 

M. Fremy confesserait-il ses erreurs si je démontrais que du lait 
naturel, pris dans le pis de la vache (PAR UN MODE OPÉRATOIRE IDENTIQUE 
A CELUI QUE JE VIENS DE DÉCRIRE DE VIVE VOIX POUR LE SANG) et mis au 
contact de lair privé de germes, ne peut éprouver aucune fermentation 
quelconque ? 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 381 


NOUVELLES OBSERVATIONS (1) 
AU SUJET DES COMMUNICATIONS DE M. FREMY 


Ainsi que j'en ai pris l'engagement, je vais dire rapidement ce que 
je pense des expériences que M. Fremy a publiées dans la séance du 
5 février dernier (?). É 

Je remarque tout d’abord que, sur les huit expériences, il y en a 
six faites au libre contact de l’air ordinaire, sans que notre confrère 
ait pris la moindre précaution pour détruire où pour éloigner les 
poussières en suspension dans l’air ou celles qui sont répandues à la 
surface des parois des vases et des matières dont il s’est servi. Ces six 
expériences pourraient donc être invoquées par moi, non comme des 
preuves de mon opinion, parce qu’elles ne réunissent pas les condi- 
tions d'expériences délicates et probantes, mais tout au moins comme 
incapables d’infirmer, en quoi que ce soit, les résultats de mes 
recherches. 

Je n’en ferai donc qu'une critique très brève, en nr’attachant d’ail- 
leurs, soit aux termes mêmes de la lecture de M. Fremy, soit à ceux 
de sa Note rectifiée telle qu’elle a paru au Compte rendu. 

1" expérience de M. Fremy. — « Le but de cette expérience, dit 
M. Fremy, a été surtout de constater que la levüre sort des grains 
d’orge mêmes. J’introduis dans un flacon 100 grammes d'orge germée ; 
je lave cette orge à plusieurs reprises avec de l’eau distillée ; je la 
mets ensuite en contact avec de l’eau sucrée; le flacon est maintenu 
à la température de 25°. » 

M. Fremy dit en propres termes : « On voit chaque grain de levüre 
sortir de l’intérieur de l'orge. » Et comment donc M. Fremy a-t-il pu 
faire cette singulière observation ? Est-ce à l'œil nu qu’il a vu les 
choses qu’il décrit, ou au microscope ? Il ne s’en explique pas; mais 
qu'il me suffise de rappeler à l'Académie qu’il s’agit ici d’une levûre 
dont les articles ont seulement 1 à 2 millièmes de millimètre de 
diamètre. 

M. Fremy aurait eu un moyen bien simple de s'assurer de ce qui se 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 19 février 1872, LXXIV, 
p. 205-508. 
2. Fremy. Recherches sur les fermentations (2° Communication). bed, Séance du 


5 février 1872, LXXIV, p. 355-366. (Note de l'Édition.) 


382 ŒUVRES DE PASTEUR 


passe dans cette expérience. Après avoir laissé les grains d’orge avec 
l'eau sucrée pendant un temps relativement très court, il aurait pu 
décanter la liqueur, éloigner tous les grains d'orge et voir qu'alors, 
en l'absence de ces grains, il y avait fermentation, avec production 
des mêmes organismes que dans son expérience brute. Ce n’est donc 
pas de l’intérieur des grains d'orge que sort la levûre, comme le veut 
M. Fremy, puisqu'elle se produit quand les grains d'orge sont absents (1). 

3° expérience de M. Fremy. — M. Fremy ajoute de la levûre de 
bicre à de l’eau sucrée mêlée à de la craie en poudre : il en résulte une 
fermentation alcoolique et lactique, et notre confrère en déduit que la 
levüre de bitre peut à volonté donner la fermentation alcoolique et la 
fermentation lactique. Rien n’est plus erroné que cette interprétation. 
L'expérience dont parle M. Fremy est précisément une de celles que 
j'ai employées jadis moi-même pour montrer avec quelle facilité la 
levûre lactique prend naissance dans un milieu sucré auquel on a 
ajouté de la craie. Ce n’est pas du tout, comme le dit M. Fremy, la 
levûre de bière qui produit la fermentation lactique ; de la levûre 
lactique naît pendant la fermentation, et c'est elle, elle seule qui déter- 
mine la formation de l'acide lactique. 

4°, 5° et 6° expériences de M. Fremy. — On voit bien, à la lecture 
de ces trois expériences, que M. Fremy n’y attache pas grand intérêt. 
Je les passerai sous silence, à moins, toutefois, que M. Fremy ne 
désire que je m’arrête à les critiquer (?. Je réserve néanmoins la seconde 
forme que M. Fremy donne à sa sixième expérience, parce que notre 
confrère s’est attaché ici à détruire les germes que pouvait apporter le 
lait, matière fermentescible dont il s'est servi. Je vais y revenir dans 
un instant. 

7° expérience. — Elle porte sur le moût de raisin. Faite au contact 
de l’air ordinaire, au contact des poussières de la surface des grains 
de raisin, c’est encore une de ces expériences confuses qui ne peuvent 
conduire à un résultat dégagé d'incertitude. Je suis surpris que notre 
confrère s'étonne que le moût de raisin, filtré à plusieurs reprises, 
mette plus de temps à entrer en fermentation que le moût brut. Si, 
comme je le soutiens, la levüre du moût de raisin provient des germes 
qui sont à la surface des grains de raisin, quoi de plus naturel qu'une 
filtration soignée, qui doit éloigner ces germes, au moins en grande 
partie, retarde la fermentation du moût filtré ? C’est le contraire qui 


aurait lieu de surprendre. 


1. Pasteur ne fit pas la crilique de la deuxième expérience de M. Fremy, sans doute parce 
que cette expérience portait, comme la première, sur l'orge. 
2, Ces expériences portent sur le lait. (Notes de l'Édition. 


Sr = 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 383 


8e expérience. — Cette huitième expérience de M. Fremy offre un 
intérêt particulier. Je n'hésite pas à déclarer qu'elle constitue une 
importante découverte physiologique. En effet, M. Fremy prend une 
moisissure qui à poussé, par exemple, dans une solution d'acide 
tartrique ; il aperçoit dans les tubes du mycelium de cette moisissure 
de petits corps ronds; il broie cette moisissure dans de l’eau sucrée, 
et il assiste alors, nous dit-il, à la transformation de ces petits corps 
en véritables cellules de ferments, surtout des ferments lactique et 
butyrique, dit M. Fremy. Ce résultat, s'il était exact, ne contredirait 
pas mon opinion, puisque M. Fremy admet, au moins je le pense, que 
la moisissure de l'acide tartrique a pris son germe dans l'air atmo- 
sphérique. Ce serait un fait du même ordre que celui que j'ai publié 
en 1862 au sujet du #ycoderma vini, qui peut se transformer en levüre 
alcoolique (1. Toutefois, et jusqu'à ce que M. Fremy ait publié les 
preuves de cette formation des levüres lactique et butyrique à laide 
de petits corps sortis des tubes de mycelium d’une moisissure, j'en 
conteste l’exactitude d’une manière absolue. 

Voilà ce que je pense, en gros, des six expériences que M. Fremy 
a faites au libre contact de l'air, expériences qui ne peuvent rien 
prouver, soit pour, soit contre sa maniere de voir. Ce sont des fermen- 
tations, comme on en a fait de tout temps, où se trouvent réalisées 
certaines conditions propres à la naissance et à la multiplication des 
ferments, mais qui ne peuvent, en quoi que ce soit, servir à résoudre 
la question de l’origine de ces organismes. 

J'ai dit que, parmi les huit expériences de M. Fremy, il y en avait 
deux imitées de celles que j'ai publiées, et où M. Fremy s’est attaché 
à détruire les germes que l'air et les poussières à la surface des objets 
pouvaient apporter; dans ces expériences, néanmoins, notre confrère 
a vu naître des ferments vivants. Ici done, il y a contradiction formelle 
avec les résultats que j'ai publiés. 

La première de ces deux expériences porte sur l'orge germée, et 
la seconde sur le lait. 

L'expérience sur le lait est la seule qui ait une apparence de 
valeur, car M. Fremy a vu se produire des organismes dans du lait 
qui avait subi une température de 115°, et j'ai affirmé jadis que cette 
température était plus que suffisante pour rendre le lait inaltérable 
lorsqu'on l’exposait ensuite au contact de l'air pur. M. Fremy a 
montré à l'Académie, en mon absence, des vases contenant du lait 


1. Vou: p. 150-158 du présent volume : Quelques faits nouveaux au sujel des levüres 
alcooliques. (Note de l'Édition.) 


38% ŒUVRES DE PASTEUR 


altéré, quoique ce lait eût été préparé dans les conditions que je 
rappelle. 

Je réponds que l’expérience de M. Fremy a été mal faite, car voici 
un vase dont l’ouverture du col effilé est tournée vers le bas, et où le 
lait reste intact, quoiqu'il se trouve depuis une douzaine de jours à 
une température comprise, jour et nuit, entre 28 et 30°. Un vase pareil, 
qui ne s'était pas altéré au bout de plusieurs jours, a été découvert, 
et, le surlendemain, on pouvait y distinguer au microscope au moins 
trois sortes d'organismes. Aujourd'hui le lait est caillé par suite des 
fermentations que ces organismes ont provoquées. 

J'ai dit que l'expérience sur les grains d'orge germés était sans 
valeur, car j'ai donné, dans mon Mémoire de 1862 (1), une méthode 
générale pour préparer des liquides propres à s’altérer après une 
ébullition à 100° ; mais ces mêmes liquides demeurent sans altération 
au contact de l'air pur, si l’ébullition a lieu à 100 et quelques degrés. 
Le lait est dans ce cas. J’ai répété dans ces conditions cette expérience 
sur les grains d'orge, et la liqueur n’a pas encore donné la moindre 
apparence de fermentation alcoolique, ni lactique, ni butyrique, 
quoique les vases soient dans une étuve dont la température reste 
comprise, jour et nuit, entre 28 et 30°. 


M. Pasteur, après avoir terminé sa lecture, dépose sur le bureau de 
l'Académie deux tubes contenant l’un du moût de raisin, l’autre du moût 
d'orange, moûts naturels, exposés au contact de l’air privé de ses germes. 
Ces liquides n’éprouvent aucune altération et ne donnent naissance à aucun 
organisme, ni ferments, ni moisissures. Pourtant, le premier tube, celui du 
moût de raisin, est à une température de 30° depuis le 13 janvier, et 
celui de l’orange, à la même température depuis le 8 février. 

Sur la demande que lui en adresse M. Fremy, M. Pasteur fait don de 
ces deux tubes à son confrère, en le priant d'en observer le contenu au 
microscope et de s'assurer à la fois de la présence de l'air atmosphérique, 
notamment du gaz oxygène, et de l'absence de tout organisme. 

Pendant le comité secret, qui a suivi la séance, M. Pasteur a fait cher- 
cher du papier de tournesol rouge, a brisé, en présence de M. Fremy, le 
ballon de lait conservé qu'il venait de présenter à l’Académie comme 
preuve de l'erreur grave commise par M. Fremy dans sa sixième expérience, 
et il a reconnu que ce lait était encore alcalin comme le lait frais naturel. 
M. Fremy a même goûté ce lait, et s’est trouvé dans la nécessité de déclarer 
qu'il n'était pas du tout altéré. 


1. Voir p. 210-294 du présent volume : Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent 
dans l'atmosphère. Examen de la doctrine des générations spontanées. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 38 


ot 


NOUVELLES EXPÉRIENCES 
POUR DÉMONTRER 
QUE LE GERME DE LA LEVURE QUI FAIT LE VIN 
PROVIENT DE L'EXTÉRIEUR DES GRAINS DE RAISIN (!) 


J'ai préparé quarante ballons à cols sinueux du genre de ceux qui 
m'ont servi à démontrer que l’altération des matières organiques est 
due à des germes d'organismes microscopiques en suspension dans 
l'atmosphère, avec cette différence, toutefois, que la tubulure du ballon 
étuirée en col de cygne n’est pas seule. Chaque ballon porte une seconde 
tubulure droite fermée par un tube en caoutchouc muni d’un bouchon 
de verre. Dans les quarante ballons j'introduis du moût de raisin filtré 
parfaitement limpide, et qui, comme tous les liquides un peu acides 
que j'ai employés autrefois, demeure intact après son ébullition, 
quoique l'extrémité du col sinueux soit ouverte. 

Dans quelques centimètres cubes d’eau, je lave un fragment d’une 
grappe de raisin. Au microscope, je constate l'existence d’une multi- 
tude de corpuscules organisés, ressemblant, à s’y méprendre, soit à 
des spores de moisissure, soit à une levûüre alcoolique, soit enfin à du 
mycoderma vini(?). Cela fait, dans dix des quarante ballons, je ne sème 
rien ; dans dix autres, je dépose, à l’aide de la seconde tubulure droite 
dont j'ai parlé, quelques gouttes du liquide d’eau de lavage des grains 
de raisin. Dans une troisième série de dix autres ballons, je dépose 
quelques gouttes du même liquide, mais préalablement porté à lébul- 
lition et refroidi. 

Enfin, dans les dix ballons restants, j'introduis une goutte de jus de 
raisin pris dans les grains mêmes, non écrasés. À cet effet, la seconde 
tubulure droite est un peu recourbée et effilée en pointe fine fermée 
à la lampe. Cette pointe, à laquelle on a fait au préalable un trait de 
lime, est enfoncée dans un grain de raisin et, lorsqu'on sent que la 
pointe effilée touche au support sur lequel se trouve le grain, on presse 
légèrement, de façon à briser cette pointe au trait de lime; alors, si 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 octobre 1872, LXXV, p. 781-782. 

2. Il existe surtout, parmi ces corpuseules, des groupes de cellules caractérisés par une 
couleur jaune, réguliers ou irréguliers, dont l'importance est capitale dans le sujet qui nous 
occupe. Très prochainement, j'en présenterai l'étude à l'Académie 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 


386 ŒUVRES. DEPASTMTEUR 


l’on a eu soin de déterminer une faible diminution de pression de l'air 
du ballon, une goutte du jus intérieur du grain de raisin pénètre dans 
le ballon ; on retire la pointe effilée et on la ferme à la lampe immé- 
diatement (1). 

Voici les résultats de ces quatre séries d'expériences comparatives. 
La première série ne donne aucune production; le moût de raisin reste 
intact (2), et il pourra rester tel pendant des années; dans la deuxième 
série, on voit apparaître des flocons de »#ycelium et de la levûre de bière, 
et les jours suivants du #7ycoderma vint. Au bout de quarante-huit 
heures, les dix ballons sont en pleine fermentation si l’on opère à la 
température de l’été. La troisième série n’a pas donné un seul ballon 
altéré, le moût est resté limpide comme dans les dix ballons de la pre- 
mière série et il restera tel indéfiniment. Enfin, dans la quatrième série, 
un seul ballon s’est altéré par suite des causes d’erreur inévitables 
dans des expériences aussi délicates. 

La conclusion de ces expériences n’est pas douteuse. La levûre qui 
fait fermenter le raisin dans la cuve de vendange vient de l'extérieur 


et non de l’intérieur des grains. 


RÉPONSE (#) À M. FREMY (4 


Les expériences dont je viens de rendre compte à l’Académie n'ont 
d'autre prétention que de prouver rigoureusement que le jus naturel 
du raisin n’est pas susceptible de fermenter par lui-même, qu'il n'entre 
en fermentation qu'à la suite de l’introduction des germes de levüre, 
déposés à l’extérieur des grains, qu’en un mot ni les matières albumi- 
noïdes du jus de raisin, ni les cellules de son parenchyme ne sont 
capables de se transformer en cellules de levûre, au contact de loxy- 
gène de l'air atmosphérique, faits qui sont diamétralement contraires 
aux opinions que M. Fremy a émises, sans preuves à l'appui, devant 


l’Académie. 


1. Sur un exemplaire des Comptes rendus de l'Académie des sciences, Pasteur a noté au 
crayon en marge les mots suivants : « Cette diminution de pression s'obtient facilement par 
l'artifice suivant. On échauffe un peu avec les mains le verre des parois du ballon. » 

2. Sur le même exemplaire, Pasteur a effacé au crayon « reste inlact » et a remplacé ces 
mots par : « ne s'altère pas. » 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 octobre 1872, LXXV, p. 784: 

4. Fremy. Sur la génération des ferments. 1bid., p. 782-784. (Notes de l'Édition.) 


tratamiento... 


sam 


Die 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 387 


M. Dumas demande à M. Pasteur de compléter son importante commu- 
nication et de faire connaître à l'Académie les expériences nouvelles qu'il 
a effectuées sur le rôle des cellules en général, considérées comme agents 
de fermentation dans certaines conditions déterminées. Le principe mis en 
évidence par ces expériences lui semble destiné à exercer désormais une 
influence capitale dans l’étude des phénomènes de la vie. L'Académie et les 
hôtes éminents qui honorent la séance de leur présence entendraient avec 
un vif intérêt l'exposé de ces faits, qui pourraient bien faire époque dans 
l’histoire de la physiologie générale. (Comptes rendus de l'Académie des 
sciences, LXXV, 1872, p. 784.) 

{Pasteur fit la communication suivante. 


FAITS NOUVEAUX 
POUR SERVIR A LA CONNAISSANCE DE LA THÉORIE 
DES FERMENTATIONS PROPREMENT DITES {1\ 


Depuis longtemps j'ai été conduit à envisager les fermentations 
proprement dites comme des phénomènes chimiques corrélatifs 
d’actions physiologiques d’une nature particulière. Non seulement j'ai 
démontré que leurs ferments ne sont point des matières albuminoïdes 
mortes, mais bien des êtres vivants; j'ai provoqué, en outre, la fermen- 
tation du sucre, de l'acide lactique, de l'acide tartrique, de la glycérine, 
et plus généralement de toutes les matières fermentescibles, dans des 
milieux exclusivement minéraux, preuve incontestable que la décompo- 
sition de la matière fermentescible est corrélative de la vie du ferment, 
qu’elle est un de ses aliments essentiels : par exemple, dans les condi- 
tions que je rappelle, il est impossible que, dans la constitution des 
ferments qui prennent naissance, il y ait un seul atome de carbone qui 
ne soit enlevé à la matière fermentescible. 

Quoiqu'ils nous éclairent sur la nature des ferments dont je parle, 
ces faits nouveaux sont loin de rendre compte du caractère propre des 
fermentations (?). Ce qui sépare les phénomènes chimiques des fermen- 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 octobre 1872, LAXVW, 
p- 784-190. — Cette communication avait déjà élé faite à la séance du 12 septembre 1872 de la 
1re session, à Bordeaux, de l'Association francaise pour l'avancement des sciences. Comptes 
rendus de l'Association, 1873, p. 490-456. Le texte en a été légèrement retouché pour être 
présenté à l'Académie des sciences. 

2. Cette phrase a été supprimée dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences. 
(Notes de l'Édition.) 


388 ŒUVRES DE PASTEUR 


tations d’une foule d’autres et particulièrement des actes de la vie 
commune, c’est le fait de la décomposition d’un poids de matière fer- 
mentescible bien supérieur au poids du ferment en action. Tant que ce 
caractère n'aura pas reçu une explication plausible, les phénomènes de 
fermentation seront enveloppés de mystère(!). Je soupçonne depuis 
longtemps que ce caractère particulier doit être lié à celui de la nutri- 
tion en dehors du contact de l’oxygène libre. Les ferments seraient 
des êtres vivants, mais d’une nature à part, en ce sens qu'ils jouiraient 
de la propriété d’accomplir tous les actes de leur vie, y compris celui 
de leur multiplication, sans mettre en œuvre, d’une manière néces- 
saire, l'oxygène de l'air atmosphérique. Qu'on se souvienne de ces 
singuliers infusoires qui provoquent la fermentation butyrique, ou la 
fermentation tartrique, ou certaines putréfactions, et qui non seulement 
peuvent vivre et se multiplier à l’abri du contact du gaz oxygène, mais 
qui périssent et cessent de provoquer la fermentation si l’on vient à 
faire dissoudre ce gaz dans le milieu où ils se nourrissent. Ce n'est 
pas tout. Par des expériences précises, faites avec de la levûre de 
bière, j'ai montré que, si la vie de ce ferment avait lieu partiellement 
par l'influence du gaz oxygène libre, cette petite plante cellulaire 
perdait, en proportion de l'intensité de cette influence, une partie de 
son caractère ferment, c'est-à-dire que le poids de levûre, qui prend 
naissance dans ces conditions pendant la décomposition du sucre, 
s'élève progressivement et se rapproche du poids du sucre décomposé 
au fur et à mesure que la vie se manifeste en présence de quantités 
croissantes de gaz oxygène libre. 

La vie des organismes microscopiques, la formation de leurs tissus, 
en dehors de l'influence de la lumière solaire, ne peut avoir lieu sans 
production et consommation ultérieure de chaleur. Dans les conditions 
ordinaires, l'oxydation directe des matériaux d’alimentation de ces 
organismes fournit cette chaleur. Mais dans tous les cas de fermen- 
tation hors du contact de l’air atmosphérique, cette chaleur doit pro- 
venir de la décomposition de la matière fermentescible (2). 

Que la matière fermentescible produise cette chaleur au profit de la 
vie des ferments, seule ou concurremment avec les combustions dues 
au gaz oxygène, le rapport du poids de cette matière fermentescible 
décomposée au poids du ferment formé sera plus ou moins élevé, 
suivant le degré d'action du gaz oxygène extérieur. Le maximum, qui 
sera aussi le maximum du caractère ferment, correspondra au cas de 


1. Cette phrase ‘a été supprimée dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. 
2, Cet alinéa a été supprimé dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Notes 


de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 389 


vie sans aucune participation du gaz oxygène libre. C’est, en effet, ce 
que l'expérience démontre (f. 

Guidé par tous ces faits, jai été conduit peu à peu à envisager la 
fermentation comme une conséquence obligée de la manifestation de 
la vie, quand la vie s’accomplit en dehors des combustions directes 
dues au gaz oxygène libre. 

On peut entrevoir, comme conséquence de cette théorie, que tout 
être, tout organe, toute cellule qui vit ou qui continue sa vie sans 
mettre en œuvre l'oxygène de l'air atmosphérique ou qui le met en 
œuvre d'une manière insuffisante pour l’ensemble des phénomènes de 
sa propre nutrition doit posséder le caractère ferment pour la matière 
qui lui sert de source de chaleur totale ou complémentaire. Cette 
matière paraît devoir être forcément oxygénée et carbonée, puisque, 
comme je le rappelais tout à l'heure, elle sert d’aliment au ferment. 
Toutes les matières fermentescibles comptent, en effet, ces deux corps 
simples au nombre de leurs principes élémentaires. Je viens apporter 
à cette théorie nouvelle, que j'ai déjà proposée à diverses reprises, 
quoique timidement, depuis l’année 1861, l'appui de faits nouveaux 
qui, cette fois, je l'espère, entraïneront les convictions. 

Considérons un liquide sucré, propre à la nourriture des ferments, 
contenu dans un vase disposé de telle sorte qu’on puisse ensemencer 
ce liquide avec une production organisée spéciale, sans craindre que 
d’autres organismes puissent venir s’y associer ultérieurement, à l’insu 
de l’expérimentateur, par voie d'ensemencement spontané, c’est-à-dire 
par les germes en suspension dans l'air atmosphérique. 

A la surface de ce terrain ainsi préparé, déposons une trace de 
mycoderma vini pur. Les jours suivants, la moisissure recouvrira peu 
à peu tout le liquide sous forme d’un voile continu. 

Cela posé, il est facile de constater que le développement du myco- 
derme dans ces conditions donne lieu à une absorption de gaz oxygène 
atmosphérique qui est remplacé par un volume à peu près égal de 
gaz acide carbonique, et d’autre part qu'il ne se forme pas du tout 


d'alcool (?). 


1. Cet alinéa a été supprimé dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Note 
de l'Édition.) 

2. J'ai annoncé que le mycoderma vint avait deux manières de vivre, qu’il était moisissure 
ou ferment suivant les circonstances, et que la levûre de bière, dite levüre basse, n’était autre 
que le ferment dans lequel ce mycoderme se transformait quand il est privé du contact de 
l'oxygène de l'air. Ces assertions ne sont pas de tout point conformes à la vérité; ou mieux, 
les phénomènes qu’elles caractérisent ont une complication qui m'avait échappé. 

Je serai bientôt en mesure de les faire connaître dans toutes leurs particularités. 

Cette observation est ici nécessaire, puisque je parle en ce moment du mycoderma vint 
dans des termes qui ne rentrent pas exactement dans les assertions que je viens de rappeler. 


390 ŒUVRES DE PASTEUR 


Répétons cette expérience exactement dans les mêmes conditions, 
avec cette seule différence que, quand le voile sera continu, nous agi- 
terons le vase pour disloquer ce voile et le submerger, autant que cela 
est possible, car les matières grasses dont il est accompagné empêchent 
qu'il ne soit mouillé en totalité. Le lendemain, souvent après quelques 
heures déjà, lorsqu'on opère à la température de 25 à 30, on voit 
s'élever sans cesse du fond du vase de petites bulles de gaz qui 
annoncent que la fermentation du liquide sucré a commencé. Elle 
continue les jours suivants, quoique toujours faible, et il est facile de 
constater dans le liquide la présence d’une quantité sensible d'alcool. 
Une observation attentive, faite au microscope, des cellules ou articles 
du mycoderme submergé montre que ces articles ne se reproduisent 
pas, mais qu'ils se gonflent pour la plupart, et que la structure inté- 
rieure de leur plasma se modifie profondément. 

Si la fermentation s'arrête, on peut la faire reprendre en disloquant 
de nouveau le voile qui s’est reformé. 

L'interprétation de ces faits ne paraît pas douteuse. Dans ces deux 
expériences comparatives, nous avons sous les yeux des cellules qui 
prennent ou perdent, au gré de l'opérateur, le caractère ferment. Or, 
quelle est, dans les deux cas, la différence des conditions d’existence 
pour les cellules du »#ycoderma vini? I n’y en a qu’une, qui est irré- 
cusable. Dans le premier cas, la vie de la plante a lieu au niveau du 
liquide, en présence de l'air atmosphérique ou, mieux, du gaz oxygène, 
tandis que, dans le second, elle s’accomplit hors de son influence ou, 
du moins, au contact de quantités d'oxygène extrêmement faibles, 
parce que celui qui tend à se dissoudre dans le liquide est retenu par 
la vie des cellules restées à la surface. La vie n’est pas éteinte dans les 
cellules sabmergées, le microscope le démontre ; mais cette vie se fait 
ou, mieux, se poursuit avec privation d'air, et alors ces cellules 
provoquent la fermentation. 

Je ne parle pas des cas où les spores semées donnent de la vraie 
levüre de bière; j'y reviendrai ailleurs. Nous voyons, en un mot, dans 
cette double expérience, d’un côté, la vie ou la multiplication de cel- 
lules, avec absorption et mise en œuvre de gaz oxygène libre, et 
formation d’un volume correspondant de gaz carbonique; d’un autre 
côté, la continuation de la vie d’une partie de ces mêmes cellules 
submergées, sans intervention de gaz oxygène, mais avec apparition 
corrélative de la fermentation alcoolique, c’est-à-dire un dégagement 
continu de bulles de gaz acide carbonique et une production d’alcool. 
Chose curieuse, et assurément remarquable, ces mêmes expériences 
réussissent avec les moisissures proprement dites. Le penicillium 


RERMENTATIONS “EI NGÉNÉRAMIONS DITES SPONMANÉES 391 


glaucum, par exemple, qui vit en présence du gaz oxygène libre, et qui 
dispose de ce gaz autant qu'il en peut consommer pour accomplir tous 
les actes de sa nutrition et de son développement rapide, ne produit 
pas du tout d'alcool; mais si, lorsqu'il est en pleine vie, on lui refuse 
ce gaz, si on le submerge ou si, vivant à la surface de son substr'atum, 
on gêne l’arrivée de l'air atmosphérique, aussitôt la vie de la moisis- 
sure, les changements qui s'effectuent dans le plasma de ses spores 
en germination, de son »2ycelium, s'accompagnent de la formation de 
quantités d'alcool et de bulles de gaz acide carbonique en rapport avec 
la durée des actes de nutrition de la moisissure dans les nouvelles 
conditions dont je parle. 

La levûre de bière, ce type des ferments, et les autres ferments 
organisés que j'ai découverts nous apparaissent dès lors comme des 
plantes ou animalcules qui ne diffèrent des organismes inférieurs qu’en 
ce qu'ils ont la faculté de vivre et de se multiplier à l'abri du contact 
de l'air, d’une manière régulicre et prolongée. 

Je suis porté à croire que le mystère de la fermentation se trouve 
dévoilé par ces résultats inattendus. Ce que nous appelons ferments 
organisés sont des organismes qui peuvent continuer pour un temps 
leur vie et même se régénérer, sans que l'oxygène libre doive néces- 
sairement intervenir pour brûler et mettre en œuvre les matériaux de 
leur nutrition; des organismes, en d’autres termes, qui peuvent s’assi- 
imiler directement des matières oxygénées, le sucre par exemple, 
capables de fournir de la chaleur par leur décomposition. Envisagée 
sous ce point de vue, la fermentation nous apparait comme un cas 
particulier d’un phénomène extrêmement général, et l'on pourrait dire 
que tous les êtres sont des ferments dans certaines conditions de leur 
vie; car il n’en est pas chez lesquels on ne puisse momentanément 
suspendre l’action du gaz oxygène libre. Que l’on frappe de mort par 
asphyxie, par section de nerfs, elc., un être quelconque ou un organe 
dans cet être, ou dans cet organe un ensemble de cellules, la vie phy- 
sique et chimique, ne pouvant être instantanément suspendue, se 
poursuivra, et si cela a lieu sous la condition de la privation de gaz 
oxygène libre (intérieur ou extérieur), alors l'être, l'organe, les cellules 
prendront forcément la chaleur dont ils ont besoin pour les nouveaux 
actes de nutrition, ou de mutation dans leurs tissus, aux matériaux qui 
les entourent; des lors, ils les décomposeront, et l’on verra apparaître 
le caractère propre des fermentations, si la quantité de chaleur déve- 
loppée correspond à la décomposition d’un poids de la matière fermen- 
tescible sensiblement supérieur au poids des matériaux mis en œuvre 
corrélativement par l'être, par l'organe ou par la cellule. 


392 ŒUVRES. DE’ PASTEUR 


Les faits suivants m'apparaissent comme la déduction logique de 
ces principes. 

M. Bérard (!), dans un Mémoire qui est un modèle de sagacité et de 
méthode expérimentale, nous a appris que, lorsque des fruits sont 
placés dans lair ou dans le gaz oxygène, il disparaît un certain volume 
de ce gaz en même temps qu'il y a formation d’un volume à peu près 
égal de gaz acide carbonique. Si ces fruits sont abandonnés, au con- 
traire, dans le gaz acide carbonique ou dans un autre gaz inerte, il y a 
encore formation de gaz acide carbonique en quantité notable, comme 
par une sorte de fermentation, dit M. Bérard (°). 

Voici, à mon sens, la véritable interprétation de ces faits. Lorsqu'un 
fruit, et en général un organe quelconque, est séparé de la plante ou 
de l’animal dont il faisait partie, la vie n’est pas éteinte dans les cel- 
lules qui le composent. La maturation des fruits en dehors de larbre 
qui les portait en est une preuve palpable. Si l'air est présent, l'oxygène 
intervient et prend part aux changements qui s’accomplissent dans 
l'intérieur du fruit. 

La chaleur est fournie par la combustion qui en résulte, combustion 
à laquelle le sucre prend sans doute une large part; mais alors la nutri- 
tion est de l’ordre de la nutrition du fruit sur l’arbre, de la nutrition 
ordinaire, de celle qui s’accomplit chez les êtres vivants et qui est 
caractérisée par cette circonstance, que le poids des matériaux trans- 
formés ou mis en œuvre est comparable à celui des matériaux qui 
servent à l’alimentation. 

Dans ces conditions, pas plus que dans la vie du mycoderma vint, 
au libre contact de Pair, l'alcool et l'acide carbonique ne sauraient 
apparaître que d’une manière accidentelle. C’est alors que, pour un 
volume d’acide carbonique produit, un volume à peu près égal d'oxy- 
gene est consommé. C’est la combustion respiratoire ordinaire. 

Que le fruit, au contraire, soit placé dans une atmosphère d'acide 
carbonique, la vie se poursuit aussitôt en empruntant à la décompo- 
silion du sucre la chaleur dont elle a besoin pour se manifester; les 


1. Bérarp. Mémoire sur la maturation des fruits. Annales de chimie et de physique, 
XVI, 1821, p. 153-183 et 225-251. 

2, Le texte de l'Association française présente la variante suivante : 

« Vous connaissez le Mémoire si remarquable de M. Bérard, sur la maturation des fruits, 
chef-d'œuvre de sagacité et vrai modèle de la méthode expérimentale pour l'époque à laquelle 
il a paru, — Placez un fruit, d'après M. Bérard, dans l'air ou dans le gaz oxygène; il dispa- 
railra un certain volume de ce gaz, en même temps qu'il y aura formation d'un volume à peu 
près égal de gaz acide carbonique. Placez-le, toujours d'après M. Bérard, dans le gaz acide 
carbonique ou dans un autre gaz inerte, il y aura encore formation de gaz acide carbonique 
en quantité notable comme par une sorte de fermentation, hypothèse admise plus tard par 
divers chimistes, notamment par MM. Cahours et Fremy. » (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 393 


cellules sont alors dans la condition des cellules des ferments qui 
vivent en dehors du gaz oxygène libre. C’est le cas des cellules du 
mycoderma vini qu'on vient de submerger. 

En effet, à peine le fruit est-il placé dans le gaz carbonique qu'aus- 
sitôt du gaz carbonique se produit, ainsi que de l'alcool, en faible quan- 
tité assurément, mais assez grande cependant pour que, dans une de 
mes expériences, vingt-quatre prunes de Monsieur, détachées de l'arbre 
et placées dans le gaz carbonique, m'aient fourni, après quelques 
jours, 6 gr. 50 d'alcool absolu en restant fermes, dures, de l'apparence 
la plus saine, si même quelques-uns de ces caractères ne paraissaient 
pas sensiblement accrus : une quantité correspondante de sucre s'était 
détruite; tandis que vingt-quatre prunes pareilles, laissées au contact 
de l’air, étaient devenues molles, aqueuses, très sucrées. 

Les raisins, tous les fruits acides, les melons, etc., se comportent 
de la même manière. J’étendrai cette étude à beaucoup de plantes. 

Une feuille de rhubarbe placée dans une atmosphère de gaz carbo- 
nique répand, au bout de quarante-huit heures, une odeur un peu 
vineuse, sans altération apparente, et elle donne de petites quantités 
d'alcool à la distillation. 

Je me suis assuré que, dans ces phénomènes, la levûre de bière, 
quand on opère convenablement, ni aucun autre ferment ne prennent 
naissance. C’est dans des cas exceptionnels et rares que des cellules 
de levûre peuvent pénétrer et passer de l'extérieur à l’intérieur du 
fruit. 

Les raisins offrent dans ces expériences une particularité très digne 
d'attention. Tout le monde a remarqué que la vendange, c’est-à-dire 
le jus des grains écrasés, et ces grains eux-mêmes pris dans la cuve 
ont une saveur et une odeur entièrement différentes de celles du raisin 
mangé sur pied ou en grappes non écrasées. Eh bien, les grains de 
raisin qui sortent du gaz carbonique ont exactement le goût et l'odeur 
de vendange. C’est que dans la vendange les grains sont presque 
soudainement enveloppés d’une atmosphère de gaz acide carbonique. 
Je ne doute pas que l'étude des phénomènes dont je parle, envisagés 
dans leurs rapports avec les pratiques de la cueillette du raisin, ne 
deviennent utiles à l’art de faire le vin, et je ne serais pas surpris que, 
par la conservation des raisins en grappes dans une atmosphère d’acide 
carbonique, on ne parvienne peut-être à créer des vins et des eaux- 
de-vie qui offriraient des propriétés spéciales et peut-être avantageuses, 
commercialement parlant. 

Je n'ai pas encore suivi convenablement ces idées nouvelles chez 
les organes des animaux. 


394 ŒUVRES DE PASTEUR 


Il est probable que les phénomènes différeront de ceux que pré- 
sentent les cellules végétales: Vraisemblablement aussi les équations 
de toutes ces fermentations d’une nouvelle espèce différeront non 
seulement avec chaque genre de cellules, soit animales, soit végétales, 
mais pour les unes et les autres avec leur nature propre. 

Les quelques essais que j'ai tentés sur des organes du règne 
animal sont trop incomplets pour être mentionnés; mais je pressens 
déjà, par les résultats qu'ils m'ont offerts, qu'une voie nouvelle est 
ouverte à la physiologie et à la pathologie médicale. J'espère qu’une 
vive lumière sera jetée sur les phénomènes de putréfaction et de 
gangrène. La production de gaz putrides en dehors de l’action de 
ferments organisés recevra sans doute une explication aussi naturelle 
que la formation de Palcool et de lPacide carbonique en dehors de la 
présence des cellules de levüre alcoolique. 


RÉPONSE (1) À M. FREMY (?) 


M. Fremy paraît ne m'avoir pas compris. J’ai étudié avec soin l’inté- 
rieur des fruits mis en expérience, et j'ai constaté qu'il ne s’y était 
développé ni cellules de levûre, ni ferment organisé quelconque. Une 
autre preuve résulte de ce fait, qu'on peut semer le jus et les cellules 
du parenchyme dans du moût de raisin sans qu'ils y provoquent la 
moindre fermentation. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 octobre 1872, LXXV, p. #91. 

2. Fremy. Observations (à propos de la communication qui précède). Ibèd., p. 790-791. 
M. Fremy avait dit : 

«“ M. Pasteur, voulant établir que certains organismes, comme le ferment alcoolique, peuvent 
se développer et vivre sans oxygène, affirme que du raisin abandonné dans de l'acide carbo- 
nique peut, au bout d'un certain temps, entrer en fermentation et produire de l'alcool et de 
l'acide carbonique. 

« Comment faire accorder cette observation avec la théorie de M. Pasteur, d'après laquelle les 
ferments seraient uniquement produits par les germes qui existent dans l'air? » (Note de 
l'Éaition.) 


FERMENTATIONS ET GENÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


395 


OBSERVATIONS (1) 
AU SUJET DES DEUX NOTES QUE M. FREMY A PUBLIÉES 
DANS LES COMPTES RENDUS DE LA SÉANCE DU 7 OCTOBRE (2 


Notre confrère M. Fremy n'ayant pas assisté à la dernière séance, 
j'ai remis à celle-ci pour le prier de me permettre de lui poser une 
question au sujet des deux Notes qu'il a insérées dans les Compies 
rendus de la séance du 7 octobre courant. 

Dans les Notes dont il s’agit, M. Fremy affirme, sans en donner la 
preuve, que les faits nouveaux exposés par moi dans cette même séance 
« appuient les idées qu'il a émises pour la génération des ferments »; 
« qu'elles sont une confirmation éclatante de la théorie qu'il soutient, et 
qu'elles renversent entièrement la mienne ». Ce sont les termes mêmes 
dont M. Fremy s’est servi, pages 783 et 790. 

M. Fremy a répondu, séance tenante, à mes communications du 
7 octobre. Ces communications avaient été, de ma part, improvisées : 
je ne m'étais pas préparé à les faire ce jour-là. Peut-être n'ai-je pas 
été clair. Peut-être me suis-je mal fait comprendre. Dans tous les cas, 
mon exposition verbale a trouvé dans les Comptes rendus de la séance 
sa forme écrite définitive, et nul doute que M. Fremy n’en ait pris 
connaissance à têle reposée. 

Dès lors, voici la question à laquelle je prie M. Fremy de. vouloir 
bien répondre. Dans la crainte que mes descriptions verbales n'aient 
pas été bien comprises, je viens demander à notre confrère si, après 
avoir lu mes communications sous leur forme écrite, il persiste dans 
ses opinions; en d’autres termes, s’il persiste à juger que mes deux 
séries d'expériences sont « une confirmation éclatante de sa théorie ». 

Pour les points en litige, ces deux séries d'expériences se résument 
comme il suit : le jus trouble de l'intérieur d’un grain de raisin, déposé 
dans du moût de raisin cuit, ne provoque pas la fermentation. L'eau 
de lavage de la surface de grains de raisin fait, au contraire, fermenter 
ce moût avec production de cellules de levüre, effet qui n’a plus lieu, 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 21 octobre 1872, LXX V, p. 900-901. 
2. Fremy. Sur la génération des ferments. 1bèd., p. 782-784. — Observations à propos 
de la Note précédente [de Pasteur]. Ibeèd., p. 790-791. 


396 ŒUVRES DE PASTEUR 


d’ailleurs, si l'on fait au préalable bouillir cette eau de lavage avant de 
l'introduire dans le moût. (Expériences de ma première Note) [f]. 

Je place des grains de raisin dans des conditions de vie semblables 
à celles des cellules de la levûüre, et les cellules intérieures de ces grains 
se comportent comme les cellules de la levûre vis-à-vis du sucre, sans 
que ces cellules des grains engendrent des cellules de levüre. (Expé- 
riences de ma deuxième Note) [?]. 

Ma conclusion, qui est adéquate aux faits, est celle-ci : dans aucun 
cas le jus du raisin ne peut par lui-même engendrer des cellules de 
levüre; ces cellules viennent primitivement de l'extérieur. Mes expé- 
riences, la conclusion obligée que j'en déduis, mettent donc au pied du 
mur les deux théories de la fermentation que soutient M. Fremy. En 
d’autres termes, je déclare erronées, soit la théorie de la transfor- 
mation des matières albuminoïdes en cellules de levüre au contact 
de l'oxygène de l'air, soit la théorie de l’hémiorganisme, c’est-à-dire de 
la génération des cellules de levûre par les cellules des fruits (). 


OBSERVATIONS VERBALES (4) 
AU SUJET DE LA LECTURE DE M. FREMY (5) 


M. Fremy vient de terminer sa lecture en parlant de mes inter- 
pellations. 


N'intervertissons pas ainsi les rôles. La discussion qui se poursuit 
en ce moment est née, il y a un an, par une interpellation directe de 
M. Fremy, qui s’est fait alors le champion de la science allemande, à 


1. Voir p. 885-386 du présent volume : Nouvelles expériences pour démontrer que le germe 
de la levûre qui fait le vin provient de l'extérieur des grains de raisin. 

2. Voir p. 387-394 du présent volume : Faits nouveaux pour servir à la connaissance de la 
théorie des fermentations proprement dites. (Notes de l'Édition.) 

3. Ces deux théories, qui ont pris naissance en Allemagne, n’y comptent plus que de rares 
adeptes. 

4. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 28 octobre 1872, LXXV, 
p. 981-984. 

9. Fremy. Recherches sur les fermentations ;: réponse à une question que M. Pasteur a 
posée dans la dernière séance. 1bid., p. 973-981. — La question posée par Pasteur était, dans la 
communication qui précède : « Dans la crainte que mes descriptions verbales n'aient pas été 
bien comprises, je viens demander à notre confrère si, après avoir lu mes communications 
sous leur forme écrite, il persiste dans ses opinions; en d’autres termes, s'il persiste à juger 
que mes deux séries d'expériences sont « une confirmation éclatante de sa théorie ». (Voir 
page précédente du présent volume.) [Note de l'Édition.] 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 397 


la suite de ma réponse à M. Liebig (!), et quoique le nom de M. Frem\ 
n'eùt pas été prononcé par moi. 

La discussion a repris dans la séance du 7 octobre courant, encore 
sur une interpellation de M. Fremy, quoique je n’eusse pas davantage 
prononcé son nom dans les deux Notes que je venais de communiquer 
à l’Académie. 

Je regrette vivement que M. Fremy, au lieu de répondre avec 
brièveté à la question que je lui ai posée, ait cru devoir s'engager dans 
une de ces dissertations où l’on trouve tout, excepté ce qui est vérila- 
blement en question. Dans cette longue lecture de M. Fremy, je ne 
trouve aucune expérience nouvelle, et seulement des affirmations ou 
des négations sans preuves. 

Je vais essayer de serrer davantage la discussion. 

Voici une des expressions de la théorie de M. Fremy prise dans une 
de ses Notes des Comptes rendus. 

On lit page 1425, séance du 18 décembre 1871 (2) : 

« Pour ne parler ici que de la fermentation alcoolique, j'admets 
que, dans la production du vin, c’est le suc même du fruit qui, au 
contact de l’air, donne naissance aux grains de levûre par la transfor- 
mation de la matière albumineuse, tandis que M. Pasteur soutient 
que les grains de levüre ont été produits par des germes. » 

J'ai dit alors à M. Fremy, sous cette forme vive et incisive, que je 
le remercie d’avoir rappelée, forme vive que je reconnais m'être propre 
dans la défense de la vérité, que je regrette toujours quand elle a 
dépassé les bornes de la courtoisie, mais que je déclare n'être jamais 
associée à des sentiments hostiles pour mes contradicteurs, tant que 
je les juge de bonne foi : « Confesseriez-vous vos erreurs, si je vous 
démontrais qu’on peut extraire le jus de l’intérieur d’un grain de raisin, 
sans que jamais la fermentation puisse avoir lieu? » (3). 

M. Fremy comprenant toute la portée de ma question me répondit 
qu'il ne se rendait pas si facilement, qu'il attendrait le résultat de mon 
expérience et le détail de son exécution pour la juger. Ce résultat, ces 
détails, tout lui est connu aujourd’hui : j'ai démontré péremptoirement, 
dans la séance du 7 octobre courant, 1° que le jus trouble de l'intérieur 
d’un grain de raisin déposé dans du moût de raisin cuit ne provoque 


1. Voir p. 361-366 du présent volume : Note sur un Mémoire de M. Liebig relatif aux 
fermentations. 

2. Dans le texte des Comptes rendus de l'Académie des sciences existe une erreur de 
date qui a été rectifiée. 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 26 décembre 1871, LXXITI, 
p. 1461, et p. 369 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


398 ŒUVRES DE’ PASTEUR 


pas la fermentation ; 2° qu'au contraire l’eau de lavage de la surface de 
grains de raisin la détermine avec production de cellules de levüre ; 
3° qu’enfin cette fermentation n’a plus lieu si l’on fait au préalable 
bouillir cette eau de lavage avant de l’introduire dans le moût. 

Ces trois expériences comparatives démontrent que la levûre du 
raisin ne vient pas du suc même du fruit, comme le prétend gratuite- 
ment M. Fremy, mais de l’extérieur. M. Fremy, cherchant à paraître 
profond, fait une distinction radicale, toujours gratuite, entre les 
levres alcooliques et les moisissures. Là n’est pas la question. Que la 
levüre vienne du ciel ou de la terre, de ceci ou de cela, peu importe. 
Elle vient de Pextérieur. Voilà ma proposition, et je la démontre avec 
la clarté de l'évidence. Vous dites, vous, qu’elle vient de l’intérieur, 
et vous le dites hypothétiquement. Mes expériences mettent donc au 
pied du mur, je tiens à cette expression, votre hypothèse gratuite que 
j'ai rappelée tout à l’heure, à savoir : que la matière albumineuse du 
grain de raisin se transforme en levüre alcoolique au contact de 
l'air. 

Poussé dans ses derniers retranchements par ces trois expériences 
décisives, que répond M. Fremy? Il ne craint pas d'affirmer que le 
résultat de mon expérience sur la goutte de jus de raisin s'explique 
par un fait nouveau qu'il aurait observé et qu’il exprime, je crois, ainsi : 
la fermentation n’est pas possible pour de si petites quantités de 
matière. Mais pourquoi donc la goutte d’eau de lavage que je sème 
dans le moût provoque-t-elle la fermentation”? La force de cet argu- 
ment n'échappe pas à M. Chevreul, qui a la bonté de me la faire remar- 
quer. M. Fremy a donc oublié cette contre-partie de mon expérience, 
quand il en a appelé à cette étrange affirmation, QUE LES PETITES QUAN- 
TITÉS NE FERMENTENT PAS. 

On sait que M. Fremy a donné, toujours sans la moindre preuve 
sérieuse, une autre forme à sa théorie. Pour échapper au reproche 
d’être hétérogéniste, comme M. Trécul, qui veut que la levüre soit 
spontanée, M. Fremy a imaginé ce qu'il appelle lhémiorganisme : la 
matière albumineuse n'est pas, dit-il, une matière chimique ordinaire, 
elle est hémiorganisée ou, encore, ce sont les cellules du grain de 
aisin qui engendrent le ferment appelé levtre de bière. C’est bien le 
propre des théories vagues de revêtir ainsi des formes diverses, véri- 
tables caméléons propres à prendre tous les aspects. 

Ici, de même, tout peut, néanmoins, se résoudre par un fait. Le jus 
trouble de l’intérieur du grain de raisin, dont je viens de parler, ren- 
ferme ces cellules du fruit, et nous venons de voir que ces cellules 


n'engendrent pas, comme le voudrait M. Fremy, des cellules de levûre. 


PE 


sd. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 399 


Mais il y a plus : par les expériences de ma seconde Note du 7 octobre (1), 
j'ai démontré deux faits considérables et nouveaux, savoir : 1° que les 
cellules du grain de raisin placées dans l’acide carbonique forment 
immédiatement de lalcool; 2° qu'il n’y a pas apparition de cellules de 
levûre dans cette expérience (2. 

M. Fremy, qui, paraît-il, ne m'avait pas compris quand j'ai exposé 
ces faits en sa présence, s’est empressé d'écrire, dans les Comptes 
rendus, p. 791 (3), que j'étais en contradiction avec moi-même; que, 
puisque les ferments s'étaient produits dans l’intérieur des cellules, 
leur génération n’était donc pas due à des germes qui existeraient dans 
l'air. Or, c’est tout le contraire que j'ai dit. C’est une erreur échappée 
à l'attention de M. Fremy; il le sait aujourd’hui, car il a lu, à tête 
reposée, ma dernière Note du 7 octobre sous forme écrite (*). Que fait 
alors M. Fremy ? Il nie le fait de l'absence des cellules de levûre dans 
les cellules du fruit sortant du gaz acide carbonique. Seulement, comme 
il ne peut pas dire qu'il y avait des cellules de levüre, quand j'affirme 
que je n’en ai pas vu, il ajoute : « M. Pasteur est-il bien sûr de con- 
naître toutes les formes possibles que la levüre de bière peut revêtir? » 

Ce n’est pas là de la discussion sérieuse. S'il y avait eu dans les 
grains de raisin des formes de cellules de levüre qui m'auraient 
échappé, parce que la science les ignore, du moins ces cellules pour- 
raient-elles se propager. Or, j'ai semé, par la méthode que j'ai fait 
connaître, le jus intérieur d’un grain de raisin sortant de l’acide carbo- 
nique dans du moût cuit, et il n’y a eu ni fermentation, ni production 
de cellules de levüre. En conséquence, ici encore l’opinion de M. Fremy 
est mise au pied du mur. 

Je le répète donc : dans aucune circonstance, la matière albumi- 
neuse du jus de raisin ou les cellules de ce fruit n’engendrent des 
cellules de levüre. 


Je regrette que M. Fremy ne se rende pas à l’évidence et qu'il 


1. J'oir p. 387-394 du présent volume : Faits nouveaux pour servir à la connaissance de la 
théorie des fermentations proprement dites. (Note de l'Édition.) 

2. Dans les groseilles, fruits de tout autre nature que les raisins et les prunes, il m'est 
arrivé souvent de constater la présence de la petite levüre alcoolique des fruits acides, signalée 
déjà autrefois dans ma Note du Bulletin de la Société chimique de 1862. [Quelques faits 
nouveaux au sujet des levüres alcooliques, p. 150-158 du présent volume.] Dans l'intérieur 
des pommes, très saines d'apparence, on trouve souvent des moisissures. Les grains de raisin, 
eux aussi, peuvent donner lieu à une pénétration de l'extérieur à l’intérieur. Dans l'arrière- 
saison, les raisins conservés sont rarement sains. Ils renferment à l'insertion du pédoncule 
de la grappe des myceliums de moisissures en abondance. 

3. FrRemy. Observations. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du ? octobre 
1872, LXXV, p. 790-791. (Note de l'Édition) 

4. Voir p. 387-894 du présent volume : Faits nouveaux pour servir à la connaissance le la 
théorie des fermentations proprement dites. (Note de l'Édition.) 


100 ŒUVRES DE PASTEUR 


n’imite pas l'exemple de M. Donné, bien connu de l’Académie par des 
travaux très recommandables, qui s’est honoré en venant déclarer 
devant elle qu'il se rangeait à nouveau contre les hétérogénistes (1), 
après avoir rectifié, par des expériences rigoureuses, les erreurs qui 


» 


lui avaient échappé d’abord, dans ce sujet difficile (?.. 


(A la suite de ces Observations de Pasteur, M. Fremy, dans une « Seconde 
réponse à M. Pasteur » (Comptes rendus de l'Académie des sciences, UXXN, 
1872, p. 984-987), entend, dit-il, « accentuer avec plus de netteté et de 
précision les objections » adressées à son confrère.] 

M. Pasteur déclare qu'il a répondu complètement à M. Fremy dans la 


Note reproduite plus haut. (Comptes rendus de l’Académie des sciences, 
LXXV, 1872, p. 987.) 


RÉPONSE (3) A M. TRÉCUL (:) 


M. Trécul vient de nous dire, hypothétiquement, que peut-être la 
goutte intérieure du grain de raisin que je sème dans le moût n’a 
plus la vie nécessaire pour se transformer en cellules de levûre. Je 
fais observer à M. Trécul qu’elle en a certainement tout autant que le 
jus de grains de raisin écrasés et broyés. 

M. Trécul revient, en outre, sur une de mes observations publiées 
en 1862 (5), observation qui démontre qu’on ne saurait prétendre que la 
levûre est spontanée ou qu’elle naît de bacteriums, deux des opinions 
de M. Trécul. Mon expérience prouve, et j'en garantis l'exactitude : 
1° que la levûre du raisin ne vient pas de bacteriums, car ce jus est 
tout à fait impropre à donner naissance à des bacteriums, et la levûre, 


1. Doxxé. Expériences nouvelles sur les générations spontanées. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LXXV, 1872, p. 521-523. (Note de l'Édition.) 

9, M. Pasteur, conformément à la demande faite par M. Fremy, entre dans tous les détails 
de la première série de ses expériences du 7 octobre courant. [Nouvelles expériences pour 
démontrer que le germe de la levüre qui fait le vin provient de l'extérieur des grains de 


raisin, p. 889-386 du présent volume. ] 

M. Pasteur ajoute, en outre, qu'il a apporté à la séance et qu'il est prêt à faire passer sous 
les yeux de l'Académie des dessins représentant, outre les germes des cellules de la levûre, tels 
qu'ils existent à la surface des grains de raisin ou du bois de la grappe, la transformation 
morphologique de ces germes en ‘véritables cellules de levûre. (Note des Comptes rendus de 
l'Académie des sciences.) 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 8 octobre 1872, LXXV, 
p. 990. 

4. Trécuz. Note concernant l'origine des levüres. 1bid., p. 987-989. 

5. Voir p. 150-158 du présent volume : Quelques faits nouveaux au sujet des levûres 
alcooliques. Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 401 


par contre, y apparaît fort bien ; 2° qu'on ne saurait soutenir que la 
levûre du raisin naît spontanément de la matière albumineuse dissoute, 
car il faudrait pour cela qu'il y eût des cellules de levüre de toutes les 
tailles, depuis le point apercevable jusqu'au volume ordinaire de la 
levûre, ce qui n’est point. La levûre apparaît de prime-saut avec sa 
grosseur. Il n’y a au-dessous de cette taille que de petits bourgeons 
détachés de plus grosses cellules, mais jamais toutes les tailles entre 
ces petits bourgeons détachés et la dimension des premiers points 
apercevables. 


NOTE SUR LA PRODUCTION DE L'ALCOOL PAR LES FRUITS (!) 


J'ai l'honneur d'annoncer à l’Académie que, pour la connaissance 
de quelques-uns des faits exposés dans ma deuxième Note du 
7 octobre ®), j'ai été devancé par M. Lechartier, qui a publié, dans le 
cours de l’année 1869, en collaboration avec M. Bellamy, deux Notes 
intitulées, la première: Étude sur les gaz produits par les fruits, la 
seconde : De la fermentation des fruits (3). Malgré le soin avec lequel 
je me plais à suivre et à encourager nos anciens élèves de l’École 
Normale supérieure, ces Notes avaient passé pour moi inaperçues. 

M. Lechartier est, en effet, un de nos meilleurs élèves de l'École 
Normale, actuellement professeur à la Faculté des sciences de 
Rennes, et déjà connu de l'Académie par des travaux d’études minéra- 
logiques qui se recommandent autant par la nouveauté des méthodes 
que par la précision des résultats. 

Voici une très courte analyse des Notes de MM. Lechartier et 
Bellamy, dans ce qu’elles ont de relatif à mes propres recherches. 

M. Lechartier place les fruits (pommes, citrons, cerises, groseilles) 
dans des éprouvettes à pied qui communiquent avec des éprouvettes 
plus petites disposées sur la cuve à mercure. Il a trouvé que les 
phénomènes observés se partagent en deux périodes distinctes. Dans 
la première, après l'absorption du gaz oxygène de l’air resté dans les 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 novembre 1872, LXXV, 


p. 1054-1056. 
2. Voir p. 387-394 du présent volume : Faits nouveaux pour servir à la connaissance de la 
théorie des fermentalions proprement dites. 
3. Lecxarrier et Bezcamy. Étude sur les gaz produits par les fruits. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LXIX, 1869, p. 356-360. — De la fermentation des fruits. Zbid., 
p. 466-469. (Notes de l'Édition.) 


KERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 26 


402 ŒUVRES DE PASTEUR 


éprouvettes, le dégagement de gaz acide carbonique s’effectue d’abord 
d'une manière uniforme, puis se ralentit et s'arrête pendant un certain 
temps pour reprendre ensuite avec des vitesses croissantes, supé- 
rieures à celles qu'on observe dans la première période. 

La première période dure plusieurs mois. Arrivé au terme de cette 
première période, accusée par le ralentissement du gaz, ou mieux la 
cessation de son dégagement, M. Lechartier écrase les pommes, les 
broie dans un mortier, puis les soumet à la distillation. En outre, il 
observe au microscope, soit la pulpe, soit l’intérieur des pommes 
restées entières. 

Dans tous les cas, il a constaté la formation de l'alcool à la fin de 
la première période, et il laisse clairement entrevoir que cet alcool 
n'a pas pu se produire sous l'influence de la levûre de bière. Sous ce 
rapport, il oppose les faits de la seconde période avec ceux de la 
première. Dans la seconde période, où le dégagement de gaz reprend, 
il a observé le ferment alcoolique, développé et bourgeonnant. Au 
surplus, voici comment il s'exprime : 

« Pendant la première période du dégagement gazeux, nous 
n'avons trouvé de ferment bourgeonnant ni dans les pommes, ni dans 
le jus qu'elles ont fourni. On rencontre dans le jus des globules 
isolés de diverses grosseurs. On en voit même qnelques-uns de forme 
ovoide, ayant l'apparence de globules de ferment ; mais toujours ils 
sont isolés. Cependant, même dans ce cas, il y a production d’alcool 
comme on l’a constaté dans l’expérience 5 » (4) 

Il s'agit ici d'une expérience qui, au moment de cette observation, 
durait depuis deux mois et demi environ. 

Mes recherches different de celles de M. Lechartier par deux 
points essentiels : 1° parce que je plonge les fruits dès labord dans le 
gaz acide carbonique, et que je constate la formation immédiate de 
l'alcool. La présence de lalcool est tres sensible déjà après vingt- 
quatre heures. Ce résultat est capital si lon se place au point de vue 
que j'ai développé devant l'Académie, savoir: que cette formation de 
l'alcool est due à ce que la vie chimique et physique des cellules du 
fruit se continue dans des conditions nouvelles semblables à celles des 
cellules des ferments. En outre, j'ai constaté un dégagement de 
chaleur sensible dans les fruits ainsi traités, comme dans les racines, 
telles que navets, carottes, betteraves, qui offrent d’ailleurs, dans ces 
essais, des résultats tout particuliers dont je m'occupe présentement. 


1. Loc. cit., p. 467-468. (Note de l'Édition. 


RE 


à 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 403 


NOTE (1) 
AU SUJET D'UNE ASSERTION DE M. FREMY () 
PUBLIÉE DANS LE DERNIER COMPTE RENDU 


M. Fremy a écrit dans le Compte rendu de la dernière séance : 

« Dans des expériences que j'ai variées à Pinfini, j'ai reconnu qu'il 
élait presque impossible de déterminer une fermentation alcoolique, 
appréciable par ses résultats, dans une seule goutte de suc de raisin, 
et j'ajoute que cette fermentation doit être plus difficile encore, comme 
l’a dit avec beaucoup de justesse notre confrère M. Trécul, lorsque 
cette goutte se trouve noyée dans une quantité considérable de suc 
soumis préalablement à l'ébullition. » 

M. Fremy attache une grande importance à cette déclaration. C’est 
par cette assertion qu'il répond à celles de mes expériences qui 
démontrent que la levûre qui fait le vin provient de lextérieur et non 
de l’intérieur des grains de raisin. Voici la preuve que l'affirmation de 
M. Fremy est absolument erronée : 

Jai pris une grappe de raisin, je l'ai broyée dans un mortier, puis 
jai introduit séparément dans une série d’ampoules très petites une 
goutte de jus. J’ai fermé les ampoules à moitié pleines à la lampe, je 
les ai portées à une température de 20°. Toutes, après quarante-huit 
heures, étaient en pleine fermentation alcoolique et montraient au 
microscope des cellules de levüre en nombre incalculable. Le jus 
d’autres grappes traitées de même a toujours donné le même résultat. 
On peut multiplier à l'infini le nombre des ampoules ; toutes offrent 
les indices les plus manifestes de la fermentation. C'est que dans 
toutes on a introduit des germes de la levüre de la surface des grains 
ou de la surface du bois de la grappe, tant ils y sont abondants. 

On peut noyer la goutte de jus dans une grande quantité de moût 
de raisin cuit; le résultat est le même. Toute la masse fermente peu 


à peu (*). 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 novembre 1872, LXXV, 
p. 1056-1058. 

2. Fremy. Seconde réponse à M. Pasteur (au sujet des fermentations). 1bid., séance du 
28 octobre 1872, p. 984-987. (Note de l'Édition.) 

3. I y aurait deux manières de donner un semblant de vérité à l’assertion de M. Fremy. 
Je tire ces deux modes de mes travaux, comme une déduction logique des principes qu’ils 


10% ŒUVRES DE PASTEUR 


M. Pasteur brise une de ces ampoules devant l’Académie. On entend 
un petit sifflement dû au dégagement du gaz carbonique comprimé, et l’on 
voit à la surface de la goutte une couronne de petites bulles ; MM. Che- 
vreul, CI. Bernard, Wurtz, placés à côté de M. Pasteur, constatent facile- 
ment ces faits. 


Les moisissures n'apparaissent pas dans ce genre d’expériences. 
La raison en est facile à donner ; nouvelle preuve de l'erreur des 
raisonnements de M. Fremy. | 

J'ajoute en terminant que M. Fremy me fait dire dans ses Notes 
une foule de choses que je n’ai jamais dites. Je n’en relèverai qu’une : 

« M. Pasteur, dit-il, nie avec énergie la production des ferments 
par les moisissures. » 

Je n'ai rien dit de semblable dans tout le cours de la discussion, 
soit verbalement, soit par écrit. C’est M. Fremy qui, jusqu’à présent, 
a voulu établir une distinction absolue entre les moisissures et les 
ferments. 

J'ai si peu nié la production des ferments par les moisissures, que 
j'ai annoncé que les moisissures pouvaient, à la volonté de l’opéra- 
teur, jouer ou non le même rôle que les cellules de la levüre, et 
inversement j'ai donné le moyen de provoquer dans la levüre un 
mode de nutrition qui la rapproche des mucédinées proprement dites. 

M. Fremy cherche sans cesse à déplacer les questions. Voici ce qui 
est en litige avant toute autre chose : D'OÙ VIENT LA LEVÜRE QUI FAIT 
FERMENTER LE MOÛT DE RAISIN DANS LA CUVE DE VENDANGE? M. Fremy 
répond, sans fournir la moindre preuve, qu'elle provient de l’intérieur 
des grains de raisin, du suc même du fruit, par une transformation 
des matières albuminoïdes. Je réponds, et j'en donne la démonstration 
péremptoire, évidente, que cette levüre provient uniquement de lexté- 
ont établis: car je n'ai pas réalisé les essais que je vais indiquer. Premièrement, on pourrait 

L2 . .. n . 
s'arranger pour soustraire entièrement la goutte, dès le moment de son extraction de la 
grappe broyée, à l'action de l'oxygène de l'air. Ce serait une manière de reproduire l'expé- 
rience de Gay-Lussac. J'ai fait observer depuis longtemps que, dans cette expérience, ce 
n'était pas la matière albuminoïde qui avait besoin d'oxygène pour se transformer en levüre, 
mais que c'était le germe de la levûre apporté par le mercure, par les grains du raisin, ete., 
qui avait besoin d'un peu d'oxygène pour germer. L'expérience de Gay-Lussac est vraie, 
théoriquement parlant ; mais je suis persuadé que Gay-Lussac lui-même ne l'a jamais réussie 
complètement, et qu'il n’a fait que retarder considérablement la fermentation des grains 
écrasés sous la cloche, du moins en la faisant telle qu'il l’a décrit». 

Deuxièmement, on pourrait exagérer énormément le rapport de la quantité d'air restant 
dans l’ampoule à la quantité de jus brut introduit. Dans ce cas, on pourrait espérer 
donner aux germes de la levûre provenant de la surface des grains ou de la grappe la 
forme de développement aérobie de la levûre, forme sur laquelle j'appelierai bientôt l'atten- 
tion. Pour le sens du mot aérobie, voir la Note où j'ai proposé ce terme et son correspondant 
anaérobie, dans les Comptes rendus de l'Académie, année 1863 [LVI, p. 1189-1194, et 
p. 17-181 du présent volume]. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 405 


rieur des grains, des poussières en suspension dans lair ou déposées 
à la surface des grains ou du bois de la grappe. 
C'est dans ce cercle d’affirmations que j'ai la prétention d’enfermer 


M°Fremy. 


RÉPONSE (!) À M. FREMY (?) 


Je laisse de côté la dissertation que l'Académie vient d'entendre, 
et je la prie de permettre que la discussion soit maintenue dans le 
domaine des faits. Montrez donc, dirai-je à M. Fremy, des gouttes de 
jus de raisin naturel qui ne fermentent pas. Montrez donc des grains 
d'orge abandonnés dans l’eau sucrée et qui produisent des cellules de 
ferment intracellulairement. 

Pourquoi ne répondez-vous pas à lexpérience que je viens de 
décrire et qui renverse votre étrange assertion au sujet des petites 
quantités de jus de raisin qui, selon vous, ne peuvent fermenter ? 

Vous maintenez votre assertion sans apporter aucune preuve, 
tandis que je m’efforce d’en fournir qui soient claires et concluantes. 
On ne peut continuer la discussion sous cette forme. 

Je propose donc que l'Académie veuille bien nommer une Commis- 
sion qui se prononcerait sur l’exactitude de mes expériences, en dehors 
de toute interprétation de leurs résultats, et sans aucune préoccupa- 
tion de doctrine. 

Voici le programme des huit expériences qui me sont personnelles 
et dont je demande la vérification : 

1° Le moût de raisin cuit ne fermente jamais au contact de Pair 
privé des germes qui s’y trouvent en suspension; 

2 Le moût de raisin cuit de l'expérience précédente fermente quand 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 novembre 1872, LXXV, 
p. 1062-1063. 

2. Fremy. Observations au sujet de la lecture de M. Pasteur [c'est-à-dire de la Note pre- 
cédente]. Zbèd., p. 1058-1062. « … J'affirme de nouveau, dit M. Fremy, que, dans de noni- 
breuses expériences que j'ai faites cet été, de petites quantités de suc de raisin ont résisté à la 
fermentation : je soutiens donc que l'expérience du raisin n'a pas de valeur réelle dans la 
discussion, et que, lorsque M. Pasteur admet qu'une goutte de sue de raisin extraite du fruit 
n'entre pas en fermentation parce qu'elle n'a pas recu des germes de l'air, cette inertie de la 
liqueur est due à toute autre cause... Je soutiens que, si la fermentation ne se produit pas, 
cela n'est pas dû à l'absence des poussières, mais aux conditions dans lesquelles le liquide 
fermentescible est placé. » (Note de l'Édition.) 


106 ŒUVRES DE PASTEUR 


on y introduit une tres petite quantité de l’eau de lavage de la surface 
des grains de raisin ou de la surface du bois de la grappe ; 

3° Le moût de raisin ne fermente pas si l’on y introduit cette eau 
de lavage après qu’on la fait bouillir ; 

%° Le moût de raisin ne fermente pas si l’on y introduit une très 
petite quantité de l’intérieur d’un grain de raisin ; 

5° Les raisins placés dans une atmosphère d'acide carbonique 
donnent immédiatement de l'alcool ; 

6° Dans l’intérieur des grains de lPexpérience précédente il n’y a 
pas de cellules de levüre, alors même que la quantité d'alcool produite 
est considérable ; 

7° Les gouttes d'une grappe de raisin écrasé fermentent comme les 
grandes masses de vendange ; 

8 Le moût de raisin naturel filtré donne naissance à la petite 
levûre que j'ai signalée et figurée dans ma Note du Bulletin de la 
Société chimique pour 1862 (1). Elle apparaît de prime-saut avec sa 
grosseur et on avec toutes les grosseurs entre le point apercevable et 
la dimension des bourgeons détachés des cellules. Cette dernière 
expérience a pour objet de répondre à M. Trécul, qui, plus logique 
que M. Fremy, n'hésite pas à déclarer que la levüre peut naître spon- 
tlanément, à même les matières albuminoïdes dissoutes. 

J'espère que l'Académie voudra bien qu'une Commission désignée 
dans son sein vérifie les résultats que j’annonce et en constate 
l'exactitude, particulièrement l'expérience 7 sur la fermentation des 
petites quantités de jus de raisin, expérience dont M. Fremy avait fait 
lui-même le nœud de la discussion, à l’occasion des premières expé- 


riences du programme ci-dessus. 


(M. Fremy n’accepta pas cette proposition de Pasteur : 

« .… Je pense, dit-il, que le mieux est de laisser la discussion conti- 
nuer en toute liberté... Quant à l’intervention des membres de l’Académie, 
je ne la comprends que dans le sens d’une collaboration, et non dans celui 
d'un jugement que M. Pasteur demande. » (Comptes rendus de l'Académie 
des sciences, LXXV, 1872, p. 1063-1065.) 

Pasteur lui fit la Réponse suivante.] 


1. Voër p. 190-158 du présent volume : Quelques faits nouveaux au sujet des levüres 
alcooliques. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 407 


RÉPONSE (t) A M FREMY 


M. Fremy n'accepte pas ma proposition, et il voudrait entre lui, 
M. Trécul et moi, un travail en commun en présence de deux de nos 
confrères qu'il prend la peine de désigner lui-même, MM. Decaisne et 
Robin. 

Je déclare cette proposition inacceptable. Je demande à l'Académie 
des juges revêtus d’un mandat officiel et non des témoins bénévoles, 
qui seraient dans l'impossibilité de remettre à l’Académie un Rapport 
sur une mission qu'elle n'aurait pas demandée et qui n'aurait pas été 
acceptée par eux. 

Les premières expériences de mon programme ci-dessus étaient 
vivement contestées par M. Fremy. Il me semble qu'il ne les conteste 
plus aujourd’hui; mais il maintient son affirmation au sujet du jus 
naturel du raisin qui, d’après lui, ne fermente pas en petite quantité. 
Je maintiens le contraire et je demande que mon assertion soit con- 


trôlée par l’Académie. 


RÉPONSE (3) A M. TRÉCUL {) 


M. Trécul traite particulièrement deux points principaux dans la 
lecture que l’Académie vient d'entendre : celui de la transformation 
de la matière albuminoïde dissoute en cellules de levûre par voie de 
génération spontanée ou d’hétérogénèse, et en second lieu celui de la 


, 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 4 novembre 1872, LXXV, 
p. 1066. 

2. Fremy. Seconde réponse à M. Pasteur. JZb2d., p. 19:8-1065. 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 11 novembre 1872, LXXV, 
p. 1167-1168. 

4. Trécur. Remarques sur l’origine des levûres lactique et alcoolique. Zb#d., p. 1160-1165. 
(Notes de l'Édition.) 


408 ŒUVRES DE PASTEUR 


transformation des spores du penicillium glaucum en levûre alcoolique 
de la bière. 

je ne puis que reproduire ce que j'ai écrit sur ces deux sujets en 
1861 et en 1862 (!), et ce que j'ai répété de nouveau devant l’Académie 
dans le cours de cette discussion : 

1° Lorsque dans du moût de raisin naturel préalablement filtré une 
levüre apparaît, il n’y a pas tous les passages entre le point aperce- 
vable et la dimension des cellules de levûre ou des bourgeons détachés 


de ces cellules, comme cela serait nécessaire dans l'hypothèse de 
M. Trécul. 

2° Je n’ai jamais pu obtenir la transformation certaine du penicil- 
lium en levûre de bière ou de raisin, pas plus qu’on n'obtient celle du 
mucor mucedo en ces mêmes levüres ; mais j'ai bien reconnu les 
causes d'erreur possibles dans ce genre d’observations, causes 
d'erreur que M. Trécul, selon moi, n'aura pas suffisamment écartées (?). 


1. Voir Sur les prétendus changements de forme et de végétation des cellules de levûre de 
bière suivant les conditions extérieures de leur développement, p. 139 du présent volume. — 
Quelques faits nouveaux au sujet des levûres alcooliques, p. 150-158 du présent volume. (Note 
de l'Édition.) 

2. Que M. Trécul me permette d'ajouter ici quelques mots qui lui feront mieux apprécier, 
je l'espère, toute la délicatesse de ces recherches et la rigueur que j'essaye d'apporter dans 
mes conclusions. 

I1 y a quatre mois environ, lorsque j'ai voulu rédiger l'ensemble de mes expériences rela- 
tives à la transformation des articles du mycoderma vini en levüre, des doutes se sont pré- 
sentés {out à coup à mon esprit sur la vérité du fait dont il s’agit, et qui, pour M. Trécul, on 
vient de l'entendre, est toujours indiscutable. J'ai craint que tous ces passages, si faciles 
à constater en apparence quand on suit la méthode de la submersion que j'ai indiquée, ne 
soient qu'illusion, et que la levûre, qui prend réellement naissance dans les expériences, 
dérive non des articles de mycoderma vini submergés et plus ou moins privés d'air, mais 
d'un ou plusieurs germes de cette levûre que l'air aurait apportés pendant la préparation du 
mycoderma, et dont le développement ne se manifesterait qu'après la submersion du voile. 
Pour lever ces doutes, j'ai institué les expériences les plus nombreuses, les plus variées, et je 
n'arrive pas, depuis quatre mois, je le répète, à me satisfaire par des preuves à l'abri de tout 
reproche. Je conserve encore en ce moment mes doutes. Que, par cet exemple, M. Trécul 
veuille bien comprendre la difficulté de conclure rigoureusement dans ces études si délicates. 
Quant à la transformation du mycoderma vini en penicillium ou inversement, annoncée 
autrefois par Turpin, soutenue depuis lors par divers observateurs, et que M. Trécul vient de 
défendre de nouveau, je déclare, quant à moi, que cette transformation ne s’est jamais produite 
dans mes expériences, et que je la considère coinme absolument erronée. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 409 


NOTE (1) 
AU SUJET DE LA COMMUNICATION DE M. FREMY, 
INSÉRÉE AU DERNIER COMPTE RENDU (?) 


Je crois que la discussion qui est pendante devant l’Académie, dis- 
cussion qui a été, l’an dernier, comme dans ces derniers temps, si 
malencontreusement soulevée par M. Fremy, touche enfin à son 
terme. 

En effet, M. Fremy, après avoir déclaré itérativement, dans sa 
dernière communication écrite, qu’il tient considérablement à l’inter- 
prétation des faits et aux théories, ajoute, page 1059 : 

« Si M. Pasteur le désire, j’admettrai l'exactitude de ses expé- 
riences, même de celles que je n’ai pas encore contrôlées. » 

Je m’empresse de déclarer que c’est à cela seulement que j'ai tou- 
jours tenu et que je tiens encore, et que c’est là seulement ce que je 
désire que fasse M. Fremy, à savoir : qu'il admette l'exactitude de mes 
expériences. Si M. Fremy s'était exprimé, dans la dernière séance, 
comme je viens de dire qu’il l’a fait au Compte rendu, immédiatement 
j'aurais mis fin à la discussion, c’est-à-dire à la défense de l'exactitude 
de mes expériences ; car l’Académie me rendra cette justice que je n'ai 
jamais fait que soutenir la vérité des faits que j'avais exposés devant 
elle. J’ai donné des conclusions à mes expériences, je les ai interprétées 
comme chacun fait pour ses propres travaux, et comme c’est le droit 
et même le devoir de tout expérimentateur de le faire, et je crois 
très fermement à toutes mes conclusions ; mais ce que j'ai maintenu 
exclusivement devant l’Académie, c’est la vérité des faits nouveaux que 
je lui ai fait connaître. 


[A la Réponse verbale de M. Fremy (Comptes rendus de l'Académie des 
sciences, LXXV, 1872, p. 1170-1172), Pasteur répliqua (Ÿ) :] 


Puisque M. Fremy me donne satisfaction sur l’exactitude de mes 
expériences, je déclare la discussion close en ce qui me concerne ; 
dans le cas contraire, j'aurais persisté dans la proposition que jai 
faite lundi à l’Académie de nommer une Commission. 

1, Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 11 novembre 1872, LXXV, 
p. 1170. 

2. Fremy. Observations verbales. 1bid., p. 1058-1062. 

3. Ibid., p. 1172. (Notes de l'Édition..) 


410 ŒUVRES DE PASTEUR 


OBSERVATION (1) 
SUR LA RÉDACTION DU DERNIER COMPTE RENDU 


Dans le Compte rendu de la dernière séance, sous la rubrique : 
Réponse verbale, ete…., M. Fremy, parlant de moi, s'exprime ainsi (? : 

« Notre confrère, qui a sans doute ses motifs pour mettre fin à un 
débat dans lequel il perd évidemment du terrain, .…. » 

Je déclare que M. Fremy n’a rien dit de semblable dans la dernière 
séance. S'il eût exprimé cette pensée, soit dans les termes que je viens 
de rappeler, soit dans des termes équivalents, j'aurais immédiatement 
protesté contre cette étrange assertion, dans laquelle notre confrère 
cherche à donner le change aux lecteurs des Comptes rendus sur une 
situation si claire pour tous, QUI À COMMENCÉ, DE SA PART, PAR UNE 
CONTESTATION DE L'EXACTITUDE DE MES EXPÉRIENCES, ET QUI A FINI, DE SA 
PART ENCORE, PAR UN ACQUIESCEMENT À L'EXACTITUDE DE TOUTES CES MÊMES 
EXPÉRIENCES. Je suis toujours prêt à discuter sur des faits précis, mais 


non sur des opinions spéculatives. 


{(Bouillaud exprime son regret que la proposition faite par Pasteur 
de nommer une Commission n'ait pas été adoptée. « En effet, dit Bouillaud, 
la question la plus controversée de la théorie des fermentations proprement 
dites, e’est, sans contredit, celle qui roule sur l'origine des ferments. C’eût 
été un résultat des plus importants, que de résoudre d’une manière définitive 
une telle question. M. Pasteur était convaincu que les expériences proposées 
par lui et faites par lui conduiraient à ce résultat. Je partage son senti- 
ment, et de là les regrets que je viens d'exprimer devant l’Académie, et 
aussi mon vif désir que ces expériences soient un jour pratiquées. »] (). 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 18 novembre 1872, LXXV, 
p. 1217. 

2, Fremy. Réponse verbale à la Note précédente de M. Pasteur. Zbid., séance. «lu 
11 novembre 1872, LXXV, p. 1170-1172. 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences. Ibid., p. 1217-1218. (Notes de l'Édition.) 


pèse sé dm. 


D Don 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 411 


[NOTE] (1) 


M. Pasteur, après la lecture faite par M. Trécul dans la séance du 
18 novembre dernier [Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXY, 
1872, p. 1218-1223], avait exprimé le désir que M. le Secrétaire perpétuel 
voulüt bien parapher une série de dessins qu'il avait déposés sur le bureau 
de l’Académie avant la séance. Ces dessins font connaître le développement 
des groupes de cellules colorées en jaune plus ou moins foncé, dont 
M. Pasteur avait fait mention dans sa Note du 7 octobre [Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LXXV, 1872, p. 781-782, et p. 385-386 du présent 
volume |. 

Ces dessins ont été paraphés par M. le Secrétaire perpétuel, à la date 
du 18 novembre. 


RÉPONSE (?) 
A UNE NOTE DE M. TRÉCUL (3) 


Ce n’est pas une communication académique que M. Trécul a 
faite lundi dernier, c’est une sorte de réquisitoire dans lequel, sans 
apporter une seule observation originale, notre confrère se livre à 
une discussion de textes et épilogue sur des citations qu’il paraît ne 
pas comprendre ou qu’il ne comprend pas réellement. La clarté que je 
m'efforce d'apporter dans mes recherches et dans leur exposition se 
transforme, sous sa plume, en assertions « équivoques » et « ambi- 
guës ». Ils’interroge sur ce que j'ai dit, sur ce que j'ai fait, sur ce que 
je ferai ; il répond à ses doutes par des dissertations soupconneuses ou 
des interprétations gratuites, et conclut que cette discussion fatigue 
tout le monde, comme si j'étais l’auteur de la reprise de cette discus- 
sion, parce que je suis venu lire à l’Académie, le mois dernier, le 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 décembre 1872, LXXV, 
p. 1462. 

2. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 15 décembre 1873, LXXVII, 
p. 1396-1599. 

3. TrécuL. Réponse à M. Pasteur concernant l'origine de la levüre de bière, 1b?4., séance 
du 8 décembre 1873, LXX VII, p. 1313-1321. (Note de l'Édition.) 


412 ŒUVRES DE PASTEUR 


résumé de trois années de recherches assidues sur un des problèmes 
les plus difficiles et qui, depuis plusieurs siècles, défie les efforts de 
toutes les personnes qui se sont occupées de l’industrie de la bière (!). 

La faiblesse des arguments invoqués par M. Trécul est si grande 
que je ne prendrais pas la peine d’y répondre s’il ne s'agissait de deux 
des sujets les plus élevés de la philosophie naturelle, la question des 
générations dites spontanées et celle de la transformation des espèces. 
Si l’on n’y prend garde, cette hypothèse du transformisme introduira 
dans la science une foule d'erreurs, parce qu’elle dispense beaucoup 
de personnes d'observations approfondies. 

L'Académie sait ce que veulent MM. Fremy et Trécul : tous deux 
soutiennent l’une des formes de la génération spontanée ; ils prétendent 
que les matières albuminoïdes peuvent s'organiser d’elles-mêmes en 
des êtres nouveaux; mais ils n’ont produit jusqu'à ce jour, à l’appui 
de cette assertion, aucune expérience rigoureuse, tandis que j'ai 
démontré l'erreur de leur hypothèse par de nombreuses expériences, 
faites sur les liquides les plus altérables de Péconomie, notamment 
avec le sang et l'urine pris à l’état naturel. 

On n’a pas oublié que, au cours de la discussion de 1872 [1871 !, 
comme M. Fremy parlait sans cesse de la fermentation du jus de raisin, 
dont les matières albuminoïdes devaient s'organiser suivant lui, au 
contact de l’air, en cellules de levüre alcoolique par la force vitale de 
leur hémiorganisation, j'ai posé à notre confrère cette question : 
« Reconnaîtriez-vous que vous vous trompez, si je venais vous offrir du 
moût de raisin naturel, exposé au contact de lair pur, et vous démon- 
trer qu'il est impropre à entrer en fermentation alcoolique et à donner 
naissance à des cellules de levûüre (2) ? » Quand je tenais publiquement 
ce langage à M. Fremy, je n'avais pas encore fait l'expérience dont je 
parle; mais c’est le propre des théories vraies de conduire logique- 
ment à des déductions que lexpérience n’a plus qu’à contrôler. 
Depuis, j'ai fait cette expérience, et j'ai prouvé que le jus du raisin ne 
peut produire des cellules de levûre que par l’apport de poussières 
extérieures, naturellement existantes à la surface des grains et de la 
grappe. Mais j'ai tort de rappeler le nom de M. Fremy, puisque notre 
confrère garde le silence depuis l’année dernière. Néanmoins, il avait 
promis solennellement à l’Académie la lecture d’un grand Mémoire 


1. Pasreur. Études sur la bière; nouveau procédé de fabrication pour la rendre inaltérable. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXVII, 1873, p. 1140-1148. Voër tome V des 
Œuvres de Pasteur. 

. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 26 décembre 1871, LXXIIT, 


D] 
». 1461, et p. 369 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 
Ï ! Ï 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 413 


sur la fermentation, et les derniers mots qu'il ait publiés dans les 
Comptes rendus sont les suivants : 

« Je prends l'engagement de démontrer avant peu, à tous les parti- 
sans de M. Pasteur, qu'il n'existe pas de cellules de ferment alcoolique 
dans des milieux gazeux où la fermentation alcoolique se produit 
facilement, et que, par conséquent, les ferments sont engendrés par 
l'organisme. » (Séance du 11 novembre 1872, LXXV, p. 1172.) 

Les ferments sont engendrés par l'organisme! Voilà la dernière 
assertion que M. Fremy a pris l'engagement de démontrer à tous les 
partisans de M. Pasteur, et ceux-ci attendent toujours. 

M. Trécul va plus loin encore que M. Fremy. Pour lui, les matières 
albuminoïdes donnent, par génération spontanée, des bactéries ; 
celles-ci, des cellules de levûre lactique; celles-ci, des cellules de 
levûre de bière; ces dernières, à leur tour, du mycoderma vini et du 
penicillium glaucum, et probablement beaucoup d’autres espèces. Je 
soutiens, au contraire, que tous ces faits sont erronés, que ces trans- 
formations ne sont qu'hypothèses à l'appui desquelles on ne peut citer 
que des faits confus, mal observés, entachés de causes d’erreur qu'on 
n'a pas su dégager au milieu des difficultés inhérentes aux expériences. 

Voici comment M. Trécul croit établir que le penicillium glaucum 
se transforme en cellules de levûüre alcoolique. 


M. Pasteur expose de vive voix le dernier alinéa de la page 1169 du 
tome LXXV des Comptes rendus emprunté à une Note de M. Tréeul(f, ; il 
complète le détail de la manipulation par des renseignements que 
M. Tréceul a bien voulu lui fournir de vive voix ; ensuite, 1l fait ressortir 
les nombreuses causes d'erreur de ces observations. Toute la manipulation 
est faite au contact de l'air, et les spores du penicillium sont prises sur des 
citrons moisis. Or, il suffit d'observer au microscope les poussières de la 
surface d’un citron pour y reconnaitre une multitude de spores et de 
cellules organisées, très différentes souvent des spores de penicillium. 
M. Pasteur décrit ensuite la méthode qu'il emploie pour démontrer le 
contraire de l’assertion de M. Trécul: toute la manipulation est faite à 
l’abri des poussières atmosphériques avec des spores de penicillium qui à 
poussé dans l'air pur; enfin M. Pasteur déerit le moyen de répéter les obser- 
vations de M. Trécul dans les mêmes conditions que ce dernier, c’est-à-dire 
en déposant des spores de penicillium dans de petits flacons de moût de 
bière, mais avec la précaution d'opérer sur des spores parfaitement pures. 
Dans ce cas, on n'obtient jamais la transformation dont parle M. Trécul. 
Afin de mieux convaincre ce dernier, M. Pasteur a apporté à la séance de 
petits flacons semblables à ceux dont se sert M. Trécul, ensemencés avec 
des spores pures de penicillium depuis mardi dernier; il prie M. Trécul de 


1. Trécuz. Réponse aux objections de M: Pasteur. Comptes rendus de l'Académie des 
sciences, LXXV, 1873, p. 1168-1169. (Note de l'Édition.) 


#1 ŒUVRES DE PASTEUR 


vouloir bien les accepter, de les observer à loisir, et il annonce que 
M. Tréeul sera dans l'impossibilité d’y trouver la trace d’une transforma- 
tion quelconque des spores semées en cellules de levüre. M. Pasteur offre 
en outre à M. Trécul un de ses ballons, où se trouve du penicillium à l’état 
de pureté, et de petits flacons de moût non encore ensemencés, et il prie 
M. Trécul de bien vouloir répéter chez lui ses anciennes observations, 
avec ces éléments de travail ; il l’assure que, cette fois, il reconnaîtra 
encore que la transformation des spores de penicillium en levüre n'existe 
jamais dans les conditions où M. Trécul dit l'avoir observée. 


M. Trécul pourra s'assurer cependant qu'en déposant dans les 
flacons une quantité imperceptible de levüre de bière, la fermentation 
s'y établira promptement, avec développement des cellules de levûre ; 
enfin M. Trécul pourra s'assurer également que les spores de peni- 
cillium y germent très bien. 

Lorsque M. Trécul aura achevé le petit travail que je sollicite de son 
dévouement à la connaissance de la vérité, je remettrai à M. Trécul, 
dans une de nos séances, les éléments d’un travail tout semblable sur 
le mycoderma vint. En d’autres termes, j’apporterai à M. Trécul du 
mycoderma vini parfaitement pur, avec lequel il pourra reproduire ses 
anciennes observations et reconnaître l'exactitude des faits que j'ai 
annoncés en dernier lieu. 

Que l’Académie me permette une dernière réflexion. Il faut avouer 
que mes contradicteurs ont été vraiment bien malencontreux de 
prendre occasion de ma lecture sur les maladies de la bière pour 
renouveler cette discussion. Comment n'ont-ils pas compris que mon 
procédé de fabrication de la bière inaltérable ne pourrait exister si le 
moût de bière pouvait donner au contact de l'air toutes les transforma- 
tions qu'ils annoncent? Et puis, ce travail sur la bière, fondé tout entier 
sur la découverte et la connaissance des propriétés de quelques êtres 
microscopiques, est-ce qu'il n'est pas venu à la suite de mes études sur 
le vinaigre, sur les propriétés du mycoderma aceti, sur le procédé 
nouveau d’acétification que j'ai fait connaître (1)? Ce dernier travail 
n'a-t-il pas eu pour suite mes études sur les causes des maladies des 
vins et les moyens de les prévenir, toujours fondées sur la découverte 
et la connaissance d’êtres microscopiques non spontanés (2)? Ces 
dernières recherches n’ont-elles pas été suivies de la découverte d’un 
moyen préventif de la maladie des vers à soie, déduit également de 


l'étude d'organismes microscopiques non spontanés (3)? 
te] 


1. Voir tome III des Œuvres de Pasteur : Études sur le vinaigre et sur le vin. 

2 TV: 

3. Voir tome IV des Œuvres de Pasteur : Études sur la maladie des vers à soie. (Notes de 
l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 415 


Est-ce que toutes les recherches auxquelles je me suis livré depuis 
dix-sept ans ne sont pas, malgré les efforts qu'elles m'ont coûtés, le 
produit des mêmes idées, des mêmes principes, poussés, par un travail 
incessant, dans des conséquences toujours nouvelles ? La meilleure 
preuve qu'un observateur est dans la vérité, c’est la fécondité non 
interrompue de ses travaux. 


OBSERVATIONS (1) 
AU SUJET DU PROCÉS-VERBAL DE LA DERNIÈRE SÉANCE 


J'ai deux observations à faire au sujet du procès-verbal de la 
dernière séance : la première, c’est que M. Trécul a refusé d’emporter 
les vases que j'avais préparés d’après ses indications, mais en éloignant 
les causes d’erreur que, suivant moi, il n’a pas évitées et qui lont 
conduit à un résultat erroné; la seconde, c’est que je tiens à dire à 
l’Académie que, pour faire amende honorable de la vivacité avec 
laquelle j'ai répondu à un de nos confrères, j'ai supprimé, dans ma 
Note de lundi dernier, les expressions qui ont paru blessantes. Par 
respect pour l’Académie, j'aurais dû ne pas me montrer froissé d’une 
lecture dans laquelle, huit pages durant de nos Comptes rendus, sans 
la moindre provocation de ma part, M. Trécul avait porté sur l’expo- 
sition de mes recherches des appréciations soupçonneuses (2). Je plaide 
là les circonstances atténuantes de ma mauvaise humeur, mais les 
torts d’autrui n’autorisent pas à pécher soi-même. 

Par un respect encore plus grand pour la vérité, je maintiens de 
nouveau avec force que mes travaux de ces dix-sept dernières années 
ont établi définitivement que jamais on n’a vu les matières albumi- 
noïdes, naturelles ou cuites, donner naissance, par voie de génération 
spontanée ou autrement, à des ferments organisés, ou à des 777co- 
derma, où à des moisissures; que ces matières se comportent seule- 
ment comme des aliments de ces petits êtres, et que ces derniers ne se 
développent à leur aide qu'autant que leurs germes, nés de parents 
semblables à eux, ont été apportés du dehors. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 22 décembre 1875, EXX VIT, 
p. 1441-1442. 

2. Trécur. Réponse à M. Pasteur concernant l’origine de la levûre de bière. 1bëd., séance 
du 8 décembre 1873, LXX VII, p. 1313-1321. (Note de l'Édition.) 


516 ŒUVRES DE PASTEUR 


RÉPONSE (1) A M. TRÉCUL (?) 


M. Trécul vient de dire qu'il n'avait pas voulu emporter /es flacons 
que j'avais préparés, parce que ces flacons ne remplissaient pas les 
conditions voulues. 

M. Trécul a dit que ces flacons ne contenaient pas d’air. C’est une 
erreur. Si M. Trécul avait pris la peine de venir regarder les flacons 
déposés sur le bureau, il aurait vu qu’ils contenaient de l’air à l’origine, 
et que la meilleure preuve en est que les spores semées avaient germé, 
qu'un »ycelium même était visible, à l’œil nu, à travers les parois 
des flacons. 

M. Trécul reproche également au ballon contenant du penicillium 
pur, fructifié, que j'avais apporté, de contenir des spores trop vieilles. 
C’est une erreur. Ce ballon avait été, comme les flacons dont je viens 
de parler, mis en expérience le mardi 9 décembre (#), le lendemain de la 
communication de M. Trécul, c’est-à-dire depuis six jours seulement. 
Enfin rien de plus facile que de faire traverser le ballon par un courant 
d’air pur et de placer la moisissure en contact avec autant d’air qu'on 
peut le désirer. 

Les critiques de M. Trécul sont done sans fondement. 


RÉPONSE ({) A M. TRÉCUL (5) 


M. Trécul a rouvert la discussion par une lecture de huit pages, 
portant exclusivement sur le penicillium glaucum et le mycoderma 
vint. 

J'ai accepté le débat sur ces deux productions. J'entends ly main- 
tenir, en ce qui me concerne. 


1. Comptes rendus de l'Académie des scrences, séante du 22 décembre 1873, LXXVII, 
p. 1444-1445. 

2. TrécuL. Réponse à M. Pasteur. 1bid., p. 1442-1444. 

3. Le texte des Comptes rendus de l'Académie des sciences porte par erreur : 16 décembre. 

x. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 29 décembre 1873, LXXVII, 
p. 1519-1520. 

5. Tréeuz. Nouvelle réponse à M. Pasteur, concernant l’origine de la levûre de bière. Zb2v., 
p. 1512-1519. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES #17 


+ 


Par un dispositif qui m'est propre, décrit par moi de vive voix dans 
la séance du 15 décembre (!), j’ai obtenu des résultats tout autres que 
ceux qui ont été annoncés par M. Trécul (). Je ne me suis pas arrêté 
là : j'ai reproduit les observations de M. Trécul en employant la 
manipulation même qu'il a décrite, mais en me servant du penicillium 
pur, c'est-à-dire en éloignant les causes d’erreur que je reproche aux 
observations de notre confrère. Ici encore, mes résultats ont été tout 
autres que ceux de M. Trécul. 

Enfin je me suis donné la peine d’apporter, en séance, à M. Trécul 
des flacons préparés comme il l’indique. M. Trécul a refusé de les 
emporter pour les observer à loisir. 

Dans cet état de choses, dont je prends acte devant l'Académie, je 
déclare que je ne répondrai plus à M. Trécul tant qu'il n'aura pas, soit 
seul, soit avec l’aide de M. Fremy : 

1° Reproduit mes expériences, au sujet desquelles je lui offre 
toutes les explications, verbales ou écrites, qu'il pourra désirer; 

2 Refait ses propres expériences en éloignant les causes d'erreur 
que j'y ai signalées. 

Plus tard, j'examinerai, s’il y a lieu, les travaux étrangers dont 
M. Trécul a parlé. Quant à présent, je me borne aux sujets sur lesquels 
il a plu à notre confrère de rouvrir le débat, et j'entends, comme c'est 
mon droit, y fixer la discussion de la manière la plus stricte. 

C’est le seul moyen de ne pas permettre qu’elle s’égare. Du reste, 
au point où nous en sommes, je me sens autorisé à déclarer que 
l'accueil fait à mes travaux et les soins que je leur consacre me font un 
devoir d’en poursuivre les conséquences et le cours, laissant à chacun 
à les apprécier selon ses lumières et selon son gré. Le temps les 
jugera (5). 


1. Zbid., p. 1398, et p. 413-414 du présent volume. (Note de l'Édition.) 

2. Déjà, en 1861, j'ai publié des résultats identiques devant la Société philomathique de 
Paris. (Note de Pasteur.) 

Voir cette communication p. 139 du présent volume. (Note de l'Édition.) 

3. M. Fremy publia, en 1875, comme suite à la discussion entre Pasteur et lui, une bro- 
chure intitulée : Sur la génération des ferments. Pasteur en fit la critique dans une Note à 
l'Académie des sciences, lue le 5 juin 1876, ayant pour titre : De l'origine des ferments orga- 
nisés. Voir: p. 445-449 du présent volume. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES- ; 21 


OBSERVATIONS (1) 
AU SUJET DE TROIS NOTES DE MM. BÉCHAMP ET ESTOR (?) 


J'ai lu avec attention ces trois Notes, ou réclamations de priorité. 
Je n’y ai trouvé que des appréciations dont je me crois autorisé à 
contester l'exactitude, et des théories dont je laisse à leurs auteurs la 
responsabilité. Plus tard, et à loisir, je justifierai ce jugement. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 décembre 1872, LXXW, 
p. 1573-1574. 

2. BécHamp. Observations relatives à quelques communications faites récemment par 
M. Pasteur, et notamment à ce sujet : « La levûre qui fait le vin vient de l'extérieur des 
grains de raisin. » 1btd., p. 1284. — Seconde observation sur quelques communications 
récentes de M. Pasteur, notamment sur la théorie de la fermentation alcoolique. 1h74. 
p. 1519-1533. — Bécname et Esror. Observations sur la communication faite par M. Pasteur 
le 7 octobre 1872. Ibid, p. 1923-1526. (Note de l'Édition.) 


ÉTUDES SUR LA BIÈRE 


Le 17 novembre 1873, Pasteur fit à l’Académie des sciences une com- 
munication sur les maladies de la bière, corrélatives du développement et 
de la multiplication d'organismes microscopiques, et sur un nouveau procédé 
de fabrication pour la rendre inaltérable. 

En 1876, il publia un volume intitulé : « Etudes sur la bière, ses 
maladies, causes qui les provoquent, procédé pour la rendre inaltérable, avec 
une théorie nouvelle de la fermentation. » Après avoir étudié les causes 
des maladies de la bière et de celles du moût qui sert à la produire, 
Pasteur relate des travaux antérieurs et des expériences nouvelles sur 
l'origine des ferments, la culture de divers micro-organismes à l’état de 
pureté, les levüres alcooliques. Puis il résume sa conception des fermen- 
tations. Les principes généraux qu'il expose au cours de cet ouvrage « ren- 
ferment implicitement, dit-il, les conditions d'un nouveau procédé de 
fabrication dont le caractère essentiel serait de fournir une bière d’une 
conservation facile, voire même inaltérable ». 

La communication à l’Académie des sciences sur les maladies de la bière 
et cet ouvrage seront reproduits dans le tome V des (Œuvres de Pasteur 
« Etudes sur la bière ». (Note de l'Edition.) 


PRODUCTION DE LA LEVURE 
DANS UN MILIEU MINÉRAL SUCRÉ (1) 


J’ai annoncé autrefois et établi par des preuves que je considérais 
comme décisives (?) que, non seulement il ne se forme pas d’ammoniaque 
pendant la fermentation alcoolique comme on le croyait avant moi, 
mais que l’ammoniaque ajoutée à des moûts en fermentation disparaît 
pour contribuer à la formation des cellules du ferment, matière riche 
en principes azotés (?). 

J'ai prouvé, en outre (#, que la levüre alcoolique peut se multiplier 
dans un milieu composé de sucre pur, en solution aqueuse, d’un sel 
d’ammoniaque et des cendres de levüre ou des phosphates alealins et 
terreux, entre autres ceux de potasse et de magnésie. Il est assurément 
peu d'expériences plus propres à nous éclairer sur la nature de la 
levüre et sur celle de la fermentation alcoolique. On y trouve égale- 
ment la première preuve que les matières albuminoïdes de certains 
êtres vivants peuvent se constituer par le sucre et l’ammoniaque, par 
les phosphates et les sulfates minéraux, à Pabri de la lumière et de la 
matière verte. 

Cette expérience élait en contradiction formelle avec la théorie de 
la fermentation proposée par Liebig; aussi le célèbre chimiste alle- 
mand refusa de croire que les résultats précédents fussent vrais; du 
moins, profitant des difficultés que javais éprouvées à bien réussir 
l'expérience dont je parle, il essaya de trouver dans ces difficultés 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 96 janvier 1874, LXXVIIT, 
p. 213-217; et Bulletin de la Société centrale d'agriculture de France, séance du ?8 janvier 
1874, 3° sér., IX, 1873-1874, p. 217-295 (sous le titre : Sur la production de la levûre de bière 
dans un milieu minéral sucré). 

2. Voir p. 31-32 du présent volume : Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation 


alcoolique. (Notes de l'Édition.) 

3. L'azote ne se dégage pas à l'état gazeux pendant la fermentation. Le gaz acide carbo- 
nique de la fermentation est complètement absorbé par la potasse. Le résidu de 5 environ 
d'azote qu’on obtient à la suite de cette absorption doit être attribué à l'azote de l'air des 


solutions de potasse même les plus concentrées. 
ñ. Voir p. 33 du présent volume : [Sur la fermentation alcoolique]. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 421 


mêmes une fin dé non recevoir de son exactitude. Lorsque j'en publiai 
tous les détails en 1860 (1), j’indiquai avec soin les causes possibles 
d’insuccès, et je fis voir, en particulier, que les milieux minéraux 
sucrés sont beaucoup plus aptes à nourrir les bactéries et la levûre 
lactique et d’autres productions inférieures que la levüre de bière elle- 
même; par exemple, ces milieux se remplissent facilement de divers 
organismes quand on les expose au contact de l'air, tandis qu'on n'y 
voit pas naître les levüres alcooliques, surtout au début des expé- 
riences 2). Or, dans l'obligation où j'étais alors d'opérer sur des 
matières plus où moins souillées par les”poussières de l'air atmo- 
sphérique et de me servir, pour semence, de levûre ordinaire qui est 
toujours plus ou moins impure, je n'avais jamais obtenu, à l'aide des 
milieux minéraux, une fermentation simple et active. Les fermentations 
lactique, visqueuse et autres qui apparaissent spontanément nuisaient 
promptement au développement de la levüre par l'acidité qu'elles 
apportaient dans la liqueur. Cela n’ôtait rien à la rigueur de la conclu- 
sion que j'avais déduite de mes expériences. On peut même dire que 
le point de vue général et philosophique, seul intéressé ici, était 
doublement satisfait, puisque je démontrais que les milieux minéraux 
étaient propres au développement simultané de plusieurs ferments 
organisés, au lieu d’un seul. L'association fortuite de diverses levûres 
ne pouvait infirmer cette conclusion que tout l'azote des cellules des 
levûres alcoolique et lactique provenait de l'azote des sels ammo- 
niacaux, et que tout le carbone de ces ferments avait été emprunté au 
sucre, puisque le sucre était la seule substance qui, dans le milieu 
soumis aux expériences, contint du carbone. Liebig se garda bien de 
faire cette remarque, qui aurait détruit tout l’échafaudage de ses 
critiques, et il crut se donner les apparences d’un contradicteur sérieux 
en arguant que je n'avais pas eu une fermentation alcoolique simple. 
M. Fremy agit, à peu de chose près, de la même maniere, lorsqu'il 
me demanda un jour, devant l’Académie, de transformer un verre 
d’eau sucrée en verre d’eau-de-vie par une fermentation alcoolique 
spontanée (3). 

Liebig a consacré une bonne partie du Mémoire qu'il a publié 


1. Voir p. 51-126 du présent volume : Mémoire sur la fermentation alcoolique. (Note de 
l'Édition.) 

2. Les levüres alcooliques peuvent s'y former lorsque ces milieux ont déjà donné nais- 
sance à d’autres productions organisées qui ont modifié la composition de ces milieux par 
l'apport de leurs matières albuminoïdes propres à la vie de la levüre. (Voir sur ce dernier 
point mon Mémoire de 1860 Sur la fermentation alcoolique.) 

3. Cette dernière phrase n’est que dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. 
(Note de l'Édition.) 


ES 
+= 
LE 


ŒUVRES DE. PASTEUR 


en 1870 [1869] à la critique de mes propositions sur la formation de 
la levüre par les substances minérales et le sucre. Après avoir fait 
diverses hypothèses sur la formation des substances albuminoïdes dans 
les plantes, formation qu'il considère comme une des plus grandes 
énigmes de la nature organique, il discute mes résultats et conclut en 
ces termes : 

« J’ai répété un grand nombre de fois, avec le plus grand soin, 
l'expérience de M. Pasteur, et j'ai obtenu les mêmes résultats, sauf la 
formation et l'augmentation de la levüre (1). » 

Il rapporte, en effet, une de ses expériences, et c’est la seule qu’il 
cite, dans laquelle il a recueilli si peu d'alcool, qu’il a dû recourir non 
à l’alcoomètre pour le mettre en évidence, cet instrument n'aurait 
donné aucune indication, mais à des réactions très délicates. C'était 
nier d’une maniere absolue la vérité de mon expérience, car, à la 
rigueur, la quantité de levüre que j’emploie comme semence, quoique 
infiniment petite, suffirait à expliquer la formation d’une aussi 
faible proportion d'alcool. L'assertion de Liebig touchant les quantités 
infiniment petites d'alcool par lui obtenues pouvait donc se traduire 
ainsi : La levüre de bière semée dans un milieu minéral sucré ne se 
développe pas du tout, et telle fut sa conclusion, comme on vient de le 
voir. 

L'Académie se rappellera peut-être la réponse que j'ai faite à 
M. Liebig en 1871 (2). Je lui offris la nomination d’une Commission 
prise dans le sein de l'Académie des sciences, devant laquelle je répé- 
terais mon expérience. Si M. Liebig eût accepté, non seulement j'aurais 
établi l'insuffisance de ses observations, mais j'aurais porté rapidement 
la conviction dans l'esprit de nos juges, par des dispositions expéri- 
mentales nouvelles, empruntées à un progrès de mes recherches, 
postérieur de quelques années aux expériences dont il s’agit. J'aurais 
profité des résultats que j'ai publiés sur le facile développement de la 
levûre au contact de l'air, et j'aurais produit devant les membres de la 
Commission autant de levûre que M. Liebig aurait pu raisonnablement 
en demander. 

Aujourd'hui, je viens placer sous les yeux de lPAcadémie une 
expérience qui réalise d’une façon encore différente de celle que 
j'indique, et avec plus d’évidence, les résultats auxquels je suis arrivé 


1. LiemiG. Sur la fermentation ét la source de la force musculaire. Lu aux séances de 
l’Académie royale des sciences de Munich, les 9 mai 1858 et 5 novembre 1869. Annales de 
chimie et de physique, 4e sér., XXIII, 1871, p. 42. 

2. Voir p. 361-366 du présent volume : Note sur un Mémoire de M. Liebig, relatif aux 
fermentations. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 493 


en 1858 (Comptes rendus de l'Académie des Sciences, XLVII, 1858, 
p. 1011-1013) [p. 31-32 du présent volume. 

Dans mon travail sur la bière (1), j'ai annoncé que j'avais trouvé le 
moyen de mettre en œuvre les ferments organisés dans un état de 
pureté irréprochable. Il en résulte que je puis déposer dans un milieu 
minéral sucré de la levûre tout à fait pure, sans mélange des moindres 
germes d'organismes étrangers à sa nature. Je puis, d’autre part, à 
l'aide des dispositions que j'ai maintes fois décrites devant l’Académie, 
manier un liquide à l'abri de l'air commun, sans qu'il puisse recevoir 
de celui-ci aucun germe capable de se développer ultérieurement. 
C’est ainsi que la levüre pure, semée dans un liquide également pur, y 
vit sans être gênée par les infusoires ou par les levûres lactiques, etc. 

Voici un vase qui ne contenait à l’origine que de l’eau distillée, du 
sucre candi très pur, des cendres de levüre et un sel d’ammoniaque, et 
où j'ai déposé une trace, pour ainsi dire impondérable, de levüre. La 
fermentation y est active ; la levüre, d’une blancheur et d’une pureté 
très grandes, s’est développée déjà en poids relativement considé- 
rable. Le sucre disparaîtra complètement, sans éprouver d’autres fer- 
mentations que la fermentation alcoolique. On peut, par ce moyen, 
faire fermenter des kilogrammes de sucre et développer toute la 
levère correspondante en obligeant celle-ci à emprunter tous ses 
matériaux nutritifs à un milieu minéral, l'azote de ses matières azotées 
à l’'ammoniaque, son carbone au sucre, c'est-à-dire à la matière fermen- 
tescible, son phosphate et son soufre à des phosphates et à des sulfates 
alcalins ou terreux. C'est bien là, mais, pour ainsi dire, dans toute sa 
perfection possible, mon expérience d'il y a quinze ans, qui avait été 
considérée à juste titre comme la meilleure preuve qu'on püût fournir 
que la fermentation alcoolique est corrélative de la nutrition et de la 
vie de la levüre et la condamnation des théories alors régnantes de 
Liebig, de Berzelius et de Mitscherlich. 

A l’aide de la disposition qui est sous les yeux de l'Académie, on 
peut aller plus loin et montrer combien est erronée l’assertion 
ancienne de Turpin sur la transformation de la levûre en penicillium 
glaucum, assertion reproduite et étayée de nouvelles observations par 
divers botanistes allemands, et que M. Trécul, dans ces dernières 
années, a de nouveau soutenue en France (?), quoique je l’aie combattue 


1. Voir : Etudes sur la bière; nouveau procédé de fabrication pour la rendre inaltérable. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXVIT, 1872, p. 1140-1148. (Tome V des 
Œuvres de Pasteur.) 

2. Voù:: Discussion avec MM. Fremy et Trécul sur l'origine et la nature des ferments, 
p. 267-417 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


t= 
rss 


ŒUVRES DE PASTEUR 


déjà en 1861 devant la Société philomathique (1). Voici comment l’expé- 
rience peut servir à mettre la vérité en évidence. 

Vient-on à vider le liquide fermentant à une époque quelconque 
de la fermentation, le dépôt de levüre qui reste dans le vase peut y 
séjourner au contact de l'air, sans que jamais on voie apparaître la 
moindre formation de penicillium glaucum. Le milieu est néanmoins 
très propre au développement de cette moisissure; car, si l’on fait 
pénétrer dans le vase quelques spores seulement de penicillium, une 
végétation abondante de la moisissure se montre ultérieurement (?). Les 
descriptions de MM. Turpin, Hoffmann et Trécul ont donc porté sur 
une de ces illusions qu’on rencontre si fréquemment dans les obser- 
valions au microscope. 

Pour l'expérience dont j'offre un spécimen à l’Académie, on peut 
se servir des diverses levûres alcooliques ; celle qui réussit le mieux 
et que j'ai le plus souvent employée est la levüre ordinaire de la 
fermentation du moût de raisin (°). 

Une remarque digne d’attention, c'est que la levüre qui a poussé 
dans un milieu minéral devient plus propre à se multiplier dans un 
tel milieu ; elle s’y acclimate, en quelque sorte, comme les plantes dans 
certains sols. Cela est vrai également de la vie de la levûre à l'abri de 
l'air, en présence du gaz acide carbonique. 

Comme liquide minéral, on peut employer du sulfate d’ammoniaque 
et les cendres de levûre plus ou moins dissoutes à la faveur du bitar- 
trate de potasse ou d’ammoniaque, ou bien le liquide composé par 
M. Raulin dans ses remarquables recherches sur le développement des 
mucédinées (f), liquide qui convient au moins aussi bien que les cendres 
de levûre, sinon mieux. 


[A la Société centrale d'agriculture de France, Pasteur ajouta à cette 
communication les développements suivants :] 

J'ai dit que la levüre, après avoir fait fermenter le sucre dans un 
milieu minéral, peut être conservée ensuite au contact de l'air sans 


1. Voir p. 139 du présent volume : Sur les prétendus changements de forme et de végétation 
des cellules de levûre de bière suivant les conditions extérieures de leur développement. 

2, Dans le Bulletin de la Société centrale d'agriculture de France, cette phrase est 
remplacée par la suivante : « Tandis que, si l’on y sème du penicillium, une végétation 
abondante de la moisissure se montre ultérieurement, surtout si l'on fait passer dans le ballon 
un courant d'air pur qui chasse le gaz carbonique et la vapeur d'alcool ». (Notes de l'Édition.) 

3. Cette levûre est une levûre basse; mais ce n’est pas, comme je l'ai annoncé, la vraie 
levûre des brasseries à fermentation basse. 

4. Rauux (J.). Recherches sur le développement d'une mucédinée dans un milieu artificiel. 
In : Êtudes chimiques sur la végétation. Parés, 1870, in-8° (Thèse pour le doctorat ès sciences 
physiques). [Note de l'Édition.] 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 493 


perdre la faculté de se reproduire et de se multiplier dans un nouveau 
milieu nutritif sucré. Cette conservation de la faculté de végétation de 
la levûre a déja, dans mes expériences, une durée de deux années. 
Toutes les cellules individuellement la gardent-elles, ou seulement un 
certain nombre? C’est ce que je ne saurais encore décider. 

J'ai voulu savoir ce qui arriverait dans le cas où l'expérience serait 
effectuée dans un milieu plus ou moins complètement impropre à la 
nutrition de la levûre. Par exemple, qu'advient-il à la levüre déposée 
en très petite quantité dans une solution de sucre candi pur? Je suppose 
que le poids de levüre soit tout à fait insignifiant, si faible qu’il n’en 
puisse résulter aucune fermentation appréciable. Malgré cet ensemble 
de circonstances si favorables à l'épuisement et à la mort de la levüre, 
celle-ci reste vivante et toujours prête à manifester sa faculté végé- 
tative et sa multiplication indéfinie en présence de l'air et d’un milieu 
nutritif sucré; du moins mes expériences sur ce point déjà ont plus 
d’une année de durée. 

Enfin, que se passe-t-il si lon conserve la levüre à l’état de poussière 
sèche? Après sept ou huit mois de séjour de la poussière dans une 
étuve, le rajeunissement possible de la levûre existait encore; au bout 
d’un an, il avait disparu. Dans un laboratoire où on manie de la levûre, 
il y a donc nécessairement en suspension, dans les poussières, des 
cellules de levüre fécondes, c’est une conséquence de ce qui précède, 
quoique cette fécondité ne soit pas indéfinie. Les cellules-wermes de la 
levüre du raisin offrent des propriétés du même ordre. 

Voici une autre particularité remarquable des cellules de levüre 
épuisées, mais non mortes, dans l’eau sucrée. Quand on les replace 
dans un milieu nutritif au contact de l'air, au lieu de se borner à grossir 
et à bourgeonner pour former des cellules-filles semblables aux 
cellules-mères, elles poussent de longs articles ou tubes rameux qui, 
eux-mêmes, donnent des tubes plus ou moins longs; en outre, près de 
leurs articulations naissent des cellules globuleuses ou ovoïdes qui se 
détachent pour reproduire de la levûre globuleuse ; on dirait les formes 
de germination et de développement de certains dematium ; mais 
bientôt ces formes allongées disparaissent, et même, si on ne les saisit 
pas dans leur première apparition, elles échappent à l’observateur qui 
n'est frappé que des formes globuleuses et ovoides de la levüre ordi- 
naire. Il est digne de remarque que les cellules-germes de la levûre 
de la surface des grains et de la grappe du raisin débutent dans leur 
développement sous les formes allongées que je viens d'indiquer. 

J’ai déjà annoncé que la levûre pouvait vivre à la manière des moi- 
sissures. On observe ce genre de vie dans diverses circonstances ; par 


426 ŒUVRES DE PASTEUR 


exemple, dans la bière, lorsqu'elle est exposée au contact de l'air, 
lorsque la surface du liquide ne peut pas se recouvrir de mycoderma 
vini Où cervisiæ, Ce qui existe toutes les fois que dans ce même liquide 
les germes de ce même mycoderme sont absents. Dans ces conditions, 
je le répète, certaines des cellules de levüre qui sont toujours en 
suspension dans la bière, même la plus limpide, viennent vivre à la 
surface du liquide, contre les parois du vase, où elles absorbent l’oxv- 
gene de l'air et dégagent de l'acide carbonique, comme ferait une 
mucédinée quelconque. Souvent même les cellules peuvent s'étendre 
à la surface du liquide et le recouvrir à la manière du »#ycoderma vini; 
mais, à l'inverse de celui-ci, les cellules de la levûre-moisissure, 
submergées dans un liquide nutritif sucré, reproduisent des cellules 
de levüre et la fermentation. 

Il semblerait que les cellules de levüre, placées dans un liquide 
nutritif non sucré, par exemple dans l’eau de levüre, devraient perdre 
leur vitalité ou, tout au moins, leur propriété de provoquer ultérieu- 
rement la fermentation dans les liquides sucrés. Beaucoup de faits 
encore mal expliqués auraient été facilement compris si cette hypo- 
thèse se fût réalisée. Lorsqu'on expose des liquides sucrés au libre 
contact de l'air, surtout dans un laboratoire où se font des travaux sur 
la fermentation alcoolique, on voit naître, dans ces liquides, des pro- 
ductions qui, par leurs formes, leur mode de développement, les dimen- 
sions de leurs cellules, rappellent exactement les formes, le mode de 
développement et les dimensions des cellules de levûre, ou des articles 
plus ou moins allongés de la fleur du vin ou de la fleur de la bière. 
L'origine de ces productions impropres à la fermentation et si habi- 
tuelles dans les conditions dont je parle se concevrait très bien si les 
cellules de la levüre, en s’'épuisant au contact de l'air, en l'absence de 
toute matière sucrée fermentescible, conservaient cependant leur 
faculté de développement, tout en perdant ce je ne sais quoi qui les 
rend propres aux actes de la fermentation. En réalité, je n'ai rien 
observé de semblable, et je suis porté à croire que les productions 
dont il s’agit ne sont que des formes diverses du mycoderma vint. 


nome ct État 


SUR L'EXPÉRIENCE DE GAY-LUSSAC 
RELATIVE AU DÉPART DE LA FERMENTATION DU MOUT DE RAISIN 
PAR L'ACTION DE L'OXYGÈNE DE L'AIR (1) 


+ Tout le monde connaît l'expérience célebre et classique de Gay- 
Lussac sur la nécessité de la présence de l'oxygène pour commencer la 
fermentation alcoolique du jus de raisin (). Gay-Lussac introduit sous 
une cloche à mercure un fragment de grappe de raisin qu'il prive de 
tout l’air pouvant adhérer aux grains et au bois de la grappe, en 
introduisant sous la cloche du gaz hydrogène à plusieurs reprises; puis 
il écrase les grains de raisin ; la fermentation ne se déclare pas, même 
après un très long temps. Elle se manifeste, au contraire, dans les jours 
qui suivent l'introduction d’une petite quantité d'air sous la eloche. 
De là cette conclusion légitime de Gay-Lussac, que l'oxygène est 
nécessaire pour commencer la fermentation du jus de raisin. 

Citons une autre expérience de lillustre physicien : On conserve du 
moût de raisin par la méthode d’Appert. Si l’on vient à transvaser l’une 
des bouteilles de moût, même longtemps après la préparation de la 
conserve, le moût, resté intact jusque-là, ne tarde pas à fermenter dans 
la nouvelle bouteille; c’est que, d’après Gay-Lussac, le moût a touché 
à l'oxygène de Pair au moment du transvasement. 

Nous savons aujourd’hui que l'interprétation donnée par Gay-Lussac 
aux deux expériences qui viennent d’être rappelées est vraie, mais 
incomplète. J'ai montré, en effet, qu'on pouvait conserver du moût de 
raisin, pris dans le grain lui-même, à l’état naturel, au contact de l’air 
pur, sans qu'il entre jamais en fermentation. C’est qu'il y a deux 
conditions essentielles, etnon une seule, comme le croyait Gay-Lussae, 
pour le commencement de la fermentation du moût de raisin : il faut, 
outre la présence de l'oxygène, le germe du ferment qui va se déve- 


1. Bulletin de la Société centrale d'agriculture de France, séance du 23 décembre 1874, 
3° sér., IX, 1873-1874, p. 1047-1049. 

2. Gay-Lussac. Extrait d'un Mémoire sur la fermentation. Annales de chimie, LXXVI, 
ISI0, p. 245-959. (Note de l'Édition.) 


LE 
LE 
a 


ŒUVRES DE PASTEUR 


lopper dans le liquide fermentescible. Dans l'expérience de la cloche, 
les germes de levûüre de raisin sont apportés par la surface des grains 
et de la grappe. L’oxygène est seulement nécessaire à la première 
manifestation de la vie dans ces germes, à leur germination. Dans 
l'expérience du transvasement de la bouteille de moût dans une autre, 
il faut donc, de toute nécessité, qu’au moment de ce transvasement le 
moût rencontre un ou plusieurs germes de la levüre de raisin, sans 
quoi la fermentation ne pourrait pas avoir lieu. Eh bien, d’après 
l'ensemble des résultats déjà publiés de mes recherches, il est impos- 
sible d'admettre qu'en chaque point de l’espace, partout et en tout 
lieu, le moût de raisin sortant d’une bouteille, conservé par la méthode 
d’Appert, rencontre un germe de levûre. Dans mon Mémoire sur les 
générations dites spontanées (!)}, j'ai prouvé, contrairement à l’opi- 
nion généralement admise autrefois, qu'il n’y avait pas continuité, 
dans l’air atmosphérique, de la cause des altérations et des fermen- 
tations des liquides organiques. Pourquoi donc Gay-Lussac assure-t-il 
que l’expérience du transvasement de la bouteille de moût réussit 
toujours? C’est que, le plus souvent, le moût, pendant le transvase- 
ment, rencontre le germe du ferment dans les poussières à la surface 
extérieure du goulot de la bouteille et dans les poussières à la surface 
du verre de la bouteille dans laquelle on le transvase. Lorsqu'on 
fait une conserve de moût de raisin par la méthode d’Appert, on se 
trouve naturellement dans un pays vignoble, à l’époque des vendanges. 
Dans un tel lieu et à un tel moment, tous les objets, tous les vêtements 
sont plus ou moins couverts de germes de levûüre de vin; les mains de 
ceux qui manient les bouteilles, les poussières qui bientôt tombent sur 
celles-ci renferment une foule de cellules de cette levûre. J’ai prouvé, 
d’ailleurs, que la levûre conserve, à l’état de poussière sèche, sa 
faculté de rajeunissement, même après huit et dix mois de séjour dans 
une étuve à 20-25, Quoi de plus naturel, en conséquence, que Gay- 
Lussac, qui ignorait jusqu’à l'existence de la nature du ferment, et qui 
ne prenait aucune précaution pour éliminer les poussières dont je 
parle, ait toujours réussi? 

Maintenant que nous sommes plus éclairés sur la véritable inter- 
prétation de son expérience, il nous sera facile de faire qu’elle réussisse 
ou qu’elle ne réussisse pas, à la volonté de l'opérateur. Pour qu’elle ne 
réussisse pas, essayons d’éloigner le germe de la levûre; à cet effet, 
avant de transvaser le moût, lavons la bouteille extérieurement, coupons 


1. Voër p. 210-294 du présent volume : Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent 
dans l'atmosphère. Examen de la doctrine des générations spontanées. (Note de l'Édition.) 


D pts él 2 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 429 


le bouchon au ras de la cordeline, puis passons la surface du bouchon 
et de la cordeline dans la flamme de la lampe à alcool, retirons le 
bouchon avec un tire-bouchon préalablement passé dans la flamme, 
enfin transvasons le moût dans une bouteille qu’on vient de refroidir, 
sortant de l’eau bouillante, et tout ceci en plein air, au milieu d’un 
jardin et non dans un laboratoire où, comme dans le mien, et proba- 
blement aussi dans celui de Gay-Lussac au moment où il faisait ce 
genre d'expériences, on se livre à des études suivies sur la fermen- 
tation, et où, par conséquent, les poussières à la surface des objets, ou 
qui flottent dans l’air, peuvent contenir beaucoup de germes de levûre 
alcoolique. L'expérience démontre que le transvasement du moût, fait 
dans ces conditions, avec ces simples précautions de propreté el 
d'éloignement de foyers des germes que l’on a intérêt à éliminer, ne 
donne pas lieu à la fermentation du moût dans la nouvelle bouteille. 


SUR LA FERMENTATION DU MOUT DE RAISIN (1) 


J'ai déjà entretenu la Société de lexpérience bien connue de Gay- 
Lussac sur les grains de raisin écrasés sous une éprouvette pleine de 
mercure à l’abri de lair. Ils ne fermentent pas. Ils entrent, au contraire, 
en fermentation quand on fait arriver de l'air. 

J'annonce aujourd’hui à la Société que cette expérience, facile à 
reproduire sur des raisins frais à l’époque de la vendange, ne l'est 
plus du tout quelques mois après, par exemple à l’époque de l’année 
où nous sommes, sur des raisins de la récolte précédente. 

Plus tard, je donnerai l'explication du dernier de ces faits et de la 
différence qu'il présente avec celui que Gay-Lussac avait le premier 
observé. 

Dès aujourd’hui, je dirai que la germination des germes de la levüre 
et de la plante qui la produit, germes qui sont à la surface des grains 
et du bois de la grappe, que cette germination, dis-je, offre les diffé- 
rences les plus profondes, suivant qu’on l’étudie aux deux époques dont 


je viens de faire mention. 


1. Bulletin de la Société centrale d'agriculture de France, séance du 24 février 18%, 
XXXV, p. 157-158. 


NOUVELLES OBSERVATIONS 
SUR LA NATURE DE LA FERMENTATION ALCOOLIQUE 
RÉPONSE A MM. BREFELD ET TRAUBE)] (!) 


J'ai proposé, il y a une quinzaine d'années environ (?), une expli- 
cation physiologique nouvelle de la fermentation, fort différente des 
théories par lesquelles on avait essayé antérieurement de rendre 
compte de ce mystérieux phénomène. Toutes mes études subséquentes 
n'ont fait que me confirmer dans ma manière de voir. L'expression 
la plus prochaine des faits que j'ai observés peut s’énoncer en ces 
quelques mots : la fermentation est la conséquence de la vie sans air, 
de la vie sans gaz oxygène libre. Plus généralement tout être, tout 
organe, toute cellule qui a la faculté d'accomplir un travail chimique, 
sans mettre en œuvre du gaz oxygène libre, provoque aussitôt des 
phénomènes de fermentation. En d’autres termes, la fermentation ne 
serait autre chose que la conséquence d’un mode de vie, d’un mode de 
nutrition ou d’assimilation qui différerait du mode de vie et de nutri- 
tion de tous les êtres ordinaires, par cette circonstance que les com- 
bustions produites par le gaz oxygène libre, et d’où dérivent les 
manifestations de la vie, sont remplacées par la chaleur de décompo- 
sition de substances où l'oxygène est engagé à l’état de combinaison. 
Ces substances sont les substances dites /ermentescibles. 

Cette théorie de la fermentation me fut suggérée par les résultats 
de mes recherches sur la fermentation butyrique, et principalement 
par la circonstance que le ferment butvyrique est un vibrion qui a la 
faculté de se multiplier indéfiniment à l'abri de Pair 

Un jour, en répondant à des critiques de M. Liebig, j'offris de pré- 
parer, en sa présence, un poids de vibrions aussi considérable qu'on 
pourrait le désirer, sans autre matière azotée que celle qui serait tirée 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 22 février 1879, LXXX, p. 452-457. 
2. Voir p. 142-147 du présent volume : Expériences et vues nouvelles sur la nature des 
fermentations. 

3. Voir p. 186-138 du présent volume : Animaleules infusoires vivant sans gaz oxygène libre 


et déterminant des fermentations. (Notes de l'Édition.) 


mie 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 3431 


d'un sel d’ammoniaque et de produits minéraux eristallisés, sans autre 
matière carbonée que celle de la matière fermentescible; enfin j'affir- 
mais que tout ce travail de vie, de prolifération de vibrions, ou de vie 
poursuivie de vibrions déjà formés, s’accomplirait sans le concours de 
la moindre quantité de gaz oxygène libre (1). M. Liebig refusa d'assister 
à cette saisissante expérience et à d’autres du même ordre, devant une 
Commission choisie dans le sein de l'Académie, quoique notre Prési- 
dent, qui était alors M. Faye, eût déclaré que l'Académie était prête à 
faire tous les frais de l'expérience dont je parle. Je suis convaincu que, 
si cette expérience avait été faite, la diséussion à laquelle je vais me 
livrer n'aurait pas été soulevée. 

La théorie nouvelle de la fermentation, dont je viens de rappeler 
l'expression sommaire, fut accueillie à lPétranger avec une grande 
faveur; mais elle a subi, dans ces derniers temps, des objections expé- 
rimentales sérieuses de la part d’un naturaliste fort habile, le D'Oscar 
Brefeld, qui dirige à Würzbourg un grand laboratoire de physiologie 
végétale. Les expériences du D’ Brefeld sont délicatement conduites 
et assez probantes, en apparence, pour qu’elles aient modifié Pétat de 
l'opinion de l’autre côté du Rhin, au sujet de la théorie que j'avais pro- 
posée comme explication des phénomènes de fermentations proprement 
dites. Voici comment s'exprime le D’ Sachs, dans la quatrième édition 
de son Traité de physiologie végétale, ouvrage traduit en français et 
annoté avec un talent remarquable par M. Van Tieghem : 

« Dans l'opinion de M. Pasteur, opinion très répandue depuis ses 
recherches, mais que je n’avais jamais partagée, la levûre peut vivre 
dans des liquides qui ne renferment pas d'oxygène libre en dissolu- 
tion : elle se procure alors l'oxygène nécessaire à sa respiration en 
détruisant des combinaisons chimiques, et c’est précisément ainsi 
qu’elle provoque la décomposition du sucre en acide carbonique, alcool 
et plusieurs autres produits. Mais des recherches récentes, entreprises 
à l’Institut botanique de Würzbourg par M. Brefeld, prouvent que 
cette manière de voir est entièrement dépourvue de fondement. Pour 
s’accroitre, les cellules de levûüre, comme toutes les cellules végétales, 
ont besoin d'oxygène libre, gazeux ou dissous dans le liquide (2). » 

L’accroissement de la levûre, en l'absence du gaz oxygène libre, 
est impossible. Telle est, en effet, la contradiction principale soulevée 

1. Voir p. 361-366 du présent volume : Note sur un Mémoire de M. Liebig, relatif aux fer- 
mentations. 

2. Sacus (J.). Lehrbuch der Botanik. (Vierte umgearbeitete Auflage.) Leipzig, 1874, in-8°, 
p. 294. — M. Van Tieghem a traduit la 3° édition allemande de 1873 sous Je titre : Traité de 


botanique. Le passage cité par Pasteur se trouve dans la 4° édilion allemande de 1874, 
augmentée de 150 pages, non traduite par M, Van Tieghem. (Notes de l'Édition.) 


432 ŒUVRES DE PASTEUR 


par M. Brefeld : « Non, conclut cet observateur, il n’existe pas, sur les 
derniers degrés de l’échelle organique, une classe d'êtres qui, comme 
le pense M. Pasteur, soient capables de vivre d'oxygène à l’état de 
combinaison, de se nourrir, de se multiplier dans des conditions 
d'existence absolument contraires à celles qui sont communes à tout 
le reste des êtres vivants. » 

Le travail de M. Brefeld (!) a paru, au mois de juillet 1873, dans les 
Annales de la Société physique et médicale de Würzbourg. En 1874, 
M. Moritz Traube ®), professeur à Breslau, entreprit des recherches 
analogues à celles de M. Brefeld, et également dans le même but, 
comme il le dit d’une manière expresse, celui de réfuter la théorie 
que j'ai proposée ; mais, chemin faisant, après avoir répété mes propres 
expériences sur le développement de la levûre sans gaz oxygène libre, 
il les trouve exactes et réfute celles de M. Brefeld. Toutefois, il tombe 
d'accord avec ce dernier pour rejeter mon opinion sur la cause de la 
fermentation, parce que, d’après ses expériences, si la levüre peut 
‘vivre, comme je l’ai affirmé, sans gaz oxygène libre, elle ne donne 
lieu, dans cette circonstance, qu'à un commencement de fermentation, 
et si faible même qu'au dire du D' Traube ce sont les corps albu- 
mineux mélangés, et non le sucre, que la levûre, à l'abri de Entre: 
emploie à son développement : « On ne peut donc pas admettre, pour- 
suit-il, que la décomposition du sucre, à Pabri de l’air, soit une consé- 
quence de la vie sans gaz oxygène libre. » 

En résumé, M. Brefeld nie formellement que la levûre puisse vivre 
sans air, et déclare mes expériences erronées. M. Traube assure, au 
contraire, qu'elles sont exactes et me défend sur ce point; mais tous 
deux repoussent l’idée que la vie de la levüre puisse avoir lieu au 
moyen du sucre, en l'absence du gaz oxygène libre. 

M. Brefeld a répondu à .M. Traube, devant la Société chimique de 
Berlin, en maintenant énergiquement l'exactitude de ses expériences 
et de ses conclusions. De son côté, M. Traube (‘), dans une nouvelle 
communication. a de nouveau défendu ses recherches sans aucune 


réserve. 


1. Brerezo (0.). Untersuchungen über Alkoholgährung. Verhandlungen der physik.- 
medic. Gesellschaft zu Würsburg, 1873, p. 163-178, et Berichte der deutschen chemischen 
Gesellschaft, VII, 1874, p. 281-288. 

9, Trause (M. Ueber das Verhallen der Alkoholhefe in sauerstofgasfreien Medien 
Berichte der deutschen chemischen Gesellschaft, VIT, 1874, p. 872-887. 

3. Brereup (0.). Bemerkungen zu der Mitteilung von M. Traube : Ueber das Verhalten 
der Alkoholhefe in sauerstoffgasfreien Medien. Ibid., VIT, 1874, p. 1067-1069. 

4. TRAUBE (M.). Erwiderung auf die Bemerkungen des H. Oscar Brefeld. Ib:a., VII, 1874, 
p. 1756-1799. — Ueber das Verhalten der Alkoholhefe in sauerstoffgasfreien Medien. Nachtrag. 
Ibid, VIII, 1875, p. 1384-1400. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 433 


Le moment est venu pour moi de m'expliquer sur mes expériences 
et sur celles des deux naturalistes allemands. 

Comme il s’agit d’une discussion très sérieuse et sérieusement con- 
duite, j'ai dû ne pas me borner à reproduire sans changements mes 
observations de 1861 et des années suivantes. Je me suis efforcé de 
les simplifier pour les rendre plus décisives par leur clarté et leur 
précision. Aussi vais-je pouvoir montrer, dans une seule et même 
expérience, que M. Brefeld est dans l'erreur, et que l'expérience parti- 
culière sur laquelle M. Traube s'appuie pour contredire mon opinion 
est également tout à fait inexacte. Enfin le même dispositif expéri- 
mental me servira à donner le pourquoi des interprétations erronées 
de mes contradicteurs. 

Je prénds un ballon de verre de plusieurs litres de capacité, 
muni de deux tubulures, lune étirée à la lampe et recourbée, devant 
servir de tube abducteur pour les gaz dégagés pendant la fermen- 
tation ; l’autre droite, à laquelle est soudé un robinet de verre sur- 
monté d’un petit entonnoir cylindrique. Le ballon est rempli d’eau de 
levûre sucrée qu'on fait bouillir de façon à chasser tout l'air dissous, 
pendant que le tube abducteur plonge dans la même solution bouillante 
et dont l’ébullition peut continuer pendant le refroidissement du 
ballon et du liquide qu’il renferme. Le refroidissement du ballon étant 
obtenu, on engage l’extrémité du tube abducteur dans une petite cuve 
pleine de mercure, et l’ensemble est transporté dans une étuve à la 
température de 20 ou 25°. Des expériences directes, faites avec le 
carmin d’indigo décoloré par le précieux réactif de M. Schutzenberger, 
l’hydrosulfite de soude, ont établi que, dans ces circonstances, il ne 
reste pas trace de gaz oxygène dans le liquide sucré. Il s’agit alors de 
mettre en levain le liquide fermentescible sans exposer ce dernier au 
contact de l'air. À cet effet, on provoque dans le petit entonnoir la 
fermentation d’un peu de moût de bière ou d’eau de levûre sucrée, 
avec tous les soins nécessaires pour que cette fermentation soit pure, 
c’est-à-dire pour que la levûre ne renferme pas du tout de germes de 
ferments étrangers. Lorsque la fermentation des 3 ou 4 centimètres 
cubes du liquide sucré est bien en train, on tourne la clef du robinet 
et on laisse écouler quelques gouttes du moût en fermentation dans le 
liquide du ballon, puis on referme aussitôt le robinet, qui reste sur- 
monté d’une bonne partie du liquide fermentant. Dans ces conditions, 
la levûre qui n’a été ajoutée au liquide fermentescible, absolument 
privé d'air, qu'en quantité infiniment petite et impondérable, se déve- 
loppe, en conformité de mes expériences antérieures et en contra- 
diction de celles de M. Brefeld. Le poids qu’on en obtient, la quantité 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 28 


43% ŒUVRES DE PASTEUR 


de sucre décomposé ne dépendent que du volume du liquide fermen- 
tescible. J'ai pu réaliser des expériences de cette nature, par d’autres 
dispositions expérimentales, sur plusieurs hectolitres de moût de bière. 
Comme je l’ai annoncé déjà dans le Bulletin de la Société chimique, 
séance du 12 avril 1861 (1), la fermentation a plus de durée que les fer- 
mentalions qui ont lieu au contact de l’air, mais elle s’achève complè- 
tement, contrairement à l’assertion de M. Traube, qui prétend que la 
fermentation à l’abri de l'air ne fait que commencer pour s'arrêter 
bientôt. 

Toutes les expériences qui me sont opposées par MM. Brefeld et 
Traube sont donc entièrement inexactes. 

Mais comment se fait-il que ces deux physiologistes, qui ont montré 
dans leurs recherches longues et pénibles un vrai talent expérimental, 
et qui, je puis le dire, se sont acharnés à voir juste, se soient trompés 
à ce point? La même expérience que je viens de décrire va nous en 
fournir des raisons plausibles. J'avais eu soin de faire remarquer, dans 
mes expériences de 1861, que, pour mettre en levain les liquides 
fermentescibles privés d’air, il fallait faire usage de levûre jeune : en 
ellet, que, dans notre pelit entonnoir qui surmonte le robinet du ballon, 
on laisse la fermentation s'achever avant de mettre en levain la masse 
du liquide fermentescible du ballon, et l’on verra que la levûre semée 
aura une peine extrême à se multiplier dans le liquide privé d’air 
voila la circonstance qui a induit M. Brefeld en erreur; il doit avoir 
toujours opéré sur une levüre trop vieille pour ce genre d’études. 

Et M. Traube, pourquoi n’a-tl observé, à l’abri de l’air, que des 
commencements de fermentation, et non des fermentations complètes ? 
C'est que, vraisemblablement, il n'avait pas à sa disposition de la 
levûre pure, levûre qui n’est connue que depuis mes recherches de 
ces dernières années. Or on constate que, quand la levüre, semée dans 
des milieux sucrés privés d’air, n’est pas absolument pure, au bout de 
très peu de temps elle se trouve associée à des ferments étrangers 
qui compliquent les phénomènes, font vieillir la levüre alcoolique et 
suspendent son développement. 

Je ne veux pas insister davantage, je ne veux pas m'arrèter à 
montrer, en conformité parfaite avec la théorie que j'ai proposée, que 
la plus grande puissance du ferment (je ne dis pas sa plus grande rapi- 
dité d'action, ce qui est tout autre chose a lieu quand le ferment agit 
à l'abri de l'air; qu'au contraire le minimum de sa puissance se mani- 
feste quand il utilise, pour sa vie, le plus possible de gaz oxygène 


1. Voir Sur les ferments. Bulletin de la Société chimique de Paris, séance du 12 avril 
1861, p. 61-63, et p. 140-141 du présent volume. (Note de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 435 


libre. Ce point capital n’a pas été abordé par mes contradicteurs; il 
n'est donc pas en cause, et je me borne à répéter, en terminant, ce 
que je disais déjà en 1860 : 

L'acte chimique de la fermentation est essentiellement un phéno- 
mène corrélatif d’un acte vital, commençant et s’arrêtant avec ce der- 
nier; il n'y a jamais fermentation alcoolique proprement dite sans qu'il 
y ait simultanément organisation, développement, multiplication de 
globules, ou vie poursuivie, continuée de globules déjà formés (1, 

J'ajoute aujourd’hui, comme en 1861 : la fermentation est la consé- 
quence de la vie sans gaz oxygène libré. Oui, il existe deux sortes 
d'êtres : les uns, que j'appelle aérobies, qui ont besoin d'air pour 
vivre ; les autres, que j'appelle anaérobies, qui peuvent s’en passer. 
Ceux-ci sont les ferments. Quoique pouvant vivre sans air quand on 
leur en refuse absolument, ils peuvent mettre en œuvre, pour les 
besoins de leur nutrition, des quantités variables d'oxygène libre 
quand ils en ont à leur disposition, et ils sont ferments plus ou moins 
puissants dans la proportion inverse des volumes de gaz oxygène libre 
qu'ils peuvent assimiler. Quand leur vie s’accomplit uniquement à 
l'aide du gaz oxygène libre, ils tombent dans la ‘classe des êtres 
aérobies, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus ferments ; inversement, et je 
l'ai déjà annoncé en termes formels à l'Académie (séance du 7 octobre 
1872) ?], quand les êtres aérobies, notamment toutes les moisissures, 
sont placés dans des conditions de vie où il y a insuffisance de gaz 
oxygène libre, ils deviennent ferments, et précisément dans la mesure 
du travail chimique qu'ils accomplissent sans gaz oxygène libre. 

La théorie de la fermentation est fondée, j'en ai la pleine confiance. 
Elle sera établie mathématiquement le jour où la science sera assez 
avancée pour mettre en rapport la quantité de chaleur que la vie de la 
levüre, en l'absence de l’air, enlève pendant la décomposition du sucre, 
avec la quantité de chaleur fournie par les combustions dues au gaz 
oxygène libre lorsque la vie de la levûre s'effectue dans des conditions 
où ce gaz est fourni en plus ou moins grande abondance (*. 


1. Voir p.135 du présent volume. 
2. Voir p. 387-394 du présent volume: Faits nouveaux pour servir à la connaissance de la 
théorie des fermentations proprement dites. 

3. Voir: : Note sur la fermentation à propos des critiques soulevées par les Drs Brefeld 
et Traube. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXIIT, 1876, p. 1078-1079, et 
p. 483-444 du présent volume. 

Dans cette Note, Pasteur annonce à l'Académie que le Dr Brefeld reconnait son erreur el 
celle du Dr Traube. (Notes de l'Édition. 


DISCUSSION A L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 
SUR LA FERMENTATION 
ET LES 
GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


À l'Académie de médecine s'engagea, en février 1875, une longue 
discussion sur la fermentation et les générations dites spontanées, à 
l’occasion d’une Note de M. Albert Bergeron « sur la présence et la 
formation des vibrions dans le pus des abcès ». On trouvera cette discus- 
sion dans le tome VI des Œuvres de Pasteur : « Maladies virulentes. » 
(Note de l'Édition. ) 


SUR LA PUTRÉFACTION DES ŒUFS (!) 
[A PROPOS D'UN MÉMOIRE DE M. GAYON (? 


J 


M. Pasteur présente à la Société un Mémoire de M. Gayon sur la putré- 
faction des œufs. Il s'exprime en ces termes : 


Le Mémoire de M. Gayon renferme plus de 100 pages in-4°, IT a une 
grande importance à divers titres, et particulièrement en raison des 
conclusions auxquelles était arrivé, il y a quelques années, un obser- 
vateur bien connu, homme de beaucoup d’esprit, habitué autrefois, 
par le journalisme, à la critique scientifique, M. Donné. M. Donné (*) 
avait eu l’heureuse idée de faire des résultats des recherches sur la 
putréfaction des œufs le criterium de la vérité dans la question des 
générations dites spontanées. Lui-même se mit à l'œuvre et arriva aux 
conclusions suivantes : 

1° « Les œufs brouillés par l'agitation se putrélient tous; 

2° « La matière décomposée n'offre pas la moindre trace d'êtres 
organisés du règne végétal ou du règne animal, pas la plus petite 
moisissure, pas un seul vibrion; rien enfin d’organisé, d’animé ni de 
vivant, ne se montre au sein de la matière examinée avec le plus 
grand soin au microscope. » 

Les observations de M. Donné étaient, sur quelques points, en 
contradiction avec celles de Réaumur et d’autres savants; en outre, 
elles constituaient une exception à la loi de corrélation qui résulte de 
mes travaux sur les fermentations touchant la cause de la putréfaction. 
J'ai montré, en effet, que la décomposition de la matière organisée 
animale est un acte corrélatif du développement et de la multiplication 
d'êtres microscopiques de la famille des vibrioniens. Les résultats de 


1. Bulletin de la Société centrale d'agriculture de France, XXXV, 17 mars 18%, 
p. 212-215. 

2. Gavon (U.). Recherches sur les altérations spontanées des œufs. (Thèse pour le doctorat 
ès sciences physiques.) Paris, 1875, 102 p. in-4° (1 pl.). 

3. Donwé (A.). Expériences sur l’altération spontanée des œufs. Comptes rendus de l'Aca- 
démie des sciences, LNII, 1863, p. 448-452. Vorr pour les autres travaux de M. Donné sur la 
même question : Zbid., LVIIT, 1864, p. 950-952; LXIIT, 1866, p. 801 et 1072; LXIV, 1867, p.87: 
LXV, 1867, p. 602-605: et LXXV, 1872, p. 521-523. (Notes de l'Édition.) 


Æ 
[LE 
© 


ŒUVRES DE PASTEUR 


M. Donne intéressaient donc un point de doctrine de la plus haute impor- 
tance ; aussi était-il nécessaire de faire de nouvelles recherches dans 
le but de les contrôler, et ce sont ces recherches, faites par M. Gayon 
dans mon laboratoire, qui donnent, ainsi que je l'ai dit plus haut, un 
grand intérêt scientifique à son Mémoire. 

Les recherches de M. Gayon infirment les observations de M. Donné 
et confirment la corrélation que j'ai rappelée tout à l'heure. Il n’est 
pas exact de dire, comme M. Donné, que tous les œufs, lorsqu'ils sont 
brouillés, se putréfient : les uns s’altèrent, mais d’autres restent 
intacts, quoiqu'ils ne soient pas, sans doute, aussi frais qu’au moment 
où ils viennent d’être pondus. En outre, si l’on examine au microscope 
un œuf pourri, on y voit constamment des organismes, de préférence 
des bactéries, à la surface des membranes, tout près de Pair extérieur, 
et des vibrions loin de l'oxygène, au centre. L'ensemble des obser- 
vations faites par l’auteur du Mémoire que j'ai honneur de présenter 
à la Société conduit à cette conclusion importante, que la putréfaction 
dans les œufs, en présence ou en l’absence de l'air, est toujours corré- 
lative du développement et de la multiplication d’étres microscopiques 
de la famille des vibrioniens. 

M. Gayon a recherché d’où peuvent venir ces organismes qui pro- 
voquent la putréfaction, et il a établi, de la manière la plus probable, 
que ces êtres ou leurs germes ont été recueillis par l'œuf pendant sa 
formation et son mouvement dans l’oviducte. M. Gayon a ouvert plu- 
sieurs poules pour rechercher si des organismes venus de l’extérieur 
pouvaient remonter le canal vecteur et jusqu'à quelle profondeur ils 
pouvaient pénétrer. Il a pu constater que, dans les poules qui pondent, 
les organismes qui vivent à la surface du cloaque peuvent remonter à 
des hauteurs variables dans loviducte, jusqu’à 10 et 15 centimètres du 
cloaque. Il en résulte que l'œuf, pendant la formation de ses divers 
éléments, peut recueillir ou non, suivant les circonstances, des orga- 
nismes ou leurs germes, et porter en soi, par conséquent, après la 
ponte, la cause d’altérations ultérieures. On ne saurait comprendre 
autrement la présence, dans les œufs, de certains objets ou organismes 
que l’on y trouve accidentellement. Ainsi, d’après Burdach, on aurait 
trouvé des vers dans les intestins d’embryons, et des entozoaires 
auraient été vus par Eschholz dans des œufs de poule. M. Davaine a 
montré un ver trouvé dans un œuf par M. Chatin. M. Reiset a commu- 
niqué le fait d’une patte de hanneton qu'il a trouvée enveloppée de 
blanc dans un œuf cuit mou (!). M. Gayon a, d’ailleurs, fait une autre 


1. loir, au sujet de ces faits, p. 91 de la Thèse de Gayon. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 439 


expérience qui a le caractère et la force d’une démonstration, pour 
établir que les organismes qui se développent dans les œufs gâtés ont 
pour origine les germes recueillis sur l’oviducte, pendant la sécrétion 
du blanc ou des enveloppes. A laide d’une petite seringue, il à fait 
une série d’injections d’un liquide contenant environ cinq cents bac- 
téries mobiles et immobiles par champ, dans l’oviducte d’une poule 
qu'il avait séparée du coq, afin que l'expérience ne fût point troublée 
par le rapprochement de ce dernier. L'influence de STIREURE a été 
manifeste, car il y a eu beaucoup plus d'œufs pourris après ces injec- 
tions qu il n'y en avait eu avant. 

Tels sont les fait$ principaux qui résultent du travail de M. Gayon 
et sur lesquels j'ai cru devoir appeler l'attention de la Société centrale 
d'agriculture (1). 


1. Voir, à propos de ce Mémoire de M. Gayon, tome VI des Œuvres de Pasteur : Discussion 
sur la fermentation. (Bulletin de l'Académie de médecine, 2 sér., IV, 1875, p. 269-290.) — 
Voir aussi, à la fin du présent volume, Document VIII : Rapport fait par M. Pasteur sur 
l’ensemble des travaux de M. Gayon. (Note de l'Édition.) 


SUR LA FERMENTATION (!) 


A M. Dumas, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. 


Il y a dix-sept ans environ, je vous priais d’annoncer à l’Académie 
que. si l’on dépose quelques cellules de levûüre dans une solution de 
sucre mêlée à un sel d’ammoniaque et aux matières minérales de la 
levüre, la petite plante semée se multiplie, et le sucre fermente (2). Ce 
fait jeta une grande lumière sur la nature de la levûre et sur la fermen- 
tation. La levüre apparaissait comme douée d’une puissance d’orga- 
nisation qu'on était loin de soupçonner, et la fermentation se montrait 
liée à la vie du ferment. La matière fermentescible, de son côté, 
s’offrait comme un des aliments du ferment, l'aliment auquel ce der- 
nier emprunte, pour le moins, tout le carbone qui entre dans sa 
constitution. 

La cause du mystère de la fermentation n’en restait pas moins 
cachée. En effet, si l’on vient à remplacer, dans l'expérience dont il 
s’agit, les cellules de la levüre par les spores d’une moisissure, du 
penicillium glaucum par exemple, on observe exactement les mêmes 
phénomènes de nutrition, sans toutefois que la fermentation du sucre 
se manifeste. 

Pourquoi, dans un cas, la vie d’une des plantes est-elle associée à 
la décomposition du sucre suivant les lois de la fermentation, et pas 
du tout dans l’autre? Depuis l’époque que j'ai rappelée tout à l’heure, 
je ne cesse d’être préoccupé de la solution de ce problème; vous savez 
que je crois la posséder enfin, cette solution, que j'ai indiquée déjà 
en 1861 3. Tous les faits que j'ai recueillis me portent à envisager 
aujourd'hui la fermentation comme la conséquence de la vie sans air 
ou avec insuffisance d’air. 


1. Comptes rendus de l'Association française pour l'avancement des sciences, 4 ses- 
sion, Nantes, séance du 23 août 1875. Paris, 1876, p. 472-474. 

2. Voir Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation alcoolique. Comptes rendus 
de l'Académie des sciences, XLVII, 1858, p. 1011-1013, et p. 31-32 du présent volume. 

3. Voir Expériences et vues nouvelles sur la nature des fermentations. Comptes rendus 
de l'Académie des sciences, LII, 1861, p. 1260-1264, et p. 142-147 du présent volume. (Notes 
de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


Le caractère ferment n’est plus, suivant moi, une propriété inhérente 
à certains organismes, mais l'effet d’un mode de vie et de nutrition 
auquel ceux-ci se trouvent par hasard exposés; el lout être, toute 
cellule qui, à un moment donné de leur développement, peuvent vivre 
sans air, doivent devenir ferments pour celui de leurs aliments capable 
de leur fournir les matériaux oxygénés dont l'être ou la cellule ont 
besoin, ainsi que la chaleur utile au travail chimique qu'ils élaborent. 

Si certains organismes ont mérité d’être distingués, sous le nom de 
ferments, d’autres organismes extrêmement voisins, c'est uniquement 
parce que la vie des premiers peut se prolonger dans les conditions de 
la vie sans air, et qu'il en est résulté des effets considérables, tant par 
leur grandeur que par leur utilité, effets tout spontanés d’ailleurs, qui 
ont appelé lattention sur les agents qui les produisaient. 

Parmi les preuves que j'invoque à l'appui de cette théorie nouvelle 
de la fermentation, une des plus convaincantes assurément est la sui- 
vante : plus on offre d'oxygène libre à la levûre pendant qu’elle agit 
sur le sucre, moins elle en décompose. Le maximum de son effet 
correspond à son état de vie sans intervention de loxygène libre 
ou dissous; le minimum, à la plus grande action possible de ce gaz. 
Jusqu'à présent, toutefois, je n'avais pu réussir à faire que la levüre 
se transformât entièrement en végétal cellulaire aérobie. Quand j'étale 
une solution sucrée fermentescible en très faible épaisseur au contact de 
l'air, et que j'y sème de la levûre, je vois bien celle-ci pulluler avec une 
facilité merveilleuse, et le rapport du poids du sucre décomposé au 
poids de levüre formée diminuer d'autant plus que Pair a un plus libre 
accès; mais une portion du sucre subit toujours l’action du ferment, 
en donnant les produits ordinaires de la fermentation alcoolique. Il y 
aurait un très grand intérêt théorique à pouvoir supprimer cette der- 
nière partie du phénomène. La levûre se trouverait ainsi dépouillée 
complètement de son caractère ferment. Elle deviendrait momenta- 
nément une moisissure proprement dite, une plante aérobie ordinaire, 
qu'il suffirait de submerger plus ou moins à labri de l'air pour lui 
rendre aussitôt, par le fait de son nouveau mode de vie, le caractère 
ferment. Malheureusement, il y a une grande difficulté à entourer, 
pour ainsi dire, chaque cellule de levûre d’une atmosphère d'oxygène, 
de façon à ce que ce gaz soit constamment présent pour tous les actes 
de la vie de cette cellule. On a beau aérer le liquide, l’étaler en couches 
minces au contact de l’air, très promptement la poussière de cellules 
qui recouvre le fond du vase donne une épaisseur sensible à l'œil nu, 
et par conséquent un nombre immense de fois plus considérable que 
l'épaisseur d’une ou plusieurs cellules superposées. Il en résulte que 


412 ŒUVRES DE PAS'REUR 

le gaz oxygène en dissolution dans le liquide peut bien alimenter les 
couches superficielles du dépôt des cellules, mais sans rien fournir à 
celles qui sont plus profondément situées. Dans celles-ci, dès lors, 
s'exerce la vie sans air et la fermentation : voilà pourquoi, sans nul 
doute, je n'avais point réussi encore, comnie je le disais tout à l'heure, 
à rendre la levûre complètemeut aérobie, et à la placer dans les condi- 
ions où son caractère ferment serait supprimé d’une manière plus ou 
moins absolue. Mais si nous remarquons que les effets dont je viens 
de parler sont étroitement liés à la très facile assimilation du sucre par 
la levûre au contact de l'air, nous nous dirons que, si on donnait à la 
levüre pour aliment sucré une matière hydro-carbonée non fermen- 
tescible, ou tout au moins de fermentation lente et difficile, les cellules 
de la levüre pourraient être toujours entourées d'air, grâce à la len- 
teur de leur développement, et qu’alors la levüre pourrait vivre entie- 
rement à la manière des moisissures sans provoquer la fermentation. 

C’est en effet ce qui arrive. 

J'ai reconnu qu'on pouvait faire pousser toutes les sortes de levüres 
alcooliques à la surface des liquides contenant des matières sucrées, 
en présence de l'air, sans que la levüre devint ferment. Elle vit comme 
une moisissure, assimile le sucre et l’oxygène, et dégage de l'acide 
carbonique, comme fait une plante aérobie inférieure ; mais si l’on 
vient à la submerger dans un moût sucré facilement fermentescible, 
aussitôt elle y provoque la fermentation. Je donnerai ailleurs les détails 
des expériences. 

Il serait difficile, ce me semble, de pousser plus loin la démonstra- 
tion que les ferments sont des organismes ordinaires doués seulement 
de la propriété de s’accommoder à des conditions de nutrition autres 
que celles qui sont propres aux plantes ordinaires. J'oserais dire en 
terminant que la fermentation n’est plus un mystere, ou du moins que 
ce qu'il y a d’inexplicable dans ce phénomène est remplacé par le 
mystère de la vie sans air. 

Il est opportun de rapprocher des faits et des considérations de 
cette Note ceux que n'ont offerts le »#ycoderma vini et les moisissures 
vulgaires, ainsi que les résultats qui ont été obtenus, pour la première 
fois, par MM. Lechartier et Bellamy sur les fruits (1). Au sujet de ces 
derniers résultats, je ferai remarquer que quelquefois les fruits à l’état 
naturel, entourés d’air, contiennent déjà de très faibles quantités d’al- 
cool, ce qui ne saurait surprendre. 

1. LecHartmiEer et BELLAMY. Études sur les gaz produits par les fruits. Comptes rendus de 


l'Académie des sciences, LXIX, 1869, p. 356-860. — De la fermentation des fruits. /b74., 
p. 466-469. (Note de l'Édition.) 


NOTE SUR LA FERMENTATION 
A PROPOS DES CRITIQUES SOULEVÉES 
PARLES D" BREFELD ET TRAUBE (1). 


L'Académie n’a peut-être pas oublié que, au mois de février 1875 ?), 
je l'ai entretenue d’une discussion vive, acerbe même et prolongée, 
qui s'était produile devant la Société chimique de Berlin, au sujet de 
mes travaux sur les fermentations. Cette discussion eut lieu entre 
deux physiologistes éminents, le D' Traube et le D O. Brefeld. Tous 
deux combattaient la rigueur de mes expériences, quoique par des 
motifs différents: car ils n'étaient pas d'accord entre eux sur l’inter- 
prétation des faits, particulièrement sur le point de savoir si la vie, 
comme je le soutiens, peut s'accomplir en dehors de toute participation 
du gaz oxygène libre, et s'il est vrai que la fermentation accompagne 
forcément cette manifestation de la vie sans air. 

Lorsque la discussion parut épuisée entre les deux savants natu- 
ralistes allemands, je communiquai à lAcadémie des sciences un 
dispositif expérimental qui me paraissait ne laisser aucune place au 
doute sur la vérité de mes assertions. Je m’efforçai, en outre, de 
mettre le doigt sur certaines omissions graves dans les expériences 
de MM. Brefeld et Traube, d’où provenait, suivant moi, l'erreur de 
leurs conclusions respectives. 

Je suis heureux d'annoncer à l’Académie que je viens de recevoir 
de M. Brefeld une brochure dans laquelle, après avoir exposé de 
nouvelles recherches expérimentales, très soignées, auxquelles il s’est 
livré depuis ma réponse, il déclare, avec une franchise aussi digne 
d’éloges qu’elle est rare, que le D' Traube et lui étaient, en effet, 
tous deux dans l’erreur. Voici, en ce qui concerne cet important 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 8 mai 1876, LXXXII, 
p. 1078-1079. 

2. Voù: Nouvelles observations sur la nature de la fermentation alcoolique. Comptes rendus 
de l'Académie des sciences, LXXX, 1875, p. 452-457, et p. 430-435 du présent volume. (Note 
de l'Édition.) | 


ŒUVRES DE PASTEUR 


= 
res 


débat, la principale conclusion de la brochure toute récente du 
D' Brefeld : 

« Ces résultats, dit-il (résultats obtenus avec le rucor racemosus), 
je les ai confirmés par d’autres sur la levüre de bière. Ils concluent 
en faveur de Pasteur. IL y a développement, comme il le prétend, dans 
un milieu privé d'oxygène, et c’est le sucre qui intervient (et non la 
matière albuminoïde, comme le voulait Traube). 

« Mes expériences antérieures, faites avec toute la rigueur pos- 
sible, m'avaient conduit à regarder les assertions de Pasteur comme 
erronées; mais je m’empresse aujourd’hui de les reconnaître vraies 
et de proclamer le service qu’il a rendu en étant le premier qui ait 
éclairé la marche du phénomène de la fermentation. Par les expériences 
que je viens d'exposer, j'en suis maintenant persuadé (1). » 

S’efforcer de se convaincre soi-même de la vérité qu'on a entrevue 
est le premier pas vers le progrès; persuader les autres est le second. 
Il y en a un troisième, peut-être moins utile, mais fort enviable 
néanmoins, qui est de convaincre ses adversaires. Aussi ai-je éprouvé 
une vive satisfaction à la nouvelle que j'avais ramené à ma manière de 
voir un observateur d’une rare habileté, dans un sujet qui intéresse 


au plus haut point la physiologie cellulaire. 


1. Breerezp (0. Ueber Gährung. ZLandicirthschaftliche Jahrbücher, V, 1816, p. 296. 
(Note de l'Édition.) 


RÉ Sn ot 


DE L'ORIGINE DES FERMENTS ORGANISÉS (1) 


Dans le courant de cette année, il a paru deux brochures ayant pour 
objet la génération dés organismes inférieurs. 

La première est de M. Fremy. Notre savant confrère parait s'être 
proposé seulement de résumer sous une forme nouvelle la part qu’il 
a prise à la discussion qui eut lieu sur l’origine des ferments en 1871- 
1872, devant cette Académie. 

M. Fremy, au cours de la discussion, avait annoncé un long 
Mémoire rempli de faits. J'ai été personnellement très déçu à la 
lecture du Traité de M. Fremy (2). Outre que dans l’ouvrage dont il 
s’agit, mes expériences el les conséquences que j'en ai déduites sont 
présentées le plus souvent d'une manière qu’il ne n’est pas permis 
d'accepter, M. Fremy se borne à déduire à priori de son hypothèse 
favorite une suite d'opinions appuyées sur des ébauches d'expériences 
dont, à mon avis, aucune n’est amenée à l’état de démonstration. Et 
pourtant, quoi de plus clair que l’objet du débat? Je soutiens, par des 
expériences qui n'ont pas été contestées, que les ferments organisés 
vivants proviennent d’êtres également vivants et que les germes de ces 
ferments sont en suspension dans l’air ou à la surface extérieure des 
objets. M. Fremy prétend que ces ferments se forment par la force 
de l’hémiorganisme s’exerçant sur les matières albuminoïdes au contact 
de Pair. 

Précisons par deux exemples : 

Le vin est fait par une levüre, c’est-à-dire par de petites cellules 
végétales qui se multiplient par bourgeonnement. Suivant moi, les 
germes de ces cellules pullulent à l'automne à la surface des grains 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 5 juin 1876, LXXXII, p. 1285- 
1288. — Cette Note est extraite d'un ouvrage qui paraïtra à la librairie Gauthier-Villars, le 17 
du mois courant, ayant pour titre : Études sur la bière; ses maladies: causes qui les pro- 
voquent. Procédé pour la rendre inaltérable. Avec une théorie nouvelle de la fermen- 
tation. (Note de Pasteur.) 

Le texte de cette Note se trouve, avec quelques variantes, dans l'Appendice de l'ouvrage 
qui sera reproduit dans le tome V des Œuvres de Pasteur : « Études sur la bière. » (Note de 
l'Édition.) 

2.-FrReuy. Sur la génération des ferments. Paris, 1875, 218 p. in-8°. (Note de l'Edition.) 


416 ŒUVRES DE PASTEUR 


de raisin et du bois de leurs grappes. Les preuves que j’en donne ont 
la clarté de lévidence. Suivant M. Fremy, les cellules de levûre 
naissent, par génération spontanée, c'est-à-dire par la transformation 
des matières azotées contenues dans le suc du raisin dès qu’on expose 
ce suc au contact de l'air. 

Du sang coule d’une veine, il se putréfie et se remplit promptement 
de bactéries ou de vibrions. Suivant moi, les germes de ces bactéries 
et de ces vibrions ont été apportés par les poussières en suspension 
dans l'air ou répandues à la surface des objets : poussières sur le 
corps de l'animal sacrifié, poussières sur les vases employés, etc. 
M. Fremy prétend, au contraire, que ces bactéries ou ces vibrions 
sont nés spontanément, parce que l’albumine, la fibrine du sang, ont 
en elles-mêmes une demi-organisation qui fait que, au contact de l'air, 
elles se transforment spontanément en ces petits êtres si agiles. 

M. Fremy prouve-t-il son opinion ? En aucune manière ; il se borne 
à affirmer que les choses sont ce qu'il dit qu’elles sont. Sans cesse, 
il parle de l’hémiorganisme et de ses effets ; nulle part on ne trouve 
une preuve expérimentale à l’appui de son affirmation. Il y a cependant 
un moyen bien simple de prouver l’hémiorganisme, et sur lequel, 
M. Fremy et moi, nous sommes lout à fait d'accord. Ce moyen 
consiste à retirer des portions de jus de raisin, de sang ou 
d'urine, etc., de Pintérieur même des organes qui renferment ces 
liquides, en évitant seulement le contact des poussières de lair ou 
de celles des objets. Dans lhypothèse de M. Fremy, ces liquides 
doivent nécessairement fermenter en présence de l'air pur. Pour moi, 
c’est l'inverse qui doit avoir lieu. Voilà bien l'expérience décisive et 
cruciale entre les deux théories. M. Fremy ne conteste pas qu'il y a 
la, entre nos opinions, un criterium de la vérité. Or j'ai publié, le 
premier, des expériences instituées d’après cette méthode si probante, 
en 1863 et en 1872 (1). Le résultat a été celui-ci : dans les vases pleins 
d'air, mais d’air privé de ses poussières, le suc de raisin n’a pas 
fermenté, c’est-à-dire n’a pas donné les levüres du vin; le sang ne 
s'est pas putréfié, c’est-à-dire qu'il n’a donné ni bactéries ni vibrions: 
l'urine n’est pas devenue ammoniacale, c’est-à-dire qu'elle n’a fourni 
aucun organisme. Nulle part, en un mot, la naissance de la vie ne 
s'est manifestée. 


1. Foër Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphérique dans la destruction des 
matières animales et végétales après la mort. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
LVI, 1863, p. 734-740, et p. 165-171 du présent volume. — Nouvelles expériences pour démontrer 
que le germe de la levûre qui fait le vin provient de l'extérieur des grains de raisin. Comptes 
rendus de l'Académie des sciences, LXXV, 1872, p. 781-782, ct p. 385-886 du présent volume. 
Note de l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 447 


En présence d'arguments aussi irrésistibles, M. Fremy répète que 
ces résultats, qu’il déclare être accablants pour sa théorie, s'expliquent 
cependant par cette circonstance que l’air de mes vases, pur au début, 
se modifie tout de suite chimiquement au contact du sang, de l'urine, 
du jus de raisin, que l'oxygène est changé en acide carbonique, et 
que. dès lors, l'hémiorganisme ne peut plus exercer sa puissance. Je 
suis fort surpris de cette affirmation, car M. Fremy ne peut ignorer 
que, dès 1863, j'ai donné des analyses de l'air de mes vases apres que 
ceux-ci furent restés stériles pendant plusieurs jours, pendant dix, 
vingt, trente et quarante jours, aux plus hautes températures de l’atmo- 
sphère, en présence de l'oxygène, souvent même dans des proportions 
presque identiques à celles où on le trouve dans l’air atmosphérique (!. 
Pourquoi M. Fremy n'a-t-il pas cité ces analyses? C'était le point 
capital, essentiel. D'ailleurs, si M. Fremy veut contrôler la vérité de 
son explication, il a un moyen simple de rétablir la pureté de lair dans 
les vases au contact des liquides, c’est de faire passer un courant lent 
et continu d'air pur, jour et nuit, dans ces vases. Or cela je l'ai fait 
cent fois et j'ai reconnu que la stérilité des liquides putrescibles ou 
fermentescibles reste entière. 

L'hémiorganisme est done une hypothèse absolument insoutenable. 

Je serais heureux que la rigueur de mes études, sur le point dont 
il s'agit, püt trouver grâce devant M. Fremy et qu'il leur accordât la 
faveur qui ne leur manque pas à l'étranger. De l’autre côté du Rhin, y 
a-t-il aujourd’hui une seule personne qui soutienne les opinions de 
Liebig dont l'hémiorganisme de M. Fremy n’est qu'une variante ? 


La seconde publication dont j'ai à entretenir l'Académie est du 
célèbre physicien anglais, M. John Tyndall. Elle a été lue à la Société 
Royale de Londres, dans la séance du 13 janvier de cette année (?). 

L’extrait suivant d’une lettre que M. Tyndall m'a fait Phonneur de 
m'écrire, à la date du 16 février dernier, fait connaître à quelle 
occasion ont été entreprises les recherches de l'illustre successeur de 
Faraday à l’Institution royale : 

« Pendant ces dernières années, un certain nombre d'ouvrages 
portant les titres de : Les commencements de la vie; l'évolution ou 
l'origine de la vie, ete., ont été publiés en Angleterre par un jeune 


1. Voir p. 165-171 du présent volume : Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphé- 
rique dans la destruction des matières animales et végétales après la mort. 

2. Tyxpazc. The optical deportment of the atmosphere in relation to the phenomena ol 
putrefaction and infection. Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 
1876, CLXVI. Part [, p. 27-74 [fig.]. (Notes de l'Édition.) 


ms 
2 


ŒUVRES DE PASTEUR 


médecin, le D Bastian. Le même auteur a aussi publié un nombre 
considérable d'articles dans diverses revues et journaux. La manière 
très circonstanciée avec laquelle il décrit ses expériences et le ton 
d'assurance avec lequel il avance ses conclusions ont produit une 
impression immense sur le public anglais comme sur le public 
américain. Ce qu'il y a de plus grave, au point de vue pratique, c’est 
l'influence que ces écrits ont exercée sur le monde médical. Il a 
attaqué vos travaux avec une grande vivacité, et, bien qu'il n'ait 
produit qu'une légère impression sur ceux qui les connaissent à fond, 
il en a produit une très grande, et j'ajouterai très fàcheuse, sur les 
autres. 

« La confusion et l'incertitude ont fini par devenir telles, qu'il y a 
six mois j'ai pensé que ce serait rendre service à la Science, en même 
temps que justice à vous-même, que de soumettre la question à une 
nouvelle investigation. Mettant à exécution une idée que j'avais eue il 
y a six ans, et dont les détails sont indiqués dans l’article du British 
medical Journal, que j'ai eu le plaisir de vous envoyer, j'ai parcouru 
une grande partie du terrain sur lequel s’était établi le D' Bastian, et 
réfuté, je crois, beaucoup des erreurs qui avaient égaré le public. 

« Le changement qui s’est opéré dès lors dans le ton des journaux 
de médecine de l'Angleterre est tout à fait digne de remarque, et 
j'incline à penser que la confiance générale du public dans l'exactitude 
des expériences du D' Bastian a été considérablement ébranlée..…. 

« Je suis dans l'intention de poursuivre ces recherches jusqu’à ce 
que j'aie dissipé tous les doutes qui ont pu s’élever au sujet de 
l’inattaquable exactitude de vos conclusions... » 

Je n’ai pas besoin de dire la vive satisfaction que j'ai éprouvée à la 
lecture de cette lettre, en apprenant que mes études venaient de 
recevoir l'appui des investigations d’un savant, renommé par sa 
rigueur expérimentale autant que par la brillante et pittoresque clarté 
de tous ses écrits. La récompense, comme l'ambition du savant, est de 
conquérir l'approbation de ses pairs ou celle des maîtres qu'il vénère. 

M. Tyndall a observé ce fait remarquable que, dans une caisse dont 
les parois sont enduites de glycérine, et dont les dimensions variables 
pourraient être très grandes, toutes les poussières en suspension dans 
l’air de la caisse tombent et viennent se fixer sur la glycérine, dans un 
intervalle de quelques jours. L'air de la caisse se trouve alors aussi 
pur que celui de nos ballons à deux tubulures. En outre, un faisceau 
de lumière peut indiquer le moment où cette pureté est obtenue. 
M. Tyndall a prouvé, en effet, que le faisceau est visible, pour un æil 
rendu sensible par un court séjour dans l'obscurité, tant qu'il existe 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 449 


des poussières flottantes propres à réfléchir ou à diffuser la lumière 
et qu'il devient, au contraire, tout à fait obseur et invisible quand l'air 
a laissé tomber entièrement ses particules solides. À ce terme, qui 
arrive promptement (en deux ou trois jours, pour une des caisses 
dont s’est servi M. Tyndall), on constate que des infusions organiques 
quelconques se conservent dans les caisses sans éprouver la moindre 
altération putride, sans donner naissance à des bactéries. Celles-ci 
pullulent, au contraire, dans de semblables infusions après un inter- 
valle de deux à quatre jours, si les vases qui les contiennent sont 


exposés à l'air qui entoure les caisses. 


KERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 29 


NOTE AU SUJET D'UNE COMMUNICATION DE M SACC, INTITULÉE : 
« DE LA PANIFICATION AUX ÉTATS-UNIS 
ET DES PROPRIÉTÉS DU HOUBLON COMME FERMENT » (!} 


M. Sacc a communiqué à l'Académie, dans sa séance du 6 décembre 
1875, une Note concernant la panification aux États-Unis (2). Des pra- 
tiques qu'il décrit et au nombre desquelles se trouve celle de l'emploi 
d'une décoction de houblon, l’auteur déduit plusieurs conséquences. 
La plus importante est relative à la prétendue existence d’un ferment 
alcoolique soluble dans les cônes du houblon : 

« La panification par le houblon, dit M. Sacc, diffère done de la 
panification au levain en ce que la fermentation de la farine est 
instantanée, ce qui dispense de la préparation longue, coûteuse et 
incertaine du levain : c'est une pratique qui me semble devoir être 
introduite sur une large échelle en Europe. 

« Maintenant, comment agit la solution de houblon sur la farine ? 
Absolument comme la levüre, mais avec une telle force que son action 
est instantanée. Il y a donc dans les cônes de houblon un ferment 
alcoolique bien plus énergique que celui qui existe dans la levüre de 
bière. Ce ferment est soluble dans l’eau, et, particularité unique dans 
l'histoire des ferments, il résiste à l’action de l’eau bouillante. » 

Voulant savoir à quoi m'en tenir sur ces révélations inattendues au 
sujet des propriétés de la décoction du houblon, je les ai soumises à 
une vérification expérimentale, avec l’aide de M. Chamberland, agrégé- 
préparateur à l’École Normale supérieure, et de M. le Directeur de la 
boulangerie Scipion. 

On a fait de la pâte avec deux portions égales de farine, du poids 
de 2 kg. 500 chacune ; mais l’une a été pétrie avec de l’eau tiède ordi- 
naire, l'autre avec une décoction de houblon préparée comme l'indique 
M. Sacc. Ces deux pâtes ont été placées dans de larges bocaux eylin- 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 10 juillet 1876, LXXXIII. 
p. 107-109. 
2, Ibid., LXXXI, 18%, p. 1130-1131. (Note de l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 451 


driques, en verre, à la température de 25°. Douze heures après, la 
pâte sans houblon avait levé de : centimètre environ en hauteur, celle 
avec houblon n'avait pas changé de volume ; ce n’est que dix heures 
apres qu'elle a commencé à lever. 

Des organismes microscopiques ont apparu en même temps que 
le soulèvement de la pâte dans les deux cas. Ils sont devenus de plus 
en plus nombreux au fur et à mesure que les pâtes levaient. Les deux 
pâtes sont arrivées au même volume maximum au bout de trente-six 
heures. On a noté que les-organismes de la pâte à houblon ont été un 
peu moins variés que ceux de la pâte ordinaire. 

Les pâtes, après s'être affaissées dans les deux bocaux, ont com- 
mencé à lever de nouveau. Le microscope a montré alors les globules 
de levûre de bière ordinaire, 

On a recommencé des expériences comparatives à des tempéra- 
tures moins élevées, de 16 à 20°. Les pâtes ont toujours levé à peu 
près en même temps dans ces nouveaux essais et ont toujours atteint 
sensiblement le même volume maximum. La levûre de bière ne s’est 
présentée qu'accidentellement; généralement, il ne se développe que 
de petits organismes filiformes articulés, mobiles ou immobiles, de 
1 à 2 millièmes de millimètre de diamètre. 

Le levain de la boulangerie Scipion, qui est un levain sans levûre 
de bière, montre des organismes analogues, quoique de structure un 
peu plus uniforme que ceux qui apparaissaient spontanément dans 
nos pâtes et sans mouvements. 

Des pains ont été faits avec les pâtes préparées comme il vient 
d’être dit, cuites en temps voulu. Ils létaient assez mal levés, mais 
différaient très peu les uns des autres. Les pains au houblon avaient 
seulement un peu plus d’amertume et étaient préférés pour ce motif 
par quelques personnes ; d’autres donnaient au contraire la préférence 
au pain sans houblon. 

Nous avons fait de nouveaux pains en nous servant des pâtes des 
expériences précédentes en guise de levain et toujours en pétrissant, 
dans un cas avec de l’eau tiède ordinaire, dans l’autre cas avec la 
décoction de houblon. Tout s’est passé comme dans les expériences 
précédentes, avec cette différence que les pâtes levaient beaucoup 
plus vite, ce qui se comprend aisément, puisque les organismes agis- 
sant comme levain étaient, dès le début, nombreux, adultes et prèts 
pour la multiplication. 

Il a paru probable que, par des répétitions de panification dont la 
première serait spontanée et les suivantes toujours déterminées par 
le levain de l'opération précédente, on arriverait facilement à avoir 


ŒUVRES DE PASTEUR 


eS 
on 
LE 


dans leur nature et leur uniformité les mêmes ferments que dans les 
levains de pâte des boulangeries qui, comme à Scipion, n’emploient 
jamais de levûre de bière. 

Toutes nos expériences conduisent à ce résultat que, contrairement 
aux assertions de M. Sace, le houblon n’a aucune influence pour faire 
lever la pâte, et qu'on ne peut admettre qu'il renferme un ferment 
alcoolique soluble. La pâte lève par suite du développement d’orga- 
nismes microscopiques ; le houblon peut favoriser ou empêécher la pro- 
duction de certains d’entre eux; il donne surtout au pain un peu 
d’amertume qui peut plaire à certaines personnes et à laquelle on doit 
s’habituer facilement. Ce sont là probablement les raisons d’être de 
l'emploi de cette substance dans la panification aux États-Unis. 
N'ayant d’autre but que de nr’éclairer sur l’assertion de M. Sacc, rela- 
tive à l'existence d’un ferment alcoolique soluble, je n’ai pas poussé 
plus loin ces investigations, malgré tout l'intérêt qu’elles peuvent 


offrir au point de vue économique. 


NOTE SUR LA FERMENTATION DES FRUITS ET SUR LA DIFFUSION 
DES GERMES DES LEVURES ALCOOLIQUES ({) 


Dans l'ouvrage que je viens de publier sur la bière et les fermen- 
tations (?), j'ai rendu compte d'expériences faciles à reproduire qui 
prouvent que les germes des levüres alcooliques sont très abondants 
sur les grappes de raisins mûrs, très abondants aussi dans les labo- 
ratoires livrés à des recherches sur la fermentation, rares au contraire 
dans les poussières de l'air atmosphérique extérieur. J'ai établi éga- 
lement que la surface du bois de la grappe est bien plus riche que 
celle des grains eux-mêmes; que par la dessiccation, à la température 
ordinaire, les germes de levüre distribués sur les bois des grappes 
perdent peu à peu, en quelques mois, leur fécondité; enfin que, tant 
que le nouveau raisin n’est pas müûr, la levüre se montre tout à fait 
absente à sa surface. Bien plus, dans leur état de parfaite maturité, les 
raisins sont souvent dans limpossibilité de fermenter quand on les 
écrase par petites parties au contact de l’air. Cette impossibilité, dans 
ces conditions, de la fermentation d’un fruit dont le jus est si éminem- 
ment propre à la fermentation s’observe surtout avec les raisins qui 
ont poussé dans des serres et qu’on récolte au mois d'avril ou de mars; 
on peut la constater en toute saison sur des portions de grappes de 
raisins conservés par la méthode de Thomery. 

On connaît l’industrie de Thomery pour conserver les raisins pen- 
dant plusieurs mois après la récolte. Chaque grappe est détachée du 
cep munie du rameau qui la porte, et celui-ci est introduit dans un 
petit bocal où il y a de l’eau ordinaire avec un morceau de charbon au 
fond. La grappe pend au dehors du flacon. Grâce à l'emploi du charbon, 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 juillet 1876, LXXXIII, 
p. 173-176. 

2. Pasreur. Etudes sur la bière, ses maladies, causes qui les provoquent, procédé pour la 
rendre inaltérable, avec une théorie nouvelle de la fermentation. Paris, 1876, Gauthier- 
Villars, VIII-387 p. in-80 (12 pl. et 85 fig.). Vo: tome V des Œuvres de Pasteur. (Note de 
l’'Édition.) 


ot 


ŒUVRES DE PASTEUR 


l’eau ne se putréfie pas, de telle sorte que le bois de la grappe, les 
grains qu'elle porte et le rameau ne peuvent se dessécher. Les grains 
sont si peu flétris sur leurs grappes qu’on croirait que celles-ci viennent 
d’être cueillies lorsqu'on les livre en boîte pour la vente dans les mois 
d'hiver et de printemps. Dans ces conditions de conservation de 
l'humidité dans le bois de la grappe et dans les grains, la levûre, 
répandue à leur surface, garde assez sa vitalité pour que la fermen- 
tation puisse avoir lieu quand on écrase plusieurs grappes ou fragments 
de grappes; mais parmi ces derniers il en est toujours qui ne fermen- 
tent pas quand on répète plusieurs fois les essais. Pour compléter ces 
observations, j'ai entrepris, avec l’aide de M. Chamberland, agrégé- 
préparateur à l'École Normale supérieure, de nouvelles expériences 
sur les fraises, les cerises, les groseilles. De même que les raisins, ces 
fruits, avant leur maturité, n’ont pas montré de germes féconds de 
levüre alcoolique. Ils ne fermentent pas si on les écrase au contact de 
l'air et surtout ils ne font pas fermenter des jus sucrés dans lesquels 
on les submerge entiers ou écrasés. Des moisissures apparaissent, plus 
ou moins variées, mais pas de levüre proprement dite. Des cellules 
de dematium se montrent constamment comme si cette plante devait 
plus tard être celle d’où sortiront les cellules de levûres alcooliques 
au moment de la maturité. Comme pour les raisins, ces mêmes fruits 
mürs fermentent quand on les réunit en certain nombre. Si l’on opère 
sur ces mêmes fruits plus ou moins isolés, la fermentation se déclare 
ou ne se déclare pas, suivant qu'il y a présence ou absence de germes 
féconds de levüre. 

A l’époque de l'année où nous nous trouvons présentement, les 
germes des levüres alcooliques réapparaissent sur les arbres fruitiers 
et peut-être sur d’autres plantes. Dans une immense ville comme 
Paris, le commerce des cerises, des fraises, des groseilles se fait sur 
une grande échelle. On manipule des fruits de tous côtés; la tempé- 
rature est, en outre, élevée et favorable aux fermentations. L'air des 
rues de Paris doit vraisemblablement contenir en ce moment beaucoup 
de germes de levüres. Si les fermentations constituaient des maladies, 
on pourrait dire que, dans Paris, actuellement, il y a des épidémies de 
fermentations. Voici comment on peut constater facilement la présence 
des germes de levüres dans l'air que nous respirons à Paris en ce 
moment : on expose en plein air, sur une terrasse par exemple (ter- 
rasse de mon laboratoire, rue d’Ulm), un moût sucré, dans des 
cuvettes en porcelaine, peu profondes, à fond plat, bien purgées au 
préalable, par la chaleur, de tous germes d'organismes étrangers. Le 
moût de raisin conservé convient très bien pour ces expériences. Après 


ss 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 455 


vingt-quatre où qua rante-huit heures, on verse le contenu de chaque 
cuvette dans un ballon à long col sortant de l’eau bouillante. Ce trans- 
vasement est indispensable pour bien constater ensuite la fermentation 
du moût. Si le moût restait dans les cuvettes où l’eau d’évaporation 
serait remplacée de temps à autre par de leau qui aurait bouilli, la 
fermentation serait masquée le plus souvent par un développement 
exagéré de moisissures. En opérant sur douze cuvettes de 200 centi- 
mètres carrés de surface environ, et un égal nombre de ballons, par 
un air un peu agilé, on est à peu près sûr d'obtenir la fermentatior 
dans plusieurs ballons, si l'exposition à Pair dure seulement quarante- 
huit heures, ce qui amasse, il est vrai, une assez grande quantité de 
poussières au fond de chaque cuvette. Les levüres qui prennent nais- 
sance le plus ordinairement sont celles qu’on trouve le plus abondam- 
ment à la surface de nos fruits domestiques (S. past., S. apic., S.ellips., 
et une levüre sphérique très voisine du $. ellips.). Le mycoderma vint 
ou cerevisiæ et les torulas aérobies ressemblant aux levûüres sont 
également fréquents, ce qui se comprend aisément, car ce ne sont, 
suivant moi, originairement que des cellules de dematium. 

En hiver, ces expériences ne donneraient pas du tout les mêmes 
résultats et réussiraient rarement. 

On peut encore recueillir les poussières en suspension dans l’atmos- 
phère à l’aide de bourres de coton ou d'amiante, traversées par un 
courant d'air produit par l'aspiration d’une trompe à eau, bourres que 
l’on place ensuite dans des moûts sucrés. Cette disposition laisse à 
désirer. Par l'emploi des cuvettes, les germes de la levüre se prépa- 
rent tout de suite, après leur chute, pour la germination, au contact 
de l'air dissous à saturation dans le moût. Lorsque celui-ci est placé 
ensuite dans les ballons à long col, ce qui supprime lacces facile de 
l'air, les spores des moisissures, génées dans leur développement, ne 
sauraient plus s'opposer efficacement à la multiplication des cellules 
de la levûre, qui, en trois ou quatre jours, est assez développée pour 
qu'il y ait fermentation sensible. Les bourres de coton, plongées dans 
le moût, donnent la fermentation, mais plus rarement, toutes choses 
égales, que si l’on opère avec les cuvettes, comme il vient d’être dit. 
Autrefois, dans des essais répétés, peut-être il est vrai avec des pous- 
sières de l'hiver, je n'avais pas obtenu la fermentation. (Voir mon 
Mémoire de 1862 Sur les générations dites spontanées |\}. 


1. Voir p. 210-294 du présent volume : Mémoire sur les corpuseules organisés qui existent 
dans l'atmosphère. Examen de la doctrine des générations spontanées. (Note de l'Edition.) 


NOTE (1) 
AU SUJET DE LA COMMUNICATION FAITE PAR M. DURIN 
SUR LA FERMENTATION CELLULOSIQUE DU SUCRE DE CANNE) (?) 


M. E. Durin a communiqué, dans la dernière séance, des obser- 
vations nouvelles et très intéressantes au sujet de ce qu'il appelle la 
fermentation cellulosique du sucre de canne. 

Sans vouloir porter un jugement sur les faits remarquables annoncés 
par M. Durin, je prends la liberté, afin de faciliter ses propres 
recherches, de rappeler que, dans une étude déjà ancienne sur la 
fermentation visqueuse et dont je n'ai publié qu'un court extrait en 


: : 450 
Grossissement — —--. 


IS61 (3), ne jugeant pas mes observations suffisantes, j'ai annoncé qu'il 
fallait distinguer deux sortes de fermentations visqueuses, produites 
par deux ferments organisés différents : lun en très petits grains réunis 
en chapelets, l’autre presque de la grosseur de la levûre de bière, en 
cellules de formes plus ou moins irrégulières. Le premier m'a donné 
de la matière visqueuse, de la mannite et du gaz carbonique; le second, 
une matière visqueuse sans mannite. C'est ce second ferment qui doit 
provoquer, suivant moi, le dédoublement annoncé par M. Durin. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 juillet 1876, LXXXIII, 
p. 176 (1 fig.). 

2. Durix. De la fermentation cellulosique du sucre de canne. Zbid., séance du 10 juillet 1876, 
LXXXIII, p. 128-131. 

3. Voir p. 131-135 du présent volume : Sur la fermentation visqueuse ét la fermentation 
butyrique. (Notes de l'Édition.) 


RÉPONSE (1) A M. FREMY 
[SUR LA GÉNÉRATION INTRACELLULAIRE 
DU FERMENT ALCOOLIQUE] (?) 


M. Fremy me demande si j'admets toujours que des fruits qui, 
étant plongés dans le gaz carbonique, donnent de l'alcool et du gaz 
carbonique, selon les observations de MM. Lechartier et Bellamy et les 
miennes propres (%), ne présentent jamais à l’intérieur des cellules de 
levüre véritable. 

Non, certainement, il n’y a jamais de levüre à l’intérieur, à moins 
que l'expérience ne soit mal faite, qu'on n’écrase les fruits sous leur 
poids et que, d’une manière ou de l’autre, on ne fasse pénétrer à l’inté- 
rieur les germes de levüre qui se trouvent à la surface des fruits mûrs. 

Je renvoie, pour le détail des preuves, au Chapitre VI de l'ouvrage 
que je viens de publier, intitulé : Études sur la bière (*). M. Dumas tra- 
vaillait dans mon laboratoire lorsque j'y ai fait ces observations sur 
les raisins, et il les a vérifiées séance tenante à diverses reprises (5). 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 juillet 1876, LXXXIII, 
p. 182. 

2. Frey. Sur la génération intracellulaire du ferment alcoolique. Zb14., p. 180-181. 

3. LECHARTIER et BEeLzLAmy. Étude sur les gaz produits par les fruits. 1b2d., LXIX, 1869, 
p. 396-860. — De la fermentation des fruits. Ib2d., p. 466-469. 

Pasreur. Note sur la production de l'alcool par les fruits. 1bid., LXXV, 1872, p. 1054-1056: 
et p. 401-402 du présent volume. 

4. Voir tome V des Œuvres de Pasteur. 

5. « M. Dumas ne croit pas bien nécessaire de confirmer par son témoignage des obser- 
vations faites par M. Pasteur. Il n'a point oublié la précision singulière avec laquelle toutes 
les prévisions de notre éminent confrère furent confirmées par l'étude attentive des détails 
de ces expériences, qui s'effectuaient pour la première fois dans son laboratoire, à l'époque 
qu'il vient de rappeler. » (Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXIII, p. 182). 
[Notes de l'Édition.] 


FERMENTATION DE L’URINE 


Les Notes sur la fermentation ammoniacale de l'urine, présentées à 
l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine en 1874, 1875 et 
1876, sont placées dans le tome VI des Œuvres de Pasteur : « Maladies 
virulentes. » (Note de l'Édition.) 


DISCUSSION AVEC LE D' BASTIAN 
SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


NOTE SUR L'ALTÉRATION DE L'URINE, 
A PROPOS D'UNE COMMUNICATION DU D' BASTIAN, DE LONDRES (1) 


L'Académie a reçu dans sa dernière séance une Note du D' Bas- 
lian (?), partisan déclaré de la génération spontanée, et dont les écrits 
ont eu cette année même l’honneur d’une réfutation, devant la Société 
Royale de Londres, par le célèbre physicien anglais Tyndall (?). 

Plus heureux que les inventeurs du mouvement perpétuel, les hété- 
rogénistes auront longtemps encore la faveur de provoquer l'attention 
des corps savants. Dans l’ordre des sciences mathématiques, on peut 
démontrer que telle proposition n’est pas et ne saurait être; mais les 
sciences de la nature sont moins bien partagées. Les mathématiciens 
peuvent dédaigner de jeter les veux sur tout Mémoire qui a pour objet 
la quadrature du cercle ou le mouvement perpétuel; la question des 
générations dites spontanées a toujours, au contraire, le privilège de 
passionner l'opinion publique, parce qu'il est impossible, dans l’état 
actuel de la Science, de prouver, à priori, que la manifestation de la 
vie ne peut avoir lieu de prime-saut, en dehors de toute vie antérieure 
semblable. 

Qu'un observateur quelconque annonce avoir découvert un dispo- 
sitif propre à faire naître la vie spontanée, il peut être assuré de la 
prompte adhésion de tous les adeptes systématiques de sa doctrine, et 
d'éveiller le doute parmi ceux qui n’ont acquis qu’une connaissance 
plus ou moins superficielle du sujet. Les travaux dont je parle seront 
plus remarqués encore si l’auteur se présente, comme c’est le cas 
du D Bastian, avec une situation élevée, un talent de dialectique et 
d'écrivain et des recherches consciencieuses. 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 juillet 1876, LXXXIII, 
p- 176-180. 

?. Basrrax (H.-Ch.). Influence des forces physico-chimiques sur les phénomènes de fer 


mentation. Zbid., séance dn 10 juillet 1876, LXXXIII, p. 159-161. 
3. TyxoaLc. Loc. cit. (Notes de l'Édition.) 


160 ŒUVRES DE PASTEUR 


Voilà bientôt vingt années que je poursuis, sans la trouver, la 
recherche de la vie sans une vie antérieure semblable. Les consé- 
quences d’une telle découverte seraient incalculables. Les sciences 
naturelles en général, la médecine et la philosophie en particulier, en 
recevraient une impulsion que nul ne saurait prévoir. Aussi, dès que 
j'apprends que j'ai été devancé, j’accours auprès de l’heureux investi- 
gateur, prêt à contrôler ses assertions. Il est vrai que j’accours vers 
lui plein de défiance. J'ai tant de fois éprouvé que, dans cet art difficile 
de lPexpérimentation, les plus habiles bronchent à chaque pas et que 
l'interprétation des faits n’est pas moins périlleuse ! 

Voyons si le D' Bastian a su triompher de ces deux écueils. On 
pourrait le croire, à lire le titre inattendu de sa communication 
Influence des forces physico-chimiques sur les phénomènes de fermen- 
tation, et les passages suivants que j'en extrais textuellement : 

« Mes observations, dit-il, ont été faites sur de l'urine portée à 
l'ébullition, soustraite à l’influence de tout germe atmosphérique, et 
qui, par conséquent, dans la théorie des germes, devrait rester 
stérile. Pour déterminer la production des bactéries dans cette urine, 
j'ai fait intervenir, comme influence chimique, la potasse et l'oxygène, 
et, comme influence physique, une température de 122° F. (50° C.). » 

L'auteur termine son travail par cette déclaration : 

« Il résulte donc des expériences que je viens d’analyser que la 
fermentation de lPurine est absolument indépendante des germes qui 
peuvent exister dans Pair. » 

Je m’empresse de déclarer que les expériences de M. le D' Bastian 
sont, en effet, très exactes; elles donnent, /e plus souvent, les résultats 
qu'il indique; j'ajoute même qu'il est tout à fait inutile d'opérer, 
comme il le fait et comme il paraît croire que cela est nécessaire, à la 
température de 50° C. Dans la saison actuelle, de 25 à 30° et même 
au-dessous, l'urine bouillie, rendue alcaline par une solution aqueuse 
de potasse, au sein d’une atmosphère d’air pur, se remplit d’orga- 
nismes, bactéries et autres. Si M. Tyndall, comme l’assure le D' Bas- 
Lian, a cru que cela n’était pas, c’est simplement un oubli de sa part. 
Le D' Bastian ne peut ignorer, en effet, que les expériences qu’il vient 
de communiquer à l'Académie, ou du moins des expériences abso- 
lument du même ordre, ont été faites par moi et publiées pour la 
première fois dans mon Mémoire de 1862 intitulé : Sur les corpuscules 
organisés qui existent dans l'atmosphère, examen de la doctrine 
des générations spontanées (!). Je démontre dans ce Mémoire, de la 


1. Voir ce Mémoire p. 210-294 du présent volume. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 461 


page [253] à la page [259], que les liquides acides, qui deviennent stériles 
dans tous les cas par une exposition préalable de quelques minutes à 
100, sont, au contraire, féconds si on leur communique une faible 
alcalinité. 

La nouveauté que le D° Bastian introduit dans son travail, en 
recourant à une température de 50° C., n’est qu'apparente, puisque 
cette condition est tout à fait superflue. Il n’y a donc, entre M. Bastian 
et moi, qu'une différence dans l'interprétation d'expériences qui nous 
sont maintenant communes. 

M. Bastian dit : « Ces faits prouvent la génération spontanée ». Et 
moi je réponds qu'il n'en est rien, qu'ils démontrent seulement que 
certains germes d'organismes inférieurs résistent à la température de 
100°, dans les milieux neutres ou légèrement alcalins, sans doute 
parce que leurs enveloppes ne sont pas, dans ces conditions, pénétrées 
par l’eau, et qu’elles le sont, au contraire, si le milieu où on les chauffe 
est légèrement acide. Je rappellerai à ce propos que les ouvriers de 
la ville de Rouen (!}, ainsi que nous l’a appris M. Pouchet, non suspect 
assurément en pareille matière, ont remarqué que certaines graines 
exotiques attachées aux brins de laine venant du Brésil germent après 
quatre heures d'exposition à la température de l’eau bouillante; et 
M. Pouchet a prouvé que, toutes les fois que la germination avait lieu 
à la suite d’une ébullition si longtemps prolongée, c’est que les graines 
avaient conservé leur volume, leur enveloppe dure et cornée, n'avaient 
pas été pénétrées, en un mot, par l’eau ou la vapeur; dans tous les 
cas contraires, la germination devenait impossible (?). Pour ce qui est 
des germes disséminés dans les poussières en suspension dans Pair 
atmosphérique ordinaire, j'ai prouvé directement qu’ils périssent dans 
un milieu acide à 100°, mais qu'ils restent féconds dans ce milieu rendu 
alcalin. (Lire à ce sujet pages [258-259] de mon Mémoire précité.) Ils 
n'y périssent que de 100 à 1109. Les faits suivants porteront la convic- 
lion dans tous les esprits. 

Le D" Bastian veut-il s'assurer, en effet, de l'erreur de l’interpré- 
tation qu'il donne à mes résultats confirmés par les siens? Il le peut 
aisément : il obtient des bactéries en saturant de l'urine bouillie par 
une dissolution de potasse. Je linvite simplement à faire tomber dans 
l'urine, non pas de la potasse en dissolution aqueuse, mais de la 
potasse solide après qu’elle aura été portée au rouge ou seulement à 
110°. Jamais son expérience ne réussira, c’est-à-dire qu'il ne se formera 


1. « Elbeuf », dans le texte de Pouchet. 
2. Poucxer. Expériences comparées sur la résistance vitale de certains embryons végétaux. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXIII, 1866, p. 939-941. (Notes de l'Edition.) 


162 ŒUVRES DE PASTEUR 


plus du tout de bactéries dans l'urine exposée à 30, 40 ou 50°. La 
conclusion qu'il a déduite de nos expériences communes est done 
absolument inadmissible, car il serait absurde de prétendre que le 
primum movens de la vie est dans la potasse caustique fondue. Telle 
est l’expérience décisive dans le sujet qui nous occupe. En un mot, je 
prie M. le D° Bastian d’éloigner simplement les germes de bactéries 
que peut contenir la solution aqueuse de la potasse qu’il emploie. Si 
le D' Bastian devait éprouver quelque difficulté, par suite du dispositif 
expérimental dont il se sert et qu'il ne décrit pas, à faire rougir au 
préalable la potasse avant de la faire tomber refroidie et solide dans 
l’urine, qu'il se serve encore de la dissolution aqueuse de potasse, 
mais, au lieu de la chauffer à 100, qu'il la chauffe à 110°. Cette fois 
encore il aura la stérilité dans tous les cas, s’il opère rigoureusement. 
Enfin, si le D° Bastian conserve encore des doutes, qu'il supprime la 
condition de l’ébullition préalable de l'urine. Chose assurément remar- 
quable, quoiqu'elle ne fasse que confirmer une de nos assertions au 
sujet de l'urine normale de l'homme sain, on a encore la stérilité de 
l'urine rendue alcaline en laissant tomber un morceau de potasse solide 
en poids déterminé dans de l'urine absolument normale sortant de la 
vesste, recueillie avec les précautions que j'ai indiquées au Chapitre HI 
de mon récent ouvrage sur la bière !}, pour éviter le contact des 
germes de l'air atmosphérique. 

M. le D' Bastian cherche consciencieusement la vérité. L’alternative 
dans la conclusion est maintenant impossible. J’ai le ferme espoir qu'il 
abandonnera sa croyance à la génération spontanée et aux preuves 


qu'il croit en avoir données. 


M. Pasteur se plait à reconnaître, en finissant, qu'il lui aurait été 
difficile de mener à bonne fin les expériences précédentes s'il n'avait eu le 
secours actif et intelligent de M. J. Joubert, professeur de physique au 
collège Rollin, et de M. Ch. Chamberland, agrégé-préparateur à l'Ecole 
Normale supérieure. 

M. Pasteur expose ensuite de vive voix des observations qui démon- 
trent que l'urine d’un homme sain ne renferme aucun germe d'organismes 
étrangers à sa nature, mais que dans la plupart des cas, au moment de son 
émission, elle rencontre diverses sortes de germes, soit à l'extrémité du 
canal de l’urètre, soit dans l’atmosphère extérieure voisine de ce canal. 
M. Pasteur décrit également les appareils très simples qui lui ont servi à 
répéter les expériences du D' Bastian, de manière à obtenir les résultats 
décisifs qu'il vient de faire connaître. 


1. Pasreur. Etudes sur la bière, Paris, 1876, in-So. Voir tome V des Œuvres de Pasteur. 
Note de l'Édition.) 


KFERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 463 


SUR L'ALTÉRATION DE L'URINE. 
RÉPONSE A M. LE D: BASTIAN (!) 


La réponse du D’ Bastian (?) est à côté du point en discussion, tel 
qu'il l’a soulevé lui-même. 6 

Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire à l'Académie dans la séance 
du 17 juillet (?), les faits avancés par le D' Bastian, huit jours aupara- 
vant, sont exacts. Ces faits sont la reproduction, sous une autre forme, 
d'expériences consignées pour la première fois dans mon Mémoire 
des Annales de chimie et de physique en 1862 (#). Puisque je suis 
entièrement d’accord avec M. le D' Pastian sur le résultat de son 
expérience, notre dissentiment ne porte que sur l'interprétation qu'il 
faut donner à cette expérience. 

Cela posé, ma Note du 17 juillet devait avoir et a eu pour but de 
reproduire l'expérience dont il s’agit, de facon à montrer au D' Bastian 
que l'interprétation qu'il adopte est absolument inadmissible et 


démentie par l'expérience elle-même, quand celle-ci est conduite en 
vue de cette conséquence. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 août 1876, LXXXIII, p. 377- 
378. 

2. Basrrax. Note sur la fermentation de l'urine, à propos d'une communication de 
M. Pasteur. Zbid., séance du 31 juillet 1876, LXXXIIT, p. 362-368. 

Dans cette Note le Dr Bastian dit : 

« Pour interpréter le fait, admis par M. Pasteur, que l'urine, rendue stérile par l'ébulli- 
tion, peut entrer en fermentation par l'addition d’une quantité déterminée d'une solution de 
potasse préalablement portée à 100°, il se contente d'affirmer que quelques germes de bactéries 
peuvent survivre dans cette liqueur caustique, même à la température d'ébullition. 

« Cette hypothèse, assez incroyable par elle-même, a été absolument réfutée par un grand 
nombre des expériences que j'ai faites cette année. Ces expériences ont démontré que la solution 
de potasse bouillie peut fertiliser l'urine rendue stérile, seulement quand on l'emploie dans 
une proportion correspondant à l'acidité et à la quantité exacte de liquide soumis à l'expé- 
rience… Je prierai M. Pasteur de vouloir bien donner une démonstration directe de ce fail, 
que des germes de bactéries peu vent survivre dans un liquide aussi caustique que la solution 
de potasse faite dans les proportions pharmaceutiques, quand elle est portée, même pour 
quelques instants, à une température de 100. 

« Je signalerai également à l'Académie ce fait, que l'urine fraiche el acide fermente après 
l'ébullition, sans l'addition de solution de potasse, mais seulement sous l'influence vivement 
provocatrice de la température de 50°, quand son acidité n'est pas très prononcée, c'est-à- 
dire quand elle peut être neutralisée par une quantité de solution de polasse ne dépassant pas 
Il 5 pour 100. Ces liquides bouillis ne peuvent contenir des germes de bactéries vivants. » 

3. Voir la Note qui précède. 

4. Voir ce Mémoire p. 210-294 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


16% ŒUVRES DE PASTEUR 


Voici ma démonstration : si l'urine rendue alcaline donne des bac- 
téries SANS CONTENIR DE GERMES FÉCONDS DE CES ORGANISMES, il est de 
toute évidence que, pour le succès de l'épreuve, il importe peu, d’une 
part, que l'urine ait été neutralisée par de la potasse en solution ou 
par de la potasse solide qu'on vient de faire fondre, et, d’autre part, 
que l'urine ait été recueillie au sortir de la vessie (avec assez de pré- 
cautions pour n'être pas souillée par les poussières extérieures), ou 
prise dans un vase quelconque. 

Or, les expériences de ma Note du 17 juillet démontrent : 1° que 
l'urine bouillie, rendue alcaline par de la potasse solide, ne produit 
plus de bactéries : 2° que l'urine fraîche, sortant de la vessie, sans ébul- 
lition préalable et saturée de même, n’en produit pas davantage. 

L'interprétation donnée par M. le D' Bastian aux faits qu'il a avancés 
est donc absolument erronée. Voilà ce que ma Note du 17 juillet avait 
pour but de démontrer et ce qu'elle démontre incontestablement. 

Si M. le D° Bastian veut entamer le débat sur d’autres points, je ne 
m'y oppose pas. Toutefois, je demande qu'il reconnaisse d’abord que, 
sur celui-ci, qu'il a lui-même soulevé, il s’est complètement trompé. 
Agir autrement, ce serait éterniser la discussion sans l’éclairer. 


NOTE SUR L'ALTÉRATION DE L'URINE, 
A PROPOS DES COMMUNICATIONS RÉCENTES DU Dr BASTIAN 


(AVEC LA COLLABORATION DE M. JOUBERT) {1} 


L'Académie n'a pas oublié peut-être que, dans la séance du 10 juil- 
let dernier, le D° Bastian, professeur d’Anatomie pathologique à 
l'University College de Londres, a annoncé avoir découvert les condi- 
tions physico-chimiques nécessaires et suffisantes pour la génération 
spontanée de certaines variétés d'organismes microscopiques du genre 
bactérie (2). L'expérience qui, d’après le savant anglais, réalise ces 
conditions, est fort simple : elle consiste à neutraliser exactement 
par une solution de potasse de l'urine privée de tout germe d'organismes, 
et à exposer le mélange à une température de 50°. Dans ces conditions, 
certaines variétés de bactéries apparaissent promptement. 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 8 janvier 1877, LXXXIV, 


p. 64-66. 
2, Basrrax. Loc. cit. (Note de l'Edition. 


DA D ÉÉR 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 65 


Le D°Bastian ne s'est pas mépris sur la portée de ses conclusions. 
Pour tous ceux qui sont attentifs au mouvement médical, il est sen- 
sible que le débat relatif à la génération spontanée s’est transporté 
dans le domaine de l’étiologie des maladies contagieuses. 

J'ai répété immédiatement l'expérience du D' Bastian, et j'ai mon- 
tré, entre autres choses, qu'il suffisait de déterminer la saturation de 
l'urine par de la potasse solide au lieu de potasse en dissolution 
aqueuse (ce qui ne modifie en quoi que ce soit les conditions physico- 
chimiques dont il s’agit), pour que le mélange reste parfaitement 
stérile. J'ai conclu dès lors que l'interprétation donnée par le D' Bas- 
tian à son expérience était tout à fait inadmissible. 

M. Bastian a répliqué (1). Il ne conteste pas du tout la légitimité 
de mon raisonnement, mais il affirme que j'ai dù mal reproduire son 
expérience, et dépasser le point exact de la neutralisation de l'urine. 
Telle est, suivant lui, la cause de la stérilité du liquide entre mes 
mains. 

La question se trouve donc limitée à la connaissance de ce point : 
ai-je fait autre chose que de remplacer la potasse en solution par de la 
potasse fondue, et notamment ai-je dépassé le point de saturation de 
l'urine, et y a-t-il quelque inconvénient à le faire ? 

J'ai examiné le débat réduit à ces ter mes, conjointement avec 
M. Joubert, avec toute l’attention dont nous sommes capables l’un et 
l’autre, et nous pouvons déclarer à l'Académie, sur la foi de nouvelles 
expériences, que la neutralisation exacte de l'urine par de la potasse 
solide qu'on vient de faire fondre laisse l'urine stérile. Nous ajoutons, 
quoique cela ne soit pas indispensable, qu'il n’y a aucun inconvé- 
nient, pour la fertilisation de celle-ci, dans l'expérience du D' Bastian, 
à dépasser le point de neutralisation, même sensiblement (2). 

La conclusion de ma Réponse du 17 juillet dernier 


est donc irrépro- 
chable ; par suite, il n’est point exact que le D' B 


astian ait trouvé les 
conditions physico-chimiques de la génération Spontanée des bactéries. 


Nous avons examiné expérimentalement, avec non moins d’atten- 


tion, tous les autres points traités par le D'B 


astian dans ses publica- 
ions des 31 juillet et 21 août, postérieures 


à sa Note originelle du 


10 juillet. Nous sommes prêts à les discuter ; mais, comme ils pour- 


1. Basriax. Nole sur la fermentation de l'urine, à propos d'une communication de 
M. Pasteur. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 31 juillet 1876, LXXXIII, 
p. 362-363. — Sur la fermentation de l'urine, Ibid. séance du 21 août 1876, LXXXIII, p. 4$8- 
490. (Note de l'Édition.) 


2. Il n'est pas inutile de dire ici que, contrairement à ce que l’on admet généralement, 
se décompose à 100° et même à des températures 
bien inférieures. Le produit de la décomposition est le 


l'urée en solution aqueuse ou dans l'urine 


carbonate d'ammoniaque. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATDIONS SPONTANÉES. 90 


466 ŒUVRES DE PASTEUR 


raient distraire l'attention du point vif du débat, nous y reviendrons 
plus tard s’il y a lieu. Une seule chose importe en ce moment, c’est de 
savoir si le D° Bastian est toujours convaincu que l’urine neutralisée 
exactement par la potasse donne des organismes microscopiques. 

Ce que nous venons de dire de l'influence de la potasse solide peut 
se répéter pour la potasse en solution après qu'elle a été portée à 
1109, Mais nous désirons répondre aujourd’hui au D' Bastian unique- 
ment par les faits relatifs à la potasse solide qui suffisent, à eux seuls, 
pour condamner les conclusions qu'il a déduites de ses expériences. 

Le lecteur fera sans doute la remarque que, dans la rédaction qui 
précède, nous avons évilé avec un soin scrupuleux de prononcer le 
mot de germe, et d'opposer une doctrine à une doctrine. Il s’agit d’un 
fait : oui ou non, l'urine qui a bouilli de façon à être stérile, et mieux 
encore l'urine fraiche, naturelle, sortant de la vessie, n'ayant subi 
aucune ébullition préalable, donne-t-elle à 50° des organismes après 
qu'on l’a neutralisée par la potasse ? M. le D Bastian dit oui, et c’est 
la sa prétendue grande découverte. Nous disons non, et nous le 
démontrons en prouvant que M. le D' Bastian eût obtenu un résultat 
absolument contraire à celui qu'il a annoncé, s’il se fût servi de la 
substance KO,HO, qui seule, dans l'espèce, quand elle est pure ou 
seulement associée à des matières minérales en petite quantité, a le 


droit exclusif d’être appelée potasse. 


RÉPONSE A M. LE D" BASTIAN (!) 


M. le D' Bastian, répondant à la communication que j'ai faite le 
S janvier en collaboration avec M. Joubert, a adressé à l’Académie, 
lundi dernier, une longue Note où il s’est encore appliqué, suivant 
moi, à éluder le point vif du débat (). Dans notre communication du 
S janvier (%), il y avait un mot d’une signification capitale : c'était celui 
de potasse pure. Or, chose surprenante, dans la réponse de trois pages 
du D' Bastian, il n'y a pas même une allusion à cette condition de 


purelé, qui était tout. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 29 janvier 1877, LXXXIV, 
p. 206 

2. Bastran. Sur la fermentation de l'urine. Réponse à M. Pasteur. 1bid., séance du 
22 janvier 1877, LXXXIV, p. 187-190. 

3. Voir la Note qui précède. (Notes de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 467 


Je vais faire une nouvelle tentative pour ramener le savant anglais 
à ce criterium, auquel il ne saurait échapper, quoi qu'il fasse. 

La discussion a été soulevée par cette affirmation qui lui est propre : 
Une solution de potasse bouillie fait naître des bactéries à 50° dans 
l'urine stérile, après qu'on l’a ajoutée à celle-ci en quantité voulue 
pour la neutralisation exacte. Le D' Bastian a conclu qu'il avait 
découvert ainsi les conditions physico-chimiques de la génération 
spontanée de certaines bactéries. 

Voici ma réponse au savant professeur d’Anatomie pathologique de 
Londres : 

Je mets au défi le D' Bastian d'obtenir, devant des juges compé- 
tents, le résultat que je viens de rappeler, avec de l'urine stérile, à la 
seule condition que la solution de potasse qu’il emploiera sera pure, 
c'est-à-dire faite avec de l'eau pure et de la potasse pure, l'une et 
l'autre exemptes de matières organiques. Si le D' Bastian veut se servir 
d'une solution de potasse impure, je l’autorise encore parfaitement à 
la prendre telle et quelconque, dans la pharmacopée anglaise ou 
ailleurs, très diluée ou concentrée, à la seule condition que cette solu- 
tion sera portée préalablement à 110° pendant vingt minutes ou à 
130° pendant cinq minutes. 

C'est assez clair, ce me semble, et M. Bastian me comprendra cette 


fois. 


SUR LES GERMES DES BACTÉRIES EN SUSPENSION 
DANS L'ATMOSPHÈRE ET DANS LES EAUX 


(AVEC LA COLLABORATION DE M. JOUBERT) [1] 


Parmi les organismes microscopiques. il n'en existe probablement 
pas de plus répandus que les bactéries, à la surface du globe. Il suffit 
de se reporter aux expériences faites il y a plus de quinze ans déjà, par 
l’un de nous, au sujet de la génération dite spontanée, pour être con- 
vaincu que les poussières, en suspension dans les couches inférieures 
de l'atmosphère, ou répandues à la surface de tous les objets, contien- 
nent toujours des germes de ces organismes. 


1. Comptes rendus de l’'Acadÿmie des sciences, séance du 29 janvier 1877, LXXXIV, 
p. 206-209. 


ŒUVRES DE PASTEUR 


Les eaux des fleuves et des rivières en sont constamment souillées, 
puisque la plus petite mare d’eau croupie en renferme par myriades, 
et que sans cesse les poussières atmosphériques en déposent sur le 
sol où les eaux de pluies les prennent et les rassemblent, toujours 
féconds pour la plupart; car les germes de ces organismes opposent 
une telle résistance à la destruction, qu'ils peuvent affronter le froid 
et le chaud, l'humide et le sec, et même des températures de 100 et 
quelques degrés dans des milieux neutres ou alcalins. Certains d’entre 
eux ne sont pas encore détruits à 120°, à l’état sec. Des expériences 
précises, confirmées par de nombreux observateurs allemands et 
anglais, ont démontré l'exactitude de ces principes, exposés d’abord 
dans le Mémoire publié en 1862, sur la question des générations dites 
spontanées (1). 

Aussi, qu'elles sont nombreuses et difficiles à éviter les illusions, 
les causes d'erreur qui attendent un observateur, même avisé, lorsqu'il 
aborde le problème de l’origine de la vie, avec l’idée de découvrir dans 
l'apparition des bactéries les preuves de la doctrine de l’hétérogénese ! 
’armi tous les adeptes passés et présents de cette doctrine, quel est 
celui qui n’a pas succombé sous les coups de ces êtres invisibles, les 
plus petits de la création? Ce sont encore quelques-unes des espèces 
de ce groupe, qui viennent de faire descendre le D' Bastian des hau- 
teurs où il s'était placé pour annoncer avec éclat à l’Académie qu'il 
avait enfin découvert les vraies conditions physico-chimiques de la 
généralion spontanée, par la simple addition d’une solution de potasse 
bouillie à de lPurine stérile jusqu’à neutralisation, puis portant le 
mélange à 50° C. Le D° Bastian, malheureusement, n’a pas pris garde 
aux germes de bactéries que la température de 100° C. est impuissante 
à détruire, parce que le liquide où il chauffe ces germes est alcalin. 
Voir Pasreur, Mémoire de 1862) [p. 253 à 2591. 

La discussion pendante avec le D'° Bastian nous a déterminés à 
entreprendre un travail étendu au sujet des germes des organismes 
iiférieurs que les eaux peuvent contenir; nous venons en présenter à 
l'Académie les premiers résultats ® 

1. Vour p. 210-294 du présent volume : Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent 
dans l'atmosphère. (Note de l'Edition.) 
», Un très habile exp'rimentateur, le Dr Burdon-Sanderson [The origin and destruction 


of microzvmes (bacteria) in water, aud the circumstances which determine their existence in 
{h> tissues and liquids of the living body. Quarterly Journal of Microscopical Science, 
323-352 (fig. )l a déjà, en 1871, fait des expériences directes avec divers liquides, 


n.ser., XI, 1871, p.32 
et notamment avec la solution dite de Pasteur (Pasteur's solution :: (artrate d'ammoniaque, 


sacre, cendres de levûre), expériences qui établissent la présence des germes de bactéries 
dans les eaux de Londres et dans certaines eaux distillées. I1 a cru mème prouver, contrai- 
rement aux faits pourtant si précis de mon M“moire de 1862, mais qui paraissent lui avoir 
cchappé, que les poussiéres en suspension dans l'atmosphère ne contenaient pas de germes de 


her. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 469 


1° Les germes de bactéries sont si nombreux dans certaines eaux. 
l’eau de la Seine par exemple, qu'une goutte de cette eau, prise en 
amont et à plus forte raison en aval de Paris, est toujours féconde et 
donne lieu à des développements de plusieurs espèces de bactéries, 
parmi lesquelles il en est dont les germes résistent à plus de 100° à 
l’état humide, dans les milieux qui ne sont pas acides, et à 130° pen- 
dant plusieurs minutes, dans l'air sec. Ces derniers germes sont 
identiques à ceux déjà étudiés dans le Mémoire précité de 1862, pro- 
venant des poussières de atmosphère, et qui avaient résisté à 100°. 

2 Les eaux distillées de nos laboratoires renferment toujours des 
germes quoique en moindre nombre que les eaux ordinaires. 

3° Les eaux distillées dans des vases absolument privés de germes 
étrangers sont d’une pureté parfaite, sous le point de vue qui nous occupe, 
c'est-à-dire qu'elles sont exemptes de germes d'organismes inférieurs. 

4° Les eaux prises aux sources mêmes qui sortent de l’intérieur de 
la terre, que ni les poussières de l'atmosphère ou de la surface du sol, 
ni les eaux circulant à découvert n’ont encore souillées, ne renferment 
pas trace de germes de bactéries. 

5° Les germes dont il s’agit sont d’un si petit diamètre qu'ils tra- 
versent tous les filtres, et, quoique en assez grand nombre dans une 
eau pour qu'une seule goutte de celle-ci en contienne toujours, ils 
n'en troublent pas le plus souvent la transparence qui peut sembler 
parfaite, comme c'est Le cas de nos eaux distillées. 

6° Nonobstant, nous ferons bientôt connaître la méthode simple 
qui nous permet de recueillir, d'observer, de nombrer même au besoin 
par le microscope et de suivre le développement de ces germes, qui 
paraissent se rattacher, du moins pour la plupart, à la seconde forme 
de génération, distincte de la scissiparité, que l’un de nous a signalée, 
le premier, comme étant propre à plusieurs sortes de bactéries ou de 
vibrions (1). 

L'obligeance bien connue de M. Belgrand, et qui déjà ne nous a 
pas fait défaut, nous permet d'espérer que nous pourrons mener à 
bonne fin ce travail. Si les ressources ne nous manquent pas, nous lui 
donnerons de grandes proportions. 
bactéries et que celles-ci, lorsqu'elles apparaissent spontanément dans les expériences rela- 
tives à la génération spontanée, proviennent exclusivement de l'eau ayant servi au nettoyage 
des vases quand on ne les flambe pas. En opposition à cette assertion, voir surtout les 
expériences du Chap. VIL $ A, p. 76 et suivantes, et celles du Chap. VIII, p. % et suivantes, 
de mon Mémoire des Annales de chimie et de physique de 1862 [p. 268-273 et p. 282-287 du 
présent volume.] — Le Dr Lister d'Édimbourg a réfuté également cette opinion en 1873 et 
confirmé les résultats que j'avais obtenus en 1862. 


1. Pasteur, entrainé par d'autres recherches, ne publia pas la méthode d'examen des 
sermes de l’eau. (Note de l'Édition.) 


470 ŒUVRES DE PASTEUR 


RÉPONSE VERBALE AU L' BASTIAN (1 


Je remercie M. le D' Bastian ?) d’avoir accepté la proposition que 
je lui ai adressée dans la séance du 29 janvier (3). En conséquence, j'ai 
l'honneur de prier l'Académie de vouloir bien nommer une Commission 
chargée de faire un Rapport sur le fait qui est en discussion entre 
M. le D' Bastian et moi (#. 

J'espère que M. le D' Bastian voudra bien provoquer, dans le sein 
de la Société royale de Londres, dont il est Membre, la nomination 
d'une Commission dans le même but. 


1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, séance du 12 février 1877. LXXXIW, 
p. al VE 

2, Basriax. Sur la fermentation de l’urine. Réponse à M. Pasteur. 1bid., p. 306-307. 

La réponse du Dr Bastian se termine par ces mots : « Si M. Pasteur n'a pas cru devoir 
renoncer à son interprétation de mes expériences, en raison de « la preuve manifeste » que 
j'avais donnée dans ma dernière communication (p. 189 des Comptes rendus), j'espère qu'il 
acceptera franchement la réfutation de ses opinions, fournie par les expériences que j'ai 
maintenant l'honneur de communiquer à l'Académie et qui ont été faites en acceptant son 
propre défi. Ces expériences, j'espère les répéter, dans peu de temps, devant des juges 
compétents. » 

3. Voir p. 466-467 du présent volume. 

h. Dans la séance du 19 février, une Commission fut nommée, composée de MM. Dumas, 
Milne Edwards et Boussingault (Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXIN, 1877, 
p. 329). 

Dans la séance du 35 mars 1877, fut lue une lettre du Dr Bastian à M. Dumas : « ...… Je 
suppose, dit le Dr Baslian, que la Commission jugera opportun de nous voir, M. Pasteur et 
moi, répéter nos expériences respeclives avant d'émettre son opinion. C'est pourquoi je 
m'empresse de vous prévenir que, si cela peut s'arranger, je serai très heureux d'aller passer 
trois jours à Paris pour faire mes expériences devant la Commission de l’Académie. » ({b24., 
p. 433). 

Dans la séance du 16 juillet, M. Van Tieghem fut désigné pour remplacer M. Boussingault, 
« momentanément éloigné de l'Académie par un deuil. » (/bid., LXXXV, 1877, p. 130.) 

Pasteur, dans la Note qui suit, rendil compte de l'expérience qu'il fit en présence de 
MM. Dumas, Boussingault et Milne Edwards. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 471 


NOTE AU SUJET DE L'EXPÉRIENCE DU D" BASTIAN, 
RELATIVE A L'URINE NEUTRALISÉE PAR LA POTASSE (!) 


Cette expérience consiste, comme on le sait, à porter de lurine 
acide normale à Pébullition; puis une solution de potasse (en volume 
dosé pour la neutralisation du volume d'urine employé) est également 
portée à l’ébullition ; après refroidissement, les deux liquides sont 
mélangés, et le mélange placé dans une étuve à 50°. Le D° Bastian 
obtient alors, dans un intervalle de deux ou trois jours, certaines 
espèces de bactéries dans le liquide. Sa conclusion est qu'il a trouvé 
les conditions physico-chimiques de la génération spontanée de ces 
organismes inférieurs. 

Cette expérience comporte trois causes d'erreur. Les germes 
peuvent venir de l'urine ; l’ébullition à 100° ne suffit pas pour priver 
de vie les germes de certaines bactéries, quand l'urine est neutre, 
légèrement alcaline ou faiblement acide. 

Les germes peuvent venir de la solution de potasse, germes 
apportés par l’eau qui a servi à faire la dissolution et qui ne sont pas 
détruits à la température de 100. 

La troisième cause d’erreur peut être fournie par les vases dont on 
se sert. Puisqu’il est démontré aujourd’hui, par les expériences que j'ai 
publiées en collaboration avec M. Joubert, le 29 janvier dernier (2), que 
les eaux qui sortent du sol à l’état de source et qui sont prises à la 
source même sont les seules qui ne contiennent pas de germes «le 
bactéries, il en résulte que tout vase de verre lavé avec l’eau d’un 
laboratoire quelconque est recouvert de germes que cette eau a aban- 
donnés, pendant que le vase était mis à égoutter et à sécher après son 
lavage. J’ajoute que nous avons démontré, en outre, que, parmi ces 
germes, il en est qui peuvent supporter à l’état sec une température de 
120 à 130° pendant plusieurs minutes et 100° au moins à l’état humide. 

M. Bastian se sert toujours d’une urine normale, sensiblement 
acide, et il ne repousse pas l'emploi d’une dissolution de potasse 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 juillet 1877, LXXXV, 
p. 178-180 (1 fis.). 

Par cette Note de Pasteur se termina la controverse avec le Dr Bastian. 

2. Voir p. 467-469 du présent volume : Sur les germes des bactéries en suspension dans 
l'atmosphère et dans les eaux. (Notes de l’Édition.) 


172 ŒUVRES DE PASTEUR 


chauffée à 110 et 120° pendant plusieurs minutes; en conséquence, les 
deux premières causes d’erreur que je viens de mentionner sont 
complètement écartées. Reste la troisième, à laquelle M. Bastian n’a 
point songé, c'est du moins ce qu’il m'a dit itérativement. 

M. le D* Bastian doit donc obtenir des bactéries, puisqu'il en 
apporte par les vases. Il pourrait ne pas voir apparaître ces orga- 
nismes, soit dans le cas où il se servirait, à son insu, de vases qui 
n'auraient pas été lavés depuis qu'ils sont sortis de la verrerie où ils 
ont été fabriqués, soit quand, par les circonstances mêmes des mani- 
pulations de son expérience, il ferait périr, à son insu encore, tous les 
germes qui sont à la surface de ses vases. M. Le D' Bas- 
tian a bien voulu me confier, en effet, que son expé- 
rience, telle qu'il la fait, tantôt donne des bactéries, 
tantôt n’en donne pas, ce qui suffit, suivant moi, pour 
infirmer la conclusion qu'il a déduite de ses expériences. 
Toute cause d’erreur bénéficie, en effet, au résultat de 
son expérience. Dans ces sortes d’études, le résultat 
positif est celui qui ne donne pas d'organismes, et le 
résultat négatif est celui où l’on en rencontre. 

Voici la suite des opérations par lesquelles j'ai passé 
successivement pour reproduire l'expérience du D' Bas- 
tian, en présence de MM. Dumas, Boussingault et Milne 
Edwards. En opérant comme je vais le dire, l'expérience 


réussit cent fois sur cent, mille fois sur mille, c’est-à-dire que jamais 
elle ne donne des bactéries : 

Recueillir lurine dans un vase qui a été flambé et qu’on a bouché 
avec un tampon de coton pendant son refroidissement. 

40 à 50 centimètres cubes d'urine sont portés dans l’eau bouillante 
pendant dix minutes. 

Prendre le titre acide de cette urine après son refroidissement. 
Introduire dans le tube à deux effilures, de la forme ci-jointe et 
flambé, un volume connu de solution de potasse correspondant à 
15 centimètres cubes de l'urine dont l'acidité a été dosée. 

Fermer le tube à deux effilures au-dessus du tampon de coton 
avec la lampe d’émailleur. 

Porter ce tube dans le bain de chlorure de calcium à 110° pendant 
dix minutes. Laisser refroidir et laver le tube extérieurement pour 
enlever le chlorure de calcium adhérent. 

Couper le haut de la branche du tube au-dessus du coton. Aspirer 
17 à 18 centimètres cubes d'urine dans la branche ne contenant pas la 


potasse. 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 473 


Plonger dans l’eau bouillante à 100° pendant dix minutes. Laisser 
refroidir. 

Faire passer 15 centimètres cubes de lurine dans la branche à 
potasse ; il reste ainsi 2 à 3 centimètres cubes d'urine non mélangée à 
la potasse et qui servent de témoin, afin de savoir si l'urine a bien été 
stérilisée par la température qu'on lui a fait subir; je le répète, ceci 
arrive toujours pour l'urine ayant une acidité convenable (1). 

Porter le tube dans une étuve à 50°. 


Résultat : jamais d'organismes formés. , 


1. C'est-à-dire avec une urine qui exige environ 1 à 2 centimètres cubes d’eau de chaux 
(saturée à la température ordinaire) pour 20 centimètres cubes d'urine, la neutralité étant 
obtenue avec certains papiers de tournesol. Si l'on se sert des papiers bleu tournesol et jaune 
cureuma anglais (tels que M. Bastian nous les a remis), on n’a la neutralité de l'urine qu'avec 
5 à 7 centimètres cubes d'eau de chaux, alors qu'on l’obtient déjà pour d'autres papiers de 
tournesol en employant 1 à 2 centimêtres cubes de cette même eau de chaux. Pour certains 
papiers (papiers anglais), la neutralité correspond sensiblement à l'apparition (dans l'urine 
qu'on neutralise par l'eau de chaux) d’un très léger trouble floconneux. Ces diverses sortes de 
papier donnent les mêmes limites avec les sels minéraux à acides forts. 


RÉPONSE VERBALE A M. TRÉCUL (1) 
‘A PROPOS DE L'ORIGINE DES LEVURES ALCOOLIQUES] () 


J'ai le regret de dire que toutes les assertions que notre confrère 
vient d'émettre sont inexactes : 

1° La Note de M. Gayon n’est pas relative à la levüre de mucor 
observée pour la première fois par Bail, non en 1860 comme vient de 
le dire M. Trécul, mais en 1856 [1857] (3. M. Gayon s'occupe d’un 
exemple tout nouveau d’une levüre analogue que lui ont fournie des 
mucor nouvellement décrits par M. Van Tieghem, notamment le mucor 
circinelloides. 

2° M. Trécul pense qu'il a, le premier, fait observer que la levüre 
de Bail ne se transforme pas en levüre de bière, comme ce botaniste 
le pensait. Cette rectification, je l'avais faite dès le mois de mars 1861 
devant la Société philomathique *. M. Trécul trouvera l'extrait textuel 
du Bulletin de cette Société, relatif à ma communication, dans mes 
Etudes sur la bière (Paris, 1876), p. 126 (5). 

3° M. Trécul affirme de nouveau que le penicillium glaucum, ainsi 
qu'Hoffmann et d’autres ladmettaient, se transforme en une levüre de 
bière de petite dimension. J'ai combattu cette assertion dès 1861 et 
plus récemment devant l’Académie (6. M. Trécul pourra lire la réfuta- 
tion expérimentale que j'en ai donnée, très détaillée, dans mes Études 
sur la bière, notamment aux Chap. IV et VI 7). 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 7 janvier 1878, LXXXVI, 
P. 56. 

2. Pasteur avait lu une Note de M. Gayon « Sur l’inversion et sur la fermentation alcoolique 
du sucre de canne par les moisissures » (1bid., p. 52-54). M. Trécul, après la lecture de cette 
Note, avait présenté « Quelques remarques sur l'origine des levres alcooliques » ({bid., 
p. 94-56). 

3. Barz. Ueber Hefe. Flora, XL, 1857, p. 417-430 el 433-444. 

4. Voir p. 139 du présent volume : Sur les prétendus changements de forme et de végétation 
des cellules de levüre de bière suivant les conditions extérieures de leur développement. 

5. Foir lome V des Œuvres de Pasteur. 

6. Voir p. 139 du présent volume : Sur les prétendus changements de forme et de végétation 
des cellules de levûre de bière suivant les conditions extérieures de leur développement. — Et 
p. 420-426 : Production de la levûre dans un milieu minéral sucré. 

7. Voir tome V des Œuvres de Pasteur. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 475 


NOTE (1) 
A L'OCCASION DU PROCÈS-VERBAL DE LA DERNIÈRE SÉANCE 


J'ai le regret de dire à l'Académie que M. Trécul, au lieu de se borner 
à reproduire seulement ce qu'il avait dit dans la dernière séance (?), 
y a ajouté de nombreux commentaires qui ont porté à deux pages 
entières des Comptes rendus les quelques observations qu'il avait 
faites au cours de cette séance. 

Je ne me plains pas de ces additions faites après coup et qui ne 
n'ont pas été communiquées par M. Trécul, car je suis prêt à le suivre 
dans toutes ses assertions concernant mes recherches ; seulement les 
additions dont je parle exigent de ma part une réponse complémen- 
laire. 

Voici comment je m'exprimais, le 30 mars 1861, devant la Société 
philomathique (?) : 

« Depuis MM. Turpin et Kützing, les botanistes ont été à peu près 
unanimes à regarder la levüre de bière comme une forme de dévelop- 
pement de divers végétaux inférieurs, notamment du penicillium 
glaucum. Les études à ce sujet qui paraissent avoir eu le plus de 
faveur dans ces dernières années appartiennent à MM. Wagner, Bail, 
Berkeley, Hoffmann... Il m'a été impossible de voir la LEVURE DE BIÈRE 
se transformer en une mucédinée quelconque, et réciproquement je 
n'ai pu arriver à faire produire aux mucédinées vulgaires la plus petite 
quantité de LEVURE DE BIÈRE. » 

Les mucédinées vulgaires étudiées dans mon travail de 1860 | 1861}, 
travail que l’on retrouverait dans les archives de la Société philoma- 
thique, et qui n’a été publié que par extrait dans son Bulletin, étaient 
surtout le mucor, le penicillium glaucum, mucédinées qui avaient fait 
particulièrement le sujet des études des quatre naturalistes que je 
viens de nommer : Wagner, Bail, Berkeley, Hoffmann; Bail, entre 
autres, ne s'était occupé que des #ucor vulgaires. 


l. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 14 janvier 1878, LXXXVT, 
p. 90-92. 

2. Trécur. Quelques remarques sur l’origine des levüres alcooliques. Ibid., séance du 
7 janvier 1878, p. 54-56. 

3. Voir p. 139 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


476 ŒUVRES DE PASTEUR 


Il y a deux choses dans le travail de Bail (1) : d’une part le passage 
d’un »#ucor à une levüre, de l’autre l’affirmation que cette levüre est 
de la levûre de bière; c’est ce second point seulement du travail de 
Bail que, en 1860 |1861}), j'ai nié être exact, rectification qui a été 
confirmée par M. Trécul (?), huit années après moi. Contrairement à ce 
qu'affirme M. Trécul, je n'ai jamais nié le passage d’un #ucor en levüre 
alcoolique; je le répète, ce que j'ai nié, c’est la transformation d’un 
mucor et du penicillium glaucum, et en général des moisissures com- 
munes, en levûre de bière, ainsi que le démontrent les citations que 
je viens de faire de mon travail de 1860 | 1861}. 

M. Trécul termine en disant « que j'ai élevé une barrière entre les 
levûres et les moisissures ». M. Trécul se trompe encore sur ce point : 
non seulement je n’ai jamais élevé de barrière entre les levûres et les 
moisissures ; le premier, au contraire, j'ai signalé les conditions véri- 
tables d’un lien physiologique étroit entre les moisissures et les 
ferments proprement dits. 

Voici ce qu'on lit, en effet, dans le Bulletin de la Société chimique, 
séance du 28 juin 1861 (3 

« En résumé, la levûre de bière se comporte absolument comme une 
plante ordinaire, et l’analogie serait complète si les plantes ordinaires 
avaient pour l'oxygène une affinité qui leur permit de respirer à l’aide 
de cet élément enlevé à des composés peu stables, auquel cas, suivant 
M. Pasteur, on les verrait être ferments pour ces matières. 

« M. Pasteur annonce qu'il espère réaliser ce résultat, c’est-à-dire 
rencontrer des conditions dans lesquelles certaines plantes inférieures 
vivraient à l'abri de l’air en présence du sucre, en provoquant alors 
la fermentation de cette substance à la manière de la levûüre de bière. » 

Ces prévisions ont été amplement justifiées depuis 1860 [1861] par 
moi et par d’autres, et notamment encore, dans la dernière séance, par 
les publications de MM. Müntz et Gayon (*. 


1. Barz. Loc. cit. 

2, Trécuz. Observations sur la levûüre de bière, sur le mycoderma cervisiæ et sur la 
levûre du mucor. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXVII, 1868, p. 362-369. 

3. Voir p. 148-149 du présent volume : Influence de l'oxygène sur le développement de la 
levûre et la fermentation aicoolique. 

4. Müxrz (A.). Recherches sur la fermentation alcoolique intracellulaire des végétaux. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXX VI, 1878, p. 49-52. — (rayox. Sur l'inver- 
sion et sur Ja fermentation alcoolique du sucre de canne par les moisissures. Zbid., p. 52-04. 
(Notes de l'Édition.) 


[REMARQUES (!) 
A l'OCCASION DE LA COMMUNICATION DE M. GUNNING 
SUR L'ANAÉROBIOSE] (2) 


I y a déjà dix-sept ans que j'ai publié les premiers faits relatifs à 
la vie sans air ou anaérobiose. Dès cette époque, je me suis préoccupé 
de la cause d'erreur que l’auteur signale dans la Note précédente, 
et, malgré la rigueur très grande, je crois, de mes premières expé- 
riences, j'ai toujours cherché, depuis lors, à rendre cette rigueur plus 
parfaite. Tout récemment, à l'occasion des études que j'ai publiées, le 
30 avril dernier, en collaboration de MM. Joubert et Chamberland (), 
nous avons poussé encore plus avant la recherche des moyens propres 
à éliminer d'une manière absolue Pair de nos vases. A cet effet, nous 
avons combiné l’action du vide de la pompe a mercure avec les pro- 
priétés de l'indigo blanc, substance si connue pour ses effets d’absorp- 
tion de l'oxygène, depuis le beau travail de M. Dumas à ce sujet ). 

Si l’auteur de la Note qui précède veut bien aller plus loin dans ses 
observations, s'il veut bien remarquer, ce qu'ilne paraît pas avoir 
fait, que la putréfaction s'arrête souvent, non par la mort des orga- 
nismes microscopiques, mais parce que ceux-ci ont passé à l’état de 
germes, je ne doute pas qu'il ne soit conduit, comme l’a été le D' Bre- 
feld pour le développement de la levüre alcoolique ”), à revenir sur ses 
assertions, et à reconnaître que l'existence d'êtres anaérobies repose 
sur des preuves expérimentales irréfutables. 

Dans la seconde partie de sa Note, M. Gunning combat les conclu- 
sions du D’ Bastian sur la génération spontanée. Je suis heureux de la 
confirmation qu'il apporte aux arguments que j'ai déjà fait valoir contre 

6 


le travail de l’auteur anglais (5. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 1 juillet 1878, LXXXVIT, 


. 33-94. 
2, GunxixG. Sur l'anaérobiose des micro-organismes. Ibid., p. 81-33. 


3. Pasreur. La (héorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXVI, 1878, p. 1037-1043. Voir tome VI 
des Œuvres de Pasteur. 

4. Dumas (J.-B.). Sur la nature de l'indigo et sur la véritable composition de quelques 
produits auxquels il donne naissance. Comptes rendus de l'Académie des sciences, TT, 
1836, p. 143-147. (Note de l'Edition.) 

5. Voir p. 443-444 du présent volume. 

6. Foër p. 459-473 du présent volume. (Notes de l'Édition. 


DISCUSSION AVEC M. TRÉCUL 
SUR LES AÉROBIES ET LES ANAÉROBIES 


RÉPONSE (1) [A M. TRÉCUL] (?) 


Les souvenirs de M. Trécul le trompent. Il s’en convainera lorsqu'il 
aura recours à des citations textuelles pour appuyer ses observa- 
lions. 

Dès 1861, et sans avoir jamais varié d'opinion sur ce point, j'ai 
établi qu'il existait des êtres aérobies, des êtres anaëérobies et d’autres 
qui, comme la levüre de bière, étaient à la fois aérobies et anaérobies (°). 
Je le répète, ces assertions et leurs preuves sont de 1861, M. Trécul 


est donc tout à fait dans l'erreur. 


RÉPONSE (!) 
AUX NOTES DE M. TRÉCUL DES 30 DÉCEMBRE ET 13 JANVIER 


Dans sa première Note (5), M. Trécul dit : 


« …. la levüre de bière elle-même qui, pendant nombre d'années, 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 30 décembre 1878, LXXXVII, 
p. 1099. 

2. À propos d'une Réponse de Pasteur à Berthelot, au sujet des Notes posthumes de Claude 
Bernard (/bèd., p. 1053-1858. Voir plus loin : IV. Examen critique d'un écrit posthume de 
Claude Bernard sur la fermentation}, M. Trécul avait présenté des « Observations » (1bid., 
p. 1058-1059), dans lesquelles il s'était exprimé ainsi : «M. Pasteur, qui, tout à l'heure, 
partageait les êtres inférieurs en aérobies et anaérobies, rangeant les levüres dans les anaëro- 
bies, ajouta qu’il avait reconnu une troisième classe d'êtres, qui, suivant les circonstances, 
jouissent de la propriété de vivre à l'air ou à l'abri de l'oxygène. Je fis alors remarquer que 
l'établissement de cette troisième elasse d'êtres constitue une opinion toute nouvelle... » 

3. Voir p. 142-147 du présent volume : Expériences et vues nouvelles sur la nature des 
fermentations. 

4. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 janvier 1879, LXXX VIII, 
p. 106-107. 

5. Trécurz. Observations concernant la communication de M. Pasteur. {bid., séance du 
50 décembre 1878, LXXX VIT, p. 1058-1059. (Notes de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 479 


fut, pour M. Pasteur, l'anaérobie par excellence, c’est-à-dire Le type des 
ferments où zymiques. » 

Jamais je n’ai dit cela, cent fois j'ai dit le contraire. Invariablement, 
depuis 1861, l’année où j'ai signalé pour la première fois l'existence 
des anaérobies et opposé leurs propriétés aux aérobies, j'ai dit et 
prouvé que la levûre de bière était, suivant les conditions extérieures 
du milieu propre à sa nutrition et à son développement, tantôt aérobie, 
tantôt anaérobie. 

Dans sa deuxième Note(t), M. Trécul dit: 

«.…. À la page 1040 du tome LXXXVI des Comptes rendus (année 
1878), on trouve que le vibrion septique se résout en corpuscules- 
germes qui vivent dans l'air et y sont conservés. » 

Jamais je n'ai écrit cela; jamais je n’ai écrit que les corpuscules- 
germes du vibrion septique vivent dans l'air. C’est le contraire qui est 
écrit et prouvé à cette page 1040. Il est démontré dans la communi- 
cation (2), et notamment à cette page 1040, que le vibrion septique ne 
peut vivre dans l'air, que l'air le tue et le détruit, que c’est un être 


exclusivement anaérobie. 


(M. Trécul répondit à Pasteur (?) : 

« Je ne veux pas répondre aujourd’hui à M. Pasteur. Il me sera facile de 
prouver que notre confrère ne détruit aucune de mes objections. Je me 
bornerai à dire que l'alinéa de la page 1040 à 1041 qu'il vient de lire 
montre que les germes du vibrion septique ne redoutent pas l’action de 
l'oxygène, qui tue les vibrions eux-mêmes; que, par conséquent, ces 
germes ne sont pas tués par l'air, dans lequel ils sont conservés et par 
lequel ils sont dispersés et semés. Donc ils sont aérobies et les vibrions 
qu'ils produisent anaérobies. Il est en outre évident que, puisqu'il y a deux 
états bien distincts pour la même espèce, M. Pasteur n’était pas autorisé à 
établir une classification qui n'en comporte qu'un. » 

Pasteur fit à M. Trécul les « Observations » suivantes :] 


1. lRécuL. Existe-t-il, parmi les êtres inférieurs dont nous nous occupons, des espèces 
exclusivement aérobtes et d'autres exclusivement anaërobies ? Tous ces êtres doivent-ils être 
rangés dans deux classes ou dans trois, comme l’a successivement admis M. Pasteur, ou dans 
une seule, comme je l'ai indiqué dernièrement? 1bid., séance du 13 janvier 1879, LXXXVIIT, 
P. 04-58. 

2. Pasreur. La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXX VI, 1878, p. 1037-1043. Voir tome VI 
des Œuvres de Pasteur. 

3. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 janvier 1879, LXXX VIII, 
p. 107. (Notes de l'Édition. 


180 ŒUVRES DE PASTEUR 


OBSERVATIONS (1) [A M. TRÉCUL] 


M. Trécul change ici arbitrairement l’acception scientifique ou 
vulgaire des mots vie, arrobie, anaérobie. 

Le mot vie signifie nutrition, développement: le mot aérobie 
signifie vie, nutrition, développement au contact de l'air avec absorption 
de son oxygène; le mot anaérobie veut dire vie, nutrition, développe- 
ment hors du contact de l'air et sans participation aucune de l'oxygène 
de l’air. 

Les corpuscules-germes NE VIVENT PAS et n’ont aucun des caractères 
de la vie, c’est-à-dire de la nutrition, du développement, de la géné- 
ration. 

Les questions que couvrent ces mots vie latente des germes mont 
jamais été abordées par moi; elles sont hors de la discussion. La eita- 
ton de M. Trécul reste absolument inexacte. 


OBSERVATIONS VERBALES (2) [A M. TRÉCUL)] (3) 


Toute cette lecture de M. Trécul me parait sans fondement. 

En ce qui concerne la levüre, ma réponse se trouve page 106 du 
Compte rendu du 20 janvier (*); Pargumentation de M. Trécul la laisse 
entière. 

Quant au vibrion septique, il reste vrai que M. Trécul a écrit dans 
le Compte rendu du 13 janvier : 

«.… À la page 1040 du tome LXXX VI des Comptes rendus (1878 , on 
trouve que le vibrion septique se résout en corpuscules-germes qui 
vivent dans l’air et y sont conservés», et que cette citation est inexacte, 
c'est-à-dire qu'on ne trouve pas à la page 1040 que les corpuscules- 


1. Comptes rendus de l'Académie des Sciences, séance du 20 janvier 1879, LXXXVIN, 
p. 107-10S. 

2. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 10 février 1879, LXXX VIII, 
p. 254-255. 

3. Trécuz. Dernière réponse à M. Pasteur. Ibid., p. 249-254. 

4. Voùr: cette « Réponse » p. 478-479 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 481 


germes du vibrion septique vivent dans l'air. M. Trécul continue de 
confondre les mots vie latente des germes au contact de Pair avec la 
vie, la nutrition, l’évolution, la génération au contact de Pair. 

Nous avons à considérer la vie et la fermentation. La vie latente des 
germes ne m'a jamais occupé, et même, à ma connaissance, mon savant 
ami et élève, M. Duclaux, est la seule personne qui ait abordé une des 
mille questions que couvre le mystère qu'expriment ces mots : vie 
latente des germes ; c’est lorsque M. Duclaux a prouvé que la graine 
des vers à soie a besoin du froid de l'hiver pour pouvoir germer au 
printemps suivant (!). 


(M. Tréeul répond : « Je n’ai qu'un mot à ajouter : c’est qu'il s’agit entre 
nous de l'appréciation d’une classification. » Pasteur réplique (2) :| 


Ma classification est ce qu’elle est. Acceptez-la ou rejetez-la, cela 
vous regarde. Pour moi, elle est excellente. 


1. Ducraux. De l'influence du froid de l'hiver sur le développement de l'embryon du ver 
à soie et sur l’éclosion de la graine. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXIX, 
1869, p. 1021-1022. 

2. Ibid., séance du 10 février 1879, LXXX VIII, p. 255. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 31 


l Li 
2. , 
1 DEA LES EN L 
_ Ve ? AS h NOT 
L : I ss 
| 29 . L . 
“à é Qi uen 14 


= 154 
« N 
e 
a 
LS : 
SRLAIUL L 
% LD 
« LH (il 
DA 
L 
n é 
4 
p] 
cd 
- 
= n 4 


AU 


EXAMEN CRITIQUE 


D'UN 


ÉCRIT POSTHUME DE CLAUDE BERNARD 


SUR 


LA FERMENTATION 


1. Paris, 1879. Opuscule de xxrv-156 pages in-&, Gauthier-Villars, 6 


A \. JACOBSEN, 


À CARLSBERG, EN DANEMARK. 


MONSIEUR, 


Après avoir acquis dans l'industrie de la brasserie une renommée 
européenne, vous avez fondé à Carlsberg un laboratoire qui doit être 
destiné uniquement aux progrès de l'art du brasseur. Quinze cent mille 
francs ont été consacrés par vous à la construction de l'édifice et à la 
dotation perpétuelle des recherches qu'on doit y exécuter. 

Par cette libéralité, vous donnez aux chefs des industries du monde 
entier un noble exemple de reconnaissance envers la Science, source 
féconde de tous les progrès durables. 

Il y a quelques mois, vous me faisiez l'honneur de m'adresser une 
lettre où je lisais avec émotion ce passage : « Je vous serais très obligé 
si vous vouliez me permettre de faire exécuter par un des grands artistes 
qui honorent la France, M. Paul Dubois, votre buste en marbre pour 
l’ériger dans le laboratoire de Carlsberg,en commémoration des services 
rendus à la Chimie, à la Physiologie et à la brasserie par vos travaux 
sur la fermentation, base de tous les progrès futurs de l'art du 
brasseur ». 

Cette pensée si flatteuse restera dans la mémoire de ma famille 
conne un des plus précieux hommages rendus à mes efforts. 

Vous voudrez bien accueillir, comme un très faible témoignage de 
ma reconnaissance et par souvenir de la sympathie qui unit la France 
au Danemark, la dédicace du présent opuscule, où je réponds à un 
écrit posthume de l'illustre physiologiste Claude Bernard sur la fer- 
mentation alcoolique. 

Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de ma respectueuse et pro- 
fonde estime. 


L. PASTEUR: 


INTRODUCTION 


L'ouvrage que j'offre au public a pour objet la réfutation d’un écrit 
de Claude Bernard qui fut mis au jour six mois environ après la mort 
de l’illustre physiologiste. Cette publication excita une surprise univer- 
selle. On savait qu'à maintes reprises, dans des conversations, dans 
des écrits, dans des Rapports académiques, Claude Bernard avait 
exprimé sur mes travaux une approbation sans réserve, landis que 
dans ces Notes posthumes, à la suite d'expériences personnelles, il se 
trouvait en contradiction sur tous les points essentiels avec les 
résultats de mes études de ces vingt dernières années. Il faudrait 
méconnaître entièrement la noble passion qui anime tout savant, 
digne de ce nom, dans la recherche de la vérité, pour imaginer 
qu'entre Bernard et moi des mésintelligences auraient pu surgir, 
capables d’altérer la bonne opinion qu'il avait eue jusque-là de mes 
travaux. Bernard a été une des plus pures personnifications du savant 
et l’on ne nommerait pas un membre de l’Académie des sciences 
moins porté qu'il ne le fut à mêler au culte de la Vérité des considé- 
rations étrangères. Toutefois, je veux écarter jusqu'au soupçon de 
l’idée qu'un nuage aurait pu traverser nos relations de bonne confra- 
ternité. Qu'il me soit permis d’en aller chercher la preuve dans des 
souvenirs intimes. 

La santé de Bernard fut très éprouvée pendant l’année 1866. Les 
médecins avec lesquels il était en communication habituelle, les 
D'° Rayer et Davaine, avaient perdu tout espoir de le guérir. Bernard, 
qui comptait peu sur la médecine, mais beaucoup sur la nature, 
l'hygiène et les soins que pourrait lui suggérer un examen attentif et 
quotidien des symptômes de son mal, se réfugia courageusement à 
celte même maison de campagne de Saint-Julien d’où sont datées les 
Notes sur la fermentation, dont je vais faire un examen critique. Ses 
amis, qui suivaient la marche de sa maladie avec la plus vive anxiété, 
s’ingéniaient, pour la plupart, à lui adresser des consolations et de 
réconfortants souvenirs. Personnellement, j'eus l’idée de faire paraître 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 487 


dans le HMoniteur universel une appréciation sommaire de l'importance 
de ses travaux, de son enseignement et de sa méthode. Voici textuel- 
lement cet article, qui scella, pour ainsi dire, entre nous des liens d’une 
mutuelle et affectueuse confiance, comme on pourra s’en convaincre 
tout à l'heure : 


CLAUDE BERNARD. 


Idée de l'importance de ses travaux, de son enseignement 
et de sa méthode (!). 


Des circonstances particulières n'ont offert l’occasion toute récente 
de relire les principaux Mémoires qui ont fondé la réputation de 
notre grand physiologiste, Claude Bernard. 

J'en ai ressenti une satisfaction si vive et si vraie, mon admiration 
pour son talent s’en est trouvée confirmée et accrue de telle sorte, que 
je ne puis résister au désir, quelque téméraire qu’il soit, de commu- 
niquer ces impressions. O la bienfaisante lecture que celle des travaux 
des inventeurs de génie ! En voyant se dérouler sous mes yeux tant de 
progrès durables, accomplis avec une telle sûreté de méthode qu'on 
ne saurait présentement en imaginer de plus parfaite, je sentais à 
chaque instant le feu sacré de la Science s’attiser dans mon cœur. 


Il 


Natura non facit saltus, a-t-on dit. Il en est ainsi des progrès de la 
Science. Le souffle fécond qu'avaient répandu dans les études médi- 
cales Bichat et Magendie, l'impulsion physiologique donnée à la 
Chimie organique par les travaux de MM. Dumas en France, Liebig en 
Allemagne, devaient porter leurs fruits. Claude Bernard a été comme 
la résultante de ce double mouvement, et, dans vingt ans, moins ou 
plus, sous l'influence de l'esprit nouveau auquel son nom restera 
attaché, on verra peu à peu disparaître les ténèbres, héritage d’un autre 
âge, qui enveloppent encore la marche mal assurée des sciences 
médicales. 

La Physiologie a éprouvé vers la fin du xvin® siècle une profonde 
transformation. Le vitalisme régnait à cette époque à peu près exclu- 
sivement dans les écoles. « Disciples de Bordeu, a dit un savant profes- 


1. Moniteur universel, numéro du 7 novembre 1866, p. 1284-1285. (Note de l'Edition. 


188 ŒUVRES DE PASTEUR 


seur de la Faculté de Paris, tout était pour nous subordonné à 
l'influence suprême de l’organisation et de la vie ; les vérités physiolo- 
giques nous paraissaient d’un ordre plus élevé que celles dont 
s'occupent les physiciens et les chimistes. Professant avec Aristote 
qu'où le physicien s’arrête le médecin commence, nous n’admettions 
qu'avec une extrême réserve les explications de la Chimie pneuma- 
tique, si brillante alors et cultivée par des hommes d’un si rare 
génie. » 

De telles erreurs de principe ne pouvaient rester debout en présence 
des remarquables découvertes de la fin du dernier siècle. En démon- 
trant que la chaleur animale était subordonnée à des phénomènes 
purement chimiques, que la fonction de la respiration consistait essen- 
tellement dans un acte de combustion, Lavoisier n’avait-il pas établi 
d’une façon merveilleuse que les êtres vivants, non moins que les êtres 
inorganiques, sont soumis aux lois générales de la matière ? 

Toutefois, il est rare qu'une réaction contre des opinions régnantes 
ne dépasse pas le but. Aussi vit-on, à quelques années de là, la décou- 
verte de la pile électrique éblouir à ce point les esprits, qu’un grand 
nombre de médecins et de physiologistes crurent que l’on venait de 
rencontrer la source même de la vie. 

Cette effervescence se calma et l’on comprit de nouveau, car c’est 
toujours là qu'il faut en revenir, qu’au lieu de disserter sur l’essence 
des choses, laquelle nous échappe, il fallait avant tout rassembler des 
faits bien observés et continuer par des épreuves sur les animaux 
vivants les travaux des hommes célèbres qui, à l'exemple d’Harvey et 
de Spallanzani, avaient fondé la Physiologie sur l'expérience. Un des 
savants qui s’éleva alors avec le plus de force et d’autorité contre 
l'esprit de système dans les études physiologiques et médicales, par 
son enseignement non moins que par la nouveauté de ses observa- 
tions, fut précisément le maître de Claude Bernard, Magendie, dont 
le plus beau titre à la reconnaissance de la postérité sera peut-être 
d’avoir contribué à former un tel disciple. 


III 


Je ne songe pas à présenter ici un examen détaillé des découvertes 
de Claude Bernard : je n’en ai point le loisir, et l’espace me manque- 
rait. C’est mon sentiment sur l'importance de ses travaux, de son 
enseignement et de sa méthode que je veux épancher, comme ces 
personnes qui éprouvent une sorte de malaise à admirer seules et en 
silence les œuvres de génie 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 489 


Depuis quinze années, toutes les découvertes de Bernard portent 
le même cachet de supériorité. Il me suffira d’en caractériser une seule 
pour mettre le lecteur en état d'apprécier toute la vigueur de son 
talent. Je choisirai celle dont Bernard aimerait peut-être à nous entre- 
tenir lui-même, s’il avait à distinguer dans ses œuvres la plus propre à 
instruire par l'esprit de méthode et d'invention qui a présidé à toutes 
les phases de son brillant développement. 

Lorsque Bernard se présenta, en 1854, pour occuper l’une des 
places vacantes de l’Académie des sciences, sa découverte de la 
fonction glycogénique du foie n’était ni la première ni la dernière en 
date parmi celles qui déjà l'avaient placé si haut dans lestime des 
savants. Ce fut néanmoins par elle qu'il commença l'exposé des titres 
scientifiques qui le recommandaient aux suffrages de l'illustre Compa- 
gnie. Cette préférence du maître décide de la mienne. 


IV 


De tous les travaux de Claude Bernard, l’un des plus remarquables 
et des plus dignes d’être médités, consiste, en effet, dans l’admirable 
série de recherches auxquelles il a soumis l'appareil du foie, de tous 
les organes glandulaires le plus volumineux, l’un des plus constants 
dans la série animale et le moins connu dans ses véritables fonctions. 
Par son volume, par la complexité de sa structure, par la singularité de 
ses relations avec l’appareil circulatoire, il était difficile de comprendre 
que le foie n’eût d’autre rôle que celui de sécréter la bile. Tel était 
pourtant le seul qu’on lui attribuât jusqu'aux belles expériences de 
Claude Bernard. Aujourd'hui nous savons qu'il en a au moins un 
autre, qui était resté complètement ignoré des zoologistes et des 
médecins, et qui consiste dans une production de matière sucrée que 
les veines hépatiques déversent constamment dans le système circu- 
latoire. 

Par des tentatives qu’une méthode d'investigation des plus fécondes 
pouvait seule inspirer, Claude Bernard a mis en outre en pleine 
lumière la liaison étroite qui existe entre la sécrétion du sucre dans 
le foie et l'influence du système nerveux. Il a démontré avec une rare 
sagacité que, en agissant sur telle ou telle partie déterminée de ce 
système, on pouvait à volonté supprimer ou exagérer la production 
du sucre. Il a fait mieux encore : il a découvert dans le foie l’existence 
d’une matière toute nouvelle qui est la source naturelle où puise cet 
organe pour fabriquer le sucre qu’il produit. 

Ce qui ajoute encore à l’éclat de ces découvertes, c’est l’imprévu 


490 ŒUVRES DE PASTEUR 


qui s'y est mêlé à l’origine, car l’observation comparée des actes 
nutritifs chez les végétaux et chez les animaux faisait, au contraire, 
penser que l'organisme animal était incapable de produire de la 
matière sucrée. Sans doute on savait, déjà avant Bernard, qu’il peut se 
rencontrer du sucre, dans diverses circonstances normales ou patho- 
logiques, soit dans le sang, soit dans d’autres liquides animaux; mais, 
quant à l’origine de ce sucre, toutes les données de la Science condui- 
saient à admettre qu'il provenait exclusivement de lalimentation. En 
effet, le sucre et la fécule, formés en quantité considérable dans le 
règne végétal, sont utilisés par les animaux qui les détruisent pour 
s’en nourrir. Il en résulte deux phénomènes, en apparence corrélatifs, 
qui s'accomplissent constamment sous nos yeux : production abon- 
dante de matières saccharoïdes dans les végétaux; destruction rapide 
de ces mêmes produits pour l'alimentation des animaux. Il était dès 
lors logique de croire que les matières alimentaires sucrées ou fécu- 
lentes devaient être l’origine exclusive des principes sucrés de l’orga- 
nisme animal. 

Les démonstrations expérimentales de Claude Bernard ont la clarté 
et la rigueur de celles des sciences physiques et chimiques. La viande 
est un aliment qui par les procédés digestifs connus ne peut donner 
naissance à du sucre. Or, Bernard a nourri pendant un temps plus ou 
moins long des animaux carnivores exclusivement avec de la viande, 
et il a constaté, avec une grande exactitude et avec la connaissance 
précise des moyens les plus parfaits que la Chimie mettait à son 
service, que le sang qui arrive dans le foie par la veine porte et qui y 
verse les matériaux nutritifs élaborés et rendus solubles par la diges- 
tion, que ce sang est absolument privé de sucre, tandis que celui qui 
sort de l’organe par les veines sus-hépatiques en est toujours abondam- 
ment pourvu. 

De telles preuves, et bien d’autres non moins certaines que je 
passe sous silence, ne laissent rien à désirer, si l’on remarque en outre 
que Bernard a établi que, dans les conditions expérimentales susdites, 
la production du sucre est entièrement localisée dans le foie et que 
pas un seul autre organe ou tissu du corps n'offre la moindre quantité 
de matière sucrée. 

Puisque les données de la Science portaient à croire que le règne 
végétal était seul capable de produire une matière de la nature des 
sucres, et que les principes immédiats, en général, qui se rencontrent 
dans le règne animal étaient formés exclusivement par les végétaux. 
chez lesquels les animaux ne faisaient que les puiser directement 
pour se les assimiler, comment Bernard a-t-il pu se placer en dehors 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 491 


des idées reçues et arriver à la découverte de cette fonction glyco- 
génique du foie? Il va nous l’apprendre lui-même, en nous confiant 
qu'il avait médité sur des choses bien connues, mais tout à fait 
inexplicables pour les théories reçues, dans cette maladie singulière 
désignée sous le nom de diabète sucré. 

Cette affection bizarre se caractérise, comme on le sait, par une 
apparition surabondante de sucre dans l’organisme, au point que le 
sang en est surchargé, que tous les tissus en sont imprégnés et que 
les urines surtout en contiennent parfois des proportions énormes. 

« Des circonstances que tous les médecins ont pu observer avaient 
éveillé mon attention. Quand la maladie est intense, la quantité de 
sucre expulsée par le diabétique est bien au-dessus de celle qui peut 
lui être fournie par les substances féculentes ou sucrées qui entrent 
dans son alimentation; en outre, la présence de la matière sucrée 
dans le sang et son expulsion par les urines ne sont jamais complè- 
tement arrêtées, alors même que l’on arrive à la suppression absolue 
des aliments féculents ou sucrés. » 

Tels sont les faits qui ont conduit Claude Bernard à penser qu’il 
pouvait y avoir dans l’organisme animal des phénomènes encore 
inconnus aux chimistes et aux physiologistes, capables de produire 
du sucre en dehors de toute ingestion d'aliments féculents ou sucrés. 
« Ces faits, dit-il, devinrent dès lors pour moi un motif d’investigations 
physiologiques. » 

Voila bien l'inventeur dégagé de tout esprit de système et 
marchant à la recherche des découvertes imprévues, ainsi qu'il les 
nomme, comme il en a tant de fois vu surgir sous ses regards, 
découvertes qui, comme il le dit si bien lui-même, loin d’être des 
corollaires de théories, sont accomplies en dehors d’elles et leur 
sont contraires, d'autant plus rares que les sciences sont mieux 
constituées, d'autant plus fréquentes qu'elles le sont moins. « Or, 
en Physiologie, les théories sont tellement défectueuses, qu'il y a 
autant de probabilités pour découvrir des faits qui les renversent 
qu'il y en a pour en trouver qui les appuient. » 

La Médecine et la Physiologie se tiennent par des liens si étroits, 
qu'il est rare qu’une découverte dans cette dernière science n'apporte 
pas quelque lumière dans la première. 

Ainsi, le diabète sucré ne doit plus être considéré aujourd'hui que 
comme le trouble d’une fonction physiologique, et, comme celle-ci 
appartient au foie, l'affection diabétique doit être localisée dans cet 
organe ou mieux dans les parties du système nerveux qui sont 
capables d’agir sur lui, circonstance dont M. Claude Bernard a donné 


492 ŒUVRES DE PASTEUR 
des preuves saisissantes en déterminant par une lésion convenable 


de la moelle allongée cet état sucré des urines auquel il a donné le 
nom de diabète artificiel. 


Y 


Les travaux de M. CI. Bernard ont un mérite qui en rend la lecture 
éminemment instructive, particulièrement pour cette portion de la 
jeunesse studieuse qu'enflamme l’ambition du savoir et des décou- 
vertes de la Science : je veux parler du soin qu'il met à divulguer les 
idées par lesquelles il a été guidé dans ses recherches et dans ses 
procédés d'investigation. Ce mérite, que l’on ne trouve pas toujours 
en partage chez les inventeurs, M. Bernard le porte également au 
plus haut degré dans ses leçons du Collège de France. Il y porte 
surtout le grand art des recherches originales. Si cet établissement 
célèbre n'existait pas, ce n’est pas exagérer de dire que la méthode 
suivie par M. Claude Bernard pourrait donner l’idée de sa fondation. 
Il a défini [lui-même en ces termes le principal caractère de l’ensei- 
gnement scientifique du Collège de France, caractère dont M. Bernard 
ne s’est jamais départi dans ses leçons : 

« Toujours placé au point de vue de l'exploration, le professeur 
du Collège de France doit considérer la Science, non dans ce qu’elle 
a d’acquis et d’établi, mais dans les lacunes qu’elle présente, pour 
tâcher de les combler par des recherches nouvelles. C’est donc aux 
questions les plus ardues et les plus obscures qu'il s'attaque de 
préférence, devant un auditoire déjà préparé à les aborder par des 
études antérieures. 

« Dans les Facultés, au contraire, le professeur, placé au point 
de vue dogmatique, se propose de réunir dans un exposé synthétique 
l’ensemble des notions positives que possède la Science, en les 
rattachant au moyen de ces liens que l’on nomme des théories, 
destinées à dissimuler autant que possible les points obscurs ou 
controversés qui troubleraient sans profit l'esprit de lélève qui 
débute. 

« Ces deux genres d'enseignement sont, pour ainsi dire, opposés 
dos à dos. Le professeur de Faculté voit la Science dans son passé ; 
elle est pour lui comme parfaite dans le présent; il la vulgarise en 
exposant systématiquement son état actuel. Le professeur du Collège 


de France doit avoir les yeux tournés vers l'inconnu, vers l’avenir. » 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 493 


NT 


La méthode d'exposition adoptée par M. Claude Bernard, soit au 
Collège de France, soit dans ses Mémoires, l’habileté qui distingue 
ses combinaisons expérimentales, témoignaient depuis longtemps 
d’un esprit éminemment philosophique. Aussi voyons-nous, à mesure 
que les années et le travail incessant du laboratoire mûrissent les 
rares facultés de lillustre physiologiste, apparaître et grandir dans 
ses ouvrages les principes des plus savantes méditations sur la 
méthode expérimentale, particulièrement applicable à la science de 
la vie. 

L'ouvrage qu'il vient de publier, /ntroduction à l'étude de la 
Médecine expérimentale 1), exigerait un long commentaire pour être 
présenté au lecteur avec tout le respect que mérite ce beau travail, 
monument élevé à l'honneur de la méthode qui a constitué les sciences 
physiques et chimiques depuis Galilée et Newton, et que M. Bernard 
s'efforce d'introduire dans la Physiologie et dans la Pathologie. On n’a 
rien écrit de plus lumineux, de plus complet, de plus profond sur les 
vrais principes de l’art si difficile de lexpérimentation. Ce livre est à 
peine connu, parce qu'il est à une hauteur où peu de personnes 
peuvent atteindre aujourd'hui. L'influence qu'il exercera sur les 
sciences médicales, sur leur enseignement, leurs progrès, leur lan- 
gage même, sera immense; on ne saurait la préciser dès à présent, 
mais la lecture de ce livre laisse une impression si forte, que l’on ne 


peut s'empêcher de penser qu'un esprit nouveau va bientôt animer 
ces belles études. 


Nain 


J'ai parlé du savant : avec non moins d’éloges, j'aurais pu faire 
connaître la personne, l’homme de tous les jours, le confrère qui a su 
inspirer tant de solides amitiés, car je cherche dans M. Bernard le 
côté faible et je ne le trouve pas. La distinction de sa personne, la 
beauté noble de sa physionomie, empreinte d’une grande douceur, 
d’une bonté aimable, séduisent au premier abord; nul pédantisme, 
nul travers de savant, une simplicité antique, la conversation la plus 
naturelle, la plus éloignée de toute affectation, mais la plus nourrie 
d'idées justes et profondes : voilà quelques-uns des mérites extérieurs 
de M. Claude Bernard. 


1. Berarp (Claude), Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Paris, 1865, 
400 p. in-80. (Note de l'Édition.) 


494 ŒUVRES DE PASTEUR 


En terminant, il me vient un scrupule. 

J'ai cédé peut-être à des sentiments d’une admiration trop vive. 
Non. Le lecteur en jugera par les deux traits suivants. 

Un homme d’État interrogeait naguère au sujet de M. Bernard un 
de ses plus éminents confrères : « Ce n’est pas un grand physiolo- 
giste, » répondit celui-ci, « c’est la Physiologie elle-même (1). » 

Une maladie grave tient depuis plusieurs jours M. Bernard éloigné 
de Paris et de l’Académie. Le mal, dans tous ses symptômes alarmants, 
a cédé heureusement aux secours de l’art et aux soins de l'amitié. 
« Vous jugez bien que tout danger a disparu ? » disais-je il y a peu de 
jours au célèbre médecin 2?) qui a donné une preuve si sûre de 
l'excellence de son jugement par l’affectueuse et vaillante estime 
dont il a toujours entouré M. Claude Bernard. « Oui », me répondit- 
il, « c'était nécessaire. » Belle et bonne parole, expression du cœur 
autant que de la raison. 

Puisse la publicité donnée à ces sentiments intimes aller consoler 
l’illustre savant des loisirs obligés de la retraite, et lui dire avec 
quelle joie il sera accueilli à son retour par ses confrères et ses 


amis. 
L. PAsrTEURr. 


Cet article alla droit au cœur de Bernard. Il m’écrivit à la date du 
9 novembre : 
Saint-Julien, 9 novembre 1866. 


Mox cHER AM1, 


J'ai reçu hier le Moniteur contenant le superbe article que vous avez 
écrit sur moi. Vos grands éloges sont certes bien faits pour m'enorgueillir; 
cependant je garde toujours le sentiment que je suis très loin du but que 
je voudrais atteindre. Si la santé me revient, comme j'aime maintenant à 
l'espérer, il me sera possible, je pense, de poursuivre mes travaux dans un 
ordre plus méthodique et avec des moyens plus complets de démonstration, 
qui indiqueront mieux l'idée générale vers laquelle converge l'ensemble 
de mes efforts. En attendant, c'est pour moi un bien précieux encou- 
ragement d’être approuvé et loué par un savant tel que vous. Vos travaux 
vous ont acquis un grand nom et vous ont placé an premier rang des 
expérimentateurs de notre temps. C'est vous dire que l'admiration que 
vous professez pour moi est bien partagée. En effet, nous devons être nés 
pour nous entendre et nous comprendre, puisque tous deux nous sommes 
animés de la même passion et des mêmes sentiments pour la vraie Science. 

Je vous demande pardon de ne pas avoir répondu à votre première 
lettre : mais je n’étais pas en élat de faire la Note que vous me demandiez. 


1. M. Duruy et M. Dumas. 
2 M, Rayer. 


PR 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 495 


Jai bien pris part à vos douleurs de famille. J’ai également passé par là et 
j'ai pu comprendre tout ce qu'a dû souffrir une âme délicate et tendre 
comme la vôtre. 

J'ai l'intention de rentrer bientôt à Paris et de reprendre cet hiver mon 
cours, autant que je le pourrai. Comme vous le dites dans votre article, 
les symptômes graves paraissent avoir disparu, mais jai encore grand 
besoin de ménagements ; la moindre fatigue, le moindre écart de régime, 


me remettent sur le flanc. D'ailleurs j'ai reçu durant le cours de ma 
maladie tant de marques de sympathie et de haute bienveillance, tant de 
preuves d'estime et d'amitié, qu'il me semble que je suis engagé à ne rien 
négliger pour le rétablissement de ma santé, afin de pouvoir par la suite 
témoigner aux uns ma reconnaissance et mon dévouement, aux autres ma 
sincère affection. 

Donc, à bientôt, j'espère; en attendant, votre dévoué et affectionné 
confrère, 

CLauDnE BERNARD. 


Le lendemain, 10 novembre, il adressa cette lettre à notre ami 
commun M. Henri Sainte-Claire Deville : 


NON cHER AMI, 


Vous n'êtes pas moins habile à inventer des surprises amicales qu'à 
faire de grandes découvertes scientifiques. C’est une idée charmante que 
vous avez eue, et dont je vous suis bien reconnaissant, que celle de me 
faire écrire jar une commission d'amis. Je garde précieusement cette 
letire, d'abord parce qu’elle exprime des sentiments qui me sont chers et 
ensuite parce que cest une collection d’autographes d'hommes illustres 
qui doit passer à la postérité. Je vous prie d’être mon interprète auprès de 
nos amis et collègues, E. Renan, À. Maury, F. Ravaisson et Bellaguet. 
Dites-leur combien je suis touché de leur bon souvenir et de leurs féliei- 
tations sur mon rétablissement. Ce n'est malheureusement pas encore une 
guérison, mais au moins J'espère une bonne entrée en convalescence. 

J'ai recu Particle que Pasteur a fait sur moi dans le Woniteur. Cet 
article m'a paralysé les nerfs vaso-moteurs du sympathique et m'a fait 
rougir jusqu'au fond des yeux. J'en ai été tellement ébouriffé, que j'ai écrit 
à Pasteur je ne sais plus trop quoi; mais je n'ai pas osé lui dire qu'il avait 
peut-être eu tort de trop exagérer mes mérites. Je sais qu'il pense ce qu'il 
a écrit, et je suis heureux et fier de son Jugement, parce qu'il est celui 
d'un savant de premier ordre et d’un expérimentateur hors ligne. 
Néanmoins je ne puis m'empêcher de penser qu'il m'a vu à travers le 
prisme des sentiments que lui dicte son excellent cœur, et je ne mérite 
pas un tel excès de louanges. Je suis on ne peut plus heureux de tous ces 
témoignages d’estime et d’amitié qui m'arrivent. Cela me rattache à la vie 
et me montre que je serais bien bête de ne pas me soigner pour continuer 
à vivre au milieu de ceux qui m'aiment et à qui je rends bien la pareille 
pour tout le bonheur qu'ils me causent. J'ai l'intention de rentrer à Paris 


496 ŒUVRES DE PASTEUR 


d'ici à la fin du mois, et, malgré votre bon conseil, j'aurais envie de 


reprendre tout doucement mon cours au Collège cet hiver. J'espère qu'on 
m'accordera de ne commencer que dans le courant de janvier. Mais nous 
causerons de tout cela à Paris. 


En attendant, votre ami tout dévoué et bien affectionné, 


CLaune BErxaro. 


Saint-Julien, samedi 10 novembre 1866. 


Le 15 novembre, il m'écrivait de nouveau : 


Mox CHER AMI, 


J'ai recu de tous les côtés des compliments relativement à votre excel- 
lent article du Moniteur. Je suis donc très heureux et je dois vous en 
remercier, puisque vous m'avez fait un homme illustre de par votre autorité 
scientifique. J’ai hâte de reprendre mes travaux et de vous revoir, ainsi 
que tous mes amis de l’Académie; mais je désirerais que ma santé fût un 
peu plus affermie. Il fait beau temps ici; c’est pourquoi je retarde ma 
rentrée à Paris de quelques jours. 

Votre bien dévoué et affectionné confrère, 


CLaupEe BErxarp. 
Saint-Julien, 15 novembre 1866. 


De nombreux témoignages de sympathie me furent adressés à l’occa- 
sion de cet article du Moniteur. Le suivant, par les sentiments qu'il 
exprime, mérite d’être conservé. 


Sèvres, 9 novembre 1866. 
MoN CHER CONFRÈRE, 


J'ai recu l'excellent article sur Bernard que vous m'avez fait l'amitié de 
m'envoyer et je l'ai lu avec grand plaisir. Le publie y apprendra avec bien 
d’autres choses que les membres éminents de l’Académie s’estiment, s’admi- 
rent et s'aiment quelquefois sans aucune jalousie. C'était chose rare au 
siècle dernier, et, si tous suivaient votre exemple, nous aurions sur nos 
prédécesseurs une supériorité qui en vaut bien une autre. 

Croyez-moi votre très sincèrement dévoué et affectionné, 


J. BEerTran». 


Nous sommes restés, Claude Bernard et moi, jusqu’à la fin de sa 
vie, dans les termes qu’on peut inférer des circonstances que je viens 
de faire connaître : lui, bienveillant et affectueux en toute occasion, 
moi, plein de respect et de déférence pour sa personne, d’admiration 
pour ses travaux. 


EXAMEN CRITIQUE D'UN ÉCRIT POSTHUME DE CLAUDE BERNARD 
SUR LA FERMENTATION 


Le 20 juillet 1878, la Revue scientifique publia, par les soins de 
M. Berthelot, un manuscrit sur la fermentation (!), trouvé dans le tiroir 
d’un meuble de la chambre à coucher de Claude Bernard, après sa 
mort. 

L'illustre physiologiste n'avait chargé personne de mettre ce travail 
au jour, et M. Berthelot, que je suis loin de blämer de cette publica- 
lion, quoique, suivant moi, il eût fallu la faire dans d’autres condi- 
lions, nous apprend même que ce manuscrit était « soigneusement 
caché ». 

Voici l’article de la Revue, avec le préambule de M. Berthelot. Le 
texte que je donne a été collationné sur loriginal. Il diffère sensi- 
blement sur plusieurs points de lédition de la Revue. Je mentionnerai, 
dans des indications placées au bas des pages, quelques-unes des 
additions et des suppressions du texte imprimé. Les signaler toutes 
serait fastidieux, tant on a apporté peu de soin dans la correction des 
épreuves. Il importe cependant beaucoup que ces Notes apparaissent 
au lecteur avec leurs principales imperfections et comme si le 
manuscrit original était sous les yeux. L'importance même qu’on 
peut leur attribuer exige qu'elles soient reproduites avec une exacti- 
tude rigoureuse. 


Lorsque Claude Bernard fut enlevé à la Science, son génie était dans 
toute sa force et son esprit d'invention n'avait souffert aucune diminution. 
IL avait entrepris, depuis quelques mois, une nouvelle série de recherches 
sur la fermentation alcoolique, et il annonçait à ses amis et à ses élèves 
qu'il croyait avoir fait des découvertes susceptibles de modifier profondé- 
ment les théories régnantes. Malheureusement la mort l’a surpris avant 


1. BerNarp (Claude). La fermentation alcoolique. Dernières expériences de Claude Bernard 
(publiées par M. Berthelot). Revue scientifique, 2 sér., XV, 1878, p. 49-56. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES,. 92 


198 ŒUVRES: DE PASTEUR 


qu'il ait pu donner son secret; quand il en eut la pensée, il était déjà 
trop tard : « Cela est dans ma tête », disait-il à M. d’Arsonval, son dévoué 
préparateur, qui à entouré ses derniers moments des soins les plus 
affectueux, « cela est dans ma tête, mais je suis trop fatigué pour vous 
l'expliquer ». 

Claude Bernard n'avait pas l'habitude d'écrire le détail de ses expé- 
riences avant d'être parvenu à des résultats définitifs. Aussi tout portait 
ses amis à regarder ses dernières découvertes comme complètement 
perdues, lorsque M. d’Arsonval retrouva dans un coin, soigneusement 
caché, le cahier de Notes qui suit et qui est entièrement autographe. 

Ce sont des Notes de laboratoire relatant sous une forme sommaire les 
essais que Claude Bernard avait exécutés en octobre 1877, dans sa pro- 
priété de Saint-Julien, près de Villefranche, à l’époque des vendanges. Les 
résultats en sont présentés d’une façon trop abrégée pour constituer une 
démonstration rigoureuse, pas plus que ne le sont en général les Notes des 
inventeurs, une portion de leurs vues et de leurs travaux, souvent la plus 
décisive, demeurant réservée dans leur esprit jusqu’au jour de la rédaction 
finale. Ces brèves indications offrent un intérèt spécial, parce qu’elles sont 
accompagnées de ces réflexions personnelles que tout savant original 
s'adresse à lui-même, à titre de commentaire provisoire de ses observations 
présentes. 

Claude Bernard avait poursuivi ses expériences au Collège de France 
pendant les mois de novembre et décembre; mais aucune Note relative à 
ces dernières recherches n’a pu être retrouvée. 

Tout ce que nous savons, c'est que ses déclarations, quelques jours 
avant sa mort, étaient tout à fait conformes aux affirmations générales des 
Notes de Saint-Julien. 

Dans cet état de choses, plusieurs amis et élèves de Claude Bernard 
ont pensé qu'il y avait intérêt pour la Science à conserver la trace des 
dernières préoccupations de ce grand esprit, quelque incomplète qu'elle 
nous ait été laissée. On y verra comment il entendait attaquer le problème 
et par quelles voies il espérait en atteindre la solution. 


Tel est le préambule dont M. Berthelot a fait précéder les 
Notes suivantes de Claude Bernard dans la Revue scientifique du 
20 juillet 1878. 


1° Jus de raisin; levüre pourrie de bière; pancréas qui pourrit, ete. ; 
2 Faire sécher lie ferment de vin; 


1. Les chiffres romains inscrits en tête des Notes ont été placés par moi pour la commodité 
de la désignation de celles-ci. Ils ne figurent pas dans le manuscrit de Bernard. 

Le manuscrit ne porte pas en tête, comme l'indique la Revue, le titre de Notes diverses. 

Tout le premier paragraphe, depuis ces mots 1° Jus de raisin. jusqu'aux derniers curieuæ 
à suivre, commence sur le verso d'une feuille qui porte à son recto : ExPÉRIENCES. Saint- 
Julien 1877. Ce paragraphe est donc bien, quoique sans date, de la date même des expériences 
qui vont du 1e au 20 octobre 1877. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 499 
3° Raisins confits gonflés dans l’eau le jus ne fermente pas si la pelli- 
cule n’est pas rompue; raisins pourris secs ; 
4° Ajouter eau à raisins pourris ; 
5° Filtrer jus sur le résidu sur le marc de raisins pourris, cela fera-t-1l 
du jus vieux raisin pourri avec jus récent non pourri; 
6° Formation d'alcool indépendamment de cellules. 


Expérience (1). 


A. Raisins pourris exprimés ou non ajoutés à liquide pur. 

B. Mélange de jus pourri avec jus récent non pourri. 

Y aura-t-il alcool sans ferment? 

Le ferment soluble serait-il dans le raisin pourri? 

Dans le jus (?) récent les germes se forment. 

Dans le jus pourri la force plastique serait morte (3), mais le ferment 
soluble existerait : se formera-t-il de l'alcool sous cette influence ? 

7° Jus de poires (*) pourri mêlé à jus de raisin récent Dale 

Le jus de poires est-il comme (5) le jus de raisin pourri? 

En ajoutant très peu de matière azotée, elle s’épuise et ne fermente plus. 

Dans le jus de fruits pourris où la faculté plasmatique est tuée, l'alcool 
augmentera-t-il? Les priver d'alcool par dessiccation ou par le vide puis 
réajouter de l’eau et voir si l’alcool se formera? Bonne expérience (6). 


Le jus raisin pourri, quoique sucré, ne fermente pas, y ajouter ferment, 
il fermentera. — Our. 


Pourquoi ferment ne se forme-t-il pas. 

Ajouter liquide pourri (7) albumineux levüre pourrie à jus récent, pro- 
duira-t-il alcool par pourriture sans levüre. Ce sera le ferment alcoolique 
soluble (5). 

Les jus de poires, de pommes pourries ne donneront pas de levüre, les 
jus de poires fraîches en donneront, c’est comme le raisin. 

Pourquoi ? 

Ajouter du sucre glucose au jus de poires pourries ou raisin pourri, se 
formera-t-1l levûre ? 

Tout cela est curieux à suivre. 


La Revue écrit exemples. 

La Revue écrit raisin. 

La Revue écrit tuée. 

La Revue écrit raisin. 

Le mot comme n'est pas dans le manuscrit. 

Ces mots bonne expérience n'ont pas été reproduits par la Revue. 


Le mot pourri est supprimé par la Revue, ainsi que les mots levure pourrie dans la 
même phrase. 


JUS LO N = 


RE 


8. A la suite de cet alinéa, la Revue a supprimé les phrases suivantes, où se trouvent en 
effet un mot illisible et un membre de phrase inachevé : 

« Le ferment pourri laissé à l'air avec les grappes se forme levûre. Pourquoi pas dans le 
liquide. — Est-ce parce qu'il y a (mot illisible) d'alcool dans le jus pourri? Non. — Suivre ce 
fait curieux de la non-fermentation ou plutôt suivre formation de levüre dans verjus et dans 
(phrase non achevée). » 


500 ŒUVRES DE PASTEUR 


IT 
Saint-Julien, 1° octobre 1877 (1). 


Expérience sur la recherche des germes de levüre sur les grappes 
= 2 Le 
de raisin. 


Je prends des grappes de raisin mûr, je les lave dans de l’eau claire de 
la serre, eau venant des toits, avec un pinceau de blaireau comme l'indique 
Pasteur. Il en résulte un liquide trouble. Examiné au microscope immédia- 
tement, je ne découvre rien qui puisse ressembler à des germes ou à quelque 
chose d’organisé. Je ne vois que des corpuscules provenant de la poussière 
ou de parties terreuses qui se trouvaient à la surface de la grappe ou des 
grains de raisin. 

Je traite de la même manière des grappes de raisin vert [aigrés (?)] et 
je n'y découvre immédiatement pas autre chose de (sic) corpuseules de 
poussières. En laissant ces eaux de lavage abandonnées à elles-mêmes dans 
ma chambre et en les examinant cinq ou six jours aprés, je constate à la 
surface de l’eau de lavage des raisins mürs une pellicule formée d’infusoires 
monades vibrions avec d’autres infusoires plus gros. Au fond du verre, il 
y a un dépôt dans lequel on trouve des parties organisées, pouvant être 
plus ou moins analogues à ce qu'a figuré Pasteur dans son ouvrage. 

Mais ces productions (3) n’ont eu lieu que postérieurement au lavage 
des raisins et sont le fait d'une production dans l'infusion, où il y avait 
peut-être un peu de jus de raisin ou des parties organisées; car en frottant 
avec le pinceau quelques grains de raisin s'étaient détachés. 

Dans l’infusion de verjus, il y avait beaucoup d’infusoires également, 
mais je n'y ai pas vu de ces végétations organisées. 

On refait l'expérience en prenant tous les soins nécessaires pour ne pas 


détacher de grains de raisin. 


1. Près de ce titre, en marge, et avec renvot indiqué, il y a ces mots : « I faudrait prendre 
de l’eau distillée ou de l’eau de pluie pure. » Le renvoi correspond aux mots eau venant des 
toits qu'on trouve dans le texte de la NOTE. 

Enfin, ily a en marge de ce premier paragraphe un programme de son Cours de l'an 
prochain, dit-il; mais ce programme est difficile à lire en quelques endroits. La Revue l'a 
entièrement supprimé. Il y est question de la respiration; beaucoup de mots sont illisibles. 
« Conception des organismes. Commencer par respiration — 


Voici les dernières lignes : 
des fermentations et de la génération et de 


conflit — puis à propos de nutrition parler 
l'innervation. » 

2. La Revue écrit toujours ce mot comme aigris ou aigres. Cest aigi 
lité, que porte le manuscrit. 

3. La Revue écrit produits. 


< 
-és, terme de loca- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 501 


ITI 
Saint-Julien, 7 octobre 1877. (Exp. n° 4.) 


Expérience sur la formation de l'alcool dans le jus de raisin 
sans ferment. 


Le 7 octobre, je prends des raisins blancs pas très mürs, je les presse 
immédiatement pour en extraire le jus, que j’examine aussitôt à l’alcooscope. 
Il n'y à pas sensiblement d'alcool, pas même de stries plates. — Je jette 
une autre partie du liquide sur un filtre — le liquide filtre en moins d’une 
heure, dans une chambre où la température est à moins de 10°. Je sépare 
aussitôt une partie du liquide des parties organiques en suspension qui ont 
passé à travers le linge, de sorte que cette partie est soustraite à l’action 
des cellules ou des débris de cellules végétales — je laisse filtrer le reste 
du liquide. 

Le 9 octobre, tous les liquides étant restés dans la chambre à la tem- 
pérature de 9 à 10°, j'examine comparativement le liquide filtré le premier 
— il y a des cristaux formés au fond du verre — avec le liquide filtré le 
dernier. Les deux liquides donnent les indices à l’alcooscope; mais il sem- 
blerait que le liquide filtré le dernier, c’est-à-dire resté en contact avec les 
débris de cellules sur le filtre, contient plus d'alcool, ce qui établirait que 
l'alcool ne se produit que sous l'influence des cellules ou débris de cellules 
et non d’un ferment soluble. Il est très important de décider si ce fait est 
exact ou non pour répondre à la théorie de Pasteur et juger si elle est 
fausse ou vraie. 

Il faudrait un certain degré de maturité ou un certain temps de contact 
des cellules mises à l’air pour que le ferment soluble (produit d’altération) 
se formât. 

Une autre partie de liquide (jus) filtré le second c’est-à-dire séparé après 
trois ou quatre heures de filtration donne autant d’alcool que le liquide 
filtré le dernier. 

De sorte qu’en somme l’expérience est douteuse; il faut la recommencer 
avec des raisins plus moins (sic) et moins mürs pour voir l'influence de la 
maturité et des diverses conditions de cette expérience importante. 

Je dois ajouter que tous les liquides filtrés n'avaient pas la moindre 
trace de trouble; il n’y avait pas la moindre trace de ferment formé; il y 
avait seulement des cristaux déposés au fond des vases. 

Conclusions. — Cette expérience démontre que le jus primitivement 
exempt d'alcool en a formé en dehors de tout contact de cellules; seule- 
ment il reste à décider si la prolongation du contact avec les débris de cel- 
lules augmente la quantité d’alcool, sans que pour cela il y ait formation 
de cellules de levüre 

(Voir expérience n° 6.) 


502 ŒUVRES DE PASTEUR 


IN 
Saint-Julien, 8 octobre 1877. 
Expériences sur Les raisins sains ct pourris. 


Sur une treille (celle de la terrasse), j'ai recueilli sur les mêmes 
raisins 

1° Des grains sains mûrs; 

2° Des grains pourris humides ; 

3° Des grains pourris desséchés (1). 

A. — Je broie les grains et je les examine instantanément, sans filtrer, 
à l'alcooscope. Il y a des traces douteuses d'alcool. Stries plates (2). 

Je laisse abandonnée à elle-même une partie du même jus qui sera ulté- 
rieurement examinée. 

B. — Je broie les raisins pourris et j'examine instantanément à l’alcoo- 
scope, ils donnent des flots d'alcool. Grosses stries, grosses gouttelettes, avec 
inflammation légère à l'extrémité du tube 3). 

C.— Je broie les grains pourris secs et j'exprime dans un linge, 
j'examine aussitôt à l’alcooscope et je constate l’existence d’alcool en quan- 
tité, mais pas () autant que dans les raisins pourris frais, sans doute parce 
que le liquide est étendu d’eau. 


Je laisse macérer encore les grains dans l’eau pour voir si l'alcool 
augmentera. 


Conclusions. — Sur le même raisin, les grains pourris frais ou secs 


contiennent beaucoup d’alcool, les grains sains n'en renfermant pas sensi- 
blement. 


Le 10 octobre, j'examine à l’alcooscope la partie du jus sain que j'avais 
laissée abandonnée à elle-même, mais à une température basse de 5 à 8. 
La quantité d'alcool semble être un peu plus marquée, mais est bien loin 
d’être aussi grande que dans le jus de raisin pourri. Cela tient (5) à ce que 
la température était trop basse. — Refaire l'expérience en soumettant le 
jus à une température plus élevée et basse comparativement. 

J'ai répété une autre fois l’expérience. J’ai examiné immédiatement à 
l’alcooscope le jus de grains de raisins pourris, et j'ai trouvé incompara- 
blement plus d'alcool que dans les grains de raisins sains. 


1. Cette année pluvieuse a déterminé la pourriture du raisin; mais depuis quelque temps il 
a fait sec et un grand vent du nord à régné, ce qui a arrêté la pourriture et desséché en partie 
celle qui était antérieurement opérée. 

Cette dernière phrase est bien en note dans le manuscrit. La Revue la place dans le texte. 

2. Ces mots stries plates sont supprimés dans la Revue. F 
. Toute cette dernière phrase est supprimée dans la Revue. 
Le mot pas est supprimé dans la Revue. 


. La Revue écrit : « Cela tient sans doute ». Ces derniers mots ne sont pas dans le 
manuscrit. 


©9 


O1 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 503 


\ 
Saint-Julien, 8 octobre 1877. (Exp. n° 5.) 


Expériences sur les raisins confits. — Recherche d'un ferment 
alcoolique soluble. 


Je broie des raisins confits avec de l’eau. 

Une partie du jus sans filtrer est examinée immédiatement à l’alcooscope : 
il y a des traces douteuses d'alcool. Une autre partie du liquide est jetée 
sur le filtre. 

Le 9 octobre, j’examine une partie du liquide filtré resté à la tempé- 
rature basse chambre à moins de 10° (1). Il n'y a que des traces 
douteuses d'alcool comme la veille. 

Jexamine du liquide qui était au contact avec les raisins à tem- 
pérature au-dessous de 10° (2). Il n’y a pas sensiblement d'alcool. 

Autre expérience. — Le 11 octobre, raisins confits broyés avec 
de l’eau et laissés macérer pendant deux ou trois heures à tempé- 
rature basse [moins 10° (3)]. 

Ensuite on exprime dans un linge. — Une partie du liquide 
trouble est essayée immédiatement à l’alcooscope, traces très dou- 
teuses d'alcool, — l’autre partie du liquide est réservée et placée 
sur la cheminée de la cuisine, ainsi que les grains de raisins confits 
broyés et exprimés auxquels on ajoute de l’eau. 

Le 13 octobre, il parait y avoir à l’alcooscope sensiblement plus d'alcool 
que dans le témoin bouilli immédiatement. On laisse l'expérience continuer. 

Le 15 octobre, j examine de nouveau à l'alcooscope, il y a beaucoup 
d'alcool formé: mais je constate au microscope qu'il y a des grains de 
ferment dans le liquide; — je mets ce liquide contenant des grains de 
ferment (*) à l’étuve dans un tube à fermentation (5), deux jours après, il y 
a formation de gaz en grande quantité, fermentation active: donc il y a 


5 
ferment constaté par ce moyen qui est excellent (6). 


Fi. 1. 


1. La Revue écrit à la température de 10 degrés environ. 
2. La Revue écrit à La même température. 
3. La Revue écrit à + 100. 
4. La Revue supprime ces mots : contenant des grains de ferment. 
La Revue ne reproduit pas la figure, qui a été prise photographiquement sur le manus- 
crit, comme toutes les autres. 
6. Le manuscrit termine la note V par les lignes suivantes, que la Revue supprime : 
Faire gonfler dans de l'eau des raisins confits. Aura-t-on un jus analogue à celur du 
raisin pourri. 
Au verso du feuillet le manuscrit porte en outre : mettre jus de raisin dans un œuf 
comme un grain de raisin et sa pellicule air filtré. Suit un dessin informe avec cette 
légende : Un appareil avec coton à filtrer au soleil. 


20 ŒUVRES DE PASTEUR 


VI 
Saint Julien, 11 octobre 1877. (Expér. n° 5 bis.) 


Expérience avec des raisins pourris, desséchés sur le cep. 


Je broie avec de l’eau les grains de raisin pourri mais secs, et je laisse 
macérer deux à trois heures à une température basse moins 10° (1). Puis 
j'exprime dans un linge. Une partie du jus trouble est aussitôt bouillie; 
traces évidentes d'alcool. Une autre partie est mise sur la cheminée de la 
cuisine et conservée pour être examinée ultérieurement, ainsi que de la 
pulpe de raisins confits exprimée, à laquelle on a réajouté de l’eau. 

Le 13 octobre. Il ne semble pas y avoir à l’alcooscope plus d’alcool que 
dans le témoin. Le ferment alcoolique ne semblerait donc pas exister dans 
les raisins pourris secs. 

Le 15 octobre. Je constate à l’alcooscope beaucoup d’alcool formé dans 
le liquide, mais il y a également des grains de ferment que l'on constate 
au microscope. Je place de ce liquide renfermant des grains de ferment (2) 
dans un tube à fermentation (*), deux jours après il y a fermentation et 
formation de gaz qui remplit le tube. Done il y avait du ferment, c'est un 
bon moyen de le constater, plus sûr que le microscope dans ces conditions. 

Mettre des raisins pourris secs dans de l’eau sans les broyer — les 
faire gonfler seulement (‘). Leur jus exprimé sera alors plus concentré — 
et séparera-t-on un ferment ? 


VII 
Saint-Julien, 10 octobre 1877. 


Fermentation alcoolique. — Raïsins blancs très murs. 


Le 10 octobre 1877 (5), je prends des raisins blancs de treille très mürs, 
très dorés; je les broie et examine immédiatement, sans filtrer le liquide, 
à l’alcooscope (il semblerait y avoir des traces plus nettes pour les raisins 
très mürs); je filtre le reste du liquide dans la chambre à température 
basse [moins 10° (6). 


1. La Revue écrit à la température de + 10°. 

2. La Revue supprime ces mots : renfermant des grains de ferment. 

3. Il ya en marge dans le manuscrit le dessin de la figure 1. La Revue ne le reproduit 
pas. 

4. La Revue écrit lentement au lieu de seulement. 


5. Ces mots Le 10 octobre 1877 ne sont pas dans le texte de la Revue. 
6. La Revue supprime le mot moins. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 505 


Le 14 octobre, le liquide filtré est resté parfaitement limpide. Je 
l'examine à l’alcooscope, il contient des traces évidentes d’alcool, mais 
pas plus considérables que le liquide examiné immédiatement qui est de 
nouveau comparé avec le liquide filtré. 

Alors je mélange une partie du liquide, jus venant d'être bouilli avec 
du jus non bouilli, très limpides tous deux. Il en résulte une élévation de 
température, et je mets ces liquides sur le poêle de ma chambre à une 
température de 30°; je laisse le liquide dans une soucoupe en verre, de 
manière à ce qu'une large surface soit à l’air et au contact du poêle. 

J'examine à l’alcooscope le liquide après quatre heures de cette expo- 
sition à la chaleur, le liquide n'ayant pas perdu sa transparence; je 
constate que l'alcool n’a pas augmenté dans le liquide. 

Conclusion. — Le liquide n'était pas assez ancien, et n’avait pas acquis 
encore le degré d'altération nécessaire pour donner naissance à l'alcool et 
à la levüre qui se fait d’une manière en quelque sorte simultanée (!). 

Quand le liquide est ancien et conservé à une température trop basse 
pour que le ferment se fasse, alors une élévation de température l'amène 
plus rapidement; ce qui revient à dire que le degré d’altération nécessaire 
à ce résultat est plus vite atteint. 


VIII 
Saint-Julien, 10 octobre. (Expér. n° 6.) 


Expériences sur la fermentation alcoolique. — Recherche d'un ferment 
soluble alcoolique. — Le jus de raisin forme-t-il de l'alcool indépen- 
damment de la levüre de vin (?). 

Le 10 octobre, j'exprime dans un linge clair des grains de raisin noir 
à peu près mürs (quoiqu'il y ait quelques grains encore rouges et non 
noirs), conservés dans le fruitier depuis huit jours. 

Jexamine aussitôt le jus non filtré à l’alcooscope, et je constate des 
traces très douteuses d'alcool. Stries plates mais pas de gouttelettes (*). Je 
conserve ce liquide qu’on filtre après ébullition : c’est le jus n° 0; ce jus 
est filtré, coloré en rose, tandis que le jus non bouilli est légèrement 
citrin ; cela est dû à l'influence de l’ébullition sur la matière colorante du 
raisin. 

La plus grande partie du jus est filtrée à température basse moins 
10° (4). Comme la filtration se fait lentement, je sépare le Jus passé dans 
les deux ou trois premières heures : c’est le jus n° 1. Le reste du jus filtre, 
et sa filtration dure vingt-quatre à trente-six heures : c'est le jus n° 2. 
Enfin une partie du jus n’est pas filtrée et est laissée en contact avec les 


et 


. La Revue écrit : « Le liquide n'étant pas assez ancien, 22 n'avait. » 
2. La Revue écrit bière au lieu de vin. 

. Ces derniers mots sont supprimés par la Revue. 

. La Revue supprime les mots température basse motns. 


Us 20 


> 


506 ŒUVRES DE PASTEUR 


débris de cellules qui ont passé à travers le linge au moment de l'expression 
des grains de raisin : c’est le jus n° 5. 


Jus n° 0. — Il est laissé à filtrer à basse température [moins 10° (1)]. 

Jus n° 1. — Est divisé en plusieurs parties. 

A. — Une première partie est laissée dans la chambre à basse tempé- 
rature [moins 10° (2)]. 

B. — Une autre partie est placée dans ma chambre à 15 ou 18°. 

C. — Une troisième partie, laissée d’abord dans la chambre à basse 
température (*), est portée ensuite au soleil et passe les nuits dehors. 

D. — Une quatrième partie est placée dans l’étuve oscillant de 15 à 25°. 

Jus n° 2, — Est laissé dans la chambre à basse température [moins 
LOS 

Jus mn Est également laissé dans la chambre à basse température. 

Le 12 octobre. — Tous les jus sont parfaitement limpides, aucun 


trouble, aucune trace de formation de ferment n’a eu lieu dans aucun 
d'eux. 

Cette année 1877, les fermentations vineuses sont très lentes à se 
manifester, les cuves restent dix et douze jours avant d’être tirées. 

Le 15 octobre. — Le jus conservé dans ma chambre est devenu trouble, 
renferme un commencement de ferment du vin, et donne énormément 
d'alcool à l'alcooscope. Les autres liquides conservés dans la chambre à 
basse température moins 10° (5) sont parfaitement limpides et ne ren- 
ferment pas, à l’alcooscope, sensiblement plus d’alcool que le premier 
jour, pas plus le liquide n° 0, n° 2, que dans le liquide n° 2 que dans le 
liquide n° 3 (6). 

Il est donc nécessaire de placer les jus dans une température plus 
élevée, alors je mets sur mon poêle de faïence, à une douce chaleur, du 
liquide n° 1, n° 2 et n° 3. 

Le liquide n° 3 qui était dans le fond d’une bouteille et chauffait par 
une large surface devient, après trois à quatre heures, un peu moins clair; 
j'attends encore une heure et j’examine à l’alcooscope, il y a des flots 
d'alcool, mais au microscope je constate des globules de ferment quoique 
petits et rares. — L'alcool semble donc s'être formé subitement au moment 
où le liquide est devenu trouble et à un moment où les globules de levüre 
allaient se former. 

Les liquides n° 2 et n° 1 qui étaient sur le poêle et étaient dans des 
verres, n'étaient pas devenus louches, et ne contenaient pas sensiblement 
plus d’alcool que la veille. 

Conclusion. — 11 semble y avoir un point où l'alcool se fait subitement. 
Suivre le phénomène dans d’autres expériences en soumettant le jus à des 
températures constantes et assez élevées. L'alcool et la levüre se for- 
meraient-ils dans un milieu alealin (7)? Une autre conclusion est que la 


1. La Revue écrit à + 100. 

2. La Revue écrit à + 10e. 

3. La Revue ajoute + 100. 

4. La Revue écrit Est laissé à + 10. 

o. La Revue écrit conservés à + 10. 

6. La Revue a supprimé tout ce membre de phrase : pas plus, ete. 
7. La Revue écrit alcoolisé au lieu de alealin. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 507 


température a une influence considérable sur la formation de la levüre et 
de l'alcool; en tenir compte dans les expériences ultérieures. 

Le 14 octobre — J’examine le liquide C exposé au soleil; il était 
devenu trouble et des bulles de gaz se dégageaient; il ÿ avait beaucoup 
d'alcool, et j'ai constaté au microscope que de fe levüre s'était développée, 
mais beaucoup plus grosse que celle qui se forme à l'obscurité dans les 
étuves. Toutefois il ne semble pas y avoir plus d'alcool dans ce liquide que 
lorsque la levûre est chétive et en faible quantité. 


IX 
Saint-Julien, 11 octobre 1877. (Expér. n° 7.) 


Expériences sur la fermentation alcoolique. — Recherche d'un ferment 
alcoolique soluble. — Influence de l'altération (pourriture) sur la 
formation de l'alcool (1). 


Le 11 octobre, je broie des grains de raisin pourris et bien pleins de 
jus. Ces grains sont recueillis dans le fruitier sur des raisins blancs, 
ramassés depuis huit à quinze jours pour les conserver. 

J'examine immédiatement à l’alcooscope le jus exprimé et il renferme 
des flots d'alcool. Stries épaisses, grosses gouttelettes avec inflammation au 
haut du tube alcooscopique (?). Sur les grains sains des mêmes raisins il 
n'ya pas sensiblement d'alcool. 

En examinant au microscope divers grains pourris dans le jus, après 
avoir enlevé la pellicule du grain pourri, ou en exprimant une goutte du 
liquide, je n'ai pas pu y constater de ferment alcoolique. Parfois j'ai vu 
des granulations réfringentes que j'ai observées autrefois (granulations 
protoplasmiques ?). — D'ailleurs j'ai fait une autre épreuve qui me parait 
décisive pour montrer qu'il n’y a pas de ferment alcoolique et que l'alcool 
a été ici formé indépendamment de lui. J'ai pris de ce même jus de raisin 
pourri non filiré, simplement exprimé à travers un linge clair qui aurait 
laissé passer les globules de ferment avec beaucoup d'autres débris de 
cellules végétales. Je l'ai introduit dans deux tubes à fermentation «a et 
(voir fig. 1, p. 10*) que j'ai ensuite placés dans l'étuve à 20° (*). Dans le 
tube a il n’y avait que le jus de raisin pourri avec des débris de cellules, 
dans le tube D j'ai ajouté en outre un peu de glucose, quoique le jus de 
raisin contint encore du sucre et réduisait abondamment. Les deux tubes 
contenant Jus pourris étaient très nettement acides (). 

Le lendemain 12 octobre, aucune trace de fermentation n’a eu lieu dans 
les deux tubes & et b, ce qui serait infailliblement arrivé s’il y eût eu du 


1. La Revue écrit fermentation de l'alcool. 

2. La Revue a supprimé toute cette dernière phrase. 

3. En marge, un dessin pareil à celui de la page 10° 

4. La Revue supprime les mots tubes contenant et HER 


* Page 503 du présent volume. (Vote de l'Édition.) 


508 ŒUVRES DE PASTEUR 


ferment dans le jus de raisin pourri(!). Pour avoir encore une contre- 
épreuve, j'ajoute un peu de ferment d’un tube en fermentation au tube a 
pour voir si la fermentation se développera dans ce tube et pas dans le 
tube b. En effet, la fermentation s’est bien développée dans ce tube à qui 
s'est rempli de gaz absorbable par KO (2), le tube & n'a pas du tout fer- 
menté. Je prends le marc de raisin pourri exprimé, j'y ajoute de l’eau et je 
constate que cette eau renferme encore des traces évidentes d’alcool. 

Dans deux verres je place comparativement de ce marc; dans un verre 
S je n'ajoute rien, dans l’autre S' j'ajoute une dissolution de glucose. On 
place les deux verres sur le rebord de la cheminée de la cuisine pour voir 
si, au contact de ces mares, il se formera de l'alcool, sans ferment comme 
par un ferment soluble. Il s’est formé de l’alcool, mais il s'est produit du 
ferment de vin (3). 

Le 12 octobre, je filtre le liquide exprimé des raisins pourris après 
avoir décanté la partie claire, citrine du liquide reposé depuis la veille 
dans la chambre à basse température moins 10° (*). J’examinerai si ce qui 
restera sur le filtre jouera le rôle de ferment. Une autre partie du mare 
est laissée dans la chambre à basse température. 

Le 13 octobre j'examine les deux verres S et S';il ne parait s’y être 
formé d'alcool ni dans l’un ni dans l’autre; mais, en attendant davantage, 
il s’en est formé en même temps que des grains de ferment. 

13 octobre. — Je place du jus de raisin pourri très alcoolique dans un 
tube simplement bouché avec du papier, pour voir s’il s’y développera 
spontanément du ferment le tube X est placé dans l’étuve près du feu, 
oscillant de 15 à 25°. — Bientôt il se forme une moisissure à la surface, 
mais pas de fermentation. Le 20 octobre le jus commence à fermenter; il 
se dégage des bulles de gaz, mais pas de ferment; le liquide reste clair 
mais cette fermentation (ÿ) qui continue serait-elle due à la moisissure qui 
s’est faite à la surface ? On le croirait, car un autre tube bouché dans lequel 
il ne s’est pas fait de moisissure il ny a pas eu fermentation. 

Jai dit qu'au moment où on exprime le jus des raisins pourris il n'y a 
pas de ferment dans ce jus, mais en laissant ce liquide en contact avec le 
marc, il s’en est formé bientôt. Alors j'ai pris de ce jus que j'ai placé dans 
un tube à fermentation pour voir s’il fermentera maintenant tandis qu'il 
n'a pas fermenté au début (5). La fermentation finit par arriver, mais très 
lentement et d’une façon douteuse. Il n’y a aucune comparaison à faire avee 
le jus de raisin frais. 


1. Ces six derniers mots sont supprimés dans la Revue. 
2. Au lieu de KO, la Revue écrit 12 degrés. 
. Ici le manuscrit figure quelques cellules de ferment. 
4. La Revue écrit à + 10°. 
D. La Revue écrit : …. le liquide reste clair. Cette fermentation…. 
6. La Revue écrit : .…. pour voir s'il fermentera. 
Maintenant qu'il n'a pas fermenté au début, La... 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 509 


Saint-Julien, 18 octobre 1877. 


Observations sur la fermentescibilité différente du jus de raisins mûrs, 
du jus de verjus et du jus de raisins pourris. 


1° Jus de raisin mûr. — Le jus de raisin mür, noir ou blanc, fermente 
très vite. Le liquide filtré à basse température filtre lentement et devient 
parfaitement limpide; mais si on le porte à une température plus haute, 
bientôt il se trouve (sic) du ferment se forme et se dépose au fond, des 
bulles de gaz se dégagent, ete. 

Quelquefois, dans les années chaudes, j'ai vu cette fermentation s'établir 
à la vigne même dans les bennes. 

Le jus de raisins mürs contient des traces évidentes d'alcool, il con- 
tient beaucoup de sucre réducteur. L'air est nécessaire pour que le Jus de 
raisin fermente. 

2 Jus de verjus. — Le jus de verjus (aigrés), filtré à basse température 
{moins 10°), filtre rapidement et devient parfaitement limpide. 

Porté à une plus haute température, le jus reste toujours limpide, ne se 
trouble pas, ne dégage pas de gaz; seulement au bout de quelques jours il 
se forme des moisissures submergées ou à la surface du liquide qui reste 
parfaitement clair. Il ne se forme pas de ferment dans aucun cas. 

Le jus de verjus ne renferme pas de traces évidentes d'alcool. Il ren- 
ferme beaucoup de sucre réducteur. 

Conclusion. — Le jus de verjus ne fermente pas alcooliquement, quoique 
exposé à l’air et à une température convenable. 

Toutefois, il se forme des apparences de ferment dans le marc du jus 
exprimé qu'on laisse exposé à l'air s’altérer et pourrir sans y ajouter de 
l’eau. 

IL s’y forme également de l'alcool, sans doute par la présence de ce 
ferment ; cependant j'ai mis ce jus dans un tube et il n’a pas donné de gaz, 
n’a pas fermenté. 

Donc le ferment n’a pas son germe, c’est-à-dire sa cause dans le jus. 
mais dans le mare, c’est-à-dire dans les grains de raisin vert. 

3 Jus de raisins pourris. — Le jus de raisin pourri, filtré à basse tem- 
pérature, filtre très lentement et devient parfaitement limpide. Porté 
ensuite à une température de fermentation, le liquide ne fermente pas et 
ne se trouble pas; il se forme à la surface des moisissures, mais non sub- 
mergées ; comme pour le verjus. Il ne se forme pas de ferment. 

Ce liquide contient beaucoup d'alcool et beaucoup de sucre réducteur. 

Conclusion. — Le jus de raisin pourri ne fermente pas alcooliquement, 
quoique exposé à l’air et à une température convenable. 

Toutefois il se forme du ferment dans le mare de raisin pourri exposé à 
l’air (et auquel j'ai ajouté de l’eau); il s'y forme également de l'alcool sans 
doute par le ferment; le liquide de macération exprimé dans un linge 


510 ŒUVRES DE PASTEUR 


donne dans un tube à fermentation du gaz et fermente. Donc le germe du 
ferment dans le raisin pourri n’est pas dans le jus, mais dans le marc. 

En laissant ces parties en suspension dans le jus exprimé, je n'ai pas 
vu de ferment se développer; faudrait-il en conclure que c’est dans la pel- 
licule du raisin et non dans la partie intérieure que se trouverait la raison 
de la formation du ferment? Non. 

En ajoutant du sucre glycose au jus de raisin pourri, il ne fermente pas 
davantage immédiatement. 

En y ajoutant de l’eau mais à la longue il finit par fermenter (!). 

J'ai vu en effet que du jus de raisin pourri finit par fermenter à l’étuve. 
Seulement il ne se forme que très peu de ferment quand on ajoute de l’eau 
au jus de raisin pourri il se forme plus de ferment et plus vite (2) et le 
liquide reste clair lorsque déjà il se dégage beaucoup de bulles de gaz. 

Il faut remarquer ici que le jus de raisin pourri n’est pas pur car dans 
les grains de raisin pourri il y en a beaucoup qui sont encore à moitié 
sains. Refaire l'expérience avec des raisins pourris, bien pourris et bien purs. 


XI 
Saint-Julien, 14 octobre 1877. 


Nécessité de l'accès de l'air pour que le ferment se produise 
ainsi que l'alcool. 


Jai introduit du jus récent de raisin bien elair, filtré à une basse tem- 
pérature, dans des tubes bien hermétiquement bouches el aucune-trace de 
fermentation ne s’est produite, malgré la température convenable à laquelle 
ils ont été placés, c'est-à-dire que le liquide a conservé sa transparence: il 
ne s’est pas formé d’alcool ni de levüre. 

Première expérience (?). — Dans un tube mis à l’étuve pendant plus de 
quinze jours, il n y a pas eu le moindre trouble dans le liquide. Débouché 
alors et examiné à l’alcooscope, il n’y avait pas plus d'alcool qu'au début 
de l’expérience (traces douteuses). 

Deuxième expérience (*). Coupe de l'éprouvette. — Eprouvette bouchée 
avec caoutchouc traversé par un tube de verre dans lequel est une couche 
d'huile mince au-dessus du tube intérieur. 

L’éprouvette est restée à l’étuve pendant une quinzaine de jours. D'abord 
il n'y a rien eu : le liquide est resté limpide, il ne s’est pas formé de gaz; 
mais, par suite de l'élévation de la température, la couche d'huile du tube 


1. La Revue supprime ces mots : ex y ajoutant de l'eau, ce qui dénature tout à fait le 
sens de la phrase et de l'expérience. 

?. La Revue écrit : ..…. par fermenter à l'étuve, seulement il ne se forme que très peu 
de ferment. Quand on ajoute de l'eau au jus de raisin pourri, le ferment se forme plus 
vite et le liquide. 

3. La Revue ne reproduit pas la fig. 2. 

4. La Revue ne reproduit pas la fig. 8. 

Non seulement la Revue ne reproduit pas ces dessins, mais son texte est incomplet et peu 
clair, à cause de diverses suppressions. 


RERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 511 


intérieur a été expulsée, et la petite surface du jus de raisin restée au- 


dessous s’est trouvée exposée à l'air, et peu à peu il s’est formé un trouble 


co EAST) VAR 
PL EE 


Te LES su 


> ou Crliom.- 


Fr. 3. 


du liquide commençant par en haut et se propageant de 4 en c vers le bas. 
Puis un peu de trouble s’est produit dans le fond de l’éprouvette e, quoique 


512 ŒUVRES DE PASTEUR 


tout le reste du liquide S soit resté parfaitement limpide. Alors une petite 
quantité de gaz g s’est formée. 

Quand j'ai débouché l’éprouvette, tout le trouble ba du tube intérieur 
s'est répandu dans le liquide de l’éprouvette et l’a troublé. Il a semblé ainsi 
qu'il s'est fait instantanément du ferment. Examiné à l’alcooscope, ce 
liquide renfermait des flots d'alcool; il y avait au microscope des globules 
de ferment. 

Troisième expérience (1). — Ce tube est resté à l’étuve pendant une quin- 
zaine de jours. D'abord il n'y a rien eu; mais peu à peu, sans doute par la 
dilatation du liquide ce bouchon s’est soulevé et il y a eu un peu de gaz 
formé au-dessous du bouchon, quoique le liquide eût conservé sa transpa- 


LR EL TE 


. . LA 
3 d'in ee 1 


C 
degursr 


rence. Examiné à l’alcooscope, il y avait beaucoup d'alcool et à peine des 
traces douteuses de ferment dans le fond du tube. 

Conclusion. — Quand le bouchage est bien hermétique, il n’y a Jamais 
fermentation, mais pour peu qu'il y ait accès de l’air, le liquide se trouble, 
le trouble commencant par le point où a lieu le contact de l’air et s'étendant 
de proche en proche. 

Pour avoir des tubes bien hermétiquement bouchés, il faudra les boucher 
bouchon de caoutchouc et baguette de verre [?]); le liquide étant à une 
température au moins aussi élevée que l’étuve, de sorte que jamais le 
liquide ne se dilatera pour faire sauter le bouchon ni expulser l'huile. 
D'ailleurs l’huile est un mauvais bouchon, à moins qu'il n'y en ait une 
couche d’une très grande épaisseur. 


1. Dans le manuscrit, à la suite des mots 3° expérience, se trouve la fig. 4, que la Revue 
ne reproduit pas et remplace par une description. 
2. Bernard dit en marge que c'est là le meilleur moyen de boucher sans air. 


ox 
oc 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


XII 
Saint-Julien, 15 octobre 1877. 
Projets d'expérience. 
Dans l'expérience À le ferment commencera à se former en [. Quand 
l'ampoule R sera pleine de ferment, le jus J sera clair, sera-t-il alcoolique 


par un ferment soluble ? 
De même dans la deuxième expérience B, le diaphragme de papier ou 


FrG.9: 


membrane de baudruche permettra-t-il que le jus inférieur devienne alcoo- 
lique par ferment soluble (1)? 


XIII 


Q7 
/ 


Saint-Julien, 15 octobre 1877. 


Fermentation dans sulfate de soude. — Ether. 


Du jus de raisin fermente, l'alcool se forme et le ferment se produit 
dans une solution saturée de sulfate de soude. 


1. En marge, dans le manuscrit, se trouve la fig. 5 que la Revwe ne reproduit pas 


lERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. £ 19 


51% ŒUVRES DE PASTEUR 


Chercher si, dans l’eau éthérée ou chloroformée, l’alcool se formera 
sans que le ferment se produise. 

On pourra sans doute se débarrasser de l'éther en le laissant évaporer, 
quoiqu'il se perde beaucoup d'alcool par l’évaporation spontanée. 

Réfléchir à faire des expériences dans ce sens. 


>. Qi A 
Saint-Julien, 15 octobre 1877. 


Verjus et raisins murs el Lrès murs. 


Dans le verjus il n’y a pas de traces sensibles d'alcool, et plus la matu- 
rité est avancée et plus il y a d'alcool, mais jamais à beaucoup près autant 
que dans les grains de raisin pourri. 

le jus de verjus n'a pas produit de ferment; dans plusieurs cas il se 
formait des sortes de toufles d’une sorte de mycoderme allongé filamen- 
teux (aspergillus?). Ces touffes se formaient dans le liquide et étaient sub- 
mergées, puis à la surface, et alors il y avait une fructification comme dans 
le penicillium. 

Il faudra étudier ces végétations spéciales, qui sont accompagnées de la 
formation d'alcool à flots comme dans le cas de formation de levüre (!). 

Dans certains cas, j'ai vu se former du ferment comme dans le vin. Cela 
dépend d’une condition à déterminer, soit dans l’âge des aigrés ou ailleurs. 

Il faudra voir dans des fruits verts, bien avant leur maturité, — voir 
si leur jus présente des différences de cet ordre dans la fermentation. Tout 
cela est à étudier, il suffit de citer ces faits pour en être convaincu. 


XV 
Saint-Julien, 15 octobre 1877. 
Formation d'alcool sans levüre dans les raisins. — Action médiate 
de l'air. — Germes. 


Dans les raisins bien mürs, il y a normalement des traces d'alcool. 
Quand le raisin pourrit, ces traces d'alcool deviennent bien plus considé- 
rables sans qu'il se forme cependant de levüre. Quand on laisse le jus 
exprimé et séparé du grain de raisin s’altérer spontanément, les traces 
d'alcool deviennent à un moment brusquement beaucoup plus considérables, 
mais il se forme toujours de la levüre ; il m'a été jusqu'ici impossible d'éviter 
son apparition. D'après les expériences de Bellamy et Lechartier, 1l sem- 
blerait que la formation d'alcool par pourriture se fait en dehors du contact 
de l'air dans de l'acide carbonique. Toutefois cela n’est pas nécessaire, la 


1. Les mots à flots, si essentiels, sont remplacés, dans le texte de la Revue, par ceux-ci : 


et sont. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 515 
pourriture ordinaire à l'air produit de mème de l'alcool (1). — En produit- 
elle autant? | Voir l'expérience à la poire vernie (?).] 

Quand les grains de raisin pourri ont été écrasés et qu'ils pourrissent 
écrasés exposés à l'air, alors 1l y a toujours formation de levüre. — De 
même quand le jus de raisin filtré est exposé à l'air et qu'il fait chaud, il 
s'y forme très vite de l'alcool comme par la pourriture, mais avec formation 
de levüre. 

Ce sont les germes, dit Pasteur, car l'air pur ne fait pas fermenter: 
c’est là une expérience nécessaire à tenter, en faisant passer un courant 
d'air filtré sur du coton à l’aide de la trompe. 

Pasteur ne répond pas ou mal à l’objection de l'air formé par la pile 
dans l'expérience de Gay-Lussac (%). Il admettrait qu'il y avait des germes 
qui sommeillaient (t). 

En résumé, il s'agirait de pouvoir faire avec le jus de raisin séparé et 
filtré l'expérience de la pourriture, faire apparaitre de l'alcool en grande 
quantité sans germes. — En conservant très longtemps du jus de raisin 
dans des tubes chauflés sans air ou avec CO, le liquide finira-t-il par 
s’altérer comme dans la pourriture en donnant de l'alcool sans levûre. En un 
mot, imiter le procédé de la pourriture dans le jus séparé, — mettre le jus 
de raisin dans une membrane, coquille d'œuf, ete., qui filtre l'air ou mon 
appareil qui filtre l'air (). 

Cela doit être possible, car il faut prouver que la formation de l'alcool 
est indépendante de la présence de toute cellule. C’est là derrière que 
Pasteur se retranche pour dire que la fermentation est la vie sans air, ce 


qui est faux puisque la pourriture {f) à l’air engendre l'alcool, sans que la 
cellule manque d'oxygène. 


XVI 
Saint-Julien, 15 octobre 1877. 


Fermentation sous huile — sous pétrole (7). 


Le 22 septembre 1877, je mets dans une bouteille plate À du jus de 
raisin blanc filtré, contenant des traces douteuses d'alcool. Je verse au- 
dessus du liquide une couche d'huile d'olive d'environ 2 centimètres, — 
Je place comparativement une autre bouteille plate B dans laquelle 
j'enferme du même jus de raisin, mais je ne bouche pas cette fiole avec de 
l'huile, je mets seulement un cornet de papier sur le goulot. Deux jours 
après, le liquide de la bouteille B se trouble et la fermentation commence. 


. Les mots de méme sont supprimés par la Revue. 

La Revue écrit poire pourrie, au lieu de poire vernte. 

. Au lieu de formé par la pile, la Revue écrit fermé et supprime les mots par la prle 
. Le manuscrit porte bien 2 admettrait. La Revue écrit admettait. 

. La Revue supprime les mots coquille d'œuf, ete. et ceux-ci : qui filtre l'air. 

6. Au lieu de ces mots très significatifs 
mot, cependant. 


CRE 


> CE 


: ce qui est faux puisque, la Revue écrit ce seul 


1. Ici le manuscrit porte les deux dessins de la fig. 6 que Ja Revue supprime. 


516 ŒUVRES DE PASTEUR 


Des bulles de gaz se dégagent et du ferment se dépose au fond de la 
bouteille. 

Le liquide de la bouteille A reste toujours parfaitement limpide; les 
deux bouteilles étaient placées sur le rebord de la cheminée de la cuisine. 
Je laisse ainsi les deux bouteilles, et voiei ce que j'observe : ce n’est que 
vers le dixième ou douzième jour que le liquide de la bouteille A commence 
à se troubler, des bulles de gaz se dégagent, la fermentation va très len- 
tement et du ferment blanc superbe se dépose au fond de la bouteille. 

Le 15 octobre, j'examine les liquides contenus dans les deux bouteilles. 
La fermentation s’est arrêtée, et est terminée depuis longtemps dans la 


bouteille B; une petite couche grise (1) de ferment est déposée au fond de la 
bouteille. 

Dans la bouteille À la fermentation continue toujours, des bulles de 
gaz se développent et montent vers l'huile. Une épaisse couche blanche de 
ferment s'est déposée au fond de la bouteille. 

Examiné au microscope, le ferment de la bouteille B est petit, celui 
de la bouteille À est gros, superbe. 

Examiné à l’alcooscope, le liquide de la bouteille B contient de l'alcool, 
mais infiniment moins que celui de la bouteille À qui en contient énor- 
mément. Sans doute que l’évaporation ne le fait pas perdre comme dans le 
cas où il n’y a pas d’huile. 

Conclusion. — La fermentation sous l'huile est donc très magnifique. 
Répéter l'expérience (?). 

Le 3 octobre, j'ai mis du Jus de raisin rouge filtré, limpide, dans une 
bouteille plate C et j'ai versé au-dessus une couche d’un centilitre environ 


d'huile de pétrole. 


1. La Revue écrit épaisse au lieu de grise. 
2, [ei, en marge, le manuserit porte la fig. 7 que la Revue supprime. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 517 


Pendant les premiers jours le liquide reste parfaitement limpide, ce 
n’est que vers le septième ou huitième jour qu'il se manifeste un très léger 
trouble, puis des bulles de gaz se dégagent. La bouteille est sur le rebord 
de la cheminée de la cuisine. Le 15 octobre, la fermentation n’est pas finie, 
elle continue assez activement mais il se forme très peu de ferment que 
je constate au microscope, l'alcooscope donne des quantités prodigieuses 
d'alcool. 

Conclusion. — Étudier si par là on pourrait obtenir la formation d'alcool, 
sans ferment ou à peu près. — Se garder des causes d’erreur dues au pétrole 
qui peut tromper à l’alcooscope. 

Le 16 octobre, j'ai examiné le lendemain le liquide des trois bouteilles 
A, B,C, et voici ce que j'ai constaté 

A l'alcooscope, le liquide de la bouteille À contient le plus d'alcool ; 
quand on commence à chauffer, il y a des gouttelettes isolées quise forment 


dans le tube alcooscopique, des stries huileuses sont visibles sur le col du 
ballon, puis sur le tube et montent en large nappe huileuse ; avant que 
ces nappes soient parvenues au haut du tube, il y a inflammation de l'alcool 
au haut du tube, inflammation à longue flamme qui dure au moins une 
minute pendant l’ébullition. 

Le liquide de la bouteille B contient moins d'alcool ; il y a également inflam- 
mation, mais qui dure moitié moins de temps pour une quantité égale de 
liquide en ébullition. 

Le liquide de la bouteille C contient moins d’alcool que les deux autres; 
il y a une inflammation très passagère du haut du tube. 

lei il semble bien y avoir proportionnalité entre la quantité de ferment 
formé et la quantité d'alcool. La bouteille À contient le plus de ferment, 
après vient la bouteille B, puis la bouteille C. 

Conclusion. — La fermentation sous l'huile arrive plus lentement, mais 
elle continue plus longtemps, forme plus d'alcool et plus de ferment. Il 
faudra étudier la fermentation dans ces conditions. Il est probable que 
c’est une fermentation plus pure, exempte de produits secondaires — 
lactique, succinique et autres (!). 

20 octobre 1877. 

J'ai séparé le ferment pur déposé au fond de la bouteille À. Je le con- 
serve sec; on l’examinera ultérieurement. 


1. Ces mots lactique, succinique et autres sont supprimés dans la Revue. 


518 ŒUVRES DE PASTEUR 


XVII 
Saint-Julien, 19 octobre 1877. 


Jus de chou. 


Antérieurement j'ai exprimé des feuilles vertes de chou hachées. J'ai 
constaté à l’alcooscope des traces nettes d’alcool. 
Jai ensuite ajouté de l’eau à ce hachis de choux crus et je l'ai examiné 


aujourd'hui, il renferme de l'alcool, mais il s’est formé des globules de 
ferment. 


XVITI 
Saint-Julien, octobre 1877. 


Fermentation alcoolique. Formation du ferment du vin. 


Lorsque le ferment commence à se produire, il est extrêmement petit, 
puis il grossit; la quantité d'alcool augmente en proportion. Ce qu'il y a de 
certain, c'est qu'au moment où apparaît le trouble du liquide avec des 
grains de ferment rares et petits, il y a beaucoup d'alcool, de sorte que 
l'alcool semble avoir précédé le ferment. La question serait d'empêcher le 
ferment d’apparaitre et de permettre à l'alcool de se faire. 

Pour cela il faudrait tuer la propriété protoplasmique du jus de raisin, 
propriété protoplasmique qui se développe au moment de l’altération du 
liquide. 

Il m'a semblé que le ferment de vin produit à l'abri du contact libre de 
l'air dans le fond des tubes à fermentation, est moins gros que celui formé 
librement dans les cuves. 

Du reste, toute l’étude morphologique de ces ferments devra ètre faite 
avec le plus grand soin (1). 

Le ferment vinique qui existe à la fin des fermentations, au fond de la 
cuve et des tonneaux, est formé par des globules de levüre gros, arrondis, 
non soudés et de grandeurs différentes; tandis que le ferment du haut des 
cuves ou celui des tubes qui commence à se former est plus petit, en 
chapelet d'inégale grosseur. 

Il est évidemment en voie de formation (?). 

J'ai constaté que le ferment qui est dans la lie de vin nouveau est très 
gros et arrondi. Il fermente très bien; du sucre glucose ajouté, il y a 
bientôt fermentation très active. 

Le ferment de la lie de vin examiné comparativement avec du ferment 
de la levüre de bière (sie). 


1. La Revue écrit doit au lieu de devra. 
2. Ici, dessins rapides de quelques cellules de ferment dans le manuscrit. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 519 


NAN 
Ferment de la lie de vin. 


J'ai constaté que le ferment de la lie de vin est plus gros que le ferment 
de la surface. Ce ferment, ajouté à du jus de fruits pourris, donne lieu 
rapidement à la fermentation. 


Saint-Julien, 20 octobre 1877. 


La formation ou la non-formation de la levüre (ferment) 
sont indépendantes des germes de l'air. 


Démonstration : 
Quoique les jus soient tous à l'air, la levüre ne se forme que dans les 


jus où existe la formation protoplasmique; elle n’a pas lieu dans les jeunes 
jus (verjus). Elle n’a plus lieu dans les jus pourris où la force plasmatique 
est tuée. (Cependant addition d'eau la détermine, — avoir des jus pourris 
bien purs.) 

Donc, si en ajoutant du ferment aux jus pourris, ils fermentent en 
formant de la levüre, cela prouve qu'ils étaient capables de produire de la 
levüre, s'ils avaient eu les germes protoplasmiques, et que ces germes sont 
dans le liquide et non dans l'air. 


XXI 
Saint-Julien, 20 octobre 1877. 


La formation de l'alcool est en rapport avec la maturité des fruits. 


(La pourriture n'est qu'une maturité anticipée) [1]. 

Il faudra rechercher l'alcool dans les tubercules, les racines, les tiges, 
les feuilles, fruits verts, fruits mürs et pourris. 

L'alcool est évidemment un produit de la végétation; avec l’accrois- 
sement l'alcool est un résidu, un produit de décomposition, ou bien at-il 
un rôle à remplir (2)? 

Pourquoi cependant la levüre de bière en forme-t-elle en si grande 
quantité. 

Parce qu'elle se reproduit avec une grande activité. 


1. Cette phrase est entre parenthèses dans le manuscrit. 

2. La Revue supprime les mots avec l'accroissement et écrit est-il un résidu, ce qui 
change le sens de la phrase qui, du reste, n'est pas coupée en deux membres comme la coupe 
la Revue. 


520 ŒUVRES DE PASTEUR 


XXII 
Saint-Julien, 20 octobre 1877. 


La formation de l'alcool et l'augmentation de l'alcool dans leur tissu ne 
dépend (1) pas de leur soustraction à l'air. — Cela dépend de la maturité. 
La pourriture à l'air ou à l'abri du contact de l'air produit également 


de l'alcool (?). 


Les expériences de Lechartier, Bellamy et de Luca sont vraies (%); mais 
il est inutile de soustraire les feuilles et les fruits à l’air. — Ils les font 
pourrir à l'abri de l’air el voilà tout; mais pourris au contact de l’air, c’est 
la même chose. Donc la fermentation n’est pas la vie sans air. 


XXII 
Saint-Julien, 20 octobre 1877. 


La formation de l'alcool est indépendante de toute cellule. 


Démonstration : 

L'alcool augmente dans les jus retirés des fruits par un ferment soluble. 
Car cette augmentation d'alcool n’a pas lieu si le jus est cuit (à voir si en 
poursuivant l'expérience plus longtemps sur des jus cuits, on verra de 
l'alcool se former sans levüre). | 

Dans le verjus et les jus pourris, l'augmentation de l'alcool a lieu sans 
levüre. Dans le jus mûr protoplasmique seul, la levüre se montre avec la 
formation d'alcool. 


NNATMI 
Saint-Julien, 20 octobre 1877. 


Théorie de la fermentation alcoolique. 


La théorie est détruite : 

1° Ce n’est pas la vie sans air ; car à l’air comme à l'abri de son contact, 
l'alcool se forme sans levüre ; 

2° Le ferment ne provient pas de germes extérieurs, car dans les jus 
aplasmiques ou inféconds (verjus et jus pourris), le ferment ne se développe 
pas, quoiqu'ils soient sucrés. Si on y ajoute du ferment, alors ils fer- 
mentent. 

30 L'alcool se forme par un ferment soluble en dehors de la vie. 

Dans fruits pourris ou mürissants, il y a alors décomposition du fruit et 


1. Sic. (Note de l'Édition.) 
2. La Revue reproduit inexactement ce titre. 
3. Au lieu de de Luca, la Revue écrit et autres. 


‘ £. F 


À ad gt 


. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 521 


non synthèse biosique de levüre ou de végétation. L'air est absolument 
nécessaire pour cette décomposition alcoolique (1). 

4° Ce ferment soluble se trouve dans le jus retiré du fruit jus pourri); 
l'alcool continue à s’y former et à augmenter. 

Avec l'infusion de levüre ancienne, la démonstration devient encore 
plus facile. 

5° Il y a dans la fermentation deux états à étudier : 

A. Décomposition. 


Sy èse : ; 2 
B. Synthèse morphologique (?). 


L'existence de ce manuscrit de Claude Bernard me fut signalée par 
M. le D' Armand Moreau, de l'Académie de médecine, le jour même 
où il fut publié. J’arrivais à l'Académie de médecine vers midi, le 
20 juillet 1878, pour assister à une Commission relative à Paffection 
charbonneuse, lorsque je rencontrai le docteur Moreau, tenant à la main 
le numéro de la Revue [scientifique], qui avait paru le matin. Il me dit 
sur le ton d’une grande surprise : € Connaissez-vous cet article de 


Mais vous, 


Bernard sur la fermentation? — Non, lui répondis-je. 
pour qui Bernard avait autant d'estime que d'amitié, comment ignorez- 
vous celle circonstance ? C’est un grand événement scientifique. » 

Depuis la mort de Bernard, en effet, il circulait des bruits quelque 
peu mystérieux sur des idées nouvelles et des secrets relatifs à la 
fermentation que Bernard avait emportés dans la tombe. 

On savait qu'a sa maison de campagne de Saint-Julien, près de 
Villefranche, où il passait le temps des vacances, il avait fait, en 
octobre 1877, quatre mois avant sa mort, des expériences sur la fer- 
mentalion; que, de retour à Paris, il avait travaillé sur le même sujet 
dans les mois de novembre et de décembre, et toujours seul, dans un 
cabinet situé au-dessus de son laboratoire habituel, au premier étage 
du Collège de France; enfin, que plusieurs des personnes qui l’appro- 
chaient avaient reçu de lui certaines confidences pendant sa maladie. 
On connaissait quelques-unes de ces confidences par des articles 
nécrologiques qui avaient paru dans les journaux quotidiens. L'une 
d'elles est rappelée par M. Berthelot dans le préambule dont il a 
accompagné l’article de la Revue. Je la reproduis : 

« Lorsque Claude Bernard, dit l’éminent chimiste, fut enlevé à la 
Science, son génie était dans toute sa force et son esprit d'invention 


1. Cette troisième conclusion est très inexactement reproduite par la Revue. Le manuseril 
porte un point après ces mots en dehors de la vie. En outre, la phrase suivante: « Dans 
fruits, ete. » est à la ligne. Le texte de la Revue change le sens d'une partie de la conclusion. 

2. La Revue place la signature CLauDE BERNARD à la fin de son texte. La signature de 
Bernard n'existe nulle part dans le manuscrit, ni au commencement, ni à la fin. Mais ilest 
certain qu'il a été écrit tout entier de sa main, à Saint-Julien, en octobre 1877. 


922 ŒUVRES DE PASTEUR 


n'avait souffert aucune diminution. Il avait entrepris depuis quelques 
mois une nouvelle série de recherches sur la fermentation alcoolique, 
et il annonçait à ses amis et à ses élèves qu’il croyait avoir fait des 
découvertes susceptibles de modifier profondément les théories 
régnantes. 

« Malheureusement, la mort l’a surpris avant qu’il ait pu donner son 
secret; quand il en eut la pensée, il était déjà trop tard : « Cela est 
dans ma tête », disait-il à M. d’Arsonval, son dévoué préparateur, qui 
a entouré ses derniers moments des soins les plus affectueux, « cela 
est dans ma têle, mais je suis trop fatigué pour vous l'expliquer. » 

J'extrais le passage suivant d’un article inséré par M. Paul Bert, 
l'élève et l'ami de Bernard, dans le numéro du 12 février du journal La 
République française, au lendemain de la mort du grand physiologiste : 

« De nouvelles découvertes devaient, cette année, fournir une preuve 
nouvelle de sa fécondité agissante. Ses amis, ses élèves en ont reçu la 
confidence incomplète, et il résulte des quelques paroles qui lui sont 
échappées que la théorie des fermentations allait recevoir de ses 
recherches, exécutées pendant les vacances dernières, des clartés 
inattendues. Ce travail considérable dont, il y a quatre jours, il disait 
encore : « C’est dommage, c’eût été bien finir », est perdu pour la 
Science. » 

MM. Armand Moreau, Dastre, d’Arsonval m'ont assuré que, dans 
les mois qui ont précédé sa mort, Bernard s'était souvent exprimé 
ainsi : « Les expériences de Pasteur sont exactes, mais il n’a vu qu'un 
côté de la question. » Quelquefois il allait plus avant dans son oppo- 
sition aux conclusions que j'ai déduites de mes recherches. « Pasteur 
n'a vu qu'un côté de la question. La formation de l'alcool est un phéno- 
mène très général. Il faut bannir des fermentations la vitalité des cel- 
lules. Je n'y crois pas. » J’ai écrit ces dernières lignes sous la dictée de 
M. d’Arsonval. « Cent fois, a ajouté celui-ci, j'ai entendu M. Bernard 
s'exprimer comme je viens de le dire dans le cours du mois de janvier 
qui précéda sa mort. Il était alors retenu dans son fauteuil, mais non 
alité ; cependant sa fatigue était déjà extrême ; ainsi il était obligé de 
se faire lire ses lettres. Souvent alors il n’a parlé de son projet d’intro- 
duire les fermentations dans son prochain cours du Jardin des Plantes, 
mais il ajoutait qu'il viendrait d’abord discuter ses idées avec vous. » 

M. Paul Bert m'a adressé, le 10 août 1878, une lettre où je lis 

« J'ai peu vu M. Bernard pendant les mois de novembre et de 
décembre 1877, et cependant, à deux ou trois reprises, il m'a parlé 
avec une satisfaction évidente de ses travaux sur la fermentation. 
C'étaient des phrases courtes, quasi sibyllines, sans aucune explication 


= 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 593 


expérimentale : « Pasteur n’a qu’à bien se tenir... Pasteur n’a vu qu'un 


côté des choses... Je fais de l’alcool sans cellule... Il nv a pas de 
vie sans air... Vous verrez mon cours; j'ai fait de bonnes choses 
ces vacances... » Toutes allusions dont le respect m’'empéchait de 


demander une explication plus détaillée, mais qui prouvait l'importance 
qu'il attachait à ses recherches, évidemment en cours d'exécution. 
Pendant les derniers jours de sa maladie, nous eûmes fréquemment 
occasion, Dastre, d’Arsonval, moi et aussi Moreau, de constater que 
nous avions reçu les mêmes confidences et tout aussi obscures. Deux 
ou trois jours avant l’issue fatale, Dastre et d’Arsonval, plus avant 
dans sa familiarité quotidienne, essayèrent d’obtenir des indications 
plus claires; ils vous diront eux-mêmes quel cruel aveu d’impuissance 
ils recueillirent de l’homme de génie dont l'intelligence mourait avant 
le corps. » 

C’était donc une précieuse trouvaille que ce cahier de Notes écrites 
par Claude Bernard sur la fermentation. On allait enfin connaître ces 
secrets qu'il avait laissé pressentir. Le lecteur comprendra l'émotion, 
l’inquiète curiosité avec lesquelles, rentré dans mon laboratoire, après 
cette séance de Commission de l'Académie de médecine, je parcourus 
l'article de la Revue scientifique. Malgré le grand intérêt que m'avait 
offert le travail de la Commission, travail qui avait eu pour résultat 
d'amener un Membre de l’Académie à retirer, en présence de MM. Bou- 
ley, Davaine, Vulpian, Moreau, les contradictions qu'il m'avait 
opposées pendant plusieurs séances publiques, toutes mes pensées 
étaient pour le manuscrit de Bernard. Allais-je done avoir à défendre 
celte fois mes travaux contre ce confrère et cet ami pour lequel je 
professais une admiration profonde, ou bien aurais-je à constater des 
révélations inattendues qui infirmeraient et discréditeraient les résultats 
que je croyais avoir définitivement établis ? 

A peine eus-je achevé la lecture du manuscrit de Bernard que 
j'éprouvai tout à la fois un grand soulagement et une singulière 
déception : un soulagement, parce que je n’y trouvais rien qui pût 
atteindre la rigueur de mes études ; une déception, parce que la saga- 
cité du grand physiologiste, sa logique si sûre, me paraissaient en 
défaut, d’un bout à l’autre de son écrit posthume. Quelle dispropor- 
Uon, par exemple, entre les dernières conclusions écrites d’un ton si 
ferme et les faits qui les motivent! 

Je recommençai plusieurs fois ma lecture, croyant toujours que le 
sens de certains passages et de certaines expériences m'avait échappé. 
Je ne pouvais me résoudre à reconnaître que tout, dans ce manuscrit, 
était insuffisant ou insoutenable; et tout d’abord, m'en prenant, non 


ŒUVRES DE PASTEUR 


er 
12 


sans regret, à mon confrère et ami M. Berthelot, je l’accusais d’avoir 
compromis la mémoire de Bernard. Sans doute, me disais-je, il était 
bon de publier des Notes écrites par cet homme de génie; mais, 
puisqu'il n’en avait ni demandé ni autorisé la mise au jour, il était de 
devoir de les contrôler par de nouvelles expériences et de dégager sa 
responsabilité pour tout ce que le manuscrit contiendrait de défec- 
tueux en lui reportant, au contraire, l'honneur des vérités que ce 
manuscrit pouvait révéler. Il convenait, en un mot, d'accompagner ces 
Notes, non signées, et écrites à la hâte, d'un commentaire expérimental 
qui était à tout prendre facile à faire. 

Quant à moi, personnellement, je me trouvais dans un cruel 
embarras. Avais-je le droit de considérer le manuscrit de Bernard 
comme l’expression de sa pensée, et étais-je autorisé à en faire une 
critique approfondie ? Dans les mois de novembre et de décembre, 
après son retour de Saint-Julien, la santé de Bernard s'était montrée 
en apparence très satisfaisante ; il assistait aux séances de l’Académie, 
où j'étais à côté de lui, et plusieurs fois même, je m'en souvenais, 
nous avions échangé nos idées sur les fermentations. Or, il m'avait 
laissé dans une complète ignorance de ses expériences du mois 
d'octobre ; il n'y avait fait aucune allusion. S'il était convaincu, me 
disais-je, d’avoir par devers lui la démonstration des conclusions 
magistrales qui terminent son manuscrit, par quel motif me l’a-t1l 
cachée ? Je me reportais aux témoignages de bienveillante affection 
qu'il m'avait donnés depuis mon entrée dans la carrière scientifique, 
et j'arrivais à cette conclusion que les Notes laissées par Bernard 
n'étaient qu'un programme d’études, qu'il s'était essayé sur le sujet et 
que, suivant en cela une méthode qui lui était habituelle, il avait, afin 
de mieux découvrir la vérité, formé le projet d’instituer des expé- 
riences qui mettraient en défaut mes opinions et mes résultats. Très 
perplexe, je pris le parti de porter le débat devant nos juges naturels, 
et, deux jours après, je fis à l’Académie des sciences une lecture dont 
voici quelques extraits (!. On trouvera cette communication repro- 
duite intégralement dans l'Appendice de cet opuscule (2). 


Je viens de lire, dans le dernier numéro de la Aevue scientifique, un 
article intitulé : La FERMENTATION ALCOOLIQUE, DERNIÈRES EXPÉRIENCES DE 
CLaupEe Berxanrp. 

. L'intérêt que j'ai pris àces Notes, ai-je besoin d’en parler, puisqu'elles 
portent sur un sujet qui m'occupe depuis plus de vingt années et qu'elles sont 


1. Pasreur. Sur la théorie de la fermentation. Comptes rendus de l'Académie des 
sciences, séance du 2? juillet 1878, LXXXVII, p. 125-128. 
2. Voir p. 552-555 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 5 


de Claude Bernard! Je dois avouer, toutefois, que cet intérêt n’a pas été 
pour moi sans un mélange de grande surprise. De la première ligne à la 
dernière, en effet, elles tendent à contredire les faits et les conclusions que 
j'ai souvent, produits devant cette Académie, et les vingt dernières lignes 
sont la condamnation absolue, sans restriction aucune, de mes vues au 
sujet de la fermentation en général et de la fermentation alcoolique en 
particulier. 

Ma surprise s’est accrue lorsque j'ai remarqué que toutes ces Notes 
ont été écrites par Claude Bernard du 1° au 20 octobre dernier, à sa mai- 
son de campagne de Saint-Julien, près de Villefranche, que Claude Bernard 
a passé le mois de novembre et le mois de décembre parmi nous, assistant, 
très bien portant, à nos séances, assis à nfa droile, vous le savez. N'est-il 
pas étrange que lui, si france, si ouvert, si porté vers la libre discussion, 
qui n'a cessé de me témoigner la plus bienveillänte affection, qui chaque 
semaine, pour ainsi dire, causait avec moi, à cette place , sur la fermenta- 
tion, ait eu par devers lui, en revenant de Saint-Julien à la fin d'octobre, 
des preuves convaincantes que j'étais entièrement dans l'erreur, et qu'il me 
l'eût caché sans y faire même la moindre allusion? Cela ne me paraît pas 
possible : aussi je me demande si les éditeurs de ces Notes ne se sont pas 
aperçus que c'est chose fort délicate de prendre sur soi, sans y être formelle- 
ment autorisé par l’auteur, de mettre au jour des Notes et des cahiers 
d'études. Qui d'entre nous ne serait ému à la pensée qu'on agira de même 
à son égard ? 

L'existence de ces Notes, l'énorme disproportion entre les conclusions 
et les faits qui les motivent me semblent comporter une explication très 
différente de celle que M. Berthelot a suggérée aux lecteurs de la Revue 
scientifique, en les invitant à croire, d’après des on dit, que «les déclarations 
de Claude Bernard, quelques jours avant sa mort, étaient tout à fait con- 
formes aux affirmations générales des Notes de Saint-Julien ». Contraire- 
ment à cette assertion de M. Berthelot, je suis porté à croire que Claude 
Bernard n’a fait, pendant ces quinze jours du mois d'octobre 1877, et en 
novembre et décembre, que s'essayer sur le sujet de la fermentation 
alcoolique. 

J'imagine que comme méthode de travail, méthode excellente daris tous 
les cas, et pour savoir si j'étais dans le vrai, il ne trouva rien de mieux que 
de chercher par de nombreuses expériences et d'essayer par certaines vues 
préconçues à mettre en défaut mes opinions et mes résultats. Prendre pour 
guide cette idée que j'étais sur tous les points dans l’erreur, instituer des 
expériences pour l’établir, telle a dû être sa méthode de préparation sur le 
sujet qu'il voulait traiter. 

N'est-ce point là l'explication de ces Notes que M. Berthelot vient de 
publier et du silence que Claude Bernard a gardé à l'égard du confrère 
quelles intéressaient le plus ? 

C'eût été mon appréciation et celle de plusieurs amis intimes de Claude 
Bernard, si nous avions été consultés avant qu'on livrât ces Notes à la 
publicité. 

Si, malgré tout ce que je viens de dire, on voulait faire de ces Notes 
une sorte de manifeste contre mes travaux, prétendre que Claude Bernard 


526 ŒUVRES DE PASTEUR 


a été convaincu de la vérité des conclusions que j'ai rappelées tout à l'heure, 
alors, et malgré le profond respect que j'ai toujours eu pour notre illustre 
confrère, je dirais franchement que Bernard s’est trompé, que toutes les 
expériences dont il parle, comme il en fait d’ailleurs l’aveu à plusieurs 
reprises, sont douteuses et incertaines, et que, suivant moi, celles qui sont 
vraies sont mal interprétées. 

Toutefois, je comprends trop le respect qui doit s'attacher à ce qu'a 
pensé ou écrit, même dans le silence du laboratoire, notre illustre confrère, 
pour me permettre de signaler dès à présent ce que je trouve de très 
défectueux dans ces Notes, à les prendre dans leur texte absolu. Je veux 
d’abord les revoir expérimentalement, me placer dans le courant même des 
idées et des expériences de Claude Bernard, et je convie ses amis, ses 
admirateurs, à agir de même. Ils me donneront ainsi l’occasion de 
défendre la vérité qu'établissent mes travaux, en présence d'opinions réelles 
et réellement exprimées. 


Ces passages de ma lecture traduisaient fidélenient mes impres- 
sions au lendemain de la publication du manuscrit de Bernard. Ils se 
résument dans ces deux propositions : Bernard ne pouvait avoir les 
convictions qu'il exprime; elles jurent avec la faiblesse de ses obser- 
valions el de ses expériences. Après tout, si quelqu'un veut les 
défendre, je suis prêt à en faire la critique immédiate, en m’appuyant 
sur mes seuls travaux antérieurs. Dans le cas contraire, par respect 
pour la mémoire de Bernard, je répéterai ses expériences avant de les 
discuter. 

Mieux éclairé aujourd’hui par les confidences postérieures des 
élèves et des amis de Bernard, et particulièrement par celles de la 
lettre de M. Paul Bert, je me vois contraint d’avouer que le manuserit 
posthume de Bernard est, bien plus que je ne le croyais au lendemain 
de sa mise au jour, l'expression de sa pensée. Cette opinion, toutefois, 
laisse entière l'énigme du silence qu'il a gardé à mon égard. Mais 
pourquoi en chercherais-je l'explication ailleurs que dans la connais- 
sance intime de son beau caractère? Ce silence n’a-t-il pas été un 
nouveau témoignage de sa bonté et l’un des effets de la mutuelle 
estime qui nous unissait? Puisqu'il pensait avoir entre les mains la 
preuve que les interprétations que j'avais données à mes expériences 
étaient erronées, n'a-t-il pas voulu seulement attendre pour m'en 
instruire l’époque où il se croirait prêt pour une publication définitive ? 
J'aime à prêter aux actions de mes amis des intentions élevées, el je 
veux croire que la surprise que m'a causée sa réserve à l'égard du 
confrère que ses contradictions intéressaient le plus doit faire place 
dans mon cœur à des sentiments de pieuse gratitude. 

Toutefois Bernard eût été le premier à me rappeler que la vérité 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 5927 


scientifique plane au-dessus des convenances de l'amitié, et que j'ai Le 
devoir, à mon tour, de discuter en loute liberté ses vues et ses opi- 
nions. C’est ce que je vais essayer de faire, non sans avoir d’ailleurs 
tenu l'engagement que j'ai pris publiquement de répéter ses expé- 
riences, en me plaçant dans l’ordre des idées préconcues qui les ont 
inspirées. Chemin faisant, je n’efforcerai de retrouver la voie qui, 
par degrés insensibles, a conduit à l'erreur le grand physiologiste. 
C'est celle-là même, hélas! dont il a tant de fois marqué les écueils, 
qu'il a su tant de fois éviter dans ses lumineuses recherches. Mais la 
voie est étroite et difficile qui mène à la vérité! À qui a-t-il été donné 
de parcourir avec honneur et courage une longue carrière sans quelque 


défaillance momentanée ? 


L'intérêt du manuscrit de Bernard est bien plus, à mon sens, dans 
une question de méthode que dans les résultats inattendus qu'il fait 
connaître. L’enchaîinement du raisonnement et des expériences 
témoigne, à chaque page, que cette trame hardie est lœuvre d’un 
observateur qui sera hors de pair lorsqu'une conception juste lui servira 
de guide dans l’expérimentation. Mais la méditation de plusieurs points 
de son programme fait voir à un lecteur non prévenu que les questions 
à résoudre sont loin de s'y montrer affranchies de tout esprit de 
système. Prenez, par exemple, la Note du début, et vous lirez aisé- 
ment entre les lignes que Bernard ne va pas se livrer à une recherche 
libre, mais plutôt à la constatation de résultats hypothétiques, déduits 
d'opinions préconçues ou suggérées par des expériences informes 
auxquelles un système trompeur mêle ses illusions. 

Si l'on veut embrasser d’un coup d’æil la liaison des idées et des 
expériences de Bernard, il est indispensable de se familiariser d’abord 
avec les préoccupations habituelles de sa pensée depuis quelques 
années. Ces préoccupations se trahissent dans l'ouvrage qu'il a laissé 
en mourant, Sur les phénomènes de la vie communs aux animaux el 
aux végétaux (1), ouvrage qui s’en trouve imprégné, pour ainsi dire. 
J’'emprunte les pages suivantes à ce livre, dont il corrigeait les 
épreuves au moment où il écrivait les Notes de Saint-Julien. 


La vie ne saurait être caractérisée exclusivement par une conception 
vitaliste ou matérialiste. Les tentatives qu’on a faites à ce sujet de tout 
temps sont illusoires et n’ont pu aboutir qu'à l'erreur. 

Devons-nous rester sur cette négation ? 


Non. Une critique négative n'est pas une conelusion. Il faut nous 


1. Paris, 1878, in-8& (1 pl. et 45 fig.). (Note de l'Édition.) 


528 ŒUVMRES-DE PASTEUR 


former à notre tour une idée, chercher un caractère dont la valeur, bien 
qu'elle ne soit pas absolue, soit capable de nous éclairer dans notre route 
sans jamais nous tromper. 

Les caractères que nous avons précédemment rappelés correspondent à 
des réalités : ils sont bons, utiles à connaitre. Je dirai, de mon côté, la 
conception à laquelle m'a conduit mon expérience. 

Je considère qu'il v a nécessairement dans l'être vivant deux ordres de 
phénomènes : 

1° Les phénomènes de création vitale ou de synthèse organisatrice ; 

20 Les phénomènes de mort ou de destruction organique. 

Il est nécessaire de nous expliquer en quelques mots sur la signification 
qne nous donnons à ces expressions : création et destruction organiques. 

Si, au point de vue de la matière inorganique, on admet avec raison que 
rien ne se perd et que rien ne se crée, au point de vue de l'organisme il 
n'en est pas de mème. Chez un être vivant, tout se crée morphologique- 
ment, s'organise, et tout meurt, se détruit. 

Dans l'œuf en développement, les museles, les os, les nerfs apparaissent 
et prennent leur place en répétant une forme antérieure d'où l'œuf est 
sorti. 

La matière ambiante s'assimile aux tissus, soit comme principe nutritif, 
soit comme élément essentiel. L’organe est créé; il Fest au point de vue de 
sa structure, de sa forme, des propriétés qu'il manifeste. 

D'autre part, les organes se détruisent, se désorganisent à chaque 
moment et par leur jeu même; cette désorganisation constitue la seconde 
phase du grand acte vital. 

Le premier de ces deux ordres de phénomènes est seul sans analogues 
directs ; il est particulier, spécial à l’être vivant : cette synthèse évolutive 
estce qu'il y a de véritablement vital. Je rappellerai à ce sujet la formule 
que j'ai exprimée dès longtemps : La vie, c'est la création. 

Le second, au contraire, la destruction vitale, est d'ordre physico- 
chimique, le plus souvent le résultat d’une combustion, d’une fermentation, 
d'une putréfaction, d’une action, en un mot, comparable à un grand nombre 
de faits chimiques de décomposition ou de dédoublement. Ce sont les véri- 
tables phénomènes de #0rt quand ils s'appliquent à l'être organisé. 

Et, chose digne de remarque, nous sommes ici victimes d’une illusion 
habituelle, et, quand nous voulons désigner les phénomènes de la vie, nous 
indiquons en réalité des phènomènes de /rort. 

Nous ne sommes pas frappés par les phénomènes de la vie. La synthèse 
organisatrice reste intérieure, silencieuse, cachée dans son expression phé- 
noménale, rassemblant sans bruit les matériaux qui seront dépensés. Nous 
ne voyons point directement ces phénomènes d'organisation. Seul l’histolo- 
giste, l'embryogéniste, en suivant le développement de l'élément ou de 
l'être vivant, saisit des changements, des phases qui lui révèlent ce travail 
sourd :; c’est ici un dépôt de matière, là une formation d’enveloppe ou de 
noyau ; là une division ou une multiplication, une rénovation. 

Au contraire, les phénomènes de destruction où de mort vitale sont ceux 
qui nous sautent aux yeux et par lesquels nous sommes amenés à caractériser 
la vie. Les signes en sont évidents, éclatants : quand le mouvement se 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 529 
produit, qu'un muscle se contracte, quand la volonté et la sensibilité se 
manifestent, quand la pensée s'exerce, quand la glande sécrète, la substance 
du muscle, des nerfs, du cerveau, du tissu glandulaire se désorganise, se 
détruit et se consume, De sorte que toute manifestation d’un phénomène 
dans l'être vivant est nécessairement liée à une destruction organique, et 
c’est ce que j'ai voulu exprimer lorsque, sous une forme paradoxale, j'ai dit 
ailleurs (Revue des Deux-Mondes, t. IX, 1875) : La vie, c’est la mort. 

L'existence de tous les êtres, animaux ou végétaux, se maintient par ces 
deux ordres d’actes nécessaires et inséparables, l'organisation et la désor- 
ganisation. Notre science devra tendre, comme but pratique, à fixer les 
conditions et les circonstances de ces deux ordres de phénomènes. 

Cette division des manifestations vitales que nous avons adoptée est, 
selon nous, l'expression même de la réalité; c’est le résultat de l’observa- 
tion des phénomènes. (Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux 
animaux et aux végétaux, p.39 et suivantes; 1878). 


Les phénomènes de la vie, d’après Bernard, se partagent donc en 
deux grands groupes, ceux de synthèse organique et ceux de destruc- 
tion organique. Quels sont ces derniers ? 


Lavoisier, dit Bernard, les rattache tous à trois types : L° Fermentation ; 
2° combustion; 3° putréfaction. 

C’est, en effet, par l’un ou l’autre de ces procédés que la matière orga- 
nisée se détruit, soit par suite du fonctionnement vital, soit dans le cadavre 
après la mort (p. 157). 


Plus loin : 


Les fermentations amènent la destruction des composés complexes des 
organismes, leur dédoublement en des corps plus simples accompagné 
d’une hydratation. Elles jouent un rôle très important dans la nutrition 
(p. 161). 

.. Les actions du genre fermentatif sont le type général des actions 
vitales de destruction (p. 163). 


Enfin, après avoir exposé rapidement les opinions les plus récentes 
sur les phénomènes de combustion et de putréfaction organique, 
Bernard conclut en ces termes : 


Sans vouloir entrer plus avant dans la question des décompositions 
organiques, qui est encore entourée de grandes obseurités, nous nous bor- 
nerons à déduire de cette leçon un seul résultat général. 

La putréfaction, comme la combustion, se rattache aux fermentations. 
Toutes les actions de décomposition organique ou de destruction vitale dont 
l'organisme est le théâtre se ramènent en somme à des fermentations..…. 


(p- 178). 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 


530 ŒUVRES DE PASTEUR 


Résumons tout ce qui précède en disant que, pour Claude Bernard, 
la vie se compose de synthèses organiques et de destructions organi- 
ques, et que toutes les actions de décomposition organique se ramènent 
à des fermentations. 

Par ces conceptions sur les phénomènes de la vie, Bernard croyait à 
une opposition obligée entre les phénomènes de vie ou de synthèse et 
les phénomènes de mort ou de destruction. entre la vie proprement 
dite et les fermentations. De là, et d’une manière nécessaire, la con- 
damnation des conclusions expérimentales de mes études au sujet des 
fermentations proprement dites, car il existe, suivant moi, certaines 
conditions où, soudainement, apparaissent des actes de fermentation 
en relation directe avec les actes nutritifs et les synthèses organiques. 
Cela arrive toutes les fois qu'il y a vie, formation de cellules, synthèse 
de principes immédiats, et, plus généralement même, phénomènes 
organiques, mutations chimiques dans les tissus et les cellules, sans 
intervention de gaz oxygène libre. J'ai vu les cellules de la levüre se 
multiplier hors de tout contact avec l'air. J’ai semé des vibrions dans 
un liquide au sein du vide le plus parfait ou dans un milieu saturé 
d'acide carbonique pur, et dans des conditions même où l'être miero- 
scopique n'avait à sa disposition, pour constituer tous les principes 
carbonés, azotés et minéraux de ses générations successives, que de 
l'acide lactique, ou de lacide tartrique ou de la glycérine, de lammo- 
niaque, des phosphates, etc. Corrélativement à la multiplication et au 
mouvement de ces vibrions, hors du contact de l'air, j ai vu l'acide 
lactique former tous les produits de la fermentation butyrique la mieux 
caractérisée. Ces faits et beaucoup d’autres du même ordre ont subi, 
un peu partout,en Allemagne notamment, l'épreuve de la contradiction, 
etles mêmes observateurs qui avaient déclaré la vie sans air impos- 
sible sont venus loyalement à résipiscence. On peut, à ce sujet, consulter 
la discussion que j'ai soutenue avec le savant naturaliste Oscar 
Brefeld (1). Or, ces résultats sont incompatibles avec les vues systéma- 
tiques de Claude Bernard. Pour moi qui ne suis pas enchaîné à un 
système, je constate simplement qu'il existe une vie sans air et que, 
quand elle se manifeste, la fermentation apparaît. Bernard, dominé 
par un système, veut de toute nécessité retrouver dans la vie du 
ferment les deux grandes divisions qui se partagent selon lui les mani- 
festations vitales, synthèse organique et décomposition organique; il 
faut, en outre, qu'il les retrouve distinctes et déterminées par des 


1. Voir Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXX, 18, p. 492-457 [p. 48145 
du présent volume]. Et mes Études sur la bière, 1876, ch. VI [tome V des Œuvres de Pasteur;. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


53 


fonctionnements physiologiques différents. Pour moi, la vie, les syn- 
thèses organiques, provoquent la décomposition, parce que la vie se 
fait par le concours de loxygène des combinaisons, sucre, acide 
lactique, acide tartrique, etc...., sans que le gaz oxygène libre extérieur 
intervienne. Pour Bernard, les synthèses organiques procèdent de 
phénomènes tout autres que ceux des destructions organiques, le même 
mécanisme ne pouvant à la fois édifier et détruire; il admet une classe 
de phénomènes physiologiques propre aux synthèses, une autre propre 
aux destructions. Tandis que ces mots, vie et fermentation, jurent dans 
son système, ils couvrent, suivant moi, la plus étroite solidarité, à la 
seule condition que la vie ait lieu sans air. 

A la rigueur, Bernard ne nie pas que la vie et la fermentation 
puissent être réunies et solidaires, mais le déterminisme des phéno- 
mènes ne serait pas celui que je prétends établir. Comment pourra-t-il 
concilier les faits que j'ai observés avec les déductions de son système ? 
Il imagine cette hypothèse, que, au fur et à mesure que les cellules 
s'édifient sous l'influence de la nutrition et de la génération, une 
diastase, un FERMENT SOLUBLE prend naissance, ferment soluble qui 
provoque à lui seul la fermentation alcoolique. Cette hypothèse sauvera 
le système; grâce à elle, ce n’est plus la vie qui fera la fermentation, 
c'est une substance intermédiaire, c’est le ferment soluble, qui agira à 
la manière d’un phénomène chimique (!). Rappelons-nous les paroles 
de Bernard à M. d’Arsonval dans les mois qui ont précédé sa mort : 
Il faut affranchir la fermentation de la vitalité des cellules. En d’autres 
termes, il faut que la fermentation soit un phénomène de mort, un 
phénomène de destruction, un phénomène cadavérique, un phénomène 
d'ordre chimique; ce ne peut être un acte lié à la vie. Celle-ci édifie, 
celle-là détruit. Or, l'édification et la destruction de divers principes 
immédiats ne sauraient résulter d’un même acte physiologique. 

Supprimez l'hypothèse du ferment soluble produit au fur et à mesure 
de la multiplication des cellules de la levüre, et vous n'aurez plus en 
présence que deux choses, la formation de cellules et la fermentation, 
c'est-à-dire des synthèses et des décompositions, celles-ci faites par 
celles-là, ce qui est incompatible avec la conception de Bernard au 
sujet des phénomènes de la vie. Grâce au ferment soluble, on à en 


1. Dans la Note XXI de son manuscrit, Bernard se pose celte question : 

« Pourquoi cependant la levûre de bière en forme-t-elle (de l'alcool) en si grande quantité? » 

Et il répond : 

« Parce qu'elle se reproduit avec une grande activité. » Cela signifie qu'elle produit une 
grande quantité de ferment soluble, les phénomènes de destruction organique allant de pair, 
selon Bernard, avec ceux de multiplication et de synthèse, sous le rapport de leur activité. 


532 ŒUVRES DE PASTEUR 


présence « des synthèses morphologiques » avec leurs lois et leur 
physiologie propre, et, d'autre part, « des décompositions » d'ordre 
chimique dues au ferment soluble. « Il y a dans la fermentation deux 
états à étudier, dit Bernard : décomposition et synthèse morpholo- 
gique. » Il les retrouve ici dans des actes séparés. 

Ce ferment soluble alcoolique, Bernard la-t-il rencontré dans la 
fermentation par la levûre? Il ne s'explique pas sur ce point, mais 
l'existence de ce corps est une déduction obligée de son système, et, 
si on le poussait à bout, il dirait volontiers avec M. Berthelot « que si 
on ne trouve pas le ferment soluble, c'est qu'il se consomme au fur et 
à mesure de sa production (!) », ce qui n'est qu'une hypothèse ajoutée 
à une autre, mais une hypothèse très habile à coup sûr, puisqu'elle 
supprime jusqu'à la possibilité de la discussion et de la contradiction. 

Heureusement pour ma critique, Bernard va plus loin que M. Ber- 
thelot. La présence d’un ferment alcoolique soluble existe pour lui à 
n’en pas douter dans le jus du raisin mûr, surtout dans le jus des grains 
pourris, en général dans tout ce qui se putrélie; il ajoute que la 
démonstration de ce fait devient très facile avec l’infusion de levüre 
ancienne (voir Note XXIV). 

Pourquoi cette nécessité de la présence d’un ferment alcoolique 
soluble dans le jus de raisin qui pourrit? Ici se dévoilent encore, tout 
à la fois, les idées systématiques de Bernard et la tyrannie qu'elles 
exercent sur son esprit. 

Sans cesse apparaissent sous sa plume des mots tels que ceux-ci : 
levüre de bière pourrie, pancréas qui pourrit, raisin pourri, marc de 
raisin pourri, jus pourri... 

Quelle idée se faisait donc Claude Bernard de la pourriture des grains 
de raisin? La Note XXI va nous l’apprendre : « La pourriture, dit-il, n’est 
qu'une maturité anticipée. » Sans nul doute, le mot anticipée est pris 
ici dans une acception impropre, échappée au courant de la plume. 
C’est maturité avancée qu'il veut dire. 

Se peut-il que l'esprit pénétrant de Bernard se soit montré satisfait 
de vues aussi vagues? Pour comble de malheur, ses observations et ses 
expériences vont achever de le tromper : il écrase des raisins pourris, 
les exprime dans un linge, distille le jus qui s'écoule et le compare au 
jus de raisins sains et mûrs. Dans ce dernier, il ne trouve que des 


1. BerrueLor. (Observations.] Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXVII, 


1878, p. 189. 
Qu'on le remarque bien, l'existence d’un ferment soluble alcoolique ne changeraïit rien à 
ma manière de voir, à la seule condition toutefois qu'il fût prouvé que ce ferment naît dans 


les cas où il y a vie sans air. 


es lt ds 


TT 


FERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 533 


traces plus où moins douteuses d'alcool; là, il en obtient de notables 
quantités. Mettant alors en correspondance le fait qu’il constate avec 
celte étrange opinion que la pourriture est une maturité avancée, il 
conclut que « la formation de lalcool est en rapport avec la maturité 
des fruits », que, au fur et à mesure que la maturité avance, il se fait 
de l'alcool, peu d’abord, puis davantage, et beaucoup dans la maturité 
extrême ou pourriture. 

Cette théorie paraîtra singulière à eoup sûr. Dans l'esprit de 
Bernard, elle est naturelle et obligée. Voici, en effet, l’une de ses 
déclarations : Les phénomènes de destruction organique sont les mêmes, 
soit par suite du fonctionnement vital, soit dans le cadavre après la 
mort. Or, dirait Bernard, le grain de raisin mür et qui va pourrir 
n'est-il pas le cadavre de ce grain, puisque sa vie est achevée et qu'il 
doit être livré dès lors aux phénomènes de destruction organique ? Le 
ferment alcoolique soluble, existant pour Bernard dans la levüre de 
bière en action, c’est-à-dire pendant le fonctionnement vital, peut donc 
être cherché avec succès dans le grain de raisin prêt à pourrir ou qui 
pourrit. 

Nous voyons par ce qui précède le rôle prépondérant que Bernard 
était porté à attribuer aux ferments solubles dans les actes soit de fer- 
mentation, soit de destruction organique, pour emprunter son langage. 
On lui eût posé cette question : Comment un cadavre disparaîit-il, 
qu'il eût invoqué principalement, j'en suis persuadé, des actions de 
ferments solubles (1. 

Bernard méconnaît ici deux choses : d’une part, que les diastases, 
jusqu’à présent du moins, n'ont opéré que des phénomènes d’hydra- 
tation; d'autre part, et cette remarque est essentielle, que les ferments 
solubles n’ont encore été produits que par un fonctionnement vital. Il 
faut des cellules en pleine activité pour former la diastase, la pepsine, 
l'émulsine..….. Les phénomènes de dr'astases qui peuvent s’accomplir 
dans un végétal ou dans le cadavre après la mort doivent être de 
courte durée, par suite du non-renouvellement possible de ces puis- 
sants et mystérieux agents. Autant que personne, j'attache de l’impor- 
tance aux actions des substances qu'on appelle des ferments solubles : 


1. Je pourrais demander quelle est la nécessité que la pourriture du grain soit déterminée 
par un ferment soluble alcoolique. Pourquoi le sucre ne disparaitrait-il pas d'une autre manière 
que par la fermentation? Je pourrais faire observer que le sucre n'est pas le seul principe 
immédiat du grain et que ce n'est certes pas le prétendu ferment alcoolique soluble qui 
réduirait à leurs éléments l'acide tartrique et les matières azotées. Pour la destruction de ces 
principes immédiats, Bernard aurait dû en conséquence imaginer d'autres ferments solubles. 
Ne savail-il pas très bien qu'après la mort il y a destruction de ce qui a vécu par des com 
bustions également dues à l’action d'organismes microscopiques ? 


534 ŒUNRES DE PASTEUR 


je n'éprouverais aucune surprise à voir les cellules de la levûre pro- 
duire un ferment alcoolique soluble; je comprendrais que toute fer- 
mentation eût pour cause un ferment de cette nature; mais j'imagine 
plus difficilement que de tels agents soient formés par des cellules 
livrées à la destruction organique dans un fruit ou dans un cadavre 
qui pourrit; du moins, je ne connais pas d'exemple de cette nature. 
Quand je vois l'intelligence lucide de Bernard se complaire dans cette 
assertion que « la pourriture est une maturité avancée », je ne puis me 
l'expliquer que par l'impression qui lui était restée, à son insu, d’une 
doctrine longtemps maîtresse des esprits, la doctrine de la spontanéité, 
doctrine que je combats depuis vingt années par des travaux dont 
les preuves comme la portée me paraissent avoir échappé à lesprit 
pourtant si pénétrant de Bernard. 

Ces travaux me permettent d'affirmer que le grain de raisin mür 
n'entre en décomposition, à l'abri de l'air, que par une sorte de vie 
continuée de ses cellules, ou, au contact de Pair, par l'influence désor- 
ganisalrice que provoquent des êtres microscopiques inférieurs, 
auxquels servent d'aliments les matériaux du grain et du cadavre. Le 
grain de raisin mür, libre ou attaché sur son cep à sa grappe flétrie et 
desséchée, peut perdre de l’eau, se rider, se combiner à l'oxygène de 
l'air, comme fait le potassium ou le fer; mais pourrir, c’est-à-dire 
perdre son sucre, ses acides, ses matières azotées et se réduire finale- 
ment en poussière minérale, rien ne me porte à l’admettre dans Pétat 
actuel de la Science. Jai examiné par milliers des grains de raisin 
pourris : je n'en ai pas trouvé un seul qui ne présentât à sa surface un 
ou plusieurs points d'attaque de moisissures. 

Suspendez le grain de raisin mûr dans un vase quelconque où 
circule l'air humide, mais vierge de poussière vivante, et vous le 
retrouverez, après des siècles, sucré, acide, aussi peu altéré que si 
vous aviez enfermé dans le vase certaines matières minérales, moins 
altéré même que du fer, aussi peu que des cristaux de sucre ou d’acide 
tartrique, pas plus altéré, du moins, que le sang et l’urine que j'extrais 
du corps humain en bonne santé et que j'enferme dans des vases 
ouverts où ne peut circuler qu'un air pur. Le raisin ne pourrit au 
contact de l'air que par l’action de moisissures qui se développent à sa 
surface et dans son intérieur après que Pair commun, toujours plus 
ou moins chargé des graines de ces petites plantes, en a déposé une ou 
plusieurs sur sa pellicule. J'ajoute que toute la scène des altérations 
changerait, tant ces phénomènes sont peu spontanés, si le suc intérieur 
du grain de raisin, au lieu d’être acide, était alcalin à la manière des 
liquides du cadavre humain. 


RE 2 D, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 535 


Claude Bernard a passé à côté de ces vérités. Lui, qui avait élo- 
quemment prouvé le danger des systèmes en physiologie, est devenu 
à son tour le serviteur inconscient de ses idées préconçues : un 
aiguillon intérieur nous pousse à franchir les limites que notre igno- 
ance nous impose. Dans les mêmes chapitres où Bernard établit 
l'insuffisance des définitions de la vie proposées par les physiologistes 
ses devanciers, ne voulant pas rester lui-même sur une négation, 
comme il le dit expressément, il est entraîné à formuler la conception 
à laquelle son expérience l’a conduit. Il ne s'aperçoit pas, quoiqu'il 
l'ait souvent aperçu chez les autres, qu'un système, si rigoureux qu'il 
soit, est, quoi qu'on fasse, l'expression synthétique d’un ensemble 
incomplet de connaissances acquises, dont les déductions, œuvres 
pures de l’entendement, sont autant d’écueils qui naissent sous les pas 
et qui exposent à forcer le système. Non, les manifestations de la vie 
ne sont pas toutes comprises dans les deux divisions et les deux 
séries de phénomènes que Bernard avait conçues: celles-ci correspon- 
daient peut-être, quand il les a formulées, à ce qu'il savait de la vie ; 
elles ne pouvaient embrasser ce qu'il en ignorait. Que des faits nou- 
veaux viennent à surgir, qu'on découvre, par exemple, comme je pré- 
tends l'avoir fait, que d’une part la vie sans air est possible, que de 
l’autre la loi évolutive du germe cachée dans chaque cellule de lorga- 
nisme manifeste encore sa puissance après la mort, même en dehors 
de tout contact avec l'oxygène de l'air, et il se pourra que le système 
nouveau y trouve sa pierre d’achoppement. C’est précisément ce qui 
est arrivé, suivant moi, en ce qui concerne les vues de Bernard. Dieu 
me garde d’être, à mon tour, systématique, mais pourquoi ne dirais-je 
pas que j'ai cette confiance intime que les actions des ferments solubles 
s’effaceront un jour, même dans la physiologie des êtres supérieurs, 
devant celles de la vie sans air? Ces actions de vie sans air, Bernard 
faisait plus que de les ignorer, il n’en voulait pas : c’est qu'elles contre- 
disaient ses conceptions sur la vie. 


Une fois engagé dans la voie de l'erreur, il est malaisé d’en sortir. 
Le manuscrit de Bernard va nous en fournir un nouvel exemple. 
Après avoir montré que cet écrit est principalement une œuvre de 
déductions à priori, il me reste à en discuter les observations et les 
expériences. Explicitement ou implicitement, elles sont toutes com- 
prises dans les conclusions magistrales qui la terminent. 

« La théorie (de Pasteur) est détruite : 

« 1° Ce n’est pas la vie sans air; car, à l’air comme à l'abri de son 
contact, l'alcool se forme sans levûre. 


536 ŒUVRES DE PASTEUR 


« 2° Le ferment ne provient pas de germes extérieurs, car dans 
les jus aplasmiques ou inféconds {verjus et jus pourris), le ferment ne 
se développe pas, quoiqu'ils soient sucrés. Si l’on y ajoute du ferment, 
alors ils fermentent. 

« 3° L'alcool se forme par un ferment soluble en dehors de la vie. 

« Dans fruits pourris ou mürissants, il y a alors décomposition du 
fruit et non synthèse biosique de levûre ou de végétation. L’air est 
absolument nécessaire pour cette décomposition alcoolique. 

« 4° Ce ferment soluble se trouve dans le jus retiré du fruit jus 
pourris) ; l’alcool continue à s’y former et à augmenter. 

« Avec l’infusion de levüre ancienne, la démonstration devient 
encore plus facile. 

« 5° Il y a dans la fermentation deux états à étudier : 

« À, Décomposition. 

« B. Synthèse morphologique. » 

Reprenons une à une ces assertions et les preuves que le manuscrit 
essaye d’en donner. 

1° Ce n'est pas la vie sans air, car, à l'air comme à l'abri de son 
contact, l’alcool se forme sans levüre. 

Claude Bernard constate, en effet, que le jus des grains pourris 
qu'on vient de prendre sur le cep ou sur des raisins conservés dans un 
fruitier contient de l'alcool en quantités variables, mais toujours sen- 
sibles, et que ces grains sont exempts de levûre. La pourriture, suivant 
Bernard, se produisant au libre contact de l'air, l’alcool se forme donc 
à l’air et sans levüre. Cette interprétation n’a que l'apparence de 
l'exactitude, parce que Bernard ne rapporte pas la pourriture à sa 
vraie cause. Je répète que loin d’être une maturité avancée, comme il 
le suppose, c’est-à-dire un acte chimique spontané, la pourriture est 
constamment le résultat de la présence de moisissures à la surface et 
dans l’intérieur des grains. Dès 1862 [ 1861! (1), j'ai prouvé que les 
moisissures, pendant leur vie, absorbent l'oxygène de l’air et dégagent 
de l'acide carbonique; ultérieurement, dans mes Études sur la bière ®), 
j'ai reconnu qu'elles produisent de l’alcool lorsque l'oxygène de Pair 
leur fait plus ou moins défaut. Un des meilleurs moyens, à ma connais- 
sance, pour enlever tout l’oxygène dissous dans un liquide organique, 
fût-il même largement exposé à l'air, et empêcher que ce liquide 
dissolve ce gaz de nouveau, consisterait à faire pousser à sa surface un 
ou plusieurs îlots de moisissures. L'intérieur d’un grain de raisin qui 

1. Voir p. 142-147 du présent volume : Expériences et vues nouvelles sur la nature des 


fermentations. 
2. Voir tome V des Œuvres de Pasteur. (Notes de l'Édition.) 


Shot née de 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 537 


pourrit, où plutôt qui moisit, ne peut done contenir, particulièrement 
dans la région sous-jacente à sa pellicule moisie, du gaz oxygène 
dissous en quantité sensible. Le grain est à l'air, l’intérieur du grain 
n'y est pas et les cellules de son parenchyme, ainsi que les tubes 
mycéliens qui pénètrent dans le grain, se trouvent dans les conditions 
où ils peuvent faire produire de lalcool au fruit. Bernard ne s’est pas 
rendu compte de ces faits. À deux reprises, néanmoins, il fait allusion 
à la formation d’alcool par les moisissures. IT dit même (Note XIV) : 
« Il faudra étudier ces végétations spéciales, qui sont accompagnées de 
la formation d’alcool, à flots, comme dans le cas de formation de 
levûre. » Mais ce qu'il omet d'indiquer, c’est l'existence constante des 
moisissures sur tous les grains pourris, e’est l'absence complète de 
toute trace de pourriture lorsque les moisissures font défaut. 


A l'abri de l'air également, l’alcool se forme sans levüre, dit Ber- 
nard. il fait ici allusion aux expériences de MM. Lechartier et Bellamy (!) 
et de Luca ®). La manière dont il les interprète est aussi étrange 
qu'inadmissible : « Ces expériences (Note XXII) sont vraies; mais il 
est inutile de soustraire les feuilles et les fruits à l'air. Ils les font 
pourrir à l'abri de l'air, et voilà tout; mais, pourris au contact de Pair, 
c’est la même chose. Donc la fermentation n’est pas la vie sans air. » 
Ces derniers mots sont soulignés dans le manuscrit. 

Tout ce que nous savons maintenant des expériences dont il s’agit 
ne peut autoriser en aucune facon un pareil jugement, lequel n’eût 
même pas été admissible lorsque les expériences dont il s’agit 
n'avaient encore été faites que dans la première forme que leur avaient 
donnée, en 1869, MM. Lechartier et Bellamy, c’est-à-dire lorsqu'ils 
plaçaient les fruits dans de grands vases remplis d'air, où ils étaient 
abandonnés pendant plusieurs mois. La modification que j'ai apportée 
à l'expérience de M. Lechartier consiste à plonger les fruits tout à coup 
dans des vases remplis de gaz acide carbonique et non d’air (#). J'ai vu 
que, dans ces conditions, la formation de l'alcool apparaît dès les pre- 
miers jours qui suivent. Lorsque les fruits sont placés dans Pair, il 
faut que l'oxygène soit en premier lieu absorbé avant que les cellules 
manifesteut les effets qui leur sont propres. En attendant, on ignore 
ce qui peut se passer à l'intérieur du fruit; mais la formation de 


1. Lecxarmier et BeLLAMY. Études sur les gaz produits par les fruits. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LXIX, 1869, p. 356-360. — De la fermentation des fruits. Ibid, 
p. 466-469. 

2. Luca (S. de). Sur la fermentation alcoolique et acétique des fruits, des fleurs et des feuilles 
de quelques plantes. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXIIT, 1876, p. 912-514 

3. Votr p. 387-394 et 401-402 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


538 ŒUVRES" DE PASTEUR 


l'alcool par les fruits, au moment où ceux-ci passent de Pair dans le gaz 
inerte, est la preuve indiscutable que ces nouveaux phénomènes 
relèvent d’une sorte de vie physique et chimique des cellules du fruit. 
On est porté d'autant mieux à expliquer ainsi les faits découverts par 
MM. Lechartier et Bellamy que, d’après mes observations, les feuilles, 
et tous les organes végétaux en général, se comportent comme les 
fruits. Cette vie physique et chimique des cellules doit être confondue 
avec celle que manifestent les ferments figurés alcooliques proprement 
dits lorsqu'ils sont privés d'air, et les faits dont il s’agit rentrent dès 
lors dans la théorie que j'ai proposée dès 1861 (1) pour l'explication de la 
plupart des fermentations proprement dites. Non seulement cette 
interprétation a été acceptée par MM. Lechartier et Bellamy, mais ils 
l'ont confirmée par de nouvelles expériences personnelles. 

MM. Lechartier et Bellamy (2), et M. Gayon (?), à son tour, ont 
donné, en effet, une preuve remarquable de cette manière de voir 
lorsqu'ils ont eu l’idée (Comptes rendus de l'Académie, LXXXIV, 
année 1877) d'arrêter toute vie des cellules des fruits, en plaçant 
ceux-ci dans des vases remplis de gaz inertes et de vapeurs toxiques 
ou antiseptiques, ou mieux anesthésiantes, telles que le chloroforme, 
l’éther, le sulfure de carbone, etc. En même lemps que la vie des 
cellules est éteinte par ces vapeurs, la formation d’alcool et le déga- 
gement de gaz carbonique par les fruits sont suspendus. 

M. Müntz (f) a fait mieux encore : il a laissé les plantes sur le sol, 
les a enveloppées d’une atmosphère de gaz inerte, a constaté la forma- 
tion de l’alcool; puis, replaçant les plantes dans leur état ordinaire, il 
les à vues continuer leur vie normale, prouvant ainsi qu'aucune 
altération profonde n'avait pu se produire dans leur structure intime. 


Il y avait un intérêt réel à mettre en évidence, mieux encore que je 
ne l'avais fait antérieurement, ce qu'il y a de soudain dans les effets du 
passage de la vie des grains exposés à l’air à leur vie sans air. Or j'ai 
reconnu qu'un séjour des fruits, aussi court que possible, dans le gaz 


acide carbonique, suffit à faire apparaître l'alcool (°. Je suis convaineu 


L. Vo p. 142-147 du présent volume : Expériences el vues nouvelles sur la nature des 
fermentations. 

2. Lecuarrier et BecLaMy. Action des vapeurs toxiques et antiseptiques sur la fermenta- 
tion des fruits. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXXIV, 1877, p. 1035. 

3. Gayox. Action des vapeurs toxiques et antiseptiques sur la fermentation des fruits. 
Ibid., p. 1036. 

4. Müxrz. Recherches sur la fermentation alcoolique intracellulaire des végétaux. 1bid., 
LXXX VI, 1878, p. 49-52. (Notes de l'Édition.) 

9. Lorsque je dis que la vie continue dans les cellules d'un fruit, d’une feuille, d'un 
organe quelconque après qu'on l'a plongé dans le gaz acide carbonique, j'entends désigner 


tt nait dis 


PE 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 539 


qu'en opérant sur une quantité assez grande de raisins on pourrait 
facilement démontrer que le caractère du phénomène se dessine au 
bout d’une minute et moins encore. L’échange des gaz dans le poumon 
et les actions chimiques qui en résultent n’ont probablement pas plus 
de soudaineté, et c'est là une circonstance d’un intérêt vraiment supé- 
rieur sous le rapport physiologique. Invoquer sans preuves, pour 
l'explication de tels résultats, le fait d’une action vague de pourriture 
ou de maturité avancée est tout à fait imsoutenable. 


3° et 4°, savoir : que le 


J'arrive maintenant aux conclusions 2°, 
ferment ne provient pas de germes extérieurs, que l'alcool se forme par 
un ferment soluble en dehors de la vie, lequel ferment soluble se trouve 
dans le jus retiré du fruit où l'alcool continue de se produire et 
d'augmenter. 

Quoique l'expression de génération spontanée de la levure ne soit 
prononcée nulle part dans le manuscrit de Bernard, la chose s’y trouve 
très explicitement, à maintes reprises. Bernard y formule, en outre, 
une théorie de cette génération. Dans ses conceptions philosophiques, 
Bernard laissait volontiers sa pensée courir à l'aventure, plus qu'on 
ne le pense et plus qu'il ne le disait lui-même. D'une nature douce et 
sociable, vivant dans ce monde d'élite de l’Académie française où 
dominent les idées spiritualistes, il gardait volontiers, dans la conver- 
sation, et surtout la plume à la main, des ménagements vers lesquels 
le portait un esprit de doute bienveillant sur tout ce qui échappait à 
ses démonstrations. Il n'y a que des savants à l'esprit téméraire qui 
puissent faire parade d’une philosophie qu’ils seraient impuissants à 
établir. Je ne suis done nullement surpris de trouver dans le manuscrit 
de Bernard une théorie de la génération spontanée, et cette conclusion 
que le ferment du raisin ne provient pas de germes extérieurs. Mais 
j'ai le droit d’être sévère lorsque je vois cette théorie reposer tout 
entière sur l'affirmation que dans le jus du grain de raisin mür il'existe 
une force qu'il appelle PROPRIÉTÉ PROTOPLASMIQUE, propriété qui n'existe 
pas encore dans le verjus et qui est déjà tuée dans le jus des grains 
pourris, dont toute la puissance enfin se manifeste dans le jus du 


seulement une continuation d'actes chimiques à l’intérieur des cellules dès que les manifesta- 
tions ordinaires de la vie par l'air sont suspendues. Je veux attester, ce que démontre d’ailleurs 
l'observation, qu'il n’y a pas arrêt subit d'actions organiques et de mutations chimiques dans 
les solides et dans les liquides du fruit, de la feuille, de l'organe. 

Si j'osais ainsi m'exprimer, je dirais que les cellules ont un potentiel de vie qui ne s'étein! 
pas avec la suppression du gaz oxygène ni avec la vie proprement dite due à l'influence de ce 
gaz; je dirais que la puissance d'évolution du germe se poursuit dans le nouveau déterminisme 
des phénomènes et naturellement avec des résultats particuliers, au nombre desquels se 
rencontrent des actes de fermentation. 


540 ŒUVRES DE PASTEUR 


raisin mûr. Il suppose que cette force apparaît et grandit au fur et a 
mesure que la maturité se développe. En conséquence, il nomme 
aplasmiques où inféconds les jus des verjus et des grains pourris, 
plasmiques où féconds les jus des grains mûrs. Bernard ne se borne 
pas à l’hypothèse de cette force occulte. Il ajoute que cette propriété 
de fécondité organisatrice se manifeste exclusivement au contact de 
l'air; dans le grain mûr, encore sur sa grappe, elle est à l’état latent, 
mais, dès qu'on l’écrase et que le jus en est exposé à l'air, la propriété 
protoplasmique apparaît et la levûre se forme, subitement pour ainsi 
dire. 

On pourrait ne pas croire à cet exposé des opinions de Bernard au 
sujet de la génération spontanée de la levüre si je ne le justifiais par 
des citations textuelles ; je me bornerai aux suivantes : 


La levüre ne se forme que dans les jus où existe la formation 
protoplasmique. Elle n’a plus lieu dans les jeunes jus (verjus). Elle n’a 
plus lieu dans les jus pourris, où la force plasmatique est tuée (1). 
Note XX. 

.….. Dans le jus mür protoplasmique seul, la levüre se montre avec la 
formation d'alcool. (Note XXII. 


Ces hypothèses gratuites se confondent avec l'hémiorganisme de 
M. Fremy, avec la théorie des globulins punctiformes de M. Turpin. 

J'éprouve, à la lecture de ces opinions de Bernard, autant de sur- 
prise que de chagrin : de surprise, parce que le ferme esprit que je 
m'étais habitué à admirer en lui est partout absent dans ce mysticisme 
physiologique; de chagrin, parce que notre illustre confrère fait ici 
tres bon marché des démonstrations que j'ai données. N’avais-je pas, 
par exemple, dès 1872 ), et plus particulièrement dans mes Études 
sur la bière, en 1876, décrit minutieusement le moyen d'extraire du jus 
de raisin de l’intérieur d’un grain, d'exposer ensuite ce jus au contact 
de l'air pur, et n’avais-je pas montré que, dans ces conditions, il ne se 
forme ni levûre ni fermentation alcoolique ordinaire ? 

Il m'a été pénible également de penser que tout ceci se produisait 
sous le patronage de mon éminent confrère M. Berthelot. 


1. Chose curieuse, il se contredit tout aussitôt, car il ajoute, entre parenthèses : (Cependant 
addition d'eau la détermine. Avoir des jus pourris bien purs). Évidemment une addition d’eau 
ne peut pas créer la force plasmatique. Elle n'est donc pas tuée, comme il le dit. Ce fait seul 
aurait pu l'avertir qu'il ne possédait pas le déterminisme exact des phénomènes dont il parle 
et l'engager à rejeter ses théories a priori. 

2. Voir p. 385-386 du présent volume : Nouvelles expériences pour démontrer que le germe 
de la levûre qui fait le vin provient de l'extérieur des grains de raisin. (Note de l'Édition.) 


te LL à à 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 541 


Devais-je, comme me l'avaient conseillé des amis bienveillants, 
laisser tomber dans l’oubli ces contradictions inattendues et m'en tenir 
à la protestation que j'avais lue à l'Académie des sciences dès le sur- 
lendemain de la publication du manuscrit de Bernard (1)? Je ne crus 
pas devoir suivre ce conseil : e’eût été me dérober à la défense de la 
vérité; mon abstention, d'autre part, m'eût paru peu respectueuse pour 
la mémoire de Bernard. 

J'avais à cœur également de reprendre tout le travail de mon 
illustre confrère et de mettre en lumière, mieux qu'il ne paraissait 
avoir eu le temps de le faire, ce que pouvait renfermer d’utile et de 
neuf son manuscrit, et d’en prendre moi-même l’occasion de prouver 
une fois encore mes conclusions antérieures. Les principes sont-ils 
jamais trop bien établis! De plus, j'avais formé autrefois un projet 
dont m’avaient détourné les dépenses importantes que devait en 
coûter l'exécution (?}. Mes scrupules, à l'égard de ces dépenses, s’effa- 
çaient en présence d’un incident qui atteignait sur tous les points des 
études auxquelles j'avais consacré déja plus de vingt années d'efforts. 
Le débat intéressait d’ailleurs tout à la fois la Science et l’Académie, 
en mettant contradictoirement en présence les opinions de plusieurs 
membres de cette illustre Compagnie. 

À peine avais-je fait à l'Académie ma communication du 22 juillet 
1878 (3), que, sans trop de souci des crédits que j'aurais à réclamer 
ultérieurement, je commandai en toute hâte plusieurs serres vitrées, 
avec l’intention de les transporter dans le Jura, où je possède une 
vigne de quelques dizaines de mètres carrés. Il n’y avait pas un instant 
à perdre; voici pourquoi : 

J'ai démontré, dans un des chapitres de mes Études sur la bière 
ch. V}, qu'il n'existe pas encore de germes de levûre sur les grappes 
des raisins qui sont à l’état de verjus, ce qui, dans le Jura, a lieu vers 
la fin de juillet. Nous sommes, me disais-je, à une époque de l’année 
où, grâce au retard de la végétation, dû à une saison froide et plu- 
vieuse, les raisins sont précisément à l’état de verjus dans le canton 
d’Arbois. En prenant ce moment pour enfermer des pieds de vigne dans 


1. Voir p. 552-555 du présent volume : Sur la théorie de la fermentation. (Note de l'Édition. 

2. Au printemps de 1876, j'avais tenté de mettre à exécution mon projet (sur le blé et l'orge) 
dans le jardin de l'École Normale supérieure; mais un dispositif insuffisant et trop parcimo- 
nieux ne m'avait pas permis detirer un sûr profit des résultats obtenus. Il faut dire à l'honneur 
du gouvernement actuel que la science, depuis quelques années, n’est plus aux prises avec la 
misère d'installations préjudiciables à ses progrès. L'administration a très heureusement 
développé et dans une large mesure les intentions libérales qui s'étaient fait jour à la fin de 
l'Empire, et qui, sous le ministère de M. Duruy, avaient recu un commencement d'exécution 
par la création féconde de l'École des Hautes Études. 

3. Voir p. 552-555 du présent volume : Sur la théorie de la fermentation. (Note de l'Édition.) 


ŒUVRES DE PASTEUR 


en 
Fes 
12 


des serres presque hermétiquement closes, j'aurai en octobre, pendant 
les vendanges, des pieds de vigne portant des raisins mûrs sans germes 
extérieurs des levüres du vin. Ces raisins, étant écrasés avec les pré- 
cautions nécessaires pour ne pas introduire de germes de ces levûres. 
ne pourront ni fermenter ni faire du vin. Je me donnerai le plaisir d’en 
rapporter à Paris, de les présenter à l’Académie et d’en offrir quelques 
grappes à ceux de nos confrères qui peuvent croire encore à la géné- 
ration spontanée de la levüre. 

Je rappellerai que, dans mes Études sur la bière, j'ai montré que 
des grappes entières de raisins mürs, prélevées dans des serres, 
pouvaient être écrasées sans qu'il y eût fermentation ultérieure de la 
masse. En outre, on trouvera dans cet ouvrage [chapitre V] l'alinéa 
suivant 

« Une autre conséquence se dégage de tous les faits que nous 
avons exposés relativement à l’origine des levüres du vin: c’est qu'il 
serait facile de cultiver un ou plusieurs ceps de vigne, de façon que 
les raisins récoltés, même à l'automne, qui auraient poussé sur ces 
ceps, fussent incapables de fermenter spontanément après qu’on les 
aurail écrasés pour en faire écouler le jus. Il suffirait de soustraire 
les grappes aux poussières extérieures pendant la durée de la végé- 
lalion et de la maturation des grains, et de pratiquer l’écrasement 
dansdes vases bien purgés des germes de levûres alcooliques. Tous 
les fruits, tous les végétaux, se préteraient à ce genre d’impor- 
lantes recherches, dont les résultats, suivant moi, ne sauraient étre 
douteux. » 

On peut se convaincre par ce passage, publié en 1876, combien peu 
je payais d’audace lorsque le 22 juillet 1878, deux jours après la 
publication de la Revue, j’écrivais : « Si, malgré tout ce que je viens de 
dire, on voulait faire de ces Nores une sorte de manifeste contre mes 
travaux..., malgré le profond respect que j'ai toujours eu pour notre 
illustre confrère, je dirais franchement que Bernard s’est trompé, que 
toutes les expériences dont il parle, souvent d’ailleurs de son propre 
aveu, sont douteuses et incertaines et que, suivant moi, celles qui sont 
vraies sont mal interprétées » (1). 

Le %# août 1878, grâce à l'empressement et à l’habileté de M. Oscar 
André, constructeur, mes serres étaient achevées, prêtes à être 
montées. Le travail de montage des fers et de la vitrerie fut terminé 
en quelques jours. 


Pendant et après l'installation des serres, je recherchai avec soin 


1. loir p. 552-555 du présent volume : Sur la théorie de la fermentation. (Note de l'Édition.) 


_— 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 543 


si les germes de la levüre étaient réellement absents sur les grappes de 
verjus, comme je l'avais reconnu autrefois el comme on peut en voir 


le détail dans mes Ætudes sur la bière. Le résultat fut celui que j'avais 


CR Se 


d 


Grappe libre. Grappe enveloppée. 


prévu; dans un grand nombre d'essais, je constatai que les verjus des 
vignes, dans le canton d’Arbois, et notamment ceux qui recouvraient 
les pieds placés sous les serres, ne portaient pas trace de germes de 
levüre au commencement du mois d'août 1878. 


Dans la crainte qu’une fermeture insuffisante des serres n’amenâtl 


ŒUVRES DE PASTEUR 


or 
rs 
Es 


des germes sur les grappes, j'eus la précaution, tout en laissant 
quelques grappes libres, d’en enfermer un certain nombre sur chaque 
pied avec du coton qui avait été porté à la température de 150° 
environ. 

Les figures ci-jointes [p. 543] représentent, à l'échelle de Z une 
des serres dont j'ai fait usage et l’aspect des grappes enveloppées de 
coton ou libres. En T et en t j'avais réservé de petites ouvertures pour 
la circulation de l'air. Il eût été prudent de garnir ces ouvertures avec 
de la ouate. J'avais omis de le faire et il n’en est pas résulté d'incon- 
vénients appréciables pour le succès des expériences. 

De retour à Paris le 16 août, j'attendis patiemment l’époque de la 
maturité des raisins. Je revins dans le Jura le 17 septembre, très 
anxieux de connaître l’état des ceps de vigne enfermés. Au premier 
regard jeté sur les grappes, je fus douloureusement impressionné. 
Comme j'avais blanchi au blanc de céruse toutes les vitres, afin de 
calmer l’ardeur du soleil des mois d'août et de septembre, il arriva 
que les raisins des pieds de vigne sous les serres, pour les divers 
cépages en expérience et par les motifs que je vais faire connaître, 
étaient, pour ainsi dire, restés entièrement à l’état de verjus. Je crai- 
gnis dès lors de ne pas voir müûrir mes précieux raisins et que tout fût 
à reprendre une autre année. 

Voici le singulier phénomène de végétation qui s’était produit 
entre le jour de mon départ d’Arbois, le 16 août, et le jour de mon 
retour, le 17 septembre. Sous l’influence, sans nul doute, de la chaleur 
obscure et humide des jours où le soleil avait dardé sur les serres 
blanchies, une végétation exubérante s'était produite. De longs 
rameaux couverts de belles feuilles, et même de petits raisins nouveau- 
venus dont les grains n'avaient que la grosseur de têtes d’épingle 
(notamment sur un pied de ploussard [1}) s'étaient développés. Pour 
employer le langage des vignerons du pays, la force de la vigne s’était 
portée sur le bois, sur les rameaux, sur les feuilles, et non sur les 
grappes, qui n'avaient, en quelque sorte, nullement profité de la sève 
et de la chaleur. L'arrêt de la maturation était plus marqué pour les 
grappes recouvertes de coton que pour les grappes libres, où il était 
cependant fort sensible. Comme sous les tropiques, la végétation 
foliacée avait nui à la formation et à la maturation des fruits. 

Mais, dans la seconde quinzaine de septembre et la première quin- 
zaine d'octobre, avec une chaleur plus douce et une terre plus sèche, 


1. Ou « pulsard », plant spécial à la région d’Arbois. Les vignerons disent, de préférence, 
« ploussard ». (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 545 


j'eus la satisfaction de voir les choses changer du tout au tout. Ce 
furent les raisins cette fois, et non les rameaux, qui profitèrent de l’état 
de la saison, les raisins qui étaient encolonnés comme ceux qui 
étaient libres. Il n’y eut de différence entre ces deux sortes de grappes 
que sous le rapport de la coloration des grains. 

Vers le 10 octobre, les raisins des serres étaient mûrs; à travers la 
peau des grains on distinguait nettement les pépins, et, au goût, ils 
étaient aussi sucrés que la plupart des raisins en pleine vigne; 
seulement, sous le coton, les raisins, naturellement noirs, étaient à 
peine colorés, plutôt violacés que noirs, etles raisins blancs n'avaient 
pas la teinte jaune dorée des raisins blancs exposés au soleil. Néan- 
moins, je le répète, la maturité des uns et des autres ne laissait rien à 
désirer. 

Le 10 octobre, je fis ma première expérience sur les grains des 
grappes libres et sur ceux des grappes recouvertes de coton compara- 
tivement avec les grains des grappes restées en plein air. Le résultat 
dépassa, pour ainsi dire, mon attente. Les tubes à grains des grappes 
de plein air fermentèrent par les levûres du raisin après trente-six 
ou quarante-huit heures de séjour dans une étuve dont la tempé- 
rature variait entre 25 et 30°; pas un, au contraire, des nombreux 
tubes à grains des grappes recouvertes de coton n’entra en fermen- 
tation par les levûres alcooliques, et, chose remarquable, il en fut de 
même pour les grains des grappes libres sous les serres. C'était l'expé- 
rience déjà décrite dansmes Études sur la bière. 

Les jours suivants, je répétai ces expériences et j’obtins les mêmes 
résultats. Aujourd’hui encore, après une multitude d’essais, j’en suis 
au même point, c’est-à-dire qu'il m’a été impossible d'obtenir une seule 
fois la fermentation alcoolique par les levûres à laide des grappes 
recouvertes de coton, et, quant aux grappes libres des mêmes pieds, 
je n'ai eu qu'un seul exemple de fermentation par la levûre que ‘j'ai 
décrite autrefois dans un des bulletins de la Société chimique pour 
1862 (1), et qui a reçu depuis, du D" Reess, le nom de levüre apiculée. 


Une seconde expérience comparative se présentait naturellement à 
l'esprit. Ainsi que je l’ai expliqué tout à l'heure, cette expérience des 
serres repose sur le fait établi dans mes Ætudes sur la bière, savoir : 
que, dans le Jura, jusqu’à la fin de juillet et la première quinzaine 
d'août, quand la saison est un peu retardée, les verjus ne portent pas 


1. Vorr p. 150-158 du présent volume : Quelques faits nouveaux au sujet des levres alcoo- 
liques. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 


546 ŒUMRES'DE-PASTEUR 


du tout, à la surface de leurs grains ou du bois de leurs grappes, de 
germes des levüres alcooliques qui font fermenter le raisin à l’époque 
de la vendange ; que les grappes de raisin mür, au contraire, grains et 
surtout bois de la grappe (lesquels bois sont moins exposés au lavage 
par la pluie), en sont recouverts çà et là. Lorsque les serres furent 
montées, nous étions à la première époque, à celle de l’absence des 
germes ; au moment des expériences dont je viens de rendre compte, 
du 10 au 31 octobre, nous étions, au contraire, dans la période de la 
présence des germes. Il était done présumable que si je détachais des 
grappes des serres, recouvertes de coton, pour les exposer, leur coton 
enlevé, à des branches de ceps de la vigne restés en plein air, ces 
grappes, qui tout à l’heure ne pouvaient pas entrer en fermentation 
après l’écrasement de leurs grains, fermenteraient sous l'influence des 
germes qu'elles ne manqueraient pas de recevoir dans leur nouvelle 
position. Tel fut précisément le résultat que j’obtins. 


J'ai tenu à présenter à l'Académie des sciences un certain nombre 
des grappes de mes serres, les unes libres, les autres encore enco- 
tonnées depuis le 15 août, et sur lesquelles il eût été facile à ceux de 
nos confrères que ces expériences pouvaient intéresser de reproduire 
les faits que je viens d’annoncer. Cette présentation eut lieu le 
25 novembre 1878 (1). 

Qu'il me soit permis d'entrer ici dans une digression expérimentale 
très digne d'intérêt. Les grappes des raisins mûrs, ai-je dit, portent 
extérieurement les germes des ferments qui font le vin dans la cuve 
et dans les tonneaux du vigneron, ferments qui font partie du genre 
saccharomyces. Dès lors, n'est-il pas vraisemblable qu’à l'époque des 
vendanges les pluies doivent ramasser beaucoup de ces germes et les 
répandre sur le sol de ia vigne ? L'expérience confirme ces prévisions. 
Ayant déposé de très petites parcelles de terre d’une vigne dans des 
séries de tubes qui contenaient du moût de raisin conservé par une 
ébullition préalable, j’ai vu ce moût, dans beaucoup de tubes de chaque 
série, entrer en fermentation alcoolique. Sans nuire même au succès 
de l'expérience, on pouvait prélever les parcelles de terre assez pro- 
fondément dans le sol, à 10 et 15 centimètres. Ce qui est plus fréquent 
encore dans ce genre d'essais, c’est la fermentation alcoolique par les 
levüres du genre mucor, tant sont abondantes dans la terre cultivée 


les spores de ces petites plantes. 


1. Voir p. 999-567 du présent volume. (Note de l'Édition.) 


RERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 5 


, 
0 + 


An 
/ 


J'ai eu la curiosité de comparer, sous ce point de vue de la présence 
des spores des levûres de raisin et des spores de #ucor, la terre de la 
vigne et la terre que recouvraient mes serres. Or, avec la terre des 
serres, je ne vis jamais se produire dans mes tubes, quoique l'expé- 
rience eût été faite un grand nombre de fois, la fermentation alcoo- 
lique due aux levüres alcooliques du raisin; très fréquemment, au 
contraire, se montra la fermentation par la levüre de m#ucor. 

Que de réflexions font naître ces résultats, et peut-on se défendre 
de faire observer que plus on pénètre dans l'étude expérimentale des 
germes, plus on y entrevoit de clartés imprévues et d'idées justes sur 
la connaissance des causes des maladies par contage ! N’est-il pas très 
digne d’attention que, dans ce vignoble d’Arbois, et cela serait vrai 
des millions d'hectares des vignobles de tous les pays du monde, il n’y 
ait pas eu, à l’époque où j'ai fait les expériences dont je viens de rendre 
compte, une parcelle de terre, pour ainsi dire, qui ne fût capable de 
provoquer la fermentation par une levüre du raisin, et que, par contre, 
la terre des serres dont j'ai parlé ait été impuissante à remplir cet 
office ? et pourquoi? Parce que, à un moment déterminé, j'ai recouvert 
cette terre par quelques vitres. La mort, si j'ose ainsi parler, d’un 
grain de raisin qui eût été jeté alors sur un vignoble quelconque 
aurait pu arriver infailliblement par les parasites saccharomyces dont 
je parle; ce genre de mort eût été impossible, au contraire, sur les 
petits coins de lLerre que mes serres recouvraient. Ces quelques mètres 
cubes d’air, ces quelques mètres carrés de surface du sol, étaient là 
au milieu d’une contagion universelle possible, et ils ne la craignaient 
pas depuis plusieurs mois. Mais, quant à la maladie et à la mort des 
grains par les parasites des zucor, à quoi eût servi l'abri des serres ? 
À rien. Les parasites des saccharomyces venant de l’extérieur à une 
époque déterminée de l’année, un abri mis à temps avait pu les éloi- 
gner, comme on préserve l’Europe du choléra, de la peste... par des 
quarantaines. Les parasites mucor existant, au contraire, en perma- 
nence, pendant toute l’année dans la terre de nos champs et de nos 
vignes, ils se trouvaient nécessairement sous les serres, au moment de 
l'établissement de celles-ci, pareils, à certains égards, aux germes de 
nos maladies contagieuses communes, contre lesquelles ne sauraient 
agir évidemment les quarantaines qu’on oppose au choléra, à la fièvre 
jaune ou à la peste. 

N'est-il pas permis de croire, par analogie, qu’un jour viendra où 
des mesures préventives d’une application facile arrêteront ces fléaux 
qui, tout à coup, désolent et terrifient les populations, telle l'effroyable 
maladie (fièvre jaune) qui a envahi récemment le Sénégal et la vallée 


ŒUVRES DE PASTEUR 


2% 


du Mississipi ou cette autre (la peste à bubons), plus terrible peut-être, 
qui a sévi sur les bords du Volga! 

Je terminais la seconde lecture que j'ai faite à l’Académie le 
29 juillet dernier (f), touchant le manuscrit de Claude Bernard, par la 
promesse de répéter ses expériences en me plaçant dans le courant 
méme de ses idées préconçues et en leur donnant une ampleur de 
résultat digne du sujet et du respect que nous devons à sa mémoire. 
Je crois avoir tenu parole J’ose espérer également que le lecteur 
reconnaîtra que la doctrine des germes extérieurs se trouve de nou- 
veau établie de manière à satisfaire les esprits les plus rebelles. Tou- 
tefois, ce n’est là encore que le renversement de l’une des conclusions 
de Bernard, celle relative à la génération spontanée de la levüre par 
l'étrange hypothèse de la propriété plasmatique des grains de raisins 
mûrs. 

Il me reste à discuter la plus importante peut-être des propositions 
du manuscrit de lillustre physiologiste, celle de lexistence d’un 
ferment soluble qu'il a résolue dans ses conclusions par cette asser- 
tion hardie : « L'alcool se forme par un ferment soluble, en dehors de 
la vie, dans les fruits pourris où mürissants. » Si cette conclusion 
exclut toute hésitation, on trouve, en revanche, bien peu de netteté 
dans les observations par lesquelles Bernard essaye d’en donner une 
preuve expérimentale. Celle qu'il se plaît à invoquer et sur laquelle il 
revient à maintes reprises consiste à écraser les grains de raisins 
mûrs, Sains ou pourris, à les exprimer et à les filtrer jusqu’à parfaite 
limpidité, puis à comparer d’une manière approchée les quantités 
d'alcool des liquides après leur filtration et des mêmes liquides après 
qu'ils ont été abandonnés pendant quarante-huit heures environ. 
Bernard trouve que, dans cet intervalle de temps, lalcool augmente, 
quoique les liquides restent limpides. L'expérience est plus délicate 
qu'on ne l’imagine à première réflexion. Si l’on attend plus de qua- 
rante-huit heures, et souvent même un temps moindre, les liquides ne 
tardent pas à se troubler par un développement de levüre alcoolique, 
méme avec les jus des grains pourris, quoi qu'en dise Bernard, qui 
signale seulement dans ce cas la formation de moisissures. Ce dévelop- 
pement de levüre, on le conçoit, n’est pas tout de suite très apparent. 
Si peu qu'on soit presbyte, et Bernard létait devenu beaucoup dans les 
dernières années de sa vie, on peut croire au maintien de la limpidité 


parfaite des liquides, alors que déjà sur le fond des vases il s’est formé 


1. Voir p. 555-558 du présent volume : Nouvelle communication au sujet des Notes sur 


la fermentation alcoolique, trouvées dans les papiers de Claude Bernard. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 549 


de petites quantités de levüre. Quoique Bernard soit absolu dans sa 
conclusion au sujet du fait dont il s’agit, tout lecteur attentif du 
manuscrit se persuade aisément qu'aucune des expériences qu'il men- 
tionne n’est vraiment décisive sur le point capital de laugmentation 
de l'alcool dans les moûts filtrés abandonnés à eux-mémes. On sent 
partout, dans l'exposé des faits, que Bernard n’est pas maître de son 
affirmation. 
Dans la Note XVIII, il dit : 


Ce qu'il y a de certain, c’est qu'au moment où apparaît le trouble du 
liquide avec des grains de ferment rares et ‘petits il y a beaucoup d'alcool, 
de sorte que l'alcool semble avoir précédé le ferment. 


Dans la Note XV, son doute est plus accentué encore : 
Ï 


Quand on laisse le jus exprimé et séparé du grain de raisin s’altérer 
spontanément, les traces d'alcool deviennent à un moment, brusquement, 
beaucoup plus considérables, mais il se forme toujours de la levüre; il m'a 
été jusqu'ici impossible d'éviter son apparition. 


On le voit alors tourmenté d’un désir sur lequel il revient sans 
cesse, pour ainsi dire : 

La question serait d'empêcher le ferment d'apparaitre et de permettre à 
l’alcool de se faire. (Note XVIIL.) 

En résumé, il s'agirait de pouvoir faire avec le jus de raisin séparé et 
filtré l'expérience de la pourriture : faire apparaître de l’alcool en grande 
quantité sans germes. (Note XV.) 


Et, pour y parvenir, il se pose à lui-même ce desideralim : 


En un mot, il s'agirait d'imiter le procédé de la pourriture dans le jus 
séparé : mettre le jus de raisin dans une membrane, coquille d'œuf, etc., 
qui filtre l’air. Cela doit ètre possible, ajoute-t-il, car il faut prouver que 
la formation de l'alcool est indépendante de la présence de toute cellule. 
C'est là derrière que Pasteur se retranche pour dire que la fermentation 
est la vie sans air... (Note XV.) 


Comme ces passages du manuscrit de Bernard, le dernier princi- 
palement, font bien ressortir la tyrannie de ses idées préconçues "Il 
ne cherche pas ceci ou cela, sans parti pris, ce qui est, ce qui arrive 
en un mot, c'est-à-dire la vérité : il veut trouver ceci ou cela parce 
qu'il a imaginé que ceci ou cela doit.être. C’est bien à cette disposi- 
tion d'esprit qu'on peut appliquer cette parole de Bossuet : « Le plus 
grand dérèglement de l’esprit, c'est de croire les choses parce qu'on 
veut qu'elles soient », admirable principe de philosophie pratique 


qu'on devrait graver au frontispice de tous les laboratoires. 


550 ŒUVRES DE PASTEUR 


Ces façons de vouroir que les choses soient me rappellent égale- 
ment la condamnation superbe qui en a été faite par Buffon, lorsqu’'à 
l’âge de vingt-huit ans, venant de traduire la S/atique des végétaux de 
Hales (!, il méditait les travaux des grands observateurs du xvrr‘ siècle : 
« …. C’est par des expériences lines, raisonnées et suivies, dit Buffon, 
qu'on force la nature à découvrir son secret... Il ne s’agit pas, pour 
être physicien, de savoir ce qui arriverait dans telle ou telle hypothèse, 
en supposant, par exemple, une matière subtile, des tourbillons, une 
attraction, etc. Il s’agit de bien savoir ce qui arrive et de bien connaître 
ce qui se présente à nos yeux; la connaissance des effets nous conduira 
insensiblement à celle des causes, et l’on ne tombera plus dans les 
absurdités qui semblent caractériser tous les systèmes... » (2). 

En octobre 1877, Claude Bernard avait, en quelque sorte, fait table 
rase de ces règles immuables de la vraie méthode expérimentale, qu’il 
avait cependant, lui aussi, à tant de reprises, exposées avec éloquence 
et appliquées avec rigueur. 


Mais revenons à lassertion de Bernard. Il est aisé de comprendre 
que les raisins de nos serres permettent la solution du problème qui le 
hantait et le tourmentait si fort. Nous possédons, en effet, des raisins 
mûrs, aussi mürs qu'il eût pu les désirer, qui ne portent aucun germe 
de levüre. Dès lors, nous pouvons répondre à toutes ses préoccupa- 
tions et faire apparaitre de l'alcool en grande quantité sans germes, Si 
tant est que la chose soit possible. 

Le 10 octobre je me rends dans une de mes serres, muni de filtres, 
d’entonnoirs et de vases, le tout flambé préalablement. Je détache la 
plus belle des grappes recouvertes de coton, et, après avoir enlevé 
l'enveloppe, j'écrase les grains et le bois de la grappe avec une baguette 
de verre terminée par une tête plate et flambée, puis je filtre et je 
rapporte le vase rempli d’air et de moût limpide dans le réduit qui 
me servait de laboratoire. Après m'être rendu compte, sur une por- 
ion de ce moût filtré, de la quantité d'alcool qu'il pouvait contenir et 
ayant reconnu qu’il n’en présentait que des traces douteuses, j'aban- 
donnai le restant pendant quatre jours à la température de 25-30°. Je 
rappelle, en passant, que toutes les expériences de Bernard n'avaient 
pu avoir qu'une durée maximum de quarante-huit heures, à une tem- 
pérature de moins de 10°. Le quatrième jour, je recherche lalcool et 
je trouve que les caractères de la distillation sont exactement ceux du 


1. Hazes. La statique des végétaux et l'analyse de l'air. Ouvrage traduit de l'anglais par 
M. de Buffon. Paris, 1785, XX VI-408 p. in-4° (fig.). 
>, Burrox. Préface de « La statique des végétaux », p. V. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 551 


début : traces douteuses d'alcool. Donc, pas de germes sur les grappes, 
pas de fermentation possible dans le moût filtré. Plusieurs épreuves 
ultérieures semblables donnèrent le même résultat. 

La question du ferment soluble est tranchée : il n'existe pas: 


Bernard s’est fait illusion. 


Dans la longue série d'observations à laquelle je me suis livré 
dans le Jura, j'ai rencontré un fait nouveau qui a pu contribuer dans 
une certaine mesure à induire notre confrère en erreur. J'ai reconnu 
que les grains de raisin écrasés absorbent l'oxygène de l'air, et que, 
par suite de cette oxydation, il se forme des produits éthérés alcoo- 
liques en quantité faible, mais non douteuse. Cet effet commence avec 
l'oxydation et s'arrête avec elle; mais il est nul pour le moût de 
raisin limpide. Or, c'est avec les moûts de raisins filtrés que Bernard 
a fait ses expériences sur le développement du ferment soluble. On 
comprend néanmoins que dans certaines circonstances, mal déter- 
minées, il ait pu attribuer à de tels moûts ce qu'il avait pu observer 
sur un ensemble de grains écrasés. 

Le fait que je signale, et sur lequel j'espère revenir ultérieure- 
ment, est lié à la présence de ces produits oxydables, dont M. Bous- 
singault le premier, M. Berthelot ensuite et moi-même, nous avons 


reconnu l'existence dans les vins. 


Je crois pouvoir dire, en terminant, qu'il ne reste du manuscrit de 
Bernard qu’une tentative stérile de substituer à des faits bien établis 
les déductions d’un système éphémère. La gloire de notre illustre 
confrère ne saurait en être diminuée. Les erreurs de ceux qui, dans 
les sciences, ont parcouru vaillamment la carrière n’ont que l'intérêt 
philosophique qui s'attache à notre humaine faiblesse. « Les hommes 
ne sont grands que par les services qu’ils ont rendus », maxime que 
je suis heureux d'emprunter à l’une des pages du dernier ouvrage que 
Bernard nous a laissé en mourant. Et puis, serait-il équitable de juger 
en quelque chose notre grand physiologiste sur les défaillances d’un 
écrit non signé, dont il n'avait ni demandé ni autorisé la publication 
et qui a été retrouvé, après sa mort, € soigneusement caché », comme 


nous l’a appris M. Berthelot? 


APPENDICE 


Note lue à l'Académie des sciences, le 22 juillet 1878, le surlen- 
demain de la publication du manuscrit de Bernard : 


SUR LA THÉORIE DE LA FERMENTATION (1) 


Je viens de lire, dans le dernier numéro de la Revue scientifique, 
un article intitulé : La fermentation alcoolique, dernières expériences 
de Claude Bernard (®). 

C'est à notre confrère M. Berthelot que l’on doit la mise au jour de 
ces Notes diverses, écrites de la main de lillustre physiologiste pen- 
dant le mois d'octobre 1877, retrouvées accidentellement dans ses 
papiers par l’un de ses jeunes préparateurs, M. d’Arsonval. 

L'intérêt que j'ai pris à ces Notes, ai-je besoin d’en parler, puis- 
qu'elles portent sur un sujet qui m'occupe depuis plus de vingt années 
et qu'elles sont de Claude Bernard? Je dois avouer, toutefois, que cet 
intérêt n'a pas été pour moi sans un mélange de grande surprise. De 
la première ligne à la derniere, en effet, elles ont pour objet le contrôle 
de faits et de conclusions que j'ai souvent produits devant cette Aca- 
démie, et les vingt dernières lignes sont la condamnation absolue, 
sans restriction aucune, de mes vues au sujet de la fermentation en 


général et de la fermentation alcoolique en particulier. Voici ces 
conclusions : 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 22 juillet 1878, LXXXVII. 
p. 125-128. 


2. Revue scientifique, 20 juillet 1878, 2 sér., XV, p. 49-56. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 553 


Saint-Julien, 20 octobre 1877. 
Théorie de la fermentation alcoolique. 


La théorie est détruite : 

1° Ce n’est pas la vie sans air, car à l'air, comme à l'abri de son contact, 
l'alcool se forme sans levüre. 

2° Le ferment ne provient pas de germes extérieurs, car, dans les jus 
aplasmiques ou inféconds (verjus et jus pourris), le ferment ne se déve- 
loppe pas, quoiqu'ils soient sucrés. Si l’on y ajoute du ferment, alors ils 
fermentent. 

3° L'alcool se forme par un ferment soluble en dehors de la vie dans les 
fruits mürissants ou pourris; il y a alors décomposition du fruit et non 
synthèse biosique de levüre ou de végétation. L'air est absolument néces- 
saire pour cette décomposition alcoolique. 

4° Le ferment soluble se trouve dans le jus retiré du fruit (jus pourri); 
l'alcool continue à s’y former et à augmenter. 

Avec l’infusion de levûre ancienne, la démonstration devient encore 
plus facile. 

5° Il y a dans la fermentation deux états à étudier : 

À. Décomposition ; 

B. Synthèse morphologique. 


Ma surprise s’est accrue lorsque j'ai remarqué que toutes ces 
Notes ont été écrites par Claude Bernard du 1° au 20 octobre dernier, 
à sa campagne de Saint-Julien, près de Villefranche, que Claude 
Bernard a passé le mois de novembre et le mois de décembre parmi 
nous, assistant, très bien portant, à nos séances, assis près de moi, 
vous le savez. Or il ne m'a pas dit un seul mot de ses nouvelles expé- 
riences. N’est-il pas étrange que lui, si franc, si ouvert, si porté vers 
la libre discussion, qui n’a cessé de me témoigner la plus bienveillante 
affection, qui chaque semaine, pour ainsi dire, causait avec moi, à cette 
place, sur la fermentation, ait eu par devers lui, en revenant de Saint- 
Julien à la fin d'octobre, des preuves convaincantes que j'étais entiè- 
rement dans l'erreur, et qu’il me l’eût caché sans y faire même la 
moindre allusion ? Cela ne me parait pas possible : aussi je me demande 
si les éditeurs de ces Notés n’ont pas trouvé que c’est chose fort déli- 
sate de prendre sur soi, sans y être formellement autorisé par l’auteur, 
de mettre au jour des Notes et des cahiers d’études? Qui d'entre nous 
ne serait ému à la pensée qu'on agira de même à son égard? 

L'existence de ces Notes, l'énorme disproportion entre les conclu- 
sions et les faits qui les motivent me semblent avoir une explication 
très différente de celle que M. Berthelot a suggérée aux lecteurs de la 
Revue scientifique, en les invitant à croire, d’après des on-dit, que 


ŒUVRES DE PASTEUR 


ox 
ot 
ra 


« les déclarations de Claude Bernard, quelques jours avant sa mort, 
étaient tout à fait conformes aux affirmations générales des Notes de 
Saint-Julien ». Contrairement à cette assertion de M. Berthelot, je suis 
porté à croire que Claude Bernard n’a fait, pendant ces quinze jours 
du mois d'octobre 1877 et en novembre et décembre, que s’essayer 
sur le sujet de la fermentation alcoolique. 

Qu'il fût préoccupé, lui, le grand physiologiste, de ces deux propo- 
sitions résultant de mes travaux : 

1° Il y a une vie sans air, sans intervention quelconque du gaz 
oxygène libre; 

2° Toutes les fois qu'il y a vie sans air, la fermentation se mani- 
feste ; 

Qu'il en fût préoccupé, dis-je, personne n’oserait le contester. 

Ces deux principes que jamais Claude Bernard n’a mis en doute, 
à ma connaissance, il se proposait, sur mon invitation même, de les 
transporter dans la physiologie animale ; il se proposait d’en faire l’objet 
d’un de ses cours. « Préparez-vous, disait-il pendant sa maladie à Pun 
de ses chers disciples, M. Dastre, je prendrai cette année pour sujet 
d'un de mes cours l'étude de la fermentation. Nous irons voir Pasteur et 
travailler avec lui dans son laboratoire.» Dès lors j'imagine que comme 
méthode de travail, méthode excellente dans tous les cas, et pour 
savoir si j'étais dans le vrai, j'imagine qu'il ne trouva rien de mieux 
que de chercher par de nombreuses expériences et d'essayer par cer- 
taines vues préconçues à mettre en défaut mes opinions el mes 
résultats. Prendre pour guide cette idée que j'étais sur tous les points 
dans lerreur, instituer des expériences pour l’établir, telle a dû être 
sa méthode de préparation sur le sujet qu’il voulait traiter. 

N'est-ce point là l'explication de ces Notes que M. Berthelot vient 
de publier, et du silence que Claude Bernard a gardé vis-à-vis du 
confrère qu’elles intéressaient le plus? 

C’eût été mon appréciation et celle de plusieurs amis intimes de 
Claude Bernard si nous avions été consultés avant qu'on livrât ces 
Notes à la publicité. 

Si, malgré tout ce que je viens de dire, on voulait faire de ces 
Notes une sorte de manifeste contre mes travaux, prétendre que Claude 
Bernard ait été convaincu de la vérité des conclusions que j'ai rappe- 
lées tout à l'heure, alors, et malgré le profond respect que j'ai toujours 
eu pour notre illustre confrère, je dirais franchement que Bernard 
s'est trompé, que toutes les expériences dont il parle, souvent 
d’ailleurs de son propre aveu, sont douteuses et incertaines, el que, 
suivant moi, celles qui sont vraies sont mal interprétées. 


mt Sd 


PERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 555 


Toutefois, je comprends trop le respect qui doit s'attacher à ce qu'a 
pensé et écrit, même dans le silence du laboratoire, notre illustre ami, 
pour me permettre de signaler dès à présent ce que je trouve de très 
défectueux dans ces Notes, à les prendre dans leur texte absolu. Je 
veux d’abord les revoir expérimentalement, me placer dans le courant 
méme des idées et des expériences de Claude Bernard, et je convie 
ses amis, ses admirateurs à agir de même. Ils me donneront ainsi 
l'occasion de défendre la vérité que j'attribue à mes travaux, en pré- 
sence d'opinions réelles et réellement exprimées. 


Le 29 juillet, je fis à l'Académie une 


NOUVELLE COMMUNICATION 
AU SUJET DES NOTES SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE, 
TROUVÉES DANS LES PAPIERS DE CLAUDE BERNARD (1) 


Dans la lecture que j'ai faite à l'Académie, il y a huit jours, au sujet 
d’un manuscrit trouvé dans les papiers de Claude Bernard, je me suis 
efforcé de dégager la responsabilité de notre cher et regretté confrère. 

M. le D' Armand Moreau, membre de l’Académie de médecine, 
pour qui Bernard avait autant d'estime que d'amitié, m'a fait l'honneur 
de m'écrire une lettre qui est conforme aux inductions que j'avais 
présentées lundi dernier, mais où la méthode d’investigation habituelle 
de Claude Bernard est exposée de manière à intéresser l'Académie. 

Voici les principaux passages de cette lettre : 


La Note que vient de donner la Repue scientifique, dans son numéro du 
20 juillet, au sujet des fermentations, n’a été connue de moi que par cette 
publication. 

On trouve bien dans cette Note la préoccupation habituelle de CI. Ber- 
nard, qui conseillait de mettre en doute toutes les théories. Il répétait 
souvent : « Il faut toujours chercher à se démolir. » 11 nous faisait entendre 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 29 juillet 1878, LXXXVII, 
p. 185-188. 


556 ŒUVRES DE PASTEUR 


par là, sans s'expliquer davantage, que les théories ne méritent confiance 
qu'autant qu'elles résistent aux objections et aux attaques. 

C'est donc prudence et sagesse que d’en chercher les points faibles. Il 
nous racontait l’anecdote de Faraday, qui, ayant admis dans son laboratoire 
M. Henri Sainte-Claire Deville, passait journellement près de lui sans lui 
adresser la parole; cependant un jour il s'arrêta et lui dit: « Ne vous 
étonnez pas si je ne vous parle pas, je suis très occupé d’un travail et je fais 
des hypothèses qui vous paraïitraient tellement absurdes, que j'aime mieux 
ne pas vous les dire. » 

Claude Bernard, lui aussi, était hardi pour imaginer, mais nullement 
enclin à publier ses hypothèses. Il n'avait pour elles aucune faiblesse. « Que 
m'importe, disait-il, que ce soit blane ou noir! Si je trouve autre chose que 
ce que j'ai supposé, cela n’en est que plus intéressant. À quoi bon, disait-il 
encore, parler des hypothèses? Si elles sont bonnes, elles font trouver 
des fs nouveaux, et ce sont ces faits qu'il y a lieu de publier. Si elles sont 
mauvaises, c’est Éncombior la Science que d’en parler. » 

Si one dans l’intimité des conversations avec ses amis et dans le secret 
plus intime encore de Notes jetées sur le papier et soigneusement mises de 
côté, il développe un plan de recherches en vue de juger une théorie, s'il 
imagine des expériences, il est résolu à n’en parler qu'autant que les expé- 
riences seront bien claires, auront été vérifiées : on ne saurait done prendre 
dans ses Notes les propositions formulées même de la facon la plus expresse 
sans se rappeler que tout est projet et qu'il devait recommencer les expé- 
riences déjà faites. 


J'ai eu la curiosité de voir le manuscrit même de Claude Bernard. 
M. d'Arsonval voulut bien m'aider à le collationner avec l’édition qui 
en à été donnée par la Revue scientifique. V'ai constaté que l’article de 
la Aevue, sans doute par les nécessités de l'impression, renferme des 
changements nombreux. Il en résulte que l'édition imprimée rend mal 
et d’une manière fort incomplète ce caractère de Notes de premier jet, 
celte négligence de style, cet air, enfin, de programme d’expériences 
à entreprendre plutôt qu'elles ne sont entreprises, qui caractérisent ce 
manuserilt. 

Ne pouvant signaler toutes les modifications qui ont été faites, j en 
citerai seulement quelques-unes. 

En marge des premières feuilles se trouve un programme ébauché 
du cours que Claude Bernard devait faire cette année au Jardin des 
Plantes. La ARevue scientifique a supprimé ce programme, qui est, en 
effet, illisible en plusieurs endroits ; mais il est assez clair, cependant, 
pour que la part que Claude Bernard devait faire dans ce cours aux 
phénomènes de la fermentation y soit nettement indiquée. Il se termine 
ainsi : € Puis, à propos de nutrition, parler des fermentations, de la 
génération et de l'innervation. » 

On croyait généralement, sur la foi d'articles de journaux et de 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 557 


conversations, après la mort de Claude Bernard, qu'il devait faire un 
cours entier sur la fermentation en 1878, ce qui aurait supposé, de sa 
part, une longue préparation et des recherches personnelles fort 
étendues. On voit, au contraire, par le passage du manuscrit que je 
viens de citer, que la fermentation devait former un seul des chapitres 
de son enseignement; et, à ce propos, je dois ajouter que M. d'Arson- 
val m'a assuré que, nombre de fois et sous diverses formes, Claude 
Bernard lui avait dit qu'il ne commencerait pas ses leçons sur la fer- 
mentation avant d’avoir discuté avec moi ses opinions et ses résultats. 
J'ai interrogé, d’ailleurs, trois des personnes qui ont reçu les confi- 
dences de Claude Bernard : MM. Armand Moreau, Dastre et d'Arson- 
val. Toutes trois m'ont affirmé que, en ce qui concerne mes études, 
Bernard s’exprimait invariablement ainsi : « Les expériences de M. Pas- 
teur sont exactes, mais il n'a vu qu'un côté de la question. » C’est la 
seule critique qu'on lui ait entendu faire. Certes, elle est bien vague 
et bien générale. Tous, tant que nous sommes, nous ne voyons jamais 
qu’un côté des choses. 

Un alinéa de plusieurs lignes a été supprimé par la Revue scienti- 
fique. Bernard se demande pourquoi du ferment pourri (jus pourri ? 
laissé à l'air avec les grappes donne lieu à de la levüre, tandis qu'il ne 
s’en forme pas dans le liquide. Il hésite à répondre et indique des 
expériences à suivre sur ce point. L'expression de ce doute importait 
au lecteur, qui avait à décider jusqu’à quel point Claude Bernard était 
prêt pour affirmer que les conclusions de mes travaux sont erronées. 

Partout abondent dans le manuscrit les preuves qu’il ne s’agit ici 
que d'expériences à peine commencées, que Bernard devait revoir et 
contrôler. Ainsi l’expérience V, datée du 8 octobre 1877, se termine 
par les lignes suivantes, que la Aevue a supprimées, bien qu'elles 
soient fort lisibles : « Faire gonfler dans de l’eau des raisins confits. 
Aura-t-on un jus analogue à celui des raisins pourris ? Mettre jus de 
raisin dans un œuf comnie un grain de raisin et sa pellicule. Air filtré. » 
Suit un petit dessin informe, avec ces mots : « Un appareil avec coton 
à filtrer au soleil. » 

Voici une autre phrase où mon nom est prononcé : « Pasteur ne 
répond pas ou répond mal à l'objection de lair fermé dans l'expérience 
de Gay-Lussac. » On lit dans le manuscrit : « Pasteur ne répond pas 
ou répond mal à objection de l'air formé par la pile dans l'expérience 
de Gay-Lussac. » La phrase ici est intelligible; elle ne l’est pas dans 
l'édition de la Revue. 

Jusque dans les conclusions finales, la Aevue a fait un contre-sens. 


La Revue dit : « L'alcool se forme par un ferment soluble en dehors de 


558 ŒUVRES DE PASTEUR 


La vie dans les fruits mürissants où pourris, il y «a alors décomposition 
du fruit et non, etc... » Le manuscrit porte : « L'alcool se forme par 
un ferment soluble en dehors de la vie... Dans les fruits pourris ou 
mürissants il y a alors décomposition du fruit et non, ete... » 

Enfin, la signature de Claude Bernard termine le texte imprimé, 
tandis qu'en réalité on ne la trouve nulle part au bas des Notes. 

Quoi qu'il en soit, je suis complètement de l’avis de notre éminent 
confrère M. Berthelot. Ce manuscrit est « un document important », 
très important même pour l’histoire des idées de Claude Bernard sur 
la physiologie de la cellule et pour lhistoire des théories de la fermen- 
tation; mais, en jugeant les choses dans toute leur sincérité, j'aurais 
désiré que la publication du manuscrit eût été très fidèle, que de plus 
elle eût été suivie d’un commentaire expérimental de la part des édi- 
teurs de ces Notes. Ils auraient eu ainsi l’occasion de reporter à Bernard 
l'honneur de ce qu'il peut y avoir de bon dans son manuscrit, en 
dégageant sa responsabilité pour ce qu’il renferme d’incomplet et de 
défectueux, et à moi ils m'auraient évité le désagrément de voir mes 
travaux en apparence vivement attaqués, sans que je sache à qui m'en 
prendre. 

Je dirai de nouveau, en terminant, que je suis toujours résolu à 
répéter les expériences de Claude Bernard en me plaçant dans le 
courant même de ses idées préconçues. Je suis décidé également à le 
faire sur une échelle et avec une ampleur de résultats dignes du sujet 
et du respect que nous devons à la mémoire de notre regretté 
confrère. 


Le 25 novembre, Pasteur fit à l'Académie des sciences la communi- 
cation suivante (1) : 


1. Cette communication ne figure pas dans l’opuseule qui n'en est que le développement. 
Nous l'avons reproduite ici à titre de variante. (Note de l'Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


559 


EXAMEN CRITIQUE 
D'UN ÉCRIT POSTHUME DE CLAUDE BERNARD 
SUR LA FERMENTATION ALCOOLIQUE (1) 


L'Académie se rappellera peut-être qu'au mois de juillet dernier 
la Revue scientifique à publié un manuscrit de Claude Bernard sur la 
fermentation alcoolique ©), dont les conclusions sont diamétralement 
contraires à celles que j'ai cru pouvoir déduire de mes études dans ces 
vingt dernières années. 

Depuis que cette publication a eu lieu, je n’ai cessé de la méditer 
et d'en faire un contrôle expérimental. 

Je ne crains pas de dire aujourd’hui que (*) ce manuscrit est une 
des révélations les plus curieuses qui se puissent voir de l'influence 
d’un système défectueux sur l'esprit même le plus juste, le plus voué 
au culte d’une expérimentation rigoureuse; et c’est également ma 
conviction que, si notre confrère, M. Berthelot, à qui l’on doit la mise 
au jour de cet écrit posthume, n'avait pas été lui-même prévenu par 
des idées préconçues, il n'aurait pas publié, dans la forme où il l'a 
fait, le travail de lillustre physiologiste. 

Si l’on veut embrasser d’un coup d’æil la liaison des vues et des 
expériences de Bernard, dans le manuscrit dont il s’agit, il faut se fami- 
liariser d’abord avec les préoccupations habituelles de son esprit 
depuis quelques années, et dont l'ouvrage qu'il a laissé en mourant, 
Sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux 5), 
se trouve imprégné, pour ainsi dire. J'emprunte les citations suivantes 
à ce livre, dont il corrigeait les épreuves au moment même où il 
écrivait les notes de Saint-Julien sur la fermentation alcoolique : 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 25 novembre 1878, LXXXVII, 
p. 818-819. — Bulletin de l'Académie de médecine, séance du 26 novembre 1878, ? sér., VII 
p. 1182-1192. 

Le texte reproduit iei est celui du Bulletin de l'Académie de médecine. Nous avons indiqué 
en notes les alinéas ou les mots de ce texte qui ne figurent pas dans les Comptes rendus de 
l'Académie des sciences. 

2. Dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences : « L'Académie se rappelle qu'au 
mois de juillet. » 

3. BERNARD (Claude). La fermentation alcoolique. Dernières expériences de Claude Bernard 
(publiées par M. Berthelot). Revue scientifique, 20 juillet 1878, > sér., XV, p. 49-56. 

4. L'alinéa précédent et ces derniers mots ne figurent pas dans les Comptes rendus de 
l'Académie des sciences. 


5. Paris, 1878, in-$ (1 pl. et 45 fig.). (Notes de l'Édition.\ 


560 ŒUVRES DE PASTEUR 


« La vie ne saurait être caractérisée exclusivement par une con- 
ception vitaliste ou matérialiste…. 

« Je dirai de mon côté la conception à laquelle m'a conduit mo 
expérience. 

« Je considère qu'il y a nécessairement dans l’être vivant deux 
ordres de phénomènes : 

« 1° Les phénomènes de création vitale ou de synthèse organisa- 
trice ; 

« 2° Les phénomènes de mort ou de destruction organique... 

« Les actions du genre fermentatif sont le type général des actions 
vitales de destruction... » 

Ces conceptions au sujet des phénomènes de la vie obligeaient 
Bernard à opposer les phénomènes de vie ou de synthèse et les phéno- 
mènes de mort ou de destruction; c’est-à-dire la vie proprement dite 
et les fermentations. De là, et d’une manière nécessaire, la condam- 
nation des conclusions expérimentales de mes études; car il existe, 
suivant moi, certaines conditions où, soudainement, apparaissent des 
actes de fermentation en corrélation directe avec les actes organiques: 
cela arrive toutes les fois qu'il y a vie, formation de cellules, synthèse 
de principes immédiats, et, plus généralement même, mutations chi- 
miques dans les tissus et les cellules, sans intervention de gaz oxygène 
libre. 

Ces faits sont incompatibles avec les vues systématiques de 
Bernard. 

Pour Bernard, les synthèses organiques procèdent de phénomènes 
autres que ceux des destructions organiques, parce que le même 
mécanisme ne saurait à la fois édifier et détruire. Tandis que ces mots : 
vie et fermentation, couvrent, suivant moi, dans beaucoup de cir- 
constances, la plus étroite solidarité, à la seule condition que la vie 
ait lieu sans air, ils jurent dans son système. 

Pour concilier les faits que j'ai observés avec les déductions de ce 
système, Bernard fait une hypothèse, puis des observations pour la 
vérifier. Cette hypothèse est celle d’un ferment alcoolique soluble; et 
elle sauve le système : car, à son aide, ce n’est plus la vie, c’est-à-dire 
la nutrition dans des conditions particulières, qui fait la fermentation, 
c’est un intermédiaire, c’est le ferment soluble qui agit à la manière 
d’un phénomène chimique. Cent fois, m'a dit M. d’Arsonval, j'ai 
entendu M. Bernard, dans les mois qui ont précédé sa mort, me 
déclarer qu’il fallait affranchir la fermentation de la vitalité des cellules. 

Ce ferment soluble alcoolique, Bernard l’a-t-il rencontré dans la 


fermentation par la levûüre? En aucune façon; mais son existence est 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 561 


une déduction obligée de ses vues à priori; et si on le poussait à bout, 
il dirait volontiers avec M. Berthelot que si on ne peut l’extraire, ce 
ferment soluble, c’est qu’ «il se consomme au fur et à mesure de sa 
production », ce qui n’est qu'une hypothèse imaginée pour en com- 
pléter une autre; mais une hypothèse très habile à coup sûr, puisqu'elle 
supprime jusqu’à la possibilité de la discussion et de la contradiction. 
Heureusement pour ma critique, Bernard va plus loin que M. Ber- 
thelot. Il déclare que ce ferment alcoolique soluble existe dans le jus 
du raisin mûr, surtout dans le jus des grains pourris; en général dans 
tout ce qui pourrit. ; 

lei se dévoile encore la tyrannie que les idées systématiques de 
Bernard exercent, à son insu, sur son esprit. 

Voiei l’une de ses déclarations : « Les phénomènes de destruction 
organique sont les mêmes, soit par suite du fonctionnement vital, soit 
dans le cadavre après la mort. » Le ferment alcoolique soluble existant, 
par hypothèse, dans la levûre de bière en action, c’est-à-dire pendant 
le fonctionnement vital, peut donc être recherché avec succès dans le 
grain de raisin qui pourrit, et qui n'est autre que le cadavre du grain. 

Si je ne craignais d’abuser des moments de l’Académie, je montre- 
rais aisément qu'il y a en lout ceci un essai de réhabilitation d’une 
doctrine longtemps maîtresse des esprits, la doctrine de la spontanéité 
pour l'explication des causes de destruction de ce qui a vécu, doctrine 
que je combats depuis plus de vingt années par des travaux dont 
Bernard me paraît n'avoir compris ni les preuves, ni la portée. 

« La pourriture est une maturité avancée, » dit Bernard. S'il se 
fût ouvert à moi au sujet de ses opinions, je lui aurais dit : Suspendez 
un grain de raisin mür dans un vase quelconque où circule l'air humide, 
mais vierge de poussière vivante, et vous le retrouverez, après des 
siècles, sucré, acide, pas plus altéré que si vous aviez enfermé dans le 
rase cerlaine matière minérale; moins altéré même que du fer, pas plus 
que des cristaux de sucre ou d’acide tartrique, pas plus, du moins, que 
le sang et l'urine que j'extrais du corps sain et que j'enferme dans des 
vases ouverts où ne peut circuler qu'un air pur. Le raisin ne pourrit à 
l'air que par l’action de moisissures qui se développent à sa surface et 
dans son intérieur, après que l'air commun, toujours plus où moins 
chargé des graines de ces petites plantes, en a déposé une ou plusieurs 
sur sa pellicule. 

Bernard a passé à côté de ces vérités (1). 


1. Les deux alinéas précédents ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie 
des sciences. (Note de L Edition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 30 


562 ŒUVRES DE PASTEUR 


Quoique l'expression de génération spontanée de la levûre ne soit 
prononcée nulle part dans le manuscrit de Bernard, la chose s’y trouve 
très explicitement à maintes reprises. 

Dans ses conceptions physiologiques et philosophiques, Bernard 
laissait volontiers sa pensée courir à l'aventure, plus qu’on ne le pense 
et plus qu'il ne le disait lui-même. D'une nature douce et aimable, 
vivant dans ce monde d'élite de l'Académie française où dominent les 
idées spiritualistes, il s’astreignait volontiers, soit dans la conversation, 
soit principalement quand il avait la plume à la main, à des ménage- 
ments qui seyaient d’ailleurs très bien à la rigueur scientifique de sa 
méthode. Il n’y a que des savants à l'esprit téméraire qui puissent faire 
parade d’une philosophie qu'ils seraient impuissants à établir. Je ne 
suis donc nullement surpris de trouver dans le manuscrit de Bernard 
une théorie de la génération spontanée, el cette conclusion que le 
ferment du raisin ne provient pas de germes extérieurs. Mais j'ai le 
droit d’être sévère lorsque je vois cette théorie reposer tout entière sur 
l'affirmation que dans le jus du grain de raisin mûr il existe une force 
qu'il appelle PROPRIÉTÉ PROTOPLASMIQUE, propriélé qui n'existe pas 
encore dans le verjus et qui est déjà tuée dans le jus des grains pourris ; 
qu'il existe, en conséquence, des jus plasmiques ou féconds, et des jus 
aplasmiques ou inféconds. 

J'éprouve à la lecture de ces opinions de Bernard autant de surprise 
que de chagrin : de surprise, parce que le ferme esprit que je m'étais 
habitué à admirer en lui est partout absent dans cette sorte de mysti- 
cisme physiologique; de chagrin, parce que notre illustre confrère fait 
très bon marché des démonstrations que j'ai données. Il m'a été 
pénible également de penser que tout ceci se produisait sous le patro- 
nage de mon éminent ami M. Berthelot. 

Je vais montrer expérimentalement le néant des hypothèses et des 
observations de Bernard (1). 

A peine avais-je fait à l’Académie des sciences ma communicalion 
du 22 juillet dernier, où je témoignais de l’étonnement que m'avait 
causé la publication de la Revue scientifique, que je commandai en 
toute hâte plusieurs serres vitrées, avec l'intention de les transporter 
dans le Jura. Il n’y avait pas un instant à perdre ; voici pourquoi : 

J'ai démontré, dans un des chapitres de mes Études sur la bière 
qu'il n'existe pas encore de germes de levüre sur les grappes des 
raisins, lorsque ceux-ci sont à l'état de verjus, c’est-à-dire, dans le 


1. Les deux alinéas précédents ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie 
des sciences. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GENÉRATIONS DITES SPONTANÉES 563 
Jura, vers la fin de juillet. La levüre n'apparaît sur les grappes que 
lorsque les raisins mürissent. La saison avait été froide et pluvieuse; 
les raisins devaient donc être à l’état de verjus dans le canton d’Arbois, 
où je possède une vigne de quelques dizaines de mètres carrés de 
surface. Dès lors, me dis-je, en recouvrant des pieds de vigne par des 
serres presque hermétiquement eloses que l’on n’ouvrira pas jusqu’à 
l'époque de la maturité du raisin, j’aurai en octobre, à l’époque des 
vendanges, des pieds de vigne portant des raisins mûrs, sans germes 
extérieurs des levüres du vin. Ces raisins étant écrasés avec les 
précautions nécessaires ne pourront ni fermenter ni faire du vin. Je 
me donnerai le plaisir d’en rapporter à Paris, de les présenter à 
l’Académie, et d’en offrir quelques grappes à ceux de nos confrères qui 
auraient encore la velléité de croire à la génération spontanée de la 
levüre. 

Que l'Académie me permette de rappeler que déjà, dans mes Etudes 
sur la bière, j'ai montré que des grappes entières de raisins mûrs 
prélevées dans des serres pouvaient parfois être écrasées sans entrer 
en fermentation ultérieurement. En outre, voici l’uñ des alinéas de 
cet ouvrage [chapitre V] : 

« Une autre conséquence se dégage de tous les faits que nous avons 
exposés relativement à l’origine des levûres du vin : c’est qu'il serait 
facile de cultiver un ou plusieurs ceps de vigne, de facon que Les 
raisins récoltés, même à l’'aulomne, qui auraient poussé sur ces ceps, 
fussent incapables de fermenter spontanément après qu’on les aurait 
écrasés pour en faire écouler le jus. Il suffirait de soustraire les grappes 
aux poussières extérieures pendant la durée de la végétation et de la 
maturation des grains, et de pratiquer l’écrasement dans des vases 
bien purgés des germes de levûres alcooliques. Tous les fruits, tous 
les végétaux, se prêteraient à ce genre d'importantes recherches, dont 
les résultats, suivant moi, ne sauraient être douteux (!). » 

L'Académie peut se convaincre par ce passage de mon ouvrage, 
publié en 1876, combien j'étais sûr de moi et combien peu je payais 
d’audace lorsque le 22 juillet dernier, deux jours après la publication 
de la Revue, j'écrivais : « Si, malgré tout ce que je viens de dire, on 
voulait faire de ces Nores une sorte de manifeste contre mes travaux... 
malgré le profond respect que j'ai toujours eu pour notre illustre 


1. M. Chamberland, dans une thèse pour le doctorat, qu'il soutiendra bientôt devant la 
Faculté des sciences, a déjà confirmé l'exactitude de ces prévisions. (Note de Pasteur.) 

CHAMBERLAND (Ch.). Recherches sur l'origine et le développement des organismes micro- 
scopiques. (Thèse de doctorat ès sciences physiques.) Paris, 1879, 94 p. in-4 (fig.). [Note de 
l'Édition.] 


56% ŒUVRES DE PASTEUR 


confrère, je dirais franchement que Bernard s’est trompé, que toutes 
les expériences dont il parle, souvent d’ailleurs de son propre aveu, 
sont douteuses et incertaines et que, suivant moi, celles qui sont vraies 
sont mal interprétées. » [P. 554 du présent volume] (1). 

Grâce à lempressement et à l’habileté de M. Oscar André, construc- 
teur, mes serres étaient achevées le 4 août, prêtes à être montées. 

Pendant et après leur installation, je recherchai avec soin si les 
germes de la levûre étaient réellement absents sur les grappes des 
verjus, comme cela s’était présenté autrefois dans les observations 
relatées au chapitre V de mes Études sur la bière. Je trouvai en effet 
que les verjus des pieds que recouvraient les serres, comme ceux de 
tous les pieds de la vigne, ne portaient pas du tout de germes de 
levüre au commencement du mois d’août dernier. Dans la crainte 
qu'une fermeture insuffisante des serres n’amenât des germes sur les 
grappes, et que l'expérience n’eût pas toute la netteté que je voulais 
lui donner, je pris la précaution d’enfermer un certain nombre de 
celles-ci dans du coton qui avait été porté à la température de 150 
a 2002. d 

Je revins dans le Jura le 17 septembre, très anxieux de connaître 
l'état des ceps de vigne enfermés. 

Sans m'arrêter ici à une particularité de végétation qui me rendit 
un moment fort perplexe sur le succès de mon expérience, je dois dire 
que (?) vers le 10 octobre les raisins des serres étaient mûrs. Ce jour- 
là, je fis ma première épreuve sur les grains des grappes libres et sur 
ceux des grappes recouvertes de coton, comparativement avec les 
grains des grappes restées en plein air. 

Le résultat dépassa, pour ainsi dire, mon attente. Les tubes à grains 
des grappes de plein air fermentèrent par les levûres du raisin, après 
trente-six où quarante-huit heures de séjour dans une étuve dont la 
température variait entre 25 et 30°. 

Pas un, au contraire, des nombreux tubes à grains des grappes 
recouvertes de coton n'entra en fermentation par les levûres alcoo- 
liques; et, chose remarquable, il en fut de même pour les grains 
des grappes libres des pieds sous les serres, à une exception près. 
Les jours suivants, je répétai ces expériences et j'obtins les mêmes 
résultats. 

Une observation comparative d’une autre nature se présentait à 
l'esprit. Ainsi que je l’ai expliqué tout à l'heure, dans la combinaison 


1. Cet alinéa ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. 
2. Les mots : « Je revins dans le Jura... je dois dire que » ne figurent pas däns les 


Comptes rendus de l'Académie des, sciences. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 565 


expérimentale qui précède, tout repose sur le fait que j'ai établi anté- 
rieurement, que, dans le Jura, jusqu'à la fin de juillet et dans la 
première quinzaine d’août, quand la saison est retardée, les verjus ne 
portent pas du tout de germes de levüre alcoolique, et qu’il faut 
attendre l’époque de la maturité pour en trouver. 

Lorsque les serres furent montées, nous étions à la première 
époque, à celle de l’absence des germes; au moment des expériences 
dont je viens de rendre compte, c’est-à-dire du 10 au 31 octobre et 
au delà, nous étions au contraire dans la période de la présence des 
germes. Il était donc présumable que, si je détachais des grappes de 
mes serres, recouvertes de coton, pour les exposer, leur coton enlevé, 
à des branches de ceps de la vigne restés en plein air, ces grappes, 
qui tout à l'heure ne pouvaient pas entrer en fermentation après 
l’écrasement de leurs grains, fermenteraient sous l’influence des germes 
qu’elles ne manqueraient pas de recevoir dans leur nouvelle position. 
Tel fut précisément le résultat que j'obtins. 

Plus on descend dans l'étude expérimentale des germes, plus on y 
entrevoit de clartés imprévues et d'idées justes sur la connaissance 
des causes des maladies par contage. Par exemple, n'est-il pas très 
digne d’attention que, dans ce vignoble d’Arbois, et cela serait vrai 
des millions d'hectares des vignobles de tous les pays du monde, il n’y 
ait pas à cette heure une parcelle de terre qui ne soit capable de pro- 
voquer la fermentation par une levüre du raisin, et que, par contre, la 
terre des serres dont j'ai parlé soit impuissante à remplir cet office? et 
pourquoi? parce que, à un moment déterminé, j'ai recouvert cette 
terre par quelques vitres. La mort, si j'ose ainsi parler, d’un grain de 
raisin qui serait jeté maintenant sur un vignoble quelconque pourrait 
arriver infailliblement par les parasites dont je parle ; elle serait impos- 
sible, au contraire, sur les petits coins de terre que mes serres 
recouvrent. Ces quelques mètres cubes d’air, ces quelques mètres 
carrés de surface du sol, sont là au milieu d’une contagion universelle 
possible, et ils ne la craignent pas depuis plusieurs mois. 

Qui oserait douter qu’un jour viendra où des mesures préventives 
d’une application facile arrêteront ces fléaux qui, tout à coup, désolent 
et terrifient les populations, telle l’effroyable peste qui a envahi récem- 
ment le Sénégal et la vallée du Mississipi? (1. 

J'ai tenu à présenter à l’Académie un certain nombre de grappes de 
mes serres, les unes libres, les autres encotonnées depuis le 15 août, et 


1. Les deux alinéas précédents ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie 
des sciences. (Note de l'Edition.) 


566 ŒUVRES DE PASTEUR 


sur lesquelles il sera facile, à ceux de nos confrères que ces expériences 
peuvent intéresser, de reproduire les faits que je viens d'annoncer. 

Il me reste à discuter la plus grave des propositions du manuscrit 
de Bernard, celle qui en est l’âme, si l’on peut ainsi dire, savoir : 
l'existence d’un ferment alcoolique soluble. Une critique détaillée 
m'entrainerait trop loin. Je regrette de ne pouvoir faire ressortir 
jusqu'à quel point, dans cette partie de son travail, Bernard se montre 
encore l’esclave de son système. Il ne cherche pas ce qui est, ce qui 
se présente, seul moyen de rencontrer ce qui est vrai; il cherche ce 
qui doit être, de par son système. Peu satisfait à diverses reprises de 
ses preuves expérimentales, au lieu de conclure à l'abandon de l’idée 
directrice qui le guide, il s’obstine dans la recherche de l'apparition de 
l'alcool sans levüre, el, à un moment, comme désarçonné, il dit : « Cela 
doit être possible, car 1L FAUT prouver que la formation de l'alcool est 
indépendante de la présence de toute cellule. C’est là derrière que 
Pasteur se retranche pour dire que la fermentation est la vie sans air. » 

Ces facons de vouloir que les choses soient me rappellent toujours 
la condamnation superbe qui en a été faite par Bossuet : Le plus grand 
dérèglement de l'esprit, c'est de croire les choses parce qu'on veut 
qu'elles soient, admirable principe de philosophie pratique qu’on 
devrait graver au frontispice de tous les laboratoires (1). 

La preuve que Bernard invoque et sur laquelle il aime à revenir, 
sans qu'elle le satisfasse jamais complètement, consiste à écraser des 
grains de raisins mürs, sains ou pourris, à les exprimer et à les filtrer 
jusqu'à parfaite limpidité, puis à comparer les quantités d’alcool des 
liquides après leur filtration, et des mêmes liquides après qu'ils ont 
été abandonnés pendant quarante-huit heures environ. Bernard trouve 
que dans cet intervalle de temps lalcool augmente. Malheureusement, 
au moment où il a assez attendu pour constater que de l’alcool nouveau 
s’est formé, la levüre se montre également d'ordinaire, et il redevient 
plein d'hésitation. C’est dans ses conclusions finales qu'il ne laisse 
plus la moindre place au doute; mais celles-ci n’ont plus alors que la 
valeur d’affirmations sans preuves. 

Les raisins de mes serres, exempts de germes de levüre à leur 
surface, et dont le jus ne peut fermenter, vont nous permettre de 
résoudre aisément la difficulté expérimentale qui tourmentait si fort 
l'esprit de Bernard. Attendait-il seulement quarante-huit heures à 10°, 
il voyait, comme je viens de le dire, la levüre apparaître et ses déduc- 
tions troublées. Quoi de plus facile, avec nos grappes recouvertes de 


1. Cet alinéa ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Note de 
V'Édition.) 


DNS SN RE PS * 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 567 


coton, d'obtenir du jus de raisins mûrs, que nous pourrons abandonner 
pendant trois, quatre, cinq jours el plus, à 20°, 25°, 30°. Dans ces 
conditions, dont la réalisation eût paru si enviable à Bernard (réalisa- 
tion qui l’a fui sans cesse, précisément parce que ces mêmes germes 
dont il ne voulait pas passaient toujours en petit nombre à travers 
ses filtres), j'ai constaté qu'il n’y avait pas de formation d’alcool. La 
question du ferment soluble est donc jugée; ce ferment n'existe pas là 
où Bernard a cru le découvrir. 

Dans la longue série d'observations à laquelle je viens de me livrer 
dans le Jura, j'ai rencontré cependant un‘fait qui a pu contribuer à 
induire notre confrère en erreur. Jai reconnu que les grains de raisin 
écrasés absorbent l'oxygène de l'air, et que par suite de cette oxyda- 
tion il se forme des produits éthérés alcooliques en quantité faible. 
mais non douteuse. Cet effet est nul pour le moût de raisin limpide 
que Bernard employait dans ses expériences, mais on comprend que, 
dans certaines circonstances mal déterminées, il ait pu attribuer à un 
tel moût ce qui s’était produit sur l’ensemble des grains écrasés. 

Le fait que je signale, et sur lequel je reviendrai ultérieurement, 
est lié à la présence de ces produits oxydables dont M. Boussingault, 
le premier, M. Berthelot ensuite et moi-même nous avons reconnu 
l'existence dans les vins. 

En résumé, le manuscrit de Bernard est une tentative stérile de 
substituer à des faits bien établis les déductions d’un système éphé- 
mère. La gloire de notre illustre confrère ne saurait en être diminuée. 
Les erreurs de ceux qui dans les sciences ont accompli une vaillante 
carrière n'ont que l’intérêt philosophique qui s’attache à la connaissance 
de notre humaine faiblesse. Les hommes ne sont grands que parles ser- 
vices qu'ils ont rendus : maxime que je suis heureux d'emprunter à l’une 
des pages du dernier ouvrage que Bernard nous a laissé en mourant. 

Et puis, serait-il équitable de juger en quelque chose notre cher et 
regretté maître sur les défaillances d’un écrit non signé, « soigneuse- 
ment caché », nous a-t-on appris, dont il n’avait ni demandé ni autorisé 
la publication ? (1). 


1. Ce dernier alinéa ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. 
(Note de l'Edition.) 


568 ŒUVRES DE PASTEUR 


Je réunis dans les pages qui suivent diverses notes explicatives de 
quelques-unes des assertions de Claude Bernard et des expériences que 


j'ai faites pour réfuter sa doctrine. 


Ce que j'appelle tubes, vases,..…., colon FLAMBÉS. 


Pour se débarrasser des germes des organismes microscopiques 
que les poussières de lair et Peau dont on se sert pour le lavage des 
vases déposent sur tous les objets, le meilleur moyen consiste à placer 
les vases (leurs ouvertures fermées par des tampons de ouate) pendant 
une demi-heure dans un poêle à gaz qui chauffe l'air où plongent les 
objets à une température de 150 à 200° environ. Les vases, tubes, 
pipettes, sont alors prêts pour l'usage. Pour flamber la ouate on 
l’enferme dans des tubes ou dans du papier buvard. Celle qui m'a servi 
avait été transportée en feuilles de Paris à Arboiïs et fut utilisée dans 
les serres pour recouvrir les grappes de raisin, au moment même où 
on la sortait de l'enveloppe de papier qui lavait protégée pendant le 


flambage. 


Sur la présence des germes des levüres et des mucédinées 


à la surface des raisins. 


Dans sa Note If, Bernard recherche s’il est vrai qu’en lavant des 
grappes de raisin « avec un pinceau de blaireau, comme l'indique 
Pasteur », le liquide de lavage renferme des corpuscules organisés. Il 
n’en trouve pas : « Je ne découvre rien, dit-il, qui puisse ressembler à 
des germes ou à quelque chose d’organisé. » 

Je m'étonne du peu de soin que Bernard a mis à répéter l’observa- 
tion que j'ai décrite à la page 151 de mes Études sur la bière [1876]. 
A cette page, j'insiste sur la grande différence qui existe entre les 
nombres des corpuscules organisés répandus à la surface des grains 
ou sur le bois même des grappes. Bernard ne cherche les corpuscules 
que dans l’eau de lavage de la surface des grains encore sur leur 
grappe et point du tout du bois de la grappe. Bien plus, il craint de 
détacher les grains, de sorte que son pinceau n'a même pas touché 
au bois des pédoncules des grains. 

Quoi qu'il en soit, je me suis fait un devoir de contrôler par de 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 569 


nouvelles observations celles que j'ai exposées dans mes Æ/udes sur 
la bière, et il n’est pas possible de douter de l'exactitude des proposi- 
tions suivantes : 

Les grains avec portion de leur pédoncule, introduits dans du moût 
rendu préalablement stérile par la chaleur, peuvent le faire fermenter; 
les cas de fermentation sont plus rares, toutes choses égales, qu'avec 
le bois des grappes. La levûre qui apparaît le plus ordinairement est 
la levüre apiculée. 

Les grains privés de toute portion de pédoncule, arrachés un à un, 
entiers, avec le pouce et lindex qu'on vient de passer dans la 
flamme, font fermenter plus rarement encore. 

La fréquence des germes sur les grains et principalement sur les 
bois des grappes est bien plus grande que sur les feuilles et les 
rameaux. 

Ce qui ne fait jamais défaut sur les grains, sur les bois des 
grappes, sur les feuilles, sur les bois des rameaux, ce sont les germes 
des moisissures vulgaires, qu'il y ait ou qu'il n’y ait pas de fermenta- 
ion alcoolique produite par les levüres dans le moût stérilisé. Des 
myceliums apparaissent toujours à la surface des organes que je viens 
de nommer, vingt-quatre où quarante-huit heures après qu'on les a 
introduits dans le moût stérilisé. 

Toute eau de lavage de grains d’une grappe et surtout du bois de 
cette grappe, après qu'on a détaché les grains, est troublée par des 
particules amorphes, terreuses ou autres, associées à un grand nombre 
de spores et de cellules organisées. 

La fermentation dite intracellulaire, fermentation sans levûre et 
propre aux cellules du fruit, en dehors de toute participation du gaz 
oxygène libre, se manifeste également d’une manière invariable. On 
peut la reconnaître à un dégagement de bulles plus grosses que celles 
qui résultent de la fermentation par les levüres alcooliques ordinaires. 

Je ferai observer incidemment que cette fermentation est fort 
importante à considérer etqu’elle entre pour une grande part dans les 
phénomènes de la vinification. A peine le raisin est-il dans la cuve, 
que l'oxygène qui entoure les grains est absorbé et que la vendange 
se trouve livrée à deux sortes de fermentations très distinctes : celle 
que l’on a l’habitude d’envisager seule, qui accompagne le développe- 
ment des levûres proprement dites, et celle que développent les 
cellules du parenchyme des grains plongés dans des gaz inertes ou 
entourés d’un moût privé d'oxygène en dissolution. J'ai déjà fait 
observer autrefois que c’est à cette seconde nature de fermentation 
qu'il faut attribuer le goût tout particulier de la vendange et des rai- 


ox 
sn) 
=} 


ŒUVRES DE PASTEUR 


sins mis en las, goût si différent de celui des raisins cueillis sur le cep. 

Il y aurait un grand intérêt à faire une étude attentive de ce mode 
de fermentation, des produits qui en 
résultent et de leurs proportions natu- 
relles. N'est-ce pas cette fermentation 
TS ve qui modifie les acides pendant la fer- 
mentation vinaire ? N'est-ce pas cette 
fermentation qui change les proportions 
de la glycérine et de l'acide succinique ? | 
N'est-ce pas cette même fermentation 


qui, à l'insu du praticien, fait la princi- 
pale différence qui existe entre les vins 
de raisins et les vins des moûts de ces 
— raisins pressés? Les vins de moûts de 
raisins pressés fermentent par les seules 
levüres alcooliques. Les vins 


Réduction au 


des vendanges ordinaires sont 
le produit des deux sortes de 
fermentations. J’appelle sur ce 
point capital, aussi nouveau 
qu'intéressant, toute latten- 
tion des œnologues. 


1 
‘ 
NOILVNTILSIQ 


| Ce que Bernard appelle 

ae 

= ALCOOSCOPE. 

Le \ 

E : > me souviens que dans | 

ct Je me souviens que dans le 

> ” _— 

= courant de l’année 1877, pen- 

oO 

Z 4 dant une des 

(ep, Il séances de 

E\ | , ” . 
l’Académie, 

E 

Ë Bernard nous 

8 consulta, 

© 

| 4 


M. Berthelot 
et moi, sur la 


manière de 


reconnaître la 
présence depetites quantités d'alcool. M. Berthelot lui indiqua la 


réaction de Lieben, par la formation de liodoforme, lorsque l'alcool 
est mis en contact de l’iode et d’un alcali. De mon côté, je lui parlai du 
moyen qui me sert habituellement, moyen qui consiste à porter à 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 571 


l'ébullition le liquide à éprouver dans une cornue à col assez long, 
et à observer l'aspect des premières gouttelettes qui se condensent 
sur les parois froides, au moment où l’ébullition vient de commencer. 
S'il y a de l'alcool en petite quantité dans le liquide, ces gouttelettes 
se montrent sous la forme de larmes ayant une queue allongée ou 
sous la forme de gouttes petites ou plus grosses, très rondes, larmes 
et gouttes d’un aspect huileux. Si la cornue est jointe à un réfrigérant 
de Liebig, et que le caractère dont je parle ne se manifeste pas, on 
recommence la distillation sur les premières portions qui ont passé 
à la distillation; on répète ces distillations successives jusqu'à ce 
qu'on soit arrêté par l'insuffisance de la quantité de liquide de conden- 
sation. La plus faible proportion d'alcool peut être décelée par ces 
manipulations. Ilest vrai que beaucoup de substances volatiles autres 
que l’alcool présentent dans les premiers produits de leur conden- 
sation le caractère indiqué; mais Bernard avait affaire à des liquides 
aqueux plus ou moins alcooliques. 

Bernard adopta le moyen dont je parle dans ses expériences de 
Saint-Julien, et je tiens de son préparateur, M. d’Arsonval, que, pour 
abréger le discours, il appelait «/cooscope la cornue ou le tube de 
condensation. Cette expression revient souvent dans ses Notes. 

Jamais la vapeur d’eau pure ne donne par condensation de gouttes 
huileuses. Lorsqu'il y a de l'alcool en très petite quantité, il peut 
arriver que, avant d’apercevoir dans les distillations successives le 
caractère alcooscopique accusé, il se manifeste quelque chose d’inter- 
médiaire entre le caractère propre à l'alcool et celui de la vapeur d’eau 
dont les gouttes de condensation sont à bords frangés, irréguliers. Cel 
aspect intermédiaire, qui annonce que le caractère alcooscopique appa- 
raîtra plus nettement dans des distillations nouvelles, est, je crois, 
ce que Bernard appelait des s/ries plates, voulant par cette expression 
brève désigner un vague indice de la présence des plus faibles quan- 
tités d'alcool. 

La planche ci-jointe [figures ci-contre] représente, réduite au +: 
la cornue qui m'a servi. Elle représente également, à une échelle 
plus grande, les apparences de la condensation de l’eau pure et des 
liquides contenant des traces d'alcool : 1 représente le premier aspect 
de la condensation, près de la panse de la cornue; IT représente 
l’aspect de la condensation lorsque le col est déjà un peu échauffé 
dans sa partie supérieure; IIT est l'aspect de la poussée des goutte- 
lettes huileuses qui précède la disparition du phénomène, au moment 
où l’on ne va plus distinguer de gouttelettes ni de larmes huileuses, 
parce que Ja quantité d’eau condensée et mêlée aux premières traces 


572 ŒUVRES DE PASTEUR 


d’alcool est trop considérable et supprime le caractère physique des 
souttes huileuses. 


Bernard était devenu presbyte. 


Lorsque je collationnai l'édition de la Revue scientifique avec le 
manuscrit original de Bernard, au moment où nous arrivâmes à cette 
phrase de la Note II : « Je dois ajouter que tous les liquides filtrés 
n'avaient pas la moindre trace de trouble, il n'y avait pas la moindre 
trace de ferment formé, il y avait seulement des cristaux déposés au 
fond des vases », je dis à M. d’Arsonval, qui nr'aïdait dans ce travail : 
je gagerais que Bernard était presbyte. M. d’Arsonval me répondit : 
« Il l'était beaucoup, depuis une année principalement, à tel point que, 
dans les opérations de vivisection, c'était la connaissance profonde 
qu'il avait de l'anatomie, bien plus que ses yeux, qui guidait sa main. » 
En effet, si Bernard n’eût pas été presbyte, j'ai la conviction que dans 
toutes les expériences pareilles à celles dont il s'agit dans la Note III, 
où il constatait la présence d’un peu d’alcool formé dans des liquides 
filtrés, il aurait aperçu sur le fond des vases, outre les cristaux brillants 
de tartrate de chaux, une couche très mince, à peine sensible, de levûre 
apiculée, ou de petits tas de cette production qui lui auraient donné 
l'explication de la présence de traces d'alcool ; il eût reconnu également 
que, toutes les fois qu'il n’y a pas de levûre formée, l'alcool est absent. 

La présence de la levûre est plus facile encore à mettre en évidence, 
en décantant le liquide limpide avec précaution, puis en agitant vive- 
ment les quelques gouttes restantes. Celles-ci, examinées au micro- 
scope, montrent la levüre apiculée. Le plus souvent même, la présence 
des cellules de la levüre trouble sensiblement la limpidité de ces 
quelques dernières gouttes, après qu’on a agité le vase. 


Preuves que l'oxygène de l'air se fixe sur les grains de raisin écrasés 
et forme des produits alcooliques, mais que cet effet ne se produit 


pas avec les moûls limpides. 


Le 22 octobre 1878, on écrase des grains séparés de grappes dont 
tous les grains avariés avaient été préalablement enlevés un à un. Avec 
la matière écrasée, prise tout venant, grains écrasés et jus, on remplit 
complètement une éprouvette d’un demi-litre et à moitié deux flacons 
de 1 litre, qu’on bouche ensuite. On recouvre l’éprouvette d’une plaque 
de verre et on l’abandonne au repos, tandis que l’on agite un des 
flacons, au contact de l’air qui s’y trouve contenu, pendant trois heures, 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 573 


et l’autre flacon pendant sept heures. Le 23, on distille des portions 
égales des trois vases pour les comparer à l’alcooscope, après s'être 
assuré par une analyse rapide que l'air des flacons agités avait perdu 
beaucoup d'oxygène, le second assez pour éteindre une bougie qu’on 
y plongeait. L’alcooscope a montré que les grains écrasés de l’'éprou- 
velte ne contenalent que des ‘traces douteuses d'alcool, que le flacon 
agité trois heures en montrait à la deuxième distillation, que le flacon 
agité sept heures en contenait sensiblement plus, quoique cet alcool 
ne füt visible également qu'à la deuxième distillation. 

Je me suis assuré, par l'observation microscopique, que dans les 
flacons il ne s’était pas produit de levüres alcooliques. 

Voici la preuve que la petite quantité des produits alcooliques 
formés était réellement un effet de l'absorption de l'oxygène par les 
matières des grains écrasés, à la suite de Pagitation, et non le produit 
d’un ferment soluble. Le 23, aussitôt après avoir fait à l’alcooscope la 
comparaison des raisins écrasés de léprouvette et des flacons, on 
presse dans un linge les contenus des flacons et l’on filtre sur papier. 
La filtration a duré de midi à cinq heures. On distribue tout de suite 
le moût filtré, très limpide, dans des flacons flambés, élargis par le 
bas, contenant peu de moût et beaucoup d’air, qu'on abandonne à la 
température du laboratoire, qui était de 14-15. En même temps, 
on essaye à l’alcooscope le moût d’un de ces flacons, pour se faire une 
idée très nette du caractère alcooscopique après la filtration. Une 
première distillation, faite sur 10 centimètres cubes, ne montre ni 
gouttes huileuses rondes, ni larmes. On recueille 3 centimètres cubes, 
qu'on redistille. Cette fois on aperçoit, au moment de la condensation 
des premières parties, quelques gouttes rondes et quelques larmes 
huileuses, puis une poussée fugitive d’un groupe de gouttelettes qui 
disparaissent sur le col, à quelques centimètres du sommet de la 
cornue. 

Le lendemain, le moût est resté limpide, et il n’y a pas encore de 
levüre apiculée formée sur le fond des vases, si ce n’est une trace 
- presque insensible. On distille de nouveau 10 centimètres cubes, puis 
les 3 centimètres cubes de condensation. Or, les caractères alcoosco- 
piques sont les mêmes que la veille. 

En résumé, après quelques heures d’agitation à l'air, des grains de 
raisin écrasés donnent lieu à la formation d’une petite quantité de 
produits alcooliques éthérés, dont la proportion est variable avec la 
quantité d'oxygène absorbée, tandis que le moût extrait, limpide par la 
filtration, de ces grains écrasés peut rester vingt-quatre heures au 


contact de l’air sans former d'alcool. C’est une preuve que les produits 


274 ŒUVRES DE PASTEUR 

alcooliques nés pendant lagitation au contact de l’air correspondent à 
l'oxydation de quelques matériaux des grains écrasés, et non à 
l'existence d’un ferment soluble tout fait dans les grains mûrs ou se 
formant dans le moût au contact de l'air. Notons que les grains écrasés 
des raisins noirs qui ont été agités au contact de l'air donnent par la 
filtration un moût coloré en rouge grenat plus ou moins clair, et que, 
quand il n’y a pas eu fixation d'oxygène, les mêmes grains fournissent 
un moût à peu près incolore ou de couleur blond pâle. L’oxydation 
paraît donc porter sur les matières colorables des pellicules. 

J'ai vérifié dans maintes expériences que le moût de raisin filtré, 
agité au contact de l'air, ne forme pas du tout d’alcool; du moins il 
n’en forme pas en quantité appréciable à l’alcooscope, même après 
plusieurs distillations successives. 


Circonstance où Bernard parait avoir été induit en erreur par les effets 
de l'oxydation de grains écrasés au contact de l'air. 


Un passage du manuscrit de Bernard permet de penser qu'il a été 
induit en erreur, au moins dans une circonstance déterminée, par la 
formation de produits alcooliques sous l'influence d’une oxydation des 
grains de raisin écrasés. C’est dans la Note IIT : 

« …. Mais il semblerait, dit-il, que le liquide filtré le dernier, 
c’est-à-dire resté en contact avec les débris de cellules sur le filtre, 
contient plus d'alcool, ete... » Et, plus loin, dans la conclusion de 
cette même Note : « …. Seulement, il reste à décider si la prolongation 
du contact avec les débris de cellules augmente la quantité d’alcool, 
sans que pour cela il y ait formation de cellules de levüre. » 

Il est certain que cette augmentation dans la quantité d’alcool a 
lieu, sans qu'il y ait formation de cellules de levüre, quand Poxydation 
par l'air est possible. ! Voir à ce sujet la Note précédente.) 


C'est une question de savoir si l'alcool prend normalement naissance 
pendant la maturation du raisin. 


Bernard reproduit une question que je m'étais déja faite antérieu- 
rement, savoir s’il se forme normalement de l'alcool pendant la végé- 
tation. Sur des feuilles de rhubarbe, cueillies dans le jardin de l'École 
Normale et tout de suite hachées et distillées, j'ai constaté la présence 
de l'alcool, et, à ce propos, j'ai fait observer qu'il y aurait lieu de 
rechercher si lalcool n’est pas un produit normal de la végétation 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 55 


(Etudes sur la bière) [1876]. Les expériences suivantes sont un pas 
nouveau vers la solution de cette question. 

Le 27 septembre 1878, on remplit d’eau aux deux tiers une bouil- 
loire en fer battu de 3 litres de capacité; à la vigne même, on porte 
l’eau à 85° environ, puis on laisse tomber dans cette eau chaude douze 
grappes de raisins mûrs, après avoir eu le soin d’enlever un à un tous 
les grains altérés, pourris... Les douze grappes pesaient, réunies, 
700 grammes. Dans deux autres bouilloires pareilles, sans eau, on 
place également 700 grammes de grappes préparées de la même 
manière. Soient À la première bouilloire, B et C les deux autres. 

Après avoir rapporté au laboratoire ces trois vases A, B, C, on 
écrase les raisins de À dans leur eau encore chaude, à l’aide d’un man- 
drin de bois à tête plate. Dans le vase B on fait arriver du gaz carbo- 
nique, où les grappes séjournent pendant cinq heures. Le vase C est 
laissé tel quel, abandonné à lui-même pendant vingt-quatre heures. 

Aussitôt après l’écrasement des raisins dans la bouilloire À, on 
introduit toute la matière, eau et raisins écrasés, dans une cornue et 
l'on pratique des distillations successives pour concentrer l'alcool que 
les grappes pouvaient contenir, dans lespoir que la température 
élevée qu’elles ont subie au début aura empéché toute formation ulté- 
rieure de cette substance, et que la portion qu’elles pouvaient en 
contenir dans leurs grains est restée dans ceux-ci ou s’est mélangée à 
l’eau. Après cinq distillations successives, en recueillant environ un 
tiers du volume à chaque distillation, on n’a pas constaté trace d’alcool 
à l’alcooscope. La sixième distillation, portant sur 10 centimètres cubes, 
a manifesté la présence de gouttelettes huileuses dans la première 
moitié du col de la cornue. 

On a distillé ensuite les grappes écrasées de B après cinq heures de 
séjour dans le gaz carbonique, et les grappes de C après vingt-quatre 
heures de séjour au fond de leur bouilloire. 

En comparant à l’alcooscope les dernières portions des trois séries, 
on a jugé que toutes trois contenaient des traces d’alcool, mais que 
celle de B en contenait sensiblement plus que celle de C, qui en conte- 
nait plus que celle de A. 

La conclusion qu’on est en droit de déduire de ces comparaisons, 
c'est que la production de l'alcool est immédiate dans des raisins 
mûrs lorsqu'on vient à les plonger dans le gaz acide carbonique, qu'elle 
a lieu même sans la présence de gaz carbonique lorsque des grappes 
se recouvrent au fond d’un vase, qu’enfin cette formation d'alcool est 
peut-être douteuse dans le grain, sur le cep, pendant la végétation. 

Puisqu'il y a si peu d'alcool, en effet, dans douze grappes qu’on 


576 ŒUMRES DE PASTEUR 


vient de cueillir et chez lesquelles, avant tout écrasement, on arrête la 
formation ultérieure possible de l'alcool par une élévation de tempé- 
rature, qu'il faille six distillations successives pour manifester la 
présence de ce liquide, on peut se demander si réellement l'alcool est 
un produit de la végétation normale. Ne peut-on pas accuser des indices 
de sa présence la manipulation du broiement des grains et l'oxydation 
qu'elle entraîne forcément, malgré la précaution d’avoir fait tomber 
tout d’abord les grappes dans de l’eau chaude? Toutefois, je m'empresse 
d'ajouter que par des expériences directes j'ai constaté que l'oxydation 
n'a pas lieu, non plus que la formation de produits alcooliques, lors- 
qu'on agite plus ou moins longtemps au contact de l'air des grains de 
raisin écrasés, après qu'on a porté ceux-ci en vase clos, non dans de 
l’eau chaude, mais dans un bain-marie à 100, 

Dans tous les cas, les expériences que je viens de faire connaître 
montrent que la constatation de la présence de l’alcool dans les raisins 
est entourée de causes d'erreur, puisqu'une foule de circonstances 
peuvent influer sur la formation de ce produit : conservation des 
grappes en tas, portions de grappes enveloppées d’un gaz inerte, 
écrasement des grappes au contact de l'air, sont autant de circonstances 


qui peuvent amener la formation de l'alcool. 


Les jus des fruits mürs ne renferment pas de ferment soluble alcoo- 
lique et ne peuvent former spontanément de la levüre au contact 
de l'air. 


Dès l’année 1872 (1) j'ai décrit, devant l’Académie des sciences, un 
dispositif à l’aide duquel il est facile d'extraire de l’intérieur d’un 
grain de raisin le jus qui y est contenu, et de montrer que ce jus est 
incapable de donner de la levüre ou de faire fermenter le moût de 
raisin (voir également mes Ætudes sur la bière) [ch. HI]. Quoique 
très simple, ce dispositif peut être remplacé par un autre plus simple 
encore et également applicable, non seulement à des grains de raisin, 
mais à des pêches müres, ce qui permet, si l’on utilise successivement 
plusieurs pêches pour une même épreuve, d'opérer sur une quantité 
quelconque de jus. Il suffit de prendre de belles et grosses pêches très 
müres et très saines, de les fatiguer sur une partie de leur surfacé par 
la pression des doigts, puis, touchant un point de la pellicule en cet 
endroit, avec l'extrémité d’une baguette chauffée pour brûler les germes 
qui pourraient s'y trouver, de faire pénétrer l'extrémité effilée d'un 


1. Voër p. 285-386 du présent volume : Nouvelles expériences pour démontrer que le germe 
de la levûre qui fait le vin provient de l'extérieur des grains de raisin. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 577 


tube de verre flambé, muni à son autre extrémité d’un tampon de 
coton. Par cette dernière extrémité on aspire le jus intérieur de la 
pêche qu'on laisse séjourner dans le tube à la température que l’on 
désire. On peut également porter le jus aspiré dans un vase flambé, 
passer à une autre pêche, à une troisième, elc., et recueillir ainsi 
beaucoup de jus. Si l’expérience est bien faite, le jus ne fermente pas 
et ne donne jamais ni levüres, ni moisissures quelconques. 


Sur la non-formation de la levüre dans les jus de grains 
de raisin pourri: 


Claude Bernard paraît avoir attaché une grande importance au fait 
de la non-formation de la levüre dans le jus des grains pourris. Pour- 
tant, dans les faits qu'il a observés, que de contradictions sur ce point! 
Quoi qu'il en soit, au début, dans sa première Note, il ne doute pas 
du fait : 

« Le jus de raisin pourri, ditl, quoique sucré, ne fermente pas : y 
ajouter ferment (c'est-à-dire de la levüre toute formée), il fermente. » 

A la fin, dans les conclusions de sa dernière Note, il n’est pas 
moins affirmatif : 

« .…. Dans les jus aplasmiques ou inféconds |... jus pourris), le 
ferment ne se développe pas, quoiqu'ils soient sucrés. Si l'on y ajoute 
du ferment, alors ils fermentent. » 

Il est certain que les jus des grains pourris ne donnent pas lieu à 
une production de levüres aussi facilement, aussi promptement que 
les jus des grains sains. Quoi de plus naturel, quand on sait que les 
germes des levüres sont extérieurs aux grains et que la pourriture a 
pour cause un développement de moisissures à la surface des grains? 
Ces moisissures, en se développant sur les grains, ne peuvent-elles 
pas altérer, détruire même les germes des levüres? Bien d’autres 
circonstances peuvent gêner la formation des levüres dans les jus de 
grains pourris : l'odeur de ces jus, due peut-être à des principes anti- 
septiques, leur concentration, plus grande que celle des grains sains, 
la présence d’un peu d'alcool dans ces jus... 

Quant au fait en lui-même, il n’est rien moins que constant, et pour 
le prouver je n’ai qu’à citer quelques-unes des propres expériences de 
Bernard : 

Note VI. — Le 11 octobre, il broie avec de l’eau des grains de 
raisin pourri secs... Le 13, pas de ferment alcoolique formé; mais le 
15 beaucoup d’alcool est formé, et au microscope il trouve des grains 
de ferment. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES 


578 ŒUVRES DE PASTEUR 


Note X.— Au commencement de la conclusion de la Note X, Bernard 
dit expressément : 

« Le jus de raisin pourri ne fermente pas alcooliquement, quoique 
exposé à l'air et à une température convenable. » 

A la fin de cette même conclusion il dit, au contraire : 

« .…. Du jus de raïsin pourri finit par fermenter à l’étuve. Seule- 
ment il ne se forme que très peu de ferment. Quand on ajoute de l’eau, 
il se forme plus de ferment et plus vite... » 

Dans la Note XV, il dit encore : 

« .…. Quand les grains de raisin pourri ont été écrasés et qu'ils 
pourrissent écrasés exposés à l'air, alors il y a toujours formation de 
levüre..….. » 


A propos des idées que Claude Bernard se faisait de la pourriture 
des grains de raisin. 


« La pourriture n’est qu'une maturité avancée », disait Bernard. 

Je relisais tout récemment, dans les Bulletins de l'Académie de 
médecine, la discussion sur la septicémie qui eut lieu devant cette 
Compagnie en 1873. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant 
le D' Davaine raconter incidemment, au cours de cette discussion, à 
laquelle il prit une si large part, que, se trouvant à la maison de cam- 
pagne de Claude Bernard, à Saint-Julien, pendant les vacances de 1866, 
il étudia sur une grande échelle la pourriture des raisins, sous les yeux 
mêmes de Claude Bernard, et qu’il constata que ce phénomène était lié 
à la présence de moisissures à la surface des grains (1), comme je 
l'avais observé moi-même antérieurement! 

Que Bernard eût oublié que, dans une Note présentée par moi à 
l’Académie, le 20 avril 1863, j'avais fait connaître la loi générale de ce 
genre d’altérations ©}, qu'il ne se fût pas souvenu davantage que, dans 
une Leçon que je fis à la Sorbonne au mois de février 1865 et publiée 
alors par la Revue des cours scientifiques (3), J'avais pris pour exemple 
de la combustion des matières organiques mortes par les moisissures 
précisément la pourriture du raisin, je ne saurais en être trop surpris; 
mais n'est-il pas étrange qu’il eût perdu de vue au mois d'octobre 1877 


1. Voir Bulletin de l'Académie de médecine, % sér., II, 1873. p. 471. (Tome VI des 
Œuvres de Pasteur.) 

2. Voir p. 165-171 du présent volume : Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphé- 
rique dans la destruction des matières animales et végétales après la mort. 

3. Voir Document VIT, à la fin du présent volume : Des fermentations ou du rôle de 
quelques êtres microscopiques dans la nature. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 579 


les expériences (postérieures aux miennes) de son ami le D' Davaine, 
faites chez lui, sur le même sujet, en 1866? 

Voilà pourtant jusqu’à quel pointles systèmes sont décevants, même 
pour les esprits supérieurs ! 


Dans la fermentation des raisins sans levüre, au sein d'une atmosphère 
de gaz acide carbonique, il ne se forme pas de ferment soluble 
alcoolique. 


J'ai pu résoudre cette question avec une grande rigueur. Il m'a 
suffi de placer des grains de raisin mûrs, prélevés sur mes grappes 
recouvertes de coton, dans des flacons remplis de gaz acide carbo- 
nique, à 25-30°. La fermentation sans levüre s’est établie, et, quelques 
jours après, j'ai écrasé les grains et filtré. Le jus filtré, après qu'on 
eut reconnu ses caractères alcooscopiques, fut abandonné dans une 
étuve pendant quelques jours. La proportion d'alcool resta la même. 

Cette expérience n’est pas aussi facile à faire qu'on pourrait l’ima- 
giner tout d’abord, à moins qu'on ait recours pour les filtrations aux 
filtres de terre cuite avec emploi du vide, qui permettent de se débar- 
rasser de tous les organismes microscopiques les plus ténus. Mais je 
n'avais pas, dans le Jura, cette ressource à ma disposition. En se ser- 
vant de filtres de papier, l'expérience exige presque l’emploi de ces 
raisins, sans germes extérieurs de levûre, que j'ai obtenus dans mes 
serres. En opérant sur des grains de raisin de grappes mûres ordi- 
naires, placés dans le gaz acide carbonique, il s’est produit de la levûüre 
après quelques jours de séjour à l’étuve. Cette formation anaérobie 
de levüre est très gênante, parce qu'il est impossible que la levûre ne 
passe pas au filtre en quantité si minime qu’on puisse le supposer. 
Dès lors, elle se multiplie dans le jus filtré et rend toute conclusion à 
peu près illusoire. Avec des grains de grappes privées de tout germe 
de levüre, on n'a pas à craindre cette cause d’erreur et l’on peut laisser 
le moût filtré séjourner longtemps à l’étuve avant de l’éprouver pour 
la quantité d'alcool qu’il peut contenir. 


A propos des actions de vie sans air : leur influence dans 


les phénomènes chimiques de la respiration. 


Les effets de la respiration me paraissent devoir être envisagés 
d’une autre manière qu'on ne le fait communément. A"maintes reprises, 
j'avais entretenu Claude Bernard de mes vues sur ce sujet, vues qui 
m'ont été suggérées par les propriétés des cellules de la levüre de bière. 


580 ŒUVRES DE PASTEUR 


Les cellules de la levûre reçoivent de la présence du gaz oxygène 
une vie, une activité extraordinaires, et dont les effets se prolongent 
au delà de l'instant d’absorption du gaz et des combustions qui en 
résultent. La vie de la levûre, quand elle est privée d'oxygène libre, 
est pénible, et lente est son action comme ferment. Si l'oxygène est 
présent, même en faible quantité, les cellules s’entretiennent dans un 
état de jeunesse et d'activité remarquables, dont les effets ne sauraient 
s'expliquer par une action chimique pure et simple, due à l’absorption 
du gaz oxygène : les cellules reçoivent de cette absorption comme une 
impulsion, une excitation. Je veux dire que les cellules de la levüre, 
par le contact et l'absorption du gaz oxygène, sont mises dans un état 
de vie et de santé qui leur permet de prolonger leur vie pendant un 
assez long temps, sans plus avoir besoin de gaz oxygène, et de façon 
à devenir des ferments énergiques. Une absorption répétée d'oxygène, 
quoique très limitée en volume, donne aux cellules une sorte de jeu- 
nesse permanente qui leur permet de poursuivre leur nutrition, leur 
multiplication à l'abri de l'air, et qui entretient par suite à un haut 
degré l’activité de la fermentation qu’elles peuvent provoquer. On 
trouve dans mes Ætudes sur la bière [chapitre VII] cette curieuse et 
décisive expérience : un moût sucré est-il en fermentation à l'abri de 
l'air, si l’on vient à soutirer tout ou partie du liquide pour le reverser 
immédiatement par le haut de la cuve, le seul fait du passage rapide 
du liquide dans l'air et du faible volume de gaz oxygène absorbé donne 
immédiatement à la fermentation une activité nouvelle remarquable 
et qui dure longtemps après l'absorption du gaz, laquelle a suffi pour 
rajeunir les cellules et leur permettre de continuer leur vie sans air, 
en reprenant plus d'énergie comme ferment. 

Il est vrai que cette activité s’épuise si la soustraction de l'oxygène 
persiste. La fermentation, à son tour, se ralentit dans ces conditions. 
Il ne faut pas conclure de ces faits que l’oxygène intervient directe- 
ment dans la propriété que possède la levüre de faire fermenter le 
sucre. J'ai donné de très bonnes raisons pour admettre que la levüre, 
si elle était entourée d’air, ne ferait plus fermenter le sucre, qu’elle ne 
ferait plus que le décomposer pour s’en nourrir, en dégageant de 
l’acide carbonique, comme font toutes les moisissures lorsqu'elles ont 
le sucre pour aliment (1). Mais l'oxygène de l'air excite les cellules de 


1. Ge serait se faire illusion que de croire qu'il est facile d'entourer d'air toutes les cellules 
de levûre dans une culture de cet organisme. Les cellules forment une poussière dont les grains, 
d'une ténuité extrême, se recouvrent les uns les autres. Ceux du dessus garantissent ceux du 
dessous du contact de l'oxygène, et, quoi qu'on fasse, les actions sont complexes. On n'atteint 
pas davantage le résultat désiré en faisant barboter de l'air dans le vase qui contient la levüre 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 581 


la levûre, les rajeunit et les met en état de pouvoir vivre pour un 
temps en dehors de toute participation du gaz oxygène; c’est à ce 
moment que la cellule devient ferment par excellence pour le sucre, 
soit qu’elle se multiplie, soit qu’elle continue seulement sa vie de cel- 
lule, c'est-à-dire d’individu qui ne se reproduit pas. La multiplication 
(à l'abri de l'air) correspond à un état jeune de la cellule; l’absence de 
multiplication caractérise la cellule déjà vieille ou qui a vécu sur elle- 
même pendant un certain temps. Il y a là comme une image de la 
jeunesse et de l’âge adulte ou de la vieillesse dans l’organisation 
animale. 

Je suis très porté à croire que dans l’économie animale il se passe 
des phénomènes du même ordre, c’est-à-dire que l'oxygène n’agit pas 
seulement comme source d'oxygène qui s’absorbe et qui opère des 
combustions, mais qu'il donne aux cellules une activité, une jeunesse, 
si l’on peut se servir de cette expression, d’où elles tirent la faculté 
d'agir ensuite et aussitôt après, en dehors de l'influence de l'oxygène 
libre, à la manière des cellules-ferments. 

L’oxygène porté par les globules du sang n'’irait donc pas opérer 
par tout le corps des combustions, mais donner seulement aux cellules 
des organes une excitation, un état de vigueur et de santé propres à 
les faire fonctionner comme des cellules anaérobies, c’est-à-dire vivant 
en dehors de toute participation du gaz oxygène libre et provoquant 
des phénomènes de fermentation. Sans cesse, dans le temps d’une 
inspiration et d’une expiration, l’oxygène communiquerait aux cellules 
l’activité dont il s’agit, suivie du fonctionnement de ces cellules 
comme cellules-ferments. Les combustions directes seraient de peu 
d'importance, excepté peut-être dans l’état de croissance des indi- 
vidus, c’est-à-dire quand il y aurait multiplication des cellules. 

La fermentation devient, dans cet ordre d'idées, un phénomène 
général, universel, propre à toutes les cellules vivantes, mais qui 
revêt un état habituel particulier dans les cellules des ferments, uni- 
quement par cette circonstance que ces cellules peuvent vivre plus 
longtemps que les cellules des autres êtres en dehors de l'intervention 
du gaz oxygène libre. Mais tous les êtres seraient le siège de phéno- 
mènes de fermentation d’une durée variable avec les conditions et la 
durée de la vie sans air, succédant à l'excitation donnée par le gaz 
oxygène. Beaucoup de phénomènes physiologiques, inconnus'ou mys- 
térieux dans leurs manifestations, trouveront, je l'espère, leur inter- 


ou, comme je l'ai essayé dans des expériences inédites, à l'aide de flacons tournant sur leur 
axe. D'ailleurs, le mouvement et le contact de beaucoup d'air nuisent singulièrement à la 
vitalité de la levûre. 


582 ŒUVRES DE PASTEUR 


prétation naturelle dans les vues que je viens d’exposer et dont je me 
plaisais à entretenir Bernard, soit dans nos conversations du lundi à 
l’Académie des sciences, soit même par écrit, car je trouve dans mes 
notes la minute d’une lettre datée du mois d’avril 1875 et qui montre 
jusqu'où j'allais dans les applications que je prétendais faire des idées 
qui précèdent à la Physiologie : 


Mon cher maitre, avez-vous lu ce que j'ai écrit dans le Bulletin de 
l'Académie de médecine, séance du 23 mars, à l’occasion d'une discussion 
sur la fermentation (!), au sujet d'actions de fermentation dans l’économie 
par la vie continuée des cellules en dehors de la participation du gaz oxy- 
gène? Si ces vues ont le fondement que je leur accorde, une de leurs appli- 
cations ne serait-elle pas de pouvoir rendre compte du fait physiologique si 
remarquable de l'élévation de la température d’un membre plongé dans 
le gaz acide carbonique? Ce gaz ne pourrait-il pas provoquer subitement 
da phénomènes de fermentation dans les cellules sous-jacentes de l’épi- 
derme jusqu’à une profondeur variable avec la durée de l’exposition? De là 
peut-être le développement de la chaleur que l’on constate, et qui serait 
l’effet de la décomposition des matières fermentescibles. En suivant cet 
ordre d'idées, ne verriez-vous pas dans l’usage de bains répétés de gaz car- 
bonique un moyen de détruire, au moins partiellement, le sucre dans le 
sang, et par une conséquence naturelle d’en diminuer la présence dans l’urine 
des diabétiques, peut-être de le supprimer? Je m'arrête : je ne serais pas 
digne de vous appeler mon maitre si j'allais trop loin dans des déductions 
d'idées préconçues..…. 


La note suivante, que je trouve également dans mes papiers et que 
je copie textuellement telle que je l’ai écrite pendant une séance de 
l'Académie, montre jusqu'à quel point Bernard prenait en sérieuse 
considération les vues dont je parle : 


Ce lundi 12 juin 1876, à la séance de l’Académie, Bernard m'apprend 
que dans l’asphyxie l’urée augmente beaucoup dans le sang, que c'est con- 
traire aux idées qu'on se fait des combustions directes Dan l'oxygène des 
globules du sang et de leur influence supposée dans la formation de l’urée, 
et il a ajouté : « Vos idées de ferments formés en l'absence de l'oxygène de 
l'air doivent trouver là des applications. » 


Combien ce dernier fait se trouve en harmonie avec la théorie nou- 
velle de la respiration que j’exposais tout à l'heure, et combien, au 
contraire, il condamne les idées reçues et leur est même diamétra- 
lement contraire! 


La plupart des phénomènes physiologiques devraient être revisés 


1. Bulletin de l'Académie de médecine, séance du 23 mars 1875, 2 sér., IV, p. 328-330, 
393-355, 851-959. Foër tome VI des Œuvres de Pasteur. (Note de l'Édition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 583 


à la clarté des vues que je viens d'exposer. Dans les applications qu’on 
en peut faire, je suis frappé de la simplicité des explications qu’elles 
suggèrent. Elles rendent compte des faits les plus obscurs pour la 
théorie de la combustion directe. 

a. Un muscle en activité produit un volume d’acide carbonique 
supérieur au volume d'oxygène absorbé dans le même temps. La 
consommation d'oxygène n'est donc pas en rapport exact avec la pro- 
duction d’acide carbonique. Pour la théorie nouvelle, ce fait n’a rien 
que de naturel, puisque l'acide carbonique produit résulte d’actes de 
fermentation qui n'ont aucune relation nécessaire avec la quantité de 
gaz oxygène absorbée et fixée. 

b. On sait que dans des gaz inertes, dans l'hydrogène, l’azote, 
l'acide carbonique, le muscle peut se contracter, et qu’il produit alors 
de l’acide carbonique. Ce fait est une conséquence obligée de la pro- 
longation de la vie des cellules dans leur état anaérobie, sous l'influence 
de l’excitation qu’elles ont reçue antérieurement du contact du gaz 
oxygène apporté par les globules du sang. Il est inexplicable dans les 
théories des combustions respiratoires. 

c. Les muscles ont, après la mort et dans l’asphyxie, une réaction 
acide. On le comprend aisément si des actes de décomposition et de 
fermentation s’accomplissent et se prolongent au delà de la vie dans 
toutes les cellules fonctionnant comme cellules anaérobies. 

d. On asphyxie un animal et l’on constate que, sur l'heure, sa tem- 
pérature augmente, tandis qu’elle devrait diminuer aussitôt par la 
suppression des combustions, si la chaleur était la conséquence de ces 
combustions. Quoi de plus naturel que ce fait, au contraire, si l’on 
considère que le corps de l'animal asphyxié est livré, sans travail 
musculaire quelconque, à des phénomènes de fermentation qui déga- 
gent de la chaleur ? 

e. La fièvre elle-même, dont explication est si difficile aujourd'hui, 
ne sera-t-elle pas envisagée dans l'avenir comme un des effets d’un 
trouble survenu dans le fonctionnement des cellules anaëérobies du 
corps, d’où résulterait une exaltation des fermentations qu’elles pro- 
voquent? 

Dans ses Lecons sur les phénomènes de la vie communs aux ani- 
maux et aux végétaux (1), Bernard s’exprime ainsi (p. 171) : 


« Le rôle véritable de l'oxygène est inconnu. Il est bien certain que ce 
gaz est fixé dans l’organisme et qu'il devient ainsi un des éléments de la 


1. Paris, 1878, in-& (1 pl. et 45 fig.). (Note de l'Édition.) 


584 ŒUVRES DE PASTEUR 


constitution ou de la création organique. Mais ce ne serait point par sa 
combinaison avec la matière organique qu'il provoquerait le fonctionne- 
ment vital. En entrant en contact avec les parties, il les rend excitables ; 
elles ne peuvent vivre qu'à la condition de ce contact. C’est done comme 
agent d’excitation qu'il interviendrait immédiatement dans le plus grand 
nombre des phénomènes de la vie. » 


Plus loin, il ajoute [p. 172 : 


La conclusion que nous avons exposée au début nous semble donc ample- 
ment justifiée; il n’est pas nécessaire de multiplier autrement les exemples 
pour prouver que la théorie de la combustion directe, qui a déterminé un si 
grand progrès quand son illustre fondateur l’a introduite dans la Science, 
n'a cependant pas été confirmée par les études physiologiques. La combus- 
tion n'est pas directe dans les organismes, et la production d'acide carbo- 

nique, qui est un phénomène si général dans les manifestations vitales, est 
le résultat d’une véritable destruction organique, d'un dédoublement ana- 
logue à ceux que produisent les fermentations. Ces fermentations sont 
d’ailleurs l'équivalent dynamique des combustions ; elles remplissent le 
même but, en ce sens qu'elles engendrent de la chaleur et sont par consé- 
quent une source de l'énergie qui est nécessaire à la vie. » 


Ne trouve-t-on pas dans ces passages comme un écho de nos con- 
versations sur la théorie de la respiration dont je parlais tout à l'heure? 
Toutefois, la conclusion précédente de Bernard n’est formulée qu'a 
titre de négation de la théorie de la combustion directe, et elle ne serait 
qu'une négation de cette théorie si l’on n’y ajoutait ce complément, qui 
est le fondement même de la théorie nouvelle que je propose, à savoir 
que l’excitation des cellules des divers organes par le gaz oxygène 
permet à celles-ci, comme on l’observe dans le cas de la cellule de 
levûüre de bière, d’agir ensuite comme cellules-ferments sur les matières 
fermentescibles présentes dès que loxygène est supprimé ou fait 
défaut. Bernard ne paraît pas m'avoir suivi jusque-là. Et cependant 
rappelons-nous cette parole de lui que je soulignais tout à l’heure : « Vos 
idées de ferments formés en l'absence de l'oxygène de l'air doivent trouver 
la des applications. » 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 585 


Les deux communications suivantes sont empruntées aux Comples 
rendus de l’Académie des sciences. Elles datent des années 1861 et 
1863. Je les reproduis ici parce qu’elles jettent de la clarté sur les 


discussions qui font l’objet du présent opuscule. 


EXPÉRIENCES ET VUES NOUVELLES 
SUR LA NATURE DES FERMENTATIONS 


[Nous ne reproduisons pas iei cette Note parue dans les Comptes rendus 
de l'Académie des sciences, séance du 17 juin 1861, LIT, p. 1260-1264. 
Elle se trouve p. 142-147 du présent volume.] 


EXAMEN DU ROLE ATTRIBUÉ AU GAZ OXYGÈNE ATMOSPHÉRIQUE 
DANS LA DESTRUCTION 
DES MATIÈRES ANIMALES ET VÉGÉTALES APRÈS LA MORT 


[Nous ne reproduisons pas ici cette Note parue dans les Comptes rendus 
de l'Académie des sciences, séance du 20 avril 1863, LVI, p. 734-740. Elle 
se trouve p. 165-171 du présent volume.] 


286 ŒUVRES DE PASTEUR 


DISCUSSION AVEC M. BERTHELOT 


La réfutation que je fis des Notes posthumes de Claude Bernard, 
devant l'Académie des sciences, donna lieu, de la part de M. Ber- 
thelot, à des critiques qui amenèrent, entre lui et moi, une discussion si 
étroitement liée à l’objet même du présent ouvrage, qu’il m'a paru utile 
de reproduire intégralement les observations de mon savant confrère 
et les réponses dont je les ai fait suivre. 


Première critique de M. Berthelot (! 
(16 décembre 1S78; 


Je lis, dans le Compte rendu de la séance de l’Académie du 25 novembre, 
une Note de notre confrère M. Pasteur qui me parait de nature à donner 
lieu à quelques observations. 

En parlant d’un ferment alcoolique soluble, susceptible de se con- 
sommer au fur et à mesure de sa production et dans l’acte chimique même 
qu'il détermine, j'avais pris soin d'ajouter que, pour démontrer cette hypo- 
thèse, il était nécessaire de découvrir les conditions dans lesquelles ce 
ferment se produirait suivant une dose plus considérable que la quantité 
détruite dans la fermentation. 

C’étaient ces conditions que CI. Bernard paraissait avoir rencontrées, 
dans des expériences dont le récit nous est parvenu malheureusement 
d’une facon incomplète; j'ai cru cependant utile à la Science de les publier 
telles quelles, parce qu'il ne s'agissait point, dans ma pensée, d'ouvrir 
une polémique, mais de signaler une voie nouvelle de recherches, ouverte 
par CI. Bernard. 

M. Pasteur me semble être resté étranger à cet ordre d'idées. Il n’a vu 
dans ces Notes qu'un texte à réfuter ; il a recherché aussitôt et trouvé, 
avec son habileté ordinaire, les conditions dans lesquelles aucun ferment 
alcoolique ne se produit et où, par conséquent, il n'y a point fermentation. 
Cependant, pour avoir quelque chance de découvrir le ferment soluble, 
il faudrait d’abord se placer dans les conditions où ce ferment peut 
exister, c’est-à-dire en pleine fermentation alcoolique, sauf à réaliser, en 
outre, cette condition inconnue qui en exagérerait la production relative. 
Le problème subsiste done tout entier, la démonstration donnée par 
M. Pasteur ne lui étant pas applicable. 

Si l’on entre plus profondément dans la discussion générale des causes 


1. Berruecor. Observations sur la Note de M. Pasteur, relative à la fermentation alcoolique. 
Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXX VII, 1878, p. 949-952. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 547 


de la fermentation, qui est au fond de cette question particulière, peut-être 
sera-t-il permis d'observer que M. Pasteur n'a pas davantage démontré 
cette antithèse séduisante par laquelle il oppose les êtres aérobies, qui 
consomment l'oxygène libre, et les êtres anaérobies, qui consommeraient 
l'oxygène combiné : une telle fonction est purement hypothétique. Jusqu'ici 
elle échappe même à la discussion, parce qu'on n'a jamais cité le moindre 
{ait chimique pour la prouver. Précisons : si la levüre de bière prenait au 
sucre de l'oxygène combiné, on devrait retrouver dans les liqueurs le 
résidu désoxydé, par exemple CPHPOM où CEHEO!, ou les produits de sa 
décomposition. Ce qu'on retrouve en réalité, c'est de l'alcool et de l'acide 
carbonique, dont les poids réunis représentent à peu près le poids du 
sucre; ils le représentent avec le même degré d'approximation que l’on est 
accoutumé d'accepter comme démonstratif dans les équations ordinaires de 
la Chimie organique, et en négligeant de même les produits accessoires 
des métamorphoses secondaires. Si la levûre avait pris de l'oxygène au 
sucre, on aurait dû obtenir, au lieu d'acide carbonique, de l’oxyde de 
carbone, ou bien, au lieu d'alcool, de l’hydrure d’éthylène. Aucun fait 
connu ne nous autorise donc à dire, ni même à supposer, que les ferments 
aient la propriété chémique singulière d'enlever au sucre une portion de 
son oxygène combiné. 

En tout cas, la Science m'a toujours paru, comme à CI. Bernard, tendre 

réduire l’action des ferments à des conditions purement chimiques, c’est- 
à-dire relativement simples, mais indépendantes de la vie, qui répond à un 
ensemble de phénomènes plus compliqués. C’est, en effet, ce qui a été 
réalisé successivement pour presque toutes les fermentations, comme le 
prouvent l’histoire de la fermentation glucosique de l’amidon dans l'orge 
germée, celle des corps gras dans l'intestin, celle de l’amygdaline dans les 
amandes, celle du sucre de canne s’intervertissant sous Aduedee de la 
levûre, celle de l’urée dans l’urine, ete., ete. Deux ou trois cas seulement 
demeurent encore obscurs. Aussi, si la genèse des ferments figurés relève 
de phénomènes biologiques, comme les travaux de M. Peieur l’ont 
démontré, d’autre part, on ne saurait méconnaitre que la tendance géné- 
rale de la Science moderne ne soit de ramener l’étude des métamorphoses 
matérielles produites dans les fermentations à des explications purement 
chimiques. 

Je demande la permission de citer maintenant une expérience nouvelle, 
qui, si elle ne résout pas la question de la transformation du sucre en 
alcool par des agents inorganiques, semble cependant de nature à y 
apporter quelque lumière. Voici l'hypothèse dont il m'a paru intéressant 
de suivre les conséquences. Supposons que l’action du ferment consiste à 
dédoubler le sucre en deux produits complémentaires, l'un plus oxygéné, 
l'autre plus hydrogéné, mode de dédoublement dont la réaction de la 
potasse sur les aldéhydes {corps comparables au glucose) nous fournit 
précisément l'exemple; ces deux produits exerceraient ensuite une action 
réciproque. Mais, l'énergie consommée dans le premier dédoublement ne 
pouvant être reproduite, on ne saurait régénérer le sucre primitif. Dès lors, 
en son lieu et place, apparaitront les produits d’une décomposition nouvelle 
et plus profonde, tels que l'alcool et l’acide carbonique. 


588 ŒUVRES DE PASTEUR 


J'ai cherché à réaliser ces conditions d'hydrogénation et d'oxydation 
simultanées du sucre par l’artifice suivant. J'ai disposé une pile de 6 à 
8 éléments Bunsen, dont les deux pôles étaient en relation avec un commu- 
tateur oscillant, de facon à rendre tour à tour positifs et négatifs, douze à 
quinze fois par seconde, deux cylindres de mousse de platine jouant le rôle 
d'électrodes. Cet appareil, plongé dans de l’eau acidulée, développe, à 
chacun des deux pôles, tour à tour de l'hydrogène et de l'oxygène. En 
réglant convenablement l'appareil, aucun gaz ne se dégage, l’eau s'y 
reformant incessamment aussitôt après sa décomposition. C’est cet appareil, 
ainsi réglé, que j'ai plongé dans des solutions aqueuses de glucose, tantôt 
neutres, tantôt légèrement acides ou alcalines : j'espérais provoquer ainsi 
le dédoublement du sucre. J'ai obtenu en effet de l'alcool, mais en très 
petite quantité (quelques millièmes), la majeure partie du glucose ayant 
résisté. Une transformation aussi limitée n'autorise pas de conclusion défi- 
nitive, car la limite peut résulter aussi bien de l’inexactitude de l'hypothèse 
fondamentale que de l’imperfection des conditions destinées à la réaliser : 
cependant le fait seul d’une production d'alcool, réalisée à froid et au 
moyen du sucre soumis à l'influence de l’électrolyse, m'a semblé digne 
d'être communiqué à l’Académie. 


PREMIÈRE RÉPONSE A M. BERTHELOT (1) 
(30 décembre 1878) 


La réfutation que j'ai faite devant l'Académie des Notes posthumes 
de Claude Bernard a donné lieu, de la part de notre confrère M. Ber- 
thelot, dans la séance du 16 décembre, à une critique que je vais 
examiner. 

Après avoir fait, au début de sa Note, une confusion non justifiée 
et inexacte, entre ses hypothèses personnelles et celles de Bernard, 
au sujet de l'existence d’un ferment alcoolique soluble, M. Berthelot 
ajoute : 


« M. Pasteur me semble être resté étranger à cet ordre d'idées. Il n’a 
vu dans ces Notes qu'un texte à réfuter ; il a recherché aussitôt et trouvé, 
avec son habileté ordinaire, les conditions dans lesquelles aucun ferment 
alcoolique ne se produit et où, par conséquent, il n’y a point fermentation. 
Cependant, pour avoir quelque chance de découvrir le ferment soluble, il 
faudrait d’abord se placer dans des conditions où ce ferment peut exister, 
c'est-à-dire en pleine fermentation alcoolique, sauf à réaliser, en outre, cette 


1. Pasreur. Réponse à M. Berthelot. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
séance du 30 décembre 1878, LXXX VII, p. 1053-1058. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 589 


condition inconnue qui en exagérerait la production relative. Le problème 
subsiste done tout entier, la démonstration donnée par M. Pasteur ne lui 
étant pas applicable. » 


Peut-être aurais-je pu prévoir que, derrière l'obstacle dressé inopi- 
nément contre mes travaux par la publication du manuscrit posthume 
de Claude Bernard, je trouverais notre confrère M. Berthelot ; mais 
jamais je ne me serais attendu aux appréciations que je viens de 
reproduire. 

Par quel artifice de dialectique subtile M. Berthelot peut-il produire 
des assertions, suivant moi, aussi contraires à l’évidence ? La chose 
mérite d’être contée, parce que dans les discussions scientifiques il 
y a un intérêt particulier à dégager les questions de méthode et de 
logique. Je crois l'avoir fait avec impartialité pour le manuscrit de 
Bernard; je vais tenter de le faire également pour la Note de 
M. Berthelot. 

Notre confrère est l’auteur de trois hypothèses concernant l'existence 
possible d’un ferment alcoolique soluble dans la fermentation alcoo- 
lique proprement dite; les voici : 

1° Dans la fermentation alcoolique il se produit peut-être un ferment 
alcoolique soluble. 

2 Ce ferment soluble se consomme peut-être au fur et à mesure 
de sa production. 

3° Il y a peut-être des conditions dans lesquelles ce ferment 
hypothétique se produirait en dose plus considérable que la quantité 
détruite. 

Ces hypothèses de M. Berthelot sont absolument gratuites; jamais, 
à ma connaissance, notre confrère ne s’est donné la peine de les 
présenter avec honneur au public, c’est-à-dire en les accompagnant 
d'observations et d'expériences personnelles. N’aurais-je pas été sin- 
gulièrement naïf en donnant à ces hypothèses de notre confrère, à ces 
vues de l'esprit si habilement conçues qu’elles déjouent toute contra- 
diction expérimentale, en leur donnant, dis-je, une considération que 
lui-même ne leur a jamais accordée? Eh bien, c'est précisément cette 
naïveté que je n’ai pas eue que M. Berthelot dénonce dans l’étrange 
alinéa que je viens d’extraire de sa Note. Quoique dans cet alinéa l'écrit 
posthume de Bernard soit mentionné, il n’en est question, à vrai dire, 
que pour donner le change au lecteur. M. Berthelot ne peut ignorer 
que dans ma réfutation du 25 novembre j'ai suivi Bernard dans ses 
idées et dans ses expériences. Dès lors, lorsque M. Berthelot dit 
M. Pasteur est resté étranger à cet ordre d'idées, ce n’est pas des 
idées de Bernard qu'il s’agit, comme on peut le croire ; il s’agit de ses 


590 ŒUVRES DE PASTEUR 


idées à lui, M. Berthelot, c’est-à-dire des trois hypothèses que je viens 
de rappeler. Lorsque M. Berthelot dit : Le problème subsiste donc 
tout entier, ce n’est pas du problème posé par Bernard qu'il s’agit, 
et que Bernard croyait avoir résolu, c’est de son problème à lui, 
M. Berthelot, problème imaginé par ses hypothèses personnelles. 

Claude Bernard a fait, lui aussi, des hypothèses sur l'existence 
d’un ferment alcoolique soluble : elles remplissent son écrit posthume; 
mais, à la différence de M. Berthelot, Bernard a institué des expé- 
riences nombreuses pour vérifier l'exactitude de ses vues. J'ai donc 
pu prendre corps à corps les expériences de Bernard et démontrer qu'il 
s'était trompé. Lorsque, à l'exemple de Claude Bernard, M. Berthelot 
aura tenté d'appuyer par l'expérience ses hypothèses, aujourd’hui sans 
valeur parce qu'elles sont toutes gratuites, s’il découvre un ferment 
alcoolique soluble, j’applaudirai à sa découverte, qui sera des plus 
intéressantes et ne me gênera aucunement; mais s'il arrive à des 
conclusions contraires aux principes que j'ai établis, je l’assure ici que 
je m'empresserai de faire pour son travail ce que j'ai fait pour celui de 
Bernard, c’est-à-dire que je m'efforcerai d’en montrer les défaillances 
et l'impuissance. Jusque-là je n’ai pas à me préoccuper de ses vues 
préconçues, qui ne sauraient atteindre des faits et des conclusions 
que je crois avoir rigoureusement démontrés. 

Je passe à un second ordre d'arguments de M. Berthelot : 


« Si l’on entre, dit-il, plus profondément dans la discussion générale des 
causes de la fermentation, qui est au fond de cette question particulière, 
peut-être sera-t-il permis d'observer que M. Pasteur n’a pas davantage 
démontré cette antithèse séduisante par laquelle il oppose les êtres aérobies, 
qui consomment l'oxygène libre, et les êtres anaérobies, qui consommeraient 
l'oxygène combiné : une telle fonction est purement hypothétique ; jusqu'ici 
elle échappe même à la discussion, parce qu'on n’a jamais cité le moindre 
fait chimique pour la prouver. » 


M. Berthelot parle ensuite de produits désoxydés, d’équation de la 
fermentation, etc. A lire ce passage, ne dirait-on pas que, dans ce que 
j'ai écrit sur l'existence et l'opposition de propriétés d'êtres qui 
consomment de l'oxygène libre et d'êtres qui font leurs matériaux 
oxygénés à l’aide de combinaisons oxygénées toutes faites, je n'ai 
produit que des hypothèses gratuites, un système séduisant par 
l’antithèse qui s'y trouve mêlée, et que je n'aurais eu le droit de poser 
des conclusions que si j'avais découvert dans les liquides de fermen- 
tation des corps se représentant par du sucre moins 1 ou 2 équivalents 
d'oxygène, que si dans la fermentation l’oxyde de carbone apparaissait 
au lieu d’acide carbonique, l'hydrure d’éthylène au lieu de l’alcoo! ?.… 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 59 


Ces extraits de la Note de M. Berthelot ne me surprennent pas 
moins que le passage que j'ai rappelé tout à l'heure. M. Berthelot me 
somme, en quelque sorte, de faire connaître la physiologie des êtres 
que j'ai appelés anaérobies. Ce serait merveilleux vraiment que de la 
posséder, et M. Berthelot sait très bien que je n'ai jamais eu cette 
prétention. Connaît-on l'équation de la nutrition des êtres aérobies 
grands ou petits? Et depuis quand, demanderai-je à notre confrère, 
un progrès acquis peut-il être compromis par un progrès qui ne l'est 
pas encore? Le progrès acquis, le progrès que je revendique, le 
progrès considérable à mes yeux, dans Fhistoire de la fermentation, 
c'est d’avoir prouvé qu'il existe des êtres anaérobies, des êtres vivant 
sans air, et que ces êtres sont des ferments; c’est d’avoir prouvé que 
les fermentations proprement dites sont corrélatives d'actes de 
nutrition, d’assimilation et de génération accomplis en dehors de 
toute participation du gaz oxygène libre. N’est-il pas évident que, dans 
ces conditions, tous les matériaux qui composent le corps de ces êtres 
sont empruntés à des combinaisons oxygénées ? L’être aérobie fait la 
chaleur dont il a besoin par les combustions résultant de l’absorption 
du gaz oxygène libre ; l'être anaérobie fait la chaleur dont il a besoin 
en décomposant une matière dite fermentescible qui est de l’ordre des 
substances explosibles, susceptibles de dégager de la chaleur par leur 
décomposition. À l’état libre, l’être anaérobie est souvent si avide 
d'oxygène, que le simple contact de l'air le brüle et le détruit, et c’est 
dans cette affinité pour l’oxygène, j'imagine, que réside le premier 
principe d’action de l'organisme microscopique sur la matière fermen- 
tescible. Avant de pouvoir donner de la chaleur par leur décomposition, 
il faut bien que ces matières soient provoquées à se décomposer. 

Jamais on n’est entré plus profondément, ce me semble, dans la 
cause des fermentations proprement dites, et je ne ferai pas à notre 
confrère M. Berthelot l’injure de croire qu'il ne saisit pas toute la 
portée des faits que je viens de rappeler. 

Voici un troisième ordre d'arguments de M. Berthelot : 


« La Science, dit-il, m'a toujours paru, comme à Claude Bernard, 
tendre à réduire l’action des ferments à des conditions purement chimiques, 


indépendantes de la vie, qui répond à un ensemble de phénomènes plus 
compliqués. » 


Je comprends mal le second membre de cette phrase, mais je saisis 
assez le sens de l'alinéa dans son ensemble pour affirmer que cette 
appréciation historique de notre confrère est tout à fait contraire, 


992 ŒUVRES: DE PASTEUR 


suivant moi, à la vérité. En effet, lorsque, il y a vingt et un ans, j'ai 
présenté à l’Académie mon premier travail sur une des fermentations 
proprement dites (!), la doctrine chimique de ces phénomènes régnait 
pour ainsi dire sans partage. Les actions de diastases étaient déjà 
nombreuses, et, quant aux fermentations proprement dites, bien plus 
nombreuses aujourd'hui qu’à l'époque que je rappelle, on se plaisait à 
les expliquer par des actions chimiques. On disait : Les ferments sont 
des matières albuminoïdes altérées au contact de l'air. La levûre de 
bière elle-même n'agissait pas comme corps organisé, mais comme 
matière albuminoïde qui avait commencé à s’altérer au contact de l'air. 
Seul peut-être, au milieu de lPentrainement général, M. Dumas pro- 
fessait la doctrine plus ou moins vitaliste de Cagniard de Latour. La. 
doctrine de Liebig était tellement en honneur, que Gerhardt venait de 
la développer de nouveau très longuement dans son Traité de chimie 
organique (?), et, quelques années auparavant, notre confrère M. Fremy (#) 
croyait se conformer aux faits en disant que la caséine, par une 
altération progressive au contact de l'air, est tantôt ferment alcoolique, 
tantôt ferment lactique, tantôt ferment butyrique. 

Toutes ces opinions sont aujourd'hui abandonnées ou impossibles 
à soutenir, et dans la patrie même de Liebig elles n’ont plus un seul 
représentant. Il est admis généralement, en conformité des résultats 
de mes études, que les fermentations proprement dites doivent être 
considérées comme liées à des actions de nutrition accomplies dans des 
conditions particulières, notamment en dehors de la participation du 
gaz oxygène libre. 

J'ajoute, en terminant, que c’est toujours une énigme pour moi que 
lon puisse croire que je serais gêné par la découverte de ferments 
solubles dans les fermentations proprement dites ou par la formation 
de l'alcool à laide du sucre, indépendamment des cellules. Certai- 
nement, je l’avoue sans hésitation, et je suis prêt à m'en expliquer 
plus longuement si on le désire, je ne vois présentement ni la 
nécessité de l’existence de ces ferments ni l'utilité de leur fonction- 
nement dans cet ordre de fermentations. Pourquoi vouloir que les 
actions de diastases, qui ne sont que des phénomènes d’hydratation, 
se confondent avec celles des ferments organisés, ou inversement ? 
Mais je ne vois pas que la présence de ces substances solubles, si elle 
était constatée, puisse rien changer aux conclusions de mes travaux, 


1. Voir p. 14-17 du présent volume : Mémoire sur la fermentation appelée lactique. 

2. GerHarDT. Traité de chimie organique. Paris, 1856, 4 vol. in°. 

8. Bourrox et FRemy. Recherches sur la fermentation lactique. Annales de chimie et de 
physique, & sér., II, 1841, p. 257-274. (Notes de lÉ'dition. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 593 


et moins encore si de l'alcool prenait naissance dans une action 
d’électrolyse. 

On est d'accord avec moi lorsque : 1° on accepte que les fermen- 
tations proprement dites ont pour condition absolue la présence d'orga- 
nismes microscopiques; 2 que ces organismes ne sont pas d'origine 
spontanée; 3° que la vie de tout organisme qui peut s’accomplir en 
dehors de l’oxygène libre est soudainement concomitante avec des 
actes de fermentation, qu'il en est ainsi de toute cellule qui continue 
de produire des actions chimiques hors du contact de l'oxygène. 

M. Berthelot peut-il, oui ou non, contrédire l’un ou l’autre de ces 
trois points, non par des vues «a priori, mais par des faits sérieux ? Si 
oui, que notre confrère veuille bien le dire; si non, il n'y a pas 
d'objet de discussion entre nous. 


Deuxième critique de M. Berthelot (!) 


(6 janvier 1879) 


Entre mon éminent ami et confrère M. Pasteur et moi, la discussion 
générale me parait épuisée : si nous sommes d'accord sur la plupart des 
questions d’origine et de genèse des ferments figurés, nous cessons de l'être 
sur les problèmes de Chimie biologique soulevés par la décomposition des 
principes fermentescibles; mais la diversité de nos points de vue est suffi- 
samment manifestée, et je n'ai pas coutume de caractériser moi-même la 
méthode et la logique de mes contradicteurs : ce sont la des sujets que je 
préfère laisser au jugement du public compétent. Deux points seulement 
me paraissent devoir être relevés. 

Il s’agit d’abord des Notes posthumes de Claude Bernard. M. Pasteur 
continue à rester étranger à l’ordre d'idées qui nous a conduit à regarder 
comme utile la publication des derniers essais de notre cher et regretté 
confrère. Ces Notes renfermaient seulement les commencements d'une série 
d'expériences, poursuivies ultérieurement pendant les deux derniers mois 
de sa vie, et dont la suite l’avait confirmé de plus en plus dans ses opinions. 
En cet état de choses, il ne s'agissait point, et j'avais pris soin de l'indiquer 
nettement dès l’origine, d'ouvrir une polémique sur un travail interrompu 
par la mort de son auteur, mais d’en conserver la trace dans la Science. On 
signalait ainsi une direction nouvelle et un sujet de recherches aux per- 
sonnes qui auraient confiance dans les vues de notre illustre confrère; quant 
à celles qui ne partageraient pas ses opinions, elles étaient libres de ne pas 
s’en occuper, ou tout au plus de marquer brièvement leur dissidence. 


1. Berrmeror. Réponse à M. Pasteur. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
LXXXVIIT, 1879, p. 18-20. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. 58 


29% ŒUVRES DE PASTEUR 


J'arrive à la question des êtres qui emprunteraient au sucre, d'après 
M. Pasteur, de l’oxygène combiné, au lieu et place de l'oxygène libre que 
l'atmosphère leur fournit dans les conditions ordinaires de leur existence. 
C’est là une conjecture qui ne repose, pour reproduire le langage de notre 
confrère, sur aucun fait sérieux; mais c’est à l’auteur de cette théorie 
hypothétique qu’il incombe de la prouver, et non à ses contradicteurs. J'ai 
rappelé précédemment que la composition chimique des produits de la 
fermentation lui était opposée; j'ajouterai aujourd’hui que la composition 
chimique des principes immédiats du ferment ne paraît pas la confirmer 
davantage. Etant admis, en effet, que la levüre est un végétal qui se 
nourrit et se développe aux dépens de l'oxygène du sucre pendant la fer- 
mentation, la levûre ainsi formée devrait être plus riche en oxygène que la 
levûre initiale. Rien de pareil n’est signalé, ni dans les analyses de M. Pas- 
teur, ni dans celles des nombreux savants qui se sont occupés de la com- 
position chimique de la levüre. Ce qui paraît acquis, c’est que la levûre se 
nourrit et se multiplie, comme les autres végétaux, en formant de la 
cellulose, des matières grasses et des corps protéiques. 

Or, la cellulose diffère du sucre uniquement par les éléments de l’eau : 
elle ne lui a done pas emprunté un excès d'oxygène. 

Les matières grasses sont moins oxydées que le sucre : leur formation 
ne saurait done être attribuée qu'à une action réductrice, ce qui est le 
contraire d’une oxydation. 

Enfin, les principes protéiques contenus dans la levüre, d’après les 
analyses de Mulder et de Schlossberger (citées dans le remarquable ouvrage 
de M. Schutzenberger sur les Fermentations, p. 56), s'ils dérivent du sucre, 
ne sauraient résulter que d’une réduction, car, en retranchant de leur 
composition l'oxygène à l'état d’eau, l'azote à l'état d'ammoniaque, il reste 
du carbone et un excès d'hydrogène, tandis que le sucre a la composition 
d’un hydrate de carbone (1). 

Ce sont là des faits sérieux, positifs, acquis à la Science d'aujourd'hui. 
Aucune fraction d'oxygène ne semble donc avoir été empruntée au sucre 
par la levüre, de préférence aux autres éléments, pendant la fermentation 
ilcoolique. La nutrition de ce végétal, de même que celle des autres plantes, 
résulte d’un ensemble complexe de transformations chimiques, ensemble 
qu'il serait, je crois, prématuré et même nuisible aux progrès de la Science 
de simplifier par la clarté apparente d'une pure supposition, fondée sur 
une antithèse physiologique. Assez de belles découvertes ont fondé la 
renommée de M. Pasteur, pour qu'il puisse renoncer sans dommage à une 


théorie si peu justifiée par les faits. 


1. La matière protéique de la levüre renferme : 
SCHLOSSBERGER. MULDER. 


Css LS RE ef ee CPE PR SENEE 55,5 53,3 : 
HR NA RE RTE 7,5 7,0 
Az ie SRE TE sh SE 2 13,9 16,0 
ONA re COM Pt - ae JR 23,1 23,7 
Hydrogène correspondant à l'oxygène . 0219 3,0 
n » HIazÔte ENT: 3,0 3,4 
1,6 0,6 


Excès d'hydrogène . 


(Note de Berthelot.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 


995 


DEUXIÈME RÉPONSE A M. BERTHELOT {1 


(13 janvier 1871) 


Je terminais ma première réponse à mon éminent ami et confrère 
M. Berthelot en signalant parmi les conclusions de mes études trois 
points principaux, et j'ajoutais que, si M. Berthelot ne pouvait les 
contredire ensemble ou séparément, non par des vues « priori, mais 
par des observations sérieuses, il n’y avait entre lui et moi aucun 
objet de discussion. 

La seconde Note de M. Berthelot est muette*sur ces trois points. 
Je pourrais done me borner à exprimer ma satisfaction que le débat 
soit clos. Malheureusement, sur d’autres points que ceux auxquels je 
viens de faire allusion, M. Berthelot me prête des opinions et n'oppose 


des raisonnements que je ne saurais accepter. Cela m'oblige à une 
nouvelle réponse. 


« Assez de belles découvertes ont fondé la renommée de M. Pasteur, dit 
obligeamment mon cher confrère, pour qu'il puisse renoncer sans dommage 
à une théorie si peu justifiée par les faits. » 


Il s’agit ici des êtres anaérobies et de leur mode d’action sur les 
matières fermentescibles. 

Lorsqu'en 1861 j'ai opposé, pour la première fois, l'existence et 
les propriétés de deux sortes d'êtres en les désignant par l’expression 
d'aérobies et d'anaérobies, ce n’est pas une théorie que j'ai faite. J’ai 
dit : IL existe des êtres qui ne peuvent vivre, qui ne peuvent se 
nourrir sans assimiler de l'oxygène libre; ce sont les aérobies : ils ne 
sont pas ferments. Il existe une autre classe d’êtres pouvant vivre, se 
nourrir en dehors de toute participation du gaz oxygène libre, par 
conséquent en empruntant forcément tout l'oxygène de leurs principes 
immédiats à des combinaisons, notamment à la matière fermentescible 
qui est toujours oxygénée : dans ces conditions, ces êtres sont fer- 
ments (2). Mon travail sur ce sujet, son originalité, sont là tout entiers 6. 

1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 13 janvier 1879, LXXXVIII. 
p. 58-61. 

2. Pasteur. Animalcules infusoires vivant sans gaz oxygène libre et déterminant des fer- 
mentations. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LII, 1861, p. 844-347, et p. 136-158 
du présent volume. — Expériences et vues nouvelles sur la nature des fermentations. Zbid., 
p. 1260-1264 et p. 142-147 du présent volume. 

Les termes d'aérobie et d'anaérobie ne furent proposés par Pasteur qu'en 1863. Vorr : 
Recherches sur la putréfaction. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LVI, 1863. 
p. 1189-1194, et p. 175-181 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 


3. L'eau pourrait intervenir, mais le résultat définitif n'en serait point changé. 


596 ŒUVRES DE PASTEUR 


Tout cela n’a rien de théorique: c’est une situation physiologique 
nouvelle, c'est l'expression des faits. Mais quel est le premier principe 
de l'action décomposante de la matière fermentescible par l'être 
microscopique anaérobie? Mappuyant encore sur un fait, et que j'avais 
grandement contribué à mettre en évidence, à savoir l’affinité de ces 
êtres pour l'oxygène libre qui peut les tuer et même les détruire, j'ai 
conjecturé que dans cette affinité pouvait bien résider le principe 
d'action du ferment vivant par rapport à la matière fermentescible. 
Refuser à un observateur qui est arrivé par l'expérience au point où 
j'en étais, lui refuser, dis-je, le droit d’une induction intimement liée 
à des faits indiscutables, c’est vouloir vraiment couper les ailes à 
l'induction la plus légitime. Encore faudrait-il que M. Berthelot eût 
des observations ou des raisonnements à m'opposer. Des faits, il n’en 
a pas. Quant à ses raisonnements, j'en fais juges nos confrères : 


& Etant admis, dit-il, que la levûre est un végétal qui se nourrit et se 
développe aux dépens de l'oxygène du sucre pendant la fermentation, la 
levüre ainsi formée devrait être plus riche en oxygène que la levüre 


initiale... » 


Comment notre confrère ne s'est-il pas dit que la levüre, après 
avoir pris l'oxygène, pourrait bien le rendre aussitôt à l’état d’acide 
carbonique, qui est un produit constant des fermentations proprement 
dites ? Et pourquoi M. Berthelot ne demande-t-il pas à la levûre vivant 
au contact de l’atmosphère, qui dans ce cas prend, à n’en pas douter, 
de l'oxygène à l’air et le porte sur ses aliments, pourquoi, dis-je, ne 
demande-til pas à cette levüre des produits plus oxygénés que les 
principes immédiats qui lui sont propres? Le raisonnement de M. Ber- 
thelot est done de tous points inacceptable. Ce qui doit plus étonner 
encore, c'est que, au moment où M. Berthelot se refuse à la plus ana- 
logique des conjectures, il se livre, lui, à une conjecture tout à fait 
gratuite, à savoir que l'être microscopique agit sur la matière fermen- 
tescible par la sécrétion d’un produit chimique de la nature des diastases. 


J'arrive au deuxième point traité par M. Berthelot : 


« M. Pasteur, dit-il, continue à rester étranger à l’ordre d'idées qui 
nous a conduit à regarder comme utile la publication des derniers essais 
de notre cher et regretté confrère... Il ne s'agissait point d'ouvrir une 
polémique sur un travail interrompu par la mort de son auteur, mais d’en 
conserver la trace dans la Science... Les personnes qui ne partageraient 
pas les opinions de notre illustre confrère étaient libres de ne pas s’en 
occuper ou tout au plus de marquer brièvement leur dissidence. » 


Quoique M. Berthelot se défende « d’avoir la coutume de carac- 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 597 
tériser lui-même la méthode et la logique de ses contradicteurs », 
qu'il me permette de lui dire que c’est ce qu'il fait ici de la manière 
la plus directe. C’est son droit, comme c'était le mien vis-à-vis de 
Bernard et de lui-même; je ne l’en blâme donc aucunement, mais je 
dois faire observer qu'il en use dans des termes qui ne sont pas du 
tout conformes à la vérité de l'Histoire, car c’est d'Histoire qu'il s’agit. 

L'utilité, en effet, de la publication des derniers essais de Bernard 
m'a toujours paru parfaitement justifiée, et je suis le premier à 
remercier M. Berthelot de l'avoir faite. IL doit savoir pertinemment 
que je ne me suis pas associé aux regrets de ceux qui auraient désiré 
qu'il me donnât connaissance du manuscrit avant de le mettre au jour. 
C'était là, suivant moi, affaire d'appréciation personnelle, et je n'ai 
pas coutume de caractériser la conduite de mes amis, si ce n'est pour 
leur prêter des intentions élevées. Ce que j'ai reproché à notre 
confrère, ce que je lui reproche encore, parce qu'il s'agit ici d’un 
principe scientifique d'ordre supérieur, c’est d’avoir fait cette publi- 
cation sans l'accompagner d’un commentaire expérimental, afin « de 
reporter à Bernard, ainsi que je le disais devant l'Académie au mois 
de juillet dernier, l'honneur de ce qu’il pouvait y avoir de bon dans 
son manuscrit, en dégageant sa responsabilité pour ce qu'il pouvait 
renfermer d’incomplet et de défectueux ». 

Qui done oserait blämer un ami de publier un écrit trouvé dans 
les papiers d’un confrère illustre? La vérité, je parle de la vérité 
scientifique, ne doit jamais être placée sous le boisseau; toutefois, 
c’est à la condition qu’elle soit la vérité, car, si l'écrit posthume n’est 
qu'erreur, la publication qui en est faite n’est plus qu'une atteinte 
gratuite à l'honneur scientifique d’une mémoire respectée. 

M. Berthelot, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, ajoute qu'il 
n'avait pas l'intention, par cette publication, d'ouvrir une polémique. 
Mais pouvais-je, moi, me dispenser de m'y livrer en présence des 
conclusions de Bernard, qui sont la condamnation absolue et sans 
réserve de celles que j'ai déduites de mes travaux? C'était mon devoir 
d'agir comme je l'ai fait, et je puis ajouter sans présomption que jy 
ai mis une certaine vaillance. Jamais, peut-être, dans ma carrière déjà 
longue, je n’avais fait tant d’efforts que pendant l’année 1878 : nos 
Comptes rendus en font foi; jamais, par suite, je n’avais eu un besoin 
aussi impérieux de repos. Or, j'ai consacré toutes les vacances 
dernières au contrôle expérimental de l'écrit posthume de Bernard, 
et j'en éprouve encore une extrême fatigue. J'ai fait ce qu'aurait dû 
faire M. Berthelot avant de mettre au jour les Notes de notre cher et 


regretté confrère. 


598 ŒUVRES DE PASTEUR 


Troisième critique de M. Berthelot |! 


(20 janvier 1879) 


Je n'avais pas l'intention de poursuivre la discussion sur les fermen- 
tations, commencée avec M. Pasteur, au delà du terme où chacun de nous 
aurait produit son opinion et les faits positifs sur lesquels elle lui parait 
appuyée. Je pensais avoir distingué suffisamment entre les belles décou- 
vertes biologiques de mon savant ami, relatives à l'origine, au dévelop- 
pement et à la muitiplication des êtres microscopiques qui propagent les 
fermentations, découvertes sur lesquelles il n'y a point de discussion entre 
nous, et les suppositions chimiques peu vraisemblables qu'il a exposées 
trop souvent comme des faits certains et vérifiés au même see que ses 
observations biologiques. Rien n'est moins fondé, à mon avis : je n’insis- 
terais point, s'il ne pouvait résulter un grave dommage pour la Science de 
cette confusion perpétuelle et presque inconsciente entre ce qui est prouvé 
et ce qui ne l’est pas. 

La deuxième réponse de mon éminent ami débute en effet par une 
déclaration qui m'oblige à rentrer dans le débat; il a la prétention d'inter- 
préter mon silence sur trois propositions, auxquelles il attache une 
importance spéciale, et de le traduire par un assentiment : or je n'accepte 
ni cette interprétation ni les cadres absolus que M. Pasteur voudrait 
imposer à la controverse. 

Je me suis déjà expliqué très nettement sur les théories chimiques de 
M. Pasteur. Sa dernière Note montre une fois de plus et il reconnait lui- 
même qu'elles ne reposent point sur des faits positifs. Jusqu'à ce jour, 
M. Pasteur avait affirmé d'ordinaire comme des vérités acquises ce qu'il 
est obligé maintenant de reconnaitre pour de simples conjectures, tout à 
fait analogues à celles qu'il veut interdire à ses contradicteurs. La conjec- 
ture et l'hypothèse sont légitimes, sans aucun doute, dans la Science, mais 
à la condition de ne pas les imposer au lecteur et d'en maintenir le véritable 
caractère, ce que J'ai toujours pris soin de faire d’abord. Les affirmations 
catégoriques sont moins conformes à la vraie méthode, quels que soient 
les avantages qu’elles procurent dans la polémique. Précisons l’état actuel 
de la question. 

Notre savant confrère déclarait naguère que la levüre de bière est un 
être anaérobie, capable d'enlever au sucre de l’oxygène combiné à défaut 
d'oxygène libre. Il reconnait aujourd'hui que cette propriété n'est point 
démontrée; je n'ai jamais dit autre chose, mais je me suis gardé d’annoncer 
à l'avance que j'attaquerais les expériences qu'il pourrait faire plus tard, si 
elles ne confirmaient pas mes opinions. Aujourd'hui, sans produire aueun 
fait positif, il suppose que la levüre pourrait prendre de l'oxygène au sucre, 
pour le rendre aussitôt à l’état d'acide carbonique. 

C'est encore là une simple hypothèse, dont la démonstration, je ne 


1. Benruecor, Observations sur la deuxième réponse de M. Pasteur. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LXXXVIII, 1879, p. 103-106. (Note de l'Édition). 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 599 


cesserai de le répéter, incombe à celui qui la produit dans la Science. S'il 
est vrai que la levüre soumise à l’action de l'oxygène libre fournisse de 
l'acide carbonique, rien ne prouve et même rien ne rend vraisemblable 
qu'elle doive en dégager encore en l'absence de l'oxygène libre; les chan- 
gements profonds qui surviennent alors dans son mode d'existence rendent 
cette supposition fort douteuse. Füût-il même établi que la levûre dégage de 
l'acide carbonique dans ces conditions, il n'en résulterait nullement qu'elle 
prit au sucre de l’oxygène, de préférence aux autres éléments. 

Cette démonstration ne pourrait résulter que de la connaissance précise 
de l'équation chimique en vertu de laquelle lacide carbonique serait 
formé, équation que M. Pasteur ne nous a point fait connaitre; cependant 
elle peut être telle que le sucre cède à la fois tous ses éléments (!), ou 
même qu'il cède à la levüre de l'hydrogène de préférence. 

Quant à présent, tout ce qu'il est permis de dire, c’est que les faits 
connus ne sont pas favorables à la supposition de M. Pasteur. 

En effet, les relations chimiques qui existent, et que jai rappelées 
précédemment, entre le sucre et les principes immédiats constitutifs d’une 
levüre qui se multiplie, montrent qu'aucun de ces principes ne résulte 
d'une oxydation, mais que plusieurs sont plus riches en hydrogène que le 
sucre : il semble donc que la levüre enlève au sucre, aux dépens duquel 
elle se développe, non de l'oxygène, mais, au contraire, de l'hydrogène 
combiné, de préférence aux autres éléments, ce qui est d’ailleurs plus 
conforme à ce que nous savons en général de la physiologie des végétaux. 

Il ne me parait pas non plus établi que « les fermentations proprement 
dites aient pour condition absolue la présence d'êtres microscopiques ». 
Mes doutes à cet égard ne sont pas fondés sur des vues à priori, mais sur 
les faits acquis à la Science par l'étude expérimentale des fermentations 
glucosique, amygdalique, uréique, acétique, etc., etc. L'expérience a 
prouvé que la condition déterminante de chacune de ces fermentations est 
chimique, loin d’être essentiellement vitale ou physiologique. On ne saurait 
échapper à cette conclusion, à moins de définir les fermentations pro- 
prement dites par les organismes microscopiques eux-mêmes, ce qui est un 
pur cercle vicieux. 

Réciproquement, la coïncidence entre la vie des organismes qui se 
développent en dehors de la présence de l’oxygène libre et les actes de 
fermentation qu'ils sont censés produire ne me parait pas davantage ni 
démontrée d’une manière générale ni nécessaire, à moins de définir fer- 
mentation toute « action chimique accomplie hors du contact de l'oxygène » 
dans les êtres vivants, ce qui est encore un pur cercle vicieux. 

En fait, la plupart des liquides contenus dans l'épaisseur des tissus 
végétaux sont exempts d'oxygène libre, parce qu'ils renferment des prin- 
cipes immédiats très oxydables, lesquels absorbent rapidement l'oxygène 
de l’air dissous dans les régions superficielles ou dans les lacunes, soit en 
vertu de leur action propre, soit avec le concours des conditions complexes 
réalisées par les cellules vivantes. Tel est notamment le cas du jus dé 


1. Par exemple, s’il se formait en même temps de l'alcool; ce qui a lieu, en effet, avec la 
levûre prise isolément. (Note de Berthelot.) 


600 ŒUVRES DE PASTEUR 


raisin, du jus de betterave et de presque tous les jus sucrés contenus dans 
les cellules végétales. La vie de la plupart des cellules végétales, et même 
animales, s'accomplit done dans des milieux privés d'oxygène libre. 
Cependant le sucre n'y fermente point, par le simple fait de la vie des 
cellules accomplie en dehors du contact de l'oxygène ; il n'y fermente point 
tant que des conditions chimiques toutes spéciales ne viennent pas à être 
réalisées. 

Inversement, la transformation du sucre en alcool (ou en acide lactique) 
s'effectue également soit dans un milieu exempt d'oxygène libre, soit dans 
un milieu qui en renferme. Le fait est bien connu depuis longtemps et 
M. Pasteur en a fourni lui-même de nouvelles preuves. Sans examiner si 
les milieux non oxygénés seraient plus favorables à la multiplication de la 
levüre, comme M. Pasteur a cherché à l’établir(!)}, mais ce qui est une 
question toute différente, il n’en est pas moins vrai que ce milieu n’est 
nullement indispensable pour l’accomplissement de l'acte chimique de la 
fermentation elle-même (2). Si cet acte résultait de l'absorption par la 
levüre d’une certaine dose d'oxygène combiné, pris au sucre à défaut de 
l'oxygène libre indispensable à la vie des cellules de levüre, on ne com- 
prendrait pas pourquoi les cellules qui trouvent autour d’elles de l’oxygène 
libre iraient provoquer la fermentation alcoolique en s’emparant de 
l'oxygène combiné. Ce n’est donc pas là la condition déterminante de la 
fermentation. 

D'après ces faits acquis à la Science, et quelle que soit la difficulté que 
présente, dans une discussion, la vague et élastique généralité des asser- 
tions relatives à la vie sans air et à ses relations avec la fermentation, il 
me parait cependant permis d'affirmer qu’en général la vie sans air n'est 
pas la fermentation, pas plus que la fermentation en général n’est la vie 
sans air. [1 n'existe point de corrélation chimique nécessaire entre ces deux 
ordres de phénomènes. CI. Bernard le déclarait, et je partage son opinion. 


TROISIÈME RÉPONSE A M. BERTHELOT (5) 


(27 janvier 1879) 


Mon savant confrère M. Berthelot écrivait le 6 janvier : 


« ... Je n'ai pas coutume de caractériser moi-même la méthode et la 
logique de mes contradicteurs : ce sont là des sujets que je préfère laisser 
au jugement du public compétent. » 


1. C'est l'inverse que j'ai établi pour la levûre de bière. (Note ajoutée par Pasteur.) 

2. Déjà M. Schutzenberger a fait sur ce point des remarques qui me semblent parfaitement 
fondées. (Note de Berthelot. 

3. Comptes rendus de l'Acadèmie des sciences, séance du 27 janvier 1879, LXXXVIII, 
p. 133-137. (Note de l'Édition.) 


RERMENTATIONS EL GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 601 


Malheureusement, l’homme est ondoyant et divers, car voici le 
jugement que M. Berthelot porte sur ma méthode et ma logique au 
commencement de sa dernière Note, à laquelle je réponds : 


« .…. Je n'insisterais point, s’il ne pouvait résulter un grave dommage 
pour la Science de cette confusion perpétuelle et presque inconsciente 
entre ce qui est prouvé et ce qui ne l’est pas. » 


Il y a à ce jugement, qui donne un si gros démenti à la solennelle 
déclaration du 6 janvier, une contre-partie piquante : 


« …. La conjecture, dit-il, et l'hypothèse sont légitimes, sans aucun 
doute, dans la Science, mais à la condition de ne pas les imposer au lecteur 
et d'en maintenir le véritable caractère, ce que j'ai toujours pris soin de 
faire d’abord. » 


Voilà donc nos mérites respectifs bien et dûment appréciés : mot, 
je confonds perpétuellement et inconsciemment ce qui est prouvé et ce 
qui ne l’est pas ; M. Berthelot a toujours pris soin de ne pas commettre 
cette faute. Voyons si cette double appréciation, ramenée aux dimen- 
sions de la vérité, ne se transformerait pas dans celle de cette vieille 
et toujours jeune histoire de la paille et de la poutre. 

L'Académie sait, à n’en pas douter, de quoi il s’agit. La discussion 
porte sur la question des êtres anaérobies et sur la manière dont ils se 
comportent vis-à-vis des substances fermentescibles. C’est sur ce point 
que M. Berthelot nous assure qu’il sépare toujours nettement pour le 
lecteur ce qui est prouvé de ce qui ne l’est pas. Mais comment pour- 
riez-vous faire autrement? dirai-je à mon savant ami. Vous avez fait 
des hypothèses sur le point en litige, et non des observations ou des 
expériences qui vous soient personnelles ; aussi la séparation que vous 
vous larguez d’avoir toujours faite entre ce qui est prouvé et ce qui ne 
l'est pas était chose inutile ou tout accomplie. Vos hypothèses étant 
seules, vous n'aviez pas à les séparer de ee que vous aviez prouvé. 

Considérons d’autre part le jugement porté par mon savant confrère 
sur la manière dont j'interprète les résultats de mes propres recherches. 

Il y a près de vingt-deux ans que j'ai commencé l'étude des fermen- 
tations proprement dites, puisque mon Mémoire sur la fermentation 
lactique a été lu à l’Académie le 30 novembre 1857 (1). Il y a dix-huit 
ans, le 25 février 1861 (?), que j'ai annoncé l'existence d'êtres anaé- 
robies et leur caractère de ferments animés. Qu'on me permette 
d’insister, en passant, sur ces deux intervalles de vingt-deux ans et de 

1. Voir ce Mémoire p. 14-17 du présent volume. 


2. Voir p. 136-138 du présent volume : Animaleules infusoires vivant sans gaz oxygène 


libre et déterminant des fermentations. (Notes de l'Édition.) 


602 ŒUVRES DE PASTEUR 


dix-huit ans de travaux ininterrompus, et de faire remarquer que mes 
contradicteurs actuels, MM. Trécul (1) et Berthelot, en sont, le premier 
à rechercher des preuves que j'ai pu me contredire, ce à quoi il ne 
parvient qu'en altérant des textes et en changeant l’acception vulgaire 
des mots, le second, M. Berthelot, à discuter sur une pointe d’aiguille 
les déductions les plus légitimes. Quel bon point, ajouterai-je en con- 
séquence, donné par mes savants contradicteurs à la rigueur de mes 
études, et quels services ils rendent à celles-ci en prétendant les 
affaiblir! 

Quoi qu'il en soit, le jugement de M. Berthelot existe : Je confonds 
perpétuellement et presque inconsciemment ce qui est prouvé et ce qui 
ne l’est pas. Je l'avoue avec empressement : à l'exemple de mes maîtres 
et de tous ceux qui ont le souci de la dignité du travail scientifique, à 
l'exemple, par conséquent, de mon éminent ami M. Berthelot, je ne 
crois pas avoir jamais produit une recherche quelconque sans la faire 
suivre de déductions ou d’inductions. M. Berthelot dit dans sa dernière 
Note : « La conjecture et l'hypothèse sont légitimes dans la Science... » 
Je suis complètement de cet avis, mais je préférerais qu'il eût dit 
l'induction au lieu de l’hypothèse. La signification de ces deux expres- 
sions n'est pas du tout la même. L'hypothèse est toujours plus ou 
moins loin des faits, l'induction les touche et leur est enchaînée. Or, 
que M. Berthelot me permette de le lui dire avec courtoisie, c’est ici 
que s'établit nettement, dans le débat actuel, la grande différence de 
nos méthodes respectives et de notre logique. J'ai la prétention de faire 
des inductions, tandis que mon confrère fait des hypothèses. Précisons 
ce double caractère. 

En 1861 @), je découvre que : 

1° Le ferment de la fermentation butyrique est un vibrion ; 

2° Ce vibrion peut vivre dans un milieu purement minéral qui tient 
en dissolution du sucre ou du lactate de chaux; 

3 Ce vibrion vit, se nourrit, se multiplie, s’engendre en dehors de 
toute participation du gaz oxygène libre ; 

4° Le contact de Pair le tue. En faisant passer un courant de gaz 
acide carbonique dans la liqueur où il va, vient, se divise par scission... 
il continue de vivre, de se mouvoir, de s'engendrer. Au contraire, un 
courant d’air le fait tomber sans vie au fond des vases et arrête la 
fermentation qu'il déterminait auparavant. 


1. Voir p. 478-481 du présent volume : Discussion avec M. Trécul sur les aérobies et les 
anaérobies. 

2. Voir p. 136-138 du présent volume : Animalcules infusoires vivant sans gaz oxygène 
libre et déterminant des fermentations. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 60: 


Ce sont là des résultats d’une grande valeur à mon sens, qui ont 
inauguré une physiologie nouvelle et je suis surpris que, après dix- 
huit années de développements et d'exemples nouveaux d'êtres anaé- 
robies, Claude Bernard paraisse en avoir méconnu la vérité, et que 
notre confrère M. Berthelot nous assure, à la fin de sa Note, qu'il est 
bien près d'en faire autant. 

En présence des beaux phénomènes que je rappelle, pouvais-je ne 
pas y voir une lumière inattendue sur le mystérieux phénomène de la 
fermentation? Pouvais-je ne pas tirer de ces faits une induction? Je dis 


BY 0 


induction, et non pas hypothèse. Oui, j'ai mis en rapport, dans une 
induction très légitime, bien plus, obligée, le caractère de vie sans air 
et le caractère ferment, et je crois en avoir donné des preuves. N’y 
aurait-il d’ailleurs que les preuves de fait et de coïncidence, reconnues 
depuis lors, que mon induction me paraîtrait inattaquable dans lPétat 
actuel de la Science. Ces preuves de fait et de coïncidence, les voici 
toutes les fois qu’il y a vie sans air, il y a fermentation proprement 
dite; toutes les fois qu'il y a fermentation proprement dite, on peut 
constater l'existence de la vie sans air, même dans le cas où l’oxygène 
libre intervient pour compliquer le phénomène, comme dans le cas de 
la fermentation alcoolique par la levûüre, au contact de Pair. 

En résumé, la vie sans air, dans le cas des vibrions butyriques et 
chez tous les anaérobies qui ont été découverts jusqu’à présent, se 
montrant associée à la fermentation, c’est là qu’il faut chercher, suivant 
moi, l’explication du mystère des fermentations proprement dites. 
Sans avoir jamais eu la prétention d'entrer dans l'intimité des phéno- 
mènes, je remarque que, dans les cas de fermentation d’une matière 
fermentescible dans un milieu minéral, en dehors de toute participation 
du gaz oxygène libre et avec semence des germes de l'être anaérobie, 
celui-ci emprunte forcément tout le carbone et tout l'oxygène de ses 
matériaux au carbone et à l'oxygène de la matière fermentescible. 
L'organisme, tant qu'il vit, tant qu'il n’est pas transformé en corpus- 
cules-germes [tels] que ceux-ci n’ont pas repris leur vie active, tant qu’il 
y a de la matière fermentescible à décomposer, l'organisme touche à 
celle-ci incessamment et lui enlève les éléments carbone et oxygène. 
Il les réunit ensuite à sa manière par cette chimie vivante dont le secret 
nous échappe, il les réunit avec l’azote, le phosphore, le soufre, le 
potassium, etc. J'en conclus, et voici toute mon induction, que là est 
le principe de l’action décomposante qu’exerce le ferment vivant. Dans 
les faits que j'énumère, rien d’hypothétique, rien de donné à l’imagi- 
nation. Quant à l’induction, n'est-elle pas enchaïnée à ces faits? 

Veut-on traduire cette induction dans le langage nouveau de la 


t 


60% ŒUVRES DE PASTEUR 


théorie de la chaleur? on dira : L’être aérobie fait la chaleur dont il a 
besoin par les combustions résultant de l'absorption du gaz oxygène 
libre ; l’être anaérobie fait la chaleur dont il a besoin en décomposant 
une matière dite fermentescible qui est de l’ordre des substances 
explosibles, susceptibles de dégager de la chaleur par leur décompo- 
silion. À l’état libre, l'être anaérobie est souvent si avide d'oxygène, 
que le simple contact de l’air le brüle et le détruit, et c’est dans cette 
affinité pour l'oxygène que doit résider, sans doute, le premier principe 
d'action de l'organisme microscopique sur la matière fermentescible. 
Avant de pouvoir donner de la chaleur par leur décomposition, il faut 
bien que ces matières soient provoquées à se décomposer. 

Voyons maintenant ce qu'est l'hypothèse. C’est M. Berthelot qui va 
nous en fournir l'exemple. Cet exemple, vous le connaissez déjà; je 
l'ai rappelé dans ma première réponse à M. Berthelot (séance du 
30 décembre dernier). M. Berthelot n’a rien observé au sujet des 
anaérobies; mais, guidé par le fait de l'existence de diastases dans des 
phénomènes qui, dès le début de mes recherches, ont dà être distin- 
guées des fermentations que j'ai appelées proprement dites, qui sont 
aujourd’hui toutes les fermentations avec vie sans air, il fait les suppo- 
sitions suivantes : 

l° Dans la fermentation alcoolique il se produit peut-être un ferment 
alcoolique soluble. 

2° Ce ferment soluble se consomme peut-être au fur et à mesure de 
sa production. 

3° Il y a peut-être des conditions dans lesquelles ce ferment hypothé- 
tique se produirait en dose plus considérable que la quantité détruite. 

Voilà le caractère de l'hypothèse, de l'hypothèse sans lien obligé avec 
les faits, de l'hypothèse revêtant toutes les formes, comparable à une cire 
molle dont on fait ce que l’on veut, à laquelle on ajoute ou l’on retranche 
à volonté, parce qu'elle n’est qu’une production de l'imagination. 

Des hypothèses comme celles-ci, ah! qu’elles donnent peu de peine, 
qu'elles coûtent peu d’efforts! Tous tant que nous sommes, chercheurs 
du vrai, et qui ne pouvons nous livrer à cette tâche ardue que par les 
idées d’expérimentation que nous suggère notre imagination, de telles 
hypothèses, pardonnez-moi la vulgarité de l’expression, nous les bras- 
sons à la pelle dans nos laboratoires, elles remplissent nos registres 
de projets d'expériences, elles nous invitent à la recherche, et voilà 
tout. Entre M. Berthelot et moi il y a cette différence qu’à cette nature 
d'hypothèses jamais je ne fais voir le jour, si ce n’est lorsque j'ai 
reconnu qu'elles sont vraies et qu'elles permettent d’aller en avant. 
M. Berthelot, lui, les publie. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 605 


Quatrième critique de M. Berthelot |! 
(3 février 1879) 


Dans la nouvelle Note de notre savant confrère, je relèverai seulement 
la partie scientifique, toute controverse sur les mérites comparés de l'in- 
duction et de l'hypothèse et sur nos droits respectifs d’y recourir étant 
sans intérêt pour l’Académie. Je rappellerai cependant, afin de justifier ma 
qualité dans le débat, que mon éminent ami m'avait sommé de produire 
mon opinion sur les questions mêmes pour lesquelles il récuse aujourd’hui 
ma compétence. Mais passons, et bornons-nous à résumer la discussion, de 
facon à marquer les points acquis et ceux qui réclament un nouvel éclair- 
cissement. 

1° Aucun fait positif n’a été produit pour démontrer que le sucre cède à 
la levüre de l'oxygène, de préférence aux autres éléments. 

2° Aucun fait positif n’a été produit pour démontrer que la levüre se 
développe en prenant au sucre de l'oxygène, de préférence aux autres 
éléments. Au contraire, elle paraît prendre de l'hydrogène de préférence, 
ce qui est le contre-pied des affirmations de M. Pasteur. 

3° Par conséquent, aucun fait positif ne prouve que la métamorphose 
chimique du sucre soit corrélative d’un mode exceptionnel de nutrition des 
êtres microscopiques, ce mode étant tel qu'ils enlèvent au sucre de 
l'oxygène combiné à défaut d'oxygène libre 

4 Aucun fait positif n’a été produit pour démontrer que la fermentation 
alcoolique ait pour condition essentielle l'absence de l’oxygène libre. Au 
contraire, l'expérience prouve que la fermentation alcoolique s’accomplit 
très bien en présence de l'oxygène libre 

9° Aucun fait positif n'a été produit pour démontrer que le sucre fer- 
mente « toutes les fois qu'il y a vie sans air ». Au contraire, l'observation 
courante prouve que le sucre circule sans altération à travers les cellules 
et tissus végétaux vivants, dans des milieux absolument privés d'oxygène 
libre 

G° Par conséquent, aucun fait positif ne prouve qu'il y ait en général 
coïncidence, et a fortiori corrélation, soit entre la vie sans air et la fermen- 
tation, soit entre la fermentation et la vie sans air. 

C’est done une assertion gratuite que de supposer en général que « le 
premier principe d'action de l'or ganisme microscopique sur la matière fer 
mentescible... » doive « résider ane son affinité pour l'oxygène ». À priori, 
on peut imaginer qu'il y a des cas de ce genre; on peut imaginer encore 
des cas contraires, aussi bien que des cas étrangers à cette double vue 
systématique ; mais rien n'est prouvé à cet égard. 

Le doute relatif à l'existence réelle d'êtres organisés doués de la pro- 
priété de prendre l’ oxygène combiné au sucre, en vertu d’une affinité spé- 
ciale, est d'autant plus autorisé, que nous ne connaissons AUCUN principe 


1. BerrHELOoT. Remarques sur la troisième réponse de M. Pasteur. Comptes rendus de 
l'Académie des sciences, LXXX VIII, 1879, p. 197-201. (Note de l'Édition.) 


606 ŒUVRES DE PASTEUR 


immédiat formé de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote qui puisse 
enlever à froid l'oxygène au sucre. I s’agit donc d’une propriété exception- 
nelle, contraire aux analogies chimiques, et qui réclamerait dès lors les 
démonstrations expérimentales les plus péremptoires pour être admise 
M. Pasteur n'a fourni, je le répète, aucune preuve pour l’établir. 

Une seule assertion nouvelle, produite dans la dernière Note de notre 
savant confrère, mérite de nous arrêter. Il suppose que « l'être anaérobie 
fait la chaleur dont il a besoin en décomposant une matière fermenteseible 
susceptible de dégager de la chaleur par sa décomposition », C’est encore 


là une affirmation sans preuves, et même sans probabilités, comme je vais 
l'établir. 


: or 


La question est grave et délicate; elle réclame quelques développe- 
ments. 

Que les fermentations dégagent de la chaleur, le fait est vulgaire depuis 
bien des siècles. J'ai moi-même, il y a une quinzaine d'années, pendant 
mes études sur les réactions endothermiques et exothermiques, appelé 
l'attention sur cette circonstance et sur sa nécessité théorique dans les fer- 
mentations, comme dans toutes les réactions développées sans le concours 
d’une énergie étrangère. Loin d’être exceptionnelle, c’est au contraire une 
condition fondamentale qui doit se retrouver dans la plupart des phénomènes 
de digestion et de nutrition des êtres vivants, sauf les réactions pour 
lesquelles intervient l’énergie de la lumière ou celle de l'électricité atmo- 
sphérique; elle doit servir de contrôle aux équations par lesquelles on 
représente l'assimilation des aliments au sein des tissus organisés. 

Ainsi le cyele des transformations chimiques qui se produisent au sein 
des êtres vivants répond, en général, à un dégagement de chaleur, non 
seulement dans le cas des oxydations, mais aussi dans le cas des hydratations 
et des dédoublements : l'importance de cette seconde source thermique 
pour l’étude de la chaleur animale avait été longtemps méconnue, ou tout au 
plus vaguement entrevue; je l'ai mise en évidence, depuis 1865, par des 
calculs et des observations précises, relatifs aux amides, aux éthers, aux 
sucres, aux corps gras neutres, etc. 

Or le développement des êtres anaérobies aurait lieu seulement en vertu 
de la seconde classe de réactions; il s’agit de savoir s’il ne se suffit pas à 
lui-même, sans le concours d’une fermentation simultanée. Par exemple, 
dans le cas de la fermentation alcoolique, la chaleur résulte de la métamor- 
phose chimique du sucre. Maintenant, quelque fraction de la chaleur produite 
par la transformation chimique du sucre en alcool et en acide carbonique 
est-elle réellement absorbée pendant le développement simultané de la 
levüre, de façon à devenir la source de l'énergie consommée dans ce déve- 
Pme ? Il y a là une question pré éAlAbles qui fait tout l'intérêt de la 
discussion, et que M. Pasteur semble ne pas soupconner. 

Précisons cette question, en nous conformant à la marche correcte des 
raisonnements thermochimiques rigoureux. Un certain poids de sucre est 
donné et mis en présence d'un certain poids de levüre : voilà l'état initial, 
De certains poids d'alcool, d'acide carbonique, ete., et de levüre sont 
produits : voilà l’état final. Les relations de poids qui existent entre ces 
diverses matières, aussi bien que les quantités de chaleur dégagées, sont 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 607 


indépendantes de toute hypothèse relative à la nature et à la connexion 
des transformations intermédiaires. Or, dans la métamorphose accomplie, 
le poids primitif du sucre peut être partagé en deux portions : la principale 
a fourni ses éléments à l'alcool et à l'acide carbonique, dont les poids 
réunis la représentent sensiblement; cette réaction dégage de la chaleur ; 
d'autre part, une faible portion du sucre a cédé quelques-uns de ses 
éléments à la levüre, en vertu de réactions mal connues. Ces réactions mal 
connues absorbent-elles de la chaleur, empruntée à celle que développe la 
métamorphose simultanée du sucre, laquelle serait ainsi la source de la 
chaleur dont l'être anaérobie a besoin ? ou bien dégagent-elles elles-mêmes 
de la chaleur, qui vient, au contraire, s'ajouter à la précédente, auquel cas 
la nutrition des êtres anaérobies n'aurait rien qui la distingue, sous le 
rapport thermique, de celle des êtres aérobies? C’est ce que l’état présent 
de la Science ne permet pas de décider. 

L'assertion de M. Pasteur est done sans preuves. 

J'ajouterai qu'elle est contraire aux probabilités, c'est-à-dire aux données 
qui ont cours aujourd'hui dans la chimie physiologique. En effet, la levüre, 
en se développant, donne naissance à trois groupes de principes immédiats, 
savoir : la cellulose, les matières grasses et les substances albuminoïdes. 
Evaluons: la chaleur mise en jeu par la transformation du sucre en ces 
divers principes. 

La chaleur de combustion de 1 gramme de sucre de raisin pouvant être 
évaluee, d'après les observations, à un chiffre voisin de 3960 calories, le 
calcul montre que 

1 gramme de sucre de raisin, en se changeant en cellulose, dégagerait 
environ 706 calories, d’après la chaleur de combustion de la cellulose, 
mesurée par M. Scheurer-Kestner. 

1 gramme de sucre de raisin, en se changeant en matière grasse, avec 
production d’eau et d'acide carbonique(!), dégagerait environ 823 calories, 
d'après la chaleur de combustion de l'huile d'olive, mesurée par Dulong Ê 
on aurait un chiffre notablement plus fort, d'après la chaleur de combus- 
tion de la graisse de bœuf, mesurée par M. Frankland. La formation des 
matières grasses ne porte d'ailleurs que sur une dose fort petite de 
matière. 

1 gramme de sucre de raisin, en se changeant en albumine, eau et acide 
carbonique (?), avec le concours d’un sel d’ammoniaque à acide organique, 


1. 1 gramme de sucre de raisin renferme les éléments nécessaires pour former 0,318 
d'oléine, 0,420 d'acide carbonique et 0,262 d’eau; ces nombres étant complètement déterminés 
par la seule connaissance de la composition centésimale des corps, dans l'hypothèse d'une 
transformation qui ne donne naissance à aucun autre produit. 

2. 1 gramme de sucre de raisin exigerait 0,133 d'ammoniaque et donnerait naissance à 
0,706 d’albumine, 0,073 d'acide carbonique et 0,354 d'eau ; ces nombres étant complètement 
déterminés par les mêmes conditions que les précédents. 

Le calcul thermique établi sur ces données indique un dégagement de 964 calories ; ïl 
convient d'en retrancher 93, pour tenir compte de l’état initial de l'ammoniaque, qui n'est pas 
libre, mais unie avec un acide organique. Dans ces calculs, le sucre est supposé solide et 
l'acide carbonique gazeux ; mais l’état de dissolution de ces deux corps accroitrait encore la 
chaleur dégagée, soit de 65 calories dans le cas des corps gras, et de 19 calories dans le cas 
des albuminoïdes. (Notes de Berthelot.) 


608 ŒUVRES DE PASTEUR 


dégagerait environ 871 calories, d’après la chaleur de combustion de l’albu- 
mine, mesurée par M. Br Mad 


On voit que toutes ces quantités de chaleur sont positives et considé- 
rables. Sans nous arrèter plus qu'il ne convient à leurs valeurs absolues, à 
cause de l’état d’imperfection de nos connaissances sur les équations chi- 
miques véritables qui président aux transformations effectuées pendant la 
nutrition, peut-être sera-t-il permis de penser que les chiffres précédents 
indiquent au moins le sens des réactions réelles. Il n’est donc pas probable 
que le développement vital de la levüre aux dépens du sucre exige l’inter- 
vention d’une énergie étrangère, empruntée à la métamorphose simultanée 
d’une autre portion du sucre en alcool et acide carbonique. 

Ainsi nous n'avons affaire qu'a de pures imaginations dans toute cette 
physiologie nouvelle, que M. Pasteur déclare aujourd’hui avoir inaugurée 
(Comptes rendus, t. LXXXVNIE, p. 135, au milieu; 27 janvier 1879), après 
avoir assuré avec plus de vérité, il y a quelques semaines (Comptes rendus, 
t. LXXXVII, p. 1055, au bas; 30 décembre 1878), qu'il ne la connaissait 
nullement. Quoi qu'il en soit, la discussion actuelle me semble épuisée, car 
toutes les données scientifiques du problème ont été abordées. Puisse-t-elle 


avoir eu pour résultat utile de poser nettement les questions, ce qui 
constitue le commencement de leur solution ! . 


QUATRIÈME RÉPONSE A M. BERTHELOT (1) 
(10 février 1879) 


L'Académie n'a pas oublié l’origine de cette discussion. Soudaine- 
ment surpris, au mois de juillet dernier, par une publication posthume 
de Claude Bernard, j'ai montré, dans des expériences nouvelles dont 
les résultats n'ont pas été contestés, que cette publication avait été non 
seulement inopportune, mais en quelque chose nuisible à la mémoire 
de notre illustre confrère. Contredit par des faits d'expérience, et les 
faits seuls comptent dans la discussion scientifique, M. Berthelot a 
tenté de reprendre celle-ci, en la faisant porter cette fois sur des 
inductions propres à mes travaux. Enfin, M. Berthelot s’est présenté, 
dans ce nouveau débat, armé seulement d’hypothèses gratuites. 
Comment oser cependant tenter de renverser des inductions autrement 
que par des faits démontrés ? 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 10 février 1879, LXXX VIII, 
p. 295-261. (Note de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 609 


Au début de sa critique, il dit « que je l’ai sommé de produire son 
opinion sur les questions » en litige. M. Berthelot se méprend sur mes 
paroles. Je ne lui ai jamais demandé des opinions, mais des faits 
sérieux. Suivent six affirmations magistrales que je vais parcourir. 
Mais je présenterai d'abord quelques observations préalables. 

Le 25 février 1861, j'annonçais à l'Académie la découverte d'êtres 
anaérobies, c’est-à-dire pouvant vivre sans air et possédant le caractère 
ferment (!). 

Le 17 juin suivant, dans une nouvelle communication, je démontrais 
que la levûre de bière a deux manières de-vivre, qu’elle est tout à la 
fois aérobie et anaérobie, suivant les conditions de milieu dans les- 
quelles on la cultive (2). 

Ultérieurement, j'ai fait connaître l'existence d’autres êtres micro- 
scopiques ayant la propriété de se nourrir et de s’engendrer en dehors 
de toute participation du gaz oxygène libre, ces êtres se montrant 
toujours, dans ces conditions, des ferments plus ou moins énergiques. 

Avant les découvertes que je rappelle, Berzelius, Mitscherlich, 
Liebig, Gerhardt, M. Fremy, M. Berthelot et beaucoup d’autres obser- 
vateurs plaçaient la cause probable des décompositions par fermen- 
tation dans des actions de présence, catalytiques, pour employer le 
mot de Berzelius, ou dans un mouvement communiqué par des 
matières mortes en voie d’altération. En un mot, le mystère était si 
grand, qu’on avait recours, pour l'expliquer, à de véritables forces 
occultes. Lorsque je fus en possession des faits inattendus que je 
rappelais tout à l'heure, savoir que les ferments des fermentations 
proprement dites sont, non des matières mortes, mais des êtres 
vivants, qu'en outre ces êtres avaient un mode de vie inconnu jus- 
qu’alors, puisqu'ils pouvaient vivre sans air, je rejetai ces forces 
occultes, et des faits dont je parle je tirai les déductions suivantes : 


« Voilà, disais-je le 17 juin 1861 (t. LIT de nos Comptes rendus), voilà 
les faits dans toute leur simplicité. Maintenant quelle est leur conséquence 
prochaine? Faut-il admettre que la levüre, si avide d'oxygène qu’elle l’en- 
lève à l'air atmosphérique avec une grande activité, n'en a plus besoin 
et s’en passe lorsqu'on lui refuse ce gaz à l’état libre, tandis qu'on le lui 
présente à profusion sous forme de combinaison dans la matière fermen- 
tescible ? Là, est tout le mystère de la fermentation. Car si l’on répond à 
la question que je viens de poser en disant : Puisque la levüre de bière 
assimile le gaz oxygène avec énergie lorsqu'il est libre, cela prouve qu’elle 


1. Voir p. 136-138 du présent volume : Animalcules infusoires vivant sans gaz oxygène 
libre et déterminant des fermentations. 

2. Voir p. 142-147 du présent volume : Expériences et vues nouvelles sur la nature des 
fermentations. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. - 39 


610 ŒUVRES DE PASTEUR 


en à besoin pour vivre, et elle doit conséquemment en prendre à la matière 
fermentescible si on lui refuse ce gaz à l’état de liberté; aussitôt la plante 
nous apparaît comme un agent de décomposition du sucre 

« En résumé, à côté de tous les êtres connus jusqu'à ce jour, et qui, 
sans exception (au moins on le croit), ne peuvent respirer et se nourrir 
qu'en assimilant du gaz oxygène libre, il y aurait une classe d'êtres dont 
la respiration serait assez ve pour qu'ils puissent vivre hors de l’in- 
fluence de l'air en s'’emparant de l'oxygène de certaines combinaisons, 
d’où résulterait pour celles-ci une décomposition lente et progressive. Cette 
deuxième classe d'êtres organisés serait constituée par les ferments, de 
tout point semblables aux êtres de la première classe, vivant comme eux, 
assimilant à leur manière le carbone, l’azote et les phosphates, et comme 
eux ayant besoin d'oxygène, mais différant d'eux en ce qu’ils pourraient, à 
défaut de gaz oxygène libre, respirer avec du gaz oxygène enlevé à des com- 
binaisons peu stables. Tels sont les faits et la théorie qui parait en être. 
l'expression naturelle, que j'ai l'honneur de soumettre au jugement de 
l’Académie, avec l’espoir d'y joindre bientôt de nouvelles preuves expéri- 
mentales. » 


Telles ont été mes inductions, présentées, j'en fais juge lAca- 
démie, avec la réserve, avec la circonspection que peut réclamer une 
logique sévère. Aurais-je, depuis dix-huit ans que le passage que je 
viens de citer est écrit, forcé la note dans l'expression de ces induc- 
tions? Bien au contraire : trouvant que ces mots, respiralion avec 
l'oxygène de combinaison, étaient trop particuliers, je me suis borné à 
dire que la levûre prenait son oxygène à des combinaisons oxygénées, 
ce qui est le fait lui-même, et que son affinité pour ce gaz devait 
constituer le principe premier de son action décomposante. Voilà 
pourtant les inductions auxquelles se refuse obstinément M. Berthelot. 

Première affirmation de M. Berthelot : 


« Aucun fait positif, dit-il, n’a été produit pour démontrer que le sucre 
cède à la levüre de l'oxygène, de préférence aux autres éléments. » 


Ce qui signifie que, M. Pasteur ayant fait une induction, je lui 
demande gratuitement une preuve, afin de paraître plus profond. Ce 
premier alinéa des affirmations de M. Berthelot, je le lui renvoie en 
ces termes : 

Aucun fait positif n'a été produit pour démontrer que le sucre NE 
cède pas à la levüre de l'oxygène, de préférence aux autres éléments. 

Deuxième affirmation : 


Aucun fait positif n’a été produit pour démontrer que la levüre se 
développe en prenant au sucre de l'oxygène, de préférence aux autres élé- 
ments. » 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 641 


Ce sont, pour ainsi dire, rigoureusement les mêmes expressions 
que celles de la première affirmation. Qu'importe, cela fait nombre. Il 
y a, toutefois, une addition à cette seconde affirmation : c’est que « la 
levüre paraît prendre de l’hydrogène au sucre, de préférence à l’oxy- 
gene »; or, C’est là une assertion tout à fait gratuite. 

Troisième affirmation : 

« Aucun fait positif ne démontre que la métamorphose du sucre soit 
corrélative d’un mode exceptionnel de nutrition des êtres microscopiques, 
ce mode étant tel qu’ils enlèvent au sucre de l'oxygène combiné à défaut 
d'oxygène libre. » é 


Si dans la pensée de M. Berthelot celte affirmation, qui a peut-être 
deux sens, n’est pas identique aux deux premières, c’est-à-dire intro- 
duite encore pour faire nombre, je déclare qu'elle est erronée, parce 
que tout lPoxygène provient réellement de l'oxygène combiné si les 
conditions sont convenables. 

Les quatrième, cinquième et sixième assertions de M. Berthelot 
sont contraires aux observations les plus simples et les mieux éta- 
blies; je le démontrerai s’il m'y oblige, quoique cela résulte déjà très 
clairement de mes réponses précédentes, ou bien je démontrerai qu'il 
confond, pour le besoin de sa cause, les mots coïncidence de fait et 
coincidence obligée, corrélation de fait et corrélation nécessaire. 

En nr'arrétant aujourd’hui à ces preuves, je craindrais d’allonger 
trop cette communication, d'autant plus que j'ai grande hâte d'arriver 
au corps principal de la nouvelle réplique de mon savant confrère, à 
sa dissertation thermochimique, qui n'occupe pas moins de deux pages 
et demie des Comptes rendus. M. Berthelot se trouve ici sur un terrain 
qu'il déblaye depuis nombre d'années par des travaux persévérants et 
fort distingués. C’est encore d’une induction qu’il s’agit. M. Pasteur, 
dit-il, suppose que : 

« L’ètre anaérobie fait la chaleur dont il a besoin en décomposant une 


matière fermentescible susceptible de dégager de la chaleur par sa décom- 
position. » 


Cette induction est, suivant moi, non seulement légitime, mais la 
traduction même des faits. M. Berthelot, néanmoins, la repousse, et, 
fidèle à cette méthode que je lui reprochais dans la dernière séance, 
qui le porte à mettre à la place d’inductions naturelles les hypothèses 
les plus éloignées des faits, M. Berthelot cherche à établir que le 
développement des êtres anaérobies se suffit à lui-même sans le con- 
cours d’une fermentation simultanée, sans le concours des hydratations 
et des dédoublements, et il conclut en ces termes : 


612 ŒUVRES DE PASTEUR 


« Il n'est done pas probable que le développement vital de la levüre aux 
dépens du sucre exige l'intervention d’une énergie étrangère, empruntée à 
la métamorphose simultanée d’une autre portion du sucre en alcool et acide 


carbonique. » 


Afin d'établir cette conclusion, M. Berthelot fait « l'évaluation de 
la chaleur mise en jeu dans la transformation du sucre dans les divers 
principes de la levüre : la cellulose, les matières grasses et les 
substances albuminoïdes ». À cet effet, et à l’aide de déterminations 
numériques qu'il emprunte soit à M. Frankland, soit à M. Scheurer- 
Kestner, soit à Dulong et à lui-même, il cite les chaleurs de trans- 
formation : 

De 1 gramme de sucre de raisin en cellulose; 

De 1 gramme de sucre de raisin en matière grasse; 

De 1 gramme de sucre de raisin en albumine, avec le concours 
d’un sel d’ammoniaque à acide organique. 

Il trouve que la quantité d'énergie chimique nécessaire pour former 
1 gramme de levüre est déjà contenue dans 1 gramme de sucre addi- 
tionné d’une petite quantité d’un sel organique ammoniacal. J’aurais 
donc, moi, le plus grand tort de n’adresser à la chaleur de décompo- 
sition du sucre pour donner à l’être anaérobie la chaleur dont il a 
besoin. 

Oui, répondrai-je à mon savant confrère, en acceptant l’exactitude 
de vos nombres, on peut admettre que 1 gramme de sucre, additionné 
d’une petite quantité d’un sel ammoniacal, contient déjà lénergie 
nécessaire pour former Î gramme de levüre. Oui, vous êtes autorisé à 
dire que 1 gramme de sucre environ se suffit à lui-même pour la forma- 
tion de 1 gramme de levüre. Mais vous oubliez la vie. Lorsque l’on 
considère un être vivant quelconque, une minime partie de l’énergie 
empruntée aux aliments est employée à la formation du cadavre; le 
reste de cette énergie, reste que vous oubliez, a été dépensé pendant 
la vie. Il n’y a aucune relation entre le poids considérable des aliments 
exigés pour la vie d’un animal pendant son existence et le poids de 
son corps. Vous considérez seulement l'épargne d'énergie chimique 
accumulée dans l'organisme; vous considérez, si l’on peut ainsi dire, 
l'énergie utilisée pour construire le corps et vous laissez de côté 
l'énergie dépensée pendant la vie, qui n’a fait que traverser le corps, 
qui se retrouve tout entière et sous forme de chaleur dégagée et sous 
forme d'énergie chimique contenue dans les produits excrétés. Vous 
dites, par exemple : avec tant de minerai et tant de houille, je puis 
construire une locomotive, mais vous oubliez que, si vous voulez faire 
fonctionner la locomotive, la faire marcher, ou seulement la tenir sous 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 613 


pression, il faudra lui fournir encore bien d'autres quantités de houille. 
De même, et en conséquence, pour entretenir la vie de la levûre, il 
faudra bien d’autres quantités d’aliments que celle que vous consi- 
dérez. Celle que vous considérez ne correspond qu'à la formation de la 
levûüre. 

Il y a un autre passage de la Note de M. Berthelot dans lequel mon 
savant confrère oublie encore la vie : c’est celui où, parlant de la 
levûre qui ne peut prendre de l'oxygène au sucre, il dit que « nous 
ne connaissons aucun principe immédiat qui puisse enlever « froid 
l'oxygène du sucre ». Est-il donc permis de comparer une cellule et 
l’action possible de son protoplasma vivant à un principe immédiat, à 
un produit chimique ? 

Après avoir établi les raisonnements, suivant moi très défectueux, 


dont je viens de parler, M. Berthelot continue dans ces termes : 


« Ainsi, nous n'avons affaire qu’à de pures imaginations dans toute cette 
physiologie nouvelle, que M. Pasteur déclare aujourd’hui avoir inaugurée 
(Comptes rendus, t. LXXXVIIT, p. 135, au milieu; 27 janvier 1879), après 
avoir assuré avec plus de vérité, il y a quelques semaines {Comptes rendus, 
t. LXXXVII, p. 1055, au bas; 30 décembre 1878), qu'il ne la connaissait 
nullement. » 


Je cherche, mais en ayant peur de la deviner, la signification de 
ce soin puéril, puéril parce que le lecteur est parfaitement informé, je 
cherche, dis-je, la signification de ce soin avec lequel M. Berthelot 
dénonce à l’Académie que j'ai déclaré à telle page, à tel tome, à telle 
ligne, et tel jour avoir inauguré une physiologie nouvelle, lorsque 
page, tome, ligne et jour font partie de la discussion actuelle. En 
signalant des faits qui ont « inauguré une physiologie nouvelle », 
aurais-je donc fait à l’amour-propre de notre confrère une blessure 
vive? Pourquoi chez lui ce vain désir de me trouver en contradiction 
avec moi-même, parce que le 30 décembre dernier, ayant écrit que je 
ne connaissais pas la physiologie des êtres anaérobies, j'ai déclaré le 
27 janvier suivant que l'existence de ces êtres inaugurait une physio- 
logie nouvelle ? À qui M. Berthelot espère-t-il donner le change sur 
le sens de mes paroles dans les deux séances qu’il rappelle? Qui mieux 
que lui doit savoir que le 30 décembre, lorsque j'ai parlé de la phy- 
siologie des êtres anaérobies comme l’ignorant entièrement, il s’agis- 
sait de cette physiologie dans ce qu’elle a de plus intime, c’est-à-dire, 
et je le mentionnais même tout aussitôt, de la connaissance de l’équa- 
tion de la nutrition, inconnue même chez les êtres aérobies de grande 
taille? Qui mieux que lui doit savoir que le 27 janvier, au contraire, 


61% ŒUVRES DE PASTEUR 


quand j'ai parlé de physiologie nouvelle, je venais d'énumérer les faits, 
les grands faits qui en sont la base essentielle ? 

Et maintenant, pour passer à un autre point du débat, je me hâte 
de reconnaître avec empressement qu'il y a un passage de la Note de 
mon savant confrère sur lequel je suis tout à fait de son avis : c’est 
que la discussion actuelle est épuisée. Bien plus, j'ose dire qu’elle a 
eu ce caractère avant même de naître. Je n'ai pas encore compris 
qu'après la réfutation que j'avais faite de l’écrit posthume de Bernard, 
écrit qui m'avait si hardiment provoqué, notre confrère, quelque peu 
meurtri par cette réfutation, püt aborder une lutte nouvelle sans autre 
arme que l'hypothèse, arme proscrite dans le sein de l'Académie des 
sciences depuis qu'elle existe. Comment mon savant ami n’a-t-il pas 
senti que les inductions qui remplissent les travaux de chacun de nous 
ne peuvent servir d'objet de discussion, à moins qu'on n'apporte des 
faits nouveaux qui les renversent? Comment M. Berthelot n’a-t-il pas 
senti que le temps est le seul juge en cette matière et le juge sou- 
verain? Comment n'a-t-il pas reconnu que du verdict du temps je n'ai 
pas à me plaindre ? Ne voit-il pas grandir chaque jour la fécondité des 
inductions de mes études antérieures, et, dans le sujet même qui 
nous occupe, n'a-t-il pas entendu dans la dernière séance une lecture 
remarquable de notre jeune confrère M. Van Tieghem, qui apporte à 
mes vues sur les fermentations en général et sur les êtres anaérobies 
des confirmations précieuses, en même temps qu'une condamnation 
nouvelle de la doctrine des générations dites spontanées (!)? Enfin, 
comment ne s'est-il pas souvenu qu'à maintes reprises déjà l'Académie 
a vu les plus illustres de ses membres juger favorablement les 
déductions de mes travaux? Sans affecter une vaine modestie, je tiens 
à rappeler une de ces circonstances. Le Rapport (?) auquel je fais 
allusion mériterait d’être reproduit intégralement; je viens de le relire 
avec la plus profonde émotion. Toutefois, je me bornerai à en citer 
les dernières lignes : 


D 


« C’est en examinant d'abord les recherches de M. Pasteur dans l’ordre 
chronologique, et en en considérant ensuite l’ensemble, qu'on peut apprécier 
LA RIGUEUR DES JUGEMENTS DU SAVANT DANS LES CONCLUSIONS QU'IL EN DÉDUIT, €t 
la perspicacité d’un esprit pénétrant qui, fort des vérités qu'il a trouvées, 
se porte en avant pour en établir de nouvelles, » 


1. Vas Trecneu (Ph.). Sur la fermentation de la cellulose. Comptes rendus de l'Académie 
des sciences, LXXXVIII, 1879, p. 205-210. 

2. Voir p. 631-634 du présent volume, Document IV : Rapport sur le prix Jecker, 
année 1861. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 615 


Quelle est la date du Rapport dont il s’agit? 25 décembre 1861, 
c'est-à-dire de l’année même où j'avais reconnu l'existence d'êtres 
anaérobies dont ce Rapport fait mention, ainsi que de beaucoup 
d’autres découvertes qui me sont personnelles et que le temps a 
respectées. Et quel est celui de nos confrères qui s’exprimait ainsi en 
1861? Est-ce un homme qui ne mesure point ses paroles ? Est-ce un 
homme inhabile dans la propriété des termes ? Est-ce enfin un homme 
habitué à l’indulgence dans l'éloge ? Sur ces trois points, l'Académie 
tout entière répondra non, lorsque j'ajouterai que ce confrère est 
l'illustre doyen de l’Institut et de cette Académie, M. Chevreul. 


I. — LETTRE MANUSCRITE 
ADRESSÉE PAR PASTEUR A CHACUN DES MEMBRES 
DE LA COMMISSION 
DU PRIX DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE (1 


Monsieur, 


J'ai eu l'honneur de présenter à l’Académie dans sa séance du 29 mars 
1858 quelques résultats d’un travail sur la fermentation de l'acide tartrique 
et de ses isomères (2). Ce travail a été renvoyé, sur ma demande, à l'examen 
de la commission chargée de décerner le prix de physiologie expérimentale. 
Je crois devoir, Monsieur, éclairer la commission sur le but que j'avais plus 
particulièrement en vue quand j'ai soumis ces études à son appréciation, et 
mieux indiquer que je n'ai pu Île faire alors, ce qui, dans mes recherches, 
me parait être un progrès pour la physiologie. 

Vous vous rappelez, Monsieur, la constitution singulière de l'acide para- 
tartrique ou racémique. Jai établi en 1849 (%) que cet acide est formé par la 
combinaison d’une molécule d'acide tartrique droit (qui est l'acide tartrique 
ordinaire) et d’une molécule d’acide tartrique gauche, qui ne diffère du droit 
que par l'impossibilité de superposer leurs formes d’ailleurs identiques, et 
par le pouvoir rotatoire, s'exercant à droite dans le premier, à gauche dans 
le second, exactement de la mème quantité en valeur absolue. L'un de ces 
acides est l’image de l’autre vu dans une glace. 

Vous savez de plus, Monsieur, qu'en mettant à part un certain ordre de 
réactions sur lesquelles je vais revenir, il existe entre les propriétés 
chimiques de ces deux acides une identité si parfaite qu’il serait matériel- 
lement impossible de leur trouver des différences autres que celles offertes 
par leurs actions optiques égales et de sens opposés, et leurs formes cristal- 


1. Les membres de la Commission étaient : Flourens, Milne Edwards, Rayer, Serres e 
Claude Bernard. 

Cette lettre est restée inédite. 

Pasteur obtint le prix pour l'année 1859. (Voër Document IT.) 

2, Pasreur. Mémoire sur la fermentation de l'acide tartrique. Comptes rendus de l'Aca- 
démie des sciences, séance du 29 mars 1858, XLVI, p. 615-618, et p. 25-28 du présent volume. 

3. Pasreur. Recherches sur les propriétés spécifiques des deux acides qui composent l'acide 
racémique. Ibid., séance du 17 septembre 1849, XXIX, p. 297-300, et p. 83-85 du tome Ie 
{Notes de l'Édition.) 


620 ŒUVRES DE PASTEUR 


lines égales aussi mais inverses, semblables dans tous leurs détails de 
ConÉguration géométrique, mais non superposables. 

Premier exemple de deux corps qui échappent à tous les agents des 
laboratoires et qui cependant présentent autre chose que des diférences 
physiques puisqu'ils se combinent entre eux, directement, avec chaleur, en 
proportion définie, en constituant un composé où leurs propriétés premières 
ont disparu pour faire place à des propriétés nouvelles. 

En bornant à ces seuls développements la découverte de la constitution 
moléculaire de l'acide racémique, on peut en déduire quelques conséquences 
que je vais indiquer tout d’abord, parce qu'elles serviront de base à mes 
appréciations ultérieures. 

Par ces résultats la Physique touche du doigt, si j'ose ainsi parler, la 
cause de la polarisation rotatoire, en quelque facon devinée par le génie 
pénétrant de Fresnel dans ce beau passage de son Mémoire sur la double 
réfraction (1): «Des corps parfaitement cristallisés tels que le cristal de roche, 
présentent des phénomènes optiques qu'on ne peut concilier avec le paral- 
lélisme complet des lignes moléculaires, et qui sembleraient indiquer une 
déviation progressive et régulière de ces lignes dans le passage d’une 
tranche du milieu à la trance He suivante. » 

Les faits que je viens d’énumérer sur les deux acides tartriques droit et 
gauche mettent hors de doute que dans les molécules chimiques elles-mêmes 
de ces deux acides il y a un genre de dissymétrie dont l'énoncé se trouve 
compris dans l'expression mathématique par laquelle Fresnel essayait de 
se rendre compte de la structure cristalline du quartz. 

L'hémiédrie qui n'avait été dans les études minéralogiques qu'une 
curiosité géométr ique (2) se trouve mise en rapport évident et nécessaire avec 
la structure moléculaire interne, et se présente comme une des manifestations 
visibles d’une dissymétrie d'arrangement propre aux dernières particules 
des corps. 

Quant aux études chimiques elles se trouvent liées de deux manières 
qu'il importe de distinguer avec la découverte de la constitution de l'acide 
racémique. Jamais les conditions mécaniques de la structure intime des 
molécules de deux corps différents ne s'étaient montrées plus saisissables 
dans leur nature et leur influence sur les propriétés physiques ou chimiques 
de la matière. Jamais un cas d’isomérie entre deux substances n'avait recu 
une explication plus intelligible. 

Mais d'autre part, à voir l'identité absolue des propriétés chimiques de 
deux acides ayant une action diamétralement opposée sur la lumière 
polarisée, on devait penser que l’affinité, cette force à laquelle nous 
rapportons les phénomènes chimiques, n ‘avait rien à démêler avec la pola- 
risation rotatoire et la cause secrète de ce phénomène, dont la valeur se 
bornerait, comme on l'avait cru jusqu'alors, à l'utilité d'un caractère 
physique. On pouvait se dire : Les produits organiques naturels, les plus 
essentiels à la vie, la cellulose, l'albumine, la fibrine, la gélatine, le sucre, 


1. FResxet. Extrait d'un mémoire sur la double réfraction. (Lu à l'Académie des sciences 
le 26 novembre 1821.) Annales de chimie et de physique, XXVIII, en p. 265-279. 

2, Pasteur a écrit en marge du brouillon de cette lettre : « Rectifier ce que ce passage a de 
trop absolu. » (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 621 


la gomme, la fécule...., ont beau être dissymétriquement constitués, on ne 
prévoit en rien que cette propriété puisse être mêlée dans les phénomènes 
de la vie auxquels ces produits prennent part, puisqu'en changeant même 
de sens cette dissymétrie n'apporte aucune modification dans l eneen blé des 
caractères chimiques. 

Ces idées recurent une apparente confirmation dans mon travail sur les 
acides aspartique et malique inactifs, où je reconnus que l’on pouvait 
enlever à un corps son action sur la lumière polarisée et sa dissymétrie 
moléculaire sans qu'il en résultät des modifications bien sensibles dans ses 
propriétés physiques ou chimiques. 

Néanmoins il était facile de comprendre que jusque-là je n'avais mis en 
comparaison les deux acides tartriques que dans des cas limites en quelque 
sorte. C'est alors que poursuivant par des études nouvelles la comparaison 
des propriétés chimiques de ces deux corps je vis la dissymétrie molécu- 
laire propre aux matières organiques naturelles agir comme modificateur 
énergique des affinités chimiques. Voici dans quelles circonstances : 
L'identité chimique des deux acides tartriques n’est réellement absolue 
qu'à une condition qui m'avait échappé pendant plusieurs années, toute 
naturelle qu'elle se montre aujourd’hui : II faut que les deux acides inverses 
soient soumis à des actions non dissymétriques, par exemple à celles de 
produits inactifs sur la lumière polarisée. Vient-on à les placer en présence 
de corps ayant une dissymétrie moléculaire analogue à celle qu'ils mani- 
festent eux-mêmes, toute identité cesse d’avoir lieu. Les combinaisons 
correspondantes n'ont plus ni la même solubilité, ni la même composition, 
ni la mème forme cristalline; elles ne se comportent plus de la même 
manière sous l'influence d’une température élevée. Il arrive même quel- 
quefois que la combinaison est possible avec le corps droit, impossible avec 
le corps gauche. 

C’est en partant de ces résultats, dont la cause mécanique est facile à 
saisir, que j'ai cherché à dédoubler l'acide racémique et à isoler ses deux 
composants droit et gauche par une méthode purement chimique, et non 
plus manuelle et mécanique, comme je l'avais fait au début de mes 
recherches. Que l’on forme le racémate de cinchonicine (nouvel aleali 
isomère de la cinchonine et d’une facile préparation), que l'on fasse cristal- 
liser ce sel, et l’on verra que les premières cristallisations seront formées 
de tartrate gauche de cinchonicine et les dernières de tartrate droit de cette 
même base. 

Voilà done la propriété rotatoire ou mieux la dissymétrie moléculaire 
qui la provoque entrant de plein pied dans les réactions chimiques comme 
un modificateur des affinités, et l’on peut pressentir, dès ce moment, que la 
dissymétrie moléculaire des substances organiques naturelles aura sa part 
d'influence dans les phénomènes physiques et chimiques de la vie, toutes 
les fois que des actions dissymétriques connues ou inconnues seront mises 
en jeu. 

Je sens néanmoins qu'il faut une telle prudence dans l’application des 
résultats des laboratoires aux faits de l’ordre vital que je me serais gardé 
de divulguer la pensée que par ces observations seules j'avais utilement 
servi les études physiologiques. 


622 ŒUVRES DE PASTEUR 


Mes recherches ne laisseront pas cependant que d’être dominées par 
l'idée que la constitution des corps, en tant qu'on l’envisage au point de vue 
de sa dissymétrie ou de sa non-dissymétrie moléculaire, toutes choses 
égales d’ailleurs, doit avoir une part importante dans la nature des lois les 
plus intimes de l’organisation des êtres vivants. 

Or, chemin faisant, et par l'étude des fermentations je rencontrai un 
fait où je crois reconnaitre la preuve certaine que la dissymétrie moléeu- 
laire, jusqu’ à ce jour l'apanage exclusif des produits élaborés sous l'influence 
de la vie, apparait comme modificateur de phénomènes physiques et 
e himiques propres à l’organisme. 

Voici le résultat nouveau auquel je fais allusion. 

Le racémate d'ammoniaque étant mis en fermentation suivant les indi- 
cations que j'ai données pour le tartrate droit, on observe dans les deux cas 
les mêmes phénomènes généraux. Il se dépose la même levüre. Mais si l’on 
suit la marche de la fermentation du racémate à l’aide de l’appareil de 
polarisation on voit que les choses se passent tout autrement qu'avec le 
tartrate droit. Après quelques jours de fermentation le liquide primiti- 
vement inactif possède un pouvoir rotatoire à gauche sensible qui augmente 
progressivement et atteint peu à peu un maximum. La fermentation est 
alors suspendue. Ïl n’y a plus trace d'acide droit dans la liqueur qui 
évaporée et mêlée à son volume d'alcool donne immédiatement une abon- 
dante cristallisation de tartrate gauche d'ammoniaque. 

Remarquons d'abord dans ce phénomène deux choses distinctes : comme 
dans toute fermentation proprement dite, il y a une substance qui se trans- 
lorme chimiquement, et corrélativement il y a développement d’un corps 
possédant les allures d’un végétal my codermique. D'autre part, et c’est là 
ce qu'il importe de noter en ce moment, la levûre qui fait fermenter le sel 
droit respecte le sel gauche, malgré l'identité absolue des propriétés 
physiques et chimiques des deux tartrates droit et gauche d'’ammoniaque, 
toutes les fois qu'on ne les soumet pas à des actions dissymétriques. 

Nous voyons clairement dans le fait qui précède la dissymétrie moléeu- 
laire propre aux matières organiques intervenir dans un phénomène de 
fermentation, que je regarde comme étant de l’ordre physiologique, et elle 
y intervient à titre de odifetes des affinités chimiques. Il n’est pas 
douteux le moins du monde que ce soit le genre de dissymétrie propre à 
l'arrangement moléculaire de l'acide tartrique gauche qui soit la cause 
unique, exclusive, de la différence qu'il présente avec l'acide droit sous le 
rapport de sa fermentation. C'est pourquoi j'ai pensé que j'avais introduit 
dans les considérations et les études physiologiques l’idée de l'influence de 
la'dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels. 

Ai-je fait une découverte d'une application immédiate et sensible à tel 
ou tel acte physiologique ? La réponse à cette question dépend beaucoup de 
la manière dont on envisage les phénomènes de la fermentation. Mais dans 
tous les cas j'ai jugé que c'était servir la physiologie que de lui indiquer 
l'existence assurée et la place d’un horizon nouveau où elle doit porter ses 
regards. 

J'aurais tort d’insister davantage. Mieux que moi-même, vous saurez 
apprécier, Monsieur, jusqu'à quel point la physiologie expérimentale doit 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 623 


méditer les faits et les idées que j'ai pris la liberté de vous exposer. Malgré 
l'honneur toujours fort enviable de remporter un des prix que décerne 
l'Académie des sciences, J'ai été suidé surtout par le désir de faire passer, 
chez quelques hommes spéciaux et mieux préparés que je ne puis l’être 
aux découvertes de la physiologie expérimentale, un peu de la foi qui dirige 
mes efforts. Si j'atteins ce but et que ma foi s’éclaire aux sources de la 
Vérité je serai assez récompensé. 

Veuillez agréer, Monsieur, les sentiments respectueux avec lesquels j'ai 
l'honneur d’être votre très humble et très dévoué serviteur. 


Signé : L. Pasreur. 
12 août 1858 ‘ 


II. — RAPPORT SUR LE CONCOURS 
POUR LE PRIX DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE, 
FONDATION MONTYON, ANNÉE 1859 (1) 


(Commissaires : MM. FLourexs, Mizxe Epwanps, RAYER, SERRES, 
Craune BERNARD rapporteur.) 


Quand on étudie la physiologie, il est impossible de ne pas être frappé 
de l'immense variété des phénomènes de la vie. Chaque être vivant est 
animé originairement d’une faculté spéciale qui développe et maintient ses 
organes, 1e multiplie, les varie et en modifie les propriétés à mesure que le 
sy stème organique se complique ou s'élève en se perfectionnant dans ses 
fonctions. Mais, pendant toute la durée de sa vie individuelle, l'être organisé 
se trouve en même temps soumis aux lois générales du milieu qui l’entoure ; 
de telle sorte que, dans toutes ses manifestations vitales, il se passe néces- 
sairement des phénomènes d'ordre mécanique ou d'ordre physico-chimique. 
Dans un animal supérieur on voit, par exemple, les fibres nerveuses et 
musculaires constituer les éléments actifs de toutes les formes de mouve- 
ments et de sensations. On voit le sang et les divers liquides animaux être 
le théâtre de métamorphoses et de rénovations organiques incessantes, Mais 
ces premières données seraient tout à fait insuffisantes si le physiologiste 
ne cherchait pas ensuite à comprendre, à l’aide de la mécanique, les phéno- 
mènes de la locomotion, à l’aide de la physique les divers modes d’action 
des organes des sens, et à l’aide de la chimie les procédés des mutations de 
matières, qui sont si étroitement liés avec les principaux actes de la vie. 

D’après cela, on peut concevoir la multiplicité des sources des connais- 
sances que le physiologiste doit acquérir s’il veut arriver à la connaissance 
de toutes les conditions d’un phénomène physiologique : 1° l’anatomie, qui 
apprend la forme et la texture des appareils organiques; 2° la vivisection, 
qui étudie sur le vivant le jeu des organes et cherche à en déterminer les 
usages ; 9° enfin, l'analyse expérimentale, qui isole chaque partie du phéno- 
mène pour la ramener à l’explication qui lui convient suivant sa nature 
mécanique, physique ou chimique. 

C'est pour avoir envisagé le problème physiologique dans toute son 
étendue, que la Commission du prix de physiologie expérimentale peut 
attirer à elle des recherches d’une grande variété. Elle comprend, dans son 
programme de récompenses, non seulement les travaux d'anatomie physio- 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 30 janvier 1860, L, p. 220-224. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 625 


logique ou de vivisection, mais encore les études qui ont pour objet les 
explications physico-chimiques des phénomènes de la vie, soit dans les 
animaux, soit dans les végétaux. 

Aujourd'hui la Commission saisit avec empressement l’occasion qui lui 
est offerte de couronner un travail de ce dernier genre; ce travail est relatif 
à certaines actions chimiques des êtres organisés, que l’on désigne sous le 
nom générique de /érmentations. 

Sans entrer dans la définition générale du mot férmentation, ce qui 
offrirait ici de sérieuses difficultés, nous rappellerons seulement qu'on à 
reconnu depuis longtemps que, dans l’organisation animale ou végétale, 1l 
peut se manifester des substances chimiques nouvelles qui sont produites 
par l’action sur d’autres matières de certains agents spéciaux, auxquels on 
donne le nom de /erments. Or, quelle que soit l'opinion que l’on ait sur la 
question de savoir si le ferment est une substance organisée où seulement 
organique, il n'en reste pas moins ce fait que le ferment provient toujours 
d’un être qui vit ou qui a vécu. A ce titre, la fermentation est un phénomène 
qui rentre dans de véritables conditions physiologiques; et, bien que 
l'étude des ferments ait fourni souvent à la science chimique des indications 
précieuses sur le dédoublement et la décomposition des corps, le physio- 
logiste ne peut s'empêcher de reconnaitre dans ces recherches l'étude de 
véritables agents chimiques qui jouent un rôle physiologique. En effet, les 
ferments n'ayant par eux-mêmes aucune énergie chimique prononcée, 
peuvent déterminer chez les êtres vivants, précisément dans les conditions 
compatibles avec la vie, des décompositions souvent fort énergiques, sans 
que les tissus organisés aient rien à souffrir de pareilles réactions. 

Les expériences relatives aux fermentations, qui ont fixé l'attention de la 
Commission du prix de physiologie expérimentale, sont celles de M. Pasteur 
sur la fermentation alcoolique, la fermentation lactique et la fermentation 
de l’acide tartrique et de ses isomères. L'Académie a déja connu les 
recherches de M. Pasteur sur ces fermentations, et elle a eu souvent l’occa- 
sion d'apprécier, d'une manière toute particulière, l'habileté et la rigueur 
expérimentale de ce savant distingué. Ces circonstances exceptionnelles, 
qui ont considérablement facilité le jugement de la Commission, lui permet- 
tront aussi d’être très brève dans son Rapport; elle doit se borner d’ailleurs 
à signaler, parmi les résultats importants obtenus par M. Pasteur, seule- 
ment ceux qui, se rapportant plus spécialement aux ferments, intéressent 
plus directement la physiologie, laissant ainsi aux chimistes le soin 
d'apprécier l'importance chimique des corps nouveaux qu'a découverts 
M. Pasteur et qui prennent naissance dans ces diverses lermentations. 

La fermentation qu'on appelle alcoolique est la fermentation du sucre 
sous l'influence du ferment qui porte le nom de levüre de bière. 

Nous n'avons pas à examiner comment, pendant la fermentation, les 
éléments du sucre se désassemblent et se groupent pour donner naissance à 
de nouveaux corps. Mais si nous recherchons ce que devient en même temps 
le ferment qui provoque ces phénomènes, nous verrons qu'il subit des modi- 
fications remarquables. À l'exemple de M. Cagniard de Latour, M. Pasteur 
considère la levüre de bière comme un corps organisé; il regarde les modi- 
fications qu'elle subit pendant la fermentation alcoolique, comme étant de 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. A0 


626 ŒUNRES DE PASTEUR 


nature essentiellement vitale, et il montre que les phénomènes chimiques 
de la fermentation sont liés à une régénération physiologique continuelle de 
la levüre; d'où il suit que, pendant la fermentation alcoolique, le sucre 
donne non seulement naissance à des substances chimiques qui se dégagent 
ou restent dissoutes dans la liqueur, mais en même temps il y a encore une 
portion du sucre qui se fixe sur la levüre à l’état de cellulose, et une autre 
partie à l’état de matière grasse, tandis que l'azote de l’ancienne levüre 
sert à régénérer la nouvelle (!). M. Pasteur a institué à ce sujet une expe- 
rience très intéressante, qui ramène pour ainsi dire les conditions physio- 
logiques aux rapports les plus simples qui peuvent rattacher les êtres vivants 
à la nature minérale. M. Pasteur montre en effet que les globules de levüre 
de bière se développent, se multiplient, et que le sucre fermente quand on 
sème des globules de levûre en quantité pour ainsi dire impondérable dans 
un milieu formé à la fois : 1° par une solution de sucre candi pur; 2° par un 
sel d'ammoniaque, par exemple le tartrate droit d'ammoniaque; 3° par des 
matières minérales phosphatées. On voit alors l’'ammoniaque disparaitre et 
se transformer en la matière albuminoïde complexe de la levüre, en même 
temps que les phosphates donnent aux globules nouveaux leurs principes 
minéraux. Quant au carbone, qui est un des éléments constituant de la 
levüre, il est évidemment fourni par le sucre, dont la présence est montrée 
indispensable dans les phénomènes de développement organique. 

La fermentation lactique est une fermentation du sucre, dans laquelle le 
produit principal est l’acide lactique qui apparait souvent dans les liquides 
organiques, même dans les animaux supérieurs. Avant M. Pasteur, le 
ferment lactique était considéré généralement comme une matière organique 
en voie d’altération, mais non comme une matière organisée. Or M. Pasteur 
a découvert et indiqué les caractères d’une levüre lactique spéciale, beaucoup 
plus petite que la levüre de bière. Pendant la fermentation lactique, cette 
levüre bourgeonne et se multiplie en se comportant, dans ses phénomènes 
de reproduction, d’une manière analogue à la levüre de bière. 

Relativement à la fermentation de l'acide tartrique et de ses congé- 
nères, M. Pasteur est arrivé à des résultats fort inattendus et qui ont un 
grand intérêt non seulement pour les chimistes, mais encore pour les 
physiologistes. Cet habile expérimentateur à vu qu'en mettant dans des 
conditions de fermentation, avec des matières albuminoïdes et à une tempé- 
rature convenable, du paratartrate d’ammoniaque, qui est formé par la 
réunion des tartrates droit et gauche d'ammoniaque et qui est inactif sur la 
lumière polarisée, il a vu, disons-nous, qu’il se manifeste bientôt des phéno- 
mènes de fermentation et que des produits chimiques nouveaux se forment 
aux dépens du paratartrate d’ammoniaque. Mais ce qui est singulier, c’est 


1. Dans un de ses Mémoires (Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLVIIT, 1859, 
p. 737-740) [p. 44-47 du présent volume}, M. Pasteur a rappelé qu’en 1839 la composition 
de la levûre de bière était établie par M. Payen de la manière suivante : 


Matières azotées et traces de soufre. . . . . . . . . . . . De ET LE 62,73 
Enveloppes de cellulose . . . . . - RE GR EU © Lot olcbe: 29,37 
Substances grasses. . . . . d RE A ST AM 0 2,10 
Matières minérales. . . . . . = SAM x ; Ps LT OM Put le 5,80 


100,00. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 627 


que les éléments du tartrate droit seul se désassemblent, c’est-à-dire 
fermentent pour donner naissance aux produits de la fermentation, tandis 
que dans les mêmes conditions le tartrate gauche reste intact en dissolution 
dans la liqueur qui alors est devenue très active sur la lumière polarisée. 
Dans cette fermentation, M. Pasteur a reconnu également la formation d'une 
levüre spéciale à l'acide tartrique droit, laquelle se développe en présentant 
les caractères d’un végétal mycodermique. 

Cet exemple prouve de la manière la plus évidente l'intervention de la 
dissymétrie moléculaire des matières organiques dans un phénomène de 
fermentation. Il n’est pas possible, en effet, d'interpréter autrement les 
différences si particulières que présentent sous ce rapport les acides 
tartriques droit et gauche, puisque tous deux ont exactement les mêmes 
propriétés physiques, la même composition chimique, et qu'ils ne different 
que par l’arrangement intestin qui donne à leurs parties constituantes un 
pouvoir rotatoire égal mais de sens inverse et correspond à la dissemblance 
qui se reproduit dans leur aptitude et dans leur inaptitude à être influencées 
par les ferments. Sans pouvoir pour aujourd'hui préciser en rien le rôle 
d’une semblable propriété dans les phénomènes de la vie, toujours est-il 
que le physiologiste ne devra pas perdre de vue ces notions nouvelles 
introduites par M. Pasteur dans les actions chimico-physiologiques, surtout 
quand on sait, comme l’a montré M. Biot, que la plupart des produits orga- 
niques naturels, animaux ou végétaux, sont moléculairement dissymétriques, 
et qu'il est possible par conséquent que l'avenir nous apprenne à ce sujet 
des interventions de forces moléculaires dont nous ne pouvons avoir actuel- 
lement aucune idée. 

En résumé, M. Pasteur regarde les phénomènes chimiques des fermen- 
tations comme étant toujours corrélatifs de phénomènes vitaux d'organisation 
et de développement qui se passent en même temps dans les ferments 
organisés qui ont la propriété de les provoquer. La Commission à jugé 
qu'en poursuivant ainsi l'étude physiologique des ferments dans la direction 
que l’auteur a choisie, on arriverait à porter de nouvelles lumières sur une 
série de formations organiques qui se rattachent aux phénomènes de 
nutrition et d’histogénie. C’est donc en raison de cette tendance physiolo- 
gique dans les recherches de M. Pasteur, que la Commission lui a accordé, 
à l'unanimité, le prix de physiologie expérimentale pour l'année 1859. 


III. — LETTRE MANUSCRITE DE PASTEUR A POUCHET/({) 


UNIVERSITÉ DE France. Ecole Normale supérieure. 


Paris, le 28 février 1859. 
Monsieur, 


J'ai recu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire à l’occasion de la 
note présentée en mon nom à l’Académie par M. Dumas, dans la séance 
du 14 février (2). Vous me faites beaucoup d'honneur, Monsieur, en paraissant 
tenir à mon avis sur la question de la génération spontanée. Les expériences 
que j'ai faites à son sujet sont trop peu nombreuses et, je dois le dire, 
trop changeantes dans les résultats qu’elles m'ont offerts pour que jose 
avoir une opinion digne de vous être communiquée. Si, dans la note que je 
viens de rappeler, j'ai prononcé le mot de génération spontanée, c'est qu'en 
effet mon observation y avait un rapport assez direct et qu’elle ajoutait 
quelque chose à nos connaissances sur la question. Jusqu'à ce jour toutes 
les expériences de génération spontanée ont porté sur des infusions de 
matières végétales ou animales, ou sur des liquides renfermant des substances 
ayant appartenu antérieurement à l'organisme; quelles que soient les 
conditions préalables de température et d’ébullition qu’on leur fasse subir, 
ces matières ont une constitution et des propriétés acquises sous l'influence 
de la vie. Dans mon expérience au contraire, j'ai vu la vie végétale et 
animale et, afin de mieux préciser sur ce dernier point qui vous intéresse 
particulièrement, j'ai vu le bacterium termo et ses diverses variétés appa- 
raitre en quantité quelquefois considérable dans un milieu formé comme 


TUE 
Eaudisullée ..". - . : eee TOUESrAmMNnTeS 
SUCRE CANTINE LOI EETAMIESE 
Tartrate d'ammoniaque cristallisé pur . . . . . 08,2 
Cendres de levûre de bière (obtenues dans le 
moufle d'un fourneau de coupelle) . . . . . 06,1 
Carbonate de chaux (obtenu par précipitation) . 1 à 3 grammes. 


1. Archives du Muséum d'histoire naturelle de Rouen, n° 1023 du catalogue de la Biblio- 
thèque. 

2, Pasreur. Nouveaux faits pour servir à l'histoire de la levûre lactique. Comptes rendus 
de l'Académie des sciences, séance du 14 février 1859, XLVIII, p. 337-388, et p. 34-36 du 
présent volume. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 629 


Il n'y a là que des matières cristallisables. 

Après vingt-quatre heures, à la température de 30°, un tel milieu com- 
mence à se troubler et à dégager des bulles de gaz et la fermentation 
continue les jours suivants. En quelques semaines, le sucre et la craie ont 
disparu et le liquide est chargé de lactate et de butyrate de chaux. Au fond 
du vase il s’est formé un dépôt de plusieurs décigrammes de levûre lactique 
ou butyrique mélangée à des bacteriums morts dont on à pu facilement 
suivre le développement et les mouvements pendant la fermentation par des 
observations microscopiques. L'expérience réussit très bien, lors même 
que le vase est rempli de liquide ainsi que le tube abducteur propre à 
recueillir les gaz, c'est qu'il y a eu contact avec l'air commun pendant la 
préparation du milieu; mais lorsque la liqueur est prête, faites-la bouillir 
quelques minutes dans un ballon effilé communiquant par un caoutchouc à 
un petit tube de cuivre qui est entouré de charbons ardents, puis laissez 
refroidir et alors fermez par un trait de chalumeau la partie effilée, puis 
portez le ballon dans une étuve. Il pourra y demeurer des mois entiers à 
une température de 25 à 35° sans donner aucune apparence de fermentation, 
ni levüres, n1 infusoires. 

Veuillez, Monsieur, adopter la disposition que je vous indique; en 
moins d’un quart d'heure, vous pourrez mettre une expérience en train, 
vous acquerrez alors la conviction que, dans vos expériences récentes, vous 
avez à votre insu introduit de l'air commun et que les conséquences 
auxquelles vous êtes arrivé ne sont pas fondées sur des faits d’une exactitude 
irréprochable. Je pense donc, Monsieur, que vous avez tort, non de croire 
à la génération spontanée, car il est difficile dans une pareille question de 
n'avoir pas une idée préconçue, mais d'affirmer la génération spontanée. 
Dans les sciences expérimentales on à toujours tort de ne pas douter alors 
que les faits n’obligent pas à l'affirmation; mais, je me hâte de le dire, 
lorsque à la suite des expériences que je viens d'indiquer, vos adversaires 
prétendent qu'il y a dans l’air les germes des productions organisées des 
infusions, ils vont au delà des résultats de l'expérience, ils devraient dire 
simplement que dans l'air commun il y a quelque chose qui est une condition 
de la vie, c’est-à-dire employer un mot vague qui ne préjuge pas la question 
dans ce qu’elle a de plus délicat. Autant vaudrait dire, en effet, qu'il y a 
dans l'air commun de petits cristaux de sulfate de soude, des germes de 
sulfate de soude, passez-moi ces expressions, parce que cet air provoque la 
cristallisation d’une dissolution saturée de ce sel, propriété que n’a pas l’air 
chaufté. 

À mon avis, Monsieur, la question est entière et toute vierge de preuves 
décisives. Qu'y at-il dans l’air qui provoque l’organisation? Sont-ce des 
germes ? Est-ce un corps solide? Est-ce un gaz? Est-ce un fluide? Est-ce un 
principe tel que l'ozone ? Tout cela est inconnu et invite à l'expérience. A la 
fin de votre lettre vous ajoutez pour démentir les conséquences de l’expé- 
rience de M. Claude Bernard : Croyez-le bien, Monsieur, ainsi que l'a dit 
M. Doyère, il ne faut pas que les substances soient cuites. Vous remar- 
querez que l'intérêt de mes expériences dans la discussion qui nous occupe 
est d’écarter cette objection de votre part. Le mot de matières cuites ne peut 
s'appliquer à des corps tels que ceux qui composent le milieu dont j'ai parlé 


630 ŒUVRES DE PASTEUR 


tout à l'heure. Une température préalable de 100° n’a pas d'influence assu- 
rément sur les phénomènes chimiques auxquels peuvent donner lieu ulté- 
rieurement des substances de ce genre pour ainsi dire toutes minérales. 

Malgré l'invitation que vous avez bien voulu m'adresser, j’oserais presque 
vous prier, Monsieur, de m'excuser d’avoir pris la liberté de vous dire ce 
que Je pensais dans un sujet aussi délicat et qui n’a été qu'accidentellement 
et pour une très petite part dans la direction de mes études (!). 

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus 
distingués. 


Signé : L. Pasreur. 


1. Cette lettre est de février 1859. Les premières publications de Pasteur sur les générations 
dites spontanées sont postérieures à cette date. (Note de l'Édition.) 


IV. — RAPPORT SUR LE PRIX JECKER, ANNÉE 1861 (1 


(Commissaires : MM. Dumas, PeLouzEe, REGNAULT, Bazanp, Frey, 
CHEVREUL rapporteur.) 


La Section de chimie, à l’unanimité, décerne le prix Jecker, pour 
l'année 1861, à M. Pasteur. 

La Section de chimie se garde bien de faire une distinction entre des 
travaux fort divers dont le grand mérite à ses yeux est précisément la conti- 
nuité des premiers avec les derniers. Les vérités qu'ils établissent ont une 
précision, une netteté incontestables et, à cause de ce qu'ils se continuent, 
leur complexité et le nombre de leurs relations va sans cesse en croissant. 
En effet, lorsqu’au point de départ on trouve l’idée de l'espèce chimique 
approfondie par la découverte de quatre états isomériques dans l’acide 
tartrique, l’état inactif relativement au plan de la lumière polarisée, l’acide 
tartrique droit, l’acide tartrique gauche, et l'acide racémique résultant de 
l'union des deux derniers, cette découverte est bientôt assez généralisée par 
l’auteur pour que la pensée en saisisse toute l'importance dans l’état actuel 
de la science et dans l'avenir. 

En même temps que la cristallographie présidait à la distinction des 
formes hémiédriques des acides tartriques droit et gauche, la chimie 
montrait l'affinité mutuelle de ceux-ci, et l'analyse chimique séparait les 
deux acides l’un d’avec l’autre. Enfin, plus tard, M. Pasteur parvenait, au 
moyen de la chaleur, à convertir en acide racémique l'acide tartrique droit 
ou l’acide tartrique gauche qui étaient unis aux alealis du quinquina. 

La fermentation spiritueuse, qui avait occupé tant de savants distingués, 
est reprise par M. Pasteur : il ne s'arrête pas devant une équation chimique 
entre les éléments du sucre et ceux de l'alcool et de l’acide carbonique, 
équation qui, à cause de sa simplicité même, avait été généralement consi- 
dérée comme définitive. M. Pasteur se demande si l’équation dont nous 
parlons, quelque simple qu'elle soit en apparence, est réellement l'expression 
des faits, si elle est démontrée de manière qu’on soit autorisé à s’en servir 
pour déterminer, comme on l'avait fait si souvent, la quantité de sucre 
contenue dans un liquide d’après les quantités d’alcool et d’acide carbonique 
produites par ce liquide en fermentation. À cette question M. Pasteur ne 
trouve aucune preuve que l'expérience ait démontré qu'une quantité donnée 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 23 décembre 1861, LIT, 
p. 1158-1162. 


632 ŒUVRES DE PASTEUR 


de sucre n'ait produit que de l'alcool et de l'acide carbonique; dès lors le 
savant, qui avait donné une preuve si éclatante par ses travaux sur les acides 
tartriques de ses connaissances cristallographiques et physiques, recourt à 
l'analyse organique immédiate qui semble n'être féconde en grands résultats 
qu'entre les mains de ceux qui l'ont beaucoup pratiquée, et bientôt M. Pas- 
teur, à son début dans l'exercice de cette branche de la chimie, découvre, à 
l’étonnement de tous, la glycérine et l'acide succinique parmi les produits 
de la fermentation spiritueuse. 

Voilà donc le phénomène chimique de la fermentation spiritueuse qu’on 
croyait parfaitement connaître, qu'une analyse immédiate approfondie et des 
plus délicates démontre ne pas l'avoir été avant M. Pasteur. 

Mais l'étude de cette fermentation est-elle complète après que l'analyse 
immédiate a été si heureusement appliquée à ses produits? M. Pasteur ne 
l'a pas pensé. M. Cagniard de Latour avait fait la belle observation que la 
levüre considérée comme ferment du sucre semble augmenter en végétant à 
la manière d’une plante, lorsqu'elle est dans l’eau sucrée. M. Pasteur vérifie 
cette observation, comme l'avaient fait déjà Turpin, Schwann et Kützing, 
et bientôt il lui donne une extension qu'on était loin de soupconner. D'où 
vient cette levüre, déjà vivante quand M. Cagniard de Latour l’observa? 

M. Pasteur répond d'une spore ou graine d'une mucédinée, Cette spore peut 
être dans les matières EiBorniaotdes qu'on a appelées ferments, quand elles 
out acquis, dit-on, la faculté d’exciter la fermentation dans l’eau sucrée, 
après avoir subi l'influence du gaz oxygène, ou bien cette spore peut se 
trouver en suspension dans l'atmosphère par suite d’une impulsion qu’elle a 
recue d’une cause quelconque. Dès que la spore a perdu le mouvement qui 
la suspendait dans l'air, elle tombe; et là où la spore rencontre une nour- 
riture appropriée, elle donne naissance à des globules de levüre, et si cette 
levüre a le contact de l’eau sucrée et de phosphates terreux, la fermentation 
spiritueuse s'établit, et la levüre s’accroit et se multiplie aux dépens de la 
matière ambiante. Non seulement le sucre produit de l’alcool, de l’acide 
carbonique, de la glycérine, de l'acide succinique, mais il cède à la levüre 
les éléments nécessaires à la production du ligneux et d’une matière grasse. 

La levüre n’est donc plus une matière morte : c'est, comme l’a vu 
M. Cagniard de Latour, un corps vivant dont le développement vital, 
suivant M. Pasteur, a pour effet la fermentation spiritueuse; ou, en d’autres 
termes, celle-ci est un phénomène chimique essentiellement subordonné à 
une action vitale. 

M. Pasteur attribue la cause première de diverses fermentations à 
diverses espèces de plantes mycodermiques et même à diverses espèces 
d'animaux infusoires. Si l'air a été reconnu pour être indispensable au pre- 
mier mouvement d'une fermentation, ce n’est point par son oxygène qu'il 
agit, mais bien par les spores de ces plantes ou les œufs d’infusoires qu'il 
répand dans la liqueur susceptible de fermenter. 

Comment M. Pasteur a-t-il saisi ces spores, ces œufs dans l'air? II fait 
passer de l'air atmosphérique dans un tube de verre contenant du coton- 
poudre. Si cet air tient en suspension des spores, des œufs, il les abandonne 
au coton-poudre, dans lequel il se filtre Puis, en soumettant celui-ci à 
l'action de l’éther alcoolique, M. Pasteur dissout le coton-poudre, et le 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 633 


résidu, examiné au microscope, présente des corps organisés qui ont bien 
la propriété de développer la fermentation. Car, si, au lieu de coton-poudre, 
on s’est servi de filaments d'amiante, en secouant ceux-ci dans des liquides 
susceptibles de fermenter, la fermentation s'établit si celle-ci est possible 
sous l'influence des spores ou œufs recueillis par l’ingénieux procédé que 
nous rappelons. 

Quelle conséquence M. Pasteur tire-t-il de ces faits? C'est que du moment 
où l’on prouve que les matières albuminoïdes privées de la vie et soumises 
au contact du gaz oxygène n'ont pas la faculté d’exciter la fermentation des 
matières qui en sont susceptibles, et que les véritables ferments sont des 
corps vivants, il faut nécessairement reconnaître que les spores ou les œufs 
de ces corps vivants se trouvent dans les matières albuminoïdes ou bien ont 
été déposés par l’air dans les liquides fermentescibles. En adoptant l’opinion 

contraire, ce serait reconnaitre l'existence des générations spontanées. 

C’est en poursuivant ces travaux avec la plus louable activité et le zèle 
le plus éclairé, que M. Pasteur a découvert plusieurs végétaux mycoder- 
miques et des animaux infusoires constituant chacun un ferment spécial. Par 
il a reconnu que le ferment, qui convertit le sucre, la mannite et 

l'acide lactique en acide butyrique, est un animalcule Ttires et, fait bien 
digne d’être signalé, cet infusoire vil sans gaz oxygène libre; et il y a plus : 
soumis dans ES liquide où il vit à un courant de ce gaz, il périt, tandis qu'il 
continue à vivre dans la même circonstance s’il est soumis à un courant de 
gaz acide carbonique. 

Les travaux physiologiques de M. Pasteur ne s ‘arrêtent pas là. L'auteur 
signale des faits du plus haut intérêt quant à l'assimilation de la matiere 
morte à des corps vivants. 

Ainsi quelques globules de levûre de bière, mis dans de l’eau sucrée 
avec du tartrate droit d’ammoniaque et des phosphates terreux, se déve- 
loppent et se multiplient, en même temps que s'opère la fermentation spiri- 
tueuse. L'examen des matières apprend que le végétal qui constitue la levüre 
s’est dév eloppé aux dépens des phosphates, des Perte du tartrate droit 
d'ammoniaque et du carbone du sucre. 

Ainsi des spores de mucédinées germent, se développent et fructifient 
dans de l’eau qui ne contient que du racémate d’ammoniaque et des phos- 
phates. 

Enfin du racémate d’ammoniaque formé de tartrate droit et de tartrate 
gauche d'ammoniaque mis dans l’eau avec des matières albuminoïdes, des 
phosphates terreux et le végétal mycodermique, ferment tartrique, donnent 
lieu à la végétation de celui-ci, lequel se nourrit aux dépens des matières 
albuminoïdes, des phosphates et du tartrate droit d’ammoniaque, de sorte 
qu'après le développement du mycoderme l'eau ne contient plus que du 
tartrate d’ammoniaque gauche! Ce fait est bien remarquable, puisqu il 
prouve que de deux corps isomères et hémiédriques il n’en est qu'un qui 
puisse servir d’aliment. Que de réflexions suggère cette observation pour la 
théorie de l'assimilation ! 

Voilà comment le savant qui s’est occupé de cristallogr aphie, de phy sique 
et de chimie entre dans le domaine de la Her loeies Voilà comment il 
aborde aujourd'hui la question si controversée des générations spontanées 


63% ŒUVRES DE PASTEUR 


avec le concours des sciences mathématiques, physiques et chimiques, et 
comment des expériences précises jettent AE une si vive lumière sur diffé- 
rents points de l’histoire des corps vivants ! 

En résumé, la précision et la clarté caractérisent les travaux de M. Pas- 
teur. On ne s'aperçoit de la fécondité des inductions auxquelles le sujet qu'il 
traite actuellement l’a conduit, que dans des travaux subséquents, parce que 
les inductions qu'il s'était réservées n ‘apparaissent au public qu'après être 
passées à l'état de vérités démontrées. C’est en examinant d’abord les 
recherches de M. Pasteur dans l’ordre chronologique, et en en considérant 
ensuite l'ensemble, qu’on peut apprécier la rigueur des jugements du savant 
dans les conclusions qu'il en déduit, et la re d’un esprit pénétrant 
qui, fort des vérités qu’il a trouvées, se porte en avant pour en établir de 
nouvelles. 


V. — PRIX ALHUMBERT POUR L'ANNÉE 1862. 
RAPPORT SUR CE CONCOURS 
FAIT DANS LE COMITÉ SECRET DE LA SÉANCE DU 1° DÉCEMBRE (1) 


Commissaires : MM. Miixe Enwanrps, FLourEexs, BRONGNIART, CosTE, 
CLaupe BERNARD rapporteur.) 


La propagation des êtres vivants par génération sexuelle ou par parenté 
a toujours été de l’évidence la plus vulgaire en histoire naturelle. Cependant, 
pour des animaux et des végétaux placés dans certaines conditions, la filia- 
tion ne parut pas assez nette à tous les observateurs, et l’on put supposer 
que des êtres arrivaient à la vie sans parents ou sans aïeux. Telle fut 
l’origine de cette hypothèse dite des générations spontanées, équivoques, ou 
hétérogènes, etc. Cette idée eut cours dès le début de la science, et depuis 
Aristote jusqu'à nos jours la question des générations spontanées a suivi 
une évolution que chacun connaît. 

Nous ferons seulement remarquer iei que les idées qui apparaissent dans 
les sciences présentent deux aspects opposés dans leur développement : les 
idées vraies, partant le plus souvent d'un très petit nombre de faits simples 
bien observés, grandissent à mesure que les connaissances augmentent et 
s'étendent de plus en plus; les idées erronées, embrassant ordinairement 
dès l’abord un grand nombre de faits obscurs et mal vus, s’amoindrissent 
au contraire et disparaissent en raison directe des progrès de la science. La 
question des générations spontanées s'est trouvée dans ce dernier cas, en 
ce sens qu'elle s’est toujours circonscrite de plus en plus devant les lumières 
de l’expérience. D'abord étendus aux mollusques, aux articulés, et jusqu'aux 
vertébrés, les cas de genérations spontanées étaient depuis longtemps relé- 
gués uniquement dans les parties restées les plus obscures de l’histoire 
naturelle, c’est à-dire dans les animaux infusoires. Mais nous venons de voir 
que le prix de physiologie expérimentale à été décerné cette année à un 
travail dans lequel la génération sexuelle des infusoires est mise en évidence: 
la science suit done sa marche naturelle, et il n'y a pas lieu de lui imprimer 
une autre direction. Il ne s’agit point ici, en effet, d’une question de méta- 
physique, mais d’une question de science purement expérimentale qui ne 
peut être résolue qu’en laissant de côté toute hypothèse sur l’origine des 
ètres et en procédant lentement du connu à l'inconnu. 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 29 décembre 1862, LV, 
p. 977-978. 


656 ŒUVRES DE PASTEUR 


Il y a quelques années cette question des générations spontanées, déjà 
sur son déclin, fut en quelque sorte réveillée et rajeunie par des vues nou- 
velles bien connues qu’on y introduisit. A cette occasion beaucoup de travaux 
furent adressés à l’Académie, et la Commission du prix Alhumbert, voulant 
encourager autant que possible les expériences sur ce sujet, mit au concours 
la question suivante : 

« Essayer par des expériences bien faites de jeter un nouveau jour sur la 
question des generations dites spontanées. » 

La Commission demande des expériences précises, rigoureuses, égale- 
ment étudiées dans toutes leurs circonstances et telles, en un mot, qu'il 
puisse en être déduit quelques résultats dégagés de toute confusion née des 
expériences mêmes. 

Les termes de la question indiquent que la Commission n’a pas demandé 
une solution qui ne peut être fournie que par le temps: elle a voulu seule- 
ment appeler et faire surgir des expériences bien faites. Parmi les travaux 
soumis à son examen, la Commission a remarqué en première ligne le 
Mémoire de M. Pasteur sur les Corpuscules organisés qui existent dans 
l'atmosphère (*). Ce travail renferme un nombre considérable d'expériences 
originales et remarquables par leur précision, qui jettent une vive lumière 
sur les conditions de production et de développement d’un grand nombre 
d'organismes inférieurs, soit animaux, soit végétaux. La Commission a été à 
même de voir un certain nombre de ces expériences, de constater l’exac- 
titude des résultats et d'admirer l’habileté expérimentale bien connue de 
leur auteur. En conséquence, le prix Alhumbert est accordé à l'unanimité 
au travail de M. Pasteur sur les Corpuscules organisés qui existent dans 
l'atmosphère. 


1. Voir ce Mémoire p. 210-294 du présent volume. (Note de l'Édition.) 


VI. — RAPPORT SUR LES EXPÉRIENCES RELATIVES 
A LA GÉNÉRATION SPONTANÉE E (1 


(Commissaires : MM. FLourexs, Dumas, BroxGniarT, Mizxe Enwanps, 
BaLarD rapporteur.) 


La culture des sciences d'observation soulève des questions qui ne 
peuvent jamais recevoir de l'expérience une solution absolue, et de ce 
nombre se trouve celle de la génération spontanée. L'idée qu'un être vivant 
peut, dans les conditions actuelles, prendre naissance sans l'existence anté- 
rieure d’un autre être, vivant aussi, qui en a fourni le germe, a été débattue 
dans tous les temps, et comme rien n’abonde à l’égal des observations 
vagues et sans précision, les raisons déduites, en apparence du moins, de 
l'expérience directe n'ont jamais manqué pour soutenir cette doctrine. Mais 
une étude plus sévère vient montrer que ces faits ont été mal observés, et 
les cas nouveaux où la matière semblait s'organiser d'elle-même rentrant 
alors dans la classe de ceux où l'existence d’un germe antérieur est évidente. 
la question semble disparaitre de l'arène scientifique. Bientôt cependant 
elle se représente appuyée encore en apparence sur l’observation, mais 
portant cette fois sur des êtres de dimensions de plus en plus petites, et 
pour lesquelles nos moyens d'investigation sont incertains. Mais, d’un côté, 
l'habileté plus grande des observateurs; de l’autre, les progrès dans la 
construction du microscope, font encore rentrer ces nouveaux faits dans la 
série des faits connus et ordinaires. 

On concoit qu’en procédant ainsi, la science doit fatalement arriver à 
un point où, l’exiguité des organismes observés devenue extrême, et le 
pouvoir grossissant de nos microscopes, dont nous sommes bien près d’avoir 
atteint É limite, étant à peine suffisant pour montrer dans leur état de plus 
grand développement les êtres sur lesquels on discute, nous resterons dans 
Fimpuissance de voir les corps reproducteurs plus exigus qui peuvent leur 
avoir donné naissance; et à moins que la science ne s’enrichisse de moyens 
plus puissants d'observation tout nouveaux, et dont nous ne pouvons avoir 
aujourd’hui l’idée, la question arrivée à ce terme sortira du domaine des 
faits pour entrer dans celui de la discussion pure. Les uns, guidés par 
l'induction scientifique, concluront que la nature, toujours d° on avec 
elle-même (semper sibi consona), procède dans ces organismes inconnus 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 20 février 1869, LX, p. 384-397. 


638 ŒUVRES DE PASTEUR 


comme elle le fait pour ceux que nous pouvons observer; d’autres, se 
fondant sur ce qu’à l'origine des choses la matière a été organisée sans 
germes antérieurs, penseront que cette puissance créatrice peut manifester 
encore ses effets dans les régions de l’infiniment petit dont l'accès nous est 
interdit, el qu'une opposition absolue dans leur mode de production sépare 
les êtres qu'il nous est possible d'étudier de ceux que l’exiguité de leurs 
dimensions soustrait pour toujours à nos observations. De là des discussions 
qui, aussi vieilles que le monde, doivent évidemment rester éternelles, et 
des opinions radicalement opposées, entre lesquelles l'Académie n’est pas 
appelée à faire de choix. Sa mission n’a jamais consisté à adopter telle ou 
telle doctrine, mais à contrôler les faits sur lesquels s'appuient les opinions 
diverses, et quand il s’en trouve d’une importance capitale qui, affirmés par 
les uns, sont niés par les autres, elle doit vérifier entre ces assertions oppo- 
sées quelles sont celles qui, conformes à la vérité. méritent seules de 
servir d’élément à une discussion sérieuse. 

Or, parmi les expériences dont les résultats sont présentés comme 
favorables ou contraires à la doctrine des générations spontanées, il en est 
une dont l'importance a frappé tous les esprits, et qui, d’un accord unanime, 
est regardée comme capitale. 

Dans le Mémoire publié par M. Pasteur, ce savant affirme qu'il est tou- 
Jours possible de prélever, en un lieu déterminé, un volume notable d'air 
ordinaire n'ayant subi aucune modification physique ou chimique, et tout à 
fait impropre néanmoins à provoquer une altération quelconque dans une 
liqueur éminemment putrescible. 

MM. Pouchet, Joly et Musset ont écrit à l’Académie que ce résultat est 
erroné. 

M. Pasteur à porté à ces messieurs le défi de donner la preuve expéri- 
mentale de leurs assertions. 

Ce défi a été accepté par MM. Pouchet, Joly et Musset, dans les termes 
que voici : St un seul de nos ballons demeure inaltéré, disent MM. Joly et 
Musset, nous avouerons loyalement notre défaite (1). 

M. Pouchet a accepté le même défi dans les termes suivants : J'atteste 
que sur quelque lieu du globe où je prendrai un décimetre cube d'air, des que 
je mettrai celui-ci en contact avec une liqueur putrescible renfermée dans des 
matras hermétiquement clos, coxsramuexr ceux-ci se rempliront d'organismes 
vivants (?). 

L'Académie, acceptant la mission de vider la question posée en ces 
termes, a nommé, dans sa séance du 4 janvier [1864], une Commission 
chargée de faire répéter en sa présence les expériences dont les résultats 
sont invoqués comme favorables ou contraires à la doctrine de la génération 
spontanée. 172 

La Commission, vers la fin de février, s’est donc mise en communication 
avec MM. Pouchet, Joly et Musset, en indiquant les premiers jours de mars 
comme ceux où pourraient commencer les expériences. Mais cette époque 
de l’année ne parut pas convenable à ces savants, qui soutiennent ce qu'on 


1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1863, LVII, p. 845. 
2. Ibid., p. 902. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 639 


appelle généralement la doctrine de l'hétérogénie. Ils demandèrent que les 
expériences fussent remises aux jours chauds de l'été, la température encore 
faible du mois de mars et les variations qu’elle subit pouvant devenir une 
cause d'insuccès pour la manifestation des faits qu'ils se proposaient de 
reproduire devant la Commission. Celle-ei n’attribuait certes aucune influence 
mystérieuse à la chaleur naturelle, la seule que MM. Pouchet, Joly et 
Musset voulaient employer : elle pensait qu'une étuve chauffée par une 
source artificielle de chaleur présentait plus de garantie d'obtenir telle 
température qui serait nécessaire et de la maintenir constante pendant 
longtemps, mais elle crut devoir obtempérer au désir de MM. Pouchet, Joly 
et Musset et ajourner les expériences projetées au mois de juin suivant. 

Le 16 juin une première séance préparatoire réunit les membres de la 
Commission, ainsi que M. Pasteur et MM. Pouchet, Joly et Musset; mais 
au bout de quelques instants il fut facile de s'assurer qu'elle ne pourrait 
amener aucun résultat; car, priés par la Commission d'indiquer ce qui était 
nécessaire pour répéter les expériences en vases clos qu'ils opposaient à 
celles de M. Pasteur, les trois savants partisans de l’hétérogénie déclarèrent 
qu'ils ne s'étaient pas déplacés pour faire les expériences de M. Pasteur, 
mais les leurs propres (1). 

Aux demandes de la Commission pour savoir quelles étaient parmi ces 
expériences celles qui leur paraissaient les plus importantes et qui, dans 
leur pensée, étaient tout à fait décisives, cruciales en un mot, selon l'expres- 
sion consacrée, ils répondirent par un programme d'observations et d'expé- 
riences rangées par ordre d'importance. Il a été lu à l’Académie, qui a vu 
que l’expérience capitale dont nous avons parlé, et sur le résultat de 
laquelle ces savants avaient porté un jugement si précis, ne figurait qu'au 
dernier rang. 

La Commission, convaincue qu'en suivant cette voie elle ne trouverait, 
au bout de laborieuses recherches, que des faits vagues et mal déterminés, 
source nouvelle &e doutes et de discussions: résolue, pour répondre au vœu 
de l’Académie, de rester dans le domaine de ceux qui sont observables avec 
certitude et dont le plus important avait donné lieu au débat, fit parvenir à 
MM. Pouchet, Joly et Musset une Note indiquant la marche qu'elle préten- 
dait suivre, et qui fut communiquée à l’Académie dans la séance d’après. On 
lisait dans cette Note : 

« L'Académie, er nommant, dans sa séance du 4 janvier, une Commission 
pour répéter en sa présence les expériences dont les résultats sont invoqués 
comme favorables ou contraires à la doctrine des générations sponlances, à 
eu surtout pour but de connaitre la vérité entre les deux assertions précises 
el contradictoires qui ont été émises devant elle. C’est aussi celles que la Com- 
mission désire élucider en premier lieu. Décidée à procéder dans cette étude, 


1. Dans la séance du 20 juin 1864 (LVIITI, p. 1161), « M. le Secrétaire perpétuel annonce que 
la Commission qui a été chargée par l'Académie de discuter les expériences qui ont été ou 
seront produites relativement à la question des générations dites spontanées à rédigé un 
programme qui a été remis à MM. Pouchet, Joly et Musset. Ces expérimentateurs, après en 
avoir pris connaissance, n'ont pas eru pouvoir l’admettre dans les termes où il est concu, et en 
ont rédigé un nouveau. La Commission l'examinera et jugera si elle peut se départir de 
quelqu'une des conditions qu'elle avait posées, sans s’exposer à laisser introduire des causes 
d'erreur qu’elle a tenu surtout à écarter, » (Note de l'Édition.) 


640 ŒUVRES DE PASTEUR 


EXPÉRIENCES PAR EXPÉRIENCES BIEN CARACTÉRISÉES, € faisant successivement 
connaitre à l'Académie les résultats qu'elle aura constatés, elle désire répéter 
d'abord celle qui, devenue propre aux deux parties qui l'ont exécutée l'une et 
l'autre avec des résultats différents, est réputée par chacune d'elles comme 
également probante.» Suivaient ensuite quelques observations indiquant que 
les expériences seraient faites au laboratoire de chimie du Muséum d’His- 
toire naturelle ; que chacune des parties opérerait avec trois séries de vingt 
ballons chacune, M. Pasteur avec la liqueur dont il a coutume de faire usage, 
MM. Pouchet, Joly et Musset avec l’infusion de foin liquide dont ils s'étaient 
servis dans leurs expériences faites à Toulouse et sur la Maladetta, pourvu 
qu'il fût établi que cette infusion conservait sa limpidité absolue et ne 
pouvait, par un phénomène d'oxydation chimique, donner lieu à la formation 
d'un précipité susceptible de rendre les observations microscopiques moins 
probantes. 

Comme MM. Pouchet, Joly et Musset avaient répondu à cette Note en 
présentant à l'Académie jee propre programme, dans la voie duquel aucun 
Membre de la Commission n'aurait voulu s'engager, le regardant comme 
tout à fait incapable d’amener un résultat net et à l'abri de la discussion, 
elle fut agréablement surprise en voyant les trois savants partisans dé 
l’hétérogénie exacts au rendez-vous qui avait été donné au Muséum d'His- 
toire naturelle pour le mardi suivant, le 22 juin. 

M. Pasteur présenta d’abord à la Commission et à ses antagonistes lrois 
ballons remplis d'air en 1860 sur le Montanvert et contenant de l’eau de 
levüre, liqueur fermentescible sur laquelle il opère ordinairement. De l’aveu 
de tous, la transparence était parfaite et rien d’organique ne s'était déve- 
loppé. Mais ces ballons contenaient-ils de l'oxygène? La pointe de l’un d’eux 
fut cassée sous le mercure, et l'analyse de l'air qu'il contenait, faite par 
l'introduction de la potasse d’abord et de l'acide pyrogallique ensuite, 
montra à la fois qu'il ne contenait pas d'acide carbonique, et qu'il renfer- 
mait, comme l'air normal, 21 pour 100 d'oxygène. Dès lors, le liquide 
fermentescible qu'il contenait était resté près de quatre ans au contact de 
l'air, sans absorber une quantité appréciable d'oxygène. 

Il n'était rentré dans ce ballon que du mercure provenant du fond de la 
cuve, et la liqueur en est restée inaltérée. Un autre ballon, non ouvert, qui 
est sous les yeux de l'Académie, conserve sa limpidité parfaite. Un troisième 
ballon fut cassé à son goulot, de manière que son col maintenu vertical 
pren à l'air une ouverture moindre que 1 centimètre carré. Le 
samedi 25 il s’y manifestait déjà cinq flocons d’un mycelium lâche qui s’est 
considérablement développé plus tard. 

Ainsi, pour terminer ce qui est relatif à cette expérience, en admettant 
que les ballons présentés par M. Pasteur ont été remplis d’air en 1860, ce 
qui n'est l’objet d’un doute pour personne, il est bien établi que l’eau de 
levüre peut rester près de quatre ans en contact avec l'oxygène de l’air, à 
une température d'environ 25° maintenue constante, sans qu'il s’y déve- 
loppe le moindre organisme, et sans que l'air avec lequel cette matière 
organique est en Fe éprouve la moindre altération. À ce ballon unique, 
que MM. Joly et Musset regardaient comme suffisant pour les convaincre, 
M. Pasteur en aurait pu ajoutér bien d’autres, car les 73 vases de ce genre 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 641 


qu'il a rapportés du Montanvert et du Jura lui ont permis, tout en expéri- 
mentant lui-même sur un grand nombre d’entre eux, d’en réserver pour les 
observations ultérieures un nombre plus grand encore, qui, comme celui 
que nous avons l'honneur de présenter à l’Académie, sont aussi restés 
inaltérés. 

M. Pasteur, en présence des Membres de la Commission et de MM. Pou- 
chet, Joly et Musset, se mit ensuite en mesure de remplir les 60 ballons, 
sur lesquels devaient porter ses propres expériences, de la liqueur fermen- 
tescible qu'il avait préparée en faisant une décoction de 100 grammes de 
levüre par litre d’eau. Chacun de ces ballons, de 250 à 300 centimètres 
cubes, fut rempli, au tiers environ, de ce liquide limpide contenu dans un 
grand flacon, dont le maniement seul donnait lieu à une fréquente agitation. 
Le col de ces ballons fut étiré à la lampe en tube très étroit, et le liquide 
qu'ils contenaient maintenu à l’ébullition pendant un temps sensiblement 
égal, deux minutes environ, après quoi chacun d'eux fut immédiatement 
fermé à la lampe. Il en resta 56 ayant résisté sans se casser à ces différentes 
opérations. Quatre autres ballons furent remplis du même liquide, mais 
leur col fut effilé, contourné et laissé ouvert; ces ballons furent aussi soumis 
à l’ébullition pendant deux minutes et abandonnés à eux-mêmes. 

Dans le cas où MM. Pouchet, Joly et Musset n'auraient pas été convaincus 
par l’examen fait sous leurs yeux des ballons provenant du Montanvert, la 
Commission pensait qu'ils s'étaient mis en mesure d’opérer parallèlement 
avec le liquide fermentescible dont ils avaient coutume de se servir. Cepen- 
dant, le temps qu'elle voulait n’employer qu’à l'observation des faits, ce 
qu’elle regardait comme la seule mission qu’elle eût à remplir, s’'écoulait en 
discussions générales et vaines sur le programme suivi et sur la convenance, 
que la Commission ne pouvait admettre, d'adopter pour ces expériences 
l’ordre indiqué par MM. Pouchet, Joly et Musset. Cet ordre, il est nécessaire 
de le rappeler, écartant l’objet du débat dont l’Académie nous avait saisis, 
placait, au premier rang, des expériences telles que celles-ci : analyse 
microscopique de l'air de l’amphithéâtre où nous opérions, analyse micro- 
scopique d’un litre de bière, etc., études dont il suffit d’énoncer l'indication 
pour que les personnes accoutumées au maniement du microscope en 
comprennent l’insoluble difficulté. Aussi la Commission se refusa-t-elle de 
nouveau à les suivre sur un terrain qui ne pouvait fournir aucun résultat. 
Pressés de conclure, ces messieurs, après s'être retirés et concertés 
ensemble, déclarèrent à la Commission que puisqu'elle ne voulait faire 
qu'une expérience, ils se retiraient du débat. En vain votre Commission, à 
plusieurs reprises, s’en référant au texte de sa Note, essaya-t-elle de mon- 
trer qu'en déclarant qu'elle voulait procéder expériences par expériences 
bien caractérisées, elle n’avait pas annoncé l'intention de se borner à une 
seule, mais que ne pouvant les exécuter toutes à la fois, forcée d'adopter 
un ordre et de faire un choix, elle avait naturellement assigné le premier 
rang à celle que l’Académie avait en vue en nommant la Commission, qui 
constituait l’objet même du dissentiment, et qui d’ailleurs lui paraissait la 
plus importante. Le reproche adressé à la Commission, de ne vouloir faire 
qu'une expérience, ayant été, malgré nos affirmations contraires, reproduit 
à plusieurs reprises, et la réponse réitérée et de plus en plus accentuée de 


/ 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. (4 


642 ŒUVRES DE PASTEUR 


la Commission étant restée sans effet, elle fut obligée d'admettre qu’on était 
décidé à ne pas la comprendre. Toute discussion cessa. MM. Pouchet, Joly 
et Musset, renoncant à exécuter les expériences pour lesquelles surtout ils 
avaient été invités à se rendre à Paris, se retirèrent, et celle qui était com- 
mencée dut être continuée par M. Pasteur en présence des Membres seuls 
de la Commission. 

Le col des ballons préparés fut brisé par M. Pasteur avec toutes les 
précautions qu'il a recommandées comme indispensables, et qui plus d’une 
fois ont dû être négligées par d'autres expérimentateurs comme excessives 
et inutiles, telles que “chauffage à la flamme de la partie effilée des ballons, 
chauffage de pinces qui servent à leur rupture, éloignement aussi grand que 
possible du corps de l’opérateur, ete., ete. 

On y fit ainsi entrer de l’air pris à l’intérieur du grand amphithéâtre du 
Muséum, sur les gradins élevés, et les tubes effilés furent ensuite fermés 
avec l’éolipyle. On constata que le vase portant le n° 19 ne fit pas entendre 
le sifflement annonçant que l'air \ rentrait avec une crande vitesse, ce qui 
indiquait qu'il avait été mal fermé en premier lieu. il a été laissé dans cet 
état, sans le fermer de nouveau. Nous désignerons ces premiers vases par le 
nom de ballons de la premiere série. Dix-neuf autres de ces ballons furent 
ouverts à l'extérieur, sur le point le plus élevé du dôme de l’amphithéätre, 
et fermés de nouveau comme les précédents. Ces ballons ont été désignés 
sous le nom collectif de ballons de la deuxieme serie. 

Comme, pendant l'ouverture de ces ballons, le vent était fort et traversait 
Paris, la Commission, pour varier les conditions de la prise d’air, et 
convaincue d’ailleurs qu’on ne se fait pas une idée juste de la dissémination 
des séminules organisées dans l'air pris au milieu des villes et dans l’air 
récolté au voisinage des végétaux vivants ou de leurs débris, crut conve- 
nable d'opérer à la campagne. Dix-huit ballons constituant la troisième série 
furent ouverts et fermés à Bellevue, au milieu d’un gazon, sous un massif 
de grands peupliers de l'habitation de l’un de nous. 

Ces trois séries de ballons furent alors placées dans une armoire du 
Muséum fermée par un simple grillage, de telle sorte que les résultats géné- 
raux de l'expérience pouvaient ainsi être appréciés par tous ceux qui y 
avaient accès. 

On plaça dans les mêmes conditions les quatre ballons à col effilé, 
contourné et ouvert, ainsi que trois verres à expérience remplis de la Fotets 
limpide qu'avait employée M. Pasteur. 

Dès le lendemain, le liquide de ces trois verres, déjà trouble, indiquait 
la présence de myriades de bactéries. L'observation au microscope en 
démontra l'existence à la Commission trois jours plus tard. L'aspect louche 
de la liqueur contrastait, le 23 juin, avec la transparence parfaite du liquide 


contenu dans les ballons. 
L'examen de ces ballons fut fait par la Commission à différentes époques ; 
les tableaux suivants résument d'une manière synoptique les changements 


qu'elle a constatés : 


643 


S 


=. 
D 


SPONTANÉI 


S 


DITIH 


RATIONS 


« 
v] 


ET GENH 


FERMENTATIONS 


‘oJuepuoqe u01781929 À 


SE) 188,8 
“epidung 93821 3Sa apinbu a7 anb queyt 


| 


( ‘sojuep ‘sojuep 
j-uoqe S21NSSISION|-U0qr SainssISION 


‘JUESSIÈE IT [A 


« «C 
<C « «€ «ce 
‘saJuep : 

‘JUPSSIPU WUNI[99A JN 


‘oJuepuoqe u01}8)999 :S9INSSISIO \ 
Juepuoq AMEL HEb l 


-uoqe S31NSSISION 


« « 


‘oddor ‘wnif09 
-osop Soay twuntpoo{g|-fu np juowuoddopoaoq 


« «€ 


= 


ST 


-nuepuoqe uoyeJa89 À | sooddoçoaop soSuexod ‘SansSISIO] 
juepuoq nE79027/ ; I9AS HE 


« «€ 
-auepuoqe uore3989 À |‘saoddofoaop soSuexod *S21NSSISIO NN “nIf99 À [4 
puoq EE NES ED S HEQES A 

«€ 


‘sajue 
-ojuepuoge uore}o89 À | sooddoçoaopso#ueiodé RO on ne Ë < AU EAN 


« 


AHAWAAON La71110f LaTTInt L417110£ NINf 
0& 


HIUHS 1 VI HG SNOTIVA SH ‘NOISSINNON V'I AVd LIVA NAHNVXAT SNVA SHAUASIO SEVLINSAA 


SUOTTEG 


SOHIKAN 


PASTEUR 


ŒUVRES DE 


« 


aupuonaved soyuep l 


«€ « 
-UOGE S21NSSIS10 NS 
« «€ « 
‘SoJuep ‘sooddor 
‘npuayo sud wnrpeofn 
-UOQE SOINSSISIONI-0A9P So1] SOANSSISION ‘ 
‘saquep 
‘o[noq ua o1nSSISION « 
-UOGQE SO1NSSISION 2 
1 
‘SOANSSISIOU 9P SPq 
LL « « 


‘SUOMQIA 9p suq?( 


« « « 

«C « « 

« « « 

«c « « 

«c « « 
\ 


‘SaJuep 


-uoqu S24NSSISIOI] 


« « « 
« «c { 
« « « 

Uno « « 
« « «€ 
« « « 

; 

« «C « 


AUHWHAON LAIIINL 07 LATTINL G 


RUN EAN) 


sap 
SOYF3NWNAN 


suor[eq{ 


HIAUS 08 VI HU SNOTIVA SH NOISSINNON VA HVd LIVA ‘NHNVXAT SNVG SHAUHSHO SLVIL'ILIS 


19 


6 


SPONTANÉES 


DITES 


ET GENÉRATIONS 


FERMENTATIONS 


‘u01/8]9594 9 9[QNOAUT, 
‘1011819894 79 9[qNOu T, 


-sasueiods 2048 ‘3989A 


1994 79 


2[qNOA IT, 
9[qnOuI 


9494 79 


« 


‘sosuraods 994 
ooddofposop uone98o), 


“0011019299 À "a[qnou ft, 


‘o[qnOu Tr, 
‘o[qnOuT, 


“o[qnoa rt 


‘0181989 À 
“oqnour, 
“0181989 À |° 


SAANSSISIOU 79 9[q nou T, 
‘ao qnou Tr, 


‘o[quOurT, 


*UNn1f00Â IN 
CICLOINR 
sosuvrrods 2048 ‘9591 
{C 
‘u018959 À 
‘opnoq 
u9 DANSSISION 9}1}94 


‘uone1»#9, 


‘00181999 À « 
‘u01}8)989/ *1010)929 À 


00178989 À 0101781999 À 


AHAWTAON 


LAVTINL 0% 


AIHYS 06 VI 


-sosuriods 


HA SNOTIVE SHC 


‘Uno J9 O[QNOUT, 


‘u01}8}9994 79 9[qn 


-oddopoaop union 


‘o[qnoar 


"S9INSSISIOU 79 2TQNOUT, 


‘o[qnour, 


“2IANOuT, 


‘a[qnort 
“UUO0Â 


2048 ‘1959A 


« 


Suviods 9948 ‘je 


:sosuviods 994 : 


à 
ç 


“"NOISSINNON V'T 4Vd LIVA 


“oddopoaop snçd ‘on 


« 


“oddopeaop wnto0 
‘0d9p 19 oçqnou y, 


‘açqnou os opinbr] 9 
“UNI(20Â 


UNION 


‘UNIO2ÂN 
‘UNI Â 


luepuoqe 1o0d9q 


‘LUI [99: 


de Stan o x 
‘tn ÂN 
‘untfo0ÂN 
‘aqnox) ‘e[na0} 


[ no 


ne 
| 


9 AUOT 


“Uno  NN 


“un00 p |inessreu uno 


« 


« 

SJU9L9]IP 
sumipoofu xno 
“un1f29 NA « 


“UNION 


| rs 


LAN 7 


‘NAINVXAT SNVA S 


NInf GZ% 


SHAHASHO SLVLTINSAU 


sap 


SUOTIEΠ
SOHAKAN 


[°2] 
D 
an 


ŒUVRES DE PASTEUR 


Leur inspection suffit pour montrer que, si dans le cours d’un mois on 
voit apparaitre la plus grande partie des phénomènes qui doivent se produire 
dans un laps de temps indéfini, il est cependant quelques cas, en petit 
nombre il est vrai, où de nouveaux développements organiques se mani- 
festent après ce délai (1). 

Sur 19 ballons de la première série, remplis d'air pris dans l’amphi- 
théâtre, il n'en est que 5 dans lesquels 1l se soit manifesté quelques déve- 
loppements organiques; 14 sont restés intacts. 

La deuxième série de ballons pleins d’air pris sur le dôme de l’amphi- 
théâtre nous en offre 13 restés sans altération, tandis que 6 seulement ont 
donné naissance à des êtres vivants. 

Mais la proportion change notablement dans les ballons remplis d’air 
à Bellevue : sur 18 de ces vases, 16 ont été altérés. 

En envisageant les germes comme la cause des développements produits 
dans les ballons objets de nos essais, on pouvait être porté à penser que 
près d’une prairie, sous des arbres, au milieu de ces sources nombreuses de 
production et de dissémination des séminules de tout genre, l'air en serait 
plus chargé qu’au sein des villes elles-mêmes, et, ainsi qu’on vient de le voir, 
les résultats de nos expériences sont en accord avec cette supposition. 

Il est aussi à noter que la nature des développements organiques a varié 
également dans les trois circonstances où nous nous sommes placés. Il ne 
s’est développé que des moisissures dans les ballons de la première et de la 
deuxième série qui ont subi quelque altération, tandis que, parmi ceux qui 
ont été remplis d’air à Bellevue, il y en avait 7 sur 16 où s'étaient développés 
des animalcules infusoires dont le mouvement au milieu du liquide en 
troublait la transparence. 

On comprendra que la Commission ne soit pas autorisée à conclure 
cependant que le fait qu'elle a observé doive être considéré comme général. 
Elle se borne à le signaler aux observateurs comme un objet digne de toute 
leur attention et de nature à fournir, sur les propriétés de l’air et sur la 
constitution de l’atmosphère au point de vue de l'hygiène, des notions qui 
ont échappé jusqu'ici aux recherches dirigées par les procédés eudiomé- 
triques connus. 

Les quatre ballons à col effilé et contourné restés ouverts n'avaient le 
25 juillet éprouvé aucune altération. Pour suivre plus aisément pendant 
les vacances les changements qu'ils pourraient éprouver, ils furent trans- 
portés dans le cabinet de M. Edwards; ils sont tous restés inaltérés 
jusqu'aujourd’hui, ainsi que l’Académie peut s’en convaincre par l’inspec- 
tion de ces vases que nous plaçons sous ses yeux. 

[Il convient de faire remarquer que ces ballons ayant été laissés à l'air 
libre dans des conditions où la température du jour et de la nuit présentait 
de notables différences, l’air atmosphérique s’est renouvelé à diverses 
reprises dans l’intérieur de ces vases sans amener cependant d’altération. 


1. Il n’est pas inutile de remarquer que l'époque de l'apparition des organismes dans les 
ballons en expérience n’est pas toujours facile à bien préciser. Il arrive quelquefois que ces 
organismes, particulièrement les moisissures, naissent sur les parois mêmes du col des ballons, 
sous la forme d'un mycelium extrèmement grêle. Une observation très attentive faite à la 
loupe permet seule de les distinguer. Dans ce cas, le liquide de ce ballon peut rester longtemps 
inaltéré; il ne commence à être [altéré] que lorsqu'une portion du mycelium se détache et tombe. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 647 


En admettant que chacun de ces ballons contenait 200 centimètres cubes 
d’air et que la température de la nuit au jour a varié de 10 degrés pendant 
l'intervalle de sept mois, ce qui est probable, on peut déduire d’un calcul 
approximatif qu'il est rentré dans le ballon 1 : litre d'air, et que l’atmo- 
sphère du vase s’est ainsi renouvelée plus de sept fois dans le cours de 
l'expérience. Mais cet air, ainsi que celui qui s’introduit dans le ballon 
quand on interrompt l’ébullition du liquide qu'il renferme, y est entré avec 
lenteur au lieu d’y pénétrer d’une manière violente, comme cela arrive quand 
on casse la pointe de ceux où la condensation de la vapeur a produit le 
vide. Cette lenteur de mouvement a pu laisser déposer dans le tube très 
étroit et diversement infléchi les matières qui communiquent à l'air pris 
dans certaines conditions la faculté de développer des êtres vivants. 

Pour s'assurer s'il en était réellement ainsi, la Commission a fait l'expé- 
rience suivante. L'extrémité de l'un des ballons à col sinueux, conservé 
depuis trois ans par M. Pasteur, fut fermée à la lampe. Le ballon fut ensuite 
violemment secoué, de manière que le liquide vint mouiller quelques-unes 
des parties contournées du tube. Deux jours après, il s'était manifesté dans 
le ballon et surtout dans le tube des organismes nombreux; ee ballon est 
également sous les yeux de l’Académie. 

En résumé, les faite observés par M. Pasteur, et contestés par MM. Pou- 
chet, Joly et Musset, sont de la plus parfaite exactitude. 

Des liqueurs fermentescibles peuvent rester, soit au contact de l'air 
confiné, soit au contact de l’air souvent renouvelé, sans s’altérer, et quand 
sous l'influence de ce fluide il s’y développe des organismes vivants, ce n’est 
pas à ses éléments gazeux qu'il faut attribuer ce développement, mais à des 
particules solides dont on peut le dépouiller par des moyens divers, ainsi 
que M. Pasteur l'avait affirmé. 

Après avoir terminé les expériences relatives à l’eau de levüre employée 
comme liquide fermentescible, la Commission aurait pu considérer sa 
mission comme terminée. Cependant elle a voulu aller plus loin, et, quoique 
privée du concours de MM. Pouchet, Joly et Musset, elle a voulu examiner 
ce qui se passe avec l’eau de foin, liqueur qui avait été indiquée par ces 
messieurs comme ayant servi dans leurs expériences, et qui, d’après les 
recherches récentes de notre savant collègue M. Coste, nous semble mériter 
un examen particulier. 

Des essais préparatoires ont été faits en conséquence par la Commission 
comparativement avec l’infusion de foin et l’eau de levüre; mais la saison 
indiquée comme favorable, ou indispensable même au succès, était déjà passée, 
et quoique nous eussions observé des faits qui seraient venus confirmer ceux 
dont il a été rendu compte précédemment, il nous a paru, avant de les exposer 
avec détail à l’Académie et d’en tirer les conclusions, qu'il était nécessaire 
de les reproduire dans la saison même qui est réputée la plus favorable par 
les défenseurs de l'hétérogénie pour le succès de leurs expériences. 

La Commission en a done ajourné au printemps et à l'été prochain l’exa- 
men définitif, et elle aura l'honneur d'en soumettre les résultats à l’Académie 
dans un second Rapport, si elle veut bien l’autoriser à suivre cette marche (). 


1. Les expériences n’ont pas été poursuivies et il ne fut pas publié de second Rapport. 
(Note de l'Édition.) 


VII. — DES FERMENTATIONS 
OU DU ROLE DE QUELQUES ÊTRES MICROSCOPIQUES 
DANS LA NATURE 


[Résumé par M. Danicourt d'une conférence 
faite par Pasteur aux ‘ Soirées scientifiques de la Sorbonne ”| (1. 


L'éminent professeur avait, ce soir-là, choisi pour thème de son ensei- 
gnement la question des fermentations. 

« Tout ce qui vit doit mourir, dit en commençant M. Pasteur, et après 
la mort, tout se détruit, ou mieux tout se transforme. La vie et la mort 
sont choses corrélatives. Il faut qu'après la mort toutes les matières con- 
stituantes de l’être vivant fassent retour au sol et à l'air atmosphérique. 

« Mais comment ces principes des ètres vivants font-ils retour au 
règne minéral; en d’autres termes, en quoi consiste ce que, dans le 
langage ordinaire de la science, on appelle des noms de fermentation et 
de putréfaction ? » 

Voilà le problème à résoudre. 

Sur le bureau, devant le professeur, au milieu de cet attirail de vases 
aux formes savamment bizarres qui sont l'accompagnement obligé de toute 
démonstration chimique, il y a un pot de fleur. Une petite plante parfaite- 
ment bien portante et couverte d’une verdure tendre s'y prélasse. Pourquoi 
est-elle là au milieu de ces ballons de verre et de ces éprouvettes ? Qu’'a-t-elle 
done de particulier ? Presque rien! Le vase dans lequel elle est placée a été 
rempli de sable rendu stérile par la calcination. On a déposé dans ce sable 
une graine. Cette graine, on l'avait arrosée avec de l’eau distillée, c’est-à- 
dire ne contenant, non plus que le sable, un atome de matière organique. 
Et la graine est devenue la jolie plante que vous voyez, et cette plante a 
grandi, elle a suivi toutes les phases d'un développement régulier. Elle 
arrivera à produire des graines fécondes. De quoi vit-elle donc ? Eh bien ! 
elle vit, comme on dit, de l'air du temps. Et maintenant, que prouve ce 
singulier phénomène? C'est que le grand réservoir où la vie des végétaux 
s'alimente, c'est l'atmosphère. C’est que toutes les matières organiques qui 
entrent dans la composition des végétaux ne sont que des combinaisons des 
principes élémentaires de l'air atmosphérique, et que, sauf la partie 
minérale, qui, après la mort, retourne au sol, les tissus des plantes ne 
contiennent que de lhydrogène, de l'oxygène, de l'azote et du charbon. 


1. Revue des cours scientifiques, numéro du 18 février 1869, II, 1864-1869, p. 199-202. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 649 


Puis, comme les animaux, qu'ils vivent de plantes ou soient carnivores, ne 
se nourrissent en définitive que de produits du règne végétal, il en résulte 
qu'il en est de même des solides et des liquides dont leur corps est formé. 

Done, conclut le professeur, la vie est la mise en œuvre des gaz de 
l'atmosphère et consiste dans le passage de ces gaz à l’état solide et à 
l'état liquide. 

Vivre, c'est en quelque sorte soustraire des gaz à l'atmosphère et les 
organiser en substances solides et liquides. » 

Mais s'il en est ainsi, s’il est vrai que l'atmosphère soit la source 
commune où tous les êtres organisés puisent la vie, comment se fait-il que 
depuis ces époques si lointaines où la terre était habitée par des races 
d'animaux et de végétaux gigantesques, jusqu'à l'heure présente, cette 
source ne soit pas encore tarie, qu'elle ne semble pas près de se tarir 
encore ? C’est qu'elle trouve dans la mort, dans la dissolution qui l'accom- 
pagne et qui la suit, un moyen de réparer ses pertes: c'est que tout ce qui 
a vécu retourne à l'atmosphère ! 

Comment la nature s’y prend-elle, après avoir transformé les gaz consti- 
tutifs de l’air en corps solides et liquides, pour ramener ensuite ces liquides 
et ces solides à l’état gazeux? 

Son procédé, c’est la combustion. — Une combustion lente qui est 
pour le chimiste exactement le même phénomène que celui qui se produit 
dans nos foyers, que la combustion vive avec incandescence, avec flamme. 

Ainsi, qu'on fasse brüler une tige d'acier dans une éprouvette remplie 
d'oxygène pur, expérience dont M. Pasteur donne le spectacle à ses audi- 
teurs, ou qu'on laisse se rouiller à l'air humide un morceau de fer, dans les 
deux cas, le phénomène qui se produit, c’est la combinaison du fer avec 
l'oxygène. 

Ce qui se passe pour le fer se passe tout aussi bien pour les matières 
organiques. 

La seule différence entre le phénomène de la combustion du fer et celui 
de la combustion de ces matières, c’est que le fer, en se combinant avec 
l'oxygène de l'air, produit un corps solide plus lourd que lui-même, la 
rouille, tandis que les matières organiques se dissipent, parce que les 
produits de la combustion sont des gaz. 

Mais y a-t-il des agents qui favorisent et accélèrent cette décomposition 
des matières organiques, et s'il y en a, quels sont-ils ? 

M. Pasteur met sous les veux du publie un ballon de verre qui contient 
du bouillon de ménage. Ce vase, semblable à ceux qui ont servi à ses belles 
expériences sur les générations spontanées, est terminé par un col allongé, 
étroit, sinueux, et dont l’ouverture est d'à peu près un millimètre carré. 

La matière organique contenue dans ce ballon ÿ a été déposée le 24 juin 
dernier. Elle y est exposée à l’air libre, et cependant elle est restée parfai- 
tement pure, elle est encore telle que premier jour. La combustion lente, 
dans les conditions où se trouve placé le bouillon, ne produit donc qu'une 
action tout à fait insensible, qu'il faudrait des années pour rendre 
apparente. 

La mème substance déposée depuis quelques jours seulement dans un 
autre vase, qui, sauf la courbure du col, présente tout à fait les mêmes 


650 ŒUVRES DE PASTEUR 


conditions, est déjà trouble, et si l’on faisait l'analyse de l’air contenu dans 
ce ballon, on trouverait que tout l'oxygène en a disparu et a été remplacé 
par une quantité à peu près égale en volume de gaz acide carbonique. 

La combustion lente de la matière organique y a donc été très sensible. 

D'où vient cette différence entre les deux vases? C'est que les sinuosités 
du premier n'ont pas permis aux germes répandus dans l’atmosphère 
d'atteindre le liquide qu'il contient; tandis que ces germes sont arrivés 
jusqu’au bouillon du second vase, et, trouvant dans cette substance un 
milieu favorable, s’y sont développés, et y ont donné naissance à des 
animalcules infusoires de la plus petite espèce connue. 

Du reste, le résultat eût été le même si, au lieu d’infusoires, il se fût 
développé une moisissure à la surface du liquide. 

Que faut-il conclure de ces phénomènes ? C’est qu’à la différence du fer, 
sur lequel la rouille se forme par le seul fait du contact immédiat avec l'air 
humide, pour que la combustion lente des matières organiques se produise, 
il faut qu'il y ait un intermédiaire, et que cet intermédiaire, ce sont les 
infusoires et les moisissures. 

M. Pasteur en donne pour exemple deux grappes de raisin. La première 
est à peu près telle qu’elle a été cueillie. Elle a subi seulement une légère 
dessiccation, mais elle est parfaitement saine. [autre est envahie par les 
moisissures, elle se consume peu à peu. C’est que celle-ci a été laissée à 
l'air humide, tandis que la première a été maintenue à l'air sec et que les 
germes des êtres microscopiques qui sont à sa surface n’y ont pas trouvé le 
degré d'humidité sulfisant pour se développer. 

Sur un signe de M. Pasteur, l'obscurité est faite dans la salle, et l’image 
photographiée d’une de ces moisissures, considérablement grossie et 
éclairée par la lumière électrique, apparait sur un large écran placé devant 
le professeur. 

La moisissure du raisin est formée d’une tige plus ou moins rameuse, à 
l'extrémité de laquelle se trouvent des chapelets de petites boules qui ne 
sont autre chose que les graines de la plante, et qui s’en détachent très 
facilement pour aller se déposer sur les objets environnants, où il suffira à 
chacune d’elles de trouver un peu d'humidité pour reproduire une moisis- 
sure semblable à la moisissure mère. 

Que fait, dit le professeur, au point de vue chimique, cette végétation 
microscopique à la surface de la grappe de raisin ? Elle fixe, c'est un fait 
d'expérience, corrélativement à son développement, le gaz oxygène sur 
tous les principes élémentaires de la matière du raisin, et peu à peu ces 
prince ipes élémentaires se dissipent dans l’atmosphère... Ce sont les êtres 
microscopiques qui sont les principes actifs de ce grand résultat. » 

La nature n’emploie-t-elle que cette seule voie pour arriver à la désasso- 
ciation de la matière organique et à sa destruction au contact de l'air ? Non, 
il y en a une autre qui a avec elle beaucoup d’analogie, et qui est peut-être 
plus intéressante encore : c'est la fermentation proprement dite. Lors de la 
fermentation du moût de raisin, un phénomène extérieur se produit : c'est 
un dégagement de gaz si rapide et si abondant, qu'on dirait une véritable 
ébullition. 

En même temps une transformation s'opère dans la masse du liquide. Le 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 651 


sucre du raisin se dédouble ; au bout de quelques jours, il a disparu complè- 
tement et il a été remplacé peu à peu pour moitié de son poids par un liquide 
nouveau, entièrement inflammable et volatil. L'acide carbonique qui s’est 
dégagé a emporté l’autre moitié. Quelques centièmes de PÉDAQIES différents 
se ont formés. Comment s'opère ce dédoublement du sucre ? Il n’y a aucun 
réactif chimique, aucun procédé de laboratoire qui permette, à l° heure qu'il 
est, à la science de l’effectuer. On ne connaît qu’un seul moyen de l'obtenir, 
c’est la fermentation. 

La fermentation est un phénomène d’un caractère tout à fait général. Si 
le degré d'humidité et l'élévation de la température sont suffisants, toute 
matière organique, quelle qu'elle soit, est fermentescible, à une condition 
toutefois, c’est qu’elle soit morte; mais cette condition remplie, dans l’espace 
de quelques heures, il y aura toujours la fermentation ou la putréfaction. 

Ici la science vient encore poser son éternel pourquoi, et se demande 
quelle est la cause de ce singulier phénomène. 

Pour le savoir, il suffit de regarder au microscope une goutte du liquide 
en fermentation, et l’on reconnait qu'elle est remplie de petites cellules 
toutes bourgeonnantes, qui constituent peut-être la forme la plus simple de 
l'organisation végétale, et dont les bourgeons, quand ils ont acquis à peu 
près le volume des cellules mères, se détachent et vont bourgeonner pour 
leur compte un peu plus loin. 

Ces petits végétaux sont la cause unique de la fermentation, et ce qui le 
prouve, c’est que, si l’on s'oppose de facon ou d’autre à leur développement, 
si, par exemple, on amène le moût du raisin à consistance de sirop, elle 
n’est plus possible. 

« Je puis exprimer ce résultat, dit le savant professeur, en affirmant 
qu'il n’y a pas une goutte de vin, pas une goutte de bière, pas une goutte 
de cidre qui n’ait été produite par ce petit végétal. 

Toutefois la science n’a pas encore dit son dernier mot sur ce sujet, elle 
ne sait trop comment expliquer la transformation si prompte de la matière 
sucrée; mais dans ces dernières années on a découvert de petits animaleules 
infusoires qui ont la singulière propriété de vivre absolument à l'abri du 
contact de l’air, et que l’air fait périr. 

M. Pasteur est convaineu que © est à ces petits êtres que se rattache tout 
le système de la fermentation, précisément parce qu'ils peuvent vivre sans 
air: parce que, étant besuconp plus avides d'oxygène que tous les autres 
êtres, ils ne peuvent le supporter quand il est bre, et qu'ils peuvent vivre 
au contraire dans les matières oxygénées où il n’est pas libre. Mais alors 
l'oxygène n'étant pas libre, il faut une action vitale pour le soustraire, et 
de là la cause de la fermentation. 

En présence de ce monde des infiniment petits, l'esprit humain voit les 
problèmes se multiplier devant lui. Mais il y en a un qui prime tous les 
autres et qui attire tout d'abord l'attention du savant, c’est celui de l’origine 
de ces petits êtres. D'où viennent-ils? Comment se forment-ils? Et l'esprit 
humain de se donner à lui-même tout d'abord la solution la plus commode 
de toutes, une solution qui a ce mérite de dispenser de toutes recherches 
. Cela vient tout seul, se dit-on, ce sont des générations 
spontanées ! 


652 ŒUVRES DE PASTEUR 


Le sujet qu'il traite ramène donc tout naturellement M. Pasteur à 
l'examen de cette grande question. Mais ne voulant pas rentrer dans une 
discussion qu’il a soutenue l’année dernière avec tant d'éclat, il se contente 
d'exposer l’histoire fort intéressante d'un de ces petits êtres dont il avait 
été pendant longtemps impossible à la science de surprendre le mode de 
reproduction. 

La nielle, cette maladie du blé, est produite par la présence dans les 
grains malades de petits vers microscopiques, les anguillules. 

Ces anguillules, M. Pasteur nous les montre d’abord endormies d'un 
sommeil léthargique dans le grain de blé desséché où elles sont logées ; 
puis retrouvant la vie lorsqu'un peu d'humidité a été rendue au grain, et 
s'agitant alors, frétillant avec une vivacité singulière. 

Ces anguillules n’ont absolument aucun organe de génération. Il n’y a 
parmi elles ni mâles, ni femelles. Done ce sont, a-t-on dit, des générations 
spontanées. 

Eh bien, voici à cet égard la vérité. Que parmi les grains de blé confiés 
par le laboureur aux sillons, il s’en trouve un qui soit niellé, ce grain 
s’imprégnera de l'humidité du sol, et tandis que cette humidité apportera la 
vie aux grains bien portants, les fera germer, se développer, le grain niellé, 
au contraire, se pourrira. L’humidité pénétrera jusqu'aux anguillules. 
Alors se réveillant de leur long sommeil, elles ressusciteront, pour ainsi 
dire, et perforant l’enveloppe pourrie qui les enferme, elles iront chercher 
les grains bien portants, y pénétreront, et s'établissant dans l'intervalle 
des feuilles naissantes, suivront peu à peu tout le mouvement de la jeune 
plante. 

Elles arriveront ainsi aux feuilles qui renferment le jeune épi, et finiront 
par pénétrer dans ses grains encore mous et laiteux. 

Une fois là, elles deviennent adultes; les unes prennent des organes de 
génération mâles, d’autres des organes femelles. 

Les femelles, fécondées par les mâles, pondent des œufs. 

De chacun de ces œufs sort une petite anguillule. Le père et la mere 
alors périssent; les débris de leur corps se résorbent entièrement, et quand 
l’épi niellé est mûr, il n’y a plus dans le grain que les petites anguillules 
dont nous parlions tout à l’heure, et qui demeurent sans mouvement si l’épi 
est sec. Vous voyez qu'il n’y a plus de difficultés d’origine pour ces 
anguillules. Ce sont des jeunes qui n’ont pas encore d'organes de génération 
visibles, qui ne les ont qu’en puissance. 

Après cette courte excursion sur le domaine des générations spontanées, 
le professeur revient à la question qui fait l’objet principal de sa conférence 
et à l'examen du cas particulier qu'il a choisi pour sujet de ses démonstra- 
tions. Après avoir montré comment, par suite de la fermentation du moût de 
raisin, le sucre qu'il contenait a disparu, comment de l'acide carbonique 
s’est produit et de l'alcool s’est formé dans la masse du liquide, il se 
demande si la série de phénomènes successifs qui ont pour but la désagré- 
gation de la matière, la restitution des éléments qui la composent à la 
source commune, est décidément terminée. Il n’en est rien. Après que la 
fermentation s’est arrêtée, de nouveaux phénomènes se produisent. La fleur 
du vin, la fleur du vinaigre apparaissent à la surface du liquide. 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 653 


Ce sont des végétations analogues à celles dont il a déjà été question 
tout à l'heure. 

M. Pasteur met sous les veux du public les images agrandies de ces 
moisissures, qui sont fort belles. Leur action, en ne sur le liquide 
l'oxygène de l'air, a pour résultat de transformer l'alcool; la fleur du vin 
en fait immédiatement de l’eau et de l’acide carbonique ; celle du vinaigre le 
change d’abord en acide acétique. 

Mais le vinaigre est encore une matière organique, et si le cercle des 
transformations s’arrêtait là, il ne serait pas complet. Ces petits êtres 
microscopiques peuvent continuer leur action comburante, et alors peu à 
peu tout le charbon et tout l'hydrogène du vinaigre passent à l’état d’acide 
carbonique et de v vapeur d’ eau, et la matière organique tout entière finit par 
se détruire et par faire retour à l’atmosphère 

La conclusion de cette étude, c’est done que la vie ne saurait exister sur 
la terre, s'il n° avait pas en même temps, non seulement la mort, mais la 
dissolution, qui en est la conséquence; c’est que des êtres immortels 
auraient bientôt épuisé cette source de toute existence, qui est l'air dont 
nous sommes environnés; c'est que ces infiniment petits, qui ne s'offraient, 
il y a quelques années encore, aux regards du savant que comme une preuve 
curieuse de l’exubérante fécondité de la nature, jouent au contraire un rôle 
immense dans l'univers, et que la disparition des espèces microscopiques 
entrainerait toutes les autres dans une ruine commune. 

C’est là ce que la chimie moderne a découvert, et ce sera son éternel 


honneur. 


NIII. — RAPPORT FAIT, 
AU NOM DE LA SECTION DES CULTURES SPÉCIALES, 
PAR M. PASTEUR, 
SUR L'ENSEMBLE DES TRAVAUX DE M. GAYON (1) 


Messieurs, 


Votre Section des cultures spéciales vous propose de décerner à 
l'ensemble des travaux de M. Gayon, professeur à la Faculté des sciences 
de Bordeaux, votre grande médaille d’or. 

En 1875, au début de sa carrière scientifique, M. Gayon (2?) a démontré 
par des preuves irrécusables que l’altération des œufs de poules et d'oiseaux, 
en général, était corrélative de la vie et de la multiplication d'êtres infi- 
niment petits. Un œuf de poule abandonné à lui-même ne tombe pas toujours 
en putréfaction; M Gayon a établi que toutes les fois que l'œuf pourrit, 
c'est par la présence de bactéries et de vibrions, et, par des observations 
multipliées, il a rendu plus que vraisemblable que les germes de ces 
microbes provenaient de l’oviducte de la poule, dont l’orifice extérieur com- 
munique librement avec l'air atmosphérique. Ils pénètrent dans l'œuf 
pendant la sécrétion de l’albumine et des membranes coquillières. 

Ces faits sont utiles à connaitre pour les personnes qui cherchent à 
conserver industriellement les œufs. 

M. Gayon s’est livré ensuite aux expériences les plus intéressantes sur 
la fermentation des matières sucrées par l’action de diverses moisissures (#). 
Il a rencontré dans ces études un fait très nouveau et du plus grand intérêt 
physiologique. On savait depuis longtemps que le sucre de canne, avant de 
fermenter, doit se transformer en sucre interverti ou sucre de fruits ineris- 
tallisable; en outre, que cette modification dans la nature du sucre est 
provoquée par une substance soluble que fournissent les cellules de la levüre 
de bière. Beaucoup de moisissures vulgaires ont la propriété de sécréter 


1. Mémoires de la Société nationale d'agriculture de France, CXXIX, 1884, p. 69-72. 

2. Gayox. Recherches sur les altéralions spontanées des œufs. (Thèse pour le doctorat ès 
sciences physiques.) Paris, 1875, 102 p. in-4° (1 pl.). 

3. Gayox. Sur l'inversion et sur la fermentation alcoolique du sucre de canne par les moi- 
sissures. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXX VI, 1878, p. 52-54. — Sur la 
constitution du glucose inactif des sucres bruts de canne et des mélasses. 1bid., LXXXVNII, 
1878, p. 407-408. (Notes de l'Édition.) 


FERMENTATIONS El GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES 655 


une substance analogue, peut-être même identique à celle que sécrète la 
levûre. En conséquence elles ont, comme la levüre, la propriété de trans- 
former le sucre de canne en suere incristallisable, tout prêt à éprouver la 
fermentation alcoolique. 

M. Gayon, dans un travail remarquable, a reconnu l'existence de moi- 
sissures capables de provoquer la fermentation alcoolique des sucres incris- 
tallisables et des glucoses, mais tout à fait impropres à transformer le sucre 
de canne en sucre incristallisable. Le mycelium des moisissures dont il 
s’agit, tout aussi bien que les cellules de la levüre spéciale auxquelles ces 
myceliums peuvent donner naissance, quand l'oxygène de l'air leur fait 
défaut, ne sézrètent aucune substance soluble capable d’intervertir le sucre 
cristallisable. Ce sont là, je le répète, des faits d’un haut intérêt physiolo- 
gique. M. Gayon n'a pas oublié de faire remarquer que la pratique pouvait 
trouver ici l’occasion d’une application qui, mieux étudiée dans ses condi- 
tions économiques, pourrait servir un jour l'industrie sucrière. Il a montré 
qu'il était facile de séparer, par le fonctionnement physiologique des moi- 
sissures dont nous venons de parler, les glucoses incristallisables du sucre 
de canne ou de betterave proprement dit. En faisant agir le mucor circi- 
nelloides sur une solution de sucre cristallisable et de glucose, le glucose 
fermente et le sucre cristallisable reste intact. Après la distillation du 
liquide qui permet de recueillir l’alcool correspondant à la fermentation 
du glucose, le sucre cristallisable se trouve isolé et séparé du produit qui 
nuisait le plus à sa cristallisation. 

Sans m'arrèêter à plusieurs autres travaux de M. Gayon où l'on retrouve 
encore la même délicatesse d'observation, je passe à ceux qui l’occupent 
depuis ces dernières années et qui jettent une lumière nouvelle sur certains 
phénomènes plus particulièrement du ressort agricole. 

M. Gayon, en collaboration avec un de ses élèves, M. Dupetit(1), a 
reconnu que les nitrates, contenus dans le sol et dans les eaux, se décom- 
posent sous l'influence de microbes anaérobies. Suivant la nature de l'agent 
réducteur, la décomposition s'arrête à la formation de nitrites ou bien elle 
va jusqu'aux bioxyde et protoxyde d'azote, ou même elle peut aller jusqu à 
la décomposition complète, c’est-à-dire au dégagement du gaz azote. Ces 
expériences expliquent la disparition des nitrates dans les sols peu aérés et 
la présence des nitrites dans les eaux d’égouts et dans les eaux de drainage. 

Présentement, M. Gayon se livre à des recherches qui n’ont pas moins 
d'intérêt que toutes celles dont je viens de parler. Elles s'appliquent à la 
fermentation des fumiers (?). M. Gayon démontre que les fumiers de 
cheval ou de vache, pris à l'état frais et soustraits à l’action comburante de 
l'air, donnent lieu à un abondant dégagement de gaz, formé d’un mélange 
d'acide carbonique et de protocarbure d'hydrogène. La proportion de ce 
dernier gaz peut atteindre 100 litres par jour par mètre cube de fumier, de 
telle sorte que cette fermentation pourrait, à la rigueur, devenir une source 
de gaz utilisable au chauffage ou à l'éclairage. Quant à la cause du phéno- 


1. Gavox et Durerrr. Sur la transformation des nitrates en nitrites. Zbid.. XUV, 1882, 
p. 1365. 

9. Gayox. Recherches sur la fermentation du fumier. Zbia., XCVIII, 1884, p. 928. (Notes 
de l'Édition.) 


656 ŒUVRES DE' PASTEUR 


mene, elle est due à un microbe très ténu, anaérobie et cultivable dans des 
liquides appropriés. . 

Votre Section des cultures spéciales a pensé que M. Gayon, par tous ces 
travaux marqués au coin de la plus fine analyse et par leur tendance à 
éclairer beaucoup de phénomènes agricoles d'une grande importance 
méritait votre première médaille d’or. C’est la récompense qu’elle a l’hon- 


neur de vous proposer en faveur de l’ensemble des travaux de cet habile 
observateur. 


TABLE DES MATIÈRES 


DU TOME II 


IxrropucTION pu roue Il 


I. FERMENTATIONS. FERMENTATIONS LACTIQUE, ALCOOLIQUE, 
BUIYRIQUE, E1C. (1857-1863) . 


Mémoire sur la fermentation appelée lactique . 


I. — Avant-propos 
= HMSORCGE 0 © pue cs voor ae 
III. — Nouvelle levûre. — Sa préparation. — Ses propriétés. — 


Ses analogies et ses différences avec la levüre de bière . 
Mémoire sur la fermentation appelée lactique (Extrait par l'auteur) . 
Mémoire sur la fermentation alcoolique (Extrait par l’auteur) . 
Sur la fermentation alcoolique (Lettre à M. Dumas). 
Mémoire sur la fermentation de l'acide tartrique. 


Production constante de glycérine dans la fermentation alcoolique |Lettre 
à M. Dumas) 


Nouvelles recherches sur la fermentation alcoolique. 


Nouveaux faits concernant l'histoire de la fermentation alcoolique (Lettre 
à M. Dumas) 

[Sur la fermentation alcoolique] . 

Nouveaux faits pour servir à l’histoire de la levûre lactique [Lettre à 
M. Dumas] 

{Note sur la fermentation nitreuse|. 

Nouveaux faits concernant la fermentation alcoolique (Lettre à M. Dumas). 

Nouveaux faits relatifs à la fermentation alcoolique; cellulose et matières 
grasses de la levüre constituées aux dépens du sucre (Lettre à M. Dumas). 

Note [à propos des « Remarques sur la fermentation alcoolique de la levüre 
de bière » présentées par M. Berthelot] . 


FERMENTATIONS ET GÉNÉRATIONS SPONTANÉES. s Ps 


44 


658 ŒUVRES DE PASTEUR 


Mémoire sur la fermentation alcoolique (Extrait par l’auteur). 


Mémoire sur la fermentation alcoolique {avec 9 fig.). 


Introduction. RL 2 ne Leu et A RE OU IERE 
Première partie : Ce que devient le sucre dans la fermentation alcoo- 
lique . 3 TRS , RCE ; : 
$ 1. — Historique de l'état el Fe 1e science sur une de la 


fermentation alcoolique À ere 
$ IL. — La glycérine et l'acide succinique sont %e Rod de 1 
fermentation alcoolique. Leur sépuration et leur dosage . : 
$ III. — Application de la méthode d'analyse précédente à un 
exemple particulier OS 5 o à 
$ IV. — Les éléments de l'acide succinique et de la glycérine sont 
empruntés au sucre. La levüre n'y prend aucune part. : 
$ V. — La glycérine, l'acide succinique, l'alcool et l'acide carbo- 
nique ne sont pas les seuls produits de la fermentation alcoolique. 
VI. — De l'équation de la fermentation alcoolique. 


(070) 


VIT. — Addition au paragraphe précédent. 


2 CN 


VIII. — L'acide succinique et la glycérine sont des produits con- 
stants de la fermentation alcoolique . 4 
$ IX. — De la production accidentelle de l'acide aies dans la 
fermentation alcoolique - DE es FR 
$ X. — Des variations que l’on beurre dans les dons des 
produits de la fermentation . . . . : L es 
Deuxième partie : Ce que devient la LS Gre de bière Are la nes 
tation alcoolique . ETS Eee ; 
$ I. — Historique de l’état ac el de e science sur e levure d Dore 
et ses modifications pendant la fermentation alcoolique. 
$ II. — L'azote de lalevüre ne se transforme jamais en ammoniaque 
pendant la fermentation alcoolique. Loin qu'il se forme de l’ammo- 
niaque, celle que l’on ajoute peut même disparaitre. : < 
III. — Production de levüre dans un milieu formé de sucre, un 


N 
sel d'ammoniaque et de phosphates . SR  E à 0 

& IV. — Étude des rapports de la levüre et du sucre. Ce que de 
l'azote de la levüre pendant la fermentation alcoolique. 

$ V. — Dans toute fermentation alcoolique une partie du sucre se 
fixe sur la levüre à l’état de cellulose. ss Carl 

$ VI. — Dans toute fermentation alcoolique une partie du sucre se 
fixe sur la levûre à l’état de matières grasses 

$ VIT. — Vitalité permanente des globules de levüre 

$ VIII — Application de quelques-uns des résultats de ce Mémoise 


à la composition des liquides fermentés. Études particulières sur 
le vin. 


Note sur la fermentation alcoolique. 


Note relative au penicillium glaucum et à la dissymétrie moléculaire des 
produits organiques naturels . 


Recherches sur le mode de nutrition des mucédinées . 


ÿai 


79 


93 


102 


129 
131 


TABLE DES MATIÈRES 


Sur la fermentation visqueuse et la fermentation butyrique . . . . 


Animalcules infusoires vivant sans gaz oxvgène libre et déterminant des 
fermentations . . . 


Sur les prétendus changements de forme et de végétation des cellules de 
levüre de bière suivant les conditions extérieures de leur développement. 


Sur les ferments . 
Expériences et vues nouvelles sur la nature des fermentations. 


Influence de l'oxygène sur le développement de la levüre et la fermentation 
alcoolique 


Quelques faits nouveaux au sujet des levüres alcooliques (avec 12 fig.) . 


Nouvel exemple de fermentation déterminée par des animalcules infusoires 
pouvant vivre sans gaz oxygène libre, et en dehors de tout contact avec 
l’air de l'atmosphère , . 

P 


Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphérique dans la destruction 
des matières animales et végétales après la mort. . . 


Note sur la présence de l'acide acétique parmi les produits de la fermentation 
alcoolique . . 


Note relative à une communication de M. Béchamp . . 
Recherches SumlaputLélaGlon ER CCE 


Remarques [sur une classe de phénomènes de décomposition s’effectuant 
avec dégagement de chaleur]. 


ÉTUDES SUR LE VINAIGRE. FERMENTATION ACÉTIQUE (Note de l'Édition). 


ÉD ES SUR LE SVINU Note de DÉMITION) ee + à Me ne à 


II. GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES (1860-1866) . 


Expériences relatives aux générations dites spontanées. . . . . . .. 


De l'origine des ferments. Nouvelles expériences relatives aux générations 
dÉeSRSDONTINÉES CRE Ce re cie 


Nouvelles expériences relatives aux générations dites spontanées. 
Suite à une précédente communication relative aux générations dites spon- 
LATÉES EN -E-e 


De l'influence de la température sur la fécondité des spores des mucédinées. 


Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère. 
Examen de la doctrine des générations spontanées [avec 33 fig.). . 
Chapitre premier. Historique . 


659 


134 


148 


150 


660 ŒUVRES DE PASTEUR 


Chapitre II. Examen au microscope des particules solides dissémi- 
nées dans l'air atmosphérique . . . . 
Chapitre III. Des expériences avec l'air calciné. . . . . . . .. 
Chapitre IV. Ensemencement des poussières, qui existent en suspen- 
sion dans l'air, dans des liqueurs propres au développement des 
OrSANISMeS AITÉR AURSER EE. UC CE 
Chapitre V. Extension des résultats qui précèdent à de nouveaux 
liquides très altérables. — Urine. — Lait. — Eau sucrée albumi- 
neuse mélée decarbonate de chaux 
Chapitre VI. Autre méthode très simple pour dénoiues que toutes 
les productions organisées des infusions (préalablement chauffées) 
ont pour origine les corpuscules qui existent en ue dans 
l'air RD RIque : ; ire 
Chapitre VIT. Il n'est pas exact que de at Dette quantité d'< air Crus 
naire suffise pour faire naître dans une infusion les productions 
organisées propres à cette infusion. — Expériences sur l'air de 
localités diverses. — Inconvénients de l'emploi de la cuve à mer- 
cure dans les expériences relatives aux générations dites spon- 
tanées - .". PROMESSE A 6 Lio à o c 
Chapitre VIT. De r action comparée de la température sur la fécon- 
dité des spores des mucédinées et des germes qui existent en 
SUSpPenSIondans l'AMOSPhÈTE NN EN NET C TR RE 
Chapitre IX. Sur le mode de nutrition des ferments proprement dits, 
des mucédinées et'des Vibrioniens 


Sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère. Examen de 
la doctrine des générations spontanées (Leçon professée à la Société chi- 
miquedearis le 1IIMmaMsCT EEE EEE TE 

Rectification d’un passage d'une Note présentée à l'Académie par MM. Joly 
et Musset 

Examen du rôle attribué au gaz oxygène atmosphérique dans la destruction 
des matières animales et végétales après la mort (Note de l'Edition) 


Drscussron AVEC MM. Poucxer, Jozy ET Musset. . . 


Note en réponse à des observations critiques présentées à l’Aca- 
démie par MM. Pouchet, Joly et Musset, dans la séance du 21 sep- 
tembre dernier .. 

Remarques [à l'occasion d’une réponse de MM. Joly et Musset à la 
Note précédente]. 

Note sur les générations spontanées 

Note sur une fausse allégation d'un ouvrage récent de M. Pouchet. 

Note [en réponse à une lettre de M. Pouchet, en date du 17 jan- 
vier 1864]. 

Remarques [à l'occasion d'une lettre de MM. Pouchet, Musset et Joly 
priant l’Académie d’ajourner jusqu'à l'été prochain les expériences 
qu'ils doivent répéter devant elle]. 


225 


LL 
[AI 
(le) 


264 


TABLE DES MATIÈRES 


Des générations spontanées (Conférence faite aux « Soirées scientifiques 
de la Sorbonne », le 7 avril 1864 

Note relative à des réclamations de priorité soulevées par M. Béchamp, au 
sujet de mes travaux sur les fermentations et les générations dites 
spontanées 

Observations verbales relatives à des Notes communiquées à l'Académie 
par M. Victor Meunier dans les séances des 28 août, 11 septembre et 
11 décembre 1865 [sur les générations dites spontanées}. 

Observations verbales présentées après la lecture de la Note de M. Donné 
sur les générations dites spontanées] 

Observations verbales présentées après la lecture de la Note de M. Donné 


:sur les générations dites spontanées] 


Observations [au sujet de la Note de M. Pouchet : Sur la résistance vitale!. 


III. NOUVELLES RECHERCHES SUR LES FERMENTA- 
TIONS. DISCUSSIONS SUR L'ORIGINE ET LA 
NATURE DES FERMENTS (1871-1879) . 


Note sur un Mémoire de M. Liebig, relatif aux fermentations. 


Discussion AvEc MM. FrEMY ET TRÉCUL SUR L'ORIGINE ET LA NATURE 
DES FERMENTS. . . . . . 


[Réponse à M Fremy|. . 


Observations | 


à propos d'une Note de M. Trécul sur l’origine des 


levûres lactique et alcoolique |. 
Note [à propos de la mème Note de M. Trécul] 


Sur la nature et l’origine des ferments. Réponse à la Note de M. Fremy 
insérée au dernier Compte rendu 


Réponse à M. Fremy . 
Nouvelles observations au sujet des communications de M. Fremy. 


Nouvelles expériences pour démontrer que le germe de la levüre qui 
fait le vin provient de l'extérieur des grains de raisin 


Réponse à M. Fremy . 


Faits nouveaux pour servir à la connaissance de la théorie des fer- 
mentations proprement dites 


Réponse à M. Fremy . 


Observations au sujet des deux Notes que M. Fremy a publiées dans 
les Comptes rendus de la séance du 7 octobre . 


Observations verbales au sujet de la lecture de M. Fremy 


Réponse à M. Trécul 


661 


328 


347 


359 


361 


662 ŒUVRES DE PASTEUR 


Note sur la production de l'alcool par les fruits 


Note au sujet d’une assertion de M. Fremy, publiée dans le der- 
nier Compte rendu . 


Réponse à M. Fremy. 
Réponse à M. Fremy . 
Réponse à M. Trécul . 


Note au sujet de la communication de M. Fremy, insérée au der- 
nier Compte rendu 


Observation sur la rédaction du dernier Compte rendu. 
[Note] 
Réponse à une Note de M. Tréecul. 
Observations au sujet du procès-verbal de la dernière séance . 
Réponse à M. Trécul . 
Réponse à M. Trécul 
Observations au sujet de trois Notes de MM. Béchamp et Estor 
ÉTUDES SUR LA BIÈRE (Note de l'Édition) . 
Production de la levûre dans un milieu minéral sucré. . 


Sur l'expérience de Gay-Lussac relative au départ de la fermentation du 
moût de raisin par l’action de l'oxygène de Pair 
Sur la fermentation du moût de raisin. 


Nouvelles observations sur la nature de la fermentation alcoolique [Réponse 


à MM. Brefeld et Traube] 


DiscussiON A L'ACADÉMIE DE MÉDECINE SUR LA FERMENTATION ET LES 
GÉNÉRATIONS DITES SPONTAXNÉES (Note de l Edition). 


Sur la putréfaction des œufs [à propos d'un Mémoire de M. Gayon 
Sur la fermentation. 


Note sur la fermentation à propos des critiques soulevées par les D'S Brefeld 
et Traube . 


De l'origine des ferments organisés 


Note au sujet d'une communication de M. Sacc, intitulée : « De la panili- 
cation aux Etats-Unis et des propriétés du houblon comme ferment ». 


Note sur la fermentation des fruits et sur la diffusion des germes des levüres 


alcooliques 


Note au sujet de la communication faite par M. Durin [sur la fermentation 


cellulosique du sucre de canne] {avec 1 fig. 
Réponse à M. Fremy [sur la génération intracellulaire du ferment alcoolique]. 


FERMENTATION DE L'URIXE (Vote de l'Edition) 


JABLE DES MATIÈRES 
Discussion AVEC LE D' BASTIAN SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES. 


Note sur l'altération de l'urine, à propos d’une communication du 
D' Bastian, de Londres 


Sur l’altération de l'urine. Réponse à M. le D' Bastian. 


Note sur l’altération de l'urine, à propos des communications récentes 
du D' Bastian {avec la collaboration de M. Joubert) 


Réponse à M. le D' Bastian . 


Sur les germes des bactéries en suspension dans l'atmosphère et 
dans les eaux {avec la collaboration de M. Joubert) 


Réponse verbale au D' Bastian . 


Note au sujet de l'expérience du D’ Bastian, relative à l'urine neutra- 
lisée par la potasse (avec 1 fig.) . 


Réponse verbale à M. Trécul à propos de l'origine des levüres alcooliques|. 

Note à l’occasion du procès-verbal de la dernière séance. 

[Remarques à l’occasion de la communication de M. Gunning sur l’anaé- 
robiose|. 

Discussrox AvEc M. TRÉCUL SUR LES AÉROBIES ET LES ANAÉROBIES. 


Réponse à M. Trécul 
Réponse aux Notes de M. Trécul des 30 décembre et 13 janvier. 
Observations [à M. Trécul|} . 


Observations verbales [à M. Trécul 


IV: EXAMEN CRITIQUE D'UN ÉCRIT POSTHUME DE CLAUDE 
BERNARD SUR LA FERMENTATION. 
Introduction 


Examen critique d'un écrit posthume de Claude Bernard sur la fermenta- 
tion {avec 8 fig.). 


Appendice 


Discussion avec M. Berthelot. 


DOCUMENTS . 


I. — Lettre manuscrite adressée par Pasteur à chacun des membres 
de la Commission du prix de physiologie expérimentale pour 
l’année 1858 . 


IT. — Rapport sur le Concours pour le prix de physiologie expérimen- 
tale, fondation Montyon, année 1859. 


663 


459 


466 


VIIT. 


ŒUVMRES"DE’: PASTEUR 


Lettre manuscrite de Pasteur à Pouchet . 
Rapport sur le prix Jecker, année 1861 


Prix Alhumbert pour l’année 1862. Rapport sur ce Concours fait 
dans le comité secret de la séance du 1°" décembre. 

Rapport sur les expériences relatives à la génération spontanée . 

Des fermentations ou du rôle de quelques êtres microscopiques 
dans la nature (Résumé par M. Danicourt d'une conférence 
faite par Pasteur aux « Soirées scientifiques de la Sorbonne »). 


Rapport fait, au nom de la Section des cultures spéciales, par 
M. Pasteur, sur l'ensemble des travaux de M. Gayon. 


Paris. — L. MARETHEUx, impx meur, 1, rue Casselte. 


LI 
4 


T PTS 


nu At LD AIR A te À ed AK 0h D de go mm tn mt me 


AS à 5 SR Re > ce Ce cs | à ‘ 

7 Ë : : = : + ; . = A È z 

= ; | STATS DR Se è FER De RES 

LS Ë = = - C = = F7: < = 
TT = 2 £ a 2 2 pe 

= = 

- D &