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OEUVRES
DE PIERRE CAMPER,
QUI ONT POUR OBJET
L’HISTOIRE NATURELLE,
LA PHYSIOLOGIE
ET L’AJNATOMIE COMPARÉE.
TOME TROISIÈME.
A PARIS,
CHEZ H. 3. 3ANSEN, RUE DES POSTES, N». 6,
PRÈS DE l’estrapade.
AN XI,
I 8 O 5.
LEÇONS
SUR L’ ÉPIZOOTIE
QUI RÉGNA
DANS LA PROVINCE DE GRONINGEN
EN 1769.
PREFACE.
ERS la fin de 1768 Fépizootie se déclara dans
la province de Groningen , particulièrement dans
le district de la ville de ce nom, mais surtout dans
le village de Haren; et, se propageant insensible-
ment, enleva, pour ainsi dire, toutes les bêtes à
cornes du village de Helpen. Dès ce moment, tous
les habitansbien intentionnés de ces cantons, ainsi
que les magistrats de la capitale, songèrent sincè-
rement à en arrêter les progrès. Un des principaux
membres de la magistrature fît à M. Van Doeve-
O
ren , mon collègue , et à moi , l’honneur de nous
consulter sur les moyens de diminuer les ravages
de ce terrible fléau , et d’en délivrer même entiè-
rement ce pays, s’il étoit possible. Je crus dès-lors
qu’il étoit démon devoir d’employer tous mes soins
à connoître la nature de l’épizootie, et j’j'' consa-
crai en conséquence les vacances d’hiver.
Après avoir acquis les connoissances nécessaires,
par la lecture des meilleurs auteurs qui ont écrit
sur cet te matière, ainsi que par mes propres obser-
vations sur les principaux symptômes de cette ma-
ladie, et l’ouverture d’un grand nombre de hes-
liaux qui en étnient morts, j’en conciliai: que
8
PRÉFACE,
l’épizootie est une maladie naturalisée dans ce pays,
qui doit continuer à y régner tantôt avec plus et
tantôt avec moins de violence 5 de même que nous
savons que cela a lieu avec la petite vérole parmi
les hommes.
Ces considérations me firent croire qu’il ne se-
roit pas inutile, de donner quelques leçons pu-
bliques sur la structure interne des bêtes à cor-
nes, et d’y joindre l’histoire de la maladie même,
ainsi que tout ce qui pourroit me paroître néces-
saire pour pénétrer mes élèves de l’idée qu’il est
du devoir d’un médecin de veiller non-seulement
à la santé de ses concitoyens 5 mais qu’il lui est éga-
lement imposé de donner ses soins à tous les ani-
maux utiles à la société, tels que boeufs, chevaux,
moulons , etc.
Je me flattois que mon exemple serviroit à sti-
muler les jeunes médecins, parmi lesquels il y
en avoit déjà plusieurs d’un mérite distingué; et
que, par là , je rendrois un véritable service à ma
patrie
L’assiduité avec laquelle les principaux liabitans
de cette ville se rendoient à mes leçons sur l’ana-
tomie, et le désir que plusieurs d’entr’eux témoi-
gnoient de s’instruire de tout ce qui a quelque rap-
port à l’épizootie, me détermina à inviter les pro-
moteurs des connoissances utiles en général , et de
l’anatomie en particulier , à se rendre à mes le-
PRÉFACE.
9
çons publiques; ce que je fis par le programme
suivant :
Q. F. F. Q. S.
Saviente cum maxime Peste Bovilla
Ut rerum N ataralium Studiosi rationem inorhiy
partesque dirissima contagione adfectas ,
melius inelligant ,
IN
VITU LINO CAD AV ERE
Intestina , et prasertim quæ ruminandi facul-
tatem , et artijîciiim hoc morbo plaîie
conturhatum spectant y
etc.
Le succès passa mon attente : Pamphilhéàlre
d’anatomie se trouva plein; ce qui ne fit qu’ac-
croître mon zèle, ne m’étant point flatté d’avoir
un auditoire aussi nombreux, aussi respectable. Je
donnai tous les soins que me permit le peu de
teins qui me restoit, aux leçons qu’on va lire; qui
toutes cependant furent lues en quatre jours. J’a-
voue que , quoiqu’accoutumé depuis long-tems à
parler en public, je ne me suis jamais trouvé plus
fatigué, ni en même teins plus rempli de courage;
tant est puissante la présence de personnes res-
pectables par leurs talens et par leur mérite?
lO
PRÉFACE.
On daigna me donner ensuite quelques éloges ,
et m’inviter à faire imprimer ces leçons. Mes élè-
ves surtout, qui assistoient régulièrement à mes
démonstrations anatomiques, me le demandèrent
avec instance. Flatté de tous ces témoignages d’ap-
probation , je commençai à concevoir moi-même
une idée favorable de mon travail. On sait que c’est
l’araour-propre qui détermine généralement nos
actions; je résolus donc enfin de publier ces qua-
tre leçons, après les avoir revues (i).
Cependant les cours continuels que j’étois obli-
gé de tenir à l’académie sur l’anatomie et la chi-
rurgie , pendant les mois de mars , d’avril et même
de mai, ne me permirent pas d’y mettre la der-
nière main.
Je n’étois pas satisfait d’ailleurs de ce que M. de
Buffon avoit dit des dents et des molaires du cbe-
vrotain ; je l’étois moins encore des observations de
Perrault sur les estomacs de la gazelle. Je ne pos-
sédois aucun de ces animaux dans mon cabinet
d’histoire naturelle. M. Van Doeveren me fit pré-
sent d’un jeune chevrotain , et M. Van der Wal
d’Amsterdam engagea M. Sprenkelman à me don-
ner mie jeune gazelle.
J’avois dit publiquement, en m’en rapportantà
(i) Ces leçons ont été lues publiquement à l’arapliitliéâtre d'ana-
tomie de la ville de Groningen.
PRÉFACE. H
Perrault, « que le gazelle n’a que deux estomacs;
« et que le clievrotain a des molaires, comme étant
(( un animal arrachant, » parce queBuffon m’avoit
induit en erreur à cet égard.
Immédiatement après avoir lu ces leçons je son-
geai plus que jam.ais à faire des essais d’inocula-
tion sur les bestiaux. Je pensai qu’il étoit nécessaire
de former pour cela une société , et communiquai
mon projet à quelques personnes de mes amis, qui
y donnèrent leur sanction. Je crus dès-lors devoir
publier mes idées sur cet objet, après avoir engagé
mon respectable collègue M. Van Doeveren à se-
conder mes vues; ce qu’il accepta avec empresse-
ment. Ayant fondé cette société le i6 mars 1769,
nous eûmes la satisfaction de la voir bientôt com-
posée d’un nombre assez considérable de membres,
comme on le verra par la suite, quand il sera ques-
tion des essais que nous avons faits.
Depuis le 28 avril jusqu’au 2 juin je n’avois ino-
culé dans les étables de la société que quatorze bes-
tiaux; de sorte que ces épreuves se faisoient avec
trop de lenteur.
A mon arrivée en Frise , je trouvai que la mor-
talité régnoit avec beaucoup de fureur principale-
ment du côté des bois; tandis qu’elle avoit presque
entièrement cessé dans la province de Groningen ;
de manière que je commençai à craindre que je ne
pourvois rien faire d’utile pour la province de
12
PRÉFACE.
Frise , ce qui néanmoins étoit mon principal but.
Quelques personnes respectables m’interrogèrent
sur la réussite de mes expériences; mais je n’étois
pas encore en état alors de rien statuer de certain.
D ailleurs, la petitesse de notre étable et nos occu-
pations à Groningen ne nous permettoient pas d’es-
pérer de pouvoir communiquer bientôt nos obser-
vations au public.
Je formai doncle projet d’inoculer le plutôt pos-
sible cent veaux d’un an dans l’endroit où la conta-
gion régnoit actuellement. M. le médecin Munniks
s’olfrit de mettre tousses soins aux essais que je ju-
gerois convenables de faire, et dont ilm’avoit déjà
vu exécuter la plus grande partie. Persuadé de son
zèle et de sa laborieuse patience , par les preuves
qu’ilm’en avoit données pendant qu’il étoit mon élè-
ve à Groningen , j’acceptai avec plaisir sa proposi-
tion. Je formai donc mon plan, et crus n’avoir besoin
que de deux mille florins, que je divisai en quarante
actions de cinquante florins chacune. Je ne tardai
pas à recevoir la souscription de vingt actions;
et cette société formée pour la Frise seule fut éta-
blie le i6 juin. Le zèle s’accrut à tel point, qu’en
très -peu de tems je vis non - seulement les qua-
rante actions remplies, mais il se présenta encore
vingt nouveaux souscripteurs vers le milieu de
juillet; de sorte que la société se trouva avoir trois
raille florins en caisse.
i3
PRÉFACE.
Le but principal de la société étoit de faire con-
ïioître avec assez d’exactitude par des essais sur un.
grand nombre de veaux d’un an: i°. La propor-
tion qu’il y auroit entre les bestiaux guéris et ceux
quiviendroient àmourir; 2”. d’examinersi lesbes-
tiaux guéris, étant placés parmi Ceux qui étoient
naturellement malades, ou inoculés une seconde
fois , se trouveroient de nouveau attaqués de la
maladie contagieuse ; 5°. si l’on pourroit em-
ployer avec fruit quelques remèdes, particulière-
ment les herbes médicinales qui croissent naturel-
lement par-tout dans ce pays? Mon intention étoit
de ne pas faire de choix dans la matière varioli-
que , afin de me rapprocher le plus possible de l’é-
pizootie naturelle.
Cependant l’augmentation de mille florins que
venoit de recevoir notre caisse, nous procura les
moyens de donner plus de latitude li nos essais.
Je me déterminai en conséquence à inoculer des
vaches laitières et des génisses ou des vaches qui
portoient pour la première fois , ainsi que des veaux
quiruminoient déjà, dépensai, que, par mes épreu-
ves sur les premières je travaillerois pour l’avenir,
et quepar celles sur les veaux, je serois utile pour
le moment actuel. Je crus aussi qu’il falloit varier
les manières d’inoculer, afin de savoirs! elles con-
venoient mieux que celles que d’autres avoient in-
diquées. Je me déterminai également à inoculer
i4
P 11 K F A C E.
de nouveau des bêtes qui avoient déjà été guéries
de l’épizootie naturelle. Tous ces essais n’avoient
pour but que d’acquérir des connoissances dans
Tart de guérir le bétail.
Les soins constans que je donnai à un objet de
cette importance, la lecture répétée des principaux
écrivains qui ont traité de cette matière et dont le |
nombre augmentoit chaque jourj portèrent mes
réflexions sur l’influence que l’épizootie a sur les
manufactures et sur la nature des ordonnances et
des réglemens du gouvernement publiés tant en
1713 que par la suite. Autant que j’ai pu m’enap-
perçevoir l’utilité des citoyens et leur bonheur en
ont été constamment les objets 5 mais ils n’ont ja-
mais été appuyés sur l’expérience. D’ailleurs , les
soins prévoyans qu’on a employés à cet égard,
quoique ayant pour but le bien général, ont été i
rendu infructueuxpar le caprice deshabitans : aussi
faut-il convenir que la nature de ce pays ne per-
met point de se soumettre à toutes les restrictions
qu’on vouloit imposer.
Après avoir parlé des expériences faites pour
opérer la guérison, j’examinerai : 1°. si les peaux
des bêtes mortes de l’épizootie peuvent réellement
communiquer la contagion , et combien de tems
agit cette vertu morbifique? 2“. Si le suif et la chair
de ces bestiaux sont contagieux , et pendant quel
espace de tems cela dure après leur mort? 5®. En-
PRÉFACE.
i5
fin , si la viande salée ou fumée peut communi-
quer la maladie à ceux qui en mangent ? Je pense
que ces considérations pourront être favorables aux
manufactures, et à tout ce qui en dépend; et peut-
être même les magistrats de ce pays pourront-ils
en tirer quelque avantage.
Je publierai le plutôt qu’il me sera possible le
résultat de ces expériences, avec toute la franchise
qui convient; afin que les Frisons qui ont été les
seuls à les encorrager, et dont le bétail se trouve
si cruellement attaqué de l’épizootie, puissent re-
cueillir le fruit de leur générosité et de leur zèle
pour le bien de leurs concitoyens.
MM.de BlokVanScheltinga,Idema et le médecin
Coopmans ont procuré à M. Munniks les moyens
de multiplier ces essais, en lui faisant passer des
bestiaux pour les inoculer ; et M. G. L. Steens-
ma de Midlum s’est joint à eux pour le même ob-
jet; ce qui ne peut servir qu’à encourager le zèle
de quelques autres personnes à faire les mêmes
expériences, et par conséquent à leur donner un
degré de certitude qui servira à faire connoître si
l’inoculation de l’épizootie doit être considérée
comme avantageuse , ou s’il est à craindre que ses
effets soient nuisibles.
Avant de terminer cette préface, je dois obser-
ver que ce n’est que long-tems après avoir lu et
corrigé ces leçons, que j’ai eu connoissancede l’ad-
r R É F A C E.
l6
mirable ouvrage de M. Elko Alla, publié en ij65^
ce qui me lâche d’autant plus, qu’il avoit , comme
moi, conclu d’un grand nombre d’observations
( page 1'] ) , que cette maladie s’étoit naturalisée
dans ce pays, et que c’étoit une véritable épidé-
mie. Cet estimable écrivain a pareillement prouvé
l’utilité de l’inoculation , qu’il a pratiquée lui-mê-
me le premier en Frise. Depuis j’ai eu la satisfac-
tion de faire sa connoissance et de tirer de gran-^
des lumières des entretiens que nous avons eu en-
semble sur cet objet.
J’olfre cet ouvrage au public, non comme un
traité complet sur l’épizootie, mais comme un es-
sai sur les principales connoissances nécessaires
pour parvenir à se former une idée exacte des par-
ties de l’animal qui sont les plus affectées par la
maladie, ainsi qu’une histoire concise de la con-
tagion elle-même.
Le i4 août 1769.
P. CAMPER.
LEÇONS
SUR L’ÉPIZOOTIE.
PREMIÈRE LEÇON.
.5
Des principaux vaisseaux sanguins du cou, des
jambes de derrière et de devant des bêtes d
cornes , et de la position naturelle de leurs in-
testins dans le ventre.
\
i Peut-on être surpris, messieurs, que je vous
f aie invité à venir entendre ces leçons publiques sur
! la structure des parties affectées par la déplorable
ü maladie qui l'ègne sur nos bêtes à cornes ? tandis
[ que nous nous trouvons tous intéressés à leur con-
ii servation ; et que d’ailleurs , sensibles aux malheurs
l de nos concitoyens, nous sommes naturellement
( poi'tés à employer tous les moyens qui peuvent
■ contribuer à augmenter la prospérité de Tétât.
Les bêtes à cornes nous donnent non -seulement
1 1 1.
2
j8
LEÇONS
du lait» du fromage, du beurre, de la viande,
du suif, des peaux , du poil , des cornes, delà
colley mais en même lems toutes sortes de légu-
mes , et surtout des grains , pour autant que leur
fumier est nécessaire à l’engrais de nos champs.
On sait d’ailleurs que la plus grande partie du ter-
rain de la République est destinée à des pâtura-
ges, où l’on voit avec ravissement des millions de
bestiaux , dont il n’y en a nulle part ni d’aussi
beaux, ni d’aussi abondans en lait. Toutes les clas-
ses de citoyens jouissent parmi nous de cet inesti-
mable trésor j des milliers même n’ont pas d’autre
richesse, ni d’autre moyen d’exister: ceux-ci doi-
vent donc craindre de se voir réduits à la plus ex-
trême misère, si cette terrible épizootie continue
à nous enlever la plus grande partie de nos bes-
tiaux.
Il est par conséquent du devoir de tout bon ci-
toyen de chercher à trouver des moyens propres à
défendre contre la contagion des bestiaux qui con-
tribuent si puissamment, comme je l’ai dit, à no-
tre existence et à notre bien-être. Mais ce devoir
m’est surtout rigoureusement imposé, à cause des
sciences que je suis chargé d’enseigner à l’acadé-
mie, lesquelles ont une connexion plus intime que
celles de mes collègues avec le but salutaire dont
il est question.
Je ne regretterai point le tems que j’ai déjà em-
SUR ÉPIZOOTIE. 10
ployé et que je me propose de consacrer encore
à faire des recherches sur celte funeste maladie, si
par-là je parviens à seconder vos sages vues , en
vous aidant à découvrir les causes de ce fléau. Ces
essais serviront du moins à exciter le zèle des élè-
ves en médecine, dont les efforts seront peut-être
plus heureux , en suivant la marche que je leur
aurai tracée. Cet espoir flatteur me remplit déjà
d’avance de la plus douce satisfaction.
Mais taudis que des personnes distinguées par
leur mérite personnel veulent bien m’honorer en
ce moment de leur pi'ésence et encourager mes
efforts, ily en a certainement d’autres qui, tou-
jours mécontentes de tout ce qu’on peut entre-
prendre pour le bien général , ne manquei'ont pas
de dire hautement que ces essais ne sont que de
vaines et inutiles spéculations; que l’épizootie est
l’effet d’une juste punition de Dieu ! comme si
toutes Les maladies dont le ciel afflige l’humanité
ne doivent pas être considérées comme de sembla-
bles châtimens; et contre lesquelles cependant ces
déclamateurs sont les premiers à employer les re-
mèdes connus. Et qui parmi nous seroit assez dé-
pourvu de bon sens pour ne pas croire qu’il est
non-seulement permis de chercher à soulager nos
maux ; mais que c’est même un devoir que nous
impose la nature?
D’autres prétendent que ce n’est qu’aux fer-
ao
LEÇONS
miers et aux bouviers seuls qu’il apparlient de cou-
noîlre par expérience ce qui peut être salutaire
aux bêles à cornes ; tandis qu’on sait cej)endant
que la plupart d’entre eux, pour ne pas dire tous,
ne possèdent nullement les connoissances néces-
saires pour soigner ces bestiaux d’une manière con-
venable aux intérêts des propriétaires.
Mais supposons qu’on abandonnât aux gens de
la campagne le soin de traiter le bétail pendant
l’épizootie 5 quel avantage peut-on attendre de per-
sonnes qui, malgré leur zèle et leur attention , sont
incapables d’avoir quelque idée des causes et des
symptômes de celte maladie?
11 n’y a que les médecins seuls qui puissent con-
noître le siège de la maladie, sa nature et ses ca-
ractères; et parce que les efl'oi'ts de plusieurs d’en-
tre eux, tant de ce pays qu’étrangers, parmi les-
quels on compte quelques hommes de mérite , ont
paru jusqu’à présent infructueuses relativement à
sa guérison, faudra-t-il pour cela l’abandonner ,
ainsi que la conservation des bestiaux sains , aux
découvertes fortuites d’une tourbe ignorante? ou
bien, nous laissant aller au désespoir, resterons-
îious dans l’inertie, sans chercher à découvrir des
moyens efficaces pour parer à l’une et à l’autre ?
Je sais qu’un zèle religieux mal-entendu, que la
superstition , et ce qui est plus méprisable encore,
une basse jalousie , condamneront les efforts que
21
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
nous pourrons faire, et qu’on cherchera même à les
rendre infructueuses; mais je suis convaincu aussi
que , d’un autre côté , un grand nombre de per-
sonnes bien intentionnées de cette ville et des can-
tons voisins , voudront bien écouter nos conseils
et faire les sacrifices nécessaires pour subvenir à
des frais dont elles pourront non -seulement re-
cueillir elles-mêmes les fruits, mais qui tourne-
ront pareillement à l’avantage général du pays, si
nous parvenons un jour à trouver quelque spéci-
fique contre ce cruel fléau.
La plupart de ces antagonistes s’écrient : Pour-
quoi donc n’extirpez -vous pas la maladie conta-
gieuse par vos remèdes? et d’où vient que les sa-
vans de l’Europe entière ne sont pas parvenus en-
core à découvrir les moyens d’arrêter une épidé-
mie qui , dans ce siècle , a déjà enlevé tant de mil-
lions de bestiaux? Mais qui est-ce qui ne s’apper-
çoit pas que ces objections , quelques captieuses
qu’elles puissent paroître d’abord , sont dépour-
vues de tout fondement?
Je vais confirmer ce que je viens d’avancer par
une comparaison. La petite-vérole ne règne-t-elle
pas depuis plus de dix siècles dans ces contrées, et
n’y a-t-elle pas enlevé plusieurs milliers d’indivi-
dus, avant qu’on fut parvenu au degré de perfec-
tion avec lequel on traite et inocule aujourd’hui
cette maladie? Peut-être y a-t-il à peine un siècle
22
LEÇONS
cju’on a fait des progrès réels à cet égard. Il est con-
nu que les arts et les sciences, nommément ceux
qui ont pour objet le bien de la société en géné-
ral, ont été portés à un plus haut degré de per-
fection depuis l’institution des académies et des
sociétés savantes , et la publication d’un grand
nombre de journaux littéraires en tout genre.
N’est-on pas parvenu à faire, depuis trente ans,
plus de progrès dans la guérison du virus véné-
rien qu’on ne l’avoit fait auparavant pendant deux
siècles et demi , que cette affreuse maladie est con-
nue dans ce pays?
Pourquoi donc , dans le tems éclairé où nous
vivons, et tandis que tant d’hommes instruits et
guidés par leur amour pour le bien public, s’ap-
pliquent à la guérison de l’épizootie, n’espérerions-
nous pas de parvenir à trouver quelque remède ef-
ficace contre ce mal; tandis qu’on sait que ce soin
a été abandonné jusqu’à présent à des personnes
ignorantes qui n’ont eu recours qu’à des moyens
puérils et superstitieux, ou à de prétendus spécifi-
ques vemïs de contrées lointaines?
Mais en supposant d’ailleurs toutes choses égales,
personne ne pourra nier, je pense, que la connois-
sance de la disposition des parties internes des bêtes
à cornes contribue beaucoup à l’avancement de la
science ; et personne non plus aura assez peu de
jugement pour vouloir nier que par cette connois-
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 25
sance on parviendra plus facilement à distinguer
et le siège et les symptômes du mal.
Voilà, messieurs, quel est l’objet des quatre le-
çons que je me propose de vous lire sur cette im-
portante matière. Si par-là je ne parviens point à
vous faire connoître la nature de l’épizootie, ou à
vous indiquer les moyens de la guérir j du moins
elles vous instruiront à vous former une idée de
la structure interne d’un animal si utile à l’hom-
me, sous tous les rapports. Elles exciteront certaine-
ment votre admiration et votre respect pour l’Etre
Suprême qui a formé ces viscères et ces intestins
(qui d’abord pourront vous paroître un objet dé-
goûtant ) avec un art admirable , qui prouve tout
à-la-fois et sa sagesse infinie et sa puissance sans
bornes !
Je me suis pour cet effet procuré, à mes frais,
un veau sain et bien portant , pour ne pas intro-
duire inutilement dans cette ville un animal atta-
qué de la maladie contagieuse ; et je l’ai fait étran-
gler, afin que les vaisseaux sanguins ou d’autres
parties ne se trouvassent pas offensés, et fussent par
conséquent rendus inutiles à l’objet que je me
propose.
Nous commencerons par examiner le cours des
vaisseaux sanguins , pour bien connoître les en-
droits où se font les pulsations , et pouvoir juger
mieux par-là de la violence de la fièvre. J’indique-
S4 LEÇONS
rai ensuite les viscères et les intestins du ventre et
leur véritable situation 5 ce qui formera le sujet de
cette première leçon.
Dans la leçon suivante, je parlerai au long des
viscères du ventre, et particulièrement des quatre
estomacs , du foie , de la secrétion du fiel , de la
rate et des intestins ; pour vous entretenir ensuite
des viscères de la poitrine, de la construction de la
gorge et de la langue.
La troisième leçon sera consacrée entièrement
à examiner la rumination j et la quatrième et der-
nière leçon aiu’a pour objet l’histoire de l’épizoo-
tie, de ses accidens et de ses symptômes , ainsi que
la meilleui'e manière d’opérer sa guérison.
Je vous prie d’encourager mon zèle et de soute-
nir mon courage dans cette pénible entreprise par
la mêrue indulgence et la même flatteuse attention
avec lesquelles vous avez daigné m’honorer , de-
puis cinq ans, dans les fonctions que j’exerce ici.
PREMIÈRE DÉMONSTRATION.
Voici le veau, dont le cou, la poitrine, le ventre,
les quatre extrémités et la queue sont entièrement
dépouillés de la peau , et dont tous les vaisseaux
sanguins se trouvent exposés à nos regards. La con-
noissance de ces parties nous est absolument né-
cessaire pour examiner avec fruit les pulsations ,
SUR l’ É P I Z O O T I E. 25
diaprés les observations de plusieurs écrivains cé-
lèbres.
La plupart des observateurs hollandois , parmi
lesquels MM. Noseman , Tak et A. Kool se sont
principalement distingués , ont examiné le pouls
dessous la queue, près de l’anus; les Italiens, tels
que Lancisius, l’ont examiné aux artères du cou ,
ou du far>on , et à ceux des aisselles. Goelicke , au
conti’aire, s’est adressé pour cet effet au coeur. En
examinant ces différentes méthodes , il m’a paru
que la toux , qui est un des symptômes de cette
maladie, ne permet souvent pas de s’en rapporter
au coeur et au cou , et que la queue de la plupart
des bêtes malades est trop mal propre pour per-
mettre d’y faire des épreuves; tandis que chez d’au-
tres il est absolument impossible de trouver le
pouls dans cet endroit. Il m’a paru qu’il seroitplus
facile d’appercevoir les pulsations à l’artère de la
cuisse et à celle du bras, surtout pendant que les
animaux se tiennent tranquilles. Cependant l’ar-
tère du bras devient bientôt inutile, lorsque l’ani-
mal commence à tousser. Mais, quelque facile qu’il
soit de sentir le pouls aux vaches , cela est fort
mal aisé chez les boeufs, parce qi/étant moins ac-
coutumés à être sous la main de l’homme, ils sont
plus farouches, surtout pour les étrangers; et il
est, pour ainsi dire , absolument impossible d’en
venir à bout avec les jeunes veaux qui sont trop
S6 LEÇONS
impatiens , à moins que quelque personne qu’ils
sont lial)ilués à voir ne les amuse en leur grattant
le cou ou le dos , pour les faire tenir tranquilles.
Observez inaintenant le cou ou fanon, et voyez
comment les deux grandes artères se trouvent pla-
cées un ])eu au-dessous des sterno-hyoïdiens , qui
sont fort minces et qui cèdent facilement, à côté
de la trachée-artère, dont les anneaux paroissent
un peu comprimés latéralement , alin de leur don-
ner un ])lus libre passage. Or, du moment qu’on
porte les doigts sur cette partie le long de la tra-
chée-artère , le plus près possible du fanon , on ap-
perçoit distinctement le battement du pouls. Mais
du moment que ranimai commence à tousser et à
haleter le mouvement de pulsation est interrompu
et le pouls devient indécis.
Je passe donc à l’artère de l’aisselle qui prend
son origine de la sous-clavière, ou plutôt , comme
les bêtes à cornes n’ont point de clavicules , de la
branche latérale de l’artère du cou , et se trouve
couverte par un petit muscle pectoral épais , le-
quel part du sternum et va s’inserrer dans l’os du
bras; ensuite, par un second muscle pectoral qui
parlant du reste du sternum, et s’inserrant dans
l’humerus et l’ulna , forme un réseau membraneux
lequel couvre intérieurement l’avant-bras.
Cette artère , accom|>agnée de sa veine , passe ,
pour ainsi dire , le long du biceps , et s’enfonce
27
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
dessous le rond pi'onateur, pour ne plus reparoî-
tre; c’est-à-dire , qu’elle n’approche point im-
médiatement de la peau que derrière la tête du
radius.
Quand on porte la main par derrière , entre la
poitrine , dans l’aisselle , on distingue aisément
l’artère , qui se fait sentir comme une grosse corde
d’instrument, immédiatement dessous la peau. Cet
examen devient douteux quand l’animal tousse :
en le faisant du côté gauche , on sent, en même
tems, distinctement le battement du coeur.
La cuisse , dont je vais vous indiquer les mus-
cles , a un plus grand rapport avec celui de l’hom-
me ; on y trouve , surtout du côté intérieur , les
mêmes espèces des muscles. Remarquez de quelle
manière les muscles de l’abdonïen laissent , com-
me chez l’homme, une cavité pour le passage non-
seulement du psoas et de l’iliaque, mais aussi des
vaisseaux et des nerfs de la cuisse. Le couturier a
cependant une autre origine; il sort de l’os pubis
et couvre l’artère ; ou bien , comme je l’ai vu quel-
quefois, il se partage à son origine, et donne par-
la un plus libre passage aux vaisseaux en question.
L’artère de la cuisse , provenant ainsi du bas-
ventre , passe par le canal qui se trouve entre le
long adducteur et le vaste interne , transversale-
ment par-dessous le couturier, lequel, à cause de
sa direction oblique, ne continue pas long-tems à
28
L E Ç O N 3
le couvrir J par conséquent l’artère court immédia-
tement dessous la ])eau , par-dessus le grêle , ac-
compagnée de sa veine et de son nerf, le long du
tibia , vers le talon , intérieurement le long du bord
interne du tendon d’Achille, où, s’enfonçant plus
avant , elle échappe au tact et semble dispa-
roître.
Quelque bien que cette artère soit donc cou-
verte ])ar le couturier, elle se fait néanmoins sen-
tir dessous la peau, comme la corde tendue d’un
instrument, lorsqu’on introduit la main par der-
rière entre la pie et l’aîne d’une vache.
On peut faire cet examen par devant aussi bien
que ])ar derrière, lorsque les bestiaux se tiennent
debout j mais cela est impossible quand ils sont
couchés.
Il est facile maintenant de comprendre pour-
quoi MM. Nozeman , Tak et Kool ont préféré de
consulter le pouls par dessous la queue; parce
que, de quelle manière que se tienne l’animal de-
bout ou couché, il est toujours aisé d’y poi'ter la
main; la toux n’y produit aucun effet qui puisse
empêcher l’examen , et l’animal ne craint point
celui qui veut le faire. Voici cette artère. Vous
voyez la manière dont elle est placée dans une es-
pèce de canal, par dessous et le long des vertèbres
de la queue, et comment elle diminue d’épaisseur
à mesure qu’elle s’éloigne du bassin. Chez les bê-
SUE. l’ ÉPIZOOTIE. 529
tes maigres , par conséquent chez toutes celles qui
sont attaquées de l’épizootie , lesquelles , quoique
bien nourries, perdent bientôt tout leur embon-
point , c’est dans cet endroit qu’il est le plus facile
d’examiner le pouls. La répugnance ne vous arrê-
tera certainement pas dans cette opération , si l’a-
mour du bien public vous stimule à faire des ob-
servations de cette nature.
Après avoir indiqué les artères , nous sommes
naturellement conduits à examiner les pulsations,
et quel en est le nombre dans les bestiaux qui sont
bien portans. Je les ai trouvé plusieurs fois de
suite, exactement à 60 dans une minute. Le mar-
quis de Courtivron les fixe à 58, 42, et jusqu’à 45,
dans le même espace de tems. INLM. Nozeman, Tak
et Kool , les portent , avec moi , à 60 dans une mi-
nute. Ces pulsations augmentent en quantité jus-
qu’à 70, 75, même jusqu’à 90, ainsi que M. En-
gelman et d’autres l’ont observé avec moi; mais le
pouls devient alors si foible que bien souvent on a
de la peine à le sentir.
Pour bien faire cet examen on fait tenir la mon-
tre par une autre personne, et l’on commence à
compter à haute voix , au moment que l’aiguille
se trouve exactement sur une division desminutes;
ce qu’on continue ainsi pendant quelques minutes
de suite; après quoi on divise la somme totale des
pulsations par le nombre des minutes.
oo
LEÇONS
Mais celte expérience nie semble être plutôt un
simple objet de curiosité que de nécessité , parce
qu’il est facile de connoître l’épizootie par plusieurs
autres symptômes ; tandis que le pouls peut etre
également ou plus vif ou plus lent dans d’autres
maladies; cependant j’ai cru devoir vous en parler
ici, pour vous faire mieux comprendre la méthode
de quel([ues autres observateurs.
Maintenant je vais ouvrir en votre présence le
ventre de l’animal, afin que vous puissiez connoî-
tre la disposition naturelle des quatre ventricules,
des intestins, du foie , de la rate et des autres par-
ties. Observez comment le grand estomac ou la
panse, figure 2 , E. F. G. H. K. , dont je parlerai
plus au long dans la suite (i), sont placés, avec le
bonnet D. E. N. , entièrement dans la cavité gau-
che ; le bonnet se trouvant exactement dessous le
diaphragme dans le centre; la panse descendant
avec ses deux poches G. H. vers le côté gauche jus-
qu’à l’os ilion. Vous voyez dans la cavité droite ,
que dans ce veau, comme dans tous les jeunes ani-
maux ruminans munis de quatre estomacs, la cail-
lette M. X. O. P. est plus grande que la panse. L’é-
(i) J’ai cru devoir donner une représentation de ces parties,
laquelle, quoiqu’elle ne soit qu’une simple esquisse, ne laissera
certainemeot pas de jeter une grande lumière sur ceite des-
cription.
SUE. l’ ÉPIZOOTIE. 3l
piploon couvre en partie l’une et l’autre, et con-
tient les intestins grêles comme dans un sac.
L’intestin aveugle est , comme chez l’homme ,
placé pour la plus grande partie dans la cavité
droite du ventre. Le foie, figure 5, A. B. C. D., se
trouve entièrement du même côté, mais placé en
long 5 c’est-à-dire, que ce qu’on appelle dans
l’homme le lobe gauche se trouve dans cet animal
aussi dans le côté droit , contre le diaphragme.
Vous voyez la rate, figure 2 , A. B. C. , dans la ca-
vité gauche, immédiatement contre la panse. En-
fin , remarquez ici comment l’épiploon I. L. M. ,
partant d’entre les deux poches ou cornes de la
panse , s’attache à la caillette M. O. , de même que
cela a lieu dans l’homme , par dessous et le long
de l’estomac.
Je termine cette première leçon , dans la crainte
de n’avoir occupé que trop long-tems déjà votre
attention. Dans la leçon suivante je tâcherai de
vous donner une idée exacte des quatre estomacs
et des viscères qui se trouvent placés dans la poi-
trine.
SECONDE LEÇON.
Des quatre estomacs en particulier , du foie ,
de la rate , etc. y ainsi que des viscères de la
poitrine.
Pour vous apprendre à connoître plus facile-
ment, en moins de tems et avec plus d’utilité, les
quatre estomacs, j’en ai fait sécher et gonfler d’a-
vance, tant de veau que de mouton. J’en ai fendu
et ouvert quelques-uns de ceux-ci , pour que vous
puissiez vous former une idée plus exacte de leur
admirable contexture, en les comparant avec ceux
qui viennent d’être tirés récemment du corps de
ces animaux. Vous voyez bien que ces quatre esto-
macs sont adbérens les uns aux autres, et qu’il y a
communication entre eux ; de manière qu’ils of-
irent plutôt une seule poche coupée par des étran-
glemens que quatre poches séparées. Aristote (i),
ce génie merveilleux, est le premier qui ait donné
une description des viscères et des intestins des bêtes
(i) Hisc. anim., lib.II, cap. i7,edit. duVallii, pag. 791.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
33
à cornes et d’autres animaux, et qui ait parlé , en
même tems , de la rumination. Selon moi , Per-
rault mérite le second rang à cet égard. A la page
43o de sa Méchanique des animaux , il a non-
seulement donné d’excellentes figures des quatre
estomacs, mais il y a représenté aussi l’ouverture
de l’oesophage etxlu feuillet d’une manière qui ne
permet guère de faire mieux. Peyer a parlé d’une
manière fort satisfaisante de ces ventricules dans
sa Merycologia ; et il n’y a pas long-tems que l’il-
lustre Bulfon , aidé par M. Daubenton, en a pu-
blié une description si parfaite et des figures si
exactement exécutées, qu’on croiroit, en quelque
sorte, voir la nature même. Quoique notre Blasius
se soit fait également beaucoup d’honneur par la
description et les esquisses qu’il a données de ces
parties, il ne peut cependant pas être comparé aux
auteurs que je viens de citer ; mais il en dit assez
pour donner une idée générale sur cette matière à
ceux qui n’en veulent pas une connoissance bien
approfondie.
Retournons maintenant à notre objet. Aristote
a divisé les estomacs en quatre parties distinctes et
désignées par des noms particuliers.
Le premier estomac ou V herbier (i) , A. B. C. D.,
(i) Pour la commodité du lecteur, jé donnerai ici la repré-
sentation de cet estomac d’après la manière de Buffon.
III.
O
fig. 1 ^ pl. XXVIII, est appelé >co»A*à {/.sya,Kn par ce phi-
losophe, c’est-à-dire, le gra?id estomac, parce qu’il
est réellement le plus volumineux dans les hèles à
cornes, les moutons, les cerfs elles chevrotains ou
gazelles de Guinée, quoiqu’il soit plus petit relati-
vement à la caillette des veaux, des agneaux et des
gazelles nouveaux-nés. 11 ])aroît se distendre de plus
en plus du moment que l’animal commence à ru-
miner 5 tandis que la caillette conserve toujours sa
première grandeur. Les Lal ins lui ont donné le nom
d’acjitaliculiiSj et les François l’appellent la panse,
quelquefois le double , parce qu’il est partagé en
deux sacs , et \ herbier , à cause de l’herbe et du
foin qu’on y trouve quand on tue les bestiaux.
Perrault (pag- 402 , fig. 2 ) a mieux rendu cet
estomac que Feyer et Bufl'on.
M. Daubenton ( 1 ) a constamment trouvé dans
la panse et dans le second estomac certains vers
qu’il a fort exactement représentés, et qui ressem-
blent parfaitement aux vers que je trouve souvent
dans la panse des moutons, et dont j’ai donné la
description dans ma dissertation sur les douves ou
fascioles hépatiques de ces animaux (2).
(1) Hisl. liât, géu- et part, du cabin. du roi, tom. IV,pag.492,
pl. XVI, fig. 3.
(2) Ce morceau se trouvera dans le tome IV des OEuvres de
Camper.
SUR l’ É P I Z O O T I E. 55
La panse est intérieurement tapissée de petits
mamelons , lesquels sont quelquefois tout-à-fait
blancs, d’autres fois bruns, et d’un jaune pâle on
d’un noir clair sur les plis.
Les égagropiles , que vous voyez ici en grand
nombre, ne se trouvent que dans le premier esto-
mac, ainsi que Bulfon le confirme (pag. 46g ). J’en
ai trouvé beaucoup dans des veaux.
Le second estomac , fig. i , A. E. , qui forme
une partie du premier, dont il est comme sé-
paré j>ar l’oesophage , a plus ou moins à l’extérieur
la forme d’une vessie; mais l’intérieur est garni de
lignes éminentes qui forment des esjjèces de cel-
lules pentagones , hexagones , etc. , fig. 5 , K. L. ,
du centre desquelles ])a\tent de ])etiles cotes vers
lesangles; lesquelles, aussi bien que cellesqui for-
ment les grandes cellules, sont toutes garnies de
petits mamelons. Quand on fait sécher cet esto-
mac, il représente un filet d’un travail admirable,
qu’Aristote appelle , que les Latins nom-
ment réticulum , et auquel les François ont donné
le nom de réseau ou bonnet ; en italien il s’appelle
ir'ippa. Bufibn et Perrault ont foit bien représenté
ces mamelons, en quoi Peyer n’a pas si heureuse-
ment réussi.
J’ai toujours trouv'é dans cet estomac les mêmes
alimens que dans la panse; il se pourvoit cepen-
dant que le ventricule , en se contractant , com-
36
LEÇONS
primai les ulimens et en formât la pelote ou boule
que l’animal fait remonter vers sa bouche pour
ruminer.
Les libres des muscles de ces deux estomacs sont
très-fortes et si admirablement disposées autour
de ces ])arties qu’il est impossible d’en donner une
description satisfaisante. Peyer les a représentées
assez exactement.
Le tj'oisième estomac a la forme d’un hérisson
en défense ou replié sur lui-même , ou bien d’un
concombre courbé , fîg. i , F. L, G. , applati sur
les côtés, et placé immédiatement contre l’épine
du d os. Aristote le nomme non pas à cause
de la forme dont je viens de parler, mais parce
que ses tuniques sont intéi'ieurement tapissées de
mamelons saillans et d’une certaine dureté , les-
quels ressemblent assez aux piquans de l’hérisson.
Les Latins lui ont donné les noms àJ omasum et
A'echinus ^ quelques-uns, tels que Pline, l’appel-
lent centipellio , à cause du grand nombre de ses
membranes. Les noms françois de cet étonnant
viscère sont feuillet, millet , mellier et pseautier,
ainsi que nous l’apprend Bulfon ( pag. 485 ).
Cet estomac contient vingt-quatre grands feuil-
lets , entre chacun desquels il y en a un moyen ,
et entre chacun de ces moyens et des grands , il
s’en trouve un petit ; par conséquent il y a en tout
quatre-vingt-seize membranes, qui toutes sont at-
s II R l’ É P I Z O O T I E. 5y
tachées au côté F. L. G., fig. i, commençant en
pointe en F. , étant le plus larges en L. , et se ter-
minant de nouveau en pointe en G.
Peyer (pag. i58) met deux grandes membra-
nes de moins, par conséquent aussi deux moyen-
nes et quatre petites; il n’en compte donc en tout
que quatre-vingt-huit. Il s’est trompé sans doute
en cela, à moins que la nature ne varie quelque-
fois à cet égard.
Toutes ces membranes sont garnies de mame-
lons, semblables aux petits piquans de l’hérisson ,
mais plus distans les uns des autres. La couleur de
la membrane inteine est, comme celle du premier
estomac, quelquefois brune, et d’autres fois d’un
jaune clair ou noirâtre.
Le feuillet que voici est d’un bœuf sain nou-
vellement tué ; il mérite d’être observé que l’odeur
en est déjà fétide , ainsi que l’est celle des alimens
que l’animal avoit ruminés, quoique le fiel ni du
foie ni de la vésicule du fiel n’ait pu y pénétrer.
On voit que les alimens consistent en foin mâché
avec quelques brins de paille, et ça et là des grains
d’orge avec lesquels l’animal avoit été nourri , et
qu’ils sont à peu près secs; c’est-à-dire, que celte
matière, qui ressemble à une bouillie épaisse, se
trouve admirablement distribuée enti’e ces mem-
branes. J’avoue que je ne puis comprendre com-
ment cette matière s’y introduit d’une façon si ré-
58
I, E Ç O N s
gulicre , et comment elle en sort ensuite. Je vous
engage à bien observer celte circonstance, à cause
que dans ré])izoolie ces alimens sont, en général,
i'ort durs et comme torriliés; de manière que tou-
tes ces membranes s’en trouvent obstruées , et
<|ue cela seul sulîiroit pour faire périr l’animal sans
qu’il fut besoin d’aucun autre accident.
Cliezles veaux que la mère allaite encore , ou
qu’on nourrit de lait , cette compacité des alimens
n’a pas lieu , parce que le lait ne peut se durcir à
ce point, et ne fait que passer par le feuillet pour
se rendre dans la caillette , où il se convertit en
une matière caseuse, comme je vous le dirai dans
le moment.
Je dois vous faire remai’quer ici un ])hénomène
singulier ; quand on ouvre le feuillet d’une bête
morte de l’épizootie, V epithelium ou membrane
interne s’en détache totalement, et demeure adhé-
rent aux alimens, de manière qu’on peut l’en ar-
racher par lambeaux ; tandis qu’il est impossible
de séparer cet epithelium des autres membranes
dans un animal sain et nouvellement tue: d’où l’on
pourroit conclure que cette séparation de la ]>re-
mière membrane est un des syuiptdmes de l’épi-
zuoûe, lorsqu’on la trouve ainsi détachée des au-
tres membranes après qu’un animal a été tué. Un
■iorr néanmoins que, sans y penser, j’avois laissé
i ^ Vingt-quatre heures un feuillet dans cette
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 5g
salle d’anatomie, je trouvai en l’ouvrant que cette
membrane s’en détaclioit avec autant de facilité
que si le feuillet eut appartenu à un animal mort
de la maladie contasieuse. Cette observation me
surprit beaucoup. Dans la suite , j’examinai un
grand nombre d’estomacs, et je trouvai constam-
ment que cette membraney adhéroit très-fortement
dans les bestiaux nouvellement tués, etqu*’elle s’en
détaclioit toutes les fois que je laissois pendant
vingt-quatre heures l’estomac sans y toucher. En-
fin , un jour j’ouvris, à deux heures après-midi, le
feuillet d’une vache grasse au moment qu’elle ve-
noit d’être tuée 5 mais dans un endroit seulement;
et ayant soulevé les plis ou feuillets , j’apperçus
que la memhrane y adhéroit très-fortement. Le
lendemain à neuf heures du matin, je l’ouvris dans
un autre endroit, et je trouvai que la memhrane
commençoit déjà à s’en détacher; le troisième
jour , également à neuf heures du matin , en ayant
enlevé d’autres parties, toute la memhrane se dé-
tacha de la même manière que chez les bestiaux
morts de l’épizootie, non-seulement du feuillet,
mais également de la caillette.
, Cette séparation de la membrane interne met un
I grand obstacle au nétoyement de l’intérieur de ces
estomacs et à leur disseccation ; car, si on attend
I trop long-tems , elle se détache entièrement , aussi
! bien de la panse et du bonnet que du feuillet et
4o
LEÇONS
de la caillette; non-seulement chez les moutons ,
les agneaux et les veaux, mais également chez les
cerfs. Il faut par conséquent que ces préparations
se fassent immédiatement après la mort de ces
animaux.
Le canal de l’oesophage au feuillet est fort large
et reste ouvert jusque dans la caillette ; car les
feuillets tiennent tout ouvert jusqu’à la distance
en M.
La caillette est le quatrième estomac : Aristote
l’appelle ïi/iirpov. Je l’ai représentée par G. H. I. fig. i.
On l’appelle caillette parce que le lait s’y trouve
toujours caillé, ou franche - mulle ; les Latins lui
ont donné les noms abomasum et àe faliscus.
Ce ventricule ressemble à l’estomac de l’homme.
Il est beaucoup plus grand que le feuillet et le bon-
net pris ensemble. 11 y a quatorze valvules à par-
tir du feuillet, qui se dirigent obliquement vers en
bas. Ces valvules pendent toujours flasques , et il
est difficile de les faire tenir étendues quand ou
les fait sécher. Aristote les décrit d’une manière
fort exacte, quoiqu’il n’en ait pas déterminé le
nombre.
Le pylore ou col de la caillette ressemble à celui
de l’estomac de l’homme, et se réunit au duodé-
num, dans lequel le fiel est versé de la vésicule
du fiel, comme on le voit pl. XXVIII, fig. 5, 0. S. M.
Les alimensont ici une forte odeur d’excrémens
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
4l
chez les bêtes adultes; chez les veaux qu’on nour-
rit encore avec du lait , il y a toujours une grande
masse de matière caseuse ou de lait caillé, qu’on
ne peut en enlever en lavant la caillette. Cette ma-
tière caseuse est fort blanche, quoique le lait ait
déjà pris une légère teinte grise dans la panse par
le mélange des humeurs qui abondent dans ces
parties.
Le célèbre Van Swieten est tombé dans une
grande erreur à cet égard; car, en parlant des ai-
greurs d’estomac des enfans, il dit (i) que le lait se
caille dans la panse ou premier estomac des veaux
et que, par le concours du liel, cette coagulation
se trouve tellement déliée qu’elle disparoît entiè-
rement dans le quatrième estomac de l’animal ;
tandis que le lait caillé ne se trouve, comme je l’ai
déjà observé, que dans la caillette ou quatrième
estomac , et qu’il ne reçoit point de fiel que long-
tems après qu’il en est sorti, et lorsqu’il a passé
par le duodénum , comme cela paroît par la fig. 3.
I. est le pylore ou l’issue de la caillette, et I. M. la
distance de l’insertion du conduit biliaire. Il est
donc évident que la dissolution de cette matière
(i) Comment, ùi Aphr. i356 , Boekhavii, lom. IV, pag. 683.
Coaguliim laclis in primo ■vittilorum venlriculo copiosurn reperi-
tur , pose bilem admistam autem sic soîvitur demiOy ut in quarto
horum animaliuvi 'ventriculo dispareat.
42
LEÇONS
caseiise se fait , non par le fiel , mais par les esprits
savoneux (pii suintent en abondance des parois du
quatrième estomac.
Le foie n’est pas grand relativement à l’animal.
33aubenton ne l’a pas représenté; mais j’ai cru ,
pour me rendre plus intelligible , devoir en don-
ner ici la ligure et la position. On voit, fig. 3, pl.
XXVill, qu’il est composé de deux grands lobes C,
B. E. F. D. O. et Q. , lesquels sont placés tout-à-fait
latéralement, avecC. par devant et Q. par derrière.
La veine ombilicale A. B. s’y insère de même du
côté droit , et se trouve couverte par un lobule
B. F. C’est entre ce lobule et le lobe postérieur Q.
qu’est placée la vésicule du fiel P. O. , dont le con-
duit O. S. se réunit avec le canal hépatique R. S. ,
pour former le conduit biliaire commun S. M. ,
lequel se décharge , comme chez l’homme , dans le
duodénum, assez loin de la caillette en M. Le ca-
nal hépatique passe entre le lobeU.,avec la veine-
porte , dans la cavité F. E. D.
C’est le long de ce canal cysthépa tique que les
douves ou fascioles hépatiques montent jusque dans
la vésicule du fiel et dans les vaisseaux cystiques
dans toute la capacité du foie. Voici de ces douves
prises dans des moutons; car ce veau, qui n’avoit
été nourri que de lait et qui n’avoit pas encore pâ-
turé dans la prairie , ne pouvoit pas être attaqué
de ces vers intestins, qui ont tous la même figure:
s U 11 l’ É P I Z O O T I E. 45
je les ai représentés dans le second volume des
dissertations sur l’agriculture nouvelle (i).
Les parois internes des conduits cyslliépatiques
se trouvent souvent couvertes de concrétions
pierreuses, d’un vert obscur, et qui diffèrent peu
de la cholélile. Buffon les a décrites ( pag. 490 ) ,
et en a , comme moi , ti'ouvé dans les animaux les
plus sains. En voici que j’ai conservées : vous voyez
qu’elles sont totalement creuses, fort poreuses et
friables ; ce qui prouve que le fiel a passé par ces
ouvertures. En voici d’autres dans lesquelles quel-
ques jiarties semblent être tombées et avoir occa-
sionné des obstructions plus ou moins grandes.
Cette matière est une preuve suffisante que le fiel
hépatique ne diffère pas beaucoup de celui que
contient la vésicule du fiel.
Dans plusieurs animaux , et particulièrement
dans les bêtes à cornes, on trouve un pancréas sem-
blable à celui de l’homme. Voyez comme cette
glande est placée ici , derrière le duodénum, de-
puis S. jusqu’en T. , fig. 5 , contre le conduit bi-
liaire. Quoique je ne vous fasse pas voir le canal
qui en conduit le suc vers le duodénum, il y en a
; un cependant j mais, en général, cette glande est
j plus petite dans les animaux que dans l’homme.
( 1 ) T^erhandelingen o^’cr den nietiwcn Landbouw , II deel , pag.
3oj , et IV deel , pag. 520.
44
!
LEÇONS
R. est une glande qui reçoit beaucoup de vais-
seaux lymphatiques.
E. F. D. G. H. R. est le petit épiploon , au tra-
vers duquel on a])j>erçoit le lobule du foie V., dont
on attribue la découverte au célèbre anatomiste
Spiegelius.
Les intestins grêles passent dans lé côté droit ,
par dessous la caillette, vers le côté gauche, com-
me on le voit fig. 2, en Q. R. Ces intestins sont fort
longs chez les bestiaux qui ont atteint toute leur
croissance, et toujours trés-minces, comme nous
l’apprend Daubenton , dont le plus grand mérite
consiste à mesurer : il assure qu’ils ont cent qua-
torze pieds de long depuis la caillette jusqu’au
cæcum. Le cæcum a deux pieds et demi de lon-
gueur; et les gros intestins en ont trente-quatre;
de manière que tous les intestins, pris ensemble,
ont plus de cent cinquante pieds de longueur; la-
quelle est étonnante sans doute, et que néanmoins
les alimens parcourent assez promptement ; car si
l’on donne un purgatif on en voit souvent l’elfet
trois ou quatre heures après que l’animal l’a pris.
Les gros intestins n’ont point de valvules qui puis-
sent retarder le passage, comme chez l’homme et
quelquesautres animaux, particulièrement les liè-
vres , les lapins , etc. ; aussi la bouze des bêtes à
cornes est-elle assez molle , et même liquide quand
elles sont au vert.
SUR l’ ÉPIZOOTIE,
45
Les gros intestins, qui d’ailleurs ont assez d’am-
pleur, se rétrécissent près du rectum, lequel est
chargé de beaucoup de rides près de l’anus, au-
tour duquel sont placées un grand nombre de
glandes; c’est ce qu’il faut surtout bien remarquer,
parce que chez les bestiaux malades les excrémens
s’arrêtent ici et causent, par leur corruption, une
prompte gangrène à la membrane interne : alors
il y a hémorragie par l’anus , d’où sortent aussi
quelques membranes qui se sont détachées par
sphacèle.
Je ne m’arrêterai pas à vous faire remarquer ici
les admirables circonvolutions et la disposition
singulière des intestins; parce que je ne me suis
proposé de ne vous parler que des principales parties
de l’animal qui se trouvent affectées par l’épizoo-
tie. Je vais donc passer aux viscères de l’estomac;
mais ceux-ci ne nous arrêteront pas long-tems.
Vous voyez que j’ai enlevé ici le sternum avec
les cartilages des côtes, un peu au-dessous de la
première partie du sternum, afin de conserver in-
tacte la réunion des muscles du cou. Le poumon
est par-tout également d’un rouge pâle tirant sur
le jaune; le coeur est un peu enflé, parce que l’a-
nimal a souffert beaucoup par la strangulation. En
coupant un morceau des lobes du poumon , vous
voyez que le parenchyme est par-tout le même ,
et qu’il n’y a en aucun endroit ni bulles ni air ;
46
LEÇONS
tandis que chez les hesliaux morts de la maladie
contagieuse, on Iroiive souvent de l’air dans la
membrane cellulaire, et immédiatement au-dessous
de la surface des poumons: c’est cequ’on nomme
em])liysème. Quelquefois les poumons sont tota-
lement sphacelés, couverts de taches pourpres, et
par fois la gangrène pénètre plus avant et occa-
sionne un considérable sphacèle; de manière qu’il
en sort un sang noir quand on y fait des incisions.
Rappelez-vous donc de cette couleur naturelle des
poumons, s’il vous arrive de faire ouvrir des bes-
tiaux morts de l’épizootie.
Remarquez , avec moi , ces sterno-hyoïdiens ,
qui, partant du sternum, font mouvoir l’hyoïde.
Vous pouvez voir que le thyrne ou ris n’est pas
placé dans la poitrine, mais que la petite glan-
dule seulement se trouve exactement au-dessus
du cœur dans la cavité gauche de la poitrine ,
et cela même pas entièrement ; car elle va en
remontant des deux cotés le long de l’apre-artère
jusque près de l’œsophage , et se trouve recou-
verte par les sterno-hvoïdlens dont je viens de
parler, comme l’axolt déjà reuiarqué dans ses ob-
servations anatomiiiues J. J. Pt'ver, fils du célèbre
J. C. Peyer.
Ces glandes dilfèvent donc considérablement de
celles de l’homme; ce qui nous apprend que nous
n’en connoissons ]>as encore le véritable usage ;
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 4y
mais des recherches sur cet objet se trouveroient
déplacées ici.
Je vais ouvrir maintenant la trachée-artère. Ob-
servez que sa couleur est blanche dans l’intérieur,
et qu’il n’y a ni viscosité jaune , ni bave , ni taches
sanguinolentes; tandis que chez les bêtes mortes de
l’épizootie ces parois sont quelquefois, par spha-
cèle, d’un rouge noir; d’autres fois couvertes d’une
sanie iclioreuse, et quelquefois aus.si d’une écume
blanche, depuis le larynx jusque bien avant dans
la substance des poumons, selon que la maladie a
plus ou moins alfecté ces parties.
La langue mérite aussi quelques observations :
sa partie postérieure est couverte de glandules qui
ont la forme de mamelons, que des gens peu ins-
truits pourroient prendre pour des pustules ou
pour des aphtes. Daubenton en a donné une des-
cription fort exacte (i) , et Collins les a passable-
ment bien représentées (2).
J’ai trouvé souvent sur la partie postérieure de
la langue des bestiaux morts de l’épizootie cette
bave ichoreuse dont je viens de parler à l’occasion
de la trachée-artère : il ne m’a jamais paru qu’elle
eut quelque rapport avec l’aphte qui a lieu chez
l’homme aux crises des maladies ; mais plutôt que
(1) Jbid. , pag. 495.
(2) Tab. lit, fig. 2, li. B. , tom. IL
48
LEÇONS
c’est une pituite ichoreuse, laquelle est peut-être
chassée de la trachée-artère vers cet endroit, ou
qui sort des glandes mêmes de la langue.
Il est singulier que la langue soit rarement af-
fectée dans cette maladie , si ce n’est que l’épider-
me s’en détache quelquefois facilement; semblable
en cela à celle des parois internes des intestins.
11 faut que je vous rappelle à cette occasion que
l’épizootie ne doit pas être confondue avec la ma-
ladie qui attaqua avec tant de fureur les bêtes à
cornes en 1682 et 1752 , laquelle consistoit en des
ampoules sur la langue , qu’on guérissoit en les
ouvrant par le moyen d’une espèce de grattoir.
Voilà ce que j’avois à dire des viscères et des es-
tomacs en particulier. Maintenant il me reste à
vous parler, dans la troisième leçon, de la rumi-
nation , pour que vous puissiez vous former une
idée plus exacte des effets de l’épizootie.
SUR ÉPIZOOTIE.
49
TROISIÈME LEÇON.
'! De la rumination des animaux purs et impurs,
i et particulièrement des hêtes à cornes.
Comme il est, en général, fort rare qu’on prête
une bien grande attention à la plupart des objets
qui se présentent journellement à nos regards , il
en est de même de la rumination des bestiaux.
I Quand nous voyons les bêles à cornes et les mou-
tons mâcher, étant couchés ou debout, quoiqu’ils
i aient été déjà pendant quelque tems sans paître ,
(nous disons que ces animaux ruminent , parce que
nous avons appris dans notre jeunesse à nommer
j ainsi cette action, sans que nous ayons songé ja-
jmais à nous rendre raison de ce singulier phéno-
j mène.
Ruminer ou remâcher est un mot dont l’appli-
cation est fausse, en ce qu’il donne à entendre que
l’animal mâche une seconde fois les alimens; car
le gros bétail , les moutons, les chèvres , les cerfs,
les chameaux, etc. , commencent tous par couper
4
III.
5o
LEÇONS
Fherbe, le foin ou la paille, qu’ils avalent sans le
mâcher; c’est-à-dire, qu’ils ne font pas comme
les chevaux, qui mangent jour et nuit et avalent
lentement leur fourrage , parce qu’ils le broyent
d’abord entre leurs molaires, et le triturent ainsi
autant qu’il est nécessaire, non -seulement pour
qu’il se digère facilement , mais pour qu’il passe
aussi sans difficulté par l’oesophage.
Les Grecs, de qui nous avons emprunté la plu-
part de nos connoissances, s’exprimoient tout-à-
fait différemment sur ce sujet; il disoient : [j-Yipmco ,
f/.tipvxd^cüj fA.npvxt^u f et [AnpvKxû/ji.oa de ro [A7\pv^lv, revol~
vere, ce qui signifie reporter vers en haut, vers l’en-
droit d’où ils sont venus, les alimens que l’animal
avoit d’abord avalés. C’est Aristophane seul qui
fasse usage de dvay.ix.<rcco[Axt , remando, je remâche,
qui vient de (.■.tx.arccsy.ai , manduco , je mâche.
Les Latins, ainsi que nous l’apprend Lest us (i),
font dériver le mot t'uminare de celui de rumen ,
qui ne signifie pas la panse, ainsi que quelques-uns
l’ont cru mal à propos, mais l’œsophage. Rumen ^
dit Festus, eut pars colli , quo esca devoratur ,
unde rumare dicchant , quod nunc j'uminare.
(( Ainsi, le rumen est celte partie du cou par le- \
« quel l’animal avale ses alimens, etc. )) Ces mots
offrent donc moins l’idée de remâcher que de rêa-
(i) De V erh, signif. voc. riirninare , lib. XVI, pag. 461 ■
5i
SUR u’ ÉPIZOOTIE.
valer , ou plutôt de faire remonter les alimens et
de les reporter vers la bouche.
Chez les anciens, Aristote , que Pline suit, pour
ainsi dire, littéralement dans son Histoire natu-
relle, et Galien , sont ceux qui ont le mieux parlé
de la rumination. Chez les modernes, Peyer s’est
distingué particulièrement sur ce sujet dans sa
3Iericologia ^ cependant Perrault l’a surpassé en-
core en ceci dans sa 3Iéchanique des animaux ^
pag. 4505 et c’est de lui que les auteurs du Dic-
tionnaire encyclopédique ont pris leur article ;
tous cependant ont été plus attentifs à indiquer les
parties qui distinguent les animaux niminans de
ceux qui ne ruminent point , qu’à expliquer le mé-
canisme même de la rumination.
Je ne vous parle point ici de Buffon , parce que
vous avez pu concevoir déjà par les citations que
j’ai'faites de lui dans les deux premières leçons,
toute l’admiration que m’ont inspiré les écrits de
ce grand homme, et ses obsei'vations sur la rumi-
nation. Je passe à dessein sous silence le superfi-
ciel naturaliste J. T. Klein , quoiqu’il ait fait naî-
tre quelques doutes (1) à Linnæus sur les quadru-
pèdes, et qu’l' ait fait quelques observations sur
la rumination, qui, pour la plupart, sont em-
(1) Summa dubiorum circa classes qnadruped. et amphib, in
Celeb. D. Linnaei Sjst. JSat. Lipsiae 1743, in-ip.
52
LEÇONS
pruntées de Peyer , de Wotton et d’Aldrovande.
11 y a un grand nombre d’animaux qui possè-
dent cette admirable faculté de ruminer; tels sont
le chameau de la Bactriane ou à deux bosses, au-
quel nous donnons mal à propos le nom de dro-
madaire ; la grande famille des boeufs , des buf-
fles, des bisons, les quadrupèdes à cornes, tels que
cerfs, rennes, élans, gazelles, antilopes, chèvres
et moutons, sans exception, et le chevrotain sans
cornes, etc., ruminent tous. Les lièvres, les la-
pins, les marmottes et quelques autres qui ont deux
dents par en haut et deux par en bas, sont pareil-
lement doués de cette faculté.
C’est-à-dire, pour m’expliquer plus clairement,
que tous ces animaux commencent par se remplir
l’estomac; ensuite , par un mécanisme singulier ,
qui diffère cependant beaucoup du vomissement,
ils font remonter successivement une partie des
alimens dans leur bouche , les broient fort long-
tems entre les molaires et les avalent ensuite une
seconde fois, pour les porter dans un estomac par-
ticulier , ou bien dans une autre, partie du même
estomac, lorsqu’ils n’en ont qu’un seul.
Il paroît que le but du Créateur a été de four-
nir à ces animaux la facilité de rassembler prompa
îement leurs alimens , car tous mangent beaucoup
à-la -fois , relativement à leur grandeur. Il leur
faudroiî par conséquent trop de teins si ces alimens
55
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
dévoient être brojés assez menus avant que d’être
avalés. La plupart de ces animaux , qui sont d’un
naturel fort craintif, à cause des ennemis qu’ils
rencontrent par-tout , n’ont pas beaucoup de tems
à donner à leur pâture : ils coupent et avalent par
conséquent aussi vite qu’il est possible la quantité
d’herbes qui leur convient, vont ensuite se ca-
cher , ou se reposer , comme nos animaux domes-
tiques, et ruminent à leur aise ces alimens, qui ,
dans leur estomac, ont déjà subi une petite alté-
ration ou coction.
Comme on a trouvé dans les principaux ani-
maux ruminans plus d’un estomac, et même jus-
qu’à quatre estomacs, on a pensé, dès les plus an-
ciens tems , que quatre estomacs étoient absolu-
ment nécessaires pour la rumination, ainsi qu’on
le voit, entre autres, chez Galien (i), qui dit ron-
dement , qu’on s’exposeroit au ridicule si l’on
osoit prétendre que les chiens ont quatre estomacs
et que les animaux ruminans n’en ont qu’un.
Buffon , cet admirable naturaliste , est cepen-
dant encore imbu de ce préjugé : il prétend que les
lièvres ne ruminent point (2) , et cela simplement
(1) Comment. 2 in lib. Hipp, de Nat. linman. Ed. Brassavoli,
cl. 7, pag. 182. H Sic si çuis canibus quatuor ventriculos
a/Jirmaverit , unicum vero ruminantibus , deridebitur,
(2) To». YI, pag. 254.
54
LEÇONS
parce qu’ils n’ont qu’un seul estomac ; tandis que,
d’un autre côté , il nie fortement , quoiqu’à tort ,
que le cochon des Indes Occidentales à glande mus-
quée sur le dos , qu’il appelle pécari , n’est pas
muni de quatre estomacs (1)5 quoique le célèbre
Tyson les ait fort bien représentés et décrits; et,
ce qui est ])lus surprenant encore, non-obstant que
ces quatre estomacs aient été représentés et décrits
dans son propre ouvrage par Daubenton, pl. VII,
fîg. 2 , tom. VI.
Je ne considère donc ses raisonnemens que com-
me des moyens de subterfuge, sans lesquels il lui
étoit impossible de se tirer d’affaire ; car dire que
le pécari n’a pas quatre , mais seulement trois es-
tomacs, ne prouve rien de particulier; vu que chez
les bêtes à cornes, les moutons, les chèvres et les
cerfs , la panse ne forme qu’un estomac avec le
bonnet , et que par conséquent ils n’auroient ,
comme le pécari , que trois estomacs , ainsi qu’il
le dit lui-même, tom. IV, pag. 46o : « Les deux
« estomacs ne forment qu’un même sac; )) et pag.
46 1 ; <c Le bonnet n’est qu’une portion de la
« panse. » Et cependant il reconnoît, avec raison,
que la rumination a lieu chez ces animaux.
(1) Sus umhüicum in dorso gerens ^ Aldrov., ou sus ecaicda-
lus folliciilnm in dorso gcrcns , BbissokH , Reg. anirn., pag. 3,
ou sus dorso cyslifero caiida nuUa , Linn. , edit. X , pag. 5o.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
55
La nature montre souvent combien peu sa puis-
sance est bornée , en variant à l’infini le méca-
nisme des animaux , et par combien de moyens
dilFérens elle parvient avec la même perfection à
remplir le même but. Les singes , par exemple ,
remplissent, aussi promptement qu’il leur est pos-
sible , non leur estomac , mais deux poches ou
abajoues qu’ils ont de chaque côté de leurs mâ-
choires, et qu’on peut considérer comme un pre-
mier estomac. Ensuite ils remâchent , si je puis
m’exprimer ainsi, leurs alimens à leur aise, de la
même manière que le font les bêtes à cornes. Le
hamster ordinaire ( i ) a de semblables parties ,
qui se trouvent fort bien représentées chez Buffon,
tom. XIII, pag. 119, pl. XVI, dans lesquelles cet
animal voi’ace fourre d’abord le grain qu’il vole ,
et qu’il cache ensuite ailleurs pour s’en nourrir
quand la faim le commande.
Les an ima ux véritablement ruminans n’ont point
de pareilles poches pour cacher leurs alimens, mais
un double estomac, ou plutôt un estomac qui sem-
ble partagé en deux parties. Ils ne peuvent donc
faire autre chose que remplir le premier de ces es-
tomacs, pour ensuite faire remonter par parties
vers leur bouche et ruminer les alimens qu’ils ont
commencé par avaler.
(O Valentini , Theat. 200t., part. I, pag. iS4t tab. 3a. Linn.,
Mus. , sp. 6. Edit. X , pag. 60.
56
LEÇONS
Ne voyons-nous pas que la sage nature a placé
dans le ventricule des crabes et des écrevisses des
molaires pour y mâcher et broyer leurs alimens
avant qu’ils passent dans les intestins; de sorte que,
si je puis me servir de cette comparaison , la rumi-
nation se fait chez eux dans l’estomac même.
L’autorité de quelques membres de l’Académie
des sciences de Paris et celle de Perrault (i) pour-
roit nous induire en erreur et nous faire croire
que les gazelles n’ont que deux estomacs et qu’ils
ruminent cependant ; car ils disent formellement
que la gazelle rumine quoiqu’elle n’ait que deux
estomacs ; et qui plus est , ils ont re])résenlé ces
deux estomacs ; tandis que j’ai observé le contraire
dans un jeune sujet de cette espèce, lequel ressem-
bloit parfaitement par sa figure, ses oreilles, ses
yeux et les brosses de ses jambes de devant à ceux
dont parlent les membres de l’Académie des scien-
ces de Paris et à celui que Buffon a décrit. Ce jeune
animal avoit quatre estomacs, qui ressembloient à
ceux de nos jeunes agneaux et aux quatre esto-
macs du chevrotain. Je conserve ces estomacs rem-
plis d’air et vernis , afin de pouvoir produire un
exemple du peu de fidélité et d’exactitude même
des hommes les plus célèbres. La représentation et
la description des estomacs de la gazelle que Per-
(i) Ouçraf’es adoptés , tom. 1., pag. jj2. Ces estomacs sont re-
présentés ibid, , pag. 84 , fig. i .
SUR l’ É P I Z O O T I E. 57
rault a données avec tant d’emphase , ne doivent,
être considérées que comme une pure fiction.
Les exemples suivans nousconvainci'ont que les
animaux n’ont pas besoin de quatre estomacs pour
ruminer.
Les lièvres, on le sait , ainsi que les lapins et au-
tres animaux de cette espèce, que Linnæus a rangé ,
assez mal à propos, dans la classe des mures, n’ont
qu’un seul estomac, pl. XXVIII, fig. 7, A. B. 5 mais,
par l’insertion singulière de l’oesophage C. D. , il
semble figuré à peu près comme s’il y en avoit
deux B. I). et A. D. Ces animaux ruminent incon-
testablement , malgré le doute que Buffion a voulu
faire naître à cet égard 5 ainsi que je le prouverai
préremptoirement dans la suite, par la position de
leurs molaires.
L’estomac des chevaux paroît partagé en deux
parties, dont la première, lisse en dedans, s’étend
comme le jabot d’un oiseau 5 la seconde est , com-
me celle de Fhomme , inégale et garni de vaisseaux
absorbans , ainsi que Daubenton l’a fort bien in-
diqué (1). Cependant le cheval ne rumine pas;
non parce que la nature ne lui a pas donné un jdus
grand nombre d’estomacs, mais parce que cet ani^
mal, qui n’y est pas destiné, n’a pas les molaires
faites ni la mâchoire inférieure articulée pour cette
0) Tom. IV, pag. 32 , pl. V, fi.
58
I. E C O N s
opération. Il paroît donc par- là que le nombre
d’estomacs n’a rien de commun avec la rumi-
nation.
Les moutons , les cerfs , les gazelles et les chè-
vres n’ont réellement que trois estomacs: la panse
et le bonnet n’en forment qu’un , le feuillet est le
second et la cailletie le troisième. Ajoutez à cela
que les alimens quel’animal a ruminés passent im-
médiatement de l’oesophage dans le feuillet, et de
là dans la caillette ; de manière qu’on peut dire
que la rumination ne demande réellement que
deux estomacs.
Le cæcum est également ici de peu d’impor-
tance, quoique Bullbn veuille en faire usage (i).
11 est bien vrai que les bœufs ont le cæcum petit,
comme je l’ai fait voir il y a quelque tems ; mais
les chiens, les renards et tout ce genre d’animaux
ont également le cææum petit; tandis que les liè-
vres et les lapins en ont, au contraire, un fort long
et fort gros tourné en forme de vis. Il me semble
qu’on ne sauroit en conclure rien d’autre si ce n’est
que la consistance des excrémens dépend de la
grandeur et de la longueur du cæcum. Les bœufs,
chez qui cet intestin a trente-quatre pieds de long,
sans valvules, rendent une bouse fort molle. Les
moutons, dont le cæcum est beaucoup plus grand,
(i)Toni. VI, pag. 255.
s U Tl É P I Z O O T I E. 5g
proportion gardée , puisqu’il a vingt pieds de long^
et les cerfs chez qui cet intestin est de vingt-sept
pieds en y comprenant le boyau rectum, fait des
crottes; ce qui prouve suffisamment qu’il y a peu
de rapport entre celte partie et la rumination; ce
n’est que la dernière coction qui se fait dans cet
intestin.
Ce seroit avec raison que vous me demanderiez
si les pieds des animaux peuvent nous indiquer
s’ils ruminent? Vous voyez que ce pied de devant
d’un chameau est garni d’une semelle , laquelle
couvre la plante du pied en partant de deux lar-
ges ongles, lesquels se terminent sur les doigts
de ce pied. Cette semelle diffère beaucoup du sa-
bot du cheval , lequel est composé d’une corne
ronde; tandis que la semelle du chameau est un
morceau de cuir mou , qui couvre la graisse car-
tilagineuse de la plante des pieds, et qui n’est guère
plus épais que la peau ordinaire de cette partie
dans l’homme. Cependant le chameau , dont les
pieds diffèrent tant de ceux des boeufs, des mou-
tons, des cerfs, etc. , rumine; tandis que les porcs
qui , comme le renne , ont les pieds parfaitement
fourchus, ne ruminent pas.
Le chevrotain , le plus petit de tous les animaux
à pieds foui'chus, a, comme la gazelle, huit dents
incisives dans la mâchoire inférieure, deux dents
canines à la mâchoire supérieure, comme les cerfs,
6o
LEÇONS
et quatre molaires par en haut et par en bas, com- '
me tous les animaux ruminans. BulFon nous a in-
duit en erreur en disant qu’il a des molaires comme J
les animaux carnassiers (i). La description anato-
mique qu’il a donnée de ce singulier animal est
d’ailleurs fort défectueuse. ]
Ayant eu occasion de disséquer un jeune ani-
mal de cette espèce, qui avoit été conservé long-
terns dans de l’esprit de vin , j’ai trouvé qu’il avoit '
une glande avec une grande ouverture ronde sous j
chaque œil ; c’est-à-dire , à l’endroit où l’on sait
qu’en ont nos cerfs et les autres animaux de cette *
espèce. BuÜ'on s’est donc trompé en disant que j
« Le chevrolain n’a point de larmiers ou d’enfon- (
(( ceuiens au-dessous des yeux , comme les cerfs ,
« les gazelles , etc. j » mais cette discussion m’é-
carteroit trop de mon sujet.
Voici un dessin des quatre estomacs du chevro-
tain , pl. XXVill, fîg. 4, ainsi que de son foie et de
sa raie. Toutes ces parties ressemblent si parfaite-
ment à celles d’un jeune veau, qu’on pourroit croire
que c’est la figure réduite de celles de ces animaux j
mais je puis vous assurer que cette représentation
est exacte et de la grandeur naturelle des viscères
du chevrotain , que je conserve dans mon cabinet
d’histoire naturelle.
(i)Tom. XII, pa^. 346.
sur' l’épizootie. 6l
Cet animal rumine donc, malgré le doute que
BufFon a voulu faire naître à cet égard.
En portant un regard attentif sur ce que Mo'îse
dit {Levit. ii , vers. 3 et 4), on trouve que le si-
gne caractéristique par lequel il distingue les ani-
maux purs et impurs ne consiste pas, et avec rai-
son , dans les quatre estomacs, mais dans la rumi-
nation lorsqu’elle se trouve chez un animal qui a
les pieds fourchus. Le chameau étoit impur, parce
qu’zZ rumine hien, mais il n^a point V ongle di-
visé , comme vous le voyez en effet par ce pied de
devant. L’animal a deux ongles et la plante en-
tière, par conséquent ses ongles ne sont pas four-
chus 5 car, quoiqu’ils paroissent isolés en dessus,
cette division ne va que jusqu’à la plante du pied.
Ensuite ( vers. 5 et 6 ) Moïse dit, que les lièvres
et les lapins sont impurs , car ils ruminent bien y
mais ils n^ ont point V ongle divisé ; c’est-à-dire,
point fourchu 5 mais ces animaux ont, comme les
chats et les renards, les pieds de devant divisés en
cinq doigts, et ceux de derrière en quatre doigts.
Au premier coup - d’oeil on pourroit croire que
les enfans d’Israël étoient fort bornés dans les es-
pèces d’alimens dont ils pouvoient se nourrir 5 tan-
dis que le contraire paroît quand on réfléchit sur
les différentes espèces d’animaux qui tout à-la-fois
ruminent et ont les pieds fourchus. Ils forment,
comme l’a fort bien remarqué Buffon , le plus
LEÇONS
6a
grand nombre sur tonte la surface de la terre (i);
car, outre qu’on en trouve beaucoup en Asie , en ■
Afrique et en Eurojie, et que ces animaux aiment
pour la plupart , comme il paroît , les climats
chauds , on rencontre dans la partie la plus sep-
tentrionale de l’Europe même une grande quantité
de rennes et d’élans, qui tous ont les mêmes pro-
priétés.
Comme tous les princi])aux animaux ruminans
n’ont de dents incisives que dans la mâchoire in-
férieure , sans en avoir dans la supérieure , on
pourroit s’imaginer que cette propriété est un si-
gne certain delà rumination ; tandis qu’on est con-
vaincu du contraire par les lièvres, les lapins, les-
quels ont non-seulement deux grandes dents in-
cisives dans la mâchoire supérieure , mais même
deux autres plus petites derrière celles-ci , ainsi
que vous le voyez par les têtes décharnées de ces
animaux que voici , etqueBulTon a représentées
d’une manière fort exacte. L’agouti, le porc-épic,
le rat et la souris n’ont point ces dents de derrière
dans la mâchoire supérieure, et ne ruminent cer-
tainement pas, tandis que les lapins et les lièvres
ruminent incontestablement.
J’ai dit plus haut ce que je pensois relativement
au grand but que la nature s’est proposée dans la
(i) l'oni. XII , 55y.
65
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
ruminalion ; savoir , qu’elle donne aux animaux
qui ont besoin de beaucoup de nourriture , le
moyen de triturer à leur aise leuis alimens , sans
être obligés de paître continuellement. Pour cette
raison , les dents incisives de la mâchoire supé-
rieure n’ont pas le moindre rapport avec la rumi-
nation ; elles ne servent qu’à couper les alimens
assez menus pour qu’ils puissent passer facilement
par l’œsophage.
Le bœuf, le mouton , la chèvre , le cerf et au-
tres animaux semblables , ont la langue longue ,
couverte d’une membrane garnie de mille petits
crochets. Ces animaux cueillent l’herbe, et ont as-
sez de fermeté dans le bourrelet de la mâchoire
supérieure pour la casser. Les lièvres et les lapins
coupent l’herbe. Le chameau, le cerf et le chevio-
tain ont de plus des dents Canines, parce i[u’ils se
nourrissent d’alimens plus grossiers, tels que bran-
ches d’arbres, feuilles, chardons, etc. , qu’ils peu-
vent, par ce moyen , arracher facilement. Le cha-
meau a six dents canines dans la mâchoire supé-
rieure et quatre dans l’inférieure , lesquelles, quoi-
que fort saillantes, l’empêchent aussi peu de rumi-
ner que les deux dents canines de la mâchoire su-
périeure du cerf et du chevrotain. Les dents de
devant ont par conséquent aussi peu de rapport
’ que les ongles avec la rumination.
On doit donc chercher les véritables caractères
I, E C O N s
de lo vuminalion tlansles molaires, dans le peu de
largeur de la mâchoire inferieure et dans la place
qu’occupe son articiilalion.
Voici la tête d’un chameau et sa mâchoire in-
férieure j voici celle du veau que j’ai disséqué dans
les précédentes leçons. Voyez la tête décharnée du
mouton , ainsi que celles du lapin et du lièvre. Joi-
gnez-j celles du cerf, de la gazelle et du chevro-
tain j on s’apperçoit facilement que tous ont la mâ-
choire inférieure beaucoup plus étroite que celle
d’en haut, et qu’elle est exactement de la largeur
des mollaires du fond de la bouche, si ce n’est
qu’elle est peut-être un peu plus large. Observez,
je vous prie, le mouvement oblique des têtes de
la mâchoire inférieure dans les cavités de l’os tem-
poral et les raies transverses que ce mouvement
oblique a imprimées dans les molaires. Peyer (pag.
i4 J a , je l’avoue , observé ces raies transverses ,
mais il a négligé , ainsi que tous les autres natu-
ralistes, déporter son attention sur la formeétroite
de la mâchoire inférieure , si indispensablement
nécessaire pour produire cet effet. Cette forme
étr oite , surtout de la partie antérieure des deux
mâchoires fait que les dents canines du chameau,
du cerf et du chevrolain, n’incommodent pas ces
animaux dans leur mastication ; et c’est peut-être
pour cette raison seule que le chameau a le mu-
seau si pointu.
65
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
Si maintenant nous comparons cette disposition
de la mâclxoire inférieure, des molaires et de l’ar-
ticulation de la mâchoire arec celle du lion , du
chat, du chien, du renard, que voici, on s’apper-
cevra facilement que ces parties sont faites pour
que ces animaux puissent briser par un mouvement
de la mâchoire inférieure de bas en haut , et jamais
oblique , leur proie, après qu’ils l’ont mis en lam-
beaux. La pointe aigue des molaires nous prouve
évidemment que ces animaux carnassiers nehroient
ou ne mâchent point, mais qu’ils cassent ou bri-
sent seulement leur nourriture, ainsi qu’on pour-
voit le faire avec des tenailles.
Observons maintenant ces têtes décharnées de
l’homme et de différentes espèces de singes , et
nous verrons que la couronne des molaires est
plate, que les mâchoires inférieure et supérieure
sont de la même largeur, et que le mouvement de
la mâchoire inférieure est si libre que l’homme
peut , ainsi que les quadrumanes , broyer fort
menus entre ses molaires les alimens dont il se
nourrit.
Voici maintenant le crâne d’un bahi-roussa, que
Buffon ( 1 ) a représenté assez bien , si ce n’est
qu’il est trop court. Rernarquez-en les molaires ,
ainsi que les mâchoires , et vous ne pourrez douter
(i)Tom. XII, pl. 48.
1 1 I.
5
66 LEÇONS
que ces animaux doivent tous être exclus de la
classe des ruminans, malgré que Peyer (pag. 45)
en ait douté. Le ])ecari ou cochon à glande mus-
quée près de la croupe a la même espèce de molai-
res; il ne rumine par conséquent pas, quand même
il auroit six estomacs.
Les rats et les souris ont la couronne des molai-
res tuberCLilée, et aussi large par le haut que par
le bas; ils ne peuvent donc pas ruminer.
Les porcs-éj)ics et l’agouti (dont Linnæus a, se-
lon moi , si mal à propos placé le dernier parmi les
rats) meuvent en mangeant la mâchoire inférieure
droit en avant; aussi ont-ils les rainures dans les-
quelles se meuvent les têtes de la mâchoire infé-
rieure placées droit en avant; tandis que celles des
animaux ruminans sont placées obliquement; et
leurs molaires , qui ont la même largeur par en
haut et par en bas, sont rendues fort lisses par le
frottement ; de sorte qu’on peut se convaincre de
ce mouvement en avant par la manière don t les mo- {
laires se trouvent émoussées. Il est donc impossible
que ces animaux puissent ruminer. Je conserve,
pour cette raison, dans ma collection la tête d’uni
porc-épic, et le squelette d’un agouti. Mes obser-
vations sur ce mouvement de la mâchoire ne sontl
pas neuves; Peyrec en avoil déjà parlé pag. 176. !l
Les lièvres et les lapins ont, comme je l’ai faitii
voir plus haut , ce caractère remarquable , et pan
SUR u’ ÉPIZOOTIE. 67
cela seul j’oserois affirmer que c’est avec raison
que Moïse les a classés parmi les animaux rumi-
nans. Je conviens que le grand Palrik, en expli-
quant les versets 5 et 6 du onzième chapitre du Lé-
vitique, doute, d’après l’autorité de quelques écri-
vains et particulièrement de Bochart, que ces ani-
maux aient cette faculté j mais si l’on examine bien
les raisons sur lesquelles il se fonde, on trouvera
qu’elles portent sur ce qu’Aristote (1) ne range
dans la classe des ruminans que les animaux qui
ne sont pas amphodonta , c’est-à-dire, à doubles
dents, et sur les fausses considérations de Bartho-
lin et d’autres, d’un seul estomac; deux caractè-
res qui, comme je l’ai déjà prouvé, ne contribuent
en rien à la rumination.
Comme ces leçons n’ont pour but que la rumi-
nation des bêtes à cornes , et son analogie avec
celle des montons, je dois faire observer la sincfu-
lière disposition de l’oesophage, depuis son inser-
tion dans la panse jusque dans le feuillet ou oma-
sum. Buffon en a donné une excellente figure (2),
et Perrault (5) une bien meilleure encore , selon
moi. Cette partie n’est pas moins visible dans les
moutons, et a latéralement deux gros rebords, pl.
(1) Lib. X, cap. 5o.
(2) Tom. IV, pl. 17, fig. 2. C. D.
(3) Pl. i3, fig. 2, pag, 432.
68 LEÇONS
XXVIIl , iig. 5, D. E. , avec de petites rides trans-
verses. L’oesophage, qui y passe en B. C. , est lisse
avec des raies fines, F. G. , disposées en longueur,
lesf|uelles sont un peu éminentes. Ces rebords
C. D. B. et C. E. B. ressemblent à deux lèvres qui
peuvent se fermer l’une sur l’autre, et qui sépa-
rent la panse du bonnel, lorsque les alimens rumi-
nés descendent pour la seconde fois le long de l’oe-
sophage, et sont portés dans le feuillet ou troisiè-
me estomac. Joignez à cela que les libres rouges
des muscles de l’oesophage, passent d’unemanière
fort visible par dessus l’extérieur de cette partie,
et vont se rattacher au feuillet 5 de manière que ,
dans la seconde déglutition , ces deux ouvertures
sont comme l'approchées l’une vers l’autre; ce qui
fait que la cavité semble s’élargir, et que les lè-
vres peuvent alors agir avec plus de force.
Remarquez ici, pl. XXVI 11 , fig. 5, comment
l’oesophage A. B. forme un orifice G. près de la
réunion de la panse avec le bonnet, et comment
de cet orifice les lèvres C. D. B. et C. E. B. vont se
rendre à l’orifice du feuillet F. Lorsqu’on coupe
transversalement cette partie , comme on le voit
pl. XXVIII, fig. 6 , on apperçoit distinctement les
fentes de cet orifice D. et E. , lesquelles, étant fer-
mées, laissent l’ouverture G. par laquelle passent
les alimens ruminés.
On lu’objectera que ce rapprochement n’est pas
SUR u’ É P I Z O O T I E. 69
parfait : supposons -le pour un moment. Dans ce
cas, il se pourroit que quelques parties des alimens.
ruminés y passassent et se trouvassent perdues ;
c’est-à-dire, qu’elles tombassent de nouveau dans
la panse , et qu’il faudroit qu’elles fussent rumi-
nées une seconde fois avant qu’elles pussent être
portées dans le feuillet. Mais cette perte seroit fort
petite, en admettant même qu’elle eut lieu. Nous
voyons ici l’animal mort; il se pourroit que cette
voie fut toujours nulurellenient fermée chez les
animaux vivans, et qu’elle ne s’ouvre que quand
ils avalent de gros morceaux ou lorsqu’ils boivent.
Si l’on n’avoit jamais vu que la bouche ouverte de
personnes mortes, faudroit- il en conclure qu’é-
tant vivantes elles n’avoient pas la faculté d’y gar-
der de l’eau en serrant légèrement les lèvres? Il
en est de même ici : ces lèvres sont cachées pour
nous pendant la vie de l’animal ; nous ne con-
noissons donc point leur mécanisme, et nous som-
mes certainement induits en erreur par le chan-
gement que la mort y occasionne.
Rappelez- vous les valvules semi-lunaii'es du
cœur : se ferment - elles beaucoup mieux dans les
animaux morts que ces lèvres? Cependant n’êtes-
vous pas convaincus qu’elles se rapprochent par-
faitement, et qu’elles ne laissent aucun passage à
la plus petite goutte de sang aussi long-tems qu’ils
respirent ?
70
I. E Ç O N s
Quoiqu’il en soit, il est certain que les alimens
que l’animal a ruminés une lois ne passent pas d’a-
bord dans le l>onnet ou réticulum , et de là dans
le troisième estomac j mais qu’ils vont directement
de l’œsophage dans le l’euillet ou troisième esto-
mac des l)êles à cornes et desmoulons; et j’ai cons-
tamment trouvé des matières non-ruminées dans
la ])anse et dans le bonnet, c’est-à-dire, des ali-
mens absolument de la même nature.
Le grand Haller me ])aroît s’écarter de la bonne
route, lorsqu’il avance, dans son admirable Phy-
siologie (i), que les alimens ruminés doivent êti’e
détrempés de nouveau dans la panse, et cela mê-
me jusqu’à trois et quatre fois, avant qu’ils passent
dans le feuillet. Il prétend aussi que l’orifice que
je viens de vous faire voir n’est destiné qu’à porter
la boisson de l’animal dans le feuillet; ce qui ne
paroît jamais à l’ouverture des bestiaux; car j’ai
constamment trouvé la panse remplie d’eau qui y
formoit une espèce de bouillie. J’ai fait prendre à
des bestiaux une demi -heure, une heure et trois
heures avant qu’on les tuât, des décoctions de bois
deFernambuc, mêlé avec du miel, de l’huile et
du sassafras; et j’ai toujours trouvé cette boisson
dans la panse, l’odeur de l’huile surtout dans le
bonnet; et il n’y en avoit jamais dans le troisième
(i ) Tom. III , pag. 2g2.
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 71
«stomac; ce qui prouve que l’orifice en question
laisse passer machinalement, c’est-à-dire, comme
le demande la nature de l’animal, dans la panse
les matières liquides qu’il avale. Aussi est-il cer-^
tain qu’on ne trouveroit pas de matières aussi sè-
ches dans le feuillet, si la boisson y passoit immé-
diatement. Chez les jeunes bêtes à cornes et chez
les agneaux, qui ne se nourrissent que de lait, ce
lait tombe également dans la panse , où il subit
une première coction, y prend une teinte brunâ-
tre, et passe dans le troisième estomac, ainsi que
dans le bonnet, sans subir d’autre altération; mais
11 ne se trouve pas plutôt dans la caillette qu’il se
coagule et forme une matière caseuse blanche.
Mais je reviens à la mastication. Les alitnens qui
ont été détrempés pendant quelque lems dans la
panse, et qui y ont subi une légère coction, sont
reportés par pelotes vers en haut par un mouve-
ment particulier de la panse. Il me paroît vraisem-
blable que le ventricule se contractant, les alimens
sont portés par cette pression dans le bonnet ; et
que lorsqu’une portion des alimens doit être re-
portée vers la bouche, le bonnet se comprime de
même , ainsi que l’ouverture du feuillet ; et que
c’est de cette manière qu’une partie des alimens
qui se trouvoient dans le bonnet , étant retenue
par le rétrécissement près de la panse, elle est por-
tée par cette pression dans l’oesophage. Cette qpé-
72 LEÇONS
ration diflere du vomissement; car on convient as-
sez généralement que les bêtes à cornes et les che-
vaux ne vomissent jamais , quoique Goelicke ait
fait vomir des vaches avec du foie d’antimoine ,
pour les guérir de l’épizootie.
Pour ne pas être trop prolixe , je vais vous rap-
peler en peu de mots ce que ce sujet olfre de plus
intéressant.
Les hêtes à cornes et autres de cette espèce com-
mencent ])ar arracher Plierhe, le foin ou les feuil-
les dont elles se nourrissent, et les h royenf, légère-
ment entre les molaires, pour que, mêlés avec la
salive, ces alimens puissent passer plus facilement
de l’oesophage dans la panse. Ce ])remier estomac,
qui mérite de fixer votre attention , est placé tota-
lement dans la cavité gauche, et le bonnet se trou-
ve vers le devant; mais l’un et l’autre horisontale-
ment. Le troisième estomac est placé plus haut
que le bonnet, et avec son côté convexe vers le
foie ; c’est - à - dire, que les livrets sont disposés
plus ou moins verticalement; ensuite vient dans la
cavité droite la caillette, laquelle est reçue dans la
scissure du foie. La panse et la caillette sont recou-
vertes par l’épiploon , immédiatement contre le
péritoine, et par conséquent contre les muscles du
ventre.
Lçs alimens sont d’abord détrempés dans la
panse, tant par l’eau que l’animal avale et qui sé-
journe toujours dans cet estomac, que par la sa-
live et par le suc gastrique que les vaisseaux excré-
toires versent dans cet estomac, l.a chaleur interne,
la respiration, le mouvement alternatif des mus-
cles du ventre, l’action de ceux de l’estomac, tout
cela combiné contribue à ce que les alimens ava-
lés reçoivent dans la panse une légère coction, et
sont un peu digérés.
Après quoi vient le renvoi d’une partie de ces
alimens vers la bouche , laquelle après avoir été
broyée fort menue, et bien imprégnée de salive ,
est portée immédiatement dans le troisième esto-
mac, et partagée entre les livrets du feuillet; c’est
à quoi les petites lames qui tapissent son oriûce F.
lig. 5, pl. XXVIII, ont déjà donné lieu.
Dans le troisième estomac, les alimens reçoi-
vent d’autres sucs des glandes placées dans les li-
vrets, et sont comme pétris et exprimés dans cet
intestin, où elles acquièrent, en même tems, en
partie l’odeur qui est particulière à la bouse. C’est
également dans cet estomac que sont absorbées les
parties les plus subtiles et les plus nutritives des
alimens.
La coction et la trituration s’étant faites ici, les
alimens passent dans la caillette ; ce qui s’opère
d’autant plus facilement que les livi'ets sont dis-
posés verticalement vers en haut et vers en bas, et
glissent par conséquent naturellement |>ar leur
y4 LEÇONS
chute dans la caillette; d’autant plus que la con-
traction du l’euillet sert à accélérer beaucoup cette
évacuation.
Arrivés dans la caillette, les aliinens reçoivent
de nou veaux sucs des glandes rnucilagineuses, qui
rendent les parois internes glissantes ; ces glandes
verrulonnes et garnies d’un petit orifice blanchâ-
tre sont répanduessur toute la caillette et sur tou-
tes ses membranes. Ici les alimens subissent une
quatrième coction; et c’est dans ce ventricule que
le lait se caille chez les veaux.
Celte cjuatrième coction étant achevée, les ali-
îuens passent lentement dans le duodénum, et re-
çoivent le fiel du l’oie et de la vésicule du fiel, par
le conduit biliaire, ainsi que le suc pancréatique,
pl. XXVIII, fig. 5, R, T. : c’est ce que j’appelle la
cinquième coction, laquelle continue à avoir lieu
jusqu’au cæcum, dans lequel est versé le chyle
délié, qui s’y trouve épaissi par l’absorption con-
tinuelle des parties séreuses.
C’est dans cet intestin que semble se faire la
sixième et dernière coction , par le concours d’au-
tres sucs ])roduits par les glandules. Celte matière
séjourne enfin quelque teins contre la partie ridée
du rectum, d’oii elle est chassée, quand il y en a
une certaine quantité, en bouse un peu détrem-
pée , comme de la bouillie , quand les bestiaux
sont au vert, et plus compacte quand ils se nour-
SUR É P I Z O O T I E. y5
rissent de foin et d’autres alimens secs à l’étable.
Ce cours et cette coction admirables des alimens
et de tout ce que les animaux ruminans avalent ,
nous apprennent que les inédicamens qu’on leur
administre suivent les mêmes voies 5 qu’il n’y a
d’autre moyen de décharger la panse que celui de
la rumination 5 que par conséquent quand cette ru-
mination n’a plus lieu, par quelque cause que ce
puisse être , les alimens se corrompent , pourris-
sent et doivent nécessairement affecter les mem-
branes délicates qui tapissent les parties internes,
par inflammation, gangrène et spliacèle, ainsi que
je l’ai constamment remarqué chez les bestiaux
morts de l’épizootie.
76
LEÇONS
QUATRIEME
LEÇON.
Jli’iLoire , naturp, , symptômes et guérison de
l’épizootie actuellement régnante.
li ES difficultés qu’offre naturellement le sujet de
ces leçons, et la considération du peu d’expérience
que j’ai acquise jusqu’à présent de cette cruelle ma-
ladie , m’elFrayent quand je songe à l’attente qui se
peint sur le visage de mes nombreux auditeurs ! Il
m’étoit plus facile de satisfaire votre curiosité en
disséquant et en démontrant les parties affectées
des bêtes à cornes, que de vous donner l’histoire
exacte de l’origine de ce üéau dévastateur. Cepen-
dant l’indulgence que vous m’avez si souvent té-
moignée, la bonté avec laquelle vous avez toujours
daigné apprécier mon zèle et la droiture de mes
intentions, m’enhardissent et m’autorisent même
à cette pénible lâche.
Dans l’introduction de la première leçon , je
vous ai déjà fait observer combien il étoit difficile
de laire l’histoire de l’épizootie, parce que les an-
SUR ÉPIZOOTIE.
77
ciens ouvroient rarement , ou , pour mieux dire ,
jamais les bestiaux qui en éioient morts j du moins
ne parlent-ils dans leurs écrits que des symptômes
externes , par conséquent de ceux-là seulement
qui, étant également communs à d’autres mala-
dies, ne peuvent pas servira donner une idée aussi
exacte delà nature de l’épizootie qu’on pourroit le
désirer.
Leur superstition et leur idolâtrie mettoient
d’ailleurs de grande obstacles à la découverte des
causes et des accidens de cette maladie , ainsi qu’on
peut le voir principalement par les écrits de M. Por-
cins Caton l’Ancien, qui mourut environ cent qua-
rante-huit ans avant Jésus-Christ. Ce Romain nous
apprend, dans son admirable ouvrage sur l’agri-
culture (i), qu’on devoit offrir tous les ans , dans
les bois, du miel, du lard et du vin à Mars Syl-
vanus, pour détourner la mortalité des bestiaux,
avec la défense ridicule aux femmes et aux escla-
ves de se trouver présens à ces sortes de sacri-
fices.
Cependant que , si l’on avoit des raisons de crain-
dre l’épizootie, il falloit donner aux bestiaux sains
une mixtion de sel, de feuilles de laurier (2), d’oi--
(1) Gesner , A uct. de Re Riist. , cap. 83 , pag. 79.
(2) Anciennement le laurier étoit regardé comme un excellent
préservatif contre les maladies contagieuses , ainsi qu’on le voit
chei Hérodien, liv, I, cbap, 36.
78 LEÇONS
gnons,, de gousses d’ail, d’encens, de farine , de
rime, de lainbruche , de charbons ardens avec un
peu devin; mais j)our cela il falloit , d’aj)rès les
idées superstitieuses des anciens, que la personne
qui adminislroit ce remède fut non-seulement à
jeun , mais aussi qu’elle se tint debout, de même
que le boeuf.
Si l’animal devient malade, ajoute Caton , faites
lui manger un oeuf de poule en entier qui soit
frais, et le lendemain donnez-lui une gousse d’ail
détrempée dans du vin. Vous voyez par-là que le
conseil qu’on donne aujourd’hui de se servir pour
cet objet d’oignons et d’œufs frais n’est rien moins
que nouveau,
Columelle, qui vivoit sous le règne de Claude,
environ quarante-deux ans avant l’ère chrétienne,
fait la description d’une maladie contagieuse qu’il
appelle cruditas , laquelle dilFérolt guère, par ses
symptômes, de l’épizootie actuelle; voici ce qu’il
en dit (1) : Crehri ructus , ac ventris sonitus ^
fastidia cibi , ncrvorum intentio , hebetes oculi ,
pj'opter quœ bos neque ruminât , neque lingua
se deterget ; c’est-à-dire : « Les yeux deviennent
(( foibles, l’animal a de tems en tems des frissons,
(( les alirnens lui répugnent, il lâche des vents par
(i)Lib. VI, cap. 6, pag. 678,
SÜR l’ ÉPIZOOTIE.
79
« le haut et par le bas; le bœuf ne rumine par con-
« séquent plus, et ne se lèche point avec sa langue, a
Il veut qu’on ouvre la veine qui est dessous la
queue, qu’on lire les excrémens du rectum avec la
main , après l’avoir enduite de graisse , et qu’on
donne à l’animai du sel , du miel et des oignons ,
ainsi que des lavemens, qu’il appelle collyria. Si
cela ne se fait pas à tems, dit-il , le ventre se tend ,
les colliques des intestins augmentent et l’animal
gémit fortement.
Si la maladie devient contagieuse, il veut ( cap.
IV, pag. 577) qu’on sépare les bestiaux malades
d’avec ceux qui sont Segregandi a sanis
morhidi ; et qu’on doit les mettre dans des prai-
ries où il n’y a pas d’autres bestiaux, etc.
Végèce, qui décrit la maladie de la même ma-
nière que Columelie {ibid. lib. 111, cap. 2, pag.
1 io5) , lui donne les noms de cruditas et de 7?ial-
leus ^ il indique ensuite les mêmes remèdes, par-
ticulièrement les œufs frais administrés tout en-
tiers avec du miel; mais il recommande surtout de
mêler force de sel aux alimens : Expedit tainen
Salem pabulis misceri. Il attribue l’épizootie à la
fiente de cochon que les bestiaux peuvent avoir
mangé; mais je pense que c’est à tort. Son avis est
beaucoup plus essentiel quand il veut qu’on sé-
pare des autres les bestiaux qu’on soupçonne être
attaqués de la maladie : Staiim omnia animalia ,
8o
LEÇONS
quœ levem suspiciüuejn hahuei'int, de passes—
siofie tullenda.
Ainsi que lorsqu’il conseille de faire transporter
ceux qui sont morts de l’épizootie loin de la ferme,
et de les faire enterrer à une grande profondeur
sous terre : Mortua cadavera ultra fines villœ
projicienda suiit, et altissime ohruenda sunt sub
terris.
Il v'eut surtout que, dans les épizooties, on ait le
plus grand soin de séparer les bestiaux malades de
ceux qui sont bien portant, «/m que la négligence
du propriétaire ne soit pas attribuée à tort au
courroux de F Etre Suprême ÿoém&\ que le font les
insensés. Il seroit à souhaiter qu’on lit également
toujours usage dans ce pays de la même prudence
et de la même sagesse de raisonnement. Nos fer-
miers , quoique chrétiens , ont sur cette matière
les mêmes idées que les bouviers de l’antiquité; ou
plutôt ils accusent l’Etre Suprême d’un mal qu’ils
pourroient souvent prévenir par leurs soins.
Le vertueux et célèbre Outbof nous a donné à
la suite de sa Judicia Jehocœ Zebaoth , in-^°. ,
1721, \e Seperi Sancti , idest Endeleichi Rhe—
toi'is , de rnortibus Buom Carmen. Quoiqu’on ait
dilîérentes éditions séparées de ce dernier ouvrage,
je crois devoir nommer celle-ci, parce qu’Outhof
a été fort exact à citer j)lusiem's épizooties qui ont
eu lieu. Ce poète vivoit au commencement du cin-
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
8l
quième siècle, ou, comme d’autres le prétendent,
à la dn du troisième siècle , notamment en 5g6.
Il fait la description d’une épizootie qui ne difi'ère
pas beaucoup de celle qui règne actuellement. Elle
étoit venue de Hongrie, de l’Autriche et de la Dal-
matie , et avoit pénétré par le Brabant dans les
Pays-Bas :
Mcec dira lues aerpere dicitur
P ridein pannonios , illjricos quoque
Et belgas graviter stravit , et impio
Cursu nos quoque nunc petit.
C’est-à-dire, aux François, car l’auteur étoit de
l’Aquitaine, située dans la partie méridionale du
royaume de France. Celte maladie avoit assez d’a-
nalogie avec celle d’aujourd’hui ; cependant elle
paroît avoir été bien plus terrible: Sic mors ante
luem venit ; u A peine les bestiaux étoient-ils at-
« taqués de la peste, qu’ils mouroient. u Ensuite
il dit :
ELic fontis renuens , grarninis immemor
Erat succiduo bucula poplité.
Pag. 827.
Inflantur tumidis corpora ventribus
jdlbent lividulis lumina nubibus
Tenso crura rigent pede.
Pag. 855.
III.
6
82
LEÇONS
Ce que je traduis : « Ici la jeune génisse refuse
« de boire , et n’ayant pas ruminé depuis long-tems,
<( elle chancelle; son ventre se tend; ses yeuxsem-
« blent couverts de membranes pourprées; ses jam-
<( bes de derrière deviennent roides et immobiles. ))
Symptômes qu’on retrouve tous dans l’épizootie
actuelle. Le bouvier idolâtre demande à Tytire ,
qui est représenté ici comme chrétien, ce qu’il a
lait pour conserver ses bestiaux qui étoient restés
parfaitement sains, tandis que la mortalité étoil
générale? Celui-ci répond:
Signum quod perhibent esse crucis Dei
Mngnus qui colitur solus in urbibus.
Clirislus perpetui gloria nuniinis.
Cujus filins unicus.
Hoc signum mediis f rontibiis additum,
Cunctarum pecudum cerla sa lus fuit.
Pag. 807 — 859.
C’est-à-dire : « Je fais le signe de la croix de Jé-
« sus-Cbrist , etc. , sur le front de mes bestiaux; et
(( c’est-là ce qui les a conservés, a 11 paroît vrai-
semblable que la coutume qu’on a encore dans ce
pays, mais surtout dans le Rhynland , de peindre
des croix blanches sur les murs des étables, est un
reste de cette ancienne superstition.
Je ne crois pas devoir m’arrêter plus long-tems
sur cet objet; je passe donc à Lbbo Emmius , qui
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 85
nous apprend qu’en 1272 il y eut une telle mor-
talité parmi les bêtes à cornes, qu’il en résulta une
grande famine (i); cependant il ne dit rien sur la
nature de la maladie.
Ouihof en rapporte encore d’autres; mais une
des plus remarquables fut celle de 1682, pendant
qu’il demeuroit clans celte ville. Cette contagion
prit naissance en Italie , de là passa par la Bour-
gogne, en Suisse , en Allemagne et dans le Bra-
bant. Elle dilTéroit néanmoins beaucoup de celle
c|ui règne aujourd’hui , et de celle de 1710, etc. ;
caries bestiaux avoient surtout un grand écliauf-
fement et beaucoup de boutons sur la langue, qu’on
perçoit avec des lancettes; comme on le fit égale
ment en 1752; ce qui les sauva.
Ensuite Outbof passe aux mortalités de 1710 et
de 1715. Celle-ci , dit-il , se déclara d’abord en
Dalmatle, pénétra en Italie, en Autriche, courut
le long de la Bohême et de la Hongrie , et même
en Prusse , en Moscovie , en Suède et en Dane-
marck ; et en 1711 dans plusieurs villages de la
Suisse, Perplurimos Helvatiæ pagos ^ pag. 762.
Il est donc faux que la Suisse n’a pas été affligée
de cette contagion durant ce siècle. Cela paroît d’au-
tant plus évident que, ])ar un préjugé , ou peut-être
par un fait véritable, ce que je ne veux pas décider,
(1) Rerum Fris- Hist., lib. XI, p;<S- 170.
84
leçons
on attribua cette maladie à de certaines pillules
que des hommes mallaisans (comme on le croyoit
dans le canton de Bâle ) répandoient ; ce qui fut
examiné par le collège de médecine de la ville de
Bâle. Il conlirme ce fait par le Mercure cV Europe
du mois de septembre I7i4, pag. 175. De pai'eils
préjugés ont également subsisté ailleurs , et nous
j)rouvent évidemment qu’il a régné une maladie
contagieuse parmi les bêtes à cornes à différen-
tes époques J dont on n’a fait que mal indiquer
les causes. Agobard , évêque de Lyon, qui vécut
sous Charlemagne, c’est-à-dire , au commence-
ment du neuvième siècle, a donné un ouvrage in-
titulé: Contra vulgi opinionem insulsam de Qran-
dine et tonitruis , où il dit, pag. 1 56 (1) : « Lors-
(c qu’il y eut , ü y a quelques années , une morta-
« lité, des personnes prétendirent que le duc Gri-
(1) Ame hos paucos annos dissemînata est qnaedain stultitia ,
Ciim esse mortalilas boum, ut dicerent Grimaldum dticevi Bener
Vcntorum transmisisse homines cum puleeribus , ejuos spargerent
per campas et montes, prata et fontes, ro tjnod esset immicissimus
Chrislianissimo Imperatori Carolo , et de ipso pulvere mori boves,
propter quam causam multos comprehrnsos audivimus , et vidi-
intis aliqnot occisos , plerosqne autein adfixos labulis in flumen.
projectos atqiie necatos. Et qnod minim -valde est, compreUensi
ipsi adversus se dicebaut testimoninm , habere sc tolem pulverem,
et spargere , etc. Hoc ila ab omnibus credebatur , ut pœne pauçi
essent quibus absiirdissimum videtur, etc.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
85
« maldus avoit envoyé certains hommes avec des
« poudres, qu’ils répandirent sur les champs, sur
« les montagnes , dans les prairies et dans les ri-
« vières, pour faire mourir le bétail; parce que ce
(( duc portoit une grande haine à sa majesté l’em-
« pereur Très-Chrétien. Qu’il avoit non-seulement
« entendu dire, mais qu’il avoit vu qu’on en avoit
« saisi quelques-uns, qui, après avoir été liés sur
(( des planches, furent jetés dans la rivière et tués.
« Et que, ce qu’il y avoit de plus surprenant, ils
« témoignoient contre eux-mêmes , qu’ils possé-
« doient et avoient en effet répandu de pareilles
« poudres, etc. Cela étoit regardé par chacun coin-
(c me tellement véritable, que personne ne formoit
(( le moindre doute à cet égard, n Mais Agobard
regarde tout ceci comme un fait controuvé et ab-
solument impossible; ce que je n’oserois cependant
assurer. Il me semble que rien n’empêche de ré-
pandre l’épizootie dans un pays, puisqu’on sait
qu’une seule chemise sechée d’une personne qui
avoit eu la petite vérole en mer , long-tems avant
d’arriver au Cap de Bonne-Espérance , répandit
cette maladie dans toute la colonie par le blan-
chissage qu’on en fit. Ne sait-on pas que la matière
variolique qu’on garde pour l’inoculation de la pe-
tite vérole et de l’épizootie , peut également pro-
duire un pareil eifet? Je suis loin de croire que le
lait rapporté par Agobard soit vrai ; aiais je n’y
86
LEÇONS
trouve pas la même absurdité que cet évêque, qui
ne connoissoit pas l’inoculation , et ignoroit que
la matière contagieuse peut être portée au loin sans
qu’elle perde de sa vertu morbifique. Mais retour-
nons à notre objet. Il paroît suffisamment démon-
tré par ce que je viens de dire, que des épizooties
ont eu lieu en différens teins, et que la Suisse mê-
me n’en est pas restée exemple. Je sais aussi avec
certitude, que celte maladie a régné en 1768 à
Ho use, dans le canton de Zurich, ainsi que dans
les cantons de Zug et de Scbweitz.
Mais je reviens à Outhof, parce qu’il est le seul,
autant que je sache, qui ait bien décrit l’épizootie
de 1714, laquelle fit de si terribles ravages dans
les Provinces-Unies.
Outhof nous apprend que la contagion se dé-
clara en 1715 dans les Pays-Bas , et qu’en 1714
elle pénétra en Frise , où elle régna avec tant de
violence qu’en moins d’une année elle enleva qua-
rante mille vaches. Ensuite elle attaqua la province
de Groningen, du côté de la Frise , et à l’est vers
FEems , et se répandît , à la fin de décembre, sur
toute rOost-Frise, U observe de plus que les états
de Hollande et de West-Frise défendirent par des
placards, en 1714 , de jeter aucun animal mort de
la contagion dans la mer, ni dans les lacs, ni dans
les canaux^ et ordonnèrent de les enterrera trois
pieds de profondeur sous terre, ils défendirent éga-
SUR ÉPIZOOTIE. 87
leiuent de manger de la chair des bestiaux morts
O
de la contagion, pour que le peuple ne fut point
exposé à des maladies pestilentielles.
Cette prév^oyance étoit d’autant plus nécessaive
que ceux que le besoin portoit à se nourrir de ces
bestiaux jetoient dans l’eau celle qu’ils tenoient
cachée dans leurs maisons, quand elle commen-
çoit à se corrompre , d’où pouvoient résulter de très-
grands malheurs.
Ce seroit rendre un service essentiel que de pu-
blier, si on les possédoit, tous les placards qui ont
été promulgés, tant ici qu’ailleurs, depuis la for-
mation de la République, relativement à l’épizoo-
tie, que les historiens de ce pays passent généra-
lement sous silence, comme n’ayant rien de com-
mun avec leurs discussions politiques.
Je puis assurer du moins qu’avant l’année 17 13
il n’est pas fait mention dans le Grand Livre des
placards àe, Cau d’aucune ordonnance sur les me-
sures à employer contre l’épizootie 5 et j’ai remar-
qué par une liste fort exacte des ordonnances pu-
bliées dans la province de Frise, touchant les bêtes
à cornes, qui m’a été communiquée par M. le ba-
ron G. F. Thoe de Schwartzenberg et Hobenlands-
berg, que l’introduction des bestiaux étrangers a
été défendue pour la première fois le 127 novem-
bre 1713, jusqu’au 5 novembre 1721 , et ensuite
le 11 décembre 1744 jusqu’au 20 janvier 1747 j
88
LEÇONS
d’où il fanclroit conclure que, depuis la naissance
de la République , il n’a régné dans ce pays au-
cune maladie contagieuse parmi le bétail avant
l’année j 71 5. Cet objet demande ce])endant des re-
cherches ultérieures.
Jusqu’à ]>résent je n’ai parlé que des écrivains
qui, n’ayant aucune connoissance de l’anatomie
ni de la médecine, ont cependant parlé de l’épi-
zootie. Mais combien ne pourrois-je pas citer d’au-
teurs italiens, anglois, françois, allemands et d’au-
tres ])ays qui ont traité de la contagion qui a ré-
gné dans toute l’Europe , depuis 1710 jusqu’en
1719? Il laut cependant que je rappelle à votre
mémoire que Ptamazzini , Lancisi , Boromeo , Ma-
zini , Nigi’isoli , Michelotti , Magati , Lanzonius ,
G. Guerra , F. Fantasti , D. di Ferraris , L. Cas-
telli , (à F. Cogrossi , H. Corazzi,Ruini , Valisneri,
et autres, ont publié en Italie, ])eu de tems après
la naissance de l’épizootie , leurs judicieuses obser-
vations sur celte maladie.
Les principaux de ces écrits , particulièrement
ceux de Ramazzini, de Lancisius et autres , ont été
traduits en allemand par Ch. Nie. de Lange, et en
1719 en holiandois par A. Maubach. Abraham-Sal.
Van derVoort a publié aussi, en 1716, àLeide,
une lettre adressée à un ami sur l’épizootie qui ré-
gnoit alors parmi les bêtes à cornes ; mais il m’a
été impossible de me procurer ce morceau.
SUR L^ÉrizooTiE. 8g
Les Anglois ont également traduit les princi-
paux écrivains italiens; mais aucun peuple ne s’est
montré plus empressé à cet égard que les Alle-
mands. Cependant Bâtes avoit déjà publié, en 17 14,
d’excellentes observations sur cette maladie des
bestiaux , et en avoit même ouvert plusieurs ,
comme on peut le voir dans les Transactions
philosophiques y ainsi que dans l’abrégé de ces
mémoires.
Lorsqu’en ly io l’épizootie se déclara de nou-
veau, toutes les nations à -la -fois paroissent s’en
être occupées à l’envde. Les François ont publié
plusieurs ouvrages anonymes sur cet important
objet. En 1744, on imprima à Besançon un vo-
lume intitulé: Observations sur la mala-
die contagieuse qui règne en Franche - Comté
parmi les bœufs et les vaches , etc. ÿ à Paris ])a-
rut , en 1748 , in~\‘-2 , une Dissertation sur la
mcdadie épidémique des bestiaux, etc. , par Blon-
del; à Besançon , un Mémoire sur les maladies ,
etc. , des bêtes cl cornes j ouvrage qui a remporté
le prix de l’Academie de Besançon, en 1766, in-
8°. , que je n’ai pu me procurer jusqu’à présent.
Les observations du marquis de Courtivron m’ont
fait beaucoup de plaisir; et quoiqu’il y en ait cjuel-
ques-unes qui soient un peu superficielles , elles
oÜrent cependant bien des choses qu’on ne trouve
pas ailleurs : elles sont insérées dans les Mémoi-
go LEÇONS
res (le V Académie royale des sciences ^ 1748 et
1752.
M. Sauvages a de niêine publié , en 1746, une
dissertation sur celte matière; mais je ne l’ai pas
lue.
Cette maladie a fixé, en 1746, à Londres l’at-
tention de M. Broklèsby , homme d’un grand mé-
rite, et celle de M. Cromwell Mortimer, en 1745,
dans les Philos. Transact. , n°. 477, vol. XLIII,
et 1746, n°. 478 , vol. XLIV; mais ces messieurs
ont traité la chose plutôt en théoriciens qu’en pra-
ticiens : le grand nombre de leurs occupations et
l’immense étendue de la ville de Londres ne leur
ont pas permis de faire des expériences. L’ouvrage
de D. P. Layard, publié en 1757, m-8°. , à Lon-
dres, est d’une toute autre nature.
Les Allemands n’ont pas mérité moins d’éloges;
il est Impossible, pour ainsi dire, de faire l’énu-
mération des observations, des essais et des remè-
des qu’ils ont publiés et proposés à ce sujet: je me
contenterai d’en indiquer quelques-uns, en vous
conseillant , en même tems , de vous procurer la
notice très-exacte des meilleurs ouvrages qui ont
paru sur l’épizootie , publiée par le docteur J. G.
Krunitz(i); dans laquelle on trouve non -seule-
(1) ^ erzeichniss der voniehinsten schrifltn von der Rindvidi^
Seuche. Leipsig, 17G7, ;/î-8°.
SUR u’ ÉPIZOOTIE. 91
ment cilés les écrivains dont j’ai déjà parlé, mais
un grand nombre d’antres, dont je ne pourrai faire
mention que dans la suite.
En atlendani , je vais reprendre la partie histo-
rique de la maladie , d’après ce que A. O. Goe-
licke et J. O. Erucknerus en ont dit dans une dis-
sertation , De Lue Contagiosa Bovillum geniis
nuncde popularité ad Viadrum, lofeb.
1700, et publiée de nouveau par A. Haller, dans
les Disput. ad morborum histor. et Ciirationein
facientes , toin. V, 1768. Goelicke est fort exact
dans la description du cours que l’épizootie a tenu
depuis 1710 jusqu’à 1717. ü suit en cela Kanold ,
médecin de Breslau , qui a prouvé que la conta-
gion étoit d’abord venue de laTartarie, par le Mos-
covie en Pologne ; que de là elle s’étoit étendue
verd le Nord et vers le Sud; c’est-à-dire: au nord
le long de la Livonie, la Courlande, la Prusse, la
Poméranie et le llolstein , et avoit pénétré ensuite
par les Pays-Bas ou le Brabant , en Angleterre. Au
midi, elle avoit parcouru la Turquie, la Hongrie,
l’Esclavonie,la Croatie, et delà l’Autriche, la Styrie,
la Carinihie , la Carniole et la Bavière , ainsi qu’une
partie de l’ilalie, de la France et de l’Espagne. En-
suite, elle étoit de nouveau rentrée en Allemagne,
où, suivant cet écrivain célèbre ( pag. 7i5 ) , elle
n’avoit pas cesse de régner en 1700, et se faisoit
même sentir encore en quelques endroits.
92
LEÇONS
Cependant l’épizoolie paroissoit entièrement
éteinte dans la ])lus grande partie de l’Europe ,
lo rsqu’a])rès le rude hiver de 1740, elle se déclara
de nouveau.
En 1744, la mortalité des bestiaux fut si grande
<jue les états-généraux crurent devoir consulter la
faculté de médecine de Leide, sur les moyens de
parer à ce terrible fléau. Les avis de la faculté fu-
rent imprimés, en J7'i4, chez le libraire Lucht-
mans.
En ] 745 , les célèbres professeurs De Haen ,
Ouwens et Van Velse donnèrent, conjointement
avec le médecin Westerbof, une dissertation fort
exacte sur l’épizootie et la maladie des bestiaux,
laquelle fut publiée à la Haie.
C’est de cette manière que des hommes d’un
grand mérite furent encouragés à donner leurs ob-
servations sur cette importante matière; et l’on vit
ensuite pai'oître celles du savant M. Engelman ,
dans la seconde partie du sixième volume et dans
le vol. Vil, pag. 247, des Actes de la Société de
Harlem.
En 1755 , MM. Nozeman , Kool et Tak publiè-
rent leurs observations sur l’inoculation de la ma-
ladi e contagieuse des bêles à cornes, lesquelles mé-
ritent la plus grande attention.
En 1758,1e savant Crasbuis mit au jour un avis
fort circonstancié sur le même objet, dans le troi-
SUR l’ ÉPIZOOTIE. g3
sième volume, pag. 247, des Traités choisis pu-
bliés à Amsterdam chez Houttuyn (1).
Le jadis célèbre professeur Scbwenke a fait à la
Haie des essais sur l’inoculation des bestiaux, qu’il
paroît avoir adressés à un ami en 17/^7; on les
trouve dans le Magazin de Brème (2).
Plusieurs personnes de considération, parmi les-
quelles on distingue M. Binkhorst, bourguemes-
tre de Hoorn, firent eux- mêmes des essais, ou
fournirent les fonds nécessaires à ceux qui voulu^
rent consacrer leurs talens au bien public.
La contagion ne régna pas moins en Allemagne ;
ce qui fournit au célèbre Mauchart l’occasion d’é-
crire, en 1745, une dissertation intitulée: De Lue
V accarum Tuhingensi , qu’on trouve aussi chez
Haller, tom. V, n°. 188.
La belle dissertation de M. A. Eus, De morho
hoinn Ostervicensium pro jieste non hahendo ,
Halberstad 1746, mérite également d’être lue.
Il faut méditer aussi l’essai qui a été publié à
Brunswick, en 1763, sans nom d’auteur : Ler-
such einer Erldærung der Hornviesuche , nebsi
einige wahrnehmungen über die Einpropf ung
derselben.
Mais je vous recommande surtout l’ouvrage que
(1) Uitgezogte P^erhandelirifijen.
(2) Bremücke Magazin zur ausbreitting der Wîssenscliaffien.,
etc. I band , no. 47, pag. 406.
94 LEÇONS
le docteur Layard publia à Londres, en 1767, in-
8°. : Essay on the natuj'e , causes , and cure of
the contagious dlsteniper among the horiied cat-
Lle ; on bien A Discourse on the usefulness of
inoculation of the horned cattle , to prevent the
contagious disteniper ^ by D. P, Layard. Philos.
Transact. , vol.L, pag. 11, où l’on trouve aussi les
essais de l’évêque d’Yorck et du cbirurgien Bewley.
Je crains de vous ennuyér par cette longue no-
menclature d’écrivains. 11 paroît par ces difFérens
ellbrts de tant d’hommes de mérite, que la mala-
die a quelquefois diminué, et que, dans d’autres
lems, elle s’est déclarée avec une nouvelle fureur.
Et ne devons -nous pas regarder comme une
chose démontrée, que l’épizootie, ainsi que toutes
les autres maladies épidémiques, et particulière-
ment la petite vérole, règne dans certains tems avec
violence j tandis que dans d’autres elle paroît abso-
lument éteinte^ quoique, par des observations exac-
tes, il semble qu’on trou-ve cependant toujours ça
et là quelque animal qui en est entaché? Si cette
contagion n’est pas aussi ancienne que le sont tou-
tes les autres maladies, elle est du moins connue
depuis environ deux mille ans. Elle s’alfoiblira
sans doute par des raisons naturelles, ainsi qu’elle
se déclare de tems à autre avec plus de force. Il est
par conséquent de notre devoir d’employer tous
les moyens que l’Etre Suprême nous a fournis pour
SUR l’ ÉPIZOOTIE. g5
trouver des remèdes efficaces, de quelque espèce
qu’ils soient, qui puissent nous tranquilliser sur le
sort de nos plus précieuses possessions.
Je passe maintenant à la description des symp-
tômes de l’épizootie, pour que vous puissiez mieux
saisir mes idées sur les causes et la nature de cette
maladie.
Des pî'incipaux symptômes de V épizootie.
11 n’y a aucun signe qui présage d’avance l’épi-
zootie, elle n’avertît qu’avec le coup et quand l’a-
nimal est déjà malade. Alors il devient triste, re-
fuse de boire, se montre difficile sur le choix des
alimens; ensuite il paroîl plus gai par intervalles,
mange, boit et rumine. Cependant il devient in-
quiet, grince des molaires, et finit par ne plus ru-
miner, ce qui est le signe le plus certain qu’il est
malade; si ce n’est chez les veaux de lait, car ceux-
ci ne ruminent pas encore, ainsi que Galien l’a voit
déjà prouvé par une belle expérience sur des
agneaux et de jeunes chèvres.
Comme les bestiaux attaaués d’autres maladies
JL
ne ruminent également point, ce signe devient équi-
voque; mais les autres symptômes qui accomjja-
gnent l’épizootie, et dent je viens de parler, ainsi
que le frissonnement et le tremblement qu’ils éprou-
vent, l’inquiétude qu’ils montrent etla maniéré de
gü 1, E Ç O N s
se leniv sur les doigls des pieds de derrière , sont
des preuves conv'aincanles, surtout lorsque la cou- |
togioii s’esl déjà déclarée dans quelque endroit du |
voisinage. Z
Le pouls, qui bal de 6o à 70 , j5, 80 et même 5
go Ibis j)ar minute, annonce une lorte lièvre, qui i
est bientôt accompagnée d’une prostration géné- |
raie et prompte des forces de l’animal ; car le !
pouls est non -seulement vite , mais inégal , sans t
être fort , ainsi qu’on l’observe dans les fièvres pu-
Irides; il y a même des inslans où l’on ne peut,
pour ainsi dire, l’appercevoir nulle ])art.
Les oreilles et les cornes sont , pour cette rai- ■
son, alteniativement froides; tantôt les cornes '
^ • I
seules, tantôt les oreilles seules, et tantôt les unes
et les autres tout à-la-fois. ; ;
Les selles conservent souvent leur cours pendant i
les premiers jours de la maladie ; quelquefois la i
bouse perd sa couleur et prend une si forte odeur
de musc que toute l’étable en est l'emplie ; souvent
elle devient sèche , étant à peine lié ensemble; d’au- { |
très fois elle est molle et liquide ; ou bien l’ani- | |
mal a le ventre paresseux, parce que les intestins
et les muscles de l’abdomen n’ont pas assez d’ac- , |
livité pour chasser les matières accumulées. v
Une grande foiblesse s’empare promptement de y
l’animal à la première fievre qui survient : il laisse ,
alors pendre la tête, qui est lourde et les muscles ■
SUR u’ ÉPIZOOTIE.
97
du cou Fobligent de la tenir obliquement. Les oreil-
les pendent pareillement, et cela par la même rai-
son ; la queue perd aussi son mouvement 5 enfin ,
l’animal cesse de mugir.
L’animal tousse d’abord de tems en tems, en-
suite sans interruption; plus ou moins cependant,
selon que la matière morbifique affecte les pou-
mons ou les intestins.
Les yeux, que ces animaux ont naturellement
noirs et vifs, deviennent ternes et languissons, et
la paupière interne ou clignotante, laquelle n’est
pas visible quand l’animal se porte bien, s’enfle et
devient proéminente , par l’épaississement de la
membrane externe , et ressemble alors à une vessie
d’un rouge pâle , qui a quelque rapport avec la ma-
ladie connue chez l’homme sous le nom de che-
mosis. Ça et là on apperçoit une grande tache en-
flammée; le blanc de l’œil, qui est surtout visible
dans le petit angle, est également fort enflammé,
et l’œil paroît enflé et sortir de la tête. 11 coule des
grands angles des yeux une matière icboreuse; et
lorsque la maladie est parvenue à son plus haut
degré, il en sort , chez quelques-uns de ces ani-
maux, une abondance de larmes.
Des pores de la partie lisse du museau coulent
de tems à autre , des milliers de gouttes qu’on
prendroit pour une abondante transpiration.
Les naseaux déchargent d’abord une matière li-
1 1 1.
7
q8 leçons
quide, laquelle acquiert le troisième jour une con-
sistance visqueuse et purulente , qui coule sans
cesse le Ion" du museau, et une matière sembla-
ble coule de la bouche. Cependant l’animal n’es-
suie point cette matière , comme le font les bes-
tiaux sains , qui ne cessent de lécher et de net-
toyer leur museau avec la langue.
Chez quelques-uns la toux augmente, la respi-
ration devient pénible, et l’animal, rabattu par la
fièvre et exténué par le défaut de nourriture, tom-
be à terre, tend la tête droit devant lui, ou se tord
le cou , et emploie différens moyens pour respirer,,
en gémissant comme pourroit le faire une per-
sonne qui souffriroit de grandes douleurs. La bave
devient écumeuse , et tout annonce que les pou->
nions sont très-fortement all'ectés, et que l’animal
se trouve dans le plus éminent danger. Mainte-
nant la toux semble diminuer, parce que les for-
ces manquent: voilà la raison pourquoi quelques
écrivains françois, ainsi que le grand Haller dans
la lettre qu’il m’a écrite depuis peu , ont donné à
cette maladie le nom de pulmonie.
Chez d’autres la matière se jette davantage sur
les intestins du ventre. La panse, ainsi que je l’ai
déjà dit , placée dans la cavité gauche , est gonflée
par l’air et se distend considéi'ablement , de sorte
que l’animal semble prêt à crever ; et quand on
frappe dessus avec la main elle resonne comme
un tamhouix
sus. l’ ÉPIZOOTIE.
99
Quelques médecins prétendent avoir observé
que la peau de l’animal semble adhérer au dos et
aux reins y pendant le fort de la maladie; c’est ce
que je n’ai jamais apperçu bien distinctement ; je
crois plutôt ([Lie le gonflement considérable du
ventre peut avoir donné lieu à cette conjecture.
Chez d’autres la peau du dos craque quand on y
appuie le doigt ; ce qui provient peut-être de l’air
que la corruption a introduite dessous la peau.
Le quatrième, le cinquième ou le sixième jour,
plusieurs de ces pauvres animaux commencent à
être tourmentés d’une diarrhée considérable , de
manière que les déjections échappent avec vio-
lence du corps , comme si elles étoient chassées
d’une seringue, et elles inondent alors toute l’étable.
Ces excrémens répandent une odeur insupporta-
ble; et rien ne me paroît plus funeste pour les au-
tres bestiaux que la mauvaise qualité de cet air
méphétique. Quelquefois ces matières sont mêlées
de sang et d’ichor.
D’autres ne lâchent point leurs excrémens, qui
sont arrêtés dans le boyau rectum , lequel leur sort
du corps, reste ouvert et rend une matière iclio-
reuse et sanguinolente. Chez les vaches les parties
sexuelles sont pareillement gonflées et demeurent
ouvertes; l’animal étant si foible que les sphinc-
ters ne peuvent plus exercer leurs fonctions.
La vessie perd également, chez la plupart, son
lOO
LEÇONS
énergie ; ils lâchent alors rarement leurs urines, tant
parce que l’eau qu’ils boivent pendant ce tems , ou
les médicaniens liquides qu’on leur administre , res-
tent déposés dans les estomacs sans être absorbés,
que parce que l’animal rend beaucoup d’humeurs
par les naseaux, les yeux et la bouche.
Je n’ai rien dit encore du lait, parce que l’épi-
zootie attaque de la même manière les bêtes à cor-
nes des deux sexes, de quelque âge qu’ils soient;
je n’en devois donc parler qu’en dernière analyse,
parce que cela ne concerne que les vaches laitières.
Le lait diminue , s’épaissit et se corrompt dans
les pis.
11 est, pour ainsi dire , impossible de déterminer
le tems que dure la maladie et les accidens dont
elle est accompagnée. Chez quelques individus la
corruption est si violente, si prompte, qu’elle tue
l’animal en vingt-quatre heures ; quelquefois ils
ne meurent que le troisième , le quatrième ou le
cinquième jour; d’autres fois seulement le septiè-
me ou le onzième jour; mais ce dernier cas est fort
rare.
Ils meurent tantôt avec les jambes étendues loin
du corps , et tantôt avec les pieds retirés dessous
le corps. Pendant la maladie, ils ne sont pas tou-
jours couchés sur le même côté, quoique la panse
soit fort distendue par l’air. J’ai porté une grande
attention à cet égard, et j’ai trouvé que les bes-
SUR l’ ÉPIZOOTIE. lOt
îiaux étoient couchés tantôt sur un flanc et tantôt
sur l’autre; de manière que la panse ne paroît pas
occasionner quelque mal ici.
Chez certains le corps se couvre de taches , par-
ticulièrement près des aines, symptôme auquel les
paysans ont donné le nom de gale {rappigheid) ^
et que quelques-uns regardent comme un bon pro-
nostic. J’en ai vu mourir cependant dont le corps
étoit couvert de pareilles taches.
Je ne puis rien assurer de bien certain relative-
ment au sang: il y en a qui pensent qu’il se coa-
j;ule; d’autres qu’il s’atténue; mais la plupart s’ac-
cordent à dire qu’il ne se coagule point, mais qu’il
devient muqueux; comme on le voit souvent chez
des personnes attaquées de lièvres putrides. Dans
les bestiaux morts j’ai constamment trouvé le sang
atténué et jamais coagulé.
Voilà les symptômes qui sont communs aux tau-
reaux, auxgénisses, aux vaches, aux boeufs etaux
veaux de tout âge, sans distinction. On comprend
facilement que les vaches portières, toutes choses
égales d’ailleurs , doivent souftVir davantage de
cette terrible maladie , et cela d’autant plus qu’el-
les sont plus près de vêler. L’épizootie est néan-
moins quelquefois assez bénigne pour qu’elles s’en
tirent sans avorter ; mais cela est fort rare, et la plu-
part perdent leur fruit même dans la suite , après
qu’elles sont guéries elles-mêmes de la maladie.
102
LEÇONS
Des symptômes internes de l’ épizootie.
Je ne raiirois point si je vonlois rapporter tout
ce i|ui a été obser^^é surles parties internes desbes-
tiaux morts de l’épizootie par les principaux mé-
decins d’Italie, d’Angleterre, de France, d’Alle-
inaone et de Hollande. 11 suffira de m’arrêter ici
O
aux particularités qui , étant propres à la contagion
actuelle, peuvent servir à déterminer sa nature ,
et à trouver les moyens d’y apporter remède , si ja-
mais on est assez heureux pour parvenir à ce but.
Je ne parlerai que des symptômes que j’ai obser-
vés moi-même dans les bestiaux que j’ai fait ou-
vrir, à moins que ce ne soit de ceux que jecroirai
dans la suite dignes de fixer votre attention.
L’éj)i])loon ( pour commencer par le ventre),
l’éjuploon , dis-je, est enllarnmé et gangrène chez
plusieurs; de manière qu’il est couvert ça et là de
taches rouges, pourprées et noires.
La jiause l’est également plus ou moins; quel-
quefois elle est extraordinairement gonflée ]>ar l’air
qui s’y trouve renfermé, et donne une idée fort
exacte de la lympanite intestinale. Lorsqu’on y
perce un trou à travers de la peau et des muscles,
ainsi que je l’ai fait à quelques-uns, l’air en sort
avec violence et bruit. Mais je ne saurois dire, s’il
y a jamais véritable tympanite, c’est-à-dire, s’il y
a de l’air dans la cavité du ventre , entre les in-
testins dans l’intérieur du péritoine : la putréfac-
tion des intestins est quelquefois si grande que je
ne regarde pas cela comme impossible.
Les intestins grêles , de même que les gros in-
testins, étoient quelquefois entièrement dénaturés,
pourprés et noirs : une partie plus, l’autre moins,
suivant qu’ils étoient alfectés du virus pestilentiel.
Chez les vieilles vaches , la rate étoit générale-
ment livide , d’un gris cendré, chargée d’une ma-
tière ichoreuse, et comme putrifiée dans l’inté-
rieur par le sang vicié qui y séjournoit.
Le foie des bestiaux que j’ai ouverts moi-même
étoit généralement gangréné chez quelques-uns ,
rempli de douves ou fascioles hépatiques qui rem-
plissoient en grand nombre les conduits biliaires.
Mais ce n’étoit pas là la cause de leur mort. J’ai
trouvé aussi cette année et l’automne dernier beau-
coup de ces vers dans des bestiaux sains tués par le
boucher, ainsi que dans des moutons. Les lièvres
mêmes n’en ont pas été exempts. Cette maladie a
été fort générale (i) pendant l’été dernier, et em-
porte même encore actuellement un grand nom-
bre de moutonSc
(i) Dans la canal hépatique d’un cerf dont M. de Lewo d’A-
duaid me fit présent le i3 avril, pour le disséquer , j ai trouvé,
quoique l’ainmal lut d’ailleurs sain, trois douves de la même forme
que celles des moutons et des bêtes à cornes.
io4
LEÇONS
La vésicale du fiel étoit chez tous extraor-
dinairement volumineuse , et remplie d’un fiel
fétide.
Le parenchyme du foie étoit gorgé d’air ou af-
fecté d’emphysème, tant ces parties se corrompent
promptement dans l’épizootie.
Le premier estomac contenoit les alimens et la
boisson fjue l’animal avoit pris avant que la vio-
lence du mal l’eut empêché de satisfaire à son ap-
pétit, et ces alimens étoient fort corrompus ; de
manière même que j’en ti’ouvai l’odeur insuppor-
table, quoique d’ailleurs mon zèle me fasse vain-
cre assez facilement de pareils désagrémens. La
membrane intérieure étoit comme sphacelée par
la putréfaction de ces matières, et se laissoit en-
lever par lambeaux; ce qui n’arrive jamais chez
les bestiaux, si ce n’est lorsque la putréfaction qui
suit la mort en est la cause , ainsi que je l’ai déjà
remarqué plus haut (i). Il en est de même du bon-
net, qui ne forme, pour ainsi dire, qu’une seule
poche avec le premier estomac ; mais il faut que
j’observe, pour ceux qui pourroient l’ignorer, que
cette membrane interne est dans quelques bestiaux
naturellement fort noire, ou d’une couleur bron-
zée; et dans quelques autres d’un jaune pêile.
Uomasum ou feuillet est dans tous fort con-
(i) Pa^e38,
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 105
tracté , eoflammé à l’extérieur et couvert de taches;
mais dans l’intérieur lorsque les bestiaux mangent
un fourrage sec, les alimens sont noirs compactes,
durcis entre les livrets; de sorte qu’on ne sauroit
mieux les comparer, à cause de leur couleur et
de leur forme, qu’à des tablettes de chocolat, sui-
vant la remarque judicieuse ne MM. De Haen ,
Ouwens, Van Velsen et Westerhof, médecins à
la Haie. Lorsque, pendant l’été, les bestiaux sont
au vert dans les prairies , les matières sont bien
molles quelquefois, mais elles n’en sont pas moins
chargées d’acrimonie.
La membrane externe se trouvoit parfois ad-
hérente aux deux côtés de cette matière durcie ,
ayant été pareillement détachée par sphacèle.
Dans quelques-uns les livrets mêmes étoient en-
tièrement spbacelés, durcis et transparens com-
me de la gaudrucbe ; dans d’autres on apperçoit
le sang dans les vaisseaux desséchés. Mais après la
partie qui réunit l’ouverture de la panse à la cail-
lette , et où les livrets semblent finir, il y avoit sou-
vent une matière sanguinolente, très-âcre et d’une
puanteur horrible , laquelle alloit jusque dans la
caillette.
La caillette étoit généralement vide, c’est-à-dire,
sans alimens, mais gonflée de vent , et quelquefois
garnie d’une matière sanguinolente et sangré-
neuse ; d’autres lots d’une matière jaunâtre et fluide
io6
LEÇONS
fort félide, sans aucune teinte de sang. epithe-
lium ou membrane interne se détachoit facile-
ment, comme dans les autres estomacs, et par la
même cause.
Il y avoit souvent, mais pas toujours , dans la
cavité des intestins grêles , principalement dans
Fileum , un sang extravasé fétide. Dans les gros
intestins, j’ai trouvé aussi parfois du sang extra-
vasé et caillé; et d’autres fois des déjections jaunes
ou d’une autre couleur, dont il seroit difficile de
donner une idée.
Le rectum éloit chez plusieurs fort enflammé
près de l’anus , et garni d’une matière sanguino-
lente autour des excrémens durcis, particulièrement
ù la partie ridée ou plissée. C’est-là la cause pour-
quoi chez plusieui’s bestiaux le sang sort par l’anus,
immédiatement après qu’ils sont morts. Ce sang
avoit causé souvent Tine grande mortification dans
les ])lis du rectum. Parfois les excrémens étoient
entassés secs, comme des figues, tandis que le rec-
tum n’étoit, pour ainsi dire , pas enflammé.
Dans les veaux de lait qui étoient morts de l’é-
pizootie, le feuillet n’étoit pas tendu par des ma-
tières durcies; cependant la membrane intérieure
se détachoit à peu près comme dans les vaches. Le
loie de ces veaux n’avoit pas de douves ; ce qui
etoit impossible aussi , parce qu’ils n’avoient pas
encore pâturé d’iierbe. Tout le reste se trouvoit
SUR ÉPIZOOTIE.
107
plus OU moins dans le même état , et la vésicule
du liel étoit toujours fort grande.
Les reins étoient Généralement d’une couleur
pâle, quoiqu’il parussent d’ailleurs fort sains.
Mais la vessie étoit presque dans tous remplie
d’urine; cependant je l’ai trouvée, pour ainsi dire,
vide dans un veau.
Dans les vaches portières la matrice étoit en-
flammée , ticlée de taches pourprées et gangré-
neuse, comme la panse. Cependant le foetus n’of-
froit aucun signe apparent de maladie. Les pis
étoient extrêmement enflammés , et contenoient
un lait épaissi.
Telle étoit la situation du ventre. Je vais passer
maintenant aux viscères de la ])oitrine , pour vous
offrir un nouveau spectacle des aifreux ravages de
cette maladie.
Les poumons, qui se montrent au moment qu’on
ouvre la poitrine , et qui sont ordinairement livi-
des, un peu rougeâtres, sont dans la plupart des
bestiaux enflammés dans un endroit ou l’autre ,
tictés de taches pourprées, et la gangrène affecte
par fois un lobe plus que l’autre. J’en ai vu dont
les lobes étoient totalement sphacelés; de manière
qu’en y faisant des incisions , on n’appercevoit
qu’un sang noir, sans pouvoir distinguer les cel-
înles. Dans plusieurs l’air setrouvoit dans la mem-
io8
L K Ç O N s
brane cellulaire entre les cellules^ c’est ce qui for-
me l’emphysème.
La trachée-artère est intérieurement vide dans
quelques bestiaux; sa membrane est couverte de
taches rouges, pourprées et gangréneuses, ou bien
elle est entièrement gangrénée. Dans d’autres elle
paroît couverte d’une mince pellicule ichoreuse ;
mais dans la plupart elle est entièrement remplie
d’une écume blanche. Cette écume ne se trouve
pas dans la trachée-artère seule , mais parcourt les
poumons aussi loin qu’on peut suivre les rameaux
des bronches. Si l’on considère cela , on ne sera
plus surpris des mugissemens plaintifs de l’animal
soulfrant. La difficulté de res])irer en est cause; et
de-là viennent l’inllammation et la gangrène des
poumons.
La gorge est enflammée dans tous; mais principa-
lement dans ceux qui ont la trachée-artère remplie
d’écume. J’entends par-là non-seulement le larynx,
mais aussi le pharynx, c’est-à-dire, la gorge ou
le conduit vers l’oesophage, et le larynx.
Les naseaux, la cavité du nez et la langue étoient
presque toujours sains, c’est-à-dire, sans inflam-
mation et sans gangrène, si ce n’est la racine de la
langue, là où elle tient au pharynx.
Jamais je n’ai rien trouvé d’extraordinaire à la
langue; mais bien à sa racine, et latéralement vers
le fond, un peu de matière ichoreuse tenace, que
SUR l’Épizootie. 109
quelques-uns ont sans cloute pris pour des aphtes.
J’ai trouvé dans plusieurs les muscles du cou
et la graisse du fauon fort enflammés, pourprés et
comme gangrénés.
Quelques-uns avoient les yeux fort enflammés.
Le cœur ne m’a rien offert de remarquable : un
des ventricules contenoit tantôt du sang caillé ,
tantôt du sang fluide , et d’autres fois il se trouvoit
vide.
J’ai fait ouvrir la tête à un seul animal ; mais
cette opération est difficile, et sallit trop les par-
ties 5 de sorte que cela exige un examen plus exact.
Le cerveau de l’animal sur lequel je fis ces obser-
vations étoit fort sain. Aussi ne m’attendois- je à
rien de particulier à cet égard, parce que les bes-
tiaux paroissent conserver leur connoissance jus-
qu’au dernier moment , c’est-à-dire, qu’ils donnent
des signes d’amitié à ceux qui prennent soin d’eux,
et qu’ils font connoître leur malaise par des mu-
gissemens plaintifs plus forts quand on les caresse
dans cet état déplorable.
Plusieurs observateurs ont trouvé que le cerveau
étoit fort enflammé (1).
Dans un seul j’ai vu les cuisses affectées violem-
ment par le mal 5 mais cependant tout le reste, et
Der koenigl. Groshritl.Chnrfurst. Braimschw- Landwi^th-
schaft GeselUchafc, Nackr, IV, Saininl. Zelle , pag. 5y2.
no
LEÇONS
les intestins en particulier, éloient enflammés et
sphacelés.
Tous les principaux écrivains qui ont parlé des
épizooties de 1710, 1700, 1741, 1 745 , etc. , jus-
qu’à ce jour, s’accordent sur ce point, comme on
peut le voir chez Ramazzini, qui parle aussi de
l’emphysème des poumons et du cerveau , des
exanthèmes et des aphtes sur la langue , de l’épais-
sissement du sang plutôt que de sa dissolution ; de
manière que le sang couloit à peine chez quelques
bestiaux qu’on a ouverts.
M. Bâtes dit que dans quatre vaches sur seize
qu’il a ouvertes, il a trouvé le foie noir et con-
tracté, et les glandes du mésentère fort enflées. Je
ne puis nier d’avoir vu les glandes, particulière-
ment celles qui sont près de la caillette et du rec-
tum, fort grandes et comme enflées; mais je pense
avoir observé la même chose dans les bestiaux
sains livrés au boucher ; elles sont moins visibles
dans les boeufs gras.
Michelotli a laissé après sa mort des observa-
tions qui s’accordent assez avec les miennes : il y
fait mention d’un emphysème des poumons. Il as-
sure aussi avoir vu des cerveaux séreux et cor-
rompus..
Le marquis de Courtivrou , Ernest Stief , Fis-
scher, Ottomarius, Goelicke, qui, selon moi , est
fort exact , et tous les médecins étrangers dont j’ai
SUR l’ÉPIZO O T I E.
111
consulté les ouvrages , sont d’accord sur les prin-
cipaux symptômes caractéristiques de cette ma-
ladie.
Les médecins de la Haie , qui n’ont pas mis
moins de soins et d’exactitude dans leurs recher-
ches , ont trouvé ces symptômes à peu près tels
que je les ai indiqués. Ils ont fait de belles expé-
riences avec le suif, et ont trouvé qu’il jel te en brû-
lant une odeur désagréable: ils ont même jugé que
les chandelles qu’on en feroit pourroient propager
la contagion et causer de grands ravages.
Ils parlent aussi de charbons pestilentiels dans
le foie. Les observations anatomiques qu’ils ont
faites sur environ trente bestiaux méritent votre
attention; et celles de M. Engelman ne sont ni
moins curieuses ni moins exactes.
Je dois seulement vous prévenir de deux cho-
ses : premièrement , de ne pas conclure trop faci*
lement qu’il y a emphysème dans les poumons
ou dans d’autres parties; car il est facile de tom-
ber dans l’erreur à cet égard , si l’on n’ouvre pas
les bestiaux immédiatement après leur mort; il est
d’ailleurs difficile de s’imaginer combien promp-
tement la corruption s’empare de ces bestiaux. Il
ne faut pas surtout déchirer les poumons en les
coupant , car dans ce cas l’air se glisse entre les lo-
bules , et forme emphysème où il n’y en avoit na-
turellement point. Secondement , la corruption
113
LEÇONS
dans les estomacs est si grande , même chez les
bestiaux qu’on tue à la boucherie , qu’il ne faut
pas perdre de tems à les ouvrir , si l’on veut en
conclure quelque chose de certain.
Il paroît démontré que, dans tous les animaux
rurainansqui ont quatre estomacs, les membranes
internes semblent s’en détacher vingt-quatre heu-
res après leur mort. Je vous invite à suivre , si
vous en avez l’occasion , le conseil de l’illustre Goe-
llcke (pag. 717), de faire ouvrir des bestiaux le
second, le troisième et le quatrième jour de leur
maladie, afin de suivre progressivement ce qui se
passe dans leurs intestins. On devroit aussi faire
ouvrir ceux qui ont échappé à la maladie , et cela
le plutôt possible après que leur guérison seroit
assurée. Mais de pareilles observations ne peuvent
se faire qu’avec l’appui du gouvernement , parce
qu’elles sont au-dessus des facultés d’un simple
particulier.
Des signes de guérison et de danger.
Après avoir entendu parler des symptômes de la
maladie, il est naturel que vous soyez curieux de
savoir quels sont les signes de convalescence et de
guérison? Mais j’ai peu de chose à dire sur ce su-
jet. Les bubons et la gale que quelques-uns ont
observé , sont , selon moi , des caractères fort in-
ii3
SUR l’ ÉPIZOOTIE,
certains. La grande quantité de matière ichoreuse
qui coule des naseaux et des yeux , ainsi que de
selles violentes, lesquelles sont d’ailleurs salutai-
res, trompent également et ont lieu de même chez
ceux qui meurent. Les seuls et véritables signes de
la convalescence desbestiaux, c’est lorsqu’ils com-
mencent à manger et à ruminer, que la toux di-
minue et que de teins en tems ils toussent avec fa-
cilité. Mais l’envie de manger , laquelle est tou-
jours foible au commencement , peut induire en
erreur. La mort est certaine lorsque le ventre de
I l’animal enfle beaucoup; et il en est de même lors<
que l’écume que j’ai trouvée dans la trachée-artère
commence à couler du nez et de la bouche. 11 est
possible qu’ils ne meurent que le onzième jour. Je
regarde la maladie comme dangereuse aussi long-
tems qu’ils gémissent, qu’ils laissent pendre la tête
et qu’ils ne ruminent point.
Quand ils sont convalescens, les cornes et les
oreilles reprennent leur chaleur naturelle, parce
que la fievre les quitte ; et ils commencent alors
à remuer insensiblement la queue et les oreilles.
L’avortement ne prouve rien , parce qu’il y a
quelques exemples que des vaches portières ont re-
tenu leur foetus; mais ces veaux sont susceptibles
d’être affectés de la maladie. Cependant on remar-'
que , en général, que les veaux nés de vaches gué-
ries échappent aussi à la mort , ou du moins il y a
8 •
III.
2i4
LEÇONS
quelque espérance que cela peut avoir Heu.
Je ne connois d’ailleurs aucun signe qui serve à
indiquer qu’un animal a eu la contagion j car la
perte du toupillon de la queue n’én est pas une
preuve certaine , quoique quelques-uns la regar-
dent comme telle. Tous les bestiaux frappés de l’é-
pizootie, que j’ai vu échapper à la mort , ont , un
seul excepté, conservé ce toupillon de poils; et
d’autres le perdent à force de marcher dessus ; ce
signe, quoiqu’il puisse d’ailleurs être certain , est
fort trompeur chez de tels animaux. 11 n’y a donc
que la bonne foi dans le commerce qui puisse ser-
vir de garant à cet égard.
Des causes de F épizootie >
Je vais passer maintenant à la partie la plus dif-
ficile de nos recherches, aux causes de l’épizootie.
Tout ce que j’ai dit jusqu’à présent, nous l’avons
pu apprendre par nos propres observations, ou le
puiser dans les écrits des autres; mais qui pourra
se flatter de saisir la cause secrète de ce virus con-
tagieux , que l’Etre Suprême a voulu dérober à
notre connoissance ? Je suivrai donc l’exemple de
Cicéron , qui , devant parler des Dieux , préféra
d’avouer son ignorance sur leur origine, et laissa
à la postérité le soin de faire cette grande décou-
verte.
ii5
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
On regarde comme les principales causes de cette
maladie, les rudes hivers, une transpiration arrê-
tée, des vers qui pendant certains tems séjournent
dans le sang ou dans le foie, et finalement des ali-
mens corrompus, de quelque nature qu’ils puis-
sent être: je ne parlerai ici que des causes physi-
ques ; j’abandonne à nos théologiens celles qui
tiennent à la morale.
On a regardé les grands hivers comme cause dé
la contagion, parce que ce fut en 1710 , après l’â-
pre hiver de 1709, qu’on observa la mortalité des
bêtes à cornes, et que celui de 1740 fut suivi de la
contagion de 1741, qui s’étendit fort au loin; et,
pour ne pas parler de plusieurs autres , celle qui
régna en 1768, après l’hiver assez rude de 1767.
Mais nous n’avons point d’observations assez exac-
tes sur cette maladie avant l’année 1711, ainsi que
je l’ai déjà dit. 11 faut remarquer aussi qu’elle
régna pour la première fois , et avec le plus de
violence, dans la partie méridionale de l’Europe,
dans les montagnes comme dans les contrées bas-
ses et froides. Le grand hiver de 1727 n’a pas été
sum de contagion , de sorte qu’il semble que le
grand froid ou la douceur de l’hiver n’j contri-
buent en rien; ce qui paroîtra d’autant plus évi-
dent, si nous y joignons que, suivant le témoignage
irrévocable de Goelicke ( prue/i 1 ou p. 71 5),
la contagion n’a pas cessé de régner en Allemagne
Il6 LEÇONS
^depuis 1717 jusqu’en 1730, mais qu’elle y a tou-
jours fait des ravages soit dans une partie soit dans
une autre.
' D’autres, parmi lesquels il faut compter M. En-
gelman (1), pensent qu’on doit l’attribuer à une
transpiration interceptée, et qu’il faudroit couvrir
les bêtes à cornes pendant les nuits d’automne, et
les faire coucher dans l’étable pendant celles du
printems {ibicl. , pag. 5i2 et 3i3), etc. En suppo-
sant que cela fut vrai, la contagion auroit dû ré-
gner moins ou même point du tout en Gueldre ,
dans le Veluvve, dans le pays de Drenthe et ail-
leurs, où, pour conserver le fumier, on tient les
bestiaux à l’étable pendant la nuit , tant durant
tout l’été même, que pendant le printems et l’au-
tomne.
Cependant, d’après les observations que le sa-
vant et estimable M. Van Lier a bien voulu com-
muniquer à M. Van Doeveren et à moi , il est cer-
tain que cela n’a causé aucun changement dans le
pays de Drenthe. M. Van Doeveren , frère de mon
collègue , a écrit la même chose de la Flandre hol-
landoise; et M. De Man , médecin de la ville de
Nimègue, m’a fait l’honneur de me marquer, à la
prière que je lui en avois faite, qu’au pays de Elè-
ves les bêtes à cornes restent généralement à l’éla-
(ï) Harl. Kerli., toin. VII, pag. 297.
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 117
ble pendant la nuit, et que néanmoins la morta-
lité y a été considérable , ayant commencé pen-
dant Pété de 1767 à Hoog-Elten, d’où elle s’est
insensiblement étendue vers le Betuwe.
Mais, en supposant que cela fut vrai, d’où vient
donc qu’il n’y ait point de mortalité en Suisse ?
où, suivant M. Engelman lui -même (^ibid. y pag.
3i4 et 3i5), la contagion n’est pas connue, quoi-
que le grand Haller de Berne m’ait répondu le i4
janvier 1769 , sur quelques demandes que je lui
avois faites, u Que les bêtes à cornes passent la
« nuit dans les pâturages tant que la saison le
(( permet. »
D’où il faut conclure que la construction d’han-
gars dans les prairies, pour y faire retirer le bé-
tail pendant la nuit , ne seroit d’aucune utilité.
Quelques philosophes ont attribué la cause de
l’épizootie à des vers qui séjournent dans le sang;
tel a été le sentiment deKircherus, deBernardino
Bono , d’Andry et particulièrement de Valisneri (1),
à l’occasion de l’épizootie de 1715. Mais toutes les
hypothèses de l’homme n’ont qu’un tems: à cette
époque on attribuoit toutes les maladies à des vers,
de même que les chymistes ont tout rapporté aux
alkalis et aux acides. 11 falloit commencer par dé-
(i) Nuova idea del malconla^ioso de Buoiftoai, II, Oyy. omnîa^
pag. 12.
Il8 LEÇONS
montrer que ces vers existassent réellement dans
le sang, pour en raisonner ensuite à son aise.
Il en est de même, selon mol, de ceux qui at-
tribuent l’épizootie aux douves du foie j tandis qu’on
sait que ces vers se trouvent chez tous les animaux
herbivores, et causent même leur mort, sans qu’il
en résulte néanmoins une maladie contagieuse.
L’araignée des champs, la chancissure, qui n’est
qu’un amas de plantes aériennes , le miélat , les
eaux stagnantes, le foin ou tel autre fourrage cor-
rompu (i) , ne peuvent pas non plus être considé-
rés comme des causes de la maladie ; vu qu’ils
existent toujours, et que, dans tous les tems , la
contagion dépend d’une atmosphère viciée , et
qu’elle se propage insensiblement de lieu en lieu ,
sans que sa course soit hâtée ou ralentie par le
vent. Elle a eu de la peine à venir d’Italie dans nos
(i)M. H. J. C Berger fait voir cela fort clairement dans ses
CeJanken von der Seiiche des Riindviehes , etc., Konigl. Grosbr.
Chnrfursll. Landwirlhsehafs Gezclsi.hnjt nackrichlen , vierle
Sammlnng. , pag. 58o , où il dit; « D’un endroit où il y avoit
« soixante-cinc] vaches , on en enleva dix-sept au moment que la
« contagion se déclara , qu’on conduisit dans une autre étable à
«deux mille pas de là. Tontes paissoient dans la même prairie, et
« avoient mangé le même fourrage. Les quarante-huit qui étoient
« restées ensemble , moururent toutes , et il n’y eut que les dix-
« sept conduites ailleurs qui restèrent saines; preuve évidente que
« ce n’est pas à la nourriture qu’on devoir attribuer cette ma-
te ladie. V
SUR l’Épizootie. 119
contrées, depuis 1710 jusqu’en 1714, et depuis
1741 jusqu’en 1744. Nous pouvons dire la même
chose de la contagion qui règne actuellement, la-
quelle se propage fort lentement dans la petite
étendue de notre pays.
Mais, en supposant que les causes dont j’ai parlé
d’abord eussent lieu , je demanderai si , avant l’an-
née 1714, il n’y avoit pas autant d’eaux stagnantes,
de mauvais fourrages, d’araignées des champs, de
miélat et de fascioles hépatiques, qu’à cette épo-
que? et pourquoi la maladie n’a été apperçue qu’a-
près que la contagion eut pénétré jusqu’à nous?
'infin, à quoi faudroit-il attribuer que toutes
ces causes n’agissent qu’une seule fois sur les bêtes
à cornes? tandis que l’expérience nous prouve évi-
demment que les bestiaux qui ont eu une fois cette
maladie et qui en ont été guéris, n’en sont jamais
attaqués de nouveau, quoique toutes les causes in-
diquées et les vices de l’atmosphère subsistent tou-
jours, et malgré qu’on les laisse paître au milieu
de bestiaux malades, et qu’ils boivent dans les mê-
mes vaisseaux qu’eux et mangent le fourrage qui
se trouve infecté de la bave de ceux qui meurent.
Qu’est-ce donc que l’épizootie , me demanderez-
vous? A quoi faut-il attribuer sa première origine,
et, quoiqu’on sache qu’elle nous est venue d’abord
d’Asie, et particulièrement de la Perse, de quelle
manière y a-t-elle pris naissance? Je répondrai.
120
LEÇONS
comme il seroif à souhaiter que le fissent tous les
naturalistes, que je l’ignore , que cela est au-dessus
démon intelligence et de celle de tous les hommes
sans doute. Que tout ce qu’on sait c’est que la con-
tagion est venue d’ailleurs par l’air ambiant , et
qu’elle frappe de mort notre hétaiQ qu’il ne faut
donc point l’attribuer au ciel de ce pays , ni à la
chancissure, ni ou miélet , ni aux eaux stagnantes,
ni au fourrage, ni à notre manière de faire pâtu-
rer les bestiaux, ni à telle autre cause imaginaire
que ce puisse être.
On cherche à nous faire croire que les Suisses,
qui , d’après la manière actuelle de penser, savent
tout mieux que les autres nations, ont eux seuls la
sage précaution de donner à leurs vaches, chaque
fois qu’ils les ont trait, un peu de sel et une cer-
taine mixtion connue chez eux sous le nom de
gelech y ainsi que le font nos fermiers , dont les
vaches surpassen t certainement en beauté , en abon-
dance de lait et en propreté celles de toutes les au-
tres nations ; et dévoient leur apprendre la ma-
nière de les tenir à l’abri de la maladie.
J’ai déjà fait voir que la contagion a régné en
Suisse aussi bien que dans ce pays; mais cette ques-
tion se trouve parfaitement décidée par une lettre
de M. Haller, dont voici la substance: (c On donne
<( certainement ici beaucoup de sel à lécher aux
<c bêtes à cornes; mais je ne crois pas que ce soit
121
SUR ÉPIZOOTIE.
«à cela qu’il faut attribuer leur conservation. Je
(( n’ai jamais remarqué que les médicamens y aient
« opéré beaucoup de bien. Mais nous avons grand
« soin d’empêcher toute communication avec les
« bestiaux malades. Plus d’une fois nous avons
« éprouvé ici ces accidens; mais alors nous avons
« tenu les étables fermées , et empêché que les
« bestiauxn’en sortissent. Quelquefois même, pour
« prévenir cette maladie contagieuse, nous avons
« tué tout le bétail d’un village qui s’en trouvoit
« infecté, et ])ar ce moyen nous avons conservé le
« reste en santé. »
Voilà le témoignage d’un homme instruit et de
grande réputation , et cela dans une affaire qui
concernoit son propre pays.
Aussi long-tems qu’on ne ne pourra pas préve-
nir cette épidémie , il faudra s’attendre à nous
voir attaqués par ce tléau , quand même nous ha-
biterions l’Arabie Heureuse, que nos contrées ne
seroient arrosées que par de limpides ruisseaux ,
et que le sel marin se Irouveroit mêlé naturelle-
ment parmi les herbages de nos prairies.
122
LEÇONS
De la nature de V épizootie et des moyens d’en
guérir les bestiaux.
L’épizootie est ( comme on en conviendra , je
pense, d’après les symptômes dont j’ai parlé et les
altérations des parties qui surviennent immédiate-
ment après la mort des bestiaux) une fièvre pu-
tride contagieuse , par laquelle le sang se trouve
vicié , et qui cause, en même teins , une grande in-
flammation dans les viscères du ventre et de la poi-
trine, ainsi que dans la gorge, à la langue, au nez,
aux yeux et quelquefois même dans le cerveau 5
de manière cependant que la mortification a prin-
cipalement lieu dans les viscères et les insestins du
ventre et de la poitrine. Le feuillet surtout est fort
affecté , à cause de la conformation et des fonc-
tions de cette partie. Quoique la maladie présente
quelques symptômes externes qui diffèrent entre
eux, elle est toujours la même et ne varie jamais
dans ses principes, en affectant néanmoins une par-
tie de l’animal avec plus de force que les autres.
Elle est accompagnée d’une telle prostration des for-
ces dans toute l’habitude du corps et d’un si grand
relâchement des fibres des muscles des intestins
en particulier, qu’ils se trouvent dans une parfaite
inertie: les alimens ne sont plus portés de l’esto-
mac vers la bouche ; de sorte que la rumination
125
SUR u’ ÉPIZOOTIE.
cesse entièrement. Le feuillet n’a point d’évacua-
tion; ce qui fait que les alimens qui y séjournent
s’entassent , se dessèchent et se trouvent recuits.
La vésicule du fiel ne paroît être si fortement gon-
flée, que parce que son relâchement empêche l’é-
vacuation; tandis que la secrétion continue tou-
jours. La vessie est dans le même cas.
L’épizootie diffère donc de la petite vérole et de
la rougeole, et doit par conséquent être traitée
comme une fièvre putride. Ce n’est pas non plus
une simple fièvre avec inflammation ; car, dans ce
cas , il faudroit que les caïmans fussent toujours
salutaires; tandis que l’expérience nous apprend
que la saignée, les caïmans avec du salpêtre et au-
tres remèdes semblables n’ont jamais été du moin-
dre secours. La saignée même , si heureusement
employée dans les maladies inflammatoires , a
presque toujours été funeste dans l’épizootie.
Ce qu’il y a de plus singulier , c’est que les bes-
tiaux, jeunes ou vieux, qui ont été une fois plus
ou moins affectés de cette contagion , ne s’en trou-
vent jamais attaqués de nouveau , ou du moins
fort rarement , si l’on peut ajouter foi aux obser-
vations du marquis de Couriivron (i).
Voici donc les quatre principales choses qu’il
(i) Mémoires de V Académie des sciences, i748-
LEÇONS
124
faut avoir en vue : i°. Chercher à prévenir la ma-
ladie, el à diminuer ses effets; 2°. garantir les hu-
meurs de corruption ; 0°. conserver les forces des
bestiaux; enfin 4®. nétoyer les intestins du mo-
ment cjue la maladie se déclare.
I.e seul moyen de prévenir la contagion , c’est
d’empecher qu’on n’introduise dans le pays des
betes qui en sont attaquées , ainsi que le foin , la
paille ou telles autres matières suscejitibles de s’im-
prégner de virus morbifique. C’est avec la plus
grande prudence qu’il faut traiter les peaux des
bestiaux qui sont morts de cette maladie. Les per-
sonnes qui soignent ceux qui sont malades de-
vroient être exclues des autres étables, ou du moins,
n en approcher qu’après avoir changé de vête-
mens; mais on devroit surtout empêcher les ani-
maux domestiques, tels que les chiens et les chats,
de se transporter d’un endroit à l’autre.
L’expérience nous a malheureusement appris
depuis long-tems qu’il est impossible d’employer
ces précautions: nos frontières sont disposées de
manière que nous ne ])ouvons prévenir l’introduc-
tion de l’épizootie dans ces provinces, qui se trou-
vent tellement enclavées dans les pays limitrophes
que toute jirévoyance à cet égard devient inutile ,
si nos voisins ne commencent d’abord à s’en ga-
rantir eux-mêmes. La lettre de Haller nous a prou-
vé combien il est important de tuer les bestiaux
SUR l’Épizootie. laS
pestiférés du moment que la maladie commence
à se déclarer.
Le docteur Bâtes conseilla, en i7i4, à la ré-
gence du comté de Middlesex , de faire acheter,
tuer et brûler sur-le-champ tous les bestiaux des
étables où la contagion pourroit se déclarer 5 mais
la mortalité devint bientôt si grande qu’il n’y eut
pas assez de matières combustibles, pour mettre
ce conseil à exécution , de manière qu’en septem-
bre on y fut déjà contraint d’enterrer les bestiaux.
La mortalité ne régna que trois mois dans cette
partie de l’Angleterre; dans d’autres elle dura trois
ans. Suivant une note du docteur Bâtes , il étoit
déjà mort alors en Hollande au-delà de trois cent
mille bêtes à cornes.
Le marquis de Courtivron pense que les peaux
des bêtes mortes de l’épizootie ne communiquent
pas la contagion. Plusieurs hommes de mérite de
ce pays sont dans la même idée, que d’autres re-
jettent cependant. Cette question me parut si im-
portante, surtout pour cette ville, que je deman-
dai aux magistrats la permission de faire des ex-
périences à ce sujet; ce qui non-seulement me fut
accordé; mais on m’autorisa même à les faire aux
frais de la ville (1). En attendant on jugea à pro-
(1) J’ai fait placer le 25 février lyf'ç, dans une butte de paille ,
k la maison de campagne de M. Warmolds, prés de Haren , deux
1 iîG LEÇONS
pos d’inlerdire absolument l’entrée des peaux,
comme pouvant être contagieuses.
Les Etals de Frise, animés du zèle louable de
veiller au bonheur des habitans, défendirent, d’a-
près l’exemple de quelques autres provinces, l’em-
ploi du suif des bêtes mortes de la contagion ;
mais cela n’empêcha pas qu’on en fit clandestine-
ment usage 5 et l’expérience apprit qu’il n’en ré-
sultoit aucun inconvénient. Les Etats de Frise cru-
veaux d’un an, près desquels on a d’abord mis la peau d’une vacbe
morte de l’épizooiie ; huit jours après j’en ai fait mettre une autre,
que j’ai même fait laver , et dont l'eau teinte de sang a été avalée
par ces deux veaux , sans qu’ils aient été atteints de la maladie. Le
7 avril, j’inoculai l'un de ces veaux avec la matière prise des na-
seaux, et l’autie avec la chassie des yeux d’une vache qui avoit
été guérie de la contagion ; mais ces matières ne produisirent au-
cun effet, soit qu’elles fussent trop vieilles, ou qu’elles n’eussent
plus de vertu ; ces deux veaux ne devinrent par conséquent pas
malades; et l’épreuve faite avec les peaux parut douteuse. Je les
inoculai de nouveau le 28 avril dans l’étable de noire Société à Gro-
ningen, sur l’épaule et derrière la hanche, avec de la matière prise,
le 14 du même mois, du nez d’une vacbe guérie ; mais il n’en ré-
sulta également rien ; sans doute à cause que cette matière étoit
gâtée et moisie, parce qu’elle avoit été conservée humide dans une
bouteille bouchée- Cependant ces veaux prirent enfin la maladie
d’autres bestiaux Inoculés qui étoientfort malades dans la même
étable; de sorte même que l'un des deux mourut le 16 mai ; ce
qui prouve qu’ils avoient été susceptibles de prendre la contagion,
et qu’ils l’auroient prise sans doute, s’il étoit vrai que les peaux la
communiquent toujours immanquablement. Cependant ces essais
ne prouvent rien , et demandent à être répétés.
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 127
rent donc , et avec raison , devoir permettre , par
un placard de i'j‘^5, d’employer ce suif, afin d’al-
léger plus ou moins par-là les pertes que faisoient
les malheureux habitans de cette province.
Ces mêmes soins paternels portèrent également
ces dignes magistrats à défendre l’usage de la chair
des bestiaux morts de la maladie contagieuse 5 mais
on éluda ces sages mesures : les paysans profitèrent
de l’avidité des citoyens nécessiteux pour en tirer
un petit bénéfice , et l’on en consomma une assez
grande quantité , non-seulement dans ces provin-
ces, mais également en Allemagne, où l’on témoi-
gnoit néanmoins une grande aversion pour les bes-
tiaux morts de l’épizootie, sans qu’il en soit ré-
sulté parmi le peuple aucune maladie qu’on puisse
attribuer à l’usage de cette viande pestiférée.
Mais je reviens aux meilleurs moyens de pi'é—
server le sang de corruption : vous savez déjà com-
bien sont mortels les effets de cette putréfaction.
Rien ne seroit donc plus à désirer que de voir les
médecins et les personnes qui aiment les expérien-
ces utiles se réunir pour trouver quelque remède
contre ce mal.
L’expérience nous a fait voir que c’est le quin-
quina qui est le meilleur spécifique qu’on puisse
employer à cet effet. Pringle, l’honneur des méde-
cins anglois, nous a démontré cette vérité par des
milliers d’expériences, que j’ai répété moi-même
128
LEÇONS
et que j’ai trouvé parfaitement exactes. La viande,
dit Pringle, peut se conserver pendant une année
entière dans une décoction de quinquina.
On objectera sans doute que Ramazzini et d’au-
tres ont administré sans succès le quinquina dans
l’épizootie. Je .conviens que ce remède ne chasse
pas la fièvre, et qu’il ne produit plus d’effet quand
la maladie s’est une fois déclarée 5 et cela parce
que les médicamens ne subissent plus de coction
dans l’estomac; que par conséquent, n’étant plus
absorbés, ils ne passent plus dans le sang.
D’autres ont administré le salpêtre, la crème de
tartre, le camphre et mille autres remèdes sem-
blables; mais comme l’estomac étoit sans fonction
ils devenoient tous également inutiles. En un mot,
lien n’opère chez l’animal attaqué de l’épizootie,
s’il ne reste pas un peu d’énergie , et dans ce cas
l’animal ouérit de lui-même.
O
• Pou r conserver quelque espoir, il faut commen-
cer de bonne heure à préparer les humeurs, tandis
que les bestiaux sont encore sains, et lorsque la
contagion menace le pays.
/ Mais le quinquina est un remède trop cher, quel-
que salutaire qu’il puisse être d’ailleurs; c’est pour-
quoi j’ai fait des essais avec de l’écorce de saule qui
a été recommandée en Angleterre comme un bon
spécifique contre la fièvre tierce, et cet arbre étant
fort commun dans notre pays; d’ailleux’s, les bêtes
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 129
à cornes aiment, comme par un instinct naturel,
beaucoup à manger ses feuilles et ses jeunes
pousses.
J’ai donc , à l’exemple de Pringle, fait faire des
décoctions d’une même quantité d’écorce de quin-
quina, d’écorce de frêne et d’écorce de boursaut
blanc, dans lesquelles j’ai mis le même jour (25
décembre 1765) un morceau de viande du même
veau, d’égale grandeur et dans des vaisseaux de
même capacité. J’ai mis également dans un pareil
bocal un morceau du même veau dans de l’eau de
plui,e bien pure. Ensuite j’ai exposé tous ces vais-
seaux sur un tuyau de pierre du poêle de la plus
chaude serre du jardin de l’académie, à la cha-
leur constante , jour et nuit, de 62 à 68 degrés
sur le thermomètre de Fharenheit. Le 5o décem-
bre j’ai trouvé que le morceau de chair placé dans
la décoction d’écorce de frêne commençoit à s’al
térer. La décoction d’écorce de boursaut avoit une
odeur agréable , mais elle devenoit trouble ; et la
chair déposée dans de l’eau de pluie avoit déjà une
assez mauvaise odeur. En un mot , le 27 janvier
1769, le morceau de veau mis dans la décoction
de quinquina n’avoit éprouvé aucune altération ,
non plus que la décoction elle-même. Celle d’é-
corce de frêne avoit l’odeur fétide de viande cor-
rompue 5 celle de boursaut commençoit à prendre
une mauvaise odeur ; et la chair trempée dans l’eau
9
III.
l3o LEÇONS
de pluie étoit déjà entièrement décomposée et Feau
elle-même avoit repris sa première limpidité et
n’avoit jdus la moindre odeur.
L’écorce de boursaut résiste donc pendant quel-
ques semaines à la putréfaction , moins long-tems
cependant que le quinquina, et un peu plus que
le frêne. Pour rendre cette décoction de boursaut
plus efficace, j’y ai mêlé de l’huile de vitriol. Plu-
sieurs vaclies prennent journellement de cette dé-
coction mêlée avec leur boisson ordinaire , et la
boivent sans la moindre répugnance. J’ai goûté le
lait , la crème , le beurre et le fromage de ces va-
ches auxquels je n’ai trouvé aucun mauvais goût;
le laitage n’éprouve donc aucune altération par ce
breuvage. Les fermiers qui avolenl soin de ces va-
ches m’ont assuré qu’elles vêloient plus facile-
ment, et qu’elles se rétablissoient plus vite après
avoir mis bas. Je ne saurois cependant assurer quel
sera le succès de cette décoction avant que la con-
tagion ne se soit introduite dans les étables où se
trouvent les vaches à qui on en fait boire; et il faut
espérer que cela n’aura jamais lieu.
Je ne prétends pas néanmoins qu’on doive se
borner à ce remède seul; il y en a plusieurs au-
tres, tels que le sel , le salpêtre , le camphre , et
parmi les plantes qui croissent ici en abondance,
les Heurs de camomille , le calainus , la men-
the, etc.
I
i
i
1 SUR l’ ÉPIZOOTIE, l3l
I J’ai déjà observé souvent combien peu on doit
'» espérer des remèdes qu’on administre quand la
maladie s’est déclarée. On ne peut donc plus at-
tendre aucun bon effet ni du quinquina, ni de l’é-
I corce de boursaut, ni des fleurs de camomille, ni
Idu camphre , lorsque l’animal a cessé de ruminer.
On doit alors avoir recours aux remèdes externes,
c’est-à-dire , qu’il faut, à l’exemple de Pringle, ap-
pliquer des vésicatoires sur le dos et prés des épau-
les, après en avoir rasé le poil. On en sera pleine-
ment convaincu si l’on compare les observations
de ce célèbre médecin sur l’utilité de ce remède
dans les fièvres putrides et bilieuses.
Que dirai-je maintenant de l’usage de l’eau, de
l’étrille, de la brosse pour tenir les bestiaux propres?
I Je ne pense pas que cela puisse nuire ; mais n’a-
I t-on pas vu qu’il est mort la même énorme quan-
1 I tité de bestiaux en Hollande et en Frise, où ils
• I sont bien lavés, bien étrillés et bien brossés , que
! dans le Gorecht et dans le Pays de Drehtbe, ou les
Il étables et les vaches mêmes sont de la plus grande
1 malpropreté? Et, ce qui mérite encore plus d’at-
ii j lention , ne s’est - il pas sauvé , proportion gardée ,
1- » autant de ces bestiaux dégoûtans par leur saleté,
(f ( que de ceux qu’on admire en Hollande et en Frise
e à cause de la blancheur et du luisant de leur robe.
J. I Pourquoi donc charger les fermiers d’un surcroît
I de travail inutile et dispendieux. Qui pourra d’ail-
i
I
i32
LEÇONS
leurs parvenir à tenir propres des vaches que leur
foiblesse rend incapables à demeurer debout, et
qui se salissent par des diarrhées continuelles?
Tous ces conseils ont, en général, été donnés par
des personnes qui considèrent la chose par simple
théorie, et qui voudroient qu’une étable fut aussi
j)ropre que leur cabinet. Je ne blâme cependant
pas ces soins, mais je pense qu’ils sont de peu d’u-
tilité.
Vous désirez sans doute que je vous dise aussi
mon sentiment sur les fumigations avec du vinai-
gre, du soufre, du tabac, de la poudre à canon,
du goudron, du cuir, de la corne'et auti'es sem- '|
blables ingrédiens qui en brûlant jettent une mau- '
vaise odeur. Consultons sur cela l’expérience , et
nous trouverons que tous ces moyens ont été em-
ployés infructueusement.
Je vais maintenant satisfaire à votre impatience
de savoir quels sont les remèdes qui ont eu uni
heureux succès pendant tout le teins qu’a duré la;
contagion ?
J’ai déjà remarqué en passant que les anciens,
tels que Columelle , Catoi^ , Végèce et autres, ont
employé beaucoup de sel , des œufs entiers , du
miel, de l’ail, des oignons , etc. , sans parvenir à
guérir le mal. Aujourd’hui , on parle de ces mêmes
remèdes comme de découvertes nouvelles, et on
les administre avec aussi peu de succès qu’an-
ciennement.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
l53
Toutes les antidotes , tous les spécifiques si es-
i| limés contre la peste ont été essayés , tels que la
I thériaque, le diascordium , etc. j et tous ces remè-
des paroissent nuisibles à cause de l’opium qu’on y
fait entrer, lequel, comme on sait, nuit aux fonc-
tions des intestins sur les alimens, et qui d’ailleurs
est un obstructif. L’opium, qui ne peut être d’au-
cun bon effet , doit donc être considéré comme ab-
solument nuisible pour les bestiaux qui sont na-
turellement bien constitués , et desquels par con-
séquent on peut espérer la guérison.
Quelques médecins , qui attribuent toutes les
maladies à des vers, pensent que les remèdes mer-
curiels , le soufre , le tabac , sont les plus efficaces.
Je remarquerai seulement ici que ces remèdes ,
quoiqu’ils ne soient d’ailleurs pas mauvais , ne
peuvent pénétrer dans le sang, à moins qu’on ne
les administre avant que la maladie se soit dé-
clarée.
J’ai déjà dit qu’il falloit éviter la saignée; mais
que doit-on espérer des vésicatoires qu’on a si sou-
vent employé en vain? L’inflammation, le spha-
I cèle des intestins et des poumons ne dépendent
point de la matière qui , à la crise de la maladie ,
tombe sur quelque partie et qu’on peut en détour-
^ ner. Il y a une inflammation totale du sang , qui
affecte ces intestins depuis le commencement de Igi
a ^
maladie.
1
i54
LEÇONS
Les purgatifs, de même que les vomitifs, ne
sont absolument d’aucun secours pendant tout le
tems qu’il y a inertie dans les intestins.
Les lavemens peuvent être bons pour dégager le
rectum, et pour prévenir la gangrène; ils procu-
rent même quelque soulagement à l’animal; mais
ne. contribuent en rien à la guérison. Le possesseur
perd donc, outre son bétail, tout l’argent qu’il em-
ploie à ces remèdes.
L’enlèvement des excrémens du rectum avec
une main ointe de graisse que recommande M.En-
gelman , éloil déjà connu de Columelle (i), et il
n’y a, pour ainsi dire, aucun de nos fermiers qui
l’ignore. Mais ce remède qui , chez les bestiaux ,
fait le même effet que le lavement, ne peut avoir
lieu chez les jeunes veaux.
Les vaches portières souffrent davantage, comme
je l’ai déjà dit, à cause qu’elles avortent presque
toujours. 11 y en a qui, suivant le rapport de Goe-
licke (2), ont employé des abortifs; mais il ne dit
pas quel en a été le succès: je pense qu’ils doivent
faire aussi peu d’effet sur les animaux que sur la
femme, parce que nous ne connüissons point de
pareils remèdes dans la nature. Peut-être ne se-
roit-il pas mauvais de faire avorter les vaches , en
(1) Lib. VI , cap. 6.
parag. i3, pag. 120.
f
SUR l’Épizootie. i35
introduisant la main clans leur corps, au moment
qu’on appercevroit les premiers symptômes de la
maladie. On pourroit du moins en faire une fois
l’essai. Puzos et plusieurs autres, qui ont écrit sur
l’art d’accoucher, en parlent avec éloge; ciuoique
je regarde cela comme ira]mssible chez les femmes.
Percera-t-on , comme le propose M. Engelman ,
le ventre des bestiaux pour en faii'e sortir le vent (i)?
Je ne crois pas que cela puisse être d’aucune uti-
lité, car ce symptôme est un signe de mort pro-
chaine , et une preuve que tout est corrompu et
pourri dans la panse. Si cependant on vouloit en
faire l’essai, l’endroit le plus convenable seroit le
flanc gauche exactement au-dessous des fausses
côtes; à cause de la situation de cette partie , pl.
XXVIII, fig. 2, E. F. G. H. K. , dont je vous ai déjà
parlé.
Je conclus donc, i°. que les bêtes à cornes d.e
nos provinces ne prennent pas d’elles-mêmes l’é-
pizootie; qu’on ne doit pas non plus l’attribuer à
l’humidité, ni au froid, ni à quelque autre cause
locale ; mais qu’elle leur vient d’ailleurs par con-
tagion. 2°. Que, d’après une expérience journa-
lière, nous savons que les bestiaux qui ont une
fois été guéris de cette maladie n’en sont jamais
plus attaqués. 5°. Que les jeunes sujets ont pour
(\)Iuid., vol. Vil, pag. 533.
1 56 LEÇONS
la plupart été guéris dans les prairies, suivant les' ’’
observations très-exactes de M. Engehnan (i), sur- j'
tout pendant les mois d’août et de septembre (2).,|
4°. Enfin , qu’il est plus que probable que cette ma-|
ladie contagieuse deviendra endémique et cons-^,
tante dans ce pays ; ou, pour mieux dire, il y a f
déjà long- tems qu’elle y est naturalisée, comme||
la petite vérole et la rougeole le sont parmi les |
hommes.
En considérant donc le peu de succès de tous ?!!
ces remèdes, pour éviter des dépenses inutiles, et " =
pour atteindre avec quelque certitude le but qu’on i
se propose, qui est de conserver le bétail, il fau- *
di’oit prendre le parti d’inoculer , non des vaches- 'jj
ou des boeufs , mais de jeunes veaux , parce que |
ceux-ci , n’étant pas pleines encore, on ne hasarde -
que leur vie seule ; et si on parvient à les guérir , \
les parties sexuelles n’en souffrent pas, mais de- ||
viennent même plus fortes par la suite 5 et cela ||
d’autant plus que les fermiers attentifs ont remar- ’■
qué que les vaches faites , quoique guéries de la ;
maladie, vêlent souvent difficilement. D’aillleurs, >
un veau de lait qui a été guéri de la contagion est
celui qui rapporte le plus à son possesseur.
Mais j’abuse de votre patience: je vais récapitu- y
(1) Ibid. , pag. 347, n°. j.
(2) Ibid. , pag. 548.
suTi l’Épizootie. lô'j
1er maintenant , en peu de mots, ce qui a été fait
de mieux dans cette partie.
Je dois pour cela votis rappeler d’abord la re-
connoissauce que MM. Nozeman , Agge Kool et
Tak ont mérité de leurs concitoyens , pour avoir
fait, à leurs propres dépends, en lyôS, des essais
pour inoculer des bestiaux. Ils avoient, je l’avoue,
devant les yeux l’exemple de M. Dodson en An-
gleterre; mais être les premiers à imiter cet exem-
ple pour le bien de la société, étoit déjà un grand
mérite sans doute. De dix- sept bêtes à cornes qu’ils
ont inoculées, ils n’en ont sauvé que trois (p. 72),
dont deux, qui paroissoient convalescentes depuis
quinze jours , moururent ensuite d’une plus vio-
lente contagion.
Le professeur Scbwencke dit , dans sa lettre dont
il a été parlé plus haut (p. gS), que de six bêtes
inoculées en 1767, à l’age d’un et de deux an«, au-
cune n’a péri dans l’opération.
Les ess^iis faits à Brunswick , en 1746 , eurent
un assez leureux succès : les bêtes qui subirent
beureusenent l’inoculation, ne furent plus atta-
quées de la maladie contagieuse. Les expériences
de M. Layard , qui , sur huit bêtes inoculées , en
sauva au moins trois , et dont il fit assommer la
quatrième, pour en examiner l’état intérieur , en
1757, forme un terme moyen entre les expériences
de MM. Nozeman , Kool et Tak, et celles du pro-
î58
I. E C O N s
fesseur Schwencke. L^évêque d’Yovck a fait ino-
culer cinq bestiaux , dont il en conserva quatre ,
parmi lequels il y avoit deux vaches portières ,
qui cependant n’avortèrent point (i); et le chirur-
gien Bewiey en sauva trois autres qu’il avoit ino-
culées également.
INlais les essais deM. Grashuys semblent détruire
toute espérance ; car six bêtes qui avoient été ]>ar-
faitement guéries de l’inoculation, furent ensuite
attaquées naturellement par l’épizootie , et il en
mourut quatre, les deux autres se rétablirent (2).
Il ne perdit cependant jjas l’espoir de réussir mieux,
lorsque des expériences répétées auroient indiqué
des moyens plus efficaces.
Tout cela ne doit donc pas nous effrayer. Lors-
qu’au commencement de ce siècle on entreprit
d’inoculer la petite vérole en Angleterre , il en mou-
ru t beaucoup d’enfans; d’autres en gardèrent pen-
dant long-tems des abcès ou d’autres maux sem-
blables. On prenoit trop de matière variolique, et
l’on laisoit les incisions trop profondes. Aujour-
d'hui on sait, par des preuves incontestables, com-
bien il faut peu de matière , et combien les plaies
doivent être petites; on connoît aussi le danger
qu’il y a de tenir les patiens trop chaudement et
{\) Philos. Transact.,vo\. L, pag. 535.
(2) Ulrgezogte V erhancleliugen , III dee! ^ pag. 356.
trop renfermés. On peut donc dire avec raison que
l’inoculation est actuellement une garantie calcu-
lée mathématiquement contre ce terrible fléau de
l’humanité.
S’il est vrai , comme il faut en convenir , que ,
sur des milliers de personnes inoculées , il en meurt
encore quelques-unes, on a tout lieu de croire qu’il
faut l’attribuer à quelque cause secrète. Inoculons
donc les veaux avec peu de matière et en faisant
de légères incisions dans la ])eau. Que cela se fasse
au printems, pendant l’été et en automne, prin-
cipalement sur de jeunes individus ; mais que ce
ne soit qu’après que les estomacs auront été né-
tojés et que l’animal aura été nourri avec des ali-
mens malactiques, et qui demandent peu de ru-
mination ; que toutes les personnes aisées de ce pays
se réunissent pour qu’on puisse porter à la perfec-
tion cet objet intéressant, par des essais constam-
ment renouvellés; et qu’on se communique réci-
proquement les observations qu’on pourra faire ;
afin de conserver autant qu’il sera possible les bê-
tes à cornes, qui font la principale richesse de nos
provinces.
EXPLICATION*
DES PLANCHES.
PLANCHE XXVIII.
Cette planche représente principalement la
former une idée précise si on ne les avoit pas
sous les yeux. J’ai eu moins en vue , en les re-.
présentant, d’en figurer bien exactement la struc-
ture , que d’indiquer avec soin les proportions
qu’elles ont entre elles. Il falloit d’ailleurs les ré-
duire , pour les faire tenir toutes sur une même
planche et les exposer d’une manière distincte aux
yeux des lecteurs. La figure 4 en est seule excep-
tée ; on la voit ici dans sa grandeur naturelle ,
parce qu’elle ne pouvoit souffrir aucune réduction,
à cause de sa petitesse.
figure des parties dont il seroit difficile de se
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
l4l
FIGURE I.
Offre une vue générale des quatre ventricules ,
tels qu’on les a trouvés disposés dans un veau de
lait.
A. est l’oesophage. A. B. C. D. le premier esto-
mac ou la panse. C. et D. ses deux cornes ou sacs
dans chacun desquels on trouve quelquefois un
égagropile. A. E. F. le bonnet. F. L. M. G. le feuil-
let ou troisième estomac. G. H. I. la caillette , à
travers des feuillets de laquelle on apperçoil les
quatorze valvules dont il a été parlé à la page 4o.
I. le pylore. I. K. le duodénum. H. les veines gas-
tro-épiploïques.
FIGURE 2.
Fait voir la véritable situation de la panse et de
la caillette dans le ventre, lorsqu’on ouvre le veau
couché sur le dos : ces parties viennent du veau
que j’ai disséqué publiquement.
A. B. C. la rate ; D. E. N. le bonnet , et E. F. G.
H. K. la panse. L’épiploon I. L. M. vu entre les
cornes. G. H., qui prend son origine en I. , forme
une poche dans laquelle sont placés tous les in-
testins, et monte ensuite vers la caillette par O.M.,
recevant la grande artère et la veine qu’on nomme
•
i42
LEÇONS
gastro-épij)loïques chez l’homme, comme appar-
tena.ns à l’eslornac et à l’épiploon.
M. N. F. est une forte membrane qui lie ensem-
ble le bonnet , le premier estomac et la caillette.
La caillette se retourne avec sa partie inférieure
O. P. vers en haut, et va aboutir dans le duodé-
num Q. H.
U. y. W. sont trois des quatorze valvules diapha-
nes qui se trouvent dans l’intérieur de la caillette; de
manière que, commençant du col en G. , lig. i , elles
descendent obliquement vers en bas et semblent se
perdre en M. O. , où sont placées les veines gastro-
épiploïques. Dans la gazelle , il y a seize ou dix-
huit de ces valvules ; mais je n’ose pas en déter-
miner exactement le nombre, à cause de leur pe-
titesse et de leur adhésion en se desséchant. Leur
direction est parfaitement la même.
Y. Z. représente une partie du diaphragme, pour
qu’on puisse comprendre parfaitement que le pre-
mier estomac et le bonnet y sont placés contre , et
que. la rate , d’une forme applatie, s’y trouve si-
tuée entre deux.
FIGURE 5.
Nous montre le foie et la caillette poussés vers
le côté gauche dans le même veau.
A. B. la veine ombilicale, qui forme le ligament
suspensoir du foie.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
l45
B. C. D. U. S. Q. le foie, dont le lobe antérieur
B. C.D. est placé chez l’homme dans la cavité gau-
che : ici , comme il paroît par la figure , il est placé
droit en avant et en arrière.
D. E. F. sont les portes ou éminences entre les-
quelles sont placés le canal hépatique, la grande
veine-porte et d’autres parties. D.E. F. G. Fl. le petit
épiploon , dont la finesse permet d’y appercevoir
à travers le globule de Spiegelius , ainsi que le
feuillet G. H. V.
0. P. la vésicule du fiel, dont le conduit O. se
réunit au canal hépathiqne F., pour former le con-
duit biliaire commun S. M. , qui se jette dans le
duodénum, assez loin du pylore.
L. D. G. est une partie du bonnet. G. K. I. H. la
caillette. La panse n’est pas visible ici.
G. H. V. le feuillet ou troisième estomac.
R. est une glande qui reçoit beaucoup de vais-
seaux lymphatiques , comme on en trouve sou-
vent chez l’homme dans la capsule de Giisson.
S. S. T. le pancréas dont je n’ai pas suivi le ca-
nal ou conduit.
\.Z. le diaphragme.
1. M. N. le duodénum.
i44
I, E Ç O N s
1' I G U R E 4.
Représente les cjualre estomacs du chevrotain ,
dont il a été parlé à la page 6o, de grandeur na-
turelle, auxquels ressemblent parfaitement ceux
de la gazelle. La délicatesse de l’objet ne me per-
mit pas d’exposer au jour le canal bépatliique 5
l’esprit de vin l’avoit rendu si fragile qu’il étoit im-
possible de le manier; et la rareté de l’exemplaire
le rendoit trop précieux pour que je voulusse me
hasarder à le dégrader. D’ailleurs, il forme avec
les estomacs de la gazelle, du mouton, du cerf et
du veau, que je possède tous dans ma collection, un
ensemble qui en augmente encore le prix.
a. h. est l’oesophage; h. c. le bonnet; b. d.f. le
premier estomac partagé en deux cornes e. et f.-^
g. h. le feuillet; h. m. t. la caillette; t. i. k. le duo-
dénum;/. la rate;m. les veines gastro-épiploïques;
e. m. t. l’épiploon; g. s. i. h. le petit épiploon; n. \
la vésicule du fiel ; n. i. le conduit biliaire ; o. la
veine ombilicale; p. q. /-. le foie; p. le lobe anté-
rieur; q, le lobe postérieur; r. un plus petit lobe
fort pointu.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
l45
FIGURE 5.
Fait voir la véritable forme de la fente que for-
ment dans l’intérieur de la panse les deux lèvres ^
pour le passage immédiat des alimens ruminés de
l’oesopliage dans le troisième estomac.
A. B. l’oesophage ; B. D. C. une des lèvres; B. E. C.
l’autre lèvre, allant l’une et l’autre jusqu’en C.F.
l’oritice du feuillet; en D, et E. on a représenté les
rides, ainsi qu’en B.C. , de la manière qu’elles sont
disposées en rayons autour de l’orifice; entre G. et
F. on voit les raies éminentes au bout desquelles
sont en F. de petites proîubérenees qui servent à
diviser plus facilement entre les feuillets de l’esto-
mac les alimens ruminés quand l’animal les avale
jj tout entiers; H. I. une partie du grand estomac;
H. un pli ou rebord qui forme une espèce de sépa-
ration entre l’herbier et le bonnet; K. L. le bon-
net et le réseau, dont je n’olfre ici qu’une légère
^ esquisse, parce que mon intention n’étoit pas de
donner une exacte représentation de ces figures
hexagones, pentagones, carrées, etc. , non plus
que de la membrane interne.
1 1 1.
ÎO
i46
LEÇONS
FIGURE 6.
Ksc|uisse de la fente dans le teins qu’elle est fer-
mée; c’est-à-dire, pendant que se fait la dégluti-
tion des alimens ruminés. Les lèvres D. et E. se
ferment alors, et G. est l’ouverture par laquelle
passe la partie des alimens que l’animal vient de
ruminer.
FIGURE 7.
Représente l’estomac d’un lapin. A. est le py-
lore ou la sortie de l’estomac; B. le sac; C. D.
l’oeso])bage qui semble partager l’estomac en deux
parties. Les alimens que l’animal vient de manger
paroissent passer de C. D. en D. B. , et les alimens
îu minés en D. A.
SUR ÉPIZOOTIE.
i4y
SUPPLÉMENT
AUX
LEÇONS SUR L’ÉPIZOOTIE.
6
2"'®. leçon , page 4i , après ces mots : Ventriculo
dispareat.
Qu’on consulte sur cela l’excellent ouvrage du
célèbre abbé Spallanzani , 'mûXxxXè: Expé?'iences
sur la digestion de V homme et de différentes es-
pèces d’ animaux , avec des considérations par
J. Senebier, Genève 1785, et l’admirable
Essai sur la hile, par M. Cadet, dans les Mém.
de r Académie royale des sciences , année 1767.
Il est probable que le lait ne se caille pas dans le
premier estomac, à cause que les humeurs en sont
de la même nature que la salive; car on sait par
les expériences de M. Senebier {ibicl. , page io4),
l48 LEÇONS
que le lait de vache mêlé avec la salive de l’homme
ne se caille point.
5'“*. leçon, page 64, après ces mots: Et dans
la j)lace qu’ occupe V articulation.
Lorsque je donnai cette leçon , mon cabinet
d’histoire naturelle n’éîoil pas encore assez fourni
de têtes de chevaux et autres animaux semblables;
je tombai par-là dans une erreur grossière , que je
rougis d’autant moins d’avouer ici , que je me suis
fermement proposé d’avertir mes lecteurs de tou-
tes les bevues que je puis avoir faites de teins en
tems, toutes les fois que je pourrai m’en apperce'
Voir. La science est si vaste, et notre empresse-
ment à tirer des conclusions est si difficile à mo-
riginer, surtout dans la jeunesse, qu’on ne doit
pas en vouloir à l’écrivain qui vient de se tromper.
Mais vouloir persister dans ses erreurs, ou ne pas
s’en avouer coupable quand on les découvre , est
certainement une folie digne de blâme.
Je n’avois pas encore examiné alors suffisam-
ment la tête du cheval, et comme je ne m’élois
occujié avec soin , pour ainsi dire, que de têtes de
boeufs, de daims, de moutons, de gazelles, de
lièvres et de lapins, je fus trop empressé à en con-
dure que la forme étroite de la mâdioire infé-
rieure étoit le caractère le plus certain de la ru-
mination.
Comme , dans la suite , j’ai disséqué avec une
grande attention plusieurs chevaux dans la salle
d’anatomie de Groningen , je fus bientôt convain-
cu que, quoique ces animaux ne ruminent point,
ils ont néanmoins , comme les bœufs , les mou-
tons , les gazelles et les cerfs , la mâchoire infé-
rieure beaucoup plus étroite que la supérieure, et
que les molaires de leur mâchoire inférieure sont
beaucoup plus rapprochées que nelles de la mâ-
choire supérieure; que d’ailleurs son articulation
diffère fort peu de celle des autres animaux. Ayant
obtenu, par la suite, des têtes d’ânes et de zèbres,
je trouvai également dans celles-ci le même rap-
port. Tout cela servit à me faire appercevoir bien-
tôt que cette exiguité de la mâchoire inférieure est
nécessaire pour que l’animal puisse broyer ses ali-
mens par un mouvement oblique de cette mâ-
choire contre la supérieure, sans pencher trop de
côté et sans ouvrir la bouche. Il me parut alors
clairement que cette même utilité a lieu chez le
lièvre et le lapin , comme chez le rhinocéros. Je
m’apperçus encore, à n’en pas douter, que cette
différente grandeur des deux mâchoires ne pouvoit
être, ni chez les uns ni chez les autres, le carac-
tère de la rumination; et cela aussi peu que l’im-
i5o
LEÇONS
plantation de l’oesophage au milieu de restoraac.
Comme je possède aciuellemenl les têtes de plus
de vingt espèces différentes d’animaux ruminans,
et de plusieurs chevaux , ânes et zèbres , je me
suis pleinement convaincu que je m’élois trompé,
et je puis assurer que cette conlormation n’u été
donnée par la nature à tous ces animaux que pour
faciliter le broyement obliquement en avant des
alimens dont ils se nourrissent. Les molaires de la
mâchoire inférieure de l’éléphant , de l’iiippopo-
tame et des porcs de toutes les espèces sont aussi
lai ■ges que celles de la mâchoire supérieure , et
ont la même conformation que celles de l’homme
et de toutes les espèces de singes.
Les animaux ruminans n’ont point de dents in-
cisives dans la mâchoire supérieure , excepté le
dromadaire et le chameau , qui en ont deux de
chaque côté. M. Gœze , conseiller intime de la
cour de Saxe-Weymar, m’en a convaincu par ses
excellentes observations sur l’os intermaxillaire.
M. Merk, conseiller de guerre de Hesse-Darms-
tadt , fut le premier qui me communiqua ces ob-
servations, ainsi que celle que l’hippopotame a
quatre dents incisives dans la mâchoire supiérieure
comme je l’ai trouvé moi-même dans la tête d’un
jeune individu de cette espèce. 13u moins doit-on
donner le nom d’incisives à toutes les, dents qui
sont implantées dans l’os intemiaxillairej et ces
SUR l’Épizootie. i5i
dents sont fort visibles chez tous les jeunes hippo-
potames; fait dont M. Goeze m’a donné le pre-
mier une idée exacte par la septième figure de
l’ouvrage cjue j’ai cité plus haut , et dont il a bien
voulu m’envoyer une copie manuscrite.
J’ai suivi dans plusieurs têtes de chevaux , de
zèbres et de vaches le cliansement des dents et des
O
molaires, et j’ai trouvé que non-seulement toutes
les dents, mais aussi trois molaires de devant, tant
delà mâchoire inférieure que delà supérieure, tom-
bent et sont remplacées; ce que quelques auteurs
anciens, entre autres Aristote , et un grand nombre
de modernes, tels que Bulfon, Daubenton, Bour-
gelat , etc. , ont négligé d’observer.
J’ai trouvé par l’examen de plusieurs têtes de
chevaux, ainsi que de daims, que les dents et les
molaires de ces animaux subissent insensiblement,
ainsi que celles de l’homme, des changemens, non-
seulement pendant leur jeunesse, mais dansunâge
fort avancé même. Les couronnes s’usent , et les
racines sont peu à peu poussées dehors par le ser-
rement des alvéoles, jusqu’à ce qu’elles soient en-r
tièrement usées et que les alvéoles se trouvent dé-
truites; de sorte qu’à la fin elles ne peuvent plus
broyer les alimens, et disparoissent enfin entière-
ment par le grand âge.
Comme les dents et les molaires étoient deve-
nues pour moi des objets d’une étude particulière^
i52
LEÇONS
je m’apperçus évidemment qu’un grand nombre
d’animaux changent bien quelques molaires, tan
dis que quelques-unes et particulièrement celles du i
fond de la bouche , qui percent plus tard, demen-
inais qu'il y en a ü auti'es qui
d’auti
rent immobiles
tombent sans être jamais remplacées. On ne peut
regarder ces dernières que comme surnuméraires.
Le cheval , non -seulement l’étalon, comme le
prétend Aristote (i), mais aussi la jument , Fane
et le zèbre en ont très-souvent. Le rhinocéros d’A-
sie a deux de ces dents canines surnuméraires dans
la mâchoire supérieure; l’éléphant en a douze pa-
reilles; le sanglier d’Ethiopie, tant ceux du Cap
de Bonne-Espérance que ceux des îles du Cap-
Verd , en ont autant.
Mais revenons à notre sujet. Je suis donc d’opi-
nion que ce n’est pas la situation des molaires
qu’on doit prendre pour caractère indicatif de la
rumination , mais le double estomac , sans lequel
la rumination est impossible , que dans un sens
impropre, quand les alimens, par exemple, sont
d’abord rassemblés dans les abajoues , comme chez
diflPérentes espèces de singes et chez le haznster ,
pour être ensuite mâchés de nouveau j)ar l’animal.
Tous les autres animaux qui n’ont qu’un seul es-
tomac ne ruminent point.
(i) Hist, anim , lib, II, cap. 3.
SUR u’ ÉPIZOOTIE.
l55
Que chez les animaux suiEans soit AB. la lar-
geur des molaires de la mâchoire supérieure , et
CD. celle des molaires de la mâchoire inférieure;
AE. la largeur de la couronne des molaires d’en
O
haut, et CG. celle de la couronne des molaires
d’en bas.
cheval
buffle
buffle
d’eth.
vache
5A
4^
CD. = 5
3-^
3A
3~
AE.= I
J
4
4
_5_
CG.=:
4
*
1
1 2
cerf
•
élan
moût.
gazel.
3A
4r
1
3
3é
1-^
_L
_V
A
4
»
-X
12
12
12
12
RAPPORTS.
Chez le cheval
buffle ......
buffle d’Eihiopief !)•
vache
cerf
élan
mouton
gazelle
fièvre
Mâchoire
supérieure.
4A
5A
5-A
4A
3-A
2 A
Mâchoire
inférieure.
3
J A
'A
Différence.
1
4
Tî
11 paroît par-là que la dittérence chez les plus
grands de ces animaux, qui n’est pas fort consi-
dérable, n’olfre point de caractère distinctif.
(i) Buffle du Cap, voyez Buffon , tom. XI , pl- 4'i 4 5.
i54
LEÇONS
SUPPLÉMENT
A V article de là mesure des mâchoires de cer-
tains animaux.
Ayant obtenu cet automne, parles soins obli-
geans de M. Stælilin , une tête entière d’élan, je
fus frappé de l’état des molaires de la mâchoire
inférieure, relativement à celles de la mâchoire
supérieure; lesquelles se trouvent les unes et les
autres garniés d’une substance qui tient de l’émail.
Mais cette substance qui couvre le côté extérieur
des molaires supérieures, se trouve en sens con-
traire sur les molaires inférieures ; c’est-à-dire, q u’il
en couvre le côté intérieur.
D’ailleurs , la surface des molaires supérieures
va obliquement vers en haut , et celle des infé-
rieures va en descendant ; de sorte que les alimens
sont broyés fort menus par le mouvement oblique
en avant.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
l55
Peut-être Peyer (i), dont j’ai eu si souvent oc-
casion d’indiquer avec éloge l’explication qu’il a
donnée de la rumination, a-t-il voulu indiquer
cela pas ces mots : « Pendent la mastication , les
« molaires se reçoivent alternativement les unes
« les antres; exactement de la même manière que
« si on inserroit les bouts des doigts retournés les
a tins dans les autres. » La substance émaillée des
molaires supérieures est de la même façon au côté
intérieur; de sorte qu’elles se croisent les unes les
autres en allant en venant, comme les dents d’une
Iscie.
I Je m’apperçus, pour la première fois, de cette
'disposition chez un élan, le s5 novembre 1786 ;
let je la trouvai de même chez le cerf, le daim, la
gazelle et le mouton , et ensuite chez le buffle d’A-
sie, le boeuf du Cap, le bœuf d’Europe et le dro-
madaire.
Il y a bien quelque chose de semblable dans le
cheval, le zèbre et l’ane, mais non pas d’une ma-
nière aussi remarquable: ces animaux ont d’ail-
leurs les couronnes des molaires plus plates.
Plusieurs animaux ruminans de differens pays
4|o{frent encore une autre singularité : leurs dents
(1) Pag. 174' Déniés — dum mastii-atione sommillitnliir , al-
\^’.ernnte ec exeipium , et vicissîm cxçipiuniitr , ul si (jnis dighos
ex adeerso iruerteral.
i56
LEÇONS j
et molaires se couvrent d’une croûte calcaire de|
couleur d’or, et les dents elles-mêmes sont de cette
couleur.
Je découvris ce phénomène pour la première|
fois aux dents d’un vieux dromadaire , dont je né;|
toyai la tête décharnée en la faisant bouillir , ec|
3768. Il y a peu de tems cpie je reçus du pays d(
Munster la mâchoire inférieure d’une vache dontj
les molaires étoient fortement dorées; et l’on me
îiiandoit que tous les bestiaux qui paissoienî danf
le même pâturage bffroient cette singularité. Ilesi
vrai que Sibbald , dans son Histoire nalurelU
d’Ecosse {1), Jonliston (2) et Hasselquist parlen,
d’un semblable nhénomène observé dans des mou^
1
tons. |[
Le célèbre Pennant dit que les boeufs du Blair j|
d’Alhol (3) y acquièrent de pareilles dents dorées j
<|u’ii attribue (4), qnoiqu’à tort, à des pyrites. î
îl me paroît q^ue cette substance calcaire qii
couvre les dents et les molaires, prend à sa superj
ficie cette couleur dorée par la cuisson. Avec 1
tems cette belle couleur disparoît, ainsique je l’ai
!l
(1) Liv. III , pag. 8. !
(2) Hist. Tint. , pag- 44 > col. 2.
(3) N. Dritiain, pag. 33, A. i'
(4) Il tlit la même chose ckns sa Zoologie hrilannîtjne , liv. I!
pag. 27.
SUR l’ ÉPIZOOTIE. i57
observé à ma tête de dromadaire, quoique la subs-
tance calcaire en recouvre toujours les dents. Ea
[attendant, il est certain que je n’ai pas trouvé
icette douleur dorée quand j’ai nétoyé les têtes par
putréfaction et non par cuisson.
Klein-Lankurn , le a5 novembre 1786.
LETTRE
ADRESSÉE AUX ÉTATS-GÉNÉRAUX
DES PROVINCES-ÜNIES. J
H
AUTS ET PUISSANS SEIGNEURS,
Les grandes marques de constante sollicitude
et de zèle que V. il. P. ne cessent de donner aux^^
li-abitans de ces Provinces, pour prévenir, s’il étoit
possible , les affreux ravages de la maladie conta-
gieuse des best iaux, doivent exciter tous les citoyens
à seconder ces louables efforts, dansPespérancede
parvenir, avec le secours du ciel, à délivrer notre
patrie de ce terrible fléau.
C’est ce même zèle qui m’anime, H. et P. S., à
prendre pari à cette grande calamité publique, et
s U 11 l’ É P I Z O O T I E. 1 5g
mon état et la place que j’occupe rendent à mes
yeux ce devoir plus sacré encorç. Je suis d’ailleurs
également stimulé par le désir de transmettre avec
honneur mon nom à la postérité; ce que je ne rou-
gis pas d’avouer ici, étant persuadé que V. H. P.
considèrent elles-mêmes cet amour de la gloire
comme un but louable, que par conséquent elles
ne me blâmeront point de celte noble ambition.
J’ai suivi, pendant plus de quinze mois, auîant
que l’ont permis mes autres occupations, cette ter-
rible épizootie et ses dilFérens symptômes chez nos
bêtes à cornes; et j’ai été forcé d’en tirer celte mal-
heureuse conclusion : Que tous les remèdes de la
pharmacie sont impuissans contre cette mala-
die , parce que les intestins ont déjà cessé leurs
fonctions lorsque l’animal donne les premiers si-
gnes de contagion.
Les prétendus remèdes, de quelque nature qu’ils
puissent être , administrés intérieurement , demeu-
rent sans effet dans la panse, et rien n’est capable
de soulager l’animal, ni d’atlénuer son sang coa-
gulé. Une saignée peut seule quelquefois faire di-
minuer sa toux et son asthme; mais la plupart du
tems cette ressource demeure également sans le
moindre effet.
Nous avons pensé aussi aux remèdes diasosti-
ques, et nous avons fait à cet égard beaucoup d’es-
sais, qui tous nous ont convaincu qu’ils étoienî de
i6o
LEÇONS
même übsolnmenl infnictneiiN. Les bestiaux à qui
on en avoit donné pendant long-tems sont morts
comme les autres, et avec les mêmes symptôme
que ceux qui n’en avoient pris aucun. L’administre
lion de ces remèdes étoit accompagnée de beau
coup de difficultés , et demandoit plus ou moin
de dépenses; je les ai donc abandonné, et j’ai cr
que V inoculation est peut- être le meilleur re
mède ; qidelle rendroit la maladie moins vie
lente J et que par conséquent elle seroit moin
dangereuse.
voir suivre mieux la nature de la contagion , et de
découvrir dillerentes circonstances qui pourvoient
être avantageuses non-seulement aux propriétaires
des bestiaux , mais au gouvernement même , en lui
procurant les moyens de donner des ordres salu-
taires pour le soulagement desbabitans à cet égard;
lesquels, malgré toute la pureté des intentions de
V. IL P. , pourvoient être fort préjudiciables, s’ils
n’éioienl pas aj)])uyés sur l’expérience que les
gens de l’art peuvent avoir acquise par leurs re-
eberebes.
Mon principal but a été de m’instruire avec cer-
titude si les peaux des bestiaux morts de l’épizoo-
tie peuvent en infecter d’autres? et si la cbair, le
V. 11. P. verront j)ar la suite combien mes el
forts ont été beureux à cet égard. L’inoculalio:
promettoit encore un autre avantage , celui de poi;
SUR l’ÉI’IZOOTIE. l6l
suif et le sang sont capables de produire le même
mal? enfin, si le lait, le beurre et le fromage, etc.,
des vaches attaquées de maladies contagieuses doi-
vent être regardés comme nuisibles à Fhomme et
aux animaux qui s’en nourrissent?
Par exemple, par un acte du parlement d’An-
gleterre, du 22 mars 1747 (1), il fut défendu de
nourrir ou d’engraisser dans ce royaume des veaux,
des cochons , des agneaux , etc. , avec le lait de
bestiaux malades. Or , si l’on peut démontrer que
le lait des vaches attaquées de la contagion ne
cause aucun mal à d’autres bestiaux , pas même
aux veaux, celte précaution devient inutile, ainsi
que les règlemens qui en sont la suite. V. H. P.
verront par les expériences que nous avons faites
que le lait pris intérieurement ne peut point cau-
ser de contagion, et qu’il ne produit même aucun
mauvais effet quand on s’en sert pour inoculer des
veaux. Si donc les moutons, les porcs, les chèvres^
les cerfs , etc. , ne sont jamais attaqués de cette
maladie, comme nous l’a prouvé l’inoculation que
nous avons toujours faite sans fruit sur ces ani-
maux , pourquoi occuper l’attention du gouver-
nement sur cet objet ? Si l’on sait que la viande
fumée ou salée des bestiaux morts de l’épizootie
{\) Collection of ail the ordres of coiincil , etc., relating to the
distcmpercd caille ,
1 1
III.
i62
LEÇONS
n'est pas conlaglcuse, pourquoi multiplier par-là
inutilement les soins paternels de V. H. P.? Mais
si leur chair, leur sang, leur suif conservent, après
leur mort , la vertu morbifique , il est nécessaire
cl’y veiller et d’emjjloyer les moyens qu'on croit
propres à détruire cette qualité malfaisante, ou de
faire des essais pour connoître combien de tems
ils peuvent la conserver.
Combien de précautions les Etats des provinces
respectives n’ont-ils pas fait prendre relativement
aux peaux, à la chair, au suif et à l’enfouissement
des bêtes mortes de la contagion ? Et cependant
ces mêmes Etats ont été constamment invités pan
les habitans à vouloir bien, par bonté paternelle, |
et pour soulager , autant qu’il étoit possible , les,
malheurs publics , ne point mettre d’entraves à
l’usage des peaux et du suif de ces bestiaux.
Cependant il y en a peu parmi nous qui aient
demandé qu’on examinât les principes sur lesquels
étoient fondés la plupart de ces ordonnances qu’on
avoit presque toutes adoptées d’autres nations.
Voilà, H. et P. S. , quel est le but de nos soins et
de nos recherches.
Il ne m’éloit pas possible de faire seul ces essais;
d’autant puisqu’ils dévoient être faits sur les lieux
où la maladie épidémique s’éloit déjà déclarée,
ce c[ui étoit souvent loin de la ville que j’habite.
Ces raisons m’ont engagé à choisir M. le médecin
£5 O I
SUR ÉPIZOOTIE.
l63
Mynold Munniks , mon élève , pour remplir ces
soins sous ma direction; et nous prenons aujour-
' d’iiui la liberté d’en offrir le résultat à V. H. P. ,
j et de mettre sous leurs yeux le détail des progrès
que nous avons, faits, avec un exposé de ce qui
I reste encore à faire, selon nous, pour parvenir à
la perfection.
Le printems dernier, nous avons eu le bonheur
de former une société en Frise, et de faire à nos
dépens et avec le secours des membres associés ces
ï essais intéressans. Cependant , comme nous n’avons
pu outrepasser les clauses de cette association ,
i nous avons été obligés de suspendre nos travaux.
I Malgré cela notre zèle ne s’est point ralenti, quoi-
que contrarié par les frais que demandent de sem-
blables expériences , lesquels sont véritablement
trop considérables pour des particuliers, et ne peu-
vent devenir utiles que par l’appui immédiat de
V. H. P. et celui des Etats de chaque province où
ils sont jugés nécessaires. L’expérience nous a
du moins appris, que nous avons plus d’une fois
couru le danger d’ètre les victimes des écarts du
peuple, lequel , ignorant le but de nos salutaires
travaux, et se fiant à l’indulgence de la justice, a
non-seulement troublé nos occupations, mais nous
a obligé par des voies de fait d’abandonner notre
I établissement , de prendre la fuite avec nos bes-
tiaux, et par conséquent de mettre fin à nos expé-
riences.
i64
LEÇONS
Nous avons l'honneur de joindre ici un rapport
détaillé des observations que nous avons faites en
176g, sur cent douze génisses de la grietenie de
Doniawarslal en Frise.
Les résultats de ces observations sont: 1®. Que
la maladie comminiquée par l’inoculation a été
accompagnée absolument des memes symptômes
que ceux dont les bestiaux sont attaqués dans l’é-
pizootie naturelle ; 2°. qu’elle se communique avec
la même facilité; que cependant elle est , en
général, plus bénigne et plus facile à guérir ; 4°.
que les bestiaux guéris après avoir subi Finocula-
lion résistent parlaitement à une seconde conta-
gion, soit naturelle, soit communiquée par ino-i
culation. Depuis ce tems , nous avons confirmé
tout cela par des centaines d’observations. L’ex-
périence nous a également appris que la couleur
du poil des bestiaux ne contribue en rien à leur
faire prendre plutôt la maladie, ou à la rendre|
plus ou moins mortelle ; et que les bestiaux nés de
ceux qui ont été guéris de la contagion y sont tout
aussi exposés que les autres; car nous communi-
quâmes l’épizootie à plusieurs veaux, dont quel-
ques-uns moururent , quoique nés de vaches gué-
ries, et dont le père et la mère avoient également!
échappé aux cruels effets de ce fléau.
Le résultat de nos premiers essais , quoiqu’ils
ne furent pas également heureux sous tous les rap“
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
l65
ports, fut néanmoins assez satisfaisant pour nous
engagera les continuer; car sur cent douze indi-
vidus nous en conservâmes quarante-cinq par Pino-
culalion.
' Ensuite , nous avons sauvé quarante-six sur qua-
tre-vingt-douze têtes de bétail que nous avons ino-
culées. Le troupeau consistoit en soixante-huit gé-
nisses , onze vaches laitières et treize veaux ; dont
six veaux, huit vaches et trente-deux génisses fu-
rent heui’eusement guéris.
Lorsque nous comparons ces succès avec la liste
;des bêtes malades, mortes et guéries en Hollande
iet West-Frise, nous trouvons les bienfaits de Fino-
(Culation plusgrands encore. En Hollande du moins
on n^a sauvé que le quart des bestiaux attaqués de
; la maladie contagieuse.
Il paroît par une liste qu’on n’en a sauvé qu’un
tiers dans la Nord-Hollande; tandis que nous en
ivons conserv^é exactement la moitié,
i’ Depuis nous avons inoculé à Groningen, à nos
(dépens et au compte de quelques autres person-
nes, des vaches laitières, des vaches portières, des
'pœufs et des génisses, et nous avons trouvé que
1 quand les vaches ne portoient pas depuis trop long-,
ems, on en conservoit les trois quarts. Le succès
ut satisfaisant avec le petit nombre de boeufs que
mus avions. Nous aurions désiré de multiplier ces
expériences, si le prix des bestiaux qui n’avoient
i66
LEÇONS
pas encore été guéris ne fut pas monté trop haut^
à cause de l’extrême rareté du bétail.
Quoiqu’il en soit, nous avons maintenant ap-
pris que tous les remèdes diasostiques sont ab-
solument inutiles; que les évacuations modérées
obtenues par du sel de mer, et des saignées répé-
tées sont extrêmement salutaires , ainsi que les ali-
mens bien choisis , tant avant qu’après la plus
grande crise de la maladie.
Les bestiaux qui mouroient servoient à prou-
ver que , comme nous avions nétoyé les intestins à
tems , il y avoit peu à craindre de ce côté- là. Ce-
pendant les poumons restoient trop fortement at-
taqués, pour laisser quelque espoir que des sai-*
gnées eussent peu opérer le moindre soulagement]
Nous conclûmes donc avec raison , je pense , que
la principale cause de la maladie consiste dans
une inflammation des poumons. Aussi vîmes-nous
mourir de phthisie plusieurs bêtes qui avoit déjà
reconamencé à ruminer, et qui se trou voient véri-
tablement dans un état de convalescence , ainsi
que cela a de même lieu chez ceux qui sont natu-
rellement attaqués de la contagion.
Une seule fois nous avons obtenu un veau vH
vani après que la vache eut été guérie. Nous avonji
inoculé deux fois de suite cet animal avec la ma-
tière morbifique d’une vache fort malade; mais il!
résista à la contagion; preuve qu’on doit attendr*
SUR É P I Z O O T I E. 1 67
ce même avantage de ia maladie naturelle , ainsi
que l’expérience nous l’a prouvé en effet chez quel-
ques bestiaux.
Une autre fois nous avons obtenu un veau vi-
vant d’une vache qui étoit éncore malade. Ce su-
jet , qui se trouvoit malade en naissant , mourut
avec les mêmes symptômes à peu près que tous les
autres bestiaux pestiférés.
Comme les vaches vêlent ou avortent d’autant
plus promptement que le tems de mettre bas est
plus prochain , nous regardons la maladie comme
d’autant plus dangereuse alors. Les génisses , les
veaux d’un an , etc. , qui sont encore au commen-
cement de leur portée, avortent plus tard, quel-
quefois même seulement un ou deux mois après.
Il paroît par-là que l’inoculation se fait avec un
meilleur succès sur des bestiaux âgés, principale-
ment sur les vaches qui ont vêlé, ou qui ne sont
pleines que depuis peu de tems.
Il est singulier que de quelques centaines de piè-
ces de bétail que nous sommes parvenus à sauver
])ar l’inoculation , il n’y en ait eu qu’une seule qui
ait perdu le loupillon de poils de la queue.
Les saignées répétées que nous avons employées
chez un grand nombre de bestiaux, nous ont con-
vaincu : i°. que du moment que 1a maladie a pris
racine , le lait se caille entièrement , sans qu’il y
reste la moindre sérosité 5 2'’. que lorsque l’animal
i68
LEÇONS
meurt le sang n’est plus caillé, mais fpi’il est Vola-
leinenl fluide 5 5”. (jnlétant tiré avant la mort , il|^i
conserve de même sa lluidiléj 4°. que le sang liré^^
d’un animal ])eu de tems après le rétablissement^^
contient des sérosités et se coagule comme dans t||
l’état naturel de santé.
Comme il reste encore beaucoup de choses à®
observer dans le progrès de la maladie, il seroit a |
souhaiter qu’on lit aux frais du gouvernement les^
expériences suiv'antes : I
î”. Ouvrir tout vivans des bestiaux chaque jour
après la communicatiou de la maladie, afin qu’on'-
puisse reconnoîlre le moment où les parties set
trouvent le plus affectées par le progrès du virus |
morbifique. ti
11°. Ouvrir les bestiaux aussitôt qu’il y a signe
de guérison , et cela jusqu’à ce qu’ils aient recoin- f
mencé à ruminer , pour savoir de quoi dépend pro-J
jirement ce grand changement. Le jeune bétail se
roit le plus propre pour cela et le moins coûteux, j
puisqu’il faodroit le disséquer tout vivant.
Peut-être que , par ces moyens, on parviendroit |||
à trouver des remèdes projnes à rétablir la rumi-
nation ; et dans ce cas il y auroit espérance de gué-
rir l’inflammation des poumons.
La violence de la maladie communiquée p
ar
inoculation dilTère en apparence si jieu de celle de |:i
la contagion nalureile, qu’on ne sauroit assez en f;|
SUR l’ É P I Z O O T I E. 169
être étonné. 11 est vrai que Finocnlalion est sus-
ceptible d^amélioration , ainsi que nous l’ont prou-
vé un grand nombre d’expériences, que nous ne
manquerions pas de multiplier, si les dépenses
qu’elles demandent n’étoient pas trop considé-
rables.
Nous nous proposons de publier sous peu de
tems toutes nos observations sur cette matière av^ec
un avis préliminaire ; dans l’espérance d’engager
par-là nos concitoyens à suivre notre exemple, en
les mettant à mênie de tirer avantage des lumières
que nous pouvons avmir acquises par l’expérience?
ainsi que des erreurs même où nous pouvons être
tombés.
En octobre 1769, nous avons fait les expérien-
ces suivantes sur la nature de la contagion :
Premièrement. Nous-mêmes et lés ouvriers
qui nous aidoient, avons souvent été blessés aux
mains et aux doigts en ouvrant et en maniant des
bestiaux morts de l’épizootie ; par conséquent la
matière morbifique a passé immédiatement des na- ^
seaux, de la bouche et d’autres parties de l’animal
dans notre sang, sans que nous en ayons cepen-
dant éprouvé aucune suite fâcheuse , si ce n’est
peut-être que la plaie a été un peu plus long-tems
à guérir.
Ni le lait , ni le beurre , ni le fromage , pas
17*^ LEÇONS f
même la chair , tant fraîche que fumée et salée ^
des bestiaux attaqués de la contagion , ne produi-N,
sent aucun mauvais elFei sur ceux qui en font usage, 7
si ce n’est lorsqu’on se charge trop l’estomac de
celte viande, ce qui est quelquefois fort tlangereux
pour le peuple 5 mais il en est de même de la |"
viande des bestiaux les plus sains. |jj
S E c O N n E M E N ï. Comme les moutons , les chè-
vres et les cerfs sont aussi des animaux ruminans,
fju’ils sont par conséquent peut-être également ^
susceptibles d’être affectés de la contagion , nous |
avons inoculé une biche en deux endroits, une chè- |
vre en six endroits, ainsi qu’un mouton , avec le |j
virus morbiliqued’unevaclie fort malade, sansque J
nous nous soyons apperçus, dans la suite, d’aucun |
symptôme de maladie, si ce n’est d’une petite su- |
puration qui suit , en général , de pareilles opé-
rations. - I
Comme on prétend que les chèvres sont égale- |
ment sujettes à l’épizootie, après en avoir inutile- |
Jurent inoculées pour leur communiquer la conta- P
gion, nous les avons fait placer très-près des bes- p
îiaux malades, sans qu’il en soit résulté le moin- f|
dre accident. dl
X'"
D’où l’on peut conclure, suivant nous, que les |j
bestiaux dont je viens de parler ne peuvent par |
eux-mêmes ni occasionner, ni propager i’épizoo- p'
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 171
tie ; et qu’on peut nourrir, sans crainte d’aucun
mauvais effet , les veaux avec le lait de vaches ma-
lades. Comme l’épizootie ])aroît nous être venue
principalement de Turquie , ou peut-être même
de quelque contrée plus éloignée de l’Asie , par des
chamanx, nous aurions voulu acheter à nos frais
un de ces animaux^ mais il nous a été impossible
de nous en procurer un.
Trotsièmement. Nous avons voulu essayer
l’effet que produiroit la plus mauvaise matière mor-
bifique , en le faisant prendre intérieurement à un
veau. Pour cela nous mêlâmes de la matière prise
des naseaux avec de l’eau que nous fîmes boire à
plusieurs veaux, ainsi que du sang et du lait d’une
vache fort malade. Cependant les jours auxquels
se déclare ordinairement la maladie, soit par con-
tagion , soit par inoculation , se passèrent , et mê-
me quelques autres encore sans qu’on apperçut
chez ces animaux le moindre signe de maladie.
Pour nous convaincre que cela ne dépendoit point
d’une constitution particulière des animaux, com-
me n’étant pas disposés à recevoir la maladie, nous
les avons tous inoculés suivant la méthode ordi-
naire^ et alors ils sont non-seulement tombés ma-
lades, mais ont donné, comme les autres , dès le
cinquième jour, des signes de l’approche de la ma-
ladie.
LEÇONS
Nous croyons pouvoir conclure de là cjue les
bestiaux ne gagnent pas répizoolie en buvant dans
le même vase cp,ie ceux (jui sont malades , ou en
avalant même leur bave, etc.; que par conséquent
ils ne gagnent pas la maladie par la matière mor-
bifique qui ])eut être mêlée auxalimens dont ils se
nourrissent, ainsi qu’on l’avoit pensé Jusqu’à pré-
sent.
Quatrièmement. Nous avons été insensi-
blement plus loin : nous avons examiné pendant
combien de tems les peaux et d’autres parties de-
meurent conlagicuses après la mort de l’animal?
Pour cet elle! , nous avons inoculé un veau avec
des languettes de la yjeau d’une vache immédiate-
ment après qu’elle fut morte de la contagion. Un
autre veau a été inoculé de la même manière qua-
rante-huit heures après la mort de la même va-
che. Un troisième veau avec des languettes de la
même peau quatre jours après la mort de la vache
en question; et enfin un quatrième veau avec six
aiguillettes de la susdite peau , le sixième jour après
la mort de la vache.
Tous ces veaux tombèrent malades le cinquiè-
me jour après l’inoculation , et avec une telle vio-
lence que trois en moururent, de sorte qu’il n’y
en eut qu’un seul qui en réchappa.
Xs’^ous fûmes fâchés de devoir en conclure avec
certitude que les peaux communiquent la conta-
gion, six Jours, si ce n’est pas plus loug-tems mê-
me, après la mort j que par conséquent rien n’est
plus dangereux que d’en agir avec aussi peu de
soin qu’on le fait souvent avec les peaux des bêtes
mortes de la maladie contagieuse , et de les trans-
porter dans des endroits où l’épizootie ne s’est pas
encore déclarée.
Il faudroit encore répéter souvent ces essais, et
plamer les ])eaux avec de la chaux, les faire trem-
per dans de l’eau , ou les laver avec une décoction
de tan, etc.; et les pi’éparer de manière que cette
qualité nuisible fut détruite, pour les faire passer
ensuite aux tanneries.
Cinquièmement. Dans le même teins nous
avons inoculé quatre autres veaux , dans six en-
droits dilférens, avec la chair de la même vache;
savoir, le premier, le second , le quatrième et le
sixième jour après sa mort; et nous avons trouvé
que la contagion étoit si violente que ces quatre
veaux ont été les victimes de cette expérience.
La chair n’est donc pas moins contagieuse après
la mort. Il ne faut par conséquent pas la transpor-
ter dans des endroits où l’épizootie ne règne pas.
Nous avons fait fumer quelques morceaux de celte
viande , et fait saler quelques autres , dans l’inten-
tion de savoir combien de teins elle conserve cette
1 7 * LEÇONS
(juallté inorbiNtjiie ; mais comme les vues de la so- ;
ciété se Irouvoieut remjilies, et que le bétail aug-
mente chaque jour de prix, nous avons été obligés
de suspendre nos ol)servalions.
Nous avons pensé qu’il imj)orloit au gouverne- ’;
ment d’être instruit de tous ces essais et de leurs 7:,
résultats, afin de ne point gêner le commerce par
la défense des viandes salées et fumées , dont la |
consommation est si précieuse pour la navigation, ;
etc. , de ces provinces. '
Sixièmement. Nous avons également ino- ' |
culé quati’e veaux avec le suif de bêles mortes
d’épizootie, le premier, le second, le quatrième et i
le sixième jour après leur mort : les elfets de la con- “ I
tagion ont été si violens qu’ils se sont trouvés tous ,.i
quatre excessivement malades le sixième jour et é
sont morts ensuite.
Reste à savoir maintenant combien de tems la ■
graisse et le suif conservent leur qualité conta- i
gieuse? 11 nous faut une grande quantité de l’une
et de l’autre pour nos vaisseaux et pour nos fabri- ' i
ques de chandelles. Voici donc la question qu’il j
s’agit de résoudre : Pendant combien de tems le ^
suif reste-t-il contagieux par l’inoculation ou par
la vapeur des lumières placées dans une étable;
et par quel moyen pourroit~on parvenir à lui dter I
cette mauvaise qualité ? |
Septièmement. Nous iwardions coiume es-
O
sentiel de faire des expériences avec le sang. Nous
inoculâmes par conséquent , également en six en-
droits différens, quatre veaux avec du sang de la
même vache morte de contagion , le premier , le
second, le quatrième et le sixième jour après sa
mort. Ces veaux furent tous quatre si fortement at-
taqués de la maladie qu’ils en moururent.
Ces résultats nous prouvèrent que tous les soins
pris par le gouvernement relativement à la manière
d’écorcher et d’enfouir les bêtes mortes de l’épi-
zootie, étoient à peu près inutiles, et dévoient l’ê-
îi'e en effet ; puisqu’il n’est guère possible de les
écorcher sans les faire saigner , surtout par des
hommes aussi maladroits que ceux qu’on emploie
communément à de pareilles opérations.
Que sert d’enfouir à Trois pieds ou davantage
même dans la terre les restes de ces bestiaux, aussi
long-tems qu’on ne parviendra pas à empêcher que
la contagion ne rende ces parties volatiles, et qu’el-
les n’aillent corrompre l’atmosphère, en pénétrant
à travers les larges pores de la terre , ou d’un sable
mobile qu’on prend à peine soin d’entasser sur ces
débris infects ?
Il seroit à souhaiter aussi qu’on ht l’essai avec
des bêtes mortes d’épizootie, pour connoilre pen-
dant combien de îems elles conservent sous terre
la vertu morbifique.
176 LEÇONS
Nous n’avons point employé le iumier. Ï1 est à
croire fj U ’il est très- contagieux, principalement
celui des bestiaux qui sont au fort de la maladie ,
lequel est d’une puanteur insupportable.
Quand on examine les loix promulgées en An-
gleterre, et qu’on les compare avec nos essais , il
paroît que la précaution de tuer les bêtes malades
à coups de fusil et de les enterrer, ou même de les
brûler, ne peut prévenir la communication de ce
fléau, et ne l’a réellement pas j)révenu , quoique
ces loix soient déjà anciennes et qu’elles aient été
renouvellées encore en 1747.
11 est impossible également de résister à la con-
tagion lorsqu’elle s’est une fois déclaréej il est im-
possible , dis-je , de la vaincre. Nous avons lieu
d’espérer que l’inoculation sera avec le tems por-
tée à une plus grande perfection , si nous pouvons
prendre pour exemple celle qu’on emploie pour la
petite vérole; et elle ne pourroit manquer de faire
réellement de rapides progrès, siceque nous avons
exposé à V. H. P. comme restant encore à faire ,
s’exécutoit par les ordres du gouvernement et sous
ses auspices.
Peul-êti'e l’expérience nous convaincra-t-elle
un jour du contraire. Il se pourroit aussi que la
méthode dont nous faisons usage , ne sauve pas
plus de bestiaux que la nature livrée à elle-même;
et alors sans doute on l’abandonnera facilement.
SUR l’ÉPÏZOOTIE. 177
Mais il en aura toujours résulté ce grand avantage
qu^on se sera convaincu qu’il n’y a point de meil-
leur moyen , ni de plus convenable que l’inocu-
lation pour bien connoître la nature de l’épizoo-
tie, et les remèdes qu’on pourroit y apporter.
Groningen, le 16 février 1770.
t)
F
m:
ITT.
12
178
LEÇONS
DE L’INOCULATION
DE L’ ÉPIZOOTIE, ;
De ses avantages et des précautions qu’elll^
demande. 1
I. JL’ IN oc U DATION de la maladie contagieusi!
des bêtes à cornes à été d’abord pratiquée ave(|
des succès douteux en Angleterre, ensuite dans IéJ
duché de Brunswick en 1746, en Nord-Hollande
en 1755 , près de la Haie en 1757, et la même an-
née à Londres (1), jusqu’à ce que moi-même, avee
le célèbre M. Van Doeveren à Groningen , en
1769 (2), et M. Munniks en Frise ( où M. Alta ï
ministre du Saint-Evangile, l’avoit déjà établie),'!
commençâmes à faire un grand nombre d’observa-|
(1) Voyez mes Levons sut V épizootie ^ ^^7'
(2) Ibid.
SUR l’Épizootie. 179
ions de toutes les espèces, avec un tel succès qu’en
;énéral une plus considérable quantité de bétail
ut guérie et sauvée, qu’on n’auroit pu le faire
ans la maladie acquise naturellement , par tous
3s remèdes possibles (1).
(1) Par la liste des bestiaux guéris et de ceux qui sont morts par
noculation, publiée par ordre des Etats de Hollande et deWest-
rise , et qui comprend les quatre derniers mois de l'année lyÔQ
les deux premiers mois de i7?o, j’ai observé ([ue dans la Hol-
nde seule il est mort i 14.1 5a têtes de bétail, et qu’il en a été
;;iéri 39,065. Dans la West-Fi ise , il en étoit mort 43, 1 80 , et il
<1 a été sauvé 2 1 ,09 1 . D’après les registres dressés en 1769, par
•dre des Etats de Frise , il en est mort cette année là 5i,022 et
i.aôy ont été gtiéries. Le nombre des bestiaux morts a donc été
helui des bestiaux guéris comme 208,354 à 78,293. La totalité
tlti^ (5 bestiaux attaqués de l’épizootie est par conséquent de 286,647,
il s’en est à peine sauvé les deux septièmes ; taudis qu’on a
1
cuservé. au contraire , plus de la moitié des bêtes à cornes de
ites les espèces à qui on a inoculé la contagion. Si Jonc on vou-
ino( uler la maladie à tous les veaux des vaches guéries , et si
jjfât cent on en perdoit deux , la totalité de ceux qu’on perdroit
stsit de 4.t66; d’où l’on peut facilement conclitre les grands
6 û** * ^
’ *% otages de cette inoculation , surtout si l’on considère la valeur
iDj d'ees bestiaux. Supposons, par exemple , que le prix de chaque
soit de 20 florins de Hollande; la perte totale mooteroit à
1^1)^8 320 florins; tandis que la somme de la valeur de tous ceux
g Dn auroit guéris iroit à 3.649.620 florins. Ainsi la valeur de
^i^^'^que veau guéri de la contagion acquerroit une addition de
^ '.1 s quarantièmes parties fl un florin ; ce qui est si peu de chose
qi cela ne mérite aucunement d’être pris en considérarion. Mais
iBoinme de la valeur des bêtes à cornes perdues par la contagion
Ue naturellement , si l'on estime seulement les vaches et les
i8o
LEÇONS
Ces essais nous ont églement appris que jama
aucune bêle à cornes qui a une fois été guérie é
Pépizoolie n’en est attaquée de nouveau j ce qi
les expériences faites en Nord -Hollande avoiei
laissé dans le doute.
Ensuite on a essayé, mais sans fruit , l’inocul
lion en Danemarck; jusqu’à ce qu’on l’eut repri
avec un heureux succès en Frise.
Les avantages de ce remède consistent en
que :
1°. Ce sont des veaux ou des génisses d’un pr
modique qu’on expose au danger de la coi
tagion.
2°. Les génisses ont l’é])izootie avant qu’ell
aient reçu le taureau , par conséquent avant qu’t
veaux, l’uii portant l’autre, à 20 florins pièce, monte à 4,1 67»'
florins. Je dois convenir que par-là le prix des bestiaux guéris
certainement augmenté d'un tiers; mais ce prix baisse inseï
blement et revient au taux ordinaire après que la contagio
cessé ses ravages. Je sais qu’on a vendu pour 25o florins pièce
vaches laitières guéries de la contagion. Si l’on compare à (
l’effet qu’a produitle partiqu’on avoit pris de tuer les bestiauxi
lades , et dont les Etats de Brabant ont rendu compte , nous'
rons que, pour conserver 1 1 1,960 têtes de bétail , ou n’en a
que 4^4 1 P®*" conséquent on n’en a perdu qu'une deux c
soixante-quatrième partie , ou trois huitièmes du cent ; qu’ain;
perte a été encore beaucoup moindre ici que par l’inoculatioi
plus heureuse, par laquelle on perd au moins toujours un v
sur cenr.
i8i
SUR l’ ÉPIZOOTIE,
les soient pleines; ce qui est un plus grand avan-
tage qu’on ne sauroit le penser ; car , lorsque la
contagion attaque naturellement tout-à-coup un
troupeau entier, les boeufs , les veaux , les génisses
et les vaches en sont tous affectés sans distinction.
Presque toutes les vaches avortent ; de sorte que
{1 si elles n’en meurent point et qu’elles se rétablis-
sent même parfaitement , leur matrice se trouve
tellement dérangée qu’elles ne peuvent ensuite plus
s jretenir facilement. Elles ne sont pas non plus sitôt
jSn chaleur après cet accident, de sorte que le pro-
i; briétaire d’une telle vache est obligé de la nourrir
pendant une année entièi'e sans en retirer le moin-
Ere avantage; et se voit enfin obligé de l’engraisser
our la livrer au boucher.
C’est dans les endroits où les fermiers n’ont
(..’aulre ressource pour vivre que leurs bestiaux
jqu’on a principalement besoin de quelque certi-
jtude à cet égard ; et c’est pour cette raison que
l’inoculation doit y être pratiquée de préférence,
quand même on ne parviendroit pas à sauver par
ice moyen un plus grand nombre de bestiaux qu’on
ne pourroit espérer d’en voir rétablir par l’épizoo-
tie naturelle. Le prix d’un veau va rarement au
quart de celui d’une vache; d’ailleurs les vaches,
étant ensuite pleines au teins convenable, vêleront
facilement , et fourniront convenablement leur
lait.
1 8a LEÇONS
II. Cependant il importoit trop aux fermier}
de ces provinces, pour qu’ils abandonnassent sitôt
ce moyen convenable de sauver leur bétail. Ilf
avoient remarqué, en premier lieu , que les veaux)
avortés par des vaches malades n’étoient propres
à être inoculées qu’après qu’ils avoient resplrej
pendant quelque tems le grand air. Secondement, )
que les veaux provenant de vaches qui avoient passé
heureusement par l’épizootie éprouvoient, en gé-
néral , des crises moins violentes , et qu’il en ré-
chappoit un plus grand nombre que de ceux qiii j
étoient nés d’autres vaches.
Ils . combinèrent donc ces circonstances, et
firent inoculer aussi bien les veaux provenant df
vaches qui avoient été guéries de la contagion
que ceux qui n’avoient pas encore été exposés eit|
plein air.
D’après ces procédés les accès de l’épizootie fit *
rent si bénins que les fermiers doutèrent souvent
si le bétail qu’ils avoient fait inoculer avoit été
réellement malade ou non. Moi-même, excité paii
leur exemple , j’en ai quelquefois inoculé , dans le
même tems, jusqu’à trente et davantage; et j’ai vuj
avec plaisir que ces veaux couroient gaiement en-
semble dans l’étable. Ceux qui étoient plus mala-,
des que les autres, s’éloignoient d’eux, et alloienti
les rejoindre aussitôt que la crise étoit passée, jus-
qu’à ce qu’ils eussent tous passé le tems conve-!
SUR ÉPIZOOTIE. l85
nable à la maladie. De cette manière sur cent veaux
il en mouroit à peine un seul.
Il est arrivé quelquefois cependant que la ma-
ladie, quand elle étoit fort bénigne, de sortequ’on
en appercevoit à peine de légers symptômes , ne
parvenoit point à maturité; alors cesveauxétoient
attaqués de la contagion au moment qu’on ne s’y
attendoit point, quand on les faisoit paître parmi
un troupeau malade.
i|| De là naît une incertitude également préjudi-
ciable au commerce des bestiaux guéris et à l’in-
térêt des fermiers. La plupart ont , à cause de cela,
fait inoculeur jusqu’à deux fois leur bétail; la pre-
mièi'e fois avant que les veaux eussent respiré le
grand air, et la seconde fois quand ils et oient par-
venus à l’âge de trois ou quatre mois; non qu’ils
s’imaginassent que les bêtes à cornes puissent être
deux fois de suite sujettes à l’épizootie par l’inocu-
lation, mais pour qu’ils pussent être certains que ces
bestiaux avoient réellement été attaqués et guéris
de cette maladie.
Ces essais multipliés et presque journaliers nous
avoient enfin démontré qu’il n’est pas absolument
nécessaire qu’un veau , pour subir heureusement
l’épizootie , ait été exposé à l’influence de l’air ;
mais qu’il suffit qu’il vienne d’une vache qui ait
eu cette maladie , et que l’inoculation se fasse avant
qu’il ait cinq mois. Avec ces conditions, la conta-
i84
LEÇONS
glori est non-seulement bénigne, mais elle se dé-
clare suffisamment par des symptômes extérieurs
pour que chaque fermier puisse être convaincu
qu’elle a réellement lieu chez l’animal. Actuelle-
ment l’inoculation s’opère en Frise et dans la pro-
vince de Groningen sur tous les veaux avec un tel
succès , qu’en prenant les précautions dont j’ai
parlé , il en meurt rarement un sur cent.
§. III. Je crois pouvoir conclure avec raison de
ces heureuses suites de l’inoculation que , dans
tous les pays où la méthode de tuer les bestiaux
attaqués de la maladie contagieuse n’a pas le suc-
cès qu’on en attendoit, l’inoculation de veaux nés
de vaches qpi en ont été guéries , est le seul re-
mède qu’on puisse employer ])Our l’endre ce ter-
rible fléau au moins supportable (i).
Peut-être qu’une meilleiu'e disposition naturelle
du père contribueroit encore à cela , ainsi que nous
le savons déjà de la mère. Il faudroit donc avoir
.\
( 1 ) 1! paroît éviilemment , par le chap. i5 du premier livre de
Sénècjue, De ira, que les anciens ont connu le moyen de préve-
nir la contagion en faisant tuer leurs bestiaux : « On écorche, dit-il,
«les brebis malades, de peur qu’elles n’infectent le troupeau.»
( Morbidis pecoribus , ne gregem polluant , Jenum diininimiis. )
Ce qui n’avoit d’autre raison , que (a sanis înalilia secerncre ) de
mettre les bêtes saines à l’abii de la contagion de celles qui étoienC
déjà malades. Voyez Aujlos einer Preis-Jrage , pag. 4 >•
SUR l’ É P I Z O O T I E.
i85
soin de n’augmenter le troupeau que par des tau-
reaux et des vaches qu’on sauroit avoir été guéris
de l’épizootie. Si tous les fermiers raettoient , d’un
commun accord , ces moyens en pratique , nous
n’aurions plus, en douze ans de tems, que des va-
ches à l’abri de la contagion , et qui ne clonneroient
que des veaux propres à être inoculés.
Mais il en résulteroit celte difficulté qu’on ne
trouveroit plus de matière morbifique pour inocu-
ler les veaux, à moins que l’épizootie ne continuât
à régner dans quelque canton voisin. 11 ffiudroit
donc que dans chaque pays on y destinât un nom-
bre suffisant de génisses, afin qu’on eut constam-
ment sous la main de cette matière. Une ou deux
de ces génisses devroient être soumises , à des tems
fixes , à l’inoculation , pour qu’on eût toujours à
la main un nouveau germe actif. Il faudroit que
ces génisses fussent entretenues aux dépens de la
caisse publique; et, comme la moitié de ces gé-
nisses succomberoit à cette opération , l’autre moi-
tié, qui parviendroit à vaincre la maladie , seroit
d’une valeur bien plus considérable.
11 est maintenant évident et reconnu , soit qu’on
ait recours au moyen de tuer les bestiaux, ou à ce-
lui de les inoculer, qu’il est nécessaire de connoî-
tre surtout , comme remèdes diasostiques , le véri-
table tems pendant lequel le virus morbifique peut
se garder sans perdre son activité. Combien de tems
i86
LEÇONS
oussi une bète morte de l’épizootie conserve sa qua-
lité contagieuse, soit qu’on l’enfouisse sous terre ,
encore intacte avec sa peau , soit qu’on la laisse
exposée sur la terre en plein air, soit enfin qu’on
la plonge dans l’eau? Combien de tems cela a lieu
avec la chair salée ou fumée? Pendant quel laps
de tems enfin le suif, la peau , les cornes, les os,
etc. , restent imprégnés de ce même germe? Et ,
pour ce qui concerne l’inoculation , il faudroit sa-
^"oir pendant quel tems la matière dont on se sert
pour cette opération conserve sa vertu ? Par ces
différentes expériences on parviendroit à pouvoir in-
diquer aux chefs du gouvernement et aux fermiers
les moyens d’opérer avec certitude dans la suite ;
et par-là on ne manqueroit pas de bien mériter de
ses contemporains, ainsi que de la postérité.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
1S7
EXAMEN
D^un passage de Vinstruction de sa majesté
prussienne de i'^€5 , relativement à ladécom-^
positioji des peaux des bêtes d cornes.
Uans cette instruction , pag. 58 , il est dit que
les bêtes à cornes qu’on enterre revêtues de leur
peau ne sont pas encore décomposées au bout de
dix ans. Par considération pour un écrit qui avoit
paru sous le nom de sa majesté prussienne , et
faute d’avoir fait moi-même les observations né-
cessaires , je gardai , dans mes leçons sur l’épizoo-
tie, le silence sur le degré de confiance que méri-
toit cette assertion , et crus devoir attendre pour
cela quelque circonstance convenable.
Je vais donc communiquer maintenant au ])u-
blic ce que j’ai observé le 2Ô août 1778. Ce jour-
là je me rendis chez M. N. Fontein , riche fermier
du village de Ried, à une lieue de Franeker, pour
être témoin de l’exhumation de plusieurs bêles à
i88
LEÇONS
cornes mortes de l’épizootie en 1769 et enterrées
les unes à coté des autres avec leur peau , à sept
pieds de profondeur sous terre. On avoit d’abord
couvert ces bêîes légèrement de paille et ensuite
de terre , laquelle est ici argilleuse. Après qu’on
eut enlevé la terre avec précaution , nous trouvâ-
mes une couche de paille , laquelle ne s’affaissa
nullement, n’étant point du tout pourrie 5 et des-
sous cette paille nous découvrîmes les squelettes
entiers de ces bestiaux, sans la moindre apparence
de peau, de chair, de nerfs ou de cartilages , ex-
cepté beaucoup de graisse ça et là, sans peau ce-
pendant , mais dure et compacte, ainsi que cela a
lieu chez tous les animaux lorsque la chair tombe
en dissolution (1).
Je soulevai avec beaucoup de précaution les cô-
tes , entre lesquelles il ne se présenta rien , si ce
n’est du foin non décomposé , dont l’animal avoit
rem])li son estomac peu de tems avant sa mort (2).
(1) Quîuid on laisse pourrir fjuelque partie d’un animal avec la
peau, la rhair et les os, on trouve, lorsque tout est bien décom-
posé , des pelottes de graisse attachées aux os, et ça et là au ton-
neau ; cette graisse est fort dure et sèche , et se laisse broyer entre
les doigts comme de la marne tendre.
(2) Cela doit moins nous étonner aujourd’hui , depuis que l’in-
fatigable abbé Spallanzani a fait tant d’observations sur le suc
gastrique , rl’après lesquelles il paroit que c’est un grand antisep-
tique , à tel point même qu’il est parvenu, par son moyen à ren-
dre sa Iraicheur à de la viande corrompue- Consultez les consi-
SUR l’Épizootie. 189
Tout le reste, tant les parties tendres et carti-
lagineuses que la peau même, ainsi que ses poils,
étoient décomposés, de manière qu’on auroit dit
que les bestiaux en avoient été dépouillés avant
que d’être enterrés. Cet exemple nous prouve que
la prétendue observation dont il est parlé dans
l’instruction de sa majesté prussienne, n’a pas été
faite avec tout le soin que méritoit un objet de
cette importance. Il est évident que par -là on a
voulu favoriser les tanneries, sous le prétexte que
la contagion conservoit plus long-tems son effica<i
cité , quand on n’avoit pas soin d’écorcher avant
de les enterrer les bêtes mortes de l’épizootie.
dérations de M. Senebier (page 6o), et de l’abbé Spallanzani lui-
rnême, qui a constaté la vertu antiseptique de ce suc par plu-
sieurs expériences , dans son ouvrage \at\l\x\èi Expériences sur la
digestion de l’homme et de dijférentes espèces d’animaux , par
Fabbé Spallanzani , avec les considérations de J. Senebier, p. 69.
190
LEÇONS
D E S
VERS PULMONAIRES.
No US continuions avec le plus heureux succès
à inoculer les veaux dont les meresavoient été sué-
ries de l’épizootie, lorsqu’un accident fâcheux vint
nous décourager dans nos opérations. Depuis quel-
ques années , quoique seulement de tenis à autre ,
à la vérité, les veaux rétablis de l’inoculation , et
qu’on avoit amenés au pâturage , furent attaqués
d.’une toux, laquelle augmentoit insensiblement ,
et finissoit par tuer ces animaux avec des crises
terribles 5 de sorte que pas un seul n’en échappa.
La morve leur sortoit avec violence du nezj ils ces-
«oient de ruminer, et dépérissoienl jusqu’à ce
qu’ils mourussent enfin. Comme cette maladie of-
fre plusieurs symptômes qui ressemblent à ceux
de l’inflammation des poumons, les fermiers s’ima-
ginèrent que c’étoit une rechûte, que par consé-
SUR l’Épizootie. 191
quent l’inoculatioD , dont 011 se promettoit tant de
bien , n’étoit d’aucun secours. Cet accident fit sus-
pendre le commerce des bestiaux inoculés; ce qui.
causa de grandes inquiétudes aux fermiers. On per-
dit au-delà de mille têtes de bétail par cette ma-
ladie , sans qu’on put en connoître la cause , ni
trouver de remèdes propres à la guérir.
Je me rendis pour cet effet chez un de mes voi-
sins qui 5 sur cinquante veaux qu’il avoit sauvés
par l’inoculation, venoit d’en perdre, pendant le
mois d’août 1778 , plus de trente dans uneprairie,
où il faisoit paître, en même teins, plusieurs va-
ches, génisses, chevaux, moutons, etc., qui tous
se portoient parfaitement bien.
Le 2 septembre , j’ouvris un veau mort de cette
maladie. Les intestins étoient fort sains; le troi-
sième estomac sans la moindre inflammation; en
un mot , je ne découvris rien de particulier dans le
ventre. Je ne trouvai de même aucune inflamma-
tion dans la poitrine, que j’ouvris ensuite avec le
plus grand soin. Il est vrai que le sang étoit ça et
là un peu caillé à la superficie ; mais cela a de
même lieu chez tous les bestiaux qui tombent sous
la main du boucher.
J’enlevai ensuite la langue avec la trachée-ar-
tère, pour examiner toutes les parties qui servent
à la respiration. A peine eus-je ouvert la glotte que
j’y apperçus plusieurs milliers de vers. Je suivis
JÇ)2 LEÇONS
alors l’âpre -arlèrc, et je trouvai des myriades de
ces vers jusqu’à sou insertion dans le parenchyme
des poumons, lesquels éloienl blancs et minces,
ayant un pouce et demi à deux pouces de long.
Chez un autre veau je trouvai un pelotton de
plusieurs milliers de ces vers , qui ohstruoient la
trachée-artère et qui avoient étoufl’é l’animal. Chez
tous les veaux morts de celte maladie, l’Apre-ar-
tère, et par conséquent les poumons étoient rem-
plis de ces vers ; mais je n’en trouvai aucun dans
les vésicules pulmonaires. J’examinai avec la loupe
ces vers , qui me parurent se terminer en pointe
par la tête et par la queue. Un intestin ou canal
passolt de la tête jusqu’à la queue , et près de ce
tuyau il y avoit plusieurs points obscurs d’une for-
me ovale. Je tâchai de conserver ces vers de diffé-
renves manières; mais ils moururent tous le troi-
sième jour ; cependant leur corps fourmilloit de
petits vers qui vécurent quelque tems dans le corps
de leur mère morte depuis plus de quatre jours, et^
à laquelle ils ressemhloient parfaitement , si ce n’est
qu’on n’appercevoit pas chez eux les petits corps
ronds près du canal intestinal. Ces vers sont donc
vivipares. Les gi'ands avoient un seizième de pouce
dç grosseur. J’ai vu tirer des jeunes par une ouver-
ture de la queue; cependant la plupart sortoient
par les plaies de la mère ; car leur corps se cassoit
facilement quand ils étoient morts. J’ai fort inuti-
SUR l’ ÉPIZOOTIE,
195
lement des recherches pour trouver de pareils ac-
cidens dans les ouvrages des auteurs qui ont traité
de Fart vétérinaire , et la description de ces vers
mêmes dans ceux des naturalistes, Klein , Linnæus,
j Pallas, Muller, etc, , tous ceux qui ont écrit sur
^ les vers en particulier, les ont confondus avec les
d vers néphrétiques {vena mecîinensis). On donne
ijle nom de dragonneau à un vers fili-
forme; mais en le comparant avec notre vers pul-
d . , . , . , , .
1 nionaire, on s apperçoit que ce dernier n etoil pas
Î' connu. Il est singulier que Gesner ait donné à un
i semblable vers le nom de veau-cV eau ( wasser-
^\kalb ) ^ mais en disant qu’il n’en connoissoit pas
‘"‘-l’origine. Il sa voit cependant que les veaux les ava-
® lent avec l’eau qu’ils boivent, et cela au grand pé-
ril de leur vie {niagno etiam vitœ periculo).)^\e\\\
a copié littéralement ce passage. Il paroit donc que
Gesner a connu des vers qui causent une maladie
mortelle aux veaux.
Je m’imaginai d’abord que M. Gœze (1) avoit
(O Depuis que j’ai écrit ceci, il y a vingt ans, le célèbre M. J.
IA. C. CoBze a parlé de ces vers dans son admirable Essai sur
\l’hîstoire nauirellc des vers intestins des animaux , i 782.
î ll les appelle vers de Camper { ibid. , pag. 92), et en donne
igure ( planche II, fig. 7 E. ) Le grand anatomiste M. Sœmine-
îd. ing lui avoit communiqué de ces vers qu’il tenoit de moi. Swain
fâV.iug 1
»«i;lnerdi
,jÿAt(;lï>erdam paroît avoir connu des vers de cette espèce. ( Bibl. nat.^
ag 80.4. ) Ils ressemblent beaucoup aux vers filliormes qu’on re-
■naraue dans le vinaigre.
î II.
10
ig4
LEÇONS
décrit de semblables vei's; mais ayant examiné de
nouveau un vers pris dans une anguille , je trou-
Ces vers ne viennent pas à la suite de l’inoculation ; car M. le
médecin F. Nicholls dit ( Phil. Transact. , vol. 1 , pag. 49)t]u’on
les trouve dans de jeunes veaux tjui n'ont pas encore un an , et il
appelle /lusk la maladie qu’ils occasionnent.
Une plus forte preuve qu’ils ne proviennent pas de l’inocula-
tion , résulte des observations du célèbre professeur Gadso Coop-
inans , à Franeker , qui a examiné , en i 778, un jeune taureau
qui étoit mort de ces vers , sans avoir été inoculé, ou sans avoir
été attaqué naturellement de l’épizootie.
Avant de terminer cette note supplémentaire , je demandai à
mon métayer 1\. Halma , qui inocule journellement du jeune bé-
tail , si ces veaux étoient encore attaqués de la toux occasionnée
par les vers? 11 me répondoit que huit en avoientété malades cet
automne; mais que, les ayant sur-le-champ retirés du pacage et
nourris k l’étable avec du foin, il en avoit conservé six; les deux
autres étoient morts. J
Ces huit veaux avoient été inoculés et avoient passé heureuse-1
ment par toutes les crises de l’épizootie. C’étoit le i5 novembre
1786 que je lui fis cette question ; ce qui prouve que cette touxj
duroit encore à cette époque , et qu’on peut la prévenir ou la gué-
rir même en donnant »lu foin au bétail. 11 m’assura qu’il n’avoit"
jusqu’alors jamais remarqué cette maladie chez d’autres bêtes à
cornes que cetix qui avoient été guéries de l’épizootie.
Comme je soupçonnai qu’on trouveroit de semblables versdaru
les canaux de mes pacages , j’ai examiné des anguilles qu’on y avoit
pêchées, chez lesquelles je n’ai trouvé que le taenia haeruca de
Pallas {Rosira retractili , aciirlis reclinatis , mnricata. Zoophyt. ,
pag. 4i3), que M. Muller a de même parfaitement représenté
( Natiirjorsch. , tom. XII , pag. 1 78 , pl. V ), ainsi que M. le pas-
teur Gœze dans son immortel ouvrage que j ai cité plus haut.
Plusieurs brochets et perches en étoient également attaqués ; maR|i
ds n’avoient point de mes vers pulmonaires.
SUR l’ ÉPIZOOTIE.
195
vai que sa figure et sa description (1) étoient par-
faitement exactes, mais que ces vers difieroient ce-
pendant de nos vers pulmonaires.
Je ne perdis point de tems à faire connoître, par
la Gazelle de Leeuwarden , une découverte aussi
importante pourcepays^ en priant les personnes
instruites de me communiquer leurs observations
sur cet objet. J’appris qu^une maladie semblable à
la pulmouie attaquoit quelquefois les vaches et les
veaux, même ceux qui n’avoient pas été guéris de
Pépizootiej qu’on lui avoit donné le nom de toux.
Qu’on avoit déjà trouvé des vers dans leurs pou-
mons,et que tous en étoient morts. Ce n’est donc pas
une maladie nouvelle ; cependant mes observations
étoient neuves et le sont encore, puisqu’on n’a
point examiné justju’à présent la cause de cette
maladie.
Il est vraisemblable que les veaux guéris de l’é-
pizootie, dont les poumons sont encore relâchés
et foibles , avalent le principe de cette maladie
avec l’eau qu’ils boivent, et que ces vers s’intro-
duisent par la glotte dans la trachée-artère , où
Quelques instances que j’aie faites pour qu’on me communi-
quât les observations qu’on pourroit faire sur cette terrible ma-
ladie des jeunes bêtes à cornes, je n'ai reçu depuis huit aus aucun
renseignement sur cet objet.
(\ ) Beschafcigungen. ^ vol. III.
196 LEÇONS
ils se multiplient à l’infini, produisant des myria-
des de petits, qui sont vivipares. Peut-être même
sont-ils féconds de plusieurs générations à la fois,
ainsi que cela a lieu chez quelques autres insectes.
Il est j>robable que la foiblesse des poumons em-
pêche les veaux de tousser avec assez de force pour
rejetter ces vers hors de leur corps , comme cela a
lieu chez les vaches, les génisses et les veaux qui
n’ont pas encore été attaqués de l’épizootie. J’ai
conseillé de conduire sur-le-champ à l’étable les
veaux tourmentés de ces vers , et de les nourrir
avec du lait, du foin, etc. Quelques-uns en sont
guéris. Comme l’automne approchoit , et que ce
fâcheux accident dloit aux fermiers le courage de
continuer l’inoculation , j’ai été obligé d’attendre
le printems de cette année.
j’ei inoculé beaucotip de veaux à mes propres
dépens, et les ai fait, conduire dans le même pa-
cage où les veaux de l’année précédente avoient été
attaqués si violemment de la toux; mais jusqu’à
présent je ne me suis pas encore apperçu qu’ils
soient attaqués de cette maladie. J’attendrai le
mois d’août pour examiner l’eau des canaux et
des mares de ce pacage, afin de me convaincre
s’il contient des vers ou non.
En attendant, on m’a assuré que cette maladie
est périodique, et qu’elle se déclare pendant une
année dans tel endroit où elle n’éloit pas encore
I connue et où elle n’est plus revenue depuis. Je
i pourrois donc mancpier l’occasion de faire les ob-
servations nécessaires; mais on doit me faire pas-
I ser d’autres endroits des veaux qui sont attaqués
de la toux.
Du moment que je les aurai en ma possession ,
je les ferai mettre dans des liutles dressées dans
i: mon verger, où, par de continuelles fumigations,
: ils respireront un air salubre. Je ne manquerai pas
' d’instruire notre société (i) du succès de mes ob-
i servations; car ce n’est pas ma patrie seule , mais
l’Europe entière qui est intéressée à connoîîre et
à traiter cette maladie, qui , si elle n’est pas con-
^j) îagieuse, est du moins plus terrible que la pul-
'‘|!monie, puisqu’elle coûte la vie à tous les bestiaux
|,qui en sont attaqués.
^ Je prie messieurs mes collègues de faire connoî-
tre mes observations, particulièrement en Alle-
■'‘I magne, où la contagion continue à régner dans
quelques endroits ; et d’inviter les naturalistes non-
seulement à examiner la nature de la maladie ,
mais à chercher également les moyens les plus
convenables et les moins dispendieux de la guérir,
et 11 seroit intéressant de savoir si la toux occa-
sionnée par les vers pulmonaires attaque et affecte
"jar-tout les bestiaux de la même manière?
ui ■ -
ti) La Société des Curieux de la nature de Berlin,
LEÇONS
198
L’esprit de bienfaisance et d’humanité règne
aujourd’hui si généralement , que je ne puis pen-
ser, sans en éprouver un sentiment de joie , que
certainement il n’y a point de peuple qui, en fai-
sant abstraction de toute idée particulière d’inté-
rêt national , ne prenne part à ce grand objet , qui
les concerne tous indistinctement.
Kleia Lankutn , le 6 juillet 1776.
SUR É P I Z O O T I E.
199
DU BILZÜCHT,
Ou des tumeurs qui surviennent aux cuisses des
jeunes veaux.
O N donne en Frise Je nom de hilzucht (1) à une
maladie qui attaque les jeunes veaux dans toutes
les saisons de l’année, en hiver comme en été, tant
à l’étable que dans les pacages: elle leur cause en
peu de jours une mort certaine, sans qu’ils aient
donné auparavant aucun signe d’indisposition.
Cette maladie consiste en une tumeur qui, gé-
néralement , vient aux cuisses ou aux hanches des
veaux, et quelquefois aussi à leurs épaules.
Elle cause un très-prompt sphacèle dans tous
les muscles de la cuisse, des épaules ou des han-
ches, et qui pénètre jusqu’aux os. Elle est toujours
(1 ) Le mot bihucht signifie littéralement maladie des cuisses f
il est composé de^j^ cuisse, et ÆUcÀf maladie.
200
LEÇONS
inguérissable, et la mort en est une suite certaine.
Une fois parvenus à l’age d’un an , les veaux
n’en sont plus attaqués; et jamais elle n’a lieu chez
l’homme. On pourroit peut-être la comparer au
chancre aqueux (i), lequel est également une par-
faite mbrlification , et qui n’attaque de même que
les enfans, principalement à là bouche, à la lan-
gue , aux lèvres et aux joues; mais quelquefois ce-
pendant aux parties sexuelles, ainsi que j’en ai vu
un exemple chez une petite fille, qui en est morte.
J’ai bien pensé à la furie infernale, que Lin-
næus, Solander, Pallas et le pasteur Goeze ont si
bien décrite , et qui , en Suède et en Laponie, cause
aux hommes et aux animaux des douleurs atroces
suivies d’une mort certaine; mais ces vers ne sont
pas connus dans les Pays-Bas. Solander dit , à la
vérité, qu’un certain médecin liollandois , appelé
Naaldwyck , a donné à celte maladie le nom de
viverctxx moord ; mais il m’a été impossible de rien
découvrir ni touchant ce prétendu médecin , ni
touchant la maladie dont il doit avoir parlé.
Si l’on ne savoit pas que ces tumeurs affligent
les veaux aussi bien l’hiver à l’étable que pendant
( 1 ) Ulcus rioma. Le célèbre Sauvages a donné , dans sa Nosol.
metk., tom. II, parag. 6, pag. 627, le nom àe nocrosîs infanci-
h's à celte maladie nouvelle , 011 qui du moins n’avoit pas encore
été décrite jusqu’alors.
SUR ÉPIZOOTIE.
201
Pété dans la prairie ,j’aurois pu croire qu’il y avoit
quelque analogie entre ces deux maladies.
J’ai eu occasion de disséquer un veau mort de
ces tumeurs, et j’ai trouvé que le spliacële avoit
engorgé la cuisse et toute la hanche gauche jle reste
étoit entièrement sain , ainsi que le coeur, dont les
vaisseaux lymphatiques étoient même remplis d’un
meilleur lymphe que je ne Pavois jamais vu chez
aucun animal.
Cette maladie, si funeste au jeune bétail, mé-
riteroit bien sans doute qu’on s’en occupât avec la
plus sérieuse attention.
202
LEÇONS
DU VENIN (V FENYNy
P A RM I les maladies qui, dans quelques endroits,
attaquent plusieurs bestiaux à-la- fois et qu’on pour-
roit regarder aussi comme une épizootie , il faut
compter celle qui règne , de tems en tems , avec
beaucoup de violence en Frise, où elle est connue
sous le nom de vénin ( H fenyn)'^ à cause que les
personnes qui écorchent et dépècent les bestiaux
qui en sont morts, sont , lorsqu’elles viennent à se
blesser, sujettes à des inflammations qui paroissent
vénimeuses, et qui dégénèrent bientôt en gangrène
etsphacèle, de sorte qu’elles sont quelquefois mor-
telles.
Celte maladie paroît avoir beaucoup d’analogie
avec celle que M. J. J. Lerche a décrite (i). Il
dit (2) : (( Que les personnes qui furent si violem-
« ment attaquées de cette peste, étoient celles qui
(i)iV. Nordùche Beytreege , tom. I, part, i , pag- 1 13.
(3) Principalémeut à la page 125.
SUR l’ ÉPIZOOTIE. 200
« avoient manié les bestiaux morts de cette mala-
« die. » Il paroît qu’en Suède et en Russie on mange
la chair des bestiaux qui meurent du venin , sans
qu’il en résulte le moindre mal, ainsi qu’on le fait
également en Frise. Ce n’est qu’en se faisant une
plaie et en trempant les mains dans le sang , ou
quelqu’autre matière de ces bestiaux, qu’on a ce
danger à craindre.
En 178.3, cette maladie étoit fort commune en
Frise, mais seulement néanmoins dans les terrains
bas , particulièrement dans les environs des villes
de Sneek, d’Ylst et de Workum. En 1766, ou à
peu près vers cette année, elle régna dans les mê-
mes endroits. H y a une ordonnance des régens de
la ville de Workum, du 16 octobre 1660, par la-
quelle il est rigoureusement défendu d’apporter au
marché de la chair des bestiaux morts du vénin;
preuve certaine qu’à cette époque les bêtes à cor-
nes moui’oient de celte maladie, et qu’on en raan-
geoit la chair.
Symptômes de cette maladie.
§. I. Les bestiaux paroissent se bien porter ;
mais l’appétit se perd , et le lait diminue chez les
vaches laitières. La rumination devient lente ,
comme dans toutes les épizooties. On apperçoit ,
entre cuir et chair, de grosses tumeurs dessous le
2o4
LEÇONS
COU, dessous les épaules, aux aines, et dans d’au-
tres endroits du corps, mais principalement dans
ceux que je viens de nommer. Ces tumeurs sèchent
souvent , et disparoissent lentement , avec une
croule dure au milieu. D’autres contiennent du
sang et une sérosité jaunâtre; mais ces tumeurs ne
sont pas un signe de guérison ni de crise; du moins
sait -on que les bestiaux meurent aussi bien avec
ces tumeurs que s’ils n’en avoient pas. Les fer-
miers ont ici la coutume d’appliquer sur l’endroit
affecté un séton qu’ils appellent wrang, et d’j
fouri'er une racine d’ellebore noir, qu’à cause de
cela on nomme en Frise wranswortel. Dodonæus
s’est fort étendu sur cela. Les anciens appeloient
par excellence cette racine radicula; Columelle(3)
et Végèce(2) en parlent l’un et l’autre.
Elle étoit fortement recommandée ancienne-
ment, comme elle l’est encore aujourd’hui, con-
tre les maladies cutanées et contre les humeurs
»
acres.
Celte racine ne guérit point la maladie dont
nous parlons, laquelle me paroît être d’une nature
putride, comme il résulte de l’ouverture que j’ai
faite d’une vache, mais avec les plus grandes pré-
cautions possibles , pour ne point me blesser aux
( 1 ) De re Piusc. , lib. VI , cap. 5 , parag- 3.
(a) Lib. I5 cap. 12, parag. 2 et 3.
2o5
j s U E. l’ É P I Z O O T ï E.
; mains, ainsi que cela arrive facilement quand on.
opère avec trop de précipitation ou avec de mau-
i vais instrumens.
Le 6 septembre 1785, je me rendis, accompa-
^ gné de MM. D. et P. Fontein , deux fermiers in-
\ îelligens, de R. lialma, mon métayer, et de mon
j plus jeune fils Adrien, à une ferme située au vil-
lage d’Oosthem , pour y ouvrir une vache qui étoit
morte de cette maladie la nuit précédente. Les
yeux et la paupière interne avoient conservé leur
couleur naturelle; et il ne sortoit aucune odeur de
la bouche ni des naseaux. Je ne trouvai nulle part
des tumeurs dessous la j)eau ; et quoique les pis ne
continssent point de lait , elles éloient cependant^
saines, même intérieurement.
Après que j’eus ouvert le ventre, nous trouvâ-
mes l’épiploon fort enflammé et mêmesphacelé en
plusieurs endroits; le ventre contenoit une séro-
sité jaunâtre, et des membranes purulentes entre
les Intestins et l’épiploon, ainsi que cela a de même
lieu chez l’homme dans les inflammations des in-
I testins et de la matrice.
Les estomacs n’étoient point affectés extérieu-
; rement, mais tous les intestins grêles étoient fort
enflammés; les gros intestins ne l’étoient pas tant;
cependant on voyoit ça et là des charbons.
La vésicule du fiel , qui paroissoit considérable-
ment enflée, de manière qu’elle avoit la grosseur
2ot> LEÇON»
d’une vessie de bœuf, se trouvoil rcia])lie d’im
lîel délié , et contenoit par en haut beaucoup d’air^
ce qui est une preuve de corruption.
Pour me précaulionner contre la contagion, je
commençai par frotter mes mains avec de Vun-
guenturn pomatum , et j’eus même soin de les es-
suyer de tems eji teins pour les en frotter de nou-
veau; précaution que je n’ai jamais prise avec l’é-
pizootie , quoique j’aie ouvert plus de six cents
bestiaux morts de cette maladie.
Le foie étoit en apjiarence sain , quoique les
vaisseaux lymphatiques commençassent à se mon-
trer. La rate se trouvoit fort enllammée et en-
gorgée.
Les intestins contenoient beaucoup d’air, et des
déjections jaunâtres et liquides, mais qui n’avoienl
pas de mauvaise odeur.
Il y avoit emphysème entre le péritoine et les
intestins; preuve que les humeurs étoient déjà cor-
rompues du vivant de l’animal.
Les spectateurs ne voulurent point me permettre
d’ouvrir le feuillet, crainte de contagion. Il étoit
en assez bon état; mais la caillette paroissoit fort
gonflée.
La matrice , portant fruit , étoit aussi enflam-
mée dans quelques endroits. Le fœtus étoit mort
depuis quelque tems, ainsi que cela paroissoit par
sa peau qui se laissoit facilement enlever.
SUR L' EPIZOOTIE, â07
Les poumons étolent foxt sains; mais les glan-
dules du coeur {glandula thymus^ étoient très-
enflammées et engorgées.
O O
Le coeur se trouvoit en très-bon état.
Cette opération se faisoit en plein air , par un
îems fort orageux , avec de grandes ondées de
pluie; ce qui m’empêcha de continuer mes opéra-
tions; et je n’ai plus trouvé depuis occasion d’ou-
vx'ir d’autre bête morte de celte maladie.
Le sang tiré des bestiaux attaqués du vénin se
coagule entièi'ement sans donner la moindre séro-
sité; mais aussitôt qu’ils se guéiissent il ressemble
à celui des bestiaux jxarfaiteiixent sains. Cependant
le sang n’étoit pas coagulé dans cette vache. Ce
sancr caillé et les autres cixxonstances dont j’ai
parlé prouvent que cette maladie est une fièvre pu-
tride ou maladie pestilentielle, qui ne dillère de
l’épizootie qu’en ce que les poumons, les yeux et
les naseaux ne sont point affectés; secondement,
en ce qu’il se forme en quelques endroits des tu-
meurs dessous la peau qui ont la grosseur de la
tête d’un enfant, et même plus gros encore, les-
quelles deviennent souvent gangx'éneuses ; mais
elles se guérissent cependant parfois; et contien-
nent aussi d’autres fois du sang et une matière
ichoreuse, et disparoissent souvent totalement.
Cette enflure de la vésicule du fiel n’est pas un
symptôme spécifique dans plusieui's maladies. J’ai
2o8
LEÇONS
toujours trouvé celle partie extraordinairement
gonflée dans l’épizoolie ; mais je Fai observé de
même dans une maladie violente de laquelle il
mourut, à une certaine époque, un grand nom-
bre de bestiaux dans l’étable d’un fermier du pays
de Gi oningen; ce qui prouve que cette grosseur
n’est pas un signe diagnostique.
Le danger de celle maladie paroît dépendre de
la violence de la fièvre putride ; mais je n’ai pas
]>u découvrirai elle tient au tempéi'ament de l’ani-
nimal; et quel est le tempérament qui y est pro-
pre. J’ignore également si elle est épidémique, ou
si elle dépend d’une certaine température de l’at-
mospbère, et si elle n’attaque enfin que quelques
bestiaux.
La durée de la maladie n’est pas la même chez
tous les bestiaux.
Ils meurent également quoiqu’ils aient ou non
les tumeurs dont j’ai parlé, et tous à différens jours.
Les veaux, les génisses, les vaches et les taureaux
en sont également attaqués.
Il n’est pas décidé que les chevaux y soient su-
jets, comme on le prétend en Frise, et comme
Lerche l’assure (i). On nous dit cependant qu’il
venoit d’en mourir un cheval, que j’ouvris en re-
(i) Pag. 125.
s UK l’épizootie. 2og
tournant chez moi; mais je n’y trouvai rien d’ex-
traordinaire , si ce n’est un peu d’inflammation
dans les entrailles, comme cela paroît avoir ordi-
nairement lieu à la mort de. tous les animaux.
Toutes les autres parties étoient dans leur état na-
turel.
II. La chair de ces bestiaux paroît aussi peu
dangereuse pour l’homme que celle des bestiaux
morts de l’éjiizootie.
Mais on dit ici que les vapeurs qui s’élèvent de
cette viande quand on la l'ait cuire sont malfai-
santes.
II est certain que lorsque les humeurs de ces
bestiaux viennent à se mêler immédiatement avec
notre sang, ou qu’elles touchent simplement quel-
que plaie, même de la peau seulement, elles y
occasionnent inflammation et gangrène , laquelle
I devient quelquefois si violente que les patiens en
meurent. Lerche dit la même chose, et recoiu-
^ mande dans ce cas le quinquina; il assure même
que tous ceux qui en ont pris ont été sauvés (i).
M. llylke Steenstra , fameux chirurgien à Sneek,
m’a écrit avoir observé que le sang et la bouse
J même des bestiaux malades ou déjà morts de cette
11] •
-I " ■■■ ■■■’ — ■ I I r. I , , , I
■ i (0 Pas- '^5.
3.4
î II.
210
LEÇONS
peste , peiiv’^ent occasionner les accldens graves
dont je vais maintenant parler. On a remarqué
aussi que des tanneurs avoient pris cette maladie
en préparant leurs peaux.
111. La plaie ou l’abcès est , suivant M. Steen-
stra , ordinairement couvert d’une croule jaunâti'e,
à travers de laquelle suinte une sérosité de la mê-
me couleur. Le bord de la plaie est rouge, ensuite
elle devient bleue et plombée, et prend |)romple-
ment un caractère gangréneux , s’il y vient des
pustules chargées d’une sérosité jaunâtre.
Dans ce cas , il y fait des scarifications , qu’ili
frotte trois fois par jour avec une once de iner-3
cure dissout dans deux onces d’esprit de nitre,
jusqu’à ce qu’il s’y forme une croûte, et que la^
«ranorène ne s’étend pas davantage. Ensuite , il
panse ces plaies avec de l’onguent de basilic et du
savon noir ordinaire , ou avec une fomenialion
d’eau et de vinaigre de vin , de l’esprit de vin cam-
phré, etc. L’alcali caustique, proposé par le célè-
bre Mederer(i), ainsi que par Fordyce et l’abbé
Fontana (2) , nous apprend évidemment que la
pierre infernale ( lapis causticus ) est le vrai spé-
(1) Syntagmn de rabie canina i ySS.
(2) Sur les poisons , 6uppl. de la seconde partie , pag. 3i o.
SUR l’Épizootie. 211
cifiqne contre les morsures dangereuses de la vi-
père.
Intérieurement, le même chirurgien adminis-
troit la theriaca andromachi , le rob camhuci
ana deux gros, et faisolt prendre pendant le jour
le quinquina en nature. Far ces moyens , il est
toujours parvenu , dit-il , à arrêter à tems le m.al ;
à l’exception d’une seule fois , que le patient est
mort pour s’être présenté trop tard à lui.
§. IV. Je ne crois pas que personne ait jamais
écrit expressément sur cette maladie , si ce n’est
le médecin M. Van Phelsum (1), qui parie aussi du
vénin blanc ('’/ witte fenyn), comme d’un moin-
dre degré de la maladie^ et dans ce cas, dit-il, les
bestiaux ne perdent que leur poil. Les moutons
n’en sont jamais attaqués, à ce qu’il assure. Quoi-
que la lecture de ce traité soit un peu pénible par
sa prolixité , on en est néanmoins amplement dé-
dommagé par plusieurs choses curieuses qui s’y
trouvent.
§. V. Cette maladie, observée déjà depuis si
long-tems, est néanmoins fort peu connue, et
(1) T^erhandeling over de Genees-en-Natuur-kiinde. Franekeï
1776 , pag. i63.
212
L E Ç O NS
l’on ignore encore parfaitement sa cause; car si,
comme ilyenaqui le pensent, c’est à une certaine
plante qu’on doit l’attribuer , elle devroit cons-
tamment revenir à de certaines époques de l’an-
née. Il est singulier d’ailleurs qu’elle ne se dé-
clare jamais dans les environs de Franeker, mais
seulement dans les cantons dont il a été parlé plus
haut. Cependant en 1783 elle en approcha de fort
près , du moins sur des pacages de la même na-
ture, c’est-à-dire, d’une haute terre argilleuse ,
comme elles le sont presque toutes ici.
La maladie a régné avec fureur dans les lieux
indiqués plus haut, en ij56, 5j. 64, 66, et en-
suite en 1785 et 1784, mais avec moins de vio-
lence cependant. 11 est singulier que Lerche dise,
«[u’elle s’est déclarée aussi en 1766 et 1764 aux
environs de Moscou , dans la Livonie et en Fin-
lande.
Je m’étois llatté de trouver quelque chose sur
ce sujet dans les écrivains françois , surtout dans
les Mémoires de la Société royale des sciences
de Paris ^ mais j’ai été tuompé dans mon attente;
car je doute fort que la fièvre charboneuse et le
charbon du bétail aient quelque rapport avec no-
tre peste, comme il paroît par les écrits de tous
les auteurs qui en ont parlé , tels , par exemple ,
que Garac . Lorrin, Chabert et Marillet. Aucun
d’entre eux n’esL clair; tous cependant indiquent
i SUR ÉPIZOOTIE. 310
I
t j beaucoup de remèdes fort dispendieux 5 sans son-
! ger qu’il importe peu au fermier de perdre son
bétail ou d’en dépenser la valeur en médicamens.
Le prix d’une bête ne dépend point de l’attache-
I ment qu’on peut avoir pour elle , mais de ce qu’elle
)| peut valoir au marché.
Klein Lankum, le 18 novembre 1786.
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DE L’ÉDUCATION
PHYSIQUE
DES ENEANS.
Jn quo virtus est , ei nïhil deést ad
heate vivendum.
ÉPITRE DEDICATOIRE
A MESSIEURS
LES DIRECTEURS ET MEMBRES
DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES DE HARLEM.
JVT E s s I E U R s ,
Lbs plus anciens peuples et les plus sages
(l’entre les Grecs ont , comme vous , jugé (jue
l éducation des enfans étoit de la plus haute
importance pour la prospérité de létat. Lycur-
gue , en donnant des loix aux Lacédémoniens ^
n’a rien négligé de ce qui a rappoî't d la pro-
création et d l éducation des enfans ; il a réglé ^
par de sages préceptes , leur discipline et leur
enseignem.ent ^ leur nourriture même et leurs vé-
temens fixèrent son attention. Platon a- de même
parlé de la manière de les nourrir. Aristote et
Thaïes le philosophe ont pensé que , pour être
2i8
É P I T R E
jiarfaile.nienl. heureux , il ne suffit pas de possé-
der de grands biens et un esprit orné ÿ mais qidil '
J'auL de plus un corps sain et des membres ro-
bustes. I
Dans cotre question sur V éducation des en-
fans , vous paraissez demander des régies pro-
pres à conserver à l’homme sa santé et à le faire'^
parvenir à un grand âge. Cependant je n’oserois\
décider si la vieillesse doit être regardée comme ,
un bonheur pour l’espèce humcdne. Il est vrai , i
j’en conviens , cpie Cicéron a fait un bel éloge
de la vieillesse ^ mais en même tems il a prouvé
d’une manière évidente que ce n’est nullement
un bien que l’homme doive désirer. Tl fait voir
également par des exemples remarcpuables que |
ce n’est qu’au riche seul que la vieillesse peut ]
être supportable ; mais que dans le besoin ^ elle
n’est qu’un j'ardeau pénible, même pour le sage.
Qiioiqu’ il en soit , la vieillesse peïd off'rir quel- '
ques jouissances à l’homme qui a conservé l’u- ï
sage de tous ses sens , avec un jugement sain et i
une mémoire heureuse ; mais le nombre de '
vieillards qui possèdent ces rares avantages est ^
fo?'t petit , et il paroit cdrsolunient impossible j
cque ceux qui ne mènent pas une vie réglée et
frugcde puissejil les goûter. Il faut pour cela se ,
nourrir d’ali mens légers , f cure un exercice mo-
déré , et rassembler , poiircdnsi dire , dès la plus
DÉniCATOIRE. 5219
tendre enfance , les forces nécessaires pour ren-
dre la vieillesse douce et agréable.
Mais en voulant m’ occuper des règles cjue de-
mande V éducation des enfans , je me vois ar-
rêté par r incertitude de savoir à quelle classe
de citoyens il faut que je les applique? Il est
certain cpie le pauvre ne peut en fah'e usage y
ceux crime fortune médiocre et les habitans de
la campagne sont également dans V impuissance
cVen tirer un grand avantage. Je ne vais donc
écrire cjue pour les gens aisés y pensée qui est
aussi affligeante pour mon cœur , cqidelle Vétoit
anciennement pour Plut arcpie. Il me seroit doux
de croire cpie ces leçons pussent être utiles cl toutes
les classes de citoyens. Je suis persuadé cepen-
dant cqw’ elles poLirroient le devenir plus ou moins
au peuple même , si les directeurs des hospices
des orphelins voulaient les y introduire sur le
même pied cpr elles peuvent Vêtre clans la de-
meure du riche. Il faudra donc les combiner de
manière cpd elles conviennent également et aux
uns et aux autres.
Il est nécessaire cque je commence par déter-
miner ce qu^on entend par l’âge de l’enfance y
cpcestion sur lacquelle les philosophes ne sont rien
moins cque d’accord entre eux. Pythagore, Pla-
ton , Aulu-Gelle la font aller jusqu’à vingt ans;
tandis cqu’ Hippocrate et Aristote s’arrêtent à
220
É 1’ 1 T R E
sept ans. Les uns ont ptensé au physique ^ les au-
tres d la morale : nous adopterons le sentiment
de ces derniers , parce que les membres se déve-
loppent à mesure que l’enfaTit croit. Cependant
un enfant nouveau-né diffère beaucoup de celui
qui est parvenu d l’âge d’un an ou plus. Celui-
ci , muni de dents , peut déjcl s’aider lui-même,
ou demander les choses dont il a besoin ^ tandis
que l’autre est obligé d’ imqylorer le secours de
sa mère ou de sa nourrice par ses ci'is et par
ses larmes ; et ce n’est que par instinct qu’il suce
le sein qu’on lui présente. D’ ailleurs , son corps
n’a de mouvement que celui que lui donnent les
genoux ou les bras de la femme aux soins de. la-
quelle il est confié. Il faut par conséquent ici
une manière différente de nourrir , de vêtir , de
gouverner. Je partagercd donc cette Dissertation
sur l’éducation physique des enfans , de façon
qu’en traitant dans chaque chapitre particulier
de la nourriture , des vêtemens et de l’instruc-
tion des enfans en général , je ne perde point de
vue les différens degrés d’âge où ils peu vent être
parvenus.
Je commencerai par m’occuper de ceux cjui
ne sont pas encore nés , ou , pour m’ expliquer
mieux , de leurs parens j car la santé et la vi-
gueur des enfans dépendent beaucoup , non-seu-
lement de la constitution de la mère , mais éga-
i
I
{
i
DÉDICATOIRE, 221
lement de celle du père. Ensuite , je traiterai
des maladies pj^opres aux enfans ^ et j^en indi-
querai les remèdes. Enfin ,j^ examinerai si V ino-
culation de la petite vérole peut être utile ou non,
à Fespèce humaine.
Je me croirai heureux , si , par ce travail, je
puis contribuer plus ou moins au perfectionne-
ment de la race de mes concitoyens , et s^il peut
en résulter quelque utilité pour ma patrie.
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iHrrti ‘'sS
DE DÉDUCATION
PHYSIQUE
DES ENFANS.
CHAPITRE PREMIER.
De la procréation des enfans.
Pline (i) remarque que la nalure est peu ré-
gulière dans la procréation du genre humain , de
sorle que les parens donnent rarement le jour à
des enfans qui leur ressemblent: de ceux qui sont
bien conformés il provient des enfans contrefaits
et de ceux qui sont dilformes on en voit naître de
bien constitués. D’ailleurs, les mères engendrent des
enfans qui tantôt ressemblent à elles-mêmes, tan-
tôt au pèi'e, et qui d’autres fois n’ont rien qui
(i) Hist, nat. ^ lib. VII , rap. lo.
224
DE l’ É U U C A T 1 O N
tienne de run ou de l’autre. Hippocrate a fort bien
dévelojjpé celte idée: <( Il est vrai, dit-il, que des
({ parens sains et robustes produisent des enfant
(( foibles et délicats; mais il faut l’attribuer à cc
(( que le foetus a soufi'ert dans le sein de sa mère:
<( car, en général, l’enfant est bien constitué ou
<( foible suivant que la mère jouit d’une bonne ou
(( d’une mauvaise constitution (i). »
Les païens ne paroissent pas également propret
à la génération dans tous les teins. Aussi Lycur-
gue (2) vouloit-il que les hommes ne connus\^enl
que rarement leurs femmes , pour que leur ardeui
fut d’autant plus grande et que leurs enfans fus-
sent d’autant plus robustes. Plutarque (3) conseil-
loit aux parens de s’abstenir de vin , quand ils se
se disposoient à l’acte de la génération. Lycurgue
défendit aux femmes enceintes de boire du vin .
ou du moins vouloit qu’elles le détrempassent avec
beaucoup d’eau ; il désapprouvoit aussi qu’elles
fussent trop assises. Tels étoienl les sentimens des
anciens à cet égard. Parmi les modernes, Van De-
'' venter (4) conseille aux hommes d’user avec mo-
dération de thé et de café, afin de produire des en-
fans plus vigoureux.
(1) Foes. , toiii. 1, paf». 234, 3o et pag. 2i|2 , 9, «/e iVaf, Pueri,
(2; Xenop., de iMcedaem. Rep. , pag. 676 A — B.
(3) De Educat. liber. . lom. Il , pag. j .
(4) Des maladies des os , pag- 3o.
.DES E N F A N S.
225
Les anciens (i) croyolent aussi que, par les seuls
effets de Tiaiagination de la mère , l’enfant éloit
susceptible de recevoir la ressemblance de telle ou
telle personne au moment même de la conception;
quoiqu’ils n’ignorassent pas d’ailleurs que la fé-
condation se fait à l’insçu des parens. Les moder-
nes ont porté plus loin ce pouvoir de l’imagina-
tion : ils ont soutenu, avec opiniâtreté même, que
le fruit déjà conçu pouvoit être endommagé ou
modifié par l’imagination de la mère, et cela jus-
qu’au moment même de la naissance. Mais l’ab-
surdité de cette idée se détruit d’elle-même, quand
on réfléchit avec respfct à la prévoyance de la Su-
prême Cause qui gouverne l’univers, et à la cons-
tance avec laquelle elle conserve aux différentes
espèces d’êtres créés le caractère distinctif qu’elle
leur a imprimé.
L’espèce humaine seroit, en vérité, fort à plain-
dre , si le sort des enfans pouvoit dépendre de
l’imagination ridicule, dépravée , souvent même
effrenée du père ou de la mère.
D’autres, pour avoir de beaux enfans, ont re-
cours, comme le dit Pline, à des remedes extra-
vagans, à des conjurations magiques; tandis que
d’autres encore consultent l’état désastres, comme
le veut Quillet dans sa Callij?édie. En un mot, il
i5
( 1 > Pline , ibid.
1 1 I.
226
DE l’É3)UCATION
«Y 3 si bisarre, de si absurde, qu’on n’ait
imaginé pour parvenir à ce but.
Rien ne contribue davantage, en général, à la
génération d’un enfant sain et robuste que la vie
réglée et modérée du père, la bonne constitution
de la mère, et la manière dont elle se nourrit. Le
vin , qui est nuisible à tous les hommes sans dis-
tinction , ne peut qu’être fort préjudiciable aux
femmes enceintes, à cause de l’acide âcre qui en
résulte.
La foiblesse de l’estomac produit des enfans ca-
cochymes. L’usage immodéré du thé n’est pas si
pi'éjudiciable par la qualité même de cette infu-
sion que par la quantité d’eau chaude qu’on boit ,•
surtout si l’on fait en même tems un grand usage
O O
d’huile, de beurre ou d’autres matières grasses. Une
vie ti’O]) sédentaire est de même nuisible à la mère
et à l’enfant ; c’est par cette raison que les femmes
de la campagne, accoutumées à un travail jour-
nalier, donnent le jour à des enfans sains et ro-
bustes, et sont aussi généralement plus fécondes.
Une table frugale et des mets légers conviennent
également aux enfans avant et après leur naissancej
et le lait est plus abondant chez la mère qui se
nourrit de légumes et du lait de quelque quadru-
pède, que chez celles qui se rassassient d’alimens
délicats et substantiels.
DES E N P A N S.
«227
H
A
P I
II
T7
Des soins qu^ il faut -prendre des nouveaux-nès.
Au moment de la naissance, on coupe le cordon
ondjilical de l’enfant à une certaine distance du
corps,- distance qui pavoîl assez arbitraire, pourvu
qu’on puisse en faire la ligature pour le laisser des-
sécher. Il se détache ensuite de lui- même de sa
gaine j laquelle se contracte bientôt et forme une
profonde cicatrice.
Plusieurs voyageurs assurent cependant que les
enfans des Negres et d’autres peuples sauvages sont
plus sujets à des hernies que ceux des Européens,
parce que les parens négligent totalement de soi-
gner le cordon ombilical. Mais de quelle utilité
peut être la ligature à la cicatrice qui reste ? Ne
pourroit-on pas se passer entièrement de cetle li-
gature , si l’on coupoit le cordon ombilical à la
longueur d’un empan ? Ne sécheroit-il pas non plus
beaucoup plus vite, exposé au grand air qu’enve-
loppé de plusieurs linges? Feul-on croire que la
228 DE l’Éducation
nature soit moins prévoyante à cet égard pour
l’homme que pour les animaux?
Ces raisons, quoique suffisantes par elles-mêmes
pour a])puyer mon assertion , acquerront cepen-
dant une nouvelle force, lorsquejelesauraiéclair-i
cies par des exemples. J’ai , à cet effet , examiné le
corps de plusieurs Nègres, et dans tous, à l’excep-;
tion de celui d’un Négrillon , j’ai trouvé le nom-*
bril parfaitement bien conformé. Selon moi , les
défauts du nombril doivent être attribués au tra
vail pénible et continuel auquel on condamne les^
enfans des infortunés Nègres et non à la négligence
des païens. ; i
Du moment qu’on a soigné celtejiartie, on laveï
les enfans. Plusieurs peuples sauvages plongent im-H
médiatement api es la naissance leurs enfans dans
les eaux Iroides de quelque rivière, pour les ha-,
bituer par-là au froid, comme nous l’apprend
Aristote (j). Mais les Grecs les lavoient avec dej
l’eau chaude, et cela pendant long-tems, cequ’Hip-i "
pocrate loue beaucoup (2). 11 paroît cependant^
probable qu’un bain froid ne seroit pas moins utile
aux enfans qu’aux adultes, si l’immersion se fai-i^
soit dans une chambre d’une température conve~M
nable à la saison de l’année ; car on sait que le,*^
'"t' .
; -V,
(l) De Reptibl. , tom. II , pag. 447-
(a) De Vicius rat., pag. 53g, lo.
DES E N F A N S. 22g
froid resserre les parties solides et les renforce, ce
qui a particulièrement lieu avec l’eau dont la pe-
santeur spécifique semble y contribuer pour quel-
que chose.
Il faut examiner avec soin tous les membres et
toutes les ])arties du nouveau-né , afin de prévenir
que quelque défaut négligé ne rende l’enfant foi-
ble ou impotent, ou ne soit même la cause de sa
mort prématurée. On doit surtout avoir grand soin
de la tête: on sait qu’on y découvre souvent des
tumeurs causées par de» os défectueux; mais qui
disparolssent néanmoins insensiblement , aussitôt
que le cartilage s’ossifie. 11 y a des crânes qu’on a
purifiés par art. Dans ces cas, une matière cartila-
gineuse, tapissée d’un double périoste, remplit la
partie que le cerveau , qui cherche à s’étendre en
tous sens, pousse en dehors. Voilà pourquoi ces tu-
meurs , ])articulièremenî celles des os pariétaux ,
s’appellent hernies cervicales, lesquelles ont tou-
jours un bord osseux, qu’il est facile de sentir. Il
faut garnir ces endroits foibles de compresses et
de ligamens, auxquels le mal cède constamment.
Il y a d’autres contusions que la nature seule
guéi it.
La lèvre fendue dans le sein de la mère ne se
rejoint jamais naturellement, et doit être rétablie
par le secours de l’art; mais cela ne jieut se faire
que lorsque l’enfant a six mois ; avant ce tems, la
2ÔO D E l’ É D U C A T I O N
chair est trop molasse. Ce secours est (.Caiitant,
moins urgent, que cela n’einpèclje pas l’enlant de
prendre lesein, ])arce qu’il enveloppe leletin avec
tout le palais de la bouche.
l,e mal est bien plus grand lorsque le palais est
également Tendu , ce qui n’est pas rare. I)ans ce
cas, il est possible de rétablir la lèvre , mais non
yaas le palais. L’enfanl conserve néanmoins la vie;
mais il lui reste un écoulement d’humeurs ])ar le
nez et il ne ])arle qu’avec beaucoup de difficulté ;
jamais du moins il ne sauroit prononcer les lettres
h et /.
Lorsque le palais manque entièrement, comme
on le voit à la tête d’un nouveau-né que je conserve
dans ma collection , l’enfant ne peut vivre long-
lems. Quelquefois on guérit parfaitement une dou-
ble lissure à la lèvre, comme cela paroît par les écrit s
du célébré la Faye (i); cej)endant il en résulte tou-
jours une difformité remarquable.
Il arrive qu’au lieu de trachée-artère il n’y a
qu’une simple fente dans la j)artie étroite de la
gorge; mais cela n’empèche pas l’enfant de ])ar-
1er et de déglu tiner.
Ensuite , il faut visiter les ]>arîles sexuelles et
t, l’anus; la nature étant souvent défectueuse dans la
(i) Mémoires de l'Académie royale de chirurgie, lom. I,
pag. 6o5.
DES K N F A N S.
201
conformation de ces parties. Dans quelques garçons,
l’urètre est ouvert dans la racine du gland , et
quelquefois entièrement bouché. D’autres fois un
prépuce trop long on trop étroit empêche l’urine
de prendre son cours. On appelle
ceux qui se trouvent dans le premier cas, dont il
ne résulte aucun mal pour eux, car ils sont égale-
ment propres à la génération. Mais ceux dont l’u-
î'èti’e est bouché meurent, si l’on n’a pas soin d’en
ouvrir la voie par un coup de lancette. Il se forme
de petites pierres dans les prépuces trop étroits, à
moins qu’on ne circoncise l’enfant; ainsi que Lit-
tré fl) en rapporte des exemples.
Quelquefois les jiarties sexuelles des filles sont
entièrement fermées, ou bien il n’y a qu’une pe-
tite ouverture dans la membrane connue des ana-
tomistes sous le nom d’hymen. Je suis d’avis qu’il
y a du danger à percer cette membrane dans la
première enfance. Cela n’empêche pas d’ailleurs
l’écoulement des eaux , et on peut ouvrir cette
membrane avec plus de sûreté, lorsque les mens-
trues y causent gonflement; sinon on court risque
de blesser la vulve , ce qui est même , pour ainsi
dire , impossible d’éviter dans la tendre enfance.
Mais quand on néglige tout-à-fait ce défaut, Ica
(i ) Histoire de l .Académie royale des sciences, i-o6, parag. ti,
pag. 3o.
202 DE l’ É D ü C A T I O N
menstrues orrêlées occasionnent de 2»’fO''cls maux'.
Lorsque l’orifice est un peu ])liis grand, les fem- I
mes peuvent concevoir, à la vérité, mais elles ne
sauroienl donner le jour à leur fruit, : on trouve
dans Iluiscl) (i) un exemple remarquable à ce
sujet.
Le scrotum tuméfié cède facilement à l’esprit
de vin , et n’est d’ailleurs sujetà aucune suite dan-çi
gereuse.
Les hernies que les enfans apportent en nais-^'
sant , et dont j’ai donné la description (2), doivent!
être contenues par des bandages convenables, poiu' "
qu’elles ne reparoissent pas à un certain tige et ne!,
rendent pas l’homme incapable de travail. |
Quelquefois un pied de l’enfant est si tortu que|
l’usage lui en devient impossible. Les Anglois ap-
pellenl ce défaut chih-foot ^ auquel Cheselden (5) |
veut qu’on porte remède par des ligatures. Si l’on
n’y donne point l’attention convenable , l’enfant
marche sur la cheville du pied avec les orteils
tournés en dedans; et il paroît de cette manière
se soutenir et marcher avec assez de fermeté; tant
(0 Obs. anat. chir. , obs. XVII, pag. 27.
(2) V^erhand' door de hollandsche Maatsch., VI deel j i stuck,
pag. 335.
(3) Obt, eifler oper, in Siirgery of M. Le Dran, transi, by Ca-
lakcr, pl. VllI , pag. 452.
DES E K F A N S.
233
il est vrai que la nature prend toujours la voie qui
oonvient le mieux.
Tous les enfaus ont les os des cuisses et des jam-
bes courbés en dehors , pour occuper moins de
place dans la matrice; mais ces os se redressent
d’eux -mêmes, sans qu’on leur prête le moindre
secours; car notre corps n’a besoin d’aucune ma-
chine, ni d’aucun remède pour croître dans une
position droite. Cependant les anciens connois-
soient déjà l’usage d’accout umer , des la naissance,
les membres à prendre une position convenable.
Aristote et Plutarque en parlent; et cette méthode
est parvenue jusqu’à nous ; on sait que nos gardes
d’enfans redressent par des bandages les jambes
des nouveaux-nés dans leurs maillots. Andry (i)
veut même qu’on place ])Our cela un coussinet ea
iorme de coeur entre les ]>leds; pour obliger par ce
moyen les orteils à se tourner en dehors d’une
manière élégante; ce qu’il i’aut considérer plutôt
comme ridicule que comme dangereux.
Mais n’a-t-cn pas également dans tous les pays
de iausses idées de la grâce et de la beauté? 11 ya,
comme on soit , des peuples qui perforent leurs lè-
vres, leur nez , leurs oreilles , que dis- je , leurs
parties naturelles même , pour les orner de ])lu-
mes, d’osselets, d’anneaux d’or. D’autres allon-
(i) Orlhoped. , loin. 1, t/jo.
s54
DE l’ É D U C A T I O N
gent , avec effort , leurs oreilles et leurs seins; tan-
dis que d’autres encore serrent leurs pieds au point
de ne pouvoir plus en faire usage.
La même forme de tête ne plaît point j)ar-loul :
certains peuples d’Asie lui donnent une forme
oblongue; d’autres aiment la forme carrée. Stra-
bon (i) parle des Seguins qui prenoient une peine,
singulière à rendre leur tête d’une longueur ex-
traordinaire et à donner à leur front la forme d’un
auvent qui avançoit beaucoup au-delà de leurs;
joues. 11 rajq)orte aussi (2), d’après le témoignage
de Daimarque et de Magatisthène , que les Pano-''
niens avoient la tête en pain de sucre; il paroit
néanmoins douter beaucoup de la véracité des
écrivains à cet égard. Je pourrois cependant garan-
tir facilement leur autorité, parce que je possède
une tête décharnée qui a cinq pouces rhinlandiques
de large, sur six pouces de haut et huit de long.,
La partie supérieure du crâne ressemble à la ca-
rène d’un vaisseau ; de sorte que les impressions
des muscles temporaux ne sont qu’à deux pouces
de distance l’une de l’autre. Cependant ceux qui ne
cherchent point à contrarier la nature agissent avec
le pins de sagesse.
I.es Nègres n’écrasent pas le nez de leurs en-
(1) Lib. XI.
(2)
DES E N F A N S.
'2o5
fans, comme on le croit généralement ; ils Font
déjà com])vimé dans le sein de la mère: cette con-
formation semble dépendre du sol natal. D’ail-
leurs, le nez ne paroît pins petit et plus plat que
parce que les deux mâchoires saillissent davantage
s en avant chez les Nègres que chez les autres hom-^
mes. Les habitans du nord de l’Asie ont le visage
h plat et large, et les oszygomatiquesgrands et forts.
Chez nous les têtes sont, en général, plus larges
^ue hautes; et cependant nos os zygomatiques sont
. minces et délicats. Selon ce que j’ai pu remarquer,
Kjliles homnies qui ont les mâchoires supérieure et
nférieure larges , sont , en général , les plus ro-
bustes.
j^l il ne me paroît pas invraisemblable que la dis-
position de l’esprit et la perspicacité de l’entende-
ment dépendent plus o»i moins de la conformation
du corps. On jugegénéralement assezbien de l’une
et de l’autre par les traits du visage et particuliè-
rement par les yeux. Les anciens en ont fait une
cience , a lin de pouvoir mieux discerner sans
oute le naturel de leurs esclaves. Galien, en trai-
(tant des sentimens de Platon et d’Llippocraîe , a
chercbé à donner plus de poids à la physiogno-
monie par l’autorité de Chrj'sippe. Celui-ci peu-
soit que les homme qui ont la poitrine large sont
naturellement d’un caractère hardi , et que ceux
qui ont les lesses d’un gros volume sont d’un nà-
2o6
DE l’ É D U C A ï I O N
tuvel timide. Mais cette question m’éloigneroit tro]
de mon biit^ je reviens donc aux nouveaux-nés'j
Aussitôt que les enfans ont été lavés, on les ein
inaillotte, ce qui ne doit pas se taire d’une ma-
nière trop serrée^ il faut , au contraire, que ce soi
le plus làcliement possible; mais de façon néan-
moins qu’on puisse les manier sans danger. Le
femmes hollandoises ont la coutume de les place
pour cela dans un lange de laine qu’elles arran-
gent fort adroitement autour du corps, et attacLen
ensuite avec de grandes épingles. Dans l’hospici
des Enfans-Trouvés à Paris , on enveloppe légère-
ment le coi'jis emmailloté d’une bande; ce qui sut
fit pour pouvoir enlever l’enfant et le changer d(
place, sans craindre de le blesser.
Selon moi , il est nécessaire de bien couvrir 1;1
tête des enfans jiour garantir l’ouverture qu’il y i
entre le sinciput et les pariétaux , qu’on appellf
fontanelle, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement fer
mée; ce qui n’a guère lieu en Hollande avant l’âge
de deux ans, mais toujours avant celui de quatre
ans, à moins que l’enfant ne soit sujet à quelquej
maladie; et c’est dans les enfans les plus robustes;
que cela se fait le plus promptement ; parce que
toutes les parties solides croissent plus vîtes che2
eux.
On doit traiter avec un soin extrême les enfans®
en Hollande ; cependant de différentes manières;!
DES EN FAN S.
suivant la saison de l’année et la température de
l’atmosphère. Un air libre et pur leur est fort sa-
lutaire 5 et la chambre où on élève les enfans (que
aoiis pouvons appeler, avec Vilruve, l’anli-cham-
jre à coucher (^antithalamus') des père et mère)
doit être située au midi, pour qu’elle reçoive les
rayons du soleil.
( Pendant l’hiver, il est convenable d’emmaillo-
[ter les enfans devant le feu. Je tiens les poêles
comme fort nuisibles, parce qu’il en résulte tou-
ijours un air humide et même méphytique , qu’il
iest difficile de renouveller. Je conviens qu’on peut
s’en servir sans danger dans d’autres pays où l’air
est naturellement moins humide et plus pur qu’en
Hollande.
A l’âge de six mois, plus ou moins, on com-
mence à les habiller; ce qui va nous occuper ac-
tuellement, comme une chose fort essentielle à
leur bien être.
Quel que soit le costume qu’ou adopte, il faut
que le ventre soit bien couvert et soutenu , parce
que les intestins sont contenus dans des parties
molles. On doit aussi garnir les côtés avec des corps
à baleines , pour que les gardes d’enfans ou les
nourrices n’offensent point les côtes. Mais on fait,
en général, ces corps à baleines trop longs; et
quand même ils siéroient parfaitement bien , ils
se relèvent et compriment les aisselles au point
s58 ]J E l’ É D U C A T I O N
fd’enipêclier la circulalion du sang dans les bras
et de faire allonger les clavicules qui sont encon
en partie cartilagineuses.
11 seroit plus convenable de composer ces corp
de pièces d’étoffe de laine ; mais les mères aimen
trop à voir que leurs enfans aient une taille longui
et svelte, pour qu’on puisse espérer qu’elles aban
donnent cet usage. C’est de celte manière que lei.
belles formes de l’homme se trouvent gâtées, saut
que les loix d’un sage gouvernement puissent em-
pêcher cet abus. Je quitte donc ce sujet jjour exa-
miner l’usage des berceaux, que quelques méde-l
cins condamnent comme préjudiciables aux facul-
tés intellectuelles des enfans.
11 paroît par Martial (i) que les anciens ont
connu l’usage des berceaux; car il gourmande|
Charidème , qui étoit jadis son berceur. 11 est mê-|’
me probable que ces berceaux ne dilféroient pas|
beaucoup des nôtres. Plusieurs médecins n’approu-
vent pas l’usage de bercer les enfans, parce que les
oscillations continuelles doivent occasionner , di-,,
sent-ils, des vertiges. Quand à moi, je ne les crois
pas absolument nécessaires, et ne les regarde pas
non plus comme fort nuisibles; car il est probalde
que U. Grotius, Huyghens et Boerhave ont été
(i) Lib. XI, epi^r. XL, pag. i6<>.
percés tout comme les autres enfans en général ;
cependant je suis persuadé qu’il n’y a pas de pays
ui monde qui ait produit de ])lus grands génies
qu’eux.
J’aime assez les berceaux, parce qu’ils donnent
tu corj)s un mouvement doux et procurent un
pertain calme à l’esju’il : il ne faut donc ])as les re-
jeter; à moins qu’on ne veuille soutenir, avec
A.ristote (i), que les cris et les pleurs servent à
jForiiller les enTans. Cela peut être vrai à un certain
^ge, niais nullement pour les nouveaux- nés. Au
|contraire , les cris continuels leur occasionnent
!des hernies , qu’on ne parvient ensuite à guérir
qu’avec beaucoup de difficulté.
Les sièges percées sont , selon moi , très-nuisi-
bles à la santé , surtout quand on y laisse les en-
fans long-tems assis; cependant il seroit assez dü_
ücile de se défaire de cette habitude , et cela est
iinême , en quelque sorte , impossible parmi la
classe peu fortunée des citoyens. Les exhalaisons
acres des excrémens et le froid de l’air ambiant
sont préjudiables; d’ailleurs, la continuelle pres-
sion fait sortir le rectum, qu’on a de la peine en-
suite à contenir dans le corps. Pline (2) conte sans
doute une fable , quand il dit qu’on fait rentrer
il) De Republ., lib VII, cap. i 7, pag 44^- -B — • G.
(2) Hisi- nat. , tom 11, lib. XXII, cap. i5.
s4o UE l’éuucation
cet inlestin aux enfaiis en le touchant simplement
avec des orties. Les sens aisés feront mieux de ne
O
pas se servir de ces chaises; il est plus convenable
de chanoer souvent de linge aux enfans devant le
feu, en ayant soin que ce linge soit bien sec.
Pendant les premiers mois après la naissance ,
les enfans ont besoin de dormir beaucou}) pendant
le jour; quand ils sont éveillés il faut que la nour-
rice ou la garde les tienne sur le bras ou sur le gi-
ron , et les agile doucement. On doit aussi parfois,
quand le tems est beau , les ])romener en plein air
dans une petite voiture : Pair et le soleil conlri-
buent])uissammenl à leursanlé. Mais il est essentiel
de veiller que la nourrice les porte tantôt sur le
bras droit et tantôt sur le bras gauche , pour que
l’épine du dos ne se courbe pas ; car on sait que
c’est sur le bras gauche que les nourrices aiment
de préférence à tenir les enfans, pour avoir plus
de facilité à les aider de la main droite.
Je ne puis montrer assez mon étonnement de ce
que les nourrices , les mères mêmes , excitent leurs
enfans à courir lorsqu’ils peuvent à peine se tenir
sur leurs pieds? Par ces efforts prématurés, les fé-
murs, les tibia et les chevilles des pieds des en-
fans prennent une position vicieuse , parce qu’ils
sont encore trop foibles pour soutenir le poids du
corps. Ces efforts d’ailleurs ne les font par mar-
cher plutôt ; car il ne s’agit pas seulement pour
1
I
J
DES ENFANS. s4l
cela de forces, mais d’une expérience qui ne s’ac-
quiert qu’avec le tems.
Il est naturel aux enfans de commencer par se
traîner sur leurs quatre membres , comme les qua-
drupèdes , jusqu’à ce qu’ils s’apperçoivent qu’ils
ont assez de force pour soutenir le poids de leur
corps; alors ils se redressent et se hasardent peu à
peu à marcher debout. Les habitans du Sénégal
abandonnent entièrement ce soin à la nature. Adan-
son (i) dépeint d’une manière ])ittoresqne la ma-
nière dont ils se traînent d’abord comme les sin-
ges sur leurs mains et sur leurs pieds, dans le sa-
ble. « Les enfans de l’un et de l’autre sexe, même
« ceux qui avoient déjà neuf ou dix ans, âge au-
« quel commencent à se déclarer les signes de pu-
(c bev’î, étoient réellement nus. . . . On sera sans
« doute également surpris d’entendre dire que les
« enfans qui avoient à peine six mois commen-
ce çoient à marcher abandonnés à eux- mêmes,
cc C’étoit un plaisir de voir ces foibles créatures se
« traîner, au soleil sur le sable, à quatre pattes
(( comme de petits singes. »
Il est rare , suivant Markgraaf (2), de trouver
i au Brésil des borgnes ou des boiteux. 11 s’en étonne
d’autant plus ( tel est l’empire de la prévention )
(1) Voyage au Sénégal, pag, 3o.
(2) Hist. nat. Drasil. Pisonis., Mb. VIII, cap. 5.
iiï. iG
24s
DE l’ ÉDUCATION
qu’on ne s’y sert ni de maillots ni de bandages
pour les enfans; tandis que c’est pour cette raison
même que ce peuple est bien fait.
Il est impossible de faire comprendre à nos
compatriotes que leurs enfans marclieroieut d’eux-
mêmes debout. Ils leur donnent donc de bonne
heure des lisières , pour les soutenir plus facile-
ment, et se font par-là illusion sur les forces pré-
maturées de leurs enfans.
Ces lisières, faites de ruban ou de sangle, s’at-
tachent à une ceinture ou au corset. Quelquefois
on se sert, à la manière angloise, d’une pièce d’es-
tomac de cuir de Turquie , à laquelle tiennent ,
sur les épaules , des lisières du même cuir. Mais
de quelle façon qu’on s’y prenne, ces machines
montent du moment qu’on y suspend l’enfant.
Tout le ])oids du corps n’est plus soulenu alorsque
par les clavicules; ce qui les allonge davantage en-
core que ne le fait même l’usage des corps à ba-
leines dont j’ai parlé plus haut ; et occasionne , en
même teins, une altération vicieuse dans la struc-
ture du corps; sans parler de la diminution de for-
ces qui en résulte.
Il faut convenir cejiendant que ces lisières sont
d’une grande utilité pour retenir avec sûreté les
enfans sur leurs chaises. En Asie et en Afrique ces
précautions sont inutiles; les nourrices et les fem-
mes chargées du soin des enfans y sont assises pas
DES ENFANS.
245
terre, et soutiennenl par conséquent avec plus de
facilité leurs nourrissons lorsqu’ils chancellent.
Les mères prudentes préviennent encore les con-
tusions que les enfans peuvent se faire à la tête en
tombant ou en se cognant, en leur donnant des
bourrelets faits de pièces d’étoffes de laine ou rem-
bourrés de crin de cheval brûlé. Ces bourrelets sont
fort utiles lorsqu’ils sont épais, de manière à dé-
passer le nez et les orbites des yeux; sinon je les
regarde comme nuisibles à la forme et à la crois-
sance de la tête; et dès que l’enfant se tient ferme
sur ses jambes cette espèce de coéffure devient ab-
solument inutile, parce que l’enfant, par une ad-
mirable disposition de la nature, relire en tom-
bant sa tête en arrière ; desorte que c’est plutôt le
menton ou le nez ou quelque autre partie du vi-
sage qui se trouve blessé, comme on peut s’en con-
vaincre par les cicatrices qu’on voit chez les adul-
tes. 11 faut donc, à cette époque, faire quitter les
bourrelets aux enfans, pour que la transpiration
de la tête se fasse plus librement.
Les mères ont quelquefois trop soin de la che-
velure de leurs filles, et la retirent trop en arriéré
par des rubans; ce qui allonge communément la
tête, et la comprime même un peu, particulière-
ment au-dessus de la région frontale, où le crâne
est, en général, le plus élevé.
Il n’est pas moins important que l’épine du dos
se conserve bien droite, et il seroit à désirer qu’on
laissât à la sage nature le soin de veiller à cet égard.
Mais, hélas ! les parens ne s’en rapportent point à
elle , et prélèvent l’usage des corps à baleines.
C’est par une suite de cette erreur qu’on voit un
si grand nombre de personnes contrefaites et dif-
formes, tant en Hollande, qu’en Angleterre et en
France. Il est donc nécessaire de parler ici de l’u-
tilité et du danger des corps à baleines.
Les corps à baleines ])euvent être bons, en . ,
quelque sorte, pour donner la facilité de manier ■ [
les enfans avec moins de danger et sans offenser
leurs côtes; mais ils deviennent inutiles lorsqu’ils 1
ont acquis plus de grandeur et de force : ils ne ser- •
vent alors qu’à donner quelque grâce aux vête-
mens. On ])ourroit permettre cet usage, s’il ne con- |
tribuoit pas à altérer la forme du corps. Mais on j
comprime les côtes justement à l’endroit où la na-
ture leur donne le plus de longueur et d’ampleur;
et cela pour rendre la taille svelte et faire ressem- j
hier des enfans de trois ans à de petites nourrices j
par une poitrine potelée, ,
Cependant l’enfant grandit, et l’épine du dos, ’
comprimée en différens sens , prend nécessaire- j
ment la forme des corps à baleines , et croît de '
travers; desorte que la petite fille , pour paroître
mignone et gentille, devient bientôt bossue. C’est
néanmoins dans les villes et surtout pariniles gens
DES ENFANS.
245
aisés que cet étrange abus a particulièrement lieu ;
de manière que sur mille femmes à peine y en
a-t-il dix qui aient l’épine du dos droite. De -là
résulte une grande foiblesse de constitution , une
poitrine gênée , des maladies de reins , et la diffi-
culté d’accoucher, souvent mortelle pour la mère
par le rétrécissement du bassin. La tête, le visage
même , se jettent très-souvent de travers ; car le
cerveau, dont le poids ne se trouve yjas dans un
juste équilibre , rend le crâne difforme. Lorsque
l’épine du dos est fort courbée , il est rare que
l’individu atteigne un certain âge: il meurt d’hy-
dropisie.
Je blâme d’autant plus l’usage des corps à ba-
leines, que je vois que les peuples qu’un luxe dé-
pravé n’a pas corrompu au point de s’en servir ,
engendrent des enfans sains et bien conformés ,
ainsi que je l’ai fait remarquer plus haut par des
exemples tirés de Markgraaf et d’Adanson. Ce-
pendant la plupart des écrivains prétendent qu’il
faut plutôt attribuer ce bienfait de la nature , à
l’influence du climat 5 mais ils reconnoîtroient fa-
cilement leur erreur, s’ils vouloient jeter les yeux
sur les hommes de notre patrie. Ce n’est que ra-
rement, et par accident qu’ils ont le corps de tra-
vers , et alors c’est , en général , par derrière qu’ils
sont bossus, parce qu’en grimpant contre des en-
droits escarpés ils sont plus sujets à tomber. Si
246
DE l’ É I) U C A T I O N
donc les garçons parviennent à avoir la taille
droite sans faire usage des corps à baleines, pour-
quoi n’en seroit-il pas de même des filles? Et d’où
vient que les filles des personnes riches ont pour
la plu])art ce défaut , si ce n’est parce que les mè-
res ont la cruauté de les mettre à la gêne clans leurs
habits.
Il s’y joint encore un autre abus : pour que les
filles paroissent avoir une grande taille , on fait
les corps à baleines plus longs qu’il ne convient ,
et rien n’est certainement plus dangereux. Anclry
dit , à la vérité , qu’on doit changer souvent ces
corps, et c[u’il ne faut ])as qu’ils soient trop étroits;
mais il en recommande l’usage pour trop de dif-
formités différentes du corps; comme si la nature
avoit besoin du secours de l’homme.
Il faut donc rejeter le corps à baleines aussiteff.
qu’on s’apperçoit cpie l’é])ine du dos commence à
s’arcjuer; ce qui se remarque le mieux par la posi-
tion oblique de la tête et l’éminence des épaules,
surtout à l’age de quatre ou cinq ans. Il est urgent
alors de laisser agir la nature en liberté pour que
l’enfant se redresse. On doit se garder surtout de
chercher à comprimer les épaules par des banda-
ges , quand même ils seroient de laine on de
bayetle, ou à mettre un soutien sur le devant de
la gorge: tout ce qu’on emploie, dans ce cas, com-
me remede , ne sert qu’à empirer le mal. Je parle
UES E N F A N S. s47
ici des corps qui sont de travers (scolioses), et now
I des bosses sur le dos (cyphoses). On peut remé-
dier aux uns par des remèdes externes 5 il n’y en
J a point pour les autres. Si vous doutez de ce que
je dis, consultez les parens qui n’ont épargné au-
cuns soins pour redresser la taille de leurs filles :
conseils, suspensoirs, colliers, plaques de fer, cor-
sets de fer, tout, vous diront -ils, tout a été rais
inutilement en usage. Contemplez ensuite leurs
filles mêmes, et leur monstrueuse conformation
vous convaincra de la vérité de ce que j’avance. Il
ffaut cependant sacrifier un peu à la mode, en fai-
, ^sant des corsets de quelque étoffe de laine ou de
toile. Sil’on veut employer la haleine, on doit veil-
ler à ce que le corset ne soit pas trop étroit , et
plutôt trop court que trop long; mais il faut se
garder d’attacher le corset sur les épaules avec des
nœuds de ruban. Je crains cependant que cette
méthode ne soit trop enracinée, pour qu’on puisse
r s’en défaire.
Je n’ai rien à dire sur l’habillement, si ce n’est
I qu’il faut placer à nu sur le ventre une large cein-
ture de toile, surtout aux filles, parce qu’elles ont
généralement l’abdomen découvert.
On se sert quelquefois de bottines de cuir pour
prévenir la foiblesse des os de la jambe et de la
cheville du pied: ce qui peut être utile si elles sont
bien faites. Cependant je préférerois les sand.ales
248 DE l’ ÉDUCATION
avec des ligatures en échiquier. Mais il faut avant
tout examiner si la foiblesse provient du corps en
général , ou seulement des pieds, ou si elle ne doit
pas être attribuée à des souliers trop larges? On sait
qu’Horace dit , et avec raison : Qii’une chaussure
trop large fait broncher (i).
Que les souliers soient donc, comme nos autres
vêtemens, laits exactement pour nos pieds 5 sans
quoi , non-seulement ils nous gênent , mais il en
résulte mille incommodités.
Jamais je n’ai pu m’empêcber de rire en voyant
les peines singulières que se donnent les gens ri-
ches pour apprendre à leurs enfans à s’asseoir , à
marcher, à danser avec grâce? Pour y parvenir ,
ils emploient des fauteuils garnis de cent différen-
tes machines de bois , pour forcer les orteils à se
tourner en dehors; et sous le siège ils placent un
appui pour qu’il ne s’enfonce pas quand on s’y as-
sied. Andry a donné le dessin et la description
d’un pareil fauteuil; mais quel est l’homme assez
peu instruit pour ignorer que l’épine du dos des
enfans prend avec le tems la forme d’un S, à me-
sure que la tête et les autres membres qui sont pla-
cés au-dessus du centre de mouvement du corps
prennent leur accroissement ? Qui ne sait pas qu’il
(i) . . . . . Ut caîcciis olim ,
Si pede major ait ^ subveriet
UES E N F A N S,
24g
est impossible que nous puissions nous tenir fer-
mes sur nos jambes, si nos pieds ne forment pas
un angle? ainsi que nous l’apprennent suffisam-
ment Eorelli et Desaguilliers , qui ont parlé d’une
manière si satisfaisante des loix de la pondération
du corps humain.
CHAPITRE III.
De la nourriture des enfans.
Immédiatement après leur naissance , les
enlans n’ont besoin d’aucune nourriture, et il ne
faut leur en donner qu’après qu’ils ont lâché le
ventre; car leurs intestins , surtout les gros , sont
remplis de déjections. Il vaut donc mieux qu’ils
restent sans manger jusqu’à ce que les seins de la
mère soient remplis; ils tetent d’ailleurs avec plus
d’avidité lorsque la faim les presse. Je pour-
rois entrer ici dans une longue discussion , si je
voulois rappeler tous les devoirs des mères, et ré-
péter ce qu’Anlu-Gelle nous a conservé du philo-^
25o
DE l’ ÉDUCATION
soplie Favorin à ce sujet; mais il est inutile de
ni étendre beaucoup sur cette matière; la sage na-
ture, les seins gonflés par le lait, la tendresse ma-
ternelle, et généralement le ]>eu de fortune, for-
cent les mères à nourrir elles mêmes leurs enfans.
D’ailleurs, notre siècle n’est pas encore assez dé-
pravé pour que ces sources précieuses soient en-
tièrement taries par le désir de conserver un peu
de beauté passagère. Le plus souvent c’est la foi-
blesse qui empêclie la mère d’avoir du lait; quel-
quefois aussi ce sont ses excès; il faut alors avoir
recours, malgré elle, à une nourrice; princi])ale-
ment lorsque l’enfant est d’une constitution foi-
ble , comme cela arriv'e ordinairement dans ces
cas.
Cependant c’est le lait de la mère rpii convient
le mieux à l’enfant ; mais lorsqu’il manque on doit ,
bien prendre une nourrice mercenaire; et c’est le
lait de femme qui est la meilleure nourriture. Il
convient donc de clioisir une nourrice saine , qui
soit accouchée dans le même tems que la mère ,
parce que le colostre ou premier lait purge les en-
fans et chasse le méconium.
Mais les nourrices bien saines sont fort rares
dans les grandes villes; on ])eut même les soup-
çonner toutes d’être attaquées de la maladie véné-
rienne qui s’étend de jour en jour davantage. Si
l’on prend quelque fille séduite, on fait courir à
DES E N F A N S.
25i
!' J’ènfant de grands dangers , qui sont un peu moin-
I dres, à la vérité , avec les femmes mariées ; ce-
(| pendant la mauvaise conduite de leurs maris ne
ij permet pas d’être entièrement tranquille sur le
"■tl sort du pauvre nourrisson.
Il II est nécessaire que la nourrice soit bien nour-
I rie , c’est-à-dire , qu’elle mange des alimens légers
* et succulens qui contribuent à augmenter son lait;
mais , suivant Aristote et Pline , il ne faut pas
I qu’elle boive de vin; je pense que le vinaigi’e est
également nuisible , ainsi que tout ce qui peut em-
pêcher la coction des alimens. On ne doit pas per-
mettre non plus qu’elle se livre aux embrassemens
de son mari , parce que cela dissipe les sucs les plus
subtils et les plus nutritifs.
Du moment que la nourrice se trouve enceinte,
on doit sévrer l’enfant; sans quoi il est à craindre
qu’on ne détruise le fruit qu’elle porte. C’est pro-
bablement pour cette raison que Pline dit (i) que
la conception est mortelle pour les nourrices.
Il arrive assez souvent que les nourrices merce-
I naires cessent d’avoir du lait, parce qu’elles sont
t trop bien nourries et mangent des alimens aux-
quels elles u’éloient pas accoutumées. Cependant,
les parens peu attentifs ne prévoient aucun mal ,
après qu’ils ont recommandé d’avoir soin clesnour-
'
(O Qnhoped., cap. 53, pag. 4^1 •
252
DE l’ ÉDUCATION
rices. L’enfant reçoit alors peu de lait ; mais en re-
vanche on le bouire d’aliincns qu’un adulte au-
roit de la peine à digérer. Je passe sous silence
mille autres abus qu’on pourroit prévenir ou dé-
truire , si , dès la naissance même ( quand la mère
se trouve sans lait ), on nourrissoit l’enfant avec
des aliinens convenables à son âge, et dont je vais
maintenant parler.
Quand il est impossible de se procurer du lait
de femme , il faut prendre du lait de chèvre ou
d’ânesse, quoique la digestion en soit moins facile
pour les enfans d’une constitution foible. Ce lait
s’aigrit promptement et occasionne par son acrelé
des vomissemens et des convulsions , parce qu’il
ne s’est pas encore convenablement assimilé avec
le lait de femme, et surtout avec le corps débile
de l’enfant. C’est néanmoins le lait de chèvre qui
est le plus doux et le meilleur pour l’estomac ;
quoique celui de vache soit regardé comme le plus
sain; mais, en général, le lait qu’on peut se pro-
curer le plus commodément, et que l’animal tire
de meilleurs alimens , me paroît préférable. J’ai-
merois beaucoup qu’on se servit de lait de chèvre,
parce qu’on peut garder ces animaux chez soi , et
qu’en les nourrissant d’herbages salutaires , on
améliore leur lait de plusieurs manières diiféren-
tes,^au point même qu’il devient tout à-la-fois une
nourriture saine et un remède bienfaisant. C’est
DES ENFANS-
255
«
pour ces raisons , selon moi , qu’il mérité d’etre
préféré au lait d’ànesse , à moins qu’on ne puisse
nourrir également cet animal chez soi. Mais les
O
hommes aiment, en général, à croire que ce qui
coûte le plus cher doit aussi être regardé comme
le meilleur.
Le colostre fait avec quelque espèce de lait que
ce soit, peut également être employé avec utilité:
en général même , il seroit assez nourrissant, mais
il contient trop d’acide.
Le lait pur, je parle du lait de vache, est trop
liquide et trop venteux; c’est pourquoi on y mêle
un peu de farine, de mie de pain ou de biscuit ,
pour le réduire en bouillie.
Dans l’hospice des Enfans-Trouvés de Paris , la
bouillie se fait avec du lait , de la farine de fro -
ment et quelques jaunes d’oeufs, qu’on fait cuire
ensemble, et qu’on laisse refroider ensuite pour
enlever la pellicule qui s’y forme , afin que la di-
gestion en soit plus facile. On fait réchauffer cette
bouillie, lorsqu’on veut en donner de tems en tems,
mais à des intervalles fort courts, aux nouveaux-
nés , jusqu’à ce qu’ils fassent appei'cevoir qu’ils
sont suffisamment repus. Il est nécessaire de né-
toyer souvent les vaisseaux qui servent à cet usa-
ge ; car on ne sauroit croire combien leur mal-
propreté contribue à faire abonder l’acide du lait.
Je ne sais cependant si les enfans pourroient long-
254 BE l’ ÉDUCATION
teuis user de celle nourriture sans en être incom-
modés, parce qu’en général on les envoie au bout
de trois ou quatre jours chez de bonnes nourrices
à la campagne.
En Hollande, les femmes font souvent bouillir
de la mie de jiain dans du lait ; mais pour cela il
faut que le pain soit parfaitement bien cuit , sans
quoi cette bouillie devient si visqueuse que les en-
fans ne y)euvent pas la digérer.
Nos femmes de la campagne nourrissent leurs
enfans avec du lait de beurre, du pelit lait et du
lait de vache pur 5 ce qui sembleroit prouver que
toutes sortes d’alimens sont bons pour les enfans,
lorsque les païens sont accoutumés à s’en nour-
rir eux-mêmes 5 et cette observation peut s’appli-
quer , non-seulement à l’espèce humaine , mais
ég.alemcnt aux animaux et même aux plantes.
J’ai fait nourrir mes propres enfans avec de la
bouillie préparée de la manière suivante, dont ils
se sont fort bien trouvés, et qui les a rendus ro-
bustes, quoique j’attribue d’ailleurs leur tempé-
rament vigoureux à la bonne constitution qu’ils
ont apporté en naissant; et je puis assurer qu’ils
ont été fort peu tourmentés par des aigreurs.
On prend du biscuit fait de farine de froment
qu’on fait cuire avec de l’eau de pluie dans un pot
de terre v^ernissé, en le remuant avec une cuiller
de bois, jusqu’à ce que le tout soit réduit en une
DES ENFANS.
255
bouillie épaisse, qu’on peut garder ensuite pen-
dant un ou deux jours, si le tems n’est pas trop
chaud. Quand on veut s’en servir, on le remet sur
le feu, en y ajoutant un peu de savon d’Espagne,
dont on dissipe l’amertume par du sucre. Versez-y
ensuite autant de lait pur de vache froid qu’il est
nécessaire pour le délayer au point que l’enfant
puisse l’avaler. Il ne faut jamais faire réchauffer
cette bouillie une seconde fois, parce qu’elle s’ai-
grit alors plus facilement dans l’estomac des en-
fans.
Je leur ai fait administrer aussi matin et soir
une bonne tasse de lait de chèvre, non parce que
je le crois meilleur que celui de vache , mais à
cause de la facilité que j’avois à me le procurer ,
comme je l’ai dit ])lus haut.
Du moment que l’haleine de l’enfant annonce
des aigreurs, il faut augmenter la dose de savon ,
et ne pasci'aindrequela quantité de sucre que l’on
emploie en conséquence puisse être nuisible : c’est
un excellent sel oléagineux, mais doux, propre à
prévenir la putréfaction. Geoffroi (i), qui lui at-
tribue de bien plus grandes vertus, dit qu’il con-
tribue à la coclion des alimens dans l’estomac , et
que, mêlé avec quelque huile, il calme les coli-
ques des en fans.
256
DE l’ ÉDUCATION
L’immortel Boerhave (i)a levé sans réplique les
doutes qu’on pouvoit avoir sur les qualités du su-
cre. « C’est à tort , dit-il, qu’on prétend que le su-
ce cre est nuisible à l’homme; ce qui n’a jamais été
« prouvé. Le sucre, ajoute-t-il, est le plus pur des
(( savons, ou plutôt un sel oléagineux naturel, qui
« sert à diviser la ténacité et la viscosité des hu-
« meurs; et, mêlé avec de l’huile, il donne sur-
et le -champ un bon savon. » Le sucre doit donc
avoir les mêmes vertus lorsqu’il est mêlé avec les
alimens.
Nous avons dans ce pays la coutume de faire
boire aux enfans du lait pur ou du petit lait d’une
bouteille d’étain dont le bout est garni de peau de
chamois. Mais les enfans qui s’en servent inspirent
trop d’air. On a cherché à remédier à ce défaut ,
en 3^^ mettant un syphon ou tuyau qui descend jus-
que près du fond de la bouteille ; mais l’enfant
doit alors employer trop de force pour en tirer la
liqueur. D’ailleurs, ce tuyau de métal déplait aux
enfans quand la dentition commence à se faire ;
et le fait s’aigrit promptement dans ces bouteilles. I
Je pense donc qu’il vaut mieux rendre la bouillie
assez liquide pour qu’elle puisse servir en même
tems de boisson. Il faut donner souvent par jour
de cette bouillie aux enfans, mais une seule fois
(i) Ofier. chem. , proc, XXVHÎ , p^rag. 3, pag. 63.
DES E N F A N S,
257
suffit pendant la nuit; jusqu’à ce qu’ils aient deux
i ou quatre dents dans la mâchoire supérieure , et
' deux ou un plus gî’and nombre dans l’inférieure;
! on jJeut alors donner aux enfans quelque autre
I nourriture qui soit d’une facile digestion.
I Je défends l’usage des vins de quelque espèce
I qu’ils soient pendant tout le tems que l’enfant est
nourri avec du lait , quoique je sache bien qu’Hip-
pocrate (1) ait recommandé le vin mêlé avec de
l’eau; car celte liqueur est nuisible par son acide.
Les vins grecs sont plus huileux, et par cette rai-
son peut-être moins préjudiciables; mais quel ef-
fet peut produire le vin , si ce n’est de stimuler un
peu? Je préférerois qu’on lavât le corps entier
avec de l’eau de vie; ou qu’on appliquât des fo-
mentations de vin sur le ventre, si cela étoit né-
cessaire. Les esprits volatils de la liqueur sont alors
seuls absorbés par les pores sans que les parties
grossières y pénètrent.
Lorsque l’enfant a le ventre paresseux, que ses
déjections jettent une odeur aigre , ou qu’il est
sujet à de fréquens vomissemens, on doit admi-
nistrer deux ou trois fois par jour un peu de rhu-
barbe avec des poudres absorbantes et d’autres re-
mèdes un peu stimulans.
Si l’acrimonie de l’estomac est telle que le vi-
(0 De Via. Rat. Fœsie, sect. IV, pag. 33g , 10.
III. 17
258
DE l’ ÉDUCATION
sage, les bras ou d’autres parties du corps éprou-
vent des convulsions, il faut alors augmenter la
dose de rhubarbe , et donner des laveinens com-
posés de corps huileux.
Le ventre est cependant quelquefois yiaresseux
par une trop grande foibiesse des intestins j dans
ce cas il faut employer les remèdes fortilîans, sti-
mulans et chauds, ainsi que les huiles propres à
chasser les vents, mêlées avec du sucre, et autres
insrédiens semblables. Dans toutes ces maladies
des enfans , les aigreurs jouent un terrible rôle
dans les premières voies , ainsi que le disent les
médecins, et comme Harris et Boerhave l’ont évi-
demment prouvé.
Je reviens maintenant aux alimens. Vous n’exi-
gez certainement pas une description exacte de
toutes les maladies et de leurs remèdes; mais seu-
lement une règle propre à déterminer les alimens
qui conviennent généralement le mieux. Je v^ais
donc examiner si les herbes potagères , les fari-
neux ou les fruits forment une meilleure nourri-
ture que la viande ?
Les herbes potagères et les légumes perdent en
cuisant beaucoup de leur qualité savonneuse; par
conséquent les parties ligneuses et terreuses ne
peuvent j)as être digérées ni contribuer à la nu-
trition, Aussi les trouve-t-on dans les déjections
telles qu’on les avoit avalées. SI on les prépare avec
D E s E N F A N s. 2 00
îeiir SUC naturel étuves avec du beurre ou de
riuiile, comme cela se pratique chez nous, il est
impossible de les digérer à cause des corps gras
qui les enveloppent , et qui produisent beaucoup
de bile.
Les farineux sont venteux , tournent vers l’a-
cide , et sont d’ailleurs visqueux ; ils sont néan-
moins salutaires dès que l’enfant peut faire de
l’exei'cice; époque de la vie dont je parierai dans
la suite.
Les fruits, tels que poires, pommes, noix, etc.,
sont extrêmement préjudiciables: tous ont, comme
on sait, quelque chose d’acerbe, d’âcre et de cru,
qui les rend mal-sains , non-seulement pour les en-
fans, mais pour les adultes mêmes. Iis occasion-
nent des flatuosités et des diarrhées, pour ne pas
parler des vers qu’ils engendrent , à ce qu’on
prétend.
On doit porter les mêmes soins relativement aux
viandes, dont la digestion n’est pas également fa-
cile. Le bouillon peut , en quelque sorte , servir
de boisson , principalement lorsque les aigreurs des
intestins ne permettent pas que l’enfant fasse usage
de lait. Cependant j’aimerois mieux, dans ce cas,
faire la bouillie avec de l’eau pure.
Le lait est la meilleure nourriture que les en-
fans sevrés puissent prendre le soir , quoiqu’ils
aient déjà la faculté de triturer d’autres alimens.
s6o DE l’ ÉDUCATION
On peut l’apprêter de différentes manières avec
des farineux et d’autres substances d’une nature
légère. Le lait de beurre est également salutaire ,
loi’squ’il est frais et bon. 11 ne faut pas l’adoucir
avec de la mélasse , parce qu’elle contient toute
l’acrimonie de la chaux vive , sans laquelle il est
impossible de purifier le sucre.
Du lait et du pain sec sont bons pour le déjeû-
ner 5 le fromage est nuisible, à moins qu’il ne soit
nouveau. On peut , au lieu de lait , donner du thé,
surtout si on le coupe avec un peu d,e lait et de J
sucre. ^
Pour le dîner, on emploiera le riz, l’orge mon- j;
|J I
dé , le millet , etc. Les hei'bes potagères sont ce
qu’il a y de meilleur pendant l’été; pendant l’iii- j
ver on peut les remplacer par des pois , des fê— !
ves , etc.
Je suis de l’opinion de Platon (1), que la viande
rôtie est une excellente nourriture pour les enfans 1
des gens riches; pourvu néanmoins qu’ils ne s’en '
surchargent pas l’estomac. La chair des animaux ;
est l’aliment qui a le plus d’analogie avec notre
coi'ps; et c’est celui qui, à volume égal, contient
le plus de parties nutritives. La viande bouillie
n’est pas assez succulente; celle qui a été salée ou
fumée contient trop d’acreté , et comme elle est
(1) De Repiibl., îib. II, pag. 404.
«ES E N F A N S.
20>
disposée à Ja putréfaction , elle est fort contraire
aax enfans. En général, on devroit défendre aux
enfans de manger des viandes qu’on préserve de
différentes manières de la putréfaction. Cependant
de toutes les viandes celle de ])orc et le lard sont
les plus mal-saines. Elles le sont moins cependant
quand l’animal a été nourri de petit lait ou de lé-
gumes et autres végétaux^ et ils le sont le moins
possible , lorsqu’on ne lui a donné à manger que
des cannes à sucre dont le suc a été exprimé. Les
porcs qu’on engraisse de cette manière ont , sui-
vant le témoignage de Geoffroy (i) , la chair si
tendre et si succulente qu’on la préfère à celle
des meilleures poulardes.
Il n’est pas si facile de juger de la salubrité de
la chair de poisson ; des hommes dont l'autorité
est la ])lus respectable dilferent singulièrement en-
tre eux sur ce point. Platon rejette absolument
cette espèce de nourriture; Montesquieu, au con-
traire, attribue à son usage la santé et la vertu pro-
lilique dont jouissent plusieurs peuples. Ce que je
puis assurer, c’est que tous nos compatriotes qui
habitent le long de la mer du Nord, et qui se nour-
rissent de poisson, sont sains et vigoureux; que
parmi eux les adultes, aussi bien que les enfans ,
ont les dents de la plus grande blancheur; ce qui»
(i) mej., (oin. , pǤ. p46.
DE L EDUCATION
■fis
262
selon moi, est un des principaux signes d’une
bonne constitution. Le poisson n’est donc pas un
manger nuisible, pourvu qu’il ne soit pas apprêté =
avec trop d’art.
Il y a des ])ersonnes qui ne digèrent pas facile-
ment la perche; non parce que l’estomac se refuse 4
à recevoir ce poisson, mais à cause qu’on le mange
avec du ])ain de seigle noir et force beurre; ce qui
occasionne des aigreurs. Ce poisson incommode
davantage encore lorsqu’on boit beaucoup après
l’avoir mangé
Je suis d’avis que la viande est la nourriture qui'J
convient le mieux aux personnes aisées. La viande
et le poisson sont trop chers pour qu’on les donne j|
avec excès dans les hospices des orphelins. On nuitn
de même à la santé en faisant usage de difî'érens'-|
plats de dessert ou de confitures, ainsi qu’en uum-^
géant jusqu’à satiété. Le changement d’alimens^
produit des indispositions; voilà pourquoi Platon ’q
le condamne avec raison , en disant que c’est à, !
cela qu’il faut attribuer le grand nombre de ma-
ladies qui désolent les villes, et qui donnent tantîj
de besogne aux boutiques des pharmaciens. Sénè-?j
que (1) pensoit que non - seulement l’homme se®
rend replet par trop de nourriture, mais que l’es-^j
prit devient lourd en même tems que le corps.®:
(i) De Ird, ]ib. III, cap 20.
DES ENFANS.
265
Bacon (i) veut qu’on mange des alimen? secs,
pour que le corps se développe mieux; mais j’a-
voue que je ne saurois concevoir pourquoi il con-
seille de ne pas manger de pain ni de viande.
Le peuple ne se nourrit actuellement, dans ce
pays, que de pommes de ten’e , quoiqu’il soit,
pour ainsi dire , impossible d’imaginer une plus
mauvaise nourriture; car on sait qu’elles sont fort
visqueuses, ne contiennent que peu de parties nu-
tritives, et produisent beaucoup de flatuosités et
d’acides. Les personnes adultes les digèrent cepen-
dant assez bien, particulièrement les gens de peine;
mais elles sont absolument indigestes pour les en-
fans. Voilà donc ce qui occasionne ce teint pâle et
blême des enfans , des filles , des femmes et même
des hommes de la classe indigente du peuple. De-
là les obstructions du bas-ventre et les autres ac-
cidens qui résultent d’humeurs visqueuses , dont
le célèbre Boerbave a si bien parlé.
Il convient donc de régler les alimens de ma-
nière qu’ils soient , en quelque sorte , analogues
aux occupations et aux travaux des individus , et
qu’ils servent en même tems de remèdes aux ma-
ladies endémiques. Xénopbon loue, pour cette rai-
son, les Perses, de ce qu’ils donnoient pour prin-
cipal mets à leurs enfans du pain , et du cresson
Je
(i) Nac, hist. , tom. Ili , cent, IV, parsg- 554> pag- ^5.
s64
D E L É D U C A T I O N I
^ ,
alénois {nasturtium) pour ragoût. Bacon recom-1
mande également aux Anglois de manger de cette]
herbe. Il n’y a certainement pas de meilleur re-^r
mède conire le scorbut , dont nous sommes tous
plus ou moins attaqués ^ comme nos dents carriées
en sont une preuve manifeste} ainsi que contre la ,
putréfaction des parties fluides et solides, laquelle ^
coiTode à tel point les parois des vaisseaux san-
guins , qu’il en résulte quelquefois des hémorra^'
gies mortelles. i
Le scorbut est constamment du même carac-
tère, mais il diffère dans ses difPérens degrés } le,
vin , le vinaigre , les aromates et les végétaux
frais sont regardés comme d’excellens antiscorbu-
tiques, bien qu’ils contiennent , en général, un sel’;
alcalin ; il y a aussi la menthe , le cresson et la lai-^^
tue, qu’on doit préférer à tous les autres. fl
En parlant du scorbut, je dois remarquer, en|
passant, c[ue les personnes dont les dents se trou-^^
vent gâtées dès l’enfance, sont rarement, pour ne
pas dire jamais, attaquées de phthysie} et que cel-
les, au contraire, qui sont atteintes de cette cruelle
maladie ont les dents fort blanches et diaphanes.
Quoique j’ai déjà parlé des boissons en traitant
des alimens, je crois qu’il est nécessaire que je re-^
vienne sur cet article, et que j’indique la naîurej
des différentes espèces de boissons d’une manière'
plus particulière, en commençant par les proprié-
DES ENTA N S.
265
‘i
îl
IB-
tés du vin , pour parler ensuite de celles de la
bière, du thé, du café, dont Fusage est aujour-
d’hui si généralement répandu sur toute la surface
du globe.
d'ous les enfans que j’ai connus aimoient le vinj
ce qui me feroit croire que cette boisson con-
vient à notre nature. Cette considération me porte
à ne pas l’interdire aux enfans; mais je pense qu’il
ne faut leur en donner qu’une seule fois par jour
et, cela en petite quantité ; c’est-à-dire, après le dî-
ner , lorsqu’il n’y a plus de lait dans l’estomac.
J’ai déjà remarqué qu’Hippocrate permet qu’on
mêle du vin à la boisson des enfans; mais non de
ces espèces qui font gonfler le ventre ou causent
des flatuosités. Platon, ou contraire , ne veut pas
que l’homme goûte de vin avant l’âge de dix-huit
ans; sans doute pour qu’il ne se livre pas à l’ivro-
gnerie, qui paroît avenir été un vice général de son
teins. Tous les philosophes ont recommandé le
vin, non-seulement comme un préservatif contre
le chagrin, mais aussi comme un remède salutaire.
Sénèque (i) nous apprend que Solon et Caton s’é-
ga joient quelquefois avec le vin; il ajoute qu’un bon
verre de cette boisson procure des forces, et qu’il
faut même de tems à autre se donner une pointe
de vin. Il recommande surtout cette liqueur coûime
I
!
(i) De TraKejnVÎ. anîm. , in fuie.
206 DE l’ ÉDUCATION
un remède contre certaines maladies et contre ia
tristesse. Platon (ij, quoique sévère pour les en-
Fans, permet non-seulement aux hommes quand
ils ont atteint quaranle ans de boire du vin avec |
modération , mais illesinvite même de s’en réjouir ■
îe coeur quand ils sont en compagnie.
11 faut que le vin soit toujours d’une bonnej
qualité, tel que le vin rouge j le vin blanc est gé-|l
néralenient si dénaturé dans notre pays, qu’il ne
peut qu’être nuisible au corps. Les vins d’Espagne, |
ceux de Grèce, le Canari sec, celui du Cap , sontd
trop spiritueux pour qu’on puisse en permettre î5j
l’usage aux enfans. J
En un mot, le vin doit être administré aux en-»
fans comme un remède antisce])lique , stimulant J!,
et coroboranl; et c’est pour cette même raison que ®'
je conseille d’assaisonner leurs alimens avec du vi s
naigie, surtout celui qui est fait avec du vin. Le
vinaigre de bière est plus foible, à la vérité , que
celui qu’on tire des raisins, des jirunes, des ligues,
des groseilles , mais il est plus salutaire pour le
corps; car tous les fruits que je viens de nommer
ont quelque chose d’acerbe, que je regarde com-
me fort mal-sain.
Ceux qui n’ont pas les moyens de boire du vin
doivent laire usage d’une bière légère , claire ,
(i) De Legiüus , tib. I, pag. 666. B.
DES EN FAN S.
267
nouvelle et bien préparée avec du houblon. La
vieille bière est mauvaise pour le cerveau, et l’on
G. sait-que ceux qui font des excès avec cette bois-
W! son deviennent imbecilles. 11 se ponrroit aussi que
fl la bière produise le calcul , du moins sait-on que
|| depuis l’usage du thé, quoique pris avec excès, le
jf nombre des paliens tourmentés delà pierre est
\i considérablement diminué. On m’objectera peut-
j être que les enfans qui n’ont été nourris que du
[i lait de leur mère ont été affligés de ce mal cruel,
et que Scbenkius même en a vu qui l’ont apporté
jï av'ec eux en naissant; que si l’on y fait bien at-
ji! tcntion on trouvera que le nombre des enfans
j! qu’on taille avant l’age de six ans est au moins le
triple de celui des adultes qu’on soumet à cette
j j opération; qu’il y en a qui l’ont subi deux fois,
j ‘ d’autres trois fois , parce que la pierre paroît croî-
j Ire de nouveau dans quelques individus. En réflé-
1 1 chissant à tout cela, il faudra convenir, avec le cé-
^ j: lèbre professeur Gaubius (1), qu’il y a une dispo-
j I sition intérieure du corps qui se transmet de père
1 1 en fils.
]| il est ])robable que la grande quantité d’eau
I ' qu’on boit actuellement diminue insensildement
celte disposition du corps, et il se ponrroit que
I"
(1) !'iiun>l. , pRrag. 5j';, 578.
268
D E l’ É U U C A T I O N
l’eau à force de bouillir se dépouille de ses partiesl
terreuses ou areneuses; car il se forme au fond des
vases dans lesquels ou la fait cuire une incrusta-
tion fort apparente ; et cela sans distinction avec
toutes sortes d’eaux^ quoiqu’il semble cependant
que l’eau de. pluie est celle qui contient la moin-
dre quantité de parties terreuses. 11 sepourroitque
les Suisses fussent moins sujets aux goitres depuis
qu’ils ])rennent du thé, on plutôt depuis qu’ils font
bo\iillir l’eau qu’ils boivent? Le thé , on le sait ,
n’est pas un ingrédient qui possède par lui-même
quelque vertu spécifique.
Le café, quoiqu’on disent certains écrivains,
n’occasionne pas plus le rachelis que toutes les au-
tres boissons chaudes qui débilitent le corps. Si le
sel qu’il contient amollit les os hors du corps , il
ne le fait pas davantage que la graine de mou-
tarde , le vinaigre , l’esprit de salpêtre et autres
ingrédiens semblables , qui , par leur acrimonie
acide en corrodent les parties solides, sans toucher
aux oléagineuses, etc. , qui sont proprement celles
qui occasionnent l’amollissement.
Il faut remarquer, en général, au sujet du thé,
du café et d’autres Infusions de cette nature, que
c’est plutôt la grande quantité d’eau tiède qui est
nuisible au corps, que la vertu spécifique de ces
ingrédiens. Elle débilite l’estomac et trouble la
coction des alimens : il ne faut donc pas en faire
DES ENFANS. 269
usage immédiatement après les repas, ni en boire
une trop grande quantité (i).
Tout ce que j’ai dit au commencement de ce
chapitre , des fruits et autres pareils alimens ,
comme nuisibles aux enfans , peut s’appliquer
également à l’adolescence et aux autres âges de
la vie.
(1) On trouve des recherches curieuses sur les maladies qui ré-
sultent en Hollande de l’usage de certains alimens et de certaines
boissons , dans V Histoire géographique , physique , naturelle et
eivilc de la Hollande, par le Francq de Berkhey, dont j’ai donné
{ une analyse en quatre volumes s«-i2. Voyez tome IV, page 1 et
I su’.y. iVort du traducteur.
270
i)E l’Éducation
CHAPITRE IV.
De V instruction des enfans.
“ I
Le sentiment de la pln])art des philosophes , et
d’Aristippe en particulier, éloit (i) que les enfans
des citoyens aisés doivent apprendre tout ce qui
peut leur être utile lorsqu’ils seront parvenus à
l’âge de la raison; qu’il faut par conséquent pour
leur donner des forces les entretenir dans toutes
sortes d’exercices, et leur inspirer l’émulation de
se distinguer dans le palestre. Cependant on ne
doit les occuper que de légers exercices jusqu’à
l’âge de puberté, pour que les membres puissent
se développer mieux. Cela s’accorde avec ce qu’en-
seigne Aristote (2), qui exhorte en même tems les
païens à ne pas trop exiger de leurs enfans; d’au-
tant plus qu’on n’en avoit vu que deux ou tout au
(1) Diogen. Laërf. , lib. Il, pag. 126.
(2) De IXepiibl., lib. VIII, cap. 3 et 4.
DES ENFANS.
271
plus trois qui avoient été vainqueurs aux jeux
olympiques , et dans l’adolescence et dans l’àge
viril. Il ajoute que les trop grandes fatigues du
corps nuisent à l’ame, comme les trop fortes con-
tensions de l’esprit sont préjudiciables au corps.
Tous s’accordent , à la vérité , sur ce point ,
mais nullement sur l’age auquel il convient de
commencer ces exercices. Platon (1) veut que ce
soit à l’àge de six ans révolus 5 tandis qu’Aristote
prétend qu’ils n’y sont propres qu’à sept ans ;
Clirysippe, au contraire, dit que c’est à tout âge
* qu’on peut instruire les enfans. Quintilien (2) le
loue beaucoup de ce qu’il veut qu’on orne de bons
‘principes l’esprit des enfans dès l’àge de trois ans.
Je sais, ajoute-t il, qu’on fera. plus dans la suite
en un an que l’on aura pu faire durant tout le
■ « tems qui a précédé ( de trois à huit ans ). Après
« tout, que veut -on que fasse un enfant depuis
« qu’il commence à parler ? car enfin , il faut bien
« qu’il s’occupe à quelque chose. )) En un mot, il
'^ prouve par les raisons les plus péremptoires qu’il
4 ne faut laisser passer aucun tems sans instruire les
enfans.
Le sentiment de Bacon (5) concernant les écoles
ç {1) Inst. Orat. , lib- I , rap. i , pag. j p.
(î) Hist. nac., tom. III , cent. iV, parag. 354 > pag- 7Ï-
(i) De J rgiùtis , lib Vit, pag. 794. C.
DE l’ É I) U C A T I O N
272
publiques est singulier; il les désapprouve, non'
parce que les mœurs s’y corrompent, mais à cause
que la santé s’y altère l’aule de mouvement. 11 me
])aroît qu’il faut envoyer les enfans aux écoles pu-
bliques, vu qu’ils y deviennent plus vifs et qu’ils
s’y exercent davantage par la diversité des jeux.
3’approuve aussi beaucoup tout ce que dit Quin-
lilien touchant cette importante question : (( Le-
(( quel vaut le mieux de faire étudier les enfans
(( chez soi , ou de les envoyer aux écoles. »
Platon insistoit beaucoup qu’on exerçât leur
corps par des jeux publics , et qu’on égayât leur
esprit par la musique ; mais Platon étoit grand
amateur de la musique, comme cela paroît par sa
vie que nous a donné Olympodore. Aristote , au
contraire, condaranoit cet art, comme inutile ,
surtout les insirumens à corde et à vent; cepen-
dant pour leur procurer quelque récréation , il
permettoient qu’ils apprissent à jouer du crepila-
culum d’Arcbjtas, dont il est difficile de connoî-
tre la nature. On pourroit aujourd’hui donner aux
enfans de ces serinettes qui jouent dilferens airs.
Aristote exalte ensuite beaucoup la peinture et
re<ravde cet art comme fort utile aux enfans; mais
Platon n’en dit pas un mot, quoiqu’il ait vécu avec
les peintres et qu’il ait même appris d’eux le mé-
lange des couleurs, comme nous l’apprend Olym-
podore. Il est assez vraisemblable que c’est d’aj)rès
DES ENFANS,
275
leur goût particulier que chacun de ces philoso-
phes aura recommandé quelqu’un de ces arts. Ce-
pendant, à ne considérer que la santé et la longé-
vité, il me semble qu’il faudroit rejeter le chant;
parce tous ceux qui s’y sont appliqués dès l’en-
fance sont restés de petite taille, cacochymes et
fort mélancoliques; il en meurt même beaucoup
avant l’âge de puberté pour s’être trop adonnés à
cet art.
Beaucoup aussi de ceux qui sonnent de la trom-
pette ou du cor de chasse se donnent des hernies
inguérissables, et perdent leurs dents de la mâ-
choire supérieure , en y portant sans cesse l’em-
bouchure de ces instrumens.
vSelon moi, la peinture est infiniment préféra-
ble; elle récrée non-seulement l’esprit des enfans
et leur fait passer agréablement le teins, mais son
utilité est réelle. Cependant c’est le goût des en-
fans qu’il faut particulièrement consulter, car on
sali que ce n’est qu’avec les plus grandes difficultés
qu’on les ])orte à s’exercer dans un art pour lequel
ils ne se sentent point d’aptitude.
La question s^il faut exercer la mémoire des
enfans? me paroît d’une bien plus grande impor-
tance. Plutarque répond affirmativement , et veut
•qu’on examine si la nature les a doués ou non
d’une mémoire heureuse? Quintilien observe de
plus que la mémoire peut être augmentée et for-
18
îii.
274 WE l’ ÉDUCATION
tifiée. Il est possible, sans doute, d’exercev les en-
fans dans cet art, lorsqu’ils s’y portent naturelle-
ment; mais il faut bien se garder de les y forcer ,
dans la crainte d’amortir leurs facultés intellec-
tuelles et de nuire à leur santé. Je préfère qu’on
exerce leur esprit et leur jugement plutôt que de
surcharger leur mémoire, qui ne dépend que d’un
certain mécanisme du cerveau; tandis que le ju-
gement et l’esprit tiennent iinmédiatemenL à l’en-
tendement. Ce n’est pas que je doute que la mé-
moire ne dépende aussi de notre intellect; mais je
suis ])ersuadé qu’on la doit , comme beaucoup
d’auti'es facultés, à un cerveau bien organisé. On
ne sauroit , en attendant , s’étonner assez de ce que
l’iionime puisse être privé totalement de mémoire,
en conservant néanmoins intègres tous ses sens et
son jugement même. Pline (i) confirme cette ob-
servation par plusieurs exemples. 11 rapporte, en-
tre autres, qu’un homme atteint d’une pierre ou-
blia la langue qu’il parloit ; qu’un autre , étant
tombé d’un toit fort haut , ne reconnut plus ni
sa mère, ni ses parens, ni ses voisins ; un troi-j
sième, après avoir été attaqué d’une maladie , ne
put se rappeler les noms de ses esclaves; enfin, le
célèbre orateur Messala alla jusqu’à oublier son
propre nom.
(i) Lib. Vil, cap. 24.
DES ENFANS. 2y5
Je reviens aux études, qu’il faut diriger de ma-
nière que l’enfant ne s’en dégoûte pas et ne les
abandonne ])as dans la suite. On fera réciter awx
enfans leurs leçons à haute voix, même pendant
qu’ils marchent ou montent le degré. L’haleine
ainsi arrêtée, leur donne des forces, suivant Aris-
tote (i), et les augmente; du moins est-il certain
que cela sert à fortifier les poumons.
Les jeux contribuent beaucoup à donner de la
vigueur au corps et à développer les membres; ce
qui les a fait recommander par tous les anciens
philosophes. Il y en a, dit Platon , de deux espè-
ces, la danse et le palestre (2), qui se réduisent
aujourd’hui à la danse seule.
Les anciens faisoient entrer dans l’éducation des
enfans les exercices militaires, la chasse et l’équi-
tation ; c’est de cette manière que Diogène éleva ,
par raison de santé, les enfans de Xéniades. Pla-
ton recommandoit les exercices du corps , non-
seulement aux garçons, mais également aux filles;
tant les anciens a\ oient pour principe d’entretenir
la santé et d’augmenter les forces du corps.
Je suis néanmoins d’opinion que ce n’est pas
avant l’âge de sept ans qu’il faut faire apprendre à
danser , à moins que l’enfant ne soit d’une consîi-
( 1 ) Do Repuhl. , pag. 448.
(a) Do Legibus , lib. Vil.
27® L’jÈDUCATION
lution robuste ; d’ailleurs , il ne me paroît pas qu’il
puisse y avoir un meilleur exercice pour le corps.
Quant au cheval, il ne faudroit pas en permettre
l’usage avant l’age de puberté, non plus que celui
de l’escrime , parce que ces exercices demandent
plus de force que les enfans n’en ont communé-
ment avant celte époque.
En général, il convient de proscrire, avec Sé-
nèque (i), tous les exercices dont les elForts qu’ils
exigent épuisent l’esprit et rendent par conséquent
l’homme incapable de contention et d’aptitude aux
belles- lettres. Comme la classe peu fortunée des
citoyens n’a pas besoin de ces connoissances , elle j
est condamnée à commencer de bonne heure de
rudes travaux.
Je pourrois terminer ici cette dissertation , si je
ne croyois pas qu’il fut nécessaire de parler des
défauts attachés à l’enfance et qu’il est au pou-
voir des parens de corriger. Je vais donc, dans le
chapitre suivant, jeter un coup d’œil sur ceux que i
je regarde comme les principaux.
(i ) Epist. XV.
DES ENFANS,
277
CHAPITRE V.
Des défauts naturels aux enfans^
Ce n’cst pas sans raison qn’Aristote dit que la
beauté du corps est préférable aux meilleures let-
tres de recommandation. 11 est donc du devoir des
parens de prévenir les défauts qui peuvent nuire à
leurs enfans et les rendre moins agréables dans la
société. Il y a quelques défauts, tels que le stra-
bisme , le bégaiement , le bredouillement , qui
s’acquièrent par habitude; tandis que ce n’est que
par accident qu’un homme boite. Il y en a d’au-
tres qu’on gagne par contagion , comme la gale ,
la teigne , etc. ; mais je ne m’occuperai pas ici
de ces derniers pour ne pas trop étendre cette dis-
sertation.
Le strabisme provient ou de ce que les parens
ont le même défaut , ou de convulsions , ou de
quelque accident , mais le plus souvent de l’habi-
tude. On sait que les yeux d’un enfant nouvelle-
DE l’ ÉDUCATION
278
ment né ne sont pas encore jiarfails dans tontes
leurs parties. Petit (1), membre célèbre de FAca-
démie royale des sciences de Paris, pensoit que la
vue des jeunes enfans est imparlalte à cause de Fé-
paisseur de la cornée; et parce qu’il n’y a pas as-
sez d’humeur aqueuse pour donner de la con-
vexité à cette partie de l’oeil. Mais Albinus(2),
par sa grande dextérité à disséquer , a découvert
que la prunelle ou Fuvée n’étoit pas encore ou-
verte, ce qui, pris ensemble, doit rendre la vue
fort imparfaite. Chez plusieurs enfans néanmoins
Fuvée est déjà ouverte et même plus que chez les
adultes, comme Petit Fa observé dans huit nou-
veaux-nés. Je ne puis disconvenir que moi-même
j’ai trouvé dans plusieurs enfans morts en naissànt,
la prunelle assez ouverte , et que dans d’autres Fii-
vée éloit encore fermée, de la manière qu’Albinus
Fa remarqué.
Il est fort probable que les enfans , quoiqu’ils
aient les yeux parfaitement bien conformés en
naissant, n’apperçoivent point encore distincte-
ment les objets et ne peuvent tout au plus que
distinouer la lumière de l’obscurité.
a
Il faut nécessairement qu’ils apprennent à voir,
de la même manière que sont obligés de le faire
(1) 1727, pag. 346.
(2) Acad> annot- , îib. I , cap. 2 , pag. 33.
DES EN FAN S,
279
les aveugles nés à qui on abat les cataractes. Ils ne
distinguent point, sans le secours du tact, un cube
d’avec une boule , ainsi que Molineux l’a observé
le premier, comme Locke en est convenu , et com-
me Cheselden l’a confirmé par plusieurs belles ex-
périences. On peut consulter R. Smith sur cette
matière, ainsi que sur les pro])riétés générales de
la lumière. Il faut convenir cependant que plu-
sieurs quadrupèdes et oiseaux jouissent de la fa-
culté de voir et de distinguer même parfaitement
les objets, immédiatement après qu’ils sont nés.
Les jeunes canards, par exemple, non-seulement
nagent fort bien, mais prennent des mouches et
d’autres insectes au moment même qu’ils sortent
de l’œuf. Ils jugent par conséquent de la forme et
de la distance des objets, sans avoir besoin du sens
du toucher; tandis que dans l’homme la vue pa-
roît conformée d’une autre manière, et avoir be-
soin d’être instruite par l’expérience.
Mais revenons à notre sujet. Les enfans devien-
nent louches lorsqu’ils commencent à regarder fes
objets evec les deux yeux: je dois donc examiner
d’abord quelle est la cause qui produit le stra-
bisme, pour voir ensuite quel est le remède qu’il
convient d’y apporter.
Si ce défaut est héi'éditaire, ou s'il provient de
convulsions continuelles, il résiste à tous les re-
mèdes; si c’est à une mauvaise habitude qu’il faut
28o
DE l’ ÉDUCATION
l’attribuer, il ne se guérit que cliflicilement , parce
qu’il esf impossible de faii'e coniprendi e aux en- |
fans ce que c’est que le strabisme, et qu’ils igno-
rent l’incommodité qui les afflige. Aussi les parens ■
réussissent-ils rarement par leurs remontrances et '
leurs réprimandes; car, comme les enfans ne sa- ji
vent pas ce qu’on exige d’eux , ils tirent de phis '
en plus leurs yeux de travers.
Quelquefois on parvient à vaincre celte mau-2,|
vaise habitude, en diant'de devant les yeux des|;
objets qui les attirent d’un côté, et en plaçant un y
autre objet de différentes couleurs à quelque dis-''
tance droit devant eux, ])Our qu’ils soient obligés de ; '
le fixer. Andry (i) conseille de prendre pour celaf i
une glace et de s’y regarder souvent soi-même; !
mais ce remède convient mieux quand on est ])llis
âgé. îl défend absolument la lecture, disant qu’il
n’est pas de grande importance qu’on sache lire
un peu plutôt ou un peu plus tard ; mais , selon
moi, ce raisonnement auroit plus de force, si c’é-
toit par la lecture seule que les enfans se gâtent
la vue. Ils portent sans cesse les yeux sur tous les 4
objets quelque petits qu’ils puissent être , commet
cela est naturel à la jeunesse.
On doit avoir soin de ne point donner aux en-
fans un inaîtie ou des compagnons qui louchent ,
(i) Tom. II, pag. 104.
parce qu’ils se gâtent souvent les yeux en imitant
les personnes qui ont ce défaut.
..es médecins oculistes, tel qu’étoit le célèbre
Bartisch fi), recommandent les coquilles de noix
percées d’un petit trou , ou depelitsgodetsdecette
forme, d’or ou de quelqu’autre matièi'e , attachés
a des rubans , ou bien des masques; mais ces re-
mèdes sont d’un foible secours. J’ai fait employer
de ces coquilles de noix à deux frères qui lou-
clioienl])arhabltude;maiscela leur fit tirer si hor-
riblement les yeux de coté, que ce n’étoit qu’avec
un œil à-la-fois qu’ils regardoient à travers le trou
de la coquille, ce qui fit augmenter sensiblement
le mal. Je crus donc qu’il valoit mieux les aban-
donner à la nature jusqu’à ce qu’ils fussent plus
Le strabisme est peu commun parmi les gens de,
la campagne; ce qu’il faut attribuer sans doute à
ce qu’ils en parlent rarement à leurs enfans , et
qu’ils se fient à cet égard à la sagesse de la nature.
Les riches, au contraire, éduquent leurs enfans de
manière qu’ils ont l’air de personnes âgées, même
avant qu’ils sachent voir ou parler.
Une mauvaise prononciation est , selon moi ,
bien plus désagréable que le strabisme, parce que
les pei’sonnes qui bégayent jouissent peu des char-
(0 Âiigendienst , part. II, cap. 2, fig. 5, 4> 5,
282
Del’ ÉDUCATION
mes de la société, qui font le plus grand bonheur
de l’homme. Il convient donc de chercher à faire'
connoîlre la nature de ce défaut , d’autant plusque I
c’est, en général, à l’insouciance des parens qu’il
faut l’attribuer.
C’est une règle générale et constante que les en-
fans parlent rarement d’une manière distincte
avant l’àge de deux ans; et que ce n’est qu’à celui
de cinq ans qu’ils s’expriment avec facilité. Il faut
par conséquent beaucoup cle ])atience pour leur ap-
prendre à lire; et l’on doit avoir soin de pronon-
cer si distinctement chaque lettre qu’ils puissent
en imiter aisément le son. Il ne faut pas trop les
presser sur cela , et ne jamais les gronder ; sinon
la langue s’embarrasse et ils balbutient. Voilà d’où
vientqiic certaines personnes récitent fort bien des
vers et chantent sans difliculté , tandis qu’il leur
est impossible de parler sans bégayer horriblement.
Je conseille donc aux parens qui s’apperçoivent
que leurs enlans ont ce défaut, de ne pas les ré j
primander du tout, et de les abandonner à eux- i
mêmes ,.pouT qu’en imitant les autres, ils ajipren-
nent à parler sans y penser; ou bien il faut user
d’une grande patience, en les stimulant par des
éloges et des présens. ;
Les lettres dilnciies à prononcer, et les mots où
il entre beaucoup de consonnes, doivent être dé- 1
composés en de simples lettres ou sons.
DES E N F A N S.
£285
. , La lettre w , par exemple, se prononce cliffici-
iî .lemeut, surtout lorsqu’elle est précédée d’un t,
isc jcoimne dans ces mots tville , twist ^ qu’il faut leur
qi’PPprendre par u-ille , ta-ist , etc.
■ | La lettre Je , qui est guturale, ne s’apprend que
;5fiT|fort tard, et il en est de même de la lettre /.
iDCtîj . enfans bégayent quand ils veulent
celstparler vite, ou lorsqu’ils sont en colère : il faut
iao^donc leur apprendre à parler posément. D’autres
iâ[i| n’ont ce défaut que lorsqu’une phrase commence
lOD^par un J: ou par un q. Il convient alors de dispo-
wiser leur diseours de manière qu’il y ait en tête
)lei quelques autres mots.
I On sait que Démosthènes se défit de ce vice de
prononciation et devint un grand orateur, en pre-
è liant des cailloux dans sa bouche ; mais il avoit
entj déjà atteint l’age viril lorsqu’il s’exerça lui-même
îjt,, à vaincre ce défaut. Je suis persuadé que heau-
eei coup de personnes pourroient se corriger, en erh-
ployant le même remède ; car il est impossible ,
]j. pour ainsi dire, de concevoir à quoi l’homme jieut
;j.i parvenir quand il veut employer toutes ses facul-
^lés. Cependant le moyen dont se servit Déraos-
[thèues ne convient ni aux enfans , ni à tous les
'hommes, pas même à ceux qui ont le plus d’esprit.
Je doute beaucoup que ce soit jamais quelque
j.|]délaut de conformation de la langue qui fasse bé-
gayer. J’ai souvent entendu parler à Leyde la jeune
284
DE l’ ÉDUCATION
fille sur lacjuelle Trioen (i) nous a laissé des ob-
servations. Sa langue , qu’elle portoit dans une
gaine d’argent , lui pendoit hors de la bouche dei
la longueur de quatre doigts.; cependant elle ar-*
liculoit distinctement et sans bégayer.
D’autres, dont la langue avoit été extirpée jus-
qu’à la racine, ou qui l’avoient perdue par la gan-
grène , ceux mêmes qui étoient nés sans langue ,
ont parfaitement parlé. Huxhara, médecin célèbre
et digne de foi, a donné dans les Transactiom
philosophiques à& Londres (2) de lyds , l’histoire
d’une jeune fille qui parloit fort distinctement
quoiqu’elle n’eût point de langue, DrelincourtJ
Tulpius et Jussieu font également mention de pa-‘
reils phénomènes.
Je parlerai maintenant de l’obliquité de l’épine
du dos, à laquelle ïiipj)ocrate a donné le nom de
scoliosis. J’ai déjà fait mention ailleurs de plu-
sieurs circonstances relatives à la cause de ce dé-
.!
faut , dont la répétition seroil déplacée ici ; mais
je n’ai rien dit encore de la nature de celte ma-
ladie , ni des moyens de la guérir ; je vais donc
m’occuper de ces objets.
Dans la plupart des enfans nouveaux-nés les
vertèbres sont cartilagineuses, et ce n’est que dans
(1) 0!s. ]\Ied. Chir. , pag. 142.
(2) N Journal des Savans, novembre 1761 , pag. 3g et suîv.j
285
DES ENFANS.
ieur centre et dans leurs apophyses qu’elles ont
un noyau osseux. Cet état dure assez long-tems ,
quoique les vertèbres s’ossifient continuellement
de plus en plus; elles croissent même jusqu’à l’àge
' de puberté, et l’ossification n’est parfaite qu’à ce-
lui de vingt-cinq ans.
Ces vertèbres sont attachées les unes aux autres
par des ligamens dont la partie intérieure est fort
molle, mais en même tems fort élastique, et cela
au point même que , par sa force spécifique , elle
soulève toute l’épine du dos avec les parties adhé-
rentes. Or , du moment que , par une mauvaise
attitude, ou par des corps à baleines trop étroits,
la colonne vertébrale s’incline du même côté, celte
matière élastique est froissée; de sorte que le corps
cartilagineux des vertèbres supérieures se trouve
comprimé , et adhère, du moment que la lame
cartilagineuse placée entre les vertèbres est dé-
truite , à la vertèbre inférieure ou à la suivante :
alors la nutrition devient nulle, les vertèbres pren-
nent une forme triangulaire, et l’épine du dos se
courbe de la manière que l’a représenté Chesel-
den (i).
Les cotes attachées forment donc une bosse du
côté opposé à l’épine du dos comprimée , et un
creux du côté vers lequel les vertèbres sont incli-
(0 Osteogr,^ tab. XLIIl.
28Ü
!) J . 1/ k I) U C A T I O N
nées. Les é])anies , ne correspondanl par consé-
quent plus avec les cotes protubérantes, s’élèven
plus qu’il ne convient j de sorte que, d’une petite
flexion de l’épine du dos , il résulte une grandt
bosse. La tête, ne se trouvant plus soutenue dans
une position droite, se penche également de tra-
vers, vers le côté où est la bosse, pour que le cen
Ire de gravité soit plus facile à conserver.
11 est, donc évident que ce n’esl pas la partie
saillante qu’il faut com])rimer ; mais qu’on doit
chercher à soulever l’aisselle affaisée, pour que les
lames cartilagineuses qui sont jdacces entre les
vertèbres puissent reprendre leur élasticité, ou du
moins pour prévenir, si cela ne réussit pas, que
la courbure de l’épine du dos n’augmente.
Il est également incontestable que toutes les es-
pèces de colliers formés de rubans ou de métaux,
ne corrigent pas ce défaut; qu’ils forcent, au con-
traire, de plus en plus l’épine du dos à se jeter de
côté, parce que c’est toujours vers ce côté-là qu’on
dirige le centre de gravité de la tête.
Î1 paroît enfin que ce défaut ne sauroit être cor-
rigé par la suspension à l’anneau que Nuck (1) re-
commande pour guérir ceux qui ontlecou de tra-
vers. L’inclinaison de l’épine du dos formée par
les causes dont j’ai fait mention, gît dans les ver-
(i ) Exper. chir. , pag. 86.
DES ENFANS.
DES ENFANS. £>87
îèbres. Si donc on sus})endolt l’enfant dans l’an-
neau en question, le poids des bras presseroit le
tronc vers en bas; et la force expansive agit le plus
sur les ligamens qui attachent la seconde vertèbre
cervicale à la tête.
J’ai suffisamment démontré, je pense , que les
remèdes qu’on emploie communément empirent
le mal; je recommande donc de nouveau qu’on
l’abandonne à la nature; c’esl-à-dire , qu’on re-
jette toutes espèces de corsages , de colliers , etc. ;
J jqu’on ait soin enfin que les enfans ne restent pas
trop long-tems penchés d’un même côté, et qu’ils
ne portent ou ne soulèvent pas un poids trop lourd
avec une seule main ; car dans l’instant l’élasticité
des lames placées entre les vertèbres se trouve
froissée, à peu près de la manière que l’élasticité
d’une corde de métal est anéantie par un coup de
marteau. Mais en voilà assez sur les défauts qui ré-
sultent d’une mauvaise position du corps.
J’ai déjà observé que c’éteit ]>ar accident que
les enfans devenoient boiteux; il convient donc de
faire quelques recherches sur ce défaut , qui est
fort commun dans notre patrie. Dans la ville que
j’habite actuellement (Franeker), on compte en
I'^tout deux mille sept cent soixante-quinze hah -
tans, parmi lesquels il 3’ a quatre-vingt-seize boi-
teux. Si l’on retranche donc de ce nombre cent
quatre enians qui ne peuvent pas encore marcher,
288
T) E l’ É I) U C A T 1 O N
il y aura deux mille six cent soixante-onze âmes ,
lequel nombre, divisé de nouveau par quatre-vingt-
seize , nous donne ])our résultat celui de vingt-
luiit : les boiteux y sont donc aux personnes qui
n’onl point ce défaut , commme un est à vingt-
liuil.
Il est remarquable qu’il y ait dans cette même
ville, seize hommes faits et quarante- deux fem-
mes dont le corps est de travers ; et cela au point
que , malgré les corps à baleines et tous les autres
moyens dont on se sert pour cacher ce vice de con-
formation , il n’en est pas moins fort visible. Mais
je retourne à mon sujet.
Les enfalns sont conformés de manière que le
centre de gravité se trouve au-dessus du centre de
mouvement, c’est-à-dire, au-dessus de l’articula-
tion des hanches. C’est-là ce qui les rend fort su-
jets à tomber, quand ils veulent accélérer leur
course; car le centre de gravité acquiert alors une
fot ce qui le porte à dévancer le centre de mouve-
ment. Les enfans tombent par conséquent tou-
jours en avant. Je vais joindre ici une figure pro-
pre à éclaircir ce fait.
Soit A. B. la hauteur de l’enfant ; C. le centre de
gravité près du nombril; D. le centre de mouve-
ment. Que l’enfant courre , il est évident que la
vélocité du centre de gravité C. sera à la vélocité
de D. comme C. F. est à J). G., et que celle de la
!
fi
S
DES ENFANS. 289
tête sera comme A. E. ou bien comme A. B. à
B. C. , et B. C. à B. D. Du moment que le centre
de gravité et celui de mouvement viendront à se
joindre, ces forces seront réciproquement égales;
c’est-à-dire , que C. F. sera égal à D. G.
Lorsqu’on porte l’enfant sur le bras , le centre
de gravité est de la même manière au-dessus du
centre de repos. Par exemple, soit A. B. C. D. Fen-
fant qui est porté sur le bras; E. le centre de re-
‘lot
pos ; E. le centre de gravité : il est certain que lors-
19
III,
que Fenfant tombe, la nourrice ne peut le retenir
que par les jambes, et qu’il doit nécessairement
tomber en arrière , parce qu’il ne trouve aucun
point d’appui de ce côté-là; ou bien il tombera de
côlé. Lorsque l’enfant commencera à tomber, la'
nourrice cherchera à prévenir sa chute en le rete-
nant par les pieds; c’est dans ce moment que la
vélocité et la force données au centre de gravité
E. seront cause qu’une des hanches ou toutes les
deux B. se trouveront offensées; ce qui arrive coin^'^
munément avant que l’enfant puisse marcher.
DES E N F A N S. 201
Ce froissement ou contusion est cause que la tête
du fémur sort , dans la suite , totalement de son
emboîturej il y Hue alors une sérosité visqueuse ,
laquelle distend peu à peu le ligament capsulaire
et le ligament plat, au point que la tête se trouve
totalement expulsée, et va se fixer dans quelque
endroit voisin. De là résulte la claudication , la-
quelle est peu sensible quand l’enfant commence
à marcher , mais elle augmente ensuite chaque jour
de plus en plus.
Les enfans chancellent aussi davantage , parce
que le centre de gravité est placé plus haut au-
dessus du centre de mouvement; par-là l’emboî-
ture de la hanche , qui est encore cartilagineuse ,
s’alonge, ou bien la tête du fémur et son cou, les-
quels sont également cartilagineux encore, se trou-
vent comprimés j par conséquent tous les deux
sont offensés dans le même tems. Quelquefois cette
luxation est plus grande , d’autres fois elle est
moindre, suivent la cause qui l’a produite et le
degré de forces de l’enfant.
Cette difformité augmente d’une façon effrayante,
lorsque les païens veulent faire marcher trop tôt
I l’enfant ; elle empire même à tel point , par les
jmouvemens que fait l’enfant, quand il est plus
âgé , que si l’on n’y veille pas attentivement , l’é-
pine du dos se déjette; de sorte que l’enfant , qui
ne faisoit que boiter, devient aussi à la fin bossu.
Plut au ciel que le mal ne s’empirât pas de lui-
même ! Les os , comme je l’ai dit , prennent de
jour en jour une plus grande croissance relative-
ment au tronc ; la jambe boiteuse moins cependant
que l’autre, parce qu’après le déboîtement de la
hanche, les vaisseaux sanguins et les nerfs cruraux
se trouvant trop distendus et obstrués, ne fournis-
sent pas la nourriture convenablea La jambe af-
fectée maigrit par conséquent , et devient encore
plus courte en comparaison de la jambe saine.
Le corps se trouve donc soutenu inégalement ;
en un mot, le mal s’accroît quelquefois par-là si
considérablement, que le patient ne peut à la fin
plus marcher qu’avec des béquilles.
Et ,ce qui est véritablement affligeant, c’est que
la claudication ne sauroiî être guérie d’aucune ma-
nière; l’on ne sauroil y appoiter d’autre remède
que celui de soutenir le corps par une botte avec
des articulations mobiles, qui monte jusque sousr
l’aisselle, afin que l’épine du dos conserve une po-
sition droite, et que la partie déboîtée soit conve-
nablement nourrie.
Les souliers à talons hauts de bois , comme en
portent les femmes, sont nuisibles; de même que
çeuxqu’on rehausse avec du liège. Il est vraique cela,
sert à masquer plus ou moins la dilformité ; mais;
Bussi cela fait-il remonter la tête du fémur conti’et,
l’os ilion ; ce qui contribue à augmenter la claudi-.i j
DES ENFANS.
293
cation et le dépérissement de la jambe affectée.
Lorsque le patient est parvenu à l’âge de pu-
berté , et que la croissance est achevée , on peut
bien , pour l’élégance , garnir le soulier d’un talon
de bois ou de liège; cela rend en même tems la
marche plus aisée; mais il faut alors abandonner
tous les autres moyens.
Je ne puis cependant m’étonner assez du grand
nombre de boiteux qu’on rencontre dans les villes.
Ce défaut est fort rare parmi les gens de la cam-
pagne. On diroit aussi que la claudication est hé-
réditaire dans certaines familles , chez qui elle
semble passer du père ou de la mère aux enfans.
Jamais néanmoins ce défaut n’a rendu l’accou-
chement difficile : on diroit , au contraire , qu’il
sert à le faciliter, parce que le bassin des femmes
boiteuses est, en général , plus large.
204
DE l’ ÉDUCATION
CHAPITRE VI.
S’il faut inoculer les petits enfans.
Ce seroit s’occuper d’un travail inutile que de
vouloir répéter tout ce qui a été dit pour et con-
tre l’inoculation. Ce que le révérend et célèbre C.
Chais a publié sur cette matière, dans le premier
volume des Mémoires de la Société des sciences
de Harlem , doit suffire pour nous convaincre de
l’utilité de l’inoculation. Les objections qu’on a
voulu faire n’ont pas été d’un grand poids, parce
que la contagion est une espèce d’inoculation con-
tre laquelle il est impossible que les parens garan-
tissent leurs enfans qui fréquentent les écoles.
Tous les médecins s’accordent , il est vrai , à
dire qu’on doit prendre en considération l’age des
enfans, et que celui de six ou sept ans est le plus
convenable pour cet effet ; mais que faudra - t-il
faire, demanderai-je, si la contagion donne av'ant
ce tems la petite vérole à ceux qu’on a voulu en
DES ENFANS.
295
préserver? Reste-t-il alors assez de lems pour que
les remèdes diasostiques diminuent la violence de
ce terrible fléau ?
Tout ce que j’ai ])u observer touchant cette
cruelle maladie, tant acquise naturellement que
communiquée par inoculation , m’a convaincu
que la constitution scorbutique des enfaris , ainsi
que celle des adultes , en rend les accidens plus
graves. Est-il vraisemblable qu’une simple prépa-
ration puisse remédier à cette disposition du corps?
La contagion ne nous surprend - elle pas tandis
que nous songeons à nous préparer? Cette mala-
die est-elle également mortelle dans tous les pays,
dans tontes les villes? Ne remarque-t-on pas, ou-
tre cela, tous les ans une certaine proportion en-
tre le nombre des morts et celui des naissances?
Si de plus nous portons notre attention sur le
nombre et sur i’àge des morts qu’on enterre tous
les mois à Londres, il paroît qu’il meurt un tiers
des enfans avant qu’ils aient atteint l’age de deux
ans, et un sixième de ce qui reste avant celui de
cinq ans. En général , les enfans meurent dans
une telle progression , que la moitié Èi peu près
n’existe plus avant le teins auquel il seroit pro-
prement convenable de les faire inoculer.
L’inoculation ne convient donc que dans cer-
tains cas particuliers ; et , quoiqu’on puisse dire ,
les accidens qui en résultent sont toujours moins
2q6 de l’éducation des enfans.
(la ngereux, et la petite vérole secondaire est moinà I
maligne. Par consécjuent , le visage n’est pas si
maltraité, et la cécité paroît être rarement , pour
ne pas dire jamais, la suite de l’inoculation.
Mon coeur est véritablement pénétré de dou-|
leur, quand je me rappelle le nombre d’enfans]
que la petite vérole secondaire a rendus aveugles; ;
et la manière dont j’ai vu ces pauvres innocens , |
qui ignoroient leur malheureux sort, rire et jouer
sur le giron de leur mère. Si, à ces infortunés, on
joint le nombre considérable de ceux qui en gar- I
dent pendant toute leur vie des yeux malades et
d’autres incommodités , ainsi que les femmes en-
ceintes que cette maladie conduit au tombeau , et
les terribles fausses couches qui en résultent , on
ne peut douter que l’inoculation ne soit un grand
bienfait pour l’humanité , lorsqu’on l’administre à
Page convenable.
Voilà, Messieurs, ce que j’avois à dire sur l’é-,
ducation des enfans. Comme j’ai pensé qu’il fal-
loit être succinct , j’ai passé sous silence les objets
qui n’ont pas un rapport direct au régime des en-
fans. Ils sont sujets à plusieurs autres incommodi-
tés encore, dont je n’ai voulu ni dû vous entrete-
nir ici , parce qu’elles ne sont pas à la portée des
parens ; d’ailleurs, elles ne paroissent pas entrer
dans la question à laquelle je m’étois proposé de
répondre.
DEUX DISCOURS
SUR LA MANIÈRE
DONT LES DIFFÉRENTES PASSIONS
SE PEIGNENT SUR LE VISAGE.
t
PRÉFACE
DE L’ É D I T E U R.
N ou s publions ici les derniers discours que feu
M. P. Camper a lus en 1 77-i , 1778 et 1782 , à l’A-
cadémie de dessin d’Amsterdam. Ces discours
étoient destinés à former chacun en particulier
une dissertation ; mais l’auteur les a laissés tels
qu’il les avoit prononcés en public.
Les deux premiers ont pour objet V Examen
des passions, avec la manière sûre de les expri-
mer. Les connoissances profondes que M. Camper
possédait dans l’anatomie et dans l’art du dessin,
l’avûient mis à même, plus que tout autre, d’ap-
percevoir les fautes que les peintres ont commises
dans cette partie importante , et de les corriger ,
en même îems, par de nouvelles idées. Il ne nous
appartient pas de dire quel a été le succès de ce
travail 5 mais qu’il nous soit permis de rajipeler
les applaudissemens que lui ont mérité ces dis-
cours , et le désir qu’ont montré les amateurs de
ooo
r n É F A c E
la peinture qu’ils fussent rendus publics par l’im-
pression. Une si llaUeuse perspective a servi beau-'
coup à nous encourager dans celle entreprise ;
quoique nous avouions à l'egrel combien peu nous
sommes en état de remplir l’attente du public à
cet égard, à cause que l’auteur a laissé les dessins
destinés à servir à l’intelligence du texte dans un
O
tel état d’imperfection que nous avons douté long-'
temss’il étoil convenable de les publier; ceux du
moins qui ont pour objet l’expression des passions.
Tous les dessins que nous possédons relativement
à celle matière ne sont que de simples croquis,'
pleins de feu, à la vérité, et rendant parfaitement
l’essentiel de ce que l’auteur se proposoit de dé-
montrer, mais si peu arrêtés qu’il étoit impossi-
ble de les publier dans cet état. Nous avons donc,
avéc l’aide d’un habile graveur , fait exécuter les
planches ci-jointes aussi exactement qu’il nous a
été possible d’après les esquisses originales, en n’y
faisant que les changernens indispensablement né-
cessaires. Nous ne pouvons assurer cependant d’a-
voir pleinement satisfait par-là aux intentions de
l’auteur, et nous devons réclamer l’indulgence des
lecteurs sur le peu de perfections de ces gravures.
DE l’ ÉDITEUR. 5ol
L’objet des deux discours suivons est d’appli-
juer à la peinlure V étonnante conformité cjiii
Kxiste entre la structure de V homme et celle des
juadrupèdes , des oiseaux et des jjoissons; suivi
Vune nouvelle méthode pour apprendre à des-
siner toutes les espèces cFaniniaux d’une ma-
nière sûre et facile.
Nous avons trouvé les esquisses que l’auteur a
laissées pour cette pièce assez bonnes pour ne de-
imander aucun changement. Quoique nous eus-
Isions désiré que ces figures offrissent un contour
plus exact et des attitudes plus agréables , nous
avons cru qu’il falloit préférer la plus scrupuleuse
exactitude à toute espèce d’ornement 5 et la moin-
dre altération dans les traits auroil indispensable-
ment nuit à la vérité.
Le dernier discoursa pour objet \e Beau phy-
sique ou la Beauté des formes.
Peut-être y aura-t-il des personnes qui, s’étant
trouvées à la lecture de ces discours, en seront
moins satisfaites en les lisant aujourd’hui imprimés.
Elles se rappeleront peut-être d’avoir entendu et vu
démontrer alors par l’auteur beaucoup de choses
dont il n’est j)oint fait mention ici : des notes mar-
,")02 I> R É F A C E DE l’ É D I T E U R.
ginales du manuscrit et le témoignage de plusieurs
témoins nous apprennent cpi’il nous manque dif-
férentes choses qui lirenl alors une vive et agréa-l
ble impression sur l’esprit des auditeurs^ mais dont
il ne nous est rien resté ni dans les manuscrits dé
l’auteur, ni sur les tableaux à dessiner de l’Aca-
démie. Il est heureux du moins que l’essentiel de
ces discours nous soit parvenu dans l’état où il se
trouve, et nous osons espérer qu’en les olfrant au j
public c’est lui faire un présent qui ne peut que
lui être agréable.
PREMIER DISCOURS.
i
JVÆ ESSIEURS,
DÈS la pins haute antiquité, la peinture a été
considérée non-seulement comme le plus agréable
et le plus utile des ai'ts, mais sa pratique a été re-
gardée comme tellement nécessaire à tous les hom-
mes, sans distinction de rangs, que, suivant Aris-
tote, dans son essai sur les républiques, les Grecs
la faisoient enseigner à la jeunesse , afin que les
enfans, ceux surtout des premiers citoyens , pus-
sent porter un jugement sain et bien raisonné sur
les productions de Fart.
Cet illustre précepteur d’Alexandre le Grand
ajoute , qu’il faut aussi initier les jeunes gens dans
cet art enchanteur pour leur donner un goût plus
sûr , afin qu’ils puissent faire avec discernement
l’achat des meubles destinés à orner leurs mai-
sons, et pour qu’ils fussent bien pénétrés de iacon-
noissance du vrai beau.
Ce louable exemple éîoit jadis si généralement
3o4
DISCOURS LUS
suivi parmi nous, que les enfans des meilleurs ci-
toyens de toutes nos villes , furent instruits dans
ce bel art ; mais aujourd’hui nous nous plaignons,
avec raison , de sa décadence , même dans les vil-
les de Hollande où il paroissoit avoir établi au-
trefois son siège.
Il n’y a plus , à proprement parler , que cette
ville seule qui continue à protéger cette aimable
soeur de la poésie; et cela avec un tel succès, que
ce n’est pas seulement la jeunesse actuelle qui nous
donne les plus grandes espérances, mais nous pos-
sédons déjà même réellement des artistes qui ,
stimulés par la noble émulation de se surpasser
mutuellement , produisent des chefs-d’œuvre aussi
propres à orner cette capitale qu’à étendre la re-
nommée de notre patrie.
Mais , pour ne pas trop m’écarter de mon but ,
je passerai sous silence les leçons instructives et les
discours intéressans que plusieurs membres de
l’Académie ont prononcés dans le lieu que j’oc-1
cupe. Leur modestie ne me permet pas d’appré-
cier, en leur présence , ces beaux discours à leur,,
juste valeur. Je ne parlerai donc que de ce que je *
dois à ma propre expérience, par qui j’ai appris à
connoître et le zèle soutenu des Mécène de cette
Axadéinie , et le goût décidé pour les arts des plus
respectables citoyens de cette ville célèbre !
Combien ne furent pas flatteurs pour moi , les
5o5
A l’ A C A D. DE DESSIN.
encouragemens que vous daignâtes me donner en
J 770, en m’engageant à faire des recherches sur
les principes fondamentaux d’un art qui fera tou-
jours mes plus chères délices.
’ Ces encouragemens furent pour moi une loi im-
périeuse ; et sensible à la gloire , qu’on voudra
bien , j’espère, ne pas prendre pour de la vanité ,
je fus animé du désir de démontrer, en votre pré-
sence , combien la connoissance de l’anatomie in-
flue sur la peinture.
En 1770 , j’eus le plaisir de vous faire voir avec
quelle facilité , avec quelle certitude , on pouvoit
représenter les diflévens traits caractéristiques de
la physionomie des différens âges et des dilï'érentes
nations. Aujourd’hui je me propose de démontrer
combien il est aisé de peindre les différentes pas-
sions sur le visage de V homme mais comme
cette science est plus abstruse , les principes en
sont aussi plus difficiles à saisir, ils demandent une
connoissance plus profonde de la charpente du
corps humain, non-seulement quantaux os, mais
aussi quant aux muscles et aux nerfs; connoissance
essentiellement nécessaire si nous voulons bien ap-
pliquer les réglés dont je vais vous entretenir.
Je m’adresse donc à vous, généreux protecteurs
de cette Académie ! à vous, dignes directeurs de
celte école illustre ! à vous, artistes célèbres, qui,
par vos productions , soutenez la gloire de cette
III.
20
3o6
DISCOURS LUS
Utile institution ! à vous, amateurs et protecteurs
de Fart du dessin ! je vous prie de m’accorder vo-
tre attention et votre bienveillance. Pardonnez si
j’ose, en présence de tant de personnes instruites
et habiles, vous proposer des règles sur un art qui,
je crains, est au-dessus de mes forces. Excusez
mon zèle, infructueux peut-être, mais lequel du
moins n’est dicté que par le désir d’être utile.
L’expression fidelle des mouvemens de l’ame
par l’imitation exacte des traits du visage qui les in-
diquent, a été fort estimée dans les teins les plus
reculés. Pline fait mention d’un certain Aristide
deThèbes, qui le premier a représenté les passions
et les affections de Famé. Quoiqu’on ne puisse pas
disconvenir que les bras, les jambes, l’attitude du
corps entier, contribuent à exprimer nos passions,
il faut avouer cejiendant que le visage a toujours
été considéré comme le véritable siège de Fexpres- ,
sion des sentimens qui agitent notre ame.
Cicéron appelle le visage le langage tacite ou
muet de Famé 5 et Sénèque, qui avoit acquis de
grandes connoissances des facultés intellectuelles
de l’homme, dit , avec raison , qu’à peine peut-il
s’élever quelque passion violente en nous qu’elle!
ne soit sur-le-champ peinte d’une manière visible
sur notre visage.
Mais c’esl-là trop généraliser les idées pour
qu’on puisse en conclure que les anciens étoieot
A l’ A C A D. UE DESSIN. .5o7
aussi insti’iiits que nous les sommes sur cette ma-
tière. J’ai voulu dire seulement qu’ils en avoient
d’assez bonnes notions , et qu’ils savoient , entre
autres, que les yeux sont les véritables miroirs de
l’ame. L’ame , dit Pline , ce grand juge des beaux-
arts, habite dans les yeux! Il n’ignoroit pas non
plus que le mouvement des sourcils y joue le prin-
cipal rôle.
Je dois vous renvoyer à l’ouvrage de Junius sur
la peinture des anciens , pour que vous puissiez
vous convaincre de la connoissance profonde qu’ils
avoient de cette partie de l’art. Il est malheureu-
sement vrai que nous avons perdu la plupart des
chefs-d’œuvre de ces admirables maîtres ; mais le
Laocoon seul suffit pour nous convaincre jusqu’à
quel degré ils avoient approfondi l’expression des
sentimens de la douleur. Ce n’est pas sur le visage
seul qu’on lit les soulfrances auxquelles il est en
proie; le tronc entier, les bras, les jambes, cha-
que partie enfin de son corps annonce fortement
chez lui des soulfrances atroces.
L’aménité qui caractérise la Vénus deMédicis, la
majesté de l’Apçllon Pythien , les dieux et les dées-
ses représentés par les anciens sur les pierres gra-
vées , les differens masques , les Faunes lascifs et
toutes les autres productions de ce genre doivent
nous convaincre que l’expression des mouvemens
de l’ame ne fut pas la moindre partie de la pein^
5o8
DISCOURS LUS
tare et de la sculpture dans laquelle excelloient les
anciens artistes.
Cependant lu main de la barbarie a plongé en-
suite tous les beaux-arts dans un profond oubli ,
où ils sont restés jusqu’au quatorzième siècle: alors
les sciences recommçncèrent à fleurir insensible-
ment , pour se relever, au seizième et dix-septième
siècles , avec une si grande vigueur que l’Europe,
fatiguée, pour ainsi dire, d’avoir produit un si
grand nombre d’hommes illustres dans tous les
genres, semble avoir besoin de quelques années de
repos, avant qu’elle puisse en faire naître d’autres
de ce mérite.
Peut-être, dira-t-on, que nous manquons de
Mécène? Celte question m’écarteroit trop de mon
but j et ce seroit nous rendre coupables d’ingrati-
tude que d’oser le supposer, en voyant le zèle avec
lequel on encourage les savans et les artistes, sur-
tout dans cette ville.
Mais j’abandonne ces réflexions, quelque flat-
teuses qu’elles me paroissent , pour vous faire ob-
server que Paul Lomazzo, dans son excellent ou-
vrage DeW arte délia pittura ^ publié en i58i ,
s’est beaucoup appliqué à indiquer les altérations
que produisent les différentes passions sur la phy-
sionomie de l’homme, et les diverses attitudes et
positions qu’elles font prendre à notre corps , et
auxquelles il paroît s’être arrêté principalement.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 3o9
Î1 rapporte, entr’aiUres , que Michelino, pein-
tre milanois , avoit re])résenté deux paysans et
deux paysannes riant avec tant de force et de vé-
rité qidon ne pouvoit les fixer sans éclater soi-
même de rire.
Léonard de Vinci s’amusoit également , à ce
qu’il dit lui -même, à dessiner des visages j’ians.
Personne n’ignore que les carricatures étoient fort
à la mode de son teins , et furent tellement mul-
tipliées qu’elles finirent par inspirer du dégoût.
Léonard de Vinci, qui florissoit au commence-
ment du seizième siècle , dans son immortel ou-
vrage sur la peinture, que toutes les nations, ex-
cepté la notre, que je sache, ont traduit avec une
sorte de respect ; Léonard de Vinci, dis-je, a traité
de toutes les impressions que les mouvemens de
l’ame font sur les traits de la physionomie, com-
me on peut le voir aux chapitres a55 et sÔy; quoi-
qu’il se soit, comme Lomazzo, arrêté principale-
ment aux airs de tête et aux attitudes du coi’ps.
Tous ces hommes célèbres , auxquels nous de-
vons joindre, avec raison, Michel -Ange et Ra-
phaël , ont parfaitement possédé celte partie de
l’art, et paroissent même s’en être rendus la pra-
tique familière. Jamais je n’oublierai le singulier
plaisir que j’éprouvai en voyant ie carton de Ra-
phaël qui représente Saint-Pierre versant des lar-
mes de repentir 5 et qui de nous n’admire pas
5lO DISCOU K s LUS
le groupe de marbre de Buonarotti représentant
l’inquiète Proserpine enlevée par Pluton?
Mais personne n’a traité cette matière avec plus
de méthode que Charles Lebrun , au milieu du dix-
septième siècle; et l’on peut dire à sa gloire que
tous les ])euples ont adopté, non - seulement ses?
préceptes, mais ses dessins même. L’illustre Buf-;’"
fon est le seul, que je sache, qui ait voulu y subs-
tituer, mais sans succès, de nouveaux modèles. Je
m’en rapporte à votre jugement , messieurs; voyez
si j’ai tort en plaçant les dessins de Lebron bien
au-dessus de ceux de Buffon.
L’admirable ouvrage de Lelirun a été parfait e-^i
ment bien traduit en hollandois par De Kaarsgie-^|'
ter; et nos amateurs l’ont reçu avec tant d’em-L
pressement que, dès l’année 1728, il en avoit déjàjj
paru deux éditions dans cette langue.
Loiresse, ce sublime génie, ce peintre admira-
ble, s’est bien apperçu sans doute qu’il ne pouvoit v
rien ajouter aux idées de Lebrun , puisqu’il se con-
tente de donner, dans son Grand livre des pein-
tres ^ de justes éloges à la traduction de Kaarsgie-s
ter, sans rien ajouter de plus; ce qui prouve as-
sez l’estime qu’il avoit pour l’ouvrage du peintre
François.
M. Wattelet a donné depuis plus d’étendue aux
leçons de Lebrun ; et M. le chevalier de Jaucourt
a copié littéralement les observations de Wattelet,
5ii
A l’ A C A D. DE DESSIN.
lesquelles méritent certainement des éloges. But-
fon a paru ensuite, et a traité cette matière en
grand maître ; mais au fond il n’a rien dit de
nouveau.
On me demandera sans doute , et avec raison ,
pourquoi j’ose me hasarder dans cette carrière ,
après que tant d’hommes d’un génie supérieur m’y
ont devancé ? Je répondrai que je n’ai rien de nou-
veau à produire : nous rions, nous pleurons, nous
sommes effrayés , nous nous lamentons et nous
mourons, aujourd’hui comme dans les teins pas-
sés, avant comme après le déluge , et dans le coin
de terre que nous occupons ici comme sur tout le
reste de la surface du globe; toujours et par-tout
les passions se sont exprimées de la même manière
sur le visage des hommes; à l’exception cependant
de ceux à qui des vues d’intérêt ou de politique ont
appris à dissimuler au point d’offrir un front se-
rein et des traits rians et tranquilles, tandis même
que leur ame est en proie aux accès de la colère
ou de l’indignation; et de ceux qui ont su prendre
un tel empire sur leurs muscles et sur leur teint,
qu’ils ne palissent, plus de colère et ne rougissent
plus de honte !
Tous les grands hommes , mes prédécesseurs ,
dont je viens de faire mention , n’ont fait qu’of-
frir les apparences extérieures, et ouï parlé méta-
physiquement des opérations de i’auie; sans son-
5i2
DISCOURS LUS
ger au physique, c’est-à-dire, aux effets naturels
que produisent extérieurement les mouvemens de
l’ame. Mais il nous importe peu , selon moi, de
connoître la manière dont l’ame agit et dans quelle i
partie de notre corps se trouve son siège. Tout cela
est purement du ressort des métaphysiciens, qui,
avec un amas pompeux de mots vides de sens, ne'
prouvent absolument rien , et sont fort éloignés
encore de pouvoir nous démontrer comment s’opè-
rent les effets étonnans de cette substance imma-'
térielle. te
, te;
Pline , Léonard de Vinci et Junius , nous ont;
bien fait entrevoir les principaux effets des pas-
sions^ mais ils ne disent rien de la liaison qui sub-
siste entre les pal lies affectées; et ils ont moins en-
core fait voir les altérations qui doivent nécessai-
rement avoir lieu au moment qu’un certain nerf
est affecté.
C’est avec beaucoup d’art que Waîlelet a dé-
peint les passions ; mais il faut avouer que c’est
plutôt en rhéteur que de toute autre manière;*
Je me propose de faire connoître , non ce qui
se passe dans l’ame quand les passions s’y élèvent,
mais les effets que ces passions produisent sur le
physique de l’homme, Ce sont-là les phénomènes
qui doivent m’occuper, ainsi que la manière cons-
tante dont ils sont produits, surtout dans les mus-
cles du visage.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 5l5
On conçoit facilement combien je dois désirer
qu’on ait préalablement une idée exacte du sque-
lette ; secondement des principaux muscles , du
moins de ceux du visage ; et troisièmement des
nerls , de leurs ramifications particulières et de
leurs conjugaisons réciproques.
Voilà ie but que je me propose et l’objet nou-
veau dont je veux vous entretenir dans ces deux
leçons.
Quelques exemples serviront à jeter de la lu-
mière sur ce sujet.
L’homme livré à l’affliction , à la tristesse, laisse
pencher sa tête , et en soutient avec sa main le
poids, qui n’est plus supporté par les muscles du
cou. Or, qu’est-ce autre chose ici qu’une paraly-
sie qui affecte les nerfs de tous ces muscles?
L’homme heureux, gai et riant, porte, au con-
traire, la tête haute et sa poitrine se dilate à dif-
férentes reprises j de ses mains il soutient ses flancs;
les jambes lui manquent à la lin, et bientôt on le
verroit tomber à terre, si cette affection cluroit en-
core quelque tems.
L’homme livré à la colère frappe des pieds et
des mains ; ses mouvemens convulsifs font trem-
bler la terre; tandis que son visage se distord de
mille manières différentes et devient h’deux.
Le respect et la vénération ôlenî l’usage de !a
5i4
DISCOURS LUS
parole; un tressaillement intérieur ne permet pas
au corps d’avancer ; les yeux , autrement animés
et pleins de feu , fixent la terre ; le coeur palpite;
et si, comme cela arrive souvent , la honte vient
à s’y joindre , le sang teint le front , les joues et le
cou d’un rouge animé.
Je ne finirois point si je voulois exposer les ef-
fets ])hysiques de toutes les autres passions; il suf-
fira d’ailleurs que j’en tire la conclusion générale:
que dans chaque passion il y a certains nerfs
qui sont particulièrement affectés ; et j’en con-
clus que le peintre doit nécessairement connoître
leur union réciproque, ou du moins, si l’on croit
que l’artiste ne peut pas embrasser une si vaste
étude, il faut du moins que ceux qui veulent trai-
ter ce sujet en soient parfaitement instruits, afin
de pouvoir prescrire aux peintres les préceptes gé-
néraux qu’ils doivent suivre.
La pâleur, effet ordinaire de la peur, de l’ef-
froi, de la terreur, dépend , ainsi que la rougeur
de la honte , de l’action des nerfs. La palette du
peintre lui fournit de quoi rendre ces différentes
teintes, qui échappent au crayon du dessinateur i
et au ciseau du statuaire, ?Æais l’orateur et le co- !
médien, qui posssèdent les mêmes moyens de pré-
senter aux yeux les effets des passions , jouissent
plus que tous les autres artistes de l’avantage de
joindre au jeu des muscles du visage, les attitudes
A A C A D. DE DESSIN, 3l 5
du corps et les mouvemens de ses differentes
parties.
Une dissection continuelle du corps liuraain
m’a mis à même de connoîire quels sont les nerfs
qui, aboutissant à ces parties agissantes , doivent
proprement être affectés ; par conséquent quels
sont les muscles qui sont nécessairement mis en
action. Et du mouvement de ces muscles, de leur
direction et de leur insertion , il m’est facile de dé-
terminer quels sont les traits du visage qui doivent
en être altérés, et quels mouvemens il doit en ré-
sulter dans telle ou telle partie du corps.
C’est la démonstration de ces vérités que je me
projrose dans ces leçons.
Peut-être m’objectera -t- on qu’en supposant
même que les anciens aient appliqué les connois-
sances qu’ils avoient dans l’anatomie au jeu des
muscles agités par les passions, Raphaël, Callot,
Lebrun et plusieurs autres artistes, sont néanmoins
parvenus à exprimer parfaitement les différens
mouvemens 'de l’ame, sans avoir la moindre no-
tion de la structure du corps humain.
Que Hogarth, qu’on regarde comme le plus ha-
bile peintre des passions , s’est acquis une gloire
immortelle, quoiqu’il ignorât absolument tout co
que je regarde comme indispensable à l’artiste qui
veut se distinguer dans cette partie de l’art.
Que Jean Steen, si inimitable quelquefois dans
5i6
DISCOURS LUS
l’expression des passions, n’a jamais pensé à étu
dier l’écorché ni le véritable emploi des nerfs
fpi’nn grand nombre d’anatomistes connoissent ;
peine de nos jours.
Je passe ici sous silence plusieurs autres artistes :
pour qu’on ne m’accuse point de chercher à ter-
nir leur réputation .
Quoic[u’il en soit, je me flatte que la manièn
dont je me propose de considérer cette malien
vous sera d’autant plus agréable qu’elle ne s’é-
carte point de la dignité que demande l’étude d(
la nature; qu’elle nous aidera même à suivre se;
opérations admirables ; et fournira aux élèves e
aux artistes memes le moyen de faire de rapide;
progrès dans celte partie intéressante de leur art.
Je me bornerai , comme je l’ai déjà dit , à ce cju;
concerne le jeu des muscles du visage.
Il est par conséquent nécessaire que je vous fasse
observer avant tout la tête décharnée de l’hom-
me (pi. XXIX, fig. i), que j’ai représentée ici
beaucoup plus grande que nature , pour qu’on’
puisse distinguer plus facilement de loin les par-
ties qui la composent (i).
(i) 11 faut que le lecteur sache que feu M. P. Camper avoit ap-,
porté à cette séance toutes les figures dont il parle dans cet ou-
vrage, dessinées sur des tableaux noircis , dans des proportions
beaucoup plus grandes que nature; et qu’il avoit de même indi-
A l’ A C A D. DE DESSIN. 5l7
i En second lieu, je vais vous tracer les princi-
paux muscles du visage et la vraie position des
>^eiix, pour vous prouver que Lebrun , page 55 ,
planche XXII , les a placés trop obliquement , ce
]ui est contre la nature; et que dans le rire, page
56, planche II , il a donné une trop grande incli-
I naison au grand angle de l’œil, ainsi qu’il l’a fait
également dans la tristesse,
h Troisièmement, je dois vous observer que tous
( les plis du visage doivent nécessairement couper à
[.angles droits la direction ou le cours des fibres
iim U scolaires (i).
I
, n Quatrièmement, j’indiquerai quelques nerfs;
afin de faire mieux connoître l’action simultanée
de plusieurs muscles dans la même passion.
i| Il y a long-lems qu’on a donné le nom de pa-^
thélicpie à la sixième paire de nerfs des anciens ,
[ qui est la huitième pour nous. Elle communique
|jpar ses branches avec la gorge, avec la jioitrine et
tavec le ventre, d’où elle s’unit , par le nerf inter-
costal, avec tous les nerfs des bras et des jambes.
- La quatrième paire , ou le petit pathétique y
h’ produit des eftetsétonnans dans l’admiration, dans
1 l’amour et dans la mort.
k . - -
qué , clans ces dessins , les défauts cju’on peut reprocher à Lebrun
: dans la représentation des yeux.
(i) L’auteur, eu ex[)osant toutes ces choses , les a rendues plus
sensibles par les dessins des parties dont il parloic.
5)8
DISCOURS I. U S
La septième paire produit le rire, la rougeur e
la pâleur.
p^ufin , je crois devoir vous indiquer ausist le
muscles des yeux, afin que vous puissiez vous for
mer une idée exacte de leurs mouvemens , tandi'
que nous vivons, lorsque nous mourons, et mêmi
après que nous avons cessé d’exister.
Par conséquent , il faut que je vous parle auss
du mouvement simultané et alternatif desmusclei
obliques dans l’expression de l’amitié ou du res-
])ect. Lorsque nous cessons de vivre nos yeux S(
rapprochent l’un de l’autre, parce qu’alors tout(
volonté cesse, et qu’il ne reste plus de mouvemen
que celui qu’impriment les dernieis eiïbrts des es-
prits vitaux , ou la force élastique encore subsis-
tante des muscles.
Tels sont , messieurs, les objets que j’ai cru de-,
voir vous exposer dans cette première leçon, qui';
ne vous présente que des matériaux préparatoires.|
Je me propose de vous en faire connoître l’appli-i
çation, et de vous prouver d’une manière convaiw
çante que les artistes, en suivant ces principes,!
peuvent exprimer à volonté et d’une manière sûre
toutes les passions avec la plus grande énergie. I
A l’ A C A D. B E DESSIN.
01(
SECOND DISCOURS.
J\Æ ESSIEURS,
Lorsque je vous ai promis hier de vous faire
connoître l’application et le développement des
principes dont je vous ai entretenus, j’ai contracté
l’obligation de mettre sous vos yeux des dessins
i][ui repi’ésentent les passions.
1°. Je vais donc vous montrer d’abord un visage
en repos (pl. XXIX, fig. o)-, puis en admiration,
I ensuite exprimant le mépris ( fig. 4 ) ; enfin , l’in-
dignation (fig. 5).
2°. Ensuite , revenant denouveauau visage tran-
quille (fig. 3), je passerai à la satisfaction, à la
joie (fig. 6)5 enfin, au rire aux éclats (fig. 7).
3°. Je reviens au repos ( fig. 3 ) , pour passer à la
douleur; et ensuite au larmoyant.
4°. Si le teins me le permet , je parlerai en pas-
320
DISCOURS LUS
saut de l’homme respeclueiix ; de l’homme abattu
par la douleur (fig. 8), et de l’homme mourant
(%• 9)-
Vous ne serez pas moins satisfaits des change-
mens instantanés que les passions produisent sur
le visage, que le grand-duc de Toscane le fut en
voyant peindre Pierre de Cortone à Florence. Cet'
artiste, s’appercevant que le grand-duc ne se lassoitj
pas d’admirer un enfant qu’il avoit représenté en
pleurs, lui demanda s’il éloit curieux de voir avec
<[uel!e facilité il pouvoit le faire rire? En effet,
à peine eut-il donné quelques coups de pinceau ,
que l’enfant qui d’abord pleuroit parut sourire,
Ensuite, il remit la bouche dans sa première po-
sition , et l’enfant pleura de nouveau; ce qui causa
une grande surprise au duc. J’attends les mêmes
sentimens de votre part; mais je vous prie de vous
rappeler que ce n’est pas un Pierre de Cortone que'
vous allez voir dessiner, mais un simple amateui
de la peinture.
Je me mets donc à dessiner. t
I
. L
1°, Voici d’abord le visage tranquille (fig. 3).
2°. Supposons maintenant qu’il se présente touti
à coup quelque chose de surprenant : le nerf in-
tercostal est mis en mouvement et fait agir la
A l’ A C A D. DK DESSIN. 321
troisième paire de nerfs, d’où il résulte que la pau-
pière s’ouvn'e et que l’oeil demeure immobile dans
son orbite; les dents restent couvertes.
Dans le même tems le même nerf agit sur la
huitième paire de nerfs ( fig. 4 ; ; la respiration se
trouve arrêtée ; le cœur même est gêné dans son
mouvement, et la bouche s’ouvre, parce que les
muscles qui meuvent la mâchoire sont affectés ; les
mains, et les doigts surtout, s’étendent par un
effet de la même union.
3°. Le mépris se manifeste d’une manière diffé-
rente. Ici la cinquième paire de nerfs agit, ce qui,
fait que les sourcils se contractent , la bouche se
ferme, la lèvre inférieure (fig. 5) s’élève au mi-
lieu , et les yeux sont tirés de coté. Mais ici a par-
ticulièrement lieu ce que j’ai dit ailleurs , que les
muscles abducteur et adducteur , par une suite
d’habitude, agissent simultanément.
Cette passion devient bien plus expressive quand
le corps se détourné d’une certaine maniéré de
l’objet; surtout lorsque dans le même tems la tête
est tournée à droite, tandis que les yeux regardent
à gauche. . ,
§. I I.
Dans la joie , les seules parties qui soient en
mouvement sont celles qui dépendent immédia-
tement de la septième paire de nerfs.
III.
21
DISCOURS LUS
523
1®. Voici la figure tranquille (fig. 5).
2°. Voici le sourire de l’amitié. Mais il ne faut
pas que les coins de la bouche s’élèvent seuls , et
jamais les sourcils ne doivent se froncer ni se rap-
procher (fig. 6).
C’est-là un point dans lequel pêchent beaucoup
de peintres de portraits françois.
5®. Du moment que la gaieté va jusqu’au rire,
les jeux se fixent en avant sans avoir de point dé-
terminé où ils s’arrêtent. Le coté extérieur du mus-
cle orbiculaire des paupières se contracte 5 alors la
partie supérieure des joues se relève et les rides
paroissent.
4®. Voulez-vous avoir une physionomie volup-
tueuse , placez les yeux de côté , et fermez un ])eu
les paupières, comme lorsqu’on donne des oeillades
(%• ?)•
5. III.
1®. Voici de nouveau le visage en repos (fig. 3).
2”. Dans la profonde affliction (fig. 8), c’est la
cinquième paire de nerfs qui agit: les deux coins
de la bouche s’abaissent, les dents restent couver-
tes, parce que la lèvre supérieure s’abaisse éga-
lement.
Lorsque l’affliction passe au désespoir, les yeux
se tournent vers le ciel et se placent obliquement 51
i
A l’ A C A U. D E D E s s I N. 025
!i le front se fronce et le milieu des sourcils s’élève.
[! 5°. Quand on pleure, tous les muscles qui dé-
j pendent de la cinquième paire de nerfs éprouvent
I une plus forte impression encore.
4“. Lorsqu’il s’y mêle de la colère , les paupières
s’ouvrent autant qu’il est possible, les sourcils s’a-
I baissent profondément et les dents se serrent avec
force.
§. IV.
Il faut considérer comme une règle générale :
1°. qu’au moment où l’ame va quitter le corps ,
tous les muscles du cou (fig. ii ) font ouvrir la
bouche; 2°. que les nerfs pathétiques rapprochent
les yeux l’un vers l’autre; 3°. et que tous les au-
tres muscles restent alors dans le plus parfait repos.
■ Ce que Lebrun appelle vénération , pl. III, pag.
! 18, et respect, pl. IV, fig. 5, sont représentés d’une
manière peu conforme à la nature; en ce que les
/ yeux y sont relevés par les deux muscles obliques;
tandis qu’ils doivent agir alternativement ; c’est-à-
' dire, que les muscles obliques inférieurs et supé-
" trieurs doivent agir simultanément.
I O
W CONCLUSION,
t'- î Voilà , messieui’s , les objets dont je m’étois pro-
iposé de vous entretenir. Vous vous attendiez peut-
I I
■ I
1
5f24 DISCOURS LUS, ETC.
être que j’aurois mis sous vos yeux toute la série
des passions, et que je vous aui’ois offert des exem-
ples de chacune en particulier. Mais pour cela il
m’auroit fallu plusieurs séances , et j’aurois dû
alors traiter cette matière plutôt en peintre qu’en
anatomiste.
Mon seul but a été de vous inspirer autant que
possible du goût pour l’étude de la nature , et de
vous affranchir en même tems de la méthode dé-
fectueuse de ne considérer les choses que d’un seul
côté, eu suivant servilement les exemples vicieux
des maîtres dont Je viens de vous parler. C’est le
seul moyen de parvenir à la connoissance de la
vérité; une semi-preuve vaut mieux pour cela que
toutes les autorités. Nous devons, comme les an-
ciens, respecter et Socrate et Platon; mais la vé-
rité doit nous être beaucoup plus chère encore.
DEUX DISCOURS
SUR L’ANALOGIE QU’IL Y A ENTRE LA STRUCTURE
^ DU CORPS HUMAIN
ET CELLE DES QUADRUPÈDES,
DES OISEAUX ET DES POISSONS,
Prononcés ^ les i3 et i4 octobre i'P’pS , dans la
salle de V Académie de dessin de la ville
Amsterdam.
PREMIER DISCOURS.
E S S I E U R S ,
Voici la troisième fois que j’ose me présenter
devant vous dans cette salle, encouragé par votre
indulgence et excité par les applaudissemens de
plusieurs habiles artistes de cette ville.
Je vous ai entretenus, il y a quelque tems, des
variétés qui caractérisent le visage des hommes de
divers climats et de différens âges. J’ai indiqué à
cette occasion une manière nouvelle et sûre de
dessiner toutes sortes de têtes avec la plus grande
exactitude. J’ai parlé ensuite de la manière dont
les differentes passions se peignent sur le visage ,
et j’en ai même donné quelques exemples (i).
Aujourd’hui je me propose devons faire remar-
quer l’étonnante analogie qu’il y a entre la struc-
ture du corps humain et celle des quadrupèdes ,
des oiseaux et des poissons, et de vous exposer en
(O Ce morceau paroîtra dans le volume suivant.
SaS D I s C O U R s L U s f
même lems ime méthode facile de les dessiner tous
avec précision.
Ne soyez point surpris, messieurs, de cette sin-
gulière idée : il n’est nullement indigne ni de vous
ni de moi , d’étudier les formes extérieures des
animaux, et de les peindre avec fidélité.
L’exemple de la sage antiquité viendra à l’appui
de cette assertion. Les Grecs, les Romains, et les
Egyptiens avant eux, étoienl obligés, ainsi qu’on
îe sait , de connoître les formes extérieures de tou-
tes les espèces d’animaux, non-seulement comme
devant servir de figures hiéroglyphiques du culte
bisarre de leurs idoles, mais aussi comme objets
inséparables de leurs sacrifices, de leurs jeux pu-
blics, de leurs pompes triomphales; et il leur eut i
été impossible sans doute de les représenter d’une I
manière convenable , soit en peinture, soit en mar- |
bre, soit en bronze, s’ils n’avoient commerîcé par
se pénétrer auparavant de ce qui constitue la beauté
et la perfection des formes des animaux de toutes
les espèces.
Rien ne me paroît plus propre à prouver toute
l’importance que les anciens attachoient à cette
partie de l’art , que le fameux chien de bronze ,
qui, selon Pline le naturaliste (i), éloit regardé
comme une des plus grandes merveilles ; de ma-
(0 Lib. XXXIV, cap. 17.
^ A C A D, DE DESSIN. .52g
nière que ceux qui étoient chargés de le garder ,
en répondoienf. sur leur vie.
Le même auteur nous apprend (i) que Myron
avoit fait une vache de bronze d’un travail si ad-
mirable, que non-seulement elle fut chantée par
les plus grands poètes , mais que les graveurs en
firent des copies avec le même empressement et Le
même soin qu’ils avoient coutume de le faire de la
Vénus et d’autres chefs-d’œuvre des plus célèbres
maîtres. Le comte de Caylus (2) en donne une re-
présentation d’après une cornaline, dont il fait ,
avec raison , un grand éloge.
Canachis (5) s’étoit rendu célèbre pour avoir
représenté un cerf de bronze, qu’il avoit exécuté
avec tant d’art qu’on pouvoit passer un fil dessous
ses pieds.
Tisicrates (4) s’est immortalisé par ses lions ;
■Timon (5) par un chien j Nicias (6) par la pein»
ture de toutes sortes d’animaux; Androcydes (7)
par sa manière admirable de représenter les pois-
sons.
(1) Ibid. , rap. lÿ.
(2) Tom. I , pl. L , fig. 3 , pag. i55.
(3) Plin. , lib. XXXIV,
(4) Jbid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid-
35o
DISCOURS LUS
Il faut lire les Monumenii antichi inediti de*|
^Vinkelmann, et surtout l’introduction de cet ou-!
vrage, pour se convaincre de quel prix est encore ^
aux yeux des antiquaires le lion du Capitole, lel
sphinx du palais Borghèse , et d’autres animaux de]
la fontaine delV Aqua Fedice. |
Mais c’est principalement des chevaux que les^
anciens paroissenî s’être occupés. L’histoire de l’in-|:
comparable ApeJle est trop connue pour qu’il soit]|
besoin de la répéter ici ; et il en est de même de .|!
son émule Lysippe. Après eux, Calamis s’est ac- ||
quis une telle célébrité par son talent à représen- ^
ter des chevaux que non-seulement Pline (i) en a
parlé avec le plus grand éloge, mais que Cicéron
et Ovide ont immortalisé ses ouvrages par leurs
écrits. Selon Pline , personne ne pouvoir lui être
comparé pour la représentation des biges et des qua-
driges; quoique Lysippe et son élève Eutichrates
aient mérité aussi de grands éloges à cet égard.
On peut voir dans le cabinet de Stosch quel ta- ’
lent Aspasius avoit dans l’art de graver des che-
vaux; le beau casque de Minerve en est une preuve.
Hylus n’a pas moins bien réussi à représenter des
taureaux; et Aulus et Lucius ont obtenu les mê-
mes éloges pour leurs chevaux. Des quadriges ,
dont la forme ressemble assez à celle'de nos ca-
(OLib. XXXIV.
1
A A C A D. DE DESSIN. 55l
briolets, sont si admirablement représentés en bas-
relief, et sur des pierres gravées, qu’on ne peut
rien imaginer de plus parfait. On trouve assez coin-
' 'niunément de cescharsattelésdedeuxet dequatre
, chevaux 5 mais je n’en ai jamais vu avec dix che-
jvaux, quoiqu’on sache que Néron a commencé à
|s’en servir à la chasse. Cependant on trouve dans
® jCaylus (i) une cornaline représentant une entrée
[triomphale, où le char est traîné par vingt che-
I vaux, tous attelés de front, et d’un si beau tra-
’ i vail qu’on distingue parfaitement chaque cheval.
Je ne finirois pas si je voulois citer tons les ar-
^ listes qui ont acquis de la célébrité par leur talent
“ à rendre parfaitement les animaux. Il me paroît
^ plus convenable de vous renvoyer à Junius qui en
parle avec beaucoup de discernement.Vous y verrez
[ par vous-mêmes quel fut le nombre des peintres ,
I des statuaires et des graveurs qui doivent , pour
i ainsi dire, uniquement leur gloire à la perfection
avec laquelle ils ont représenté des animaux.
Mais il vous intéressera davantage que je vous
I rappelle les noms des grands artistes qui ont illus-
i iré notre patrie par leurs chefs - d’œuvre en ce
; genre. Qui de nous ne seroit pas jaloux de mériter
! la gloire dont jouissent Van Berchem, Wouwer-
; nian, Potter, Wenix, Adrien Van de V eide, Hon-
J
I (1) Tom, I, pl. L, fig, 3 , pag. i55.
li
002 DISCOURSLUS j
dekoeter, et plusieurs autres maîtres de celte classe j
à qui notre patrie a donné le jour. On peut doml
dire sans crainte que leur talent éloit aussi admÜ
rable que difficile à atteindre j et personne je pensi
(excepté Crispin Van de Pas) ne s’est occupé î
écrire suries proportions des animaux et à fournil
par conséquent aux élèves les moyens de faire det
progrès certains dans cette partie.
Ce que Léonard de Vinci dit des chevaux n’esi
certainement pas propre à nous en donner des
idées bien justes j Léonard ne parle qu’avec un
enthousiasme poétique de la beauté de quelques
animaux 5 Charles Van der Mander s’amuse égale-
ment à des citations de poètes, qui ne sont guère
utiles; tandis que Lairesse passe entièrement sous'
silence cet article intéressant. |
Ce que je viens de dire doit vous faire paroître
mon entreprise d’autant plus hardie ; cependant
je me flatte que ces mêmes raisons me serviront,
au contraire, d’excuse, et me feront obtenir votre
approbation; j’espère même vous convaincre que
si je n’avois pas réuni les observations anatomi-
ques, quelquefois si dégoûtantes, de différentes es-
pèces d’animaux, aux secours du bel art de la pein-
ture, je n’aurois jamais pu concevoir les idées que
je vais vous présenter. Mais je me croirai bien ré-
compensé des peines que m’a coûté ce travail, si,
par ces deux discours , je parviens à encourager
I
A L A C A D. DE DESSIN. DOD
fies hommes plus instruits que moi à porter cette
bartie de la peinture à sa perfection,
f Dans le premier de ces discours , j’exposerai les
éritables rapports qu’offrent, les quadrupèdes com-
parés entr’eux , comme aussi les rapports qui exis-
lltent entre les quadrupèdes et les oiseaux et les
^poissons; en indiquant les particularités qu’il im-
porte au peintre et au statuaire de saisir.
, Je prie d’observer que par la peinture j’entends
parler de tous les arts qui tiennent immédiatement
au dessin.
Dans le second discours, j’indiquerai une mé-
thode facile et sûre de dessiner correctement tou-
tes les espèces d’animaux, tant les quadrupèdes ,
que les oiseaux et les poissons ; et je finirai par
(VOUS montrer que , nouveau Protée , on peut ,
moyennant quelques traits , métamorphoser une
vache en cheval, en un chien, en une cicogne, et
la cicogne en une carpe, ou toute autre espèce de
poisson.
Cependant ne croyez pas , qu’à l’exemple de
Zeuxis, j’employerai un tems bien considérable à
dessiner les animaux qui doivent faire l’objet de
ce discours. Je suivrai plutôt la méthode d’Agathar-
que, en faisant de légères esquisses des animaux
que je ci'oirai nécessaires au développement de
mes idées.
Fiien ne vous sera plus facile que d’y ajouter
k
554
DISCOURS LUS
ensuite les détails qui constituent la beauté et le
grâce des chefs-d’œuvre des maîtres dont je viens
de vous parler.
Daignez donc m’accorder encore aujourd’hui
cette attention et cette indulgence dont vous avez
O
il
bien voulu m’honorer jusqu’à présent; et ne con--
sidérez ce que je vais dire que comme des vues
générales, qui, toutes imparfaites qu’elles puissent
cire , pourront néanmoins contribuer un jour à
parvenir à des choses plus utiles et plus impor-
tantes.
Il n’y a personne, pour peu qu’il ait considéré
avec quelque attention l’art ravissant de la pein-
ture, qui puisse douter que, pour représenter les
objets que la nature offre à nos yeux , le peintre
ait autre chose à faire que de les dessiner et colo-
rier avec la plus scrupuleuse exactitude.
Il sera utile néanmoins, et même regardé com-
me indispensable, je pense, par tous les amateurs
éclairés, que le peintre qui veut parvenir à la per-
fection de son art ait une connoissance profonde
d.e tous les êtres créés, et qu’il se pénètre du des-
sein qu’a eu le grand et divin architecte de l’uni-
vers dans la production de cette étonnante et pro-
digieuse diversité de formes qui nous étonne et
nous charme dans les quadrupèdes, dans les oi-
seaux ef dans les poissons, et qui nous pénètre de
respect et d’admiration pour sa toute-puissance.
535
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11
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J
!y 1
ii-
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A l’ A C A D. DE DESSIN.
En commençant par Fhomme, nous le consi-
dérerons comme le plus beau des quadrupèdes ;
ensuite nous descendrons par degrés aux singes ,
aux chiens et aux gerboises; après quoi nous pas-
serons aux oiseaux, pour hnir par les poissons.
Peut-être regarderez -vous ce discours comme
O
absurde; mais je me flatte de vous convaincre bien-
tôt que les oiseaux et les poissons doivent être pla-
cés dans la classe des quadrupèdes, aussi bien que
les chevaux et les éléphans ; quoique cependant
d’une structure dilFérente , pour qu’ils puissent
exercer facilement leurs fonctions animales dans
le médium qu’ils sont destinés à habiter.
D’ailleurs, chaque animal diffère des autres par
la tête, par le corps, les extrémités et la queue, d’a-
près le but pour lequel il a été créé par l’Etre Su-
prême et le lieu qu’il doit habiter sur ce globe.
L’huitre même, condamnée à passer sa vie au même
endroit, présente les principes d’organisation et de
structure du poisson, et le poisson ceux de l’oi-
seau , du chien , du singe , et finalement de
l’homme.
J’aurois pu vous démontrer cette contaténation
des êtres par des esquisses , mais le défaut de tems
ne me permet pas de m’en occuper.
Je dois donc me borner à vous montrer les sque-
lettes de l’homme, du chien, de l’aigle et du pin-
gouin, pour vous faire appercevoir l’analogie qu’il
556
DISCOURS LUS
y a entre les parties correspondantes de ces ani- jl
maux. Quant à la nature des poissons, je me ré-
serve d’en pai'ler dans le second discours (i).
Vous voyez évidemment , par la comparaison
de ces squelettes enlr’eux, que, de toutes les créa-
tures, c’est l’homme qui est le plus parfait; mais ce ’
ii’est pas, comme a dit Platon (2) , et après lui Ci-
céron (3) et Ovide, parce qu’il marche la tête éle-
vée ; comme si c’étoit un privilège exclusif pour
l’espèce humaine de regarder le ciel : Galien (4), on
le sait, avoit déjà observé judicieusement que plu- |
sieurs espèces de poissons remplissent beauconp
mieux cette fonction ; ce qui les a fait appeler en
grec 2s$)«i/ocrc;K67rsi , contemplateurs du ciel (5);
mais parce que l’homme seul peut marcher debout
et s’asseoir. Nous y ajouterons, qu’il est le seul j
des êtres qui puisse se coucher sur le dos ; le seul
dont le centre de gravité et de mouvement se |
trouve exactement au milieu du corps, ce qui fa- I
cilile, en général, tous ses mouvemens; avantages |j
qui dépendent uniquement de la perfection de sa j
(O Cette démonstratioa s’est faite par le moyen du dessin et des 1
squelettes d'animaux. i
(2) In Tnnaeo, tom. III, 44 ©t 45 , ^dit. Serrani. [
(Z) De Legibus , lib- I, 9, pag. 334. i
(4) De iisn part- , Hb. III, cap. 3 , class. I , pag. 128. L. |
(5) Le boeuf ou le tapecou ou rapeçon. Voyez Gionovius ou ij
Willougby. !
I
'!
I
I A l’ A C A D. DE DESSIN. So?
i Structure, 11 possède encore plusieurs autres privi-
I lèges imporlans ; mais comme ils n’ont point de
I rapport à mon objet je les passe sous silence.
[ 11 n’y a personne qui, en considérant, même su-
I perliciellement , un cheval , ne soit frappé de la
beauté de son encolure. En voyant le chameau ,
c’est la longueur de son cou et la petitesse de sa
tête qui surprennent le plus ; l’éléphant fixe prin-
I cipalement notre attention par la longueur de sa
j trompe 5 dans la vache nous admirons la grosseur
des flancs ; dans le lévrier c’est le svelte de son
corps, la finesse de ses extrémités qui nous plaisent.
Cependant je vous ferai voir que la structure de
ces dilférentes parties est appropriée an but pour
lequel ces animaux ont été créés.
Cicéron (1) a donné une admirable description
de ces clifTérences relatives, qui nous apprend les
grandes connoissances qu’avoit ce philosophe des
merveilles de la nature.
« Quelques animaux, dit-il, ont les jambes as-
« sez coui'tes, pour qu’ils puissent sans difficulté
T (( prendre leursalimensà terre. Ceux dont le corps
“I « est placé plus haut, tels que les oies, les grues
iîi « et les chameaux, ont le cou fort long. La nature
« a donné une main à l’éléphant pour saisir sa
*>'* I (i) De Nat. Deorum, cap. 47*
III.
22
o38
DISCOURS LUS
<( nourrJlure , que la grosseur démesurée de son !
« corps lui empêcheroit d’atteindre (i). » j
Ces remai’ques, quoique dignes de ce grand phi-'
losophe, et favorables à l’objet dont je m’occupe,!
ne m’ont cependant paru intelligibles qu’après que
j’eus perfectionné mes observatiens sur les ani-
maux, et fait les découvertes dont je vais vous en-i
trelenir.
Le grand naturaliste Ray, dans la préface qu’il
a mise à la tête de la description des poissons de
Willougby, rapporte ce passage en d’autres ter-[i
mes, et remarque avec justesse, que si les pois-l
sons n’ont pas de cou, ce n’est point parce qu’ils
manquent de pieds , mais à cause qu’il leur est fa-
cile de recevoir partout leur nourriture dans les
eaux. Aristote avolt déjà fait l’observation que les!!
poissons n’ont point de cou. Les serpens n’en ont:
de même pas, et ont cela de commun avec les!
poissons.
Pour ce qui est des extrémités, je remarquerai!
que, par une suite de la prévoyance du Créateur,:
(i) Ceci se trouve confirmé par le morse, qui, quoique muni
de longues défenses , n’a pas besoin de trompe , parce que nageant
dans l’eau, il saisit facilement sa proie; ce qui nous fournit uns
preuve remarquable de la nécessité de la trompe dans l’éléphant,
et de son inutilité dans le morse. Galien avoit déjà remarqué que
les animaux qui broutent par terre ont le cou aussi long que le*
jambes. De mu part,, lib. VllI, cap. i, n”. i65. B. Bdic. Brest.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 359
le train de devant est toujours plus bas que le train
de derrière dans les animaux de qui la hauteur des
jambes exige un long cou; comme on le voit dans
la brebis, dans le cerf et dans le chameau , de qui
l’épine du dos et les hanches montent obliquement.
No us devons excepter de celte règle la giralfe, la-
quelle a une destination düFérente à remplir.
2°. Si nous fixons notre ailention sur le ventre,
nous trouverons que cette partie est beaucoup plus
considérable chez les animaux herbivores que chez
les carnivores , et plus grande aussi dans les ru-
minans que dans ceux qui ne ruminent point. 11
est facile d’en comprendre la raison : les boyaux,
tous les intestins en un mot , n’ont pas besoin d’ê-
tre d’un aussi grand volume pour convertir de la
chair en chair , que pour convertir de l’herbe en
chair. Les parties nutritives de l’herbe sont repar-
ties dans une masse considérable; tandis que cel-
les de la viande sont resserrées dans un petit vo-
lume.
La vache se remplit de suite totalement l’esto-
mac , après quoi elle rumine à son aise; tandis
que le cheval mange continuellement. 11 faut donc
que la vache ait le ventre plus gros que le cheval,;
' le cheval plus gros que le chien , etc.
I 5°. Les animaux sont aussi d’autant plus alon-
tgés qu’ils ont un plus grand nombre de verlèbres
! lombaires; quelques-uns, tel que l’éléphant, n’en
34o
DISCOURS LUS
ont que trois; tandis que le cheval en a cinq , la
vache six, le lion , le chat et le chameau sept.
4°. Les animaux herbivores, tels que l’éléphant,
le cheval, le boeuf, le cerf, le chameau et toutes
les espèces ruminantes, le cochon même, ont des
sabots, soit solipèdes , soit fourchus, parce qu’ils
doivent se tenir long-tems debout pour prendre la
quantité de nourriture qui leur est nécessaire.
Dans toutes les autres espèces d’animaux les ex-
trémités se terminent en trois, quatre ou cinq
doigts, comme dans l’homme; maison n’en trouve
jamais au-delà de cinq dans les quadrupèdes.
5®. Dans les oiseaux, les ailes se terminent en
doigts; tous ont un pouce, et la plupart deux
doigts en sus. Dans plusieurs espèces, il y a des
jîiquans, comme on le voit à l’autruche, au casoar.
Plus le peintre sera instruit de la nature et de
la conformation des animaux , et mieux il réussira
à les représenter fideliement.
Mais une simple explication verbale est loin de
pouvoir suffire à faire saisir complettement la vé-
rité de ces observations. Je réussirai mieux sans
doute à vous faire comprendre mes idées, en vous
présentant les esquisses des animaux dont je veux
parler.
A l’ A C A D. DE DESSIN.
34l
:: i
f
PREMIER EXEMPLE.
Bt '!
te
le
j
Le cheval. Planche XXX, figure i.
1°. Soit B. C. D. E. F. le corps et les jambes du
cheval; de manière que les jambes pour être pro-
pres à la course doivent avoir la hauteur de G. E.
et H. D.
2°. Tirez en dedans la ligne A. I. que décrivent
les vertèbres. Que A. Y. soit la première côte , et
A. le centre de turbination de la première vertè-
bre du cou : on sait cjue tous les animaux en ont
sept.
CONSÉQUENCE.
Il en résulte que le cou et la tête pris ensemble
doivent être assez longs pour que l’animal puisse
mangera terre; c’est-à-dire, comme A. Y.+Y. Z.
j Plus la tête sera petite relativement à la hau-
I teur de l’animal , plus le cou devra être long ,
, comme cela a lieu dans le chameau , le mou-
I ton, etc.
5°. Lorsque la tête se trouve droite , il faut que
le cou se courbe en dehors, comme B. 0. F. , ou
en dedans comme cela a lieu chez les vieux che-
ti vaux; et le cou se porte plus ou moins en B. H. F.,
^ à proportion que la tête baisse davantage.
I!
I
l
542 toiscouRs I.US
4°. Pour que le cheval puisse porter un aussi
long cou, il faut que les apophyses épineuses des
vertèbres soient fort longues près du garrot, cona-
me cela a lieu en effet dans le cheval en A. B.
C O Pc O I, L A I R E.
Ces apophyses doivent donc être moins longues
dans les autres animaux , et les plus petites dans
Phomme, de qui la tête porte sur un pivot droit.
N. B. Le cheval a un grand muscle qui passe
^ar S. C. jusqu’à R., lequel, étant réuni avec le
muscle solaire en X2. , est cause que cet animal
peut donner de si fortes ruades 5 ce qui lui est uni-
quement propre. Le bœuf n’a pas ce muscle , aussi
cette partie est-elle très-creuse chez lui.
Il est certain que la tête du cheval dans V Hip~
piairique de Eourgelat est trop petite; F. S. fai-
sant les 2§ de la tête, tandis que cette longueur
ne devroit être que de 25, comme Stubbs et d’au-
tres l’ont dit. Dans le modèle anglois du cheval
O
écorché la tête est de 5 de la longueur de F. S. ,
par conséquent plus petite encore. Aucun de ces
chevaux ne sauroit manger, à moins qu’ils n’eus-
sent un très-long cou.
La hauteur B. E. F. S. ; chez tous ~ 5 pieds.
J’ai trouvé, en général, que les têtes des chevaux
[! A l’ A C A D, D E D E s s I N. 343
i; arolent deux pieds de long; même dans ceux de
petite race , qui , pour cette raison , ont le cou
' plus court.
)■ '
'\ SECONn EXEMPLE.
? ' '
La vache. Planche XXX, figure 2.,
\
1°. Faites d’abord l’esquisse du cheval.
2°. Raccourcissez les Jambes deE. à e. ,pl. XXX,
fig. 1, et de D. à d.
CONSÉQUENCE.
Il en résulte que le cou n’aura plus besoin que
de la longueur de A. T. étant droit, et de celle de
A. Y. lorsque l’animal broute.
Le cou de la vache ne doit et ne peut pas êtx’e
courbé comme celui du cheval, mais doit monter
obliquement; de manière que , vu sa pesanteur,
il sera constamment placé plus bas que le garrot
I B. , lequel , pour cette même raison , n’est pas si
jhaut que dans le cheval. Le reste s’explique de
J soi-même.
H
/
544
DISCOURS LUS
TROISIÈME EXEMPLE. i
Le chien. Planche XXX , figure 3.
1°. Tracez de nouveau l’esquisse du cheval et
la ligne que décrivent les vertèbres.
52°. Diminuez le ventre de G. H., pl. XXX,
fig. 1, en G. Z. , fig. 3, pour les raisons que j’ai
avancées en parlant de la nourriture des animaux.
3°. Le cou peut être plus ou moins long, parce
que le chien peut manger étant couché, ou en te-
nant la tête droite.
4°. Les extrémités doivent être plus minces ,
pour rendre l’animal plus léger.
5°. L’os de la jambe étant plus long, le pied
XI. devient plus court que dans le cheval.
6°. La queue lui sert quand il saute.
QUATRIÈME EXEMPLE.
Le chameau. Planche XXXI, figure i.
Faites comme dans le précédent exemple, mais
alongez les jambes, élargissez le ventre, et le cou ;
devra être plus long. La tête du chameau, quoi- |
que aussi grande que celle du cheval, paroîtra plus !
petite , à cause des dimensions plus grandes des
autres parties de l’animaL
A l’ A C A D, DE DESSIN.
545
COROLLAIRE.
Le chameau doit avoir le cou courbé en dedans,
à cause du centre de gravité.
N. B. Dans le chameau , la brebis et le cerf, la
ligne A. T. doit monter un peu obliquement.
CINQUIÈME EXEMPLE.
L’ éléphant. Planche XXXI, figure 2.
Tracez de nouveau l’esquisse du cheval, comme
dans les exemples précédens.
Placez le cou en A. F. , et il faudra nécessaire-
ment un garrot élevé, proportionné au poids qu’il
doit porter ; ce qui néanmoins ne pouvoit trop s’ac-
corder avec la conformation de l’animal. Le cou
devoit donc être fort court, comme A. y. Mais com-
me celte conformation ne permet pas à l’animal de
manger à terre, il falloit nécessairement qu’il eut
une trompe. La preuve de ce que je dis sera plus
facile à saisir , si l’on se rappelle le morse , qui n’a
pas besoin de trompe parce qu’il nage.
Les vertèbres pectorales et dorsales doivent
maintenant former une voûte. Comme l’éléphant
/
546
DISCOURS LUS
n’a que trois vertèbres lombaires, il doit nécessai-
rement paroître plus court.
CONCLUSION,
Voilà, messieurs, les objets dont je voulois vous
entretenir dans ce premier discours. Peut-être
m’accuserez-vous de longueur; mais l’abondance
de la matière ne m’a pas permis d’être plus court.
Comme le second discours, que je me propose de
faire demain, aura un rapport plus direct avec la
peinture , je me flatte qu’il méritera davantage
votre attention.
J’ai remarqué, dans mon premier discours,
qu’excepté Crispin Van de Pas, personne jusqu’à
présent n’a donné des principes particuliers pour
dessiner avec précision toutes sortes d’animaux.
I J’ajouterai que ce sont les squelettes des animaux
; et de l’homme qui seuls peuvent nous servir de
i base pour bien représenter leurs formes extérieu-
res 5 mais ces squelettes sont , en général , si mal
dessinés qu’il est impossible que les artistes en ti-
rent quelque utilité.
I Les squelettes queCoiter a donnés sont borri-
: blement mauvais; ceux de Meyer cependant sont
; pires encore. Il n’y en a pas un seul dans l’ouvrage
I de BufiTon , d’ailleurs précieux et excellent, que le
peintre puisse consulter avec fruit ; l’épine du dos
S4r8 DISCOURSLUS j
s’y tronvont toujours sur une ligne droite, commet
dans l’ouvrage de Coiter. L’humerus et le radius,
ainsi que le fémur et les os delà jambe , y forment
également une ligne droite 5 de sorte que les jam-
bes sont d’une telle longueur relativement au cou
O
qu’il seroit imjjossible qu’aucun de ces animaux
put atteindre à la terre pour y prendre sa nourri-
ture. Mais je n’ai ])lus été surpris de l’imperfection
de cos figures, depuis que j’ai vu les squelettes mê-
mes au cabinet du roi.
Cheselden , dans son grand et magnifique ou-
vrage sur les os, a donné un nombre considérable
de squelettes d’animaux, qui sont traités d’une
manière précieuse et gravés avec soin par Van der
Gucht et Scbynvoetj mais d’après des modèles dé-
fectueux. il y en a cependant quelques-uns de
beaux, tels que ceux du lézard , de la tortue , du
crocodile et de l’aigle. Ceux de l’ours, du lapin et
du ciguë sont admirables. On pourroit à la rigueur
se servir du squelette de l’autruche , mais celui du
cochon est trop mauvais. Ainsi les squelettes de
Cheselden sont , en général , les meilleurs.
11 faudroit croire que le squelette du cheval ,
comme le plus beau et le plus utile des quadru-
pèdes , seroit rendu avec le ])lus de soin j mais il
en est tout autrement, excepté celui que Stubbs,
ce célèbre peintre d’animaux, a dessiné et gravé.
Les figures de Carlo Ruini, le premier de ceux
I
A l’ A C A D. DE DESSIN. 54g
i qui se sont distingués dans cette carrière, peuvent
^ j être regardées comme assez bonnes pour ce qui
; concerne la partie anatomique , mais elles ne sont
j au reste d’aucune utilité pour l’artiste. Jugez d’a-
I près cela ce qu’il faudra dire de celles de Saunier,
: de Snape et de plusieurs autres , qui ne sont que
i de mauvaises copies d’après les figures défectueu-
: ses de Carlo Ruini?
e . . . , I
i Mais ce qui doit nous étonner davantage, c’est
■ que la célèbre Ecole vétérinaire deCharenton près
! de Paris n’avoit pas en 1777 un seul squelette de
I cheval, pas même celui de Bourgelat , auquel je
I voudrois bien donner une place dans mon cabinet.
L’omoplate et l’os du bras sont mal agencés dans
tous sans exception,
; Le squelette de cheval donné par Buffon et la
i Guerinière est encore plus défectueux,
i Quant à celui de Stubbs, il est admirablement
i fait et de la plus grande exactitude : toutes les par-
, ties sont bien disposées, d’une belle proportion et
i supérieurement dessinées 5 les muscles entr’autres
sont parfaitement exprimés; en un mot, ce sque-
!' lette est un véritable chef-d’œuvre; et Stubbs mé-
riteroit qu’on lui érigeât une statue pour avoir fait
( ce bel ouvrage.
Si tel a été le sort du cheval , l’animal le plus
1' utile à l’homme, vous pourrez facilement vous
î: former une idée de ce qui doit en être des sque-
55o
DISCOURS LUS
letles des autres animaux, qui n’ont pas eu de
peintre comme Stubbs pour nous en donner les
figures.
Mais, en supposant que le peintre eut absolu-
ment besoin d’une connoissance exacte du sque-
lette de tous les animaux , il faudroit convenir,
alors que peu d’artistes trouveroient le tems né-|
cessaire pour en étudier les modèles. Nous savons
d’ailleurs que les plus grands maîtres sont parve-
nus au plus haut degré de célébrité avant l’àge de
trente ans. Je pense donc qu’il n’est pas absolu-
ment nécessaire d’avoir une connoissance fort ap- i
profondie de tous les squelettes; mais qu’il faut
posséder seulement une idée générale de certaines
parties, surtout de celles dont je vous ai démontré,
dans le premier discours, que l’analogie est tou-,,
jours constante dans tous les animaux; pour que
les artistes qui esquissent d’ajirès nature, puissent-
dessiner les animaux avec plus de prestesse et de^S
précision.
C’est de cette manière sans doute qu’ont pro-,
cédé les Paul Potier, les Van Berchem , les Wou-1
werman et quelques autres, tels que Snyders, Cas-*
tilglionei, et surtout l’admirable P. Testa, lequel ,
mérite que je vous le recommande particulière-^,
Xnent , à cause de l’exactitude et de la précisionij
qu’on trouve dans ses dessins. Je ne parle pas de
Reidinger , parce que tous ses animaux , à l’ex-
!
A l’ A C A D. DE DESSIN. 55 1
ception de quelques chiens et de quelques cerfs ,
sont de véritables caricatures qui, sans l’agréable
exécution du dessin , ne mériteroientpas qu’on les
citât.
Cependant Van Berchem n’est pas correct dans
la manière de placer les difféi'en tes parties du boeuf,
de râne , etc. 5 il pêche surtout par la situation des
omoplates, principalement quand on les voit de
face. Les têtes de ses ânes sont généralement mau-
vaises; plusieurs de ses moutons sont incorrects ou
strapassés, quoique gi’avés par lui-même à l’eau-
forte. En général, il pêche contre le squelette.
Ses boucs sont ce qu’il a fait de mieux , par la
grande vérité avec laquelle il les a rendus. Ceux
qui ont été gravés par de Visscher ont les mêmes
défauts; entr’autres, il ne sont pas assez velus.
Dans la chasse au cerf gravée par Dankerts , il
y a un beau cheval ; le cerf est trop grêle de
corps.
Adrien Van deVelde, dans son cahier de bœufs,
a rendu supérieurement bien la plupart de ces ani-
maux, surtout le taureau qui se tient debout'et le
jeune veau qui mange, quoique ce dernier ait les
jambes un peu trop longues. Dans quelques-uns
de ces animaux les os des hanches sont beaucoup
trop alongés, particulièrement dans la vache qui
court.
Son cheval qui mange est mauvais; la tête, qui
5o2 discours lus
n’a qu’un tiers de sa hauteur, est par conséquent
trop petite ; le garrot n’est pas assez haut ; et de
cette petitesse de la tête il résulte que le cou est
trop long. Il faudroit peut-être ne représenter ja-
mais un cheval mangeant , parce que dans cette
altitude le cou semble trop long, ce qui rend la
figure de l’animal difforme.
Je ne dois pas oublier de dire qu’Adrien Van
de Veldeagravé lui-même à l’eau-forte une vache
qui broute , dont la beauté est admirable.
l’aul Potter a donné un taureau gravé par lui-
même à l’eau-forte, qui, à beaucoup près , n’est
pas aussi beau que celui de Van de Velde. La plu-
part de ses vaches sont mal dessinées. Il a été éga-
lement embarrassé sur la situation des omoplates,
comme cela se voit surtout par ses vaches que de
Bye a gravées à l’eau-forte.
Mais d’où vient donc , dira-t-on peut-être, qu’on
trouve les productions de ces grands maîtres si ad-
mirables ? Cette question est facile à résoudre.
Comme nous n’avons pas nous- mêmes une con-
noissance bien exacte delà véritable conformation
des animaux , il est aisé de nous satisfaire pour peu
que l’ensemble nous plaise : un faire agréable et
des touches hardies nous enchantent , et nous font
oublier en même tems et notre ignorance et les
défauts du maître.
Je passe aux productions de D. Stoop, qui jouis-
353
A 7? A C A D, DE DESSIN.
sent également de quelque estime parmi les ama-
teurs: tous ses chevaux sont fort mal dessinés; ils
ont les jambes trop grosses , la tête trop petite et
l’encolure trop ramassée.
Il n’y a rien de prononcé dans le levrier que j’ai
vu de lui; et, pour tout dire en un mot , il n’y a
rien chez lui qui annonce quelque talent.
Que dirai-je de S. de Vlieger ? Ses paysages sont
certainement pittoresques; mais ses oiseaux sont
mauvais; -ses lévriers ont les épaules et les jambes
strapassées ; il n’y a aucune correction dans ses
’iporcs , et ses moutons ne sont pas moins défec-
:ueux.
Pierre de Laer a gravé assez bien à l’eau-forte
les chèvres, des chiens, des ânes, des porcs; mais
■>es chevaux ont les mêmes défauts que ceux de
îtoop, et ses lapins sont mauvais.
Jean Van den Hecke , quoique recherché des
imateurs, ne mérite pas qu’on en parle. Ses che-
naux, ses bœufs, ses ânes, ses chiens, en un mot,
ous ses animaux sont mal dessinés.
A. B. Flamen, quoique d’un fort médiocre mé-
‘ite pour ce qui regarde les quadrupèdes, a néan-
noins assez bien réussi dans les poissons.
Picart le Romain a laissé un recueil de figures
. O
^e lions, dont la plupart sont mal dessinées. Quel-
ques-uns des lions que nous devons à Rembrant
ont de la plus grande beauté; et ceux d’Albert
ÏII. 23
11
iOI
354
DISCOURS LUS
Durer sont également fort beaux ; mais les têlej
en sont généralement mauvaises, à l’exception de
celles que nous tenons de Rembrant.
Plusieurs artistes placent mal les prunelles des
animaux; ce qui produit un mauvais effet; cai
quoique les pimnellcs de plusieurs espèces d’ani-^
maux soient rondes, elles sont néanmoins placées
obliquement dans tous les herbivores et ruminans
et perpendiculairement dans les lions , les tigres et
les chats. Les chiens ne les ont jias placé au mi|
lieu de l’œil , mais plus près du grapd angle qu]
du petit, etc.
Je pourrois prouver également que les dents m
sont, en général, pas moins mal représentées.
Ph. Wouwerman a non - seulement mis beau-j
coup d’esprit dans les ligures de ses chevaux, mai-
aussi beaucoup plus de vérité d’expression qu’aui
cun autre peintre qui me soit connu. |
Je regai'de comme les mieux exécutés ceux qu
Dankerts et Jean de Visscher ont gravés. i
Je ne finirois pas, si je voulois entrer dans que
que détail sur chaque peintre en particulier. Il sul
fira , je pense, d’avoir indiqué les défauts les pli’
essentiels dans lesquels sont tombés meme h;
meilleurs artistes, et qu’on pourra éviter en sui
Vant la méthode que je vais vous exposer. '
Mais avant tout il faut que je m’arrête un mo
ïaeal à considérer ce qui a été fuit par Van de Pa
A l’ A C A D. DE DESSIN.
555
Flanche XXXII , figure 2.
t, Van de Pas donne, tome V, page 6 de son ou-
| .vrage , une méthode facile d’esquisser la figure du
: cheval sans régie ni compas, du moins comme il
f se l’imagine.
1 Selon lui , il faut tracer d’abord à vue d’oeil seu*
J leinent , un carré A. B. C. B. , qu’on divisera en
i neuf parties égales 1. 3. 5. 4. 5. 6. 7. 8. g. Tracer
l'ensuite trois cercles, dont l’un pour la croupe, le
( second pour le ventre et le troisième pour les épau-
ples et le poitrail.
' Ch. Van Mander fait également mention , avec
J éloge, de ces trois cercles, dans son livre tle la
i Peinture , chap. IX, §. 8, page 16. Or, comme
f Van Mander a publié son ouvrage en i6o5 et Van
de Pas le sien seulement en i665, il est à croire
j[que ce dernier n’a fait que copier en cela le pre-
5*mier.
il prend ensuite pour l’indication de la verge
[|et la section du ventre, le tiers de 4. et 5. En-
suite il ajoute un dixième carré pour le cou , et un
d, des côtés de ce carré pour la longueur de la tête.
Voici ce que j’ai à remarquer sur celte mé-
thode :
1°. Que je ne conçois pas comment il seroit pos-
sible de s’habituer à tracer ces carrés el ces dimen-
556
DISCOURS LUS
sions avec justesse , sans se servir de règle ni de
compas.
2°. Il ne dit pas pourquoi les points centraux
des cercles se trouvent sur la ligne oblique F. G. ;
ni comment il faut déterminer cette ligne.
En suivant ce procédé la croupe du cheval se
trouve plus haute que le garrot 5 tandis, au con-
traire, que, suivant Bourgelat , tome I, page 476,
le garrot est plus haut d’un dixième; etStubbs est
du même sentiment. Aussi cela se trouve- 1 -il en
contradiction avec ce qu’il établit lui-même dans
sa figure , page 7. I
5°. Je ne conçois pas que la tête puisse avoir un|
tiers de la hauteur du cheval; tandis que la hau- I
teur dejmis le garrot H. jusqu’à la sole 1. est de *
deux têtes et demie; ou, si on l’aime mieux , la \
tête est égale à deux cinquièmes de la longueur et
de la hauteur du cheval.
4°. 11 fait le talon M. et l’avant-main N. d’une [I
hauteur égale ; tandis que la hauteur de l’avant- Jl
main doit être d’une tête, et-celle du talon d’une
tête et un sixième de tête à compter du sol.
Il est évident que la méthode de Van de Pas !
n’offre pas la moindre certitude de principes; sur- j
tout lorsqu’on veut donner quelque autre attitude
aux chevaux.
Les proportions que prescrit Bourgelat sont bon-
nes, mais la tête de son cheval est trop petite.
A l’ A C A D. DE DESSIN. SÔJ
M. Murr vante beaucoup Fouvrage d’un certain
Henri Lauten Saks (i), dont je n’ai jamais pu me
procurer la lecture.
Planche XXXII, figure 3.
Van de Pas donne ensuite, pag. a4,
LA VACHE.
Van de Pas partage la longueur A. B. en trois
parties; un tiers pris deux fois donne la hauteur.
Un tiers pour l’épaisseur; tout le reste se fait
au hasard.
La tête y est comptée de même pour un tiers ,
ce qui est assez exact. Cependant jamais une vache
ne porte sa tête à la hauteur où elle est représen-
tée ici.
- Mais ce sont -là de bien foibles secours pour
réussir ; vu qu’il n’y a rien qui serve à déterminer
la hauteur et la forme du garrot , des reins, de la
croupe et du cou.
Ensuite il donne planche XXIII:
l’ É L É P H A N T.
Après avoir tracé un carré divisé en douze car-
(O Unterweisung der perspectief nnd proportion der menschezi
und rosse, Fraucf. 1 564 , in- fol.
558
D I s C O U 11 s LUS
reaiix, il décrit un ovale pour le tronc, sans dé-
terminer la mesure de celte partie. Toute la figure
est difforme; et il n’a pas indiqué les dimensions!
des pieds: ceux de derrière sont ])lusgros que ceinç.
de devant ; tandis que le contraire a lieu, non-seuj
lement dans rélé])hant et le chameau, mais aussi
dans le cheval et dans tous les autres animaux. |
Le squelette que Perrault a donné de Péléphaiit
est fort défectueux et sans les moindres propor-
tions. Il faut en dire autant de celui que Butlon
a publié.
La figure de l’éléphant , pl. I, pag. i452 , est faite
d’après la bosse , et ne me satisfait que médio-
crement.
J’ose assurer que les dimensions de l’éléphani
que j’ai modelé sont fort exactes; mais comme cei
animal étoit fort jeune, sa tête se trouvoit réelle-
ment plus bas que son dos. La tête et le garrot de
l’éléphant représenté dans l’ouvrage de Butlon sont
plus élevés que la croupe. Me trouvant l’été der-
nier à Versailles, j’y ai vu un éléphant heaucoiq
plus grand que celui que j’avois modelé. J’en fi:
sur-le-champ le dessin , parce que véritablement
sa tête et son garrot étoient placés plus haut qiu
sa croupe ; au reste , ses diruensions tenoierit h
milieu entre celles de l’éléphant dont Buffon a
donné la figure, et celles de Léléphant que j’avois
modelé moi-même.
A l’ A C A D. DE DESSIN. SSg
Van de Pas donne, pi. XXV, la figure du cha-
meau. Ayant de nouveau tracé ici un ovale pour
la partie du ventre, tout le reste est mal dessine4
Ce qu’il prescrit , pl. XXXI, pour dessiner les
chiens, doit absolument être rejetté; et il en est
de même de ce qu’il dit des chats.
Pl. XLIII, il indique aussi les trois cercles
pour les cerfs, dont le premier, dit -il, doit être
plus petit que le second, et le second plus petit
que le troisième 5 mais sans nous dire pourquoi ni
de combien ces cercles doivent être relativemtent
plus petits les uns que les autres.
Comme Van de Pas est le seul maître qui ait
cherché à établir des principes sur la manière de
dessiner toutes sortes d’animaux , et qu’en don-
nant à ses elforts les éloges qu’ils méritent, j’ai en
même tems fait appercevoir leur insuffisance 5 il
faut que j’indique, à mon tour , la méthode que
je crois la plus propre à dessiner avec facilité et
correction les animaux.
Règle générale pour dessiner toutes les espèces
d’animaux.
1°. Tracez, pl. XXXII, fîg. A. B. C.,^an&la
direction plus ou moins oblique vers C, que doit
avoir celte ligne , suivant la nature de i’aninaal
36o
DISCOURS LUS
qu’on vent représenler; tels, par exemple, que Is
brebis, le chameau, etc.
2°. Achevez l’ovale oblique A. B. C. D.
5°. Tirez F. E. pour l’omoplate, et C. H. pout
l’os de la hanche , égal à deux tiers de la tête pour
le cheval, mais égal à la tête entière pour le boeuf,
Ensuite, indiquez l’os du bras E. G., et l’os de
la cuisse I. K. , de manière que le coude et le ge-
nou du cheval, du bœuf, etc. , se trouvent à la
même hauteur et sur la même ligne que le ventre.
4®. Achevez de tracer les jambes de devant et de
derrière; c’est-à-dire, tirez les lignes K. L., M. N.,
N. O. O. P. pour la jambe de derrière, et G. R., R. S,,
S. T. pour la jambe de devant.
Lorsque R. et L. sont d’une égale longueur, le
talon M. L. s’élève de lui-même plus haut.
Faites l’esquisse du cou suivant que l’exige l’es-
pèce de l’animal; ensuite la tête, d’après les règles
que j’ai établies aux pages 54i et 342.
Rappelez- vous aussi de celles dont j’ai parlé
page 55g, n°. 2 et 3. Ajoutez ensuite ce qui est né-
cessaire pour la longueur des reins. Cette esquisse
pourra servir pour toutes les espèces d’animaux-
SECONDE RÈGLE.
En couvrant les os des bras de leurs muscles
Q- ? S'f’ J G.yi R. , on obtient le contour de la
A l’ A C A D. DE DESSIN,
36 1'
jambe de devant ; et en traçant c. b. , H. c. , e/.M. ,
etc. , on parvient à former le contour de la jambe
de derrière.
lOj !
TROISIEME REGLE.
IVF,
Les premières côtes sont toujours droites et re-
r couvertes par l’omoplate; celles de derrière sont
“L toujours placées obliquement en arrière ; dans le
i cheval elles se prolongent jusque près des os des
hanches; dans la vache, la partie des reins est plus
longue ; ce qui produit la cavité triangulaire in-
f ! diquée par £. F. G, de la fig. 2 , pl. XXX.
QUATRIÈME RÈGLE.
Dans tous les animaux à sole ou sabot, la main
I et le pied sont fort longs, comme en R. S. etJM. N.,
hg. ï,pl. XXXIl.
Dans les animaux qui sautent , tels que les lions,
; les chiens, les lièvres, l’os de la jambe est long et
: le pied est court.
g yJppUcaliuii de ces règles aux oiseaux. Planche
XXXI I , hg. 4.
1'’. 4’racez de nouveau un ovale, et placez le
bras en A. B. , qui doit être plié quand l’oiseau no
562
DISCOURS LUS
vole point, comme en B. C. Prenez C. D. pour la
nioin , D. F, pour le pouce, el D. E. pour les au-
tres doigts.
2°. Ensuite décrivez G. H. pour l’os de la hanche
elle coccix;I.K. donne la cuissej K.L. l’os dei
la jambe; L. M. le pied ; M. les doigts. i*
3°. Tracez le cou N. Q. , en observant de lui
donner la longueur qui convient au corps, et ter-’
minez la lèle Q. R., dont la mandibule supérieure
est très -mobile dans quelques espèces, comme
par exemple, en R. S. dans l’aigle, le perroquet et';
le canard.
4*^. Si c’est un oiseau dont l’espèce est destinée!
à voler, il doit avoir le sternum garni d’une crête|
saillante , laquelle sert à l’insertion des muscles ,V"
de même que la fourchette N. O. L’autruche et le>;
casoar n’ont pas cette crête, qui leur est inutile,;
parce qu’ils ne volent point.
Par l’addition des muscles, on achève de donner '
la forme convenable aux cuisses, etc.; et en pla-'
çant les plumes on obtient la totalité de l’animal.
Les pennes primaires recouvrent les cuisses, etc. ( i).
( I ) Belon , dans son Uisloirc de ta nature des oiseaux , édit, de
1554, pag. 4® et 4'i comparant le squelette de l’homme à ce-
lui des oiseaux , a démontré de la manière la plus satisfaisante la
parfaite analogie qu’il y a entre l’un et l’autre, depuis la tête
jusqu'aux pieds. Je ir’avois pas eu l’occasion de faire cette remar-
que avant le 1 y juin 1 yyg.
Afin de porter en avant autant que possible le centre de gravité,
A l’ A C A », B E DESSIN.
565
COPvOLLAIRE.
De ce que j’ai démonlré que les jambes de de-
vant de tons les quadrupèdes et les ailes des oiseaux
sont conformées comme nos bras, il suit qu’il est
ridicule, absurde même, de donner des ailes à la
ligure humaine, comme on a cotitume de le faire
aux anges et aux amours.
En second lieu , qu’il ne peut y avoir des cen-
taures, parce qu’il faudroit leur supposer six jam-
bes, deux ventres et deux poitrines, comme l’a
fort bien prouvé Aristote (i), ainsi que Lucrèce.
Par ce qui me reste à dire on verra qu’il ne peut
pas y avoir non ])lus de tritons ni dç syrènes.
ta nalure a eu soin de raccourcir le dos des oiseaux, et de retran-
cher aussi entièrement les vei tèbres lombaires; il y a même des
espèces qui n’ont que six vertèbres, et qui par conséquent n'ont
que six côtes de chaque côté; d’où vient (|u’ils n’ont que le tiers
des vertèbres de I hoinme , à qui la nature en a donné dix-sept.
L’inverse parort avoir lieu dans la grenouille, fig. 5 , pl. XXXII,
dont le centre rie gravité devoit être porté en arrière. 11 falloit
donc que les vertèbres lombaires restassent ici, pour donner [tins
de torce aux muscles des jambes de derrière. C’est pour la même
raison que la nature ieur a sagement relusé presque toutes les ver-
tèbres dorsales, et a placé leur cou , pour ainsi dire, direcieinens
sur les lombes. 11 ne pouvoit donc y avoir des côtes, et l’aoimai
nous paroît nèr.assairemeut d’une figure ramassée. Voyez A, J.
Rœsel, E ist. Raiiar., edir. Nurenb. 1768.
i 1) De hicessit n/iimaliurn , cap, 1 1 , pag. 74^-
564
DISCOURS LUS
De la figure des poissons. Planche XXXI, fig. ,3.
Preuve que les poissons ressemblent par leur
structure aux quadrupèdes.
1 Tracez de nouveau le tronc B. A. C. G. Coitinie
les poissons n’ont pas besoin de cou, et qu’ils n’en
ont en effet presque point (excepté ceux qui respi-
rent, et qui en ont un fort court), placez la tête
D. A. B. E. immédiatement sur l’épine du dos en
A(i).
2°. Comme dans cet état le tronc ne sauroit se
mouvoir , quoiqu’il se trouve en équilibre avec
l’eau, il faut ici une force motrice pareille à celle
de l’aviron d’une chaloupe, A. n. 0.,fig. 4, pl.
XXXI, à laquelle on peut comparer le poisson.
Mais comme cette force motrice doit résider dans
le poisson même, il en résulte que la queue C. H.
et les grandes arrêtes transverses sont indispensa-
blement nécessaires pour l’insertion des muscles.
Plus la queue n. ©., fig. 4, sera longue, plus le
poisson aura d’agilité en nageant.
(0 Dans tous les poissons la première vertèbre se trouve réunie
avec la tête parle moyen d’un cartilage, de même que les autres
vertèbres le sont entre elles; c’est ce que j’ai surtout remarqué
dans le brochet.
A l’ A C A D. DE DESSIN.
565
COROLLAIRE I.
La chaloupe aura le moins de mobilité, lorsque
le centre de turbination et celui de gravité seront
réunis dans un même point. Cela ne sauroil avoir
lieu dans une chaloupe, mais se trouve toujours
tel dans les poissons; aussi ont-ils la faculté de na-
ger en ligne droite, tandis que la proue de la cha-
loupe vacille sans cesse de côté et d’autre en fai-
sant route.
Mais le poisson doit se tenir droit ; il lui faut
idonc des nageoires pectorales en B. F. , et des na-
geoires ventrales en G. Si l’on coupe les nageoires
B. F. , comme l’a fait Artedi, le poisson ne sauroit
plus se soutenir, et tombe sur le côté,
c O R O L L A I R E II.
1°. Comme les poissons sont en équilibre avec
i’eau , et que tous nagent en avant par le moyen
de leur queue, il est évident qu’ils sont tous pla-
cés horisontalement dans l’eau.
2°. Le centre de turbination doit varier à rai-'
son du poids de la tête du poisson ; et c’est de là
que doit dépendre aussi la longueur de la queue.
5°. Comme la forme des poissons est plus sus-
ceptible de modilications que celle des quadrupè-
5G6
DISCOURS LUS
lies, il doit nécessairement y avoir pins de varié-
tés parmi les premiers que parmi les derniers. Aussi
Linnæus(i) compie-t-il seulement deux cent douze
espèces de quadrupèdes; tandis qu’il a trouvé qua-
tre cent quatre-vingt es|)èces de poissons.
4“. U est par conséquent impossible qu’il y ait
des triions, des sirènes; c’est-à-dire, des monstres
marins, qui nagent en tenant le corps sur une li-
gne perpendiculaire, de manière que la queue for- i
me un angle droit avec l’épine du dos. La loi de
gravité les forceroil à prendre une position hori-
sontale ; ce qui prouve l’absurdité qu’il y auroit
de vouloir admettre l’existence de pareils êtres.
Mais revenons aux jambes des poissons. Comme
c’est par le moyen de leur queue que les poissons
nagent, ils n’ont pas besoin de longues jambes, ni
de cuisses, ni de tibia , ni de pieds. Le bassin os-
seux qu’on trouve dans tous les quadrupèdes et oi-
seaux leur est pareillement inutile.
DÉMONSTRATION.
Nous avons un exemple frappant de ce que je
viens de dire dans la métamorphose que subissent
les grenouilles. La nature leur donne une queue
pendant tout le teins qu’elles sont privées de jam-
(i) Edic. 1(3, 1766.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 567,
besj mais du moment que celles-ci paroissent la
queue diminue, et cela progressivement jusqu’à
ce que les jambes aient acquis la force nécessaire.
Tous les printems nous sommes à même d’admi-
rer ce singulier phénomène, que nous négligeons
cependant, peut-êîi’e à cause de la facilité même
que nous avons de nous en occuper et de la l’épu-
gnance que nous inspire l’animal qui le présente.
Métamorphoses de quadrupèdes en oi-
seaux.
PREMIER EXEMPLE. PL. XXXIII, FIG. 2.
Changer une vache en oiseau.
Dessinez le squelette de la v-aclie, comme il a
été dit page 543.
1®. Dressez le tronc de manière que les jambes
de devant s’élèvent de la terre en G. C.j alors le
centre de gravité n’étant plus soutenu par les jam-
bes de devant, celles de derrière E. F. se trouvent
portées en E. I.
2^. Le tronc G. se trouvant alors considéra-
blement élevé de terre, le cou doit être alonsé
comme en G. FI. , et la tête doit se' jeter en. ar-
rière , pour être supportée par la ligne de propen-
sion en H. I. .
368
DISCOURS LUS
3°, Comme les jambes de devant ne sont plus
nécessaires pour marcher, elles tiennent lieu d’aî-
les, et répondent aux conditions donlje parle dans
la quatrième règle, page 56 1.
SECOND ET DERNIER
PL. XXXIII, FIG.
EXEMPLE.
] .
Changer un quadrupède en homme.
Comme un grand nombre de lignes produiroit |
de la confusion, il sera convenable de commencer i
par représenter un cheval posé sur ses quatre jam- !
bes; ensuite dressé sur celles de derrière, pour dé^,|
montrer: if;*
Kl:
1°. Que dans celte position les hanches se rap-i.‘
prochent beaucoup. É
2°. Que les jambes de devant pendent le long|
du corps j qu’elles ont par conséquent besoin d’être^
soutenues par des clavicules. f
3° Que les cuisses et les jambes se trouvent^
maintenant former une seule ligne droite. %
4°. Que la tête n’ayant plus besoin de se trou-^,
ver placée au bout d’un long cou, le garrot ne de-y
mande par conséquent pas une si grande hau1eurd|
5°. Que le dos perd sa convexité. :
6°. Que la tête, dont le cerveau et le cervelet
éîoient placés, dans le premier cas, l’un devant i
A l’ A C A D, DE DESSIN. 56q
l'autre, a pris maintenant une forme sphérique,
dont le centre de gravité et celui de mouvement
doivent se confondre en un seul point.
7°. Qu’il faut nécessairement que la mâchoire
rentre en dedans; que par conséquent le nez de-
vient proéminent.
8°. Qu’il faut que les pieds soient rendus plus
courts.
9°. Qu’il faut donner cinq doigts aux pieds,
N. B. Il suit naturellement de la troisième rè-
fle que les cuisses , les mollets et les fesses doivent
l'tre plus couverts de chair, pour qu’ils puissent
enir le tronc dans une position droite; ce qu’A-
istote a exposé d’une manière admirable , quand
1 dit : « L’homme seul n’a pas de queue, mais il
; a des fesses , que la nature n’a donné a aucun
quadrupède. Aussi les cuisses et les jambes de
l’homme sont-elles fort charnues. — Il n’y a pour
cela qu’une seule raison , c’est le privilège dont
l’homme jouit seul de se tenir droit; et pour cet
effet il lui falloit des fesses plus charnues , des
cuisses et des mollets (>). n
(ij Homo unus caitda vacat , nates habet, quod niilli quadrtt-
dum datum est. Crurn etiam homini femore snraque carnu-
ita sunt. ■ — Quorum causa una esc omnium, quod homo salas
dmalium erectns esc , icaque naces camosas fecic ec femora eC
ras.' — De Parc anim., I, IV, pag. \Ojq.
III. 524
DISCOURS LUS,
ETC.
070
CONCLUSION.
Voilà, messieurs, ce que je m’étois proposé de
vous démontrer. Si je n’ai pas réussi à fournir aux
artistes des règles pleinement convaincantes, j’au-
rai satisfait du moins à votre curiosité, et reveillé
en vous des idées plus étendues sur la marche que
la nature semble s’être prescrite dans la création
des animaux.
DU BEAU PHYSIQUE,
O U
DE LA BEAUTÉ DES FORMES.
DU BEAU PHYSIQUE,
O U
DE LA BEAUTÉ DES FORMES.
INTRODUCTION.
D E tous les tems, les hommes doués d’un juge-
ment sain et d’un goût délicat, les vrais amateurs
et connoisseurs du bel art de la peinture ont été
convaincus qu’i/ existe un Beau phy sique , c’est-
à-dire , une Beauté des formes fondée sur des
principes immuables ^ dont tous les hommes sans
exception ont un sentiment inné. Cependant per-
sonne, que je sache, n’a pu définir encore ce qui
constitue véritablement ce Beau , et l’on est moins
parvenu encore à en donner une démonstration
satisfaisante.
Selon moi, le Beau physique n’existe pas dans
DISCOURS LUS
074
la nalure; c^est - à -dire , qu’il ne se trouve dans
aucune chose créée, ni dans l’homme, ni dans les
animaux, ni dans les plantes 5 parce qu’il manque
partout une symétrie générale soumise à des rè-
gles certaines et constantes ; tandis qu’on trouve
bien une harmonie parfaite, invariable dans leurs
parties intégrantes , laquelle tend uniquement à
leur utilité absolue, et qui n’impliqueaucune idée
de beauté.
La vénérable antiquité , ses plus grands philo-
sophes, ses plus célèbres artistes, ont pensé, com-
me l’ont fait depuis ceux de nos jours , que la
Beauté des formes dépend essentiellement d’un
certain accord des parties comparées entre elles.
C’est d’après ce principe que Galien a dit(i), a Que
« le Beau ne résulte pas tant d’une analogie con-
te venable des élémens, que du rapport des parties
c( intégrantes entre elles; » comme, par exemple,
du doigt avec la paume de la main , de la paume
avec la main même, de la main avec le coude, du
coude avec le bras, en un mot, de toutes les par-
ties les unes avec les autres; commeon peutlevoir
dans le livre des proportions de Polyclèle , appelé
Norma ou Règle. C’est d’après ces idées que cet
artiste fit une statue, à laquelle on donna égale-
ment le nom de Norma j à cause de la beauté de
0 ) Class. I , pag. 255 à la fin H.
A l’ A C A D. DE DESSIN. SjB
'*1 ses proportions. Pline (i) fait mention de cette sta-
■^1 tue connue d’un chef-d’œuvre, que tous les ar-
tistes sans exception appeloient Canon ^ à cause de
la beauté de ses proportions.
® A l’exemple des anciens tous les peintres et sta-
s tuaires du quinzième siècle , lorsque les beaux-
arts recommencèrent à fleurir, introduisirent de
nouveau ce prétendu mérite de la symétrie, et le
défendirent avec chaleur , comme on peut s’en
convaincre par les écrits de Léonard de Vinci ,
d’Albert Durer, de Lomazzo, et en dernier lieu
par ceux du célèbre Mengs (2) , émulateur zélé du
grand Raphaël.
Mais , en admettant même leur hypothèse , il
faudroit pouvoir résoudre aussi la question ; Pour-
quoi cette symétrie y rigoureusement calculée ,
devroit produire sur notre aine un ejf'et qui la
déterminât à un sentiment cV approbation , et
cela , sans exception ^ chez tous les hommes en
général? Seroit-il véritablement nécessaire que
nous eussions un sentiment inné du Beau phy-
sique ^ comme nous recevons en naissant le senti-
ment intérieur du Beau moral , de la vertu , de
l’amour, de l’amitié, etc.? Non certainement!
fl) Tom. Ht, ]ib. XXXIV, rap. 8 , para». 5. Edit. Hard.
(2) Voyez la traduction que j’ai donnée des OEtivres de Mengs,
2 vol ia-L\^ , Note dit traducteur.
DISCOURS LUS
5y6
Les differens goûts qui ont régné clans la peinture
et dans la sculpture, et cela dans tous les tems ,
servent à nous prouver le contraire.
On me demandera peut-être , et avec raison ,
pourquoi on donne donc le nom de belles aux sta-
tues antiques, et cela depuis tant de siècles? D’où
vient c[u’on ne cesse de louer un Polyclète , un Ly-
sippe, un Phidias, un Apelle? Pourquoi un Mi-
chel-Ange, un Raphaël, un Corrège , un Titien
et tant d’autres ont accjuis un nom immortel; tan-
dis c|ue leurs ouvrages ne peuvent être appréciés
que par ceux cjui ont fait une étude particulière
de Part?
La nature, dira-t-on, a-t-elle formé les hom-
mes, les animaux, les plantes, de manière qu’un
certain accord ou équilibre entre leurs parties en
constitue la beauté; ainsi que cela a heu dans le
mouvement accéléré de la chute des corps , dans
l’action des fluides, dans les forces centrifuges,
dans les oscillations du pendule, et dans la révo-
lution des cor])s célestes autour de leur centre
commun? Mais ne se pourroit-il pas c[ue cette
beauté même ne soit que purement accidentelle ,
et qu’elle n’esl pas entrée dans le plan général de
la Suprême Cause ?
Mon dessein est de vous prouver dans ce dis-
cours que l’Etre souverainement puissant n’a eu
d’antres vues en formant les animaux que l’utilité
A l/ A C A D. DE D E S S ï N. O77
relative de leurs parties intégrantes, et nullement
leur constante symétrie; C[w'’ilne saurait y avoir
par conséquent de B eau positif , invariable dans
les formes des animaux.
C’est aux animaux seuls que je bornerai, pour
le moment , ces réflexions ; leur application aux
])lantes nous meneroit trop loin; quoique cepen-
dant leurs fonues oflient les mêmes rapports. C’est
d’après ces principes que je prouverai, d’une ma-
nière claire et incontestable: i". Que le Beau
qu’on suppose exister dans les formes de l’hom-
me et des autres animaux , dépend uniquement
d’une mutuelle convenance établie sur l’auto-
rité d’un petit nombre de personnes.
2°. Je ferai voir que le Beau physique n’est
qu’un être de raison , fondé uniquement sur l’ha-
bitude (1).
3°. Je démontrerai enfin que l’aptitude à saisir
le Beau et à l’appi’écier , qu’on appelle ordinaire-
ment sentiment J tact ou goût , dépend bien d’une
certaine modification particulière de l’esprit de
quelques personnes , mais qu'on ne doit cependant
i’aîtjibuer , en général , qu’à l’éducation, à l’habi-
(O Voilà pourquoi Rdm. BuiketUt avec raison dans son Traité
du Beau et du Sublime ; Since if proportion does not operate hy
a naturnl power nttending some measures , it must eiilier hc tz
custorn, or lhe iden of titility^ the’e is no ot/ier way.
DISCOURS LUS
tude de contempler journellement les meilleures
productions de l’art, et qu’elle est enfin en raison
des connoissances que nous avons acquises par l’é-
tude et par l’inslruclion (i).
Voilà ceiiainement un objet bien digne, mes-
sieurs, de celte Académie^ mais la manière dont
je me ]nopose de le traiter sera peu propre peut-
être à m’obtenir vos suffrages.
Si jamais votre indulgence m’a été nécessaire ,
c’est surtout dans ce moment, où, n’ayant pas de
vérités neuves à vous exposer, comme dans mes
discours précédons, je ne puis me flatter de fixer
votre attention par quelque chose d’extraordinaire
et de piquant. Je dois, au contraire, chercher à
détruire des préjugés établis sur l’autorité de plu- |
sieurs siècles ; et, après avoir rempli cette lâche pé-
nible, il faudra que je vous force, en quelque I
sorte, à m’accorder votre a])probation. j
Pour rendre mes idées plus claires, il sera con-
venable que je les dévelopj)e par les esquisses des
objets dont j’ai à vous entretenir. Daignez m’ho-
norer de votre attention ; et si je ne puis vous cap-
tiverpar les charmes de mon éloquence, jetâcherai
( 1 ) Winkelmann confirme pleinement mon sentiment à cet
égard , i|uand il dit : « Une éducation honnête et bien raisonnée
« fait naître le .sentiment du Beau et lui donne un essor préraa-
« turé. » V on der Jaeliiglicit der empfindung des schœnen in der
kunsc.
A l’ A C A D. UE U E S S I N. 079
du moins de mériter votre indulgence par ia briè-
veté de mon discoui’s.
PRE ]\I 1ÈRE SECTION.
I. Dès la plus haute antiquité, le Beau a été
décrit d’une manière si obscure , si mystérieuse
même, par les philosophes, qu’il est absolument
impossible de les comprendre; desorte que leurs
définitions métaphysiques, vagues et ambiguës ne
servent à rien moins qu’à nous apprendre ce qu’ils
ijont voulu désigner par ce mot.
ij Quoique Platon (j) dise clairement, a Que l’es-
te senliel est de connoître ce qui fait que les belles
;( choses nous paroissent belles; » il ajoute néan-
moins immédiatement après: te Qu’il est iinpossi-
>(( ble que les choses qui sont réellement belles ne
a nous paroissent pas telles, surtout quand elles
K sont douées de ce qui fait qu’elles nous parois-
■;( sent belles, u
Mais la grande, l’unique question est de savoir
:|u’est-ce qui produit cet elTel? Est-ce la s^’^métrie?
et quelle est alors cette symétrie? Est -ce quel-
qu’autre chose? quelle est donc cette chose?
Je croyois trouver une explication plus salis-
Dans ion Hipplas Major. , pag ag'i.edic. Seirani.
38o
DISCOURS LUS
faisante dans Vitruve; mais cet écrivain se born<
à dire: a Que la beauté positive en arcbitectuu
« dépend principalement de la bonne disposilioff
<f des parties, de leur rapport entr’elles, de leui|
« convenance réciproque, et de la symétrie géné'
« raie. » Ensuite il ajoute : « Que l’eurythmie ou
« la proportion est ce qui constitue la grâce, l’agré-
« ment dans l’ensemble des parties d’un édifice,
« qu’on obtient en leur donnant une hauteur qui'
« réponde à la largeur, et une largeur proportion-
<( née à la longueur, le tout ayant sa juste mè-
re sure; » c’est-à-dire , autant que je puis m’eti
faire une idée, que tout est Beau où il y a symé-
trie ou proportion (i).
Personne sans doute ne contestera cette asser-
tion ;mais il reste à savoir quelle proportion il doit
y avoir entre la longueur, la largeur et la hauteur?
d’autant plus que les cinq ordres d’architecture
généralement adoptés offrent entr’eux une grande
différence de proportions; et , qui de plus est,
un seul et même ordre présente une disparité
très -remarquable de proportion dans les parties
correspondantes, comme on peut s’en convaincre
par les ruines des plus beaux temples de l’anti-
quité, tels que ceux d’Athènes, dePalmyre, d’Hé-
iiopolis, de Pæstum et de Rome.
^i) Vkruvius, De ^ rchiiect. , cap. 5.
A l’acad. de dessin. 58l
Galien (i), qui aimoit beaucoup la peinture,
prétendoit qu’on devoit trouver la Beauté dans les
hommes qui, à une belle carnation, joignoient de
aelles proportions et une symétrie convenable des
membres^ « car, dit -il, la Beauté consiste dans
[( la régularité des parties et dans l’agrément de la
{ couleur (2). ))
Ensuite, il fait un grand éloge de l’ouvrage de
Polyclète (5) sur les proportions j et il conclut que,
suivant l’avis des plus grands philosophes et des
plus célèbres médecins, la Beauté de la figure hu-
maine consiste dans une exacte régularité de ses
membres.
Il paroît donc évidemment par les passages que
jje viens de citer de Platon, de Vitruve et de Ga-
lien, qu’ils étoient loin de connoître ce je ne sais
ijuoi par le moyen duquel toutes les belles choses
sont belles (4); mais qu’ils étoient bien plus éloi-
gnés encore de pouvoir donner sur cet objet des
règles ou des principes certains.
IL L’idée où l’on est encore aujourd’hui que
nous avons un sentiment inné du Beau physique.
(1) Meth, med., class.VII, pag. 6.
(2) Isagoge, tom. I, pag. a55, H. ad finem.
(3) Ibid. , pag. 255-
(4) Cnjus bénéficia omnes res pulchrae sunt pulchrae.
582 U 1 s C ü U F., s LUS
nous la tenons de ces anciens philosophes. « Osez
<( vous douter encore, dit Symmaque (i) , de L
<( capacité des philosophes à prononcer sur le Beau
(( tandis que les plus ignorans des hommes admi-
« rent le Jupiter Olympien de Phidias, la vache d(
(( Myron, et les prêtresses de Polyclète? — La pé
<( nétralion de notre jugement va bien au-delà
« sans quoi le mérite des belles choses ne seroii
« apprécié que de ])eu de monde, et le senlimeni
« du Beau ,en général, ne s’étendroit pas aux hom
(( mes les plus ignorans. »
Cicéron dit (2) qu’il faut être surpris de ce que
malgré la prodigieuse différence qu’il y a entre ur
homme instruit et un ignorant, le jugement portt
par tous varie cependant si peu en général.
Dion d’ILalicarnasse veut , pour la même raison,;
que la nature a doué tous les hommes sans excep |
îion de ce sentiment inné. Epitecte pousse la chose|
jusqu’au ridicule : il attribue au Beau une telk*
puissance que les pierres même doivent en être af-
fectées (5).
Ce qui prouve , en attendant , que les anciens
ji’étoient pas plus que nous doués de ce sentiment
inné du Beau , c’est l’aventure de Polyclète qu’Æ-
(O Lib. I, ep. 23. Suivant Junius, dePicc. Veter., parag. 7.
(2) De Oral., lib. III.
(5) Suivant Juuius, ibiJ., parag. 7.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 585
lien nous a conservée ( i ) ; a Ce statuaire , dit-il ,
« fit en même tems deux statues : l’une d’après les
« avis de la multitude, l’autre selon les règles de
,« l’art. Il eut pour le public la complaisance de
;!« recevoir les conseils que lui donnoit chacun de
j.« ceux qui entroient chez lui, changeant et refor-
mant suivant leur goût. Enfin, il exposa ses deux
« statues: l’une excita l’admiration de tout lemon-
j « de; l’autre fut un objet de risée. Alors Polyclète
prenant la parole: La statue que vous critiquez,
(( dit -il, est votre ouvrage; celle que vous admi-
« rez est le mien. »
§. III. Mais il est tems de quitter cette digres-
[ sion , et de vous rappeler que les anciens n’eurent
I jamais ce sentiment inné du Beau , qu’ils préteu-
^ doient posséder, comme je viens de le dire. Je dois
I ajouter encore que toutes les nations connues de
t la terre prouvent assez par les formes bisarres
J qu’ils donnent à leur corps, qu’elles n’eurent ja-
\ mais cette idée innée du Beau.
4.' Contemplez ces Indiens qui à force de travail
enlèvent l’émail naturel de leurs dents d’un blanc
;de perle , pour qu’elles prennent mieux le noir
d’ébène qu’ils regardent comme la plus belle des
couleurs; et qui alongent par art leurs oreilles au
-
I (O ^ »riae lib. XIV, cap. §.
584
BlSCOUllS LUS
point de les faire toucher à leurs épaules 5 tandis
que c’est la petitesse de cetle ])artie de la tête qui '
passe pour une beauté dans toute l’Europe.
Il est inutile sans doute d’arrêter nos yeux sur ,
l’épais et lourd Chinois et sur sa femme grêle et
maigre, qu’il regarde ce])endant comme un mo-
dèle de beauté 5 ou sur ces femmes africaines aux
seins flasques et pendans; ou sur l’habitant de l’A-
mérique, dont tout le corps est si bisarreraent ta-
toué, et qui s’imagine être d’autant plus beau que
son nez, ses lèvres et ses oreilles sont percés d’un
]dus grand nombre de trous et chargés d’osselets
ou de pierres.
11 ne seroit pas moins déplacé de parler de la
coutume de nos jolies femmes, qui, pour aug-
menter leur beauté, se serrent avec violence le bas
du corps , de manière à prendre la forme d’un
coin ; tandis qu’elles réunissent leurs omoplates et
compriment leurs seins l’un contre l’autre.
Je ne finirois pas si, en comparant entr’elles
toutes les nations de la terre, je voulois faire voir
combien sont ridicules, contradictoires et absur-
des les idées que chacune d’elles se forme de la
Beauté. Il me sufht d’avoir fait observer, que tou-
tes auroient eu le même type pour le Beau physi- î
que, si en effet nous recevions en naissant le sen- ^
îiment de ce qui le constitue, comme nous avons
tous le sentiment inné du Beau moral, à l’égard ;
A l’ A C A D. DE DESSIN. 385
uquel on n’a jamais remarqué la moindre diffe-
3nce chez les nations civilisées, ni même chez les
ations sauvages et barbares: chez tous les peuples
anrius la chasteté, l’amour, la fidélité, le cou-
ige, etc., sont également en estime et jouissent
paiement de la plus grande considération.
§. IV. Je dois examiner pareillement si le Beau
hysique consiste dans une certaine symétrie des
irties intégrantes, ainsi que Galien et beaucoup
■ autres l’ont pensé sur la foi des anciens philoso-
fies, et comme la plupart des artistes modernes
. croient encore d’après l’autorité de Polyclète.
Je supposerai néanmoins pour un instant que
est la symétrie ou proportion qui constitue la
eauté physique^ et dans ce cas il faudra conve-
ir que si ce Beau n’est pas partout le même , il
svroit du moins se trouver dans l’architecture j
i qui n’est nullement vrai, comme je le prou-
:rai incontestablement par des exemples.
1°. Commençons par le stylobate ou piédes-
l(i), dont les proportions ou dimensions sont
icore indéterminées dans les cinq ordres d’archi-
* icture. Dans l’ordre toscan, il a la forme d’un
(i) M. Camper avoit dessiné ces différens piédestaux sur un
bleau noirci.
III.
25
386
DISCOURS LUS
cube, suivant Philandre (i), qui étoit disciple de
Serlio.
Dans Fordre dorique, c’est le diamètre du carré
pris dans sa largeur (2); dans l’ionique, c’est la
même proportion (6)5 dans le corinthien, c’est la
diagonale ajoutée à la moitié de la largeur (4) j
dans le romain ou composite , c’est la diagonale
€t un quart de la largeur (5).
Vignole prescrit de toutes autres dimensions à
ces piédestaux : pl. 1, pag. 3; savoir, le diamètre
du carré pour la hauteur du cube de Fordre tos-
can; un diamètre et demi pour celui de Fordre
dorique; quelque chose de plus pour Fordre ioni-
que; et deux fois la base pour Fordre corinthien.
Dans les Ruines de Balbec , on trouve des pié-
destaux de pilastres d’ordre corinthien (pl. V),
qui n’ont que deux diamètres de hauteur, sur un
et un quart de large. Il y en a un autre qui forme
un cube parfait (pl. XXX, ibid.).
En un mot , on ne trouve nulle part une pro-
portion constante. Tout se réduit à de simples con-
jectures arbitraires, sans qu’il y ait aucune pro-
(1) Vitruve, édition de Philandre , pag. 96.
(2) Ibid., pag. 100.
(3) Ibid. , pag. 1 04.
{^)lbid., pag. 107.
(5) Ibid. , pag. 10 S,
A L A C A D. DE DESSIN.
387
gression déîerminée : et il faut en dire autant pour
ce qui est des piédestaux par rapport aux plinthes
ou socles (1).
2^. Pour ce qui est du fust de la colonne de l’or-
dre dorique, il paroît, d’après Vitruve (2), que les
Athéniens, ignorant les proportions qu’on avoit
données aux colonnes du temS deDoriis, y ont ap-
pliqué celles de la ligure humaine 5 c’est-à-dire,
suivant Vitruve (5), la proportion de 1 : 6.
Vitruve (4), séduit par ce préjugé, trouve une
telle perfection dans les proportions de la ligure hu-
maine qu’il blâme comme mauvais tout édifice qui,
par la disposition de ses parties, ne ressemble pas
à un homme bien proportionné. Il compare la co-
lonne dorique à un homme, l’ionique à une fem-
me j de manière même que, selon lui, les volutes
peuvent être regardées comme les cheveux il
donne à ces colonnes la proportion de i ; 8|. La
colonne corinthienne, qui est plus déliée, ressem-
ble, dit-il, à une jeune fille. Mais, selon moi , il
auroit mieux fait de la comparer à un jeune hom-
me, à cause des hanches moins épaisses chez ce
(0 Ibid., pag. 199.
(2) Lib. IV , cap. i.
(3) Ibid.
(4) Lib- I , cap. 1.
588
DISCOURS LUS
dernier, et du svelte de la taille, qui ajoute tani
de grâce à la beauté des contours.
Cette comparaison , si peu conforme à la na-*
ture , a été copiée littéralement par tous les archi-
tectes, et notamment par Riou (i).
Comme il n’y a donc point de rapport entre les
proportions des hommes de différentes nations,
vivans sous différens climats, il en résulte que les
proportions données à la colonne dorique et à cel-
les des autres ordres, doivent être sujettes à de
grandes disparités , et par conséquent fort incer-
taines.
Je ne finirois point si je voulois parler de
tes les variétés qu’offrent la stature, les traits dï
visage, les cheveux, la barbe des habitans des qua
tre parties du monde.
Que signifie donc le choix des proportions pou
les colonnes dorique, ionique ou corinthienne*
quand on veut les déterminer d’après les formes s
diversement modifiées de l’homme ? J’ai vu ave(
plaisir que Perrault (2) confirme le sentiment qui
j’avance ici.
Je ferai voir dans la suite que les Doriens n’on
jamais songé à un pareil objet de comparaison
mais qu’ils se sont contentés de dresser une caban'
(1) Grecîan ord&rs of architecture , ch. 2 , pag. i3»
(a) lüid^ , parag. 7.
A l\a C A D. DE DESSIN. SSg
élevée sur des poteaux assez hauts pour qu’ils pus-
sent s’y tenir dessous; qu’ensuite ils ont donné in-
sensiblement plus d’élévation à ces poteaux, com-
me on peut le voir par le temple de Thesée à
Athènes , et par celui de Pæstum dans le royaume
de Naples.
5®. Que dirai-je de la hauteur des chapiteaux
corinthiens, qui, de l’aveu même de V itruve , pré-
sentent des dilFérences sensibles , quant à leur hau-
teur? Ceux du portique du Panthéon de Rome ,
par exemple, sont plus hautes qu’on ne les trouve
nulle part ailleurs (i).
L’excellent ouvrage de Riou sur les ordres de
l’architecture grecque, sa préface surtout, méritent
:ju’onlesmédite, et qu’on les compare avec les restes
des beaux monumensdela Grèce publiés par le cé-
lèbre Leroy, et avec ceux de Palmyre, de Balbec
3t d’autres édifices tombés en ruines, que les Grecs
St les Romains avoient élevés dans l’Asie mineure
et dans la Syrie. On sera pleinement convaincu
par-là que non-seulement dans les édifices de dif-
férens ordres, mais aussi dans ceux du même or-
dre, on trouve une grande diversité dans la dis-
tribution des parties qui composent l’entablement,
telles que l’architrave ou épistyîe, les corniches,
(i) £xpl. pl. de Perrault.
DISCOURS LUS
5go
les frises ou zoophores, les métopes, les triglyphe
les modillons, etc. ; tant il est vrai qu’il n’a jama
existé de proportions constantes et fondamentale
même chez les nations les plus éclairées.
L’exact et justement célèbre DcvSgodetz nous
de plus démontré que Palladio et Serlio n’ont p;
donné les mesures exactes des anciens édifices dj
Rome. Chambray, dans son Parallèle de Varch
teclure ancienne et moderne , s’est égalemet
trompé à cet égard , comme il est facile de s’en a]
percevoir par plusieurs passages deson ouvrage(i
Quant aux métopes, que Vignole, conformé
ment aux préceptes de Vitruve , prescrit de faii
d’un carré parfait , on sait que les anciens n’oi
jamais observé de règle exacte à cet égard: ils f
firent plus longs ou plus courts, selon qu’ils le ji
gèrent convenable ; comme il est facile de s’e,
convaincre par les Ruines de PoesLuin (2) 5 et Oj
en peut dire autant de toutes les autres parties d
l’entablement.
Voulez-vous maintenant une preuve de l’avei
gle préjugé avec lequel nous adoptons toutes c(
idées arbitraires? Consultez Leroy, qui dit expre:
sèment que toutes les divisions des ordres d’ai
( 1 ) PI. I , et chez Riou pl. XVII et XVIII.
(2) The Ruins of Pæstum , by Th. Major 1 768 , tab. XII , tij
îo, et tab. XXII, fig. 1 et 4*
A l’ A C A D. DE DESSIN. SqI
hitecture dont l’origine remonte au tems de Pé-
iclès, sont agréables et belles; tandis que toutes
elles qui s’éloignent de cette époque doivent être,
egardées comme mauvaises et même comme bi-
arres.
Cet écrivain célèbre finit par dire , que pour par-
enir aux belles proportions des ordres d’archi-
ecture, il faut non - seulement en faire un choix
ans les plus beaux édifices de la Grèce, de l’Asie
lineure , de la Syrie et de Rome; mais qu’on doit
onsulter aussi les ouvrages de Vitruve et des
leilleurs artistes de ces derniers tems; parce que
’est par la comparaison de tous ces maîtres entre
ux qu’on parvient à confirmer les principes fon-
amentaux des cinq ordres d’architecture.
4°. Lorsqu’on examine avec attention l’origine
’un édifice de l’ordre dorique , on s’apperçoit
lîentôt que ce n’est pas la Beauté qui en fait le
trincipal objet; mais que toutes les parties des tri-
lyphes, des métopes, de l’entablement, des mo-
lillons, dépendent immédiatement de la position
(urement arbitraire des poutres, des solives, des
riglyjjhes, etc.
L’inspection du temple de Thesée à Athènes
tous prouvera évidemment que dans les tems les
dus reculés on ne donnoit point de socle ou sou-
sassement aux colonnes; mais qu’on se contentoit
DISCOURS LUS
392
de placer de fortes planches entre les colonnes (
la poutre transversale ou l’architrave; lesquelh
ont donné lieu aux chapiteaux; qu’on y a ajoul
ensuite les soubasseraens ou socles ; et cela d’a
bord par quelque heureux accident, soit en voi
lant alonger le tronc dhin arbre trop court pa.
un morceau de bois, soit peut-être pour préven]
la pourriture. On peut croire de mêmeque la can
nelure des colonnes doit son origine à l’imitatio
de l’écorce fendue des vieux sapins qu’on emi
ployoit aux grands bâtimens. Vitruve nous instru
suffisamment des défauts de l’ordre dorique de Ct
tems encore grossiers , où l’on ne songeoit qu’
l’utile et au nécessaire, et nullement à l’agréabl
et au beau (1), ainsi que Thomas Major l’a pleine
ment confirmé (2).
Il paroît que les Ioniens se sont rendus ce tra
vail plus léger, en ne plaçant pas les solives de
toits d’abord sur des chevrons, mais immédiate
ment sur la frise; ce qui fait que les denticules s
trouvent au-dessous de la cymaise.
Au théâtre de Marcellus à Rome les denticule
se trouvent au-dessous de la cymaise dans l’ordr
dorique (5).
(i) Liv. IV, ch. a, édit, de Perrault.
(•2) Ibid, , pag. 20 et 21.
(3) Voyea Chambrai , pag. 17.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 3g5
5^. Personne n’isnore la manière dont, suivant
Vitruve (i), Callimaque inventa le chapiteau co-
rinthien, en voyant par hasard une corheille qu’on
avoit laissé couverte d’une pierre sur le tombeau
d’une jeune fille, et autour de laquelle s’éloient
attachées des feuilles d’achante. Nous n’ignorons
pas que Vilalpande et le célèbre Pauw, né dans
cette ville, soutiennent que cette prétendue ori-
gine du chapiteau corinthien doit être regardée
comme une fable (2). Supposons même que cette
forme de chapiteau soit prise du temple de Salo-
mon, ou imitée des colonnes égyptiennes, il n’en
est pas moins absurde de voir porter un toit énor-
me sur des corbeilles, ou sur deux feuilles d’une
plante tendre et succulente, ou sur des feuilles de
laurier, sur des plumes d’autruche, sur des bran-
ches de palmier, etc. C’est avec raison qu’un au-
teur anonyme (5) a réfuté Winkelmann, qui nous
présente sans cesse les ouvrages des artistes grecs
comme de vrais modèles de beauté en tout genre;
prétendant que cette admiration sans bornes tient
du délire, et que c’est l’habitude seule qui nous
(1) Liv. IV, ch. 1.
(2) Vilalpande, suivant Vignole, pag. a8g. — Rrc/iero/ies sut-
les Egyptiens , tom. II , pag. 7 1 .
(3) Monthl-y Revie-w , append. vol. LXV, pag. 628 , by the che-
valier d’Azera.
DISCOURS LUS
5g4
porte à cette aveugle admiration 5 de même qu’O-
vide (1) dit de l’objet de ses amours, qui proba-
blement n’étoit pas d’une grande beauté:
Exmiit ipso, (lies omnes e cor pore ineados ,
Q^uoclque Juif, vitium, desinit esse moral
« Tous les défauts disparoissent à la longue; et ce
« qui sembloit d’abord rebutant devient avec le
« tems supportable. ))
Pline et Vitruve trouvoient déjà de leur tems
qu’il étoit ridicule de faire supporter des édifices
d’un poids énorme par des figures d’hommes, et
même par celles de femmes délicates, à l’exem-
ple des Athéniens qui faisoient ainsi soutenir les
leurs, par mé])ris pour les femmes de Carie. Ces
deux auteurs latins s’accordent à dire que cette
méthode, comme acte de mépris, étoit excusable
dans les premiers tems, mais qu’elle ne l’étoit plus
dans celui où ils écrivoient.
Chambray (2) et Riou (5) sont ceux de nos ar-
chitectes modernes qui ont jjensé de même à cet
égard. Cependant, malgré ces sages réflexions, A.
Carrache, Serlio , Michel-Ange et plusieurs autres
(i)Burraanus, tom. I, pag. 644.
{'i) Parallèle , etc., pag. 6èi.
(3) Grecian orders , etc. , cli, ?. , pag. 8,
A l’ A C A D. DE DESSIN. 5g5
artistes de ces derniers siècles , ont introduit ce
mauvais goût , quelque absurde et choquant qu’il
soit. Combien ne voit-on pas encore dans nos an-
ciennes maisons de chambranles de cheminée et de
portes faites en forme de figures d’hommes ou de
femmes. Chambray s’indigne particulièrement de
ce que, non contens de faire soutenir des édifices
par des esclaves, nousy employons même des figu-
res destinées à inspirer du respect , telles que les
Vertus, les Muses, les Grâces, et même des Anges.
Les François ne sont pas moins tombés dans ce
vice: les édifices de Marol l’offrent partout. En Al-
lemagne on trouve des balcons en pierre soutenus
de cette manière^ et il n’y a pas long-tems que le
célèbre Mengs a fait soutenir par des caryatides le
plafond du théâtre d’Aranjuez en Espagne.
Depuis nos établissemens aux Indes , nous avons
fait supporter nos balcons par des Nègres, comme
si nous avions voulu ajouter encore cet odieux mé-
pris aux malheurs déjà trop réels de l’esclavag*
que nous faisons souffrir à ces peuples malheu-
reux !
Qu’y a-t-il d’ailleurs de plus affreux, de plus
révoltant , à le considérer de sens froid, que de
voir des têtes de bronze ou de marbre sé^iarées de
leurs troncs? Quelle image plus horrible qu’un
buste ou terme sans bras, ou dont le bas du corj>«
se termine en gaine?
DISCOURS LUS
596
Peut-on imaginer quelque chose déplus con-
traire à la nature que les centaures, les minotau-
res, les sphinx , les satyres et d’autres monstres
pareils ?
On ne peut donner d’autre raison de toutes ces
absurdités choquantes, si ce n’est que la coutume
les a d’abord rendues supportables, et puis agréa-
bles à nos yeux : Quodque fuit mtium, desinit esse
mora.
On ne s’est cependant pas encore arrêté à cela.
Vitruve ( 1 ) s’élève avec force contre le goût vi-
cieux et même absurde de son tems , de faire ser-
vir d’ornemens aux édifices, au lieu de figures qui
existent dans la nature, de véritables monstres,
qu’on faisoit sortir encore du milieu des fleurs et
des guirlandes. On en trouve des exemples dans la
frise d’un édifice de Néron publiée par Winkel-
mann (2), et dans les ruines de Palmyre. Vignole,
Serlio et Picart ont adopté ce goût bisarre et ridi-
cule, auquel on n’a pas manqué d’applaudir.
Si je ne me trompe, les Romains avoient déjà
adopté du tems de Vitruve le goût barroque et dé-
pravé qui a tant de rapport avec les ornemens gro-
tesques des Chinois, et que nous avons admis par-
mi nous avec un engouement sans. exemple. Cet
(?) Lib. VII , cap. 5 , pag. 276.
(2) Mannm. ant. Lied,, n°. 3 , pag 9.
A l’ A C A D. DE DESSIN. O97
écrivain (i) fait la description d’un théâtre peint
par un certain Apaturius, et dont Licinius le géo-
mètre, homme d’un goût excellent, fit une cri-
tique si amère , qu’Apaturius, vaincu par la honte,
s’empressa de corriger son ouvrage. C’est à cette
occasion que Vitruve (2) s’écrie avec raison : « Plut
(( aux Dieux immortels que Licinius revint au
(( monde, pour corriger tant de folies. »
Cependant, malgré toutes ces absurdités, on ose
soutenir encore que tous les hommes reçoivent en
naissant le sentiment du Beau physique.
6®. Comme il paroît que les Grecs ont emprunté
de l’Egypte , non-seulement leurs dieux , mais aussi
la plupart de leurs beaux-arts, je pense que c’est
également dans ce pays qu’il faut chercher l’ori-
gine de l’architecture. En lisant les excellens voya-
ges de Ppcoçk(5), je ne tardai pas à m’apperce-
voîr que les colonnes y sont encore, comme elles
l’étoient dans là plus haute antiquité , coux’tes ,
épaises et du plus mauvais style; et que ce n’est
qu’à Alexandrie seulement qu’on en trouve d’une
belle proportion; aussi ne sont-elles pas l’ouvrage
des Egyptiens, mais des Romains.
(O Ihid. , pag. 243, édit, de Perrault.
lib. VII, cap. 5.
(3) Ton», 1, pag. 216 et 217.
D I s C O U n s LUS
598
Les colonnes égyptiennes vraiment antiques,
que Pocock a mesurées (1), ont , y compris le sm*
de, sept diamètres de hauteur. Le fiist est au cha-
piteau : : 4 ; 1. Il y a tout lieu de croire que les
colonnes du temple de Salomon n’étoient pas d’un
meilleur goût ; car on trouve dans le livre des Rois
que Hiram fit les deux colonnes de bronze appe-
\èQS jachin et hohaz , hautes de dix-huit coudées
sur quatre coudées de diamètre; et le fust seul de
quatre diamètres et demi ; par conséquent sembla-
bles à peu j>rès, pour les proportions, aux colon-
nes doriques des premiers teins, telles, par exem-
ple, que celles du temple de Delos (2). Les chapi-
teaux étoient donc comme 5 : 18 : : 1 : 3f; ce qui
est singulièrement opposé aux proportions de tous
les autres ordres, même à celles de l’ordre toscan,
le moins agréable de tous.
On trouve dans le second livre des Chroniques
les mêmes colonnes décrites comme portant trente-
cinq coudées de hauteur avec des chapiteaux de
cinq coudées ; c’est-à-dire, que les chapiteaux
étoient comme 7 ; 1; ca qui se rapporloit assez aux
colonnes de l’ordre corinthien.
Il y avoit sept listels, et les fusts étoient comme
1 ; 7 ; d’où je conclus, qu’à raison de l’idée reli-
( 1 ) Ibid. , pl. 1..XVI et LXVII , fig. 1 2 , pag. a 1 6-
(2)i.eroy, ibid- , pag, 5, pl, II. — 4 diam.
A l’acad. de dessin. 5gg
gleuse attachée au nombre sept, les mesures don-
nées dans le livre des Rois doivent mériter plus de
confiance. Les commentateurs Patrik , Polus et
Wells, qui ne possédoient pas la moindre connois-
sance de l’architecture , y donnent ce sens , qui ne
se rapporte nullement à la description, car i8 et
i8, que porte le texte sacré, font 56, et non pas
35 coudées.
Quoiqu’il en soit, je ne crains pas de dire que
Salomon , tout grand roi et quelque sage qu’il
puisse avoir été , n’avoit pas un goût plus épuré
des arts que les Egyptiens, dont il semble avoir
suivi aveuglement les principes.
Car vouloir que les Grecs aient emprunté des
Juifs la colonne corinthienne, comme le prétend
Vilalpande, c’est le comble de l’absurdité. Aussi
M. Wood remarque-t-il avec raison , dans sa des-
cription des antiquités de Palmyre, qu’on ne trouve
nulle part le moindre édifice de Salomon qui puisse
venir à l’appui de cette assertion.
Ce n’est pas sans vraisemblance que Pocock pré-
tend que les colonnes égyptiennes et leurs chapi-
teaux sont des imitations du palmier , dont on
coupe tous les ans les branches 5 et que, suivant
toute apparence, les colonnes du temple de Salo-
mon étoient de cette espèce (1).
(\) Ibid., pag. 217.
t
400 DISCOURS LUS
En réunissant maintenant tout ce que j’ai dit
des différens ordres d’architecture des Grecs et des
Romains , et ce que j’ai cité touchant celle des
Egyptiens, nous pourrons en conclure avec cer-
titude:
1°. Qu’il n’y a dans la nature aucune propor-
tion véritable ou essentielle, qui puisse avoir servi
de type à ces ordres.
2°. Qye ce n’est que l’habitude seule qui fait
que nous trouvons beaux ces ordres et les propor-
tions qui les constituent.
3”. Que l’autorité y exerce une grande in-
fluence.
4°. Enfin , qu’en fait d’architecture , le Beau
n’est purement qu’un Beau de convenance , et
rien d’autre.
D ’où il suit, qu’en nous affranchissant des rè-
gles purement imaginaires des architectes de l’an-
tiquité , nous pouvons subordonner ces proportions
aux convenances locales et aux circonstances du
moment.
V. Les anciens eux-mêmes , quoiqu’ils eus-
sent approuvé et sanctionné les proportions re-
çues , y ont fait néanmoins avec jugement les chan-
gemens et les améliorations convenables, unique-
ment pour remédier aux défauts apparens.
A l’a CAD. DE DESSIN. 4oi
Vitruve (i) observe avec raison qu’il faut don-
ner plus de hauteur à l’épistyle ou architrave , ou
plutôt à tout l’entablement , à proportion de la
hauteur des colonnes, parce que sans cela cette
partie paroît trop petite.
Les anciens donnoient plus de grosseur aux deux
colonnes des angles d’un péristyle ou portique
qu’aux autres, parce que sans cela la lumière am-
biante les faisoit paroitre plus minces que cel-
les-ci (2).
C’est pour la même raison qu’ils augmentèrent
la largeur de la ligne spirale de la colonne de Tra-
jan , à mesure qu’elle s’élevoit ; comme on peut le
voir chez Barbault (3).
Vitruve dit aussi que plus les colonnes ont
d’élévation, moins il faut les effiler par le haut (4);
et c’est avec justesse qu’il veut « que le raisonne-
« ment corrige les erreurs de la vue; » c’est-à-dire,
qu’on doit à cet égard observer les règles de l’op-
tique (non de la perspective). On peut consulter
sur cela l’excellent ouvrage de R. Smith , dont
il y a une très-bonne traduction hollandoise par
Krighout.
(1) Ibid., pag. 98, éflit. de Perrault.
(3) Ibid. , pag. 90,.
(5) Monumens de Rome ancienne, pag. Sg.
(4) Ibid., lib. II, cap. 2.
III.
26
DISCOURS LUS
4o2
C’est-là ce qui détermina aussi les Corinthiens à
donner plus de hauteur à leurs colonnes; et ce fut i
pour le même motif que les statuaires grecs don-
nèrent à leurs statues non pas sept têtes de hau-
teur , mais huit têtes , et quelquefois davantage
même. Tout cela tient uniquement à ce qu^un carré
parfait paroît toujours plus large que haut, com-
me je Fai démontré en 1770.
Voilà donc les principes sur lesquels est fondé
le véritable et le seul Beau physique , qui n’est su-
jet à aucune espèce de liiodification.
SECONDE SECTION.
Du Beau physique dans l’homme et dans les
animaux.
Je me flatte d’avoir démontré suffisamment,
dans la première partie de ce discours, qu’on n’a
jamais observé des proportions constantes dans les
édifices. Je vais passer maintenant à l’examen des
formes de l’homme et des animaux ; pour vous
prouver que jamais non plus l’intention de la na-
ture n’a été de donner à leurs formes une Beauté
déterminée et invariable ; m.ais qu’au contraire,
loin de se borner à une Beauté quelconque , elle
n’a eu pour but que de les rendre propres à leur
4o5
-V l’ A C A D. DE D E S S I N.
destination 5 c’est-à-dire, que leurs parties inté-
grantes sont conformées de manière à remplir avec
facilité les fonctions auxquelles elles sont des-
tinées.
§. T. Nous commencerons par la contemplation
de l’homine et de ses formes extérieures.
En portant nos regards sur le nez , la bouche ,
les yeux, les bras, les mains, la poitrine et les au-
tres parties , nous trouverons qu’elles ont toutes
été placées sur la partie antérieure de son corps ,
afin qu’il puisse s’en servir avec plus de commo-
dité; tandis que le derrière de la tête, le dos et les
jambes ne présentent aucune éminence et ne con-
tiennent aucune partie noble.
Les })arties qui contribuent à orner l’homme ne
se trouvent donc pas placées sur le devant du corps
pour contribuer à sa beauté , mais seulement à
cause de l’utilité qvii en résulte.
Considérons d’abord l’homme, et nous trouve-
rons que sa poitrine et ses épaules sont larges; tan-
dis que ses hanches sont étroites: il est d’ailleurs
fortement musclé, et n’a point de mamelles.
La femme a les épaules plus étroites , le haut
de la poitrine plus applati , pour mieux recevoir
les deux seins. Ses hanches sont plus larges; la na-
ture lui a donné des mamelles; et, en général, des
formes délicates.
4o4
DISCOURS DUS
Si Fon prétend que Fhomnie est beau, il faudra
convenir alors que la femme n’est pas belle ; et si ,
au contraire , c’est la femme qu’on veut regarder
comme douée de beauté, il faut nécessairement
que l’homme perde cet avantage. C’étoit- là aussi
l’opinion de Burke (i).
§. IL Les seins de la femme ne sont destinés qu’à
fournir la nourriture à l’enfant nouveau-né, et leur
beauté n’est qu’accidentelle , ou , pour mieux dire?
c’est dans notre imagination seule qu’il faut en
chercher l’existence. L’utilité qui résulte pour l’en-
fant des seins de sa mère, fait donc tout le prix de
ce prétendu ornement de la femme.
Si ce n’est que comme simple ornement que la
nature a donné des seins à la femme, pourquoi en
a-t-elie refusé à l’homme? Chez les anciens Grecs
c’étoit la coutume, suivant Paul d’Egine (2) , de
couper les mamelles aux hommes , lorsqu’elles
prenoienttrop d’embonpoint ; non -seulement parce
qu’on regardoit cette superfluité de chair comme
un signe de molesse, mais aussi comme une véri-
table laideur.
(i) A phîlosophical Entjuiry in to lhe origine of our idem oj
ijie sublime and ùeaucijnl , pag, 177 et 17S,
(3) Lib- IV, cap.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 4o5
Chez les enfans les mamelles sont également gros-
ses et potelées dans les deux sexes, parce qu’elles
remplissent quelque fonction essentielle pendant
qu’ils sont dans le sein de la mère , laquelle est en-
core inconnue, à la vérité, aux anatomistes. Chez
les deux sexes les mamelles sont pleines de lait au
moment de la naissance. Ensuite les glandes et le
lait disparoissent insensiblement, et il ne reste plus
que les mamelons. Mais à l’age de puberté , les
seins grossissent de nouveau chez les filles, pour
disparoître une seconde fois lorsqu’elles cessent
d’être fécondes.
§. III. Les proportions des enfans dilîèrent beau-
coup de celles des adultes. Chez les premiers , la
tête fait le quart de toute la hauteur de l’individu;
ensuite elle n’en est plus que la cinquième, la sixiè-
me, la septième partie enfin; parce que les extré-
mités inférieures prennent plus de croissance, tan-
dis que la tête reste à peu près la même pour la
grosseur, lorsque l’homme est parvenu à l’age de
quatorze ans.
Chez les deux sexes, les hanches sont extraor-
dinairement étroites pendant l’enfance.
Or, si le Beau dépendoit des proportions, et si
l’on regardoit les enfans comme doués de Beauté, il
faudroit que les femmes adultes et les hommes
faits nous parussent laids ; ou que les enfans se
4o6
DISCOU ns I, us
trouvassent dans ce cas, si les ])ersonnes adultes
étoient belles à nos yeux.
IV. Cependant nous reconnoissons une Beauté
particulière à chaque âge de l’homme. Ncms nous
sentons aussi inspirés d’un sentiment de respect et
de vénération à la vue d’un vieillard , ce qu’il faut
attribuer sans doute à une idée morale; car un vi-
sage ridé, dégarni de ses dents, avec une barbe
grise et un crâne chauve,* diflère sans cela trop de
la physionomie agréable et gaie de la jeunesse ,
pour qu’on puisse les mettre en parallèle.
Mais cette altération des formes que l’age pro-
duit nécessairement, nous déplait et nous répugne
même dans une vieille femme; probablement parce
qu’elle cesse alors de nous inspirer de l’amour, et
qu’elle a perdu sa fécondité , celte qualité si chère
et si précieuse aux yeux de l’homme, et qui est le
véritable objet de sa destination dans ce monde.
Nous attribuons au vieillard aux cheveux blancs,
au front chargé de rides, des connoissances plus
profondes , plus d’expérience , plus de sagesse ;
voilà ce qui excite notre respect , notre admira-
tion; voilà ce que nous qualifions de Beau. Ce n’est
donc pas aux formes extérieures qu’il faut attri-
buer cette idée.
. V. Ce que nous appelons Beau dans un Nè-
A l’ A C A U. DE DESSIN. 4o7
gre l’est si peu qu’il est exactement l’opposé de ce
qui nous paroît tel dans un Blanc 5 et certainement
nous serions choqués de voir dans un Européen la
mâchoire saillante, le nez écrasé, les lèvi'es épais-
ses et grosses; et cela uniquement parce que nous
n’y sommes pas accoutumés.
Ajoutez à cela la disparité des formes des diffé-
rentes nations, et vous verrez que les Esquimaux
et les habitans du pays de Tzuk au Nord, les ha-
bitans du Détroit de Magellan au Sud, les Hot-
tentots du Cap de Bonne-Espérance et les autres
peuples qui se trouvent sous l’équateur, ont tous
des traits particuliers et des formes différentes.
De cette étonnante diversité , il résulte donc,
1°. qu’il n’existe pas de Beau physique réel ou po-
sitif dans l’homme; aucune espèce de Beauté qui
dépende de proportions constantes des parties du
corps; mais que le Beau ne consiste que dans des
idées que nous nous sommes formées dans l’en-
fance, et que la main du tems rend à la fin inef-
façables.
2°. Qu’il dépend aussi de l’autorité de ceux que
les connoissances plus approfondies que nous leur
attribuons, nous font regarder comme plus en état
d’en juger sainement.
3°. Enfin , de la mode ou des idées reçues chez
chaque peuple.
4o8
DISCOURS LUS
VI. Je pense avoir prouvé suffisamment cette
dernière assertion , comme je crois n’avoir rien
laissé à désirer sur la première. J’ajouterai seule-
ment que notre amour-propre nous porte à préfé-
rer les formes qui nous ont été données par la na-
ture, et que nous regardons comme les plus belles.
Dès la plus haute antiquité, l’homme a attribué
sa figure à la Divinité. Les idolâtres avoient cette
coutume, que les chrétiens ont encore sur toute
la surface du globe. Mais les Egyptiens , pour satis-
faire à leur goût ])our l’allégorie , ont placé des
tctes d’hommes sur le corps d’un lion, d’un tau-
reau, etc.; ou bien, par une idée contraire, la
tête d’un taureau , d’un chien , d’un épervier, sur
le corps d’un liomme.
Mais tous les peuples de la terre , en général ,
sans en excepter un seul , ont représenté leurs
dieux et leurs déesses sous la figure humaine, avec
les traits caractéristiques et sous le costume de
leur pays. Un dieu chinois n’a pas le ventre moins
épais qu’un mandarin, avec de petits yeux en cou-
lisse et une barbe peu fournie, etc. Leurs déesses,
au contraire, sont fort sveltes et plutôt maigres,
comme leurs jeunes filles ; elles ont les ongles
d’une longueur prodigieuse et les pieds difPormes
à force d’être petits. On trouve également dans les
idoles des Egyptiens tout ce qui caractérise ce
peuple.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 4og
De leur côté , les Européens donnent à leurs
dieux la blancheur qui leur est naturelle. Il faut
certainement chercher la cause de ces différentes
manières de représenter la Divinité dans l’amour-
propre, qui fait que chaque peuple de la terre se
regarde comme le plus privilégié et le plus beau.
Cicéron a parfaitement rendu cette idée: «Rien
« ne paroîl plus beau à l’homme que la forme hu-
« maine (i). ))
Il n’est pas invraisemblable non plus, que si
l’éléphant, le lion, le cheval, la baleine, l’aigle»
l’écrevisse , l’araignée , avoient , comme l’homme ,
la faculté de raisonner, ils donneroient chacun en
particulier à leurs dieux leur propre figure, com-
me étant la plus belle et la plus noble de toute la
création.
§. VII. La différence des parties relatives des
quadrupèdes, des oiseaux, des poissons et des rep-
tiles, prouve évidemment tout ce que j’ai dit de
l’homme 5 c’est-à-dire , qu’il ne faut considérer que
la destination des parties, comme ayant été l’uni-
que but du Créateur en formant tous ces êtres
divers.
Dans mon dernier Discours ^ du i3 octobre
(1) Oiiod homini homîne pulcbrius videaiur. D$ Nat. Bter.,
lik 1, cap. z’j.
4io
DISCOURS LUS
1778, sur V analogie qu’il y a entre la structure
du corps humain et celle des quadrupèdes , des
oiseaux et des poissons ^ etc., j’ai fait voir avec
la dernière évidence que la longueur des jam-
bes est proportionnée à la destination de l’animal
à courir avec ])lus ou moins de vitesse j et que la
longueur du cou est également proportionnée à
celle des jambes; de manière qu’il me sera facile
maintenant de vous prouver que les autres parties
des animaux ont pareillement les proportions con-
venables à l’usage auquel la nature les a des-
tinées.
Le chameau , le chien , le cheval, le bœuf, l’é-
léphant, ont chacun des proportions différentes et
distinctives, quileur sont particulières, comme in-
dispensablement nécessaires à leur existence.
La même chose a Heu dans les oiseaux: l’au-
truche, le casoar, la grue, la cigogne, l’aigle, ont
le cou proportionné à la longueur de leurs jam-
bes; et leurs ailes ont également une envergure re-
lative à leur vol, et non à leur force.
Si le cigne et l’anhinga (1) ont le cou plus long
que ne semble l’exiger la hauteur de leurs jam-
bes, c’est que cela leur est nécessaire pour qu’ils
puissent saisir facilement leur proie à une grande
profondeur sous l’eau.
(i)Bulfoii, IIis[. nat. ^ tara. VllI. pag. 44^ 1 pt' XXXV.
A T,’ A C A D. DF, D E S S I AA 4ll
Les martins-pêcheurs ont la tête grosse , afin
de pouv'oir saisir aisément le poisson etrl’civaleL'
sans difficulté; leur corps est petit, et leurs jam-
bes sont coniparativenienl plus courtes encore ,
parce qu’ils n’en ont besoin que pour se soutenir.
Les poules-d’eau , au contraire, mais surtout le
pana va/iabilis (i) , ont les pieds fort grands,
afin de pouvoir marcher facilement sur les plantes
aquatiques. Leur bec est fort petit , ne leur ser-
vant qu’à saisir les graines et les autres menus
objets dont ils se nourrissent. La nature a donné
aux pélicans un fort grand bec avec une espèce de
sac, qui leur sert à mettre le poisson qu’ils pren-
nent. Les toucans ont un fort grand bec relative-
ment à la grandeur de leur corps; et il offre même
une grande irrégularité si on le compare avec ce-
lui des autres oiseaux.
11 n’y a pas une moindre variété dans les queues
des oiseaux: le faisan , le paon, le coq d’Inde, le
coq domestique , l’ara , ont la queue fort longue ;
tandis que l’autruche, le casoar, etc. , l’ont , au
contraire, fort petite, proportionnellement à leur
corps.
La queue du lion, du renard, de l’écureuil, de
l’éléphant, du rhinocéros, prouvent la même
(i) Le jacaiia de Birflbn, Jlisc. nat, des oiseaux, tom. Mil,
pag 448, pi. XXXV.
4i2 discours lu»
chose. Chez les animaux qui rampent, comme le
crocodile , le lézard , la tortue , le crapaud et la
grenouille , on ne trouve pas moins de défauts de
proportion.
Quelles variétés n’offrent pas les cornes et sur-
tout les dents des quadrupèdes et des poissons?Dans
le narwhal, les cornes avancent en ligne droite et,
horisonlale; dans le morse elles sont courbées vers,
en bas; dans le sanglier du Cap de Bonne-Espé-
rance elles sont tournées vers en haut. Tout cela^
nous paroît d’abord bisarre; ensuite l’oeil s’y ac-,
coutume, et on finit par le trouver beau ; desorte
même que nous regardons comme un défaut ré-
voltant, le manque ou le renversement de ces par-
t ies. Un taureau sans cornes , comme il y en a dans
la partie septentrionale du Danemarck et de l’An-
gleterre, nous paroît aussi étrange que le seroit un
veau avec des cornes.
Les jambes hautes du chameau nous étonnent;
tandis que les formes du cheval, du boeuf, du
chien , du furet, du serpent et du lombric mê-
me , quelques belles ou singulières qu’elles soient,
nous frappent moins par l’habitude que nous avons
de les voir souvent. Enfin , nous sommes convain-
cus par le raisonnement, que l’Etre Suprême n’a
pas eu pour but , dans la création , les proportions
qu’il a plu à notre imagination de trouver dans les
différentes parties des animaux; mais qu’il a mis
A l’acAD. de DESSIIf. 4l5
toute leur perfection dans Tutilité qui en résulte
pour l’individu.
Chez l’homme les yeux ont un pouce de dia-
mètre, et son visage a cinq yeux de large. Coin-
parez-les avec les yeux de la souris, de l’éléphant
ou de la baleine, et vous trouverez que le plus grand
oeil n’a pas deux pouces de diamètre. Cependant
le corps de l’homme n’a pas, en général , six pieds
de hauteur, tandis que celui de la baleine a cent
pieds de longueur, et même plus. L’œil est donc
dans l’homme ^ , et dans la baleine = de
sa longueur.
Les oreilles du phoque sont si petites qu’on ne
sauroit les appercevoirj celles de la chauve-souris
appelée l’oreillard, sont, prises chacune en parti-
culier, plus grandes que tout son corps. Or, peut-
on, d’après ces énormes disproportions de parties
correspondantes, dire que l’un de ces animaux est
plus beau ou plus laid que l’autre?
§. VIII. Veut -on savoir quel est le Beau qui
mérite réellement notre approbation? \ eut -on
être convaincu que la peinture n’étoit , dans son
principe, qu’une simple mais fidelle copie des ob-
jets que la nature offre sans cesse à nos regards?
et de quelle manière cet art a été porté ensuite, à
une étonnante perfection par des hommes d’un gé-
nie supérieur, en ne copiant plus servilement la
4 1 4 DISCOURS LUS
nalure, mais en remhellissanl de beautés idéales?
1] faut se rappeler tout ce que j’ai dit au sujet des
embellissemens que l’arcliilecl ure est yiarvenue à
donner aux édifices, que rhouiiue ignorant ad-
mire , sans pouvoir découvrir les moyens qu’ont
employé les grands artistes.
Suivant Pline Ci), Lysippe, contemporain d’A-
lexandre le Grand , fut le premier qui porta son
attention sur les défauts de la nature individuelle
et donna ])ar-là à ses ouvrages une élégance , une
finesse qui lui étoient propres, et qu’il a observées
jusque dans les moindres parties.
Lysippe fit aussi les têtes de ses statues plus pe-
tites que les anciens (c’est-à-dire, de huit têtes et
plus), et les corps plus sveltes et moins charnus;
ce qui faisoit jiaroîlre ses figures plus longues. Aussi
ce statuaire, disoit -il (2), que ses prédécesseurs
avoient bien fait les hommes tels qu’ils étoient
C^quales essent kojîiines), mais qu’il les faisoit tels
qu’ils paroissenl être {sexl se j quales viderentur
esse).
Cicéron, qui étoit doué d’un jugement admira-
ble et d’un goût exquis, nomraoit cela
ultra verum (outrepasser les limites du vrai dans
la peinture).
(i) Lib. XXXIV, cap. 8 în fine..
(a') Ibid.
\
A l’ A C A D. DK D K S S I N. 4l5
Le svelte des Italiens, qui rend les figures si
agréables, et qui a été entièrement négligé parles
peintres de l’école flamande, tels que Rubens,
Rembrant, Bol, Flink et autres, est la partie que
Ljsippe a découvert le premier être indispensa-
blement nécessaire ; non pour rendre ses statues
en effet plus belles que la nature, mais pour les
«faire paroître plus belles à nos yeux; parce que,
au moyen de cet artifice, il remédioit aux défauts
qu’offre la nature individuelle.
On ne tarda pas à appliquer ce principe à l’ar-
chitecture : les Corinthiens donnèrent, pour cette
même raison , dix diamètres de hauteur à leurs co-
lonnes; et c’est dans, celte vue aussi que les archi-
tectes grecs firent les métopes plutôt étroits que
larges, etc.
Il faut donc que l’architecte, le statuaire, le
peintre, qui veut donner le véritable Beau physi-
que à ses ouvrages, connoisse la nature et les effets
delà lumière; il faut qu’il sache de quelle ma-
nière nous voyons les objets; qu’il soit instruitdes
changemens qu’éprouvent leurs formes et de la
dégradation de leurs couleurs, suivant qu’ils sont
placés plus haut ou plus bas qué l’horison , ou à
une distance plus ou moins grande de l’oeil; enfin,
il ne doit rien ignorer de tout ce qui peut servir à
cacher les défauts appareils ou réels qui résultent
I de ces différentes modifications.
i
l
4i6
DISCOURS LUS
Mettre en usage toutes les ressources dont je
viens de parler, de manière que les objets qu’on
imite produisent aux yeux des spectateurs les mê-
mes idées que la réalité même, voilà certaine-
ment ce qu’on doit appeler rendre le véritable Beau
physique; et c’est la seule chose qu’on puisse exi-
ger du peintre , du statuaire et de l’architecte.
S’il est question du choix à faire des plus belles’
formes de l’homme, il s’agit alors de toute autre
chose; c’est-à-dire , de quelque chose qui n’est que
purement accidentelle , qui ne dépend unique-
ment que du choix arbitraire, bisarre même, des
hommes, et de la mobilité constante des modes de
chaque nation en particulier.
TROISIÈME SECTION..
I. Comme c’est l’autorité des grands artistes
qui détermine ce qui doit être considéré comme
Beau en architecture, il en est de même de la sculp-
ture et de la peinture.
Au rapport de Pline (i), Phidias fit une Minerve
d’une si rare beauté qu’elle fut surnommée la
Belle .
J’ai fait remarquer dans l’introduction de ce
(i)Lib, XXXIV, cap. 8,
A A C A D. DE DESSIN. 4l7
discours, que Polyclète avoit fait aussi une statue
qui obtint de tous les artistes le nom de normaoxx
règle.
Ces exemples nous prouvent que c’est l’autorité
seule d’un petit nombre de grands artistes qui a
décidé des règles du Beau. Ceux qui les ont suc-
cédé se sont bornés à adopter servilement le même
style et les mêmes proportions.
La plupart des maîtres de l’école flamande n’ont
fait qu’imiter une nature grossière et commune.
Le défaut d’instruction et de bons modèles, joint
au manque de jugement sont cause que leurs pro-
ductions se trouvent au-dessous même des objets
qu’ils ont pris pour modèles d’imitation.
Aujourd’hui nos jeunes artistes jouissent déplus
grands avantages ; celte Académie leur fournit les
meilleui’s modèles de l’antiquité et de nos maîtres
modernes ; pour ne point parler des excellentes
leçons qu’ils reçoivent des directeurs de cette école
célèbre.
§. IL Vitruve nous prouvera que, de son tems,
on avoit les mêmes idées que nous sur ce qui cons-
titue la Beauté des édifices. « La parfaite conve-
« nance , ou plutôt la beauté d’un édifice , exige
« que l’on adopte le genre d’ornement consacré
« par l’autorité des tems antérieurs, qui se fonde
« principalement sur la coutume ou sur l’usage;
27
1 1 1.
4i8
DISCOURS LUS
« par exemple, les temples dédiés à Minerve , à
Mars et à Hercule , demandent à être d’ordre
« dorique; ceux dédiés à Junon, à Diane ou à Bac^
«chus doivent être d’ordre ionique, et ceux de
« Vénus et de Flore requerront l’ordre corin-
« thien. »
On voit encore actuellement à Athènes (i) les
ruines d’un temple dédié à Minerve d’ordre do-
rique; un d’ordre ionique dédié à Cérès (2); un
d’ordre corinthien consacré à Jupiter (5) ; un autre
d’ordre dorique consacré à Auguste; et, suivant
Desgodetz, un temple de Mars d’ordre corinthien
à Rome; un autre dédié à Jupiter, et un à Bac-
chus d’ordre composite : jireuves certaines que les
anciens ne se sont pas toujours restreints à ces rè-
gles stériles.
Vitruve dit ailleurs que l’architecture doit non-
seulement avoir égard aux loix de convenance ;
mais qu’il faut qu’il se garde aussi de ne point con-
fondre ensemble les parties de différens ordres ;
par exemple, de ne point mettre des denticules aux
corniches de l’entablement dorique, ni de trigly-
phes aux frises de l’ordre ionique.
Mais combien de fois nos artistes modernes ne
(1) Leroy, Monumens de la Grèce, part. I, pag» i .
(a) PI. V.
(3^ PI. X, pag.' 1.9.
A l’ A C A D. DE DESSIN. 4ig
se permettent-ils pas d’enfreindre ces sages règles?
Les architectes les plus à la mode ont tous plus
ou moins secoué le joug de l’habitude, et se sont
soustraits à l’autorité des anciens; mais peut-on
dire qu’ils j ont substitué quelque chose de meil-
leur et de plus raisonnable?
Les Romains ont non-seulement réuni souvent
dans leur ordre composite , l’ordre ionique à l’or-
dre corinthien ; mais ils ont aussi mêlé l’ordre co-
rinthien avec le dorique, et même quelquefois les
trois ordres ensemble.
Ils ont placé la corniche immédiatement sur
l’architrave, sans frise intermédiaire; c’est-à-dire,
qu’ils ont omis les poutres ou le plafond. Cela
peut-il être regardé comme beau? cela convient-il
à une bonne architecture ?
Quoiqu’il en soit , il faudra convenir du moins
que le Beau physique ne doit jamais se trouver
ouvertement en opposition avec la raison.
Mille exemples me serviroient à prouver qu’on
pêche aujourd’hui plus que jamais contre ces rè-
gles ; mais le défaut de teins ne me permet pas
d’entrer pour le moment dans ces détails. Je vais
terminer ce discours par une courte récapitulation
de ce que j’ai cherché à y démontrer.
Premièrement. Qu’aucun philosophe, ni aucun
artiste n’a jamais prouvé ou même enseigné, ce
qui constitue proprement le Beau physique.
DISCOURS LUS
420
Secondement. Que nous n’avons aucun senti-
ment inné dé celte espèce de Beau , comme nous
en avons un, et cela très-distinct, du Beau moral;
que ce n’est donc qu’à force d’étude que nous
parvenons à connoître ce qui est Beau dans les arts
d’imitation.
Troisièmement. Que ce n’est pas dans une cer-
taine proportion ou symétrie des parties que con-
siste le Beau physique, tant dans les hommes et
les animaux que dans l’architecture.
Quatrièmement. Qu’en donnant des formes dif-
férentes aux hommes et aux animaux, la nature
n’a pas eu pour but de les douer d’une certaine
Beauté; mais seulement de leur accorder ce qui
étoit le plus utile à leur destination.
Cinquièmement. Que tout ce qui a rapport au
prétendu Beau physique, n’a pour bases qu’une
convenance tacite, l’habitude et l’autorité.
Sixièmement. Enfin, je crois avoir prouvé que
le vrai, le seul Beau, tel que les plus grands maî-
tres l’ont introduit dans l’architecture , dans la
peinture, dans la sculpture, ne doit être attribué
qu’au soin qu’ils ont eu que leurs ouvrages imi-
tassent le plus fidèlement possible la nature , en
évitant les défauts qui résultent nécessairement de
l’imperfection de notre vue et de la réfraction de
la lumière.
Si la manière dont j’ai cherché à vous exposer
A C A D. DE DESSIN. 421
mes idées, et les preuves sur lesquelles j’ai tâché
de les appuyer n’ont pas été suffisantes pour vous
convaincre pleinement ; elles auront servi du moins
à vous faire envisager le Beau physique sous un
nouveau point de vue, et à mettre les artistes sur
la voie de découvrir de plus grandes vérités.
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DE LA GÉNÉRATION
DU PIPA,
ou CRAPAUD D’AMÉRIQUE.
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DE LA GÉNÉRATION
DU PIPA,
ou CRAPAUD D’AMÉRIQUE.
Ij’ÉTUDE de l’Iiisloire naturelle, outre le plaisir
qu’elle nous procure, nous est, en même tems,
d’une grande utilité dans la métaphysique. C’est
par la reproduction des dilFérens êtres qui peu-
plent la terre et par leurs modifications infinies
que nous parvenons le mieux à connoître la toute-
puissance et la grandeur de Dieu. Les corps, les
animaux surtout , qui tombent sous nos sens, doi-
vent nous servir ici de preuves ; et c’est par les
rapports généraux qui régnent entr’eux que nous
pouvons nous convaincre si la Suprême Cause a
pu ou non parvenir avec la même perfection au
même but par des moyens differens.
J’appelle ici rapports généraux les organes par
lesquels les animaux reçoivent, suivant leur degré
d’intelligence , les idées nécessaires à leur exis-
■^26 de la génération
t en ce 5 tels que ceux de la vue, de l’ouïe, eto.
Nous ne découvrons dans ces organes qu’une
perfection relative à la place qu’ils occupent ; et
l’on peut dire, en général, que la vue des insec-
tes volans et autres est aussi parfaite que celle des
oiseaux, des quadrupèdes et de l’homme même;
quoique leur organe visuel diffère beaucoup de
celui des autres animaux , et que ce sont les yeux
<îe l’homme qui nous paroissent les plus parfaits
dans leur espèce. On peut dire la même chose de
tous les autres organes.
Il y a encore un autre rapport qui est également
])arfait chez tous les animaux, et qui par-là mérite
la plus grande attention, savoir, celui de la gé-
nération; lequel, quoique infiniment varié dans
tous les animaux, parvient cependant toujours au
même but , la procréation d’un animal qui res-
semble de la manière la plus parfaite à ses parens;
preuve la plus évidente et la plus merveilleuse que
la nature nous fournisse de la sagesse infinie et de
la toute-puissance de l’Etre Suprême. Il y a des
animaux qui conçoivent et nourrissent leurs pe-
tits dans leurs propres entrailles; d’autres renfer-
ment les leurs dans des oeufs, et leur donnent la
vie par l’incubation , ou par le moyen de la cha-
leur vivifiante du soleil; ceux-ci se propagent en
se divisant; ceux-là poussent leurs petits hors de
leur corps, comme de rejetons de plantes ; enfin ,
D U P I P A. 427
la nature se. sert encore de plusieurs autres dlffé-
rens moyens pour la propagation des espèces , et
le tems me manqueroit si je voulois indiquer ici
toutes les voies admirables qu’elle emploie pour la
conservation des êtres infiniment variés qui peu-
plent la terre.
Les plus grands hommes se sont occupés à étu-
dier cette merveilleuse reproduction des animaux;
tels, par exemple, qu’Aristote, Harvey, Swam-
merdam, Leuwenlioek, Trembley, les deuxNeed-
ham et un crand nombre d’autres dont les noms
passeront avec honneur à la postérité.
Quelques-uns cependant, emportés par leur ar-
deur, si ordinaire aux philosophes, n’ont pas été
assez attentifs dans leurs observations. L’étonne-
ment que leur a causé une découverte nouvelle ,
les a souvent induit en erreur; et, prévenus par
ce qui leur a paru s’écarter des loix générales, ils
n’ont pas pénétré assez avant dans les secrets de
la nature. Le crapaud d’Amérique, dont les petits
paroissent croître sur le dos de la mère , nous four-
nit une preuve de leur admiration irréfléchie. 11
leur a suffi de voir son dos chargé d’animaux vi-
vans de la même espèce, pour s’imaginer que c’é-
toit le dos même qui servoit de matrice à cet ani-
mal, et que c’étoit de cette manière qu’il engen-
droit ses petits. On a employé tous les moyens pos-
sibles pour découvrir celte étrange merveille.
428
DE LA GÉNÉRATION
Ruisch , célèbre par son zèle pour la science et par
sa dextérité à disséquer, dit à ce sujet ; « J’ai ou-
« vert le dos de cet animal, pour voir si ses oeufs
« ne sortoienl point du ventre pour paroître sur le
« dos, d’où ils sembloient éclore; mais j’ai trouvé
« le contraire; du moins n’ai-je jamais pu décou-
« vrir aucune communication entre le dos et les
U parties internes du bas-ventre. Mais la peau du
<( dos est remplie de petites cellules , dans les-
(( quelles les oeufs sont renfermés; et ces cellules
i( sont couvertes d’une espèce de peau un peu dure,
« laquelle étant ôtée laisse voir les oeufs à décou-
« vert ( 1 ). )) Livinus Vincent s’est contenté des
observations de Ruisch. Seba, aussi peu initié dans
les merveilles de la nature que Vincent, hasarda
une idée sur la génération de ces oeufs, et se mon-
tra plus étonné de la manière dont la liqueur pro-
lifique du male pouvoit pénétrer dans les inters-
tices de la peau épaisse du dos de la femelle, que
de l’accroissement même des petits sur le dos (2).
Ils ignoroient les uns et les autres la manière dont ces
animaux se propagent. L’ouvrage profondément
pensé de l’admirable Svrammerdam n’étoit pas en-
core connu alors; et l’on n’aÉoit aucune idée exacte
de la génération des grenouilles. Il étoit par con-
(1) Thés, anat. , tom. I, pag. 9, not. 35-
(2) Thés,, toin, I, pag. lai, tab. 77, n®. 1.
DU PIPA.
429
séquent diificile de savoir comment on pouvoit dis-
séquer avec quelque fruit ce pipa ou pipai. L’ani-
mal même étoit rare et d’un grand prix; de sorte
qu’on préféroit de le conserver pour en orner un
cabinet , plutôt que de le sacrifier à des observa-
tions anatomiques , lesquelles cependant pouvoient
seules conduire à la connoissance de la vérité.
En 1758, je reçus en présent deux pipas ou cra-
pauds d’Amérique , dont l’un avoit le dos couvert
d’œufs; chez l’autre ces œufs étoient déjà éclos.
J’ouvris ce dernier pour éclaircir les doutes qui me
Testoient à cet égard.
Après que j’eus ouvert le ventre et enlevé les in-
testins, je découvris une longue vessie simple de
forme ovale, et derrière cette vessie le boyau culier;
ensuite parut le vagin et la matrice arec ses deux
«ornes,laquelle forme plusieurs replisassezsembla-
bles à ceux de nos intestins, et pend à un double pé-
ritoine le long de la hanche gauche vers en haut,
en s’étrécissant déplus en plus; après quoi elle s’é-
tend derrière les poumons, jusqu’à ce qu’elle se
fasse voir avec un grand orifice à côté du péri-
carde, derrière un pli du double péritoine. Les
ovaires, garnis de petits boutons noirs, montoient
fort hauts, et paroissoient contenir des œufs nou-
vellement produits. Je fis un dessin de cette pré-
paration anatomique, et ne doutai plus que cette
espèce de crapauds ne se propage point de la même
45o DE LA. G É N É II .V T ION
manière que les grenouilles et nos crapauds ordi-
naires. Je lus ensuite avec admiration la décou-
verte faite par Swammerdam de la génération des
grenouilles (i); où je trouvai une telle analogie,
que je regardai ma première conjecture comme un
fait certain ; et cela d’autant plus, que la fig. 5 de la
pl. XLVIl deSwanimerdam ressemble, pour ainsi
dire, parfaitement au craj>aud d’Amérique.
Comme je passai l’été à la campagne, je résolus
d’examiner le crapaud de ce pays. J’en fis , pour
cet effet, prendre plusieurs des plus grands , que
]e commençai par étouffer dans de l’esprit de vin,
afin de vaincre plus parfaitement toute crainte de
poison.
La vessie urinaire de nos crapauds est double
et grande: elle ressemble d’ailleurs assez à la ves-
sie de nos grenouilles, telle que Swammerdam l’a
figurée (2). La matrice se partage immédiatement
en deux; et voilà la seule dilierence qu’il y a avec
le pipa. Les deux cornes se ressemblent parfaite-
ment, et les orifices de ces cornes ou trompes de
Faloppe sont largement ouverts aux deux côtés du
péricarde , comme dans le pipa.
Les ovaires étoient fort grands et garnis d’œufs
O O
noirs. Quelques-uns de ces œufs, moins murs.
(1) Bibl. Nat. , pag. 796, et principalement pag. 802.
(2} PI. XLVIl , 1 , 55 , et fig. 4 ) f.
DU PIPA.
43 1
éloient jaunes, et d’autres totalement blancs; mais
ceux-ci étoient plus petits.
On s’appercevra facilement de l’analogie qu’il
y a entre la matrice du pipa et celle de notre cra-
paud ordinaire, par les figures et les explications
que je donne ici de l’une et de l’autre.
Les crapauds et les grenouilles sont donc dans
tous les pays du même genre, et ne diffèrent que
dans les espèces. La génération s’opère chez tous
de la même manière; c’est-à-dire, que les œufs
quand ils sont parvenus à leur état de maturité se
détachent des ovaires et tombent au fond de la ca-
vité du ventre. Les poumons, qui s’étendent dans
tout le ventre jusqu’au bassin, pressent en se gon-
flant les œufs de tous côtés, et quelques-uns con-
tre les orifices des trompes ou cornes de la ma-
trice; et comme ceux-ci ne trouvent point de ré-
sistance sur les côtés, ils s’y glissent l’un après l’au-
tre jusqu’au dernier. Les œufs paroissent, comme
dans la grenouille*, se rassembler dans ces parties,
qu’on doit regarder comme la véritable matrice ;
c’est-à-dire, à la partie antérieure des cornes du
vagin , jusqu’à ce qu’ils soient chassés en dehors
par la pression des muscles de l’abdomen, lorsque
la fécondation du mâle a lieu.
Chez nos crapauds, c’est le soleil qui fait éclore
les œufs abandonnés à eux-mêmes. Mais le dos du
pipa est fait de manière à recevoir les œufs , où
452 DE LA G É N É R A T I O N
ils demeurent cachés dans de petits trous jusqu’à
ce qu’ils soient éclos , et que les jeunes aient la
force d’aller chercher leur nourriture. Le pipa ne
fait donc que Iraînerlenid avec lui, de même que
le sarigue porte ses petits dans un sac. Si l’on de-
mande comment les oeufs parviennent à être ainsi
disposés dans les petites interstices du dos de la
mère? je serai forcé de convenir que je l’ignore.
Il y a lieu de croire qu’une grande quantité s’en
trouve perdue. Mais on pourroit faire de pareilles
questions oisives sur plusieurs autres objets : par
exemple, de quelle manière la liqueur spermali-
quç s’introduit dans les oeufs des quadrupèdes ou
dans ceux des oiseaux? De quelle manière la pous-
sière fécondante des fleurs pénètre dans le creux
des pistils? Comment il se fait que le melon et le
concombre se trouventfécondés, malgré la distan-
ce qui sépare les fleurs mâles de celles qui portent
le fruit ? Ce sont-là autant de mystères ijue la na-
ture ne dévoilera jamais à nos yeux j et la manière
incompréhensible dont s’opèrent tous ces phé-
nomènes de la nature, ne peut que nous pénétrer
d’admiration et de respect pour l’Etre Suprême.
Les différentes manières dont les jeunes pipas se
montrent sur le dos de la mère , tantôt avec la tête,
tantôt avec une jambe de devant ou une jambe de
derrière, et quelquefois tournés sans dessus des-
sous, nous prouvent clairement le désordre dans
DU PIPA.
455
lequel ces œufs s’introduisent dans les petits oi'i-
fices de la peau j ce qui n’a jamais lieu dans la ma-
trice des animaux qui font beaucoup de petits à-la-
fois 5 ainsi qu’on peut s’en convaincre le mieux
par les poissons vivipares , tels , par exemple , que
la mustella vivipara Schoenepeldi^ et autres sem-
blables.
Nos tarets offrent dans leur incubation quelque
chose qui ressemble assez à celle du pipa. La lame
intérieure du côté large ou antérieur des deux val-
ves s’écarte plus ou moins de la seconde, suivant
le nombre des petits et leur grandeur. Les petits
tarets se trouvent là en sûreté et y grandissent jus-
qu’à ce qu’ils quittent leur mère, quand ils sont
en état de se procurer par eux-mêmes leur nour-
riture. Or, prétendra- 1- on que ces jeunes tarets
doivent leur naissance à cette écaille stérile ? et
n’y a-t-il pas autant de difficulté à comprendre
comment les œufs de ces molusques s’introduisent
entre les lames en question , qu’on en trouve à sa-
voir la manière dont les œufs du pipa peuvent se
glisser dans les petits trous du dos de la mère?
Notre propre pays nous fournit donc une mer-
veille aussi admirable que celle qui nous étonne
dans le crapaud d’Amérique.
Je me suis occupé ensuite du sens de l’ouïe de
nos crapauds, parce que les anciens, comme nous
l’apprend Ætius, ont divisé les crapauds en deu.x
28
III.
454 DE LA G É N ai R A T I O N
espèces, en crapauds sourds et en crapauds qui
entendent (i). Ils l’egardoient les premiers comme
venimeux. Les grenouilles ou crapauds qui ne sont
pas sourds s’appeloient chez eux crapauds d’eau
ou de mare. On peut consulter Aldrovande et
Johnston sur le nom de ces animaux.
L’organe de l’ouïe des crapauds est, comme ce«
lui des tortues, recouverte d’une peau épaisse et
tuberculée, et se trouve placé en arrière au-dessous
de l’œil entre les muscles masseter et temporal. II
consiste en un tympan de forme ovale , avec un
simple éti’iei'. Dans l’intérieur de la bouche il y a
un large orifice, de la même manière que chez la
loi’tue. Voyez pl. XXXIII, fig. 7 et 8. Les yeux du
crapaud paroissent fort doux , et la vue de l’homme
îie semble pas eflaroucher cet animal 5 mais il
s’enfuit aussitôt qu’il entend du bruit. J’ai re-
marqué souvent, par exemple, qu’en sifflant fort
le crapaud se retiroit précipitamment d’un air
effrayé.
La langue du crapaud mérite aussi quelques
observations. Elle ressemble à la langue de l’hom-
me, mais retournée, la racine étant attachée au
bord antérieur de la mâchoire inférieure , et la
pointe , qui est isolée et libre , se reploie en de-
- - -
(-1) Tetrabibl. /),. Senn. i. Uled. an. pnucifj., !ib. IL
DU PIPA. , 435
dans ver5 le fond de la gueule. Elle ressemble;
par son altacbe et son mouvement , parfaitement
à celle de la grenouille; mais cette dernière a la
langue fourchue, comme les lézards et les autre^
amphibies (i). Le crapaud se nourrit de toutes les
especes d’animaux à sang blanc , tels qu’arai-
gnées, lombrics, etc., mais principalement d<ÿ sca-
rabées. Celle nourriture donneroit lieu de croire
que le crapaud est v'^enimeux, ou du moins qu’il
doit être nuisible à l’homme. Mais j’ai trouvé ces
mêmes insectes dans l’estomac des grenouilles ,
qu’on mange cependant comme un aliment sain
et délicat.
Le foie du crapaud est fort grand; mais sa vési-
cule du fiel est surtout d’un volume considérable.
Les intestins difl'erent pe.i.de ceux de la tortue.
En un mot , il y a , en général , une singulière
analogie entre ces deux espèces d’animaux.
Comme je ne me suis déjà que trop long-îems
arrêté sur ce sujet, je vais terminer ma disserta-
tion , dont le principal but a été de montrer que
(i) Aristote (Hisc. aniin., lib. IV) a décrit cette singulière
propriété d’une manière fort exacte. Les grenouilles ont la lan-
gue singulièrement conformée; car le bout , qui est libre chez les
autres a.Timaux , est immobile chez eux- — Cependant le côté in-
térieur est isolé et se joint à la gorge. — Pline paroît avoir em-
prunté litiéreleinent ce p.assago d’Aristote, iib, Xl, parag. 65.
436 DB tA GÉNÉRATION
la génération du pipa se fait de la même ma-
nière que celle de nos crapauds et de nos gre-
nouilles , et qu’elle n’en diffère qu’en ce que le
premier fait éclore ses oeufs et porte ses petits sur
son dos.
K.lein-Lankum , le 5 septembre 1760.
ü U r I P A.
437
EXPLICATION
DES. PLANCHES.
PLANCHE XXXIII.
FIGURE 3.
On voit ici l’adomen et les jambes de derrière
du pipa , dont la plus grande partie des petits
étoienl déjà nés sur le dos, ainsi que Ruisch, Li-
vinus Vincent et Seba Font représenté. Je ne donne
pas ici la tête , les jambes de devant ni les intes-
tins, parce que mon but n’a été que de parler des
parties de la généi’ation. Cet animal n’a point de
sternum, mais une grande gueule et un ample go-
sier qui aboutit à l’orifice de l’oesophage , comme
cela a lieu de même chez nos crapauds et grenouil-
les d’Europe. Les poumons sont placés entièrement
dans le ventre.
458 DE LA GÉNÉRATION
A. D. la vessie nrinaive.
B. le boyau en lier.
C. le vagin on l’origine de la matrice , laquelle
se termine dans les deux cornes E. G. et F. H. L,
auxquelles on pourroit donner le nom de trompes
de Faloppe.
K. l’orifice par lequel les oeufs pass’ent dans les
trompes et ensuite dans la matrice,
L. M. les ovaires qui se prolongent jusqu’en O. N.
et sont garnis de petits boutons ou germes d’œufs.
P. Q. les bronches formés de petits anneaux car-
tilagineux , allant vers R. et S.
T. les poumons composés de beaucoup de cel-
lules circulaires , comme dans nos grenouilles et
nos crapauds, et partagés en deux parties S. et T.
U. V. le foie gauche ou peut-être la rate.
W. le foie droit avec sa vessicule du fiel Y.
Z. probablement les glandes du mésentère j ce
que je n’ose cependant assurer. Le reste s’explique
assez de soLmême.
La vessie urinaire et l’orifice du vagin, ou la ma-
trice , se déchargent dans le boyau culier, comme
chez nos crapauds d’Europe.
Les sept figures suivantes, savoir, 4, 5, 6, 7,
8, 9 et 10, de la même planche XXXIII, repré-
sentent des parties des crapauds ordinaires de la
Frise et du reste de l’Europe. Les figures 5,6,7
D TT PIPA. 4o9
et 8 sont dessinées d’après une femelle de la grande
espèce, que, dans la figure 4, on voit couchée des-
sus le dos, avec le ventre ouvert, et les intestins
enlevés.
' FIGURE 4.
A. B. la double vessie urinaire se réunissant
en C.
C. D. le sphincter de l’anus.
E. le boyau culier, lié par le bout.
F. le foie droit, lequel a une vésicule du fiel, la-
cjuelle se trouve cachée ici derrière le lobe du
poumon.
G. H. le foie gauche ou la rate.
I. le poumon gauche affaissé, par dessus lequel
passe un grand vaisseau sanguin.
K. M. L. N. les ovaires contenant des œufs noirs^
d’un brun clair et jaunes, lesquels se trouventlous
reniermés dans une membrane diaphane, et con-
sistent en des tubercules qui ressemblent à celle
de la fig. 5 de la pl. XLVII de Swammerdant.
0. P. la trompe ou corne droite de la matrice ,
laquelle est d’un blanc de lait, un peu gonflée et
creuse, et qui se prolonge derrière le foie, qu’on a
enlevé ici.
Q. R. la trompe gauche.
1. 2. 5. 4. 5. sont les cinq doigts des pieds de
derrière.
44o DE E A GÉNÉRATION
6. le sixième doigt, qui est fort petit.
1. 2, 3. 4. les quatre doigts des pieds de devant.
F I G U R E 5.
A. B. le boyau culier , ouvert par devant après
que l’os pubis a été enlevé.
C. D. quelques petites rides qui se prolongent
en longueur, et paroissent servir à contracter le
boyau culier, pour empêcher qu’il ne s’introduise
des ordures dans la matrice.
E. F. G. la corne gauche amputée.
H. I. K. la corne droite.
L. l’orifice de la matrice.
L. D. C. paroît être le vagin, ou l’origine de la
matrice.
I. H. C. D. E. F. la véritable matrice fort mince
et diaphane, laquelle se distend considérablement
et contient, comme chez la grenouille, les oeufs
au tems du frai. Voyez Swammerdam, pl. XLVII,
% 5,//
FIGURE 6.
A. B. F os zygomatique et son apophyse.
C. D. les muscles masseters, entre lesquels et
l’os zygomatique on apperçoit le tympan.
BU PIPA.
4ii
FIGURE 7.
A. B. C. le bord de la mâchoire supérieure vu
en dedans amputé en A. C.
D. E. les narines.
F. G. les trompes d’Euslaclie , lesquelles com-
muniquent avec les oreilles.
F l G U P. E 8.
Représente un petit crapaud femelle vu par le
dos, après qu’on a enlevé la mâchoire supérieure
et toute l’épine du dos, ainsi que Fos sacrum.
A. la pointe de la mâchoire inférieure à laquelle
la langue se trouve attachée par sa racine. Voyez
fig- 9-
B. C. la gorge.
D. D. la partie osseuse amputée du haut de la
tête.
E. l’anus ou orifice extérieur du boyau culier.
F. l’orifice de l’urètre dans le boyau culier,
au-dessous des petits plis ou rides.
G. Comparez avec la fig. 5 , C. D.
I. FI. l’os du bassin amputé.
K. M. la trompe droite de la matrice.
L. N. la trompe gauche allant le long des reins
et à côté de l’épine du dos, par dessus les poumons.
K. L. la partie diaphane de la matrice, laquelle
442 DE LA GÉNÉE. DU PIPA,
étoit pins ample dans ce crapaud femelle que dans
le premier,
M. 0. N. P. les poumons remplis d’air. Entre la
pointe de la langue et l’ouverture de la gorge on
voit un corps saill-ant avec une fente; c’est le larynx
avec la glotte.
FIGURE g.
lleprésente la mâchoire inférieure avec la langue
vues de profil,
A. Jf. la langue élevée en l’air.
(T. J), les muscles rétracteurs.
E. l’apophyse amputée de la mâchoire. *
E. A, F. la mâchoire inférieure.
FIGURE lO.
Pieprésente simplement la partie gauche du ven- !
tre avec la jambe de devant , pour faire voir l’ou-
verture de la trompe, afin qu’on puisse la compa-
rer avec celle de la pipa , fig. 3 , K.
A. B. le foie gauche ou la rate.
C. E. D. F. le péritoine, qui couvre d’abord le
péricarde , et forme un pli E. B.
F. E. le bout de la trompe, laquelle passe der-
rière le poumon G. F., et s’ouvre en I. entre le
foie et le péricarde. La trompe du côté droit est
de la même longueur.
OBSERVATIONS
SUR LE CHANT OU COASSEMENT
DES GRENOUILLES MALES.
OBSERVATIONS
SUR LE CHANT OU COASSEMENT
DES GRENOUILLES MALES.
C^uoiQUE les objets qui nous frappent, en gé-
néral, le plus dans la nature, et que nous cher-
chons avec le plus d’avidité à connoître , sont ceux
que leur extrême rareté semble rendre plus pré-
cieux; il y en a cependant qui, malgré qu’on les
ait , pour ainsi dire , continuellement sous les yeux,
ne méritent pas moins de fixer notre attention :
dans tous brille également un rayon de l’éternelle
sagesse qui les rend dignes de nos contemplations.
C’est par de pareilles contemplations que plu-
sieurs de nos compatriotes, tels, entr’autres, que
Leeuwenhoek et Swammerdam, sont parvenus à
immortaliser leurs noms. D’ailleurs, les caractè-
res des animaux sont si difficiles à saisir, qu’on ne
sauroit trop multiplier les observations, si l’on ne
veut pas tomber dans de grossières erreurs.
446
n XT C II A N T
J’ai observé souvent clans mes promenades au
printems que, dans le teins de l’a ccou plein eiil des
grenouilles, quelques-uns de ces animaux avoient
de chaque coté de la tête une grosse vessie blan-
che, tandis qu’ils sautilloient sur l’eau vers leurs
compagnes, en poussant des cris aigus 5 ce qui du-
roit ordinairement jusqu’à ce que quelque cause
étrangère venoit les interrompre : elles cessoient
alors leurs cris, et au même moment disparois-
soient les vessies de la tête.
Depuis plusieurs années , j’avois pris et tenu
dans les mains un grand nombre de grenouilles ,
sans que l’idée me fut venue que ces animaux eus-
sent quelque chose de particulier pour produire |
ce phénomène. Il m’arriva ce qui arrive à bien
d’autres; c’est-à-dire , que je me contentai d’ad- j
mirer ce singulier elfet, sans avoir le courage de î
chercher à en découvrir la cause.
Cependant, comme en 1760, j’étois occupé à
étudier les crapauds de ce pays, pour les compa-
rer aux grenouilles, j’étois intéressé à ne point me
tromper dans le choix des mâles et des femelles,
par conséquent à bien coniioître les caractères dis- j
tinctifs que Swammerdam indique ])our cela.
En contemplant la pî. XL VI de l’ouvrage de
cet incomparable naturaliste, je crus remarquer
qu’il y avoit une dilférence considérable entre la
lig. 6, où il a représenté les vessies de la grenouille,
DES GRENOUILLES. 447
fl
i
I
I
t
et ce que je croyois avoir observé souvent dans
ces animaux vivans.
Comme je voulois connoître les causes de cette
différence , je fis prendre plusieurs grenouilles ,
pour y trouver, comme un second caractère dis-
tinctif des mâles, la grosseur du pouce pl. XXXIII,
fig. Il, de la patte de devant.
En comparant une grande grenouille avec la fig.
6 , pl. XLVI, de Swammerdam , il me parut qu’il
avoit placé la vessie gonÜée exactement derrièi'e
et près de Fœil, sur le tympan; tandis que dans
ma grenouille cette vessie laissoit libre la fente
de la bouche, fort au-dessous de laquelle elle se
trou voit , assez loin du tympan , comme je l’in-
dique ici fig. 12, pl. XXXIII.
Pour procéder avec un certain ordre, j’enlevai
la mâchoire supérieure de cette grenouille , fig. i,5,
et sur-le-champ je découvi’is la langue fourchue
placée en dedans, que je pliai en avant telle qu’elle
est figurée D. E. F. G.; ce qui me permit de voir
l’ouverture de la trachée-artère A. B.
Au fond de la bouche , j’apperçus , près de la
mâchoire inférieure, deux petites ouvertures ova-
les f- g- J’y soufflai par le moyen d’un tuyau de
cuivre, et aussitôt les deux vessies a. b. c. se gon-
flèrent entièrement et se prolongèrent jusque par
dessous la langue d. e. ; de manière que ces vessies
avoient la forme d’un cucurbiîe dont les o.uver-
448
DU C H A N r
lûtes g. f. se trouvôient dans la partie supérieure,
de la gorge.
Ayant couché Faniraal sur le dos , ces vessies se
montrèrent comme je les ai représentées dans la
fig. i4, saillant par dessous en b. c. cl. e. , comme
cela est naturel à toute cavûté membraneuse qu’on
fait gonfler par le moyen de l’air.
Je pris ensuite une autre grenouille dont je lais-
sai la tête intacte; et, comme je connoissois main-
tenant la voie, je fis entrer de l’air dans la vessie ,
du côté gauche seulement , après avoir auparavant
dessiné avec soin toutes les parties de la fig. ii,
afin de pouvoir indiquer , par comparaison , les i
changemens qui pourroient avoir lieu.
J’obtins , en souillant , une vessie blanchâtre ,
diaphane et jolimeut tissue de veines, fig. 12, a.
b. c. , qui se prolongeoii jusqu’à l’avant-bras , en ;
laissant un espace assez remarquable entre cette
partie et le tympan h. i. '
Je fus convaincu par-là que la figure donnée j
par Swainmerdam ne représente pas la vessie à sa s
véritable place.
Enfin , ayant examiné avec attention le côté
droit de la bouche, je ti’ouvai qu’elle éloit con- ,
forme au dessin que j’avois fait du côté gauche ; '
savoir, que la vessie distendue, fig. 12, a. ô. c. ,
se trouvoit repliée sur elle-même au-dessous du I
tympan , et y formoit un pli profond en k. i. h. , j
DES GRENOUILLES. 44g
fig, 11, lequel pli paroît alors se réunir avec la
fente de la bouche /z. p. ; tandis qu’autrement cette
fente est beaucoup plus petite, comme on le voit
fig. 12, h. l.
Ces vessies ont une enveloppe musculeuse, qui
sert à les vider totalement quand l’animal n’y
chasse pas l’air avec effort. On peut se former une
idée de la figure supérieure, Inférieure et latérale
de cette enveloppe par les ligures 12, i5 et i4;
ainsi que de son rétrécissement ou col en c. b.,
fig. i4.
Voici donc quel est le mécanisme du chant des
grenouilles. L’animal aspire le plus d’air qu’il peut
et le force à passer par la trachée-artère à la ra-
cine de la langue. Là , par la protubérance D.E. ,
fig. i5, l’air se trouve comme partagé en deux,
pour passer en quantité et force égales dans les
‘ideux vessies a. b. c., lesquelles sont alors forte-
î isment gonflées.
I De ces vessies, l’air , comprimé par leur enve-
êjloppe musculeuse, est renvoyé vers la bouche et
la langue, et produit de celte manière le cri aigu
qu’on ne connoit que trop pour qu’il soit néces-
saire de le décrire ; il seroit difficile d’ailleurs de
le mieux rendre c|ue l’a fait l’ingénieux et plai-
sant Aristophane.
Au moment que l’aspiration se fait , ou bien
lorsque l’animal chasse à volonté l’air des vessies,
1 1 î. 29
1 1 î.
45o
DU CHANT
ces vessies se replient entièrement ou en partie
sur elles-mêmes. La langue peut boucher latéra-
lement les petits orifices des vessies g.f. , fig. i3,
et les tenir pleines, tandis que l’animal aspire un
nouvel air par ses narines.
Si les poumons de la grenouille n’étoient pas
fort grands, et ne se trouvoient pas placés le long
de toute la poitrine et du ventre, cet animal ne
pourvoit pas pousser des cris aussi forts et aussi
perça ns. Mais , par ce moyen , il presse l’air comme
les oiseaux, non -seulement avec les côtes, mais
également avec les muscles de l’abdomen , par la
glotte A. B. , fig. i3 , jusque dans les vessies, et le
fait sortir de là par la bouche.
Il paroît que Swammerdam ne s’étoit pas pro-
posé de décrive ces vessies en particulier. Il se con-
tente de dire (i): « Qu’on peut reconnoîlre infail-
<( liblement les males des femelles, par deux ves-
c( sies qu’ont les premiers, » ( qu’il place immé-
diatement derrière les yeux, pl. XL VI, fig. 6)
« et qui ne se trouvent pas dans les femelles. )>!
Dans l’explication des planches, il répète la même
chose , pag. no: « Les deux vessies , m. in. , dit-il,
« qu’on voit à côté des yeux de ces grenouilles in-
« diquent que ce sont des mâles. »
On s’apperçoit donc facilement , tantpar sa des-
(0 ^ac.f tom. II, pag. 732.
1>ES GRENOUILLES, 45l
cription que par ses figures, qu’il a pensé que ces
vessies prenoient leur origine à l’endroit où il les
a indiquées, et où se trouve exactement le tym-
pan de l’oreille ; que par conséquent il a plutôt
mal vu que mal conjecturé eu ceci ; ou, pour mieux
dire, qu’il n’a pas été attentif à considérer la chose ,
comme n’ayant pas un rapport direct avec le prin-
cipal but de ses recherches.
Mais comme l’autorité de ce grand homme pour-
roit induire en erreur, j’ai pensé que cette obser-
vation sur son ouvrage, ne pourroit qu’être agréa-
ble à ses justes admirateurs.
Il paroît que Harvey a pris ces vessies pour les
vésicules du poumon qui sortent de la bouche lors-
que l’animal respire fortement. (( Les grenouilles
« et les crapauds, dit-il, respirent pins fortement
« pendant l’été que dans d’autres tems, et aspirent
« alorsplus d’air dansleurs innombrables bronches
« (ce qui occasionne cette gra nde t umeur), d’où elles
« chassent ensuite cet air quand elles coassent (i). n
Pline cependant savoit déjà, et très-bien, que c’est
dans la bouche et non dans la poitrine des gre-
nouilles que se fait le bruit que ces animaux font
entendre.
Dans ma dissertation (2) sur la génération du
(1) De Gener. anini. Exer. III, pag 5.
(2) T^erhancl der Harl . Me.acsch , VIdeel, ! st, , psg. 277.
IJ ir CHANT
45 s
pipa, j’ai remarqué que la langue de cet animal
se trouve comme retournée sans devant derrière ,
atlachée par sa base à la partie antérieure de la
mâchoire inférieure; et que la pointe de celle des
crapauds, ainsi que les deux pointes de celles de
nos grenouilles est placée librement dans le fond
de la bouche par dessus la fente de la trachée-ar-
tère; observation qu’Aristote avoit déjà faite.
Quoique Pline suive assez généralement dans
ses descriptions ce grand philosophe , je ne puis
me passer cependant de citer ici celle qu’il fait si
admirablement de cette partie de la grenouille et
de la manière de chanter de cet animal : « Les gre-
« nouilles ont leur langue attachée par le bout, et
« le reste libre vers le gosier: c’est par ce mécu-
« nisme qu’elles forment ces sons aigus , par les-
(( quels, en certains teins, les mâles, apjielés alors
hurleurs {otolygons), invitent les femelles à
« l’accouplement. Pour cet effet, la grenouille mâle
(( prend dans son gosier un peu d’eau qu’elle agite
a en remuant la mâchoire inférieure , et en se-
rt couant , en même teins , la langue ; car c’est ainsi
(t que se forme le cri dont nous parlons; alors les
« environs de leur bouche sont gonflés et luisans;
(( et leurs yeux, poussés en dehors par les efforts
« qu’elles font, paroissent enflammés et ardens. ))
Pline a fort bien connu ces vessies; mais, d’après
ce que j’ai dit plus haut , il ne paroît pas néces-
DES GRENOUILLES. 453
saireqiie Fanimal hume de l’eau pour produire cet
effet.
Pline ignoroil aussi peu que Swammerdam que
ce chant et ces vessies des grenouilles ne sont pro-
pres qu’aux mâles seuls; mai^ c’est Swammerdam
qui le premier a remarqué l’épaisseur du pouce ,
fig. Il, O. , que les femelles n’ont pas.
Aucune espèce de nos crapauds n’a ces vessies;
" aussi ces animaux sont-ils muets comme la femelle
de la grenouille. Cependant toutes les grenouilles
mâles n’ont pas ces vessies. Chez plusieurs gre-
nouilles d’Amérique, ces vessies sont, ou très-pe-
tites, de manière qu’elles ne forment aucune pro-
tubérance latérale quand elles sont remplies d’air;
ou bien elles manquent même totalement.
Comme je ne possède pas une assez grande col-
lection de ces animaux, je dois laisser à d’autres
les observations qui restent encore à faire à cet
égard.
Klein Lanka m , le 5 juillet 1771.
454
DU CHANT
EXPLICATION
DES PLANCHES.
PLANCHE XXXIII.
FIGURE II.
Fait voir une grenouille vue du coté gauche
avec la vessie repliée sur elle-même en Je. i. h. , ce
qui fait paroître la fente de la bouche i.p. plus
grande que h. l. de la fig. iî2.
h.p. la bouche.
l. la paupière inférieure, laquelle est la seule
qu’ait cet animal: elle se meut de bas en haut.
m. n. le tympan.
O. la grosseur du pouce, laquelle est, suivant
Swammerdam, le caractère distinctif du male.
DES GRENOUILLES,
455
FIGURE 12.
Représente une autre grenouille vue également
du côté gauche.
a. b. c. la vessie fort transparente avec son ré-
seau de veines.
k. l. la bouche.
m. le sourcil , ou plutôt la paupière.
i. h. le tympan couvert d’une membrane.
FIGURE i3.
Représente la tête d’une grenouille dont le crâne
et le palais sont enlevés.
A. B. la partie supérieure de la trachée - artère
avec la glotte.
C. l’oesophage.
D. E. F. G. H. la langue retournée en avant.
D. E. élévation du dessous de la langue, laquelle
est retournée ici.
G. H. F. la fourchette de la langue.
F. et G. ses deux pointes.
a. b. c., a. b. c. les vessies gonflées d’air.
g.f. l’ouverture ovale dans le bas de la bouche.
a, h. c. d. e. conformation intérieure des vessies.
456 DU CHANT DES G Pl E N O U I L L ES.
FIGURE 1 4.
Les vessies de la même grenouille vues par des-
sous, a. h. c. cl. e.
LA STRUCTURE DES OS
DANS LES OISEAUX,
Et de leurs diversités dans les différentes
espèces.
LA STRUCTURE DES OS
DANS LES OISEAUX.
Toutes les fois que j'ai examiné la structure
interne des animaux, j’ai admiré l’observation du
grand Galilée (i), que l’on y rencontre toujours
de nouvelles merveilles ! J’en ai déjà donné plu-
sieurs preuves dans l’exposition de la génération
des crapauds de Surinam; dans celle de l’organe
de l’ouïe des poissons ordinaires, des poissons car-
tilagineux et du cachalot , que j’ai présentée en
partie à l’Académie royale des sciences, en partie
à la Société de Harlem. Parmi les descriptions que
je n’ai pas encore eu le teins d’achever, aucune
ne m’a paru plus digne d’attention que celle des
cavités qui se trouvent dans les os des oiseaux,
principalement dans ceux qui environnent le
tronc.
(i) S_ysc. Cossusc. Dialpg. II, pag. 310,
46o DE LA S T R U C T. DES O »
Les os du bras, les clavicules, les os de la poi-
trine, les vertèbres du dos, les os des îles, et dans
plusieurs les os de la cuisse, sont tout-à-fait creux,
sans moelle, et reçoivent dans leurs cavités, par
la respiration , l’air, qui, par ce moyen, rend les
oiseaux ])lus légers et plus capables de s’élever
dans l’air.
C’est une découverte tout-à-fait nouvelle, qui
sera d’autant plus agréable à l’Académie, qu’elle
est j)urement physique. Je l’ai faite au mois de fé-
vrier de l’année passée, lorsque j’étois occupé à
faire des recherches sur les oiseaux, pour déve-
lopper le mécanisme de la respiration qui y est
lort singulière.
Je savois, d’après les réflexions de Galilée (i) et
de Borelli (2), que les os des oiseaux étoient creux
et minces, afin qu’ils puissent plus facilement
voler : ces deux grands hommes ont été unique-
ment attentifs à la substance des os. Galilée sur-
tout, qui a très-évidemment prouvé, en les com-
parant avec des tuyaux de bois ou de métal, qu’un
os de la même longueur et pesanteur étant creux,
avoit plus de force qu’un os de la même pesan-
teur et longueur, mais plein (3) ; il a même ajouté
CO De Meehan. Dial. II , pag. iZs.
De Motii anim. Proposit, ig4, pag. i56.
(3) Ibid.
DANS LES OISEAUX. 46l
celte règle admirable : Que la force des os creux
est à celle des os solides, dans ce cas, comme leurs
diamètres (i). Celte réflexion peut non-seulement
être appliquée à la structure des os en général ,
1 mais aussi à celle des plantes, dans lesquelles nous
/ voyons de pareilles cavités sans moelle , mais rem-
j plies d’air.
Borelli (2) a développé, dans l’explication du
I vol des oiseaux et du mécanisme de leurs ailes, la
) connoissance parfaite qu’il avoit de la composi-
J tion de leurs os (5), de la cavité de leur poitrine
J et de leur bas-ventre, ainsi que de l’air qui rem-
j plit ces deux cavités.
) La respiration des oiseaux est aujourd’hui trop
) connue pour avoir besoin d’une explication parti-
) culière; mais la respiration dans les os du tronc,
) des ailes et des cuisses mérite un détail particu-
i lier. C’est à cette considération seule que je me
! bornerai dans ce mémoire.
Je l’ai appelée une découverte , ])arce que je
t ne connois aucun auteur qui en ait indiqué la
I moindre chose. Il est bien vrai que M. lé comte de
I Marsigli (4) a su que les os du bras, dans le pé-
(1) De Mechan. Dial II, pag. iSa.
(2) Proposit. 182, pag. 146.
(3) Proposit. 194.
(4) Danub, Fran- Mysic. , tom. VI, tab. 8 , pag. io et seg.
462 DE LA. S TRUC T. DES OS
lican , éloient creux et sans moelle , et très-légers;
mais il n’a pas songé à l’air, ni à la manière dont
l’air devoit entrer dans celle cavité.
M. le comte de Buffon ,1e plus grand naturaliste
que nous ayons eu depuis Aristote, n’a pas ignoré ce
que Galilée et Borelli ont communiqué à ce sujet;
il en fait usage dans son excellent discours sur la
nature des oiseaux (i); mais il n’a pas su que les
cavités de ces os reçoivent l’air au lieu de moelle,
et que ce fluide y entre par la respiration.
On m’apporta, le lo février 1771, un grand ai-
gle de mer (2), tel que ceux dont on tire annuel-
lement une grande quantité aux environs de cette
ville pendant la gelée. Je disséquai les côtes, sur-
tout les crochets et leurs muscles, etc. Je préparai
un os de la cuisse, principalement pour montrer
sa cavité et les fibres qui soutiennent en dedans la
lame osseuse dans cet animal. Je croyois y trouver
de la moelle, mais je n’y trouvai qu’un périoste ,
une grande veine i. h. l. ^ qui le tapissoit , et les
traces de l’air épanché, comme je l’ai représenté
pl. XXXIV, fig. 6.
Etonné de celte singularité, j’allai sur-le-champ
examiner les squelettes d’un aigle, d’un ara et d’un
hibou : je trouvai un très-grand trou sous le grand
1 1
(i ) Pag. 16 , 53 , 54'
(2) L’orfraie de Buffon, liist, nat. des oisaanx, t.I , pag.
DANS LES oiseaux; 463
i; trochanter du squelette de l’aigle 5 je n^en apper-
t çus aucun vestige dans les autres; mais je remar-
quai de très -grands trous sous les têtes des os du
f bras de tous mes squelettes d’oiseaux. J’examinai
e donc les bras dans l’aigle avec beaucoup d’atten-
tion; j’ouvris cet os suivant sa longueur , je n’y
> rencontrai point de moelle, mais Je périoste, com-
i me dans les os de la cuisse , et une ouverture fort
) grande à la partie intérieure de la tête de l’hume-
rus, pl. XXXIV, fig. 1, a. b. c. Voilà une analo-
gie. L’air pouvoit entrer par ces trous dans les ca-
vités des os; mais je ne savois pas encore com-
ment il pouvoit pénétrer jusqu’à ces ouvertures?
J’avois par hasard un hibou qui étoit mort. Je fis
un petit trou à l’extrémité de l’os du bras , fig. 5 ,
y j’appliquai un tuyau de cuivie, et soufflant
je vis avec bien du plaisir que toute la poitrine et
le bas -ventre s’enflèrent : l’air sortoit par la tra-
chée-artère à mesure que je soufflois. Je liai donc,
pour avoir une contre épreuve, la trachée-artère
autour de mon tuyau ; et soufflant j’eus la satis-
faction de voir sortir l’air par le petit trou fait à
l’os du bras , lorsque j’y appliquois la flamme
d’une bougie, ou quelque corps léger, ou une pe-
tite plume.
L’os de la cuisse de ce hibou, quoique perforé,
ne transmettoit pas l’air; aussi n’y avoit ««il pas
d’ouverture sous le trochanter.
464 DE LA STRUCT. DES OS
La poitrine et le bas -ventre de l’aigle éloient
trop blessés pour répéter ces expériences 5 j’ôtai
donc les boyaux, je soufflai par l’os de la cuisse,
et je vis que la j)lèvre qui va jusque dans le bas-
ventre , forinoit un conduit luendDaneux , qui ,
allant le long des vaisseaux cruraux, aboutissoit à
l’ouverture de la cuisse d. e. f , lig. 6, et qui don-
noit passage à l’air pour entrer librement dans la
cavité de cet os. Cela redoubla mon ardeur pour
pousser plus loin mes découvertes.
Je me ns donner des magasins à provision, un
dindon , quelques poulardes : je perforai de la mê-
me façon les extrémités des os du bras,- j’y appli-
quai mon tuyau , et soufflant, je vis avec surprise
la poitrine et la bas-ventre s’enfler comme dans
le hibou; les fémurs n’adniettoient*pas l’air, n’é-
tant pas vides , mais remplis de moelle comme
dans les bibous. Dans le coq de bruyère l’expé-
rience réussit comme dans l’aigle , car ils ont des
trous sous le trochanter, fig. 8, d. e.f.
La cigogne, dont on me montra le squelette, a
les os du bras pareillement vides et remplis d’air ,
et un trou considérable a. h. c. , fig. 2. Elle a aussi
les cuisses vides, et un trou manifeste sous le tro-
cbanter, fig. 7, d. e.f.
J’imaginai dès-lors que je trouverois les os du
bras vides dans la plupart des oiseaux; mais que
je ne trouverois les cuisses perforées et perméables
DANS LES OISEAUX. 465
à l’air que dans ceux qui volent très-haut, comme
les aigles, les cigognes, et tous ceux qui ont le
corps pesant et beaucoup de muscles, etc.
Cette conjecture fut vérifiée par la dissection
d’un moineau : ses cuisses se trouvèrent, aussi bien
que ses bras, remplies de moelle , aussi ne vole-t-il
pas haut, ni long-tems de suite. L’allouette, par
exemple , qui remplit l’air de son chant mélo-
dieux, se soutient long-tems sur ses ailes: ses bras
I sont creux, remplis d’air, et iis ont une ouver-
I ture très-considérable.
I Je désirois alors ardemment d’avoir des sque-
! lettes d’autruche, de casoar et de pingoin , pour
II savoir si les os des bras ét oient remplis d’air? Je
1 formois déjà une conclusion négative; je priai M.
le professeur Allamand de Leyde d’examiner le
I squelette de l’autruche; il eut la bonté de me ré-
I. pondre qu’il n’y avoit aucune ouverture sous la
\ tête de l’os humérus de cet oiseau. Je ne trouvai
I nulle part le squelette d’un casoar ni d’un pin-
goin ; j’ai reçu de])uis deux pingoins du Cap de
f.i Bonne-Espérance, dans de l’esprit de vin; je n’ai
I pas encore eu le teins de disséquer les parties dont
t il est question.
Borelli (i) a déjà fait une très-belle remarque,
, I que les ailes sont plus grandes à mesure que les
(il Propcsit. 182.
ï I 1.
' 00
466 DE LA S TRUC T. DES OS
oiseaux volent plus haut; mais la nôtre rend leur
mécanisme plus curieux et plus intéressant.
Je reviens de cette digression à l’aiule dont
O vT)
j’examinai très-attentivement les clavicules et les
soutiens des omoplates , les omoplates mêmes , l’os
stei'num , les côtes et les vertèbres du dos : j’ai
trouvé tous ces os creux , vides , remplis d’air ;
même l’os sacrum et les os des îles.
Je fis le 24 février 1771, les expériences suivan-
tes sur un hibou étoulfé.
1°. Ayant ôté le grand muscle pectoral , et per-
foré l’os du bras près de son extrémité, je soufflai |
dans ce trou, et j’apperçus sur-le-champ une grande j,
poche membraneuse entre les deuxpecioraux , qui j
alloit le long des vaisseaux et des nerfs bracbiaux,
donnant un conduit membraneux v^s l’ouver-
ture qui se trouve près de la tête de cet os ; cette
poche s’enfloiî aussi lorsque je soufflois par la tra-
chée-artère.
2°. Je décharnai le soutien osseux de l’omo-
plate , qui étoit articulé avec le sternum ; j’y fis
une ouverture très-petite; j’y soufflai, et la même
poche s’enfla à plusieurs reprises.
5°. Je perforai la lame extérieure du sternum ,
près de son umon avec les soutiens ci-devant dé-
crits : l’air passoit aussi immédiatement dans la
poitrine et dans le bas-ventre. Presque tous les oi-
seaux ont des trous dans l’intérieur de cet os , et
[ DANS LES OISEAUX. 46y
la plèvre est la continuation du périoste interne des
cellules de cet os.
Ï’ 4°. Je lis la rnêine expérience sur les clavicules^
et je m^ajrperçus pareillement de leur communi-
j cation avec la cavité de la poitrine,
i 5°. Je décharnai la partie postérieure ded’os des
! îles; je perforai la lame osseuse extérieure et l’air
■ passa par ses cellules dans la poitrine comme si
i j’avois soufflé par la trachée-artere.
“r 6^". L’air passoit aussi par les corps des vertè-
^bres du dos, après av'oir décharné leur corps, per-
foré la lame osseuse et appliqué un tuyau.
7°. Les côtes sont aussi vides, et reçoivent l’air
^par plusieurs trous qui sont visibles en dedans de
la cavité de la poitrine; aussi peut-on, par la mê-
me opération , souffler l’air par les côtés , dans
la poitrine , comme par les autres os ci-devant
nommés.
J’ai répété les première, seconde, troisième,
lO quatrième et sixième expériences sur un aigle, le
i5 mars 177 J, devant mes auditeurs, au théâtre
anatomique, avec le même succès,
t 8°. J’ai perforé l’os de la cuisse de cette orfraie ;
œ j’y ai appliqué mon tuyau, et l’air a passé facile-
It ment dans la poitrine de cet animal. Ayant souf-
lit lié par la trachée-artère, l’air a sorti par ce même
SOI trou avec tant de violence qu’il m’a été facile, par
ce moyen, d’éteindre une cliandelle Irès-promp-
lemenî.
468 DE LA STÏlUCT. DES OS
Je ne saurois dire si la même structure a lieu
dans les autres oiseaux; cela exige un examen plus
particulier: il suffit que l’aigle, dont la vélocité et
la hauteur du vol sont les plus grandes, et dont la
force, tant pour voler que pour saisir et déchirer
sa proie, doit être nécessairement plus grande; que
l’aigle, dis-je, se rende plus léger, non-seulement
par l’air qui dilate ses poumons, sa poitrine et son
bas-ventre, mais encore par l’air qui remplit les
cavités de ses os.
Il est très-probable, par les expériences faites
sur le hibou, que la nature se sert du même méca-
nisme dans tous les oiseaux de proie.
Il est pareillement très-probable que dans l’au-
truche, le casoar et les pingoins, on ne trouvera
aucun os creux ; que dans les cignes , les oies et les
canards les os du bras seuls seront vides et remplis
d’air; et seulement en partie dans les dindons, les
poules et les perdrix; car ces derniers ont les os des
bras en partie remplis de moelle , en partie d’air ;
ou bien, pour parler plus généralement, il est ap-
parent que les os sont vides et remplis d’air, à
proportion que les oiseaux portent le vol plus ou
moins haut.
Galilée et Borelli ont prouvé que la substance
des os dans les oiseaux étoit concave comme dans
les flûtes; mais ils ont supposé qu’elle étoit remplie
d’une moelle huileuse, beaucoup plus légère qu«
DANS L3i;S OISEAUX.
469
i’os. M. de Marsigli a observé que l’os du bras dans
le pélican étoit vide et rempli d’air. Je me flatte
d’avoir découvert que dans beaucoup d’oiseaux ,
et dans les oiseaux de proie, tous les os qui peu-
vent avoir communication avec la poitrine ou l’ab-
domen , sont remplis d’air, et j’ai prouvé les ou-
vertures par lesquelles l’air entre régulièrement ,
et s’y renouvelle par la respiration.
L’air qui entre, et qui remplit ainsi les cavités
L des os, doit nécessairement devenir plus léger par
j la chaleur du corps; moyennant quoi l’animal ,
devenu spécifiquement plus léger que l’air même,
vole avec plus d’aisance. .
Cette découverte nous fait voir outx'e cela que
la moelle n’est pas nécessaire pour la nourriture,
ni pour l’accroissement des os, ni pour oindre les
articulations, ni pour la formation du cal: j’ai
trouvé très-souvent l’os du bras, dans les poules,
cassé et parfaitement guéri. J’ajoute, pour que la
1 démonstration soit plus entière, la figure d’un tel
os, fig. 10 , pl. XXXIV.
L’ossification reçoit par-là beaucoup d’éclair-
cissemens, et paroît devoir être examinée d’après
ce nouveau plan.
Il n’est pourtant pas sans exemple, même dans
notre corps, de voir la substance celluleuse des os
remplie d’air; les apophyses mastoïdiennes reçoi-
vent l’air par les trompes d’Eustache.
470 DEL/VSTRUCT. DES OS I
La lête de l’iiibon foinnit un autre exemple |
aussi curieux: l’air entre dans le diploë du crâne 1
entier par les trous auditifs; car les oiseaux n’ont i
point de troni])es d’Eusîache, comme les quadru-
pèdes et les amphibies. j
Ayant disséqué, le décembre 1775, un des '|
pingoins que j’avois reçais du Cap de Bonne-Es- |
pérance, de la seconde espèce de dioineda de Lln-
næus, édit. X. pag. 2i4, je trouvai ses os pleins ,
ainsi que cela devoit être d’après l’explication que
j’en ai donnée. j
Quelque lems après , on m’apporta un pion- :
geon de l’espèce que Linnæus, ibid. , pag. 222,
appelle colymbus immer ^ dont les ailes sont trop
petites pour qu’il puisse voler. Dans cet oiseau j
les os du bras sont pareillement remplis de moelle ;
et sans trous aeriens. Aussi les os de ces deux es- I
pèces d’oiseaux n’admeUent-ils pas l’air. |
Les os des cuisses de ce plongeon méritent Fat- f
tention des naturalistes, en ce qu’ils n’ont point de ^
trochanter, dont la structure avec celle des muscles j
est si admirable. Le périoste est noir dans cet oi-
seau , et sa couleur se détache comme celle de l’u- ;
vée des yeux de la plupart des animaux.
La tête de l’éléphant fournit encore une preuve ,
plus frappante; mais il est teins de finir ce mé-
moire, après avoir donné une explication courte
des figures , sans lesquelles la description auroit :
été moins instructive et moins claire.
)lej
DANS LES OISEAUX. 47 1
EXPLICATION
DES PLANCHES.
PLANCHE XXXIV.
FIGURE 1.
R F. PRÉSENTE la partie supérieure de Fos du
bras gauche de Forfraie: a. h. c. le trou par où
Fair entre.
FIGURE 2.
La partie supérieure de Fos du bras gauche de
la cigosne: a. h. c. le trou aerien,
O O
FIGURE O.
L^os du bras gauche du hibou : a, b, le trou aë-
DE LA STRUCT. DES OS
4752
rien 5 p. le trou fait à la partie inférieure pour ap-
pliquer le tuyau.
FIGURE 4,
L’os du bras droit d’un dindon : a. b. c. le trou
aérien.
FIGURE 5.
L’os du bras droit d’une poule : a. h. c. le trou
aérien.
FIGURE 6.
L’os de la cuisse gauche de l’orfraie: d. e.f le
trou aérien sous le trochanter h. • g. la tête de cet
os; i. l'. l. m. les piliers pour donner de la force à
l’os, qui sans cela seroit trop mince; i. l. m. n. la
veine qui tapisse le périoste interne.
FIGURE 7.
L’os de la cuisse gauche de la cigogne : d. e.f.
le trou aérien; h. le trochanter; g. la tête de l’os.
FIGURES.
L’os de la cuisse gauche du coq de bruyère ;
d. e.f. le trou aérien.
DANS LES OISEAUX.
4yo
FIGURE g.
L’os de la cuisse droite de la poule , sans trou
aerien.
FIGURE 10.
L’os du bras droit d’une poularde ; a. h. le trou
aerien 5 q. r. la fracture parfaitement unie par
le cal.
DE LA STRUCT. DES OS
LETTRE
s U R LE M É M E S ü J E T,
Adressée aux éditeurs d’un journal littéraire
intitulé Hedenciaacrscbe Vaderlandsche Letter-
O
oelFeninsjen.
O
ESSIEURS,
C’est avec plaisir que j’ai vu dans le troisième
volume de votre journal hebdomadaire (i) , la
Dissertation de M. John Ilunter , sur les in-
terstices entre les muscles et les cavités des os
des oiseaux , par lesquels V cdr communique avec
leurs poumons que vous avez traduite du LXIV®.
volume des Transactions philosophiques de Lon-
dres 5 volume qui n’est arrivé en Hollande qu’en
<0 N?. 10, 1774, pag. 421.
BANS L E S O I S E A U X. 4y5
automne de l’année 1774; tandis que cette disser-
tation arolt été lue dans la! Société Royale le 27
février 1774. J’ai été, en même tems, charmé que
vous m’ayiez rendu la justice de remai’quer: (( Que
« déjà le 2 mars 1771 j’avois communiqué à la So-
« ciété Euiave de Rotterdam, celte découverte, et
« par conséquent trois ans avant que M. Hunter
« en ait parié. »
Cette concurrence d’idées devolt en attendant
fixer l’attention des savons de notre pays, et les en-
gager à comparer ma dissertation avec celle de M.
Hunter; et cela d’autant ]>lus que le premier vo-
lume de la Société Batave de Rotterdam a paru
plus tard que le volume LXIV des Transactions
philosophiques. On onroil pu donc facilement ne
point prendre en considération la date de ma dis-
sertation ; ou bien , comme cela arrive souvent, la
négliger volo-ntairemenl ; ce qui auroit nuit à la
priorité de ma découverte.
Afin de lever tout dol.'te à ce sujet , je vais four-
nir les preuves les plus péremptoires j)Our montrer
que j’ai en effet déconvert et communiqué, trois
ans avant M. Hunier, cette singulière propriété des
oiseaux; et je produirai , en même tems, les nou-
velles observations que j’ai faites depuis ce tems-
là, par la dissection du casoar, de l’autruche, de
la corneille mantelée , du hibou et d’autres oi-
seaux.
DES OS
476 DE LA STRUCT.
R.avi, et non sans raison , je pense , d’avoir fait
cette belle découverte dans les oiseaux, le 11 fé-
vrier 177 1, je la communiquai sur-le-cliamp à plu-
sieurs de mes amis , el , eut r’a litres , à M. Alla-
mand , à læide. J’ai conservé , jiour des raisons
pavliciilièves, la réponse que cfT savant me lit à ce
vsiijet. Je lui avoisjiromis mes observations sur le
lenne (lesquelles ont paru en 1771, en forme de
supplément à l’édition d’Amsterdam de l’T/zsto/i/’e
nat. de M. le comte de Buflbn ); et je lui commu-
niijuai, dans la même lettre , ma découverte de la
cavité des os des oiseaux. Voici la réponse qu’il me
lit: ((Je vous remercie d’avance de vos observa-
(( lions sur le renne que vous avez la bonté de me
(( laire espérer, etc. — Je n’ai point encore eu l’oc-
« casion de faire l’expérience qui prouve la corn-
« munication entre l’abdomen et les gros os des oi-
« seaux; mais après ce que vous m’en avez dit, je
<( crois la chose comme si je l’avois vue. — Je vais
(( partir pour la Gueldre , où j’aurai des oiseaux
(( de diverses sortes en abondance , pour vérifier
<( votre belle découverte, u Cette lettre est sans
date, mais a cependant été écrite au commence-
ment de l’année 1771, comme il paroît par la pu-
blication de mes observations sur le renne.
J’avois, en même tems, prié M. Allamand d’exa-
miner le squelette de l’autruche ; sur quoi il me
répondit, dans une autre lettre du aSjuin 1771:
DANS LES OISEAUX. 477
« Votre découverte du passage de l’air dans les os
« des oiseaux me paroît de plus en plus intéres-
« sarite, et vous ne serez pas fâché d’apprendre que
« votre conjecture sur les os de l’autruche est vraie,
« au moins dans un squelette que j’ai de cet oi-
« seau ; et je n’ai pu découvrir aucun vestige
« de la moindre ouverture, ni dans l’os humérus,
(c ni dans celui de la cuisse. 11 en sera sans doute
« de même du casoar; ce qui paroît indiquer que
« vous avez trouvé le véritable usage de cet airpas-
« sant dans les os; puisque ces deux oiseaux, non
« plus que le pingoin, ne volent point (i). m
Cependant il se passa dix-huit mois sans que
j’eusse quelque espérance qu’on accorderoit bien-
tôt l’insertion de ma découverte dans les actes de
la Société Batave de Rotterdam, à laquelle je l’a-
vois envoyée.
Cela me détermina à faii'e passer mon mémoire
à M. Portai à Paris; ce que je lis le 21 novembre
t 1772, avec quelques additions en François, en le
1 priant de le faire insérer dans les mémoires de la
Société Royale des sciences, avec quelques obser-
vations anatomiques sur le fourmilier du Cap de
Bonne-Espérance, sur le pécari (^Sus sj?. 5 doj'so
(1 ) On voit par ces deux lettres que déjà en i 771 , ?.I- Allamand
connoissoit iion-seuiement ma découverte, mais qu’il l’avcit même
constatée par ses propres expériences.
4y8 DE LA s T R U C T. DES OS
cystifaro y cauJa nulla. Linn. , gen. 35), et sur
l’organe de l’oiiïe et les éverils des cachalots, etc.
M. Portai me fil l’iionneiir de me répondre le i6
mors 1773, que les observations que je lui avois
fait passer avoient été trouvées d’une si grande im-
portance par les membres de l’Académie , qu’ils
avoient chargé MM. Daubenton, Tenon et Portai
de faire des observations sur les oiseaux que j’a-
vois cités; et M. Portai me marqua ensuite , en date
du 26 avril 1774, qu’ils avoient fait ces observa-
tions, dont ils avoient été fort satisfaits, et qui
s’étoient trouvées parfaitement conforraesà ceque
j’avois dit; de sorte que l’Académie Royale des
sciences, à qui ils en avoient rendu compte le 23
avril de la même année, les avoit jugées dignes
d’être insérées dans son recueil; ])reuve certaine
qu’à celle époque personne n’avoit encore eu la
moindre connoissairce de celte structure sinpu-
O
lièré des oiseaux.
Comme une nouvelle preuve , inutile sans doute,
que j’ai fait beaucoup plutôt que M. Hunter celle
découverte, je vous envoie ici une dissertation la-
tine que M. Ladislas Charnack, Hongrois, a lue, le
25 août 1773, dans une séance publique de l’uni-
versité de Groningen , sur la respiration des oi-
seaux (1). M. Charnack me rend la justice d’avoir
(1) DisserC. mediea da inspiraiione volucrum.
DANS LES OISEAUX. 470
le premier fait la découverte de cette singulière
propriété, puisqu’il dit : « C’est le célèbre Camper
« qui le premier a découvert que les oiseaux res-
« pirent aussi par les cavilés des os des bras , des
« cuisses et du tron-cmême, etc. (i). » Si l’on com-
pare cette dissertation avec celle que j’ai envoyée
à la Société de Rotterdam , on verra qu’elle s’y
rapporte exactement. Cela n’est pas surprenant :
M. Charnack a été un de mes plus assidus audi-
teurs, à qui j’ai souvent répété mes observations
sur cet objet j ainsi qu’il en fuit aussi expressé-
ment mention : « Le célèbre Camper a souvent
« fait , en présence de ses auditeui’S , des expé-
« riences de cette espèce sur le liibou , sur l’ai-
« gle , etc. (2). »
Ces preuves convaincantes font voir in-contes-
tablement que j’avois déjà, à cette époque , une
connoissance parfaite de l’intromission de l’air
dans les cavités des os des oiseaux, dont M. John
Hunter n’a parlé à la Société Royale de Londres
que le 27 février 1774. Je vais. donc passer main-
tenant aux corrections que j’ai faites depuis ce
teins à ma dissertation.
( 1 ) Respirationein ctviuni etiani per ossa cava humeri,Jemomm
ipsiits trunci exerceri , monalium prunus cel. Campa us cle~
sexic, etc.
(2) y^arîa kitjus ^eneris expérimenta in noctua et nquila coram
auditoribns suis instituit cel. Camperas , etc.
48o DE LA S T R U C T. D E S OS
Dans la dlsserlalion (|iie j’ai envoyée le 2 mars
1771 à la Soclélé Balave , je dis expressément:
« Cependant les oiseaux n’ont point, comme les
(( quadrupèdes, des conduits qui viennent aboutir
« dans la bouche ou dans la goi'ge; mais il y a pro-
(( bablement une ouverture dans la longueur du
<( conduit auditif pour amener et rafraîchir l’air
(( entre les lames osseuses de la tête. » Je suis
d’autant plus certain à cet égard que déjà en 1745,
lorsque j’étois encore à l’étude, j’ai connu et fort
exactement dessiné l’organe de l’ouïe des oiseaux 5
mais ce ne fut que le 12 novembre 1774 que je
découvris, pour la première fois, l’issue des con-
duits auditifs dans la bouche d’une autruche qui
servit à mes rechercher sur cet objet 5 et lorsque
je me trouvai une fois sur la roule, il ne me fut
pas difficile de faire la même découverte dans le
coq , dans la cheveche, dans la corneille manîelée
et dans d’autres oiseaux. Je m’apperçus alors de
la cause de mon erreur. Ils n’ont qu’une ouver-
ture coiumune peur les deux trompes d’Eustachej
et cette ouverture se trouve placée fort cachée en-
tre les deux apophyses digitiformes au-dessus de
l’oesophage.
Du Verney, Casserius , Blasius , "Valentin et
Collins même, quoique ce dernier ait bien connu
ces apophyses , qu’il nomme processus cristati ^
ne font aucune mention de cette ouverture.
«ANS LES OISEAUX, 48l
Les devoirs multipliés de la place de profes-
seur que j’occupois alors, me laissoient peu de
loisir pour lire, ou parcourir même , toutes les dis-
sertations qui nous viennent d’Angleterre. Au-
jourd’hui que je suis libre, je trouve que le doc-
teur Allen Monten avoit déjà décrit en 1681 ces
conduits, ainsi que leur réunion avec les cavités
entre les parois osseuses de la tête dans les oi-
seaux. On n’a qu’à consulter Badham ou Lovv-
thorp (1), lequel dit: «Il n’y a qu’un conduit
« creux (^aquœductus) dans la tête de tous les oi-
« seaux, exactement au milieu du palais au-des-
« sous de l’endroit où s’y fait l’insertion des riari-
« nés. — C’est un conduit membraneux, qui va
« par derrière jusqu’à la communication d’une
« oreillle à l’autre. » Comme c’est en 1771 que je
suis tombé dans cette erreur , il paroît que c’est
par l’essai suivant que j’y ai été conduit. Ayant
fait un trou dans la lame de la tête d’une
chouette , je trouvai que l’air sortoit avec une telle
violence par les ouvertures des oreilles , que j’en
éteignis la flamme d’une chandelle 5 ainsi que cela
a été confirmée par M. Charnack (2). La violence
(1) Therc is butone aquaeductus in the hee>d of ail the fowls,
exacdy in lhe middle of the palate , below the insertion of the
nostrils inlo it. — h is a inembraneous tube, which reaches bak-
Ward as far as the communication Jrom car to ear.
(2) Ibid,, pag. i3.
III.
01
483 DB LA STR U CT. DES OS
avec laquelle je soufflois avoil rompu le tympan ,
parce que les conduits d’Eustache sont trop étroits
pour laisser passer assez vite tout cet air.
Dans la chevêche [strix passerina , Linn.) que
je disséquai le s5 décembre 1774, je lis une pe-
tite ouverture en haut au-dessus des orbites des
yeux, dans la lame osseuse extérieure. Je soufflai
ensuite par le conduit d’Eustache, et la flamme
d’une chandelle ([ue je tins vis-à-vis l’ouverture
que j’avois pratiquée, conlirma la communication
et le rapport de M. Hunter (1), ainsi que la dé-
couverte que le docteur Mon ten avoit faite il y a
près d’un siècle. J’ai renouvellé depuis cette même
expérience sur des corneilles mantelées, des coqs
et d’autres oiseaux , et toujours avec les mêmes
succès. Dans les coqs il faut faire l’ouverture der-
rière l’oreille.
Quant aux apophyses très-éminentes dont j’ai
parlé dans le supplément de ma dissertation , je
dois remai’quer ici en passant, que Willougby a
bien publié un dessin fort grossier de cés apophy-
ses dans son ornithologie (2), mais sans en donner
la description , quoiqu’il ait d’ailleurs indiqué
la situation de l’os de la cuisse. Meyer (5) les a
(1) Ibid., pag. 210.
(2) Fig. 62.
(3) Kur, V orsiell, allerh. thierc. Wur. 1748 B. I, fig. 9^1 100.
«ANS LES OISEAUX.
48 ^
.'À.
!
'4'
de même parfaitement bien figurées dans le plon-
geon , sans en parler dans son texte.
M. Hoffmann , fameux médecin de Batavia, au-
trefois un de mes plus zélés disciples , et à qui je dois
plusieurs morceaux précieux de ma collection, m’a
voyé des Grandes-Indes un casoar conservé dans
de l’arac, après qu’on eut dté les intestins. Les os
des bras sont, proportionnellement à la grosseur
de son corps, extraordinairement petits, et ne re-
çoivent absolument point d’air, non plus que les
os des cuisses et les côtes; mais il y a de l’air dans
les cavités entre les os des îles et l’os sacrum. Cet
oiseau ne court pas bien vite, et ses ailes sont en-
core beaucoup plus petites que celles du pingoin
du Cap de Bonne-Espérance. Chez cet oiseau l’on-
gle du milieu des pieds n’étoit pas le plus grand,
comme le prétend Linnæus (i); mais c’étoit l’on-
gle intérieur, lequel éloit une fois plus long que
tous les autres.
Peu de tems après que M. Pennant fut arrivé à
la fin de septembre 1774 de Hollamle à Leeuwar-
den avec un éléphant, une autruche et d’autres
animaux, l’autruche vint à mourir, pour avoir
avalé trop de monnoie de cuivre. J’achetai cet oi-
seau mort en octobre; mais differentes occupations
(O Dixième éduion , pag. 265^
484 DE LA STRUCT. DES OS
me forcèrent d’en différer la dissection jusqu’au 6
novembre 1774.
L’autruche est un oiseau trop connu et a été
trop bien décrit par Perrault , Valisneri , Brown ,
Ranby, Warren et Buffon, pour qu’il soit néceis-
saire que je m’arrête ici à parler de sa forme ex-
térieure. Je remarquerai seulement que c’est avec
étonnement que j’ai vu que Valisneri , Brown ,
Perrault, Klein , Brisson et Linnæus n’ont pas ob-
servé l’ongle du petit doigt du pied , tandis qu’il
a visiblement un demi -pouce et même souvent
trois quarts de pouce de long. Il arrive bien quel-
quefois que la peau écailleuse couvre cet ongle ,
mais on peut cependant toujours l’appercevoir.
Johnston, Cheselden et Meyer ont, en contre, re-
présenté ce doigt fort grand; peut-être par défaut
d’attention, ou parce qu’ils se sont imaginés que
cela devoit être ainsi.
J’ai trouvé (et c’est de quoi il s’agit ici) dans
l’autruche ce que M. John Hunter y avoit remar-
qué, savoir, qu’il n’entre point d’air dans les os
des bras, mais bien dans tous les autres os, comme
chez tous les autres oiseaux ; c’est-à-dire, dans les
vertèbres, dans l’os sternum, dans les cotes, etc. ;
et, ce qui est ici l’objet principal, dans les os des
cuisses. Le 1 1 décembre 1774, étant à préparer un
squelette de cet oiseau, je remarquai au côté an-
térieur de l’os de la cuisse un assez grand trou aë-
DANS LES OISEAUX. 485
rien, partagé en plusieurs petits trous entre les
condylesj de sorte que cet os de la cuisse est non-
seulement l'empli d’air; mais il paroît même vrai-
semblable que l’air sort de nouveau enti'e les in-
terstices membraneux des muscles. Cependant cela
demande de nouvelles recherches.
L’air pénètre jusqu’au bout du coccix, le long
des apophyses épineuses. Il remplit le grand in-
terstice de l’os sacrum , et des os des hanches ,
dans des membranes particulières qui communi-
quent avec le ventre et avec la poitrine.
M. J. Hunier avoit donc raison, et jene suis pas
le seul i[Lii me soit trompé. La cause de cette der-
nière erreur paroît consister en ce que ces trous ne
se trouvent pas , comme dans l’aigle , dans la cigo-
gne, dans le coq de bruyère, etc., au côté anté-
rieur , mais tout -à -fait au côté postérieur de la
cuisse; de sorte que ce n’est qu’avec peine qu’on
les y découvre, d’autant plus qu’on ne les y sup-
pose point.
M. Hunter dit que l’air pénètre aussi dans la
moelle alongée: c’est ce que j’ai trouvé vrai dans
une corneille mantelée; après que j’eus coupé le
cou par le milieu, et introduit un tuyau de cuivre
entre la moelle épinière et ses membranes, j’y fis
entrer assez facilement de l’air, jusqu’à ce que
j’eus fait distendre le ventre; et l’air sortit ensuite
par un trou que je fis à l’o« du bras. Je coupai la
486 DE LA STRÜCT. DES OS
tete à une autre corneille niantelée, entre l’occi-
put et l’atlas; mais il me fut impossible d’intro-
duire l’air dans la moelle épinière. Il me paroît par
des expériences que j’ai faites, tant sur des cor-
neilles mantelées que sur des poules, que l’air
peut pénétrer dans les vertèbres du côu.
J’avois déjà apperçu , mais cej)endant pas aussi
distinctement que je l’aurois désiré, que la man-
dibule inférieure de l’autruche, du héron , du bu-
tor et de la corneille étoit remplie d’air. 11 paroît
que M. Hunter avoit remarqué la même chose dans
le pélican: « La mandibule inférieure du pélican,
« dit-il , est également fournie d’air; mais par quel
(( moyen? c’est ce que j’ignore (i). »
J’ai cherché à connoître ce moyen , et je l’ai dé-
couvert évidemment dans l’autruche, dans le hé-
ron et dans le butor. Il est facile de l’appercevoir
dans la corneille mantelée. Au coté supérieur des
apophyses placées en arrière de la mandibule in-
férieure, lesquelles sont courbées en dedans, il y
a un trou rond, assez grand dans l’autruche, pour
qu’on puisse y introduire une plume à écrire; dans
le héron et d’autres oiseaux ce trou étoit plus pe-
tit; mais cependant apparent et spacieux. De ce
trou part un conduit membraneux , lequel court
(j) The lower jaw of the pélican is also furnished wilh air ,
but by what means l do riot hnow. Ibid, , png. 211.
DANS LES OISEAUX.
487
S en montant denière le tympan, et va s’attachera
1 un semblable trou un peu au-dessous du bord
J d’en haut du tambour. C’est par ce conduit que
! i’air pénètre des cavités entre les lames osseuses
) de la tête dans la mandibule inférieure; de ma-
I nière que la mandibule inférieure reçoit l’air par
1 les conduits d’Eustache.
C’est avec la corneille mantelée qu’on peut le
; mieux faire cette expérience, en pratiquant un trou
» clans la partie cornée de la mandibule inférieure,
I et en faisant un autre trou derrière l’oreille ,
i après qu’on aura enlevé la peau. Qu’on souffle
; alors par un tuyau de cuivre alternativement l’air
' dans l’un et dans l’autre trou. Quand on tiendra la
tête avec un de ces trous dessous l’eau, on en verra
sortir l’air avec effort; et si l’on enlève le muscle
de derrière la mandibule inférieure, on apperce-
vra fort distinctement le conduit membraneux.
La découverte de cette partie m’appartient donc.
Ma considération , comme si les trous dans les os
des oiseaux étoient particuliers à ceux qui volent
long-tems et fort haut , dont j’ai parlé dans mon
mémoire , paroît bien , en quelque sorte, perdre
de son poids, par ce que je viens de dire mainte-
nant relativement à l’autruche , mais elle n’est
pas néanmoins entièrement détruite, puisqu’on sait
Ique l’autruche court avec une extrême vitesse, et
vole même le long de la terre; ce qu’il ne sauroiî
I
488 DELA ST R UC T. DES OS
faire, si leCréalenr n’avoit pas considérablement
diminué son poids, en lui donnant cette adjnira-
ble strucline. Ceci deviendra plus clair encore si
l’on se rappelle ce que le comte de BulTon dit d’a-
près M. Martine (i), que la chaleur naturelle des
oiseaux est bien plus grande que celle de l’homme,
et qu’elle doit par conséquent rendre l’air dans
toutes les cavités des os sensiblement plus léger
que celui de notre atmosphère. Le casoar, dont la
course n’est pas rapide, n’a pas les os des cuisses
et des bras, etc., vides, ainsi que je l’ai déjà re-
marqué.
Les bécasses , les hirondelles de mer et les moi-
neaux n’ont pas les os des bras et des cuisses vides.
Les plumes de la queue de ces oiseaux paroissent
réparer ce défaut; d’ailleurs, ces oiseaux ne vo-
lent ni fort haut , ni fort long-tems de suite.
Par ces mêmes raisons, je ne puis me détermi-
ner à abandonner mes conjectures, pour adopter
celles deM. John ïlunter; « Que toutes ces cavités
« ne sont que des appendices des poumons, et qu’on
« ne doit les considérer que comme des réservoirs
« d’air. »
Franeker , le i5 janvier 1775.
(1^ Suppl, tom. I , P ag. 84 , note C.
DANS LES OISEAUX.
489
SUPPLÉMENT
Au mémoire sur la structime des os des oiseaux.
§• I- ^ ANS ma lettre aux éditeurs des Heden-
daagsche V^aderlandsche Letteroeffeningen , j’ai
déjà observé (1) qu’il y a un grand trou aerien au
côté postérieur de l’os de la cuisse de l’autruche.
Je pense que le lecteur sera charmé de trouver ici
le dessin d’un pareil os, pris d’un jeune autruche,
et rendu avec une grande fidélité, quoique réduit
en petit.
La figure 11 de la jilanche XXXIV représente
l’os de la jambe droite vu par devant: A. est la
tête; B. le grand trochanter; D. et C. sont les con-
dyles qui sont réunis avec le tibia par des articu-
lations, auxquelles E. appartient aussi. Ilyaquel-
que chose qui n’est visdile qu’en partie, c’est l’é-
piphyse de la partie supérieure a. b. ; de même que
(1) Voyez page 4S4.
490 DE LA STRUCT. DES OS
c. cl. e. f. g. est l’épiphyse de la partie inférieure
de l’os de la jambe.
On voit clairement que de ce cdté-ci il n’y a point
de trou visible; mais au côté de derrière, où A. B.
C. D. et E. indiquent cette même partie dans la
fig. 12 de la pl. XXXÏV, on apperçoit fort distinc-
tement les grands trous aëi iens h. i. k. l. m. à la par-
tie supérieure , et q., à la partie inférieure, au-
dessus du cartilage C. et E. Ces trous étoient cou-
verts d’un périoste; de manière cependant que ce-
lui-ci laissoit d’assez grandes ouvertures pour que
l’air put passer en quantité suffisante dans les os.
Je dois ici beaucoup de remercimens au savant
M. Bloch , médecin à Berlin , pour la réception
amicale qu’il m’a faite pendant mon séjour dans
cette ville , et pour l’envoi qu’il a bien voulu me
faire d’une outarde mâle {otis , gen. g5, sp. edit.
X Linn.) A l’os creux de la jambe de cet oiseau
il y a un trou aérien remarquable, mais exacte-
ment au-dessus du grand ti'ochanter ; il paroît donc
que la situation de ce trou varie beaucoup dans
plusieurs oiseaux, quoiqu’il se trouve, à la vérité,
presque toujours au côté antérieur de l’os.
Dans le faisan couronné des Indes ( coluinha ,
Linn. , gen. io4, sp. 17 ) , j’ai trouvé de même l’os
de la jambe rempli d’air, et le trou aérien placé
sur le devant de l’os, comme dans l’aigle, la ci-
gogne, le coq de bruyère, etc.
DANS LES OISEAUX.
491
Dans une spatule ( plataha ^ gen. 80, sp. 1,
Linn.) , qui avoit été tlisséquée rhiver précédent,
'* les os des jambes étoient totalement remplis de
'• moelle. 11 étoit remarquable qu’entre les muscles
* du coccix (gïutei) il y eut deux grandes poches
■f aériennes, qui ressembloient à celles qui sont en—
l' Ire les muscles pectoraux, lesquels étoient aussi
fort considérables. L’air pénétroit jusque dans tous
I les os de la poitrine et du ventre, de même que
I dans les os des cuisses et de l’os sacrum.
i §. II. Quoique les trous par le moyen desquels
I l’air pénètre dans la mandibule inférieure des oi-
I seaux terrestres , aient été suffisamment décrits
ji dans ladite lettre (1), je crois qu’il est nécessaire
I de me faire mieux comprendre à cet égard , par
I les dessins de ces parties : j’ai donc , dans la fig.
i5 de la pl. XXXIV représenté la mandibule in-
férieure d’une autruche et dans la fig. i4 celle de
la troisième espèce de calaos (^huoeros , gen. y4^
Linn. ) , ainsi que celle de la quatrième espèce de
calaos, dans la fig. 10. La fig. 16 représente la
mandibule inférieure toute entière d’une corneille
! mantelée {cornix , gen. 5o, sp. 5, Linn.). Dans la
I fig. 17 on volt la mandibule inférieure d’un héron
; ( ardeciy gen. 84 , «ji. i 2 ). Toutes ces mandibules
(i) Voyez page 4BG.
4g2 DE LA STRUCT. DES OS
sont de grandeur naturelle et vues par en haut.
A. et B. dans les fig. i3 et 17, mais A. D. dans^
les hg. i4, i5 et 16, sont les épiphyses intérieures
des extrémités de la mandibule inférieure. C. en
est la ])ointe; mais comme dans les fig. i4 et i5
les mandibules des calaos ont été tronquées, C. C.
y indiquent l’endroit où celle amputation s’est
faite.
r. indique dans toutes ces mandibules le trou
aérien, auquel est attaché le conduit qui vient de
l’intérieur de l’oreille , et qui reçoit l’air par les
conduits d’Eusiache.
La mandibule inférieure des oiseaux aquatiques,
tels que le cigne, les canards, l’oie, les pingoins
et autres semblables, ne reçoivent -absolument
point d’air, non plus que les autres os de la tête.
11 paroît que la nature a voulu par-là rendre leur
tête plus propre à plonger.
III. Quoique rien ne soit plus aisé à démon-
trer que la manière dont l’air s’introduit dans tous
les os qui entoui'ent la cavité de la poitrine, il me
parut cependant difficile à deviner comment l’air
peut remplir toutes les vertèbres du cou jusqu’à la
tête.
En disséquant, le 24 novembre de l’année der-
nièreiySo, la spatule, je découvris fort évidem-
ment un conduit d’air qui de la cavité antérieure
DANS LES OISEAUX. 405
de la poitrine passoit le long de toutes les vertè-
bres du cou jusqu’à la tête. L’oiseau étoit trop gras
pour qu’il me fut possible de suivre ses autres con-
duits aeriens.
Le novembre , je fis tuer un héron , dans le-
quel je découvris trois conduits aeriens, qui par-
toient du côté antérieur de la plèvre. Un de ces
conduits passoit par devant le long des vertèbres
du cou , comme dans la spatule, et deux latérale-
ment entre les muscles intertransversaires, c’est-
à-dire, qui se trouvent placés entre les apophyses
transverses des vertèbres. Chaque vertèbre prend
e une branche de ces conduits et se remplit d’air
par ce moyen. Mais je n’ai pas pu ‘découvrir encore
comment l’air peut s’introduire jusque dans la
dure membrane qui enveloppe la moelle alongée.
Il est probable que pour cela il fau droit faire des
injections avec du mercure, tant sur les côtés de
la poitrine que le long du cou , etc. Mais cela
demanderoit les recherches non d’une seule per-
sonne mais de plusieurs. En attendant que cela se
fasse , je vais , en forme de récapitulation, résumer
avec une espèce de conviction ce que j’ai dit plus
haut.
1°. Que l’air pénètre, dans les oiseaux, par le
nez entre les lames osseuses du front et le vomer,
comme dans l’autruche, la corneille mantelée, le
héron et autres semblables oiseaux.
4g4 DE E A s T n U C T. DES os
2'^. Que le crâne el toute la mandibule infé-
rieure reçoivetil l’air par les trompes d’Eustache.
5°. Que les vertèbres du cou reçoivenl l’air par
les trois conduits de la cavité antérieure de la poi-
trine, dont ]’ai parlé plus haut. I
4*^. l'ous les os autour.de la poitrine et du ven-
tre ont de grands trous qui aboutissent intérieu-
rement dans la plèvre , et qui admettent facilement
l’air aspiré ])ar la trachée-artère.
5°. Les os des bras et les jmches aériennes qui
se trouvent entre les muscles pectoraux reçoivent
Fair immédiatement de la cavité de la poitrine par '
les vaisseaux brachiaux.
6°. Les os de la cuisse reçoivent l’air, par des con- ,
duils membraneux, de la plevre ou des trous aë- |
riens qui vont de dessus les intestins jusqu’aux os des ,
hanches: ceux-ci sont de même accompagnés des
vaisseaux cruraux. Ils ont quelquefois la forme de |
grandes vessies entre les muscles coccigiennes ,
ainsi que je l’ai observé dans la spatule.
Il se pourroit que la même chose eut lieu dons
l’autruche et dans d’autres oiseaux. Peut-être y
a-t-il par derrière des poches aériennes qui vont
en descendant par dessous le muscle crural. Mais
j’avois tant à observer dans la dissection de ce grand
et rare oiseau, relativement aux jeux, aux pieds,
aux intestins, etc., quhi rae fut impossible de tout
examiner avec le soin convenable.
DANS LES OISEAUX.
495
j 7°. Les oiseaux aquatiques ne paroissent pas
I avoir d’air dans la charpente osseuse de la tête, ni
I même dans leurs autres os.
I 8®. Quelques oiseaux , tels que les bécasses (m5-
i ticiila ou holopax , gen. 86, sp. 6) et autres sem-
blables , n’ont absolument point d’air dans leur
; charpente osseuse , et volent cependant loin et fort
long-tems. Mais dans tous ces oiseaux les muscles
pectoraux sont assez forts pour un pareil vol , et
l’apophyse de l’os sternum est très-grand,
j Ou voit aussi dans les chauve-souris que la na-
I ture compense la grande pesanteur qui résulte de
I la moelle des os , en opposition de l’air , par la
force des muscles qui meuvent les ailes, et par la
I grandeur des ailes mêmes.
§. IV. Quoiqu’il en soit, je fus fort satisfait
I lorsque j’apperçus que les pennes primaires de l’ai-
: gle sont creuses jusqu’au bout. J’ai remarqué la
) mêmeVhose aux pennes primaires du héron et de
I la spatule; et il y a lieu de croire que cela a éga-
I lement lieu dans plusieurs autres oiseaux.
Une observation qui me semble digne des natu-
I ralistes, seroit de savoir comment l’air s’introduit
i dans ces pennes, et pénètre dans les tuyaux des plu-
mes de tous les oiseaux? comment enfin il parvient
dans les piquans du j)orc-épic, etc. ? 11 est certain
qu’il n’y a point de conduils aériens qui y aillent
4g6 DE LA s T R U C T. DES OS, ETC.
de la poitrine. De cjuelle manière cela s’opèré-t-il
donc? Il est probable qne ce sont les vaisseaux
sanguins qui y conduisent l’air; de même que nous
voyons que les plantes portent l’air dans leurs con-
duits aeriens? Quoiqu’il en soit, il paroît que la
nature a voulu nous faire un mystère de cette ad-
mirable propriété; et, malgré que le célèbre Pou-
part (i) ait fait quelques essais pour en découvrir
le mécanisme , et que Perrault en parle (2) dans sa
description de l’autruche, tous les autres natura-
listes n’ont pas moins gardé le silence sur ce point
impartant et obscur.
(1) Hùt. de V Acad, royale des sciences, année 1(199, p« 56
(a) Mém- pour servir à l'hisc. nat. des anim., part. 11, pag, 27a.
FIN DU XR/OISIEME VOLUME.
TABLE DES PIÈCES
CONTENUES
DANS CE VOLUME.
LEÇONS SUR L’ÉPIZOOTIE.
Préface y 7
PREMIÈRE LEÇON.
Des principaux vaisseaux sanguins du cou, des
jambes de derrière et de devant des bêtes à
cornes , et de la position naturelle de leurs in-
testins dans le ventre ^
SECONDE LEÇON.
Des quatre estomacs en patticulier , du foie ^
de la rate , etc. ainsi que des viscères de la
poitrine f 5 s
III.
32
498
TABLE
TROISIÈME LEÇON.
De la rumination des animaux purs et impurs ^
et particulièrement des bêtes à cornes ^ 4g
QUATRIÈME LEÇON.
Histoire , nature ^ symptômes et guérison de
V épizootie actuellement régnante ^ 76
Explication des planches , i4o
Supplément aux Leçons sur Vépizootie , 147
à V article de la mesure des mâchoi-
res de certains animaux , i54
Lettre adressée aux Etats-Généraux des Pro-
vinces-Unies J i58
De Vinoculation de V épizootie ^ de ses avanta-
ges et des précautions qu^elle demande , 178
Examen dhin passage de ^instruction de sa
majesté prussienne de i'j65 y relativement à la
décomposition des peaux des bêtes à cornes ,
187
Des vers pulmonaires , igo
Du bilzucht , ou des tumeurs qui surviennent
aux cuisses des jeunes veaux , 199
Du véiiin {^t fenyn^ , 309
DES PIÈCES. 499
DE L’EDUCATION PHYSIQUE DES ENFANS.
Epitre dèdicatoire à MM. les directeurs et mem-
bres de la Société des sciences de Harlem^ 217
CHAPITRE I.
De la procréation des enfans , 22.3
CHAPITRE II.
Des soins cpdil faut prendre des nouveaux-nés,
227
CHAPITRE III.
De la nourriture des enfans , 2 19
CHAPITRE IV.
De V instruction des enfans , 270
CHAPITRE V.
Des défauts naturels aux enfans , 277
CHAPITRE VI.
S’il faut inoculer les petits enfans^ 294
5oo
TABLE
DISCOURS LUS A l’aCAD. DE DESSIN.
Préface de V éditeur ,
299
Deux discours sur la manière dont les dilFérentes
passions se peignent sur le visage,
3o5
Premier discours
ibid.
Second discours ,
319
Deux discours sur l’analogie qu’il y
a entre la
structure du corps humain et celle des quadru-
pèdes, des oiseaux et des poissons,
3s5
Premier discours ,
327
Second discours ,
347
Du Beau physique , ou de la Beauté des formes, Sy i
DE LA GÉNÉRATION DU PIPA, OU
CRAPAUD
d’amérique.
423
Explication des planches , >
, 437
observations sur le chant ou COASSEMENT
DES grenouilles MALES,
443
Explication des planches.
454
DES PIÈCES.
5oi
DE^LA STRUCTURE DES OS DANS LES OISEAUX , 457
Explication des planches, 4yi
Lettre sur le même sujet , adressée aux éditeurs
d’un journal littéraire z?zifiYM/eHedendaagsche
Vaderlandsche LetteroefFeningen , 4y4
Supplément au mémoire sur la structure des os
des oiseaux 3 489
FIN DE
L A
TABLE.
ERRATA;
•W**
3o ligne
1 5 Sont placés , lisez est placé.
5i
4 placés , lisez placé.
96
21 lié, lisez liée.
166
i5 peu , lisez pu.
1 82
6 inoculées, lisez inoculés.
>94
1 3 de la note , répondoit , lisez répondit.
264
24 jAi, lisez j’aie;
^79
22 evec, lisez avec.
307
r les , lisez le.
ibid.
2,1 atrocees, lisez atroces.
338
6 observatiens , lisez observations.
38o
20 et qui de plus est , lisez et qui plus est.