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Full text of "Oeuvres de Pierre Camper :"

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https  ://archive.org/details/oeuvresdepierrec31  camp 


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OE  U V R E S 

DE  PIERRE  CAMPER. 


TOME  TROISIÈME. 


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OEUVRES 

DE  PIERRE  CAMPER, 

QUI  ONT  POUR  OBJET 

L’HISTOIRE  NATURELLE, 
LA  PHYSIOLOGIE 
ET  L’AJNATOMIE  COMPARÉE. 

TOME  TROISIÈME. 


A PARIS, 

CHEZ  H.  3.  3ANSEN,  RUE  DES  POSTES,  N».  6, 
PRÈS  DE  l’estrapade. 


AN  XI, 


I 8 O 5. 


LEÇONS 

SUR  L’ ÉPIZOOTIE 

QUI  RÉGNA 

DANS  LA  PROVINCE  DE  GRONINGEN 


EN  1769. 


PREFACE. 


ERS  la  fin  de  1768  Fépizootie  se  déclara  dans 
la  province  de  Groningen , particulièrement  dans 
le  district  de  la  ville  de  ce  nom,  mais  surtout  dans 
le  village  de  Haren;  et,  se  propageant  insensible- 
ment, enleva,  pour  ainsi  dire,  toutes  les  bêtes  à 
cornes  du  village  de  Helpen.  Dès  ce  moment,  tous 
les  habitansbien intentionnés  de  ces  cantons, ainsi 
que  les  magistrats  de  la  capitale,  songèrent  sincè- 
rement à en  arrêter  les  progrès.  Un  des  principaux 
membres  de  la  magistrature  fît  à M.  Van  Doeve- 

O 

ren , mon  collègue , et  à moi , l’honneur  de  nous 
consulter  sur  les  moyens  de  diminuer  les  ravages 
de  ce  terrible  fléau , et  d’en  délivrer  même  entiè- 
rement ce  pays,  s’il  étoit  possible.  Je  crus  dès-lors 
qu’il  étoit  démon  devoir  d’employer  tous  mes  soins 
à connoître  la  nature  de  l’épizootie,  et  j’j''  consa- 
crai en  conséquence  les  vacances  d’hiver. 

Après  avoir  acquis  les  connoissances  nécessaires, 
par  la  lecture  des  meilleurs  auteurs  qui  ont  écrit 
sur  cet  te  matière,  ainsi  que  par  mes  propres  obser- 
vations sur  les  principaux  symptômes  de  cette  ma- 
ladie, et  l’ouverture  d’un  grand  nombre  de  hes- 
liaux  qui  en  étnient  morts,  j’en  conciliai:  que 


8 


PRÉFACE, 


l’épizootie  est  une  maladie  naturalisée  dans  ce  pays, 
qui  doit  continuer  à y régner  tantôt  avec  plus  et 
tantôt  avec  moins  de  violence  5 de  même  que  nous 
savons  que  cela  a lieu  avec  la  petite  vérole  parmi 
les  hommes. 

Ces  considérations  me  firent  croire  qu’il  ne  se- 
roit  pas  inutile,  de  donner  quelques  leçons  pu- 
bliques sur  la  structure  interne  des  bêtes  à cor- 
nes, et  d’y  joindre  l’histoire  de  la  maladie  même, 
ainsi  que  tout  ce  qui  pourroit  me  paroître  néces- 
saire pour  pénétrer  mes  élèves  de  l’idée  qu’il  est 
du  devoir  d’un  médecin  de  veiller  non-seulement 
à la  santé  de  ses  concitoyens  5 mais  qu’il  lui  est  éga- 
lement imposé  de  donner  ses  soins  à tous  les  ani- 
maux utiles  à la  société,  tels  que  boeufs,  chevaux, 
moulons , etc. 

Je  me  flattois  que  mon  exemple  serviroit  à sti- 
muler les  jeunes  médecins,  parmi  lesquels  il  y 
en  avoit  déjà  plusieurs  d’un  mérite  distingué;  et 
que,  par  là  , je  rendrois  un  véritable  service  à ma 
patrie 

L’assiduité  avec  laquelle  les  principaux  liabitans 
de  cette  ville  se  rendoient  à mes  leçons  sur  l’ana- 
tomie, et  le  désir  que  plusieurs  d’entr’eux  témoi- 
gnoient  de  s’instruire  de  tout  ce  qui  a quelque  rap- 
port à l’épizootie,  me  détermina  à inviter  les  pro- 
moteurs des  connoissances  utiles  en  général  , et  de 
l’anatomie  en  particulier , à se  rendre  à mes  le- 


PRÉFACE. 


9 

çons  publiques;  ce  que  je  fis  par  le  programme 
suivant  : 

Q.  F.  F.  Q.  S. 

Saviente  cum  maxime  Peste  Bovilla 

Ut  rerum  N ataralium  Studiosi  rationem  inorhiy 
partesque  dirissima  contagione  adfectas  , 
melius  inelligant , 

IN 

VITU  LINO  CAD  AV  ERE 

Intestina , et  prasertim  quæ  ruminandi  facul- 
tatem , et  artijîciiim  hoc  morbo  plaîie 
conturhatum  spectant  y 
etc. 

Le  succès  passa  mon  attente  : Pamphilhéàlre 
d’anatomie  se  trouva  plein;  ce  qui  ne  fit  qu’ac- 
croître mon  zèle,  ne  m’étant  point  flatté  d’avoir 
un  auditoire  aussi  nombreux,  aussi  respectable.  Je 
donnai  tous  les  soins  que  me  permit  le  peu  de 
teins  qui  me  restoit,  aux  leçons  qu’on  va  lire;  qui 
toutes  cependant  furent  lues  en  quatre  jours.  J’a- 
voue que  , quoiqu’accoutumé  depuis  long-tems  à 
parler  en  public,  je  ne  me  suis  jamais  trouvé  plus 
fatigué,  ni  en  même  teins  plus  rempli  de  courage; 
tant  est  puissante  la  présence  de  personnes  res- 
pectables par  leurs  talens  et  par  leur  mérite? 


lO 


PRÉFACE. 

On  daigna  me  donner  ensuite  quelques  éloges  , 
et  m’inviter  à faire  imprimer  ces  leçons.  Mes  élè- 
ves surtout,  qui  assistoient  régulièrement  à mes 
démonstrations  anatomiques,  me  le  demandèrent 
avec  instance.  Flatté  de  tous  ces  témoignages  d’ap- 
probation , je  commençai  à concevoir  moi-même 
une  idée  favorable  de  mon  travail.  On  sait  que  c’est 
l’araour-propre  qui  détermine  généralement  nos 
actions;  je  résolus  donc  enfin  de  publier  ces  qua- 
tre leçons,  après  les  avoir  revues  (i). 

Cependant  les  cours  continuels  que  j’étois  obli- 
gé de  tenir  à l’académie  sur  l’anatomie  et  la  chi- 
rurgie , pendant  les  mois  de  mars , d’avril  et  même 
de  mai,  ne  me  permirent  pas  d’y  mettre  la  der- 
nière main. 

Je  n’étois  pas  satisfait  d’ailleurs  de  ce  que  M.  de 
Buffon  avoit  dit  des  dents  et  des  molaires  du  cbe- 
vrotain  ; je  l’étois  moins  encore  des  observations  de 
Perrault  sur  les  estomacs  de  la  gazelle.  Je  ne  pos- 
sédois  aucun  de  ces  animaux  dans  mon  cabinet 
d’histoire  naturelle.  M.  Van  Doeveren  me  fit  pré- 
sent d’un  jeune  chevrotain  , et  M.  Van  der  Wal 
d’Amsterdam  engagea  M.  Sprenkelman  à me  don- 
ner mie  jeune  gazelle. 

J’avois  dit  publiquement,  en  m’en  rapportantà 


(i)  Ces  leçons  ont  été  lues  publiquement  à l’arapliitliéâtre  d'ana- 
tomie de  la  ville  de  Groningen. 


PRÉFACE.  H 

Perrault,  « que  le  gazelle  n’a  que  deux  estomacs; 
« et  que  le  clievrotain  a des  molaires,  comme  étant 
((  un  animal  arrachant,  » parce  queBuffon  m’avoit 
induit  en  erreur  à cet  égard. 

Immédiatement  après  avoir  lu  ces  leçons  je  son- 
geai plus  que  jam.ais  à faire  des  essais  d’inocula- 
tion sur  les  bestiaux.  Je  pensai  qu’il  étoit  nécessaire 
de  former  pour  cela  une  société , et  communiquai 
mon  projet  à quelques  personnes  de  mes  amis,  qui 
y donnèrent  leur  sanction.  Je  crus  dès-lors  devoir 
publier  mes  idées  sur  cet  objet,  après  avoir  engagé 
mon  respectable  collègue  M.  Van  Doeveren  à se- 
conder mes  vues;  ce  qu’il  accepta  avec  empresse- 
ment. Ayant  fondé  cette  société  le  i6  mars  1769, 
nous  eûmes  la  satisfaction  de  la  voir  bientôt  com- 
posée d’un  nombre  assez  considérable  de  membres, 
comme  on  le  verra  par  la  suite,  quand  il  sera  ques- 
tion des  essais  que  nous  avons  faits. 

Depuis  le  28  avril  jusqu’au  2 juin  je  n’avois  ino- 
culé dans  les  étables  de  la  société  que  quatorze  bes- 
tiaux; de  sorte  que  ces  épreuves  se  faisoient  avec 
trop  de  lenteur. 

A mon  arrivée  en  Frise , je  trouvai  que  la  mor- 
talité régnoit  avec  beaucoup  de  fureur  principale- 
ment du  côté  des  bois;  tandis  qu’elle  avoit  presque 
entièrement  cessé  dans  la  province  de  Groningen  ; 
de  manière  que  je  commençai  à craindre  que  je  ne 
pourvois  rien  faire  d’utile  pour  la  province  de 


12 


PRÉFACE. 


Frise  , ce  qui  néanmoins  étoit  mon  principal  but. 

Quelques  personnes  respectables  m’interrogèrent 
sur  la  réussite  de  mes  expériences;  mais  je  n’étois 
pas  encore  en  état  alors  de  rien  statuer  de  certain. 
D ailleurs,  la  petitesse  de  notre  étable  et  nos  occu- 
pations à Groningen  ne  nous  permettoient  pas  d’es- 
pérer de  pouvoir  communiquer  bientôt  nos  obser- 
vations au  public. 

Je  formai  doncle  projet  d’inoculer  le  plutôt  pos- 
sible cent  veaux  d’un  an  dans  l’endroit  où  la  conta- 
gion régnoit  actuellement.  M.  le  médecin  Munniks 
s’olfrit  de  mettre  tousses  soins  aux  essais  que  je  ju- 
gerois  convenables  de  faire,  et  dont  ilm’avoit  déjà 
vu  exécuter  la  plus  grande  partie.  Persuadé  de  son 
zèle  et  de  sa  laborieuse  patience , par  les  preuves 
qu’ilm’en  avoit  données  pendant  qu’il  étoit  mon  élè- 
ve à Groningen  , j’acceptai  avec  plaisir  sa  proposi- 
tion. Je  formai  donc  mon  plan,  et  crus  n’avoir  besoin 
que  de  deux  mille  florins,  que  je  divisai  en  quarante 
actions  de  cinquante  florins  chacune.  Je  ne  tardai 
pas  à recevoir  la  souscription  de  vingt  actions; 
et  cette  société  formée  pour  la  Frise  seule  fut  éta- 
blie le  i6  juin.  Le  zèle  s’accrut  à tel  point,  qu’en 
très -peu  de  tems  je  vis  non  - seulement  les  qua- 
rante actions  remplies,  mais  il  se  présenta  encore 
vingt  nouveaux  souscripteurs  vers  le  milieu  de 
juillet;  de  sorte  que  la  société  se  trouva  avoir  trois 
raille  florins  en  caisse. 


i3 


PRÉFACE. 

Le  but  principal  de  la  société  étoit  de  faire  con- 
ïioître  avec  assez  d’exactitude  par  des  essais  sur  un. 
grand  nombre  de  veaux  d’un  an:  i°.  La  propor- 
tion qu’il  y auroit  entre  les  bestiaux  guéris  et  ceux 
quiviendroient  àmourir;  2”.  d’examinersi  lesbes- 
tiaux  guéris,  étant  placés  parmi  Ceux  qui  étoient 
naturellement  malades,  ou  inoculés  une  seconde 
fois  , se  trouveroient  de  nouveau  attaqués  de  la 
maladie  contagieuse  ; 5°.  si  l’on  pourroit  em- 
ployer avec  fruit  quelques  remèdes,  particulière- 
ment les  herbes  médicinales  qui  croissent  naturel- 
lement par-tout  dans  ce  pays? Mon  intention  étoit 
de  ne  pas  faire  de  choix  dans  la  matière  varioli- 
que , afin  de  me  rapprocher  le  plus  possible  de  l’é- 
pizootie naturelle. 

Cependant  l’augmentation  de  mille  florins  que 
venoit  de  recevoir  notre  caisse,  nous  procura  les 
moyens  de  donner  plus  de  latitude  li  nos  essais. 
Je  me  déterminai  en  conséquence  à inoculer  des 
vaches  laitières  et  des  génisses  ou  des  vaches  qui 
portoient  pour  la  première  fois , ainsi  que  des  veaux 
quiruminoient  déjà,  dépensai,  que,  par  mes  épreu- 
ves sur  les  premières  je  travaillerois  pour  l’avenir, 
et  quepar  celles  sur  les  veaux,  je  serois  utile  pour 
le  moment  actuel.  Je  crus  aussi  qu’il  falloit  varier 
les  manières  d’inoculer,  afin  de  savoirs!  elles  con- 
venoient  mieux  que  celles  que  d’autres  avoient  in- 
diquées. Je  me  déterminai  également  à inoculer 


i4 


P 11  K F A C E. 


de  nouveau  des  bêtes  qui  avoient  déjà  été  guéries 
de  l’épizootie  naturelle.  Tous  ces  essais  n’avoient 
pour  but  que  d’acquérir  des  connoissances  dans 
Tart  de  guérir  le  bétail. 

Les  soins  constans  que  je  donnai  à un  objet  de 
cette  importance,  la  lecture  répétée  des  principaux 
écrivains  qui  ont  traité  de  cette  matière  et  dont  le  | 
nombre  augmentoit  chaque  jourj  portèrent  mes 
réflexions  sur  l’influence  que  l’épizootie  a sur  les 
manufactures  et  sur  la  nature  des  ordonnances  et 
des  réglemens  du  gouvernement  publiés  tant  en 
1713  que  par  la  suite.  Autant  que  j’ai  pu  m’enap- 
perçevoir  l’utilité  des  citoyens  et  leur  bonheur  en 
ont  été  constamment  les  objets 5 mais  ils  n’ont  ja- 
mais été  appuyés  sur  l’expérience.  D’ailleurs  , les 
soins  prévoyans  qu’on  a employés  à cet  égard, 
quoique  ayant  pour  but  le  bien  général,  ont  été  i 
rendu  infructueuxpar  le  caprice  deshabitans  : aussi 
faut-il  convenir  que  la  nature  de  ce  pays  ne  per- 
met point  de  se  soumettre  à toutes  les  restrictions 
qu’on  vouloit  imposer. 

Après  avoir  parlé  des  expériences  faites  pour 
opérer  la  guérison,  j’examinerai  : 1°.  si  les  peaux 
des  bêtes  mortes  de  l’épizootie  peuvent  réellement 
communiquer  la  contagion  , et  combien  de  tems 
agit  cette  vertu  morbifique?  2“.  Si  le  suif  et  la  chair 
de  ces  bestiaux  sont  contagieux  , et  pendant  quel 
espace  de  tems  cela  dure  après  leur  mort?  5®.  En- 


PRÉFACE. 


i5 


fin  , si  la  viande  salée  ou  fumée  peut  communi- 
quer la  maladie  à ceux  qui  en  mangent  ? Je  pense 
que  ces  considérations  pourront  être  favorables  aux 
manufactures,  et  à tout  ce  qui  en  dépend;  et  peut- 
être  même  les  magistrats  de  ce  pays  pourront-ils 
en  tirer  quelque  avantage. 

Je  publierai  le  plutôt  qu’il  me  sera  possible  le 
résultat  de  ces  expériences,  avec  toute  la  franchise 
qui  convient;  afin  que  les  Frisons  qui  ont  été  les 
seuls  à les  encorrager,  et  dont  le  bétail  se  trouve 
si  cruellement  attaqué  de  l’épizootie,  puissent  re- 
cueillir le  fruit  de  leur  générosité  et  de  leur  zèle 
pour  le  bien  de  leurs  concitoyens. 

MM.de  BlokVanScheltinga,Idema  et  le  médecin 
Coopmans  ont  procuré  à M.  Munniks  les  moyens 
de  multiplier  ces  essais,  en  lui  faisant  passer  des 
bestiaux  pour  les  inoculer  ; et  M.  G.  L.  Steens- 
ma  de  Midlum  s’est  joint  à eux  pour  le  même  ob- 
jet; ce  qui  ne  peut  servir  qu’à  encourager  le  zèle 
de  quelques  autres  personnes  à faire  les  mêmes 
expériences,  et  par  conséquent  à leur  donner  un 
degré  de  certitude  qui  servira  à faire  connoître  si 
l’inoculation  de  l’épizootie  doit  être  considérée 
comme  avantageuse , ou  s’il  est  à craindre  que  ses 
effets  soient  nuisibles. 

Avant  de  terminer  cette  préface,  je  dois  obser- 
ver que  ce  n’est  que  long-tems  après  avoir  lu  et 
corrigé  ces  leçons,  que  j’ai  eu  connoissancede  l’ad- 


r R É F A C E. 


l6 

mirable  ouvrage  de  M.  Elko  Alla,  publié  en  ij65^ 
ce  qui  me  lâche  d’autant  plus,  qu’il  avoit , comme 
moi,  conclu  d’un  grand  nombre  d’observations 
( page  1']  ) , que  cette  maladie  s’étoit  naturalisée 
dans  ce  pays,  et  que  c’étoit  une  véritable  épidé- 
mie. Cet  estimable  écrivain  a pareillement  prouvé 
l’utilité  de  l’inoculation  , qu’il  a pratiquée  lui-mê- 
me le  premier  en  Frise.  Depuis  j’ai  eu  la  satisfac- 
tion de  faire  sa  connoissance  et  de  tirer  de  gran-^ 
des  lumières  des  entretiens  que  nous  avons  eu  en- 
semble sur  cet  objet. 

J’olfre  cet  ouvrage  au  public,  non  comme  un 
traité  complet  sur  l’épizootie,  mais  comme  un  es- 
sai sur  les  principales  connoissances  nécessaires 
pour  parvenir  à se  former  une  idée  exacte  des  par- 
ties de  l’animal  qui  sont  les  plus  affectées  par  la 
maladie,  ainsi  qu’une  histoire  concise  de  la  con- 
tagion elle-même. 

Le  i4  août  1769. 


P.  CAMPER. 


LEÇONS 

SUR  L’ÉPIZOOTIE. 


PREMIÈRE  LEÇON. 

.5 

Des  principaux  vaisseaux  sanguins  du  cou,  des 
jambes  de  derrière  et  de  devant  des  bêtes  d 
cornes  , et  de  la  position  naturelle  de  leurs  in- 
testins dans  le  ventre. 

\ 

i Peut-on  être  surpris,  messieurs,  que  je  vous 
f aie  invité  à venir  entendre  ces  leçons  publiques  sur 
! la  structure  des  parties  affectées  par  la  déplorable 
ü maladie  qui  l'ègne  sur  nos  bêtes  à cornes  ? tandis 
[ que  nous  nous  trouvons  tous  intéressés  à leur  con- 

ii  servation  ; et  que  d’ailleurs , sensibles  aux  malheurs 
l de  nos  concitoyens,  nous  sommes  naturellement 
( poi'tés  à employer  tous  les  moyens  qui  peuvent 
■ contribuer  à augmenter  la  prospérité  de  Tétât. 

Les  bêtes  à cornes  nous  donnent  non -seulement 


1 1 1. 


2 


j8 


LEÇONS 

du  lait»  du  fromage,  du  beurre,  de  la  viande, 
du  suif,  des  peaux  , du  poil , des  cornes,  delà 
colley  mais  en  même  lems  toutes  sortes  de  légu- 
mes , et  surtout  des  grains  , pour  autant  que  leur 
fumier  est  nécessaire  à l’engrais  de  nos  champs. 
On  sait  d’ailleurs  que  la  plus  grande  partie  du  ter- 
rain de  la  République  est  destinée  à des  pâtura- 
ges, où  l’on  voit  avec  ravissement  des  millions  de 
bestiaux  , dont  il  n’y  en  a nulle  part  ni  d’aussi 
beaux,  ni  d’aussi  abondans  en  lait.  Toutes  les  clas- 
ses de  citoyens  jouissent  parmi  nous  de  cet  inesti- 
mable trésor  j des  milliers  même  n’ont  pas  d’autre 
richesse,  ni  d’autre  moyen  d’exister:  ceux-ci  doi- 
vent donc  craindre  de  se  voir  réduits  à la  plus  ex- 
trême misère,  si  cette  terrible  épizootie  continue 
à nous  enlever  la  plus  grande  partie  de  nos  bes- 
tiaux. 

Il  est  par  conséquent  du  devoir  de  tout  bon  ci- 
toyen de  chercher  à trouver  des  moyens  propres  à 
défendre  contre  la  contagion  des  bestiaux  qui  con- 
tribuent si  puissamment,  comme  je  l’ai  dit,  à no- 
tre existence  et  à notre  bien-être.  Mais  ce  devoir 
m’est  surtout  rigoureusement  imposé,  à cause  des 
sciences  que  je  suis  chargé  d’enseigner  à l’acadé- 
mie, lesquelles  ont  une  connexion  plus  intime  que 
celles  de  mes  collègues  avec  le  but  salutaire  dont 
il  est  question. 

Je  ne  regretterai  point  le  tems  que  j’ai  déjà  em- 


SUR  ÉPIZOOTIE.  10 

ployé  et  que  je  me  propose  de  consacrer  encore 
à faire  des  recherches  sur  celte  funeste  maladie,  si 
par-là  je  parviens  à seconder  vos  sages  vues  , en 
vous  aidant  à découvrir  les  causes  de  ce  fléau.  Ces 
essais  serviront  du  moins  à exciter  le  zèle  des  élè- 
ves en  médecine,  dont  les  efforts  seront  peut-être 
plus  heureux  , en  suivant  la  marche  que  je  leur 
aurai  tracée.  Cet  espoir  flatteur  me  remplit  déjà 
d’avance  de  la  plus  douce  satisfaction. 

Mais  taudis  que  des  personnes  distinguées  par 
leur  mérite  personnel  veulent  bien  m’honorer  en 
ce  moment  de  leur  pi'ésence  et  encourager  mes 
efforts,  ily  en  a certainement  d’autres  qui,  tou- 
jours mécontentes  de  tout  ce  qu’on  peut  entre- 
prendre pour  le  bien  général , ne  manquei'ont  pas 
de  dire  hautement  que  ces  essais  ne  sont  que  de 
vaines  et  inutiles  spéculations;  que  l’épizootie  est 
l’effet  d’une  juste  punition  de  Dieu  ! comme  si 
toutes  Les  maladies  dont  le  ciel  afflige  l’humanité 
ne  doivent  pas  être  considérées  comme  de  sembla- 
bles châtimens;  et  contre  lesquelles  cependant  ces 
déclamateurs  sont  les  premiers  à employer  les  re- 
mèdes connus.  Et  qui  parmi  nous  seroit  assez  dé- 
pourvu de  bon  sens  pour  ne  pas  croire  qu’il  est 
non-seulement  permis  de  chercher  à soulager  nos 
maux  ; mais  que  c’est  même  un  devoir  que  nous 
impose  la  nature? 

D’autres  prétendent  que  ce  n’est  qu’aux  fer- 


ao 


LEÇONS 


miers  et  aux  bouviers  seuls  qu’il  apparlient  de  cou- 
noîlre  par  expérience  ce  qui  peut  être  salutaire 
aux  bêles  à cornes  ; tandis  qu’on  sait  cej)endant 
que  la  plupart  d’entre  eux,  pour  ne  pas  dire  tous, 
ne  possèdent  nullement  les  connoissances  néces- 
saires pour  soigner  ces  bestiaux  d’une  manière  con- 
venable aux  intérêts  des  propriétaires. 

Mais  supposons  qu’on  abandonnât  aux  gens  de 
la  campagne  le  soin  de  traiter  le  bétail  pendant 
l’épizootie  5 quel  avantage  peut-on  attendre  de  per- 
sonnes qui,  malgré  leur  zèle  et  leur  attention  , sont 
incapables  d’avoir  quelque  idée  des  causes  et  des 
symptômes  de  celte  maladie? 

11  n’y  a que  les  médecins  seuls  qui  puissent  con- 
noître  le  siège  de  la  maladie,  sa  nature  et  ses  ca- 
ractères; et  parce  que  les  efl'oi'ts  de  plusieurs  d’en- 
tre eux,  tant  de  ce  pays  qu’étrangers,  parmi  les- 
quels on  compte  quelques  hommes  de  mérite  , ont 
paru  jusqu’à  présent  infructueuses  relativement  à 
sa  guérison,  faudra-t-il  pour  cela  l’abandonner  , 
ainsi  que  la  conservation  des  bestiaux  sains  , aux 
découvertes  fortuites  d’une  tourbe  ignorante?  ou 
bien,  nous  laissant  aller  au  désespoir,  resterons- 
îious  dans  l’inertie,  sans  chercher  à découvrir  des 
moyens  efficaces  pour  parer  à l’une  et  à l’autre  ? 

Je  sais  qu’un  zèle  religieux  mal-entendu,  que  la 
superstition , et  ce  qui  est  plus  méprisable  encore, 
une  basse  jalousie  , condamneront  les  efforts  que 


21 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 

nous  pourrons  faire,  et  qu’on  cherchera  même  à les 
rendre  infructueuses;  mais  je  suis  convaincu  aussi 
que  , d’un  autre  côté  , un  grand  nombre  de  per- 
sonnes bien  intentionnées  de  cette  ville  et  des  can- 
tons voisins  , voudront  bien  écouter  nos  conseils 
et  faire  les  sacrifices  nécessaires  pour  subvenir  à 
des  frais  dont  elles  pourront  non -seulement  re- 
cueillir elles-mêmes  les  fruits,  mais  qui  tourne- 
ront pareillement  à l’avantage  général  du  pays,  si 
nous  parvenons  un  jour  à trouver  quelque  spéci- 
fique contre  ce  cruel  fléau. 

La  plupart  de  ces  antagonistes  s’écrient  : Pour- 
quoi donc  n’extirpez -vous  pas  la  maladie  conta- 
gieuse par  vos  remèdes?  et  d’où  vient  que  les  sa- 
vans  de  l’Europe  entière  ne  sont  pas  parvenus  en- 
core à découvrir  les  moyens  d’arrêter  une  épidé- 
mie qui , dans  ce  siècle , a déjà  enlevé  tant  de  mil- 
lions de  bestiaux?  Mais  qui  est-ce  qui  ne  s’apper- 
çoit  pas  que  ces  objections  , quelques  captieuses 
qu’elles  puissent  paroître  d’abord  , sont  dépour- 
vues de  tout  fondement? 

Je  vais  confirmer  ce  que  je  viens  d’avancer  par 
une  comparaison.  La  petite-vérole  ne  règne-t-elle 
pas  depuis  plus  de  dix  siècles  dans  ces  contrées,  et 
n’y  a-t-elle  pas  enlevé  plusieurs  milliers  d’indivi- 
dus, avant  qu’on  fut  parvenu  au  degré  de  perfec- 
tion avec  lequel  on  traite  et  inocule  aujourd’hui 
cette  maladie?  Peut-être  y a-t-il  à peine  un  siècle 


22 


LEÇONS 


cju’on  a fait  des  progrès  réels  à cet  égard.  Il  est  con- 
nu que  les  arts  et  les  sciences,  nommément  ceux 
qui  ont  pour  objet  le  bien  de  la  société  en  géné- 
ral, ont  été  portés  à un  plus  haut  degré  de  per- 
fection depuis  l’institution  des  académies  et  des 
sociétés  savantes  , et  la  publication  d’un  grand 
nombre  de  journaux  littéraires  en  tout  genre. 

N’est-on  pas  parvenu  à faire,  depuis  trente  ans, 
plus  de  progrès  dans  la  guérison  du  virus  véné- 
rien qu’on  ne  l’avoit  fait  auparavant  pendant  deux 
siècles  et  demi , que  cette  affreuse  maladie  est  con- 
nue dans  ce  pays? 

Pourquoi  donc  , dans  le  tems  éclairé  où  nous 
vivons,  et  tandis  que  tant  d’hommes  instruits  et 
guidés  par  leur  amour  pour  le  bien  public,  s’ap- 
pliquent à la  guérison  de  l’épizootie,  n’espérerions- 
nous  pas  de  parvenir  à trouver  quelque  remède  ef- 
ficace contre  ce  mal;  tandis  qu’on  sait  que  ce  soin 
a été  abandonné  jusqu’à  présent  à des  personnes 
ignorantes  qui  n’ont  eu  recours  qu’à  des  moyens 
puérils  et  superstitieux,  ou  à de  prétendus  spécifi- 
ques vemïs  de  contrées  lointaines? 

Mais  en  supposant  d’ailleurs  toutes  choses  égales, 
personne  ne  pourra  nier,  je  pense,  que  la  connois- 
sance  de  la  disposition  des  parties  internes  des  bêtes 
à cornes  contribue  beaucoup  à l’avancement  de  la 
science  ; et  personne  non  plus  aura  assez  peu  de 
jugement  pour  vouloir  nier  que  par  cette  connois- 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  25 

sance  on  parviendra  plus  facilement  à distinguer 
et  le  siège  et  les  symptômes  du  mal. 

Voilà,  messieurs,  quel  est  l’objet  des  quatre  le- 
çons que  je  me  propose  de  vous  lire  sur  cette  im- 
portante matière.  Si  par-là  je  ne  parviens  point  à 
vous  faire  connoître  la  nature  de  l’épizootie,  ou  à 
vous  indiquer  les  moyens  de  la  guérir  j du  moins 
elles  vous  instruiront  à vous  former  une  idée  de 
la  structure  interne  d’un  animal  si  utile  à l’hom- 
me, sous  tous  les  rapports.  Elles  exciteront  certaine- 
ment votre  admiration  et  votre  respect  pour  l’Etre 
Suprême  qui  a formé  ces  viscères  et  ces  intestins 
(qui  d’abord  pourront  vous  paroître  un  objet  dé- 
goûtant ) avec  un  art  admirable  , qui  prouve  tout 
à-la-fois  et  sa  sagesse  infinie  et  sa  puissance  sans 
bornes  ! 

Je  me  suis  pour  cet  effet  procuré,  à mes  frais, 
un  veau  sain  et  bien  portant , pour  ne  pas  intro- 
duire inutilement  dans  cette  ville  un  animal  atta- 
qué de  la  maladie  contagieuse  ; et  je  l’ai  fait  étran- 
gler, afin  que  les  vaisseaux  sanguins  ou  d’autres 
parties  ne  se  trouvassent  pas  offensés,  et  fussent  par 
conséquent  rendus  inutiles  à l’objet  que  je  me 
propose. 

Nous  commencerons  par  examiner  le  cours  des 
vaisseaux  sanguins  , pour  bien  connoître  les  en- 
droits où  se  font  les  pulsations  , et  pouvoir  juger 
mieux  par-là  de  la  violence  de  la  fièvre.  J’indique- 


S4  LEÇONS 

rai  ensuite  les  viscères  et  les  intestins  du  ventre  et 
leur  véritable  situation  5 ce  qui  formera  le  sujet  de 
cette  première  leçon. 

Dans  la  leçon  suivante,  je  parlerai  au  long  des 
viscères  du  ventre,  et  particulièrement  des  quatre 
estomacs  , du  foie  , de  la  secrétion  du  fiel , de  la 
rate  et  des  intestins  ; pour  vous  entretenir  ensuite 
des  viscères  de  la  poitrine,  de  la  construction  de  la 
gorge  et  de  la  langue. 

La  troisième  leçon  sera  consacrée  entièrement 
à examiner  la  rumination  j et  la  quatrième  et  der- 
nière leçon  aiu’a  pour  objet  l’histoire  de  l’épizoo- 
tie, de  ses  accidens  et  de  ses  symptômes , ainsi  que 
la  meilleui'e  manière  d’opérer  sa  guérison. 

Je  vous  prie  d’encourager  mon  zèle  et  de  soute- 
nir mon  courage  dans  cette  pénible  entreprise  par 
la  mêrue  indulgence  et  la  même  flatteuse  attention 
avec  lesquelles  vous  avez  daigné  m’honorer  , de- 
puis cinq  ans,  dans  les  fonctions  que  j’exerce  ici. 

PREMIÈRE  DÉMONSTRATION. 

Voici  le  veau,  dont  le  cou,  la  poitrine,  le  ventre, 
les  quatre  extrémités  et  la  queue  sont  entièrement 
dépouillés  de  la  peau  , et  dont  tous  les  vaisseaux 
sanguins  se  trouvent  exposés  à nos  regards.  La  con- 
noissance  de  ces  parties  nous  est  absolument  né- 
cessaire pour  examiner  avec  fruit  les  pulsations , 


SUR  l’  É P I Z O O T I E.  25 

diaprés  les  observations  de  plusieurs  écrivains  cé- 
lèbres. 

La  plupart  des  observateurs  hollandois  , parmi 
lesquels  MM.  Noseman  , Tak  et  A.  Kool  se  sont 
principalement  distingués  , ont  examiné  le  pouls 
dessous  la  queue,  près  de  l’anus;  les  Italiens,  tels 
que  Lancisius,  l’ont  examiné  aux  artères  du  cou  , 
ou  du  far>on  , et  à ceux  des  aisselles.  Goelicke  , au 
conti’aire,  s’est  adressé  pour  cet  effet  au  coeur.  En 
examinant  ces  différentes  méthodes  , il  m’a  paru 
que  la  toux  , qui  est  un  des  symptômes  de  cette 
maladie,  ne  permet  souvent  pas  de  s’en  rapporter 
au  coeur  et  au  cou  , et  que  la  queue  de  la  plupart 
des  bêtes  malades  est  trop  mal  propre  pour  per- 
mettre d’y  faire  des  épreuves;  tandis  que  chez  d’au- 
tres il  est  absolument  impossible  de  trouver  le 
pouls  dans  cet  endroit.  Il  m’a  paru  qu’il  seroitplus 
facile  d’appercevoir  les  pulsations  à l’artère  de  la 
cuisse  et  à celle  du  bras,  surtout  pendant  que  les 
animaux  se  tiennent  tranquilles.  Cependant  l’ar- 
tère du  bras  devient  bientôt  inutile,  lorsque  l’ani- 
mal commence  à tousser.  Mais,  quelque  facile  qu’il 
soit  de  sentir  le  pouls  aux  vaches  , cela  est  fort 
mal  aisé  chez  les  boeufs,  parce  qi/étant  moins  ac- 
coutumés à être  sous  la  main  de  l’homme,  ils  sont 
plus  farouches,  surtout  pour  les  étrangers;  et  il 
est,  pour  ainsi  dire  , absolument  impossible  d’en 
venir  à bout  avec  les  jeunes  veaux  qui  sont  trop 


S6  LEÇONS 

impatiens  , à moins  que  quelque  personne  qu’ils 
sont  lial)ilués  à voir  ne  les  amuse  en  leur  grattant 
le  cou  ou  le  dos  , pour  les  faire  tenir  tranquilles. 

Observez  inaintenant  le  cou  ou  fanon,  et  voyez 
comment  les  deux  grandes  artères  se  trouvent  pla- 
cées un  ])eu  au-dessous  des  sterno-hyoïdiens , qui 
sont  fort  minces  et  qui  cèdent  facilement,  à côté 
de  la  trachée-artère,  dont  les  anneaux  paroissent 
un  peu  comprimés  latéralement , alin  de  leur  don- 
ner un  ])lus  libre  passage.  Or,  du  moment  qu’on 
porte  les  doigts  sur  cette  partie  le  long  de  la  tra- 
chée-artère , le  plus  près  possible  du  fanon , on  ap- 
perçoit  distinctement  le  battement  du  pouls.  Mais 
du  moment  que  ranimai  commence  à tousser  et  à 
haleter  le  mouvement  de  pulsation  est  interrompu 
et  le  pouls  devient  indécis. 

Je  passe  donc  à l’artère  de  l’aisselle  qui  prend 
son  origine  de  la  sous-clavière,  ou  plutôt , comme 
les  bêtes  à cornes  n’ont  point  de  clavicules  , de  la 
branche  latérale  de  l’artère  du  cou  , et  se  trouve 
couverte  par  un  petit  muscle  pectoral  épais  , le- 
quel part  du  sternum  et  va  s’inserrer  dans  l’os  du 
bras;  ensuite,  par  un  second  muscle  pectoral  qui 
parlant  du  reste  du  sternum,  et  s’inserrant  dans 
l’humerus  et  l’ulna , forme  un  réseau  membraneux 
lequel  couvre  intérieurement  l’avant-bras. 

Cette  artère  , accom|>agnée  de  sa  veine  , passe  , 
pour  ainsi  dire  , le  long  du  biceps  , et  s’enfonce 


27 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 

dessous  le  rond  pi'onateur,  pour  ne  plus  reparoî- 
tre;  c’est-à-dire  , qu’elle  n’approche  point  im- 
médiatement de  la  peau  que  derrière  la  tête  du 
radius. 

Quand  on  porte  la  main  par  derrière  , entre  la 
poitrine  , dans  l’aisselle  , on  distingue  aisément 
l’artère , qui  se  fait  sentir  comme  une  grosse  corde 
d’instrument,  immédiatement  dessous  la  peau.  Cet 
examen  devient  douteux  quand  l’animal  tousse  : 
en  le  faisant  du  côté  gauche  , on  sent,  en  même 
tems,  distinctement  le  battement  du  coeur. 

La  cuisse  , dont  je  vais  vous  indiquer  les  mus- 
cles , a un  plus  grand  rapport  avec  celui  de  l’hom- 
me ; on  y trouve  , surtout  du  côté  intérieur  , les 
mêmes  espèces  des  muscles.  Remarquez  de  quelle 
manière  les  muscles  de  l’abdonïen  laissent , com- 
me chez  l’homme,  une  cavité  pour  le  passage  non- 
seulement  du  psoas  et  de  l’iliaque,  mais  aussi  des 
vaisseaux  et  des  nerfs  de  la  cuisse.  Le  couturier  a 
cependant  une  autre  origine;  il  sort  de  l’os  pubis 
et  couvre  l’artère  ; ou  bien  , comme  je  l’ai  vu  quel- 
quefois, il  se  partage  à son  origine,  et  donne  par- 
la un  plus  libre  passage  aux  vaisseaux  en  question. 

L’artère  de  la  cuisse  , provenant  ainsi  du  bas- 
ventre  , passe  par  le  canal  qui  se  trouve  entre  le 
long  adducteur  et  le  vaste  interne  , transversale- 
ment par-dessous  le  couturier,  lequel,  à cause  de 
sa  direction  oblique,  ne  continue  pas  long-tems  à 


28 


L E Ç O N 3 


le  couvrir  J par  conséquent  l’artère  court  immédia- 
tement dessous  la  ])eau  , par-dessus  le  grêle  , ac- 
compagnée de  sa  veine  et  de  son  nerf,  le  long  du 
tibia  , vers  le  talon , intérieurement  le  long  du  bord 
interne  du  tendon  d’Achille,  où,  s’enfonçant  plus 
avant  , elle  échappe  au  tact  et  semble  dispa- 
roître. 

Quelque  bien  que  cette  artère  soit  donc  cou- 
verte ])ar  le  couturier,  elle  se  fait  néanmoins  sen- 
tir dessous  la  peau,  comme  la  corde  tendue  d’un 
instrument,  lorsqu’on  introduit  la  main  par  der- 
rière entre  la  pie  et  l’aîne  d’une  vache. 

On  peut  faire  cet  examen  par  devant  aussi  bien 
que  ])ar  derrière,  lorsque  les  bestiaux  se  tiennent 
debout  j mais  cela  est  impossible  quand  ils  sont 
couchés. 

Il  est  facile  maintenant  de  comprendre  pour- 
quoi MM.  Nozeman , Tak  et  Kool  ont  préféré  de 
consulter  le  pouls  par  dessous  la  queue;  parce 
que,  de  quelle  manière  que  se  tienne  l’animal  de- 
bout ou  couché,  il  est  toujours  aisé  d’y  poi'ter  la 
main;  la  toux  n’y  produit  aucun  effet  qui  puisse 
empêcher  l’examen  , et  l’animal  ne  craint  point 
celui  qui  veut  le  faire.  Voici  cette  artère.  Vous 
voyez  la  manière  dont  elle  est  placée  dans  une  es- 
pèce de  canal,  par  dessous  et  le  long  des  vertèbres 
de  la  queue,  et  comment  elle  diminue  d’épaisseur 
à mesure  qu’elle  s’éloigne  du  bassin.  Chez  les  bê- 


SUE.  l’ ÉPIZOOTIE.  529 

tes  maigres  , par  conséquent  chez  toutes  celles  qui 
sont  attaquées  de  l’épizootie  , lesquelles  , quoique 
bien  nourries,  perdent  bientôt  tout  leur  embon- 
point , c’est  dans  cet  endroit  qu’il  est  le  plus  facile 
d’examiner  le  pouls.  La  répugnance  ne  vous  arrê- 
tera certainement  pas  dans  cette  opération  , si  l’a- 
mour du  bien  public  vous  stimule  à faire  des  ob- 
servations de  cette  nature. 

Après  avoir  indiqué  les  artères  , nous  sommes 
naturellement  conduits  à examiner  les  pulsations, 
et  quel  en  est  le  nombre  dans  les  bestiaux  qui  sont 
bien  portans.  Je  les  ai  trouvé  plusieurs  fois  de 
suite,  exactement  à 60  dans  une  minute.  Le  mar- 
quis de  Courtivron  les  fixe  à 58,  42,  et  jusqu’à  45, 
dans  le  même  espace  de  tems.  INLM.  Nozeman,  Tak 
et  Kool , les  portent , avec  moi , à 60  dans  une  mi- 
nute. Ces  pulsations  augmentent  en  quantité  jus- 
qu’à 70,  75,  même  jusqu’à  90,  ainsi  que  M.  En- 
gelman  et  d’autres  l’ont  observé  avec  moi;  mais  le 
pouls  devient  alors  si  foible  que  bien  souvent  on  a 
de  la  peine  à le  sentir. 

Pour  bien  faire  cet  examen  on  fait  tenir  la  mon- 
tre par  une  autre  personne,  et  l’on  commence  à 
compter  à haute  voix  , au  moment  que  l’aiguille 
se  trouve  exactement  sur  une  division  desminutes; 
ce  qu’on  continue  ainsi  pendant  quelques  minutes 
de  suite;  après  quoi  on  divise  la  somme  totale  des 
pulsations  par  le  nombre  des  minutes. 


oo 


LEÇONS 

Mais  celte  expérience  nie  semble  être  plutôt  un 
simple  objet  de  curiosité  que  de  nécessité  , parce 
qu’il  est  facile  de  connoître  l’épizootie  par  plusieurs 
autres  symptômes  ; tandis  que  le  pouls  peut  etre 
également  ou  plus  vif  ou  plus  lent  dans  d’autres 
maladies;  cependant  j’ai  cru  devoir  vous  en  parler 
ici,  pour  vous  faire  mieux  comprendre  la  méthode 
de  quel([ues  autres  observateurs. 

Maintenant  je  vais  ouvrir  en  votre  présence  le 
ventre  de  l’animal,  afin  que  vous  puissiez  connoî- 
tre la  disposition  naturelle  des  quatre  ventricules, 
des  intestins,  du  foie  , de  la  rate  et  des  autres  par- 
ties. Observez  comment  le  grand  estomac  ou  la 
panse,  figure  2 , E.  F.  G.  H.  K.  , dont  je  parlerai 
plus  au  long  dans  la  suite  (i),  sont  placés,  avec  le 
bonnet  D.  E.  N. , entièrement  dans  la  cavité  gau- 
che ; le  bonnet  se  trouvant  exactement  dessous  le 
diaphragme  dans  le  centre;  la  panse  descendant 
avec  ses  deux  poches  G.  H.  vers  le  côté  gauche  jus- 
qu’à l’os  ilion.  Vous  voyez  dans  la  cavité  droite  , 
que  dans  ce  veau,  comme  dans  tous  les  jeunes  ani- 
maux ruminans  munis  de  quatre  estomacs,  la  cail- 
lette M.  X.  O.  P.  est  plus  grande  que  la  panse.  L’é- 


(i)  J’ai  cru  devoir  donner  une  représentation  de  ces  parties, 
laquelle,  quoiqu’elle  ne  soit  qu’une  simple  esquisse,  ne  laissera 
certainemeot  pas  de  jeter  une  grande  lumière  sur  ceite  des- 
cription. 


SUE.  l’  ÉPIZOOTIE.  3l 

piploon  couvre  en  partie  l’une  et  l’autre,  et  con- 
tient les  intestins  grêles  comme  dans  un  sac. 

L’intestin  aveugle  est , comme  chez  l’homme  , 
placé  pour  la  plus  grande  partie  dans  la  cavité 
droite  du  ventre.  Le  foie,  figure  5,  A.  B.  C.  D.,  se 
trouve  entièrement  du  même  côté,  mais  placé  en 
long  5 c’est-à-dire,  que  ce  qu’on  appelle  dans 
l’homme  le  lobe  gauche  se  trouve  dans  cet  animal 
aussi  dans  le  côté  droit , contre  le  diaphragme. 
Vous  voyez  la  rate,  figure  2 , A.  B.  C. , dans  la  ca- 
vité gauche,  immédiatement  contre  la  panse.  En- 
fin , remarquez  ici  comment  l’épiploon  I.  L.  M.  , 
partant  d’entre  les  deux  poches  ou  cornes  de  la 
panse , s’attache  à la  caillette  M.  O. , de  même  que 
cela  a lieu  dans  l’homme  , par  dessous  et  le  long 
de  l’estomac. 

Je  termine  cette  première  leçon , dans  la  crainte 
de  n’avoir  occupé  que  trop  long-tems  déjà  votre 
attention.  Dans  la  leçon  suivante  je  tâcherai  de 
vous  donner  une  idée  exacte  des  quatre  estomacs 
et  des  viscères  qui  se  trouvent  placés  dans  la  poi- 
trine. 


SECONDE  LEÇON. 

Des  quatre  estomacs  en  particulier , du  foie  , 
de  la  rate  , etc.  y ainsi  que  des  viscères  de  la 
poitrine. 

Pour  vous  apprendre  à connoître  plus  facile- 
ment, en  moins  de  tems  et  avec  plus  d’utilité,  les 
quatre  estomacs,  j’en  ai  fait  sécher  et  gonfler  d’a- 
vance, tant  de  veau  que  de  mouton.  J’en  ai  fendu 
et  ouvert  quelques-uns  de  ceux-ci , pour  que  vous 
puissiez  vous  former  une  idée  plus  exacte  de  leur 
admirable  contexture,  en  les  comparant  avec  ceux 
qui  viennent  d’être  tirés  récemment  du  corps  de 
ces  animaux.  Vous  voyez  bien  que  ces  quatre  esto- 
macs sont  adbérens  les  uns  aux  autres,  et  qu’il  y a 
communication  entre  eux  ; de  manière  qu’ils  of- 
irent  plutôt  une  seule  poche  coupée  par  des  étran- 
glemens  que  quatre  poches  séparées.  Aristote  (i), 
ce  génie  merveilleux,  est  le  premier  qui  ait  donné 
une  description  des  viscères  et  des  intestins  des  bêtes 


(i)  Hisc.  anim.,  lib.II,  cap.  i7,edit.  duVallii,  pag.  791. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


33 


à cornes  et  d’autres  animaux,  et  qui  ait  parlé  , en 
même  tems , de  la  rumination.  Selon  moi  , Per- 
rault mérite  le  second  rang  à cet  égard.  A la  page 
43o  de  sa  Méchanique  des  animaux  , il  a non- 
seulement  donné  d’excellentes  figures  des  quatre 
estomacs,  mais  il  y a représenté  aussi  l’ouverture 
de  l’oesophage  etxlu  feuillet  d’une  manière  qui  ne 
permet  guère  de  faire  mieux.  Peyer  a parlé  d’une 
manière  fort  satisfaisante  de  ces  ventricules  dans 
sa  Merycologia  ; et  il  n’y  a pas  long-tems  que  l’il- 
lustre Bulfon  , aidé  par  M.  Daubenton,  en  a pu- 
blié une  description  si  parfaite  et  des  figures  si 
exactement  exécutées,  qu’on  croiroit,  en  quelque 
sorte,  voir  la  nature  même.  Quoique  notre  Blasius 
se  soit  fait  également  beaucoup  d’honneur  par  la 
description  et  les  esquisses  qu’il  a données  de  ces 
parties,  il  ne  peut  cependant  pas  être  comparé  aux 
auteurs  que  je  viens  de  citer  ; mais  il  en  dit  assez 
pour  donner  une  idée  générale  sur  cette  matière  à 
ceux  qui  n’en  veulent  pas  une  connoissance  bien 
approfondie. 

Retournons  maintenant  à notre  objet.  Aristote 
a divisé  les  estomacs  en  quatre  parties  distinctes  et 
désignées  par  des  noms  particuliers. 

Le  premier  estomac  ou  V herbier  (i) , A.  B.  C.  D., 


(i)  Pour  la  commodité  du  lecteur,  jé  donnerai  ici  la  repré- 
sentation de  cet  estomac  d’après  la  manière  de  Buffon. 


III. 


O 


fig.  1 ^ pl.  XXVIII,  est  appelé  >co»A*à  {/.sya,Kn  par  ce  phi- 
losophe, c’est-à-dire,  le  gra?id estomac,  parce  qu’il 
est  réellement  le  plus  volumineux  dans  les  hèles  à 
cornes,  les  moutons,  les  cerfs  elles  chevrotains  ou 
gazelles  de  Guinée,  quoiqu’il  soit  plus  petit  relati- 
vement à la  caillette  des  veaux,  des  agneaux  et  des 
gazelles  nouveaux-nés.  11  ])aroît  se  distendre  de  plus 
en  plus  du  moment  que  l’animal  commence  à ru- 
miner 5 tandis  que  la  caillette  conserve  toujours  sa 
première  grandeur.  Les  Lal  ins  lui  ont  donné  le  nom 
d’acjitaliculiiSj  et  les  François  l’appellent  la  panse, 
quelquefois  le  double  , parce  qu’il  est  partagé  en 
deux  sacs  , et  \ herbier  , à cause  de  l’herbe  et  du 
foin  qu’on  y trouve  quand  on  tue  les  bestiaux. 

Perrault  (pag-  402  , fig.  2 ) a mieux  rendu  cet 
estomac  que  Feyer  et  Bufl'on. 

M.  Daubenton  ( 1 ) a constamment  trouvé  dans 
la  panse  et  dans  le  second  estomac  certains  vers 
qu’il  a fort  exactement  représentés,  et  qui  ressem- 
blent parfaitement  aux  vers  que  je  trouve  souvent 
dans  la  panse  des  moutons,  et  dont  j’ai  donné  la 
description  dans  ma  dissertation  sur  les  douves  ou 
fascioles  hépatiques  de  ces  animaux  (2). 


(1)  Hisl.  liât,  géu-  et  part,  du  cabin.  du  roi,  tom.  IV,pag.492, 

pl.  XVI,  fig.  3. 

(2)  Ce  morceau  se  trouvera  dans  le  tome  IV  des  OEuvres  de 
Camper. 


SUR  l’  É P I Z O O T I E.  55 

La  panse  est  intérieurement  tapissée  de  petits 
mamelons  , lesquels  sont  quelquefois  tout-à-fait 
blancs,  d’autres  fois  bruns,  et  d’un  jaune  pâle  on 
d’un  noir  clair  sur  les  plis. 

Les  égagropiles  , que  vous  voyez  ici  en  grand 
nombre,  ne  se  trouvent  que  dans  le  premier  esto- 
mac, ainsi  que  Bulfon  le  confirme  (pag.  46g  ).  J’en 
ai  trouvé  beaucoup  dans  des  veaux. 

Le  second  estomac  , fig.  i , A.  E. , qui  forme 
une  partie  du  premier,  dont  il  est  comme  sé- 
paré j>ar  l’oesophage  , a plus  ou  moins  à l’extérieur 
la  forme  d’une  vessie;  mais  l’intérieur  est  garni  de 
lignes  éminentes  qui  forment  des  esjjèces  de  cel- 
lules pentagones , hexagones  , etc. , fig.  5 , K.  L. , 
du  centre  desquelles  ])a\tent  de  ])etiles  cotes  vers 
lesangles;  lesquelles, aussi  bien  que  cellesqui  for- 
ment les  grandes  cellules,  sont  toutes  garnies  de 
petits  mamelons.  Quand  on  fait  sécher  cet  esto- 
mac, il  représente  un  filet  d’un  travail  admirable, 
qu’Aristote  appelle  , que  les  Latins  nom- 

ment réticulum  , et  auquel  les  François  ont  donné 
le  nom  de  réseau  ou  bonnet  ; en  italien  il  s’appelle 
ir'ippa.  Bufibn  et  Perrault  ont  foit  bien  représenté 
ces  mamelons,  en  quoi  Peyer  n’a  pas  si  heureuse- 
ment réussi. 

J’ai  toujours  trouv'é  dans  cet  estomac  les  mêmes 
alimens  que  dans  la  panse;  il  se  pourvoit  cepen- 
dant que  le  ventricule  , en  se  contractant  , com- 


36 


LEÇONS 

primai  les  ulimens  et  en  formât  la  pelote  ou  boule 
que  l’animal  fait  remonter  vers  sa  bouche  pour 
ruminer. 

Les  libres  des  muscles  de  ces  deux  estomacs  sont 
très-fortes  et  si  admirablement  disposées  autour 
de  ces  ])arties  qu’il  est  impossible  d’en  donner  une 
description  satisfaisante.  Peyer  les  a représentées 
assez  exactement. 

Le  tj'oisième  estomac  a la  forme  d’un  hérisson 
en  défense  ou  replié  sur  lui-même  , ou  bien  d’un 
concombre  courbé  , fîg.  i , F.  L,  G.  , applati  sur 
les  côtés,  et  placé  immédiatement  contre  l’épine 
du  d os.  Aristote  le  nomme  non  pas  à cause 

de  la  forme  dont  je  viens  de  parler,  mais  parce 
que  ses  tuniques  sont  intéi'ieurement  tapissées  de 
mamelons  saillans  et  d’une  certaine  dureté  , les- 
quels ressemblent  assez  aux  piquans  de  l’hérisson. 
Les  Latins  lui  ont  donné  les  noms  àJ omasum  et 
A'echinus ^ quelques-uns,  tels  que  Pline,  l’appel- 
lent centipellio , à cause  du  grand  nombre  de  ses 
membranes.  Les  noms  françois  de  cet  étonnant 
viscère  sont  feuillet,  millet , mellier  et  pseautier, 
ainsi  que  nous  l’apprend  Bulfon  ( pag.  485  ). 

Cet  estomac  contient  vingt-quatre  grands  feuil- 
lets , entre  chacun  desquels  il  y en  a un  moyen  , 
et  entre  chacun  de  ces  moyens  et  des  grands  , il 
s’en  trouve  un  petit  ; par  conséquent  il  y a en  tout 
quatre-vingt-seize  membranes,  qui  toutes  sont  at- 


s II  R l’  É P I Z O O T I E.  5y 

tachées  au  côté  F.  L.  G.,  fig.  i,  commençant  en 
pointe  en  F. , étant  le  plus  larges  en  L. , et  se  ter- 
minant de  nouveau  en  pointe  en  G. 

Peyer  (pag.  i58)  met  deux  grandes  membra- 
nes de  moins,  par  conséquent  aussi  deux  moyen- 
nes et  quatre  petites;  il  n’en  compte  donc  en  tout 
que  quatre-vingt-huit.  Il  s’est  trompé  sans  doute 
en  cela,  à moins  que  la  nature  ne  varie  quelque- 
fois à cet  égard. 

Toutes  ces  membranes  sont  garnies  de  mame- 
lons, semblables  aux  petits  piquans  de  l’hérisson  , 
mais  plus  distans  les  uns  des  autres.  La  couleur  de 
la  membrane  inteine  est,  comme  celle  du  premier 
estomac,  quelquefois  brune,  et  d’autres  fois  d’un 
jaune  clair  ou  noirâtre. 

Le  feuillet  que  voici  est  d’un  bœuf  sain  nou- 
vellement tué  ; il  mérite  d’être  observé  que  l’odeur 
en  est  déjà  fétide , ainsi  que  l’est  celle  des  alimens 
que  l’animal  avoit  ruminés,  quoique  le  fiel  ni  du 
foie  ni  de  la  vésicule  du  fiel  n’ait  pu  y pénétrer. 
On  voit  que  les  alimens  consistent  en  foin  mâché 
avec  quelques  brins  de  paille,  et  ça  et  là  des  grains 
d’orge  avec  lesquels  l’animal  avoit  été  nourri , et 
qu’ils  sont  à peu  près  secs;  c’est-à-dire,  que  celte 
matière,  qui  ressemble  à une  bouillie  épaisse,  se 
trouve  admirablement  distribuée  enti’e  ces  mem- 
branes. J’avoue  que  je  ne  puis  comprendre  com- 
ment cette  matière  s’y  introduit  d’une  façon  si  ré- 


58 


I,  E Ç O N s 


gulicre , et  comment  elle  en  sort  ensuite.  Je  vous 
engage  à bien  observer  celte  circonstance,  à cause 
que  dans  ré])izoolie  ces  alimens  sont,  en  général, 
i'ort  durs  et  comme  torriliés;  de  manière  que  tou- 
tes ces  membranes  s’en  trouvent  obstruées  , et 
<|ue  cela  seul  sulîiroit  pour  faire  périr  l’animal  sans 
qu’il  fut  besoin  d’aucun  autre  accident. 

Cliezles  veaux  que  la  mère  allaite  encore  , ou 
qu’on  nourrit  de  lait , cette  compacité  des  alimens 
n’a  pas  lieu  , parce  que  le  lait  ne  peut  se  durcir  à 
ce  point,  et  ne  fait  que  passer  par  le  feuillet  pour 
se  rendre  dans  la  caillette  , où  il  se  convertit  en 
une  matière  caseuse,  comme  je  vous  le  dirai  dans 
le  moment. 

Je  dois  vous  faire  remai’quer  ici  un  ])hénomène 
singulier  ; quand  on  ouvre  le  feuillet  d’une  bête 
morte  de  l’épizootie,  V epithelium  ou  membrane 
interne  s’en  détache  totalement,  et  demeure  adhé- 
rent aux  alimens,  de  manière  qu’on  peut  l’en  ar- 
racher par  lambeaux  ; tandis  qu’il  est  impossible 
de  séparer  cet  epithelium  des  autres  membranes 
dans  un  animal  sain  et  nouvellement  tue:  d’où  l’on 
pourroit  conclure  que  cette  séparation  de  la  ]>re- 
mière  membrane  est  un  des  syuiptdmes  de  l’épi- 
zuoûe,  lorsqu’on  la  trouve  ainsi  détachée  des  au- 
tres membranes  après  qu’un  animal  a été  tué.  Un 
■iorr  néanmoins  que,  sans  y penser,  j’avois  laissé 
i ^ Vingt-quatre  heures  un  feuillet  dans  cette 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  5g 

salle  d’anatomie,  je  trouvai  en  l’ouvrant  que  cette 
membrane  s’en  détaclioit  avec  autant  de  facilité 
que  si  le  feuillet  eut  appartenu  à un  animal  mort 
de  la  maladie  contasieuse.  Cette  observation  me 
surprit  beaucoup.  Dans  la  suite  , j’examinai  un 
grand  nombre  d’estomacs,  et  je  trouvai  constam- 
ment que  cette  membraney  adhéroit  très-fortement 
dans  les  bestiaux  nouvellement  tués,  etqu*’elle  s’en 
détaclioit  toutes  les  fois  que  je  laissois  pendant 
vingt-quatre  heures  l’estomac  sans  y toucher.  En- 
fin , un  jour  j’ouvris,  à deux  heures  après-midi,  le 
feuillet  d’une  vache  grasse  au  moment  qu’elle  ve- 
noit  d’être  tuée 5 mais  dans  un  endroit  seulement; 
et  ayant  soulevé  les  plis  ou  feuillets  , j’apperçus 
que  la  memhrane  y adhéroit  très-fortement.  Le 
lendemain  à neuf  heures  du  matin,  je  l’ouvris  dans 
un  autre  endroit,  et  je  trouvai  que  la  memhrane 
commençoit  déjà  à s’en  détacher;  le  troisième 
jour , également  à neuf  heures  du  matin , en  ayant 
enlevé  d’autres  parties,  toute  la  memhrane  se  dé- 
tacha de  la  même  manière  que  chez  les  bestiaux 
morts  de  l’épizootie,  non-seulement  du  feuillet, 
mais  également  de  la  caillette. 

, Cette  séparation  de  la  membrane  interne  met  un 
I grand  obstacle  au  nétoyement  de  l’intérieur  de  ces 
estomacs  et  à leur  disseccation  ; car,  si  on  attend 
I trop  long-tems , elle  se  détache  entièrement , aussi 
! bien  de  la  panse  et  du  bonnet  que  du  feuillet  et 


4o 


LEÇONS 

de  la  caillette;  non-seulement  chez  les  moutons  , 
les  agneaux  et  les  veaux,  mais  également  chez  les 
cerfs.  Il  faut  par  conséquent  que  ces  préparations 
se  fassent  immédiatement  après  la  mort  de  ces 
animaux. 

Le  canal  de  l’oesophage  au  feuillet  est  fort  large 
et  reste  ouvert  jusque  dans  la  caillette  ; car  les 
feuillets  tiennent  tout  ouvert  jusqu’à  la  distance 
en  M. 

La  caillette  est  le  quatrième  estomac  : Aristote 
l’appelle  ïi/iirpov.  Je  l’ai  représentée  par  G.  H.  I.  fig.  i. 
On  l’appelle  caillette  parce  que  le  lait  s’y  trouve 
toujours  caillé,  ou  franche  - mulle  ; les  Latins  lui 
ont  donné  les  noms  abomasum  et  àe  faliscus. 

Ce  ventricule  ressemble  à l’estomac  de  l’homme. 
Il  est  beaucoup  plus  grand  que  le  feuillet  et  le  bon- 
net pris  ensemble.  11  y a quatorze  valvules  à par- 
tir du  feuillet,  qui  se  dirigent  obliquement  vers  en 
bas.  Ces  valvules  pendent  toujours  flasques  , et  il 
est  difficile  de  les  faire  tenir  étendues  quand  ou 
les  fait  sécher.  Aristote  les  décrit  d’une  manière 
fort  exacte,  quoiqu’il  n’en  ait  pas  déterminé  le 
nombre. 

Le  pylore  ou  col  de  la  caillette  ressemble  à celui 
de  l’estomac  de  l’homme,  et  se  réunit  au  duodé- 
num, dans  lequel  le  fiel  est  versé  de  la  vésicule 
du  fiel,  comme  on  le  voit  pl.  XXVIII,  fig.  5, 0.  S.  M. 

Les  alimensont  ici  une  forte  odeur  d’excrémens 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


4l 


chez  les  bêtes  adultes;  chez  les  veaux  qu’on  nour- 
rit encore  avec  du  lait , il  y a toujours  une  grande 
masse  de  matière  caseuse  ou  de  lait  caillé,  qu’on 
ne  peut  en  enlever  en  lavant  la  caillette.  Cette  ma- 
tière caseuse  est  fort  blanche,  quoique  le  lait  ait 
déjà  pris  une  légère  teinte  grise  dans  la  panse  par 
le  mélange  des  humeurs  qui  abondent  dans  ces 
parties. 

Le  célèbre  Van  Swieten  est  tombé  dans  une 
grande  erreur  à cet  égard;  car,  en  parlant  des  ai- 
greurs d’estomac  des  enfans,  il  dit  (i)  que  le  lait  se 
caille  dans  la  panse  ou  premier  estomac  des  veaux 
et  que,  par  le  concours  du  liel,  cette  coagulation 
se  trouve  tellement  déliée  qu’elle  disparoît  entiè- 
rement dans  le  quatrième  estomac  de  l’animal  ; 
tandis  que  le  lait  caillé  ne  se  trouve, comme  je  l’ai 
déjà  observé,  que  dans  la  caillette  ou  quatrième 
estomac , et  qu’il  ne  reçoit  point  de  fiel  que  long- 
tems  après  qu’il  en  est  sorti,  et  lorsqu’il  a passé 
par  le  duodénum , comme  cela  paroît  par  la  fig.  3. 
I.  est  le  pylore  ou  l’issue  de  la  caillette,  et  I.  M.  la 
distance  de  l’insertion  du  conduit  biliaire.  Il  est 
donc  évident  que  la  dissolution  de  cette  matière 


(i)  Comment,  ùi  Aphr.  i356  , Boekhavii,  lom.  IV,  pag.  683. 
Coaguliim  laclis  in  primo  ■vittilorum  venlriculo  copiosurn  reperi- 
tur , pose  bilem  admistam  autem  sic  soîvitur  demiOy  ut  in  quarto 
horum  animaliuvi  'ventriculo  dispareat. 


42 


LEÇONS 


caseiise  se  fait , non  par  le  fiel , mais  par  les  esprits 
savoneux  (pii  suintent  en  abondance  des  parois  du 
quatrième  estomac. 

Le  foie  n’est  pas  grand  relativement  à l’animal. 
33aubenton  ne  l’a  pas  représenté;  mais  j’ai  cru  , 
pour  me  rendre  plus  intelligible , devoir  en  don- 
ner ici  la  ligure  et  la  position.  On  voit,  fig.  3,  pl. 
XXVill,  qu’il  est  composé  de  deux  grands  lobes  C, 
B.  E.  F.  D.  O.  et  Q. , lesquels  sont  placés  tout-à-fait 
latéralement,  avecC.  par  devant  et  Q.  par  derrière. 
La  veine  ombilicale  A.  B.  s’y  insère  de  même  du 
côté  droit  , et  se  trouve  couverte  par  un  lobule 
B.  F.  C’est  entre  ce  lobule  et  le  lobe  postérieur  Q. 
qu’est  placée  la  vésicule  du  fiel  P.  O. , dont  le  con- 
duit O.  S.  se  réunit  avec  le  canal  hépatique  R.  S. , 
pour  former  le  conduit  biliaire  commun  S.  M.  , 
lequel  se  décharge , comme  chez  l’homme , dans  le 
duodénum,  assez  loin  de  la  caillette  en  M.  Le  ca- 
nal hépatique  passe  entre  le  lobeU.,avec  la  veine- 
porte  , dans  la  cavité  F.  E.  D. 

C’est  le  long  de  ce  canal  cysthépa tique  que  les 
douves  ou  fascioles  hépatiques  montent  jusque  dans 
la  vésicule  du  fiel  et  dans  les  vaisseaux  cystiques 
dans  toute  la  capacité  du  foie.  Voici  de  ces  douves 
prises  dans  des  moutons;  car  ce  veau,  qui  n’avoit 
été  nourri  que  de  lait  et  qui  n’avoit  pas  encore  pâ- 
turé dans  la  prairie  , ne  pouvoit  pas  être  attaqué 
de  ces  vers  intestins,  qui  ont  tous  la  même  figure: 


s U 11  l’  É P I Z O O T I E.  45 

je  les  ai  représentés  dans  le  second  volume  des 
dissertations  sur  l’agriculture  nouvelle  (i). 

Les  parois  internes  des  conduits  cyslliépatiques 
se  trouvent  souvent  couvertes  de  concrétions 
pierreuses,  d’un  vert  obscur,  et  qui  diffèrent  peu 
de  la  cholélile.  Buffon  les  a décrites  ( pag.  490  ) , 
et  en  a , comme  moi , ti'ouvé  dans  les  animaux  les 
plus  sains.  En  voici  que  j’ai  conservées  : vous  voyez 
qu’elles  sont  totalement  creuses,  fort  poreuses  et 
friables  ; ce  qui  prouve  que  le  fiel  a passé  par  ces 
ouvertures.  En  voici  d’autres  dans  lesquelles  quel- 
ques jiarties  semblent  être  tombées  et  avoir  occa- 
sionné des  obstructions  plus  ou  moins  grandes. 
Cette  matière  est  une  preuve  suffisante  que  le  fiel 
hépatique  ne  diffère  pas  beaucoup  de  celui  que 
contient  la  vésicule  du  fiel. 

Dans  plusieurs  animaux  , et  particulièrement 
dans  les  bêtes  à cornes,  on  trouve  un  pancréas  sem- 
blable à celui  de  l’homme.  Voyez  comme  cette 
glande  est  placée  ici  , derrière  le  duodénum,  de- 
puis S.  jusqu’en  T.  , fig.  5 , contre  le  conduit  bi- 
liaire. Quoique  je  ne  vous  fasse  pas  voir  le  canal 
qui  en  conduit  le  suc  vers  le  duodénum,  il  y en  a 
; un  cependant  j mais,  en  général,  cette  glande  est 
j plus  petite  dans  les  animaux  que  dans  l’homme. 


( 1 ) T^erhandelingen  o^’cr  den  nietiwcn  Landbouw , II  deel , pag. 
3oj  , et  IV  deel , pag.  520. 


44 


! 


LEÇONS 

R.  est  une  glande  qui  reçoit  beaucoup  de  vais- 
seaux lymphatiques. 

E.  F.  D.  G.  H.  R.  est  le  petit  épiploon  , au  tra- 
vers duquel  on  a])j>erçoit  le  lobule  du  foie  V.,  dont 
on  attribue  la  découverte  au  célèbre  anatomiste 
Spiegelius. 

Les  intestins  grêles  passent  dans  lé  côté  droit  , 
par  dessous  la  caillette,  vers  le  côté  gauche,  com- 
me on  le  voit  fig.  2,  en  Q. R.  Ces  intestins  sont  fort 
longs  chez  les  bestiaux  qui  ont  atteint  toute  leur 
croissance,  et  toujours  trés-minces,  comme  nous 
l’apprend  Daubenton  , dont  le  plus  grand  mérite 
consiste  à mesurer  : il  assure  qu’ils  ont  cent  qua- 
torze pieds  de  long  depuis  la  caillette  jusqu’au 
cæcum.  Le  cæcum  a deux  pieds  et  demi  de  lon- 
gueur; et  les  gros  intestins  en  ont  trente-quatre; 
de  manière  que  tous  les  intestins,  pris  ensemble, 
ont  plus  de  cent  cinquante  pieds  de  longueur;  la- 
quelle est  étonnante  sans  doute,  et  que  néanmoins 
les  alimens  parcourent  assez  promptement  ; car  si 
l’on  donne  un  purgatif  on  en  voit  souvent  l’elfet 
trois  ou  quatre  heures  après  que  l’animal  l’a  pris. 
Les  gros  intestins  n’ont  point  de  valvules  qui  puis- 
sent retarder  le  passage,  comme  chez  l’homme  et 
quelquesautres  animaux,  particulièrement  les  liè- 
vres , les  lapins  , etc.  ; aussi  la  bouze  des  bêtes  à 
cornes  est-elle  assez  molle , et  même  liquide  quand 
elles  sont  au  vert. 


SUR  l’  ÉPIZOOTIE, 


45 


Les  gros  intestins,  qui  d’ailleurs  ont  assez  d’am- 
pleur, se  rétrécissent  près  du  rectum,  lequel  est 
chargé  de  beaucoup  de  rides  près  de  l’anus,  au- 
tour duquel  sont  placées  un  grand  nombre  de 
glandes;  c’est  ce  qu’il  faut  surtout  bien  remarquer, 
parce  que  chez  les  bestiaux  malades  les  excrémens 
s’arrêtent  ici  et  causent,  par  leur  corruption,  une 
prompte  gangrène  à la  membrane  interne  : alors 
il  y a hémorragie  par  l’anus  , d’où  sortent  aussi 
quelques  membranes  qui  se  sont  détachées  par 
sphacèle. 

Je  ne  m’arrêterai  pas  à vous  faire  remarquer  ici 
les  admirables  circonvolutions  et  la  disposition 
singulière  des  intestins;  parce  que  je  ne  me  suis 
proposé  de  ne  vous  parler  que  des  principales  parties 
de  l’animal  qui  se  trouvent  affectées  par  l’épizoo- 
tie. Je  vais  donc  passer  aux  viscères  de  l’estomac; 
mais  ceux-ci  ne  nous  arrêteront  pas  long-tems. 

Vous  voyez  que  j’ai  enlevé  ici  le  sternum  avec 
les  cartilages  des  côtes,  un  peu  au-dessous  de  la 
première  partie  du  sternum,  afin  de  conserver  in- 
tacte la  réunion  des  muscles  du  cou.  Le  poumon 
est  par-tout  également  d’un  rouge  pâle  tirant  sur 
le  jaune;  le  coeur  est  un  peu  enflé,  parce  que  l’a- 
nimal a souffert  beaucoup  par  la  strangulation.  En 
coupant  un  morceau  des  lobes  du  poumon , vous 
voyez  que  le  parenchyme  est  par-tout  le  même  , 
et  qu’il  n’y  a en  aucun  endroit  ni  bulles  ni  air  ; 


46 


LEÇONS 

tandis  que  chez  les  hesliaux  morts  de  la  maladie 
contagieuse,  on  Iroiive  souvent  de  l’air  dans  la 
membrane  cellulaire,  et  immédiatement  au-dessous 
de  la  surface  des  poumons:  c’est  cequ’on  nomme 
em])liysème.  Quelquefois  les  poumons  sont  tota- 
lement sphacelés,  couverts  de  taches  pourpres,  et 
par  fois  la  gangrène  pénètre  plus  avant  et  occa- 
sionne un  considérable  sphacèle;  de  manière  qu’il 
en  sort  un  sang  noir  quand  on  y fait  des  incisions. 
Rappelez-vous  donc  de  cette  couleur  naturelle  des 
poumons,  s’il  vous  arrive  de  faire  ouvrir  des  bes- 
tiaux morts  de  l’épizootie. 

Remarquez  , avec  moi  , ces  sterno-hyoïdiens  , 
qui,  partant  du  sternum,  font  mouvoir  l’hyoïde. 
Vous  pouvez  voir  que  le  thyrne  ou  ris  n’est  pas 
placé  dans  la  poitrine,  mais  que  la  petite  glan- 
dule  seulement  se  trouve  exactement  au-dessus 
du  cœur  dans  la  cavité  gauche  de  la  poitrine  , 
et  cela  même  pas  entièrement  ; car  elle  va  en 
remontant  des  deux  cotés  le  long  de  l’apre-artère 
jusque  près  de  l’œsophage  , et  se  trouve  recou- 
verte par  les  sterno-hvoïdlens  dont  je  viens  de 
parler,  comme  l’axolt  déjà  reuiarqué  dans  ses  ob- 
servations anatomiiiues  J.  J.  Pt'ver,  fils  du  célèbre 
J.  C.  Peyer. 

Ces  glandes  dilfèvent  donc  considérablement  de 
celles  de  l’homme;  ce  qui  nous  apprend  que  nous 
n’en  connoissons  ]>as  encore  le  véritable  usage  ; 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  4y 

mais  des  recherches  sur  cet  objet  se  trouveroient 
déplacées  ici. 

Je  vais  ouvrir  maintenant  la  trachée-artère.  Ob- 
servez que  sa  couleur  est  blanche  dans  l’intérieur, 
et  qu’il  n’y  a ni  viscosité  jaune , ni  bave , ni  taches 
sanguinolentes;  tandis  que  chez  les  bêtes  mortes  de 
l’épizootie  ces  parois  sont  quelquefois,  par  spha- 
cèle,  d’un  rouge  noir;  d’autres  fois  couvertes  d’une 
sanie  iclioreuse,  et  quelquefois  aus.si  d’une  écume 
blanche,  depuis  le  larynx  jusque  bien  avant  dans 
la  substance  des  poumons,  selon  que  la  maladie  a 
plus  ou  moins  alfecté  ces  parties. 

La  langue  mérite  aussi  quelques  observations  : 
sa  partie  postérieure  est  couverte  de  glandules  qui 
ont  la  forme  de  mamelons,  que  des  gens  peu  ins- 
truits pourroient  prendre  pour  des  pustules  ou 
pour  des  aphtes.  Daubenton  en  a donné  une  des- 
cription fort  exacte  (i) , et  Collins  les  a passable- 
ment bien  représentées  (2). 

J’ai  trouvé  souvent  sur  la  partie  postérieure  de 
la  langue  des  bestiaux  morts  de  l’épizootie  cette 
bave  ichoreuse  dont  je  viens  de  parler  à l’occasion 
de  la  trachée-artère  : il  ne  m’a  jamais  paru  qu’elle 
eut  quelque  rapport  avec  l’aphte  qui  a lieu  chez 
l’homme  aux  crises  des  maladies  ; mais  plutôt  que 


(1)  Jbid.  , pag.  495. 

(2) Tab.  lit,  fig.  2,  li.  B. , tom.  IL 


48 


LEÇONS 

c’est  une  pituite  ichoreuse,  laquelle  est  peut-être 
chassée  de  la  trachée-artère  vers  cet  endroit,  ou 
qui  sort  des  glandes  mêmes  de  la  langue. 

Il  est  singulier  que  la  langue  soit  rarement  af- 
fectée dans  cette  maladie  , si  ce  n’est  que  l’épider- 
me s’en  détache  quelquefois  facilement;  semblable 
en  cela  à celle  des  parois  internes  des  intestins. 

11  faut  que  je  vous  rappelle  à cette  occasion  que 
l’épizootie  ne  doit  pas  être  confondue  avec  la  ma- 
ladie qui  attaqua  avec  tant  de  fureur  les  bêtes  à 
cornes  en  1682  et  1752  , laquelle  consistoit  en  des 
ampoules  sur  la  langue  , qu’on  guérissoit  en  les 
ouvrant  par  le  moyen  d’une  espèce  de  grattoir. 

Voilà  ce  que  j’avois  à dire  des  viscères  et  des  es- 
tomacs en  particulier.  Maintenant  il  me  reste  à 
vous  parler,  dans  la  troisième  leçon,  de  la  rumi- 
nation , pour  que  vous  puissiez  vous  former  une 
idée  plus  exacte  des  effets  de  l’épizootie. 


SUR  ÉPIZOOTIE. 


49 


TROISIÈME  LEÇON. 


'!  De  la  rumination  des  animaux  purs  et  impurs, 
i et  particulièrement  des  hêtes  à cornes. 

Comme  il  est,  en  général,  fort  rare  qu’on  prête 
une  bien  grande  attention  à la  plupart  des  objets 
qui  se  présentent  journellement  à nos  regards  , il 
en  est  de  même  de  la  rumination  des  bestiaux. 

I Quand  nous  voyons  les  bêles  à cornes  et  les  mou- 
tons mâcher,  étant  couchés  ou  debout,  quoiqu’ils 
i aient  été  déjà  pendant  quelque  tems  sans  paître  , 

(nous  disons  que  ces  animaux  ruminent , parce  que 
nous  avons  appris  dans  notre  jeunesse  à nommer 
j ainsi  cette  action,  sans  que  nous  ayons  songé  ja- 
jmais  à nous  rendre  raison  de  ce  singulier  phéno- 
j mène. 

Ruminer  ou  remâcher  est  un  mot  dont  l’appli- 
cation  est  fausse,  en  ce  qu’il  donne  à entendre  que 
l’animal  mâche  une  seconde  fois  les  alimens;  car 
le  gros  bétail , les  moutons,  les  chèvres , les  cerfs, 
les  chameaux,  etc. , commencent  tous  par  couper 

4 


III. 


5o 


LEÇONS 

Fherbe,  le  foin  ou  la  paille,  qu’ils  avalent  sans  le 
mâcher;  c’est-à-dire,  qu’ils  ne  font  pas  comme 
les  chevaux,  qui  mangent  jour  et  nuit  et  avalent 
lentement  leur  fourrage  , parce  qu’ils  le  broyent 
d’abord  entre  leurs  molaires,  et  le  triturent  ainsi 
autant  qu’il  est  nécessaire,  non -seulement  pour 
qu’il  se  digère  facilement , mais  pour  qu’il  passe 
aussi  sans  difficulté  par  l’oesophage. 

Les  Grecs,  de  qui  nous  avons  emprunté  la  plu- 
part de  nos  connoissances,  s’exprimoient  tout-à- 
fait  différemment  sur  ce  sujet;  il  disoient  : [j-Yipmco  , 
f/.tipvxd^cüj  fA.npvxt^u  f et  [AnpvKxû/ji.oa  de  ro  [A7\pv^lv,  revol~ 
vere,  ce  qui  signifie  reporter  vers  en  haut,  vers  l’en- 
droit d’où  ils  sont  venus,  les  alimens  que  l’animal 
avoit  d’abord  avalés.  C’est  Aristophane  seul  qui 
fasse  usage  de  dvay.ix.<rcco[Axt , remando,  je  remâche, 
qui  vient  de  (.■.tx.arccsy.ai , manduco  , je  mâche. 

Les  Latins,  ainsi  que  nous  l’apprend  Lest  us  (i), 
font  dériver  le  mot  t'uminare  de  celui  de  rumen , 
qui  ne  signifie  pas  la  panse,  ainsi  que  quelques-uns 
l’ont  cru  mal  à propos,  mais  l’œsophage.  Rumen ^ 
dit  Festus,  eut  pars  colli , quo  esca  devoratur , 
unde  rumare  dicchant , quod  nunc  j'uminare. 

((  Ainsi,  le  rumen  est  celte  partie  du  cou  par  le-  \ 
« quel  l’animal  avale  ses  alimens,  etc.  ))  Ces  mots 
offrent  donc  moins  l’idée  de  remâcher  que  de  rêa- 


(i)  De  V erh,  signif.  voc.  riirninare , lib.  XVI,  pag.  461  ■ 


5i 


SUR  u’ ÉPIZOOTIE. 
valer , ou  plutôt  de  faire  remonter  les  alimens  et 
de  les  reporter  vers  la  bouche. 

Chez  les  anciens,  Aristote , que  Pline  suit,  pour 
ainsi  dire,  littéralement  dans  son  Histoire  natu- 
relle, et  Galien  , sont  ceux  qui  ont  le  mieux  parlé 
de  la  rumination.  Chez  les  modernes,  Peyer  s’est 
distingué  particulièrement  sur  ce  sujet  dans  sa 
3Iericologia  ^ cependant  Perrault  l’a  surpassé  en- 
core en  ceci  dans  sa  3Iéchanique  des  animaux  ^ 
pag.  4505  et  c’est  de  lui  que  les  auteurs  du  Dic- 
tionnaire encyclopédique  ont  pris  leur  article  ; 
tous  cependant  ont  été  plus  attentifs  à indiquer  les 
parties  qui  distinguent  les  animaux  niminans  de 
ceux  qui  ne  ruminent  point , qu’à  expliquer  le  mé- 
canisme même  de  la  rumination. 

Je  ne  vous  parle  point  ici  de  Buffon  , parce  que 
vous  avez  pu  concevoir  déjà  par  les  citations  que 
j’ai'faites  de  lui  dans  les  deux  premières  leçons, 
toute  l’admiration  que  m’ont  inspiré  les  écrits  de 
ce  grand  homme,  et  ses  obsei'vations  sur  la  rumi- 
nation. Je  passe  à dessein  sous  silence  le  superfi- 
ciel naturaliste  J.  T.  Klein  , quoiqu’il  ait  fait  naî- 
tre quelques  doutes  (1)  à Linnæus  sur  les  quadru- 
pèdes, et  qu’l'  ait  fait  quelques  observations  sur 
la  rumination,  qui,  pour  la  plupart,  sont  em- 


(1)  Summa  dubiorum  circa  classes  qnadruped.  et  amphib,  in 
Celeb.  D.  Linnaei  Sjst.  JSat.  Lipsiae  1743,  in-ip. 


52 


LEÇONS 

pruntées  de  Peyer  , de  Wotton  et  d’Aldrovande. 

11  y a un  grand  nombre  d’animaux  qui  possè- 
dent cette  admirable  faculté  de  ruminer;  tels  sont 
le  chameau  de  la  Bactriane  ou  à deux  bosses,  au- 
quel nous  donnons  mal  à propos  le  nom  de  dro- 
madaire ; la  grande  famille  des  boeufs  , des  buf- 
fles, des  bisons,  les  quadrupèdes  à cornes,  tels  que 
cerfs,  rennes,  élans,  gazelles,  antilopes,  chèvres 
et  moutons,  sans  exception,  et  le  chevrotain  sans 
cornes,  etc.,  ruminent  tous.  Les  lièvres,  les  la- 
pins, les  marmottes  et  quelques  autres  qui  ont  deux 
dents  par  en  haut  et  deux  par  en  bas,  sont  pareil- 
lement doués  de  cette  faculté. 

C’est-à-dire,  pour  m’expliquer  plus  clairement, 
que  tous  ces  animaux  commencent  par  se  remplir 
l’estomac;  ensuite  , par  un  mécanisme  singulier  , 
qui  diffère  cependant  beaucoup  du  vomissement, 
ils  font  remonter  successivement  une  partie  des 
alimens  dans  leur  bouche  , les  broient  fort  long- 
tems  entre  les  molaires  et  les  avalent  ensuite  une 
seconde  fois, pour  les  porter  dans  un  estomac  par- 
ticulier , ou  bien  dans  une  autre,  partie  du  même 
estomac,  lorsqu’ils  n’en  ont  qu’un  seul. 

Il  paroît  que  le  but  du  Créateur  a été  de  four- 
nir à ces  animaux  la  facilité  de  rassembler  prompa 
îement  leurs  alimens , car  tous  mangent  beaucoup 
à-la -fois  , relativement  à leur  grandeur.  Il  leur 
faudroiî  par  conséquent  trop  de  teins  si  ces  alimens 


55 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 

dévoient  être  brojés  assez  menus  avant  que  d’être 
avalés.  La  plupart  de  ces  animaux , qui  sont  d’un 
naturel  fort  craintif,  à cause  des  ennemis  qu’ils 
rencontrent  par-tout , n’ont  pas  beaucoup  de  tems 
à donner  à leur  pâture  : ils  coupent  et  avalent  par 
conséquent  aussi  vite  qu’il  est  possible  la  quantité 
d’herbes  qui  leur  convient,  vont  ensuite  se  ca- 
cher , ou  se  reposer , comme  nos  animaux  domes- 
tiques, et  ruminent  à leur  aise  ces  alimens,  qui , 
dans  leur  estomac,  ont  déjà  subi  une  petite  alté- 
ration ou  coction. 

Comme  on  a trouvé  dans  les  principaux  ani- 
maux ruminans  plus  d’un  estomac,  et  même  jus- 
qu’à quatre  estomacs,  on  a pensé,  dès  les  plus  an- 
ciens tems  , que  quatre  estomacs  étoient  absolu- 
ment nécessaires  pour  la  rumination,  ainsi  qu’on 
le  voit,  entre  autres,  chez  Galien  (i),  qui  dit  ron- 
dement , qu’on  s’exposeroit  au  ridicule  si  l’on 
osoit  prétendre  que  les  chiens  ont  quatre  estomacs 
et  que  les  animaux  ruminans  n’en  ont  qu’un. 

Buffon  , cet  admirable  naturaliste  , est  cepen- 
dant encore  imbu  de  ce  préjugé  : il  prétend  que  les 
lièvres  ne  ruminent  point  (2) , et  cela  simplement 


(1)  Comment.  2 in  lib.  Hipp,  de  Nat.  linman.  Ed.  Brassavoli, 

cl.  7,  pag.  182.  H Sic  si  çuis  canibus  quatuor  ventriculos 

a/Jirmaverit , unicum  vero  ruminantibus , deridebitur, 

(2)  To».  YI,  pag.  254. 


54 


LEÇONS 

parce  qu’ils  n’ont  qu’un  seul  estomac  ; tandis  que, 
d’un  autre  côté  , il  nie  fortement  , quoiqu’à  tort , 
que  le  cochon  des  Indes  Occidentales  à glande  mus- 
quée sur  le  dos  , qu’il  appelle  pécari  , n’est  pas 
muni  de  quatre  estomacs  (1)5  quoique  le  célèbre 
Tyson  les  ait  fort  bien  représentés  et  décrits;  et, 
ce  qui  est  ])lus  surprenant  encore,  non-obstant  que 
ces  quatre  estomacs  aient  été  représentés  et  décrits 
dans  son  propre  ouvrage  par  Daubenton,  pl.  VII, 
fîg.  2 , tom.  VI. 

Je  ne  considère  donc  ses  raisonnemens  que  com- 
me des  moyens  de  subterfuge,  sans  lesquels  il  lui 
étoit  impossible  de  se  tirer  d’affaire  ; car  dire  que 
le  pécari  n’a  pas  quatre  , mais  seulement  trois  es- 
tomacs, ne  prouve  rien  de  particulier;  vu  que  chez 
les  bêtes  à cornes,  les  moutons,  les  chèvres  et  les 
cerfs  , la  panse  ne  forme  qu’un  estomac  avec  le 
bonnet  , et  que  par  conséquent  ils  n’auroient  , 
comme  le  pécari , que  trois  estomacs  , ainsi  qu’il 
le  dit  lui-même,  tom.  IV,  pag.  46o  : « Les  deux 
« estomacs  ne  forment  qu’un  même  sac;  ))  et  pag. 
46 1 ; <c  Le  bonnet  n’est  qu’une  portion  de  la 
« panse.  » Et  cependant  il  reconnoît,  avec  raison, 
que  la  rumination  a lieu  chez  ces  animaux. 


(1)  Sus  umhüicum  in  dorso  gerens  ^ Aldrov.,  ou  sus  ecaicda- 
lus  folliciilnm  in  dorso  gcrcns  , BbissokH  , Reg.  anirn.,  pag.  3, 
ou  sus  dorso  cyslifero  caiida  nuUa  , Linn.  , edit.  X , pag.  5o. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


55 


La  nature  montre  souvent  combien  peu  sa  puis- 
sance est  bornée , en  variant  à l’infini  le  méca- 
nisme des  animaux  , et  par  combien  de  moyens 
dilFérens  elle  parvient  avec  la  même  perfection  à 
remplir  le  même  but.  Les  singes  , par  exemple  , 
remplissent,  aussi  promptement  qu’il  leur  est  pos- 
sible , non  leur  estomac  , mais  deux  poches  ou 
abajoues  qu’ils  ont  de  chaque  côté  de  leurs  mâ- 
choires, et  qu’on  peut  considérer  comme  un  pre- 
mier estomac.  Ensuite  ils  remâchent , si  je  puis 
m’exprimer  ainsi,  leurs  alimens  à leur  aise,  de  la 
même  manière  que  le  font  les  bêtes  à cornes.  Le 
hamster  ordinaire  ( i ) a de  semblables  parties  , 
qui  se  trouvent  fort  bien  représentées  chez  Buffon, 
tom.  XIII,  pag.  119,  pl.  XVI,  dans  lesquelles  cet 
animal  voi’ace  fourre  d’abord  le  grain  qu’il  vole  , 
et  qu’il  cache  ensuite  ailleurs  pour  s’en  nourrir 
quand  la  faim  le  commande. 

Les  an ima  ux  véritablement  ruminans  n’ont  point 
de  pareilles  poches  pour  cacher  leurs  alimens,  mais 
un  double  estomac,  ou  plutôt  un  estomac  qui  sem- 
ble partagé  en  deux  parties.  Ils  ne  peuvent  donc 
faire  autre  chose  que  remplir  le  premier  de  ces  es- 
tomacs, pour  ensuite  faire  remonter  par  parties 
vers  leur  bouche  et  ruminer  les  alimens  qu’ils  ont 
commencé  par  avaler. 

(O  Valentini , Theat.  200t.,  part.  I,  pag.  iS4t  tab.  3a.  Linn., 
Mus. , sp.  6.  Edit.  X , pag.  60. 


56 


LEÇONS 

Ne  voyons-nous  pas  que  la  sage  nature  a placé 
dans  le  ventricule  des  crabes  et  des  écrevisses  des 
molaires  pour  y mâcher  et  broyer  leurs  alimens 
avant  qu’ils  passent  dans  les  intestins;  de  sorte  que, 
si  je  puis  me  servir  de  cette  comparaison  , la  rumi- 
nation se  fait  chez  eux  dans  l’estomac  même. 

L’autorité  de  quelques  membres  de  l’Académie 
des  sciences  de  Paris  et  celle  de  Perrault  (i)  pour- 
roit  nous  induire  en  erreur  et  nous  faire  croire 
que  les  gazelles  n’ont  que  deux  estomacs  et  qu’ils 
ruminent  cependant  ; car  ils  disent  formellement 
que  la  gazelle  rumine  quoiqu’elle  n’ait  que  deux 
estomacs  ; et  qui  plus  est , ils  ont  re])résenlé  ces 
deux  estomacs  ; tandis  que  j’ai  observé  le  contraire 
dans  un  jeune  sujet  de  cette  espèce,  lequel  ressem- 
bloit  parfaitement  par  sa  figure,  ses  oreilles,  ses 
yeux  et  les  brosses  de  ses  jambes  de  devant  à ceux 
dont  parlent  les  membres  de  l’Académie  des  scien- 
ces de  Paris  et  à celui  que  Buffon  a décrit.  Ce  jeune 
animal  avoit  quatre  estomacs,  qui  ressembloient  à 
ceux  de  nos  jeunes  agneaux  et  aux  quatre  esto- 
macs du  chevrotain.  Je  conserve  ces  estomacs  rem- 
plis d’air  et  vernis  , afin  de  pouvoir  produire  un 
exemple  du  peu  de  fidélité  et  d’exactitude  même 
des  hommes  les  plus  célèbres.  La  représentation  et 
la  description  des  estomacs  de  la  gazelle  que  Per- 

(i)  Ouçraf’es  adoptés  , tom.  1.,  pag.  jj2.  Ces  estomacs  sont  re- 
présentés ibid, , pag.  84 , fig.  i . 


SUR  l’  É P I Z O O T I E.  57 

rault  a données  avec  tant  d’emphase  , ne  doivent, 
être  considérées  que  comme  une  pure  fiction. 

Les  exemples  suivans  nousconvainci'ont  que  les 
animaux  n’ont  pas  besoin  de  quatre  estomacs  pour 
ruminer. 

Les  lièvres,  on  le  sait , ainsi  que  les  lapins  et  au- 
tres animaux  de  cette  espèce,  que  Linnæus  a rangé , 
assez  mal  à propos,  dans  la  classe  des  mures,  n’ont 
qu’un  seul  estomac, pl.  XXVIII,  fig.  7,  A.  B. 5 mais, 
par  l’insertion  singulière  de  l’oesophage  C.  D. , il 
semble  figuré  à peu  près  comme  s’il  y en  avoit 
deux  B.  I).  et  A.  D.  Ces  animaux  ruminent  incon- 
testablement , malgré  le  doute  que  Buffion  a voulu 
faire  naître  à cet  égard  5 ainsi  que  je  le  prouverai 
préremptoirement  dans  la  suite,  par  la  position  de 
leurs  molaires. 

L’estomac  des  chevaux  paroît  partagé  en  deux 
parties,  dont  la  première,  lisse  en  dedans,  s’étend 
comme  le  jabot  d’un  oiseau  5 la  seconde  est , com- 
me celle  de  Fhomme , inégale  et  garni  de  vaisseaux 
absorbans  , ainsi  que  Daubenton  l’a  fort  bien  in- 
diqué (1).  Cependant  le  cheval  ne  rumine  pas; 
non  parce  que  la  nature  ne  lui  a pas  donné  un  jdus 
grand  nombre  d’estomacs,  mais  parce  que  cet  ani^ 
mal,  qui  n’y  est  pas  destiné,  n’a  pas  les  molaires 
faites  ni  la  mâchoire  inférieure  articulée  pour  cette 


0)  Tom.  IV,  pag.  32  , pl.  V,  fi. 


58 


I.  E C O N s 


opération.  Il  paroît  donc  par- là  que  le  nombre 
d’estomacs  n’a  rien  de  commun  avec  la  rumi- 
nation. 

Les  moutons  , les  cerfs  , les  gazelles  et  les  chè- 
vres n’ont  réellement  que  trois  estomacs:  la  panse 
et  le  bonnet  n’en  forment  qu’un , le  feuillet  est  le 
second  et  la  cailletie  le  troisième.  Ajoutez  à cela 
que  les  alimens  quel’animal  a ruminés  passent  im- 
médiatement de  l’oesophage  dans  le  feuillet,  et  de 
là  dans  la  caillette  ; de  manière  qu’on  peut  dire 
que  la  rumination  ne  demande  réellement  que 
deux  estomacs. 

Le  cæcum  est  également  ici  de  peu  d’impor- 
tance, quoique  Bullbn  veuille  en  faire  usage  (i). 
11  est  bien  vrai  que  les  bœufs  ont  le  cæcum  petit, 
comme  je  l’ai  fait  voir  il  y a quelque  tems  ; mais 
les  chiens,  les  renards  et  tout  ce  genre  d’animaux 
ont  également  le  cææum  petit;  tandis  que  les  liè- 
vres et  les  lapins  en  ont, au  contraire, un  fort  long 
et  fort  gros  tourné  en  forme  de  vis.  Il  me  semble 
qu’on  ne  sauroit  en  conclure  rien  d’autre  si  ce  n’est 
que  la  consistance  des  excrémens  dépend  de  la 
grandeur  et  de  la  longueur  du  cæcum.  Les  bœufs, 
chez  qui  cet  intestin  a trente-quatre  pieds  de  long, 
sans  valvules,  rendent  une  bouse  fort  molle.  Les 
moutons,  dont  le  cæcum  est  beaucoup  plus  grand, 


(i)Toni.  VI,  pag.  255. 


s U Tl  É P I Z O O T I E.  5g 

proportion  gardée , puisqu’il  a vingt  pieds  de  long^ 
et  les  cerfs  chez  qui  cet  intestin  est  de  vingt-sept 
pieds  en  y comprenant  le  boyau  rectum,  fait  des 
crottes;  ce  qui  prouve  suffisamment  qu’il  y a peu 
de  rapport  entre  celte  partie  et  la  rumination;  ce 
n’est  que  la  dernière  coction  qui  se  fait  dans  cet 
intestin. 

Ce  seroit  avec  raison  que  vous  me  demanderiez 
si  les  pieds  des  animaux  peuvent  nous  indiquer 
s’ils  ruminent?  Vous  voyez  que  ce  pied  de  devant 
d’un  chameau  est  garni  d’une  semelle  , laquelle 
couvre  la  plante  du  pied  en  partant  de  deux  lar- 
ges ongles,  lesquels  se  terminent  sur  les  doigts 
de  ce  pied.  Cette  semelle  diffère  beaucoup  du  sa- 
bot du  cheval , lequel  est  composé  d’une  corne 
ronde;  tandis  que  la  semelle  du  chameau  est  un 
morceau  de  cuir  mou  , qui  couvre  la  graisse  car- 
tilagineuse de  la  plante  des  pieds,  et  qui  n’est  guère 
plus  épais  que  la  peau  ordinaire  de  cette  partie 
dans  l’homme.  Cependant  le  chameau  , dont  les 
pieds  diffèrent  tant  de  ceux  des  boeufs,  des  mou- 
tons, des  cerfs,  etc. , rumine;  tandis  que  les  porcs 
qui , comme  le  renne  , ont  les  pieds  parfaitement 
fourchus,  ne  ruminent  pas. 

Le  chevrotain  , le  plus  petit  de  tous  les  animaux 
à pieds  foui'chus,  a,  comme  la  gazelle,  huit  dents 
incisives  dans  la  mâchoire  inférieure,  deux  dents 
canines  à la  mâchoire  supérieure,  comme  les  cerfs, 


6o 


LEÇONS 

et  quatre  molaires  par  en  haut  et  par  en  bas,  com-  ' 
me  tous  les  animaux  ruminans.  BulFon  nous  a in- 
duit en  erreur  en  disant  qu’il  a des  molaires  comme  J 
les  animaux  carnassiers  (i).  La  description  anato- 
mique qu’il  a donnée  de  ce  singulier  animal  est 
d’ailleurs  fort  défectueuse.  ] 

Ayant  eu  occasion  de  disséquer  un  jeune  ani- 
mal de  cette  espèce,  qui  avoit  été  conservé  long- 
terns  dans  de  l’esprit  de  vin , j’ai  trouvé  qu’il  avoit  ' 
une  glande  avec  une  grande  ouverture  ronde  sous  j 
chaque  œil  ; c’est-à-dire  , à l’endroit  où  l’on  sait 
qu’en  ont  nos  cerfs  et  les  autres  animaux  de  cette  * 
espèce.  BuÜ'on  s’est  donc  trompé  en  disant  que  j 
« Le  chevrolain  n’a  point  de  larmiers  ou  d’enfon-  ( 
((  ceuiens  au-dessous  des  yeux  , comme  les  cerfs  , 

« les  gazelles  , etc.  j » mais  cette  discussion  m’é- 
carteroit  trop  de  mon  sujet. 

Voici  un  dessin  des  quatre  estomacs  du  chevro- 
tain , pl.  XXVill,  fîg.  4,  ainsi  que  de  son  foie  et  de 
sa  raie.  Toutes  ces  parties  ressemblent  si  parfaite- 
ment à celles  d’un  jeune  veau,  qu’on  pourroit  croire 
que  c’est  la  figure  réduite  de  celles  de  ces  animaux  j 
mais  je  puis  vous  assurer  que  cette  représentation 
est  exacte  et  de  la  grandeur  naturelle  des  viscères 
du  chevrotain  , que  je  conserve  dans  mon  cabinet 
d’histoire  naturelle. 


(i)Tom.  XII,  pa^.  346. 


sur'  l’épizootie.  6l 

Cet  animal  rumine  donc,  malgré  le  doute  que 
BufFon  a voulu  faire  naître  à cet  égard. 

En  portant  un  regard  attentif  sur  ce  que  Mo'îse 
dit  {Levit.  ii , vers.  3 et  4),  on  trouve  que  le  si- 
gne caractéristique  par  lequel  il  distingue  les  ani- 
maux purs  et  impurs  ne  consiste  pas,  et  avec  rai- 
son , dans  les  quatre  estomacs,  mais  dans  la  rumi- 
nation lorsqu’elle  se  trouve  chez  un  animal  qui  a 
les  pieds  fourchus.  Le  chameau  étoit  impur,  parce 
qu’zZ  rumine  hien,  mais  il  n^a  point  V ongle  di- 
visé , comme  vous  le  voyez  en  effet  par  ce  pied  de 
devant.  L’animal  a deux  ongles  et  la  plante  en- 
tière, par  conséquent  ses  ongles  ne  sont  pas  four- 
chus 5 car,  quoiqu’ils  paroissent  isolés  en  dessus, 
cette  division  ne  va  que  jusqu’à  la  plante  du  pied. 

Ensuite  ( vers.  5 et  6 ) Moïse  dit,  que  les  lièvres 
et  les  lapins  sont  impurs  , car  ils  ruminent  bien  y 
mais  ils  n^  ont  point  V ongle  divisé  ; c’est-à-dire, 
point  fourchu  5 mais  ces  animaux  ont,  comme  les 
chats  et  les  renards,  les  pieds  de  devant  divisés  en 
cinq  doigts,  et  ceux  de  derrière  en  quatre  doigts. 

Au  premier  coup  - d’oeil  on  pourroit  croire  que 
les  enfans  d’Israël  étoient  fort  bornés  dans  les  es- 
pèces d’alimens  dont  ils  pouvoient  se  nourrir  5 tan- 
dis que  le  contraire  paroît  quand  on  réfléchit  sur 
les  différentes  espèces  d’animaux  qui  tout  à-la-fois 
ruminent  et  ont  les  pieds  fourchus.  Ils  forment, 
comme  l’a  fort  bien  remarqué  Buffon  , le  plus 


LEÇONS 


6a 

grand  nombre  sur  tonte  la  surface  de  la  terre  (i); 
car,  outre  qu’on  en  trouve  beaucoup  en  Asie  , en  ■ 
Afrique  et  en  Eurojie,  et  que  ces  animaux  aiment 
pour  la  plupart  , comme  il  paroît  , les  climats 
chauds  , on  rencontre  dans  la  partie  la  plus  sep- 
tentrionale de  l’Europe  même  une  grande  quantité 
de  rennes  et  d’élans,  qui  tous  ont  les  mêmes  pro- 
priétés. 

Comme  tous  les  princi])aux  animaux  ruminans 
n’ont  de  dents  incisives  que  dans  la  mâchoire  in- 
férieure , sans  en  avoir  dans  la  supérieure  , on 
pourroit  s’imaginer  que  cette  propriété  est  un  si- 
gne certain  delà  rumination  ; tandis  qu’on  est  con- 
vaincu du  contraire  par  les  lièvres,  les  lapins,  les- 
quels ont  non-seulement  deux  grandes  dents  in- 
cisives dans  la  mâchoire  supérieure  , mais  même 
deux  autres  plus  petites  derrière  celles-ci , ainsi 
que  vous  le  voyez  par  les  têtes  décharnées  de  ces 
animaux  que  voici , etqueBulTon  a représentées 
d’une  manière  fort  exacte.  L’agouti,  le  porc-épic, 
le  rat  et  la  souris  n’ont  point  ces  dents  de  derrière 
dans  la  mâchoire  supérieure,  et  ne  ruminent  cer- 
tainement pas,  tandis  que  les  lapins  et  les  lièvres 
ruminent  incontestablement. 

J’ai  dit  plus  haut  ce  que  je  pensois  relativement 
au  grand  but  que  la  nature  s’est  proposée  dans  la 


(i)  l'oni.  XII , 55y. 


65 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 

ruminalion  ; savoir  , qu’elle  donne  aux  animaux 
qui  ont  besoin  de  beaucoup  de  nourriture  , le 
moyen  de  triturer  à leur  aise  leuis  alimens  , sans 
être  obligés  de  paître  continuellement.  Pour  cette 
raison , les  dents  incisives  de  la  mâchoire  supé- 
rieure n’ont  pas  le  moindre  rapport  avec  la  rumi- 
nation ; elles  ne  servent  qu’à  couper  les  alimens 
assez  menus  pour  qu’ils  puissent  passer  facilement 
par  l’œsophage. 

Le  bœuf,  le  mouton  , la  chèvre  , le  cerf  et  au- 
tres animaux  semblables  , ont  la  langue  longue  , 
couverte  d’une  membrane  garnie  de  mille  petits 
crochets.  Ces  animaux  cueillent  l’herbe,  et  ont  as- 
sez de  fermeté  dans  le  bourrelet  de  la  mâchoire 
supérieure  pour  la  casser.  Les  lièvres  et  les  lapins 
coupent  l’herbe.  Le  chameau,  le  cerf  et  le  chevio- 
tain  ont  de  plus  des  dents  Canines,  parce  i[u’ils  se 
nourrissent  d’alimens  plus  grossiers,  tels  que  bran- 
ches d’arbres,  feuilles,  chardons,  etc. , qu’ils  peu- 
vent, par  ce  moyen  , arracher  facilement.  Le  cha- 
meau a six  dents  canines  dans  la  mâchoire  supé- 
rieure et  quatre  dans  l’inférieure , lesquelles,  quoi- 
que fort  saillantes,  l’empêchent  aussi  peu  de  rumi- 
ner que  les  deux  dents  canines  de  la  mâchoire  su- 
périeure du  cerf  et  du  chevrotain.  Les  dents  de 
devant  ont  par  conséquent  aussi  peu  de  rapport 
’ que  les  ongles  avec  la  rumination. 

On  doit  donc  chercher  les  véritables  caractères 


I,  E C O N s 


de  lo  vuminalion  tlansles  molaires,  dans  le  peu  de 
largeur  de  la  mâchoire  inferieure  et  dans  la  place 
qu’occupe  son  articiilalion. 

Voici  la  tête  d’un  chameau  et  sa  mâchoire  in- 
férieure j voici  celle  du  veau  que  j’ai  disséqué  dans 
les  précédentes  leçons.  Voyez  la  tête  décharnée  du 
mouton  , ainsi  que  celles  du  lapin  et  du  lièvre.  Joi- 
gnez-j  celles  du  cerf,  de  la  gazelle  et  du  chevro- 
tain  j on  s’apperçoit  facilement  que  tous  ont  la  mâ- 
choire inférieure  beaucoup  plus  étroite  que  celle 
d’en  haut,  et  qu’elle  est  exactement  de  la  largeur 
des  mollaires  du  fond  de  la  bouche,  si  ce  n’est 
qu’elle  est  peut-être  un  peu  plus  large.  Observez, 
je  vous  prie,  le  mouvement  oblique  des  têtes  de 
la  mâchoire  inférieure  dans  les  cavités  de  l’os  tem- 
poral et  les  raies  transverses  que  ce  mouvement 
oblique  a imprimées  dans  les  molaires.  Peyer  (pag. 
i4  J a , je  l’avoue  , observé  ces  raies  transverses  , 
mais  il  a négligé  , ainsi  que  tous  les  autres  natu- 
ralistes, déporter  son  attention  sur  la  formeétroite 
de  la  mâchoire  inférieure  , si  indispensablement 
nécessaire  pour  produire  cet  effet.  Cette  forme 
étr  oite  , surtout  de  la  partie  antérieure  des  deux 
mâchoires  fait  que  les  dents  canines  du  chameau, 
du  cerf  et  du  chevrolain,  n’incommodent  pas  ces 
animaux  dans  leur  mastication  ; et  c’est  peut-être 
pour  cette  raison  seule  que  le  chameau  a le  mu- 
seau si  pointu. 


65 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 

Si  maintenant  nous  comparons  cette  disposition 
de  la  mâclxoire  inférieure,  des  molaires  et  de  l’ar- 
ticulation de  la  mâchoire  arec  celle  du  lion  , du 
chat,  du  chien,  du  renard,  que  voici,  on  s’apper- 
cevra  facilement  que  ces  parties  sont  faites  pour 
que  ces  animaux  puissent  briser  par  un  mouvement 
de  la  mâchoire  inférieure  de  bas  en  haut , et  jamais 
oblique , leur  proie,  après  qu’ils  l’ont  mis  en  lam- 
beaux. La  pointe  aigue  des  molaires  nous  prouve 
évidemment  que  ces  animaux  carnassiers  nehroient 
ou  ne  mâchent  point,  mais  qu’ils  cassent  ou  bri- 
sent seulement  leur  nourriture,  ainsi  qu’on  pour- 
voit le  faire  avec  des  tenailles. 

Observons  maintenant  ces  têtes  décharnées  de 
l’homme  et  de  différentes  espèces  de  singes  , et 
nous  verrons  que  la  couronne  des  molaires  est 
plate,  que  les  mâchoires  inférieure  et  supérieure 
sont  de  la  même  largeur,  et  que  le  mouvement  de 
la  mâchoire  inférieure  est  si  libre  que  l’homme 
peut , ainsi  que  les  quadrumanes  , broyer  fort 
menus  entre  ses  molaires  les  alimens  dont  il  se 
nourrit. 

Voici  maintenant  le  crâne  d’un  bahi-roussa,  que 
Buffon  ( 1 ) a représenté  assez  bien  , si  ce  n’est 
qu’il  est  trop  court.  Rernarquez-en  les  molaires  , 
ainsi  que  les  mâchoires  , et  vous  ne  pourrez  douter 

(i)Tom.  XII,  pl.  48. 


1 1 I. 


5 


66  LEÇONS 

que  ces  animaux  doivent  tous  être  exclus  de  la 
classe  des  ruminans,  malgré  que  Peyer  (pag.  45) 
en  ait  douté.  Le  ])ecari  ou  cochon  à glande  mus- 
quée près  de  la  croupe  a la  même  espèce  de  molai- 
res; il  ne  rumine  par  conséquent  pas,  quand  même 
il  auroit  six  estomacs. 

Les  rats  et  les  souris  ont  la  couronne  des  molai- 
res tuberCLilée,  et  aussi  large  par  le  haut  que  par 
le  bas;  ils  ne  peuvent  donc  pas  ruminer. 

Les  porcs-éj)ics  et  l’agouti  (dont  Linnæus  a,  se- 
lon moi , si  mal  à propos  placé  le  dernier  parmi  les 
rats)  meuvent  en  mangeant  la  mâchoire  inférieure 
droit  en  avant;  aussi  ont-ils  les  rainures  dans  les- 
quelles se  meuvent  les  têtes  de  la  mâchoire  infé- 
rieure placées  droit  en  avant;  tandis  que  celles  des 
animaux  ruminans  sont  placées  obliquement;  et 
leurs  molaires  , qui  ont  la  même  largeur  par  en 
haut  et  par  en  bas,  sont  rendues  fort  lisses  par  le 
frottement  ; de  sorte  qu’on  peut  se  convaincre  de 
ce  mouvement  en  avant  par  la  manière  don  t les  mo-  { 
laires  se  trouvent  émoussées.  Il  est  donc  impossible 
que  ces  animaux  puissent  ruminer.  Je  conserve, 
pour  cette  raison,  dans  ma  collection  la  tête  d’uni 
porc-épic,  et  le  squelette  d’un  agouti.  Mes  obser- 
vations sur  ce  mouvement  de  la  mâchoire  ne  sontl 
pas  neuves;  Peyrec  en  avoil  déjà  parlé  pag.  176.  !l 

Les  lièvres  et  les  lapins  ont,  comme  je  l’ai  faitii 
voir  plus  haut , ce  caractère  remarquable  , et  pan 


SUR  u’ ÉPIZOOTIE.  67 

cela  seul  j’oserois  affirmer  que  c’est  avec  raison 
que  Moïse  les  a classés  parmi  les  animaux  rumi- 
nans.  Je  conviens  que  le  grand  Palrik,  en  expli- 
quant les  versets  5 et  6 du  onzième  chapitre  du  Lé- 
vitique,  doute,  d’après  l’autorité  de  quelques  écri- 
vains et  particulièrement  de  Bochart,  que  ces  ani- 
maux aient  cette  faculté  j mais  si  l’on  examine  bien 
les  raisons  sur  lesquelles  il  se  fonde,  on  trouvera 
qu’elles  portent  sur  ce  qu’Aristote  (1)  ne  range 
dans  la  classe  des  ruminans  que  les  animaux  qui 
ne  sont  pas  amphodonta  , c’est-à-dire,  à doubles 
dents,  et  sur  les  fausses  considérations  de  Bartho- 
lin  et  d’autres,  d’un  seul  estomac;  deux  caractè- 
res qui,  comme  je  l’ai  déjà  prouvé,  ne  contribuent 
en  rien  à la  rumination. 

Comme  ces  leçons  n’ont  pour  but  que  la  rumi- 
nation des  bêtes  à cornes  , et  son  analogie  avec 
celle  des  montons,  je  dois  faire  observer  la  sincfu- 
lière  disposition  de  l’oesophage,  depuis  son  inser- 
tion dans  la  panse  jusque  dans  le  feuillet  ou  oma- 
sum.  Buffon  en  a donné  une  excellente  figure  (2), 
et  Perrault  (5)  une  bien  meilleure  encore  , selon 
moi.  Cette  partie  n’est  pas  moins  visible  dans  les 
moutons,  et  a latéralement  deux  gros  rebords,  pl. 


(1)  Lib.  X,  cap.  5o. 

(2)  Tom.  IV,  pl.  17,  fig.  2.  C.  D. 

(3)  Pl.  i3,  fig.  2,  pag,  432. 


68  LEÇONS 

XXVIIl , iig.  5,  D.  E. , avec  de  petites  rides  trans- 
verses. L’oesophage,  qui  y passe  en  B.  C. , est  lisse 
avec  des  raies  fines,  F.  G. , disposées  en  longueur, 
lesf|uelles  sont  un  peu  éminentes.  Ces  rebords 
C.  D.  B.  et  C.  E.  B.  ressemblent  à deux  lèvres  qui 
peuvent  se  fermer  l’une  sur  l’autre,  et  qui  sépa- 
rent la  panse  du  bonnel, lorsque  les  alimens  rumi- 
nés descendent  pour  la  seconde  fois  le  long  de  l’oe- 
sophage, et  sont  portés  dans  le  feuillet  ou  troisiè- 
me estomac.  Joignez  à cela  que  les  libres  rouges 
des  muscles  de  l’oesophage,  passent  d’unemanière 
fort  visible  par  dessus  l’extérieur  de  cette  partie, 
et  vont  se  rattacher  au  feuillet  5 de  manière  que  , 
dans  la  seconde  déglutition  , ces  deux  ouvertures 
sont  comme  l'approchées  l’une  vers  l’autre;  ce  qui 
fait  que  la  cavité  semble  s’élargir,  et  que  les  lè- 
vres peuvent  alors  agir  avec  plus  de  force. 

Remarquez  ici,  pl.  XXVI  11 , fig.  5,  comment 
l’oesophage  A.  B.  forme  un  orifice  G.  près  de  la 
réunion  de  la  panse  avec  le  bonnet,  et  comment 
de  cet  orifice  les  lèvres  C.  D.  B.  et  C.  E.  B.  vont  se 
rendre  à l’orifice  du  feuillet  F.  Lorsqu’on  coupe 
transversalement  cette  partie , comme  on  le  voit 
pl.  XXVIII,  fig.  6 , on  apperçoit  distinctement  les 
fentes  de  cet  orifice  D.  et  E. , lesquelles,  étant  fer- 
mées, laissent  l’ouverture  G.  par  laquelle  passent 
les  alimens  ruminés. 

On  lu’objectera  que  ce  rapprochement  n’est  pas 


SUR  u’  É P I Z O O T I E.  69 

parfait  : supposons -le  pour  un  moment.  Dans  ce 
cas,  il  se  pourroit  que  quelques  parties  des  alimens. 
ruminés  y passassent  et  se  trouvassent  perdues  ; 
c’est-à-dire,  qu’elles  tombassent  de  nouveau  dans 
la  panse  , et  qu’il  faudroit  qu’elles  fussent  rumi- 
nées une  seconde  fois  avant  qu’elles  pussent  être 
portées  dans  le  feuillet.  Mais  cette  perte  seroit  fort 
petite,  en  admettant  même  qu’elle  eut  lieu.  Nous 
voyons  ici  l’animal  mort;  il  se  pourroit  que  cette 
voie  fut  toujours  nulurellenient  fermée  chez  les 
animaux  vivans,  et  qu’elle  ne  s’ouvre  que  quand 
ils  avalent  de  gros  morceaux  ou  lorsqu’ils  boivent. 
Si  l’on  n’avoit  jamais  vu  que  la  bouche  ouverte  de 
personnes  mortes,  faudroit- il  en  conclure  qu’é- 
tant vivantes  elles  n’avoient  pas  la  faculté  d’y  gar- 
der de  l’eau  en  serrant  légèrement  les  lèvres?  Il 
en  est  de  même  ici  : ces  lèvres  sont  cachées  pour 
nous  pendant  la  vie  de  l’animal  ; nous  ne  con- 
noissons  donc  point  leur  mécanisme,  et  nous  som- 
mes certainement  induits  en  erreur  par  le  chan- 
gement que  la  mort  y occasionne. 

Rappelez- vous  les  valvules  semi-lunaii'es  du 
cœur  : se  ferment  - elles  beaucoup  mieux  dans  les 
animaux  morts  que  ces  lèvres?  Cependant  n’êtes- 
vous  pas  convaincus  qu’elles  se  rapprochent  par- 
faitement, et  qu’elles  ne  laissent  aucun  passage  à 
la  plus  petite  goutte  de  sang  aussi  long-tems  qu’ils 
respirent  ? 


70 


I.  E Ç O N s 

Quoiqu’il  en  soit,  il  est  certain  que  les  alimens 
que  l’animal  a ruminés  une  lois  ne  passent  pas  d’a- 
bord dans  le  l>onnet  ou  réticulum , et  de  là  dans 
le  troisième  estomac j mais  qu’ils  vont  directement 
de  l’œsophage  dans  le  l’euillet  ou  troisième  esto- 
mac des  l)êles  à cornes  et  desmoulons;  et  j’ai  cons- 
tamment trouvé  des  matières  non-ruminées  dans 
la  ])anse  et  dans  le  bonnet,  c’est-à-dire,  des  ali- 
mens absolument  de  la  même  nature. 

Le  grand  Haller  me  ])aroît  s’écarter  de  la  bonne 
route,  lorsqu’il  avance, dans  son  admirable  Phy- 
siologie (i),  que  les  alimens  ruminés  doivent  êti’e 
détrempés  de  nouveau  dans  la  panse,  et  cela  mê- 
me jusqu’à  trois  et  quatre  fois, avant  qu’ils  passent 
dans  le  feuillet.  Il  prétend  aussi  que  l’orifice  que 
je  viens  de  vous  faire  voir  n’est  destiné  qu’à  porter 
la  boisson  de  l’animal  dans  le  feuillet;  ce  qui  ne 
paroît  jamais  à l’ouverture  des  bestiaux;  car  j’ai 
constamment  trouvé  la  panse  remplie  d’eau  qui  y 
formoit  une  espèce  de  bouillie.  J’ai  fait  prendre  à 
des  bestiaux  une  demi -heure,  une  heure  et  trois 
heures  avant  qu’on  les  tuât,  des  décoctions  de  bois 
deFernambuc,  mêlé  avec  du  miel,  de  l’huile  et 
du  sassafras;  et  j’ai  toujours  trouvé  cette  boisson 
dans  la  panse,  l’odeur  de  l’huile  surtout  dans  le 
bonnet;  et  il  n’y  en  avoit  jamais  dans  le  troisième 


(i  ) Tom.  III , pag.  2g2. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  71 

«stomac;  ce  qui  prouve  que  l’orifice  en  question 
laisse  passer  machinalement,  c’est-à-dire,  comme 
le  demande  la  nature  de  l’animal,  dans  la  panse 
les  matières  liquides  qu’il  avale.  Aussi  est-il  cer-^ 
tain  qu’on  ne  trouveroit  pas  de  matières  aussi  sè- 
ches dans  le  feuillet,  si  la  boisson  y passoit  immé- 
diatement. Chez  les  jeunes  bêtes  à cornes  et  chez 
les  agneaux,  qui  ne  se  nourrissent  que  de  lait,  ce 
lait  tombe  également  dans  la  panse  , où  il  subit 
une  première  coction,  y prend  une  teinte  brunâ- 
tre, et  passe  dans  le  troisième  estomac,  ainsi  que 
dans  le  bonnet,  sans  subir  d’autre  altération;  mais 
11  ne  se  trouve  pas  plutôt  dans  la  caillette  qu’il  se 
coagule  et  forme  une  matière  caseuse  blanche. 

Mais  je  reviens  à la  mastication.  Les  alitnens  qui 
ont  été  détrempés  pendant  quelque  lems  dans  la 
panse,  et  qui  y ont  subi  une  légère  coction,  sont 
reportés  par  pelotes  vers  en  haut  par  un  mouve- 
ment particulier  de  la  panse.  Il  me  paroît  vraisem- 
blable que  le  ventricule  se  contractant,  les  alimens 
sont  portés  par  cette  pression  dans  le  bonnet  ; et 
que  lorsqu’une  portion  des  alimens  doit  être  re- 
portée vers  la  bouche,  le  bonnet  se  comprime  de 
même  , ainsi  que  l’ouverture  du  feuillet  ; et  que 
c’est  de  cette  manière  qu’une  partie  des  alimens 
qui  se  trouvoient  dans  le  bonnet , étant  retenue 
par  le  rétrécissement  près  de  la  panse,  elle  est  por- 
tée par  cette  pression  dans  l’oesophage.  Cette  qpé- 


72  LEÇONS 

ration  diflere  du  vomissement;  car  on  convient  as- 
sez généralement  que  les  bêtes  à cornes  et  les  che- 
vaux ne  vomissent  jamais  , quoique  Goelicke  ait 
fait  vomir  des  vaches  avec  du  foie  d’antimoine  , 
pour  les  guérir  de  l’épizootie. 

Pour  ne  pas  être  trop  prolixe  , je  vais  vous  rap- 
peler en  peu  de  mots  ce  que  ce  sujet  olfre  de  plus 
intéressant. 

Les  hêtes  à cornes  et  autres  de  cette  espèce  com- 
mencent ])ar  arracher  Plierhe,  le  foin  ou  les  feuil- 
les dont  elles  se  nourrissent,  et  les  h royenf,  légère- 
ment entre  les  molaires,  pour  que,  mêlés  avec  la 
salive,  ces  alimens  puissent  passer  plus  facilement 
de  l’oesophage  dans  la  panse.  Ce  ])remier  estomac, 
qui  mérite  de  fixer  votre  attention  , est  placé  tota- 
lement dans  la  cavité  gauche,  et  le  bonnet  se  trou- 
ve vers  le  devant;  mais  l’un  et  l’autre  horisontale- 
ment.  Le  troisième  estomac  est  placé  plus  haut 
que  le  bonnet,  et  avec  son  côté  convexe  vers  le 
foie  ; c’est  - à - dire,  que  les  livrets  sont  disposés 
plus  ou  moins  verticalement;  ensuite  vient  dans  la 
cavité  droite  la  caillette,  laquelle  est  reçue  dans  la 
scissure  du  foie.  La  panse  et  la  caillette  sont  recou- 
vertes par  l’épiploon  , immédiatement  contre  le 
péritoine,  et  par  conséquent  contre  les  muscles  du 
ventre. 

Lçs  alimens  sont  d’abord  détrempés  dans  la 
panse,  tant  par  l’eau  que  l’animal  avale  et  qui  sé- 


journe  toujours  dans  cet  estomac,  que  par  la  sa- 
live et  par  le  suc  gastrique  que  les  vaisseaux  excré- 
toires versent  dans  cet  estomac,  l.a  chaleur  interne, 
la  respiration,  le  mouvement  alternatif  des  mus- 
cles du  ventre,  l’action  de  ceux  de  l’estomac,  tout 
cela  combiné  contribue  à ce  que  les  alimens  ava- 
lés reçoivent  dans  la  panse  une  légère  coction,  et 
sont  un  peu  digérés. 

Après  quoi  vient  le  renvoi  d’une  partie  de  ces 
alimens  vers  la  bouche  , laquelle  après  avoir  été 
broyée  fort  menue,  et  bien  imprégnée  de  salive  , 
est  portée  immédiatement  dans  le  troisième  esto- 
mac, et  partagée  entre  les  livrets  du  feuillet;  c’est 
à quoi  les  petites  lames  qui  tapissent  son  oriûce  F. 
lig.  5,  pl.  XXVIII,  ont  déjà  donné  lieu. 

Dans  le  troisième  estomac,  les  alimens  reçoi- 
vent d’autres  sucs  des  glandes  placées  dans  les  li- 
vrets, et  sont  comme  pétris  et  exprimés  dans  cet 
intestin,  où  elles  acquièrent,  en  même  tems,  en 
partie  l’odeur  qui  est  particulière  à la  bouse.  C’est 
également  dans  cet  estomac  que  sont  absorbées  les 
parties  les  plus  subtiles  et  les  plus  nutritives  des 
alimens. 

La  coction  et  la  trituration  s’étant  faites  ici,  les 
alimens  passent  dans  la  caillette  ; ce  qui  s’opère 
d’autant  plus  facilement  que  les  livi'ets  sont  dis- 
posés verticalement  vers  en  haut  et  vers  en  bas,  et 
glissent  par  conséquent  naturellement  |>ar  leur 


y4  LEÇONS 

chute  dans  la  caillette;  d’autant  plus  que  la  con- 
traction du  l’euillet  sert  à accélérer  beaucoup  cette 
évacuation. 

Arrivés  dans  la  caillette,  les  aliinens  reçoivent 
de  nou  veaux  sucs  des  glandes  rnucilagineuses,  qui 
rendent  les  parois  internes  glissantes  ; ces  glandes 
verrulonnes  et  garnies  d’un  petit  orifice  blanchâ- 
tre sont  répanduessur  toute  la  caillette  et  sur  tou- 
tes ses  membranes.  Ici  les  alimens  subissent  une 
quatrième  coction;  et  c’est  dans  ce  ventricule  que 
le  lait  se  caille  chez  les  veaux. 

Celte  cjuatrième  coction  étant  achevée,  les  ali- 
îuens  passent  lentement  dans  le  duodénum,  et  re- 
çoivent le  fiel  du  l’oie  et  de  la  vésicule  du  fiel,  par 
le  conduit  biliaire,  ainsi  que  le  suc  pancréatique, 
pl.  XXVIII,  fig.  5,  R,  T.  : c’est  ce  que  j’appelle  la 
cinquième  coction,  laquelle  continue  à avoir  lieu 
jusqu’au  cæcum,  dans  lequel  est  versé  le  chyle 
délié,  qui  s’y  trouve  épaissi  par  l’absorption  con- 
tinuelle des  parties  séreuses. 

C’est  dans  cet  intestin  que  semble  se  faire  la 
sixième  et  dernière  coction  , par  le  concours  d’au- 
tres sucs  ])roduits  par  les  glandules.  Celte  matière 
séjourne  enfin  quelque  teins  contre  la  partie  ridée 
du  rectum,  d’oii  elle  est  chassée,  quand  il  y en  a 
une  certaine  quantité,  en  bouse  un  peu  détrem- 
pée , comme  de  la  bouillie  , quand  les  bestiaux 
sont  au  vert,  et  plus  compacte  quand  ils  se  nour- 


SUR  É P I Z O O T I E.  y5 

rissent  de  foin  et  d’autres  alimens  secs  à l’étable. 

Ce  cours  et  cette  coction  admirables  des  alimens 
et  de  tout  ce  que  les  animaux  ruminans  avalent , 
nous  apprennent  que  les  inédicamens  qu’on  leur 
administre  suivent  les  mêmes  voies  5 qu’il  n’y  a 
d’autre  moyen  de  décharger  la  panse  que  celui  de 
la  rumination  5 que  par  conséquent  quand  cette  ru- 
mination n’a  plus  lieu,  par  quelque  cause  que  ce 
puisse  être  , les  alimens  se  corrompent , pourris- 
sent et  doivent  nécessairement  affecter  les  mem- 
branes délicates  qui  tapissent  les  parties  internes, 
par  inflammation,  gangrène  et  spliacèle,  ainsi  que 
je  l’ai  constamment  remarqué  chez  les  bestiaux 
morts  de  l’épizootie. 


76 


LEÇONS 


QUATRIEME 


LEÇON. 


Jli’iLoire  , naturp,  , symptômes  et  guérison  de 
l’épizootie  actuellement  régnante. 


li  ES  difficultés  qu’offre  naturellement  le  sujet  de 
ces  leçons,  et  la  considération  du  peu  d’expérience 
que  j’ai  acquise  jusqu’à  présent  de  cette  cruelle  ma- 
ladie , m’elFrayent  quand  je  songe  à l’attente  qui  se 
peint  sur  le  visage  de  mes  nombreux  auditeurs  ! Il 
m’étoit  plus  facile  de  satisfaire  votre  curiosité  en 
disséquant  et  en  démontrant  les  parties  affectées 
des  bêtes  à cornes,  que  de  vous  donner  l’histoire 
exacte  de  l’origine  de  ce  üéau  dévastateur.  Cepen- 
dant l’indulgence  que  vous  m’avez  si  souvent  té- 
moignée, la  bonté  avec  laquelle  vous  avez  toujours 
daigné  apprécier  mon  zèle  et  la  droiture  de  mes 
intentions,  m’enhardissent  et  m’autorisent  même 
à cette  pénible  lâche. 

Dans  l’introduction  de  la  première  leçon  , je 
vous  ai  déjà  fait  observer  combien  il  étoit  difficile 
de  laire  l’histoire  de  l’épizootie,  parce  que  les  an- 


SUR  ÉPIZOOTIE. 


77 

ciens  ouvroient  rarement , ou  , pour  mieux  dire  , 
jamais  les  bestiaux  qui  en  éioient  morts  j du  moins 
ne  parlent-ils  dans  leurs  écrits  que  des  symptômes 
externes , par  conséquent  de  ceux-là  seulement 
qui,  étant  également  communs  à d’autres  mala- 
dies, ne  peuvent  pas  servira  donner  une  idée  aussi 
exacte  delà  nature  de  l’épizootie  qu’on  pourroit  le 
désirer. 

Leur  superstition  et  leur  idolâtrie  mettoient 
d’ailleurs  de  grande  obstacles  à la  découverte  des 
causes  et  des  accidens  de  cette  maladie , ainsi  qu’on 
peut  le  voir  principalement  par  les  écrits  de  M.  Por- 
cins Caton  l’Ancien,  qui  mourut  environ  cent  qua- 
rante-huit ans  avant  Jésus-Christ.  Ce  Romain  nous 
apprend,  dans  son  admirable  ouvrage  sur  l’agri- 
culture (i),  qu’on  devoit  offrir  tous  les  ans  , dans 
les  bois,  du  miel,  du  lard  et  du  vin  à Mars  Syl- 
vanus,  pour  détourner  la  mortalité  des  bestiaux, 
avec  la  défense  ridicule  aux  femmes  et  aux  escla- 
ves de  se  trouver  présens  à ces  sortes  de  sacri- 
fices. 

Cependant  que , si  l’on  avoit  des  raisons  de  crain- 
dre l’épizootie,  il  falloit  donner  aux  bestiaux  sains 
une  mixtion  de  sel, de  feuilles  de  laurier  (2),  d’oi-- 

(1)  Gesner  , A uct.  de  Re  Riist.  , cap.  83  , pag.  79. 

(2)  Anciennement  le  laurier  étoit  regardé  comme  un  excellent 
préservatif  contre  les  maladies  contagieuses  , ainsi  qu’on  le  voit 
chei  Hérodien,  liv,  I,  cbap,  36. 


78  LEÇONS 

gnons,,  de  gousses  d’ail,  d’encens,  de  farine  , de 
rime,  de  lainbruche  , de  charbons  ardens  avec  un 
peu  devin;  mais  j)our  cela  il  falloit , d’aj)rès  les 
idées  superstitieuses  des  anciens,  que  la  personne 
qui  adminislroit  ce  remède  fut  non-seulement  à 
jeun  , mais  aussi  qu’elle  se  tint  debout,  de  même 
que  le  boeuf. 

Si  l’animal  devient  malade, ajoute  Caton  , faites 
lui  manger  un  oeuf  de  poule  en  entier  qui  soit 
frais,  et  le  lendemain  donnez-lui  une  gousse  d’ail 
détrempée  dans  du  vin.  Vous  voyez  par-là  que  le 
conseil  qu’on  donne  aujourd’hui  de  se  servir  pour 
cet  objet  d’oignons  et  d’œufs  frais  n’est  rien  moins 
que  nouveau, 

Columelle,  qui  vivoit  sous  le  règne  de  Claude, 
environ  quarante-deux  ans  avant  l’ère  chrétienne, 
fait  la  description  d’une  maladie  contagieuse  qu’il 
appelle  cruditas , laquelle  dilFérolt  guère,  par  ses 
symptômes,  de  l’épizootie  actuelle;  voici  ce  qu’il 
en  dit  (1)  : Crehri  ructus  , ac  ventris  sonitus  ^ 
fastidia  cibi  , ncrvorum  intentio  , hebetes  oculi  , 
pj'opter  quœ  bos  neque  ruminât , neque  lingua 
se  deterget ; c’est-à-dire  : « Les  yeux  deviennent 
((  foibles,  l’animal  a de  tems  en  tems  des  frissons, 
((  les  alirnens  lui  répugnent,  il  lâche  des  vents  par 


(i)Lib.  VI,  cap.  6,  pag.  678, 


SÜR  l’ ÉPIZOOTIE. 


79 

« le  haut  et  par  le  bas;  le  bœuf  ne  rumine  par  con- 
« séquent  plus,  et  ne  se  lèche  point  avec  sa  langue,  a 
Il  veut  qu’on  ouvre  la  veine  qui  est  dessous  la 
queue,  qu’on  lire  les  excrémens  du  rectum  avec  la 
main  , après  l’avoir  enduite  de  graisse  , et  qu’on 
donne  à l’animai  du  sel , du  miel  et  des  oignons  , 
ainsi  que  des  lavemens,  qu’il  appelle  collyria.  Si 
cela  ne  se  fait  pas  à tems,  dit-il , le  ventre  se  tend  , 
les  colliques  des  intestins  augmentent  et  l’animal 
gémit  fortement. 

Si  la  maladie  devient  contagieuse,  il  veut  ( cap. 
IV,  pag.  577)  qu’on  sépare  les  bestiaux  malades 
d’avec  ceux  qui  sont  Segregandi  a sanis 

morhidi ; et  qu’on  doit  les  mettre  dans  des  prai- 
ries où  il  n’y  a pas  d’autres  bestiaux,  etc. 

Végèce,  qui  décrit  la  maladie  de  la  même  ma- 
nière que  Columelie  {ibid.  lib.  111,  cap.  2,  pag. 
1 io5) , lui  donne  les  noms  de  cruditas  et  de  7?ial- 
leus  ^ il  indique  ensuite  les  mêmes  remèdes,  par- 
ticulièrement les  œufs  frais  administrés  tout  en- 
tiers avec  du  miel;  mais  il  recommande  surtout  de 
mêler  force  de  sel  aux  alimens  : Expedit  tainen 
Salem  pabulis  misceri.  Il  attribue  l’épizootie  à la 
fiente  de  cochon  que  les  bestiaux  peuvent  avoir 
mangé;  mais  je  pense  que  c’est  à tort.  Son  avis  est 
beaucoup  plus  essentiel  quand  il  veut  qu’on  sé- 
pare des  autres  les  bestiaux  qu’on  soupçonne  être 
attaqués  de  la  maladie  : Staiim  omnia  animalia  , 


8o 


LEÇONS 

quœ  levem  suspiciüuejn  hahuei'int,  de  passes— 
siofie  tullenda. 

Ainsi  que  lorsqu’il  conseille  de  faire  transporter 
ceux  qui  sont  morts  de  l’épizootie  loin  de  la  ferme, 
et  de  les  faire  enterrer  à une  grande  profondeur 
sous  terre  : Mortua  cadavera  ultra  fines  villœ 
projicienda  suiit,  et  altissime  ohruenda  sunt  sub 
terris. 

Il  v'eut  surtout  que,  dans  les  épizooties,  on  ait  le 
plus  grand  soin  de  séparer  les  bestiaux  malades  de 
ceux  qui  sont  bien  portant,  «/m  que  la  négligence 
du  propriétaire  ne  soit  pas  attribuée  à tort  au 
courroux  de  F Etre  Suprême  ÿoém&\  que  le  font  les 
insensés.  Il  seroit  à souhaiter  qu’on  lit  également 
toujours  usage  dans  ce  pays  de  la  même  prudence 
et  de  la  même  sagesse  de  raisonnement.  Nos  fer- 
miers , quoique  chrétiens  , ont  sur  cette  matière 
les  mêmes  idées  que  les  bouviers  de  l’antiquité;  ou 
plutôt  ils  accusent  l’Etre  Suprême  d’un  mal  qu’ils 
pourroient  souvent  prévenir  par  leurs  soins. 

Le  vertueux  et  célèbre  Outbof  nous  a donné  à 
la  suite  de  sa  Judicia  Jehocœ  Zebaoth  , in-^°.  , 
1721,  \e  Seperi  Sancti , idest  Endeleichi  Rhe— 
toi'is  , de  rnortibus  Buom  Carmen.  Quoiqu’on  ait 
dilîérentes  éditions  séparées  de  ce  dernier  ouvrage, 
je  crois  devoir  nommer  celle-ci,  parce  qu’Outhof 
a été  fort  exact  à citer  j)lusiem's  épizooties  qui  ont 
eu  lieu.  Ce  poète  vivoit  au  commencement  du  cin- 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


8l 


quième  siècle,  ou,  comme  d’autres  le  prétendent, 
à la  dn  du  troisième  siècle  , notamment  en  5g6. 
Il  fait  la  description  d’une  épizootie  qui  ne  difi'ère 
pas  beaucoup  de  celle  qui  règne  actuellement.  Elle 
étoit  venue  de  Hongrie,  de  l’Autriche  et  de  la  Dal- 
matie  , et  avoit  pénétré  par  le  Brabant  dans  les 
Pays-Bas  : 

Mcec  dira  lues  aerpere  dicitur 
P ridein pannonios  , illjricos  quoque 
Et  belgas  graviter  stravit , et  impio 
Cursu  nos  quoque  nunc petit. 

C’est-à-dire,  aux  François,  car  l’auteur  étoit  de 
l’Aquitaine,  située  dans  la  partie  méridionale  du 
royaume  de  France.  Celte  maladie  avoit  assez  d’a- 
nalogie avec  celle  d’aujourd’hui  ; cependant  elle 
paroît  avoir  été  bien  plus  terrible:  Sic  mors  ante 
luem  venit ; u A peine  les  bestiaux  étoient-ils  at- 
« taqués  de  la  peste,  qu’ils  mouroient.  u Ensuite 
il  dit  : 

ELic  fontis  renuens , grarninis  immemor 
Erat  succiduo  bucula poplité. 

Pag.  827. 

Inflantur  tumidis  corpora  ventribus 
jdlbent  lividulis  lumina  nubibus 
Tenso  crura  rigent pede. 

Pag.  855. 


III. 


6 


82 


LEÇONS 

Ce  que  je  traduis  : « Ici  la  jeune  génisse  refuse 
« de  boire , et  n’ayant  pas  ruminé  depuis  long-tems, 
<(  elle  chancelle;  son  ventre  se  tend;  ses  yeuxsem- 
« blent  couverts  de  membranes  pourprées;  ses  jam- 
<(  bes  de  derrière  deviennent  roides  et  immobiles.  )) 
Symptômes  qu’on  retrouve  tous  dans  l’épizootie 
actuelle.  Le  bouvier  idolâtre  demande  à Tytire  , 
qui  est  représenté  ici  comme  chrétien,  ce  qu’il  a 
lait  pour  conserver  ses  bestiaux  qui  étoient  restés 
parfaitement  sains,  tandis  que  la  mortalité  étoil 
générale?  Celui-ci  répond: 

Signum  quod  perhibent  esse  crucis  Dei 

Mngnus  qui  colitur  solus  in  urbibus. 

Clirislus  perpetui  gloria  nuniinis. 

Cujus  filins  unicus. 

Hoc  signum  mediis  f rontibiis  additum, 

Cunctarum  pecudum  cerla  sa  lus  fuit. 

Pag.  807  — 859. 

C’est-à-dire  : « Je  fais  le  signe  de  la  croix  de  Jé- 
« sus-Cbrist , etc. , sur  le  front  de  mes  bestiaux;  et 
((  c’est-là  ce  qui  les  a conservés,  a 11  paroît  vrai- 
semblable que  la  coutume  qu’on  a encore  dans  ce 
pays,  mais  surtout  dans  le  Rhynland , de  peindre 
des  croix  blanches  sur  les  murs  des  étables,  est  un 
reste  de  cette  ancienne  superstition. 

Je  ne  crois  pas  devoir  m’arrêter  plus  long-tems 
sur  cet  objet;  je  passe  donc  à Lbbo  Emmius  , qui 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  85 

nous  apprend  qu’en  1272  il  y eut  une  telle  mor- 
talité parmi  les  bêtes  à cornes,  qu’il  en  résulta  une 
grande  famine  (i);  cependant  il  ne  dit  rien  sur  la 
nature  de  la  maladie. 

Ouihof  en  rapporte  encore  d’autres;  mais  une 
des  plus  remarquables  fut  celle  de  1682,  pendant 
qu’il  demeuroit  clans  celte  ville.  Cette  contagion 
prit  naissance  en  Italie  , de  là  passa  par  la  Bour- 
gogne, en  Suisse  , en  Allemagne  et  dans  le  Bra- 
bant. Elle  dilTéroit  néanmoins  beaucoup  de  celle 
c|ui  règne  aujourd’hui  , et  de  celle  de  1710,  etc.  ; 
caries  bestiaux  avoient  surtout  un  grand  écliauf- 
fement  et  beaucoup  de  boutons  sur  la  langue,  qu’on 
perçoit  avec  des  lancettes;  comme  on  le  fit  égale 
ment  en  1752;  ce  qui  les  sauva. 

Ensuite  Outbof  passe  aux  mortalités  de  1710  et 
de  1715.  Celle-ci , dit-il , se  déclara  d’abord  en 
Dalmatle,  pénétra  en  Italie,  en  Autriche,  courut 
le  long  de  la  Bohême  et  de  la  Hongrie , et  même 
en  Prusse  , en  Moscovie  , en  Suède  et  en  Dane- 
marck  ; et  en  1711  dans  plusieurs  villages  de  la 
Suisse,  Perplurimos  Helvatiæ  pagos  ^ pag.  762. 

Il  est  donc  faux  que  la  Suisse  n’a  pas  été  affligée 
de  cette  contagion  durant  ce  siècle.  Cela  paroît  d’au- 
tant plus  évident  que,  ])ar  un  préjugé  , ou  peut-être 
par  un  fait  véritable,  ce  que  je  ne  veux  pas  décider, 


(1)  Rerum  Fris-  Hist.,  lib.  XI,  p;<S-  170. 


84 


leçons 


on  attribua  cette  maladie  à de  certaines  pillules 
que  des  hommes  mallaisans  (comme  on  le  croyoit 
dans  le  canton  de  Bâle  ) répandoient  ; ce  qui  fut 
examiné  par  le  collège  de  médecine  de  la  ville  de 
Bâle.  Il  conlirme  ce  fait  par  le  Mercure  cV Europe 
du  mois  de  septembre  I7i4,  pag.  175.  De  pai'eils 
préjugés  ont  également  subsisté  ailleurs  , et  nous 
j)rouvent  évidemment  qu’il  a régné  une  maladie 
contagieuse  parmi  les  bêtes  à cornes  à différen- 
tes époques  J dont  on  n’a  fait  que  mal  indiquer 
les  causes.  Agobard , évêque  de  Lyon,  qui  vécut 
sous  Charlemagne,  c’est-à-dire  , au  commence- 
ment du  neuvième  siècle,  a donné  un  ouvrage  in- 
titulé: Contra  vulgi  opinionem  insulsam  de  Qran- 
dine  et  tonitruis  , où  il  dit,  pag.  1 56  (1)  : « Lors- 
(c  qu’il  y eut , ü y a quelques  années  , une  morta- 
« lité,  des  personnes  prétendirent  que  le  duc  Gri- 


(1)  Ame  hos  paucos  annos  dissemînata  est  qnaedain  stultitia , 
Ciim  esse  mortalilas  boum,  ut  dicerent  Grimaldum  dticevi  Bener 
Vcntorum  transmisisse  homines  cum  puleeribus , ejuos  spargerent 
per  campas  et  montes,  prata  et  fontes,  ro  tjnod  esset  immicissimus 
Chrislianissimo  Imperatori  Carolo  , et  de  ipso  pulvere  mori  boves, 
propter  quam  causam  multos  comprehrnsos  audivimus  , et  vidi- 
intis  aliqnot  occisos  , plerosqne  autein  adfixos  labulis  in  flumen. 
projectos  atqiie  necatos.  Et  qnod  minim  -valde  est,  compreUensi 
ipsi  adversus  se  dicebaut  testimoninm  , habere  sc  tolem  pulverem, 
et  spargere  , etc.  Hoc  ila  ab  omnibus  credebatur , ut  pœne  pauçi 
essent  quibus  absiirdissimum  videtur,  etc. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


85 


« maldus  avoit  envoyé  certains  hommes  avec  des 
« poudres,  qu’ils  répandirent  sur  les  champs,  sur 
« les  montagnes  , dans  les  prairies  et  dans  les  ri- 
« vières,  pour  faire  mourir  le  bétail;  parce  que  ce 
((  duc  portoit  une  grande  haine  à sa  majesté  l’em- 
« pereur  Très-Chrétien.  Qu’il  avoit  non-seulement 
« entendu  dire,  mais  qu’il  avoit  vu  qu’on  en  avoit 
« saisi  quelques-uns,  qui,  après  avoir  été  liés  sur 
((  des  planches,  furent  jetés  dans  la  rivière  et  tués. 
« Et  que,  ce  qu’il  y avoit  de  plus  surprenant,  ils 
« témoignoient  contre  eux-mêmes  , qu’ils  possé- 
« doient  et  avoient  en  effet  répandu  de  pareilles 
« poudres,  etc.  Cela  étoit  regardé  par  chacun  coin- 
(c  me  tellement  véritable,  que  personne  ne  formoit 
((  le  moindre  doute  à cet  égard,  n Mais  Agobard 
regarde  tout  ceci  comme  un  fait  controuvé  et  ab- 
solument impossible;  ce  que  je  n’oserois  cependant 
assurer.  Il  me  semble  que  rien  n’empêche  de  ré- 
pandre l’épizootie  dans  un  pays,  puisqu’on  sait 
qu’une  seule  chemise  sechée  d’une  personne  qui 
avoit  eu  la  petite  vérole  en  mer  , long-tems  avant 
d’arriver  au  Cap  de  Bonne-Espérance  , répandit 
cette  maladie  dans  toute  la  colonie  par  le  blan- 
chissage qu’on  en  fit.  Ne  sait-on  pas  que  la  matière 
variolique  qu’on  garde  pour  l’inoculation  de  la  pe- 
tite vérole  et  de  l’épizootie  , peut  également  pro- 
duire un  pareil  eifet?  Je  suis  loin  de  croire  que  le 
lait  rapporté  par  Agobard  soit  vrai  ; aiais  je  n’y 


86 


LEÇONS 


trouve  pas  la  même  absurdité  que  cet  évêque,  qui 
ne  connoissoit  pas  l’inoculation  , et  ignoroit  que 
la  matière  contagieuse  peut  être  portée  au  loin  sans 
qu’elle  perde  de  sa  vertu  morbifique.  Mais  retour- 
nons à notre  objet.  Il  paroît  suffisamment  démon- 
tré par  ce  que  je  viens  de  dire,  que  des  épizooties 
ont  eu  lieu  en  différens  teins,  et  que  la  Suisse  mê- 
me n’en  est  pas  restée  exemple.  Je  sais  aussi  avec 
certitude,  que  celte  maladie  a régné  en  1768  à 
Ho  use,  dans  le  canton  de  Zurich,  ainsi  que  dans 
les  cantons  de  Zug  et  de  Scbweitz. 

Mais  je  reviens  à Outhof,  parce  qu’il  est  le  seul, 
autant  que  je  sache,  qui  ait  bien  décrit  l’épizootie 
de  1714,  laquelle  fit  de  si  terribles  ravages  dans 
les  Provinces-Unies. 

Outhof  nous  apprend  que  la  contagion  se  dé- 
clara en  1715  dans  les  Pays-Bas  , et  qu’en  1714 
elle  pénétra  en  Frise  , où  elle  régna  avec  tant  de 
violence  qu’en  moins  d’une  année  elle  enleva  qua- 
rante mille  vaches.  Ensuite  elle  attaqua  la  province 
de  Groningen,  du  côté  de  la  Frise  , et  à l’est  vers 
FEems  , et  se  répandît  , à la  fin  de  décembre,  sur 
toute  rOost-Frise,  U observe  de  plus  que  les  états 
de  Hollande  et  de  West-Frise  défendirent  par  des 
placards,  en  1714  , de  jeter  aucun  animal  mort  de 
la  contagion  dans  la  mer,  ni  dans  les  lacs,  ni  dans 
les  canaux^  et  ordonnèrent  de  les  enterrera  trois 
pieds  de  profondeur  sous  terre,  ils  défendirent  éga- 


SUR  ÉPIZOOTIE.  87 

leiuent  de  manger  de  la  chair  des  bestiaux  morts 

O 

de  la  contagion,  pour  que  le  peuple  ne  fut  point 
exposé  à des  maladies  pestilentielles. 

Cette  prév^oyance  étoit  d’autant  plus  nécessaive 
que  ceux  que  le  besoin  portoit  à se  nourrir  de  ces 
bestiaux  jetoient  dans  l’eau  celle  qu’ils  tenoient 
cachée  dans  leurs  maisons,  quand  elle  commen- 
çoit  à se  corrompre , d’où  pouvoient  résulter  de  très- 
grands  malheurs. 

Ce  seroit  rendre  un  service  essentiel  que  de  pu- 
blier, si  on  les  possédoit,  tous  les  placards  qui  ont 
été  promulgés,  tant  ici  qu’ailleurs,  depuis  la  for- 
mation de  la  République,  relativement  à l’épizoo- 
tie, que  les  historiens  de  ce  pays  passent  généra- 
lement sous  silence,  comme  n’ayant  rien  de  com- 
mun avec  leurs  discussions  politiques. 

Je  puis  assurer  du  moins  qu’avant  l’année  17 13 
il  n’est  pas  fait  mention  dans  le  Grand  Livre  des 
placards  àe,  Cau  d’aucune  ordonnance  sur  les  me- 
sures à employer  contre  l’épizootie  5 et  j’ai  remar- 
qué par  une  liste  fort  exacte  des  ordonnances  pu- 
bliées dans  la  province  de  Frise,  touchant  les  bêtes 
à cornes,  qui  m’a  été  communiquée  par  M.  le  ba- 
ron G.  F.  Thoe  de  Schwartzenberg  et  Hobenlands- 
berg,  que  l’introduction  des  bestiaux  étrangers  a 
été  défendue  pour  la  première  fois  le  127  novem- 
bre 1713,  jusqu’au  5 novembre  1721 , et  ensuite 
le  11  décembre  1744  jusqu’au  20  janvier  1747  j 


88 


LEÇONS 

d’où  il  fanclroit  conclure  que,  depuis  la  naissance 
de  la  République  , il  n’a  régné  dans  ce  pays  au- 
cune maladie  contagieuse  parmi  le  bétail  avant 
l’année  j 71 5.  Cet  objet  demande  ce])endant  des  re- 
cherches ultérieures. 

Jusqu’à  ]>résent  je  n’ai  parlé  que  des  écrivains 
qui,  n’ayant  aucune  connoissance  de  l’anatomie 
ni  de  la  médecine,  ont  cependant  parlé  de  l’épi- 
zootie. Mais  combien  ne  pourrois-je  pas  citer  d’au- 
teurs italiens,  anglois,  françois, allemands  et  d’au- 
tres ])ays  qui  ont  traité  de  la  contagion  qui  a ré- 
gné dans  toute  l’Europe  , depuis  1710  jusqu’en 
1719?  Il  laut  cependant  que  je  rappelle  à votre 
mémoire  que  Ptamazzini , Lancisi , Boromeo  , Ma- 
zini , Nigi’isoli  , Michelotti , Magati , Lanzonius , 
G.  Guerra  , F.  Fantasti  , D.  di  Ferraris  , L.  Cas- 
telli , (à  F.  Cogrossi , H.  Corazzi,Ruini , Valisneri, 
et  autres,  ont  publié  en  Italie,  ])eu  de  tems  après 
la  naissance  de  l’épizootie , leurs  judicieuses  obser- 
vations sur  celte  maladie. 

Les  principaux  de  ces  écrits  , particulièrement 
ceux  de  Ramazzini,  de  Lancisius  et  autres , ont  été 
traduits  en  allemand  par  Ch.  Nie.  de  Lange,  et  en 
1719  en  holiandois  par  A.  Maubach.  Abraham-Sal. 
Van  derVoort  a publié  aussi,  en  1716,  àLeide, 
une  lettre  adressée  à un  ami  sur  l’épizootie  qui  ré- 
gnoit  alors  parmi  les  bêtes  à cornes  ; mais  il  m’a 
été  impossible  de  me  procurer  ce  morceau. 


SUR  L^ÉrizooTiE.  8g 

Les  Anglois  ont  également  traduit  les  princi- 
paux écrivains  italiens;  mais  aucun  peuple  ne  s’est 
montré  plus  empressé  à cet  égard  que  les  Alle- 
mands. Cependant  Bâtes  avoit  déjà  publié,  en  17 14, 
d’excellentes  observations  sur  cette  maladie  des 
bestiaux , et  en  avoit  même  ouvert  plusieurs , 
comme  on  peut  le  voir  dans  les  Transactions 
philosophiques  y ainsi  que  dans  l’abrégé  de  ces 
mémoires. 

Lorsqu’en  ly  io  l’épizootie  se  déclara  de  nou- 
veau, toutes  les  nations  à -la -fois  paroissent  s’en 
être  occupées  à l’envde.  Les  François  ont  publié 
plusieurs  ouvrages  anonymes  sur  cet  important 
objet.  En  1744,  on  imprima  à Besançon  un  vo- 
lume intitulé:  Observations  sur  la  mala- 

die contagieuse  qui  règne  en  Franche  - Comté 
parmi  les  bœufs  et  les  vaches  , etc.  ÿ à Paris  ])a- 
rut  , en  1748  , in~\‘-2  , une  Dissertation  sur  la 
mcdadie  épidémique  des  bestiaux,  etc. , par  Blon- 
del; à Besançon  , un  Mémoire  sur  les  maladies  , 
etc. , des  bêtes  cl  cornes  j ouvrage  qui  a remporté 
le  prix  de  l’Academie  de  Besançon,  en  1766,  in- 
8°.  , que  je  n’ai  pu  me  procurer  jusqu’à  présent. 
Les  observations  du  marquis  de  Courtivron  m’ont 
fait  beaucoup  de  plaisir;  et  quoiqu’il  y en  ait  cjuel- 
ques-unes  qui  soient  un  peu  superficielles  , elles 
oÜrent  cependant  bien  des  choses  qu’on  ne  trouve 
pas  ailleurs  : elles  sont  insérées  dans  les  Mémoi- 


go  LEÇONS 

res  (le  V Académie  royale  des  sciences  ^ 1748  et 
1752. 

M.  Sauvages  a de  niêine  publié  , en  1746,  une 
dissertation  sur  celte  matière;  mais  je  ne  l’ai  pas 
lue. 

Cette  maladie  a fixé,  en  1746,  à Londres  l’at- 
tention de  M.  Broklèsby , homme  d’un  grand  mé- 
rite, et  celle  de  M.  Cromwell  Mortimer,  en  1745, 
dans  les  Philos.  Transact. , n°.  477,  vol.  XLIII, 
et  1746,  n°.  478  , vol.  XLIV;  mais  ces  messieurs 
ont  traité  la  chose  plutôt  en  théoriciens  qu’en  pra- 
ticiens : le  grand  nombre  de  leurs  occupations  et 
l’immense  étendue  de  la  ville  de  Londres  ne  leur 
ont  pas  permis  de  faire  des  expériences.  L’ouvrage 
de  D.  P.  Layard,  publié  en  1757,  m-8°. , à Lon- 
dres, est  d’une  toute  autre  nature. 

Les  Allemands  n’ont  pas  mérité  moins  d’éloges; 
il  est  Impossible,  pour  ainsi  dire,  de  faire  l’énu- 
mération des  observations,  des  essais  et  des  remè- 
des qu’ils  ont  publiés  et  proposés  à ce  sujet:  je  me 
contenterai  d’en  indiquer  quelques-uns,  en  vous 
conseillant , en  même  tems  , de  vous  procurer  la 
notice  très-exacte  des  meilleurs  ouvrages  qui  ont 
paru  sur  l’épizootie  , publiée  par  le  docteur  J.  G. 
Krunitz(i);  dans  laquelle  on  trouve  non -seule- 


(1)  ^ erzeichniss  der  voniehinsten  schrifltn  von  der  Rindvidi^ 
Seuche.  Leipsig,  17G7,  ;/î-8°. 


SUR  u’  ÉPIZOOTIE.  91 

ment  cilés  les  écrivains  dont  j’ai  déjà  parlé,  mais 
un  grand  nombre  d’antres,  dont  je  ne  pourrai  faire 
mention  que  dans  la  suite. 

En  atlendani  , je  vais  reprendre  la  partie  histo- 
rique de  la  maladie  , d’après  ce  que  A.  O.  Goe- 
licke  et  J.  O.  Erucknerus  en  ont  dit  dans  une  dis- 
sertation , De  Lue  Contagiosa  Bovillum  geniis 
nuncde  popularité  ad  Viadrum,  lofeb. 

1700,  et  publiée  de  nouveau  par  A.  Haller,  dans 
les  Disput.  ad  morborum  histor.  et  Ciirationein 
facientes  , toin.  V,  1768.  Goelicke  est  fort  exact 
dans  la  description  du  cours  que  l’épizootie  a tenu 
depuis  1710  jusqu’à  1717.  ü suit  en  cela  Kanold , 
médecin  de  Breslau  , qui  a prouvé  que  la  conta- 
gion étoit  d’abord  venue  de  laTartarie,  par  le  Mos- 
covie en  Pologne  ; que  de  là  elle  s’étoit  étendue 
verd  le  Nord  et  vers  le  Sud;  c’est-à-dire:  au  nord 
le  long  de  la  Livonie,  la  Courlande,  la  Prusse,  la 
Poméranie  et  le  llolstein  , et  avoit  pénétré  ensuite 
par  les  Pays-Bas  ou  le  Brabant , en  Angleterre.  Au 
midi,  elle  avoit  parcouru  la  Turquie,  la  Hongrie, 
l’Esclavonie,la  Croatie, et  delà  l’Autriche, la Styrie, 
la  Carinihie , la  Carniole  et  la  Bavière , ainsi  qu’une 
partie  de  l’ilalie,  de  la  France  et  de  l’Espagne.  En- 
suite, elle  étoit  de  nouveau  rentrée  en  Allemagne, 
où,  suivant  cet  écrivain  célèbre  ( pag.  7i5  ) , elle 
n’avoit  pas  cesse  de  régner  en  1700,  et  se  faisoit 
même  sentir  encore  en  quelques  endroits. 


92 


LEÇONS 

Cependant  l’épizoolie  paroissoit  entièrement 
éteinte  dans  la  ])lus  grande  partie  de  l’Europe  , 
lo  rsqu’a])rès  le  rude  hiver  de  1740,  elle  se  déclara 
de  nouveau. 

En  1744,  la  mortalité  des  bestiaux  fut  si  grande 
<jue  les  états-généraux  crurent  devoir  consulter  la 
faculté  de  médecine  de  Leide,  sur  les  moyens  de 
parer  à ce  terrible  fléau.  Les  avis  de  la  faculté  fu- 
rent imprimés,  en  J7'i4,  chez  le  libraire  Lucht- 
mans. 

En  ] 745  , les  célèbres  professeurs  De  Haen  , 
Ouwens  et  Van  Velse  donnèrent,  conjointement 
avec  le  médecin  Westerbof,  une  dissertation  fort 
exacte  sur  l’épizootie  et  la  maladie  des  bestiaux, 
laquelle  fut  publiée  à la  Haie. 

C’est  de  cette  manière  que  des  hommes  d’un 
grand  mérite  furent  encouragés  à donner  leurs  ob- 
servations  sur  cette  importante  matière;  et  l’on  vit 
ensuite  pai'oître  celles  du  savant  M.  Engelman  , 
dans  la  seconde  partie  du  sixième  volume  et  dans 
le  vol.  Vil,  pag.  247,  des  Actes  de  la  Société  de 
Harlem. 

En  1755  , MM.  Nozeman  , Kool  et  Tak  publiè- 
rent leurs  observations  sur  l’inoculation  de  la  ma- 
ladi  e contagieuse  des  bêles  à cornes,  lesquelles  mé- 
ritent la  plus  grande  attention. 

En  1758,1e  savant  Crasbuis  mit  au  jour  un  avis 
fort  circonstancié  sur  le  même  objet,  dans  le  troi- 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  g3 

sième  volume,  pag.  247,  des  Traités  choisis  pu- 
bliés à Amsterdam  chez  Houttuyn  (1). 

Le  jadis  célèbre  professeur  Scbwenke  a fait  à la 
Haie  des  essais  sur  l’inoculation  des  bestiaux,  qu’il 
paroît  avoir  adressés  à un  ami  en  17/^7;  on  les 
trouve  dans  le  Magazin  de  Brème  (2). 

Plusieurs  personnes  de  considération,  parmi  les- 
quelles on  distingue  M.  Binkhorst,  bourguemes- 
tre  de  Hoorn,  firent  eux- mêmes  des  essais,  ou 
fournirent  les  fonds  nécessaires  à ceux  qui  voulu^ 
rent  consacrer  leurs  talens  au  bien  public. 

La  contagion  ne  régna  pas  moins  en  Allemagne  ; 
ce  qui  fournit  au  célèbre  Mauchart  l’occasion  d’é- 
crire, en  1745,  une  dissertation  intitulée:  De  Lue 
V accarum  Tuhingensi , qu’on  trouve  aussi  chez 
Haller,  tom.  V,  n°.  188. 

La  belle  dissertation  de  M.  A.  Eus,  De  morho 
hoinn  Ostervicensium  pro  jieste  non  hahendo  , 
Halberstad  1746,  mérite  également  d’être  lue. 

Il  faut  méditer  aussi  l’essai  qui  a été  publié  à 
Brunswick,  en  1763,  sans  nom  d’auteur  : Ler- 
such  einer  Erldærung  der  Hornviesuche , nebsi 
einige  wahrnehmungen  über  die  Einpropf ung 
derselben. 

Mais  je  vous  recommande  surtout  l’ouvrage  que 

(1)  Uitgezogte  P^erhandelirifijen. 

(2)  Bremücke  Magazin  zur  ausbreitting  der  Wîssenscliaffien., 
etc.  I band  , no.  47,  pag.  406. 


94  LEÇONS 

le  docteur  Layard  publia  à Londres,  en  1767,  in- 
8°.  : Essay  on  the  natuj'e  , causes , and  cure  of 
the  contagious  dlsteniper  among  the  horiied  cat- 
Lle ; on  bien  A Discourse  on  the  usefulness  of 
inoculation  of  the  horned  cattle , to  prevent  the 
contagious  disteniper ^ by  D.  P,  Layard.  Philos. 
Transact. , vol.L,  pag.  11,  où  l’on  trouve  aussi  les 
essais  de  l’évêque  d’Yorck  et  du  cbirurgien  Bewley. 

Je  crains  de  vous  ennuyér  par  cette  longue  no- 
menclature d’écrivains.  11  paroît  par  ces  difFérens 
ellbrts  de  tant  d’hommes  de  mérite,  que  la  mala- 
die a quelquefois  diminué,  et  que,  dans  d’autres 
lems,  elle  s’est  déclarée  avec  une  nouvelle  fureur. 

Et  ne  devons -nous  pas  regarder  comme  une 
chose  démontrée,  que  l’épizootie,  ainsi  que  toutes 
les  autres  maladies  épidémiques,  et  particulière- 
ment la  petite  vérole,  règne  dans  certains  tems  avec 
violence  j tandis  que  dans  d’autres  elle  paroît  abso- 
lument éteinte^  quoique,  par  des  observations  exac- 
tes, il  semble  qu’on  trou-ve  cependant  toujours  ça 
et  là  quelque  animal  qui  en  est  entaché?  Si  cette 
contagion  n’est  pas  aussi  ancienne  que  le  sont  tou- 
tes les  autres  maladies,  elle  est  du  moins  connue 
depuis  environ  deux  mille  ans.  Elle  s’alfoiblira 
sans  doute  par  des  raisons  naturelles,  ainsi  qu’elle 
se  déclare  de  tems  à autre  avec  plus  de  force.  Il  est 
par  conséquent  de  notre  devoir  d’employer  tous 
les  moyens  que  l’Etre  Suprême  nous  a fournis  pour 


SUR  l’  ÉPIZOOTIE.  g5 

trouver  des  remèdes  efficaces,  de  quelque  espèce 
qu’ils  soient,  qui  puissent  nous  tranquilliser  sur  le 
sort  de  nos  plus  précieuses  possessions. 

Je  passe  maintenant  à la  description  des  symp- 
tômes de  l’épizootie,  pour  que  vous  puissiez  mieux 
saisir  mes  idées  sur  les  causes  et  la  nature  de  cette 
maladie. 

Des  pî'incipaux  symptômes  de  V épizootie. 

11  n’y  a aucun  signe  qui  présage  d’avance  l’épi- 
zootie, elle  n’avertît  qu’avec  le  coup  et  quand  l’a- 
nimal est  déjà  malade.  Alors  il  devient  triste,  re- 
fuse de  boire,  se  montre  difficile  sur  le  choix  des 
alimens;  ensuite  il  paroîl  plus  gai  par  intervalles, 
mange,  boit  et  rumine.  Cependant  il  devient  in- 
quiet, grince  des  molaires,  et  finit  par  ne  plus  ru- 
miner, ce  qui  est  le  signe  le  plus  certain  qu’il  est 
malade;  si  ce  n’est  chez  les  veaux  de  lait,  car  ceux- 
ci  ne  ruminent  pas  encore,  ainsi  que  Galien  l’a  voit 
déjà  prouvé  par  une  belle  expérience  sur  des 
agneaux  et  de  jeunes  chèvres. 

Comme  les  bestiaux  attaaués  d’autres  maladies 

JL 

ne  ruminent  également  point,  ce  signe  devient  équi- 
voque; mais  les  autres  symptômes  qui  accomjja- 
gnent  l’épizootie,  et  dent  je  viens  de  parler,  ainsi 
que  le  frissonnement  et  le  tremblement  qu’ils  éprou- 
vent, l’inquiétude  qu’ils  montrent  etla  maniéré  de 


gü  1,  E Ç O N s 

se  leniv  sur  les  doigls  des  pieds  de  derrière  , sont 
des  preuves  conv'aincanles,  surtout  lorsque  la  cou-  | 
togioii  s’esl  déjà  déclarée  dans  quelque  endroit  du  | 
voisinage.  Z 

Le  pouls,  qui  bal  de  6o  à 70 , j5,  80  et  même  5 
go  Ibis  j)ar  minute,  annonce  une  lorte  lièvre,  qui  i 
est  bientôt  accompagnée  d’une  prostration  géné-  | 
raie  et  prompte  des  forces  de  l’animal  ; car  le  ! 
pouls  est  non -seulement  vite  , mais  inégal , sans  t 
être  fort , ainsi  qu’on  l’observe  dans  les  fièvres  pu- 
Irides;  il  y a même  des  inslans  où  l’on  ne  peut, 
pour  ainsi  dire,  l’appercevoir  nulle  ])art. 

Les  oreilles  et  les  cornes  sont , pour  cette  rai-  ■ 
son,  alteniativement  froides;  tantôt  les  cornes  ' 

^ • I 

seules,  tantôt  les  oreilles  seules,  et  tantôt  les  unes 
et  les  autres  tout  à-la-fois.  ; ; 

Les  selles  conservent  souvent  leur  cours  pendant  i 
les  premiers  jours  de  la  maladie  ; quelquefois  la  i 
bouse  perd  sa  couleur  et  prend  une  si  forte  odeur 
de  musc  que  toute  l’étable  en  est  l'emplie  ; souvent 
elle  devient  sèche , étant  à peine  lié  ensemble;  d’au-  { | 
très  fois  elle  est  molle  et  liquide  ; ou  bien  l’ani-  | | 
mal  a le  ventre  paresseux,  parce  que  les  intestins 
et  les  muscles  de  l’abdomen  n’ont  pas  assez  d’ac-  , | 
livité  pour  chasser  les  matières  accumulées.  v 

Une  grande  foiblesse  s’empare  promptement  de  y 
l’animal  à la  première  fievre  qui  survient  : il  laisse  , 
alors  pendre  la  tête,  qui  est  lourde  et  les  muscles  ■ 


SUR  u’ ÉPIZOOTIE. 


97 

du  cou  Fobligent  de  la  tenir  obliquement.  Les  oreil- 
les pendent  pareillement,  et  cela  par  la  même  rai- 
son ; la  queue  perd  aussi  son  mouvement  5 enfin  , 
l’animal  cesse  de  mugir. 

L’animal  tousse  d’abord  de  tems  en  tems,  en- 
suite sans  interruption;  plus  ou  moins  cependant, 
selon  que  la  matière  morbifique  affecte  les  pou- 
mons ou  les  intestins. 

Les  yeux,  que  ces  animaux  ont  naturellement 
noirs  et  vifs,  deviennent  ternes  et  languissons,  et 
la  paupière  interne  ou  clignotante,  laquelle  n’est 
pas  visible  quand  l’animal  se  porte  bien,  s’enfle  et 
devient  proéminente  , par  l’épaississement  de  la 
membrane  externe , et  ressemble  alors  à une  vessie 
d’un  rouge  pâle , qui  a quelque  rapport  avec  la  ma- 
ladie connue  chez  l’homme  sous  le  nom  de  che- 
mosis.  Ça  et  là  on  apperçoit  une  grande  tache  en- 
flammée; le  blanc  de  l’œil,  qui  est  surtout  visible 
dans  le  petit  angle,  est  également  fort  enflammé, 
et  l’œil  paroît  enflé  et  sortir  de  la  tête.  11  coule  des 
grands  angles  des  yeux  une  matière  icboreuse;  et 
lorsque  la  maladie  est  parvenue  à son  plus  haut 
degré,  il  en  sort  , chez  quelques-uns  de  ces  ani- 
maux, une  abondance  de  larmes. 

Des  pores  de  la  partie  lisse  du  museau  coulent 
de  tems  à autre  , des  milliers  de  gouttes  qu’on 
prendroit  pour  une  abondante  transpiration. 

Les  naseaux  déchargent  d’abord  une  matière  li- 


1 1 1. 


7 


q8  leçons 

quide,  laquelle  acquiert  le  troisième  jour  une  con- 
sistance visqueuse  et  purulente  , qui  coule  sans 
cesse  le  Ion"  du  museau,  et  une  matière  sembla- 
ble  coule  de  la  bouche.  Cependant  l’animal  n’es- 
suie point  cette  matière , comme  le  font  les  bes- 
tiaux sains  , qui  ne  cessent  de  lécher  et  de  net- 
toyer leur  museau  avec  la  langue. 

Chez  quelques-uns  la  toux  augmente,  la  respi- 
ration devient  pénible,  et  l’animal,  rabattu  par  la 
fièvre  et  exténué  par  le  défaut  de  nourriture,  tom- 
be à terre,  tend  la  tête  droit  devant  lui,  ou  se  tord 
le  cou , et  emploie  différens  moyens  pour  respirer,, 
en  gémissant  comme  pourroit  le  faire  une  per- 
sonne qui  souffriroit  de  grandes  douleurs.  La  bave 
devient  écumeuse  , et  tout  annonce  que  les  pou-> 
nions  sont  très-fortement  all'ectés,  et  que  l’animal 
se  trouve  dans  le  plus  éminent  danger.  Mainte- 
nant la  toux  semble  diminuer,  parce  que  les  for- 
ces manquent:  voilà  la  raison  pourquoi  quelques 
écrivains  françois,  ainsi  que  le  grand  Haller  dans 
la  lettre  qu’il  m’a  écrite  depuis  peu  , ont  donné  à 
cette  maladie  le  nom  de  pulmonie. 

Chez  d’autres  la  matière  se  jette  davantage  sur 
les  intestins  du  ventre.  La  panse,  ainsi  que  je  l’ai 
déjà  dit , placée  dans  la  cavité  gauche , est  gonflée 
par  l’air  et  se  distend  considéi'ablement , de  sorte 
que  l’animal  semble  prêt  à crever  ; et  quand  on 
frappe  dessus  avec  la  main  elle  resonne  comme 
un  tamhouix 


sus.  l’  ÉPIZOOTIE. 


99 

Quelques  médecins  prétendent  avoir  observé 
que  la  peau  de  l’animal  semble  adhérer  au  dos  et 
aux  reins  y pendant  le  fort  de  la  maladie;  c’est  ce 
que  je  n’ai  jamais  apperçu  bien  distinctement  ; je 
crois  plutôt  ([Lie  le  gonflement  considérable  du 
ventre  peut  avoir  donné  lieu  à cette  conjecture. 

Chez  d’autres  la  peau  du  dos  craque  quand  on  y 
appuie  le  doigt  ; ce  qui  provient  peut-être  de  l’air 
que  la  corruption  a introduite  dessous  la  peau. 

Le  quatrième,  le  cinquième  ou  le  sixième  jour, 
plusieurs  de  ces  pauvres  animaux  commencent  à 
être  tourmentés  d’une  diarrhée  considérable  , de 
manière  que  les  déjections  échappent  avec  vio- 
lence du  corps  , comme  si  elles  étoient  chassées 
d’une  seringue,  et  elles  inondent  alors  toute  l’étable. 
Ces  excrémens  répandent  une  odeur  insupporta- 
ble; et  rien  ne  me  paroît  plus  funeste  pour  les  au- 
tres bestiaux  que  la  mauvaise  qualité  de  cet  air 
méphétique.  Quelquefois  ces  matières  sont  mêlées 
de  sang  et  d’ichor. 

D’autres  ne  lâchent  point  leurs  excrémens,  qui 
sont  arrêtés  dans  le  boyau  rectum , lequel  leur  sort 
du  corps,  reste  ouvert  et  rend  une  matière  iclio- 
reuse  et  sanguinolente.  Chez  les  vaches  les  parties 
sexuelles  sont  pareillement  gonflées  et  demeurent 
ouvertes;  l’animal  étant  si  foible  que  les  sphinc- 
ters ne  peuvent  plus  exercer  leurs  fonctions. 

La  vessie  perd  également,  chez  la  plupart,  son 


lOO 


LEÇONS 

énergie  ; ils  lâchent  alors  rarement  leurs  urines,  tant 
parce  que  l’eau  qu’ils  boivent  pendant  ce  tems , ou 
les  médicaniens  liquides  qu’on  leur  administre , res- 
tent déposés  dans  les  estomacs  sans  être  absorbés, 
que  parce  que  l’animal  rend  beaucoup  d’humeurs 
par  les  naseaux,  les  yeux  et  la  bouche. 

Je  n’ai  rien  dit  encore  du  lait,  parce  que  l’épi- 
zootie attaque  de  la  même  manière  les  bêtes  à cor- 
nes des  deux  sexes,  de  quelque  âge  qu’ils  soient; 
je  n’en  devois  donc  parler  qu’en  dernière  analyse, 
parce  que  cela  ne  concerne  que  les  vaches  laitières. 
Le  lait  diminue  , s’épaissit  et  se  corrompt  dans 
les  pis. 

11  est,  pour  ainsi  dire , impossible  de  déterminer 
le  tems  que  dure  la  maladie  et  les  accidens  dont 
elle  est  accompagnée.  Chez  quelques  individus  la 
corruption  est  si  violente,  si  prompte,  qu’elle  tue 
l’animal  en  vingt-quatre  heures  ; quelquefois  ils 
ne  meurent  que  le  troisième  , le  quatrième  ou  le 
cinquième  jour;  d’autres  fois  seulement  le  septiè- 
me ou  le  onzième  jour;  mais  ce  dernier  cas  est  fort 
rare. 

Ils  meurent  tantôt  avec  les  jambes  étendues  loin 
du  corps , et  tantôt  avec  les  pieds  retirés  dessous 
le  corps.  Pendant  la  maladie,  ils  ne  sont  pas  tou- 
jours couchés  sur  le  même  côté,  quoique  la  panse 
soit  fort  distendue  par  l’air.  J’ai  porté  une  grande 
attention  à cet  égard,  et  j’ai  trouvé  que  les  bes- 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  lOt 

îiaux  étoient  couchés  tantôt  sur  un  flanc  et  tantôt 
sur  l’autre;  de  manière  que  la  panse  ne  paroît  pas 
occasionner  quelque  mal  ici. 

Chez  certains  le  corps  se  couvre  de  taches , par- 
ticulièrement près  des  aines,  symptôme  auquel  les 
paysans  ont  donné  le  nom  de  gale  {rappigheid)  ^ 
et  que  quelques-uns  regardent  comme  un  bon  pro- 
nostic. J’en  ai  vu  mourir  cependant  dont  le  corps 
étoit  couvert  de  pareilles  taches. 

Je  ne  puis  rien  assurer  de  bien  certain  relative- 
ment au  sang:  il  y en  a qui  pensent  qu’il  se  coa- 
j;ule;  d’autres  qu’il  s’atténue;  mais  la  plupart  s’ac- 
cordent à dire  qu’il  ne  se  coagule  point,  mais  qu’il 
devient  muqueux;  comme  on  le  voit  souvent  chez 
des  personnes  attaquées  de  lièvres  putrides.  Dans 
les  bestiaux  morts  j’ai  constamment  trouvé  le  sang 
atténué  et  jamais  coagulé. 

Voilà  les  symptômes  qui  sont  communs  aux  tau- 
reaux, auxgénisses,  aux  vaches,  aux  boeufs  etaux 
veaux  de  tout  âge,  sans  distinction.  On  comprend 
facilement  que  les  vaches  portières,  toutes  choses 
égales  d’ailleurs  , doivent  souftVir  davantage  de 
cette  terrible  maladie  , et  cela  d’autant  plus  qu’el- 
les sont  plus  près  de  vêler.  L’épizootie  est  néan- 
moins quelquefois  assez  bénigne  pour  qu’elles  s’en 
tirent  sans  avorter  ; mais  cela  est  fort  rare,  et  la  plu- 
part perdent  leur  fruit  même  dans  la  suite  , après 
qu’elles  sont  guéries  elles-mêmes  de  la  maladie. 


102 


LEÇONS 


Des  symptômes  internes  de  l’ épizootie. 

Je  ne  raiirois  point  si  je  vonlois  rapporter  tout 
ce  i|ui  a été  obser^^é  surles  parties  internes  desbes- 
tiaux  morts  de  l’épizootie  par  les  principaux  mé- 
decins d’Italie,  d’Angleterre,  de  France,  d’Alle- 
inaone  et  de  Hollande.  11  suffira  de  m’arrêter  ici 

O 

aux  particularités  qui , étant  propres  à la  contagion 
actuelle,  peuvent  servir  à déterminer  sa  nature  , 
et  à trouver  les  moyens  d’y  apporter  remède , si  ja- 
mais on  est  assez  heureux  pour  parvenir  à ce  but. 
Je  ne  parlerai  que  des  symptômes  que  j’ai  obser- 
vés moi-même  dans  les  bestiaux  que  j’ai  fait  ou- 
vrir, à moins  que  ce  ne  soit  de  ceux  que  jecroirai 
dans  la  suite  dignes  de  fixer  votre  attention. 

L’éj)i])loon  ( pour  commencer  par  le  ventre), 
l’éjuploon  , dis-je,  est  enllarnmé  et  gangrène  chez 
plusieurs;  de  manière  qu’il  est  couvert  ça  et  là  de 
taches  rouges,  pourprées  et  noires. 

La  jiause  l’est  également  plus  ou  moins;  quel- 
quefois elle  est  extraordinairement  gonflée  ]>ar  l’air 
qui  s’y  trouve  renfermé,  et  donne  une  idée  fort 
exacte  de  la  lympanite  intestinale.  Lorsqu’on  y 
perce  un  trou  à travers  de  la  peau  et  des  muscles, 
ainsi  que  je  l’ai  fait  à quelques-uns,  l’air  en  sort 
avec  violence  et  bruit.  Mais  je  ne  saurois  dire,  s’il 
y a jamais  véritable  tympanite,  c’est-à-dire,  s’il  y 


a de  l’air  dans  la  cavité  du  ventre  , entre  les  in- 
testins dans  l’intérieur  du  péritoine  : la  putréfac- 
tion des  intestins  est  quelquefois  si  grande  que  je 
ne  regarde  pas  cela  comme  impossible. 

Les  intestins  grêles  , de  même  que  les  gros  in- 
testins, étoient  quelquefois  entièrement  dénaturés, 
pourprés  et  noirs  : une  partie  plus,  l’autre  moins, 
suivant  qu’ils  étoient  alfectés  du  virus  pestilentiel. 

Chez  les  vieilles  vaches  , la  rate  étoit  générale- 
ment livide  , d’un  gris  cendré,  chargée  d’une  ma- 
tière ichoreuse,  et  comme  putrifiée  dans  l’inté- 
rieur par  le  sang  vicié  qui  y séjournoit. 

Le  foie  des  bestiaux  que  j’ai  ouverts  moi-même 
étoit  généralement  gangréné  chez  quelques-uns  , 
rempli  de  douves  ou  fascioles  hépatiques  qui  rem- 
plissoient  en  grand  nombre  les  conduits  biliaires. 
Mais  ce  n’étoit  pas  là  la  cause  de  leur  mort.  J’ai 
trouvé  aussi  cette  année  et  l’automne  dernier  beau- 
coup de  ces  vers  dans  des  bestiaux  sains  tués  par  le 
boucher,  ainsi  que  dans  des  moutons.  Les  lièvres 
mêmes  n’en  ont  pas  été  exempts.  Cette  maladie  a 
été  fort  générale  (i)  pendant  l’été  dernier,  et  em- 
porte même  encore  actuellement  un  grand  nom- 
bre de  moutonSc 

(i)  Dans  la  canal  hépatique  d’un  cerf  dont  M.  de  Lewo  d’A- 
duaid  me  fit  présent  le  i3  avril,  pour  le  disséquer , j ai  trouvé, 
quoique  l’ainmal  lut  d’ailleurs  sain,  trois  douves  de  la  même  forme 
que  celles  des  moutons  et  des  bêtes  à cornes. 


io4 


LEÇONS 

La  vésicale  du  fiel  étoit  chez  tous  extraor- 
dinairement volumineuse  , et  remplie  d’un  fiel 
fétide. 

Le  parenchyme  du  foie  étoit  gorgé  d’air  ou  af- 
fecté d’emphysème,  tant  ces  parties  se  corrompent 
promptement  dans  l’épizootie. 

Le  premier  estomac  contenoit  les  alimens  et  la 
boisson  fjue  l’animal  avoit  pris  avant  que  la  vio- 
lence du  mal  l’eut  empêché  de  satisfaire  à son  ap- 
pétit, et  ces  alimens  étoient  fort  corrompus  ; de 
manière  même  que  j’en  ti’ouvai  l’odeur  insuppor- 
table, quoique  d’ailleurs  mon  zèle  me  fasse  vain- 
cre assez  facilement  de  pareils  désagrémens.  La 
membrane  intérieure  étoit  comme  sphacelée  par 
la  putréfaction  de  ces  matières,  et  se  laissoit  en- 
lever par  lambeaux;  ce  qui  n’arrive  jamais  chez 
les  bestiaux,  si  ce  n’est  lorsque  la  putréfaction  qui 
suit  la  mort  en  est  la  cause  , ainsi  que  je  l’ai  déjà 
remarqué  plus  haut  (i).  Il  en  est  de  même  du  bon- 
net, qui  ne  forme,  pour  ainsi  dire,  qu’une  seule 
poche  avec  le  premier  estomac  ; mais  il  faut  que 
j’observe,  pour  ceux  qui  pourroient  l’ignorer,  que 
cette  membrane  interne  est  dans  quelques  bestiaux 
naturellement  fort  noire,  ou  d’une  couleur  bron- 
zée; et  dans  quelques  autres  d’un  jaune  pêile. 

Uomasum  ou  feuillet  est  dans  tous  fort  con- 


(i)  Pa^e38, 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  105 

tracté , eoflammé  à l’extérieur  et  couvert  de  taches; 
mais  dans  l’intérieur  lorsque  les  bestiaux  mangent 
un  fourrage  sec,  les  alimens  sont  noirs  compactes, 
durcis  entre  les  livrets;  de  sorte  qu’on  ne  sauroit 
mieux  les  comparer,  à cause  de  leur  couleur  et 
de  leur  forme,  qu’à  des  tablettes  de  chocolat,  sui- 
vant la  remarque  judicieuse  ne  MM.  De  Haen , 
Ouwens,  Van  Velsen  et  Westerhof,  médecins  à 
la  Haie.  Lorsque,  pendant  l’été,  les  bestiaux  sont 
au  vert  dans  les  prairies  , les  matières  sont  bien 
molles  quelquefois,  mais  elles  n’en  sont  pas  moins 
chargées  d’acrimonie. 

La  membrane  externe  se  trouvoit  parfois  ad- 
hérente aux  deux  côtés  de  cette  matière  durcie  , 
ayant  été  pareillement  détachée  par  sphacèle. 
Dans  quelques-uns  les  livrets  mêmes  étoient  en- 
tièrement spbacelés,  durcis  et  transparens  com- 
me de  la  gaudrucbe  ; dans  d’autres  on  apperçoit 
le  sang  dans  les  vaisseaux  desséchés.  Mais  après  la 
partie  qui  réunit  l’ouverture  de  la  panse  à la  cail- 
lette , et  où  les  livrets  semblent  finir,  il  y avoit  sou- 
vent une  matière  sanguinolente, très-âcre  et  d’une 
puanteur  horrible  , laquelle  alloit  jusque  dans  la 
caillette. 

La  caillette  étoit  généralement  vide,  c’est-à-dire, 
sans  alimens,  mais  gonflée  de  vent , et  quelquefois 
garnie  d’une  matière  sanguinolente  et  sangré- 
neuse  ; d’autres  lots  d’une  matière  jaunâtre  et  fluide 


io6 


LEÇONS 


fort  félide,  sans  aucune  teinte  de  sang.  epithe- 
lium ou  membrane  interne  se  détachoit  facile- 
ment, comme  dans  les  autres  estomacs,  et  par  la 
même  cause. 

Il  y avoit  souvent,  mais  pas  toujours  , dans  la 
cavité  des  intestins  grêles  , principalement  dans 
Fileum  , un  sang  extravasé  fétide.  Dans  les  gros 
intestins,  j’ai  trouvé  aussi  parfois  du  sang  extra- 
vasé et  caillé;  et  d’autres  fois  des  déjections  jaunes 
ou  d’une  autre  couleur,  dont  il  seroit  difficile  de 
donner  une  idée. 

Le  rectum  éloit  chez  plusieurs  fort  enflammé 
près  de  l’anus  , et  garni  d’une  matière  sanguino- 
lente autour  des  excrémens  durcis, particulièrement 
ù la  partie  ridée  ou  plissée.  C’est-là  la  cause  pour- 
quoi chez  plusieui’s  bestiaux  le  sang  sort  par  l’anus, 
immédiatement  après  qu’ils  sont  morts.  Ce  sang 
avoit  causé  souvent  Tine  grande  mortification  dans 
les  ])lis  du  rectum.  Parfois  les  excrémens  étoient 
entassés  secs,  comme  des  figues,  tandis  que  le  rec- 
tum n’étoit,  pour  ainsi  dire , pas  enflammé. 

Dans  les  veaux  de  lait  qui  étoient  morts  de  l’é- 
pizootie, le  feuillet  n’étoit  pas  tendu  par  des  ma- 
tières durcies;  cependant  la  membrane  intérieure 
se  détachoit  à peu  près  comme  dans  les  vaches.  Le 
loie  de  ces  veaux  n’avoit  pas  de  douves  ; ce  qui 
etoit  impossible  aussi  , parce  qu’ils  n’avoient  pas 
encore  pâturé  d’iierbe.  Tout  le  reste  se  trouvoit 


SUR  ÉPIZOOTIE. 


107 


plus  OU  moins  dans  le  même  état  , et  la  vésicule 
du  liel  étoit  toujours  fort  grande. 

Les  reins  étoient  Généralement  d’une  couleur 
pâle,  quoiqu’il  parussent  d’ailleurs  fort  sains. 

Mais  la  vessie  étoit  presque  dans  tous  remplie 
d’urine;  cependant  je  l’ai  trouvée,  pour  ainsi  dire, 
vide  dans  un  veau. 

Dans  les  vaches  portières  la  matrice  étoit  en- 
flammée , ticlée  de  taches  pourprées  et  gangré- 
neuse, comme  la  panse.  Cependant  le  foetus  n’of- 
froit  aucun  signe  apparent  de  maladie.  Les  pis 
étoient  extrêmement  enflammés  , et  contenoient 
un  lait  épaissi. 

Telle  étoit  la  situation  du  ventre.  Je  vais  passer 
maintenant  aux  viscères  de  la  ])oitrine  , pour  vous 
offrir  un  nouveau  spectacle  des  aifreux  ravages  de 
cette  maladie. 

Les  poumons,  qui  se  montrent  au  moment  qu’on 
ouvre  la  poitrine  , et  qui  sont  ordinairement  livi- 
des, un  peu  rougeâtres,  sont  dans  la  plupart  des 
bestiaux  enflammés  dans  un  endroit  ou  l’autre  , 
tictés  de  taches  pourprées,  et  la  gangrène  affecte 
par  fois  un  lobe  plus  que  l’autre.  J’en  ai  vu  dont 
les  lobes  étoient  totalement  sphacelés;  de  manière 
qu’en  y faisant  des  incisions  , on  n’appercevoit 
qu’un  sang  noir,  sans  pouvoir  distinguer  les  cel- 
înles.  Dans  plusieurs  l’air  setrouvoit  dans  la  mem- 


io8 


L K Ç O N s 

brane  cellulaire  entre  les  cellules^  c’est  ce  qui  for- 
me l’emphysème. 

La  trachée-artère  est  intérieurement  vide  dans 
quelques  bestiaux;  sa  membrane  est  couverte  de 
taches  rouges,  pourprées  et  gangréneuses,  ou  bien 
elle  est  entièrement  gangrénée.  Dans  d’autres  elle 
paroît  couverte  d’une  mince  pellicule  ichoreuse  ; 
mais  dans  la  plupart  elle  est  entièrement  remplie 
d’une  écume  blanche.  Cette  écume  ne  se  trouve 
pas  dans  la  trachée-artère  seule  , mais  parcourt  les 
poumons  aussi  loin  qu’on  peut  suivre  les  rameaux 
des  bronches.  Si  l’on  considère  cela  , on  ne  sera 
plus  surpris  des  mugissemens  plaintifs  de  l’animal 
soulfrant.  La  difficulté  de  res])irer  en  est  cause;  et 
de-là  viennent  l’inllammation  et  la  gangrène  des 
poumons. 

La  gorge  est  enflammée  dans  tous;  mais  principa- 
lement dans  ceux  qui  ont  la  trachée-artère  remplie 
d’écume.  J’entends  par-là  non-seulement  le  larynx, 
mais  aussi  le  pharynx,  c’est-à-dire,  la  gorge  ou 
le  conduit  vers  l’oesophage,  et  le  larynx. 

Les  naseaux,  la  cavité  du  nez  et  la  langue  étoient 
presque  toujours  sains,  c’est-à-dire,  sans  inflam- 
mation et  sans  gangrène,  si  ce  n’est  la  racine  de  la 
langue,  là  où  elle  tient  au  pharynx. 

Jamais  je  n’ai  rien  trouvé  d’extraordinaire  à la 
langue; mais  bien  à sa  racine,  et  latéralement  vers 
le  fond,  un  peu  de  matière  ichoreuse  tenace,  que 


SUR  l’Épizootie.  109 

quelques-uns  ont  sans  cloute  pris  pour  des  aphtes. 

J’ai  trouvé  dans  plusieurs  les  muscles  du  cou 
et  la  graisse  du  fauon  fort  enflammés,  pourprés  et 
comme  gangrénés. 

Quelques-uns  avoient  les  yeux  fort  enflammés. 

Le  cœur  ne  m’a  rien  offert  de  remarquable  : un 
des  ventricules  contenoit  tantôt  du  sang  caillé  , 
tantôt  du  sang  fluide  , et  d’autres  fois  il  se  trouvoit 
vide. 

J’ai  fait  ouvrir  la  tête  à un  seul  animal  ; mais 
cette  opération  est  difficile,  et  sallit  trop  les  par- 
ties 5 de  sorte  que  cela  exige  un  examen  plus  exact. 
Le  cerveau  de  l’animal  sur  lequel  je  fis  ces  obser- 
vations étoit  fort  sain.  Aussi  ne  m’attendois- je  à 
rien  de  particulier  à cet  égard,  parce  que  les  bes- 
tiaux paroissent  conserver  leur  connoissance  jus- 
qu’au dernier  moment , c’est-à-dire,  qu’ils  donnent 
des  signes  d’amitié  à ceux  qui  prennent  soin  d’eux, 
et  qu’ils  font  connoître  leur  malaise  par  des  mu- 
gissemens  plaintifs  plus  forts  quand  on  les  caresse 
dans  cet  état  déplorable. 

Plusieurs  observateurs  ont  trouvé  que  le  cerveau 
étoit  fort  enflammé  (1). 

Dans  un  seul  j’ai  vu  les  cuisses  affectées  violem- 
ment par  le  mal 5 mais  cependant  tout  le  reste,  et 


Der  koenigl.  Groshritl.Chnrfurst.  Braimschw-  Landwi^th- 
schaft  GeselUchafc,  Nackr,  IV,  Saininl.  Zelle  , pag.  5y2. 


no 


LEÇONS 

les  intestins  en  particulier,  éloient  enflammés  et 
sphacelés. 

Tous  les  principaux  écrivains  qui  ont  parlé  des 
épizooties  de  1710,  1700,  1741,  1 745 , etc. , jus- 
qu’à ce  jour,  s’accordent  sur  ce  point,  comme  on 
peut  le  voir  chez  Ramazzini,  qui  parle  aussi  de 
l’emphysème  des  poumons  et  du  cerveau  , des 
exanthèmes  et  des  aphtes  sur  la  langue  , de  l’épais- 
sissement du  sang  plutôt  que  de  sa  dissolution  ; de 
manière  que  le  sang  couloit  à peine  chez  quelques 
bestiaux  qu’on  a ouverts. 

M.  Bâtes  dit  que  dans  quatre  vaches  sur  seize 
qu’il  a ouvertes,  il  a trouvé  le  foie  noir  et  con- 
tracté, et  les  glandes  du  mésentère  fort  enflées.  Je 
ne  puis  nier  d’avoir  vu  les  glandes,  particulière- 
ment celles  qui  sont  près  de  la  caillette  et  du  rec- 
tum, fort  grandes  et  comme  enflées;  mais  je  pense 
avoir  observé  la  même  chose  dans  les  bestiaux 
sains  livrés  au  boucher  ; elles  sont  moins  visibles 
dans  les  boeufs  gras. 

Michelotli  a laissé  après  sa  mort  des  observa- 
tions qui  s’accordent  assez  avec  les  miennes  : il  y 
fait  mention  d’un  emphysème  des  poumons.  Il  as- 
sure aussi  avoir  vu  des  cerveaux  séreux  et  cor- 
rompus.. 

Le  marquis  de  Courtivrou  , Ernest  Stief , Fis- 
scher,  Ottomarius,  Goelicke,  qui,  selon  moi , est 
fort  exact , et  tous  les  médecins  étrangers  dont  j’ai 


SUR  l’ÉPIZO  O T I E. 


111 


consulté  les  ouvrages  , sont  d’accord  sur  les  prin- 
cipaux symptômes  caractéristiques  de  cette  ma- 
ladie. 

Les  médecins  de  la  Haie  , qui  n’ont  pas  mis 
moins  de  soins  et  d’exactitude  dans  leurs  recher- 
ches , ont  trouvé  ces  symptômes  à peu  près  tels 
que  je  les  ai  indiqués.  Ils  ont  fait  de  belles  expé- 
riences avec  le  suif,  et  ont  trouvé  qu’il  jel  te  en  brû- 
lant une  odeur  désagréable:  ils  ont  même  jugé  que 
les  chandelles  qu’on  en  feroit  pourroient  propager 
la  contagion  et  causer  de  grands  ravages. 

Ils  parlent  aussi  de  charbons  pestilentiels  dans 
le  foie.  Les  observations  anatomiques  qu’ils  ont 
faites  sur  environ  trente  bestiaux  méritent  votre 
attention;  et  celles  de  M.  Engelman  ne  sont  ni 
moins  curieuses  ni  moins  exactes. 

Je  dois  seulement  vous  prévenir  de  deux  cho- 
ses : premièrement , de  ne  pas  conclure  trop  faci* 
lement  qu’il  y a emphysème  dans  les  poumons 
ou  dans  d’autres  parties;  car  il  est  facile  de  tom- 
ber dans  l’erreur  à cet  égard  , si  l’on  n’ouvre  pas 
les  bestiaux  immédiatement  après  leur  mort; il  est 
d’ailleurs  difficile  de  s’imaginer  combien  promp- 
tement la  corruption  s’empare  de  ces  bestiaux.  Il 
ne  faut  pas  surtout  déchirer  les  poumons  en  les 
coupant , car  dans  ce  cas  l’air  se  glisse  entre  les  lo- 
bules , et  forme  emphysème  où  il  n’y  en  avoit  na- 
turellement point.  Secondement , la  corruption 


113 


LEÇONS 

dans  les  estomacs  est  si  grande  , même  chez  les 
bestiaux  qu’on  tue  à la  boucherie  , qu’il  ne  faut 
pas  perdre  de  tems  à les  ouvrir  , si  l’on  veut  en 
conclure  quelque  chose  de  certain. 

Il  paroît  démontré  que,  dans  tous  les  animaux 
rurainansqui  ont  quatre  estomacs,  les  membranes 
internes  semblent  s’en  détacher  vingt-quatre  heu- 
res après  leur  mort.  Je  vous  invite  à suivre  , si 
vous  en  avez  l’occasion  , le  conseil  de  l’illustre  Goe- 
llcke  (pag.  717),  de  faire  ouvrir  des  bestiaux  le 
second,  le  troisième  et  le  quatrième  jour  de  leur 
maladie,  afin  de  suivre  progressivement  ce  qui  se 
passe  dans  leurs  intestins.  On  devroit  aussi  faire 
ouvrir  ceux  qui  ont  échappé  à la  maladie  , et  cela 
le  plutôt  possible  après  que  leur  guérison  seroit 
assurée.  Mais  de  pareilles  observations  ne  peuvent 
se  faire  qu’avec  l’appui  du  gouvernement , parce 
qu’elles  sont  au-dessus  des  facultés  d’un  simple 
particulier. 

Des  signes  de  guérison  et  de  danger. 

Après  avoir  entendu  parler  des  symptômes  de  la 
maladie,  il  est  naturel  que  vous  soyez  curieux  de 
savoir  quels  sont  les  signes  de  convalescence  et  de 
guérison?  Mais  j’ai  peu  de  chose  à dire  sur  ce  su- 
jet. Les  bubons  et  la  gale  que  quelques-uns  ont 
observé , sont , selon  moi , des  caractères  fort  in- 


ii3 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE, 
certains.  La  grande  quantité  de  matière  ichoreuse 
qui  coule  des  naseaux  et  des  yeux  , ainsi  que  de 
selles  violentes,  lesquelles  sont  d’ailleurs  salutai- 
res, trompent  également  et  ont  lieu  de  même  chez 
ceux  qui  meurent.  Les  seuls  et  véritables  signes  de 
la  convalescence  desbestiaux,  c’est  lorsqu’ils  com- 
mencent à manger  et  à ruminer,  que  la  toux  di- 
minue et  que  de  teins  en  tems  ils  toussent  avec  fa- 
cilité. Mais  l’envie  de  manger  , laquelle  est  tou- 
jours foible  au  commencement  , peut  induire  en 
erreur.  La  mort  est  certaine  lorsque  le  ventre  de 
I l’animal  enfle  beaucoup;  et  il  en  est  de  même  lors< 
que  l’écume  que  j’ai  trouvée  dans  la  trachée-artère 
commence  à couler  du  nez  et  de  la  bouche.  11  est 
possible  qu’ils  ne  meurent  que  le  onzième  jour.  Je 
regarde  la  maladie  comme  dangereuse  aussi  long- 
tems  qu’ils  gémissent,  qu’ils  laissent  pendre  la  tête 
et  qu’ils  ne  ruminent  point. 

Quand  ils  sont  convalescens,  les  cornes  et  les 
oreilles  reprennent  leur  chaleur  naturelle,  parce 
que  la  fievre  les  quitte  ; et  ils  commencent  alors 
à remuer  insensiblement  la  queue  et  les  oreilles. 

L’avortement  ne  prouve  rien  , parce  qu’il  y a 
quelques  exemples  que  des  vaches  portières  ont  re- 
tenu leur  foetus;  mais  ces  veaux  sont  susceptibles 
d’être  affectés  de  la  maladie.  Cependant  on  remar-' 
que , en  général,  que  les  veaux  nés  de  vaches  gué- 
ries échappent  aussi  à la  mort , ou  du  moins  il  y a 

8 • 


III. 


2i4 


LEÇONS 


quelque  espérance  que  cela  peut  avoir  Heu. 

Je  ne  connois  d’ailleurs  aucun  signe  qui  serve  à 
indiquer  qu’un  animal  a eu  la  contagion  j car  la 
perte  du  toupillon  de  la  queue  n’én  est  pas  une 
preuve  certaine , quoique  quelques-uns  la  regar- 
dent comme  telle.  Tous  les  bestiaux  frappés  de  l’é- 
pizootie, que  j’ai  vu  échapper  à la  mort , ont , un 
seul  excepté,  conservé  ce  toupillon  de  poils;  et 
d’autres  le  perdent  à force  de  marcher  dessus  ; ce 
signe,  quoiqu’il  puisse  d’ailleurs  être  certain  , est 
fort  trompeur  chez  de  tels  animaux.  11  n’y  a donc 
que  la  bonne  foi  dans  le  commerce  qui  puisse  ser- 
vir de  garant  à cet  égard. 

Des  causes  de  F épizootie  > 

Je  vais  passer  maintenant  à la  partie  la  plus  dif- 
ficile de  nos  recherches,  aux  causes  de  l’épizootie. 
Tout  ce  que  j’ai  dit  jusqu’à  présent,  nous  l’avons 
pu  apprendre  par  nos  propres  observations,  ou  le 
puiser  dans  les  écrits  des  autres;  mais  qui  pourra 
se  flatter  de  saisir  la  cause  secrète  de  ce  virus  con- 
tagieux , que  l’Etre  Suprême  a voulu  dérober  à 
notre  connoissance  ? Je  suivrai  donc  l’exemple  de 
Cicéron  , qui , devant  parler  des  Dieux  , préféra 
d’avouer  son  ignorance  sur  leur  origine,  et  laissa 
à la  postérité  le  soin  de  faire  cette  grande  décou- 
verte. 


ii5 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 

On  regarde  comme  les  principales  causes  de  cette 
maladie,  les  rudes  hivers,  une  transpiration  arrê- 
tée, des  vers  qui  pendant  certains  tems  séjournent 
dans  le  sang  ou  dans  le  foie,  et  finalement  des  ali- 
mens  corrompus,  de  quelque  nature  qu’ils  puis- 
sent être:  je  ne  parlerai  ici  que  des  causes  physi- 
ques ; j’abandonne  à nos  théologiens  celles  qui 
tiennent  à la  morale. 

On  a regardé  les  grands  hivers  comme  cause  dé 
la  contagion,  parce  que  ce  fut  en  1710 , après  l’â- 
pre hiver  de  1709,  qu’on  observa  la  mortalité  des 
bêtes  à cornes,  et  que  celui  de  1740  fut  suivi  de  la 
contagion  de  1741,  qui  s’étendit  fort  au  loin;  et, 
pour  ne  pas  parler  de  plusieurs  autres  , celle  qui 
régna  en  1768,  après  l’hiver  assez  rude  de  1767. 
Mais  nous  n’avons  point  d’observations  assez  exac- 
tes sur  cette  maladie  avant  l’année  1711,  ainsi  que 
je  l’ai  déjà  dit.  11  faut  remarquer  aussi  qu’elle 
régna  pour  la  première  fois  , et  avec  le  plus  de 
violence,  dans  la  partie  méridionale  de  l’Europe, 
dans  les  montagnes  comme  dans  les  contrées  bas- 
ses  et  froides.  Le  grand  hiver  de  1727  n’a  pas  été 
sum  de  contagion  , de  sorte  qu’il  semble  que  le 
grand  froid  ou  la  douceur  de  l’hiver  n’j  contri- 
buent en  rien;  ce  qui  paroîtra  d’autant  plus  évi- 
dent, si  nous  y joignons  que, suivant  le  témoignage 
irrévocable  de  Goelicke  ( prue/i  1 ou  p.  71 5), 
la  contagion  n’a  pas  cessé  de  régner  en  Allemagne 


Il6  LEÇONS 

^depuis  1717  jusqu’en  1730,  mais  qu’elle  y a tou- 
jours fait  des  ravages  soit  dans  une  partie  soit  dans 
une  autre. 

' D’autres,  parmi  lesquels  il  faut  compter M. En- 
gelman  (1),  pensent  qu’on  doit  l’attribuer  à une 
transpiration  interceptée,  et  qu’il  faudroit  couvrir 
les  bêtes  à cornes  pendant  les  nuits  d’automne,  et 
les  faire  coucher  dans  l’étable  pendant  celles  du 
printems  {ibicl. , pag.  5i2  et  3i3),  etc.  En  suppo- 
sant que  cela  fut  vrai,  la  contagion  auroit  dû  ré- 
gner moins  ou  même  point  du  tout  en  Gueldre  , 
dans  le  Veluvve,  dans  le  pays  de  Drenthe  et  ail- 
leurs, où,  pour  conserver  le  fumier,  on  tient  les 
bestiaux  à l’étable  pendant  la  nuit  , tant  durant 
tout  l’été  même,  que  pendant  le  printems  et  l’au- 
tomne. 

Cependant,  d’après  les  observations  que  le  sa- 
vant et  estimable  M.  Van  Lier  a bien  voulu  com- 
muniquer à M.  Van  Doeveren  et  à moi , il  est  cer- 
tain que  cela  n’a  causé  aucun  changement  dans  le 
pays  de  Drenthe.  M.  Van  Doeveren  , frère  de  mon 
collègue , a écrit  la  même  chose  de  la  Flandre  hol- 
landoise;  et  M.  De  Man  , médecin  de  la  ville  de 
Nimègue,  m’a  fait  l’honneur  de  me  marquer,  à la 
prière  que  je  lui  en  avois  faite,  qu’au  pays  de  Elè- 
ves les  bêtes  à cornes  restent  généralement  à l’éla- 


(ï)  Harl.  Kerli.,  toin.  VII,  pag.  297. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  117 

ble  pendant  la  nuit,  et  que  néanmoins  la  morta- 
lité y a été  considérable , ayant  commencé  pen- 
dant Pété  de  1767  à Hoog-Elten,  d’où  elle  s’est 
insensiblement  étendue  vers  le  Betuwe. 

Mais,  en  supposant  que  cela  fut  vrai,  d’où  vient 
donc  qu’il  n’y  ait  point  de  mortalité  en  Suisse  ? 
où,  suivant  M.  Engelman  lui -même  (^ibid. y pag. 
3i4  et  3i5),  la  contagion  n’est  pas  connue,  quoi- 
que le  grand  Haller  de  Berne  m’ait  répondu  le  i4 
janvier  1769  , sur  quelques  demandes  que  je  lui 
avois  faites,  u Que  les  bêtes  à cornes  passent  la 
« nuit  dans  les  pâturages  tant  que  la  saison  le 
((  permet.  » 

D’où  il  faut  conclure  que  la  construction  d’han- 
gars dans  les  prairies,  pour  y faire  retirer  le  bé- 
tail pendant  la  nuit  , ne  seroit  d’aucune  utilité. 

Quelques  philosophes  ont  attribué  la  cause  de 
l’épizootie  à des  vers  qui  séjournent  dans  le  sang; 
tel  a été  le  sentiment  deKircherus,  deBernardino 
Bono , d’Andry  et  particulièrement  de  Valisneri  (1), 
à l’occasion  de  l’épizootie  de  1715.  Mais  toutes  les 
hypothèses  de  l’homme  n’ont  qu’un  tems:  à cette 
époque  on  attribuoit  toutes  les  maladies  à des  vers, 
de  même  que  les  chymistes  ont  tout  rapporté  aux 
alkalis  et  aux  acides.  11  falloit  commencer  par  dé- 


(i)  Nuova  idea  del  malconla^ioso  de  Buoiftoai,  II,  Oyy.  omnîa^ 
pag.  12. 


Il8  LEÇONS 

montrer  que  ces  vers  existassent  réellement  dans 
le  sang,  pour  en  raisonner  ensuite  à son  aise. 

Il  en  est  de  même,  selon  mol,  de  ceux  qui  at- 
tribuent l’épizootie  aux  douves  du  foie  j tandis  qu’on 
sait  que  ces  vers  se  trouvent  chez  tous  les  animaux 
herbivores,  et  causent  même  leur  mort,  sans  qu’il 
en  résulte  néanmoins  une  maladie  contagieuse. 

L’araignée  des  champs,  la  chancissure,  qui  n’est 
qu’un  amas  de  plantes  aériennes  , le  miélat , les 
eaux  stagnantes,  le  foin  ou  tel  autre  fourrage  cor- 
rompu (i) , ne  peuvent  pas  non  plus  être  considé- 
rés comme  des  causes  de  la  maladie  ; vu  qu’ils 
existent  toujours,  et  que,  dans  tous  les  tems  , la 
contagion  dépend  d’une  atmosphère  viciée , et 
qu’elle  se  propage  insensiblement  de  lieu  en  lieu  , 
sans  que  sa  course  soit  hâtée  ou  ralentie  par  le 
vent.  Elle  a eu  de  la  peine  à venir  d’Italie  dans  nos 


(i)M.  H.  J.  C Berger  fait  voir  cela  fort  clairement  dans  ses 
CeJanken  von  der  Seiiche  des  Riindviehes , etc.,  Konigl.  Grosbr. 
Chnrfursll.  Landwirlhsehafs  Gezclsi.hnjt  nackrichlen  , vierle 
Sammlnng.  , pag.  58o  , où  il  dit;  « D’un  endroit  où  il  y avoit 
« soixante-cinc]  vaches  , on  en  enleva  dix-sept  au  moment  que  la 
« contagion  se  déclara  , qu’on  conduisit  dans  une  autre  étable  à 
«deux  mille  pas  de  là.  Tontes  paissoient  dans  la  même  prairie,  et 
« avoient  mangé  le  même  fourrage.  Les  quarante-huit  qui  étoient 
« restées  ensemble  , moururent  toutes  , et  il  n’y  eut  que  les  dix- 
« sept  conduites  ailleurs  qui  restèrent  saines;  preuve  évidente  que 
« ce  n’est  pas  à la  nourriture  qu’on  devoir  attribuer  cette  ma- 
te ladie.  V 


SUR  l’Épizootie.  119 

contrées,  depuis  1710  jusqu’en  1714,  et  depuis 
1741  jusqu’en  1744.  Nous  pouvons  dire  la  même 
chose  de  la  contagion  qui  règne  actuellement,  la- 
quelle se  propage  fort  lentement  dans  la  petite 
étendue  de  notre  pays. 

Mais,  en  supposant  que  les  causes  dont  j’ai  parlé 
d’abord  eussent  lieu , je  demanderai  si , avant  l’an- 
née 1714,  il  n’y  avoit  pas  autant  d’eaux  stagnantes, 
de  mauvais  fourrages,  d’araignées  des  champs,  de 
miélat  et  de  fascioles  hépatiques,  qu’à  cette  épo- 
que? et  pourquoi  la  maladie  n’a  été  apperçue  qu’a- 
près  que  la  contagion  eut  pénétré  jusqu’à  nous? 

'infin,  à quoi  faudroit-il  attribuer  que  toutes 
ces  causes  n’agissent  qu’une  seule  fois  sur  les  bêtes 
à cornes?  tandis  que  l’expérience  nous  prouve  évi- 
demment que  les  bestiaux  qui  ont  eu  une  fois  cette 
maladie  et  qui  en  ont  été  guéris,  n’en  sont  jamais 
attaqués  de  nouveau,  quoique  toutes  les  causes  in- 
diquées et  les  vices  de  l’atmosphère  subsistent  tou- 
jours, et  malgré  qu’on  les  laisse  paître  au  milieu 
de  bestiaux  malades,  et  qu’ils  boivent  dans  les  mê- 
mes vaisseaux  qu’eux  et  mangent  le  fourrage  qui 
se  trouve  infecté  de  la  bave  de  ceux  qui  meurent. 

Qu’est-ce  donc  que  l’épizootie , me  demanderez- 
vous?  A quoi  faut-il  attribuer  sa  première  origine, 
et, quoiqu’on  sache  qu’elle  nous  est  venue  d’abord 
d’Asie,  et  particulièrement  de  la  Perse,  de  quelle 
manière  y a-t-elle  pris  naissance?  Je  répondrai. 


120 


LEÇONS 

comme  il  seroif  à souhaiter  que  le  fissent  tous  les 
naturalistes,  que  je  l’ignore , que  cela  est  au-dessus 
démon  intelligence  et  de  celle  de  tous  les  hommes 
sans  doute.  Que  tout  ce  qu’on  sait  c’est  que  la  con- 
tagion est  venue  d’ailleurs  par  l’air  ambiant  , et 
qu’elle  frappe  de  mort  notre  hétaiQ  qu’il  ne  faut 
donc  point  l’attribuer  au  ciel  de  ce  pays  , ni  à la 
chancissure,  ni  ou  miélet , ni  aux  eaux  stagnantes, 
ni  au  fourrage,  ni  à notre  manière  de  faire  pâtu- 
rer les  bestiaux,  ni  à telle  autre  cause  imaginaire 
que  ce  puisse  être. 

On  cherche  à nous  faire  croire  que  les  Suisses, 
qui , d’après  la  manière  actuelle  de  penser,  savent 
tout  mieux  que  les  autres  nations,  ont  eux  seuls  la 
sage  précaution  de  donner  à leurs  vaches,  chaque 
fois  qu’ils  les  ont  trait,  un  peu  de  sel  et  une  cer- 
taine mixtion  connue  chez  eux  sous  le  nom  de 
gelech  y ainsi  que  le  font  nos  fermiers  , dont  les 
vaches  surpassen  t certainement  en  beauté , en  abon- 
dance de  lait  et  en  propreté  celles  de  toutes  les  au- 
tres nations  ; et  dévoient  leur  apprendre  la  ma- 
nière de  les  tenir  à l’abri  de  la  maladie. 

J’ai  déjà  fait  voir  que  la  contagion  a régné  en 
Suisse  aussi  bien  que  dans  ce  pays;  mais  cette  ques- 
tion se  trouve  parfaitement  décidée  par  une  lettre 
de  M. Haller, dont  voici  la  substance:  (c  On  donne 
<(  certainement  ici  beaucoup  de  sel  à lécher  aux 
<c  bêtes  à cornes;  mais  je  ne  crois  pas  que  ce  soit 


121 


SUR  ÉPIZOOTIE. 

«à  cela  qu’il  faut  attribuer  leur  conservation.  Je 
((  n’ai  jamais  remarqué  que  les  médicamens  y aient 
« opéré  beaucoup  de  bien.  Mais  nous  avons  grand 
« soin  d’empêcher  toute  communication  avec  les 
« bestiaux  malades.  Plus  d’une  fois  nous  avons 
« éprouvé  ici  ces  accidens;  mais  alors  nous  avons 
« tenu  les  étables  fermées  , et  empêché  que  les 
« bestiauxn’en  sortissent.  Quelquefois  même,  pour 
« prévenir  cette  maladie  contagieuse,  nous  avons 
« tué  tout  le  bétail  d’un  village  qui  s’en  trouvoit 
« infecté,  et  ])ar  ce  moyen  nous  avons  conservé  le 
« reste  en  santé.  » 

Voilà  le  témoignage  d’un  homme  instruit  et  de 
grande  réputation  , et  cela  dans  une  affaire  qui 
concernoit  son  propre  pays. 

Aussi  long-tems  qu’on  ne  ne  pourra  pas  préve- 
nir cette  épidémie  , il  faudra  s’attendre  à nous 
voir  attaqués  par  ce  tléau , quand  même  nous  ha- 
biterions l’Arabie  Heureuse,  que  nos  contrées  ne 
seroient  arrosées  que  par  de  limpides  ruisseaux , 
et  que  le  sel  marin  se  Irouveroit  mêlé  naturelle- 
ment parmi  les  herbages  de  nos  prairies. 


122 


LEÇONS 


De  la  nature  de  V épizootie  et  des  moyens  d’en 
guérir  les  bestiaux. 

L’épizootie  est  ( comme  on  en  conviendra  , je 
pense,  d’après  les  symptômes  dont  j’ai  parlé  et  les 
altérations  des  parties  qui  surviennent  immédiate- 
ment après  la  mort  des  bestiaux)  une  fièvre  pu- 
tride contagieuse  , par  laquelle  le  sang  se  trouve 
vicié , et  qui  cause,  en  même  teins , une  grande  in- 
flammation dans  les  viscères  du  ventre  et  de  la  poi- 
trine, ainsi  que  dans  la  gorge,  à la  langue,  au  nez, 
aux  yeux  et  quelquefois  même  dans  le  cerveau  5 
de  manière  cependant  que  la  mortification  a prin- 
cipalement lieu  dans  les  viscères  et  les  insestins  du 
ventre  et  de  la  poitrine.  Le  feuillet  surtout  est  fort 
affecté  , à cause  de  la  conformation  et  des  fonc- 
tions de  cette  partie.  Quoique  la  maladie  présente 
quelques  symptômes  externes  qui  diffèrent  entre 
eux,  elle  est  toujours  la  même  et  ne  varie  jamais 
dans  ses  principes,  en  affectant  néanmoins  une  par- 
tie de  l’animal  avec  plus  de  force  que  les  autres. 
Elle  est  accompagnée  d’une  telle  prostration  des  for- 
ces dans  toute  l’habitude  du  corps  et  d’un  si  grand 
relâchement  des  fibres  des  muscles  des  intestins 
en  particulier, qu’ils  se  trouvent  dans  une  parfaite 
inertie:  les  alimens  ne  sont  plus  portés  de  l’esto- 
mac vers  la  bouche  ; de  sorte  que  la  rumination 


125 


SUR  u’ ÉPIZOOTIE. 

cesse  entièrement.  Le  feuillet  n’a  point  d’évacua- 
tion; ce  qui  fait  que  les  alimens  qui  y séjournent 
s’entassent  , se  dessèchent  et  se  trouvent  recuits. 
La  vésicule  du  fiel  ne  paroît  être  si  fortement  gon- 
flée, que  parce  que  son  relâchement  empêche  l’é- 
vacuation; tandis  que  la  secrétion  continue  tou- 
jours. La  vessie  est  dans  le  même  cas. 

L’épizootie  diffère  donc  de  la  petite  vérole  et  de 
la  rougeole,  et  doit  par  conséquent  être  traitée 
comme  une  fièvre  putride.  Ce  n’est  pas  non  plus 
une  simple  fièvre  avec  inflammation  ; car,  dans  ce 
cas  , il  faudroit  que  les  caïmans  fussent  toujours 
salutaires;  tandis  que  l’expérience  nous  apprend 
que  la  saignée,  les  caïmans  avec  du  salpêtre  et  au- 
tres remèdes  semblables  n’ont  jamais  été  du  moin- 
dre secours.  La  saignée  même  , si  heureusement 
employée  dans  les  maladies  inflammatoires  , a 
presque  toujours  été  funeste  dans  l’épizootie. 

Ce  qu’il  y a de  plus  singulier  , c’est  que  les  bes- 
tiaux, jeunes  ou  vieux,  qui  ont  été  une  fois  plus 
ou  moins  affectés  de  cette  contagion  , ne  s’en  trou- 
vent jamais  attaqués  de  nouveau  , ou  du  moins 
fort  rarement , si  l’on  peut  ajouter  foi  aux  obser- 
vations du  marquis  de  Couriivron  (i). 

Voici  donc  les  quatre  principales  choses  qu’il 


(i)  Mémoires  de  V Académie  des  sciences,  i748- 


LEÇONS 


124 

faut  avoir  en  vue  : i°.  Chercher  à prévenir  la  ma- 
ladie, el  à diminuer  ses  effets;  2°.  garantir  les  hu- 
meurs de  corruption  ; 0°.  conserver  les  forces  des 
bestiaux;  enfin  4®.  nétoyer  les  intestins  du  mo- 
ment cjue  la  maladie  se  déclare. 

I.e  seul  moyen  de  prévenir  la  contagion  , c’est 
d’empecher  qu’on  n’introduise  dans  le  pays  des 
betes  qui  en  sont  attaquées  , ainsi  que  le  foin  , la 
paille  ou  telles  autres  matières  suscejitibles  de  s’im- 
prégner de  virus  morbifique.  C’est  avec  la  plus 
grande  prudence  qu’il  faut  traiter  les  peaux  des 
bestiaux  qui  sont  morts  de  cette  maladie.  Les  per- 
sonnes qui  soignent  ceux  qui  sont  malades  de- 
vroient  être  exclues  des  autres  étables,  ou  du  moins, 
n en  approcher  qu’après  avoir  changé  de  vête- 
mens;  mais  on  devroit  surtout  empêcher  les  ani- 
maux domestiques,  tels  que  les  chiens  et  les  chats, 
de  se  transporter  d’un  endroit  à l’autre. 

L’expérience  nous  a malheureusement  appris 
depuis  long-tems  qu’il  est  impossible  d’employer 
ces  précautions:  nos  frontières  sont  disposées  de 
manière  que  nous  ne  ])ouvons  prévenir  l’introduc- 
tion de  l’épizootie  dans  ces  provinces,  qui  se  trou- 
vent tellement  enclavées  dans  les  pays  limitrophes 
que  toute  jirévoyance  à cet  égard  devient  inutile  , 
si  nos  voisins  ne  commencent  d’abord  à s’en  ga- 
rantir  eux-mêmes.  La  lettre  de  Haller  nous  a prou- 
vé combien  il  est  important  de  tuer  les  bestiaux 


SUR  l’Épizootie.  laS 

pestiférés  du  moment  que  la  maladie  commence 
à se  déclarer. 

Le  docteur  Bâtes  conseilla,  en  i7i4,  à la  ré- 
gence du  comté  de  Middlesex , de  faire  acheter, 
tuer  et  brûler  sur-le-champ  tous  les  bestiaux  des 
étables  où  la  contagion  pourroit  se  déclarer  5 mais 
la  mortalité  devint  bientôt  si  grande  qu’il  n’y  eut 
pas  assez  de  matières  combustibles,  pour  mettre 
ce  conseil  à exécution  , de  manière  qu’en  septem- 
bre on  y fut  déjà  contraint  d’enterrer  les  bestiaux. 
La  mortalité  ne  régna  que  trois  mois  dans  cette 
partie  de  l’Angleterre;  dans  d’autres  elle  dura  trois 
ans.  Suivant  une  note  du  docteur  Bâtes  , il  étoit 
déjà  mort  alors  en  Hollande  au-delà  de  trois  cent 
mille  bêtes  à cornes. 

Le  marquis  de  Courtivron  pense  que  les  peaux 
des  bêtes  mortes  de  l’épizootie  ne  communiquent 
pas  la  contagion.  Plusieurs  hommes  de  mérite  de 
ce  pays  sont  dans  la  même  idée,  que  d’autres  re- 
jettent cependant.  Cette  question  me  parut  si  im- 
portante, surtout  pour  cette  ville,  que  je  deman- 
dai aux  magistrats  la  permission  de  faire  des  ex- 
périences à ce  sujet;  ce  qui  non-seulement  me  fut 
accordé;  mais  on  m’autorisa  même  à les  faire  aux 
frais  de  la  ville  (1).  En  attendant  on  jugea  à pro- 


(1)  J’ai  fait  placer  le  25  février  lyf'ç,  dans  une  butte  de  paille  , 
k la  maison  de  campagne  de  M.  Warmolds,  prés  de  Haren , deux 


1 iîG  LEÇONS 

pos  d’inlerdire  absolument  l’entrée  des  peaux, 

comme  pouvant  être  contagieuses. 

Les  Etals  de  Frise,  animés  du  zèle  louable  de 
veiller  au  bonheur  des  habitans,  défendirent,  d’a- 
près l’exemple  de  quelques  autres  provinces,  l’em- 
ploi du  suif  des  bêtes  mortes  de  la  contagion  ; 
mais  cela  n’empêcha  pas  qu’on  en  fit  clandestine- 
ment usage  5 et  l’expérience  apprit  qu’il  n’en  ré- 
sultoit  aucun  inconvénient.  Les  Etats  de  Frise  cru- 


veaux  d’un  an,  près  desquels  on  a d’abord  mis  la  peau  d’une  vacbe 
morte  de  l’épizooiie  ; huit  jours  après  j’en  ai  fait  mettre  une  autre, 
que  j’ai  même  fait  laver  , et  dont  l'eau  teinte  de  sang  a été  avalée 
par  ces  deux  veaux  , sans  qu’ils  aient  été  atteints  de  la  maladie.  Le 
7 avril,  j’inoculai  l'un  de  ces  veaux  avec  la  matière  prise  des  na- 
seaux, et  l’autie  avec  la  chassie  des  yeux  d’une  vache  qui  avoit 
été  guérie  de  la  contagion  ; mais  ces  matières  ne  produisirent  au- 
cun effet,  soit  qu’elles  fussent  trop  vieilles,  ou  qu’elles  n’eussent 
plus  de  vertu  ; ces  deux  veaux  ne  devinrent  par  conséquent  pas 
malades;  et  l’épreuve  faite  avec  les  peaux  parut  douteuse.  Je  les 
inoculai  de  nouveau  le  28  avril  dans  l’étable  de  noire  Société  à Gro- 
ningen, sur  l’épaule  et  derrière  la  hanche,  avec  de  la  matière  prise, 
le  14  du  même  mois,  du  nez  d’une  vacbe  guérie  ; mais  il  n’en  ré- 
sulta également  rien  ; sans  doute  à cause  que  cette  matière  étoit 
gâtée  et  moisie,  parce  qu’elle  avoit  été  conservée  humide  dans  une 
bouteille  bouchée-  Cependant  ces  veaux  prirent  enfin  la  maladie 
d’autres  bestiaux  Inoculés  qui  étoientfort  malades  dans  la  même 
étable;  de  sorte  même  que  l'un  des  deux  mourut  le  16  mai  ; ce 
qui  prouve  qu’ils  avoient  été  susceptibles  de  prendre  la  contagion, 
et  qu’ils  l’auroient  prise  sans  doute,  s’il  étoit  vrai  que  les  peaux  la 
communiquent  toujours  immanquablement.  Cependant  ces  essais 
ne  prouvent  rien  , et  demandent  à être  répétés. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  127 

rent  donc , et  avec  raison , devoir  permettre  , par 
un  placard  de  i'j‘^5,  d’employer  ce  suif,  afin  d’al- 
léger plus  ou  moins  par-là  les  pertes  que  faisoient 
les  malheureux  habitans  de  cette  province. 

Ces  mêmes  soins  paternels  portèrent  également 
ces  dignes  magistrats  à défendre  l’usage  de  la  chair 
des  bestiaux  morts  de  la  maladie  contagieuse  5 mais 
on  éluda  ces  sages  mesures  : les  paysans  profitèrent 
de  l’avidité  des  citoyens  nécessiteux  pour  en  tirer 
un  petit  bénéfice , et  l’on  en  consomma  une  assez 
grande  quantité , non-seulement  dans  ces  provin- 
ces, mais  également  en  Allemagne,  où  l’on  témoi- 
gnoit  néanmoins  une  grande  aversion  pour  les  bes- 
tiaux morts  de  l’épizootie,  sans  qu’il  en  soit  ré- 
sulté parmi  le  peuple  aucune  maladie  qu’on  puisse 
attribuer  à l’usage  de  cette  viande  pestiférée. 

Mais  je  reviens  aux  meilleurs  moyens  de  pi'é— 
server  le  sang  de  corruption  : vous  savez  déjà  com- 
bien sont  mortels  les  effets  de  cette  putréfaction. 
Rien  ne  seroit  donc  plus  à désirer  que  de  voir  les 
médecins  et  les  personnes  qui  aiment  les  expérien- 
ces utiles  se  réunir  pour  trouver  quelque  remède 
contre  ce  mal. 

L’expérience  nous  a fait  voir  que  c’est  le  quin- 
quina qui  est  le  meilleur  spécifique  qu’on  puisse 
employer  à cet  effet.  Pringle,  l’honneur  des  méde- 
cins anglois,  nous  a démontré  cette  vérité  par  des 
milliers  d’expériences,  que  j’ai  répété  moi-même 


128 


LEÇONS 

et  que  j’ai  trouvé  parfaitement  exactes.  La  viande, 
dit  Pringle,  peut  se  conserver  pendant  une  année 
entière  dans  une  décoction  de  quinquina. 

On  objectera  sans  doute  que  Ramazzini  et  d’au- 
tres ont  administré  sans  succès  le  quinquina  dans 
l’épizootie.  Je  .conviens  que  ce  remède  ne  chasse 
pas  la  fièvre,  et  qu’il  ne  produit  plus  d’effet  quand 
la  maladie  s’est  une  fois  déclarée  5 et  cela  parce 
que  les  médicamens  ne  subissent  plus  de  coction 
dans  l’estomac;  que  par  conséquent,  n’étant  plus 
absorbés,  ils  ne  passent  plus  dans  le  sang. 

D’autres  ont  administré  le  salpêtre,  la  crème  de 
tartre,  le  camphre  et  mille  autres  remèdes  sem- 
blables; mais  comme  l’estomac  étoit  sans  fonction 
ils  devenoient  tous  également  inutiles.  En  un  mot, 
lien  n’opère  chez  l’animal  attaqué  de  l’épizootie, 
s’il  ne  reste  pas  un  peu  d’énergie  , et  dans  ce  cas 
l’animal  ouérit  de  lui-même. 

O 

• Pou  r conserver  quelque  espoir,  il  faut  commen- 
cer de  bonne  heure  à préparer  les  humeurs,  tandis 
que  les  bestiaux  sont  encore  sains,  et  lorsque  la 
contagion  menace  le  pays. 

/ Mais  le  quinquina  est  un  remède  trop  cher,  quel- 
que salutaire  qu’il  puisse  être  d’ailleurs;  c’est  pour- 
quoi j’ai  fait  des  essais  avec  de  l’écorce  de  saule  qui 
a été  recommandée  en  Angleterre  comme  un  bon 
spécifique  contre  la  fièvre  tierce,  et  cet  arbre  étant 
fort  commun  dans  notre  pays;  d’ailleux’s,  les  bêtes 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  129 

à cornes  aiment,  comme  par  un  instinct  naturel, 
beaucoup  à manger  ses  feuilles  et  ses  jeunes 
pousses. 

J’ai  donc  , à l’exemple  de  Pringle,  fait  faire  des 
décoctions  d’une  même  quantité  d’écorce  de  quin- 
quina, d’écorce  de  frêne  et  d’écorce  de  boursaut 
blanc,  dans  lesquelles  j’ai  mis  le  même  jour  (25 
décembre  1765)  un  morceau  de  viande  du  même 
veau,  d’égale  grandeur  et  dans  des  vaisseaux  de 
même  capacité.  J’ai  mis  également  dans  un  pareil 
bocal  un  morceau  du  même  veau  dans  de  l’eau  de 
plui,e  bien  pure.  Ensuite  j’ai  exposé  tous  ces  vais- 
seaux sur  un  tuyau  de  pierre  du  poêle  de  la  plus 
chaude  serre  du  jardin  de  l’académie,  à la  cha- 
leur constante , jour  et  nuit,  de  62  à 68  degrés 
sur  le  thermomètre  de  Fharenheit.  Le  5o  décem- 
bre j’ai  trouvé  que  le  morceau  de  chair  placé  dans 
la  décoction  d’écorce  de  frêne  commençoit  à s’al 
térer.  La  décoction  d’écorce  de  boursaut  avoit  une 
odeur  agréable , mais  elle  devenoit  trouble  ; et  la 
chair  déposée  dans  de  l’eau  de  pluie  avoit  déjà  une 
assez  mauvaise  odeur.  En  un  mot , le  27  janvier 
1769,  le  morceau  de  veau  mis  dans  la  décoction 
de  quinquina  n’avoit  éprouvé  aucune  altération  , 
non  plus  que  la  décoction  elle-même.  Celle  d’é- 
corce de  frêne  avoit  l’odeur  fétide  de  viande  cor- 
rompue 5 celle  de  boursaut  commençoit  à prendre 
une  mauvaise  odeur  ; et  la  chair  trempée  dans  l’eau 

9 


III. 


l3o  LEÇONS 

de  pluie  étoit  déjà  entièrement  décomposée  et  Feau 
elle-même  avoit  repris  sa  première  limpidité  et 
n’avoit  jdus  la  moindre  odeur. 

L’écorce  de  boursaut  résiste  donc  pendant  quel- 
ques semaines  à la  putréfaction  , moins  long-tems 
cependant  que  le  quinquina,  et  un  peu  plus  que 
le  frêne.  Pour  rendre  cette  décoction  de  boursaut 
plus  efficace,  j’y  ai  mêlé  de  l’huile  de  vitriol.  Plu- 
sieurs vaclies  prennent  journellement  de  cette  dé- 
coction mêlée  avec  leur  boisson  ordinaire  , et  la 
boivent  sans  la  moindre  répugnance.  J’ai  goûté  le 
lait , la  crème , le  beurre  et  le  fromage  de  ces  va- 
ches  auxquels  je  n’ai  trouvé  aucun  mauvais  goût; 
le  laitage  n’éprouve  donc  aucune  altération  par  ce 
breuvage.  Les  fermiers  qui  avolenl  soin  de  ces  va- 
ches m’ont  assuré  qu’elles  vêloient  plus  facile- 
ment, et  qu’elles  se  rétablissoient  plus  vite  après 
avoir  mis  bas.  Je  ne  saurois  cependant  assurer  quel 
sera  le  succès  de  cette  décoction  avant  que  la  con- 
tagion ne  se  soit  introduite  dans  les  étables  où  se 
trouvent  les  vaches  à qui  on  en  fait  boire;  et  il  faut 
espérer  que  cela  n’aura  jamais  lieu. 

Je  ne  prétends  pas  néanmoins  qu’on  doive  se 
borner  à ce  remède  seul;  il  y en  a plusieurs  au- 
tres, tels  que  le  sel , le  salpêtre  , le  camphre  , et 
parmi  les  plantes  qui  croissent  ici  en  abondance, 
les  Heurs  de  camomille  , le  calainus  , la  men- 
the, etc. 


I 

i 

i 

1 SUR  l’ ÉPIZOOTIE,  l3l 

I J’ai  déjà  observé  souvent  combien  peu  on  doit 
'»  espérer  des  remèdes  qu’on  administre  quand  la 
maladie  s’est  déclarée.  On  ne  peut  donc  plus  at- 
tendre aucun  bon  effet  ni  du  quinquina,  ni  de  l’é- 
I corce  de  boursaut,  ni  des  fleurs  de  camomille,  ni 

Idu  camphre , lorsque  l’animal  a cessé  de  ruminer. 
On  doit  alors  avoir  recours  aux  remèdes  externes, 
c’est-à-dire , qu’il  faut,  à l’exemple  de  Pringle,  ap- 
pliquer des  vésicatoires  sur  le  dos  et  prés  des  épau- 
les, après  en  avoir  rasé  le  poil.  On  en  sera  pleine- 
ment convaincu  si  l’on  compare  les  observations 
de  ce  célèbre  médecin  sur  l’utilité  de  ce  remède 
dans  les  fièvres  putrides  et  bilieuses. 

Que  dirai-je  maintenant  de  l’usage  de  l’eau,  de 
l’étrille,  de  la  brosse  pour  tenir  les  bestiaux  propres? 
I Je  ne  pense  pas  que  cela  puisse  nuire  ; mais  n’a- 
I t-on  pas  vu  qu’il  est  mort  la  même  énorme  quan- 
1 I tité  de  bestiaux  en  Hollande  et  en  Frise,  où  ils 
• I sont  bien  lavés,  bien  étrillés  et  bien  brossés  , que 
! dans  le  Gorecht  et  dans  le  Pays  de  Drehtbe,  ou  les 
Il  étables  et  les  vaches  mêmes  sont  de  la  plus  grande 
1 malpropreté?  Et,  ce  qui  mérite  encore  plus  d’at- 
ii  j lention  , ne  s’est  - il  pas  sauvé , proportion  gardée , 
1-  » autant  de  ces  bestiaux  dégoûtans  par  leur  saleté, 
(f  ( que  de  ceux  qu’on  admire  en  Hollande  et  en  Frise 
e à cause  de  la  blancheur  et  du  luisant  de  leur  robe. 
J.  I Pourquoi  donc  charger  les  fermiers  d’un  surcroît 
I de  travail  inutile  et  dispendieux.  Qui  pourra  d’ail- 
i 


I 


i32 


LEÇONS 

leurs  parvenir  à tenir  propres  des  vaches  que  leur 
foiblesse  rend  incapables  à demeurer  debout,  et 
qui  se  salissent  par  des  diarrhées  continuelles? 
Tous  ces  conseils  ont,  en  général,  été  donnés  par 
des  personnes  qui  considèrent  la  chose  par  simple 
théorie,  et  qui  voudroient  qu’une  étable  fut  aussi 
j)ropre  que  leur  cabinet.  Je  ne  blâme  cependant 
pas  ces  soins,  mais  je  pense  qu’ils  sont  de  peu  d’u- 
tilité. 

Vous  désirez  sans  doute  que  je  vous  dise  aussi 
mon  sentiment  sur  les  fumigations  avec  du  vinai- 
gre, du  soufre,  du  tabac,  de  la  poudre  à canon, 
du  goudron,  du  cuir,  de  la  corne'et  auti'es  sem- '| 
blables  ingrédiens  qui  en  brûlant  jettent  une  mau-  ' 
vaise  odeur.  Consultons  sur  cela  l’expérience  , et 
nous  trouverons  que  tous  ces  moyens  ont  été  em- 
ployés infructueusement. 

Je  vais  maintenant  satisfaire  à votre  impatience 
de  savoir  quels  sont  les  remèdes  qui  ont  eu  uni 
heureux  succès  pendant  tout  le  teins  qu’a  duré  la; 
contagion  ? 

J’ai  déjà  remarqué  en  passant  que  les  anciens, 
tels  que  Columelle  , Catoi^ , Végèce  et  autres,  ont 
employé  beaucoup  de  sel , des  œufs  entiers  , du 
miel,  de  l’ail,  des  oignons  , etc.  , sans  parvenir  à 
guérir  le  mal.  Aujourd’hui , on  parle  de  ces  mêmes 
remèdes  comme  de  découvertes  nouvelles,  et  on 
les  administre  avec  aussi  peu  de  succès  qu’an- 
ciennement. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


l53 


Toutes  les  antidotes  , tous  les  spécifiques  si  es- 
i|  limés  contre  la  peste  ont  été  essayés  , tels  que  la 
I thériaque,  le  diascordium , etc.  j et  tous  ces  remè- 
des paroissent  nuisibles  à cause  de  l’opium  qu’on  y 
fait  entrer, lequel,  comme  on  sait,  nuit  aux  fonc- 
tions des  intestins  sur  les  alimens,  et  qui  d’ailleurs 
est  un  obstructif.  L’opium,  qui  ne  peut  être  d’au- 
cun bon  effet , doit  donc  être  considéré  comme  ab- 
solument nuisible  pour  les  bestiaux  qui  sont  na- 
turellement bien  constitués , et  desquels  par  con- 
séquent on  peut  espérer  la  guérison. 

Quelques  médecins  , qui  attribuent  toutes  les 
maladies  à des  vers,  pensent  que  les  remèdes  mer- 
curiels , le  soufre , le  tabac , sont  les  plus  efficaces. 
Je  remarquerai  seulement  ici  que  ces  remèdes  , 
quoiqu’ils  ne  soient  d’ailleurs  pas  mauvais  , ne 
peuvent  pénétrer  dans  le  sang,  à moins  qu’on  ne 
les  administre  avant  que  la  maladie  se  soit  dé- 
clarée. 

J’ai  déjà  dit  qu’il  falloit  éviter  la  saignée;  mais 
que  doit-on  espérer  des  vésicatoires  qu’on  a si  sou- 
vent employé  en  vain?  L’inflammation,  le  spha- 
I cèle  des  intestins  et  des  poumons  ne  dépendent 
point  de  la  matière  qui , à la  crise  de  la  maladie  , 
tombe  sur  quelque  partie  et  qu’on  peut  en  détour- 
^ ner.  Il  y a une  inflammation  totale  du  sang  , qui 

affecte  ces  intestins  depuis  le  commencement  de  Igi 
a ^ 

maladie. 


1 


i54 


LEÇONS 

Les  purgatifs,  de  même  que  les  vomitifs,  ne 
sont  absolument  d’aucun  secours  pendant  tout  le 
tems  qu’il  y a inertie  dans  les  intestins. 

Les  lavemens  peuvent  être  bons  pour  dégager  le 
rectum,  et  pour  prévenir  la  gangrène;  ils  procu- 
rent même  quelque  soulagement  à l’animal;  mais 
ne.  contribuent  en  rien  à la  guérison.  Le  possesseur 
perd  donc,  outre  son  bétail,  tout  l’argent  qu’il  em- 
ploie à ces  remèdes. 

L’enlèvement  des  excrémens  du  rectum  avec 
une  main  ointe  de  graisse  que  recommande  M.En- 
gelman  , éloil  déjà  connu  de  Columelle  (i),  et  il 
n’y  a,  pour  ainsi  dire,  aucun  de  nos  fermiers  qui 
l’ignore.  Mais  ce  remède  qui  , chez  les  bestiaux  , 
fait  le  même  effet  que  le  lavement,  ne  peut  avoir 
lieu  chez  les  jeunes  veaux. 

Les  vaches  portières  souffrent  davantage,  comme 
je  l’ai  déjà  dit,  à cause  qu’elles  avortent  presque 
toujours.  11  y en  a qui,  suivant  le  rapport  de  Goe- 
licke  (2),  ont  employé  des  abortifs;  mais  il  ne  dit 
pas  quel  en  a été  le  succès:  je  pense  qu’ils  doivent 
faire  aussi  peu  d’effet  sur  les  animaux  que  sur  la 
femme,  parce  que  nous  ne  connüissons  point  de 
pareils  remèdes  dans  la  nature.  Peut-être  ne  se- 
roit-il  pas  mauvais  de  faire  avorter  les  vaches  , en 


(1)  Lib.  VI , cap.  6. 

parag.  i3,  pag.  120. 


f 


SUR  l’Épizootie.  i35 

introduisant  la  main  clans  leur  corps,  au  moment 
qu’on  appercevroit  les  premiers  symptômes  de  la 
maladie.  On  pourroit  du  moins  en  faire  une  fois 
l’essai.  Puzos  et  plusieurs  autres,  qui  ont  écrit  sur 
l’art  d’accoucher,  en  parlent  avec  éloge;  ciuoique 
je  regarde  cela  comme  ira]mssible  chez  les  femmes. 

Percera-t-on , comme  le  propose  M.  Engelman  , 
le  ventre  des  bestiaux  pour  en  faii'e  sortir  le  vent  (i)? 
Je  ne  crois  pas  que  cela  puisse  être  d’aucune  uti- 
lité, car  ce  symptôme  est  un  signe  de  mort  pro- 
chaine , et  une  preuve  que  tout  est  corrompu  et 
pourri  dans  la  panse.  Si  cependant  on  vouloit  en 
faire  l’essai,  l’endroit  le  plus  convenable  seroit  le 
flanc  gauche  exactement  au-dessous  des  fausses 
côtes;  à cause  de  la  situation  de  cette  partie  , pl. 
XXVIII,  fig.  2,  E.  F.  G.  H.  K. , dont  je  vous  ai  déjà 
parlé. 

Je  conclus  donc,  i°.  que  les  bêtes  à cornes  d.e 
nos  provinces  ne  prennent  pas  d’elles-mêmes  l’é- 
pizootie; qu’on  ne  doit  pas  non  plus  l’attribuer  à 
l’humidité,  ni  au  froid,  ni  à quelque  autre  cause 
locale  ; mais  qu’elle  leur  vient  d’ailleurs  par  con- 
tagion. 2°.  Que,  d’après  une  expérience  journa- 
lière, nous  savons  que  les  bestiaux  qui  ont  une 
fois  été  guéris  de  cette  maladie  n’en  sont  jamais 
plus  attaqués.  5°.  Que  les  jeunes  sujets  ont  pour 


(\)Iuid.,  vol.  Vil,  pag.  533. 


1 56  LEÇONS 

la  plupart  été  guéris  dans  les  prairies,  suivant  les'  ’’ 
observations  très-exactes  de  M.  Engehnan  (i),  sur-  j' 
tout  pendant  les  mois  d’août  et  de  septembre  (2).,| 
4°.  Enfin  , qu’il  est  plus  que  probable  que  cette  ma-| 
ladie  contagieuse  deviendra  endémique  et  cons-^, 
tante  dans  ce  pays  ; ou,  pour  mieux  dire,  il  y a f 
déjà  long- tems  qu’elle  y est  naturalisée,  comme|| 
la  petite  vérole  et  la  rougeole  le  sont  parmi  les  | 
hommes. 

En  considérant  donc  le  peu  de  succès  de  tous  ?!! 
ces  remèdes,  pour  éviter  des  dépenses  inutiles,  et  " = 
pour  atteindre  avec  quelque  certitude  le  but  qu’on  i 
se  propose,  qui  est  de  conserver  le  bétail,  il  fau-  * 
di’oit  prendre  le  parti  d’inoculer , non  des  vaches- 'jj 
ou  des  boeufs  , mais  de  jeunes  veaux  , parce  que  | 
ceux-ci , n’étant  pas  pleines  encore,  on  ne  hasarde  - 
que  leur  vie  seule  ; et  si  on  parvient  à les  guérir  , \ 
les  parties  sexuelles  n’en  souffrent  pas,  mais  de- || 
viennent  même  plus  fortes  par  la  suite  5 et  cela  || 
d’autant  plus  que  les  fermiers  attentifs  ont  remar-  ’■ 
qué  que  les  vaches  faites  , quoique  guéries  de  la  ; 
maladie,  vêlent  souvent  difficilement.  D’aillleurs,  > 
un  veau  de  lait  qui  a été  guéri  de  la  contagion  est 
celui  qui  rapporte  le  plus  à son  possesseur. 

Mais  j’abuse  de  votre  patience:  je  vais  récapitu-  y 


(1)  Ibid.  , pag.  347,  n°.  j. 

(2)  Ibid. , pag.  548. 


suTi  l’Épizootie.  lô'j 

1er  maintenant , en  peu  de  mots,  ce  qui  a été  fait 
de  mieux  dans  cette  partie. 

Je  dois  pour  cela  votis  rappeler  d’abord  la  re- 
connoissauce  que  MM.  Nozeman  , Agge  Kool  et 
Tak  ont  mérité  de  leurs  concitoyens  , pour  avoir 
fait,  à leurs  propres  dépends,  en  lyôS,  des  essais 
pour  inoculer  des  bestiaux.  Ils  avoient,  je  l’avoue, 
devant  les  yeux  l’exemple  de  M.  Dodson  en  An- 
gleterre; mais  être  les  premiers  à imiter  cet  exem- 
ple pour  le  bien  de  la  société,  étoit  déjà  un  grand 
mérite  sans  doute.  De  dix-  sept  bêtes  à cornes  qu’ils 
ont  inoculées,  ils  n’en  ont  sauvé  que  trois  (p.  72), 
dont  deux,  qui  paroissoient  convalescentes  depuis 
quinze  jours  , moururent  ensuite  d’une  plus  vio- 
lente contagion. 

Le  professeur  Scbwencke  dit , dans  sa  lettre  dont 
il  a été  parlé  plus  haut  (p.  gS),  que  de  six  bêtes 
inoculées  en  1767,  à l’age  d’un  et  de  deux  an«,  au- 
cune n’a  péri  dans  l’opération. 

Les  ess^iis  faits  à Brunswick  , en  1746  , eurent 
un  assez  leureux  succès  : les  bêtes  qui  subirent 
beureusenent  l’inoculation,  ne  furent  plus  atta- 
quées de  la  maladie  contagieuse.  Les  expériences 
de  M.  Layard  , qui  , sur  huit  bêtes  inoculées  , en 
sauva  au  moins  trois  , et  dont  il  fit  assommer  la 
quatrième,  pour  en  examiner  l’état  intérieur  , en 
1757,  forme  un  terme  moyen  entre  les  expériences 
de  MM.  Nozeman , Kool  et  Tak,  et  celles  du  pro- 


î58 


I.  E C O N s 


fesseur  Schwencke.  L^évêque  d’Yovck  a fait  ino- 
culer cinq  bestiaux  , dont  il  en  conserva  quatre  , 
parmi  lequels  il  y avoit  deux  vaches  portières  , 
qui  cependant  n’avortèrent  point  (i);  et  le  chirur- 
gien Bewiey  en  sauva  trois  autres  qu’il  avoit  ino- 
culées également. 

INlais  les  essais  deM.  Grashuys  semblent  détruire 
toute  espérance  ; car  six  bêtes  qui  avoient  été  ]>ar- 
faitement  guéries  de  l’inoculation,  furent  ensuite 
attaquées  naturellement  par  l’épizootie  , et  il  en 
mourut  quatre,  les  deux  autres  se  rétablirent  (2). 
Il  ne  perdit  cependant  jjas  l’espoir  de  réussir  mieux, 
lorsque  des  expériences  répétées  auroient  indiqué 
des  moyens  plus  efficaces. 

Tout  cela  ne  doit  donc  pas  nous  effrayer.  Lors- 
qu’au commencement  de  ce  siècle  on  entreprit 
d’inoculer  la  petite  vérole  en  Angleterre , il  en  mou- 
ru  t beaucoup  d’enfans;  d’autres  en  gardèrent  pen- 
dant long-tems  des  abcès  ou  d’autres  maux  sem- 
blables. On  prenoit  trop  de  matière  variolique,  et 
l’on  laisoit  les  incisions  trop  profondes.  Aujour- 
d'hui on  sait,  par  des  preuves  incontestables,  com- 
bien il  faut  peu  de  matière  , et  combien  les  plaies 
doivent  être  petites;  on  connoît  aussi  le  danger 
qu’il  y a de  tenir  les  patiens  trop  chaudement  et 


{\)  Philos.  Transact.,vo\.  L,  pag.  535. 

(2)  Ulrgezogte  V erhancleliugen  , III  dee!  ^ pag.  356. 


trop  renfermés.  On  peut  donc  dire  avec  raison  que 
l’inoculation  est  actuellement  une  garantie  calcu- 
lée mathématiquement  contre  ce  terrible  fléau  de 
l’humanité. 

S’il  est  vrai , comme  il  faut  en  convenir  , que  , 
sur  des  milliers  de  personnes  inoculées , il  en  meurt 
encore  quelques-unes,  on  a tout  lieu  de  croire  qu’il 
faut  l’attribuer  à quelque  cause  secrète.  Inoculons 
donc  les  veaux  avec  peu  de  matière  et  en  faisant 
de  légères  incisions  dans  la  ])eau.  Que  cela  se  fasse 
au  printems,  pendant  l’été  et  en  automne,  prin- 
cipalement sur  de  jeunes  individus  ; mais  que  ce 
ne  soit  qu’après  que  les  estomacs  auront  été  né- 
tojés  et  que  l’animal  aura  été  nourri  avec  des  ali- 
mens  malactiques,  et  qui  demandent  peu  de  ru- 
mination ; que  toutes  les  personnes  aisées  de  ce  pays 
se  réunissent  pour  qu’on  puisse  porter  à la  perfec- 
tion cet  objet  intéressant,  par  des  essais  constam- 
ment renouvellés;  et  qu’on  se  communique  réci- 
proquement les  observations  qu’on  pourra  faire  ; 
afin  de  conserver  autant  qu’il  sera  possible  les  bê- 
tes à cornes,  qui  font  la  principale  richesse  de  nos 
provinces. 


EXPLICATION* 


DES  PLANCHES. 


PLANCHE  XXVIII. 


Cette  planche  représente  principalement  la 


former  une  idée  précise  si  on  ne  les  avoit  pas 
sous  les  yeux.  J’ai  eu  moins  en  vue  , en  les  re-. 
présentant,  d’en  figurer  bien  exactement  la  struc- 
ture , que  d’indiquer  avec  soin  les  proportions 
qu’elles  ont  entre  elles.  Il  falloit  d’ailleurs  les  ré- 
duire , pour  les  faire  tenir  toutes  sur  une  même 
planche  et  les  exposer  d’une  manière  distincte  aux 
yeux  des  lecteurs.  La  figure  4 en  est  seule  excep- 
tée ; on  la  voit  ici  dans  sa  grandeur  naturelle  , 
parce  qu’elle  ne  pouvoit  souffrir  aucune  réduction, 
à cause  de  sa  petitesse. 


figure  des  parties  dont  il  seroit  difficile  de  se 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


l4l 

FIGURE  I. 

Offre  une  vue  générale  des  quatre  ventricules , 
tels  qu’on  les  a trouvés  disposés  dans  un  veau  de 
lait. 

A.  est  l’oesophage.  A.  B.  C.  D.  le  premier  esto- 
mac ou  la  panse.  C.  et  D.  ses  deux  cornes  ou  sacs 
dans  chacun  desquels  on  trouve  quelquefois  un 
égagropile.  A.  E.  F.  le  bonnet.  F.  L.  M.  G.  le  feuil- 
let ou  troisième  estomac.  G.  H.  I.  la  caillette  , à 
travers  des  feuillets  de  laquelle  on  apperçoil  les 
quatorze  valvules  dont  il  a été  parlé  à la  page  4o. 
I.  le  pylore.  I.  K.  le  duodénum.  H.  les  veines  gas- 
tro-épiploïques. 


FIGURE  2. 

Fait  voir  la  véritable  situation  de  la  panse  et  de 
la  caillette  dans  le  ventre,  lorsqu’on  ouvre  le  veau 
couché  sur  le  dos  : ces  parties  viennent  du  veau 
que  j’ai  disséqué  publiquement. 

A.  B.  C.  la  rate  ; D.  E.  N.  le  bonnet , et  E.  F.  G. 
H.  K.  la  panse.  L’épiploon  I.  L.  M.  vu  entre  les 
cornes.  G.  H.,  qui  prend  son  origine  en  I. , forme 
une  poche  dans  laquelle  sont  placés  tous  les  in- 
testins, et  monte  ensuite  vers  la  caillette  par  O.M., 
recevant  la  grande  artère  et  la  veine  qu’on  nomme 

• 


i42 


LEÇONS 

gastro-épij)loïques  chez  l’homme,  comme  appar- 
tena.ns  à l’eslornac  et  à l’épiploon. 

M.  N.  F.  est  une  forte  membrane  qui  lie  ensem- 
ble le  bonnet , le  premier  estomac  et  la  caillette. 

La  caillette  se  retourne  avec  sa  partie  inférieure 
O.  P.  vers  en  haut,  et  va  aboutir  dans  le  duodé- 
num Q.  H. 

U.  y.  W.  sont  trois  des  quatorze  valvules  diapha- 
nes qui  se  trouvent  dans  l’intérieur  de  la  caillette;  de 
manière  que,  commençant  du  col  en  G. , lig.  i , elles 
descendent  obliquement  vers  en  bas  et  semblent  se 
perdre  en  M.  O. , où  sont  placées  les  veines  gastro- 
épiploïques.  Dans  la  gazelle , il  y a seize  ou  dix- 
huit  de  ces  valvules  ; mais  je  n’ose  pas  en  déter- 
miner exactement  le  nombre,  à cause  de  leur  pe- 
titesse et  de  leur  adhésion  en  se  desséchant.  Leur 
direction  est  parfaitement  la  même. 

Y.  Z.  représente  une  partie  du  diaphragme,  pour 
qu’on  puisse  comprendre  parfaitement  que  le  pre- 
mier estomac  et  le  bonnet  y sont  placés  contre  , et 
que.  la  rate  , d’une  forme  applatie,  s’y  trouve  si- 
tuée entre  deux. 

FIGURE  5. 

Nous  montre  le  foie  et  la  caillette  poussés  vers 
le  côté  gauche  dans  le  même  veau. 

A.  B.  la  veine  ombilicale,  qui  forme  le  ligament 
suspensoir  du  foie. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


l45 


B.  C.  D.  U.  S.  Q.  le  foie,  dont  le  lobe  antérieur 
B.  C.D.  est  placé  chez  l’homme  dans  la  cavité  gau- 
che : ici , comme  il  paroît  par  la  figure , il  est  placé 
droit  en  avant  et  en  arrière. 

D.  E.  F.  sont  les  portes  ou  éminences  entre  les- 
quelles sont  placés  le  canal  hépatique,  la  grande 
veine-porte  et  d’autres  parties.  D.E.  F.  G.  Fl.  le  petit 
épiploon , dont  la  finesse  permet  d’y  appercevoir 
à travers  le  globule  de  Spiegelius  , ainsi  que  le 
feuillet  G.  H.  V. 

0.  P.  la  vésicule  du  fiel,  dont  le  conduit  O.  se 
réunit  au  canal  hépathiqne  F.,  pour  former  le  con- 
duit biliaire  commun  S.  M. , qui  se  jette  dans  le 
duodénum,  assez  loin  du  pylore. 

L.  D.  G.  est  une  partie  du  bonnet.  G.  K.  I.  H.  la 
caillette.  La  panse  n’est  pas  visible  ici. 

G.  H.  V.  le  feuillet  ou  troisième  estomac. 

R.  est  une  glande  qui  reçoit  beaucoup  de  vais- 
seaux lymphatiques  , comme  on  en  trouve  sou- 
vent chez  l’homme  dans  la  capsule  de  Giisson. 

S.  S.  T.  le  pancréas  dont  je  n’ai  pas  suivi  le  ca- 
nal ou  conduit. 

\.Z.  le  diaphragme. 

1.  M.  N.  le  duodénum. 


i44 


I,  E Ç O N s 


1'  I G U R E 4. 

Représente  les  cjualre  estomacs  du  chevrotain , 
dont  il  a été  parlé  à la  page  6o,  de  grandeur  na- 
turelle, auxquels  ressemblent  parfaitement  ceux 
de  la  gazelle.  La  délicatesse  de  l’objet  ne  me  per- 
mit pas  d’exposer  au  jour  le  canal  bépatliique  5 
l’esprit  de  vin  l’avoit  rendu  si  fragile  qu’il  étoit  im- 
possible de  le  manier;  et  la  rareté  de  l’exemplaire 
le  rendoit  trop  précieux  pour  que  je  voulusse  me 
hasarder  à le  dégrader.  D’ailleurs,  il  forme  avec 
les  estomacs  de  la  gazelle,  du  mouton,  du  cerf  et 
du  veau,  que  je  possède  tous  dans  ma  collection,  un 
ensemble  qui  en  augmente  encore  le  prix. 

a.  h.  est  l’oesophage;  h.  c.  le  bonnet;  b.  d.f.  le 
premier  estomac  partagé  en  deux  cornes  e.  et  f.-^ 
g.  h.  le  feuillet;  h.  m.  t.  la  caillette;  t.  i.  k.  le  duo- 
dénum;/. la  rate;m.  les  veines  gastro-épiploïques; 
e.  m.  t.  l’épiploon;  g.  s.  i.  h.  le  petit  épiploon;  n.  \ 
la  vésicule  du  fiel  ; n.  i.  le  conduit  biliaire  ; o.  la 
veine  ombilicale;  p.  q.  /-.  le  foie;  p.  le  lobe  anté- 
rieur; q,  le  lobe  postérieur;  r.  un  plus  petit  lobe 
fort  pointu. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


l45 


FIGURE  5. 


Fait  voir  la  véritable  forme  de  la  fente  que  for- 
ment dans  l’intérieur  de  la  panse  les  deux  lèvres  ^ 
pour  le  passage  immédiat  des  alimens  ruminés  de 
l’oesopliage  dans  le  troisième  estomac. 

A.  B.  l’oesophage  ; B.  D.  C.  une  des  lèvres;  B.  E.  C. 
l’autre  lèvre,  allant  l’une  et  l’autre  jusqu’en  C.F. 
l’oritice  du  feuillet;  en  D,  et  E.  on  a représenté  les 
rides,  ainsi  qu’en  B.C. , de  la  manière  qu’elles  sont 
disposées  en  rayons  autour  de  l’orifice;  entre  G.  et 
F.  on  voit  les  raies  éminentes  au  bout  desquelles 
sont  en  F.  de  petites  proîubérenees  qui  servent  à 
diviser  plus  facilement  entre  les  feuillets  de  l’esto- 
mac les  alimens  ruminés  quand  l’animal  les  avale 
jj  tout  entiers;  H.  I.  une  partie  du  grand  estomac; 
H.  un  pli  ou  rebord  qui  forme  une  espèce  de  sépa- 
ration  entre  l’herbier  et  le  bonnet;  K.  L.  le  bon- 
net et  le  réseau,  dont  je  n’olfre  ici  qu’une  légère 
^ esquisse,  parce  que  mon  intention  n’étoit  pas  de 
donner  une  exacte  représentation  de  ces  figures 
hexagones,  pentagones,  carrées,  etc.  , non  plus 


que  de  la  membrane  interne. 


1 1 1. 


ÎO 


i46 


LEÇONS 


FIGURE  6. 

Ksc|uisse  de  la  fente  dans  le  teins  qu’elle  est  fer- 
mée; c’est-à-dire,  pendant  que  se  fait  la  dégluti- 
tion des  alimens  ruminés.  Les  lèvres  D.  et  E.  se 
ferment  alors,  et  G.  est  l’ouverture  par  laquelle 
passe  la  partie  des  alimens  que  l’animal  vient  de 
ruminer. 

FIGURE  7. 

Représente  l’estomac  d’un  lapin.  A.  est  le  py- 
lore ou  la  sortie  de  l’estomac;  B.  le  sac;  C.  D. 
l’oeso])bage  qui  semble  partager  l’estomac  en  deux 
parties.  Les  alimens  que  l’animal  vient  de  manger 
paroissent  passer  de  C.  D.  en  D.  B. , et  les  alimens 
îu minés  en  D.  A. 


SUR  ÉPIZOOTIE. 


i4y 


SUPPLÉMENT 

AUX 

LEÇONS  SUR  L’ÉPIZOOTIE. 

6 


2"'®.  leçon , page  4i , après  ces  mots  : Ventriculo 
dispareat. 

Qu’on  consulte  sur  cela  l’excellent  ouvrage  du 
célèbre  abbé  Spallanzani , 'mûXxxXè:  Expé?'iences 
sur  la  digestion  de  V homme  et  de  différentes  es- 
pèces d’ animaux , avec  des  considérations  par 
J.  Senebier,  Genève  1785,  et  l’admirable 

Essai  sur  la  hile,  par  M.  Cadet,  dans  les  Mém. 
de  r Académie  royale  des  sciences , année  1767. 
Il  est  probable  que  le  lait  ne  se  caille  pas  dans  le 
premier  estomac,  à cause  que  les  humeurs  en  sont 
de  la  même  nature  que  la  salive;  car  on  sait  par 
les  expériences  de  M.  Senebier  {ibicl. , page  io4), 


l48  LEÇONS 

que  le  lait  de  vache  mêlé  avec  la  salive  de  l’homme 

ne  se  caille  point. 


5'“*.  leçon,  page  64,  après  ces  mots:  Et  dans 
la  j)lace  qu’ occupe  V articulation. 

Lorsque  je  donnai  cette  leçon  , mon  cabinet 
d’histoire  naturelle  n’éîoil  pas  encore  assez  fourni 
de  têtes  de  chevaux  et  autres  animaux  semblables; 
je  tombai  par-là  dans  une  erreur  grossière , que  je 
rougis  d’autant  moins  d’avouer  ici , que  je  me  suis 
fermement  proposé  d’avertir  mes  lecteurs  de  tou- 
tes les  bevues  que  je  puis  avoir  faites  de  teins  en 
tems,  toutes  les  fois  que  je  pourrai  m’en  apperce' 
Voir.  La  science  est  si  vaste,  et  notre  empresse- 
ment à tirer  des  conclusions  est  si  difficile  à mo- 
riginer,  surtout  dans  la  jeunesse,  qu’on  ne  doit 
pas  en  vouloir  à l’écrivain  qui  vient  de  se  tromper. 
Mais  vouloir  persister  dans  ses  erreurs,  ou  ne  pas 
s’en  avouer  coupable  quand  on  les  découvre  , est 
certainement  une  folie  digne  de  blâme. 

Je  n’avois  pas  encore  examiné  alors  suffisam- 
ment la  tête  du  cheval,  et  comme  je  ne  m’élois 
occujié  avec  soin  , pour  ainsi  dire,  que  de  têtes  de 
boeufs,  de  daims,  de  moutons,  de  gazelles,  de 
lièvres  et  de  lapins,  je  fus  trop  empressé  à en  con- 


dure  que  la  forme  étroite  de  la  mâdioire  infé- 
rieure étoit  le  caractère  le  plus  certain  de  la  ru- 
mination. 

Comme  , dans  la  suite  , j’ai  disséqué  avec  une 
grande  attention  plusieurs  chevaux  dans  la  salle 
d’anatomie  de  Groningen  , je  fus  bientôt  convain- 
cu que,  quoique  ces  animaux  ne  ruminent  point, 
ils  ont  néanmoins  , comme  les  bœufs  , les  mou- 
tons , les  gazelles  et  les  cerfs  , la  mâchoire  infé- 
rieure beaucoup  plus  étroite  que  la  supérieure,  et 
que  les  molaires  de  leur  mâchoire  inférieure  sont 
beaucoup  plus  rapprochées  que  nelles  de  la  mâ- 
choire supérieure;  que  d’ailleurs  son  articulation 
diffère  fort  peu  de  celle  des  autres  animaux.  Ayant 
obtenu,  par  la  suite,  des  têtes  d’ânes  et  de  zèbres, 
je  trouvai  également  dans  celles-ci  le  même  rap- 
port. Tout  cela  servit  à me  faire  appercevoir  bien- 
tôt que  cette  exiguité  de  la  mâchoire  inférieure  est 
nécessaire  pour  que  l’animal  puisse  broyer  ses  ali- 
mens  par  un  mouvement  oblique  de  cette  mâ- 
choire contre  la  supérieure,  sans  pencher  trop  de 
côté  et  sans  ouvrir  la  bouche.  Il  me  parut  alors 
clairement  que  cette  même  utilité  a lieu  chez  le 
lièvre  et  le  lapin  , comme  chez  le  rhinocéros.  Je 
m’apperçus  encore,  à n’en  pas  douter,  que  cette 
différente  grandeur  des  deux  mâchoires  ne  pouvoit 
être,  ni  chez  les  uns  ni  chez  les  autres,  le  carac- 
tère de  la  rumination;  et  cela  aussi  peu  que  l’im- 


i5o 


LEÇONS 

plantation  de  l’oesophage  au  milieu  de  restoraac. 

Comme  je  possède  aciuellemenl  les  têtes  de  plus 
de  vingt  espèces  différentes  d’animaux  ruminans, 
et  de  plusieurs  chevaux  , ânes  et  zèbres  , je  me 
suis  pleinement  convaincu  que  je  m’élois  trompé, 
et  je  puis  assurer  que  cette  conlormation  n’u  été 
donnée  par  la  nature  à tous  ces  animaux  que  pour 
faciliter  le  broyement  obliquement  en  avant  des 
alimens  dont  ils  se  nourrissent.  Les  molaires  de  la 
mâchoire  inférieure  de  l’éléphant  , de  l’iiippopo- 
tame  et  des  porcs  de  toutes  les  espèces  sont  aussi 
lai  ■ges  que  celles  de  la  mâchoire  supérieure  , et 
ont  la  même  conformation  que  celles  de  l’homme 
et  de  toutes  les  espèces  de  singes. 

Les  animaux  ruminans  n’ont  point  de  dents  in- 
cisives dans  la  mâchoire  supérieure  , excepté  le 
dromadaire  et  le  chameau  , qui  en  ont  deux  de 
chaque  côté.  M.  Gœze  , conseiller  intime  de  la 
cour  de  Saxe-Weymar,  m’en  a convaincu  par  ses 
excellentes  observations  sur  l’os  intermaxillaire. 
M.  Merk,  conseiller  de  guerre  de  Hesse-Darms- 
tadt , fut  le  premier  qui  me  communiqua  ces  ob- 
servations, ainsi  que  celle  que  l’hippopotame  a 
quatre  dents  incisives  dans  la  mâchoire  supiérieure 
comme  je  l’ai  trouvé  moi-même  dans  la  tête  d’un 
jeune  individu  de  cette  espèce.  13u  moins  doit-on 
donner  le  nom  d’incisives  à toutes  les, dents  qui 
sont  implantées  dans  l’os  intemiaxillairej  et  ces 


SUR  l’Épizootie.  i5i 

dents  sont  fort  visibles  chez  tous  les  jeunes  hippo- 
potames; fait  dont  M.  Goeze  m’a  donné  le  pre- 
mier une  idée  exacte  par  la  septième  figure  de 
l’ouvrage  cjue  j’ai  cité  plus  haut , et  dont  il  a bien 
voulu  m’envoyer  une  copie  manuscrite. 

J’ai  suivi  dans  plusieurs  têtes  de  chevaux , de 
zèbres  et  de  vaches  le  cliansement  des  dents  et  des 

O 

molaires,  et  j’ai  trouvé  que  non-seulement  toutes 
les  dents,  mais  aussi  trois  molaires  de  devant,  tant 
delà  mâchoire  inférieure  que  delà  supérieure,  tom- 
bent et  sont  remplacées;  ce  que  quelques  auteurs 
anciens,  entre  autres  Aristote , et  un  grand  nombre 
de  modernes,  tels  que  Bulfon,  Daubenton,  Bour- 
gelat , etc. , ont  négligé  d’observer. 

J’ai  trouvé  par  l’examen  de  plusieurs  têtes  de 
chevaux,  ainsi  que  de  daims,  que  les  dents  et  les 
molaires  de  ces  animaux  subissent  insensiblement, 
ainsi  que  celles  de  l’homme,  des  changemens,  non- 
seulement  pendant  leur  jeunesse,  mais  dansunâge 
fort  avancé  même.  Les  couronnes  s’usent , et  les 
racines  sont  peu  à peu  poussées  dehors  par  le  ser- 
rement des  alvéoles,  jusqu’à  ce  qu’elles  soient  en-r 
tièrement  usées  et  que  les  alvéoles  se  trouvent  dé- 
truites; de  sorte  qu’à  la  fin  elles  ne  peuvent  plus 
broyer  les  alimens,  et  disparoissent  enfin  entière- 
ment par  le  grand  âge. 

Comme  les  dents  et  les  molaires  étoient  deve- 
nues pour  moi  des  objets  d’une  étude  particulière^ 


i52 


LEÇONS 


je  m’apperçus  évidemment  qu’un  grand  nombre 
d’animaux  changent  bien  quelques  molaires,  tan 
dis  que  quelques-unes  et  particulièrement  celles  du  i 
fond  de  la  bouche  , qui  percent  plus  tard,  demen- 


inais  qu'il  y en  a ü auti'es  qui 


d’auti 


rent  immobiles 
tombent  sans  être  jamais  remplacées.  On  ne  peut 
regarder  ces  dernières  que  comme  surnuméraires. 
Le  cheval , non -seulement  l’étalon,  comme  le 
prétend  Aristote  (i),  mais  aussi  la  jument , Fane 
et  le  zèbre  en  ont  très-souvent.  Le  rhinocéros  d’A- 
sie a deux  de  ces  dents  canines  surnuméraires  dans 
la  mâchoire  supérieure;  l’éléphant  en  a douze  pa- 
reilles; le  sanglier  d’Ethiopie,  tant  ceux  du  Cap 
de  Bonne-Espérance  que  ceux  des  îles  du  Cap- 
Verd , en  ont  autant. 

Mais  revenons  à notre  sujet.  Je  suis  donc  d’opi- 
nion que  ce  n’est  pas  la  situation  des  molaires 
qu’on  doit  prendre  pour  caractère  indicatif  de  la 
rumination  , mais  le  double  estomac , sans  lequel 
la  rumination  est  impossible  , que  dans  un  sens 
impropre,  quand  les  alimens,  par  exemple,  sont 
d’abord  rassemblés  dans  les  abajoues , comme  chez 
diflPérentes  espèces  de  singes  et  chez  le  haznster  , 
pour  être  ensuite  mâchés  de  nouveau  j)ar  l’animal. 
Tous  les  autres  animaux  qui  n’ont  qu’un  seul  es- 
tomac ne  ruminent  point. 


(i)  Hist,  anim  , lib,  II,  cap.  3. 


SUR  u’ ÉPIZOOTIE. 


l55 


Que  chez  les  animaux  suiEans  soit  AB.  la  lar- 
geur des  molaires  de  la  mâchoire  supérieure  , et 
CD.  celle  des  molaires  de  la  mâchoire  inférieure; 
AE.  la  largeur  de  la  couronne  des  molaires  d’en 

O 

haut,  et  CG.  celle  de  la  couronne  des  molaires 
d’en  bas. 


cheval 

buffle 

buffle 

d’eth. 

vache 

5A 

4^ 

CD. = 5 

3-^ 

3A 

3~ 

AE.=  I 

J 

4 

4 

_5_ 

CG.=: 

4 

* 

1 

1 2 

cerf 

• 

élan 

moût. 

gazel. 

3A 

4r 

1 

3 

3é 

1-^ 

_L 

_V 

A 

4 

» 

-X 

12 

12 

12 

12 

RAPPORTS. 


Chez  le  cheval 

buffle ...... 

buffle  d’Eihiopief  !)• 

vache 

cerf 

élan 

mouton 

gazelle 

fièvre 


Mâchoire 

supérieure. 

4A 

5A 

5-A 

4A 

3-A 

2 A 


Mâchoire 

inférieure. 


3 


J A 

'A 


Différence. 


1 


4 

Tî 


11  paroît  par-là  que  la  dittérence  chez  les  plus 
grands  de  ces  animaux,  qui  n’est  pas  fort  consi- 
dérable, n’olfre  point  de  caractère  distinctif. 


(i)  Buffle  du  Cap,  voyez  Buffon  , tom.  XI , pl-  4'i  4 5. 


i54 


LEÇONS 


SUPPLÉMENT 

A V article  de  là  mesure  des  mâchoires  de  cer- 
tains animaux. 


Ayant  obtenu  cet  automne,  parles  soins  obli- 
geans  de  M.  Stælilin  , une  tête  entière  d’élan,  je 
fus  frappé  de  l’état  des  molaires  de  la  mâchoire 
inférieure,  relativement  à celles  de  la  mâchoire 
supérieure;  lesquelles  se  trouvent  les  unes  et  les 
autres  garniés  d’une  substance  qui  tient  de  l’émail. 
Mais  cette  substance  qui  couvre  le  côté  extérieur 
des  molaires  supérieures,  se  trouve  en  sens  con- 
traire sur  les  molaires  inférieures  ; c’est-à-dire,  q u’il 
en  couvre  le  côté  intérieur. 

D’ailleurs  , la  surface  des  molaires  supérieures 
va  obliquement  vers  en  haut  , et  celle  des  infé- 
rieures va  en  descendant  ; de  sorte  que  les  alimens 
sont  broyés  fort  menus  par  le  mouvement  oblique 
en  avant. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


l55 


Peut-être  Peyer  (i),  dont  j’ai  eu  si  souvent  oc- 
casion d’indiquer  avec  éloge  l’explication  qu’il  a 
donnée  de  la  rumination,  a-t-il  voulu  indiquer 
cela  pas  ces  mots  : « Pendent  la  mastication  , les 
« molaires  se  reçoivent  alternativement  les  unes 
« les  antres;  exactement  de  la  même  manière  que 
« si  on  inserroit  les  bouts  des  doigts  retournés  les 
a tins  dans  les  autres.  » La  substance  émaillée  des 
molaires  supérieures  est  de  la  même  façon  au  côté 
intérieur;  de  sorte  qu’elles  se  croisent  les  unes  les 
autres  en  allant  en  venant, comme  les  dents  d’une 
Iscie. 

I Je  m’apperçus,  pour  la  première  fois,  de  cette 
'disposition  chez  un  élan,  le  s5  novembre  1786  ; 
let  je  la  trouvai  de  même  chez  le  cerf,  le  daim,  la 
gazelle  et  le  mouton  , et  ensuite  chez  le  buffle  d’A- 
sie, le  boeuf  du  Cap,  le  bœuf  d’Europe  et  le  dro- 
madaire. 

Il  y a bien  quelque  chose  de  semblable  dans  le 
cheval,  le  zèbre  et  l’ane,  mais  non  pas  d’une  ma- 
nière aussi  remarquable:  ces  animaux  ont  d’ail- 
leurs les  couronnes  des  molaires  plus  plates. 

Plusieurs  animaux  ruminans  de  differens  pays 
4|o{frent  encore  une  autre  singularité  : leurs  dents 

(1)  Pag.  174'  Déniés  — dum  mastii-atione  sommillitnliir , al- 
\^’.ernnte  ec  exeipium , et  vicissîm  cxçipiuniitr , ul  si  (jnis  dighos 
ex  adeerso  iruerteral. 


i56 


LEÇONS  j 

et  molaires  se  couvrent  d’une  croûte  calcaire  de| 
couleur  d’or,  et  les  dents  elles-mêmes  sont  de  cette 
couleur. 

Je  découvris  ce  phénomène  pour  la  première| 
fois  aux  dents  d’un  vieux  dromadaire , dont  je  né;| 
toyai  la  tête  décharnée  en  la  faisant  bouillir  , ec| 
3768.  Il  y a peu  de  tems  cpie  je  reçus  du  pays  d( 
Munster  la  mâchoire  inférieure  d’une  vache  dontj 
les  molaires  étoient  fortement  dorées;  et  l’on  me 
îiiandoit  que  tous  les  bestiaux  qui  paissoienî  danf 
le  même  pâturage  bffroient  cette  singularité.  Ilesi 
vrai  que  Sibbald  , dans  son  Histoire  nalurelU 
d’Ecosse  {1),  Jonliston  (2)  et  Hasselquist  parlen, 
d’un  semblable nhénomène observé  dans  des  mou^ 

1 

tons.  |[ 

Le  célèbre  Pennant  dit  que  les  boeufs  du  Blair j| 
d’Alhol  (3)  y acquièrent  de  pareilles  dents  dorées  j 
<|u’ii  attribue  (4),  qnoiqu’à  tort,  à des  pyrites.  î 
îl  me  paroît  q^ue  cette  substance  calcaire  qii 
couvre  les  dents  et  les  molaires,  prend  à sa  superj 
ficie  cette  couleur  dorée  par  la  cuisson.  Avec  1 
tems  cette  belle  couleur  disparoît,  ainsique  je  l’ai 


!l 

(1)  Liv.  III , pag.  8.  ! 

(2)  Hist.  Tint. , pag-  44  > col.  2. 

(3)  N.  Dritiain,  pag.  33,  A.  i' 

(4)  Il  tlit  la  même  chose  ckns  sa  Zoologie  hrilannîtjne , liv.  I! 
pag.  27. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  i57 

observé  à ma  tête  de  dromadaire,  quoique  la  subs- 
tance calcaire  en  recouvre  toujours  les  dents.  Ea 
[attendant,  il  est  certain  que  je  n’ai  pas  trouvé 
icette  douleur  dorée  quand  j’ai  nétoyé  les  têtes  par 
putréfaction  et  non  par  cuisson. 

Klein-Lankurn , le  a5  novembre  1786. 


LETTRE 


ADRESSÉE  AUX  ÉTATS-GÉNÉRAUX 


DES  PROVINCES-ÜNIES.  J 


H 


AUTS  ET  PUISSANS  SEIGNEURS, 


Les  grandes  marques  de  constante  sollicitude 
et  de  zèle  que  V.  il.  P.  ne  cessent  de  donner  aux^^ 
li-abitans  de  ces  Provinces,  pour  prévenir,  s’il  étoit 
possible  , les  affreux  ravages  de  la  maladie  conta- 
gieuse des  best  iaux,  doivent  exciter  tous  les  citoyens 
à seconder  ces  louables  efforts,  dansPespérancede 
parvenir,  avec  le  secours  du  ciel,  à délivrer  notre 
patrie  de  ce  terrible  fléau. 

C’est  ce  même  zèle  qui  m’anime,  H.  et  P.  S.,  à 
prendre  pari  à cette  grande  calamité  publique,  et 


s U 11  l’  É P I Z O O T I E.  1 5g 

mon  état  et  la  place  que  j’occupe  rendent  à mes 
yeux  ce  devoir  plus  sacré  encorç.  Je  suis  d’ailleurs 
également  stimulé  par  le  désir  de  transmettre  avec 
honneur  mon  nom  à la  postérité;  ce  que  je  ne  rou- 
gis pas  d’avouer  ici,  étant  persuadé  que  V.  H.  P. 
considèrent  elles-mêmes  cet  amour  de  la  gloire 
comme  un  but  louable,  que  par  conséquent  elles 
ne  me  blâmeront  point  de  celte  noble  ambition. 

J’ai  suivi,  pendant  plus  de  quinze  mois,  auîant 
que  l’ont  permis  mes  autres  occupations,  cette  ter- 
rible épizootie  et  ses  dilFérens  symptômes  chez  nos 
bêtes  à cornes;  et  j’ai  été  forcé  d’en  tirer  celte  mal- 
heureuse conclusion  : Que  tous  les  remèdes  de  la 
pharmacie  sont  impuissans  contre  cette  mala- 
die , parce  que  les  intestins  ont  déjà  cessé  leurs 
fonctions  lorsque  l’animal  donne  les  premiers  si- 
gnes de  contagion. 

Les  prétendus  remèdes,  de  quelque  nature  qu’ils 
puissent  être , administrés  intérieurement , demeu- 
rent sans  effet  dans  la  panse,  et  rien  n’est  capable 
de  soulager  l’animal,  ni  d’atlénuer  son  sang  coa- 
gulé. Une  saignée  peut  seule  quelquefois  faire  di- 
minuer sa  toux  et  son  asthme;  mais  la  plupart  du 
tems  cette  ressource  demeure  également  sans  le 
moindre  effet. 

Nous  avons  pensé  aussi  aux  remèdes  diasosti- 
ques,  et  nous  avons  fait  à cet  égard  beaucoup  d’es- 
sais, qui  tous  nous  ont  convaincu  qu’ils  étoienî  de 


i6o 


LEÇONS 


même  übsolnmenl  infnictneiiN.  Les  bestiaux  à qui 
on  en  avoit  donné  pendant  long-tems  sont  morts 
comme  les  autres,  et  avec  les  mêmes  symptôme 
que  ceux  qui  n’en  avoient  pris  aucun.  L’administre 
lion  de  ces  remèdes  étoit  accompagnée  de  beau 
coup  de  difficultés  , et  demandoit  plus  ou  moin 
de  dépenses;  je  les  ai  donc  abandonné,  et  j’ai  cr 
que  V inoculation  est  peut- être  le  meilleur  re 
mède ; qidelle  rendroit  la  maladie  moins  vie 
lente  J et  que  par  conséquent  elle  seroit  moin 
dangereuse. 


voir  suivre  mieux  la  nature  de  la  contagion , et  de 
découvrir  dillerentes  circonstances  qui  pourvoient 
être  avantageuses  non-seulement  aux  propriétaires 
des  bestiaux , mais  au  gouvernement  même , en  lui 
procurant  les  moyens  de  donner  des  ordres  salu- 
taires pour  le  soulagement  desbabitans  à cet  égard; 
lesquels,  malgré  toute  la  pureté  des  intentions  de 
V.  IL  P. , pourvoient  être  fort  préjudiciables,  s’ils 
n’éioienl  pas  aj)])uyés  sur  l’expérience  que  les 
gens  de  l’art  peuvent  avoir  acquise  par  leurs  re- 
eberebes. 

Mon  principal  but  a été  de  m’instruire  avec  cer- 
titude si  les  peaux  des  bestiaux  morts  de  l’épizoo- 
tie peuvent  en  infecter  d’autres?  et  si  la  cbair,  le 


V.  11.  P.  verront  j)ar  la  suite  combien  mes  el 
forts  ont  été  beureux  à cet  égard.  L’inoculalio: 
promettoit  encore  un  autre  avantage  , celui  de  poi; 


SUR  l’ÉI’IZOOTIE.  l6l 

suif  et  le  sang  sont  capables  de  produire  le  même 
mal?  enfin,  si  le  lait,  le  beurre  et  le  fromage,  etc., 
des  vaches  attaquées  de  maladies  contagieuses  doi- 
vent être  regardés  comme  nuisibles  à Fhomme  et 
aux  animaux  qui  s’en  nourrissent? 

Par  exemple,  par  un  acte  du  parlement  d’An- 
gleterre, du  22  mars  1747  (1),  il  fut  défendu  de 
nourrir  ou  d’engraisser  dans  ce  royaume  des  veaux, 
des  cochons  , des  agneaux  , etc.  , avec  le  lait  de 
bestiaux  malades.  Or , si  l’on  peut  démontrer  que 
le  lait  des  vaches  attaquées  de  la  contagion  ne 
cause  aucun  mal  à d’autres  bestiaux  , pas  même 
aux  veaux,  celte  précaution  devient  inutile,  ainsi 
que  les  règlemens  qui  en  sont  la  suite.  V.  H.  P. 
verront  par  les  expériences  que  nous  avons  faites 
que  le  lait  pris  intérieurement  ne  peut  point  cau- 
ser de  contagion,  et  qu’il  ne  produit  même  aucun 
mauvais  effet  quand  on  s’en  sert  pour  inoculer  des 
veaux.  Si  donc  les  moutons,  les  porcs,  les  chèvres^ 
les  cerfs  , etc.  , ne  sont  jamais  attaqués  de  cette 
maladie,  comme  nous  l’a  prouvé  l’inoculation  que 
nous  avons  toujours  faite  sans  fruit  sur  ces  ani- 
maux , pourquoi  occuper  l’attention  du  gouver- 
nement sur  cet  objet  ? Si  l’on  sait  que  la  viande 
fumée  ou  salée  des  bestiaux  morts  de  l’épizootie 


{\)  Collection  of  ail  the  ordres  of  coiincil , etc.,  relating  to  the 
distcmpercd  caille  , 

1 1 


III. 


i62 


LEÇONS 

n'est  pas  conlaglcuse,  pourquoi  multiplier  par-là 
inutilement  les  soins  paternels  de  V.  H.  P.?  Mais 
si  leur  chair,  leur  sang,  leur  suif  conservent,  après 
leur  mort  , la  vertu  morbifique  , il  est  nécessaire 
cl’y  veiller  et  d’emjjloyer  les  moyens  qu'on  croit 
propres  à détruire  cette  qualité  malfaisante,  ou  de 
faire  des  essais  pour  connoître  combien  de  tems 
ils  peuvent  la  conserver. 

Combien  de  précautions  les  Etats  des  provinces 
respectives  n’ont-ils  pas  fait  prendre  relativement 
aux  peaux,  à la  chair,  au  suif  et  à l’enfouissement 
des  bêtes  mortes  de  la  contagion  ? Et  cependant 
ces  mêmes  Etats  ont  été  constamment  invités  pan 
les  habitans  à vouloir  bien,  par  bonté  paternelle, | 
et  pour  soulager  , autant  qu’il  étoit  possible  , les, 
malheurs  publics  , ne  point  mettre  d’entraves  à 
l’usage  des  peaux  et  du  suif  de  ces  bestiaux. 

Cependant  il  y en  a peu  parmi  nous  qui  aient 
demandé  qu’on  examinât  les  principes  sur  lesquels 
étoient  fondés  la  plupart  de  ces  ordonnances  qu’on 
avoit  presque  toutes  adoptées  d’autres  nations. 
Voilà,  H.  et  P.  S. , quel  est  le  but  de  nos  soins  et 
de  nos  recherches. 

Il  ne  m’éloit  pas  possible  de  faire  seul  ces  essais; 
d’autant  puisqu’ils  dévoient  être  faits  sur  les  lieux 
où  la  maladie  épidémique  s’éloit  déjà  déclarée, 
ce  c[ui  étoit  souvent  loin  de  la  ville  que  j’habite. 
Ces  raisons  m’ont  engagé  à choisir  M.  le  médecin 

£5  O I 


SUR  ÉPIZOOTIE. 


l63 


Mynold  Munniks  , mon  élève  , pour  remplir  ces 
soins  sous  ma  direction;  et  nous  prenons  aujour- 
' d’iiui  la  liberté  d’en  offrir  le  résultat  à V.  H.  P. , 
j et  de  mettre  sous  leurs  yeux  le  détail  des  progrès 
que  nous  avons,  faits,  avec  un  exposé  de  ce  qui 
I reste  encore  à faire,  selon  nous,  pour  parvenir  à 
la  perfection. 

Le  printems  dernier,  nous  avons  eu  le  bonheur 
de  former  une  société  en  Frise,  et  de  faire  à nos 
dépens  et  avec  le  secours  des  membres  associés  ces 
ï essais  intéressans.  Cependant , comme  nous  n’avons 
pu  outrepasser  les  clauses  de  cette  association  , 
i nous  avons  été  obligés  de  suspendre  nos  travaux. 
I Malgré  cela  notre  zèle  ne  s’est  point  ralenti,  quoi- 
que contrarié  par  les  frais  que  demandent  de  sem- 
blables expériences  , lesquels  sont  véritablement 
trop  considérables  pour  des  particuliers,  et  ne  peu- 
vent devenir  utiles  que  par  l’appui  immédiat  de 
V.  H.  P.  et  celui  des  Etats  de  chaque  province  où 
ils  sont  jugés  nécessaires.  L’expérience  nous  a 
du  moins  appris,  que  nous  avons  plus  d’une  fois 
couru  le  danger  d’ètre  les  victimes  des  écarts  du 


peuple,  lequel  , ignorant  le  but  de  nos  salutaires 
travaux,  et  se  fiant  à l’indulgence  de  la  justice,  a 
non-seulement  troublé  nos  occupations,  mais  nous 
a obligé  par  des  voies  de  fait  d’abandonner  notre 
I établissement , de  prendre  la  fuite  avec  nos  bes- 
tiaux, et  par  conséquent  de  mettre  fin  à nos  expé- 
riences. 


i64 


LEÇONS 

Nous  avons  l'honneur  de  joindre  ici  un  rapport 
détaillé  des  observations  que  nous  avons  faites  en 
176g,  sur  cent  douze  génisses  de  la  grietenie  de 
Doniawarslal  en  Frise. 

Les  résultats  de  ces  observations  sont:  1®.  Que 
la  maladie  comminiquée  par  l’inoculation  a été 
accompagnée  absolument  des  memes  symptômes 
que  ceux  dont  les  bestiaux  sont  attaqués  dans  l’é- 
pizootie naturelle  ; 2°.  qu’elle  se  communique  avec 
la  même  facilité;  que  cependant  elle  est  , en 
général,  plus  bénigne  et  plus  facile  à guérir  ; 4°. 
que  les  bestiaux  guéris  après  avoir  subi  Finocula- 
lion  résistent  parlaitement  à une  seconde  conta- 
gion, soit  naturelle,  soit  communiquée  par  ino-i 
culation.  Depuis  ce  tems  , nous  avons  confirmé 
tout  cela  par  des  centaines  d’observations.  L’ex- 
périence nous  a également  appris  que  la  couleur 
du  poil  des  bestiaux  ne  contribue  en  rien  à leur 
faire  prendre  plutôt  la  maladie,  ou  à la  rendre| 
plus  ou  moins  mortelle  ; et  que  les  bestiaux  nés  de 
ceux  qui  ont  été  guéris  de  la  contagion  y sont  tout 
aussi  exposés  que  les  autres;  car  nous  communi- 
quâmes l’épizootie  à plusieurs  veaux,  dont  quel- 
ques-uns moururent , quoique  nés  de  vaches  gué- 
ries, et  dont  le  père  et  la  mère  avoient  également! 
échappé  aux  cruels  effets  de  ce  fléau. 

Le  résultat  de  nos  premiers  essais  , quoiqu’ils 
ne  furent  pas  également  heureux  sous  tous  les  rap“ 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


l65 


ports,  fut  néanmoins  assez  satisfaisant  pour  nous 
engagera  les  continuer;  car  sur  cent  douze  indi- 
vidus nous  en  conservâmes  quarante-cinq  par  Pino- 
culalion. 

' Ensuite , nous  avons  sauvé  quarante-six  sur  qua- 
tre-vingt-douze têtes  de  bétail  que  nous  avons  ino- 
culées. Le  troupeau  consistoit  en  soixante-huit  gé- 
nisses , onze  vaches  laitières  et  treize  veaux  ; dont 
six  veaux,  huit  vaches  et  trente-deux  génisses  fu- 
rent heui’eusement  guéris. 

Lorsque  nous  comparons  ces  succès  avec  la  liste 
;des  bêtes  malades,  mortes  et  guéries  en  Hollande 
iet  West-Frise,  nous  trouvons  les  bienfaits  de  Fino- 
(Culation  plusgrands  encore.  En  Hollande  du  moins 
on  n^a  sauvé  que  le  quart  des  bestiaux  attaqués  de 
; la  maladie  contagieuse. 

Il  paroît  par  une  liste  qu’on  n’en  a sauvé  qu’un 
tiers  dans  la  Nord-Hollande;  tandis  que  nous  en 
ivons  conserv^é  exactement  la  moitié, 
i’  Depuis  nous  avons  inoculé  à Groningen,  à nos 
(dépens  et  au  compte  de  quelques  autres  person- 
nes, des  vaches  laitières,  des  vaches  portières,  des 
'pœufs  et  des  génisses,  et  nous  avons  trouvé  que 
1 quand  les  vaches  ne  portoient  pas  depuis  trop  long-, 
ems,  on  en  conservoit  les  trois  quarts.  Le  succès 
ut  satisfaisant  avec  le  petit  nombre  de  boeufs  que 
mus  avions.  Nous  aurions  désiré  de  multiplier  ces 
expériences,  si  le  prix  des  bestiaux  qui  n’avoient 


i66 


LEÇONS 

pas  encore  été  guéris  ne  fut  pas  monté  trop  haut^ 
à cause  de  l’extrême  rareté  du  bétail. 

Quoiqu’il  en  soit,  nous  avons  maintenant  ap- 
pris que  tous  les  remèdes  diasostiques  sont  ab- 
solument inutiles;  que  les  évacuations  modérées 
obtenues  par  du  sel  de  mer,  et  des  saignées  répé- 
tées sont  extrêmement  salutaires , ainsi  que  les  ali- 
mens  bien  choisis  , tant  avant  qu’après  la  plus 
grande  crise  de  la  maladie. 

Les  bestiaux  qui  mouroient  servoient  à prou- 
ver que , comme  nous  avions  nétoyé  les  intestins  à 
tems , il  y avoit  peu  à craindre  de  ce  côté- là.  Ce- 
pendant les  poumons  restoient  trop  fortement  at- 
taqués, pour  laisser  quelque  espoir  que  des  sai-* 
gnées  eussent  peu  opérer  le  moindre  soulagement] 
Nous  conclûmes  donc  avec  raison  , je  pense  , que 
la  principale  cause  de  la  maladie  consiste  dans 
une  inflammation  des  poumons.  Aussi  vîmes-nous 
mourir  de  phthisie  plusieurs  bêtes  qui  avoit  déjà 
reconamencé  à ruminer,  et  qui  se  trou  voient  véri- 
tablement dans  un  état  de  convalescence  , ainsi 
que  cela  a de  même  lieu  chez  ceux  qui  sont  natu- 
rellement attaqués  de  la  contagion. 

Une  seule  fois  nous  avons  obtenu  un  veau  vH 
vani  après  que  la  vache  eut  été  guérie.  Nous  avonji 
inoculé  deux  fois  de  suite  cet  animal  avec  la  ma- 
tière morbifique  d’une  vache  fort  malade;  mais  il! 
résista  à la  contagion;  preuve  qu’on  doit  attendr* 


SUR  É P I Z O O T I E.  1 67 

ce  même  avantage  de  ia  maladie  naturelle  , ainsi 
que  l’expérience  nous  l’a  prouvé  en  effet  chez  quel- 
ques bestiaux. 

Une  autre  fois  nous  avons  obtenu  un  veau  vi- 
vant d’une  vache  qui  étoit  éncore  malade.  Ce  su- 
jet , qui  se  trouvoit  malade  en  naissant  , mourut 
avec  les  mêmes  symptômes  à peu  près  que  tous  les 
autres  bestiaux  pestiférés. 

Comme  les  vaches  vêlent  ou  avortent  d’autant 
plus  promptement  que  le  tems  de  mettre  bas  est 
plus  prochain  , nous  regardons  la  maladie  comme 
d’autant  plus  dangereuse  alors.  Les  génisses  , les 
veaux  d’un  an  , etc. , qui  sont  encore  au  commen- 
cement de  leur  portée,  avortent  plus  tard,  quel- 
quefois même  seulement  un  ou  deux  mois  après. 

Il  paroît  par-là  que  l’inoculation  se  fait  avec  un 
meilleur  succès  sur  des  bestiaux  âgés,  principale- 
ment sur  les  vaches  qui  ont  vêlé,  ou  qui  ne  sont 
pleines  que  depuis  peu  de  tems. 

Il  est  singulier  que  de  quelques  centaines  de  piè- 
ces de  bétail  que  nous  sommes  parvenus  à sauver 
])ar  l’inoculation , il  n’y  en  ait  eu  qu’une  seule  qui 
ait  perdu  le  loupillon  de  poils  de  la  queue. 

Les  saignées  répétées  que  nous  avons  employées 
chez  un  grand  nombre  de  bestiaux,  nous  ont  con- 
vaincu  : i°.  que  du  moment  que  1a  maladie  a pris 
racine  , le  lait  se  caille  entièrement , sans  qu’il  y 
reste  la  moindre  sérosité  5 2'’.  que  lorsque  l’animal 


i68 


LEÇONS 

meurt  le  sang  n’est  plus  caillé,  mais  fpi’il  est  Vola- 
leinenl  fluide 5 5”.  (jnlétant  tiré  avant  la  mort , il|^i 
conserve  de  même  sa  lluidiléj  4°.  que  le  sang  liré^^ 


d’un  animal  ])eu  de  tems  après  le  rétablissement^^ 
contient  des  sérosités  et  se  coagule  comme  dans  t|| 
l’état  naturel  de  santé. 

Comme  il  reste  encore  beaucoup  de  choses  à® 
observer  dans  le  progrès  de  la  maladie,  il  seroit  a | 
souhaiter  qu’on  lit  aux  frais  du  gouvernement  les^ 
expériences  suiv'antes  : I 

î”.  Ouvrir  tout  vivans  des  bestiaux  chaque  jour 
après  la  communicatiou  de  la  maladie,  afin  qu’on'- 
puisse  reconnoîlre  le  moment  où  les  parties  set 
trouvent  le  plus  affectées  par  le  progrès  du  virus  | 
morbifique.  ti 

11°.  Ouvrir  les  bestiaux  aussitôt  qu’il  y a signe 
de  guérison  , et  cela  jusqu’à  ce  qu’ils  aient  recoin-  f 
mencé  à ruminer , pour  savoir  de  quoi  dépend  pro-J 
jirement  ce  grand  changement.  Le  jeune  bétail  se 
roit  le  plus  propre  pour  cela  et  le  moins  coûteux,  j 


puisqu’il  faodroit  le  disséquer  tout  vivant. 

Peut-être  que  , par  ces  moyens,  on  parviendroit  ||| 
à trouver  des  remèdes  projnes  à rétablir  la  rumi- 
nation  ; et  dans  ce  cas  il  y auroit  espérance  de  gué- 
rir  l’inflammation  des  poumons. 


La  violence  de  la  maladie  communiquée  p 


ar 


inoculation  dilTère  en  apparence  si  jieu  de  celle  de  |:i 
la  contagion  nalureile,  qu’on  ne  sauroit  assez  en  f;| 


SUR  l’  É P I Z O O T I E.  169 

être  étonné.  11  est  vrai  que  Finocnlalion  est  sus- 
ceptible d^amélioration , ainsi  que  nous  l’ont  prou- 
vé un  grand  nombre  d’expériences,  que  nous  ne 
manquerions  pas  de  multiplier,  si  les  dépenses 
qu’elles  demandent  n’étoient  pas  trop  considé- 
rables. 

Nous  nous  proposons  de  publier  sous  peu  de 
tems  toutes  nos  observations  sur  cette  matière  av^ec 
un  avis  préliminaire  ; dans  l’espérance  d’engager 
par-là  nos  concitoyens  à suivre  notre  exemple,  en 
les  mettant  à mênie  de  tirer  avantage  des  lumières 
que  nous  pouvons  avmir  acquises  par  l’expérience? 
ainsi  que  des  erreurs  même  où  nous  pouvons  être 
tombés. 

En  octobre  1769,  nous  avons  fait  les  expérien- 
ces suivantes  sur  la  nature  de  la  contagion  : 

Premièrement.  Nous-mêmes  et  lés  ouvriers 
qui  nous  aidoient,  avons  souvent  été  blessés  aux 
mains  et  aux  doigts  en  ouvrant  et  en  maniant  des 
bestiaux  morts  de  l’épizootie  ; par  conséquent  la 
matière  morbifique  a passé  immédiatement  des  na-  ^ 
seaux,  de  la  bouche  et  d’autres  parties  de  l’animal 
dans  notre  sang,  sans  que  nous  en  ayons  cepen- 
dant éprouvé  aucune  suite  fâcheuse  , si  ce  n’est 
peut-être  que  la  plaie  a été  un  peu  plus  long-tems 
à guérir. 

Ni  le  lait  , ni  le  beurre  , ni  le  fromage  , pas 


17*^  LEÇONS  f 

même  la  chair  , tant  fraîche  que  fumée  et  salée  ^ 
des  bestiaux  attaqués  de  la  contagion  , ne  produi-N, 
sent  aucun  mauvais  elFei  sur  ceux  qui  en  font  usage,  7 
si  ce  n’est  lorsqu’on  se  charge  trop  l’estomac  de 
celte  viande,  ce  qui  est  quelquefois  fort  tlangereux 
pour  le  peuple  5 mais  il  en  est  de  même  de  la  |" 
viande  des  bestiaux  les  plus  sains.  |jj 

S E c O N n E M E N ï.  Comme  les  moutons , les  chè- 
vres  et  les  cerfs  sont  aussi  des  animaux  ruminans, 
fju’ils  sont  par  conséquent  peut-être  également  ^ 
susceptibles  d’être  affectés  de  la  contagion  , nous  | 
avons  inoculé  une  biche  en  deux  endroits,  une  chè-  | 
vre  en  six  endroits,  ainsi  qu’un  mouton  , avec  le  |j 
virus  morbiliqued’unevaclie  fort  malade,  sansque  J 
nous  nous  soyons  apperçus,  dans  la  suite,  d’aucun  | 
symptôme  de  maladie,  si  ce  n’est  d’une  petite  su-  | 
puration  qui  suit , en  général , de  pareilles  opé- 
rations.  - I 

Comme  on  prétend  que  les  chèvres  sont  égale-  | 
ment  sujettes  à l’épizootie,  après  en  avoir  inutile-  | 
Jurent  inoculées  pour  leur  communiquer  la  conta-  P 
gion,  nous  les  avons  fait  placer  très-près  des  bes-  p 
îiaux  malades,  sans  qu’il  en  soit  résulté  le  moin-  f| 

dre  accident.  dl 

X'" 

D’où  l’on  peut  conclure,  suivant  nous,  que  les  |j 
bestiaux  dont  je  viens  de  parler  ne  peuvent  par  | 
eux-mêmes  ni  occasionner,  ni  propager  i’épizoo-  p' 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  171 

tie  ; et  qu’on  peut  nourrir,  sans  crainte  d’aucun 
mauvais  effet , les  veaux  avec  le  lait  de  vaches  ma- 
lades. Comme  l’épizootie  ])aroît  nous  être  venue 
principalement  de  Turquie , ou  peut-être  même 
de  quelque  contrée  plus  éloignée  de  l’Asie , par  des 
chamanx,  nous  aurions  voulu  acheter  à nos  frais 
un  de  ces  animaux^  mais  il  nous  a été  impossible 
de  nous  en  procurer  un. 

Trotsièmement.  Nous  avons  voulu  essayer 
l’effet  que  produiroit  la  plus  mauvaise  matière  mor- 
bifique , en  le  faisant  prendre  intérieurement  à un 
veau.  Pour  cela  nous  mêlâmes  de  la  matière  prise 
des  naseaux  avec  de  l’eau  que  nous  fîmes  boire  à 
plusieurs  veaux,  ainsi  que  du  sang  et  du  lait  d’une 
vache  fort  malade.  Cependant  les  jours  auxquels 
se  déclare  ordinairement  la  maladie,  soit  par  con- 
tagion , soit  par  inoculation  , se  passèrent , et  mê- 
me quelques  autres  encore  sans  qu’on  apperçut 
chez  ces  animaux  le  moindre  signe  de  maladie. 
Pour  nous  convaincre  que  cela  ne  dépendoit  point 
d’une  constitution  particulière  des  animaux,  com- 
me n’étant  pas  disposés  à recevoir  la  maladie,  nous 
les  avons  tous  inoculés  suivant  la  méthode  ordi- 
naire^ et  alors  ils  sont  non-seulement  tombés  ma- 
lades, mais  ont  donné,  comme  les  autres  , dès  le 
cinquième  jour,  des  signes  de  l’approche  de  la  ma- 
ladie. 


LEÇONS 

Nous  croyons  pouvoir  conclure  de  là  cjue  les 
bestiaux  ne  gagnent  pas  répizoolie  en  buvant  dans 
le  même  vase  cp,ie  ceux  (jui  sont  malades  , ou  en 
avalant  même  leur  bave,  etc.;  que  par  conséquent 
ils  ne  gagnent  pas  la  maladie  par  la  matière  mor- 
bifique qui  ])eut  être  mêlée  auxalimens  dont  ils  se 
nourrissent,  ainsi  qu’on  l’avoit  pensé  Jusqu’à  pré- 
sent. 

Quatrièmement.  Nous  avons  été  insensi- 
blement plus  loin  : nous  avons  examiné  pendant 
combien  de  tems  les  peaux  et  d’autres  parties  de- 
meurent conlagicuses  après  la  mort  de  l’animal? 

Pour  cet  elle!  , nous  avons  inoculé  un  veau  avec 
des  languettes  de  la  yjeau  d’une  vache  immédiate- 
ment après  qu’elle  fut  morte  de  la  contagion.  Un 
autre  veau  a été  inoculé  de  la  même  manière  qua- 
rante-huit heures  après  la  mort  de  la  même  va- 
che. Un  troisième  veau  avec  des  languettes  de  la 
même  peau  quatre  jours  après  la  mort  de  la  vache 
en  question;  et  enfin  un  quatrième  veau  avec  six 
aiguillettes  de  la  susdite  peau  , le  sixième  jour  après 
la  mort  de  la  vache. 

Tous  ces  veaux  tombèrent  malades  le  cinquiè- 
me jour  après  l’inoculation  , et  avec  une  telle  vio- 
lence que  trois  en  moururent,  de  sorte  qu’il  n’y 
en  eut  qu’un  seul  qui  en  réchappa. 

Xs’^ous  fûmes  fâchés  de  devoir  en  conclure  avec 


certitude  que  les  peaux  communiquent  la  conta- 
gion, six  Jours,  si  ce  n’est  pas  plus  loug-tems  mê- 
me, après  la  mort  j que  par  conséquent  rien  n’est 
plus  dangereux  que  d’en  agir  avec  aussi  peu  de 
soin  qu’on  le  fait  souvent  avec  les  peaux  des  bêtes 
mortes  de  la  maladie  contagieuse  , et  de  les  trans- 
porter dans  des  endroits  où  l’épizootie  ne  s’est  pas 
encore  déclarée. 

Il  faudroit  encore  répéter  souvent  ces  essais,  et 
plamer  les  ])eaux  avec  de  la  chaux,  les  faire  trem- 
per dans  de  l’eau  , ou  les  laver  avec  une  décoction 
de  tan,  etc.;  et  les  pi’éparer  de  manière  que  cette 
qualité  nuisible  fut  détruite,  pour  les  faire  passer 
ensuite  aux  tanneries. 

Cinquièmement.  Dans  le  même  teins  nous 
avons  inoculé  quatre  autres  veaux  , dans  six  en- 
droits dilférens,  avec  la  chair  de  la  même  vache; 
savoir,  le  premier,  le  second  , le  quatrième  et  le 
sixième  jour  après  sa  mort;  et  nous  avons  trouvé 
que  la  contagion  étoit  si  violente  que  ces  quatre 
veaux  ont  été  les  victimes  de  cette  expérience. 

La  chair  n’est  donc  pas  moins  contagieuse  après 
la  mort.  Il  ne  faut  par  conséquent  pas  la  transpor- 
ter dans  des  endroits  où  l’épizootie  ne  règne  pas. 
Nous  avons  fait  fumer  quelques  morceaux  de  celte 
viande , et  fait  saler  quelques  autres  , dans  l’inten- 
tion de  savoir  combien  de  teins  elle  conserve  cette 


1 7 * LEÇONS 

(juallté  inorbiNtjiie  ; mais  comme  les  vues  de  la  so-  ; 
ciété  se  Irouvoieut  remjilies,  et  que  le  bétail  aug- 
mente chaque  jour  de  prix,  nous  avons  été  obligés 
de  suspendre  nos  ol)servalions. 

Nous  avons  pensé  qu’il  imj)orloit  au  gouverne-  ’; 
ment  d’être  instruit  de  tous  ces  essais  et  de  leurs  7:, 
résultats,  afin  de  ne  point  gêner  le  commerce  par 
la  défense  des  viandes  salées  et  fumées  , dont  la  | 
consommation  est  si  précieuse  pour  la  navigation,  ; 
etc. , de  ces  provinces.  ' 

Sixièmement.  Nous  avons  également  ino- ' | 
culé  quati’e  veaux  avec  le  suif  de  bêles  mortes 
d’épizootie,  le  premier,  le  second,  le  quatrième  et  i 
le  sixième  jour  après  leur  mort  : les  elfets  de  la  con-  “ I 
tagion  ont  été  si  violens  qu’ils  se  sont  trouvés  tous  ,.i 
quatre  excessivement  malades  le  sixième  jour  et  é 
sont  morts  ensuite. 

Reste  à savoir  maintenant  combien  de  tems  la  ■ 
graisse  et  le  suif  conservent  leur  qualité  conta-  i 
gieuse?  11  nous  faut  une  grande  quantité  de  l’une 
et  de  l’autre  pour  nos  vaisseaux  et  pour  nos  fabri-  ' i 
ques  de  chandelles.  Voici  donc  la  question  qu’il  j 
s’agit  de  résoudre  : Pendant  combien  de  tems  le  ^ 
suif  reste-t-il  contagieux  par  l’inoculation  ou  par 
la  vapeur  des  lumières  placées  dans  une  étable; 
et  par  quel  moyen  pourroit~on  parvenir  à lui  dter  I 
cette  mauvaise  qualité  ? | 


Septièmement.  Nous  iwardions  coiume  es- 

O 

sentiel  de  faire  des  expériences  avec  le  sang.  Nous 
inoculâmes  par  conséquent , également  en  six  en- 
droits différens,  quatre  veaux  avec  du  sang  de  la 
même  vache  morte  de  contagion  , le  premier  , le 
second,  le  quatrième  et  le  sixième  jour  après  sa 
mort.  Ces  veaux  furent  tous  quatre  si  fortement  at- 
taqués de  la  maladie  qu’ils  en  moururent. 

Ces  résultats  nous  prouvèrent  que  tous  les  soins 
pris  par  le  gouvernement  relativement  à la  manière 
d’écorcher  et  d’enfouir  les  bêtes  mortes  de  l’épi- 
zootie, étoient  à peu  près  inutiles,  et  dévoient  l’ê- 
îi'e  en  effet  ; puisqu’il  n’est  guère  possible  de  les 
écorcher  sans  les  faire  saigner  , surtout  par  des 
hommes  aussi  maladroits  que  ceux  qu’on  emploie 
communément  à de  pareilles  opérations. 

Que  sert  d’enfouir  à Trois  pieds  ou  davantage 
même  dans  la  terre  les  restes  de  ces  bestiaux,  aussi 
long-tems  qu’on  ne  parviendra  pas  à empêcher  que 
la  contagion  ne  rende  ces  parties  volatiles,  et  qu’el- 
les n’aillent  corrompre  l’atmosphère,  en  pénétrant 
à travers  les  larges  pores  de  la  terre , ou  d’un  sable 
mobile  qu’on  prend  à peine  soin  d’entasser  sur  ces 
débris  infects  ? 

Il  seroit  à souhaiter  aussi  qu’on  ht  l’essai  avec 
des  bêtes  mortes  d’épizootie,  pour  connoilre  pen- 
dant combien  de  îems  elles  conservent  sous  terre 
la  vertu  morbifique. 


176  LEÇONS 

Nous  n’avons  point  employé  le  iumier.  Ï1  est  à 
croire  fj U ’il  est  très- contagieux,  principalement 
celui  des  bestiaux  qui  sont  au  fort  de  la  maladie  , 
lequel  est  d’une  puanteur  insupportable. 

Quand  on  examine  les  loix  promulgées  en  An- 
gleterre, et  qu’on  les  compare  avec  nos  essais  , il 
paroît  que  la  précaution  de  tuer  les  bêtes  malades 
à coups  de  fusil  et  de  les  enterrer,  ou  même  de  les 
brûler,  ne  peut  prévenir  la  communication  de  ce 
fléau,  et  ne  l’a  réellement  pas  j)révenu  , quoique 
ces  loix  soient  déjà  anciennes  et  qu’elles  aient  été 
renouvellées  encore  en  1747. 

11  est  impossible  également  de  résister  à la  con- 
tagion lorsqu’elle  s’est  une  fois  déclaréej  il  est  im- 
possible , dis-je  , de  la  vaincre.  Nous  avons  lieu 
d’espérer  que  l’inoculation  sera  avec  le  tems  por- 
tée à une  plus  grande  perfection , si  nous  pouvons 
prendre  pour  exemple  celle  qu’on  emploie  pour  la 
petite  vérole;  et  elle  ne  pourroit  manquer  de  faire 
réellement  de  rapides  progrès,  siceque  nous  avons 
exposé  à V.  H.  P.  comme  restant  encore  à faire  , 
s’exécutoit  par  les  ordres  du  gouvernement  et  sous 
ses  auspices. 

Peul-êti'e  l’expérience  nous  convaincra-t-elle 
un  jour  du  contraire.  Il  se  pourroit  aussi  que  la 
méthode  dont  nous  faisons  usage  , ne  sauve  pas 
plus  de  bestiaux  que  la  nature  livrée  à elle-même; 
et  alors  sans  doute  on  l’abandonnera  facilement. 


SUR  l’ÉPÏZOOTIE.  177 

Mais  il  en  aura  toujours  résulté  ce  grand  avantage 
qu^on  se  sera  convaincu  qu’il  n’y  a point  de  meil- 
leur moyen  , ni  de  plus  convenable  que  l’inocu- 
lation pour  bien  connoître  la  nature  de  l’épizoo- 
tie, et  les  remèdes  qu’on  pourroit  y apporter. 

Groningen,  le  16  février  1770. 


t) 


F 

m: 


ITT. 


12 


178 


LEÇONS 


DE  L’INOCULATION 

DE  L’ ÉPIZOOTIE,  ; 

De  ses  avantages  et  des  précautions  qu’elll^ 
demande.  1 


I.  JL’ IN  oc  U DATION  de  la  maladie  contagieusi! 
des  bêtes  à cornes  à été  d’abord  pratiquée  ave(| 
des  succès  douteux  en  Angleterre,  ensuite  dans  IéJ 
duché  de  Brunswick  en  1746,  en  Nord-Hollande 
en  1755 , près  de  la  Haie  en  1757,  et  la  même  an- 
née à Londres  (1),  jusqu’à  ce  que  moi-même,  avee 
le  célèbre  M.  Van  Doeveren  à Groningen  , en 
1769  (2),  et  M.  Munniks  en  Frise  ( où  M.  Alta  ï 
ministre  du  Saint-Evangile,  l’avoit  déjà  établie),'! 
commençâmes  à faire  un  grand  nombre  d’observa-| 


(1)  Voyez  mes  Levons  sut  V épizootie  ^ ^^7' 

(2)  Ibid. 


SUR  l’Épizootie.  179 

ions  de  toutes  les  espèces,  avec  un  tel  succès  qu’en 
;énéral  une  plus  considérable  quantité  de  bétail 
ut  guérie  et  sauvée,  qu’on  n’auroit  pu  le  faire 
ans  la  maladie  acquise  naturellement , par  tous 
3s  remèdes  possibles  (1). 


(1)  Par  la  liste  des  bestiaux  guéris  et  de  ceux  qui  sont  morts  par 
noculation,  publiée  par  ordre  des  Etats  de  Hollande  et  deWest- 
rise , et  qui  comprend  les  quatre  derniers  mois  de  l'année  lyÔQ 
les  deux  premiers  mois  de  i7?o,  j’ai  observé  ([ue  dans  la  Hol- 
nde  seule  il  est  mort  i 14.1 5a  têtes  de  bétail,  et  qu’il  en  a été 
;;iéri  39,065.  Dans  la  West-Fi  ise  , il  en  étoit  mort  43, 1 80  , et  il 
<1  a été  sauvé  2 1 ,09 1 . D’après  les  registres  dressés  en  1769,  par 
•dre  des  Etats  de  Frise  , il  en  est  mort  cette  année  là  5i,022  et 
i.aôy  ont  été  gtiéries.  Le  nombre  des  bestiaux  morts  a donc  été 
helui  des  bestiaux  guéris  comme  208,354  à 78,293.  La  totalité 
tlti^  (5  bestiaux  attaqués  de  l’épizootie  est  par  conséquent  de  286,647, 
il  s’en  est  à peine  sauvé  les  deux  septièmes  ; taudis  qu’on  a 


1 


cuservé.  au  contraire  , plus  de  la  moitié  des  bêtes  à cornes  de 
ites  les  espèces  à qui  on  a inoculé  la  contagion.  Si  Jonc  on  vou- 
ino(  uler  la  maladie  à tous  les  veaux  des  vaches  guéries  , et  si 
jjfât  cent  on  en  perdoit  deux  , la  totalité  de  ceux  qu’on  perdroit 
stsit  de  4.t66;  d’où  l’on  peut  facilement  conclitre  les  grands 

6 û**  * ^ 

’ *%  otages  de  cette  inoculation  , surtout  si  l’on  considère  la  valeur 
iDj  d'ees  bestiaux.  Supposons,  par  exemple  , que  le  prix  de  chaque 
soit  de  20  florins  de  Hollande;  la  perte  totale  mooteroit  à 
1^1)^8  320  florins;  tandis  que  la  somme  de  la  valeur  de  tous  ceux 
g Dn  auroit  guéris  iroit  à 3.649.620  florins.  Ainsi  la  valeur  de 
^i^^'^que  veau  guéri  de  la  contagion  acquerroit  une  addition  de 
^ '.1  s quarantièmes  parties  fl  un  florin  ; ce  qui  est  si  peu  de  chose 
qi  cela  ne  mérite  aucunement  d’être  pris  en  considérarion.  Mais 
iBoinme  de  la  valeur  des  bêtes  à cornes  perdues  par  la  contagion 
Ue  naturellement  , si  l'on  estime  seulement  les  vaches  et  les 


i8o 


LEÇONS 


Ces  essais  nous  ont  églement  appris  que  jama 
aucune  bêle  à cornes  qui  a une  fois  été  guérie  é 
Pépizoolie  n’en  est  attaquée  de  nouveau  j ce  qi 
les  expériences  faites  en  Nord -Hollande  avoiei 
laissé  dans  le  doute. 

Ensuite  on  a essayé,  mais  sans  fruit , l’inocul 
lion  en  Danemarck;  jusqu’à  ce  qu’on  l’eut  repri 
avec  un  heureux  succès  en  Frise. 

Les  avantages  de  ce  remède  consistent  en 
que  : 

1°.  Ce  sont  des  veaux  ou  des  génisses  d’un  pr 
modique  qu’on  expose  au  danger  de  la  coi 
tagion. 

2°.  Les  génisses  ont  l’é])izootie  avant  qu’ell 
aient  reçu  le  taureau  , par  conséquent  avant  qu’t 


veaux,  l’uii  portant  l’autre,  à 20  florins  pièce,  monte  à 4,1 67»' 
florins.  Je  dois  convenir  que  par-là  le  prix  des  bestiaux  guéris 
certainement  augmenté  d'un  tiers;  mais  ce  prix  baisse  inseï 
blement  et  revient  au  taux  ordinaire  après  que  la  contagio 
cessé  ses  ravages.  Je  sais  qu’on  a vendu  pour  25o  florins  pièce 
vaches  laitières  guéries  de  la  contagion.  Si  l’on  compare  à ( 
l’effet  qu’a  produitle  partiqu’on  avoit  pris  de  tuer  les  bestiauxi 
lades  , et  dont  les  Etats  de  Brabant  ont  rendu  compte  , nous' 
rons  que,  pour  conserver  1 1 1,960  têtes  de  bétail , ou  n’en  a 
que  4^4 1 P®*"  conséquent  on  n’en  a perdu  qu'une  deux  c 

soixante-quatrième  partie  , ou  trois  huitièmes  du  cent  ; qu’ain; 
perte  a été  encore  beaucoup  moindre  ici  que  par  l’inoculatioi 
plus  heureuse,  par  laquelle  on  perd  au  moins  toujours  un  v 
sur  cenr. 


i8i 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE, 
les  soient  pleines;  ce  qui  est  un  plus  grand  avan- 
tage qu’on  ne  sauroit  le  penser  ; car  , lorsque  la 
contagion  attaque  naturellement  tout-à-coup  un 
troupeau  entier,  les  boeufs , les  veaux , les  génisses 
et  les  vaches  en  sont  tous  affectés  sans  distinction. 
Presque  toutes  les  vaches  avortent  ; de  sorte  que 
{1  si  elles  n’en  meurent  point  et  qu’elles  se  rétablis- 
sent  même  parfaitement  , leur  matrice  se  trouve 
tellement  dérangée  qu’elles  ne  peuvent  ensuite  plus 
s jretenir  facilement.  Elles  ne  sont  pas  non  plus  sitôt 
jSn  chaleur  après  cet  accident,  de  sorte  que  le  pro- 
i;  briétaire  d’une  telle  vache  est  obligé  de  la  nourrir 
pendant  une  année  entièi'e  sans  en  retirer  le  moin- 

Ere  avantage;  et  se  voit  enfin  obligé  de  l’engraisser 
our  la  livrer  au  boucher. 

C’est  dans  les  endroits  où  les  fermiers  n’ont 
(..’aulre  ressource  pour  vivre  que  leurs  bestiaux 
jqu’on  a principalement  besoin  de  quelque  certi- 
jtude  à cet  égard  ; et  c’est  pour  cette  raison  que 
l’inoculation  doit  y être  pratiquée  de  préférence, 
quand  même  on  ne  parviendroit  pas  à sauver  par 
ice  moyen  un  plus  grand  nombre  de  bestiaux  qu’on 
ne  pourroit  espérer  d’en  voir  rétablir  par  l’épizoo- 
tie naturelle.  Le  prix  d’un  veau  va  rarement  au 
quart  de  celui  d’une  vache;  d’ailleurs  les  vaches, 
étant  ensuite  pleines  au  teins  convenable,  vêleront 
facilement  , et  fourniront  convenablement  leur 
lait. 


1 8a  LEÇONS 

II.  Cependant  il  importoit  trop  aux  fermier} 
de  ces  provinces,  pour  qu’ils  abandonnassent  sitôt 
ce  moyen  convenable  de  sauver  leur  bétail.  Ilf 
avoient  remarqué,  en  premier  lieu  , que  les  veaux) 
avortés  par  des  vaches  malades  n’étoient  propres 
à être  inoculées  qu’après  qu’ils  avoient  resplrej 
pendant  quelque  tems  le  grand  air.  Secondement, ) 
que  les  veaux  provenant  de  vaches  qui  avoient  passé 
heureusement  par  l’épizootie  éprouvoient,  en  gé- 
néral , des  crises  moins  violentes , et  qu’il  en  ré- 
chappoit  un  plus  grand  nombre  que  de  ceux  qiii  j 
étoient  nés  d’autres  vaches. 

Ils . combinèrent  donc  ces  circonstances,  et 
firent  inoculer  aussi  bien  les  veaux  provenant  df 
vaches  qui  avoient  été  guéries  de  la  contagion 
que  ceux  qui  n’avoient  pas  encore  été  exposés  eit| 
plein  air. 

D’après  ces  procédés  les  accès  de  l’épizootie  fit  * 
rent  si  bénins  que  les  fermiers  doutèrent  souvent 
si  le  bétail  qu’ils  avoient  fait  inoculer  avoit  été 
réellement  malade  ou  non.  Moi-même,  excité  paii 
leur  exemple , j’en  ai  quelquefois  inoculé , dans  le 
même  tems,  jusqu’à  trente  et  davantage;  et  j’ai  vuj 
avec  plaisir  que  ces  veaux  couroient  gaiement  en- 
semble dans  l’étable.  Ceux  qui  étoient  plus  mala-, 
des  que  les  autres,  s’éloignoient  d’eux,  et  alloienti 
les  rejoindre  aussitôt  que  la  crise  étoit  passée,  jus- 
qu’à ce  qu’ils  eussent  tous  passé  le  tems  conve-! 


SUR  ÉPIZOOTIE.  l85 

nable  à la  maladie.  De  cette  manière  sur  cent  veaux 
il  en  mouroit  à peine  un  seul. 

Il  est  arrivé  quelquefois  cependant  que  la  ma- 
ladie, quand  elle  étoit  fort  bénigne,  de  sortequ’on 
en  appercevoit  à peine  de  légers  symptômes  , ne 
parvenoit  point  à maturité;  alors  cesveauxétoient 
attaqués  de  la  contagion  au  moment  qu’on  ne  s’y 
attendoit  point,  quand  on  les  faisoit  paître  parmi 
un  troupeau  malade. 

i||  De  là  naît  une  incertitude  également  préjudi- 
ciable au  commerce  des  bestiaux  guéris  et  à l’in- 
térêt des  fermiers.  La  plupart  ont , à cause  de  cela, 
fait inoculeur jusqu’à  deux  fois  leur  bétail;  la  pre- 
mièi'e  fois  avant  que  les  veaux  eussent  respiré  le 
grand  air,  et  la  seconde  fois  quand  ils  et  oient  par- 
venus à l’âge  de  trois  ou  quatre  mois;  non  qu’ils 
s’imaginassent  que  les  bêtes  à cornes  puissent  être 
deux  fois  de  suite  sujettes  à l’épizootie  par  l’inocu- 
lation, mais  pour  qu’ils  pussent  être  certains  que  ces 
bestiaux  avoient  réellement  été  attaqués  et  guéris 
de  cette  maladie. 

Ces  essais  multipliés  et  presque  journaliers  nous 
avoient  enfin  démontré  qu’il  n’est  pas  absolument 
nécessaire  qu’un  veau  , pour  subir  heureusement 
l’épizootie  , ait  été  exposé  à l’influence  de  l’air  ; 
mais  qu’il  suffit  qu’il  vienne  d’une  vache  qui  ait 
eu  cette  maladie , et  que  l’inoculation  se  fasse  avant 
qu’il  ait  cinq  mois.  Avec  ces  conditions,  la  conta- 


i84 


LEÇONS 

glori  est  non-seulement  bénigne,  mais  elle  se  dé- 
clare suffisamment  par  des  symptômes  extérieurs 
pour  que  chaque  fermier  puisse  être  convaincu 
qu’elle  a réellement  lieu  chez  l’animal.  Actuelle- 
ment l’inoculation  s’opère  en  Frise  et  dans  la  pro- 
vince de  Groningen  sur  tous  les  veaux  avec  un  tel 
succès  , qu’en  prenant  les  précautions  dont  j’ai 
parlé , il  en  meurt  rarement  un  sur  cent. 

§.  III.  Je  crois  pouvoir  conclure  avec  raison  de 
ces  heureuses  suites  de  l’inoculation  que  , dans 
tous  les  pays  où  la  méthode  de  tuer  les  bestiaux 
attaqués  de  la  maladie  contagieuse  n’a  pas  le  suc- 
cès qu’on  en  attendoit,  l’inoculation  de  veaux  nés 
de  vaches  qpi  en  ont  été  guéries  , est  le  seul  re- 
mède qu’on  puisse  employer  ])Our  l’endre  ce  ter- 
rible fléau  au  moins  supportable  (i). 

Peut-être  qu’une  meilleiu'e  disposition  naturelle 
du  père  contribueroit  encore  à cela  , ainsi  que  nous 
le  savons  déjà  de  la  mère.  Il  faudroit  donc  avoir 
.\ 

( 1 ) 1!  paroît  éviilemment , par  le  chap.  i5  du  premier  livre  de 
Sénècjue,  De  ira,  que  les  anciens  ont  connu  le  moyen  de  préve- 
nir la  contagion  en  faisant  tuer  leurs  bestiaux  : « On  écorche,  dit-il, 
«les  brebis  malades,  de  peur  qu’elles  n’infectent  le  troupeau.» 
( Morbidis  pecoribus , ne  gregem  polluant , Jenum  diininimiis.  ) 
Ce  qui  n’avoit  d’autre  raison  , que  (a  sanis  înalilia  secerncre  ) de 
mettre  les  bêtes  saines  à l’abii  de  la  contagion  de  celles  qui  étoienC 
déjà  malades.  Voyez  Aujlos  einer  Preis-Jrage  , pag.  4 >• 


SUR  l’  É P I Z O O T I E. 


i85 


soin  de  n’augmenter  le  troupeau  que  par  des  tau- 
reaux et  des  vaches  qu’on  sauroit  avoir  été  guéris 
de  l’épizootie.  Si  tous  les  fermiers  raettoient , d’un 
commun  accord  , ces  moyens  en  pratique  , nous 
n’aurions  plus,  en  douze  ans  de  tems,  que  des  va- 
ches à l’abri  de  la  contagion , et  qui  ne  clonneroient 
que  des  veaux  propres  à être  inoculés. 

Mais  il  en  résulteroit  celte  difficulté  qu’on  ne 
trouveroit  plus  de  matière  morbifique  pour  inocu- 
ler les  veaux,  à moins  que  l’épizootie  ne  continuât 
à régner  dans  quelque  canton  voisin.  11  ffiudroit 
donc  que  dans  chaque  pays  on  y destinât  un  nom- 
bre suffisant  de  génisses,  afin  qu’on  eut  constam- 
ment sous  la  main  de  cette  matière.  Une  ou  deux 
de  ces  génisses  devroient  être  soumises , à des  tems 
fixes  , à l’inoculation  , pour  qu’on  eût  toujours  à 
la  main  un  nouveau  germe  actif.  Il  faudroit  que 
ces  génisses  fussent  entretenues  aux  dépens  de  la 
caisse  publique;  et,  comme  la  moitié  de  ces  gé- 
nisses succomberoit  à cette  opération , l’autre  moi- 
tié, qui  parviendroit  à vaincre  la  maladie  , seroit 
d’une  valeur  bien  plus  considérable. 

11  est  maintenant  évident  et  reconnu  , soit  qu’on 
ait  recours  au  moyen  de  tuer  les  bestiaux,  ou  à ce- 
lui de  les  inoculer,  qu’il  est  nécessaire  de  connoî- 
tre  surtout , comme  remèdes  diasostiques , le  véri- 
table tems  pendant  lequel  le  virus  morbifique  peut 
se  garder  sans  perdre  son  activité.  Combien  de  tems 


i86 


LEÇONS 

oussi  une  bète  morte  de  l’épizootie  conserve  sa  qua- 
lité contagieuse,  soit  qu’on  l’enfouisse  sous  terre  , 
encore  intacte  avec  sa  peau  , soit  qu’on  la  laisse 
exposée  sur  la  terre  en  plein  air,  soit  enfin  qu’on 
la  plonge  dans  l’eau?  Combien  de  tems  cela  a lieu 
avec  la  chair  salée  ou  fumée?  Pendant  quel  laps 
de  tems  enfin  le  suif,  la  peau  , les  cornes,  les  os, 
etc.  , restent  imprégnés  de  ce  même  germe?  Et  , 
pour  ce  qui  concerne  l’inoculation  , il  faudroit  sa- 
^"oir  pendant  quel  tems  la  matière  dont  on  se  sert 
pour  cette  opération  conserve  sa  vertu  ? Par  ces 
différentes  expériences  on  parviendroit  à pouvoir  in- 
diquer aux  chefs  du  gouvernement  et  aux  fermiers 
les  moyens  d’opérer  avec  certitude  dans  la  suite  ; 
et  par-là  on  ne  manqueroit  pas  de  bien  mériter  de 
ses  contemporains,  ainsi  que  de  la  postérité. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


1S7 


EXAMEN 

D^un  passage  de  Vinstruction  de  sa  majesté 
prussienne  de  i'^€5  , relativement  à ladécom-^ 
positioji  des  peaux  des  bêtes  d cornes. 


Uans  cette  instruction  , pag.  58 , il  est  dit  que 
les  bêtes  à cornes  qu’on  enterre  revêtues  de  leur 
peau  ne  sont  pas  encore  décomposées  au  bout  de 
dix  ans.  Par  considération  pour  un  écrit  qui  avoit 
paru  sous  le  nom  de  sa  majesté  prussienne  , et 
faute  d’avoir  fait  moi-même  les  observations  né- 
cessaires , je  gardai , dans  mes  leçons  sur  l’épizoo- 
tie, le  silence  sur  le  degré  de  confiance  que  méri- 
toit  cette  assertion , et  crus  devoir  attendre  pour 
cela  quelque  circonstance  convenable. 

Je  vais  donc  communiquer  maintenant  au  ])u- 
blic  ce  que  j’ai  observé  le  2Ô  août  1778.  Ce  jour- 
là  je  me  rendis  chez  M.  N.  Fontein  , riche  fermier 
du  village  de  Ried,  à une  lieue  de  Franeker,  pour 
être  témoin  de  l’exhumation  de  plusieurs  bêles  à 


i88 


LEÇONS 

cornes  mortes  de  l’épizootie  en  1769  et  enterrées 
les  unes  à coté  des  autres  avec  leur  peau  , à sept 
pieds  de  profondeur  sous  terre.  On  avoit  d’abord 
couvert  ces  bêîes  légèrement  de  paille  et  ensuite 
de  terre  , laquelle  est  ici  argilleuse.  Après  qu’on 
eut  enlevé  la  terre  avec  précaution , nous  trouvâ- 
mes une  couche  de  paille  , laquelle  ne  s’affaissa 
nullement,  n’étant  point  du  tout  pourrie  5 et  des- 
sous cette  paille  nous  découvrîmes  les  squelettes 
entiers  de  ces  bestiaux,  sans  la  moindre  apparence 
de  peau,  de  chair,  de  nerfs  ou  de  cartilages  , ex- 
cepté beaucoup  de  graisse  ça  et  là,  sans  peau  ce- 
pendant , mais  dure  et  compacte,  ainsi  que  cela  a 
lieu  chez  tous  les  animaux  lorsque  la  chair  tombe 
en  dissolution  (1). 

Je  soulevai  avec  beaucoup  de  précaution  les  cô- 
tes , entre  lesquelles  il  ne  se  présenta  rien  , si  ce 
n’est  du  foin  non  décomposé , dont  l’animal  avoit 
rem])li  son  estomac  peu  de  tems  avant  sa  mort  (2). 


(1)  Quîuid  on  laisse  pourrir  fjuelque  partie  d’un  animal  avec  la 
peau,  la  rhair  et  les  os,  on  trouve,  lorsque  tout  est  bien  décom- 
posé , des  pelottes  de  graisse  attachées  aux  os,  et  ça  et  là  au  ton- 
neau ; cette  graisse  est  fort  dure  et  sèche  , et  se  laisse  broyer  entre 
les  doigts  comme  de  la  marne  tendre. 

(2)  Cela  doit  moins  nous  étonner  aujourd’hui  , depuis  que  l’in- 
fatigable abbé  Spallanzani  a fait  tant  d’observations  sur  le  suc 
gastrique  , rl’après  lesquelles  il  paroit  que  c’est  un  grand  antisep- 
tique , à tel  point  même  qu’il  est  parvenu,  par  son  moyen  à ren- 
dre sa  Iraicheur  à de  la  viande  corrompue-  Consultez  les  consi- 


SUR  l’Épizootie.  189 

Tout  le  reste,  tant  les  parties  tendres  et  carti- 
lagineuses que  la  peau  même,  ainsi  que  ses  poils, 
étoient  décomposés,  de  manière  qu’on  auroit  dit 
que  les  bestiaux  en  avoient  été  dépouillés  avant 
que  d’être  enterrés.  Cet  exemple  nous  prouve  que 
la  prétendue  observation  dont  il  est  parlé  dans 
l’instruction  de  sa  majesté  prussienne,  n’a  pas  été 
faite  avec  tout  le  soin  que  méritoit  un  objet  de 
cette  importance.  Il  est  évident  que  par -là  on  a 
voulu  favoriser  les  tanneries,  sous  le  prétexte  que 
la  contagion  conservoit  plus  long-tems  son  effica<i 
cité , quand  on  n’avoit  pas  soin  d’écorcher  avant 
de  les  enterrer  les  bêtes  mortes  de  l’épizootie. 


dérations  de  M.  Senebier  (page  6o),  et  de  l’abbé  Spallanzani  lui- 
rnême,  qui  a constaté  la  vertu  antiseptique  de  ce  suc  par  plu- 
sieurs expériences , dans  son  ouvrage  \at\l\x\èi  Expériences  sur  la 
digestion  de  l’homme  et  de  dijférentes  espèces  d’animaux , par 
Fabbé  Spallanzani , avec  les  considérations  de  J.  Senebier,  p.  69. 


190 


LEÇONS 


D E S 


VERS  PULMONAIRES. 


No  US  continuions  avec  le  plus  heureux  succès 
à inoculer  les  veaux  dont  les  meresavoient  été  sué- 
ries  de  l’épizootie,  lorsqu’un  accident  fâcheux  vint 
nous  décourager  dans  nos  opérations.  Depuis  quel- 
ques années , quoique  seulement  de  tenis  à autre , 
à la  vérité,  les  veaux  rétablis  de  l’inoculation , et 
qu’on  avoit  amenés  au  pâturage  , furent  attaqués 
d.’une  toux,  laquelle  augmentoit  insensiblement  , 
et  finissoit  par  tuer  ces  animaux  avec  des  crises 
terribles 5 de  sorte  que  pas  un  seul  n’en  échappa. 
La  morve  leur  sortoit  avec  violence  du  nezj  ils  ces- 
«oient  de  ruminer,  et  dépérissoienl  jusqu’à  ce 
qu’ils  mourussent  enfin.  Comme  cette  maladie  of- 
fre plusieurs  symptômes  qui  ressemblent  à ceux 
de  l’inflammation  des  poumons,  les  fermiers  s’ima- 
ginèrent que  c’étoit  une  rechûte,  que  par  consé- 


SUR  l’Épizootie.  191 

quent  l’inoculatioD , dont  011  se  promettoit  tant  de 
bien , n’étoit  d’aucun  secours.  Cet  accident  fit  sus- 
pendre le  commerce  des  bestiaux  inoculés;  ce  qui. 
causa  de  grandes  inquiétudes  aux  fermiers.  On  per- 
dit au-delà  de  mille  têtes  de  bétail  par  cette  ma- 
ladie , sans  qu’on  put  en  connoître  la  cause  , ni 
trouver  de  remèdes  propres  à la  guérir. 

Je  me  rendis  pour  cet  effet  chez  un  de  mes  voi- 
sins qui  5 sur  cinquante  veaux  qu’il  avoit  sauvés 
par  l’inoculation,  venoit  d’en  perdre,  pendant  le 
mois  d’août  1778  , plus  de  trente  dans  uneprairie, 
où  il  faisoit  paître,  en  même  teins,  plusieurs  va- 
ches, génisses,  chevaux,  moutons,  etc.,  qui  tous 
se  portoient  parfaitement  bien. 

Le  2 septembre , j’ouvris  un  veau  mort  de  cette 
maladie.  Les  intestins  étoient  fort  sains;  le  troi- 
sième estomac  sans  la  moindre  inflammation;  en 
un  mot , je  ne  découvris  rien  de  particulier  dans  le 
ventre.  Je  ne  trouvai  de  même  aucune  inflamma- 
tion dans  la  poitrine,  que  j’ouvris  ensuite  avec  le 
plus  grand  soin.  Il  est  vrai  que  le  sang  étoit  ça  et 
là  un  peu  caillé  à la  superficie  ; mais  cela  a de 
même  lieu  chez  tous  les  bestiaux  qui  tombent  sous 
la  main  du  boucher. 

J’enlevai  ensuite  la  langue  avec  la  trachée-ar- 
tère, pour  examiner  toutes  les  parties  qui  servent 
à la  respiration.  A peine  eus-je  ouvert  la  glotte  que 
j’y  apperçus  plusieurs  milliers  de  vers.  Je  suivis 


JÇ)2  LEÇONS 

alors  l’âpre -arlèrc,  et  je  trouvai  des  myriades  de 
ces  vers  jusqu’à  sou  insertion  dans  le  parenchyme 
des  poumons,  lesquels  éloienl  blancs  et  minces, 
ayant  un  pouce  et  demi  à deux  pouces  de  long. 

Chez  un  autre  veau  je  trouvai  un  pelotton  de 
plusieurs  milliers  de  ces  vers  , qui  ohstruoient  la 
trachée-artère  et  qui  avoient  étoufl’é  l’animal.  Chez 
tous  les  veaux  morts  de  celte  maladie,  l’Apre-ar- 
tère,  et  par  conséquent  les  poumons  étoient  rem- 
plis de  ces  vers  ; mais  je  n’en  trouvai  aucun  dans 
les  vésicules  pulmonaires.  J’examinai  avec  la  loupe 
ces  vers  , qui  me  parurent  se  terminer  en  pointe 
par  la  tête  et  par  la  queue.  Un  intestin  ou  canal 
passolt  de  la  tête  jusqu’à  la  queue  , et  près  de  ce 
tuyau  il  y avoit  plusieurs  points  obscurs  d’une  for- 
me ovale.  Je  tâchai  de  conserver  ces  vers  de  diffé- 
renves  manières;  mais  ils  moururent  tous  le  troi- 
sième jour  ; cependant  leur  corps  fourmilloit  de 
petits  vers  qui  vécurent  quelque  tems  dans  le  corps 
de  leur  mère  morte  depuis  plus  de  quatre  jours,  et^ 
à laquelle  ils  ressemhloient  parfaitement , si  ce  n’est 
qu’on  n’appercevoit  pas  chez  eux  les  petits  corps 
ronds  près  du  canal  intestinal.  Ces  vers  sont  donc 
vivipares.  Les  gi'ands  avoient  un  seizième  de  pouce 
dç  grosseur.  J’ai  vu  tirer  des  jeunes  par  une  ouver- 
ture de  la  queue;  cependant  la  plupart  sortoient 
par  les  plaies  de  la  mère  ; car  leur  corps  se  cassoit 
facilement  quand  ils  étoient  morts.  J’ai  fort  inuti- 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE, 


195 

lement  des  recherches  pour  trouver  de  pareils  ac- 
cidens  dans  les  ouvrages  des  auteurs  qui  ont  traité 
de  Fart  vétérinaire  , et  la  description  de  ces  vers 
mêmes  dans  ceux  des  naturalistes,  Klein  , Linnæus, 
j Pallas,  Muller,  etc, , tous  ceux  qui  ont  écrit  sur 
^ les  vers  en  particulier,  les  ont  confondus  avec  les 
d vers  néphrétiques  {vena  mecîinensis).  On  donne 
ijle  nom  de  dragonneau  à un  vers  fili- 

forme;  mais  en  le  comparant  avec  notre  vers  pul- 

d . , . , . , , . 

1 nionaire,  on  s apperçoit  que  ce  dernier  n etoil  pas 

Î' connu.  Il  est  singulier  que  Gesner  ait  donné  à un 
i semblable  vers  le  nom  de  veau-cV eau  ( wasser- 
^\kalb  ) ^ mais  en  disant  qu’il  n’en  connoissoit  pas 
‘"‘-l’origine.  Il  sa  voit  cependant  que  les  veaux  les  ava- 
® lent  avec  l’eau  qu’ils  boivent,  et  cela  au  grand  pé- 
ril  de  leur  vie  {niagno  etiam  vitœ  periculo).)^\e\\\ 
a copié  littéralement  ce  passage.  Il  paroit  donc  que 
Gesner  a connu  des  vers  qui  causent  une  maladie 
mortelle  aux  veaux. 

Je  m’imaginai  d’abord  que  M.  Gœze  (1)  avoit 


(O  Depuis  que  j’ai  écrit  ceci,  il  y a vingt  ans,  le  célèbre  M.  J. 
IA.  C.  CoBze  a parlé  de  ces  vers  dans  son  admirable  Essai  sur 
\l’hîstoire  nauirellc  des  vers  intestins  des  animaux  , i 782. 

î ll  les  appelle  vers  de  Camper  { ibid.  , pag.  92),  et  en  donne 
igure  ( planche  II,  fig.  7 E.  ) Le  grand  anatomiste  M.  Sœmine- 
îd.  ing  lui  avoit  communiqué  de  ces  vers  qu’il  tenoit  de  moi.  Swain 


fâV.iug  1 
»«i;lnerdi 


,jÿAt(;lï>erdam  paroît  avoir  connu  des  vers  de  cette  espèce.  ( Bibl.  nat.^ 
ag  80.4.  ) Ils  ressemblent  beaucoup  aux  vers  filliormes  qu’on  re- 
■naraue  dans  le  vinaigre. 


î II. 


10 


ig4 


LEÇONS 


décrit  de  semblables  vei's;  mais  ayant  examiné  de 
nouveau  un  vers  pris  dans  une  anguille  , je  trou- 

Ces  vers  ne  viennent  pas  à la  suite  de  l’inoculation  ; car  M.  le 
médecin  F.  Nicholls  dit  ( Phil.  Transact. , vol.  1 , pag.  49)t]u’on 
les  trouve  dans  de  jeunes  veaux  tjui  n'ont  pas  encore  un  an  , et  il 
appelle  /lusk  la  maladie  qu’ils  occasionnent. 

Une  plus  forte  preuve  qu’ils  ne  proviennent  pas  de  l’inocula- 
tion , résulte  des  observations  du  célèbre  professeur  Gadso  Coop- 
inans  , à Franeker  , qui  a examiné  , en  i 778,  un  jeune  taureau 
qui  étoit  mort  de  ces  vers  , sans  avoir  été  inoculé,  ou  sans  avoir 
été  attaqué  naturellement  de  l’épizootie. 

Avant  de  terminer  cette  note  supplémentaire , je  demandai  à 
mon  métayer  1\.  Halma  , qui  inocule  journellement  du  jeune  bé- 
tail , si  ces  veaux  étoient  encore  attaqués  de  la  toux  occasionnée 
par  les  vers?  11  me  répondoit  que  huit  en  avoientété  malades  cet 
automne;  mais  que,  les  ayant  sur-le-champ  retirés  du  pacage  et 
nourris  k l’étable  avec  du  foin,  il  en  avoit  conservé  six;  les  deux 
autres  étoient  morts.  J 

Ces  huit  veaux  avoient  été  inoculés  et  avoient  passé  heureuse-1 
ment  par  toutes  les  crises  de  l’épizootie.  C’étoit  le  i5  novembre 
1786  que  je  lui  fis  cette  question  ; ce  qui  prouve  que  cette  touxj 
duroit  encore  à cette  époque  , et  qu’on  peut  la  prévenir  ou  la  gué- 
rir même  en  donnant  »lu  foin  au  bétail.  11  m’assura  qu’il  n’avoit" 
jusqu’alors  jamais  remarqué  cette  maladie  chez  d’autres  bêtes  à 
cornes  que  cetix  qui  avoient  été  guéries  de  l’épizootie. 

Comme  je  soupçonnai  qu’on  trouveroit  de  semblables  versdaru 
les  canaux  de  mes  pacages  , j’ai  examiné  des  anguilles  qu’on  y avoit 
pêchées,  chez  lesquelles  je  n’ai  trouvé  que  le  taenia  haeruca  de 
Pallas  {Rosira  retractili , aciirlis  reclinatis , mnricata.  Zoophyt. , 
pag.  4i3),  que  M.  Muller  a de  même  parfaitement  représenté 
( Natiirjorsch. , tom.  XII , pag.  1 78 , pl.  V ),  ainsi  que  M.  le  pas- 
teur Gœze  dans  son  immortel  ouvrage  que  j ai  cité  plus  haut. 
Plusieurs  brochets  et  perches  en  étoient  également  attaqués  ; maR|i 
ds  n’avoient  point  de  mes  vers  pulmonaires. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE. 


195 

vai  que  sa  figure  et  sa  description  (1)  étoient  par- 
faitement exactes,  mais  que  ces  vers  difieroient  ce- 
pendant de  nos  vers  pulmonaires. 

Je  ne  perdis  point  de  tems  à faire  connoître,  par 
la  Gazelle  de  Leeuwarden  , une  découverte  aussi 
importante  pourcepays^  en  priant  les  personnes 
instruites  de  me  communiquer  leurs  observations 
sur  cet  objet.  J’appris  qu^une  maladie  semblable  à 
la  pulmouie  attaquoit  quelquefois  les  vaches  et  les 
veaux,  même  ceux  qui  n’avoient  pas  été  guéris  de 
Pépizootiej  qu’on  lui  avoit  donné  le  nom  de  toux. 
Qu’on  avoit  déjà  trouvé  des  vers  dans  leurs  pou- 
mons,et  que  tous  en  étoient  morts.  Ce  n’est  donc  pas 
une  maladie  nouvelle  ; cependant  mes  observations 
étoient  neuves  et  le  sont  encore,  puisqu’on  n’a 
point  examiné  justju’à  présent  la  cause  de  cette 
maladie. 

Il  est  vraisemblable  que  les  veaux  guéris  de  l’é- 
pizootie, dont  les  poumons  sont  encore  relâchés 
et  foibles  , avalent  le  principe  de  cette  maladie 
avec  l’eau  qu’ils  boivent,  et  que  ces  vers  s’intro- 
duisent par  la  glotte  dans  la  trachée-artère  , où 


Quelques  instances  que  j’aie  faites  pour  qu’on  me  communi- 
quât les  observations  qu’on  pourroit  faire  sur  cette  terrible  ma- 
ladie des  jeunes  bêtes  à cornes,  je  n'ai  reçu  depuis  huit  aus  aucun 
renseignement  sur  cet  objet. 

(\  ) Beschafcigungen.  ^ vol.  III. 


196  LEÇONS 

ils  se  multiplient  à l’infini,  produisant  des  myria- 
des de  petits,  qui  sont  vivipares.  Peut-être  même 
sont-ils  féconds  de  plusieurs  générations  à la  fois, 
ainsi  que  cela  a lieu  chez  quelques  autres  insectes. 
Il  est  j>robable  que  la  foiblesse  des  poumons  em- 
pêche les  veaux  de  tousser  avec  assez  de  force  pour 
rejetter  ces  vers  hors  de  leur  corps , comme  cela  a 
lieu  chez  les  vaches,  les  génisses  et  les  veaux  qui 
n’ont  pas  encore  été  attaqués  de  l’épizootie.  J’ai 
conseillé  de  conduire  sur-le-champ  à l’étable  les 
veaux  tourmentés  de  ces  vers  , et  de  les  nourrir 
avec  du  lait,  du  foin,  etc.  Quelques-uns  en  sont 
guéris.  Comme  l’automne  approchoit , et  que  ce 
fâcheux  accident  dloit  aux  fermiers  le  courage  de 
continuer  l’inoculation , j’ai  été  obligé  d’attendre 
le  printems  de  cette  année. 

j’ei  inoculé  beaucotip  de  veaux  à mes  propres 
dépens,  et  les  ai  fait,  conduire  dans  le  même  pa- 
cage où  les  veaux  de  l’année  précédente  avoient  été 
attaqués  si  violemment  de  la  toux;  mais  jusqu’à 
présent  je  ne  me  suis  pas  encore  apperçu  qu’ils 
soient  attaqués  de  cette  maladie.  J’attendrai  le 
mois  d’août  pour  examiner  l’eau  des  canaux  et 
des  mares  de  ce  pacage,  afin  de  me  convaincre 
s’il  contient  des  vers  ou  non. 

En  attendant,  on  m’a  assuré  que  cette  maladie 
est  périodique,  et  qu’elle  se  déclare  pendant  une 
année  dans  tel  endroit  où  elle  n’éloit  pas  encore 


I connue  et  où  elle  n’est  plus  revenue  depuis.  Je 
i pourrois  donc  mancpier  l’occasion  de  faire  les  ob- 
servations nécessaires;  mais  on  doit  me  faire  pas- 
I ser  d’autres  endroits  des  veaux  qui  sont  attaqués 
de  la  toux. 

Du  moment  que  je  les  aurai  en  ma  possession  , 
je  les  ferai  mettre  dans  des  liutles  dressées  dans 

i:  mon  verger,  où,  par  de  continuelles  fumigations, 
: ils  respireront  un  air  salubre.  Je  ne  manquerai  pas 
' d’instruire  notre  société  (i)  du  succès  de  mes  ob- 
i servations;  car  ce  n’est  pas  ma  patrie  seule  , mais 
l’Europe  entière  qui  est  intéressée  à connoîîre  et 
à traiter  cette  maladie,  qui , si  elle  n’est  pas  con- 
^j)  îagieuse,  est  du  moins  plus  terrible  que  la  pul- 
'‘|!monie,  puisqu’elle  coûte  la  vie  à tous  les  bestiaux 
|,qui  en  sont  attaqués. 

^ Je  prie  messieurs  mes  collègues  de  faire  connoî- 
tre  mes  observations,  particulièrement  en  Alle- 
■'‘I  magne,  où  la  contagion  continue  à régner  dans 
quelques  endroits  ; et  d’inviter  les  naturalistes  non- 
seulement  à examiner  la  nature  de  la  maladie  , 
mais  à chercher  également  les  moyens  les  plus 
convenables  et  les  moins  dispendieux  de  la  guérir, 
et  11  seroit  intéressant  de  savoir  si  la  toux  occa- 
sionnée par  les  vers  pulmonaires  attaque  et  affecte 
"jar-tout  les  bestiaux  de  la  même  manière? 
ui  ■ - 


ti)  La  Société  des  Curieux  de  la  nature  de  Berlin, 


LEÇONS 


198 


L’esprit  de  bienfaisance  et  d’humanité  règne 
aujourd’hui  si  généralement , que  je  ne  puis  pen- 
ser, sans  en  éprouver  un  sentiment  de  joie  , que 
certainement  il  n’y  a point  de  peuple  qui,  en  fai- 
sant abstraction  de  toute  idée  particulière  d’inté- 
rêt national , ne  prenne  part  à ce  grand  objet , qui 
les  concerne  tous  indistinctement. 


Kleia  Lankutn  , le  6 juillet  1776. 


SUR  É P I Z O O T I E. 


199 


DU  BILZÜCHT, 

Ou  des  tumeurs  qui  surviennent  aux  cuisses  des 
jeunes  veaux. 


O N donne  en  Frise  Je  nom  de  hilzucht  (1)  à une 
maladie  qui  attaque  les  jeunes  veaux  dans  toutes 
les  saisons  de  l’année,  en  hiver  comme  en  été,  tant 
à l’étable  que  dans  les  pacages:  elle  leur  cause  en 
peu  de  jours  une  mort  certaine,  sans  qu’ils  aient 
donné  auparavant  aucun  signe  d’indisposition. 

Cette  maladie  consiste  en  une  tumeur  qui,  gé- 
néralement , vient  aux  cuisses  ou  aux  hanches  des 
veaux,  et  quelquefois  aussi  à leurs  épaules. 

Elle  cause  un  très-prompt  sphacèle  dans  tous 
les  muscles  de  la  cuisse,  des  épaules  ou  des  han- 
ches, et  qui  pénètre  jusqu’aux  os.  Elle  est  toujours 


(1  ) Le  mot  bihucht  signifie  littéralement  maladie  des  cuisses  f 
il  est  composé  de^j^  cuisse,  et  ÆUcÀf  maladie. 


200 


LEÇONS 

inguérissable,  et  la  mort  en  est  une  suite  certaine. 

Une  fois  parvenus  à l’age  d’un  an  , les  veaux 
n’en  sont  plus  attaqués;  et  jamais  elle  n’a  lieu  chez 
l’homme.  On  pourroit  peut-être  la  comparer  au 
chancre  aqueux  (i),  lequel  est  également  une  par- 
faite mbrlification , et  qui  n’attaque  de  même  que 
les  enfans,  principalement  à là  bouche,  à la  lan- 
gue , aux  lèvres  et  aux  joues;  mais  quelquefois  ce- 
pendant aux  parties  sexuelles,  ainsi  que  j’en  ai  vu 
un  exemple  chez  une  petite  fille,  qui  en  est  morte. 

J’ai  bien  pensé  à la  furie  infernale,  que  Lin- 
næus,  Solander,  Pallas  et  le  pasteur  Goeze  ont  si 
bien  décrite , et  qui , en  Suède  et  en  Laponie,  cause 
aux  hommes  et  aux  animaux  des  douleurs  atroces 
suivies  d’une  mort  certaine;  mais  ces  vers  ne  sont 
pas  connus  dans  les  Pays-Bas.  Solander  dit  , à la 
vérité,  qu’un  certain  médecin  liollandois  , appelé 
Naaldwyck  , a donné  à celte  maladie  le  nom  de 
viverctxx  moord ; mais  il  m’a  été  impossible  de  rien 
découvrir  ni  touchant  ce  prétendu  médecin  , ni 
touchant  la  maladie  dont  il  doit  avoir  parlé. 

Si  l’on  ne  savoit  pas  que  ces  tumeurs  affligent 
les  veaux  aussi  bien  l’hiver  à l’étable  que  pendant 


( 1 ) Ulcus  rioma.  Le  célèbre  Sauvages  a donné  , dans  sa  Nosol. 
metk.,  tom.  II,  parag.  6,  pag.  627,  le  nom  àe  nocrosîs  infanci- 
h's  à celte  maladie  nouvelle , 011  qui  du  moins  n’avoit  pas  encore 
été  décrite  jusqu’alors. 


SUR  ÉPIZOOTIE. 


201 


Pété  dans  la  prairie  ,j’aurois  pu  croire  qu’il  y avoit 
quelque  analogie  entre  ces  deux  maladies. 

J’ai  eu  occasion  de  disséquer  un  veau  mort  de 
ces  tumeurs,  et  j’ai  trouvé  que  le  spliacële  avoit 
engorgé  la  cuisse  et  toute  la  hanche  gauche  jle  reste 
étoit  entièrement  sain  , ainsi  que  le  coeur,  dont  les 
vaisseaux  lymphatiques  étoient  même  remplis  d’un 
meilleur  lymphe  que  je  ne  Pavois  jamais  vu  chez 
aucun  animal. 

Cette  maladie,  si  funeste  au  jeune  bétail,  mé- 
riteroit  bien  sans  doute  qu’on  s’en  occupât  avec  la 
plus  sérieuse  attention. 


202 


LEÇONS 


DU  VENIN  (V  FENYNy 


P A RM  I les  maladies  qui,  dans  quelques  endroits, 
attaquent  plusieurs  bestiaux  à-la- fois  et  qu’on  pour- 
roit  regarder  aussi  comme  une  épizootie  , il  faut 
compter  celle  qui  règne  , de  tems  en  tems  , avec 
beaucoup  de  violence  en  Frise,  où  elle  est  connue 
sous  le  nom  de  vénin  ( H fenyn)'^  à cause  que  les 
personnes  qui  écorchent  et  dépècent  les  bestiaux 
qui  en  sont  morts,  sont , lorsqu’elles  viennent  à se 
blesser,  sujettes  à des  inflammations  qui  paroissent 
vénimeuses,  et  qui  dégénèrent  bientôt  en  gangrène 
etsphacèle,  de  sorte  qu’elles  sont  quelquefois  mor- 
telles. 

Celte  maladie  paroît  avoir  beaucoup  d’analogie 
avec  celle  que  M.  J.  J.  Lerche  a décrite  (i).  Il 
dit  (2)  : ((  Que  les  personnes  qui  furent  si  violem- 
« ment  attaquées  de  cette  peste,  étoient  celles  qui 


(i)iV.  Nordùche  Beytreege , tom.  I,  part,  i , pag-  1 13. 
(3)  Principalémeut  à la  page  125. 


SUR  l’ ÉPIZOOTIE.  200 

« avoient  manié  les  bestiaux  morts  de  cette  mala- 
« die.  » Il  paroît  qu’en  Suède  et  en  Russie  on  mange 
la  chair  des  bestiaux  qui  meurent  du  venin  , sans 
qu’il  en  résulte  le  moindre  mal,  ainsi  qu’on  le  fait 
également  en  Frise.  Ce  n’est  qu’en  se  faisant  une 
plaie  et  en  trempant  les  mains  dans  le  sang , ou 
quelqu’autre  matière  de  ces  bestiaux,  qu’on  a ce 
danger  à craindre. 

En  178.3,  cette  maladie  étoit  fort  commune  en 
Frise,  mais  seulement  néanmoins  dans  les  terrains 
bas , particulièrement  dans  les  environs  des  villes 
de  Sneek,  d’Ylst  et  de  Workum.  En  1766,  ou  à 
peu  près  vers  cette  année,  elle  régna  dans  les  mê- 
mes endroits.  H y a une  ordonnance  des  régens  de 
la  ville  de  Workum,  du  16  octobre  1660,  par  la- 
quelle il  est  rigoureusement  défendu  d’apporter  au 
marché  de  la  chair  des  bestiaux  morts  du  vénin; 
preuve  certaine  qu’à  cette  époque  les  bêtes  à cor- 
nes moui’oient  de  celte  maladie,  et  qu’on  en  raan- 
geoit  la  chair. 

Symptômes  de  cette  maladie. 

§.  I.  Les  bestiaux  paroissent  se  bien  porter  ; 
mais  l’appétit  se  perd  , et  le  lait  diminue  chez  les 
vaches  laitières.  La  rumination  devient  lente , 
comme  dans  toutes  les  épizooties.  On  apperçoit  , 
entre  cuir  et  chair,  de  grosses  tumeurs  dessous  le 


2o4 


LEÇONS 

COU,  dessous  les  épaules,  aux  aines,  et  dans  d’au- 
tres endroits  du  corps,  mais  principalement  dans 
ceux  que  je  viens  de  nommer.  Ces  tumeurs  sèchent 
souvent  , et  disparoissent  lentement , avec  une 
croule  dure  au  milieu.  D’autres  contiennent  du 
sang  et  une  sérosité  jaunâtre;  mais  ces  tumeurs  ne 
sont  pas  un  signe  de  guérison  ni  de  crise;  du  moins 
sait -on  que  les  bestiaux  meurent  aussi  bien  avec 
ces  tumeurs  que  s’ils  n’en  avoient  pas.  Les  fer- 
miers ont  ici  la  coutume  d’appliquer  sur  l’endroit 
affecté  un  séton  qu’ils  appellent  wrang,  et  d’j 
fouri'er  une  racine  d’ellebore  noir,  qu’à  cause  de 
cela  on  nomme  en  Frise  wranswortel.  Dodonæus 
s’est  fort  étendu  sur  cela.  Les  anciens  appeloient 
par  excellence  cette  racine  radicula;  Columelle(3) 
et  Végèce(2)  en  parlent  l’un  et  l’autre. 

Elle  étoit  fortement  recommandée  ancienne- 
ment, comme  elle  l’est  encore  aujourd’hui,  con- 
tre les  maladies  cutanées  et  contre  les  humeurs 

» 

acres. 

Celte  racine  ne  guérit  point  la  maladie  dont 
nous  parlons,  laquelle  me  paroît  être  d’une  nature 
putride,  comme  il  résulte  de  l’ouverture  que  j’ai 
faite  d’une  vache,  mais  avec  les  plus  grandes  pré- 
cautions possibles  , pour  ne  point  me  blesser  aux 


( 1 ) De  re  Piusc.  , lib.  VI , cap.  5 , parag-  3. 
(a)  Lib.  I5  cap.  12,  parag.  2 et  3. 


2o5 


j s U E.  l’  É P I Z O O T ï E. 

; mains,  ainsi  que  cela  arrive  facilement  quand  on. 

opère  avec  trop  de  précipitation  ou  avec  de  mau- 
i vais  instrumens. 

Le  6 septembre  1785,  je  me  rendis,  accompa- 
^ gné  de  MM.  D.  et  P.  Fontein , deux  fermiers  in- 
\ îelligens,  de  R.  lialma,  mon  métayer,  et  de  mon 
j plus  jeune  fils  Adrien,  à une  ferme  située  au  vil- 
lage d’Oosthem  , pour  y ouvrir  une  vache  qui  étoit 
morte  de  cette  maladie  la  nuit  précédente.  Les 
yeux  et  la  paupière  interne  avoient  conservé  leur 
couleur  naturelle;  et  il  ne  sortoit  aucune  odeur  de 
la  bouche  ni  des  naseaux.  Je  ne  trouvai  nulle  part 
des  tumeurs  dessous  la  j)eau  ; et  quoique  les  pis  ne 
continssent  point  de  lait , elles  éloient  cependant^ 
saines,  même  intérieurement. 

Après  que  j’eus  ouvert  le  ventre,  nous  trouvâ- 
mes l’épiploon  fort  enflammé  et  mêmesphacelé  en 
plusieurs  endroits;  le  ventre  contenoit  une  séro- 
sité jaunâtre,  et  des  membranes  purulentes  entre 
les  Intestins  et  l’épiploon,  ainsi  que  cela  a de  même 
lieu  chez  l’homme  dans  les  inflammations  des  in- 
I testins  et  de  la  matrice. 

Les  estomacs  n’étoient  point  affectés  extérieu- 
; rement,  mais  tous  les  intestins  grêles  étoient  fort 
enflammés;  les  gros  intestins  ne  l’étoient  pas  tant; 
cependant  on  voyoit  ça  et  là  des  charbons. 

La  vésicule  du  fiel , qui  paroissoit  considérable- 
ment enflée,  de  manière  qu’elle  avoit  la  grosseur 


2ot>  LEÇON» 

d’une  vessie  de  bœuf,  se  trouvoil  rcia])lie  d’im 
lîel  délié , et  contenoit  par  en  haut  beaucoup  d’air^ 
ce  qui  est  une  preuve  de  corruption. 

Pour  me  précaulionner  contre  la  contagion,  je 
commençai  par  frotter  mes  mains  avec  de  Vun- 
guenturn  pomatum  , et  j’eus  même  soin  de  les  es- 
suyer de  tems  eji  teins  pour  les  en  frotter  de  nou- 
veau; précaution  que  je  n’ai  jamais  prise  avec  l’é- 
pizootie , quoique  j’aie  ouvert  plus  de  six  cents 
bestiaux  morts  de  cette  maladie. 

Le  foie  étoit  en  apjiarence  sain  , quoique  les 
vaisseaux  lymphatiques  commençassent  à se  mon- 
trer. La  rate  se  trouvoit  fort  enllammée  et  en- 
gorgée. 

Les  intestins  contenoient  beaucoup  d’air,  et  des 
déjections  jaunâtres  et  liquides,  mais  qui  n’avoienl 
pas  de  mauvaise  odeur. 

Il  y avoit  emphysème  entre  le  péritoine  et  les 
intestins;  preuve  que  les  humeurs  étoient  déjà  cor- 
rompues du  vivant  de  l’animal. 

Les  spectateurs  ne  voulurent  point  me  permettre 
d’ouvrir  le  feuillet,  crainte  de  contagion.  Il  étoit 
en  assez  bon  état;  mais  la  caillette  paroissoit  fort 
gonflée. 

La  matrice , portant  fruit , étoit  aussi  enflam- 
mée dans  quelques  endroits.  Le  fœtus  étoit  mort 
depuis  quelque  tems,  ainsi  que  cela  paroissoit  par 
sa  peau  qui  se  laissoit  facilement  enlever. 


SUR  L'  EPIZOOTIE,  â07 

Les  poumons  étolent  foxt  sains;  mais  les  glan- 
dules  du  coeur  {glandula  thymus^  étoient  très- 
enflammées  et  engorgées. 

O O 

Le  coeur  se  trouvoit  en  très-bon  état. 

Cette  opération  se  faisoit  en  plein  air  , par  un 
îems  fort  orageux  , avec  de  grandes  ondées  de 
pluie;  ce  qui  m’empêcha  de  continuer  mes  opéra- 
tions; et  je  n’ai  plus  trouvé  depuis  occasion  d’ou- 
vx'ir  d’autre  bête  morte  de  celte  maladie. 

Le  sang  tiré  des  bestiaux  attaqués  du  vénin  se 
coagule  entièi'ement  sans  donner  la  moindre  séro- 
sité;  mais  aussitôt  qu’ils  se  guéiissent  il  ressemble 
à celui  des  bestiaux  jxarfaiteiixent  sains.  Cependant 
le  sang  n’étoit  pas  coagulé  dans  cette  vache.  Ce 
sancr  caillé  et  les  autres  cixxonstances  dont  j’ai 
parlé  prouvent  que  cette  maladie  est  une  fièvre  pu- 
tride ou  maladie  pestilentielle,  qui  ne  dillère  de 
l’épizootie  qu’en  ce  que  les  poumons,  les  yeux  et 
les  naseaux  ne  sont  point  affectés;  secondement, 
en  ce  qu’il  se  forme  en  quelques  endroits  des  tu- 
meurs dessous  la  peau  qui  ont  la  grosseur  de  la 
tête  d’un  enfant,  et  même  plus  gros  encore,  les- 
quelles deviennent  souvent  gangx'éneuses  ; mais 
elles  se  guérissent  cependant  parfois;  et  contien- 
nent aussi  d’autres  fois  du  sang  et  une  matière 
ichoreuse,  et  disparoissent  souvent  totalement. 

Cette  enflure  de  la  vésicule  du  fiel  n’est  pas  un 
symptôme  spécifique  dans  plusieui's  maladies.  J’ai 


2o8 


LEÇONS 


toujours  trouvé  celle  partie  extraordinairement 
gonflée  dans  l’épizoolie  ; mais  je  Fai  observé  de 
même  dans  une  maladie  violente  de  laquelle  il 
mourut,  à une  certaine  époque,  un  grand  nom- 
bre de  bestiaux  dans  l’étable  d’un  fermier  du  pays 
de  Gi  oningen;  ce  qui  prouve  que  cette  grosseur 
n’est  pas  un  signe  diagnostique. 

Le  danger  de  celle  maladie  paroît  dépendre  de 
la  violence  de  la  fièvre  putride  ; mais  je  n’ai  pas 
]>u  découvrirai  elle  tient  au  tempéi'ament  de  l’ani- 
nimal;  et  quel  est  le  tempérament  qui  y est  pro- 
pre. J’ignore  également  si  elle  est  épidémique,  ou 
si  elle  dépend  d’une  certaine  température  de  l’at- 
mospbère,  et  si  elle  n’attaque  enfin  que  quelques 
bestiaux. 

La  durée  de  la  maladie  n’est  pas  la  même  chez 
tous  les  bestiaux. 

Ils  meurent  également  quoiqu’ils  aient  ou  non 
les  tumeurs  dont  j’ai  parlé,  et  tous  à différens  jours. 
Les  veaux,  les  génisses,  les  vaches  et  les  taureaux 
en  sont  également  attaqués. 

Il  n’est  pas  décidé  que  les  chevaux  y soient  su- 
jets, comme  on  le  prétend  en  Frise,  et  comme 
Lerche  l’assure  (i).  On  nous  dit  cependant  qu’il 
venoit  d’en  mourir  un  cheval,  que  j’ouvris  en  re- 


(i)  Pag.  125. 


s UK  l’épizootie.  2og 

tournant  chez  moi;  mais  je  n’y  trouvai  rien  d’ex- 
traordinaire , si  ce  n’est  un  peu  d’inflammation 
dans  les  entrailles,  comme  cela  paroît  avoir  ordi- 
nairement lieu  à la  mort  de. tous  les  animaux. 
Toutes  les  autres  parties  étoient  dans  leur  état  na- 
turel. 

II.  La  chair  de  ces  bestiaux  paroît  aussi  peu 
dangereuse  pour  l’homme  que  celle  des  bestiaux 
morts  de  l’éjiizootie. 

Mais  on  dit  ici  que  les  vapeurs  qui  s’élèvent  de 
cette  viande  quand  on  la  l'ait  cuire  sont  malfai- 
santes. 

II  est  certain  que  lorsque  les  humeurs  de  ces 
bestiaux  viennent  à se  mêler  immédiatement  avec 
notre  sang,  ou  qu’elles  touchent  simplement  quel- 
que plaie,  même  de  la  peau  seulement,  elles  y 
occasionnent  inflammation  et  gangrène , laquelle 
I devient  quelquefois  si  violente  que  les  patiens  en 
meurent.  Lerche  dit  la  même  chose,  et  recoiu- 
^ mande  dans  ce  cas  le  quinquina;  il  assure  même 
que  tous  ceux  qui  en  ont  pris  ont  été  sauvés  (i). 

M.  llylke  Steenstra , fameux  chirurgien  à Sneek, 

m’a  écrit  avoir  observé  que  le  sang  et  la  bouse 

J même  des  bestiaux  malades  ou  déjà  morts  de  cette 
11]  • 

-I  " ■■■  ■■■’  — ■ I I r.  I , , , I 

■ i (0  Pas-  '^5. 

3.4 


î II. 


210 


LEÇONS 


peste  , peiiv’^ent  occasionner  les  accldens  graves 
dont  je  vais  maintenant  parler.  On  a remarqué 
aussi  que  des  tanneurs  avoient  pris  cette  maladie 
en  préparant  leurs  peaux. 

111.  La  plaie  ou  l’abcès  est , suivant  M.  Steen- 
stra , ordinairement  couvert  d’une  croule  jaunâti'e, 
à travers  de  laquelle  suinte  une  sérosité  de  la  mê- 
me couleur.  Le  bord  de  la  plaie  est  rouge,  ensuite 
elle  devient  bleue  et  plombée,  et  prend  |)romple- 
ment  un  caractère  gangréneux  , s’il  y vient  des 
pustules  chargées  d’une  sérosité  jaunâtre. 

Dans  ce  cas  , il  y fait  des  scarifications  , qu’ili 
frotte  trois  fois  par  jour  avec  une  once  de  iner-3 
cure  dissout  dans  deux  onces  d’esprit  de  nitre, 
jusqu’à  ce  qu’il  s’y  forme  une  croûte,  et  que  la^ 
«ranorène  ne  s’étend  pas  davantage.  Ensuite  , il 
panse  ces  plaies  avec  de  l’onguent  de  basilic  et  du 
savon  noir  ordinaire  , ou  avec  une  fomenialion 
d’eau  et  de  vinaigre  de  vin  , de  l’esprit  de  vin  cam- 
phré, etc.  L’alcali  caustique,  proposé  par  le  célè- 
bre Mederer(i),  ainsi  que  par  Fordyce  et  l’abbé 
Fontana  (2)  , nous  apprend  évidemment  que  la 
pierre  infernale  ( lapis  causticus  ) est  le  vrai  spé- 


(1)  Syntagmn  de  rabie  canina  i ySS. 

(2)  Sur  les  poisons  , 6uppl.  de  la  seconde  partie , pag.  3i  o. 


SUR  l’Épizootie.  211 

cifiqne  contre  les  morsures  dangereuses  de  la  vi- 
père. 

Intérieurement,  le  même  chirurgien  adminis- 
troit  la  theriaca  andromachi  , le  rob  camhuci 
ana  deux  gros,  et  faisolt  prendre  pendant  le  jour 
le  quinquina  en  nature.  Far  ces  moyens  , il  est 
toujours  parvenu  , dit-il , à arrêter  à tems  le  m.al  ; 
à l’exception  d’une  seule  fois  , que  le  patient  est 
mort  pour  s’être  présenté  trop  tard  à lui. 

§.  IV.  Je  ne  crois  pas  que  personne  ait  jamais 
écrit  expressément  sur  cette  maladie  , si  ce  n’est 
le  médecin  M.  Van  Phelsum  (1),  qui  parie  aussi  du 
vénin  blanc  ('’/  witte  fenyn),  comme  d’un  moin- 
dre degré  de  la  maladie^  et  dans  ce  cas,  dit-il,  les 
bestiaux  ne  perdent  que  leur  poil.  Les  moutons 
n’en  sont  jamais  attaqués,  à ce  qu’il  assure.  Quoi- 
que la  lecture  de  ce  traité  soit  un  peu  pénible  par 
sa  prolixité  , on  en  est  néanmoins  amplement  dé- 
dommagé par  plusieurs  choses  curieuses  qui  s’y 
trouvent. 

§.  V.  Cette  maladie,  observée  déjà  depuis  si 
long-tems,  est  néanmoins  fort  peu  connue,  et 


(1)  T^erhandeling  over  de  Genees-en-Natuur-kiinde.  Franekeï 
1776  , pag.  i63. 


212 


L E Ç O NS 

l’on  ignore  encore  parfaitement  sa  cause;  car  si, 
comme  ilyenaqui  le  pensent,  c’est  à une  certaine 
plante  qu’on  doit  l’attribuer  , elle  devroit  cons- 
tamment revenir  à de  certaines  époques  de  l’an- 
née. Il  est  singulier  d’ailleurs  qu’elle  ne  se  dé- 
clare jamais  dans  les  environs  de  Franeker,  mais 
seulement  dans  les  cantons  dont  il  a été  parlé  plus 
haut.  Cependant  en  1783  elle  en  approcha  de  fort 
près  , du  moins  sur  des  pacages  de  la  même  na- 
ture, c’est-à-dire,  d’une  haute  terre  argilleuse  , 
comme  elles  le  sont  presque  toutes  ici. 

La  maladie  a régné  avec  fureur  dans  les  lieux 
indiqués  plus  haut,  en  ij56,  5j.  64,  66,  et  en- 
suite en  1785  et  1784,  mais  avec  moins  de  vio- 
lence cependant.  11  est  singulier  que  Lerche  dise, 
«[u’elle  s’est  déclarée  aussi  en  1766  et  1764  aux 
environs  de  Moscou  , dans  la  Livonie  et  en  Fin- 
lande. 

Je  m’étois  llatté  de  trouver  quelque  chose  sur 
ce  sujet  dans  les  écrivains  françois  , surtout  dans 
les  Mémoires  de  la  Société  royale  des  sciences 
de  Paris ^ mais  j’ai  été  tuompé  dans  mon  attente; 
car  je  doute  fort  que  la  fièvre  charboneuse  et  le 
charbon  du  bétail  aient  quelque  rapport  avec  no- 
tre peste,  comme  il  paroît  par  les  écrits  de  tous 
les  auteurs  qui  en  ont  parlé  , tels  , par  exemple  , 
que  Garac  . Lorrin,  Chabert  et  Marillet.  Aucun 
d’entre  eux  n’esL  clair;  tous  cependant  indiquent 


i SUR  ÉPIZOOTIE.  310 

I 

t j beaucoup  de  remèdes  fort  dispendieux 5 sans  son- 
! ger  qu’il  importe  peu  au  fermier  de  perdre  son 
bétail  ou  d’en  dépenser  la  valeur  en  médicamens. 
Le  prix  d’une  bête  ne  dépend  point  de  l’attache- 
I ment  qu’on  peut  avoir  pour  elle , mais  de  ce  qu’elle 
)|  peut  valoir  au  marché. 

Klein  Lankum,  le  18  novembre  1786. 


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DE  L’ÉDUCATION 


PHYSIQUE 

DES  ENEANS. 

Jn  quo  virtus  est , ei  nïhil  deést  ad 
heate  vivendum. 


ÉPITRE  DEDICATOIRE 


A MESSIEURS 

LES  DIRECTEURS  ET  MEMBRES 

DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  SCIENCES  DE  HARLEM. 


JVT  E s s I E U R s , 

Lbs  plus  anciens  peuples  et  les  plus  sages 
(l’entre  les  Grecs  ont  , comme  vous  , jugé  (jue 
l éducation  des  enfans  étoit  de  la  plus  haute 
importance  pour  la  prospérité  de  létat.  Lycur- 
gue , en  donnant  des  loix  aux  Lacédémoniens  ^ 
n’a  rien  négligé  de  ce  qui  a rappoî't  d la  pro- 
création et  d l éducation  des  enfans  ; il  a réglé  ^ 
par  de  sages  préceptes  , leur  discipline  et  leur 
enseignem.ent ^ leur  nourriture  même  et  leurs  vé- 
temens  fixèrent  son  attention.  Platon  a-  de  même 
parlé  de  la  manière  de  les  nourrir.  Aristote  et 
Thaïes  le  philosophe  ont  pensé  que  , pour  être 


2i8 


É P I T R E 


jiarfaile.nienl.  heureux  , il  ne  suffit  pas  de  possé- 
der de  grands  biens  et  un  esprit  orné ÿ mais  qidil  ' 
J'auL  de  plus  un  corps  sain  et  des  membres  ro- 
bustes. I 

Dans  cotre  question  sur  V éducation  des  en- 
fans  , vous  paraissez  demander  des  régies  pro- 
pres à conserver  à l’homme  sa  santé  et  à le  faire'^ 
parvenir  à un  grand  âge.  Cependant  je  n’oserois\ 
décider  si  la  vieillesse  doit  être  regardée  comme  , 
un  bonheur  pour  l’espèce  humcdne.  Il  est  vrai , i 
j’en  conviens  , cpie  Cicéron  a fait  un  bel  éloge 
de  la  vieillesse  ^ mais  en  même  tems  il  a prouvé 
d’une  manière  évidente  que  ce  n’est  nullement 
un  bien  que  l’homme  doive  désirer.  Tl  fait  voir 
également  par  des  exemples  remarcpuables  que  | 
ce  n’est  qu’au  riche  seul  que  la  vieillesse  peut  ] 
être  supportable  ; mais  que  dans  le  besoin  ^ elle 
n’est  qu’un  j'ardeau  pénible,  même  pour  le  sage. 

Qiioiqu’  il  en  soit , la  vieillesse  peïd  off'rir  quel-  ' 
ques  jouissances  à l’homme  qui  a conservé  l’u-  ï 
sage  de  tous  ses  sens , avec  un  jugement  sain  et  i 
une  mémoire  heureuse  ; mais  le  nombre  de  ' 
vieillards  qui  possèdent  ces  rares  avantages  est  ^ 
fo?'t  petit  , et  il  paroit  cdrsolunient  impossible  j 
cque  ceux  qui  ne  mènent  pas  une  vie  réglée  et 
frugcde  puissejil  les  goûter.  Il  faut  pour  cela  se  , 
nourrir  d’ali  mens  légers , f cure  un  exercice  mo- 
déré , et  rassembler , poiircdnsi  dire  , dès  la  plus 


DÉniCATOIRE.  5219 

tendre  enfance  , les  forces  nécessaires  pour  ren- 
dre la  vieillesse  douce  et  agréable. 

Mais  en  voulant  m’ occuper  des  règles  cjue  de- 
mande V éducation  des  enfans  , je  me  vois  ar- 
rêté par  r incertitude  de  savoir  à quelle  classe 
de  citoyens  il  faut  que  je  les  applique?  Il  est 
certain  cpie  le  pauvre  ne  peut  en  fah'e  usage  y 
ceux  crime  fortune  médiocre  et  les  habitans  de 
la  campagne  sont  également  dans  V impuissance 
cVen  tirer  un  grand  avantage.  Je  ne  vais  donc 
écrire  cjue  pour  les  gens  aisés  y pensée  qui  est 
aussi  affligeante  pour  mon  cœur , cqidelle  Vétoit 
anciennement  pour  Plut  arcpie.  Il  me  seroit  doux 
de  croire  cpie  ces  leçons  pussent  être  utiles  cl  toutes 
les  classes  de  citoyens.  Je  suis  persuadé  cepen- 
dant cqw’  elles  poLirroient  le  devenir  plus  ou  moins 
au  peuple  même  , si  les  directeurs  des  hospices 
des  orphelins  voulaient  les  y introduire  sur  le 
même  pied  cpr elles  peuvent  Vêtre  clans  la  de- 
meure du  riche.  Il  faudra  donc  les  combiner  de 
manière  cpd elles  conviennent  également  et  aux 
uns  et  aux  autres. 

Il  est  nécessaire  cque  je  commence  par  déter- 
miner ce  qu^on  entend  par  l’âge  de  l’enfance  y 
cpcestion  sur  lacquelle  les  philosophes  ne  sont  rien 
moins  cque  d’accord  entre  eux.  Pythagore,  Pla- 
ton , Aulu-Gelle  la  font  aller  jusqu’à  vingt  ans; 
tandis  cqu’ Hippocrate  et  Aristote  s’arrêtent  à 


220 


É 1’  1 T R E 


sept  ans.  Les  uns  ont  ptensé  au  physique  ^ les  au- 
tres d la  morale  : nous  adopterons  le  sentiment 
de  ces  derniers , parce  que  les  membres  se  déve- 
loppent à mesure  que  l’enfaTit  croit.  Cependant 
un  enfant  nouveau-né  diffère  beaucoup  de  celui 
qui  est  parvenu  d l’âge  d’un  an  ou  plus.  Celui- 
ci  , muni  de  dents  , peut  déjcl  s’aider  lui-même, 
ou  demander  les  choses  dont  il  a besoin  ^ tandis 
que  l’autre  est  obligé  d’ imqylorer  le  secours  de 
sa  mère  ou  de  sa  nourrice  par  ses  ci'is  et  par 
ses  larmes  ; et  ce  n’est  que  par  instinct  qu’il  suce 
le  sein  qu’on  lui  présente.  D’ ailleurs , son  corps 
n’a  de  mouvement  que  celui  que  lui  donnent  les 
genoux  ou  les  bras  de  la  femme  aux  soins  de.  la- 
quelle il  est  confié.  Il  faut  par  conséquent  ici 
une  manière  différente  de  nourrir , de  vêtir , de 
gouverner.  Je partagercd  donc  cette  Dissertation 
sur  l’éducation  physique  des  enfans  , de  façon 
qu’en  traitant  dans  chaque  chapitre  particulier 
de  la  nourriture  , des  vêtemens  et  de  l’instruc- 
tion des  enfans  en  général , je  ne  perde  point  de 
vue  les  différens  degrés  d’âge  où  ils  peu  vent  être 
parvenus. 

Je  commencerai  par  m’occuper  de  ceux  cjui 
ne  sont  pas  encore  nés  , ou  , pour  m’ expliquer 
mieux  , de  leurs  parens  j car  la  santé  et  la  vi- 
gueur des  enfans  dépendent  beaucoup  , non-seu- 
lement de  la  constitution  de  la  mère , mais  éga- 


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I 


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DÉDICATOIRE,  221 

lement  de  celle  du  père.  Ensuite  , je  traiterai 
des  maladies  pj^opres  aux  enfans ^ et  j^en  indi- 
querai les  remèdes.  Enfin ,j^ examinerai  si  V ino- 
culation de  la  petite  vérole  peut  être  utile  ou  non, 
à Fespèce  humaine. 

Je  me  croirai  heureux , si , par  ce  travail,  je 
puis  contribuer  plus  ou  moins  au  perfectionne- 
ment  de  la  race  de  mes  concitoyens , et  s^il peut 
en  résulter  quelque  utilité  pour  ma  patrie. 


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DE  DÉDUCATION 

PHYSIQUE 

DES  ENFANS. 


CHAPITRE  PREMIER. 

De  la  procréation  des  enfans. 

Pline  (i)  remarque  que  la  nalure  est  peu  ré- 
gulière dans  la  procréation  du  genre  humain  , de 
sorle  que  les  parens  donnent  rarement  le  jour  à 
des  enfans  qui  leur  ressemblent:  de  ceux  qui  sont 
bien  conformés  il  provient  des  enfans  contrefaits 
et  de  ceux  qui  sont  dilformes  on  en  voit  naître  de 
bien  constitués.  D’ailleurs,  les  mères  engendrent  des 
enfans  qui  tantôt  ressemblent  à elles-mêmes,  tan- 
tôt au  pèi'e,  et  qui  d’autres  fois  n’ont  rien  qui 

(i)  Hist,  nat.  ^ lib.  VII , rap.  lo. 


224 


DE  l’  É U U C A T 1 O N 


tienne  de  run  ou  de  l’autre.  Hippocrate  a fort  bien 
dévelojjpé  celte  idée:  <(  Il  est  vrai,  dit-il,  que  des 
({  parens  sains  et  robustes  produisent  des  enfant 
((  foibles  et  délicats;  mais  il  faut  l’attribuer  à cc 
((  que  le  foetus  a soufi'ert  dans  le  sein  de  sa  mère: 
<(  car,  en  général,  l’enfant  est  bien  constitué  ou 
<(  foible  suivant  que  la  mère  jouit  d’une  bonne  ou 
((  d’une  mauvaise  constitution  (i).  » 

Les  païens  ne  paroissent  pas  également  propret 
à la  génération  dans  tous  les  teins.  Aussi  Lycur- 
gue (2)  vouloit-il  que  les  hommes  ne  connus\^enl 
que  rarement  leurs  femmes  , pour  que  leur  ardeui 
fut  d’autant  plus  grande  et  que  leurs  enfans  fus- 
sent d’autant  plus  robustes.  Plutarque  (3)  conseil- 
loit  aux  parens  de  s’abstenir  de  vin  , quand  ils  se 
se  disposoient  à l’acte  de  la  génération.  Lycurgue 
défendit  aux  femmes  enceintes  de  boire  du  vin  . 
ou  du  moins  vouloit  qu’elles  le  détrempassent  avec 
beaucoup  d’eau  ; il  désapprouvoit  aussi  qu’elles 
fussent  trop  assises.  Tels  étoienl  les  sentimens  des 
anciens  à cet  égard.  Parmi  les  modernes,  Van  De- 
'' venter  (4)  conseille  aux  hommes  d’user  avec  mo- 
dération de  thé  et  de  café,  afin  de  produire  des  en- 
fans  plus  vigoureux. 


(1)  Foes. , toiii.  1,  paf».  234,  3o  et  pag.  2i|2 , 9,  «/e  iVaf,  Pueri, 
(2;  Xenop.,  de  iMcedaem.  Rep.  , pag.  676  A — B. 

(3)  De  Educat.  liber. . lom.  Il  , pag.  j . 

(4)  Des  maladies  des  os  , pag-  3o. 


.DES  E N F A N S. 


225 


Les  anciens  (i)  croyolent  aussi  que,  par  les  seuls 
effets  de  Tiaiagination  de  la  mère  , l’enfant  éloit 
susceptible  de  recevoir  la  ressemblance  de  telle  ou 
telle  personne  au  moment  même  de  la  conception; 
quoiqu’ils  n’ignorassent  pas  d’ailleurs  que  la  fé- 
condation se  fait  à l’insçu  des  parens.  Les  moder- 
nes ont  porté  plus  loin  ce  pouvoir  de  l’imagina- 
tion : ils  ont  soutenu,  avec  opiniâtreté  même,  que 
le  fruit  déjà  conçu  pouvoit  être  endommagé  ou 
modifié  par  l’imagination  de  la  mère,  et  cela  jus- 
qu’au moment  même  de  la  naissance.  Mais  l’ab- 
surdité de  cette  idée  se  détruit  d’elle-même,  quand 
on  réfléchit  avec  respfct  à la  prévoyance  de  la  Su- 
prême Cause  qui  gouverne  l’univers,  et  à la  cons- 
tance avec  laquelle  elle  conserve  aux  différentes 
espèces  d’êtres  créés  le  caractère  distinctif  qu’elle 
leur  a imprimé. 

L’espèce  humaine  seroit,  en  vérité,  fort  à plain- 
dre , si  le  sort  des  enfans  pouvoit  dépendre  de 
l’imagination  ridicule,  dépravée  , souvent  même 
effrenée  du  père  ou  de  la  mère. 

D’autres,  pour  avoir  de  beaux  enfans,  ont  re- 
cours, comme  le  dit  Pline,  à des  remedes  extra- 
vagans,  à des  conjurations  magiques;  tandis  que 
d’autres  encore  consultent  l’état  désastres,  comme 
le  veut  Quillet  dans  sa  Callij?édie.  En  un  mot,  il 


i5 


( 1 > Pline  , ibid. 
1 1 I. 


226 


DE  l’É3)UCATION 

«Y  3 si  bisarre,  de  si  absurde,  qu’on  n’ait 

imaginé  pour  parvenir  à ce  but. 

Rien  ne  contribue  davantage,  en  général,  à la 
génération  d’un  enfant  sain  et  robuste  que  la  vie 
réglée  et  modérée  du  père,  la  bonne  constitution 
de  la  mère,  et  la  manière  dont  elle  se  nourrit.  Le 
vin  , qui  est  nuisible  à tous  les  hommes  sans  dis- 
tinction , ne  peut  qu’être  fort  préjudiciable  aux 
femmes  enceintes,  à cause  de  l’acide  âcre  qui  en 
résulte. 

La  foiblesse  de  l’estomac  produit  des  enfans  ca- 
cochymes. L’usage  immodéré  du  thé  n’est  pas  si 
pi'éjudiciable  par  la  qualité  même  de  cette  infu- 
sion que  par  la  quantité  d’eau  chaude  qu’on  boit  ,• 
surtout  si  l’on  fait  en  même  tems  un  grand  usage 

O O 

d’huile,  de  beurre  ou  d’autres  matières  grasses.  Une 
vie  ti’O])  sédentaire  est  de  même  nuisible  à la  mère 
et  à l’enfant  ; c’est  par  cette  raison  que  les  femmes 
de  la  campagne,  accoutumées  à un  travail  jour- 
nalier, donnent  le  jour  à des  enfans  sains  et  ro- 
bustes, et  sont  aussi  généralement  plus  fécondes. 

Une  table  frugale  et  des  mets  légers  conviennent 
également  aux  enfans  avant  et  après  leur  naissancej 
et  le  lait  est  plus  abondant  chez  la  mère  qui  se 
nourrit  de  légumes  et  du  lait  de  quelque  quadru- 
pède, que  chez  celles  qui  se  rassassient  d’alimens 
délicats  et  substantiels. 


DES  E N P A N S. 


«227 


H 


A 


P I 


II 


T7 


Des  soins  qu^  il  faut  -prendre  des  nouveaux-nès. 


Au  moment  de  la  naissance,  on  coupe  le  cordon 
ondjilical  de  l’enfant  à une  certaine  distance  du 
corps,-  distance  qui  pavoîl  assez  arbitraire,  pourvu 
qu’on  puisse  en  faire  la  ligature  pour  le  laisser  des- 
sécher. Il  se  détache  ensuite  de  lui- même  de  sa 
gaine  j laquelle  se  contracte  bientôt  et  forme  une 
profonde  cicatrice. 

Plusieurs  voyageurs  assurent  cependant  que  les 
enfans  des  Negres  et  d’autres  peuples  sauvages  sont 
plus  sujets  à des  hernies  que  ceux  des  Européens, 
parce  que  les  parens  négligent  totalement  de  soi- 
gner le  cordon  ombilical.  Mais  de  quelle  utilité 
peut  être  la  ligature  à la  cicatrice  qui  reste  ? Ne 
pourroit-on  pas  se  passer  entièrement  de  cetle  li- 
gature , si  l’on  coupoit  le  cordon  ombilical  à la 
longueur  d’un  empan  ? Ne  sécheroit-il  pas  non  plus 
beaucoup  plus  vite,  exposé  au  grand  air  qu’enve- 
loppé de  plusieurs  linges?  Feul-on  croire  que  la 


228  DE  l’Éducation 

nature  soit  moins  prévoyante  à cet  égard  pour 
l’homme  que  pour  les  animaux? 

Ces  raisons,  quoique  suffisantes  par  elles-mêmes 
pour  a])puyer  mon  assertion  , acquerront  cepen- 
dant une  nouvelle  force,  lorsquejelesauraiéclair-i 
cies  par  des  exemples.  J’ai , à cet  effet , examiné  le 
corps  de  plusieurs  Nègres,  et  dans  tous,  à l’excep-; 
tion  de  celui  d’un  Négrillon  , j’ai  trouvé  le  nom-* 
bril  parfaitement  bien  conformé.  Selon  moi , les 
défauts  du  nombril  doivent  être  attribués  au  tra 
vail  pénible  et  continuel  auquel  on  condamne  les^ 
enfans  des  infortunés  Nègres  et  non  à la  négligence 
des  païens.  ; i 

Du  moment  qu’on  a soigné  celtejiartie,  on  laveï 
les  enfans.  Plusieurs  peuples  sauvages  plongent  im-H 
médiatement  api  es  la  naissance  leurs  enfans  dans 
les  eaux  Iroides  de  quelque  rivière,  pour  les  ha-, 
bituer  par-là  au  froid,  comme  nous  l’apprend 
Aristote  (j).  Mais  les  Grecs  les  lavoient  avec  dej 
l’eau  chaude,  et  cela  pendant  long-tems,  cequ’Hip-i  " 
pocrate  loue  beaucoup  (2).  11  paroît  cependant^ 
probable  qu’un  bain  froid  ne  seroit  pas  moins  utile 
aux  enfans  qu’aux  adultes,  si  l’immersion  se  fai-i^ 
soit  dans  une  chambre  d’une  température  conve~M 
nable  à la  saison  de  l’année  ; car  on  sait  que  le,*^ 

'"t' . 


; -V, 


(l)  De  Reptibl.  , tom.  II , pag.  447- 
(a)  De  Vicius  rat.,  pag.  53g,  lo. 


DES  E N F A N S.  22g 

froid  resserre  les  parties  solides  et  les  renforce,  ce 
qui  a particulièrement  lieu  avec  l’eau  dont  la  pe- 
santeur spécifique  semble  y contribuer  pour  quel- 
que chose. 

Il  faut  examiner  avec  soin  tous  les  membres  et 
toutes  les  ])arties  du  nouveau-né , afin  de  prévenir 
que  quelque  défaut  négligé  ne  rende  l’enfant  foi- 
ble  ou  impotent,  ou  ne  soit  même  la  cause  de  sa 
mort  prématurée.  On  doit  surtout  avoir  grand  soin 
de  la  tête:  on  sait  qu’on  y découvre  souvent  des 
tumeurs  causées  par  de»  os  défectueux;  mais  qui 
disparolssent  néanmoins  insensiblement  , aussitôt 
que  le  cartilage  s’ossifie.  11  y a des  crânes  qu’on  a 
purifiés  par  art.  Dans  ces  cas,  une  matière  cartila- 
gineuse, tapissée  d’un  double  périoste,  remplit  la 
partie  que  le  cerveau  , qui  cherche  à s’étendre  en 
tous  sens,  pousse  en  dehors.  Voilà  pourquoi  ces  tu- 
meurs , ])articulièremenî  celles  des  os  pariétaux  , 
s’appellent  hernies  cervicales,  lesquelles  ont  tou- 
jours un  bord  osseux,  qu’il  est  facile  de  sentir.  Il 
faut  garnir  ces  endroits  foibles  de  compresses  et 
de  ligamens,  auxquels  le  mal  cède  constamment. 
Il  y a d’autres  contusions  que  la  nature  seule 
guéi  it. 

La  lèvre  fendue  dans  le  sein  de  la  mère  ne  se 
rejoint  jamais  naturellement,  et  doit  être  rétablie 
par  le  secours  de  l’art;  mais  cela  ne  jieut  se  faire 
que  lorsque  l’enfant  a six  mois  ; avant  ce  tems,  la 


2ÔO  D E l’  É D U C A T I O N 

chair  est  trop  molasse.  Ce  secours  est  (.Caiitant, 
moins  urgent,  que  cela  n’einpèclje  pas  l’enlant  de 
prendre  lesein,  ])arce  qu’il  enveloppe  leletin  avec 
tout  le  palais  de  la  bouche. 

l,e  mal  est  bien  plus  grand  lorsque  le  palais  est 
également  Tendu  , ce  qui  n’est  pas  rare.  I)ans  ce 
cas,  il  est  possible  de  rétablir  la  lèvre  , mais  non 
yaas  le  palais.  L’enfanl  conserve  néanmoins  la  vie; 
mais  il  lui  reste  un  écoulement  d’humeurs  ])ar  le 
nez  et  il  ne  ])arle  qu’avec  beaucoup  de  difficulté  ; 
jamais  du  moins  il  ne  sauroit  prononcer  les  lettres 
h et  /. 

Lorsque  le  palais  manque  entièrement,  comme 
on  le  voit  à la  tête  d’un  nouveau-né  que  je  conserve 
dans  ma  collection  , l’enfant  ne  peut  vivre  long- 
lems.  Quelquefois  on  guérit  parfaitement  une  dou- 
ble lissure  à la  lèvre,  comme  cela  paroît  par  les  écrit  s 
du  célébré  la  Faye  (i);  cej)endant  il  en  résulte  tou- 
jours une  difformité  remarquable. 

Il  arrive  qu’au  lieu  de  trachée-artère  il  n’y  a 
qu’une  simple  fente  dans  la  j)artie  étroite  de  la 
gorge;  mais  cela  n’empèche  pas  l’enfant  de  ])ar- 
1er  et  de  déglu tiner. 

Ensuite  , il  faut  visiter  les  ]>arîles  sexuelles  et 
t,  l’anus;  la  nature  étant  souvent  défectueuse  dans  la 


(i)  Mémoires  de  l'Académie  royale  de  chirurgie,  lom.  I, 
pag.  6o5. 


DES  K N F A N S. 


201 


conformation  de  ces  parties.  Dans  quelques  garçons, 
l’urètre  est  ouvert  dans  la  racine  du  gland  , et 
quelquefois  entièrement  bouché.  D’autres  fois  un 
prépuce  trop  long  on  trop  étroit  empêche  l’urine 
de  prendre  son  cours.  On  appelle 
ceux  qui  se  trouvent  dans  le  premier  cas,  dont  il 
ne  résulte  aucun  mal  pour  eux,  car  ils  sont  égale- 
ment propres  à la  génération.  Mais  ceux  dont  l’u- 
î'èti’e  est  bouché  meurent,  si  l’on  n’a  pas  soin  d’en 
ouvrir  la  voie  par  un  coup  de  lancette.  Il  se  forme 
de  petites  pierres  dans  les  prépuces  trop  étroits,  à 
moins  qu’on  ne  circoncise  l’enfant;  ainsi  que  Lit- 
tré fl)  en  rapporte  des  exemples. 

Quelquefois  les  jiarties  sexuelles  des  filles  sont 
entièrement  fermées,  ou  bien  il  n’y  a qu’une  pe- 
tite ouverture  dans  la  membrane  connue  des  ana- 
tomistes sous  le  nom  d’hymen.  Je  suis  d’avis  qu’il 
y a du  danger  à percer  cette  membrane  dans  la 
première  enfance.  Cela  n’empêche  pas  d’ailleurs 
l’écoulement  des  eaux  , et  on  peut  ouvrir  cette 
membrane  avec  plus  de  sûreté,  lorsque  les  mens- 
trues y causent  gonflement;  sinon  on  court  risque 
de  blesser  la  vulve , ce  qui  est  même , pour  ainsi 
dire  , impossible  d’éviter  dans  la  tendre  enfance. 

Mais  quand  on  néglige  tout-à-fait  ce  défaut,  Ica 


(i  ) Histoire  de  l .Académie  royale  des  sciences,  i-o6,  parag.  ti, 
pag.  3o. 


202  DE  l’  É D ü C A T I O N 

menstrues  orrêlées  occasionnent  de  2»’fO''cls  maux'. 
Lorsque  l’orifice  est  un  peu  ])liis  grand,  les  fem-  I 
mes  peuvent  concevoir,  à la  vérité,  mais  elles  ne 
sauroienl  donner  le  jour  à leur  fruit,  : on  trouve 
dans  Iluiscl)  (i)  un  exemple  remarquable  à ce 
sujet. 

Le  scrotum  tuméfié  cède  facilement  à l’esprit 
de  vin  , et  n’est  d’ailleurs  sujetà  aucune  suite  dan-çi 
gereuse. 

Les  hernies  que  les  enfans  apportent  en  nais-^' 
sant , et  dont  j’ai  donné  la  description  (2),  doivent! 
être  contenues  par  des  bandages  convenables,  poiu'  " 
qu’elles  ne  reparoissent  pas  à un  certain  tige  et  ne!, 
rendent  pas  l’homme  incapable  de  travail.  | 

Quelquefois  un  pied  de  l’enfant  est  si  tortu  que| 
l’usage  lui  en  devient  impossible.  Les  Anglois  ap- 
pellenl  ce  défaut  chih-foot  ^ auquel  Cheselden  (5)  | 
veut  qu’on  porte  remède  par  des  ligatures.  Si  l’on 
n’y  donne  point  l’attention  convenable  , l’enfant 
marche  sur  la  cheville  du  pied  avec  les  orteils 
tournés  en  dedans;  et  il  paroît  de  cette  manière 
se  soutenir  et  marcher  avec  assez  de  fermeté;  tant 


(0  Obs.  anat.  chir. , obs.  XVII,  pag.  27. 

(2)  V^erhand'  door  de  hollandsche  Maatsch.,  VI  deel  j i stuck, 
pag.  335. 

(3)  Obt,  eifler  oper,  in  Siirgery  of  M.  Le  Dran,  transi,  by  Ca- 
lakcr,  pl.  VllI  , pag.  452. 


DES  E K F A N S. 


233 


il  est  vrai  que  la  nature  prend  toujours  la  voie  qui 
oonvient  le  mieux. 

Tous  les  enfaus  ont  les  os  des  cuisses  et  des  jam- 
bes courbés  en  dehors  , pour  occuper  moins  de 
place  dans  la  matrice;  mais  ces  os  se  redressent 
d’eux -mêmes,  sans  qu’on  leur  prête  le  moindre 
secours;  car  notre  corps  n’a  besoin  d’aucune  ma- 
chine, ni  d’aucun  remède  pour  croître  dans  une 
position  droite.  Cependant  les  anciens  connois- 
soient  déjà  l’usage  d’accout  umer , des  la  naissance, 
les  membres  à prendre  une  position  convenable. 
Aristote  et  Plutarque  en  parlent;  et  cette  méthode 
est  parvenue  jusqu’à  nous  ; on  sait  que  nos  gardes 
d’enfans  redressent  par  des  bandages  les  jambes 
des  nouveaux-nés  dans  leurs  maillots.  Andry  (i) 
veut  même  qu’on  place  ])Our  cela  un  coussinet  ea 
iorme  de  coeur  entre  les  ]>leds;  pour  obliger  par  ce 
moyen  les  orteils  à se  tourner  en  dehors  d’une 
manière  élégante;  ce  qu’il  i’aut  considérer  plutôt 
comme  ridicule  que  comme  dangereux. 

Mais  n’a-t-cn  pas  également  dans  tous  les  pays 
de  iausses  idées  de  la  grâce  et  de  la  beauté?  11  ya, 
comme  on  soit , des  peuples  qui  perforent  leurs  lè- 
vres, leur  nez  , leurs  oreilles  , que  dis- je  , leurs 
parties  naturelles  même  , pour  les  orner  de  ])lu- 
mes,  d’osselets,  d’anneaux  d’or.  D’autres  allon- 


(i)  Orlhoped.  , loin.  1,  t/jo. 


s54 


DE  l’  É D U C A T I O N 


gent , avec  effort , leurs  oreilles  et  leurs  seins;  tan- 
dis que  d’autres  encore  serrent  leurs  pieds  au  point 
de  ne  pouvoir  plus  en  faire  usage. 

La  même  forme  de  tête  ne  plaît  point  j)ar-loul  : 
certains  peuples  d’Asie  lui  donnent  une  forme 
oblongue;  d’autres  aiment  la  forme  carrée.  Stra- 
bon  (i)  parle  des  Seguins  qui  prenoient  une  peine, 
singulière  à rendre  leur  tête  d’une  longueur  ex- 
traordinaire et  à donner  à leur  front  la  forme  d’un 
auvent  qui  avançoit  beaucoup  au-delà  de  leurs; 
joues.  11  rajq)orte  aussi  (2),  d’après  le  témoignage 
de  Daimarque  et  de  Magatisthène , que  les  Pano-'' 
niens  avoient  la  tête  en  pain  de  sucre;  il  paroit 
néanmoins  douter  beaucoup  de  la  véracité  des 
écrivains  à cet  égard.  Je pourrois  cependant  garan- 
tir facilement  leur  autorité,  parce  que  je  possède 
une  tête  décharnée  qui  a cinq  pouces  rhinlandiques 
de  large,  sur  six  pouces  de  haut  et  huit  de  long., 
La  partie  supérieure  du  crâne  ressemble  à la  ca- 
rène d’un  vaisseau  ; de  sorte  que  les  impressions 
des  muscles  temporaux  ne  sont  qu’à  deux  pouces 
de  distance  l’une  de  l’autre.  Cependant  ceux  qui  ne 
cherchent  point  à contrarier  la  nature  agissent  avec 
le  pins  de  sagesse. 

I.es  Nègres  n’écrasent  pas  le  nez  de  leurs  en- 


(1)  Lib.  XI. 

(2) 


DES  E N F A N S. 


'2o5 


fans,  comme  on  le  croit  généralement  ; ils  Font 
déjà  com])vimé  dans  le  sein  de  la  mère:  cette  con- 
formation semble  dépendre  du  sol  natal.  D’ail- 
leurs, le  nez  ne  paroît  pins  petit  et  plus  plat  que 
parce  que  les  deux  mâchoires  saillissent  davantage 
s en  avant  chez  les  Nègres  que  chez  les  autres  hom-^ 
mes.  Les  habitans  du  nord  de  l’Asie  ont  le  visage 
h plat  et  large,  et  les oszygomatiquesgrands  et  forts. 
Chez  nous  les  têtes  sont,  en  général,  plus  larges 
^ue  hautes;  et  cependant  nos  os  zygomatiques  sont 
. minces  et  délicats.  Selon  ce  que  j’ai  pu  remarquer, 
Kjliles  homnies  qui  ont  les  mâchoires  supérieure  et 
nférieure  larges  , sont  , en  général  , les  plus  ro- 
bustes. 

j^l  il  ne  me  paroît  pas  invraisemblable  que  la  dis- 
position de  l’esprit  et  la  perspicacité  de  l’entende- 
ment  dépendent  plus  o»i  moins  de  la  conformation 
du  corps.  On  jugegénéralement  assezbien  de  l’une 
et  de  l’autre  par  les  traits  du  visage  et  particuliè- 
rement par  les  yeux.  Les  anciens  en  ont  fait  une 
cience  , a lin  de  pouvoir  mieux  discerner  sans 
oute  le  naturel  de  leurs  esclaves.  Galien,  en  trai- 
(tant  des  sentimens  de  Platon  et  d’Llippocraîe  , a 
chercbé  à donner  plus  de  poids  à la  physiogno- 
monie par  l’autorité  de  Chrj'sippe.  Celui-ci  peu- 
soit  que  les  homme  qui  ont  la  poitrine  large  sont 
naturellement  d’un  caractère  hardi  , et  que  ceux 
qui  ont  les  lesses  d’un  gros  volume  sont  d’un  nà- 


2o6 


DE  l’  É D U C A ï I O N 


tuvel  timide.  Mais  cette  question  m’éloigneroit  tro] 
de  mon  biit^  je  reviens  donc  aux  nouveaux-nés'j 

Aussitôt  que  les  enfans  ont  été  lavés,  on  les  ein 
inaillotte,  ce  qui  ne  doit  pas  se  taire  d’une  ma- 
nière trop  serrée^  il  faut , au  contraire,  que  ce  soi 
le  plus  làcliement  possible;  mais  de  façon  néan- 
moins qu’on  puisse  les  manier  sans  danger.  Le 
femmes  hollandoises  ont  la  coutume  de  les  place 
pour  cela  dans  un  lange  de  laine  qu’elles  arran- 
gent fort  adroitement  autour  du  corps,  et  attacLen 
ensuite  avec  de  grandes  épingles.  Dans  l’hospici 
des  Enfans-Trouvés  à Paris , on  enveloppe  légère- 
ment le  coi'jis  emmailloté  d’une  bande;  ce  qui  sut 
fit  pour  pouvoir  enlever  l’enfant  et  le  changer  d( 
place,  sans  craindre  de  le  blesser. 

Selon  moi  , il  est  nécessaire  de  bien  couvrir  1;1 
tête  des  enfans  jiour  garantir  l’ouverture  qu’il  y i 
entre  le  sinciput  et  les  pariétaux  , qu’on  appellf 
fontanelle,  jusqu’à  ce  qu’elle  soit  parfaitement  fer 
mée;  ce  qui  n’a  guère  lieu  en  Hollande  avant  l’âge 
de  deux  ans,  mais  toujours  avant  celui  de  quatre 
ans,  à moins  que  l’enfant  ne  soit  sujet  à quelquej 
maladie;  et  c’est  dans  les  enfans  les  plus  robustes; 
que  cela  se  fait  le  plus  promptement  ; parce  que 
toutes  les  parties  solides  croissent  plus  vîtes  che2 
eux. 

On  doit  traiter  avec  un  soin  extrême  les  enfans® 
en  Hollande  ; cependant  de  différentes  manières;! 


DES  EN  FAN  S. 


suivant  la  saison  de  l’année  et  la  température  de 
l’atmosphère.  Un  air  libre  et  pur  leur  est  fort  sa- 
lutaire 5 et  la  chambre  où  on  élève  les  enfans  (que 
aoiis  pouvons  appeler,  avec  Vilruve,  l’anli-cham- 
jre  à coucher  (^antithalamus')  des  père  et  mère) 
doit  être  située  au  midi,  pour  qu’elle  reçoive  les 
rayons  du  soleil. 

( Pendant  l’hiver,  il  est  convenable  d’emmaillo- 
[ter  les  enfans  devant  le  feu.  Je  tiens  les  poêles 
comme  fort  nuisibles,  parce  qu’il  en  résulte  tou- 
ijours  un  air  humide  et  même  méphytique  , qu’il 
iest  difficile  de  renouveller.  Je  conviens  qu’on  peut 
s’en  servir  sans  danger  dans  d’autres  pays  où  l’air 
est  naturellement  moins  humide  et  plus  pur  qu’en 
Hollande. 

A l’âge  de  six  mois,  plus  ou  moins,  on  com- 
mence à les  habiller;  ce  qui  va  nous  occuper  ac- 
tuellement, comme  une  chose  fort  essentielle  à 
leur  bien  être. 

Quel  que  soit  le  costume  qu’ou  adopte,  il  faut 
que  le  ventre  soit  bien  couvert  et  soutenu  , parce 
que  les  intestins  sont  contenus  dans  des  parties 
molles.  On  doit  aussi  garnir  les  côtés  avec  des  corps 
à baleines  , pour  que  les  gardes  d’enfans  ou  les 
nourrices  n’offensent  point  les  côtes.  Mais  on  fait, 
en  général,  ces  corps  à baleines  trop  longs;  et 
quand  même  ils  siéroient  parfaitement  bien  , ils 
se  relèvent  et  compriment  les  aisselles  au  point 


s58  ]J  E l’  É D U C A T I O N 

fd’enipêclier  la  circulalion  du  sang  dans  les  bras 
et  de  faire  allonger  les  clavicules  qui  sont  encon 
en  partie  cartilagineuses. 

11  seroit  plus  convenable  de  composer  ces  corp 
de  pièces  d’étoffe  de  laine  ; mais  les  mères  aimen 
trop  à voir  que  leurs  enfans aient  une  taille  longui 
et  svelte,  pour  qu’on  puisse  espérer  qu’elles  aban 
donnent  cet  usage.  C’est  de  celte  manière  que  lei. 
belles  formes  de  l’homme  se  trouvent  gâtées,  saut 
que  les  loix  d’un  sage  gouvernement  puissent  em- 
pêcher cet  abus.  Je  quitte  donc  ce  sujet  jjour  exa- 
miner l’usage  des  berceaux,  que  quelques  méde-l 
cins  condamnent  comme  préjudiciables  aux  facul- 
tés intellectuelles  des  enfans. 

11  paroît  par  Martial  (i)  que  les  anciens  ont 
connu  l’usage  des  berceaux;  car  il  gourmande| 
Charidème  , qui  étoit  jadis  son  berceur.  11  est  mê-|’ 
me  probable  que  ces  berceaux  ne  dilféroient  pas| 
beaucoup  des  nôtres.  Plusieurs  médecins  n’approu- 
vent pas  l’usage  de  bercer  les  enfans,  parce  que  les 
oscillations  continuelles  doivent  occasionner  , di-,, 
sent-ils,  des  vertiges.  Quand  à moi,  je  ne  les  crois 
pas  absolument  nécessaires,  et  ne  les  regarde  pas 
non  plus  comme  fort  nuisibles;  car  il  est  probalde 
que  U.  Grotius,  Huyghens  et  Boerhave  ont  été 


(i)  Lib.  XI,  epi^r.  XL,  pag.  i6<>. 


percés  tout  comme  les  autres  enfans  en  général  ; 
cependant  je  suis  persuadé  qu’il  n’y  a pas  de  pays 
ui  monde  qui  ait  produit  de  ])lus  grands  génies 
qu’eux. 

J’aime  assez  les  berceaux,  parce  qu’ils  donnent 
tu  corj)s  un  mouvement  doux  et  procurent  un 
pertain  calme  à l’esju’il  : il  ne  faut  donc  ])as  les  re- 
jeter; à moins  qu’on  ne  veuille  soutenir,  avec 
A.ristote  (i),  que  les  cris  et  les  pleurs  servent  à 
jForiiller  les  enTans.  Cela  peut  être  vrai  à un  certain 
^ge,  niais  nullement  pour  les  nouveaux- nés.  Au 
|contraire  , les  cris  continuels  leur  occasionnent 
!des  hernies  , qu’on  ne  parvient  ensuite  à guérir 
qu’avec  beaucoup  de  difficulté. 

Les  sièges  percées  sont , selon  moi , très-nuisi- 
bles à la  santé  , surtout  quand  on  y laisse  les  en- 
fans  long-tems  assis;  cependant  il  seroit  assez  dü_ 
ücile  de  se  défaire  de  cette  habitude  , et  cela  est 
iinême  , en  quelque  sorte  , impossible  parmi  la 
classe  peu  fortunée  des  citoyens.  Les  exhalaisons 
acres  des  excrémens  et  le  froid  de  l’air  ambiant 
sont  préjudiables;  d’ailleurs,  la  continuelle  pres- 
sion fait  sortir  le  rectum,  qu’on  a de  la  peine  en- 
suite à contenir  dans  le  corps.  Pline  (2)  conte  sans 
doute  une  fable  , quand  il  dit  qu’on  fait  rentrer 


il)  De  Republ.,  lib  VII,  cap.  i 7,  pag  44^- -B — • G. 
(2)  Hisi-  nat. , tom  11,  lib.  XXII,  cap.  i5. 


s4o  UE  l’éuucation 

cet  inlestin  aux  enfaiis  en  le  touchant  simplement 

avec  des  orties.  Les  sens  aisés  feront  mieux  de  ne 

O 

pas  se  servir  de  ces  chaises;  il  est  plus  convenable 
de  chanoer  souvent  de  linge  aux  enfans  devant  le 
feu,  en  ayant  soin  que  ce  linge  soit  bien  sec. 

Pendant  les  premiers  mois  après  la  naissance  , 
les  enfans  ont  besoin  de  dormir  beaucou})  pendant 
le  jour;  quand  ils  sont  éveillés  il  faut  que  la  nour- 
rice ou  la  garde  les  tienne  sur  le  bras  ou  sur  le  gi- 
ron , et  les  agile  doucement.  On  doit  aussi  parfois, 
quand  le  tems  est  beau  , les  ])romener  en  plein  air 
dans  une  petite  voiture  : Pair  et  le  soleil  conlri- 
buent])uissammenl  à leursanlé.  Mais  il  est  essentiel 
de  veiller  que  la  nourrice  les  porte  tantôt  sur  le 
bras  droit  et  tantôt  sur  le  bras  gauche  , pour  que 
l’épine  du  dos  ne  se  courbe  pas  ; car  on  sait  que 
c’est  sur  le  bras  gauche  que  les  nourrices  aiment 
de  préférence  à tenir  les  enfans,  pour  avoir  plus 
de  facilité  à les  aider  de  la  main  droite. 

Je  ne  puis  montrer  assez  mon  étonnement  de  ce 
que  les  nourrices , les  mères  mêmes  , excitent  leurs 
enfans  à courir  lorsqu’ils  peuvent  à peine  se  tenir 
sur  leurs  pieds?  Par  ces  efforts  prématurés,  les  fé- 
murs, les  tibia  et  les  chevilles  des  pieds  des  en- 
fans prennent  une  position  vicieuse , parce  qu’ils 
sont  encore  trop  foibles  pour  soutenir  le  poids  du 
corps.  Ces  efforts  d’ailleurs  ne  les  font  par  mar- 
cher plutôt  ; car  il  ne  s’agit  pas  seulement  pour 


1 

I 

J 

DES  ENFANS.  s4l 

cela  de  forces,  mais  d’une  expérience  qui  ne  s’ac- 
quiert qu’avec  le  tems. 

Il  est  naturel  aux  enfans  de  commencer  par  se 
traîner  sur  leurs  quatre  membres , comme  les  qua- 
drupèdes , jusqu’à  ce  qu’ils  s’apperçoivent  qu’ils 
ont  assez  de  force  pour  soutenir  le  poids  de  leur 
corps;  alors  ils  se  redressent  et  se  hasardent  peu  à 
peu  à marcher  debout.  Les  habitans  du  Sénégal 
abandonnent  entièrement  ce  soin  à la  nature.  Adan- 
son  (i)  dépeint  d’une  manière  ])ittoresqne  la  ma- 
nière dont  ils  se  traînent  d’abord  comme  les  sin- 
ges sur  leurs  mains  et  sur  leurs  pieds,  dans  le  sa- 
ble. « Les  enfans  de  l’un  et  de  l’autre  sexe,  même 
« ceux  qui  avoient  déjà  neuf  ou  dix  ans,  âge  au- 
« quel  commencent  à se  déclarer  les  signes  de  pu- 
(c  bev’î,  étoient  réellement  nus.  . . . On  sera  sans 
« doute  également  surpris  d’entendre  dire  que  les 
« enfans  qui  avoient  à peine  six  mois  commen- 
ce çoient  à marcher  abandonnés  à eux- mêmes, 
cc  C’étoit  un  plaisir  de  voir  ces  foibles  créatures  se 
« traîner,  au  soleil  sur  le  sable,  à quatre  pattes 
((  comme  de  petits  singes.  » 

Il  est  rare  , suivant  Markgraaf  (2),  de  trouver 
i au  Brésil  des  borgnes  ou  des  boiteux.  11  s’en  étonne 
d’autant  plus  ( tel  est  l’empire  de  la  prévention  ) 


(1)  Voyage  au  Sénégal,  pag,  3o. 

(2)  Hist.  nat.  Drasil.  Pisonis.,  Mb.  VIII,  cap.  5. 

iiï.  iG 


24s 


DE  l’ ÉDUCATION 

qu’on  ne  s’y  sert  ni  de  maillots  ni  de  bandages 
pour  les  enfans;  tandis  que  c’est  pour  cette  raison 
même  que  ce  peuple  est  bien  fait. 

Il  est  impossible  de  faire  comprendre  à nos 
compatriotes  que  leurs  enfans  marclieroieut  d’eux- 
mêmes  debout.  Ils  leur  donnent  donc  de  bonne 
heure  des  lisières  , pour  les  soutenir  plus  facile- 
ment, et  se  font  par-là  illusion  sur  les  forces  pré- 
maturées de  leurs  enfans. 

Ces  lisières,  faites  de  ruban  ou  de  sangle,  s’at- 
tachent à une  ceinture  ou  au  corset.  Quelquefois 
on  se  sert,  à la  manière  angloise,  d’une  pièce  d’es- 
tomac de  cuir  de  Turquie  , à laquelle  tiennent , 
sur  les  épaules  , des  lisières  du  même  cuir.  Mais 
de  quelle  façon  qu’on  s’y  prenne,  ces  machines 
montent  du  moment  qu’on  y suspend  l’enfant. 
Tout  le  ])oids  du  corps  n’est  plus  soulenu  alorsque 
par  les  clavicules;  ce  qui  les  allonge  davantage  en- 
core que  ne  le  fait  même  l’usage  des  corps  à ba- 
leines dont  j’ai  parlé  plus  haut  ; et  occasionne , en 
même  teins,  une  altération  vicieuse  dans  la  struc- 
ture du  corps;  sans  parler  de  la  diminution  de  for- 
ces qui  en  résulte. 

Il  faut  convenir  cejiendant  que  ces  lisières  sont 
d’une  grande  utilité  pour  retenir  avec  sûreté  les 
enfans  sur  leurs  chaises.  En  Asie  et  en  Afrique  ces 
précautions  sont  inutiles;  les  nourrices  et  les  fem- 
mes chargées  du  soin  des  enfans  y sont  assises  pas 


DES  ENFANS. 


245 


terre,  et  soutiennenl  par  conséquent  avec  plus  de 
facilité  leurs  nourrissons  lorsqu’ils  chancellent. 

Les  mères  prudentes  préviennent  encore  les  con- 
tusions que  les  enfans  peuvent  se  faire  à la  tête  en 
tombant  ou  en  se  cognant,  en  leur  donnant  des 
bourrelets  faits  de  pièces  d’étoffes  de  laine  ou  rem- 
bourrés de  crin  de  cheval  brûlé.  Ces  bourrelets  sont 
fort  utiles  lorsqu’ils  sont  épais,  de  manière  à dé- 
passer le  nez  et  les  orbites  des  yeux;  sinon  je  les 
regarde  comme  nuisibles  à la  forme  et  à la  crois- 
sance de  la  tête;  et  dès  que  l’enfant  se  tient  ferme 
sur  ses  jambes  cette  espèce  de  coéffure  devient  ab- 
solument inutile,  parce  que  l’enfant,  par  une  ad- 
mirable disposition  de  la  nature,  relire  en  tom- 
bant sa  tête  en  arrière  ; desorte  que  c’est  plutôt  le 
menton  ou  le  nez  ou  quelque  autre  partie  du  vi- 
sage qui  se  trouve  blessé,  comme  on  peut  s’en  con- 
vaincre par  les  cicatrices  qu’on  voit  chez  les  adul- 
tes. 11  faut  donc,  à cette  époque,  faire  quitter  les 
bourrelets  aux  enfans,  pour  que  la  transpiration 
de  la  tête  se  fasse  plus  librement. 

Les  mères  ont  quelquefois  trop  soin  de  la  che- 
velure de  leurs  filles,  et  la  retirent  trop  en  arriéré 
par  des  rubans;  ce  qui  allonge  communément  la 
tête,  et  la  comprime  même  un  peu,  particulière- 
ment au-dessus  de  la  région  frontale,  où  le  crâne 
est,  en  général,  le  plus  élevé. 

Il  n’est  pas  moins  important  que  l’épine  du  dos 


se  conserve  bien  droite,  et  il  seroit  à désirer  qu’on 
laissât  à la  sage  nature  le  soin  de  veiller  à cet  égard. 
Mais,  hélas  ! les  parens  ne  s’en  rapportent  point  à 
elle  , et  prélèvent  l’usage  des  corps  à baleines. 
C’est  par  une  suite  de  cette  erreur  qu’on  voit  un 
si  grand  nombre  de  personnes  contrefaites  et  dif- 
formes, tant  en  Hollande,  qu’en  Angleterre  et  en 
France.  Il  est  donc  nécessaire  de  parler  ici  de  l’u- 
tilité et  du  danger  des  corps  à baleines. 

Les  corps  à baleines  ])euvent  être  bons,  en  . , 
quelque  sorte,  pour  donner  la  facilité  de  manier  ■ [ 
les  enfans  avec  moins  de  danger  et  sans  offenser 
leurs  côtes;  mais  ils  deviennent  inutiles  lorsqu’ils  1 
ont  acquis  plus  de  grandeur  et  de  force  : ils  ne  ser-  • 
vent  alors  qu’à  donner  quelque  grâce  aux  vête- 
mens.  On  ])ourroit  permettre  cet  usage,  s’il  ne  con-  | 
tribuoit  pas  à altérer  la  forme  du  corps.  Mais  on  j 
comprime  les  côtes  justement  à l’endroit  où  la  na- 
ture  leur  donne  le  plus  de  longueur  et  d’ampleur; 
et  cela  pour  rendre  la  taille  svelte  et  faire  ressem-  j 
hier  des  enfans  de  trois  ans  à de  petites  nourrices  j 
par  une  poitrine  potelée,  , 

Cependant  l’enfant  grandit,  et  l’épine  du  dos,  ’ 
comprimée  en  différens  sens , prend  nécessaire-  j 
ment  la  forme  des  corps  à baleines  , et  croît  de  ' 
travers;  desorte  que  la  petite  fille  , pour  paroître 
mignone  et  gentille,  devient  bientôt  bossue.  C’est 
néanmoins  dans  les  villes  et  surtout  pariniles  gens 


DES  ENFANS. 


245 


aisés  que  cet  étrange  abus  a particulièrement  lieu  ; 
de  manière  que  sur  mille  femmes  à peine  y en 
a-t-il  dix  qui  aient  l’épine  du  dos  droite.  De -là 
résulte  une  grande  foiblesse  de  constitution  , une 
poitrine  gênée , des  maladies  de  reins  , et  la  diffi- 
culté d’accoucher,  souvent  mortelle  pour  la  mère 
par  le  rétrécissement  du  bassin.  La  tête,  le  visage 
même  , se  jettent  très-souvent  de  travers  ; car  le 
cerveau,  dont  le  poids  ne  se  trouve  yjas  dans  un 
juste  équilibre , rend  le  crâne  difforme.  Lorsque 
l’épine  du  dos  est  fort  courbée  , il  est  rare  que 
l’individu  atteigne  un  certain  âge:  il  meurt  d’hy- 
dropisie. 

Je  blâme  d’autant  plus  l’usage  des  corps  à ba- 
leines, que  je  vois  que  les  peuples  qu’un  luxe  dé- 
pravé n’a  pas  corrompu  au  point  de  s’en  servir , 
engendrent  des  enfans  sains  et  bien  conformés  , 
ainsi  que  je  l’ai  fait  remarquer  plus  haut  par  des 
exemples  tirés  de  Markgraaf  et  d’Adanson.  Ce- 
pendant la  plupart  des  écrivains  prétendent  qu’il 
faut  plutôt  attribuer  ce  bienfait  de  la  nature  , à 
l’influence  du  climat  5 mais  ils  reconnoîtroient  fa- 
cilement leur  erreur,  s’ils  vouloient  jeter  les  yeux 
sur  les  hommes  de  notre  patrie.  Ce  n’est  que  ra- 
rement, et  par  accident  qu’ils  ont  le  corps  de  tra- 
vers , et  alors  c’est , en  général , par  derrière  qu’ils 
sont  bossus,  parce  qu’en  grimpant  contre  des  en- 
droits escarpés  ils  sont  plus  sujets  à tomber.  Si 


246 


DE  l’  É I)  U C A T I O N 


donc  les  garçons  parviennent  à avoir  la  taille 
droite  sans  faire  usage  des  corps  à baleines,  pour- 
quoi n’en  seroit-il  pas  de  même  des  filles?  Et  d’où 
vient  que  les  filles  des  personnes  riches  ont  pour 
la  plu])art  ce  défaut , si  ce  n’est  parce  que  les  mè- 
res ont  la  cruauté  de  les  mettre  à la  gêne  clans  leurs 
habits. 

Il  s’y  joint  encore  un  autre  abus  : pour  que  les 
filles  paroissent  avoir  une  grande  taille  , on  fait 
les  corps  à baleines  plus  longs  qu’il  ne  convient  , 
et  rien  n’est  certainement  plus  dangereux.  Anclry 
dit , à la  vérité  , qu’on  doit  changer  souvent  ces 
corps,  et  c[u’il  ne  faut  ])as  qu’ils  soient  trop  étroits; 
mais  il  en  recommande  l’usage  pour  trop  de  dif- 
formités différentes  du  corps;  comme  si  la  nature 
avoit  besoin  du  secours  de  l’homme. 

Il  faut  donc  rejeter  le  corps  à baleines  aussiteff. 
qu’on  s’apperçoit  cpie  l’é])ine  du  dos  commence  à 
s’arcjuer;  ce  qui  se  remarque  le  mieux  par  la  posi- 
tion oblique  de  la  tête  et  l’éminence  des  épaules, 
surtout  à l’age  de  quatre  ou  cinq  ans.  Il  est  urgent 
alors  de  laisser  agir  la  nature  en  liberté  pour  que 
l’enfant  se  redresse.  On  doit  se  garder  surtout  de 
chercher  à comprimer  les  épaules  par  des  banda- 
ges , quand  même  ils  seroient  de  laine  on  de 
bayetle,  ou  à mettre  un  soutien  sur  le  devant  de 
la  gorge:  tout  ce  qu’on  emploie, dans  ce  cas,  com- 
me remede  , ne  sert  qu’à  empirer  le  mal.  Je  parle 


UES  E N F A N S.  s47 

ici  des  corps  qui  sont  de  travers  (scolioses),  et  now 
I des  bosses  sur  le  dos  (cyphoses).  On  peut  remé- 
dier aux  uns  par  des  remèdes  externes  5 il  n’y  en 
J a point  pour  les  autres.  Si  vous  doutez  de  ce  que 
je  dis,  consultez  les  parens  qui  n’ont  épargné  au- 
cuns soins  pour  redresser  la  taille  de  leurs  filles  : 
conseils,  suspensoirs,  colliers, plaques  de  fer,  cor- 
sets de  fer,  tout,  vous  diront -ils,  tout  a été  rais 
inutilement  en  usage.  Contemplez  ensuite  leurs 
filles  mêmes,  et  leur  monstrueuse  conformation 
vous  convaincra  de  la  vérité  de  ce  que  j’avance.  Il 
ffaut  cependant  sacrifier  un  peu  à la  mode,  en  fai- 
, ^sant  des  corsets  de  quelque  étoffe  de  laine  ou  de 
toile. Sil’on  veut  employer  la  haleine,  on  doit  veil- 
ler à ce  que  le  corset  ne  soit  pas  trop  étroit , et 
plutôt  trop  court  que  trop  long;  mais  il  faut  se 
garder  d’attacher  le  corset  sur  les  épaules  avec  des 
nœuds  de  ruban.  Je  crains  cependant  que  cette 
méthode  ne  soit  trop  enracinée,  pour  qu’on  puisse 
r s’en  défaire. 

Je  n’ai  rien  à dire  sur  l’habillement,  si  ce  n’est 
I qu’il  faut  placer  à nu  sur  le  ventre  une  large  cein- 
ture de  toile,  surtout  aux  filles,  parce  qu’elles  ont 
généralement  l’abdomen  découvert. 

On  se  sert  quelquefois  de  bottines  de  cuir  pour 
prévenir  la  foiblesse  des  os  de  la  jambe  et  de  la 
cheville  du  pied:  ce  qui  peut  être  utile  si  elles  sont 
bien  faites.  Cependant  je  préférerois  les  sand.ales 


248  DE  l’ ÉDUCATION 

avec  des  ligatures  en  échiquier.  Mais  il  faut  avant 
tout  examiner  si  la  foiblesse  provient  du  corps  en 
général , ou  seulement  des  pieds,  ou  si  elle  ne  doit 
pas  être  attribuée  à des  souliers  trop  larges?  On  sait 
qu’Horace  dit , et  avec  raison  : Qii’une  chaussure 
trop  large  fait  broncher  (i). 

Que  les  souliers  soient  donc,  comme  nos  autres 
vêtemens,  laits  exactement  pour  nos  pieds  5 sans 
quoi , non-seulement  ils  nous  gênent , mais  il  en 
résulte  mille  incommodités. 

Jamais  je  n’ai  pu  m’empêcber  de  rire  en  voyant 
les  peines  singulières  que  se  donnent  les  gens  ri- 
ches pour  apprendre  à leurs  enfans  à s’asseoir , à 
marcher,  à danser  avec  grâce?  Pour  y parvenir , 
ils  emploient  des  fauteuils  garnis  de  cent  différen- 
tes machines  de  bois , pour  forcer  les  orteils  à se 
tourner  en  dehors;  et  sous  le  siège  ils  placent  un 
appui  pour  qu’il  ne  s’enfonce  pas  quand  on  s’y  as- 
sied. Andry  a donné  le  dessin  et  la  description 
d’un  pareil  fauteuil;  mais  quel  est  l’homme  assez 
peu  instruit  pour  ignorer  que  l’épine  du  dos  des 
enfans  prend  avec  le  tems  la  forme  d’un  S,  à me- 
sure que  la  tête  et  les  autres  membres  qui  sont  pla- 
cés au-dessus  du  centre  de  mouvement  du  corps 
prennent  leur  accroissement  ? Qui  ne  sait  pas  qu’il 


(i)  . . . . . Ut  caîcciis  olim  , 

Si  pede  major  ait  ^ subveriet 


UES  E N F A N S, 


24g 

est  impossible  que  nous  puissions  nous  tenir  fer- 
mes sur  nos  jambes,  si  nos  pieds  ne  forment  pas 
un  angle?  ainsi  que  nous  l’apprennent  suffisam- 
ment Eorelli  et  Desaguilliers , qui  ont  parlé  d’une 
manière  si  satisfaisante  des  loix  de  la  pondération 
du  corps  humain. 


CHAPITRE  III. 


De  la  nourriture  des  enfans. 


Immédiatement  après  leur  naissance  , les 
enlans  n’ont  besoin  d’aucune  nourriture,  et  il  ne 
faut  leur  en  donner  qu’après  qu’ils  ont  lâché  le 
ventre;  car  leurs  intestins  , surtout  les  gros  , sont 
remplis  de  déjections.  Il  vaut  donc  mieux  qu’ils 
restent  sans  manger  jusqu’à  ce  que  les  seins  de  la 
mère  soient  remplis;  ils  tetent  d’ailleurs  avec  plus 
d’avidité  lorsque  la  faim  les  presse.  Je  pour- 
rois  entrer  ici  dans  une  longue  discussion  , si  je 
voulois  rappeler  tous  les  devoirs  des  mères,  et  ré- 
péter ce  qu’Anlu-Gelle  nous  a conservé  du  philo-^ 


25o 


DE  l’ ÉDUCATION 

soplie  Favorin  à ce  sujet;  mais  il  est  inutile  de 
ni  étendre  beaucoup  sur  cette  matière;  la  sage  na- 
ture, les  seins  gonflés  par  le  lait,  la  tendresse  ma- 
ternelle, et  généralement  le  ]>eu  de  fortune,  for- 
cent les  mères  à nourrir  elles  mêmes  leurs  enfans. 
D’ailleurs,  notre  siècle  n’est  pas  encore  assez  dé- 
pravé pour  que  ces  sources  précieuses  soient  en- 
tièrement taries  par  le  désir  de  conserver  un  peu 
de  beauté  passagère.  Le  plus  souvent  c’est  la  foi- 
blesse  qui  empêclie  la  mère  d’avoir  du  lait;  quel- 
quefois aussi  ce  sont  ses  excès;  il  faut  alors  avoir 
recours,  malgré  elle,  à une  nourrice;  princi])ale- 
ment  lorsque  l’enfant  est  d’une  constitution  foi- 
ble  , comme  cela  arriv'e  ordinairement  dans  ces 
cas. 

Cependant  c’est  le  lait  de  la  mère  rpii  convient 
le  mieux  à l’enfant  ; mais  lorsqu’il  manque  on  doit , 
bien  prendre  une  nourrice  mercenaire;  et  c’est  le 
lait  de  femme  qui  est  la  meilleure  nourriture.  Il 
convient  donc  de  clioisir  une  nourrice  saine  , qui 
soit  accouchée  dans  le  même  tems  que  la  mère  , 
parce  que  le  colostre  ou  premier  lait  purge  les  en- 
fans  et  chasse  le  méconium. 

Mais  les  nourrices  bien  saines  sont  fort  rares 
dans  les  grandes  villes;  on  ])eut  même  les  soup- 
çonner toutes  d’être  attaquées  de  la  maladie  véné- 
rienne qui  s’étend  de  jour  en  jour  davantage.  Si 
l’on  prend  quelque  fille  séduite,  on  fait  courir  à 


DES  E N F A N S. 


25i 


!'  J’ènfant  de  grands  dangers , qui  sont  un  peu  moin- 
I dres,  à la  vérité  , avec  les  femmes  mariées  ; ce- 
(|  pendant  la  mauvaise  conduite  de  leurs  maris  ne 
ij  permet  pas  d’être  entièrement  tranquille  sur  le 
"■tl  sort  du  pauvre  nourrisson. 

Il  II  est  nécessaire  que  la  nourrice  soit  bien  nour- 
I rie , c’est-à-dire , qu’elle  mange  des  alimens  légers 
* et  succulens  qui  contribuent  à augmenter  son  lait; 

mais  , suivant  Aristote  et  Pline  , il  ne  faut  pas 
I qu’elle  boive  de  vin;  je  pense  que  le  vinaigi’e  est 
également  nuisible  , ainsi  que  tout  ce  qui  peut  em- 
pêcher la  coction  des  alimens.  On  ne  doit  pas  per- 
mettre non  plus  qu’elle  se  livre  aux  embrassemens 
de  son  mari , parce  que  cela  dissipe  les  sucs  les  plus 
subtils  et  les  plus  nutritifs. 

Du  moment  que  la  nourrice  se  trouve  enceinte, 
on  doit  sévrer  l’enfant;  sans  quoi  il  est  à craindre 
qu’on  ne  détruise  le  fruit  qu’elle  porte.  C’est  pro- 
bablement pour  cette  raison  que  Pline  dit  (i)  que 
la  conception  est  mortelle  pour  les  nourrices. 

Il  arrive  assez  souvent  que  les  nourrices  merce- 
I naires  cessent  d’avoir  du  lait,  parce  qu’elles  sont 
t trop  bien  nourries  et  mangent  des  alimens  aux- 
quels elles  u’éloient  pas  accoutumées.  Cependant, 
les  parens  peu  attentifs  ne  prévoient  aucun  mal , 
après  qu’ils  ont  recommandé  d’avoir  soin  clesnour- 

' 

(O  Qnhoped.,  cap.  53,  pag.  4^1  • 


252 


DE  l’  ÉDUCATION 

rices.  L’enfant  reçoit  alors  peu  de  lait  ; mais  en  re- 
vanche on  le  bouire  d’aliincns  qu’un  adulte  au- 
roit  de  la  peine  à digérer.  Je  passe  sous  silence 
mille  autres  abus  qu’on  pourroit  prévenir  ou  dé- 
truire , si , dès  la  naissance  même  ( quand  la  mère 
se  trouve  sans  lait  ),  on  nourrissoit  l’enfant  avec 
des  aliinens  convenables  à son  âge,  et  dont  je  vais 
maintenant  parler. 

Quand  il  est  impossible  de  se  procurer  du  lait 
de  femme  , il  faut  prendre  du  lait  de  chèvre  ou 
d’ânesse,  quoique  la  digestion  en  soit  moins  facile 
pour  les  enfans  d’une  constitution  foible.  Ce  lait 
s’aigrit  promptement  et  occasionne  par  son  acrelé 
des  vomissemens  et  des  convulsions  , parce  qu’il 
ne  s’est  pas  encore  convenablement  assimilé  avec 
le  lait  de  femme,  et  surtout  avec  le  corps  débile 
de  l’enfant.  C’est  néanmoins  le  lait  de  chèvre  qui 
est  le  plus  doux  et  le  meilleur  pour  l’estomac  ; 
quoique  celui  de  vache  soit  regardé  comme  le  plus 
sain;  mais,  en  général,  le  lait  qu’on  peut  se  pro- 
curer le  plus  commodément,  et  que  l’animal  tire 
de  meilleurs  alimens  , me  paroît  préférable.  J’ai- 
merois  beaucoup  qu’on  se  servit  de  lait  de  chèvre, 
parce  qu’on  peut  garder  ces  animaux  chez  soi , et 
qu’en  les  nourrissant  d’herbages  salutaires , on 
améliore  leur  lait  de  plusieurs  manières  diiféren- 
tes,^au  point  même  qu’il  devient  tout  à-la-fois  une 
nourriture  saine  et  un  remède  bienfaisant.  C’est 


DES  ENFANS- 


255 


« 


pour  ces  raisons  , selon  moi , qu’il  mérité  d’etre 
préféré  au  lait  d’ànesse  , à moins  qu’on  ne  puisse 
nourrir  également  cet  animal  chez  soi.  Mais  les 

O 

hommes  aiment,  en  général,  à croire  que  ce  qui 
coûte  le  plus  cher  doit  aussi  être  regardé  comme 
le  meilleur. 

Le  colostre  fait  avec  quelque  espèce  de  lait  que 
ce  soit,  peut  également  être  employé  avec  utilité: 
en  général  même , il  seroit  assez  nourrissant,  mais 
il  contient  trop  d’acide. 

Le  lait  pur,  je  parle  du  lait  de  vache,  est  trop 
liquide  et  trop  venteux;  c’est  pourquoi  on  y mêle 
un  peu  de  farine,  de  mie  de  pain  ou  de  biscuit , 
pour  le  réduire  en  bouillie. 

Dans  l’hospice  des  Enfans-Trouvés  de  Paris , la 
bouillie  se  fait  avec  du  lait , de  la  farine  de  fro  - 
ment et  quelques  jaunes  d’oeufs,  qu’on  fait  cuire 
ensemble,  et  qu’on  laisse  refroider  ensuite  pour 
enlever  la  pellicule  qui  s’y  forme , afin  que  la  di- 
gestion en  soit  plus  facile.  On  fait  réchauffer  cette 
bouillie,  lorsqu’on  veut  en  donner  de  tems  en  tems, 
mais  à des  intervalles  fort  courts,  aux  nouveaux- 
nés  , jusqu’à  ce  qu’ils  fassent  appei'cevoir  qu’ils 
sont  suffisamment  repus.  Il  est  nécessaire  de  né- 
toyer  souvent  les  vaisseaux  qui  servent  à cet  usa- 
ge ; car  on  ne  sauroit  croire  combien  leur  mal- 
propreté contribue  à faire  abonder  l’acide  du  lait. 
Je  ne  sais  cependant  si  les  enfans  pourroient  long- 


254  BE  l’  ÉDUCATION 

teuis  user  de  celle  nourriture  sans  en  être  incom- 
modés, parce  qu’en  général  on  les  envoie  au  bout 
de  trois  ou  quatre  jours  chez  de  bonnes  nourrices 
à la  campagne. 

En  Hollande,  les  femmes  font  souvent  bouillir 
de  la  mie  de  jiain  dans  du  lait  ; mais  pour  cela  il 
faut  que  le  pain  soit  parfaitement  bien  cuit , sans 
quoi  cette  bouillie  devient  si  visqueuse  que  les  en- 
fans  ne  y)euvent  pas  la  digérer. 

Nos  femmes  de  la  campagne  nourrissent  leurs 
enfans  avec  du  lait  de  beurre,  du  pelit  lait  et  du 
lait  de  vache  pur 5 ce  qui  sembleroit  prouver  que 
toutes  sortes  d’alimens  sont  bons  pour  les  enfans, 
lorsque  les  païens  sont  accoutumés  à s’en  nour- 
rir eux-mêmes  5 et  cette  observation  peut  s’appli- 
quer , non-seulement  à l’espèce  humaine  , mais 
ég.alemcnt  aux  animaux  et  même  aux  plantes. 

J’ai  fait  nourrir  mes  propres  enfans  avec  de  la 
bouillie  préparée  de  la  manière  suivante,  dont  ils 
se  sont  fort  bien  trouvés,  et  qui  les  a rendus  ro- 
bustes, quoique  j’attribue  d’ailleurs  leur  tempé- 
rament vigoureux  à la  bonne  constitution  qu’ils 
ont  apporté  en  naissant;  et  je  puis  assurer  qu’ils 
ont  été  fort  peu  tourmentés  par  des  aigreurs. 

On  prend  du  biscuit  fait  de  farine  de  froment 
qu’on  fait  cuire  avec  de  l’eau  de  pluie  dans  un  pot 
de  terre  v^ernissé,  en  le  remuant  avec  une  cuiller 
de  bois,  jusqu’à  ce  que  le  tout  soit  réduit  en  une 


DES  ENFANS. 


255 


bouillie  épaisse,  qu’on  peut  garder  ensuite  pen- 
dant un  ou  deux  jours,  si  le  tems  n’est  pas  trop 
chaud.  Quand  on  veut  s’en  servir,  on  le  remet  sur 
le  feu,  en  y ajoutant  un  peu  de  savon  d’Espagne, 
dont  on  dissipe  l’amertume  par  du  sucre.  Versez-y 
ensuite  autant  de  lait  pur  de  vache  froid  qu’il  est 
nécessaire  pour  le  délayer  au  point  que  l’enfant 
puisse  l’avaler.  Il  ne  faut  jamais  faire  réchauffer 
cette  bouillie  une  seconde  fois,  parce  qu’elle  s’ai- 
grit alors  plus  facilement  dans  l’estomac  des  en- 
fans. 

Je  leur  ai  fait  administrer  aussi  matin  et  soir 
une  bonne  tasse  de  lait  de  chèvre,  non  parce  que 
je  le  crois  meilleur  que  celui  de  vache  , mais  à 
cause  de  la  facilité  que  j’avois  à me  le  procurer  , 
comme  je  l’ai  dit  ])lus  haut. 

Du  moment  que  l’haleine  de  l’enfant  annonce 
des  aigreurs,  il  faut  augmenter  la  dose  de  savon  , 
et  ne  pasci'aindrequela  quantité  de  sucre  que  l’on 
emploie  en  conséquence  puisse  être  nuisible  : c’est 
un  excellent  sel  oléagineux,  mais  doux,  propre  à 
prévenir  la  putréfaction.  Geoffroi  (i),  qui  lui  at- 
tribue de  bien  plus  grandes  vertus,  dit  qu’il  con- 
tribue à la  coclion  des  alimens  dans  l’estomac  , et 
que,  mêlé  avec  quelque  huile,  il  calme  les  coli- 
ques des  en  fans. 


256 


DE  l’ ÉDUCATION 

L’immortel  Boerhave  (i)a  levé  sans  réplique  les 
doutes  qu’on  pouvoit  avoir  sur  les  qualités  du  su- 
cre. « C’est  à tort , dit-il,  qu’on  prétend  que  le  su- 
ce cre  est  nuisible  à l’homme;  ce  qui  n’a  jamais  été 
« prouvé.  Le  sucre,  ajoute-t-il,  est  le  plus  pur  des 
((  savons,  ou  plutôt  un  sel  oléagineux  naturel,  qui 
« sert  à diviser  la  ténacité  et  la  viscosité  des  hu- 
« meurs;  et,  mêlé  avec  de  l’huile,  il  donne  sur- 
et le -champ  un  bon  savon.  » Le  sucre  doit  donc 
avoir  les  mêmes  vertus  lorsqu’il  est  mêlé  avec  les 
alimens. 

Nous  avons  dans  ce  pays  la  coutume  de  faire 
boire  aux  enfans  du  lait  pur  ou  du  petit  lait  d’une 
bouteille  d’étain  dont  le  bout  est  garni  de  peau  de 
chamois.  Mais  les  enfans  qui  s’en  servent  inspirent 
trop  d’air.  On  a cherché  à remédier  à ce  défaut , 
en  3^^  mettant  un  syphon  ou  tuyau  qui  descend  jus- 
que près  du  fond  de  la  bouteille  ; mais  l’enfant 
doit  alors  employer  trop  de  force  pour  en  tirer  la 
liqueur.  D’ailleurs,  ce  tuyau  de  métal  déplait  aux 
enfans  quand  la  dentition  commence  à se  faire  ; 
et  le  fait  s’aigrit  promptement  dans  ces  bouteilles.  I 
Je  pense  donc  qu’il  vaut  mieux  rendre  la  bouillie 
assez  liquide  pour  qu’elle  puisse  servir  en  même 
tems  de  boisson.  Il  faut  donner  souvent  par  jour 
de  cette  bouillie  aux  enfans,  mais  une  seule  fois 


(i)  Ofier.  chem.  , proc,  XXVHÎ  , p^rag.  3,  pag.  63. 


DES  E N F A N S, 


257 

suffit  pendant  la  nuit;  jusqu’à  ce  qu’ils  aient  deux 
i ou  quatre  dents  dans  la  mâchoire  supérieure  , et 
' deux  ou  un  plus  gî’and  nombre  dans  l’inférieure; 

! on  jJeut  alors  donner  aux  enfans  quelque  autre 
I nourriture  qui  soit  d’une  facile  digestion. 

I Je  défends  l’usage  des  vins  de  quelque  espèce 
I qu’ils  soient  pendant  tout  le  tems  que  l’enfant  est 
nourri  avec  du  lait , quoique  je  sache  bien  qu’Hip- 
pocrate  (1)  ait  recommandé  le  vin  mêlé  avec  de 
l’eau;  car  celte  liqueur  est  nuisible  par  son  acide. 
Les  vins  grecs  sont  plus  huileux,  et  par  cette  rai- 
son peut-être  moins  préjudiciables;  mais  quel  ef- 
fet peut  produire  le  vin  , si  ce  n’est  de  stimuler  un 
peu?  Je  préférerois  qu’on  lavât  le  corps  entier 
avec  de  l’eau  de  vie;  ou  qu’on  appliquât  des  fo- 
mentations de  vin  sur  le  ventre,  si  cela  étoit  né- 
cessaire. Les  esprits  volatils  de  la  liqueur  sont  alors 
seuls  absorbés  par  les  pores  sans  que  les  parties 
grossières  y pénètrent. 

Lorsque  l’enfant  a le  ventre  paresseux,  que  ses 
déjections  jettent  une  odeur  aigre  , ou  qu’il  est 
sujet  à de  fréquens  vomissemens,  on  doit  admi- 
nistrer deux  ou  trois  fois  par  jour  un  peu  de  rhu- 
barbe avec  des  poudres  absorbantes  et  d’autres  re- 
mèdes un  peu  stimulans. 

Si  l’acrimonie  de  l’estomac  est  telle  que  le  vi- 


(0  De  Via.  Rat.  Fœsie,  sect.  IV,  pag.  33g , 10. 
III.  17 


258 


DE  l’ ÉDUCATION 

sage,  les  bras  ou  d’autres  parties  du  corps  éprou- 
vent des  convulsions,  il  faut  alors  augmenter  la 
dose  de  rhubarbe  , et  donner  des  laveinens  com- 
posés de  corps  huileux. 

Le  ventre  est  cependant  quelquefois  yiaresseux 
par  une  trop  grande  foibiesse  des  intestins  j dans 
ce  cas  il  faut  employer  les  remèdes  fortilîans,  sti- 
mulans  et  chauds,  ainsi  que  les  huiles  propres  à 
chasser  les  vents,  mêlées  avec  du  sucre,  et  autres 
insrédiens  semblables.  Dans  toutes  ces  maladies 
des  enfans  , les  aigreurs  jouent  un  terrible  rôle 
dans  les  premières  voies  , ainsi  que  le  disent  les 
médecins,  et  comme  Harris  et  Boerhave  l’ont  évi- 
demment prouvé. 

Je  reviens  maintenant  aux  alimens.  Vous  n’exi- 
gez certainement  pas  une  description  exacte  de 
toutes  les  maladies  et  de  leurs  remèdes;  mais  seu- 
lement une  règle  propre  à déterminer  les  alimens 
qui  conviennent  généralement  le  mieux.  Je  v^ais 
donc  examiner  si  les  herbes  potagères  , les  fari- 
neux ou  les  fruits  forment  une  meilleure  nourri- 
ture que  la  viande  ? 

Les  herbes  potagères  et  les  légumes  perdent  en 
cuisant  beaucoup  de  leur  qualité  savonneuse;  par 
conséquent  les  parties  ligneuses  et  terreuses  ne 
peuvent  j)as  être  digérées  ni  contribuer  à la  nu- 
trition, Aussi  les  trouve-t-on  dans  les  déjections 
telles  qu’on  les  avoit  avalées.  SI  on  les  prépare  avec 


D E s E N F A N s.  2 00 

îeiir  SUC  naturel  étuves  avec  du  beurre  ou  de 
riuiile,  comme  cela  se  pratique  chez  nous,  il  est 
impossible  de  les  digérer  à cause  des  corps  gras 
qui  les  enveloppent  , et  qui  produisent  beaucoup 
de  bile. 

Les  farineux  sont  venteux  , tournent  vers  l’a- 
cide , et  sont  d’ailleurs  visqueux  ; ils  sont  néan- 
moins salutaires  dès  que  l’enfant  peut  faire  de 
l’exei'cice;  époque  de  la  vie  dont  je  parierai  dans 
la  suite. 

Les  fruits,  tels  que  poires,  pommes,  noix,  etc., 
sont  extrêmement  préjudiciables:  tous  ont,  comme 
on  sait,  quelque  chose  d’acerbe,  d’âcre  et  de  cru, 
qui  les  rend  mal-sains , non-seulement  pour  les  en- 
fans,  mais  pour  les  adultes  mêmes.  Iis  occasion- 
nent des  flatuosités  et  des  diarrhées,  pour  ne  pas 
parler  des  vers  qu’ils  engendrent , à ce  qu’on 
prétend. 

On  doit  porter  les  mêmes  soins  relativement  aux 
viandes,  dont  la  digestion  n’est  pas  également  fa- 
cile. Le  bouillon  peut  , en  quelque  sorte  , servir 
de  boisson , principalement  lorsque  les  aigreurs  des 
intestins  ne  permettent  pas  que  l’enfant  fasse  usage 
de  lait.  Cependant  j’aimerois  mieux,  dans  ce  cas, 
faire  la  bouillie  avec  de  l’eau  pure. 

Le  lait  est  la  meilleure  nourriture  que  les  en- 
fans  sevrés  puissent  prendre  le  soir , quoiqu’ils 
aient  déjà  la  faculté  de  triturer  d’autres  alimens. 


s6o  DE  l’ ÉDUCATION 

On  peut  l’apprêter  de  différentes  manières  avec 
des  farineux  et  d’autres  substances  d’une  nature 
légère.  Le  lait  de  beurre  est  également  salutaire  , 
loi’squ’il  est  frais  et  bon.  11  ne  faut  pas  l’adoucir 
avec  de  la  mélasse  , parce  qu’elle  contient  toute 
l’acrimonie  de  la  chaux  vive  , sans  laquelle  il  est 
impossible  de  purifier  le  sucre. 

Du  lait  et  du  pain  sec  sont  bons  pour  le  déjeû- 
ner 5 le  fromage  est  nuisible,  à moins  qu’il  ne  soit 
nouveau.  On  peut , au  lieu  de  lait , donner  du  thé, 
surtout  si  on  le  coupe  avec  un  peu  d,e  lait  et  de  J 
sucre.  ^ 

Pour  le  dîner,  on  emploiera  le  riz,  l’orge  mon-  j; 

|J  I 

dé  , le  millet , etc.  Les  hei'bes  potagères  sont  ce 
qu’il  a y de  meilleur  pendant  l’été;  pendant  l’iii-  j 
ver  on  peut  les  remplacer  par  des  pois , des  fê—  ! 
ves , etc. 

Je  suis  de  l’opinion  de  Platon  (1),  que  la  viande 
rôtie  est  une  excellente  nourriture  pour  les  enfans  1 
des  gens  riches;  pourvu  néanmoins  qu’ils  ne  s’en  ' 
surchargent  pas  l’estomac.  La  chair  des  animaux  ; 
est  l’aliment  qui  a le  plus  d’analogie  avec  notre 
coi'ps;  et  c’est  celui  qui,  à volume  égal,  contient 
le  plus  de  parties  nutritives.  La  viande  bouillie 
n’est  pas  assez  succulente;  celle  qui  a été  salée  ou 
fumée  contient  trop  d’acreté  , et  comme  elle  est 


(1)  De  Repiibl.,  îib.  II,  pag.  404. 


«ES  E N F A N S. 


20> 

disposée  à Ja  putréfaction , elle  est  fort  contraire 
aax  enfans.  En  général,  on  devroit  défendre  aux 
enfans  de  manger  des  viandes  qu’on  préserve  de 
différentes  manières  de  la  putréfaction.  Cependant 
de  toutes  les  viandes  celle  de  ])orc  et  le  lard  sont 
les  plus  mal-saines.  Elles  le  sont  moins  cependant 
quand  l’animal  a été  nourri  de  petit  lait  ou  de  lé- 
gumes et  autres  végétaux^  et  ils  le  sont  le  moins 
possible  , lorsqu’on  ne  lui  a donné  à manger  que 
des  cannes  à sucre  dont  le  suc  a été  exprimé.  Les 
porcs  qu’on  engraisse  de  cette  manière  ont , sui- 
vant le  témoignage  de  Geoffroy  (i) , la  chair  si 
tendre  et  si  succulente  qu’on  la  préfère  à celle 
des  meilleures  poulardes. 

Il  n’est  pas  si  facile  de  juger  de  la  salubrité  de 
la  chair  de  poisson  ; des  hommes  dont  l'autorité 
est  la  ])lus  respectable  dilferent  singulièrement  en- 
tre eux  sur  ce  point.  Platon  rejette  absolument 
cette  espèce  de  nourriture;  Montesquieu,  au  con- 
traire, attribue  à son  usage  la  santé  et  la  vertu  pro- 
lilique  dont  jouissent  plusieurs  peuples.  Ce  que  je 
puis  assurer,  c’est  que  tous  nos  compatriotes  qui 
habitent  le  long  de  la  mer  du  Nord,  et  qui  se  nour- 
rissent de  poisson,  sont  sains  et  vigoureux;  que 
parmi  eux  les  adultes,  aussi  bien  que  les  enfans  , 
ont  les  dents  de  la  plus  grande  blancheur;  ce  qui» 


(i)  mej.,  (oin.  , pǤ.  p46. 


DE  L EDUCATION 


■fis 


262 

selon  moi,  est  un  des  principaux  signes  d’une 
bonne  constitution.  Le  poisson  n’est  donc  pas  un 
manger  nuisible,  pourvu  qu’il  ne  soit  pas  apprêté  = 
avec  trop  d’art. 

Il  y a des  ])ersonnes  qui  ne  digèrent  pas  facile- 
ment la  perche; non  parce  que  l’estomac  se  refuse 4 
à recevoir  ce  poisson,  mais  à cause  qu’on  le  mange 
avec  du  ])ain  de  seigle  noir  et  force  beurre;  ce  qui 
occasionne  des  aigreurs.  Ce  poisson  incommode 
davantage  encore  lorsqu’on  boit  beaucoup  après 
l’avoir  mangé 

Je  suis  d’avis  que  la  viande  est  la  nourriture  qui'J 
convient  le  mieux  aux  personnes  aisées.  La  viande 
et  le  poisson  sont  trop  chers  pour  qu’on  les  donne  j| 
avec  excès  dans  les  hospices  des  orphelins.  On  nuitn 
de  même  à la  santé  en  faisant  usage  de  difî'érens'-| 
plats  de  dessert  ou  de  confitures,  ainsi  qu’en  uum-^ 
géant  jusqu’à  satiété.  Le  changement  d’alimens^ 
produit  des  indispositions;  voilà  pourquoi  Platon ’q 
le  condamne  avec  raison  , en  disant  que  c’est  à,  ! 
cela  qu’il  faut  attribuer  le  grand  nombre  de  ma- 
ladies qui  désolent  les  villes,  et  qui  donnent  tantîj 
de  besogne  aux  boutiques  des  pharmaciens.  Sénè-?j 
que  (1)  pensoit  que  non  - seulement  l’homme  se® 
rend  replet  par  trop  de  nourriture,  mais  que  l’es-^j 
prit  devient  lourd  en  même  tems  que  le  corps.®: 


(i)  De  Ird,  ]ib.  III,  cap  20. 


DES  ENFANS. 


265 


Bacon  (i)  veut  qu’on  mange  des  alimen?  secs, 
pour  que  le  corps  se  développe  mieux;  mais  j’a- 
voue que  je  ne  saurois  concevoir  pourquoi  il  con- 
seille de  ne  pas  manger  de  pain  ni  de  viande. 

Le  peuple  ne  se  nourrit  actuellement,  dans  ce 
pays,  que  de  pommes  de  ten’e  , quoiqu’il  soit, 
pour  ainsi  dire  , impossible  d’imaginer  une  plus 
mauvaise  nourriture;  car  on  sait  qu’elles  sont  fort 
visqueuses,  ne  contiennent  que  peu  de  parties  nu- 
tritives, et  produisent  beaucoup  de  flatuosités  et 
d’acides.  Les  personnes  adultes  les  digèrent  cepen- 
dant assez  bien,  particulièrement  les  gens  de  peine; 
mais  elles  sont  absolument  indigestes  pour  les  en- 
fans.  Voilà  donc  ce  qui  occasionne  ce  teint  pâle  et 
blême  des  enfans , des  filles , des  femmes  et  même 
des  hommes  de  la  classe  indigente  du  peuple.  De- 
là les  obstructions  du  bas-ventre  et  les  autres  ac- 
cidens  qui  résultent  d’humeurs  visqueuses  , dont 
le  célèbre  Boerbave  a si  bien  parlé. 

Il  convient  donc  de  régler  les  alimens  de  ma- 
nière qu’ils  soient  , en  quelque  sorte  , analogues 
aux  occupations  et  aux  travaux  des  individus  , et 
qu’ils  servent  en  même  tems  de  remèdes  aux  ma- 
ladies endémiques.  Xénopbon  loue, pour  cette  rai- 
son, les  Perses,  de  ce  qu’ils  donnoient  pour  prin- 
cipal mets  à leurs  enfans  du  pain  , et  du  cresson 

Je 

(i)  Nac,  hist. , tom.  Ili , cent,  IV,  parsg-  554>  pag-  ^5. 


s64 


D E L É D U C A T I O N I 

^ , 

alénois  {nasturtium)  pour  ragoût.  Bacon  recom-1 
mande  également  aux  Anglois  de  manger  de  cette] 
herbe.  Il  n’y  a certainement  pas  de  meilleur  re-^r 
mède  conire  le  scorbut , dont  nous  sommes  tous 
plus  ou  moins  attaqués  ^ comme  nos  dents  carriées 
en  sont  une  preuve  manifeste}  ainsi  que  contre  la  , 
putréfaction  des  parties  fluides  et  solides,  laquelle  ^ 
coiTode  à tel  point  les  parois  des  vaisseaux  san- 
guins , qu’il  en  résulte  quelquefois  des  hémorra^' 
gies  mortelles.  i 

Le  scorbut  est  constamment  du  même  carac- 
tère, mais  il  diffère  dans  ses  difPérens  degrés  } le, 
vin  , le  vinaigre  , les  aromates  et  les  végétaux 
frais  sont  regardés  comme  d’excellens  antiscorbu- 
tiques,  bien  qu’ils  contiennent , en  général,  un  sel’; 
alcalin  ; il  y a aussi  la  menthe , le  cresson  et  la  lai-^^ 
tue,  qu’on  doit  préférer  à tous  les  autres.  fl 

En  parlant  du  scorbut,  je  dois  remarquer,  en| 
passant,  c[ue  les  personnes  dont  les  dents  se  trou-^^ 
vent  gâtées  dès  l’enfance,  sont  rarement,  pour  ne 
pas  dire  jamais,  attaquées  de  phthysie}  et  que  cel- 
les, au  contraire,  qui  sont  atteintes  de  cette  cruelle 
maladie  ont  les  dents  fort  blanches  et  diaphanes. 

Quoique  j’ai  déjà  parlé  des  boissons  en  traitant 
des  alimens,  je  crois  qu’il  est  nécessaire  que  je  re-^ 
vienne  sur  cet  article,  et  que  j’indique  la  naîurej 
des  différentes  espèces  de  boissons  d’une  manière' 
plus  particulière,  en  commençant  par  les  proprié- 


DES  ENTA  N S. 


265 


‘i 


îl 

IB- 


tés  du  vin  , pour  parler  ensuite  de  celles  de  la 
bière,  du  thé,  du  café,  dont  Fusage  est  aujour- 
d’hui si  généralement  répandu  sur  toute  la  surface 
du  globe. 

d'ous  les  enfans  que  j’ai  connus  aimoient  le  vinj 
ce  qui  me  feroit  croire  que  cette  boisson  con- 
vient à notre  nature.  Cette  considération  me  porte 
à ne  pas  l’interdire  aux  enfans;  mais  je  pense  qu’il 
ne  faut  leur  en  donner  qu’une  seule  fois  par  jour 
et,  cela  en  petite  quantité  ; c’est-à-dire,  après  le  dî- 
ner , lorsqu’il  n’y  a plus  de  lait  dans  l’estomac. 
J’ai  déjà  remarqué  qu’Hippocrate  permet  qu’on 
mêle  du  vin  à la  boisson  des  enfans;  mais  non  de 
ces  espèces  qui  font  gonfler  le  ventre  ou  causent 
des  flatuosités.  Platon,  ou  contraire  , ne  veut  pas 
que  l’homme  goûte  de  vin  avant  l’âge  de  dix-huit 
ans;  sans  doute  pour  qu’il  ne  se  livre  pas  à l’ivro- 
gnerie, qui  paroît  avenir  été  un  vice  général  de  son 
teins.  Tous  les  philosophes  ont  recommandé  le 
vin,  non-seulement  comme  un  préservatif  contre 
le  chagrin,  mais  aussi  comme  un  remède  salutaire. 
Sénèque  (i)  nous  apprend  que  Solon  et  Caton  s’é- 
ga  joient  quelquefois  avec  le  vin;  il  ajoute  qu’un  bon 
verre  de  cette  boisson  procure  des  forces,  et  qu’il 
faut  même  de  tems  à autre  se  donner  une  pointe 
de  vin.  Il  recommande  surtout  cette  liqueur  coûime 


I 

! 


(i)  De  TraKejnVÎ.  anîm. , in  fuie. 


206  DE  l’ ÉDUCATION 

un  remède  contre  certaines  maladies  et  contre  ia 
tristesse.  Platon  (ij,  quoique  sévère  pour  les  en- 
Fans,  permet  non-seulement  aux  hommes  quand 
ils  ont  atteint  quaranle  ans  de  boire  du  vin  avec  | 
modération  , mais  illesinvite  même  de  s’en  réjouir  ■ 
îe  coeur  quand  ils  sont  en  compagnie. 

11  faut  que  le  vin  soit  toujours  d’une  bonnej 
qualité,  tel  que  le  vin  rouge  j le  vin  blanc  est  gé-|l 
néralenient  si  dénaturé  dans  notre  pays,  qu’il  ne 
peut  qu’être  nuisible  au  corps.  Les  vins  d’Espagne, | 
ceux  de  Grèce,  le  Canari  sec,  celui  du  Cap  , sontd 
trop  spiritueux  pour  qu’on  puisse  en  permettre î5j 
l’usage  aux  enfans.  J 

En  un  mot,  le  vin  doit  être  administré  aux  en-» 
fans  comme  un  remède  antisce])lique  , stimulant  J!, 
et  coroboranl;  et  c’est  pour  cette  même  raison  que  ®' 
je  conseille  d’assaisonner  leurs  alimens  avec  du  vi  s 
naigie,  surtout  celui  qui  est  fait  avec  du  vin.  Le 
vinaigre  de  bière  est  plus  foible,  à la  vérité  , que 
celui  qu’on  tire  des  raisins,  des  jirunes,  des  ligues, 
des  groseilles  , mais  il  est  plus  salutaire  pour  le 
corps;  car  tous  les  fruits  que  je  viens  de  nommer 
ont  quelque  chose  d’acerbe,  que  je  regarde  com- 
me fort  mal-sain. 

Ceux  qui  n’ont  pas  les  moyens  de  boire  du  vin 
doivent  laire  usage  d’une  bière  légère  , claire  , 


(i)  De  Legiüus , tib.  I,  pag.  666.  B. 


DES  EN  FAN  S. 


267 

nouvelle  et  bien  préparée  avec  du  houblon.  La 
vieille  bière  est  mauvaise  pour  le  cerveau,  et  l’on 
G.  sait-que  ceux  qui  font  des  excès  avec  cette  bois- 
W!  son  deviennent  imbecilles.  11  se  ponrroit  aussi  que 

fl  la  bière  produise  le  calcul , du  moins  sait-on  que 
||  depuis  l’usage  du  thé,  quoique  pris  avec  excès,  le 
jf  nombre  des  paliens  tourmentés  delà  pierre  est 
\i  considérablement  diminué.  On  m’objectera  peut- 
j être  que  les  enfans  qui  n’ont  été  nourris  que  du 
[i  lait  de  leur  mère  ont  été  affligés  de  ce  mal  cruel, 
et  que  Scbenkius  même  en  a vu  qui  l’ont  apporté 
jï  av'ec  eux  en  naissant;  que  si  l’on  y fait  bien  at- 
ji!  tcntion  on  trouvera  que  le  nombre  des  enfans 
j!  qu’on  taille  avant  l’age  de  six  ans  est  au  moins  le 
triple  de  celui  des  adultes  qu’on  soumet  à cette 
j j opération;  qu’il  y en  a qui  l’ont  subi  deux  fois, 
j ‘ d’autres  trois  fois  , parce  que  la  pierre  paroît  croî- 
j Ire  de  nouveau  dans  quelques  individus.  En  réflé- 
1 1 chissant  à tout  cela, il  faudra  convenir,  avec  le  cé- 
^ j:  lèbre  professeur  Gaubius  (1),  qu’il  y a une  dispo- 
j I sition  intérieure  du  corps  qui  se  transmet  de  père 
1 1 en  fils. 


]|  il  est  ])robable  que  la  grande  quantité  d’eau 
I ' qu’on  boit  actuellement  diminue  insensildement 
celte  disposition  du  corps,  et  il  se  ponrroit  que 


I" 

(1)  !'iiun>l.  , pRrag.  5j';,  578. 


268 


D E l’  É U U C A T I O N 

l’eau  à force  de  bouillir  se  dépouille  de  ses  partiesl 
terreuses  ou  areneuses;  car  il  se  forme  au  fond  des 
vases  dans  lesquels  ou  la  fait  cuire  une  incrusta- 
tion fort  apparente  ; et  cela  sans  distinction  avec 
toutes  sortes  d’eaux^  quoiqu’il  semble  cependant 
que  l’eau  de. pluie  est  celle  qui  contient  la  moin- 
dre quantité  de  parties  terreuses.  11  sepourroitque 
les  Suisses  fussent  moins  sujets  aux  goitres  depuis 
qu’ils ])rennent  du  thé, on  plutôt  depuis  qu’ils  font 
bo\iillir  l’eau  qu’ils  boivent?  Le  thé  , on  le  sait , 
n’est  pas  un  ingrédient  qui  possède  par  lui-même 
quelque  vertu  spécifique. 

Le  café,  quoiqu’on  disent  certains  écrivains, 
n’occasionne  pas  plus  le  rachelis  que  toutes  les  au- 
tres boissons  chaudes  qui  débilitent  le  corps.  Si  le 
sel  qu’il  contient  amollit  les  os  hors  du  corps  , il 
ne  le  fait  pas  davantage  que  la  graine  de  mou- 
tarde , le  vinaigre  , l’esprit  de  salpêtre  et  autres 
ingrédiens  semblables  , qui , par  leur  acrimonie 
acide  en  corrodent  les  parties  solides,  sans  toucher 
aux  oléagineuses,  etc. , qui  sont  proprement  celles 
qui  occasionnent  l’amollissement. 

Il  faut  remarquer,  en  général,  au  sujet  du  thé, 
du  café  et  d’autres  Infusions  de  cette  nature,  que 
c’est  plutôt  la  grande  quantité  d’eau  tiède  qui  est 
nuisible  au  corps,  que  la  vertu  spécifique  de  ces 
ingrédiens.  Elle  débilite  l’estomac  et  trouble  la 
coction  des  alimens  : il  ne  faut  donc  pas  en  faire 


DES  ENFANS.  269 

usage  immédiatement  après  les  repas,  ni  en  boire 
une  trop  grande  quantité  (i). 

Tout  ce  que  j’ai  dit  au  commencement  de  ce 
chapitre  , des  fruits  et  autres  pareils  alimens , 
comme  nuisibles  aux  enfans  , peut  s’appliquer 
également  à l’adolescence  et  aux  autres  âges  de 
la  vie. 


(1)  On  trouve  des  recherches  curieuses  sur  les  maladies  qui  ré- 
sultent en  Hollande  de  l’usage  de  certains  alimens  et  de  certaines 
boissons  , dans  V Histoire  géographique , physique  , naturelle  et 
eivilc  de  la  Hollande,  par  le  Francq  de  Berkhey,  dont  j’ai  donné 
{ une  analyse  en  quatre  volumes  s«-i2.  Voyez  tome  IV,  page  1 et 
I su’.y.  iVort  du  traducteur. 


270 


i)E  l’Éducation 


CHAPITRE  IV. 


De  V instruction  des  enfans. 

“ I 

Le  sentiment  de  la  pln])art  des  philosophes , et 
d’Aristippe  en  particulier,  éloit  (i)  que  les  enfans 
des  citoyens  aisés  doivent  apprendre  tout  ce  qui 
peut  leur  être  utile  lorsqu’ils  seront  parvenus  à 
l’âge  de  la  raison;  qu’il  faut  par  conséquent  pour 
leur  donner  des  forces  les  entretenir  dans  toutes 
sortes  d’exercices,  et  leur  inspirer  l’émulation  de 
se  distinguer  dans  le  palestre.  Cependant  on  ne 
doit  les  occuper  que  de  légers  exercices  jusqu’à 
l’âge  de  puberté,  pour  que  les  membres  puissent 
se  développer  mieux.  Cela  s’accorde  avec  ce  qu’en- 
seigne Aristote  (2),  qui  exhorte  en  même  tems  les 
païens  à ne  pas  trop  exiger  de  leurs  enfans;  d’au- 
tant plus  qu’on  n’en  avoit  vu  que  deux  ou  tout  au 


(1)  Diogen.  Laërf. , lib.  Il,  pag.  126. 

(2)  De  IXepiibl.,  lib.  VIII,  cap.  3 et  4. 


DES  ENFANS. 


271 


plus  trois  qui  avoient  été  vainqueurs  aux  jeux 
olympiques  , et  dans  l’adolescence  et  dans  l’àge 
viril.  Il  ajoute  que  les  trop  grandes  fatigues  du 
corps  nuisent  à l’ame,  comme  les  trop  fortes  con- 
tensions  de  l’esprit  sont  préjudiciables  au  corps. 

Tous  s’accordent  , à la  vérité  , sur  ce  point , 
mais  nullement  sur  l’age  auquel  il  convient  de 
commencer  ces  exercices.  Platon  (1)  veut  que  ce 
soit  à l’àge  de  six  ans  révolus  5 tandis  qu’Aristote 
prétend  qu’ils  n’y  sont  propres  qu’à  sept  ans  ; 
Clirysippe,  au  contraire,  dit  que  c’est  à tout  âge 
* qu’on  peut  instruire  les  enfans.  Quintilien  (2)  le 
loue  beaucoup  de  ce  qu’il  veut  qu’on  orne  de  bons 
‘principes  l’esprit  des  enfans  dès  l’àge  de  trois  ans. 
Je  sais,  ajoute-t  il,  qu’on  fera. plus  dans  la  suite 
en  un  an  que  l’on  aura  pu  faire  durant  tout  le 
■ « tems  qui  a précédé  ( de  trois  à huit  ans  ).  Après 
« tout,  que  veut -on  que  fasse  un  enfant  depuis 
« qu’il  commence  à parler  ? car  enfin , il  faut  bien 
« qu’il  s’occupe  à quelque  chose.  ))  En  un  mot,  il 
'^  prouve  par  les  raisons  les  plus  péremptoires  qu’il 
4 ne  faut  laisser  passer  aucun  tems  sans  instruire  les 
enfans. 

Le  sentiment  de  Bacon  (5)  concernant  les  écoles 


ç {1)  Inst.  Orat.  , lib-  I , rap.  i , pag.  j p. 

(î)  Hist.  nac.,  tom.  III , cent.  iV,  parag.  354  > pag-  7Ï- 


(i)  De  J rgiùtis  , lib  Vit,  pag.  794.  C. 


DE  l’  É I)  U C A T I O N 


272 

publiques  est  singulier;  il  les  désapprouve,  non' 
parce  que  les  mœurs  s’y  corrompent,  mais  à cause 
que  la  santé  s’y  altère  l’aule  de  mouvement.  11  me 
])aroît  qu’il  faut  envoyer  les  enfans  aux  écoles  pu- 
bliques, vu  qu’ils  y deviennent  plus  vifs  et  qu’ils 
s’y  exercent  davantage  par  la  diversité  des  jeux. 
3’approuve  aussi  beaucoup  tout  ce  que  dit  Quin- 
lilien  touchant  cette  importante  question  : ((  Le- 
((  quel  vaut  le  mieux  de  faire  étudier  les  enfans 
((  chez  soi , ou  de  les  envoyer  aux  écoles.  » 

Platon  insistoit  beaucoup  qu’on  exerçât  leur 
corps  par  des  jeux  publics  , et  qu’on  égayât  leur 
esprit  par  la  musique  ; mais  Platon  étoit  grand 
amateur  de  la  musique,  comme  cela  paroît  par  sa 
vie  que  nous  a donné  Olympodore.  Aristote  , au 
contraire,  condaranoit  cet  art,  comme  inutile , 
surtout  les  insirumens  à corde  et  à vent;  cepen- 
dant pour  leur  procurer  quelque  récréation  , il 
permettoient  qu’ils  apprissent  à jouer  du  crepila- 
culum  d’Arcbjtas,  dont  il  est  difficile  de  connoî- 
tre  la  nature.  On  pourroit  aujourd’hui  donner  aux 
enfans  de  ces  serinettes  qui  jouent  dilferens  airs. 

Aristote  exalte  ensuite  beaucoup  la  peinture  et 
re<ravde  cet  art  comme  fort  utile  aux  enfans;  mais 
Platon  n’en  dit  pas  un  mot,  quoiqu’il  ait  vécu  avec 
les  peintres  et  qu’il  ait  même  appris  d’eux  le  mé- 
lange des  couleurs,  comme  nous  l’apprend  Olym- 
podore. Il  est  assez  vraisemblable  que  c’est  d’aj)rès 


DES  ENFANS, 


275 

leur  goût  particulier  que  chacun  de  ces  philoso- 
phes aura  recommandé  quelqu’un  de  ces  arts.  Ce- 
pendant, à ne  considérer  que  la  santé  et  la  longé- 
vité, il  me  semble  qu’il  faudroit  rejeter  le  chant; 
parce  tous  ceux  qui  s’y  sont  appliqués  dès  l’en- 
fance sont  restés  de  petite  taille,  cacochymes  et 
fort  mélancoliques;  il  en  meurt  même  beaucoup 
avant  l’âge  de  puberté  pour  s’être  trop  adonnés  à 
cet  art. 

Beaucoup  aussi  de  ceux  qui  sonnent  de  la  trom- 
pette ou  du  cor  de  chasse  se  donnent  des  hernies 
inguérissables,  et  perdent  leurs  dents  de  la  mâ- 
choire supérieure  , en  y portant  sans  cesse  l’em- 
bouchure de  ces  instrumens. 

vSelon  moi,  la  peinture  est  infiniment  préféra- 
ble; elle  récrée  non-seulement  l’esprit  des  enfans 
et  leur  fait  passer  agréablement  le  teins,  mais  son 
utilité  est  réelle.  Cependant  c’est  le  goût  des  en- 
fans  qu’il  faut  particulièrement  consulter,  car  on 
sali  que  ce  n’est  qu’avec  les  plus  grandes  difficultés 
qu’on  les  ])orte  à s’exercer  dans  un  art  pour  lequel 
ils  ne  se  sentent  point  d’aptitude. 

La  question  s^il  faut  exercer  la  mémoire  des 
enfans?  me  paroît  d’une  bien  plus  grande  impor- 
tance. Plutarque  répond  affirmativement , et  veut 
•qu’on  examine  si  la  nature  les  a doués  ou  non 
d’une  mémoire  heureuse?  Quintilien  observe  de 
plus  que  la  mémoire  peut  être  augmentée  et  for- 

18 


îii. 


274  WE  l’ ÉDUCATION 

tifiée.  Il  est  possible,  sans  doute,  d’exercev  les  en- 
fans  dans  cet  art,  lorsqu’ils  s’y  portent  naturelle- 
ment; mais  il  faut  bien  se  garder  de  les  y forcer  , 
dans  la  crainte  d’amortir  leurs  facultés  intellec- 
tuelles et  de  nuire  à leur  santé.  Je  préfère  qu’on 
exerce  leur  esprit  et  leur  jugement  plutôt  que  de 
surcharger  leur  mémoire,  qui  ne  dépend  que  d’un 
certain  mécanisme  du  cerveau;  tandis  que  le  ju- 
gement et  l’esprit  tiennent  iinmédiatemenL  à l’en- 
tendement. Ce  n’est  pas  que  je  doute  que  la  mé- 
moire ne  dépende  aussi  de  notre  intellect;  mais  je 
suis  ])ersuadé  qu’on  la  doit , comme  beaucoup 
d’auti'es  facultés,  à un  cerveau  bien  organisé.  On 
ne  sauroit , en  attendant , s’étonner  assez  de  ce  que 
l’iionime  puisse  être  privé  totalement  de  mémoire, 
en  conservant  néanmoins  intègres  tous  ses  sens  et 
son  jugement  même.  Pline  (i)  confirme  cette  ob- 
servation par  plusieurs  exemples.  11  rapporte,  en- 
tre autres,  qu’un  homme  atteint  d’une  pierre  ou- 
blia la  langue  qu’il  parloit  ; qu’un  autre  , étant 
tombé  d’un  toit  fort  haut  , ne  reconnut  plus  ni 
sa  mère,  ni  ses  parens,  ni  ses  voisins  ; un  troi-j 
sième,  après  avoir  été  attaqué  d’une  maladie  , ne 
put  se  rappeler  les  noms  de  ses  esclaves;  enfin,  le 
célèbre  orateur  Messala  alla  jusqu’à  oublier  son 
propre  nom. 


(i)  Lib.  Vil,  cap.  24. 


DES  ENFANS.  2y5 

Je  reviens  aux  études,  qu’il  faut  diriger  de  ma- 
nière que  l’enfant  ne  s’en  dégoûte  pas  et  ne  les 
abandonne  ])as  dans  la  suite.  On  fera  réciter  awx 
enfans  leurs  leçons  à haute  voix,  même  pendant 
qu’ils  marchent  ou  montent  le  degré.  L’haleine 
ainsi  arrêtée,  leur  donne  des  forces,  suivant  Aris- 
tote (i),  et  les  augmente;  du  moins  est-il  certain 
que  cela  sert  à fortifier  les  poumons. 

Les  jeux  contribuent  beaucoup  à donner  de  la 
vigueur  au  corps  et  à développer  les  membres;  ce 
qui  les  a fait  recommander  par  tous  les  anciens 
philosophes.  Il  y en  a,  dit  Platon  , de  deux  espè- 
ces, la  danse  et  le  palestre  (2),  qui  se  réduisent 
aujourd’hui  à la  danse  seule. 

Les  anciens  faisoient  entrer  dans  l’éducation  des 
enfans  les  exercices  militaires,  la  chasse  et  l’équi- 
tation ; c’est  de  cette  manière  que  Diogène  éleva  , 
par  raison  de  santé,  les  enfans  de  Xéniades.  Pla- 
ton recommandoit  les  exercices  du  corps  , non- 
seulement  aux  garçons, mais  également  aux  filles; 
tant  les  anciens  a\  oient  pour  principe  d’entretenir 
la  santé  et  d’augmenter  les  forces  du  corps. 

Je  suis  néanmoins  d’opinion  que  ce  n’est  pas 
avant  l’âge  de  sept  ans  qu’il  faut  faire  apprendre  à 
danser  , à moins  que  l’enfant  ne  soit  d’une  consîi- 


( 1 ) Do  Repuhl. , pag.  448. 
(a)  Do  Legibus , lib.  Vil. 


27®  L’jÈDUCATION 

lution  robuste  ; d’ailleurs , il  ne  me  paroît  pas  qu’il 
puisse  y avoir  un  meilleur  exercice  pour  le  corps. 
Quant  au  cheval,  il  ne  faudroit  pas  en  permettre 
l’usage  avant  l’age  de  puberté,  non  plus  que  celui 
de  l’escrime  , parce  que  ces  exercices  demandent 
plus  de  force  que  les  enfans  n’en  ont  communé- 
ment avant  celte  époque. 

En  général,  il  convient  de  proscrire,  avec  Sé- 
nèque (i),  tous  les  exercices  dont  les  elForts  qu’ils 
exigent  épuisent  l’esprit  et  rendent  par  conséquent 
l’homme  incapable  de  contention  et  d’aptitude  aux 
belles- lettres.  Comme  la  classe  peu  fortunée  des 
citoyens  n’a  pas  besoin  de  ces  connoissances  , elle  j 
est  condamnée  à commencer  de  bonne  heure  de 
rudes  travaux. 

Je  pourrois  terminer  ici  cette  dissertation  , si  je 
ne  croyois  pas  qu’il  fut  nécessaire  de  parler  des 
défauts  attachés  à l’enfance  et  qu’il  est  au  pou- 
voir des  parens  de  corriger.  Je  vais  donc,  dans  le 
chapitre  suivant,  jeter  un  coup  d’œil  sur  ceux  que  i 
je  regarde  comme  les  principaux. 


(i ) Epist.  XV. 


DES  ENFANS, 


277 


CHAPITRE  V. 


Des  défauts  naturels  aux  enfans^ 


Ce  n’cst  pas  sans  raison  qn’Aristote  dit  que  la 
beauté  du  corps  est  préférable  aux  meilleures  let- 
tres de  recommandation.  11  est  donc  du  devoir  des 
parens  de  prévenir  les  défauts  qui  peuvent  nuire  à 
leurs  enfans  et  les  rendre  moins  agréables  dans  la 
société.  Il  y a quelques  défauts,  tels  que  le  stra- 
bisme , le  bégaiement , le  bredouillement , qui 
s’acquièrent  par  habitude;  tandis  que  ce  n’est  que 
par  accident  qu’un  homme  boite.  Il  y en  a d’au- 
tres qu’on  gagne  par  contagion  , comme  la  gale  , 
la  teigne  , etc.  ; mais  je  ne  m’occuperai  pas  ici 
de  ces  derniers  pour  ne  pas  trop  étendre  cette  dis- 
sertation. 

Le  strabisme  provient  ou  de  ce  que  les  parens 
ont  le  même  défaut , ou  de  convulsions  , ou  de 
quelque  accident , mais  le  plus  souvent  de  l’habi- 
tude. On  sait  que  les  yeux  d’un  enfant  nouvelle- 


DE  l’ ÉDUCATION 


278 

ment  né  ne  sont  pas  encore  jiarfails  dans  tontes 
leurs  parties.  Petit  (1),  membre  célèbre  de  FAca- 
démie  royale  des  sciences  de  Paris,  pensoit  que  la 
vue  des  jeunes  enfans  est  imparlalte  à cause  de  Fé- 
paisseur  de  la  cornée;  et  parce  qu’il  n’y  a pas  as- 
sez d’humeur  aqueuse  pour  donner  de  la  con- 
vexité à cette  partie  de  l’oeil.  Mais  Albinus(2), 
par  sa  grande  dextérité  à disséquer  , a découvert 
que  la  prunelle  ou  Fuvée  n’étoit  pas  encore  ou- 
verte, ce  qui,  pris  ensemble,  doit  rendre  la  vue 
fort  imparfaite.  Chez  plusieurs  enfans  néanmoins 
Fuvée  est  déjà  ouverte  et  même  plus  que  chez  les 
adultes,  comme  Petit  Fa  observé  dans  huit  nou- 
veaux-nés.  Je  ne  puis  disconvenir  que  moi-même 
j’ai  trouvé  dans  plusieurs  enfans  morts  en  naissànt, 
la  prunelle  assez  ouverte  , et  que  dans  d’autres  Fii- 
vée  éloit  encore  fermée,  de  la  manière  qu’Albinus 
Fa  remarqué. 

Il  est  fort  probable  que  les  enfans  , quoiqu’ils 
aient  les  yeux  parfaitement  bien  conformés  en 
naissant,  n’apperçoivent  point  encore  distincte- 
ment les  objets  et  ne  peuvent  tout  au  plus  que 
distinouer  la  lumière  de  l’obscurité. 

a 

Il  faut  nécessairement  qu’ils  apprennent  à voir, 
de  la  même  manière  que  sont  obligés  de  le  faire 


(1)  1727,  pag.  346. 

(2)  Acad>  annot- , îib.  I , cap.  2 , pag.  33. 


DES  EN  FAN  S, 


279 

les  aveugles  nés  à qui  on  abat  les  cataractes.  Ils  ne 
distinguent  point,  sans  le  secours  du  tact,  un  cube 
d’avec  une  boule , ainsi  que  Molineux  l’a  observé 
le  premier,  comme  Locke  en  est  convenu  , et  com- 
me Cheselden  l’a  confirmé  par  plusieurs  belles  ex- 
périences. On  peut  consulter  R.  Smith  sur  cette 
matière,  ainsi  que  sur  les  pro])riétés  générales  de 
la  lumière.  Il  faut  convenir  cependant  que  plu- 
sieurs quadrupèdes  et  oiseaux  jouissent  de  la  fa- 
culté de  voir  et  de  distinguer  même  parfaitement 
les  objets,  immédiatement  après  qu’ils  sont  nés. 
Les  jeunes  canards,  par  exemple,  non-seulement 
nagent  fort  bien,  mais  prennent  des  mouches  et 
d’autres  insectes  au  moment  même  qu’ils  sortent 
de  l’œuf.  Ils  jugent  par  conséquent  de  la  forme  et 
de  la  distance  des  objets,  sans  avoir  besoin  du  sens 
du  toucher;  tandis  que  dans  l’homme  la  vue  pa- 
roît  conformée  d’une  autre  manière,  et  avoir  be- 
soin d’être  instruite  par  l’expérience. 

Mais  revenons  à notre  sujet.  Les  enfans  devien- 
nent louches  lorsqu’ils  commencent  à regarder  fes 
objets  evec  les  deux  yeux:  je  dois  donc  examiner 
d’abord  quelle  est  la  cause  qui  produit  le  stra- 
bisme, pour  voir  ensuite  quel  est  le  remède  qu’il 
convient  d’y  apporter. 

Si  ce  défaut  est  héi'éditaire,  ou  s'il  provient  de 
convulsions  continuelles,  il  résiste  à tous  les  re- 
mèdes; si  c’est  à une  mauvaise  habitude  qu’il  faut 


28o 


DE  l’ ÉDUCATION 

l’attribuer,  il  ne  se  guérit  que  cliflicilement , parce 
qu’il  esf  impossible  de  faii'e  coniprendi  e aux  en-  | 
fans  ce  que  c’est  que  le  strabisme,  et  qu’ils  igno- 
rent l’incommodité  qui  les  afflige.  Aussi  les  parens  ■ 
réussissent-ils  rarement  par  leurs  remontrances  et  ' 
leurs  réprimandes;  car,  comme  les  enfans  ne  sa-  ji 
vent  pas  ce  qu’on  exige  d’eux  , ils  tirent  de  phis  ' 
en  plus  leurs  yeux  de  travers. 

Quelquefois  on  parvient  à vaincre  celte  mau-2,| 
vaise  habitude,  en  diant'de  devant  les  yeux  des|; 
objets  qui  les  attirent  d’un  côté,  et  en  plaçant  un  y 
autre  objet  de  différentes  couleurs  à quelque  dis-'' 
tance  droit  devant  eux,  ])Our  qu’ils  soient  obligés  de  ; ' 
le  fixer.  Andry  (i)  conseille  de  prendre  pour  celaf  i 
une  glace  et  de  s’y  regarder  souvent  soi-même;  ! 
mais  ce  remède  convient  mieux  quand  on  est  ])llis 
âgé.  îl  défend  absolument  la  lecture,  disant  qu’il 
n’est  pas  de  grande  importance  qu’on  sache  lire 
un  peu  plutôt  ou  un  peu  plus  tard  ; mais  , selon 
moi,  ce  raisonnement  auroit  plus  de  force,  si  c’é- 
toit  par  la  lecture  seule  que  les  enfans  se  gâtent 
la  vue.  Ils  portent  sans  cesse  les  yeux  sur  tous  les 4 
objets  quelque  petits  qu’ils  puissent  être  , commet 
cela  est  naturel  à la  jeunesse. 

On  doit  avoir  soin  de  ne  point  donner  aux  en- 
fans un  inaîtie  ou  des  compagnons  qui  louchent , 


(i)  Tom.  II,  pag.  104. 


parce  qu’ils  se  gâtent  souvent  les  yeux  en  imitant 
les  personnes  qui  ont  ce  défaut. 

..es  médecins  oculistes,  tel  qu’étoit  le  célèbre 
Bartisch  fi),  recommandent  les  coquilles  de  noix 
percées  d’un  petit  trou  , ou  depelitsgodetsdecette 
forme,  d’or  ou  de  quelqu’autre  matièi'e  , attachés 
a des  rubans  , ou  bien  des  masques;  mais  ces  re- 
mèdes sont  d’un  foible  secours.  J’ai  fait  employer 
de  ces  coquilles  de  noix  à deux  frères  qui  lou- 
clioienl])arhabltude;maiscela  leur  fit  tirer  si  hor- 
riblement les  yeux  de  coté,  que  ce  n’étoit  qu’avec 
un  œil  à-la-fois  qu’ils  regardoient  à travers  le  trou 
de  la  coquille,  ce  qui  fit  augmenter  sensiblement 
le  mal.  Je  crus  donc  qu’il  valoit  mieux  les  aban- 
donner à la  nature  jusqu’à  ce  qu’ils  fussent  plus 


Le  strabisme  est  peu  commun  parmi  les  gens  de, 
la  campagne;  ce  qu’il  faut  attribuer  sans  doute  à 
ce  qu’ils  en  parlent  rarement  à leurs  enfans  , et 
qu’ils  se  fient  à cet  égard  à la  sagesse  de  la  nature. 
Les  riches,  au  contraire,  éduquent  leurs  enfans  de 
manière  qu’ils  ont  l’air  de  personnes  âgées,  même 
avant  qu’ils  sachent  voir  ou  parler. 

Une  mauvaise  prononciation  est  , selon  moi  , 
bien  plus  désagréable  que  le  strabisme,  parce  que 
les  pei’sonnes  qui  bégayent  jouissent  peu  des  char- 


(0  Âiigendienst , part.  II,  cap.  2,  fig.  5,  4>  5, 


282 


Del’  ÉDUCATION 
mes  de  la  société,  qui  font  le  plus  grand  bonheur 
de  l’homme.  Il  convient  donc  de  chercher  à faire' 
connoîlre  la  nature  de  ce  défaut , d’autant  plusque  I 
c’est,  en  général,  à l’insouciance  des  parens  qu’il 
faut  l’attribuer. 

C’est  une  règle  générale  et  constante  que  les  en- 
fans  parlent  rarement  d’une  manière  distincte 
avant  l’àge  de  deux  ans;  et  que  ce  n’est  qu’à  celui 
de  cinq  ans  qu’ils  s’expriment  avec  facilité.  Il  faut 
par  conséquent  beaucoup  cle  ])atience  pour  leur  ap- 
prendre à lire;  et  l’on  doit  avoir  soin  de  pronon- 
cer si  distinctement  chaque  lettre  qu’ils  puissent 
en  imiter  aisément  le  son.  Il  ne  faut  pas  trop  les 
presser  sur  cela  , et  ne  jamais  les  gronder  ; sinon 
la  langue  s’embarrasse  et  ils  balbutient.  Voilà  d’où 
vientqiic  certaines  personnes  récitent  fort  bien  des 
vers  et  chantent  sans  difliculté  , tandis  qu’il  leur 
est  impossible  de  parler  sans  bégayer  horriblement. 
Je  conseille  donc  aux  parens  qui  s’apperçoivent 
que  leurs  enlans  ont  ce  défaut,  de  ne  pas  les  ré  j 
primander  du  tout,  et  de  les  abandonner  à eux-  i 
mêmes ,.pouT qu’en  imitant  les  autres,  ils  ajipren- 
nent  à parler  sans  y penser;  ou  bien  il  faut  user 
d’une  grande  patience,  en  les  stimulant  par  des 
éloges  et  des  présens.  ; 

Les  lettres  dilnciies  à prononcer,  et  les  mots  où 
il  entre  beaucoup  de  consonnes,  doivent  être  dé-  1 
composés  en  de  simples  lettres  ou  sons. 


DES  E N F A N S. 


£285 


. , La  lettre  w , par  exemple,  se  prononce  cliffici- 
iî  .lemeut,  surtout  lorsqu’elle  est  précédée  d’un  t, 
isc  jcoimne  dans  ces  mots  tville  , twist ^ qu’il  faut  leur 
qi’PPprendre  par  u-ille , ta-ist , etc. 

■ | La  lettre  Je , qui  est  guturale,  ne  s’apprend  que 
;5fiT|fort  tard,  et  il  en  est  de  même  de  la  lettre  /. 
iDCtîj  . enfans  bégayent  quand  ils  veulent 
celstparler  vite,  ou  lorsqu’ils  sont  en  colère  : il  faut 
iao^donc  leur  apprendre  à parler  posément.  D’autres 
iâ[i|  n’ont  ce  défaut  que  lorsqu’une  phrase  commence 
lOD^par  un  J:  ou  par  un  q.  Il  convient  alors  de  dispo- 
wiser  leur  diseours  de  manière  qu’il  y ait  en  tête 
)lei  quelques  autres  mots. 

I On  sait  que  Démosthènes  se  défit  de  ce  vice  de 
prononciation  et  devint  un  grand  orateur,  en  pre- 
è liant  des  cailloux  dans  sa  bouche  ; mais  il  avoit 
entj  déjà  atteint  l’age  viril  lorsqu’il  s’exerça  lui-même 
îjt,,  à vaincre  ce  défaut.  Je  suis  persuadé  que  heau- 
eei  coup  de  personnes  pourroient  se  corriger,  en  erh- 
ployant  le  même  remède  ; car  il  est  impossible  , 
]j.  pour  ainsi  dire,  de  concevoir  à quoi  l’homme  jieut 
;j.i  parvenir  quand  il  veut  employer  toutes  ses  facul- 
^lés.  Cependant  le  moyen  dont  se  servit  Déraos- 
[thèues  ne  convient  ni  aux  enfans  , ni  à tous  les 
'hommes,  pas  même  à ceux  qui  ont  le  plus  d’esprit. 
Je  doute  beaucoup  que  ce  soit  jamais  quelque 
j.|]délaut  de  conformation  de  la  langue  qui  fasse  bé- 
gayer. J’ai  souvent  entendu  parler  à Leyde  la  jeune 


284 


DE  l’ ÉDUCATION 

fille  sur  lacjuelle  Trioen  (i)  nous  a laissé  des  ob- 
servations. Sa  langue  , qu’elle  portoit  dans  une 
gaine  d’argent , lui  pendoit  hors  de  la  bouche  dei 
la  longueur  de  quatre  doigts.;  cependant  elle  ar-* 
liculoit  distinctement  et  sans  bégayer. 

D’autres,  dont  la  langue  avoit  été  extirpée  jus- 
qu’à la  racine,  ou  qui  l’avoient  perdue  par  la  gan- 
grène , ceux  mêmes  qui  étoient  nés  sans  langue , 
ont  parfaitement  parlé.  Huxhara,  médecin  célèbre 
et  digne  de  foi,  a donné  dans  les  Transactiom 
philosophiques  à&  Londres  (2)  de  lyds  , l’histoire 
d’une  jeune  fille  qui  parloit  fort  distinctement 
quoiqu’elle  n’eût  point  de  langue,  DrelincourtJ 
Tulpius  et  Jussieu  font  également  mention  de  pa-‘ 
reils  phénomènes. 

Je  parlerai  maintenant  de  l’obliquité  de  l’épine 
du  dos,  à laquelle  ïiipj)ocrate  a donné  le  nom  de 
scoliosis.  J’ai  déjà  fait  mention  ailleurs  de  plu- 
sieurs circonstances  relatives  à la  cause  de  ce  dé- 

.! 

faut , dont  la  répétition  seroil  déplacée  ici  ; mais 
je  n’ai  rien  dit  encore  de  la  nature  de  celte  ma- 
ladie , ni  des  moyens  de  la  guérir  ; je  vais  donc 
m’occuper  de  ces  objets. 

Dans  la  plupart  des  enfans  nouveaux-nés  les 
vertèbres  sont  cartilagineuses,  et  ce  n’est  que  dans 


(1)  0!s.  ]\Ied.  Chir.  , pag.  142. 

(2)  N Journal  des  Savans,  novembre  1761 , pag.  3g  et  suîv.j 


285 


DES  ENFANS. 

ieur  centre  et  dans  leurs  apophyses  qu’elles  ont 
un  noyau  osseux.  Cet  état  dure  assez  long-tems  , 
quoique  les  vertèbres  s’ossifient  continuellement 
de  plus  en  plus;  elles  croissent  même  jusqu’à  l’àge 
' de  puberté,  et  l’ossification  n’est  parfaite  qu’à  ce- 
lui de  vingt-cinq  ans. 

Ces  vertèbres  sont  attachées  les  unes  aux  autres 
par  des  ligamens  dont  la  partie  intérieure  est  fort 
molle,  mais  en  même  tems  fort  élastique,  et  cela 
au  point  même  que  , par  sa  force  spécifique  , elle 
soulève  toute  l’épine  du  dos  avec  les  parties  adhé- 
rentes. Or  , du  moment  que  , par  une  mauvaise 
attitude,  ou  par  des  corps  à baleines  trop  étroits, 
la  colonne  vertébrale  s’incline  du  même  côté,  celte 
matière  élastique  est  froissée;  de  sorte  que  le  corps 
cartilagineux  des  vertèbres  supérieures  se  trouve 
comprimé  , et  adhère,  du  moment  que  la  lame 
cartilagineuse  placée  entre  les  vertèbres  est  dé- 
truite , à la  vertèbre  inférieure  ou  à la  suivante  : 
alors  la  nutrition  devient  nulle,  les  vertèbres  pren- 
nent une  forme  triangulaire,  et  l’épine  du  dos  se 
courbe  de  la  manière  que  l’a  représenté  Chesel- 
den  (i). 

Les  cotes  attachées  forment  donc  une  bosse  du 
côté  opposé  à l’épine  du  dos  comprimée , et  un 
creux  du  côté  vers  lequel  les  vertèbres  sont  incli- 


(0  Osteogr,^  tab.  XLIIl. 


28Ü 


!)  J . 1/  k I)  U C A T I O N 

nées.  Les  é])anies  , ne  correspondanl  par  consé- 
quent plus  avec  les  cotes  protubérantes,  s’élèven 
plus  qu’il  ne  convient  j de  sorte  que,  d’une  petite 
flexion  de  l’épine  du  dos  , il  résulte  une  grandt 
bosse.  La  tête,  ne  se  trouvant  plus  soutenue  dans 
une  position  droite,  se  penche  également  de  tra- 
vers, vers  le  côté  où  est  la  bosse,  pour  que  le  cen 
Ire  de  gravité  soit  plus  facile  à conserver. 

11  est,  donc  évident  que  ce  n’esl  pas  la  partie 
saillante  qu’il  faut  com])rimer  ; mais  qu’on  doit 
chercher  à soulever  l’aisselle  affaisée,  pour  que  les 
lames  cartilagineuses  qui  sont  jdacces  entre  les 
vertèbres  puissent  reprendre  leur  élasticité,  ou  du 
moins  pour  prévenir,  si  cela  ne  réussit  pas,  que 
la  courbure  de  l’épine  du  dos  n’augmente. 

Il  est  également  incontestable  que  toutes  les  es- 
pèces de  colliers  formés  de  rubans  ou  de  métaux, 
ne  corrigent  pas  ce  défaut;  qu’ils  forcent,  au  con- 
traire, de  plus  en  plus  l’épine  du  dos  à se  jeter  de 
côté, parce  que  c’est  toujours  vers  ce  côté-là  qu’on 
dirige  le  centre  de  gravité  de  la  tête. 

Î1  paroît  enfin  que  ce  défaut  ne  sauroit  être  cor- 
rigé par  la  suspension  à l’anneau  que  Nuck  (1)  re- 
commande pour  guérir  ceux  qui  ontlecou  de  tra- 
vers. L’inclinaison  de  l’épine  du  dos  formée  par 
les  causes  dont  j’ai  fait  mention,  gît  dans  les  ver- 


(i  ) Exper.  chir. , pag.  86. 


DES  ENFANS. 


DES  ENFANS.  £>87 

îèbres.  Si  donc  on  sus})endolt  l’enfant  dans  l’an- 
neau en  question,  le  poids  des  bras  presseroit  le 
tronc  vers  en  bas;  et  la  force  expansive  agit  le  plus 
sur  les  ligamens  qui  attachent  la  seconde  vertèbre 
cervicale  à la  tête. 

J’ai  suffisamment  démontré,  je  pense  , que  les 
remèdes  qu’on  emploie  communément  empirent 
le  mal;  je  recommande  donc  de  nouveau  qu’on 
l’abandonne  à la  nature;  c’esl-à-dire , qu’on  re- 
jette toutes  espèces  de  corsages  , de  colliers  , etc.  ; 

J jqu’on  ait  soin  enfin  que  les  enfans  ne  restent  pas 
trop  long-tems  penchés  d’un  même  côté,  et  qu’ils 
ne  portent  ou  ne  soulèvent  pas  un  poids  trop  lourd 
avec  une  seule  main  ; car  dans  l’instant  l’élasticité 
des  lames  placées  entre  les  vertèbres  se  trouve 
froissée,  à peu  près  de  la  manière  que  l’élasticité 
d’une  corde  de  métal  est  anéantie  par  un  coup  de 
marteau.  Mais  en  voilà  assez  sur  les  défauts  qui  ré- 
sultent d’une  mauvaise  position  du  corps. 

J’ai  déjà  observé  que  c’éteit  ]>ar  accident  que 
les  enfans  devenoient  boiteux;  il  convient  donc  de 
faire  quelques  recherches  sur  ce  défaut  , qui  est 
fort  commun  dans  notre  patrie.  Dans  la  ville  que 
j’habite  actuellement  (Franeker),  on  compte  en 

I'^tout  deux  mille  sept  cent  soixante-quinze  hah - 
tans,  parmi  lesquels  il  3’  a quatre-vingt-seize  boi- 
teux. Si  l’on  retranche  donc  de  ce  nombre  cent 
quatre  enians  qui  ne  peuvent  pas  encore  marcher, 


288 


T)  E l’  É I)  U C A T 1 O N 


il  y aura  deux  mille  six  cent  soixante-onze  âmes , 
lequel  nombre,  divisé  de  nouveau  par  quatre-vingt- 
seize  , nous  donne  ])our  résultat  celui  de  vingt- 
luiit  : les  boiteux  y sont  donc  aux  personnes  qui 
n’onl  point  ce  défaut , commme  un  est  à vingt- 
liuil. 

Il  est  remarquable  qu’il  y ait  dans  cette  même 
ville,  seize  hommes  faits  et  quarante- deux  fem- 
mes dont  le  corps  est  de  travers  ; et  cela  au  point 
que , malgré  les  corps  à baleines  et  tous  les  autres 
moyens  dont  on  se  sert  pour  cacher  ce  vice  de  con- 
formation , il  n’en  est  pas  moins  fort  visible.  Mais 
je  retourne  à mon  sujet. 

Les  enfalns  sont  conformés  de  manière  que  le 
centre  de  gravité  se  trouve  au-dessus  du  centre  de 
mouvement,  c’est-à-dire,  au-dessus  de  l’articula- 
tion des  hanches.  C’est-là  ce  qui  les  rend  fort  su- 
jets à tomber,  quand  ils  veulent  accélérer  leur 
course;  car  le  centre  de  gravité  acquiert  alors  une 
fot  ce  qui  le  porte  à dévancer  le  centre  de  mouve- 
ment. Les  enfans  tombent  par  conséquent  tou- 
jours en  avant.  Je  vais  joindre  ici  une  figure  pro- 
pre à éclaircir  ce  fait. 

Soit  A.  B.  la  hauteur  de  l’enfant  ; C.  le  centre  de 
gravité  près  du  nombril;  D.  le  centre  de  mouve- 
ment. Que  l’enfant  courre  , il  est  évident  que  la 
vélocité  du  centre  de  gravité  C.  sera  à la  vélocité 
de  D.  comme  C.  F.  est  à J).  G.,  et  que  celle  de  la 


! 


fi 

S 


DES  ENFANS.  289 

tête  sera  comme  A.  E.  ou  bien  comme  A.  B.  à 
B.  C. , et  B.  C.  à B.  D.  Du  moment  que  le  centre 
de  gravité  et  celui  de  mouvement  viendront  à se 
joindre,  ces  forces  seront  réciproquement  égales; 
c’est-à-dire  , que  C.  F.  sera  égal  à D.  G. 


Lorsqu’on  porte  l’enfant  sur  le  bras  , le  centre 

de  gravité  est  de  la  même  manière  au-dessus  du 

centre  de  repos.  Par  exemple,  soit  A.  B.  C.  D.  Fen- 

fant  qui  est  porté  sur  le  bras;  E.  le  centre  de  re- 
‘lot 

pos  ; E.  le  centre  de  gravité  : il  est  certain  que  lors- 

19 


III, 


que  Fenfant  tombe,  la  nourrice  ne  peut  le  retenir 
que  par  les  jambes,  et  qu’il  doit  nécessairement 
tomber  en  arrière  , parce  qu’il  ne  trouve  aucun 
point  d’appui  de  ce  côté-là;  ou  bien  il  tombera  de 
côlé.  Lorsque  l’enfant  commencera  à tomber,  la' 
nourrice  cherchera  à prévenir  sa  chute  en  le  rete- 
nant par  les  pieds;  c’est  dans  ce  moment  que  la 
vélocité  et  la  force  données  au  centre  de  gravité 
E.  seront  cause  qu’une  des  hanches  ou  toutes  les 
deux  B.  se  trouveront  offensées;  ce  qui  arrive  coin^'^ 
munément  avant  que  l’enfant  puisse  marcher. 


DES  E N F A N S.  201 

Ce  froissement  ou  contusion  est  cause  que  la  tête 
du  fémur  sort , dans  la  suite  , totalement  de  son 
emboîturej  il  y Hue  alors  une  sérosité  visqueuse  , 
laquelle  distend  peu  à peu  le  ligament  capsulaire 
et  le  ligament  plat,  au  point  que  la  tête  se  trouve 
totalement  expulsée,  et  va  se  fixer  dans  quelque 
endroit  voisin.  De  là  résulte  la  claudication  , la- 
quelle est  peu  sensible  quand  l’enfant  commence 
à marcher , mais  elle  augmente  ensuite  chaque  jour 
de  plus  en  plus. 

Les  enfans  chancellent  aussi  davantage  , parce 
que  le  centre  de  gravité  est  placé  plus  haut  au- 
dessus  du  centre  de  mouvement;  par-là  l’emboî- 
ture  de  la  hanche  , qui  est  encore  cartilagineuse  , 
s’alonge,  ou  bien  la  tête  du  fémur  et  son  cou,  les- 
quels sont  également  cartilagineux  encore,  se  trou- 
vent comprimés  j par  conséquent  tous  les  deux 
sont  offensés  dans  le  même  tems.  Quelquefois  cette 
luxation  est  plus  grande  , d’autres  fois  elle  est 
moindre,  suivent  la  cause  qui  l’a  produite  et  le 
degré  de  forces  de  l’enfant. 

Cette  difformité  augmente  d’une  façon  effrayante, 
lorsque  les  païens  veulent  faire  marcher  trop  tôt 
I l’enfant  ; elle  empire  même  à tel  point , par  les 
jmouvemens  que  fait  l’enfant,  quand  il  est  plus 
âgé , que  si  l’on  n’y  veille  pas  attentivement , l’é- 
pine du  dos  se  déjette;  de  sorte  que  l’enfant , qui 
ne  faisoit  que  boiter,  devient  aussi  à la  fin  bossu. 


Plut  au  ciel  que  le  mal  ne  s’empirât  pas  de  lui- 
même  ! Les  os  , comme  je  l’ai  dit  , prennent  de 
jour  en  jour  une  plus  grande  croissance  relative- 
ment au  tronc  ; la  jambe  boiteuse  moins  cependant 
que  l’autre,  parce  qu’après  le  déboîtement  de  la 
hanche,  les  vaisseaux  sanguins  et  les  nerfs  cruraux 
se  trouvant  trop  distendus  et  obstrués,  ne  fournis- 
sent pas  la  nourriture  convenablea  La  jambe  af- 
fectée maigrit  par  conséquent  , et  devient  encore 
plus  courte  en  comparaison  de  la  jambe  saine. 

Le  corps  se  trouve  donc  soutenu  inégalement  ; 
en  un  mot,  le  mal  s’accroît  quelquefois  par-là  si 
considérablement,  que  le  patient  ne  peut  à la  fin 
plus  marcher  qu’avec  des  béquilles. 

Et  ,ce  qui  est  véritablement  affligeant, c’est  que 
la  claudication  ne  sauroiî  être  guérie  d’aucune  ma- 
nière; l’on  ne  sauroil  y appoiter  d’autre  remède 
que  celui  de  soutenir  le  corps  par  une  botte  avec 
des  articulations  mobiles,  qui  monte  jusque  sousr 
l’aisselle,  afin  que  l’épine  du  dos  conserve  une  po- 
sition droite,  et  que  la  partie  déboîtée  soit  conve- 
nablement nourrie. 

Les  souliers  à talons  hauts  de  bois  , comme  en 
portent  les  femmes,  sont  nuisibles;  de  même  que 
çeuxqu’on  rehausse  avec  du  liège.  Il  est  vraique  cela, 
sert  à masquer  plus  ou  moins  la  dilformité  ; mais; 
Bussi  cela  fait-il  remonter  la  tête  du  fémur  conti’et, 
l’os  ilion  ; ce  qui  contribue  à augmenter  la  claudi-.i  j 


DES  ENFANS. 


293 

cation  et  le  dépérissement  de  la  jambe  affectée. 

Lorsque  le  patient  est  parvenu  à l’âge  de  pu- 
berté , et  que  la  croissance  est  achevée  , on  peut 
bien  , pour  l’élégance , garnir  le  soulier  d’un  talon 
de  bois  ou  de  liège;  cela  rend  en  même  tems  la 
marche  plus  aisée;  mais  il  faut  alors  abandonner 
tous  les  autres  moyens. 

Je  ne  puis  cependant  m’étonner  assez  du  grand 
nombre  de  boiteux  qu’on  rencontre  dans  les  villes. 
Ce  défaut  est  fort  rare  parmi  les  gens  de  la  cam- 
pagne. On  diroit  aussi  que  la  claudication  est  hé- 
réditaire dans  certaines  familles , chez  qui  elle 
semble  passer  du  père  ou  de  la  mère  aux  enfans. 

Jamais  néanmoins  ce  défaut  n’a  rendu  l’accou- 
chement difficile  : on  diroit , au  contraire  , qu’il 
sert  à le  faciliter,  parce  que  le  bassin  des  femmes 
boiteuses  est,  en  général , plus  large. 


204 


DE  l’ ÉDUCATION 


CHAPITRE  VI. 


S’il  faut  inoculer  les  petits  enfans. 


Ce  seroit  s’occuper  d’un  travail  inutile  que  de 
vouloir  répéter  tout  ce  qui  a été  dit  pour  et  con- 
tre l’inoculation.  Ce  que  le  révérend  et  célèbre  C. 
Chais  a publié  sur  cette  matière,  dans  le  premier 
volume  des  Mémoires  de  la  Société  des  sciences 
de  Harlem  , doit  suffire  pour  nous  convaincre  de 
l’utilité  de  l’inoculation.  Les  objections  qu’on  a 
voulu  faire  n’ont  pas  été  d’un  grand  poids,  parce 
que  la  contagion  est  une  espèce  d’inoculation  con- 
tre laquelle  il  est  impossible  que  les  parens  garan- 
tissent leurs  enfans  qui  fréquentent  les  écoles. 

Tous  les  médecins  s’accordent , il  est  vrai , à 
dire  qu’on  doit  prendre  en  considération  l’age  des 
enfans,  et  que  celui  de  six  ou  sept  ans  est  le  plus 
convenable  pour  cet  effet  ; mais  que  faudra  - t-il 
faire,  demanderai-je,  si  la  contagion  donne  av'ant 
ce  tems  la  petite  vérole  à ceux  qu’on  a voulu  en 


DES  ENFANS. 


295 

préserver?  Reste-t-il  alors  assez  de  lems  pour  que 
les  remèdes  diasostiques  diminuent  la  violence  de 
ce  terrible  fléau  ? 

Tout  ce  que  j’ai  ])u  observer  touchant  cette 
cruelle  maladie,  tant  acquise  naturellement  que 
communiquée  par  inoculation  , m’a  convaincu 
que  la  constitution  scorbutique  des  enfaris  , ainsi 
que  celle  des  adultes  , en  rend  les  accidens  plus 
graves.  Est-il  vraisemblable  qu’une  simple  prépa- 
ration puisse  remédier  à cette  disposition  du  corps? 
La  contagion  ne  nous  surprend  - elle  pas  tandis 
que  nous  songeons  à nous  préparer?  Cette  mala- 
die est-elle  également  mortelle  dans  tous  les  pays, 
dans  tontes  les  villes?  Ne  remarque-t-on  pas,  ou- 
tre cela,  tous  les  ans  une  certaine  proportion  en- 
tre le  nombre  des  morts  et  celui  des  naissances? 

Si  de  plus  nous  portons  notre  attention  sur  le 
nombre  et  sur  i’àge  des  morts  qu’on  enterre  tous 
les  mois  à Londres,  il  paroît  qu’il  meurt  un  tiers 
des  enfans  avant  qu’ils  aient  atteint  l’age  de  deux 
ans,  et  un  sixième  de  ce  qui  reste  avant  celui  de 
cinq  ans.  En  général , les  enfans  meurent  dans 
une  telle  progression  , que  la  moitié  Èi  peu  près 
n’existe  plus  avant  le  teins  auquel  il  seroit  pro- 
prement convenable  de  les  faire  inoculer. 

L’inoculation  ne  convient  donc  que  dans  cer- 
tains cas  particuliers  ; et  , quoiqu’on  puisse  dire  , 
les  accidens  qui  en  résultent  sont  toujours  moins 


2q6  de  l’éducation  des  enfans. 

(la  ngereux,  et  la  petite  vérole  secondaire  est  moinà  I 
maligne.  Par  consécjuent  , le  visage  n’est  pas  si 
maltraité,  et  la  cécité  paroît  être  rarement  , pour 
ne  pas  dire  jamais,  la  suite  de  l’inoculation. 

Mon  coeur  est  véritablement  pénétré  de  dou-| 
leur,  quand  je  me  rappelle  le  nombre  d’enfans] 
que  la  petite  vérole  secondaire  a rendus  aveugles;  ; 
et  la  manière  dont  j’ai  vu  ces  pauvres  innocens  , | 
qui  ignoroient  leur  malheureux  sort,  rire  et  jouer 
sur  le  giron  de  leur  mère.  Si,  à ces  infortunés,  on 
joint  le  nombre  considérable  de  ceux  qui  en  gar-  I 
dent  pendant  toute  leur  vie  des  yeux  malades  et 
d’autres  incommodités  , ainsi  que  les  femmes  en- 
ceintes que  cette  maladie  conduit  au  tombeau  , et 
les  terribles  fausses  couches  qui  en  résultent , on 
ne  peut  douter  que  l’inoculation  ne  soit  un  grand 
bienfait  pour  l’humanité  , lorsqu’on  l’administre  à 
Page  convenable. 

Voilà,  Messieurs,  ce  que  j’avois  à dire  sur  l’é-, 
ducation  des  enfans.  Comme  j’ai  pensé  qu’il  fal- 
loit  être  succinct , j’ai  passé  sous  silence  les  objets 
qui  n’ont  pas  un  rapport  direct  au  régime  des  en- 
fans. Ils  sont  sujets  à plusieurs  autres  incommodi- 
tés encore,  dont  je  n’ai  voulu  ni  dû  vous  entrete- 
nir ici , parce  qu’elles  ne  sont  pas  à la  portée  des 
parens  ; d’ailleurs,  elles  ne  paroissent  pas  entrer 
dans  la  question  à laquelle  je  m’étois  proposé  de 
répondre. 


DEUX  DISCOURS 


SUR  LA  MANIÈRE 

DONT  LES  DIFFÉRENTES  PASSIONS 


SE  PEIGNENT  SUR  LE  VISAGE. 


t 


PRÉFACE 


DE  L’  É D I T E U R. 

N ou  s publions  ici  les  derniers  discours  que  feu 
M.  P.  Camper  a lus  en  1 77-i , 1778  et  1782  , à l’A- 
cadémie de  dessin  d’Amsterdam.  Ces  discours 
étoient  destinés  à former  chacun  en  particulier 
une  dissertation  ; mais  l’auteur  les  a laissés  tels 
qu’il  les  avoit  prononcés  en  public. 

Les  deux  premiers  ont  pour  objet  V Examen 
des  passions,  avec  la  manière  sûre  de  les  expri- 
mer. Les  connoissances  profondes  que  M.  Camper 
possédait  dans  l’anatomie  et  dans  l’art  du  dessin, 
l’avûient  mis  à même,  plus  que  tout  autre,  d’ap- 
percevoir  les  fautes  que  les  peintres  ont  commises 
dans  cette  partie  importante  , et  de  les  corriger  , 
en  même  îems,  par  de  nouvelles  idées.  Il  ne  nous 
appartient  pas  de  dire  quel  a été  le  succès  de  ce 
travail 5 mais  qu’il  nous  soit  permis  de  rajipeler 
les  applaudissemens  que  lui  ont  mérité  ces  dis- 
cours , et  le  désir  qu’ont  montré  les  amateurs  de 


ooo 


r n É F A c E 


la  peinture  qu’ils  fussent  rendus  publics  par  l’im- 
pression. Une  si  llaUeuse  perspective  a servi  beau-' 
coup  à nous  encourager  dans  celle  entreprise  ; 
quoique  nous  avouions  à l'egrel  combien  peu  nous 
sommes  en  état  de  remplir  l’attente  du  public  à 
cet  égard,  à cause  que  l’auteur  a laissé  les  dessins 
destinés  à servir  à l’intelligence  du  texte  dans  un 

O 

tel  état  d’imperfection  que  nous  avons  douté  long-' 
temss’il  étoil  convenable  de  les  publier;  ceux  du 
moins  qui  ont  pour  objet  l’expression  des  passions. 
Tous  les  dessins  que  nous  possédons  relativement 
à celle  matière  ne  sont  que  de  simples  croquis,' 
pleins  de  feu,  à la  vérité,  et  rendant  parfaitement 
l’essentiel  de  ce  que  l’auteur  se  proposoit  de  dé- 
montrer, mais  si  peu  arrêtés  qu’il  étoit  impossi- 
ble de  les  publier  dans  cet  état.  Nous  avons  donc, 
avéc  l’aide  d’un  habile  graveur , fait  exécuter  les 
planches  ci-jointes  aussi  exactement  qu’il  nous  a 
été  possible  d’après  les  esquisses  originales,  en  n’y 
faisant  que  les  changernens  indispensablement  né- 
cessaires. Nous  ne  pouvons  assurer  cependant  d’a- 
voir pleinement  satisfait  par-là  aux  intentions  de 
l’auteur,  et  nous  devons  réclamer  l’indulgence  des 
lecteurs  sur  le  peu  de  perfections  de  ces  gravures. 


DE  l’ ÉDITEUR.  5ol 

L’objet  des  deux  discours  suivons  est  d’appli- 
juer  à la  peinlure  V étonnante  conformité  cjiii 
Kxiste  entre  la  structure  de  V homme  et  celle  des 
juadrupèdes , des  oiseaux  et  des  jjoissons;  suivi 
Vune  nouvelle  méthode  pour  apprendre  à des- 
siner toutes  les  espèces  cFaniniaux  d’une  ma- 
nière sûre  et  facile. 

Nous  avons  trouvé  les  esquisses  que  l’auteur  a 
laissées  pour  cette  pièce  assez  bonnes  pour  ne  de- 
imander  aucun  changement.  Quoique  nous  eus- 
Isions  désiré  que  ces  figures  offrissent  un  contour 
plus  exact  et  des  attitudes  plus  agréables  , nous 
avons  cru  qu’il  falloit  préférer  la  plus  scrupuleuse 
exactitude  à toute  espèce  d’ornement 5 et  la  moin- 
dre altération  dans  les  traits  auroil  indispensable- 
ment nuit  à la  vérité. 

Le  dernier  discoursa  pour  objet  \e  Beau  phy- 
sique ou  la  Beauté  des  formes. 

Peut-être  y aura-t-il  des  personnes  qui,  s’étant 
trouvées  à la  lecture  de  ces  discours,  en  seront 
moins  satisfaites  en  les  lisant  aujourd’hui  imprimés. 
Elles  se  rappeleront  peut-être  d’avoir  entendu  et  vu 
démontrer  alors  par  l’auteur  beaucoup  de  choses 
dont  il  n’est  j)oint  fait  mention  ici  : des  notes  mar- 


,")02  I>  R É F A C E DE  l’  É D I T E U R. 


ginales  du  manuscrit  et  le  témoignage  de  plusieurs 
témoins  nous  apprennent  cpi’il  nous  manque  dif- 
férentes choses  qui  lirenl  alors  une  vive  et  agréa-l 
ble  impression  sur  l’esprit  des  auditeurs^  mais  dont 
il  ne  nous  est  rien  resté  ni  dans  les  manuscrits  dé 
l’auteur,  ni  sur  les  tableaux  à dessiner  de  l’Aca- 
démie. Il  est  heureux  du  moins  que  l’essentiel  de 
ces  discours  nous  soit  parvenu  dans  l’état  où  il  se 
trouve,  et  nous  osons  espérer  qu’en  les  olfrant  au  j 
public  c’est  lui  faire  un  présent  qui  ne  peut  que 
lui  être  agréable. 


PREMIER  DISCOURS. 


i 


JVÆ  ESSIEURS, 

DÈS  la  pins  haute  antiquité,  la  peinture  a été 
considérée  non-seulement  comme  le  plus  agréable 
et  le  plus  utile  des  ai'ts,  mais  sa  pratique  a été  re- 
gardée comme  tellement  nécessaire  à tous  les  hom- 
mes, sans  distinction  de  rangs,  que,  suivant  Aris- 
tote, dans  son  essai  sur  les  républiques,  les  Grecs 
la  faisoient  enseigner  à la  jeunesse  , afin  que  les 
enfans,  ceux  surtout  des  premiers  citoyens  , pus- 
sent porter  un  jugement  sain  et  bien  raisonné  sur 
les  productions  de  Fart. 

Cet  illustre  précepteur  d’Alexandre  le  Grand 
ajoute , qu’il  faut  aussi  initier  les  jeunes  gens  dans 
cet  art  enchanteur  pour  leur  donner  un  goût  plus 
sûr  , afin  qu’ils  puissent  faire  avec  discernement 
l’achat  des  meubles  destinés  à orner  leurs  mai- 
sons, et  pour  qu’ils  fussent  bien  pénétrés  de  iacon- 
noissance  du  vrai  beau. 

Ce  louable  exemple  éîoit  jadis  si  généralement 


3o4 


DISCOURS  LUS 


suivi  parmi  nous,  que  les  enfans  des  meilleurs  ci- 
toyens de  toutes  nos  villes  , furent  instruits  dans 
ce  bel  art  ; mais  aujourd’hui  nous  nous  plaignons, 
avec  raison  , de  sa  décadence , même  dans  les  vil- 
les de  Hollande  où  il  paroissoit  avoir  établi  au- 
trefois son  siège. 

Il  n’y  a plus  , à proprement  parler  , que  cette 
ville  seule  qui  continue  à protéger  cette  aimable 
soeur  de  la  poésie;  et  cela  avec  un  tel  succès,  que 
ce  n’est  pas  seulement  la  jeunesse  actuelle  qui  nous 
donne  les  plus  grandes  espérances,  mais  nous  pos- 
sédons déjà  même  réellement  des  artistes  qui , 
stimulés  par  la  noble  émulation  de  se  surpasser 
mutuellement , produisent  des  chefs-d’œuvre  aussi 
propres  à orner  cette  capitale  qu’à  étendre  la  re- 
nommée de  notre  patrie. 

Mais  , pour  ne  pas  trop  m’écarter  de  mon  but , 
je  passerai  sous  silence  les  leçons  instructives  et  les 
discours  intéressans  que  plusieurs  membres  de 
l’Académie  ont  prononcés  dans  le  lieu  que  j’oc-1 
cupe.  Leur  modestie  ne  me  permet  pas  d’appré- 
cier, en  leur  présence , ces  beaux  discours  à leur,, 
juste  valeur.  Je  ne  parlerai  donc  que  de  ce  que  je  * 
dois  à ma  propre  expérience,  par  qui  j’ai  appris  à 
connoître  et  le  zèle  soutenu  des  Mécène  de  cette 
Axadéinie , et  le  goût  décidé  pour  les  arts  des  plus 
respectables  citoyens  de  cette  ville  célèbre  ! 

Combien  ne  furent  pas  flatteurs  pour  moi , les 


5o5 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN. 

encouragemens  que  vous  daignâtes  me  donner  en 
J 770,  en  m’engageant  à faire  des  recherches  sur 
les  principes  fondamentaux  d’un  art  qui  fera  tou- 
jours mes  plus  chères  délices. 

’ Ces  encouragemens  furent  pour  moi  une  loi  im- 
périeuse ; et  sensible  à la  gloire  , qu’on  voudra 
bien  , j’espère,  ne  pas  prendre  pour  de  la  vanité  , 
je  fus  animé  du  désir  de  démontrer,  en  votre  pré- 
sence , combien  la  connoissance  de  l’anatomie  in- 
flue sur  la  peinture. 

En  1770  , j’eus  le  plaisir  de  vous  faire  voir  avec 
quelle  facilité  , avec  quelle  certitude  , on  pouvoit 
représenter  les  diflévens  traits  caractéristiques  de 
la  physionomie  des  différens  âges  et  des  dilï'érentes 
nations.  Aujourd’hui  je  me  propose  de  démontrer 
combien  il  est  aisé  de  peindre  les  différentes  pas- 
sions sur  le  visage  de  V homme  mais  comme 
cette  science  est  plus  abstruse  , les  principes  en 
sont  aussi  plus  difficiles  à saisir,  ils  demandent  une 
connoissance  plus  profonde  de  la  charpente  du 
corps  humain,  non-seulement  quantaux  os,  mais 
aussi  quant  aux  muscles  et  aux  nerfs;  connoissance 
essentiellement  nécessaire  si  nous  voulons  bien  ap- 
pliquer les  réglés  dont  je  vais  vous  entretenir. 

Je  m’adresse  donc  à vous,  généreux  protecteurs 
de  cette  Académie  ! à vous,  dignes  directeurs  de 
celte  école  illustre  ! à vous,  artistes  célèbres,  qui, 
par  vos  productions  , soutenez  la  gloire  de  cette 
III. 


20 


3o6 


DISCOURS  LUS 


Utile  institution  ! à vous,  amateurs  et  protecteurs 
de  Fart  du  dessin  ! je  vous  prie  de  m’accorder  vo- 
tre attention  et  votre  bienveillance.  Pardonnez  si 
j’ose,  en  présence  de  tant  de  personnes  instruites 
et  habiles,  vous  proposer  des  règles  sur  un  art  qui, 
je  crains,  est  au-dessus  de  mes  forces.  Excusez 
mon  zèle,  infructueux  peut-être,  mais  lequel  du 
moins  n’est  dicté  que  par  le  désir  d’être  utile. 

L’expression  fidelle  des  mouvemens  de  l’ame 
par  l’imitation  exacte  des  traits  du  visage  qui  les  in- 
diquent, a été  fort  estimée  dans  les  teins  les  plus 
reculés.  Pline  fait  mention  d’un  certain  Aristide 
deThèbes,  qui  le  premier  a représenté  les  passions 
et  les  affections  de  Famé.  Quoiqu’on  ne  puisse  pas 
disconvenir  que  les  bras,  les  jambes,  l’attitude  du 
corps  entier,  contribuent  à exprimer  nos  passions, 
il  faut  avouer  cejiendant  que  le  visage  a toujours 
été  considéré  comme  le  véritable  siège  de  Fexpres- , 
sion  des  sentimens  qui  agitent  notre  ame. 

Cicéron  appelle  le  visage  le  langage  tacite  ou 
muet  de  Famé  5 et  Sénèque,  qui  avoit  acquis  de 
grandes  connoissances  des  facultés  intellectuelles 
de  l’homme,  dit , avec  raison  , qu’à  peine  peut-il 
s’élever  quelque  passion  violente  en  nous  qu’elle! 
ne  soit  sur-le-champ  peinte  d’une  manière  visible 
sur  notre  visage. 

Mais  c’esl-là  trop  généraliser  les  idées  pour 
qu’on  puisse  en  conclure  que  les  anciens  étoieot 


A l’  A C A D.  UE  DESSIN.  .5o7 

aussi  insti’iiits  que  nous  les  sommes  sur  cette  ma- 
tière.  J’ai  voulu  dire  seulement  qu’ils  en  avoient 
d’assez  bonnes  notions  , et  qu’ils  savoient  , entre 
autres,  que  les  yeux  sont  les  véritables  miroirs  de 
l’ame.  L’ame  , dit  Pline , ce  grand  juge  des  beaux- 
arts,  habite  dans  les  yeux!  Il  n’ignoroit  pas  non 
plus  que  le  mouvement  des  sourcils  y joue  le  prin- 
cipal rôle. 

Je  dois  vous  renvoyer  à l’ouvrage  de  Junius  sur 
la  peinture  des  anciens  , pour  que  vous  puissiez 
vous  convaincre  de  la  connoissance  profonde  qu’ils 
avoient  de  cette  partie  de  l’art.  Il  est  malheureu- 
sement vrai  que  nous  avons  perdu  la  plupart  des 
chefs-d’œuvre  de  ces  admirables  maîtres  ; mais  le 
Laocoon  seul  suffit  pour  nous  convaincre  jusqu’à 
quel  degré  ils  avoient  approfondi  l’expression  des 
sentimens  de  la  douleur.  Ce  n’est  pas  sur  le  visage 
seul  qu’on  lit  les  soulfrances  auxquelles  il  est  en 
proie;  le  tronc  entier,  les  bras,  les  jambes,  cha- 
que partie  enfin  de  son  corps  annonce  fortement 
chez  lui  des  soulfrances  atroces. 

L’aménité  qui  caractérise  la  Vénus  deMédicis,  la 
majesté  de  l’Apçllon  Pythien , les  dieux  et  les  dées- 
ses représentés  par  les  anciens  sur  les  pierres  gra- 
vées , les  differens  masques  , les  Faunes  lascifs  et 
toutes  les  autres  productions  de  ce  genre  doivent 
nous  convaincre  que  l’expression  des  mouvemens 
de  l’ame  ne  fut  pas  la  moindre  partie  de  la  pein^ 


5o8 


DISCOURS  LUS 


tare  et  de  la  sculpture  dans  laquelle  excelloient  les 
anciens  artistes. 

Cependant  lu  main  de  la  barbarie  a plongé  en- 
suite tous  les  beaux-arts  dans  un  profond  oubli , 
où  ils  sont  restés  jusqu’au  quatorzième  siècle: alors 
les  sciences  recommçncèrent  à fleurir  insensible- 
ment , pour  se  relever,  au  seizième  et  dix-septième 
siècles  , avec  une  si  grande  vigueur  que  l’Europe, 
fatiguée,  pour  ainsi  dire,  d’avoir  produit  un  si 
grand  nombre  d’hommes  illustres  dans  tous  les 
genres,  semble  avoir  besoin  de  quelques  années  de 
repos,  avant  qu’elle  puisse  en  faire  naître  d’autres 
de  ce  mérite. 

Peut-être,  dira-t-on,  que  nous  manquons  de 
Mécène?  Celte  question  m’écarteroit  trop  de  mon 
but  j et  ce  seroit  nous  rendre  coupables  d’ingrati- 
tude que  d’oser  le  supposer,  en  voyant  le  zèle  avec 
lequel  on  encourage  les  savans  et  les  artistes,  sur- 
tout dans  cette  ville. 

Mais  j’abandonne  ces  réflexions,  quelque  flat- 
teuses qu’elles  me  paroissent , pour  vous  faire  ob- 
server que  Paul  Lomazzo,  dans  son  excellent  ou- 
vrage DeW  arte  délia  pittura  ^ publié  en  i58i , 
s’est  beaucoup  appliqué  à indiquer  les  altérations 
que  produisent  les  différentes  passions  sur  la  phy- 
sionomie de  l’homme,  et  les  diverses  attitudes  et 
positions  qu’elles  font  prendre  à notre  corps  , et 
auxquelles  il  paroît  s’être  arrêté  principalement. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  3o9 

Î1  rapporte,  entr’aiUres , que  Michelino,  pein- 
tre milanois  , avoit  re])résenté  deux  paysans  et 
deux  paysannes  riant  avec  tant  de  force  et  de  vé- 
rité qidon  ne  pouvoit  les  fixer  sans  éclater  soi- 
même  de  rire. 

Léonard  de  Vinci  s’amusoit  également , à ce 
qu’il  dit  lui -même,  à dessiner  des  visages  j’ians. 
Personne  n’ignore  que  les  carricatures  étoient  fort 
à la  mode  de  son  teins  , et  furent  tellement  mul- 
tipliées qu’elles  finirent  par  inspirer  du  dégoût. 

Léonard  de  Vinci,  qui  florissoit  au  commence- 
ment du  seizième  siècle  , dans  son  immortel  ou- 
vrage sur  la  peinture,  que  toutes  les  nations,  ex- 
cepté la  notre,  que  je  sache,  ont  traduit  avec  une 
sorte  de  respect  ; Léonard  de  Vinci,  dis-je,  a traité 
de  toutes  les  impressions  que  les  mouvemens  de 
l’ame  font  sur  les  traits  de  la  physionomie,  com- 
me on  peut  le  voir  aux  chapitres  a55  et  sÔy;  quoi- 
qu’il se  soit,  comme  Lomazzo,  arrêté  principale- 
ment aux  airs  de  tête  et  aux  attitudes  du  coi’ps. 

Tous  ces  hommes  célèbres  , auxquels  nous  de- 
vons joindre,  avec  raison,  Michel -Ange  et  Ra- 
phaël , ont  parfaitement  possédé  celte  partie  de 
l’art,  et  paroissent  même  s’en  être  rendus  la  pra- 
tique familière.  Jamais  je  n’oublierai  le  singulier 
plaisir  que  j’éprouvai  en  voyant  ie  carton  de  Ra- 
phaël qui  représente  Saint-Pierre  versant  des  lar- 
mes de  repentir  5 et  qui  de  nous  n’admire  pas 


5lO  DISCOU  K s LUS 

le  groupe  de  marbre  de  Buonarotti  représentant 

l’inquiète  Proserpine  enlevée  par  Pluton? 

Mais  personne  n’a  traité  cette  matière  avec  plus 
de  méthode  que  Charles  Lebrun , au  milieu  du  dix- 
septième  siècle;  et  l’on  peut  dire  à sa  gloire  que 
tous  les  ])euples  ont  adopté,  non  - seulement  ses? 
préceptes,  mais  ses  dessins  même.  L’illustre  Buf-;’" 
fon  est  le  seul,  que  je  sache,  qui  ait  voulu  y subs- 
tituer, mais  sans  succès,  de  nouveaux  modèles.  Je 
m’en  rapporte  à votre  jugement , messieurs;  voyez 
si  j’ai  tort  en  plaçant  les  dessins  de  Lebron  bien 
au-dessus  de  ceux  de  Buffon. 

L’admirable  ouvrage  de  Lelirun  a été  parfait e-^i 
ment  bien  traduit  en  hollandois  par  De  Kaarsgie-^|' 
ter;  et  nos  amateurs  l’ont  reçu  avec  tant  d’em-L 
pressement  que,  dès  l’année  1728,  il  en  avoit  déjàjj 
paru  deux  éditions  dans  cette  langue. 

Loiresse,  ce  sublime  génie,  ce  peintre  admira- 
ble, s’est  bien  apperçu  sans  doute  qu’il  ne  pouvoit  v 
rien  ajouter  aux  idées  de  Lebrun  , puisqu’il  se  con- 
tente de  donner,  dans  son  Grand  livre  des  pein- 
tres ^ de  justes  éloges  à la  traduction  de  Kaarsgie-s 
ter,  sans  rien  ajouter  de  plus;  ce  qui  prouve  as- 
sez l’estime  qu’il  avoit  pour  l’ouvrage  du  peintre 
François. 

M.  Wattelet  a donné  depuis  plus  d’étendue  aux 
leçons  de  Lebrun  ; et  M.  le  chevalier  de  Jaucourt 
a copié  littéralement  les  observations  de  Wattelet, 


5ii 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN. 

lesquelles  méritent  certainement  des  éloges.  But- 
fon  a paru  ensuite,  et  a traité  cette  matière  en 
grand  maître  ; mais  au  fond  il  n’a  rien  dit  de 
nouveau. 

On  me  demandera  sans  doute  , et  avec  raison  , 
pourquoi  j’ose  me  hasarder  dans  cette  carrière  , 
après  que  tant  d’hommes  d’un  génie  supérieur  m’y 
ont  devancé  ? Je  répondrai  que  je  n’ai  rien  de  nou- 
veau à produire  : nous  rions,  nous  pleurons,  nous 
sommes  effrayés  , nous  nous  lamentons  et  nous 
mourons,  aujourd’hui  comme  dans  les  teins  pas- 
sés, avant  comme  après  le  déluge , et  dans  le  coin 
de  terre  que  nous  occupons  ici  comme  sur  tout  le 
reste  de  la  surface  du  globe;  toujours  et  par-tout 
les  passions  se  sont  exprimées  de  la  même  manière 
sur  le  visage  des  hommes;  à l’exception  cependant 
de  ceux  à qui  des  vues  d’intérêt  ou  de  politique  ont 
appris  à dissimuler  au  point  d’offrir  un  front  se- 
rein et  des  traits  rians  et  tranquilles,  tandis  même 
que  leur  ame  est  en  proie  aux  accès  de  la  colère 
ou  de  l’indignation;  et  de  ceux  qui  ont  su  prendre 
un  tel  empire  sur  leurs  muscles  et  sur  leur  teint, 
qu’ils  ne  palissent,  plus  de  colère  et  ne  rougissent 
plus  de  honte  ! 

Tous  les  grands  hommes  , mes  prédécesseurs  , 
dont  je  viens  de  faire  mention  , n’ont  fait  qu’of- 
frir les  apparences  extérieures,  et  ouï  parlé  méta- 
physiquement des  opérations  de  i’auie;  sans  son- 


5i2 


DISCOURS  LUS 


ger  au  physique,  c’est-à-dire,  aux  effets  naturels 
que  produisent  extérieurement  les  mouvemens  de 
l’ame.  Mais  il  nous  importe  peu  , selon  moi,  de 
connoître  la  manière  dont  l’ame  agit  et  dans  quelle  i 
partie  de  notre  corps  se  trouve  son  siège.  Tout  cela 
est  purement  du  ressort  des  métaphysiciens,  qui, 
avec  un  amas  pompeux  de  mots  vides  de  sens,  ne' 
prouvent  absolument  rien  , et  sont  fort  éloignés 
encore  de  pouvoir  nous  démontrer  comment  s’opè- 
rent les  effets  étonnans  de  cette  substance  imma-' 

térielle.  te 

, te; 

Pline  , Léonard  de  Vinci  et  Junius  , nous  ont; 
bien  fait  entrevoir  les  principaux  effets  des  pas- 
sions^ mais  ils  ne  disent  rien  de  la  liaison  qui  sub- 
siste entre  les  pal  lies  affectées;  et  ils  ont  moins  en- 
core fait  voir  les  altérations  qui  doivent  nécessai- 
rement avoir  lieu  au  moment  qu’un  certain  nerf 
est  affecté. 

C’est  avec  beaucoup  d’art  que  Waîlelet  a dé- 
peint les  passions  ; mais  il  faut  avouer  que  c’est 
plutôt  en  rhéteur  que  de  toute  autre  manière;* 

Je  me  propose  de  faire  connoître  , non  ce  qui 
se  passe  dans  l’ame  quand  les  passions  s’y  élèvent, 
mais  les  effets  que  ces  passions  produisent  sur  le 
physique  de  l’homme,  Ce  sont-là  les  phénomènes 
qui  doivent  m’occuper,  ainsi  que  la  manière  cons- 
tante dont  ils  sont  produits,  surtout  dans  les  mus- 
cles du  visage. 


A l’ A C A D.  DE  DESSIN.  5l5 

On  conçoit  facilement  combien  je  dois  désirer 
qu’on  ait  préalablement  une  idée  exacte  du  sque- 
lette ; secondement  des  principaux  muscles  , du 
moins  de  ceux  du  visage  ; et  troisièmement  des 
nerls  , de  leurs  ramifications  particulières  et  de 
leurs  conjugaisons  réciproques. 

Voilà  ie  but  que  je  me  propose  et  l’objet  nou- 
veau dont  je  veux  vous  entretenir  dans  ces  deux 
leçons. 

Quelques  exemples  serviront  à jeter  de  la  lu- 
mière sur  ce  sujet. 

L’homme  livré  à l’affliction  , à la  tristesse,  laisse 
pencher  sa  tête  , et  en  soutient  avec  sa  main  le 
poids,  qui  n’est  plus  supporté  par  les  muscles  du 
cou.  Or,  qu’est-ce  autre  chose  ici  qu’une  paraly- 
sie qui  affecte  les  nerfs  de  tous  ces  muscles? 

L’homme  heureux,  gai  et  riant,  porte,  au  con- 
traire, la  tête  haute  et  sa  poitrine  se  dilate  à dif- 
férentes reprises  j de  ses  mains  il  soutient  ses  flancs; 
les  jambes  lui  manquent  à la  lin,  et  bientôt  on  le 
verroit  tomber  à terre,  si  cette  affection  cluroit  en- 
core quelque  tems. 

L’homme  livré  à la  colère  frappe  des  pieds  et 
des  mains  ; ses  mouvemens  convulsifs  font  trem- 
bler la  terre;  tandis  que  son  visage  se  distord  de 
mille  manières  différentes  et  devient  h’deux. 

Le  respect  et  la  vénération  ôlenî  l’usage  de  !a 


5i4 


DISCOURS  LUS 


parole;  un  tressaillement  intérieur  ne  permet  pas 
au  corps  d’avancer  ; les  yeux  , autrement  animés 
et  pleins  de  feu , fixent  la  terre  ; le  coeur  palpite; 
et  si,  comme  cela  arrive  souvent  , la  honte  vient 
à s’y  joindre , le  sang  teint  le  front , les  joues  et  le 
cou  d’un  rouge  animé. 

Je  ne  finirois  point  si  je  voulois  exposer  les  ef- 
fets ])hysiques  de  toutes  les  autres  passions;  il  suf- 
fira d’ailleurs  que  j’en  tire  la  conclusion  générale: 
que  dans  chaque  passion  il  y a certains  nerfs 
qui  sont  particulièrement  affectés  ; et  j’en  con- 
clus que  le  peintre  doit  nécessairement  connoître 
leur  union  réciproque,  ou  du  moins,  si  l’on  croit 
que  l’artiste  ne  peut  pas  embrasser  une  si  vaste 
étude,  il  faut  du  moins  que  ceux  qui  veulent  trai- 
ter ce  sujet  en  soient  parfaitement  instruits,  afin 
de  pouvoir  prescrire  aux  peintres  les  préceptes  gé- 
néraux qu’ils  doivent  suivre. 

La  pâleur,  effet  ordinaire  de  la  peur,  de  l’ef- 
froi, de  la  terreur,  dépend  , ainsi  que  la  rougeur 
de  la  honte  , de  l’action  des  nerfs.  La  palette  du 
peintre  lui  fournit  de  quoi  rendre  ces  différentes 
teintes,  qui  échappent  au  crayon  du  dessinateur  i 
et  au  ciseau  du  statuaire,  ?Æais  l’orateur  et  le  co-  ! 
médien,  qui  posssèdent  les  mêmes  moyens  de  pré- 
senter aux  yeux  les  effets  des  passions  , jouissent 
plus  que  tous  les  autres  artistes  de  l’avantage  de 
joindre  au  jeu  des  muscles  du  visage,  les  attitudes 


A A C A D.  DE  DESSIN,  3l  5 
du  corps  et  les  mouvemens  de  ses  differentes 
parties. 

Une  dissection  continuelle  du  corps  liuraain 
m’a  mis  à même  de  connoîire  quels  sont  les  nerfs 
qui,  aboutissant  à ces  parties  agissantes  , doivent 
proprement  être  affectés  ; par  conséquent  quels 
sont  les  muscles  qui  sont  nécessairement  mis  en 
action.  Et  du  mouvement  de  ces  muscles,  de  leur 
direction  et  de  leur  insertion , il  m’est  facile  de  dé- 
terminer quels  sont  les  traits  du  visage  qui  doivent 
en  être  altérés,  et  quels  mouvemens  il  doit  en  ré- 
sulter dans  telle  ou  telle  partie  du  corps. 

C’est  la  démonstration  de  ces  vérités  que  je  me 
projrose  dans  ces  leçons. 

Peut-être  m’objectera -t- on  qu’en  supposant 
même  que  les  anciens  aient  appliqué  les  connois- 
sances  qu’ils  avoient  dans  l’anatomie  au  jeu  des 
muscles  agités  par  les  passions,  Raphaël,  Callot, 
Lebrun  et  plusieurs  autres  artistes,  sont  néanmoins 
parvenus  à exprimer  parfaitement  les  différens 
mouvemens 'de  l’ame,  sans  avoir  la  moindre  no- 
tion de  la  structure  du  corps  humain. 

Que  Hogarth,  qu’on  regarde  comme  le  plus  ha- 
bile peintre  des  passions  , s’est  acquis  une  gloire 
immortelle,  quoiqu’il  ignorât  absolument  tout  co 
que  je  regarde  comme  indispensable  à l’artiste  qui 
veut  se  distinguer  dans  cette  partie  de  l’art. 

Que  Jean  Steen,  si  inimitable  quelquefois  dans 


5i6 


DISCOURS  LUS 


l’expression  des  passions,  n’a  jamais  pensé  à étu 
dier  l’écorché  ni  le  véritable  emploi  des  nerfs 
fpi’nn  grand  nombre  d’anatomistes  connoissent  ; 
peine  de  nos  jours. 

Je  passe  ici  sous  silence  plusieurs  autres  artistes  : 
pour  qu’on  ne  m’accuse  point  de  chercher  à ter- 
nir leur  réputation . 

Quoic[u’il  en  soit,  je  me  flatte  que  la  manièn 
dont  je  me  propose  de  considérer  cette  malien 
vous  sera  d’autant  plus  agréable  qu’elle  ne  s’é- 
carte point  de  la  dignité  que  demande  l’étude  d( 
la  nature;  qu’elle  nous  aidera  même  à suivre  se; 
opérations  admirables  ; et  fournira  aux  élèves  e 
aux  artistes  memes  le  moyen  de  faire  de  rapide; 
progrès  dans  celte  partie  intéressante  de  leur  art. 

Je  me  bornerai , comme  je  l’ai  déjà  dit , à ce  cju; 
concerne  le  jeu  des  muscles  du  visage. 

Il  est  par  conséquent  nécessaire  que  je  vous  fasse 
observer  avant  tout  la  tête  décharnée  de  l’hom- 
me (pi.  XXIX,  fig.  i),  que  j’ai  représentée  ici 
beaucoup  plus  grande  que  nature  , pour  qu’on’ 
puisse  distinguer  plus  facilement  de  loin  les  par- 
ties qui  la  composent  (i). 


(i)  11  faut  que  le  lecteur  sache  que  feu  M.  P.  Camper  avoit  ap-, 
porté  à cette  séance  toutes  les  figures  dont  il  parle  dans  cet  ou- 
vrage, dessinées  sur  des  tableaux  noircis , dans  des  proportions 
beaucoup  plus  grandes  que  nature;  et  qu’il  avoit  de  même  indi- 


A l’ A C A D.  DE  DESSIN.  5l7 

i En  second  lieu,  je  vais  vous  tracer  les  princi- 
paux muscles  du  visage  et  la  vraie  position  des 
>^eiix,  pour  vous  prouver  que  Lebrun  , page  55  , 
planche  XXII , les  a placés  trop  obliquement  , ce 
]ui  est  contre  la  nature;  et  que  dans  le  rire,  page 
56,  planche  II , il  a donné  une  trop  grande  incli- 
I naison  au  grand  angle  de  l’œil,  ainsi  qu’il  l’a  fait 
également  dans  la  tristesse, 
h Troisièmement,  je  dois  vous  observer  que  tous 
( les  plis  du  visage  doivent  nécessairement  couper  à 
[.angles  droits  la  direction  ou  le  cours  des  fibres 

iim  U scolaires  (i). 

I 

, n Quatrièmement,  j’indiquerai  quelques  nerfs; 
afin  de  faire  mieux  connoître  l’action  simultanée 
de  plusieurs  muscles  dans  la  même  passion. 
i|  Il  y a long-lems  qu’on  a donné  le  nom  de  pa-^ 
thélicpie  à la  sixième  paire  de  nerfs  des  anciens  , 
[ qui  est  la  huitième  pour  nous.  Elle  communique 
|jpar  ses  branches  avec  la  gorge,  avec  la  jioitrine  et 

tavec  le  ventre,  d’où  elle  s’unit , par  le  nerf  inter- 
costal, avec  tous  les  nerfs  des  bras  et  des  jambes. 

- La  quatrième  paire  , ou  le  petit  pathétique  y 
h’ produit  des  eftetsétonnans  dans  l’admiration,  dans 
1 l’amour  et  dans  la  mort. 

k . - - 

qué  , clans  ces  dessins  , les  défauts  cju’on  peut  reprocher  à Lebrun 
: dans  la  représentation  des  yeux. 

(i)  L’auteur,  eu  ex[)osant  toutes  ces  choses , les  a rendues  plus 
sensibles  par  les  dessins  des  parties  dont  il  parloic. 


5)8 


DISCOURS  I.  U S 


La  septième  paire  produit  le  rire,  la  rougeur  e 
la  pâleur. 

p^ufin  , je  crois  devoir  vous  indiquer  ausist  le 
muscles  des  yeux,  afin  que  vous  puissiez  vous  for 
mer  une  idée  exacte  de  leurs  mouvemens  , tandi' 
que  nous  vivons,  lorsque  nous  mourons,  et  mêmi 
après  que  nous  avons  cessé  d’exister. 

Par  conséquent , il  faut  que  je  vous  parle  auss 
du  mouvement  simultané  et  alternatif  desmusclei 
obliques  dans  l’expression  de  l’amitié  ou  du  res- 
])ect.  Lorsque  nous  cessons  de  vivre  nos  yeux  S( 
rapprochent  l’un  de  l’autre,  parce  qu’alors  tout( 
volonté  cesse,  et  qu’il  ne  reste  plus  de  mouvemen 
que  celui  qu’impriment  les  dernieis  eiïbrts  des  es- 
prits vitaux , ou  la  force  élastique  encore  subsis- 
tante des  muscles. 

Tels  sont , messieurs,  les  objets  que  j’ai  cru  de-, 
voir  vous  exposer  dans  cette  première  leçon,  qui'; 
ne  vous  présente  que  des  matériaux  préparatoires.| 
Je  me  propose  de  vous  en  faire  connoître  l’appli-i 
çation,  et  de  vous  prouver  d’une  manière  convaiw 
çante  que  les  artistes,  en  suivant  ces  principes,! 
peuvent  exprimer  à volonté  et  d’une  manière  sûre 
toutes  les  passions  avec  la  plus  grande  énergie.  I 


A l’  A C A D.  B E DESSIN. 


01( 


SECOND  DISCOURS. 


J\Æ  ESSIEURS, 


Lorsque  je  vous  ai  promis  hier  de  vous  faire 
connoître  l’application  et  le  développement  des 
principes  dont  je  vous  ai  entretenus,  j’ai  contracté 
l’obligation  de  mettre  sous  vos  yeux  des  dessins 
i][ui  repi’ésentent  les  passions. 

1°.  Je  vais  donc  vous  montrer  d’abord  un  visage 
en  repos  (pl.  XXIX,  fig.  o)-,  puis  en  admiration, 
I ensuite  exprimant  le  mépris  ( fig.  4 ) ; enfin  , l’in- 
dignation (fig.  5). 

2°.  Ensuite , revenant  denouveauau  visage  tran- 
quille (fig.  3),  je  passerai  à la  satisfaction,  à la 
joie  (fig.  6)5  enfin,  au  rire  aux  éclats  (fig.  7). 

3°.  Je  reviens  au  repos  ( fig.  3 ) , pour  passer  à la 
douleur;  et  ensuite  au  larmoyant. 

4°.  Si  le  teins  me  le  permet , je  parlerai  en  pas- 


320 


DISCOURS  LUS 


saut  de  l’homme  respeclueiix  ; de  l’homme  abattu 
par  la  douleur  (fig.  8),  et  de  l’homme  mourant 
(%•  9)- 

Vous  ne  serez  pas  moins  satisfaits  des  change- 
mens  instantanés  que  les  passions  produisent  sur 
le  visage,  que  le  grand-duc  de  Toscane  le  fut  en 
voyant  peindre  Pierre  de  Cortone  à Florence.  Cet' 
artiste,  s’appercevant  que  le  grand-duc  ne  se  lassoitj 
pas  d’admirer  un  enfant  qu’il  avoit  représenté  en 
pleurs,  lui  demanda  s’il  éloit  curieux  de  voir  avec 
<[uel!e  facilité  il  pouvoit  le  faire  rire?  En  effet, 
à peine  eut-il  donné  quelques  coups  de  pinceau  , 
que  l’enfant  qui  d’abord  pleuroit  parut  sourire, 
Ensuite,  il  remit  la  bouche  dans  sa  première  po- 
sition , et  l’enfant  pleura  de  nouveau;  ce  qui  causa 
une  grande  surprise  au  duc.  J’attends  les  mêmes 
sentimens  de  votre  part;  mais  je  vous  prie  de  vous 
rappeler  que  ce  n’est  pas  un  Pierre  de  Cortone  que' 
vous  allez  voir  dessiner,  mais  un  simple  amateui 
de  la  peinture. 

Je  me  mets  donc  à dessiner.  t 

I 

. L 

1°,  Voici  d’abord  le  visage  tranquille  (fig.  3). 

2°.  Supposons  maintenant  qu’il  se  présente  touti 
à coup  quelque  chose  de  surprenant  : le  nerf  in- 
tercostal est  mis  en  mouvement  et  fait  agir  la 


A l’ A C A D.  DK  DESSIN.  321 

troisième  paire  de  nerfs,  d’où  il  résulte  que  la  pau- 
pière s’ouvn'e  et  que  l’oeil  demeure  immobile  dans 
son  orbite;  les  dents  restent  couvertes. 

Dans  le  même  tems  le  même  nerf  agit  sur  la 
huitième  paire  de  nerfs  ( fig.  4 ; ; la  respiration  se 
trouve  arrêtée  ; le  cœur  même  est  gêné  dans  son 
mouvement,  et  la  bouche  s’ouvre,  parce  que  les 
muscles  qui  meuvent  la  mâchoire  sont  affectés  ; les 
mains,  et  les  doigts  surtout,  s’étendent  par  un 
effet  de  la  même  union. 

3°.  Le  mépris  se  manifeste  d’une  manière  diffé- 
rente. Ici  la  cinquième  paire  de  nerfs  agit,  ce  qui, 
fait  que  les  sourcils  se  contractent  , la  bouche  se 
ferme,  la  lèvre  inférieure  (fig.  5)  s’élève  au  mi- 
lieu , et  les  yeux  sont  tirés  de  coté.  Mais  ici  a par- 
ticulièrement lieu  ce  que  j’ai  dit  ailleurs  , que  les 
muscles  abducteur  et  adducteur  , par  une  suite 
d’habitude,  agissent  simultanément. 

Cette  passion  devient  bien  plus  expressive  quand 
le  corps  se  détourné  d’une  certaine  maniéré  de 
l’objet;  surtout  lorsque  dans  le  même  tems  la  tête 
est  tournée  à droite,  tandis  que  les  yeux  regardent 
à gauche.  . , 

§.  I I. 

Dans  la  joie  , les  seules  parties  qui  soient  en 
mouvement  sont  celles  qui  dépendent  immédia- 
tement de  la  septième  paire  de  nerfs. 


III. 


21 


DISCOURS  LUS 


523 

1®.  Voici  la  figure  tranquille  (fig.  5). 

2°.  Voici  le  sourire  de  l’amitié.  Mais  il  ne  faut 
pas  que  les  coins  de  la  bouche  s’élèvent  seuls  , et 
jamais  les  sourcils  ne  doivent  se  froncer  ni  se  rap- 
procher (fig.  6). 

C’est-là  un  point  dans  lequel  pêchent  beaucoup 
de  peintres  de  portraits  françois. 

5®.  Du  moment  que  la  gaieté  va  jusqu’au  rire, 
les  jeux  se  fixent  en  avant  sans  avoir  de  point  dé- 
terminé où  ils  s’arrêtent.  Le  coté  extérieur  du  mus- 
cle orbiculaire  des  paupières  se  contracte 5 alors  la 
partie  supérieure  des  joues  se  relève  et  les  rides 
paroissent. 

4®.  Voulez-vous  avoir  une  physionomie  volup- 
tueuse , placez  les  yeux  de  côté , et  fermez  un  ])eu 
les  paupières,  comme  lorsqu’on  donne  des  oeillades 
(%•  ?)• 

5.  III. 

1®.  Voici  de  nouveau  le  visage  en  repos  (fig.  3). 

2”.  Dans  la  profonde  affliction  (fig.  8),  c’est  la 
cinquième  paire  de  nerfs  qui  agit:  les  deux  coins 
de  la  bouche  s’abaissent,  les  dents  restent  couver- 
tes, parce  que  la  lèvre  supérieure  s’abaisse  éga- 
lement. 

Lorsque  l’affliction  passe  au  désespoir,  les  yeux 
se  tournent  vers  le  ciel  et  se  placent  obliquement 51 


i 

A l’  A C A U.  D E D E s s I N.  025 

!i  le  front  se  fronce  et  le  milieu  des  sourcils  s’élève. 

[!  5°.  Quand  on  pleure,  tous  les  muscles  qui  dé- 

j pendent  de  la  cinquième  paire  de  nerfs  éprouvent 
I une  plus  forte  impression  encore. 

4“.  Lorsqu’il  s’y  mêle  de  la  colère , les  paupières 
s’ouvrent  autant  qu’il  est  possible,  les  sourcils  s’a- 
I baissent  profondément  et  les  dents  se  serrent  avec 
force. 

§.  IV. 

Il  faut  considérer  comme  une  règle  générale  : 
1°.  qu’au  moment  où  l’ame  va  quitter  le  corps  , 
tous  les  muscles  du  cou  (fig.  ii  ) font  ouvrir  la 
bouche;  2°.  que  les  nerfs  pathétiques  rapprochent 
les  yeux  l’un  vers  l’autre;  3°.  et  que  tous  les  au- 
tres muscles  restent  alors  dans  le  plus  parfait  repos. 

■ Ce  que  Lebrun  appelle  vénération  , pl.  III,  pag. 

! 18,  et  respect,  pl.  IV,  fig.  5,  sont  représentés  d’une 

manière  peu  conforme  à la  nature;  en  ce  que  les 
/ yeux  y sont  relevés  par  les  deux  muscles  obliques; 

tandis  qu’ils  doivent  agir  alternativement  ; c’est-à- 
' dire,  que  les  muscles  obliques  inférieurs  et  supé- 
" trieurs  doivent  agir  simultanément. 

I O 

W CONCLUSION, 

t'-  î Voilà , messieui’s , les  objets  dont  je  m’étois  pro- 
iposé  de  vous  entretenir.  Vous  vous  attendiez  peut- 

I I 

■ I 

1 


5f24  DISCOURS  LUS,  ETC. 

être  que  j’aurois  mis  sous  vos  yeux  toute  la  série 
des  passions, et  que  je  vous  aui’ois  offert  des  exem- 
ples de  chacune  en  particulier.  Mais  pour  cela  il 
m’auroit  fallu  plusieurs  séances  , et  j’aurois  dû 
alors  traiter  cette  matière  plutôt  en  peintre  qu’en 
anatomiste. 

Mon  seul  but  a été  de  vous  inspirer  autant  que 
possible  du  goût  pour  l’étude  de  la  nature  , et  de 
vous  affranchir  en  même  tems  de  la  méthode  dé- 
fectueuse de  ne  considérer  les  choses  que  d’un  seul 
côté,  eu  suivant  servilement  les  exemples  vicieux 
des  maîtres  dont  Je  viens  de  vous  parler.  C’est  le 
seul  moyen  de  parvenir  à la  connoissance  de  la 
vérité;  une  semi-preuve  vaut  mieux  pour  cela  que 
toutes  les  autorités.  Nous  devons,  comme  les  an- 
ciens, respecter  et  Socrate  et  Platon;  mais  la  vé- 
rité doit  nous  être  beaucoup  plus  chère  encore. 


DEUX  DISCOURS 


SUR  L’ANALOGIE  QU’IL  Y A ENTRE  LA  STRUCTURE 

^ DU  CORPS  HUMAIN 

ET  CELLE  DES  QUADRUPÈDES, 

DES  OISEAUX  ET  DES  POISSONS, 

Prononcés  ^ les  i3  et  i4  octobre  i'P’pS , dans  la 
salle  de  V Académie  de  dessin  de  la  ville 
Amsterdam. 


PREMIER  DISCOURS. 


E S S I E U R S , 

Voici  la  troisième  fois  que  j’ose  me  présenter 
devant  vous  dans  cette  salle,  encouragé  par  votre 
indulgence  et  excité  par  les  applaudissemens  de 
plusieurs  habiles  artistes  de  cette  ville. 

Je  vous  ai  entretenus,  il  y a quelque  tems,  des 
variétés  qui  caractérisent  le  visage  des  hommes  de 
divers  climats  et  de  différens  âges.  J’ai  indiqué  à 
cette  occasion  une  manière  nouvelle  et  sûre  de 
dessiner  toutes  sortes  de  têtes  avec  la  plus  grande 
exactitude.  J’ai  parlé  ensuite  de  la  manière  dont 
les  differentes  passions  se  peignent  sur  le  visage  , 
et  j’en  ai  même  donné  quelques  exemples  (i). 

Aujourd’hui  je  me  propose  devons  faire  remar- 
quer l’étonnante  analogie  qu’il  y a entre  la  struc- 
ture du  corps  humain  et  celle  des  quadrupèdes  , 
des  oiseaux  et  des  poissons,  et  de  vous  exposer  en 


(O  Ce  morceau  paroîtra  dans  le  volume  suivant. 


SaS  D I s C O U R s L U s f 

même  lems  ime  méthode  facile  de  les  dessiner  tous 
avec  précision. 

Ne  soyez  point  surpris,  messieurs,  de  cette  sin- 
gulière idée  : il  n’est  nullement  indigne  ni  de  vous 
ni  de  moi  , d’étudier  les  formes  extérieures  des 
animaux,  et  de  les  peindre  avec  fidélité. 

L’exemple  de  la  sage  antiquité  viendra  à l’appui 
de  cette  assertion.  Les  Grecs,  les  Romains,  et  les 
Egyptiens  avant  eux,  étoienl  obligés,  ainsi  qu’on 
îe  sait , de  connoître  les  formes  extérieures  de  tou- 
tes les  espèces  d’animaux,  non-seulement  comme 
devant  servir  de  figures  hiéroglyphiques  du  culte 
bisarre  de  leurs  idoles,  mais  aussi  comme  objets 
inséparables  de  leurs  sacrifices,  de  leurs  jeux  pu- 
blics, de  leurs  pompes  triomphales;  et  il  leur  eut  i 
été  impossible  sans  doute  de  les  représenter  d’une  I 
manière  convenable , soit  en  peinture,  soit  en  mar-  | 
bre,  soit  en  bronze,  s’ils  n’avoient  commerîcé  par 
se  pénétrer  auparavant  de  ce  qui  constitue  la  beauté 
et  la  perfection  des  formes  des  animaux  de  toutes 
les  espèces. 

Rien  ne  me  paroît  plus  propre  à prouver  toute 
l’importance  que  les  anciens  attachoient  à cette 
partie  de  l’art , que  le  fameux  chien  de  bronze , 
qui,  selon  Pline  le  naturaliste  (i),  éloit  regardé 
comme  une  des  plus  grandes  merveilles  ; de  ma- 


(0  Lib.  XXXIV,  cap.  17. 


^ A C A D,  DE  DESSIN.  .52g 

nière  que  ceux  qui  étoient  chargés  de  le  garder  , 
en  répondoienf.  sur  leur  vie. 

Le  même  auteur  nous  apprend  (i)  que  Myron 
avoit  fait  une  vache  de  bronze  d’un  travail  si  ad- 
mirable, que  non-seulement  elle  fut  chantée  par 
les  plus  grands  poètes  , mais  que  les  graveurs  en 
firent  des  copies  avec  le  même  empressement  et  Le 
même  soin  qu’ils  avoient  coutume  de  le  faire  de  la 
Vénus  et  d’autres  chefs-d’œuvre  des  plus  célèbres 
maîtres.  Le  comte  de  Caylus  (2)  en  donne  une  re- 
présentation d’après  une  cornaline,  dont  il  fait  , 
avec  raison  , un  grand  éloge. 

Canachis  (5)  s’étoit  rendu  célèbre  pour  avoir 
représenté  un  cerf  de  bronze,  qu’il  avoit  exécuté 
avec  tant  d’art  qu’on  pouvoit  passer  un  fil  dessous 
ses  pieds. 

Tisicrates  (4)  s’est  immortalisé  par  ses  lions  ; 
■Timon  (5)  par  un  chien  j Nicias  (6)  par  la  pein» 
ture  de  toutes  sortes  d’animaux;  Androcydes  (7) 
par  sa  manière  admirable  de  représenter  les  pois- 
sons. 


(1)  Ibid.  , rap.  lÿ. 

(2)  Tom.  I , pl.  L , fig.  3 , pag.  i55. 

(3)  Plin.  , lib.  XXXIV, 

(4)  Jbid. 

(5)  Ibid. 

(6)  Ibid. 

(7)  Ibid- 


35o 


DISCOURS  LUS 


Il  faut  lire  les  Monumenii  antichi  inediti  de*| 
^Vinkelmann,  et  surtout  l’introduction  de  cet  ou-! 
vrage,  pour  se  convaincre  de  quel  prix  est  encore  ^ 
aux  yeux  des  antiquaires  le  lion  du  Capitole,  lel 
sphinx  du  palais Borghèse , et  d’autres  animaux  de] 
la  fontaine  delV  Aqua  Fedice.  | 

Mais  c’est  principalement  des  chevaux  que  les^ 
anciens  paroissenî  s’être  occupés.  L’histoire  de  l’in-|: 
comparable  ApeJle  est  trop  connue  pour  qu’il  soit]| 
besoin  de  la  répéter  ici  ; et  il  en  est  de  même  de  .|! 
son  émule  Lysippe.  Après  eux,  Calamis  s’est  ac-  || 
quis  une  telle  célébrité  par  son  talent  à représen-  ^ 
ter  des  chevaux  que  non-seulement  Pline  (i)  en  a 
parlé  avec  le  plus  grand  éloge,  mais  que  Cicéron 
et  Ovide  ont  immortalisé  ses  ouvrages  par  leurs 
écrits.  Selon  Pline  , personne  ne  pouvoir  lui  être 
comparé  pour  la  représentation  des  biges  et  des  qua- 
driges; quoique  Lysippe  et  son  élève  Eutichrates 
aient  mérité  aussi  de  grands  éloges  à cet  égard. 

On  peut  voir  dans  le  cabinet  de  Stosch  quel  ta-  ’ 
lent  Aspasius  avoit  dans  l’art  de  graver  des  che- 
vaux; le  beau  casque  de  Minerve  en  est  une  preuve. 
Hylus  n’a  pas  moins  bien  réussi  à représenter  des 
taureaux;  et  Aulus  et  Lucius  ont  obtenu  les  mê- 
mes éloges  pour  leurs  chevaux.  Des  quadriges  , 
dont  la  forme  ressemble  assez  à celle'de  nos  ca- 


(OLib.  XXXIV. 


1 


A A C A D.  DE  DESSIN.  55l 
briolets,  sont  si  admirablement  représentés  en  bas- 
relief,  et  sur  des  pierres  gravées,  qu’on  ne  peut 
rien  imaginer  de  plus  parfait.  On  trouve  assez  coin- 
' 'niunément  de  cescharsattelésdedeuxet  dequatre 
, chevaux  5 mais  je  n’en  ai  jamais  vu  avec  dix  che- 
jvaux,  quoiqu’on  sache  que  Néron  a commencé  à 
|s’en  servir  à la  chasse.  Cependant  on  trouve  dans 
® jCaylus  (i)  une  cornaline  représentant  une  entrée 
[triomphale,  où  le  char  est  traîné  par  vingt  che- 
I vaux,  tous  attelés  de  front,  et  d’un  si  beau  tra- 
’ i vail  qu’on  distingue  parfaitement  chaque  cheval. 

Je  ne  finirois  pas  si  je  voulois  citer  tons  les  ar- 
^ listes  qui  ont  acquis  de  la  célébrité  par  leur  talent 
“ à rendre  parfaitement  les  animaux.  Il  me  paroît 
^ plus  convenable  de  vous  renvoyer  à Junius  qui  en 
parle  avec  beaucoup  de  discernement.Vous  y verrez 
[ par  vous-mêmes  quel  fut  le  nombre  des  peintres  , 

I des  statuaires  et  des  graveurs  qui  doivent  , pour 
i ainsi  dire,  uniquement  leur  gloire  à la  perfection 
avec  laquelle  ils  ont  représenté  des  animaux. 

Mais  il  vous  intéressera  davantage  que  je  vous 
I rappelle  les  noms  des  grands  artistes  qui  ont  illus- 
i iré  notre  patrie  par  leurs  chefs  - d’œuvre  en  ce 
; genre.  Qui  de  nous  ne  seroit  pas  jaloux  de  mériter 
! la  gloire  dont  jouissent  Van  Berchem,  Wouwer- 
; nian,  Potter,  Wenix,  Adrien  Van  de  V eide,  Hon- 

J 

I (1)  Tom,  I,  pl.  L,  fig,  3 , pag.  i55. 

li 


002  DISCOURSLUS  j 

dekoeter,  et  plusieurs  autres  maîtres  de  celte  classe  j 


à qui  notre  patrie  a donné  le  jour.  On  peut  doml 
dire  sans  crainte  que  leur  talent  éloit  aussi  admÜ 
rable  que  difficile  à atteindre  j et  personne  je  pensi 
(excepté  Crispin  Van  de  Pas)  ne  s’est  occupé  î 
écrire  suries  proportions  des  animaux  et  à fournil 
par  conséquent  aux  élèves  les  moyens  de  faire  det 
progrès  certains  dans  cette  partie. 

Ce  que  Léonard  de  Vinci  dit  des  chevaux  n’esi 
certainement  pas  propre  à nous  en  donner  des 
idées  bien  justes  j Léonard  ne  parle  qu’avec  un 
enthousiasme  poétique  de  la  beauté  de  quelques 


animaux 5 Charles  Van  der  Mander  s’amuse  égale- 


ment à des  citations  de  poètes,  qui  ne  sont  guère 
utiles;  tandis  que  Lairesse  passe  entièrement  sous' 
silence  cet  article  intéressant.  | 

Ce  que  je  viens  de  dire  doit  vous  faire  paroître 
mon  entreprise  d’autant  plus  hardie  ; cependant 
je  me  flatte  que  ces  mêmes  raisons  me  serviront, 
au  contraire,  d’excuse,  et  me  feront  obtenir  votre 
approbation;  j’espère  même  vous  convaincre  que 
si  je  n’avois  pas  réuni  les  observations  anatomi- 
ques, quelquefois  si  dégoûtantes,  de  différentes  es- 
pèces d’animaux,  aux  secours  du  bel  art  de  la  pein- 
ture, je  n’aurois  jamais  pu  concevoir  les  idées  que 
je  vais  vous  présenter.  Mais  je  me  croirai  bien  ré- 
compensé des  peines  que  m’a  coûté  ce  travail,  si, 
par  ces  deux  discours  , je  parviens  à encourager 


I 


A L A C A D.  DE  DESSIN.  DOD 

fies  hommes  plus  instruits  que  moi  à porter  cette 
bartie  de  la  peinture  à sa  perfection, 
f Dans  le  premier  de  ces  discours , j’exposerai  les 
éritables  rapports  qu’offrent,  les  quadrupèdes  com- 
parés entr’eux , comme  aussi  les  rapports  qui  exis- 
lltent  entre  les  quadrupèdes  et  les  oiseaux  et  les 
^poissons;  en  indiquant  les  particularités  qu’il  im- 
porte  au  peintre  et  au  statuaire  de  saisir. 

, Je  prie  d’observer  que  par  la  peinture  j’entends 
parler  de  tous  les  arts  qui  tiennent  immédiatement 
au  dessin. 

Dans  le  second  discours,  j’indiquerai  une  mé- 
thode facile  et  sûre  de  dessiner  correctement  tou- 
tes les  espèces  d’animaux,  tant  les  quadrupèdes  , 
que  les  oiseaux  et  les  poissons  ; et  je  finirai  par 
(VOUS  montrer  que  , nouveau  Protée  , on  peut , 
moyennant  quelques  traits  , métamorphoser  une 
vache  en  cheval,  en  un  chien,  en  une  cicogne,  et 
la  cicogne  en  une  carpe,  ou  toute  autre  espèce  de 
poisson. 

Cependant  ne  croyez  pas  , qu’à  l’exemple  de 
Zeuxis,  j’employerai  un  tems  bien  considérable  à 
dessiner  les  animaux  qui  doivent  faire  l’objet  de 
ce  discours.  Je  suivrai  plutôt  la  méthode  d’Agathar- 
que,  en  faisant  de  légères  esquisses  des  animaux 
que  je  ci'oirai  nécessaires  au  développement  de 
mes  idées. 

Fiien  ne  vous  sera  plus  facile  que  d’y  ajouter 
k 


554 


DISCOURS  LUS 


ensuite  les  détails  qui  constituent  la  beauté  et  le 
grâce  des  chefs-d’œuvre  des  maîtres  dont  je  viens 
de  vous  parler. 

Daignez  donc  m’accorder  encore  aujourd’hui 


cette  attention  et  cette  indulgence  dont  vous  avez 

O 


il 


bien  voulu  m’honorer  jusqu’à  présent;  et  ne  con-- 
sidérez  ce  que  je  vais  dire  que  comme  des  vues 
générales,  qui,  toutes  imparfaites  qu’elles  puissent 
cire  , pourront  néanmoins  contribuer  un  jour  à 
parvenir  à des  choses  plus  utiles  et  plus  impor- 
tantes. 

Il  n’y  a personne,  pour  peu  qu’il  ait  considéré 
avec  quelque  attention  l’art  ravissant  de  la  pein- 
ture, qui  puisse  douter  que,  pour  représenter  les 
objets  que  la  nature  offre  à nos  yeux  , le  peintre 
ait  autre  chose  à faire  que  de  les  dessiner  et  colo- 
rier avec  la  plus  scrupuleuse  exactitude. 

Il  sera  utile  néanmoins,  et  même  regardé  com- 
me indispensable,  je  pense,  par  tous  les  amateurs 
éclairés,  que  le  peintre  qui  veut  parvenir  à la  per- 
fection de  son  art  ait  une  connoissance  profonde 
d.e  tous  les  êtres  créés,  et  qu’il  se  pénètre  du  des- 
sein qu’a  eu  le  grand  et  divin  architecte  de  l’uni- 
vers dans  la  production  de  cette  étonnante  et  pro- 
digieuse diversité  de  formes  qui  nous  étonne  et 
nous  charme  dans  les  quadrupèdes,  dans  les  oi- 
seaux ef  dans  les  poissons,  et  qui  nous  pénètre  de 
respect  et  d’admiration  pour  sa  toute-puissance. 


535 


II' 

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le, 

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11 

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J 

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ii- 

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i' 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN. 

En  commençant  par  Fhomme,  nous  le  consi- 
dérerons comme  le  plus  beau  des  quadrupèdes  ; 
ensuite  nous  descendrons  par  degrés  aux  singes , 
aux  chiens  et  aux  gerboises;  après  quoi  nous  pas- 
serons aux  oiseaux,  pour  hnir  par  les  poissons. 

Peut-être  regarderez -vous  ce  discours  comme 

O 

absurde;  mais  je  me  flatte  de  vous  convaincre  bien- 
tôt que  les  oiseaux  et  les  poissons  doivent  être  pla- 
cés dans  la  classe  des  quadrupèdes,  aussi  bien  que 
les  chevaux  et  les  éléphans  ; quoique  cependant 
d’une  structure  dilFérente  , pour  qu’ils  puissent 
exercer  facilement  leurs  fonctions  animales  dans 
le  médium  qu’ils  sont  destinés  à habiter. 

D’ailleurs,  chaque  animal  diffère  des  autres  par 
la  tête,  par  le  corps,  les  extrémités  et  la  queue,  d’a- 
près le  but  pour  lequel  il  a été  créé  par  l’Etre  Su- 
prême et  le  lieu  qu’il  doit  habiter  sur  ce  globe. 
L’huitre  même,  condamnée  à passer  sa  vie  au  même 
endroit,  présente  les  principes  d’organisation  et  de 
structure  du  poisson,  et  le  poisson  ceux  de  l’oi- 
seau , du  chien , du  singe , et  finalement  de 
l’homme. 

J’aurois  pu  vous  démontrer  cette  contaténation 
des  êtres  par  des  esquisses , mais  le  défaut  de  tems 
ne  me  permet  pas  de  m’en  occuper. 

Je  dois  donc  me  borner  à vous  montrer  les  sque- 
lettes de  l’homme,  du  chien,  de  l’aigle  et  du  pin- 
gouin, pour  vous  faire  appercevoir  l’analogie  qu’il 


556 


DISCOURS  LUS 


y a entre  les  parties  correspondantes  de  ces  ani-  jl 
maux.  Quant  à la  nature  des  poissons,  je  me  ré- 
serve d’en  pai'ler  dans  le  second  discours  (i). 

Vous  voyez  évidemment  , par  la  comparaison 
de  ces  squelettes  enlr’eux,  que,  de  toutes  les  créa- 
tures, c’est  l’homme  qui  est  le  plus  parfait;  mais  ce  ’ 
ii’est  pas,  comme  a dit  Platon  (2) , et  après  lui  Ci- 
céron (3)  et  Ovide,  parce  qu’il  marche  la  tête  éle- 
vée ; comme  si  c’étoit  un  privilège  exclusif  pour 
l’espèce  humaine  de  regarder  le  ciel  : Galien  (4),  on 
le  sait,  avoit  déjà  observé  judicieusement  que  plu-  | 
sieurs  espèces  de  poissons  remplissent  beauconp 
mieux  cette  fonction  ; ce  qui  les  a fait  appeler  en 
grec  2s$)«i/ocrc;K67rsi , contemplateurs  du  ciel  (5); 
mais  parce  que  l’homme  seul  peut  marcher  debout 
et  s’asseoir.  Nous  y ajouterons,  qu’il  est  le  seul  j 
des  êtres  qui  puisse  se  coucher  sur  le  dos  ; le  seul 
dont  le  centre  de  gravité  et  de  mouvement  se  | 
trouve  exactement  au  milieu  du  corps,  ce  qui  fa-  I 
cilile,  en  général,  tous  ses  mouvemens;  avantages  |j 
qui  dépendent  uniquement  de  la  perfection  de  sa  j 


(O  Cette  démonstratioa  s’est  faite  par  le  moyen  du  dessin  et  des  1 
squelettes  d'animaux.  i 

(2)  In  Tnnaeo,  tom.  III,  44  ©t  45  , ^dit.  Serrani.  [ 

(Z)  De  Legibus  , lib-  I,  9,  pag.  334.  i 

(4)  De  iisn  part- , Hb.  III,  cap.  3 , class.  I , pag.  128.  L.  | 

(5)  Le  boeuf  ou  le  tapecou  ou  rapeçon.  Voyez  Gionovius  ou  ij 

Willougby.  ! 


I 

'! 

I 

I A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  So? 

i Structure,  11  possède  encore  plusieurs  autres  privi- 
I lèges  imporlans  ; mais  comme  ils  n’ont  point  de 
I rapport  à mon  objet  je  les  passe  sous  silence. 

[ 11  n’y  a personne  qui,  en  considérant, même  su- 

I perliciellement , un  cheval , ne  soit  frappé  de  la 
beauté  de  son  encolure.  En  voyant  le  chameau  , 
c’est  la  longueur  de  son  cou  et  la  petitesse  de  sa 
tête  qui  surprennent  le  plus  ; l’éléphant  fixe  prin- 
I cipalement  notre  attention  par  la  longueur  de  sa 
j trompe  5 dans  la  vache  nous  admirons  la  grosseur 
des  flancs  ; dans  le  lévrier  c’est  le  svelte  de  son 
corps,  la  finesse  de  ses  extrémités  qui  nous  plaisent. 
Cependant  je  vous  ferai  voir  que  la  structure  de 
ces  dilférentes  parties  est  appropriée  an  but  pour 
lequel  ces  animaux  ont  été  créés. 

Cicéron  (1)  a donné  une  admirable  description 
de  ces  clifTérences  relatives,  qui  nous  apprend  les 
grandes  connoissances  qu’avoit  ce  philosophe  des 
merveilles  de  la  nature. 

« Quelques  animaux,  dit-il,  ont  les  jambes  as- 
« sez  coui'tes,  pour  qu’ils  puissent  sans  difficulté 
T ((  prendre  leursalimensà  terre.  Ceux  dont  le  corps 
“I  « est  placé  plus  haut,  tels  que  les  oies,  les  grues 
iîi  « et  les  chameaux,  ont  le  cou  fort  long.  La  nature 
« a donné  une  main  à l’éléphant  pour  saisir  sa 

*>'*  I (i)  De  Nat.  Deorum,  cap.  47* 


III. 


22 


o38 


DISCOURS  LUS 


<(  nourrJlure , que  la  grosseur  démesurée  de  son  ! 
« corps  lui  empêcheroit  d’atteindre  (i).  » j 

Ces  remai’ques,  quoique  dignes  de  ce  grand  phi-' 
losophe,  et  favorables  à l’objet  dont  je  m’occupe,! 
ne  m’ont  cependant  paru  intelligibles  qu’après  que 
j’eus  perfectionné  mes  observatiens  sur  les  ani- 
maux, et  fait  les  découvertes  dont  je  vais  vous  en-i 
trelenir. 

Le  grand  naturaliste  Ray,  dans  la  préface  qu’il 
a mise  à la  tête  de  la  description  des  poissons  de 
Willougby,  rapporte  ce  passage  en  d’autres  ter-[i 
mes,  et  remarque  avec  justesse,  que  si  les  pois-l 
sons  n’ont  pas  de  cou,  ce  n’est  point  parce  qu’ils 
manquent  de  pieds , mais  à cause  qu’il  leur  est  fa- 
cile de  recevoir  partout  leur  nourriture  dans  les 
eaux.  Aristote  avolt  déjà  fait  l’observation  que  les!! 
poissons  n’ont  point  de  cou.  Les  serpens  n’en  ont: 
de  même  pas,  et  ont  cela  de  commun  avec  les! 
poissons. 

Pour  ce  qui  est  des  extrémités,  je  remarquerai! 
que,  par  une  suite  de  la  prévoyance  du  Créateur,: 


(i)  Ceci  se  trouve  confirmé  par  le  morse,  qui,  quoique  muni 
de  longues  défenses  , n’a  pas  besoin  de  trompe  , parce  que  nageant 
dans  l’eau,  il  saisit  facilement  sa  proie;  ce  qui  nous  fournit  uns 
preuve  remarquable  de  la  nécessité  de  la  trompe  dans  l’éléphant, 
et  de  son  inutilité  dans  le  morse.  Galien  avoit  déjà  remarqué  que 
les  animaux  qui  broutent  par  terre  ont  le  cou  aussi  long  que  le* 
jambes.  De  mu  part,,  lib.  VllI,  cap.  i,  n”.  i65.  B.  Bdic.  Brest. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  359 

le  train  de  devant  est  toujours  plus  bas  que  le  train 
de  derrière  dans  les  animaux  de  qui  la  hauteur  des 
jambes  exige  un  long  cou;  comme  on  le  voit  dans 
la  brebis,  dans  le  cerf  et  dans  le  chameau  , de  qui 
l’épine  du  dos  et  les  hanches  montent  obliquement. 
No  us  devons  excepter  de  celte  règle  la  giralfe,  la- 
quelle a une  destination  düFérente  à remplir. 

2°.  Si  nous  fixons  notre  ailention  sur  le  ventre, 
nous  trouverons  que  cette  partie  est  beaucoup  plus 
considérable  chez  les  animaux  herbivores  que  chez 
les  carnivores  , et  plus  grande  aussi  dans  les  ru- 
minans  que  dans  ceux  qui  ne  ruminent  point.  11 
est  facile  d’en  comprendre  la  raison  : les  boyaux, 
tous  les  intestins  en  un  mot , n’ont  pas  besoin  d’ê- 
tre d’un  aussi  grand  volume  pour  convertir  de  la 
chair  en  chair  , que  pour  convertir  de  l’herbe  en 
chair.  Les  parties  nutritives  de  l’herbe  sont  repar- 
ties dans  une  masse  considérable;  tandis  que  cel- 
les de  la  viande  sont  resserrées  dans  un  petit  vo- 
lume. 

La  vache  se  remplit  de  suite  totalement  l’esto- 
mac , après  quoi  elle  rumine  à son  aise;  tandis 
que  le  cheval  mange  continuellement.  11  faut  donc 
que  la  vache  ait  le  ventre  plus  gros  que  le  cheval,; 
' le  cheval  plus  gros  que  le  chien  , etc. 

I 5°.  Les  animaux  sont  aussi  d’autant  plus  alon- 
tgés  qu’ils  ont  un  plus  grand  nombre  de  verlèbres 
! lombaires;  quelques-uns,  tel  que  l’éléphant,  n’en 


34o 


DISCOURS  LUS 


ont  que  trois;  tandis  que  le  cheval  en  a cinq , la 
vache  six,  le  lion  , le  chat  et  le  chameau  sept. 

4°.  Les  animaux  herbivores,  tels  que  l’éléphant, 
le  cheval,  le  boeuf,  le  cerf,  le  chameau  et  toutes 
les  espèces  ruminantes,  le  cochon  même,  ont  des 
sabots,  soit  solipèdes , soit  fourchus,  parce  qu’ils 
doivent  se  tenir  long-tems  debout  pour  prendre  la 
quantité  de  nourriture  qui  leur  est  nécessaire. 

Dans  toutes  les  autres  espèces  d’animaux  les  ex- 
trémités se  terminent  en  trois,  quatre  ou  cinq 
doigts,  comme  dans  l’homme;  maison  n’en  trouve 
jamais  au-delà  de  cinq  dans  les  quadrupèdes. 

5®.  Dans  les  oiseaux,  les  ailes  se  terminent  en 
doigts;  tous  ont  un  pouce,  et  la  plupart  deux 
doigts  en  sus.  Dans  plusieurs  espèces,  il  y a des 
jîiquans, comme  on  le  voit  à l’autruche,  au  casoar. 

Plus  le  peintre  sera  instruit  de  la  nature  et  de 
la  conformation  des  animaux , et  mieux  il  réussira 
à les  représenter  fideliement. 

Mais  une  simple  explication  verbale  est  loin  de 
pouvoir  suffire  à faire  saisir  complettement  la  vé- 
rité de  ces  observations.  Je  réussirai  mieux  sans 
doute  à vous  faire  comprendre  mes  idées,  en  vous 
présentant  les  esquisses  des  animaux  dont  je  veux 
parler. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN. 


34l 


::  i 


f 


PREMIER  EXEMPLE. 


Bt  '! 

te 

le 


j 


Le  cheval.  Planche  XXX,  figure  i. 

1°.  Soit  B.  C.  D.  E.  F.  le  corps  et  les  jambes  du 
cheval;  de  manière  que  les  jambes  pour  être  pro- 
pres à la  course  doivent  avoir  la  hauteur  de  G.  E. 
et  H.  D. 

2°.  Tirez  en  dedans  la  ligne  A.  I.  que  décrivent 
les  vertèbres.  Que  A.  Y.  soit  la  première  côte , et 
A.  le  centre  de  turbination  de  la  première  vertè- 
bre du  cou  : on  sait  cjue  tous  les  animaux  en  ont 
sept. 

CONSÉQUENCE. 


Il  en  résulte  que  le  cou  et  la  tête  pris  ensemble 
doivent  être  assez  longs  pour  que  l’animal  puisse 
mangera  terre;  c’est-à-dire,  comme  A.  Y.+Y.  Z. 
j Plus  la  tête  sera  petite  relativement  à la  hau- 
I teur  de  l’animal , plus  le  cou  devra  être  long , 

, comme  cela  a lieu  dans  le  chameau  , le  mou- 
I ton,  etc. 

5°.  Lorsque  la  tête  se  trouve  droite , il  faut  que 
le  cou  se  courbe  en  dehors,  comme  B.  0.  F.  , ou 
en  dedans  comme  cela  a lieu  chez  les  vieux  che- 
ti  vaux;  et  le  cou  se  porte  plus  ou  moins  en  B.  H.  F., 
^ à proportion  que  la  tête  baisse  davantage. 


I! 


I 

l 


542  toiscouRs  I.US 

4°.  Pour  que  le  cheval  puisse  porter  un  aussi 
long  cou,  il  faut  que  les  apophyses  épineuses  des 
vertèbres  soient  fort  longues  près  du  garrot,  cona- 
me  cela  a lieu  en  effet  dans  le  cheval  en  A.  B. 

C O Pc  O I,  L A I R E. 

Ces  apophyses  doivent  donc  être  moins  longues 
dans  les  autres  animaux  , et  les  plus  petites  dans 
Phomme,  de  qui  la  tête  porte  sur  un  pivot  droit. 

N.  B.  Le  cheval  a un  grand  muscle  qui  passe 
^ar  S.  C.  jusqu’à  R.,  lequel,  étant  réuni  avec  le 
muscle  solaire  en  X2. , est  cause  que  cet  animal 
peut  donner  de  si  fortes  ruades  5 ce  qui  lui  est  uni- 
quement propre.  Le  bœuf  n’a  pas  ce  muscle , aussi 
cette  partie  est-elle  très-creuse  chez  lui. 

Il  est  certain  que  la  tête  du  cheval  dans  V Hip~ 
piairique  de  Eourgelat  est  trop  petite;  F.  S.  fai- 
sant les  2§  de  la  tête,  tandis  que  cette  longueur 
ne  devroit  être  que  de  25,  comme  Stubbs  et  d’au- 
tres l’ont  dit.  Dans  le  modèle  anglois  du  cheval 

O 

écorché  la  tête  est  de  5 de  la  longueur  de  F.  S.  , 
par  conséquent  plus  petite  encore.  Aucun  de  ces 
chevaux  ne  sauroit  manger,  à moins  qu’ils  n’eus- 
sent un  très-long  cou. 

La  hauteur  B.  E.  F.  S.  ; chez  tous  ~ 5 pieds. 
J’ai  trouvé,  en  général,  que  les  têtes  des  chevaux 


[!  A l’  A C A D,  D E D E s s I N.  343 

i;  arolent  deux  pieds  de  long;  même  dans  ceux  de 
petite  race  , qui , pour  cette  raison  , ont  le  cou 

' plus  court. 

)■  ' 

'\  SECONn  EXEMPLE. 

? ' ' 

La  vache.  Planche  XXX,  figure  2., 

\ 

1°.  Faites  d’abord  l’esquisse  du  cheval. 

2°.  Raccourcissez  les  Jambes  deE.  à e.  ,pl.  XXX, 
fig.  1,  et  de  D.  à d. 

CONSÉQUENCE. 

Il  en  résulte  que  le  cou  n’aura  plus  besoin  que 
de  la  longueur  de  A.  T.  étant  droit,  et  de  celle  de 
A.  Y.  lorsque  l’animal  broute. 

Le  cou  de  la  vache  ne  doit  et  ne  peut  pas  êtx’e 
courbé  comme  celui  du  cheval,  mais  doit  monter 
obliquement;  de  manière  que  , vu  sa  pesanteur, 
il  sera  constamment  placé  plus  bas  que  le  garrot 
I B.  , lequel , pour  cette  même  raison  , n’est  pas  si 
jhaut  que  dans  le  cheval.  Le  reste  s’explique  de 
J soi-même. 

H 


/ 


544 


DISCOURS  LUS 


TROISIÈME  EXEMPLE.  i 

Le  chien.  Planche  XXX  , figure  3. 

1°.  Tracez  de  nouveau  l’esquisse  du  cheval  et 
la  ligne  que  décrivent  les  vertèbres. 

52°.  Diminuez  le  ventre  de  G.  H.,  pl.  XXX, 
fig.  1,  en  G.  Z. , fig.  3,  pour  les  raisons  que  j’ai 
avancées  en  parlant  de  la  nourriture  des  animaux. 

3°.  Le  cou  peut  être  plus  ou  moins  long,  parce 
que  le  chien  peut  manger  étant  couché,  ou  en  te- 
nant la  tête  droite. 

4°.  Les  extrémités  doivent  être  plus  minces  , 
pour  rendre  l’animal  plus  léger. 

5°.  L’os  de  la  jambe  étant  plus  long,  le  pied 
XI.  devient  plus  court  que  dans  le  cheval. 

6°.  La  queue  lui  sert  quand  il  saute. 

QUATRIÈME  EXEMPLE. 

Le  chameau.  Planche  XXXI,  figure  i. 

Faites  comme  dans  le  précédent  exemple,  mais 
alongez  les  jambes,  élargissez  le  ventre,  et  le  cou  ; 
devra  être  plus  long.  La  tête  du  chameau,  quoi-  | 
que  aussi  grande  que  celle  du  cheval,  paroîtra  plus  ! 
petite , à cause  des  dimensions  plus  grandes  des 
autres  parties  de  l’animaL 


A l’  A C A D,  DE  DESSIN. 


545 


COROLLAIRE. 

Le  chameau  doit  avoir  le  cou  courbé  en  dedans, 
à cause  du  centre  de  gravité. 

N.  B.  Dans  le  chameau , la  brebis  et  le  cerf,  la 
ligne  A.  T.  doit  monter  un  peu  obliquement. 

CINQUIÈME  EXEMPLE. 

L’ éléphant.  Planche  XXXI,  figure  2. 

Tracez  de  nouveau  l’esquisse  du  cheval,  comme 
dans  les  exemples  précédens. 

Placez  le  cou  en  A.  F. , et  il  faudra  nécessaire- 
ment un  garrot  élevé,  proportionné  au  poids  qu’il 
doit  porter  ; ce  qui  néanmoins  ne  pouvoit  trop  s’ac- 
corder avec  la  conformation  de  l’animal.  Le  cou 
devoit  donc  être  fort  court,  comme  A.  y.  Mais  com- 
me celte  conformation  ne  permet  pas  à l’animal  de 
manger  à terre,  il  falloit  nécessairement  qu’il  eut 
une  trompe.  La  preuve  de  ce  que  je  dis  sera  plus 
facile  à saisir , si  l’on  se  rappelle  le  morse , qui  n’a 
pas  besoin  de  trompe  parce  qu’il  nage. 

Les  vertèbres  pectorales  et  dorsales  doivent 
maintenant  former  une  voûte.  Comme  l’éléphant 
/ 


546 


DISCOURS  LUS 


n’a  que  trois  vertèbres  lombaires,  il  doit  nécessai- 
rement paroître  plus  court. 

CONCLUSION, 

Voilà,  messieurs,  les  objets  dont  je  voulois  vous 
entretenir  dans  ce  premier  discours.  Peut-être 
m’accuserez-vous  de  longueur;  mais  l’abondance 
de  la  matière  ne  m’a  pas  permis  d’être  plus  court. 
Comme  le  second  discours,  que  je  me  propose  de 
faire  demain,  aura  un  rapport  plus  direct  avec  la 
peinture , je  me  flatte  qu’il  méritera  davantage 
votre  attention. 


J’ai  remarqué,  dans  mon  premier  discours, 
qu’excepté  Crispin  Van  de  Pas,  personne  jusqu’à 
présent  n’a  donné  des  principes  particuliers  pour 
dessiner  avec  précision  toutes  sortes  d’animaux. 
I J’ajouterai  que  ce  sont  les  squelettes  des  animaux 
; et  de  l’homme  qui  seuls  peuvent  nous  servir  de 
i base  pour  bien  représenter  leurs  formes  extérieu- 
res 5 mais  ces  squelettes  sont  , en  général , si  mal 
dessinés  qu’il  est  impossible  que  les  artistes  en  ti- 
rent quelque  utilité. 

I Les  squelettes  queCoiter  a donnés  sont  borri- 
: blement  mauvais;  ceux  de  Meyer  cependant  sont 
; pires  encore.  Il  n’y  en  a pas  un  seul  dans  l’ouvrage 
I de  BufiTon  , d’ailleurs  précieux  et  excellent,  que  le 
peintre  puisse  consulter  avec  fruit  ; l’épine  du  dos 


S4r8  DISCOURSLUS  j 

s’y  tronvont  toujours  sur  une  ligne  droite,  commet 
dans  l’ouvrage  de  Coiter.  L’humerus  et  le  radius, 
ainsi  que  le  fémur  et  les  os  delà  jambe , y forment 
également  une  ligne  droite  5 de  sorte  que  les  jam- 
bes sont  d’une  telle  longueur  relativement  au  cou 

O 

qu’il  seroit  imjjossible  qu’aucun  de  ces  animaux 
put  atteindre  à la  terre  pour  y prendre  sa  nourri- 
ture. Mais  je  n’ai  ])lus  été  surpris  de  l’imperfection 
de  cos  figures,  depuis  que  j’ai  vu  les  squelettes  mê- 
mes au  cabinet  du  roi. 

Cheselden  , dans  son  grand  et  magnifique  ou- 
vrage sur  les  os,  a donné  un  nombre  considérable 
de  squelettes  d’animaux,  qui  sont  traités  d’une 
manière  précieuse  et  gravés  avec  soin  par  Van  der 
Gucht  et  Scbynvoetj  mais  d’après  des  modèles  dé- 
fectueux. il  y en  a cependant  quelques-uns  de 
beaux,  tels  que  ceux  du  lézard  , de  la  tortue  , du 
crocodile  et  de  l’aigle.  Ceux  de  l’ours,  du  lapin  et 
du  ciguë  sont  admirables.  On  pourroit  à la  rigueur 
se  servir  du  squelette  de  l’autruche , mais  celui  du 
cochon  est  trop  mauvais.  Ainsi  les  squelettes  de 
Cheselden  sont , en  général , les  meilleurs. 

11  faudroit  croire  que  le  squelette  du  cheval , 
comme  le  plus  beau  et  le  plus  utile  des  quadru- 
pèdes , seroit  rendu  avec  le  ])lus  de  soin  j mais  il 
en  est  tout  autrement,  excepté  celui  que  Stubbs, 
ce  célèbre  peintre  d’animaux,  a dessiné  et  gravé. 

Les  figures  de  Carlo  Ruini,  le  premier  de  ceux 


I 

A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  54g 

i qui  se  sont  distingués  dans  cette  carrière,  peuvent 
^ j être  regardées  comme  assez  bonnes  pour  ce  qui 
; concerne  la  partie  anatomique  , mais  elles  ne  sont 
j au  reste  d’aucune  utilité  pour  l’artiste.  Jugez  d’a- 
I près  cela  ce  qu’il  faudra  dire  de  celles  de  Saunier, 
: de  Snape  et  de  plusieurs  autres  , qui  ne  sont  que 
i de  mauvaises  copies  d’après  les  figures  défectueu- 
: ses  de  Carlo  Ruini? 

e . . . , I 

i Mais  ce  qui  doit  nous  étonner  davantage,  c’est 

■ que  la  célèbre  Ecole  vétérinaire  deCharenton  près 
! de  Paris  n’avoit  pas  en  1777  un  seul  squelette  de 
I cheval,  pas  même  celui  de  Bourgelat , auquel  je 
I voudrois  bien  donner  une  place  dans  mon  cabinet. 
L’omoplate  et  l’os  du  bras  sont  mal  agencés  dans 
tous  sans  exception, 

; Le  squelette  de  cheval  donné  par  Buffon  et  la 
i Guerinière  est  encore  plus  défectueux, 
i Quant  à celui  de  Stubbs,  il  est  admirablement 
i fait  et  de  la  plus  grande  exactitude  : toutes  les  par- 
, ties  sont  bien  disposées,  d’une  belle  proportion  et 
i supérieurement  dessinées  5 les  muscles  entr’autres 
sont  parfaitement  exprimés;  en  un  mot,  ce  sque- 

!'  lette  est  un  véritable  chef-d’œuvre;  et  Stubbs  mé- 
riteroit  qu’on  lui  érigeât  une  statue  pour  avoir  fait 
( ce  bel  ouvrage. 

Si  tel  a été  le  sort  du  cheval , l’animal  le  plus 
1'  utile  à l’homme,  vous  pourrez  facilement  vous 
î:  former  une  idée  de  ce  qui  doit  en  être  des  sque- 


55o 


DISCOURS  LUS 


letles  des  autres  animaux,  qui  n’ont  pas  eu  de 
peintre  comme  Stubbs  pour  nous  en  donner  les 
figures. 

Mais,  en  supposant  que  le  peintre  eut  absolu- 
ment besoin  d’une  connoissance  exacte  du  sque- 
lette de  tous  les  animaux  , il  faudroit  convenir, 
alors  que  peu  d’artistes  trouveroient  le  tems  né-| 
cessaire  pour  en  étudier  les  modèles.  Nous  savons 
d’ailleurs  que  les  plus  grands  maîtres  sont  parve- 
nus au  plus  haut  degré  de  célébrité  avant  l’àge  de 
trente  ans.  Je  pense  donc  qu’il  n’est  pas  absolu- 
ment nécessaire  d’avoir  une  connoissance  fort  ap-  i 
profondie  de  tous  les  squelettes;  mais  qu’il  faut 
posséder  seulement  une  idée  générale  de  certaines 
parties,  surtout  de  celles  dont  je  vous  ai  démontré, 
dans  le  premier  discours,  que  l’analogie  est  tou-,, 
jours  constante  dans  tous  les  animaux;  pour  que 
les  artistes  qui  esquissent  d’ajirès  nature,  puissent- 
dessiner  les  animaux  avec  plus  de  prestesse  et  de^S 
précision. 

C’est  de  cette  manière  sans  doute  qu’ont  pro-, 
cédé  les  Paul  Potier,  les  Van  Berchem  , les  Wou-1 
werman  et  quelques  autres,  tels  que  Snyders,  Cas-* 
tilglionei,  et  surtout  l’admirable  P.  Testa,  lequel  , 
mérite  que  je  vous  le  recommande  particulière-^, 
Xnent , à cause  de  l’exactitude  et  de  la  précisionij 
qu’on  trouve  dans  ses  dessins.  Je  ne  parle  pas  de 
Reidinger , parce  que  tous  ses  animaux  , à l’ex- 


! 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  55 1 

ception  de  quelques  chiens  et  de  quelques  cerfs , 
sont  de  véritables  caricatures  qui,  sans  l’agréable 
exécution  du  dessin  , ne  mériteroientpas  qu’on  les 
citât. 

Cependant  Van  Berchem  n’est  pas  correct  dans 
la  manière  de  placer  les  difféi'en  tes  parties  du  boeuf, 
de  râne , etc.  5 il  pêche  surtout  par  la  situation  des 
omoplates,  principalement  quand  on  les  voit  de 
face.  Les  têtes  de  ses  ânes  sont  généralement  mau- 
vaises; plusieurs  de  ses  moutons  sont  incorrects  ou 
strapassés,  quoique  gi’avés  par  lui-même  à l’eau- 
forte.  En  général,  il  pêche  contre  le  squelette. 

Ses  boucs  sont  ce  qu’il  a fait  de  mieux  , par  la 
grande  vérité  avec  laquelle  il  les  a rendus.  Ceux 
qui  ont  été  gravés  par  de  Visscher  ont  les  mêmes 
défauts;  entr’autres,  il  ne  sont  pas  assez  velus. 

Dans  la  chasse  au  cerf  gravée  par  Dankerts  , il 
y a un  beau  cheval  ; le  cerf  est  trop  grêle  de 
corps. 

Adrien  Van  deVelde,  dans  son  cahier  de  bœufs, 
a rendu  supérieurement  bien  la  plupart  de  ces  ani- 
maux, surtout  le  taureau  qui  se  tient  debout'et  le 
jeune  veau  qui  mange,  quoique  ce  dernier  ait  les 
jambes  un  peu  trop  longues.  Dans  quelques-uns 
de  ces  animaux  les  os  des  hanches  sont  beaucoup 
trop  alongés,  particulièrement  dans  la  vache  qui 
court. 

Son  cheval  qui  mange  est  mauvais;  la  tête,  qui 


5o2  discours  lus 

n’a  qu’un  tiers  de  sa  hauteur,  est  par  conséquent 
trop  petite  ; le  garrot  n’est  pas  assez  haut  ; et  de 
cette  petitesse  de  la  tête  il  résulte  que  le  cou  est 
trop  long.  Il  faudroit  peut-être  ne  représenter  ja- 
mais un  cheval  mangeant  , parce  que  dans  cette 
altitude  le  cou  semble  trop  long,  ce  qui  rend  la 
figure  de  l’animal  difforme. 

Je  ne  dois  pas  oublier  de  dire  qu’Adrien  Van 
de  Veldeagravé  lui-même  à l’eau-forte  une  vache 
qui  broute  , dont  la  beauté  est  admirable. 

l’aul  Potter  a donné  un  taureau  gravé  par  lui- 
même  à l’eau-forte,  qui,  à beaucoup  près  , n’est 
pas  aussi  beau  que  celui  de  Van  de  Velde.  La  plu- 
part de  ses  vaches  sont  mal  dessinées.  Il  a été  éga- 
lement embarrassé  sur  la  situation  des  omoplates, 
comme  cela  se  voit  surtout  par  ses  vaches  que  de 
Bye  a gravées  à l’eau-forte. 

Mais  d’où  vient  donc  , dira-t-on  peut-être,  qu’on 
trouve  les  productions  de  ces  grands  maîtres  si  ad- 
mirables ? Cette  question  est  facile  à résoudre. 
Comme  nous  n’avons  pas  nous- mêmes  une  con- 
noissance  bien  exacte  delà  véritable  conformation 
des  animaux , il  est  aisé  de  nous  satisfaire  pour  peu 
que  l’ensemble  nous  plaise  : un  faire  agréable  et 
des  touches  hardies  nous  enchantent , et  nous  font 
oublier  en  même  tems  et  notre  ignorance  et  les 
défauts  du  maître. 

Je  passe  aux  productions  de  D.  Stoop,  qui  jouis- 


353 


A 7?  A C A D,  DE  DESSIN. 

sent  également  de  quelque  estime  parmi  les  ama- 
teurs: tous  ses  chevaux  sont  fort  mal  dessinés;  ils 
ont  les  jambes  trop  grosses , la  tête  trop  petite  et 
l’encolure  trop  ramassée. 

Il  n’y  a rien  de  prononcé  dans  le  levrier  que  j’ai 
vu  de  lui;  et,  pour  tout  dire  en  un  mot , il  n’y  a 
rien  chez  lui  qui  annonce  quelque  talent. 

Que  dirai-je  de  S.  de  Vlieger  ? Ses  paysages  sont 
certainement  pittoresques;  mais  ses  oiseaux  sont 
mauvais; -ses  lévriers  ont  les  épaules  et  les  jambes 
strapassées  ; il  n’y  a aucune  correction  dans  ses 
’iporcs  , et  ses  moutons  ne  sont  pas  moins  défec- 
:ueux. 

Pierre  de  Laer  a gravé  assez  bien  à l’eau-forte 
les  chèvres,  des  chiens,  des  ânes,  des  porcs;  mais 
■>es  chevaux  ont  les  mêmes  défauts  que  ceux  de 
îtoop,  et  ses  lapins  sont  mauvais. 

Jean  Van  den  Hecke , quoique  recherché  des 
imateurs,  ne  mérite  pas  qu’on  en  parle.  Ses  che- 
naux, ses  bœufs,  ses  ânes,  ses  chiens,  en  un  mot, 
ous  ses  animaux  sont  mal  dessinés. 

A.  B.  Flamen,  quoique  d’un  fort  médiocre  mé- 
‘ite  pour  ce  qui  regarde  les  quadrupèdes,  a néan- 
noins  assez  bien  réussi  dans  les  poissons. 

Picart  le  Romain  a laissé  un  recueil  de  figures 

. O 

^e  lions,  dont  la  plupart  sont  mal  dessinées.  Quel- 
ques-uns des  lions  que  nous  devons  à Rembrant 
ont  de  la  plus  grande  beauté;  et  ceux  d’Albert 
ÏII.  23 


11 


iOI 


354 


DISCOURS  LUS 


Durer  sont  également  fort  beaux  ; mais  les  têlej 
en  sont  généralement  mauvaises,  à l’exception  de 
celles  que  nous  tenons  de  Rembrant. 

Plusieurs  artistes  placent  mal  les  prunelles  des 
animaux;  ce  qui  produit  un  mauvais  effet;  cai 
quoique  les  pimnellcs  de  plusieurs  espèces  d’ani-^ 
maux  soient  rondes,  elles  sont  néanmoins  placées 
obliquement  dans  tous  les  herbivores  et  ruminans 
et  perpendiculairement  dans  les  lions , les  tigres  et 
les  chats.  Les  chiens  ne  les  ont  jias  placé  au  mi| 
lieu  de  l’œil , mais  plus  près  du  grapd  angle  qu] 
du  petit,  etc. 

Je  pourrois  prouver  également  que  les  dents  m 
sont,  en  général,  pas  moins  mal  représentées. 

Ph.  Wouwerman  a non  - seulement  mis  beau-j 
coup  d’esprit  dans  les  ligures  de  ses  chevaux,  mai- 
aussi  beaucoup  plus  de  vérité  d’expression  qu’aui 
cun  autre  peintre  qui  me  soit  connu.  | 

Je  regai'de  comme  les  mieux  exécutés  ceux  qu 
Dankerts  et  Jean  de  Visscher  ont  gravés.  i 

Je  ne  finirois  pas,  si  je  voulois  entrer  dans  que 
que  détail  sur  chaque  peintre  en  particulier.  Il  sul 
fira  , je  pense,  d’avoir  indiqué  les  défauts  les  pli’ 
essentiels  dans  lesquels  sont  tombés  meme  h; 
meilleurs  artistes,  et  qu’on  pourra  éviter  en  sui 
Vant  la  méthode  que  je  vais  vous  exposer.  ' 

Mais  avant  tout  il  faut  que  je  m’arrête  un  mo 
ïaeal  à considérer  ce  qui  a été  fuit  par  Van  de  Pa 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN. 


555 


Flanche  XXXII , figure  2. 


t,  Van  de  Pas  donne,  tome  V,  page  6 de  son  ou- 
| .vrage  , une  méthode  facile  d’esquisser  la  figure  du 
: cheval  sans  régie  ni  compas,  du  moins  comme  il 
f se  l’imagine. 

1 Selon  lui , il  faut  tracer  d’abord  à vue  d’oeil  seu* 

J leinent , un  carré  A.  B.  C.  B. , qu’on  divisera  en 
i neuf  parties  égales  1.  3.  5.  4.  5.  6.  7.  8.  g.  Tracer 
l'ensuite  trois  cercles,  dont  l’un  pour  la  croupe,  le 
( second  pour  le  ventre  et  le  troisième  pour  les  épau- 
ples  et  le  poitrail. 

' Ch.  Van  Mander  fait  également  mention  , avec 
J éloge,  de  ces  trois  cercles,  dans  son  livre  tle  la 
i Peinture  , chap.  IX,  §.  8,  page  16.  Or,  comme 
f Van  Mander  a publié  son  ouvrage  en  i6o5  et  Van 
de  Pas  le  sien  seulement  en  i665,  il  est  à croire 
j[que  ce  dernier  n’a  fait  que  copier  en  cela  le  pre- 
5*mier. 

il  prend  ensuite  pour  l’indication  de  la  verge 
[|et  la  section  du  ventre,  le  tiers  de  4.  et  5.  En- 
suite il  ajoute  un  dixième  carré  pour  le  cou  , et  un 
d,  des  côtés  de  ce  carré  pour  la  longueur  de  la  tête. 
Voici  ce  que  j’ai  à remarquer  sur  celte  mé- 
thode : 

1°.  Que  je  ne  conçois  pas  comment  il  seroit  pos- 
sible de  s’habituer  à tracer  ces  carrés  el  ces  dimen- 


556 


DISCOURS  LUS 


sions  avec  justesse  , sans  se  servir  de  règle  ni  de 
compas. 

2°.  Il  ne  dit  pas  pourquoi  les  points  centraux 
des  cercles  se  trouvent  sur  la  ligne  oblique  F.  G.  ; 
ni  comment  il  faut  déterminer  cette  ligne. 

En  suivant  ce  procédé  la  croupe  du  cheval  se 
trouve  plus  haute  que  le  garrot  5 tandis,  au  con- 
traire, que,  suivant  Bourgelat , tome  I,  page  476, 
le  garrot  est  plus  haut  d’un  dixième;  etStubbs  est 
du  même  sentiment.  Aussi  cela  se  trouve- 1 -il  en 
contradiction  avec  ce  qu’il  établit  lui-même  dans 
sa  figure  , page  7.  I 

5°.  Je  ne  conçois  pas  que  la  tête  puisse  avoir  un| 
tiers  de  la  hauteur  du  cheval;  tandis  que  la  hau-  I 
teur  dejmis  le  garrot  H.  jusqu’à  la  sole  1.  est  de  * 
deux  têtes  et  demie;  ou,  si  on  l’aime  mieux  , la  \ 
tête  est  égale  à deux  cinquièmes  de  la  longueur  et 
de  la  hauteur  du  cheval. 

4°.  11  fait  le  talon  M.  et  l’avant-main  N.  d’une  [I 
hauteur  égale  ; tandis  que  la  hauteur  de  l’avant- Jl 
main  doit  être  d’une  tête,  et-celle  du  talon  d’une 
tête  et  un  sixième  de  tête  à compter  du  sol. 

Il  est  évident  que  la  méthode  de  Van  de  Pas  ! 
n’offre  pas  la  moindre  certitude  de  principes;  sur-  j 
tout  lorsqu’on  veut  donner  quelque  autre  attitude 
aux  chevaux. 

Les  proportions  que  prescrit  Bourgelat  sont  bon- 
nes, mais  la  tête  de  son  cheval  est  trop  petite. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  SÔJ 

M.  Murr  vante  beaucoup  Fouvrage  d’un  certain 
Henri  Lauten  Saks  (i),  dont  je  n’ai  jamais  pu  me 
procurer  la  lecture. 

Planche  XXXII,  figure  3. 

Van  de  Pas  donne  ensuite,  pag.  a4, 

LA  VACHE. 

Van  de  Pas  partage  la  longueur  A.  B.  en  trois 
parties;  un  tiers  pris  deux  fois  donne  la  hauteur. 

Un  tiers  pour  l’épaisseur;  tout  le  reste  se  fait 
au  hasard. 

La  tête  y est  comptée  de  même  pour  un  tiers  , 
ce  qui  est  assez  exact.  Cependant  jamais  une  vache 
ne  porte  sa  tête  à la  hauteur  où  elle  est  représen- 
tée ici. 

- Mais  ce  sont -là  de  bien  foibles  secours  pour 
réussir  ; vu  qu’il  n’y  a rien  qui  serve  à déterminer 
la  hauteur  et  la  forme  du  garrot , des  reins,  de  la 
croupe  et  du  cou. 

Ensuite  il  donne  planche  XXIII: 

l’  É L É P H A N T. 

Après  avoir  tracé  un  carré  divisé  en  douze  car- 


(O  Unterweisung  der  perspectief  nnd  proportion  der  menschezi 
und  rosse,  Fraucf.  1 564  , in- fol. 


558 


D I s C O U 11  s LUS 


reaiix,  il  décrit  un  ovale  pour  le  tronc,  sans  dé- 
terminer la  mesure  de  celte  partie.  Toute  la  figure 
est  difforme;  et  il  n’a  pas  indiqué  les  dimensions! 
des  pieds:  ceux  de  derrière  sont  ])lusgros  que  ceinç. 
de  devant  ; tandis  que  le  contraire  a lieu,  non-seuj 
lement  dans  rélé])hant  et  le  chameau,  mais  aussi 
dans  le  cheval  et  dans  tous  les  autres  animaux.  | 

Le  squelette  que  Perrault  a donné  de  Péléphaiit 
est  fort  défectueux  et  sans  les  moindres  propor- 
tions. Il  faut  en  dire  autant  de  celui  que  Butlon 
a publié. 

La  figure  de  l’éléphant , pl.  I,  pag.  i452  , est  faite 
d’après  la  bosse  , et  ne  me  satisfait  que  médio- 
crement. 

J’ose  assurer  que  les  dimensions  de  l’éléphani 
que  j’ai  modelé  sont  fort  exactes;  mais  comme  cei 
animal  étoit  fort  jeune,  sa  tête  se  trouvoit  réelle- 
ment plus  bas  que  son  dos.  La  tête  et  le  garrot  de 
l’éléphant  représenté  dans  l’ouvrage  de  Butlon  sont 
plus  élevés  que  la  croupe.  Me  trouvant  l’été  der- 
nier à Versailles,  j’y  ai  vu  un  éléphant  heaucoiq 
plus  grand  que  celui  que  j’avois  modelé.  J’en  fi: 
sur-le-champ  le  dessin  , parce  que  véritablement 
sa  tête  et  son  garrot  étoient  placés  plus  haut  qiu 
sa  croupe  ; au  reste  , ses  diruensions  tenoierit  h 
milieu  entre  celles  de  l’éléphant  dont  Buffon  a 
donné  la  figure,  et  celles  de  Léléphant  que  j’avois 
modelé  moi-même. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  SSg 

Van  de  Pas  donne,  pi.  XXV,  la  figure  du  cha- 
meau. Ayant  de  nouveau  tracé  ici  un  ovale  pour 
la  partie  du  ventre,  tout  le  reste  est  mal  dessine4 
Ce  qu’il  prescrit  , pl.  XXXI,  pour  dessiner  les 
chiens,  doit  absolument  être  rejetté;  et  il  en  est 
de  même  de  ce  qu’il  dit  des  chats. 

Pl.  XLIII,  il  indique  aussi  les  trois  cercles 
pour  les  cerfs,  dont  le  premier,  dit -il,  doit  être 
plus  petit  que  le  second,  et  le  second  plus  petit 
que  le  troisième  5 mais  sans  nous  dire  pourquoi  ni 
de  combien  ces  cercles  doivent  être  relativemtent 
plus  petits  les  uns  que  les  autres. 

Comme  Van  de  Pas  est  le  seul  maître  qui  ait 
cherché  à établir  des  principes  sur  la  manière  de 
dessiner  toutes  sortes  d’animaux  , et  qu’en  don- 
nant à ses  elforts  les  éloges  qu’ils  méritent,  j’ai  en 
même  tems  fait  appercevoir  leur  insuffisance  5 il 
faut  que  j’indique,  à mon  tour  , la  méthode  que 
je  crois  la  plus  propre  à dessiner  avec  facilité  et 
correction  les  animaux. 

Règle  générale  pour  dessiner  toutes  les  espèces 
d’animaux. 

1°.  Tracez,  pl.  XXXII,  fîg.  A.  B.  C.,^an&la 
direction  plus  ou  moins  oblique  vers  C,  que  doit 
avoir  celte  ligne  , suivant  la  nature  de  i’aninaal 


36o 


DISCOURS  LUS 


qu’on  vent  représenler;  tels,  par  exemple,  que  Is 
brebis,  le  chameau,  etc. 

2°.  Achevez  l’ovale  oblique  A.  B.  C.  D. 

5°.  Tirez  F.  E.  pour  l’omoplate,  et  C.  H.  pout 
l’os  de  la  hanche  , égal  à deux  tiers  de  la  tête  pour 
le  cheval,  mais  égal  à la  tête  entière  pour  le  boeuf, 

Ensuite,  indiquez  l’os  du  bras  E.  G.,  et  l’os  de 
la  cuisse  I.  K. , de  manière  que  le  coude  et  le  ge- 
nou du  cheval,  du  bœuf,  etc.  , se  trouvent  à la 
même  hauteur  et  sur  la  même  ligne  que  le  ventre. 

4®.  Achevez  de  tracer  les  jambes  de  devant  et  de 
derrière;  c’est-à-dire,  tirez  les  lignes  K.  L.,  M.  N., 
N.  O.  O.  P.  pour  la  jambe  de  derrière,  et  G.  R.,  R.  S,, 
S.  T.  pour  la  jambe  de  devant. 

Lorsque  R.  et  L.  sont  d’une  égale  longueur,  le 
talon  M.  L.  s’élève  de  lui-même  plus  haut. 

Faites  l’esquisse  du  cou  suivant  que  l’exige  l’es- 
pèce de  l’animal;  ensuite  la  tête,  d’après  les  règles 
que  j’ai  établies  aux  pages  54i  et  342. 

Rappelez- vous  aussi  de  celles  dont  j’ai  parlé 
page  55g,  n°.  2 et  3.  Ajoutez  ensuite  ce  qui  est  né- 
cessaire pour  la  longueur  des  reins.  Cette  esquisse 
pourra  servir  pour  toutes  les  espèces  d’animaux- 

SECONDE  RÈGLE. 

En  couvrant  les  os  des  bras  de  leurs  muscles 

Q-  ? S'f’  J G.yi  R. , on  obtient  le  contour  de  la 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN, 


36 1' 

jambe  de  devant  ; et  en  traçant  c.  b. , H.  c. , e/.M. , 
etc. , on  parvient  à former  le  contour  de  la  jambe 
de  derrière. 

lOj  ! 

TROISIEME  REGLE. 

IVF, 

Les  premières  côtes  sont  toujours  droites  et  re- 
r couvertes  par  l’omoplate;  celles  de  derrière  sont 
“L  toujours  placées  obliquement  en  arrière  ; dans  le 

i cheval  elles  se  prolongent  jusque  près  des  os  des 
hanches;  dans  la  vache,  la  partie  des  reins  est  plus 
longue  ; ce  qui  produit  la  cavité  triangulaire  in- 
f ! diquée  par  £.  F.  G,  de  la  fig.  2 , pl.  XXX. 

QUATRIÈME  RÈGLE. 

Dans  tous  les  animaux  à sole  ou  sabot,  la  main 
I et  le  pied  sont  fort  longs,  comme  en  R.  S.  etJM.  N., 

hg.  ï,pl.  XXXIl. 

Dans  les  animaux  qui  sautent , tels  que  les  lions, 

; les  chiens,  les  lièvres,  l’os  de  la  jambe  est  long  et 
: le  pied  est  court. 

g yJppUcaliuii  de  ces  règles  aux  oiseaux.  Planche 
XXXI I , hg.  4. 

1'’.  4’racez  de  nouveau  un  ovale,  et  placez  le 
bras  en  A.  B. , qui  doit  être  plié  quand  l’oiseau  no 


562 


DISCOURS  LUS 


vole  point,  comme  en  B.  C.  Prenez  C.  D.  pour  la 
nioin , D.  F,  pour  le  pouce,  el  D.  E.  pour  les  au- 
tres doigts. 

2°.  Ensuite  décrivez  G.  H.  pour  l’os  de  la  hanche 
elle  coccix;I.K.  donne  la  cuissej  K.L.  l’os  dei 
la  jambe;  L.  M.  le  pied  ; M.  les  doigts.  i* 

3°.  Tracez  le  cou  N.  Q. , en  observant  de  lui 
donner  la  longueur  qui  convient  au  corps,  et  ter-’ 
minez  la  lèle  Q.  R.,  dont  la  mandibule  supérieure 
est  très -mobile  dans  quelques  espèces,  comme 
par  exemple,  en  R.  S.  dans  l’aigle,  le  perroquet  et'; 
le  canard. 

4*^.  Si  c’est  un  oiseau  dont  l’espèce  est  destinée! 
à voler,  il  doit  avoir  le  sternum  garni  d’une  crête| 
saillante  , laquelle  sert  à l’insertion  des  muscles  ,V" 
de  même  que  la  fourchette  N.  O.  L’autruche  et  le>; 
casoar  n’ont  pas  cette  crête,  qui  leur  est  inutile,; 
parce  qu’ils  ne  volent  point. 

Par  l’addition  des  muscles,  on  achève  de  donner  ' 
la  forme  convenable  aux  cuisses,  etc.;  et  en  pla-' 
çant  les  plumes  on  obtient  la  totalité  de  l’animal. 
Les  pennes  primaires  recouvrent  les  cuisses,  etc.  ( i). 


( I ) Belon  , dans  son  Uisloirc  de  ta  nature  des  oiseaux , édit,  de 
1554,  pag.  4®  et  4'i  comparant  le  squelette  de  l’homme  à ce- 
lui des  oiseaux  , a démontré  de  la  manière  la  plus  satisfaisante  la 
parfaite  analogie  qu’il  y a entre  l’un  et  l’autre,  depuis  la  tête 
jusqu'aux  pieds.  Je  ir’avois  pas  eu  l’occasion  de  faire  cette  remar- 
que avant  le  1 y juin  1 yyg. 

Afin  de  porter  en  avant  autant  que  possible  le  centre  de  gravité, 


A l’  A C A »,  B E DESSIN. 


565 


COPvOLLAIRE. 

De  ce  que  j’ai  démonlré  que  les  jambes  de  de- 
vant de  tons  les  quadrupèdes  et  les  ailes  des  oiseaux 
sont  conformées  comme  nos  bras,  il  suit  qu’il  est 
ridicule,  absurde  même,  de  donner  des  ailes  à la 
ligure  humaine,  comme  on  a cotitume  de  le  faire 
aux  anges  et  aux  amours. 

En  second  lieu  , qu’il  ne  peut  y avoir  des  cen- 
taures, parce  qu’il  faudroit  leur  supposer  six  jam- 
bes, deux  ventres  et  deux  poitrines,  comme  l’a 
fort  bien  prouvé  Aristote  (i),  ainsi  que  Lucrèce. 

Par  ce  qui  me  reste  à dire  on  verra  qu’il  ne  peut 
pas  y avoir  non  ])lus  de  tritons  ni  dç  syrènes. 


ta  nalure  a eu  soin  de  raccourcir  le  dos  des  oiseaux,  et  de  retran- 
cher aussi  entièrement  les  vei  tèbres  lombaires;  il  y a même  des 
espèces  qui  n’ont  que  six  vertèbres,  et  qui  par  conséquent  n'ont 
que  six  côtes  de  chaque  côté;  d’où  vient  (|u’ils  n’ont  que  le  tiers 
des  vertèbres  de  I hoinme  , à qui  la  nature  en  a donné  dix-sept. 
L’inverse  parort  avoir  lieu  dans  la  grenouille,  fig.  5 , pl.  XXXII, 
dont  le  centre  rie  gravité  devoit  être  porté  en  arrière.  11  falloit 
donc  que  les  vertèbres  lombaires  restassent  ici,  pour  donner  [tins 
de  torce  aux  muscles  des  jambes  de  derrière.  C’est  pour  la  même 
raison  que  la  nature  ieur  a sagement  relusé  presque  toutes  les  ver- 
tèbres dorsales,  et  a placé  leur  cou  , pour  ainsi  dire,  direcieinens 
sur  les  lombes.  11  ne  pouvoit  donc  y avoir  des  côtes,  et  l’aoimai 
nous  paroît  nèr.assairemeut  d’une  figure  ramassée.  Voyez  A,  J. 
Rœsel,  E ist.  Raiiar.,  edir.  Nurenb.  1768. 

i 1)  De  hicessit  n/iimaliurn , cap,  1 1 , pag.  74^- 


564 


DISCOURS  LUS 


De  la  figure  des  poissons.  Planche  XXXI,  fig.  ,3. 

Preuve  que  les  poissons  ressemblent  par  leur 

structure  aux  quadrupèdes. 

1 Tracez  de  nouveau  le  tronc  B.  A.  C.  G.  Coitinie 
les  poissons  n’ont  pas  besoin  de  cou,  et  qu’ils  n’en 
ont  en  effet  presque  point  (excepté  ceux  qui  respi- 
rent, et  qui  en  ont  un  fort  court),  placez  la  tête 
D.  A.  B.  E.  immédiatement  sur  l’épine  du  dos  en 
A(i). 

2°.  Comme  dans  cet  état  le  tronc  ne  sauroit  se 
mouvoir  , quoiqu’il  se  trouve  en  équilibre  avec 
l’eau,  il  faut  ici  une  force  motrice  pareille  à celle 
de  l’aviron  d’une  chaloupe,  A.  n.  0.,fig.  4,  pl. 
XXXI,  à laquelle  on  peut  comparer  le  poisson. 

Mais  comme  cette  force  motrice  doit  résider  dans 
le  poisson  même,  il  en  résulte  que  la  queue  C.  H. 
et  les  grandes  arrêtes  transverses  sont  indispensa- 
blement nécessaires  pour  l’insertion  des  muscles. 
Plus  la  queue  n.  ©.,  fig.  4,  sera  longue,  plus  le 
poisson  aura  d’agilité  en  nageant. 


(0  Dans  tous  les  poissons  la  première  vertèbre  se  trouve  réunie 
avec  la  tête  parle  moyen  d’un  cartilage,  de  même  que  les  autres 
vertèbres  le  sont  entre  elles;  c’est  ce  que  j’ai  surtout  remarqué 
dans  le  brochet. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN. 


565 


COROLLAIRE  I. 

La  chaloupe  aura  le  moins  de  mobilité,  lorsque 
le  centre  de  turbination  et  celui  de  gravité  seront 
réunis  dans  un  même  point.  Cela  ne  sauroil  avoir 
lieu  dans  une  chaloupe,  mais  se  trouve  toujours 
tel  dans  les  poissons;  aussi  ont-ils  la  faculté  de  na- 
ger en  ligne  droite,  tandis  que  la  proue  de  la  cha- 
loupe vacille  sans  cesse  de  côté  et  d’autre  en  fai- 
sant route. 

Mais  le  poisson  doit  se  tenir  droit  ; il  lui  faut 
idonc  des  nageoires  pectorales  en  B.  F. , et  des  na- 
geoires ventrales  en  G.  Si  l’on  coupe  les  nageoires 
B.  F. , comme  l’a  fait  Artedi,  le  poisson  ne  sauroit 
plus  se  soutenir,  et  tombe  sur  le  côté, 

c O R O L L A I R E II. 

1°.  Comme  les  poissons  sont  en  équilibre  avec 
i’eau , et  que  tous  nagent  en  avant  par  le  moyen 
de  leur  queue,  il  est  évident  qu’ils  sont  tous  pla- 
cés horisontalement  dans  l’eau. 

2°.  Le  centre  de  turbination  doit  varier  à rai-' 
son  du  poids  de  la  tête  du  poisson  ; et  c’est  de  là 
que  doit  dépendre  aussi  la  longueur  de  la  queue. 

5°.  Comme  la  forme  des  poissons  est  plus  sus- 
ceptible de  modilications  que  celle  des  quadrupè- 


5G6 


DISCOURS  LUS 


lies,  il  doit  nécessairement  y avoir  pins  de  varié- 
tés parmi  les  premiers  que  parmi  les  derniers.  Aussi 
Linnæus(i)  compie-t-il  seulement  deux  cent  douze 
espèces  de  quadrupèdes;  tandis  qu’il  a trouvé  qua- 
tre cent  quatre-vingt  es|)èces  de  poissons. 

4“.  U est  par  conséquent  impossible  qu’il  y ait 
des  triions,  des  sirènes;  c’est-à-dire,  des  monstres 
marins,  qui  nagent  en  tenant  le  corps  sur  une  li- 
gne perpendiculaire,  de  manière  que  la  queue  for-  i 
me  un  angle  droit  avec  l’épine  du  dos.  La  loi  de 
gravité  les  forceroil  à prendre  une  position  hori- 
sontale  ; ce  qui  prouve  l’absurdité  qu’il  y auroit 
de  vouloir  admettre  l’existence  de  pareils  êtres. 

Mais  revenons  aux  jambes  des  poissons.  Comme 
c’est  par  le  moyen  de  leur  queue  que  les  poissons 
nagent,  ils  n’ont  pas  besoin  de  longues  jambes,  ni 
de  cuisses,  ni  de  tibia  , ni  de  pieds.  Le  bassin  os- 
seux qu’on  trouve  dans  tous  les  quadrupèdes  et  oi- 
seaux leur  est  pareillement  inutile. 

DÉMONSTRATION. 

Nous  avons  un  exemple  frappant  de  ce  que  je 
viens  de  dire  dans  la  métamorphose  que  subissent 
les  grenouilles.  La  nature  leur  donne  une  queue 
pendant  tout  le  teins  qu’elles  sont  privées  de  jam- 


(i)  Edic.  1(3,  1766. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  567, 

besj  mais  du  moment  que  celles-ci  paroissent  la 
queue  diminue,  et  cela  progressivement  jusqu’à 
ce  que  les  jambes  aient  acquis  la  force  nécessaire. 
Tous  les  printems  nous  sommes  à même  d’admi- 
rer ce  singulier  phénomène,  que  nous  négligeons 
cependant,  peut-êîi’e  à cause  de  la  facilité  même 
que  nous  avons  de  nous  en  occuper  et  de  la  l’épu- 
gnance  que  nous  inspire  l’animal  qui  le  présente. 

Métamorphoses  de  quadrupèdes  en  oi- 
seaux. 

PREMIER  EXEMPLE.  PL.  XXXIII,  FIG.  2. 

Changer  une  vache  en  oiseau. 

Dessinez  le  squelette  de  la  v-aclie,  comme  il  a 
été  dit  page  543. 

1®.  Dressez  le  tronc  de  manière  que  les  jambes 
de  devant  s’élèvent  de  la  terre  en  G.  C.j  alors  le 
centre  de  gravité  n’étant  plus  soutenu  par  les  jam- 
bes de  devant,  celles  de  derrière  E. F.  se  trouvent 
portées  en  E.  I. 

2^.  Le  tronc  G.  se  trouvant  alors  considéra- 
blement élevé  de  terre,  le  cou  doit  être  alonsé 
comme  en  G.  FI. , et  la  tête  doit  se' jeter  en. ar- 
rière , pour  être  supportée  par  la  ligne  de  propen- 
sion en  H.  I.  . 


368 


DISCOURS  LUS 


3°,  Comme  les  jambes  de  devant  ne  sont  plus 
nécessaires  pour  marcher,  elles  tiennent  lieu  d’aî- 
les,  et  répondent  aux  conditions  donlje  parle  dans 
la  quatrième  règle,  page  56 1. 


SECOND  ET  DERNIER 
PL.  XXXIII,  FIG. 


EXEMPLE. 

] . 


Changer  un  quadrupède  en  homme. 

Comme  un  grand  nombre  de  lignes  produiroit  | 
de  la  confusion,  il  sera  convenable  de  commencer  i 
par  représenter  un  cheval  posé  sur  ses  quatre  jam-  ! 
bes; ensuite  dressé  sur  celles  de  derrière,  pour  dé^,| 
montrer:  if;* 

Kl: 

1°.  Que  dans  celte  position  les  hanches  se  rap-i.‘ 
prochent  beaucoup.  É 

2°.  Que  les  jambes  de  devant  pendent  le  long| 
du  corps  j qu’elles  ont  par  conséquent  besoin  d’être^ 
soutenues  par  des  clavicules.  f 

3°  Que  les  cuisses  et  les  jambes  se  trouvent^ 
maintenant  former  une  seule  ligne  droite.  % 

4°.  Que  la  tête  n’ayant  plus  besoin  de  se  trou-^, 
ver  placée  au  bout  d’un  long  cou,  le  garrot  ne  de-y 
mande  par  conséquent  pas  une  si  grande  hau1eurd| 
5°.  Que  le  dos  perd  sa  convexité.  : 

6°.  Que  la  tête,  dont  le  cerveau  et  le  cervelet 
éîoient  placés,  dans  le  premier  cas,  l’un  devant  i 


A l’  A C A D,  DE  DESSIN.  56q 

l'autre,  a pris  maintenant  une  forme  sphérique, 
dont  le  centre  de  gravité  et  celui  de  mouvement 
doivent  se  confondre  en  un  seul  point. 

7°.  Qu’il  faut  nécessairement  que  la  mâchoire 
rentre  en  dedans;  que  par  conséquent  le  nez  de- 
vient proéminent. 

8°.  Qu’il  faut  que  les  pieds  soient  rendus  plus 
courts. 

9°.  Qu’il  faut  donner  cinq  doigts  aux  pieds, 

N.  B.  Il  suit  naturellement  de  la  troisième  rè- 
fle  que  les  cuisses , les  mollets  et  les  fesses  doivent 
l'tre  plus  couverts  de  chair,  pour  qu’ils  puissent 
enir  le  tronc  dans  une  position  droite;  ce  qu’A- 
istote  a exposé  d’une  manière  admirable , quand 
1 dit  : « L’homme  seul  n’a  pas  de  queue,  mais  il 
; a des  fesses  , que  la  nature  n’a  donné  a aucun 
quadrupède.  Aussi  les  cuisses  et  les  jambes  de 
l’homme  sont-elles  fort  charnues. — Il  n’y  a pour 
cela  qu’une  seule  raison  , c’est  le  privilège  dont 
l’homme  jouit  seul  de  se  tenir  droit;  et  pour  cet 
effet  il  lui  falloit  des  fesses  plus  charnues  , des 
cuisses  et  des  mollets  (>).  n 


(ij  Homo  unus  caitda  vacat , nates  habet,  quod  niilli  quadrtt- 
dum  datum  est.  Crurn  etiam  homini  femore  snraque  carnu- 
ita  sunt.  ■ — Quorum  causa  una  esc  omnium,  quod  homo  salas 
dmalium  erectns  esc , icaque  naces  camosas  fecic  ec  femora  eC 
ras.' — De  Parc  anim.,  I,  IV,  pag.  \Ojq. 

III.  524 


DISCOURS  LUS, 


ETC. 


070 


CONCLUSION. 

Voilà,  messieurs,  ce  que  je  m’étois  proposé  de 
vous  démontrer.  Si  je  n’ai  pas  réussi  à fournir  aux 
artistes  des  règles  pleinement  convaincantes,  j’au- 
rai satisfait  du  moins  à votre  curiosité,  et  reveillé 
en  vous  des  idées  plus  étendues  sur  la  marche  que 
la  nature  semble  s’être  prescrite  dans  la  création 
des  animaux. 


DU  BEAU  PHYSIQUE, 

O U 


DE  LA  BEAUTÉ  DES  FORMES. 


DU  BEAU  PHYSIQUE, 


O U 


DE  LA  BEAUTÉ  DES  FORMES. 


INTRODUCTION. 


D E tous  les  tems,  les  hommes  doués  d’un  juge- 
ment sain  et  d’un  goût  délicat,  les  vrais  amateurs 
et  connoisseurs  du  bel  art  de  la  peinture  ont  été 
convaincus  qu’i/  existe  un  Beau phy sique , c’est- 
à-dire  , une  Beauté  des  formes  fondée  sur  des 
principes  immuables ^ dont  tous  les  hommes  sans 
exception  ont  un  sentiment  inné.  Cependant  per- 
sonne, que  je  sache,  n’a  pu  définir  encore  ce  qui 
constitue  véritablement  ce  Beau  , et  l’on  est  moins 
parvenu  encore  à en  donner  une  démonstration 
satisfaisante. 

Selon  moi,  le  Beau  physique  n’existe  pas  dans 


DISCOURS  LUS 


074 

la  nalure;  c^est  - à -dire , qu’il  ne  se  trouve  dans 
aucune  chose  créée,  ni  dans  l’homme,  ni  dans  les 
animaux,  ni  dans  les  plantes 5 parce  qu’il  manque 
partout  une  symétrie  générale  soumise  à des  rè- 
gles certaines  et  constantes  ; tandis  qu’on  trouve 
bien  une  harmonie  parfaite,  invariable  dans  leurs 
parties  intégrantes  , laquelle  tend  uniquement  à 
leur  utilité  absolue,  et  qui  n’impliqueaucune  idée 
de  beauté. 

La  vénérable  antiquité  , ses  plus  grands  philo- 
sophes, ses  plus  célèbres  artistes,  ont  pensé,  com- 
me l’ont  fait  depuis  ceux  de  nos  jours  , que  la 
Beauté  des  formes  dépend  essentiellement  d’un 
certain  accord  des  parties  comparées  entre  elles. 
C’est  d’après  ce  principe  que  Galien  a dit(i),  a Que 
« le  Beau  ne  résulte  pas  tant  d’une  analogie  con- 
te venable  des  élémens,  que  du  rapport  des  parties 
c(  intégrantes  entre  elles;  » comme,  par  exemple, 
du  doigt  avec  la  paume  de  la  main  , de  la  paume 
avec  la  main  même,  de  la  main  avec  le  coude,  du 
coude  avec  le  bras,  en  un  mot,  de  toutes  les  par- 
ties les  unes  avec  les  autres;  commeon  peutlevoir 
dans  le  livre  des  proportions  de  Polyclèle  , appelé 
Norma  ou  Règle.  C’est  d’après  ces  idées  que  cet 
artiste  fit  une  statue,  à laquelle  on  donna  égale- 
ment le  nom  de  Norma  j à cause  de  la  beauté  de 


0 ) Class.  I , pag.  255  à la  fin  H. 


A l’ A C A D.  DE  DESSIN.  SjB 

'*1  ses  proportions.  Pline (i)  fait  mention  de  cette  sta- 
■^1  tue  connue  d’un  chef-d’œuvre,  que  tous  les  ar- 
tistes  sans  exception  appeloient  Canon ^ à cause  de 
la  beauté  de  ses  proportions. 

® A l’exemple  des  anciens  tous  les  peintres  et  sta- 
s tuaires  du  quinzième  siècle  , lorsque  les  beaux- 
arts  recommencèrent  à fleurir,  introduisirent  de 
nouveau  ce  prétendu  mérite  de  la  symétrie,  et  le 
défendirent  avec  chaleur  , comme  on  peut  s’en 
convaincre  par  les  écrits  de  Léonard  de  Vinci , 
d’Albert  Durer,  de  Lomazzo,  et  en  dernier  lieu 
par  ceux  du  célèbre  Mengs  (2) , émulateur  zélé  du 
grand  Raphaël. 

Mais , en  admettant  même  leur  hypothèse  , il 
faudroit  pouvoir  résoudre  aussi  la  question  ; Pour- 
quoi cette  symétrie  y rigoureusement  calculée , 
devroit  produire  sur  notre  aine  un  ejf'et  qui  la 
déterminât  à un  sentiment  cV approbation  , et 
cela , sans  exception  ^ chez  tous  les  hommes  en 
général?  Seroit-il  véritablement  nécessaire  que 
nous  eussions  un  sentiment  inné  du  Beau  phy- 
sique ^ comme  nous  recevons  en  naissant  le  senti- 
ment intérieur  du  Beau  moral , de  la  vertu  , de 
l’amour,  de  l’amitié,  etc.?  Non  certainement! 


fl)  Tom.  Ht,  ]ib.  XXXIV,  rap.  8 , para».  5.  Edit.  Hard. 

(2)  Voyez  la  traduction  que  j’ai  donnée  des  OEtivres de  Mengs, 
2 vol  ia-L\^ , Note  dit  traducteur. 


DISCOURS  LUS 


5y6 

Les  differens  goûts  qui  ont  régné  clans  la  peinture 
et  dans  la  sculpture,  et  cela  dans  tous  les  tems , 
servent  à nous  prouver  le  contraire. 

On  me  demandera  peut-être  , et  avec  raison  , 
pourquoi  on  donne  donc  le  nom  de  belles  aux  sta- 
tues antiques,  et  cela  depuis  tant  de  siècles?  D’où 
vient  c[u’on  ne  cesse  de  louer  un  Polyclète  , un  Ly- 
sippe,  un  Phidias,  un  Apelle?  Pourquoi  un  Mi- 
chel-Ange, un  Raphaël,  un  Corrège , un  Titien 
et  tant  d’autres  ont  accjuis  un  nom  immortel;  tan- 
dis c|ue  leurs  ouvrages  ne  peuvent  être  appréciés 
que  par  ceux  cjui  ont  fait  une  étude  particulière 
de  Part? 

La  nature,  dira-t-on,  a-t-elle  formé  les  hom- 
mes, les  animaux,  les  plantes,  de  manière  qu’un 
certain  accord  ou  équilibre  entre  leurs  parties  en 
constitue  la  beauté;  ainsi  que  cela  a heu  dans  le 
mouvement  accéléré  de  la  chute  des  corps  , dans 
l’action  des  fluides,  dans  les  forces  centrifuges, 
dans  les  oscillations  du  pendule,  et  dans  la  révo- 
lution des  cor])s  célestes  autour  de  leur  centre 
commun?  Mais  ne  se  pourroit-il  pas  c[ue  cette 
beauté  même  ne  soit  que  purement  accidentelle  , 
et  qu’elle  n’esl  pas  entrée  dans  le  plan  général  de 
la  Suprême  Cause  ? 

Mon  dessein  est  de  vous  prouver  dans  ce  dis- 
cours que  l’Etre  souverainement  puissant  n’a  eu 
d’antres  vues  en  formant  les  animaux  que  l’utilité 


A l/  A C A D.  DE  D E S S ï N.  O77 

relative  de  leurs  parties  intégrantes,  et  nullement 
leur  constante  symétrie;  C[w'’ilne  saurait  y avoir 
par  conséquent  de  B eau  positif , invariable  dans 
les  formes  des  animaux. 

C’est  aux  animaux  seuls  que  je  bornerai,  pour 
le  moment  , ces  réflexions  ; leur  application  aux 
])lantes  nous  meneroit  trop  loin;  quoique  cepen- 
dant leurs  fonues  oflient  les  mêmes  rapports.  C’est 
d’après  ces  principes  que  je  prouverai,  d’une  ma- 
nière claire  et  incontestable:  i".  Que  le  Beau 
qu’on  suppose  exister  dans  les  formes  de  l’hom- 
me et  des  autres  animaux , dépend  uniquement 
d’une  mutuelle  convenance  établie  sur  l’auto- 
rité d’un  petit  nombre  de  personnes. 

2°.  Je  ferai  voir  que  le  Beau  physique  n’est 
qu’un  être  de  raison  , fondé  uniquement  sur  l’ha- 
bitude (1). 

3°.  Je  démontrerai  enfin  que  l’aptitude  à saisir 
le  Beau  et  à l’appi’écier , qu’on  appelle  ordinaire- 
ment sentiment  J tact  ou  goût , dépend  bien  d’une 
certaine  modification  particulière  de  l’esprit  de 
quelques  personnes , mais  qu'on  ne  doit  cependant 
i’aîtjibuer , en  général , qu’à  l’éducation,  à l’habi- 


(O  Voilà  pourquoi  Rdm.  BuiketUt  avec  raison  dans  son  Traité 
du  Beau  et  du  Sublime  ; Since  if  proportion  does  not  operate  hy 
a naturnl  power  nttending  some  measures , it  must  eiilier  hc  tz 
custorn,  or  lhe  iden  of  titility^  the’e  is  no  ot/ier  way. 


DISCOURS  LUS 


tude  de  contempler  journellement  les  meilleures 
productions  de  l’art,  et  qu’elle  est  enfin  en  raison 
des  connoissances  que  nous  avons  acquises  par  l’é- 
tude et  par  l’inslruclion  (i). 

Voilà  ceiiainement  un  objet  bien  digne,  mes- 
sieurs, de  celte  Académie^  mais  la  manière  dont 
je  me  ]nopose  de  le  traiter  sera  peu  propre  peut- 
être  à m’obtenir  vos  suffrages. 

Si  jamais  votre  indulgence  m’a  été  nécessaire  , 
c’est  surtout  dans  ce  moment,  où,  n’ayant  pas  de 
vérités  neuves  à vous  exposer,  comme  dans  mes 
discours  précédons,  je  ne  puis  me  flatter  de  fixer 
votre  attention  par  quelque  chose  d’extraordinaire 
et  de  piquant.  Je  dois,  au  contraire,  chercher  à 
détruire  des  préjugés  établis  sur  l’autorité  de  plu-  | 
sieurs  siècles  ; et,  après  avoir  rempli  cette  lâche  pé- 
nible, il  faudra  que  je  vous  force,  en  quelque  I 
sorte,  à m’accorder  votre  a])probation.  j 


Pour  rendre  mes  idées  plus  claires,  il  sera  con- 
venable que  je  les  dévelopj)e  par  les  esquisses  des 
objets  dont  j’ai  à vous  entretenir.  Daignez  m’ho- 
norer de  votre  attention  ; et  si  je  ne  puis  vous  cap- 
tiverpar  les  charmes  de  mon  éloquence,  jetâcherai 

( 1 ) Winkelmann  confirme  pleinement  mon  sentiment  à cet 
égard  , i|uand  il  dit  : « Une  éducation  honnête  et  bien  raisonnée 
« fait  naître  le  .sentiment  du  Beau  et  lui  donne  un  essor  préraa- 
« turé.  » V on  der  Jaeliiglicit  der  empfindung  des  schœnen  in  der 


kunsc. 


A l’  A C A D.  UE  U E S S I N.  079 

du  moins  de  mériter  votre  indulgence  par  ia  briè- 
veté de  mon  discoui’s. 

PRE  ]\I  1ÈRE  SECTION. 

I.  Dès  la  plus  haute  antiquité,  le  Beau  a été 
décrit  d’une  manière  si  obscure , si  mystérieuse 
même,  par  les  philosophes,  qu’il  est  absolument 
impossible  de  les  comprendre;  desorte  que  leurs 
définitions  métaphysiques,  vagues  et  ambiguës  ne 
servent  à rien  moins  qu’à  nous  apprendre  ce  qu’ils 
ijont  voulu  désigner  par  ce  mot. 
ij  Quoique  Platon  (j)  dise  clairement,  a Que  l’es- 
te senliel  est  de  connoître  ce  qui  fait  que  les  belles 
;(  choses  nous  paroissent  belles;  » il  ajoute  néan- 
moins immédiatement  après:  te  Qu’il  est  iinpossi- 
>((  ble  que  les  choses  qui  sont  réellement  belles  ne 
a nous  paroissent  pas  telles,  surtout  quand  elles 
K sont  douées  de  ce  qui  fait  qu’elles  nous  parois- 
■;(  sent  belles,  u 

Mais  la  grande,  l’unique  question  est  de  savoir 
:|u’est-ce  qui  produit  cet  elTel?  Est-ce  la  s^’^métrie? 
et  quelle  est  alors  cette  symétrie?  Est -ce  quel- 
qu’autre  chose?  quelle  est  donc  cette  chose? 

Je  croyois  trouver  une  explication  plus  salis- 


Dans  ion  Hipplas  Major. , pag  ag'i.edic.  Seirani. 


38o 


DISCOURS  LUS 


faisante  dans  Vitruve;  mais  cet  écrivain  se  born< 
à dire:  a Que  la  beauté  positive  en  arcbitectuu 
« dépend  principalement  de  la  bonne  disposilioff 
<f  des  parties,  de  leur  rapport  entr’elles,  de  leui| 
« convenance  réciproque,  et  de  la  symétrie  géné' 
« raie.  » Ensuite  il  ajoute  : « Que  l’eurythmie  ou 
« la  proportion  est  ce  qui  constitue  la  grâce,  l’agré- 
« ment  dans  l’ensemble  des  parties  d’un  édifice, 
« qu’on  obtient  en  leur  donnant  une  hauteur  qui' 
« réponde  à la  largeur,  et  une  largeur  proportion- 
<(  née  à la  longueur,  le  tout  ayant  sa  juste  mè- 
re sure;  » c’est-à-dire  , autant  que  je  puis  m’eti 
faire  une  idée,  que  tout  est  Beau  où  il  y a symé- 
trie ou  proportion  (i). 

Personne  sans  doute  ne  contestera  cette  asser- 
tion ;mais  il  reste  à savoir  quelle  proportion  il  doit 
y avoir  entre  la  longueur, la  largeur  et  la  hauteur? 
d’autant  plus  que  les  cinq  ordres  d’architecture 
généralement  adoptés  offrent  entr’eux  une  grande 
différence  de  proportions;  et  , qui  de  plus  est, 
un  seul  et  même  ordre  présente  une  disparité 
très -remarquable  de  proportion  dans  les  parties 
correspondantes,  comme  on  peut  s’en  convaincre 
par  les  ruines  des  plus  beaux  temples  de  l’anti- 
quité, tels  que  ceux  d’Athènes,  dePalmyre,  d’Hé- 
iiopolis,  de  Pæstum  et  de  Rome. 


^i)  Vkruvius,  De  ^ rchiiect.  , cap.  5. 


A l’acad.  de  dessin.  58l 

Galien  (i),  qui  aimoit  beaucoup  la  peinture, 
prétendoit  qu’on  devoit  trouver  la  Beauté  dans  les 
hommes  qui,  à une  belle  carnation,  joignoient  de 
aelles  proportions  et  une  symétrie  convenable  des 
membres^  « car,  dit -il,  la  Beauté  consiste  dans 
[(  la  régularité  des  parties  et  dans  l’agrément  de  la 
{ couleur  (2).  )) 

Ensuite,  il  fait  un  grand  éloge  de  l’ouvrage  de 
Polyclète  (5)  sur  les  proportions  j et  il  conclut  que, 
suivant  l’avis  des  plus  grands  philosophes  et  des 
plus  célèbres  médecins,  la  Beauté  de  la  figure  hu- 
maine consiste  dans  une  exacte  régularité  de  ses 
membres. 

Il  paroît  donc  évidemment  par  les  passages  que 
jje  viens  de  citer  de  Platon,  de  Vitruve  et  de  Ga- 
lien, qu’ils  étoient  loin  de  connoître  ce  je  ne  sais 
ijuoi  par  le  moyen  duquel  toutes  les  belles  choses 
sont  belles  (4);  mais  qu’ils  étoient  bien  plus  éloi- 
gnés encore  de  pouvoir  donner  sur  cet  objet  des 
règles  ou  des  principes  certains. 

IL  L’idée  où  l’on  est  encore  aujourd’hui  que 
nous  avons  un  sentiment  inné  du  Beau  physique. 


(1)  Meth,  med.,  class.VII,  pag.  6. 

(2)  Isagoge,  tom.  I,  pag.  a55,  H.  ad  finem. 

(3)  Ibid. , pag.  255- 

(4)  Cnjus  bénéficia  omnes  res  pulchrae  sunt  pulchrae. 


582  U 1 s C ü U F.,  s LUS 

nous  la  tenons  de  ces  anciens  philosophes.  « Osez 


<(  vous  douter  encore,  dit  Symmaque  (i) , de  L 
<(  capacité  des  philosophes  à prononcer  sur  le  Beau 
((  tandis  que  les  plus  ignorans  des  hommes  admi- 
« rent  le  Jupiter  Olympien  de  Phidias,  la  vache  d( 

((  Myron,  et  les  prêtresses  de  Polyclète?  — La  pé 
<(  nétralion  de  notre  jugement  va  bien  au-delà 
« sans  quoi  le  mérite  des  belles  choses  ne  seroii 
« apprécié  que  de  ])eu  de  monde,  et  le  senlimeni 
« du  Beau  ,en  général,  ne  s’étendroit  pas  aux  hom 
((  mes  les  plus  ignorans.  » 

Cicéron  dit  (2)  qu’il  faut  être  surpris  de  ce  que 
malgré  la  prodigieuse  différence  qu’il  y a entre  ur 
homme  instruit  et  un  ignorant,  le  jugement  portt 
par  tous  varie  cependant  si  peu  en  général. 

Dion  d’ILalicarnasse  veut , pour  la  même  raison,; 
que  la  nature  a doué  tous  les  hommes  sans  excep  | 
îion  de  ce  sentiment  inné.  Epitecte  pousse  la  chose| 
jusqu’au  ridicule  : il  attribue  au  Beau  une  telk* 
puissance  que  les  pierres  même  doivent  en  être  af- 
fectées (5). 

Ce  qui  prouve  , en  attendant , que  les  anciens 
ji’étoient  pas  plus  que  nous  doués  de  ce  sentiment 
inné  du  Beau  , c’est  l’aventure  de  Polyclète  qu’Æ- 


(O  Lib.  I,  ep.  23.  Suivant  Junius,  dePicc.  Veter.,  parag.  7. 
(2)  De  Oral.,  lib.  III. 

(5)  Suivant  Juuius,  ibiJ.,  parag.  7. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  585 
lien  nous  a conservée  ( i ) ; a Ce  statuaire  , dit-il , 
« fit  en  même  tems  deux  statues  : l’une  d’après  les 
« avis  de  la  multitude,  l’autre  selon  les  règles  de 
,«  l’art.  Il  eut  pour  le  public  la  complaisance  de 
;!«  recevoir  les  conseils  que  lui  donnoit  chacun  de 
j.«  ceux  qui  entroient  chez  lui,  changeant  et  refor- 
mant  suivant  leur  goût.  Enfin,  il  exposa  ses  deux 
« statues:  l’une  excita  l’admiration  de  tout  lemon- 
j « de;  l’autre  fut  un  objet  de  risée.  Alors  Polyclète 
prenant  la  parole:  La  statue  que  vous  critiquez, 
((  dit -il,  est  votre  ouvrage;  celle  que  vous  admi- 
« rez  est  le  mien.  » 

§.  III.  Mais  il  est  tems  de  quitter  cette  digres- 
[ sion  , et  de  vous  rappeler  que  les  anciens  n’eurent 
I jamais  ce  sentiment  inné  du  Beau  , qu’ils  préteu- 
^ doient  posséder,  comme  je  viens  de  le  dire.  Je  dois 
I ajouter  encore  que  toutes  les  nations  connues  de 
t la  terre  prouvent  assez  par  les  formes  bisarres 
J qu’ils  donnent  à leur  corps,  qu’elles  n’eurent  ja- 
\ mais  cette  idée  innée  du  Beau. 

4.'  Contemplez  ces  Indiens  qui  à force  de  travail 
enlèvent  l’émail  naturel  de  leurs  dents  d’un  blanc 
;de  perle  , pour  qu’elles  prennent  mieux  le  noir 
d’ébène  qu’ils  regardent  comme  la  plus  belle  des 
couleurs;  et  qui  alongent  par  art  leurs  oreilles  au 
- 

I (O  ^ »riae  lib.  XIV,  cap.  §. 


584 


BlSCOUllS  LUS 


point  de  les  faire  toucher  à leurs  épaules  5 tandis 
que  c’est  la  petitesse  de  cetle  ])artie  de  la  tête  qui  ' 
passe  pour  une  beauté  dans  toute  l’Europe. 

Il  est  inutile  sans  doute  d’arrêter  nos  yeux  sur  , 
l’épais  et  lourd  Chinois  et  sur  sa  femme  grêle  et 
maigre,  qu’il  regarde  ce])endant  comme  un  mo- 
dèle de  beauté 5 ou  sur  ces  femmes  africaines  aux 
seins  flasques  et  pendans;  ou  sur  l’habitant  de  l’A- 
mérique, dont  tout  le  corps  est  si  bisarreraent  ta- 
toué, et  qui  s’imagine  être  d’autant  plus  beau  que 
son  nez,  ses  lèvres  et  ses  oreilles  sont  percés  d’un 
]dus  grand  nombre  de  trous  et  chargés  d’osselets 
ou  de  pierres. 

11  ne  seroit  pas  moins  déplacé  de  parler  de  la 
coutume  de  nos  jolies  femmes,  qui,  pour  aug- 
menter leur  beauté, se  serrent  avec  violence  le  bas 
du  corps  , de  manière  à prendre  la  forme  d’un 
coin  ; tandis  qu’elles  réunissent  leurs  omoplates  et 
compriment  leurs  seins  l’un  contre  l’autre. 

Je  ne  finirois  pas  si,  en  comparant  entr’elles 
toutes  les  nations  de  la  terre,  je  voulois  faire  voir 
combien  sont  ridicules,  contradictoires  et  absur- 
des les  idées  que  chacune  d’elles  se  forme  de  la 
Beauté.  Il  me  sufht  d’avoir  fait  observer,  que  tou- 
tes auroient  eu  le  même  type  pour  le  Beau  physi-  î 
que,  si  en  effet  nous  recevions  en  naissant  le  sen-  ^ 
îiment  de  ce  qui  le  constitue,  comme  nous  avons 
tous  le  sentiment  inné  du  Beau  moral,  à l’égard  ; 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  385 

uquel  on  n’a  jamais  remarqué  la  moindre  diffe- 
3nce  chez  les  nations  civilisées,  ni  même  chez  les 
ations sauvages  et  barbares:  chez  tous  les  peuples 
anrius  la  chasteté,  l’amour,  la  fidélité,  le  cou- 
ige,  etc.,  sont  également  en  estime  et  jouissent 
paiement  de  la  plus  grande  considération. 

§.  IV.  Je  dois  examiner  pareillement  si  le  Beau 
hysique  consiste  dans  une  certaine  symétrie  des 
irties  intégrantes,  ainsi  que  Galien  et  beaucoup 
■ autres  l’ont  pensé  sur  la  foi  des  anciens  philoso- 
fies,  et  comme  la  plupart  des  artistes  modernes 
. croient  encore  d’après  l’autorité  de  Polyclète. 

Je  supposerai  néanmoins  pour  un  instant  que 
est  la  symétrie  ou  proportion  qui  constitue  la 
eauté  physique^  et  dans  ce  cas  il  faudra  conve- 
ir  que  si  ce  Beau  n’est  pas  partout  le  même  , il 
svroit  du  moins  se  trouver  dans  l’architecture  j 
i qui  n’est  nullement  vrai,  comme  je  le  prou- 
:rai  incontestablement  par  des  exemples. 

1°.  Commençons  par  le  stylobate  ou  piédes- 
l(i),  dont  les  proportions  ou  dimensions  sont 
icore  indéterminées  dans  les  cinq  ordres  d’archi- 
* icture.  Dans  l’ordre  toscan,  il  a la  forme  d’un 


(i)  M.  Camper  avoit  dessiné  ces  différens  piédestaux  sur  un 
bleau  noirci. 


III. 


25 


386 


DISCOURS  LUS 


cube,  suivant  Philandre  (i),  qui  étoit  disciple  de 
Serlio. 

Dans  Fordre  dorique,  c’est  le  diamètre  du  carré 
pris  dans  sa  largeur  (2);  dans  l’ionique,  c’est  la 
même  proportion  (6)5  dans  le  corinthien,  c’est  la 
diagonale  ajoutée  à la  moitié  de  la  largeur  (4)  j 
dans  le  romain  ou  composite  , c’est  la  diagonale 
€t  un  quart  de  la  largeur  (5). 

Vignole  prescrit  de  toutes  autres  dimensions  à 
ces  piédestaux  : pl.  1,  pag.  3;  savoir,  le  diamètre 
du  carré  pour  la  hauteur  du  cube  de  Fordre  tos- 
can; un  diamètre  et  demi  pour  celui  de  Fordre 
dorique;  quelque  chose  de  plus  pour  Fordre  ioni- 
que; et  deux  fois  la  base  pour  Fordre  corinthien. 

Dans  les  Ruines  de  Balbec , on  trouve  des  pié- 
destaux de  pilastres  d’ordre  corinthien  (pl.  V), 
qui  n’ont  que  deux  diamètres  de  hauteur,  sur  un 
et  un  quart  de  large.  Il  y en  a un  autre  qui  forme 
un  cube  parfait  (pl.  XXX,  ibid.). 

En  un  mot , on  ne  trouve  nulle  part  une  pro- 
portion constante.  Tout  se  réduit  à de  simples  con- 
jectures arbitraires,  sans  qu’il  y ait  aucune  pro- 


(1) Vitruve,  édition  de  Philandre  , pag.  96. 

(2)  Ibid.,  pag.  100. 

(3)  Ibid. , pag.  1 04. 

{^)lbid.,  pag.  107. 

(5)  Ibid. , pag.  10  S, 


A L A C A D.  DE  DESSIN. 


387 

gression  déîerminée  : et  il  faut  en  dire  autant  pour 
ce  qui  est  des  piédestaux  par  rapport  aux  plinthes 
ou  socles  (1). 

2^.  Pour  ce  qui  est  du  fust  de  la  colonne  de  l’or- 
dre dorique,  il  paroît,  d’après  Vitruve  (2),  que  les 
Athéniens,  ignorant  les  proportions  qu’on  avoit 
données  aux  colonnes  du  temS  deDoriis,  y ont  ap- 
pliqué celles  de  la  ligure  humaine 5 c’est-à-dire, 
suivant  Vitruve  (5),  la  proportion  de  1 : 6. 

Vitruve  (4),  séduit  par  ce  préjugé,  trouve  une 
telle  perfection  dans  les  proportions  de  la  ligure  hu- 
maine qu’il  blâme  comme  mauvais  tout  édifice  qui, 
par  la  disposition  de  ses  parties,  ne  ressemble  pas 
à un  homme  bien  proportionné.  Il  compare  la  co- 
lonne dorique  à un  homme,  l’ionique  à une  fem- 
me j de  manière  même  que,  selon  lui,  les  volutes 
peuvent  être  regardées  comme  les  cheveux  il 
donne  à ces  colonnes  la  proportion  de  i ; 8|.  La 
colonne  corinthienne,  qui  est  plus  déliée,  ressem- 
ble, dit-il,  à une  jeune  fille.  Mais,  selon  moi , il 
auroit  mieux  fait  de  la  comparer  à un  jeune  hom- 
me, à cause  des  hanches  moins  épaisses  chez  ce 


(0  Ibid.,  pag.  199. 

(2)  Lib.  IV , cap.  i. 

(3)  Ibid. 

(4)  Lib-  I , cap.  1. 


588 


DISCOURS  LUS 


dernier,  et  du  svelte  de  la  taille,  qui  ajoute  tani 
de  grâce  à la  beauté  des  contours. 

Cette  comparaison , si  peu  conforme  à la  na-* 
ture , a été  copiée  littéralement  par  tous  les  archi- 
tectes, et  notamment  par  Riou  (i). 

Comme  il  n’y  a donc  point  de  rapport  entre  les 
proportions  des  hommes  de  différentes  nations, 
vivans  sous  différens  climats,  il  en  résulte  que  les 
proportions  données  à la  colonne  dorique  et  à cel- 
les des  autres  ordres,  doivent  être  sujettes  à de 
grandes  disparités  , et  par  conséquent  fort  incer- 
taines. 

Je  ne  finirois  point  si  je  voulois  parler  de 
tes  les  variétés  qu’offrent  la  stature,  les  traits  dï 
visage,  les  cheveux,  la  barbe  des  habitans  des  qua 
tre  parties  du  monde. 

Que  signifie  donc  le  choix  des  proportions  pou 
les  colonnes  dorique,  ionique  ou  corinthienne* 
quand  on  veut  les  déterminer  d’après  les  formes  s 
diversement  modifiées  de  l’homme  ? J’ai  vu  ave( 
plaisir  que  Perrault  (2)  confirme  le  sentiment  qui 
j’avance  ici. 

Je  ferai  voir  dans  la  suite  que  les  Doriens  n’on 
jamais  songé  à un  pareil  objet  de  comparaison 
mais  qu’ils  se  sont  contentés  de  dresser  une  caban' 


(1)  Grecîan  ord&rs  of  architecture , ch.  2 , pag.  i3» 
(a)  lüid^ , parag.  7. 


A l\a  C A D.  DE  DESSIN.  SSg 

élevée  sur  des  poteaux  assez  hauts  pour  qu’ils  pus- 
sent s’y  tenir  dessous;  qu’ensuite  ils  ont  donné  in- 
sensiblement plus  d’élévation  à ces  poteaux,  com- 
me on  peut  le  voir  par  le  temple  de  Thesée  à 
Athènes , et  par  celui  de  Pæstum  dans  le  royaume 
de  Naples. 

5®.  Que  dirai-je  de  la  hauteur  des  chapiteaux 
corinthiens,  qui,  de  l’aveu  même  de  V itruve , pré- 
sentent des  dilFérences  sensibles , quant  à leur  hau- 
teur? Ceux  du  portique  du  Panthéon  de  Rome  , 
par  exemple,  sont  plus  hautes  qu’on  ne  les  trouve 
nulle  part  ailleurs  (i). 

L’excellent  ouvrage  de  Riou  sur  les  ordres  de 
l’architecture  grecque,  sa  préface  surtout,  méritent 
:ju’onlesmédite,  et  qu’on  les  compare  avec  les  restes 
des  beaux  monumensdela  Grèce  publiés  par  le  cé- 
lèbre Leroy,  et  avec  ceux  de  Palmyre,  de  Balbec 
3t  d’autres  édifices  tombés  en  ruines,  que  les  Grecs 
St  les  Romains  avoient  élevés  dans  l’Asie  mineure 
et  dans  la  Syrie.  On  sera  pleinement  convaincu 
par-là  que  non-seulement  dans  les  édifices  de  dif- 
férens  ordres,  mais  aussi  dans  ceux  du  même  or- 
dre, on  trouve  une  grande  diversité  dans  la  dis- 
tribution des  parties  qui  composent  l’entablement, 
telles  que  l’architrave  ou  épistyîe,  les  corniches, 


(i)  £xpl.  pl.  de  Perrault. 


DISCOURS  LUS 


5go 

les  frises  ou  zoophores,  les  métopes, les  triglyphe 
les  modillons,  etc.  ; tant  il  est  vrai  qu’il  n’a  jama 
existé  de  proportions  constantes  et  fondamentale 
même  chez  les  nations  les  plus  éclairées. 

L’exact  et  justement  célèbre  DcvSgodetz  nous 
de  plus  démontré  que  Palladio  et  Serlio  n’ont  p; 
donné  les  mesures  exactes  des  anciens  édifices  dj 
Rome.  Chambray,  dans  son  Parallèle  de  Varch 
teclure  ancienne  et  moderne , s’est  égalemet 
trompé  à cet  égard , comme  il  est  facile  de  s’en  a] 
percevoir  par  plusieurs  passages  deson  ouvrage(i 

Quant  aux  métopes,  que  Vignole,  conformé 
ment  aux  préceptes  de  Vitruve , prescrit  de  faii 
d’un  carré  parfait , on  sait  que  les  anciens  n’oi 
jamais  observé  de  règle  exacte  à cet  égard:  ils  f 
firent  plus  longs  ou  plus  courts,  selon  qu’ils  le  ji 
gèrent  convenable  ; comme  il  est  facile  de  s’e, 
convaincre  par  les  Ruines  de  PoesLuin  (2)  5 et  Oj 
en  peut  dire  autant  de  toutes  les  autres  parties  d 
l’entablement. 

Voulez-vous  maintenant  une  preuve  de  l’avei 
gle  préjugé  avec  lequel  nous  adoptons  toutes  c( 
idées  arbitraires?  Consultez  Leroy,  qui  dit  expre: 
sèment  que  toutes  les  divisions  des  ordres  d’ai 


( 1 ) PI.  I , et  chez  Riou  pl.  XVII  et  XVIII. 

(2)  The  Ruins  of  Pæstum  , by  Th.  Major  1 768  , tab.  XII , tij 
îo,  et  tab.  XXII,  fig.  1 et  4* 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  SqI 

hitecture  dont  l’origine  remonte  au  tems  de  Pé- 
iclès,  sont  agréables  et  belles;  tandis  que  toutes 
elles  qui  s’éloignent  de  cette  époque  doivent  être, 
egardées  comme  mauvaises  et  même  comme  bi- 
arres. 

Cet  écrivain  célèbre  finit  par  dire , que  pour  par- 
enir  aux  belles  proportions  des  ordres  d’archi- 
ecture,  il  faut  non - seulement  en  faire  un  choix 
ans  les  plus  beaux  édifices  de  la  Grèce,  de  l’Asie 
lineure , de  la  Syrie  et  de  Rome;  mais  qu’on  doit 
onsulter  aussi  les  ouvrages  de  Vitruve  et  des 
leilleurs  artistes  de  ces  derniers  tems;  parce  que 
’est  par  la  comparaison  de  tous  ces  maîtres  entre 
ux  qu’on  parvient  à confirmer  les  principes  fon- 
amentaux  des  cinq  ordres  d’architecture. 

4°.  Lorsqu’on  examine  avec  attention  l’origine 
’un  édifice  de  l’ordre  dorique , on  s’apperçoit 
lîentôt  que  ce  n’est  pas  la  Beauté  qui  en  fait  le 
trincipal  objet;  mais  que  toutes  les  parties  des  tri- 
lyphes,  des  métopes,  de  l’entablement,  des  mo- 
lillons,  dépendent  immédiatement  de  la  position 
(urement  arbitraire  des  poutres,  des  solives,  des 
riglyjjhes,  etc. 

L’inspection  du  temple  de  Thesée  à Athènes 
tous  prouvera  évidemment  que  dans  les  tems  les 
dus  reculés  on  ne  donnoit  point  de  socle  ou  sou- 
sassement  aux  colonnes;  mais  qu’on  se  contentoit 


DISCOURS  LUS 


392 

de  placer  de  fortes  planches  entre  les  colonnes  ( 
la  poutre  transversale  ou  l’architrave;  lesquelh 
ont  donné  lieu  aux  chapiteaux;  qu’on  y a ajoul 
ensuite  les  soubasseraens  ou  socles  ; et  cela  d’a 
bord  par  quelque  heureux  accident,  soit  en  voi 
lant  alonger  le  tronc  dhin  arbre  trop  court  pa. 
un  morceau  de  bois,  soit  peut-être  pour  préven] 
la  pourriture.  On  peut  croire  de  mêmeque  la  can 
nelure  des  colonnes  doit  son  origine  à l’imitatio 
de  l’écorce  fendue  des  vieux  sapins  qu’on  emi 
ployoit  aux  grands  bâtimens.  Vitruve  nous  instru 
suffisamment  des  défauts  de  l’ordre  dorique  de  Ct 
tems  encore  grossiers  , où  l’on  ne  songeoit  qu’ 
l’utile  et  au  nécessaire,  et  nullement  à l’agréabl 
et  au  beau  (1),  ainsi  que  Thomas  Major  l’a  pleine 
ment  confirmé  (2). 

Il  paroît  que  les  Ioniens  se  sont  rendus  ce  tra 
vail  plus  léger,  en  ne  plaçant  pas  les  solives  de 
toits  d’abord  sur  des  chevrons,  mais  immédiate 
ment  sur  la  frise;  ce  qui  fait  que  les  denticules  s 
trouvent  au-dessous  de  la  cymaise. 

Au  théâtre  de  Marcellus  à Rome  les  denticule 
se  trouvent  au-dessous  de  la  cymaise  dans  l’ordr 
dorique  (5). 


(i)  Liv.  IV,  ch.  a,  édit,  de  Perrault. 
(•2)  Ibid, , pag.  20  et  21. 

(3)  Voyea  Chambrai , pag.  17. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  3g5 

5^.  Personne  n’isnore  la  manière  dont,  suivant 
Vitruve  (i),  Callimaque  inventa  le  chapiteau  co- 
rinthien, en  voyant  par  hasard  une  corheille  qu’on 
avoit  laissé  couverte  d’une  pierre  sur  le  tombeau 
d’une  jeune  fille,  et  autour  de  laquelle  s’éloient 
attachées  des  feuilles  d’achante.  Nous  n’ignorons 
pas  que  Vilalpande  et  le  célèbre  Pauw,  né  dans 
cette  ville,  soutiennent  que  cette  prétendue  ori- 
gine du  chapiteau  corinthien  doit  être  regardée 
comme  une  fable  (2).  Supposons  même  que  cette 
forme  de  chapiteau  soit  prise  du  temple  de  Salo- 
mon, ou  imitée  des  colonnes  égyptiennes,  il  n’en 
est  pas  moins  absurde  de  voir  porter  un  toit  énor- 
me sur  des  corbeilles,  ou  sur  deux  feuilles  d’une 
plante  tendre  et  succulente,  ou  sur  des  feuilles  de 
laurier,  sur  des  plumes  d’autruche,  sur  des  bran- 
ches de  palmier,  etc.  C’est  avec  raison  qu’un  au- 
teur anonyme  (5)  a réfuté  Winkelmann,  qui  nous 
présente  sans  cesse  les  ouvrages  des  artistes  grecs 
comme  de  vrais  modèles  de  beauté  en  tout  genre; 
prétendant  que  cette  admiration  sans  bornes  tient 
du  délire,  et  que  c’est  l’habitude  seule  qui  nous 


(1)  Liv.  IV,  ch.  1. 

(2)  Vilalpande,  suivant  Vignole,  pag.  a8g.  — Rrc/iero/ies  sut- 
les  Egyptiens  , tom.  II , pag.  7 1 . 

(3)  Monthl-y  Revie-w , append.  vol.  LXV,  pag.  628  , by  the  che- 
valier d’Azera. 


DISCOURS  LUS 


5g4 

porte  à cette  aveugle  admiration  5 de  même  qu’O- 
vide  (1)  dit  de  l’objet  de  ses  amours,  qui  proba- 
blement n’étoit  pas  d’une  grande  beauté: 

Exmiit  ipso,  (lies  omnes  e cor  pore  ineados , 
Q^uoclque  Juif,  vitium,  desinit  esse  moral 

« Tous  les  défauts  disparoissent  à la  longue;  et  ce 
« qui  sembloit  d’abord  rebutant  devient  avec  le 
« tems  supportable.  )) 

Pline  et  Vitruve  trouvoient  déjà  de  leur  tems 
qu’il  étoit  ridicule  de  faire  supporter  des  édifices 
d’un  poids  énorme  par  des  figures  d’hommes,  et 
même  par  celles  de  femmes  délicates,  à l’exem- 
ple des  Athéniens  qui  faisoient  ainsi  soutenir  les 
leurs,  par  mé])ris  pour  les  femmes  de  Carie.  Ces 
deux  auteurs  latins  s’accordent  à dire  que  cette 
méthode,  comme  acte  de  mépris,  étoit  excusable 
dans  les  premiers  tems,  mais  qu’elle  ne  l’étoit  plus 
dans  celui  où  ils  écrivoient. 

Chambray  (2)  et  Riou  (5)  sont  ceux  de  nos  ar- 
chitectes modernes  qui  ont  jjensé  de  même  à cet 
égard.  Cependant,  malgré  ces  sages  réflexions,  A. 
Carrache,  Serlio , Michel-Ange  et  plusieurs  autres 


(i)Burraanus,  tom.  I,  pag.  644. 

{'i)  Parallèle , etc.,  pag.  6èi. 

(3)  Grecian  orders  , etc. , cli,  ?. , pag.  8, 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  5g5 

artistes  de  ces  derniers  siècles  , ont  introduit  ce 
mauvais  goût , quelque  absurde  et  choquant  qu’il 
soit.  Combien  ne  voit-on  pas  encore  dans  nos  an- 
ciennes maisons  de  chambranles  de  cheminée  et  de 
portes  faites  en  forme  de  figures  d’hommes  ou  de 
femmes.  Chambray  s’indigne  particulièrement  de 
ce  que,  non  contens  de  faire  soutenir  des  édifices 
par  des  esclaves,  nousy  employons  même  des  figu- 
res destinées  à inspirer  du  respect , telles  que  les 
Vertus,  les  Muses,  les  Grâces,  et  même  des  Anges. 

Les  François  ne  sont  pas  moins  tombés  dans  ce 
vice:  les  édifices  de  Marol  l’offrent  partout.  En  Al- 
lemagne on  trouve  des  balcons  en  pierre  soutenus 
de  cette  manière^  et  il  n’y  a pas  long-tems  que  le 
célèbre  Mengs  a fait  soutenir  par  des  caryatides  le 
plafond  du  théâtre  d’Aranjuez  en  Espagne. 

Depuis  nos  établissemens  aux  Indes , nous  avons 
fait  supporter  nos  balcons  par  des  Nègres,  comme 
si  nous  avions  voulu  ajouter  encore  cet  odieux  mé- 
pris aux  malheurs  déjà  trop  réels  de  l’esclavag* 
que  nous  faisons  souffrir  à ces  peuples  malheu- 
reux ! 

Qu’y  a-t-il  d’ailleurs  de  plus  affreux,  de  plus 
révoltant , à le  considérer  de  sens  froid,  que  de 
voir  des  têtes  de  bronze  ou  de  marbre  sé^iarées  de 
leurs  troncs?  Quelle  image  plus  horrible  qu’un 
buste  ou  terme  sans  bras,  ou  dont  le  bas  du  corj>« 
se  termine  en  gaine? 


DISCOURS  LUS 


596 

Peut-on  imaginer  quelque  chose  déplus  con- 
traire à la  nature  que  les  centaures,  les  minotau- 
res,  les  sphinx  , les  satyres  et  d’autres  monstres 
pareils  ? 

On  ne  peut  donner  d’autre  raison  de  toutes  ces 
absurdités  choquantes,  si  ce  n’est  que  la  coutume 
les  a d’abord  rendues  supportables,  et  puis  agréa- 
bles à nos  yeux  : Quodque  fuit  mtium,  desinit  esse 
mora. 

On  ne  s’est  cependant  pas  encore  arrêté  à cela. 
Vitruve  ( 1 ) s’élève  avec  force  contre  le  goût  vi- 
cieux et  même  absurde  de  son  tems , de  faire  ser- 
vir d’ornemens  aux  édifices,  au  lieu  de  figures  qui 
existent  dans  la  nature,  de  véritables  monstres, 
qu’on  faisoit  sortir  encore  du  milieu  des  fleurs  et 
des  guirlandes.  On  en  trouve  des  exemples  dans  la 
frise  d’un  édifice  de  Néron  publiée  par  Winkel- 
mann  (2),  et  dans  les  ruines  de  Palmyre.  Vignole, 
Serlio  et  Picart  ont  adopté  ce  goût  bisarre  et  ridi- 
cule, auquel  on  n’a  pas  manqué  d’applaudir. 

Si  je  ne  me  trompe,  les  Romains  avoient  déjà 
adopté  du  tems  de  Vitruve  le  goût  barroque  et  dé- 
pravé qui  a tant  de  rapport  avec  les  ornemens  gro- 
tesques des  Chinois,  et  que  nous  avons  admis  par- 
mi nous  avec  un  engouement  sans. exemple.  Cet 


(?)  Lib.  VII , cap.  5 , pag.  276. 

(2)  Mannm.  ant.  Lied,,  n°.  3 , pag  9. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  O97 

écrivain  (i)  fait  la  description  d’un  théâtre  peint 
par  un  certain  Apaturius,  et  dont  Licinius  le  géo- 
mètre, homme  d’un  goût  excellent,  fit  une  cri- 
tique si  amère , qu’Apaturius,  vaincu  par  la  honte, 
s’empressa  de  corriger  son  ouvrage.  C’est  à cette 
occasion  que  Vitruve  (2)  s’écrie  avec  raison  : « Plut 
((  aux  Dieux  immortels  que  Licinius  revint  au 
((  monde,  pour  corriger  tant  de  folies.  » 

Cependant, malgré  toutes  ces  absurdités,  on  ose 
soutenir  encore  que  tous  les  hommes  reçoivent  en 
naissant  le  sentiment  du  Beau  physique. 

6®.  Comme  il  paroît  que  les  Grecs  ont  emprunté 
de  l’Egypte , non-seulement  leurs  dieux , mais  aussi 
la  plupart  de  leurs  beaux-arts,  je  pense  que  c’est 
également  dans  ce  pays  qu’il  faut  chercher  l’ori- 
gine de  l’architecture.  En  lisant  les  excellens  voya- 
ges de  Ppcoçk(5),  je  ne  tardai  pas  à m’apperce- 
voîr  que  les  colonnes  y sont  encore,  comme  elles 
l’étoient  dans  là  plus  haute  antiquité  , coux’tes  , 
épaises  et  du  plus  mauvais  style;  et  que  ce  n’est 
qu’à  Alexandrie  seulement  qu’on  en  trouve  d’une 
belle  proportion;  aussi  ne  sont-elles  pas  l’ouvrage 
des  Egyptiens,  mais  des  Romains. 


(O  Ihid. , pag.  243,  édit,  de  Perrault. 

lib.  VII,  cap.  5. 

(3)  Ton»,  1,  pag.  216  et  217. 


D I s C O U n s LUS 


598 

Les  colonnes  égyptiennes  vraiment  antiques, 
que  Pocock  a mesurées  (1),  ont , y compris  le  sm* 
de,  sept  diamètres  de  hauteur.  Le  fiist  est  au  cha- 
piteau : : 4 ; 1.  Il  y a tout  lieu  de  croire  que  les 
colonnes  du  temple  de  Salomon  n’étoient  pas  d’un 
meilleur  goût  ; car  on  trouve  dans  le  livre  des  Rois 
que  Hiram  fit  les  deux  colonnes  de  bronze  appe- 
\èQS  jachin  et  hohaz , hautes  de  dix-huit  coudées 
sur  quatre  coudées  de  diamètre;  et  le  fust  seul  de 
quatre  diamètres  et  demi  ; par  conséquent  sembla- 
bles à peu  j>rès,  pour  les  proportions,  aux  colon- 
nes doriques  des  premiers  teins,  telles,  par  exem- 
ple, que  celles  du  temple  de  Delos  (2).  Les  chapi- 
teaux étoient  donc  comme  5 : 18  : : 1 : 3f;  ce  qui 
est  singulièrement  opposé  aux  proportions  de  tous 
les  autres  ordres,  même  à celles  de  l’ordre  toscan, 
le  moins  agréable  de  tous. 

On  trouve  dans  le  second  livre  des  Chroniques 
les  mêmes  colonnes  décrites  comme  portant  trente- 
cinq  coudées  de  hauteur  avec  des  chapiteaux  de 
cinq  coudées  ; c’est-à-dire,  que  les  chapiteaux 
étoient  comme  7 ; 1;  ca  qui  se  rapporloit  assez  aux 
colonnes  de  l’ordre  corinthien. 

Il  y avoit  sept  listels,  et  les  fusts  étoient  comme 
1 ; 7 ; d’où  je  conclus,  qu’à  raison  de  l’idée  reli- 


( 1 ) Ibid. , pl.  1..XVI  et  LXVII , fig.  1 2 , pag.  a 1 6- 
(2)i.eroy,  ibid- , pag,  5,  pl,  II.  — 4 diam. 


A l’acad.  de  dessin.  5gg 
gleuse  attachée  au  nombre  sept,  les  mesures  don- 
nées dans  le  livre  des  Rois  doivent  mériter  plus  de 
confiance.  Les  commentateurs  Patrik  , Polus  et 
Wells,  qui  ne  possédoient  pas  la  moindre  connois- 
sance  de  l’architecture , y donnent  ce  sens , qui  ne 
se  rapporte  nullement  à la  description,  car  i8  et 
i8,  que  porte  le  texte  sacré,  font  56,  et  non  pas 
35  coudées. 

Quoiqu’il  en  soit,  je  ne  crains  pas  de  dire  que 
Salomon  , tout  grand  roi  et  quelque  sage  qu’il 
puisse  avoir  été  , n’avoit  pas  un  goût  plus  épuré 
des  arts  que  les  Egyptiens,  dont  il  semble  avoir 
suivi  aveuglement  les  principes. 

Car  vouloir  que  les  Grecs  aient  emprunté  des 
Juifs  la  colonne  corinthienne,  comme  le  prétend 
Vilalpande,  c’est  le  comble  de  l’absurdité.  Aussi 
M.  Wood  remarque-t-il  avec  raison  , dans  sa  des- 
cription des  antiquités  de  Palmyre,  qu’on  ne  trouve 
nulle  part  le  moindre  édifice  de  Salomon  qui  puisse 
venir  à l’appui  de  cette  assertion. 

Ce  n’est  pas  sans  vraisemblance  que  Pocock  pré- 
tend que  les  colonnes  égyptiennes  et  leurs  chapi- 
teaux sont  des  imitations  du  palmier  , dont  on 
coupe  tous  les  ans  les  branches  5 et  que,  suivant 
toute  apparence,  les  colonnes  du  temple  de  Salo- 
mon étoient  de  cette  espèce  (1). 

(\)  Ibid.,  pag.  217. 


t 


400  DISCOURS  LUS 

En  réunissant  maintenant  tout  ce  que  j’ai  dit 
des  différens  ordres  d’architecture  des  Grecs  et  des 
Romains  , et  ce  que  j’ai  cité  touchant  celle  des 
Egyptiens,  nous  pourrons  en  conclure  avec  cer- 
titude: 

1°.  Qu’il  n’y  a dans  la  nature  aucune  propor- 
tion véritable  ou  essentielle,  qui  puisse  avoir  servi 
de  type  à ces  ordres. 

2°.  Qye  ce  n’est  que  l’habitude  seule  qui  fait 
que  nous  trouvons  beaux  ces  ordres  et  les  propor- 
tions qui  les  constituent. 

3”.  Que  l’autorité  y exerce  une  grande  in- 
fluence. 

4°.  Enfin  , qu’en  fait  d’architecture  , le  Beau 
n’est  purement  qu’un  Beau  de  convenance  , et 
rien  d’autre. 

D ’où  il  suit,  qu’en  nous  affranchissant  des  rè- 
gles purement  imaginaires  des  architectes  de  l’an- 
tiquité , nous  pouvons  subordonner  ces  proportions 
aux  convenances  locales  et  aux  circonstances  du 
moment. 

V.  Les  anciens  eux-mêmes , quoiqu’ils  eus- 
sent approuvé  et  sanctionné  les  proportions  re- 
çues , y ont  fait  néanmoins  avec  jugement  les  chan- 
gemens  et  les  améliorations  convenables,  unique- 
ment pour  remédier  aux  défauts  apparens. 


A l’a  CAD.  DE  DESSIN.  4oi 

Vitruve  (i)  observe  avec  raison  qu’il  faut  don- 
ner plus  de  hauteur  à l’épistyle  ou  architrave , ou 
plutôt  à tout  l’entablement , à proportion  de  la 
hauteur  des  colonnes,  parce  que  sans  cela  cette 
partie  paroît  trop  petite. 

Les  anciens  donnoient  plus  de  grosseur  aux  deux 
colonnes  des  angles  d’un  péristyle  ou  portique 
qu’aux  autres,  parce  que  sans  cela  la  lumière  am- 
biante les  faisoit  paroitre  plus  minces  que  cel- 
les-ci (2). 

C’est  pour  la  même  raison  qu’ils  augmentèrent 
la  largeur  de  la  ligne  spirale  de  la  colonne  de  Tra- 
jan , à mesure  qu’elle  s’élevoit  ; comme  on  peut  le 
voir  chez  Barbault  (3). 

Vitruve  dit  aussi  que  plus  les  colonnes  ont 
d’élévation,  moins  il  faut  les  effiler  par  le  haut  (4); 
et  c’est  avec  justesse  qu’il  veut  « que  le  raisonne- 
« ment  corrige  les  erreurs  de  la  vue;  » c’est-à-dire, 
qu’on  doit  à cet  égard  observer  les  règles  de  l’op- 
tique (non  de  la  perspective).  On  peut  consulter 
sur  cela  l’excellent  ouvrage  de  R.  Smith  , dont 
il  y a une  très-bonne  traduction  hollandoise  par 
Krighout. 


(1)  Ibid.,  pag.  98,  éflit.  de  Perrault. 

(3)  Ibid. , pag.  90,. 

(5)  Monumens  de  Rome  ancienne,  pag.  Sg. 

(4)  Ibid.,  lib.  II,  cap.  2. 


III. 


26 


DISCOURS  LUS 


4o2 

C’est-là  ce  qui  détermina  aussi  les  Corinthiens  à 
donner  plus  de  hauteur  à leurs  colonnes;  et  ce  fut  i 
pour  le  même  motif  que  les  statuaires  grecs  don- 
nèrent à leurs  statues  non  pas  sept  têtes  de  hau- 
teur , mais  huit  têtes  , et  quelquefois  davantage 
même.  Tout  cela  tient  uniquement  à ce  qu^un  carré 
parfait  paroît  toujours  plus  large  que  haut,  com- 
me je  Fai  démontré  en  1770. 

Voilà  donc  les  principes  sur  lesquels  est  fondé 
le  véritable  et  le  seul  Beau  physique , qui  n’est  su- 
jet à aucune  espèce  de  liiodification. 

SECONDE  SECTION. 

Du  Beau  physique  dans  l’homme  et  dans  les 
animaux. 

Je  me  flatte  d’avoir  démontré  suffisamment, 
dans  la  première  partie  de  ce  discours,  qu’on  n’a 
jamais  observé  des  proportions  constantes  dans  les 
édifices.  Je  vais  passer  maintenant  à l’examen  des 
formes  de  l’homme  et  des  animaux  ; pour  vous 
prouver  que  jamais  non  plus  l’intention  de  la  na- 
ture n’a  été  de  donner  à leurs  formes  une  Beauté 
déterminée  et  invariable  ; m.ais  qu’au  contraire, 
loin  de  se  borner  à une  Beauté  quelconque  , elle 
n’a  eu  pour  but  que  de  les  rendre  propres  à leur 


4o5 


-V  l’  A C A D.  DE  D E S S I N. 

destination 5 c’est-à-dire,  que  leurs  parties  inté- 
grantes sont  conformées  de  manière  à remplir  avec 
facilité  les  fonctions  auxquelles  elles  sont  des- 
tinées. 

§.  T.  Nous  commencerons  par  la  contemplation 
de  l’homine  et  de  ses  formes  extérieures. 

En  portant  nos  regards  sur  le  nez  , la  bouche  , 
les  yeux,  les  bras,  les  mains,  la  poitrine  et  les  au- 
tres parties  , nous  trouverons  qu’elles  ont  toutes 
été  placées  sur  la  partie  antérieure  de  son  corps  , 
afin  qu’il  puisse  s’en  servir  avec  plus  de  commo- 
dité; tandis  que  le  derrière  de  la  tête,  le  dos  et  les 
jambes  ne  présentent  aucune  éminence  et  ne  con- 
tiennent aucune  partie  noble. 

Les  })arties  qui  contribuent  à orner  l’homme  ne 
se  trouvent  donc  pas  placées  sur  le  devant  du  corps 
pour  contribuer  à sa  beauté  , mais  seulement  à 
cause  de  l’utilité  qvii  en  résulte. 

Considérons  d’abord  l’homme,  et  nous  trouve- 
rons que  sa  poitrine  et  ses  épaules  sont  larges;  tan- 
dis que  ses  hanches  sont  étroites:  il  est  d’ailleurs 
fortement  musclé,  et  n’a  point  de  mamelles. 

La  femme  a les  épaules  plus  étroites  , le  haut 
de  la  poitrine  plus  applati  , pour  mieux  recevoir 
les  deux  seins.  Ses  hanches  sont  plus  larges;  la  na- 
ture lui  a donné  des  mamelles;  et,  en  général,  des 
formes  délicates. 


4o4 


DISCOURS  DUS 


Si  Fon  prétend  que  Fhomnie  est  beau,  il  faudra 
convenir  alors  que  la  femme  n’est  pas  belle  ; et  si , 
au  contraire  , c’est  la  femme  qu’on  veut  regarder 
comme  douée  de  beauté,  il  faut  nécessairement 
que  l’homme  perde  cet  avantage.  C’étoit- là  aussi 
l’opinion  de  Burke  (i). 

§.  IL  Les  seins  de  la  femme  ne  sont  destinés  qu’à 
fournir  la  nourriture  à l’enfant  nouveau-né,  et  leur 
beauté  n’est  qu’accidentelle , ou , pour  mieux  dire? 
c’est  dans  notre  imagination  seule  qu’il  faut  en 
chercher  l’existence.  L’utilité  qui  résulte  pour  l’en- 
fant des  seins  de  sa  mère,  fait  donc  tout  le  prix  de 
ce  prétendu  ornement  de  la  femme. 

Si  ce  n’est  que  comme  simple  ornement  que  la 
nature  a donné  des  seins  à la  femme,  pourquoi  en 
a-t-elie  refusé  à l’homme?  Chez  les  anciens  Grecs 
c’étoit  la  coutume,  suivant  Paul  d’Egine  (2)  , de 
couper  les  mamelles  aux  hommes  , lorsqu’elles 
prenoienttrop  d’embonpoint  ; non -seulement  parce 
qu’on  regardoit  cette  superfluité  de  chair  comme 
un  signe  de  molesse,  mais  aussi  comme  une  véri- 
table laideur. 


(i)  A phîlosophical  Entjuiry  in  to  lhe  origine  of  our  idem  oj 
ijie  sublime  and  ùeaucijnl , pag,  177  et  17S, 

(3)  Lib-  IV,  cap. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  4o5 

Chez  les  enfans  les  mamelles  sont  également  gros- 
ses et  potelées  dans  les  deux  sexes,  parce  qu’elles 
remplissent  quelque  fonction  essentielle  pendant 
qu’ils  sont  dans  le  sein  de  la  mère , laquelle  est  en- 
core inconnue,  à la  vérité,  aux  anatomistes.  Chez 
les  deux  sexes  les  mamelles  sont  pleines  de  lait  au 
moment  de  la  naissance.  Ensuite  les  glandes  et  le 
lait  disparoissent  insensiblement,  et  il  ne  reste  plus 
que  les  mamelons.  Mais  à l’age  de  puberté  , les 
seins  grossissent  de  nouveau  chez  les  filles,  pour 
disparoître  une  seconde  fois  lorsqu’elles  cessent 
d’être  fécondes. 

§.  III.  Les  proportions  des  enfans  dilîèrent  beau- 
coup de  celles  des  adultes.  Chez  les  premiers  , la 
tête  fait  le  quart  de  toute  la  hauteur  de  l’individu; 
ensuite  elle  n’en  est  plus  que  la  cinquième,  la  sixiè- 
me, la  septième  partie  enfin;  parce  que  les  extré- 
mités inférieures  prennent  plus  de  croissance,  tan- 
dis que  la  tête  reste  à peu  près  la  même  pour  la 
grosseur,  lorsque  l’homme  est  parvenu  à l’age  de 
quatorze  ans. 

Chez  les  deux  sexes,  les  hanches  sont  extraor- 
dinairement étroites  pendant  l’enfance. 

Or,  si  le  Beau  dépendoit  des  proportions,  et  si 
l’on  regardoit  les  enfans  comme  doués  de  Beauté,  il 
faudroit  que  les  femmes  adultes  et  les  hommes 
faits  nous  parussent  laids  ; ou  que  les  enfans  se 


4o6 


DISCOU  ns  I,  us 


trouvassent  dans  ce  cas,  si  les  ])ersonnes  adultes 
étoient  belles  à nos  yeux. 

IV.  Cependant  nous  reconnoissons  une  Beauté 
particulière  à chaque  âge  de  l’homme.  Ncms  nous 
sentons  aussi  inspirés  d’un  sentiment  de  respect  et 
de  vénération  à la  vue  d’un  vieillard  , ce  qu’il  faut 
attribuer  sans  doute  à une  idée  morale;  car  un  vi- 
sage ridé,  dégarni  de  ses  dents,  avec  une  barbe 
grise  et  un  crâne  chauve,*  diflère  sans  cela  trop  de 
la  physionomie  agréable  et  gaie  de  la  jeunesse  , 
pour  qu’on  puisse  les  mettre  en  parallèle. 

Mais  cette  altération  des  formes  que  l’age  pro- 
duit nécessairement,  nous  déplait  et  nous  répugne 
même  dans  une  vieille  femme;  probablement  parce 
qu’elle  cesse  alors  de  nous  inspirer  de  l’amour,  et 
qu’elle  a perdu  sa  fécondité  , celte  qualité  si  chère 
et  si  précieuse  aux  yeux  de  l’homme,  et  qui  est  le 
véritable  objet  de  sa  destination  dans  ce  monde. 

Nous  attribuons  au  vieillard  aux  cheveux  blancs, 
au  front  chargé  de  rides,  des  connoissances  plus 
profondes  , plus  d’expérience  , plus  de  sagesse  ; 
voilà  ce  qui  excite  notre  respect , notre  admira- 
tion; voilà  ce  que  nous  qualifions  de  Beau.  Ce  n’est 
donc  pas  aux  formes  extérieures  qu’il  faut  attri- 
buer cette  idée. 


. V.  Ce  que  nous  appelons  Beau  dans  un  Nè- 


A l’  A C A U.  DE  DESSIN.  4o7 

gre  l’est  si  peu  qu’il  est  exactement  l’opposé  de  ce 
qui  nous  paroît  tel  dans  un  Blanc  5 et  certainement 
nous  serions  choqués  de  voir  dans  un  Européen  la 
mâchoire  saillante,  le  nez  écrasé,  les  lèvi'es  épais- 
ses et  grosses;  et  cela  uniquement  parce  que  nous 
n’y  sommes  pas  accoutumés. 

Ajoutez  à cela  la  disparité  des  formes  des  diffé- 
rentes nations,  et  vous  verrez  que  les  Esquimaux 
et  les  habitans  du  pays  de  Tzuk  au  Nord,  les  ha- 
bitans  du  Détroit  de  Magellan  au  Sud,  les  Hot- 
tentots du  Cap  de  Bonne-Espérance  et  les  autres 
peuples  qui  se  trouvent  sous  l’équateur,  ont  tous 
des  traits  particuliers  et  des  formes  différentes. 

De  cette  étonnante  diversité  , il  résulte  donc, 
1°.  qu’il  n’existe  pas  de  Beau  physique  réel  ou  po- 
sitif dans  l’homme;  aucune  espèce  de  Beauté  qui 
dépende  de  proportions  constantes  des  parties  du 
corps;  mais  que  le  Beau  ne  consiste  que  dans  des 
idées  que  nous  nous  sommes  formées  dans  l’en- 
fance, et  que  la  main  du  tems  rend  à la  fin  inef- 
façables. 

2°.  Qu’il  dépend  aussi  de  l’autorité  de  ceux  que 
les  connoissances  plus  approfondies  que  nous  leur 
attribuons,  nous  font  regarder  comme  plus  en  état 
d’en  juger  sainement. 

3°.  Enfin , de  la  mode  ou  des  idées  reçues  chez 
chaque  peuple. 


4o8 


DISCOURS  LUS 


VI.  Je  pense  avoir  prouvé  suffisamment  cette 
dernière  assertion  , comme  je  crois  n’avoir  rien 
laissé  à désirer  sur  la  première.  J’ajouterai  seule- 
ment que  notre  amour-propre  nous  porte  à préfé- 
rer les  formes  qui  nous  ont  été  données  par  la  na- 
ture, et  que  nous  regardons  comme  les  plus  belles. 

Dès  la  plus  haute  antiquité,  l’homme  a attribué 
sa  figure  à la  Divinité.  Les  idolâtres  avoient  cette 
coutume,  que  les  chrétiens  ont  encore  sur  toute 
la  surface  du  globe.  Mais  les  Egyptiens , pour  satis- 
faire à leur  goût  ])our  l’allégorie  , ont  placé  des 
tctes  d’hommes  sur  le  corps  d’un  lion,  d’un  tau- 
reau, etc.;  ou  bien,  par  une  idée  contraire,  la 
tête  d’un  taureau  , d’un  chien  , d’un  épervier,  sur 
le  corps  d’un  liomme. 

Mais  tous  les  peuples  de  la  terre  , en  général , 
sans  en  excepter  un  seul , ont  représenté  leurs 
dieux  et  leurs  déesses  sous  la  figure  humaine,  avec 
les  traits  caractéristiques  et  sous  le  costume  de 
leur  pays.  Un  dieu  chinois  n’a  pas  le  ventre  moins 
épais  qu’un  mandarin, avec  de  petits  yeux  en  cou- 
lisse et  une  barbe  peu  fournie,  etc.  Leurs  déesses, 
au  contraire,  sont  fort  sveltes  et  plutôt  maigres, 
comme  leurs  jeunes  filles  ; elles  ont  les  ongles 
d’une  longueur  prodigieuse  et  les  pieds  difPormes 
à force  d’être  petits.  On  trouve  également  dans  les 
idoles  des  Egyptiens  tout  ce  qui  caractérise  ce 
peuple. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  4og 

De  leur  côté  , les  Européens  donnent  à leurs 
dieux  la  blancheur  qui  leur  est  naturelle.  Il  faut 
certainement  chercher  la  cause  de  ces  différentes 
manières  de  représenter  la  Divinité  dans  l’amour- 
propre,  qui  fait  que  chaque  peuple  de  la  terre  se 
regarde  comme  le  plus  privilégié  et  le  plus  beau. 
Cicéron  a parfaitement  rendu  cette  idée:  «Rien 
« ne  paroîl  plus  beau  à l’homme  que  la  forme  hu- 
« maine  (i).  )) 

Il  n’est  pas  invraisemblable  non  plus,  que  si 
l’éléphant,  le  lion,  le  cheval,  la  baleine,  l’aigle» 
l’écrevisse , l’araignée  , avoient , comme  l’homme , 
la  faculté  de  raisonner,  ils  donneroient  chacun  en 
particulier  à leurs  dieux  leur  propre  figure,  com- 
me étant  la  plus  belle  et  la  plus  noble  de  toute  la 
création. 

§.  VII.  La  différence  des  parties  relatives  des 
quadrupèdes,  des  oiseaux,  des  poissons  et  des  rep- 
tiles, prouve  évidemment  tout  ce  que  j’ai  dit  de 
l’homme  5 c’est-à-dire , qu’il  ne  faut  considérer  que 
la  destination  des  parties,  comme  ayant  été  l’uni- 
que but  du  Créateur  en  formant  tous  ces  êtres 
divers. 

Dans  mon  dernier  Discours  ^ du  i3  octobre 


(1)  Oiiod  homini  homîne  pulcbrius  videaiur.  D$  Nat.  Bter., 
lik  1,  cap.  z’j. 


4io 


DISCOURS  LUS 


1778,  sur  V analogie  qu’il  y a entre  la  structure 
du  corps  humain  et  celle  des  quadrupèdes , des 
oiseaux  et  des  poissons  ^ etc.,  j’ai  fait  voir  avec 
la  dernière  évidence  que  la  longueur  des  jam- 
bes est  proportionnée  à la  destination  de  l’animal 
à courir  avec  ])lus  ou  moins  de  vitesse j et  que  la 
longueur  du  cou  est  également  proportionnée  à 
celle  des  jambes;  de  manière  qu’il  me  sera  facile 
maintenant  de  vous  prouver  que  les  autres  parties 
des  animaux  ont  pareillement  les  proportions  con- 
venables à l’usage  auquel  la  nature  les  a des- 
tinées. 

Le  chameau , le  chien  , le  cheval,  le  bœuf,  l’é- 
léphant, ont  chacun  des  proportions  différentes  et 
distinctives, quileur sont  particulières, comme  in- 
dispensablement nécessaires  à leur  existence. 

La  même  chose  a Heu  dans  les  oiseaux:  l’au- 
truche, le  casoar,  la  grue,  la  cigogne,  l’aigle,  ont 
le  cou  proportionné  à la  longueur  de  leurs  jam- 
bes; et  leurs  ailes  ont  également  une  envergure  re- 
lative à leur  vol,  et  non  à leur  force. 

Si  le  cigne  et  l’anhinga  (1)  ont  le  cou  plus  long 
que  ne  semble  l’exiger  la  hauteur  de  leurs  jam- 
bes, c’est  que  cela  leur  est  nécessaire  pour  qu’ils 
puissent  saisir  facilement  leur  proie  à une  grande 
profondeur  sous  l’eau. 


(i)Bulfoii,  IIis[.  nat.  ^ tara.  VllI.  pag.  44^  1 pt'  XXXV. 


A T,’ A C A D.  DF,  D E S S I AA  4ll 

Les  martins-pêcheurs  ont  la  tête  grosse  , afin 
de  pouv'oir  saisir  aisément  le  poisson  etrl’civaleL' 
sans  difficulté;  leur  corps  est  petit,  et  leurs  jam- 
bes sont  coniparativenienl  plus  courtes  encore  , 
parce  qu’ils  n’en  ont  besoin  que  pour  se  soutenir. 
Les  poules-d’eau  , au  contraire,  mais  surtout  le 
pana  va/iabilis  (i) , ont  les  pieds  fort  grands, 
afin  de  pouvoir  marcher  facilement  sur  les  plantes 
aquatiques.  Leur  bec  est  fort  petit  , ne  leur  ser- 
vant qu’à  saisir  les  graines  et  les  autres  menus 
objets  dont  ils  se  nourrissent.  La  nature  a donné 
aux  pélicans  un  fort  grand  bec  avec  une  espèce  de 
sac,  qui  leur  sert  à mettre  le  poisson  qu’ils  pren- 
nent. Les  toucans  ont  un  fort  grand  bec  relative- 
ment à la  grandeur  de  leur  corps;  et  il  offre  même 
une  grande  irrégularité  si  on  le  compare  avec  ce- 
lui des  autres  oiseaux. 

11  n’y  a pas  une  moindre  variété  dans  les  queues 
des  oiseaux:  le  faisan , le  paon,  le  coq  d’Inde,  le 
coq  domestique , l’ara  , ont  la  queue  fort  longue  ; 
tandis  que  l’autruche,  le  casoar,  etc.  , l’ont , au 
contraire,  fort  petite,  proportionnellement  à leur 
corps. 

La  queue  du  lion,  du  renard,  de  l’écureuil,  de 
l’éléphant,  du  rhinocéros,  prouvent  la  même 


(i)  Le  jacaiia  de  Birflbn,  Jlisc.  nat,  des  oiseaux,  tom.  Mil, 
pag  448,  pi.  XXXV. 


4i2  discours  lu» 

chose.  Chez  les  animaux  qui  rampent,  comme  le 

crocodile  , le  lézard  , la  tortue  , le  crapaud  et  la 

grenouille , on  ne  trouve  pas  moins  de  défauts  de 

proportion. 

Quelles  variétés  n’offrent  pas  les  cornes  et  sur- 
tout les  dents  des  quadrupèdes  et  des  poissons?Dans 
le  narwhal,  les  cornes  avancent  en  ligne  droite  et, 
horisonlale;  dans  le  morse  elles  sont  courbées  vers, 
en  bas;  dans  le  sanglier  du  Cap  de  Bonne-Espé- 
rance elles  sont  tournées  vers  en  haut.  Tout  cela^ 
nous  paroît  d’abord  bisarre;  ensuite  l’oeil  s’y  ac-, 
coutume,  et  on  finit  par  le  trouver  beau  ; desorte 
même  que  nous  regardons  comme  un  défaut  ré- 
voltant, le  manque  ou  le  renversement  de  ces  par- 
t ies.  Un  taureau  sans  cornes , comme  il  y en  a dans 
la  partie  septentrionale  du  Danemarck  et  de  l’An- 
gleterre, nous  paroît  aussi  étrange  que  le  seroit  un 
veau  avec  des  cornes. 

Les  jambes  hautes  du  chameau  nous  étonnent; 
tandis  que  les  formes  du  cheval,  du  boeuf,  du 
chien  , du  furet,  du  serpent  et  du  lombric  mê- 
me , quelques  belles  ou  singulières  qu’elles  soient, 
nous  frappent  moins  par  l’habitude  que  nous  avons 
de  les  voir  souvent.  Enfin , nous  sommes  convain- 
cus par  le  raisonnement,  que  l’Etre  Suprême  n’a 
pas  eu  pour  but , dans  la  création , les  proportions 
qu’il  a plu  à notre  imagination  de  trouver  dans  les 
différentes  parties  des  animaux;  mais  qu’il  a mis 


A l’acAD.  de  DESSIIf.  4l5 
toute  leur  perfection  dans  Tutilité  qui  en  résulte 
pour  l’individu. 

Chez  l’homme  les  yeux  ont  un  pouce  de  dia- 
mètre, et  son  visage  a cinq  yeux  de  large.  Coin- 
parez-les  avec  les  yeux  de  la  souris,  de  l’éléphant 
ou  de  la  baleine,  et  vous  trouverez  que  le  plus  grand 
oeil  n’a  pas  deux  pouces  de  diamètre.  Cependant 
le  corps  de  l’homme  n’a  pas,  en  général , six  pieds 
de  hauteur,  tandis  que  celui  de  la  baleine  a cent 
pieds  de  longueur,  et  même  plus.  L’œil  est  donc 
dans  l’homme  ^ , et  dans  la  baleine  = de 
sa  longueur. 

Les  oreilles  du  phoque  sont  si  petites  qu’on  ne 
sauroit  les  appercevoirj  celles  de  la  chauve-souris 
appelée  l’oreillard,  sont,  prises  chacune  en  parti- 
culier, plus  grandes  que  tout  son  corps.  Or,  peut- 
on,  d’après  ces  énormes  disproportions  de  parties 
correspondantes,  dire  que  l’un  de  ces  animaux  est 
plus  beau  ou  plus  laid  que  l’autre? 

§.  VIII.  Veut -on  savoir  quel  est  le  Beau  qui 
mérite  réellement  notre  approbation?  \ eut -on 
être  convaincu  que  la  peinture  n’étoit , dans  son 
principe,  qu’une  simple  mais  fidelle  copie  des  ob- 
jets que  la  nature  offre  sans  cesse  à nos  regards? 
et  de  quelle  manière  cet  art  a été  porté  ensuite,  à 
une  étonnante  perfection  par  des  hommes  d’un  gé- 
nie supérieur,  en  ne  copiant  plus  servilement  la 


4 1 4 DISCOURS  LUS 

nalure,  mais  en  remhellissanl  de  beautés  idéales? 
1]  faut  se  rappeler  tout  ce  que  j’ai  dit  au  sujet  des 
embellissemens  que  l’arcliilecl ure  est  yiarvenue  à 
donner  aux  édifices,  que  rhouiiue  ignorant  ad- 
mire , sans  pouvoir  découvrir  les  moyens  qu’ont 
employé  les  grands  artistes. 

Suivant  Pline  Ci),  Lysippe,  contemporain  d’A- 
lexandre le  Grand  , fut  le  premier  qui  porta  son 
attention  sur  les  défauts  de  la  nature  individuelle 
et  donna  ])ar-là  à ses  ouvrages  une  élégance  , une 
finesse  qui  lui  étoient  propres,  et  qu’il  a observées 
jusque  dans  les  moindres  parties. 

Lysippe  fit  aussi  les  têtes  de  ses  statues  plus  pe- 
tites que  les  anciens  (c’est-à-dire,  de  huit  têtes  et 
plus),  et  les  corps  plus  sveltes  et  moins  charnus; 
ce  qui  faisoit  jiaroîlre  ses  figures  plus  longues.  Aussi 
ce  statuaire,  disoit -il  (2),  que  ses  prédécesseurs 
avoient  bien  fait  les  hommes  tels  qu’ils  étoient 
C^quales  essent  kojîiines),  mais  qu’il  les  faisoit  tels 
qu’ils  paroissenl  être  {sexl  se j quales  viderentur 
esse). 

Cicéron,  qui  étoit  doué  d’un  jugement  admira- 
ble et  d’un  goût  exquis,  nomraoit  cela 
ultra  verum  (outrepasser  les  limites  du  vrai  dans 
la  peinture). 


(i)  Lib.  XXXIV,  cap.  8 în  fine.. 
(a')  Ibid. 

\ 


A l’  A C A D.  DK  D K S S I N.  4l5 
Le  svelte  des  Italiens,  qui  rend  les  figures  si 
agréables,  et  qui  a été  entièrement  négligé  parles 
peintres  de  l’école  flamande,  tels  que  Rubens, 
Rembrant,  Bol,  Flink  et  autres,  est  la  partie  que 
Ljsippe  a découvert  le  premier  être  indispensa- 
blement nécessaire  ; non  pour  rendre  ses  statues 
en  effet  plus  belles  que  la  nature,  mais  pour  les 
«faire  paroître  plus  belles  à nos  yeux;  parce  que, 
au  moyen  de  cet  artifice,  il  remédioit  aux  défauts 
qu’offre  la  nature  individuelle. 

On  ne  tarda  pas  à appliquer  ce  principe  à l’ar- 
chitecture : les  Corinthiens  donnèrent,  pour  cette 
même  raison  , dix  diamètres  de  hauteur  à leurs  co- 
lonnes; et  c’est  dans,  celte  vue  aussi  que  les  archi- 
tectes grecs  firent  les  métopes  plutôt  étroits  que 
larges,  etc. 

Il  faut  donc  que  l’architecte,  le  statuaire,  le 
peintre,  qui  veut  donner  le  véritable  Beau  physi- 
que à ses  ouvrages,  connoisse la  nature  et  les  effets 
delà  lumière;  il  faut  qu’il  sache  de  quelle  ma- 
nière nous  voyons  les  objets;  qu’il  soit  instruitdes 
changemens  qu’éprouvent  leurs  formes  et  de  la 
dégradation  de  leurs  couleurs,  suivant  qu’ils  sont 
placés  plus  haut  ou  plus  bas  qué  l’horison  , ou  à 
une  distance  plus  ou  moins  grande  de  l’oeil;  enfin, 
il  ne  doit  rien  ignorer  de  tout  ce  qui  peut  servir  à 
cacher  les  défauts  appareils  ou  réels  qui  résultent 

I de  ces  différentes  modifications. 

i 

l 


4i6 


DISCOURS  LUS 


Mettre  en  usage  toutes  les  ressources  dont  je 
viens  de  parler,  de  manière  que  les  objets  qu’on 
imite  produisent  aux  yeux  des  spectateurs  les  mê- 
mes idées  que  la  réalité  même,  voilà  certaine- 
ment ce  qu’on  doit  appeler  rendre  le  véritable  Beau 
physique;  et  c’est  la  seule  chose  qu’on  puisse  exi- 
ger du  peintre , du  statuaire  et  de  l’architecte. 

S’il  est  question  du  choix  à faire  des  plus  belles’ 
formes  de  l’homme,  il  s’agit  alors  de  toute  autre 
chose;  c’est-à-dire , de  quelque  chose  qui  n’est  que 
purement  accidentelle  , qui  ne  dépend  unique- 
ment que  du  choix  arbitraire,  bisarre  même,  des 
hommes,  et  de  la  mobilité  constante  des  modes  de 
chaque  nation  en  particulier. 

TROISIÈME  SECTION.. 

I.  Comme  c’est  l’autorité  des  grands  artistes 
qui  détermine  ce  qui  doit  être  considéré  comme 
Beau  en  architecture,  il  en  est  de  même  de  la  sculp- 
ture et  de  la  peinture. 

Au  rapport  de  Pline  (i),  Phidias  fit  une  Minerve 
d’une  si  rare  beauté  qu’elle  fut  surnommée  la 
Belle . 

J’ai  fait  remarquer  dans  l’introduction  de  ce 


(i)Lib,  XXXIV,  cap.  8, 


A A C A D.  DE  DESSIN.  4l7 

discours,  que  Polyclète  avoit  fait  aussi  une  statue 
qui  obtint  de  tous  les  artistes  le  nom  de  normaoxx 
règle. 

Ces  exemples  nous  prouvent  que  c’est  l’autorité 
seule  d’un  petit  nombre  de  grands  artistes  qui  a 
décidé  des  règles  du  Beau.  Ceux  qui  les  ont  suc- 
cédé se  sont  bornés  à adopter  servilement  le  même 
style  et  les  mêmes  proportions. 

La  plupart  des  maîtres  de  l’école  flamande  n’ont 
fait  qu’imiter  une  nature  grossière  et  commune. 
Le  défaut  d’instruction  et  de  bons  modèles,  joint 
au  manque  de  jugement  sont  cause  que  leurs  pro- 
ductions se  trouvent  au-dessous  même  des  objets 
qu’ils  ont  pris  pour  modèles  d’imitation. 

Aujourd’hui  nos  jeunes  artistes  jouissent  déplus 
grands  avantages  ; celte  Académie  leur  fournit  les 
meilleui’s  modèles  de  l’antiquité  et  de  nos  maîtres 
modernes  ; pour  ne  point  parler  des  excellentes 
leçons  qu’ils  reçoivent  des  directeurs  de  cette  école 
célèbre. 

§.  IL  Vitruve  nous  prouvera  que,  de  son  tems, 
on  avoit  les  mêmes  idées  que  nous  sur  ce  qui  cons- 
titue la  Beauté  des  édifices.  « La  parfaite  conve- 
« nance  , ou  plutôt  la  beauté  d’un  édifice  , exige 
« que  l’on  adopte  le  genre  d’ornement  consacré 
« par  l’autorité  des  tems  antérieurs,  qui  se  fonde 
« principalement  sur  la  coutume  ou  sur  l’usage; 

27 


1 1 1. 


4i8 


DISCOURS  LUS 


« par  exemple,  les  temples  dédiés  à Minerve  , à 

Mars  et  à Hercule  , demandent  à être  d’ordre 
« dorique;  ceux  dédiés  à Junon,  à Diane  ou  à Bac^ 
«chus  doivent  être  d’ordre  ionique,  et  ceux  de 
« Vénus  et  de  Flore  requerront  l’ordre  corin- 
« thien.  » 

On  voit  encore  actuellement  à Athènes  (i)  les 
ruines  d’un  temple  dédié  à Minerve  d’ordre  do- 
rique; un  d’ordre  ionique  dédié  à Cérès  (2);  un 
d’ordre  corinthien  consacré  à Jupiter  (5)  ; un  autre 
d’ordre  dorique  consacré  à Auguste;  et,  suivant 
Desgodetz,  un  temple  de  Mars  d’ordre  corinthien 
à Rome;  un  autre  dédié  à Jupiter,  et  un  à Bac- 
chus  d’ordre  composite  : jireuves  certaines  que  les 
anciens  ne  se  sont  pas  toujours  restreints  à ces  rè- 
gles stériles. 

Vitruve  dit  ailleurs  que  l’architecture  doit  non- 
seulement  avoir  égard  aux  loix  de  convenance  ; 
mais  qu’il  faut  qu’il  se  garde  aussi  de  ne  point  con- 
fondre ensemble  les  parties  de  différens  ordres  ; 
par  exemple,  de  ne  point  mettre  des  denticules  aux 
corniches  de  l’entablement  dorique,  ni  de  trigly- 
phes  aux  frises  de  l’ordre  ionique. 

Mais  combien  de  fois  nos  artistes  modernes  ne 


(1)  Leroy,  Monumens  de  la  Grèce,  part.  I,  pag»  i . 
(a)  PI.  V. 

(3^  PI.  X,  pag.'  1.9. 


A l’  A C A D.  DE  DESSIN.  4ig 

se  permettent-ils  pas  d’enfreindre  ces  sages  règles? 
Les  architectes  les  plus  à la  mode  ont  tous  plus 
ou  moins  secoué  le  joug  de  l’habitude,  et  se  sont 
soustraits  à l’autorité  des  anciens;  mais  peut-on 
dire  qu’ils  j ont  substitué  quelque  chose  de  meil- 
leur et  de  plus  raisonnable? 

Les  Romains  ont  non-seulement  réuni  souvent 
dans  leur  ordre  composite , l’ordre  ionique  à l’or- 
dre corinthien  ; mais  ils  ont  aussi  mêlé  l’ordre  co- 
rinthien avec  le  dorique,  et  même  quelquefois  les 
trois  ordres  ensemble. 

Ils  ont  placé  la  corniche  immédiatement  sur 
l’architrave,  sans  frise  intermédiaire;  c’est-à-dire, 
qu’ils  ont  omis  les  poutres  ou  le  plafond.  Cela 
peut-il  être  regardé  comme  beau?  cela  convient-il 
à une  bonne  architecture  ? 

Quoiqu’il  en  soit , il  faudra  convenir  du  moins 
que  le  Beau  physique  ne  doit  jamais  se  trouver 
ouvertement  en  opposition  avec  la  raison. 

Mille  exemples  me  serviroient  à prouver  qu’on 
pêche  aujourd’hui  plus  que  jamais  contre  ces  rè- 
gles ; mais  le  défaut  de  teins  ne  me  permet  pas 
d’entrer  pour  le  moment  dans  ces  détails.  Je  vais 
terminer  ce  discours  par  une  courte  récapitulation 
de  ce  que  j’ai  cherché  à y démontrer. 

Premièrement.  Qu’aucun  philosophe,  ni  aucun 
artiste  n’a  jamais  prouvé  ou  même  enseigné,  ce 
qui  constitue  proprement  le  Beau  physique. 


DISCOURS  LUS 


420 

Secondement.  Que  nous  n’avons  aucun  senti- 
ment inné  dé  celte  espèce  de  Beau  , comme  nous 
en  avons  un,  et  cela  très-distinct,  du  Beau  moral; 
que  ce  n’est  donc  qu’à  force  d’étude  que  nous 
parvenons  à connoître  ce  qui  est  Beau  dans  les  arts 
d’imitation. 

Troisièmement.  Que  ce  n’est  pas  dans  une  cer- 
taine proportion  ou  symétrie  des  parties  que  con- 
siste le  Beau  physique,  tant  dans  les  hommes  et 
les  animaux  que  dans  l’architecture. 

Quatrièmement.  Qu’en  donnant  des  formes  dif- 
férentes aux  hommes  et  aux  animaux,  la  nature 
n’a  pas  eu  pour  but  de  les  douer  d’une  certaine 
Beauté;  mais  seulement  de  leur  accorder  ce  qui 
étoit  le  plus  utile  à leur  destination. 

Cinquièmement.  Que  tout  ce  qui  a rapport  au 
prétendu  Beau  physique,  n’a  pour  bases  qu’une 
convenance  tacite,  l’habitude  et  l’autorité. 

Sixièmement.  Enfin,  je  crois  avoir  prouvé  que 
le  vrai,  le  seul  Beau,  tel  que  les  plus  grands  maî- 
tres l’ont  introduit  dans  l’architecture  , dans  la 
peinture,  dans  la  sculpture,  ne  doit  être  attribué 
qu’au  soin  qu’ils  ont  eu  que  leurs  ouvrages  imi- 
tassent le  plus  fidèlement  possible  la  nature  , en 
évitant  les  défauts  qui  résultent  nécessairement  de 
l’imperfection  de  notre  vue  et  de  la  réfraction  de 
la  lumière. 

Si  la  manière  dont  j’ai  cherché  à vous  exposer 


A C A D.  DE  DESSIN.  421 

mes  idées,  et  les  preuves  sur  lesquelles  j’ai  tâché 
de  les  appuyer  n’ont  pas  été  suffisantes  pour  vous 
convaincre  pleinement  ; elles  auront  servi  du  moins 
à vous  faire  envisager  le  Beau  physique  sous  un 
nouveau  point  de  vue,  et  à mettre  les  artistes  sur 
la  voie  de  découvrir  de  plus  grandes  vérités. 


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DE  LA  GÉNÉRATION 

DU  PIPA, 


ou  CRAPAUD  D’AMÉRIQUE. 


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DE  LA  GÉNÉRATION 


DU  PIPA, 

ou  CRAPAUD  D’AMÉRIQUE. 


Ij’ÉTUDE  de  l’Iiisloire  naturelle,  outre  le  plaisir 
qu’elle  nous  procure,  nous  est,  en  même  tems, 
d’une  grande  utilité  dans  la  métaphysique.  C’est 
par  la  reproduction  des  dilFérens  êtres  qui  peu- 
plent la  terre  et  par  leurs  modifications  infinies 
que  nous  parvenons  le  mieux  à connoître  la  toute- 
puissance  et  la  grandeur  de  Dieu.  Les  corps,  les 
animaux  surtout , qui  tombent  sous  nos  sens,  doi- 
vent nous  servir  ici  de  preuves  ; et  c’est  par  les 
rapports  généraux  qui  régnent  entr’eux  que  nous 
pouvons  nous  convaincre  si  la  Suprême  Cause  a 
pu  ou  non  parvenir  avec  la  même  perfection  au 
même  but  par  des  moyens  differens. 

J’appelle  ici  rapports  généraux  les  organes  par 
lesquels  les  animaux  reçoivent,  suivant  leur  degré 
d’intelligence  , les  idées  nécessaires  à leur  exis- 


■^26  de  la  génération 
t en  ce  5 tels  que  ceux  de  la  vue,  de  l’ouïe,  eto. 

Nous  ne  découvrons  dans  ces  organes  qu’une 
perfection  relative  à la  place  qu’ils  occupent  ; et 
l’on  peut  dire,  en  général,  que  la  vue  des  insec- 
tes volans  et  autres  est  aussi  parfaite  que  celle  des 
oiseaux,  des  quadrupèdes  et  de  l’homme  même; 
quoique  leur  organe  visuel  diffère  beaucoup  de 
celui  des  autres  animaux , et  que  ce  sont  les  yeux 
<îe  l’homme  qui  nous  paroissent  les  plus  parfaits 
dans  leur  espèce.  On  peut  dire  la  même  chose  de 
tous  les  autres  organes. 

Il  y a encore  un  autre  rapport  qui  est  également 
])arfait  chez  tous  les  animaux,  et  qui  par-là  mérite 
la  plus  grande  attention,  savoir,  celui  de  la  gé- 
nération; lequel,  quoique  infiniment  varié  dans 
tous  les  animaux,  parvient  cependant  toujours  au 
même  but , la  procréation  d’un  animal  qui  res- 
semble de  la  manière  la  plus  parfaite  à ses  parens; 
preuve  la  plus  évidente  et  la  plus  merveilleuse  que 
la  nature  nous  fournisse  de  la  sagesse  infinie  et  de 
la  toute-puissance  de  l’Etre  Suprême.  Il  y a des 
animaux  qui  conçoivent  et  nourrissent  leurs  pe- 
tits dans  leurs  propres  entrailles;  d’autres  renfer- 
ment les  leurs  dans  des  oeufs,  et  leur  donnent  la 
vie  par  l’incubation , ou  par  le  moyen  de  la  cha- 
leur vivifiante  du  soleil;  ceux-ci  se  propagent  en 
se  divisant;  ceux-là  poussent  leurs  petits  hors  de 
leur  corps,  comme  de  rejetons  de  plantes  ; enfin , 


D U P I P A.  427 

la  nature  se. sert  encore  de  plusieurs  autres  dlffé- 
rens  moyens  pour  la  propagation  des  espèces  , et 
le  tems  me  manqueroit  si  je  voulois  indiquer  ici 
toutes  les  voies  admirables  qu’elle  emploie  pour  la 
conservation  des  êtres  infiniment  variés  qui  peu- 
plent la  terre. 

Les  plus  grands  hommes  se  sont  occupés  à étu- 
dier cette  merveilleuse  reproduction  des  animaux; 
tels,  par  exemple,  qu’Aristote,  Harvey,  Swam- 
merdam,  Leuwenlioek,  Trembley, les  deuxNeed- 
ham  et  un  crand  nombre  d’autres  dont  les  noms 
passeront  avec  honneur  à la  postérité. 

Quelques-uns  cependant,  emportés  par  leur  ar- 
deur, si  ordinaire  aux  philosophes,  n’ont  pas  été 
assez  attentifs  dans  leurs  observations.  L’étonne- 
ment que  leur  a causé  une  découverte  nouvelle  , 
les  a souvent  induit  en  erreur;  et,  prévenus  par 
ce  qui  leur  a paru  s’écarter  des  loix  générales,  ils 
n’ont  pas  pénétré  assez  avant  dans  les  secrets  de 
la  nature.  Le  crapaud  d’Amérique,  dont  les  petits 
paroissent  croître  sur  le  dos  de  la  mère  , nous  four- 
nit une  preuve  de  leur  admiration  irréfléchie.  11 
leur  a suffi  de  voir  son  dos  chargé  d’animaux  vi- 
vans  de  la  même  espèce,  pour  s’imaginer  que  c’é- 
toit  le  dos  même  qui  servoit  de  matrice  à cet  ani- 
mal, et  que  c’étoit  de  cette  manière  qu’il  engen- 
droit  ses  petits.  On  a employé  tous  les  moyens  pos- 
sibles pour  découvrir  celte  étrange  merveille. 


428 


DE  LA  GÉNÉRATION 
Ruisch  , célèbre  par  son  zèle  pour  la  science  et  par 
sa  dextérité  à disséquer,  dit  à ce  sujet  ; « J’ai  ou- 
« vert  le  dos  de  cet  animal,  pour  voir  si  ses  oeufs 
« ne  sortoienl  point  du  ventre  pour  paroître  sur  le 
« dos,  d’où  ils  sembloient  éclore;  mais  j’ai  trouvé 
« le  contraire;  du  moins  n’ai-je  jamais  pu  décou- 
« vrir  aucune  communication  entre  le  dos  et  les 
U parties  internes  du  bas-ventre.  Mais  la  peau  du 
<(  dos  est  remplie  de  petites  cellules  , dans  les- 
((  quelles  les  oeufs  sont  renfermés;  et  ces  cellules 
i(  sont  couvertes  d’une  espèce  de  peau  un  peu  dure, 
« laquelle  étant  ôtée  laisse  voir  les  oeufs  à décou- 
« vert  ( 1 ).  ))  Livinus  Vincent  s’est  contenté  des 
observations  de  Ruisch.  Seba,  aussi  peu  initié  dans 
les  merveilles  de  la  nature  que  Vincent,  hasarda 
une  idée  sur  la  génération  de  ces  oeufs,  et  se  mon- 
tra plus  étonné  de  la  manière  dont  la  liqueur  pro- 
lifique du  male  pouvoit  pénétrer  dans  les  inters- 
tices de  la  peau  épaisse  du  dos  de  la  femelle,  que 
de  l’accroissement  même  des  petits  sur  le  dos  (2). 
Ils  ignoroient  les  uns  et  les  autres  la  manière  dont  ces 
animaux  se  propagent.  L’ouvrage  profondément 
pensé  de  l’admirable  Svrammerdam  n’étoit  pas  en- 
core connu  alors;  et  l’on  n’aÉoit  aucune  idée  exacte 
de  la  génération  des  grenouilles.  Il  étoit  par  con- 


(1)  Thés,  anat. , tom.  I,  pag.  9,  not.  35- 

(2)  Thés,,  toin,  I,  pag.  lai,  tab.  77,  n®.  1. 


DU  PIPA. 


429 

séquent  diificile  de  savoir  comment  on  pouvoit  dis- 
séquer avec  quelque  fruit  ce  pipa  ou  pipai.  L’ani- 
mal même  étoit  rare  et  d’un  grand  prix;  de  sorte 
qu’on  préféroit  de  le  conserver  pour  en  orner  un 
cabinet , plutôt  que  de  le  sacrifier  à des  observa- 
tions anatomiques , lesquelles  cependant  pouvoient 
seules  conduire  à la  connoissance  de  la  vérité. 

En  1758,  je  reçus  en  présent  deux  pipas  ou  cra- 
pauds d’Amérique , dont  l’un  avoit  le  dos  couvert 
d’œufs;  chez  l’autre  ces  œufs  étoient  déjà  éclos. 
J’ouvris  ce  dernier  pour  éclaircir  les  doutes  qui  me 
Testoient  à cet  égard. 

Après  que  j’eus  ouvert  le  ventre  et  enlevé  les  in- 
testins, je  découvris  une  longue  vessie  simple  de 
forme  ovale,  et  derrière  cette  vessie  le  boyau  culier; 
ensuite  parut  le  vagin  et  la  matrice  arec  ses  deux 
«ornes,laquelle  forme  plusieurs  replisassezsembla- 
bles  à ceux  de  nos  intestins,  et  pend  à un  double  pé- 
ritoine le  long  de  la  hanche  gauche  vers  en  haut, 
en  s’étrécissant  déplus  en  plus;  après  quoi  elle  s’é- 
tend derrière  les  poumons,  jusqu’à  ce  qu’elle  se 
fasse  voir  avec  un  grand  orifice  à côté  du  péri- 
carde, derrière  un  pli  du  double  péritoine.  Les 
ovaires,  garnis  de  petits  boutons  noirs,  montoient 
fort  hauts,  et  paroissoient  contenir  des  œufs  nou- 
vellement produits.  Je  fis  un  dessin  de  cette  pré- 
paration anatomique,  et  ne  doutai  plus  que  cette 
espèce  de  crapauds  ne  se  propage  point  de  la  même 


45o  DE  LA.  G É N É II  .V  T ION 

manière  que  les  grenouilles  et  nos  crapauds  ordi- 
naires. Je  lus  ensuite  avec  admiration  la  décou- 
verte faite  par  Swammerdam  de  la  génération  des 
grenouilles  (i);  où  je  trouvai  une  telle  analogie, 
que  je  regardai  ma  première  conjecture  comme  un 
fait  certain  ; et  cela  d’autant  plus,  que  la  fig.  5 de  la 
pl.  XLVIl  deSwanimerdam  ressemble,  pour  ainsi 
dire,  parfaitement  au  craj>aud  d’Amérique. 

Comme  je  passai  l’été  à la  campagne,  je  résolus 
d’examiner  le  crapaud  de  ce  pays.  J’en  fis  , pour 
cet  effet,  prendre  plusieurs  des  plus  grands  , que 
]e  commençai  par  étouffer  dans  de  l’esprit  de  vin, 
afin  de  vaincre  plus  parfaitement  toute  crainte  de 
poison. 

La  vessie  urinaire  de  nos  crapauds  est  double 
et  grande:  elle  ressemble  d’ailleurs  assez  à la  ves- 
sie  de  nos  grenouilles,  telle  que  Swammerdam  l’a 
figurée  (2).  La  matrice  se  partage  immédiatement 
en  deux;  et  voilà  la  seule  dilierence  qu’il  y a avec 
le  pipa.  Les  deux  cornes  se  ressemblent  parfaite- 
ment, et  les  orifices  de  ces  cornes  ou  trompes  de 
Faloppe  sont  largement  ouverts  aux  deux  côtés  du 
péricarde , comme  dans  le  pipa. 

Les  ovaires  étoient  fort  grands  et  garnis  d’œufs 

O O 

noirs.  Quelques-uns  de  ces  œufs,  moins  murs. 


(1)  Bibl.  Nat.  , pag.  796,  et  principalement  pag.  802. 
(2}  PI.  XLVIl , 1 , 55 , et  fig.  4 ) f. 


DU  PIPA. 


43 1 

éloient  jaunes,  et  d’autres  totalement  blancs;  mais 
ceux-ci  étoient  plus  petits. 

On  s’appercevra  facilement  de  l’analogie  qu’il 
y a entre  la  matrice  du  pipa  et  celle  de  notre  cra- 
paud ordinaire,  par  les  figures  et  les  explications 
que  je  donne  ici  de  l’une  et  de  l’autre. 

Les  crapauds  et  les  grenouilles  sont  donc  dans 
tous  les  pays  du  même  genre,  et  ne  diffèrent  que 
dans  les  espèces.  La  génération  s’opère  chez  tous 
de  la  même  manière;  c’est-à-dire,  que  les  œufs 
quand  ils  sont  parvenus  à leur  état  de  maturité  se 
détachent  des  ovaires  et  tombent  au  fond  de  la  ca- 
vité du  ventre.  Les  poumons,  qui  s’étendent  dans 
tout  le  ventre  jusqu’au  bassin,  pressent  en  se  gon- 
flant les  œufs  de  tous  côtés,  et  quelques-uns  con- 
tre les  orifices  des  trompes  ou  cornes  de  la  ma- 
trice; et  comme  ceux-ci  ne  trouvent  point  de  ré- 
sistance sur  les  côtés,  ils  s’y  glissent  l’un  après  l’au- 
tre jusqu’au  dernier.  Les  œufs  paroissent,  comme 
dans  la  grenouille*,  se  rassembler  dans  ces  parties, 
qu’on  doit  regarder  comme  la  véritable  matrice  ; 
c’est-à-dire,  à la  partie  antérieure  des  cornes  du 
vagin  , jusqu’à  ce  qu’ils  soient  chassés  en  dehors 
par  la  pression  des  muscles  de  l’abdomen,  lorsque 
la  fécondation  du  mâle  a lieu. 

Chez  nos  crapauds,  c’est  le  soleil  qui  fait  éclore 
les  œufs  abandonnés  à eux-mêmes.  Mais  le  dos  du 
pipa  est  fait  de  manière  à recevoir  les  œufs , où 


452  DE  LA  G É N É R A T I O N 

ils  demeurent  cachés  dans  de  petits  trous  jusqu’à 
ce  qu’ils  soient  éclos  , et  que  les  jeunes  aient  la 
force  d’aller  chercher  leur  nourriture.  Le  pipa  ne 
fait  donc  que  Iraînerlenid  avec  lui,  de  même  que 
le  sarigue  porte  ses  petits  dans  un  sac.  Si  l’on  de- 
mande comment  les  oeufs  parviennent  à être  ainsi 
disposés  dans  les  petites  interstices  du  dos  de  la 
mère?  je  serai  forcé  de  convenir  que  je  l’ignore. 
Il  y a lieu  de  croire  qu’une  grande  quantité  s’en 
trouve  perdue.  Mais  on  pourroit  faire  de  pareilles 
questions  oisives  sur  plusieurs  autres  objets  : par 
exemple,  de  quelle  manière  la  liqueur  spermali- 
quç  s’introduit  dans  les  oeufs  des  quadrupèdes  ou 
dans  ceux  des  oiseaux?  De  quelle  manière  la  pous- 
sière fécondante  des  fleurs  pénètre  dans  le  creux 
des  pistils?  Comment  il  se  fait  que  le  melon  et  le 
concombre  se  trouventfécondés,  malgré  la  distan- 
ce qui  sépare  les  fleurs  mâles  de  celles  qui  portent 
le  fruit  ? Ce  sont-là  autant  de  mystères  ijue  la  na- 
ture ne  dévoilera  jamais  à nos  yeux  j et  la  manière 
incompréhensible  dont  s’opèrent  tous  ces  phé- 
nomènes de  la  nature,  ne  peut  que  nous  pénétrer 
d’admiration  et  de  respect  pour  l’Etre  Suprême. 

Les  différentes  manières  dont  les  jeunes  pipas  se 
montrent  sur  le  dos  de  la  mère , tantôt  avec  la  tête, 
tantôt  avec  une  jambe  de  devant  ou  une  jambe  de 
derrière,  et  quelquefois  tournés  sans  dessus  des- 
sous, nous  prouvent  clairement  le  désordre  dans 


DU  PIPA. 


455 

lequel  ces  œufs  s’introduisent  dans  les  petits  oi'i- 
fices  de  la  peau  j ce  qui  n’a  jamais  lieu  dans  la  ma- 
trice des  animaux  qui  font  beaucoup  de  petits  à-la- 
fois  5 ainsi  qu’on  peut  s’en  convaincre  le  mieux 
par  les  poissons  vivipares , tels , par  exemple , que 
la  mustella  vivipara  Schoenepeldi^  et  autres  sem- 
blables. 

Nos  tarets  offrent  dans  leur  incubation  quelque 
chose  qui  ressemble  assez  à celle  du  pipa.  La  lame 
intérieure  du  côté  large  ou  antérieur  des  deux  val- 
ves s’écarte  plus  ou  moins  de  la  seconde,  suivant 
le  nombre  des  petits  et  leur  grandeur.  Les  petits 
tarets  se  trouvent  là  en  sûreté  et  y grandissent  jus- 
qu’à ce  qu’ils  quittent  leur  mère,  quand  ils  sont 
en  état  de  se  procurer  par  eux-mêmes  leur  nour- 
riture. Or,  prétendra- 1- on  que  ces  jeunes  tarets 
doivent  leur  naissance  à cette  écaille  stérile  ? et 
n’y  a-t-il  pas  autant  de  difficulté  à comprendre 
comment  les  œufs  de  ces  molusques s’introduisent 
entre  les  lames  en  question  , qu’on  en  trouve  à sa- 
voir la  manière  dont  les  œufs  du  pipa  peuvent  se 
glisser  dans  les  petits  trous  du  dos  de  la  mère? 
Notre  propre  pays  nous  fournit  donc  une  mer- 
veille aussi  admirable  que  celle  qui  nous  étonne 
dans  le  crapaud  d’Amérique. 

Je  me  suis  occupé  ensuite  du  sens  de  l’ouïe  de 
nos  crapauds,  parce  que  les  anciens,  comme  nous 
l’apprend  Ætius,  ont  divisé  les  crapauds  en  deu.x 

28 


III. 


454  DE  LA  G É N ai  R A T I O N 
espèces,  en  crapauds  sourds  et  en  crapauds  qui 
entendent  (i).  Ils  l’egardoient  les  premiers  comme 
venimeux.  Les  grenouilles  ou  crapauds  qui  ne  sont 
pas  sourds  s’appeloient  chez  eux  crapauds  d’eau 
ou  de  mare.  On  peut  consulter  Aldrovande  et 
Johnston  sur  le  nom  de  ces  animaux. 

L’organe  de  l’ouïe  des  crapauds  est,  comme  ce« 
lui  des  tortues,  recouverte  d’une  peau  épaisse  et 
tuberculée,  et  se  trouve  placé  en  arrière  au-dessous 
de  l’œil  entre  les  muscles  masseter  et  temporal.  II 
consiste  en  un  tympan  de  forme  ovale  , avec  un 
simple  éti’iei'.  Dans  l’intérieur  de  la  bouche  il  y a 
un  large  orifice,  de  la  même  manière  que  chez  la 
loi’tue.  Voyez  pl.  XXXIII,  fig.  7 et  8.  Les  yeux  du 
crapaud  paroissent  fort  doux , et  la  vue  de  l’homme 
îie  semble  pas  eflaroucher  cet  animal  5 mais  il 
s’enfuit  aussitôt  qu’il  entend  du  bruit.  J’ai  re- 
marqué souvent,  par  exemple,  qu’en  sifflant  fort 
le  crapaud  se  retiroit  précipitamment  d’un  air 
effrayé. 

La  langue  du  crapaud  mérite  aussi  quelques 
observations.  Elle  ressemble  à la  langue  de  l’hom- 
me, mais  retournée,  la  racine  étant  attachée  au 
bord  antérieur  de  la  mâchoire  inférieure  , et  la 
pointe  , qui  est  isolée  et  libre  , se  reploie  en  de- 

- - - 

(-1)  Tetrabibl.  /),.  Senn.  i.  Uled.  an.  pnucifj.,  !ib.  IL 


DU  PIPA.  , 435 

dans  ver5  le  fond  de  la  gueule.  Elle  ressemble; 
par  son  altacbe  et  son  mouvement , parfaitement 
à celle  de  la  grenouille;  mais  cette  dernière  a la 
langue  fourchue,  comme  les  lézards  et  les  autre^ 
amphibies  (i).  Le  crapaud  se  nourrit  de  toutes  les 
especes  d’animaux  à sang  blanc  , tels  qu’arai- 
gnées,  lombrics,  etc.,  mais  principalement d<ÿ  sca- 
rabées. Celle  nourriture  donneroit  lieu  de  croire 
que  le  crapaud  est  v'^enimeux,  ou  du  moins  qu’il 
doit  être  nuisible  à l’homme.  Mais  j’ai  trouvé  ces 
mêmes  insectes  dans  l’estomac  des  grenouilles  , 
qu’on  mange  cependant  comme  un  aliment  sain 
et  délicat. 

Le  foie  du  crapaud  est  fort  grand;  mais  sa  vési- 
cule du  fiel  est  surtout  d’un  volume  considérable. 
Les  intestins  difl'erent  pe.i.de  ceux  de  la  tortue. 
En  un  mot  , il  y a , en  général  , une  singulière 
analogie  entre  ces  deux  espèces  d’animaux. 

Comme  je  ne  me  suis  déjà  que  trop  long-îems 
arrêté  sur  ce  sujet,  je  vais  terminer  ma  disserta- 
tion , dont  le  principal  but  a été  de  montrer  que 


(i)  Aristote  (Hisc.  aniin.,  lib.  IV)  a décrit  cette  singulière 
propriété  d’une  manière  fort  exacte.  Les  grenouilles  ont  la  lan- 
gue singulièrement  conformée;  car  le  bout  , qui  est  libre  chez  les 
autres  a.Timaux , est  immobile  chez  eux- — Cependant  le  côté  in- 
térieur est  isolé  et  se  joint  à la  gorge.  — Pline  paroît  avoir  em- 
prunté litiéreleinent  ce  p.assago  d’Aristote,  iib,  Xl,  parag.  65. 


436  DB  tA  GÉNÉRATION 

la  génération  du  pipa  se  fait  de  la  même  ma- 
nière que  celle  de  nos  crapauds  et  de  nos  gre- 
nouilles , et  qu’elle  n’en  diffère  qu’en  ce  que  le 
premier  fait  éclore  ses  oeufs  et  porte  ses  petits  sur 
son  dos. 


K.lein-Lankum , le  5 septembre  1760. 


ü U r I P A. 


437 


EXPLICATION 

DES.  PLANCHES. 


PLANCHE  XXXIII. 


FIGURE  3. 

On  voit  ici  l’adomen  et  les  jambes  de  derrière 
du  pipa  , dont  la  plus  grande  partie  des  petits 
étoienl  déjà  nés  sur  le  dos,  ainsi  que  Ruisch,  Li- 
vinus  Vincent  et  Seba  Font  représenté.  Je  ne  donne 
pas  ici  la  tête , les  jambes  de  devant  ni  les  intes- 
tins, parce  que  mon  but  n’a  été  que  de  parler  des 
parties  de  la  généi’ation.  Cet  animal  n’a  point  de 
sternum,  mais  une  grande  gueule  et  un  ample  go- 
sier qui  aboutit  à l’orifice  de  l’oesophage , comme 
cela  a lieu  de  même  chez  nos  crapauds  et  grenouil- 
les d’Europe.  Les  poumons  sont  placés  entièrement 
dans  le  ventre. 


458  DE  LA  GÉNÉRATION 

A.  D.  la  vessie  nrinaive. 

B.  le  boyau  en  lier. 

C.  le  vagin  on  l’origine  de  la  matrice , laquelle 
se  termine  dans  les  deux  cornes  E.  G.  et  F.  H.  L, 
auxquelles  on  pourroit  donner  le  nom  de  trompes 
de  Faloppe. 

K.  l’orifice  par  lequel  les  oeufs  pass’ent  dans  les 
trompes  et  ensuite  dans  la  matrice, 

L.  M.  les  ovaires  qui  se  prolongent  jusqu’en  O.  N. 
et  sont  garnis  de  petits  boutons  ou  germes  d’œufs. 

P.  Q.  les  bronches  formés  de  petits  anneaux  car- 
tilagineux , allant  vers  R.  et  S. 

T.  les  poumons  composés  de  beaucoup  de  cel- 
lules circulaires  , comme  dans  nos  grenouilles  et 
nos  crapauds,  et  partagés  en  deux  parties  S.  et  T. 

U.  V.  le  foie  gauche  ou  peut-être  la  rate. 

W.  le  foie  droit  avec  sa  vessicule  du  fiel  Y. 

Z.  probablement  les  glandes  du  mésentère  j ce 
que  je  n’ose  cependant  assurer.  Le  reste  s’explique 
assez  de  soLmême. 

La  vessie  urinaire  et  l’orifice  du  vagin,  ou  la  ma- 
trice , se  déchargent  dans  le  boyau  culier,  comme 
chez  nos  crapauds  d’Europe. 

Les  sept  figures  suivantes,  savoir,  4,  5,  6,  7, 
8,  9 et  10,  de  la  même  planche  XXXIII,  repré- 
sentent des  parties  des  crapauds  ordinaires  de  la 
Frise  et  du  reste  de  l’Europe.  Les  figures  5,6,7 


D TT  PIPA.  4o9 

et  8 sont  dessinées  d’après  une  femelle  de  la  grande 
espèce,  que,  dans  la  figure  4,  on  voit  couchée  des- 
sus le  dos,  avec  le  ventre  ouvert,  et  les  intestins 
enlevés. 

' FIGURE  4. 

A.  B.  la  double  vessie  urinaire  se  réunissant 
en  C. 

C.  D.  le  sphincter  de  l’anus. 

E.  le  boyau  culier,  lié  par  le  bout. 

F.  le  foie  droit,  lequel  a une  vésicule  du  fiel,  la- 
cjuelle  se  trouve  cachée  ici  derrière  le  lobe  du 
poumon. 

G.  H.  le  foie  gauche  ou  la  rate. 

I.  le  poumon  gauche  affaissé,  par  dessus  lequel 
passe  un  grand  vaisseau  sanguin. 

K.  M.  L.  N.  les  ovaires  contenant  des  œufs  noirs^ 
d’un  brun  clair  et  jaunes,  lesquels  se  trouventlous 
reniermés  dans  une  membrane  diaphane,  et  con- 
sistent en  des  tubercules  qui  ressemblent  à celle 
de  la  fig.  5 de  la  pl.  XLVII  de  Swammerdant. 

0.  P.  la  trompe  ou  corne  droite  de  la  matrice  , 
laquelle  est  d’un  blanc  de  lait,  un  peu  gonflée  et 
creuse,  et  qui  se  prolonge  derrière  le  foie,  qu’on  a 
enlevé  ici. 

Q.  R.  la  trompe  gauche. 

1.  2.  5.  4.  5.  sont  les  cinq  doigts  des  pieds  de 
derrière. 


44o  DE  E A GÉNÉRATION 

6.  le  sixième  doigt,  qui  est  fort  petit. 

1.  2,  3.  4.  les  quatre  doigts  des  pieds  de  devant. 

F I G U R E 5. 

A.  B.  le  boyau  culier , ouvert  par  devant  après 
que  l’os  pubis  a été  enlevé. 

C.  D.  quelques  petites  rides  qui  se  prolongent 
en  longueur,  et  paroissent  servir  à contracter  le 
boyau  culier,  pour  empêcher  qu’il  ne  s’introduise 
des  ordures  dans  la  matrice. 

E.  F.  G.  la  corne  gauche  amputée. 

H.  I.  K.  la  corne  droite. 

L.  l’orifice  de  la  matrice. 

L.  D.  C.  paroît  être  le  vagin,  ou  l’origine  de  la 
matrice. 

I.  H.  C.  D.  E.  F.  la  véritable  matrice  fort  mince 
et  diaphane,  laquelle  se  distend  considérablement 
et  contient,  comme  chez  la  grenouille,  les  oeufs 
au  tems  du  frai.  Voyez  Swammerdam,  pl.  XLVII, 
% 5,// 

FIGURE  6. 

A.  B.  F os  zygomatique  et  son  apophyse. 

C.  D.  les  muscles  masseters,  entre  lesquels  et 
l’os  zygomatique  on  apperçoit  le  tympan. 


BU  PIPA. 


4ii 

FIGURE  7. 

A.  B.  C.  le  bord  de  la  mâchoire  supérieure  vu 
en  dedans  amputé  en  A.  C. 

D.  E.  les  narines. 

F.  G.  les  trompes  d’Euslaclie  , lesquelles  com- 
muniquent avec  les  oreilles. 

F l G U P.  E 8. 

Représente  un  petit  crapaud  femelle  vu  par  le 
dos,  après  qu’on  a enlevé  la  mâchoire  supérieure 
et  toute  l’épine  du  dos,  ainsi  que  Fos  sacrum. 

A.  la  pointe  de  la  mâchoire  inférieure  à laquelle 
la  langue  se  trouve  attachée  par  sa  racine.  Voyez 
fig-  9- 

B.  C.  la  gorge. 

D.  D.  la  partie  osseuse  amputée  du  haut  de  la 
tête. 

E.  l’anus  ou  orifice  extérieur  du  boyau  culier. 

F.  l’orifice  de  l’urètre  dans  le  boyau  culier, 
au-dessous  des  petits  plis  ou  rides. 

G.  Comparez  avec  la  fig.  5 , C.  D. 

I.  FI.  l’os  du  bassin  amputé. 

K.  M.  la  trompe  droite  de  la  matrice. 

L.  N.  la  trompe  gauche  allant  le  long  des  reins 
et  à côté  de  l’épine  du  dos,  par  dessus  les  poumons. 

K.  L.  la  partie  diaphane  de  la  matrice,  laquelle 


442  DE  LA  GÉNÉE.  DU  PIPA, 
étoit  pins  ample  dans  ce  crapaud  femelle  que  dans 
le  premier, 

M.  0.  N.  P.  les  poumons  remplis  d’air.  Entre  la 
pointe  de  la  langue  et  l’ouverture  de  la  gorge  on 
voit  un  corps  saill-ant  avec  une  fente;  c’est  le  larynx 
avec  la  glotte. 

FIGURE  g. 

lleprésente  la  mâchoire  inférieure  avec  la  langue 
vues  de  profil, 

A.  Jf.  la  langue  élevée  en  l’air. 

(T.  J),  les  muscles  rétracteurs. 

E.  l’apophyse  amputée  de  la  mâchoire.  * 

E.  A,  F.  la  mâchoire  inférieure. 

FIGURE  lO. 

Pieprésente  simplement  la  partie  gauche  du  ven-  ! 
tre  avec  la  jambe  de  devant , pour  faire  voir  l’ou- 
verture de  la  trompe,  afin  qu’on  puisse  la  compa- 
rer avec  celle  de  la  pipa , fig.  3 , K. 

A.  B.  le  foie  gauche  ou  la  rate. 

C.  E.  D.  F.  le  péritoine,  qui  couvre  d’abord  le 
péricarde , et  forme  un  pli  E.  B. 

F.  E.  le  bout  de  la  trompe,  laquelle  passe  der- 
rière le  poumon  G.  F.,  et  s’ouvre  en  I.  entre  le 
foie  et  le  péricarde.  La  trompe  du  côté  droit  est 
de  la  même  longueur. 


OBSERVATIONS 


SUR  LE  CHANT  OU  COASSEMENT 
DES  GRENOUILLES  MALES. 


OBSERVATIONS 


SUR  LE  CHANT  OU  COASSEMENT 

DES  GRENOUILLES  MALES. 


C^uoiQUE  les  objets  qui  nous  frappent,  en  gé- 
néral, le  plus  dans  la  nature,  et  que  nous  cher- 
chons avec  le  plus  d’avidité  à connoître , sont  ceux 
que  leur  extrême  rareté  semble  rendre  plus  pré- 
cieux; il  y en  a cependant  qui,  malgré  qu’on  les 
ait , pour  ainsi  dire , continuellement  sous  les  yeux, 
ne  méritent  pas  moins  de  fixer  notre  attention  : 
dans  tous  brille  également  un  rayon  de  l’éternelle 
sagesse  qui  les  rend  dignes  de  nos  contemplations. 

C’est  par  de  pareilles  contemplations  que  plu- 
sieurs de  nos  compatriotes,  tels,  entr’autres,  que 
Leeuwenhoek  et  Swammerdam,  sont  parvenus  à 
immortaliser  leurs  noms.  D’ailleurs,  les  caractè- 
res des  animaux  sont  si  difficiles  à saisir,  qu’on  ne 
sauroit  trop  multiplier  les  observations,  si  l’on  ne 
veut  pas  tomber  dans  de  grossières  erreurs. 


446 


n XT  C II  A N T 


J’ai  observé  souvent  clans  mes  promenades  au 
printems  que,  dans  le  teins  de  l’a ccou plein eiil  des 
grenouilles,  quelques-uns  de  ces  animaux  avoient 
de  chaque  coté  de  la  tête  une  grosse  vessie  blan- 
che, tandis  qu’ils  sautilloient  sur  l’eau  vers  leurs 
compagnes,  en  poussant  des  cris  aigus  5 ce  qui  du- 
roit  ordinairement  jusqu’à  ce  que  quelque  cause 
étrangère  venoit  les  interrompre  : elles  cessoient 
alors  leurs  cris,  et  au  même  moment  disparois- 
soient  les  vessies  de  la  tête. 

Depuis  plusieurs  années  , j’avois  pris  et  tenu 
dans  les  mains  un  grand  nombre  de  grenouilles  , 
sans  que  l’idée  me  fut  venue  que  ces  animaux  eus- 
sent quelque  chose  de  particulier  pour  produire  | 
ce  phénomène.  Il  m’arriva  ce  qui  arrive  à bien 
d’autres;  c’est-à-dire  , que  je  me  contentai  d’ad-  j 
mirer  ce  singulier  elfet,  sans  avoir  le  courage  de  î 
chercher  à en  découvrir  la  cause. 

Cependant,  comme  en  1760,  j’étois  occupé  à 
étudier  les  crapauds  de  ce  pays,  pour  les  compa- 
rer aux  grenouilles,  j’étois  intéressé  à ne  point  me 
tromper  dans  le  choix  des  mâles  et  des  femelles, 
par  conséquent  à bien  coniioître  les  caractères  dis-  j 
tinctifs  que  Swammerdam  indique  ])our  cela. 

En  contemplant  la  pî.  XL  VI  de  l’ouvrage  de 
cet  incomparable  naturaliste,  je  crus  remarquer 
qu’il  y avoit  une  dilférence  considérable  entre  la 
lig.  6,  où  il  a représenté  les  vessies  de  la  grenouille, 


DES  GRENOUILLES.  447 


fl 


i 


I 

I 


t 


et  ce  que  je  croyois  avoir  observé  souvent  dans 
ces  animaux  vivans. 

Comme  je  voulois  connoître  les  causes  de  cette 
différence  , je  fis  prendre  plusieurs  grenouilles  , 
pour  y trouver,  comme  un  second  caractère  dis- 
tinctif des  mâles,  la  grosseur  du  pouce  pl.  XXXIII, 
fig.  Il,  de  la  patte  de  devant. 

En  comparant  une  grande  grenouille  avec  la  fig. 
6 , pl.  XLVI,  de  Swammerdam , il  me  parut  qu’il 
avoit  placé  la  vessie  gonÜée  exactement  derrièi'e 
et  près  de  Fœil,  sur  le  tympan;  tandis  que  dans 
ma  grenouille  cette  vessie  laissoit  libre  la  fente 
de  la  bouche,  fort  au-dessous  de  laquelle  elle  se 
trou  voit , assez  loin  du  tympan  , comme  je  l’in- 
dique ici  fig.  12,  pl.  XXXIII. 

Pour  procéder  avec  un  certain  ordre,  j’enlevai 
la  mâchoire  supérieure  de  cette  grenouille  , fig.  i,5, 
et  sur-le-champ  je  découvi’is  la  langue  fourchue 
placée  en  dedans,  que  je  pliai  en  avant  telle  qu’elle 
est  figurée  D.  E.  F.  G.;  ce  qui  me  permit  de  voir 
l’ouverture  de  la  trachée-artère  A.  B. 

Au  fond  de  la  bouche  , j’apperçus  , près  de  la 
mâchoire  inférieure,  deux  petites  ouvertures  ova- 
les f- g-  J’y  soufflai  par  le  moyen  d’un  tuyau  de 
cuivre,  et  aussitôt  les  deux  vessies  a.  b.  c.  se  gon- 
flèrent entièrement  et  se  prolongèrent  jusque  par 
dessous  la  langue  d.  e.  ; de  manière  que  ces  vessies 
avoient  la  forme  d’un  cucurbiîe  dont  les  o.uver- 


448 


DU  C H A N r 


lûtes  g.  f.  se  trouvôient  dans  la  partie  supérieure, 
de  la  gorge. 

Ayant  couché  Faniraal  sur  le  dos , ces  vessies  se 
montrèrent  comme  je  les  ai  représentées  dans  la 
fig.  i4,  saillant  par  dessous  en  b.  c.  cl.  e. , comme 
cela  est  naturel  à toute  cavûté  membraneuse  qu’on 
fait  gonfler  par  le  moyen  de  l’air. 

Je  pris  ensuite  une  autre  grenouille  dont  je  lais- 
sai la  tête  intacte;  et,  comme  je  connoissois  main- 
tenant la  voie,  je  fis  entrer  de  l’air  dans  la  vessie  , 
du  côté  gauche  seulement , après  avoir  auparavant 
dessiné  avec  soin  toutes  les  parties  de  la  fig.  ii, 
afin  de  pouvoir  indiquer  , par  comparaison  , les  i 
changemens  qui  pourroient  avoir  lieu. 

J’obtins  , en  souillant  , une  vessie  blanchâtre  , 
diaphane  et  jolimeut  tissue  de  veines,  fig.  12,  a. 
b.  c. , qui  se  prolongeoii  jusqu’à  l’avant-bras  , en  ; 
laissant  un  espace  assez  remarquable  entre  cette 
partie  et  le  tympan  h.  i.  ' 

Je  fus  convaincu  par-là  que  la  figure  donnée  j 
par  Swainmerdam  ne  représente  pas  la  vessie  à sa  s 
véritable  place. 

Enfin  , ayant  examiné  avec  attention  le  côté 
droit  de  la  bouche,  je  ti’ouvai  qu’elle  éloit  con-  , 
forme  au  dessin  que  j’avois  fait  du  côté  gauche  ; ' 
savoir,  que  la  vessie  distendue,  fig.  12,  a.  ô.  c. , 
se  trouvoit  repliée  sur  elle-même  au-dessous  du  I 
tympan  , et  y formoit  un  pli  profond  en  k.  i.  h. , j 


DES  GRENOUILLES.  44g 

fig,  11,  lequel  pli  paroît  alors  se  réunir  avec  la 
fente  de  la  bouche /z.  p.  ; tandis  qu’autrement  cette 
fente  est  beaucoup  plus  petite,  comme  on  le  voit 
fig.  12,  h.  l. 

Ces  vessies  ont  une  enveloppe  musculeuse,  qui 
sert  à les  vider  totalement  quand  l’animal  n’y 
chasse  pas  l’air  avec  effort.  On  peut  se  former  une 
idée  de  la  figure  supérieure,  Inférieure  et  latérale 
de  cette  enveloppe  par  les  ligures  12,  i5  et  i4; 
ainsi  que  de  son  rétrécissement  ou  col  en  c.  b., 
fig.  i4. 


Voici  donc  quel  est  le  mécanisme  du  chant  des 
grenouilles.  L’animal  aspire  le  plus  d’air  qu’il  peut 
et  le  force  à passer  par  la  trachée-artère  à la  ra- 
cine de  la  langue.  Là  , par  la  protubérance  D.E. , 
fig.  i5,  l’air  se  trouve  comme  partagé  en  deux, 
pour  passer  en  quantité  et  force  égales  dans  les 
‘ideux  vessies  a.  b.  c.,  lesquelles  sont  alors  forte- 
î isment  gonflées. 

I De  ces  vessies,  l’air  , comprimé  par  leur  enve- 
êjloppe  musculeuse,  est  renvoyé  vers  la  bouche  et 
la  langue,  et  produit  de  celte  manière  le  cri  aigu 
qu’on  ne  connoit  que  trop  pour  qu’il  soit  néces- 
saire de  le  décrire  ; il  seroit  difficile  d’ailleurs  de 
le  mieux  rendre  c|ue  l’a  fait  l’ingénieux  et  plai- 
sant Aristophane. 

Au  moment  que  l’aspiration  se  fait  , ou  bien 
lorsque  l’animal  chasse  à volonté  l’air  des  vessies, 
1 1 î.  29 


1 1 î. 


45o 


DU  CHANT 


ces  vessies  se  replient  entièrement  ou  en  partie 
sur  elles-mêmes.  La  langue  peut  boucher  latéra- 
lement les  petits  orifices  des  vessies  g.f. , fig.  i3, 
et  les  tenir  pleines,  tandis  que  l’animal  aspire  un 
nouvel  air  par  ses  narines. 

Si  les  poumons  de  la  grenouille  n’étoient  pas 
fort  grands,  et  ne  se  trouvoient  pas  placés  le  long 
de  toute  la  poitrine  et  du  ventre,  cet  animal  ne 
pourvoit  pas  pousser  des  cris  aussi  forts  et  aussi 
perça  ns.  Mais , par  ce  moyen , il  presse  l’air  comme 
les  oiseaux,  non -seulement  avec  les  côtes,  mais 
également  avec  les  muscles  de  l’abdomen , par  la 
glotte  A.  B. , fig.  i3 , jusque  dans  les  vessies,  et  le 
fait  sortir  de  là  par  la  bouche. 

Il  paroît  que  Swammerdam  ne  s’étoit  pas  pro- 
posé de  décrive  ces  vessies  en  particulier.  Il  se  con- 
tente de  dire  (i):  « Qu’on  peut  reconnoîlre  infail- 
<(  liblement  les  males  des  femelles,  par  deux  ves- 
c(  sies  qu’ont  les  premiers,  » ( qu’il  place  immé- 
diatement derrière  les  yeux,  pl.  XL  VI,  fig.  6) 
« et  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  les  femelles.  )>! 
Dans  l’explication  des  planches,  il  répète  la  même 
chose , pag.  no:  « Les  deux  vessies , m.  in. , dit-il, 
« qu’on  voit  à côté  des  yeux  de  ces  grenouilles  in- 
« diquent  que  ce  sont  des  mâles.  » 

On  s’apperçoit  donc  facilement , tantpar  sa  des- 


(0  ^ac.f  tom.  II,  pag.  732. 


1>ES  GRENOUILLES,  45l 

cription  que  par  ses  figures,  qu’il  a pensé  que  ces 
vessies  prenoient  leur  origine  à l’endroit  où  il  les 
a indiquées,  et  où  se  trouve  exactement  le  tym- 
pan de  l’oreille  ; que  par  conséquent  il  a plutôt 
mal  vu  que  mal  conjecturé  eu  ceci  ; ou,  pour  mieux 
dire,  qu’il  n’a  pas  été  attentif  à considérer  la  chose , 
comme  n’ayant  pas  un  rapport  direct  avec  le  prin- 
cipal but  de  ses  recherches. 

Mais  comme  l’autorité  de  ce  grand  homme  pour- 
roit  induire  en  erreur,  j’ai  pensé  que  cette  obser- 
vation sur  son  ouvrage,  ne  pourroit  qu’être  agréa- 
ble à ses  justes  admirateurs. 

Il  paroît  que  Harvey  a pris  ces  vessies  pour  les 
vésicules  du  poumon  qui  sortent  de  la  bouche  lors- 
que l’animal  respire  fortement.  ((  Les  grenouilles 
« et  les  crapauds,  dit-il,  respirent  pins  fortement 
« pendant  l’été  que  dans  d’autres  tems,  et  aspirent 
« alorsplus  d’air  dansleurs  innombrables  bronches 
« (ce  qui  occasionne  cette  gra  nde  t umeur),  d’où  elles 
« chassent  ensuite  cet  air  quand  elles  coassent  (i).  n 
Pline  cependant  savoit  déjà, et  très-bien,  que  c’est 
dans  la  bouche  et  non  dans  la  poitrine  des  gre- 
nouilles que  se  fait  le  bruit  que  ces  animaux  font 
entendre. 

Dans  ma  dissertation  (2)  sur  la  génération  du 


(1)  De  Gener.  anini.  Exer.  III,  pag  5. 

(2)  T^erhancl  der  Harl . Me.acsch  , VIdeel,  ! st,  , psg.  277. 


IJ  ir  CHANT 


45  s 

pipa,  j’ai  remarqué  que  la  langue  de  cet  animal 
se  trouve  comme  retournée  sans  devant  derrière , 
atlachée  par  sa  base  à la  partie  antérieure  de  la 
mâchoire  inférieure;  et  que  la  pointe  de  celle  des 
crapauds,  ainsi  que  les  deux  pointes  de  celles  de 
nos  grenouilles  est  placée  librement  dans  le  fond 
de  la  bouche  par  dessus  la  fente  de  la  trachée-ar- 
tère; observation  qu’Aristote  avoit  déjà  faite. 

Quoique  Pline  suive  assez  généralement  dans 
ses  descriptions  ce  grand  philosophe  , je  ne  puis 
me  passer  cependant  de  citer  ici  celle  qu’il  fait  si 
admirablement  de  cette  partie  de  la  grenouille  et 
de  la  manière  de  chanter  de  cet  animal  : « Les  gre- 
« nouilles  ont  leur  langue  attachée  par  le  bout,  et 
« le  reste  libre  vers  le  gosier:  c’est  par  ce  mécu- 
« nisme  qu’elles  forment  ces  sons  aigus  , par  les- 
((  quels,  en  certains  teins,  les  mâles,  apjielés  alors 
hurleurs  {otolygons),  invitent  les  femelles  à 
« l’accouplement.  Pour  cet  effet,  la  grenouille  mâle 
((  prend  dans  son  gosier  un  peu  d’eau  qu’elle  agite 
a en  remuant  la  mâchoire  inférieure  , et  en  se- 
rt couant , en  même  teins , la  langue  ; car  c’est  ainsi 
(t  que  se  forme  le  cri  dont  nous  parlons;  alors  les 
« environs  de  leur  bouche  sont  gonflés  et  luisans; 

((  et  leurs  yeux,  poussés  en  dehors  par  les  efforts 
« qu’elles  font,  paroissent  enflammés  et  ardens.  )) 
Pline  a fort  bien  connu  ces  vessies;  mais,  d’après 
ce  que  j’ai  dit  plus  haut , il  ne  paroît  pas  néces- 


DES  GRENOUILLES.  453 

saireqiie  Fanimal  hume  de  l’eau  pour  produire  cet 
effet. 

Pline  ignoroil  aussi  peu  que  Swammerdam  que 
ce  chant  et  ces  vessies  des  grenouilles  ne  sont  pro- 
pres qu’aux  mâles  seuls;  mai^  c’est  Swammerdam 
qui  le  premier  a remarqué  l’épaisseur  du  pouce  , 
fig.  Il,  O. , que  les  femelles  n’ont  pas. 

Aucune  espèce  de  nos  crapauds  n’a  ces  vessies; 
" aussi  ces  animaux  sont-ils  muets  comme  la  femelle 
de  la  grenouille.  Cependant  toutes  les  grenouilles 
mâles  n’ont  pas  ces  vessies.  Chez  plusieurs  gre- 
nouilles d’Amérique,  ces  vessies  sont,  ou  très-pe- 
tites, de  manière  qu’elles  ne  forment  aucune  pro- 
tubérance latérale  quand  elles  sont  remplies  d’air; 
ou  bien  elles  manquent  même  totalement. 

Comme  je  ne  possède  pas  une  assez  grande  col- 
lection de  ces  animaux,  je  dois  laisser  à d’autres 
les  observations  qui  restent  encore  à faire  à cet 
égard. 

Klein  Lanka m , le  5 juillet  1771. 


454 


DU  CHANT 


EXPLICATION 

DES  PLANCHES. 


PLANCHE  XXXIII. 


FIGURE  II. 

Fait  voir  une  grenouille  vue  du  coté  gauche 
avec  la  vessie  repliée  sur  elle-même  en  Je.  i.  h. , ce 
qui  fait  paroître  la  fente  de  la  bouche  i.p.  plus 
grande  que  h.  l.  de  la  fig.  iî2. 
h.p.  la  bouche. 

l.  la  paupière  inférieure,  laquelle  est  la  seule 
qu’ait  cet  animal:  elle  se  meut  de  bas  en  haut. 

m.  n.  le  tympan. 

O.  la  grosseur  du  pouce,  laquelle  est,  suivant 
Swammerdam,  le  caractère  distinctif  du  male. 


DES  GRENOUILLES, 


455 


FIGURE  12. 

Représente  une  autre  grenouille  vue  également 
du  côté  gauche. 

a.  b.  c.  la  vessie  fort  transparente  avec  son  ré- 
seau de  veines. 
k.  l.  la  bouche. 

m.  le  sourcil , ou  plutôt  la  paupière. 
i.  h.  le  tympan  couvert  d’une  membrane. 

FIGURE  i3. 

Représente  la  tête  d’une  grenouille  dont  le  crâne 
et  le  palais  sont  enlevés. 

A.  B.  la  partie  supérieure  de  la  trachée  - artère 
avec  la  glotte. 

C.  l’oesophage. 

D.  E.  F.  G.  H.  la  langue  retournée  en  avant. 

D.  E.  élévation  du  dessous  de  la  langue,  laquelle 

est  retournée  ici. 

G.  H.  F.  la  fourchette  de  la  langue. 

F.  et  G.  ses  deux  pointes. 
a.  b.  c.,  a.  b.  c.  les  vessies  gonflées  d’air. 
g.f.  l’ouverture  ovale  dans  le  bas  de  la  bouche. 
a,  h.  c.  d.  e.  conformation  intérieure  des  vessies. 


456  DU  CHANT  DES  G Pl  E N O U I L L ES. 

FIGURE  1 4. 

Les  vessies  de  la  même  grenouille  vues  par  des- 
sous, a.  h.  c.  cl.  e. 


LA  STRUCTURE  DES  OS 

DANS  LES  OISEAUX, 


Et  de  leurs  diversités  dans  les  différentes 
espèces. 


LA  STRUCTURE  DES  OS 


DANS  LES  OISEAUX. 


Toutes  les  fois  que  j'ai  examiné  la  structure 
interne  des  animaux,  j’ai  admiré  l’observation  du 
grand  Galilée  (i),  que  l’on  y rencontre  toujours 
de  nouvelles  merveilles  ! J’en  ai  déjà  donné  plu- 
sieurs preuves  dans  l’exposition  de  la  génération 
des  crapauds  de  Surinam;  dans  celle  de  l’organe 
de  l’ouïe  des  poissons  ordinaires,  des  poissons  car- 
tilagineux et  du  cachalot  , que  j’ai  présentée  en 
partie  à l’Académie  royale  des  sciences,  en  partie 
à la  Société  de  Harlem.  Parmi  les  descriptions  que 
je  n’ai  pas  encore  eu  le  teins  d’achever,  aucune 
ne  m’a  paru  plus  digne  d’attention  que  celle  des 
cavités  qui  se  trouvent  dans  les  os  des  oiseaux, 
principalement  dans  ceux  qui  environnent  le 
tronc. 


(i)  S_ysc.  Cossusc.  Dialpg.  II,  pag.  310, 


46o  DE  LA  S T R U C T.  DES  O » 

Les  os  du  bras,  les  clavicules,  les  os  de  la  poi- 
trine, les  vertèbres  du  dos,  les  os  des  îles,  et  dans 
plusieurs  les  os  de  la  cuisse,  sont  tout-à-fait  creux, 
sans  moelle,  et  reçoivent  dans  leurs  cavités,  par 
la  respiration  , l’air,  qui,  par  ce  moyen,  rend  les 
oiseaux  ])lus  légers  et  plus  capables  de  s’élever 
dans  l’air. 

C’est  une  découverte  tout-à-fait  nouvelle,  qui 
sera  d’autant  plus  agréable  à l’Académie,  qu’elle 
est  j)urement  physique.  Je  l’ai  faite  au  mois  de  fé- 
vrier de  l’année  passée,  lorsque  j’étois  occupé  à 
faire  des  recherches  sur  les  oiseaux,  pour  déve- 
lopper le  mécanisme  de  la  respiration  qui  y est 
lort  singulière. 

Je  savois,  d’après  les  réflexions  de  Galilée  (i)  et 
de  Borelli  (2), que  les  os  des  oiseaux  étoient  creux 
et  minces,  afin  qu’ils  puissent  plus  facilement 
voler  : ces  deux  grands  hommes  ont  été  unique- 
ment attentifs  à la  substance  des  os.  Galilée  sur- 
tout, qui  a très-évidemment  prouvé,  en  les  com- 
parant avec  des  tuyaux  de  bois  ou  de  métal,  qu’un 
os  de  la  même  longueur  et  pesanteur  étant  creux, 
avoit  plus  de  force  qu’un  os  de  la  même  pesan- 
teur et  longueur,  mais  plein  (3)  ; il  a même  ajouté 


CO  De  Meehan.  Dial.  II , pag.  iZs. 

De  Motii  anim.  Proposit,  ig4,  pag.  i56. 
(3)  Ibid. 


DANS  LES  OISEAUX.  46l 

celte  règle  admirable  : Que  la  force  des  os  creux 
est  à celle  des  os  solides,  dans  ce  cas,  comme  leurs 
diamètres  (i).  Celte  réflexion  peut  non-seulement 
être  appliquée  à la  structure  des  os  en  général , 
1 mais  aussi  à celle  des  plantes,  dans  lesquelles  nous 
/ voyons  de  pareilles  cavités  sans  moelle  , mais  rem- 
j plies  d’air. 

Borelli  (2)  a développé,  dans  l’explication  du 
I vol  des  oiseaux  et  du  mécanisme  de  leurs  ailes,  la 
) connoissance  parfaite  qu’il  avoit  de  la  composi- 
J tion  de  leurs  os  (5),  de  la  cavité  de  leur  poitrine 
J et  de  leur  bas-ventre,  ainsi  que  de  l’air  qui  rem- 
j plit  ces  deux  cavités. 

) La  respiration  des  oiseaux  est  aujourd’hui  trop 
) connue  pour  avoir  besoin  d’une  explication  parti- 
) culière;  mais  la  respiration  dans  les  os  du  tronc, 
) des  ailes  et  des  cuisses  mérite  un  détail  particu- 
i lier.  C’est  à cette  considération  seule  que  je  me 
! bornerai  dans  ce  mémoire. 

Je  l’ai  appelée  une  découverte  , ])arce  que  je 
t ne  connois  aucun  auteur  qui  en  ait  indiqué  la 
I moindre  chose.  Il  est  bien  vrai  que  M.  lé  comte  de 
I Marsigli  (4)  a su  que  les  os  du  bras,  dans  le  pé- 


(1)  De  Mechan.  Dial  II,  pag.  iSa. 

(2)  Proposit.  182,  pag.  146. 

(3)  Proposit.  194. 

(4)  Danub,  Fran-  Mysic. , tom.  VI,  tab.  8 , pag.  io  et  seg. 


462  DE  LA.  S TRUC  T.  DES  OS 
lican  , éloient  creux  et  sans  moelle , et  très-légers; 
mais  il  n’a  pas  songé  à l’air,  ni  à la  manière  dont 
l’air  devoit  entrer  dans  celle  cavité. 

M.  le  comte  de  Buffon  ,1e  plus  grand  naturaliste 
que  nous  ayons  eu  depuis  Aristote,  n’a  pas  ignoré  ce 
que  Galilée  et  Borelli  ont  communiqué  à ce  sujet; 
il  en  fait  usage  dans  son  excellent  discours  sur  la 
nature  des  oiseaux  (i);  mais  il  n’a  pas  su  que  les 
cavités  de  ces  os  reçoivent  l’air  au  lieu  de  moelle, 
et  que  ce  fluide  y entre  par  la  respiration. 

On  m’apporta,  le  lo  février  1771,  un  grand  ai- 
gle de  mer  (2),  tel  que  ceux  dont  on  tire  annuel- 
lement une  grande  quantité  aux  environs  de  cette 
ville  pendant  la  gelée.  Je  disséquai  les  côtes,  sur- 
tout les  crochets  et  leurs  muscles,  etc.  Je  préparai 
un  os  de  la  cuisse,  principalement  pour  montrer 
sa  cavité  et  les  fibres  qui  soutiennent  en  dedans  la 
lame  osseuse  dans  cet  animal.  Je  croyois  y trouver 
de  la  moelle,  mais  je  n’y  trouvai  qu’un  périoste  , 
une  grande  veine  i.  h.  l.  ^ qui  le  tapissoit , et  les 
traces  de  l’air  épanché,  comme  je  l’ai  représenté 
pl.  XXXIV,  fig.  6. 

Etonné  de  celte  singularité,  j’allai  sur-le-champ 
examiner  les  squelettes  d’un  aigle,  d’un  ara  et  d’un 
hibou  : je  trouvai  un  très-grand  trou  sous  le  grand 


1 1 


(i  ) Pag.  16  , 53 , 54' 

(2)  L’orfraie  de  Buffon,  liist,  nat.  des  oisaanx,  t.I , pag. 


DANS  LES  oiseaux;  463 

i;  trochanter  du  squelette  de  l’aigle  5 je  n^en  apper- 

t çus  aucun  vestige  dans  les  autres;  mais  je  remar- 

quai de  très -grands  trous  sous  les  têtes  des  os  du 
f bras  de  tous  mes  squelettes  d’oiseaux.  J’examinai 
e donc  les  bras  dans  l’aigle  avec  beaucoup  d’atten- 
tion; j’ouvris  cet  os  suivant  sa  longueur  , je  n’y 
> rencontrai  point  de  moelle,  mais  Je  périoste,  com- 

i me  dans  les  os  de  la  cuisse , et  une  ouverture  fort 

) grande  à la  partie  intérieure  de  la  tête  de  l’hume- 

rus,  pl.  XXXIV,  fig.  1,  a.  b.  c.  Voilà  une  analo- 
gie. L’air  pouvoit  entrer  par  ces  trous  dans  les  ca- 
vités des  os;  mais  je  ne  savois  pas  encore  com- 
ment il  pouvoit  pénétrer  jusqu’à  ces  ouvertures? 
J’avois  par  hasard  un  hibou  qui  étoit  mort.  Je  fis 
un  petit  trou  à l’extrémité  de  l’os  du  bras , fig.  5 , 
y j’appliquai  un  tuyau  de  cuivie,  et  soufflant 
je  vis  avec  bien  du  plaisir  que  toute  la  poitrine  et 
le  bas -ventre  s’enflèrent  : l’air  sortoit  par  la  tra- 
chée-artère à mesure  que  je  soufflois.  Je  liai  donc, 
pour  avoir  une  contre  épreuve,  la  trachée-artère 
autour  de  mon  tuyau  ; et  soufflant  j’eus  la  satis- 
faction de  voir  sortir  l’air  par  le  petit  trou  fait  à 
l’os  du  bras  , lorsque  j’y  appliquois  la  flamme 
d’une  bougie,  ou  quelque  corps  léger,  ou  une  pe- 
tite plume. 

L’os  de  la  cuisse  de  ce  hibou,  quoique  perforé, 
ne  transmettoit  pas  l’air;  aussi  n’y  avoit  ««il  pas 
d’ouverture  sous  le  trochanter. 


464  DE  LA  STRUCT.  DES  OS 

La  poitrine  et  le  bas -ventre  de  l’aigle  éloient 
trop  blessés  pour  répéter  ces  expériences  5 j’ôtai 
donc  les  boyaux,  je  soufflai  par  l’os  de  la  cuisse, 
et  je  vis  que  la  j)lèvre  qui  va  jusque  dans  le  bas- 
ventre  , forinoit  un  conduit  luendDaneux  , qui  , 
allant  le  long  des  vaisseaux  cruraux,  aboutissoit  à 
l’ouverture  de  la  cuisse  d.  e.  f , lig.  6,  et  qui  don- 
noit  passage  à l’air  pour  entrer  librement  dans  la 
cavité  de  cet  os.  Cela  redoubla  mon  ardeur  pour 
pousser  plus  loin  mes  découvertes. 

Je  me  ns  donner  des  magasins  à provision,  un 
dindon  , quelques  poulardes  : je  perforai  de  la  mê- 
me façon  les  extrémités  des  os  du  bras,-  j’y  appli- 
quai mon  tuyau  , et  soufflant,  je  vis  avec  surprise 
la  poitrine  et  la  bas-ventre  s’enfler  comme  dans 
le  hibou;  les  fémurs  n’adniettoient*pas  l’air,  n’é- 
tant pas  vides  , mais  remplis  de  moelle  comme 
dans  les  bibous.  Dans  le  coq  de  bruyère  l’expé- 
rience réussit  comme  dans  l’aigle  , car  ils  ont  des 
trous  sous  le  trochanter,  fig.  8,  d.  e.f. 

La  cigogne,  dont  on  me  montra  le  squelette,  a 
les  os  du  bras  pareillement  vides  et  remplis  d’air  , 
et  un  trou  considérable  a.  h.  c. , fig.  2.  Elle  a aussi 
les  cuisses  vides,  et  un  trou  manifeste  sous  le  tro- 
cbanter,  fig.  7,  d.  e.f. 

J’imaginai  dès-lors  que  je  trouverois  les  os  du 
bras  vides  dans  la  plupart  des  oiseaux;  mais  que 
je  ne  trouverois  les  cuisses  perforées  et  perméables 


DANS  LES  OISEAUX.  465 

à l’air  que  dans  ceux  qui  volent  très-haut,  comme 
les  aigles,  les  cigognes,  et  tous  ceux  qui  ont  le 
corps  pesant  et  beaucoup  de  muscles,  etc. 

Cette  conjecture  fut  vérifiée  par  la  dissection 
d’un  moineau  : ses  cuisses  se  trouvèrent,  aussi  bien 
que  ses  bras,  remplies  de  moelle , aussi  ne  vole-t-il 
pas  haut,  ni  long-tems  de  suite.  L’allouette,  par 
exemple  , qui  remplit  l’air  de  son  chant  mélo- 
dieux,  se  soutient  long-tems  sur  ses  ailes:  ses  bras 
I sont  creux,  remplis  d’air,  et  iis  ont  une  ouver- 
I ture  très-considérable. 

I Je  désirois  alors  ardemment  d’avoir  des  sque- 
! lettes  d’autruche,  de  casoar  et  de  pingoin , pour 

II  savoir  si  les  os  des  bras  ét oient  remplis  d’air?  Je 
1 formois  déjà  une  conclusion  négative;  je  priai  M. 

le  professeur  Allamand  de  Leyde  d’examiner  le 
I squelette  de  l’autruche;  il  eut  la  bonté  de  me  ré- 
I.  pondre  qu’il  n’y  avoit  aucune  ouverture  sous  la 
\ tête  de  l’os  humérus  de  cet  oiseau.  Je  ne  trouvai 
I nulle  part  le  squelette  d’un  casoar  ni  d’un  pin- 
goin  ; j’ai  reçu  de])uis  deux  pingoins  du  Cap  de 
f.i  Bonne-Espérance,  dans  de  l’esprit  de  vin;  je  n’ai 
I pas  encore  eu  le  teins  de  disséquer  les  parties  dont 
t il  est  question. 

Borelli  (i)  a déjà  fait  une  très-belle  remarque, 
, I que  les  ailes  sont  plus  grandes  à mesure  que  les 


(il  Propcsit.  182. 


ï I 1. 


' 00 


466  DE  LA  S TRUC  T.  DES  OS 
oiseaux  volent  plus  haut;  mais  la  nôtre  rend  leur 
mécanisme  plus  curieux  et  plus  intéressant. 

Je  reviens  de  cette  digression  à l’aiule  dont 

O vT) 

j’examinai  très-attentivement  les  clavicules  et  les 
soutiens  des  omoplates , les  omoplates  mêmes , l’os 
stei'num  , les  côtes  et  les  vertèbres  du  dos  : j’ai 
trouvé  tous  ces  os  creux  , vides  , remplis  d’air  ; 
même  l’os  sacrum  et  les  os  des  îles. 

Je  fis  le  24  février  1771,  les  expériences  suivan- 
tes sur  un  hibou  étoulfé. 

1°.  Ayant  ôté  le  grand  muscle  pectoral , et  per- 
foré l’os  du  bras  près  de  son  extrémité,  je  soufflai  | 
dans  ce  trou,  et  j’apperçus  sur-le-champ  une  grande  j, 
poche  membraneuse  entre  les  deuxpecioraux , qui  j 
alloit  le  long  des  vaisseaux  et  des  nerfs  bracbiaux, 
donnant  un  conduit  membraneux  v^s  l’ouver- 
ture qui  se  trouve  près  de  la  tête  de  cet  os  ; cette 
poche  s’enfloiî  aussi  lorsque  je  soufflois  par  la  tra- 
chée-artère. 

2°.  Je  décharnai  le  soutien  osseux  de  l’omo- 
plate , qui  étoit  articulé  avec  le  sternum  ; j’y  fis 
une  ouverture  très-petite;  j’y  soufflai,  et  la  même 
poche  s’enfla  à plusieurs  reprises. 

5°.  Je  perforai  la  lame  extérieure  du  sternum  , 
près  de  son  umon  avec  les  soutiens  ci-devant  dé- 
crits : l’air  passoit  aussi  immédiatement  dans  la 
poitrine  et  dans  le  bas-ventre.  Presque  tous  les  oi- 
seaux ont  des  trous  dans  l’intérieur  de  cet  os  , et 


[ DANS  LES  OISEAUX.  46y 

la  plèvre  est  la  continuation  du  périoste  interne  des 
cellules  de  cet  os. 

Ï’  4°.  Je  lis  la  rnêine  expérience  sur  les  clavicules^ 

et  je  m^ajrperçus  pareillement  de  leur  communi- 
j cation  avec  la  cavité  de  la  poitrine, 
i 5°.  Je  décharnai  la  partie  postérieure  ded’os  des 
! îles;  je  perforai  la  lame  osseuse  extérieure  et  l’air 
■ passa  par  ses  cellules  dans  la  poitrine  comme  si 
i j’avois  soufflé  par  la  trachée-artere. 

“r  6^".  L’air  passoit  aussi  par  les  corps  des  vertè- 
^bres  du  dos,  après  av'oir  décharné  leur  corps,  per- 
foré  la  lame  osseuse  et  appliqué  un  tuyau. 

7°.  Les  côtes  sont  aussi  vides,  et  reçoivent  l’air 
^par  plusieurs  trous  qui  sont  visibles  en  dedans  de 
la  cavité  de  la  poitrine;  aussi  peut-on,  par  la  mê- 
me opération  , souffler  l’air  par  les  côtés  , dans 
la  poitrine  , comme  par  les  autres  os  ci-devant 
nommés. 

J’ai  répété  les  première,  seconde,  troisième, 
lO  quatrième  et  sixième  expériences  sur  un  aigle,  le 
i5  mars  177 J,  devant  mes  auditeurs,  au  théâtre 
anatomique,  avec  le  même  succès, 
t 8°.  J’ai  perforé  l’os  de  la  cuisse  de  cette  orfraie  ; 
œ j’y  ai  appliqué  mon  tuyau,  et  l’air  a passé  facile- 
It  ment  dans  la  poitrine  de  cet  animal.  Ayant  souf- 
lit  lié  par  la  trachée-artère,  l’air  a sorti  par  ce  même 
SOI  trou  avec  tant  de  violence  qu’il  m’a  été  facile,  par 
ce  moyen,  d’éteindre  une  cliandelle  Irès-promp- 
lemenî. 


468  DE  LA  STÏlUCT.  DES  OS 

Je  ne  saurois  dire  si  la  même  structure  a lieu 
dans  les  autres  oiseaux;  cela  exige  un  examen  plus 
particulier:  il  suffit  que  l’aigle,  dont  la  vélocité  et 
la  hauteur  du  vol  sont  les  plus  grandes,  et  dont  la 
force,  tant  pour  voler  que  pour  saisir  et  déchirer 
sa  proie,  doit  être  nécessairement  plus  grande;  que 
l’aigle,  dis-je,  se  rende  plus  léger,  non-seulement 
par  l’air  qui  dilate  ses  poumons,  sa  poitrine  et  son 
bas-ventre,  mais  encore  par  l’air  qui  remplit  les 
cavités  de  ses  os. 

Il  est  très-probable,  par  les  expériences  faites 
sur  le  hibou, que  la  nature  se  sert  du  même  méca- 
nisme dans  tous  les  oiseaux  de  proie. 

Il  est  pareillement  très-probable  que  dans  l’au- 
truche, le  casoar  et  les  pingoins,  on  ne  trouvera 
aucun  os  creux  ; que  dans  les  cignes , les  oies  et  les 
canards  les  os  du  bras  seuls  seront  vides  et  remplis 
d’air;  et  seulement  en  partie  dans  les  dindons,  les 
poules  et  les  perdrix;  car  ces  derniers  ont  les  os  des 
bras  en  partie  remplis  de  moelle , en  partie  d’air  ; 
ou  bien,  pour  parler  plus  généralement,  il  est  ap- 
parent que  les  os  sont  vides  et  remplis  d’air,  à 
proportion  que  les  oiseaux  portent  le  vol  plus  ou 
moins  haut. 

Galilée  et  Borelli  ont  prouvé  que  la  substance 
des  os  dans  les  oiseaux  étoit  concave  comme  dans 
les  flûtes;  mais  ils  ont  supposé  qu’elle  étoit  remplie 
d’une  moelle  huileuse,  beaucoup  plus  légère  qu« 


DANS  L3i;S  OISEAUX. 


469 

i’os.  M.  de  Marsigli  a observé  que  l’os  du  bras  dans 
le  pélican  étoit  vide  et  rempli  d’air.  Je  me  flatte 
d’avoir  découvert  que  dans  beaucoup  d’oiseaux  , 
et  dans  les  oiseaux  de  proie,  tous  les  os  qui  peu- 
vent avoir  communication  avec  la  poitrine  ou  l’ab- 
domen , sont  remplis  d’air,  et  j’ai  prouvé  les  ou- 
vertures par  lesquelles  l’air  entre  régulièrement , 
et  s’y  renouvelle  par  la  respiration. 

L’air  qui  entre,  et  qui  remplit  ainsi  les  cavités 
L des  os,  doit  nécessairement  devenir  plus  léger  par 
j la  chaleur  du  corps;  moyennant  quoi  l’animal , 
devenu  spécifiquement  plus  léger  que  l’air  même, 
vole  avec  plus  d’aisance.  . 

Cette  découverte  nous  fait  voir  outx'e  cela  que 
la  moelle  n’est  pas  nécessaire  pour  la  nourriture, 
ni  pour  l’accroissement  des  os,  ni  pour  oindre  les 
articulations,  ni  pour  la  formation  du  cal:  j’ai 
trouvé  très-souvent  l’os  du  bras,  dans  les  poules, 
cassé  et  parfaitement  guéri.  J’ajoute,  pour  que  la 
1 démonstration  soit  plus  entière,  la  figure  d’un  tel 
os,  fig.  10  , pl.  XXXIV. 

L’ossification  reçoit  par-là  beaucoup  d’éclair- 
cissemens,  et  paroît  devoir  être  examinée  d’après 
ce  nouveau  plan. 

Il  n’est  pourtant  pas  sans  exemple,  même  dans 
notre  corps,  de  voir  la  substance  celluleuse  des  os 
remplie  d’air;  les  apophyses  mastoïdiennes  reçoi- 
vent l’air  par  les  trompes  d’Eustache. 


470  DEL/VSTRUCT.  DES  OS  I 

La  lête  de  l’iiibon  foinnit  un  autre  exemple  | 
aussi  curieux:  l’air  entre  dans  le  diploë  du  crâne  1 
entier  par  les  trous  auditifs;  car  les  oiseaux  n’ont  i 
point  de  troni])es  d’Eusîache,  comme  les  quadru- 
pèdes et  les  amphibies.  j 

Ayant  disséqué,  le  décembre  1775,  un  des  '| 
pingoins  que  j’avois  reçais  du  Cap  de  Bonne-Es-  | 
pérance,  de  la  seconde  espèce  de  dioineda  de  Lln- 
næus,  édit.  X.  pag.  2i4,  je  trouvai  ses  os  pleins  , 
ainsi  que  cela  devoit  être  d’après  l’explication  que 
j’en  ai  donnée.  j 

Quelque  lems  après  , on  m’apporta  un  pion-  : 
geon  de  l’espèce  que  Linnæus,  ibid. , pag.  222, 
appelle  colymbus  immer ^ dont  les  ailes  sont  trop 
petites  pour  qu’il  puisse  voler.  Dans  cet  oiseau  j 
les  os  du  bras  sont  pareillement  remplis  de  moelle  ; 
et  sans  trous  aeriens.  Aussi  les  os  de  ces  deux  es-  I 
pèces  d’oiseaux  n’admeUent-ils  pas  l’air.  | 

Les  os  des  cuisses  de  ce  plongeon  méritent  Fat-  f 
tention  des  naturalistes,  en  ce  qu’ils  n’ont  point  de  ^ 
trochanter,  dont  la  structure  avec  celle  des  muscles  j 
est  si  admirable.  Le  périoste  est  noir  dans  cet  oi- 
seau , et  sa  couleur  se  détache  comme  celle  de  l’u-  ; 
vée  des  yeux  de  la  plupart  des  animaux. 

La  tête  de  l’éléphant  fournit  encore  une  preuve  , 
plus  frappante;  mais  il  est  teins  de  finir  ce  mé- 
moire, après  avoir  donné  une  explication  courte 
des  figures  , sans  lesquelles  la  description  auroit  : 
été  moins  instructive  et  moins  claire. 


)lej 


DANS  LES  OISEAUX.  47 1 


EXPLICATION 


DES  PLANCHES. 


PLANCHE  XXXIV. 


FIGURE  1. 


R F.  PRÉSENTE  la  partie  supérieure  de  Fos  du 
bras  gauche  de  Forfraie:  a.  h.  c.  le  trou  par  où 
Fair  entre. 


FIGURE  2. 


La  partie  supérieure  de  Fos  du  bras  gauche  de 


la  cigosne:  a.  h.  c.  le  trou  aerien, 

O O 


FIGURE  O. 


L^os  du  bras  gauche  du  hibou  : a,  b,  le  trou  aë- 


DE  LA  STRUCT.  DES  OS 


4752 

rien  5 p.  le  trou  fait  à la  partie  inférieure  pour  ap- 
pliquer le  tuyau. 


FIGURE  4, 

L’os  du  bras  droit  d’un  dindon  : a.  b.  c.  le  trou 
aérien. 

FIGURE  5. 

L’os  du  bras  droit  d’une  poule  : a.  h.  c.  le  trou 
aérien. 

FIGURE  6. 

L’os  de  la  cuisse  gauche  de  l’orfraie:  d.  e.f  le 
trou  aérien  sous  le  trochanter  h.  • g.  la  tête  de  cet 
os;  i.  l'.  l.  m.  les  piliers  pour  donner  de  la  force  à 
l’os,  qui  sans  cela  seroit  trop  mince;  i.  l.  m.  n.  la 
veine  qui  tapisse  le  périoste  interne. 


FIGURE  7. 

L’os  de  la  cuisse  gauche  de  la  cigogne  : d.  e.f. 
le  trou  aérien;  h.  le  trochanter;  g.  la  tête  de  l’os. 

FIGURES. 

L’os  de  la  cuisse  gauche  du  coq  de  bruyère  ; 
d.  e.f.  le  trou  aérien. 


DANS  LES  OISEAUX. 


4yo 


FIGURE  g. 

L’os  de  la  cuisse  droite  de  la  poule  , sans  trou 
aerien. 

FIGURE  10. 

L’os  du  bras  droit  d’une  poularde  ; a.  h.  le  trou 
aerien  5 q.  r.  la  fracture  parfaitement  unie  par 
le  cal. 


DE  LA  STRUCT.  DES  OS 


LETTRE 

s U R LE  M É M E S ü J E T, 

Adressée  aux  éditeurs  d’un  journal  littéraire 
intitulé  Hedenciaacrscbe  Vaderlandsche  Letter- 

O 

oelFeninsjen. 

O 


ESSIEURS, 

C’est  avec  plaisir  que  j’ai  vu  dans  le  troisième 
volume  de  votre  journal  hebdomadaire  (i) , la 
Dissertation  de  M.  John  Ilunter , sur  les  in- 
terstices entre  les  muscles  et  les  cavités  des  os 
des  oiseaux  , par  lesquels  V cdr  communique  avec 
leurs  poumons  que  vous  avez  traduite  du  LXIV®. 
volume  des  Transactions  philosophiques  de  Lon- 
dres 5 volume  qui  n’est  arrivé  en  Hollande  qu’en 


<0  N?.  10,  1774,  pag.  421. 


BANS  L E S O I S E A U X.  4y5 

automne  de  l’année  1774;  tandis  que  cette  disser- 
tation arolt  été  lue  dans  la!  Société  Royale  le  27 
février  1774.  J’ai  été,  en  même  tems,  charmé  que 
vous  m’ayiez  rendu  la  justice  de  remai’quer:  ((  Que 
« déjà  le  2 mars  1771  j’avois  communiqué  à la  So- 
« ciété  Euiave  de  Rotterdam,  celte  découverte,  et 
« par  conséquent  trois  ans  avant  que  M.  Hunter 
« en  ait  parié.  » 

Cette  concurrence  d’idées  devolt  en  attendant 
fixer  l’attention  des  savons  de  notre  pays,  et  les  en- 
gager à comparer  ma  dissertation  avec  celle  de  M. 
Hunter;  et  cela  d’autant  ]>lus  que  le  premier  vo- 
lume de  la  Société  Batave  de  Rotterdam  a paru 
plus  tard  que  le  volume  LXIV  des  Transactions 
philosophiques.  On  onroil  pu  donc  facilement  ne 
point  prendre  en  considération  la  date  de  ma  dis- 
sertation ; ou  bien  , comme  cela  arrive  souvent,  la 
négliger  volo-ntairemenl  ; ce  qui  auroit  nuit  à la 
priorité  de  ma  découverte. 

Afin  de  lever  tout  dol.'te  à ce  sujet , je  vais  four- 
nir les  preuves  les  plus  péremptoires  j)Our  montrer 
que  j’ai  en  effet  déconvert  et  communiqué,  trois 
ans  avant  M.  Hunier,  cette  singulière  propriété  des 
oiseaux;  et  je  produirai , en  même  tems,  les  nou- 
velles observations  que  j’ai  faites  depuis  ce  tems- 
là,  par  la  dissection  du  casoar,  de  l’autruche,  de 
la  corneille  mantelée  , du  hibou  et  d’autres  oi- 
seaux. 


DES  OS 


476  DE  LA  STRUCT. 

R.avi,  et  non  sans  raison  , je  pense  , d’avoir  fait 
cette  belle  découverte  dans  les  oiseaux,  le  11  fé- 
vrier 177  1,  je  la  communiquai  sur-le-cliamp  à plu- 
sieurs de  mes  amis  , el  , eut r’a litres  , à M.  Alla- 
mand  , à læide.  J’ai  conservé  , jiour  des  raisons 
pavliciilièves,  la  réponse  que  cfT savant  me  lit  à ce 
vsiijet.  Je  lui  avoisjiromis  mes  observations  sur  le 
lenne  (lesquelles  ont  paru  en  1771,  en  forme  de 
supplément  à l’édition  d’Amsterdam  de  l’T/zsto/i/’e 
nat.  de  M.  le  comte  de  Buflbn  );  et  je  lui  commu- 
niijuai,  dans  la  même  lettre  , ma  découverte  de  la 
cavité  des  os  des  oiseaux.  Voici  la  réponse  qu’il  me 
lit:  ((Je  vous  remercie  d’avance  de  vos  observa- 
((  lions  sur  le  renne  que  vous  avez  la  bonté  de  me 
((  laire  espérer,  etc. — Je  n’ai  point  encore  eu  l’oc- 
« casion  de  faire  l’expérience  qui  prouve  la  corn- 
« munication  entre  l’abdomen  et  les  gros  os  des  oi- 
« seaux;  mais  après  ce  que  vous  m’en  avez  dit,  je 
<(  crois  la  chose  comme  si  je  l’avois  vue.  — Je  vais 
((  partir  pour  la  Gueldre  , où  j’aurai  des  oiseaux 
((  de  diverses  sortes  en  abondance  , pour  vérifier 
<(  votre  belle  découverte,  u Cette  lettre  est  sans 
date,  mais  a cependant  été  écrite  au  commence- 
ment de  l’année  1771,  comme  il  paroît  par  la  pu- 
blication de  mes  observations  sur  le  renne. 

J’avois,  en  même  tems, prié  M.  Allamand  d’exa- 
miner le  squelette  de  l’autruche  ; sur  quoi  il  me 
répondit,  dans  une  autre  lettre  du  aSjuin  1771: 


DANS  LES  OISEAUX.  477 

« Votre  découverte  du  passage  de  l’air  dans  les  os 
« des  oiseaux  me  paroît  de  plus  en  plus  intéres- 
« sarite,  et  vous  ne  serez  pas  fâché  d’apprendre  que 
« votre  conjecture  sur  les  os  de  l’autruche  est  vraie, 
« au  moins  dans  un  squelette  que  j’ai  de  cet  oi- 
« seau  ; et  je  n’ai  pu  découvrir  aucun  vestige 
« de  la  moindre  ouverture,  ni  dans  l’os  humérus, 
(c  ni  dans  celui  de  la  cuisse.  11  en  sera  sans  doute 
« de  même  du  casoar;  ce  qui  paroît  indiquer  que 
« vous  avez  trouvé  le  véritable  usage  de  cet  airpas- 
« sant  dans  les  os;  puisque  ces  deux  oiseaux,  non 
« plus  que  le  pingoin,  ne  volent  point  (i).  m 
Cependant  il  se  passa  dix-huit  mois  sans  que 
j’eusse  quelque  espérance  qu’on  accorderoit  bien- 
tôt l’insertion  de  ma  découverte  dans  les  actes  de 
la  Société  Batave  de  Rotterdam,  à laquelle  je  l’a- 
vois  envoyée. 

Cela  me  détermina  à faii'e  passer  mon  mémoire 
à M.  Portai  à Paris;  ce  que  je  lis  le  21  novembre 
t 1772,  avec  quelques  additions  en  François,  en  le 
1 priant  de  le  faire  insérer  dans  les  mémoires  de  la 
Société  Royale  des  sciences,  avec  quelques  obser- 
vations anatomiques  sur  le  fourmilier  du  Cap  de 
Bonne-Espérance,  sur  le  pécari  (^Sus  sj?.  5 doj'so 


(1  ) On  voit  par  ces  deux  lettres  que  déjà  en  i 771 , ?.I-  Allamand 
connoissoit  iion-seuiement  ma  découverte,  mais  qu’il  l’avcit  même 
constatée  par  ses  propres  expériences. 


4y8  DE  LA  s T R U C T.  DES  OS 
cystifaro y cauJa  nulla.  Linn. , gen.  35),  et  sur 
l’organe  de  l’oiiïe  et  les  éverils  des  cachalots,  etc. 
M.  Portai  me  fil  l’iionneiir  de  me  répondre  le  i6 
mors  1773,  que  les  observations  que  je  lui  avois 
fait  passer  avoient  été  trouvées  d’une  si  grande  im- 
portance par  les  membres  de  l’Académie  , qu’ils 
avoient  chargé  MM.  Daubenton,  Tenon  et  Portai 
de  faire  des  observations  sur  les  oiseaux  que  j’a- 
vois  cités;  et  M.  Portai  me  marqua  ensuite , en  date 
du  26  avril  1774,  qu’ils  avoient  fait  ces  observa- 
tions, dont  ils  avoient  été  fort  satisfaits,  et  qui 
s’étoient  trouvées  parfaitement  conforraesà  ceque 
j’avois  dit;  de  sorte  que  l’Académie  Royale  des 
sciences,  à qui  ils  en  avoient  rendu  compte  le  23 
avril  de  la  même  année,  les  avoit  jugées  dignes 
d’être  insérées  dans  son  recueil;  ])reuve  certaine 
qu’à  celle  époque  personne  n’avoit  encore  eu  la 
moindre  connoissairce  de  celte  structure  sinpu- 

O 

lièré  des  oiseaux. 

Comme  une  nouvelle  preuve , inutile  sans  doute, 
que  j’ai  fait  beaucoup  plutôt  que  M.  Hunter  celle 
découverte,  je  vous  envoie  ici  une  dissertation  la- 
tine que  M.  Ladislas Charnack,  Hongrois,  a lue,  le 
25  août  1773,  dans  une  séance  publique  de  l’uni- 
versité de  Groningen  , sur  la  respiration  des  oi- 
seaux (1).  M.  Charnack  me  rend  la  justice  d’avoir 


(1)  DisserC.  mediea  da  inspiraiione  volucrum. 


DANS  LES  OISEAUX.  470 

le  premier  fait  la  découverte  de  cette  singulière 
propriété,  puisqu’il  dit  : « C’est  le  célèbre  Camper 
« qui  le  premier  a découvert  que  les  oiseaux  res- 
« pirent  aussi  par  les  cavilés  des  os  des  bras  , des 
« cuisses  et  du  tron-cmême,  etc.  (i).  » Si  l’on  com- 
pare cette  dissertation  avec  celle  que  j’ai  envoyée 
à la  Société  de  Rotterdam  , on  verra  qu’elle  s’y 
rapporte  exactement.  Cela  n’est  pas  surprenant  : 
M.  Charnack  a été  un  de  mes  plus  assidus  audi- 
teurs, à qui  j’ai  souvent  répété  mes  observations 
sur  cet  objet  j ainsi  qu’il  en  fuit  aussi  expressé- 
ment mention  : « Le  célèbre  Camper  a souvent 
« fait  , en  présence  de  ses  auditeui’S  , des  expé- 
« riences  de  cette  espèce  sur  le  liibou  , sur  l’ai- 
« gle , etc.  (2).  » 

Ces  preuves  convaincantes  font  voir  in-contes- 
tablement  que  j’avois  déjà,  à cette  époque  , une 
connoissance  parfaite  de  l’intromission  de  l’air 
dans  les  cavités  des  os  des  oiseaux,  dont  M.  John 
Hunter  n’a  parlé  à la  Société  Royale  de  Londres 
que  le  27  février  1774.  Je  vais. donc  passer  main- 
tenant aux  corrections  que  j’ai  faites  depuis  ce 
teins  à ma  dissertation. 


( 1 ) Respirationein  ctviuni  etiani  per  ossa  cava  humeri,Jemomm 
ipsiits  trunci  exerceri , monalium  prunus  cel.  Campa  us  cle~ 
sexic,  etc. 

(2)  y^arîa  kitjus  ^eneris  expérimenta  in  noctua  et  nquila  coram 
auditoribns  suis  instituit  cel.  Camperas , etc. 


48o  DE  LA  S T R U C T.  D E S OS 

Dans  la  dlsserlalion  (|iie  j’ai  envoyée  le  2 mars 
1771  à la  Soclélé  Balave  , je  dis  expressément: 
« Cependant  les  oiseaux  n’ont  point,  comme  les 
((  quadrupèdes,  des  conduits  qui  viennent  aboutir 
« dans  la  bouche  ou  dans  la  goi'ge;  mais  il  y a pro- 
((  bablement  une  ouverture  dans  la  longueur  du 
<(  conduit  auditif  pour  amener  et  rafraîchir  l’air 
((  entre  les  lames  osseuses  de  la  tête.  » Je  suis 
d’autant  plus  certain  à cet  égard  que  déjà  en  1745, 
lorsque  j’étois  encore  à l’étude,  j’ai  connu  et  fort 
exactement  dessiné  l’organe  de  l’ouïe  des  oiseaux 5 
mais  ce  ne  fut  que  le  12  novembre  1774  que  je 
découvris,  pour  la  première  fois,  l’issue  des  con- 
duits auditifs  dans  la  bouche  d’une  autruche  qui 
servit  à mes  rechercher  sur  cet  objet  5 et  lorsque 
je  me  trouvai  une  fois  sur  la  roule,  il  ne  me  fut 
pas  difficile  de  faire  la  même  découverte  dans  le 
coq  , dans  la  cheveche,  dans  la  corneille  manîelée 
et  dans  d’autres  oiseaux.  Je  m’apperçus  alors  de 
la  cause  de  mon  erreur.  Ils  n’ont  qu’une  ouver- 
ture coiumune  peur  les  deux  trompes  d’Eustachej 
et  cette  ouverture  se  trouve  placée  fort  cachée  en- 
tre les  deux  apophyses  digitiformes  au-dessus  de 
l’oesophage. 

Du  Verney,  Casserius  , Blasius  , "Valentin  et 
Collins  même,  quoique  ce  dernier  ait  bien  connu 
ces  apophyses  , qu’il  nomme  processus  cristati ^ 
ne  font  aucune  mention  de  cette  ouverture. 


«ANS  LES  OISEAUX,  48l 

Les  devoirs  multipliés  de  la  place  de  profes- 
seur que  j’occupois  alors,  me  laissoient  peu  de 
loisir  pour  lire,  ou  parcourir  même , toutes  les  dis- 
sertations qui  nous  viennent  d’Angleterre.  Au- 
jourd’hui que  je  suis  libre,  je  trouve  que  le  doc- 
teur Allen  Monten  avoit  déjà  décrit  en  1681  ces 
conduits,  ainsi  que  leur  réunion  avec  les  cavités 
entre  les  parois  osseuses  de  la  tête  dans  les  oi- 
seaux. On  n’a  qu’à  consulter  Badham  ou  Lovv- 
thorp  (1),  lequel  dit:  «Il  n’y  a qu’un  conduit 
« creux  (^aquœductus)  dans  la  tête  de  tous  les  oi- 
« seaux,  exactement  au  milieu  du  palais  au-des- 
« sous  de  l’endroit  où  s’y  fait  l’insertion  des  riari- 
« nés.  — C’est  un  conduit  membraneux,  qui  va 
« par  derrière  jusqu’à  la  communication  d’une 
« oreillle  à l’autre.  » Comme  c’est  en  1771  que  je 
suis  tombé  dans  cette  erreur  , il  paroît  que  c’est 
par  l’essai  suivant  que  j’y  ai  été  conduit.  Ayant 
fait  un  trou  dans  la  lame  de  la  tête  d’une 
chouette , je  trouvai  que  l’air  sortoit  avec  une  telle 
violence  par  les  ouvertures  des  oreilles  , que  j’en 
éteignis  la  flamme  d’une  chandelle  5 ainsi  que  cela 
a été  confirmée  par  M.  Charnack  (2).  La  violence 


(1)  Therc  is  butone  aquaeductus  in  the  hee>d  of  ail  the  fowls, 
exacdy  in  lhe  middle  of  the  palate  , below  the  insertion  of  the 
nostrils  inlo  it.  — h is  a inembraneous  tube,  which  reaches  bak- 
Ward  as  far  as  the  communication  Jrom  car  to  ear. 

(2)  Ibid,,  pag.  i3. 


III. 


01 


483  DB  LA  STR  U CT.  DES  OS 
avec  laquelle  je  soufflois  avoil  rompu  le  tympan  , 
parce  que  les  conduits  d’Eustache  sont  trop  étroits 
pour  laisser  passer  assez  vite  tout  cet  air. 

Dans  la  chevêche  [strix  passerina  , Linn.)  que 
je  disséquai  le  s5  décembre  1774,  je  lis  une  pe- 
tite ouverture  en  haut  au-dessus  des  orbites  des 
yeux,  dans  la  lame  osseuse  extérieure.  Je  soufflai 
ensuite  par  le  conduit  d’Eustache,  et  la  flamme 
d’une  chandelle  ([ue  je  tins  vis-à-vis  l’ouverture 
que  j’avois  pratiquée,  conlirma  la  communication 
et  le  rapport  de  M.  Hunter  (1),  ainsi  que  la  dé- 
couverte que  le  docteur  Mon ten  avoit  faite  il  y a 
près  d’un  siècle.  J’ai  renouvellé  depuis  cette  même 
expérience  sur  des  corneilles  mantelées,  des  coqs 
et  d’autres  oiseaux  , et  toujours  avec  les  mêmes 
succès.  Dans  les  coqs  il  faut  faire  l’ouverture  der- 
rière l’oreille. 

Quant  aux  apophyses  très-éminentes  dont  j’ai 
parlé  dans  le  supplément  de  ma  dissertation  , je 
dois  remai’quer  ici  en  passant,  que  Willougby  a 
bien  publié  un  dessin  fort  grossier  de  cés  apophy- 
ses dans  son  ornithologie  (2),  mais  sans  en  donner 
la  description  , quoiqu’il  ait  d’ailleurs  indiqué 
la  situation  de  l’os  de  la  cuisse.  Meyer  (5)  les  a 


(1)  Ibid.,  pag.  210. 

(2)  Fig.  62. 

(3)  Kur,  V orsiell,  allerh.  thierc.  Wur.  1748  B.  I,  fig.  9^1  100. 


«ANS  LES  OISEAUX. 


48  ^ 


.'À. 

! 

'4' 


de  même  parfaitement  bien  figurées  dans  le  plon- 
geon , sans  en  parler  dans  son  texte. 

M.  Hoffmann  , fameux  médecin  de  Batavia,  au- 
trefois un  de  mes  plus  zélés  disciples  , et  à qui  je  dois 
plusieurs  morceaux  précieux  de  ma  collection,  m’a 
voyé  des  Grandes-Indes  un  casoar  conservé  dans 
de  l’arac,  après  qu’on  eut  dté  les  intestins.  Les  os 
des  bras  sont,  proportionnellement  à la  grosseur 
de  son  corps,  extraordinairement  petits,  et  ne  re- 
çoivent absolument  point  d’air,  non  plus  que  les 
os  des  cuisses  et  les  côtes;  mais  il  y a de  l’air  dans 
les  cavités  entre  les  os  des  îles  et  l’os  sacrum.  Cet 
oiseau  ne  court  pas  bien  vite,  et  ses  ailes  sont  en- 
core beaucoup  plus  petites  que  celles  du  pingoin 
du  Cap  de  Bonne-Espérance.  Chez  cet  oiseau  l’on- 
gle du  milieu  des  pieds  n’étoit  pas  le  plus  grand, 
comme  le  prétend  Linnæus  (i);  mais  c’étoit  l’on- 
gle intérieur,  lequel  éloit  une  fois  plus  long  que 
tous  les  autres. 

Peu  de  tems  après  que  M.  Pennant  fut  arrivé  à 
la  fin  de  septembre  1774  de  Hollamle  à Leeuwar- 
den  avec  un  éléphant,  une  autruche  et  d’autres 
animaux,  l’autruche  vint  à mourir,  pour  avoir 
avalé  trop  de  monnoie  de  cuivre.  J’achetai  cet  oi- 
seau mort  en  octobre;  mais  differentes  occupations 


(O  Dixième  éduion  , pag.  265^ 


484  DE  LA  STRUCT.  DES  OS 
me  forcèrent  d’en  différer  la  dissection  jusqu’au  6 
novembre  1774. 

L’autruche  est  un  oiseau  trop  connu  et  a été 
trop  bien  décrit  par  Perrault , Valisneri , Brown  , 
Ranby,  Warren  et  Buffon,  pour  qu’il  soit  néceis- 
saire  que  je  m’arrête  ici  à parler  de  sa  forme  ex- 
térieure. Je  remarquerai  seulement  que  c’est  avec 
étonnement  que  j’ai  vu  que  Valisneri  , Brown  , 
Perrault,  Klein  , Brisson  et  Linnæus  n’ont  pas  ob- 
servé l’ongle  du  petit  doigt  du  pied  , tandis  qu’il 
a visiblement  un  demi -pouce  et  même  souvent 
trois  quarts  de  pouce  de  long.  Il  arrive  bien  quel- 
quefois que  la  peau  écailleuse  couvre  cet  ongle  , 
mais  on  peut  cependant  toujours  l’appercevoir. 
Johnston, Cheselden  et  Meyer  ont,  en  contre,  re- 
présenté ce  doigt  fort  grand;  peut-être  par  défaut 
d’attention,  ou  parce  qu’ils  se  sont  imaginés  que 
cela  devoit  être  ainsi. 

J’ai  trouvé  (et  c’est  de  quoi  il  s’agit  ici)  dans 
l’autruche  ce  que  M.  John  Hunter  y avoit  remar- 
qué, savoir,  qu’il  n’entre  point  d’air  dans  les  os 
des  bras,  mais  bien  dans  tous  les  autres  os,  comme 
chez  tous  les  autres  oiseaux  ; c’est-à-dire,  dans  les 
vertèbres,  dans  l’os  sternum,  dans  les  cotes,  etc.  ; 
et,  ce  qui  est  ici  l’objet  principal,  dans  les  os  des 
cuisses.  Le  1 1 décembre  1774, étant  à préparer  un 
squelette  de  cet  oiseau,  je  remarquai  au  côté  an- 
térieur de  l’os  de  la  cuisse  un  assez  grand  trou  aë- 


DANS  LES  OISEAUX.  485 

rien,  partagé  en  plusieurs  petits  trous  entre  les 
condylesj  de  sorte  que  cet  os  de  la  cuisse  est  non- 
seulement  l'empli  d’air;  mais  il  paroît  même  vrai- 
semblable que  l’air  sort  de  nouveau  enti'e  les  in- 
terstices membraneux  des  muscles.  Cependant  cela 
demande  de  nouvelles  recherches. 

L’air  pénètre  jusqu’au  bout  du  coccix,  le  long 
des  apophyses  épineuses.  Il  remplit  le  grand  in- 
terstice de  l’os  sacrum  , et  des  os  des  hanches  , 
dans  des  membranes  particulières  qui  communi- 
quent avec  le  ventre  et  avec  la  poitrine. 

M.  J.  Hunier  avoit  donc  raison,  et  jene  suis  pas 
le  seul  i[Lii  me  soit  trompé.  La  cause  de  cette  der- 
nière erreur  paroît  consister  en  ce  que  ces  trous  ne 
se  trouvent  pas , comme  dans  l’aigle  , dans  la  cigo- 
gne, dans  le  coq  de  bruyère,  etc.,  au  côté  anté- 
rieur , mais  tout -à -fait  au  côté  postérieur  de  la 
cuisse;  de  sorte  que  ce  n’est  qu’avec  peine  qu’on 
les  y découvre,  d’autant  plus  qu’on  ne  les  y sup- 
pose point. 

M.  Hunter  dit  que  l’air  pénètre  aussi  dans  la 
moelle  alongée:  c’est  ce  que  j’ai  trouvé  vrai  dans 
une  corneille  mantelée;  après  que  j’eus  coupé  le 
cou  par  le  milieu,  et  introduit  un  tuyau  de  cuivre 
entre  la  moelle  épinière  et  ses  membranes,  j’y  fis 
entrer  assez  facilement  de  l’air,  jusqu’à  ce  que 
j’eus  fait  distendre  le  ventre;  et  l’air  sortit  ensuite 
par  un  trou  que  je  fis  à l’o«  du  bras.  Je  coupai  la 


486  DE  LA  STRÜCT.  DES  OS 
tete  à une  autre  corneille  niantelée,  entre  l’occi- 
put et  l’atlas;  mais  il  me  fut  impossible  d’intro- 
duire l’air  dans  la  moelle  épinière.  Il  me  paroît  par 
des  expériences  que  j’ai  faites,  tant  sur  des  cor- 
neilles mantelées  que  sur  des  poules,  que  l’air 
peut  pénétrer  dans  les  vertèbres  du  côu. 

J’avois  déjà  apperçu  , mais  cej)endant  pas  aussi 
distinctement  que  je  l’aurois  désiré,  que  la  man- 
dibule inférieure  de  l’autruche,  du  héron  , du  bu- 
tor et  de  la  corneille  étoit  remplie  d’air.  11  paroît 
que  M.  Hunter  avoit  remarqué  la  même  chose  dans 
le  pélican:  « La  mandibule  inférieure  du  pélican, 
« dit-il , est  également  fournie  d’air;  mais  par  quel 
((  moyen?  c’est  ce  que  j’ignore  (i).  » 

J’ai  cherché  à connoître  ce  moyen  , et  je  l’ai  dé- 
couvert évidemment  dans  l’autruche,  dans  le  hé- 
ron et  dans  le  butor.  Il  est  facile  de  l’appercevoir 
dans  la  corneille  mantelée.  Au  coté  supérieur  des 
apophyses  placées  en  arrière  de  la  mandibule  in- 
férieure, lesquelles  sont  courbées  en  dedans,  il  y 
a un  trou  rond,  assez  grand  dans  l’autruche,  pour 
qu’on  puisse  y introduire  une  plume  à écrire;  dans 
le  héron  et  d’autres  oiseaux  ce  trou  étoit  plus  pe- 
tit; mais  cependant  apparent  et  spacieux.  De  ce 
trou  part  un  conduit  membraneux  , lequel  court 


(j)  The  lower  jaw  of  the  pélican  is  also  furnished  wilh  air  , 
but  by  what  means  l do  riot  hnow.  Ibid, , png.  211. 


DANS  LES  OISEAUX. 


487 

S en  montant  denière  le  tympan,  et  va  s’attachera 
1 un  semblable  trou  un  peu  au-dessous  du  bord 
J d’en  haut  du  tambour.  C’est  par  ce  conduit  que 
! i’air  pénètre  des  cavités  entre  les  lames  osseuses 
) de  la  tête  dans  la  mandibule  inférieure;  de  ma- 
I nière  que  la  mandibule  inférieure  reçoit  l’air  par 
1 les  conduits  d’Eustache. 

C’est  avec  la  corneille  mantelée  qu’on  peut  le 
; mieux  faire  cette  expérience, en  pratiquant  un  trou 
» clans  la  partie  cornée  de  la  mandibule  inférieure, 

I et  en  faisant  un  autre  trou  derrière  l’oreille  , 

i après  qu’on  aura  enlevé  la  peau.  Qu’on  souffle 

; alors  par  un  tuyau  de  cuivre  alternativement  l’air 
' dans  l’un  et  dans  l’autre  trou.  Quand  on  tiendra  la 
tête  avec  un  de  ces  trous  dessous  l’eau,  on  en  verra 
sortir  l’air  avec  effort;  et  si  l’on  enlève  le  muscle 
de  derrière  la  mandibule  inférieure,  on  apperce- 
vra  fort  distinctement  le  conduit  membraneux. 

La  découverte  de  cette  partie  m’appartient  donc. 
Ma  considération  , comme  si  les  trous  dans  les  os 
des  oiseaux  étoient  particuliers  à ceux  qui  volent 
long-tems  et  fort  haut , dont  j’ai  parlé  dans  mon 
mémoire , paroît  bien , en  quelque  sorte,  perdre 
de  son  poids,  par  ce  que  je  viens  de  dire  mainte- 
nant relativement  à l’autruche  , mais  elle  n’est 
pas  néanmoins  entièrement  détruite,  puisqu’on  sait 

Ique  l’autruche  court  avec  une  extrême  vitesse,  et 
vole  même  le  long  de  la  terre;  ce  qu’il  ne  sauroiî 


I 


488  DELA  ST  R UC  T.  DES  OS 

faire,  si  leCréalenr  n’avoit  pas  considérablement 
diminué  son  poids,  en  lui  donnant  cette  adjnira- 
ble  strucline.  Ceci  deviendra  plus  clair  encore  si 
l’on  se  rappelle  ce  que  le  comte  de  BulTon  dit  d’a- 
près M.  Martine  (i),  que  la  chaleur  naturelle  des 
oiseaux  est  bien  plus  grande  que  celle  de  l’homme, 
et  qu’elle  doit  par  conséquent  rendre  l’air  dans 
toutes  les  cavités  des  os  sensiblement  plus  léger 
que  celui  de  notre  atmosphère.  Le  casoar,  dont  la 
course  n’est  pas  rapide,  n’a  pas  les  os  des  cuisses 
et  des  bras,  etc.,  vides,  ainsi  que  je  l’ai  déjà  re- 
marqué. 

Les  bécasses , les  hirondelles  de  mer  et  les  moi- 
neaux n’ont  pas  les  os  des  bras  et  des  cuisses  vides. 
Les  plumes  de  la  queue  de  ces  oiseaux  paroissent 
réparer  ce  défaut;  d’ailleurs,  ces  oiseaux  ne  vo- 
lent ni  fort  haut , ni  fort  long-tems  de  suite. 

Par  ces  mêmes  raisons,  je  ne  puis  me  détermi- 
ner à abandonner  mes  conjectures,  pour  adopter 
celles  deM.  John  ïlunter;  « Que  toutes  ces  cavités 
« ne  sont  que  des  appendices  des  poumons,  et  qu’on 
« ne  doit  les  considérer  que  comme  des  réservoirs 
« d’air.  » 

Franeker  , le  i5  janvier  1775. 


(1^  Suppl,  tom.  I , P ag.  84 , note  C. 


DANS  LES  OISEAUX. 


489 


SUPPLÉMENT 


Au  mémoire  sur  la  structime  des  os  des  oiseaux. 


§•  I-  ^ ANS  ma  lettre  aux  éditeurs  des  Heden- 
daagsche  V^aderlandsche  Letteroeffeningen , j’ai 
déjà  observé  (1)  qu’il  y a un  grand  trou  aerien  au 
côté  postérieur  de  l’os  de  la  cuisse  de  l’autruche. 
Je  pense  que  le  lecteur  sera  charmé  de  trouver  ici 
le  dessin  d’un  pareil  os,  pris  d’un  jeune  autruche, 
et  rendu  avec  une  grande  fidélité,  quoique  réduit 
en  petit. 

La  figure  11  de  la  jilanche  XXXIV  représente 
l’os  de  la  jambe  droite  vu  par  devant:  A.  est  la 
tête;  B.  le  grand  trochanter;  D.  et  C.  sont  les  con- 
dyles  qui  sont  réunis  avec  le  tibia  par  des  articu- 
lations, auxquelles  E.  appartient  aussi.  Ilyaquel- 
que  chose  qui  n’est  visdile  qu’en  partie,  c’est  l’é- 
piphyse de  la  partie  supérieure  a.  b.  ; de  même  que 


(1)  Voyez  page  4S4. 


490  DE  LA  STRUCT.  DES  OS 

c.  cl.  e.  f.  g.  est  l’épiphyse  de  la  partie  inférieure 

de  l’os  de  la  jambe. 

On  voit  clairement  que  de  ce  cdté-ci  il  n’y  a point 
de  trou  visible;  mais  au  côté  de  derrière,  où  A.  B. 
C.  D.  et  E.  indiquent  cette  même  partie  dans  la 
fig.  12  de  la  pl.  XXXÏV,  on  apperçoit  fort  distinc- 
tement les  grands  trous  aëi  iens  h.  i.  k.  l.  m.  à la  par- 
tie supérieure  , et  q.,  à la  partie  inférieure,  au- 
dessus  du  cartilage  C.  et  E.  Ces  trous  étoient  cou- 
verts  d’un  périoste;  de  manière  cependant  que  ce- 
lui-ci laissoit  d’assez  grandes  ouvertures  pour  que 
l’air  put  passer  en  quantité  suffisante  dans  les  os. 

Je  dois  ici  beaucoup  de  remercimens  au  savant 
M.  Bloch  , médecin  à Berlin  , pour  la  réception 
amicale  qu’il  m’a  faite  pendant  mon  séjour  dans 
cette  ville  , et  pour  l’envoi  qu’il  a bien  voulu  me 
faire  d’une  outarde  mâle  {otis , gen.  g5,  sp.  edit. 
X Linn.)  A l’os  creux  de  la  jambe  de  cet  oiseau 
il  y a un  trou  aérien  remarquable,  mais  exacte- 
ment au-dessus  du  grand  ti'ochanter  ; il  paroît  donc 
que  la  situation  de  ce  trou  varie  beaucoup  dans 
plusieurs  oiseaux,  quoiqu’il  se  trouve,  à la  vérité, 
presque  toujours  au  côté  antérieur  de  l’os. 

Dans  le  faisan  couronné  des  Indes  ( coluinha  , 
Linn. , gen.  io4,  sp.  17  ) , j’ai  trouvé  de  même  l’os 
de  la  jambe  rempli  d’air,  et  le  trou  aérien  placé 
sur  le  devant  de  l’os,  comme  dans  l’aigle,  la  ci- 
gogne, le  coq  de  bruyère,  etc. 


DANS  LES  OISEAUX. 


491 

Dans  une  spatule  ( plataha  ^ gen.  80,  sp.  1, 
Linn.)  , qui  avoit  été  tlisséquée  rhiver  précédent, 
'*  les  os  des  jambes  étoient  totalement  remplis  de 
'•  moelle.  11  étoit  remarquable  qu’entre  les  muscles 
* du  coccix  (gïutei)  il  y eut  deux  grandes  poches 
■f  aériennes,  qui  ressembloient  à celles  qui  sont  en— 

l' Ire  les  muscles  pectoraux,  lesquels  étoient  aussi 
fort  considérables.  L’air  pénétroit  jusque  dans  tous 
I les  os  de  la  poitrine  et  du  ventre,  de  même  que 
I dans  les  os  des  cuisses  et  de  l’os  sacrum. 

i §.  II.  Quoique  les  trous  par  le  moyen  desquels 
I l’air  pénètre  dans  la  mandibule  inférieure  des  oi- 
I seaux  terrestres  , aient  été  suffisamment  décrits 
ji  dans  ladite  lettre  (1),  je  crois  qu’il  est  nécessaire 
I de  me  faire  mieux  comprendre  à cet  égard  , par 
I les  dessins  de  ces  parties  : j’ai  donc  , dans  la  fig. 
i5  de  la  pl.  XXXIV  représenté  la  mandibule  in- 
férieure d’une  autruche  et  dans  la  fig.  i4  celle  de 
la  troisième  espèce  de  calaos  (^huoeros , gen.  y4^ 
Linn.  ) , ainsi  que  celle  de  la  quatrième  espèce  de 
calaos,  dans  la  fig.  10.  La  fig.  16  représente  la 
mandibule  inférieure  toute  entière  d’une  corneille 
! mantelée  {cornix , gen.  5o,  sp.  5,  Linn.).  Dans  la 
I fig.  17  on  volt  la  mandibule  inférieure  d’un  héron 
; ( ardeciy  gen.  84  , «ji.  i 2 ).  Toutes  ces  mandibules 


(i)  Voyez  page  4BG. 


4g2  DE  LA  STRUCT.  DES  OS 

sont  de  grandeur  naturelle  et  vues  par  en  haut. 

A.  et  B.  dans  les  fig.  i3  et  17,  mais  A.  D.  dans^ 
les  hg.  i4,  i5  et  16,  sont  les  épiphyses  intérieures 
des  extrémités  de  la  mandibule  inférieure.  C.  en 
est  la  ])ointe;  mais  comme  dans  les  fig.  i4  et  i5 
les  mandibules  des  calaos  ont  été  tronquées,  C.  C. 
y indiquent  l’endroit  où  celle  amputation  s’est 
faite. 

r.  indique  dans  toutes  ces  mandibules  le  trou 
aérien,  auquel  est  attaché  le  conduit  qui  vient  de 
l’intérieur  de  l’oreille  , et  qui  reçoit  l’air  par  les 
conduits  d’Eusiache. 

La  mandibule  inférieure  des  oiseaux  aquatiques, 
tels  que  le  cigne,  les  canards,  l’oie,  les  pingoins 
et  autres  semblables,  ne  reçoivent  -absolument 
point  d’air,  non  plus  que  les  autres  os  de  la  tête. 
11  paroît  que  la  nature  a voulu  par-là  rendre  leur 
tête  plus  propre  à plonger. 

III.  Quoique  rien  ne  soit  plus  aisé  à démon- 
trer que  la  manière  dont  l’air  s’introduit  dans  tous 
les  os  qui  entoui'ent  la  cavité  de  la  poitrine,  il  me 
parut  cependant  difficile  à deviner  comment  l’air 
peut  remplir  toutes  les  vertèbres  du  cou  jusqu’à  la 
tête. 

En  disséquant,  le  24  novembre  de  l’année  der- 
nièreiySo,  la  spatule,  je  découvris  fort  évidem- 
ment un  conduit  d’air  qui  de  la  cavité  antérieure 


DANS  LES  OISEAUX.  405 

de  la  poitrine  passoit  le  long  de  toutes  les  vertè- 
bres du  cou  jusqu’à  la  tête.  L’oiseau  étoit  trop  gras 
pour  qu’il  me  fut  possible  de  suivre  ses  autres  con- 
duits aeriens. 

Le  novembre , je  fis  tuer  un  héron  , dans  le- 
quel je  découvris  trois  conduits  aeriens,  qui  par- 
toient  du  côté  antérieur  de  la  plèvre.  Un  de  ces 
conduits  passoit  par  devant  le  long  des  vertèbres 
du  cou  , comme  dans  la  spatule,  et  deux  latérale- 
ment entre  les  muscles  intertransversaires,  c’est- 
à-dire,  qui  se  trouvent  placés  entre  les  apophyses 
transverses  des  vertèbres.  Chaque  vertèbre  prend 
e une  branche  de  ces  conduits  et  se  remplit  d’air 
par  ce  moyen.  Mais  je  n’ai  pas  pu  ‘découvrir  encore 
comment  l’air  peut  s’introduire  jusque  dans  la 
dure  membrane  qui  enveloppe  la  moelle  alongée. 

Il  est  probable  que  pour  cela  il  fau  droit  faire  des 
injections  avec  du  mercure,  tant  sur  les  côtés  de 
la  poitrine  que  le  long  du  cou , etc.  Mais  cela 
demanderoit  les  recherches  non  d’une  seule  per- 
sonne mais  de  plusieurs.  En  attendant  que  cela  se 
fasse , je  vais , en  forme  de  récapitulation,  résumer 
avec  une  espèce  de  conviction  ce  que  j’ai  dit  plus 
haut. 

1°.  Que  l’air  pénètre,  dans  les  oiseaux,  par  le 
nez  entre  les  lames  osseuses  du  front  et  le  vomer, 
comme  dans  l’autruche,  la  corneille  mantelée,  le 
héron  et  autres  semblables  oiseaux. 


4g4  DE  E A s T n U C T.  DES  os 

2'^.  Que  le  crâne  el  toute  la  mandibule  infé- 
rieure reçoivetil  l’air  par  les  trompes  d’Eustache. 

5°.  Que  les  vertèbres  du  cou  reçoivenl  l’air  par 
les  trois  conduits  de  la  cavité  antérieure  de  la  poi- 
trine, dont  ]’ai  parlé  plus  haut.  I 

4*^.  l'ous  les  os  autour.de  la  poitrine  et  du  ven- 
tre ont  de  grands  trous  qui  aboutissent  intérieu- 
rement dans  la  plèvre , et  qui  admettent  facilement 
l’air  aspiré  ])ar  la  trachée-artère. 

5°.  Les  os  des  bras  et  les  jmches  aériennes  qui 
se  trouvent  entre  les  muscles  pectoraux  reçoivent 
Fair  immédiatement  de  la  cavité  de  la  poitrine  par  ' 
les  vaisseaux  brachiaux. 

6°.  Les  os  de  la  cuisse  reçoivent  l’air,  par  des  con-  , 
duils  membraneux,  de  la  plevre  ou  des  trous  aë-  | 
riens  qui  vont  de  dessus  les  intestins  jusqu’aux  os  des  , 
hanches:  ceux-ci  sont  de  même  accompagnés  des 
vaisseaux  cruraux.  Ils  ont  quelquefois  la  forme  de  | 
grandes  vessies  entre  les  muscles  coccigiennes  , 
ainsi  que  je  l’ai  observé  dans  la  spatule. 

Il  se  pourroit  que  la  même  chose  eut  lieu  dons 
l’autruche  et  dans  d’autres  oiseaux.  Peut-être  y 
a-t-il  par  derrière  des  poches  aériennes  qui  vont 
en  descendant  par  dessous  le  muscle  crural.  Mais 
j’avois  tant  à observer  dans  la  dissection  de  ce  grand 
et  rare  oiseau,  relativement  aux  jeux,  aux  pieds, 
aux  intestins,  etc.,  quhi  rae  fut  impossible  de  tout 
examiner  avec  le  soin  convenable. 


DANS  LES  OISEAUX. 


495 

j 7°.  Les  oiseaux  aquatiques  ne  paroissent  pas 
I avoir  d’air  dans  la  charpente  osseuse  de  la  tête,  ni 
I même  dans  leurs  autres  os. 

I 8®.  Quelques  oiseaux  , tels  que  les  bécasses  (m5- 
i ticiila  ou  holopax  , gen.  86,  sp.  6)  et  autres  sem- 
blables , n’ont  absolument  point  d’air  dans  leur 
; charpente  osseuse  , et  volent  cependant  loin  et  fort 
long-tems.  Mais  dans  tous  ces  oiseaux  les  muscles 
pectoraux  sont  assez  forts  pour  un  pareil  vol , et 
l’apophyse  de  l’os  sternum  est  très-grand, 
j Ou  voit  aussi  dans  les  chauve-souris  que  la  na- 
I ture  compense  la  grande  pesanteur  qui  résulte  de 
I la  moelle  des  os  , en  opposition  de  l’air  , par  la 
force  des  muscles  qui  meuvent  les  ailes,  et  par  la 
I grandeur  des  ailes  mêmes. 

§.  IV.  Quoiqu’il  en  soit,  je  fus  fort  satisfait 
I lorsque  j’apperçus  que  les  pennes  primaires  de  l’ai- 
: gle  sont  creuses  jusqu’au  bout.  J’ai  remarqué  la 
) mêmeVhose  aux  pennes  primaires  du  héron  et  de 
I la  spatule;  et  il  y a lieu  de  croire  que  cela  a éga- 
I lement  lieu  dans  plusieurs  autres  oiseaux. 

Une  observation  qui  me  semble  digne  des  natu- 
I ralistes,  seroit  de  savoir  comment  l’air  s’introduit 
i dans  ces  pennes,  et  pénètre  dans  les  tuyaux  des  plu- 
mes de  tous  les  oiseaux?  comment  enfin  il  parvient 
dans  les  piquans  du  j)orc-épic,  etc.  ? 11  est  certain 
qu’il  n’y  a point  de  conduils  aériens  qui  y aillent 


4g6  DE  LA  s T R U C T.  DES  OS,  ETC. 
de  la  poitrine.  De  cjuelle  manière  cela  s’opèré-t-il 
donc?  Il  est  probable  qne  ce  sont  les  vaisseaux 
sanguins  qui  y conduisent  l’air;  de  même  que  nous 
voyons  que  les  plantes  portent  l’air  dans  leurs  con- 
duits aeriens?  Quoiqu’il  en  soit,  il  paroît  que  la 
nature  a voulu  nous  faire  un  mystère  de  cette  ad- 
mirable propriété;  et,  malgré  que  le  célèbre  Pou- 
part (i)  ait  fait  quelques  essais  pour  en  découvrir 
le  mécanisme , et  que  Perrault  en  parle  (2)  dans  sa 
description  de  l’autruche,  tous  les  autres  natura- 
listes n’ont  pas  moins  gardé  le  silence  sur  ce  point 
impartant  et  obscur. 


(1)  Hùt.  de  V Acad,  royale  des  sciences,  année  1(199,  p«  56 
(a)  Mém-  pour  servir  à l'hisc.  nat.  des  anim.,  part.  11,  pag,  27a. 


FIN  DU  XR/OISIEME  VOLUME. 


TABLE  DES  PIÈCES 

CONTENUES 

DANS  CE  VOLUME. 


LEÇONS  SUR  L’ÉPIZOOTIE. 

Préface  y 7 

PREMIÈRE  LEÇON. 

Des  principaux  vaisseaux  sanguins  du  cou,  des 
jambes  de  derrière  et  de  devant  des  bêtes  à 
cornes  , et  de  la  position  naturelle  de  leurs  in- 
testins dans  le  ventre ^ 

SECONDE  LEÇON. 

Des  quatre  estomacs  en  patticulier , du  foie  ^ 
de  la  rate  , etc.  ainsi  que  des  viscères  de  la 
poitrine  f 5 s 


III. 


32 


498 


TABLE 


TROISIÈME  LEÇON. 

De  la  rumination  des  animaux  purs  et  impurs ^ 
et  particulièrement  des  bêtes  à cornes ^ 4g 

QUATRIÈME  LEÇON. 

Histoire  , nature  ^ symptômes  et  guérison  de 
V épizootie  actuellement  régnante  ^ 76 

Explication  des  planches  , i4o 


Supplément  aux  Leçons  sur  Vépizootie , 147 

à V article  de  la  mesure  des  mâchoi- 
res de  certains  animaux , i54 

Lettre  adressée  aux  Etats-Généraux  des  Pro- 
vinces-Unies  J i58 

De  Vinoculation  de  V épizootie  ^ de  ses  avanta- 
ges et  des  précautions  qu^elle  demande , 178 
Examen  dhin  passage  de  ^instruction  de  sa 
majesté  prussienne  de  i'j65 y relativement  à la 
décomposition  des  peaux  des  bêtes  à cornes , 

187 

Des  vers  pulmonaires  , igo 

Du  bilzucht , ou  des  tumeurs  qui  surviennent 
aux  cuisses  des  jeunes  veaux  , 199 

Du  véiiin  {^t  fenyn^  , 309 


DES  PIÈCES.  499 

DE  L’EDUCATION  PHYSIQUE  DES  ENFANS. 

Epitre  dèdicatoire  à MM.  les  directeurs  et  mem- 
bres de  la  Société  des  sciences  de  Harlem^  217 

CHAPITRE  I. 

De  la  procréation  des  enfans , 22.3 

CHAPITRE  II. 

Des  soins  cpdil  faut  prendre  des  nouveaux-nés, 

227 

CHAPITRE  III. 

De  la  nourriture  des  enfans  , 2 19 

CHAPITRE  IV. 

De  V instruction  des  enfans , 270 

CHAPITRE  V. 

Des  défauts  naturels  aux  enfans  , 277 

CHAPITRE  VI. 

S’il  faut  inoculer  les  petits  enfans^  294 


5oo 


TABLE 


DISCOURS  LUS  A l’aCAD.  DE  DESSIN. 


Préface  de  V éditeur  , 

299 

Deux  discours  sur  la  manière  dont  les  dilFérentes 

passions  se  peignent  sur  le  visage, 

3o5 

Premier  discours 

ibid. 

Second  discours  , 

319 

Deux  discours  sur  l’analogie  qu’il  y 

a entre  la 

structure  du  corps  humain  et  celle  des  quadru- 

pèdes,  des  oiseaux  et  des  poissons, 

3s5 

Premier  discours  , 

327 

Second  discours  , 

347 

Du  Beau  physique , ou  de  la  Beauté  des  formes,  Sy  i 

DE  LA  GÉNÉRATION  DU  PIPA,  OU 

CRAPAUD 

d’amérique. 

423 

Explication  des  planches , > 

, 437 

observations  sur  le  chant  ou  COASSEMENT 

DES  grenouilles  MALES, 

443 

Explication  des  planches. 

454 

DES  PIÈCES. 


5oi 


DE^LA  STRUCTURE  DES  OS  DANS  LES  OISEAUX  , 457 

Explication  des  planches,  4yi 

Lettre  sur  le  même  sujet , adressée  aux  éditeurs 
d’un  journal  littéraire  z?zifiYM/eHedendaagsche 
Vaderlandsche  LetteroefFeningen , 4y4 

Supplément  au  mémoire  sur  la  structure  des  os 
des  oiseaux  3 489 


FIN  DE 


L A 


TABLE. 


ERRATA; 


•W** 


3o  ligne 

1 5 Sont  placés , lisez  est  placé. 

5i 

4 placés , lisez  placé. 

96 

21  lié,  lisez  liée. 

166 

i5  peu  , lisez  pu. 

1 82 

6 inoculées,  lisez  inoculés. 

>94 

1 3 de  la  note , répondoit , lisez  répondit. 

264 

24  jAi,  lisez  j’aie; 

^79 

22  evec,  lisez  avec. 

307 

r les , lisez  le. 

ibid. 

2,1  atrocees,  lisez  atroces. 

338 

6 observatiens , lisez  observations. 

38o 

20  et  qui  de  plus  est , lisez  et  qui  plus  est.